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ŒUVRES COMPLÈTES
DE BOSSUET.
Besançon, — imprimerie d'Outheuin Chalandra fils.
OEUVRES
COMPLETES
DE
P U B L 1 E K
D'APRÈS LES IMPRIMÉS ET LES MAMSCRITS ORIGINAUX
PrP.GKFS I*ES INTKRl'Ol.ATIOiXS ET REXriT'RS A LEIK INTÉ<;RITK
PAR F. LACHAT
ÉDITION
lîKM'ERMANT TOUS LES OUVRAGES KIilTKS ET PLl'SIEUlîS INl'lDITs
VOLUME XVIII
PAlilS
LIBRAIRIE DE LOUTS VIVES, ÉDITEUR
P.UF, DELAMBRE , 9
18 64
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.MM 2"^ 1953
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RECUEIL
DE DISSERTATIONS, DE PIÈCES ET DE LETTRES
CONCERNANT
UN PROJET DE RÉUNION
DES PROTESTANS DE FRANCE ET DES PROTESTANS d'aLLEMAGNE
A L'ÉGLISE CATHOLIQUE.
AFFAIRE DU OUIÉTÏSME:
INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
REMAROIES HISTORIQUES.
Après un siècle de troubles et d'agitations violentes, l'Allemagne,
partagée, morcelée , déchirée de ses propres mains, soupiroit après la
concorde , le calme et le repos. Le traité de Westphalie avoit bien
stipulé la tolérance , mais il n'avoit pas ramené l'unité religieuse ; les
hommes éclairés, les princes, la diète elle-même désiroient de voir
la paix de l'avenir fondée sur des bases plus solides , dans la conci-
liation des esprits. Déjà les plus habiles théologiens des deux commu-
nions, des évoques et des surintendans, des nonces et des diplomates
s'étoient efforcés dans de longues négociations de préparer la réunion
des catholiques et des protestans ; et ce projet, également dans les
vœux de la politique et de la religion , fut sur le point d'être réalisé
par un homme de génie, qui joignoit le zèle de l'apôtre àla science du
docteur.
Descendant d'une illustre famille espagnole et né dans les Pays-Bas,
Christophe de Rojas Spinola, religieux franciscain, suivit à Vienne Phi-
lippe IV. Devenu confesseur de l'impératrice , après la mort de son
maître il fut retenu dans l'empire , et ses fidèles services le firent nom-
mer évêque de Tina, en Croatie. Poursuivant la pacification religieuse,
il avoit visité plusieurs fois les Cours d'Allemagne, et rédigé dans un
mémoire les propositions concédées par les plus modérés des protes-
TOM. xvm. a
II PIÈCES POUR LA RÉUNION DES PROTESTANS, ETC.
tans. Son projet n'avoit pas encore pour les dissidens le caractère
d'authenticité : il alla demander à Rome la sanction de l'autorité su-
prême. Une commission de cardinaux approuva son mémoire , et le
souverain Pontife joignit un bref à cette approbation. Lorsqu'il fut de
retour à Vienne, l'empereur Lôopold !*■■, qui suivoit avec une vive
sollicitude le projet d'union, l'appela de Tina sur le siège épiscopal de
Neustadt, non loin de sa capitale; et l'investit de pleins pouvoirs
« pour traiter avec tous les Etats, communautés ou même particuliers
de la religion protestante. » L'infatigable promoteur de la paix revint
à Hanovre. Il eut le bonheur d'y trouver, dans le directeur des églises
consistoriales , le plus habile et le plus modéré des théologiens luthé-
riens, Gérard Valther Van der Muelen, en latin Molanus , abbé de
Loldcum. L'abbé de Lokkum et l'évêque de Neustadt choisirent pour
règle, dans leurs négociations, la méthode employée par Bossuet con-
tre les protestans, l'exposition pure et simple des doctrines, portant
ainsi la discussion sur son véritable terrain, écartant les conti'overses
(jui nourrissent l'amour-propre, et les objections qui éloignent les es-
prits bien loin de les rapprocher. De leurs conférences, qui durèrent
six mois , sortit l'ouvrage intitulé : Rcgicla circa christianorwn omnium
ecclesiasticam reunionem *. Poursuivies pendant plusieurs années dans
d'autres Cours de l'Allemagne, les négociations sembloient justifier
les plus grands espérances; malheureusement la mort d'un prince favo-
rable à l'union, la peste qui portoit au loin ses ravages, les armes turques
qui menaçoient l'empire, vinrent dissoudre pour ainsi dire le congres
de la paix religieuse; et Spinola lui-même, atteint de la goutte et vieilli
par les fatigues, mourut en 1695. Toutefois le saint projet ne disparut
point avec son premier auteur ; il fut transporté dans les mains de
Bossuet, par les circonstances que voici.
Lorsque l'électeur palatin Frédéric V eut perdu, à la bataille de Pra-
gue, ses Etats héréditaires avec la couronne de Bohême qui venoit de
lui être déférée, sa fille Louise-HoUandine le suivit dans sa retraite en
Hollande. Eclairée sur les erreurs delà Réforme, comme elle redoutoit
les larmes de sa mère, cette princesse s'éloigna secrètement , laissant
sur sa table un billet qui portoit ces mots : « .Je passe en France pom-
me rendi'e catholique et me faire religieuse. » Après son abjuration,
elle prit le voile en 1659 à Maubuisson. Quelques années plus tard, un
décret royal la fit supérieure de cette abbaye , dont on voit les ruines
près de Pontoise, à huit lieues de Paris. Elle avoit pour secrétaire une
' Quelques-uns disent «[uo cet ouvrage eut Spinola pour auteur ; presque tous
peuseut qu'il fut composé par les tliéologieus de llauovre ou par Molanus
en leur nom; dans tous les cas Molanus et Spinola tombèrent d'accord sur les
articles qu'il renferme, si bien que les deux opinions reviennent au même dans
le fond.
REMARQUES HISTORIQUES. m
femme d'esprit et de tète, Madame de Brinon. D'abord religieuse ursu-
line, après avoir vu les flammes dévorer son couvent, Madame de Bri-
non devintla première supérieure de Saint-Cyr ; elle rédigea les statuts de
cette institution royale, et fut en quelque sorte la promotrice d'Esther
et d'Athalie, en provoquant la tragédie sans amour profane. Entourée
d'honneurs et jalouse de son autorité, elle ne témoignoit pas à Madame
de Maintenon sa bienfaitrice la déférence qu'elle lui devoit; elle fut
envoyée à Maubuisson avec une pension de quatre mille livres.
Cependant une seconde fille de Frédéric V étoit devenue duchesse
de Hanovre. La pieuse abbesse Louise-Hollandine désiroit la conver-
sion de cette sœur bien-aimée ; elle la désiroit d'autant plus vivement,
qu'elle espéroit de ramener avec elle dans le sein de l'Eglise son mari
Ernest -Auguste, et probablement une partie des protestans d'Alle-
magne. Déjà son zèle avoit mis en rapport deux hommes honorés, l'un
pour son caractère et l'autre pour sa science, de chaque cùté du Rhin;
Pehssou et Leibuitz entretinrent par son entremise, jusqu'en 1693, une
correspondance soutenue sur la religion. Et quand elle sut qu'on né-
gocioit en Allemagne la paix religieuse, elle pria sa sœur la du-
chesse de faire appeler Bossuet dans les délibérations. La Cour de Ha-
novre, qui admiroit les productions du grand théologien, demanda
son avis sur les propositions faites par Molanus. Bossuet reconnut,
dans cette invitation, la voix de Dieu qui lui confioit les intérêts de son
Eglise ; il fit parvenir à l'abbesse de Maubuisson, pour le transmettre à
Hanovre, tm mémoire aussi fort de raison qu'entraînant de douce élo-
quence, et noua dès ce moment avec Molanus un saint commerce de
savans écrits. Un peu plus tard, Leibnitz ambitionna l'honneur de se
mesurer avec le grand homme; il sut même, en écarlant Molanus,
se constituer auprès de lui le seul représentant du parti luthérien.
Voilà donc les personnages qui poursuivirent dans sa seconde phase le
projet d'union : comme écrivains, Molanus, Leibnitz et Bossuet; comme
intermédiaires, la princesse Louise-Hollandine et Madame de Brinon.
Ne pouvant analyser complètement les ouvrages qui parurent dans
ces mémorables débats, nous nous contenterons d'esquisser les traits
les plus saillans de la discussion. Homme plein de douceur et de mo-
dération, pour ramener la paix entre les deux camps, Molanus propose
de conclure une trêve qui suspendra le combat, de signer comme un ar-
mistice qui favorisera les négociations, en un mot d'établir une union
provisoire fondée sur des engagemens réciproques. D'une part, les pro-
testans vénéreront dans le Pape le premier des évèques , ils reconnoî-
trout .l'autorité de la hiérarchie ecclésiastique , ils se soumettront d'a-
vance aux décisions d'un futur concile, et regarderont les catholiques
comme leurs frères; d'une autre j)art, l'Eglise romaine recevra sans re-
tractation les protestans dans son sein, elle tolérera leurs croyances en
IV PIÈCES POUR LA RÉUNION DES PROTESTANS, ETC.
suspendant ses anathèmes, elle admettra leurs pasteurs dans sa hiérar-
chie, puis elle convoquera un concile général qui donnera voix
délibérative à toutes les parties intéressées , aux luthériens comme
aux catholiques. En attendant , pour faciUter l'œuvre du concile, les
théologiens des deux églises prépareront l'unité de croyance ; et tout
de suite Molanus concilie lui-même plusieurs dogmes sur des points
fondamentaux, tels que la justification , les sacremens, la messe, le
culte des Saints. — L'évêque de Meaux n'admit point la méthode pro-
posée par l'abbé de Lokkum; il montre qu'elle renverse l'ordre naturel
des négociations. En effet, la paix religieuse doit s'étabhr dans les in-
telligences, par conséquent sur le terrain des dogmes. Or point d'unité
de dogme sans règle de foi. La règle de foi, ce n'est pas l'Ecriture
seule, puisqu'elle ouvre la porte à toutes les erreurs ; ce n'est pas non
plus la tradition seule, puisqu'elle ne renferme pas les archives origi-
nales de la doctrine révélée : c'est l'Ecriture interprétée par la tradi-
tion. Eh bien, la tradition, comment pouvons-nous la reconnoitre? Par
le témoignage irréfragable, par l'infaillible autorité de l'Eglise une,
perpétuelle et universelle, embrassant touslcs temps et tous les lieux.
11 faut donc constater, par la voie de l'exposition, la doctrine de
l'EgUse catholique; puis concilier sur cette base inébranlable, comme
Molanus l'a fait avec succès dans plusieurs points, la doctrine pro-
testante. La conciliation faite dans les dogmes, la paix s'établira
comme d'elle-même dans la discipline : pleine de condescendance
pour des cnfans infirmes, mais soumis, l'Epouse du Rédempteur, Mère
des chrétiens , ouvrira son sein charitable aux protcstans ; elle leur
accordera, comme elle l'accorda dans le concile de Bâle aux calixtins
de Bohème, l'usage de la coupe; elle recevra leurs ministres et leurs
surintendans parmi ses prêtres et ses évoques; elle leur laissera même
leurs femmes jusqu'à la mort, à condition que leurs successeurs se
soumettront à sa discipline.
Tandis que l'honnête Molanus cherche l'union des esprits dans la
conciliation des croyances, l'ingénieux Leibnitz invente dans la chicane
et les subtilités de nouvelles causes de trouble et de division. Au lieu
d'aller droit au dogme, il s'arrête dans le domaine des faits : le seul
but qu'il se propose, l'unique résultat qu'il poursuit, c'est d'ébrémler
le concile de Trente sous les coups de l'histoire écrite à la façon pro-
testante; il attaque ce concile dans sa convocation, dans son œcumé-
nicilé et dans sa réception; chose incroyable, il combat son décret sur
le canon des Ecritm^es; et dans cette campagne il parcourt, non plus
une partie de l'histoire, mais pour ainsi dire l'histoire universelle, des-
cendant du canon des Hébreux jusqu'à, celui de Luther. Bossuet ne se
laissa pas fourvoyer dans ces courses au clocher : Vous attaquez, dit-il,
à Leibnitz, le concile de Trente : mais comment ne voyez -vous pas
REMARQUES HISTORIQUES. v
que vous renversez du même coup tous les conciles , sans excepter les
quatre premiers, dont les protestans reçoivent l'autorité? Commuent ne
comprenez-vous pas que vous sapez d'avance le futur concile, que vos
frères demandent pour sceller le traité d'union générale? En détruisant
le privilège de l'infaillibilité , vous désarmez l'Eglise contre l'hérésie ,
vous lui ôtez le pouvoir de condamner l'erreur, vous livrez le christia-
nisme à tous les caprices de l'imagination. Abordant la critique du ca-
non des Ecritures, l'aigle de Meaux jette dans l'avenir un de ces re-
gards qui pénètrent les événemens futurs : « Plutôt que de conserver le
Livre de la Sagesse et les autres, continue-t-il, vous aimez mieux con-
sentir à noyer sans ressource VEpitre aux Hébreux et l'Apocalypse , et
parla même raison les Epîlres de saint Jacques, de saint Jean et de
saint Jude. Le Livre d'Esther sera entraîné par la même conséquence :
vous ne ferez pas scrupule de laisser perdre aux enfans de Dieu tant
d'oracles de leur Père céleste U faudra laisser dire impunément à
tous les esprits libertins ce qui leur viendra dans la pensée. » Nous de-
vons connoître maintenant le père de l'exégèse moderne. Toutefois
l'habile théologien ne se contente point de ces réponses générales ; il
suit pas à pas son adversaire, et réfute les unes après les autres toutes
ses objections.
Voilà les questions qui s'agitèrent entre Bossuet d'une part, Leibnitz
et Molanus de l'autre. Commencées sous les plus favorables auspices
et poursuivies d'abord avec succès , les négociations ne ramenèrent
point la paix dans les esprits : à qui devons-nous attribuer ce résultat ?
Du côté des catholiques, l'évêque de Neustadt consacra toute une vie
de sacrifices et de rudes labeurs à la pacification religieuse; deux
papes. Clément IX et Innocent XI approuvèrent son projet: vingt car-
dinaux le protégèrent de leur haut patronage, et l'empereur Léopold
lui donna l'appui de l'autorité souveraine en Allemagne. En France,
Bossuet prêta pour sa part, à l'union sainte, la force de l'autorité mo-
rale avec le tribut de la science et du génie ; négociateur de la paix
chrétienne pour l'Europe, il chercha dans l'iiistoire ecclésiastique les
enseignemens qu'offre l'apaisement des sectes et la conciliation des
schismes; il se remplit de la douceur, de la condescendance et de la
charité que l'Eglise a toujours eue pour ses enfans séparés, et proposa
un traité d'alhance fondée sur la double base de la vérilé divine im-
muable dans ses dogmes, et de la discipline ecclésiastique variable
dans ses prescriptions suivant les temps et les lieux.
Du côté des protestans, c'est pour ainsi dire une seule main qui te-
noit les rênes de la négociation : c'est la Com- de Hanovre qui dirigeoit
la plume de ses théologiens, etparloit parla bouche de ses diplomates
rehgieux. Le duc étoit luthérien, la duchesse calviniste et tous deux
suspects d'indifférence en matière de religion : l'un disoit que les pa-
VI PIÈCES POUR LA RÉUNION DES PROTESTANS, ETC.
rôles de la Cène renfermoient plusieurs sens, afin d'offrir une excuse à
toutes les opinions; l'autre demandoit une nouvelle révélation, pour
démêler ces sens multiples et divers. La Maison de Hanovre borna
longtemps les calculs et l'action de sa politique à l'Allemagne , cher-
chant son agrandissement dans la faveur de l'empereur. En 1688,
une révolution sanglante vint montrer à son ambition, quoique dans un
horizon lointain, le trône d'un grand peuple : elle tendit une main vers
l'Angleterre, et continua de présenter l'autre k la munificence impé-
riale. L'unique héritier de la couronne britannique mourut en 1700, et
le parlement lui déféra le trône l'année suivante : de cette heure elle
se détourna de l'Allemagne pour porter toutes ses vues de l'autre côté
du détroit.
En signalant ces trois phases de la politique hanovricnne, nous
avons pour ainsi dire tracé la marche du projet d'union sur le terrain
de la Réforme. Tant que le duc rcchercliale titre d'électeur, tant qu'il
s'efi"orça de gagner les bonnes grâces de son souverain, tant qu'il
se rapprocha du catholicisme dans l'intérêt de son ambifion, les théo-
logiens luthériens se montrèrent favorables à la pacification religieuse :
Molanus concilia cinquante arficles sur les points les plus importans de
la doctrine chrétienne; Leibnilz ie suivoit avec applaudissement dans
cette voie de conciliaUon; et Bossuet put dire : «Là réunion est faite. »
Mais la maison de Hanovre voit les événemens déplacer le centre de
ses intérêts matériels, elle craint d'éloigner la faveur de l'Angleterre en
se rapprochant du catholicisme, elle veut flatter d'injustes animosités qui
lui promettent une brillante couronne : aussitôt les négociateurs pro-
testans se prennent d'un zèle inflexible pour la sainte Réforme évan-
gélique. Comme Molanus suivoit les inspiraUons de sa conscience plu-
tôt que la nouvelle politique de son maître, par un procédé trop vul-
gaire pour être habile, Leibnitz l'écarté de la correspondance pour se
substituer à sa place ^ et soulève mille obstacles à la conciliation.
1 11 supposa deux choses qu'il savoit fausses : « Vous avez témoigné de sou-
haiter, écrivit-il à Bossuet , quelque commuuicaliou avec un théologieu de ce
pays-ci;... mais on y a trouvé de la difficulté, puisque M. l'abbé de Lokkum
même paroissoit ne vous pas revenir. » Cette double assertion dut singulière-
ment surprendre Bossuet; il répondit à Leibnitz : « Je vous dirai, Monsieur,
premièrement, rpieje n'ai jamais proposé de communication que je désirasse
avec qui que ce soit de de-là , me contentant d'être prêt à exposer mes senti-
mens, sans affectation de qui que ce soit, à tous ceuxcpii voudroient bien entrer
avec moi dans les moyens de fermer la plaie de la chrétienté. Secondement,...
j'ai toujours dit que cette affaire devoit être traitée avec des théologiens delà Con-
fession d'Augsbourg, parmi lesquels j'ai toujom-s mis au premier rang M. l'abbé
de Lokkum, comme un homme dont le savoir, la caudeiu" et la modération le
rcudoient un des plus capables que je connusse pour avancer ce beau dessein,
.l'ai, Monsieur, de ce savant honuue la même opinion que vous en avez ; et
j'avoue selon les termes de votre lettre que de tous ceux qui seront les mieux
REMARQUES HISTORIQUES. vu
Hier il disoit : « A bien considérer le concile de Trente , il n y a guère
de passages qui ne reçoivent un sens qu'un protestant raisonnable
puisse admettre; » aujourd'hui sa verve épuise Paolo Sarpi et les re-
cueils à'ana contre cette sainte assemblée; il s'efTorce de flétrir a cette
bande de petits évèques italiens , courtisans et nourrissons de Rome ,
qui fabriquèrent dans un coin des Alpes, d'une manière désapprouvée
hautement par les hommes les plus graves de leur temps, des décisions
qui doivent obliger toute l'Eglise. » Bossuet réfutoit vainement ses ob-
jections : il revient cent fois sur des sophismes percés à jour, sur des
thfficultés sapées par le fondement, sur des subtilités plus dignes d'oc-
cuper de jeunes théologiens sur les bancs de l'école que d'être le sujet
d'une longue controverse entre des hommes sérieux. Mais déjà le pro-
testantisme prépare ses plus grandes faveurs, le zèle de la Réforme
s'apprête à donner au duc de Hanowe le pouvoir souverain, la haine
du catholicisme va mettre une couromie royale sur sa tète : alors que
fait Leibnitz? 11 trempe sa plume dans le fiel et trace des expressions
qui ressemblent à des personnalités : il invite Bossuet « de ne prendre
pour accordé que ce que l'adversaire accorde effectivement, » et « de
retrancher de leurs discussions tout ce qui est choquant; ))il le prie « de
faire cesser les supériorités que l'éloquence et l'autorité donnent aux
grands hommes , pour ne faire triompher que la vérité ; » il espère
qu'il cessera « d'esquiver adroitement les objections, de fuir les expli-
cations claires et d'entraver la réunion des églises ; » il lui conseille de
« renoncer aux expressions tragiques, à l'éloigaement affecté , aux ré-
serves artificieuses ; » il veut bien lui reconnoitre « trop de lumières
et trop de bonnes intentions pour conseiller des voies obhcjues et peu
théologiques, » mais il lui demande « des avances qui marquent de la
bonne foi, » et des correspondans qui « puissent prêter l'oreille à des
ouvertures où son caractère (d'évêque) ne lui permet pas d'entrer,
quand même il les trouveroit raisonnables; » enfin il se plaint plus ou
moins ouvertement, plus ou moins secrètement, « de sa fierté , de sa
hauteur et de son humeur intraitable. » En même temps il tramoit un
sourd complot pom' supprimer Bossuet, pour le supprimer avec un peu
plus d'adresse qu'il u'avoit supprimé Molanus. Le galhcanisme lui avoit
toujours paru comme un trait d'union entre la France catholique et la
disposés à s'expliquer de leur clief, aucun n'a proposé une manière où il y ait
autant d'avances qu'on en peut remai'quer dans ce qu'il m'a écrit. »
Bossuet avoit déjà écrit à Leibnitz , mais non sur la pacification religieuse.
Lorsque Ricliard Simon aUoit enfantant chaque année de nouvelles errem-s
contre les livres de l' Ecriture , avant de le réfuter publiquement, il voulut
détourner le cours de son activité fébrile, et lui oflî'it avec une pension annuelle
la traduction du Ta/mud. En 1G78, il demanda à Leibnitz la liste des omTages
nécessaires à ce travail; Leibnitz lui répondit; mais leur courte correspondance
n'eut d'autre objet que les gloses l'abbLuiques.
Mil PIÈCES POUR LA RÉUNION DES PROTESTANS, ETC.
Réforme protestante K Indigné « des enti'eprises ultramontaines, » pour
déjouer les finesses « de Messieurs les ecclésiastiques, » il proposa
d'appeler dans les négociations les émules des Harlay, des Pithou, des
Dupu}', et voulut faire trancher la controverse un peu par l'autorité
spirituelle et beaucoup par l'autorité temporelle ; car il croyoit que
tout dépendoit de Louis XIV, de l'empereur et du pape. Ainsi quelques
légistes tenant en main le Digeste pour évangile, convoqués par un
mathématicien philosophe et présidé par un aide de camp en éperons,
voilà le concile qui devoit remplacer le concile de Trente, Et comme
si Leibnitz ne se lut point contenté de conduire deux intrigues à la fois,
l'une avec YuUramontain Bossuet , l'autre avec les légistes gallicans , il
en ourdit une troisième à Berhn : il entreprit de réunir les sectes pro-
lestantes, non plus avec le catholicisme , mais contre le catholicisme.
Le soin d'amalgamer ensemble les rehgions de l'Europe, et tout à la fois
de les coaliser par groupes les unes contre les autres , ne l'empèchoit
point de veiller à sa réputation de savant; il trouvoit partout dans ses
lettres l'occasion de parler de sa dynamique, il s'efïorooit de lui gagner
des admirateurs pai'mi ses correspoudans et des avocats près de l'A-
cadémie des sciences. En présence de ces recherches de l'amour-pro-
pre, au milieu de ces manœuvres et de ces intrigues , Bossuet n'avoit
que la vérité pour guide et marchoit droit son chemin, comme il le dit
lui-même, « sans vue ni à di'oite ni à gauche ; » en butte à mille insi-
nuations malveillantes , il ne faisoit entendre que des paroles de dou-
ceur, de paix et d'union : jamais il ne fut plus grand que dans cette
circonstance.. Tant de charité jointe à tant de science ne devoit pas
rester sans fruits; ses ouvrages ramenèrent en Allemagne dix-sept
princes dans le sein de l'Eglise.
Au reste, que Leibnitz ait suivi dans le projet d'union la pohtique
de la Cour hanovrienne plutôt que la conviction de son esprit , quand
le fait ne seroit pas manifeste par lui-même, il seroit aisé d'en trouver
de nouvelles preuves. D'oii viennent ses tàtonnemens, ses hésitations,
ses avances suivies de prompts retours, ses habiletés diplomatiques
dont il éprouve le besoin de s'excuser lui-même? Il veut qu'on sache,
1 L'obstacle quo le concile de Trente apporte à la réunion étant mûrement
pesé, on jugera peut-être que c'est par la direction secrète de la Providence
que l'autorité du concile de Trente n'est pas encore assez reconnue en France,
afin qu(> la nation françoise , qui a tenu le milieu entre les protestans et les
romanistes outrés, soit plus en état de travailler un jour à la délivrance de
l'Eglise, aussi bien qu'à la réintégration de l'unité. » {Lettre XXIII, l'^novemb.
1692, X.\.1I. ) — « On est redevable à la France d'avoir conservé la liberté de
l'Eglise contre l'infaillibilité des papes ; et sans cela je crois que la plus grande
partie de l'Occident auroit subi le joug ; mais elle acliévera d'obliger l'Eglise ca-
tholique, en continuant dans cette fermeté nécessaire contre les surprises ultra-
montaines. » { Lettre I, 16 juillet 1691.)
REMAR UES HISTORIQUES. ix
écrivoit-il en 1699 à M. du Héron, « combien la précaution d'avoir
l'agrément du duc, pour reprendre la négociation avec M. de Meaux,
étoit nécessaire. )) En 1707, à l'occasion du mariage de la princesse
Christine de Brunswick- Volfenbuttel avec l' archiduc Charles d'Autriche,
on proposa la question suivante à l'université de Helmstadt : « Une
princesse protestante peut-elle, pour épouser un prince d'une maison
souveraine, embrasser la rehgion cathohque? » —Oui, répondit l'uni-
versité luthérienne, elle le peut; car « le fondement de la religion
subsiste dans l'Eglise catholique romaine , en sorte qu'on y peut être
orthodoxe, y bien vivre, y bien mourir et y obtenir son salut. » Cette
réponse avoit eu pour rédacteur un ami particulier de Leibnitz , Ea-
bricius, avantageusement connu par un grand nombre d'ouvrages ; et
c'est la première fois , chose inconcevable ou plutôt toute naturelle
dans la rehgion du libre examen , qu'une faculté de théologie protes-
tante fit usage de la liberté de conscience et proclama la tolérance re-
hgieuse. Cependant la consultation de Helmstadt souleva toute la Ré-
forme : les anglicans se récrièrent d'une voix unanime; et plusieurs
universités d'Allemagne, celles de Rostock, de Leipsig, de ïubingue,
protestèrent solennellement. Effrayés par cette réprobation générale,
les professeurs trop osés s'empressèrent d'adoucir leur réponse par des
exphcations confuses, à l'aide de phrases à double entente. Leibnitz,
qui avoit provoqué ces adoucissemens , écrivit à Fabricius « qu'il lui
savoit gré de la déclaration qu'il lui avoit envoyée, mais qu'on auroit
désiré quelque chose de plus précis;.... que plusieurs évèques d'Angle-
terre, attachés à la cause et aux intérêts de la Maison de Hanovre, lui
avoient fait entendre que la tolérance et l'indulgence de l'université
de Helmstadt pour l'Eglise catholique pouvoit nuire à l'expectative
qui lui avoit été assurée, du trône d'Angleterre. » Il ajoutoit dans une
autre lettre : « L'archevêque de Cantorbéry n'est pas content de la dé-
claration, parce qu'elle ne contient pas qu'elle abhorre le papisme. » Et
plus loin : « Tous les droits de la Maison de Hanovre au trône d'An-
gleterre sont uniquement fondés sur la haine et l'exclusion de l'Eglise
cathohque; il faut donc éviter avec soin tout ce qui annonceroitpeude
zèle contre les romanistes \ » Le du* jugea prudent de faire , lui aussi,
amende honorable et de sacrifier au puritanisme anglois; il retira pu-
bhquement à Fabricius la chaire qu'il occupoit avec tant d'éclat, mais
il lui en conserva secrètement les honoraires.
On doit connoître maintenant les intentions que Leibnitz apporta
dans la correspondance avec Bossuet ; on doit comprendre qu'il sub-
ordonna la pacification religieuse à la pohtique de son maître, en un
1 Lettres du 17 septembre et du 15 octobre 1708, dans les Œuvres complètes de
Leibnitz.
X PIÈCES POUR LA RÉUMON DES PROTESTANS, ETC.
mot, on doit être à même de répondi'c à la question posée précédem-
ment : A qui faut-il attribuer le non-succès des négociations dans le pro-
jet de la réunion des églises chrétiennes ?
Les pièces relatives à ce projet restèrent longtemps enfermées dans la
bibliothèque de 1 evêque de Troyes : c'est l'abbé Leroy , ancien orato-
rien , qui les publia pour la première fois dans les CEuvres posthumes ,
en 1753.
Nous pai'lerons de l'affaire du quiétisme dans le prochain volume.
DE PROFESSORIBUS
CONFESSIONIS AUGUSTANtE
AD REPETEKDAM UNITATEM CATHOLICAM DISPONEKDIS.
AUCTORE MELDENSI EPISCOPO.
ADMONITIO PRIMI EDITORIS.
De dissertatione sequenti paucis praemonere lectorem ideô necessa-
rium esse duximus, quôd mirum sanè multis videbitur ea à nobis
iterùm exhiber! , quae maximam partem jam lecta sunt in eâ dissqr-
tione quam privatis D. Molani Cogitât ionibiis Episcopus Meldensis
opposuerat.
Quâ de re diù multùmque deliberavimus , non quidem de suppri-
mendo hoc opère, in quo nonnnlla sunt eaque gravions momenti
capita , quee in dissertatione adversùs Molanum non reperiuntur ; sed
de modo quem in eo edendo sequi oportebat ; nimirùm an edi de-
beret integrum, an verù excisis iis quœ in supradictâ dissertatione
eodem verborum ac sententiarum tenore conlinentur. Duo autem nos
ad posteriorem hanc dissertationem, ne mutato quidem apice, eden-
dam compulerunt : primum, lectoribus ingratum fore judicavimus
opus mutilum et sui parte truncatum, in quo sine filo et abrupta sœpè
oratio esset, nisi ea supplerentur, ex dissertatione adversùs Molanum,
quœ à nobis erasa fuissent : secundum, hanc fuisse mentem eruditis-
simi Auctoris, ut hoc suum opus integrum ederetur, certis indiciis
comperimus ex Biario Episcopi Meldensis, quod exaravit D- Ledieu.
Sciendum est enim totanj hanc controversiam lutheranos inter et
Episcopum Meldensem tah conditione pertractatam fuisse, ut pauci,
de quibus convenerant, disceptationis testes essent, neque scripta
utriusque partis pubUci juris slatim fièrent. Rescivit tamen summus
Pontifex Clemens XI, anno 1701, Episcopum Meldensem multa scrip-
sisse, quae ad convincendos lutheranos adhiberi posse credebantur, et
erat tune in eo occupatus Pontifex ut lutheranum quemdam Princi-
TOM. xviii. 1
2 DISSERT. SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
pem Germanum (de Saxe-Gotha, si D. Ledieu credimus) in Ecclesiae
gremiiun reduceret. Ergô ab Episcopo Meldensi btinuit, utilla ad se
mitteret scripta quee ad informandum hune Principem conducerent.
Itaque Meldensis Episcopus suam adversùs Molanum dissertationem
recensait, novamque hanc aliam scripsit, in quâ ea omittit quae aut
minus necessaria esse videbantur, aut scholasticam nimiùm redolere
disputationem, ea supplet quœ in priori dissertatione , quâvis de
causa, locum non obtinuerant, atque postremum hoc opus tali arte
concinnat, ut nihil habeat asperum , nihil non suave ac lene, quo
Principis animum ad unitatem et concordiam meliùs alliciat.
Cogitabamus quidem hanc dissertationem facere gallicam; sed ab
hoc suscipiendo opère nos imprimis deterruit ipse Meldensis Epi-
scopus, qui cùm gallicam fecisset suam adversùs Molanum disser-
tationem, hanc latinam tantùm esse voluit; quia nempè u traque dis-
sertatio iisdem nititur principiis, eumdem habet scopum, iisdem
argumentis fulcitur, atque , ut uno verbo omnia complectar, una
eademque est, quanquam diverso dicendi génère, pro vario homi-
num ad quos spectabat captu, una ab altéra distinguatur. [Edit. Leroi. )
PR^FATIO AUGTORIS.
DE VERA RATIONE I^ELND.E PACIS , DEQLE DUOBLS POSTULATIS NOSTRIS.
Multos novimus Confessionis Augustanae professores magrice
auctoritatis ac doctrinse viros inclytae ac fortissimœ Germanicée
nationis , qui divulsse ac lacerœ christianitatis \TLLnus intuiti ,
({uaerant viam reconciliandce pacis sub his postulatis : Ut concilii
Tridentini anathematismis ac decretis absque suée operœ inter-
ventu editis in antecessum suspensis, quéestiones de fide iterùm
recudantiu', novumque concilium eà de re institutum celebretui^
et quod in eo cœtu utriusque partis consensione fîxum decisum-
que fuerit^ ratum sit et irrevocabile.
Nos autem bonorum virorum de pace consilia adjuvare conati
duo proponemus.
Primum, eam viam de innovandis fidei qucestionibus , deque
concilii Tridentini decretis in antecessum suspendendis non esse
utilem aut optato fini conducibilem : altermn , aliam viam tutam
ac facilem iriiri oportere ; quâ, per expositionem ac declarationem
dogmatum utriusque partis, dissidia componantur , adîiibitis
utrinquè fidei regulis, sive communibus, sive quas pars quaeque
probaverit, ut est apud nos synodus Tridentina, ac Pii lY fidei
Confessio : apud protestantes vero ipsa Confessio Augustcma,
aliique libri infrà memorandi, quos SymboUcos vocant.
Sint ergô eam in rem duo a?quissima postulata nostra : primum.
Ne quid postuletur ad ineundam paccm quod ipsius ineundœ pa-
cis rationes conturbet : alterum. Ut via illa expodtoria seu decla-
ratoria, quant diximus, ineatur ; quippe quœ omnes juvet, noccat
nemini. Hsec duo sequissima ac perspicua postulata nostra duas
priores hujus tractatiunculae partes efficient. His de fide expositis,
accedet tertia pars , sive disceptatio de disciplinée rébus ac de or-
dinandà tractatione totà ; qui dicendi erit finis.
DISSERT. SUK LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
PARS PRIMA.
CAPUT PRIMUM.
De primo poslulato nostro.
Hoc ergô'postulatum sic habet : Ne quid postuletur ad ineun-
■dam pacem quod ipshis pacis ineiindœ rationes conturhet. Res
Clara per sese : uudè prima conseciitio^ seii potiùs ejusdem pos-
tulat! explicatio : Ne quid fiât quod ecclesiasticorum decreto-
ruin stabilitatem aut firniitudineni infringat ; si enim décréta
omnia simt iustabilia, proiectù erit instabile hoc uostrum quod
postulant de pace decretum.
Jam applicatio ad rem nostram tam clara est, ut ipsa per sese
occurrat animo. Si enim, ut Confessionis Aug-ustana^ postulant
defensores, anteactorum conoiliarium decretorum nuUa jam ratio
habeatur, nihil erit quod posteritas nostri hujus decreti rationem
hai)eat ; nihil cur nos ipsi ha?reamus, ac prô sacrosancto inviolato-
que reputemus, aut dissenticntcs pœuis ecclesiasticis coercendos
putemus.
Esto sanè consenserimus in id quod maxime a olunt, nempè ut
concilium Tridentijuun post oorum seccssioncm celebratum in
suspensosit, eu maxime quod absijue lutherauorum operà sit
gestum ( quà de re quaeremus posteà ) nihil agunt ; cùm certum
sit artioulos ferè omnes, certè (juoscumrpie pra'cipuos in concilio
Tridentuio definitos , ex pristinis conciliis in pace habitis fuisse
repetitos : putà ex Lateranensibus , Lugdunensibus, Constan-
tiensi ipso et aliis ; neque de hâc nova synodo, quam nimc ha-
beri volunt, major erit consensio quàm de anterioribus fuit;
atqiie ut rem sul»jiciamus oculis : Pra>dictas synodos, quœ ïri-
dentinis defmitionibus prseluxerunt, irritas aut suspensas haberi
volunt, ideô quod illis contradixerint hussitœ , wiclefita? , val-
denses, albigenses, ipse Berengarius sacramentaria? hœreseos.
DE PROFESSORIBLS, ETC., PARS l, CAPUT 1. •;
lutheranis exosse^ dux et magister, alii iii aliis conciliis condem-
nati. Id si concedimus, nempè eô nobis redibit res, non modo ut
infanda proscriptaque nomma reyi\iscant ; verùm etiam ut nihil
pro judicato haberipossit, nisi litigantes consenserint, aut etiam*
in cpiaestionibus adversùs illos constitutis ipsi judices sedeant :
quod mmm efficiet ut omnis judiciorum ecclesiasticorum aucto-
ritas concidat, nostrumque concilium, aut qualecumque fuerit
de pace decretum , in arenà , imo in antecedentium eonciliorum
ruderibus'collocatum, facUè collabatur.
Rogo enim, an consensionem in htec nostra de pace décréta
majorem ac certiorem futm^am putent, quàm eam, yerbi gratiâ,
quse in Lateranensibus^ Lugdunensibus, deniquè in Constantiensi
synodo valuit adversùs Joannem ^Yiclefum et Joannem Hussum ?
Res facti omittamus, de quibus vana esset litigatio, cùm agamus de
fide cpiae non bis nititm\ An ergô bis sj^odis non aderant omnes
tune catholicse nationes, ac vel maxime inclyta Germanica natio ?
Annon Constantiae gesta ac décréta de fide adversùs illius tem-
poris hsereses, Sigismundi maxime imperatoris ac Germanicse
nationis ductu processerunt? Annon recentissimà operâ per Ger-
manos protestantes , gesta Constantiensia tôt voluminiljus édita
ac Leopoldo Augusto commendata prodierunt ad gloriam Ger-
manicse nationis ? Ac ne illorum temporum scbisma causentm* ad
elevandam s}Tiodi auctoritatem , extat in actis , Martino Y jam
electo, Tjibus, ut vocabant, obedientiis adunatis, sacro denicpiè,
approhante concilio, Rulla Inter cunctas^; in quà, decretis om-
nil3us repetitis , additisque perspicuis de fide profitendà interro-
gationibus , miro unanimique consensu fmitse de septem Sacra-
mentis , atque adeô omnes sacramentariœ quœstiones : fmitœ
imprimis maximœ controversiae de invisibili prœdestinatorum
Ecclesiâ , deque primatu Pétri ac Romanse Ecclesiœ super alias
ecdesias particidares : céetera denicpiè omnia quibus hodiè quoque
controversiarum summa constat. Et tamen baec omnia tantà con-
sensione gesta decretaque, nec modo Constantiensia, sed etiam
anteriora pari consensione constituta per sexcentos eoque ampbùs
annos unà cum concilio Tridentino , non modo suspendenda , ve-
1 Sess. XLV. et ult.
6 DISSERT. SUR LA. REUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE
rùm etiam retractaiida atque antiquanda proponunt : tanquàin
Christus per tôt sa?cula obdormierit, aut promissorum immemor,
Ecclesiam non modo fluctilius tiiiidi , verùm etiam pessumdari
* ac mergi permiserit : quà spe futm'orum , cùm nulla alia noljis
quàm antecessoribus nostris auctoritas relinquatur ?.
CAPUÏ II.
Spreto 7iosfro postulato , ac suspemis Triientinis aliisque ah annis ferè
mille decretn, an primorum quatuor vel quinque sœculorum tutior futura
sit auctoritas ?
At enim, inquiunt, saltem Nicaîiia décréta, Ephesinave, aut
Clialccdonensia décréta intégra ac tuta nobis relinquentur. Uti-
namî sed si semel illud valeat, Tridentiiui décréta aliaque aiite
sexcentos annos édita rescindi aut saltem suspendi oportere, quia
ea non gesta sunt cum litigantibus, aut quôd eorum consensus
non accesserit, rogo quid erit tutum ? An Nicania décréta consen-
tientibus arianis valuerunt ? An ad Epbesina aut Clialccdonensia
nestorianarum aut eutychianarum partium consensus accessit ?
Prodibuiit in médium novi ariani ; novi paulianista^, sociniani
scilicet, exurgent atque ultrô fatebuntur sua quidem dogmata ad-
versùs Arium etNestorium ac Paulum Samosatensem, toto relique
orbe consentiente, damnata, non tamen arianis aut samosaten-
sibus id approbantibus. Ita pelagiani : ita cœteri omnes hairetici,
cassaque ac vana omnia esse contendent qua} à totà Ecclesià, non
tamen ipsis consentientiljus, acta sint : quo etiam fiet, ut ad nos-
tram pacem nulla Christian! nominis secla non se admitti suo jure
postulet : quin etiam si vel maxime adversùs uUam hieresini om-
nia anteacta sœcula consenserint, non tamen proindè certa erit
fides, prono humani generis in falsa ac dévia lapsu, nulloque im-
quàm relicto nobis tuto et invictae firmitudinis adversùs errores
prœsidio, redibit res ad jurgia : nequc ullo fructu , ullâ spe , per
tôt rétro conciliorum veluti conculcata cadavera , gradiemur ad
illud nostrum qiiod ostentant triste concilium sive decretum, pa •
rem profeclo cum aliis sortem habiturum; neque ulla jam via
constabiliendœ pacis, infractà et collapsà per spcciem novi cou-
DE PROFESSORIBUS, ETC., PARS I, CAPUT m, IV. 7
cilii conciliorum omnium auctoritate, ipsiusqiie adeô Ecclesise
majestate prostratâ. Stet ergô pacis ecclesiasticee tractatio habens
fmidamentiiin hoc : Niliil esse ab Ecclesiâ catholicâ pacis iiieundae
gratiâ postulandum ^ quod concessum, paeem ipsam Ecclesise dis-
turbaret.
CAPUT III.
An tutior ac fadliov futura sit pax , si hœreamus articulis quos
fundamentales vocant?
Neqiie hîc reciirrendum ad fundamentales, ut vocant, articulos,
de quibus longe erit maxima et inextricabilis concertatio , sive
ad Scripturam, sive ad apostolicum aliaque symbola provocemus ;
ut non modo ratione, verùm etiam ipso rerum experimento con-
stat. Ne ergo dixerint de bis articulis facdè conveniri posse ;
omittendos caeteros, seu potiùs aspernandos ut vanos, nullique
emolumento futm^os. Neque enim uUà disputatione constabit de
illis articulis , nisi priùs Ecclesiœ certâ et infallibili auctoritate
stabilità. Sin autem id constituerint , sufficere articulos Symbolo
apostoUco compreliensos , quid necesse est ut cum protestantibus
de his paciscamur de quibus nec litigamus ? Omninô defmienda
nobis veniunt quœcumque à Deo revelata constiterit : neque enim
Deus inutilia revelaverit, dicente Prophetâ : Ego Dominus Deus
tuus , docens te utilia , guhernans te in via quâ ambulas^. Stet
ergo hoc fundamentum , de omnibus ad doctrinam ac fidem quo-
quo modo pertinentibus , sive fundamentalia , sive non funda-
mentalia habeantur, firma rataque esse Ecclesise judicata.
CAPUT IV.
TJnâ interrogatiunculà res tota transigitur.
Hanc arcem qui deseruerint, et à sacrosanctâ judiciorum eccle-
siasticorum auctoritate vel semel recesserint , dicant velim quam
sibi asserendse fidei et constituendse pacis tutam ac munitam re-
iinquant viam ? Profecto nuUam ; et quamcumque tentaverint ,
^ Isa., XLViil, 11.
8 DISSERT. SUR LA REUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
teste experientiâ , rcvinceiitur. Ecce enim , exempli gratiâ , pro-
testantes Concordiœ librum, quo libro gravissima? de fide, de
operibus, de ubiqiiitate, de gratià ac libero aiiiitrio qu»stiones
deciduntur; cpiaiità auctoritate venditant? quot synodis consta-
biliunt? quot subscriptionibiis miiniunt? et tameii post tôt annos
îiondùm obtinuit , toteeque provincise cum Açademià Julià , aliis
licèt urgentibus , refragaiitui\ Sed hœc vetera : hoc recentissi-
mum, quod de quietismo, sive, ut vocant, pietismo inter pro-
testantes totà jam Germanià laboratur : vanam et exitiosani spi-
ritualis vitai rationem, etiam sub Lutheri nomine, passim obtru-
dunt , nec ullà potestate coerceri se sinunt : nec immerito ; ipsi
enim sibi succidère nervos, judiciorum ecclesiasticorum auctori-
tate sublatà. Ne ergo nos adigaut ut hanc sacram anchoram di-
niittamus , valeant apud nos robusta et invicta quœ ab ipsis in-
felici eventu rescissa sunt eeclesiastica de fide judicata : alio-
qui quô plura de pace consilia agitabunt, eu magis alia ex aliis
schisuiatii consequentui" , ncque uncpiàui Ecclesiai vuhiera coa-
lescent.
CAPUT V.
Concilii TridenUni in hàc (ractaHone quis mus futunis sit ?
An ergô, incpiies, ex rébus judicatis liîc agimus, et adversùs
protestantes concilii Tridentini auctoritate prœscribimus ? Non
ita. jEquiora nostra sunt de pace postulata, atque hîc valerc pati-
niur Augustinianum illud adversùs Maximinum arianum : « Ne-
({ue ego Nicœnum , neque tu debes Arimineuse tanquàm pra?ju-
dicaturus proferre concilium. Nec ego hujus auctoritate, nec tu
illius detineris*. » Sic quodam modo pro susponsishabentur utrius-
([ue partis concilia et acta, subbdis ulrinquè pra'judiciis, tracta-
tionis sanè causa, non definitionis ; cpia? quidem intelligimus velut
ex concessione esse dicta. Nam si ad strictos juris apices res tota
redigatur, neque arianis ulla causa erat cm' Nica^nœ synodi auc-
toritatem detrectarent , in quà primùm ipsa lis dijudicata esset :
catholicis autem justa causa erat cur dicerent Ariminensem sy-
* Coiit. Maxim., lib. Il, cap. xiv.
DE PROFESSORIBUS , ETC., PARS II, PRiEFATlO. 9
nodum jam rébus judicatis pravo consilio superductam. Profectô
enim valere oportebat Athanasianum illiid argiimentum ^ cujus
haec summa est : « Quae nova causa orta erat ? Cur nova syno-
dus ' ? » Sed hsec ad contentionem , non sequè ad p:;cem fortassè
pertineant. Omittamus et illud, pacis consilia inituris^ res in eum
locum restituendas videri quo ante secessionem fuissent : quo se-
mel instituto, et omnia protcstantium gesta cassa essent , et sua
catholicis constaret auctoritas , proclivi reditu ad eos undè facta
secessio est. Id sanè per sese sequissimum ; sed tamen pacis studio
ad ulteriora provehimur.
Nec jam ui'g-emus Tridentina décréta. Sit hîc illa synodus tan-
tùm nostrae fidei testis. Ex hâc rejicimus falsô imputata nobis ,
rem sanè utilissimam^ et ad pacis negotium imprimis necessa-
riam. Symbolicos quoque lutheranse partis adhibebimus lil}ros ,
iisque docebimus maxima dissidia non modo componi posse, ve-
rùm etiam jam esse composita ; quae est illa declaratoria et expo-
sitoria via iam nobis ineunda.
PARS SEGUNDA.
DE ALTERO POSTULATO NOSTRO , SIVE DE VIA DECLARATORIA
ET EXPOSITORIA.
PR/EFATIO.
QU^EDAM PR/EM1TTU?;TUR DE LUTIIEUANORUM LIBRIS SYMBOLICIS : COrJTROVERSIARUM
AUTICULI AD QUATUOR CAPITA REDUCUNTUR.
Hanc expositoriam viam duabus rébus constare diximus. Pri-
mum, expositione doctrinœ nostraî et concilio Tridentino^ atque
indè depromptà fidei confessione : tùm expositione doctrinœ pro-
testantium ex Confemone Augustanâ , aliisque sj/mbolicis , ut
vocant, sive authenticis libîis.
Sanè protestantes GermaniccB nationis sœpè memorant hserere
1 Lib. De Syn., etc., n. i, 5 et 6.
10 DISSERT. SUR LA RÉUiMOM DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
se Confessioni Augustanœ, qiiam invariatam appellant ; at quœ-
nam illa sit, nusquàm clarè defmierunt. Nos autem, ne qnid am-
bigui subsit^ utimur iis editionibiïs ejusdem Confessionis , qiiae
ab anno 1531 vel 1532 usqiie ad aiinum 1540, vi vente Luthero,
imo vero Witembergae sub ejus oculis ac nutu prodierunt.
Confessiojiem Augnstanam à Philippe Melanchthoiie conditam
esse nemo nescit : Apolofjia verô ejusdem Confessionis ab eodem
Melanchthone paulo post est édita , et in iisdem comitiis Augus-
tanis Carolo V oblata , nomine principum et civitatuin qui Con-
fessioni subscripserant. Quare eadeni Apologia ab omnibus lu-
theranorum cœtibus , ac pra^sertim in conventu Smalcaldico ,
praesente Luthero, anno 1537, inter symbolicos et authenticos
libres fuit recensita.
Articuli Smalcaldici à Lutliero et asseclis publicè editi ac sub-
scripti legitimœ Confessionis instar, ut concilio per Paulum III
Mantuam convocato suam lîdem exhibèrent.
IIos articules et Apolor/iamlùc deprompsimus ex libro Concor-
diœ àlutherauis publicato, eumque libruni proi'erinuis prout est
editus Lipsiœ anno 1554.
De cieteris libris symboiicis, ubi occurrerint, suo loco dicetm'.
llorum ergo librorum comparatione cum nostris, additisque, ubi
occasio se dederit, decretis antiquioribus utrique parti commu-
nibus , viam ad pacem munimus ; ejusque rei gratià omnes et
singulos articules de quibus controversia est, ad quatuor velut
capita reducimus : Primuui , de Justificatione ; alterum , de Sa-
cramentis; tertium, de Cultu et Ritibus; postremum, de Fidei
confirmandœ mediis, ubi de Scripturà et Ecclesiâ, ac de Tradi-
tienibus.
CAPUT PRIMUM.
De Justificatione , eique connexis articulis.
ARTICULUS PRIMUS.
Quod justificatio sit gratuita.
In hoc articule nulla est difficultas. Summa enim spei nostrae
ac justilicatienis haic est : « Eum qui non noverat peccatuni pro
DE PROFESSORIBUS , ETC., PARS II, CAPUT I, ART. I. i\
nobis peccatum fecit, ut nos efficeremur justitia Dei in ipso ' : »
neque verô alia esse poterat victima placabilis Domino, aut hos-
tia pro peccatis , nisi Yerbum caro factum , ut Apostolus prse-
dixerat : « Deus erat in Christo mundum reconcilians sibi , non
reputans ipsis delicta ipsoruni -. » Neque enim imputât, qui
non modo gratis dimittit , verùm etiam justitiam sanctitatemque
donat.
Nec Tridentina synodus negat imputari nobis Christi justitiam,
aut eâ imputatione ad justificationem opus esse ; sed id tantùm,
«justificari homines solà imputatione justitise Christi, exclusâ
gratià^, » quà nos intùs justos facit per Spiritum sanctum diffusa
in cordibus charitate. Quin etiam Christi mérita nostra esse per
fidem, nec tantùm imputari nobis, sed etiam applicari et co?n-
nmnicari eadem synodus profitetur*; quà communicatione fit
non modo ut peccata nostra tollantur, sed etiam à Cliristo trans-
missa justitia infundatm\ Hœc igitur novi hominis justificatio
est.
Neque ab eà senteutià deflectit Augustana Confessio, quae
sanctum Augustinum laudat Apostoli dicta sic interpretantem :
« Qui justificat impimn, id est, qui ab injusto facit justum 'K »
Sanè Augustinus eà in re totus est : « Legimus, inquit, in
Clnisto justiiicari qui credunt in eum, propter occultam commu-
nicationem et inspirationem gratise spiritualis ^ » Nec aliter Apo-
stolus, qui justificationem sancto Spiritui intùs regeneranti et
renovanti tribuit " : quo duce, Milevitana synodus, à Confessionis
Augustanœ professoribus inter authenticas habita, docet « in par-
vulis regeneratione mundari quod generatione traxerunt ^ ; » quo
perspicuè attribuit regenerationi remissionem peccatorum.
Quid sit autem justificari, eadem Milevitana spiodus docet
cap. V et sequentibus; neque necesse est justificationem à rege-
neratione et sanctificatione secerni , quas in Apolofjiâ saepè con-
fundi et ipsi lutherani in libro Concordiœ testantur ^ Certè Apo-
logia passim justificationem non meree et externaî imputationi '",
1 11 Cor., \, 21.— ï IbiJ., 19.— 3 Sess. vi, can. ii.— * Sess. v , CHp. m, vu.
— 5 Cap. De bon. oper.—^ Lib. 1 De pccc. mer. et remias., cap. x, n. M. — "^ 1 Cor.,
VI, M; TU., m, .*), G, 7.-8 Cap.'u, Labb., tom. Il, col. 1538.- » ConcorJ., p. 585,
586.- '0 .ApoL, p. tiS, 70, etc.
i2 DISSERT. SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
sed Spiritui sancto intùs operanti tribuit, et diserte dicit : « Solâ
fide justificari nos, intelligendo justificationem ex injuste justum
effici, seu regenerari K »
Non tamen prohibemiis quin sanctificationem , sive regenera-
tionem ac justificationem re ipsâ inseparabiles, mente, ut aiunt,
et ratione seu cogitatione secernant : quanquàm non placet ad
hsec sulitilia ac minuta, ad hœc priscis saeculis inaudita, deduci
christianaî doctrinœ gravitatem.
Illud autem prœcipuum est hujus articuli caput, ab eodem
concilio Tridentino traditum - : « Gratis justificari nos, quia nihil
eorum quœ justificationem prœcedunt, sive fides, sive opéra
ipsam justificationis gratiam promerentur : Si enim cjratia est,
jam non ex operibus; alioquin gratia jam non est gratta. » Per-
git sancta SjTiodus : « Ac proptereà necessarium est credere, ne-
([ue remitti , neque remissa uiiquùm fuisse peccata , nisi gratis
divinà misericordià propter Cbristum. » Jam ergô lutheranis gra-
vissimum sublatum est ofTendiciduin, cùm nibil magis catholicis
exprobrent, quàm quod se suis meritis justificari credant ^
ARTICULUS II.
De operibus ac meritis justificationem consecutis.
Neque proptereà rejicienda sunt post justificationem bonorum
operum mérita : quam doctrinam paucissimis verbis complexus
beatus Augustinus sic ait : « Nullane ergô sunt bona mérita jus-
torum? Sunt plane, quia justi sunt, sed ut justi essent mérita
non fuerunt*. » Cui doctrinap attestatur Arausicana secunda syno-
dus, dicens : « Debetur merces bonis operil)iis si fiant ; sed gratia
quae non debetur, praecedit ut fiant '\ » Neque ab eâ lide al)hidit
Confessio Aucjustana, in quà sanè bonorum operum post justifi-
cationem mérita ter qualerque inculcantur, clarèque docetur quo-
modô « sint veri cultus ac meritorii, eo quôd mereantur pra?mia
tùm in hàc vità, tùm post banc vitam in vità a?ternA; prœcipuè
* ApoL, p. 1\, etc.— 2 Sess. Vl^ cap. vrii.— 3 Con[. Aug., c. xx ; Apol. Conf.
Aug., De ju^tif. et resp. adobj., p. 62, 74, 102, lfl3.— * V.^Ui. cxciv, al. cv, ad
Sixt.,c. m, n. G. — ^ Concil. Araus. Il, c. xviir; Labb., tom. IV, col. 1670.
DE PROFESSORIBUS, PARS II, CAPUT I, ART. II. 13
verô in hâc vità mereantur donorum sive gratise incrementum ,
juxta illud : Habenti dabitur ^ ; » laudaturqne Augustinus, dicens :
« Dilectio meretur incrementum dilectionis. » Rectè ; nam et hune
recolimus sancti Doctoris locum : « Restât ut intelligamus Spi-
ritum sanctum liabere qui diligit, et liabendo mereri ut plus
habeat, et plus habendo plus diligat-. »
Hsec igitm' sunt quse legimus in eà editione Confessionis Au-
gusianœ, qua? ab ipsà origine^ anno lo31 vel 153:3, AVittenberga?
facta est. Apologia quoque docet, « de merito bonorum operum
quod sint meritoria, non quidem remissionis peceatorum, gratia^
aut justificationis, sed aliormn praernioiiim corporalium et spiri-
tualium, et in hàc vità et post banc vitani. Nam, inquit, justitia
Evangelii, quœ versatur circa promissionem gratiae, gratis acci-
pit justitlcationem et vivificationem ; sed impîetio legis quœ se-
quitiu? post fidem, versatm* circa legem, in quà non gratis, sed
pro nostris operibus ofTertm' et debetm' merces ; sed qui haec me-
rentur priùs justificati sunt, quàm legem faciant^ »
En perspicuis verbis opéra bona recognoscunt « esse meritoria
prœmiorum corporalium et spiritualium , et in hàc vità et post
hanc vitam. » Quœ autem, rogo vos, illa smit preemia « et in hàc
et in futm'à vità , » nisi ea qua? Dominus repromisit , scilicet « in
hoc tempore centies tantùm, et in sœculo futuro vitam aiter-
nam ^ ? »
Neque lutherani refugiunt quin fidèles ipsam vitam œternam
promereri possint , mltein qiioad fjradus , quod sufficit, cumin
illà celebri disputatione Lipsiensi anni 1 539 , hoc ultrô agnove-
rint : quod vita «terna sit ipsa merces loties repromissa creden-
tibus. Cœterùm ea mérita, nedùm excludant gratiam, tam sup-
ponunt et ornant ; ac prEeclarè sanctus Augustinus : (( Yita etiam
asterua quam certuni est bonis operibus debitam reddi , al^ Apo-
stolo tamen gratia nuncupatur : nec ideô quia meritis non datur, sed
quia data sunt ipsa mérita quibus datur ■'.» De augmento verô gra-
tiae : « Ipsa gratia meretur augeri , ut aucta mereatm' et perfici ". »
1 Conf. Auff., ait. VI, et cap. De bon. oper. — ^ Tract. LXXIV in .Toan., n. 21.
— ^ ApoL, Hesp. ad obj., p. 16.— * Marc, x, 30.— » Ep. udSixt. jain cit., n. l'J,
etrfe Corr. etGrat., c.xili, n. 41.— « Ep. CLXxxvi, al. CVJ, atiPâM/.,cap. m, n. 10.
14 DISSERT. SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
ARTICULUS III,
De promissione gratuité, deque perfectione atque acceptatione
bonorum operura.
Quantacumque autem sint justificati liominis mérita, non ta-
men eis tanta deberetur merces , nisi ex promissione gratuità ;
quem ad locum pertinet Tridentinum illud : « Quôd benè operan-
tibus usque in finem et in Deo sperantibus proponenda est vita
aeterna , et tanqiiàm gratia filiis Dei per Jesum Christum miseri-
corditer promissa, et tanquàm merces ex ipsius Dei promissione
bonis ipsorum operibus et meritis fideliter reddenda'. »
Viget ergo fides ac spes christiana gratuitae per Christum pro-
missioni haerens ; neque omittendum istud : « Qui ex nobis, tan-
quàm ex nobis, nihil possumus, eo coopérante qui nos confortât
omnia possumus. Ita non habet homo undè glorietm^ sed omnis
gloriatio nostra in Cliristo est, in quo vivimus, in quo meremur,
in quo satisfacimus , facientes fructus dignos pœnitentiae, qui ex
illo yim habent, ab illo ofTeruntur Patri, et per illum acceptantur
à Pâtre "K » Addendumque illud : « Absit ut christianus homo in
seipso vel conlidat, vel glorietur, et non in Domino, cujus tanta
est erga omncs homines bonitas, ut eoriim velit esse mérita quœ
sunt ipsius dona*. » Sic non modo retusa, sed etiam radicitùs
avulsa superbia est, valetque omninô apostolicum illud : « Quis
te discernit ? Quid habes quod non accepisti ? » certe accepisti
mérita : « Si autem accepisti , quid gloriaris quasi non accepe-
ris*?»
ARTICULUS IV.
De implctionc' Legis.
De hoc articulo nulla est difficultas ; neque illum Confessio
Augustana aut ejus Apologia unquàm negarunt, ut patet ex-
presso eâ de re capite De dilectione et impletione legis ; alioquin
et ipsum negarent Apostolum dicentem : IHenitudo sive impletio
legis est dilectio ^ Yivere autem in fidelium cordibus dilectionem,
1 Sess. VI, c. XVI.— 2 Sess. XIV, c. viii.— » Sess. VI, cap. xvi.— *ICor.,iv, 7.
— S Rom., xui, 10.
DE PROFESSORIBUS , PARS II, CAPUT I, ART. V. 15
non quidem eatenùs ut peccatum in nobis plané non sit, sed certè
eatenùs ut in nobis non regnet , idem Apostolus docet clariùs ,
quàm ut quisquam christianus inficiari possit. Potest ergô nos-
tra vera et suo modo , non tamen absolutè perfecta et sine omni
peccato esse justitia. Denicjuè in justis ac fidelibus ita pugnat cu-
piditas , ut charitas praevaleat ; ac si non omnia peccata absint ,
absunt tamen ea de quibus ait Joannes : « Omnis qui in eo manet,
non peccat* ; » et Paulus : « Qui ea faciunt, regnum Dei nonpos-
sidebunt ^ » De peccatis autem sine quibus hic non vivitur, prae-
clarum illud sancti Augustini : « Qui ea mundare operibus mi-
sericordiœ et piis operibus non neglexerit , merebitur hinc exire
sine peccato , quamvis cùm hic viveret , habuerit nonnulla pec-
cata; quia sicut ista non defuerunt, ita remédia quibus purga-
rentur afTuerunt ^ »
Sanè de impletione possibili legis pridem inter christianos con-
stitit, edito scilicet utrique parti acceptissimo capite Arausicani
spcundi concilii in quo legitm% « quôd omnes baptizati , Christo
auxiliante et coopérante , quae ad salutem pertinent , possint ac
debeant , si fideliter laborare voluerint , adimplere * ; » quo ex
capite repetitum est illud concilii Tridentini de mandatis Deo ad-
juvante prsestandis ^, ut legenti patebit.
ARTICULUS V.
De meritis quae vocant ex condigno.
De meritorum autem condignitatC;, etsi benè intellecta res ni-
hil habet difficultatis , tamen , ut vitentm* ambigua et aliquos of-
fensura vocabula, cum concilio Tridentino, si libet taceatur. Me-
minerimus autem , commonente eodem concilio Tridentino ®, ad
prœsentis vitae justitiam pertinere apostolicum illud : Momenfa-
neum et levé ; ad futuram autem mercedem referri istud ex eodem
Apostolo : Supra moclum in sublimitate œternum gloriœ pondus '' ;
neque unquàm excidat animo omnia mérita eorumque mercedem
ex gratuit^ promissione pendere, neque irlla opéra nostra per
1 I Joan., m , 6, 9.-2 II Cor., vi, 9.-3 Ep. CLVir, aliàs lxxxix, ad Hilnr.,
c. I, n. 3.—* Concil. Araus. \\. cap. ull. ubisup. — ^Sess. Yi, cap. xi. — ^ Ihtd.,
cap. XVI.— 7 II Cor., iv, 17.
1 6 DISSERT. SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
sese valere , sed Christi capitis nostri infliixu et interventu inde-
sinenter indigere, ut sint, ut persévèrent, ut Deo offeraiitur, ut
à Deo acceptentur, ut statim diximus '. Sanè concedatur illud , si
è re esse putent , potuisse pleniorem à nolîis , imo plenissimam
ac perfectissimam , seu strictam exigi justitiam ; à quo jure di-
vina justitia per Novi Testamenti fœdus , propter Clu'isti mérita
ultrô decesserit. Scitum etiam illud : Noimisi à personâ infinité
dignà, qualis erat Unigenitus Deus, dignam pro peccato satis-
factionem offerri potuisse , atque banc satisfactionem sic à Deo
bono acceptari, tanquàm à nobis esset exbibita; quse quidem illa
est imputatio quara et illi urgent , et nos nulli refugimus , ut su-
pra dicium est -. Neque verù prohibemus (juin etiam illud addant :
Deum quidem nemini etiam justissimo, nedùm peccatori, per se,
ac stricto jui'B dèbere posse quidquam, nisi ultrô spondeat, aut
pro bonitate ac sapientià sua ad congruam beneficentiam se in-
flectat ; quœ etsi certissima sunt , ad ea tamen descendi forte non
è re sit. Certè illud inculcandum quod ait Augustinus : huic qui-
dem misera^, et egena^ mortalitati oongruere, <( ne superbiamus,
ut sub quotidianà peccatorum remissione vivamus , » ut est à
Tridentina synodo defmitum et à nobis relatum '.
ARTICULUS VI.
De fide justificante.
Quùd fides justificet, et quoniodo id fiat, Apologia ex sanclo
Augustino sic tradit : « (Juùd is clarè dicat per lidem conciiiari
justificatorem , et justificationem fide impetrari ', » subditque ex
eodem Augustino paulo post : « Ex lege speranms in Deum , sed
timenlibus p;rnam absconditm' gratia; sub quo timoré anima
laborans, per fidem confugiat ad misericordiam Dei, ut det quod
jubet. » En vis fidei secundùm Apologiam, ut quis confisus gra-
tia ac nouiine Domini Jesu, quo, neque alio, salvos esse nos
oportet, invocet justifia! auctorem Deum, dicente Apostolo :
« Quomodô enim invocabunt in quem non crediderunt ? » et :
1 Slip., art. m.— 2 Sup., art. i. — » Sup., art. iv.— '* Apol. Aug. Co?if., cap.
Quod rcmiss. pecc. solù fide, etc., p. SO.
DE PROFESSORIBUS , PARS II, CAPUT I, ART. YII. 17
« Omnis qiiicumqne invocaverit nomen Domini salvus erit ^ »
Undè idem Augustinus ^ -. « Fide Jesu Christi impetramus salu-
tem et quantum à nobis inchoatm' in re , et quantum perficiendo
expectatur in spe^ » et iterùm : « Per legem cognitio peccat'i : per
fidem impetratio gratiae contra peccatum : per gratiam sanatio
animœ à morte peccati. » Hsec igitm* est doctrina Pauli, Augus-
tino teste ^ quem ipsa Apologia laudat interpretem.
Quôd autem solà fide justificari nos sic m'gent, ut etiam illam
vocem, sola, apostolico textui, auctore Luthero, addendam puta-
rint, facile componi potest. Diserte enim explicatm^ in Apologia,
hâc voce excludi tantùm à justificatione opinionem meriti'^, quam
et à catholicis excludi statim observavimus ; extatque eà de re in
concilio Tridentino decretum expressum sub hoc titulo : « Quôd
per fidem et gratis justificemm' '*. »
Absit autem, ut lutlierani per vocem illam, solâ fide , exclu-
dere velint pœnitentiam, cùm in libro authentico, cui titulus :
Solida explicatio"% etc. hsec décernant : « Yera et salvans fides
in ils non est qui contritione carent et propositum in peccatis
pergendi et perseverandi habent. Yera enim contritio praecedit,
et fides justificans in iis est qui verè, non fictè pœnitentiam
agunt. » Sic profectô de rébus deque ipsâ doctrinae summâ plané
consentimus, neque proptereà, insertà voce, sola, apostohcum
textum novo nec posteris profuturo exemplo immutari oportebat.
ÂRTiciiLus vu.
De ccrtitudine ficlei justificantis.
De ejus autem fidei certitudine docet Paulus : « In repromis-
sione etiam Dei non hsesitavit diffidentià, sed confortatus est fide,
dans gloriam Deo, plenissimè sciens quia qusecumque promisit
potens est et facere ® ; » quee est illa perfectissima fidei plenitudo
(TCX/ipoocp'k) quam idem Apostolus toties commendat. Ilinc iuge-
neratur animis certa fiducia in Deum , quel contra spem in spem
^ Rom., X, 13, 11.— 2 De spir. nt lit. ], c. xxix, xxx, ii. .'il, ''>L>.— ' ApuL, tit.
De juitif., p. 73. — '^ Sess. vi, cap. vui. — •' lu lib. Conc. Ut. De justif. pdei ,
p. 688.-6 Rom., iv, 2U, 21.
TOM. xvni. 2
48 DISSERT. SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
credinms ^ ; atque hune fidei justificantis motum synodus Triden-
tina in eo reponit, quod fidèles « credant vera esse quse divinitùs
revelata et promissa siuit, atque illud iniprimis à Deo justificari
impium per gratiam ejus^ per redemptionem quae est in Christo
Jesu" : » undè conterriti, Dei urgente judicio, « ejus misericordiâ
in spem erigmitui^ fidentes Deum propter Christum sibi propi-
tium fore, illumque tanquàm omnis justitiae fontem (gratis sci-
licet justificantem ) diligere incipiuut; » quâ dilectione prioris
vitae delicta detestantui'. Quibus sanè verbis egregiè ac plenè tra-
ditur fides illa justificans, quâ divina etiam promissa complexi,
in Deo per Christum toti inuitimur. Undè consolatio ac fides illa
specialis existit, quam pia corda testantur, prœeunte Apostolo
his verbis : « In fide vivo Filii Dei , qui dilexit me , et tradidit
semetipsum pro me ^ »
Usque eô autem spes ista ac fiducia progreditur, ut absit anxius
timor, absit Ula turbulenta trepidantis animi fluctuatio, adsit verô
intùs Spiritùs sancti solatimu clamantis : Abba, Pater, insinuan-
tisque illud : Quod si filii, et hœredes''; quo fit, ut spe gaudentes ^
jam in eœlis conversari nos confidamus®. Neque proptereà id tam
certo credimus, ut nos salvos futm^os « absque ullà omnino dubi-
tatione statuamus. » Neque id postulamus, ut tam de praesente
justifia, quàm de futurâ glorià certiores simus. Id quidem suffi-
cit, ut quantum ex Deo est, tuti, de ejus promissis ac misericor-
diâ, deque Christi merito, mortisque ejus ac resurrectionis effi-
cacià nUnquàm dubitemus, de nobis autem formidare cogamm;
ita quidem ut , licet non adsit illa fidei « certitudo cui non possit
subesse falsum, » prœvalente tamen fiduciâ, Salvafore Christo
ej usque promissis fruamm' et spe beati sinms ; quae summa est
doctrinae à concilio Tridentino traditaî '', cujus doctrinae radix
articulo sequente panditur.
" Rom., IV, 18.— 2 Scss. vi, cap. VI.— ^ Gai, n , 20.— *• Rom., vin, lo, 17.
— 5 ibid., XII, 12.— 6 VhiL, m, 20.— ' Sess. vi, cap. xii, can. iii, xv, xxi.
DE PROFESSORIBUS, PARS II, CAPLT I, ART. YIII. 11)
ARTICULUS VIII.
De gratià, et cooperationc liberi arbitrii.
Lutherani existimabant ita defendi à catliolicis in rébus divinis
liberum arbitrium, ut aliquid per se valeret efficere quod ad sa-
lutem conduceret. Quod cùm Tridentina s}TQodus claris verbis
damnaverit ^, uibil est jam cui' liberi arbitrii Deo cooperantis usus
et exercitium improbetur. Quiii emn usum a^erth^Confessio Au-
gustana ejusque Apologia agnoscimt, dùm etiam bonis justificati
operibus meritum attribuunt, eaque meritoria esse concedunt, ut
suprà memoravimus - ; piacetque iterare illud Confessioîiis Au-
gustanœ, capite de Bonis operibus : « Débet autem ad baec Dei
dona accedere exercitatio nostra, qnae et conservet ea et mereatui^
incrementum, juxta illud : Habenti dabitur; et Augustinus prae-
clarè dixit : Dilectio meretur incrementum dilectionis, cùm vide-
licet exercetur. » En igitur sul) ipsà Dei gratià nostrum quoque
exercitium sive cooperatio; nec mirum, cùm etiam Apostolus
dixerit : « Non ego, sed gratià Dei mecum '^, » quem in locum
meritô Augustinus : « Nec gratià Dei sola, nec ipse soins, sed
gratià Dei cum illo * ; » neque abs re Tridentini Patres statuunt ^
liberum arbitrium ita cooperari, ut etiam dissentire possit, Dei-
que gratiam abjicere.
Neque ab'^eo dogmate Confessio Augiistana dissentit, « cùm
damnet anabaptistas, qui negant semel justificatos iterùm posse
amittere Spiritum sanctum * ; » quem si inliabitantem amittere
atque abjicere possumus , quantô magis moventem atque exci--
tantem neque adlmc animae insidentem? Cui doctrinœ simt con-
sona quse in eàdem Confessione Augustanà tradimtur, articulo vi,
et capite De bonis operibus. Atque bis abundè constat Spiritui et
ejus gratiée ita repugnari posse, ut etiam amittantm' ; quod ne
fiat rogandus est Deus, ut voluntatem nostram, pro libertate suà
facile aberrantem, regat. Atque bine illa formido, quam articulo
* Sess, VI, cap. i, xi, xii , can. i, ii, m, xxii.— - Sup,, art. ii et seq.—
' I Cor., x\, 10.— * August., De Graf. et lib. Arb , cap. v, u. 12.— 3 Sess. vi.
cap. V, can. iv. — ^ Confes. August. art. il.
20 DISSERT. SUR LA RÉUMON DES PROTEST. DALLEMAGiNE.
superiore commemoravimus summâ cum fiduciâ atque altissimâ
pace conjunctam. De ûeoenim fidimus, de nobis metuimus ; quod
nec protestantes réfugiant, nionente Apostolo : « Cuin metu et
tremore salutem vestram operamini * : » ita ut illud simul va-
leat : « Confidens hoc ipsum, quod qui cœpit in vobis opus bonuni
perficiet usque in diem Jesu Christ! ^. »
ARTICULUS IX.
Cur istiiis conciliationis ratio placitura vidcatur.
His quidem existimo futuruni ut utrique pai'ti satisfiat. Neque
enim aut cathohci l'ridentinam fidem, aut lutherani Confessio-
nem Augustanam ejusque ApoloQumi rejertuiù sunt. Etsi enim
hos quos memoravi locos in Confessione Augustanà posteà dele-
verint, inveniuntur tamen in his editionibus quœ Wittenbergœ
quoque sub Luthero et Melanchthone adornatœ simt, ut jam an-
notavimus; conventusque Xamiburgensis, anni loGl, etsi aUam
quanidaui prtutulit, non tanien lias abjecit^ sed suo loco esse vo-
luit, eô quùd in conventibus ac disputationibus pubhcis jam inde
ab origine adhibitas esse constaret, et qua^ in Confessione deleta
smit, in Apologià tamen intégra remansere, ut legenti patebit.
Hœc auteni credimus moderatioribus lutheranis placitura, quod
sic non tam sua ejm^are quàm interpretari videantur, Tridentina
verô admittere cum iis ehicidationibus , à quil)us nemo, ac ne
ipsa quidem Confcssio AïKjustana dissentiat; nec dubito quiu
csetera qua^cumque proponentm*, verâ justàque et commodâ de-
claratione adhuc elucidari possint. Sed jam ad alia properamus.
CAPUÏ SEGUNDUM.
De Sacramcntis.
ARTICULUS PRIMUS.
De Baptismo.
De Baptismo nulla est controversia; nam et in parvulis esse
efficacem et ad salutem necessarium, Confcssio quoque Augiis-
^ Phil. II, 12.— s Ibid. I, 6.
DE PROFESSORIBUS , PARS II, CAPIT II, ART. II. 2f
tana confitetiu' * ; quo etiam constat nece^sariô admittendam illam
sacramenti efficaciam quse, per se ac vi sua, actioneque, qnod est
ex opère operato, influât in animos; qua? quidem -vds à verbo ac
promissione ducatur. Antiqua autem Ecclesia, non modo de Bap-
tismo , verùm etiam de Eucliaristià ideîn à se credi docuit , dùm
eam quoque communicavit parvulis^ probo quidem ritu, sed pro
temporum ratione posteà immutato, ut fit in disciplina^ rébus et
inter adiapbora sive inditîerentia recensendis. Confirmabant etiam
parvulos baptizatos, si episcopus baptismum administraret. Tra-
dimt quocfue antiquae Synodi : « Sicut Baptisma paniilis, ita
Pœnitentiœ donum nescientibus illabi , latenter infundi ^, » dato
tamen anteà fidei testimonio. Quôd autem Confessîom's Aiigiis-
tanœ articulo xm condemnetur pharisaica opinio « quœ fingat
homines ( etiam adultos ) justos esse propter usum sacramento-
rum ex opère operato, » et quidem « sine bono motu utentis, nec
docet requiri fidem, » niliil ad catholicos aut ad synodum Tri-
dentinam, quœ uljique ac prœsertim scssione \\, capite vi, ac totâ
sessione xiv, apertè répugnât ; atque id quidem de adultis ; de in-
fantibus verô Confessio Augustana consentit, ut dictum est.
Sanè catholici confitentur prœter bonos motus ac bonas, c[uœ-
cumque sint, dispositiones, ipsamque adeô fidem, dari alic[uid à
Deo; ipsam scilicet propter Cluisti mérita, sancto Spiritu intùs
opérante, justificationis gratiam ; quod nemo diffiteatur, qui non
Ctnisti mérita obscurare velit; atque hsec illa est efficacia ex
opère operato tantoperè exagitata à Luthero et lutberanis : (juam
tamen certo ac vero sensu ab Ecclesia intento et ipsi agno^erunt;,
ut patet.
ARTICUHS II,
De Eucliaristià , ac primùra de reali pr.rscnlià.
Hic quoque nulla controversia est, Beoque agenda3 gratiœ,
quàm fieri possunt maximae, quôd articulum longé omnium dif-
ficillimum, imo solum difficilem , Confessio Aur/nstany/ retinue-
rit. Eam fidem firmat et illustrât Apolofjla in decimo articulo *,
' Art. m— « Conc Toi., xi:, cap. ii. Labb., tom. vi, col. 1225.— ^ Apol. Aug.
Conf., art. x, u. 151.
22 DISSERT. SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
laiidatque Cyrillum dicentem : « Chiistum corporaliter nobis ex-
liibsri in cœnâ; » Christum sanè, emnque totum; neque tantùm
corpus et sanguinem , sed ubique totum ex anima et corpore et
sanguine , iisque ipsâ semper divinitate conjunctà ; undè subdit ;
« Loquimm' de praesentià vivi Christi : scimus enim quod mors
ei non dominabitur *. »
Haec igitur sufficimit ad realem prœsentiam. Calixtus autem et
Academia Julia aliique permulti Confessionis AugustancE profes-
sores commmiionisque consortes , amovent ubiquitatem in libro
Concordiœ ssepè inculcatam, quœ catholicis gravissima et intole-
randa videretur.
ARTICULUS III.
De transsubstantiatione.
Nihil hîc à lutheranis postulamus, nisi ut à modo quo tanta res
fiat pra'scindentes, eumque inexplioabilem et incompreliensibilem
spontè confessi, per verba potestatemque Christi id effici agnos-
cant, ut (juàm vcrè in illo nuptiab convivio, Christo opérante,
gustarunt aquam vinum factam ^, tam verè in hoc novo con-
vivio panem corpus factum, et vinum factum sanguinem capia-
mus; quo etiam ratum sit illud, mutatione factà, panem id fieri
et esse quod dicitm% nempè Christi corpus. Quœ sanè usque adeô
analogiai fidei Christique verbis congrumit, ut in Apologiâ ^ post
clarè constabihtam substantialem prœsentiam, statim procUvi
lapsu ad illam transniutationem fiat traiisitus. Testis enim addu-
citur « Canon Missœ Grœcorum, in quo apertè orat sacerdos, ut
mutato pane ipsum Christi corpus fiat. » Addi potuisset, ex eâdem
Grœcorum htm'già : transmutante Spiritu sancto, quo certior,
atque, ut ita dicam, reaUor illa mutatio esse intehigatur, per mi-
rificam scihcet ac potentissimam operatioiiem facta. Atque iljidem
laudatur Theophylactus archiepiscopus Bulgarius diserte dicens :
« panem non tantùm figuram esse, sed verè in carnem mutari, »
quod non mms ille Bulgarius, verùm etiam ahi Patres longe an-
tiquiores unanimi voce dixerunt. Qua? rectè intellecta niMl erunt
aliud quàm ipsa Transsubstantiatio, hoc est, panis, qui substantia
1 Apol. Axirj. Conf. I art. x , p. tb8.— ^ Joan. w , 9.— * Apol. cap. xv.
DE PROFESSORIBUS , PARS II , CAPUT II , ART. IV. 23
est, in carnem, rpiae item substantia est vera mutatio, nihilque
desiderabitiir, prœter solam vocem, de quâ litigare non est cliris-
tianum.
Ergo Apologia Confessionis Angustanœ aliquâ suî parte Trans-
suhstantiationem laudat perspicuis verbis , nedùm al) eà penitùs
abliorruisse videatur.
Quin ipse Lutherus in ArtlcuUs Smalcaldicis concilio œcume-
nico proponendis , totâ sectà approbante et subscribente , dixit ,
« Panem et vinum in cœnâ esse verum corpus et sanguinem ^ ; »
quod nonnisi mutatione panis in corpus posse consistere permulti
protestantes viri doctissimi facile confitentur.
Berengarius quoque post multas tergiversationes ac ludifica-
tiones, tandem ad omnem ambiguitatem tollendam adactus est
in hanc formulam, eique consensit : « Corde credo ;, et ore confi-
teor panem et vinum quee ponuntur in altari per mysterium sa-
crœ orationis et verba nostri Redemptoris, substantialiter converti
in veram et propriam ac vivificatricem Christi carnem et sangui-
nem, et post consecrationem esse verum Christi corpus -, » etc.,
quo fit manifestum in exponendo Eucharistiee articulo , substàn-
tiarum conversionem , quâ panis jam sit flatque ipsum Christi
corpus, verae pra^sentise semper fuisse conjunctam. Constat autem
Lutherum ac lutheranos à berengariano errore penitùs abhor-
rentes, et ejus damnationem ssepè approbasse et sacramentariis
objecisse. Undè eam conversionem ab eodem Luthero pro indif-
ferenti habitam, et contentiosiùs quàm graviùs rejectam ejus
libri satis indicant '.
ARTICULUS IV.
De prœscntià extra usum.
Non fuerit difficilior de praesentià extra usum litigatio , si res
ad originem atque ad ipsa principia reducatur. Neque enim eam
aut Confessio AffQustmia , (mi Apolo(/ia, aut ArticuU Smalcaldici
reprehendunt , neque in primis disputationibus inter catholicos
^ Ari. Svmlc, \i iii lib. Conc, p. 330.— ^ Co«c. Hom. \i, Labb., loin, x,
col. 378.-3 Lib. De capt. Bubyl. et in resp. ad art. cont. Reg. Ang., t. il, Wileb.
24 DISSERT. SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
et protestantes habitis de illà prsesentià aut eam consecutâ éleva-
tione, nlla legitur unquàm fuisse concertatio.
Neque lutherani in Confcssione Angustanâ ejusque Apologiâ
elevationem memorant inter ritus à se sublatos aut reprehensos :
quin potiùs in eâdem Ajjoloffiâ memorant cum honore GrcBcomm
ritum, in quo fiât consecratio à manducatione distincta ^ : neque
Lutherus aut lutherani ab elevatione abhorrebant, aut eam sus-
tulerunt, nisi ad annum 1542 aut 1543 ; neque tamen improba-
verunt : imo retineri potuisse fatebantur , ut esset testimonium
prœsentiœ Christi , quod est in Lutheri parvâ Confcssione posi-
tum.
Sanè confitemur Witenbergœ anno 1536, in solemni conciha-
tione Lutheri cum Bucoro ahisque sectae sacramentaria:! principi-
bus , Bucerum id tandem impetrasse à Luthero : « Extra usum
dùm reponitur aut asservatur in pyxide, aut ostenditur in pro-
cessionibus non adesse Christi corpus-. » Sed hîc etiam notandae
sunt hce voces:"«Non fieri dm-abilem ahquara conjunctioncm
(corporis Christi) extra usum Sacramenti,» quœ nunc est com-
munissima locutio totius lutheranae partis : quantum autem duret
illa prœsentia aut ([uandù se subtrahat , integris certè specielms,
exponant si possint. Nobis id sufficit veritos esse eos ne absolutè
negarent, extra usum Sacramenti, corporis prsesentiam ; sed tan-
tùm ut statuerint « non esse durabilem. »
Sin autem semel constiterit eam pra-sentiam valere extra
usum, nostra sontentia in tuto est, nec immérité. Non enim dixit
Christus : IIoc crit corpus meum; sed : Hoc est ; aut apostoli
manducarc jussi ut esset corpus Chiisti , sed quia erat : cujus
dicti simplicitas, si semel infringitur, concident universa Lutheri
et lutheranorum argumenta -£?î -^ù ?y,Tcù : zuingliani et calviniste
eorumque dux Berengarius vicerint.
Utcumquô autem rem habcant , sano attestatur prœsentiae
Christi extra usum ipsa asservatio , quam ncmo negavcrit in Ec-
clesiâ fuisse perpetuam ; namque ab ipsâ origine domum depor-
tatus, atque ad absentes et a» gros delatus, ac diù asservatus sa-
cer iste cibus. Attestatur et illud vetustissimum atque apud Gra^cos
» Tit. De Cœn., p. l'J7. et de vocab. Miss., p. 27i, etc.— - In lib. ConC, p. 729.
DE PROFESSORIBUS , PARS II , CAPUT II, ART. V, VI. 25
celebeirimum quod vocant Preesanctificatorum sacrificiuni. Non
soient autem nanc docti lutherani improbare eos ritus quos anti-
quissimos esse constiterit. Neqiie circumgestatio Christum ex
Eueliaristià depellat, neque ab usu esuque aliéna est, cùm et re-
servata et circumgesta hostia comedi jubeatui* ; quod sufficit ut
tota sacramenti ratio ibidem vigeat, ca?.teris ritibus ad variantem
disciplinam meritô referendis.
ATICULUS V.
De adoratione.
Quid in hoc sanctissimo Sacramento adoretur, catholica Eccle-
sia non reliquit obscurum, ipsà synodo Tridentinâ profitente « in
sancto Eucbaristice sacramento Clunstum unigenitum Dei Filium
esse cultu latrise etiam externo adorandum * ; » quo sensu eadem
synodus docet « latriae cultum sacramento exhibendum , eô quod
illum eumdem Deum préesentem in eo adesse credamus , quem
Pater œternus introducens in orbem terrarum dicit : Et adorent
eum omnes amjeli Dei, » etc. Quo etiam sensu Lutherus ipse,
nequicquam frementibus zuinglianis , in ipso vitaï exitu , ne sen-
tentiam mutasse videatm*, adorabile Sacramentum dixit ^.
ARTICULUS VI.
De Sacrificio.
Norunt omnes Cyprianum, C}'rillum Hierosolymitanum, Am-
brosium, Augustinum, cœteros ubique terrarum, qui vocant
Eucliaristiam vernssimiim ac singulare sacrificium , Deo plé-
num, verendum, tremendum et sacrosanctum sacrificium : alios-
que eam in rem sanctorum Patrum locos, oblationem , imo im-
molationem arcanam et invisibilem professos, à visibili mandu-
catione distinctam.
Sanè protestantes ubique praedicant in propriè dicto sacrificio
occisionem veram contineri ; qua^ disputatio mera est de nomine.
Nam et ipsi scimit procul abhorrere à nostrà sententià occisio-
1 Sesâ. xui, cap. v, can. vi — ^ Cout. art. Lov., art. xxvin.
26 DISSERT. SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
nem illam , realem quidem et veram. Quippe et incruentum esse
sacrificium nostrum tota Ecclesia clàmat, neque ulla ibi occisio
est iiisi spiritualis et mystica, nec alius nisi verbi diviiii gladius ;
quam sanè doctrinam neque Confessio Aiignstana aut Apolocjm
refugiunt. Id enim vel maxime atque assidue improbant : Missam
esse opus quod homines sanctificet absque bono motu utentis ,
aut quod actualia peccata dimittat, cùm crucis sacrificio originide
deletum sit, aut alia ejusmodi, quse ne quidem catholici somnia-
ririt.
Laudat autem Apolofjkt passim * Litm'giam graîcam, non modo
ejusdem cum Romanà sensùs ac spiritùs, verùm etiam iisdem
quoad substantialia contextam vocibus, ut legenti patebit.
In utràque enim ubique inculcatur ol)latio victima^ salutaris ,
corporis soUicet et sauguinis Domini , ut rei pni'sentis Deoque
exhibitae, cujus etiam societate preces fidelium consecrentur. Ne-
que quis meritù refugerit, quin ipsa consecratio etiam à mandu-
catione distintta, prœsensque Cluisti corpus, res sit per sese Deo
grata et acceptabilis ; quod quidem nihil est aliud quàm illud
jpsuiii sacrificium ab Ecclesia catholicà celebratum ; ut cœnâ qui-
dem somel posità, corporisque ac sauguinis crédita prœsentià,
de sacrilicio nuUus sit idtercaudi locus.
ARTICULUS vil.
De Missis privalis.
Sanè fiitcndum est Missas privatas seu al)sque communicantibus,
in Confcssionc Aiff/ustand et Apolor/ià passim lial)cri pro iinpio
cultu. Id tamen intelligendum videtur saniore ac temperatiore
sensu , propter quasdam circumstantias potiùs quàm propter rem
ipsam. Ilabcmus enim luculentissimum viri doctissimi et candi-
dissimi scriptum -, quo constat , nec ab ipsis Confessionis Augus-
tanae professoribus Missas illas privatas haberi pro illicitis , cùm
intra suas quoque ecclesias pastores sibi ipsis , nemine ampliùs
1 Apol, cap. De dmû, ci lit. De vocub. Miss , p. lo7, 274, etc.— - Vid. Cogif.
priv. D. Molîiu.
DE PROFESSORIBUS , PARS II , CAPUT II , ART. VIIL 27
prcBsente , sacram cœnam interdùm exhibeant, quod et ab aliis
dictum comperimus et ab ipso usu certum.
Necessitatem obtendunt. At si ea erat Christi volimtas et iiisti-
tutio, ut sacramentum non consisteret absque communicantibus ,
profectô prœstabilius erat cà communione abstinere pastores, quàm
communicare prœter Christi institiitum ; cùm prœsertim , ex eo-
rum sententià , de accipiendà cœnâ nuUum sit prœceptum domi-
nicum, sit autem gravissimum ne prseter institutionem accipiant.
Procul ergô abest illa cpiam fmgunt nécessitas. Quare dùm soli-
tarias, ut vocant, privatasque Missas ipsi quoque célébrant et
probant, satis profectô intelligunt dominicse institutioni satis-
fieri , si apparato Domini convivio fidèles invitentur ut et ipsi
participent ; quod pio et antiquo more synodus Tridentina prsesti-
tit ' ; nec si assistentes à capiendo sacro cibo abstineant , ideô aut
pastores eo privandi , aut magni Patrisfamilias mensa minus in-
struenda erit , cùm nec ipsi assistentes contemptu , sed potiùs
reverentià abstineant , et voto spiritualique desiderio communi-
cent , et intérim spectatis mysteriis , crucisque ac dominici sacri-
ficii reprœsentatione et commemoratione piam mentem pascant :
adeôque nec a?quum sit , Missas eas privatas appellare ac solita-
rias, quœ et plebis quoque nomine et causa, nec sine ejus prse-
sentià, piisque desideriis celebrentur.
ARTICULUS VIII.
De Communione sub utràque specie.
Ex his luce est clarius utramque speciem non pertinere ad in-
stitutionis substantiam. Non enim magis ad eam pertinet quàm
communicatio circumstantis plebis ; neque enim Christus solus
celebravit, solus accepit, sed cum discipulis quibus etiam dixit :
Accipite, comedlte , bibite ; et quidem omnes , quotquot adestis,
hoc facile ; et tamen lutherani quoque probant accipi à mimstris
alio ritu « modocpe quàm Christus instituit ; » quod argumento
est non quœcumque Christus fecit, dixit, instituit, ad ipsam in-
stitutionis substantiam pertinere. Fregit quoque panem, nec sine
* Sess. XXII 5 c. VI.
28 DISSERT. SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
mysterio, cùm et illud addiderit : Hoc est corpus meum , quod
pro vobis frangitur ; et tamen lutherani non urgent, neque usur-
pant fractionem illam dominicse in cruce fractionis ac vulnera-
tionis testem. Quare fixum illud : Ad salutem sufficere cœnam eo
modo sumptam, qui ipsam rei substantiam atque institutionis
summam complectatur. Substantia autem Imjus sacramenti ipse
Christus sub utràvis specie totus, quod et lutherani fatentur, ut
yidimus * : summa institutionis est annuntiatio mortis dominicae
ejusque commemoratio , quam in unàquàque specie fieri satis
constat, attestante Paulo, ad earum quamlibet edixisse Domi-
num : « Hoc facile in meam commemorationem "-. » Neqne Grœci,
quibus de commixtis speciebus nullam litem movent, magis an-
nuntiant dominicam mortem, corpusque à sanguine separatum
quàm nos ; neque Ecclesia catholica alterius speciei sumptionem
ex contemptu oniittit ; quippe quam et probat in Graecis sibi com-
municantibus, et Latinis etiam piè atque liumili animô petentibus
sa^pè concessit. Neque statim indixit plebi, ut sacro sanguine ab-
stineret ; scd ultrù abstinentem irreverentiœ ac sacri cruoris per
populares impetus eiîundendi metu laudans , ultroneam consue-
tudinem post alicpiot sa^cula legis loco esse voluit : quo etiam ritu
mersionerîi in Jjaptismo sublatam, nemincm eruditum latet. Ne-
que lutherani ab initio rem urgebant , atque omninô constat diu-
tissimè post lutheranam reformationem initam , sub unâ specie in
eà communicatum fuisse, neque proptereà quemquam à commu-
nione ac sanctà Christi mensà fuisse proliiliituin. (Juin ipse Luthe-
rus communionem sub unà vel utràque specie inter indifferentia,
qualis erat sacri cibi per manum tactio ; imo vero inter res nihili
memorabat ^ ; quod posteà exacerbatis animis , plebis potiùs stu-
dio quàm magistrorum arbitrio crimini versum fuit. Id ergô vult
Ecclesia ut pétant non arripiant , ne piam matrem accusare , et
sacramentorum ritus licentiùs quàm religiosiùs mutare sinantur.
Neque vero al)s re erit hic commemorare paucis , ex Apologiâ
Confessionis Augustanœ , quantum hîc valeat Ecclesiae praxis.
« Nos quidem, inquiunt, Ecclesiam excusamus , quae liane iriju-
i Sup., art. II.— 2 1 Cor., xi, 24, 23.-3 ]î.-[nsl. ad Ca.'p. Gusfol. form. Miss.,
toin. Jl, p. 38i, 386.
DE PROFESSORIBUS , PARS II, CAPUT II, ART. IX. 29
riara pertulit , cùm utraque pars ei contingeje non posset , sed
auctores qiii defendimt rectè prohiber! non excusamiis ^ »
Quid autem illud sit, excusamus Ecdesiani, Philipiis Melanch-
thon Apolocjiœ auctor, data ad Liitherum Epistolà , sic exponit :
ut Ecclesiam excusari oporteret, quce imâ specie^er errorem ute-
retur ; « quia, inquit, clamabant onmes totain Ecclesiam à nobis
condemnari^, » quam responsionem Lutlierus comprobavit.
Atqui in ipsà Confessione Augiistanà id scripserant : « Quôd
una sancta Ecclesia perpétué mansura sit. Est autem Ecclesia con-
gregatio Sanctorum , in quâ Evangelium rectè docetur, et rectè
administrantur sacramenta ^ » Ergo ex plèbe audiente et pasto-
ribus « rectè docentibus , ac rectè sacramenta administrantibus »
consistit Ecclesia ; non ergo sibi constant, cùm et stare Ecclesiam,
et tamen per pastorum aut errorem aut vim altéra specie caruisse
confitentur ; aut certè verum erit illud, per^alterius speciei priva-
tiouem rectse sacramentorum administrationi non noceri , quae
nostra sententia est, ad quam proindè ducimur per Apologiam.
Non ergo excusatione est opus , totaque hœc Ecclesiam pm'gatio
( pace protestantium dixerim ) vana et prœpostera est,
ARTICULUS IX.
De aliis quinque sacramentis, ac primùm de Pœnitentià et absolutione.
De absolutione privatà in Confessione Augustmiâ traditur,
quod retinenda sit; et in antiquis editionibus legitur : «Damnant
novatianos , qui nolebant absolvere eos qui lapsi post baptismum
redeant ad pœnitentiam* : » Apolofjia vero, capiteV/e Numéro et
usu sacramentorum , posteà quàm sacramentorum propriè dicto-
rum defmitionem attulit, ut sint « ritus à Deo mandat!, addità
promissione gratise ^ , » subdit : « Yerè igitur sacramenta sunt
Baptismus, Cœna Domini, absolutio quae est sacramentum Pœ-
nitentiœ ; nam hi ritus liabent mandatum Dei et promissionem
gratise quae est propria Novi Testament!, » quels niliilest clarius.
1 Apol., tit. De uti'àque spcc , p. 233, 2:54.— 2 MclaiicliUi., lib. I, Ep. xv.—
3 Conf. Aug., art. \\\i.— ''lbid., art. \i.— '^Apol., cap. De >ium., ntc, p. 200 et
et seq.
^0 DISSERT. SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
Quin etiam inter eirores recensentur hae propositiones : « quôd
potestas cla\'ium valeat ad remissionem peccatorum, non coràm
Deo, sed coràm Ecclesià^ et quôd potestate clavium non rcmit-
tantur peccata coràm Deo *. »
ARTICULUS X.
De tribus pœnitcntiœ actibus, impriniis de contritione et confessione.
Neque refug-iunt in eodem Pœnitcntia' sacramento très pœni-
tentiœ actus, qui sunt, coûtritio^ confessio^ satisfactio.
Et contritionem quidem Confessio Augiistana inter partes pœ-
nitentiœ reponit ^ Sanè contritionem vocat terrores conscientiœ
incussos agnito pcccaio , quem actum admittimus cum concilio
Tridentino ^ Quod aulem eadem synodus addit terroribus dolo-
rem de peccatis cum spe venise ac bono proposito, vitaeque an-
teacta* odio ac detestatione \ nemini est dubium quin actus illi
sint boni atque ad pœnitentiam necessarii, dicente Evangelio :
« Facite finictum dignum pcenitentiae *. »
De confessione , in Articulis Smalcaldicis : «Nequaquàm in Eccle-
siâ confessio et absolutio abolenda est ® . » Quod autem enumeratio
delictorum in Confessione Augiistonâ rejici videatur, id eo fit,
quôd sit impossibilis juxta Psalmum : Delicta quis intelligit? Sed
liunc noflum solvit Catcchisnms minor, in Concordiœ libro inter
authenticos libros editus , ulïi luec leguntur : « Coràm Deo om-
nium peccatorum reos nos sistere debemus , coràm ministro au-
tem debcmus tantùm' ea peccata confiteri qua? nobis cognita sunt
et quœ in corde sentimus ^ » Subdit : « Deniquè interroget con-
fitentem : Nùm meam remissionem credis esse Dei remissionem ?
Affirmanti et credenti dicat : Fiat tibi sicut credis, et ego ex man-
dato Domininostri Jesu Christi remitto tibi tua peccata innomine
Patris, » etc.
1 Apol., cap. De pœniL, p. 164. — - Conf. Aug., ait. xii. — 3 gess. vr, cap. vi,
— * Se?s. XIV, cap. m, etc. — ^ Mutlh., m, 8. — ^ Art. Smalc, viii. De. Cunfess.,
p. 33.— ' Ca<. min., in lib. Conc, p. 318, 380.
DE PROFESSORIBUS , PARS II, CAPUT II, ART. XI, XII. 31
ARTICULUS XI.
De satisfactione.
Certum protestantes à satisfactionis doctrinù ideô maxime ab-
horrere visos , quia imus Christus pro nobis satisfacere potiiit ;
quod de plenà et exactà satisfactione verissimum, neqiie unqiiàm
à catholicis ignoratum. Non estautem consectaneum, ut si chris-
tiani non sunt solvendo pares , ideô née se teneri putent ut pro
suâ facultaculà Christum imitentur , dentque id quod habeant de
ejus largitate, affligentes animas suas in luctu, in sacco, in cinere,
acpeccata sua eleemosynis redimentes, offerentes denique, more
Patrum à primis usque sœculis, qualescumque suas satisfactiones
in Cbristi nomine valitm^as ac per eum acceptabiles , ut suprà
diximus ^ Quare nec satisfactio rectè intellecta displiceat , cùm
dicat Apologia: « Opéra et afflictiones merentiu-, non justificatio-
nem, sed alia prsemia, corporalia scilicet et spiritualia, et gradus
prœmiorum-, » ut prœmiserat. Singulatim vero de elecmosynâ ,
quœ yel praecipua inter illa satisfactoria opéra recensetm' : « Con-
cedamus et hoc , inquiunt, quod eleemosynœ mereantur multa
bénéficia Dei , mitigent pœnas : quod mereantur ut defendamm*
in periculis peccatorum et mortis ' ; » quae sanè eô pertinent , ut
rejectà satisfactionis, quam universa antiquitas admisit , voce ,
tamen rem ipsam admittant.
ARTICULTS XII.
De quatuor reliquis sacramentis.
En igitur jam tria sacramenta eaque propriè dicta, Baptismus,
Cœna, absolutio, quœ est Pœnitentiœ sacramentum. Addatur et
quartum : « Si Ordo de ministerio verbi intelligatur, haud gra-
vatim vocaverimus Ordinem sacramentum ; nam ministerium
verbi habet mandatum Dei, ethabet magnificas promissiones *. »
Confirmationem sanè et Extremam Unetionem fatentur esse « ritus
1 Slip., cap. I, art. m. — ^ [{esp. ad arg., p. 137. — ^îbid., p. 117. — * ApoL, De
num, et usu sacrament., p, 201.
32 DISSERT. SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE,
acceptes à Patribus, non tamen necessarios ad salutem, quia non
liabent mandatum, aut claram promissionem gratise. »
Nemo tamen negaverit sic ucceptos à Patribus, ut et à Scrip-
turà deducerent : Confirmationem quidem ab illà apostolicà manùs
impositione, quà Spiritiun sanctuni traderent, sacram verô Unc-
tionem iiifirniormn quam Extremam vocant, ab ipsis Jacobi ver-
bis ^, qui hujus sacramenti presbytères assignet ministros, ritum,
inunctionem cum oratione conjunctam ; promissionem autem ,
remissionem peccatoriim; quœ promissio nonnisi à Christi insti-
tuto proficisci queat, Jacobo hujus institutionis ac promissionis
tantùm interprète. Sic etiam Apostoli impositione manùs nihil
aliud tradebant credentibus , nisi ipsum à Cliristo promissmn
Spiritum, quo ad profitendum Evangelium virtute ab alto induti
firmarenlur .
De Matrimonio Apologia sic decernit^ : « Habet mandatum Dei;
habetpromissiones.» Quôd autem attribuit eas promissiones « quae
magis pertineant ad vitam corporalem, » absit ut neget alias po-
tières, ad pregignendes educandosque Dei fdios et haeredes futu-
res , ac sanctificandam eam corperum animorumque conjunctio-
nem qua*, « in Christe et Eeclesià magnum sacramentum sit ^, »
à Deo quidem primitùs institutum , sed à Christe Dei Fihe resti-
tutum ad priorem formam. Un de etiam inter christiana sacra-
menta cum Baptismo recensitum antiquitas credidit, ut tradit
Augustinus *.
Ergè enumeratiene factà , septem tantùm computamus sacros
à Deo Christoque institutos ritus , et signa divinis firmata promis-
sionibus. Neque preptereà necesse est, hœc omnia sacramenta
ejusdem necessitatis esse , cùm nec Eucharistia paris cum Baptis-
mo necessitatis habeatm\ Omnino enim suflicit divina institutio
atque promissio. Atfjue hœc de sacramentis, in quibus pertrac-
tandis maximaS centreversias ex ipsis lutheranormu libris sym-
bolicis cempositas videmus.
' Jnc.,\, li, 15.— - A})ol., de Nitm. et usu sncrament., p. 202. — ' Ejh., \, 32.
— '• Lib. 1 , ('c Nupt. ei concuii., cap. x, ii. 1 1 .
DE PROFESSORIBUS , PARS 11, CAPUT III, ART. I. 33
CAPUT TERTIUM.
Decultu ac ritibus.
ARTICULUS PRIMUS.
De cultu et invocatione Sanctorura.
In hoc articulo nullam aliam conciliationem magis quaesiverim
quàm aperta' cahimnia' depiilsionem. Ait enim Apologia : « Qui-
dam plané tribimnt divinitatem Sanctis, \1delicet qiiôd tacitas
cogitationes mentium in nobis cernant *; » cùm profectô nemo
imqiiàni talia somniarit , aiit ab homine tacitas cogitationes per-
spici putaverit, nisi Deo révélante. Addunt : « Faciunt ex Sanctis
mediatores redemptionis : fmgimt Christum duriorem esse et
Sanctos placabiliores , et magis confidunt misericordiâ Sancto-
rum, quàm misericordiâ Christi, et fugientes Christum, quœrunt
Sanctos. » Quae omnia evanescunt lecto decreto Tridentino, que
constat ipsos Sanctos supplicare, et omnia impetrare «per Christum,
qui solus Redemptor et Salvator est -. »
Neque praHermittendum hic est ipsum invocationis genus quo
erga Sanctos utimur. Non enim invocamus eos ut bonorum auc-
tores ac datores : absit ; sed ut amicos Dei ac propinquos nostros
invitamus, ut nobis apud communem Parentem per communem
Mediatorem prœbeant fraterna? ac pia» deprecationis auxilium,
quod bonum et utile synodus Tridentina prsedicat, neque quid-
quam ampliùs. Talis igitur nostra est beatos spiritus invocandi
ratio, quae à perfectà absolutâque invocatione, soli Deo proprià,
in infmitum distat.
Quod ergô assidue improperant de applicatione meritonmi,
quasi doceamus alterius quàm Christi mérita applicari fidelibus
ut sancti justique fiant, pace eorum dixerim, falsum est. Aliud
est enim celebrare mérita Sanctorum, quœ Dei doua sint, alind
profiteri per ea nos fieri Deo gratos. Quisque enim sibi, non aliis
sanctus est. Id tantùm volumus ut, quo magis Deo placent, bo-
norumque operum abundant fructibus, eo promptiùs ac faciliùs
' ApoL, art. xxr, de Invoc. SS., p. 22i, 22o.— ^ Soss. x.\v, de Invocaf., etc.
TOM. xvni. 3
34 niSSERT. SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
memorem ac propitiabilem Demii ad iiiisericordiam inflectant,
({uod iienio pins negaverit. Atqiie lia?c de caluinuiis detegendis.
J)o ipsà autein re non deest Apologiœ testinionium^ cujus ho-'c
verba sunt : « Citant sanctum Hieronymum contra Vigilantium.
In hâc arenâ, inquiunt, ante mille et centum annos vicit Hiero-
nymus Yigilantiuni. Sic triunipliani adversarii, quasi jani sit di'-
bellatura; nec vident isti asini apud llicronjniuni contra Mqï-
lantium iiullam extare syllabam de invocatione : loquitnr de \\o-
noribns Sanclftruni, non de invocatione \ »
Plane mcluunt, nec iuunoritô;, ne Vigilanlio adversùs sanctum
Hieronymum, totamque adeô Ecclesiam, cujus ille causam age-
bat, favere videantur. Sed (juando quidem dissimnlantcr agunt,
ac verba Hieronymi tacent, juvat considerare paululùni quinam
à viro maximo Sanctorum lionores commendentur ^ Ili nempé,
eorum sepulcra, cineres, ossa esse veneranda, in digniorem locum
magno concursu deri ac plebis^inqicratorinn cl princi[)uni snnmio
cum honore translerri, inl'erri etiani C.hristi alUirilms, ad coruni
prœsentianj maximas quotidiè virtutes fieri , imninndos tonjucri
spiritus, hœc à lioniano pontifice et ab onniibus episcopis fre-
(fuentari, solos hicrelicos et impios, Julianum Apostatam et Eu-
nomium atque alios repugnare : hanc esse Vigilantii luercsim ,
(jui etiam audeat, inquit, « nos cinerarios et idololatras appellare,
qui nioilunruiii lioiniiium ossa V('ncrennn\, at(pio bas Ecclesiis
Chrisli strucre calunniias. » l^luarlo igilur sa'culo, nec ea^ quibus
nune quoque nos impelunt calumnia» defuerunt, clarèque signi-
ficat Ilieronynnis, haîc omnia eo animo fieri , ut Sanctorum prc-
cibus adjuvenmr, quos et rébus nostris intéresse firmat, nec
abesse onniino, si precutor accesserit. Ac si unus Hieronymi locus
non sufficit, habeant et hune : solitos fidèles « in sepulcro Sanc-
torum pcrvigiles noctcs ducere , et quasi cum pra'senlil)us ad
adjuvandas oraliones suas scrmocinari ^; » «piod (piidem nihil est
aliud, quàm ad ipsos Sanctos nostro more rituque dirigere preces
sociaî charitatis virtute, unà cum Sanctonnn supplicationil)us, ad
Dominum perventuras. lla^c igitur cùm Apohxjia pra'terniiserit,
1 Apol., aii. XXI, De Invoait. SS., \\. 22:).— "- ///n-., Kp. xxxvil, al. Lv, adv.
Viijil.— 3 Id. in VM llilar., in fine.
DD PROFESSORIBUS , PARS 11, CAPUT Il( , ART. H. 35
de invocationis voce litigat. Benè tamen omninô, quôd puduerit
Hieronymo aiiteponere Vigilantium, et à priscae Ecclesiœ sancto-
ruinque Patrum doctriiià discedere , fpiod etiam uljique profiteri
Apologiam sequentia confirmabmit.
Neque ulla jam dubitatio superesse possit, posteà quàm adver-
sariorum quoque scriptis eam in rem editis^ , constitit Gregorium
Naziaiizenum^ Basiliuni, Ainbrosium, Augustinum, aliosque ejus
aevi Patres^ in eam invocationem quam diximus, et in ipsam adeo
vocem, atque in alia omnia consensisse ; quorum doctrinam refu-
gere docti bonique lutheraui non soient. Portasse etiam nobis ex
eàdem Apologià clarior et plenior conciliatio affulgebit in arti-
culis posterioribus tertio et quarto, ad quos properamus.
ARTICILUS II.
De cultu imaginum.
Multis rationibus Lutherus, lutheranique contra calvinistas
evicerunt, prœceptum illud Decalogi : Non faciès tibi sculptile, etc.,
adversùs eos conditum, qui ex idolis deos faciunt ; undè multi eo-
rum ipsiusque Lutheri libri extant adversùs imaginum confrac-
tores, deque imaginibus etiam in templo retinendis, inemoriaB
causa, quae jam pars honoris. Et quidem omnis cultùs ratio inde
proficiscitm^ quod imagines tanquàm visibile et [in oculos incur-
rens instrumentmn adbibeutm', quo Christi ac coelestium rerum
memoriam, deindè per meinoriam pios affectus excitent, qui se-
mel in animo concepti, per exteriores actus innoxiè [se prodant.
Placet ad prohibendos excessus doctrina Tridentina, quôd « ima-
ginibus nulla credatur inesse divinitas aut virtus propter quam
sint colendae ^ » Addatur et illud ex septimâ synodo : « Imaginis
îioiior ad primitivum transit, » et illud ex beato^Leontio in eâdem
synodo : « In quâcumque salutatione vel adoratione intentio ex-
quirenda. Cùm ergô videris christianos adorare crucem, scito
qnôd crucifixo Christo adorationem offerant et non ligno. Deletâ
enim figura separatisque lignis, projiciunt et incendunt. Itaque
ad imaginem cjnidem corpore inclinamur, in archetypo autem
1 Yid. cap. IV, ait. 11.— 2 Sess. xxv, De invocat., etc.
36 DISSERT. SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEM-^GNE.
mente et intentione defixi, figuras honoramus, salutamus, atqne
honorifîcè adoramus, utpotè per picturam suam ad ipsum princi-
pale, ejusque recordationem attrahere nos valentes '. » Quœ et
elucidationis gratià protulimus, ac ne septima s\-nodus in Oriente
juxta atque Occidente suscepta, ex pravo adorationis et cultùs in-
tellectu infametur.
Haec si cogitarent . facile delerent istud ex Apologià - : « Ima-
gines colebantur. et putabatur eis inesse quaedam aïs, sicut magi
inesse fingimt imaginibus signorum cœlestium certo tempore
sculptis. » Sic Melanchthon nostro, imô magis suo et sociorum
damno, eloquentem se praebet.
ARTICULUS III.
De oratione atque oblatione pro mortuis , et purgatorio,
Audiatur Apologià Confessionis AugnstanxE ' ; « Quod allegant
Patres de oblatione pro mortuis, scimus eos loqui de oratione pro
mortuis quam non prohibemus: » et infrà Epiphanius citatur
memorans « Aerium sensisse quôd orationes pro mortuis simt
inutile* ; neque nos Aerio patrocinamur. » Ergô precationes eas
fateantm- necesse est utUes esse iis pro quibus fiunt ; quam utili-
tatem si negaverint ac rejecerint, profectô contra professionem
suam tani claram Aerio patrocinabuntur. Id enim est quod Epi-
phanius in Aerio reprehendit. Sin autem orationem quidem pro-
bemus pro mortuis, oblationem verô improbemus, pars esset er-
rons Aerii, quem Apologià cum Epiphanio et antiquis rejicit.
Damnât enim Epiphanius Aeriimi dicentem : « Quap ratio est post
obitum mortuorum nomina appellare ^? » ulii perspicuum est al-
legari ritum, teste Augustino. in iiniversà Ecclesià frequentatum
a ut pro mortuis, in sacriflcio cùm suo loco commemorantur,
oretur, ac pro ipsis quoque id offerri commemoretur *. » Undè
idem Augustinus Aerii haeresim ex Epiphanio sic refert ^ « Orare
vel offerre pro mortuis non oportere. » Nota sunt Epiphanii verba :
» Conc. Nie. II, act. iv. LaLb., tom. Vil. col. 235, etc., ôôô.— ^ Apol. p, 129.
— » Apol., De locat. Mus., p. 214, 275. — * Kpiph , Haer. 75.— s Aug., Serui.
CLini, al. ixxii. De verb. Aj'ost., n. 2.— * Id. haer. 53.
DE PROFESSORIBUS , PARS 11 , CAPUT III , ART. lY. 37
«Caeterùm, mquit. quee pro mortuis concipiuntur preœs ipsis
utiles siint. » Ne inane suffragium ^i\isqiie non mortuis profutu-
nim suspicemur, firmat Augnstinus, eodem sermone, dicens :
a Orationibus verô Ecclesiae et sacriflcio salutari non est ambi-
genduni mortuos adjuvari ; » ac posteà : « Non est dubitandum
prodesse defimctis, pro qnibus orationes ad Demn non inaniter
allegantur. » Favent Liturgise Graeconmi in Apologià laudatœ,
ubi baec leguntur, fidelium defimctorum nominibus appellatis :
« Pro sainte et remissione peccatomm servi Bei talis; pro requie
et remissione servi tui talis. » Favet CjTillus antiquissimns Li-
tm'giae interpres ^, dùm pro Patritius quidem. « prophetis. apo-
stolis, mart}Tibus , hoc est , pro eorum memorià offerri testatur,
ut eorum, inquit, precibus Deus preces nostras audiat. » Caeterùni
et id addit, esse alios « pro quibus oretur, eo quod certô credatur
eorum animas plerumquè sublevari, factis precationibus in sacri-
flcio quod est super altari, oblatoque Christo ad eis nobisque im-
petrandam misericordiam. » Favent in Pati'ibus ejusmodi loci
innumerabiles omnibus noti. Hic autem Liturgias commemorari
oportebat, eo quôd in Apologià laudaii'entur, cùm certmu sit in
lis, quotquot sunt, duplicem institui mortuorum memoriam; alio-
rum, quorom adjuvai'i precibus, aliorum, quibus misericordiam
impertiri supplicetui^^ ejusque rei gratià offeratur sacrilicium. His
autem constitutis , vacabit omnis de purgatorio controversia ; de
quo quippe Tridentina s^nodus nibil aliud edixerit -, quàm « et
illud esse, animasque ilii detentas, fidelium siiffragiis, potissimùm
vero acceptabili altaiis sacriflcio juvari. »
ARTICULrS IV.
De Yotis monasticis.
De bis transacta res est , cùm monacbatùs summam , dempto
castitatis voto, ex litteratis lutheranis plerique approbent et exer-
ceant. De castitate autem ex Apologià nulla difficultas. cùm in
eà semel et iterùm laudentur, sanctisque viiis accenseantur, An-
* Caiech. ilyst., v. — - Ses?, xxv. De Purg.
38 DISSERT. SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE,
tonius, Bernardus, Dominicus, Franciscus ', qui profectô et cas-
titatem vovenint ipsi, et suis ut voverent auctores extiterunt. De
Bernardo, Dominico et Francisco constat : Antonii autem et sub-
secuto tempore^ id quod nos votwn vocamus, illi propositum ple-
runiquè appellahant, à quo resilii'e, pedenique rétro referre pia-
culum esset, pari omnium sententià, ut res ipsa docuit,
Ca^terùra, cùm sit liberimi amplecti monacliatum, non est cur
(fuisquam ejus rei gratià unitatem abrumpat. Ad eam autem rem
probationem requuù magnam , et fortassè majorem quàm adhi-
beri soleat, ultrù confitemur. lUud etiam observari placet : si ex
Apolorjiœ decretis Bernardus, Dominicus, Franciscus pro Sanctis
viris iiabeantm*, qui et scriptis editis Deiparani Virginem ac Sanc-
tos quotidiè invocabant, et Missam aliaque nostra omnia, ut no-
tum est omnibus, fréquentai lant, uihil jani causa' superesse, quo-
minùs nos quoque eàdem fidc cultuque, ad sanctitatis pra'mia
vocari intelliganuu-.
CAPUT QUARTUM.
De fulei firmandœ mediis.
ARTICrUS PRIMUS.
De Scripturà et Traditionc.
Scripturae canonem Tridentina sj-nodus admisit ilhmi, qui
jam ab Innocentio 1% à concUio Carthaginensi III, à sancto Ge-
lasio papa ante sa^cula tredecim admissus est : quà de re nihil
Confcssio Aufjustana , niliil Apologia , aliique symbobci libri su-
pra appellati, questi sunt. Rem ut notam mio verbo transigimus.
Id tantùm annotamus à concilio Cartbaginensi III diligenter ob-
servatum, canone xlvu, non à s(^ bos libros in canonem intro-
ductos, sed désignâtes eos qui jam à Patribus Canonicœ Scrip-
turœ titulo legerentur.
Vulgata versio, sancti Ilicronymi nomine coumiendata, et tôt
sa'culorum usu consecrata, ex concilii Tridentini verbis ita « pro
^ ApoL, Rcxp. ad objet,, et de vnf. mon., p. HO, 281. — - Fp. ii'. nd V.rup.,
cap VII.
DE PROFESSORIBUS , PARS 11 , CAPUT ÎV, ART. II. 30
authenticà habetiu*, cœterisqiie latiiiis qnae circumferuntiir edi-
tionil)US preefertur ', » ut iiec textui originali , nec antiquis ver-
sionibus, iii Ecclesià sive orientait sive occidentali receptis et iisi-
tatis, sua detrahatur veritas et auctoritas, sed usus regatur apud
nos, certumtp.ie omnino sit , eà versione ad fidei morumque doo-
trinam asserendam, sacri textùs à Deo inspirât! reprœsentari
substantiam ac vini, c[uod suffieit.
Neqiie litigaudum videtiu' de Traditionibus , cùm vii'os doctis-
simos juxta atqiie candidissimos testes habeamus eam protestan-
tium moderatiorum esse sententiam, non solùm ipsam sacram
Scripturam nos traditioni debere , sed etiam genuinum et ortho-
doxuin Scriptiu'œ sensum, et multa alia, quee ex sequeutibus fir-
mabuntur.
ARTICULUS n.
De Ecclcsicc infailibilitate.
Ecclesiam esse infallibilem, certa doctrina est Confession/s Aii-
gustanœ et Apologiœ , cùm assidue provocent ad veterem Eccle-
siam; imô etiam, sua doctrina exposità, diserte dicant : « Haec
summa sit doctrinae quee in ecclesiis nostris traditm* ; et consen-
taneam esse judicamus propheticse et apostolicœ Scripturce et ca-
tholicœ Ecclesià?, postremô etiam Ecclesià' Romanse, quatenùs ex
probatis auctoriljus nota sit. Non enim aspernamur consensum
catholicee Ecclesià? ^ » Memorandumque illud imprimis : « Non
enim adducti pravà cupiditate , sed coacti auctoritate verln Dei et
veteris Ecclesiee, amplexi sumus hanc doctrinam*. » Sic Confes-
sio Augustana luculentissimè in primis editionibus. In libro verô
Concordiœ nomiulla detracta sunt ; illud scilicet '* : « Ouod coacti
sint auctoritate verbi Dei et veteris Ecclesià? ; » rpiasi vererentur
de Ecclesià magnificentiùs dicere cjriàm par esset. Sanè apud
Apologiam , in responsione ad argumenta "" , volunt doctrinam
suam « sanctis Patribus et miiversée Ecclesiam Clu'isti esse consen-
taneam, ita ut nec ab Ecclesià Romanà » discessum fuerit. {)\ViX\,
si vero animo nec inaniter proferuntur, profectô documento smit,
' Seri.-^. IV, lucr. de clit . ftc— '- Conf-sa. Aiirjmf., cor.d. — * Ibid., ait. xxil.
— "* LU). CoHconl., p. 20. — '" ApO'., p. ! H.
40 DISSERT. SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
haiic de Ecclesise certà auctoritate doctrinam, ex intimo Confes-
sioîiis Augustanœ atque Apologiœ sensu esse depromptam ; quo
pertiiieat illiid ex eàdem Apologiâ : « Inter iiifinita pericula man-
sui'am esse Ecclesiam ; iminità licèt multitudine impiorum oppres-
sam , atque omninô existere Ecclesiam , eamtpie catholicam , non
civitatem platonicam, sed verè credentes et justos sparsos per
totum orbem, cujus notas esse Evangelii doctrinam et sacra-
menta'; » ut proindè necesse sit, queinadmodùni justi toto orbe
sparsi sunt, pastores itidem Evangelium praedicantes et sacra-
menta pra4)entes toto orbe esse difTusos , neque unquàm desitu-
ros. « lla^c , inquiimt , Ecclesia est colunnia veritatis ; » nunquàm
scilicet rectse pra'dicationis et sacramentoruni adininistrationis
officio destituta, ut et suprà diximus^ Qua? quidem summa est
verse doctrinœ, paucis desideratis, quœ facile suppleantur.
ARTICILUS m.
De Coiiciliorum gencraliura auctoritate speciatini, qua^ sit protestantiura
sententia.
Posteà quàm de Ecclesiœ catholicse, si bonà fide agamus, certà
auctoritate constitit, ad aucloritateni conoilioruni gciieralium,
quée Ecclesiam catholicam repriesentent, tacilis est transitus ; imo
transacta res est ex solâ praifatione Confessionis Augustanœ ad
Carolum V, ubi hœc agmit * : primùra, ut de congregando « pri-
mo quoque tempore tali generali concilio » imperator cum Ro-
mano pontifice tractet : tùm, ut in eo concilio spondeant « se com-
paritui'os et causam dicturos: » deniquè, ut etiam commémo-
rent, « ad bujus generalis coiicilii conventum, in liàc gravissimà
causa, debito modo et forma juris à se provocatuni et appellatmn
fuisse; cui appellationi, incpiiunt, adhuc adhseremus '\ »
Sanè ibidem addunt à se quoque appellatum ad Cœsaream
Majestatem ; non quod imperator de causa fidei judicaturus es-
set, quod erat inauditum ; imo verô ipse Cœsar palam declarave-
rat, ut in eàdem praefatione fertur, « se in hoc religionis nego-
* Ajiol., cap. De EccL, p. 145, l 'iG, 147, 148.— - Sup., cap. Ii, art 8. — ' Praîf.
Conf. Aug., in lib. Conc, p. 8, i).
DE PROFESSORIBUS , PARS II , CAPUT IV, ART. IV. 41
tio non velle quidquam determinare nec concludere posse, sed
apud pontificem Romanum diligenter daturum operam de con-
gregando concilio^» qua?. ejus partes erant, non profeeto ut ju-
diciuin sibi vindicaret.
Ergô in religionis causa ad solum générale concilium « debito
modo et forma juris provocabant; » quoetiam continebatur illud,
ut et comparèrent , et causam dicerent , et judicio starent , cùm
nec aliud agnoscerent superius in terris judicimn cui se siste-
rent.
Quod autem îiberum et christianum concilium postularent,
jure et ordine factum ; neque liîc quœritm- quid posteà gestum,
sed quid ipsi professi sint ; quippe cùm solemnis illa professio , si
res bonà lide, non ca\illatoriè agebatur, per sese valeat ad con-
stituendam in ipso concilio auctoritatem eam, quam detrectare
sit nefas ; adeô hœrebat animis ea religio, cujus etiam in ipsis
Confessionis suse initiis immortale monumentum extare et gestis
inhserere voluerunt.
ARTICULUS IV.
De eàtlera auctoritate quid catholici sentiant , et quid protestantes objiciant.
Protestantes catholicis vitio soient vertere, quod cùm Ecclesiaî
infaUibUitatem agnoscant, de ejus infallibilitatis subjecto nihil
certi habeant , cùm pars in papa etiam solo , pars in conciliis
œcumenicis, pars in Ecclesià toto orbe diffusa infallibilitalem col-
locent. Horum ergô gratiâ nobis fœdum incerti animi vitium
atque apertam repugnantiam objicimit. Neque animadvertere
volunt, eas sententias, quas répugnantes putant, communi om-
nibus dogmate ac veritate niti. Qui enim papam vel solum pu-
tant esse infallibilem quantô magis cùm synodum consentien-
tem habeat ? Qui verô synodum, quanto magis Ecclesiam riuani
ipsa synodus reprsesentet? Aperta ergô calumnia est, quod nos
catholici de infallibilitatis subjecto nihil certi habeamus, cùm pro
indubitato apud nos habeatur, et Ecclesiam catholicam et conci-
lium eam roprœ'sentans infallibiUtate gaudere : concilium autem
œcumenicum legitinmm illud esse cui tota Ecclesià et pro œcu-
42 DISSERT. SUR LA RÉUMON DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
menico se gerenti communicet, et rébus dijudicatis adhaerescen-
dum sentiat ; ut concilii auctoritas ipsa Ecclesiae universae aucto-
ritate et consensione constet; imo vero ipsissima sit catholicœ
Ecclesiae auctoritas.
Taie ergô conciliuni pro infallibili habemus , exemple majo-
rum; quâ de re facile possem ex antiquis œcumenicis synodis
tanquàm ex decretis commuiiibus perscribere auctoritates ; sed
apud viros bouos ac pacificos^ quales in hoc negotio postulamus,
satis certuni fore putamus^, ab omni antiquitatis memorià eam
fuisse serapor synodorum generalium rcverentiam, ut qn* judi-
cassent, de iis rursùs quœrere piaculi instar liaberetur, atque om-
nes catholici prolatam sententiam pro divine testimonio suscipe-
rent. ïïoruin igitur exemple et ipsa Confessio Augiistana ad œcu-
menicam synodum appellabat, et altéra pars protcstantiura quœ
ArfjentinensemConfc!<sioncni simul edidit et obtulit, in suà pe-
reratione idem professa est '. Consentiebant catholici ; ut profecto
post tantnm tamque firnnnn totius christianitatis consensum,
non jam de ipsius concilii irretractabili auctoritate, sed de ejus
constituendi optimà et légitima ratione queeratur.
ARTICIJLUS V.
De Romauo Pontificc.
Futuram synodum ad quam provocabat utraque 'pars protes-
tantium à Pontificc Uoraano convocandam facile asscntiebantur.
Atque ipse Lutherus, aune 1537, edidit Articulas Smalcaldicos
exhibendos cenciUo per Paulum III « Mantuae indicto, et cpio-
cumque loco et tempère congregande, cùm, inquit, nobis rruoque
sperandum esset ut ad concilium etiam vocaremm", vel metuen-
dum ne non vocati damnaremm" ^ » Ergo et banc synodum
agnoscebat Lutherus, in quà causam diceret, licet à papa convo-
candam, et sub eo profecto congregandam ; et quanquam in ee-
dem cenventu se papœ infensissimum praebuit, profitetur tamen
se non ausurum abesse ab eâ synode quam papa congregarct.
^Coiif. r/i/'it.riv. in p'ruriil .\'n\ SynI. Canf., paît, l, p. 199. — "^ Pr.'S'f ad Arf.
ismakatd., in lib. Conc. p. 298.
DE PROFESSORIBUS, PARS lï, CAPUT iV, AÎ\T. Y. 't3
Sanè Philippus Melanchthon, mius lutheranoriim doctissimus
ac moderatissimiis. Romani pontificis primatum in Articulis quo-
que Smalcaldicis suà subscriptione agnoscendum duxit his ver-
bis : « Ego Philippus Melanchthon, de pontifice statiio^ si Evan-
gelium admitteret, posse superioritatem in episcopos , qiiam
alioquin ballet jure humano, etiam à nobis permitti \ » Ergo su-
perioritatem papa?, salvâ quidem doctrinà, facile profitetm* ex
se esse legitimam, jure saltem liumano , adeôque retinendam.
Extant ejusdem v-ri in eam rem passim egregia monumenta,
prœsertim in responsione ad Joannem Bellceum, quà et Monar-
chiam papœ utilissimam deceinebat ad doctrinœ consensionem,
ejusque superioritatem inter articulos facile conciliabiles repone-
bat ; cpii si perpendisset antiquorum conciliorum acta, quce in-
tégra habemus ab Ephesinà prima ad septimam usque synodum,
profecto fateretur Romana? superioritati nec divinam auctoritatem
defuisse ; neque quidquam postulamus à Confessionis Augustanœ
defensoribus , quàm ut aninmm adhibeant sententiis adversùs
Nestorium et Dioscorum Ephesi et Chalcedone latis ^ Ibi enim
perspicient tantarimi synodorum auctoritatibus superioritatem
papge in Petro institutam, à Petro propagatam, et in Sede apos-
tolicà eminentem tantâ evidentià , ut niliil ampliùs desiderare
possimus. Quo semel constituto, niliil obstat quin christiani om-
nes « Romano pontifici Pétri successori et Christi vicario veram
obedientiam spondeant, » ut est in Confessione Pii IV positum.
Profecto enim valebit ilhid Pauli : « Obedite prœpositis vestris ^ »
(Juôd si omnibus, quanto magis illi quem praepositis quoque prse-
positum ab omni antiquitate , ac priniis etiam generalibus con-
ciliis agnitum esse constiterit?
Neque hic disputamus , aut locos omnes referimus ; sed ex
commimibus decretis pauca quœdam et brevia annotamus quœ
ad certam et expeditam pacem facile sufficiant. Articulos verô
tôt labentibus saiculis in schohs catholicis imioxiè disputatos nec
memorandos hic putamus, cùm eos non pertinere ad fidei et com-
munionis ecclesiasticse rationem, ut jam caeteros omittamus, car-
' Iii subscript. Art. Smnlctiil., in lib. Conr. p. 3;i8.— '- Epha conc. act. i ; Clut/-
ced. Conr. act. m et iv. — ■' liebr., xi:i, \1.
44 DISSERT. SUR LA RÉUiMON DES PROTEST D'ALLEMAGNE.
dinalis Perronius \ et ipse Duvallius Romanse auctoritatis defensor
acerrimus ^ ; ac ne Gallos tantùm commemoremus , imprimis
Adrianus Florentins Doctor Lovaniensis, mox Adrianus VI ^, ac
fratres \\'aleniburgici *, clarissima inter Gernianos atque iuter
episcopos nomina, demonstrariiit.
Nos quo(jne omninm infimos doctrinam catliolicam in rebiLS
controversis exponentes, ac ttmtorum virorum vestigiis inliaî-
rentes , Innocentius XI , nostramque Expositionem , binis datis
Brevibus die iv Januarii mdlxxvui, et xn Julii mdclxxix, luculen-
tissimè et cumnlatissimè comprobavit. Intellexit enim optimus ac
verè sanctissinuis poutifex, non licuisse nobis eam pra^cludere
viam desertoribus nostris ad castra redituris, quam tanti doctores
onniibns protestantibns, ac magnis etiani inter bos regibus pate-
fecerint. Xoljis ergo necessaria , perspicuè quidem sed modeste
dicentibus , Sedis apostolicae non defuit auctoritas , quse suae sibi
couscia majestatis, certa et apudomnes confessa, sibi ad regendas
ecclesias omninô sufficere statuit, reliqnis suo loco et ordine
relictis. At(pie iiœc dicta suiito adversùs Ab'lancbtbonem aliosque
protestantes, qui invidiosissimè de pontificià potestate, falsa veris,
(bil)iis certa misceant ^.
Sunnna sit, pontiliciam polestateni iiuiciidis ecclesiis et Christi
fidelibus natam , diligi , coli , suscipi oportere ab omnibus qui
pacem catliolicam mititatemque diligmit.
1 Du Perron, Rép. au Roi de la Grande-Bret.; Ep. à Casaub., liv. IV, édit.
d'Antoine Estienue, p. 858.— - Duval., Eknch., p. 9 et CS. Id. tract. De sup. R. P.
potesl., part. IV, qu. vu , p. 843, ib. qu. viii . p. 845 et 855, ib. part. // , qu. I,
p. 751. ibid. part. //, cpi. Il, edit. 1614, p. 233. Paris, 1G3(). Toui. poster, p. 757,
ibid. q. V, p. 768 , ibid., part. IV, q. Vi, p. 839, 840 et 841 , ib. qu. X, condus. -1,
p. 858, et alibi passim. — 3 Adrianus VI, in iv. De Confirmât.— * Waleuiburg,,
tom. 11, tract. 111, De Ecoles, part.i///. Dcimmobili Cathol. fidei fundam.,]). 134.
n. 6, 8 et 10; Cont. hœr. fid., part. //, cap. ii, p. 146, n. H, 12, 22, 23. De De-
fens. Bcllann., tom. Il, ad lib. 11, cap. ii, n. 13. Ibid., Grets., col. 1012, n, 14,
15, 16, 17, 27, 33.— '■> ^;)o/.til. De Eccles., in lib. Cane., p. 149.
DE PROFESSORIBUS , PARS III , CAPUT I , ART. I. 43
TERTIA PARS.
DE DISCIPUK.E REBUS, AC TOTA HAC TRACTATIOISE ORDINANDA.
ARTICULUS PRIMUS.
Quid ergô agendum ex antecedentibus. Summa dictorum de fide.
Ciim prsecedente fidei declaratione constet prgecipuas contro-
versias ex concilii Tridentini decretis, Confessionisquc Akqus-
tanœ , Apologiœ , aliisque lutheranorum actis aiithenticis , esse
compositas, exhis œstimari potest quid sit de aliis judicandiim.
Summa ergô dictorum ha?c erit.
I.
Nullum in s^yTiodo Tridentinà nodum esse cujus non in eàdem
synodo solutionem inveniant : si Confessio ejusque Apologia
bonâ fide consulantiu* , difficillima quseque componi, et eafunda-
menta poni è quibus nostra dogmata perspicuè deducantur. Nam
justificationem Spiritui intùs operanti tribuunt, neque à regene-
ratione aut sanctificatione distiiiguunt.
IL
Ronorum operum post justificationem mérita probant.
III.
Absolutionem et Ordinationem inter sacramenta habent : ab aliis
sacramentis recto intellectu non abhorrent.
' IV.
Liturgiam Gra^cam , in eàque panis et vini veram ac realeni
in corpus et sanguinem transmutationem laudant : concomitan-
tiam probant : substantialia sacramentorum distinguunt ab accès-
46 DISSERT. SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
soriis , sive accidentariis ; neque oblationem ac sacrificium res-
puunt : orationes pro mortuis advcrsùs Aerium ut utiles admittunt,
({uo purgatorii summa contiuetui-.
V.
Fidei qua'.stiones ad concilia œcumunica relerunt ; ab Ecclesià
vetere, ab Ecclesià catholicâ, ab Ecclesià Romanà dissentire
nolunt.
VI.
Bernardum, Dominicum, Franciscum, Missamindubiè, et assen-
ilentil)ns qui busqué cbristianis, célébrantes, nec modo voventes
continentiam, sed etiam suadentes, atque omnia nostra sectantes,
Sanctorum numéro reponunt.
VII.
Si hodiornarum rpioquo patriarclialium sedium ratio habeatur,
secunda Nica'ua synodus recipietur, onines ferè conlroversias
ipsa Liturgia decidet, Romana Litm'gia cum orientalibus Litm'giis
gemina reslituetur, onmia probabuntm* quae Latinis Graecisque
comnumia sunt.
VIII.
De papa fidem nostram ex conciliorum Ephesini et Chalcedo-
nensis decretis utiique parti commimiI)us , eorumque perspicuis
verbis facile contexinuis.
IX.
Si (piartum (îtquintum quotpie sœculum veneremur, fatentil)us
[)rotestautibus , de cul tu reliquiarum et Sanctormn invocatione
constabit.
X.
.lustificationis doctrinam Tridentina^ conformem daliimus, ex
communibus decretis, illis scilicet qua; adversùs pelagiauos iu
conciliis Carthaginensi ac Milevitano, atque item Arausicano II,
adversùs pelagiauos defmita sunt. Fidem nostram ex eoruni ac
saucti Augustini verbis atque sententiis contextam agnoscent.
DE PROFESSORIBUS , PARS 111, CAPUT I, ART. II. 47
Hùc accédant de Sanctorum oultu , de imaginil)us , aliisque
pacificae ac luciilentœ interpretatioiies, atque aimotationes ex locis
in Apologiâ indicatis ; jam si non onniia , certè summa confecta
sunt.
ARTICULUS II.
De disciplina} rcbiis quœ à protestaiitibus postulari, quœ à Roniano
pontifice concedi possc videantur.
Jam fide constitutâ, sequentibus postiilatis cum Sede apostolicà
pertractandis locus erit, posito discrimine inter civitates et regio-
nes in quibus nullus sedet catholicus episcopus , ac sola viget
Aurjustana Confessio, et aliàs.
I.
Ut in illis quidem superintendentes, subscriptâ formula, suisque
ad Ecclesiae communionem adductis, à catholicis episcopis, si
idonei reperiantur, ritu catholico in episcopos ordinentur, in aliis
pro presbyteris consecrentur, et catholico episcopo subsint.
II,
In eodem priore casu, ubi scilicet sola viget Confessio Augustana
nullique catliolici episcopi sedem ol^tinent, si ipsis ita videatur^, ac
Romamis pontifex, consultis etiam Germania? ordinibus^ appro-
baverit, novi episcopatus fiant et ab antiquis sedibus distraliantiir ;
ministri item in presbyteratum catholico ritu ordinentur et sul)
episcopo curati fiant : iidem novi episcopatus catholico archiepis-
copo tribuantm\
ni.
Novis episcopis ac presbyteris quàm optimè fieri poteritreditus
assignentur : sedulo agatiu* cum Romano pontifice ut de bonis
ecclesiasticis lis nulli moveatur.
IV.
Episcopi Confessionis Augustanae, si qui sunt, de quorum suc-
cessione et légitima ordinatione constiterit, rectam fidem professi
suo locomaneant ; idem de presbyteris este judicium.
48 DISSERT. SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
Missae solemnes ritu catholico , verbi divini prsedicatione post
lectum Evangelium pro more interjectâ, celebrentur, commen-
dentiir, freqiienteritur • in divinis officiis vernaciilâ lingruà qiiapdam
concinantiir, posteà quàm examinata et approbata fuerint : Scrip-
tura in linguam vernaculam versa emendataque, ac detractis
additionibus, ([ualis est vocis illius, sola fides, in ipso Pauli textu,
et aliis ejusmodi , inter mamis plebis maneat, publiée etiam legi
possit destinatis horis. '
VI.
Communicaturi quicumqiie , ut id faciant in solemni Missà ac
fidelimn cœtu sedulo invitentur : de hâc communione saepè cele-
brandà in eamque praxim instituenrlà \\\k plebs serio doceatur :
si desint communicantes, haud minus Missa3 fiant, ac celebrans
ipse communicet, omnibus presbyteris eo ritu celebrare liceat,
pietatis studio, non quœstu; neque presbyteri tolerentur quibus
victùs ratio in solà Missarum celebratione sit posita.
VII.
Novi episcopatus seu novae parochiœ ne monachorum ac monia-
lium cœtus cogantur admittere : ad eos amplectendos adhortatio-
nibus , castisque et castigatis ad sui instituti originalem ritum
moribus invitentm*.
VIII.
A Sanctorum ac reliquiarum atque imaginum cidtu , supersti-
tiosa (pia>que et ad bicrum composita, ex concilii Tridentini pla-
citis *,at(pie ibidem tradità episcopis autoritate, arceantur.
IX.
Publica; preces, Missales , ac Rituales libri, Breviaria, etc.
Parisiensis, Rhemensis, Vieimensis, Rupellensis, Am-elianensis,
atque aliarum nobilissimarum Ecclesiarum, Cluniacensis quoque
1 Sess. XXV. De invoc, etc.
DE PROFESSORIBUS , PARS Ili , CAPUT I, ART. III. i9
Archimonasterii totiusque ejus Ordinis exemple, meliorem in
formam componantur : dubia, suspecta, spuria, superstitiosa
tollantur ; priscam pietatem omnia redoleant.
X.
Constitutâ fide, diligenter tractetur cum romano Pontifice, an,
et qiiibus conditionibiis , et in quorum gratiam usus calicis con-
cedatm' : ejus rei gratià proferantur exempla majorum ac prse-
sertim Pii IV, post concUium Tridentinum : imprimis sacramenti
ac divini calicis reverentise consulatur.
XL
Illud etiam diligentissimè quseratur, nùm ecclesiastico decori
conveniat, ut superintendentibus ac ministris in presbytères
aut etiam in episcopos ex liujus pacti formula ordinandis, quandiù
erunt superstites sua conjugia relinquantur.
XII.
Episcopi constituantm- secundùm canones, multâ probatione,
aetate maturâ.
ARTICILUS III.
De Concilio Tridentino.
Operosissimam plerisque protestantibus visam queestionem de
recipiendo concilio Tridentino, ultimo loco ponimus. Ac primùm
certum est hanc synodum in fidei rébus ab omnibus catholicis
pro œcumenicà atque irretractabili habitam.
Non desunt ex protestantibus , qui arbitrentur ab eâ sententià
procul abesse Gallos, sa^pè professes eam synodum non esse in
regno receptam; sed id intelligendum de solâ disciplina libéra,
de quâ recipiendà, propter diversas morum locorumque rationes,
illsesà dogmatum fide, saepè variari contigit.
Nihil ergô imquàm fiet, aut à romano Pontifice, aut à quorpiam
unquàm catholico, quo Tridentina de fide décréta labefactentur ;
7ie non extingui schisma , sed majore impetu integrari incipiat,
TOM. XV III. 4
50 DISSERT. SUR LA RÉUNION" DES PROTEST. DALLEMAGNE.
ut suprà diximus^ Una restât via, ut declarationis in modum
omnia componantur.
Sanè protestantes moderatiores illos jam huic synodo placabi-
liores esse oportet, posteà quàm ejus dogmata recto atque oLvio
intellectu , antiqua et sana \1sa simt, ut coortae dissensiones non
tam in sjTiodum quàm in partium studia crudis adhuc odiis,
conjiciendœ videantur. Ycl illud attendant, quàm moderatè, quàm
sanetè Tridentini Patres Induhjcntkirum iisum , undè exortiun
erat incendium , definiverint -, atque etiam illud. « Quà modera-
tione eas juxta vetcrem et probatam in Eedesiâ consuetudinem
adliiberi oporteret, ne nimià facilitate ecclesiastica disciplina
enervetm-, » procul etiam abjectis et episcoporum dUigentià ob-
servatis « abusibus, pravis quœstibus, aliisque corruptelis quse
irrepserunt. »
Cœterùm , quicumque pacificà mente non invidiosas historias,
sed ipsa concilii décréta perlegerint, facile intelligent bujus auc-
toritatem eô vel maxime valituram, ut proterva et in pravas
novitates, etiam inter catholicos, eruplma ingénia, suis coercita
limitibus teneantur, neve aliis quibuscumque suas opiniones
obtrudant. Deniquè protestantes eam synodumcjuam à se alienam
putant, intelligendo et approbando suam faciant.
Mullis ScUiè documentis licpiet Ilispaniarum ecclesias ortho-
doxas certis impedimentis ad sextam synodum neque convenisse,
neque vocatas fuisse. Quid ergo egerunt cùm ad eas à Leone II et
Benedicto II illa perlata est? nempè id, ut ejus sjnodi gesta
« synodicâ iterùm examinatione décréta , vel communi omnium
concUiorum ( Hispanicorum scibcet ) judicio comprobata , salubri
etiam divulgatione in agnitionem plebium transeant^ » Sic sy-
nodum quam non noverant suam esse fecerunt. Quo etiam ritu
aliae synodi , ipsaque adeo Constantinopolitana I synodus ab Oc-
cidontalibus adoptata, in secmidi œcumenici concilii nomen ac
litulum crevit. Sic quintam synodum, absque Sede apostolicà ce-
lebratam, eadem Sedes probando fecit suam. Septimam quoque
synodum ab eàdem Sede apostolicà, totàque orientali Ecclesià
• Sup., I, part. — 2 Sf'ss. xxv, Decr. de Indu/g.— ^ Eph-t. Léon. H, 4". Conc.
Tolct., XIV, cap, IV. Y. Labb., loni. VI, cul. 1249, etc.
DE PROFESSORIBUS , PARS III, CAPUT I, ART. IV. .j1
coiifirmatam , post alicfiiot difficultates verbonun ac disciplinée
potiùs quàm reriim ac dogmatum , gallicana ^ qiiœ non interfiie-
rat , et tota occidentalis suscepit Ecclesia ; qiiâ consensione ejus
auctoritas ut in Oriente , ita toto in Occi dente eo usquè invaluit ,
ut nunquàm posteà in duliiuni revocaretur.
Quôd autr^m protestantes objiciunt, concilium Tridentinuni non
esse œcumenicum , eô quôd in iUo cum catholicis episcopis ipsi
non sederint judices , sed ab adversâ parte latum sit judicium ;
huic profectô querela? si daretur locus, nulla unquàm concilia ex-
titissent aut extare possent ; cùm née Nicsena synodus novatianos
ac donatistas^ aut alios jam ab Ecclesia quocumque modo séparâ-
tes admiserit judices , neque unquàm haeretici nisi cà catholicis
judicari possunt , neque qui ab Ecclesia secesserunt , nisi ab ils
qui unitatem servant. Neque lutherani cùm zuinglianos, factis
synodis , condemnarent % eos assessores habuere ; nec sequitas
sinebat à catholicà Ecclesia liaberi judices etiam episcopos Angli-
cos , Danicos , Suecios , aperta odia professes ; quippe qui ab
Ecclesia romanà ut impià, ut idololatricà ,ut anticliristianà reces -
sissent ; nedùm Germaniee protestantis ministros aut superinten-
dentes , qui ne quidem essent episcopi ; cùm solis episcopis locum
in synodo deberi universa antiquitas fateatur.
Sed hœc contentiosa omittamus. Accédant^ discutiant, pri^atim
examinent, ajquas et coramodas ex ipso concilio repetitas decla-
rationes admittant , acta sua symbolica conférant cum s^^nodi
nostrae decretis , pacificum et catholicum induant animum ; sic
Tridentinam synodum sibi quoque haud eegrè œcumenicam fa-
cient.
ARTICULUS IV ET LLTIMUS.
Summa dictorum , ac de difficultatibus superandis.
Maxima difficultas , infixam pectori à cunabulis penitùsque vis-
ceribus inolitam atque concretam excutei'e religionem : ingens
opus , imô vero « datum optimum, donumque perfectum, descen-
dens à Pâtre luminum ''■, » nec ab homine expectandum.
Et jam pro sua clementiâ Pater misericordiarum curandis \iil -
^ Lilj. Conc. pas6. — '^Jac, i, 17.-
.■J2 DISSERT. SUR LA REUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
ueribus deplorand» discessionis duo opportmiissima remédia ooii-
tulit : alterum , ut intellectu facile esset perspicere piY > secessionis
causis multa nobis fuisse iuiputata , quœ vel mera commenta es-
sent , vel ex privatoruiu doctonim opiniouilnis translata in Eccle-
siam , nunquàm approhante eà , imô ^erù potiùs \el maxime
répudiante, editis castissimis et utilissimis concilii Tridentini prse-
sertim de justificatione decretis. Quancpiàm autem à noljis de ho-
rum magnii pars non indiligenter patefacta est , innumeral)ilia
supersmit haud minoris momenti : ex qui bus id inferimus, his
remotis obstaculis ac recognitis iis quee falsô imputata sint, facile
coalituram paeem, et proeliveDi reditmn esse oporiere fdiorum
ad patres qui profecto nostri fuermit. Beatuiu autem illum et à
Domino benedictum prœdicabimus, qui « con^ertet cor patrum ad
fdios et cor fdiorum ad patres ' : » et iterùm alla Scriptm'a dicit :
« Et congregabimtur liUi .hida et filii Israël pariter, et ponent si-
bimet caput unum ^ »
Alterum remedium longe convenientissimum et commodissi-
nmm est lioc : in protestantium libris symbolicis atque in ipsà
maxime Confessione AuQmtmu) ejusque Apolotjià, Deo ita pro-
vidente , tôt ac tantas veritatis catholica? retentas esse reliquias ,
ut ex his viri boni ad omnia nostra facile i-educautur, relicto illis
fdo, quo ex tortuosis ac deviis ilinoribus extricati , in antiquas
planasque semitas revocari possint.
Id autem erit conunodissimum , quôd vix ulla nova décréta
condi, sed per expositoriam ac declaratoriam viam aptas et con-
sentaneas interpretationes alïerri o[)orteat, ut Cof/fcssio/iis Aiigus-
tanœ defensores ad se ultrù rediisse et sua constituta pandisse vi-
deaiitur.
Neque necesse est , ut universa^ simul Confes^ioni Aiujmlcutœ
per Germaniam addictae ecclesiae de his in commune consulant :
sint tantùm aliqui , bono Deo inspirante , principes , qui fraterno
et christiano animo audiant , meditentur, sua quoque proponant
( neque enim ii sunuis (pii taiitam rem uno velut ictu expediri
posse credamus ) , suœ deniquè salutis ipsi curam gérant, cœteris
consilio , tractatu et exemplo prosint.
' Malw: , m, G. — « Oye., i, 11.
DE PROFESSORiBUS , PARS III, CAPUT 1, ART. lY. ",3
Nos aiiteiii miiiimi, qui sanè in liane partem nostra vel maxima
studia contiilimus, indetesso animo nostram qualemcumqiie ope-
ram pollicemur ; et jam, Deo dante, in Historiâ nostrâ variantis
(loctrinœ Ecclesiarum Prolestantium. , multa retiilimus, qua» à
lutheranorum dogmate dehortentiu" ac deterreant ; errores vide-
licet gra\'issimos ac nianifestissimos , imprimis hos quatuor.
I. Quôd ubique profcssi, se tenere anticpiorum Patrum ac
maxime sancti Augustini tutam, pra^sertim in articido de justifi-
catione doctrinam, eam tamen sectentiu-, quam , fatente Melanch-
thone, hujus fidei post Lutlierum assertore prœcipuo, antiqui-
tati atqiie imprimis sancto Augustino ignotam esse constet.
II. Qu(jd ])ona opéra , in Evangelio sub interminatione damna-
tionis a?ternae toties imperata et mandata, non sint nccessaria,
aut certè non ad salutem , quùdque contraria sententia Scripturis
atque omnilnis christianis prolnitissima , nierito condemnctur.
III. Quod à fatalibus ac stoicis ferreisque necessitatibus libero
arbitrio primùm impositis , ad inflandas lilieri arbitrii vires , at-
que ad ipsmn semipelagianismum publiée deflexerint.
IV. Quôd auctore Lutliero , in explicandù Christi liominis ma-
jestate, amplexi sint ubicjuitatem , à reliquoruni christianorum
ac doctissimormn etiam lutheranorum , ipsiusque adeô iMelanch-
thonis sensibus penitùs abhorrentem.
Quœ alibi demonstrata apertiorem in lucem educere in promptu
est. Sed heec spontè corruere, quàm à nobis confutari malumus ;
placetque qmninô inire potiùs consilia pacis , et commodissimis
quibusque rationihus mitigare ofîensiones animorum. Ca^terùm ,
illud in catliolicà parte "sel commodissimum putamus, quôd, cùm
de tantis rébus , seu fidem , seu disciplinam spectent , ad roma-
num Pontificem, tanquàm ad antesignanum , more majorum ,
referri oporteat , is nobis obtigit Pontifex , qui et doctissimus ac
perspicacissimus , omnia docenda et agenda pervideat, idemque
insigni pietate ad optima quseque promptissinms , omnia chris-
tiaiiœ rei et paci profutnra concédât.
34 DISSERT. SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
EXPLIGATIO ULTEPJOR
METHODI REUNIONIS ECCLESIASTIC^,
Occasione eorum imtituta quœ iUustrissimo et reverendissimo D. Jacobo
Bmigno Episcopo Meldensi moderaié non minus quàm erudité ad eamdem
annoiare placxiit .
AUCTORE MO(.A?iO.
PROLOGUS.
Dici non potest quanta cum animi voluptate semel atque iterùm
ac sappiùs perlegerini, qua> ad Cogitationes mcas piivatas reu-
nionis Gcdesiastica! methoduui concenieutes , aiiuotare studio cu-
ra^que habuit illustrissimus et reverendissimus D. Episcopus
Meldensis , vir non in (lallià duntaxat suà , sed in nostrà etiam
Gernianià duduni merito suo celeberrinius. Non potcrani nisi
egregia niilii polliceri , de Boctrinœ cathoUcœ Expositionis auc-
tore, tôt episcoporum , archiepiscoporum , cardinalium , ipsius
deniquè summi Pontificis Innoeontii XI , vGv h â-y-.oi;, calculo com-
probatae. Qua; sanè spei votorumque pra'suniptio adoo nie non
fefellit, ut lectis omnilms cum ourà, pro incolumitate tanti auc-
toris vota facere, Deunique venerari nondubitaverini^ ut pra::suli
tani benè affecto et à studio partium tam alieno, paceni insuper et
veritatem ex sequo bOnâ fide sectanti , œtatem ad annos Nestoris,
hoc est, quàm longissimè prorogare ne dedignetur.
Scriptum ipsum quod attinet , occupatum id est prima ac se-
cundà suî parte, in examinandà meà methodo, quaui multis du-
t)iis videri obnoxiam , in quibusdam prorsùs impossibilem , uti
arl)itratur vir illustrissimus. Id mirum atque improvisum adeô
mihi non accidit, ut mirarer potiùs, si, non dico in omnibus,
quod ne sperare quidem debui , sed in plerisque paria mecum
EXPLICATIO ULTERIOR, PROLOGUS. 55
sentiret. Eorum enini, qui ab utrâque dissidentium parte ;, ad
concordiam ecclesiasticam animum in liiinc usque diem appli-
cuere , observare licet, noiinullos zeluin habentes , sed scientià ac
rerum usu destitiitum, palinodiam vel urgere manifestô, vel post
ingentem apparatum, mellitosque verborum globulos, ac dicta
quasi sesamo ac papavere sparsa, datis iinà manu quœ mox aliâ
tollantiu-, nibil tamen aliud deniquè intendere, quàm ut ad prœ-
tensi erroris revocationem discordes suaviter inducant : alios con-
ciliationem suam superstruere , datis quasi ex concessis hypo-
thesibus, quee ab altéra parte niîiil minus quàm admittantur :
alios in cothm^ni modum , qui cuivis pedi sit aplari potis, sub ge-
neralium cpiarumdam formularum involucro , simpliciorum con-
scientiis slruere insidias, nec in re ipsà, sed solo verl)orum cor-
tice pacem nioliri : alios. deniquè dictatorià quàdam auctoritate,
sua de pace consilia parti adversaî obtrusum ire , et pro illis tan-
quàm pro aris et focis pugnare; hoc est, negotium pacis in novae
litis materiam convertere, et sic in universum à via maxime re-
già prorsùs declinare, seque necessitatibus non necessariis jugi-
ter involvere.
Cùm igitur, liis diligenter animadversis , appareat, in cassum
laborare qui tramitem hune insistunt , rem alià prorsiis via ag-
grediendam esse censui; datâque mihi notabili occasione primùm,
à serenissimo Brunsw. et Lnn. duce domino Joh. Frederico Prin-
cipe romano-catholico ( cuique aio œternum benè sit ) , deindè à
serenissimo electore Brunswico - Luneburgico , domino Ernesto
Augusto, domino meo clementisssimo, post septimestrem ferè
disquisitionem cum celeberrimo quodam Germanise episcopo in
timoré Dei institutam, frustra tentatis recentiorum agendi modis,
de ahà methodo, in verà quidem antiquitate fundatà, sed quse
propter novum applicandi modum , nova videri queat , seriô co-
gitare , ac loca nuUius antè trita solo calcare ccepi , reque ipsà
tandem deprehendi, si neutra pars contra conscientiam in se
quippiam admittere debeat , et protestantes securitati suorum
dogmatum, quibus propter obstans divinum mandatum renim-
tiare non hcet, consulere velint, illos vel hàc aut simili ratione
in gratiam cum romanà Ecclesià redire debere, vel>i prseter spem
56 DISSERT. SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
mater erga pristinos suos filios, haud iniqrua petentes, se diffici-
lemsit praebitiira, hoc ipso de pace ecclesiasticâ spem nobisprae-
cludi , remqiie oranem, sine metii schismatis, committeiidam
Deo ; cùm sufficiat ad tranquillandas conscientias, omnemque vel
suspicionem schismatis amovendam, nos à parte nostrâ eô nsque
processisse, quousque erat possibile, hiturà apud eos solos schis-
matis culpà , qui ahquid in suâ potestate positum , scientes et
admoniti , prœtermisere.
In quâ equidom sententià ( hàc nimirùm aut œqiiipollente via
progrediendum in negotio pacis ) lectione scripti illustrissimi ac
reverendissimi D. Episcopi Meldensis qiiamhbet egregii meque
plurima docentis, magnoperè confirmatum esse, sicubi hàc vice
professas fuero , convenientissima illa conscientiœ meai vox est.
Quod tamen non ita capiendum , ac si utilitati, addo et necessi-
tati methodi expositoriœ, optimi Antistitis , scripti sui paiie tertià
lu(;ult'nter traditae, mihique ex suprà laudatà ejus Expositione
dudùni nota' , vel tantillùm cupiam derogatum ; quin potiùs in
eâ sum sententià, si rem totam absolveret expositoria illa metho-
dus, et ostendcret iii oiiinilnis articiilis controversis , à concilie
Tridentino sub anatliejnate delinitis, ad veram Ecclesise romanœ
mentem explicatis, nullam superesse realem inter partes contro-
versiam, injuriuni fore in Deum etEcclesiam, quisquis iUam am-
babus ulnis non fuerit amplexatus , utpotè , non meà duntaxat ,
sed reliquis omnibus hucusquè excogitatis ad reunionem nietho-
dis multis modis praistabiliorem, Quid enim opus postiilatis? quid
conventibus? ([uid secretis cum sunimo Pontifice, Imperatore ,
prax'ipuisqiK' tcrrarum dominis de agendi modo tractationibus?
quid suspensione Tridentini ? quid celebrando novo concilio ? si
quidem liquido queat ostendi, ecclesiarum nostrarum doctoros
concilii Tridentini canones intellexis.se perperàm , atque adeo in-
sontes postulasse errorum, qui nemini eorum in mentem unquàm
venerint; quod quidem in thesi tam clarum est, ut si quis syUo-
gismo rem velit complecti , ego majoris illius certitudinem cum
cujusvis axiomatos evidentià comparare non sim dubitaturus.
Verùm enim verô , quœstio omnis erit de minore ; ubi tamen
iterùm largior , nuiltas quœstiones, de ([uit)us inter nos conten-
EXPLICATIO ULTERIOR, PROLOGUS. S7
tionis serra sesqui-saeciilari spatio est reciprocata, per dictam me-
thodum conciliari posse^ imô ab illustrissimo domino Episcopo
actu jam esse coneiliatas^ tam in Erpositione doctrinœ catholkœ,
quàm in hoc, quod prse manibus liabemus, doctissimo illius scrip-
to, ut in ealce totius hiijus scriptionis videbitur.
Addo qiiod secmidùm ductiim hiijus methodi, invictissimi piis-
simiqiie Imperatoris nostri desiderio faeturus satis , in aliâ quâ-
dam scriptione meà, Vienniam dimidià suî parte jam tùm missà,
qiiinqiiaginta circiter plerasque omnes momenti maximi qiia's-
tioues inter nos hactenùs controversas , bono ciim Deo , jam tiim
conciliaverim. Âd unum tamen omnes, hàc via, controversos inter
Romanam nostrasque ecclesias articiilos, esse sublatos, aut eonci-
liari posse, ne ipsum credo Expositionis auctorem eruditissimum
esse asseveraturmn. Agitm' itaque inter nos, non de expositoriae
methodi bonitate et excellentiâ, quam inicjims sit qui non aguos-
cat ; sed hoc in queestionem venit : an methodus illa sit adœquata,
et ad omnes controversias nostras ita se extendat , ut non opus
halieat summus Pontifex per syncatabasin largiri protestantibus
quosdam articulos , quonim retractationem persuasi illi fuerint
conscientiis suis adversari , aut quorumdam decisionem differre
in conciMum legitimum*? De quo in progressu harum observa-
tionum mentem meam candide aperiam , visurus eâdem operà ,
an dubiis circa nostram methodum ab illustrissimo viro motis ,
si non omni , aliquà salteni ex parte fieri queat satis. Faxit Deus
Pr inceps pacis ut ad structuram sanctuarii concordi», et ego
symbolam aliquam, si non in aiu"0, argento, a?re, purpura , hya-
eintlîo, ac bysso, saltem in caprariim pilis adsportare , ac pro vi-
rili portione meâ, tenuique talento , ad minimum conatum alicpiem
juvandi Ecclesiam ostendere, et per hoc schismatis culpam, chris-
tiana^, charitati, ex doctrinâ divi Pauli, tantoperè adversam, à
me penitùs amoliri queam.
58 DISSERT. SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
EXCERPTA EX HAC ULTERIORI EXPLICATIONE.
De conciliis œcumenicis in génère, et in specie de concilio Tridentino.
De conciliis œcumenicis légitime celebratis, sive quinque illa
sint , sive plura , in génère dico : Christus per omnia sœcula adest
sua3 Ecclesiae , neiiue unffuàm permittet ut Ecclesia universalis
in concilio aliquid fldci contrarium pronuntiet. Inde tamen non
sequitur errores et abusus interdùm non prœvalere ; ponamque
concilium Tridentinum esse legitimum. Nonne Scoti sententiade
meritis operum promissionem divinam supponens, ibi est defi-
nita ^ , et nihilominùs tamen praevalet, quee communior vocatm*
Gibboni de IJurgos in lutliero-calvinismo suo schismatico qui-
dcm, sed reconciliabili, doctrina Vasquesii?
Consonam esse judicat vir illustrissimus et suam et meam sen-
tentiam de formulis coinpellandi Sanctos, quomodolibet conceptis,
intercessionaliter explicandis, concilio Tridentino. Eo tamen non
obstante, notorii sunt circa hune cultum abusus, de rjuibus non
solùm Germania' princeps Ilassiacus Ernestus, ex relbrmato factus
romano-catholicus, in suo vero, sincero et discret© catholico per-
quàm libéré conquestus est in facie totius Ecclesiœ ; sed et , cùm
querelœ illœ Ronue nondùm sint exauditœ, scriptor alius Ger-
manus libellum edidit sub titulo : Monitorum salutarium Beatœ
Virginis Mariœ ad cultores sut indiscretos. Trii)uituris Domino
Adamo Widelkcls Jurisconsulto Coloniensi, prodiitquc anno \(M'i,
Gandavi, auctoris romano-catbolici auspieiis, postquàm in publi-
cationem libelli consenserant J. Gillemanus sacrae theologiae li-
centiatus et archipresbyter librorumquc censor , Godofredus Mo-
lang, Wernerus Franken, Ilenricus Patricius, Job. Folcb, doc-
tores Colonienses , imo ipse Petrus de Walembourg episcopus
Mysiensis, suffraganeus Coloniensis, Paulus Aussemius, ejusdem
arcliidiœcesis vicarius in spiritualibus. Eumdem librum postmo-
dùm recudi fecit et caloulo suo comprobavit in Belgio gallico il-
lustrissimus dominus Episcopus Tornacensis.
Synodi septimae , qua3 Nicœna II vocatur, auctoritas , ut in eâ
t Vide Sent. Mcld. Epùc, n, 3! , ubi soluta est objectio.
EXPLICAÏIO ULTERIOR, EXCERPJA. 59
contineantur egregia qusedam , data occasione merito citanda ac
laudanda , in dubium tameii merito vocaiiir, cùm maxima pars
Occidentis ei contradixerit. Sanè , quœ de imaginilRis decrevit,
excusari fortassè possuiit, certè per omnia laudari admodùm non
possunt. Undè etiam factum ut , in sjnodo Francofurtanâ, cui tre-
centi circiter Galliœ, Germania^ et Italiaî episcopi interfiiere,
Nica^num illud II fuerit iniprobatum. Non ignoro quidem qiiid
obtendat Alaniis Copus, eumque secutiis Gregorius de Yalentià,
lib. II, deldololatrià, cap. vu, « quasi Fraiicofurdiana illa synodus
non damnaverit hanc Nicœnam, (jiiœ vu vulgo vocatui', sed aliam
pseudosynodum iconomacliorum. » Yi autem veritatis adactus,
pro communi sententià tôt vetermia auctoritatibus roboratà stat
Bellarminus, libro ii, de Imafjinibus Sanctorum, capite xiv, his
verbis : « Auctores antiqui omiies conveniunt in hoc, quod in con-
cilio Francofurdiensi , sit reprobata synodus vu, qua? decreverat
imagines adorandas. îta Hincmarus, Aimonius, Rliegino, Ado et
alii passim docent, Dicere autem lios omnes mentiri, vel libros
eorum esse corruptos, ut Alanus Copus dicit, \àdetur milii paulo
durius. »
Dissimulare intérim ego non possum Francofurtanam hanc
synodum processisse longiùs quàm par erat , sententiamque
Grsecorum in Nica?no II, de adoratione imaginum, in duriorem
partem accepisse, qua* commodam forte interpretationem admi-
sisset, idque factum occasione versionis latinee actorum dictae
illius synodi, quam ex collatione cum textu grœco, minus fidelem
esse cui vis vel obiter inspicieiiti patebit.
Ad verba illustrissimi domini Episcopi : « Dm^a conditio, ne
provocetm" ad décréta concilii Tridentini vel aliorum in (juibus
protestantium dogmata smit condemnata * . » Esto dura , sed
quantô duriùs exigi à nobis quippiam contra conscieiitiam, quod-
que patratum teternâ nos sainte excludat, et œteriiœ damnaiionis
reos faciat? Iterùm dico, si, cpiemadmodùm nonnulla ab illustris-
simo domino Episcopo , multa etiam à me producta in médium,
per methodum expositoriam smit concilial)ilia, ita per eamdem
methodum expositoriam ostendi queat, salvo concilio Tridentino,
* Nuni. 44.
60 DISSERT. SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
manere possc protestantes in suà sententià^ verhi o^ratià. de prœ-
cepto [comnumionis siib utràque, rati haberi possc ordinationes
eonini luictenùs faetas^ et si quœ sunt alia in Tridentino sub luia-
themate credi jussa, nec protestantibus probata, tmie cesset
sequestratio dicti concilii, utpotè cujusanathematanos non feriant.
(Juôd si autem methodus expositoria ad bos siniilesve articulos se
non exteudat , aiit concedenda nobis erit desiderata secpiestratio,
aut pacis tractatus habebit suum fmem. Implicat enim contradic-
tionem manilestam, protestantes reimioneni qiiaerere euni Ecclesià
Romanà salvà conscientiâ , et eos tamen, pro obtinendà rounione
obbgari ad probationem concilii Tridentini decernentis, verbi
gratià, conuminionem sul) utràquc specie à Christo non esse
prœceptani;, cùni tamen illam pra^ceptam esse statuant, et per-
suasi sint, veritatem haiic agnitam et probatam, sine certaî dam-
nationis pericnio negare se non posse.
Onod tamen non ita capiendiun ac si conciliormn verè œcunie-
nicorum anctoritati derogare fpiippiam ego velim. Nequaquàm
Tridentini suspensioneni ant sequestrationem peto, (fiioniam
nostris [ne (piidem pro legitimo , nednni o^cnnienico babetnr.
(JuiUidô itaque protestantes profitcniiu' se nlranique speciem à
Christo prcBceptam firmiter credere, faciiuil lioc innixi argumente
suprà proposito; in eàque suà sententià niirum in moduni confir-
m;uitur, quôd videant in nullo légitime concilio contrarium esse
definilum , seque certes esse, in nullo tali concilio contrarium
défini tum iri. Sanè si Ecclesià in conciliis certo et indisputabUiter
a-cunieuicis, (rualia sunt . onmium partiuin consensu, IVica-num,
Constant inopolitana tria, Clialccdoncnse et Ephesinum, decidisset
contrarium, dulDium non est, (p.iin contraria illa decisio i'uisset
pra^ponderatura. Quemadmodùm autem persuasi smit invariatir
Coufcssioim Ajifjustanœ secii, nmiqucàm fore ut legitimum mii-
versale concilium statuât praesentiam cerporis Christi in cœnà
esse tantùm figuratam, ita persuasi etiam sunt, nun(|uàm fore ut
tal(^ concilium statuât, usum spccierum esse indifferentem ; è
([uibus sc(]uitm' posse ha^c due stare simul : firniiti'r porsuasuni
esse de aliquà sententià, et tamen aucteritati legitimorum conci-
liorum se submitlerc. Nam qui de suà sententià tirmiter est per-
EXPLICATIO ULTERIOR, EXCERPTA. 61
siiasiis, et propter Ghristi promissionem legitimum conciliuni
supponit in fide errare non posse, is non potest non firmiter esse
persuasus dedsionem talis concilii senlentiœ sua^ essefavituram.
Ad viri illustrissimi numerum xi.viii , postulatum illustrissimi
ac reverendissimi domini Episcopi conceditur, applicatio concedi
non potest : neque enim protestantes ullius concilii extra contro-
versiam legitimi et œcumenici décréta rescindi postulant. Nicœ-
nuin secundum recusavit magna pars Occidentis : Latina illa
Lateranensia , Lugdunensia, Constantiense, Basileense, Florenti-
num, ut aliataceani, Oriens non agnoseit, et inter ipsos doctores
Occidentis denonnullislitigatur, pro])antibus Gallis Constantiense
et Basileense , quod Romanae Curia:' non probatui*. Tridentino et
Oriens et magna pars Occidentis , non postliminio dmitaxat , sed
durante adhuc illius celebratione, ex sonticis causis contradixit.
Uuidquid igitm' hic oljjicitur, facilem liaberet solutionem, si ad
bas disputationes descend ère velimus. Cùm autem fiximi sit
apud protestantes se pacem contra conscientiam cuni dispendio
salutis mmquàm esse quœsituros, cessai disquisitiouis illius neces-
situdo. Si ostendere poterit expositoria metliodus vibratos in
Tridentino anatliematismos non ferire protestantes , res foret
longe facilior : quod nisi fiat, et vel miicus, tractis quamlibet
reliquis omnibus in bonum sensum^ supersit articulus su!) ana-
themate credi jussus ; est conscientia? nostrœ , sive rectœ , si\T,
insuperabiliter erroneae adversus^ communio, verbi gratià, sub
utràquC;, quam à Christo prœceptam esse sumus persuasif tniR"
sensus communis dictitat, vel seponendum esse concilium Triden-
tinum , vel omnem de pace tractationem fore irritam. Fac enim,
auctoritatem dicti concilii in ordine ad protestantes non seponi,
sed in valore suo perraanere, tune ex illius decreto credere, et
contrarium sentientes anatliematis reos arbitrari tenebuntiu",
commmiionem sub utràque à Christo non esse pra^ceptam, cùm
tamen eam à Cln'isto pra^ceptam in conscientia suà sint couAicti,
et in scliismate mori innoxiè , quàm agnitœ huic veritati c^t liino
dependenti amicitia'divina^renmitiare malint, meniores illius verb
dominici : « Yos amici mei estis, si feceritis quœ pra-'cipio vol)is '„»
1 Joan., XY, 14.
62 DISSERT. SUR LA REUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE
De talibus ergô ne cogitandum quidem nobiscum acturis cum
fructu; mirorque illustrissimum ac reverendissimum dominiim
Episcopum, virum caïterà aiqiiissimum , in largiendo Germanis
calice et seponendo Tridentino tam esse difficilem ; cùm hœc duo
inter prima praesulum Germanicorum, quibuscum ego hactenùs
egi, oblata fuerint, quœ ipsi nobis, nondùm talia petentibus, certè
lanien petituris^ provisionaliter , quantum in ipsis, suà sponte
largirentur, largienda certè extra omnem dubitationis aleam
collocarent.
Ad numerum u, agnoscit reverendissinms et illustrissimus do-
minus Episcopus anatbematismos Ephesinœ synodi, à sancto
Cyrillo suggcsto.s , postmodùm fuisse suspensos, nec à Joanne
Antiocbeno eju.sque sequacibus, etiam post factam roconciliationem
fuisse agnitos. Qmmto faciliùs idem eoncedi poterit de anathema-
tismis Tridentinis, in quibusdam Ecclesiae Romanae regnis et pro-
vinciis, nec in bunc usque diem, bonà fide, et per publicam
magistratùs civilis declarationem receptis, et contra quasdain
(jua^stiones vel scholasticas vel plane otiosas , hoc est , nullam
christianismi praxim regulantibus aut regulare idoneis, vibratis :
ex quorum numéro est , controversia de valore Baptismi Joan-
nitici , quam in praxi nuUius esse valoris , satis indè patet, quôd
nemo à sancto Joanne baptizatus supersit, cui scrupulus suboriri
queat, rite fuerit baptizatus necne.
Ibidem ad verba tcrtium excmplum : maximi profeclo momenti
est exemplum, quod ex divite anticpiitatis suae ecclesiasticaî penu
suppeditat nobis illustrissimus dominus Episcopus de Gregorio
Magno et quintà synodo , cujus auctoritas , permittente romano
Pontifice, apud Longobardos aceipere illam detrectantes, dubia
mansit atque suspensa. Nam licèt nihil ea synodus novi définisse
concéda tur, nonid tamen in qua'stione est hàc vice ; sed hoc dis-
quiritur , quomodô cum illis agi queat, ut pertinaces atque adeo
haeretici non videantur, qui synodum aliquam, verbi gratiâ,
Tridentinam , œcumenicam esse tantà rationis specie non agnos-
cunt. IToc itaque exemplo admisso, etiam novè à synodo sive ad
fidem sive ad personas pertinentia definita, synodum illam, banc
ipsam ol» causam non agnoscentes, pro liaTcticis œnuê haberi
EXPLICATIO ULTERIOR, EXGERPTA. 63
non poterunt. Fatendum intérim ad suspensionem perveniri faci-
liùs, ubi de personis tantùm agitur.
Ad niimerum liv^ Graecos paiilo ante concilium Lugdimense II
cessisse in iis, quee ipsis cum Latinis erant controversa, nesoio an
satis planiim sit. Esto autem admittatur ( quod proptereà facio non
gravatim, quialiffc de Tridentini auctoritate disputatio cordi mihi
non est , tam firmiter quàm de qnàvis Euclidœà demonstratione
persuaso , aut seponendnm esse Tridentimim^ aut in cassiim nos
laboraturos) : esto, inquam, admittatiu"; quôd si fiât, eô magis
mii'um erit, niliiltale ah eis ipso in limine exactum, cùm Ferraria?
et Florentiœ in unam synodum convenirent ; eôcfiie magis consi-
deratione dignum est, et ad rem nostram pertinens, quôd apparent
lugdunense illud concilinm, quoad Grsecos, à Latinis, intuitunovi
habendi concilii, in suspenso fuisse relictum. Ergô non est contra
modum agendi catholicum , concilium , vel integrum , vel ejus
partem in suspenso relinqui. Sed haec obiter.
Ad numéros Lxn et Lxm : ^r^ô,inquis, conclamatwn ipads
negotium. Hsec objectio est valdè rationabilis, responsioque nu-
méro Lxin et sequentibus quibusdam nimieris data , et bona est,
et moderata, et christiano praesule dignissima', quse hùc redit :
ad manus itaque sumendam methodum expositoriam, et videndum
an dogmata controversa, explicatione dilucidà et declaratione
commodà, componi possint. Ubi quidem censet vir optimus, usque
adeo totum jam processisse negotium, ut declarationis hujus arti-
cules plurimos eosque gravissimos, non aliis quàm meis verbis
contextiu'um se spondeat. « Adducantm*, addit,etiam tridentina
s^iiodus, Augustana Confessio, aliique lutheranorum libri sym-
liolici, utriusque partis fidei testes, » etc. Optimè ; ad viam pacis
sternendam conducere talia certissimum est ; ada^quatam verô
esse methodum illam expositoriam, et ad omnes articulos contro-
versos ita se extendere , ut non opus sit largiri quœdam protes-
tantibus, nec opus habeant sive romano-catholici sive protestantes
articulorum quorumdam revocatione, id credo ne ipsum quidem
<licturum virum illustrissimum.
Ad numerum lxiv et reliquos in génère quaî tcrtiam scripti
hujus partem constituuut : cùm illustrlssimus et reverendissimus
64 DISSERT. SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
dominus Episcopus hàc in parte metliodi suée expositoriae vires
experiatur, etpercoimuodaiii interprotationem concilii Tridentini,
nostrorumque libroruin s>mbolicoruiii, id fecerit quod doctissimus
Angiiai cancellarius Baco de Verulamio, iu libro suo, de Augmen-
Us Scientiarum iiiter desiderata tùra temporis collocavit, pro
insigni illà operà laboranti, et iii partes, proli dolor ! scissa3
Ecciesiae Christi prœstità, ipsius illustrissimi et revereudissimi
charitati gratise merito sunt agendse. Sed et ego cimiulandis
observât ioiiibus jam supersedere et reecptui canere possim , nisi
occuiTereiit nomiulla in quibus mentein meam, forsitan quôd
illam non satis clarè exposuerim, in omnibus assecutum haud
esse videri queat. Quibus breviter ostensis, nihil superest, nisi
appendix de concilio Tridentino et horum laborum nostrorum
Iructus, messis puta uberrinia, articulorum liactcnùs contre ver-
soruni inter partes, qua? per methodum expositoriam commodas-
que déclarât iones, ad minimum inter nos, per Dei gratiam aut
jam smit composili, aut componi queant.
Quœ enim hoc in loco de concilio Tridentino vir reverendissi-
mus ex professo in médium protulit, ea non mihi, sed nobilis-
simo domino Leibuizio nostro sunt opposita, ad qute cùm is
dubio procul sit responsurus, ego niliil reponam, nisi paucula
quaedam liistorica, nullo alio fine, nisi ut hinc évadât manifes-
tum nihil ini(pmm i)(>stulari à protestantibus, quandô petunt se-
questrationem concilii ïridcntini.
Ad ea quœ numéro ci et sequentilius ad finem usque continen-
tm- domino Leibnizio opposita, nihil ego repono, mimn pro
nostrà intentione argumentum in médium producere contentus ;
quod concilium, etiam (pioad doctrinam, non in omnibus Kccle-
siis romano Pontifici subjectis, auctoritate publicà est receptum,
et in (pio protestantes vel plané non, vel non sufficienter smit
auditi, illius sepositionem si urgent protestantes, concordi;« stu-
diosi, nihil petunt absm'di aut iniqui : atqui concilium Tridenti-
num, etc. Ergô, etc.
Major est manifesta. Ut enim de prima ratione nihil dicam ,
solacertè secmid.i foret sufficiens ad rejectionem, nedùm seposi-
tionem aut suspensionem anathematum talis concilii; cum sit
EXPLICATIO ULTERIOR, EXCERPTA. 65
nullitas manifesta, sententiam pronuntiare contra réuni, qui cùm
audiri cupiat, vel plané non, vel non sufficienter sit auditus. Auc-
toritatis publicse de industrià facio mentionem in majore; cùm
aliud sit recipi concilium, et décréta ejus pro veris liaberi à prœ-
latis et clero reliquo, aliud sit recipi auctoritate publicà , quod in
regnis fit per decretum régis ^ in arcliiepiscopatibus et episcopa-
tibus, per synodum provincialem , minimum diœcesanam.
Minor probatur quoad prius membrum : quia in Germaniâ
concilium illud nondùm est universaliter receptum. In jNlogmi-
tinâ certè diœcesi sub quà tanquàm suffraganei stant episcopus
Argentoratensis, Augustanus, (Àuiensis, Eistatensis, Herbipolen-
sis, Hildesheimensis, Spirensis, Paderbornensis , Yormatiensis et
alii, receptum non esse hoc concilium , docuit me dominus Lei-
bnizius iioster, sic ab ipso electort» et arcliiepiscopo Moguntino
Joanne Pliilippo principe maximo edoctus, cui in juventute suâ
fuit à consiliis. Undè etiam fieri putatur, quod iimitius apostolicus
in Germaniâ, nunquàm in diœcesi Moguntinâ, quce aliàs citra
controversiam prima est in nostro Imperio, sed constanter in
Coloniensi resideat , cujus arcliiepiscopi et electores , cùm ante
tempus concilii Tridentini in hune usque diem ferè seniper fue-
rint Bavaria? duces, in Bavarià autem dictum concilium solem-
niter sit receptum, ego indè colligo aut minimum prœsumo , in
Coloniensi diœcesi id publicà auctoritate receptum fuisse. Recor-
dor etiam Moguntinos, quoties iUos desiderium invadit celebrandi
sjiioduiii provincialem, qualis licentia à Curià Romaiià segrè so-
let impctrari, obtentui interdùm sumpsisse, quùd operam dare
velint, in tali synodo, ut concilium Tridentinum auctoritate pu-
bhcà in totà diœcesi recipiatur. Sed ha;c obiter.
Cardinalis Pallavichius, Histoiiœ concilii Tridentini, lib. XXIV,
cap. xietxn, sollicite congerens eos, qui concilii auctoritatem
agnoscentes, solemniter illud receperunt , et in ditionil^is suis
promulgare fecermit, non ausus est nominare nisi regem llispa-
niariim Philippum, Venetos, provincias Austriacae famihae hsere-
ditarias, (>t Poloniain. De Germaniâ promitlit caput xii, § iv, se
amplissimè dicturum : reverà autem §xi, aut iiibil dicit, praeter-
quàm quod in Cœ.saris provinciis -hsereditariis Tridentinum sit
TOM. XVIII. 5
66 DISSERT. SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
receptum, aut si per alias catholicas provincias etiam Mogunti-
nam diœcesim intelligit, quod res est, non dicit.
Yideas hinc in Gernianià, decreto, verbi gratià^ de non ducendâ
uxore nova, superstite adultéra, quod in Florentino prudenter se-
positum, in Tridentino, Grœcis inauditis, audaoter definitum, in-
super liabito, ad secimda interdùm vota transiri, ejusque trans-
gressores nihilominùs in Ecclesià Romanà tolerari, et ad confes-
siones et Eucharistiam admitti. Colonelli locum tenentem in exer-
citu suo habet serenissimus Elector noster. cni nomen Bollin-
court, noljilem Alsaticum, Ecclesiae Roman* seriô aliàs addicUim.
Is quoad thorum et mensam ab uxore adultéra in Alsatiâ per sen-
tentiam absolutus, bîc apud nos Hannovpra\, ante sex vel septem
annos, duxit abam, et post fata secunda?, tortiam insuper, su-
perstite in hune usque diem prima uxore adultéra. Rogatus à
nje qui fiat quôd sacris non excluderetur à suis, post banc pu-
bbcae legis violationem, respondit id indè esse, quôd Tridenti-
nnm in GermaTiià non ul>itpit' sit receptum , atcpie adeo faotum
suum improbari à suo quidem confessionario quôd concibi ana-
thematismis faveat, sed tolerari.
Sed nec in Gallià, per decretum abcujus régis, à Parlamento
verificatum, unquàm fuisse receptum conciUum Tridentimim
equidem hactenùs fui persuasus. Non desmit, qui arbitrantur, in-
qiiit ilhistrissimus et reverendissimus Episcopus, nnm, ci, « sy-
nodum Tridentinam in Galba non esse receptam ; sed id intelli-
gendum de solà disciplina, non autem extendendum ad firmam
et irrefragabilem regulam fidei. » Sanè, distinctionis bujus factà
mentione nuUà, Pallavicinus negat à Gallis recei)tum esse Triden-
tinum, libro XXIY , capite xi , per totum. Esto autem, si non in
Gallià, alibi certè valere distinctionem banc, patet indè , quœdam
décréta Tridentini, ad disciplinam putà pcrtinentia posse seponi,
salvà auctoritate débita conciliis in universuni, Quidni ergô liceat
petere protestantibus suspensionem anatliematum ejusdeni Tri-
dentini, contra dogmata super quibus ne auditi quidem sunt?
An concilium Tridentinum auctoritate X)ublcà in Gallià sit re-
ceptum necne, facti quœstio est, de quâ, cum tanto viro, qualis
est iUustrissimus dominus Episcopus fidem debeam derogare
EXPLICATIO ULTERIOR, EXCERPTÂ. 67
causas nihil suppetit. Postquàni autem niillum hactenùs diploma
regium prodiit in lucem, publicse illius receptionis testis^ post-
quàm insuper à negantium parte stat ipse cardinalis Pallavici-
uus, in nequiorem spero parteni non accipiet vn" optimus, si ad
modum dubii, cujus solutionem petere liceat ^ proponantur, quee
de eàdem recenset, qiiisquis is est, qui sub ficto nomine Pétri
Ambruni ad Veteris Testamenti criticam Ilistorlain P. Simonii
respondet, editionis Gallicœ Simoniana? Roterodamensis de anno
1689, pag. 9, verbis sequentibus.
« Quelque grande que soit son érudition ( loquitur de Pâtre Si-
monio), je crois qu'il auroit de la peine de faire voir que les déci-
sions du concile de Trente sont généralement reçues dans toutes
les églises, puisqu'on n'y sait pas même s'il y a eu mi concile de
Trente. Ce concile môme , qu'on nous veut faire croire être la
pure créance de l'Eglise , n'est point reçu en France ; et ainsi
on n'a aucune raison de nous le proposer comme une règle, à
laquelle nous devons nous soumettre aveuglément. Je sais qu'on
répond ordinairement à cela qu'il est reçu pour ce (jui regarde
les points de la foi, bien qu'il ne soit pas reçu dans les matières
de discipline ; mais cette distinction, dont tout le monde se sert
est sans aucmi fondement , parce qu'il n'a point été reçu plutôt
pour la foi que pour la discipline. Si cela est, qu'on nous pro-
duise la publication de ce concile , ou un acte qui nous montre
qu'il a été véritablement reçu et publié. Car, selon les règles du
droit, un concile ne peut faire loi, s'il n'a été publié. Il n'y a pas
encore beaucoup d'années que dans une assemblée du clergé de
France, on délibéra pour présenter une requête au Roi, afin que
ce concile fût reçu, quant à ce qui regarde la foi seulement ; mais
quelques délibérations que les prélats aient faites là-dessus, la Cour
n'a jamais voulu écouter leurs requêtes. Il n'y a eu que la Ligue
qui le publia dans Paris et dans quelques autres églises de France,
sous l'autorité du duc de Ma}enne. Je demande donc au Père Si-
mon où il prendra sa tradition? Sil me dit : Dans l'Eglise, ce
mot est trop général : s'U ajoute que l'Eglise a décidé dans Itis
conciles ce qu'on devoit croire, je le prie de me mar(]uer dans
quels concUes ? Nous venons de voir que le concile de Trente n'o-
C8 DISSERT. SUi\ LA RÉUNiON DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
blige en conscience, de tous les François , que les seuls ligueurs
qui Font reçu. »
î\Iinor probatur, quoad secundum membrum ex illustrissimo
Tliuano, Eistoriœ siiœ libro VIII, ad annum 1551, editionis Fran-
cofui'tensis , fol. 380. « ^Ymiembergiei legati Tridentum ve-
niunt, sub exitum seplcmbris, Theodoricus Pleningerus et Jo-
liaimes lïeclitinus, ijiiibus maiidatum erat, ut (îonfcssionem scripto
comprehensam publiée exliiberent, eô venturos theologos dice-
rent, modo ipsis juxta concilii Basileensis formulam idoneè cave-
retui\ Cùm Monfortiuin comitem Csesaris legatum couvenisscnt,
et exhibito diplomate, quid in mandatis haberent exposuissent,
ille, ante omnia legatum pontificium ipsis adeundum persuadere
conatur. Yerùm ii veriti, si cum legato pontificio rem commmii-
cassent, ne eo ipso, jus illi ac prœcipuam cognoscendi auctorita-
tem tribuere viderentur , magno fortassè suœ causée praejudicio,
suspenderunt judicium , dùm datis ad ducem Wuriembergicum
litteris, quid fieri in eo vellet, ex ipso intelligercnt. Intérim à
Wmiembergico litteraî venermit; sed seriùs, quàm ut ad vi kal.
decembris, ut jubcbantur, in consessu publico Confessio exliiberi
posset. Igitur legati cardinalem Tridentinum adeunt,'quôd Mon-
fortius abesset, et pro communis patria^ cliaritate et amicitià, qua^
ipsi cum principe suo intercedebat, ut publiée audiantur, postu-
lat. Ille, re cum legato pontificio communicatà, litteris etiam man-
dati, ut majorem fidem faceret , exlvil)itis, renmitiat indignari
legatum pontificium, xjuôd ((ui doctrina^ regidam et modmn ac-
cipere humiliter at(]UP olttemperare deberent, scriptum ullum ol-
ferre, et majoril)us sese (juasi pra^scribere ffuidrpiam auderent.
Ita legatos ad Franciscum Toletanum remittit, k quo variis ludi-
ficationibus, extracto tempore, dùm intereà etiam Argentinenses
à Guillelmo Pictavio ]">ari arte (^luderentur, nibi] eo anno impe-
trari ab ipsis potuit. Pontiîex sub id tempus tredecim cardinales,
omnes Italos créât, tutum potentiaî suœ munimentum, quod à
(îermanisacHispanisepiscopisac theologis sibi metueret, ne cùm
de moinim emendatione ageretm', auctoritati Pontiticis detrahi
paterentur. » Hactenùs ille.
Cùm ita(pie reliqui in Germaniâ protestantes, ex boc specimine
EXPLICATIO ULTERIOR, EPILOGUS. fiO
satis animadverterent, qiiid sibi sperandum à tali conciliO;, in qiio
insuper nihil à Patribus ibidem congregatis, sed « omnia magis
Romae quàm Tridenti agebantur, et qiiee pul)licabantur magis
Pii IV placita quàm concilii Tridentini décréta jure existimaban-
tur, » uti liabent verlia oratorum Caroli IX christianissimi Gal-
liarum régis, demmtiantium, et mense septemb. anno 1363 quàm
solemnissimè protestantium, « cjiia^cumque in hoc conventu, hoc
est, solo Pii nutu et vohmtate decernebantur et publicabantm-,
ea, neque regem christianissimum probaturum, neque Ecclesiani
(iallicanam pro decreto œcumcnici concilii habituram; « hinc
factum ut plerique electorum, principum, et statuum Imperii
protestantium in tali concilio comparere detrectantes , commimi
deniquè consensu librum ediderint, quo causas reddunt répudiât!
concUii Tridentini, cujus exemplaria cùm sint in onmiuin manu,
exscribere hîc nihil attinet.
Possem, corollarii loco, adjieere judicia de concilio Tridentino,
virormii in Ecclesià Romanà doctissimorum , putà Edmundi Ri-
cherii, Claudii Espenceei, Andrese Duditii Episcopi.Quinqueccle-
siensis, Imiocentii Gentiletti, Polani Suavis à Josseratio haud ita
pridem gallicè versi, et contra Pallavicinum vindicati, ac Csesaris
Âquilii libro de Tribus Ju'storieis ronciUi Tridentini , ad quem de
la Mothe-Josserat sœpè provocat ; sed talibus ad hominem argu-
ments pugnare non est meum.
EPILOGUS.
Deo gratias. Scribi cœptum in cœnobio meo Luccensi tempore
Quadragesimali , et utcumrp^iè al)Solutum in ÎTebdomadà sanctâ,
pridiè festi Paschatis, salutis verô anno 1693, quando ad Vesperam,
ex Breviario sancti nostri Ordinis Cisterciensis , in hune modum
oratur.
« Spiritum nobis , Domine , tuse charitatis infmide, ut ([uos pas-
chalibus sacramentis satiasti , tuà facias pietatc concordes , per
Dominum nostrum Jesum Christum Filium tuum , qui tecum vi-
vit et régnât in unitate ejusdem Spiritùs sancti Reus, per omnia
ssecula si'oculorum. Amen. »
70 DISSERT. SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
Revisum deinceps Haimoverse, in bibliothecâ meâ, et non-
nullis in locis auctum, quibusdam etiam correctum, mense junio.
Descriptum mense julio, et ad fmem perductum ipsis calendis aii-
gUSti, M, BC. XCIII.
Benedicarnus Domino. Alléluia.
Deo gratias. Alléluia, alléluia.
NOUVELLE EXPLICATION
DE LA MÉTHODE QU'ON DOIT SUIVRE
POUR PARVENIR
A LA RÉUNION DES ÉGLISES
ku sujet des lléflexions également savantes et modérées, que M. l'évêque
de Meaux a bien voulu faire sur cette Méthode.
PAR MOLANUS, ABBÉ UE LAKKUM.
PROLOGUE.
J'ai lu et relu avec un singulier plaisir les Réflexions, que M. de
Meaux, prélat aussi célèbre en Allemagne qu'il l'est en France,
a daigné faire sur mes Pensées j^articulières au sujet de la mé-
thode qu'on peut employer pour parvenir à la rémiion. Je ne
pouvois rien attendre que d'excellent de l'auteur de V Exposition
de la Doctrine catholique, dont rou\Tage a eu l'approbation d'un
grand nombre d'évêques, d'archevêques, de cardinaux, et enfm
du défmit pape Imiocent XI. J'ai été tellement satisfait des Ré-
flexions de M. de Meaux, qu'après les avoir lues avec toute l'at-
tention possible , je n'ai point balancé à faire des vœux ardens
pour la conservation de ce savant évèque; et j'ai prié le Seigneur
de prolonger les jours d'un prélat si bien disposé, si éloigné de
NOUVELLE EXPLICATION, PROLOGUE. 71
tout esprit de parti , et qui cherche de si hoinie loi la vérité et la
paix.
Il examine, dans les premières parties de son ouvrage, la mé-
thode que je propose, qui lui paroît sujette à heaucoup de difïï-
cultés, et même impraticable en quelques points. Cela ne me sur-
prend pas : je m'étonne, au contraire, que nous soyons si parfai-
tement d'accord, non sur tous les chefs, ce que je n'ai jamais dû
espérer, mais pourtant sur le plus grand nombre.
Car quand je considère les difTérentes méthodes employées jus-
qu'à présent par ceux qui de part et d'autre ont voulu travailler à
la rémiion, je trouve que les mis pleins de zèle, mais sans science
et sans expérience , ont ou exigé sans détour des rétractations
de leurs adversaires, ou tâché de les amener doucement à ce point,
en employant des discours pompeux, de belles paroles et des rai-
sonnemens ajustés avec art, au moyen desquels ils retenoient
d'ime main ce qu'ils sembloient donner de l'autre : que d'autres
supposant comme avoué ce que leurs adversaires contestoient ,
ont bâti sur ce fondement de vains projets de conciUation : que
d'autres ont fait illusion aux simples, en débitant de ces maximes
vagues qu'on peut appliquer à tout , et de ces grands lieux com-
muns sur la paix, qui ne renferment que des mots, et rien de
plus : que d'autres enfui ont cru qu'un ton impérieux en impose-
roit à leurs adversaires , qui n'oseroient refuser d'admettre des
projets de conciliation qu'ils verroient défendre avec autant d'ar-
deur que s'il s'agissoit de toute la religion. Ces difTérentes mé-
thodes, loin de procurer la paix, n'étoient propres qu'à faire
naitre de nouveUes contestations , parce qu'en général on s'écar-
toit du droit chemin, et que l'on s'engageoit sans nécessité dans
des circuits qui n'avoient point d'issue.
Il paroît, tout bien examiné, que ce seroit travailler en vain
que de suivre ces mêmes routes. J'ai donc cru devoir m'en frayer
une autre. Le sérénissime duc de Brunswick et dcLmiebourg,
Jean-Frédéric, catholique romain, à qui je souhaite toutes sortes
de prospérités, est le premier qui m'ait fourni l'occasion d'entrer
dans cette carrière : je m'y suis ensuite engagé par les ordres de
mon sérénissime souverain Ernest-Auguste, de Brmiswick-Lmie-
72 DISSERT. SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE,
bourg, électeur de Saxe ; et j"ai discuté les matières^ en la pré-
sence de Dieu, pendant l'espace de sept mois avec un illustre
prélat d'Allemagne [a] .
L'épreuve que nous avons faite de l'inutilité des méthodes em-
ployées par les controversistes modernes, m'a prouvé que je de-
vois en prendre une autre , qui pourra paroître nouvelle à cause
du nouvel usage que j'en fais, mais cpii pourtant a son fondement
dans l'antiquité la plus respectable. J'ai donc songé sérieusement
à suivi'e une route dans laquelle personne n'avoit encore marclié, et
je me suis enfin convaincu, par l'examen du fond des choses, que
si de part et d'autre on ne veut rien faire contre sa conscience ,
et que si les protestans veulent conserver dans leur entier des
dogmes que la loi de Dieu leur défend d'abandonner, ils ne peu-
vent se réimir avec l'Eglise romaine {ju'en suivant cette méthode
ou quelque autre semblable. S'il arrivoit contre nos espérances
que l'Eglise romaine se rendit difficile à ses anciens enfans , qui
ne lui demandent rien que de juste, nous n'aurions dès lors au-
cune espérance de parvenir à la paix , et il ne nous resteroit plus
qu'à laisser à Dieu le soin de la procurer , sans craindre d'être
coupables du crime de schisme, puisqu'il nous sufhroit, pour
tranquilliser nos consciences et nous mettre à l'aliri du schisme,
d'avoir fait toutes les avances qu'il nous étoit permis de faire.
Dans ce cas, le crime du schisme retoiïdieroit sur ceux qui, de
leur plein gré et malgré nos soUicitatious, auroient refusé de
faire ce qui dépendoit entièrement d'eux.
L'excellent ouvrage de M. l'évèque de Mcaux, dans lequel j'ai
trouvé beaucoup à m'instruire, m'a pleinement confirmé dans
l'opinion où je suis, qu'il faut traiter l'affaire de la réunion sui-
vant le plan que je propose ou un autre semblable. En faisant une
déclaration précise sur ce sujet, je ne fais (pie manifester le té-
moignage intérieur de ma conscience.
Cependant je ne prétends pas qu'il ne soit utile et même néces-
saire d'employer la méthode de Y Expos f lion, que Tillustre prélat
propose avec beaucoup de netteté dans la troisième partie de son
ouvrage. Son livre de V Exposition de fa Doctrine catholique m'a-
' (a) Ghristoplie, évèirue de Neusfa'lt.
NOUVELLE EXPLICATION, PROLOGUE. 73
voit fait coimoître, il y a longtemps , l'avantage de cette méthode ;
je suis même convaincu que si la méthode de l'Exposition satis-
faisoità tout, et que s'il étoit possible de prouver, en l'employant,
que l'Eghse romaine entend tous les articles de nos controverses^
définis par le concile de l'rente sous peine d'anathème , dans im
sens qui lève de part et d'autre toutes les difficultés, ce seroit faire
injiu-e à Dieu et à l'Eglise que de ne se pas empresser de prendre
cette méthode, puisqu'elle seroit de beaucoup préférable, je ne
dis pas à la mieime, mais à toutes celles dont on s'est servi jusqu'à
présont. En effet il n'y am'oit plus de demandes à faire, d'assem-
blées à tenir, de négociations secrètes à traiter avec le Pape, avec
l'Empereur et avec les plus puissans prmces : il ne faudroit plus
parler ni de suspendre le concile de Trente, ni d'assembler mi
nouveau concile. Tout cela deviendroit inutile , dès qu'on pom--
roit prouver clairement que nos docteurs ont mal pris le sens des
décrets de Trente, et qu'ils ont faussement imputé aux cathoh-
ques des erreurs qui ne lem* sont jamais venues dans l'esprit. Ce
que je dis est si évident , que si je mettois ce raisomiement en
forme de syllogisme, la majeure paroitroit aussi incontestable
que l'axiome le plus certain ; mais la mineure souffre beaucoup
de difficulté. J'avoue néanmoins qu'on peut, par la méthode de
Y Exposition , conciher beaucoup de questions agitées avec feu de
part et d'autre depuis un siècle et demi ; et que même un grand
nombre ont été conciliées par M. l'évêque de Meaux, tant dans
son livre de Y Exposition , etc. que dans l'excellent ouvrage que
j'ai actuellement devant les yeux, comme je le ferai voir à la fin
de cet écrit.
J'ajoute que, pour satisfaire au désir d(^ notre invincible et
pieux Empereur, j ai concilié avec l'aide de Dieu, en employant
cette méthode, cinquante points des plus importans de nos contro-
verses, dans un autre écrit, dont j'ai envoyé une partie à Vienne.
Mais je ne crois pas que personne, sans en excepter le savant au-
teur de Y Exposition, etc., o:-^e dire que tous les points contestés
Vntre Rome et nous puissent sans exception être conciliés par
.cette méthode. 11 ne s'agit donc pas, entre nous, de savoir si la
méthode de Y Exposition est bonne et excellente (il y auroit de
74 DiSSERT. SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
l'injustice à n'en pas convenir ) ; mais il s'agit de décider si elle
est toujours suffisante, et si l'on peut l'appliquer à tous les points
de nos controverses ; de sorte qu'il ne soit pas nécessaire que le
Pape ait la condescendance d'en abandonner quelques-uns , que
les protestans ne croient pas pouvoir* rétracter en conscience,
et d'en renvoyer quelques autres à la décision d'un concile légi-
time. Je dirai naturellement, dans la suite de ces observations ,
ce que je pense sur cet article , et je tâcherai de résoudre en même
temps au moins une partie des difficultés que le savant prélat a
formées contre ma méthode. Plaise à Dieu, le souverahi maître
delà paix, de me faire contribuer à la construction du sanctuaire
de la concorde. Si je ne puis donner de l'or , de l'argent , de l'ai-
rain , de l'hyacinthe , de la pourpre , de l'écarlate , qu'au moins
je fournisse des poils de chèvre, afin de faire voir de mon mieux,
suivant mes foibles talens, combien je souhaite de venir au se-
cours de l'Eglise , et par là de me justifier pleinement du crime
de schisme, crime tout à fait opposé, selon la doctrine de saint
Paul, à la cliarité chrétienne.
EXTRAIT DE CETTE NOUVELLE EXPLICATION.
Des conciles œcuméuiques engéjicral, et on particulier du concile de Trente.
Je dis en général au sujet des conciles généraux légitimement
assemblés , soit qu'il y en ait seulement cinq ou un plus grand
nombre, que Jésus-Christ assiste son Eglise dans tous les siècles,
et qu'il ne permettra jamais que l'Eglise universelle définisse
dans un tel concile rien qui soit contraire à la foi ; mais cela n'em-
pêche pas (|ue les erreurs et les abus ne prévalent (pielquefois.
Supposons le concile de Trente légitime , et qu'il a décidé en fa-
veur du sentiment de Scot [a] sur le mérite des bonnes œuvres,
sentiment qui suppose une promesse de la part de Dieu, cela
n'empêche pas que la doctrine de Yasquez ne soit devenue la plus
commune, comme Gilbert de Burgos • l'observe dans son Luthero-
Calvinisme.
(a) Molauus répète ici une objection que M. de Meaux avoit réfutée dans son
Ecrit lalin, n.30. J'y renvoie le lecteur. [Edit. de Leroi.)
1 De l'ordre des ermites de saint Augustin, professeur dans l'université d'Er-
ford.
NOUVELLE EXPLICATION, EXTRAITS. 75
M. de Meaux croit que son sentiment et le mien , sur les for-
mules (l'invoquer les Saints', quon doit toujours entendre, de
quelque façon qu'elles soient conçues , dans le sens d'une simple
intercession ;, est conforme aux décisions de Trente; et cependant
combien y a-t-il d'alnis notoires sur ce culte [a) ! Le prince Ernest
de liesse, qui de luthérien s'est fait catholique romain, se plai-
gnit hautement de ces abus à la face de toute l'Eghse , dans son
Catholique véritable, sincère et discret; mais comme Rome n'a-
voit aucun égard à ses plaintes, un autre écrivain allemand pu-
blia im livre sous ce titre : AxVÎs salutaires de la sainte Vierge à
ses dévots indiscrets. On attribue cet ouvrage à M. Adam Widel-
kels, jurisconsulte de Cologne. 11 parut à Gand en 1G73, par l'au-
torité d'un catholique romain, et muni des approbations de J. Gil-
lemans , hcencié en théologie , archiprêtre et censeur des hvres ;
de Geoffroy ^Nlolang ; de Werner Franken ; d'Henri Patrice , et de
J. Folch, docteurs de Cologne. On y voit même celles de Pierre
de Walembourg, évêque de Mysie, suffragant de Cologne, et de
Paiû Aussemius , archidiacre et grand vicaire de la même viUe.
M. l'évèque de Tournay [h] a depuis autorisé cet ouvrage, en le
faisant imprimer dans la Flandre françoise.
Le vn" concile, cpi'on nomme communément le n*" de Nicée,
contient d'excellentes choses ; c'est pour cela qu'on le cite dans
l'occasion, quoiqu'on puisse d'ailleurs révoquer en doute son au-
torité, puisqu'une grande partie de l'Occident refusa de le recon-
noître. J'avoue qu'on peut peut-être excuser ses décret sur les
images; mais je soutiens qu'on ne peut pas les approuver tous
indistinctement. Aussi ce concile fut-il rejeté par celui de Franc-
fort, composé d'environ trois cents évêques françois, allemands et
italiens. Je sais qu'Alain Copus, et après lui Grégoire de Valence ^
prétendent (jne « ce fut un certain faux concile des iconomaques,
et non le n' de Nicée, autrement appelé le vu" concile, que con-
»N. XXXVIII. — *- Greg. de Val , De idoL, lib. II, c. vu.
(a) Lorsqu'une pratique est bonne et qu'où eu abuse , il faut demander qu'où
corrige les abus. Au reste ou abu^e des meilleures choses , de l'Ecriture et des
sacremens; mais les abus u'autori;,ent jamais à faire schisme, comme M. Bossuet
l'a prouve dans tous ses écrits de controverse. [Edit. de Lerot.)
(b) Clioiseul du Plessis-Pra.-liu. •
76 DISSERT. SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
damnèrent les Pères de Francfort ; » mais le sentiment commun
est si certain et appuyé sur tant de témoignages anciens, que
Bellarmin n'a pu s'empêcher de' l'embrasser. Voici ses paroles :
« Tous les auteurs con\deiment que le concile de Francfort rejeta
le vu" concile, parce qu'U. avoit décidé qu'il falloit adorer les
images. C'est ce que disent flincmar, Aimoin, Rliéginon, Adon et
d'autres. Il me paroi t dur de dire avec Alain Copus, ou que ces
autem's mentent, ou i[ue lem's livres ont été falsifiés '.
Je ne puis cependant disconvenir que le concile de Francfort
n'ait été trop loin. Il prit, dans le sens le plus rigoureux, la doc-
trine établie par les Urecs du n" concile de Nicée sm* l'adoration
des images, qu'on pouvoit interpréter favorablement. Le concile
de I^'rancfort devoit rccourii* au texte grec du concile de Nicée,
et ne s'en pas tenir à la version latine, dont l'inexactitude est pal-
pable [n).
Je viens à ce (pie dit M. Tévêque de Meaux, que « les protes-
tans exigent ime condition ])ien diu'e, en demandant qu'on ne
fasse point usage des décrets du concile de Trente, et des autres
conciles qui am'oient condamné lem's dogmes '-. » La condition est
dure, je l'avoue; mais il seroit encore plus dur de vouloir nous
obliger à des choses qui seroient contre notre conscience, et que
nous ne pourrions faire sans risquer notre salut éternel , et nous
rendre dignes de la damnation. Je le répète, s'il est possible de
faire voir par la méthode de Y E/ position ., connue M. de Meaux
et moi l'avons déjà fait sur mi grand nombre d'articles, que les
protestans peuvent, sans donner atteinte au concile de Trente,
demeurer dans leurs sentimcns, et croire, par exemple, qu(5 la
comnnmion sous les deux espèces est de précepte, que les ordi-
nations qu'ils ont faites jusqu'à présent sont valides, et ainsi des
1 Bellarm., 1. 11. De inuuj., c. xiv. — "- N. XLiv.
[a] Ce que dit Molanus, que le concile de Francfort n'avoitpas pris les décrets
<lu Vil [«concile dans leur véiitablo sens, résout absolument sa difficulté; et je
in'étoiuK! ([u'uu honune si habile ait pu ijisister sur mie objection qui se détruit
d'elle-même. Vn\ (îoucile n'est ctmsc œ(;uméuique que quand les églises catho-
liques ont concouru à le rendre tel par une approbation authentique de ses dé-
crets, soit pendant ou après sa tenue. Ainsi le premier concile de Constantinople,
<'.omposé des seuls Grecs, devint œcuménique par rapi>iobation postérieure des
églises d'Occident. [Edit. de Leroi). • >
NOUVELLE EXPLICATION, EXTRAITS. 77
autres points, dont le concile de Trente exige la croyance sous
peine d'anathènie , et qui ne sont point approuvés par les protes-
tans; dès lors il ne faut plus parler de suspendre le concile, puis-
que ses anathèmes ne portent pas contre nous ; mais s1l est im-
possible de concilier ces articles et d'autres semblables par la
méthode de Y Exjiosition , il faut ou nous accorder la suspension
du concile, ou renoncer à toute négociation de paix. Car il est
visible que ces deux propositions sont contradictoires : les pro-
testans se rémiiront avec TEglise romaine, sans rien faire contre
lem* conscience; et cependant, pour parvenir à cette rémiion, ils
seront obligés d'approuver le concile de Trente, qui décide, par
exemple, que Jésus-Christ n'a pas fait un précepte de la commu-
nion sous les deux espèces, quoiqu'ils soient intimement convain-
cus que cette communion est de précepte, et qu'ils ne peuvent
nier une ^^érité si manifeste et si solidement établie, sans s'exposer
à la damnation éternelle [a] .
Il ne s'ensuit pas de là que je veuille diminuer en rien Tautorité
des conciles vraiment œcuméniques. Si je demande qu'on suspende
et qu'on mette à l'écart celui de Trente, c'est que, bien loin de le
croire oecuménique, nous ne le tenons pas même pour légitime.
Ainsi lorsque les protestans font profession de croire fermement
que Jésus-Christ a commandé la communion sous les deux espèces,
ils fondent leur croyance sur les raisons qu'on a dites ; et ce qui
contribue beaucoup à les confu^mer dans leiu' sentiment, c'est
qu'ils voient qu'aucun concile légitime n'a décidé le contraire, et
([u'ils tiemient pom' certain qu'aucim concile , qui aiu'a ce carac-
ière, ne le décidera. En effet si l'Eglise avoit décidé dans mi con-
cile indubitaljlement œcuménique, tels que le sont, de l'aveu de
tous les partis, le premier de Nicée, les trois de Constantinople,
celui de Chalcédoine et celui d'Ephèse, le contraire de ce que pré-
tendent les prot(!stans, il n'est pas douteux que cette décision ne
dût l'emporter. Mais les défenseurs de l.i Confession d'Augsbonrg,
{a) Molanus incidente et insiste sur un point particulier de peu d'iuiportauce
au fond, de l'aveu même de Luther, et sur lequel il seroit facile de se concilier,
si les lutliériens vouloieut rcxauiiner ,sans prévention. Voyez l'Ecrit latin de
M. Bossuet, n. lxxxi; sou Traité de la Cornmiunon sous les deux exi'èces , et sa
Di'fense de ce Traité.
78 DISSERT. SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE,
dont la doctrine est invariable, sont aussi convaincus que jamais
im concile vraiment œcimnénique ne décidera qu'il est indifférent
de recevoir une ou deux espèces, qu'ils le sont que jamais un tel
concile ne décidera que Jésus-Christ dans la Cène est seulement
présent en figure. Il résulte de là qu'on peut être fermement per-
suadé de la vérité d'mie doctrine , et cependant se soumettre à
l'autorité des conciles légitimes. Car celui qui croit fermement
que son sentiment est vrai , et qui d'ailleurs est bien convaincu
qu'en vertu des promesses de Jésus-Clirist un concile légitime ne
peut errer sur les points de foi , celui-là ne peut pas ne pas tenir
pour certain qu'un tel concile décidera toujours en faveur de ce
qu'il croit [a).
On accorde à M. l'évêque de Meaux sa demande ', mais on ne
peut lui accorder Tapplication qu'il en fait; car les protestans
n'exigent pas qu'on annulle les décrets d'aucun concile, reconnu
pour incontestablement légitime et œcuménique. Une grande par-
tie de l'Occident a rejeté le second de Nicée, et TOrient ne recon-
noît pas ceux de Latran, de Lyon , de Constance, de. Bâle et autres
tenus par les Latins. On dispute même en Occident sur plusieurs
de ces conciles. Les François comptent, parmi les conciles géné-
raux, ceux de Constance et de Bàle, que la cour de Rome n'ap-
prouve pas. Quant à celui de Trente, tout l'Orient, auquel ime
grande partie de rOccident s'est jointe, s'y est opposé pendant
sa tenue et depuis , en fondant cette opposition sur des raisons
très-solides [/)).
Il me seroit aisé de répondre aux difticultés qu'on fait sur ce su-
1 N. 48.
(«) Bossuet a dit, dans son Traité de la Communion et dans sa Défense, pour-
cpioi l'Eglise ancienne n'a rien décidé dans ses conciles touchant la commuuiou
sous une ou sous deux espèces; c'est qu'il n'y avoit point de contestation sur ce
sujet, et que d'ailleurs le point étoit décidé par la pratique constante depuis
l'origine du christianisme. [Edit. de Leroi.)
[h) Le concile de Constance est reconnu pour œcuménique à Rome même ,
comme M. Bossuet l'a prouvé dans sa Défense des (juatre articles, liv V, et dans
sa Dissertation intitulée : Galliaorthodoxa. Le même M. Bossuet prouve, ihid.,
liv. VI , que les premières sessions du concile de Bàle sont universellement re-
çues dans l'Eglise catholique. Quant au concile de Trente, les Grecs schisma-
tiques le rejettent pour les mêmes raisons que les protestans Les raisons des
protestans étant renversées par Bossuet, celles des Grecs ne subsistent plus.
( Edit. de Levai ).
NOUVELLE EXPLICATION, EXTRAITS. 79
jet , si je voiilois entrer dans cette discussion ; mais cela devient
inutile , dès que les protestans refusent tout accommodement , qui
se feroit aux dépens de leur conscience et en mettant leur salut en
danger. L'accord seroit beaucoup plus fticile, si Ton pouvoit foire
voir, par la méthode de Y Exposition, que les anathèmes de Trente
ne tombent point sur les protestans ; mais c'est en vain qu'on don-
nera un sens favorable à la plupart des articles , s'il en reste im
seul que le concile ordonne de croire sous peine d'anathème , et
que nous ne croyions pas pouvoir admettre en conscience, soit
ffue nous ayons raison, ou que notre conscience soit invincible-
ment erronée ; tel qu'est par exemple , l'article de la communion
sous les deux espèces, que nous croyons être de précepte. Le bon
sens dicte que dans ce cas, tout projet de conciliation s'en ira en
fumée, si l'on ne met à l'écart le concile de Trente. En effet si l'au-
torité du concile de Trente ne peut être suspendue à l'égard des
protestans, il faut donc qu'ils croient, conformément à ses décrets,
que Jésus-Christ n'a point ordonné la communion sous les deux
espèces , et que ceux qui pensent autrement sont frappés d'ana-
thème, quoiqu'ils soient intimement convaincus que Jésus-Christ a
ordonné de commmiier ainsi, et qu'il vaut mieux pour eux mourir
dans un schisme, dont ils ne sont pas coupables, que de renoncer à
cette vérité connue et à l'amitié de Dieu , qui dépend de leur per-
sévérance à la défendre , suivant cette parole du Seigneur : Vous
serez mes amis, si vous faites ce que je vous cominande^ .
Si l'on veut donc traiter efficacement avec nous , il ne faut pas
même songer à exiger de telles choses ; et je suis d'autant plus
surpris que M. l'évêque de Meaux, si équitable dans tout le reste,
fasse tant de difficulté d'accorder aux Allemands la coupe et la
suspension du concile de Trente, que ces deux articles nous ont
été offerts dès le commencement par les évêques d'Allemagne ,
avec lesquels j'ai traité. Ces évêques, en prévenant nos demandes,
et en nous accordant d'eux-mêmes par provision ces articles au-
tant qu'il dépendoit d'eux , ne doutoient pas le moins du monde
que nous ne dussions les obtenir [a).
^Joan., XV, 14.
{(i) Ou l'abbé Molanus n'r. pas pri? le vrai sens des avances faites par des pré- '
80 DISSERT. SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
M. de Meaux con\dent ' que les anathématismes dressés par
saint Cyrille et approuvés par le concile dEplièse , furent suspen-
dus de manière que même après la réunion Jean d'Antioche et les
évêques de son parti ne les admirent pas. A combien plus forte
raison peut-on accorder la suspension des anathématismes de
Trente , puisque des provinces entières et des royaumes de l'E-
glise romaine ne les ont pas encore reçus nettement , en les fai-
sant publier par l'autorité des cours séculières , et que d'ailleurs
ils sont quelquefois lancés au sujet de certaines questions, ou pu-
iNiim. 51,
lats allemands, ou il n'a pas bien entendu ce que JI. de Jleaux propose dans son
Eciil latin. Ce piélal met expressément l'usage du calice au nombre des choses
que les protestans peuvent obtenir de l'Eglise romaine; et il consent que, dans la
discussion des dogmes, le concUe de Trente ne soit point cité en preuve, mais seu-
lement comme le témoignage des sentimcns de l'Eglise romaine; ce qui est
mettre clairement le concile à l'écart et le suspendre par rappoit aux protestans.
Car il cousent qu' on ait pour eiLx la même condescendance que l'on eut pour
Jean d'Antioche et pour les évoques de son paiti,qui s'étoient séparés du con-
cile d'Ephèse ; pour Théodclindc , reine des Lombards , qui ne vouloit pas
reconnoitre le ¥•= concUe;iiour les calixtins, qui refusoient de se soumettre
aux décisions du concile de Constance, etc. Voyez l'Ecrit lalin, n. L. et suiv. Il
est vrai que M. de Meaux ne prétendoit point déroger à l'autoiité du concile
de Trente, quoiqu'il consentît de ne le pas faire valoir contre les protestans
dans l'examen des dogmes qu'ils contestoient , comme saint Augustin ne pré-
tendoit pas déroger à l'autorité du concile de Nicée , lorsqu'il s'engageoit à ne
pas employer ce concile contre Maximiu. Voyez ce que dit sm- cela M. Bossuet,
dans sa Défense de la Tradition et des SS. l'ères,]iv. Il, chap. xix, et dans la
note mise à cet endroit, et encore dans la Dissertation intitulée : De Pro/essori-
ùus, etc., part. 1, chap. v. M. Molauus ne pouvait rien exiger de plus du savant
prélat , saus l'obliger à renoncer aux principes universellement reçus dans la
communion romaine. Il est encore vrai que M. de Meaux, eu mettant l'usage
du calice au nombre des choses hidifférentes, que l'Eglise l'omaine pouvoit
accorder aux protestans , vouloit que ceux-ci reconnussent que la communion
sous les deux espèces n'étoit pas de précepte , et qu'une seule esf)èce sufiisoit
pour faire une conmiunion entière ; et certainemeut il ne pouvoit aller plus loin
sans renverser les principes de sa propre Eglise. Il n'est pas vraisemblable que
les prélats allemands aient prétendu en accorder davantage; et ces mots : In
laryiendo calicis uni et seponendo Triderdino , dont se sert l'abbé de Lokkum,
n'expriment au fond que ce que M. Bossuet ofTroit aux luthériens sm- ces deux
articles. Le lémoiguage M. de Leibniz, qui ne peut être suspect, ne permet pas
de soupçonner l'évéque de Neustadt d'avoir été plus loin que M. de Meaux sur
l'article de la suspension du concile de Trente. Voici les ];iaroles de M. de Leibniz
dans une lettre à madame de Biinon, qu'on trouvera dans la 11"= jiaitie de ce
recueil : « il faut rendre cette justice à M. de Neustadt , qu'il souliaiteroit fort
de pouvoir disposer les protestans à tenir le concile de Trente pour ce qu'il
.le croit être; c'est-à-dire pour imiversel, et qu'il y eût moyen de leur faire
voir qu'ils ont lieu de se contenter des expositions, etc. » Je conclus de là que
l'évéque de Neustadt n'avoit pas d'autres principes que M. de Meaux, et tra-
vuilloit sur le môme plan à l'ouvrage de la réunion. [Edit. de Lero:. )
NOUVELLE EXPOSITION, EXTILUTS. 81
rement scolastiques , ou tout à fait inutiles , lesquelles ne règlent
point, et même ne sont pas de nature à pouvoir régler la conduite
des chrétiens ; telle qu'est , par exemple, la question de la validité
du baptême de saint Jean. Pour faire voir l'inutilité de cette ques-
tion , il suffit d'observer que n'y ayant plus personne au monde
qui ait reçu le baptême de saint Jean, personne par conséquent
ne peut être inquiet de la validité de son baptême [d] .
Le troisième exemple que M. de Meaux tire de l'antiquité,
dont il aune si parfaite connoissance, est très-important. Le voici.
Saint Grégoire le Grand suspendit , à l'égard des Lombards , le
cinquième concile qu'ils refusoient de recevoir*. Il est ATai que ce
concile n'avoit rien défini de nouveau ; mais ce n'est pas ce dont
il s'agit ici : il s'agit seulement d'examiner comment il faut s'y
prendre , afin que ceux qui fondés sm' de boimes raisons, ne veu-
lent point recoimoître mi certain concile , par exemple celui de
Trente , pom* œcuménique , ne soient pas regardés comme opi-
niâtres et hérétiques. Or l'exemple proposé prouve qu'on ne peut
regarder comme hérétiques ceux qui refusent de recevoir un cer-
tain concile à cause de ses nouvelles décisions , soit sm* la foi ou
sm* les personnes. J'avoue toutefois quïl est plus facile de sus-
pendre un concile dont les décrets ne roulent que sur les per-
sonnes.
Je ne sais si ce que M. de Meaux dit des Grecs * est bien prouvé,
qu'un peu avant la tenue du second concile de Lyon , ils s"étoient
rendus sur tous les articles contestés entre eux et les Latins; mais
je n'ai point de peine à supposer le fait, parce que je n'entre pas
volontiers dans la dispute sur l'autorité du concile de Trente,
étant aussi convaincu que je le serois d'mie démonstration d"Eu-
clide , que nous travaillons en vain , si l'on ne convient pas de la
suspension des décrets de ce concile. Je suppose donc le fait tel
qu'on le dit , et je n'en suis que plus surpris de voir qu'on n'ait
rien exigé de semblable des mêmes Grecs, quand on les admit à
Ferrare et à Florence comme membres d'un même concile avec
1 Num. 44.
(a) Voyez la lettre de JI. de .Meaux sur l'autorité du coucile de Trente, seconde
partie de ce recueil, lettre XL, où il résout cette difficulté proposée par Leibniz
dans sa réponse à M. Pirot. (Noie de Leroi. )
TOM. xvni. 6
82 DISSERT. SI R LA RÉU.MON DES PROTEST. D'ALLEMAGNE
les Latins. Cette dernière circonstance est très-importante pour
notre question , et mérite d'autant plus d'être bien pesée , qu'il
paroit que les Latins , qui se proposoient de tenir un nouveau con-
cile, consentirent à suspendre celui de Lyon par rapport aux
Grecs ; ce qui prom e qu'il n'est pas contre les maximes des ca-
tholiques de suspendre un concile en tout ou en partie. Cela soit
dit en passant [a] .
« L'affaire de la réunion, direz-vous, est donc sans ressource? »
M, de Meaux se propose cette difficulté \ à laquelle il fait une
réponse bonne, modérée et digne d'un prélat chrétien. EUe con-
siste à dire qu'il faut en venir à la méthode de VEjcpositioîi , et
examiner si l'on ne peut pas concilier les points qui nous divisent,
par des éclaircissemens et par des déclarations. Il trouve que
l'affaire est déjà si fort avancée, qu'il s'engage à dresser une dé-
claration de doctrine sur un très-grand nombre des principaux
points, composée de mes propres paroles. « Ou'on prenne, ajoute-
t-il, le concile de Trente d'une part, et de l'autre la Confession
d'Augsbourg et les autres livres symbolicpies des luthériens, qui
sont les garans de la doctrine des deux partis, etc. » Cela est
très-bon pour acheminer la paix ; mais je ne crois pas que l'il-
lustre prélat , lui-même , prétende que cette méthode satisfasse
à tout , qu'on puisse l'appliquer à tous les articles de nos contro-
verses; de sorte qu'il ne soit point nécessaire de rien accorder
aux protestans, et qu'il ne faille pas, que ni les protestans ni les
catholiques révoquent aucun point de leur doctrine.
La troisième partie de l'ouvrage de M. de JVIeaux ' est employée
à faire un essai de la métliode de V Exposition. Ce prélat, en in-
terprétant favorablement le concile de Trente et nos livi'es sym-
boliques, a trouvé ce que le savant Bacon de Vérulam, chancelier
d'Angleterre, disoit dans son livre de Avgmentis Scientiarum,
qu'on n'a voit point encore trouvé de son temps. On ne peut trop
remercier cet illustre évêque de sa charité, qui le porte à rendre
» Num. 02, 63.-2 ajuiu. 64 et seq.
(a) Toutes ces difficiilti^s s'évanouissent , parce qu'elles ne sont bâties sur
rien, dès qu'on fait attention que M. de Meaux consentoit à ne pas faire plus
d'usage des décrets de Trente contre les protestans , que saint Augustin n'en
faisoit de ceux de Nicée contre les ariens. (Edit. île Lerot.)
NOUVELLE EXPOSITION . EXTRAITS. 83
dans cette occasion un semce signalé à l'Eglise de Jésus-Christ,
déchirée par le schisme. Je pourrois finir ici mes observations,
s'il ne se trouvoit quelques endroits de mon écrit, dans lesquels,
faute apparemment de m'ètre bien exprimé , M. de Meaux ne
paroîtpas avoir saisi ma pensée. Cela étant fait en peu de mots, il
ne me reste plus qu'à parler du concile de Trente, et à considérer
le fruit cpi'on peut tirer de nos travaux, puisque par la méthode
de V Exposition il se trouve que beaucoup d'articles, qui jusqu'à
présent ont fait l'objet des disputes de part et d'autre, sont heu-
reusement conciliés, ou le peuvent être aisément, au moins entre
M. de Meaux et moi.
Ce que l'illustre prélat dit sm' le concile de Trente ' , est moins
contre moi que contre M. de Leibniz. Comme je ne doute point
que M. de Leibniz n'y réponde, je me contente de faire quelques
observations historiques , dans la seule vue de prouver que les
protestans ne sont point injustes, lorscjii'ils demandent la suspen-
sion du concile de Trente.
Je me borne doni^ à ce seul argiunent, pour répondre à ce que
le prélat dit contre M. de Leibniz, à la fui de son écrit. Les pro-
testans modérés n'exigent rien d'injuste et de déraisonnable , en
demandant qu'on mette à l'écart un concile qui n'a pas été reçu,
même quant à la doctrine, par l'autorité publique dans toutes les
églises soumises au Pontife romain , et dans lequel les protestans
n'ont pas été pleinement et suffisamment entendus : or ces deux
choses sont vraies du concile de Trente : donc, etc.
La majem'e de ce syllogisme est évidente. Car pom' ne rien dire
du premier grief, le second suffit pour autoriser, non-seulement
à suspendre les anathématismes d"im concile , mais même à le
rejeter tout à fait, puisqu'une sentence prononcée contre un accusé,
qui demande d'être entendu et qu'on refuse d'entendre pleine-
ment et suflisamment, est manifestement nulle. Je parle dans ma
majeure de l'autorité publi([ue, parce que autre chose est qu'un
concile et ses décrets soient reçus par les évèques et par le reste
du clergé , autre chose qu'ils le soient par l'autorité puliliquc ; je
veux dire dans les royaumes par des décrets émanés du prince,
1 Num. toi et seq.
84 DISSERT. SUR LA REUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
et dans les archevêchés et évêchés pai* les s\Tiodes provinciaux
ou au moins diocésains.
La preuve de la première partie de la mineure se tire de ce que
le concile de Trente n'est pas encore universellement reçu en
Allemagne, au moins dans la province de Mayence, dont les
suffragans sont les évêques de Strasbourg, de Wirtzbourg,
de Wormes, de Spire, d'Augsbourg, d'Eichstet, de Constance,
de Hildesheim , de Paderborn , de Coire , etc. C'est un fait (jue
j'apprends de M. de Leibniz, qui le tient du prince Jean-Philippe,
électeur et archevêque de Mayence, dont il a été conseiller dans
sa jeunesse. On croit même que c'est pour cela que le nonce du
Pape, en Allemagne, ne fait jamais sa résidence dans l'électorat
de Mayence , qui est sans difficulté le premier de l'Empire, mais
dans celui de Cologne. Les archevêques électeurs de Cologne ont
presque toujours été tirés, dès avant le concile de Trente et depuis
jusqu'à présent, de la famille électorale de Bavière : or, comme le
concile a été reçu solemiellement en lUivière,j'en conclus, ou j'en
conjecture au moins, qu'il a été publié à Cologne par l'autorité
publique. Observez encore que quand les archevêques de Mayence
veulent tenir des conciles provinciaux , ce que la Cour de Rome
n'accorde jamais qu'avec peme,ils prennent pour prétexte de
travailler dans ce concile à faire recevoir celui de Trente dans
toute la province par l'autorité publique. C'est ce que j'ai cru
devoir faire remanjuer en passant {n) .
Le cardinal Pallavicin , qui fait une liste exacte de tous les
princes cpii ont reçu solennellement le concUe de Trente ' et qui
l'ont fait pubher dims leurs Etats, n'a osé nommer que Philippe II,
roi d'Espagne, les Vénitiens, les pays héréditaires de la maison
d'Autriche et la Pologne. 11 promet, il est vrai, de parler au long
de la réception du concde en Allemagne ; mais en effet, ou il n'en
dit rien, sinon qu'il est reçu dans les pays héréditaires de l'Empe-
reur ; ou s'il entend par les autres provinces catholiques, l'arche-
vêché de Mayence, il avance un fait contraire à la vérité.
> Hist. Conc. Trid., lilt. XXIV, cap. xi, xii; Ihid., cap. xii, u. 4; Ibid., n. M.
(a) L'auteur ne prouve ricii, {luisqu'il ne prouve pas, comme il l'avoit promis,
que le concile de ÎYente n'est pas reçu quant à la doctrine. (Edit. de Leroi.)
NOUVELLE EXPOSITION, EXTRAITS. 83
C'est pour cela qu'en Allemagne on n'a point d'égard à la déci-
sion mise prudemment à l'écart;, dans le concile de Florence, et
faite à Trente avec hardiesse , sans avoir entendu les Grecs, par
laquelle il est défendu de se remarier du vivant d'une femme
dont on s'est séparé pour cause d'adultère. On se remarie, dis-je,
en Allemagne malgré ce décret ; et l'Eglise romaine tolère ceux
f[ui le font, et même les admet à la confession et à la communion.
M. Ballincourt, gentilhomme d'Alsace et lieutenant-colonel dans
l'armée de notre électeur, est bon catholique romain ; cependant
ayant obtenu en Alsace mie sentence qui le séparoit de corps et de
biens de sa femme convaincue d'adultère, il se remaria à Hanovre,
il y a six ou sept ans ; et depuis, cette seconde femme étant morte,
il en épousa une troisième du vivant de la première. Je lui
demandai comment on pouvoit l'admettre dans son Eglise à la
participation des sacremens malgré l'infraction d'ime loi si authen-
tique, et il me répondit que son confesseiu, approbateur des
anathématismes de Trente , blàmoit sa conduite ; mais pourtant
qu'il la toléroit, parce cpie le concile n'étoit pas universellement
reçu en Allemagne [a).
(«) Leibniz , dans sa Dissertation contre le discours de M. Pirot, n. 17, pro-
pose la même difficulté qui , comme on va voir, porte à faux. Elle suppose que
le concile a condamné sous peine d'anatlième le sentiment des Grecs sur le
divorce pour cause d'adultère, ce qui n'est pas, l'anathème ne tombant , ni sur
les Grecs, ni sur ceux qui peuseroient comme eux, mais uniquement sm* les
luthériens, et sur ceux cpii, à leur exemple, « auroient la témérité d'accuser
l'Eglise d'erreur, lorsqu'elle enseigne, conformément à la doctrine de l'Evangile
et des apôtres, que le mariage ne peut être dissous par l'adultère de l'im des
deux époux.» {Conc. Trid., sess.XXIV, can. 7). Les termes du canon sont ex-
près, et l'intention du concile est certaine. On peut voii- dans Pallavicin et dans
Fra-Paolo (Pallav., 1. XXll, cap. iv, n. 17; Fra-Paol., lib. VIII), les raisons qui
déterminèrent les Pères de Trente à dresser le canon dans la forme où U est,
très-différente de celle, dans laquelle il avoit d'abord été proposé; et le P. le
Courrayer lui-même ne peut s'empêcher de reconnoître que « le concile ne fait
que justifier la pratique romame, sans condamner celle qui lui est opposée. »
(Note C6 sur le liv. Vlll de Fra-Paolo, tom. U, p. 68o.)
On n'a donc pas décidé hardiment à Trente ce qu'on avoit eu la prudence de
laisser indécis à Florence, comme M. Molanus le reproche. On a tenu dans les
deux conciles ime conduite uniforme. A Florence, les Latins reprochèrent aux
Grecs que leur pratique étoit contraire à cette parole de Jésus-Christ : « Que
l'homme ne sépare pas ce que Dieu a uni » {Matth., xix, G); ce qui n'empêcha
pas Eugène IV de dire, « que par la grâce de Dieu les deux Eghses ôtoient
unies dans une même foi : Dei beneficio suynvs in fide conjuncti (Tom. XV,
Conc. Labb., col. 526). A Trente, le concile déclare ce que l'Eghse enseiguoit
conformément à la doctrine de l'Evangile et des apôtres, et ue frappe d'à-
86 DISSERT. SUR LA REUNION DES PHOTEST. D'ALLEMAGNE.
J'ai toujours été persuadé que le concile de Trente n"a jamais
été reçu en I-'rance par un édit du roi, vérifié en parlement. « Il
se trouve des personnes, dit M. de Meaux', cj[ui croient C(ue le
concile de Trente n'est pas reçu en France, ce cpii n'est vrai qu'en
ce qui regarde la discipline et non la règle ferme et inviolable de
la foi. » Pallavicin ne fait point cette distinction, lorsfju'il dit indé-
finiment ipie le concile n'est pas reçu en Frmice. Mais supposons
' Ninii. 10!.
nathèiiie que conx qui taxout d'eirom- lo sontiinenl de l'Eglise : ce que le? Grecs
n'avoient jamais fait , et ce qui étoit le crime des luthériens.
« La décision du concile , dit le savaut abbé Renaudot {Pevpët. de lu Foi,
tom. V, p. 'i?i^], dans un ouvrage généralement approuvé, est très-prudente,
puisqu'elle juslilie la doctrine iincienne de l'Eglise , que les luthériens attaquoient
témérairenieut , saiis donner aucmie atteinte directi; ni indirecte à la pratique
des Grecs connue l'Eglise grecque, même depuis le schisme, n'a pas con-
danuié dans les Lalhis rojiinion qu'ils avoient que le lien du mariage n'étoit
pas rompu pour cause d'adultère, n
.\ussi >L Dossuet ne tonche-t-il pas à cette question dans sa réponse à
.'\1. Molanus; quoiqu'il y propose mie déclaration de foi, que les luUiériens doi-
vent donner à rf'glise pour rentrer dans sa ctinunuuion, et que dans cette dé-
claration il y ait un article sur le mariage. J^i quelques théologiens particuliers, si
M. Phot, comme l'assm-e M. de Leibni;;, a dit qu'après la définition du concile
de Trente et auprès de ceux qui h; tiennent pour <pcuménique , on ne sauroit
douter sans /nirésie de l'indissolubilité du lien du mariage nonobstant l'adultère,
il faut entendre ce tenue ù'/térésie d'une hérésie matérielle, qui consiste à sou-
leriir de boime foi un sentiment contraire à l'Ecriture et à la tradition, et non
d'ime hérésie formelle , dont on n'est coupable que lorsqu'on défend une doc-
trine condanniée par l'autorité et la concorde très-parfaiti' de l'Eglise univer-
selle; autrement la censure seroit excessive. En effet on voit, même depuis le
concile de Tieute, des conciles particuliers user de la même tolérance envers
les (îrecs. Dans deux synodes île l'archevêché de MoutréiU en Sicile , l'un tenu
en 1G38 sous le cardinal de Torres, et l'autre en 16uo, sous le cardhial Mon-
talto (Syn. Montereq. i, an. 1638, p. 8î, 2, ann. t6.'i3, p. 43, apud Renaud., ithi
xup., \). i.j2 , enlie plusieurs reproches qu't»n y fait aux Grec?, on n'eu voit point
sur le divdice ; et si dans le second on veut répiimer les abus auxquels la trop
grande facilité des divorces donnoit lieu, ou n'y dit rien de la cause d'adultère.
Les Pères se couteuteul de dire qu'ils ne doivent poiid approuver qu'on rompe
si facilement les mariages des (irecs et que, pour obvier à cet abus, ils déclarent
nulles les .séparations quant au lieu, faites sans jugement juridique et par une
autorité i)rivée. Tiun facile dii-imi iiiler conjuyes Grœcos matrimonia approôare
nulln modo deheuivj: ; ideàr/iw huciisque fartas separationes quoad vinculum extra-
judicialiter et aur.toritnte proprid, nullas fuisse atque irritas declaramus.
Il est donc manifeste que le coucilc de Trente n'a point proposé l'incUssolu-
hLlité du mariage pour cause d'adultère , comme nu article de foi. Par consé-
quent on l'accuse injustement d'avfiir profite de l'absence des Grecs pour pré-
cipiter une décision qu'on n'avoit pas votdu faire à Florence; et c'est sans fon-
dement qu'on prétend que ses décrets sur le dogme ne sont pas reçus par toute
l'Eglise, parce qu'il se trouve encore des f]tats catholiques où le divorce poin-
cause d'adultère est toléré. {Edit.de Looi).
NOUVELLE EXPOSITION , EXTRAITS. 87
que si l'on n'a point pensé à cette distinction en France, on s'en
soit servi ailleurs, il s'ensuit qu'on peut au moins suspendre les
décrets de discipline de ce concile, sans déroger en général à l'au-
torité des conciles. Cela étant, poiuquoi ne sera-t-il pas permis aux
protestans de demander qu'on suspende les anathématismes pro-
noncés à Trente, au sujet des dogmes sur lesquels ils n'ont pas
été entendus {a) ?
Rien ne m'oblige à disputer avec im prélat aussi illustre qu'est
M. deMeaux sur cette question de fait, savoir, si l'autorité puljlique
est intervenue en France pour y faire recevoir le concile de
Trente. Mais puisque jusqu'à présent il n'a pai^u aucun édit du roi
qui prouve ime acceptation authentique, et que le cardinal Palla-
vicin est un de ceux qui nient que le concile ait été reçu en France,
M. de ]\[eaux voudi'a bien me permettre de proposer comme un
doute, dont je demande l'éclaircissement, ce passage tiré d'une
réponse faite, sous le nom supposé de Pierre d'Ambrun, à V Histoire
critique du Vieux Testament du Père Simon. Je cite l'édition fran"
çoise de Roterdam, de Tan 1689, p. 9. « Quelque grande que soit
son érudition (l'autem" parle du P. Simon), je crois qu'il auroit
de la peine de faille voir que les décisions du concile de Trente
soient généralement reçues dans toutes les églises, puisqu'on n'y
sait pas même s'il y a eu un concile de Trente. Ce concile même,
qu'on nous veut faire croire être la pure créance de l'Eglise, n'est
point reçu en France; et ainsi on n'a aucune raison de nous le
proposer comme ime règle , à laquelle nous devons nous sou-
mettre aveuglément. Je sais qu'on répond ordinairement à cela
qu'il est reçu pour ce qui regarde les points de la foi, bien rpi'il
ne soit pas reçu dans les matières de discipline ; mais cette dis-
tinction , dont tout le monde se sert, est sans aucun fondement,
parce qu'il n'a pas été reçu plutôt pom* la foi que pour la disci-
pline. Si cela est, qu'on nous produise la publication de ce concile,
ou un acte qui nous montre qu'il a été véritablement reçu et pu-
(a) C'est, dit M. Bossuet, Ré/Iex., cliap. vu, n. 1, « qu'il n'en est point de la foi
comme des mœurs. Il peut y avoir des lois qu'il soit impossible d'ajuster avec les
mœurs et les usages de quelques nations ; mais pour la foi , comme elle est de
tous les âges, elle est aussi de tous les lieux. » Cette réponse est tranchante, et les
objections les plus spécieuses ne peuvent en affoiblir la force. (Edit. de Leroi.)
m DISSERT. SUR LA REUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
hlié. Car selon les règles du droit, un concile ne peut faire loi, s'il
n'a été publié. Il n'y a pas encore beaucoup d'années que dans
une assemblée du clergé de France , on délibéra pour présenter
une requête au roi, afin que ce concile fût reçu, quant à ce qui
regarde la foi seulement; mais quelques délibérations que les
prélats aient faites là- dessus, la Cour n'a jamais voulu écouter
leur requête. Il n'y a eu que la Ligue qui le publia dans Paris et
dans quelr[ues autres églises de France, sous l'autorité du duc
de Mayenne. Je demande donc au Père Simon où il prendra sa
tradition. S'il dit : Dans l'Eglise , ce mot est trop général ; s'il
ajout«^ que, l'Eglise a décidé dans les conciles ce qu'on devoit
croire, je le prie de me marquer dans quels conciles. Nous venons
de voir que le concile de Trente n'oblige en conscience, de tous
les François que les seuls ligueurs qui l'ont reçu {a). »
La preuve de la seconde partie de la mineure de mon raison-
nement est fondée sur ces paroles du célèbre historien de Thou,
sur rannéc iri,^)!. « Les envoyés, dit-il (ô), du duc de Wittenberg,
Thicrri P(>nninger et Jean Iletclin arrivèrent à Trente sur la fin
du mois de septembre. Ils avoient ordre de leur prince de pré-
senter publiquement une profession de foi qu'ils apportoient par
écrit, et de dire que lorsqu'on auroit donné aux théologiens de
leur p;iys un sauf-conduit, semblable à celui qu'avoit accordé le
concile de Bâle, ils ne manqueroient pas de venir. Après cela,
étant allés trouver le comte de Montfort, ambassadeur de l'Em-
(n) Ce raisonnemoiit iroit à prouver que le premier coucile de Nicée n'est
pas reçu ; car combien de chrétiens ne savent pas même s'il y a eu un concile de
Nicée! Pour ce qui est de cette acceptation authentique qu'exige le théologien
prolcntant, elli; est nécessaire pour les lois de discipline, et non pour celles de la
foi, qui<nc sont pas uniquement fondées sur la décision d'un tel coucile général,
puisque le concile ne peut rien décider sur le dogme que ce que la tradition a
appris d'âge en âge depuis les apôtres. Vouloir assujettir la foi à l'ordre judi-
ciaire et à des formalités, c'est l'avilir. On sait indépendamment de toute pu-
blication faite dans la forme judiciaire, qu'un concile est reçu par rapport aux
dogmes , lorsque toutes les égUses catholiques s'accordent à le citer dans les
occasions comme ayant une autorité que personne ne conteste, ni ne peut
contester. Or c'est ainsi qu'on cite le concile de Trente dans toutes les églises
catholiques. Ha pubUcation par des édits et déclarations des rpis n'ajouteroit
dmic qu'une formalité d'autant moins nécessaire , que les décrets de foi ne
dépendent point des ordonnances des princes séculiers.
[h) Thuan. 1. virt, fol. .'iSO. Edif. Francf. Nous copions la version de cette
histoire publiée en 1734.
NOUVELLE EXPOSITION , EXTRAITS. 89
pereiir, et lui ayant communiqué leurs ordres, le comte fut d'avis
qu'avant toutes choses ils vissent le légat du Pape ; mais comme
ils craignirent que leur conférence avec lui ne leur fût préjudi-
ciable, parce (ju'il eût semblé par là qu'ils reconnoissoient le
Pape pour leur principal juge, ils différèrent jusqu'à ce qu'ils
sussent l'intention de leur maître, à qui ils écrivirent.
» Cependant la dépêche du duc de Wittenberg arriva , mais
trop tard pour que ces ambassadeurs pussent présenter, selon
ses ordres, sa Confession de foi dans l'assemblée que l'on tint
le 25 novembre. Comme le comte de Montfort étoit absent, ils
s'adressèrent au cardinal de Trente, et le conjurèrent, par ce
qu'il devoit à leur patrie commune et par les liaisons d'amitié
qu'il avoit avec leur prince, de leur faire accorder une audience
publique. Le cardinal en parla au légat, et lui montra l'ordre
qu'avoient reçu les ambassadeurs, afm qu'il ajoutât plus de foi
à sa demande; mais le légat tint ferme, et leur fit répondre par
le cardinal qu'il étoit indigné de voir tpie ceux qui dévoient re-
cevoir avec soumission la règle de leur créance et s'y conformer,
osassent présenter aucun écrit, comme s'ils vouloient donner des
lois à ceux qui avoient droit de leur en imposer. Il les renvoya
ainsi au cardinal de Tolède, qui les amusa avec adresse pour
prolonger le temps. Guillaume de Poitiers, troisième ambassa-
deur impérial, en usa de même avec ceux de Strasbourg; les
uns ni les autres ne purent rien obtenir cette année. Le Pape
créa dans le même temps treize cardinaux tous Italiens, pour
être les soutiens de sa puissance, parce qu'il appréhendoit que
les évrques et les théologiens d'Allemagne et d'Espagne ne bles-
sassent son autorité , quand on souscriroit l'article de la réforma-
tion des mœurs. » Ainsi parle l'historien de Thon [a).
Les autres protestans d'Allemagne jugèrent par là ce qu'ils
avoient à espérer d'un concile dont les Pères qui le composoient
(a) Ce fait, en le supposant tel qu'il est rapporté par de Thon, ne prouveroit
rien autre chose, sinon que le légat eut peut-être tort dans une occasion [lar-
liculiùre , ce qui ne peut retomber sur tout le concile. D'ailleurs qui ne sait les
chicanes et les longueurs employées par les protestans pour lasser la patience
du concile? Après avoir promis cent et cent fois de se présenter au concile et y
avoir toujours manqué, ils ont mauvaise grâce de dire qu'on n'a pas voulu les
entendre. ( Edit. de Leroi. )
r»0 DISSERT. SUR LA RliUMON DES PROTEST. D'ALLEMAGNE,
n'avoient aucun pouvoii-, puisque tout se faisoit à Rome et rien
à Trente, et que les décrets qu'on y publioit étoient moins ceux
du concile que de Pie IV, comme le dirent les ambassadeurs du
roi très - clu-étien Charles IX, qui déclarèrent au mois de sep-
tembre 1503, dans une protestation solennelle, que le roi très-
chrétien n'approuveroit pas et que l'Eglise gallicane ne recevroit
pas comme décrets dun concile œcuménique , ce qu'on publioit à
Trente au gré du Pape et par sa seule volonté. En conséquence
la plupart des électem's, princes et Etats protestans de l'Empire,
refusèrent de venir à mi tel concile, et se concertèrent pour pu-
blier un écrit ' qui contenoit les raisons pour lesquelles ils reje-
toient le concile de Trente. Il seroit inutile de faire des extraits
de cet écrit , qui est entre les mains de tout le monde.
Je pourrois ajouter ici le jugement qu'ont porté du concile
de Trente des catholiques très-savaus, tels qu'Edmond Richer,
Claude dEspence, André Duditius, évèque de Cinq-I^^glises, Inno-
cent Gentillet, Era-Paolo, dont l'histoire a été traduite depuis peu
en françois pai' Josserat [a), qui prend sa défense contre Palla-
vicin , et enfin César Aquilius dans son livre des trois Histo?ie)is
(lu concile de Trente , que Josserat cite souvent; mais je n'aime
point à me servir de ces sortes d'argumens, qu'on appelle ad
hominem.
CONCLUSION.
Rendons grâces à Dieu. J'ai commencé cet écrit pendant le
Carême, dans mon abbaye de Lokkum, et je l'ai achevé dans la
Semaine sainte, la veille de Pâques de l'an 1 093, jour auquel, sui-
vant le bréviaire de Cîteaux, on dit cette oraison à Vêpres :
« Seigneur, répandez sur nous votre Esprit de charité , af ni
qu'après nous avoir rassasiés des sacremens de la Pàque, vous
nous fassiez la grâce d'établir entre nous la concorde. C'est ce
que nous vous demandons par votre Fils Jésus-Christ Notre-Sei-
gneur, qui étant Dieu, vit et règne avec vous dans l'miité du
même Saint-Esprit, pendant tous les siècles des siècles. Amen. »
' Méni. présenté à l'Empereur à la diète de Francfort.
i(i) De la Mothe Josserat est le même qu'Amelot de la Houssaye.
NOUVELLE EXPOSITION, CONCLUSION. fll
J'ai depuis revu cet écrit à HanoN're, et j'y ai fait quelques ad-
ditions et corrections au mois de juin : je Fai mis au net au mois
de juillet, et je l'ai enfui entièrement achevé le premier août
M. DC. xcui.
Bénissons Dieu, Alléluia.
Rendons grâces à Dieu, Alléluia [a).
(a) .Molauus accouipagna cet écrit de truis Dissertations latines, qui faisoieut
partie <ln grand ouvrage qu'il avoil envoyé à Vienne , dans lequel il [trétendoit
avoir concilié cinquante articles de nos controverses. Nous ne croyons pas
devoir grossir ce Hecw^il de ces trois Dissertations, qui sont fort longues, et
d'un latin dur et obscur, et qui d'ailleurs n'ont été envoyées à M. de Meaux
cpie coninie un échantillrm d'ui;i plus grand ouvi-age. Si les protestans d'Alle-
magne jugent à propos de publier l'ouvrage entier, nous le lirons volontiers, et
nous aiiplaudirons aux efforts faits par le savant auteur pour parvenir à la
réunion. En attendant, nous nous contenterons de donner les titres des trois
Dissertations trouvées dans les papiers de ]\1. de Meaux, et d'y ajouter en peu de
mots le sentiment du théologien luthérien sur les questions qu'il traite dans ces
Dissertations.
T'RIMA rONTROVER ?l .\.
De sfi'-rifi'n'o Mixs'e.
Non est realisjSed duutaxat verbalis.
?FXr.\ n.\ r.ONTHOVERSIA.
De rafùmr foDimli justifient ioim, sive in quo consistât juitifiratw Imminis perra-
toris corùm Deo.
f'ostquàm una pars aUeram uitellexit, non ampUûs realis , sed adeo verbalis
est, ut miruni videatur qui rieri potuerit, ut super tali qufestione preeter omnem
necessitatem inter paites lauto temporis intervallo fuerit pugnatum.
TERTL^ CONTROVERSlA.
De ahmluto certitudine converti 07111, pœuitentiœ, absolntionis, jidei, jiistifîcationix,
sanctifieafionis, deniquè salutis œiernœ.
l'artim nuUa nobis et cum rornanà Ecclesià controversia . partmi non realis,
fed dvmtaxat verbalis. ( Edit. de Leroi. )
92 DISSERT. SLR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
SUMMA CONTUOVEUSU:
DE EUCHARISTIA
Inter quosdmn rcHgiosoa et me.
AUCTOKE MOLA>'0 (ci).
Licèt pliulmi dicant Christum esse in hoc mysterio proiit sol
irradiât cubiculum, exibtimo tamen siniile esse dissimile, Solem-
que justitiae adesse non prœsentiâ virtutis solùm , quse est omni-
bus sacramentis et sacris cominunis, sed virtute pra^sentise per-
soiialis, includentis totuni Christum et tolmii Christi ; ita ut corpus
Christi in cœlo, in cruce, et in arà modaUter, non substantiahter
et numericè distinchim existât : in cruce modo naturah et cruento^
in cQ^lo visibili et glorioso, in altari modo invisiljili, incruento et
gratioso, sed semper idem corpus.
Cum itaque Ecclesi.v Orientahs et Occidentahs Patribus agnosco
realem alterationem significatam per terminos transmutationis ,
TRANSELEMENTATIOMS , TlUNSSL'USTANTlAïlONlS, qUOS GrSBCi CXpri-
munt per ueTouaiuaiv ; undè post verba Dominica congrue prolata,
significatur hoc tohmi virlute imionis reahter esse quod non
erat, adoral)ihs scilicet Jésus. Verùm cùm hîc visibiUa et invisi-
biha concurrant , in quo composito necessariô se(|uitur mutatio ,
quseritur quahs sit hœc mutatio in partibus componentibus?
Pro responso, tt^rmini ad quem et à qno considerentur. Ad
quein, est corpus Christi, quod ut glorificatum, idcircô iiigenera-
(a) L'éditeur qui a publié cet écrit pour la première fois dit dans une longue
note, qu'il « l'a trouvé parmi les papiers de M. de Meaux, dans le portefeuille
du l'rojet de réunion , &\c. C'est, continue M. l'abbé Leroi, le résultat de plu-
sieurs disputes que l'auteur avoit eues au sujet de la présence réelle avec quel-
fines relipieux. Il y a lieu de croire que ces religieux étoient les capucins de
Hanovre j et suitout le célèbre P. Denis, auteur du Vin pacis , cité si souvent
avec éloge par Molanus et Leibuitz, et même par Bossuet, » etc.
SUMMA CONTROVERSEE DE EUCHARISTIA, ETC. 93
bile et incorruptibile. Quâ cum variatione existât in altari , varii
varié opinantur. Commmiiter dicitur fieri per productionem aut
reproductionem, At Scotus cum Bellarmino et aliis diciint non
produci nec reproduci, sed adduci per novam imionem vel con-
servationem cum hoc quod sentitur et videtur. Nùm liaec sint
admittenda , doctiores hisce cùm invenientur déterminent. Taies
enim in Ecclesià corypliœi cùm discrepent, propriam ignorantiam
non erubescens, nec anathema metuens confiteor.
Quôd ad terminum à quo , panem videlicet et vinum , quanta
in his detur mutatio ? Respondeo, hoc esse mysterium magnum ,
superans hominum captum, forsitan et angelorum. Quis igitur
vel quantus sum ego humi reptitans vermiculus , qui gigantaeo
conatu audeam imponere Pelion Ossee? Quis smn ego homuncio
in naturà vermium et ranarum ignarus, quàmque noctivolans^ et
ad solem lippiens sum ego vespertilio, qui offuscato rationis
lumine hanc sacrilège attentem introspicere arcam mysteriis ple-
nam? Atheniensi igitur, ipso Gentium non renuente Doctore,
litans altari, pie adoro cpiod siniplex ignoro; nec contra me, ut
opinor, concilium militât Tridentinum. Si enim canon quem in-
telligo sine rigore, sumatur in rigore, contrarium, scilicet nullam
dari vel posse dari transsubstantiationem , non dico. Audax enim
est illud Japeti genus , quod Omnipotenti sicut et Ilerculi imponit
terminos : ISlec plus ultra. Verè tamen dubito nùm haec disser-
tatio : utrùni hîc detur nmtatio physica , non sit qusestio magis
philosophica quàm theologica. Distinctio enim inter substantiam
et accidentia, materiam et formam, quantitatem et materiam quam
nominant primam, vel suppositum quoddam, quod nec est quan-
titativum , nec sensibile , et forsitan cognoscibile tantùm instar
entis rationis, alter fœtus ejusdem cerebri est, ex Aristotelislacunis
hausta , quœ multipartitos habet patronos et antagonistas. Diffi-
cultatum itaque, si non contradictionum conglomerato pra?viso
agmine, talia disquirere ex lide non teneor ; licètque concilia duo
utantur termino transsubstantiatio/iis , non sonus, sed sensus;
non verba, sed scopus est spectandus, quem conjicio, magis esse
ad adstruendam veritatem preesentiœ corporis (Ihristi contra
hgurizantes, quàm ad determinationem modi, multù minus mo-
94 DISSERT. SUR LA REUNION DES PROTEST. DALLEMAGNE.
dalitatis hujus modi ; cùm simplex Christ! Sponsa per deoem vel
duodecim seecula, fide, sine pliilosophià ex 1io(î verè cli\ino Aixerit
cibo, qui est cibus Domini et cibus Domimis.
Quamvis enim hoc sit mysterium super superlative magnum ,
uttamen argutè contra calvinianos argument atur, si mysterium
consistât in figura, instar hederae pro vino vendibih, mysterium
est nullum : ita ego similiter apphco : si prœsentia non tantùm
credatur, sed pariter modus inteUigatur, mysterium aut est nul-
limi aut parvum. Nec sum adeô Lynceus, ut videam quse major
sit nécessitas cognoscere qiiomodo terminus à quo (juàm termi-
nus ad quein nmtatur. Unum vos confitemini vos ignorare , et
ego alterum Deo cognitum et congruum cognoscere remitto.
tjuocircà si simus pacifici ( virtus et finis sacrificii) veniani peti-
musque damusque vicissim. (Juod ad me igitur, qui non sum de
gente figuratorum, nullain faciens distinctionem , inter Uic est
Christns in rœnâ, et Hoc est corpus meum ; dialecticis sepositis-
tricis , ut vanam sapientiltus philosopliiam , campique ^Fartii ,
quem hcèt intt'lhger(nn non amo, seposità cura, sat esse opinor,
Christi gloriosum corpus , non seorsim et in sensu diviso , sed
conjunctim et in sensu composito , unà cuin gloriosà anima et
adorandà divinitate, in hoc stupendo mysterio smnm s cum humi-
hlatc, timoré et tremore agnoscere , ut Deum factum l'efugium
meum.
Hppc pauca consideranda significn, quo faciliùs Ecclesia' deci-
sivo sul)inittam sigillé, confra (piam nemo sohriiis.
RESULTAT D'UNE CONTROVERSE SUR L'EUCHARISTIE.
RÉSULTAT D'UNE CONTROVERSE
TOUCHANT L'EUCHARISTIE
Agitée entre, quelques ReHgiexix et moi,
PAR MOLANUS.
Quoique plusieurs théologiens, poiir expliquer la présence de
Jésus-Christ dans l'Eucharistie, disent qu'il y est de la même ma-
nière que le soleil est dans mi lieu qu'il éclaire, je suis convaincu
que la comparaison, juste en quelque chose, ne l'est pas en tout
point. En effet le Soleil de justice n'est pas seulement présent dans
l'Eucharistie par sa vertu, comme il l'est dans tous les autres
sacremens et dans tout ce qui concerne le culte divin ; mais il y
est en personne : de sorte que l'Eucharistie renferme Jésus-Christ
tout entier, et tout ce qui constitue cet Homme-Dieu. Je m'ex-
plique , et je dis que le corps de Jésus-Christ est précisément et
substantiellement le même sur l'autel' que dans le ciel et sur la
croix; mais qu'il y est d'une manière différente. 11 étoit sur la
croix d'une manière naturelle et sanglante : il est dans le ciel
d'une manière visible et glorieuse , au lieu qu'il est sur l'autel
d'mie manière invisible , non sanglante et accessil)le [a] ; mais
c'est toujours le même corps.
Je recoimois donc avec les Pères des deux Eglises d'Orient et
d'Occident, le changement réel opéré dans l'Eucharistie, rpi'on
exprime par les mots de Transmutation , Transrlcmentation ,
Transsubstantiation, que les Grecs rendent par celui de p.cTcjaîruai,-,
ce qui signifie qu'après que les paroles du Seigneur ont été pro-
noncées, il se trouve réellement sur l'autel, en vertu de l'union
(rt) Je crois devoir Iradiiii'e aiii^i h^ mot yrattosus, ijiii peut souffrir plusieura
explicalioiiri. [ Edit. de Leroi. )
96 DISSERT. SUR LA RÉUNIOiN DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
avec les espèces sensibles [a], ce qui n'y étoit pas; je veux dire la
personne adorable de Jésus-Christ. Mais comme des choses vi-
sibles et des invisibles se rencontrent ici , et que leiu" réunion
entraîne nécessairement quelque changement, on demande quelle
sorte de changement est opéré dans les parties qui composent
l'Eucharistie.
Je réponds qu'il faut faire attention aux deux termes ad quem
et à quo. Le terme ad quem est le corps de Jésus-Christ , qui
maintenant glorieux, est par conséquent ingénérable et incor-
ruptible. Les sentimens sont partagés sur la manière dont se fait
le changement sur l'autel. L'opinion la plus commune est que le
changement s'opère par production ou reproduction ; mais Scot,
Bellarmin et d'autres doctem's soutiennent que le corps de Jésus-
Clirist n est ni produit ni reproduit , et l'un dit que Jésus-Christ
devient présent par ime nouvelle union a\'ec des élémens sen-
sibles et visibles; et l'autre, ([u'en se rendant présent, il conserve
les accidens de ces élémens. Je laisse à ceux qui st'ront plus ha-
biles que ces auteurs à décider si l'on doit admettre l'une ou l'autre
de ces opinions. Mais puisque des doctem's si accrédités dans
l'Eghse pensent différemment sur ce point, je ne rougirai pas
d'avouer mon ignorance, et je crois qu'un tel aveu ne peut m'at-
tirer d'anathème.
Venons au terme à quo, qui n'est autre que le pain -et le vin. Si
l'on me demande jusqu'à quel point le changement se fait en
eux, je réponds que c'est un grand mystère, qui passe l'inteUi-
gence des hommes et peut-être celle des imges. Qui suis-je, moi,
petit ver qui rampe sur la terre ^^\, pour entreprendre témérai-
rement de pénétrer un tel abîme? Qui suis-je, encore un coup,
moi dont l'esprit est si borné, que je ne puis atteindre à connoître
la nature des insectes ; moi, (jui semblable aux oiseaux nocturnes,
ai les yeux trop foibles pour soutenir l'éclat du soleil? Qui suis-je
avec ma raison ténébreuse , pour oser par un attentat sacrilège
(a) C'est là le fond de l'erreur luthérienne, que M. Bossuet s'applique parti-
culièrement à réfuter dans sa Réponse à cet Ecrit. [Eilit. du Leroi.)
(l>) Je ne rends point ùla lettre les expressions tro[i emphatiques de l'auteur;
et je me donne la même lihei lé dans la suite sur des expression* triviales et
basses. ( Edit. de Leroi. )
RÉSULTAT D'UNE CONTROVERSE SUR L'EUCHARISTIE. 97
regarder curieusement dans cette arche pleine de mystères? Je dis
donc comme les Athéniens, et l'Apôtre des Gentils ne s'y oppose
pas, que j'adore sur l'autel un Dieu qui s'y rend présent d'une
façon que j'ignore. Et quand on prendroit à la rigueur le canon
du concile de Trente, que j'interprète benignement, ce canon ne
seroit point contre moi; car je ne dis rien qui lui soit opposé, dès
que je ne prétends pas qu'il n'y a point ou qu'il ne peut y avoir
de transsubstantiation. En effet il faut être d'une audace extrême
pour fixer des bornes à la toute-puissance de Dieu. Mais je doute
beaucoup si l'on ne doit pas ranger cette question , savoir si dans
l'Eucharistie il s'opère un changement physique , au nombre de
celles qui appartiennent plutôt à la philosophie qu'à la théologie.
Car la distinction entre la substance et les accidens, la matière et
la forme, la quantité et la matière qu'on nomme première, et qu'on
suppose être un certain suppôt qui n'est, pour parler avec l'Ecole,
ni quantitatif ni sensible et qui peut-être n'est connu que comme
un être de raison; tout cela, dis-je, vient de la même source, c'est-
à-dire de la doctrine d'Aristote, qui a ses défenseurs et ses contra-
dicteurs. Or la foi ne m'oblige pas à entrer dans la discussion de
ces difficultés, ou, pour parler plus exactement, de ces contradic-
tions que j'aperçois en foule. Et quoique deux conciles emploient
le mot transsubstantiation , il ne faut pas tant s'arrêter au son et
au terme, qu'au sens et au but que ces conciles se sont proposés.
Je crois donc qu'ils avoient plutôt en vue d'établir la vérité de la
présence réelle du corps de Jésus-Christ dans l'Eucharistie contre
ceux qui ne le croient présent qu'en figure («), que de déterminer
comment cela s'opère, et encore moins la manière d'être de Jésus-
Christ dans ce sacrement. En effet l'Epouse de Jésus-Christ , sans
le secours de la philosophie , s'est nourrie pendant dix ou douze
siècles dans la simplicité de la foi de cette divine nourriture , qui
tout à la fois est la nourriture que le Seigneur nous présente, et
le Seigneur même qui devient notre nourriture.
J'ajoute que, quoique ce soit ici le mystère des mystères, cepen-
dant comme on dit fort bien aux calvinistes qu'il n'y a plus de
mystère , s'ils le font consister à mettre dans le sacrement une
(a) Les calvinistes. ( Edit. de Leroi. )
TOM. XVIII. 7
98 DISSERT. SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
simple figure, semblable à ces signes arbitraires dont les hommes
sont convenus, je dis de même qu'on réduit le mystère à rien, ou
presque à rien, si, non content de croire la présence réelle, on pré-
tend encore comprendre la manière dont elle se fait. Franchement
je n'ai pas assez de pénétration pour voir cpie Ton soit plus obligé
de connoitre quelle sorte de changement se fait dans le terme à
fpio que dans le terme ad qucm. Tous avouez votre ignorance
sur l'une de ces choses, et moi je ne me mets point en peine de
pénétrer l'autre , qui me paroit ne pouvoir être connue que de
Dieu. Si donc nous aimons la paix (qui est le fruit et la fin du
sacrifice de l'autel i , nous n'aurons point de dispute sur ce sujet.
Quant à moi, je ne suis pouit du nondjre de ceux qui croient que
Jésus-Christ n'est présent qu'en figure dans l'Eucharistie, et je ne
mets aucune différence entre ces expressions : .lésus-Christ est ici
dans la Cène, et ces autres : Ceci est mon corps. Mettant à l'écart
les subtilités de la dialectique, que je regarde comme une fausse
plîilosopliie, je n'aime point à disputer sur ces sortes de questions,
(juand Itien même j'en am'ois une ptu^faite connoissance. Je pense
(piil me suffit de recomioitre avec humilité et tremblement, que
dans ce redoutable mystère le corps glorieux de Jésus-Christ est
présent, non-seulement dans ce (pi'on appelle le sens divisé, mnis
encore dans le sens composé , c'est-à-dire avec sa sainte ame et sa
divinité ; de sorte qu'il y est pour moi un Dieu devenu mon refuge.
Voilà en abrégé ce que je laisse à bien examiner, et ce que je
soumets à la décision de l'Eglise, contre la([uclle un homme sage
ne peut s'élever.
JUDICIUM DE SUMMA CONTROVERSI^. 99
JUDIGIUM
SUMiMA CONTROVERSIyE DE EUCHARISTIA.
AUCTOUE MELDENSI EPISCOPO.
Haec summa de reali praesentià Corporis Christi verissima tra-
Rectè docet de reproductione et adductione scholasticorum sen-
teiitias inler à^iâcp&p «. relinquendas.
De transsubstantiatione rectum illud quod est in Summâ :
« Agnosco realem alterationem significatam per terminos Trans-
nuitationis, Trcmselementationh , Transsiibstantiationis , qiiani
Graeci dicunt o-stcjctîuciv. »
De termine ad quem hujiis alterationis seu transmutationis ,
nempè corpore et sanguine Christi, rectè et praeclarè docet.
De termine à quo , nempè pane et vino, ait « esse mysterium
magnum superans hominum captum, forte et angelormn ; » cpiod
quidem explicatione indiget. Nam res ipsa certa ex Ecclesise
decretis; modus autem faciendi rem theologorum disputationi
relictus.
Res ipsa, inquam, certa per Ecclesise décréta : nempè Tridenti-
num, sess. xni, can. n, anathema dicit « ei qui dixerit in sacro-
sancto Eucharistiae sacramento remanere substantiam panis et
vini , etc ; negaveritque mirabilem illam et singularem conver-
sioneni totius substantiaî panis in Corpus, et totius vini in San-
guinem, manentibus duntaxat speciebus panis et vini. » Qui
canon Tridentinus respondet capiti iv ejusdem sessionis , titido
de Transsubstantiatione.
Quo decreto clarum est, nullam partem substantiœ panis et
100 DISSERT. SUR L.\ RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE
vini in Sacramento remanere ; cùm tota siiljstantia panis et viiii
in corpus et sanguinem Christi convertatiu'. IManifesta ergô est
Ecclesise sententia , de quà prseclarè Summœ auctor ait contra
eam nemînem esse sobrium.
CongTuit Tridentinum decretum cum Lateranensi suIj Inno-
centio III, cap. \de Fide CathoUcâ.
Congruit et confessioni fidei Berengarii Turonensis, in qiiâ
confitetur « panem et viniim suljstautialiter converti in propriam
et veram ac vivificatricem carnem et sanguinem Jesu Christi ; »
quae confessio édita est ab eodem Berengario in concilio Ro-
mano VI , cùm hseresim suam secundo ejuravit.
Quare si quis aliquam partem substantiie panis aut vini rema-
nere dixerit, sive ea materia sit , sive forma, apertissimis ver]3is
ab Ecclesià condemnatur.
Sanè « (luff", distinclio sit inter substantiam et accidentia, nia-
teriam et formani, quantitatein et materiam quam vocant pri-
mam , » meritô Summœ auctor relert inter quaestiones philoso-
phicas magis quàm thcoloQicas.
Intérim certum illud, substantise panis et vini j)artem rema-
nere uullam , quocumqutî nomine appelletur ; alioc^ui i'alsum
esset decretum Ecclesi» de totâ substantiâ immutatâ, speciebus
tantùm remanentibus.
Quo etiam constat mutationem illam vcrè esse physicam , hoc
est realem et veram, non moralem aut impropriè dictam ; cùm
sit rei ipsius in aliam rem vera conversio.
Quin etiam auctor pius et eruditus confitetur « realem altera-
tionem signilicatam per terminos trammutationis, transelemen-
tationis, etc. » Real i s autem alteratio procul dubio est phj^sica
mutatio. Certum ergo ex ipso auctore est intervenire in pane et
vino mutationem physicam, quœ non sit simplex alteratio ad
qualitatem aut accidens spectans, sed vera ac realis in ipsà sub-
stantiâ mutatio aut conversio.
Nequehocad modum pertinet, sed ad rem ipsam ; cùm Eccle-
sià clarè definiverit rem ipsam, sive substantiam panis et ^ini,
converti, transmutari, transsul>stantiari.
Ad modum (piidem pertinet, an transsubstantiatio sit amiihila-
JUGEMENT SUR LE RESULTAT D'UNE CONTROVERSE. iOl
tio, qnod negat sanclus Thomas. Ttem ad modum pertinet , cujus
natures sint illce species quae rémanent, aliaque ejusmodi ; sed
fieri mutationem substantiîE in sul)stantiam, est ipsa res quœ fit,
non rei conficiendi modus.
Congruimt Ecclesiae decretis antiqua illa dicta Patrum Orienta-
limii secpiè ac Occidentédinm : « Qui apparet panis, non est panis,
sed corpus Christi : quod apparet vinum non esse vinum, sed
sanguinem Christi : tam verè mutari paiiem in corpus, et vinum
in sanguinem , quàm verè mutata est à Christo aqua in vinum :
adesse Spiritum sanctum, velut ignem invisibilem, quo panis et
vinum depascantur, consumantm*, ut ohm victimae cœlestis ignis
descendit, » et caetera ejusmodi, quae veram, physicam et sub-
stantialem indicant conversionem. Quae omnia eo nituntur, quod
Christus non dixerit : Hic, sive in re tah est corpus meum; quae
locutio conjimctionem panis cum corpore efficeret; sed Hoc est
corpus meum, quo Patres omnes , atque Ecclesia semper intel-
lexerit id fieri , ut corpus Christi jam esset iUa substantia, quae
anteà panis erat, conversione verà, non conjunctione.
Haec est procul dubio vera et cathohca iides , quam Summœ
auctor serpiendam tam piè profitetur.
Caeterùm, si cpiid adhuc obsciunun est, exponere non grava-
bimur.
JUGEMENT
SUR LE
RÉSULTÂT D'UNE CONTROVERSE TOUCHANT L'EUCHARISTIE,
PAR I.'ÉVÊQUE DE MEAUX.
Ce petit ouvrage ne contient rien que de très-véritable siu: la
présence réelle du corps de Jésus-Christ dans l'Eucharistie. 11 est
tout à la fois et très-théologique et très-orthodoxe.
102 DISSERT. SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
L'auteur a raison de mettre au nombre des opinions indiffé-
rentes les sentimens opposés des scolastiques de la reproduction
ou de l'abduction.
Il ne dit rien qui ne soit exact sur la transsubstantiation par
ces paroles : « Je recomiois un changement réel opéré dans l'Eu-
charistie, qu'on exprime par les mots de transmutation, tra.nsélé-
mentation, transsubstantiation, que les Grecs rendent par celui de
Il n'avance rien non plus que d'exact et de bon sur le terme ad
quem du changement ou de la transmutation , lequel terme est le
corps et le sang de Jésus- Christ.
Sm^ le terme à quo, qui est le pain et le vin, il dit que « c'est
un grand mystère, qui passe TinteUigence des hommes et peut-
être celle des anges ; » ce qui a besoin de quelque explication.
Car il faut dire que par les décrets de l'Eglise, la chose même est
certaine, quoique la manière dont elle se fait soit abjuidonnée aux
disputes des théologiens.
Je dis que i)ar les décrets de l'Eglise, la choses même est rer-
tamc. Voici le décret du concile de Trente, session xui, canon n :
« Si (juelqu'un dit que la substance du pain et du vin reste dans le
très-saint sacrement de l'Eucharistie ;... et nie l'admirable et sin-
gulier changement de toute la sul)stance du pain au corps, et de
toute la sul)stance du vin au sang, de sorte ({u'il ne reslt; du pain
et du vin que les seules apparences :... (luil soit anathème. » Ce
canon du concile de Trente répond au chapitre iv de la même
session, qui porte poiu titre : De la transsuhstaiitiation.
Suivant ce canon, il est clair qu'il ne reste rien dans l'Eucha-
ristie de la substance du pain et du vin, puisque toute la sul)stance
du pain et du vin est changée au corps et au sang de Jésus-
Christ. On voit donc évidemment quel est le sentinuint de l'Eglise,
contre laquelle, dit fort l)ien l'auteur, un ho7wne sage ne peut
s'élever.
Le décret du concile de Trente est conforme à celui du concile
de Latran tenu sous Innocent III, chapitre i. De la foi catholique.
Il est pareillement conforme à la profession de foi de Bérenger
de Tom's , dans laijuelle il confesse « que le pahi et le vin de-
JUGEMENT SUR LE RÉSULTAT D'UNE CONTROVERSE. 103
viennent par mi cliangement de substance, la vraie et propre
chair et le propre siuig de Jésus-Christ. » Bérenger fit cette pro-
fession de foi dans le sixième concile de Rome, lorsqu'il y abjm'a
pour la seconfle fois son hérésie.
L'Eglise condamne donc expressément ceux qui diroient qu'il
reste dans l'Eucharistie quelque chose de la substance du pain ou
du vin, soit qu'ils nommassent cette substance matière, ou seule-
ment forme.
Certainement l'auteur a raison de prétendre que les questions
q"ii'on forme pour distinguer « la substance et les accidens, lajna-
tière et la forme, la quantité et la matière qu'on nomme première,
appartiennent plutôt à la philosophie qu'à la théologie. » Mais il
n'en est pas moins certain, de quoique terme qu'on se ser^e pour
exprimer la substance du pain et du vin, qu'il n'en reste pas la
moindre partie : autrement l'Eglise auroit fait une fausse décision,
en disant que toute la substance est changée et qu'il ne reste que
les apparences.
En conséquence je dis qu'il est certain que le changement est
vraiment physique, je veux dire réel et véritable, et non pas seu-
lement moral et en prenant le terme de changement dans un sens
impropre , puisque c'est un vrai changement d'une chose en une
autre.
Le pieiix et savant auteur avoue « qu'il se fait un changement
réel, qu'on exprime par les mots de trammutation , etc. » Or im
changement réel est sans doute im changement physique. Il est
donc certain par l'auteur même, qu'il se fait dans le pain et dans
le vin un changement physique , non une sorte de changement
qui n'affecte que la qualité et les accidens , mais un changement
réel et effectif, en vertu dutjuel ime substance devient ime autre
substance. '
Il s'agit ici de la chose même, et non simplement de la manière
dont elle se fait , puisque l'Eglise a clairement décidé la chose
même , en exprimant le changement du pain et du a in par les
mots de transmutation , transélcnientation, transsubstantiation.
J'avoue qu'il s'agit de la manière dans cette question , savoir si
par la transsubstantiation la matière du pain et du vin est réduite
i04 DISSERT. SUR LA REUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
au néant^ ce que saint Thomas nie, et dans cette autre : de quelle
nature sont les espèces qui restent ? et dans quelques autres ques-
tions semblables ; mais quand on parle du changement d'une
substance en une autre substance , il s'agit de la chose même_, et
non de la manière dont elle se fait.
Les décrets de l'Eglise sur ce point sont conformes à ces ex-
pressions employées également par les anciens Pères de l'Orient
et de l'Occident : « Ce qui paroît pain n'est pas pain, mais le corps
de Jésus-Christ : ce qui paroît vin , n'est pas vin , mais le sang
de Jésus -Christ : le pain est changé au corps , et le vin au sang,
aussi véritablement que dans les noces de Cana l'eau fut changée
en vin par Jésus- Christ : le Saint-Esprit est présent; et par sa
vertu comme par un feu invisible, le pain et le vin sont dévorés,
sont consumés , de la même manière que la victime d'Elie, sur
laquelle le feu du ciel descendit. » Ces expressions et d'autres
semblables marquent un changement véritable, physique et sub-
stantiel. Et toute cette doctrine est fondée sur ce que Jésus-Christ
n'a pas dit: Ici, ou : dans ime telle chose est mon corps; ce
qui auroit exprimé cpie le corps étoit joint au pain; mais : Ceci
est mon corps; par où l'Eglise et tous les Pères ont toujom's en-
tendu que la substance , qui auparavant étoit pain , devenoit le
corps de Jésus- Christ : c(^ qui ne se peut opérer que par mi chan-
gement réel, et non par l'union des deux substances.
Telle est certainement la foi catholique, que le pieux auteur fait
profession de vouloir suivre.
Au reste, si l'on trouve encore quelques difficultés dans ce que
je viens de dire, je les éclaircirai volontiers.
EXECUTORÏA, ETC. iOli
EXEGUTORIA
dominomm Legatorum, super compactatis data Bohemis, et expedita in
forma quœ sequifur, anno 1636 (a).
Tn nomine Domini nostri Jesu Christi, qui est amator pacis et
veritatis, et pro unitate christiani popiili preces porrexit ad Pa-
trem.
Nos Philibertus , Dei et apdstolicse Sedis gratiâ, episcopus Con-
stantiensis, provincse Rhotomagensis ; Joannes de Polomar, archi-
diaconus Barchinonensis , apostolici Palatii causarum auditor,
Becretorum doctor; Martinus Bernerius, decanus Turonensis;
Tilmanus, propositus Sancti Forini de Confluentiâ, Becretorum
doctor ; ^Egidius Caiierii, decanus Cameracensis ; et Thomas Ha-
selbach, sacrae theologise professor Viennensis, sacri generalis
concilii Basiliensis ad regnum Bohemise et marchionatum Mora-
vise, legati destinât! , auctoritate sacri concilii, recipimus et ac-
c«ptamus imitatem et pacem, per dictos regnum Bohemiœ et
marchionatmn Moraviœ acceptas, factas et firmatas, secundùm
quod utrique parti constat, per litteras indè confectas, cum uni-
verso populo christiano. ToUimus omnes sententias censurse, et
plenariam abolitionem facimus. Item auctoritate Dei omnipoten-
tis et beatorum apostolorum Pétri et Pauli, et dicti sacri genera-
lis concilii, pronuntiamus veram, perpetuam, firmam, bonam
et christianam pacem dictorum regni et marchionatiis, cum reli-
quo universo populo christiano ; mandantes auctoritate prœdictà
universis christiani orbis principibus, et aliis Christi fidelibus
universis, cujuscumque status, gradùs et prœeminentiœ aut di-
gnitatis existant, quatenùs dictis regno et marchionatui bonam,
(a) Nous donnons celte pièce telle qu'elle fut envoyée d'Allemagne par Leibniz,
après l'avoir collationnée dans Goldust, de Offic, Elect. Uohon.; Fiaucof., 1G27.
p. 173. [Edtt. de Le roi.)
106 DISSERT. SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
fîrmam et christianam pacem observent. Neque pro causis dis-
sensionum, pro difficiiltatibus aliquibus circa materias fidei et
quatuor articulorum dudùm exortas et agitatas (cùm jam sint
per dicta capitula complanatae ) , aut pro eo quod communicarunt,
communicant, et communicabunt sub utràque specie, juxta for-
mam dictorum capitiilorum, cos invadere, offendere, infamare,
aut injuriari pra^sumant. Sed ipsos Bohemos et Moravos tanquàm
fratres, bonos et catholicos Ecclesise orthodoxae fdios, reverentes
et obedientes eidem habeant, et firmà dilectione contractent : hoc
declarato expresse, quôd si aliquis contra faceret, non intelliga-
tur pax ipsa violata, sed deljcat fieri de illo enienda condigna.
Cùmque (prout in dictis capitulis continetur) circa niateriam
comnumionis sut) utràque specie, sit hoc modo concordatum ,
quod dictis J3o]iemis et Moravis. suscipientibus ecclesiasticam uni-
tatem et pacem, reahter et cum effectu, et in omnibus ahis quàm
in usu communionis utriusfpie speciei, fidei et ritui universahs
Ecclesiaî conformibus : « llli et illaî, qui talem usum habent, »
comniunicabmit sub utràque specie, «cum aucloritate Domini
nostri Jesu Christi et Ecclesiaî verse sponsai ejus. Et articulus
illc in sacro concilio discutictur ad plénum (]uond materiam de
prœcepto; et videbitur, quid circa illum articulum pro veritate
catholicà sittenendum et agendum, ]tro utilitate et sainte populi
christiani. »
Et omnihus mahu^è et digeste perlractatis, nihilominùs si in
desiderio habendi dictam communionem sub duplici specie per-
severaverint, lioc eorum ambasiatoribus indicantibus , sacrum
concilium sacerdotibus dictorum regni et marcbionatùs, commu-
nicandi sub utràcpie specie; populum, cas videlicet personas, (piée in
annis discretionis reverenter et dévote postulaverint, facultatem
pro eorum utilitate et sainte, in Dojnino larf/ichir. Hoc semper
observato, quôd saccrdotes sic communicantilius semper dicant,
« quod ipsi debent firmiter credere, quod non sub specie panis
caro tantùm, nec sub specie vini sanguis tantùm ; sed sub quâli-
bet specie est integer et totus Christus. »
Et juxta dictorum compactatorum formam, dictis Bohemis et
Moravis suscipientibus ecclesiasticam unitatem et pacem, reahter
EXECUTORÏA, ETC. 107
et cum eiîectu, et in omnibus aliis^ quàm in usu communionis
utriusque speciei, fidei et ritui universalis Ecclesiae conformibus ;
illi et illae qui talem usum habent, valeant communicare sub
duplici specie, cum auctoritate Domini nostri Jesu Clmsti et
Ecclesiœ, vesœ Sponsai ejus. Hoc expresse declarato, quôd per
verbum fidci, suprà et infrà positum, intelligmit et intelligi vo-
lunt veritatem primam et omnes alias credendas veritates, se-
cimdùm quod manifestantm' in Scripturis sacris et doctrinà Ec-
clesiœ sanè intellectis. Item, cum dicitur de ritibus universalis
Ecclesiœ, intelligunt et intelligi volrnit, non de ritibus speciali-
bus, de quibus in diversis provinciis diversa servantur; sed de
ritibus, qui communiter et generaliter circa divina semantm'.
Et quod postquàm in nomine regni et marchionatûs in miiver-
sitate hoc suscipietur, si aliqui in divinis celelirandis non sta-
tim suscipiant ritus, qui generaliter ol)servantur, proptereà
non fiat impedimentum pacis nec miitatis.
Idcircô reverendis in Christo Patribus, archiepiscopo Pragensi,
et Olomucensi et Luthomislensi episcopis, qui sunt vel qui
pro tempore erunt, universis et singulis ecclesiarum prœlatis
curam habentibus animarmu, in virtute sanctœ obedientiae dis-
trictè praecipiendo mandamus, quatenùs illis personis, qiiœ
usum habent communicandi sub duplici specie, juxta formam in
dicta capitido contentam. sacrmn Eucharistiae sacramentum sub
duplici specie , requisiti, prout ad unumquemque pertinet aut
pertinebit, in futurum ministrent, et pro necessitate plel)is, ut
non negligatur, faciant ministrari, et his nullatenùs résister e aut
contra ire prsesumant.
Scholares quoque , qui communicaverunt , et deinceps juxta
dictorum capitulorum formam comnumicare volent, et etiam
cùm promoti fuerint, et ad eos ex officio pertinebit aliis minis-
trare suli duplici specie, proptereà à promotione ad sacros ordines
non prohibeant; sed si aliud canonicum non obsistat, eos rite
promoveant eorum episcopi. Quôd si quisquam contra hoc facere
prœsumpserit y per ejus superiorem débité puniatur; ut, pœnâ
docente , cognoscat quàm grave sit auctoritatem sacri concilii
(jeneralis haberc conleinptani. Universis quoque et singulis eu-
108 DISSERT. SUR LA REUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
juscumque status , praeeminentiap aut conditionis existant, prœ-
sentium tenore districtè prœcipiendo mandamus, quatenùs dictis
Botiemis et Moravis servantibus ecclesiasticam unitatem, etuten-
tibus communione sub duplici specie, modo et forma praedictis,
iiemo audeat improperare , aut eorum famse vel honori detra-
here.
Item, qiiôd ambasiatores dicti regni et marchionatùs , ad sa-
crum concilium, Deo propitio, féliciter dirigendi, et omnes qui de
eodem regno vel marchionatu dictum sacrum concilium adiré
voluerint, securè poterunt ordinato et honesto modo proponere
(îuidquid difficultatis occurrat circa materias fidei , sacramento-
rum, vel rituum Ecclesise, vel etiam pro reformatione Ecclesiae in
capite et in membris ; et, Spbitu sancto dirkjcnte, fiet secundùm
quod juste et rationabiliter ad Dei gloriam et ecclesiastici status
debitam honestatem fuerit faciendum.
Item, recognoscimus in gestis apud Pragam in schedulà, quae
incipit : Tlœcsunt responsa : Actumper Reverendum in Christo
Patrem dominum Philibertum , etc. : Hanc i^esponsionem scrip-
tam, etc. : Primo dixerunt [o] , etc., quod non est intentionis
sacri concilii permittere communioncMn sub duplici specie , per-
missione tolerantiae, vel sicut Judœis permissus fuit libellus re-
pudii. Quia cùm sacrum concilium viscera maternse pietatis ex-
hibere dictis Bohemis et Moravis intendat, non est intentionis
concilii permittere tali permissione, quaî pcccatum non excludat ;
sed taliter elargitur quod auctoritate Doinini nostri Jcsii Christi
et Ecdesiœ verœ Spoiisœ suœ sitlicita, et digne sumentibus utilis
et salutaris.
Quoniam ita concordati sumus cum gabernatore, baronibus et
aliis , quod per illas formas in hàc et in alicà litterà conceptas et
scriptas , dicta compactata ad executionem deducantur, et in illis
(n) On cite ici j lusieurs pièces qui ne se trouvent pas dans la collection du
P. Labbe. U scroità souhaiter qu'on recueillit en Allemagne et ailleurs les pièces
sur le concile de Bàle. échappées aux recherches de ce savant jésuite, et qu'on
les fit iinprbner par forme de supplément à sa collection. { Edit. de Leroi. )
Mansi en a recueilli plusieurs dans le quatrième volume de son Supplément à
l'éditinn da Cotinles, donnée à Venise par Coleti, qiii avoit déjà réuni celles que
dom Martène avoit publiées dans son Amplissima Collectio, et dans son Thé-
saurus Anecdotorum. [Edit de Déforis.)
EXECUTORIA, ETC. 109
formis ambae partes resedimus. Item, in litteris ab utrâque parte
ad invicem apponantur in testimonium, ad partium petitionem ,
sigilla serenissimi domini Imperatoris, et illustrissimi domini
Ducis Austriae Alberti. Ambasiatoribus regni Bohemiœ ad sa-
crum concilium destinandis, dabimus salvum conductum eo
modo, qno dedimus dominis Matthiœ, Procopio etMartiuo. Dabi-
mus bullam sacri concilii, in quà inserentur compactata et con-
firmabmitur. Item, aliam bullam in quà inseretm* littera pro
executione compactatorum , per nos facta cum ratificatione.
Quandô datae fuerint nobis litterœ regni, et facta fuerit obedien-
tia, nos dabimus litteram, per quam promittemus quôd, quàm
Xîitô commode poterimus, procurabimus habere à sacro concilio
dictas duas bullas : et hœc littera erit mmiita sigillis regni, et se-
renissimi domini Imperatoris et illustrissimi domini Ducis in
testimonium. Simili modo petimus salvum conductum, si nos vel
aliqui ex nobis velint transire ad legnum. In quorum fidem et
testimonium, nos Pliiliberlus, episcopus Constantiensis praefatus ;
Joannes de Polomar, auditor; et Tilmanus, prœpositus sancti
Florini, vice et nomine omnium aliorum colle garum nostrorum,
in absentiâ suorum sigillorum, présentes has litteras dedimus,
sigillorum nostrorum mmiimine roboratas [a] .
SENTENCE EXECUTOIRE
Rendue ^oar les légats du concile de Bàle , au sujet du traité conclu avec les
Bohémiens, et expédiée dans la forme qui suit, l'an 1636.
Au nom de Notre- Seigneur Jésus-Christ, qui chérit la paix,
et qui a ofTert ses prières à son Père pour Tmiion du peuple
chrétien.
(a) In alio autem codice sic habetur : in quorum omnium et singulorum fidem
et testimonium , has nostras litteras sigillis nostris feciuius comrauniri. Et ad
majorem evidoutiam, robur et firmitatem sigilla serenissimi domini Sigismundi,
Uomanorum imperatoris, et illustrissimi Priucipis domiui Alberti, ducis Austriae
no DISSERT. SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
Nous Philibert par la grâce de Dieu et du Saint Siège apostoli-
que, évêque de Coutances, de la province de Rouen; Jean de Po-
lomar [a), archidiacre de Barcelone, auditeur de la chambre apos-
tolique, docteur en droit canon; ^Martin Bernerius, doyen de
Tours; Tilman, prévôt de Saint-Florin de Coblentz, docteur en
droit canon ; Gilles Charlier, doyen de Cambray ; et Thomas Ha-
selbach, professeur en théologie à Yiemie, légats du saint con-
cile général de Bàle, dans le royaume de Bohême et le marquisat
de Moravie, acceptons et recevons, par l'autorité du saint concile,
les articles d'union et de paix avec tout le peuple chrétien, tels
qu'ils ont été dressés, acceptés et confirmés dans lesdits royaume
et marquisat de Bohême et de Moravie, ainsi qu'il est constaté par
les lettres écrites de part et d'autre. Nous abrogeons toutes les
censin^es prononcées, et les abolissons pleinement; déclarant par
l'autorité de Dieu tout-puissant, des bienheureux apôtres saint
Pierre et saint Paid et du sacré concile, que lesdits royaume et
marquisat jouiront désormais d'ime paix véritable, perpétuelle,
ferme, constante et chrétiemie, avec les autres peuples clu'éliens.
Ordonnons par l'autorité ci-dessus, à tous les princes du monde
chrétien et à tous autres fidèles de quelque état, condition et di-
gnité qu'ils soient, de garder inviolablement et de bomie foi la
paix chrétienne avec lesdiîs royaume et marquisat, et de ne les
point attaquer, offenser, difffimer ou injurier sous prétexte des
disputes ci-devant agitées au sujet de <|uel(]ues difficultés sur
des matières de foi et sur les quatre articles (lesquelles difficultés
sont maintenant aplanies par la convention ci-devant stipulée),
non plus que sous prétexte que les Bohémiens et les Moraviens
ont communié par le passé, et continuc^ront dans la suite confor-
mément à ladite convention à communier sous les deux espèces.
Voulons qu'on traite avec affection et fraternellement les Bohé-
miens et les Moraviens, (^t qu'on les regarde comme bons catho-
liques, et comme des enfans pleins de respect et d'obéissance pour
cl marchionis Moravi», ad inï^iantcs procès nostras sunt prœsentibus appensa.
Datuni Iglavios Olomuceusis difpcesiri, die qiiiutàmcnsis julii, anno Uoiriini 14oC.
(a) Les noms paroissent estropiés, ou dans Goldast ou dans l'appendice au
concile de Bàle du P. Labbe. Au lieu de Poloniar, le P. Labbe lit Polcmar, et
ensuite Bcrriuer, au lieu de Bernerius. [ Edit. de Lcroi. )
SENTENCE EXECUTOIRE, ETC. 1 1 {
l'Eglise leur ^îère. Déclarons expressément que si quelqu'un en-
freint cette ordonnance, il sera puni comme sa faute le mérite,
et l'on ne regardera pas cette infraction de quelques particuliers
comme une rupture de la paix.
Au sujet de la communion sous les deux espèces, nous, ainsi
qu'il est stipulé dans les articles, par l'autorité de Jésus- Christ
Notre-Seigneur et de l'Eglise sa véritable Epouse, accordons aiLx
Bohémiens et aux Moraviens de l'un et de l'autre^exe (lescpiels
prouvent par des effets qu'ils embrassent sincèrement la réunion
et la paix avec l'Eglise, dont ils suivent la foi et les rits, excepté
dans la manière de communier), la permission de communier
sous les deux espèces conformément à leur usage ; réservant au
saint concile la discussion finale de ce qui est de précepte à cet
égard, lequel concile décidera ce que la vérité catholique oblige
de croire, et ce qu'on doit observer pour l'utilité et le salut du
peuple chrétien.
Après que toutes choses am'ont été mûrement et solidement
discutées, si les peuples desdits royaume et marquisat persistent
à désirer de communier sous les deux espèces, le saint concile
ayant égard à ce cpie diront leurs ambassadeurs, permettra dans
le Seigneur aux prêtres de donner la communion sous les deux
espèces, pour l'utilité et le salut de ces peuples, à ceux qui la de-
manderont avec respect et dévotion, dépendant les prêtres auront
grand soin de dire à ceux auxquels ils dormeront ainsi la com-
munion, quils doivent croire d'une foi ferme, que la chair n'est
I las seule sous l'espèce du pain, ni le sang seul sous l'espèce du
vin ; mais que Jésus-Christ est tout entier sous chaque espèce.
Nous ordonnons, par l'autorité de Jésus-Christ Notre- Seigneur
et de l'Eglise sa véritable Epouse, que, selon la teneur de la con-
\ ention, les Bohémiens et les Moraviens de l'un et de l'autre s(;xe,
lesquels prouvent par des effets qu'ils embrassent sincèrement la
rémvion et la paix avec l'Eglise, dont ils suivront la foi et les rits,
excepté dans la manière de communier, puissent continuer à
communier sous les deux espèces : déclarant expressément que
par le mot foi, employé ci-dessus et dans la suite, on entend et
l'on doit entendre la vérité première, laipielh; est le fondement et
H2 DISSERT. SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
la base des autres vérités manifestées dans l'Ecriture sainte, in-
terprétée conformément à la doctrine de l'Eglise : qu'on entend
aussi et qu'on doit entendre par ces mots : Rits de V Eglise uni-
verselle, non les rits particuliers qui varient dans les différens
lieux, mais ceux qui sont communément et généralement observés
dans la célébration des saints mystères. Et après que cette dé-
claration aura été reçue en général au nom du royaume de Bo-
hême et du marquisat de Moravie, s'U arrive que quelques parti-
culiers ne suivent pas aussitôt, dans la célébration des saints mys-
tères, certains rits miiversellement observés, cette contravention
ne mettra pas obstacle à la paix et à la réunion.
C'est pourquoi nous ordonnons en vertu de la sainte obéissance,
aux révérends Pères en Jésus-Christ , l'archevêque de Prague, et
les évêques d'Olmutz et de Littomissel, présens et à venir, et à
tous et chacun des pasteurs ayant charge d'ames, d'administrer
sur la réquisition de ceux à qui il appartient ou appartiendra , le
sacrement de FEucharistie sous les deux espèces, ainsi qu'U est dit
dans la convention, c'est-à-dire à ceux qui sont dans cet usage,
et de ne point négliger de le faire administrer de la sorte, partout
où la nécessité des peuples le requerra : et qu'aucun ne soit assez
téméraire pour agir autrement que le porte la présente ordon-
nance, ou pour s'opposer à son exécution.
Jjes étudians [a] qui auront communié , et qui conformément à
la convention voudront dans la suite commmiier sous les deux
espèces, dans la résolution, lorsqu'ils seront parvenus au saint
ministère, de donner aux autres la communion de cette sorte , ne
pourront pour cette raison être éloignés des saints ordres ; et nous
voulons (jue lem's évêques les y élèvent , s'il n'y a point d'autre
empêchement canonique. Si quelqu'un a la témérité d'agir contre
cette ordonnance , qu'il soit pmii par son supérieur comme sa
faute le mérite, afui qu'il connoisse par la sévérité du châtiment,
quel crime commettent ceux qui méprisent l'autorité du saint concile
général. Nous ordonnons pareillement par ces présentes , à toute
personne de quelque état , dignité et condition qu'elle soit, de ne
(«) Lo. mot s-rfiohirr'.'i no peut ètrn traduit nutreuiont. 11 est clair (jii'il s'agit ici
de ceux qui élutlioient pour se disposer à l'état ecclésiastique. {Edit. de Leroi.)
SENTENCE EXÉCUTOIRE, ETC. 413
faire aucun reproche aux Bohémiens et aux Moraviens unis à l'E-
glise, qui communient sous les deux espèces en la manière marquée
ci-dessus^ et de ne point attaquer leur homieur et leur réputation.
Nous voulons que les ambassadeurs desdits royaume et mar-
quisat, qui^ comme nous l'espérons de la bonté de Dieu, seront en-
voyés au saint concile, et tous autres de ce royaume et marquisat
qui voudront y venir, aient une pleine liberté de proposer modes-
tement leurs difficultés, tant sur les matières delà foi, des sacre-
ment et des rits ecclésiastiques, que même sur la réformation de
l'Eglise dans son Chef et dans ses membres , et l'on fera, sous la
direction du Saint-Esprit, ce qui sera juste et raisomiable pour la
gloire de Dieu et le règlement de la discipline ecclésiastique.
Nous reconnoissons que dans les Actes passés à Prague, dont l'un
commence par ces mots : Hœc suntresponsa, et finit ainsi : Actum
per Revcrendiun in Chris ta Patre?n D. Philibertum ; et les autres :
Hanc responsionem scriptam, etc. Primo dixerunt, etc., le saint
concile n'entend pas permettre la communion sous les deux espèces
par simple tolérance, et de la manière que le divorce étoit permis
aux Juifs. Carie saint concile, qui veut donner aux Bohémiens et
aux Moraviens des marques éclatantes de sa grande tendresse ,
n'a pas intention de leur permettre ime chose qu'ils ne pourroient
faire sans péché : il leur permet, par l'autorité de Jésus-Christ
et de l'Eglise sa véritable Epouse , la communion sous les deux
espèces; parce qu'elle est licite, utile et salutaire à ceux qui la
reçoivent dignement.
Nous sommes convenus avec le gouverneur, les barons et
autres, que les ai'ticles de la convention seroient exécutés selon
la forme et teneur du présent décret, et d'un autre acte de même
gem'e ; et nous nous en tenons de part et d'autre à ladite forme et
tenem". Nous sommes pareillement convenus que, pour autoriser
ces actes respectifs, on y apposera, sur la réquisition des parties,
les sceaux du sérénissime Empereur et du très-illustre Albert, duc
d'Autriche. Nous donnerons un sauf-conduit à ceux qui seront
envoyés au saint concile en qualité d'ambassadeurs du royaume
de Bohème, semblable à celui par nous ci-devant donné à Mat-
thias, à Procope et à Martin. Nous remettrons aussi une bulle du
TOM. xviu. 8
] 14 DISSERT. SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
saint concile, dans laquelle seront insérés et confirmés les articles
de la convention. Nous y ajouterons une autre bulle dans laquelle
notre décret, touchant l'exécution desdits articles, sera inséré et
confirmé. Lorsqu'on nous aura mis entre les mains l'acte par
lequel le royaume promet obéissance, nous nous engagerons par
écrit à faire toute la diligence possible poiu obtenir au plus tôt du
saint concile les deux bulles ci-dessus mentionnées; et notre écrit
sera muni des sceaux du sérénissime Empereur et du très-illustre
duc d'Autriche. Nous demandons pareillement un sauf-conduit
pour ceux d'entre nous qui voudront aller en Bohême. Pliilibert,
évoque de Coutances ; Jean de Polomar , auditeur de la chambr<',
apostolique; Tilman, prévôt de Saint-Florin, avons donné les
présentes pour faire foi de ce que dessus, tant en notre nom qu'au
nom de nos collègues absens, dont nous n"avons pas les sceaux;
et nous avons fait apposer les nôtres [a^ .
ANNOTATIOINES D. LEIBNIZII,
IX PAf.TA CUM BOHEMIS, SIPKRIIS RELATA.
liœc Coîupactata fuere approbata à concilio Basileensi, et al)
ipso Pontifice Eugcnio lY.
Imprimis memorabile est quœstionem de prœcepto (utrùm sci-
licet utrius(|ue speciei usus omnibus christianis prœceptus sit )
reUctam in bis concordatis indecisam, et ad futuram concilii
defmitionem fuisse remissam ; tametsi constaret quid jam pro-
nuntiasset synodus (^onstantiensis : quoniam scilicet ejus auctori-
tatem Bohemi non agnoscebant.
Undè inteUigitur posse Pontificem maximum hodiè eodem jure
((■() T)cviK un autre exemplairp on lit : En foi de tout ce (]tic dessus, uous avons
l'ait apposer nos sceaux au présent Acte. Et pour plus grande ceititude, force
et autoiité, on y a ajouté sur nos instantes prières, les sceaux du sérénissini*!
Sigisniond, Empereur romain, et du très-illustre Albert, duc d'Autriche ai mai -
<]uis de Moravie. Donné à Iglaw, diocèse d'Olmutz, le 5 du mois de juillet I43ii.
OBSERVATIONS DE M. DE, LEIBNIZ, ETC. nr>
iiti, et sepositis apud protestantes Tridentinis decretis, eonciliare
eos cum reliquis ecclesiis, et controversias qnasdam siiperfuturas,
non obstantibus Tridentinae synodi defmitionibus vel anathema-
tismis, ad fiituri concilii œciunenici irrefragabilia statuta remit-
tere, eaqiie videtur unica snperesse schismatis sine vi ac mnltà
sangninis effusione tollendi via.
Et quod uni regno eiqne non integro , sacrae pacis amore, et
servandaruni animaiimi gratià olim concessum est, miiltô gra-
vioribus causis videntiir impetrare debere protestantes, tôt régna,
magnamque Eiu-opse partem complexi, et totum propè septen-
trionem meridionaliori traetui Eiu-opse, gentesque plerasque Ger-
manicas Latinis opponentes. Ut adeô sine ipsis aliquid de totà
Ecclesiâ velle statuere, neque a?quum satis, neqne admodùm
eftîcax futm'iun videatiu*. Et consiiltiùs futumm sit ejusdem ,
qiiem paulô antè nominavimus, Eugenii IV tractandae pacis ra-
tionem imitari, qui Graecos licèt toties in Occidente damnatos et
calamitatibus fractos, ac propemodùm supplices, non superbe re-
jecit, aut alienis decretis parère jussit; sed in ipsum concibnm
Florentinum sententiam dictiu^os admisit.
OBSERVATIONS DE M. DE LEIB>;ïZ,
SUR LACTE CI-DESSUS RAPPORTÉ.
Cette convention fut approuvée par le concile de Bàle, et même
par le pape Eugène lY.
Il est surtout remarquable que la question touchant le précepte
( savoir s'il est ordonné à tous les chrétiens de communier sous
les deux espècesi, resta indécise dans l'Acte de convention, et fut
renvoyée ù la définition du futur concile, quoiqu'on sût fort bien
ce que le concile de Constance avoit déjà prononcé; ce qu'on fit
par ménagement pour les Bohémiens, qui ne reconnoissoient pas
l'autorité de ce concile.
116 DISSERT. SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
Or le souverain Pontife a le même di^oit aujourd'hui , et peut
par conséquent réunir les protestans à l'Eglise catholique romaine,
en mettant à l'écart les décrets de Trente, et en renvoyant certains
points de controverse au jugement irréfragable du futur concile
général, sans avoir égard aux décisions et anathématismes du
concile de Trente. Ce mojen paroît le seid propre à extirper le
schisme sans violence et sans effusion de sang.
Si le désir de la paix et du salut des âmes d'mi seul royaume,
ou plutôt d'une partie d'un royaume , fut autrefois un motif assez
puissant pour engager à une telle condescendance, combien est-il
plus juste d'en user aujourd'hui de même avec les protestans, qui
remplissent tant de royaumes et une partie considérable de l'Eu-
rope , qui peuvent opposer presque tout le Nord à la partie plus
méridionale de l'Europe, et la phqiart des nations germaniques
aux peuples latins? 11 n'est, ce semble, ni juste ni utile de vouloir
décider sans eux des points qui intéressent l'Eglise universelle. Si
l'on veut parvenir à une paix solide, il seroit ])eaucoup plus sage
de prendre pour modèle la conduite d'Eugène IV, dont on vient de
parler. Ce pape, loin de rejeter avec hauteur les Grecs tant de fois
condamnés en Occident, et qui réduits à une extrême misère, ve-
noient alors en qualité de supplians chercher auprès de lui quelque
ressource, n'exigea pas même qu'ils se soumissent aux décrets
des conciles auxquels ils n'avoient point eu de part, mais les admit
en qualité de juges dans le concile de Florence.
RECUEIL
DE DISSERTATIONS ET DE LETTRES
1:0 N 1: K, R N A N T
UN PROJET DE RÉUNION DES PROTESTANS D'ALLEMAGNE,
DE LA COXFESSÎOX D'AUGSBOURr,,
A L'EGLISE CATHOLIQUE.
SECONDE PARTIE
QUI CONTIENT LES LETTRES.
LETTRE PREMIERE.
LEIBNIZ A MADAME DE BRINON.
A Hanovre, 16 juillet 1691.
Madame,
C'est beaucoup que vous ayez jugé ma lettre digne d'être lue ;
mais c'est trop que vous l'ayez lue à madame l'abbesse. On doit
craindre les lumières de cette grande princesse , smiout quand
on écrit aussi mal que je fais ; et ce que votre bonté vous fait pa-
roître supportable, sera condamné d'im juge plus sévère.
Madame la duchesse , qui a lu avec plaisir la belle lettre dont
vous m'avez honoré, a remarqué avec cette pénétration qui lui
est ordinaire, que le récit mémorable des motifs du changement
de feu Madame votre mère a quelque chose de commun avec ce
cpi'on rappporte de feu Madame la princesse Palatine , dans le
sermon funèbre fait par M. Fléchier, si je ne me trompe [a). Il
faut avouer rpie le cœur humain a l)ien des replis, et que les per-
suasions sont comme les goûts : nous-mêmes ne sommes pas
0 II se trompe en effet; VOraison funèbre est de Bossuet.
H 8 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
toujours dans une même assiette ; et ce qui nous trappe dans un
temps, ne nous touclioit point dans Tautre. Ce sont ce que j'ap-
pelle les raisons inexplicables : il y entre quelque chose qui nous
passe. Il arrive souvent que les meilleures preuves du monde ne
touchent point, et que ce qui touche n'est pas proprement mie
preuve.
Vous avez raison , ^ladame , de me juger cathoMque dans le
cœm^ ; je le suis même ouvertement : car il n'y a que l'opiniâtreté
qui fasse l'hérétique ; et c'est de quoi , grâce à Dieu , ma con-
science ne m'accuse point. L'essencç de la catholicité n'est pas de
commmiier extériemement avec Rome ; autrement ceux qui sont
excommuniés injustement cesseroient d'être catholiques malgré
eux et sans ([u'il y eût do leur faute. Lacomnninion ^Taie et essen-
tielle, qui fait que nous sommes du corps de Jésus-Christ, est la
charité. Tous cinix (]ui entretiemient le scliisme par leur faute,
en mettant des obstacles à la réconciliation, i-ontraires à la cha-
rité, sont véritablement des scliismatiques : au lieu que ceux qui
sont prêts à faire tout ce qui se peut pour entretenir encore la
communion extérieure, sont cathohques en effet. Ce sont des
principes dont on est obhgé de convenir partout. Vous me ferez,
Madame, la justice de croire cpie je ne ménage rien (piand il s'agit
de l'intérêt de Dieu; et je ne ferois pas scrupule de confesser de-
vant les hommes ce (pie je juge important à mon salut, ou à
celui des autres : outre que je suis dans mi pays où la juste mo-
dération , en matière de religion, est dans son souverain degré,
au cMh de ce que j'ai pu remarquer partout aillem's, et où la
déclaration qu'on peut faire en ces matières ne fait tort à per-
soime. Je ne suis pas homme à trahir la vérité pour quehiue
avantage ; et je me fie assez à la Providence, pour ne pas appré-
hender les suites d'une proléssion sincère de mes seiitimens. Mais
j'am'ois mauvaise giace de faire le brave ici, et de m'attribuer un
courage dont on n'a pas besoin, par les bontés que nos souverains
témoignent aux homiètes gens, de quelque religion qu'ils soient.
De plus. Madame, c'est par ordi"e du Prince que les théologiens
de ce pays ont donné une déclaration de leurs sentimens à M. l'é-
vêque de Neustadt , autorisé en quelque façon de l'Empereur, et
LEIBNIZ A M™" DE BRINON, 16 JUILLET lfi71. {{<)
même du Pape, touchant les moyens de lever le schisme. Cet
évêque en a été très-satislait, et même la cour de Rome en a été
ravie. J'ai fort applaudi à cette déclaration, qui nous délivre en-
tièrement de l'accusation du schisme , et qui met dans leur tort
tous ceux cpii peuvent faire cesser les ohstacles contraires aux
conditions raisoimables qu'on y a attachées, et qui ne le voudront
pas faire. Je crois, Madame, vous avoir déjà entretenue de cette
affaire. Que pouvons-nous faire davantage ? Les églises d'Alle-
magne, non plus que celles de France, ne sont pas ohhgées de
suivTe tous les mouvemens de celle d'Italie. Comme la France
auroit tort de trahir la vérité pour reconnoître l'infaiUiliilité de
Rome , car eUe imposeroit à la postérité un joug insupportable :
de même on auroit tort en AUemagne d'autoriser mi concile, le-
(}uel, tout bien fait qu'il est, semble n'avoir pas tout ce qu'il faut
pour être œcuménique.
Quand tout ce qu'il y a dans le concile de Trente seroit le meil-
leur (la monde , comme efifectivement il y a des choses excel-
lentes, il y auroit toujours du mal de lui donner plus d'autorité
qu'il ne faut, à cause de la conséquence. Car ce seroit approuver
et confumer un moyen de faire triompher l'intrigue, si une assem-
blée dans laquelle une seule nation est absolue , pouvoit s'attri-
buer les droits de l'Eglise universelle ; ce qui pourroit tourner
un jour à la confusion de l'Eglise, et faire douter les simples de la
vérité des promesses di\1nes. J'ai déjà écrit à M. Pelisson qu'au-
tant que je puis apprendre, la nation françoise n'a pas encore re-
connu le concile de Trente pom' œcuménique ; et en Allemagne,
l'archidiocèse de Mayence, duquel sont les évèques de notre
voisinage , ne l'a pas encore reçu non plus. On est redevable à la
France d'avoir conservé la liberté de l'Eglise contre l'infaillibilité
des papes ; et sans cela je crois que la plus grande partie de l'Oc-
cident aui'oit déjà subi le joug ; mais elle achèvera d'obliger
l'Eglise catholique, en continuant dans cette fermeté nécessaire
contre les surprises ultramontaines, qu'elle a montrée autrefois
en s'opposant à la réception du concile de Trente ; ce qu'elle n'a
pas encore rétracté ; et rien n'est survenu qui doive la faire changer
de sentiment. C'est ain.si qu'on peut moyemier la paix de l'Eglise,
120 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
sans faire tort à ses droits ; au lieu qu'il sera difficile de procurer
la réunion par une autre voie. Car il semble que , le destin mis a
part, le meillem' remède pour guérir la plaie de l'Eglise seroit un
concile bien autorisé ; et nos théologiens ont cru que même on
poiuToit rétablir préalablement la communion ecclésiastique, en
convenant de certains points, et en remettant d'autres à la déci-
sion de ce concile ; ce que les docteurs considérables de Rome
même ont jugé faisable, par des raisons que je crois avoir ex-
pliquées dans une de mes précédentes.
Je joins ici le pouvoir que l'Empereur vient de donner à M. l'é-
vêque de Neustadt [a], dont j'ai déjà parlé : et par ce pouvoir il
est autorisé à traiter avec les protestans des terres héréditaires,
conformément aux projets dont il étoit convenu avec les théolo-
giens de Brunswick ; car ce que cet évêque m'a envoyé depuis
peu y convient entièrement. Je souliaite, pour la gloire du Roi et
pour le succès de l'affaire, que la France y prenne part : elle est
la pkis propre à être en ceci la médiatrice des nations, et de ré-
concilier l'Italie avec l'Allemagne : lorsque le Roi se mêle de
quelque chose, il semble qu'elle est presque faite. C'est à M. l'é-
vêque de Meaux, à M. Pelisson et à d'autres grands hommes de
cette espèce, de faire ménager des occasions qui ne se présentent
peut-être qu'ime fois dans un siècle. Votre éminente vertu, Ma-
dame, qu'on voit éclater par un zèle si pur et si judicieux, sera
d'un grand poids pour ranimer le leur. Je suis avec respect. Ma-
dame, votre, etc.
Leibniz.
LETTRE IL
M""' LA DUCHESSE DE HANOVRE A M">« L'ABBESSE DE MONTBUISSON.
(EXXnAIT.)
10 Septembre 1691.
J'ai envoyé la lettre de madame de Brinon à Leibniz, qui est
présentement dans la bibliothèque de Wolfenbuttel. Je ne sais si elle
{a) L'acte qiii renferme ce plein pouvoir se trouve au commeiiccmoiit des.
pièces sm- la réunion des protestans. vol. XVll; p 358.
BOSSUET A M"'^ DE BRINON , 29 SEPTEMBRE 1691. 121
a lu un luTe où il y a le voyage d'un nonce au mont Liban, où il a
reçu les Grecs dans l'Eglise catholique , dont la différence est bien
plus grande que la nôtre avec votre église ; et on les a laissés ,
comme vous verrez dans cette histoire, comme ils étoient, don-
nant la liberté à leurs prêtres de se marier, et ainsi du reste. C'est
pour cela que je ne sais pas la raison pourquoi nous ne serions
pas reçus aussi bien qu'eux, la difTérence étant bien moindre.
Mais comme vous dites que chez vous il y en a qui y sont con-
traires , c'est aussi la même chose parmi nous ; ce qui me fait
appréhender que quand on voudra s'accorder sur les points dont
notre abbé Molanus de Lokkum est convenu avec quelques autres
des églises luthériennes, il y en am-a d'autres qui y seront con-
traires ; et ainsi ce seroit comme une nouvelle religion. Je crois
avoir envoyé autrefois à M. l'évêque de i^Ieaux tous les points
dont l'on est convenu avec jI. l'évêque de Neustadt, où M. Pelis-
son les pourra avoir, s'ils ne sont pas perdus. Si madame de Bri-
non avoit donné les livres de M. de Meaux à M. de la Neuville, il
les auroit apportés ici ; s'il n'est pas parti , cela se pourroit fah^e
encore. Une difficulté que je trouve encore, si on nous accorde ce
que nous demandons pour rentrer dans le giron de l'Eglise , les
catholiques pomToient dire : Nous voulons qu'on nous accorde les
mêmes choses. Il n'y a que les princes qui puissent mettre ordre
à cela, chacun dans son pays. Je ne crois pas que Leibniz ait lu
les livres de M. de Meaux; mais la réponse à Jurieu est celle où
la duchesse l'a fort admiré , conmie aussi le Catéchisme du Père
Canisi jésuite, qu'on a traduit en allemand
LETTRE in.
BOSSUET A MADAME DE BRINON.
29 seplombre 1691.
Je me souviens bien. Madame, que madame la duchesse d'Ha-
novre m'a fait l'honneur de m'envoyer autrefois les articles qui
avoient été arrêtés avec M. l'évêque de Neustadt [a) ; mais comme
(a) Ce sont les ai licier iutitnlé.s : Rpcii1;l' ciica cluistiaiiorum rcuniouem,
•Tol. XV!!, p. 300.
122 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
cette alîaire ne me parut pas avoir de la suite , j'avoue que j'ai
laissé échapper ces papiers de dessous mes yeux, et que je ne sais
plus où les retrouver : de sorte qu'il faudroit, s'il vous plait, sup-
plier très-humblement cette princesse de nous renvoyer ce projet
d'accord. Car encore qu'il ne soit pas suffisant, c'est quelque chose
de fort utile que de faire les premiers pas de la réunion, en attendant
cpi'on soit disposé à faire les autres. Les ouvrages de cette sorte
ne s'achèvent pas tout d'un coup, et l'on ne revient pas aussi vite
de ses préventions qu'on y est entré. Mais pour ne se pas tromper
dans ces projets d'union, il faut être bien averti qu'en se relâchant
selon le temps et l'occasion sur les articles indifférens et de disci-
pline , l'Eglise romaine ne se relâchera jamais d'aucun point de
la doctrine défmie , ni en particulier de ceUe qui l'a été par le
concile de Trente.
M. de Leibniz objecte souvent à M. Pehsson que ce concile n'est
pas reçu dans le royaume. Cela est vrai pour quelque partie de la
discipUne inditrerente, parce que c'est une matière où l'Eglise
peut varier. Pour la doctrine révélée de Dieu et définie comme
telle, on ne l'a jamais altérée; et tout le concile de Trente est reçu
unanimement à cet égard , tant en France que partout ailleurs.
Aussi ne voyons-nous pas que ni l'Empereur ni le Roi de France,
qui étoient alors et qui concouroient au même dessein de la ré-
formation de l'Eglise, aient jamais demandé qu'on en réformât
les dogmes ; mais seulement qu'on déterminât ce qu'il y avoit à
corriger dans la pratique, ou ce qu'on jugeoit nécessaire pour
rendre la discipline plus parfaite. C'est ce qui se voit par les ar-
ticles de réformation qu'on envoya alors de concert , pour être
délibérés à Trente, qui tous ou pour la plupart, étoient excellens ;
mais dont phisieurs n' étoient peut-être pas assez convenables à
la constitution des temps. C'est ce qu'il seroit trop long d'expli-
quer ici, mais ce cpi'on peut tenir pour très-certain.
Quant au voyage d'un nonce au mont Liban , où madame la
duchesse d'Hanovre dit qu'on a reçu les Grecs à notre conuiiunion,
je ne sais rien de nouveau sur ce sujet-là. Ce qui est vrai , c'est,
Madame, que le mont Liban est habité parles Maronites, qui sont,
il y a longtemps , de notre communion et conviennent en tout et
BOSSUEÏ A M-"^ DE BRINON, 29 SEPTEMBRE 1(591. 123
partout de notre doctrine. li n'y a pas à s'étonner qu'on les ait
reçus dans notre Eglise sans changer leurs rits, et peut-être même
qu'on n'a été que trop rigoureux sur cela. Pom* les Grecs, on n'a
jamais fait de difficulté de laisser l'usage du mariage à leurs
prêtres. Pour ce qui est de le contracter depuis leur ordination ,
ils ne le prétendent pas eux-mêmes. On sait aussi que tous leiu-s
évèques sont obligés au célibat, et que pour cela ils n'en font
point qu'ils ne les tirent de Tordre monastique , où l'on en fait
profession. On ne les trouble pas non plus sur l'usage du pain de
l'Eucharistie, qu'ils font avec du levain : ils communient sous les
deux espèces, et on lem* laisse sans hésiter toutes leurs coutumes
anciennes. Mais on ne trouvera pas qu'on les ait reçus dans notre
communion, sans en exiger expressément la profession des dogmes'
qui séparoient les deux églises , et qui ont été définis conformé-
ment à notre doctrine dans les conciles de Lyon et de Florence.
Ces dogmes sont la procession du Saint-Esprit, du Père et du Fils,
la prière pom' les morts, la réception dans le ciel des âmes suffi-
samment purifiées, et la primauté du Pape établie en la personne
de saint Pierre. Il est. Madame, très-constant qu'on n'a jamais
reçu les Grecs qu'avec la profession expresse de ces quatre arti-
cles, qui sont les seuls où nous différons. Ainsi l'exemple de lem'
réunion ne peut rien faire au dessein qu'on a. L'Orienta toujours
eu ses coutumes, que l'Occident n'a pas improuvées; mais comme
l'EgUsé d'Orient n'a jamais souffert qu'on s'éloignât en Orient
des praticpies qui y étoient unanimement reçues, l'Eglise d'Occi-
dent n'approuve pas que les nouvelles sectes d'Occident aient
renoncé d'elles-mêmes et de lem* propre autorité , aux pratiques
que le consentement unanime de l'Occident avoit établies. C'est
pourquoi nous ne croyons pas que les luthériens ni les calvinistes
aient dû changer ces coutumes de l'Occident tout entier ; et nous
croyons au contraire que cela ne doit se faire que par ordre , et
avec l'autorité et le consentement du chef de l'Eglise. Car sans
subordination , l'Eglise même ne seroit rien qu'un assemblage
monstrueux, où chacun feroit ce qu'il voudroit, et interroinproit
l'harmonie de tout le corps.
J'avoue doue qu'nn jiouiToit accorder aux luthériens certaines
124 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
choses qu'ils semblent désirer beaucoup, comme sont les deux
espèces ; et en effet , il est bien constant que les papes , à qui les
Pères de Trente avoient renvoyé cette affaire , les ont accordées
depuis le concile à quelques pays d'Allemagne qui les deman-
doient. C'est sur ce point et sur les autres de cette nature , que
la négociation pourroit tomber. On pourroit aussi convenir de
certaines explications de notre doctrine ; et c'est, s'il m'en souvient
bien , ce qu'on avoit fait utilement en quelques points dans les
articles de M. de Neustadt. Mais de croire qu'on fasse jamais au-
cune capitulation sur le fond des dogmes définis , la constitution
de l'Eglise ne le souffre pas ; et il est aisé de voir que d'en agir
autrement, c'est renverser les fondemens, et mettre toute la reli-
gion en dispute. J'espère que M. de Leibniz demeurera d'accord
de cette vérité, s'il prend la peine de lire mon dernier écrit contre
le ministre Jurieu que je vous envoie pour lui. Je vois dans la
lettre de madame la duchesse dHanovre, qu'on a vu à Zell les
réponses que j'ai faites à ce ministre, et que madame la duchesse
de Zell ne les a pas improuvées. Si cela est, il faudroit prendre
soin de lui faire tenir ce qui lui pourroit manquer de ces réponses,
et particulièrement tout le sixième Avertissement. Voilà, Madame,
l'éclaircissement que je vous puis donner siu* la lettre de madame
la duchesse d'Hanovre, dont madame de Maubuisson a bien voulu
que vous m'envoyassiez l'extrait. Si elle juge qu'il soit utile de
faire passer cette lettre en Allemagne, elle en est la maîtresse.
Quant aux autres difficidtés que propose M. de Leibniz, il en
aura une si parfaite résolution par les réponses de M. Pelisson,
que je n'ai rien à dire sur ce sujet. Ainsi je n'ajouterai que les
assurances de mes très-humbles respects envers madame d'Ha-
novre , à qui je me souviens d'avoir eu l'honneur de les rendre
autrefois à Maubuisson; et je conserve une grande idée de l'esprit
d'une si grande princesse. C'est, Madame, votre très-humble
serviteur,
J. -Bénigne Bossuet, Ev. de Meaux.
Du 29 sonteiiibre ÎGOI.
LEIBNIZ A M'"" DE BRINON, 29 SEPTEMBRE 1691. 125
LETTRE IV.
LEIBNMZ A MADAME DE BRINON.
29 septembre 1(J91.
Madame,
Aussitôt que nous avons appris que ce qu'on avoit envoyé au-
trefois à M. l'évêque de Meaux, touchant la négociation de M. de
Neustadt [a], ne se trouve pas, M. l'abbé Molanus, qui est le pre-
mier des théologiens de cet état, et qui a eu le plus de part à cette
affaire, y a travaillé de nouveau. J'envoie son écrit à M. l'évêque
de Meaux [b], et je n'y ai pas voiûu joindre mes réflexions ; car •
ce seroit une témérité à moi de me vouloir mettre entre deux
excellens hommes, dans une matière qui regarde leur profession.
Cependant comme vous avez la bonté , Madame , de souffrir mes
discours, qui ne peuvent être recommandables que par lem* sin-
cérité, je dirai quelque chose à vous, sur cette belle lettre de M. de
Meaux que vous nous avez commmiiquée, et dont en mon parti-
culier je vous ai une très-grande obligation, aussi bien qu'à cet
illustre prélat, qui marque tant de bonté pour moi.
M. de Meaux dit, I : « Que ce projet donné à M. de Neustadt ne
lui paroit point encore suffisant ; II. Qu'il ne laisse pas d'être fort
utile, parce qu'il faut toujours quelque commencement; III. Que
Rome ne se relâchera jamais d'aucun point de la doctrine définie
par l'Eglise , et c[u'on ne sam'oit faire aucune capitulation là-des-
sus ; IV. Que la doctrine définie dans le concile de Trente est reçue
en France et ailleurs par tous les catholiques romains ; V. Qu'on
peut satisfaire aux protestans, à l'égard de certains points de dis-
cipline et d'explication, et qu'on l'avoit fait utilement en quel-
ques-uns touchés dans le Projet de M. de Neustadt, » Voilà les
propositions substantielles de la lettre de M. de Meaux, que je
tiens toutes très- véritables. Il n'y en a qu'une seule encore, dans
(a) L'écrit intitulé Regulœ, dont il a déjà été parlé.
{h) C'est celui qui a pour titre : Cogitationcs i>rivafce. Ou l'a donné dans la
première partie. {Edit. de Leroi.)
120 LETTRES SUR LA RÉUNlOiN DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
cette même lettre , qu'on peut mettre en question ; savoir si les
protestans ont eu droit de changer de leur autorité quelques rits
reçus dans tout l'Occident. Mais comme elle n'est pas essentielle
au point dont il s'agit, je n'y entre pas.
Quant aux cinq propositions susdites (autant que je comprends
l'intention de ^I. de Neustadt et de ceux qui ont traité avec lui) ,
ils ne s'y opposent point , et il n'y a rien en cela qui ne soit con-
forme à leurs sentimens : surtout la troisième , qu'on pourroit
croire contraire à de tels projets d'accommodement, ne leur pou-
voit être inconnue; M. de Neustadt, aussi bien que M. Molanus
et une partie des autres qui avoient traité cette affaire, ayant
régenté en théologie dans des universités. On peut dire même
qu'ils ont Ijàti là-dessus , parce qu'ils ont voulu voir ce cpi'il étoit
possible de faire entre des gens qui croient avoir raison chacmi ,
et qui ne se départent point de lem's principes ; et c'est ce qu'il y
a de singulier et de considérable dans ce projet. Tls ne nièrent
point non plus la première; car ils n'ont regardé leur projet que
comme un pourparler ; pas un n'ayant charge de son parti de
conclm'e quelque chose. La seconde et la cinquième contiennent
une approbation de ce qu'ils ont fait , qui ne sauroit manquer de
leur plaire. Je conviens aussi de la quatrième; mais elle n'est pas
contraire à ce que j'avois avancé. Car quoique le royaume de
France suive la doctrine du concile de Trente, ce n'est pas en vertu
de la déiinition de ce concile, et on n'en peut pas inférer que la
nation françoise ait rétracté ces protestations ou doutes d'autre-
fois , ni qu'elle ait déclaré que ce concile est véritablement œcu-
ménique. Je ne sais pas même si le Roi voudroit faire une telle
déclaration , sans une assemblée générale des trois Etats de son
royaume; et je prétends que cette déclaration manque encore en
Allemagne, même du côté du parti catholique. Cependant il faut
rendre cette justice à M. Févêque de Neustadt, qu'il souhaiteroit
fort de pouvoir disposer les protestans et tous les autres à tenir le
concile de Trente pour ce qu'il le croit être, c'est-à-dire pour uni-
versel ; et quil y eût moyen de leur faire voir qu'ils ont lieu de se
contenter des expositions aussi belles et aussi modérées que celles
que M. de Meaux en a données, de l'aveu de Rome même. C'est
LEIBNIZ A M'"^ DE BRINON, 29 SEPTEMBRE 1691. 127
même une chose à laquelle Je crois que M. de Neustadt travaille
encore effectivement. Il m'avoua d'avoir extrêmement profité de
cet ouvrage [a], qu'il considère comme un des plus excellens
moyens de retrancher une bonne partie des controverses.
Mais comme il en reste quelques-unes , où il n'y a pas encore
eu moyen de contenter les esprits par la seule voie de Texplica-
tion, telle qu'est, par exemple, la controverse de la transsubstan-
tiation, la question est : Si nonobstant des dissensions sur certains
points qu'un parti tient pour vrais et définis et que l'autre ne tient
pas pour tels , il seroit possible d'admettre ou de rétablir la com-
munion ecclésiastique : je àispossidle en soi-même d'une possibi-
lité de droit, sans examiner ce qui est à espérer dans le temps et
dans les circonstances où nous sommes. Ainsi il s'agit d'examiner
si le schisme pourroit être levé par les trois moyens suivans joints
ensemble. Premièrement, en accordant aux protestans certains
points de discipline, comme seroient les deux espèces, le mariage
des gens d'église, l'usage de la langue vulgaire, etc.. ; et secon-
dement, en leur donnant des expositions sur les points de contro-
verse et de foi, telles que M. de Meaux en a publiées, qui font voir
du moins de l'aveu de plusieurs protestans habiles et modérés,
que des doctrines prises dans ce sens, quoiqu'elles ne leur paroi s-
sent pas encore toutes entièrement véritables, ne leur paroissent
pas pourtant damnal)les non plus : et troisièmement, en remédiant
à quelques scandales et abus de pratique, dont ils se peuvent
plaindre , et que l'Eghse même et des gens de piété et de savoir
de la communion romaine désapprouvent; en sorte qu'après cela
les uns pourroiènt comnmnier chez les autres, suivant les rits de
ceux où ils vont , et que la hiérarchie ecclésiastique seroit réta-
blie : ce que les différentes opinions sur les articles encore indécis
empècheroient aussi peu que les controverses sur la grâce, sur la
probabilité morale , sur la nécessité de l'amour de Dieu et autres
points; ou que le différend qu'il y a entre Rome et la France
touchant les quatre articles du clergé de cette nation, ont pu em-
pêcher l'union ecclésiastique des disputans, quoique peut-être
quelques-uns de ces points agités dans l'Eglise romaine, soient
(«) h'ETposnion de la dorh'ine de l'Eglise rotlolifiue.
128 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
aussi importans pour le moins que ceux qui demeureroient en-
core en dispute entre Rome et Augsbourg : à condition pourtant
qu'on se soumettroit à ce que l'Eglise pourroit décider quelque
jour dans un concile œcuménique nouveau, autorisé dans les
formes , où les nations protestantes réconciliées interviendroient
par leurs prélats et surintendans généraux reconnus pour évê-
ques, et même confumés de Sa Sainteté, aussi bien que les autres
nations catholiques.
C'est ainsi que l'état de la question sur la négociation de M. de
Neustadt et de quelques théologiens de la Confession d'Augs-
bourg, assemblés à Hanovre par l'ordre de Monseigneur le Duc,
doit être entendu, pour en juger équitablement, et pour ne pas
imputer à ces Messieurs ou d'avoir par là trahi les intérêts de
leur parti et renoncé à leurs Confessions de foi, ou d'avoir bâti
en l'air. Car cpiant à ces théologiens de la Confession d'Augs-
bourg, ils ont cru être en droit de répondre affirmativement,
bien qu'avec quelque limitation, à cette question, après avoir
examiné les explications et déclarations autorisées qu'on a don-
nées dans l'Eglise romaine, qui lèvent, selon ces Messieurs, tout
ce qu'on pourroit appeler erreur fondamentale.
M. de Neustadt de son côté a eu en main des résolutions affir-
matives de cette même question, données par des théologiens
graves d(ï di (ferons ordres, ayant parlé plutôt en se rapportant
aux sentimcns d'aulrui que de son chef. Et voici ce que j'ai com-
pris de la raison de l'affirmative : c'est qu'on peut souvent se
tromper, même en matière de foi, sans être hérétique ni schis-
matique, tandis qu'on ne sait pas et qu'on ignore mvinciblement
(jue l'Eglise catholi(pie a délhii le contraire, poui'vu qu'on recon-
noisse les principes de la catholicité, qui portent que l'assistance
que Dieu a promise à son Eglise, ne permettra jamais qu'un con-
cile œcuménique s'éloigne de la vérité en ce qui regarde le salut.
Or ceux qui doutent de l'œcuménicité d'mi concile ne savent
point que l'Eglise a défini ce qui est défini dans ce concile : et
s'ils ont des raisons d'en douter, fort apparentes pour eux, qu'ils
n'ont pu surmonter après avoir fait de bonne foi toutes les dili-
gences et recherches convenables, on peut dire qu'ils ignorent
LEIBNIZ A M"^ DE BRINON, 29 SEPTEMBRE 1691. 129
invinciblement que le concile dont il s'agit est œcuménique : et
pourvu qu'ils reconnoissent l'autorité de tels conciles en général,
ils ne se trompent en cela cjne dans le fait, et ne sauroient être
tenus pour hérétiques.
Et c'est dans cette assiette d'esprit que se trouvent les églises
protestantes, ({ui peuvent prendre part à cette négociation, les-
quelles se soumettant à un véritable concile œcuménique futur, à
l'exemple de la Confession rTAugsbourg même ; et déclarant de
bonne foi qu'il n'est pas à présent en leur pouvoir de tenir celui
de Trente pom^ tel, font connoître qu'ils sont susceptibles de la
communion ecclésiastique avec l'Eglise romaine, lors même qu'ils
ne sont pas en état de recevoir tous les dogmes du concile de
Trente. Après cela, jugez. Madame, si l'on n'a point fait du côté
de notre Cour et de nos théologiens toutes les démarches qu'il
leur étoit possible de faire en conscience pour rétablir l'union de
l'Eglise, et si nous n'avons pas droit d'en attendre autant de
l'autre côté. En tout cas, si on n'y est pas en humem* ou en état
d'y répondre, les nôtres ont du moins gagné ce point, que leur
conscience est déchargée, qu'ils sont allés au dernier degré de
condescendance, usque ad aras, et que toute imputation de schisme
est visiblement injuste à leur égard.
Enfm la question étant formée comme j'ai fait, on demande^
non pas si la chose est praticable à présent ou à espérer ; mais si
elle est loisible en ehe-même, et peut être même commandée en
conscience, lorsqu'on rencontre toutes les dispositions nécessau-es
pour l'exécuter. Si ce point de di'oit ou de théorie étoit établi, cela
ne laisseroit pas d'être de conséquence ; et la postérité en pour-
roit profiter, quand le siècle qui va bientôt finir ne serait pas assez
heureux pour en avoir le fruit. Il n'en faut pourtant pas encore
désespérer tout à fait. La main de Dieu n'est pas raccourcie : l'Em-
pereur y a de la disposition; le pape Innocent XI et plusieurs car-
dinaux, généraux d'ordres, le Maître du sacré palais et théolo-
giens graves, après l'avoir bien comprise, se sont expliqués d'mie
manière très-favorable. J'ai vu moi-même la lettre originale de
feu révérend Père Noyelles, général des jésuites, qui ne saui'oit
être plus précise : et on peut dire que si le Roi, et les prélats et
TOM. xvui. 9
130 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
théologiens qu'il entend sur ces matières s'y joignoient, l'afTaire
seroit plus que faisable; car elle seroit presque faite, surtout si
Dieu donnoit un bon moyen de rendre le calme à l'Em^ope. Et
comme le Roi a déjà écouté autrefois les sentimens de M. Tévè-
que de Meaux siu- cette sainte matière, ce digne prélat, après
avoir examiné la chose avec cette pénétration et cette modération
qui lui est ordinaire, aura une occasion bien importante et peu
commune de contribuer au bien de l'Eglise et à la gloire de Sa
Majesté : car l'inclination seule de ce monarcjue seroit déjà capa-
ble de nous faire espérer un si grand bien, dont on ne sauroit se
flatter sans son approbation.
En attendant, on doit faire son devoir par des déclarations sin-
cères de ce qui se peut ou doit faire ; et si le parti catholique ro-
main autorisoit des déclarations dont leurs théologiens ne sau-
roient disconvenir dans le fond, il est sùi* que l'Eglise en tireroit
un fruit immense ; et que bien des personnes de probité et de ju-
gement, et peut-être des nations et provinces entières, avec ceux
qui les gouvernent, voyant la barrière levée, feroient conscience
de part et d'autre de demeui'er dans la séparation, etc.
Leibniz.
LETTRE IV.
LEIBNIZ A MADAxME DE BIIINON.
Si je ne vous avois point d'autre obligation, Madame, que celle
de m'avoir procuré rhonneur de la connoissance d'un homme
aussi illustre que M. Pelisson, je ne pourrois pas me dispenser
de m'adresser à vous-même, pour vous en faire mes remercî-
mens en forme ; mais vos bontés vont bien au delà. On pouvoit
connoître M. Pelisson, sans connoître tout son mérite; et vous
avez fait. Madame, qu'il s'est abaissé jusqu'à m'instruire ; ce qu'il
a fait sans doute par la déférence qu'on a partout pour vos émi-
nentes vertus. Je suis bien aise de le contenter en quelque chose,
et de lui donner au moins des preuves de ma sincérité. Si l'on
parloit toujours aussi rondement que nous faisons, ce seroit le
LEIBNIZ A M""» DE BRINON, 29 SEPTEMBRE 1691. 131
moyen de finir les controverses : car on reconnoîtroit bientôt la
vérité^ ou du moins FindéterminaLilité delà question, lorsque les
moyens de connoitre la vérité nous manquent; ce qui suffiroit
pour notre repos : car Dieu ne nous a pas promis de nous instruire
sur tout ce que nous serions bien aises de savoir, et le privilège
de l'Eglise ne va qu'à ce qui importe au salut.
M. Pelisson prend droit siu* ce que je lui ai accordé, et je ne
me rétracte point. Suivant ses paroles, je conviens d'une Eglise,
et d'une Eglise visible à laquelle il faut tâcher de se joindre, et
y faire tout ce qu'on peut; qu'elle doit avoir le pouvoir d'excom-
munier les rebelles; qu'on doit obéissance aux supérieiu-s que
Dieu y a établis ; qu'il faut conserver un esprit de docilité pour
eux, et un esprit de charité pour ceux dont on est séparé. Il reste
seulement de voir si ces considérations portent avec elles une né-
cessité indispensable de retourner à la communion des supérieurs
ecclésiastiques, qu'on reconnoissoit autrefois : en sorte qu'on ne
sauroit être sauvé autrement.
Mais il me semble que la question est toute décidée par l'aveu
de ceux qui reconnoissent des hérétiques matériels, ou des héré-
tiques de nom et d'apparence, comme M. Pelisson l'explique fort
bien; c'est-à-dire, des gens qui paroissent être hors de l'Eglise,
et y sont pourtant en effet ; ou bien, qui sont hors de la commu-
nion visible de l'Eglise, mais étant dans une ignorance ou erreur
in\T.ncible, sont jugés excusables : et s'ils ont d'ailleurs la charité
et la contrition, ils sont dans l'Eglise virtuellement, et in voto,
et se sauvent aussi bien que ceux qui y sont visiblement. Mon-
seigneur le landgrave Erneste, qui a fort travaillé sur les contro-
verses, et a fait paroître autant de zèle que qui que ce soit pour
la réunion des protestans, ne laisse pas de demeurer d'accord de
tout ceci ; et il a entendu dire ces choses en termes formels au
cardinal Sforza Pallavicini , et au Père Honoré Fabri, pénitencier
de Saint-Pierre, qu'il avoit pratiqué à Rome. Et moi je puis dire
avoir entendu soutenir la même chose à des docteurs catholiques
romains très-habiles. Aussi M. Pelisson ne s'y oppose point : mais
il explique cette doctrine, afin qu'on n'en abuse pas ; et il n'admet
parmi les hérétiques matériels, que ceux qui ne savent point que
132 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
les dogmes qu'ils rejettent en matière de foi, soient la doctrine
de l'Eglise catholique.
Appliquons cette restriction aux protestans, et nous trouverons
qu'ils sont de ce nombre. On sait les plaintes qu'ils ont faites
contre le concile de Trente avec beaucoup d'apparence, pour lui
disputer la qualité d'œcuménique. On n'ignore pas les protesta-
tions solennelles de la nation françoise contre ce concile, qui n'ont
pas encore été rétractées ; quoique le clergé ait fait son possible
pour le faire reconnoître. Ce n'est pas une chose nouvelle qu'on
dispute sur l'universalité des conciles : ceux de Constance et de
Bâle ne sont pas reconnus en Italie, ni le dernier concile de La-
tran en France : et quoique les papes, par le moyen de la profes-
sion de foi, aient tenté de faire recoimoître indirectement le con-
cile de Trente, je ne sais pourtant si cela suffit ; au moins la no-
blesse et le tiers-état, avec les cours souveraines, ne le croyoient
pas encore dans l'assemblée des Etats du royaume, qui fut tenue
après la mort de Henri IV. Je sais que des docteurs catholiques
ont avoué qu'un protestant qui seroit porté à se soumettre aux
décisions de l'Eglise catholicpie, mais qui se trompant dans le fait
ne croiroit pas que le concile de Trente eût été œcuménique, ne
seroit qu'un hérétique matériel. Il est vrai qu'il paroît beaucoup
de sagesse et de bon ordre dans les actes de ce concile, quoiqu'il
y ait quelque mondanité entremêlée : et où est-ce qu'on n'en
trouve point? C'est pourcpioi je ne suis pas du nombre de ceux
qui s'emportent contre le concile de Trente : cependant il me
semble qn'on aura bien de la peine à prouver cfu'il est œcumé-
nique. Et peut-être que c'est par un secret de la Providence, qui
a voulu laisser cette porte ouverte , pour moyenner un jour la
réconciliation par un autre concile plus autorisé et moins italien.
Mais quand le concile de Trente auroit toutes les formalités re-
quises, il y a encore ime autre importante considération ; c'est que
peut-être ses décisions ne sont pas si contraires aux protestans,
que l'on s'imagine. Ses canons sont souvent couchés d'une ma-
nière à recevoir plusieurs sens; et les protestans se pourroient
croire en droit de recevoir celui qu'ils jugent le plus convenable,
jusqu'à la décision de l'Eglise dans un concile général futur, où
LEIBNIZ A M"'^ DE BRINON, 29 SEPTEMBRE 1691. 133
les églises protestantes prétendront avec raison d'être admises
parmi les autres églises particulières. Cassandre et Grotius ont
trouvé que le concile de Trente n'est pas toujours fort éloigné de
la Confession d'Augsbourg. Le Père Dez qui prêchoit à Strasbourg
sur cette Confession^ sembloit favoriser ce sentiment^ et en tiroit
des conséquences à sa mode ; et bien des protestans ont cru que
Y Exposition de monseigneur l'évêque de Meaux leur revenoit
assez. Ainsi il n'est pas aisé de prouver aux protestans qu'Us nient
ce qu'ils savent être décidé par l'Eglise catholique.
Aussi semble-t-il que c'est plutôt la pratique des abus dominans,
que les protestans croient reconnoître parmi ceux qui commu-
nient avec Rome, que les dogmes spécidatifs, qui empêchent la
réunion. Qui ne sait que la question sur la justification fut
crue autrefois des plus importantes? Et cependant de la manière
qu'on s'explique aujourd'hui , il ne semble pas difficile de
convenir là-dessus. L'on sait quelles limites on donne en France
à l'autorité des papes et des autres pasteurs; combien les rois
qui connoissent Rome, sont jaloux de leurs droits : et de la
manière que l'honneur rendu aux créatures s'explique dans la
théorie, conformément au concile de Trente, il paroît très-excu-
sable. Mais la praticpie est assez souvent fort éloignée de la
théorie. Il se passe ijien des choses autorisées publiquement
dans l'Eghse romaine , qui alarment la conscience des gens de
bien parmi les protestans, et leur paroissent abominai )les, ou sont
au moins très-dangereuses : je laisse à M. Jurieu le soin de les
exagérer; car pour moi je souhaiterois plutôt de les adoucir. Ce
sont ces pratiques qui empêchent la réimion, plus que les dogmes.
Dieu est un Dieu jaloux de son hoimeur, et il semble que c'est le
trahir cpie de dissimuler en certaines rencontres. Ainsi tout ce
qu'on peut dire à l'avantage des décisions de l'Eglise catholique ,
n'empêche pas qu'un homme de bien ne puisse être alarmé des
abus qui se répandent dans l'Eglise, sans que l'Eglise cathohque
les approuve ; et il paroît en certaines rencontres qu'on est obligé
de témoigner son déplaisir. Que si des nations ou des provinces
entières s'élèvent contre ces désordres, et qu'on prétende là-dessus
les retrancher de la commmiion; il semble qu'une excommunica-
134 LETTRES SUR LA REUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
tion si injuste ne leui" sauroit nuire ; et qu'eux-mêmes ne sont pas
obligés de recevoir les excommmiians à lem* communion , ou, ce
qui est la même chose, de retourner à la leur, jusqu'à ce cpi'on
lève le sujet de lem's plaintes : d'autant qu'ils se plaignent de
choses que le concUe de Trente n'a pas osé approuver depuis, ou
qu'il a plutôt désapprouvées, quoique sans effet dans la pratique.
On ne s'élève donc pas contre l'Eglise catholique, mais contre
quelques nations ou églises particulières mal réglées; fjuoiqu'il
arrive peut-être que le siège patriarcal de l'Occident, et même
la métropolitaine de l'univers y soit comprise, qu'on ne doit con-
sidérer tpie comme particulière à l'égard des abus tpi'elle tolère.
On peut dire en effet que le foible et les intérêts des nations s'y
mêlent. Les Italiens et les Espagnols donnent fort dans l'exté-
rieur, et ALM. les Italiens se font quelquefois un point de politique
de soutenir Rome ; aussi profitent- Us le plus de ses avantages. Ils
seroieut peut-être bien aises (jue tous les autres fussent leurs dupes,
et surtout ceux du Nord; cela est naturel. Mais la nation françoise
devroit se joindre avec la nation germaniqne, pour remettre
l'Eglise dans son lustre, à l'exemple de l'ancien concile de Franc-
fort ; et il faudroit profiter de la conjoncture de quelque pape bien
intentionné , qui se souviendroit phitôt d'être père commun , que
d'être Romain ou Toscan. Je suis assuré que parmi les Itahens,
dans Rome même, et entre les prélats, on trouveroitbien des gens
de doctruie et de probité, qui contribueroient do bon cœur à la ré-
forme de l'Eghse, s'ils voyoient quelque apparence de succès. Il
faut même rendre cette justice à la ville de Rome , que tout y va
bien mieux qu'autrefois ; qu'on n'y est pas trop favoral)le aux ba-
gatelles de dévotion; et (pi'elle pourra peut-être un jour recouvrer
l'honneur qu'elle avoit dans les anciens temps , de donner bon
exemple et de servir de règle.
Mettant donc le concile de Trente à part pom* les raisons sus-
dites, on peut dire que l'Eglise catholique n'a pas excommunié
les protestans. Si quelque Eglise italienne le fait, on lui peut dire
qu'elle passe son pouvoir, et ne fait que s'attirer une excommunia
cation réciproque, à peu près comme disoient un jour [a] des
~{a) C'étoient les évArjuns du pmti «le Louis h> Débcmnairc, qui pailoicnit ainsi,
LEIBNIZ A M"' DE BRINON, 29 SEPTEMBRE 1691. 135
évêques françois à l'égard d'mi pape : Si e.xcommimicatunis veyiif,
excommimicatus ahibit : « S'il vient pour excommunier , il s'en
ira excommunié. » Et lorsqu'une église particulière excommunie
quelqu' autre église particulière ou cjuelque nation, et même quand
une église métropolitaine excommunie une- église qui est sous
elle, ou bien quand un évèque excommmiie quelque prince ou
particulier de son diocèse , les sentences ne sont pas des oracles :
elles peuvent avoir des défauts , non-seulement de nullité , mais
encore d'injustice. Car quoique les arrêts des juges séculiers soient
exécutés par les hommes, il ne faut pas s'imaginer que Dieu exé-
cute contre les âmes les sentences injustes des ecclésiastiques :
c'est ici que la condition Clave non errante a lieu. Tout ce que
opère l'autorité du supérieur ecclésiastique est qu'on lui doit
obéir autant qu'on peut, sauf sa conscience; ceçqui est déjà beau-
coup : et c'est à peu près comme les canons disent à l'égard des
sermens, qu'on doit les garder, autant qu'on peut, sans préjudi-
cier à son ame. Ce n'est donc pas anéantir l'autorité des ecclésias-
tiques ou des sermens , que de les ainsi limiter. On sait assez
quelle déférence on a en France et ailleurs pour les excommu-
nications fulminées dans la bulle în Cœnà Domini, et pour les dé-
crets de l'inquisition de Rome. Je ne dis donc rien en cela, que les
catholiques romains , et des canonistes , particulièrement ceux de
France, ne reconnoissent. Je suis bien éloigné de vouloir éluder
l'autorité de l'Eglise et des ecclésiastiques, par une interprétation
que M. Pelisson me prête; comme si la restriction, que je donne
à la force des excommunications et autres arrêts des supérieurs
ecclésiastiques, se réduisoit à ce beau privilège : Vous jugerez
bien, quand vous jugerez bien. Car je distingue entre le corps de
l'Eglise, qu'on n'accorde pas avoir jamais prononcé contre les
protestans , et entre les supérieurs ecclésiastiques hors du corps,
qui ne sauroient être infaillibles , et dont les excommunications
sont semblables à celles dont le procureur général d'un grand
roi a appelé depuis peu au concile général futur.
Après les choses que je viens de dire , il n'est pas nécessaire
ù l'occasion des menace? qu(jn prétendoit que Grégoire IV, attaché ù Lothaire,
avoit faites de les excommunier. ( Edit. de Deforis.)
136 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
d'examiner les questions difficiles, qu'on peut former touchant le
salut de ceux qui font tout ce qu'ils peuvent pour croire à l'Eglise
catholique, sans en venir à hout, ni comment ils sont dans
TEglise in voto. Car le cas des protestans est tout autre, comme je
viens de l'expliquer; et ils ne rejettent que ce qu'ils croient con-
traire à la doctrine de l'Eglise de Dieu. Je passe aussi plusieurs
beaux endroits de 1 écrit de M. Pelisson, de peur d'aller trop loin :
mais je ne saurois passer des choses très-considérables qu'il dit
dans le dernier article, sans faire là-dessus quelque réflexion. Il
accorde que lEglise a besoin de réforniation à l'égard des abus
(le pratique; que le peuple fait quelquefois un grand abus des
images ; que le temps est venu où la lecture des livres sacrés ne
sera plus défendue; qu'il n'est pas hors d'apparence qu'on pour-
roit rétablir l'ancienne liberté de communier sous les deux es-
pèces, au moins quatre ou cinq fois l'année, d'autant que les pro-
testans ne ccnrjn.unient guère davantage, pourvu qu'on le de-
mande avec la .«soumission nécessaire ; il ne doute point que les
Iirinces protestans ne lolitiemK'nt pour eux et pour leurs Etats,
en rentrant dans la communion de lEglise romaine. Nous avons
vu, dit-il, il n'y a pas dix ans, (]uand on ne convcrtissoit les gens
en France que par la persuasion et par les grâces, ce projet non-
seulement écouté à la Cour, et approuvé de nos plus saints pré-
lats , mais en état d'être reçu à Rome , si nos régales et nos fran-
chises ne fussent venues à la traverse.
A propos de cette considération de M. Pelisson, je dirai (jne
lorsque M. l'évêque de Tina, maintenant de Neustadt en Autriche,
éloit ici par ordre de l'Empereur ]>our des vues toutes semblables,
j'envoyai moi-même sa lettre à M. l'évêque de Meaux, où il lui
donnoit part de sa négociation. Cet illustre prélat en ayant parlé
au Roi, répondit que Sa Majesté, bien loin d'y être contraire, goù-
toit ces pensées et les favoriseroit. Quelques années après, la né-
gociation de M. de Neustadt avec nos théologiens ayant eu des
suites considérables, et M, de Meaux l'ayant su par une lettre de
notre in(>omparable duchesse, que ^ladame lui avoit montrée , il
en félicita M. de Neustadt, et répéta les premières expressions.
En effet , on peut dire que, depuis le colloque de Ratisbonne du
LEIBNIZ A M'"" DE BRINON, 29 SEPTEMBRE 1691. 137
siècle passé, rien n'avoit été fait de plus praticable , ni de plus
ajusté aux principes des deux partis. Le feu pape en témoigna
quekpie satisfaction , aussi bien que des généraux de quelques
grands ordres , et autres personnes de grande autorité. Mais
ces régales et ces û'anchises vinrent encore ici à la traverse. Il
semble que les offres de M, de Meaux ne furent pas assez suivies,
et que quelques-uns se firent un point de politique de contre-
carrer tout ce qu'ils croyoient pouvoir être goûté du feu pape, ou
recommandé par l'Empereur; comme si les jalousies d'état dé-
voient lever toute communication et concurrence dans les matières
les plus saintes et les plus innocentes. Cependant on peut dire
que la glace a été rompue : peut-être que les temps propres à
poursuivre ces desseins viendront un jour, et que la postérité
nous en saura quelque gré. Il est vrai qu'on y devroit songer de
part et d'autre un peu plus qu'on ne fait, au lieu d'entretenir cette
funeste séparation , qui ne sauroit être assez pleurée de toutes nos
larmes, pour me servir de l'expression touchante de M. Pelisson.
Au reste, je vous assure. Madame, et vous pouvez assurer
M. Pelisson, qu'il n'y a rien moins que les considérations de
quelque agrandissement temporel de la part de nos princes, qui
empêche la paix de l'Eglise. Ils ont fait des pas désintéressés, qui
marcfuent leurs intentions généreuses et sincères, et qui leur
donnent droit d'attendre des dispositions réciproques de la part
de ceux de l'autre communion, suivant les apparences qu'on leur
avoit fait voir, auxquelles Monseigneur le Duc, dont les lumières
et les sentimens héroïques sont assez reconnus, avoit cru devoir
répondre par une facilité toute chrétienne. Cette princesse, à qui
M. Pelisson donne avec raison le titre de grande et d'incompara-
ble, a eu quelque part à ces bons desseins, et en a été remerciée.
Plût à Dieu que la force des expressions de M. Pelisson, et les
raisons de ces grands prélats, qui paroissent animés du même
esprit que lui, puissent gagner quelque chose sur les personnes
puissantes de leur côté, pour faire revivre nos espérances. Les
malheurs des temps s'y opposent, je l'avoue; mais peut-être re-
verrons-nous encore la sérénité et le calme. Je ne désespère pas
entièrement du soulagement des maux de l'Europe, quand je
138 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
considère que Dieu peut nous le donner, en tournant comme il
faut pour cela le cœur d'une seule personne , qui semble avoir le
bonlieur et le malheur des hommes entre ses mains. On peut dire
que ce monarque, car il est aisé de juger de qui je parle, l'ait lui
seul le destin de son siècle ; et que la félicité publique pouiToit
naître de quelques heureux momens, quand il plaira à Dieu de
lui donner une réflexion convenable. Je crois que pour être assez
touché, il n'auroit besoin que de connoître sa puissance ; car il
ne manquera jamais de vouloir le bien qu'il jugera pouvoir faire :
et si cette prudence réservée et scrupuleuse, qu'il fait paroître au
milieu des phis grands succès dont un homme est capable, lui
avoit permis de croire qu'il dépendoit de lui seul de rendre le
genre humain heureux, sans que qui que ce soit eût été en état
de l'empêcher et de l'interrompre, je tiens qu'il n'auroit pas ba-
lancé un seul moment. Et s'il considéroit que c'est le comble de
la grandeur humaine de pouvoir, comme lui, faire le bien géné-
ral des hommes , il jugeroit bien aussi que le suprême degré de
la félicité seroit de le faire en cfl'et. Les éloges gâtent les princes
foibles : mais ce grand roi a besoin de comprendre toute l'étendue
des siens, pour faire ce qu'il peut, et pour connoître tout ce (lu'il
peut faire. Yoilà un endroit où l'éloquence inimitable de M. Pe-
lisson pourroit triompher, en persuadant au Roi qu'il est plus
grand qu'il ne pense , et par conséquent qu'il est au-dessus de
certaines craintes pour le bien de son Etat, qui pourroient le dé-
tourner des vm;s plus grandes et plus héroïques, dont l'objet est
le bien du monde. Quel panégyrirjue peut-on se figurer plus ma-
gnifi([ue et plus glorieux, que celui dont le succès seroit suivi de
la tranquillité de l'Europe, et même de la paix de l'Eglise !
li:ttre y.
LEIBNIZ A MADAMK DE BRINON.
De Hanovre, le 17 décembre 1691.
Madame,
Voici enfin une partie de l'écrit de M. l'abbé Molanus : le reste
suivra bientôt. J'avoue de l'avoir promis il y a longtemps, et d'y
LEIBNIZ A BOSSUET, 28 DÉCEMBRE 1691. 139
avoir manqué plusieurs semaines de suite ; mais ce n'étoit pas
ma faute, ni celle de M. Molanus non plus. Je puis lui rendre té-
moignage qu'il y a travaillé à diverses reprises ; mais qu'il a été
interrompu par des occupations indispensables. Je vous supplie.
Madame , de faire tenir ma lettre [a] à M. de Meaux , avec l'écrit
latin ci-joint. Je vous envoie en même temps mes réflexions [b],
que j'avois faites il y a plusieurs semaines. C'est pour vous
domier des preuves du zèle avec lequel je serai toujours ,
Madame, votre, etc.
Leibniz.
P. S. Je ne sais si je dois oser vous supplier de faire rendre la
ci-jointe à M, de Larroque, qui est connu de M. de Meaux et de
M. Pelisson,
LETTRE YL
LEIBNIZ A BOSSUET.
De Hanovre, le 28 décembre 1691.
Monseigneur,
Je ne doute point que vous n'ayez reçu la première partie de
l'éclaircissement que vous aviez demandé, toucliant un projet de
rémiion qui avoit été négocié ici avec M. l'évèque de Neu-
stadt (c) : car je l'avois adressé à madame de Brinon, avec une
lettre que j'avois pris la liberté de vous écrire, pour me conserver
l'hoimeur de vos bonnes grâces , et pour vous témoigner le zèle
avec lequel je souhaite d'exécuter vos ordres.
Je vous envoie maintenant le reste de cet éclaircissement fait
par le même théologien , qui vous honore infiniment ; mais qui
désire avec raison, comme j'ai déjà marqué, que ceci ne se
publie point, d'autant qu'on en est convenu ainsi avec M. de Neu-
stadt. Nous attendrons votre jugement , qui donnera un grand
jour à cette matière importante. Au reste je me rapporte à ma
(a) Cette lettre ne s'est point trouvée parmi les papiers de Bossuet. (Leroi.)
(6) Ce sont apparemment celles qu'on trouve dans la lettre précédente.
(c) 11 s'agit des Cogitationes priuatœ, de Molanus.
440 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE,
précédente, et je suis avec respect. Monseigneur, votre très-
humble, etc.
GEOFFROI-GumLAUME LeIBNIZ.
P. S. Je prie Dieu que l'année où nous allons entrer vous soit
heyi'euse, et accompagnée de toutes sortes de prospérités , avec
la continuation ad nmltos annos.
LETTRE VIL
LEIBNIZ A BOSSUE T.
(extrait.)
Sans date.
Monseigneur, i
Il eût été à souhaiter que V Histoire de la ré formation d'Alle-
magne que M. de Seckendorf vient de publier eût paru plus tôt.
Quelque habile que soit M. Burnet, je trouve que les protestans
d'Allemagne n'ont plus sujet de porter envie aux Anglois. L'au-
teur qui a été autrefois premier ministre d'mi duc de Saxe, nous
donne là dedans la connoissance d'une infinité de faits importans
qu'il a tirés des archives. Il m'écrit lui-même d'y avoir employé
plus de quatre cents volumes manuscrits. Il est difficile de dire
s'il y a plus d'érudition ou plus de jugement. Ce n'est pas qu'il
n'y ait rien où l'on puisse trouver à redire dans un si grand
ouvrage, ni que l'auteur soit sans aucune prévention. Mais du
moins je crois qu'il est difficile qu'un auteur qui prend parti
hautement puisse écrire avec plus de modération.
Je parle de cet ou^Tage parce qu'il se peut que vous ne l'ayez
pas encore vu.
• Je suis avec respect. Monseigneur,
Vostre très-humble et très- obéissant serviteur,
Leibniz.
BOSSUET A LEIBNIZ, 10 JANVIER 1692. 141
LETTRE ym.
BOSSUET A LEIBNIZ.
A Versailles, ce 10 janvier 1692.
Monsieur,
J'ai reçu , par l'entremise de madame de Brinon , la lettre que
vous m'avez fait l'homieur de m' écrire , cfiii est si honnête et si
obligeante, que je ne puis assez vous en remercier, ni assez vous
témoigner Testime que je fais de tant de politesse et d'iioimêteté,
jointe à un si grand savoir et à de si bonnes intentions pour la
paix du christianisme. Les articles de M. Tabbé ^Molanus seront ,
s'il plaît à Dieu , un grand acheminement à un si bel ouvrage.
J'ai lu ce que vous m'en avez envoyé avec beaucoup d'attention
et de plaisir, et j'en attends la suite , que vous me faites espérer,
avec une extrême impatience. Ce sera quand j'am'ai tout vu que
je pourrai vous en dire mon sentiment ; et je crohois mon juge-
ment trop précipité, si j'entreprenois de le porter sm' la partie
avant que d'avoir vu et compris le tout. Pom* la même raison,
Monsieiu", il est assez difficile de répondre précisément à ce que
vous dites à madame de Brinon, dans la lettre quelle m'a com-
mimiquée, puisque tout dépendant de ce projet, il faut l'avoir vu
tout entier avant que de s'expliquer sm* cette matière.
Tout ce que je puis dire en attendant , c'est , Monsiem% que si
vous êtes véritablement d'accord des cinq propositions mention-
nées dans votre lettre {a]y vous ne pouvez pas demem^er long-
temps dans l'état ou vous êtes sur la religion : et je voudrois bien
seulement vous supplier de me dire premièrement si vous croyez
que l'infaillibilité soit tellement dans le concile œcuménique,
qu'elle ne soit pas encore davantage , s'il se peut , dans tout le
corps de l'Eglise, sans qu'elle soit assemblée; secondement si
vous croyez qu'on fût en sûreté de conscience après le concile de
Nicée et de Chalcédoine, par exemple, en demeurant d'accord que
le concile œcmnénique est infaillible , et mettant toute la dispute
(«) Lettre m, à madame de Brinon.
f42 LETTRES SUR LA REUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
à savoir si ces conciles méritoient le titre d'œcuméniques ; troi-
sièmement s'il ne vous paroit pas que, réduire la dispute à cette
question^ et se croire par ce moyen en sûreté de conscience , c'est
ouvrir manifestement la porte à ceux qui ne voudront pas croire
aux conciles, et leur donner une ouverture à en éluder l'autorité ;
quatrièmement si vous pouvez douter que les décrets du concile
de Trente soient autant reçus en France et en Allemagne parmi
les catholiques, fpi'en Espagne et en Italie , en ce qui regarde la
foi ; et si vous avez jamais ouï un seul catholique qui se crût libre
à recevoir ou ne recevoir pas la foi de ce concUe ; cinquièmement,
si vous croyez rpie dans les points cpie ce concile a déterminés
contre Luther, Zuingle et Calvin, et contre les Confessions d'Augs-
1 bourg , de Strasbourg et de Genève, il ait fait autre chose que de
proposer à croire à tous les fidèles ce qui étoit déjà cru et reçu ,
quand Luther a commencé de se séparer : par exemple, s'il n'est
pas certain qu'au temps de cette séparation, on croyoit déjà la
transsubstantiation, le sacrifice de la messe, la nécessité du libre
arbitre, l'honneur des Saints, des reli(|ues, des images, la prière
et le sacrifice pour les morts, et en un mot , tous les points pour
lesquels Luther et Calvin se sont séparés. Si vous voulez , Mon-
sieur , prendre la peine de répondre à ces cinq questions avec
votre brièveté, votre netteté et votre candeur ordinaires, j'espère
que vous reconnoîtrez facilement que quelque disposition qu'on
ait pour la paix, on n'est jamais \Taiment pacifique et en état
de salut, jus(|u'à ce qu'on soit actuellement réuni de communion
avec nous.
Je vcrrois , au reste , avec plaisir Y Histoire de la Ré formation
d'Allemagne de M. de Seckendorf (^r), si elle pouvoit venir jus-
qu'en ce pays, supposé qu'elle fût écrite en une langue que j'en-
tendisse, et je puis vous assurer par avance que si cette histoire
est véritable, il faudra nécessairement qu'elle se trouve conforme
à celle des Variations , que j'ai pris la liberté de vous envoyer;
puisque je n'y donne rien pour certain que ce qui est avoué par
(a) Tous les éditeurs disent ici, après Leroi : « Apparemment que M. de Leib-
niz parloit de celte histoire dans sa lettre à M. de Meaux, que nous n'avons
pas. » Nous avons donné , dans la lettre précédente, de Leibniz, le passage qui
mentionne l'histoire de Seckendorf.
LEIBNIZ A BOSSUET, 8 JAAYIER 1692. 143
les adversaires. C'est, Monsieur, à mon avis, la seule méthode
sûre d'écrire de telles histoires , où la chaleur des partis feroit
trouver sans cela d'inévitables écueils.
Excusez, Monsieur, si je vous entretiens si longtemps. Ce n'est
pas seulement par le plaisir de converser avec un homme comme
vous; mais c'est que j'espère que nos entretiens pourront avoir
des suites heureuses pour l'ouvrage que vous et M. l'abbé ^lo-
lanus avez tant à cœur. Il ne me reste qu'à vous témoigner la
joie que je ressens des choses obligeantes que madame la duchesse
d'Hano\Te daigne me dire par votre entremise, et de vous sup-
plier de l'assurer de mes très-humbles respects, en l'encourageant
toujours à ne se rebuter jamais des difficultés qu'elle trouvera
dans l'accomplissement du grand ouvrage dont Dieu lui a inspiré
le dessein. Je connois, il y a longtemps, la capacité et les saintes
intentions de M. l'évêque de Neustadt. Je suis avec toute l'estime
possible. Monsieur, votre très-humble servitem%
t J.-Bémgne, Ev. deMeaux.
LETTRE IX.
LEIBNIZ A BOSSLET.
A Hanovre, 8 (18) janvier 1692.
Monseigneur,
Je vous dois de grands remercîmens de votre présent [a] , qui
ne m'a été rendu que depuis quelques jours. Tout ce qui vient
de votre part est précieux, tant en soi qu'à cause de son auteur :
mais le prix d'un présent est encore rehaussé par la disproportion
de celui qui le reçoit ; et une faveur dont le plus grand prince se
tiendroit honoré , est une grâce infiniment relevée à l'égard d'un
particulier aussi peu distingué que moi.
Je ne doute point que vous n'ayez fait l'effort, dans V Histoire
des Variations, de rapporter exactement les faits. Cependant
comme votre ouvrage ne fait voir que quelques imperfections
qu'on a remarquées dans ceux qui se sont mêlés de la Réforme, il
[") L'Histoire des Variations.
144 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
semble que celui de M. de Seckendorf , étoit nécessaire pour les
montrer aussi de leur bon côté. Il est vi-ai qu'il ne dissimule pas
des choses que vous reprenez , et il me paroît sincère et modéré
pour l'ordinaire. Peut-être qu'il y a quelques endroits un peu
durs qui lui sont échappés : mais il est difficile d'être toujours
réservé, quand on a devant ses yeux tant de passages des adver-
saires infiniment plus choquans. Et qui est-ce qui peut être tou-
jours sur ses gardes dans un si grand ouvrage? car ce sont deux
volumes in-folio; et le livre s'est grossi par Tinsertion des extraits
d'une infinité de pièces, dont une bonne partie n'étoit pas impri-
mée. Tout l'ouvrage est écrit en latin. S'il y avoit occasion de
l'envoyer en France, je n'y manquerois pas. Cependant je m'ima-
gine qu'on l'y recevra bientôt de Hollande.
Vous avez reçu cependant la suite du discours de M. l'abbé Mo-
lanus. ]\Iais les questions que vous me proposez, Monseigneur, à
l'occasion de cela, me paroissent un peu difficiles à résoudre; et
je souhaiterois plutôt votre instruction là-dessus. La première de
ces questions traite du sujet de rinfaillil)ilité, si elle réside pro-
prement et uniquement dans le concile œcuménique , ou si elle
appartient encore au corps de l'Eglise, c'est-à-dire, comme je
l'entends , aux opinions qui y sont reçues le plus généralement.
Mais puisque dans l'Eghse romaine on n'est pas encore convenu
du vrai sujet ou siège radical de linlaillibilité, les uns le faisant
consister dans le Pape, les autres dans le concile, quoique sans le
Pape, et que les auteurs qui ont écrit de lanalyse de la foi , sont
infiniment différens les uns des autres : je serois bien empêché
de dire comment on doit étendre cette infaillibihté encore au delà,
savoir, à un certain sujet vague, qu'on appelle le corps de V Eglise,
hors de l'assemblée actuelle : et il me semble que la même diffi-
culté se rencontreroit dans mi état populaire, prenant le peuple
hors de l'assemblée des Etats. Il y entre encore cette question dif-
ficile : S'il est dans le pouvoir de TEglise moderne ou d'un con-
cile, et comment, de définir comme de foi ce qui autrefois ne pas-
soit pas encore dans l'opinion générale pour un point de foi; et je
vous supplie de m'instruire là-dessus. On pourroit dire aussi que
Dieu a attaché une grâce ou promesse particulière aux assemblées
LEIBNIZ A BOSSUET, 8 JAiNVlER 1692. f4.'>
de l'Eglise; et comme on distingue entre le Pape qui parle à l'or-
dinaire et entre le Pape qui prononce ex cathedra, quelques-uns
pourroient aussi considérer les conciles comme la voix de l'Eglise
ex cathedra.
Quant à la seconde question : Si un homme qui, après le concMie
de Nicée ou de Chalcédoine , auroit voulu mettre en doute l'auto-
rité œcuménifjue de ces conciles, eût été en sûreté de conscience,
on pourroit répondre plusieurs choses ; mais je vous représen-
terai seulement ceci, pour recevoir là-dessus des lumières de votre
part. Premièrement, il semble qu'il soit difficile de douter de l'au-
torité œcuménique de tels conciles , et je ne vois pas ce que l'on
pourroit dire à l' encontre de raisonnable, ni comment on trouvera
des conciles œcuméniques, si ceux-ci ne le sont pas. Secondement,
posons le cas qu'un homme de bonne foi y trouve de grandes
apparences à l' encontre ; la question sera si les choses définies par
ces conciles étoient déjà auparavant nécessaires au salut ou non.
Si elles l'étoient, il faut dire que les apparences contraires à la
forme légitime du concile ne sauveront pas cet homme : mais si
les points définis n'étoient pas nécessaires avant la définition, je
dirois que la conscience de cet homme est en sûreté.
A la troisième question : Si une telle excuse n'ouvre point la
porte à ceux qui voudront ruiner l'autorité des conciles, j'oserois
répondre que non, et je dirai que ce seroit un scandale plutôt pris
que donné. Il s'agit de la mineure, ou du fait particulier d'un cer-
tain concile : savoir, s'il a toutes les conditions requises à un con-
cile œcuménique, sans que la majeure de l'autorité des conciles
en reçoive de la difficulté. Cela fait seulement voir que les choses
humaines ne sont jamais sans cpiekpie inconvénient, et que les
meilleurs règlemens ne sauroient exclure tous les abus in frau-
dem legls. On ne sauroit rejeter en général l'exception du juge
incompétent ou suspect, bien (jue les chicaneurs en abusent. Rien
n'est sujet à de plus grands abus que la torture ou la question
des criminels ; cependant on aiu-oit bien de la peine à s'en passer
entièrement. Un homme peut s'inscrire en faux contre une écri-
ture qui ressemble à la sienne , et demander la comparaison des
écritures. Cela donne moyen de chicaner contre le droit le plus
TOM. xvni. 10
14G LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
liquide; mais on ne sauroit pouiiant retranche^ ce remède en
général. J'avoue qnil est dangereux de fournir des prétextes
pour douter des concUes : mais il n'est pas moins dangereux
d'autoriser des conciles douteux, et d'établir par là un moyen
d'opprimer la vérité.
Quant à la quatrième question : Si je doute que les décrets du
concile de Trente soient aussi bien reçus en France et en Alle-
magne cju'en Italie ou en Espagne, je pomTois me rapporter au
sentiment de quelques doctem's espagnols ou italiens, qui repro-
chent aux François de s'éloigner en certains points de la doctrine
de ce concile , par exemple , à l'égard de ce qui est essentiel à la
validité du mariage : ce qui n'est pas seulement de discipline ,
mais encore de doctrine, puisqu'il s'agit de l'essence d'un sacre-
ment. Mais sans m'arrêter à cela, je répondi'ai, comme j'ai déjà
fuit : quand toute la doctrine du concile de Trente seroit reçue en
Fj'ance, qu'U ne s'ensuit point qu'on l'ait reçue connue venue du
concile œcuménique de Trente, puisqu'on a si souvent mis en
doute cette qualité de ce concile.
La cinquième question est d'une plus grande discussion : Sa-
voir, si tout ce qui a été défini à Trente passoit déjà généralement
pour catholique et de foi avant cela , lorsque Luther commença
d'enseigner sa doctrine. Je crois qu'on trouvera quantité de pas-
sages de bons auteurs , qui ont écrit avant le concile de Trente ,
et qui ont révoqué en doute des choses défmies dans ce concile.
Les livres des protestans en sont pleins, et il est très-sùr que de-
puis on n'a plus osé parler si libri'ment. C'est pom^quoi les livres,
appelés Indices expurgatorii, ont trouvé tant de choses à retran-
cher dans les auteurs antérieurs. Je crois qu'un passage d'un
liabile homme , comme Erasme , mérite autant de réflexion que
quantité d'écrivains du bas ordre , qui ne font que se copier les
uns les autres. Mais quand on accorderoit que toutes ces décisions
passoient dt\jà pour véritables, selon la plus commune opinion,
il ne s'ensuit point qu'elles passoient toujours pour être de foi ;
et il semble que les anathèmes du concile de Trente ont bien
changé l'état des choses. Enfin quand ces décisions auroient déjà
été enseignées comme de foi par la plupart des doctem's, on re-
LEIBNIZ A BOSSUET, 8 JANVIER 1692. 147
tomberoit dans la première question , pour savoir si ces sortes
d'opinions communes sont infaillibles, et peuvent passer pour la
voix de l'Eglise.
En écrivant ceci, je reçois l'avis que vous me donnez. Monsei-
gneur, d'avoir reçu le reste de l'écrit de M. Tabbé Molanus. Nous
attendrons la grâce, que vous nous faites espérer, de voir votre
jugement là-dessus. Je ne doute point qu'il ne soit aussi équi-
table que solide. On a fait ici de très-grands pas pour satisfaii*e à
ce qu'on a jugé dû à la charité et à l'amour de la paix. On s'est
approché des bords de la rivière de Bidassoa, pour passer un jour
dans rile de la Conférence [a] . On a quitté exprès toutes ces ma-
nières qui sentent la dispute , et tous ces airs de supériorité que
chacun a coutume de donner à son parti; et quidquid ah ulràque
parte dici potest , etsi ab utrâque parte verè dici non possit ; cette
fierté choquante, ces expressions de l'assurance où chacun est en
effet, mais dont il est inutile et même déplaisant de faire parade
auprès de ceux 'qui n'en ont pas moins de leur part. Ces façons
servent à attirer de l'applaudissement des lecteurs entêtés ; et ce
sont ces façons qui gâtent ordinairement les colloques, où la vanité
de plaire aux auditeurs et de paroître vamqueur , l'emporte sm'
l'amour de la paix : mais rien n'est plus éloigné du véritable but
d'une conférence pacifique. Il ftmt qu'il y ait de la différence entre
des avocats qui plaident et entre des entremetteurs qui négocient.
Les uns demeurent dans un éloignement affecté et dans des ré-
serves artificieuses; et les autres font connoître, par toutes leurs
démarches, que leur intention est sincère et portée à facihter la
paix. Comme vous avez fait louer votre modération, Monseigneur,
en traitant les controverses publiquement, que ne doit-on pas
attendre de votre candeur, quand il s'agit de répondre à ceUe des
personnes qui marquent tant de bonnes intentions? Aussi peut-on
dire que le blâme de la continuation du schisme doit tomber sur
ceux qui ne font pas tout ce qu'ils peuvent pour le lever, siu'tout
dans les occasions qui les doivent inviter et qu'à peine un siècle a
{a) Les conférences entre le cardinal Mazarin et don Louis de Haro , pour
pacifier la Franco et l'Espagne, se tinrent dans l'île des Faisans, située au milieu
de la Bidassoa.
^i8 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
coutume d'offrir. Quand il n'y auroit que la grandeur et les lu-
mières infiniment relevées de votre Monarque si capable de faire
réussir ce qu'il approuve, jointes aux dispositions d'un Pape, qui
semble avoir la pureté du zèle d'Innocent XI sans en avoir l'aus-
térité , vous jugeriez bien (ju'il seroit inexcusable de n'en point
profiter.
Mais vous voyez qu'il y a encore d'autres raisons qui donnent
de l'espérance. Un Empereur des plus éclairés dans les affaires qui
aient jamais été, et des plus zélés pour la foi, y contribue; un
prince protestant des plus propres par son mérite personnel et
par son autorité de faire réussir une grande affaire, y prend quel-
que part; des théologiens séculiers et réguliers, célèbres de part
et d'autre , travaillent à aplanir le chemin , et commencent d'en-
trer en matière par l'unique ouverture que la nature des choses
y semble avoir laissée, pour se rapprocher sans que chacun
s'éloigne de ses principes. Votre réputation y peut donner le
plus grand poids du monde ; et vous vous direz assez à vous-
même , sans moi, que plus on est capable de faire du bien et que
ce bien est grand, plus on est responsable des omissions.
Toute la question se réduit à ce point essentiel de votre côté :
S'il seroit permis en conscience aux églises unies avec Rome d'en-
trer en union ecclésiastique avec les églises soumises aux senti -
mens de l'Eglise catholique , et prêtes à être même dans la liai-
son de la hiérarchie romaine ; mais qui ne demeurent pas d'ac-
cord de quelques décisions , parce qu'elles sont portées , par des
apparences très -grandes et presrjue insurmontables à leur égard,
à ne point croire que l'Eglise catholique les ait autorisées, et qui
d'aiUem's demandent ime réformation effective des abus que
Rome même no peut approuver. Je ne vois pas quel crime votre
parti commettroit par cette condescendance. Il est sur qu'on peut
entretenir l'union avec de telles gens , qui se trompent sans ma-
lice. Les points spéculatifs, qui resteroient en contestation, ne pa-
roi ssent pas des plus importans, puisque plusieurs siècles se sont
passés, sans que les fidèles en aient eu une connoissance fort dis-
tincte. Il me semble qu'il y a des contestations tolérées dans la
communion romaine , qui sont autant ou peut-être plus impor-
BOSSUET A LEIBNIZ, 17 JANVIER 1692. 149
tantes que celles-là : et j'oserois croire que si l'ou feigiioit que
les églises septentrionales fussent unies elTectivement avec les
vôtres, à ces opinions près, vous seriez fâché de voir rompre cette
union, et que vous dissuaderiez la rupture de tout votre pouvoir
à ceux qui la voudroient entreprendre.
Voilà sur quoi tout roule à présent. Car de parler de rétractations,
cela n'est pas de saison. Tl faut supposer que de l'un et de l'autre
côté on parle sincèrement : et puisqu'on s'est épuisé en disputes ,
il est lîon de voir une fois ce qu'il est possible de faire sans y
entrer, sauf à les diminuer par des éclaircissemens , par des ré-
formations effectives des abus reconnus , et par toutes les dé-
marches qu'on peut faire en conscience, et par conséquent qu'on
doit faire s'il est possiljle pour faciliter un si grand bien ; en at-
tendant que l'Eglise par cela même soit mise en état de venir à
une assemblée, par laquelle Dieu mette fm au reste du mal. Mais
je m'aperçois de la faute que je fais de m'étendre sur des choses
que vous voyez d'un clin d'œil, et mieux que moi. Je prie Dieu
de vous conserver longtemps, pour contribuer au bien des âmes,
tant par vos ouvrages que par l'estime que le plus grand , ou
pour parler avec M. Pelisson, le plus roi entre les rois a conçue
de votre mérite. Je ne saurois mieux marquer que par un tel
souliait le zèle avec lecpiel je suis, Monseigneur, votre très-
humble et obéissant ser\'iteur ,
Geoffroy -Guillaume de Leibniz.
P. S. Il est peut-être inutile que je dise que ce qu'on vous
envoie. Monseigneur, peut encore être communiqué à M. Pelis-
son, dont on se promet le même ménagement.
LETTRE X.
BOSSUET A LEIBNIZ.
A Versailles, 17 jauvier 1692.
Monsieur ,
J'ai reçu avec votre lettre du 28 décembre la seconde partie du
projet de réunion, et je vous en donne en même temps avis. Vous
iSO LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
aurez Ta, par ma précédente , la réception de la première partie.
Le premier loisir que j'aurai sera employé à vous dire mon senti-
ment avec une entière ingénuité. Yous me ferez. Monsieur, beau-
coup de plaisir d'assurer M. Tabbé Molanus de l'estime que j'ai
pour lui et de ma parfaite reconnoissance pour les bontés dont il
m'honore. Nous lui garderons fidèlement tout le secret qu'il
nous demande, et nous nous estimons très -honoré de ce qu'il
veut bien nous le confier. Pour moi, je puis vous dire avec
combien de cordialité et d'estime je suis, Monsieur,
Votre très-humble serviteur.
Bénigne, Ev. de Meaux.
LETTRE XL
BOSSU ET A LEIBNIZ.
A Meaux, 30 mars 1692.
Monsieiu", je suis obligé de vous dire que madame la marquise
de Béthune m'a dit à Chantilly, où je fus saluer le Boi lorsqu'il y
passa pour aller commander ?es armées en personne, qu'elle
avoit unj livre à me rendre de la part de madame la duchesse
d'Hanovre. Ce m'est un grand honneur qu'une telle princesse
veuille bien se souvenir de moi. .Fai reçu le livre par la voie de
M. Pelisson, comme vous aviez pris la peine de me le mander. Il
me semble qu'il démontre parfaitement que les catholiques ont
très-bien connu, et devant et après Luther, la justification gratuite
et la confiance en Jésus-Christ seul ; et cela étant, je ne sais si on
peut lire sans quelque honte les menteries de Luther et de ses
disciples et même ceUes de la Confession d'Augsbourg et de 1'^-
pologie , où l'on parle toujours de cet article comme du grand
article de la réforme luthérienne, entièrement oublié dans l'EgUse.
J'ai voulu, Monsieur, lire tout ce livre avant que de faire
mettre au net ma réponse sur le projet d'union [a], pour
voir si elle me donneroit lieu d'y ajouter quelque chose. Vous
(«) Sur les Cogilationes privatœ de Molanus.
M'"^ DEBRINON A BOSSUET, 5 AVRIL 1692. 151
l'aurez dans peii^ s'il plait à Dieu ; je suis fâché de faire si long-
temps attendre si peu de chose, vous voyez bien les raisons du
délai et j'espère qu'on me le pardonnera [a]
Je suis et serai toujours avec une estime et une inclination
particulière ;,
Monsieiu", votre très-humble serviteur.
J. Bénigne, Ev. de Meaux.
LETTRE XIL
MADAME DE BRINON A BOSSUET.
Ce 0 avrU IG92.
Madame la duchesse d'Hanovre commençoit à s'impatienter.
Monseigneur , de ce que vous ne disiez mot sur les écrits de
M. l'abbé Molanus', et elle en tiroit quelque mauvais présage :
mais la lettre que vous écrivez à M. Leibniz, que j'ai lue à ma-
dame de Maubuisson , comme Votre Grandeur me l'a ordonné,
la rassurera. Par malheur pour la diligence elle a attendu ici
quatre jours, parce que la poste d'Allemagne ne part que deux
fois la semaine. Il me semble, Monseignem% que Dieu m'a asso-
ciée au grand ouvrage de la réunion des protestans d'Allemagne,
puisqu'il a permis qu'on m'ait adressé les premières objections
pour les envoyer à M. Pelisson, et que depuis j'ai eu l'honneur de
faire tenir les lettres de part et d'autre, et d'en écrire quelquefois
moi-même, qui n'ont pas été inutiles pour réveiller du côté de
l'Allemagne leurs bons desseins.
Je me suis sentie, Monseigneur, pressée intérieurement, et
Dieu veuille que ce soit son Esprit qui m'ait conduite, d'écrire à
M. Leibniz, pour l'engager à prendre garde de revenir à l'Eglise
avec un cœm' contrit et humilié, sans lui faire de conditions oné-
reuses, comme est celle qu'il demande de la réformation des abus,
que l'Eglise souhaite plus qu'eux dans ses enfans.
(a) Leibniz avoit parlé à Bossuet, comme il eu parloit à tout le monde, de
sa dynamique, qu'il qualitioit de philosophie. Avant de finir, Bossnet répond à
Leibniz, quelques mots sur cette grande découverte, l'assurant qu'il létudieroit
au premier moment de loisir, et que rien ne lempêchcra d'être son disciple.
ib2 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
Je lui mande, le plus doucement qu'il m'est possible, qu'elle n'a
point attendu après la réunion des protestans, pour réformer les
al)us que l'intérêt, d'un côté, et la simplicité du peuple peut avoir
établis dans le culte extérieur que nous rendons aux Saints ; que
tous les pasteurs \igilans y travaillent sans relâche, et que depuis
que j'ai l'usage de ma raison, j'ai toujours ouï blâmer et re-
prendre sévèrement dans l'Eglise la superstition : mais qu'il n'est
pas facile de remédier à plusieurs abus sur lesquels tout le monde
n'entend pas raison ; que la foi des particuliers ne doit point être
intimidée là-dessus puisque les fautes sont personnelles, et que
Dieu ne nous jugera que sur nos devoirs, et non pas sm' ceux des
autres ; que c'est à lui de séparer la zizanie d'avec le bon grain ;
et que pom' ne donner aucun prétexte à la désunion des chré-
tiens il avoit souffert dans sa compagnie et dans celle de ses
apôtres le plus méchant homme du monde, qui étoit Judas. Je lui
dis que revenant à l'Eglise dans l'unique motif de se réunir à son
Chef, et de cesser d'être schismatique, il falloit imiter l'enfant pro-
digue, dire simplement : « J'ai péché , et je ne suis pas digne
d'être appelé votre enfant, » ce qui seroit propre à exciter notre
Mère à tuerie veau gras en lem* faveur, c'est-à-dire à leur accor-
der avec charité tout ce qui ne choqueroit pas la religion en chose
essentielle.
J'ai cru qu'étant , comme je suis , une personne sans consé-
quence , je pouvois sans rien risquer écrire bonnement à M. Lei-
bniz , qui est le plus doux du monde et le plus raisonnable, ce
qui me paroissoit de sa proposition de réformer l'Eglise, eux
qui n'ont erré que pour l'avoir voulu faire mal à propos. Je me
suis déjà aperçu que quekjnes autres petits avis, que je lui ai don-
nés à la traverse, n'ont pas fait de mal dans les suites, et qu'il est
impossible que ma franchise puisse rien troubler. Au contraire il
m'en saïu'a gré , ce me semble, de la manière dont Dieu m'a fait
la grâce de lui tourner cela ; et puis une personne comme moi
est sans conséquence pour eux. Je suis ravie. Monseigneur, que
vous soyez content de M. l'abbé Molanus : c'est im homme en
qui madame la duchesse d'Hanovre a une fort grande conhance.
Dieu veuille bénir tous vos soins et toutes nos prières. Je suis
LEIBNIZ A BOSSUET, 18 AVRIL 1692. 153
avec un très-profond respect, votre très-humble et très-obéis-
sante servante,
Sr. ^[. i»E Brinon.
LETTRE XIÎI.
LEIBNIZ A BOSSCET.
A Hanovre, ce 18 avril 1692.
Monseigneur,
Je ne veux pas tarder un moment de répondre à votre lettre
pleine de bonté, d'autant qu'elle m'est venue justement le lende-
main du jour où je m'étois avisé d'un exemple important, qui
peut servir dans Taffaire de la réunion. Vous avez toutes les rai-
sons du monde de dire qu'on ne doit poiat prendre pour facile ce
qui dans le fond ne l'est point. Je vous avoue que la chose est
difficile par sa nature et par les circonstances, et je ne me suis
jamais figuré de la facilité dans une si grande affaire. Mais il
s'agit d'établir avant toutes choses ce qui est possible ou loisible.
Or tout ce qui a été fait , et dont il y a des exemples approuvés
dans l'Eglise, est possible ; et il semble que le parti des protes-
tans est si considérable, qu'on doit faire pour eux tout ce qui se
peut. Les calixtins de Bohême l'étoient bien moins : ce n'étoit
qu'une partie d'un royaume. Cependant vous voyez par la lettre
exécutoriale des députés du concile de Bàle, que je joins ici, qu'en
les recevant on a suspendu à lem' égard un décret notoire du
concile de Constance : savoir, celui qui décide cpie l'usage des
deux espèces n'est pas commandé à tous les fidèles. Les calixtins
ne reconnoissant point l'autorité du concile de Constance et n'é-
tant point d'accord avec ce décret, le pape Eugène et le concile
de Bàle passèrent par-dessus cette considération, et n'exigèrent
point d'eux de s'y soumettre ; mais renvoyèrent l'affaire à ime
nouvelle décision future de l'Eglise. Ils mirent seulement cette
condition, que les calixtins rémiis dévoient croire ce qu'on ap-
pelle la concomitance, ou la présence de Jésus-Christ tout entier
sous chacune des espèces, et admettre par conséquent que la com-
munion sous une espèce est entière et valide, poiu* parler ainsi.
iU LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
sans être obligés de croire qu'elle est licite. Ces concordats entre
les députés du concile et ceux des Etats calixtins de la Bohême et
de la Moravie^ ont été ratifiés par le concile de Bàle. Le pape Eu-
gène en fit connoîtresajoie par une lettre écrite aux Bohémiens :
encore Léon X longtemps après déclara qu'il les approuvoit, et
Ferdinand promit de les maintenir. Cependant ce n'étoit qu'mie
poignée de gens : un seul Zisca les avoit rendus considérables : un
seul Procope les maintenoit par sa valeur : pas un prince ou
Etat souverain, point d'évêque ni d'archevêque n'y prenoit part.
Maintenant c'est quasi tout le Nord qui s'oppose au Sud de l'Eu-
rope ; c'est la plus grande partie des peuples germaniques opposée
aux Latins. Car l'Europe se peut diviser en quatre langues prin-
cipales, la grecque, la latine, la germanique et la sclavonne. Les
Grecs, les Latins et les Germains font trois grands partis dans
l'Eglise : la sclavonne est partagée entre les autres. Car les Fran-
çois, Italiens, Espagnols, Portugais , sont Latins et Romains : les
Anglois, Ecossois, Danois, Suédois sont Germains et protestans :
les Polonois, Bohémiens et Russes ou Moscovites sont Sclavons ;
et les Moscovites avec les peuples de la même langue qui ont été
soumis aux Ottomans , et une bonne partie de ceux qui recon-
noissent la Pologne, suivent le rit grec.
Jugez, Monseigneur, si la plus grande partie de la langue ger-
manique ne mérite pas pour le moins autant de complaisance
qu'on en a eu pour les Bohémiens. Je vous supplie de bien con-
sidérer cet exemple, et de me dire votre sentiment là -dessus. Ne
vaudroit-il pas mieux pour Rome et pour le bien général de re-
gagner tant de nations, quand on devroit demeurer en différend
sur quelques opinions durant quelque temps, puisqu'il est vrai
que ces difîérends seroient encore moins considérables que quel-
ques-uns de ceux qui sont tolérés dans l'Eglise romaine, tel qu'est,
par exemple, le point de la nécessité de l'amour de Dieu et le
point du probabilisme, pour ne rien dire du grand différend entre
Rome et la France? Je ne désespère pas cependant. Si l'affaire
étoit traitée comme il faut, je crois que les protestans pourroient
un jour s'expliquer sur les dogmes encore plus favorablement
qu'il ne semble d'abord, siulout s'ils voyoient des marques d'un
LEIBNIZ A BOSSUET, 18 AVRIL 1692. 15o
véritable zèle pour la réforme effective des abus reconnus, par-
ticulièrement en matière de culte. Et en effet, je suis persuadé
en général qu'il y a plus de difficulté dans les pratiques que dans
les doctrines.
Le Père Denis, capucin, a été lecteur de théologie, et mainte-
nant il est gardien à Hildesheim. Dans sa Viapacis, il traite de
la justification, du mérite des œuvres et matières semblables, et
allègue un grand nombre de passages des auteiu-s de son parti,
qui parlent d'ime manière que les protestans peuvent approuver.
.l'ai eu riionnem" de parler des sciences avec M. de la Loubère;
mais je croyois que c'étoit plutôt de mathématiques que de phi-
losophie. Il est vrai que j'ai encore fort pensé autrefois sur la
dernière, et que je voudrois que mes opinions fussent rangées
pour pouvoir être soumises à votre jugement. Si vous ne me
sembliez ordonner d'en toucher quelque chose, je croirois qu'il
seroit mal à propos de vous en entretenir. Car quoique vous soyez
profond en toutes choses, vous ne pouvez pas donner du temps à
tout dans le poste élevé où vous êtes. Or pour ne rien dire de la
physique particulière, quoique je sois persuadé que naturelle-
ment tout est- plein et que la matière garde sa dimension, je crois
néanmoins que l'idée de la matière demande quelque autre chose
que l'étendue, et que c'est plutôt l'idée de la force qui fait celle de
la substance corporelle, et qui la rend capable d'agir et de résister.
C'est pourquoi je crois qu'im parfait repos ne se trouve nulle part,
que tout corps agit sur tous les autres à proportion de la distance ;
qu'il n'y a point de dureté ni de fluidité parfaite, et qu'ainsi il n'y
a point de premier ni de second élément : qu'il n'y a point de por-
tion de matière si petite, dans laquelle il n'y ait un monde infini
de créatures. Je ne doute point du système de Copernic; je crois
avoir démontré que la même quantité de mouvement ne se con-
serve point, mais bien la même quantité de force. Je tiens aussi
que jamais changement ne se fait par saut (par exemple, du
mouvement au repos, ou au mouvement contraire i, et qu'il faut
toujours passer par une infinité de degrés moyens, bien qu'ils ne
soient pas sensibles : et j'ai quantité d'autres maximes sembla-
bles, et bien des nouvelles définitions, (\m. pourroient servir de
156 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
fondement à des démonstrations. J'ai envoyé quelque chose à
M. Pelisson (sur ses ordres) touchant la force, parce qu'elle sert
à éclaircir la nature du corps; mais je ne sais si cela mérite que
vous jetiez les yeux dessus.
J'ajouterai un mot de M, de Seckendorf. Son livre est long;
mais cela n'est pas un défaut à l'égard des choses qui sont bonnes.
Cependant je l'exhortai d'abord à en donner un abrégé; ce qui se
fera bientôt. Il y a une infinité de choses qui n étoient pas bien
connues. Je ne sais si on se peut plaindre de l'ordre ; car il suit
celui des temps. On reconnoîl partout la bonne foi et Texactitude.
Il pouvoit retrancher bien des choses; mais c'est de quoi je ne me
plains jamais, surtout à l'égard des livres qui ne sont pas faits
pour le plaisir. Il y a de bons registres. Le style, les expressions,
les réflexions marquent le jugement et l'érudition de l'auteur.
Son âge avancé a fait qu'il s'est borné à la mort de Luther ; et
pour aller à la Formule de concorde, il auroit fallu avoir à la
main les archiv(îs de la Saxe électorale, comme il a (;u celles de
la Saxe ducale. Avec toute la grande opinion que j'ai du savoir,
des lumières et de l'honnêteté de M. de Seckendorf, je lui trouve
quelquefois des sentimens et des expressions rigides : mais c'est
en conséquence du parti, et il ne faut pas trouver mauvais qu'une
personne parle suivant sa conscience. Aussi sait-on assez que les
Saxons supérieurs sont plus rigides que les théologiens de ces
provinces de la Basse-Saxe.
Pour ce qui est de Y Histoire de la Concorde , les deux livres
contraires, l'un d'Hospinien, appelé Concordia discors, l'autre de
Ilutterus, appelé Concordia concors, opposé au premier, en rap-
portent beaucoup de particularités. Je m'imagine qu'il y aura des
gens qui se chargeront de la continuation de Y Histoire de M. de
Seckendorf. Je demeure d'accord qu'il y a beaucoup de choses
dans le livre de celui-ci , qui regardent plutôt le cabinet que la
religion ; mais il a cru avec raison que cela serviroit à faire mieux
connoître la conduite des princes protestans , d'autant plus que
ceux (pii tâchent de la décrier prétendent que le contre-coup en
doit rejaillir sur la religion. Puisque madame la marquise de Bé-
thune passe par ici, je profite de l'occasion pour vous envoyer le
LEIBNIZ A BOSSUET, 18 AVRIL 1692. 157
livre du Père Denis ^ et j'adresserai le paquet à M. Pelisson.
.Vai oublié de dire ci-dessus que je demeure d'accord que tout
se foit mécaniquement dans la nature; mais je crois que les prin-
cipes mêmes de la mécanique, c'est-à-dire les lois de la nature, à
l'égard de la force mouvante, viennent des raisons supérieures et
d'une cause immatérielle, qui fait tout de la manière la plus par-
faite : et c'est à cause de cela, aussi bien que de l'infini enveloppé
en toutes choses, que je ne suis pas du sentiment d'un habile
homme, auteur des Entretiens de la 'pluralité des Mondes [a], qui
dit à sa marquise , qu'elle aura eu sans doute une plus grande
opinion de la nature , que maintenant qu'elle voit que ce n'est
([ue la boutique d'un ouvrier; à peu près comme le roi Alphonse,
qui trouva le système du monde fort médiocre. Mais il n'en avoit
pas la véritable idée ; et j'ai peur que le même ne soit arrivé h cet
autem' , tout pénétrant qu'il est , qui croit à la cartésienne que
toute la machine de la nature se peut expliquer par certains res-
sorts ouélémens. Mais il n'en est pas ainsi; et ce n'est pas comme
dans les montres, où l'analyse étant poussée jusqu'aux dents des
roues, il n'y a plus rien à considérer. Les machines de la nature
sont machines partout , quelque petite partie qu'on y prenne ; ou
phitôt, la moindre partie est un monde infini à son tour, et qui
exprime même à sa façon tout ce qu'il y a dans le reste de l'uni-
vers. Cela passe notre imagination : cependant on sait que cela
doit être ; et toute cette variété infiniment infinie est animée dans
toutes ses parties par une sagesse architectonique plus qu'infhiie.
On peut dire qu'il y a de l'harmonie, de la géométrie, de la mé-
taphysique, et, pour parler ainsi, de la morale partout ; et ce qui
est surprenant, à prendre les choses dans un sens, chaque sub-
stance agit spontanément comme indépendante de toutes les
autres créatures , bien que dans un autre sens toutes les autres
l'o'nligent k s'accommoder avec elles : de sorte qu'on peut dire
(pie toute la nature est pleine de miracles, mais de miracles de
rai on, et qui deviennent miracles, à force d'être raisonnables,
d'une manière qui nous étonne. Car les raisons s'y poussent à un
progrès infini, où notre esprit, bien qu'il voie que cela se doit,
[o] M. (le Fontenelle.
lf)8 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
ne peut suivre par sa compréhension. Autrefois on admiroit la
nature sans y rien entendre, et on trouvoit cela beau. Dernière-
ment on a commencé à la croire si aisée , que cela est allé à un
mépris, et jusqu'à nourrir la fainéantise de quelques nouveaux
philosophes, qui s'imaginèrent en savoir déjà assez. Mais le vé-
ritable tempérament est d'admirer la nature avec connoissance ,
et d'y reconnoître que plus on y avance, plus on découvre de
merveilleux ; et que la grandeur et la beauté des raisons mêmes
est ce qu'il y a de plus étonnant et de moins compréhensible à la
nôtre. Je suis allé trop loin, en voulant remplir le vide de ce pa-
pier. J'en demande pardon, et je suis avec zèle et reconnoissance,
Monseignem*, votre très-obéissant serviteur,
Leu^mz.
LETTRE XIY.
BOSSU ET A PE LIS SON.
Ce 1 mai 1692.
J'ai vu. Monsieur, la pièce que vous envoie M. Leibniz sur les
calixtins. 11 n'y paroît autre chose qu'une sainte économie du
concile et de ses légats, pour les attirer à cette sainte assemblée.
La discussion qu'on leur offre dans le concile de Bàle n'est pas une
discussion entre les juges, comme si la chose étoit encore en sus-
pens après le jugement de Constance; mais une discussion amiable
entre les contredisans pour les instruire. Cela n'est rien moins
qu'une suspension du concile de Constance. Les calixtins ce-
pendant s'obligeoient à consulter le concile : ils y venoient pour
y être enseignés. On espéroit qu'en y comparoissant, la majesté,
la charité, l'autorité du concile qu'ils reconnoissoient , aclieve-
roient leur conversion : finalement la question , qu'on remettoit
au concile , y fut terminée par une décision conforme en tout
point à ceUe du concile de Constance.
Si cette affau^e eut peu de succès, ce ne fut pas la faute du con-
cile, qui poussa la condescendance jusqu'au dernier point où l'on
BOSSUET A PELISSON, 7 MAI 1692. 159
pouvoit aller, sans blesser la foi et l'autorité des jugemens de l'E-
glise. Voilà ce qu'il est aisé de justifier par pièces. Si vous savez
quelque chose de particulier sur ce fait, vous m'obligerez de m'en
faire part avant que j'envoie ma réponse. 11 faut aussi bien ob-
server que les calixtins ne demandoient pas de prendre séance
dans le concile ; mais qu'eux et leurs prêtres recomioissoient celui
de Bàle, qui n'étoit composé que de catholiques. Yoilà, Monsieur,
la substance de ma réponse, que je vous enverrai enrichie de vos
avis, si vous en avez quelques-uns à me donner. Si vous croyez
même qu'il presse de faire quelque réponse, vous pouvez faire
passer cette lettre à M. Leibniz. Il verra du moins qu'on fait atten-
tion à ses remarques. Celle qu'il fait sur le concile de Florence,
où les Grecs sont admis à décider la question avec les Latins dans
la session publique , seroit quelque chose , si ce n'étoit qu'avant
que de les y admettre, on étoit convenu de tout avec eux dans les
disputes et congrégations tenues entre les prélats. Tout cela est
expliqué dans mes Réflexions sur l'Ecrit de M. l'abbé Molanus.
Si ma réponse est tardive , il le faut attribuer aux occupations
d'un diocèse ; et si ell ^, est un peu longue , c'est qu'il a fallu tra-
vailler, non pas seulement à montrer les difficultés, mais à pro-
poser de notre côté les expédiens. S'il vous en vient d'autres que
ceux que je propose, je profiterai de vos lumières; mon esprit,
comme le vôtre, étant de pousser la condescendance jusqu'à ses
dernières limites, autant qu'il dépend de nous.
Quand vous am'ez reçu le livre du capucin, intitulé : Via pacis,
que M. Leibniz veut bien vous envoyer pour moi, je vous prie de
m'en donner avis.
La pièce de M. Leibniz est en substance dans Raynaldus ; et si
je m'en souviens bien, dans les Conciles du Père Labbe. Mais je
ne l'avois pas vue si entière qu'il vous l'envoie ; et il seroit cu-
rieux pour l'histoire de savoir d'où elle est prise [a] : du reste eUe
est conforme à tout ce qu'on a déjà. Elle pourroit être aussi dans
Cocchlœus, que je n'ai point ici. J'attends, Monsieur, une réponse.
Vous ne parlez point si vous serez du voyage. J'aurois bien de
(a) Elle est mot à mot, comme je l'ai remarqué; dans Goldast. Voyez ma
première note sur cette pièce. (Edit.de Leroi.)
160 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
la joie de vous embrasser à Chantilly, où je me rendrai, s'il plaît
à Dieu.
J. Bénigne, Ev. de Meaux.
LETTRE XY.
P E L 1 s s 0 N A B 0 S S U E T.
A Paris, ce 19 juiii 1G92.
Je dois réponse , Monseigneur, à la dernière de vos lettres ;
mais il n'y avoit rien de pressé, et j'attendois votre écrit. Il est
venu ces jours passés , et m'a trouvé embarrassé de beaucoup
d'alfaires pour autrui , que je ne pouvois interrompre : de sorte
que j'ai failli à vous le renvoyer sans le voir, de peur de vous le
faire trop attendre; sachant bien que c'est un homieur et un
plaisir que a ous avez voulu me faire , mais dont vous n'aviez
aucun besoin, ni ne pouviez tirer aucun avantiige. Cependant j'ai
mieux aimé prendre le parti de le voir à diverses reprises, et de
vous en renvoyer la moitié , et avec fort peu de remarques et
assez inutiles. Votre ecclésiastique m'ayant dit qu'il pouvoit s'en re-
tourner vendredi, qui est demain, je verrai le reste incessamment,
et en ferai un autre paquet ou rouleau cacheté, que j'enverrai à
votre hôtel. Toute cette première partie m'a semblé très- bien
entendue et très-propre à faire un bon effet, nonobstant les grandes
difficultés du dessein, que vous remarquez vous-même, mais qui
ne doivent pas nous faire perdre courage.
Je suis bien aise que vous ayez trouvé bon et utile le livre
du Capucm. Il faut vous dire. Monseigneur, qu'mi gentil-
homme suédois, nommé Micander, homme de quelque littéra-
ture, mais que je ne connoissois pas, ayant lu le livre de la To-
lérance des Religions [a], \\xii céans avec un religieux de l'ab-
baye, qui y laissa un billet et un écrit latin qu'il me prioit de
voir, parce (jue le gentilhonnne partoit dans trois jours pour
l'Angleterre. L'écrit étoit un projet d'accommodement : le titre
portoit qu'il étoit fait par im évèque catholique ; mais il se trouva
(a) Pelisson est auteur de ce livre ( Edit. de Leroi. ]
LEIBNIZ A PELISSON, 3 JUILLET 1692. i6i
que récriture étoit très-mauvaise;, pleine d'abréviations, et telle
enfin que je me fis beaucoup de mal aux yeux et à la tête pour
en avoir voulu déchiffrer quatre ou cinq pages. Le Suédois
vint me dire adieu en partant ; je le lui rendis : il me promit
de m'en envoyer copie de HoUande où il doit passer. Il me dit
que l'auteur étoit l'évêque de Neustadt. Je ne sais si vous n'a-
vez point vu cela autrefois. L'écrit commençoit par l'exemple de
la défense du sang et des choses étouffées, que les apôtres ont
autorisée pour un temps, encore qu'ils ne la crussent pas bonne ,
et le reste de ce que j'ai vu , avoit aussi beaucoup de rapport à
l'écrit de l'abbé Molanus.
J'écrirai à M. de Leibniz au premier moment de loisir que je
trouverai ; car je lui dois une réponse. Je lui demanderai d'où
il a pris ce qu'il vous a envoyé du concile de Bâle. Il m'en a fait
un grand article à moi-même ; mais vous y avez si bien et si
parfaitement répondu, que je le renverrai simplement à votre
écrit. Je vous rends, Monseigneur, mille très-humbles grâces de
toutes vos bontés, et suis toujours à vous avec tout le respect
possible.
Pelisson-Fontanier.
LETTRE XVL
LEIBNIZ A PELISSON.
(extrait.)
Ce 3 juillet 1692.
Nous avons appris que les Réflexions de M. l'évêque de Meaux
sont achevées ; et nous espérons. Monsieur, que vous nous com-
muniquerez vos propres pensées sur le même sujet, et que vous
nous direz surtout votre sentiment sur la condescendance du
concile de Bàle envers les calixtins, qui lui a fait suspendre à leur
égard les décrets du concile de Constance, contre ceux (jui soute-
noient que les deux espèces étoient ex pi^œcepto; ce qui paroît
être in terminis le cas que nous traitons , et non une simple con-
cession de l'usage des deux espèces, sur laquelle il ne peut y
avoir de difficultés.
TOAi. xvni. 11
162 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
Nous nous attendons qu'on viendra à l'essentiel de la question ;
savoir, si ceux qui sont prêts à se soumettre à la décision de l'E-
glise, mais qui ont des raisons de ne pas reconnoître un certain
concile pour légitime, sont véritablement hérétiques; et si une
telle question n'étant que de fait, les choses ne sont pas à leur
égard in foro poli, et lorsqu'il s'agit de l'afTaire de l'Eglise et du
salut , comme si la décision n'avoit pas été faite , puisqu'ils ne
sont pas opiniâtres. La condescendance du concile de Bàle semble
appuyée sur ce fondement.
LETTRE XVII.
. LEIBNIZ A MADAME DE BRINON.
(extrait.)
3 juiUet 1692.
Je voudrois, dans les matières importantes, un raisonnement
tout sec, sans agrément , sans beautés, semblable à celui dont les
gens qui tiennent des livres de compte ou les arpenteurs se
servent à l'égard des nombres et des lignes. Tout est admirable
dans M. de Meaux et M. Pelisson : la beauté et la force de leiuS
expressions , aussi bien que lem's pensées, me charment jusqu'à
me lier l'entendement. Mais quand je me mets à examiner leurs
raisons en logicien et en calculateur, elles s'évanouissent de mes
mains ; et quoiqu'elles paroissent solides, je trouve alors qu'elles
ne concluent pas tout à fait tout ce qu'on en veut tirer. Plût à
Dieu qu'ils pussent se dispenser d'épouser tous les sentimens de
parti. On a souvent décidé des questions non nécessaires. Si ces
décisions se pouvoient sauver par des interprétations modérées,
tout iroit bien. On ne pourra du moins, ce semble, guérir les dé-
fiances des protestans que par la suspension de certaines déci-
sions. Mais la question est , si l'Eglise en pourra venir là sans
faire tort à ses droits. J'ai trouvé un exemple formel, où l'Eglise
l'a pratiqué ; sur quoi nous attendons le sentiment de M. de Meaux
et de M. Pelisson, et surtout le reste de l'écrit de M. Molanus.
JN'ous espérons que tant nos écrits que les censures seront mé-
LEIBNIZ A BOSSUET, JUILLET 1692. 163
nagées et tenues secrètes , hors à des personnes nécessaires. Pu-
blier ces choses sans sujet , c'est en empêcher l'efTet. C'est pour-
quoi madame la duchesse a été surprise de voir par la lettre de
madame sa sœm^ { l'abbesse de Maubuisson ], qu'on pensoit à les
imprimer. Peut-être y a-t-il du malentendu [a). En tout cas^ je
vous supplie, Madame, de faire connoître l'importance du secret,
afui que ni M. l'évèque de Neustadt ni M. Molanus n'aient sujet
de se plaindre de moi.
LETTRE XVIII.
MADAME DE BRINON A BOSSUET.
Juillet 1692.
Yoilà, Monseigneur, une lettre que j'ai reçue de M. Leibniz
depuis deux heures ; je l'envoie aussitôt à notre cher ami M. Pe-
lisson, pour vous la faire tenu*. Je crois qu'il est bon que vous
lisiez la lettre qu'il m'écrit , dont je tire un bon et un mauvais
augure , selon qu'il est plus ou moins sincère. C'est un homme
dont l'esprit naturel combat contre les vérités surnaturelles, et
qui attribue à l'éloquence les traces que la vérité fait dans son
esprit ; mais quand la grâce voudra bien venir au secours de ses
doutes, j'espère. Monseigneur, qu'il sera moins vacillant. Je
mande à M. Pelisson la route que je voudrois bien que put
prendre votre réponse à M. Molanus. J'espère que Votre Grandem'
nous l'aura fait traduire, et c'est cette traduction qui a fait l'équi-
vorpie dont M. Leibniz se plaint. Je suis persuadée Monseigneur,
que plus cette affaire se rend difficile, et plus votre courage aug-
mente pour la soutenir. C'est une œuvre qui doit être traversée :
mais avec tout cela j'espère qu'elle réussira, et que Dieu bénira
votre zèle et celui de M. Pelisson , qui est capable de faire mi
miracle, s'il est joint à la foi qui est nécessaire pour son accom-
plissement. Je vous demande, Monseigneur, votre bénédiction et
(a) M. de M eaux ayant promis de traduii-e en francois ses Ué flexions com-
posées en latin pour les théologiens d'Hanovre, comme il fit en effet en faveur
de madame la <luchesse de Hanovre, cela fit croire que c'étoit pour les im-
pi'imer, ce qu'il u'avoit pas dessein de faire et ce qu'Q no fit pas non plus.
( Edit. de Leroi.)
164 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE,
la participation que vous m'avez promise en vos prières et en
vos bonnes grâces. De ma part, je prie Dieu qu'il vous conserve,
et qu'il vous sanctifie de plus en plus.
Sœnr de Brinon.
LETTRE XIX.
LEIBNIZ A BOSSLET.
A Hanovre, ce 13 juillet 1692.
Monseigneur,
Je suis bien aise que le livre du révérend Père Denis, gardien
des capucins de Hildesbeim, ne vous a point déplu. Ce Père est
de mes amis, et il étoit autrefois à Hanovre dans l'hospice que
les capucins avoient ici du temps de feu Monseigneur le duc Jean-
Frédéric. Il se contente de faire voir que les bons sentimens ont
été en vogue depuis longtemps dans son parti, sans en tirer au-
cune fâcheuse conséquence contre la Réforme , comme il semble
que vous faites, Monseigneur, dans la lettre que vous me faites
l'hoimeur de m'écrire. Les protestans raisonnables , bien loin de
se fâcher d'un tel ouvrage, en sont réjouis ; et rien ne leur sauroit
être plus agréable , que de voir tpie les sentimens qu'ils jugent
les meilleurs soient approuvés jusque dans l'Eglise romaine. Ils
ont déjà rempli des volumes de ce (pi'ils appellent catalogues des
témoins do la vérité ; et ils n'appréhendent point qu'on en infère
l'inutilité de la Réforme. Au contraire rien ne sert davantage à
leur justification que les suffrages de tant de l)ons auteurs-, qui
ont approuvé les sentimens qu'ils ont ti'availlé à faire revivre ,
lorsqu'ils étoient comme étouffés sous les épines d'une infinité de
bagatelles, qui dé tournoient l'esprit des fidèles de la solide vertu
et de la véritable théologie.
Erasme et tant d'autres excellens hommes, qui n'aimoient point
Luther, ont reconnu la nécessité qu'il y avoit de ramener les gens
à la doctrine de saint Paul; et ce n'étoit pas la matière, mais la
forme qui leur déplaisoit dans Luther. Aujourd'hui que la bonne
doctrine sur la justification est rétablie dans l'Eglise romaine, le
LEIBNIZ A BOSSUET, 13 JUILLET 1692. 165
malheur a voulu cfiie d'autres abus se sont agrandis ; et que par
les confraternités et semblables pratiques , qui ne sont pas trop
approuvées à Rome même, mais qui n'ont que trop de cours dans
l'usage public, le peuple fut détourné de cette adoration en esprit
et en vérité, qui fait l'essence de la religion. Plût à Dieu que tous
les diocèses ressemblassent à ce que j'entends dire du vôtre, et de
quelques autres gouvernés par de grands et saints évoques 1 Mais
les protestans seroient fort malavisés, s'ils se laissoient donner le
change là-dessus. C'est cela même qui les doit encourager à pres-
ser davantage la continuation de ces fruits des travaux communs
des personnes bien intentionnées; et vous, Monseignem*, avec
vos semblables [dont il seroit à souhaiter qu'il y en eût beaucoup
■à présent, et qu'il y eût sûreté d'en trouver toujoiu"s beaucoup
dans le temps à venir), vous vous devez joindre avec eux en cela,
sans entrer dans la dispute sur la pointillé ; savoir, à qui on en est
redevable, si les protestans y ont contribué, ou si on savoit déjà
les choses avant eux. Ces questions sont bonnes pour ceux qui
cherchent plutôt leiu* honneur que celui de Dieu, et qui font entrer
partout l'esprit de secte ou, ce qui est la même chose, de l'autorité
et gloire humaine.
Je suis ravi d'apprendre que vos Réflexions sur l'écrit de
M. l'abbé de Lokkum sont achevées. Nous vous supplions d'y
joindre votre sentiment sur l'exemple du pape Eugène et du con-
cile de Bâle, qui jugèrent que les décrets du concile de Constance
ne les dévoient point empêcher de recevoir à la communion de
l'Eglise les calixtins de Bohême, qui ne pouvoient pas acquiescer
à ces décrets sur la question du précepte des deux espèces. Cet
exemple m'étant venu heureusement dans l'esprit, je m'étois hâté
de vous l'envoyer, parce que c'est notre cas in terminis ; et je
croyois qu'il pourroit diminuer la répugnance que vous pourriez
avoir contre la suspension des décrets d'un concile où les protes-
tans trouvent encore plus à dire que les calixtins contre celui de
Constance. jNIais nous nous assurons surtout que vous aurez la
bonté de ménager ces écrits-là, afm qu'ils ne passent point en
d'autres mains. C'est la prière que je vous ai faite d'abord, et vous
y aviez acquiescé. Il ne s'agit pas ici de disputer et de faire des
106 LETTRES SUR LA REUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
livres ; mais d'apprendre les sentimens , et ce que chacun juge
pouvoir faire de part et d'autre. En user autrement, ce seroit
gâter la chose,, au lieu de l'avancer. Madame la duchesse de Zell
a lu particulièrement votre Histoire des Variations. Je n'ai pas
encore eu Thonneur de la voir depuis qu'elle m"a renvoyé cet
ouvrage; mais je sais déjà qu'elle estime beaucoup tout ce qui
vient de votre part.
Vous avez sans doute la plus grande raison du monde d'avoir
du penchant pour cette philosophie, qui explique mécaniquement
tout ce qui se fait dans la nature corporelle; et je ne crois pas
qu'il y ait rien où je m'éloigne beaucoup de vos sentimens. Bien
souvent je trouve qu'on a raison de tous côtés, quand on s'en-
tend; et je n'aime pas tant à réfuter et à détruire qu'à découvrir
quelque chose et à bâtir sur les fondemens déjà posés. Néanmoins
s'il y avoit quelque chose en particulier que vous n'approuviez
pas, je m'en défierois assurément, (>t j'implorerois le secours de
vos lumières , qui ont autant de pénétration que d'étendue. Un
seul mot de votre part peut donner autant d'ouvertm'es que les
grands discours de quelque autre. Je suis entièrement, 3Ionsei-
gneur, votre très-humble et très-obéissant serviteur,
Leibniz.
LETTRE XX.
B03SUKT A LHIlîMZ.
A Versailles, ce 27 juillet IG92.
Monsieur,
Après vous avoir marqué la réception de votre lettre du 13, je
commencerai par vous dire qu'on n'a pas seulement songé à im-
primer ni l'Ecrit de M. l'abbé Molanus ni mes Réflexions. Tout
cela n'a passé ni ne passera en d'autres mains qu'en celles que vous
avez choisies vous-même pour nous servir de canal, qui sont celles
de madame de Brinon, Tout a été communiqué selon le projet à
M. Pelisson seul : et madame de Brinon m'écrit qu'on vous a bien
mandé que je traduisois lès écrits latins pour les deux princesses ;
BOSSUET A LEIBNIZ, 27 JUILLET 1G92. 167
mais non pas qu'on eût parlé d'impression. Nous regardons ces
écrits de même œil que vous, non pas comme des pièces qui doi-
vent paroître, mais comme une recherche particulière de ce qu'on
peut faire de part et d'autre, et juscpi'où il est permis de se relâ-
cher sans blesser ni affoiblir en aucune sorte les droits de l'Eglise
et les fondemens sur lesquels se repose la foi des peuples. Je trai-
terai cette matière avec toute la simplicité possible; et j'exami-
nerai en particulier ce qiie vous avez proposé des conciles de
Constance et de Bàle, avec toute l'attention que vous souhaitez,
sans me fonder sur aucune autre chose que sur les Actes. On
achève d'écrire mes Réflexions : si vous prenez la peine de con-
sidérer tout ce qui a retardé cet ouvrage, j'espère que vous me
pardonnerez le délai.
Ce que j'ai remarqué, Monsiem-, sm^ l'Ecrit du Père Denis, est
bien éloigné de la pointillé de savoir à qui est dû l'honneur des
éclaircissemens qu'on a apportés à la matière de la justification ;
mais voici uniquement où cela va : si la doctrine qui a domié le
sujet premièrement aux reproches, et ensuite à la rupture de
Luther, a toujours été enseignée d'une manière orthodoxe dans
l'Eglise romaine, et si l'on ne peut montrer qu'elle y ait jamais
dérogé par aucmi acte ; donc tout ce qu'on a dit et fait pour la
rendre odieuse au peuple, venoit d'une mauvaise volonté et tendoit
au schisme. Les confréries que vous alléguez, premièrement n'ont
rien cpii soit contraire à la véritable doctrine de la justification; et
d'ailleurs il est inutile de les alléguer comme une matière de rup-
ture, puisqu'après tout personne n'est obligé d'en être. Au reste
avec le principe que vous posez , que dans les siècles passés on a
fait beaucoup de décisions inutiles , on iroit loin ; et vous voyez
qu'en venant à la question : Quand est-ce qu'on a commencé à
faire de ces décisions? il n'y a rien qu'on ne fasse repasser par
l'étamine : de sorte qu'avec cette ouverture, on ne trouvera point
de décision dont on ne puisse éluder l'autorité, et qu'il ne restera
plus de l'infaillibihté de l'Eglise que le nom. Ainsi ceux qui
comme vous, Monsieur, font profession de la croire et de se sou-
mettre à ses conciles, doivent croire très- certainement que le
même Esprit qui l'empêche de diminuer la foi , l'empêche aussi
168 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
d'y rien ajouter; ce qui fait qu'il n'y a non plus de décisions inu-
tiles que de fausses.
Je ne réponds rien sur ce que vous voulez bien penser de mon
diocèse. C'est autre chose de corriger les abus autant qu'on le
peut, autre chose d'apporter du changement à la doctrine con-
stamment et unanimement reçue. Les gens de bien qui aiment la
paix auroient pu se joindre à vos réformateurs, s'ils s'en étoient
tenus au premier : mais le second étoit trop incompatible avec la
foi des promesses faites à l'Eghse ; et s'y joindre, c'étoit rendre
tout indécis, comme l'expérience ne l'a que trop fait connoître. Il
faut donc chercher une réunion qui laisse en son entier ce grand
principe de l'infaillibilité de l'Eglise, dont vous convenez; et
l'Ecrit de M. l'abbé Molanus donne un grand jour à ce dessein.
Vous y contribuez beaucoup par vos lumières, et j'espère que
dans la suite vous ferez encore plus.
Il n'est encore rien venu à moi de votre philosophie. Je vous
rends mille grâces de toutes vos bontés, et je finis en vous assu-
rant de l'estime avec laquelle je suis, Monsieur, votre très-hum-
ble serviteur,
J. Bénigne, év. de Mcaux.
LETTRE XXL
BOSSUET A LEIBNIZ.
A Versailles, 26 août 1692.
Monsieur,
Je ne veux pas laisser partir mon écrit sans l'accompagner des
marques de mon estime envers vous et M. l'abbé ]\ïolanus. J'es-
père que Dieu bénira vos bonnes intentions, auxquelles je me
suis conformé autant que j'ai pu. Il ne faudra pas. Monsieur, se
rebuter quand on ne s'entendroit pas d'abord en quelques points.
C'est ici un ouvrage de réflexion et de patience, et déjà il est bien
certain que suivant les sentimens de M. l'ablîé , l'affaire est plus
qu'à demi faite. Au reste vous ne direz pas, à cette fois, que l'élo-
quence surprenne l'esprit ou enveloppe les choses. Le style.
BOSSUET A LEIBNIZ, 28 AOUT 1692. 109
comme l'ordre, est tout scholastiqiie. Il a fallu à la fm lâcher des
mots que j'avois évités dans tout le reste du discours, parce qu'on
n'auroit pas satisfait à vos questions sans cela. La charité et l'es-
time n'en sont pas .moins dans le cœur, et je suis avec passion.
Votre très-humble serviteur.
Bénigne, év. de Meaux.
LETTRE XXn.
BOSSUET A LEIBNIZ.
Versailles, ce 28 août 1C92.
Monsieur,
J'accompagne encore de cette lettre la version que je vous en-
voie de l'Ecrit de M. l'abbé Molanus et du mien [a). Ce qui m'a
déterminé à la faire, c'est le désir (|ue j'ai eu que xMadame la du-
chesse d'Hanovre put entrer dans nos projets. Je demande pardon
à M. l'abbé Molanus de la liberté que j'ai prise d'abréger un peu
son Ecrit. Pour mes Réflexions, il m'a été d'autant plus libre de
leur donner un tour plus court, que par là loin de rien ôter du
fond des choses, il me paroît au contraire que j'ai rendu mon
dessein plus clair.
Je me suis cru obligé, dans l'Ecrit latin, de suivre une méthode
scolastique, et de répondre pied à pied à tout l'Ecrit de M. l'abbé,
pom' y remarquer ce qui m'y paroissoit praticable ou impratica-
ble. Il a fallu après cela en venir à dire mon sentiment ; mais tout
cela est tourné plus court dans l'Ecrit françois et j'espère que ceux
qui auront lu le latin ne perdront pas tout à fait leur temps à y
jeter l'œil.
YoUà, Monsieur, ce que j'ai pu faire pour entrer dans les des-
seins d'union : mais je ne puis vous dissimider qu'un des plus
grands ol)stacles que j'y vois est dans l'idée qui paroît dans plu-
sieurs protestans, sous le beau prétexte de la simplicité de la doc-
(a) 11 s'agit de la version des Cogitationes privnfœ de Molanus , et des Ré-
flexioni de Bossuet sur cet écrit. Voir vol. XVII, p. 394.
170 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
trine chrétienne, d^en vouloir retrancher tous les mystères, qu'ils
nomment subtils, abstraits et métaphysiques, et réduire la reli-
gion à des vérités populaires. Yous voyez où nous mènent ces
idées; et j'ai deux choses à y opposer du côté du fond : la pre-
mière, que FEvangile est visiblement rempli de ces hauteurs, et
que la simplicité de la doctrine chrétienne ne consiste pas à les
rejeter ou à les affoiblir, mais seulement à se renfermer précisé-
ment dans ce qui en est révélé, sans vouloir aller plus avant et
aussi sans demeurer en arrière ; la seconde , que la ^'^éritable
simplicité de la doctrine clu'étienne consiste principalement
et essentiellement à toujours se déterminer, en ce qui regarde
la foi, par ce fait certain : Hier on croyoit ainsi ; donc encore au-
jourd'hui il faut croire de même.
Si l'on parcourt toutes les questions qui se sont élevées dans
l'Eglise, on verra qu'on les y a toujours décidées par cet endroit-
là : non qu'on ne soit quelquefois entré dans la discussion pour
une plus pleine déclaration diî la vérité, et une plus entière con-
viction de l'erreur; mais enfin on trouvera toujours que la raison
essentielle de la décision a été : On croyoit ainsi (piand vous êtes
veims ; donc à présent vous croirez de môme, ou vous demeurerez
séparés de la tige de la société chrétienne. C'est ce qui réduit les
décisions à la chose du monde la plus simple ; c'est-à-dire au fait
constant et notoire de l'iimovation, par rapport à l'état où l'on
avoit trouvé les choses en innovant.
C'est ce qui fait que l'Eglise n a jamais été embarrassée à ré-
soudre les plus hautes questions, par exemple celles de la Trinité,
de la grâce, et ainsi du reste, parce que lorsqu'on a commencé à
les émouvoir, elle en trouvoit la décision déjà constante dans la
foi, dans les prières, dans le culte, dans la pratique unanime de
toute l'Eglise. Cette méthode subsiste encore dans l'Eglise catho-
lique : c'est donc eUe qui est demeurée en possession de la vérita-
ble simplicité, chrétienne. Ceux qui n'y peuvent entrer sont bien
loin du royaume de Dieu, et doivent craindre d'en venir enfin à
la fausse simplicité, qui voudroit qu'on laissât la foi des hauts
mystères à la liberté d'un chacun.
Au reste les luthériens, quoiqu'ils se vantent d'avoir ramené
LEIBNIZ A BOSSUET, 1" NOVEMBRE 1G92. 171
ks dogmes des chrétiens à la simplicité primitive de rEvangile,
s'en sont visiblement éloignés; et c'est de là que sont venus leurs
raffinemens sur l'ubiquité, sur la nécessité des bonnes œuvres,
sur la distinction de la justification d'avec la sanctification, et sur
les autres articles où nous avons vu que tout consiste en pointillé,
et qu'ils en sont revenus à nos expressions et à nos sentimens,
lorsqu'ils ont voulu parler naturellement.
Je prends , Monsieur, la liberté de vous dire ces choses en gé-
néral , comme à un homme que son bon esprit fera aisément
entrer dans le détail nécessaire ; et je finirai cette lettre en vous
avançant deux faits constans : le premier, qu'on ne trouvera dans
l'Eglise catholique aucmi exemple où une décision ait été faite
autrement qu'en maintenant le dogme qu'on trouvoit déjà établi ;
le second, qu'on n'en trouvera non plus aucun où une décision déjà
faite ait jamais été affoiblie par la postérité.
Il ne me reste qu'à vous supplier de vouloir bien avertir vos
grandes princesses, si elles jettent les yeux sm^ mes Réflexions,
qu'il faudra qu'elles se résolvent à me pardonner la sécheresse à
laquelle il a fallu se réduire dans cette manière de traiter les
choses. Yous en savez les raisons , et sans perdre le temps à
m'en excuser, je vous dirai seulement toute l'estime avec la-
quelle je suis, ]\Ionsieur, votre très-humble servitem*,
J. Bénigne, év. de Meaux.
LETTRE XXIII.
LEIBNIZ A BOSSUET.
A Hanovre , ce l^r noveniljre 1692.
Monseigneur,
J'ai eu enfin le bonheur de recevoir des mains de M. le comte
Balati , vos Réflexions importantes sur l'Ecrit de M. l'abbé jMola-
nus, avec ce que vous m'avez fait la grâce de m'écrire en particu-
lier. Ce n'est que depuis quelques jours que nous avons reçu tout
cela ; je le donnai d'abord à M. Molanus ; et nous le parcourûmes
172 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE,
ensemble sur-le-champ avec cette avidité que l'auteur, la matière
et notre attente a voient fait naître. Cependant nous reconnûmes
fort bien que des méditations aussi profondes et aussi solides que
les vôtres, doivent être lues et relues avec beaucoup d'attention ;
c'est à quoi nous ne manquerons pas aussi . Madame la duchesse
encore aura cette satisfaction , et Monseigneur le duc lui-même
en voudra être informé. C'est déjà beaucoup qu'il paroît que vous
approuvez assez la conciliation de tant d'articles importans, et
M. Molanus en est ravi. Nous ne doutons point que votre dessein
ne soit de donner encore des ouvertm^es convenables, surtout à
l'égard des points où les conciliations n'ont point de lieu, et dont
nous ne saurions encore nous persuader ffu'ils aient été décidés
par l'Eglise catholique. Nous tâcherons d'apprendre ces ouver-
tures en méditant votre écrit; et s'il en est besoin, j'espère que
vous nous permettrez de demander des éclaircissemens.
Je toucherai maintenant ce que vous m'écrivez, Monseigneur,
sur quelques points de mes lettres, où je ne me suis pas assez ex-
pliqué. Quand j'y parfois des décisions superflues , je n'entendois
pas celles de l'Eglise et des conciles œcuménif[ues, mais bien celles
de quelques conciles particuliers, ou des papes, ou des docteurs.
Je n'avois allégué les confréries , entre autres , que parce qu'il
semble que des abus s'y praticpient publiquement ; à quoi il est
bon de remédier, pour montrer qu'on a des intentions sincères.
Quant à l'obstacle que vous craignez, ^Monseigneur, de la part
de plusieurs protestans , dont vous croyez que le penchant va à
réduire la foi aux notions populaires et à retrancher les mystères,
je vous dirai que nous ne remarquons pas ce penchant dans nos
professeurs : ils en sont bien éloignés , et ils donnent plutôt dans
l'excès contraire des subtilités , aussi bien que vos scolastiques.
Il y a bien à dire à ceci : « Hier on croyoit ainsi ; donc aujoiu"-
d'hui il faut croire de même. » Car que dirons-nous, s'il se trouve
qu'on en croyoit autrement avant-hier? Faut-il toujours canoni-
ser les opinions qui se trouvent les dernières? Notre- Seigneur
réfuta bien celles des pharisiens : Olim no7i erat sic. Un tel
axiome sert à autoriser les abus dominans. En effet cette raison
est provisioimelle , mais ellp n'est point décisive. Il ne faut pas
LEIBNIZ A BOSSUET, 1" NOVEMBRE 1692. 173
avoir égard seulement à nos temps et à notre pays, mais à toute
l'Eglise et surtout à l'antiquité ecclésiastique. J'avoue cependant
que ceux qui ne sont pas en état d'approfondir les choses, font
bien de suivre ce qu'ils trouvent. Je ne sais s'il n'y a pas des
instances contraires à cette thèse , ([ui suppose, qu'on a toujours
maintenu ce quon trouvoit déjà établi :tdiV ce qu'on a décidé
contre les monothélites paroissoit auparavant fort douteux ; d'au-
tant qu'on ne s'étoit point avisé de songer à cette question : S'il y
a une ou deux volontés en Jésus-Christ. Encore aujourd'hui, je
gage que si on demandoit à des gens qui ne savent point l'his-
toire ecclésiastique, quoique d'ailleurs instruits dans les dogmes,
s'ils croient une ou deux volontés en Jésus-Christ, on trouvera
bien des monothélites. Que dirons-nous du second concile de Ni-
cée, que vos Messieurs veulent faire passer pour œcuménique ?
A-t-il trouvé le culte des images établi? Il s'en faut beaucoup.
Irène venoit de l'établir par la force ; les iconodules et les icono-
clastes prévaloient tour à tour ; et le concile de Francfort, qui
tenoit le n^ilieu , s'opposa formellement à celui de Nicée , de la
part de la France, de F Allemagne et de la Bretagne. Aujourd'hui
l'Eglise de France paroît assez éloignée des sentimens de ses
ancêtres assemblés dans ce concile, lesquels se seroient bien ré-
criés, s'ils avoient vu ce qu'on pratique souvent maintenant dans
lem's églises. Je ne sais si cela se peut nier entièrement ; quoique
je ne veuille blâmer que les abus qui dominent. Je vous demande
pardon, Monseigneur, de la liberté que je prends devons dire
ces choses. Je ne vois pas moyen de les dissimuler, lorsqu'il s'a-
git de parler exactement et sincèrement ; si ces axiomes avancés
dans votre lettre étoient universels et démontrés , nous n'amions
plus le mot à dire , et nous serions véritablement opiniâtres. Je
suis avec respect. Monseigneur, votre très-humble et très-ol)éis-
sant serviteur,
Leibniz.
P. S. Je crois que sans la décision de l'Eglise, les scolas-
tiques disputeroient jusqu'au jour du jugement, s'il y a
deux différentes actions complètes dans la personne de Jésus-
Christ, ou s'il n'y en a qu'une. Je sais par expérience que
174 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
des personnes de ]3on esprit et d'ailleurs instruites sur la foi ,
quand on leur a proposé cette question : Si les deux volontés,
savoir, la divine et l'humaine , exercent ensemble un seul acte ,
ou deux, sans leur rien dire de ce qui s'est passé là-dessus dans
l'Eglise, se sont trouvées embarrassées. Il ne s'agit, dit-on, que
de savoir s'il y a une ame humaine en Jésus-Christ ; mais les
monothélites ne le savoient-ils pas? Les facultés, dit-on, sont
données pom' l'acte, mais les adversaires en pouvoient demeu-
rer d'accord ; car ils pouvoient dire que la faculté de l'ame con-
court à l'acte commun des deux natures.
Plusieurs scolastiques ont soutenu qu'il n'est pas vrai que la
matière ou que la forme agisse, mais que l'action appartient au
composé ; et ils l'ont entendu de même à l'égard du corps et de
l'ame, dans l'état de l'union natm-elle.
Les adversaires pouvoient dire aussi qu'en vertu de l'union
personnelle, qui fait que la nature humaine n'a pas sa propre
sul)sistance qu'elle auroit sans cela natiuellement, on doit juger
que des actions naturelles de l'ame humaiae n'auront pas en
elles ce cjni les rend complètes, non plus que la nature qui est
leur principe; et ce complément, tant du suppôt que de son
action, se trouve dans le Yerbc. Et si les actions ne se doivent
attribuer in concreto qu'au suppôt , ils diront que l'action , qui
s'attribue proprement à une nature abstraite, est incomplète, et
qu'ils n'entendent parler que de celle qui s'attribue proprement
in concreto, lorsqu'ils n'en admettent qu'une ; que sans cela on
viole l'union des natiu-es , et qu'on établit le nestorianisme par
conséquence et sans y penser. Aussi sait-on que les monothé-
lites imputoient autant le nestorianisme à leurs adversaires que
ceux-ci leur imputoient l'eutychianisme. Je tiens que les mono-
thélites ne raisonnoient pas exactement dans le fond; mais je
tiens aussi qu'ils ne manquoient pas d'apparences très-plausibles,
ni même d'autorités qu'on sait qu'ils alléguoient. Car il est ordi-
naire qu'avant une question émue et éclaircie, les auteurs n'en
parlent pas avec toute l'exactitude qui seroit à désirer, témoin le
pélagianisme et autres érreiu-s. Il y a mille difficultés chez les .
philosophes à l'égard du concours de Dieu avec les créatures.
BOSSUET A LEIBNIZ, 27 DÉCEMBRE 1692. 175
Quelques-uns ont cru que la créature n'agissoit point du tout ;
d'autres ont cru que raction de Dieu devenoit celle des créatures
par leur réception, et y trouvoit sa limitation. On a douté aussi
quelle pouvoit être l'action de Dieu, si c'étoit un être créé ou incréé,
ou si ce n'étoit pas l'action même de la créature, en tant qu'elle
dépend de Dieu : et la difficulté devient encore plus grande, lors-
que Dieu concourt avec une créature qui lui est unie personnel-
lement, et qui n'a qu'en lui sa subsistance ou son suppôt.
LETTRE XXIV.
BOSSUET A LEIBNIZ.
Meaiix, 27 décembre 1G92.
Monsieur,
Parmi tant de belles choses dont M. Pelisson m'a régalé en
m'envoyant trois de vos lettres, j'ai trouvé quelques plaintes contre
moi , qui , toutes modestes qu'elles sont, n'ont pas laissé de me
faire beaucoup de peine. Mais je ne puis me résoudre à me dé-
fendre contre vous. Renvoyez à M. Pelisson mon apologie, qu'il
a déjà commencée avec tant de bonté, et je vous dirai seulement
que je suis prêt à effacer tout ce qui vous a déplu.
Au lieu. Monsieur, de répondre à ces plaintes, je vous dois de
grands remercîmens pom* deux lettres que vous avez pris la
peine de m'écrire. Vous me donnez une joie extrême en me disant
que vous et M. l'abbé de Lokkum étiez contens de la première vue
de mes Réflexions. J'espère que la seconde et la troisième vous
feront encore entrer plus avant dans ma pensée. Vous m'appre-
nez une chose qui me ravit : c'est que mon écrit sera vu non-
seulement de vos incomparables princesses, mais encore d'un
prince aussi éclairé et aussi sage qne le vôtre. Je ne connois
personne plus capable que ce grand prince d'entrer dans un
dessein comme celui-ci ni de l'appuyer davantage , et il ne reste
qu'à prier Celui qui tient les cœurs en sa main d'ouvrir le sien à
la vérité.
Yous me demandez. Monsieur, dans une des lettres dont vous
176 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
m'honorez, s'il ne pourroit pas y avoir des instances contraires à
ce que je crois avoir été invariable dans l'Eglise, qui est qu'on
a toujours maintenu ce qu'on a trouvé établi en matière de foi,
car c'est ainsi quil le faut entendre. Je vous réponds hardiment.
Monsieur, que jamais vous ne trouverez d'exemple contraire.
Vous alléguez celui des monothélites et vous demandez si, de
bonne foi, on s'est toujours avisé que Jésus-Christ eût deux vo-
lontés. Cela dépend de savoir si on s'est toujours avisé qu'il y
eût deux natures, la divine et l'humaine, et en toutes deux une vo-
lonté visiblement renfermée là dedans : on pensera aussitôt qu'il
n'y a pas d'ame, que de penser que cette ame ni n'entend ni ne
veut rien. On entend dire tant de Jésus-Christ : Je veux, ou : Je
ne veux pas, dans les choses qui le regardent en qualité
d'homme, qu'on ne peut douter de lui non plus que des autres
hommes , qu'ils ne soient voulaus ; ce qui est penser en termes
formels qu'ils ont une volonté , et si on ne s'avise pas toujours
de dire que Jésus- Christ a une volonté humaine, non plus que
de dire qu'il a une ame humaine, c'est que cela se présente
natuvellement à l'esprit et qu'on n'a pas besoin de s'expliquer
une chose si manifeste.
11 faut que les hérétiques qui ont pu douter d'une vérité si
sensible aient fait à leur esprit de ces violences que se font ceux
que leur orgueil ou leur cm'iosité embrouiUe et confond. Pour
ce qui regarde les images, qui est le second exemple que vous
produisez, il est bien certain que nos Pères, qui tinrent le con-
cile de Francfort, et qui s'opposèrent si longtemps au second
concile de Ni cée, ne le rejetèrent que sur un malentendu; car
c'est un fait bien constant qu'ils honoroient les reli(|ues et qu'ils
adoroient la croix de ce genre d'adoration que le concile se-
cond de Nicée a établi pour les images. 11 n'y a personne qui ne
sache ce que le fameux Anastase, bibliothécaire de l'Eglise ro-
maine, leur reprochoit : « Vous voulez bien, disoit-il, vous pros-
terner devant l'image de la croix , et vous ne voulez pas en faire
autant devant l'image de Jésus-Christ même I Est-ce donc que sa
croix vous paroit d'une plus grande dignité que sa personne , ou
que l'image de l'une soit plus digne de vénération que celle de
BOSSUET A LEIBNIZ, 27 DÉCEMBRE 1692. 177
l'autre ? » Il est donc clair que dans le fond ils recevoient ce culte
relatif, cpii faisoit la question de ces temps-là. S'ils rejetoient
lie concile de Nicée, c'est qu'ils croyoient, comme ils le dé-
clarent dans le concile de Francfort , qu'on y adoroit les images
comme on y adoroit la Trinité ; c'étoit donc visiblement un malen-
tendu , dont aussi on est revenu naturellement quand on a bien
compris le vrai état de la question. La diversité qui étoit dans le
surplus n'étoit que de pure discipline, et on voit par ce qui vient
d'être dit, ce qui est incontestable entre personnes de bonne foi,
qu'ils étoient d'accord du fond. Du reste le concile de Nicée se-
cond n'étoit pas encore reconnu. Nos Pères n'y avoient pas as-
sisté, et de tous les évèques d'Occident le Pape fut,-le seul qu'on y
appela. C'est donc un de ces conciles qui n'a été réputé pour gé-
néral que par le consentement subséquent, encore qu'il ne le fût
dans son origine non plus que beaucoup d'autres qui ont depuis
été très-reçus. Ainsi je vous dirai encore une fois, Monsiem', que
la maxime est constante , qu'en matière de dogmes de foi , ce qui
a été cru un jour l'a été et le sera toujours; autrement la chaîne
de la succession seroit rompue, l'autorité anéantie et^la promesse
détruite. Je vois, Monsiem', dans votre lettre à M. Pelisson , que
vous croyez que je n'ai pas voulu expliquer tout ce que je sais
sur ce que vous m'avez objecté du concile de Bàle. Je vous assm'e
que j'ai dit très-sincèrement tout ce que j'avois dans le cœur. En-
core l'ai-je prouvé par les Actes. J'ai dit que le nouvel examen et
la nouvelle discussion que le concile de Bâle vouloit faire du décret
de Constance étoient une discussion et un examen, non de doute,
mais de plus grand éclaircissement; j'ai rapporté les paroles où
le concile s'explique ainsi et en mêmes termes. Qu'y a-t-il donc
à dire à cela ? Rien du tout , Monsieur , et vous le direz comme
moi quand il vous plaira de vous élever au-dessus de la préven-
tion; mais il faut que Dieu s'en mêle, et j'espère qu'il le fera : il
a mis dans les esprits de nos Cours de trop favorables dispositions.
M. l'abbé de Lokkum a fait des pas très-essentiels ; vous-même ,
vous pensez trop bien de l'autorité des conciles pour demeurer en
si beau chemin. Tout ce qui peut rester de difficulté est infiniment
au-dessous de celles qui sont résolues par les expositions de
TOM. xvni. 12
47a LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
M. l'abbé et par la propre Confession d'Augsbourg et nos autres
livres symboliques. Je trancherai hardiment le mot : il faut, ou
fermer les yeux aux conséquences les plus naturelles , ou sortir
du luthéranisme ; il faut, dis-je, ou faire des pas vers nous ou re-
culer en arrière, ce que Dieu ne permettra pas. Ne craignez point.
Monsieur, qu'on demeure court de notre côté. Vous dites à M. Pe-
lisson que s'il ne s'agissoit que d'exposition, j'aurois tout gagné,
et j'ose vous dire. Monsieur, que ce n'est que de cela qu'il s'agit.
Les difficultés sont résolues dans le fond par les principes posés
de votre côté; il n'y a plus qu'à en faire l'application, et vous serez
catholique. Ne vous lassez donc point, Monsieur, de travailler à
cet ouvrage, et je vous promets que nous ne nous lasserons point
de vous seconder. C'en est trop , mais je n'ai pu refuser ces ré-
flexions à vos lettres [a]...
Je suis de toute mon ame , Monsieur , votre très-humble ser-
viteur,
J. Bénigne, év. de Meaux.
LETTRE XXV.
LEIBNMZ A BOSSUET [b).
Hanovre, le 29 mars 1693.
Monseigneur,
Je suis d'autant plus sensible, pour mon particulier, à la perte
que nous avons faite dans la mort de M. Pelisson, que j'ai joui
bien peu de temps d'une si belle et si importante connoissance.
Il pouvoit rendre de grands services au public , et ne manquoit
pas de lumières ni d'ardeur, et il y avoit sans doute bien peu de
(a) Les quelques mots retranchés se rapportent à la djTiamique , c'est-à-dire
au système physique de Leibniz.
(b) Tous les éditeurs disent après l'aibé Leroy : « Cette lettre en suppose
une précédente de Bossuct, dans laquelle le prélat répondoit aux objections que
Leibniz prétendoit tirer de la condamnation des monothélites dans le sixième
concile , et du culte des images établi dans le second concile de Nicée. Mais
nous n'avons point trouvé dans les papiers de M. de Meaux la lettre à laquelle
il est visible que Leibniz répond ici. » Nous avons donné cette lettre immédia-
tement avant celle-ci -, c'est la xxivo.
LEIBNIZ A BOSSUET, 29 MARS 1693. 179
gens de sa force. Mais enfin il faut s'en remettre à Dieu, qui sait
choisir le temps et les instrumens de ses desseins, comme bon lui
semble. Madame de Brinon m'a fait l'honneur de me commmii-
quer une lettre que vous lui avez écrite, pom* désabuser les gens
de certains faux bruits qui ont couru. Pour moi, si j'ai cru que
M. Pelisson se trompoit en certains points de religion, je ne l'ai
jamais cru hypocrite. J'ai aussi reçu une feuille imprimée, que
M. le landgrave Erneste m'a envoyée. Je crois qu'elle est venue
de France, Elle tend àjustifier la mémoire de cet excellent homme
contre les imputations de la Gazette de Roterdam ; mais il me
semble que l'auteur de la feuille n'étoit pas parfaitement informé,
et il l'avoue lui-même. Madame de Brinon me mande que par
ordre du Roi, les papiers de feu ^^I. Pelisson sur la religion ont été
mis entre vos mains; sans doute le Roi ne les pouvoit mieux
placer. Elle ajoute que ce qu'il avoit écrit sur l'histoire de Sa Ma-
jesté a été doimé à M. Piacine, qui est chargé de ce travail. J'avois
moi-même quelques vues pour l'histoire du temps ; et M. Pelisson,
par la bonté qu'il avoit pour moi, alloit jusqu'à me faire espérer
du secours et des informations sur le fond des choses; mais je
crains que sa mort ne me prive de cet avantage, comme elle m'a
privé d'autres lumières que j'attendois de sa correspondance, si
ce n'est que vous. Monseigneur, ne trouviez quelque occasion d'y
pourvoir.
Madame de Brinon ne me pouvoit rien mander de plus propre
à me consoler que ce qu'elle me fit connoître de la bonté que
vous voulez avoir. Monseigneur, de vous mettre en quelque façon
à la place de, M. Pelisson, quand il s'agira de me favoriser. Cepen-
dant vos bontés ont déjà assez paru à mon égard en plusiem's oc-
casions; et je ménagerai vos grâces comme il faut, sachant que
vos importantes fonctions vous laissent peu à vous-même.
C'est cette considération qui m'avoit fait différer de répondi'e à
votre lettre extrêmement obligeante et pleine d'ailleurs de consi-
dérations importantes et instructives , pour ne pas revenir trop
souvent. Maintenant je vous dirai, Monseignem% que la réplique
de M. l'abbé Molanus sera bientôt achevée. Comme il a la direction
des églises du pays, il a été bien distrait; et afin de finir, il se retire
180 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
exprès à son abbaye pour quelques semaines pendant le carême,
qui chez nous, suivant le ^deux style, est venu cette fois bien plus
tard que chez vous. Je ne renouvelle pas les petites plaintes que
j'avois cru avoir sujet de faire. 11 est vrai que si la censure fût
allée au général, sans me frapper nommément en particulier, je
n'aurois pas eu besoin d'apologie.
Quand j'accorderois cette observation, quon a toujours main-
tenu ce qu'on a trouvé établi en matière de foi, cela ne suffîroit
pas pour en faire une règle pour toujours. Car enfin les erreurs
peuvent commencer une fois à régner tellement, qu'alors on sera
obligé de changer de conduite. Je ne vois pas que les promesses
divines infèrent le contraire. Cependant l'observation même , qui
est de fait, me pai'oît encore douteuse. Par exemple, je tiens que
toute l'ancienne Eglise ne croyoit pas le culte des images permis :
et si quelqu'un des anciens martyrs revenoit ici , il se trouveroit
l)ien sm'pris. Cependant l'Orient ayant changé peu après là-des-
sus, le dogme combattu longtenqis par l'inclination (jui porte les
hommes à l'extérieur, a été enfin renversé par le second concile
de Nicée , qui se sert de textes pour appuyer sa prétention : et
malgré la meiUem'e partie de l'Occident, qui s'y opposoit dans
le concile de Francfort, Rome donna là-dedans. Votre remanjue,
Monseignem-, sur le concile de Nicée , est considérable. L'argu-
ment ad homineni d'iVnastase le Bibliothécaire, pris de l'adoration
de la croix déjà reçue, prouve seulement (pie les al)us s'autori-
sent les uns les autres. On avoit été plus facile sur la croix, d'au-
tant que ce n'est pas la ressemblance d'une chose vivante : par
après on a joint l'image ou effigie de Jésus-Chi'ist à la croix pour
l'adorer; et enfin on s'est laissé aller jusqu'aux images des
simples créatures , en adorant ceUes des Saints ; ce qui étoit le
comble.
J'ai de la peine à croire que les Pères de FrMucfort eussent per-
mis le culte des images, sous condition d'une adoration infériem"e.
Ils ont donc tort de n'avoir pas marqué qu'ils entroient dans un
tempérament qui se présentoit naturellement à ceux qui y avoient
de l'inclination. Mais ils jugeoient tout autrement : ils croyoient
princijuis esse obstamlum. Si on l'avoit fait de bonne heure, le
LEIBNIZ A BOSSUET, 29 MARS 1693. 181
christianisme ne seroit point devenu méprisable dans l'Orient , et
Mahomet n'auroit point prévalu.
L'autre question étoit : Si Ton n'a pas reçu quelquefois des sen-
timens, comme de foi, qui n'étoient pas établis auparavant. J'avois
apporté l'exemple de la condamnation des monothélites. Tous ré-
pondez. Monseigneur, qu'accordant que Jésus-Christ a véritable-
ment la nature humaine aussi bien que la divine, il falloit accor-
der qu'il a deux volontés. Mais voilà une autre question, sur la
conséquence de laquelle les plus habiles gens de ce temps-là ne
demeuroient point d'accord. Il s'agit du dogme même, s'il étoit
établi ; de plus, la conséquence souffre bien des difficultés, et dé-
pend d'une discussion profonde de métaphysique, et je suis comme
persuadé que si la chose n'avoit été décidée , les scolastiques se
seroient trouvés partagés sur cette question. Il ne s'agit pas de la
volonté in actu primo, qui est une faculté inséparable de la na-
ture humaine, mais de l'action de vouloir, qi(œ potest indigere
complemcnto à sustentante Verho ; ita lit ab utràque resultet
unica aetio, citm dici soient actiones esse suppositorum.
Quant au concile de Bâle , il lui étoit permis de parler comme
vous dites, Monseignem*; et si l'on faisoit mi traité semblable
avec les protestans , il seroit permis à chaque parti de dire que la
discussion future des points qui resteroient à décider , seroit une
discussion d'éclaircissement, et non pas de doute, chacun ayant la
croyance que l'opinion cpi'il tient véritalile prévaudi'a. Ce seroit
donc assez que vos Messieurs fissent ce qu'on fit à Bàle. J'ai cru
que la seule exposition ne suffisoit pas, entre autres parce qu'il y
a des questions qui ne sont pas de théorie seulement, mais encore
de pratique. J'avoue aussi. Monseigneur, que je ne vois pas com-
ment de certains principes accordés, il s'ensuive qu'on doive tout
accorder de votre côté : au contraire j'ose dire que je crois voir
clairement l'oljligation où l'on est d'offrir ce que fit le pape
Eugène avec le concile de Bâle, à l'égard des calixtins. En vérité,
je ne crois pas qu'autrement il y ait moyen de venir à une réu-
nion, qui soit sans contrainte. Cependant il faut pousser la voie de
l'exposition aussi loin qu'il est possible, et je ne crois pas que per-
sonne vous y surpasse. A,ussi M. Molanus tâchera de vous y se-
182 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
conder ; et pour moi^ je contribuerai au moins par mes applau-
dissemens, ne le pouvant pas par mes lumières trop courtes. Je
suis avec un attachement parfait^ Monseigneur, votre très-humble
et très-obéissant serviteur [a]
Leibniz.
LETTRE XXYL
LEIBNIZ A BOSSUET.
i) juin 1693.
Je me rapporte à une lettre assez ample, que je me suis donné
riionneur de vous écrire il y a quelque temps (Z») . Je croyois ce-
pendant vous envoyer la réponse de M. l'abbé de Lolvkum ; et en
effet j'en ai lu déjà la plus grande partie. ]\Iais comme il est sou-
vent très-occupé, ayant la direction de notre consistoire et de tant
d'éghses , il n'a pas encore pu finir. Ce sera pourtant dans peu ;
car il se presse effectivement pour cela le plus qu'il peut. La ré-
ponse sera bien ample, et contiendra bien des bonnes choses.
En attendant cet ouvrage, qui sera r/ravis armaturœ miles , je
vous envoie, Monseigneur, velitem quemdam. C'est ma réponse
au discours de M. l'aljlté Pirot, touchant l'autorité du concile de
Trente, que je soumets aussi à votre jugement, et vous supplie
de la lui faire tenir. Je suis avec beaucoup de zèle. Monseigneur,
votre très-humble et très-obéissant serviteur,
Leibniz.
LETTRE XXVir.
MADAME DE BRINON A BOSSUET.
Ce o août 1C93.
Madame la duchesse de Brunswick m'a envoyé. Monseigneur,
cette grande lettre de M. Leibniz ; elle souhaiteroit fort que Votre
(a) Leibniz s'empresse de revenir à la fin de sa lettre, sur la nature et la force
des corps; \\ raconte longuement les difficultés que sa Dynu nique \ rencontre
eu France, devant l'Académie des sciences.
{b) Sans doute la lettre précédente, du 9 mars.
M'"'^ DE BRINON A BOSSUET, 5 AOUT 1693. 183
Grandeur voulût y répondre. Je crains que M. Leibniz n'embar-
rasse sa foi par ses subtilités, et qu'il ne veuille aussi essayer de
vous faire parler à un autre qu'à lui sur le concile de Trente : car
assurément ce que vous lui en avez dit, et M. Pirot aussi, lui de-
vroit suffu'e. J'ai mandé toujours d'avance à cette duchesse , qui
est fort goûtée des protestans, que la matière du concile de Trente
étoit épuisée et décidée entre Votre Grandeur et M. Leibniz : que
s'il étoit de bonne foi , il n'avoit qu'à lui montrer ce que vous
aviez pris la peine de lui en écrire ; que vous n'auriez rien davan-
tage à lui dire là-dessus. Mais comme je doute fort qu'il montre à
son Altesse sérénissime ce que Votre Grandeur lui en a écrit , et
M. Pirot aussi, avant que notre illustre ami M. Pelisson^ût mort,
je vous supplie très-humblement, 3Ionseigneur, de me faire Ihon-
nem" de m'écrire quelque chose là-dessus , que je puisse envoyer
en Allemagne à madame la duchesse de Brunswick, afm qu'elle
voie que je n'ai pas manqué de vous envoyer la lettre de M. Leib-
niz, comme eUe me l'a ordonné, et qu'elle puisse elle-même sa-
voù' à quoi s'en tenir sm* le concile de Trente. EUe m'écrit qu'elle
est fort surprise d'apprendre qu'il n'est pas reçu en France, aussi
bien sur les dogmes que sur la politique. Je serois très-fàchée,
dans l'estime et l'amitié que j'ai pour cette duchesse et dans l'in-
tégrité où je connois sa foi, qu'on la pût séduire en ce dangereux
pays sm' la moindre chose. C'est ce qui fait^ Monseigneur, que
j'ai recours à vous, afm que vous lui donniez quelque antidote
contre ce poison. Je m'aperçois que M. Leibniz a des correspon-
dances avec quelques doctem's, qui l'instruisent de tout, bien ou
mal : c'est ma pensée; peut-être que je me trompe; mais il me
semble que ce jugement n'est point témérau'e. Je vous demande
toujom's la continuation de votre bienveillance.
184 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
LETTRE XXYIII.
LEIBNIZ A BOSSUET
SlJRiLE MÉMOIRE DU DOCTEUR l'IROT
touchant l'autorité du concile de Trente {a).
I. La Dissertation de M. Tabbé Pirot sur Tautorité du concile
de Trente en France, ne m'a point paru prolixe ; et quand j'étois
à la dernière feuille , j'en cherchois encore d'autres. Il y a plu-
sieurs faits importans éclaircis en aussi peu de mots qu'il est
possible : et les discussions des faits demandent plus d'étendue
que les raisonnemens. ,ïe lui suis infiniment obligé de la peine
qu'il a prise, principalement pour mon instruction, lui qui est si
capable d'instruii'e le public. Je souhaiterois qu'il me fût possible,
dans l'état de distraction où je me trouve maintenant , d'entrer
assez avant dans cette discussion des faits pour profiter davan-
tage de ses lumières; mais ne pouvant pas aller si loin, je
m'attacherai principalement aux conséquences qu'on en tire.
II. Le concile de Trente a eu deux buts : l'un de décider ou de
déclarer ce qui est de foi et de droit divin ; Tautre , de faire des
règlemens ou lois positives ecclésiastiques. On demeure d'ac-
cord , de part et d'autre, que les lois positives tridentines ne sont
pas reçues en France sur l'autorité du concile , mais par des con-
stitutions particulières ou règlemens du royaume ; et sur ce que
le concile de Trente décide comme de foi ou de droit divin,
M. l'abbé Pirot m'assure qu'il n'y a point de catholique romain
en France qui ne l'approuve, et je veux le croire. On demandera
donc en (pioi je ne suis pas encore tout à fait convaincu ; le voici:
c'est premièrement qu'on peut tenir une opinion pour véritable,
sans être assuré qu'elle est de foi. C'est ainsi que le clergé de
France tient les quatre propositions , sans accuser d'hérésie les
(a) Tous les éditeurs disent qu'ils « n'ont pu recouvrer le mémoire de l'abbé
Pirot. » Leibniz a résumé selon ses convenances, dans le dessein d'y répondre,
l'écrit du savant théologien catholique. Nous ne croyons pas que son analyse
succincte mérite d'être mise sous les yeux du lecteur; et si nous publious sa
réponse, c'est que Bossuet doit s'en occuper.
LEIBNIZ A BOSSUET. 185
docteurs italiens ou espagnols, qui sont d'un autre sentiment.
Secondement, qu'on peut approuver comme de foi tout ce que le
concile a défini comme tel, non pas en vertu de la décision de ce
concile, ou comme si on le reconnoissoit pour œcuménique ; mais
parce qu'on en est persuadé, d'ailleurs. Troisièmement, quand
il n'y auroit point de particulier en France qui osât dire qu'il
doute de l'œcuménicité du concile de Trente, cela ne prouve point
encore que la nation l'a reçu pour œcuménique. Les lois doivent
être faites dans les formes dues. Ces mômes personnes qui, main-
tenant qu'elles sont dispersées, paroissent être dans quelque
opinion, pourroient se tourner tout autrement dans l'assemblée.
On en a eu des exemples dans les élections et dans les jugemens
rendus par quelques tribunaux ou parlemens, dont les memljres
sont entrés dans le conseil avec des sentimens bien difTérens de
ceux que certains incidens ont fait naître dans la délilîération
même. C'est aussi en cela que le Saint-Esprit a privilégié parti-
culièrement les assemblées tenues en son nom, et que la direc-
tion divine se fait connoître ; et cette considération a même quel-
que lien dans les afîaires humaines. Par exemple , quand un roi
de la Grande-Bretagne voulut amasser les voix des provinces
pour trouver là-dedans un préjugé à l'égard du parlement, cette
manière de savoir la volonté de la nation ne fut point ap-
prouvée ; d'autant que plusieurs n'osent point se déclarer quand
on les interroge ainsi, et que les cabales ont trop beau jeu, outre
que les lumières s'entre -communiquent dans les délibérations
communes.
III. Pour éclaircir davantage ces trois doutes, qui me pa-
roissent très -raisonnables, je commencerai parle dernier, savoir,
par le défaut d'une déclaration solennelle de la nation. M. l'abbé
Pirot donne assez à connoître quil a du penchant à ne pas croire
qu'il y ait jamais eu un édit de Henri III , touchant la réception
du concile de Trente en ce qui est de foi. Un acte public de cette
force ne seroit pas demeuré dans le silence ; les registres et les
auteurs en parleroient : cependant il n'y a que M. de Marca seul
qui dise l'avoir vu, à qui la mémoire peut avoir rendu ici un
mauvais office. Mais quand il y auroit eu une telle déclaration
d86 LETTRES SUR LA RÉUNION ..DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
du Roi, il la faudroit voir, pour juger si eUe ordonne proprement
que le concile de Trente doit être tenu pour œcuménique ; car
autre chose estrecevoii' la foi du concile, et recevoir Tautorité
du concile.
IV. Quant à la profession de foi de Ilenri IV, je parlerai ci-
dessous de celle qu il fit à Saint-Denis ; et cependant j'accorde
que la seconde , que MM. du Perron et d'Ossat firent en son nom
à Rome, a été conforme incontestablement au formulaire de
Pie IV. Je ne veux pas aussi avoir recours à la chicane , comme
si le roi eût révoqué ou motUfié , par quelque acte inconnu ou
réservation cachée , ce qui avoit été fait par lesdits du Perron et
d'Ossat, bien qu'il y ait eu bien des choses dans cette absolution
de Rome, qui sont de dure digestion; et particulièrement cette
prétendue nullité de l'absolution de l'archevêque de Bom'ges,
dont je ne sais si l'Eglise de France demeurera jamais d'accord :
comme si les papes étoient juges et seuls juges des rois, et d'mie
manière toute particulière à l'égard de leur orthodoxie. Dirons-
nous que, par cette ratification, Henri IV a somnis les rois de
France à ce joug? Je crois que non, et je m'imagine qu'on aura
recours ici à la distinction entre ce qu'un roi fait pour sa persoime
et entre ce qu'il fait pom' sa couronne, entre ce qu'il fait dans son
cabinet et entre ce qu'il fait ex throno , pour avoir un terme qui
réponde ici à ce que le Pape fait ex cathedra. Un Pape pourra
faire une profession de sa foi, sans qu'il' déclare ex cathedra la.
volonté qu'il a de la proposer aux autres. Nous savons assez le
sentiment du pape Clément VIII sur la matière de Auxiliis; il s'est
assez déclaré contre Mohna : mais les jésuites, qui tiennent le
Pape infaillible, lorsqu'il prononce ex cathedra, ne jugent pas
que celui-ci ait rien prononcé contre eux ; et on en demeure d'ac-
cord. Ainsi la profession de Henri IV ne sauroit avoir la force
d'une déclaration du royaume de France à l'égard de l'œcuméni-
cité du concile de Trente : eUe prouve seulement que Henri IV en
son particulier, ou plutôt ses procureurs ont déclaré tenir le con-
cile de Trente pour œcuménique ; et ce n'est qu'un aveu de son
opinion là-dessus. Ainsi je n'ai pas besoin d'appuyer ici sm^ la
clause qui le dispense de l'obligation de porter ses sujets à la
LEIBNIZ A BOSSUET. 187
même foi , sachant bien que ce ne fut qu'à l'occasion des reli-
gionnaires que le Pape l'en dispensa, bien qu'en effet la dispense
soit générale, et qu'il ne faille pas juger des actes solennels par
leur occasion , mais par leur teneur précise ; surtout in Us quœ
siuit stricti juris , nec cmiplianda, nec restringenda , tel qu'est ce
qui emporte l'introduction d'une nouvelle décision dans l'Eglise à
regard des articles de foi. Mais encore, quand le roi se seroit
obligé de porter ses sujets à la récognition de l'autorité œcumé-
nique du concile de Trente, sans en excepter d'autres que les
religionnaires, ce ne seroit pas une déclaration du royaume, mais
une obligation dans le roi, de faire ce qu'il pourroit raisonnable-
ment pour y porter son peuple; ce qui n'excluroit nullement une
assemblée des Etats, ou au moins des notables des trois Etats.
Y. Quand il n'y auroit point eu autrefois de déclaration solen-
nelle de la France contre le concile de Trente, il semble néaimioins
qu'il faudroit toujours une déclaration solennelle pom' ce concile,
afm que son autorité y soit établie, à cause des doutes où le monde
a toujours été là-dessus. Ainsi quand j'ai dit que la déclaration
solennelle doit être levée par mie autre déclaration solennelle ,
c'est seulement pour aggraver cette nécessité. Et quand ces dé-
clarations solennelles contraires auroient quelque défaut de for-
malité, cela ne nuiroit pas à mon raisonnement. Car il ne s'agit
pas ici de l'établissement de quelque droit , ou qualité de droit ;
mais seulement de ce qui fait paroitre la volonté des hommes : à
peu près comme un testament défectueux ne laisse pas de mar-
quer la volonté du testateur. Ainsi l'esprit de la nation, ou de ceux
qui la représentent , paroissant avoir été contraire au concile de
■ Trente, on a d'autant plus besoin d'une déclaration lîien expresse
pom' marcpier le retour et la repentance de la même nation.
YI. Mais considérons un peu les actes publics, faits de la part
de la France contre ce concile, tirés des Mémoires que MM. du
Puy ont publiés. Le premier Acte est la protestation du roi
Henri II, lue dans le concile même par M. Amiot. Le roi y dé-
clare tenir cette assemblée sous Jules III, pour une convention
particulière, et nullement pour un concile général. M. Amiot
avoit une lettre de créance du roi pour être ouï dans le concile;
d88 LETTRES SUR LA REUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
(it cela autorise sa protestation,, bien que ladite lettre ne parlât
point de la protestation : ce qu'on fit exprès sans doute, pour em-
pêcher les Pères de rejeter d'abord la lettre, et de renvoyer le
porteur sans l'entendre ; et apparemment il ne voulut point at-
tendre la réponse du concile, parce qu'il ne s'attendoit à rien de
bon : aussi n'avoit-il rien proposé qui demandât une réponse.
Ensuite de cette protestation, les François ne se trouvèrent point
à cette convocation, et ne reconnurent pas les six séances tenues
sous Jules III, tout comme les Allcmynds ne reconnurent point
ce qui s'étoit lait auparavant sous Paul III, après la translation du
concile fïiite malgré l'Empereur. Nous verrons après si cette pro-
testation a été levée ensuite. Or dans les séances contestées par
les François, on avoit entrepris de régler des points fort impor-
tans, comme sont FEucharistie et la pénitence; et M. Tabbé Pirot
le reconnoît lui-même.
VII. La seconde protestation des François fut faite dans la troi-
sième convocation sous Pie IV, à cause de la partialité que le
Pape et le concile témoignoient pour l'Espagne à l'égard du rang;
et les ambassadeurs de France se retirèrent à Venise, tant à cause
de cela que parce qu'on n'avoit pas assez d'égard à Trente à l'au-
k)rité du roi, aux libertés de l'Eglise gallicane, et à l'opposition
que les François faisoient à la prétendue continuation du concile ;
soutenant toujours que ce qui avoit été fait sous Jules III ne de-
voit pas être reconnu, et que la convocation sous Pie IV étoit une
nouvelle indication. Il est vrai que les prélats françois restèrent
au concile, et donnèrent leur consentement à ce qui y fut arrêté,
et môme à ce qui avoit été arrêté dans les convocations précé-
dentes, sans excepter ce qui s'étoit fait sous Jules III. Mais on
voit cependant que les ambassadeurs du roi n'approuvoient ni ce
que faisoit le concile, ni la qualité qu'il prenoit ; et bien que la
harangue sanglante que M. duFerrier un des ambassadeurs avoit
préparée, n'ait pas été prononcée, elle ne laisse pas de témoigner
les senti mens de l'ambassade et l'état véritable des clioses, que
les hommes ne découvrent souvent que dans la chaleur des con-
testations. Elle dit : Cù?n tamen nihil à vobis, sed omnia maqis
Romœ quàni Tridenti cujantur, et liœc quœ imhlicanlur magis
LEIBNIZ A BOSSUET. ISO
PU IV placita, quàm conciln Tridentini décréta jiire existhnen-
tiir, denuntiamus ac Ustmnur , quœciimque in hoc concilio ^
hoc est Pu IV motu décréta siint et puhlicata, decernentur et
jmhlicabuntur , ea nerpœ Regem christianissimum probatiirimi,
neque Ecclesiam gcdlicanam pro decretis œcumenkœ synod/
habituram. ïl est vrai que la même harangue devoit déclarer le
rappel des prélats françois, qui ne fut point exécuté : mais quoi-
qu'on en soit venu à des tempéramens pour ne pas rompre la
convocation, la vérité du fait demem^e toujours, que la France ne
croyoit pas cette convocation assez libre pour avoir la qualité de
concile œcuménique.
La protestation que ?.LM. Pibrac et du Ferrier, ambassadeurs
de France, ont faite ensuite, avant que de se retirer, déclare for-
mellement qu'ils s'opposent aux décrets du concile. Il est vrai
qu'ils allèguent pour raison le peu d'égard qu'on a pour la France
et pour les rois en général ; mais quoique la raison soit particu-
lière, l'opposition ne laisse pas d'être générale. De dire que cet
acte n'ait pas été fait au nom du roi, c'est à quoi je ne vois point
d'apparence : car les ambassadeurs n'agissent pas en leur nom
dans ces rencontres ; ils n'ont pas besoin d'un nouveau pouvoir
ou aveu pour tous les actes particuliers. Le roi leur ordoimant de
demeurer à Venise, a approuvé pultliquement leur conduite ; et
les sollicitations du cardinal de Lorraine pom' les faire retourner
au concile, furent sans eîTet outre qu'on reconnoît qu'ils avoient
ordre du roi de protester et de se retirer. On a laissé les prélats
françois pour éviter le blâme et pour donner moyen au Pape et
au concile de corriger les choses insensiblement et sans éclat, en
rétablissant dans le concile la liberté des suffrages, et tout ce qui
étoit convenaljle pour lui donner une véritable autorité. Le dé-
faut d'enregistrement de la protestation faite par M. du Ferrier
et le refus cpi'il lit d'en donner copie, ne rend pas la protestation
nulle ; et on ne peut pas même dire qu'un tel acte demeure comme
en suspens, jusqu'à ce qu'on trouve bon de l'em'egistrer et d'en
communiquer des copies, puisc^u'il porte lui-même avec soi toutes
les solennités nécessaires pour subsister. Le refus des copies vint
apparemment de ce qu'on vouloit adoucir les choses et dorer la
190 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEÎiLVGNE.
pillule, et encore pour ne pas donner sujet à des contestations
nouvelles. C'est ainsi que les ambassadeurs de Bavière et de Ve-
nise ayant protesté dans le même concile Tun contre l'autre à
cause du rang contesté entre eux, refusèrent d'en donner copie,
comme le cardinal PaUa^icin le rapporte. Mais quand la protes-
tation seroit nulle à cause des défauts de formalité, j'ai déjà dit
que le sentiment des ambassadeurs et de la Corn- ne laisse pas de
marquer la vérité des choses ; et les lettres que les ambassadem's
écrivirent de Venise au roi, font connoître qu'ils ne trouvoient
pas à propos de retourner à Trente et d'assister à la conclusion
(lu concile, pour ne pas paroître l'approuver, et pour ne pas don-
ner la main à la prétendue continuation, ni aller contre la protes-
tation de Henri II, outre les autres raisons qu'ils alléguèrent dans
leur lettre au roi Charles IX.
VIII. La ratification du concile entier et de toutes ses séances
depuis le commencement jusqu'au dernier Acte, faite en présence
des prélats françois et de leur consentement, sans excepter même
les sessions tenues sous Jules III sans les François, contre la pro-
testation de Henri II, ne suffit pas à mon avis pom^ lever les op-
positions de la nation françoise. Ces prélats n'étoient point auto-
risés à venir à l'encontre de la déclaration de la nation faite par
le roi. Leur silence et même leur consentement peut témoigner
lem' opinion; mais non pas l'approlxition de l'Eglise et nation gal-
licane. La conduite du cardinal de Lorraine n'a pas été approu-
vée ; et les autres fm'ent entraînés par son autorité : outre que ces
sortes de ratifications m sacco, en général et sans discussion, ou
pour parler avec nos anciens jurisconsultes, per aversionem, sont
sujettes à des surprises et à des subreptions. 11 falloit reprendre
toutes les matières qui avoient été traitées en l'absence de la na-
tion françoise, aussi bien que les matières traitées en l'absence
de la nation allemande ; et après une délibération préalable, faire
des conclusions convenables pour suppléer au défaut de l'absence
de ces deux grandes nations.
IX. Tout ce que je viens de dire, depuis le troisième para-
graphe, tend à justifier ce que j'ai dit de la déclaration solen-
ïielle de la nation, qui bien loin de se trouver pour le concile.
LEIBNIZ A BOSSUET. 191
se trouve plutôt contraire à son autorité, quand même j'accor-
derois que les particuliers ont été et sont persuadés que ce con-
cile est véritablement œcuménique. Cependant je ne vois rien
encore qui m'oblige d'accorder cela : assurément ce n'étoit pas
le sentiment de MM. Pibrac et du Ferrier. Il semble qu'on re-
connoît aussi que ce n'étoit pas celui du feu président de Thou,
ni de MM. du Puy. J'ai vu des objections d'un auteur catholi-
que romain contre la réception du concile de Trente, faites pen-
dant la séance des Etats, l'an 1615, avec des réponses assez im-
portantes, le tout inséré dans un volume manuscrit, sur l'as-
semblée du clergé de l'an 1614^ et 1615.
Ces objections marquent assez que l'autem' ne tient pas ce
concile pom* œcuménique ; à quoi l'autem* des réponses n'oppose
que des pétitions de principe. J'ai lu ce que les députés du tiers-
état ont opiné entre eux sur l'article du concile. Quelques-uns
demeurent en termes généraux, refusant d'entrer en matière, soit
parce cjn'on étoit sur le point de finir leurs cahiers, qu'ils dévoient
présenter au roi, soit, disent-ils, parce que les François ne sont
pas à présent plus sages qu'ils étoient il y a soixante ans ; et que
leurs prédécesseurs apparemment avoient eu de bonnes raisons
de ne pas consentir à la réception du concile, qu'on n'avoit pas
maintenant le loisir d'examiner. Quelques-ims disent qu'on reçoit
la foi du concile de Trente ; mais non pas les règlemens de disci-
pline. J'ai remarqué qu'il y en a eu un, et il me semble que c'est
Miron lui-même, président de l'assemblée, qui dit en opinant que
le concile est œcuménique ; mais que cela nonobstant, il n'est pas
à propos maintenant de parler de sa réception. Cependant je ne
vois pas que d'autres en aient dit autant. Charles du Moulin, au-
teur catholique romain et fameux jurisconsulte, a écrit positive-
ment, si je ne me trompe, contre l'autorité du concile de Trente :
ce qui a fait que les Italiens l'ont pris pour protestant ; et que ses
livres sont tellement inter prohibitos jirimœ classis, que j'ai vu
que lorsqu'on donne licence à Rome de lire des li\Tes défendus,
Machiavel et du Moulin sont ordinairement exceptés. L'on en
trouvera sans doute encore bien d'autres déclarés contre le con-
cile. M. Yigor en paroît être, et peut-être M. de Launoi lui-même.
192 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE,
à considérer son livre : De poiestate Régis circa validiiatem ma-
trimonii; et les modernes, qui se rapportent aux raisons et con-
sidérations de leui^s ancêtres, témoignent assez de laisser au moins
ce point en suspens. La foiblesse du gouvernement de Catherine
de Médicis et ses enfans, a fait que le clergé de son autorité privée
a introduit en France la Profession de foi de Pie IV, et obligé
tous les bénéficiers et ceux qui ont droit d'enseigner de faire cette
profession ; par une entreprise semblable à celle qui porta Mes-
sieurs du clergé, dans leur assemblée de 1615, à déclarer, quant
à eux, le concile de Trente pour reçu. Je crois que Messieurs des
conseils et parlemens et les gens du roi dans les corps de justice,
n'approuvent guère ni l'un ni l'autre.
X. Or, pour revenir enfin à ma première distinction, ces catho-
liques romains, qui doutent de l'autorité du concile de Trente,
peuvent pourtant demem-er d'accord de tout ce qu'il a défini
comme de foi. Ils peuvent approuver la foi du concile de Trente,
sans recevoir le concile de Trente pour règle de foi ; et ils peu-
vent môme approuver les décrets du concile, sans approuver
qu'on y attache les anathèmes, ni qu'on exige des autres l'appro-
bation des mêmes décrets sous peine d'hérésie. Car on n'est pas
hérétique quand on se trompe sur un point de fait, tel qu'est l'au-
torité d'un certain concile prétendu œcuménique. C'est ainsi que
les ultramontains et citramontains ont été et sont en dispute tou-
chant les conciles de Constance et de Bàle, ou au moins touchant
leurs parties, et touchant celui de Pise et le dernier de Latran. Et
apparemment la reine Catherine de Médicis, avec son conseil, étoit
dans le sentiment que je viens de dire sur le concile de Trente,
lorsque pour donner raison du refus qu'elle fit de la réception de
ce concile, elle allégua qu'il empècheroit la réunion des protes-
tans, comme M. l'abbé Pirot l'avoue, et reconnoît que le prétexte
étoit beau; marque qu'elle désiroit un concile plus libre, plus au-
torisé et plus capable de donner satisfaction aux protestans , et
qu'alors la difficulté n'étoit pas seulement sur la disciphne.
XI. Cela peut suffire maintenant, sur ce que M. l'abbé Pirot dit
dans son discours, de l'autorité du concile de Trente en France.
Je vois qu'il suppose (jpi'en Allemagne tout le concile de Trente
LEIBNIZ A BOSSUET. 193
passe pour œcuménique , nonobstant les oppositions que l'empe-
reur Charles V avoit faites contre la translation du concile. Cepen-
dant ayant été autrefois moi-même au service d'un électeur de
MayencB;, qui est le premier prélat de l'Allemagne et dont la ju-
ridiction ecclésiastique est la plus étendue , j'ai appris que le
concile de Trente n'a pas encore été reçu dans l'archidiocèse de
Mayence, ni dans les évêchés qui reconnoissent cet archevêque.
Je crois l'avoir entendu de la bouche du feu électeur Jean-Phi-
lippe , dont le savoir et la prudence sont connus. La même chose
m'a été confumée par ses ministres. Je ne suis pas bien informé
de ce qui s'est fait dans les autres ég-lises métropolitaines d'Alle-
magne : mais je suis porté à en croire autant de quelques-unes,
parce qu'autrement il auroit fallu des synodes provinciaux pour
cette introduction, dont cependant on n'a point de connoissance.
XII. Au reste les protestans ont publié plus d'mie fois les rai-
sons qu'ils avoient de ne pas déférer à ce concile. Je n'y veux
point entrer; et je dirai seulement ici qu'outre l'opposition faite
par l'empereur Charles Y contre ce qui s'étoit passé à Boulogne,
il falloit que Pie IV tâchât de faire remettre les choses , à Tégard
des Allemands , aux termes où Charles V les avoit mises lorsque
les ambassadeurs et les théologiens des protestans aUoient à
Trente : ce qui ayant été sans suite à cause de la guerre survenue,
de voit être par après réintégré. Mais la cour de Rome étoit bien
aise de s'en être dépêtrée; et ce fut avec ime étrange précipitation
que les grandes controverses furent dépêchées à Trente par une
troupe de gens dévoués à Rome et peu zélés pom'le véritable bien
de l'Eglise, qui appréhendoient davantage de choquer Scot ou
Cajetan que d'offenser irréconcihablement des nations entières.
Car ils se moquoient des peuples éloignés qui ne les touchoient
guère, pendant qu'ils ménageoient des moines ; parce qu'il y en
avoit beaucoup dans leur assemblée, et qu'ils les voyoient consi-
dérés dans les pays d'où étoient les prélats qui remplissoient le
coucile. Ainsi ces messieurs ne faisoient pas la moindre difficulté
de trancher net sur des questions de la dernière importance, qui
étoient en controverse avec les protestans, et que les anciens Pères
n' avoient pas osé déterminer, et parloient ambigument et avec
TOM. xvm. 13
AU LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
beaucoup de réserve de ce qui étoit en dispute entre les sco-
lastiques.
XIII. Il semble même qu'ils vouloient profiter de ces momens
favorables, que les temps et les conjonctures leur fournissoient,
lorsque les protestans et presque toutes les nations du Nord étoient
absentes , aussi bien que les Grecs et les Orientaux ; qu'il y avoit
un roi d'Espagne entêté des moines , dont les sentimens étoient
bien éloignés de ceux de l'empereur son père; et que la France
étoit gouvernée par une femme italienne et par les princes de la
maison de Lorraine, qui avoient leur but. Ainsi ces prélats, ita-
liens pour la plupart, toujours entêtés de certaines opinions chi-
mériques , que les autres sont des barbares et qu'il appartient à
eux de gouverner le monde ; bien aises d'avoir les coudées fran-
ches et de voir en quelque façon dans l'opinion de bien des gens
le pouvoir de l'Eglise 'universelle déposé entre leurs mains, au
lieu qu'à Constance et à Bùle les autres nations balancoient fort et
obscurcissoient môme l'autorité des Italiens : ces prélats, dis-je,
soutenus et animés par la direction de Rome, taillèrent en plein
drap , et firent des décisions à outrance à l'égard de la foi , sans
vouloir ouïr des oppositions ; vA au lieu d'une réforme véritable
des abus dominans dans l'Eglise, ils consumèrent le temps en des
matières qui ne touchoient que l'écorce, pour se tirer bientôt
d'affaire et apaiser le monde, qui avoit été dans l'attente de
quelque chose de grand de la part de ce concile. Aussi peut-on
dire que bien des choses empirèrent cjuand il fut terminé ; que
Rome triompha de joie d'être sortie sans dépens de cette grande
affaire et d'avoir maintenu toute son autorité ; que l'espérance de
la réconciliation fut perdue; que les abus jetèrent des racines plus
fortes ; que les religieux par le moyen des confréries et de mille
inventions , portèrent la superstition plus loin qu'elle n'avoit
jamais été, au grand déplaisir des personnes bien intentionnées;
que personne n'osa plus ouvrir la bouche, parce qu'on le traitoit
d'abord d'hérétique, au lieu qu'auparavant des Erasmes et des
Yivès, tout estimés qu'ils étoient dans l'Eglise romaine, n'avoient
pas laissé de s'ouvrir sur les erreurs et les abus des moines et
des scolastiques qu'on vit alors canoiiisés , tandis que plusieurs
LEIBNIZ A BOSSUET. 195
honnêtes gens et bons auteurs furent marqués au coin de l'hérésie
par ces nouveaux juges. La France presque seule alors pouvoit
et devoit maintenir la liberté de l'Eglise, contre cette conspiration
d'une troupe de prélats et de docteurs ultramontains, qui étoient
comme aux gages des légats du Pape : mais la foiblesse du gou-
vernement et l'ascendant du cardinal de Lorraine, lièrent les
mains aux bien intentionnés. Cependant Dieu voulut que la vic-
toire ne fût pas entière ; que le génie libre de la nation françoise
ne fût pas tout à fait supprimé ; et que nonobstant les efforts des
papes et du cardinal de Lorraine, la réception du concile ne passât
jamais.
XIV. Quelqu'un dira qu'on n'a pas besoin du consentement des
nations ; que les seuls prélats ou évêques convoqués par le Pape,
sont de l'essence d'un concile œcuménique ; et que ce qu'ils déci-
dent doit être reçu, sous peine de damnation éternelle, comme la
voix du Saint-Esprit, sans s'arrêter aux intérêts des couronnes ou
nations. Il semble que c'étoit le sentiment de l'évêque de Beauvais,
dans la harangue qu'il fit aux députés du tiers-état, l'an 1615.
C'est aussi l'opinion de l'auteur des Réponses pour la réception du
concile, contre les objections dont j'ai parlé ci-dessus, et même les
ambassadeurs de France, retirés à Venise, écrivirent au roi lem'
maître, que les ambassadeurs n'assistoient pas aux anciens con-
ciles; et quelques députés du tiers-état disent en opinant, que les
conciles n'ont pas besoin de réception, et s'étonnent qu'on la de-
mande; mais c'est pour éviter cette réception qu'ils le disent.
Je réponds qu'il semble en effet que les seuls évêques ou pas-
teurs des peuples doivent avoir voix délibérative et décisive dans
les conciles : mais cela ne se doit point prendre avec cette préci-
sion métaphysique, cjiie les affaires humaines n'admettent point.
Il faut des préparatifs avant que de venir à ces délibérations déci-
sives ; et les puissances séculières , en personne ou par leurs am-
bassadeurs, y doivent avoir une certaine concurrence à l'égard
de la direction. Il est convenable que les prélats soient autorisés
des nations, et même que les prélats se partagent et délibèrent
par nation , afin que chaque nation faisant convenir ceux de son
corps et communiquant avec les autres , on prépare lé chemin à
196 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
l'accord général de toute rassemblée. C'est ainsi qu'on en usa à
Constance, et je me suis étonné plusieurs t'ois de ce que l'Empe-
reur et la France ne tâchèrent pas d'obliger les papes à suivre
cet exemple à Trente. Les clioses am-oient tourné tout autrement ;
et peut-être les nations allemande et angloise , avec le reste du
Nord, n'en seroient pas venus à cette séparation entière qu"on ne
sauroit assez déplorer, et de laquelle la cour de Rome ne se sou-
cioit plus guère, aimant mieux les perdre et garder mi plus
grand pouvoir sur' ceux qu'elle retenoit que de les retenir tous
aux dépens de son autorité. Mais je crois qu'en effet les papes,
craignant déjà assez la tenue d'un concile général, n'y seroient
venus qu'à l'extrémité , si on les avoit obligés à cette forme ; et
leur l)onheur fut le malheur comnum , en ce que les deux puis-
sances principales de la chrétienté étoient toujours brouillées
ensemble.
XV. Quant à l'assistance de la puissance séculière, on ne sau-
roit disconvenir à l'égard des anciens conciles que l'indiction dé-
pendoit de l'Empereur, et que les empereurs ou leurs légats
avoient proprement la direction du concile pour y maintenir l'or-
dre. Presque toute l'Eglise étoit comprise dans l'Empire romain :
les Perses étoient encore idolâtres; les rois des (Joths et des Van-
dales étoient ariens ; les Axumites ou Abyssins, et quelques autres
peuples semblables, convertis depuis peu par des évoques de
l'Empire romain, n'y faisoient pas grande figure, et venoient
plutôt pour apprendre que pour enseigner. Enfin les légats des
empereurs avoient encore grande influence sur la conclusion finale
du concile, qu'ils pouvoient avancer ou suspendre. Le Pape s'est
attribué une partie de ce pouvoir depuis la décadence de TEnipire
romain : le reste doit être partagé entre les puissances souveraines
ou grands Etats qui composent l'Eglise chrétienne ; en sorte néan-
moins que l'Empereur y ait quelque préciput, comme premier
chef séculier de l'Eglise : et les ambassadeurs, qui représentent
leurs maîtres dans les conciles, forment un corps ensemble dans
lequel se trouve le droit des anciens empereurs romains ou de
leurs légats : et le moyen le plus connnode de maintenir le droit
de leur influence, est celui des nations, puisque chaque nation et
LEIBNIZ A BOSSUET. 107
couronne a un rapport particulier à ses souverains et à ceux qui
les représentent. Cela n'est pas assujettir l'Eglise universelle aux
souverains; mais c'est trouver un juste tempérament entre la
puissance ecclésiastique et séculière, et employer toutes les voies
de la prudence pour disposer les choses à une bonne fin.
XYI. On me dira peut-être que tout ceci est fort bon, mais nul-
lement nécessaire. Je ne veux point disputer présentement/ quoi-
((u'il y ait peut-être quelque chose à dire à l'égard de Tindiction
d'un concile, où le concours des souverains pourroit paroître es-
sentiel; mais je dirai seulement à l'égard du concile de Trente,
qu'aftn qu'un concile soit œcuménique, il ne faut pas qu'une na-
tion ou deux y dominent : il faut que le nombre des prélats des
autres nations y soit assez considérable pour s'entre-balancer ;
afin qu'on puisse reconnoître la voix de toute l'Eglise, à laquelle
Dieu a promis particulièrement son assistance, outre que dans les
conciles il s'agit souvent de la tradition, de lacpielle une ou deux
nations ne sauroient rendre un bon témoignage. Or il faut recon-
noître que les Italiens dominoient proprement à Trente, et qu'a-
près eux les Espagnols se faisoient considérer, que les François
n'y faisoient pas grande figure, et que les Allemands, qui dévoient
surtout être écoutés, n'en faisoient point du tout. Mais TEglise
grecque particulièrement ne devoit pas être négligée, à cause des
traditions anciennes dont elle peut rendre témoignage contre les
opinions nouvelles, reçues et devenues communes parmi les La-
tins, par l'ascendant qu'y avoient pris les ordres mendians et les
scolastiques sortis de ces ordres, souvent bien éloignés de l'an-
cien esprit de l'Eglise.
XVII. Ainsi on peut dire cpie les prélats n'étoient pas en nom-
bre suffisant, à proportion des nations, pour représenter l'Eglise
œcuménique : et afin de balancer les Italiens et les Espagnols, il
faUoit bon nombre, non-seulement de François, qui, avec lesdits
Italiens et Espagnols, composent proprement la langue latine;
mais encore de la langue allemande, sous laquelle on peut com-
prendre encore les Anglois, Danois, Suédois, Flamands, et de la
langue sclavonne, qui comprend les com^onnes de Pologne et de
Bohême, et autres peuples, et qui se pourroit associer les Hon-
198 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
grois, pour ne rien dire des Grecs et des Orientaux. Et il ne sert
de rien de répliquer qu'une bonne partie de ces peuples est sépa-
rée de l'Eglise : car c'est prendre pour accordé ce qui est en ques-
tion; et de dire qu'on les a cités, cela n'est rien. Il falloit prendre
des mesures pour qu'ils pussent venir honnêtement et sûrement,
et sans vouloir les traiter en condamnés. On en sut bien prendre
avec les Grecs dans le concile de Ferrare ou de Florence; et le
prétendu schisme où l'on veut que les Grecs se trouvent enve-
loppés n'empêcha pas leurs prélats d'entrer dans le concile, et de
traiter avec les Latins d'égal à égal. On les ménagea même dans
les matières qn'on a précipitées à Trente sans ménagement ; et
M. l'abbé Pirot a bien remarqué qu'on ne voulut rien décider à
Florence, en présence des Grecs, à l'égard de la dissolution du
mariage par adultère. Quelle apparence donc de le décider par
après dans un autre concile en leur absence, sans aucune commu-
nication avec eux? C'est cependant ce que le concile de Trente n'a
pas fait scrupule de faire, passant ainsi par-dessus toutes les
formes, (l'étoit apparemment pour contrecarrer davantage les
protestans : car on prenoit plaisir de les condamner en toutes
les rencontres; connue si on étoit l)ien aise de se défaire des
gens et des peuples, dont la cour de Rome craignoit quelque
préjudice à son autorité. On a coutume de dire qu'il y avoit peu
d'Occidentaux au grand concile de Nicée ; mais le nombre ne fait
rien, quand le consentement est notoire, au lieu qu'il faut en-
tendre les gens lorsque leur dissension est connue. Mais j'ai déjà
dit que le concile de Trente étoit plutôt mi synode de la nation
italienne, où Ton ne faisoit entrer les autres que pour la forme et
pom- mieux couvrir le jeu; et le Pape y étoit absolu. C'est ce
que les François déclarèrent assez dans les occasions, lorsqu'on
avoit mis leur patience à bout par quelque entreprise contraire
à cette couronne. Qu'ils l'aient fait en forme due ou non, par des
harangues prononcées ou seulement projetées, par des protesta-
tions enregistrées ou non enregistrées, avouées ou non avouées;
qu'on ait rappelé les prélats françois, ou qu'on les y ail laissés :
cela ne fait rien à la vérité des choses, et ne lève pas les défauts
essentiels qui se trouvoient dans le concile.
LEIBNIZ A BOSSUET. 199
XVIII. Je ne m'étois proposé que de parler de l'autorité du con-
cile de Trente en France; mais j'ai été insensiblement porté à
parler de Tautorité de ce concile en elle-même à l'égard de la
forme. Ainsi, pour achever, je veux encore dire quelque chose
de sa matière et de ses décisions. J'ai été bien aise d'apprendre
par la dissertation de M. l'abbé Pirot, en quoi l'on croit propre-
ment que le concile de Trente a fait de nouvelles décisions en ma-
tière de foi. Je sais que les sentimens sont assez partagés là-des-
sus, mais le jugement d'un sorboniste aussi célèbre et aussi
éclairé que lui me paroîtra toujours très-considérable. Il rapporte
donc qu'après la définition du concile de Trente et auprès de ceux
qui le tiemient pour œcuménique , on ne sauroit douter sans hé-
résie d'aucuns des livres , ni d'aucmie partie des livres compris
dans le volume de FEcritm^e sainte, sans en excepter même Ju-
ditJi, Tobie, la Sagesse, Y Ecclésiastique , les Machabées, et sans
en excepter encore le reste d'Esther , le Cantique des Enfans ,
l'histoire de Susanne, ceUe de l'histoire de Bel et du Dragon,
aussi bien que la prophétie de Baruch; qu'on ne sauroit plus
douter que la justification se fait par une qualité inhérente, ni que
la foi j ustifiante est distinguée de la confiance en la miséricorde
divine, ni du nombre septénaire des sacremens, de l'intention du
ministre y requise; de la nécessité absolue du baptême; de la
concomitance du corps et du sang de Jésus-Christ dans l'Eucha-
ristie avec sa divinité ; de la matière , forme et ministre des sa-
cremens ; de l'indissolubihté du lien du mariage nonobstant l'a-
dultère.
XIX. Je crois qu'on y pourroit ajouter encore d'autres points :
par exemple , la distinction entre le baptême de saint Jean-Bap-
tiste et celui de Notre-Seigneur, établie avec anathème; la confir-
mation de quelques canons de saint Augustin et du concile d'O-
range sur la grâce; et selon les jésuites ou leurs partisans, la
suffisance de l'attrition jointe avec le sacrement de pénitence.
Selon les protestans et même selon quelques catholiques romains,
qui doutent de l'autorité de quelques conciles antériem's, on y
pourroit encore joindre bien d'autres articles. Mais en général on
l^eut dire que plusieurs propositions reçues dans l'Occident avant
200 LETTRES SUR LA REUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
ce concile, n'ont commencé que par lui à être établies sous peine
d'hérésie et d'anathème.
XX. Mais tout cela, bien loin de servir à la louange du concile
de Trente , doit rendre tant les catholiques romains que les pro-
testans plus difficiles à le reconnoître. Nous n'avons peut-être
que trop de prétendues définitions en matière de foi. On devoit se
tenir à la tradition et à l'antiquité , sans prétendre de savoir et
d'enjoindre aux autres, sous peine de damnation, des articles dont
l'Eglise s'étoit passée depuis tant de siècles, et dont les saints et
grands hommes de l'antiquité chrétienne n'étoient nullement ins-
truits ni persuadés. Pourquoi rendre le joug des fidèles plus pe-
sant, et la réconciliation avec les protestans plus difficile? Quel
besoin de canoniser l'histoire de Judith et autres semblables,
nicdgré les grandes difficultés qu'il y a à l'encontre? Et quelle
apparence que nous en puissions plus savoir que l'Eglise au temps
de saint Jérôme, vu que tout ce qui est de foi divine, tandis que
nous manquons de révélations nouvelles, ne nous sauroit être
appris que par IJ-x-riture sainte ou par la tradition de l'ancienne
Eglise? Et si nous nous tenons à la règle de Vincent de Lérins,
touchant ce qu'on doit appeler catholique, ou même à ce que dit
la Profession de Pie iV, qu'il ne faut jamais interpréter rEcriture
que juxta unanimem coiisensum Patrum, et enfin à ce que Henri
Holden, Anglois, docteur sorboniste, si je m'en souviens bien, a
écrit de l'analyse de la foi contre les sentimcns du Père Gretser,
jésuite : touti s ces décisions seront en danger de perdre leur au-
torité. Surtout il falloit bien se donner de garde d'y attacher
hidifférenmient des anathèmes. (ieorge Calixte, un des plus savans
et des plus modérés théologiens de la Confession d'Augsbourg, a
bien représenté dans ses Remarques sur le concile de Tre?ite et
dans ses autres ouvrages, le tort que ce concile a fait à l'Eglise
par ses anathématismes.
XXI. Cependant je crois que bien souvent on pourroit venir au
secours du concile par une interprétation favorable. J'ai vu mi
essai de celles d'un protestant, et j'en vois des exemples parmi
ceux de la communion de Rome. En voici deux assez considé-
r,ables. Les protestans ont coutume de se récrier étrangement
LEIBNIZ A BOSSUET. 201
contre ce concile, sur ce qu'il fait dépendre la validité du sacre-
ment de Tintention du ministre. Ainsi, disent-ils, on aura tou-
jours sujet de douter si on est baptisé ou absous. Cependant je
me souviens d'avoir vu des auteurs catholiques romains qui le
prenoient tout autrement; et lorsquim prince de leur commu-
nion, dans mie lettre que j'eus riionneur de recevoir de lui, cotoit
parmi les autres différends celui de l'intention du ministre, je lui
en marquai mon opinion. Il eut de la peine à y ajouter foi : mais
ayant considté un célèbre théologien aux Pays-Bas, il en eut cette
réponse, quej'avois raison; que plusiem's catholiques romains
étoient de cette opinion; qu'elle avoit été soutenue en Sorbonne,
et même qu'elle y étoit la mieux reçue ; qu'effectivement un bap-
tême comique n'étoit pas valide ; mais aussi que , lorsqu'on fait
tout ce que TEglise ordonne, la seule substraction interne du con-
sentement ne nuisoit point à l'intention, et n'étoit qu'une protes-
tation contraire au fait. L'autre exemple pourra être la suffisance
de Fattrition avec le sacrement. J'avoue que le concile de Trente
paroît la marquer assez clairement, chapitre iv de la session xiv,
et les jésuites preiuient droit là-dessus. Cependant ceux qu'on
appelle Jansénistes s'y sont opposés avec tant de force et de suc-
cès, que la chose paroît maintenant douteuse, surtout depuis que
les papes mêmes ont ordonné que les parties ne se déchireroient
plus, et ne s'accuseroient plus d'hérésie sur cet article. Cela fait
voir que bien des choses passent pour décidées dans le concile de
Trente, qui ne le sont peut-être pas autant qu'on le pense. Ainsi,
quelque autorité qu'on donne au concile de Trente, il sera néces-
saire un jour de venir à im autre concile plus propre à remédier
aux plaies de l'Eglise.
XXII. Toutes ces choses étant bien considérées, et surtout
l'obstacle que le concile de Trente apporte à la réunion étant mû-
rement pesé, on jugera peut-être que c'est par la direction secrète
de la Providence que l'autorité du concile de Trente n'est pas,
encore assez reconnue en France , afin que la nation françoise,
qui a tenu le milieu entre les protestans et les romanistes outrés,
soit plus en état de travailler un jour à la délivrance de rEghse,
aussi bien qu'à la réintégration delunité. Aux Etats de l'an 1G14
202 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
et 1615, le clergé avoit manqué en ce qu'il avoit difîéré de parler
de ce point de la réception du concile jusqu'à la fm des Etats :
autrement, autant que je puis juger par ce qui se passa dans le
tiers-état, on seroit entré en matière; et je crois que le clergé,
qui avoit déjà gagné la noblesse , l'auroit emporté. Mais j'ai déjà
dit, et je le dis encore, qu'il semble que Dieu ne l'a point voulu,
afin que le royaume de France conservât la liberté, et demeurât
en état de mieux contribuer un jour au rétablissement de l'unité
ecclésiastique par un concile plus convenable et plus autorisé.
Aussi mettant à part la force des armes, il n'est pas vraisemljlable
que, sans un concile nouveau, la réconciliation se fasse, ni que
tant de grandes nations, qui remplissent quasi tout le Nord, sans
parler des Orientaux, se soumettent jamais aveuglément au bon
plaisir de quelques Italiens, unicpies auteurs du concile de Trente.
Je ne le dis par aucune haine contre les Italiens. J'y ai des amis :
je sais par expérience qu'ils sont mieux réglés aujourd'hui et
plus modérés qu'ils ne paroissoient être autrefois ; et même
j'estime leur habileté à se mettre en état de gouverner les autres
par adresse, au défaut de la force des anciens Romains. Mais enfin
il est permis à ceux du Nord d'être sur leurs gardes, pour ne pas
être les dupes des nations que leur climat rend plus spirituelles.
Pour assurer la liberté publique de l'Eglise dans un concile nou-
veau, le plus sûr sera de retourner à la forme du concile de
Constance en procédant par nations , et d'accorder aux protes-
tans ce qu'on accordoit aux Grecs dans le concile de Florence.
XXIII. J'ajouterai un mot de la puissance indirecte de l'Eglise
sur le temporel des souverains , puisque M. l'abbé Pirot a voulu
faire des réflexions sur ce que j'avois dit à cet égard. J'ai vu la
consultation de M. d'Ossat, qui porte pour titre : IJtrmn Henricus
Borbonius sit absolvendus et ad regnum dispensandus ; où il
semble qu'il a voulu s'accommoder aux principes de la cour de
Rome où il étoit, selon le proverbe, Uhda cum lupis. Le cardinal
du Perron , dans sa Harangue prononcée devant les députés du
tiers-état, pouvoit se borner à démontrer qu'il ne falloit pas faire
mie loi en France, par laquelle les docteurs ultramontains et
le Pape même seroient déclarés hérétiques : mais il alla plus
LEIBMZ A BOSSUET. 203
avant, et fit assez comioître son penchant à croire que les princes
chrétiens perdent leur état par l'hérésie. Ce n'est pas à moi de
prononcer sur des questions si délicates. Cependant, exceptant ce
qui peut avoir été réglé par les lois fondamentales de quelques
Etats ou royaumes, j'aime mieux croire cpie régulièrement les
sujets se doivent contenter de ce qu'on les affranchit de l'ohéis-
sance active , sans qu'ils se puissent dispenser de la passive ;
c'est-à-dire qu'il leur doit être assez de ne pas obéir aux comman-
demens des souverains, contraires à ceux de Dieu, sans qu'ils
aient droit de passer à la rébelhon pour chasser un prince qui les
incommode ou qui les persécute. Il sera difficile de sauver ce
qu'on dit dans le troisième concile de Latran sous Alexandre IIÏ,
ni ce qu'on a fait dans le premier concile de Lyon sous Innocent IV.
Cependant le soin que M. l'abbé Pirot prend eu faveur de ces deux
conciles est fort louable. Mais sans parler de la déposition des
princes et de l'absolution des sujets delem' serment de fidélité, on
peut former des questions où la puissance indirecte de l'Eglise
sur les matières temporelles paroit plus raisonnable : par exemple,
si quelque prince exerçoit une infinité d'actions cruelles contre les
églises, contre les innocens, contre ceux qui refuseroient de
donner leur approbation expresse à toutes ses méchancetés : on
demande si l'Eglise pourroit déclarer pour le salut des aines, que
ceux qui assistent ce prince dans ses violences pèchent griève-
ment et sont en danger de leur salut ; et si elle pourroit procéder
à l'excommunication , tant contre ce prince que contre ceux de
ses sujets qui lui donneroient assistance, non pas pour se main-
tenir dans son royaume et dans ses autres droits, mais pour
continuer les maux que nous venons de dire. Car ce cas ne paroît
pas contraire à l'obéissance passive : et c'est à cet égard que j'ai
parlé de la puissance indirecte de l'Eghse sur les matières tempo-
relles, pour ne rien dire à présent des lois ecclésiastiques, des
mariages et autres matières semblables.
XXIV. Avant que de conclure, je satisferai, comme hors
d'œu\Te, à la promesse que j'ai faite ci-dessus, de dire ce que j'ai
appris de la profession de foi que Henri IV avoit faite à Saint-
Denis , quand l'archevêque de Bourges l'eut réconcilié avec
204 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
l'Eglise. J'ai lu un volume manuscrit, contenant tout ce qui con-
cerne l'al^solution de Henri IV, tant à Saint-Denis qu'à Rome. Les
six premières pièces du volume appartiennent à l'absolution de
Saint-Denis. Il y a premièrement la promesse du roi, à son avè-
nement à la couronne, de maintenir la religion catholique romaine,
4 d'août 1389; secondement. Acte par lequel quelques princes,
ducs et autres seigneurs françois le reconnoissent pour roi, con-
formément à l'Acte précédent de la même date; troisièmement,
le procès-verbal de ce qui se passa à Saint-Denis à l'instruction
et absolution du roi, du 22 au 25 juillet 1593 ; quatrièmement,
promesse que le roi donna par écrit, signée de sa main et contre-
signée du sieur Ruzé son secrétaire d'Etat, après avoir fait
l'abjuration et reçu l'absolution comme dessus, du 25 juillet 1593;
cinquièmement, profession de foi, ûiite et présentée par le roi lors
de son absolution; sixièmement, discours de M. du Mans poiu"
l'absolution du roi.
Le procès-verbal susdit marque que les prélats délibérèrent si
on ne renverroit pas l'affaire à Rome : mais enfin ils conclurent,
à cause de la nécessité du temps , du péril ordinaire de mort
auquel le roi était exposé par la guerre, et de la difficulté d'aller
ou d'envoyer à Rome , mais sm-tout pour ne pas perdre la belle
occasion de la réunion d'un si grand prince, que Tal (solution lui
seroit donnée à la charge que le roi enverroit envers le Pape ; et
ces raisons sont étendues plus amplement dans le discours de
M. du Mans. Il y est aussi marqué que les prélats assemblés pour
l'instruction et réconciliation du roi , firent dresser la profession
de foi à la demande réitérée du roi , qui fut lue et approuvée de
toute l'assemblée comme conforme à celle du concile. Cependant
il est très-remarquable que cette profession, toute conforme
qu'elle est en tout autre point avec celle de Pie IV, en est notable-
ment différente dans les seuls endroits dont il s'agit, savoir en ce
qu'elle ne fait pas la moindre", mention du concile de Trente. Car
les articles en question de ladite Profession de Pie IV disent :
Omnia et singula quœ de peccato oricjinali et jiistificatione in
sacrosanctà tridentinâ Synodo definita et declarata fuerunt ,
amplector et recipio; et plus bas : Cœtera item omnia à sacris
LEIBNIZ A BOSSUET. 205
canonibiis et œcumcmicis conciliis , ac prœcipuè à sacrosanctà
Tridenlinà synodo tradita, definita et dcclarata indubitanter
rccipto atque profiteur; simulque contraria omnia, atque hœreses
quascumque ah Ecclesià damnatas, rejcctas et anathematizatas,
ego pariter damno, rejicio et anathematizo : au lieu que la pro-
fession de foi de Henri IV, omettant exprès le concile de Trente
dans tous ces deux endroits, dit ainsi : « Je crois aussi et em-
brasse tout ce c|ui a été défini et déclaré par les saints conciles
touchant le péché originel et la justification ; » et plus bas :
« J'approuve sans aucun doute et fais profession de tout ce qui a
été décidé et déterminé par les saints canons et conciles généraux,
et rejette , réprouve et anathématise tout ce qui est contraire à
iceux, et toutes hérésies condamnées, rejetées et anathématisées
par l'Eglise. » On ne sauroit coucevou ici une faute du copiste,
puisqu'elle seroit la même en deux endroits. Je ne crois pas aussi
qu'il y ait de la falsification : car l'exemplaire vient de bon lieu.
Ainsi je suis porté à croire que ces prélats mêmes, qui em'ent soin
de cette instruction et abjuration du roi, trouvèrent bon de faire
abstraction du concile de Trente, dont l'autorité étoit contestée en
France : et cela fait assez connoître que le doute où l'on étoit là-
dessus, ne regardoit pas seulement ses règlemens sur la disci-
pline, mais qu'il s'étendoit aussi à son autorité en ce qui est de
la foi.
J'ajouterai encore cette réflexion, que si le concile de Trente
avoit été reçu pour œcuménique par la nation françoise, on
n'auroit pas eu besoin d'en solliciter la réception avec tant d'em-
pressement. Car quant aux lois positives ou de discipMue, que ce
concile a faites, elles étoient presque toutes reçues ou recevables
en vertu des ordonnances, excepté ce qui paroissoit éloigné des
libertés gallicanes , cpie le clergé même ne prétendoit pas faire
recevoir. Il paroît donc qu'on a eu en vue de faire recevoir le
concile pour o?cuménique et règle de foi ; que c'est ainsi que la
reine Catherine de Médicis l'a entendu, en alléguant pom" raison
de son refus l'éloignement de la réconciliation des protestans que
cela causeroit ; et que les prélats françois assemblés à Saint-Denis
Tont pris de même, et ont cru mie teUe réception encore douteuse.
206 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE,
lorsqu'ils ont omis tout exprès la mention du concile dans la pro-
fession de foi qu'ils demandèrent à Henri IV.
LETTRE XXX.
BOSSUET A LEIBNIZ
SUR LE MÉMOIRE DU DOCTEUR PIROT.
Entre juin et octobre IG93.
En relisant la lettre de M. Leibniz du 29 mars 1693, j'ai trouvé
que sans m'engager à de longues dissertations, qui ne sont plus
nécessaires après teint d'explications qu'on a données, je pouvois
résoudre trois de ses doutes.
Le premier sur le culte des images. Ce culte n'a rien de nou-
veau, puisque pour peu qu'on le veuille définir, on trouvera qu'il
a pour fin d'exciter le souvenir des originaux ; et qu'au fond
cela [a) est compris dans l'adoration dp l'arche d'alliance, et dans
l'honneur que toute l'antiquité a rendu aux reliques et aux
choses qui servent aux ministères divins. Ainsi on trouvera dans
toute l'antiquité des honneurs rendus à la croix, à la crèche de
Notre-Seigneur, aux vaisseaux sacrés, à l'autel et à la table
sacrée, qui sont de même nature que ceux qu'on rend aux images.
L'extension de ces honneurs aux images a pu être très-différente,
selon les temps et les raisons de la discipline ; mais le fond a si
peu de difficulté, qu'on ne peut assez s'étonner comment des
gens d'esprit s'y arrêtent tant.
Le second doute regarde l'erreur des monothélites. Avec la
permission de M. Leibniz, je m'étonne qu'il regarde cette ques-
tion comme dépendante d'une haute métaphysique. Il ne faut
que savoir qu'il y a une ame humaine en Jésus- Christ, pour
savoir en même temps qu'il y a une volonté; non-seulement en
prenant la volonté pour la faculté et le principe , mais encore en
la prenant pour l'acte, les facultés n'étant données que pom* cela.
Ce qu'il dit, que les actions sont des suppôts selon l'axiome de
(fl) Var. : Et (jue cela en substance.
BOSSUET A LEIBNIZ, ENTRE JUIN ET OCT. 1693. 207
l'Ecole, ne signifie rien autre chose, sinon qu'elles lui sont attri-
buées in concreto ; mais non pas que chaque partie n'exerce pas
son action propre^ comme en nous le corps etl'ame le font. Ainsi
dans la personne de Jésus-Christ, le Verbe, qui ne change point,
exerce toujours sa même action : l'ame humaine exerce la sienne
sous la direction du Verbe ; et cette action est attribuée au même
Verbe , comme au suppôt. Mais que l'ame demeure sans son ac-
tion [a], c'est une chose si absurde en elle-même, qu'on ne la
comprend pas. Aussi paroît-il clairement , par les témoignages
rapportés dans le concile vi et par une infmité d'autres, qu'on a
toujom's cru deux volontés^ même quant à l'acte, en Jésus-Christ :
et si quelques-uns ont cru le contraire, c'est une preuve que les
hommes sont capables de croire toute absurdité, quand ils ne
prennent pas soin de démêler leurs idées : ce qui paroît à la vé-
rité dans toutes les hérésies ; mais plus que dans toutes les autres,
dans celle des eutychiens, dont celle des monothélites est une
annexe.
Pour le concile de Bâle, son exemple prouve qu'on peut offrir
aux protestans un examen par manière d'éclaircissement , et non
par manière de doute, puisqu'il paroît par les termes que j'en ai
rapportés cpi'on excluoit positivement le dernier. Si Ton prétend
qu'il ne puisse y avoir de réunion qu'en présupposant un examen
par forme de doute sur les questions résolues à Trente , il faut
avouer dès à présent qu'il n'y en aura jamais : car l'Eglise ne fera
point une chose , sous prétexte de réunion , qui renverseroit les
fondemens de l'unité. Ainsi les protestans de bonne foi, et encoRî
plutôt ceux qui croient, comme M. Leibniz, l'infaillibilité de l'E-
glise, doivent entrer dans l'expédient de terminer nos disputes
par forme d'éclaircissement : et ce qui prouve qu'on peut allei'
bien loin par là, c'est le progrès qu'on feroit en suivant les expli-
cations de M. l'abbé Molanus.
Pour donner une claire et dernière résolution des doutes que
Ton propose sm' le concile de Trente^, il faut présupposer quelques
principes.
Premièrement, que lïnfaillibilité que Jésus-Christ a promise à
(a) Var. : sans son action ualuielle.
20S LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE,
son Eglise réside primitivement dans tout le corps , puisque c'est
là cette Eglise qui est bâtie sur la pierre , à laquelle le Fils de
Dieu a promis que les portes d'enfer ne prévaudroient point
contre elle.
Secondement, que cette infaillibilité, en tant rpi'elle consiste,
non à recevoir, mais à enseigner la vérité, réside dans Tordre des
pasteurs, qui doivent successivement et de main en main succé-
der aux apôtres, puisque c'est à cet ordre que Jésus-Christ a pro-
mis qu'il seroit toujours avec lui : « Allez, enseignez, baptisez :
je suis toujours avec vous; » c'est-à-dire, sans difficulté, avec
vous qui enseignez et qui baptisez , et avec vos successeurs que
je considère en vous comme étant la source de leur vocation et de
leur ordination, sous l'autorité et au nom de Jésus-Christ.
Troisièmement, que les évêques ou pasteurs principaux, qui
n'ont pas été ordonnés par et dans cette succession, n'ont point de
part à la promesse, parce qu'ils ne sont pas con'enus dans la
source de rordination apostolique, fpii doit être perpétuelle et
continuelle, c'est-à-dire sans interiniption : autrement cette parole :
« Je suis avec vous jusqu'à la consommation des siècles, » seroit
inutile.
Quatrièmement , que les évêques ou pasteurs principaux qui
auroient été ordonnés dans cette succession, s'ils renonçoient à la
foi de leurs consécrateurs , c'est-à-dire à celle qui est en vigueur
dans tout le corps de l'épiscopat et de l'Eglise , renonceroient en
même temps à la promesse , parce qu'ils renonceroient à la suc-
cession, à la continuité, à la perpétuité de la doctrine : de sorte
qu'il ne faudroit plus les réputer pour légitimes pasteurs, ni avoir
aucun égard à leurs sentimens, parce qu'encore qu'ils conservas-
sent la vérité de leiu" caractère que leur infidélité ne peut pas
anéantir, ils n'en peuvent conserver l'autorité, qui consiste dans
la succession, dans la continuité, dans la perpétuité qu'on vient
d'établir.
Cinquièmement , que les évêques ou les pasteurs principaux ,
établis en vertu de la promesse et demeurant dans la foi et dans
la communion du corps où ils ont été consacrés, peuvent témoi-
gner leur foi, ou par leur prédication unanime dans la dispersion
BOSSUET A LEIBNIZ, EMRE JUIN ET OCT. 1693. 209
de TEglise catholique, ou par un jugement exprès dans ime
assemblée légitime. Dans l'mie et l'autre considération, leur auto-
rité est également iniailiible , leur doctrine également certaine :
dans la première, parce que c'est à ce corps ainsi dispersé à Tex-
tériem^ mais uni par le Saint-Esprit, que l'infaillibilité de l'Eglise
est attachée; dans la seconde, parce que ce corps étant infaillible,
l'assemblée qui le représente véritablement, c'est-à-dire le concile,
jouit du même privilège, et peut dire à l'exemple des apôtres :
« Il a semblé bon au Saint-Esprit et à nous. »
Sixièmement , la dernière marque que l'on peut avoir que ce
concile ou cette assemblée représente véritablement l'Eglise ca-
tholique , c'est lorsque tout le corps de l'épiscopat , et toute la
société qui fait profession d'en recevoir les instructions, l'approuve
et le reçoit ; c'est là, dis-je, le dernier sceau de l'autorité de ce
concile et de rinfaillibihté de ses décrets, parce cpi^autremcnt, si
l'on supposoit qu'Q se put faire qu'mi concile ainsi reçu errât dans
la foi, il s'ensuivroit que le corps de l'épiscopat, et par conséquent
l'Eglise ou la société qui fait profession de recevoir les enseigne -
mens de ce corps , se pourroit tromper ; ce qui est directement
opposé aux cinq articles précédons, et notamment au cinquième.
Ceux qui ne voudront pas convenir de ces principes ne doivent
jamais espérer aucune union avec nous, parce qu'ils ne convien-
dront jamais qu'en paroles de l'infaillibilité de l'Eglise, qui est le
seul principe solide de la réunion des chrétiens.
Ces six articles suivent si clairement et si nécessairement l'un
de l'autre dans l'ordre avec lequel ils ont été proposés , qu'ils ne
font qu'un même corps de doctrine , et sont en effet renfermés
dans celui-ci du Symbole : Je crois V Eglise catholique , qui veut
dire, non-seulement : Je crois qu'elle est; mais encore : Je crois
ce qu'elle croit ; autrement, c'est ne la pas croire elle-même, c'est
ne pas croire qu'elle est , puisque le fond , et pour ainsi dire la
substance de son être, c'est la foi qu'elle déclare à tout l'univers ;
dé sorte que si la foi que l'Eglise prêche est vraie , elle constitue
une ATaie Eglise ; et si elle est fausse, elle en constitue une fausse.
On peut donc tenir pour certain qu'il n'y am^a jamais d'accord
véritable que dans la confession de ces six principes, desquels
TOM. xvm. 14
210 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE,
nous ne pouvons non plus nous départir que de l'Evangile, puis-
qu'ils en contiennent la solide et inébranlable promesse, d'où dé-
pendent toutes les autres et toutes les parties de la profession
chrétienne.
Cela posé , il est aisé de résoudre tous les doutes qu'on peut
avoir sur le concile de Trente en ce qui regarde la foi ; étant
constant qu'il est tellement reçu et approuvé à cet égard dans
tout le corps des églises qui sont unies de communion à celle de
Rome et que nous tenons les seules catholiques, qu'on n'en rejette
non plus l'autoriié que ceUe du concile de Nicée. Et la preuve de
cette acceptation est dans tous les livres des docteurs catholiques,
parmi lesquels il ne s'en trouvera jamais un seul, où lorsqu'on
objecte ime décision du concile de Trente en matière de foi, quel-
qu'un ait répondu qu'il n'est pas reçu : ce qu'on ne fait nulle
difficulté de dire de certains articles de discipline, qui ne sont pas
reçus partout. Et la raison de cette différence, c'est qu'il n'est pas
essentiel à l'Eglise que la discipline y soit uniforme non plus
([u immuable; mais au contraire la foi catholique est toujours la
même.
Qu'ainsi ne soit, je demande qu'on me montre un seul auteur
catholique, un seul évèquo, un seul prêtre, un seul homme, quel
(ju'il soit, qui croie pouvoir dire dans l'Eglise catholique : Je ne
reçois pas la foi de Trente : On peut douter de la foi de Trente.
Cela ne se trouvera jamais. On est donc d'accord sur ce point ,
autant en Allemagne et en France qu'en Italie et à Rome même,
et partout ailleurs : ce qui enferme la réception incontestable de
ce concile en ce qui regarde la foi.
Toute autre réception [a] qu'on pourroit demander n'est pas
nécessaire : car s'il falloit une assemblée pour accepter le concile,
il n'y a pas moins de raison de n'en demander pas encore une
autre pour accepter celle-là : et ainsi de formalité en formalité et
d'acceptation en acceptation, on iroit jusqu'à l'infini. Et le terme
où il faut s'arrêter, c'est de tenir pour infaillible ce que l'Eglise ,
qui est infaillible, reçoit unanimement, sans qu'il y ait sur cola
aucune contestation dans tout le corps.
(«) Var. : Toute autre réception d'une assemblée.
BOSSUET A LEIBNIZ, ENTRE JUIN ET OCT. 1693. 211
Par là on voit qu'il importe peu qu'on ait protesté contre ce
concile une fois, deux fois, tant de fois que Ton voudi^a : car outre
f[ue ces protestations n'ont jamais regardé la foi, il suffit qu'elles
demeurent sans effet par le consentement subsécjiient; ce qui ne
dépend d'aucune formalité, mais de la seule promesse de Jésus-
Clirist et de la seule notoriété du consentement universel.
On dit que tel pourra convenir de la doctrine du concile , qui
ne conviendra pas de ses anathèmes ; mais c'est une illusion : car
c'est une partie de la doctrine, de décider si elle est digne ou non
digne d'aisathème. Ainsi dès que l'on convient de la doctrine d'un
concile , ses anathèmes très -constamment passent avec elle en
décisions.
On trouve de Tinconvénient à faire passer et recevoir tout d'un
coup tant d'anathèmes. On n'y en trouveroit point, si l'on son-
geoit que ces anathèmes , que l'on a prononcés à Trente en si
grand nombre, dépendent après tout de cinq ou six points, d'où
tous les autres sont si clairement et si naturellement dérivés,
qu'on voit bien qu'ils ne peuvent être révoqués en doute, sans y
révoquer aussi le principe d'où ils sont tirés. Ainsi pour affermir
la foi de ces principes, il n'a pas été moins nécessaire d'affermir
celle de ces conséquences , et d'en faciliter la croyance par des
décisions expresses et particulières.
Et pom- s'arrêter à un des exemples que l'autem* de la réponse
à lS[. Pirot semble trouver l'un des plus forts, il juge que la dis-
tinction du baptême de Jésus-Christ d'avec celui de saint Jean-
Baptiste, n'est pas un article d'une importance à être établi sous
peine d'anathème. Mais si l'on rejetoit cet anathème, onrejetteroit
en même temps celui qui regarde l'institution divine et efficace
des sacremens , outre que la distinction de ces deux baptêmes est
formelle dans les paroles de Jésus-Christ et des apôtres.
J'allègue cela pour exemple ; mais il seroit aisé de faire voir
([ue tous les anathèmes du concile dépendent de cinq ou six arti-
cles principaux; et c'est à l'Eglise à juger delà liaison de ces ana-
thématismes particuliers avec ces principes généraux, puisque
cela fait une partie de la doctrine, et qu'avec la même autorité que
l'Eglise emploie à juger de ces articles principaux, elle juge aussi
212 LETTRES SUR LA REUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
de tous ceux qui sont nécessaires pour lem* servir de rempart ,
et cfui doivent faire corps avec eux ; autrement il n'y auroit point
dïnfaillibilité. Exemple : par la même autorité avec laquelle FE-
glise a jugé que Jésus-Chiist est Dieu et Homme, elle a jugé qu'il
avoit une ame humaine aussi ])ien qu'un corps; et par la môme
autorité avec kupielle elle a jugé qu'il avoit une ame humaine,
elle a jugé quil y avoit dans cette ame un entendement et une
volonté humaine, tout cela étant renfermé dans celte décision :
Dieu s'est fait Homme. 11 en est de même de tous les autres arti-
cles décidés : et s'il y en a eu un plus grand nombre décidés à
Trente, c'est que ceux qu'il y a fallu condamner avoient remué
plus de matières ; et que ])Our ne donner pas lieu à renouveler les
hérésies, il a fallu en étehidre jusqu'à la moindre étincelle. Et
sans entrer dans tout cela , il est clair (jue si la moindre parcelle
des décisions de l'Eglise est affoiblie, la promesse est démentie,
et avec elle tout le corps de la révélation.
Il ne sert de rien de dire que les protestans, un si grand corps,
n'ont point consenti au roni'ilc de Trente; au contraire qu'ils le
rejettent, et que leurs pasteurs n'y ont point été reçus, pas même
ceux qui avoient été ordonnés dans l'Eglise catholique, connu;-
ceux de Suède et d'Angleterre. Car par l'article quatrième, les
évêques, quoique légitimement ordonnés, s'ils renoncent à la foi
de leurs consécrateurs et du corps de l'épiscopat auquel ils avoient
été agrégés, comme ont fait Irès-constanmient les Anglois, les
Danois et les Suédois, dès-là ils ne sont plus comptés comme
étant du corps, et l'on n'a aucun égard à leurs sentimens. A plus
forte raison n'en a-t-on point à ceux des pasteurs qui ont été
ordonnés dans le cas de l'cU'ticle troisième et hors de la suc-
cession.
Ainsi l'on n'a pas besoin d'entrer dans la discussion de tous les
faits, très-cm'ieusement et très-doctement, mais très-inutilement
recherchés dans la réponse à M. Pi rot. Tout cela est bon pom*
l'histoire particulière de ce ([ui pourroit regarder le concile de
Trente : mais tout cela ne fait rien à l'essentiel de son autorité ;
et tout dépend de savoir s'il est efCectivement reçu ou non; c'est-
ii-dire s'il est écrit dans le cœm' de tous les catholiques et dans la
BOSSUET A LEIBNIZ, ENTRE JUIN ET OCT. 1693. 213
(Toyanoe publique de toute l'Eglise , que l'on ne peut ni l'on ne
doit s'opposer à ses décisions, ni les révoquer en doute. Or cela
est très-constant, puisque tout le monde l'avoue et que personne
ne réclame. Il est donc incontestable que le concile de Trente a
reçu ce dernier sceau, qui est expliqué dans l'article sixième, qui
renferme en soi la vertu, et qui est le clair résultat des cinq autres,
comme les cinq autres s'entre- suivent mutuellement les uns les
autres, ainsi qu'il a été dit.
Et si l'on répond que les décisions de ce concile sont reçues ,
non pas en vertu du concile même , mais à cause qu'on croyoit
auparavant les points de doctrine qu'elles établissent , tant pis
pour celui qui rejetteroit ces points de doctrine, puisqu'il avoueroit
que c'étoit donc la foi ancienne; que le concile l'a trouvée déjà
établie, et n'a fait que la déclarer plus expressément contre ceux
qui la rejetoient : ce qui en effet est très-véritable, non-seulement
de ce concile, mais encore de tous les autres.
Enfin il ne s'agit plus de délibérer si l'on recevra ce concile ou
non : il est constant qu'il est reçu en ce qui regarde la foi. Une
Confession de foi a été extraite des paroles de ce concile : le Pape
l'a proposée; tous les évêques l'ont souscrite et la souscrivent
jom'nellement; ils la font souscrire à tout l'ordre sacerdotal. Il
n'y a là ni surprise ni violence ; tout le monde tient à gloire de
souscrire : dans cette souscription est comprise celle du concile
de Trente. Le concile de Trente est donc souscrit de tout le corps
(le l'épiscopat et de toute l'Eglise catholique. Nous faire délibérer
après cela si nous recevrons le concile, c'est nous faire délibérer
si nous croirons l'Eglise infaillible, si nous serons catholiques, si
nous serons chrétiens.
Non-seulement le concile de Trente, mais tout Acte qui seroit
souscrit de cette sorte par toute l'Eglise , seroit également ferme
et certain. Lorsque les pélagiens furent condamnés par le pape
saint Zozime, et que tous les évêques du monde eurent souscrit à
son décret, ces hérétiques se plaignirent qu'on avoit extorqué une
souscription des évêques particuliers : De singidaribus episcopis
subscriptio extorta est: on ne les écouta pas. Saint Augustin leur
soutint qu'ils étoient légitimement et irrémédiablement condam-
21 i LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
liés K Si les Actes <iui les condamnoieiit furent ensuite approuvés
par le concile œcuménique d"Ephèse, ce fut par occasion, ce con-
cile étant assemblé pour une autre chose. Le concile d'Orange,
dont il est fait mention dans la Réponse , n'étoit rien moins rpi'u-
niversel. Il contenoit des chapitres que le Pape avoit envoyés : à
peine y avoit- il douze ou treize évoques dans ce concile. Mais
parce qu'il est reçu sans contestation, on n'en rejette non plus les
décisions (]ue celles du concile de Nicée , parce que tout dépend
du consentement. L'autem- même de la Réponse reconnoît cette
vérité : a Le nombre ne fait rien , dit-il , quand le consentement
est notoire. » Il n'y avoit que peu d'évèques d'Occident dans le
concile de Nicée : il n'y en avoit aucun dans le concile de Cons-
tautinople : il n'y avoit dans celui d'Ephèse et dans cehii de Chal-
cédoine que les seuls légats du Pape, et ainsi des autres. Mais
parce que tout le monde consi^ntoit ou a consenti aprcs, ces dé-
crets sont les décrets de tout l'univers. Si l'on veut remonter plus
haut , Paul de Samosate n'est condamné que par un concile par-
ticulier tenu à Antioche; mais parce que le décret en est adressé
à tous les évèques du monde, et qu'il en a été reçu ( car c'est là
qu'est toute la force, et sans cela l'adresse ne serviroit de rien), ce
décret est inébranlable. Quelle assemblée a-t-on faite pour le re-
cevoir? Nulle assemldée : le consenteiuput universel est notoire.
Alexandre d'^Vlexandrie dit, avec l'applaudissemtîut de toute l'E-
ghse, que Paul de Samosate étoit condamné par tous les évèques
du monde, quoiqu'il n'y en eût aucun Acte; et une telle condam-
nation est sans appel et sans retour.
Je ne dis pas qu'on ne puisse et qu'on ne doive quelquefois
s'assembler en corps , ou pour former des décisions ', ou pour ac-
cepter celles qui auront déjà été formées. On le pmit, dis-je, et on
le doit faire quelquefois, ou pour faciliter la réception des articles
résolus, ou pour mieux fermer la bouche aux contredisans. Mais
cela n'est point nécessaire , quand la réception est constante
d'ailleurs, comme l'est celle du concile de Trente, quand ce ne
seroit que par la souscription qu'on en fait journellement et sans
aucune contestation.
1 S. Angnst., lil). IV, Cont. rlaat Epist. pplagianor., cap. xil, ii. '■l't.
BOSSUET A LEIBNIZ, ENTRE JUIN ET OCT. 1693. 215
Qu'importe après cela d'examiner si dans la profession de foi,
qu'on fit souscrire à Henri le Grand à Saint-Denis, on avoit ex-
primé le concile de Trente ; ou si par condescendance et poui-
empêcher de nouvelles noises et de nouvelles chicanes , on avoit
trouvé à propos d'en taire le nom? En vérité , je n'en sais rien,
et je ne sais aucmi moyen de m'en assurer, puisque les historiens
n'en disent mot et que les Actes originaux ne se trouvent plus :
mais aussi tout cela est inutile. En quelque forme que ce grand
roi eût souscrit, il demeuroit jour constant qu'il avoit souscrit à
la foi qu'on avoit à Rome, autant qu'à celle qu'on avoit en France,
puisque personne ne doutoit que ce ne fût la même en tout
point. La foi ne dépend point de ces minuties. Ou l'Eglise consent
ou non : c'est ce qu'on ne peut ignorer; c'est d'où tout dépend.
On parle de Râle et de Constance, où l'on opina par nations :
une seule nation ne dominoit pas ; l'une contre -balançoit l'autre.
Tout cela est bon; mais cette forme n'est pas nécessaire. Il y avoit
à Ephèse deux cents évêques d'Orient contre deux ou trois d'Occi-
dent ; et à Chalcédoine , six cents encore contre deux ou trois.
Disoit-on que les Grecs dominassent? Ainsi, que les Italiens aient
été à Trente en plus grand nombre, ils ne nous dominoient pas
pour cela : nous avions tous la même foi. Les Italiens ne disoient
pas une autre messe que nous ; ils n'avoient point un autre culte,
ni d'autres sacremens, ni d'autres rituels, ni des temples ou des
autels destinés à un autre sacrifice. Les autem\s, qui de siècle en
siècle , avoient soutenu contre tous les novateurs les sentimens
dans lesquels on se maintenoit , n'étoient pas plus italiens que
françois ou allemands. Une partie des articles résolus à Trente,
et la partie la plus essentielle, avoit déjà été déterminée à Cons-
tance, où l'on avoue que les nations étoient également fortes.
Quant aux points qui restent encore contestés , il est bien aisé de
les connoître. Ce qui est reçu mianimement a le vrai caractère de
la foi : car si la promesse est véritable, ce qui est reçu aujourd'hui
reçoit hier, et ce qui l'étoit hier l'a toujours été.
Le concile de Trente, dit l'auteur de la Réponse, est devenu par
la multiphcité de ses décisions un obstacle invincible à la réu-
nion. Au contraire la révocation ou la suspension de ce concile
216 LETTRES SUR L.\ RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
feroit seule cet obstacle. Qu'on me trouve un moyen de faire un
Acte ferme, si le concile de Trente reçu et souscrit de toute
l'Eglise catholique, est mis en doute.
Mais vous supposez, direz -vous, que vous êtes seuls l'Eglise
catholique. 11 est vrai, nous le supposons; nous l'avons prouvé
ailleurs : mais il suffit ici de le supposer, parce que nous avons
afTaire à des personnes qui en veulent venir avec nous à une réu-
nion, sans nous obliger à nous départir de nos principes.
Mais, dira-t-on, à la fin avec ce principe, il n'y aura donc jamais
de réunion. C'est en quoi est l'absurdité , qu'on pense pouvoir
établir une réunion solide sans établir un principe qui le soit. (Jr
le seul principe solide, c'; st que l'Eglise ne peut errer : par con-
séquent qu'elle n'crroitpas quand on a voulu la réformer dans sa
foi : autrement ce n'eût pas été la réformer, mais la dresser de
nouveau ; de sorte qu'il y avoit une manifeste contradiction dans
les propres termes de cette réformation, puisqu'il falloit supposer
que l'Eglise étoit et qu'elle n'étoit pas. Elle étoit, puisqu'on ne
vouloit pas dire quelle fût éteinte, et qu'on ne le pou voit dire
sans anéantir* la promesse; elle n'étoit pas, puisqu'elle étoit rem-
plie d'erreurs. La contradiction est beaucoup plus grande à
présent que l'on convient de l' infaillibilité de l'Eglise, puisqu'il
faut dire en même temps (ju'elle est infaillible et qu'elle se trompe,
et unir l'infiiillibilité avec l'erreur.
Il est vrai qu'on répond qu'en convenant di; l'infaillibilité de
l'Eglise, on dispute seulement d'un fait, qui est de savoir si im
tel concile est œcuménique. Mais ce fait entraîne une erreur de
toute l'Eglise, si toute l'Eglise reçoit comme décision d'un concile
œcuménique ce qui est si faux ou si douteux, qu'il en faut encore
délibérer dans un nouveau concile.
Pour nous recueillir, il n'y a rien à espérer pour la réunion ,
quand on voudra supposer que les décisions de foi du concile de
Trente peuvent demeurer en suspens. Il faut donc, ou se réduire
à des déclarations qu'on pom^ra donner sur les doutes des pro-
testans conformément aux décrets de ce concile et des autres con-
ciles générairx , ou attendre un autre temps et d'autres disposi-
tions de la part des protestans.
BOSSUET A LEiBNIZ, ENTRE JUIN ET OCT. 1693. 217
Et de la part des catholiques, nous avons proposé deux moyens
poiu" établir la réception du concile de Trente dans les matières
de foi : le premier, que tous les catholiques en conviennent comme
d'une règle. Dans toute contestation, si un catholique oppose une
décision de Trente , l'autre catholique ne répond jamais quelle
n'e-t pas reçue : par exemple , dans la dispute de Jansénius, on
lui objecte que le concile de Trente , session VI, chapitre xi et
canon 28 , est contraire à sa doctrine ; il reçoit l'autorité , et con-
vient de la régie. Yoilà le premier moyen. Le second : il y a ime
réception et souscription expresse du concile : tous les évoques et
tous ceux qui sont constitués en dignité reçoi\ ent et souscrivent
la Confession de foi dressée par Pie IV; Confession qui est un
extrait des décisions du concile, et dans laquelle la foi du concile
est souscrite expressément en deux endroits : nul ne réclame ;
tout le monde signe : donc ce concile est reçu unanimement en
matière de foi : et l'on ne peut le tenir en suspens, quoiqu'il n'y
ait point peut-être en France , ou ailleurs, d'Acte exprès pour le
recevoir ; et la manière dont constamment il est reçu est plus forte
que tout Acte exprès.
On en revient souvent, ce me semble, et plus souvent qu'il ne
conviendrolt à des gens d'esprit, à certaines dévotions populaires,
qui semblent tenir de la superstition. Cela ne fait rien à la réu-
nion , puisque tout le monde demem^e d'accord qu'elle ne peut
être empêchée que par des choses auxquelles on soit obligé dans
une communion. Mais en tout cas, pour éloulfer tous ces cultes
ou ambigus ou superstitieux, loin qu'il faille tenir en suspens le
concile de Trente, il n'y a qu'à l'exécuter, puisque premièrement
il a donné des principes pour établir le vrai culte sans aucun
mélange de superstition; et que secondement («), il a donné aux
évêques toute l'autorité nécessaire pour y pourvoir.
Et quant à la réformation de la discipline, il n'y auroit pour la
rendre parfaite qu'à bâtir sur les fondemens du concile de Trente,
et ajouter sur ces fondemens ce que la conjoncture des temps n'a
peut-être pas permis à cette sainte assemblée.
(a) Var. .- Et qu'en outre.
218 LETTRES SUR LA RÉUNIO.N DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
LETTRE XXXI.
BOSSU ET A LE I BN IZ.
A Meaux, ce 15 août 1G93.
Voilà, Monsieur, la réponse à la réponse qu'on a faite à
M. Pirot [a], et que vous m'avez envoyée sur le concile de Trente :
assurez -vous que c'est un point fixé sur lequel on ne passera
jamais de notre part. J'aurois beaucoup de choses à dire sur les
lettres que vous avez pris la peine de m'écrire; mais il faut donner
des bornes à ces disputes cpiand les choses en sont venues à un
certain point d'éclaircissement. J'attends avec patience et impa-
tience tout ensemble le nouvel écrit de M. l'abbé Molanus : s'il y
avance autant qu'il l'a fait dans le premier, la réunion sera aisée,
et il ne sera plus besoin de nous contester la réception du concile
dont le fond sera déjà accepté dans les articles les plus essen-
tiels. J'ai vu au reste , Monsieur, dans quelques petits voyages
que je fais à Paris, un excellent homme, qui est M. l'abbé Bignon,
que j'ai trouvé bien informé de votre mérite et très-porté à vous
donner toutes les marques possibles de son estime. Pour moi,
je suis et serai toujours avec une estime que rien n'altérera jamais.
Monsieur, votre très-bunible serviteur.
J. Béxigne, évêque de Meaux.
LETTRE XXXn.
L E I B N 1 Z A B 0 S S U E T.
Sans date.
Pour le faire court, d'autant qu'il semble que cela est désiré de
ceux qui supposent avoir donné une claire et dernière résolution,
je ne veux pas éplucher les six principes , qui ne sont pas sans
quelques obscurités et doutes, peut-être même du côté de ceux
(a) C'est X ExpHcatio ulterior melhodi reunionis.
LEIBNIZ A BOSSUET, SANS DATE. 219
qui les avancent ou du moins dans leur parti , quoiqu'ils soient
couchés avec beaucoup de savoir et d'adresse. Je viendrai d'abord
à ce qu'on dit pour les applicpier au concile de Trente^ et je réduis
le tout à deux questions.
L'une , si le concile de Trente est reçu de la nation françoise ;
l'autre, quand il seroit reçu de toutes les nations unies de com-
munion avec Rome , s'il s'ensuit que ce concile ne sauroit de-
meurer en suspens à l'égard des protestans , en cas de quelque
réunion. La première question étoit proprement agitée entre
M. l'abbé Pirot et moi ; mais il semble qu'on en fait maintenant
un accessoire. J'avois prouvé ;, par plusieurs raisons, que le con-
cile de Trente n'avoit pas été jugé autrefois reçu dans ce royaume,
pas même en matière de foi ; entre autres preuves, parce que la
reine Catherine de Médicis, en refusant de le faire publier, allégua
que cela rendroit la réunion des protestans trop difficile ; item,
parce que plusiem's des principaux prélats de France assemblés
pour l'instruction de Henri IV, se servirent en effet du formulaire
de la P?'ofession de foi de Pie lY, pom' le proposer au roi ; mais
après en avoir rayé exprès deux endroits qui font mention de
l'autorité du concile de Trente, comme je l'ai trouvé dans un livre
manuscrit tiré des archives, où le procès -verbal tout entier est
mis assez au long ; item, parce que ceux qui pressoient la récep-
tion du concile témoignoient assez qu'il ne s'agissoit pas de la
discipline, puisque les ordonnances avoient déjà autorisé les points
de discipline recevables en France , et qu'on demeuroit d'accord
que les autres ne seroient point introduits par la réception , poui'
ne pas répéter les déclarations solennelles de la France, faites par
la bouche de ses ambassadeurs , contre l'autorité de ce concile,
qu'on ne reconnoissoit nullement pom'un concile libre. On ne dit
rien à toutes ces choses, sinon que le concile de Trente a été reçu
en France par un consentement subséquent. On ajoute seulement,
à regard de la profession de Henri le Grand à Saint-Denis, que
les historiens ne parlent point de cette particularité que j'avois
remarquée , que les Actes originaux ne se trouvent plus. Passe
pour les historiens ; mais quant aux originaux, je ne sais d'où
l'on juge qu'ils ne subsistent plus. Je jugerois plutôt le contraire.
220 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
et je m'imagine que les archives de France en pom-roicnt fournir
des pièces en bonne forme. En tout cas^ je crois qu'il y en a des
copies assez authentiques pour prouver au défaut des originaux,
d'autant que le manuscrit que j'ai vu vient de bon lieu.
Je viens au consentement subséquent , auquel on a recours.
Mais il semble que ce consentement subséquent, quand il seroit
prouvé, ne sauroit lever les difficultés ; car la France d'aujourd'hui
peut-elle mieux savoir si le concile de Trente a été libre et si l'on
y a procédé légitimement , que la France du siècle passé et que
les ambassadeurs présens au concile, qui ont protesté contre par
ordre de la Cour? J'avoue que la France peut toujours déclarer
qu'elle reçoit ou a reçu la foi du concile ; mais quand elle déclare-
roit aujourd'hui qu'elle reçoit l'autorité du concile , cela ne gué-
riroit de rien, à moins qu'on ne trouve qu'elle a plus de lumières
aujourd'hui qu'alors, sur le fait du concile, puisque c'est du fait
dont il s'agit. Les députés du tiers-état, qui disoient l'an 1614 que
les François d'alors n'étoient pas phis sages que leurs. ancêtres,
avoient raison dans cette rencontre de se servir dune maxime
qui d'ailleurs est assez sujette aux abus.
Mais voyons comment ce consentement subséquent se prouve.
On avoue (ju'il n'y a aucun Acte authentique de la nation , (|ui
déclare un tel consentement. On est donc contraint de recourir au
sentiment des particuliers et à la Profession, de foi de Pie IV, qui
se fait en l^'rance, comme ailleurs, par ceux qui ont cliarge d'ames
et quekpies autres. Quant au sentiment des particuliers, je veux
croire qu'il n'y en a aucun en France qui ose dire que le concile
de Trente n'est point œcuménique, en parlant de sa propre opi-
nion, excepté peut-èlre ces nouveaux convertis, rpii n'ont pas été
obligés à la l'rolèssion de Pie IV. Je le veux croire, dis-je, bien
qu'en effet je ne sache pas si la chose seroit tout à fait sûre. S'il
falloit opiner dans les cours souveraines, peut-être qu'il y auroit
des gens qui ne le nieroient et ne l'affirmeroient pas , remettant
la chose à une plus ample discussion et à une décision authen-
tique de la nation : et il semble que le tiers-état n'a pas encore
renoncé au droit de dire ce qu'il dit l'année 1614. Il semble aussi
que tous les Frajiçois du parti de Rome, soit anciens ou nouvelle-
LEIBNIZ A BOSSUET, SANS DATE. 221
ment convertis^ qui n'ont pas encore fait ladite Profession de foi,
ont droit d'en dire autant, sans que Messieurs du clergé, qui ne
sont que le tiers de la nation en ceci , leur puissent donner de loi
là-dessus. Et même , parmi les théologiens , je me souviens que
quelque auteur a reproché à feu M. de Launoi, qu'il n'avoit pas
eu égard à la décision du concile de Trente sur le sujet du divorce
par adultère, qui est pourtant accompagnée d'anathème. Je me
rapporte à ce qui en est.
IMais accordons qu'aucun François n'oseroit disconvenir que le
concile de Trente est œcuménique : il ne sera pas ohligé de dire
pour cela que le concile de Trente est suffisamment recomiu en
France pour œcuménique ; car il y entre une question de di'oii
qui paroît recevoir de la difficulté : savoir, si cela fait autan-
qu'une déclaration de la nation. En effet s'il s'agissoit de la foi,
j'accorderois plus volontiers que l'opinion de tous les particuliers
vaut autant qu'une déclaration du corps ; mais il s'agit ici d'un
fait : savoir, si l'on a procédé légitimement à Trente, et si le con-
cile qu'on y a tenu a toutes les conditions d'un concile œcumé-
nique. On m'avouera que l'opinion de tous les juges interrogés
en particulier, quand elle seroit déclarée par leurs écrits particu-
liers, ne seroit nullement un arrêt jusqu'à ce qu'ils se joignent
pom* en former un. Ainsi tout ce qu'on allègue du consentement
de l'Eglise , qui fait proprement qu'ime doctrine est tenue pom-
catholique, quand il n'y auroit point de concile, et qui peut même
adopter la doctrine des conciles particuliers , ne convient point à
la question : Si la nation françoise a reçu le concile de Trente poui'
œcuménique, et légitimement tenu. Je ne veux pas répéter ce que
j'ai dit dans ma première Réponse, pour montrer qu'on doit être
fort sur ses gardes à l'égard de ces consentemens des particuliers
recueillis par des voies indirectes et moins authentiques.
Du sentiment des particuliers, venons à la Profession de foi de
Pie IV, introduite en France par l'adresse du clergé, sans l'inter-
vention de l'autorité suprême, ou plutôt contre son autorité,
puisqu'on savoit que les rois et les Etats généraux du royaume
n'étoient pas résolus de déclarer ce qui s'y dit du concile. La
question est : Si cela peut passer pour une réception du concile.
222 LETTRES SUR LA RÉUiNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
J'oserois dire que non ; car comme c'est une matière de fait dont
les nations ont droit de juger, si un concile a été tenu comme il
faut, ce n'est pas seulement au clergé qu'il appartient de pronon-
cer : et tout ce qu'il peut introduire là-dessus ne sauroit faire
préjudice à la nation, non plus que l'entreprise du même clergé,
{jui après le refus du tiers-état, s'avança jusqu'à déclarer de son
chef que le concile étoit reçu; ce qu'on a eu l'ingénuité de ne pas
approuver. On voit par là coml)ien on doit être sm' ses gardes
contre ces sortes d'introductions tacites, indirectes et artificieuses,
qui peuvent être extrêmement préjudiciables au bien du peuple
de Dieu , en empêchant sans nécessité la paix de l'Eghse et en
établissant une prévention qu'on défend après avec opiniâtreté
parce cpi'on s'en fait un point d'honneur et même un point de
religion.
Il reste maintenant la seconde fjuestion : Posé qu'un concile;
soit reçu, ou que la foi d'mi concile .soit reçue dans toute la com-
munion romaine , s'il s'ensuit que l'autorité ou les sentimens de
ce concile ne sauroient demeurer en suspens à l'égard des pro-
testans, qui pourtant croient avoir de grandes raisons de n'en
point convenir. J'avois répondu que cela ne s'ensuit point ; et
entre autres raisons , j'avois allégué l'exemple formel du concile
de Bàle encore uni avec le pape Eugène, qui déclara rece\'oir les
calixlins de Bohême à sa communion , nonobstant le refus qu'ils
firent de se soumettre à l'autorité du concile de Constance , qui
avoit décidé qu'il est licite de prendre la communion sous une
seule espèce.
Je ne vois pas qu'on y réponde; mais on croit avoir trouvé uu
autre tour pour l'éviter.Voici comment on raisonne : Le consen-
tement général de l'Eglise catholique est infailHl)le, soit qu'elle
s'explique dans un concile œcuménique, ou que d'aillem'S sa doc-
trine soit notoire ; donc les protestans, qui ne veulent pas se sou-
mettre aux sentimens de l'Eglise romaine , qui est seule catho-
lique , sont par cela même irréconciliables. C'est parler ronde-
ment ; mais la supposition est un peu forte, et on le reconnoît en
se faisant cette objection : « Mais vous supposez, direz-vous, que
vous êtes seuls l'Eghse catholique. Il est vrai que nous le suppo-
LEIBNIZ A BOSSUET, SANS DATE. 223
sons ; nous l'avons prouvé ailleurs : mais il suffit de le supposer,
parce que nous avons affaire à des personnes qui en veulent venir
avec nous à une réunion , sans nous obliger à nous départir de
nos principes. »
J'avoue que cette manière de raisonner m'a surpris, comme
si toutes les suppositions ou conclusions prétendues , qu'on sup-
pose avoir prouvées ailleurs, étoient des principes, ou comme
si nous avions déclaré vouloir consentir à tous leurs principes ,
par cela seul que nous voulons consentir qu'ils les gardent
jusqu'à ce qu'un concile légitime les établisse ou les réforme,
comme nous prétendons aussi garder les nôtres de même. Il me
semble qu'il y a bien de la difTérence entre suivre un principe ,
et consentir que d'autres ne s'en départent point. Supposons que
le concile de Trente soit le principe de l'Eglise romaine , et que
la Confession (T Aufjshourfj soit le principe des protestans (je
parle des principes secondaires), des personnes de mérite des
deux côtés avoient jugé que la réunion, à laquelle on peut penseï*
raisonnablement, se doit pouvoir faire sans obliger l'un ou l'autre
parti à se départir de ses principes et livres symboliques , ou de
certains sentimens dont il se tient très-assuré. On a prouvé, par
l'exemple du concile de Bàle, que cela est faisable dans la com-
munion romaine. On avoue pourtant que cette commmiion a un
autre principe , dont elle est obligée d'exiger la créance ; c'est
l'infaillibilité de l'Eglise catholique, soit qu'elle s'explique légiti-
mement dans un concile œcuménique, ou que son consentemeni
soit notoire , suivant les règles de Vincent de Lérins, que George
flalixte, un des plus célèbres auteurs protestans, a trouvées très-
bonnes. On peut convenir de ces points de droit ou de foi sur
l'article de l'Eglise, quoiqu'on ne soit pas d'accord touchant cer-
tains faits ; savoir, si un tel concile a été légitime, ou si une telle
commimion fait l'Eglise ; et par conséquent, si une telle opinion
sur la doctrine ou sur la discipline est le sentiment de l'Eglise :
pourvu cependant que la dissension ne soit que sur des points
dont on avoue qu'on pouvoit les ignorer sans mettre son salut en
compromis, avant que le sentiment de l'Eglise là-dessus ait été
connu. Car on suppose que la réunion ne se sauroit fau'e qu'en
224 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
obviant de part et d'autre aux abus de doctrine et de pratique ,
que l'un ou l'autre parti tient pour essentiels. Aussi n'offrons-
nous de faire que ce que nous croyons que la partie adverse est
obligée de faire aussi; c'est-à-dire de contribuer à la réunion,
autant que chacun croit qu'il lui est permis dans sa conscience ;
et ceux qui s'opiniàtrent à refuser ce qu'ils pouiToient a(;cor(lor,
demeurent coupables de la continuation du f:chisme.
Je pourrois faire des remarques sur plusieurs endroits de la
réplique à laquelle je viens de répondre ; mais je ne veux encore
tou/îher (ju'à quelques endroits plus importans, à l'égard de ce
dont il s'agit. On dit que s'il faut venir un jour à un autre concile,
on pourroit encore disputer sur les formalités. ^lais c'est pour
cela qu'on en pourroit convenir, même avant la rémiiou. 11 peut
y avoir de la nullité dans im arrêt, sans qu'on puisse alléguer
contre celui qui allègue cette nullité , qu'ainsi il pomToit révo-
quer en doute tous les autres arrêts : car il ne pourra pas tou-
jours avoir les mêmes moyens. J'avois dit que le concile de
Trente a été un peu trop facile à venir aux anathèmes, et j'avois
allégué les décisions sur le baptême de saint Jean-Baptiste et sur
le divorce en cas d'adultère. On ne dit rien sm' la seconde ; et on
répond sur la première cjue sans cela l'institution divine du bap-
tême de Jésus-Christ seroit rejetée : mais il n'est pas aisé d'en
voir la conséquence. On nous nie aussi que les Italiens aient do-
miné à Trente : c'est pourtant un fait assez reconnu. On ne sam'oit
dire aussi qu'on n'y ait décidé que des choses établies déjà, puis-
qu'on demeure d'accord , par exemple , (jue la condamnation du
divorce, en cas d'adultère, n'avoit pas encore paru établie dans
le concile de Florence \a . On dit aussi que les dévotions popu-
laires, qui semblent tenir de la superstition, ne doivent pas em-
pêcher la réunion, parce que, dit-on, tout le monde demeure
d'accord qu'elle ne peut être empêchée que par des choses aux-
quelles on soit obUgé dans une communion. Mais je ne sais d'où
l'on a pris celte maxime : au moins nous n'en demeurons nulle-
ment d'accord , et on ne sauroit aisément entrer dans une com-
munion où des abus pernicieux sont autorisés, qui font tort à
(a) Voyez la note déjà indiquée, ci-dessus, p. 218.
LEIBNIZ A M™^ DE BRINON, 23 OCTOBRE 1693. 225
l'essence de la piété. A quoi tient-il qu'on n'y remédie, puisqu'on
le peut et qu'on le doit faire ?
LETTRE XXXIII.
LEIBNIZ A MADAME DE BRINON.
23 octobre 1G93.
Madame ;,
Quand je n'aurois jamais rien vu de votre part que la dernière
lettre, j'aurois eu de quoi me convaincre également de votre cha-
rité et de votre prudence, qui vous font tourner toutes les choses
du bon côté, et prendre en bonne part ce que j'avois dit peut-
être avec un peu trop de liberté. Vous imitez Dieu, qui sait tirer
le bien du mal. Nous le devons faire dans les occasions ; et puis-
qu'il y a un schisme depuis tant d'années , il faut le faire servir à
lever les causes qui Ton fait naître. Les abus et les superstitions
en ont été la principale. J'avoue que la doctrine même de votre
Eglise en condamne ime bonne partie ; mais pour venir à la ré-
forme efTective d'un mal enraciné, il faut de grands motifs, tel
que pourra être la réunion des peuples entiers. Si on la prévient,
pour ne paroître point y avoir été poussés par les protestans ,
nous ne nous en fâcherons pas. La France y pourra le plus con-
tribuer, et il y a en cela de quoi couronner la gloire de votre
grand monarque.
Yous dites. Madame, que toutes les superstitions imaginables
ne sauroient excuser la continuation du schisme. Cela est vrai de
ceux qui l'entretiennent; il est très-sùr qu'une Eghse peut être
si corrompue , que d'autres églises ne sauroient entretenu- com-
munion avec elle ; c'est lorsqu'on autorise des abus pernicieux.
J'appelle autoriser ce qu'on introduit publiquement dans les églises
et dans les confréries. Ce n'est pas assez qu'on n'exige pas de nous
de pratiquer ces choses ; c'est assez qu'on exige de nous d'entrer
en communion avec ceux qui en usent ainsi, et d'exposer nos
peuples et notre postérité à un mal aussi contagieux (jue le sont
les abus dont ils ont été à peine affranchis après tant de travaux.
TOM. xvni. 15
220 LETTRES SUR LA REUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
L'union est exigée par la charité ; mais ici elle est défendue par
la suprême loi, qui est celle de Famom' de Dieu, dont la gloire est
intéressée dans ces connivences.
Mais quand tous ces abus seroient levés d'une manière capable
de satisfaire les personnes raisonnables, il reste encore le grand
empêchement ; c'est que vos Messiem's exigent de nous la profes-
sion de certaines opinions que nous ne trouvons ni dans la raison,
ni dans l'Ecriture sainte , ni dans la voix de l'Eglise universelle.
Les sentimens ne sont point arbitraires. Quand je le voudrois, je
ne saurois donner mie telle déclaration sans menth\ C'est pour-
quoi quelques théologiens graves de votre parti ont renouvelé
un tempérament pratiqué déjà par leurs ancêtres; et j'avoue que
c'est là ]e véritable chenùu : et cela, joint à mie déclai'atioii effi-
cace contre les abus pernicieux, peut redonner la paix à l'Eglise.
En espérer d'autres voies, je pai"le des voies amiables, c'est se
flatter. Nous avons fait dans cette vue des avances, qu'on n'a point
faites depuis les premiers autem's de la Réforme; mais nous en
devons attendre de réciproques. C'est à cela , Madame , qu'il est
juste que vous tourniez vos exhortations et ceUes des personnes
puissantes par leur rang et par leur mérite, dont vous possédez
les bonnes grâces. Madame de Maubuisson a déjà fait des démar-
ches importantes : son esprit et sa piété étant élevés autant que
sa naissance, elle a des avantages merveilleux pom* reiidi'e un
grand service à l'Eghse de Dieu. Je tiens. Madame, que votre
entremise pomToit avoir un grand effet de plusiem's façons. Nous
ne serons jamais excusables, si nous laissons perdre des conjonc-
tures si favorables. 11 y a chez vous un roi qui est eu possession
de faire ce qui étoit impossible à tout autre , et dont on m'assure
que les lumières, qui vont de pair avec la puissance, sont fort
tournées du côté de Dieu. 11 y a chez nous un prince des plus
éclairés , qui a de l'autorité , et surtout de l'inclination pour ces
bons desseins : l'électrice son épouse et madame de jMaubuisson
contribueront beaucoup à entretenir nos espérances. Ajoutez-y
des théologiens aussi éclairés que l'est M. l'évêque de Meaux, et
aussi bien disposés que l'est M. l'abbé Molanus, dont la doctrine
est aussi grande que la sincérité.
LEIBNIZ A M"* DE BRINON, 23 OCTOBRE lfi93. 227
Tl est vrai que M. de Meaiix a fait paroître des scrupules que
d'autres excellens hommes n'ont point eus : c'est ce qui nous a
donné de la peine^ et pourra faire quelque tort. Mais j'espère c[ue
ce n'aïu^a été qu'un malentendu ; car si l'on croit obtenir un parfait
consentement sur toutes les décisions de Trente, adieu la réu-
nion : c'est le sentiment de M. l'abbé de Lokkum, qu'on ne doit
pas même penser à une telle soumission. Ce sont des conditions
véritablement onéreuses, ou plutôt impossibles. C'est assez pour
un véritable catholicpie, de se soumettre à la voix de l'Eglise,
que nous ne saurions reconnoître dans ces sortes de décisions.
Il est permis à la France de ne pas reconnoître le dernier concile
de Latran et autres; il est permis aux Italiens de ne point re-
connoître celui de Bàle : il sera donc permis à une grande partie
de l'Europe de demander un concile plus autorisé que celui de
Trente, sauf à d'autres de le reconnoître en attendant mieux. Il
est vrai que M. de Meaux n'a pas encore nié formellement la pro-
position dont il s'agit; mais il a évité de s'expli(pier assez là-des-
sus. Peut-être que cela tient lieu de consentement, sa prudence
trop réservée ne lui ayant pas permis d'aller à une telle ouver-
ture. Il a même dit un mot qui semble donner dans notre sens.
Je crois qu'une ouverture de cœur est nécessaire pour avancer ces
bons desseins. On en a fait paroître beaucoup de notre côté . et
en tout cas , nous avons satisfait à notre devoir , ayant mis bas
toutes les considérations humaines ; et notre conscience ne nous
reproche rien là -dessus. Je joins un grand paquet pour M. l'é-
vêque de Meaux. Si ce digne prélat veut aller aussi loin qu'il
peut, il rendra un service à l'Eglise, qu'il est difficile d'attendre
d'aucun autre : et c'est pour cela même qu'on le doit attendre de
sa charité, que son mérite éminent en rendra 'responsable. Nous
attendons l'arrivée de madame la duchesse douairière , qui nous
donnera bien de la joie. Il y a longtemps que cette princesse,
dont la vertu est si éminente , m'a donné quelque part dans ses
bonnes grâces. Peut-être que son voyage servira encore à nos
bons dessems. Je suis avec zèle, Madame, votre très-hmnble et
très-obéissant serviteur,
Leibniz.
228 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
LETTRE XXXIY.
M A D A M E DE B R I N 0 N A B 0 S S U K T.
Ce 5 novembre 1693.
Voilà M. Leibniz qui revient à vous, Monseigneur, et qui, grâce
à Dieu, ne veut point quitter la partie. Le commencement de la
lettre qu'il vous écrit, qu'il m'a envoyée toute ouverte, m'a donné
quelque frayeur; mais en avançant je nai rien trouvé de déses-
péré. Je laisse à Votre Grandem* à faire les réflexions qu'il con-
\ient sm" une si importante affaire. Je lui dirai seulement que
je souhaite de tout mon cœm- qu'elle couronne tous les services
qu'elle a rendus à l'Eglise, par la plus digne et la plus belle
action qu'un grand prélat puisse faire.
Vous avez un beau chanqi, si M. le nonce est habile; mais je
mems de peur que non : je ^■ous dis cela tout bas. Si vous trou-
viez. Monseigneur, que les choses que les protestans demandent
se pussent accorder, comme il seroit à souhaiter , il me semble
que vous devriez faire agir le Roi, et tirer de sa toute-puissance
tous les moyens qui peuvent être propres à ce grand dessein. Le
clergé n'y peut-il pas quelque chose? Rome, qui est pour nous
dans mi si beau chemin, désire ardeunncnt cette réunion; et
vous n'aurez pas sans doute oublié que le feu Pape en a écrit à
madame de Maubuisson, pour la remercier de ce qu'il avoit ap-
pris qu'elle contribuoit à ce grand dessein et pour l'encourager
à le suivre jusqu'au liout , promettant d'y donner les mains de
tout son pouvoir.
Madame de Maul)uisson, à laquelle je lis tout ce (jui vient d'Al-
lemagne, croit (]iie vous avez écrit quelque lettre que nous n'a-
sons pas vue. Je lui ai dit qu'il me paroissoit que vous m'aviez
fait l'honnem' de me les envoyer toutes ouvertes.
Quoi qu'il en soit. Monseigneur, ne souffrez pas que nos frères
vous échappent : soutenez les moyens dont Votre Grandeur a fait
la proposition, puisque cela est si agréable aiLx: protestans; et
laissons-leui" mettre un pied diuis notre bergerie ; ils y auront
LEIBNIZ A M-"^ DE BRINON, 5 NOVEMBRE 1693. 229
bientôt tous les deux. Je dis cela à propos de ce qu'ils demandent
qu'on ne les contraigne pas de souscrire au concile de Trente
présentement. Dieu ne fait pas tout d'un coup ses plus grands
ouvrages, quoiqu'il agisse sm' nous avec une pleine puissance :
il semble que son autorité souveraine ménage toujours notre foi-
blesse.
Il nous apprend par là, ce me semljle, qu'il faut toujours
prendre ce que nos frères offrent de nous donner, en attendant
que Dieu perfectionne cet ou\Tage, pour lequel je ne puis douter
que vous n'ayez, jMonseigneur, mie affection bien pleine du désir
de cette réunion, où vous voyez que les protestans vous ap-
pellent.
C'est assez vous marquer que la di\àne Pro\àdence vous a
choisi pour la faire réussir. Tous les chemins vous sont ouverts,
tant du côté de l'Eglise que de celui de la Cour : vous êtes dans
l'une et dans l'autre si considéré et si approuvé, qu'on ne peut
douter que vous ne puissiez Ijeaucoup faire avec l'aide de celui à
qui rien ne peut résister. Je suis toute attendrie de la persévé-
rance avec laquelle ces honnêtes protestans reviennent à nous :
l'esprit de Jésus- Christ est plein d'une charitable condescendance,
pom-vu qu'on ne choque pas la vérité. Au nom de Dieu, Monsei-
gneur, livrez-vous un peu à cet ouATage, et voyez tout ce qui
peut contribuer à le faire réussir. Si vous jugez que je le doive,
j'en écrirai à la persoime qui pourroit vous faciliter les moyens,
et je pourroislui marquer ce que Yotre Grandeur m'ordonneroit
de lui dire, en cas ffiie vous ne puissiez pas lui parler vous-
même ; ce qui seroit, ce me semble, le meilleur. Je suis avec un
grand respect, de Yotre Grandeur , la très-humble et très-obéis-
sante servante.
Sœur DE Brinon.
230 LETTRES SLR LA RÉUNION DES PROTEST. DALLEMAGNE.
LETTRE XXXV.
LEIBNIZ A B 0 S S U E T.
23 octobre 1G93.
Monseigneur ,
Je voudrois pouvoir m'abstenir d'entrer" en matière dans cette
lettre : je sens bien quelle ne devroit contenir que des mai'ques
d'un respect que je souhaiterois pouvoir porter jusqu'à une dé-
férence entière à Tégard même des sentimens, si cela me parois-
soit possible ; mais je sais que vous préférerez toujom's la sincé-
rité aux plus belles paroles du monde , que le cieur désavoue.
Ce (jui nous a domié de la peine, et particulièrement à M. l'abbé
de Lokkum, qui avoit fait paroître tant d'ouverture et tant de
sincérité, c'est cette réserve scrupuleuse qu'on remarque. Mon-
seigneur, dans vos lettres et diuis la Réponse à son > Ecrit, qui
vous a fait éviter l'éclaircissement dont U s'agissoit chez nous ,
sm' le pouvoir que l'Eglise a de faire à l'égard des protestans, ce
i\\w le concile de Bàle a fait envers d'autres, quoi(|ue d'excellens
théologiens de votre parti n'aient point fait les diiiicdes là-dessus.
M. l'abbé étoit supris de voir qu'on donnoit im autre tour à la
question, comme si nous demandions à vos Mcssiem's de renoncer
aux décisions (pi'ils croient avoir été faites , ou de les suspendre
à leur propre égard ; ce qui n'a nullement été notre intention,
non plus que celle des Pères de Bàle n'a été de se dépaitir des
décisions de Constance, lorsqu'ils les suspendoient à l'égard des
Bohémiens rémiis.
Mais nous avons sm'tout été étonnés de la manière dont notre
sentiment a été pris dernièrement, dans la réplique que j'ai
reçue touchant la réception du concile de Trente en France,
comme si nous nous étions engagés à nous soumettre a tous les
principes du parti romain , lorsque nous avions dit seulement
(pi'unc réunion raisonnable se devoit faire sans obliger l'un ou
l'autre parti de se départu' par avance de ses principes ou livres
LEIBNIZ A BOSSUET, 23 OCTOBRE 1693. 231
symboliques. Je crois que cela vient de ce que l'auteui' de cette
réplique n'a pas été informé à fond de nos sentimens, puisqu' aussi
bien on avoit désiré qu'ils ne fussent communiqués qu'aux per-
sonnes dont on étoit convenu. Mais cela étant, il étoit juste qu'on
ne permît point que de si étranges sentimens nous fussent attri-
bués. Je doute que jamais théologien protestant, depuis Mélanch-
thon, soit allé au delà de cette fi-ancliise pleine de sincérité, que
M. l'abbé de Lokkum a fait paroître dans cette rencontre, quoique
son exemple ait été suivi depuis de quelques autres du premier
rang. Mais ayant fait des réflexions sm^ vos Réponses, il a sou-
vent été en doute du fruit qu'il doit attendre , en cas qu'on s'}^
arrête. Car étant persuadé autant, suivant ses propres termes,
qu'on le pourroît être d'mie démonstration de mathématique,
que les seules expositions ne sauroient lever toutes les con-
ti'overses, avant l'éclaircissement qu'on dit attendre d'un concile
général, il est persuadé aussi qu'à moins d'une condescendance
préalable, qui soit semblable à celle des Pères de Bâle, il n'y a
rien à espérer.
Ces sortes de scrupules étoient fort capables de ralentir notre
ardem- pleine de bonne intention, sans votre dernière qui nous a
remis en espérance, lorsque vous dites. Monseigneur , qu'on ne
viendra jamais de votre part à une nouvelle discussion par forme
de doute, mais bien par forme d'éclaircissement. J'ai pris cela
pour le plus excellent expédient que vous pouviez trouver sur ce
sujet. Il n'y a rien de si juste que cette distinction , et rien de si
convenable à ce que; nous demandons : aussi tous ceux qui
entrent dans ime conférence, ou même dans un concile, avec cer-
tains sentimens dont ils sont persuadés , ne le font pas par ma-
nière de doute, mais dans le dessein d'éclaircir et de confirmer
leur sentiment, et ce dessein est commun aux deux partis. C'est
Dieu qui doit décider la question par le résultat d'un concile œcu-
ménique, auquel on se sera soumis par avance : et quoique cha-
cun présume que le concile serapom* ce qu'il croit être conforme
à la vérité salutaire, chacun est pourtant assuré que ce concile ne
sauroit faillir, et que Dieu fera à son Eglise la grâce de toucher
ceux qui ont ces bons sentimens, pour les faire renoncer à Ter-
232 LETTRES SUR LA REUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
reiir lorsque l'Eglise universlle aura paiié. Cétoit sans doute le
sentiment des Pères de Bàle, lorsqu'ils déclarèrent recevoir ceux
qui paroissoicnt animés de cet esprit; et si vous croyez, Mon-
scig-neur, que lEglise d'à présent les pourroit imiter après les
préparations convenables, nous avouerons que vous aurez jeté
un fondement solide de la réunion, sm' lequel on bâtira avec
beaucoup de succès, suivant votre excellente méthode d'éclair-
cissement, qui servira à y acheminer les choses. Car plus on di-
minuera les controverses, et moins celles qui resteront seront
capables d'arrêter la réunion efTective. Mais si la déclaration pré-
liminaire que je viens de dire est refusée, nous ne pouvons man-
quer de juger qu'on a fermé la porte. Car l'ouverture et la con-
descendance en tout ce qui est loisible, doit être réciproque : sans
cela, le parti (pii fait seul les frais des av;mces se préjuilicie ; et
les particuliers qui font des démardu^s de leur côté, sans en at-
tendre de proportionnées de l'autre, s'exposent à faire tort à leur
parti, ou du moins à en essuyer des reproches qui ne seront pas
sans (|u<'lque justice. Aussi ne seroit-on pas allé si loin sans les
déclarations formelles de quelques éminens théologiens de votre
parti, dont il y ou a un (jui dit eu termes exprès dans son écrit :
Qiml circa ptiucas quo'sliones mi niis principales, ubi Tridontini
cum afiis confcssionihits imio cj pressa fieri mm possct, fi.cri de-
beat saltem implicita. Ilœc autem , inquit , in hoc consistit, quùd
partes circa difficidtatem rémanent em paratœ esse debent illa
tandem acceptare qiiœ per legitimicfn et œcumeniciim conci-
Uum decidentnr, aut actu decisa esse demonstrabuntur . Intérim
iitrincp(è quietabimtiir per exemphim anionis sat manifestum
inter Stephanum Papam et sanction Cyprianwn '. U allègue
• M. (le Leibniz nmis auroit fait [>lai?ir df iioinmcr ces t/ic'olof/irns émineruf. Il
dit sur ce mêuie sujet dans sa lettre ii madame de Brinon, du 29 septembre
IIJOI, <pic plusieurs théologiens graves de la comnuuiion romaiuc sont de sou
avis; et il cite une lettre d'un Père Noyellcs, qu'on dit avoir été le onzième ou
douzième général des Jésuites, i|ui selon lui ne sauroit être jtlus faécisc. Que
le passage latin copié par Leibniz , soit du l'ère Noyelles ou d'un autre auteur,
il n'est pas possible d'en approuver la décision, qui tout au moins est fort obs-
cure. Ku effet il faudroit expliijuer quelles sont les questions moins principales
dont veut pailer cet auteur. S'il met ilans ce rang celle de lacounnnnion sous
les deux espèces, telle qu'elle est agitée par les protestans contre les catholiques,
il est certain c[u'il se trompe ; et que c'est une question très- importante de savoir
LEIBNIZ A BOSSUET, 23 OCTOBRE 1093. 233
aussi l'exemple de la France ;, dont l'union avec Rome n'est pas
empêchée par la dissension sur la supériorité du Pape ou du con-
cile; et il en infère que^ nonobstant les contestations moins prin-
cipales qui pourroient rester, la réunion effective' se peut, et
quand tout y sera disposé, se doit faire.
C'est du côté des vôtres qu'on a commencé de faire cette ou-
verture ; et ces Messieurs qui l'ont faite ont eu raison de croire
qu'on gagneroit beaucoup en obtenant une soumission effective
des nations protestantes à la hiérarchie romaine, sans cpie les
nations de la commmiion romaine soient obligées de se départir
de quoi que ce soit , que leur Eglise enseigne ou commande. Ils
ont bien jugé qu'il étoit plutôt permis aux protestans de faire les
difficiles là-dessus ; et que pom' eux, c'étoit une nécessité indis-
pensable de leur offrir cela, pour entrer en négociation et pour
donner l'espérance de quelque succès. Si vous ne rejetez point
cette thèse , Monseigneur, que nous considérons comme la base
de la négociation pacifique, il y aura moyen d'aller bien avant :
mais sans cela , nous nous consolerons d'avoir fait ce qui dépen-
doit de nous ; et le iDlàme du schisme restera à ceux qui auront
si l'Eglise a violé un commandement exprès de Jésus-Christ et donné un sacre-
ment imparfait, en communiant dans tous les siècles les malades les solitaires,
les enfans et même assez souvent les fidèles pendant les persécutions, sous une
seule espèce. On peut consulter le Traité de la Connnuninn de 31. de Meaux, et
la Défense de ce Traité. ( Ci-dessus, tom. XV I) . On ne sauroit aussi deviner ce que
l'autem' entend par une réunion implicite. Ce sont là des mots vides de sens; et je
soutiens qu'il ne peut y avoir de réunion entre les catholiques et les protestans,
tandis qu'ils seront aussi étrangement divisés qu'ils le sont sur des points de
doctrine. Tenons-nous-en à celui de la communion. Les protestans soutiennent
que la commmiion sous les deux espèces est d'une nécessité indispensable, et
que cette nécessité est tellement fondée sur un précepte formel de Jésus-Christ,
qu'ils ne peuvent abandonner cette pratique, sans risquer leur salut éternel. Les
cathoUques croient fermement le contraire, et ont pom' eux les décisions de
deux conciles œcuméniques. En quoi consistera donc la réunion implicite sur
cet article ? On cite l'exemple de saint Cyprien et de saint Etienne; mais la cause
de saint Cj'prien étoit toute différente de celle des protestans. Le saint martyr
se trompoit sur une question obscurcie par une coutmne qu'il trouvoit établie :
cette question n'avoit jamais été agitée : l'on ne pouvoit par conséquent lui
opposer l'autorité et la concorde parfaite de l'Eglise universelle, suivant l'expres-
sion de saint Augustin : d'ailleurs saint Cyprien, en défendant son erreur, ne
rompit point l'unité ; de sorte qu'il n'avoit pas besoin d'être réuni, puisqu'il n'a-
voit jamais été séparé. La cause des protestans a tous les caractères opposés.
Jl est inutile d'entrer dans un plus grand détail sur ime matière qui ne peut
être raisonnablement contestée. {Edit. de Leroi.)
231 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
refusé des conditions raisonnables. Peut-être qu'on s'étonnera un
jour de leur scrupulosité , et qu'on voudroit acheter pour beau-
coup que les choses fussent remises aux termes qu'on dédaigne
d'accepter à présent, sur une persuasion peu sûre de tout empor-
ter sans condition, dont on s'est souvent repenti. La providence
ne laissera pas de trouver son temps, quand elle voudra se servir
d'instrumens plus heureux : Fata viam invenient. Cependant vous
aurez la bonté , j\Ionseigneur, de faire ménager ce qu'on a pris la
liberté de vous envoyer sur ce sujet; et M. l'abbé Molanus ne
laissera pas d'achever ce qu'il prépare sur votre Réponse , où ses
bonnes intentions ne paroitront pas moins que dans son premier
Ecrit. Je tâche de le fortifier dans la résolution qu'il a prise d'y
mettre la dernière main malgré la difficulté qu'il y a trouvée ,
depuis qu'on avoit mis en doute contre son attente une chose qu'il
prenoit pour accordée, et qu'il a raison de considérer comme
fondamcntide dans cette matière. Peut-être que, suivant votre
dernier expédient, il se trouvera qu'il n'y a eu que du malentendu ;
ce que je souliaite de tout mon cœm*. Enfin, 3Ionseigneur, si
vous allez aussi loin que %'os lumières et votre charité le peuvent
permettre , vous rendrez à l'Eglise un service des plus grands ,
et d'autant plus digne de votre application , qu'on ne le sauroit
attendre aisément d'aucun autre.
Je vous remercie. Monseigneur, de la bonté que vous avez eue
de m'assurer les bontés d'une personne aussi excellente que l'est
M. l'abbé Bignon, à qui je viens d'écrire sur ce fondement. Il n'a
point été marqué de qui est l'Ecrit sur la notion du corps ; mais
11 doit venir d'une personne (]ui a médité profondément sur la
matière, et dont la pénétration paroit assez. J'ai inséré dans ma
réponse une de mes démonstrations sur la véritable estime de la
force contre l'opinion vulgaire, mais sans l'appareil qui seroit
nécessaire pour la rendre propre à convaincre toutes sortes d'es-
prits. Je suis avec beaucoup de vénération , Monseigneur, votre
trôs-hmuble et très-obéissant serviteur,
Leibniz.
LEIBNIZ A M"<= DE BRUNSWICK, 2 JUILLET 1094. 233
LETTRE XXXVI.
LEIBNIZ A M>ne LA DUCHESSE DE BRUNSWICK.
A Hanovre, ce 2 juillet 1694.
Madame ,
Votre x\ltesse Sérénissime ayant paru surprime de ce que j'avois
dit sur le concile de Trente, comme s'il n'étoit pas reçu en France
pour règle de foi, j'ai jugé cju'il étoit de mon devoir de lui en
rendre raison ; et j'ai cru que votre Altesse Sérénissime le pren-
droit en bonne part , son zèle pour l'essentiel de la foi étant ac-
compagné de lumières qui la lui font distinguer des abus et des
additions. Je sais bien qu'on a insinué cette opinion dans les es-
prits, que ce concile est reçu en France pour règle de foi, et non
pas pour règle de discipline ; mais je ferai voir que la nation n'a
déclaré ni l'un ni l'autre , quoiqu'on ait usé d'adresse pour ga-
gner insensiblement ce grand point , que les prétendus zélés ont
toujours cherché à faire passer : et c'est pom' cela même qu'il est
bon qu'on s'y oppose de temps en temps , afin d'interrompre la
prescription, de peur qu'ils n'obtiennent lem* but par la négli-
gence des autres. Car c'est par cette négligence du bon parti que
ces zélotes ont gagné bien d'autres points : par exemple , le se-
cond concile de Nicée , tenu pour le culte des images , a été dés-
approuvé hautement par le grand concUe d'Occident tenu à Franc-
fort sous Charlemagne. Cependant le parti des dévotions mal en-
tendues , (jui a ordinairement le vulgaire de son côté , étant tou-
jours attentif à faire valoir ce qu'il s'est mis en tête et à profiter
des occasions où les autres se relâchent , a fait en sorte qu'il n'y
a presque plus personne dans la communion de Rome qui ose nier
que le concile de Nicée soit œcuménique.
Rien ne doit être plus vénérable en terre que la décision d'un
véritable concile général ; mais c'est pour cela même qu'on doit
être extrêmement sm* ses gardes, afin que l'erreur ne prenne pas
les livrées de la vérité divine. Et comme on ne reconnoîtra pas
un homme pom- plénipotentiaire d'mi grand prince, s'il n'est au-
236 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
torisé par des preuves bien claires, et qu'on sera toujours plus
disposé en cas de doute à le récuser qu'à le recevoir, on doit à plus
forte raison user de cette précaution envers une assemblée de
gens qui prétendent que le Saint-Esprit parle par leui' bouche :
de sorte qu'il est plus sur et plus raisonnable en cas de doute de
récuser que de recevoir un concile prétendu général. Car alors,
si l'on s'y trompe , les choses demeurent seulement aux termes
où elles étoient avant ce concile, sauf à un concile futur, plus au-
torisé, d'y remédier. Mais si l'on recevoit un faux concile et de
fausses décisions, on feroit une brèche irréparable à l'Eglise,
parce qu'on n'ose plus révoquer en doute ce (pii passe pour établi
par l'Eglise universelle , qu'un tel concile représente.
Avant que de prouver ce cpie j'ai promis, il faut bien former
l'état de la question, pom' éviter l'équivoque. Je demem^e d'accord
que les doctrines du concile de Trente sont reçues en France ;
mais elles ne sont pas reçues comme des doctrines divines ni
comme de foi , ni par conséquent comme d'mi concile œcumé-
nique. L'équivoque qui est là-dedans trompe bien des gens.
Quand ils entendent dire que l'Eglise de France approuve ordi-
nau'cment les dogmes de Trente, ils s'imaginent qu'elle se soumet
aux décisions de ce concile comme œcuménique , et cpi'elle ap-
prouve aussi les anathèmes que ce concile a prononcés contre les
protestans; ce qui n'est point. ^loi-même, je suis du sentiment de
ce concile en bien des choses ; mais je ne reconnois pas pour cela
son autorité ni ses anathèmes.
Yoici encore une adresse dont on s'est servi pour surprendre
les gens. On a fait accroire aux ecclésiastiques cpi'il est de leur
intérêt de poursuivre la réception du concile de Trente ; et c'est
pom^ cela que le clergé de France, gouverné par le cardinal
du Perron, dans les Etats du royaume tenus immédiatement après
l'assassinat de Henri IV, sous une reine italienne et novice au
gouvernement, fit des efforts pour procurer cette réception :
mais le tiers-état s'y opposant fortement et le clergé ne pouvant
obtenir son dessein dans l'assemblée des Etats , il osa déclarer de
son autorité privée qu'il vouloit tenir ce concile pour reçu ; ce qui
étoit une entreprise blâmée des personnes modérées. C'est à la
LEIBNIZ A M™" DE BRUNSWICK, 2 JUILLET 1694. 237
nation, et non ali clergé seul , de faire une telle déclaration ; et
c'est suivant cette maxime que le clergé s'est laissé induire , par
les partisans de RomCj d'obliger tous ceux qui ont charge d'ame,
à faire la Profession de foi publiée par Pie lY, dans laquelle le
concile de Trente est autorisé en passant. Mais cette introduction
particulière, faite par cabale et par surprise contre les déclara-
tions publiques, ne sauroit passer pour une réception légitime,
outre que ce qui se dit en passant est plutôt une supposition où
l'on se rapporte à ce qui en est, qu'une déclaration indirecte.
Après avoir prévenu ces difficultés et ces équivoques, je viens
à mes preuves, et je mets en fait qu'il ne se trouvera jamais
aucune déclaration du roi, ni de la nation francoise, par laquelle
le concile de Trente soit reçu.
Au contraire les ambassadeurs de France déclarèrent dans le
concile même qu'ils ne le tenoient point pour libre, ni ses déci-
sions pour légitimes, et que la France ne les rece%Toit pas ; et
là-dessus ils se retirèrent. Une déclaration si authentique devroit
être levée par une autre déclaration authentique.
Par après, les nonces des Papes sollicitant toujom's la réception
du concile en France, la reine Catherine de Médicis, qui étoit une
princesse éclairée , répondit que cela n'étoit nullement à propos,
parce que cette réception rendroit le schisme des protestans irré-
médiable : ce qui fait voir que ce n'est pas sur la discipline seu-
lement, mais encore sur la foi qu'on a refusé de reconnoître ce
concile.
Pendant les troubles, la ligue résolut la réception du concile
de Trente ; mais le parti fidèle au roi s'y opposa hautement.
J'ai remarqué un fait fort notable , que les auteurs ont passé
sous silence. Henri IV se réconciliant avec l'église de France et
faisant son abjuration à Saint-Denis, demanda que l'archevêque
de Bourges et autres prélats assemblés pour son instruction, lui
dressassent un formulaire de la foi. Cette assemblée lui prescrivit
la Profession susdite du pape Pie IV ; mais après y avoir rayé
exprès les deux endroits où il est parlé du concile de Trente ; ce
qui fait voir incontestablement que cette assemblée ecclésiastique
ne tenoit pas ce concile pour reçu en France et comme règle de
238 LETTRES SUR LA REUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
la foi, puisqu'elle le raya, lorsqu'il s'agissoit d'en prescrire une
au roi de France.
Après la mort de Henri le Grand, le tiers -état s'opposa à la ré-
ception, comme j'ai déjà dit, nonobstant que le clergé eût assuré
(ju'on ne recevroit pas une discipline contraire aux libertés de
l'Eglise gallicane. Et comme les autres règlemens de Trente
étoient déjà reçus en France par des ordonnances particulières,
on voit ([u'il ne s'agissoit plus de discipline, qui étoit ou déjà reçue
ou non recevable ; mais qu'il s'agissoit de faire reconnoître le
concile de Trente pour œcuménique , c'est-à-dire pour règle de
la foi.
Les auteurs italiens soutiennent bautement que l'ordonnance
publiée en France sur la nullité des mariages des enlans sans
demander le consentement de père et de mère, est contraire à ce
(jue le concile de Trente a décidé comme de droit divin ; et ils
soutiennent qu'il n'appartient pas aux lois séculières de changer
ce qui est de l'essence dun sacrement ; mais l'ordoimance susdite
est toujours demeurée en vigueur.
Je pourrois alléguer encore bien des choses sur ce point, si je
n'aimois la brièveté et si je ne croyois pas que ce que j'ai dit peut
suffire. Je tiens aussi que les Cours souveraines et les procureurs
généraux du roi n'accorderont jamais que le concile de Trente a
été reçu en France pom' œcuménique ; et s'il y a eu mi temps où
le clergé de France s'est assez laissé gouverner par des intrigues
étrangères pour solliciter ce point, je crois que maintenant que
ce clergé a de grands hommes à sa tète, qui entendent mieux les
intérêts de l'Eglise gallicane, ou plutôt de lEglise universelle, il
en est bien éloigné ; et ce cpii me conflrme dans cette opinion,
c'est qu'on a proposé à des nouveaux convertis une profession de
foi où il n' étoit pas fait mention du concile de Trente. ,
Je ne dis point tout cela par un mépris pour ce concile, dont
les décisions pour la plupart ont été faites avec beaucoup de
sagesse ; mais parce qu'étant sur que les protestans ne le recon-
noîtront pas, il importe, pour conserver l'espérance de la paix de
l'Eglise universelle , que l'Eglise de France demeure dans l'état
qui la rend plus propre à moyenner cette paix , laquelle seroit
LEIBNIZ A BOSSUET, 12 JUILLET 1694. 239
sans doute une des plus souhaitables choses du monde, si elle
pouvoit être obtenue sans faire tort aux consciences et sans blesser
la charité. Je suis avec dévotion, Madame, de votre Altesse Séré-
nissime, le très-humble et très-fidèle serviteur,
Leibniz.
P. S. Le cardinal Pallavicin, qui fait valoir le concile de Trente
autant qu'il peut et marque les lieux où il a été reçu, ne dit point
qu'il ait été reçu en France , ni pour règle de la foi ni pour la
discipline ; et même cette distinction n'est point approuvée à
Rome.
LETTRE XXXYIL
LEIBNIZ A BOSSUET (a).
A Hanovre, ce 12 juillet 1694.
Monseigneur,
Votre dernière a fait revivre nés espérances. M. l'abbé de Lok-
kum travaille fort et ferme à une espèce de liquidation des con-
troverses qu'il y a entre Rome et Augsbourg, et il le fait pai'
ordre de l'Empereur. Mais il a affaire à des gens qui demeurent
d'accord du grand principe de la réunion, qui est la base de toute
la négociation : et c'est sur cela qu'une convocation de nos théo-
logiens avoit fait solennellement et authentiquement ce pas que
vous savez, qui est le plus grand qu'on ait fait depuis la Réforme.
Voici l'échantillon de quelques articles de cette liquidation , que
je vous envoie. Monseigneur, de sa part. Il y en a jusqu'à chi-
quante qui sont déjà prêts. Ce qu'il avoit projeté sur votre excel-
lent Ecrit entre maintenant dans sa liquidation, qui lui a fait
prendre les choses de plus haut et les traiter plus à fond ; ce qui
servira aussi à vous donner plus de satisfaction un jour. Cepen-
dant je vous envoie aussi la préface de ce qu'il vous destinoit
dès lors, et des passages où il s'expliquoit à l'égard du concile
[il] Tous les éditeurs de Bossuet font cette lennuque : « On n'a point la lettre
de M. de Meaux, à laquelle répond Leibniz. » Cette Lettre , qui est du 15 août
1093, nous l'avons donnée plus haut, p. 218.
240 LETTRES ^SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
de Trente ; et rien ne l'a arrêté que la difficulté qu'il voyoit naître
chez vous sur ce concile, jugeant que si Ton vouloit s'y attacher,
ce seroit travailler sans fruit et sans espérance, et même se faire
tort de notre côté, et s'éloigner des mesures prises dans la con-
vocation et du fondement qu'on y a jeté. Il espère toujoui^s de
vous une déclaration sur ce grand principe, qui le mette en état
de se joindi^e à vous dans ce grand et pieux dessein de la réu-
nion , avec cette ouverture de cœur qui est nécessaire. 11 me
presse fort là-dessus, et il est le plus étonné du monde de voir
qu'on y fait difficulté, ceux qui ont fait la proposition de votre
côté et qui ont fait naitre la négociation, ayant débuté par cette
condescendance, et ayant très-bien reconnu que sans cela il n"}'
auroit pas moyen d'entrer seulement en négociation.
Le grand article qu'on accorde de notre côté , est qu'on se sou-
mette aux conciles œcuméniques et à l'unité hiérarchique ; et le
grand article réciproque qu'on attend de votre côté, est que vous
ne prétendiez pas que pour venir à la réunion, nous devions
reconnoître le concile de Trente pour œcuménique , ni ses procé-
dures pour légitimes. Sans cela M. de Molanus croit qu'il ne faut
pas seulement songer à traiter, et que les théologiens de ce pays
n'am'oient pas donné leur déclaration ; et qu'ainsi lui-même ne
peut guère avancer non plus, de peur de s'écarter des principes de
cette convocation, où il a eu tant de part. 11 s'agit de savoir si
Rome , en cas de disposition favorable à la réunion et supposé
qu'il ne restât que cela à faire , ne pourroit pas accorder aux
peuples du Nord de l'Europe, à l'égard du concile de Trente, ce
que l'Italie et la France s'accordent nuituellement sur les conciles
de Constance, de Bàle et sur le dernier de Latran , et ce que le
Pape avec le concile de Bàle ont accordé aux Etats de Bohême,
S7il) utràque, à l'égard des décisions de Constance. Il me semble,
Monseigneur, que vous ne sauriez nier, in tltesi, que la chose soit
possible ou licite. Mais si les affaires sont déjà assez disposées, in
Iti/pothcsi , c'est une autre question. Cependant il faut toujours
commencer par le commencement, et convenir des principes, afin
de pouvoir travailler sincèrement et utilement.
Puisque vous demandez, Monseigneur, où j'ai trouvé l'acte en
M™^ DE BRIINON A BOSSUET, 18 JUILLET 1G94. 241
forme, passé entre les députés du concile de Bâle et les Bohémiens,
par lequel ceux-ci doivent être reçus dans l'Eglise sans être obli-
gés de se soumettre aux décisions du concile de Constance , je
vous dirai que c'est chez un auteur très catholique que je l'ai
trouvé, savoir, dans les Miscellanea Bohemica du révérend P. Bal-
binus, jésuite des plus savans de son ordre pour l'histoire, qui a
enrichi ce grand ouvrage de beaucoup de pièces authentiques,
tu'ées des archives du royaume, dont il a eu l'entrée. Il n'est
mort que depuis peu. Il donne aussi la lettre du pape Eugène,
qui est une espèce de gratulation sm* cet accord ; car le Pape et le
concile n'avoient pas rompu alors [a)
N'ayant pas maintenant le livre du Père Balbinus, j'ai cherché
si la pièce dont il s'agit ne se trouveroit pas dans le livre de Gol-
dastus de Regno Bohemiœ. Je l'y ai donc trouvée, et l'ai fait
copier telle qu'il la donne : mais il sera toujours à propos de
recourir à Balbinus. Les Cojnpactata mêmes se trouvent aussi
dans Goldastus, qui disent la même chose et dans les mêmes
termes, quant au point de prœcepto. Peut-être que dans les ar-
chives de l'église de Coutances en Normandie, dont l'évêque a été
le principal entre les légats du concile, ou parmi les papiers
d'autres prélats et doctem's françois , qui ont été au concile de
Bàle, on trouveroit plus de particularités sur toute cette négo-
ciation. Je suis avec zèle. Monseigneur, votre très-humble et obéis-
sant serviteur,
Leibniz.
LETTRE XXXVIII.
MADAME DE BRINON A BOSSUET.
Ce 18 juillet 1694.
Voilà enfm la réponse de M. Tabbé de Lokkum que je vous
envoie, Monseignem' ; Dieu veuille qu'elle soit telle que nous la
devons désirer : j'espère cjpie vous nous ferez voir la vôtre en
[a] Nous supprimons ici, avec tous les éditeurs, uu long passage sur la dyna-
mique.
TOM. xvni. 16
242 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE,
françois. Madame de MauLuisson, qui n'a plus de sœur que
madame la duchesse d'Hanovre^ désire beaucoup que vous fassiez
tout de votre mieux pour contribuer à cette réunion, que je crois
qui ne sera pas bien aisée ; à moins que la pm'eté de vos bonnes
intentions n'attire sur ce parti plus de vues droites qu'il n'y en a
présentement parmi les luthériens, qui ne sont gouvernés que
par lem' politique, et non par l'esprit de Dieu. ?.Iadame la duchesse
de Brunswick , qui les voit de près présentement , me mande
qu'elle n"a jamais tant senti la vérité de notre rehgion que depuis
qu'elle est parmi ces personnes, qui sont à ce qu'il lui paroît
chacun les arbitres de leur foi , ne croyant que ce qu'il leur plaît
de croire. Cependant le livre de l'Eucharistie de notre illustre
mort [a) y fait des merveilles en quelque façon. M. Leibniz l'a lu
en deux jours; il le loue et l'admire. Le prince Christian, neveu
de madame de "Maubuisson , ne se peut lasser de l'entendre lire
chez madame la duchesse d'IIano\Te sa mère, qui le faisoit lire;
et lui, il disputoit, quoique luthérien, en notre faveur, avouant
que tout ce qu'on y disoit du luthéranisme étoit vrai.
Quand de tout ce que vous avez fait, Monseignem-, et notre
cher ami M. Pelisson, il n'en résulteroit que la conversion d'une
ame. Dieu vous en tiendroit aussi bien compte que si vous aviez
changé toute l'Allomagne, puisque vous avez assez travaillé pour >
que tous les hérétiques se rendent catholiques. Mais Dieu seul,
qui peut ruiner leur orgueil qui les empêche de se soumettre à
l'Eglise, à laquelle ils dem<mdent des conditions onéreuses pour
s'y rejoindre, peut donner l'accroissement à tout ce que vous avez
semé. Ne vous rel)utez donc pas, ^lonseigneur ; au contraire roi-
dissez-vous contre le découragement, s'il vous en prenoit quelque
envie. Madame la duchesse d'Hanovre mande à madame sa sceur
que M. l'abbé de Lokkum et M. Leibniz veulent de bonne foi la
réunion ; et madame la duchesse de Brunswick me le confirme.
Quoique M. Leibniz ait un caractère bien différent de l'autre,
cependant il me paroît qu'il ne veut pas quitter la partie : il a
trop d'esprit pour ne se pas apercevoir qu'on le met plus dehors
que dedans cette affaire; mais il tâche de s'y raccrocher. 11 ne m'a
[a) Pelisson.
BOSSUET A LEIBNIZ, 12 AOUT 1694. 243
point écrit cette fois, et j'ai reçu uniquement le paquet que je
vous envoie par la poste, n'ayant point d'autre voie. Si vous me
faites l'honneur de me communiquer quelque chose de tout cela_,
et que le paquet soit gros , je vous supplie, !^Ionseigneur, de l'a-
dresser à M. Desmarais, rue Cassette, faubourg Saint-Germain,
notre correspondant.
Comme cette affaire me tient au cœur, j'ai demandé le sentiment
d'un docteur de Sorbonne, de mes amis, sur ce qu'ils demandent
de tenir indécise l'autorité du concile de Trente, jusqu'à ce que
l'Eglise en ait décidé par un nouveau concile. L'on m*a répondu
que pourvu qu'ils crussent la réalité de la présence de .lésus-
Christ au saint Sacrement , de la manière que nous la croyons ;
qu'ils revinssent à l'Eglise avec un esprit de soumission pour tout
ce qu'elle déclareroit dans le concile futm' qu'ils demandent ;
qu'on ne doute pas que pour un si grand bien que la réunion,
l'on ne leur accorde ce qu'ils désirent , pour-vT^i que cette réunion
fût sincère et du fond du coeur, et qu'elle ne soit pas vm nouveau
sujet de nous désapprouver dans les pratiques de notre religion.
L'on dit même que tous les gens de bien, qui ont quelque autorité
dans l'Eglise , s'emploieroient à leur obtenir ce qu'ils désirent,
s'ils revenoient, comme je leur ai mandé autrefois, comme l'en-
fant prodigue, se jeter tête Ijaissée entre les bras de lem' mère, en
confessant qu'ils ont péché. Mais c'est en cet endroit im coup de
Dieu qu'il faut lui demander, l'humilité ne se trouvant guère dans
un parti d'hérétiques, puisqu'elle est le caractère des \Tais enftms
de Dieu et de l'Eglise. J'espère, Monseignem', que vous ferez de
votre part tout ce qu'on doit attendre de votre zèle, de votre dou-
ceur et de votre charité.
Sœur DE BRINON.
LETTRE XXXIX,
BOSSUET A LEIBNIZ.
A Meaux, 12 août 1694.
'^^iii garde. Monsieur, avec vous un trop long silence, dans l'at-
tente OÙ vous m'avez mis de la réponse de M. l'abbé de Loldvum.
244 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
Vous me faisiez l'honneur de me mander qu'elle étoit presque eu
état de nous être envoyée. Je crains que quelque indisposition
ne l'ait encore retardée ; car pour ce qui est de nos fâcheuses et
cruelles guerres , quoiqu'elles pussent retarder l'effet de nos
souhaits^ elles ne doivent pas empêcher les particuliers pacifi-
ques de préparer les choses : c'est ce que personne ne peut mieux
faire que ce savant abbé. Pressez donc toujours sa réponse, je
vous en conjure : s'il reste encore quelque chose à dire sur le
concile de Trente et sur celui de Bàle, nous le ferons alors. J'ai
toujours oublié de vous demander d'où étoit pris l'acte du dernier
concile (pie vous nous avez envoyé : nous en savions le fond et
nous eu avions les principales clauses en divers tuidroits ; mais
nous n'avons pas encore reçu la pièce entière. Elle est fort belle,
et il faudra la faire insérer dans rédition des conciles.
Je suis toujours avec la même passion, Monsieiu', votre très-
humble serviteur.
Bénigne, év. de Meaux.
LETTRE XL.
MADAME DE DRINON A BOSSUET.
Ce 25 juin 1695.
Voilà une lettre, Muuseigiieur, de M. Leilmiz, qui se réveille
de temps en temps sur un sujet qui devroit l'empêcher de dormir.
L'objection qu'il fait sur le concile de Trente ne me paroît pas
malaisée à résoudre : car les évêijucs cpii ont fait faire rabjm-a-
lion à Henri IV, pourroieiit avoir manqué en n'y voulant pas
comprendre le concile de Trente, pour ne le pjis effaroucher : cela
ne prouveroit pas qu'il ne fût pas reçu en France sur li^s dogmes
de la foi, comme il ne l'est pas sur quelques points de discipline.
Ce n'est point à moi, Monseigneur, à entamer ces questions, ni
à répondre à ce que m'en écrit M. Leibniz : cela regarde Votre
Grandem*. Je voudrois pourtant bien voir ce qu'il vous en écrit
et ce (jue vous lui répondrez, pour le lire à madame de .Alaubuis-
son, qui est pleine de bonnes lumières, et (jui voit d'un coup
dœil le bien et le mal des choses.
BOSSUET A M"^'^ DE BRINON, 2S JUIN 1695. 245
Je crois. Monseigneur, ([ue vous ne sauriez trop relever les
bons desseins de M. de Loldvum , pour F encourager à poursuivre
la réunion et à venir des bonnes paroles aux bons effets. Car écrire
et discourir toute la vie sur une chose qui ne peut plus se faire
après la mort et de laquelle dépend le salut, c'est ce que je ne
puis comprendre ; et je doute toujours qu'il y ait un commen-
cement de foi dans Tame des personnes qui veulent persuader
qu'elles cherchent la vérité, quand tout cela se fuit si à loisir et
même avec quelque indifférence. Mais Votre Grandeur m'a déjà
mandé qu'il faUoit faire ce qui pouvoit dépendre de nous, et at-
tendre de flieu ce qui dépend de lui , comme est cette réunion
qu'un intérêt temporel fait rechercher selon toutes les apparences :
mais Dieu en saura bien tirer sa gloire et l'avantage de l'Eglise,
pour latpielle Votre Grandeur a tant travaillé.
J'avois mandé à mademoiselle de Scudery que j'avois vu mi
petit manuscrit que M. Pirot avoit fait sur le concile de Trente,
que M. Pelisson auroit bien voulu faire imprimer à la fin de son
livre fait, ou peu s'en faut, sur l'Eucharistie : mais il faudroit
auparavant ([u'il fût rectifié, et quon n'y laissât aucun sujet de
doute. Je l'ai lu lorsque le cher défunt me Tenvoya pour le faire
tenir en Allemagne : autant que je puis m'y connoître, je le
trouvai bien fort. Je prie Dieu, Monseigneur, qu'il vous aug-
mente de plus en plus ses divines lumières , et qu'il vous donne
la persévérance qui vous est nécessaire , pour faire tout seul ce
qui avoit paru devoir être fait avec le pauvi'e M. Pelisson , dont
le mérite se reconnoit de plus en plus. Vous m'avez promis, Mon-
seigneur, votre bienveillance et vos prières ; je vous supplie de
vous en souvenir, et de croire que j'ai pour Votre Grandeur tout
le respect et l'estime que doit avoir, votre très-humble et très-
obéissante servante.
Sr. M. DE Brinon.
246 LETTRES SUR LA REUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
LETTRE XLT.
nOSSUET A LEI 15 NM Z.
11 janvier 1699.
Monsieui'. j'ai vu entre les mains de M. le marquis de Torcy
mie de vos lettres à un de nos princes, dont on dit iei mille biens
et dont les honnêtes gens célèbrent l'esprit et les droites inten-
tions. Dans le compte (jue vous lui rendez du commerce que nous
avons eu sur la religion, feu M. Pelisson et moi avec vous et
M. Tabbé de Lolckura , vous semblez insinuer que ce commerce
a cessé de mon côté tout à coup sans que vous en sachiez la vé-
ritable raison. Je vous assure. Monsieur, quil n'en faut point
chercher d'autre que la guerre survenue, pendant laquelle je
n'ai pas cm qu'il fût aisé de traiter de la réunion des esprits sm'
la religion. Maintenant que Dieu nous a rendu la paix, je loue
sa bonté infinie du désir qu'elle vous a mis dans le cœur de re-
prendi'e cette affaire. J'approuve, Monsieur, le dessein d'y faire
entrer quelque magistrat important, et il ne sera pas malaisé
d'en trouver quelqu'un aussi propre à cette sainte négociation
que le feu M. Pelisson. Quand vous en serez convenu, ce qui
sera très-facile, avec M. le marquis de Torcy, fpii prendra là-
dessus les ordres du Roi, il faudra que vous trouviez bon que je
lui donne communication de tout ce que nous aAons écrit sur
cette matière, vous, M. l'abbé de Lokkum et moi. Si vous voulez
bien nous marquer en quoi vous croyez que je n'ai pas répondu
à votre désh, je vous assure que j'y satisferai pleinement, sans
aucune Mie ni à droite ni à gauche, mais avec toiit(^ la droitm'e
de bonne intention que vous pouvez désirer d'un homme qui ne
peut jamais avoir de plus grande joie que celle de travailler avec
de si hal)iles et de si honnêtes gens à refermer, s'il se peut, les
plaies de l'Eglise encore toutes sanglantes par un schisme si dé-
plorable. En votre particuher. Monsieur, je conserve toujours
]iour ^'ons et pour vos tra\'aiix, dont il vous a plu me faire part.
LEIBNIZ A BOSSUET, H DÉCEMBRE 1C99. 247
toute l'estime possible, et je suis aVec une parfaite sincérité^
Monsieur,, votre très-humble serviteur,
J. Bénigne, év. de Meaux.
LETTRE XLIÏ.
LEIBiMZ A BO-SUET.
Wolfenbuttel , c.o. Il décombre 1699.
Monseigneur ,
Lorsque j'arrivai ici, il y a quelques jours, Monseignem' le duc
Antoine Ukicmc demanda de vos nouvelles ; et quand je répondis
que je n'avois point eu Ihonneur d'en recevoir depuis longtemps,
il me dit qu'U vouloit me fournir de la matière pour vous faire
souvenir de nous. C'est qu'un abbé de votre religion, qui est de
considération et de mérite, lui a voit envoyé le livi'e que voici («),
qu'il avoit donné au public sur ce qui est de foi. Son Altesse Séré-
nissime m'ordonna de vous le communiquer pour le soumettre à
votre jugement^ et pour tâcher d'apprendre. Monseigneur, selon
votre commodité, s'il a votre approbation, de laquelle ce prince
feroit presque autant de cas que si elle venoit de Rome même ,
m'ayant ordonné de vous faire ses complimens et de vous mar-
quer combien il honore votre mérite éminent.
Le dessein de distinguer ce qui est de foi de ce qui ne l'est point,
paroît assez conforme à vos vues et à ce que vous appelez la
méthode de Y Exposition ; et il n'y a rien de si utile pom' nous
décharger d'une bonne partie des controverses, que de faire con-
noître que ce qu'on dit de part et d'autre n'est point de foi. Ce-
pendant son Altesse Sérénissime ayant jeté les yeux sur ce livre,
[a] Voici le titre de cet ouvrage : Secret io eorum quœ de fide catholicc) , ab iis
quœ non sunt de firlc , in controversiis plnri-ique hoc sœculo motis , juxta regulam
fidei ah Exe. D. Franc. Veronio Sacrœ Theologiœ Doctore nnfchàc compilatam ,
ab omnibus Sorbon. Doctor. in plenâ congregatione Facultaiis Theologiœ appro-
batam, necnon anno 1645 in gen. conventu ah unicerso Clcro Gallic. receptam, ac
per Illustr. et Doctiss. W/dknh. Epi-ic. multiim laudatnm , ex ipso concilio Tri-
dentino et prœfatâ régula compendio.sè excerplu, anno Christi 1699. 1 vol. iu-i6,
sans nom d'auteur, de ville et d'iuipriuieur.
248 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
y a trouvé bien des difficultés. Car premièrement , il lui semble
qu'on n'a pas assez marqué les conditions de ce qui est de foi, ni
les principes par lesquels on le peut connoître ; de plus, il semble,
en second lieu, qu'il y a dés degrés entre les articles de foi, les
uns étant plus importans que les autres.
Si j'ose expliquer plus amplement ce que son Altesse Sérénis-
sime m'avoit marqué en peu de mots, je dirai que pom' ce qui
est des conditions et principes, tout article de foi doit être sans
doute une vérité que Dieu a révélée ; mais la question est si Dieu
en a seulement révélé autrefois, ou s'il en révèle encore ; et si les
révélations d'autrefois sont toutes dans l'Ecritm^e sainte, ou sont
venues du moins d'une tradition apostolique : ce que ne nient
point plusieurs des plus accommodans entre les protestans.
Mais conmie bien des choses passent aujourd'hui pour être de
foi, qui ne sont point assez révélées par l'Ecriture et où la tradi-
tion apostolique ne paroît pas non plus; comme, par exemple, la
canonicité des livres que les protestans tiennent pour apocryphes,
la(pielle passe aujourd'hui poin-étre de foi dans votre communion
contre ce qui étoit cru par des personnes d'autorité dans l'ancienne
Eglise : comment le peut-on savoir, si l'on n'admet des révélations
nouvelles, en disant que Dieu assiste tellement son Eglise qu'elle
choisit toujours le bon parti, soit par une réception tacite ou droit
non écrit, soit par une définition ou loi expresse d'un concile
œcuménique ? Où il est encore rpiestion de ])ien déterminer les con-
ditions d'un tel concile , et s'il est nécessaire crue le Pape prenne
part aux décisions, pour ne rien dire du Pape à part, ni encore de
quelque particulier qui pourroit vérifier ses révélations par des
miracles, ]\Iais si l'on accorde à l'Eglise le droit d'établir de nou-
veaux articles de foi , on a])an(lonnera la perpétuité , qui avoit
passé pour lamarf[ue de la foi catholique. .T'avois remarqué autre-
fois que vos propres auteurs ne s'y accordent point et n'ont point
les mêmes fundemens sur l'analyse de la foi, et cpie le P. (irégoire
de Valentia , jésuite , dans un livre fait là- dessus, la réduit aux
décisions du Pape, avec ou sans le concile ; au lieu qu'un docteur
de Sorbonne, nommé Holden, vouloit, aussi dans mi livre exprès,
que tout devoit avoir déjà été révélé aux apôtres, et puis propagé
LEIBNIZ A BOSSUET, 11 DÉCEMBRE 1699. 240
jusqu'à nous par l'entremise de l'Eglise ; ce qui paroîtra le meilleur
aux protestans. Mais aJors il sera difficile de justifier l'antiquité de
bien des sentimens, qu'on veut faire passer pour être de foi dans
l'Eglise romaine d'aujourd'hui.
Et quant aux degrés de ce qui est de foi^ on disputa dans le
colloque de Ratisbonne de ce siècle entre Hunnius protestant et
le Père Tanner jésuite , si les vérités de peu d'importance^, qui
sont dans l'Ecriture sainte, comme, par exemple, celle du chien
de Tobie, suivant votre canon, sont des articles de foi, comme le
Père Tanner l'assura. Ce qui étant posé, il faut reconnoitre qu'il y
a une infinité d'articles de foi qu'on peut, non-seulement ignorer,
mais même nier impmiément, pourvu qu'on croie qu'ils n'ont
point été révélés : comme si quelqu'un croyoit que ce passage :
Très siint qui testhnonh/m dant, etc. * n'est point authentique ,
puisqu'il manque" dans les anciens exemplaires grecs. 3îais il sera
question maintenant de savoir s'il n'y a pas des articles tellement
fondamentaux, qu'ils soient nécessaires, necessitate medii; en sorte
qu'on ne les sauroit ignorer ou nier sans exposer son salut , et
comment on les peut discerner des autres.
La comioissance de ces choses paroît si nécessaire. Monseigneur,
pour entendre ce que c'est que d'être de foi, que monseigneur
le duc a cru qu'il falloit avoir recom's à vous pour les bien
connoître, ne sachant personne aujourd'hui dans votre église,
qu'on puisse consulter plus sûrement, et se flattant sur les ex-
pressions obligeantes de votre lettre précédente, que vous aurez
bien la bonté de lui donner des éclaircissemens. Je ne suis main-
tenant que son interprète , et je ne suis pas moins avec respect.
Monseigneur, votre très-humlile et très-obéissant serviteur,
Leibxtz.
^ 1 Joan., V, 7, 8.
2-;0 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
LETTRE XLIII.
BOSSU HT A LEIBNIZ.
A Meaux, ce 9 janvier 1700.
Monsieur,
Rien ne me pouvoit arriver de plus agréable (jue d'avoir à satis-
faire, selon mon pouvoir, aux demandes d'un aussi grand prince
que monseigneur le duc Antoine UMc, et encore m'étant propo-
sées par im homme aussi hahile et que j'estime autant fpie vous.
Elles se rap})(>rlent à deux points : le premier consiste à juger
d'un livret intitulé, Secretio, etc.; ce (jui demande du temps,
non pour le volume , mais pour la qualité des matières sur les-
queUes il faut parler sùi'ement et juste. Je supplie donc Son
Altesse de me permettre im court délai, parce que n'ayant reçu
ce livre que depuis deux jours, à peine ai-je eu le loisir de le con-
sidérer.
La seconde demande a deux parties , dont la première regarde
les conditions et les principes par lesquels on peut recomioître ce
qui est de foi, en le distinguant de ce qui n'en est pas; et la seconde
observe qu'il y a des degrés entre les articles de foi, les mis étant
plus importans que les autres.
Quant au premier point, vous supposez avant toutes choses
comme indubitable, que tout article de foi doit être une vérité
révélée de Dieu <le quoi je conviens sans dii'Iiculté ; mais vous
venez à deux questions, dont l'une e.st : « Si Dieu en a seulement
révélé autrefois, ou s'il en révèle encore; » et la seconde : « Si les
révélations d'autrefois sont toutes dans l'Ecriture sainte, ou sont
venues du moins d'une tradition apostolique, ce que ne nient point
plusieurs des plus accommodans entre les protestans. »
.Te réponds sans hésiter. Monsieur, que Dieu ne révèle point de
nouvelles vérités qui appartiennent à la loi catholique, et qu'il
faut suivre la règle de la perpétuité, qui avoit, comm(3 vous dites
très-bien , passé pour la règle de la catholicité, de laquelle aussi
l'Eglise ne s'est jamais départie.
BOSSUET A LEIBNIZ, 9 JANVIER 1700. 251
Il ne s'agit pas ici de disputer de l'autorité des traditions apos-
toliques, puisque vous dites vous-même. Monsieur, que les plus
accommodans, c'est-à-dire, comme je l'entends, non-seulement
les plus doctes , mais encore les plus sages des protestans ne les
nient pas; comme je crois en effet l'avoir remarqué dans votre
savant Calixte et dans ses disciples. Mais je dois vous faire obser-
ver que le concile de Trente reconnoît la règle de la perpétuité,
lorsqu'il déclare qu'il n'en a point d'autre que « ce qui]est contenu
dans l'Ecritm'e sainte, ou dans les traditions non écrites, qui
reçues par les apôtres de la bouche de Jésus-Christ , ou dictées
aux mêmes apôtres par le Saint-Esprit, sont Avenues à nous comme
de main en main ' . »
Il faut donc. Monsieur, tenir pom' certain que nous n'admettons
aucmie nouvelle révélation, et que c'est la foi expresse du concile
de Trente, que toute vérité révélée de Dieu'est -venue de main en
main jusqu'à nous; ce qui aussi a donné lieu à cette expression
qui règne dans tout ce concile, que le dogme qu'il établit a tou-
jours été entendu comme il l'expose : Sicut Ecclesia catliolica
semper mtellcxit ^ Selon cette règle on doit tenir pour assuré
q-ue les conciles oecuméniques, lorsqu'ils décident quelque vérité,
ne proposent point de nouveaux dogmes, mais ne font que décla-
rer ceux qui ont toujom's été crus, et les expliquer seulement en
termes plus clairs et plus précis.
Quant à la demande que vous me faites : « S'il faut , avec Gré-
goire de Yalence, réduire la certitude de la décision à ce que pro-
nonce le Pape, ou avec ou sans le concile, » elle me paroît assez
inutile. On sait ce qu'a écrit sm* ce sujet le cardinal du Perron,
dont l'autorité est de beaucoup supérieure à celle de ce célèbre
jésuite, et pour ne point rapporter des autorités particulières, on
voit en cette matière ce qu'enseigne et ce que pratique, même de
nos jours et encore tout récemment, l'Eglise de France.
Nous donnerons donc pour règle infaillible , et certainement
reconnue par les catholiques, des vérités de foi , le consentement
mianime et perpétuel de toute l'Eglise, soit assemblée en concile,
soit dispersée par toute la terre, et toujours enseignée par le même
' Sess. IV, Décret, de Can. Scrip. — '^lbid.
2;j2 lettres sur la réunion des protest. D'ALLEMAGNE.
Saint-Esprit. Si c'est là , pour me servir de vos expressions , ce
qui est le plus agréable aux protestans, Lien éloignés de les
détourner de cette doctrine, nous ne craignons point de la garan-
tir comme incontestablement saine et orthodoxe.
« Mais alors, continuez- vous, il sera difficile de justifier Taiiti-
quité de bien des sentimens , qu'on veut faire passer pour être de
foi dans l'Eglise romaine d'aujourd'hui. »
Non, Monsieur, j'ose vous répondre avec confiance que cela
n'est pas si difficile que vous pensez, pourvu qu'on éloigne de cet
examen l'esprit de contention, en se réduisant aux faits certains.
Vous en pouvez faire l'essai dans l'exemple que vous alléguez,
et qui est aussi le plus fort <iu'on puis.^e alléguer, « de la canoni-
cité des livres que les protestans tiennent pour apocryphes,
laquelle passe aujom'd'hui pour être de foi dans votre communion,
contre ce qui étoit cru par des personnes d'autorité dans l'ancienne
Eghse. » ]\Iais, Monsieur, vous allez voir clairement, si je ne me
trompe, cette question résolue par des faits entièrement incon-
testables.
Le premier est, que ces livres dont on dispute , ou dont autre-
fois on a disputé , ne sont pas des livres nouveaux ou nouvel-
lement trouvés , auxquels on ait donné de l'autorité. La seconde
Lettre de saint Pierre , celle aux Hébreux, Y Apocnh/psc et les
autres livres qui ont été contestés, ont toujours été connus dans
l'Eglise et intitulés du nom des apôtres, à qui encore aujom'd'hui
on les attribue. Si quelques-uns leur ont disputé ce titrr:, on
n'a pas nié pour cela l'existence de ces livres, et qu'ils ne por-
ttissent cette iiititulatioii, ou partout, ou dans la plupart des lieux
où on les lisoit, ou du moins dans les plus célèbres.
Second fait : J'en dis autant des livres de l'Ancien Testament.
La Sagesse, Y Ecclésiastique , les Macliabées et les autres, ne sont
pas des li\Tes nouveaux : ce ne sont pas les chrétiens qui les ont
composés : ils ont précédé la naissance de Jésus-Christ; et nos
Pères les ayant trouvés parmi les Juifs, les ont pris de leurs
mains pour l'usage et pour rédificatioii de lEglise,
Troisième fait : Ce n'est point non plus par de nouvelles révé-
lations, ou par de nouveaux miracles qu'on les a reçus dans le
•BOSSUET A LEIBNIZ, 9 JANVIER 1700. 253
canon. Tous ces moyens sont suspects ou particuliers, et par con-
séquent insuffisans à fonder une tradition et un témoignage de la
foi. Le concile de Trente, qui les a rangés dans le canon, les y a
trouvés, il y a plus de douze cents ans et dès le quatrième siècle,
le plus savant sans contestation de toute l'Eglise.
Quatrième fait : Personne n'ignore le canon xLvn du concile m
de Cartilage, qui constamment est de ce siècle-là, et où les mêmes
livres, sans en excepter aucun, reçus dans le concile de Trente,
sont reconnus comme livres « qu'on lit dans l'Eglise sous le nom
de divines Ecritures, et d'Ecritures canoniques . » Sub nomine
divbiarum Scripturarum, etc., ccmonicœ Scriptvrœ, etc.
Cinquième fait : C'est un fait qui n'est pas moins constant, que
les mêmes livres sont mis au rang des saintes Ecritures, avec le
Pentateiique, avec l'Evangile, avec tous les autres les plus cano-
niques , dans la réponse du pape Innocent I, à la consultation du
saint évêque Exupère de Toulouse [cap. vn), en l'an 405 de Notre-
Seigneur. Le décret du concile romain tenu par le pape saint Gé-
lase, fait le même dénombrement au cinquième siècle , et c'est là
le dernier canon de l'Eglise romaine sur ce sujet, sans que ses
décrets aient jamais varié. Tout l'Occident a suivi l'Eglise romaine
en ce point , et le concile de Trente n'a fait que marcher sur ses
pas.
Sixième fait : Il y a des églises que dès le temps de saint Augus-
tin on a regardées comme plus savantes et plus exactes que toutes
les autres, doctiores ac diligentiores Ecclesiœ K ()i\ ne peut dénier
ces titres à l'Eglise d'Afrique, ni à l'Eglise romaine , qui avoit
outre cela la principauté ou la primauté de la Chaire apostolique,
comme parle saint Augustin : In qud semper apostoUcœ CatJie-
drœ vigidt principatus , et dans laquelle on convenoit . dès le
temps de saint Irénée, que la tradition des apôtres s'étoit toujours
conservée avec plus de soin.
Septième fait : Saint Augustin a pris séance dans ce concile, du
moins il étoit de ce temps-là , et il en a suivi la tradition dans le
livre de la Doctrine chrétienne , où nous lisons ces paroles « Tout
le canon des Ecritures contient ces livres, cinq de Moïse, etc., »
1 Df Dod. Christ., lib. Il, cap. xv, ii. 22.
254 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
OÙ sont nommés en même rang-, « Tobie, Judith, deux des Macha-
hées, la Sagesse, V Ecclésiastique, quatorze Epîtres de saint Paul,
et notamment celle aux Hébreux , » ainsi qu'elles sont comptées,
tant dans le canon de Carthage que dans saint Augustin : « deux
Lettres de saint Pierre, trois de saint Jean, et Y Apocalypse *. »
Huitième fait : Ces anciens canons n'ont pas été une nouveauté
introduite par ces conciles et par ces papes : mais une déclaration
de la tradition ancienne, comme il est expressément porté dans le
canon déjà cité du concile ni de Carthage : « Ce sont des livres,
dit-il, que nos Pères nous ont appris à lire dans l'église , sous le
titre d'Ecritures divines et canoniques, » comme marque le com-
mencement du canon.
Neuvième fait : La preuve en est bien constante par les remarques
suivantes. Saint Augustin avoit cité, contre les pélagiens, ce pas-
sage du livre de la Sagesse : « Il a été enlevé de la vie, de crainte
que la malice ne corrompît son esprit -. » Les semi-pélagiens
avoient contesté l'autorité de ce livre comme n'étant point cano-
nique; et saint Augustin répond « qu'il ne falloit point rejeter le
livre de la Sagesse, qui a été jugé digne depuis une si longue
antiquité, tam longâ annositate , d'être lu dans la place des lec-
tem's et d'être ouï par tous les chrétiens, depuis les évêques jus-
qu'aux derniers des laïques, fidèles, catéchumènes et pénitens,
avec la vénération qui est due à l'autorité divine ^. » A quoi il
ajoute que ce livre doit être préféré à tous les docteurs particuliers
parce que les docteurs particuliers les plus excellens et les plus
proches du temps des apôtres, se le sont eux-mêmes préféré, et
que produisant ce livre à témoin, ils ont cru ne rien alléguer de
moins qu'un témoignage divin : » Nihil se aclhibere nisidimnuni
lestimonimn credidcrunt; répétant encore à la fin le grand nombre
d'années, tantâ annorimi numerositate , où ce livre a eu cette
autorité. On pourroit montrer à peu près la même chose des
autres livres, qui ne sont ni plus ni moins contestés que celui-là,
et en faire remonter l'autorité jusqu'aux temps les plus voisins
des apôtres, sans qu'on en puisse montrer le commencement.
1 De Dont. Clirisi., ]^b. I!, cap. viit, u. ïo. — - Sup., l'v, 11. — ^ pe prœdest.
Sunct., cap. xiv, u. 27.
BOSSUET A LEIBMZ, il JANVIER 1700. 2oo
Dixième fait : En effet si l'on vouloit encore pousser la tradi-
tion plus loin , et nommer ces excellens docteiu^s et si voisins du
temps des apôtres , qui sont marqués dans saint Augustin , on
peut assurer qu'il avoit en vue le li^Te des Témoignages de saint
CyprieU;, qui est un recueil des passages de l'Ecriture , où à l'ou-
verture du livre, la Sagesse, Y Ecclésiastique et les Machabées se
trouveront cités en plusieurs endroits avec la même autorité que
les li\Tes les plus divins, et après avoir promis deux et trois fois
très-expressément dans les préfaces, de ne citer dans ce livre que
des Ecritures prophétiques et apostoliques.
Onzième fait : L'Afrique et l'Occident n'étoient pas les seuls à
reconnoître pom- canoniques les livres que les Hébreux n'avoient
pas mis dans leur canon. On trouve partout dans saint Clément
d'Alexandrie et dans Origène , pom" ne point parler des autres
Pères plus nouveaux, les livres de la Sagesse et de Y Ecclésiastique
cités avec la même autorité que ceux de Salomon, et même ordi-
nairement sous le nom de Salomon même, afin que le nom d'un
écrivain canonique ne leur manquât pas, et à cause aussi, dit saint
Augustin, qu'ils en avoient pris l'esprit.
Douzième fait : Quand Julius Africanus rejeta dans le prophète
Daniel l'histoire de Susanne, et voulut défendre les Hébreux contre
les Chrétiens, on sait comme il fut repris par Origène. Lorsqu'il
s'agira de l'autorité et du savoir , je ne crois pas qu'on balance
entre Origène et Julius Africanus. Personne n'a mieux connu
l'autorité de l'hébreu qu Origène, qui l'a fait connoître aux églises
chrétiennnes ; et sans plus de discussion, sa Lettre à Africajms,
dont on nous a depuis peu donné le grec, établit le fait constant
que ces livres, que les Hébreux ne hsoient point dans lem's syna-
gogues, étoient lus dans les églises chrétiennes sans aucune dis-
tinction d'avec les autres livres divins.
Treizième fait : H faut pourtant avouer que plusieurs églises ne
les mettoient point dans leur canon, parce que dans les livres du
Vieux Testament elles ne vouloient que copier le canon des Hé-
breux, et compter simplement les livres (jue personne ne contes-
toit, ni juif ni chrétien. Il faut aussi avouer que plusieurs savans,
comme saint Jérôme et quelques autres grands critiques, ne vou-
256 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
loient point recevoii' ces livres pour établii' les dogmes ; mais leur
avis particulier n'étoit pas suivi, et n'empêchoit pas que les plus
sublimes et les plus solides théologiens ne citassent ces li\Tes en
autorité, même contre les hérétiques , comme l'exemple de saint
Augustin vient de le faire voir, pom* ne point entrer ici dans la
discussion inutile des autres auteurs. D'autres ont remarqué avant
moi que saint Jérôme lui-même a souvent cité ces livres en auto-
rité avec les autres Ecritures ; et qu'ainsi les opinions particu-
lières des docteurs étoient, dans lem's propres livres, souvent
emportées par l'esprit de la tradition et par l'autorité des églises.
Quatorzième fait : Je n'ai pas besoin de m'étendre ici sur le ca-
non des Hébreux, ni sur les diverses significations du mot d'apo-
crT/phe, qui, comme on sait, n'est pas toujours également désa-
Muitageux. Je ne dirai pas non plus quelle autorité parmi les
Juifs, après leur canon fermé par Esdras, pouvoient avoir, sous
un autre titre (jue celui de canonique, ces livres qu'on ne trouve
point dans l'hébreu. Je laisserai encore à part l'autorité que leur
peuvent concilier les allusions secrètes qu'on remarque aux sen-
tences de ces livres, non-seulement dans les auteurs profanes,
mais encore dans l'Evangile. Il me semble que le savant évêque
d'Avranches, dont le nom est si honoral)le dans la littérature , n'a
rien laissé à dire sur cette matière ; et pour moi, Monsieur, je me
contente d'avoir démontré, si je ne me trompe, que la définition
du concile de Trente sur la cauonicité des Ecritm-es, loin de nous
obliger à reeonnoître de nouvelles révélations, fait voir au con-
traire que l'Eglise catholique demem'e toujours inviolablement
attachée à la tradition anciemie, venue jusqu'à nous de main en
main.
Quinzième fait : Que si enfin vous m'objectez que du moins cette
tradition n'étoit pas universelle, puisque de très-grands docteurs
et des églises entières ne l'ont pas connue, c'est. Monsieur, une
objection que vous avez à résoudre avec moi. La démonstration
en est évidente : nous convenons tous ensemble, protestans ou
catholiques, également des mêmes livres du Nouveau Testament ;
car je ne crois pas que persoimc voulût sui^Te encore les empor-
temeus de Luther contre XEpitre de sauit Jacques. Passons donc
BOSSUET A LEIBNIZ, 9 JANVIER 1700. 257
une même canoiiicité à tous ces livres, contestés autrefois ou non
contestés : après cela. Monsieur, permettez -moi de vous deman-
der si vous voulez affoiblir l'autorité ou de VEpitf^e aux Hébreux,
si haute, si théologique, si divine ; ou celle de V Apocalypse, où
reluit l'esprit prophétique avec autant de magnificence que dans
Isaie ou dans Daniel. Ou bien dira-t-on peut-être que c'est une
nouvelle révélation qui les a fait reconnoître? Yous êtes trop
ferme dans les bons principes pour les abandonner aujourd'hui.
Nous dirons donc, s'il vous plaît, tous deux ensemble, qu'une
nouvelle reconnoissance de quelque livre canonique, dont quel-
ques-uns am'ont douté, ne déroge point à la perpétuité de la tra-
dition, que vous voulez ])ien avouer pour marque de la vérité ca-
tholique. Pour être constante et perpétuelle, la vérité catholique
ne laisse pas d'avoir ses progrès : elle est connue en mi lieu plus
qu'en un autre, plus clairement, plus distinctement, plus univer-
sellement. 11 suffit, pom' établir la succession et la perpétuité de
la foi d'un Livre saint, comme de toute autre vérité, qu'elle soit
toujom's reconnue; qu'elle le soit dans le plus grand nombre sans
comparaison ; qu'elle le soit dans les églises les plus éminentes ,
les plus autorisées et les plus révérées : qu'elle s'y soutienne,
qu'elle gagne et qu'eUe se répande d'elle-même, jusqu'à tant que
le Saint-Esprit, la force de la tradition et le goût , non celui des
particuliers, mais l'universel de l'Eglise, la fasse enfin prévaloir,
comme elle a fait au concile de Trente.
Seizième fait : Ajoutons, si vous l'avez agréable, que la foi
qu'on a en ces livres nouvellement reconnus, a toujours eu dans
les églises un témoignage authentique dans la lecture qu'on en a
faite dès le commencement du clu-istianisme, sans aucune marque
de distinction d'avec les Livres recoimus divins : ajoutons l'auto-
rité qu'on leur donne partout natm'ellement dans la pratique ,
comme nous l'avons remarqué ; ajoutons enfin que le terme de
canonique n'ayant pas toujours mie signification uniforme, nier
qumi lÏM'e soit canonique en un sens , ce n'est pas nier qu'il ne
le soit en un autre ; nier qu'il soit, ce qui est très- vrai, dans le ca-
non des Hébreux, ou reçu sans contradiction parmi les chi'étiens,
n'empêche pas qu'il ne soit au fond dans le canon de l'Eglise, par
TOM. xviii. 17
2o8 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
l'autorité que lui donne la lecture presque générale et pai' l'usage
qu'on en faisoit par tout l'univers. C'est ainsi qu'il faut concilier,
plutôt que commettre ensemble les églises et les autem^s ecclé-
siastiques, par des principes communs à tous les divers sentimens
et par le retranchement de toute ambiguïté.
Dix- septième fait : Il ne faut pas oulilier le fait que saint Jérôme
raconte à tout l'univers, sans que personne l'en ait démenti , qui
est que le li\Te de Judith axoit reçu un grand témoignage par le
concile de Nicée. On n'aura point de peine à croire que cet infati-
galile lecteur de tous les livres et de tous les actes ecclésiastiques
ait pu voir par ses curieuses et laborieuses recherches, auxquelles
rien n'échappoit, quelque mémoire de ce concile, qui se soit perdu
depuis. Ainsi ce savant critique, qui ne vouloit pas admettre le
livre dont nous parlons, ne laisse pas de lui donner le plus grand
témoignage qu'il put jamais recevou', et de nous montrer en même
temps que, sans le mettre dans le canon, les Pères et les conciles
les plus vénérables s'en servoient dans l'occasion , comme nous
venons de le dire, et le consacroient par la pratique.
Dix-huitième fait : Quoi(|ue je commence à sentir la longueur
de cette lettre , qui devient un petit livre contre mon attente, le
plaisir de m' entretenir par votre entremise avec un prince qui
aime si fort la religion, qu'il daigne même m'ordonner de lui en
parler de si loin, me fera encore ajouter un fait qu'il approuvera.
C'est, Monsieur, que la diversité des canons de l'Ecriture, dont on
usoit dans les églises, ne les empêchoit pas de concourir dans la
même théologie, dans les mêmes dogmes, dans la même con-
danmation de toutes les erreui's, et non- seulement de celles qui
attaquoient les grands mystères delà Trinité, de l'Incarnation, de
la Grâce ; mais encore de celles qui blessoient les autres vérités
révélées de Dieu, comme faisoient les montanistes, les novatiens,
les donatistes , et ainsi du reste. Par exemple la province de Phry-
gie, qui assemblée dans le concile de Laodicée, ne recevoit point
en autorité , et sembloit même ne vouloir pas lire dans l'église
quelques-uns des livres dont il s'agit, contre la coutume presque
universelle des autres éghses, entre autres de celles d'Occident ,
n'en condamnoit pas moins avec elles toutes les erreurs qu'on
LEIBNIZ A BOSSUET, 9 JANVIER, 1700. 2Î)9
vient de marquer ; de sorte qu'en vérité il ne leur mauquoit- au-
cun dogme, encore qu'il manquât dans I»'ur canon quelques-uns
des livres qui servoient à les convaincre.
Dix-neuvième fait : C'est pour cela qu'on se laissoit les uns aux
autres une grande liberté , sans se presser d'obliger toutes les
églises au même canon, parce qu'on ne voyoit naître de là aucune
diversité, ni dans la foi ni dans les mœurs : et la raison en étoit
que les fidèles, qui ne cherclioient pas les dogmes de foi dans ces
livres non canonisés en quelques endroits, les trouvoient suffisam-
ment dans ceux qui n'avoient jamais été révoqués en doute ; et
que même ce qu'on ne trouvoit pas dans les Ecritures en général,
on le recouvi'oit dans les traditions perpétuelles et universelles.
Vingtième fait : Sur cela même nous lisons dans saint Augustin
et dans l'un de ses plus savans écrits, cette sentence mémorable :
« L'homme tjui est affermi dans la foi, dans l'espérance et dans la
charité, et qui est inébranlable à les conserver , n'a besoin des
Ecritures que pour instruire les autres ; ce qui fait aussi que plu-
siem's vivent sans aucmi livre dans les solitudes *. » On sait d'ail-
leurs qu'il y a eu des peuples qui, sans avoir l'Ecriture qu'on n'a-
voit pu encore traduire en leurs langues barbares et irrégulières,
n'en étoient pas moins chrétiens que les autres : par où aussi Ton
peut entendre que la concorde dans la foi , loin de dépendre de la
réception de quelques li\Tes de l'Ecritm'e , ne dépend pas même
de toute l'Ecriture en général ; ce qui pourroit se prouver encore
par Tertullien et par tous les autres auteurs, si cette discussion ne
nous jetoit trop loin de notre sujet.
Yingt-unième fait : Que si enfin on demande pourquoi donc le
concile de Trente n'a pas laissé sur ce point la même liberté que
l'on avoit autrefois, et défend sous peine d'anathème de recevoir
mi autre canon que celui qu'il propose , session IV, sans vouloir
rien dire d'amer, je laisserai seulement à examiner aux protes-
tans modérés si l'Eglise romaine a dû laisser ébranler par les
protestans le canon, dont , comme on a vu, elle étoit en posses-
sion avec tout l'Occident, non-seulement dès le ^quatrième siècle,
mais encore dès l'origine du christianisme : cimon qui s'étoit
• De doct. christ., lib. I, n. 43.
200 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE,
affermi depuis par Tusage de douze cents ans sans aucune con-
tradiction • canon enfin dont on prenoit occasion de la calomnier,
comme falsifiant les Ecritures ; ce qui faisoit remonter l'accusa-
tion jusqu'aux siècles les plus purs; je laisse, dis-je, à examiner,
si l'Eglise a dû tolérer ce soulèvement, ou Lien le réprimer par
ses anatlièmes.
Yingt-deuxième fait : Il n'est donc rien arrivé ici que ce que
l'on a vu arriver à toutes les autres vérités, qui est d'être décla-
rées plus expressément, plus autlientiquement, plus fortement
par le jugement de l'Eglise catholique , lorsqu'elles ont été plus
ouvertement, et, s'il est permis de dire une fois ce mot, plus opi-
niâtrement contredites ; en sorte qu'après ce décret , le doute ne
soit plus permis.
Vingt-troisième fait : Je n"ai point ici à rendre raison pom'-
quoi nous donnons le nom d'Eglise catholique à la communion
romaine, ni le nom de concile œcuménique à celui qu'elle recon-
noît pour tel. C'est une dispute à part, où l'on ne doit pas entrer
ici; et il me suffit d'avoir remarqué les faits constans d'où ré-
sultent l'anticpiité et la perpétuité du canon dont nous usons.
Vingt-quatrième fait : Après tout, quelque inviolalile que soit
la certitude que nous y trouvons, il sera toujours véritable que
les livres qui n'ont jamais été contestés ont dès là une force par-
ticulière pour la conviction, parce qu'encore que nul esprit rai-
sonnable ne doive douter des autres après la décision de l'Eglise,
les premiers ont cela de particulier, que procédant ad hominem
et ex concessis, comme l'on parle, ils sont plus propres à fermer
la bouche aux contredisans.
Voilà, Monsieur, im long discours, encore que je n'aie fait que
proposer les principes. C'est à Dieu à ouvrir les cœurs de ceux
qui le liront. Ce dont je vous prie, c'est de le présenter à votre
grand prince , de prendre les momens heureux où son oreille
sera plus libre , et enfin de lui faire regarder comme un effet de
mon très-humble respect. Le reste se dira une autre fois, et bien-
tôt, s'il plaît à Dieu. Je suis cependant, et serai toujours avec une
estime et une affection cordiale , Monsiem^ , votre très - humble
.serviteur, J. Bénigne, év. de Meaux.
BOSSUET A LEIBNIZ, 30 JANVIER 1700, 2fH
LETTRE XLIV.
BOSSUET A LE 1 lî N I Z.
A Versailles, 'M janviei' 1700.
MONSIEUR;,
Des deux difficultés que vous m'avez proposées dans votre
lettre du Jl décembre 1699;, de la part de votre grand et habile
prince , la seconde regardoit les degrés 'entre les articles de foi,
les uns étant plus importans que les autres ; et c'est celle-là sur
laquelle il faut tâcher aujouixriiui de le satisfaire.
Vous l'expliquez en ces termes : « Quant aux degrés de ce qui
est de foi, on disputa dans le colloque de Ratisbonne de ce siècle,
entre Hunnius protestant, et le Père Tanner jésuite, si les vérités
de peu d'importance, qui sont dans l'Ecriture sainte, comme,
par exemple, celle du chien de Tobie, sont des articles de foi,
comme le Père Tanner l'assura : ce qui étant posé, il faut re-
connoître qu'il y a une infinité d'articles de foi qu'on peut non-
seulement ignorer, mais même nier impunément, pom'vu qu'on
croie qu'ils n'ont point été révélés; comme si quelqu'un croyoit
fpie ce passage : Très sunt qui testimoniumperhibent, etc., n'est
point authenticjue, puisqu'il manque dans les anciens exemplaires
grecs. Il sera question maintenant de savoir s'il y a des articles
tellement fondamentaux (pi'ils soient nécessaires, necessitate me-
dii; en sorte qu'on ne les sauroit ignorer ou nier sans exposer
son salut, et connnent on les peut discerner d'avec les autres. »
Il me semble premièrement. Monsieur, que si j'avois assisté à
quelque colloque semblable à celui de Ratisbonne, et qu'il m'eût
fallu répondre à la question du chien de Tobie , sans savoir ce
({ue dit alors le Père Tanner, j'aurois cru devoir user de dis-
tinction. En prenant le terme iï Article de fol selon la signifi-
cation moins propre et plus étendue, j'aurois dit que toutes les
choses révélées de Dieu dans les Ecritures canonicpies , inqtor-
tantes ou non importantes, sont en ce sens articles de foi ; mais
(|u'en prentuit ce terme &' Article de foi dans sa signification
262 LETTRES SUR LA RÉUMON DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
étroite et propre, pour des dogmes théologiqiies immédiatement
révélés de Dieu, tous ces faits particuliers ne méritent pas ce titre.
Je n'ai pas besoin de vous dire que je compte ici parmi les
dogmes révélés de Dieu , certaines choses de fait sur lesquelles
roule la religion, comme la nativité , la mort et la résuiTection
de Notre-Seigneur. Les faits dont nous parlons ici, sont, comme
je viens de le marquer, les faits particuliers. Il y en a de deux
sortes : les uns servent à établir les dogmes par des exemples
plus ou moins illustres, comme riiisloire d'Esther et les combats
de David ; les autres, pom* ainsi pai'lei- , ne font que peindre et
décrire une action, comme seroient, par exemple , la couleur des
pavillons qui étoient tendus dans le festin d' Assuérus et les autres
menues circonstances de cette fête royale ; et de ce genre seroit
aussi le chien de Tobie , aussi bien que le bâton de David, et si
l'on veut la couleur de ses cheveux. Tout cela de soi est telle-
ment indifférent à la religion, qu'on peut ou le savoir ou l'igno-
rer, sans qu'elle en souffre pom* peu que ce soit. Les autres faits,
qui sont proposés pour appuyer les dogmes divins , comme sont
la justice, la miséricorde et la providence divine , quoique bien
plus importans, ne sont pas absolument nécessaires, parce qu'on
peut savoir d'aiUem^s ce qu'ils nous apprennent de Dieu et de la
religion.
Pour ce qui est de nier ces faits , la question se réduit à celle
de la canonicité des hvres dont ils sont tirés. Par exemple, si l'on
nioit ou le bâton de David , ou la couleur de ses cheveux et les
autres choses de cette sorte , la dénégation en pourroit devenir
très-importante, parce qu'elle entraîneroit celle du Livre des Rois,
où ces circonstances sont racontées.
Tout cela n'a point de difficulté, et je ne l'ai rapporté que pour
toucher tous les points de votre lettre. Mais pour les difficultés
qui regardent les vrais articles de foi et les dogmes théologiques,
immédiatement révélés de Dieu, encore que la discussion en de-
mande plus d'étendue, il est aisé d'en sortir.
Je rappelle tout à trois propositions : La première, qu'il y a des
articles fondamentaux et des articles non fondamentaux; c'est-à-
dire des articles dont la coimoissance et la foi expresse est néces-
BOSSUET A LEIBNIZ, 30 JANVIER 1700. 263
saii*e au salut , et des articles dont la cominoissance et la foi ex-
presse n"est pas nécessaire au salut.
La seconde, qu'il y a des règles pour les discerner les uns des
autres.
La troisième, que les articles révélés de Dieu, quoique non fon-
damentaux, ne laissent pas d'être importans , et de donner ma-
tière de schisme, surtout après que l'Eglise les a défmis.
La pi'cmière proposition, qu'il y a des articles fondamentaux ,
c'est-à-dire dont la counoissance et la foi expresse est nécessaire
au salut, n'est pas disputée entre nous. Nous convenons tous du
Symbole attribué à saint Atlianase, qui est l'un des trois recon-
nus dans la Confession cT Augsboiirg , comme parmi nous ; et on
y lit à la tète ces paroles : Quicumque vult salvus esse, etc.; et
au milieu : Qui vult crfjo sulvm esse, etc. ; et à la fm : Eœc est
fi.des catholica, quam nisi qidsque, etc...., absque dubio in œter-
num perihit.
Savoir maintenant si les articles contenus dans ce Symbole y
sont reconnus nécessaires , necessitate medii, ou necessitate pi^œ-
cepti, c'est à mon avis en ce lieu une question assez inutile , et il
suffira peut-être d'en dire un mot à la fm.
La seconde proposition , qu'il y a des règles pour discerner
ces articles , n'est pas difficile entre nous , puiscjue nous suppo-
sons tous qu'il y a des premiers principes de la religion chré-
tienne qu'il n'est permis à personne d'ignorer ; tels que sont ,
pour descendre dans un plus grand détail, le Symbole des apô-
tres , l'Oraison Dominicale, et le Décalogue avec son abrégé né-
cessaire dans les deux préceptes de la charité , dans lesquels con-
siste , selon l'Evangile , toute la loi et les prophètes.
C'est de quoi nous convenons tous catholiques et protestans
également : et nous convenons encore que le Symbole des apô-
tres doit être entendu comme il a été exposé dans le Symbole de
Nicée, et dans celui qu'on attribue à saint Athanase,
On se peut réduire à un principe plus simple en disant que ce
dont la counoissance et la foi expresse est nécessaire au salut, est
cela même sans quoi on ne peut avoir aucime véritable idée du
salut qui nous est donné en Jésus-Clu'ist, Dieu voulant nous y
264 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
amener par la connoissance , et non par un instinct aveugle,
comme on feroit des bêtes brutes.
Dans ce principe si clair et si simple , tout le monde voit d'a-
bord qu'il faut connoître la personne du Sauveur, qui est Jésus-
Christ Fils de Dieu ; qu'il faut aussi connoître son Père qui l'a en-
voyé , avec le Saint-Esprit de qui il a été conçu et par lequel il
nous sanctifie ; quel est le salut qu'il nous propose , ce qu'il a fait
pour nous l'acquérir, et ce qu'il veut que nous fassions pour lui
plaire : ce qui ramène naturellement Tun après l'autre les Sym-
boles dont nous avons parlé, l'Oraison Dominicale et le Décalogue ;
et tout cela, réduit en peu de paroles, est ce que nous avons nommé
les premiers principes de la religion chrétienne.
La troisième proposition a deux parties : la première , que ces
articles non fondamentaux , encore que la connoissance et la foi
expresse n'en soit pas absolument nécessaire à tout le monde, ne
laissent pas d'être importans, C'est ce qu'on ne peut nier, puis-
qu'on suppose ces articles révélés de Dieu, qui ne révèle rien que
d'important à la piété , et dont aussi il est écrit : « Je suis le Sei-
gneur ton Dieu, qui t'enseigne des choses utiles *. »
Ce fondement supposé , il y a raison et nécessité de noter ceux
qui s'opposent à ces dogmes utiles , et qui manquent de docilité
à les recevoir, quand l'Eglise les leur propose. La pratique uni-
verselle de l'ancienne Eglise confirme cette seconde partie de la
proposition. Elle amis au rang des hérétiques, non-seulement
les ariens , les sabclliens , les paulianistes , les macédoniens , les
nestoriens, les euty chiens, et ceux en un mot qui rejetoient la
Trinité et les autres dogmes égalem.ent fondamentaux ; mais en-
core les novatiens ou cathares, qui ôtoient aux ministres de l'E-
glise le pouvoir de remettre les péchés , les montanistes ou cata-
phrygiens , qui improuvoient les secondes noces ; les aériens qui
nioient l'utilité 'des oblations pour les morts , avec la distinction
de l'épiscopat et de la prêtrise ; Jovinien et ses sectateurs , (]ui à
finjure du Fils de Dieu, nioient la virginité perpétuelle de sa
sainte Mère, et jusqu'aux quartodécimans , qui aimant mieux
célébrer la pàque avec les Juifs qu'avec les Chrétiens , tàchoient
* Isa., XLYiii, 17.
BOSSUET A LEIBNIZ, 30 JANVIER 1700. 26o
fie rétablir le judaïsme et ses observances, contre l'ordonnance
(les apôtres. Les auteurs opiniâtres de ces dogmes pervers ont été
frappés par les Pères , par les conciles , quelques-uns même par
le grand concile de Nicée, le premier et le plus vénérable des œcu-
méniques , parce qu'encore que les articles qu'ils combattoient
ne fussent pas de ce premier rang qu'on appelle fondamentaux,
l'Eglise ne devoit pas souffrir qu'on méprisât aucune partie de la
doctrine céleste que Jésus-Christ et les apôtres avoient enseignée.
Si Messieurs de la Confession d'Augsbourg ne convenoient de
ce principe, ils n'auroient pas mis au nombre des hérétiques,
sous le nom de sacrameîitaires , Bérenger et ses sectateurs, puis-
que la présence réelle , qui fait le;n' erreur, n'est pas comptée
parmi les articles fondamentaux.
L'Eglise fait néanmoins mie grande différence entre ceux qui
ont combattu ces dogmes utiles et nécessaires à leur manière,
quoique d'une nécessité inférieure et seconde , avant ou depuis
ses définitions. Avant qu'elle eût déclaré la vérité et l'antiquité
ou plutôt la perpétuité de ces dogmes, par un jugement authen-
ti([ue , elle toléroit les errans , et ne craignoit point d'en mettre
même quelques-uns au rang de ses Saints : mais depuis sa déci-
sion , elle ne les a plus soufferts ; et sans hésiter, elle les a ran-
gés au nombre des hérétiques. C'est, Monsieur, comme vous
savez, ce qui est arrivé à saint Cyprien et aux donatistes. Ceux-ci
convenoient avec ce saint martyr dans le dogme pervers, qui re-
jetoit le baptême administré par les hérétiques : mais leur sort a
été bien différent , puisfiue saint Cyprien est demeuré parmi les
Saints, et les autres sont rangés parmi les hérétiques : ce qui fait
dire au docte Vincent de Lérins , dans ce livre tout d'or, qu'il a
intitulé : Comnionitorium , ou Mémoire sur l'antiquité de la foi :
« 0 changement étonnant ! Les auteurs d'une opinion sont catho-
liques , les sectateurs sont condamnés comme liéréti([ues : les
maîtres sont absous , les disciples sont réprouvés : ceux qui ont
écrit les livres erronés sont les enfans du royaume , p(Midant (jue
leurs défenseurs sont précipités dans l'enfer. » Voilà des paroles
bien terribles pour la damnation de ceux qui avoient opiniâtre-
ment soutenu les dogmes fjue les Saints avoient proposés de
206 LETTRES SLR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
bonne foi , dont on voit bien que la différence consiste précisé-
ment à avoir erré avant que TEgiise se fût expliquée , ce qui se
pouvoit inuocpmment ; et avoir erré contre ses décrets solennels,
ce qui ne peut plus être imputé qu'à orgueil et irrévérence.
C'est aussi ce que saint Augustin ne nous laisse point ignorer,
lorsque comparant saint Cyprien avec les donatistes : « Nous-
mAmes , dit-il , nous n'oserions pas enseigner ime telle chose »
contre un aussi grand docteur que saint Cyprien , c'est-à-dire, la
sainteté et la validité du baptême administré par les hérétiques ,
a si nous n'étions appuyés sm^ l'autorité de l'Eglise miiverselle,
à laquelle il auroit très-certainement cédé lui-même , si la vérité
éclaircie avoit été confirmée dès lors par un concile universel : »
Ctii et ille procul dubio cederet, si quœstionis hujus veritos , cU-
quata et declarata per plenarhtm coiiciliiim , soUdaretiir ' .
Telle est donc la différence qu'on a toujours mise entre les
dogmes non encore entièrement autorisés par le jugement de l'E-
glise , et ceux qu'elle a déclarés authentiquement véritables : et
cela est fondé sm" ce que , la soumission à l'autorité de l'Eglise
étant la dernière épreuve où Jésus- Christ a voulu mettre la doci-
lité de la foi , on n'a plus , quand on méprise cette autorité , à at-
tendre que cette sentence : « S'il n'écoute pas l'Eglise , qu'il vous
soit connue un païen et un publicain -. »
Il ne s'agit pas ici de prouver cette doctrine , mais seulement
d'exposer à votre grand princi; la méthode de l'Eglise catholique,
pour distinguer parmi les articles non fondamentaux, les erreurs
où l'on peut tomber innocemment , d'avec les autres. La racine
et l'effet de la distinction se tirent principalement de la décision
de l'Eglise. Nous n'avançons rien de nouveau en cet endroit, non
plus que dans toutes les autres parties de notre doctrine. Les plus
célèbres docteurs du quatrième siècle parloient et pensoient comme
nous. Il n'est pas permis de nn'priser des autorités si révérées
dans tous les siècles suivans : et d'ailleurs quand saint Augustin
assure que saint Cyprien auroit cédé à l'autorité de l'Eglise uni-
verselle , si sa foi s'étoit déclarée de son temps par un concile de
toute la terre , il n'a parlé de cette sorte que sur les paroles ex-
1 August.jrfe Iiapt.,Vih. II, cap. iv, u. 5. — ^ Maltk , xviii, 17.
BOSSUET A LEIBNIZ, 30 JANVIER. 267
presses de ce saint martyr, qui interrogé par Antonien son col-
lègue dans répiscopat quelles étoient les erreurs de Novatien :
« Sachez premièrement , lui disoit-il , que nous ne devons pas
même être curieux de ce qu'il enseigne , puisqu'il est hors de
l'Eglise : quel qu'il soit et quelque autorité qu'il s'attribue , il
n'est pas chrétien, puisqu'il n'est pas dans l'Eglise de Jésus-
Christ : » Cliristianus non est , qui in CJiristi Ecclesià non est\
Saint Augustin n'a pas tort de dire qu'un homme qui ne souffre
pas qu'on juge digne d'examen une doctrine qu'on enseigne hors
de l'Eglise , mais qui veut qu'on la rejette à ce seul titre , n'au-
roit eu garde de se soustraire lui-même à une autorité si invio-
lable.
Il n'est pas même toujours nécessaire, pour mériter d'être
condamné, d'avoir contre soi une expresse décision de l'Eglise,
pourvu que d'aiUeurs sa doctrine soit bien connue et constante.
C'est aussi pour cette raison que le même saint Augustin, en
parlant du baptême des petits enfans , a prononcé ces paroles :
« Il faut, dit-il, souffrir les contredisans dans les questions qui
ne sont pas encore bien examinées, ni pleinement décidées par
l'autorité de l'Eglise : » In quœstionibus nondinnplenà Ecclesiœ
auctorUate firmath"- . « C'est là^ continue ce Père, que l'errem' se
peut tolérer ; mais elle ne doit pas entreprendre d'ébranler le fon-
dement de l'Eglise : » lin ferendus est error, non usqueadeopro-
fjredi débet , ut fundamentum Ipsum Ecclesiœ quatere nioliatur.
On n'avoit encore tenu aucun concile pour y traiter expressé-
ment la question du baptême des petits enfans ; mais parce que
la pratique en étoit constante et universelle, en sorte qu'il n'y
avoit aucun moyen de la contester, loin de permettre de la révo-
quer en doute, saint Augustin la prêche hautement comme une
vérité toujours établie, et dit que ce doute seul emporte le ren-
versement du fondement de l'Eglise.
C'est à cause que ceux qui nient cette autorité sont proprement
ces esprits contentieux , que l'Apôtre ne souffre pas dans les
églises'. Ce sont ces frères, qui marchent désordonnément , et
non pas selon la règle qu'il leur a donnée, dont le même Apôtre
1 Cypr.. epist. lu. — - Aiigust., scim. xiv, De Vcrù. Apost. — * I Cor., xi, 10,
268 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
veut cpi'on se retire^. On ne se doit retirer cFeux qu'à cause qu'ils
se retirent les premiers de l'autorité de l'Eglise et de ses décrets,
et se rang-ent au nombre de ceux qui se séparent eux-mêmes ^ :
d'où l'on doit conclure qu'encore que la matière de leur dispute
ne soit peut-être pas fondamentale, et du rang de celles dont la
connoissance est absolument nécessaire à chaque particulier , ils
ne laissent pas par un autre endroit d'ébranler le fondement de
la foi ^ en te soulevant contre l'Eglise, et en attaquant directe-
ment un article du Symbole aussi important que celui- ci : Je crois
l'Eglise catholique.
S'il faut maintenant venir à la connoissance nécessaire, neces-
sitate medii , la principale de ce genre est celle de Jésus -Christ,
puiscju'il est établi de Dieu comme Tunique moyen du salut, sans
la foi du([uel on est déjà jugé ^ et la colère de Dieu demeure sur
nous. Il n'est pas dit qu'elle y tombe : mais qu'elle y demeure ,
parce qu'étant, comme nous le sommes, dans une juste damna-
tion par notre naissance. Dieu ne fait point d'injustice à ceux
qu'il y laisse. C'est peut-être à cet égard qu'il est écrit : « Qui
gnore sera ignoré* : » et quoi qu'il en sôit, qui ne connoît Jésus-
Christ n'en est pas connu ; et il est de ceux à qui il sera dit au
jugement : « Je ne vous connois pas '■*. »
On pourroit ici considérer cette parole de Notre-Seigneur : « La
vie éternelle est de vous connoître, vous qui êtes le seul vrai
Dieu, et Jésus-Christ que vous avez envoyé". » Cependant, à
parler correctement, il semble qu'on ne doit pas dire que la con-
noissance de Dieu soit nécessaire, necessitate medii , mais plutôt
d'ime nécessité d'un plus haut l'ang , necessitate finis , parce que
Dieu est la fin unique de la vie humaine, le terme de notre amour
et l'objet où consiste le salut : mais ce seroit inutilement que
nous nous étendrions ici sur cette expression , puisqu'elle ne fait
aucune sorte de controverse parmi nous.
Pour le livret intitulé : Sccrctio , etc., il est très-bon dans le
fond. On en pourroit retrancher encore quelques articles ; il y en
auroit quelques autres à éclaircir un peu davantage. Pour en-
> Il Thes^., m, G. — 2 J'iil., 19. — » Joan., m , 18, 3G. — '* I Cor., xiv, 38. —
^ Matth., V!i, liJ. — " Joan..\\u, 3.
BOSSUET A LEIBNIZ, 30 JANVIER 1700. 269
Irer dans un plus grand détail , il faudroit traiter tous les ar-
ticles de controverse ; ce que je pense avoir assez fait et avec
toutes les marques d'approîjation de TEgiise , dans mon livre de
V Exposition.
Je me suis aussi expliqué sur cette matière dans ma Réponse
latine à M. l'abbé de Lokkum. Si néanmoins votre sage et habile
prince souhaite que je m'explique plus précisément, j'embras-
serai avec joie toutes les occasions d'obéir à Son Altesse Séré-
nissime.
Rien n'est plus digne de lui que de travailler à guérir la plaie
qu'a faite au christianisme le schisme du dernier siècle. Il trou-
vera en vous un digne instrument de ses intentions ; et ce que
nous avons tous à faire dans ce beau travail est, en fermant cette
plaie, de ne donner pas occasion au temps à venir d'en rouvrir
mie plus grande.
J'avoue au reste , Monsieur , ce que vous dites des anciens
exemplaires grecs sur le passage, Très stint, etc. : mais vous
savez aussi bien que moi , que l'article contenu dans ce passage
ne doit pas être pour cela révoqué en doute , étant d'ailleurs établi
non-seulement par la tradition des églises , mais encore par l'E-
criture très-évidemment. Vous savez aussi, sans doute, que ce
passage se trouve reçu dans tout l'Occident ; ce qui paroît mani-
feste , sans même remonter plus haut , par la production qu'en
fait saint Fulgence dans ses Ecrits , et même dans une excellente
Confession de foi présentée unanimement au roi lîunéric par
toute l'Eglise d'Afrique. Ce témoignage produit par un aussi
grand théologien et par cette savante église, n'ayant point été
reproché par les hérétiques , et au contraire étant confirmé par
le sang de tant de martyrs , et encore par tant de miracles dont
cette Confession de foi fut suivie, est une démonstration de la tra-
dition, du moins de toute l'Eglise d'Afrique, l'une des plus il-
lustres du monde. On trouve même dans saint Cyprien imo allu-
sion manifeste à ce passage , qui a passé naturellement dans notre
Vulfjate , et confirme la tradition de tout l'Occident. Je suis,
Monsieur, votre très humble serviteur,
J. Bénigne, év. de Meaux.
270 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
LETTRE XLY.
L E 1 B M Z A B 0 S S r E T.
Wolfeubuttel, 30 aviU 1700.
Monseigneur,
Il y a plus de deux mois que j'ai écrit deux lettres très-amples
pour répondre distinctement à deux des vôtres, que j'avois eu
l'honneur de recevoir : sur ce qui est de foi en général , et sur
l'application des principes généraux à la question particulière
des livres canoniques de la Bible. J'avois laissé le tout alors à
Wolfenbuttel, pour être mis au net et expédié ; mais j'ai trouvé
en y arrivant présentement, que la personne qui s'en étoit char-
gée ne s'est point acquittée de sa promesse. C est ce qui me fait
prendre la plume pour vous écrire ceci par avance et pour m'ex-
cuser de ce délai, que j'aurai soin de réparer.
Je suis fâché cependant de ne pouvoir pas vous domier cause
gagnée , Monseigneur, sans blesser ma conscience : car après
avoir examiné la matière avec attention, il me paroît incontes-
table que le sentiment de saint Jérôme a été celui de toute l'E-
glise , jusqu'aux innovations modernes qui se sont laites dans
votre parti , principalement à Trente ; et que les papes Innocent
etGélase, le concile de Carthage et saint Augustin ont pris le
terme d'Ecritm'e canonique et divine largement, pour ce que
l'Eglise a autorisé comme conforme aux Ecritures inspirées ou
immédiatement divines ; et ([u'on ne sauroit les expliquer autre-
ment, sans les faire aller contre le torrent de toute l'antiquité
chrétienne, outre que saint Augustin favorise lui-même avec
d'autres cette interprétation. Ainsi à moins qu'on ne donne encore
avec quelques-uns une interprétation de pareille nature aux pa-
roles du concile de Trente, que je voudrois bien pouvoir souffrir,
la conciliation par voie d'exposition cesse ici ; et je ne vois pas
moyen d'excuser ceux qui ont dominé dans cette assemblée , du
blâme d'avoir osé prononcer analhème contre la doctrine de toute
LEIBNIZ A BOSSUET, 30 AVRIL 1700. 271
Tancienne Eglise. Je suis bien trompé si cela passe jamais , à
moins que par un étrange renversement on ne retombe dans la
barbarie, ou qu'un terrible jugement de Dieu ne fasse régner
dans l'Eglise quelque chose de pire que l'ignorance ; car la vérité
me semble ici trop claire, je Tavoue. Il me paroit fort suppor-
table qu'on se trompe en cela à Trente ou à Rome, pourvu qu'on
raye les anathématismes , qui sont la plus étrange chose du
monde, dans un cas où il me paroît impossible que ceux qui ne
sont point prévenus très-fortement se puissent rendre de bonne foi.
C'est avec cette bonne foi et ouverture de cœur que je parle ici.
Monseigneur, suivant ma conscience. Si l'affaire étoit d'une autre
nature, je ferois gloire de vous rendre les armes ; cela me seroit
honorable et avantageux de toutes les manières. Je continuerai
d'entrer dans le détail avec toute la sincérité , application et doci-
lité possibles : mais en cas que, procédant avec soin et ordre,
nous ne trouvions pas le moyen de convenir sur cet article ,
quand même il n'y en auroit point d'autre, quoiqu'il n'y en ait
que trop, il faudra ou renoncer aux pensées iréniques là-dessus,
ou recourir à la voie de l'exemple que je vous ai allégué autre-
fois, auquel vous n'avez jamais satisfait, et où vous n'avez voulu
venir qu'après avoir épuisé les autres moyens, j'entends ceux de
douceur : car quant aux voies de fait et guerres, je suppose que,
suivant le véritable esprit du christianisme, vous ne les conseil-
leriez pas ; et que l'espérance qu'on peut avoir dans votre parti
de réussir un jour par ces voies , laquelle , quelque spécieuse
qu'elle soit, peut tromper, ne sera pas ce qui vous empêchera de
donner les mains à tout ce qui paroitra le plus propre à refermer
la plaie de l'Eglise.
Monseigneiu" le Duc a pris garde à un endroit de votre lettre,
où vous dites que cela ne se doit point faire d'une manière où il
y ait danger ; que cette plaie se pourroit rouvrir davantage , et
devenir pire : mais il n'a point compris en quoi consiste ce dan-
ger, et il a souhaité de le pouvoir comprendre ; car, non plus que
vous, nous ne voulons pas des cures palhatives qui fassent em-
pirer le mal. Je suis avec zèle. Monseigneur, vôtres très-humble
et très-obéissant serviteur, Leibniz.
272 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE
LETTRE XLVI.
BOSSUET A LEIBNIZ.
A Versailles, ce 1" juiii 1700.
Monsieur,
Votre lettre du 30 avril ma tiré de peine sur les deux miennes,
en m'apprenant non-seulement que vous les avez reçues, mais en-
core que vous avez pris la peine d'y répondre, et que je puis es-
pérer bientôt cette réponse. Il ne serviroit de rien de la prévenir ;
et encore (jue dès à présent je pusse peut-être vous expliquer
l'équivoque du mot de canonique , qui à la fm se tournera contre
vous, il vaut mieux attendre que vous ayez traité à fond ce que
vous n'avez dit encore qu'en passant. Mais je ne puis tarder à
vous expliquer l'endroit de ma lettre sur lequel Monseigneur le
Duc veut être éclairci. J'ai donc dit que l'on tenteroit vainement
des pacifications suiilcs controverses, en présupposant qu'il fallût
changer quoique chose dans aucun des jugemens portés par l'E-
glise. Car comme nos successeurs croiroient avoir le même droit
de changer ce que nous ferions, que nous aurions eu de changer
ce que nos ancêtres auroient fait , il arriveroit nécessairement
qu'en pensant fermer une plaie , nous en rouvririons une plus
grande. Ainsi la religion n'auioit rien de ferme ; et tous ceux
qui en aiment la stabilité doivent poser avec nous pom' fonde-
ment, que les décisions de l'Eglise, une fois données, sont in-
failhbles et inaltéral)les. Voilà, Monsieur, ce que j'ai dit et ce
qui est très-vérital)l(^ Au reste à Dieu ne plaise que je sois ca-
pable de compter la guerre parmi les moyens de finir le schisme :
à Dieu ne plaise , encore un coup , qu'une telle pensée ait pu
m'entrer dans l'esprit , et je ne sais à quel propos vous m'en
parlez.
Quant à l'endroit où vous dites que je n'ai pas répondu ou que
j'ai différé de répondre, j'avoue que je ne l'entends pas; je soup-
çonne seulement que vous voulez parler d'un acte du concile
LEIBNIZ A BOSSUET, 14 MAI 1700. 273
de Bàlo, que vous m'avez autrefois envoyé. Mais assurément j'y
ai répondu si démonstrativement dans mon Ecrit à M. l'abbé
de Lokkum, que je n'ai rien à y ajouter. Je vous supplie donc,
Monsieiu-, encore un coup , comme je crois l'avoir déjà fait, de
repasser sur cette réponse, si vous l'avez, et de marquer les en-
di'oits où vous croyez que je n'aie pas répondu, afin que je tâche
de vous satisfaire, ne désirant rien tant au monde que de conten-
ter ceux qui cherchent le royaume de Dieu.
Permettez -moi de vous prier encore une fois, en finissant cette
lettre, d'examiner sérieusement devant Dieu si vous avez quelque
bon moyen d'empêcher Tétat de l'Eglise de devenir éterneUement
variable , en présupposant qu'elle peut errer et changer ses dé-
crets sur la foi. Trouvez bon que je ^ ous envoie une Instruction
pastorale que je viens de publier sur ce sujet-Là [a] ; et si vous la
jugez digne d'être présentée à votre grand et habile prince, je me
donnerai l'honneur de lui en fah^e le présent dans les formes, avec
tout le respect qui lui est dû. J'espère que la lecture ne lui en sera
pas désagréable, ni à vous aussi : puisque cet Ecrit comprend la
plus pure tradition du christianisme sur les promesses de 1 Eglise.
Continuez-moi l'honnem* de votre amitié, comme je suis de mon
côté avec toute sorte d'estime , Monsieur, votre très-humble ser-
viteur,
J. Bénigne, évéque de Meaux.
LETTRE XLYII.
LEIBNIZ A BOSSUET.
A Wolfenbuttel , ce 14 mai 1700.
Monseigneur,
Yos deux grandes et belles lettres n'étant pas tant pour moi que
pour Monseignem" le duc Antoine Ulric, je n'ai point manqué d'en
faire rapport à Son Altesse Sérénissime, qui même a eu la satis-
faction de les lire. Il vous en est fort obhgé ; et comme il honore
(«) première histruction pastorale sur les pi'omesses de l'Eglise.
TOU. XVUI. 18
274 LETTRES SUR LA REUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
extrêmement votre mérite émment , il en attend aussi beaucoup
pour le bien de la chi'étienté, jugeant sur ce qu il a appris de
votre réputation et autorité que vous y pourriez le plus contri-
buer. 11 seroit fâché de vous avoir donné de la peine , s'il ne se
félicitoit de vous avoii' donné en même temps Foccasion d'employer
de nouveau vos grands talens à ce qu'il croit le plus utile et même
très-conforme à la volonté du Roi, suivant ce que M. le marquis
de Torcy avoit fait connoître.
Comme vous entrez dans le détail, j'avois supplié ce prince de
charger un théologien de la discussion des points qui le de-
mandent : mais il a eu ses raisons pour vouloir que je continuasse
de vous proposer les considérations qui se présenteroient, et dont
une bonne partie a été fournie pai* Son Altesse même : et pour moi,
j'ai tâché d'expliquer et de fortifier ses sentimens par des autori-
tés incontestables.
11 trouve fort bon que ^ ous ayez choisi une controverse parti-
culière, agitée entre les tridentins et les protestans : car sil se
trouve un seul point, tel que celui dont il s'agit ici, où il est visible
que nous avons contre certains anathématismes prononcés chez
vous des raisons qui , après un examen fait avec soin et avec sin-
cérité, nous paroissent invincibles; on est obhgé chez vous, sui-
vant le droit et suivant les exemples pratiqués autrefois, de les
suspendre à l'égard de ceux qui ne s'éloignent point pour cela de
l'obéissance due à l'Eglise catholique.
I. Mais pour venir au détail de vos lettres, dont la première donne
les principes qui peuvent servira distinguer ce qui est de foi de ce
([ui ne l'est pas, et dont la seconde explique les degrés de ce qui est
de foi : je m'arrêterai principalement à la première, où vous ac-
cordez d'abord, Monseigneur, que Dieu ne révèle point de nou-
velles vérités qui a partiennent à la foi catholique ; que la lègle
de la perpétuité est aussi celle de la cathohcité ; que les concdes
œcuméniques ne proposent point de nouveaux dogmes; enfui que
la règle infaillible des vérités de la foi est le consentement unanime
et perpétuel de toute l'Eglise. J'avois dit que les protestans ne
reconnoissent pour un article de la foi chrétienne que ce que Dieu
a révélé d'abord par Jésus-Christ et ses apôtres; et je suis bien
LEIBNIZ A BOSSUET, 14 MAI 1700. 275
aise d'apprendre par votre déclaration^ que ce sentiment est encore
ou doit être celui de votre communion.
II. J'avoue cependant que l'opinion contraire, ce semble, d'une
infinité de vos docteurs , me fait de la peine : car on voit que,
selon eux, l'analyse de la foi revient à l'assistance du Saint-
Esprit, qui autorise les décisions de l'Eglise universelle; ce qui
étant posé, l'ancienneté n'est point nécessaire, et encore moins la
perpétuité.
III. Le concile de Trente ne dit pas aussi qu'elles sont nécessaires,
quoiqu'il dise, sur quelques dogmes particuliers, que l'Eglise l'a
toujours entendu ainsi ; car cela ne tire point à conséquence pour
tous les autres dogmes.
IV. Encore depuis peu Georges Bullus, savant prêtre de l'Eglise
anglicane, ayant accusé le Père Pétau d'avoir attribué aux Pères
de la primitive Eglise des erreurs sur la Trinité , pour autoriser
davantage les conciles à pouvoir établir et manifester, constituere
et patefacere , de nouveaux dogmes ; le cm'ateur de la dernière
édition des Dogmes Théologiques de ce Père, qui est apparemment
de la même société, répond dans la préface : Est quidcm hoc dogma
catholicœ rationis , ah Ecclesiâ constitui Fidei capita; sedprop-
tereà minime sequitur Petavium malis artihus ad id confirman-
dum, usum.
V. Ainsi le Père Grégoire de Valentia a bien des approbateui-s
de son Analyse de la foi; et je ne sais si le sentiment du cardinal
du Perron , que vous lui opposez , prévaudra à celui de tant,
d'autres docteurs. Le cardinal d'ailleurs n'est pas toujours bien
sur , et je doute que l'Eglise de France d'aujoiu-d'hui approuve la
harangue qu'il prononça dans l'assemblée des Etats im peu après
la mort de Henri IV, et qu'il n'auroit osé prononcer dans un autre
temps que celui d'une minorité; car il passe poi^r mi peu poli-
tique en matière de foi.
VI. De plus, suivant votre maxime, il ne seroit pas dans le pou-
voir du Pape ni de toute l'Eglise, de décider la question de la con-
ception immaculée de la sainte Vierge. Cependant le concile de
Bàle entreprit de le faire : et il n'y a pas encore longtemps qu'un
roi d'Espagne envoya exprès au Pape pour le solliciter à donner
276 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
une décision là-dessus ; ce qu'on entendoit sans doute sous ana-
thènie. On croyoit donc en Espagne que cela n'excède point le
pouvoir de l'Eglise. Le relus aussi, ou le délai du Pape, n'étoit
pas fondé sur son impuissance d'établir de nouveaux articles
de foi.
Yll. J'en dirai autant de la question De auxiliis grotke, qu'on
dit que le pape Clément Vlll avoit dessein de décider pour les
thomistes contre les molinistes ; mais la mort l'en ayant empêché,
ses successeurs trouvèrent plus à propos de laisser la chose en
su.-pens.
Vill. 11 semble que vous-même, Monseigneur, laissez quelque
porte de derrière ouverte, en disant (]ue les conciles œcuméni(iues,
lorsqu'ils décident quelque vérité , ne proposent point de nou-
veaux dogmes , mais ne font que déclarer ceux qui ont toujours
été crus et les expliquer seulement en termes plus clairs et plus
précis. Car si la déclaration contient quelque proposition qui ne
peut pas être tirée, par une conséquence légitime et certaine, de
ce qui étoit déjà reçu auparavant, et par conséquent n'y est point
comprise virluellement; il faudra avouer que la décision nouvelle
élal)lit en ellet un artich! nouveau, quoiqu'on veuille couvrir la
chose sous le nom de déclaration.
IX. C'est ainsi (pic la décision contre les monothélites établissoit
en effet un article nouveau, connue je crois l'avoir manfué autre-
fois; et c'est ainsi quelatranssTibstantiation a été décidée bien tard
dans l'Eglise d'Occident , quoique cette manière de la présence
réelle et du changement ne fût pas une conséfpience nécessaire de
ce que l'Eglise avoit toujours cru auparavant.
X. 11 y a encore ime autre difficulté, sur ce cpie c'est que d'avoir
été cru auparavant. Car voulez- vous, Monseigneur, ([u'il suffise
que le dogme que l'Eglise déclare être véritable et de foi ait été
cru en un temps par quelques-uns , quels qu'ils puissent être,
c'est-à-dire par un petit nombre de personnes et par des gens peu
considérés ; ou bien faut-il qu'il ait toujours été cru par le plus
grand nombre, ou par les plus accrédités? Si vous voulez le pre-
mier, il n'y aura guère d'opinion qui n'ait toujours eu quelques
sectateurs , et qui ne puisse ainsi s'attribuer une manière d'an-
LEIBNIZ A BOSSUET, 14 MAI 1700. 277
cicnneté et de perpétuité ; et par conséquent cette marque de la
vérité, qu'on fait tant valoir chez vous, sera fort affaiblie.
XI. Mais si vous voulez que l'Eglise ne manque jamais de pro-
noncer pour l'opinion qui a toujours été la plus commune ou la
plus accréditée, vous aurez de la peine à justifier ce sentiment par
les exemples. Car outre qu'il y a opiniones communes contra
communes, et que souvent le grand nombre et les personnes les
plus accréditées ne s'accordent pas, le mal est que des opinions
qui étoient commîmes et accréditées, cessent de l'être avec le
temps, et celles qui nel'étoient pas le deviennent. Ainsi quoiqu'il
arrive naturellement qu'on prononce pour l'opinion qui est la
plus en vogue, lorsqu'on prononce néanmoins il arrive ordinaire-
ment que ce qui est eudoxe dans un temps étoit paradoxe aupa-
ravant, et vice versa.
XÏI. Comme, par exemple, le règne de mille ans. étoit en vogue
dans la primitive Eglise, et maintenant il est rebuté. On croit
maintenant que les anges sont sans corps, au lieu que les anciens
Pères leur donnoient des corps animés, mais plus parfaits que les
nôtres. On ne croyoit pas que les âmes qui doivent être sauvées
parviennent sitôt à la parfaite béatitude ; sans parler de cjuantité
d'autres exemples.
XIII. D'où il s'ensuit que l'Eglise ne sauroit prononcer en fa-
veur de l'incorporalité des anges, ou de ([uelque autre opinion
seml)lable ; ou si elle le faisoit , cela ne s'accorderoit pas avec la
règle de la perpétuité, ni avec celle de Vincent de Lérins, du sem-
per et uhkiue, ni avec votre règle des vérités de foi , cuie vous
dites être le consentement unanime et perpétuel de toute l'Eglise,
soit assemblée en concile, soit dispersée par toute la terre. En
effet cela est beau et magnifique à dire , tant qu'on demeure en
termes généraux; mais quand on vient au fait, on se trouve
loin de son conqite, comme il paroîtra dans l'exemple de la con-
troverse des livres canoniques.
XIV. Enfin on peut demander si pour décider qu'une doctrine
est de foi, il suffit qu'elle ait été simplement crue ou reçue aupa-
ravant, et s'il ne faut pas aussi qu'elle ait été reçue comme de
foi. Car à moins qu'on ne veuille se fonder sur de nouvelles ré-
278 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
vélations, il semble que pour faire qu'une doctrine soit un article
de foi, il faut que Dieu l'ait révélée comme telle, et que l'Eglise
dépositaire de ses révélations, l'ait toujours reçue comme étant
partie de la foi, puisqu'on ne pourroit savoir que par révélation
si une doctrine est de foi ou non.
XV. Ainsi U ne semble pas qu'une opinion qui a passé pour
philosophique auparavant, quelque reçue qu'elle ait été, puisse
être proposée légitimement sous anathème ; comme, par exemple,
si quelque concile s'avisoit de prononcer pour le repos de la terre
contre Copernic, il semble qu'on auroit droit de ne lui point
obéir.
XVI. Et il paroit encore moins qu'une opinion qui a passé
longtemps pour problématique , puisse enûn devenir un article
de foi par la seule autorité de l'Eglise , à moins qu'on ne lui at-
tribue une nouvelle révélation en vertu de lassistance infaillible
du Saint-Esprit : autrement l'Eglise auroit d'elle-même un pou-
voir sur ce qui est de droit divin.
XVII. Mais si nous refusons à l'Eglise la faculté de changer en
article de foi ce qui passoit pour philosophique ou problématique
auparavant, plusieurs décisions de Trente doivent tomber, quand
même on accorderoit que ce concile est tel qu'il faut ; ce qui va
paroître particulièrement , à mon avis , à l'égard des livres que
ce concile a déclarés canoniques contre le sentiment de l'ancienne
Eghse.
XVIII. Venons donc maintenant à l'exameu de la question de
ces Livres de la Bible , contredits de tout temps , à qui le concile
de Trente donne une autorité divine, comme s'ils avoient été
dictés mot à mot par le Saint-Esprit, à l'égal du Pentatcuque,
des Evangiles et autres livres recomius pour canoniques du pre-
mier rang, ou protocanoniques; au lieu que les protestans
tiennent ces livres contestés pour bons et utiles, mais pour ecclé-
siastiques seulement; c'est-à-dire dont l'autorité est purement
humaine, et nullement infaillible.
XIX. J'étois surpris, Monseignem', de vous voir dire que je
verrois cette question clairement résolue par des faits incontes-
tables en faveur de votre doctrine ; et je fus encore plus surpris
LEIBNIZ A BOSSUET, 14 MAI 1700. 279
en lisant la suite de votre lettre : car j'étois comme enchanté
pendant la lecture ; et vos expressions et manières belles , fortes
et plausibles^ s'emparoient de mon esprit. Mais quand le charme
de la lecture étoit passé, et quand je comparois de sang-froid les
raisons et autorités de part et d'autre, il me semble que je voyois
clair comme le jour, non-seulement que la canonicité des livres
en question n'a jamais passé pour article de foi ; mais plutôt que
Fopinion commune, et celle encore des plus habiles^ a été tou-
jours à rencontre.
XX. Il y a même peu de dogmes si approuvés de tout temps
dans l'Eglise que celui des protestans sur ce point ; et l'on pour-
roit écrire en sa faveur un livre de la perpétuité de la foi à cet
égard, qui seroit surtout incontestable par rapport à l'Eglise
grecque, depuis l'Eglise primitive jusqu'au temps présent : mais
on la peut encore prouver dans l'Eglise latine.
XXI. J'avoue que cette évidence me fait de la peine , car il me
seroit véritablement glorieux d'être vaincu , IMonseigneur, par
une personne comme vous êtes. Ainsi si j'avois les vues du
monde et cette vanité qui y est jointe, je profiterois d'une défaite
qui me seroit avantageuse de toutes les manières ; et l'on ne me
diroit pas pour la troisième fois : jEneœ magni dextrà cadis. Mais
le moyen de le faire ici sans blesser sa conscience, outre que je
suis interprète en partie des sentimens d'un grand prince ? Je
suivrai donc les vingt- (juatre paragraphes de votre première
lettre, (jui regardent ce sujet; et puis j'y ajouterai quelque chose
du mien, quoique je ne me fonde que sur des autorités que Chem-
nice, Gérard, Calixte, Rainold et autres théologiens protestans
ont déjà apportées, dont j'ai choisi celles que j'ai crues les plus
efficaces.
XXII. Comme il ne s'agit que des livres de l'Ancien Testament,
qu'on n'a point en langue originale hébraïque et qui ne se sont
jamais trouvés dans le canon des Hébreux, je ne parlerai point
des livres reçus également chez vous et chez nous. J'accorde donc
que, suivant votre § 1, les livres en question ne sont point nou-
veaux, et qu'ils ont toujours été connus et lus dans l'Eglise chré-
tienne, suivant les titres (qu'ils portent; et § 2, que particuhère-
280 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
ment la Sagesse, V Ecclésiastique, Judith, Tobie et les Machabées
ont précédé la naissance de Notre- Seigneui\
' XXIIl. Mais je n'accorde pas ce qui est dans le § 3, que le con-
cile de Trente les a trouvés dans le canon, ce mot pris en rigueur
depuis douze cents ans. Et quant à la preuve contenue dans le
§ -4, je crois que je ferai voir clairement ci-dessous que le con-
cile III de (larthage, saint Augustin qui y a été présent, à ce
qu'on croit, et quelques autres, qui ont parlé quelquefois comme
eux et après eux, se sont servis des mots canoniques et. divins
d'mie manière plus générale et dans une signification fort infé-
rieure, preucUit canonique pour ce que les canons de TEglise
autorisent , et qui est opposé à Y apocryphe ou cachée pris dans
un mauvais sens; et divin, pour ce qui contient des instructions
excellentes sur les choses divines, et qui est reconnu conforme
aux livres immédiatement divins.
XXIV. Et puisque le même saint Augustin s'explique fort net-
tement en d'autres endroits, où il marque précisément après tant
d'autres l'infériorité de ces livres, je crois que les règles de la
bonne interprétation demandent que les passages où l'on parle
d'une manière plus vague, soient expliqués par ceux où l'auteur
s'explique avec distinction.
XXY. On doit donner la même interprétation , § 5, à la lettre
du pape Innocent I, écrite à Exupère évêque de Toulouse, en 405,
et au décret du pape Gélase ; Lnu' Init ayant été de marquer les
livres autorisés ou canoniques, pris largement ou opposés aux
apocryphes, pris en un mauvais sens, puisque ces livres auto-
risés se trou voient joints aux livres véritablement divins, et se
lisoient aussi avec eux.
XXVI. Cependant ces autem's ou canons n'ont point marqué ni
pu marquer en aucune manière contre le sentiment reçu alors
dans l'Eglise, que les livTCs contestés sont égaux à ceux qui sont
incontestablement canoniques, ou du premier degré ; et ils n'ont
point parlé de cette infaiUibilité de l'inspiration divine, que les
Pères de Trente se sont hasardés d'attribuer à tous les livres de
la Bible, en haine seulement des protestans et contre la doctrine
constante de l'Eglise.
LEIBNIZ A BOSSUET, 14 MAI 1700. 281
XXVII. On voit en cela^, par un liel échantillon, comment les
erreurs prennent racine et se glissent dans les esprits. On change
premièrement les termes par une facilité innocente en elle-même,
mais dangereuse par la suite ; et enfin on abuse de ces termes
pour changer même les sentimens, lorsque les erreurs favorisent
les penchans populaires , et que d'autres passions y conspirent,
XXVIII. Je ne sais si/avec le § 6, on peut dire que les Eglises
de Rome et d'Afrique , favorables en apparence, comme on vient
d'entendre, aux livres contestés, étoient censées du temps de
saint Augustin , doctiores et diligcMtiores Ecclesiœ ; et que saint
Augustin les a eues en vue, livre II, chapitre xv, de Doctrmâ
ehristianâ, en disant que, lorsqu'il s'agit d'estimer l'autorité des
Livres sacrés , il faut préférer ceux qui sont approuvés par les
églises où il y a plus de doctrine et plus d'exactitude.
XXIX. Car les Africains étoient à l'extrémité de l'Empire, et
n'avoient leur doctrine ou érudition que des Latins, qui ne l'a-
voient eux-mêmes que des Grecs. Ainsi on peut bien assurer que
doctiores Ecclesiœ n'étoient pas la romaine ni les autres églises
occidentales, et encore moins celles d'Afrique.
XXX. L'on sait que les Pères latins de ce temps n'étoient ordi-
nairement que des copistes des auteurs grecs, surtout quand il
s'agissoit de la sainte Ecriture. Il n'y a eu que saint Jérôme et
saint Augustin à la fm, qui aient mérité d'être exceptés de la
règle, l'un par son érudition, l'autre par son esprit pénétrant,
XXXI. Ainsi l'Eglise grecque l'emportoit sans doute du côté de
l'érudition; et je ne crois pas non plus que l'Eghse romaine de
ce temps-là puisse être comptée intei' ecclesias diligentiores. Le
faste mondain, typhus sœeuli, le luxe et la vanité y ont régné de
bonne heure, comme l'on voit par le témoignage d'Ammien
Marcellin, païen, qui en blâmant ce qui se faisoit alors à Rome,
rend en même temps un bon témoignage aux églises éloignées
des grandes villes ; ce qui marque son équité sur ce point.
XXXil. Cette vanité, jointe au mépris des études, excepté celle
de l'éloquence, n'étoit guère propre à rendre les gens diligens
et industrieux. Il n'y a presque point d'auteur latin d'alors qui
ait écrit quelque chose de tolérable sur les sciences , smiout de
282 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
son chef. La jurisprudence même, qui étoit la véritable science
des Romains, et presque la seule , avec ceUe de la guerre, où ils
aient excellé suivant le bon mot de Virgile :
Tu regere imperio populos, Romane, mémento :
H £6 tibi erunt artes i,
étoit tombée, aussi bien que l'art militaire, avec la translation du
siège de TEmpire. On négligeoit à Rome l'histoire ecclésiastique
et les anciens monumens de l'Eglise ; et sans Eusèbe et quelques
autres Grecs, nous n'en aurions presque rien. Ainsi avant l'ir-
ruption des Barbares , la barbarie étoit à demi formée dans l'Oc-
cident.
XXXIII. Cette ignorance , jointe à la vanité , faisoit que la su-
perstition , vice des femmes et des riches ignorans , aussi bien
que la vanité,- prenoit peu à peu le dessus , et qu'on donna par
après, en Italie principalement , dans les excès sm^ le culte sur-
tout des images , lorsque la Grèce balançoit encore , et que les
Gaules, la Germanie et la Grande-Bretagne étoient plus exemptes
de cette corruption. On reçut la mauvaise marchandise d'un Isi-
dorus Mercator ; et l'on tomba enfin en Occident dans une bar-
barie de théologie, pire que la barbarie qui y étoit déjà à l'égard
des mœurs et des arts.
XXXIV. Encore présentement, s'il s'agissoit de marquer dans
votre communion , ecclesias doctiores et diUgentiores, il faudroit
nommer sans doute celles de France et des Pays-Bas, et non pas
celles d'Italie ; tant il est vrai qu'on s'étoit relâché depuis long-
temps à Rome et aux environs à l'égard de l'érudition et de l'ap-
plication aux vérités solides. Ce défaut des Romains n'empêche
point cependant que cette capitale n'ait eu la primatie et la di-
rection dans l'Eglise, après celle qu'elle avait eue dans l'Empire.
L'érudition et l'autorité sont des choses qui ne se trouvent pas
toujours jointes, non plus que la fortune et le mérite.
XXXV. Mais quand on accorderoit que saint Augustin avoit
voulu parler des Eglises de Rome et d'Afrique, j'ai déjà fait voir
que ces églises ne nous étoient pas contraires ; et de plus, saint
1 Mneid., lib. VI, vers. 851, 852.
LEIBNIZ A BOSSUET, 14 MAI 1700. 283
Augustin ne parloit pas alors des livres véritablement canoniques,
dont l'autorité ne dépend pas de si foibles preuves.
XXXVI. Pour ce qui est dit de l'autorité de saint Augustin,
§ 7, j'ai déjà répondu, comme aussi au texte du concile de Car-
tilage , § 8 : mais je le ferai encore plus distinctement en son lieu,
c'est-à-dire dans la lettre suivante. Il est vrai aussi, §9, que
saint Augustin ayant cité contre les pélagiens ce passage de la
Sagesse : « Il a été enlevé de la vie , de crainte que la malice ne
corrompît son esprit; » et que des prêtres de Marseille ayant
trouvé étrange qu'il eût employé un livre non canonique dans
une matière de controverse, il défendit sa citation : mais je ferai
voir plus bas que son sentiment n'étoit pas éloigné du nôtre dans
le fond.
XXXYII. Et quant aux citations de ces livres qui se trouvent
chez Clément Alexandrin, Origène, saint Cyprien et autres, § 10
et H, elles ne prouvent point ce qui est en question : les protes-
tans en usent de même bien souvent. Saint Cyprien, saint Am-
broise et le canon de la messe ont cité le quatrième Livre d'Esdras,
qui n'est pas même dans votre canon ; et le Livre du Pasteur a
été cité par Origène et par le grand concile de Nicée, sans parler
d'autres : et s'il y a des allusions secrètes que l'Evangile fait aux
sentences des livres contestés entre nous, § 1-4, peut-être en
pourra-t-on trouver qui se rapportent encore au quatrième Livre
d'Esdras, sans parler de la prophétie d'Enoch citée dans VEpître
de saint Jude.
XXXVIII. Il est sur qu'Origène a mis expressément les li\Tes
contestés hors du canon : et s'il a été plus favorable aux fragmens
de Daniel dans une lettre écrite à Julius Africanus, que vous m'ap-
prenez, § 12, avoir été publiée depuis peu en grec, c'est quelque
chose de particulier.
XXXIX. Vous reconnoissez , Monseigneur, § 13, 15, que plu-
sieurs éghses et plusieurs savans, comme saint Jérôme, par
exemple, ne vouloient point recevoir ces li\Tes pour établir les
dogmes; mais vous dites « que leur avis particulier n'a point été
suivi. » Je montrerai bientôt que leur doctrine là-dessus étoit
reçue dans l'Eglise ; mais quand cela n'auroit point été , il suffi-
284 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
roit que des églises entières et des Pères très-estimés ont été d'un
sentiment, pour en conclure que le contraire ne pouvoit être cru
de foi de leur temps, et ne le sauroit être encore présentement,
à moins qu on n'accorde à l'Eglise le pouvoir d'en établir de
nouveaux articles.
XL. Mais vous objectez, § io, que par la même raison on pour- .
roit encore combattre l'autorité de 1' h2pître aux Hébreux et de 1'^-
pocalypse de saint Jean; et qu'ainsi il faudra que je reconnoisse
aussi, ou que leur autorité n'est point de foi , ou qu'il y a des
articles de foi qui ne l'ont pas été toujours. Il y a plusieurs
choses à répondre. Car premièrement les protestans ne demandent
pas que les vérités de foi aient toujours prévalu, ou qu'elles aient
toujom's été reçues généralement : et puis il y a bien de la diffé-
rence aussi entre la doctrine constante de l'Eglise ancienne, con-
traire à la pleine autorité des Livres de l'Ancien Testament, qui
sont hors du canon des Hébreux, et entre les doutes particuliers
que quelques-ims ont formés contre YEpîb^e aux Hébrcnx, ou
contre V Apocalypse; outre qu'on peut nier qu'elles sont de saint-
Paul ou de saint Jean, sans nier (ju'elles sont divines.
XLI. Mais f(uand on accordei'oit chez nous qu'on n'est pas oblig-é,
sous peine d'anathème, de reconnoître ces deux livres pour divins
et infaillibles, il n'y auroit pas grand mal. Le moins d'anathèmes
qu'on peut, c'est le meilleur.
XLII. Yous essayez dans le même endroit, § 15, de donner une
solution conforme à vos principes ; mais il semble qu'elle les ren-
verse en partie. Après avoir dit, par forme d'objection contre vous-
même, «que du moins cette tradition n'étoit pas universelle,
puisque de très-grands doctem^s et des églises entières ne l'ont
pas connue,» vous répendez, « qu'une nouvelle reconnoissance
de fjuelques livres canoniques , dont quelques-uns auront douté,
ne déroge point à la perpétuité de la tradition , qui doit être la
marque de la vérité catholique, laquelle, dites-vous, pour être
constante et perpétuelle, ne laisse pas d'avoir ses progrès. Elle
est connue eu un lieu plus qu'en un autre, plus clairement, plus
distinctement, plus universellement. 11 suffit, pour établir la suc-
cession et la perpétuité de la foi d'un Livre saint, comme de toute
LEIBNIZ A BOSSUET, 14 MAI 1700. 28î;
autre vérité, qu'elle soit toujours recounuc , qu'elle soit dans hî
plus grand nombre sans comparaison, qu'elle le soit dans les
églises les plus éminentes et les plus autorisées, les plus révérées,
qu'elle s'y soutienne , qu'elle gagne et qu'elle se répande d'elle-
même jusqu'au temps que le Saint-Esprit, la force delà tradition,
le goût, non celui des particuliers, mais l'universel de l'Eglise,
la fasse enfin prévaloir, comme elle a fait au concile de Trente. »
XLIII. J'ai été bien aise. Monseigneur, de répéter tout au long vos
propres paroles. Iln'étoit pas possible de donner un meilleur tour
à la chose. Cependant où demeurent maintenant ces grandes et
magnifiques promesses qu'on a coutume de faire du toujours et
partout, sEMi'EK TE uiuQUE, dcs véiités qu'on appelle catholiques,
et ce que vous aviez dit vous-même ci-dessus, que la règle infail-
lible des vérités de la foi est le consentement unanime ei perpétuel
de toute l'Iiglise? Le toujours ou la perpétuité se peut sauver en
quelque façon et à moitié, comme je vais dire ; mais le partout ou
Yunanime ne sauroit subsister, suivant votre propre aveu.
XLIV. Je ne parle pas d'une unanimité parfaite ; car j'avoue
que l'exception des sentiraens extraordinaires de quelques parti-
culiers ne déroge point à celle dont il s'agit : mais je parle d'une
unanimité d'autorité, à laquelle déroge le combat d'autorité contre
autorité, quand on peut opposer églises à églises, et des doc-
teurs accrédités les uns aux autres , surtout lorsque ces églises
et ces docteurs ne se blàmoient point pour être de différente opi-
nion, et ne contestoient et ne disputoient pas même : ce qui
paroît une marque certaine , ou qu'on tenoit la question pour
problématique et nullement de foi , ou qu'on étoit dans le fond
du même sentiment, comme en effet saint Augustin à mon avis
n'étoit point d'un autre sentiment que saint Jérôme.
XLV. Or ce que nous venons de dire étant vrai, la perpétuité
même reçoit une atteinte. Car elle subsiste, à la vérité, à l'égard
du dogme considéré comme une doctrine humaine , mais non
pas à l'égard de sa qualité , pom* être cru un article de foi di-
vine. Et il n'est pas possible de concevoir comment la tradition
continuelle sur un dogme de foi puis!-:e être plus claire, onze ou
douze siècles après, qu'elle ne l'étoit dans le troisième ou qua-
286 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
trième siècle de l'Eglise, puisqu'un siècle ne la peut recevoir que
de tous les siècles précédens.
XL VI. Il se peut, je l'avoue, que quelquefois elle se conserve
tacitement, sans qu'on s'avise d'y prendre garde ou d'en parler :
mais quand une question est traitée expressément, en simple
problème, entre les églises et entre les principaux docteurs, il
n'est plus soutenable qu'elle ait été enseignée alors comme un
article de foi connu par une tradition apostolique. Une doctrine
peut avoir pour elle plus d'églises et plus de docteurs, ou des
églises plus révérées et des docteurs plus estimés ; cela la rendra
plus considérable : mais l'opinion contraire ne laissera pas que
d'être considérable aussi , et elle sera ho^s d'atteinte , au moins
pour lors et selon la mesure de la révélation qu'il y a alors dans
l'Eglise , et même absolument, si l'on exclut les nouvelles révé-
lations, ou inspirations en matière de foi. Car toutes ces églises,
quoique partagées sur la question, convenoient alors qu'il n'y a
aucune révélation divine là-dessus, puisque même les églises qui
étoient les plus révérées et que vous faites contraires à d'autres,
non-seulement n'exerçoient point dé censures contre les autres
et ne les blâmoient point ; mais ne travailloient pas même à les
désabuser, quoiqu'elles sussent bien leur sentiment, qui étoit
public et notoire.
XLYII. De sorte que si une doctrine combattue par des auto-
rités si considérables et reconnue dans un temps pour n'être pas
de foi, se soutient pourtant, ?e répand et gagne enfin le dessus
de telle sorte que le Saint-Esprit et le goût présent universel de
l'Eglise la font[ prévaloir jusqu'à être déclarée enfin article de foi
par une décision légitime : il faut dire que c'est par une révé-
lation nouvelle du Saint-Esprit, dont l'assistance infaillible fait
naître et gouverne ce goût universel et les décisions des con-
ciles œcuméniques ; ce qui est contre votre système.
XLVIII. J'ai parlé ici suivant votre supposition, que les li\Tes
en question ont eu pour eux la plus grande partie des chrétiens
et les plus considérables églises et docteurs : mais en effet je crois
que c'étoit tout le contraire ; ce qui ne s'accommode pas avec le
principe du grand nombre, sur lequel certains autem^s ont voulu
LEIBNIZ A BOSSUET, 14 MAI 1700. 287
fonder depuis peu la perpétuité de leur croyance, contre le senti-
ment des antérieurs, tel qu'Alphonsus Tostatus, qui a dit :
Manet Ecclesia universalis in partibus illis quœ non errant, sivc
illœ sint plures numéro quàm errantes, sive non * ; où il suppose
que le plus grand nombre peut tomber dans l'erreur.
XLIX. Mais il y a plus ici ; et nous verrons par après , dans la
lettre suivante, que non-seulement la plupart, et les plus consi-
dérables, mais tous en eflét étoient du sentiment des protestans ,
qui pouvoit passer alors pour œcuménique.
L. Il est vrai, suivant votre § 16, que ces livres ont toujours été
lus dans les églises, tout comme les Livres véritablement divins ;
mais cela ne prouve pas qu'ils étoient du même rang. On lit des
prières et on chante des hymnes dans l'église, sans égaler ces
prières et ces hymnes aux Evangiles et aux Epitres. Cependant
j'avoue que ces livres que vous recevez, ont eu ce grand avan-
tage sur quel ques autres livres, comme sur celui du Pasteur, et
sur les epitres de Clément aux Corinthiens et autres , qui ont été
lus dans toutes les églises ; au lieu que ceux-ci n'ont été lus que
dans quelques-unes : et c'est ce qui paroît avoir été entendu et
considéré par ces anciens, qui ont enfin canonisé ces Livres, qu'ils
trouvoient autorisés universellement; et c'est à quoi saint Au-
gustin paroît avoir butté, en voulant qu'on estime davantage
les livres reçus apud Ecclesias doctiores et dilifjentiores.
LL Peut-être pourroit-on encore dh'e qu'il en est, en quelque
façon, comme de la version Yulgate, que votre église tient poui'
authentique et pour ainsi dire pour canonique, c'est-à-dire auto-
risée par vos canons : mais je ne crois pas qu'on pense lui donner
ime autorité divine infaillible, à l'égard de l'original, comme si
elle avoit été inspirée. En la faisant authentique, on déclare que
c'est un livre sur et utile ; mais non pas qu'elle est d'une autorité
infaillible pour la preuve des dogmes, non plus que les livres qu'on
avoit mêlés parmi ceux de la sainte Ecriture divinement ins-
pirée.
LIL II ne paroît pas qu'on puisse concilier les anciens, qui
semblent se contrarier sur notre question, en disant avec le § 16,
' Prolog. II, in Matth., quitst. IV.
288 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
que ceux qui mettent les livres de Judith, de Tobie, des Macha-
bées, etc.^ hors du canon, l'entendent seulement du canon des Hé-
breux, et non pas du canon des chrétiens. Car ces auteurs marquent
en termes formels que l'Eglise chrétienne ne reçoit rien du Vieux
Testament dans son canon, que l'Eglise du Vieux Testament n'ait
déjà reçu dans le sien. J'en apporterai les passages dans la lettre
suivante.
LUI. 11 faut donc recourir à la conciliation exphquée ci-dessus,
savoir, que ceux qui ont reçu ces livres dans le canon, l'ont
entendu d'un degré inférieur de canonicité : et cette conciliation,
outre qu'elle peut seule avoir lieu et est fondée en raison , est en-
core rendue incontestable parce que quelques-uns de ces mêmes
auteurs s'expliquent ainsi, comme je le ferai encore voir.
LIV. Je croirai volontiers , sur la foi de saint Jérôme , que le
grand concile de Nicée a parlé avantageusement du livre de Ju-
dith : mais dans le même concile on a encore cité le livre ûxi Pas-
teur d'IIermas ', qui nétoit guère moins estimé par plusieurs que
celui de Judith. Le cardinal Baronius trompé par le passage de
saint Jérôme, crut que le concile de Nicée avoit dressé un canon "
pour le dénombrement des saintes Ecritures, où le livre de Judith
s'étoit trouvé : mais il se rétracta dans une autre édition , et re-
connut que ce ne de voit avoir été qu'une citation de ce hvre.
LV. Au reste vous soutenez vous-même, Monseigneur, § 18,
que les églises de ces siècles reculés étoient partagées sur l'auto-
rité d*;s Livres de la liible, « sans que cela les empècliàt de con-
courir dans la même théologie; » et vous jugez bien que « cette
remarque plaira à Monseigneur le Duc, » comme en effet rien ne
lui sauroit plaire davantage que ce qui marque de la modération.
Ils avoient raison aussi, puisqu'ils reconnoissoient, comme vous le
remarquez, § 49, que cette diversité du canon, mais qui à mon
avis n'étoit qu'apparente, ne faisoit naître aucune diversité dans la
foi ni dans les mœurs. Or je crois qu'on peut dire qu'encore à
présent la diversité du canon de vos églises et de la nôtre ne fait
aucune diversité des dogmes. Et comme nous nous servirions de
vos versions et vous des nôtres en un besoin, nous pourrions bien
1 Episf., pro Nicœn. Syn. décret.
LEIBNIZ A BOSSUET, 14 MAI 1700. 289
en user de même, sans rien hasarder , à l'égard des livres apo-
cryphes que vous avez canonisés. Donc il semble que l'assemblée
de Trente auroit bien fait d'imiter cette sagesse et cette modéra-
tion des anciens, que vous recommandez.
LVI. J'avoue aussi, suivant ce qui est dit § 20, que non-seule-
ment la connoissance du canon , mais même de toute l'Ecriture
sainte , n'est point nécessaire absolument ; qu'il y a des peuples
sans Ecriture, et que l'enseignement oral ou la tradition peut sup-
pléer à son défaut. Mais il faut avouer aussi que sans mie assis-
tance toute particulière de Dieu , les traditions de bouche ne sau-
roient aller dans des siècles éloignés sans se perdre ou sans se
corrompre étrangement, comme les exemples de toutes les tra-
ditions qui regardent l'histoire profane, et les lois et coutumes
des peuples, et même les arts et sciences, le montrent incontesta-
blement.
Ainsi la Providence se servant ordinairement des moyens na-
turels et n'augmentant pas les miracles sans raison, n'a pas
manqué de se servir de l'Ecriture sainte , comme du moyen plus
propre à garantir la pureté de la religion contre les corruptions des
temps : et les anathèmes prononcés dans l'Ecriture même contre
ceux qui y ajoutent ou qui en retranchent, en font encore voir
l'importance, et le soin qu'on doit prendre à ne rien admettre
dans le canon principal , qui n'y ait été d'aliord. C'est pourquoi ,
s'il y avoit des anathèmes à prononcer sur cette matière, il semble
que ce seroit à nous de le faire, avec bien plus de raison que les
Grecs n'en avoient de censurer les Latins, pour avoir ajouté leur
Filioque dans le Symbole.
LVII. Mais comme nous sommes plus modérés, au lieu d'imi-
ter ceux qui portent tout aux extrémités, nous les blâmons ; et par
conséquent nous sommes en droit de demander, comme vous faites
enfin vous-même § 21 , « pourquoi le concile de Trente n'a pas
laissé sur ce point la même liberté que l'on avoit autrefois , et
pourquoi il a défendu sous peine d'anathèmede recevoir un autre
canon que celui qu'il propose ^ » Nous pourrions même deman-
der comment cette assemblée a osé condamner la doctrine cons-
1 Sess. IV.
TOM xvni. 19
200 LETTRES SUR LA RÉL^NION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE,
tante de rantiquité chrétienne. Mais voyons ce que vous direz au
moins à votre propre demande.
LYIII. La réponse est, § 21 , que l'Eglise romaine, avec tout
l'Occident, étoit en possession du canon approuvé à Trente depuis
douze cents ans, et même depuis l'origine du christianisme, et ne
devoit point se laisser troubler dans sa possession sans se mainte-
nir par des anathèmes. 11 nv amoit rien à répliquer à cette ré-
ponse, si cette même Eglise avoit été depuis tant de temps en
possession de ce canon comme certain et de foi ; mais c'étoit tout
le contraire : et si, selon votre propre sentiment, l'Eglise étoit
autrefois en lilierté là-dessus, comme en effet rien ne lui avoit en-
core fait perdre cette lilierté, les prutestans étoient on droit de s'y
raaintenir avec lEglise. et dinterronq)rt' une manière d'usui'pa-
tion contraire, qui enfin pouvoit dégénérer en senitude, et faire
oublier l'ancienne doctrine, connue il n'est lurivé (pie trop. Mais,
(jui plus est, il y avoit non-seulement une faculté libre, mais
uiém»' ime obligation ou nécessité de séparer les livres ecclésias-
ticpies des Livres divinement inspirés : i-t ce (pie les protestans
rais(»ieut u'étoit pas seulement pour niaiutenir la liberté etledroit
de faire une distinction juste et légitime entre ces livres, mais
encore pour maintenir ce qui est du devoir et pour empêcher une
confusion illégitime.
LIX. Mais vous ajout(V., §2-2, (pi'il n'est ri(Mi arrivé ici (pie ce
(|ue l'on a vu arriver à toutes les autres vérités, (pii est d'être dé-
(Jarées plus expressément, plus authentiquement, plus fortement
parle jugement de l'Eglise calholicpie, lo!S(prelles ont été jdus
ouvertement et plus opiniâtrement contredites. Mais les protes-
tans ont-ils marqué lem* sentiment plus ouvertement , ou plut<H
t«t-il possible de le maniuer plus ouverteminit et plus fortement
tpie de la manière que l'ont fait saint Méliton, évè(pie de Sardes,
et Origène, et Eusèbe, tpii rapiiorte et approuve les autorités de
ces deux; et saint Athanase, et saint Cyrille de .lérusalem, et saint
Kpiphane, et saint Chrysostome, et le sjTiode de Laodicée, et Am-
[tliilochius, et Rufin, et saint JéiVimc, (pii a mis \m gardien ou
suisse ai'raé d'un casque à la tête des livres canoniques ; c'est son
Piolofjus Gakatus, à (lui il dit avoir donné ce nom exprès pour
LEIBNIZ A BOSSUET, 14 MAI 1700. 291
empêcher les livres apocryphes et les ecclésiastiques de se fourrer
parmi eux; et après cela, est-il possible d'accuser les protestans
d'opiniâtreté? ou plutôt est-il possible de ne pas accuser d'opiniâ-
treté et de quelque chose de pis ceux qui, à la faveiu" de quelques
termes équivoques de certains anciens, ont eu la hardiesse d'éta-
bhr dans l'Eglise une doctrine nouvelle et entièrement contraire
à la sacrée antiquité , et de prononcer même anathème contre
ceux qui maintiennent la pureté de la vérité catholique ? Si nous
ne connoissions pas la force de la prévention et du parti, nous ne
comprendrions point comment des personnes éclairées et bien
intentionnées peuvent soutenir une telle entreprise.
LX. Mais si nous ne pouvons pas nous empêcher d'en être sur-
pris, nous ne le t^ommes nullement de ce qu'on domiechez vous à
votre communion le nom à' Eglise catholique ; et je demeure
d'accord de ce qui est dit, § 23, que ce n'est pas ici le lieu d'en
rendre raison. Les protestans en donnent autant à leur commu-
nion. On comioit la Confession catholique de notre Gérard, et le
Catholique orthodoxe de Morton, Anglois. Et il est clair au moins
(pie notre sentiment, sur le canon des livres divinement inspirés,
a toutes les marques d'une doctrine cathohque , au lieu que la
nouveauté introduite par l'assemblée de Trente a toutes les
marques ici d'un soulèvement schismatique. Car que des nova-
teurs prononcent' anathème contre la doctrine constante de lE-
glise catholique, c'est la plus grande marque de rébellion et de
schisme qu'on puisse donner. Je vous demande pardon. Monsei-
gneur , de ces expressions indispensables , que vous connoissez
mieux que personne ne pouvoir point passer pour téméraires, ni
pour injm'ieuses dans une telle occasion.
LXÏ. Je ne vois donc pas moyen d'excuser la décision de Trente,
à moins que vous ne vouliez, Monseigneur, approuver l'explica-
tion de quelques-uns qui croient pouvoir encore la concilier avec
la doctrine des protestans, et qui malgré les paroles du concile ,
prétendent qu'on peut encore les expliquer comme saint Augustin
a exphqué les siennes. En ce cas , il ne faudroit pas ^seulement
donner aux Livres incontestablement canoniques un avantage
ad hominem, comme vous faites § 2-4, mais absolument, en di-
292 LETTRES SUR LA RÉU?JION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
sant que le canon de Trente, comme celui d'Afrique, comprend
•'■gaiement les livres infaillibles ou divinement inspirés, et les
livres ecclésiastiques aussi, c'est-à-dire ceux que l'Eglise a dé-
clarés authentiques et conformes aux Livi'es divins. Je n'ose point
me flatter que vous approuviez une explication qui paroît si con-
traire à ce fjue vous venez de soutenir avec tant d'esprit et d'éru-
dition : cep iidant il ne paroît pas qu'il y ait moyen de sauver au-
trement l'honneur des canons de Trente sur cet article.
Me voilà maintenant au bout de votre lettre, Monseigneur, dont
je n'ai pu faire une exacte analyse , qu'en m'étendimt bien plus
qu'elle. Je suis bien fâché de cette prolixité ; mais je n'y vois point
de remède. Et cependant je ne suis pas encore au bout de ma car-
rière : car j'ai promis plus dune fois de montrer en abrégé, au-
tant (|u"il sera possible, la perpétuité de la toi eatln»li(]ue conforme
à la iloctiiiii' des protestans sur ce sujet. C'est ce (|iie je ferai,
avec, votre permission, dans la lettre suivante . que je me donne -
lai l'honneur de vous écrire ; et cependant je suis avec zèle ,
Monseigneiu", votre très-humble et très-obéissant serviteur,
Leibniz.
LETTRi: Xl.YllI.
LKinMZ A UÔ^Sl ET
Wulf.Mil.iiU.;!, r.o 21 iniii 1700.
Monseigneur,
Vous aurez reçu ma lettre précédente, larpielle, toute ample
qu'elle est, n'est (pu; la moitié de ce que je dois faire, .l'ai tâché
d'approfondir l'éclaircissement cpie vous avez bien voulu douuer
sur ce que c'est d'être de foi. et suiiont sur la question, si l'Kglise
en peut faire de nouveaux articles : et comme j'avois douté s'il
éloit possible de concilier avec l'antiquité tout ce qu'on a voulu
définir dans votre communion depuis la réformation, et que j'a-
vois proposé particulièrement l'exempledela question de la cano-
nicité de certains livres de la lUble, ce qui vous avoit engagé à
examiner cette matière, j'étois entré avec toute la sincérité et do-
LEIBMZ A BOSSUET, 24 MAI 1700. 293
cilité possible, dans tout ce que vous aviez allégué en faveur du
sentiment moderne de votre parti. Mais ayant examiné non-seu-
lement les passages qui vous paroissoient favorables, mais encore
ceux qui vous sont opposés, j'ai été surpris de me voir dansTim ■
possibilité de me soumettre à votre sentiment; et après avoir ré-
pondu à vos preuves dans ma précédente, j'ai voulu maintenant
représenter, selon l'ordre des temps, un abrégé de la perpétuité
de la doctrine catliolique sm* le canon des Livres du Vieux Testa-
ment, conforme entièrement au canon des Hébreux. C'est ce qui
fera le sujet de cette seconde lettre, qui auroit pu être bien plus
ample, si je n'avois eu peur de faire un livre, outre que je ne
puis presque rien dire ici cjui n'ait déjà été dit. Mais j'ai tâché de
le mettre en vue, pour voir s'il n'y a pas moyen défaire en sorte
(]ue des personnes appliquées et bien intentionnées puissent vider
entre elles mi point de fait , où il ne s'agit ni de mystère ni de
philosophie, soit en s'accordant, soit en reconnoissant au moins
qu'on doit s'abstenir de prononcer anathème là-dessus.
LXII [a]. Je commence par l'antiquité de l'Eglise judaïque.
Rien ne me paroît plus solide que la remarque que fit d'abord
Monseigneur le Duc , que nous ne pouvons avoir les Livres di-
vins de l'Ancien Testament, que parle témoignage et la tradition
de l'Eglise de l'Ancien Testament ; car il n'y a pas la moindre
trace ni apparence que Jésus-Christ ait donné un nouveau ca-
non là-dessus à ses disciples ; et plusieurs anciens ont dit en
termes formels, que l'Eglise chrétienne se tient à l'égard du Vieux
Testament au canon des Hébreux.
LXIII. Or cela posé, nous avons le témoignage incontestable
de Josèphe, auteur très-digne de foi sur ce point, qui dit dans
son premier livre Contre Appion, que les Hébreux n'ont que
vingt-deux Livres de pleine autorité , savoir, les cinq livres de
Moïse qui contiennent l'histoire et les lois; treize livres, qui
(«) Toutes les éditions de Bossuet renferment la note que voici : « Leibniz
a voulu suivre les numéros de sa lettre précédente, mais il s'est trompé; car ce
numéro devroit être LX.V, au lieu de LXll... » Ce sont les éditeurs qui se sont
trompés, ce n'est point Leibniz. Leibniz a rectifié les numéros de sa première
lettre dans le manuscrit original; mais les éditeurs ont suivi une copie qui ne
porte point ces rectifications.
29 i LETTRES SUR LA REUMON DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
contiennent ce qui s'est passé depuis la mort de Moïse jusqu'à
Artaxerxès , où il comprend Job et les Prophètes ; et quatre
livres d'hymnes et admonitions, qui sont sans doute les Pommes
de David ; et les trois hvres canoniques de Sidomon, le Cantique,
les Paraboles et YEcclcsiaste.
LXIV. Josèphe ajoute que personne n'y a rien osé ajouter ni
retrancher ou clianger, et que ce qui a été écrit depuis Artaxerxès
n'est pas si digne de foi. Et c'est dans le même sens qu'Eusèbe
dit « que depuis le temps de Zorobabel jusqu'au Sauvem', il n'y
a aucun volume sacré *. »
LXV. C'est aussi ce que confessent unanimement les Juifs que
depuis l'auteur du premier livre des Macliabées jusqu'aux mo-
dernes , l'inspiration divine ou l'esprit prophéticpie a cessé alors.
Car il est dit, dans le livre des Mac/iabces , « (ju'il n'y a jamais
eu une telh; trii)ulation depuis ([u'on n'a plus vu de prophète en
Israi'l *, » Le Sep/ier Ohim, ou la Chronique des Juifs avoue (jue
la pro[thétie a cessé depuis l'tui r>2 des Mèdes et des Perses; et
Aben-Kzra, sur >hdachie, dit que dans la mort de ce prophète, la
prophétie a quitté le peuple d'Israël. Cela a passé jusqu'à saint Au-
gustin, qui dit « qu'il n'y a point eu de prophète depuis Malachie
jus(]u'à l'avénemeut de Notre-Seigneur '. » Et conférant ces té-
moignages avec celui de Josèphe et d'Eusèbe, on voit bien que
ces autem's entendent toute inspiration divine, dciut aussi l'esprit
prnpbérKjue est la plus évidente jireuve.
LXYI. On a remarqué que ce nombre de viugl-deux livres ca-
noni(]ues du Vieux Testament, (pie nous avons tous dans la langue
originale des Hébreux, se rapportoit au nombre des lettres de la
langue liébraïque. L'allusion est de peu de considération ; mais
elle prouve pourtant que les chrétiens qui s'en sont servis,
étoient entièrement dans le sentiment des protestans sur le ca-
non; comme Origène, saint Cyrille de Jérusalem, et saint Gré-
goire de Nazianze, dont il y a des vers, où le sens d'un des dis-
tiques est :
Fœileris antiqui tliut suiit librique viginti.
Hebnpte 41101 habent uuiiiina liUcMula\
1 Dcmonst. evanrj., lib. Vlll.- - I Mach., i\, 27. — 3 De Civif. Dei. lib. XVII I,
cap. XLV, n. 1.
LEIBMZ A BOSSUET, 24 MAI 1700. 29:;
LXVII. Ces vingt-deux Livres se comptent ainsi chez les Juifs,
suivant ce que rapporte déjà saint Jérôme dans son Prologus Ga-
leatus : cinq de Moïse, huit prophétiques, qui sont Josué, Juges,
avec Ruth , Samuel, Rois, haie , Jérémie, Ezéchiel, et les douze
petits prophètes ; et neuf hagio graphes, qui sont Psaumes , Pa-
raboles, Ecclésiaste , et Cantique de Salomon, Job, Daniel,, Es-
dras et Néhémie pris ensemble ; enfm Esther et les Chroniques.
Et Ton croit que les mots de Notre-Seigneur chez saint Luc se
rapportent à cette division ; car il y a : « 11 faut C]iie tout ce qui
est écrit dans la loi de Moïse , dans les prophètes et dans les
Psaumes , s'accomplisse ^ »
LXYIII. Il est vrai que d'autres ont compté vingt-quatre Livres ;
mais ce n'étoit qu'en séparant en deux ce que les autres aboient pris
ensemble. Ceux qui ont fait ce dénombrement l'ont encore vouhi
justifier par des allusions , soit aux six ailes des qiiatre animaux
d'Ezéchiel, comme Tertullien ; soit aux vingt- quatre anciens de
Y Apocalypse, comme le rapporte saint Jérôme dans le même Pro-
logue, disant : Xonnulli Ruth et Cinoth, ( les Lamentations de
Jérémie détachées de sa prophétie) inter hagiographa putant esse
computandos , ac hos esse priscos legis libros viginti quatuor,
quos sub numéro viginti quatuor Seniorum Apocalypsis Joannes
inducit adorantes Agnum. Quelques Juifs dévoient compter de
même , puisque saint Jérôme dit , dans son Prologue sm' Daniel :
In très partes à Judœis omnis Scriptura diciditur , in Legem, in
Prophetas et in Hagiographa ; hoc est , in quinciue , et in octo, et
in undecim libros. Ainsi il paroît cpie l'allusion aux six ailes des
quatre animaux venoit des Juifs, qui avoient coutume de cher-
cher leurs plus grands mystères cabalistiques dans les animaux
d'Ezéchiel , comme l'on voit dans Maimonide.
LXIX. Venons maintenant de l'Eghse du Vieux Testament à
celle du Nouveau, quoiqu'on voie déjà que les chrétiens ont sui\'i
le canon des HéJjreux : mais il sera bon de le montrer plus dis-
tinctement. Le plus ancien dénombrement des Livres divins qu'on
ait, est celui de i\Iéliton, évoque de Sardes, qui a vécu du temps
de Marc-Am'èle, qu'Eusèbe nous a conservé dans son Histoire
* Luc, xsiv, 44.
296 LETTRES SUR LA RÉLTSION DES PROTEST. D'ALLEMAGiNE.
ecclésiastique '. Cet évêque, en écrivant à Onésimns, dit quil lui
envoie les Livres de la sainte Ecriture, et il ne nomme que ceux
qui sont reçus par les protestans, savoir, ces mêmes vingt-deux
livres, le livre d'i^s/A^' paroissant avoir été omis par mégarde
et par la négligence des copistes.
LXX. Le même Eusèbe nous a conservé au même endroit mi
passage du grand Origène, qui est de la préface quil avoit mise
devant son Commentaire sur les Psaumes , où il fait le même
dénombrement : le Livre des douze petits prophètes ne pouvant
avoir été omis que par une faute contraire à l'intention de l'au-
teur, puisqu'il (lit cju'il y a vingt-deux livres, savoir, autant que
les Ilébreux ont de lettres.
LXXI. On ne peut [if»int douter (jne l'Eglise latinr de ces pre-
miers siéck's n'ait été du même .sentiment. Car Tertullieu, qui
étoit d'Afrique, et vivoit à Rome, en parle ainsi dans ses Vers (a)
contre Murt ion :
Ast fpiater alii' sex voloris prœconia verbi
Tcstiticantis ca qiia» posteà facla tlticeumr :
His alis voliloiil cœlcstia verba p^^r orbeni.
Alaniiti mmionis iintiipia voluuiiua signal, etc.
LXX II. On ne trouve [las (juc dans ces siècles d'or de l'Eglise,
qui ont précédé bi grand Constantin, ou ait compté autrement.
Plusieurs mettent le synode de Laodicée avant celui de Nicée ; et
quoiqu'il paroisse postérieur, néanmoins il en a été assez proche,
pour que son Jugcnirnl Sdil cru ci'lui di- ii'llc iirimitive Eglise.
Or vous avez rcnianjut' vous-niénu'. Monseigneur, §. 18, (|ue ce
synode de Laodicée, dont l'autorité a été reçue généralement
dans le code des canons de l'Eglise universelle, et ne doit pas être
prise pour mi sentiment particulier des églises de Phrygie, ne
comi)te (ju'avec les protestans, c'est-à-dire les vingt-deux livres
canoniques du Vieux Testament.
LXXIII. De cela il est aisé de juger que les Pères du concile de
* Eus., Hist. eccles., lib. IV, cap. v.
[a] Ces vpi-s no sont pdint do Tcrtnllion, niai^ d'un écrivaui bien iniï'riour à
ce grand génie. Voyez les UcniaKiues de lUgaidl. (Edit. de Lerui.)
LEIBNIZ A BOSSUET, 2i MAI 1700. 297
Nicée ne pouvoient avoir été d'un autre sentiment que les protes-
tans sur le nombre des li\Tes canonicpies , quoiqu'on y ait cité ,
comme les protest ans font souvent aussi, le Livre de Judith , de
même que le Livre du Pastew\ Les évêques assemblés à Laodicée
ne se seroient jamais écartés du sentiment de ce grand concile ;
et sïls avoient osé le faire, jamais leur canon n'am'oit été reçu
dans le code des canons de l'Eglise universelle. Mais cela se con-
firme encore davantage par les témoignages de saint Athanase ,
le meilleur témoin sans doute qu'on puisse nommer à l'égard de
ce tèmps-là.
LXXIV. Il y a dans ses œuvres une Synopse ou abrégé de la
'sainte Ecriture, qui ne nomme aussi que vingt-deux Livres cano-
niques du Vieux Testament ; mais l'auteur de cet ouvrage n'étant
pas trop assuré, il nous peut suffire d'y ajouter le fragment
d'une lettre circulaire aux églises, qui est sans doute de saint
Athanase, où il a le même catalogue que celui de la Synopse,
qu'il obsigne, s'il m'est permis de me servir de ce terme, par
ces mots : Nemo his addat, nec lus au ferai quicquam. Et que cette
opinion étoit également des orthodoxes ou homoousiens et de
ceux qu'on ne croyoit pas être de ce nombre, cela paroît par
Eusèbe, dans Tendroit cité ci-dessus de son Histoire ecclésiastique,
oii il rapporte et approuve les autorités des plus anciens.
LXXV. Ceux qui sont venus bientôt après, ont dit uniformément
et unanimement la même chose. L'ouvrage catéchétique de saint
Cyrille de Jérusalem a toujours passé pom' très -considérable : or
il spécifie justement les mêmes livres que nous , et ajoute qu'on
doit lire les divines Ecritures, savoir, les vingt-deux Livres du
Vieux Testament, que les soixante et douze interprètes ont tra-
duits.
LXXVI. On a déjà cité un distique tiré du poème que saint Gré-
goire de Nazianze a fait exprès sur le dénombrement des véri-
tables Livres de l'Ecriture divinement inspirée : n^pl twv pT.siojv bi-
êxîuv T^; OjcTTvîudToj ^paœvi;. Ce dénombrement ne rapporte que les
livres que les protestans reconnoissent, et dit expressément qu'ils
sont au nombre de vingt- deux.
LXXYIL Saint Amphiloche, évêque d'Iconie, étoit du même
298 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE,
temps et de pareille autorité. 11 a aussi fait des vers, mais ïain-
biques, sur le même sujet, adressés à un Séleucus. Outre quïl
nomme les mêmes li^Tes , il parle encore fort distinctement de la
différence des livres qu'on faisoit passer sous le nom de la sainte
Ecriture. Il dit qu'il y en a d'adultérins, qu'on doit éviter et qu'il
compare avec de la fausse monnoie ; qu'il y en a de moyens èauf-
ccu;, et comme il dit, approchans de la parole de la vérité, -^abcvaç,
voisins ; mais qu'il y en a aussi de d'ivinement inspirés , dont il
dit vouloir nommer chacun, pour les discerner des autres.
Ego Theopneuslos siiigulos ilicam libi.
Et là-dessus il ne nomme du Vieux Testament, que ceux qui sont
reçus par les Hébreux ; ce qu'il dit être le plus assuré canon des
Livres inspirés.
LXXVUl. Saint Epiphane , évêquede Salamine dans l'île de Chy-
pre, a fait un livTe De^ poids et des mesures, où il y a encore mi
dénombremiMit tout scmblalde des Livres divins du Vieux Testa-
ment, (pi'il dit être vingt et deux en nombre; et il pousse la com-
paraison avec les lettres de l'alphabet si loin , qu'il dit que, comme
il y a des lettres doubles de l'alphabet, il y a aussi des Livres
de la sainte Ecriture du Vieux Testament , qui sont partagés en
d'autres Livres. On trouve la même conformité avec le canon des
Hél)reux dans ses Flérésics V et LXXVI .
LXXIX. Saint Chrysostome n'étoit guère de ses amis : cepen-
dant il étoit du même sentiment; et il dit, dans sa quatrième
Homélie sur la (jenèse, que « tous les Livres divins, iriaat aï e^rti
BiCàci , du Vieux Testament ont été écrits originairement en
langue hébraïque; et tout le monde, ajoute-t-il, le confesse avec
nous : » marque que c'étoit le sentiment unanime et incontestable
de l'EgHse de ce temps-là.
LXXX. Et afin (ju'on ne s'imagine point que c'étoit seulement
le sentiment des églises d'Orient, voici un témoignage de saint
Hilaire, qui, dans la préface de ses Explications des Psaumes, où
il paroît avoir suivi Origène, comme ailleurs, dit que le Vieux
Testament consiste en vingt et deux Livres.
LXXXl. Jusqu'ici, c'est-à-dire jusqu'au commencement du cin-
LEIBNIZ A BOSSUET, 24 MAI 1700. 299
quième siècle^ pas un auteur d'autorité ne s'est a\1sé de faire un
autre dénombrement. Car bien que saint Cyprien et le concile de
Nicée, et quelques autres aient cité quelques-uns des livres ecclé-
siastiques parmi les Livres divins, l'on sait que ces manières de
parler confusément, en passant, et in sensu laxiore, sont assez
en usage, et ne sauroient être opposées à tant de passages for-
mels et précis, qui distinguent les choses.
LXXXII. Je ne pense pas aussi que personne veuille appuyer
sur le passage d'un recueil des coutumes et doctrines de l'ancienne
Eglise , fait par un auteur inconnu , sous le nom des Canons des
Apôtres, qui met les trois livres des Machabées parmi les Livres
du Yieux Testament , et les deux Epitres de Clément écrites aux
Corinthiens, parmi ceux du Nouveau. Car outre qu'il peut parler
largement, on voit qu'il flotte entre deux, comme un homme mal
instruit excluant du canon Sapientiam eruditissimi Siracidis,
qu'il dit être extra hos , mais dont il recommande la lecture à la
jeunesse.
LXXXIIL Voici maintenant le premier auteur connu et d'auto-
rité, qui traitant expressément cette matière , semble s'éloigner
delà doctrine constante que l'Eglise avoit eue jusqu'ici sur le ca-
non du Yieux Testament. C'est le pape Imiocent I, qui répondant
à la consultation d'Exupère évêque de Toulouse , Tan 405, paroît
avoir été du sentiment catholique dans le fond : mais son expres-
sion équivoque et peu exacte a contribué à la confusion de
quelques autres après lui, et enfin à Terreur des Latins mo-
dernes ; tant il est important d'éditer le relâchement, même dans
les manières de parler.
LXXXIY. Ce pape est le premier auteur qui ait nommé cano-
niques les Livres que l'Eglise romaine d'aujourd'hui tient pour
divinement inspirés, et que les protestans, comme les anciens, ne
tiemient que pour ecclésiastiques. Mais en considérant ses paroles,
on voit clairement son but, qui est de faire un canon des Livres
que l'Eghse reconnoît pour authentiques, et (ju'elle fait lire pu-
bliquement comme faisant partie de la Bible. Ainsi ce canon devoit
comprendre tant les Li\Tes théopneustes ou divinement inspirés,
que les livres ecclésiastiques , pour les distinguer tous ensemble
300 LETTRES SUR LA REUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
des livres apocryphes, plus spécialement nommés ainsi , c'est-à-
dire de ceux qui doivent être cachés et défendus comme sus-
pects. Ce Ijut paroît par les paroles expresses^ où il dit : Si qua
sunt alia , non solimi repiidiawhK rorirni rtiani noveris esse
damnanda.
LXXXY. Non-seulement l'appellation de canoniques, mais en-
core de saintes et divines Ecritures étoit alors employée abusive-
ment : et c'étoit l'usage de ces temps-là, de donner dans mi excès
étrange sm' les titres et sur les épithètes. Un évêque étoit traité
de Votre Sainteté par ceux qui l'accusoient et parloient de le
déposer, l^n empereiu* clu'étien chsoit : Xostrum numen , et ne
laissoit presque rien à Dieu, pas même l'éternité. Il ne faut donc
pas s'étonner des termes du concile III de Carthage, que d'autres
croient avoir été le cinquième, ni les prendre à la rigueur, lorsque
ce concile dit : Placuit , ut prœtcr Scripturas cammicns nUiil in
ecclesiâ legatur sitb nojnine divinarum Scripturminn.
LXXXVI. r,(da fait voir cpi'on avoit accoutumé déjà d'appeler
abusivement du nom d'Kcritui'es divines tous les livres qui se
lisoient dans l'église, parmi lesquels étoient le Livre du Pasteur,
et je ne sais quelle doctrine des apôtres Ji^a^Yi ^aXcuaivri tûv ÀitoçcXwv,
dont parle saint Athanase dims VEpitre citée ci-dessus : item, les
Epitres de saint Clément aux Corintliiens , qu'on lisoit dans plu-
sieurs Eglises, et particulièrement dans celle de Corinthe, surtout
la première, suivant Eusèbe et suivant Denis, évèque de Corinthe,
chez Eusèbe*. C'est pourquoi elle se trouvoit aussi jointe aux
livres sacrés dans l'ancien exemplaire de l'église d'Alexandrie,
(|ue le patriarche Cyrille Lucaris envoya au roi de la Grande-
Bretagne, Charles I". sur lequel eUe a été ressuscitée et publiée.
LXX.WII. Tout cela fait voir qu'on se servoit quelquefois de
ces termes d'une manière peu exacte ; et même Origène compte
en qu(>l([ue endroit le Lirre du Pasteur parmi les Livres divins :
ce qu'il n'entendoit pas sans doute dans le sens excellent et rigou-
reux. C'est sur le chap. xvi, verset i4., aux Ro7nains, où il dit ;
« Je crois que cet Hermas est l'auteur du livre ([u'on appelle
le Pasteur, cpii est fort utile et me semble divinement inspiré. »
> Euseb , Uist. Eccl., lib. III, cap. xil; lib. IV, cap. xxii.
LEIBNIZ A BOSSUET, 24 MAI 1700. 301
LXXXVIII. On peut encore moins nous opposer la liste des Li^Tes
de l'Ecriture , qu'on dit que le pape Gélase a faite dans un synode
romain, au commencement du cinquième siècle, où il en fait aussi
le dénombrement d'une manière large, qui comprend les livres
ecclésiastiques aussi bien que les Livres canoniques par excel-
lence , et Ton voit clairement que ces deux papes et ces synodes
de Cartilage et de Rome vouloient nommer tout ce qu'on lisoit
publiquement dans toute l'Eglise, et tout ce qui passoit pour être
de la Bible, et qui n'étoit pas suspect ou apocryphe, pris dans le
mauvais sens.
LXXXIX, Cependant il est remarquable que le pape Gélase et son
synode n'ont mis dans leur liste que le premier dcsMachabées, qu'on
sait avoir été toujours plus estimé que l'autre, saint Jérôme ayant
remarqué que le style même trahit le second des Machabées et le
livre de la Sagesse , et fait connoître qu'ils sont originairement
grecs.
XC. Je ne vois pas qu'il soit possible qu'une personne équitable
et non prévenue puisse douter du sens que je donne au canon des
deux papes et du concile de Cartilage. Car autrement il faudroit
dire qu'ils se sont séparés ouvertement de la doctrine constante de
l'Eglise universelle, du concile de Laodicée et de tous ces grands
et saints docteurs de l'Orient et de l'Occident que je viens de citer;
en quoi il n'y a point d'apparence. Les erreurs ordinairement se
glissent insensiblement dans les esprits , et elles n'entrent guère
ouvertement par la grande porte. Ce divorce auroit été fait très-
mal à propos, et auroit fait du bruit et fait naître des contes-
tations.
XCI. Mais rien ne prouve mieux le sens de la lettre du pape
Innocent I et de l'Eglise romaine de ce temps que la doctrine ex-
presse, précise et constante de saint Jérôme, qui fleurissoit à Rome
en ce temps-là même, et qui cependant a toujours soutenu que les
Livres proprement divins et canoniques du Yieux Testament, ne
sont que ceux du canon des Hébreux. Est-il possible de s'imaginer
que ce grand homme auroit osé s'opposer à la doctrine de l'Eghse
de son temps, et que personne ne l'en auroit repris, pas même
Rufm, qui étoit aussi du même sentiment que lui, et tant d'autres
302 LETTRES SLR LA RÉUiNION DES PROTEST. D'ALLE>LVGNE.
adversaires cpi"il avoit; et qu'il n'eût jamais fait Tapologie de son
procédé, comme il fait pourtant en tant d'autres rencontres de
moindre importance ? 11 est sûr que l'ancienne Eglise latine n'a
jamais eu de Père plus savant que lui , ni de meilleur interprète
critique ou littt'^ral de la sainte Ecriture, surtout du Vieux Testa-
ment dont il connoissoit la langue originale : ce qui a fait dire à
Alphonse Testatus qu'en cas de conflit, il faut plutôt croire à saint
Jérôme qu'à saint Augustin, surtout quand il s'agit du Vieux
Testament et de l'Histoire, en quoi il a surpassé tous les docteurs
de TEglise.
XCll. C'est pourquoi, bien que jaie déjà parlé plus d'une fois
des passages de saint Jérôme, entièrement conformes au senti-
ment des protestans, il sera bon d'en p;u'ler encore ici. J'ai déjà
cité son Prologus Qaleatus, qui est la préface des livres des Rois ;
mais qu'on met , suivant l'intention de l'auteur, au-devant des
Livres véritablement canoniques du Vieux Testament, comme une
espèce <le sentinelle pour iléfendre l'entrée aux autres. Voici les
paroles de l'auteur : Ilir Prolofjus Scriptiirnniimiii'isi (idlcdluni
P/'t'nc//)ii/ûi omniliKs lihris, ijuos dr hchrcpo crrtiniiis in Jntinuni,
conccnirc pntcst. 11 semble que ce grand homme prévoyoit que
l'ignorance des temps et le torrent populaire forceroit la digue du
véritable canon, et qu'il travailla à s'y opposer. Mais la sentinelle
(pi'il y mit avec son casrpie n'a pas été capable d'éloigner la har-
diesse de ceux qui ont travaillé à rompre celte digue, qui séparuit
le divin de l'humain.
Xr.Ill. Or, comme j'ai dit ci-dessus ', il comptoit tantôt vingt-
deux , tantôt vingt-quatre Livres du Vieux Testament ; mais (m
effet toujours les mêmes. Et ce qu'il écrit dans une lettre à Paulin,
qu'on avoit coutume de mettre au-devant des Ihbles avec le Pro-
lor/m (jûlcûfi/s, marque toujours le même sentiment. Il s'expli([ue
encore particulièrement dans ses préfaces sur Toùie,. sur Judilli,
et ailleurs : Quod talium auctoritas ad roboranda eu <juir in con-
tcntioncm vcniunt minier idonca judiratur •. Et parlant du livre
de Jésus, fds de Sirach, et du livre nommé faussement \-ASafjes^e
dfiSnIomon, il dit : S icut Judith et Tobiœet Machabœoi'um libros
' N. 67, es. — « Prœf. in Jadifft.
LEIBNIZ A BOSSUET, 24 MAI 1700. 303
legit quidern Ecdeda, sedeos incanonicas Scripturas non recipit;
sic et hœc duo vohimina legit ad œdificatio7iem plebis, non ad
auctoritatem ecclesiasticorum dogmatum cqnfîrmandain \
XCIY, Rien ne sauroit être plus précis ; et il est remarqualjie
qu'il ne parle pas ici de son sentiment particulier, ni de celui de
quelques savans, mais de celui de l'Eglise : Ecclesia, dit-il, non
recipit. Pouvoit-il ignorer le sentiment de l'Eglise de son temps?
Ou pouvoit-il mentir si ouvertement et si impudemment, comme
il auroit fait sans doute si elle avoit été d'un autre sentiment que
lui? Il s'explique encore plus fortement dans la Préface sur
Esdras et Néhémie : Qnœ non hahentur apud Hebrœos , nec de
viginti quatuor senibus sunt , ( on a expliqué cela ' ) procid abji-
ciantur; c'est-à-dire loin du canon des Livres véritablement divins
et infaillibles.
XCV. Je crois qu'après cela on peut être persuadé du sentiment
de saint Jérôme et de l'Eglise de son temps ; mais on le sera encore
davantage , quand on considérera que Rufin son grand adver-
saire , homme savant et qui cherchoit occasion de le contredire,
n'auroit point manqué de se servir de celle-ci , s'il avoit cru que
saint Jérôme s'éloignoit du sentiment de l'Eglise. Mais bien loin
de cela, il témoigne d'être lui-même du même sentiment, lorsqu'il
parle ainsi dans son Exposition du Symbole , après avoir fait le
dénombrement des Li^Tes divins ou canoniques, tout comme saint
Jérôme : « Il faut savoir, dit-il, qu'il y a des livres que nos anciens
ont appelés, non pas canoniques , mais ecclésiastiques, comme la
Sagesse de Salomon, et cette autre Sagesse du fils de Sirach, qu'il
semble que les Latins ont appelée pour cela même du nom géné-
ral d'Ecclésiastique ; en quoi on n'a pas voulu marquer l'auteur,
mais la qualité du Livre. Tobie encore, Judith et les Machabées
sont du même ordre ou rang : et dans le Nouveau Testament, le
Livre pastoral d'Hermas appelé les Deux voies et le Jugement de
Pierre : livres qu'on a voulu faire lire dans l'église, mais qu'on
n'a pas voulu laisser employer pour confirmer l'autorité de la
foi. Les autres Ecritures ont été appelées apocryphes, dont
on n'a pas voulu permettre la lecture publique dans les églises. »
' Vrœf. in lib. Salom. — - Sup., n. 68.
304 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
XCYI. Ce passage est fort précis et iiistructil' ; et il faut le con-
férer avec celui d'Amphilochius cité ci-dessus S aiin de mieux
distinguer les trois espèces d'Ecritures ; savoir : les divines ou
les canoniques de la première espèce , les moyennes ou ecclésias-
tiques qui sont canonitpies , selon le style de quelques-uns , de la
seconde espèce , ou bien apocryphes selon le sens le plus doux ;
et enfin les apocryphes dans le mauvais sens, c'est-à-dire, comme
dit saint Athanase ou lauteur de la Synopse, (pii sont plus dignes
d'être cachées, i^Toy.fuo/i; , tpie d'être lues, et descpielles saint Jé-
rôme dit, Kp. vu aclLœtam : C'aveat apocnjpha; etsur haïe, liv, 4:
Apocryphorwn deliramenta conficiant.
Voici la représentation de ces degrés ou espèces :
Canoniques.
Prnproniont ou du
premier ranç.
Divins, ou infuil-
libles.
Inipropronient ou
d'un rang inférieur
Ecclésiastiques, ou
moyens.
Défendus, cpiant à
la lecture publique.
Ajiocnjp/ics.
Improprement, ou
dans le seus plus
doux.
Plus proprement,
ou dans le mauvais
XCVll. Mais on achèvera d'être ptîrsuadé que la doctrine de
l'église de ce temps étoit celle des protestans d'aujom'd'hui ,
quand on verra que saint Augustin , qui parle aussi comme le
pape Innocent I et le spiode ni de Carthage, où l'on croit qu'il a
été, s'expliipie pourtant fort précisément en d'autres endroits,
tout comme saint Jérôme et tous les autres. En voici quelques
passages : « Cette Ecritur»? , dit-il , (]u'on appelle des Machabées ,
n'est pas chez les Juifs comme la Lui, les Prophètes et les Psaumes,
à qui Notre-Seigneur a rendu témoignage comme à ses témoms.
t N. 78.
LEIBNIZ A BOSSUET, 24 MAI 1700. 305
Cependant l'Eglise Ta reçue avec utilité , pourvu qu'on la lise
sobrement ; ce qu'on a fait principalement à cause de ces Macha-
bées , qui ont souffert en vrais martyrs pour la loi de Dieu S etc. »
XCYIII. Et dans la Cité de Dieu : « Les trois Livres de Salo-
mon ont été reçus dans Tautorité canonique ; savoir, les Pro-
verbes, VEcclésiaste, et le Cantique des cantiques. Mais les deux
autres qu'on appelle la Sagesse et Y Ecclésiastique , et qui à cause
de quelque ressemblance du style , ont été attribués à Salomon
( quoique les savans ne doutent point qu'ils ne soient point de
lui ) , ont pourtant été reçus anciennement dans l'autorité par
l'Eglise occidentale principalement Mais ce tpii n'est pas dans
le canon des Hébreux n'a pas autant de force contre les contre-
disans que ce qui y est^ » On voit par là qu'il y a selon lui des
degrés dans l'autorité ; qu'il y a une autorité canonique dans le
sens plus noble , qui n'appartient qu'aux véritables livres de Sa-
lomon , compris dans le canon des Hébreux ; mais qu'il y a aussi
une autorité inférieure, que l'Eglise occidentale surtout avoit ac-
cordée aux livres qui ne sont pas dans le canon hébraïque , et qui
consiste dans la lecture publique pom* l'édification du peuple ,
mais non pas dans l'infaillibilité, qui est nécessaire pour prouver
lesdogmes de la foi contre les contredisans.
XCIX. Et encore dans le même ouvi'age : « La supputation du
temps , depuis la restitution du temple, ne se trouve pas dans les
saintes Ecritures qu'on appelle canoniriues ; mais dans quelques
autres que , non les Juifs , mais l'Eglise tient pour canoniques ,
à cause des admirables soufTrances des martyrs ^, » etc. On voit
combien saint Augustin est flottant dans ses expressions ; mais
c'est toujours le même sens. Il dit que les Machabées ne se trou-
vent pas dans les saintes Ecritures qu'on appelle canoniques ; et
puis il dit que l'Eglise les tient poui' canoniques. C'est donc dans
un autre sens inférieur, que la raison qu'il ajoute fait connoître :
car les admirables exemples de la souffrance des martyrs , pro-
pres à fortifier les chrétiens durant les persécutions, faisoient
juger que la lecture de ces livres seroit très-utile. C'est pour cela
1 Cont. Gaudnt., lib. 1.. cap. xxxi, n. 38. — ^ De Ctvit. Dei , lib. XVli, c. xx.
— 5 ILiid., cap. XXXVI.
TOM. xvni. 20
306 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE,
que l'Eglise les a reçus dans l'autorité et dans une manière de
canon, c'est-à-dire comme ecclésiastiques ou utiles; mais non
pas comme divins ou infaillibles : car cela ne dépend pas de l'E-
glise ; mais de la révélation de Dieu , faite par la bouche de ses
prophètes ou apôtres.
C. Enfin saint Augustin , dans son livre de la Doctrine chré-
tienne, raisonne sm' les li\Tes canoniques dans un sens fort ample
et général, entendant tout ce qui étoit autorisé dans l'Eglise.
C'est poiu-quoi il dit que pour en juger, il faut en faire estime se-
lon le nombre et l'autorité des églises : puis il vient au dénom-
brement : Totus aiitem canon Scripturarnm in ciuo istam con-
siderationem versandam dicimiis , his libris contineiur^, etc.; et
il nomme les mêmes que le pape Innocent I : ce qui fait visible-
ment connoître qu'en parlant du canon, il n'entendoit pas seule-
ment les Livres divins incontestables , mais encore ceux qu'on
regardoit diversement, et qui avoient leur autorité de l'Eglise
seulement ou des églises , et nullement dune révélation divine.
Cl. Après cela le passage de saint Augustin , où , dans la cha-
leur de l'apologie de sa citation il seml)le aller plus loin , ne sau-
roit faire de la peine. Vous aviez remarcpié. Monseigneur, § 0,
qu'il avoit cité contre les pélagiens ce passage de la Sagesse :
Raptus est nemalitia mutaret intellectmn ejus *. Quelques savans
Gaulois avoient trouvé mauvais qu'il eût employé ce livre , lors-
qu'il s'agissoit de prouver des dogmes de foi : Tanqitàm non
canonicum definiebant omittendwn. Saint Augustin se défend
dans son livre de la Prédestination des Saints^. Il ne dit pas
([ue la Sagesse est égale en autorité aux autres; ce cpi'il auroit
fallu dire, s'il avoit été dans les sentimens tridentins : mais
il répond que quand elle ne diroit rien de semblable, la chose est
assez claire en elle-même ; qu'elle doit cependant être préférée à
tous les auteurs particuliers , oimiibiis tractatoribus debere ante-
poni , parce que tous ces auteurs, même les plus proches deS
temps des apiMres , avoient eu cette déférence pour ce livre : Qui
eum testem adhibentes , nihil se adhibere nisi divinum testinio-
. 1 De Doct. Christ., lib. 11, cap. viir, n. 13. — * Siip., i\, li. — ^ De prœded.
Sanct., cap. ïiv, n. 27.
LEIBNIZ A BOSSUET, 24 MAI 1700. 307
nium crediderimt. Et un peu auparavant : Menasse in Ecclesid
Christi tam longâ aimositate rccitari, et oh omnibus chri^ticnùs
cwn veneratione divinœ auctoritatis audiri.
CIL Ces paroles de saint Augustin paroîtroient étranges,
d'autant qu'elles semblent contraires à la doctrine reçue dans
l'Eglise, si l'on n étoit déjà instruit de son langage par tous les
passages précédens. Donc puisque aussi il n'est pas croyable que
ce grand homme ait voulu s'opposer à lui-même et à tant d'au-
tres, il faut conclure que cette autorité divine dont il parle ne peut
être autre chose que le témoignage que l'Eglise a rendu au livre
de la Sagessse; qu'il n'y a rien là que de conforme aux Ecritures
immédiatement divines ou inspirées , puisqu'il avoit reconnu lui-
même , dans son li^Te de la Ci//' de Dieu ', que ce li\Te n'a reçu
son autorité que par l'Eglise , siu-tout en Occident ; mais qu'il n'a
pas assez de force contre les contredisans , parce qu'il n'est pas
dans le canon originaire du Vieux Testament. Et le même saint
Augustin citant un hvre de pareille nature ^, qui est celui du fds de
Sirach, n'y insiste point, et se contente de dire que si on contredit
à ce livre parce qu'il n'est pas dans le canon des Ilélireux , il fîui-
dra au moins croire au Dcutéronome et à l'Evangile qu'il cite après.
cm. Ce qu'on a dit du sens de saint Augustin doit être encore
entendu de ceux qui ont copié ses expressions par après , comme
Isidore et Rabanus Mauiiis, et autres, lorsqu'ils parloient dime
manière plus confuse. Mais quand ils parloient distinctement, et
traitoient la question de l'égalité ou inégalité des Li\Tes de la
Bible, ils continuoient à parler comme l'Eglise avoit toujours
parlé; en quoi l'Eglise grecque n'a jamais biaisé. Et l'autorité de
saint Jérôme a toujours servi de préservatif dans l'Eglise d'Occi-
dent , malgré la barbarie qui s'en étoit emparée. On a toujours
été accoutumé de mettre son Prologus Galeatus et sa Lettre à
Paulin à la tète de la sainte Ecritm'e , et ses autres Préfaces de-
vant les livres de la Bible qu'elles regardent ; où il s'explique
aussi nettement qu'on a vu, sans que personne ait jamais osé, j(^
ne dis pas condamner, mais critiquer même cette doctrine jus-
1 De civil. Dei, lib. XVII, cap. xx , ubi sup. — - Lib. de cvrâ pro Mordiis ,
'■ap. XV.
308 LETTRES SUR LA RÉUiNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
qu'au concile de Trente^ qui l'a frappée d'anathème par une en-
treprise des plus étoimautes.
CIV. Il sera à propos de particulariser tant soit peu cette cou-
se rvationde la saine doctrine ; car poui' rapporter tout ce qui se
pourroit dire il faudroit un ample volume. Cassiodore dans ses
InMitutions , a donné les deux catalogues, tant le plus étroit de
saint Jérôme et de l'Eglise universelle, qui n'eet que des Livres
immédiatement divins, que la liste plus large de saint Augustin
et des églises de Rome et d'Africpie, qui comprend aussi les li\Tes
ecclésiastiques.
CV. .Junilius, évêque d'Afrique, fait parler un maître avec son
disciple. Ce maître s'explique fort nettement, et sert très-bien à
faire voir qu'on donnoit abusivement le titre de Livi'es divins à
ceux qui, à parler proprement, ne le" dévoient point avoir. Disci-
PULUS : Quomodo divùionan Librorum consideratur auctoritas ?
Magister : Quia quidam perfectœ auctoritatis simt, c/uidam me-
diœ, quidam nuflius K Après cela on ne s'étonnera pas si quelques-
uns, surtout les Africains, ont donné le nom de divines Ecritures
aux livres qui dans la vérité n'étoient qu'ecclésiastiques.
CYI. Grégoire le Grand, quoirpie pape du siège de Rome ei
successeur d'Innocent I et de Gélase, n'a pas laissé de parler
comme saint Jérôme : et il a montré par là que les sentimens de
ses prédécesseurs dévoient être expliqués de même ; car il dit po-
sitivement que les livres des Machahées ne sont point canoniques,
licèt non canonicos-; mais (ju'ils servent à l'édification de l'Eglise.
CVII. 11 sera bon de revoir un peu les Grecs avant cpie de venir
aux Latins postérieurs. Léontius, auteiu' du sixiènie siècL', parlf
comme les plus anciens. Il dit qu'il y a vingt -deux Livres du
Vieux Testament, et (pie l'Eglise n'a reçu dans le canon (pie
ceux qui sont reçus cliez les Hébreux *.
CYI IL Mais sans s'amuser à beaucoup d'autres, on peut se con-
tenter de l'autorité de Jean de Damas, premier auteur d'un sys-
tème de théologie, qui a écrit dans le huitième siècle , et que les
Grecs plus modernes, et môme les scolastiques latins ont suivi.
1 Lib. lie Part. div. /cjv, cap. vm. — - Moral-, lib. X!X, ca;). xxi, ri. ;ri. —
" De Serf., act. ii.
LEIBNIZ A BOSSUET, 24 MAI 1700. 309
Cet auteur , dans son li^Te IV de la Foi orthodoxe *, imitant^
comme il semble, le passage allégué ci-dessus du li%Te d'Epi -
phane des Poids et mesures , ne nomme cpie vingt-deux Livres
canoniques du Vieux Testament; et il ajoute que les livres des
deux Sagesses , de celle qu'on attribue à Salomon et de celle du
fils de Siracli, quoique beaux et bons, ne sont pas du nombre
des canoniques, et n'ont pas été gardés dans l'arche, où il croit
([ueles Li\Tes canoniques ont été enfermés.
CIX. Pour retom^ner aux Latins, Strabus , auteur de la Glose
ordinaire, qui a écrit dans le neu^4ème siècle, venant à la préface
de saint Jérôme mise devant le li^Te de Tohie, où il y a ces pa-
rôles : Librum Tobiœ Hebrœi de catalogo divinariim Scriptura-
runi sécantes , iis quœ hagiographa memorant, manciparunt,
remarque ceci : Potiiis et veriùs dixisset apocrypha , vel large
accepit hagiographa , quasi Sanctorum scripta , et non de îui-
mero illorwn novem, etc.
ex. Radulphus Flaviacensis, bénédictin du dixième siècle , dit
au commencement de son Ywxe, quatorzième sur le Lévitique :
« Quoiqu'on lise Tobie , Judith et les Machabées pour l'instruc-
tion, ils n'ont pas pourtant une parfaite autorité. »
CXL Rupert, abbé de Tuits, parlant de la Sagesse : « Ce livre,
dit-il, n"est pas dans le canon, et ce qui en est pris n'est pas tiré
de l'Ecriture canonique ^ »
CXÏI. Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, écrivant une lettre
contre certains, nommés Pètrobrusiens , qu'on disoit ne recevoir
de l'Ecritm-e que les seuls Evangiles , lem' prouve, en supposant
l'autorité des Evangiles, qu'il faut donc recevoir encore les autres
Livres canoniques.
Sa preuve ne s'étend qu'à ceux que les protestans recon-
noissent aussi. Et quant aux ecclésiastiques, il en parle ainsi :
« Après les Livres authentiques de la sainte Ecritm'e , restent en-
core six, qui ne sont pas à oublier, la Sagesse , Jésus fds de
Sirach, Tobie, Judith et les deux des Machabées , qui n'arrivent
pas à la sublime autorité des précédens, mais qui à cause de
leur doctrine louable et nécessaire ont mérité d'être reçus par
1 Cap. xviii. — - Lih. III, i}i Gra., cap. xxxi.
310 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
TEglise. Je n'ai pas besoin de vous les recommander; car si vous
avez quelque considération pour l'Eglise, vous recevrez quelque
chose siu- son autorité. » Ce qui fait voir que 'cet auteur ne con-
sidère ces livres que comme seulement ecclésiastiques.
CXIII. Hugues de Saint-Victor, auteur du' commencement du
douzième siècle, dans son livre des Ecritures et Ecricfiins sacrés,
fait le dénombrement de.s vingt-deux liM*es du Vieux Testament;
et puis il ajoute : « Il y a encore d'autres livres, comme la Sa-
gesse de Salomon, le livre de Jésus fils de Sirach, Judith, Tohie et
les Machabécs qu'on lit, mais qu'on ne met pas dans le canon ' ; »
et ayant parlé des écrits des Pèn's, comme de saint Jérôme,
saint Augustin, etc., il dit (pie ces liM-es des Pères ne sont pas
du texte de l'Ecriture sainte, « de même qu'il y a des livres du
Vieux Testament qu'on lit, mais (pi'on ne met pas dans le canon,
comme la Sagesse et (]uelqu»'s aulres. »
CXIV. Pierre Comestor, aiilciir ^]i' V Histoire Scolastique ,con-
friiiporain de Pierre Lombard, fondateur de la théologie scolas-
tiipic, va jus(pi"à ('(irriger en eriti(|iic If tcxtr du passage de saint
Jérôme, dans sa Préface de J) al il h, où il y a (jne Judith est entre
les luigiographcs chez les llébreiLX, et (pie son autorité n'est pas
.suffisante pour décider des controverses. Pierre Comestor veut
qu'au lieu àluigiograpfia , on lise apocn/pha , croyant que les
copistes prenant les apocryphes en mauvais sens, ont corrompu
le texte de saint Jérôme: Apocrj/plui horrentcs , eo rejccto , ha-
giographa scripserc. 11 semble (pu' le passage de Strabus sur
Tobie a donné occasion à cette doctrine.
CXV. Dans le treizième siècle fleurissoit un autre Hugo, domi-
nicain, premier auteur des Concorda?ices sur la sainte Ecriture,
c'est-à-dire des idlégations marginales des passages parallèles,
fait. cardinal par Innocciil IV. On a de lui des vers, où après le
dén(»inbn'ment des Livres canoniques, suivant ranti(iuité et les
protestans, on trouve ceci :
Lcx vêtus liis libris pcrfectè tota tenetur ;
Restant apocrypha : Jésus, Sai)ie7itia, Paslor,
Et Macha/jœorum libri, Judith atque Tobias.
Cap. VI.
BOSSUET A LEIBNIZ, 24 MAI 1700. 3H
Hi, quia simt diibii; sub Canone uon uuinerantur ;
Sed quia vora cammtj Ecclesia suspicit illos.
CXVI. Nicolas de Lyre, fameux commentateur de la sainte Ecri-
ture du quatorzième siècle, commençant d'écrire sur les livres
non canoniques, débute ainsi dans sa Préface sur Tobie : « Jus-
qu'ici j'ai écrit,. avec l'aide de Dieu, sur les Livres canoniques;
maintenant je veux écrire sur ceux qui ne sont plus dans le ca-
non. » Et puis, « bien (jne la vérité écrite dans les Li\Tes cano-
niques précède ce qui est dans les autres , à l'égard du temps
dans la plupart et à Tégard de la dignité en tous , néanmoins la
vérité écrite dans les livres non canoniques est ,' utile pour nous
diriger dans le chemin des boimes mœurs, qui mène au royaume
des deux. »
CXVII. Dans le même siècle, le glossateur du décret, qu'on
ci^oit être Jean Semeca, dit le Teutonique, parle ainsi : « La Sa-
gesse de Salomon j et le li\Te de Jésus fils de Sirach , Judith ,
ToMe et le livre des Machabées sont apocr;y'phes. On les lit ; mais
peut-être n'est-ce pas généralement '. »
CXVIII. Dans le quinzième siècle , Antonin, archevêque de Flo-
rence, que Rome a mis au nombre des Saints, dans sa Somme de
théologie^, après avoir dit que \di Sagesse , Y Ecclésiastique , Ju-
dith, Tobie et les Machabées sont apocryphes chez les Hébreux ;
et que saint Jérôme ne les juge point propres à décider les con-
troverses, ajoute que « saint Thomas, in secundâ secundœ, et Ni-
colas de Lyre , sur Tobie , en disent autant ; savoir , qu'on n'en
peut pas tirer des argumens efficaces en ce qui est de la foi ,
comme des autres Livres de la sainte Ecriture. Et peut-être, ajoute
Antonin, qu'ils ont la môme autorité que les paroles des Saints ,
approuvées par l'Eglise. »
CXIX. Alphonse Tostat, grand commentatem" du siècle qui a
précédé celui de la réformation, dit dans son Defensorium, « que
la distinction des Livres du Vieux Testament en trois classes, faite
par saint Jérôme dans son Prologus Galeatus, est celle de l'Eglise
universelle; qu'on l'a eue des Hébreux avant Jésus-Christ, et
'• Can, c, di<t. IG. — ^ Summa Tk?ol., part. Hi, lit. IS, cap. vi, § 2.
312 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
qu'elle a été continuée dans l-Eglise '. » Il parle en quelques en-
droits comme saint Augustin , disant dans son Commentaire sur
le Prolofjus Gcleaiiis, que l'Eglise reçoit ces livres, exclus parles
Hébreux , pour authentiques et compris au nombre des saintes
Ecritures. Mais il s'explicjue lui-même sur saint Matthieu : « Il y
a, dit-il, d'autres Ii\Tes que l'Eglise ne met pas dans le canon, et
ne leiu' ajoute pas autant de foi qu'aux autres : Non rccipientes
non jiidicat inobcdientea aut infidèles^; elle ignore s'ils sont
inspirés; » et puis il nomme expressément à ce propos la Sagesse,
VErclésiastif/ue , les Macliabées , Judith et Tobie , disant : Quod
probatio ex illis snmpta sit aliqiiaJitcr efficax. Et parlant des
apocryphes, dont il n'est pas certain qu'ils ont été écrits par
des auteurs inspirés, il dit « qu'il suffit qu'il n'y a rien qui soit
manifestement faux ou suspect; qu'ainsi l'Eglise ne les met pas
dans son canon et ne force personne à les croii'c ; cependant elle
les lit*, etc. ; » et puis il dit expressément au même endroit, qu'il
n'est pas assuré que les cinq livres susdits soient inspirés : De
auctoribus horinnnon constat Ecdcsioi an Spiritu sancto dictante
scripscrint, non tamen rcperit in illis aliriuid falsum aut valdè
suspcctum de falsitate.
CXX. Enfin dans le seizième siècle, immédiatement avant la ré-
formation , dans la préface de la IJiblc du cardinal Ximenès , dé-
diée à LéonX, il est dit que les Uvres du Vieux Testament, qu'on
n'a ([u'en grec, sont hors du canon, et sont plutùl; reçus pour l'é-
dification du peuple que pour établir des dogmes.
CXXI. Et le cardinal Cajétan, écrivant après la réformation com-
mencée, mais avant le concile de Trente, dit j\ la fin de son Com-
mentaire sur YEcclésiaste de Salomon, puldié à Rome en 1534 :
« C'est ainsi que finit YEcclésiaste avec les livres de' Salomon et
de la Sagesse. Mais quant aux autres livres, à qui on donne ce
nom, gui rncaiilur libri sapieutiales, puisque saint Jérôme les met
hors du canon qui a l'autorité de la foi , nous les omettrons , et
nous nous hâterons d'aller aux oracles des prophètes. »
CXXII. Après ce détail de l'autorité de tant de grands hommes
» Part. !1 , cap. xxtii. — - QuiCàt. il. — ' Aulon. Sunora Theolog., paît. II,
cap. XIII, quiEst. III.
LEIBNIZ A BOSSUET, 24 MAI 1700. 313
de tous ces siècles, qui ont parlé formellement comme l'ancienne
Eglise et comme les protestans, on ne sauroit clouter, ce semble,
que l'Eglise a toujours fait une grande différence entre les livres
canoniques ou immédiatement divins , et entre d'autres compris
dans la Bible, mais qui ne sont qu'ecclésiastiques : de sorte que
la condamnation de ce dogme, que le concile de Trente a publiée,
est une des plus visibles et des plus étranges nouveautés qu'on
ait jamais introduites dans l'Eglise.
Il est temps, Monseigneur, que je revienne à vous, et même
que je finisse ; car votre seconde Lettre n'a rien qui nous doive
arrêter, excepté ce que j'ai touché au commencement de ma pre-
mière réponse. Au reste j'y trouve presque tout assez conforme
au sens des protestans : car je n'insiste point sur quelques choses
incidentes ; et il suffit de remarquer que ce que vous dites si bien
de lautorilé et de la doctrine constante de l'Eglise catholique, est
entièrement favorable aux protestans et absolument contraire à
des novatem's aussi grands que ceux qui étoient de la faction si
désapprouvée en France, qui nous a produit les anathèmes inex-
cusables de Trente.
Je ne doute point que la postérité au moins n'ouvre les yeux
là-dessus; et j'ai meilleure opinion de l'Eglise catholique et de
l'assistance du Saint-Esprit, que de pouvoir croire qu'un concile
de si mauvais aloi soit jamais reçu pour œcuménique par l'Eglise
universelle. Ce seroit faire une trop grande brèche à l'autorité de
l'Eglise et du christianisme même , et ceux qui aiment sincère-
ment son véritable intérêt s'y doivent opposer. C'est ce que la
France a fait autrefois avec un zèle digne de louange, dont elle ne
devroit pas se relâcher maintenant qu'elle a été enrichie de
tant de nouvelles lumières, parmi lesqueUes on vous voit tant
briUer.
En tout cas, je suis persuadé que vous et tout ce cpi'il y a de
personnes éclairées dans votre parti, qui ne sauroient encore sur-
monter les préventions où*ils sont engagés, rendront assez de
justice aux protestans pour reconnoître qu'il ne leur est pas moins
impossible d'effacer l'impression de tant de raisons invincibles,
([u'ils croient avoir contre un concile dont la matière et la forme
314 LETTRES SUR LA REUNION DES PROTEST. D'ALLEM.\GNE.
paroissent également insoutenables. Il n'y a que la force, ou bien
une indifférence peu éloignée d'une irréligion déclarée, qui ne se
fait que trop remarquer dans le monde, qui puisse le faire triom-
pher. J'espère que Dieu préservera son Eglise d'un si grand
mal ; et je le prie de vous conserver longtemps , et de vous don-
ner les pensées (pi'il faut avoir pour contribuer à sa gloire autant
que les talens extraordinaires qu'il vous a confiés vous donnent
moyen de le faire. Et je suis avec zèle. Monseigneur, votre très-
humble et très-obéissant serviteur,
Lkihniz.
LETTRE XLIX.
LEIBNIZ A nOSSL'ET.
A Biiin5.\vick, ce 3 scptembip 1700.
MONSEIGNRUK,
Votre lettre du l" ' juin ne m'a été rendue ([u'à mon retour de
Berlin, OÙ j'ai été plus de trois mois, parce que Monseigneur l'é-
ledour de l^randebourg m'y a fait appeler, pour contribuer à la
fondation d'une nouvelle société pour les sciences, dont Son Al-
tesse Electorale veut (pie j'aie soin. J'avois laissé ordre qu'on ne
m'envoyât pas les paquets un peu gros ; et comme il y avoit im
livre dans le vôtre, on l'a fait attendi'e plus que je n'eusse voulu.
C'est de la communication de ce livre encore que je vous remercie
bien fort ; et je trouve que par les choses et par le bon tour qu'il
leur donne, il est merveilleusement propre pour le but où il est
destiné, c'est-à-dire pour acliever ceux (pii chancèlent. Mais il ne
l'est pas tant pour ceux (jui sont dans une autre assiette d'esprit,
et qui opposent à vos prc\jugés de l)elle prestance d'autres préju-
gés qui ne le sont pas moins, et la discussion même, (|ui vaut
mieux que tous les préjugés. Cependant il semble. Monseigneur,
(jur lliabiludr (pic vous avez de vaincre, vous fait toujours
prendre des expressions (pii y conviennent. Vous me prédisez
que l'équivoque de canonique se tournera enfin contre moi. Vous
me demandez à (luel propos je vous parle de la force, comme
LEIBNIZ A BOSSUET, 3 SEPTEMBRE 1700. 31f>
d'un moyen de finir le schisme. Yous supposez toujours qu'on re-
connoît que l'Eglise a décidé, et après cela vous inférez qu'on ne
doit point toucher à de telles décisions.
Mais quant aux Livres canoniques , il faudra se remettre à la
discussion où nous sommes ; et quant à l'usage de la force et des
armes, ce n'est pas la première fois que je vous ai dit. Monsei-
gneur, que si vous voulez que toutes les opinions qu'on autorise
chez vous soient reçues partout comme des jugemens de l'Eglise,
dictés par le Saint-Esprit, il faudra joindre la force à la raison.
En disputant, je ne sais si ou ne pourroit pas distinguer entre
ce qui se dit adpopulum, et entre ce dont pourroient convenir
des personnes qui font profession d'exactitude. Il faut ad popu-
lum, phaleras . J'y accorderois les ornemens, et je pardonnerois
même les suppositions et pétitions de principe : c'est assez qu'on
persuade. Mais quand il s'agit d'approfondir les choses et de par-
venir à la vérité, ne vaudroit-il pas mieux convenir d'une autre
méthode qui approche un peu de celle des géomètres, et ne
prendre pour accordé cpie ce que l'adversaire accorde effective-
ment, ou ce qu'on peut dire déjà prouvé par un raisonnement
exact? C'est de celte méthode que je souhaiterois de me pouvoir
servir. EUe retranche d'abord tout ce qui est choquant ; elle dis-
sipe les nuages du beau tour , et fait cesser les supériorités que
réloquence et l'autorité donnent aux grands hommes, pour ne
faire triompher que la vérité.
Suivant ce style, on diroit qu'un tel concile a décidé ceci ou cela ;
mais on ne dira pas que c'est le jugement de l'Eglise, avant que
d'avoir montré qu'on a observé, en doimant ce jugement, les con-
ditions d'un concile légitime et œcuménique, ou que l'Eghse uni-
verselle s'est expliquée par d'autres marques ; ou bien, au lieu de
dire l'Eghse, on diroit l'Eglise romaine.
Pour ce qui est de la réponse que vous nous avez donnée au-
trefois. Monseigneur, voici de quoi je me souviens. Yous aviez
pris la question comme si nous voulions que vous deviez renon-
cer vous-même aux conciles que vous reconnoissez , et c'est sm'
ce pied-lcà que vous répondîtes à M. l'abbé de Loldvum. Mais je
vous remontrai fort distinctement qu'il ne s'agissoit pas de cela;
:H6 lettres SUR LA REUiMON DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
et que les conciles, suivant vos propres maximes, n'obligent point
là où de grandes raisons empêchent qu'on ne les reçoive ou re-
eonnoisse ; et c'est ce (jue je vous prouvai par un exemple très-
considérable. Avant que d'y répondre, vous demandâtes, Monsci-
gnem", que je vous envoyasse l'acte public qui justifioit la ^^hité
de cet exemple. Je le fis, et après cela le droit du jeu étoit que
vous répondissiez conformément à l'état de la question qu'on ve-
noit de former. Mais vous ne le fîtes jamais; et maintenant, par
oubli sans doute, vous me renvoyez à la première réponse, dont
ilnes'agissoit plus.
Vous avez raison de me sommer d'examiner sérieusement de-
vant Dieu s'il y a quelque bon moyen d'empêcher l'état de l'Eglise
de devenir élernellement variable: mais je l'entends en supposant
qu'on peut, non pas changer ses décrets sur la foi et les recon-
noilre pour des erreurs, comme vous le prenez , mais suspendre
ou tenir pour suspenrlue la force de ses décisions en certains cas
et à certains égards; en sorte (pie la suspension ait lieu, non pas
(Mitre ceux cpii les croient émanées de l'Eglise, mais à l'égard
d'autres, afin qu'on ne prononce point anafhème contre ceux à qui
sur des raisons très-apparentes cela ne paroît point croyable, sur-
tout lorsque plusieurs grandes nations sont dans ce cas , et qu'il
est difficile de parvenir autrement à l'union e^ans des boulevcrse-
ni(Mis (]ui (mtraincnt , non-seulement une terrilde effusion de
sang, mais encore la perte d'une infinité d'anies.
Eh bien, Monseigneur, employez-y plutôt vous-même vos mé-
ditations et ce grand esprit dont Dieu vous a doué : rien ne le
mérite mieux. A mon avis , le bon moyen d'enqiècher les varia-
tions est tout trouvé chez vous, pourvu qu'on le veuille employer
mi(Hix qu'on n'a fait, comme personne ne le peut faire mieux
(jue vous-même. C'est qu'il faut être circonspect, et on ne sauroit
l'être trop pour ne faire passer pour le jugement de l'Eglise que
ce (pii en a les caractères indubitables, de peur qu'en recevant
trop légèrement certaines décisions, on n'expose et on n'afibiblisse
par là l'autorité de l'Eglise universelle, plus sans doute incompa-
rablement (|ue si on les rejetoit comme non prononcées ; ce qui fe-
roit tout demeurer sauf et en son entier : d'oiî il est manifeste qu'il
LEIBNiZ A BOSSUET, 3 SEPTEMBRE 1700. 317
vaut mieux être trop réservé là-dessus que trop peu. Tôt ou tard
la vérité se fera jour ; et il faut craindre que lorsqu'on croira
d'avoir tout gagné , quand c'est par des mauvais moyens , on
am'a tout gâté et fait au christianisme même un tort difficile à ré-
parer. Car il ne faut pas se dissimuler ce que tout le monde en
France et ailleurs pense et dit sans se contraindre, tant dans les
livres que dans le pul)lic. Ceux qui sont véritablement catholiques
et chrétiens en doivent être touchés, et doivent encore souhaiter
qu'on ménage extrêmement le nom et l'autorité de l'Eghsc, en ne
lui attribuant que des décisions bien avérées, afin que ce beau
moyen qu'elle nous fournit d'apprendre la vérité garde sans falsi-
fication toute sa pureté et toute sa force, comme le cachet du
prince ou comme la monnoie dans un Etat bien policé : et ils
doivent compter pour un grand bonheur et pour un coup de la
Providence, que la nation gallicane ne s'est pas encore précipitée
par aucun acte authentique, et qu'il y a tant de peuples qui s'op-
posent à certaines décisions de mauvais aloi .
Jugez vous-même, Monseigneur, je vous en conjure, lesquels
sont meilleurs catholiques, ou ceux qui ont soin de la réputation
sohde et pureté de l'Eglise et de la conservation du christianisme,
ou ceux qui en abandonnent l'honneur pour maintenir, au péril
de l'Eglise même et de tant de millions d'ames, les thèses qu'on a
épousées dans le parti. Il semble encore temps de sauver cet
honneur, et personne n'y peut plus que vous. Aussi ne crois-je
pas qu'il y ait personne qui y soit plus engagé par des liens de
conscience, puisqu'un jour on vous reprochera peut-être qu'il n'a
tenu qu'à vous qu'un des plus grands biens ait été obtenu. Car
vous pouvez beaucoup auprès du roi dans ces matières, et l'on
sait ce que le roi peut dans le monde. Je ne sais si ce n'est pas
encore l'intérêt de Rome même : toujours est-ce celui de la vé-
rité.
Pourquoi porter tout aux extrémités , et pourquoi récuser les
voies qui paroissent seules conciliables avec les propres et grands
principes de la catholicité, et dont il y a même des exemples? Est-
ce qu'on espère que son parti l'emportera de haute lutte ? Mais
Dieu sait quelle blessure cela fera au christianisme. Est-ce qu'on
318 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE,
craint de se faire des affaires ? Mais outre que la conscience passe
toutes choses, il semble que vous savez des voies sûres et solides
pour faire entrer les puis^^ances dans les intérêts de la vérité. En-
fin je crains de dire trop quand je considère vos lumières, et pas
assez quand je considère lïmportance de la matière. 11 faut donc
en abandonner le soin et l'effet à la Providence, et ce qu'elle fera
sera le meillem', quand ce seroit de faire durer et augmenter nos
maux encore pour longtemps. Cependant il faut que nous n'ayons
rien à nous reprocher. Je fais tout ce que je puis ; et quand je ne
réussis pas, je ne laisse pas d'être très-content. Dieu fera sa sainte
volonté, et moi j'aurai fait mon devoir. Je prie la divine bonté de
vous conserver encore longtemps, et de vous donner les occa-
sions, aussi bien que la pensée, de contr ibuer à sa gloire, autant
(|u'il vous en a donné les moyens. Et je suis avec zèle. Monsei-
gneur, votre très-buiiililc et très- obéissant serviteur,
Leu»niz.
P. S. Mon zèle et ma bonne intention ayant fait que je me suis
émancipé un peu dans cette lettre, j'ai cru que je ne ménagerois
pas assez ce que je vous dois, si je la faisois passer sous d'autres
yeux en la laissant ouverte. J'ajoute encore seulement que toutes
nos ouvertures ou propositions viennent de votre parti même.
Nous n'en sommes pas les inventeurs. Je le dis, afin (pi'on ne
croie point qu'un point d'honneur ou de gloire m'intéresse à les
pousser. C'est la raison, c'est le devoir.
LETTRE L.
LEIBNIZ A BOSSUET.
A VolfenbuUel, co 21 j"i" l~0'-
Monseigneur,
J'ai eu riioiHieur d'apprendre de Monseigneur le prince, héri-
tier de Wolfenbuttel, que vous aviez témoigné de souhaiter quelque
communication avec un théologien de ces pays-ci. Son Altesse
I
LEIBNIZ A BOSSUET, 21 JUIN 1701. 310
Sérénissime y a pensé, et m'a fait la grâce de vouloir aussi écouter
mon sentiment là-dessus : mais on y a trouvé de la difficulté,
puisque M. l'abbé de Lokkum même paroissoit ne vous pas reve-
nir [a], que nous savons être sans contredit celui de tous ces pays-ci
qui a le plus d'autorité, et dont la doctrine et la modération ne
sont guère moins hors du pair chez nous. Les autres qui seront
le mieux disposés, n'oseront pas s'expliquer de lem- chef d'ime
manière où il y ait autant d'avances qu'on en peut remarquer dans
ce qu'il vous a écrit. Et comme ils communiqueront avec lui aupa-
ravant et peut-être encore avec moi^ il n'y a point d'apparence
que vous en tiriez quelque chose de plus avantageux que ce qu'on
vous a mandé. La plupart même en seront bien éloignés, et diront
des choses qui vous accommoderont encore moins incompara-
blement ; car il faut bien préparer les esprits pour leur faire goû-
ter les voies de modération : outre qu'il faut, ^lonseigneur, que
vous fassiez aussi des avances qui marquent votre équité ; d'autant
qu'il ne s'agit pas proprement dans notre communication que vous
quittiez à présent vos doctrines , mais que vous nous rendiez la
justice de reconnoître que nous avons de notre côté des appa-
rences assez fortes pour nous exempter d'opiniâtreté, lorsque
nous ne saurions passer l'autorité de quelques-unes de vos déci-
sions. Car si voulez exiger comme articles de foi des opinions dont
le contraire étoit reçu notoirement par toute l'antiquité, et tenu
encore du temps du cardinal Cajétan immédiatement avant le con-
cile de Trente ; comme est l'opinion cpie vous paroissiez vouloir
soutenir, d'une parfaite et entière égalité de tous les hvres de la
Bible, qui me paroît détruite absolument et sans réplique par les
(al ]1 est difficile de deviner sur quoi M. de Leibniz a. pu soupçonner M. de
Meaux de ne vouloir pas traiter avec Molanus, puisque ce prélat a toujours au
coutraii-e témoigué une estime toute particulière pour l'abbé de Lokkum, dont
le savoir et la modération étoient en effet très-estimables. Si l'on veut examiner
les cboses de près, je crois qu'on soupçonnera plutôt M. de Leibniz d'avoir
écarté Molanus, et de s'être mis à sa place fort mal à propos. Car il est certain
que M. de Leibniz ne montre pas la même candeur et la même sincérité, il
chicane sur tout; il incidente à tout propos; il répète des objections déjà réso-
lues, et paroît employer tout son esprit à éluder les réponses si satisfaisantes
qu'on lui donnoit, et à faire naitre de nouvelles difticultés, au lieu que Molanus
ne cherchoit cpi'à les aplanir. Cette lettre, ainsi que plusieurs autres qui l'ont
précédée, n'est pleine, à proprement parler, que de chicanes, comme M. de
Jîeaux le fait assez sentir dans sa Réponse. [Edit. de Leroi.)
320 LETTRES SUR LA REUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
passages que je vous ai envoyés, il est impossible qu'où vienne au
but; car vous avez trop de lumières et trop de bonnes intentions
pour conseiller des voies obliques et peu théologiques, et nos théo-
logiens sont de trop honnêtes gens pour y donner. Ainsi je vous
laisse à penser à ce que vous pourrez juger faisable ; et si vous
croyez pouvoir me le commmiiquer, j'y contribuerai sincèrement
en tout ce qui dépendra de moi. Cai' bien loin de me vouloir
approprier cette négociation, je voudrois la pouvoir étendre Ijien
avant à d'autres; et je doute qu'on retrouve sitôt des occasions
si favombles du côté des princes et des théologiens.
Vous m'aviez témoigné autrefois, Monseigneur, d'avoir pris en
bonne part que j'avois conseillé qu'on y joignît de votre côté
quelque persoime des conseils du roi, versée dans les lois et droits
du royaume de France , (]ui eût toutes les counoissances et qua-
lités requises, et qui pourroit prêter l'oreille à des tempéraniens
et ouvertm'es où votre caractère ne vous permet pas d'entrer,
quand même vous les trouveriez raisonnables ; mais qui ne feroient
point de peine à une personne semblalile à feu M. Pelisson, ou au
président Miron, qui parla pour le tiers-état en 1014. Car ces
ouvertures pourroient être réconciliables avec les anciens prin-
cipes et privilèges de l'église et de la nation françoise , appuyés
sur l'autorité royale et soutenus dans les assemblées nationales
el aillem's; mais que votre clergé a tâché de renverser par une
entreprise contraire à l'autorité du roi , qui ne seroit point souf-
ferte aujourd'hui. Ainsi je suis très-content. Monseigneur, que
vous demandiez des théologiens , comme j'ai demandé des juris-
consultes. La did'érence qu'il y a est que votre demande ne sert
point à faciliter les choses, comme faisoit la mienne, et que vous
avez en eiïet ce que vous demandez. Car ce (jue je vous ai mandé
a été communiqué avec M. l'abbé de Lokkum, et en substance
encore avec d'autres. Je suis avec tout le zèle et toute la déférence
possibles , Monseigneur, votre très-humble et très-obéissant ser-
vi leur,
Lëiuiniz.
BOSSUET A LEIBNIZ, 12 AOUT 1701. 321
LETTIŒ LI.
BOSSUET A LEIBNIZ.
A Germigny, ce 12 août 1701.
Monsieur,
Je vois dans la lettre dont vous m'honorez , du 21 juin de cette
année, qu'on avoit dit à Monseigneur le prince, héritier de Wol-
fenbuttel, «que j'avois témoigné souhaiter quelque communication
avec un théologien du pays où vous êtes ; » et qu'on y trouvoit
d'autant plus de difficulté « que M. l'abbé de Loldvum même ne
seml)loit pas me revenir. » C'est sur quoi je suis obligé de vous
satisfaire ; et puisque la chose a été portée à Messeigneurs vos
princes, dans la bienveillance desquels j'ai tant d'intérêt de me
conserver quekpie part, en reconnoissance des bontés qu'ils m'ont
souvent fait l'honneur de me témoigner par vous-même, je vous
supplie que cette réponse ne soit pas seulement pour vous, mais
encore pour leurs Altesses Sérénissimes. '
Je vous dirai donc. Monsieur, premièrement, que je n'ai jamais
proposé de communication que je désirasse avec qui que ce soit
de delà, me contentant d'être prêt à exposer mes sentimens, sans
affectation de qui que ce soit, à tous ceux qui voudroient bien entrer
avec moi dans les moyens de fermer la plaie de la clu^étienté.
Secondement, quand quelqu'un de vos pays, catholique ou pro-
testant , m'a parlé des voies qu'on pourroit tenter pour mi ou-
vrage si désirable, j'ai toujours dit que cette affaire devoit être
principalement traitée avec des théologiens de la Confession
d'Augsbourg, parmi lesquels j'ai toujours mis au premier rang
M. l'abbé de Lokkum, comme un homme dont le savoir, la can-
deur et la modération le rendoient un des plus capables que je
connusse pour avancer ce beau dessein.
J'ai, Monsieur, de ce savant homme la même opinion que vous
en avez; et j'avoue selon les termes de votre lettre a que de
TOM. xvin. 21
322 LETTRES SUR LA REUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
tous ceux qui seront le mieux disposés à s'expliquer de leur chef,
aucun n'a proposé une manière où il y ait autant d'avances
qu'on en peut remarquer dans ce qu'il m'a écrit. »
Cela, Monsieur, est si véritable, que j'ai cru devoir assm'er ce
docte abbé , dans la réponse que je lui fis il y a déjà plusieurs
années, par M. le comte Balati, que s'il pouvoit faire passer ce
qu'il appelle ses « Pensées particulières, » Cogitationes privatœ,
à un consentement suffisant, je me promettois qu'en y joignant
les rcinarcpies que je lui envoyois sur la Confession cV Aufishoirr(]
et les autres Ecrits symboliques des protestans, l'ouvrage de la
réunion seroit achevé dans ses parties les plus difficiles et les
plus essentielles, en sorte qu'il ne faudroit à des personnes bien
disposées que très-peu de temps pour le conclure.
Vous voyez par là, Monsieur, combien est éloigné de la vé-
rité ce qu'on a dit comme en mon nom à Monseigneur le prince
héritier, puis(pie, bien loin de récuser ]\I. l'abbé de Lokkum,
comme on m'en accuse , j'en ai dit ( e que vous venez d'en-
tendre, et ce que je vous supplie de lire à vos princes, aux pre-
miers momens de leur commodité (jue vous trouverez.
Quand j'ai parlé des théologiens nécessaires principalement
dans cette affaire, ce n'a pas été pour en exclure les laïques,
puiscfu'au contraire un concours de tous les ordres y sera utile,
et notamment le votre.
En effet quand vous proposâtes, ainsi que vous le remarquez
dans votre lettre, de nommer ici des jurisconsultes pour travailler
avec les théologiens, vous pouvez vous souvenir avec quelle faci-
lité on y donna les mains; et cela étant, permettez-moi de vous
témoigner mon étonnement sur la fin de votre lettre, où vous
dites « que ma demande ne sert point à faciliter les choses, comme
faisoit la vôtre. » Vous seinl)lez |iar là m'accuser de chercher des
longueurs; à quoi vous voyez Ineii par mon procédé, tel que je
viens de vous l'expliquer sous les yeux de Dieu, que je n'ai seule-
ment pas pensé.
Quant à ce que vous ajoutez, (|ue j'ai déjà ce que je demande,
ou plutôt ce que je propose sans rien demander, c'est-à-dire un
théologien, cela seroit vrai, si M. l'abbé de Lokkum paroissoit
BOSSUET A LEIBNIZ, 12 AOUT 1701. 323
encore dans les dernières communications crue nous a\ons eues
ensemble , au lieu qu'il me semble que nous Favons tout à fait
perdu de vue.
Vous voyez donc, ce me semble, assez clairement que cette pro-
position tend plutôt à abréger qu'à prolonger les affaires; et ma
disposition est toujours, tant qu'il restera la moindre lueur d'es-
pérance dans ce grand ouvrage, de m'appliquer sans relâche à le
faciliter, autant qu'il pourra dépendre de ma bonne volonté et de
mes soins.
Il faudroit maintenant vous dire un mot sur les avances que
vous désireriez que je fisse, « qui, dites-vous, marquent de l'é-
quité et de la modération. » On peut faire deux sortes d'avances :
les unes sur la discipline, et sm* cela on peut entrer en composi-
tion. ,Je ne crois pas avoir rien omis de ce côté-là, comme il paroit
par ma réponse à M. l'abbé de Lokkum. S'il va poiu-tant quelque
chose qu'on y puisse encore ajouter, je suis prêt à y suppléer par
d'autres ouvertures, aussitôt qu'on se sera expliqué sm' les pre-
mières , ce qui n'a pas encore été fait. Quant aux avances que
vous semblez attendre de notre part sur les dogmes de la foi, je
^'Ous ai répondu souvent que la constitution de l'Eglise romaine
n'en souffre aucune, que par voie expositoire et déclarât oire. J'ai
fait sur cela, Monsieur, toutes les avances dont je me suis avisé
pom* lever les difficultés qu'on trouve dans notre doctrine, en
l'exposant telle qu'elle est : les autres expositions que l'on pour-
roit encore attendre, dépendant des nouvelles difficultés qu'on
nous pomToit proposer. Les affaires de la religion ne se traitent
pas comme les affaires temporelles, que l'on compose souvent en
se relâchant de part et d'autre, parce que ce sont des affaires dont
les hommes sont les maîtres. Mais les affaires de la foi dépendent
de la révélation , sur laquelle on peut s'expliquer mutuellement
pour se faire bien entendre; mais c'est là aussi la seule méthode
qui peut réussir de notre côté. Il ne serviroit de rien à la chose
que j'entrasse dans les autres voies, et ce seroit faire le modéré
itial à propos. La véritable modération qu'il faut garder en de
telles choses , c'est de dire au vrai l'état où elles sont, puisqu»^
toute autre facilité qu'on pomToit chercher ne serviroit qu'à perdre
324 LETTRES SUR LA REUNION DES PROTEST. DALLEMAGNE.
1 e temps, et à faire naître dans la suite des difficultés encore plus
grandes.
La grande difficulté à laquelle je vous ai souvent représenté
qu'il falloit chercher un remède, c'est, en parlant de réunion.,
d'en proposer des moyens qui ne nous fissent point tomher dans
un schisme plus dangereux et plus irrémédial)le que celui que
nous tâcherions de guérir. La voie déclaratoire que je vous pro-
pose évite cet inconvénient; et au contraù'e la suspension que
vous proposez nous y jette jusqu'au fond , sans qu'on s'en puisse
tirer.
Vous vous attachez, Monsieui', à nous proposer pour prélimi-
naire la suspension du concile de Trente. S(His prétexte qu'il n'est
pas reçu en l'rance. .l'ai en l'iionneiir de vous dire, et je vous le
répéterai sans cesse, que sans ici regarder la discipline, il étoit
reçu pour le dogme. Tous tant que nous sommes d'évèques , et
tout ce qu'il y a d'ecclésias^liques dans l'Eglise catholique, nous
avons souscrit la foi de ce concile. Il n'y a dans toute la commu-
nion romaine aucun théologien qui réponde aux décrets de foi
(]ii'on en lire, qu'il n't'st pas reçu dans (.etie partie : tous au con-
Irairt', en l-iancc ou en Allciiiiignc, comme en Halie, recomiois-
sent duii comimm accord (pie c'est là mie autorité dont aucun
auteur calhoUijne ne se donne la liberté de se départir. Lorsqu'on
veut noter ou qualilier, comme on appelle, des propositions cen-
surables, mie des. notes des plus ordinaires est qu'elle est con-
traire à la doctrine du concile de Trente : toutes les facultés de
théologie, et la Sorbonne comme les autres , se servent tous les
jours de cette censure; tous les évèques l'enqjloient, et en parti-
culier, et dans les assemblées générales du clergé ; ce que la der-
nière a encore solennellement i>rati(iué. 11 ne faut point chercher
d'autre acceptation de ce concile (|uant au dogme, (jue des aclcs
si authentiques et si souvent réitérés.
Mais, dites-vous, « vous ne proposez (jue de suspendre les ana-
thèmes de ce concile à l'égard de ceux qui ne sont pas persuadés
(|u'il soit légitime. » C'est votre réponse dans votre Lettre du
3 septembre 1700.
Mais au fond et quoi qu'il en soit . on laissci'a libi'e de croire.
BOSSUET A LEIBNIZ, 12 AOUT 1701. 325
OU de ne croire pas ses décisions; ce qui n'est rien moins, Lien
qu'on adoucisse les termes, que de lui oter toute autorité. Et après
tout, que servira cet expédient, puisqu'il n'en faudroit pas moins
croire la transsubstantiation, le sacrifice, la primauté du Pape de
droit divin, la prière des Saints et celle pour les morts, qui ont
été définies dans les conciles précédens? Ou bien il faudra abolir
par un seul coup tous les conciles , que votre nation , comme les
autres, ont tenus ensemble depuis sept à huit cents ans. Ainsi le
concile de Constance , où toute la nation germanique a concom'u
avec une si parfaite unanimité contre Jean Wiclef et Jean Hus,
sera le premier à tomber par terre : tout ce qui a été fait, à re-
monter jusqu'aux décrets contre Bérenger, sera révoqué en doute,
quoique reçu par toute TEglise d'Occident et en Allemagne comme
partout ailleurs; les conciles que nous avons célébrés avec les
Grecs n'auront pas plus de solidité. Le second concile de Nicée ,
que l'Orient et l'Occident reçoivent d'un commun accord parmi
les œcuméniques, tombera comme les autres. Si vous objectez
que les François y ont trouvé de la difficulté pendant quelque
temps, M. l'abbé de Lokkum vous répondra cjiie ce fut faute de
s'entendre; et cette réponse contenue dans les Ecrits que j'ai de
lui, est digne de son savoir et de sa bonne foi. Les conciles de
l'âge supérieur ne tiendront pas davantage; et vous-même, sans
que je puisse entendre pom'quoi, vous ôtez toute autorité à la
définition du concile vi, sm" les deux volontés de Jésus-Cimst,
encore que ce concile soit reçu en Orient et en Occident sans au-
cune difficulté. Tout le reste s'évanouira de même , ou ne sera
appuyé que sur des fondemens arbitraires. Trouvez, Monsieur,
un remède à ce désordre , ou renoncez à l'expédient que vous
proposez.
Mais, nous direz- vous, vous vous faites vous-mêmes l'Eglise,
et c'est ce qu'on vous conteste. Il est vrai ; mais ceux qui nous le
contestent, ou nient l'Eglise infaillible, ou ils l'avouent. S'ils la
nient infaillible , qu'ils donnent donc un moyen de conserver le
point fixe de la religion. Ils y demeureront courts ; et dès la pre-
mière dispute l'expérience les démentira. Il faudra donc avouer
l'Eglise infaillible : mais déjà sans discussion, vous ne l'êtes pas^
326 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
VOUS qui ôtez constamment cet attribut à TEglise. La première
chose que fera le concile œcuménique que vous proposez, sans
vouloir discuter ici comment on le formera , sera de repasser et
comme refondre toutes les pr(if(\>;sions de foi par un nou\'el exa-
men. Laissez-nous dune en place comme vous nous }' avez trou-
vés , et ne forcez pas tout le monde à varier ni à mettre tout en
dispute : laissez sm* la terre tjuelques chrétiens qui ne rendent
pas impossijjles les décisions inviolables sur les questions de la
foi, (jui osent assurer la religion, et attendre de Jésus-Christ selon
sa parole une assistance hifaillible sur ces matières. C'est là l'u-
nique espérance du christianisme.
Mais, direz-vous, quel droit pensez-vous avoir de nous obliger
à changer plutôt que vous? Hast aisé de répondre. C'est que vous
agissez selon vos maximes, en olVrant un nouvel examen, et nous
pouvons accepter l'ollre [a) : mais nous de notre coté , selon nos
principes, nous ne pouvons rien de senddable ; et (|uand quelques
particuliers y cousentiroient, ils seroient incontinent démentis
par tout le reste de ri-^glis.'.
Tout est d(MU' désesjiére, repivndrcz-vous , puisque nous vou-
lons eiiti'.'ren traite avec avantage. C'est, Monsieur, un avantage
qu'on ne peut ôter à la conununion dont les autres se sont sépa-
rées, l't avec laipielle on travaille à les réunir. Enfin c'est un
avantage qui nous est donné par la constitution de l'Eglise où
nous vivons et , eoiiinie ou a vu. pour le bien ((iiiiiiiiiii de j.i sta-
bilité du eln-istianisme , dont vous devez être jaloux autant (|ue
nous.
A cela, Monsiem', vous opposez la convention, ou, connue on
(o) Déforis racoute, dans une loiigut' note, coinineiit sonjccnscur vouloil lui
faire rctraiicliL'r cotlo iiliia#o, t-t couuul'uI il rofusa celle suppression. Cepeudanl
il aihuit la rectilîcalion que voici : « Vous agissez selon vos maximes eu uoua
nlïianl un uouvel examen, el en prclendant que uous pouvons accepter l'offre. »
On voilque le commentaire va droit à rencontre du texte. La phrase de Bossuct
doit manifestement se traduire de cette manière : « Vous nous proposez d'exa-
miner de nouveau les dogmes du coucile de Trente : nous pouvons accepter cet
examen, non pour uous, mais [mur votre avantage ; non pour fortilier notre foi,
mais pour dissiper vos doutes; non pour vérilier les déliuitious du concile de
Trente, mais pour vous amener à ses décisions. » Qu'y a-t-il de lépréliensible
dans cetli! doctrine ? Si nous ne pouvions examiner notre croyance avec ceux
• pu la eoniballent, pourquoi les dispuL's, les polémiiiues , les discussions, les
apologies? pourquoi renseignemenl di> loult-s li-s sciences Ihéologiques ?
BOSSUET A LEIBNIZ, 12 AOUT 1701. 327
l'appeloit, le Compact accordé aux calixtins dans le concile de
Bàle, par une suspension du concile de Constance; et vous dites
que m'en ayant proposé l'objection, je n'y ai jamais fait de ré-
ponse. C'est ce qu'on lit dans votre lettre du 3 septembre 1700.
Pardonnez-moi, Monsieur, si je vous dis que par là vous me pa-
roissez avoir oublié ce que contenoit la réponse que j'envoyai à
la Cour d'Hanovre par M. le comte Balati, sm' l'Ecrit de M. l'abbé
de Lokkum et sur les vôtres. Je vous prie de la repasser sous vos
yeux; vous trouverez que j'ai répondu exactement à toutes vos
difficultés, et notamment à celle que vous tirez du concile de Bàle.
Si mon Ecrit est égaré, comme il se peut, depuis tant d'années,
il est aisé de vous l'envoyer de nouveau, et de vous convaincre
par vos yeux de la vérité de tout ce que j'avance aujourd'lmi.
Pour moi, je puis vous assurer que je n'ai pas perdu un seul
papier de ceux qui nous ont été adressés, à feu M. Pelisson, et à
moi , par l'entremise de cette sainte et religieuse princesse ma-
dame l'abbesse de Maubuisson, et cpie les repassant tous, je vois
que j'ai satisfait à tout.
Yous-mème, en relisant ces réponses, vous verrez en même
temps. Monsieur, qu'encore que nous rejetions la voie de suspen-
sion comme impraticable , les moyens de la réunion ne manque-
ront pas à ceux qui la chercheront avec un esprit chrétien, puis-
que, bien loin que le concile de Trente y soit un obstacle, c'est au
contraire principalement de ce concile que se tireront des éclair-
cissemens qui devront contenter les protestans , et qui à la fois
seront dignes d'être approuvés par la chaire de saint Pierre et
par toute l'Eglise catholique.
Vous voyez par là. Monsieur, quel usage nous voulons faire de
ce concile. Ce n'est pas d'abord de le faire servir de préjugé aux
protestans, puisque ce seroit supposer ce qui est en question
entre nous. Nous agissons avec plus d'équité. Ce concile nous
servira à donner de solides éclaircissemens de notre doctrine. La
méthode que nous suivrons sera de nous expliquer sur les points
où l'on s'impute mutuellement ce qu'on ne croit pas , et oii l'on
dispute faute de s'entendre. Cela se peut pousser si avant, que
M. l'abbé de Lokkum a concilié actuellement les pomts si essen-
328 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
tiels de la justification et du sacrifice de l'Eucharistie ; et il ne lui
manque, de ce côté-là, que de se faire avouer. Pourquoi no pas
espérer de finir par le même moyen, des disputes moins difficiles
et moins importantes? Poui" moi, bien certainement, je n'avance
ni je n'avancerai rien dont je ne puisse très-aisément obtenir l'a-
veu parmi nous. A ces éclaircissemens on joindra ceux (jui se
tireront, non des docteurs particuliers, ce qui seroit infini, mais de
vos^ livres symboliques. Vos Princes trouveront sans doute qu'il
n'y a rien de plus équitable que ce procédé. Si l'on avoit fait atten-
tion aux solides conciliations que j'ai proposées sur ce fondement,
au lieu qu'il ne pîiroît pas qu'on ait fait semblant de les voir,
l'affaire seroit peut-être à présent bien aviuicée. Ainsi ce n'est
pas à moi ([u'il fjuit imputer le retardement. Si l'état des affaires
survenues rend les clinses plus difficiles; si les difficultés sem-
blent s'augmenter au li«'u de décroître, et que Dieu ir(Mivre pas
encore les cœurs aux propositions de paix si bien commencées,
«t'est à noas à attendre les momens que notre Père céleste a mis
en sa puissance, et à nous tenir toujours prêts au premier signal
à travailler à son omimc (|ni est (('lie de l;i \)a'\\.
Je n'avois pas dessein de répondre à vos deux lettres sur le
canon des Ecritures , parce cpie je craignois que cetti: réponse
ne nous jetât dans des traités de controverse, au lieu que nous
n'avions mis la main à la plume cpie pour donner des principes
d'éclaircissement. Mais comme j'ai vu dans la dernière lettre
dont vous m'honorez, (|uc vous vous portez jusqu'à dire que vos
objections contre 1<' décret de Trente sont sans réplique, je ne
dois pas vr»us laisser dans cette pensée. Vous aurez ma l'éponse,
s'il plait à Dieu, dès le premier ordinaire; et cependant je demeu-
rerai avec toute l'estime possible, Monsieur, votre très-hinuble et
très-obéissant serviteur,
.1. nft.MGNE, év. de Meawx.
BOSSUET A LEIBNIZ, 17 AOUT 1701. 32^
LETTRE LU.
BOSSUET A lf:ibniz
Ce 17 août 1701.
Je ne croyois pas avoir encore à traiter cette matière avec vous.
Monsieur, après les principes cpie j'avois posés : car de descendre
au détail de cette matière, cela n'est pas de notre dessein, et n'o-
péreroit autre chose qu'ime controverse dans les formes, ajoutée
à toutes les autres. Ne nous jetons donc point dans cette discus-
sion ; et voyons par les principes communs s'il est véritable que
le décret du concile de Trente sur la canonicité des Livres de la
Bible, soit détniit absolument et sans réplique par vos deux
lettres du 1-4 et du ^i mai 1700, ainsi que vous l'assurez dans
votre dernière lettre, qui est du 21 juin 1701. Il ne faut pas vous
laisser dans cette erreur, puisqu'il est si aisé de vous donner les
moyens de vous en tirer, et qu'il n'y a, en vous remettant de-
vant les yeux les principes que vous posez, qu'à vous faire voir
qu'ils sont tous évidemment contraires à la règle de la foi et, ( [ui
plus est, de votre aveu propre.
L Ce que vous avez remarqué comme le plus convaincant, c'est
que « nous exigeons comme articles de foi des opinions, dont le
contraire étoit reçu notoirement par toute l'antiquité , et tenu en-
core du temps du cardinal Cajétan, immédiatement avant le con-
cile de Trente '. » Vous allég^uez sur cela l'opinion de ce cardinal,
qui rejette du canoii des Ecritm^es anciennes la Sagesse, V Ecclé-
siastique et les autres li\Tes semblables que le concile de Trente
a reçus. Mais il ne falloit pas dissimuler que le même cardinal
exclut du canon des Ecritures VEpître de saint Jacques, celle de
saint Jude, deux de saint Jean, et même YEpitre aux Hébreux,
comme « n'étant ni de saint Paul, ni certainement canonique; en
sorte qu'elle ne suffit pas à déterminer les points de la foi par sa
seule autorité. »
Il se fonde comme vous sur saint Jérôme ; et il pousse si loin
> Lettre de Leib.^ du 21 juin 1701.
330 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. -D'ALLEMAGNE.
sa critique, qu'il ne reçoit pas dans saint Jean l'histoire de la
femme adultère comme tout à fait authentique, ni comme faisant
une partie assm'ée de TEvangile. Si donc l'opinion de CajjHan
étoit unprc^jugé en faveur de ces exclusions, le concile n'auroit
pas pu recevoir ces livres ; ce qui est évidemment faux, puisque
vous-même vous les rece^•ez.
II. Vous voyez donc, Monsieur, que dans l'argument (|ue voils
croyez sans réplique, vous avez posé d"a])ord ce faux principe
(ju'il n'est pas permis de passer pom* certainement canonique un
livre ilout il auroit été autrefois permis de douter.
III. J'ajoute (jue, dans tous vos autres argumens, vous tombez
dans le défaut de prouver trop, qui est le plus grand où puisse
tondier un théologien, et même un dialecticien et un philosophe,
puiscju'il ûte toute la justesse de la preu^e et se tourne contre
soi-même. J'ajontt* encore (pie vous ne donnez en effet aucun
principe cfrlaiii pour Jiigfi- de la cMUonicilé iU's saints Livres.
(Iclui que vous proposez comme cf>ust;inunent reçu par toute
lancienne Eglise pour les Livres de l'Ancien Testament, qui est
de ne recevoir que les livres qui sont contenus dans le canon
di's Hébreux , n'est rien moins que construit et universel, puisfjue
le plus ancien canon cpie vous proposez, qui est celui de Méliton
chez Eusèbe •, ne contient pas le livre (V lislJter , (|uoi(|ue cons-
tamment n-cu dans le canon des Hébreux.
IV. Après le canon de Méliton, le plus ancien que vous pro-
duisiez est celui du concile de Laodicée * ; mais si vous aviez
marqué que ce concile a mis dans son canon Jérémie avec Ba-
ri/ch, les Lamentations, VEp/tre de ce prophète , où l'on voit avec
les Lamentations, qui sont dans l'hébreu, deux livres qui ne se
lrouv(^nt que dans le grec, on auroit vu cpie la règle de ce concile
n'étoit pas le canon des Hébreux.
V. Le concile de Laodicée étoit composé de plusieurs pntvinces
d'Asie. On voit donc par là le principe, non pas seulement de
quelques particuliers, mais encore de plusieurs éghses, et môme
de plusieurs provinces.
' Eiisob., llist. Eccl., lib. IV. cap. .\xvi. — "- Conc. Luoil., caii. lx; Lab.,
loin. I, col. 1521.
BOSSUET A LEIB.MZ, 17 AOUT 1701. 331
VI. Le même concile ne reçoit pas \ Apocalypse , que nous re-
cevons tous également, encore qu'il fût composé de tant d'églises
d'Asie, et même de l'Eglise de Laodicée, qui étoit une de celles
à qui cette divine révélation étoit adressée '. Nonobstant cette
exclusion, la tradition plus universelle l'a emporté. Yous ne pre-
nez donc pas pour règle le canon de Laodicée, et vous ne tirez
pas à conséquence cette exclusion de V Apocalypse.
YII. Vous produisez le dénombrement de saint Athanase dans
le fragment précieux d'une de ses Lettres pascales -, et l'abrégé
ou Synopse de l'Ecritm'e ^, ouvrage excellent attribué au même
Père; mais si vous aviez ajouté que dans ce fragment, le livre
à'Esther ne se trouve pas au rang des canoniques , le défaut de
votre preuve eût sauté aux yeux.
Ylil. Il est vrai que sur la fm il ajoute que pour mie plus
grande exactitude, il remarquera d'autres livres qu'on lit aux
catéchumènes par l'ordre des Pères, quoiqu'ils ne soient pas dans
le canon, et qu'il compte parmi ces livres celui d'Estfier. Mais
il est vrai aussi qu'il y compte en même temps la Sagesse de
Salomon, la Sagesse de Sirach, Judith et Toble. Je ne parle pas
de deux autres livres dont il fait encore mention , ni de ce qu'il
dit des apocryphes inventés par les hérétiques en confirmation
de leurs erreurs.
IX. VouT lu. Synopse , qui est un ouvrage qu'on ne juge pas
indigne de saint Athanase, encore qu'il n'en soit pas, nous y
trouvons en premier lieu avec Jcrémie , Barucli, les Lamenta-
tions, et la lettre qui est à la fin de Baruch *, comme un ouvrage
de Jérémie : d'où je tire la même conséquence que du canon de
Laodicée.
X. En second lieu, Esther y est, mais non pas parmi les vingt-
deux Livres du canon. L'autem* la met à la tête des livres de Ju-
dith, de Tobie, de la Sagesse de Salomon, et de celle de Jésus fils
de Sirach ^ Quoiqu'il ne compte pas ces livres parmi les vingt-
deux Livres canoniques, il les range parmi les Livres du Vieux
Testament qu'on lit aux catéchumènes : sur quoi je vous laisse à
1 Vid. Apoc, III, 14.— - Nniii. ~\, S. Athaii., frugm. E/n\i. jcst.— 3 Tom. \\,
p. 12(5. — '» IbuL, p. IGT. — ■'> Ibid.., p. I2i», l(j8.
332 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE,
faire telle réflexion qu'il vous plaira. Il me suffit de vous faire
voir qu'il les compte avec Esther , et leur donne la même au-
torité.
XI. Vous alléguez le dénombrement de saint Grégoire de Na-
zianze, de llambique m du même saint à Séleucus, que vous
attribuez à Amphiloque'. Vous deviez encore ajouter que saint
Grégoire de Nazianze omet le livre ôl Esther, comme avoit fait
Méliton, avec VEpître avx Echreux et Y Apocalypse, et laisse
parmi les livres douteux ceux qu'il n'a pas dénommés.
XII. L"Iambi([ue que vous donnez à Ampbiloque, après le dé-
noml)rement des Livres de l'Ancien Testament , remarque que
f[uelques-uns y ajoutent le li\Te d' Es f lier, le laissant par ce moyen
en termes exprès parmi les douteux. Quant à YEptlre aux Hé-
breux, il la reçoit, en observant que quelques-uns ne l'admettent
pas : mais pour ce (jui est de VApnrah/psr , il dit que la plupart
la rejettent.
XIII. .levons laisse à jugera vous-même de ce qu'il faut penser
de Tomission du livre d' Esther, que vous dites laite par UK'garde
et par la négligence des copistes dans le dénombrement de Méli-
ton'. Foible dénouement s'il en fut jamais, puisque les passages
de saint Athiuiase, de la Synapse e\ de saint Grégoire de Nazianze
avec celui d'Ampliilorpie, font voir que cette omission avoit du
dessein, et ne doit pas être imputée à la méprise à laquelle vous
avez recours sans fondement. Ainsi le livre iVEsther, que vous
recevez pour constamment canonique, demeure selon vos prin-
cipes éternellement douteux, et vous ne laissez aucun moyen de
le rétablir.
XIV. Vous répondez en un autre endroit (pie ce qui pouvoit
faire difficulté sur le livre iVEsfhrr, c'étoient les additions, sans
songer (pie par la même raison, il auroit fallu laisser bors du
canon Daniel comme Esthrr.
XV. Vous faites beaucoup valoir le dénombrement de saint Epi-
phane *, (pii dans les livres des Poids et des mesures, et encore
dans celui des Hérésies, se réduit au ca on des Hébreux pour les
Livres de l'Ancien Testament.
' N. 71,, Greg. Naz., Cnr,n. .^xx!!l.— - Sup., Ictt. du 21 mai 1700. — ' N. 78.
BOSSUET A LElBÎSiZ, 17 AOUT 1701. 333
Mais vous oubliez dans cette même hérésie lxxvi , qui est celle
des anoméens , l'endroit où ce Père dit nettement à l'hérésiarque
Aétius, « que s'il avoitlu les vingt-deux Livres de l'Ancien Tes-
tament, depuis la Genèse jusqu'au temps d'Esther, les quatre
Evangiles, les quatorze Epi très de saint Paul, avec les sept ca-
tholiques et V Apocalypse de saint Jean, ensemble les livres de la
Sagesse de Salomon et de Jésus fds de Sirach, enfin tous les
Livres de l'Ecriture, il se condamneroit lui-même ' » sur le titre
qu'il donnoit à Dieu pour ôter la divinité à son Fils unique. Il
met donc dans le même rang , avec les saints Livres de l'Ancien
et du Nouveau Testament, les deux livres de la Sagesse et de
Y Ecclésiastique ; et encore qu'il ne les compte pas avec les vingt-
deux qui composent le canon primitif qui est celui des Hébreux,
il les emploie également, comme les autres Livres divins, à con-
vaincre les hérétiques.
XVI. Toutes vos règles sont renversées par ces dénombremens
des Livres sacrés. Vous les employez à établir que la règle de
l'ancienne Eglise , pour les Livres de l'Ancien Testament , est le
canon des Hébreux : mais vous voyez au contraire que ni on ne
met dans le canon tous les livres qui sont dans l'hébreu , ni on
n'en exclut tous ceux qui ne se trouvent que dans le grec ; et
qu'encore qu'on ne mette pas certains livres dans le canon pri-
mitif, on ne laisse pas d'ailleurs de les employer comme Livres
.divinement inspirés , pour établir les vrais dogmes et condamner
les mauvais.
XVII. Votre autre règle tombe encore, qui consiste à ne rece-
voir que les livres qui ont toujours été reçus d'un consentement
unanime , puisque vous recevez vous-même des livres que le plus
grand nombre en certains pays , et des provinces entières avoient
exclus.
XVIII. Je ne répéterai pas ce que j'ai dit d'Origène dans ma
lettre du 9 janvier 1700^, et que vous avez laissé passer sans con-
tradiction dans votre lettre du 14 mai 1700 ', en répondant seule-
ment que c'est là quelque chose de particulier. Mais quoi qu'il
en soit, il y a ceci de général dans un auteur si ancien et si sa-
' Epiph., HcEi'. LXXVI, c. V. — 2 Ibid., 11. !0. — ^ /,VV/., 11. 41.
:iU LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE,
vant, que les Iléljreux ne sont pas à sunTe dans la suppression
qu'ils ont faite de ce qui ne se trouve que dans le grec , et qu'en
cela il faut préférer l'autorité des chrétiens ; ce qui est décisif
pour notre cause.
XIX. Pendant que nous sommes sm* Orig-ène, vous m'accusez
du même défaut que je vous objecte , qui est celui de prouver
trop ; et vous soutenez que les citations si fréquentes, dans les
ouvrages de ce grand homme, de ces livres contestés, aussi bien
fjue celles de saint Clément Alexandrin, de saint Cyprien et de
ffuelques autres, ne prouvent rien, parce que le même Origène
a cité le Pasteur, livre si suspect. C'est, Monsieur, ce qui fait
contre vous, puisfiu'en citant le Pa>itenr W y ajoute ordinaire-
ment cette exception : Si ad tamcn Uln-Uiis ille suscipiendus vi-
(Ictur ; restriction que je n'ai pas remarqué qu'il ajoutât , lorsqu'il
cite Judith, Tohie et le H^Te de la Saçjcsae; comme, on le peut
remarquer en plusiem's endroits, et notamment dans ses Homé-
lies xxvn et xxxui sur les Nombres, où les trois livres qu'on
vient de nommer sont allégués sans exception , et en parallèle
avec les livres iYKstlivr, du Ij'viticjiic et des No7nl)res , et même
avec lEvangile et les Epitres de saint Paul.
XX. Vous aviez comme supposé votre principe dès votre lettre
du 11 décembre HiOO ; et je vous avois représenté par ma réponse
du 9 janvier 1700, n. xv, que cette difficulté vous étoit commune
avec nous, puisque vous receviez pour certainement canoniques
YEpitre aux Eèhreux et les autres, dont vous voyez aussi bien
(jue moi qu'on n'a pas plus été toujours d'accord que de la Sa-
f/essc , etc.
XXI. Si je voulois dire, Monsieur, ((ue c'est Là un raisonnement
sans réplique, je lepourrois démontrer par la nullité évidente de
vos réponses dans votre lettre du 11 mai 1700.
XXII. Vous en faites deux : la première dans l'endroit de cette
lettre , où vous parlez en cette sorte : « Il y a plusieurs choses à
répondre ; car premièrement les protestans ne demandent pas
({ue les vérités de foi aient toujours prévalu , ou qu'elles aient
toujours été reçues généralement'. » Dites-moi donc, je vous
' Lfltio (lu 14 iiiai ITÛO^ u. 43.
BOSSUET A LEIBNIZ, 17 AOUT 1701. 335
prie, quelle règle se proposent vos églises sur la réception des
Ecritures canoniques. En savent-elles plus que les autres pour
les discerner ? Voudront-elles a^oir recoiu-s à l'inspiration parti-
culière des prétendus réformés, c'est-à-dire à leur fanatisme?
C'est, Monsieur, ce que je vous laisse à considérer; et je vous
dirai seulement que votre réponse est un manifeste abandonne -
ment du principe que vous aviez posé comme certain et commun,
dans votre lettre du 11 décembre 1699, qui a été le fondement de
tout ce cpie nous avons écrit depuis.
XXIII. Je trouve une autre réponse dans la même lettre du
14 mai 1700, où vous parlez ainsi : « Il y a bien de la diffé-
rence entre la doctrine constante de l'Eglise ancienne, contraire
à la pleuie autorité des Livres de l'Ancien Testament, qui sont
hors du canon des Hébreux, et entre les doutes particuliers que
quelques-uns ont formés contre VEpltre aux Hébreux et contre
V Apocalypse ; outre qu'on peut nier qu'elles soient de saint Paul
ou de saint Jean, sans nier qu'elles sont divines *. »
XXIV. Mais vous voye? bien en premier lieu, que ceux qui
n'admeftoient pas YEpUre aux Hébreux et Y Apocalypse, ne leur
ôtoient pas seulement le nom de saint Paul ou de saint Jean ,
mais encore leur canonicité ; et en second lieu, qu'il ne s'agit
point ici d'un doute particulier , mais du doute de plusieurs
églises, et souvent même de plusiem^s provinces.
XXV. Convaincu par ces deux réponses, que vous avez pu ai-
sément prévoir, vous n'en avez plus que de dire « que, quand on
accorderoit chez les protestans qu'on n'est pas obligé sous ana-
thème de reconnoître ces deux Livres { VEpttre aux Hébreux et
V Apocalypse ) comme divins et infaillibles , il n'y auroit pas grand
mal ^ » Ainsi plutôt que de conserver les livres de la Sagesse et
les autres, vous aimez mieux consentir à noyer sans ressource
VE pitre aux Hébreux et V Apocalypse, et par la même raison les
Epitres de saint Jacques, de saint Jean et de saint Jude. Le livre
(ÏEsther sera entraîné par la même conséquence. Vous ne ferez
point de scrupule de laisser perdre aux enfans de Dieu tant d'o-
racles de leur Père céleste, à cause qu'on aura souffert à Cajétan
1 Lettre du 14 mai 1700, n. 43. — ^ X. 44.
336 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
et à quelques autres de ne les pas recevoir. On n'osera plus ré-
primer Luther, qui a blasphémé contre YEpltre de saint Jacques,
qu'il appelle une Epitre de paille. 11 faudra laisser dire impuné-
ment à tous les esprits lil)ertins , ce qui leur viendra dans la
pensée contre deux Livres aussi divins que sont VEpîtrc aux Hé-
breux et V Apocalypse ; et l'on en sera quitte pour dire , comme
vous faites en ce lieu , « que le moins d'anathèmes qu'on peut ,
c'est le meilleur. »
XXVI. LEglise catholique raisonne sur de plus solides fonde-
mens, et met les doutes sm' ceilains livres canoniques au rang-
de ceux quelle a soufferts siu- tant d'autres matières, avant
qu'elles fussent bien éclaircies et bien décidées pju- le jugement
exprès de l'Eglise.
XXVII. Vous avez peine à recx)nnoitre l'autorité de ces déci-
sions. Vous complez pour innovations , lorsqu'on passe en articles
des points qu'on ne soulliv plus qui soient contestés par ceux
qu'on soulfroit auparavant. Par là vous rejetez la doctrine cons-
tante et indubitable <jue j'avois tâché d'expliquer par uia lettre
du ;]0 janviiîr 1700 , à laquelle vous voulez bien que je vous ren-
voie, puis(iue après l'avoir laissée sans contradiction, vous dé-
clarez sur la lin (lt•^(>ll•(■ Ifllif du I 'i mai 1700. (|u'au fond rllr ne
doit point nous arrêter.
XXVIII. Aussi cette doctrine est-elle certaine parmi les chré-
tiens. Personne ne trouve la rebaptisation aussi coupable dans
saint Cyprien qu'elle l'a été dans les donatistes di^puis la décision
de l'Eglise universelle. Ceux qui ont favorisé les pélagiens et les
demi-pélagiens avant les définitions de Cartilage, d'Orange, etc.,
sont excusés , et non pas ceux ijui l'ont fait depuis. 11 en est ainsi
des autres dogmes. Les décisions de l'Eglise, sans rien dij'e de
nouveau, niettent dans la chose une précision et mie autorité à
laquelle il n'est plus permis de résister.
XXIX. Ouand donc on demande ce que devient cette maxime :
Que la foi est enseignée toujours , partout et par tous, il faut en-
tendre ce tous du gros de l'Eglise: et je m'assure. Monsieur,
([ue vous-même ne feriez pas une autre réponse à une pareille
(Icinaiide.
BOSSUET A LEIBNIZ, 17 AOUT 1701. 337
XXX. Il n'y a plus qu'à l'appliquer à la matière que nous trai-
tons. L'Eglise catholique n'a jamais cru que le canon des Hé-
breux fût la seule règle , ni que pour exclure certains Livi-es de
l'Ancien Testament de ce canon, qu'on appeloit le Canon par ex-
cellence, parce que c'étoit le premier et le primitif, on eût eu in-
tention pour cela de les rayer du nombre des Livres que le Saint-
Esprit a dictés. Elle a donc porté ses yeux sur toute la tradition;
et par ce moyen elle a aperçu que tous les Livres qui sont aujour-
d'hui dans son canon, ont été communément et dès l'origine du
christianisme , cités même en confirmation des dogmes les plus
essentiels de la foi par la plupart des saints Pères. Ainsi elle a
trouvé dans saint Athanase , au li\Te Contre les Geiitlls , la Sa-
gesse citée en preuve indilTéremment avec les autres Ecritures.
On trouve encore dans sa première Lettre à Sérapion, aussi bien
qu'ailleurs, le livre de la Sagesse cité sans distinction avec les
livres les plus authentiques , en preuve certaine de l'égalité des
attributs du Saint-Esprit avec ceux du Père et du Fils , pour en
conclure la divinité. On trouvera le même argument dans saint
Grégoire de Nazianze et dans les autres saints. Nous venons d'ouïr
la citation de saint Epiphane contre l'hérésie d'Aétius , qui dégra-
doit le Fils de Dieu. Nous avons vu dans les lettres du 9 et du 30
janvier 1700, celle de saint Augustin contre les semi-pélagiens ,
et il y faudra bientôt revenir. Nous produirions aisément beau-
coup d'exemples semblables.
XXXI. Pom- marcher plus sûrement, on trouve encore des ca-
nons exprès et authentiques , où ces hvres sont rédigés. C'est le
pape saint Innocent, qui consulté par saint Exupère , a instruit
en sa personne toute l'église galUcane de leur autorité , sans les
distinguer des autres. C'est le troisième concile de Carthage , qui
voulant laisser à toute l'Afrique un monument éternel des Livres
qu'elle avoit reconnus de tout temps, a inséré dans son canon ces
mêmes livres sans en excepter un seul , avec le titre à' Ecritures
canoniques *. On n'a plus besoin de parler du concile romain
sous le pape Gélase : il faut seulement remarquer que s'il ne
nomme qu'un livre des Machabées , c'est visiblement au même
' Conc. Cnrtlt. 111, caii. 47 ; ., Labb., toui. H, col. ] 177.
TOM. xvin. 22
338 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE
sens que dans la plupart des canons, les deux livres des Paralipu-
mènes ne sont comptés que pour im , non plus que Néhémias et
Esdras , et beaucoup d'autres , à cause , comme saint Jérôme l'a
bien reniarcjué ', qu'on en faisoit un même volume : ce qui peut
d'autant plutôt être arrivé aux deux livres des Machabces , que
dans le fond ils ne font ensemble qu'une même histoire.
XXXII. Yous voulez nous persuader que, sous le nom d'Ecri-
ture canonique, on cnlendoit souvent en ce temps les Ecritures
qu'on lisoit publi*iuement dtms l'église, encore qu'on ne lem*
donnât pas une autorité, inviolable : mais le langage commun do
l'Eglise s'ojjpost' à crtte pensée, dont aussi il ne paroît aucun
témoignage au milieu de tant de [lassages que vous produisez.
XXXI II. Je ne sais quelle conséquence vous voulez tirer dans
votre lettre du 24 mai 17()0, des paroles de saint Innocent I, qui
ajoute au dénombrement des Ecritiu'es la condamnation expresse
(les a[>oi'rvpln's : Si t/i((i sunt tilia , no7i solùm rcpwUanda , vc-
riun eliinii /lorcn's rssr (hunnnii'ln. Voici comment vous vous en
expliquez: «En considérant ses paroles, (jui sont celles (ju'on
vient d'entendre , on voit clairement son but, qui est de faire un
canon des Livres (jue l'Eglise reconnoît poiu- authentiques, et
qu'elle fait lire publi(iuement comme faisant partie de la Bible.
Ainsi ce canon devoit conq)rendre tant les Livres tliéopneustes ou
divinement inspirés, que les livres ecclésiastiques, pour les dis-
tinguer tous ensemble des Uvres apocryphes plus spécialement
nonunés ainsi ; c'est-à-dire de cenx (|ui devoit'nt èti'<' eiM-liés et
delVutlus connue suspects-. »
XXXIV. J'avoue bien la distinction des livres apocrj'phes, (pidn
délendoit expressément comme suspects, ou ainsi que nous l'a-
vons vu dans le fragment de saint Athanase ', comme inventés
par les hérétiques. Ceux-ci dévoient être spécialement contiant-
nés, comme Us le sont par saint Innocent. (Mi ponvoit aussi reje-
ter et en un sens condamner les autres, en tant qu'on les ann»it
voulu égaler aux Livres canoni{]ues : mais quant à la distinction
i\vs livn;s authentiques et ({ui faisoient partie de la Bible, d'avec
les Livres divinement inspirés, je ne sais où vous l'avez prise; et
» IliiTon., f'iiibt. L, ad Paul. — - N. SJ. — 3 ï^up., ii. 8.
BOSSUET A LEIBNIZ, il AOUT 1701. 339
pour moi, je ne la vois nulle part. Car aussi quelle autorité avoit
TEglise de faire que des livres, selon vous, purement humains et
nullement infaillibles , fussent authentiques et méritassent d'être
partie de la Bible '? Quelle est rauthenticité que vous leur attri-
buez, s'il n'est pas indubitable qu'ils sont sans erreiu"? L'Eglise
les déclare utiles , dites- vous ; mais tous les livres utiles font-ils
partie de la Bible , et l'approbation de l'Eglise les peut-elle ren-
dre authentiques? Tout cela ne s'entend pas; et il faut dire qu'être
authentique, c'est selon le langage du temps , être reçu en auto-
rité comme Ecritures divines. Je ne connois aucun livre qui fasse
partie de la Bible que les Livres divinement inspirés, dont la
Bible est le recueil. Les apocryphes qu'on a jugés supportables,
comme pourroit être la prière de Manassès avec le troisième et le
quatrième livre à'Esdras , sont bien aujourd'hui attachés à la
Bible; mais ils n'en sont pas pour cela réputés partie, et la dis-
tinction en est infinie. Il en étoit de même dans l'ancienne Eglise,
qui aussi ne les a jamais mis au rang des Ecritures canoniques
dans aucun dénombrement,
XXXV. Je n'entends pas davantage votre distinction, de la ma-
nière que vous la posez, entre les li\Tes que vous appelez ecclé-
siastiques et les Livres vraiment canoniques. Dans le li\Te que
saint Jérôme a composé, de Scriptorihvs ecclrsiasficis, il a com-
[jris les apôtres et les évangélistes sous ce titre. Il est ^Tai qu'on
peut distinguer les auteurs purement ecclésiastiques d'avec les
autres. Mais vous ne montrerez jamais que la Sagesse et les autres
Livres dont il s'agit soient appelés purement ecclésiastiques. Si
vous voulez dire qu'on lisoit souvent dans les églises des livres
qui n'étoient pas canoniques, mais qu'on pouvoit appeler simple-
ment ecclésiastiques , comme les Actes des martyrs, j'en trouve
bien la distinction dans le canon XLvn du concile m de Carthage :
mais j'y trouve aussi que ce n'est point en ce rang qu'on mettoit
la Sagesse et les autres li\Tes de cette nature, puisqu'ils sont très-
expressément nommés canoniqiœs , et que le concile déclare en
termes formels que ceux qui sont compris dans son canon, parmi
lesquels se trouvent ceux-ci en parfaite égalité, sont les seuls
i L'ttre du 14 mai 1700, n. 2a.
338 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE,
qu'on lit sous le titre de canoniques, Sub titulo canonicœ Sciip-
turœ.
XXXVI. Je ne puis donc dire autre chose, sur votre distinction
de Livre inspiré de Dieu et de Livre authentique et qui fasse partie
de la Bible, sinon qu elle est tout à fait vaine ; et qu'ainsi en ran-
geant les hvres dont vous contestez l'autorité au nombre des au-
thentiques et faisant partie de la Bible , au fond vous les faites
vous-même véritablement des Livres divins ou divinement ins-
pirés et parfaitement canoniques.
XXXVII. Saint Augustin, cjui étoit du temps et qui vit tenir le
concile de Carthage , sil ny étoit pas en personne, a fait deux
choses : l'une , de mettre lui-même ces livres au rang des Ecri-
tm-es canoniques ' ; l'autre, de répéter trente fois , que les Ecri-
tures canoniques sont les seules à qui il rend cet honneur de les
croire exemptes de toute erreur, et de n'en révoquer jamais en
doute l'autorité * : ce qui montre Tidée qu'il avoit, et qu'on avoit
de son temps, du mot ^'Ecritures canoniques.
XXXVIII. Cependant c'est saint Augustin que vous alléguez
dans votre lettre du 2i mai 1700 ^ pour témoin de ce langage que
vous attribuez à l'Eglise. Voyons donc si vos passages seront sans
réplique. « L'Ecritm^e des MacJiabêes, dit saint Augustin, n'est pas
chez les Juifs comme la loi et les prophètes ; mais l'Eglise l'a reçue
avec utilité, pourvu qu'on la lise sobrement. La Sagesse et Y Ecclé-
siastique ne sont pas de Salomon ; mais l'Eglise, principalement
celle d'Occident, les a reçus anciennement en autctrité. Les temps
du second temple ne sont pas marqués dans les saintes Ecritures,
qu'on appelle canoniques; mais dans les livres des Machabées, qui
sont tenus pour canoniques, non par les Juifs, mais par l'Eglise, à
cause des admirables souffrances de certains martyrs *. »
XXXIX. Je vois. Monsieur, dans tous ces passages qu'on appelle
particulièrement canoniques les Livres du canon des Hébreux , à
cause que c'est le premier et le primitif, comme il a déjà été dii ;
pour les autres, qui sont reçus anoiemiement en autorité par l'E-
» Lib. U de Doct. Christ-, cap. viii, n. \2 et 13. — * ViJ., episl. lxxxh, al. 19;
II. 2 pt 3. — 3 N. 99 etsuiv. — * Aug., lib. Il, co7it. Garni., cap. xxiii; idem., de
Cunt. Dci, lib. .Wll, cap xx, ibtd., lib. XIII, cap. xix, ubi sup.
BOSSUET A LEIBNIZ, iT AOUT 1701. 341
glise Je vois aussi rcccasion qui l'y a rendue attentive, et qu'il
les faut lire avec quelque circonspection , à cause de certains en-
droits qui , mal entendus^ pouiToient paroître suspects : mais que
leur canonicité consiste précisément en ce qu'on les lit dans
l'église , sans avoii' dessein d'en recommander l'autorité comme
inviolable; c'est; de quoi saint Augustin ne dit pas im mot.
XL. Et je vous prie, Monsiem-, entendons de bonne foi quelle
autorité saint Augustin veut donner à ces li\Tes : premièrement,
vous am'iez pu nous avertir qu'au même lieu que vous alléguez *
pour donner atteinte à la Sagesse et à Y Ecclésiastique, saint
Augustin prétend si bien que ces Liwes sont prophétiques, qu'il
en rapporte deux prophéties très-claires et très-expresses : l'une,
de la passion du Fils de Dieu; l'autre, de la conversion-des Gentils.
Je n'ai pas besoin de les citer : elles sont connues , et il me suffit
de faire voir que ce Père, bien éloigné de mettre lem* canonicité
en ce qu'on les hsoit dans l'égUse, comprenoit au contraire cpie
de tout temps, comme il le remarque, on les lisoit dans l'église à
cause qu'on les y avoit regardés comme prophétiques.
XLI. Venons à l'usage qu'il fait de ces hvres, puisque c'est la
meilleure preuve du sentiment qu'il en avoit. Ce n'est pas pom*
une fois seulement, mais par une coutume invai'iable, qu'il les
emploie pour confirmer les vérités révélées de Dieu, et nécessaires
au salut, par autorité infaillible. Nous avons \-u son allégation du
h\Te de la Sagesse. Il a cité avec le même respect Y Ecclésias-
tique, pour établir le dogme important du libre arbitre ; et il fait
marcher ce livre indistinctement comme Moïse et les Proverbes de
Salomon, avec cet éloge commun à la tête : « Dieu nous a révélé
par ses Ecritures qu'il faut croire le hbre arbitre ; et je vais vous
représenter ce qu'il en a révélé par la parole, non des hommes ,
mais de Dieu : » Non kumano eloquio sed divino ^. Vous voyez
donc que s'il a cité le livre de la Sagesse et celui de Y Ecclésias-
tique, ce n'est pas en passant ou par mégarde, mais de propos dé-
hbéré , et parce que chez lui c'étoit un point fixe de se servu*
authentiquement des livres du second canon, ainsi que des autres.
XLII. C'est dans ses derniers ouvrages qu'il a parlé le plus ferme
» De Civit ,m). XYll, cap. xx. — - De Grat. et Ub. arb., cap. ii, n. 2.
312 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE,
sur ce sujet : c'est-à-dire qu'il alloit toujours se confirmant de
plus en plus dans la tradition ancienne; et que plus il seconsoni-
moit dans la science ecclésiastique, plus aussi il faisoit valoii- lau-
toritt' de ces Livres.
XLIII. Ce (]u"il y a ici déplus n'iuanjuablo, c'est (pi'il s'attacha
à soutenir la divinité du livre de la Sagesse, après qu'elle lui eut
été contestée par les fauteurs du sémi-pélagianisme; et qu'au
lieu de lâcher pied ou de répondre m hésitant, il n'en parla (pie
d'un ton plus ferme.
XLIY. Après cela^ Monsietn*. ponvcz-vous élre c(»ntrnf de votn»
réponse, lorscpie vous dites, dans N(»lrc niéme lettre chi m mai
17(M) ', (|ue saint Augustin a parle si ferme de lautorité de
la Sf/f/rssr dans la chaleiu* de son Apolof/ir , pendant que vous
voyez si clairement (|uece n'est pas ici une affaire de chaleur, mais
de dessein et de raison . puisque ce i,'ran(l honnne ne fait (jue
marcher sur les principes qu'il avoit toujours soutenus, et dans
lesquels il s'allennissoil tous Irs jom's, cKiniiie nu lait dans les
vérit«''s hien entendues?
XLV. Vous l'eniarciuez (lu'il n"a p.is dit (|ue ce li\re iïit éi^al au.v
autres; ce (|ii il aiiroil fallu dire s'il eût été des sentimens triden-
tins. Mais ne voit-on pas ré([uivalent dans les paroles où il in-
cultpie avec tant de force (pi'on fait injure à ce livre , lorsqu'on
lui conteste son aut(M"ité, puisqu'il a été écouté comme un témoi-
gnage di\in? Happortons ses propres paroles : «Hu a cni, dit-il,
qu'on n'y écoutoit autre chose cpi'un témoignage divin -, » sans
(piil y eût rien dinnnain mêlé dedans. Mais i-ncore, qui en avoit
cette croyance? Les évèques et tous les chrétiens, jusqu'au der-
nier rang des laï([ues , pénitens et catéchumènes. (3n eut induit
les derniers à erreur, si on leur eût donné comme purement divin
ce qui n'étoit pas dicté par le Saint -Msjirit , et si Ton eût fait de
lautorité divine de ce livre comme mie jtarlie du catéchisme?
Après cela. Monsieur, permettez (pie je vous demande si c'est là
ce (jue disent les protestans; et si vous pouvez concilier l'autorité
de ces livres, purement ecclésiastique et humaine, et nullement
infaillible ([ue vous leur donnez, avec celle d'un témoignage divin,
' N. lo:;. — * .\n;.'usl.. flr Prœd. San-t., caii. xiv, iibi sup.
BOSSUET A LEIBNIZ, 17 AOUT 1701. 313
unanimement reconnu par tous les ordres de TEglise, que saint
Augustin leur attribue. C'est ici que j'espère tout de votre can-
deur, sans m'cxpliquer davantage.
XLVl. En un mot, saint Augustin ayant distingué, comme on a
vu ci-dessus ', aussi clairement qu'il a fait, la déférence qu'il rend
aux auteurs qu'il appelle ecclésiastiques , ecclesimtici iractatores,
et celle rpi'il a pour les auteurs des Ecritures canoniques , en ce
qu'il regarde les uns comme capables d'errer, et les autres non :
dès qu'il met ces livres au-dessus des auteurs ecclésiastiques, et
qu'il ajoute que ce n'est pas lui qui leur a donné ce rang, « mais
les docteurs les plus proches du temps des apôtres, » temporibus
proximi apostolorum ecclesiastici tractatores, il est plus claii' que
le jour qu'il ne leur peut donner d'autre autorité que celle qui est
supérieure à tout entendement humain, c'est-à-dire toute divine et
absolument infaillible.
XLYII. Yous pouvez voir ici, encore une fois, ce qui a déjà été
démontré ci-dessus % combien vous vous éloignez de la vérité, en
nous disant qu'en ce temps le livre de la Sagesse et les autres
étoient mis simplement au rang des livres ecclésiastiques, puisque
vous voyez si clairement saint Augustin, auteur de ce temps , les
élever au-dessus de tous les livres ecclésiastiques, juscju'au point
de n'y écouter qu'un témoignage divin ; ce que ce Père n'a dit ni
pu dire d'aucun de ceux qu'il appeUe ecclésiastiques , à l'autorité
desquels il ne se croit pas obligé de céder.
XLYIII. Quand vous dites dans votre même lettre du *2i mai
1700 S qu'il reconnoît dans ces hvres seulement l'autorité de
l'Eghse, et nullement celle d'une révélation divine, peut-être
n'auriez-vous point regardé ces deux autorités comme opposées
l'mie à l'autre, si vous aviez considéré que le principe perpétuel
de saint Augustin est de reconnoitre sur les Ecritures l'autorité de
l'Eglise comme la marque certaine de la révélation, jusqu'à dire,
comme vous savez aussi bien que moi, qu'il ne croiroit pas
à l'Evangile, si l'autorité de l'Eghse catholique ne l'y portoit *.
XLIX. Que s'il a dit souvent avec tout cela, comme vous l'avez
' N. '1?,. — 2 i\. :\?,, ;î;;. — ' N. 102.— '• s. Angnst., lib cont. F.pist. Fundam.,
cap. V, n. 6.
a44 LETTRES SUR L.\ REUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
remarqué, qu'on ne cite pas ces livres que les Hébreux n'ont pas
reçus dans leur canon avec la même force que ceux dont personne
n'a jamais douté, j'en dirai bien autant moi-même, et je n'ai pas
feint d'avouer que les li\Tes du premier canon sont en effet encore
aujourd'hui cités par les catholiques avec plus de force et de con-
viction, parce qu'ils ne sont contestés ni par les Juifs, ni par aucun
chrétien, orthodoxe ou non , ni enfin par qui que ce soit : ce qui
ne convient j)as aux autres. .Mais si vous concluez de là que ces
livres ne sont donc pas véritablement canoniques, les regardant
en eux-mêmes, vous vous sentirez forcé, malgré vous, à rejeter
la parfaite canonicité de V Apocalypse et de XEpîtrc mix ïlrhrcnx,
sous prétexte quon n'a pas toujours égjilement produit ces divins
Livres comme canoniques.
L. Puisque vous appuyez tant sur l'autorité de saint Jérôme,
voul«'Z-\ ous que nous jtrcnions au pied de la lettre ce qu'il dit si
positivement en plusieurs endroits : « que la coutume des Latins
ne reçoit pas XKpttre aux Ih'hreux parmi les Ecritures cano-
niques : » Lnlina ronsitetii(/u intcr canonicas Srripluras non
recijiil ' ? A la rigueur, ei^ discours ne seroit pas véritable. Le tor-
rent des Pères latins conmie des Grecs cite YEpltre aux Hvbreux
comme eanoniciue, dès le tenqis de saint Jérôme et auparavant.
Faudra-t-il donc démentir un fait constant? Ou plutôt ne faudra-t-il
pas réduire à un sens tempéré l'exagération de saint Jérôme?
Venons à quelque chose de plus précis. Quand saint Augustin,
quimd les autres Pères, et ce qu'il y a de plus fort, quand les papes
et les conciles ont reçu authentiquement ces Livres pour cano-
niques, saint Jérôme avoit déjà écrit qu'ils n'étoient pas propres
en matière contentieuse à (confirmer les dogmes de la foi ; mais
l'Eglise, qui dans le fait voyoit en tant d'autres, les plus anciens,
les plus'éminens en doctrine, et en si grand nombre, une pra-
tique contraire, n'flj^t-elle pas pu expliquer l)énignement saint
Jérôme, en reconnoissant dans les Livres du premier canon une
autorité ]j1us miiversellement reconnue et que personne ne récu-
soit? Ce qui est a rai en un certain sens encore à présent, comme
' In Isai., VI et vu, tnlnr Ep. dit. ICpinl. ad Duril.; et lih. II, /// Zncluiv., et
uliLi.
BOSSUET A LEIBNIZ, 17 xVOUT 170i. 343
on vient de le voir, et ce que les catholiques ne contestent pas.
LI. On pourra donc dire que le discours de saint Jérôme est
recevable en ce sens, d'autant plus que ce grand homme a
comme fourni une réponse contre lui-même , en reconnoissant
que le concile de Nicée avoit compté le livre de Judith parmi
les saintes Ecritures ', encore qu'il ne fut pas du premier canon.
LIT. Yous conjecturez que ce grand concile aura cité ce li\Te
en passant, sous le nom de sainte Ecritm^e, comme le même
concile, à ce que a'ous dites, Monsiem', car je n'en ai point
trouvé le passage, ou quelques autres auteurs auront cité le
Pasteur, ou bien comme saint Ambroise a cité le quatrième
livre à^Esdras. Mais je vous laisse encore à juger si une citation
de cette sorte remplit la force de l'expression, où l'on énonce
que le concile de Nicée a compté le hvre de Judith parmi les
saintes Ecritures. Que si vous me demandez pourquoi donc il
hésite encore après un si grand témoignage, à recevoir ce livre
en preuve sur les dogmes de la foi, je vous répondrai que vous
avez le même intérêt que moi à adoucir ses paroles par ime
interprétation favorable, pour ne le pas faire contraire à lui-
même. Au surplus, je me promets de votre candeur que vous
m'avouerez cjue le Pasteur, et encore moins le quatrième livre
à'Esdras, n'ont été cités ni pour des points si capitaux, ni si géné-
ralement, ni avec la même force, que les Livres dont il s'agit.
Nous avons remarqué comment Origène cite le livre du Pasteur ^'-
Il est YTHi que saint Athanase cite quelquefois ce livre : mais il ne
faut pas oublier comment; car au lieu qu'il cite partout le livre
de la Sagesse comme l'Ecritm'e sainte, il se contente de dire, le
Pasteur, le très-utile livre du Pasteur. Du moins est- il bien cer-
tain que jamais ni en Orient ni en Occident, ni en particulier ni en
public, on n'a compris ces livres dans aucun canon ou dénom-
brement des Ecritures. Cet endroit est fort décisif pom- empêcher
qu'on ne les compare avec des livi'es qu'on trouve dans les canons
si anciens et si authentiques, que nous avons rapportés.
LUI. Vous avez vu les canons que le concile de Trente a pris
pour modèles. Je dirai à leur avantage qu'il n'y manque aucun
1 Prœf. in Judith. — - Suprà, n. 19.
346 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
(les Li\Tes de TAncien ou du Nouveau Testament. Le livre d'Es-
ther y trouve sa ^ilace, quïl avoit perdue parmi tant de Grecs : le
Nouveau Testament y est entier. Ainsi déjà de ce côté-là, les
canons que le concile de Trente a suivis sont sans reproche,
(juand il les a adoptés ou plutôt triuiscrits, il y avoit douze cents
ans que toute l'Eglise d'Occident, à laquelle depuis plusiem's siècles
toute la catholicité s'est réunie, en étoit en possession ; et ces canons
étoient le fruit de la tradition immémoriale, dès les temps les plus
prochains des apôtres; conune il paroit, sans nommer les autres,
par un Origène et par un siiint Cyprien, dans lequel on doit croire
entendre tous les anciens évèques et martyrs de l'Eglise d'Afrique.
N'est-ce pas là une antiquité assez vénérahle?
LIY. C'est ici t\n\\ faut appliquer celte règle tant répétée et tant
célébrée par saint Augustin : « Ce qu'on ne trouve pas institué
par h's conciles, mais reçu et t'iabli de tout temps, ne peut venir
que (l«'s apôtres '. » Nous sonuues précist-menl dans le même c<»s.
Ce n'est point le concile de Carthag»^ qui a inventé ou institué son
canon des Ecritures, puisqu'il a mis à la tête que c'étoit celui qu'il
avoit trouvé de toute antiquité dans l'Eglise. 11 étoit donc de tout
tiinqjs ; et quand saint Cyprien, quand Origène, qutuid saint Clé-
ment d'Alexandrie, quand celui de Home (car comme les autres il
a cité ces livres en autorité,; en un mot, quand tous les autres
ont concom^u à les citer comme on a vu , c'étoit une impression
venue des apôtres et soutenue de leur aiitorité, comme les autres
traditions non écrites, rpie vous avez paru reconnoître dans votre
lettre du premier décembre \V>\)\), conune je lai remarqué dans
les lettres que j'écrivis en réponse.
LV. Celte doctrine doit être commune entre nous; et si vous
n'y revenez entièrement, vous voyez (jue non-s(Milement les «on-
cilcs seront ébnuilés , mais encore (pie le canon même des Ecri-
tures ne demeui'era pas en son entier.
LVI. Cependant c'est pour im canon si ancien, si complet et de
plus venu d'une tradition immémoriale , qu'on accuse d'inno-
vation les Pères de Trente, au lieu (juil faudroit louer leur véné-
ration et k'ur zèle pour l'antiquité.
' Lil), IV, de Bapi , cup. xxiv, ii. :il cl alil). iia>isim.
BOSSUET A LEiBMZ, 17 AOUT 1701. 347
LVII. Que s'il n'y a point d'anathèmes dans ces trois anciens
canons, non plus que dans tous les autres, c'est qu'on n'avoit point
coutume alors d'en appliquer à ces matières , qui ne causoient
point de dissension ; chaque église lisoit en paix ce qu'elle avoit
accoutumé de lire, sans (pie cette diversité changeât rien dans la
doctrine , et sans préjudice de l'autorité que ces livides avoient
partout, encore.que tous ne les missent pas dans le canon. Il suffi-
soit à l'Eglise quelle se fortifiât par l'usage, et que la vérité prit
tous les jours de plus en plus le dessus.
LVIII. Quand on vit à Trente que des livres canonisés depuis
tant de siè( les, non-seulement n'étoient point admis par les pro-
testans, mais encore en étoient repoussés le plus souvent avec mé-
pris et avec outrage, on crut qu'il étoit temps de les réprimer, de
ramener les catholiques qui se licencioient, de venger les apôtres
et les autres hommes inspirés dont on rejetoit-les Ecrits, et de
mettre fin aux dissensions par un anathème éternel.
LIX. L'Eglise est juge de cette matière comme des autre ■; de la
foi : c'est à elle de peser toutes les raisons qui servent à éclaircir
la tradition, et c'est à elle à coimoîlre quand il est temps d'employer
l'anathème qu'elle a dans sa main.
LX. Au reste je ne veux pas soupçonner que ce soient vos dispo-
sitions peu favorables envers les canons de Rome et d'Afrique,
qui vous aient porté à rayer ces églises du nombre de celles que
saint Augustin appelle «les plus savantes, les plus exactes, les plus
graves : » Doctioi^cs , cUlif/entiores , fjraviores : mais je ne puis
assez m'étonner que vous ayez pu entrer dans ce sentiment. Où
y a-t-il une église mieux instruite en toutes matières de dogmes
et de discipline, que celle dont les conciles et les conférences sont
le plus riche trésor de la science ecclésiastique , qui en a donné à
l'Eglise les plus beaux monumens , qui a eu pour maîtres un
Tertullien, un saint Cyprien, mi saint Optât, tant d'autres grands
hommes , et qui avoit alors dans son sein la plus grande lumière
de l'Eglise, c'est-à-dire saint x\ugustin lui-même? Il n'y a qu'à lire
ses hvres de la Doctrine chrétienne , pour voir qu'il exceUoit
dans la matière des Ecritures comme dans toutes les autres. Vous
voulez qu'on préfère les églises grecques : à la iionne heure ; rece-
348 LETTRES SUR LA RÉUNION DES PROTEST. DALLEMAGNE.
vez donc Baruch et la lettre de Jérémie , avec celles qui les ont
mis dans leur canon. Rendez raison pourquoi il y en a tant qui
n'ont pas reçu Esther; et cessez de donner poui' règle de ces deux
églises le canon hébreu où elle est. Dites aussi pourquoi un si
grand nomi)rc de ces églises ont omis Y Apocalypse , que tout
l'Occident a reçue avec tant de vénération, sans avoir jamais hé-
site. Et pom' Rome, quand il n'y auroit autre chose que le recours
cpi'on a eu dès Toriginc du christianisme à la foi romaine, et dans
les temps dont il s'agit à la foi de saint Anastase, de saint Inno-
cent, d(î saint Célestin ot des autres, c'en est assez pour lui mériter
le titre que vous lui ôlez. Mais surtout on ne peut le lui dispulor
en cette matière, puisqu'il est de fait ([ue tout le concile d'Afriijue
a recours au pape saint Roniface II , pour confirmer le canon du
même concile sur les Ecritures , conmie il est expressément porlé
dans ce canon mùme; ci' qui pourtant ne se trouva pas nécessaire,
parce qu'apparemment on sut bicntùt ce qu'avoit fait par avance
saint Innocent sur ce point.
L\I. .l'ai prescpie oublié un argument (pie vous mettez à la
tête de votre lettre du 2i mai 1700, comme le plus fort de tous;
c'est que depuis la conclusion du canon des Hébreux sous Esdras,
les Juifs ne reconnoissoient plus parmi eux d'inspirations pro-
phéfi(pies; ce (pii même ])aroit à l'endroit du premier livre des
Math'iljt'rs, où nous lisons ces mots : « Il n'y a point eu de pa-
reille tribulation en Israël, depuis le jour qu'Israël a cessé d'a-
voir des prophètes'. » Mais entendons-nous, et toute la diffi-
culté sera levée. Israël avoit cessé d'avoir des prophètes , c'est-à-
dire des propliètes semblables à ceux qui paroissent aux livres
des Rois, et (jui régloient en ce temps les affaires du peuple de
Dieu av<Y' des prodiges inouïs et des prédictions aussi étonnantes
que continuelles, en sorte qu'on les pouvoit appeler aussi bien
qu'Elie et Elisée les conducteurs du char d'Israël*, je l'avoue :
mais des prophètes, c'est-à-dire en général des hommes inspirés
qui aient éerit les merveilles de Dieu , et même sur l'avenir , je
ne crois pas (pie vous-même le prétendiez. Saint Augustin , non
content de mettre les livres que vous contestez parmi les livres
> I Much., IX, 27. — » IV nrg., \\, \-l; xiir, 14.
BOSSUET A LEIBNIZ, 17 AOUT 1701. 349
prophétiques, a remarqué en particulier deux célèbres prophéties
dans la Sagesse et dans V Ecclésiastique; et celle entre autres de
la passion de Notre- Seigneur est aussi expresse que celles de Da-
vid et d'ïsaïe. S'il faut venir à Tobie, on y trouve une prophétie
de la fin de la captivité, de la chute de Ninive et de la gloire fu-
ture de Jérusalem rétablie \ qui ravit en admiration tous les
cœurs chrétiens ; et l'expression en est si prophétique , que saint
Jean Ta transcrite de mot à mot dans V Apocalypse'^ . On ne doit
donc pas s'étonner si saint Ambroise appelle Tobie un prophète,
et son livre un livre prophétique ^ C'est une chose qui tient du
miracle, et qui ne peut être arrivée sans une disposition particu-
lière de la divine Providence, que les promesses de la vie future^
scellées dans les anciens livres, soient développées dans le livre
de la Sagesse et dans le martyre des 3Iachabées, avec presque au-
tant d'évidence que dans l'Evangile ; en sorte qu'on ne peut pas
s'empêcher de voir qu'à mesure que les temps de Jésus-Christ
approchoient, la lumière de la prédication évangélique commen-
çoit à éclater davantage par une espèce d'anticipation.
LXII. Il est pourtant véritable que les Juifs ne purent faire un
nouveau canon, non plus qu'exécuter beaucoup d'autres choses
encore moins importantes, jusqu'à ce qu'il leur vint de ces pro-
phètes du caractère de ceux qui régloient tout autrefois avec une
autorité manifestement divine ; et c'est ce qu'on voit dans le livre
des Machabées'\ Si cep endant cette raison les empèchoit de re-
connoître ces livres par acte public, ils ne laissoient pas de les
conserver précieusement. Les chrétiens les trouvèrent entre leurs
mains ; les magnifiques prophéties , les martyres éclatans et les
promesses si expresses de la vie future, qui faisoient partie de la
grâce du Nouveau Testament, les y rendirent attentifs : on les
lut, on les goûta, on y remarqua beaucoup d'endroits que Jésus-
Christ même et ses apôtres sembloient avoir expressément voulu
tirer de ces livres et les avoir comme cités secrètement ; tant la
conformité y paroissoit grande. Il ne s'agit pas de deux ou trois
mots marqués en passant, comme sont ceux que vous alléguez de
' Tob., XIII et XIV — 2 Apoi:., xxii, 16 et seq. —3 S. Amhr., di Tob., part. 1,
u. î. — M Mach., IV, 46 ; xiv, il.
350 LETTRES SUR LA REUNION DES PROTEST. D'ALLEMAGNE.
VEjj/tre de saint Jude : ce sont des versets entiers tirés frétjiieni-
nient et de mot à mot de ces livres. Nos auteurs les ont recueillis;
et ceux qui voudront les remarquer , en trouveront de cette na-
ture un plus grand nombre et de plus près qu'ils ne pensent.
Toutes ces divines conformités inspirèrent aux plus saints doc-
teurs, dès les premiers temps , la coutume de les citer comme
divins avec la force que nous avons vue, < hi a vu aussi (jue cette
coutume ne pouvoit être intr<»duite ni autorisée que par les
apôtres, puiscjuon n"v remarquait pas de conmiencement. lletoit
naturel en cet état de mettre ces livres dans le canon. Une tradi-
tion immémoriale les avoit déjà distingués d'avec les ouvrages
des auteurs qu'on appeloit ecch'-sinsliqucs : l'Occident , où nous
pouvons dire avec confiance (jue la pureté de la foi et des Iradi-
tioDS chrétiemies s'e^t conservée avec un éclat piU'ticulier, en lit
le (.mon ; et le concile de Trente en a suivi l'autorité.
Voilà, Monsieur, les preuves constantes delà tradition de ce
<;oncile. J'aime mieux attendre de votre équité que vous les ju-
giez sans réplique (jue d«' vous le dire; et je me tiens très-assuré
(jue M. l'ablié de Lokkum ne croira jamais (|ue ce soit là une
mat ère de rupture, ni une raison de vous élever avec tant de
force contre le concile de Trente. .le suis avec l'estime (pie vous
savez, .Monsieui', votre très-humble serviteur,
.T. ni-.MGNE, év. de Meaux [a).
(fl) Loibiiiz voulut avoir lo (Jt>niit'r uiot : il répoiirlil à la loltro qu'on vient de
lire , c'est-h-dirp il y opposa un lonp tissu do rcdilt's, dt> cbicanes, de sophisraes
rt d'insinuations pou polios. Nous ne publi'Tons point sa réponse, d'autant moins
<|u'elle n'est pas nit'^nio nionliunnéc dans l"s préi<^dontos éditions iW IJossuot.
A l'ôpoque où nous snnnnos arrivés, on 1701 , le souverain pontife Clénionl XI
voulut prendre ronnoissance dos écrits connposés par Bossuet pour la conciliation
des églises; et plusieurs conversions s'opérèrent dans les cours protesl.uiles
d'Allemagne, entre autres celle du duc de s^oxe-fiotha et celle du duc Antoine
Ulrich.
ORDONNANCE
ET
INSTRUCTION PASTORALE
DE M^B L'ÉVKOrE DE MEAUX
SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
Jacques-Bénigne, par la permission divine, Evêque de IMeaiix :
à tous curés, confesseurs, supérieurs de communautés, et à tous
prêtres de notre diocèse. Salut et bénédiction e>'Notre-Seigneur.
Touchés des périls de ceux qui, « marchant, comme dit David,
dans les grandes choses et dans des choses merveilleuses au-dessus
d'eux ', » recherchent dans l'oraison des sublimités que Dieu n'a
point révélées, et que les Saints ne connoissent pas : bien informés
d'ailleurs que ces dangereuses manières de prier introduites par
quelques mystiques de nos jours, se répandoient insensiblement
même dans notre diocèse, par un grand nombre de petits livres et
écrits particuhers que la divine Providence a fait tomber entre
nos mains : nous nous sommes sentis obhgésà prévenir les suites
d'un si grand mal. Nous y avons encore été excités par la vigi-
lance et attention extraordinaire qui a paru sur cette matière dans
la chaire de saint Pierre. On n'y eut pas plutôt aperçu le secret
progrès de ces nouveautés , que le pape Innocent XI d'heureuse
mémoire donna tous ses soins pour l'empêcher. Et d'abord il pa-
rut une lettre circulaire de Téminentissime cardinal Cibo, chef de
la Congrégation du saint Office, maintenant très-digne doyen du
sacré Collège, pour avertir les évêques de prendre garde à une
doctrine pernicieuse sur Toraison, qui se répandoit en divers en-
droits d'Italie, et qu'on réduisit alors à dix-neuf articles princi-
paux contenus dans la même lettre, en date de Rome, du 15 fé-
vrier 1687, en attendant un plus ample examen.
' Psal. cxxx, 1.
352 ORDONNANCE
Pour s'opposer davantage à ce mystère d'iniiuil"-, on arrêta à
Rome celui qu'on en croyoit le principal promoteur, pour lui faire
son procès, et il fut condamné pour plusieurs crimes, et pour avoir
enseigné des propositions contraires à la foi et aux bonnes mœurs,
au nomlirc de plus de cent, mentiomiées dans le procès et décret
de condamnation. On condamna aussi par un autre décret du 28
août 1087, soixante-huit propositions extraites des précédentes,
où tout le venin de cette secte cachée éloit renfermé. Pour en
rendre la condamnation plus soleimelle, elle fut poussée jusipi' à
une bulle pontificale, où il fut expressément déclaré que ces pro-
positions éloient respectivement hérétiques, suspectes, erronées,
scandaleuses , blasphématoires, avec d'autres grièves qualifica-
tions portées dans la même bulle.
Parla rontiiuiutinii de la même sollicitude, on a flrtri par di-
vers décrets plusieurs l.vres de toutes langues, où oi'tte fausse
oraison éloit enseignée. De grands évêques ont reçu l'impression
que le Saint Siège a donnée à toute la chrétienté, et ont suivi
l'exemple de la mère et maîtresse des Eglises, parmi lescpiels
Monseigneur l'archevêjiue de Paris notre métropolitain, conti-
nuant à signaler son pontificat par la censure et condamnation de
be;iucoup d'erreurs, a fait paroître son zèle .dans sa judicieuse
ordonnance du 10 octobre lOOi, où plusieurs propositions de ces
faux mvsliques sont proscrites sous de grièves (jualilications ,
même connne condamnées par les conciles de Vienne et de
Trente, sans approbation des autres, avec expresse condamna-
lion dt' (pit'biucs livres où elles sont conteinies, et défense de les
retenir.
Animés par de tels exemples, et déterminés par diverses occa-
sions que la Providence divine nous a fait naître, à nous appli-
quer avec un soin particulier à cette matière ; après en avoir con-
féré avec plusieurs docteurs en théologie, supérieurs de commu-
nautés, même avec de très-grands prélats consommés en piété et
«Ml savoir, et autres graves personnages exercés dans la conduite
des âmes; après aussi avoir lu et examiné plusieurs livres el écrits
particuliers où ces maximes dangereuses étoient enseignées : le
saint nom do Dieu invoqué, nous nous sommes sentis pressés par
SUR LES ÉTATS D'ORAISON. 353
la charité, en condamnant, comme nous faisons par ces présentes,
cette doctrine réprouvée , de vous mettre en main des moyens
pour en connoitre les défense ui's et pour les convaincre.
Pom" les connoitre , nous vous avertissons en Notre-Seigneur
d'observer ceux qui affectent dans leurs discours des élévations
extraordinaires, et de fausses sublimités dans leur oraison.
Premièrement, lorsque sous prétexte d'honorer l'essence di-
vine, ils excluent de la haute contemplation l'humanité sainte de
Notre-Seignem' Jésus-Christ, comme si elle en étoit un empêche-
ment, encore qu'elle soit la voie domiée de Dieu même pour nous
élever à lui : et non-seulement ils éloignent cette sainte huma-
nité; mais encore les attributs divins, même ceux qui sont les
fondemens les plus essentiels et les plus commmis de notre foi,
tels que sont la toute-puissance , la miséricorde et la justice de
Dieu. Ils éloignent par même raison les trois Persomies divines ,
encore que nous leur soyons expressément et distinctement con-
sacrés par notre baptême, dont on ne peut supprimer le souvenir
explicite sans renoncer au nom de chrétien : de sorte qu'ils met-
tent la perfection de Foraison chrétienne à s'élever au-dessus des
idées qui appartiennent proprement au christianisme ; c'est-à-dire
de ceUes de la Trinité et de F Incarnation du Fils de Dieu.
Nous ne répétons qu'avec horreur cette parole d'un faux mys-
tique de nos jours, qui ose dire que Jésus-Christ selon son huma-
nité étant la voie, on n'a plus besoin d"y retourner lorsqu'on est
arrivé , et que la boue doit tomber quand les yeux de l'aveugle
sont ouverts. Le prétexte dont on se sert pour éloigner l'humanité
sainte de Jésus- Christ avec les attributs essentiels et personnels ,
c'est que tout cela est compris dans la foi ou vue confuse, géné-
rale et mdistincte de Dieu, sans songer que Jésus- Christ, qui a
dit : Voies croi/ez en Dieu, ajoute tout de suite et en même temps :
Croyez aussi en moi^, pour nous apprendre que la foi au Média-
teur doit être aussi explicite et aussi distincte que celle qu'on a en
Dieu considéré en lui-même ; ce qu'il confirme par cette parole :
«La vie éternelle est de vous connoitre, vous qui êtes le vrai
Dieu, et Jésus-Christ que vous avez envoyé^ ; » et celle-ci de saint
1 Joun , XIV, 1. — î Joan , xvii, ',).
TÙM. XVIU. 23
354 ORDONNANCE
Paul : € Je ne connois qu'une seule chose, qui est Jésus-Christ . et
Jésu5-Q ■ ".e '. »
L'n se : de rélévation affectée de ces nouveaux mys-
tiques, est de marquer envers Di«i conmie une fausse générosité
et une espèce de desinteressem«it qui fait qu'on ne veut plus lui
d^ mander rien pour soi-même, pas même la rémission de ses pé-
< ht s. lavenem^it de son règne, et la grâce de i:»erseverer dans le
bien, d'opérer scm salut , non plus que lui rendre grâces de tous
- - - ' r Dieu d'une manière
.. - .— ... r ,.. . . :re lexoellence de sa
nature bienfaisante , ou que le salut du chretien ne fût pas le
-: nd ou\Tage de Dieu, et la parfaite manifestation et ccwi-
-*' ■ • sa gloire . que ses enfans ne peuvent assez désirer
Ces* encore un semblable effet de ces élévations outrées , de
n , un rassasie-
w . j 5- ...;..,.. vUie sorte de béa-
titude qui rei. rs et les demandes , malgré l'état
de foiblesse, et au mihea des péchés et des tentations qui font gé-
mir tous les saints, tant qu'ils demeurent chargés de ce corps de
mort.
Pour troisième moyen de connoître ces faux docteurs, nou.s
ui fait consister la p»erfection
. ■ >.> .. «.. > . .. ...w.., ut ceux que le cluvtien excite
• :ne avec le secours de la grâce prevenante : pour ne
laisser aux pretendus parfaits qu'un seul acte produit une fois au
.. rit. qui dure ensuite sans iri* ' ' - "i,
o ler jusqu'à la fin de la v ■ . ;i
qu'on nomme passif, au préjudice du Ubre arbitre et des actes
i lire par l'exprès - ?it de Dieu. Pour les
e:». .,... * . .. ..î ramènera ce pi. ■ i. ... ». .< imique. on emploie
encore le terme de simpiicité; comme si Dieu , qui nous a com-
mandé d'être ses simples enfans , n'avoit pas en même temps
comi'i ' îes très-distincts.
«V ^ veaux docteurs appellent l'o^/e M/mcrse/,
SUR LES KTATS D'ORAISi'.N. 305
qui selon eux comprenant excellemment et éminemment tous les
autres, exempte de les produire , est un prodige nouveau parmi
les chrétiens : on n'en trouve aucim vestige, aucun trait dans les
Livres sacrés ni dans la doctrine des Saints : David ne le connoît
pas, puisqu'il s'excite lui-même à former tant d'actes divers et réi-
térés en disant : « Mon ame, bénis le Seigneur : Seignem'Jevous
aimerai : Mon ame, pourquoi es-tu triste? Espère au Seigneur :
Elève-toi, ma langue : élève-toi, ma lyre \ » et le reste.
Jésus- Christ ignoroit aussi la perfection imaginaire de cet acte
unique et miiversel , lorsqu'il oblige les plus parfaits à tant de
demandes, notamment dans l'Oraison Dominicale. Aussi est-il vi'ai
que les nouveaux mystiques par une idée de perfection inconnue
jusques ici aux chrétiens , renvoient les Psaumes de David, et
même la sainte prière qui nous a été enseignée par Notre- Sei-
gneur, aux degrés inférieurs de l'oraison, et les excluent des
états les plus éminens.
Nous voyons aussi que David , comme les autres prophètes,
bien éloigné de supprimer dans la prière les efforts du libre ar-
bitre pour demeurer en pure attente de ce que Dieu voudra
opérer en nous, prévient la face du Seigneur par la pul)lication
de ses louanges, secrètement prévenu du doux instinct de sa
grâce, et il fait ce qu'il peut de son côté avec ce secours ; ce qui
lui fait dire ailleurs : « Votre serviteur a trouvé son cœur pour
vous faire cette prière ^; » et encore : « Seigneur, je rechercherai
votre visage ^ ; » et enfin : « Ne cessez jamais de chercher la face
de Dieu, et de vous tourner vers lui *. »
Pom' exclure tant d'actes commandés de Dieu, on se sert en-
core du mot de silence et ^anéantissement , dont on aljuse pour
induire la suppression de toute action et opération qu'on peut
exciter avec la prévention de la grâce, ou qu'on peut même aper-
cevoir dans son intérieur : ce qui ne tend à rien moins ([u'à les
étouffer tout à fait, et ôter en même temps toute attention aux
dons de Dieu, sous prétexte de ne s'attacher qu'à lui seul, contre
cette parole expresse de saint Paul : « Nous avons reçu un es-
1 Vuil. cii, xvh, xLil, LVi, (.■le. - Ml Wrq., \\\, -r,. — ■• Vml. ww, 8. —
i VmI. r.iv, 4.
358 ORDONNANCE
prit qui vient de Dieu, pour connoître les choses que Dieu nous
a données ' . » Nous ne voulons point parler ici des autres per-
nicieuses significations que quelques-ims donnent au mot de 7îéant
et d^ anéantissement.
Vous aui'ez pour quatrième marque de cette doctrine outrée,
les manières de parler dont on y use sm' la mortification et
sur Tapplication aux exercices particuliers des autres vertus, en
les faisant regarder comme des pratiques ^allgaires et au-dessous
des parfaits ; et la mortification en particulier comme chose qui
met les sens en vigueur, loin de les amortir : contre les exemples
des saints qui ont pratitpié les austérités comme mi des moyens
les plus efficaces pour aliattre et humilier l'esprit et le corps, et
contre la parole expresse de saint Paul, qui chàtU' son corps et
réduit en servitude son corps *, le frappe, le flétrit, le tient sous le
joug. Le même Apôtre ne s'explique pas moins clairement sur
l'exercice distinct et particulier des vertus; et saint Pierre n'est
pas moins exprès sur cette matière, lorscju'il nous apprend l'en-
chaînement des vertus j»ar ces paroles : « Donnez tous vos soins
poui- Joiiidie à Vdlrc foi la vertu : à la vertu la science : à la
science la tempérance : à la tenqjérance la patience : à la patience
la piété : à la piété l'amour de vos frères : à l'amour de vos frères
la charité \)> ,
Enfin mi cinquième effet de la doctrine cpie nous voulons vous
faire comioitre, est de ne louer comnnmément que les oraisons
extraordinaires : y attacher la perfection et la pureté : y attirer
tout le monde avec peu de discernement, Jus(iu'aux enfans du
plus bas âge : comme si on s'en [)ouvoit ouvrir l'entrée par de
certaines méthodes qu'on propose comme faciles à tous les fidèles :
ce qui fait aussi qu'on s'y ingère avec une témérité dont l'eftet
inévitable , principalement dans les commmiautés , est sous pré-
texte de s'abandonner à l'esprit de Dieu, de ne faire que ce qu'on
veut, avec mépris de la disciphne et des confessem's et supériem*s
ordinaires, (|uel(jue éclairés ([u'ils soient d'ailleurs, pour chercher
selon ses préventions et présomptions des guides qu'on croil phis
experts.
• 1 Cor., 11, [-2. - " llti'L, IX, 27. — » Il Pelr., \, 5, G, 7.
SUR LES ETATS D nRAiSON. 357
Nous omettons d'autres marques dont l'explication demande-
roit un plus long discours. Celles-ci suffisent, et vous y trou-
verez comme cinq caractères sensibles qui vous aideront à con-
noitre ceux dont nous voulons que vous obserNiez la conduite et
évitiez les raffinemens. Mais pour vous faciliter le moyen de les
convaincre, il faut vous avertir avant toutes choses de prendre
garde de n'entamer pas la véritable spiritualité en attaquant la
fausse qui fait semblant de 1" imiter : à quoi nous ne voyons rien
de plus utUe que de vous mettre devant les yeux quelques vérités
fondamentales de la religion, ordonnées à cette fin dans les ar-
ticles suivans^ que nous avons digérés avec une longue et mûre
délibération, et avec tous les sages a\is que nous vous avons déjà
mai'qués : en apposant à chacun pom' votre soulagement et plus
grande facihte les qualifications convenables.
ARTICLES
Sra LES ÉTATS D'ORAISON.
I.
Tout chrétien en tout état, quoique non à tout moment, est
obhgé de conserver l'exercice de la foi. de l'espérance et de la ^l^^
charité, et d'en produire des actes comme de trois vertus distin- ^^;;- ^
guées. *:Jl
11. M. de
ChâJons
Tout chrétien est obhgé d'avoir la foi exphcite en Dieu tout- ^^^^['^^
puissant, créateur du ciel et de la terre, rémunératem' de ceux ^"^;
qui le cherchent, et en ses autres attributs également révélés ; et ^^'■^^^
à faire des actes de cette foi eu tout état, quoique non à tout mo- ^t™"^'""
ment.
III.
Tout chrétien est pareillement obhgé à la foi exphcite en Dieu,
Père, Fils, et Saint-Esprit, et à fau'e des actes de cette foi en tout
état, quoique non à tout moment.
Le- xnn
■i'à^ 0RDn^^■A^<Jb:
IV.
Tout chrétien est de même obligé à la loi explicite en Jésus-
Christ Dieu et Homme, comme Médiateur, sans lequel on ne peut
approcher de Dieu, et à faire des actes de cette foi en tout état,
quoique non à tout moment.
V.
Tout chrétien eu tout état, quoi(]iie non à tout moment, est
obligt' de vouloir, désirer et demander «wplicitement son salut
éternel, comme chose (pie Dieu veut, et (|u"il veut (jue nous vou-
hons poiu" sa gloire,
VI.
Dieu veut que tout chrétien en tout l'tat, (juoiciue non à tout
moment, lui demande expressément la rémission de ses péchés,
la grâce de n'en i)lus commettre, la persévérance dans le bien,
l'augmentation des vertus, et toute autre chose requise pour le
salut éternel.
VII.
Kn tout état le chrétien a la concupiscence à comhattre, (pioique
non toujours également ; ce <pii l'oblige en t(mtétat, quoique non
à tout moment, à demander force contre les tentations.
VIII.
Toutes ces propositions sont de la foi catholi(|ue, expresséuient
contenues dtms le Symbole des apôtres et dans lOraison Domini-
l'ale, qui est la prière connnune etjoiuiialière de tous lesenfans
de Dieu : ou même expressément délhiies par l'Eglise, comme
celle de la demande de la rémission des péchés et du don de persé-
vérance et celle du combat de la convoitise, dans les conciles de
Cartilage, d'Orange et de Trente : ainsi les propo.sitions contraire^s
sont formellement hérétiques.
IX.
Il n'est pas permis à un chrétien d'être indinén^nt pour son sa-
lut, ni pour le.-> ciioses qui y ont rap[)ort : la sainte indifférence
SUR LES ÉTATS D'URAISO.X. 339
chrétienne regarde les événemens de cette vie ( à la réserve du
péché), et la dispensation des consolations ou sécheresses spiri-
tuelles.
X.
Les actes mentioimés ci-dessus ne dérogent point à la plus
grande perfection du chiistianisme, et ne cessent pas d'être par-
faits pour être aperçus, pourvu qu'on en rende grâces à Dieu, et
qu'on les rapporte à sa gloire.
XI.
Il n'est pas permis au chrétien d'attendre que Dieu lui inspire
ces actes par voie et inspiration particulière ; et il n'a besoin pour
s'y exciter que de la foi qui lui fait connoître la \'olonté de Dieu
signifiée et déclarée par ses commandemens, et des exemples des
Saints, en supposant toujoiu^s le secours de la grâce excitante et
prévenante. Les trois dernières propositions sont des suites ma-
nifestes des précédentes, et les contraires sont téméraires et er-
ronées.
XII.
Par les actes d'obhgation ci-dessus marqués, on ne doit pas
entendre toujours des actes méthodiques et arrangés; encore
moins des actes réduits en formules et sous certaines paroles, ou
des actes inquiets et empressés : mais des actes sincèrement for-
més dans le cœur, avec toute la sainte doucem^ et tranquillité
qu'inspire l'esprit de Dieu.
XIII.
Dans la vie et dans l'oraison la plus parfaite, tous ces actes sont
unis dans la seule charité, en tant qu'elle anime toutes les vertus
et en commande l'exercice, selon ce que dit samt Paul : « La cha-
rité souffre tout, elle croit tout, elle espère tout, elle soutient
tout. » On en peut dire autant des autres actes du chrétien, dont
elle règle et prescrit les exercices distincts , quoiqu'ils ne soient
pas toujours sensiblement et distinctement aperçus.
3fiO ORDONNANCE
XIV.
Le désir qu'on voit dans les Saints , (^oninio dans saint Paul et
dans les autres, de leur salut éternel et parfaite rédemption, n est
pas seulement un désir ou appétit indélihéré, mais, comme rap-
pelle le même saint Paul , une l)onne volcMité (pie nous devons
former et ojjerer liltremenl en nous avec le secours de la grâce ,
comme parfiiitement conforme à la volonté de Dieu. Cette propo-
sition est clairement révélée, et la contraire est hérétique.
W.
C'est pareillement une volonté conforme à celle de Dieu et ali-
sfilumeul nécessaire en tout elat. quoique nf»n à loul moment, de
vouloir ne pécher [»as ; el non-seulement de condanmer le iteclie,
mais encx)re de regretter de lavoir commis, el de vouloir quil
soit detniil eu nous par le pardon.
XVI.
Les réflexions sui- .s(»i-mèiiie. sur ses actes et sur les dons quon
a reçus, qu'on voit partout pi-atiipiées par les prophètes et par
les apôtres pour rendre .grâces à Dieu de ses bienfaits, et pour
autres fuis senihlahles, sont proposées pour exemples à tous les
fidèles, même aux plus ptu'faits; et la docliiue (|ui les en éloigne
est erronéi^ el approche de l'hérésie.
Wll.
Il iTy a de réflexions mauvaises et dangereu.ses, que celles où
Ton fait des retours sur ses actions et sur les dons (|u'on a reçus,
pour repaître son amour-propre, se chercher mi appui humain,
ou s'occuper trop de soi-même.
XMIl.
Les moitilicalions convienueul à loul étal du christianisme, et
y sont souvent nécessaires : cl en éloigner les fidèles sous pré-
texte de perfection, c'est condamner ouvertement saint Paul, et
présupposer mie doctrine erronée et hérétique.
SUR LES ETATS D'ORAISON. 361
XIX.
L'oraison perpétuelle ne consiste pas dans un acte perpétuel et
unique qu'on suppose sans interiTiption^ et qui aussi ne doive ja-
mais se réitérer ; mais dans une disposition et préparation habi-
tuelle et perpétuelle à ne rien faire qui déplaise à Dieu , et à faire
tout pour lui plaire : la proposition contraire, qui excluroit en
quelque état que ce fût, même parfait, toute plui'alité et succession
d'actes, seroit erronée et opposée à la tradition de tous les Saints.
XX.
Il n'y a point de traditions apostoliques (jue celles qui sont re-
connues par toute l'Eglise , et dont l'autorité est décidée par le
concile de Trente : la proposition contraire est erronée, et les
prétendues traditions apostoliques secrètes seroient un piège pour
les fidèles, et un moyen d'introduire toutes sortes de mauvaises
doctrines.
XXI.
L'oraison de simple présence de Dieu, ou de remise et de quié-
tude, et les autres oraisons extraordinaires , même passives, ap-
prouvées par saint François de Sales et les autres spirituels reçus
dans toute l'Eglise, ne peuvent être rejetées ni tenues pour sus-
pectes sans une insigne témérité ; et elles n'empêchent pas qu'on
ne demeure toujours disposé à produire en temps convenable
tous les actes ci-dessus marqués : les réduire en actes implicites
ou éminens en favem* des plus parfaits, sous prétexte que l'amour
de Dieu les renferme tous d'ime certaine manière, c'est en éluder
l'obligation, et en détruire la distinction qui est révélée de Dieu.
XXIL
Sans ces oraisons extraordinaires on peut devenir un très-grand
saint, et atteindre à la perfection du christianisme.
XXÎII.
Réduire l'état intérieur et la purification de l'ame à ces oraisons
extraordinaires, c'est une erreur manifeste.
302 URDU.N.NANCt:
XXIV.
C/«'ii est uiie également dangereuse d'exclure de Tetiit de con-
templation les attributs, les trois Personnes divines et les mys-
tères du Fils de Dieu incarné, surtout celui de la croix et celui de
la résurreclion; et inutes les choses (7111 ne sont N'ues que par la
foi sont lobjel du cluvlien contem[ilatif.
XXV.
Il n'est pas permis à mi chrétien , sous prétexte d'oraison pas-
sive ou aulre fxtraordiu ire, d'attendre dans la conduite de la
vi»', tant an ^piritui'l (|n'au tniipoifL «|iii' l>i»'n Ir dcItTriiiiie à
cha(|iif arlion par vuie et inspiration pirtitiilitTc : cl le conlraire
induit à t«*nter bien, à illusion et à nonchalance.
XXVI.
Ijors il' cas et les nioinens d'insiiiration prophétique ou extra-
ordinaire, la Nfiitahlf soumission (pu- toult'iinn'chit'ficnnr ménic
parfaite doit a Itini. i-^t de sr sfr\ ii-drs hmiièresnalnrfllfscl snr-
natmcllcs (pi'elleen reçoit cl des régies de la prudence chrétienne,
en presup|)osajit toujours (jue Hieu dirige tout j)ar sai)rovidence,
et qu'il est auteur de tout hon eonseil.
XW II.
(In ne doit point attacher le don île [iropiietie, et encore moins
l'état apo^toli(iue, à \m certain état de i)erfection et d'oraison; et
les y attacher, «-'est induire à illusion, témérité et erreur.
XWIIl.
Les voies extraordinaires, avec les marques (pi en oïd données
les s])irituels approuvés, selon oïLX-mèmes sont très-rares, et sont
sujettes à l'examen des évèijues, supérieurs ecclésiastiiiues et
docteurs, (jui doivent en juger, non tiuit selon les expériences
(jue selon les régies immuables de l'Ecriture et de la tradition ;
enseigner et pratiquer le contraire, est secouer le joug de l'obéis-
sance qu un iluit à 1 EgUse.
SUR LES ETATS D ('RAiSU.N. 303
XXIX.
S'il y a ou s'il y a eu en quelque endroit de la terre im très-
petit nombre d'ames d'élite, que Dieu par des préventions extraor-
dinaires et particulières qui lui sont connues, meuve à chaque
instant de telle manière à tous actes essentiels au christianisme
et aux autres bonnes œuvres, qu'il ne soit pas nécessaire de leur
rien prescrire pour s'y exciter , nous le laissons au jugement de
Dieu ; et sans avouer de pareils états, nous disons seulement dans
la pratique, qu'il n'y a rien de si dangereux ni de si sujet à illu-
sion que de conduire les âmes comme si elles y étoient arrivées,
et qu'en tout cas ce n'est point dans ces préventions que consiste
la perfection du christianisme.
XXX.
Dans tous les articles susdits , en ce qui regarde la concupis-
cence, les imperfections et principalement le péché , pour l'hon-
neur de Notre-Seigneur, nous n'entendons pas comprendre la
très-sainte Vierge sa Mère.
XXXI.
Pour les âmes que Dieu tient dans les épreuves, Job qui en est
le modèle leur apprend à profiter du rayon qui revient par inter-
valles, pour produire les actes les plus excellens de foi, d'espé-
rance et d'amour. Les spirituels leur enseignent à les trouver
dans la cime et la plus haute partie de l'esprit. Il ne faut donc
pas leur permettre d'acquiescer à leur désespoir et damnation
apparente, mais avec saint François de Sales les assurer que Dieu
ne les abandonnera pas.
XXXII.
Il faut bien en tout état, principalement en ceux-ci, adorer la
justice vengeresse de Dieu , mais non souliaiter jamais qu'elle
s'exerce sur nous on toute rigueur, puisque même l'un des effets
de cette rigueur est de nous priver de Faînour. L'abandon du
chrétien est de rejeter en Dieu toute son inquiétude, mettre en
3H4 ORDOlNNAX.K
sa bonté l'espérance de son salut, et comme l'enseigne saint Au-
^stin après saint Cyprien , lui donner tout : Ut totwn detur Deo.
XXXIII.
Oïl iM'ul aussi inspirer aux âmes peinées et vraiment humbles
une soumission et coiisenteiiu'ni à la volonté de Dieu , (piaud
même par um; très-lauss»; supix)silion, au lieu des biens éternels
qu'il a promis aux aines justes, il les tieudroit pai' son bon plaisir
dans dts loumicns éternels, sans néaiunoins cpielles soi»'nt pri-
vées de sa gracf «^t de s«>n amour (tr. qui est un aot«' d'abandon
parfait et d'un amour pur [tralicpir [tar drs siiints, «'t qui le peut
être utilement avrc ime grâce três-particuliéiv •!•• l>i»'n par les
âmes vraiment parfaites : siuis dcrogrr à robbi-Mlion dfs autres
actes ci-dt'ssus manjui-s, (jui sont essentiels au christianisme.
WMV.
Au sui*phis il est crrtain (luc Ifs comuM'ncans et les parfaits
doivent être n»nduils rliacnn selon sa vn'u- par i\i'> n-frlfs (llirc-
rentes, t'I qnr !••> dt-rnitTs fiilriidriit plii> liautfmcut et plus a
fond les vérités chrétit'unrs.
Si vous pesez avec attention charnn drs articles prccedrns,
vous trouverez que, selon les règh's de la plus conuuune théo-
logie, il n'es! piLs permis de s'en éloigner, cl (pion ne le jx'ut
sans scandalist'r tout»' rKglisc.
Nous croyons aussi que ceux d entre vous (pii méditeront et
étudieront ces articles, avec la grâce de Dieu y trouveront un
corps de doctrine qui ne laiss<?ra aucun lieu à celle des nouveaux
mysti(pies, sans donner atteinte à celle des docteurs approuvés
dont ils tâchent de se couvrir : et de peur (pion ne les confonde,
nous vous nommons expressém(>nt |iarmi li's livres suspects et
condanmés ceux-ci comme plus connus. /.// Cnudc spirituelle, de
(n) « L'actr marqué dans l'artirlc 3:i, loiu liVlrt' irobligation, «Idil (■'lie fait
avpc bpaTicoiip i\o prt^cauUoti. ,!n no 1p trouvp nnllp part dans >ninf Aupiislin ,
ni lien d'approchant : cependant c'est lui, après les aiiôtres , qui est le docteur
de la rhnrit.' comme de la grâce. » ( Cossiiet , Irltrc 224 à i/"" d'Alhcrt de
Luifnri, .MenuT. 17 mai 1695.) Voir ci-après, Inslrurlion sur les élnts d'oraison ,
liv! X, n. 19.
SUR LES ÉTATS D'ORAISON. 365
Michel de Molinos : La pratique facile pour élever l'ame à la con-
templation, par François jMalaval : Le moyen court et facile de
faire oraison : La règle des associés à l'enfant Jésus : Le Can-
tique des Cantiques de Salomon, interprété selon les sens mys-
tiques et la vraie représentation des états intérieurs : avec un
livre latin intitulé, Orationis mentalis anàlysis, eic, per Patrem
Dom Franciscum la Combe, Tononensem : lesquels livres déjà
notés par diverses censures, nous condamnons d'abondant comme
contenant une mauvaise doctrine, et toutes ou les principales
propositions ci-dessus pai* nous condamnées dans les articles sus-
dits, sans approbation des autres livides. Nous défendons très-
expressément la lectm'e de ces livres à tous ceux qui sont commis
à notre conduite , sous toutes les peines de droit ; et ordonnons
sous les mêmes peines qu ils seront remis entre nos mains, ou
de nos vicaires généraux , ou des cm'és pour nous les remettre ,
aussi bien que les écrits particuliers qui se répandent secrète-
ment en faveur de ces nouveautés.
Pour déraciner tout le doute qui pourroit rester sur cette ma-
tière, avec la grâce de Dieu nous prendi'ons soin de vous pro-
curer le plus tôt qu'n sera possible une instruction plus ample, où
paroîtra Tapplication avec les preuves des susdits articles , encore
qu'ils se soutiennent assez par eux-mêmes ; et ensemble les prin-
cipes solides de l'oraison clu^étienne selon l'Ecriture sainte et la
tradition des Pères : enfin en suivant les règles et les pratiques
des saints docteurs, nous tâcherons de donner des bornes à la
théologie peu correcte, et aux expressions et exagérations irrégu-
lières de certains mystiques inconsidérés ou même présomptueux,
lesquelles nous pouvons ranger avec les profanes nouveautés de
langage que saint Paul défend ' .
Nous avons évité exprès de vous parlei' dans cette Instruction
de certaines propositions dont les oreilles chrétiennes sont trop
offensées : Nous nous réservons à les noter si l'extrême nécessité
le demande, ensemble à vous instruire sm* toutes les autres pro-
prositions qui seront jugées nécessaires pour l'entière extinction
de ces erreurs.
» I Tinu, VI, 20.
3fir, ((KUuNNANCE SLR LES LTATS DORAISON.
Mandons et ordoimons à tous curés . vicaires et prédicateurs .
de publiiT d;ms leurs prunes et prédications notre présente Or-
donnance et Imtruction , aussitôt quelle leur sera adressée : Nous
ordonnons pan-illenient (ju'elle sera envoyée à toutes les commu-
nautés, idin que tout le monde veille contre ceux (jui sous pré-
texte de piété et de perfection introduiroient insensiblement un
nouvel Evangrile.
Donné à Meaux. en notre palais épiscopal. le samedi seizième
jdur d avril mil six cent (luatre-vin^M-ijuinze.
SirjW'^ ]. IJKMliMv, Evèque de Meanx.
Et plus bas :
l*tir le commandement de mondil Seiyneur,
Rover.
INSTRUCTION
LES ETATS D'ORAISON,
OU PONT EXPOSEES LES ERREL'RS DES FAUX MYSTIQUES DE XOS JOURS : AVEC
LES ACTES DE LEUR CONDAMNATION.
PRÉFACE
Où l'on pos' les fondcmons et Von explirpie Je dessein de cet ovvrafje.
Si Ton croyoif , en lisant le titre de ce livre ^ que je voulusse y i.
" ^ De?5.
donner des règles pour tous les états d'oraison, ou des moyens ^n ?^^^
de cet
pour y arriver et s'y bien conduire, on m'attribueroit un dessein °""''''
trop vaste , et qui aussi est bien éloigné de ma pensée. Il faut se
souvenir de l'occasion qui m'a engagé à traiter cette matière dans
une Ordonnance et Instruction pastorale, et qui m'a fait promettre
un traité plus ample sur un sujet si important. J'ai voulu exposer
les excès de ceux c[ui abusent de l'oraison, pom' jeter les âmes, sous
prétexte de perfection , dans des sentimens et dans des pratiques
contraires à l'Evangile , et dans une cessation de plusieurs actes
expressément commandés de Dieu et essentiels à la piété. Je les ai
marqués dans V Instruction pastorale autant que la brièveté d'un
discom's de cette natm'e le pou voit permettre, et il s'agit mainte-
nant de les expliquer plus à fond.
Il faudra aussi faire voir que les erreurs que l'on entreprend de
combattre ne sont pas des erreurs imaginaires, mais qu'elles sont
véritaljlement contenues dans un grand nombre de livres qu'on
368 INSTRUCTION SUR LES ETATS D ORAISON.
trouve entre les mains de tout le monde, et (pi'on lit d'autant plus
qu'ils sont ordinairement fort petits.
Dans un temps où chacun se mêle de dogmatiser sur l'oraison,
et où il nv a presque point de directeur qui n'entreprenne d'en
donner des règles par son propre esprit à ses pénitens et à ses pé-
nitentes, celui qui doit traiter un si grand sujet, et que l'obligation
de son ministère jointe aux besoins de l'Eglise obligent à s'expli-
quer sur cette matière, doit aussi avant toutes choses demander à
Dieu son esprit de discernement et d'intelligence pour démêler le
vrai d'avec le faux , et le certain ou le sùi- d'avec le suspect et le
dangereux, (^est ce que j'ai tâché de faire en toute simplicité, al
je me confie eu Notre-Seigueur, qu'il am-a reçu mes vœux dans son
sanctuaire.
pj,|;,^ Je me suis du moins proposé la règle siu'c et invariable ponr
MciMit/r. juger de toutes ces choses, qui est l'IùViture sainte et la tradition.
îlhu't^T Molinus ef ses se<fateurs voudroient (|u'on renvoyât tout à l'ex-
toiii r.ip- perience ; et imiir laisser iiii rliaini) lihi'e a Inus iniagiiKiliDiis ils
''•»[»•'■ décrient la scienci' et les savans. « (-es .seavaiis scolastiques , di-
ritiicv.
seul-ils, ne scavent ce que c'est (jue se perdre eu Dieu : » on fait
accroire aux théologiens « qu'ils condanment la science mystique,
parce qu'ils n'y comioissent rien : » et on donne pour « régie sans
exception, qu'il eu faut sçavoir la pratique avant la théorie, et en
ressentir les effets par la contemplation surnaturelle >, » avant que
lie prononcer dessus. Parmi les soixante-huit propositions dt^ cet
auteui- condamnées par la bulle d'innoeent \l d'heureuse mé-
moire, mie des plus remarquables est la i.xiv' où il dit (|ue « les
théologiens sont moins disposez à la contemplation (|ue les igno-
rans, paire qu'ils ont moins de foy, moins (riuimililé, moins
de soin de leur salut ; et qu'ils ont la teste remplie de fantosmes,
d'espèces , d'opinions et de spéculations (jui ferment l'entrée à la
véritable lumière : » de là on conclut « (pi'ils ne sont pas propres
à juger de telles matières, et que la contemplation ne reçoit pniul
1 Guide spir , liv. III, chap. XVil, xviii.
PRÉFACE, N. m. 369
(f autres juges que les contemplatifs. » C'étoit la ni* des dix-neuf
propositions qu'on envoya de Rome aux évoques pour les mettre
en garde contre les nouveaux contemplatifs. Et c'est encore à
présent ce qu'ils ont sans cesse à la bouche pour éluder les cen-
sm'es dont on les flétrit de tous côtés.
Gerson, que nos pères ont justement appelé Docteur très-chré- '"•
tien tant à cause de sa piété que pour avoir été en son temps la ^''''" ''*
•- ^ ^ i. Gerson sur
lumière de ce royaume , remarquoit dès lors qu'un des artifices l'^^^^^i
de ceux qui veulent se donner toute liberté d'enseigner ce cju'il 'pïritncT:'
leur plait sur une matière si cachée et si déUcate, est d'en ap- Tnt'îes
peler toujom-s aux expériences *. Ils se proposent certaines per- ^es sur
lesquelles
sonnes connues ou inconnues^ qu'ils prétendent guidées de Dieu " '*= ''''"'
d'une façon particulière ; et avec cette fragile autorité , ils ré-
cusent tous les juges qui ne leur sont pas favorables, sous pré-
texte qu'il ne sont pas expérimentés : ce qui ne tend à rien
moins qu'à rendre ces nouveaux docteurs indépendans des cen-
sures et des jugemens de l'Eghse, parce qu'on ne saura jamais
qui sont ces juges expérimentés dont il faudra sui\Te les senti-
mens, ni si les docteurs, les évêcpies ou les pasteurs ordinaires
sont certamement de ce nomlîre. Mais il est clair indépendamment
de ces prétendues expériences , qu'il y a des règles certaines dans
l'Eghse pour juger des bonnes et mauvaises oraisons, et que toutes
les expériences qui y sont contraires sont des illusions. On ne peut
douter que les prophètes et les apôtres , que Dieu nous a donnés
pom- doctem-s, n'aient été très-instruits et très -expérimentés
dans ses voies : les saints Pères , qui les ont suivis et nous en ont
exphqué la sainte doctrine , ont pris leur esprit ; et animés de la
même grâce, ils nous ont laissé des traditions infaillililes sur cette
matière comme sm* toutes les autres qui regardent la religion.
Yoilà les expériences solennelles et authentiques sur lesquelles il
se faut fonder, et non pas sur les expériences particulières qu'il
1 E[>ist. ad fratr. Barth. Carthus., et lit), de Dût. verar. vis. à falsis. cont.
epist. Jo. de Schoen. Edit. Aut. 170G, tom. 1 , col. 43, 59, 78.
TOM. xvni. 24
j:o instruction sur les états DORAISON .
est difficile ni d'attribuer ni de contester à persoinie par des [iriii-
cipes certains,
suîk d.. Ce même docteur, puur réfuter ceux qui prétendoieut que ces
uonVlfu matières de loraisou ne dévoient point être portées à V école ,
ctntn. mais seulement traitées par les liommes expérimentés dans cette
pratique , découvre les illusions où tombent ceux qui donnent
pour toute raison « leiu's expériences, et qui, trimsportés par des
affections déréglées envers les vertus et piu* des idées indiscrètes
de l'amour de Dieu , ont un zèle ijui n'est pas selon la science '. »
Il se trouve, ajoute-t-il, parmi eux « des femmes d'une incroyable
subtilité, » dont les écriti> (juelquefois «contiennent de très-bomies
choses ; mais leur orgueil et la véhémence de leiu' excessive pas-
sion lem* persuadant qu\'lles jouissent dt- jticu dts cittr vie. elles
disent des choses sur cette bienhennuse vision , que rien nau-
roit éf^^dées, si elles les avoient a]ipli(piées à la vie future'. « .le
rapi)orte ces pas.siiges iK)ur monticr jusipiVtù peut aller l'esprit
de séduction, et eusend)le comiiif sous !<• ikhii di- raiiKnir di\iii
il s'introduit des excès cpii détruisent la pitic. C'est de là , dit ce
pieux docteur, iiue sont nés les héf/itanis et les hétpdnvs, doid mi
connoit les énormes excès ; mais (Jerson les attaipie ici par leiu-
bel endroit, je veux dire par la trompeuse apparence de leur spé-
cieux commencement , il il atbKpie en même lenq)S les « antres
semblables fohes d'amans insensés que la science ne guide pas :
insmtias ama)itiu7n, iniù et anientium, (laia no?i seritnf/àni srirn-
tiain : d où il conclut qu il m falloit croire /<>.%• doctes théolix/icns
cpii savoient les règles, plutôt (jue les dévots qui se glorilicnt de
leur expérience,
V- C'est aussi ce qu'on pratiqua dans le concile de Vienne contre
le ç.M.cie ces faux contemplatifs. A les enteuilre , ils étoient élevés à la plus
sublime oraison, passifs sous la main de Dieu, transportés par
un amour extatifpie et toujom's mus par des inqailsions et im-
' Kp. Jo. (InSchoen. et Rcsp. Gers., ibid. lil). de D^it. verar. vis ù fidxis, oW. —
• Ibid , col. 55.
PRÉFACE, N. VI. 37i
pressions divines. Mais encore qu'ils ne cessassent d'alléguer leui's
expériences , on ne les écouta pas ; et malgré ces épreuves tant
vantées qu'on prit pour des tromperies du malin esprit, et en tout
cas pour de vains transports d'ime imagination échauffée, ils fu-
rent frappés d'un anathème éternel, dont ils furent plutôt abattus
que convertis : laissant au monde un exemple des aveugles et
opiniâtres engagemens où l'on entre, en préférant des expé-
riences particulières et souvent trompeuses à la règle invariable
de la tradition.
C'est par la même raison que sainte Thérèse a désiré à la vérité s,„^-|,;ent
de trouver dans les directeurs la science et l'expérience , s'il se 'xue^èsè!
peut, unies ensemble; mais faute ou de l'une ou de l'autre, elle a TaLTenc!
, , à l'eïpé-
prefere le savant a celui qui n e^t que spirituel^. Ce passage n'est nence: et
ignoré de personne ; mais on n'a peut-être pas assez réfléchi sur ^°°^^^^
les raisons de cette Sainte : l'une est que l'homme d'oraison ren-
fermé dans son expérience , « s'il ne marche pas dans votre voie,
comme il en sera surpris ( par le défaut de science ) , il ne man-
quera pas de la condamner : » ce que les hommes savans et bien
instruits de la règle ne feront pas : « l'autre , que la connoissance
que leur science leur donne d'autres choses non moins admirables
reçues dans l'Eglise , leur fait ajouter foi à celles que vous leur
raconterez ( de votre ultérieur ) , quoiqu'elles ne leur soient pas
encore connues ^. »
Ainsi ce qu'on n'aura point expérimenté en soi-même, on le sen-
tira dans les autres ou dans des cas approchans. La Sainte n'y
met qu'une condition , qui est que ces savans que l'on consulte
soient gens de hie^i, parce qu'alors en joignant ensemble la science
et la vertu, ils seront de ces spirituels^ au sens de saint Paul ', qui
jugent de toutes choses, sans que pour cela il soit nécessaire qu'ils
soient arrivés à ces hautes spiritualités de ceux qu'on appelle les
grands Directeurs : car on voit que le saint Apôtre dit bien que le
1 Cliàt.j G« deiii. chap. vni. — "- Chài., ."« dem. cliap. i. — » I Cor , n, 13.
372 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'OR.\ISON.
spirituel, dont il parle, jufje de tout; mais non pas qu'il ait tout
expérimenté par lui-même, ni rpie pom' juger de chaque manière
d'oraison , il faille qu'il y ait passé : autrement il l'audroit aussi
avoir éprouvé les extases pour en porter un jugement droit et
discerner les bonnes d'avec les mauvaises ; et le spirituel, qui jitf/e
de tout , seroit uniquement celui (jui auroit expérimenté toutes les
oraisons extraordinaires : ce qui bien assurément n'est pas véri-
table.
Ces directeurs renommés dont on vante les expériences et qui
ne doutent de rien, ignorent-ils que Dieu dont le bras s'étend au
delà de toutes leurs épreuves, aux(juelles, connue sainte Thérèse
vient de nous le dire, ils veulent réduire les âmes, les jette bien
loin àl'écait et se plait à les déi( ni» r : en sorte que leurs expé-
riences, qu'ils prenoient pour guides, ne serviront souvent cju'ù
les confondre, pendant (|uc les savans hommes liien instruits des
règles, poui'vu seulement (juils soient luunbh'S et que leur cœur
soit droit a vex" Dieu, sauront bien quand il faudra ne pas juger,
et jiiLTioiit aussi ([uand il if laiidra. avec d'autant jiliis de sûreté,
« que Dieu, dit sainte Thérèse, les ayant choisis pour être des
lumières de son Eglise, ils ont cet avantage par-dessus les autres,
qu(î (juand on leur propose quelques vérités, il les dispose à les
recevoir ' : « de sorte qu'en les suivant, ce n'est pas sur nix,
mais sur Dieu seul (ju'on s'a^ipuie. 11 ne faut pas (lublier que la
Sainte ajonfe quelle en peut bien parler par e.rjx'rience: et puis(juc
c'est à lexiiérience (ju'on voudroit tout ra[t[»oiler, on en peut
croire la sienne.
VII. C'est ildiic, pour ainsi parler, l'expérience elle-même <jni rm-
Ciiniiuonl
D.iMica^h. pêche de tout donner à l'expérience : mais pour pénétrer au fond
4IIX «llll-i
-impu» de cette matière, voici en dernier lieu une autre sorte d'expé-
romnieni Tieuce uiarquéc p.'U" cette Sainte. C'est qu'on est ('ontenq)lalif, sans
,,euï"deic- le penser être : le dirai-je? on est expérimcnlé sans le savoir :
ilir une _ . ,. . rni ' ' ....
ruuicuipu «Je sais, dit sainte Inerese, une personne <ini ii ayant jamais pu
1 Chùl., 5» tlcm., cLnp. i.
PRÉFACE, .\. Mil. 373
faire d'autre oraison aue la vocale, possédoit toutes les autres; et uon éa^i-
"^ ' nente.
quand elle vouloit prier d'une autre manière, son esprit s'éga-
roit de telle sorte qu'elle ne se pouvoit souffrir elle-même : mais
plût à Dieu que nos oraisons mentales fussent semblables à To-
raison vocale qu'elle faisoit. Un jour, continue la Sainte , elle
me vint trouver fort affligée de ce que ne pouvant faire une
oraison mentale ni s'appliquer à la contemplation, elle se trou-
voit réduite à faire souvent qu ïlqaes oraisons vocal es'. » A la
fin pourtant il se trouva qu'elle étoit , sans y avoir seulement
songé, dans la plus sublime contemplation. Ce sont les secrets et
pour ainsi dire les jeux merveilleux de la sagesse étemelle, qui
cache aux âmes ce qu'elle leur donne, et qui leur fait rechercher
la contemplation pendant qu'eUes la possèdent : les gens savans
sont soumis comme les autres à ces conduites cachées : Dieu les
fait petits autant qu'il lui plaît , et ils ne trouvent en eux qu'i-
gnorance et aveuglement. Par ces admirables ressorts de la
di^1ne sagesse, im bon et simple docteur, qui ne croira pas
savoir prier autrement que le conmum des fidèles, sans faire le
grand directeiu" ni parler de son oraison ou raconter les expé-
riences que les autres vantent, vous dira en simphcité ce que Dieu
demande de vous : son étude, qui selon la règle de saint Augus-
tin, n'est qu'une attention à la lumière éternelle, et un saint atta-
chement de son cœur à celui qui est la vérité même , est une
sorte de contemplation : quand il parlera de l'oraison , il croira
parler du don d'autrui plutôt que du sien : plus ses éprem es
lui paroissent foibles, ou plutôt moins il les connoît et moins il
y songe, plus il se met en état de profiter de ceUes des autres ; et
en se laissant lui-même pour ce qu'il est aux yeux de Dieu, il an-
noncera la doctrine que les Ecritures apostohques et la tradition
des Saints lui auront apprise.
Qu'on ne croie pas toutefois que je rejette le secours de l'expé- vm.
j . Coaunent
rience : ce seroit manquer de sens et de raison : mais je dis que lexpé-
•*• ^ ^ rience est
1 Chern. de ficrf., chap. III.
37+ INSTRUCTION SUR LES ETATS DORAISON.
.uboMon- l'expérience, qui peut bien régler certaines choses, est subor-
lh«'o* donnée dans son tout à la science théologique, qui consulta la tra-
pqur. jIjjjqjj ^.^ ^jjjj j,Qssè(le Ics pi'incipes. C'est ici ime vérité constante
et inébranlable qu'on ne peut nier sans erreur : le contraire,
«onime on a vu, est un moyen indirect de se soustraire au juge-
ment de la Siiine théologie, et en général à l'autorité des jugemens
ecclésiastiques.
Din.io., Appuyé sur ces solides fondt'nu'us , jcntn-rai avec condanco
J^„'p!. dans celte matière; et pour y prori-der avec ordre, je diviserai
"*'«"•'' cet ouvrage en cinq traités. Je proi>oscrai (Uuisle premier, (pii est
celui-ci, les faux principes des mystujues de nos jours ri leur
mauvaise théologie, avec une juste censure de leurs erreurs. Pour
les réfuter pUis à fond, le .H'cond traité fera voir les principes
conuuuns de l'oraison chrétienne. Lv tn>isième e.xpostM'a par les
mêmes règles U's principes des oraisons e.xtraord inaires, dont
Dieu favori.s»' (piebpie.s-mis de î*es serviteurs. Les épreuves et les
exercices feront U- sujet du (pialriènu-. Kntin je conclurai cet
ouvrage en exprupiant les seutimens et les locutions d«*s saints
docteurs dont les fiiu.v mystiques ont abu.sé, et partout je tâcherai
d"eiiq)ècherquc l'abus qu'ils en auront fait, ne fa.sse perdre le goùi
de la vérité. J'espère (pie jiai* ce moyen 1«; pieux lecteur n'aura
rien à désirer sur cette matière : les erreurs seront di couvertes :
ceux (pii mantpient moins par malice (pie par imprmlence se
réjouiront d'être redresst's : les âmes simples et encore infirmes
seront attirées à rorai.son, et celles (pii y sont déjà exercx'cs crain-
dront moins de se livrer aux attraits divins. lUeusiit que ce n'est
pas de moi-même, mais de la doctrine des SainLset de la force de
la vérité cpie j'espère ces avantages.
Dim'uiiri U"oi(pie mon des.sein principal soit de répandre dans tous les
mlwrr" ecpui's l«'s (loux atti'ails de la parfaite oraison, néanmoins en di-
vers endroits «'t surtout lors(pi"il s'agira de l'orais^m (ju'on nomme
pa.s.sive, je ne pourrai éviter rabstraction et la sécheresse, qui
dans un sujet si sublime et si délicat, accompagnent uécessai-
PRÉFACE, N. X. 375
rement les définitions et les résolutions précises. D'ailleurs il fau-
dra entrer dans des matières que le monde ne goûte guère, et
dont souvent il fait le sujet de ses railleries. On y traite ordinai-
rement les contemplatifs de cerveaux foibles et blessés ; les ravis-
semens , les extases et les saintes délicatesses de l'amour divin,
de songes et de creuses visions. L'homme animal, comme dit
saint Paul ', qui ne veut ni ne peut entendre les merveilles de
Dieu, s'en scandalise : ces admirables opérations du Saint-Esprit
dans les âmes, ces bienheureuses commimications et cette douce
familiarité de la sagesse éternelle, qui fait ses délices de converser
avec les hommes, sont un secret inconnu , dont chacim veut rai-
sonner à sa fantaisie. Parmi tant de différentes pensées qui se
forment sur ce sujet dans tous les esprits, comment empêcherai-je
la profanation du mystère de la piété , que le monde ne veut pas
goûter? Dieu le sait, et il sait encore l'usage que je dois faire des
contradictions ou secrètes ou déclarées qu'on trouve sur son che-
min, dans mie matière où tout le monde se croit maître, et où
l'on ne voit que trop que les esprits prévenus se passionnent d'une
étrange sorte pour leurs sentimens. Mais qu'importent ces oppo -
sitions à qui cherche la vérité? Dieu connoît ceux à qui il veut
parler : il sait les trouver, et sait malgré tous les obstacles faire
dans leurs cœurs, par nos foibles discours, les impressions qu'il
a résolues. Son œuvre dont une partie et peut-être la principale,
du moins la fondamentale, est de découvrir les erreurs, s'accom-
plit avec patience, et souvent s'avance davantage par les contra-
dictions de ceux qui s'y opposent que par les applaudissemens de
ceux qui l'approuvent. Marchons donc avec confiance, et n'épar-
gnons rien pour prévenir le venin d'une doctrine qui ne cherche
qu'à s'établir insensiblement sous coLilem' de piété. Plusieurs
seront étonnés de la nécessité où je me suis mis d'exposer le sen-
timent de quelques pieux contemplatifs des derniers temps, dans
la doctrine desquels le public s'intéresse peu, et que souvent il ne
' I Cor., Il, 14.
376 INSTRUCTION SUR LES ETATS D ORAISON,
connoit gruère : on nw dira qu'après avoir établi la vérité révélée
par TEcritui'e et par les Pères, je devois présupposer que ces spi-
rituels s"v sont conformés, en tout cas qu'ils ont dû le faire; ainsi
que je pou vois mépargm-r le soin d'examiner leurs [jensées, aux-
quelles aussi bien on ne se croit pas obligé de déférer beaucoup.
Je ne sais que dire à cette objection, si ce n'est que la charité m'a
inspiré mi dessein plus étendu , et (jne je me suis proposa' de ne
laisser aucun refuge à ceux qui n'épargnent rien poui' trouNer
des approbateurs à lem's nou\eaulés. (^Ki'on souffre donc ma dili-
gence peut-être excessive • l'afTaire «'st plus inqmrtante (]ue ne
le peuvent penser ceux (jui n'eu sont [uis tout à fait instruits : et
avant (pie de passi'r outre, j'en reviens à fleeliir mes gi'uoux
devant Dieu l'ère de Nutre-Seigneur Jesus-tlhrisl, pour lui lieman-
der non-seulement la netteté et la précision, mais encore la sim-
plicité et l'onction de sa grâce, dans un ouvrage où il s'agit de
parler au rieur plut»'»l qu'à l'esprit.
APPROBATIONS. 377
APPROBATION
DE MONSEIGNEUR L'ArxCHEVÊQUE DE PARIS.
L'expérience nous apprend;, aussi bien que l'Ecriture, que le démon a
ses profondeurs comme Dieu, mais qu'elles sont d'une nature bien diffé-
rente. Les conseils de Dieu étant conduits par une sagesse toute sainte et
toute-puissante, tendenttoujoursà tirer le bien du mal môme, au lieu que
les artifices du démon ne vont qu'à tourner le bien en mal : lorsqu'il ne
peut éloigner les âmes du bien où la grâce les attire, il en fait un mal
par le poison qu'il y répand. C'est ce qu'il fait sur la matière de l'orai-
son depuis quelques années surtout. Comme il sait que la prière est le
grand moyen de le désarmer et de tout obtenir de Dieu, ou il en dégoijte
entièrement par le mépris qu'il en inspire aux enfans du siècle, et par
les vaines craintes qu'il donne aux âmes timides; ou il la corrompt par
l'illusion. Il y a fait tomber plusieurs personnes, qui faute d'humilité
ont donné dans le piège; l'orgueil les a séduites, et leur a fait enseigner
une nouvelle spiritualité que les Saints n'ont point connue; elles se sont
flattées de pouvoir par des méthodes de leur invention, rendre faciles et
communs à tous le monde, les dons les plus précieux et les plus rares
que le Saint-Esprit n'accorde qu'à quelques âmes choisies que Dieu
veut favoriser d'une manière particulière, sans manquer à ce qu'il a
promis pour le salut des autres. Il faut donc faire connoîlre la fausseté
de leurs maximes et les abus où elles jettent : il faut expliquer les mys-
tères les plus profonds de l'amour divin , que l'Eglise ne découvre
qu'avec réserve et à proportion de ses besoins, parce que les âmes sen-
suelles n'en sont pas capables; mais elle le fait toujours sans dissimulation
et sans artilice, parce qu'elle n'enseigne rien que de saint et qui ne soit
digne de Dieu.
Il falloit pour traiter une matière si diflicile et si délicate une main
aussi habile que celle du grand prélat qui a composé cet ouvrage. Son
nom seul porte avec soi son approbation et son éloge : car qui ne con-
noît sa profonde érudition, son zèle pour la vérité, son application con-
tinuelle à combattre les erreurs, et les autres qualités épiscopales dont
Dieu l'a rempli? On en trouvera de nouvelles preuves dans ce livre,
comme dans les autres excellens ouvrages qu'il a donnés au public.
Ainsi ce n'est point assez de dire que nous n'y trouvons rien de con-
378 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS DORAISON.
traire à la foi ni à la morale chrétienne : nous exhortons de plus les
âmes vérilahleinenl pieuses de le lire avec attention, et de se servir des
pures lumières qu'elles y trouveront pour éviter les routes égarées de la
fausse spiritualité, et pour marcher toujours dans la voie droite de la
perfection. Donné à Paris, dans notre palais archiépiscopal, le ilou-
zième jour du mois de février, l'an de grâce mil six cent quatre-vingt-
dix-sept.
Signe t Louis Antoine, archevêque de Paris.
APPROI^.ATIOX
DE MONSKUiM:rH l/HVf.olE HE rilARTRES.
J'ai lu l'excellenl livre intitulé ; Instruclinn sur les états d'Oraison,
oit scmt exposées les erreurs des faux >iiysti(/ues de vos jours, avec les actes
de leur condaunuilioti. L'erreur des «juiétistes y est démasipiée, désarmée,
et inviueihlt'ni'nl confondue. Monseigneur rKvè(]iie de Meaux, toujours
altcntilù défendre l'Kglise contre toute nouveauté, fait voir clairement
où tendent leurs principes cl le sens pernicieux de leurs maximes. Ils
ont |)ensé ce (ju'ils ont écrit, ce ipi'ils ont tant de fuis répété, ce (ju'ils
se sont elïorcés de prouver, ce qu'ils ont explitpié par des comparaisons
très-sensibles, ce ijui forme leur système et ce cpii est le sens de tous
leurs ouvrages.
Qu'ils ne tentent donc plus de rappeler ici en leur faveur la fameuse
dislinclion du droit et du fait; cène pourroit être (pi'un arlilicc pour
éluder les condauinalidus de l'Kglise, dans une occasi(»n où les écrits
condamnés parlent si clairement et d'une manière si peu équivoque.
Les légers correctifs qu'on y trouve quehjuefois, et ceux-là même où
ils semblent nier ce qu'ils assurent ailleu rs, ne servent de rien pour leur
excuse ; ils se sont par là préparé des évasions; ils ont dit de bonnes
choses |)our faire passer les mauvaises; et tout ce (pi'on peut conclure
de ces contrariétés, c'est qu'ils ont voulu se déguiser; mais ils ont beau
faire : il y a certains endroits dans leurs ouvrages qui en sont comme
lestbefs et le dénouement par où ils se découvrent malgré eux. On n'a
l>ar exem|de qu'à les suivre dans les dilTérens degrés de leur |)rétendue
perfection, et à sé[)arer comme ils fout en chaque degré, le commencc-
nicnt, le progrès et \>' U rme ; un trouvera que ce qu'ils semblent accor-
APPROBATIONS. 379
der à la vérité catholique dans le degré des plus parfaits n'est vrai, selon
eux, que pour le commencement du degré, ou tout au pliîs dans le pro-
grès qu'on y fait, et que quand entin on est arrivé à leur terme, il n'y a
plus rien à faire pour la créature; qu'alors tout acte de vie chrétienne,
quelque simple et délicat qu'il soit, est entièrement éteint ; et voilà la
mort mystique, selon eux, qui conduit h la vie parfaite; mais c'est en
effet la mort de la grâce, qui mène à l'indifférence du salut et à la répro-
bation éternelle.
Ils ont eu la hardiesse d'appeler cà leur défense les plus saints mys-
tiques ; mais M. de Meaux a réparé l'injure faite à ces grands Saints, en
montrant par eux-mêmes leurs véritables sentimens, et a confondu les
novateurs par la foi et la tradition constante de l'Eglise.
Après les éclaircissemens de ce grand prélat, il est évident que celte
nouveauté est le renversement de la foi et de la morale de l'Evangile.
Luther et Calvin attaquèrent l'une et l'autre sous prétexte de réforme au
commencement du siècle passé, et les faux mystiques d'aujourd'hui
attentent la même chose sous le voile spécieux de la plus haute perfec-
tion. Il ne faut donc pas s'étonner si les calvinistes ont fait l'apologie de
Molincs, et si les trembleurs d'Angleterre ont reçu dans leur communion
les quiétistcs fugitifs d'Italie.
C'est un monstre , que des chrétiens et des chrétiennes aient pu
donner de tels excès au public sous les noms de la plus parfaite piété.
Ils ont réduit l'exercice de la foi à des idées si confuses de la Divinité,
et les pratiques de l'Evangile à une telle inaction et insensibilité, qu'un
licencieux déiste, qui auroit voulu secouer le joug de la religion et étouffer
les remords de sa conscience, n'auroit pu rien concerter de plus favorable
à son libertinage.
Quelles suites d'une si énorme doctrine, et quand on ne les auroit
pas prévues, en seroient-elles moins à craindre ? On sait quelle a été la
vie de Molinos : Dieu punit souvent l'orgueil de l'esprit par les humilia-
lions de la chair : Evamierunt in cogitationibus suis ; dicentes enim se
esse sopienfes; stulti facti sunt Tradidit illos Deus in reprobum
sensum, ut faciant ea quœ non conveniunt. On doit tout craindre quand
on est superbe ; et l'orgueil peut-il monter plus haut en celte vallée
de larmes que de s'attribuer une justice, un désintéressement, un
rassasiement, une transformation si fort au-dessus de notre état pré-
sent?
Prétendre avoir extirpé l'amour-propre, c'est sans doute le comble de
l'amour-propre; et quelle plus grande marque en peuvent donner ces
âmes vaines, que leur folle présomption de n'avoir plus rien à demander
à Dieu ? 11 n'est point de chute honteuse où un tel excès d'orgueil ne
puisse précipiter : et plaise au Seigneur que sous ces noms spécieux de
simplicité, ^'enfance, d'obéissance trop aveugle, de néant, il n'y ait rien
380 l.NSTiaCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
de caché de ce que l'on a découvert ailleurs dans ces orgueilleuses et spi-
rituelles singularités.
Après ïlnslruction exacte qu'on donne ici sur un sujet si délicat et
si important, nous espérons que toutes les personnes de bonne foi et de
bon esprit, (|ui sr* seroicnt laissé prévenir par l'endroit spécieux do cette
nouveauté, reviendront de leur prévention; et que les auteurs mêmes
des ouvrages condamnés détesteront avec humilité et sincérité leurs
erreurs, si l'infaillibilité que quelques-uns d'entre eux s'attribuent, et le
mépris qu'ils font de toute la terre n'oppose pas aux remèdes de l'Eglise
un orgueilleux entêtement qui rende leur mal incurable.
Nous ne cesserons d'ulTrir à Dieu nos prières et nos sacrifices, pour
qu'il détourne de dessus leurs tètes un si grand malheur, par une ré-
tractation et une pénitence sincère, qui console Jésus-Christ et" son
Eglise de leurs égaremens passés. Que si au contraire ils continuoient
de résister toujours opiniâtrement à la vérité, ainsi (pie Jannès et Mam-
brès résistèrent à Muïse , du moins leurs opinions insensées ne feront
plus aucun pmgrès : car leur folie va ôlre maintenant connue et détestée
de tout le monde, comme le fut celle de ces magiciens : Sed ultra non
proficienl ; insipieutia enim eorum manifesta erit omnibus, sicut et
illorum fuit.
C'est le grand fruit que nous avons tout lit-ii d'atlcDilrc de l'excellent
livre (11- M. l'Evèipie de Meaux, si rempli de la itrolondeur, de la lumière,
de la pureté et de la force de la vérité calholi(|ue, dont ce grand i)rélat
s'est toujours montré si utilement pour l'Eglise le zélé défenseur contre
toute erreur qui l'a os-' attaquer ilans ces derniers temps. Fait à Chartres,
ce troisième de mars mil six cent (juatre-vingt-dix-sept.
Signé y I'ail, évèque de Chartres.
LETTRE DE I/AFTEUR
A N. S. rKi'.r. i.i; vwv..
Bk.VTIS^IME PATER ,
Ad pedes bcatissimosappono librum pro defensione derretorum apos-
tolie.T Sedis à me editum, et vix ])v;i'lo subtrarlum. Qua- enim catlioli-
cam veritatem , qu;c calhedrœ Pétri dignitatem majestauKpie sjiectant,
ea chrislianis quidem omnibus, sed nobis polissimùm episcopis curai
APPROBATIONS. 381
esse oportet, qui in partem vocati sollicitudinis^ plenitudinem poteslatis
colère debearaus. Et quidem, Pontifex sanctissirae, quàm adversùs er-
rores Romana vigilaret fides, recentissimo exemplo claruit, cùm in
ipsam christianitatis arcem, id est in ipsam Urbem, sub orationis ac
pielatis specie pestiferum virus lalentcr irreperet^ ac raagnam Italiœ
partem flamma pervaderet. Sed error occultus non fefellit PelriSedem,
in quà fides apostolico ore laudata, etChristi oratione firmata non potest
sentire defectum. Statim enim fnnocentius XI sanctae recordationis ,
antecessor luiis, ab ipsà Pétri Sede, hoc estab altiore loco speculac pas-
toralis, classicum insonuit^ et universos excitavit episcopos : quà voce
commonili nos quoque insurrexinnis, zeloque zelati pro Domino Deo
exercituum^ in his quoque partibus comprimere conati sumus gliscentem
hœresim , qua) per innumerabiles libelles longé latèque difTusa, ac ne
latiùs spargeretur, ab apostolicâ Sede damnata est. Nos autem ultrô
prolitemur^ Beatissime Pater^ in damnandis propositionibus ac pros-
cribendis libris, sanctissimœ Sedis decrelis inhœsisse : et nunc toto hoc
opusculo nihil aliud agimus, quàm ut id quod summà aucloritate et
œquitate est gestum, Scripturarum testimoniis^ traditione Patrum ac
verae Iheologiœ decretis fulciatur : qua3 promptâ et humili mente co-
nantem, et sub tantîE Sedis auctoritate certantem procul dubio adjuva-
bis. Sanè diligenter cavendum est, ne in ipso orationis fonte christiana
pietas corrumpatur : id enim omninô agunt prœdictorum libellorum,
quos Sedes apostolicâ damnavit, auctoresj ut gratuiti amoris specie,
christianae spei solatium , et sensus œternge beatitudinis, quae est ipse
Deus noster, ipsa etiam sanctaî dilectionis incentiva languescant, ac sic
tota pietas in argutiis inanibus , abstractisque et exsuccis conceplibus
reponatur; satis superque se spiriluales ac mysticos arbitrati, si à ne-
mine capianîur, et in suis cogitationibus evanescant. Quœ si ratio inva-
lescat, jam ad verba subtilia, novasque ac vanas voces apostolicâ iila,
solida sinceraque pietas ac simplicitas redigetur, verœque virtutis
studiura refrigcscet : quaî absint à temporibus tuis. Nos enim prœdica-
mus Innocentium XII, verœ genuinœque pietatis exemplum, christiani
gregis formam, episcoporum patrem, altorem pauperum, optimœ cujus-
que institutionis auctorem : qui pacem ecclesiis, pacem regnis afferat;
Ecclesiœ gallicanœ. Régi nostro magno, optimo, verè christianissimo,
ac Sedis apostolicae veneralori preecipuo, totique florentissimo ac reli-
giosissimo regno parentem se prœbeat; Belgarum turbas componat ;
atque ad Sinenses usque ac remotissimas illas vaslissimasque Orientis
provincias apostolicae providentiae intendat aciem,ac cœlestis vinese
operariis partito labore partâque concordià ostium aperiat Evangelio.
Quid superest, Beatissime Pater, nisi ut Sanctitati Tuœ omnibus votis
incolumitatem apprecer, ejusque tutelœ commendem hoc opusculum
meum pro sanctissinue Sedis decretis, summà quidem fiducià, sed inte-
3S2 INSTRUCTION SUR LES ETATS DORAISON.
rim deniisso animo pugnaturum. Deniquè ut peromnia, in luaîSedis-
que aposlolica; polestale fiilurum esse me spondeam, ac per abbàlem
Bossuetum paternaî erga illum tiue benevolenliœ meinorein, tanquàm
per aUcruiu nie, aposlolica.' benediclionis inunus accipiam,
Beatissime Pateîi,
Sanctituli Tuœ devotissimu» et aJdictissimus servus et filius :
Signé f J. bexigxus, epUcopus Meldensis,
Parisiis die 1" luarlii, an. Doiii. 1697.
E( uu-desstn : Sunclltôimo Domiuo Domiuo Ixnocentio Papœ Xll.
CHEF DE N. S. PERE LE PAPE.
A L'AUTEUn.
I.NNOr.ENTirS PAPA XII.
VtMUTabilis Fialcr, salult'rn cl apnslolicani bencdiotioncm. Kisi ad
rralcrnilaU'iii tiiain per uliari (piodain prupciisa" voliiiitalis sensu proso-
quondain valida nobis iiicilaiiienla non decranl à \irUilil)iis, doclrinàac
nierilis, quibus pra'slas; acriores niliiloniinùs in idipsum slinudos addi-
dit vulumen quod in lucem nupcr edidisli, quodque unà cum litteris
ob.sequenlibus erga nos significalionibus referlis à diloclo filio abbate
Hossncto accepinius. Quamobrem pro cxploraio babcro i)oleris, non dc-
fidura libi in occasionibus qua' se ollerenl, pra-i ijuia i>ra'dicla' vohintalis
leslinionia, cujus intérim rei pignus ai>osloli(ain bencdiclioneni fraler-
nilati tua? pcramanter imperliinur. Dalum RomiP apud sanctam Mariam
Majorom.sub annulo Piscaloris, die viinaii mdcxcvm, Pontilicalùs nostri
anno sexto.
Sigi^é Marils Spinula.
Et au-dessus : Vcucrabili Fralri JAConn Bemono, Episcopo Meldcnsi.
INSTRUCTION
LES ÉTATS D'ORAISON
llfl-VI V1 1 WV WVl Wï-Wt» » V».
PREMIER TRAITE.
OL'.SO.NT EXPOSÉES LES EECELT.S DLS TAUX iiySTIQUfS DE NOS JOURS.
LIVRE PREMIER.
Les erreurs des nouveaux mystiques en gênerai, et en particulier leur acte
continu et universel.
Il y a déjà quelques siècles que plusieurs de ceux cju'on appelle oJ;,,^.
mystiques ou contemplatifs , ont introduit dans l'Eglise un nou- '1""^,;,""
veau langag-e qui leur attire des contradicteurs. En voici un "'!"'" "^'^
<-''--' ^ at's au-
échantillon dans le livre de Jean Rusbroc , chanoine régulier de !' "" "i":
' C licjnes, cl
Tordre de Saint-Augustin, prieui' et fondateur du monastère de '"^J^^^:
Vauvert^Tun des plus célèbres mystiques, qui mourut vers la |,'^"''',,;|^'",
fin du quartorzième siècle. Cet homme donc, dans son livre de ^^^^'(l^_
V Ornement des Nopces spirituelles , qui est son chef-d'œuvre , a
avancé ces propositions, que Gerson, qui florissoit quelque temps
après, lui a reprochées, « que non-seulement l'ame contempla-
tive voit Dieu par une clarté qui est la divine essence, mais en-
core que l'ame même est cette clarté divine ; cpie l'ame cesse
d'être dans l'existence qu'elle a eue auparavant en son propre
genre; qu'elle est changée, transformée, absorbée dans l'être di-
vin, et s'écoule dans l'être idéal qu'elle avoit de toute éternité dans
l'essence divine ; et qu'elle est tellement perdue dans cet abîme.
384 INSTRUCTION SUR LES UTATS DORAISON.
qu'aucune créature ne la peut retrouver : Non est repen'l/ilis au
iilld creaturà '. » Quoi ! Tange saint ,, qui est préposé à la conduite
de cette ame , et les autres esprits bienhem*eux ne peuvent plus
la distincriièr do Dieu? Elle ne connoît pas elle-même sa distinc-
tion, ou coinin»* parle cet aulfur. s(»n nltrrUc? Elle ne sent plus
de foiltlesse ; elle ne sent nit'nif iilus (pielle est créature? C'est
lui donner plus qu'on ne peut avoir même dans le ciel; et lorsque
Dieu sera tout eu tous -, ceux que lApùtre comprend sous le nom
de tous, connoîtront (pi'ils sont et demeurent plusiem's, bien que
réunis ù un seul Dieu. Quoiqu'à force de subtiliser et d'airoiblir
les termes, on puisse à la fin peut-être réduire ces expressions
de Rusbroc à quoique sens supportabh' , (ierson soutient que,
midgré la bonne intention de celui «pii s'en est servi, elles sont
en elles-mêmes dignes de censure et propres à favoriser la doc-
trine des héréti(|Uos. qui disoient que riiomme pouvoit être réel-
lement changé en l)ieu et en l'essence divine : mais Sîuis entrer
dans cette dispute, il me suftit ici de remanpier (|ue cet ;int. m-
et ses sondilables S(»nt pleins d'expressions de cette nature, dont
on ne peut tirer de bon sens tjue pai' de bénignes interprétations,
ou ]Mtur parler nettement (pie par des gloses forcées. En ellct il
ne faut ([ue. lire les explicaticms (|n"iin pieux chartreux de ce
teniiis-là, en réjiondant àfierson, donne aux paroles de Rusbroc
dont il etoit dis( iple, pour être bientôt convaincu qu'on ne doit
attendre ni justesse ni i>récision dans ces expressions étranges ,
mais les excuser tout au plus avec beaucoup d'indulgence.
•I- Ce (lui paroit nrincinaltMncMit leur avoir inspiré ce langage exa-
>»• Inrr. 1111 . , .
iribiir. \ gératif , c'est (lue prenant pour modèle l«\s livres attruiues a samt
•ml t). - ^ -Il !• •
,.iAn.>- Denvs l'Aréonagite [n] , ils en ont inute le stvle extraordinaire,
" "•!•"■ (lue Gerson a bien connu ; et selon le naturel de l'esprit buniain ,
|0r« oui
.m pour (jui s'étant une lois guindé ne peut plus se donner de ! ornes, ils
modèle. • o 1 l
n'ont cessé d'enchérir les uns sur les autres : (îe qui a la lin les a
mis au rang des auteurs dont on ne fait point d'usage, (lar qui
connoît maintenant Ilaipbiiis ou Uusbroc lui-même, ou les autres
> Gers., ad Cnrl/ms., tnm. 1 , n.l. f.O ; lUis-1.., dp Oru. sjiirit. nxiji., III piiil.,
cap. H t't 111, etc. — » I Cor., xv, 28.
(a) La critique luoderne a prouve' l'aullionlicilé de ces précieux ouvrages.
TRAITÉ l, LIVRE I, N. III- V. o85
écrivains de ce caractère? Non que la doctrine en soit mauvaise,
puisque , comme Ta sagement remarqué le cardinal Bellarmin ,
elle est demem^ée sans atteinte : ni que leurs écrits soient mépri-
sables , puisque beaucoup de savans auteurs les ont estimés et en
ont pris en main la défense : mais à cause qu'on n'a pu rien con-
clm^e de précis de leurs exagérations : de sorte qu'on a mieux
aimé les abandonner, et qu'ils demeurent presque inconnus dans
des coins de bibliothèques.
De là aussi il est arrivé que leur autorité est fort petite, pour ni.
min'i 1 ^^ l'aulo-
ne pas du^e nulle dans 1 école : tout ce qu on y dit de plus favo- riie de ces
, ci'rivains:
rable pour eux, c est que ce sont des auteurs qu il faut interpréter fe,.t,ment
d'j Suarei-
bénignement; et quand on objecte à Suarez l'autorité de Taulère,
qui est poui'tant à mon avis un des plus solides et des plus cor-
rects des mystiques , il répond « que cet auteur ne parlant pas
avec la précision et subtilité scolastique , mais avec des plirases
mystiques, on ne peut pas faire grand fondement sur ses pa-
roles, quand on voudroit déférer à sou autorité *. »
Ce qu'on dit de plus vraisemblable et de plus avantageux pour iv.
excuser lem\s expressions exorlntantes , c'est qu'élevés à une ses qnon
oraison dont ils ne pouvoient expliquer les sublimités par le lan- réflexion
gage commun, ils ont été obligés d'enfler leur style pour nous
donner quelque idée de leurs transports. Mais le saint homme
Gerson, qui ne leur est point opposé, puisqu'il a fait expressé-
ment leur apologie, ne laisse pas de leur reprocher de pratiquer
tout le contraire de Jésus- Christ et de ses apôtres, qui ayant à
développer des mystères impénétrables et cachés à tous les siè-
cles, les ont proposés en termes simples et vulgaires. Saint Au-
gustin , saint Bernard, tous les autres Saints les ont imités ; au
lieu , dit le docte et pieux Gerson ^, que ceux-ci dans une moindre
élévation semblent ne songer qu'à percer les nues et à se faire
perdre de vue par leurs lecteurs.
C'est de quoi je vais donner un second exemple tiré du même v.
Rusbroc dans le même livre ^, plus étrange que le premier. Car "^péiliion
en parlant d'un homme abandonné à Dieu afin qu'il fasse de lui ZZÎT
1 Suar., de Relig., cap. ii ; lib. II, de Orat. ment., cap. xii, n. 17.— 2 Ubi sup.
— * De Orn. spir. nupt., p. 111.
TOM. xvni. 25
38() INSTRUCTION SUR LES ETATS D'ORAISON.
tout ce quil voudra dans le temps et dans réternitc, il dit que
cela lui i)aioitra nn-illcur, Id mdim ei sapict , que s'il jiouvoit
aimer Dieu eteruelk'iîieut : qui est une pensée qu'on ne peut com-
prendre ; car qu'y a-t-il au-dessus d'aimer Dieu d'un amour éter-
nel ; c'est-à-dire de l'aimer comme les esprits bienheureux , comme
Tamc saiute de Jésus-Christ, comme Di«'u s'aime lui-même? Ce-
pendant ce contenqtlatir trouve quelque chose de meilleur. Mais
ce qu'il veut mettre à la place de cet amoiu* éternel sera pourtanl
de l'amour ; cet amour en sera-t-il meilleur pour n'être pas éter-
nel , et pour être de cette vie plutôt (pie de 1 autn;? t^luoi! perdra-
t-il son prix, parce (juil sera inunuable et héatiliant? La propo-
sition paroit étraiijs'e , mais ce n'est rien en comparaison de la
rai.sfiu (pi'il en rend ; « Car encore, continue-t-il, que de toutes
les actions la plus agréable soit de louer Dieu, il est encore plus
agréable d être le propre bien de Dieu, parce que cela mène à lui
[ilus profondément, et (jue c'e>t [)bdôt en recevoir l'opération (pie
d"aj.,'ir soi-même : Passio potiii^ est I)ri (jwnn tictio : » connue si
Dieu agissant en nous y poiivoit opérer (juchpie chose d(! nieil-
lenr en soi, ou (|iii nous unit davantage à lui , ou (|ui nous tiui
davantage dans sa de[)endance, (jne de se faire aimer et louer de
iKtus par un éternel amour; ou bien qu'étant dans le ciel avec cet
anioin-, il fallût encore rechercher des moyens imaginaires de
s'en dépouiller : en sorte ijue par amour et par soumission à Dieu,
on consentît d«î ne plus aimer, s'il le vouloil, ou d'aimer moins
et d'avoir mi genre d'amour plus imjjarfait que celui (|tii est éter-
nel et béatificpicî : absurdités si étranges, qudn ne sait par où
elles (»nt jMi enh'er dans l'esprit d'un bonune ; et néanmoins
riKtnmie (pii nous les propose , c'est Uusbruc, le plus célèbre de
tous les mystiques de son temps et le maître de tous les autres ;
le maître d'Henri Harphius (pii l'a copié, et de Jean Tanière qui
l'a suivi ' : celui (pie ses disciples donnoient comme un liomme
inunediatement inspiré de Dieu, surbiut dans le trailé dont il
s'agit*. (,iue de violens correctifs ne faut-il iioint apporter à ses
propositions pour les rendre .supportables? Concluons donc, en-
core un coup, que si l'on ne trouve aux prodigieux discours (h-
* VU. Rusb. per Suriuiu. — * Jo. dcSchoen., ap. Gers., ibid., col. 63.
TRAITÉ I, LIVRE I, N. M, VU. 387
Rusbroc et de ses semblables , de charitables adoucissemens qui
les réduisent à de justes bornes, on se jette dans un labyrinthe
dont on ne peut sortir.
Un des caractères de ces auteurs, c'est de pousser à bout les J^^- .
allégories ; ie ne dis pas seulement en se i étant comme fait Rus- "■^"•p'f
broc dans de vaines spéculations sur les planètes et leurs enfans, '','^,f„f,^.'
tirées des astrologues », mais en poussant les allégories jusqu'aux '''^"''•
plus mauvaises conséquences ; comme quand le bon Arphius, en
parlant des noces spirituelles de Tame avec Jésus- Christ, dit et
répète qu'elles produisent ime entière inséparabilité ^ : ce qui étant
pris à la lettre , ne seroit rien moins que l'hérésie de Calvin et
de ses sectateurs.
Mais il ne faut pas pousser à toute rigueur des gens dont les
intentions ont été meilleures que lem's expressions n'ont été
exactes. Par exemple, quand Suson dit et inculque que les par-
faits contemplatifs ne ressentent plus aucune tentation ^, il vaut
mieux entendre qu'il parle ainsi, non absolument, mais par com-
paraison à d'autres états qui en sont plus travaillés, que de
prendre au pied de la lettre une expression par où ces contempla-
tifs seroient tirés des communes infirmités de tous les justes, jus-
qu'à n'avoir plus besoin de l'Oraison Dominicale : ce qui est,
comme on verra, un des excès où sont tombés les mystiques de
nos jours.
On trouve dans un livre intitulé Institutions de Tanière , oui ^'i-
parmi les livres mystiques est un des plus estimés , une histoire «a?eni-
lion d.ui3
assez étrange cVun saint homme'', qui après avoir exposé dans son '« insuiu-
lions de
oraison qu'il ne vouloit plus de consolation sur la terre, entend le Tmière.
Père céleste qui lui dit : « Je vous donnerai mon Fils , afin qu'il
vous accompagne toujours en quelque lieu que vous soyez : Non,
mon Dieu, repartit ce saint homme, je désire demeurer en vous
et dans votre essence même. Alors le Père céleste lui répondit :
Vous êtes mon fils bien-aimé dans qui j'ai mis toute mon afi'ec-
tion. »
* De contempL, cap. xxxit et seq., lxviii , etc.— * De Theol. myst., lib. I,
cap. CI, fol. 124, 12o. — 3 Dial. cum sap. At., p. 413. — * Instit. Taul., cap. i,
edit. Paris, 1623, p. 076; traduct. de 1638, p. 21.
388 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
C'est assurément une étrange idée de refuser Jésus-Clirist avec
un non si formel et si sec, pour avoir l'essence divine. Craig-noit-
il d'en être privé ayant Jésus-Clirist , et avoit-il oublié saint Paul
qui nous dit : « Celui c]ui nous a donné son propre Fils, comment
ne nous a-t-il pas domié toutes choses avec lui * ? » Combien de
toui's violens faut-il donner à son esprit, pour réduire ce discours
à un bon sens? Mais quelle oreille chrétienne n'est point blessée
de cette parole du Père éternel à celui qui refuse son Fils , en lui
disant à lui-même : « Vous êtes mon iils l)ien-aimé dans qui j'ai
mis mes complaisances? » En vérité cela est outré ,.pom' ne rien
dire de plus. Conclurons-nous pour cela qu'on enseigne à refuser
le Fils de Dieu , ou bien qu'on lui égale une créatui'c, en lui ap-
plicpiant ce (|uelePère éternel n'a .jamais dit (|u à son Fils unicjue?
C'est à (ju<ji ni le l>on Taidère, ni Surins, cjui a compilé ^a^J/is/i-
tufions, n'oui iiimiûs songi. Je veux seulement conclure (junne
ardente imagination jette souvent ces auteurs dans des expres-
sions absurdes, et qui sans rien vouloir diminuer de la réputation
de Tanière, nous apprennent du moins à ne pas prendre au pied
de la lettre tout ce qui lui est échapi)é.
Si je voulois recueillir tontes les façons de parler excessives et
alambiquées, «pii se liouvenl dans cet écrivain et dans ses sem-
blables, je ne liniidis jamais ce discours. 11 me suflit d'observer
que les plus outrées sont celles que les mystiques de nos jours ai-
ment le mieux : en sorte que lem' caractère , je le puis dire sans
crainte, c'est d'outrer ce qui l'est le plus , et d'enchérir au-dessus
de tous les excès,
viir. Enfin pour dernier exenqde des exagérations dont je me [ilains,
exemple j'allégucrai ce que les mystiques répètent à toutes les pages, que
''iu,"^dln. la contemplation exclut non-seulement toutes images dans la mé-
ceiauuiur» j^^^jj-^^ ct toutcs traccs dans le cerveau, mais encore toute idée dans
l'esprit et toute espèce hitellectueUe : ce qui est si insoutenable et
si inintelligilde, qu'en même temps qu'ils le disent. Us sont con-
traints de le détruire, non-seulement à l'égard des espèces et des
idées intellectuelles, mais encore à l'égard des images nièmt^
corporelles, puisque les livres où ils les excluent en sont tout rem-
» Rom., VIII, 32.
TRAITÉ I, LIVRE I, X. IX, X. 389
plis; témoin Rusbroc clans celui des Nopces spintuelles , où en
s'opposant à ces images de toute sa force , il ne peut écrire une
page sans y revenir.
Tous les autres mystiques suivent son exemple : le plus sublime
de tous les états d'union est en effet, et selon eux, celui où Tame
est élevée d'une façon particulière à la dignité d'Epouse de Jésus-
Christ; mais ici n'emploie-t-on pas à chaque moment les images
des fiançailles et des noces ; de la chaste consommation de ce divin
mariage ; delà dot de Tame mariée au Yerbe, aussi bien que des
présens qu'elle en reçoit ; et cent autres de cette nature tirées des
saintes Ecritures , et qu'on ne peut rejeter en aucun état, sans
anéantir le sacré mystère du Co.ntique des cantiques ?
Par ime semblable exagération, les mystiques les plus sages
inculquent sans cesse leur ligature ou suspension des puissances :
si on les entend à la lettre , en certains états on n'est plus uni à
Dieu par l'intelligence, par la volonté, par la mémoire ; mais par
la substance de l'ame : chose reconnue impossible par toute la
théologie, qui convient que l'on ne peut s'unir à Dieu que par la
connoissance et par l'amour, par conséquent par les facultés in-
tellectuelles : et il est constant que les ^Tais mystiques dans le
fond n'entendent pas autre chose, encore que leur expression porte
plus loin.
Il falloit donc s'accoutumer à tempérer par de saintes inter- ix.
, Erreur des
prétations les excessives exagérations de ces auteurs sur les états mystiques
de contemplation ou d'oraison extraordinaire. On a fait tout le jour».
contraire, et les mysticpies de nos jours , non contens de prendre
à la lettre ces expressions, les ont poussées jusqu'à un excès qu'il
n'y a plus moyen de supporter, et y ont ajouté des choses que
personne n'avoit pensées avant eux; d'où sont enfin venues
toutes les errem\s inconnues airx anciens mystiques , que nous al-
lons exposer.
J'entreprends ici pour l'amour de Dieu et de son Eglise, un ..^- . .
travail ingrat, qui est celui d'aller rechercher dans de petits livres ^'^ p'',^sent
de peu de mérite un nombre infini d'erreurs , qu'il faudroit ce
semble plutôt laisser tomber d'elles-mêmes que de prendre soin
de les réfuter, ou même de leur donner quelque sorte de réputa-
390 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS DORAISON.
tionpar nos censures. Plusieurs croiront (pie ces livres ne méri-
toient que (lu mépris, surtout celui (lui a pour auteur lYauçois
Malaval, un laïque sans théologie, et les deux qui sont composés
par une fejume, comme .^ont le Moyen court et facile, Qi Y Inter-
prétation sur le Cantique des cantiques. On pourra dire (ju'il
suffiront en tout c<is, après les avoir notés, de faire paroître les
actes où elle en a souscrit la condamnation, le reste ne méritant
pas d'occuper des doctt^irs et «'ucore moins des évècpies : mais je
ne suis pas de cet avis : j'entre au contraire dans les sentimens de
tant de jirélats (»t de papes mêmes, dont les judicieuses censures
font voir de quidli,' inqxirtance leur a [laru cette affaire ; et pour
rinslruclion du lecteur on les trouvera recuiMllies à la fin de cet
ouvrage. Ceux (jui veulent qu'on méprise tout, v.ulrnl en même
tenq»s laisser tout courir. Les saints l'éres n'ont pas dcdaigné
d'allaipicr les moindres écrits, (piand ils les ont vus entre les
mains de plusieurs et répandus dans le puMie. Kiru me préserve
de la vanité de croire mon temps et mon travail plus précieux (jue
celui de ces grands hommes : il ne faut pas mépriser le péril des
âmes, ni leur refus"r les préservatifs nécessaires contre des livn^s
(pii corrompent «mi tant de manières la simplicité de la foi. Ces
livres, (pioi(pie dans le fond j"(»n avojie le peu de mi'i'ile , ne sont
pas écrits sans artifice : le m:d (]u'ils conlieimenl est adroitement
déguisé : s'ils sont courts, ils remuent de grandes questions ; leur
lu'ièveté les rend plus insinuans : le nombre s'en multiplie au delà
de toute mesure : on les ti'ouve partout et en toutes mains. Cenx
qui sont composés par une fenmie sont ceux (pii ont le ])lus piijué
la curiosité et (]ui ont iieut-èlre le pins cMoui le monde : encore
qu'elle en ait souscrit la condanmation, ils ne laissent pas de cou-
rir et de susciter des dissensions en beaucoup de lieux d'où il
nous en vient de sérieux avis. Toute la nouvelle contemplation y
a été renfermée, et réduite méthodiquement à certains chapitres.
On y voit l'approbation des docteurs dont une apparentée trom-
peuse a surpris la simplicité , et ce n'est pas sans raison (pie l'on
appréhende de voir renaître en nos jours plusieurs erreurs de la
secte des béguards.
XI- Celle secte ne prétendoit pas se >éparer de l'Eglise : elle se
des bé-
uines.
TRAITÉ î, LIVRE I, N. XII. 391
couloit dans son sein sous prétexte de piété : il y avoit au com- gaard
mencement plus d'ignorance et de témérité que de malice. G'étoit
principalement des femmes qui dogmatisoient sous le voile de la
sainteté, comme dit la Clémentine : Cù?n de quibiisdamK On ne
les épargna pas sous prétexte cp.i'elles étoient femmes et qu'elles
étoient ignorantes. L'Eglise a vu dès son origine des femmes qui
se disoient prophétesses ^, et les apôtres n'ont pas dédaigné de les
noter. Ceux qui ont réfuté Montan, n'ont pas oublié dans leurs
écrits ses prophétesses. Je ne parle pas des autres exemples que
nous fournit l'histoire de l'Eglise : il ne faut pas toujours attendre
que l'ignorance présomptueuse, qui est la mère de l'obstination,
se tourne en secte formée ; et dès que le mal commence à se dé-
clarer, la sollicitude pastorale le doit prévenir.
Je me sens donc obligé à découvrir celui qui est renfermé dans xn.
, Dessein
les livres censures : et pour cela je ferai deux choses qui divise- particulier
de ce pre-
ront ce premier Traité en deux parties : la première qui occupera mier
la plus grande partie de rou\Tage, montrera la fausse idée de div.s'ion
sénéi-ale :
perfection que les nouveaux mystiques ou contemplatifs, connus «"je' des
dix livres
SOUS le nom de Quiétistes, tâchent d'introduire ; et l'on verra dans J""' i' «st
cuiJiposé.
la seconde en particulier l'abus que font ces nouveaux auteui's de
l'oraison de quiétude , aussi bien que des expériences et la doc-
trine des saints qui l'ont pratiquée.
On voit fort bien, sans que je le dise, qu'U y a des choses dans
ce dessein qui demandent un peu d'étendue, dont la première est
la nécessité de rapporter les passages des nouveaux auteurs pour
justifier la vérité des censures, et de peur que quelqu'un ne croie
qu'on leur en impose : la seconde, c'est qu'en découvrant le poi-
son il faudra aussi commencer à proposer l'antidote et opposer
la tradition à ces nouveautés : la troisième, qui ne sera pas la
moins importante, c'est qu'il est de mon devoir d'ôter aux nou-
veaux mystiques quelques auteurs renommés dont ils s'appuient,
et entre autres saint François de Sales, qu'ils ne cessent d'alléguer
comme leur étant favorable, quoiqu'il n'y ait rien qui leur soit
plus opposé que la doctrine et la conduite de ce saint évoque : et
1 la Gleme.it., lit. de lldir/ios. domib., lih. Ml , cap. i. — 2 Apo-:,.
Il, 20.
302 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
voilà en général ce que j'ai à faire dans ce Traité, qui est le pre-
mier des cinq que j'ai promis au public.
Pour en donner ime idée encore plus particulière et aider en
toutes manières autant qu'il sera possible le pieux lectem', je lui
propose d'abord en peu de paroles le sujet de chacun des dix
livres dont ce Traité sera composé.
Dans le premier on verra, après une idée générale de ce qu'on
appelle qidétisme , le premier principe de cette doctrine, qui con-
siste dans un certain acte continu et universel qu'on y établit, et
qu'il faudra non-seulement expliquer , mais encore réfuter aussi
brièvement qu'il sera possible.
Le plus dangereux effet de ce faux principe est dinduire la
suppression des actes explicites; et premièrement de ceux de la
foi tant envers les personnes divines , en y comprenant Jésus-
Christ, c'est-à-dire le Fils de Dieu incarné, (pi'cnvers les princi-
paux aflribnls de Dieu, (pic nos nouveaux auteurs ne craignent
pas doter aux contemplatifs, sous i>rétexte de les att.iclier à la
seule essence divine, et ce sera le sujet du second livre.
De la suppression des actes de foi, on passera dans le troisième
livre à celle des désirs et des demandes, où les faux mystiques
nous montrent quelque chose d'intéressé et de bas qui les rend
indignes des âmes sublimes : contre les exprès commandemens
deTEvangile.
Comme le prétexte de la suppression des demandes est une
fausse conformité à la volonté de Dieu fort vantée par les nouveaux
mystiques, on emploiera le quatrième livre à montrer combien
elle est mal entendue , et à condjien d'erreurs et d'illusions elle
ouvre la porte.
On examine au cinquième livre les actes directs et réfléchis,
distinets et confus, aperçus et non aperçus : par où l'on ôte aux
nouveaux mystiques une fausse idée de recutnllemcnt et une
source intarissable de fausses maximes , dont on ne peut expli-
quer ici tout le détail.
Avant que de passer outre à la découverte des erreurs, le
sixième livre opposera à celles qu'on vient d'exposer la tradition
des Saints.
TRAITÉ I, LIVRE I, X. XIII. 393
On commence au septième livre à découvrir l'abus que font
nos faux mystiques'; de l'oraison passive ou de quiétude, et on en
expliquera la pratique et les vrais principes par la doctrine cons-
tante des mystiques véritables et approuvés; tels que sont le bien-
heureux Père Jean de la Croix et le vénérable Père Baltasar Al-
varez, de la compagnie de Jésus, un des confesseurs de sainte
Thérèse.
La doctrine de saint François de Sales et la conduite delà véné-
rable Mère de Chantai sa fdle spirituelle, servant d'un vain refuge
au:ç faux mystiques, le huitième et le neuvième livres seront uti-
lement employés à expliquer les maximes de ce saint évêque, et
ils seront soutenus par les sentimens conformes de sainte Thérèse,
de sainte Catherine de Gênes et de quelques autres excellens spi-
rituels.
Enfin dans le dernier livre , qui est l'un des plus importans ,
parce que c'est comme un résultat de la doctrine de tous les autres,
on rendra raison des articles exposés dans les ordonnances de
M. l'évêque de Châlons h présent archevêque de Paris, et de l'é-
vêque de Meaux, et de toutes les qualifications qui y sont appo-
sées aux propositions des quiétistes. On expliquera les rétracta-
tions et le moyen de connoître ceux qui persistent dans leurs ma-
ximes. Je propose d'abord cette analyse des dix livres de ce Traité,
afin que les lecteurs, conduits par la main, entendent toutes les
démarches qu'on leur fera faire, et connoissent le progrès de leurs
connoissances : heureux si en même temps ils s'avancent dans
l'union avec Dieu, qui est la fin de tout ce discours.
Pour maintenant entrer en matière, disons que l'abrégé des xm.
Idée '^cné-
erreurs du quietisme est de mettre la sublimité et la perfection raie de ce
dans des choses qui ne sont pas, ou en tout cas qui ne sont pas de peiie
cette vie : ce qui les oblige à supprimer dans certains états , et
dans ceux qu'on nomme pa?' faits contemplatifs, beaucoup d'actes
essentiels à la piété et expressément commandés de Dieu, par
exemple , les actes de foi explicite contenus dans le Symbole des
apôtres, toutes les demandes et même celles de l'Oraison Domi-
nicale, les réflexions, les actions de grâces, et les autres actes de
cette nature qu'on trouve commandés et pratiqués dans toutes les
394 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
pages de l'Ecriture, et dans tous les ouvrages des Saints. Ces sen-
timens en général prennent leur naissance de rorgueil naturel à
l'esprit humain, qui adécte toujours de se distinguer : et qui pour
cette raison mêle partout, si l'on n'y prend gai'de, et même dans
l'oraison , c'est-à-dire dims le centre de la religion , de superl)es
singularités. Mais pour en venir maintenant aux principes et aux
conclusions particulières, les voici :
Premir ^^ ^''^^ priucipes du quiétisme, et peut-èti*e le premier de tous,
principe gg^ pi>oi)osé en ces termes uiir le Père Jean Falconi , dans une
des nou- ^ '^ ^ '
Tea.iiniï*. lettrc ciu'on a imprimée à la lin du livret intitulé : Moyen court, etc.
lique', que ^ '■ u ^
lor.,,,.,.,. (, j(3 voudrois, dit-il, (rue tous vos soins, tous vos mois, toutes vos
Scsi IIIIL- J J 1 ^ ?
^t'oi!:".' ' années et vostre vie toute entière fust employée dans un acte con-
'subsi.ic" ^"^u*^^ ^'^ contemplation *. En cette disposition, continue-t-il , il
loujuiir. ij'pj^t p-ig nécessaire que vous vous donniez à Dieu de nouveau,
It'llTù P^^^^^ '^I^^'^ "^'*^*i^ l'avez déjà fait : où il apporte la comparaison dun
le faii diamant, qu'on auroit donné à un amv : à qui aînés l'avoir mis
r'nu'uvdèr ^^^ti'e U'S malus, il ne faudroil plus repeter tous les jours que vous
luy donniez cette hague : il ne faudrait (pie la laisser entre ses
mains .'^ans la re[)rendre , parce que pendant que vous ne la luy
ostez pas, et que vous n'en avez pas mesme le désir, il est tou-
jours vray de dire ({ue vous Iny avez fait ce présent, et que vous
ne le révoquez pas -. » Ainsi en est-il, conclut cet auteur, du
d(Mj (pie vous avez fait à Dieu de vous-même par un amoiueux
aliandon.
La comparaison a paru si belle à nos nouveaux mystiques, cpi'ils
ne cessent de la répéter, et Molinos, qui l'a prise du Père ]'\alconi,
se la rend propre ^ Par une semblable similitude , Mala^•al repré-
sente aussi (pi'une épouse ne répète pas à chaque moment : Je
suis à vous *; et fout cela pour montrer que content de s'être
douné une fois à Dieu, on ne doit pas se mettre en peine de réi-
térer un acte si essentiel, ou craindre qu'il nous soit ôté , ni par
les occupations de cette vie ni même par les péchés où nous tom-
bons tous les jours, puisque de soi il est perpétuel s'il n'est révo-
qué, comme ce Père l'explique en ces termes : « Ce qui est de plus
' Mni/r;i r:,tirt. ji. I i I, {'■')' ol >!niv. — ^ I/jicL, p. I;i9. — ^ GuicL, liv. I , ch;ip.
XIII, XIV, x\. - 3 Matavul, I, p. 27.
TRAITÉ I, LIVRE I, N. XV, XVI. 39^5
important , c'est de n'ester plus à Dieu ce que nous luy avons
donné, en faisant quelque chose notable contre son divin ])on
plaisir : car pourveu que cela n'arrive pas , l'essence et la conti-
nuation de vostre abandon et de vostre conformité au vouloir de
Dieu dure toujours, parce que les fautes légères que l'on fait sans
y bien penser, ne détruisent pas le point essentiel de cette con-
formité * . »
Selon ces principes, il reprend ceux qui croient « que les exer- Q^Jcet
cices de la vie humaine interrompent cet acte d'amour continu^, » li'^HÎc'tou-
Parmi ces exercices de la vie humaine, il comprend les occupations ^°^'| "1!^'"
les plus distrayantes. En eiTet c'est une maxime dans le quiétisme, ii||,',3"a„3
que nulles distractions n'interrompent l'acte d'amour, et qu'en- Ji-'l'ent'à
core que dans l'oraison on soit distrait jusqu'au point de ne plus du
tout songer à Dieu, c'est foiblesse, c'est inquiétude de renouveler
l'acte d'amour, parce que la distraction n'étant pas la révocation
de cet acte, il a toujours subsisté pendant qu'on étoit ainsi distrait.
Il n'est pas même interrompu par le sommeil , autrement il
faudroit du moins le renouveler tous les iours en s'é veillant , ^'"^ p;^»-
« -' ÛJIll 1.".
comme le pi'atiquent les Saints : mais c'est de quoi ce religieux
ne dit pas un mot; il défend en général de jamais renouveler cet
acte, si ce n'est dans le seul cas où on l'am^oit révoqué : partout
ailleurs, « vous n'avez, dit-il, qu'à demeurer là ; gardez-vous de
l'inquiétude et des efforts qui tendent à faire de nouveaux actes * : »
gardez-vous-en par conséquent après le sommeil ; car le renou-
vellement seroit trop fréquent, et on auroit tort d'appeler perpé-
tuel ce qui cesseroit tant de fois et si longtemps, (l'est pour-
quoi l'auteur du Moyen court àdiWS son Interprétation du Cantique
des cantiques '*, a trouvé que « les âmes fort avancées dans l'o-
raison passive ou de quiétude , éprouvent une chose fort surpre-
nante, qui est qu'elles n'ont la nuit qu'un demy-sommeil, et Dieu
opère plus ce semljle en elles durant la nuit et dans le sommeil
que pendant le jour. » Ce n'est point à une grâce extraordinaire
et miraculeuse qu'elle attri])ue cet événement : c'est un effet de
l'avancement dans certains états d'oraison; ce qui n'est qu'une
1 Falc, ibid., l'JO. — 2 Ihirl.^ iGI. — s /vV/., iGO. — '> Cant., clin.p. LV, v. :.',
p. 111.
le renou-
veler.
XVI.
Qu'il sub-
djiit le
sûiuracil.
XVII.
30G INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
conséquence de ce qu'elle avoit dit au commencement \ que cet
acte subsiste toujours parmi toutes choses; et il le faut l)ion selon
le principe , puisque dormir n'est pas révoquer ; et que l'ami à
qui j'ai donné le diamant en demeure également possesseur, soit
que je dorme, soit que je veille.
^ .. L'absurdité de cette doctrine se fait sentir d'abord aux plus
Combien l
''»*ié'r*'cr ignorans. Attribuer une perpétuelle consistance, et même pen-
^î"^'^," ^^ dant le sommeil, ou parmi les plus grandes distractions, à un
^"aloT' ^^^^ du libre arbitre, c'est confondre l'acte avec la disposition
ie"dTnl. liabituelle qu'il péri mettre dans le cœur. La comparaison du
avec'ieln J^Y^^ donué, qul paroît si spécieuse aux quiétistes , est dans le
mïni.'"''" ^^^^ ^^i*^ï^ grossière. (l'est autre chose qu'mie donation faite une
fois ait un effet perpétuel, autre chose qu'un acte du libre arbitre
de soi et par sa nature subsiste toujours. 11 n'en est pas de même
de donntM* sa volonté que de donner une bague ou quehpie autre
présent corpond. (!ar dès que l'on a donné en cette dernière ma-
nière, ion ne peut plus soi-même révoquer le don : maisr au con-
traire on ne peut (jue trop révoquer le don qu'on a fait à Dieu de
sa hberlé, et tous les actes par où l'on a tâché de l'en rendre
maître : mais stms même les révoquer, d'autres actes, d'autres
exercices les interrompent, et les font trop souvent oui)lier. Qui
ne doit pas craindre que ce malheur ne lui arrive souvent? Qui
ne doit point réchauffer une volonté languissante? On peut faire
de si bon cœur le don d'une bague, qu'il n'y ait rien en nous qui
y répugne : quoi qu'il en soit, lorsqu'on l'a livrée et qu'on en
est venu à cet acte qui s'appelle tradition, on est tellement des-
saisi, que nul acte, nulle répugnance contraire n'affolblit pour
peu que ce soit l'effet de ce don. Mais puis-je venir à b(»ut,
quelque bel acte que je fasse, de me dessaisir éternellement du
libre arl)itre que Dieu m'a donué, et qu'il ne veut point me ravir
dans cette vie? Et puisque dans ce lieu d'exil, « ou la chair con-
voite contre l'esprit, et l'esprit contre la chair*, » le don de soi-
même qu'on fait à Dieu par un acte de sa liberté est combattu,
c'est l'exposer à se ralentir, à se changer, à se perdre, que de
négliger de le reuouveler souvent.
» Cant., eh. M. . 2, p. 3. — Gnl., \, 17.
TRAITÉ 1, LIVRE I, N. XYIII-XX. 397
L'objection de Malaval se résout par le même principe. Une xvm.
femme, crui s'est une fois donnée dans le mariag-e par un légi- '"iroduit
time consentement , ne dit pas à chaciue moment à son mari : Je -^ p™p<"
'■'■■'■ la coiiipa-
suis à vous : ainsi en est-il d'une ame qui s'est une fois donnée à raison dun
■^ mari et
Jésus-Clnist. C'est bien parler sans entendre que de raisonner /"■"=
■■■ ■"■ femme.
de cette sorte. Cette femme est à son mari en deux manières, par
le di'oit du nœud conjugal qui est perpétuel et irrévocable et qui
subsiste de soi, soit qu'on le veuille, soit qu'on ne le veuille pas.
Elle est à lui d'une autre sorte, par son cœur, par sa volonté, par
son choix, qu'elle voudroit toujours faire quand elle seroit encore
en sa liberté, et cette manière de se donner se renouvelle souvent.
Il ne suffit pas d'avoir mi amour habituel poiu' un père, pour
une mère, pour une épouse, pour un ami, pour un bienfaiteur;
il faut que l'habitude se réduise en acte : il faut de même réduire
en acte la disposition habitueUe à aimer Dieu et à se donner à
lui. Otez-vous de l'esprit l'envie inquiète de vous tom^menter sans
cesse à former de nouveaux actes, puisqu'après qu'ils ont été
faits, on sent par expérience qu'ils subsistent longtemps en vertu :
mais de vouloir domier pour règle qu'à moins qu'on révoque ces
actes, ils soient de nature à subsister toute la vie et par là induire
les âmes à ne prendre jamais aucun soin de les renouveler , c'est
introduire un relâchement qu'on ne peut assez condamner.
Aussi Rome a-t-ehe flétri par décret exprès cet écrit du Père Fal- xix.
, . La propsi-
coni , et on trouve les propositions équivalentes à la sienne parmi iion de
les soixante-huit que le Pape a expressément condamnées, comme
il paroît par les xn, xv, xvn, xxiv, xxv et autres semblables.
Par ce principe, Falconi tombe dans l'erreur de mettre la xx.
,, - . Cet acte
perfection de cette A'ie dans un acte qui ne convient qu a la vie continu et
, . rr-ii perpétuel
future. 11 est vrai, comme cet auteur 1 enseigne après saint iho- de sa «a-
. , 'ure n'est
mas, que la vie des bienheureux esprits n est qu un acte continue que pour
de contemplation et d'amour * : mais de conclure la même conti- sentiment
de saint
nuité dans cette vie, où nous ne vovons qu'à travers un nuage et Augustin
" _ remarqué
parmi des énigmes, sous prétexte que la contemplation est plus parie père
durable dans un même acte continué que dans plusieurs actes celui des
autres
difTérens ; c'est de la terre faire le ciel et de l'exil la patrie. pèret.
iFalc,,p. 157.
F.ilconi
expressé-
ment cen-
surée à
30S INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
Le Père Falooni devoit avoir \ti la réîutation de sa doctrine
dans un passage de saint Augustin qu il cite lui-même, puisqu'a-
près avoir domié le chapitre x du livre ix de ses Co?ifessions,
comme une preuve que le parfait abandon qu'il veut établir est
un paradis sur la terre ; il ajoute ([ue le même Père, au lieu qu'il
en a cité, dit encore «que si cette contemplation étoit de durée, elle
seroit quasi la môme chose que celle dont les Saints jouissent au
ciel ' : » où il marque très-clairement (jue les actes d'une si su-
blime contemplation sont d'mie courte durée ; et saint Augustin
le répète en cent endroits ; tous les autres Pères le disent de
même : saint Bernard inculque sans cesse qu'on ne jouit ciu'en
passant de. cette parfaite contemplation, rapfi/n. Saint Grégoire
s'étoit servi de la même expression. Mais les cjuiétistes plus élevés
que les plus grands saints et les plus parfaits contemplatifs,
veult'iit introduire sur la terre ce qu'ils ont inumimement réservé
au ciel.
^^'- A|)rès tout, il faudroil nous dire où l'on a pris ce nouveau
rour(|iiiii '■ '■
le» ad. . principe, que tout acte dure de soi s'il n'est révoqué : car au con-
pirceimi. tralrc c'est un principe constant par la raison et iiar l'expérience,
l'ii celle Ml- ^ ' •■ 11-
que tout acte est passager de soi , et qu'un acte perpétuel est un
acte de l'autre vie. La raison en est rpi'en l'autre vie l'ame entiè-
rement réimie à son premier principe sans être partagée et appe-
santie par le corps, par les soins inévitables, par la concupiscence,
par les tentations, par aucune distraction (pielle (pi'elle soit, agit de
toute sa force ; et c'est pourquoi le précepte d'aimer Dieu de tout
son cœur et de toute son intelligence, ayant alors sou dernier ac-
complissement, cet acte d'amour ne peut souffrir (rinterruption.
Mais ici, où nous nous trouvons dans un état tout contraire, nos
actes les plus parfaits, qui viennent toujours d'un cœiu- en quelque
façon divisé, ne peuvent jamais avoir toute leur vigueur , et sont
sujets à s'éteindre naturellement parmi les occupations de cette
vie, si on les fait revivre. C'est pourquoi on ne prescrit rien tant
au chrétien que le renouvellement d(^s actes intérieurs.
XXII. 11 ne faut pas écouter nos faux mystiques , lorsqu'ils répondent
des fuiu qu'aussi ne défendent-ils pas ces actes renouvelés au commun des
» FiU.-., p. 156.
TRAITÉ I, LIVRE I, N. XXIII. 399
chrétiens^ mais seulement aux parfaits : c'est-à-dire , selon leur m„tiques
langage^ à ceux qui sont élevés aux oraisons extraordinaires : ''\,^^ZT
car pour détruire cette réponse, il ne faut que demander à nos pré- "'"'""™-
tendus parfaits, si les justes qui vivent dans les voies communes
n'accomplissent pas selon la mesure de cette vie le précepte d'ai-
mer Dieu. Cet acte est un acte fort, puisqu'il consiste à aimer
Dieu de toute sa force; pourquoi un acte si fort ne sera-t-il pas
perpétuel, dans tous ceux qui le produisent? 11 ne faudroit donc
obliger personne à le renouveler, et la défense de réitérer les
actes de charité devroit s'étendre à tous les justes qui conservent
la grâce de Dieu; ce qui seroit un renversement de toute la mo-
rale chrétienne.
Pour une plus claire conviction de ceux qui nous disent des x.xiu.
choses si étranges, demandons-leur si David n'avoit jamais fait de mri-
d'actes d'amour quand il chanta de cœur et de bouche le psaume "jésus- ^
nUirjam te"", etc., où il commence par dire : « Mon Dieu, qui êtes mêml
ma force, mon appui, et mon seul Dieu, je vous aimerai , » et le
reste ; ou s'il ne l'a pas réitéré quand il a dit et répété tant de fois :
«Mon ame, bénis le Seignem' : mon ame, loue le Seigneur!
0 Seigneur, mon ame a soif de vous ; en combien de manières et
combien souvent , quàm multipliciter , ma chair même vous dé-
sire-t-elle"^ ? » Saint Paul n'avoit-il pas fait un acte fort, lorsqu'il
demandoit à .Jésus- Christ d'être délivré de cette importime tenta-
tion, et cependant il y revient par trois fois : J'ai prié trois fois
le Seigneur^, et on sait que trois fois, c'est très-souvent ; et ce-
pendant c'est un des parfaits, c'est un apôtre distingué entre tous
les autres : et en un mot, c'est un saint Paul qui réitère cet acte.
Mais Jésus- Christ vouloit-il foiblement sa passion quand il dit :
« Je désire d'être baptisé d'un baptême * ; et encore : « Que votre
volonté soit faite, et non pas la mienne ; » et cependant il revient
aussi par trois fois à cette demande , et l'Evangile rapporte que
« jusqu'à trois fois il répéta le même discours ^ » Si l'on dit qu'il
le fit pour notre exemple seulement, et encore en la personne des
infirmes : j'ai bien ouï dire qu'il disoit en la persomie des infirmes :
1 Psal. xvn. — 2 psai lxii, cii , cv, cxiv. — 3 ;[ Cor., xil , 8. — * Luc, \i\,
50. — s Matth., XXVI, 39, 43, 44.
400 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
« Détournez de moi ce calice : » mais de dire et de répéter : « Que
votre volonté soit faite , » ce n'est le langage des infirmes qu'au
sens où tous les hommes le sont durant tout le cours de leur vie :
si ce n'est qu'il faille excepter de cette loi ceux qui nous vantent
une oraison continuelle de quiétude, et qui disent tout ce qui leur
plait autant sans preuve que sans règle,
îcïiv- Au reste je dois avertir que je ne trouve personne , avant le
Faiconi Pèrc .Icau Falconi, qui ait enseigné le nouveau prodige de cet
iul.:ur de , ^ ^ 1 O
edo^mt.: acte irréitérable : mais nous avons déjà \t.i que Molinos quiaem-
lolinos le J 1 i
«uii: 5a brassé cette doctrine •, s'appuie sm- l'autorité de Falconi, qui est
:oiiip.irai- -^
«on lin,- i)ien fragile : il en adopte les termes : et il ajoute à la corapa-
pie du., raison du joyau celle-ci d'un voyagcm* : a 11 marche , dit-il , et
voyageur. . . - '- ■ '
sans avoir besoin de dire toujours : Je vais à Rome , il continue
son voyage en vertu de la première résolution qu'il a faite d y al-
ler*. )) Voilà connue ces spéculatifs, sans principe, sans autorité,
ou de rKcrilure ou des Pères, endorment les âmes par des com-
paraisons qui flattent leur nonchalance. 11 falloit songer (jue si le
voyage étoit difficile et qu'il s'élevât à chaque pas de nouveaux
obstacles, on auroit besoin souvent de ranimer son courage et
comme de remonter son jtremier désir; et quand même tout se-
roit facile l't heureux, il ne faudroit pas pour cela s'imaginer
cpi'on alhU tout seul, mais donumder à Dieu qu'il lui jdùt nous
continuer des forces proportionnées à la longueur du chemin, qui
est une manière aussi solide que nécessaire de renouveler ses
actes.
,xv. Molinos, dans les chapitres qu'on vient de mariim-r, aj(»utt; à
''j/n'./rV.'" l'autorité du l'ère Falconi celle de saint François de Sales, dont
cnrrc'danf. nous parlcrous en son \w\\. Ci-ux (jui (tiit fait imprimer le Moyen
.enûmt"'». coui't out aussi impHuié avec ce livret les mêmes autorités, tant
celles de ce religieux que celles du saint évoque de tienève; et on
voit manifestement que dans la publication de ce petit livre on est
entré dans le dessein de Molinos.
On voit aussi dans ce livre le même principe de la perpétuité
de l'acte de conrcrsion , par lequel on se doime une fois à Dieu :
« Sitost, dit-on , (juc Famé s'aperçoit qu'elle s'est détournée dans
1 CuiJ. siàr.,\i\. I, chap. XIli-xv. — « IbuL, p. 15, 65, 66.
TRAITÉ I, LIVRE 1, N. XXVI. 401
les choses de dehors , il faut que par un acte simple , qui est un
retour vers Dieu , elle se remette eu luy ; puis son acte subsiste
tant que sa conversion dure *. » On ajoute par un sentiment assez
extraordinaire, que cet acte devient comme habituel, à force de
ravoir réitéré ; de sorte qu'il ne faut plus le renouveler, comme
il paroit par ces paroles : « L'ame ne doit pas se mettre en peine
de chercher cet acte pour le former, parce qu'il subsiste ; elle
trouve mesme qu'elle se tire de son état sous prétexte de le cher-
cher, CE qu'elle ne doit ja-^[ais faire, puisqu'il subsiste en habi-
tude, et qu'alors elle est dans la conversion et dans un amour
habituel^, » Si l'on vouloit dire seulement, comme l'enseigne la
philosophie, que souvent par un seul acte très-fort on produit
une habitude, on ne diroit rien que de commun, mais on veut
que l'acte subsiste ; et encore qu'il y ait beaucoup d'ignorance à
croire qu'il subsiste en habitude, puisque l'acte et l'habitude sont
choses distinctes , on ne laisse pas d'assurer que cet amour cpi'on
nomme habituel, est à la fois actuel, puisque c'est un acte. C'est
pourquoi on s'élève ensuite contre ceux qui cherchent cet acte ,
c'est-à-dire qui le renouvellent en leur faisant ce reproche : « On
•cherche un acte par un acte, au lieu de se tenir attaché par un
acte simple avec Dieu ^ »
Si on demande combien cet acte peut durer, on répondra selon xxvi.
ce principe « qu'il dureroit naturellement toute la vie , puisque ^dôcir
l'homme s'estant donné à Dieu dans le commencement de la voye,
afin qu'il fist de luy et en luy tout ce qu'il voudroit , il donna dès
lors un consentement actif et général pour tout ce que Dieu fe-
roit : » D'où l'on conclut « que dans la suite il suffit qu'il donne
un consentement passif, afin qu'il ait une pleine et entière li-
berté \ » Qu'on explique comme on voudra ce consentement pas-
sif, dont nous aurons à parler ailleius ; toujom's bien certaine-
ment ce n'est pas une réitération d'un acte qui subsiste de soi : c'est
pourquoi aussi elle assure : « Lorsqu'on a facilité de faire des
actes distincts, que c'est une marque que l'on s'estoit détourné ^, »
mais qu'au reste natm-ellement on ne renouvelle pas Vacte direct
1 Moyen court, ch. xxil, p. 101. — 2 IfjùJ,^ p. 102. — » Ibid., p. 103. — '- IbvI.,
«h. XXIV, p. 130. — 3 Ibid., ch. xxiv, p. 103.
TOM. XVIII. 26
Suite de la
doclrine
de ce livre.
402 INSTRUCTION SUR LES KTATS D'ORAISON,
une fols produit, à moins qu'on Tait réroqur , comme disoit Fal-
coni : qui est ici ce qu'on appelle .se détourner. L'acte donc sub-
siste toujours ; et à moins qu'on ne se détourne , il y a « un acte
toujours subsistant , qui est un doux enfoncement en Dieu. »
On n'a donc qu'à s'y enfoncer ime fois ; il ne faut plus après
cela que laisser subsister son acte, sans se mettre en peine de le
renouveler jamais ; et plus on aura de facilité à se passer de ce
renouvellement, que la pratique et la doctrine de tous les Saints
nous montrent si nécessaire, plus on sera assuré qu on ne s'est
point détourné de sa voie, ce qui est précisément la doctrine ré-
prouvée du Père Falconi, qu'aussi poiu* cette raison on a impri-
mée av<'c le livi*»' du Moi/cn court, comme étant visiblement du
même de.s.sein.
XXVII. Par la même raisnn Vnu y iHiuvnit joindre non-seulement Mo-
Scnliincnl * ,. ii • j
conform- Hnos , mais encore Malaval , avec son acte qu u appelle universel:
qui comprend éminenmient tous les autres actes du chrétien, et
e.xcuqitf aussi d»' roltrn.,'ati(ni de les pratiquer. Car c'est un acte
« comme permanent , p;ir une continuelle et insensible réitéra-
tion, par une sinqilc n'.-^oiution de ne jioint sortir de la jiré.sMice
de Dieu, » le .spirituel «s'y conserve incessamment, quoi (piil
fasse' : » aussi a-t-on w\, selon cet auteui-, (]iit' l'Epouse ne dit
plus à un cher Epoux : « Je me donne î\ vous » : » il suflit de l'a-
voir dit une fois; c'est im acte qui ne passe point : In protestation
tme fois bien faite de vouloir entièrement être à IMcu, devient
hnhitueUe, c'est-à-dire dans ce lanprage, devient un acte hahUurl
et continu ou, connue parle l'auteur, un tirtc luni interroni/tu ,
non point par cette intention qu'on nomme virtuelle; celle-là,
dit -il, ne suffît pus, n'étant pas assez actuelle à son gré. C'est
puiuquoi il a inventé une intention êniinentc ; car il n'y a qu'à
tn»uv('r nu mot qui éblouis.se le monde , c'en est assez pour dire
sans preuve tout ce qu'on veut, et pour décharger les lidèles du
soin de renouveler les actes les j»lus iiiiporlaMs.
Au reste pour bien entendre le sentiment de ces auteurs, je
XXVIII
1 Moyrn court, 11 i.ail., p. 197 , 198, 3.57 , 361 , 3G6, 390, 397 , '.H, 418. /,:U ;
I pnil, p. 29, 30, 32, 15,46-, etc., 66, 70. — « /6jrf., I part., p. 27 ; ci-(1hssus,
chap. XIV.
TRAITÉ I, LIVRE I, N. XXIX. 403
dois ici avertir le sage lecteur qu'il ne faut point s'arrêter à cer- tioiu.nfor-
tains petits correctifs qu'ils sèment deçà et delà dans leurs écrits ; crauicun
mais regarder où va le principe, où portent les expressions^ et
quel est en un mot l'esprit du livre. Par exemple, on peut avoii-
remarqué que Malaval semble hésiter à nommer son acte uni-
versel ixh^olMai&wi permanent : il est comme permanent , dit-il :
mais il ajoute aussitôt après, et il répète sans fin, rju' il est perpé-
tuel, non interrompu , et le reste qu'on vient de voir. Le prin-
cipe porte là ; toute la suite du discours y conduit, et ces légers
correctifs font voir seulement que ces auteurs ont senti quelque-
fois les excès où ils se jetoient, et en ont été étonnés. Souvent
même ils semblent nier en un endroit ce qu'ils assurent en
l'autre, pour se préparer des excuses et se donner des échappa-
toires. Il ne faut pas se persuader que parmi tant d'absurdités on
puisse conserver une doctrine suivie : les principes fondamen-
taux du chi'istianisme ne peuvent pas s'éloigner tout à fait de la
pensée. De là vient qu'on trouve même dans les ariens, dans les
pélagiens, dans les eutychiens, dans tous les autres hérétiques, des
propositions ou échappées ou artificieuses, dans lesquelles ils
semblent quitter Jeur errem* : à plus forte raison en doit-on trou-
ver dans les nouveaux mystiques , où la teinture de la piété s'est
encore plus conservée : la force de la vérité arrache toujours
beaucoup de choses à ceux qui s'égarent , et il en faut dire quel-
quefois qui fassent passer les autres. L'Eglise sans s'y arrêter et
sans chercher des excuses à ceux qui veulent tromper , a con-
damné les hérétiques par la force de leurs principes et par le gros
de leurs expressions ; et tout ce qu'on pom'ra conclm-e de celles
qui semblent contraires , c'est qu'ils ont voulu se déguiser.
Quoi qu'il en soit, il est bien constant que la nouvelle oraison xxix,
mystique tend à relâcher dans les parfaits le soin de renouveler que"'!!
les actes les plus essentiels à la piété. Falconi a ouvert la carrière; fes'Zceuê
3Iolinos l'a suivi en termes formels ; Malaval, qui a voulu quel- ""'""'■
quefois biaiser , ne laisse pas de s'expliquer clairement ; et pour
le livre du Moyen court , la perpétuité des actes irréitérables de
leur nature y est assurée à pleine bouche.
C'est encore une conséquence de cette doctrine, qu'il ne faut
404 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D0R.\1S0N.
point se donner de peine pour se recueillir, quelque distrait et
occupé qu'on ait été; car les actes l)ien faits une fois, comme Test
sans doute celui du recueillement produit au commencement de
la vie intérieure, ne périssent point. Ainsi on n'a point à craindi'e
de se dissiper, puis(|u'à moins que de révoquer ses premiers
actes, on y demeure toujours, en dormant et en veillant, occupé
ou non occupé. Ce sont là les moyens faciles qu'on propose pour
l'oraison, et on pousse la facilité jusqu'à exempter les prétendus
parfaits du soin de renou\eler leur recueillement : on porte in-
sensiblement tout le monde au repos ; et la réitération des actes
étant selon ces principes une marque qu'on les a mal faits la pre-
mière fois, autant qu'on veut asoir liien fait, autant veut-on
éviter de les réitérer. Telles sont h-s facilitrs de la nouvelle mé-
thode : en voici d'autres (jui ne sont pas moins considérables.
LIVRE IL
Bc la suppression des actes de foi.
i \ous entrons dans l'exposition d'une erreur des plus impor-
''«'cc'!.nd tantes de la nouvelle oraison : c'est (jne tous les actes explicites
'""■ sur la Trinité, sur l'Incarnation, sur les attributs divins, sur les
articles du Credo, sur les demandes du Pater, ne sont plus d'o-
bligation [)()ur ces prétendus parfaits : et la laison en est évi-
dente; car s'il n'y a pour eux ([u'un seul acte perpétuel et uni-
versel, ce seroit inutilement cpi'on levu" prescriroit tant d'actes de
foi explicite, tant de demandes expresses ; tout est renfermé pour
eux dans un acte confus et éminent, où tous les autres se trou-
vent autant qu'il est nécessaire pour contenter Dieu, et ce sont les
facilités (jue l'auteur du Moyen court nous vouloit donner.
Nous avons donc à faire voir par ordre que tous les actes énon-
cés dans le Symbole des apôtres, toutes les demandes formées
dans l'Oraison Dominicale ne sont plus pour nos superbes par-
faits. Commençons dans ce second li\Te par ce (pii regarde les
TRAITE I, LIVRE 11, N. 11. 403
actes de foi , et en particulier les actes de foi sur la Trinité et sur
rincarnation.
On en supprime l'obligation; le passage en est exprès, sur le \\.
Cantique des cantiques ' : mais il en faut avant toutes choses bien dodnne
des nou-
expliffuer le langage. On y distingue d'abord deux sortes d'union veauxmys-
avec Jésus-Christ. Tune essentielle et l'autre personnelle : l'es- supprime
. , , , l'union
sentielle est celle ou l'on est uni à Tessence de la divmite ; la per- avecjésus-
Chri^-t en
sonnelle est celle où l'on est uni à la personne du Fils de Dieu, quauié
d'Horame-
Cette union personnelle est encore double, parce qu'où l'on s'unit Dieu et de
Personne
à Jésus-Christ comme étant simplement le Yerbe divin, ou bien rfmne:
passage de
l'on s'unit à lui comme étant aussi un homme parfait. Je n'allègue ''^«'e'--
2>rctation
point ce langage pom- le reprendre ; car il ne faut jamais disputer «"'■ '«
u i Cantiques
des mots , mais tâcher de les bien entendre. Ceux-ci étant expli-
qués, il n'y a plus qu'à écouter ces mots de notre auteur : « L'on
peut ici résoudre la difficulté de quelques personnes spirituelles ,
qui ne veulent pas que l'ame estant arrivée en Dieu ( ce qui est
l'état d'union essentielle), parle de Jésus-Christ et de ses états in-
térieurs, disant que pour une telle ame cet état est passé ^ » Yoilà
du moins la difficulté bien proposée : il est question de savoir si
l'ame unie à Dieu, essence à essence, qui est selon le langage de
l'auteur la dernière et la plus parfaite union, peut encore parler
de Jesus-Christ homme et de ses états intérieurs. En vérité est-ce
là une question entre les chrétiens, et peut- on parmi eux cher-
cher un état où il ne se parle plus de Jésus-Christ? Si l'on disoit
qu'absorlîé dans la divinité, il y a de certains momens où la
pensée ne s'occupe pas d'un Dieu fait homme, il n'y auroit là
rien d'impossible : mais il s'agit d'un état où l'on ne parle plus
de Jésus-Christ , où par état on l'oublie, à cause c/ue cet état [ où
l'on parle de Jésus-Christ) est passé pour une telle ame : au lieu
de détester un tel état, sans même l'examiner, on se tourmente à
justifier ceux qui veulent que cet état oii fon parle encore de
Jésus-Christ soit un état passager. « Je conviens , dit cet auteur
avec eux, que l'union à Jésus-Christ { comme personne divine)
a précédé de très longtemps l'union essentielle ; » c'est-à-dire
l'union à Jésus-Christ selon l'essence de sa divinité ; dont on rend
' Cliap I, vers. 1. — '- Conf., p. 4-6.
406 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D ORAISON.
cette raison, « que Fimion à Jésus- Christ comme divine personne,
s'éprouve dans l'union des puissances ( qui est encore , selon ce
langage , une sorte d'union inférieure ) ; et que l'union à Jésus-
Christ Homme-Dieu est la première de toutes , et qu'elle se fait
dès le commencement de la vie illuminative. » Yoilà donc déjà
deux degrés d'union avec Jésus-Christ très-distinctement mar-
qués : l'un dès le commencement de la vie illuminative avec
Jésus- Christ Homme-Dieu ; l'autre avec Jésus-Chiist simplement
comme personne divine, qui appartient à ceux dont l'avance-
ment est déjà plus grand : à quoi si nous ajoutons le dernier
degré où l'ame, dit-on, est arrivée en Dieu seul , c'est-à-dire à
l'essence seule sans plus parler des personnes , on trouvera trois
états. Le premier où l'on est uni à Jésus-Christ Homme-Dieu, qui
est le plus imparfait do tout : le second où l'on est uni à Jésus-
Christ comme personne divine, qui est à la vérité plus élevé,
mais comme inférieur au troisième, que l'on explique en disant
fpie l'ante // est établie en Dieu par l'union essentielle, et non plus
par la personnelle comme auparavant.
Sans examiner en pari ieuru'r ces raffinemens, ni les suites qu'on
en propose, il nous suffit d'avoir vu ti'ois états d'union avec
Jésus-Christ, que l'on doit passer l'un après l'autre. L'union qu'on
a avec lui comme Homme- Dieu , précède celle qu'on a avec lui
simplement comme persomie divine, en faisant ahstraction de
l'humanité; et celle-ci précède, dit-on, de très lonrjtonps celle
qu'on a avec lui selon l'essence divine.
Ces trois degrés sont étaljlis pour résoudre la difficulté de ceux
qui veulent que dans l'imion avec l'essence divine on ne doive
plus parler de Jésus-Christ et de ses états inférieurs, parce fju'a-
lors cet état est passé. Ainsi l'état, où l'o?! parle encore de Jésus-
Christ comme homme est un état passager : l'état où Von s'y unit
comme personne divine , l'est aussi; et le seul état permanent,
aussi bien que parfait, est celui où l'on est uni à l'essence même
de Dit u, sans ^\\i> parler de Jésus-('hrist ou de ses états intérieurs,
ni s"unir ii sa divine personne.
'"• Yoilà les prodiges de la nouvelle doctrine; voilà les degrés de
"^ 1' l'union avec Jésus-Chiist établis ; de sorte que, dans le dernier
TRAITÉ I, LIVRE II, N. IV. 407
degré où l'on s'unit à son essence, Ton cesse de s'unir à lui comme doctrine
2)ersomie divine , et encore plus de s'y unir selon son humanité dénie.
et ses états intérieurs. Si on cesse de s'unir à Jésus-Christ comme
personne divine, on cesse par conséquent de s'unir de cette sorte
au Père et au Saint-Esprit. Si on cesse de s'y unir, on cesse
d'exercer sur ces divins objets aucun acte de foi explicite ; car ces
actes nous unu'oient. Par là ou en veut venir comme à un état
plus parfait à s'établh en Dieu seul^ considéré selon son essence ;
et on y veut imaginer plus de perfection qu'à s'imir à Dieu selon la
distinction des trois Personnes divines. En effet nous verrons bien-
tôt qu'on pousse le raffmement jusque-là, et même encore plus
avant , puisqu'on trouve une espèce de perfection plus éminente
dans l'exclusion des attributs divins, pour se réduire à la nature
confuse et indistincte de l'essence seule. C'est le langage commun ,
de tous nos nouveaux mystiques. Quand ils se croient arrivés,
comme ils parlent, en Dieu seul, c'est redescendre que de con-
templer la Trinité ou l'Incarnation. L'on ne dit donc plus le Credo,
et l'on se trouve trop parfait pour en produire les actes. Croiroit-
on que les chrétiens pussent domier dans ces excès? Une pré-
tendue simplification, une prétendue réduction de tous nos actes
à un acte perpétuel et universel, a introduit ces prodiges.
Que si l'on peut encore douter des sentimens de ces auteurs, on iv.
n'a qu'à lire ces mots dans la môme Interprétation sur le Can- ' "age^dT
tique : « Dès que l'ame commence de recouler à son Dieu comme prétaLn
un fleuve dans son origine, elle doit estre toute perdue et abîmée cantique.
en Dieu ; il faut mesme alors qu'elle perde la veuë aperceuë de nideuse
de cette
Dieu, et toute connoissance distincte pour petite qu'elle soit '. » dodrine.
Il n'y a donc plus de distinction, je ne dis pas d'attributs, mais de
personnes divines : ce qu'elle explique plus clairement en parlant
ainsi : « Lorsque je parle de distinction, je ne l'entends pas de la
distinction de quelque perfection divine en Dieu mesme; car elle
est perdue il y a longtemps -. » On perd donc bientôt ces distinc-
tions des perfections divines ; « et dès les premiers absorbemens
l'ame n'a qu'une veuë de foy confuse et générale de Dieu en luy,
.sans distinctions de perfections ni d'attributs relatifs ou alisolus ;
^Intn'prct.sur le Cantiq., chap. vi, vers. 4, p. W'j. — - Ibid., p. ]'ii.
408 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
car une fois la distinction est alors entièrement ôtée : on ne dis-
tingue plus de personnes divines, par conséquent plus de Jésus-
<lhrist; et tout cela (:[irest-ce autre chose, sans exacérer, qu'un
artiiice de l'ennenii poiu" faire oublier les mystères du christia-
nisme, sous prétexte de raffinement sm' la contemplation ?
V- Conformément à cette doctrine , on trouve dans un exemplaire
paroles très-bicu avéré du manuscrit intitulé les Torrens , nui est du
fur Jésus- ' '■
oi"!. même auteur que le Moyen court et Y Interprétation sur les Can-
tiques, « qu'ime ame sans avoir pensé à aucun état de Jésus-Christ
depuis les dix et vingt ans, » trouve que toute la force en est
« imprimée en elle par état, qiioitpie Tame dans toute sa voye
n'ait point de veué distincte de Jésus-Christ. » Vous le voyez, sage
lecteur : qui ne pense à aucun état de Jésus-Christ, ne pense ni à
sa croix ni à sa gloire : qui demeure sans en avoir aucune veuë
distincte , ne songe ni s'il est distinctement le Fils de Dieu, la
seconde personne de la Trinité , ni s'il est le Fils de l'homme,
'^onune il s'appelle lui-même, qui nous a sauvés par son sang.
Dans ces étranges sublimités, on passe tranquillement les dix et
les vinr/t ans sans seulement penser à lui ni à aucun de ses états :
et tout cela encore un coup , qu'est-ce autre chose sinon de fah'e
servir la contemplation à une extinction totale de la foi explicite
en Jésus-Christ ?
Jilflf.. ^" ^"'^ ^^^ ^^**^ objection est préMie et résolue dans le Moyen
des nou- court par ces paroles : « L'on m'obiectcra (lue par cette vove »
. ''<>"" (où Ton n"a (lue ces vues confuses et indistinctes de Dieu), « l'on
t" ilciie' °® s'imprimera pas les mystères ; c'est tout le contraire , ils sont
airni'"' donnez en réalité à l'ame, comme saint Paul dit qu'il les portoit
sur son corps '. » Mais tout cela n'est qu'éluder : il ne s'agit pas
de porter sur son corps, avec cet Apôtre, la mort et les blessures
de Jésus * ; mais de s'y luiir par un acte de foi explicite, comme
faisf»it sans cesse et dans toutes ses Epîtres le même saint Paul,
jus([u"à dire qu'Une savoit rien que Jésus-Christ, non pas le
voyant en Dieu par des vues confuses et générales, mais distinc-
tement et expressément comme C7nfcifié : Jesum et Jiunc cruci-
fionim ' : mais au contraire nos nouveaux mystiques donnent pour
1 Moi/encourt, p. ;J2, 33. — * Galaf., vi, 17. - •"» 1 Cor., ii, 2.
TR.\ITÉ I, LIVRE II, N. Yll, VIII. 409
règle *, « que rattention amoureuse à Dieu renferme toute dévo-
tion particulière , et que qui est uni à Dieu seul (dans sa seule
essence comme on a vu), par son repos en lui, est appliqué d'une
manière plus excellente à tous les mystères * . » C'est là, encore une
fois, un moyen pom* éluder tout acte de foi en Jésus-Christ; c'est
faire oublier à cette ame, qui croit être dans de sublimes oraisons,
le besoin qu'elle a de sa grâce et de sa médiation perpétuelle :
c'est enfui ne le proposer à ces âmes qu'en Dieu et en général,
sans connoissance et application distincte , contre saint Paul qui
disoit : Je vis en la foi du Fils de Dieu qui m'a aimé et s'est
donné pour moi"-.
Ce n'est point satisfaire à la diftlculté que d'ajouter, comme on vu.
fait, « que cpii aime Dieu, aime ce qui est de lui : » car c'est pré- ces arti-
cisément la même chose que ce que disoit Molinos : « Celui qui roie de
^ ^ ^ , -^ Molinos.
pense à Dieu et qui le regarde, pense et regarde Jésus-Christ ^; »
ce qui ne sort point d'im amour confus , où sans penser à Jésus-
Christ par un acte de foi explicite , on croit tout faire en pensant
à Dieu en général. Je ne veux pas dire qu'il faille astreindre les
âmes dans chaque moment delem' oraison à penser toujours actuel-
lement à Jésus-Christ, encore moins à raisonner sur lui, puisque
la foi n'a pas besoin de raisonnement. Les faux contemplatifs
doivent savoir que ce n'est pas là ce qu'on leur demande : on leur
dit et on lem" répète que d'établir des oraisons où par état et comme
de profession on cesse de penser à Jésus-Christ, à ses mystères, à
la Trinité, sous prétexte de se perdre mieux dans l'essence divine,
c'est une fausse piété et une illusion du mahn esprit.
Molinos, très- artificieux, a paru avoude la peine à venir à ces
explications , cpii rendoient sa mystagogie odieuse ; et il se con-
tente ordinairement d'exclure la pensée distincte et particulière de
Jésus-Christ, ou de ses mystères, et des personnes divines, en pro-
posant, comme il fait sans cesse, sa foij et sa connoissance géné-
rale et confuse : autrement sa foy amoureuse et obscure, satis
aucune distinction des perfections et attributs '% comme la seule
et perpétuelle action de contemplatif; ce qui emporte l'exclusion
^ Moyen court, p. 34. — '^ Galat., II, 20. — * Sect. Il, u. 12, p. 7. — ^ Introd.,
sect. 1, u. 1, p. 1 ; liv. 1 , ch. ii, p. 44, etc.
VIII.
de Molinos
410 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D ORAISON.
des actes de foi explicite et distincte dans certains états. Mais à la
fin il faut parler : et entraîné par la force de ses principes , il a
prononcé les mots qu'on vient d'entendre : Qui pense à Dieu
pense à Jésus- Christ ' ; à quoi il ajoute quon ne se sert plus des
moyem lorsqu'on a obtenu la fin ^
Il est vrai qu'il semble réduire l'exclusion de ces moyens à
celle de la méditation discursive ; mais ses expressions aussi bien
que ses principes vont plus loin, puisqu'il restreint l'ame à la pré-
sence de la divinité, et à la connoissance générale et confuse que
la foij hiy en donne : ce qui dins tout son langage ne contient
que ces notions générales et iudisUncles, où l'un ne voit ni per-
sonnes ni attributs divins,
jx C'est précisément ce que disoit Malaval sur ces paroles de
k^MaUMi Jésus-Christ : Je suis la voie ; où ce téméraire contemplatif inter-
prète ainsi : « S'il est la voye, passons par luy * ; » et il répète en-
core une fois un peu après : « Puisqu'il est la voye, passons par
luy; mais celuy (]ui passe toujours n'arrive jamais* ; » à quoi il
ajoute en d'autres endroits ces foibles comparaisons . « (Juec(;luy
qui est arrivé ne songe plus par quel chemin il a esté obligé de
passer, fust il un cliemin pavé de marbre ou de porphyre, et que
s'il pense queliiuefois au chemin, c'est pour s'en souvenir, et non
■ pas pour y retournera » (Juelque insensée que soit cette expres-
sion, l'auteur enchérit encore par celle-ci : a Comme la boue
tombe f[uand les yeux de l'aveugle sont ouverts, ainsi l'humanité
s'évanouit pour atteindre à la divinité ^ » Yoilà les délicatesses
de la nouvelle contemplation, et c'est ainsi qu'on apprend à y
goûter Jésus-Christ,
j C'est l'esprit de Jésus-Christ et de l'Evangile , qu'un Dieu a
?""'"ê '^o^i^ii fpe la plénitude de la divinité habitât corporellement et
"""ouJ expressément en Jésus- Christ \ afm qu'on s'incorporât à l'homme
coiu' de semblable à nous, à qui nous touchons de si près, et qu'on le sai-
'Eïaiigil-'. ^ ^ ...
sît pom' ainsi dire par la foi, sans perdre la divinité qui lui est
unie en unité de personne; et cependant, selon ces docteurs, l'hu-
manité de Jésus-Christ sera la boue , dont il faudra nous laver
' Inirod., scct. Il, n. 12. — « IhirL. n. \\\. — s Mabival, li , p. 2:jG. — ' llnd.,
p. 2t;!J. — »P. 34. — «/W., p. liO. — ''Co/., II, y.
TRAITÉ ], LIYRE II, N. XI-XIII. Ui
pour avoir les yeux ouverts à la contemplation. Peut-on chercher
des explications à ces paroles insensées, et qui jamais ouït parler
d'un tel prodige?
Cependant il ne faut point s'en étonner, c'est la suite des prin- , ^^•
cipes de la nouvelle oraison. On s"v attache à cet acte confus et'''-»'' ^es
' nouveaux
universel, sans pensée ciuelconciue c^ui soit distincte^ : où il n'y a •"ï^îiiq"*''
que la seule notion de Dieu &\me manière obscure et imiver- ^""•^ "^-
selle^; et il y faut tellement reqorder Dieu sans aucune notion ''•^ '•^"^
*' "^ principes.
distincte ' : Dieu pur y est tellement l'objet de la contemplation, et
il se faut tellement (/ardcr d'y rien ajouter à la simple veuë de
Dieu, que Jésus-Christ homme n'y peut entrer. Les Personnes di-
vines n'y entrent non plus *, puisqu'o^z y doit considérer Dieu en
Iwj-mesme sans attributs , sans aucune action distincte selon son
essence ^, et en tant qu'il a dit : Je suis celui qui suis : ou si l'on
veut une autre phrase ; on doit se le représenter sous la notion la
jjIus imicerselle , qui est celle cVestre par essence^. Or tout cela
ne souffre point de distinction de personnes, par conséquent point
de Jésus-Christ ; et ainsi, comme d'autres Vont remarqué, un vrai
adorateur de Dieu devroit suivre les notions les plus approchantes
de celles des mahométans ou des Juifs, ou si l'on veut des
déistes; autrement il seroit dégradé de la haute contemplation, et
il retomberoit dans ce qu'on appelle multiplicité.
Je sais qu'on pourroit penser que cette doctrine n'a lieu que xn.
dans les temps de l'oraison : mais ceux qui se contenteront de ecnippa-
^ ^ luire.
cette réponse, seront peu instruits des secrets de la nouveUe doc-
trine, puisqu'on y enseigne que l'oraison des prétendus parfaits
n'a point d'interruption, et que leur contemplation est perpé-
tuelle ; réduite par conséquent à ces idées générales et indistinctes,
où les Personnes divines n'entrent point, et où Jésus- Christ ne se
trouve qu'en Dieu regardé confusément.
On a pu remarquer ici une autre sublimité; c'est-à-dire une xm.
- Doi:lriue
autre ignorance et un autre égarement de la nouvelle contempla- d.s nou-
tion. C'est c[u' après avoir laissé aux plus imparfaits les trois Per- iiqu.s sur
sonnes divines et l'Incarnation du Fils de Dieu, elle veut s élever busdinns
1 Malaval , i , p. oo. — 2 ii , j, | >6. — » Ihiil., p. 2:^8 , 27.i. — '* IbiJ., p. ;22i.
— '^ Ibid., p 221, 222, 22G, 22s. — " Ibid., p. 2-i2.
412 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
encore au-dessus de tous les attributs divins pour s'attacher à la
seule essence : mais qu'est-ce que cette essence ? Qui la connoît en
cette vie? (}ui peut se vanter d'y connoître certainement Tossonce
ou la substance d'aucune chose créée quelle quellesoit? Combien
plus l'essence divine est-elle au-dessus de nos conceptions ? Et si
l'on dit que l'on ne parle ainsi que selon nos foibles manières de
concevoir et selon les idées de l'Ecole, y convient-on de la notion
où il faut mettre la raison essentielle et constitutive de Dieu, se-
lon nos manières imparfaites de la comioître? Malaval, qui vient
faire la leçon au monde et lui donner des idées nouvelles de la
contemplation, ignore-t-il qu'une partie de lEcole établit l'essence
de Dieu dans im acte d'une simple et pure intelligence ? Ceux qui
sont de ce sentiment sont-ils oltli.û^és de changer d'avis dans la
contemplation, ou ne ftiut-il pas plutôt avouer qu'on y doit regar-
der Dieu d'une manière plus simple, et pour ainsi parler anté-
rieure à la distinction de l'essence et des attributs? Cependant
Midavid s'obstine à ne vouloir attacher la contenqilali(Mi qu'à la
seule essence de Dieu, en tant (pie par la pensée on la dislingue
de ses perfections ; et la raison qu'il en rend , c'est que les divines
perfections ne sont que quelque chose de Dieu\ au lieu que l'es-
sence est Dieu même : idée qui pour la sublime contemplation
divise trop cette nature infinie, et en fait très-mal entendre la per-
fection.
XIV. ]\[yjg c'est que toutes les fois qu'on se veut truindcr au-dessus
'nH'.n"v!- ^^^ T^^QS on s'y perd, ou pour parler plus simplement, on manque
Ty./'r" ^^ précision et de justesse, et on montre son ignorance. N'est-ce
JT'cânZ P^^ encore une belle idée dans Y E.rplication du Cantique , que
c.m/V.Î<» ^^^^^' OÙ l'on nous dit « que les soixante forts d'Israël, ces vaillans
pnierriers qui gardent le lit de repos du véritables Salomon, sont
les attributs divins qui environnent ce lit royal, et qui en empes-
chent l'accès à ceux (pii ne sont pas entièrement anéantis -. » C'est
une bizarre pensée de détacher les attributs de Dieu d'avec lui-
même, pour en faire les satellites qui le gardent ; et une étrange
ignorance de dire que ces attriliuts absolus ou relatifs indistincte-
ment enipeschent l'accès auprès de Dieu, et le repos dans son es-
' Malaval , I part., p. 47. — »Cliap. m, u. 7, p. 7i.
TRAITÉ I, LIVRE II, N. XV, XVI. 413
sence. Mais c'est uiie erreur extrême de vouloir insinuer par là
que pour entrer dans la haute contemplation de l'essence de Dieu,
il faille laisser les attributs au-dessous d'elle , et ne s'y attacher
non plus que l'on fait aux gardes quand on est avec le roi. On
dira qu'il ne faudroit point demander tant d'exactitude à une
femme : je le veux, pourvu qu'on m'avoue qu'il ne falloit non
plus avancer, comme on ose faire dès l'entrée de ce livre, que
cette nouvelle explication , fautive par tant d'endroits , « ne peut
estre que le fruit dune assistance particulière du Saint-Esprit *.»
Pour présenter quelque chose de plus utile et de plus agréable p^sfa^'ede
au lecteur, ennuyé peut-être aussi bien que moi du récit de tant ^.^^"t d'I-
de vaines subtilités, je le prie d'entendre un passage de saint Clé- '""'"'"'•
ment d'Alexandrie sur les noms et les attributs divins : « Dieu est
infini, dit-il, et sans figure, et ne peut être nommé, quoique nous
le nommions cpielquefois improprement, comme quand nous le
nommons Dieu ; et encore aussi que nous le nommions ou un, ou
bon, ou intelligent, ou Celui qui est, ou Père , ou Dieu , ou Créa-
teur, ou Seignem", nous ne prétendons point par là dire son nom ;
mais nous nous servons de tous ces beaux noms à cause de la di-
sette de notre langage ; car aucun d'eux pris à part n'exprime
Dieu, mais tous ensemble en indiquent la souveraine puissance ^.»
Voilà comme on est contraint , pour contempler et connoitre la
perfection de l'Etre divin , de conduire avec l'Ecriture son esprit
par plusieurs idées, étant impossible d'en trouver aucune dont on
soit content ; et celle-ci , Celui qui est , quoiqu'elle soit en efîet la
plus grande et la plus simple de toutes , étant rangée comme on
vient de voir par ce docte Père avec les autres si défectueuses, dont
le concours nous est nécessaire pour exprimer Dieu à notre ma-
nière imparfaite, il semble avoir voulu expressément réfuter la rê-
verie de Malaval et de ses semblables, cpii s'attachent à cette idée :
Celui qui est, pour exclure toutes les autres de la parfaite oraison
et de l'état contemplatif.
On fait ici une objection qu'il ne faut pas dissimuler; c'est que xvi.
les scolastiques demeurent d'accord que la plus parfaite contem- linu à^ u
plation de la nature divine , est celle où on la regarde selon les scot' ei .le
Suarez.
1 Cunt., -pvéi. — ^Strom., V, i>. 587.
41 i INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
notions les moins resserrées , comme celle d'être , de vérité^ de
bonté, de perfection : tant à cause que ces notions sont en effet
celles qui sont les plus pm'es, les plus intellectuelles, les plus abs-
traites, les plus élevées au-dessus de ces images corporelles que
l'Ecole appelle fantômes ; qu'à cause aussi que par leur univer-
salité elles font en quelque façon mieux entendre l'miiverselle
perfection de Dieu dans toute son étendue, que ne font les idées
plus particulières et plus restreintes, de juste, de sage, de saint.
C'est l'excellente doctrine de Scot et de Suarez ' ; et j'avoue que
dans ces idées : Dieu est l'être même, Dieu est la bonté ^ ou comme
il dit à Moïse, // est tout le bien, on lui attribue davantage d'une
certaine manière les perfections infinies qui sont comprises con-
fusément <^f universellement dans ces notions abstraites; par où
aussi l'on excite plus cette admiration, cet étonncnient, ce silence
par où commence la contemplation, et qui fait dire à David : « 0
Seigneur, notre Seigneur, (jue votre nom est admirable dans
toute; la terre M » et encore : « Le silence est votre louange ', »
XVII. Mais cette doctrine est bien éloignée de celle des nouveaux
quc^cii' raystirpies, qui, sous prétexte qu'en un certain sens on attribue à
irnoiinn' Dieu plus de perfections dans les notions les plus générales, ex-
ksTo'nVL cluent de la contemplation celles qui sont plus particulières ,
biimcs" comme celles de la justice , de la clémence et de la sainteté de
fd"rmrir Dieu; en quoi leur erreur est visible, parce qu'encore (ju'il
"'"'"soit beau de louer et d'admirer la grandeur de Dieu par ces
notions générales, on a pour lui une admiration à sa manière
aussi excelli'nte, (|iiaiid on coiitemple distinctement, et qu'on
ex]ili(ine pour ainsi dire à son es[)rit étonné les perfections plus
particulières de cet être infini. (!ar comme chacune de nos
conceptions et toutes nos conceptions ensemble, ainsi que nous
le disoit saint Clément d'Alexandrie , demeurent infiniment au-
dessous de la perfection de l'être divin , l'Ecriture présente à
notre esprit toutes les manières de le contempler, qui à la fm
seront toutes également parfaites, parce qu'elles nous replon-
gent toutes, pour ainsi parler, dans l'immensité de la perfec-
'Sect I, n. 11, (list. 3, q. 3; Siiarfz, lib. II du Omi. nteni , c. xiil, n. 19, :^0.
— 'ipsal. vm, i. — ^Psal. LXiv, 1, joxt. llebr.
TRAITÉ 1, LIVRE II, N. XVIII. 413
lion de i Dieu, et dans son incompréhensible vérité. Par exemple,
qui oseroit dire qu'Isaïe et ses séraphins n aient pas été élevés à
la plus haute contemplation dans cette admirable vision de Dieu
trois fois saint S ou que dans une vue si haute de sa sainteté ils
ne se soient pas abîmés avec un amour immense dans cette pro-
fonde incompréhensibilité de l'Etre divin, puisque c'est ce qui les
oblige à s'envelopper dans leurs ailes, et à s'en faire une couver-
ture, c'est-à-dire à trouver toujours une ignorance infinie dans
leurs plus sublimes pensées ?
Par là on voit clairement que c'est une fausse subtilité et une -"*'^'"'-
^ luiis les
erreur dangereuse des nouveaux mystiques , de renvover aux """'""^
^ -J 1 ^ - proposes
commençans la contemplation des attributs divins, et de réserver ^^"''^'i^j,",
aux parfaits celle de l'essence seule. C'est faire pour les parfaits '^'^!J,;f' '"
un autre symbole que celui qu'on a toujours révéré comme l€> i^'jj;^'^'^^'^
Symbole des apôtres, puisque tous les attributs divins nous y '4';|)|J"""
sont clairement proposés comme l'unique fondement de notre
espérance. Et d'abord la toute-puissance y est exprimée enfermes
formels, et déclarée par la création du ciel et de la terre; où Té-
ternité paroît aussi, puisque si Dieu n étoit éternel et de soi-
même, il seroit créé, et non créatem\ La miséricorde s'y trouve
dans ces paroles : Je crois la rémission des péchés, qui est le com-
mencement des miséricordes de Dieu, comme on en voit la consom-
mation dans l'article oii est énoncée la résurrection de la chair et
la vie éternelle. La justice est dans celle-ci : // viendra juger les
vivans et les morts. Là même se doit entendre en Dieu la parfaite
compréhension de toutes choses, et même du secret des cœurs,
puisque c'est par là que les hommes seront jugés, selon ce que
dit saint Paul, « qu'il révélera ce qu'on croira avoir recelé dans
les ténèbres, et mettra en évidence le secret des cœurs, et alors
chacun rece\Ta de Dieu la louange qu'il mérite ^ » Ce qui induit
l'immensité de l'Etre divin, présent à tous, sans qu'on puisse se
soustraire à sa connoissance, à sa puissance , à sa providence, à
sa justice. La vraie idée de la sainteté de Dieu est dans ces ar-
ticles : Je crois au Saint-Esprit, la communion des séants, la ré-
mission des péchés; où l'on nous montre que la sainteté de Dieu
' Isa., VI. — 2 1 Cor., i\, 3.
416 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
consiste en ce qu'il est saint, non pas d'une sainteté empruntée,
mais saint et sanctifiant; non sanctifié par l'infusion d'une sain-
teté étrangère, mais opérant par lui-même, avec la rémission
des péchés, la communion des saints par la charité vivifiante et
sanctifiante (pii les unit entre eux et avec Dieu. On ne peut nier
sans impiété que tous les fidèles ne soient obligés à concevoir,
chacun selon leur mesure, ces divines perfections, renfermées si
clairement dans le Syndjole, sans lesquelles liieu n'est pas Dieu,
et son culte est anéanti. Hue s'il y a quelques attriluits plus ca-
chés, et peut-étri; moins nécessaires à la cornu tissanee de tous
les partieidiers, on sait en théologie qu'ils sont renfermes diuis
ceux-<i, (pie per.'ionne ne [leut oublier sans mettre son salut en
péril; (pii est atjssi la raison pour kupielle on les a mis si expres-
sément dans le Symbole des apiMres.
Une s'ils sont lobjet de notre foi en toiii étal, ils le sont aussi
de la contemplation, dont la foi est le fondement; et on ne peut
s'élever au -dessus di' la foi (pii nous les propos<' . (uie par une
fausse et imaginaire transcendance.
MX. hiiu pardonne à ceux qui onUdit, ou (uii disent i)eut-étre en-
i.j.rii,.., core. que pour étjdilir la néce.s.sité des actes de foi exjilicite dans
q.K« uiM les articles I, n, m, iv, vdesordomiances des Kiet î2ri avril l(iî)."nV/),
fUP Ir<
âcu»j.-f.M OU v a poussr troj) a\ aut les points de toi (piil faut erou'e ex-
-i"i '""i plioitemeut jtour être sauve : (jueujues- uns oïd deniande entre
autres cho.ses si 1 on jiouvoit obliger des gens rustiques et gros-
siers à croire expressément la toute-puissance; et leur objection
ne nous a pas été inconnue. Ceux qui l'ont faitt^ dévoient penser
que les auteurs pour «jui nous parlions ne sont pas de ces gros-
siers ni de ces rusti(|ues (jui [leiivent en certains cas trouver leur
excuse dans leur ignorance ; mais au contrain' (pi'ils se prétendent
les plus éclairés parmi les spirituels, ils ne doivent donc pas
ignorer (piils sont sujets au commandement d'avoir et d'exercer
la foi catholique, du moins .sur les points (pii sont contenus dans
le Svinbole des aptMres. ('."est p(i\ii' eux princi[»alen)eiil (jue le
(fl) Cfis oriK.unaiiccs sont, d'abord cille qui se trouve pins haut, de Dossuet,
puis cellf df M. df Nuailles, évèiiue dt- CIiûIods, pour la publication des aiticle»
d'Issy.
II.' il,-
TRAITÉ 1, LIVRE II, N. XIX. 417
Symbole attribué à sauat Athanase prononce qu'ils doivent croire
explicitement la Trinité, l'Incarnation , les perfections ou les at-
tributs de la nature divine, parmi lesquels est nommée la toute-
puissance, s'ils veulent être sauvés : et enefîet quel article est plus
nécessaire que celui de la toute«-puissance , sans lequel tout le
Symbole est anéanti ? Si Dieu n'est pas tout-puissant, il ne sera
point créateur ; Jésus-Christ ne sera pas né d'une Vierge ; car il a
fallu pour le faire croire à sa sainte Mère, que l'ange l'assurât
que Dieu pouvoit tout ^ Si Dieu n'est pas tout-puissant, ni Jésus-
Christ n'est pas ressuscité , ni nous ne ressusciterons, ni nous ne
serons sanctifiés dans le temps, ni nous n'am'ons la vie éternelle
au siècle futur. C'est aussi pom" cette raison que la toute-puis-
sance est expressément énoncée à la tête du Symbole , comme la
base inébranlable de tout le reste. On n'oblige pas les simples à
faire de sublimes raisonnemens sur cet attribut ; mais il est sans
doute que celui de tous que le peuple doit le mieux connoître, et
connoît le mieux en effet, est celui-là. Car aussi comment pou-
voit-il mettre en Dieu, en tout et partout, une espérance sans
bornes, s'il ne savoit qu'il peut tout? Je relève expressément cette
objection pour faù^e voir au pieux lecteur ce que peut sur cer-
taines gens l'esprit de contradiction, qu'on pousse à l'extrémité
dans notre siècle.
Au reste pom? justifier les cinq articles de ces ordonnances dont
il s'agit en ce heu, on n'a pas besoin que les actes de foi explicite,
auxquels on a obligé les nouveaux mystiques , soient nécessaires
de nécessité de moyen; il suffit qu'ils soient nécessaires de néces-
sité de précepte, pour condamner ceux qui les omettent volontai-
rement : mais quand on auroit enseigné que les actes exprimés
dans ces cinq articles sont nécessaires de nécessité de moyen, on
n'auroit pas sujet de s'en repentir, puisqu'après tout en cela on
n'auroit fait autre chose que de suivre toute l'Ecole après saint
Thomas, qui détermine clairement qu'il « est nécessaire de néces-
sité de salut de croire explicitement » l'Incarnation ^, à cause
qu'elle propose en Jésus-Clmst l'unique moyen de s'unir à Dieu.
C'est par la même raison qu'il faut croire la Trinité, sans laquelle
^ Luc, I, 37. —2 lia 11*^ q. K^ ait. 7,8.
TOxM. xvni. 27
418 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
Jésus-Christ n'est pas connu ;, non plus que le baptême qu'on re-
çoit en lui. Au même endroit S le même saint Thomas étabht
après saint Paul - que celui qui « veut s'approcher de Dieu doit
croire qu'il est, et qu'il est rémunérateur de ceux qui le servent, »
et cela explicitement, comme le conclut saint Thomas des paroles
même de l'Apôtre ; car ilseroit très-absm'de de ne croire que con-
fusément que Dieu est, ou cpiil est rémunérateur. Le même Doc-
teur angélique démontre encore que tous les articles du Symbole
doivent être connus par tous les fidèles ' ; et l'article où est pro-
posée la toute -puissance est un de ceux qu'il juge des plus né-
cessaires \
Si l'on en demande davantage, je veux bien encore ajouter que
quelques-uns des casuistes relàcliés ayant osé soutenir que « la
foi explicite en Dieu rémuuératem" nétoit pas nécessaire de néces-
sité de moyen, mais seulement la foi eu im seul Dieu, » toute l'E-
glise s'est élevée contre ce blasphème, et cette erreur a été rangée
l)armi les soix;uite-cin([ propositions réprouvées par Innocent XI
d'heureuse mémoire % avec un applaudissement miiversel. (Ju'on
cesse donc de croire assez exercer la foi, en l'exerçant sur la divi-
nité considérée indistinctement et en général, et ipi'on sache qu'il
est nécessaire à tout cluétit.'u sans exception, de faire des actes
exprès sur les autres points que nous avons remarqués : que si
l'on demande quand, ce n'est pas là de quoi il s'agit en ce lieu, et
on a dit ce ([ui suflisoit pom' notre sujet dans l'article des ordon-
nances des lu et 25 avi'il, où l'on a marqué qu'il falloit faire ces
actes en temps convenables ".
XX. Au reste on ne sait pourquoi nos faux niystiipies en éloi.Lriiant
"cncc^lc" les attributs divins de ce qu'ils appellcut lu subliuie contenqila-
a'uùribÛl tion, n'y en ont réservé qu'un seul, qui est celui de la présence
nJcîs'^iîrc de Dieu en nous et en toutes choses; ou, comme parle Malaval,
a'ih'ès A la de Dieu « qui estant partout, est aussi par conséquent dans nostre
coniompia- ^^^ ^ . ^^ ^^ ^^^^j ^^^^ j.^^ délînir la contemplation « mi regard amou-
reux sur Dieu présent : » et ailleurs, « un acte confus de Dieu
1 11' ll'v, quœst. II, art. .j. — ^ lle/.r., xj , 6. — ' I''id., q. i , arl. G, 7, 8. —
^ lùid., art. 8, ad. 2.— ^ Decr. Iiiuoc. XI, 2 mart. IG79, prop. 2.ï. — « Arl. 21.
— ' Mulaval, 1 part., p. 7. etc.
TRAITÉ i, LIVRE II, N. XX. 419
présent *. » S'il faut s'attacher à l'essence, personne ne la consti-
tue dans la présence de Dieu; s'il faut rappeler quelque attribut;,
on ne voit pas pourquoi celui-ci plutôt que les autres.
Mais pour ne point disputer du mot, expliquons en combien de
sortes on conçoit que Dieu est présent. Premièrement il est pré-
sent dans toute créature animée et inanimée, sainte ou pécheresse,
glorifiée ou damnée : ce n'est pas en cette manière que la foi de
la présence de Dieu est la plus parfaite ; car il y faut ajouter d'a-
bord que Dieu est présent comme la cause dont l'influence inspire
partout l'être, le mouvement et la vie ; qui est aussi l'idée de pré-
sence que saint Paul doimoit aux Athéniens , en disant que Dieu
« distribue à tous la vie , la respiration et toutes choses ^ : » d'où
il concluoit qu'il n'est pas loin de nous. Mais il n'y a personne qui
ne voie qu'en prenant la présence en cette sorte, on y joint né-
cessairement la toute-puissance, c'est-à-dire cette vertu créatrice
et conservatrice par qui tout subsiste. Ce n'est pas là néanmoins
encore ce qu'il y a de plus excellent dans la foi de la présence de
Dieu : car saint Paul , qui parloit alors à des infidèles , ne leur
parle que de la présence par laquelle il étoit en eux, et même dans
les démons. Mais il y a une autre présence par laquelle il n'est
que dans les saints, y opérant par une action immortelle la sain-
teté et la grâce. C'est une telle présence qu'il faut avoir dans l'o-
raison, parce que c'est par la foi de cette présence qu'on prie
Dieu en soi-même comme dans son temple, ce qui opère le parfait
recueillement. Mais dès là on ajoute à la foi de la présence mii-
verseUe celle de Dieu comme saint et comme sanctificatem', où se
trouve encore ime autre présence, ou plutôt une extension admi-
rable de celle-ci ': c'est que Dieu nous inspire la prière, qu'il nous
fait prier, qu'il prie en nous, selon l'expression de saint Paul ^;
et c'est là précisément la présence qu'on doit avoir en priant,
puisque c'est celle qui nous unissant à l'auteur de la prière, nous
y fait trouver la force et le vrai esprit de prier. C'est peu de croire
que Dieu est présent : le premier sentiment de celui qui prie, c'est
qu'il est écouté, et que l'oreille de celui qu'il appelle à son secours
n'est pas éloignée ; mais (juand on le croit présent de cette pré-
1 Malaval, II part., p. 404. — ^ Ad., xvii, 2ci, 27. 2S. — ^ Rom., vin, 27.
420 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
sence dont Jésus-Christ a dit à ses apôtres : « Demeurez en moi,
et moi en vous : je suis le cep de la \igne, d'où vous tirez à cha-
que moment toute Tinfluence : vous ne pouvez rien sans moi :
sans moi vous ne pouvez porter aucun fruit *. » Vous ne pouvez
donc pas porter le fruit de la prière : je suis en vous pour vous
l'inspirer, pour vous en dicter tous les sentimens, et le reste qui
est renfermé dans ce grand acte de foi. Cette foi de la divine pré-
sence fait tout le fondement de l'oraison , ou pour mieux parler
l'oraison entière. Or de dire qu'une telle foi choisisse parmi les
attributs la présence universelle de Dieu en toutes choses pour en
faire Tunique olijet de la contemplation, c'est réduire la contem-
plation au moindre degré de la présence de Dieu. La vraie pré-
sence de Dieu , dont le contemplatif doit être imprimé , est celle
de Dieu dans les âmes comme leur sanctificateur et comme leur
inspirant la prière; mais par là on doit a^'ouer dans la plus su-
blime contemplation la présence d'un Dieu saint et sanctifiant ,
d'un Dieu juste et inspirant la justice, d'un Dieu tout-puissant qui
opère dans les cœurs, d'un Dieu iniséricordi(;ux qui établit sa de-
meure dans les hommes dorft le co^ur est droit.
3tï'- Malerré l'ambiguïté des expressions de nos mystiques, je ne
Fquitoqiic ou
Je racle crois pas qu'ils puissent ou veuillent nier la nécessite et la perfec-
confus r i 1
iimi\éc. ^jQjj jg cpttp présence dans la contemplation; et c'est en vain
après cela qu'ils travaillent tant à l'exclusion des attributs, puis-
qu'il faut, malgré qu'on en ait, en réserver un qui les ramène tous
sous un autre nom. 11 ne reste plus qu'à demander à Malaval
pourquoi il veut si absolument que l'acte de contemplation soit
un acte co?ifus de Dieu présent ^ Ce mot roiififs , dont il se sert
perpétuellement, peut être pris en difFérens sens. Si par un acte
confus il entend mi acte simple ou mi acte obscm* à cause de la
foi d'où il émane , un acte distinct de la présence de Dieu ou de
tout autre attribut particulier, a sans doute cette sainte obscurité
et cette simplicité de la foi. S'il veut appeler confits ce qui nous
jette dans ([uelque chose d'incompréliensible, nous avons vu =
que les actes les plus distincts de contemplation, comme ceux où
l'on s^arrête sur la sainteté, ou sur la justice, ou sm' la puissance
Woa/i., XV, 1. — * Malaval, Il part.; p. 404. — 3 Ci-dessus, u. 13 et 14.
TRAITÉ I, LIVRE II, N. XXII. 421
de Dieu , nous jettent tous pareillement dans cet abîme de l'in-
compréhensibilité divine. N'astreignons donc point les contem-
platifs à des actes confus au même sens quïls sont indistincts ,
puisque les actes distincts sur les attributs, sm' les Personnes
divines, sur Jésus-Christ Dieu fait homme et réconciliant le monde
en soi , et les autres de même nature, sont également saints et
parfaits. On ne pense pas toujours à tous ces objets divins ; mais
on n'en exclut aucun, et la contemplation occupée tantôt de l'un
et tantôt de l'autre, trouve dans chacun l'infinité de Dieu entière
et parfaite.
Par là se voit l'illusion du raisonnement de Malaval, qui pour ^"u.
^ '- Egaronienl
détom^ner les fidèles de raisonner sur la puissance de Dieu et sur ^^ m*'*^*'
■^ sur les at-
ki création du ciel et de la, terre , remarque « que raisonner de '"'^'"''•
tout n'est rien à comparaison de regarder Dieu en luy-mesme :
Dieu, dit-il, n'est-il pas plus que la puissance, que le ciel, que la
terre, que toutes les pensées des hommes * ? » Je veux bien qu'un
contemplatif ne raisonne pas et qu'il agisse par la pure foi , qui
de sa nature n'est point raisonnante; et ce n'est pas là de quoi
nous disputons. Mais quant à cette belle interrogation : Dieu
n' est-il pas plus que la puissance? non, Dieu n'est pas plus que la
puissance, parce qu'il est sa puissance même. Il n'est pas plus que
sa sainteté et que sa sagesse, parce qu'il est sa sagesse même, sa
sainteté même. Il ne faut que se souvenir de cette définition du
concile de Reims, tirée de saint Augustin et dictée par saint Ber-
nard : Dieu est saint. Dieu est sage. Dieu est grand par la sain-
teté, par la sagesse, par la grandeur qui est lui-même ^. C'est
donc une ignorance grossière de dire que Dieu soit plus que sa
propre toute-puissance : c'en est une autre de dire que penser à
Dieu tout-puissant ou saint, ne soit pas le regarder en lui-même,
puisque sans doute c'est lui-même qui est tout-puissant et saint ;
et quand on ajoute qu'il est au-dessus de toutes les pensées des
hommes , il faudroit songer qu'il est donc aussi au-dessus du re-
gard confus de sa présence , qui sans doute est une pensée , et
que s'il faut supprimer les af tes qui sont au-dessous de Dieu , il
1 Malaval, p. 8. — * Conc. Rheui., sub Eugen. lil, an. H. 83 Labbe, tom. X;
col. 1118. '
422 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D ORAISON,
n'en faut laisser aucun, puisqu'il les surpasse tous jusqu'à l'infini.
vàme d, - ^^^ "iii'^ <ï^6 cet auteur n'ignore pas que « la bonté, la justice,
rouveaux ^^ pulssauce , l'étemité de Dieu ne soient Dieu même, » puisqu'il
X'ui'îme l6 dit très-expressément * : je l'avoue; mais son perpétuel égare-
uuicur. jjjgjjj. j^g^ ,1(3 jjg p.|g voir ce qu'il voit, et après avoir posé de bons
principes d'en tirer de mauvaises conséquences. Car, par exemple,
dans le lieu qu'on vient de citer, quelle errem^ de dire qu'en pensant
aux attributs particuliers on semble partage?- Dieu en plusieurs
pièces? Isaïe et les séraphins qui adoroient Dieu comme saint,
mettoient-ils en pièces sa simplicité? Que ces raffineui's sont
grossiers ! ils ne songent plus que Dieu n'est pas saint, ni sage ,
ni puissant comme le sont les créatm'es par des dons particuliers ;
mais qu'étant tout par lui-même et par sa propre substance,
loute l'infinité de ce premier Etre se voit dans chacune de ses per-
fections, (^e n'est donc pas les partager, comme le dit trop char-
nellement ce téméraire spéculatif, que de les considérer par des
vues distinctes à la manière qu'on vient d'exposer. C'est au con-
traire les réunir et seidement aider la f(Mblesse humaine, qui ne
peut pas tout porter à la fois. Et quand il ajoute « qu'en regar-
dant Dieu en lui-mesme par sa simple présence, il le voit tel qu'il
est en soy, et non pas tel qu'il est conçu par nous : » il oublie ffue
ne rcf/ard de Dieu présent est en nous une des manières de le
concevoir; et qu'enfm de quelcpie côté que se tourne sa vaine
subtilité , il ne fera jamais que nous voyions Dieu autrement que
par (piel(|u'mie de nos vues, ni (|ue nous le concevions autrement
que par quelqu'mie de nos conceptions. Et si l'on dit qu'il faut
s'élever au-dessus de ses conceptions, qui en doute, et ses faux
sulilils pensent-ils apprendre au monde cette vérité ? Mais cela
même n'est-ce pas encore mic des conceptions de l'esprit humain?
Que s'ils veident dhe seulement que les seules conceptions dignes
de Dieu sont celles qu'il nous inspire, et que sans tant songer aux
conceptions, il se faut livrer à l'amour, c'est de quoi tout le monde
convient dans tout état d'oraison, et il ne faJloit pas recourir ici à
des oraisons extraordinaires,
ixiv. On voit donc que ces grands mystiques à force de raffiner se
Parabole
' Malaval; p. 64.
TRAITÉ I, LIVRE II, ^^ XXV. 423
perdent dans leurs pensées, et ne font qu'éblouir les simples par ou simiii-
mi langage qui n'a point de sens, ou en tout cas s'attribuer à eux diiiuslon
seuls des pratiques communes à tous ceux qui sont un peu avan- qu'eue dé-
cès dans la piété. Le même Malaval amuse le monde par une si- Dieu, de
militude qu'il recommande sans cesse ^, et où il croit avoir ren- et de jé-
fermé toute la fmesse de son oraison ; c'est celle de cette fille qui
appelée par uu roi à sa couche nuptiale, au lieu d'aller droit à lui
« s'arresteroit à considérer la lettre du roi ^;» c'est-à-dire, selon cet
auteur, l'Ecriture sainte : ou ses beaux appartemens , ses riches
habits , qui sont les attributs divins ; « ou sa pom'pre, qui est, dit-
il, l'humanité du Sauvem% dont un Dieu s'est revestu pour
l'amour de nous ^ » IMais à quoi sert cette allégorie, sinon , sous
prétexte de regarder le visage du roi, à détourner l'ame de ses
divines perfections d'une manière indirecte ; lui inspirer du dé-
goût ou pour l'Ecriture, ou même pour un Dieu fait homme ? Qui
n'a appris de saint Irénée, de saint Augustin et des autres, ou qui
ne voit par expérience qu'il y a des âmes que Dieu élève à la
sainteté sans la lecture des saints Livres? Mais il ne faut pas pour
cela faire imaginer aux contemplatifs que pour ne hre plus l'Ecri-
tm'e sainte, ils soient plus parfaits qu'un saint Augustin, un
saint Bernard et les autres, dont la dévotion étoit attachée à im
goût divin, qui leur étoit inspiré pour cette lecture.
Malaval hésite quelquefois, et semble marcher à tâtons sur ^^•
Autre ma-
Jésus-Christ, sans oser dire ce qu'il dit; mais en gros on a pu "'"" '•"
■^ ■• "^ J- détourner
voir et il est certain qu'il en dégoûte les âmes. Je ne veux pour ctîJr T
l'en convaincre que ce petit mot à sa PhUothée, qui lui avouoit |^^^*''^^"
simplement « que les considérations des œuvres de Notre-Seigneiu?
l'élevoient à sa Persomie, et que cette Personne infinie lui faisoit
trouver quelque chose d'infini dans l'action du Sauveur *. » A quoi
ce froid directeur lui répond dédaigneusement comme à une per-
sonne imparfaite : « Usez bien de cette grâce, et ne vous attachez
qu'à Dieu qui vous l'a faite ; » comme si Jésus-Christ l'en eût
empêchée. De tels discours , qui sont semés dans tout le livre,
détournent les âmes de Jésus-Christ, sous prétexte d'inculquer
1 Malaval, 1 part., p. 8, etc.; Il part., p. 37, 52, 53, etc. — ^n part., p. 37.
— 3 P. 64, u. 19. — 4 Malaval, P. 24ti.
424 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS DORAISON.
toujours Dieu en lui-même : au lieu qu'il faudroit penser qu'une
manière excellente de contempler Dieu en lui-même, est de le
contempler en Jésus-Clirist, « dans lequel la divinité habite corpo-
reUement et dans sa plénitude, » selon l'expression de saint Paul * ,
qui dit encore ces paroles d'une si sublime et si douce contem-
plation : « Dieu étoit en Jésus- Christ se réconciliant le monde *, »
et se l'unissant d'une façon si intime et si admirable.
^^^^■'- Je suis obhgé d'avertir (lue ces docteurs sont bien plus outrés
iri'r. dT. ^^^ ^"^ ^^^^ parle sainte Thérèse, et dont elle ne peut approu-
nmir,.a,iT yer le scntimeut, lorsqu'ils disent trop généralement que l'huma-
li'^vec uité de Jésus-dhrist est un ol)stacle à la contemplation. Nous
Mlle df '
quelques fraiterous ailleurs phisà fond cette matière, mais vouloir tout dire
doni-ainir rj \^ ffjjg g cst embrouiller un discours. Je dirai donc seulement
Tn>Te«e a
parle. j,.j qu'mic am<' attirée par mi instinct particulier à contiMupler
Dieu comme Dieu, peut bien durant ces momens ne penser ni à
la sainte limnanité de Jésus-Christ, ni aux Personnes divines, ni
si vous voidez à certains attributs paiiiculiers ; car elle sortiroit
de l'attrait présent , et mettroit olistacle à la pn-ace. Ce qu'on ré-
prouve dcUis les m}sti(iues de nos jours, c'est Texclusion perma-
nente et par état de ces objets divins dans la parfaite contempla-
tion, et ce rpii est encore plus pernicieux, dans toute la durée de
cet état, puisque l'acte de contemplation y est selon eux continu
et perpétuel ; par où l'on est induit à la suppression des actes de
foi explicite, absolument commandés par l'Evangile, ainsi que je
in'étois proposé de le faire voir dans ce livre.
LIVRE III.
De la suppression des demandes, et de la conformité à la volonté de Dieu.
1 Après avoir vu les actes de foi explicite que suppriment nos
l'illU-i|IP<
•<' »- nouveaux docteurs, sans respecter leSvmbole, il est aisé de com-
I.1U. , M.r prendre qu'ils n'épargnent pas davantage les demandes qui sont
' Coioss., II, 9. — » Il Cor., \, 19.
TRAITÉ I, LIVRE III, N. II. 425
contenues dans l'Oraison Dominicale. Tous ces actes, et les de- i.^uppies-
mandes comme les autres, sont également renfermés dans cet acte de,n"andes.
unique, continu et perpétuel , et nous allons voir aussi par cette
raison les demandes entièrement suspendues. Mais outre cette
raison commune aux actes de foi et aux demandes, il y en a une
particulière pour les demandes ; c'est qu'elles sont toutes intéres-
sées , indignes par conséquent de la générosité de nos parfaits,
à la réserve peut-être de celle-ci : Fiat voluntas tua, «votre
volonté soit faite ; » encore que Jésus-Christ, qui sans doute en a
l)ien connu toute la force, n'ait pas laissé de commander également
toutes les autres.
Ces fondemens supposés, il ne faut plus qu'entendre parler nos "•
faux docteurs. JMolinos ouvi^e la carrière par cet anéantissement ^^ *'°"-
'- nos : sup-
de tous actes, de tous désii^s, de toutes demandes, ou il prêche p^f^^i»"
-^ ■*■ de tous les
partout. « L'anéantissement, dit-il, pour estre parfait, s'étend sur <*•'■'"
le jugement, actions, inclinations, désirs, pensées, sur toute la
substance de la vie ' . » En voilà beaucoup, et on ne sait plus ce
qu'il veut laisser à un chrétien. Il pousse pourtant encore plus
loin : « L'ame doit estre morte à ses souhaits, efforts, perceptions,
voulant comme si elle ne vouloit pas, comprenant comme si elle
ne comprenoit pas, sans avoir mesme de l'inclination pour le
néant ; » c'est-à-dire sans en avoir pour l'indifTérence : ce qui est
la pousser enfin jusc[u'à se détruire elle-même. Ce parfait anéan-
tissement qui a supprimé les désirs, avec eux a supprimé les de-
mandes et les prières qui en sont l'effet ; et un peu après : « C'est à
ne considérer rien, à ne désirer rien, à ne vouloir rien, à ne faire
aucun effort, que consiste la \ie, le repos et la joie de l'ame -. »
C'est ce qu'il appelle , en termes plus généraux : se plonger
dans son rien ^, c'est-à-dire ne produire aucun désir. « Le néant,
dit-il, doit fermer la porte à tout ce ipii n'est pas Dieu * : » le dé-
sir même de Dieu n'est pas Dieu, et le néant hn/ ferme la porte
comme à tout le reste : « Autrefois l'ame estoit affamée des biens
du ciel , elle avoit soif de Dieu craignant de le perdre * : » mais
c'est autrefois ; maintenant et depuis qu'on est parfait on ne prend
1 Guide, liv. II , ch. xix, n. 193, p. \m. — ^lbid., liv. li, ch. x.\, u. 202, p. 199.
— ^Ibid., Q. 196, p.l97. — */èi(/., n. 201. — i>lbid., ch. il, p. 21, q. 206, p. 201.
426 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
plus de part « à la béatitude de ceux qui ont faim et soif de la jus-
tice, à qui Jésus-Christ a promis quils seroient rassasiez. » C'est
par là qu'où piu'vieut à la sainte et céleste indijference. « Ceux
(jni avoient reçeu avec saint Paul les prémices du Saint-Esprit
estoient dans mi gémissement perpétuel et dans les douleurs de
renfantement , en désirant ladoption des enfans et Fheritage
céleste. Maintenant qu'on est plus fort , on est aussi content dans
la terre que dans le ciel ; on revient à la première origine ' . »
L'homme n'avoit point à gémir en cet état, il étoit aussi tran-
quille quinnoct'ut, et « rindinVrence céleste nous ramené aussi à
l'heureuse imiocence que nos parens ont perdue : » au contraire
« nous aiTeslons les grâces célestes eu voulant l'aire quel(]ue
chose. » C'est faire quelque chose que désirer et demander; ainsi
tout désir doit être indifférent et anéanti.
D"'rint. MiiIiiN .il ne parle pas moins clairement ; son fondement est dès
j"'y","'^', le comiin'iiccmnit dji son livr»', (jue conlrnt de jeter ce regard
3',u.J itnioiu'cux sur Dieu présent, « il ne faut rien penser ni rien désirer
daiundu. autiuit de temps (ju'il sera possible *. » S'il se restreint d'abord à
mi certain temps, c'est en faveur des conmiençans ; mais au reste
nous avons vu ' (ju'on en vient « à mi acte continu et perpétuel :
la veué simple et amoureuse comprend tous les actes, foy, espé-
rance, amom', action de grâce *, » et tout le reste : on n'exerce
plus ni entendement, ni volonté, ni mémoire, << comme si Ton n'en
avoit point ' : vostre acte éminent absorl»e tout, et contient tout
en vertu et en valeur " : » il n'y a qu'à pousser l'abandon à V opé-
ration divine jusqu'à ne rien faire et laisser tout faire à Dieu : il
faut « suspendre tous les actes distincts et particuliers pour faire
place à l'acte confus et universel de la présence de Dieu '' : cet acte
luiiversel emporte la suspension des actes particuliers*: » que
serviroient les désirs et les demandes? Toutes les demandes sont
renfermées diuis ce grand acte universel *•. Il y a dims un entre-
tien un endroit exprès destiné à cette matière ^**; et il y est décidé
« que l'ame qui possède Dieu par une présence amoureuse , ne
» Guide, ch. xix, XX, n. 194, 202, p. 197, 199; ch. XXI, n. 206, 207 et 212. —
2. Malaval, I part., p. 8. — ■' Ci-dessii? , liv. H, u. 26. — * .Malaval, I part.,
p. 63. — 6 p. 7.— s Malaval, I part., p. 63, 64. -^ n part., p. 106. — » P. 3.^7.
- 9 Ibid., p. 412, 413. - to Entr. 12, n. 10.
TRAITÉ I, LIVRE III, N. IV. 427
demande rien que le Dieu qu'elle possède : » c'est-à-dire cju'elle
en est si contente, qu'elle n'en désire plus rien que ce qu'elle en a,
comme si elle n'étoit plus dans le lieu de pèlerinage et d'exil.
Une seconde raison contre les demandes, c'est que si Dieu s'est
« donné luy-mesme, il nous donnera nos besoins sans que nous
les demandions : et que les âmes dépoiiillées de tout sont bien en
peine que demander à Dieu si ce n'est sa volonté K Elles sont
donc bien en peine, si elles doivent lui demander ce qu'il leur ex-
plique lui-même, ce quïl lem' ordonne. Ainsi quand on veut contre
son précepte tout réduire à cette seule demande : Votre volonté
soit faite , et que l'on ajoute que lliomme qui n'a qu'une volo?ité^,
c'est-à-dire celle de Dieu, ?i'a jamais qu'une demande à faire ; on
suppose que ceux qui font, pour ainsi parler, tout du long les
sept demandes du Pater, ont une autre volonté que celle de Dieu.
Pour troisième et dernière raison, on demande tout en s'um'ssant
amoureusement à celuy qui est tout. Sans doute Jésus-Christ aura
ignoré ce mystère ; il ne songeoit pas à la force de cette demande :
Fiat voluntas tua. S'il faUoit supprimer les autres à cause qu'elles
sont comprises dans ceUe-ci seule , pourquoi Jésus-Christ ne les
a-t-il pas supprimées, et d'où vient qu'il nous a domié l'Oraison
Dominicale comme elle est? Qui pourroit souffrir des chrétiens
qui disputent contre Jésus-Christ , et qui vieiment réformer une
prière, qui dans sa simplicité et dans sa grandeur est une des
merveilles du christianisme ?
]\Iais le livre où l'on se déclare le plus contre les demandes, c'est iv.
sans doute le Moyen court et facile : on n'y attend pas que l'ame uvre q„i
' < 1 1 1 o • ' outre le
soit arrivée a la plus haute perfection, et dès les premiers degrés i'U.s k
elle « se trouvera , dit-on , dans im état d'impuissance de faire les sion des
1 ■> T\' 1 ^^ f • • T\ demandes,
demandes a Dieu, qu elle laisoit auparavant avec facilité '. » Remar- cest le
qnez ceci : ceux qui veulent qu'on réduise à rien les expressions coun.
par des interprétations forcées, entendent par cette impuissance un
manquement de facilité, ne songeant pas que Ton oppose la faciUté
d'autrefois à l'impuissance d'aujourd'hui ; ce qui n'a point d'autre
sens, si ce n'est que l'ame, qui avoit auparavant des facilités, ne
trouve plus que des impuissances, et des impuissance: /)«;■ étcU, afin
1 Malaval, II part., p. 414. — '- Ibid. — » Moyen court, § 17, p. 68.
428 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON,
qu'on ne pense pas que ce soit des impuissances passagères. La
raison qu'on en allègue est imiverselle : car c'est alors (jue l'Esprit
demande pour les saints, selon la parole de saint Paul ' ; comme
si cette parole ne regardoit (ju'un état particulier d'oraison, et non
pas en général toute prière bien faite, en quelque état qu'on la fasse.
C'est déjà une eiTem- grossière, bien contraire à saint Augustin *,
qui prouve par ce passage que toute prière, et celle des commen-
çans comme des autres, est inspirée de Dieu : mais c'est l'erreur
ordinaire des nouveaux mystiques d'attribuer à certains états
extraordinaires i>t particuliers ce qui convient en général à l'état
du chrétien. Laissons à part cette errein-, (pi'il n'est pas temps de
relever, et considérons seulement la consécjuence qu'on tire de la
parole de l'Apôtre : c( C'est, dit-on, qu'il faut seconder les desseins
de Dieu, tpii est de dépouiller lame de ses propres opérations
pom' sul)stituer les sieimes à la place : laissez-le donc faire. » Ce
laissez faire, dans ce limgage, c'est ne faire rien, ne désii-er rien,
ne demander rien de .son côté, et attendre que Dieu fasse tout. On
ajoute : <( La vol^nlé de Dieu est préréral)l(' à tout autre bien ;
défaites-vous de vos interests, et vivez d'abandon ri de foy ; »
c'est-à-dire, comme on va voir : Vivez dans lindillérence de toutes
choses, et même de votre salut et de votre danmation : défaites-
vous de cet intérêt comme de tous les autres ; ne regardez plus
comme une peine l'impuissance de faire à Dieu aucune demande,
puisqu'il ne lui faut pas même demander \v. bonheur de le pos-
.séder : « C'est icy, continue-t-on, que la foy connnence d'opérer
excellemment, » quand on fait cesser toutes les demandes comme
imparfaites et intéressées. Voilà de tous les égaremens des nou-
veaux mystiques le plus incompréhensible ; c'est un désintéres-
sement outré, qui fait que le salut est indilTérent; mie fausse
générosité envers Dieu, comme si c'étoit l'offenser et l'importuner
dans un extrême besoin de demander quelqut^ chose à celui dont
les richesses aussi bien que les boutés sont inépuisables.
V. C'est ce (ju'on explique précisément sur le Cantique des can-
ei la do tiques, où Ion remarque que l'Epouse demeure ««?« tien deman-
' Rom., VIII, 26. — 'De Jono persev., cap. xxiii , u. G4. Episf. ad Sixt. olim
cv, nunc cxav, n. 15-17.
TRAITÉ I, LIVRE III, N. VI. 429
der pour elle-mesme '. Aquoi on ajoute un peu après ces étranges 'n^n^e du
paroles : « C'estoit une perfection qu'elle avoit autrefois , que de ''"emem
supprimés
désirer ardemment cette charmante possession ; car cela estoit «''^"ge
excès dans
nécessaire pour la faire marcher et aller à luy ; maintenant c'est ''/'^'"•-
'' prétalion
une imperfection qu'elle ne doit point admettre^, son bien-aimé la ''« can-
possédant parfaitement dans son essence et dans ses puissances
d'une manière très-réelle et invariable, au-dessus de tout temps,
de tout moyen et de tout lieu ^ » Elle est donc parfaitement heu-
reuse ; elle est dans la patrie , et non pas dans l'exil : autrement
elle auroit encore et des désirs à pousser, et des demandes à faire :
mais au contraire , « elle n'a plus que faire de soupirer après des
momens de jouissance distincte et aperceuë ; outre qu'elle est
dans une si entière desappropriation, qu'elle ne sauroit plus arres-
ter un seul désir sur quoy que ce soit, non pas mesme sur les
joyes du paradis , » quoique ces joies du paradis ne soient autre
chose que le comble, la surabondance, la perfection de l'amom' de
Dieu et le dernier accomplissement de sa volonté.
Cependant cette ame est tellement pleine ou indifférente, qu'elle
laisse l'Epoux céleste répandre où il lui plaira , et dans d'autres
âmes , comme un baume précieux , toute sorte de saints désirs :
« Mais pom* elle elle ne sçauroit luy rien demander, ni rien dési-
rer de luy, à moins que ce ne fust luy-mesme qui luy en don-
nast le mouvement, non qu'elle méprise et rejette les consola-
tions divines : mais c'est que ces sortes de grâces ne sont plus
guère de saison pour une ame aussi anéantie qu'elle l'est, et qui
est établie dans la jouissance du centre , et qu'ayant perdu toute
volonté dans la volonté de Dieu , elle ne peut plus rien vouloir ■' ; »
pas même vouloir voir Dieu , et l'aimer comme on fera dans le
ciel , c'est-à-dire de la manière la plus excellente.
On ne pouvoit pousser plus loin la présomption et l'égarement ; w.
car encore qu'il ne s'agisse en apparence que des visites particu- de^cVan"
lières du Verbe qui vient à nous par ses consolations , on pousse m..n" i^up-
l'indiff'érence jusqu'à Téternelle possession de Dieu; on prononce '"'"''''"
généralement qu'on ne sauroit lui rien demander, ni désirer rien
de lui , par conséquent en rien espérer, puisqu'on désire ce qu'on
* Cant., ch. vni , vers. 16, p. 200. — 2 Ibid., p. 207. — » Ibid.» p. 208.
vu.
Deu\ rai-
sons dri
nouveaux
430 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
espère , et que lespérance enferme , ou est elle-même , selon les
doctem's , une espèce de désir. Ainsi de trois vertus théologales ,
on en éclipse la seconde, qui est Tespérance ; et on porte si avant
l'extii'pation du désir, qu'on ne sauroit plus en former ni en arrê-
ter lin seul sur (juot/ que ce soit.
Mais les raisons quon allègue de cet état sont encore plus per-
nicieuses que la chose même : il y en a deux dans le passage
rour'^ip- qu'on vient de produire : Tune est la plénitude de la jouissance
deml^de'r: M^l empèchc tous les désirs, et pai' conséquent toutes les de-
nMo'mbi'en i^i^idcs ; lautré est le parfait desiutércsseme)it et dcsnppropna-
"'""'• tion de cette iune, qni l'empêche de rien demander pour elle. La
première est le conihle de l'égarement : cette plénitude qu'on
vante dans la jouissance du centre , avec celte paifaile posses-
sion « du bien-aimé dans son essence et dans ses puissances d'une
manière tres-réelle et invariable, au-dessus de tout temps de
tout moyen, de tout lieu : » c'est comme on verra en son lieu,
une illusion des béguards. Il y a une tt'Ue disproporliou entre la
I)lénitu(le qu'on peut concevoir en cette vie et celle de hi Nie fu-
ture, (ju'il y reste toujours ici-l)as de quoi espérer, de qu(ji dési-
rer, de quoi demander jusqu'à l'inlini ; et que supprimer ces de-
mandes, c'est ouiilier ses besoins, et nom*ru' sii présonqjtion de
la manière la plus dangereuse et la plus outrée.
,'"'"'i. La seconde raison de, cet état où l'on sujtprime les demandes,
;;,,;,",;'", c'est (piil les faut regarder conmu' intéressées. Je suis ici oliligé
VvZ m- d'avertir que nos mystiques se fondent principidement sur mie
irm^wn- opinlou de l'Ecole, qui met l'essence de la charité à aimer Dieu,
'i,! ^^ connue on parle , sans retour sur soi , sans attention à son éter-
d mil doc! ncUe liéatitude. J'am'ai dans la suite à faire voir que ce n'est là
î^Er'ôitf dims le fond qu'une dispute de mots entre les docteurs ortho-
doxes, et qu'en tout cas cette opinion ne peut servir de ft)ndement
aux nouveaux mystiques. J'oserai seulement ;ivec respect avertir
les théologiens scolastiques de mesurer de manière leurs expres-
\ sions, qu'ils ne donnent point de prise à des gens outrés. Mais en
attendant (ju'on développe cette théologie de l'Ecole dans le traité
qui suivra celui-ci, je dirai avec assm'ance que désirer son salut
comme l'accomplissement de la volonté de Dieu, comme une
TRAITÉ I, LIVRE III, N. VIll. 431
chose cjii'il veut et qu'il veut que nous voulions , et enfin comme
le comble de sa gloire et la plus parfaite manifestation de sa gran-
deur, c'est constamment de Favis de tout le monde un acte de
charité. C'est là une vérité manifestement révélée de Dieu par ces
paroles de saint Paul , où en exprimant avec toute l'énergie pos-
sible le désir de posséder Jésus-Christ , il conclut que nous l'avons
« par une bonne volonté : » bonam vohmtatem habemus ' : or la
bonne volonté, c'est la charité. Saint Paul nous exprime encore
cette boime volonté comme un effet de notre choix : « Je suis, dit-
il, pressé d'un double désir, l'un d'être avec Jésus-Christ, ce qui
est le mieux de beaucoup ; l'autre de demeurer avec vous, ce qui
vous est plus nécessaire : et je ne sais que choisir ^ ; » nous mon-
trant très-expressément, par ces paroles, que lequel des deux
qu'il eût fait, c'eût été l'effet de sou choix. Mais ce choix auroit
eu pour fin naturelle la gloire de Dieu, comme le même saint
Paul le témoigne manifestement, lorsqu'il se propose dans l'a-
doption éternelle des enfans de Dieu la possession de l'héritage
céleste « pom^ la louange de la gloire de sa grâce ^, » à laquelle il
rapporte aussi tout le conseil de la prédestination *. Ainsi le Saint-
Esprit nous a révélé expressément par saint Paul trois vérités
importantes sur le désir d'être avec Jésus-Christ. Premièrement ,
que c'est un acte de charité : secondement, que c'est un acte très-
délibéré : troisièmement, que c'est un acte d'amour, et d"mi amour
pm^ et parfaitement désintéressé, où l'on rapporte non point Dieu
à soi, mais soi-même tout entier à Dieu et à sa gloire. Dès lors
donc on l'aime plus que soi-même , puisqu'on ne s'aime soi-même
qu'en lui et pour lu': .
Pour réduire ce raisonnement en peu de paroles : un acte n'est
point intéressé lorsqu'il a pour fin naturelle et premièrement re-
gardée la gloire de Dieu. Ce principe est incontestable. Or est-il
que le désir du salut a pour sa fin naturelle et premièrement re-
gardée la gloire de Dieu. La preuve en est manifeste dans les pas-
sages de saint Paul qu'on vient d'alléguer : j'ajoute celui de David
lorsqu'il espère à la vérité «■ d'être rassasié , » mais seulement
« quand la gloire de Dieu lui apparoitra : » Satiabor cùm appa-
1 II Cor., V, 8. — 2 PhU., I, 22, 23. — » Ephes., i, 6. — * Roni., XI, 33.
432 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
ruerit gloria tua '. Donc le désir du salut ne peut être rangé sans
erreui' parmi les actes intéressés.
Sur ce fondement, il est certain que tous les désirs de posséder
Dieu, qu'on voit dans les Psaumes, dans saint Paul et dans tous
les Saints , sont des désirs inspirés par un amour pm*, et qu'on
ne peut accuser dètre iuiparlaits saas un manifeste égarement ,
ni s'élever au-dessus sans porter la présomption jusqu'au comble.
Deux ex- Aussi iios uouveaux mystiques tâchent de tempérer leurs excès
*i"ouvea.a P^i" dcux exi^ises : Tmie en disant que lorsqu'ils rejettent si ex-
r'prem"iù- pressémeut dtms l'ame parfaite tous désii-s et toutes demandes ,
"cidiieni ils y apportent cette exception : « à moins que ce fust Dieu mesme
d'emJdl» qui luy en donnast le mouvement *. » Ce (jue Malaval explique
de'D^eiK en ces termes : (( (Ju'il faut estre siuis aucune pensée distimle, si
fm^rtlni" ce n'est que le Saint-Esprit nous y applique par la volonté divine,
cl mm par la nostre qui n'agit plus, ni par nostre choix '. »
Laulre l'xcust;, c'est qu'en excluant ainsi les désirs et les de-
nianiles, ils «;ntendent seulement les désirs connus et les demandes
intéressées et aperceuës *, sans prétendre exclure les autres.
Les faux-fny;uis de l'erreur ne servent qu'à la décou\ rii" plus
clairement, et une comle distinction le va fau^e voir. (Juand on
a dit qu'on ne sçauroit plus rien demandera Dieu, ni rien désirer
de luy , qu'il n en donne le mouvement ', » ou l'on entend par ce
mouvement l'inspiration prévenante de la grâce comimiiK^ à tous
les justes, ou l'on entend une inspiration particidière : si c'est le
premier, on dit vrai, mais on ne dit rien (jui soit à propos. On
flit vrai , ctu il est de la foi Ciitlioli(ine (pi'on ne peut faire au<Mnie
jirièi-e agréable à Dieu, ni produire aucun bon désir, qu'on ne
soit prévenu par sa grâce : mais en même temps on ne dit rien
à propos, puisqu'on n'exphque point ce qu'on prétend, qui est
de montrer dans un état particulier la cessation des demandes.
Mais si pour diie «luelque chose (pii soit particulier à cet état , on
veut dire qu'on y attend une inspuation particulière pour faire à
Dieu les demandes qu'il a commandées, c'est en cela qu'est Ter-
rem-. L erienr est, dis-je, de croire que pour prier ou demander,
' Pml. XM, i:i. — * hifcrprét. sur le Cant., p. 208.— ^ Malaval, I paît., p. .'i.")—
* Interfjfél. sur le Cant., p. 207. iloyeti court, p. 129, etc. — ^Ibid., p. 208.
TRAITÉ l, LIVRE III, N. IX. 433
le commandement exprès de Jésus-Christ^ son exemple et celui
de tout ce qu'il y a de saints ne suffisent pas à certaines âmes ,
comme si elles étoient exemptes de pratiquer ces commande-
mens, ou de suivre ces exemples. Cette erreur est directement
condamnée dans cette détermination du concile de Trente , tirée
de saint Augustin, et de la tradition de tous les saints : « Dieu ne
commande rien d'impossible ; mais en commandant il nous aver-
tit de faire ce que nous pouvons , et de demander ce que nous ne
pouvons pas, et il nous aide à le pouvoir K » Selon cette défini-
tion, toute ame juste doit croire que la prière lui est possible au-
tant qu'elle est nécessaire et commandée : que Dieu frappe à la
porte, et que ce n'est que par notre faute que nous la tenons fer-
mée : et enfin que le mouvement de la grâce ne nous manque pas
pour accomplir ce précepte de Jésus-Christ : « Demandez, et vous
obtiendrez : cherchez, et vous trouverez : frappez, et il vous sera
ouvert ^ ; » ni celui-ci de saint Jacques ^ : « Si l'on a besoin de sa-
gesse, » et qui n'en a pas besoin sur la terre ? « qu'on la demande
au Seigneur. » Que si la foi nous assure que ce mouvement de la
grâce ne manque point au fidèle, en attendre un autre et en l'at-
tendant demeurer en suspens ; attendre que Dieu 7iOîis applique,
et encore sa?is nosire choix , par sa volonté particulière, et non
par la nôtre, à cause qu'elle n'agit plus, c'est pécher contre ce
précepte : « Tous ne tenterez point le Seigneur votre Dieu * ; » c'est
résister à sa grâce commune à tous les fidèles et à son comman-
dement exprès ; c'est enfin ouvrir la porte à toute illusion, et
pousser les âmes infirmes jusqu'au fanatisme.
Par là il est aisé d'établir la note ou la censure précise dont la
proposition des nouveaux mystiques doit être qualifiée ; en disant
qu'on ne peut^j/ws rien demander que Dieu n'en donne le 'mou-
vement , si par ce plus on entend qu'on le pouvoit auparavant
sans le mouvement de la grâce prévenante , c'est une hérésie : et
si l'on entend qu'on ne le ^Quiplus, parce que le commandement
général, et la grâce commune à tous les justes ne nous suffisent
pas dans de certains états, en sorte qu'il y faiUe attendre pour
nous remuer que Dieu nous remue par une inspiration plus par-
1 Sess. VI , cap. ii. — "- Matth., vu, 7. — s Jac, i , 5. — * Mattft., iv, 7.
TOM. xvm. 28
434 INSTRUCTION SUR LES ETATS DORAISON.
ticulière ; c'est une autre hérésie contraire à la manifeste révéla-
tion de Dieu et à l'expresse détermination du concile de Trente.
X- Que si Ton en revient à dire qu'en assurant qu'on ne peut plus
Sccomli-
«ïciue de» faire de demandes ou produire des désirs , on ne veut exclure
noiivraiix
mïiUqucM que les demandes connues et les désirs aperçus -j'avoue que c'est
quercjclcr
loui .ci« la doctrine perpétuelle des nouveaux docteurs , et que les actes
aperçu ,
cVit u qu'ils veulent suspendre ou supiirimer sont partout les actes
iui>iiic cho- ■* *■
•c qne de counus : mais c'est là précisément retomber dans l'erreur qu'on
louiicie yeut éviter. Qui ne peut souffrir en soi-même la connoissance
d'un acte, par soi-même n'en veut aucun. On trouve en etret cette
décision dans le Moijcn court, « (piil faut ;r//o»r«* à toutes in-
clinations particulières, qurUpie lionnes (prcllesparoisseut. sitost
qu'on les sent naistre'. » lies iiicliiKitions particulicrcs sont celles
où l'on voudroit quelque autre chose que la volonté de Dieu en
général : et c'est pouniutii un i(»u<lul après, pour « liudilference
à tout liien, ou de l'ainf <»u du (•or[>s, ou du tenijis, ou de l'éter-
nité. » Ainsi il ne suftit pas d<' \w produin- aucun de ces actes; il
y faut renoncer dès qu'o// les snit /xiisfrc ; ce (pii n'emporte rien
moins que l'entière «'xtinctioii de tout acte de piété , dont le
moindre coiiunencement, la moindre étincelle, et la pensée seu-
lement pourroit s'élever en nous. Si l'on y doit renoncer lorsqu'ils
paroissent , à ]ilus forte raison se doll-ou empêcher d'en pro-
duire : »^t p.u' consé(iuent dini (pi'on n'eu veut jamais avoir »jui
soit connu ou aperçu, c'est dire qu'on n'en veut point avoir du
tout ; ce qui est précisément la même hérésie dont on vient de
voir la condamnât if >n.
SI. Cet endroit est plus important (pi'on ne sauroit dire ; et si l'on
qi.c?"'i 'il- ne sait entendre ces finesses des nouveaux luystiques, on n'en
",''m"caûi évitera jamais les illusions : car ils vous disent souvent (pi'ils font
,'i'i7Îm'«- des demandes, qu'ils font des actes de foi explicite en Jésus-dhrisi
Ivi -^t lur . !• • ••! , » 1 1 • 1-
j.<ui- et aiLX trois personnes divmcs,quHs ont même des dévotions
particulières aux mystères de Jésus-Christ, comme à sa croix ou
à son enfance : mais ce n'est rien dire, puisqu'ils entendent qu'ils
font de tels actes y étant poussés par inspiration extraordinaire
et particulière à certains états, et aussi que pour en produire ils
' Moyen court, § G, p. 29.
(.Iii-isl.
TRAITÉ I, LIVRE III, N. XII. 435
attendenttoiijoui's cette inspiration; en sorte que si elle ne vient,
c'est-à-dire s'ils ne s'imaginent que Dieu la leur donne par une
inspiration extraordinaire, ils vivront paisiblement dix et vingt
ans sans penser à Jésus-Ctu-ist, et sans faire un seul acte de foi
explicite sur aucun de ses mystères , comme on a vu * ; ce qui est
visiblement retomber dans l'errem' qu'ils font semblant de désa-
vouer.
Et pour achever de les convaincre lorsqu'ils laissent subsister
dans leurs âmes des actes qu'ils y remarquent, à cause qu'ils se
pei'suadent qu'ils lem" sont inspirés d'en haut par ce genre d'ins-
piration particulière aux états d'oraisons extraordinaires , il leur
faut encore demander à quoi ils connoissent cette inspiration.
S'ils répondent selon leurs principes , que s'étant abandonnés à
Dieu afin qu'il fît seul en eux ce qu'il lui plairoit , ils doivent
croire que rien ne leur vient dans la pensée qui ne soit de Dieu :
lem- présomption qui n'est soutenue d'aucune promesse les met
au rang des hommes livrés à l'illusion de leui^s cœurs , et prêts à
appeler Dieu tout ce qu'il leur plaît.
C'en seroit assez quant à présent sur cette matière , s'il ne fal- ^fj^^^
loit exposer les fondemens des nouveaux contemplatifs. Les voici '"'="' '^"^
^ ■*- nouveaux
dans le Moyen court , au chapitre de la Demande^ , où en traitant ^.f^^s"'
ce passage de saint Paul : « Nous ne savons pas ce qu'il nous faut 3" ''^^^"^0
demander ; mais le Saint-Esprit prie en nous avec des gémisse- fj^^l^
mens inexplicables. Cecy , dit-on, est positif : si nous ne sca- f^^l^^,
vous pas ce qu'il nous faut, et s'il faut que l'Esprit qui est eu l^[^^^,
nous, à la motion duquel nous nous abandonnons, le demande
pour nous , ne devons- nous pas le laisser faire ? » C'est bien là un
raisonnement capable d'éblouir l'esprit ignorant et prévenu d'une
femme, qui ne sait pas, ou ne songe pas que saint Paul ne dit
pas ceci d'une oraison extraordinaire, mais de l'oraison commune
à tous les fidèles : où le laisser faire qu'on veut introduire, c'est-
à-dire la suspension de tout acte exprès et de tout effort du lil)re
arbitre, n'a point de lieu. Car le dessein de l'Apôtre ^ visiblement
est de faire voir que le Saint-Esprit est l'auteur , non pas des
1 Ci-dessuSj liv, 11^ cli. v. — ^ }'oye7i court, ch. xx, p. 93. — ' Ro)n., viii,
2u, 27.
436 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
prières d'un certain état, mais de celles de tous les fidèles. Mais
si dire que le Saint-Esprit forme nos prières, c'est j'dire qu'il ne
faut pas s'exciter soi-même , mais attendre comme en suspens
que cet Esprit nous remue d'une façon extraordinaire, c'est attri-
buer cet état à tous les justes ; c'est leur ôter cet effort du libre
arbitre , conatus , que saint Augustin ' et tous les saints y recon-
noissent; c'est introduire la passiveté, comme on l'appelle, dans
l'oraison la plus commune. Au lieu donc de dire, comme on fait:
Si le Saint-Esprit agit en nous, il n'y a qu'à le laisser faire, il
falloit dire au contraire : S'il agit en nous , s'il nous excite à de
saints gémissemens, il faut agii' avec lui, gémir avec lui, avec
lui s'exciter soi-même , et faire de pieux efforts pour enfanter
l'esprit de salut et d'adoption , comme saint Paul nous y exhorte
dans tout ce passage *.
XIII. Ainsi la conséquence qu'on tire en ces mots : « Pom'quoy après
<iu"ii» font cela nous accabler de soins superflus, et nous fatiguer dans la
pirou:'^ multiplicité de nos actes, sans jamais dire : Demeurons en re-
' qu'ùno" pos '? » est un abus manifeste de ri'.vaugile : car c'est mettre au
se qui soit rang des soins superflus le soin de s'exciter à prier Dieu; c'est
nt'ctissai*
rc:. quille attribuer à une mauvaise nmlliplicité la pluralité des actes que
imillipli- . 1 ' I • 1 • 1 '1' ^
ciie nou9 Jjicu nous commande; c est mduu'e les âmes a un taux repos, a
duc. un repos que Dieu leur défend, et où elles sont livrées à la non-
chalance : c'est avoir une fausse idée de cette parole où le Sau-
veur reprend Marti le « de se troubler dans plusieurs choses, au
lieu qu'il n'y en a qu'une (^Ui soit nécessaire '. » U est vrai, une
seule chose est nécessaire, qui est Dieu; mais il y a plusieurs actes
pour s'y vmir. Il n'y a qu'une fin, mais il y a ]>lusieurs moyens
pour y arriver; autrement la foi, l'espérance, et la charité, qui
selon saint Paul sont trois choses ^ , seroient supprimées par cette
imité où le Fils de Dieu nous réduit, et son Apôtre lui seroit con-
traire. On ne peut donc pas tomber dans un plus étrange égare-
ment, que de tourner contre les actes de piété ce que Jésus-Christ
visiblement a prononcé contre la multiplicité des actes vains et
' August., in Psal. xxvi, cnarr. 2, n. 17; DeNat. et grat., cap. Lxv, n. 7S. —
2 nom., VIII, 22, etc. — ^ Moyen court, cli. xx, p. 9j. — ''Luc, x, 41. — M Cor.,
XIII; 15.
TRAITÉ I, LlYRE III, N. XIV, XV. 437
tiirbulens que donnent les soins du monde , ou qu une dévotion
inquiète etrmal réglée peut inspirer.
Nos nouveaux docteurs posent encore un autre fondement, et xiv.
. ^ . Comment
celui-ci est le prmcipal, qu'il n'y a rien à vouloir m a désirer que ns abusent
de celte
la volonté de Dieu, et qu'ainsi toute autre demande est superflue, demande:
" Votre
Nous avons déjà répondu que Jésus-Christ savoit bien la force de ™ionté
soilfaile.o
cette demande : « Votre volonté soit faite. » Il devoit donc sup-
primer les autres demandes; et s'il les juge nécessaires, il ne faut
pas être plus sage que lui.
C'en seroitî assez pour convaincre l'erreur; mais pour en con-
noître toute l'étendue , il faut développer un peu davantage ce
qu'on entend dans le quiétisme par se conformer à la volonté de
Dieu : c'est, en im mot, être indifférent à être sauvé ou damné ;
ce qui emporte une entière indifférence à être en grâce ou n'y
être pas,' agréable à Dieu ou haï de lui, avoir pour lui de l'amour
ou en être privé dans le temps et dans l'éternité par une entière
soustraction de ses dons.
Ces sentimens font horreur, et ceux qui ne sauront pas les pré-
tentions des mystiques d'aujourd'hui, auront de la peine à croire
qu'ils aillent jusqu'à ces excès ; mais il n'y a rien pourtant de si
véritable.
C'est ici qu'il faut expliciuer cet abandon « qui est, dit-on, ce ^^■
qu'il V a de conséquence dans toute la voye, et la clef de tout l'in- J'^s °»"-
veaux mys-
térieur '. » Qu'on retienne bien ces paroles : il faut se rendre at- "l'-es:
prodige
tentif à cet endroit de la doctrine nouvelle, dont on voit que c'est diadiffé-
ici le nœud principal. L'abandon, selon qu'il est révélé dans ces
paroles de saint Pierre ^ : « Jetez en hii toute votre sollicitude, »
tous vos soins, toutes vos espérances, et dans cent autres sembla-
bles, est d'obligation pour tous les fidèles : il faut donc que nos
prétendus parfaits, qui veulent nous expliquer des voies particu-
lières, entendent aussi dans l'abandon, qui en fait le fond, quelque
chose de particulier. Or jeter en Dieu tous ses soins, et s'aban-
donner à lui, selon ce que dit saint Pierre, c'est vouloir tout ce
qu'il veut ; par conséquent vouloir son salut, parce qu'il veut que
nous le voulions ;'^en prendre soin, parce qu'il veut que nous pre-
1 Moyen cou>-t, p. 26. — 2 I Petr., \, 7.
438 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON,
nions ce soin ; lui demander pour cela tout ce qui nous est néces-
saire; c'est-à-dire la continuation de ses grâces et notre persévé-
rance ; croire avec une ferme et \\ye foi que notre salut est rœu\Te
de Dieu plus que la nôtre ; dans cette foi, en attendre TelTet et les
grâces qui y conduisent, de sa pure libéralité, et lui demander
ses dons qui font nos mérites : voilà jusqu'oii l'abandon se doit
porter selon les communes obligations. 11 n'y a rien au delà pour
composer un état et une oraison extraordinaire , que l'abandon à
être damné, dont nous avons déjà vu un petit essai dans l'indiffé-
rence de Molinos et de Malaval ; mais dont nous allons voir le plus
grand excès dans Yliitcrpi'ctation fin Cnntifpio : « L'ame arrivée
à ce degré entre dans les interests de la divine justice, et à son
égard et à celuy des autres , d'ime telle sorte qu'elle ne pouvoit
vouloir autre cliose, soit pour elle ou [lour aulrt* quelconipie, que
cebiy (pie cette divine justice luy vouloit doimcr pour le temps et
pour rétemité '. » Voilà dans cette ame prétendue parfaite une
indifférence inouïe parmi les saints : « Dieu veut que tous les
hommes soient sauvés * : » celle-ci ni ne veut ni ne peut avoir
cette volonté. Une des interprétations de ce passage de saint Paul,
c'est que Dieu inspire à tous les justes la volonté du salut de tous
les hommes. Celle-ci se met au-dessus de cette inspiration, et
aussi indifférente pour les autres que pour elle-même, quoiqu'elle
fut, dit-elle, a toute preste d'estre anathéme pour ses frères, comme
saint l'aul, et qu'elle ne travaille à autre chose qu'à leur salut,
elle est néanmoins indirPerente pour le succès, et elle ne pourroit
estre affligée ni de sa propre perte, ni de celle d'aucune créature
regardée du costé de la justice de Dieu \ » Ce correctif est bien
foible, puisque l'abandon où cette ame vient de déclarer qu'elle
se trouvoit, l'empêche de regarder les autres âmes, non plus
qu'elle-même, d'un autre côté que de celui de la volonté et de la
justice de Dieu. Les excès énormes oii se jettent ces esprits outrés,
les ol)ligent de temps en temps à de petits correctifs, qui ne disent
rien dans le fond, et qui ne servent (ju'à faire sentir qu'en voyant
l'inévitable censure de leurs sentiraens, ils ont voulu se préparer
> Inlerpr. du Cant., cb. Vlll, vers. 14, p. 20(i.— - I Jimoth., n , 4. — ^ Inlerj»-.
(lu Cant., cb. vim, vers. U, p. 206.
TRAITÉ I, LIVRE III, N. XVI. 439
quelque échappatoire ; mais en vain , puisqu après tout , disent-
ils, « l'indifférence est si grande, que l'ame ne peut pencher ni
du costé de la jouissance, ni du costé de la privation ; et quoyque
son amour soit incomparablement plus fort qu'il n'a jamais esté,
elle ne peut néanmoins désirer le paradis \ » ni pour elle, ni pour
aucun autre, comme on a vu ; et la raison qu'on en apporte, c'est
que « l'effet le plus profond de F anéantissement doit estre l'indif-
férence pour le succès » de tout ce qu'on fait pour son salut et
pour celui du prochain. Saint Paul, dont on allègue l'exemple ,
ne fut jamais anéanti de cette sorte. Pendant qu'il se dévoue pour
être anathème, il déclare qu'il est saisi « d'une tristesse profonde, »
et ressent « une contiimelle et violente douleur ; d^iw!, pour le salut
de ses frères les Israélites -. » Celle-ci le pousse plus loin que cet
Apôtre , et « ne peut estre affligée ni de sa propre perte , ni de
celle d'aucune autre créature. » Yoilà une nouvelle générosité de
ces âmes si étrangement désintéressées; la perfection de saint
Paul ne leur suffit pas, il leur faut faire un autre évangile.
La même doctrine est établie dans le Moyen court, et la diffé- xvi.
rence qui se trouve entre ces deux livres, c'est que le Cantique vmmé-
rtîiicc sous
va plus par saillies, et que l'autre va phis par principes. C'est prétexte
'11 7 '7 • de la vo-
pourauoi am^ès avoh' supposé l'idée générale du délaissement umté d«
total, on en vient à l'application par ces paroles : « Il faut ne
vouloir que ce que Dieu a voulu dès son éternité ^ » Yoilà sous
une expression spécieuse d'étranges sentimens cachés. Dieu a
voulu de toute éternité priver les réprouvés de lui-même, et ne
leur pardonner jamais ; ce qui est le plus malheureux, et aussi le
plus juste effet de leur damnation. Au lieu donc de demander
pardon pour eux, ou de le demander pour soi-même, dans l'igno-
rance où l'on est du secret de Dieu, il faut supprimer ces demandes,
à moins de se mettre au hasard de vouloir autre chose que ce que
Dieu veut de toute éternité : d'où aussi l'on est forcé de conclure
« qu'il faut estre indiffèrent à toutes choses, soit pom* le corps,
soit pour l'ame , pour les biens temporels et éternels , laisser le
passé dans l'oubli, l'avenir à la providence, donner le présent
t Mei-p. (lu Cant., ch, viii, vers. 14 , p. 200. — - lloin., i\, 2.-3 § De l'a-
handoii, p. 2S.
UO INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
à Dieu; » c'est-à-dire, pour le passé et poui* l'avenir, se mettre
dans la disposition la plus opposée au soin que Dieu nous com-
mande d'avoir de notre salut, au souvenir de nos pécliés pour lui
en demander pardon, à la prévoyance des périls et à la demande
des g-races. Voilîi où l'on en vouloit enfin venir par ces mots spé-
cieux de délaissement et à' abandon, et par tout ce bel appai'cil où
l'on semljle n'avoir d'autre but que de se li\Ter soi-même à la vo-
lonté divine.
oiiènc"io. C'est donc ici que Ton tombe manifestement dans ce dérégle-
fJ""u'"Ju, ment étnmge, et si justement reproché aux nouveaux mystiques,
^<^n"\\. ^^ ^^^ ^^s prétexte de s'abandonner aux volontés incomiues do
de" ToLn- Dieu, de mépriser celles qu'il nous a révélées dans ses comman-
'Vur'i'."-' démens pour en faire notre règle. La volonté que Dieu nous dé-
Di!Ju no cl^*i'c par SCS saints conunandeinens, c'est qu'il veut que nous dé-
iiundt tu- sirions notre Sidut; que nous lui demandions ses grâces, cl (]ue
nous craii^'-nions plus (pu* toutes choses d'en mériter la soustrac-
tion par nos péchés; (juc nous en demandions tous les jours pai'-
don à Dieu, et le priions (juil nous fa-sse vaincre les tentations (jui
nous y portent. Voilà ce que Dieu commande, et à quoi les nou-
veaux mysticpics ne peuvent plus seulement songer ;au contraire
ils font sur les volontés inconnues de Dieu des actes (pi'il ne leur
demande j as, comme sur l'-ui- réprobation et celle des autres : il
est certain, et il faudra peut-être bientôt démontrer plus ample-
ment, que Dieu ne commande à ses créatures aucun acte de leur
volonté sur ce sujet : de sorte qu'il n'y a rien de moins conforme
à la volonté de Dieu que cet abimdon à sa damnation éternelle, et
ce tranquille consentement à celle des autres.
Cette barbare indillerence emporte une plus funeste disposition
que celle des libertins, qui se contentent de dire en leur cœur :
Dieu a décidé de mon sort ; je n'ai qu'à demeurer sans rien faire,
et attendre la suite de ma destinée : mais ceux-ci y ajoutent encore :
Je ne m'en mets point en peine, et je tiens pour indifférent d'être
sauvé ou damné. On déteste l'impiété d'mi Prodifjue et des autres
qui rejetoient la prière, sous prétexte que Dieu sait de touffe éter-
nité ce cpi'il nous faut et ce qu'il a résolu de nous donner. Ces
impies ne songeoient pas que ce n'est point pour instruire Dieu
TRAITÉ I, LIVRE III, N. XYIII. 441
que nous lui offrons des prières ; mais pour nous mettre nous-
mêmes dans les bonnes dispositions où nous devons être envers
lui. On ramène le mauvais effet de cette doctrine sous prétexte de
perfection, puisqu'on envient à la suppression de la prière, et
qu'on cesse d'honorer Dieu par les demandes qu'il a daigné lui-
même nous mettre à la bouche.
C'est une suite de cette doctrine que ni l'Oraison Dominicale, ni ^^J'";
les Psaum.es qui sont remplis de tant de demandes, ne sont pas ^l.'^u"^^'
les oraisons des parfaits. Sur cela il faut écouter le Père François p^"^";]'
la Combe dans son livre intitulé : Anahjsis orationis : et encore d'„'|,'iXai
qu"il n'ait osé déclarer une erreur si insupportable qu'avec quelque "pouffei
sorte de détour, son sentiment ne paroîtra point oljscur à ceux a'o'"ctt'o
qui sauront entendre toute la finesse de ses trois espèces d'oraison ifcoTb!
mentale : Celle de méditation ou de discours ; celle d'affection, et
celle de contemplation *. La distinction est commune ; mais cet
auteiu" y ajoute deux choses ^ : « l'une, qu'il est certain qu'on doit
quitter la méditation ou le discours dans l'oraison d'affection, et
qu'il faut aussi s'abstenir des affections lorsque l'oraison de silence
ou de quiétude ( qui est celle qu'il appelle aussi contemplation )
nous est commandée; ce que l'on comioît, poursuit-il, par des
règles sûres et très- excellentes, que les bons directeurs savent
discerner : » et il confirme sa proposition par cette sentence : « que
celui qui a la fin quitte les moyens ; que celui qui est au terme
quitte le chemin ; que celui qui demeure toujours dans les moyens
et veut toujours être dans la voie, n'arrivera jamais ; » c'est-à-dire
selon ses maximes qu'il faut quitter la méditation et les affections,
qui sont les moyens et la voie, aussitôt qu'on est parvenu à la
contemplation qui est la fin et le terme.
Mais l'autre chose qu'ajoute le Père la Combe, c'est que « les
Psaumes, les lamentations des prophètes, les plaintes des pénitens,
les joies des saints , toutes les hymnes de l'Eglise et toutes ses
oraisons , principalement l'oraison divine que Jésus-Christ nous a
enseignée, avec sa préface où nous adorons Dieu dans les cieux
comme notre Père, et ses sept demandes, appartiennent à l'orai-
son d'affection ^ ; » par conséquent aux moyens qu'il faut laisser,
1 Anal, orat., ci, p. 18. — - Ibid., c. x, p. 33. — ^ Ibid , c. tv, p. 2j, 2(i.
i42 INSTRUCTION SUR LES ETATS D'ORAISON.
au chemin qu'il faut quitter, lorsqu'on est dans la quiétude ; et
enfin à cette oraison qui doit céder la place à une meilleure.
Il confirme cette doctrine en répétant que l'Oraison Dominicale
est entièrement aspirative \ c'est-à-dire qu'elle appartient à
l'afTection : d'où il conclut « (]u'encore qu'elle semble contenir
toute la plénitude de la perfection, elle élève ceux qui se la ren-
dent familière à un état plus haut : » où il abuse d'mi passage de
Cassien, que nous examinerons ailleurs ; et quoi qu'il en soit , il
est constant selon lui, que les Psaumes et le Pater appartiennent
à un genre d'oraison inférieure à celle des parfaits.
XIX. Et en effet comment ajuster nulle demande avec sept demandes
lo^s'enire exprcsscs ; nul acte distinct avec cent actes distincts, sans lesquels
dcs"no"u" on ne peut dire les Psaumes; nulle affection, nul désir, avec ces
iiqi"«',""ei perpétuelles affections et désirs, dont sont pleins ces divins can-
psîumiV tiques : enfin nul soin de s'exciter soi-même à produire des actes
fuschri-i. et des désirs, avec ces continuelles excitations, où David se dit
à lui-même : « Mon ame, l)énissez le Seigneur ; encore un coup.
Bénissez le Seigneur : mon ame, louez le Seigneur : Seignem', je
vous aimerai, élevez-vous, ma langue : Elevez- vous, ma lyre et ma
guitare : Je chanterai au Seigneur tant que je serai en vie = : » et
le reste (]u'on ne peut citer sans transcrire tous les versets des
Psaumes ?
XX. On a vu en plusieurs mains une défense du Moyen court de son
Autre doc- , \ -t , i- , ii • i ii
irine sur autcur mcmc, OU il est dit «que les plus résignez ne s exemptent
Iti Pdtcï".
jamais de dire le Pater, » dont on rend cette raison ; « car quoycpie
l'on sçache que l'on puisse en cette vie acquérir l'entière résigna-
tion, nul ne présume de l'avoir : » et l'on en infère cette consé-
quence : « (Concluons donc que l'on peut acquérir la parfaite rési-
gnation; mais (pie cette acquisition estant ignorée presque toujours
de celuy (jui la possède, n'est pas une exclusion de dire le Pater. »
Cette réponse contient une erreur insuppor taille avec une illusion
manifeste. L'erreur est que la parfaite résignation soit incompa-
liltle avec les demandes du Pater, et l'illusion de faire croire au
lecteur qu'on ne sait pas cpiand on a atteint cette parfaite résigna-
tion. Car lors(]u'on supprime jusqu'au moindre petit mouvement
« Anal. orut.. c. vi , p. :j.j. — « Psal. en, \, 2; xvii, 2 ; lyi, 9 ; CXLV, 2.
s les
est
onnu à
TRAITÉ I, LIVRE III, N. XXI. 443
de demande ou de désir qu'on aperçoit dans son cœur : ou l'on
sait que Ton est dans ce haut état de résignation prétendue , ou
l'on ne le sait pas : si on le sait , c'est une illusion de dire qu'on
n'en sait rien ; et si on ne le sait pas, c'est une autre illusion bien
plus dangereuse de se dispenser de l'observance d'un comman-
dement exprès, sans savoir si on est dans le cas où l'on prétend
que ce précepte n'oblige plus : quoi qu'il en soit, on voit assez
que tout le système, tout l'esprit du livre, tous les principes et
tous les raisonnemens de la nou^s^elle mystique, conspirent à la
<^essation de toute demande , même de celles qui sont les plus
pures et les plus expressément contenues dans l'Oraison Domi-
nicale.
Il ne reste qu'une défaite aux nouveaux mystiques, c'est de ^^^-^^
dire qu'ils font toutes les demandes et tous les actes commandés pf ''="'^"
1 acle emi-
dans un seul acte èminenl qui comprend les autres * , comme on "™' i"'
J^ i ' dispense
l'a VU exprimé et si souvent répété par Malaval. Qu'on me défi- f|;j|."^^
nisse cet acte ; où le trouvera-t-on ? Dans quel endroit de l'Ecri- jl^,
ture ? Est-ce l'acte de charité ? Mais cet acte est commun à tous ^^^^"^
les justes, qui pourtant ne prétendent pas être exempts de tous
les autres actes. Saint Paul a compté trois choses ou trois vertus
principales, «la foi, l'espérance et la charité ^, » cfiii ont cha-
cune leur acte distinct : et si l'on veut ne faire qu'un acte de ces
trois actes et de tous les autres qui en dépendent, à cause qu'ils
se rapportent à la charité, ou à cause qu'elle les anime, ou à
cause qu'elle les commande, selon cette parole de saint Paul:
« La charité croit tout, elle espère tout, elle soutient tout'; »
cela est encore commun à tous les états. Enfin de quelque manière
que l'on définisse ce prétendu acte éminent , ou abandon , ou in-
différence, ou présence fixe de Dieu, ou comme on voudra, cet
acte, s'il est véritable, am'a été connu de Jésus- Christ; et cepen-
dant il n'en a pas moins commandé les autres à tout le monde
indifféremment.
Il a bien su que la charité en un certain sens comprenoit toutes
les vertus ; qu'elle poussoit tous les bons désirs ; qu'elle excitoit
toutes les demandes : il n'en a pas moins pour cela commandé
* Moyp.n court , p. iïi, 04. — i I Cor., xiil, 13. — ^ Ibid., 7.
444 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
tous les exercices particuliers pour être faits au temps conve-
nable. Il a bien su ce que vouloit dire : Fiat voluntas tua; et si
quelfjuun osoit demander pourcjiioi donc il a ordonné les autres
demandes, que celle-là en un certain sens contenoit toutes, on
pourroit dire à ce téméraire demandeur : « 0 homme, qui ètes-
vous pour disputer avec Dieu '? » Mais sans lui fermer la bouche
avec une autoi'ité si alisolue, disons-lui que vouloir supprimer
les actes cpie la charité contient en vertu d'une certaine ma-
nière, ou les demandes sous prétexte tpi'elles semblent renfermées
dans une seule, c'est de même que si Ton disoit qu'il ne faut
point développer dans un arbre les branches, les feuilles et les
fruits, sous prétexte que la racine ou le pépin même les con-
tiendra ru vertu. C'est au contraire dans le développement que
consiste non-seuleinent la beaut»' et la perfection, mais encore
l'être de l'iu'bre : et pour aller juscju'au fond , il est aisé de com-
prendre que ce n'est pas pour instruire Dieu (pie nous lui faisons
nos demandes, car il sait tout ce qu'il faut, je ne dirai pas avant
que nous lui parlions, mai^ avant (pie nous poussions le premier
désir ; ni pour le pei-su.uler on TeMionvoir , comme on l'ait nu
homme; ni pom- lui faire chanprer ses décrets, puis(|n'on sait
qu'ils sont innnuables, mais pour faire ce que demandent nos
devoirs. De cette sorte , il faut croire d'une ferme foi que .Jésus-
Christ, qui sait ce qui nous est propre, a vu (lu'il étoit conve-
nable et nécessaire à l'homme de développer tous ses actes, et de
former toutes ses demandes poiu* entrer dans la dépendance où
l'on doit être envers Dieu; pour exercer les vertus et les mettre
au Jour, pcMU* s'y adermir, pour se rendre attentifs à ses besoins
et aux jj^races qui sont nécessaires : en un mot pour exercer da-
vantage, et par là mieux conserver , ou même accroître et for-
tifier la charité même. Ceux qui en veulent savoir davantage, ou
(pii recherchent des sublimités exorbitantes, sans preuve, sans
temoigna.Lre, sans exemple, sans autorité , ne savent ce (pi'ils de-
mandent, et il n'y a plus (pi'à Inir ri'pnmlro , avec Salomon,
selon leur folie *, c'est-à-dire à condanmer leur erreur.
* ftow., IX , 20. — * Prof., XXVI, y.
TRAITÉ I, LIVRE lY, N. I. 445
LIVRE IV.
Où il est traité i^lus à fond de la conformité à la volonté de Dieu.
On demande en théologie si tous les fidèles peuvent et doivent i.
demander à Dieu ces grandes grâces qui sont suivies de l'effet, 'à"nZitr
et surtout ce don spécial de persévérance qui n'est donné qu'aux "so^umen'î"
élus ' ; et tous répondent unanimement qu'on doit demander tous 'îes'pTu''
ces dons, sans entrer dans la question si Dieu a résolu de toute
éternité de les accorder ou non. La raison est en premier lieu
qu'il est de la foi que Dieu veut dormer tous ces dons, et même ce
grand don de persévérance à ceux qui l'en prient de la manière
dont il veut être prié ; d'où il s'ensuit qu'il l'en faut prier de tout
son pouvoir. Secondement, on est obligé de demander à Dieu
son royaume céleste, et par conséquent ce qui y conduit. En troi-
sième lieu on est obligé de s"aimer soi-même conformément à ce
précepte : « Vous aimerez votre prochain comme vous-même - ; »
selon lequel il est clair qu'on ne peut aimer son prochain sans
s'aimer soi-même auparavant ; mais on ne s'aime pas soi-même
comme il faut, sans se procurer, du moins sans se désirer tous
les biens que Dieu a proposés- à notre foi. En quatrième lieu c'est
à nous une perfection et une vertu de faire cette demande ; et au
contraire ne la faire pas, c'est négiiger les moyens d'éviter le
péché, et entretenir dans nos cœurs une pernicieuse indifférence
à pécher ou ne pécher pas. Enfin en cinquième et dernier lieu,
tout le monde demem'e d'accord que la demande des grâces
qu'on nomme efficaces, et celle du don de persévérance, sont
clairement et formellement renfermées , non-seulement dans les
prières de l'Eglise, mais encore ( ce cpii est bien plus important )
dans les demandes du Pâte?', et en particulier dans ceUe-ci :
« Ne souffrez pas que nous succombions à la tentation, mais dé-
» Suar., de Reîig., lib. I, cap. xx , xxi. — 2 Marc, un, 33.
446 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON,
livrez-nous du mal ; » ce qui emporte une délivrance étemelle
du péché, et une victoire entière sur la tentation.
Par ces raisons les docteurs décident sans hésiter qu'on peut,
et par conséquent cpi'il y a obligation de demander à Dieu toutes
ces grâces , et en particulier le don spécial de persévérance . et
même de le demander absolument ; car on met cette différence
entre la demande des biens temporels et celle des éternels, que les
premiers nétant pas des biens absolus, on ne peut aussi les de-
mander absolument, mais seulement sous la condition de la vo-
lonté de Dieu ; au heu que les biens éternels étant les vrais biens
et absolument tels, il ny a point à hésiter à les demander abso-
lument à Dieu, et on ne peut sans lui lïiire injure les lui demander
avec la condition sil veut les donner, pai'ce qu'on ne peut pas
douter qu'il ne les veuiUe domier à ceux qui les lui demandent,
puisqu'il s'y est engagé par sa promesse.
Ainsi on ne peut douter de l'obligation ni de désirer, ni de de-
mander de si grands biens, et tous les moyens préparés de Dieu
pour nous y conduire, sans entrer dans la ([uestion de ce que
Dieu a voulu ou n'a pas voulu sur ce sujet par ses décrets éter-
nels, parce que comme raisonnent très- bien ces théologiens, et
entre autres Suarez, nous n'avons pas à examiner ce que Dieu a
voulu en cette sorte, mais ce qui nous convient et ce qu'il nous
ordomie de vouloir.
C'est aussi à quoi aboutit cette distinction de l'Ecole : Il y a une
lio^n'^rr volonté qu'on nomme de bon plaisir, par laquelle Dieu décide des
îîmùv.",K. événemens; et il y a une volonté qu'on appelles signifiée, par la-
boTpiu- quelle il nous commande ce qu'il veut de nous. Cette dernière
s.îy!,.r"n constannnent est la règle de notre vie, et il y a des occasions
f"irt": où nous ne pouvons ni ne devons regarder l'autre.
Et pour remonter à la source, il convient à Dieu comme cause
universeUe, absolue, première et toute-puissante, de vouloir des
choses qu'il ne convient pas aux hommes de vouloir. Saint Au-
gustin ', qui a établi doctement cette règle contre les pélagiens,
en a donné cet exemple, que Dieu peut ne vouloir pas empêcher
1 0/). impa-f., lib. 111, cap. xxii et ^oq. usqiie a<l xxvii ; cl lib. IV, c. xxxiv,
XXXVI.
deux
lonk
«ipiic
bo
sir, cl \'ii-
.IRC qu'iii
en duit
faire :
principes
il' sainl
Aiii:n<lin.
TRAITÉ I, LIVRE IV, N. III. 447
les crimes qu'il pourroit empêcher s'il vouloit;, au contraire il
veut les permettre^ et cependant il demeure très-bon; au lieu
que si l'homme agissoit ainsi, il ne pourroit être que très-mauvais.
De cette sorte , dit ce Père , Dieu veut des choses par une bonne
volonté que nous ne pouvons vouloir que par une volonté per-
verse ; et ainsi sans raisoimer sur ce qu'il veut ou ne veut pas en
lui-même , nous n'avons qu'à considérer ce qu'il veut que nous
voulions.
Toutes ces règles sont renversées par les fondemens dans l'a- m-
L'.iliaiidon
bandon et l'indifférence des nouveaux mystiques. Un des fonde- ■"'' "■-
•^ ^ Icndu des
mens des demandes qu'on doit faire pour soi et pour les autres, nouveaux
lÈiysliiiues,
et peut-être le principal , c'est l'amour que Dieu nous commande *'*' •■»"-
pour le prochain comme pour nous ; mais nos faux mystiques y '»"'« ces
renoncent, et ils ne s'en cachent pas, puisqu'ils parlent de cette
sorte : « Il faut que cette ame, laquelle par un mouvement de cha-
rité se vouloit tous les biens possibles par rapport à Dieu, s'oublie
entièrement de toute elle-mesme, pour ne plus penser qu'à son
bien-aimé '. » Remarquez que ce qu'elle oubhe ce n'est pas un
amour-propre, mais le mouvement de charité qu'elle av oit pour
elle-mesme par rapport à Dieu; c'est-à-dire qu'elle s'oublie du
second précepte de la charité, par lequel Dieu lui commandoit de
s'aimer soi-même avec le prochain, d'un même amour : elle re-
fuse au contraire d'exercer cet acte, et ne veut plus ni à soi-même,
ni au prochain tout le bien qu'elle lui vouloit par rapport à Dieu.
Si on lui demande qui l'a exemptée de ce commandement et où en
est écrite la dispense, et qu'elle réponde que c'est qu'eUe craint
de vouloir ce que Dieu ne veut pas, ou ce qu'elle ne sait pas que
Dieu veuille, nul ne le sait sur la terre et voilà mie raison géné-
rale de supprimer ce second précepte. Mais si elle dit que c'est
l'abondance de son amour envers Dieu qui l'empêche de s'aimer
soi-même et ses frères par rapport à lui, c'est précisément où est
l'erreur de croire qu'on s'en aime moins, et qu'on aime moins le
prochain en aimant Dieu davantage, puisqu'au contraire ce se-
cond amour étant une suite de celui qu'on a pour Dieu , nous le
praticpions d'autant plus que nous aimons Dieu plus fortement ;
1 Interpr. du Cant. des cant,, cli. ii, vers. 4, p. 44.
448 INSTRUCTION SUR LES ETATS D'ORAISON.
ainsi cette ame prétendue parfaite prend un vain prétexte de ne
plus exercer Tamour qu elle se doit à elle-même, en disant qu'elle
s'oublie de tout intcrest de salut et de perfection pour ne penser
qu'à Vinterest de Dieu : comme si Dieu avoit un autre intérêt
que celui de faire du bien à ceux qui Taiment, ou une autre
gloire plus grande que celle de se rendre admirable dans ses
saints.
On voit donc que cette manière de séparer nos intérêts d'avec
ceux de Dieu, poussée à l'extrémité où la poussent les faux mys-
tiques , éteint le second précepte de la charité. La même séche-
resse qu'ils ont pour eux-mêmes, ils l'ont aussi pour les autres :
et au lieu que Samuel ne cessoit de pleurer et de prier pour
Saûl, et que pour faire cesser ses gémisscmens il fallut que Dieu
révélât expressément au saint prophète la réprobation de ce mal-
heureux roi ' ; ceux ci au contraire suppriment d"t'nx-mêmes
leurs lamentations. Dieu nous tient ses décrets cachés, de peur
que nos prières ne discontinuent ; et comme dit saint Augustin *,
il n'y a que le diable et ses anges pour (]ui il ne soit plus permis
de prier, parce que leur sentence est déclarée , et leur éternel
endurcissement révélé : par où l'on voit en quel rang nos mys-
tiques se mettent eux-mêmes, et tous ceux pour qui ils déclarent
qu'ils ne peuvent plus faire aucune demande.
IV. Il est vrai qu'en nous tenant le sort des réprouvés si caché,
cCiTn' Dieu, dont les jugemens sont toujours justes, n'a pas laissé de
dlicsiâb". révéler qu'il ne donne pas à tout le monde le don de persévé-
lirTT rance , ni la gloire éternelle qu'il y a attacliée. A ceux-là il est
quoiqi'io certain (pi'il a voulu et destiné par sa justice la soustraction de
ses dons , de son amour et de tout lui-même, comme une juste
peine de leur défection volontaire, conformément à cette règle de
justice expressément déclarée dans l'Evangile : Il sera do?mé à
celui qui a : la gloire sera donnée à celui qui a la grâce ; la cou-
ronne de justice sera donnée à celui qui a les mérites : inais pour
celui qui n'a pas (la grâce et la charité), même ce qu'il a (ces
petits restes de grâce et de justice qui demeurent dans les plus
médians ) lui sera ùté, et par cette soustraction, il sera jeté dans
U Rey., XVI, 1. - 2Z)e Civit. Dci, lib. XXI , cap. xxiv.
TRAITÉ 1, LIVRE IV, N. V. 449
les ténèbres du dehors ^ : c'est-à-dire séparé de Dieu et livré à lui-
même. Tel sera donc le sort de ces malheureux, et nul ne sait en
cette vie s'il est digne d'amour ou de haine -. Mais Dieu n'exige
des hommes aucmi consentement à leur perte, quoique justement
résolue par un irrévocahle décret; au contraire il nous défend
expressément d'exercer sur ce sujet-là aucim acte de volonté,
parce que cet acte est de ceux qui ne conviendroient pas à notre
nature. Il ne conviendroit , dis-je, pas avec l'horrem" que nous
devons avoir de l'état où l'on est pri^é de Dieu ; et ce seroit dimi-
nuer cette horreur, et pour ainsi dire nous apprivoiser et nous
familiariser avec un si grand mal, que de nous permettre d'y
consentir ; ce seroit nous rendre cruels et envers nous et envers
les autres , et nourrir dans les cœm^s chrétiens la sécheresse et
l'inhumanité. Mais nos mystiques méprisent ces règles invariables
de la sagesse divine, et nous avons ouï de leur bouche cette éton-
nante parole : « Elle entre ( cette ame prétendue parfaite ) dans
les interests de la justice de Dieu, consentant de tout son cœur à
tout ce qu'elle fera d'elle, soit pour le temps, soit pour l'éternité ^; »
sans songer que ce que Dieu veut faire des réprouvés par sa jus-
tice, c'est de les priver de lui-même, de ses grâces, de son amom%
de tout bien ; à quoi une ame pieuse ne peut jamais consentir,
tant à eau- e des maux que contient cette privation qu'à cause
de ceux qu'elle attire, comme sont la haine de Dieu, le déses-
poir et pom- tout dire en un mot, l'endurcissement dans le
péché.
Il arrive aussi de là que ces âmes prétendues parfaites, mais ^'■
Que l'cx-
qui déclarent l'extinction de leur charité par les dispositions qu'on "«sif
•^ abandon
vient de voir, perdent peu à peu l'horreur du péché que la piété ^e, nou-
Teaux mys-
mspire à toute ame juste : car dans ces fausses sublimités , pre- «'a"«s di-
.^ ' riiinue en
mierement nous a^ons vu quon ne demande point pardon à Dieu, <=^^ l'hor-
puisqu on ne lui demande rien du tout : secondement qu on n y réché.
laisse aucun lieu à la componction. De telles âmes en approchant
du confessionnal, « au lieu du regret et d'un acte de contrition
qu'elles avoient accoutumé de faire^ » n'ont plus, à ce qu'elles
disent , « qu'im amour doux et tranquille qui s'empare de leur
1 Madh., \Uï, 12, e[xxv,2'),-6Q.— ^Ecck\,ix, L — ^hlterp|■ét.duC(mt.,u,l^.U.
TOM. xvm. 29
450 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
cœur, * ; » et toute la vivacité de la componction, avec les douces
larmes de la pénitence, demeure à jamais éteinte.
Il est étrange qu'on ose faire ici une règle pour tout un état de
cette cessation de la contrition. C'est une doctrine connnune, que
les péchés véniels , même hors de la confession , peuvent être
effacés par un acte d'amour. Je ne veux pas entrer dans la ques-
tion si et comment un acte d'amour sans regret de chaque péché,
ou du péché , si l'on veut , en général, peut concourir ou suffire
selon ses diverses circonstances à la justification du pécheur : ce
que je condamne sans hésiter avec tous les saints docteurs, c'est
de voulr.ir être ainsi par état ; d'exclure, dis-je, par état l'acte de
contrition de ses péchés ; et non-seulement de le supprimer quand
il se présente, mais encore faire profession de ne s'y exciter jamais :
car avec ces exclusions et ces suppressions, l'acte d'amour qu'on
croit avoir n'est qu'imaginaire. C'est pourtant où l'on veut mener
les âmes par ces prétendus états d'oraison ; on y blâme en géné-
ral «ceux (jui veulent se retirer de là (de ce doux et tranquille
amour) pour faire un acte de contrition, parce qu'ils ont oïiy dire
que cela est nécessaire et il est vrai *. » Ou a bien peur que ces
âmes ne se portent à la contrition. S'il est vrai qu'elle soit néces-
saire et qu'on le reconnoisse de bonne foi, falloit-il blâmer, comme
sortant de leur état, ceux qui forment un acte de contrition , ni
leur dire «qu'ils perdent la véritable contrition, qui est cet amour
infus infiniment i)lus grand que ce fpi'ils pourroiciit faire par cnx-
mcsmcs?» Tout ce discours est plein d'erreur: car preiiiièreiiieiit
s'ils sont vraiment chrétiens, loin (]o prétendre lien faire jk/?'
nix-mcsmcs , ils croient qiie sans Jésus-Christ on ne peut rien :
secondement si par acte infus ils entendent cette infusion extraor-
dinaire et passive dont nous parlerons en son lieu, il est faux que
cet acte-là soit la véritable coniritioii, à l'exclusion de celui ([ui
est répandu d'une autre ?ôrte dans les co'urs ; et ûuix encore que
cet acte d'iunour infus exclue la contrition, comme s'il étoit in-
compatible avec elle : au contraire on sait que l'acte de contrition
peut être infus comme tous les autres. C'est d'ailleurs un [irodigc
inouï dans la théologie de dire que la contrition déroge à l'amour :
« (il/oj/en court, p. 20, 63. — * Ibid., p. G3.
TRAITÉ I, LIVRE IV, .\. VI. 4oI
et quand après pour exclure Tacte de conîrition de certains états
d'oraison, l'on ajoute qu'en ces « états on a un acte éminent qui
comprend les autres avec plus de perfection, cpioyqu'on n'ait pas
ceux-cy comme distincts et multipliez ' : » nous avons vu que c'est
mi prétexte pour détruire la pluralité des actes expressément et
distinctement commandés , sous couleur r/'un acte éminrnt qu"on
ne trouve nulle part, ni dans l'Ecriture, ni dans les saints Pères,
comme il a été démontré 2.
Pour supprimer la contrition on a un dernier recom's à l'ex- vi.
cellence de l'opération divine, « et l'on dit que c'est haïr le péché Teau'xmys-
. ^ tiques pro-
comme Dienle hait, de le haïr de cette sorte » (sans en être con- posent une
, , . r\ 1 nouvelle
tnt ni atfhge) ; a quoi on ajoute cette autre sentence : « Que c est et superbe
. , . manière
1 amour le plus pur que celui cpie Dieu opère en 1 ame : » mais de ha.r le
tout cela est faux encore dans toutes ses parties. Car pour com-
mencer par la dernière, où l'on défmit l'amour le plus pur celui
que Dieu opère en l'ame ; on a déjà \ti qu'il n'y a point d'amom*
que Dieu n'opère dans l'ame ; et celui qu'il y opère par cette infu-
sion qu'on nomme passive, n'est pas plus pm^ que les autres ni
plus parfait, parce que sa pureté et sa perfection dépend de son
objets et non pas de la manière dont il est produit, comme il sera
plus amplement démontré ailleurs. Quant à cette superbe sentence
où l'on assure qu'il est plus parfait de haïr le péché sans s'en
affliger et sans en être contrit, parce que c'est le hau- comme Dieu
le hait Iwj-mesme , ce sont là de spécieuses paroles, mais dont la '
signification est pernicieuse , et l'on y recoimoît ces âmes qui ne ' ''
conçoivent la perfection qu'en la poussant sans mesure au delà
du but. Car la créature doit haïr le péché, non pas comme Dieu,
qui n'en peut être ni affligé ni contrit, qui le permet pouvant
l'empêcher, et qui par son étemelle sagesse a mieux aimé en tu-er
du bien que d'empêcher qu'il ne fût. Il n'appartient pas àlacréa-
tm'e de haïr le péché en cette sorte. Dieu nous commande de le
haïr comme le doivent haïr des créatures pécheresses; c'est-à-dire
comme étant en elles le souverain mal le plus nuisible de tous' les
maux; ce qui n'est point à l'égard de Dieu, à qui ses ennemis ne
peuvent nuire ; et encore comme étant un mal qui est de leur
* Moyen courl, p. 64. -- 2 Ci-dessus, liv. III, cli. xxi. ' '
S'il eil
ïrii ,
l'oubli d
452 INSTRUCTION SUR LES ETATS DORAISON.
fond, cjui les teute et qui les attire, qui se forme en elles naturel-
lement depuis le péché originel, et qui les sépare de Dieu; contre
lequel aussi il nous est expressément connnandé de nous nuinir,
en disant, non pas toujours, mais en tout état et dans les temps
convenables : « Pardonnez-nous nos fautes, et ne nous induisez
pas en tentation. »
^■"- C'est encore un autre excès eiraleiucut cundainnulile de donner
CM p,l '->
1"" pom' règle générale, fjttc Votihli est mic marqua de la puriftca-
5on p.Jciio iIqji (Jq g(i faute ' ; cai' saint Pierre n'a i)as oublié son reniement,
est , coin- '
""■'•' >"^« qu'il a pleuré toute sa vie iusiiu à s'en caver les joues, si l'on en
"»""•'"' croit une sainte et pieuse tradition ; et saint Paul bien certaine-
myiliqucs, *
iiiid ui.r- lisent s'est souvenu avec douleur durant toute sa vie des persécu-
quf qu'il
'■'' p"- lions nu'il avoit faites à l'Eglise dans son ignorance. A son exemple
saint Augustin a pleuré dans son extrême vieillesse , et après
trente ans d'une vie si sainte, les péchés quil avoit commis avant
son baptême. David à (pii le prophète avoit amioncé la rémission
de son péché, ne laisse pas de demander à Dieu « (ju'il l'en lave
(îiicore davantage : » Anipliîis /ara itte^: lui et tous les saints ont
repassé leurs années dans l'amertume de leur aine, .l'accorderai
donc si l'on veut à ('assien, ou à (jnelque autre spirituel iuicien du
moderne, ijue (luelijuefois dans certains momens, et lorsijue l'a-
bondance i\{i^ miséricordes se fait sentir plus pleinement à une ame,
le grand calme où elle se trouve peut être ime marque que Dieu
a oublié son péché : mais de fiiire de cette marciue luie règle gé-
nérale et une chose d'étal perpétuel, c'(^st une erreur insuppor-
table cl mi manifeste aU'olblissemenl de l'horreur qu'on doit avoir
en tout étal pour le péché,
vm. (les parfaits passent |>ourtant encore plus avant, puisqu'ils ini-
xMindoc- puteni leurs péchés à Dieu, témoin celle qui dit sm' le (Jaiitiqiœ :
u'n luv- « Ne jugez pas de moy par la couleur brime que je porte au de-
leurs Ai- jiors, \ù \}AV uics défauts extérieurs, soit réels ou apparens ; car
imimici.ii cela ne vient pas comme aux âmes connncnçantes laute d amour
Dion : p.i«- . , , T • 1 • 1 1
S.I-.' .u- et de courage ; mais c est (]ue mon divin stdeil par ses regards
cdiiliiiuels, anlens et brùlans m'a décolorée, et c'est la force de
l'amour qui me sèche la peau et la brmiit'. » On ne sait ce que
» Moyrn court, p. 65. — « Psa!. L, 4. — ' Interi>rcl. du Cant., I, 5, p. l'J.
TRAITÉ I, LIVRE IV, N. VIlî. 'm
c'est que ces défauts qu'on attribue à Dieu et à ses regards, soit
quils soient réels ou apparens. On entend encore moins que ces
défauts ne soient des défauts que^o?/r les (unes qui commencent,
et n'en soient plus pour les âmes parfaites. « Cette noirceur, pour-
suit-on, est un avancement, et non pas un défaut ; mais un avan-
cement que vous ne devez pas considérer, vous qui estes encore
jeunes, parce que la noirceur que vous vous donneriez seroit un
défaut. Elle ne doit venir, pour estre bonne , que du soleil de jus-
tice. » Ce que c'est dans les âmes que cette noircem' et que ces dé-
fauts qui viennent du soleil de justice, c'est un mystère qui m'est
inconnu, et que l'Ecriture ni les Saints ne m'appremient pas :
nos défauts et notre noirceur viennent de nous-mêmes, et le con-
traire est impie.
Dans la suite l'amante fidèle prie l'Epoux d'ôter les petits re-
nards, qui « sont quantité de petits défauts, » qu'on veut appeler
petits, encore f[u'ils gastent la vigne, cjuils.la ravagent, qu'ils
en abattent la fleur et y fassent d'étranges ravages * . » On avoue
pourtant que ces défauts viennent du maître de la vigne , c'est-à-
dire de Dieu même : car on ajoute : « Que ferez-vous , pauvre
ame , pour abandonner cette vigne à laquelle vous estes attachée
sans le connoistre? Ali ! le maistre y mettra luy-mesme de petits
renards, c'est-à-dire ces défauts qui la ravagent, qui en abattent
les fleurs, » c'est-à-dire du moins les orneniens, et y font tout le
dégât cju'on vient de voir. Au lieu de s'humilier de ces défauts ,
on les impute à Dieu même , et on s'en fait un sujet de gloire.
Le saint homme Gerson, dans le savant livre qu'il a composé
de la Distinction des véritables visions d'avec les fausses, dit « qu'on
trouve de faux dévots , cjui se glorifient témérairement de leurs
défauts, de leurs négligences et de leurs nécessités (ou de leurs
foiblesses ) ; chose absurde à penser : mais il est vrai qu'ils s'en
glorifient de telle manière, qu'ils pensent que Dieu les permet,
comme dans saint Paul, de pem' que la grandeur des révélations
ou de leurs vertus ne les enfle. Quelle misère, poursuit-il, d'une
conscience arrogante, qui n'est ni humiliée, ni guérie de ses dé-
fauts, et loin de s'abaisser s'en ftiit un argument de son éléva-
^ Interprét. du Cunt., n , lo, 02.
maui
maitiDi!
5tir I
tiocti
4oi INSTRUCTION SUR LES ÉTATS DORAISON.
tion ' ! » Celles-ci poussent encore la chose plus loin, puisqu'elles
disent qu'il a fallu pour les détacher d'elles-mêmes, non-seule-
ment que Dieu permît, mais qu'il mit en elles ces défauts.
Su"' de, ^^^*^ encore une autre maxime tpii tend à étehidi'e l'horreui" du
»^«» péclié, de dire que la perfection consiste à ne s'en plus souvenir,
'j^^- sous prétexte qu'on est arrivé à un degré où le ntciUeur est d'ou-
'oBcCi ^''^' ^^ ^"' ''^'^"^ concerne, pour ne se souvenir que de Dieu *.
Quoi donc, c'est oublier Dieu que d'être affligé de son péché pom-
l'amour de lui? Faut-il, pour (luhlicr ce qui nous concerne, ne
songer phis que le péché souille notre conscience, nous rend
odieux à Dieu , nous en sépare? Où prend -on ces rafTmemens, et
pom'quoi par tant d'ailifices afl'oiblir l'esprit de componction ?
Cepcuflaiit sur ces fondemens on «umonce aiLX âmes qui tàcheni
de s'iillliger de leurs [léchés duns h- confessionnnl , qu'elles s'en
tiennent à leurs simples occupations* -j c'esl-tHlire que la sinq)licité
se jie.rd par la componction. On dit <U' même à l'é.u^ud de la com-
munion, (jut^ les âmes de ce degré laissent agir Dieu, et qu'elles
' demeurent en siJcnce. On a déjà entendu ce que c'est que ce 5/-
knce et ce laisser agir ;c'esi-ii-dm^ demeuier perpétueflement et
piU" état sans s'émouvoir ;\ la contrition, ni à aucim acte de
piété, ('/est la seule pré[)aralioii <]u'on leur })ernu't avec cette im-
périeuse décision : Qu'elles se don/rçnt liien de garde de chenher
d'autre disposition , quelle qu'elle soit, que h-ur simjde repos
■ ' (dans l'entière cessation de tous les acle.s) ^ dette loi s'étend à
tout, à la confession, à la ro/naïuftion, à l'actio/i de- grâces; eH'
tout cela, leur dit-on, // n'f/ a rien à faire qu'à se laisser remjdh'
de celte effusion divine , sans januiis .s'aider à bien faire. Voilà
toutes les leçons que l'on donne aux âmes dans ce degré d'oraison,
(lui n'est pourtant encore que le seroml. A (pu>lle cessiition de toute
coniponclion, de tout désir et en mi mot de tout acte, ne viendra-
t-on pas dans la suite?
On a pouit<mt rcs.senti que ces hardies déterminations feroient
de la iteine au lecteur, et on lâche de l'amuser par cette restric-
tion : «« Je n'entends pas parler des préparations nécessaires pour
1 D<? Jù/. ver. vil. à ffifxis , § Trrtiuut igitur si/jjium, tnin. I, cul. .".ij. —
î Moijen court, p. 03. — » làkl., l». OG. — * IbiJ., ch. XM, [>. o7.
Miiuvaii
TRAITÉ I, LIVRE IV, N. X, XI. 455
les sacremens ; mais de la plus parfaite disposition intérieure dans
laquelle on puisse les recevoii', qui est celle que je viens de dire ' . »
On n'entend rien dans ce discours ; quand on est dans la plus
•parfaite disposition intérieure , à plus forte raison doit-on avoir
les préparations nécessaires : ainsi cette restriction apparente n'est
dans le fond qu'un amusement ; et on laisse pour assm^é que ni la
confession, ni la communion, ni l'action de grâces, ni aucmi
exercic? clu^étien ne demande ni componction de cœur , ni aucun
effort quel qu'il soit pour s'élever à Dieu.
La règle de nos mysticpies pour comioître la volonté de Dieu,
ne peut pas être soufferte, puisqu'elle oblige à se « convaincre ^"^^Àe^
fortement que tout ce qui nous arrive de moment en moment est ,"js"ùques
ordre et volonté de Dieu, et tout ce cpi'il nous faut ^ » Si nous ""noiire'""'
poussons ces paroles dans toute leur étendue , le péché y sera cieT. '^
compris. On le trouve encore plus dans celles-ci, où l'on nous
oblige c( à nous contenter du moment actuel de Dieu , qui nous
apporte avec soy l'ordre éternel de Dieu sur nous ^ : » à la fin
pom-tant, après avoir si longtemps frappé le lecteur par des pro-
positions si miiverselles, on en ressent le mauvais effet, et on con-
clut en disant « qu'il ne faut rien attribuer à la créature de tout
ce qui nous arrive , mais regarder toutes choses en Dieu comme
venant infailliblement de sa main, à la réserve de nostre propre
péché *. » Je recevrois l'exception sans peine si elle étoit plus pré-
cise : mais que veut dire cette réserve de nostre propre péché?
Est-ce que le péché d'autrui peut être imputé à Dieu plutôt que le
nôtre propre ? Mais s'il faut excepter de l'abandon du moins notre
péché propre , il ne faut donc pas y demeurer indifférent jusqu'à
ne "souloir plus s'en affliger, ni en demander pardon , ou prier
dêtre déhvré de tous les maux qu'il attire en cetta vie et en
l'autre.
Pour soutenir ces excès et la suppression des demandes, il fal- xi.
, Vaines
loit changer la natm'e de la prière , et c'est a quoi se rapporte denmiion..
tout un chapitre dans le Moyen court, où d'abord on définit ainsi prière
la prière : « La prière n'est autre chose quime chaleur d amour exdureies
^^ucnm court, cli.xiii. p .'iT. — - JhliL, cli. vi . p. 26.— '^ IbicL, p. 29.—
456 INSTRUCTION SUR LES ETATS D'ORAISON.
qui fond et qui dissout l'ame, la subtilise et la fait monter jusqu'à
Dieu : à mesure qu'elle se fond elle rend son odeur, et cette odeur
vient de la charité qui la brûle ' . » Yoilà en passant comme ces
spirituels bannissent les images; tout en est plein dans leurs
livi'es, et il n y a pas une demi-page qui en soit exempte : mais
ce n'est pas de quoi il s'agit;, et il nous suffit de remartjuer que
dans cet amas de phrases, il n'y en a pas une seule où il soit parlé
de defnande. Yoici au même chapitre une autre définition : « La
prière est un état de sacrifice essentiel à la religion chrétienne^
par larpielle l'ame se laisse détruire et anéantir pour rendi'e
hommage à la souveraineté de Dieu -. » On ne voit non plus la
demande dans cette définition que dans la première, et vous diriez
qu'elle ne soit pas essentielle à la religion chrétienne. Nous pou-
vons donner pour troisième définition de la prière ce petit mot :
« L'anéantissement est la véritable prière '. » On ajoute mille
belles choses sur la gloire que la prièn; donne à Dieu, mais sans
songer seulement h l'humble demande, quoiqu'elle glorifie Dieu
d'imc manière si admirable. Enfin tout ce chapitre n'est fait que
pour montrer la prière sans demande, (le n'est pas ainsi que les
Saints ont traité cotte matière. Saint Jean de Damas a défini la
prière : « L'élévation de l'esprit à Dieu , ou la demande qu'on
fait à Dieu des choses convenables *. » Aucun docteur, excepté
ceux-ci, n'a expliqué la prière sans expliquer la demande^ et c'est
l'esprit de l'Evangile. .lésus-Christ snpplié par ses apôtres de leur
apprendre à prier, leur donne les sept demaudi-s du Pakr, pour
leur montrer combien la demande étoit de l'intention de la prière.
C'est pomvjuoi Tapùtre saint Paul, le plus divin interprète do l'E-
vangile, parle en cette sorte : « Ne vous inquiétez dt^ rien, mais
qu'en toute prière et supplication vos demandes paroissent devant
Dieu accompagnées d'actions de grâces ^ ; » ou, comme porte l'o-
riginal, d'une manière encore plus universelle : « Qu'en quelque
état où vous soyez vos demandes paroissent devant Dieu dans la
supplication et dans la prière : » ce qui décide en termes formels
que la demande est renfermée dans l'esprit et dans le dessein de
' Moijon court, ch XX, p. "3, 74. — - P. 7.'). — ' 1'. 77. — * Lih. I!l Or/IiofL
fiii., c. xxili. — » P/iil., IV, fi.
TRAITÉ I, LIVRE V, N. I, II. 457
la prière, et que l'exercice actuel en doit être très-fréquent en
quelque état qu'on se trouve, comme dit saint Paul.
Si la demande est au-dessous des nouveaux parfaits, Faction ^"•.
de grâces ne leur conviendra pas davantage , puisque ce sont ^I^^if.^f^t^
deux actes qui se répondent l'un à l'autre , et qu'après avoir ^''l^^^''^^
demandé, il est naturel qu'on rende grâces d'avoir oljtenu. Ce- """^'^"'^
pendant ime action si convenable et si juste , qui se trouve h
toutes les pages de l'Ecriture dans la bouche des plus saints, et
qui est d'ailleurs si expressément commandée et en termes si uni-
versels, est rayée du nombre des actes parfaits à deux titres : l'un,
plus général, parce qu'elle est intéressée comme la demande ;
l'autre , plus particulier , parce que c'est un acte réfléchi et
que toute réflexion est proscrite dans la nouvelle voie de per-
fection qu'on veut introduire , qui est une des erreurs des nou-
veaux mystiques, qu'il faut examiner avec plus de soin.
LIVRE V.
Des actes directs et réfléchis, aperçus et non aperças, etc.
lles.-cirt
Il nous faut donc ici examiner la nature et la perfection des '•
■*■ lies
actes directs et réfléchis, où il faudra aussi parler des actes dis- «^«l'vre-
tincts et confus , des actes aperçus et non aperçus ; et voilà une
ample carrière ouverte à notre discours, mais que nous pouvons
expliquer en assez peu de paroles en la réduisant à ses prin-
cipes.
Pour y procéder avec ordre , posons avant toutes choses la doc-
trine des nouveaux mystiques sur les réflexions : voyons ensuite
ce qui est certain sur cela dans les saintes Ecritures : en troi-
sième lieu nous résoudrons par ces principes les difficultés qui
se présentent. C'est ici un des nœuds les plus importans de toute
cette matière, et il n'y faut laisser aucun embarras.
Premièrement il est certain que la nouvelle spiritualité rejette Doctrine
généralement les réflexions de tout l'état des contemplatifs ou "y,""^'
des pariaits. ' '
«8 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
«ur ic! Mûlinos mardie à la tète, et d'abord il pose pour fondement
nccbi'. de l'état contemplatif, d'abdudowwr toutes les réflexions pour
marcher dans la voie qu'on nomme directe '. Il poursuit : «Vous
ne sauriez avec tous vos cfTorls faire une seule réflexion '. »
Aussi la réflexion est-elle un si grand obstacle à la vie intérieui'e,
qu'une raison de blâmer certains sentimens , c'est qu'Us sont
réfléchis : selon lui a une réflexion de l'ame sur ses actions
l'empesche de recevoir la vraye lumière, et de faire im pas vers
la perfection '. » 11 ne compte pour de vrais actes de piété que
les directs; et au reste « il faut marcher sans réflexion sm* vous-
mesmeSjjii sur li's perfections de Dieu *. » Ce seroit perdre le
temps (]ue d'en rapporter davantage.
Malaval a suivi son fxemple, et si l'on pense ou (jn'on se sou-
vienne de Jésus-Christ Homme-Dieu, il veut que ce soit d'une seule
vue d'esjjrit^; c'est-à-dire par un acte direct, suns uurune poisre
distincte et sans notre chois: ce qui emporte l'exclusion de tout
acte réfléchi: c'e.sl à quoi tend encore tout ce (pion a vu de cet
acte continu et universel, de cette vue simple et unioureuse c^ui
comprend tous les actes, de cet acte rminrut fjui les absorbe ', et
jpii fait ainsi cesser toute réflexion,
m. Mîiis le livre où Ion s'explique le plus hardiment et avec le
di'/rouri' moins de mesures sur ce sujet conmie sur les autres, c'est le
*"ne»"»r Moyen court. Le principe est que le nuniveincnt du Saint-Esprit
'« du' que l'ame doit suivre, « ne la porte jamais si reculer; c'est-à-dire
à réfléchir sur la créature, ni à se recourber contre elle-mesme ;
mais à aller toujours devant elle avançant incessamment vers sa
fln '. » <>n voit ici que reculer c'est réfléchir , ce qu'on appelle se
recourber contre soy-mesme ; et on oppose ce mouvement à eelni
d'avancer toujours à sa fin, comme si la réflexion y étoit un ob-
stacle, ou (pie les bons mouvemens directs ou réfléchis ne fussent
pas également du Sauit-Esprit. C'est ce qu'on appelle ailleurs se
reprendre soy-mesme, à quoi l'on oppose se quitter soy-mesme,
laisser faire Dieu, et les autres choses semblables ; c'est cesser
' Guittc, Introd., sect. I, n. 2, p. 23. — * Guide, liv. I , eh. n , n. n, y. 18.—
' Ibiit . di. V, n. ."1"., p. 31. — * tbtfi., ch. XI , n. Go, p. 4G. — " .Miilaval, I pari.,
p. 55. — « IbuL, p. bJ, etc. — ' Moyen court , § 81.
Moynx
court.
TRAITÉ I, LIVRE V, N. III. 459
de s'exciter au bien et attendre que Dieu nous mène. Yoilà ce
qu'on appelle l'abandon, ou cette « renonciation absolue à toutes
inclinations particulières, quelque bonnes qu'elles paroissent K »
Quand donc on réfléchit sur ses besoins et sur les actes que Dieu
nous commande, ou que l'on commence à s'y exciter, c'est
alors qu'o?i se reprend soy-mesme ; qui est comme on verra, la
plus grande faute que Ton puisse commettre dans la nouvelle
voie.
En conséquence de ce principe, on lit dans le Cantique des can-
tiques que « la vertu de simplicité tant recommandée dans l'Ecri-
ture, nous fait agir à l'égard de Dieu incessamment sans hésita-
tion, directement sans reflexion ^ » Par cette simplicité lame
dont le regard est toujours direct et sans réflexion ne connoist
pas son regard'^, où l'on met deux choses ensemble. La première,
de n'avoir plus que des actes directs et sans réflexion; d'où suit
aussi la seconde , qu'on n'a plus d'acte aperçu ; principe dont on
a vu les mauvaises suites \ Au reste quand on jette encore quel-
ques regards sur soy-mesme, c'est une infidélité ^ ; et cela se pousse
si avant, que par cette légère faute l'ame periroit si son bien-
aimè ne Veust soutenue, par où l'on voit jusques à quel point les
réflexions sont bannies, et on ne sait plus où en trouver d'inno-
centes. 11 ne faut donc pas s'étonner si Ion dit que cette belle ame
a deux qualités^ , dont l'une, qui fait à notre sujet, est de ne se
courber jamais vers elle-mesme pour aucune grâce qu'elle ait re-
çeuë de Dieu, pas même pour lui en faire ses remercîmens. Il
est maintenant aisé de voir dans quels périls on jette les âmes en
les rendant si ennemies des réflexions, puisque suivant à l'a-
veugle les mouvemens directs qu'on leur donne dans certains
états pour inspirés, elles iront partout où les portera leur instinct
avec une rapidité sans bornes. .
Il est poutant vérita]}le, tant cet état est peu naturel, qu'on
ne cesse de réfléchir, en disant qu'on ne réfléchit pas , et quand
cette ame non réfléchissante dit tout court : Je ne suis plus en
1 Moyen court, vi , p. 26, 27, 28. — ^ Inferprcf. du Cent., iv , 1, p. S.". —
3 IbùL, 9, p. 07. —'►Ci-dessus, liv. li!, ch. x. — ^ Inter/in'I. du Canf., vi,
p. 15;).— ^ lôid., VII, 7, p. 17i.
460 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
état de me regarder ', c'est clans la plus apparente extinction des
réflexions une des réflexions les plus affectées sur soi-même et
sur son état,
"j ,^ Comment accorder ce sentiment avec ces préceptes dont les
rtUciio . saints LivTes sont remplis : « Veillez sur vous , considérez vos
est uiiL- ^ •"
iw [t voies, que vos yeux précèdent vos pas, prenez garde à vous; »
"a« r. I.'' c'est-à-dire, selon saint Basile , « observez le temps présent, pré-
Toj« .i,.ï voyez l'avenir *, » et cent autres de celte sorte : en vérité je ne
p»rfjiii. l'entends pas. Je n'accorde non plus ces discours avec ces sen-
tences des Pères, où l'on nous montre que les précautions , les
circonspections, les examens de la conscience, et les autres qu'on
nous prescrit font la sûreté de la vie. On pourroit rapporter ici
toutes les règles des solitaires, tous les traités ascétiques de saint
Basile et des autres ; et si l'on répond sans autorité et sans preuve
que ces saintes in-tilutions nr regardent «[ue les commençans, je
répondrai au contraire (jue la réflexion est une force de Tame, et
(jne ratlrlliucr si nniversellemi'nt ;\ foiblesse , c'est un mani-
feste parallogisme. .l'avoui' liii-ii (iiTm général la réflexion est
une iiiii)t'rr»'(ti(»n de la nature humaine, puisqu'on ne la trouve
point, je ne dirai pas dans la Divinité, mais dans les plus su-
blimes opérations de la nature angélique ou des esprits bien-
heureux. Mais en l'état où nous sommes, c'est une force de
l'ame, (|uc l'Ecriture nous mar([ue dans les plus parfaits pour
trois raisons.
^- La première est que la réflexion afrermil nos actes, et cet affer-
Troi» ni- *■
«""•''■ missemcnt nous est nécessaire tant (uu^ nous sommes dans cette
celte vc- *
riM :pr.- vit', OÙ nous ne voyons /7//V;/;wr//r', comme dit saint Paul'', c'est-
niiirc rai-
'on.o.TM à-dire imparfaitement. De la foiblesse de nos vues vient celle de nos
1.1 n.i.ir, , résolutions. En cet état Dieu a voulu mettre dans l'esprit humain
la no, c«- ^
«iic ri u la force, pour ainsi parler, de redoulder ses actes par la réflexion,
force .le la ' ^ ^ , ^ '
reneiion. pour donucr de la fermeté à ses mouvemens directs; ainsi les
actes directs ont quehpie cliose de plus simple, de plus natiii'cl,
de plus sincère peut-être, qui vient plus du fond si vous voulez ;
mais les réflexions qui ont la forc(^ de les confirmer venant par-
» Interprét. du Gant., viii, 2, p. 183.— * Uomil. in Attende tibi ipsi.— » 1 Cor.,
xiii, 0.
TRAITÉ I, LIVRE V, N. Yl. 461
dessus^ elles font dire à David : « J'ai juré et j'ai résolu de garder
les lois de votre j ustice ' , »
C'est pourquoi la réflexion est appelée l'œil de l'ame, parce que
l'acte direct n'étant pas le plus som'cnt assez aperçu, la réflexion en
l'apercevant TafTermit avec connoissance, et comme par un juge-
ment conflrmatif. Elle a aussi ses profondeurs, lorsque nous faisons
ces réflexions profondes , qui font entrer si avant nos résolutions
dans notre cœur. C'est une vaine pensée de s'imaginer qu'à force
d'avoir réfléchi on n'a plus besoin de le faire ; ce qui pomToit être
vrai jusqu'à un certain degré, mais non jamais simplement et
absolument. Tant que le jugement peut vaciller, et que la volonté
est muable, la réflexion leur est nécessaire. Saint Thomas n'a pas
prétendu atîoiblir les actes de la volonté, lorsqu'il a dit « qu'elle
étoit naturellement réfléchissante sur elle-même, qu'on aimoit à
aimer, qu'on vouloit vouloir -, et le reste. Tout cela grave, for-
tifie, imprime les actes dans le cœm% inspire des précautions ; et
si l'on dit que les parfaits n'en ont pas besoin tant qu'ils sont en
cette vie ._ on dément encore David, lorsqu'il dit : « J'ai repassé
mes années ; » et encore : « J'approfondirai vos commandemens ; »
et encore : « J'ai considéré mes voies, et j'ai tourné mes pas du
côté de vos préceptes ; » et encore : « Combien ai-je aimé votre
loi? » et encore : « Votre serviteur garde vo.-; préceptes ; on est
l)ien récompensé en les gardant'; » et le reste qu'on trouve à
toutes les pages.
Le second effet de la réflexion, c'est (ui'elle produit l'action &î vi.
grâces tant commandée à tous les fidèles par saint Paul : « Rendez a-on
° '- . pour la ré-
graces à Dieu en toutes choses; que votre action de grâces lui ^-^; <■, en
, , -.ce qu'elle
soit présentée en tout état, en toute prière, en toute supplica- i.."duit
-- l'ai-Uon de
tion *, » et le reste. Cette action appartient aux plus forts, et elle tr,ces :
l'iTiLxiou
est de la parfaite justice, puisqu'elle glorifie Dieu dans son ou- <!■,:, nou-
Vi'.m njjs-
vrage le plus excellent, qui est la communication de ses grâces, nqnesur
celle de
Marie pleine de grâces et de Jésus- Christ qu'elle porte daus son job.
sein, chante les merveilles que le Tout-Puissant a faites en elle :
elle s'en réjouit et l'en glorifie. Après son exemple faudroit-il
1 Psul. cxviii, loc — M^ 11'% q. 26, art. 2.— ^ Pml. cxviii, 59, C), etc. —
* l'hil., IV, 6.
462 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS DORAISÛN.
parler des autres saints? Souvenons -nous néanmoins du saint
homme Job, qui disoit : « J'ai été l'œil de l'aveugle et le pied du
boiteux : j'ai été le père des pauvres, la consolation et la défense
du délaissé • : j'ai fait un pacte avec mes yeux pom' ne point laisser
aller un regard furtif , ni le moindre désir vers une vierge; si
j'ai mangé mon pain seul, et que je ne l'aie point partagé avec
l'orphelin vl l'étranger ', » et le reste, que tout le monde sait par
cœur : il n'y a qu'à dire que ce sont là des di.^cours d'un impar-
fait, et ne trouver la perfection que dans les (juiétistes.
J'en connois un des principaux, dont j'ai lu un commentaire
sur Jo//, où il ose dire que ce discours du saint homme Job que
lui ins[)ire la condance d'une conscience innocente, est celui que
Dieu a repris d;ms le chapitre xxxvin et dans les suivans , pen-
dant «pie Dieu déclare lui-même que le sujet de s«'s invectives
étoit les discours, non pas où Job racontoit les bienfaits de Dieu
pour le glorifier, mais ceux où il sembloit vouloir disputer avec
lui et fnlminer contre sa justice ; ce que Dieu rabat en ces termes :
« Anéantire/.-vous nn^s jugemens, et me condamnerez-v<Mis pour
vous justifier '? » et le reste ([uil est inutile de rapporlei'.
vu. Le troisième effet de la réflexion est felui iranimer notre <'oii-
^7»i'on"" fiance, et d'exciter nos prières : « Si notre co-ur nous rei»rend,
Tulyf' Dieu est plus grand que notre cœur, et il connoit toutt's clioses :
'dÛiM» si notre cœur ne nous reprend pas, nous trouvons de laconflimco
c.miiwô* auprès de Dieu, et nous pouvons tout obtenir par nos prières*.
Voilà ce qui nous fait connoitre (pie nous sonunes enfans de la
vérité, et nous ibrtilions notre cceur en sa présence ^ » Si c'est
là encore un discours adressé aux imparfaits, c'est donc aussi
inqierfection de dire : « J'ai achevé un bon combat; j'ai accompli
ma course; j'ai gardé la foi, et au reste la couronne de justice
. m'est réservée *, » etc.
Tels sont les fruits de la réflexion dans les plus grands saints,
et dans l'.qiôtre saint Taul à la veille de son martyre et de la con-
soiniiiation de son sacrilice. Une sainte inilignalion saisit le lec-
li'ur, (luaiid il voit éluder ces beaux sentimens par de vaines
>'Jo/i, ^XIX, 15 et scq. — » /6iV/.. XXXI, 1. — ^ Juh, xl, 3, etc. — '• I Joan.,
III, -û-ilJ. — ''Ibid., 19. —«11 Innulh., iv, 7.
TRAITÉ I, LIVRE Y, N. YllI, IX. 463
subtilités, qui n'ont pour tout fondement qu une perfection ima-
ginaire.
Yoici pourtant un passage qu'on allègue, et c'est dans le cha- vm.
Passage
riot d'Ezéchiel : « Cet esprit de vie qui est dans les roues , cette <i E^échiei
qu'on op-
impétuosité de l'esprit qui les portoit , et portoit les animaux p»se à u
réflexion.
mystiques chacun toujours devant soi, sans s'arrêter dans leur
marche ni retourner sur lem-s pas * ; » par où l'on entend la ces-
sation des réflexions : je le veux, et je conclus que cette cessation
se trouve en effet dans l'inspiration et impression prophétique ,
mais non pour cela dans un certain état d'oraison d'une manière
fixe et perpétuelle. Dieu suspend la réflexion quand il lui plait :
la question est de savoir s'il y a des états en cette vie où il l'ôte
tout à fait, et si l'on peut passer en règle qu'elle n'appartient
qu'aux imparfaits, contre tant de témoignages exprès qu'on vient
de voir du contraire dans l'Ecriture.
On prétend décréditer la réflexion en l'exprimant par ces ix.
odieuses paroles de retour sur soy-mesme ; mais c est encore une tom-
soi-memi;
illusion : il y a des réflexions et des retours sur soi-même d'mi sont biâ-
orgueil grossier, comme celui du pharisien pour vanter ses œu- les spin.
vres, sous prétexte d'action de grâces. Mais saint François de lencrdc
Sales nous apprend des tours plus délicats de l' amour-propre , ^m^aTL-
lorsque « sans cesse et par des replis ou retours perpétuels sm* ^aini aT-
nous-mesmes, nous voulons penser queues sont nos pensées, loraison
• 1 •11- • ..1. ne se con-
considerer nos considérations , voir nos veues , discerner que nou pas
nous discernons ; ce qui jette l'ame dans un labyrinthe et un en-
tortillement, qui oste toute la droiture de nos actions et toute
la bonne sève de la piété ^ » L'oraison de telles gens est un
trouble perpétuel dans l'oraison même, dont ils quittent les doux
mouvemens , « pour voir comment ils se comportent , s'ils sont
bien contens, si leur tranquillité est bien trancpiille, leur quié-
tude assez quiète ' ; » jamais occupés de Dieu, et toujours atten-
tifs à leurs sentimens. '
C'est assurément un des plus dangereux amusemens de ceux
qui prient, parce qu'alors, dit ce grand maître de la vie spiri- .
1 Ezech., I. — - Am. de Dieu, liv. VI, chap. i. — ^ Am. de Dieu ^ liv. YI,
ch. XIII.
464 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS DORAISON.
tiielle, ce 71' est plus Dieu qu'on ?'CQar(le\ mais soi-même : doù
il conclut que « ccluy qui priant s'apcieoil qu'il prie, n'est pas
pirfaitemcnt attentif à prier, et divertit ?on att'?nliou pour penser
à la prière, par laquelle il prie; » ce qu'au rapport de l'abbé Isaac
chez Cassien , saint Antoine exprimoil encore plus fortement ,
lorsqu'il diM)it que « l'oraison du solitaire ii'e^t pas véritable ,
lorsqu'il se connoit lui-même et sa prière, qui est, disoit Cassien.
une sentence céleste et plus divine qu'humaine '. »
De tels retoui*s sur soi-même sont mie jjàlure de l'amour-
propre, et un obstacle à la prière : u Si vous voulez regarder
Dieu, poursuit saint François de Sales, regardez-le donc : si vous
reflt'chissez v\ si vous retournez vos yeux sur vous-mesme ptnir
voir la contenance que vous tenez en le regardant, ce n'est plus
l;iy (jue vous regardez, mais vostre maintien. »
L'on voit ici (piel retour sur soi-u.' land dlicclcui' des
âmes a voulu coml>allre : c'est dan> i: un l'etour de l'a-
mour-propre sur soi-même, pour s'appuyer sur ses actes connue
siens; car si on les regardoit comme étant de Dieu et allant à
Dieu, connue ayant Dieu pour principe et Dieu pour (»bjet, on ne
seretoMrnen.it point sur eux poiu" s'y complaire, comme pour
: !• mirer dedans et y regarder sa propre beauté; mais tout en
mouvement vers Dieu, on ne feroit d'att«Mifion sur ces aeles (pie
[>our en rendre à Dii'U tonte la gloire ; ce (jni est à la vérité une
sorte de réflexion, mais (pii bien loin trarrêter 1 homme en lui-
même, se joint à l'impression de l'acte direct et ne fait que le con-
firmer ; en sorte que l'oraison avec ses réflexions et actions de
grâces, est un encens brûlé devant Dieu «pii monte toiM «'iitier
vers le ciel.
X. Remanpiez donc cette dillérence des saintes ivllcxioiis qnins-
i!!!'7r'nT- pii*e laniour de Dieu, et des retours sur soi-même qu'inspire
,i„'nip'rr lanionr-propre. Dans les premiers, l'amc miitpiement possédée
dÎ'cu dv de Dirii . ne réfléchit sur ses monveinens que pour les lui raj)-
'quwlui' porter; dans l.'s autres elle se comi»laît elle-même; elle vent se
'p'roprT pouvoir dire à elle même dans son cieur : Je prie, Je m'occupe
de Dieu ; [leiiilanl ([ue sous ce pri-trxtc au fond elle s'occupe
» Am. de Dieu. liv. i.\ , rli. x. — - Cuil. l\, de Oral., .i\.
TRAITÉ I, LIVRE V, N. XI, XII. 463
d'elle-même, et qu'elle clierclie à se glorifier de faire bien_, ce qiii
est se remercier soi-même, et non pas Dieu.
Saint Paul explique cette impression de la véritable piété par xi.
Preuve
ces paroles : « Tout ce que je fais, c'est qu'en oubliant ce qui est .vident'
derrière moi et m'a^ançant vers ce qui est devant , je cours in- Pau^'"
cessamraent vers le bout de la carrière et à la récompense qui
m'est destinée ' . » Yoilà un liomme dans un mouvement bien di- .
rect, puisqu'il ne regarde que le terme où il doit tendre, et qu'il
oublie tout ce qu'il a fait : néanmoins après tout il se sent aller, et
il dit : « Je poursuis ma course, je m'avance, je m'étends^. »
A Dieu ne plaise que nous pensions que ce soit là un mouvement
de commençant, puisqu'il ajoute : « Ayons ce sentiment tant que
nous sommes de parfaits. » Que si l'on dit que saint Paul se sent
aller par conscience, comme on parle, de son sentiment, plutôt
que par réflexion, quoi qu'il en soit, il se sent aller sans aucun
retour d'amour- propre : et quand il en vient à la réflexion mani-
feste, qui lui fait dire : « J'ai livré un bon combat, j'ai gardé la
foi, j'ai achevé ma course, et la com'onne de justice m'est ré-
servée ^, » l'amour-propre ne le domine pas davantage , puisque
toutes ses réflexions ne font que se joindre au mouvement droit
qui le porte à Dieu et le fortifle, pour accomplir ce qu'il dit lui-
même : « Nous avons reçu un esprit qui nous fait savoir ce qui
nous est donné de Dieu *. »
On voit donc ici un homme parfait, qui se sent lui-même, qui
réfléchit sur lui-même , mais uniquement pour glorifier Dieu
davantage ; et en passant ce parfait-là se propose la récompense
au ]]Out de la carrière ; où il réfute deux erreurs des nouveaux
mystiques : l'une, que les parfaits ne réfléchissent pas ; l'autre,
qu'ils ne songent point à la récompense, et que ce n'est point là
un acte d'amour pur ; directement contre saint Paul, qui enseigne
que c'est l'acte d'un homme parfait, par conséquent un acte d'a-
mour très-pur, sans quoi il n'y a point de perfection.
On demande ici comment il faut prendre cette parole de saint xn.
Antoine, et après lui du saint évêque de Genève, que la vraie uo^foê''
oraison ne se connoit pas elle-même ; à quoi je réponds que si iok,eei,le3
1 l'idl., III , 13, !4. — 2 Ibid. — 3 II Timoth., iv, 7. — M Cor., x\ , 12.
TOM. xvm. 30
466 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'OR,\ISON.
auires Cela étoit vrai universellement, sainte Thérèse, par exemple.
l'oraison
ne se con-
noil pas
e!le-niéir:e
disënM^uê n'auroit pas écrit avec tant de simplicité et d'humilité de si
grandes choses sur son oraison. Saint François de Sales lui-même
n'auroit pas dit avec la simplicité et la magnanimité qui ne se
'èn":p''r'i'! trouve que dans les grandes âmes : « J'ay esté ce matin un peu
"intrTZ' en sohtude, où j'ay fait un acte de résignation nompareille* : »
Samuel. ^ ^j.\q[i gang doutc , et il prioit très-paiiaitement, puisqu'il pro-
duisoit une tcUe résignation ; mais en même temps il entendoit
sa résignation et sa prière ; et dans cette vue il s'écrie : « 0 que
bienheureuses les âmes qui vivent de la seule volonté de Dieu ! »
Dieu lui imprima dans le cœur qu'il s'étoit passé en lui quelque
chose qui se ressentoit de cet état. Cent traits semblables de ce
saint auteur et des autres saints, feront voir qu'on ne peut sans
absurdité prononcer que tous ceux qui prient parfaitement n'en-
tendent rien dans lem- oraison; et saint Antoine lui-même, de
qui est cette belle sentence , lorsqu'il voyoit venir le soleil et qu'il
s'écrioit dans la ferveur de son esprit : « 0 soleil, pourquoi me
troubles- tu * ■? » sentoit bien qu'il avoit prié avec un doux recueil-
lement pendant toute hi nuit, ce qui n'est pas ignorer absolu-
ment sa prière. 11 veut donc dire que « souvent, » fréquenter,
dans l'oraison de transport, que Cassien qui nous a conservé cette
parole de saint Antoine, appelle pour cette raison l'ow/.w?? defev,
dans «le ravissement, dans le transport, » in excessu mentis,
il se passe bien des choses dans le cœur , que des amans trans-
portés disent en secret au bien-aimé qui voit tout, plutôt qu'ils
ne les ressentent ou n'y ré fléchissent ; car tout n'est pas réflexion,
et parmi les réflexions il y en a de si délicates, qu'elles échap-
pent à l'esprit. On voit aussi par toute la suite que la sentence de
samt Antoine regardoit un genre d'oraison extatique, et non pas
en général toute oraison, même parfaite. Quand Anne mère de
Samuel fit juger au saint homme lléli par le mouvement irrégu-
lier de ses lèvres, qu'elle étoit ivre, elle sut bien lui répondre
« qu'elle ne rétoit pas, mais seulement qu'elle avoit parlé dans
l'excès de sa douleur' ; » il est dit expressément qu'elle ne par-
loit que dans le cœur ; ses lèvres alloient sans proférer aucun
> Liv. IV, IcU. 1. — * Cass., coll. ix , de Orat., 31. — 3 1 Rcg ,1,12 et seq.
TRAITÉ I, LIVRE V, N. XIII, XIV. 467
mot. Ce mouvement marquoit le saint transport de son ame , et
pouvoit l'empêcher d'entendre distinctement ce qu'elle disoit à
Dieu, dans Vamertume de son cœur et avec tant de larmes ^ Elle
savoit bien néanmoins ce qu'elle avoit voulu demander à Dieu ,
et le vœu qu'elle lui avoit fait pour obtenir un fils. Ce sont de ces
oraisons de transport où la réflexion a peu de part , et peut-être
point. Tout se passe entre Dieu et l'ameavec tant de rapidité, et
néanmoins ( quand il plait à Dieu ) avec tant de tranquillité et de
paix, que Tame étonnée de se sentir mue par un esprit si puissant
et si doux à la fois, ne se connoît plus elle-même.
On peut attribuer à un semblable transport et à une espèce xm.
d'extase ce qui arriva à saint Pierre, lorsqu'il fut délivré de la pri- ^,'1'^"
son d'Hérode-. Il s'éveille frappé par l'ange, il se lève, et il voit '.t'eft'
tomber toutes les chaînes de ses mains ; il prend ses habillemens s'iint Vul
l'un après raiitre au commandement de Fange, sans s'apercevoir
de ce qu'il fait ; enfin après avoir passé tout hors de lui-même
deux corps-de- garde et ime porte de fer qui s'ouvrit devant lui,
marchant le long d une rue , il commence à revenir à soi, et tout
ce qui s'étoit passé auparavant lui avoit paru comme mi songe ;
tant il se sentoit peu lui-même dans cette espèce d'extase, et tant
l'étonnement d'mi prodige si inespéré déroboit tout ce qu'il fai-
soit à sa connoissance. C'est encore dans un transport et dans le
ravissement de son esprit, que saint Paul enlevé au troisième
ciel et étonné des paroles qu'il y entend , ne se connoît plus lui-
même, et ne sait s'il est dans son corps, ou s'il en est séparé \
Yoilà ce qu'opère letransport ; et il ne faut pas douter que dans
de telles ou de' semblables opérations de l'esprit de Dieu , il ne
se passe beaucoup de choses, que les âmes font ou souffrent sans
le sentir distinctement.
S'il faut encore aller plus avant, je dirai que quelquefois l'ame xiv.
s'aperçoit de ses sentimens, et que quelquefois elle ne s'en aper-
çoit pas , ou ne s'en aperçoit que confusément. 'se's's'Lfi-
Qu'on s'aperçoive souvent de ses sentimens, saint Paul l'a '"ÔÛLf
déclaré expressément par ces paroles : « Qui sait ce qui est en '"përcô™
l'homme, si ce n'est l'esprit de l'homme qui est en lui?. » ^\^^
> I lieg., \, 10. — 2 Ad., xii. - s II Cor., xn, 3. — M Cor., u, n.
SouTeiit
l'ame s'a-
468 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
d.5 doux Qu'il y ait aussi dans Ihomme des sentimens qu'il n'apprçoit
i.irf.ûi. pas, David le décide en s'écriant : « Qui conuoit ses péchés? Pu-
rifiez-moi de mes fautes cachées ' : » cela arrive dans les bonnes
choses comme dans les mauvaises , puisque « nul ne sait s'il est
digne damour ou de haine'; » l'on ne sait donc aussi si soi-
même l'on aime Dieu , ou si on ne l'aime pas, puisque si on sa-
voit assurément qu'on l'aimât, on sauroit aussi qu'on ne l'aime
pas sans eu être aimé, et on verroit lamour que Dieu a poiur
nous dans celui (ju'on auroit pom* lui. Mais encore un coup, le-
quel des deux est le plus parlait , ou de connoilre ses actes pom*
en rapporter la gloire à Dieu, selon ce que dit saint Paul : « Qui
sait ce qui est en l'homme, sinon l'esprit de Ihomme qui est en
lui ? » et après : « Nous avons reçu de Dieu un esprit pour con-
noitre ce qui nous est donné de Dieu ' ; » ou de ne le pas con-
noilre, rX d'aimer Dieu sans songer qu'on l'aiuic et sans même
savoir ou songer « e (pie c'est quaimer : ijui cnlrepreutha de le
décider, si ce n'est celui qui veut savoir ce (pie Dieu a réservé à
sa connoissance ?
XV. Tout ce (jue je sais, c'est (jue Dieu veut (pielipiefois rendre une
mèniilZ aine attentive à l'amour qu'elle a jjour lui , à peu près de la même
Tonn.Ti sorte (jue lors(pi"il dit à saint l'ierie jus(prà trois lois : Pierre,
'""*""""' /n'fih/iiz-rous'''* Condiien de semhlaldes iiilerrogations se l'ont
souvent dansées secrets C(»lloques des âmes avec Dieu, où il sembl»^
leur demander en les examinant: M'nintez-vous? et l'anie ne
peut répondre autre chose, sinon, sans hésiter, (ju'elle l'aime.
Mais [)ar un mystère merveilleux, en reconnoissant avec un aveu
.sincère (prelle l'aime, souvent dans un autre sens, si elle s'ap-
profondissoit elle-même, à moins dune révélation particulière,
elle n'oseroit s'a.ssurer (pi'elle aime c«»nnne il l'aiit ; et contrainte
d'appeler un meilleur témoin d'elle-même quelle-même, elledi-
roit enfin comme saint Pierre : « Seigneur, vous savez tout, et
vous savez que je vous aime ", » et si je ne vous aime pas encore
comme vous voulez, vous savez m'inspirer un vrai amour.
XVI. Par là se découvre manil'estemenf l'erreur des nouveau.K mvs-
(}u il nr
« Psnl. .wni , Vi. — ^EccL, IX, 1. - ' \Cor., \\, 11, \l.— ^Joan., XXI, 15.—
t llid.
où il
rive qu'on
!:e connoit
point 1,'S
acte?.
TRAITÉ 1, LlYRE V, X. XVIÎ, XVIII. 469
tiques, lorsqu'ils décident hardiment que les actes non aperçus fautpa?
ou aperçus confusément sont les plus parfaits et des âmes les plus '"jn'g™r
parfaites. Au contraire, régulièrement parlant, comme un péché ''"onV'ièr
commis avec réflexion a plus de malice, il semble aussi qu'un acte rais^'les
vertueux produit avec réflexion et avec une connoissance plus ex- les'non"
presse, ait plus de bonté. D'autres raisons peuvent tempérer celle- '"" " '
là , et c'est par les circonstances et par les effets qu'il faut juger
du mérite de ces actes. Le mieux est le plus souvent de n'en juger
point ; il faut laisser voir le mérite à Dieu sans le voir soi-même;
et la seule règle certaine est de rendre à Dieu tout le bien que nous
apercevons en nous.
Si Ton cherche comment et pour quelles causes nos actes inté- xvii.
rieurs bons et mauvais échappent à notre propre connoissance, omsès'pir
on en trouvera d'infinies, qui toutes ont lieu dans l'oraison. Un
acte nous peut échapper quand il est si délicat qu'il ne fait point
d'impression, ou en fait si peu qu'on l'oublie; car il est alors
comme si on ne l'avoit jamais produit. Il peut y avoir des actes si
spirituels et intellectuels, ou en tout cas si rapides, qu'ils ne lais-
sent aucmie trace dans le cerveau , ou n'y en laissent que de fort
légères, qui s'effacent comme d'elles-mêmes, ainsi qu'un flot qui
se dissout au milieu de l'eau. Une grande dissipation et divaga-
tion de l'esprit apporte mille pensées qui se dérobent à nous en
même temps qu'elles naissent. La disposition opposée, je veux
dire une véhémente occupation de l'esprit d'un côté, fait échap-
per ce qui s'insinue par l'autre. La même chose nous arrive,
comme on vient de voir, par le transport, lorsque l'ame dans une
espèce d'extase ou saintement emportée de ses désirs , ne se pos-
sède plus. De même lorsqu'il s'élève dans l'intérieur un violent
combat de nos pensées, elles partagent tellement notre ccem* qu'on
ne sait à laquelle on a cédé ; ce qui arrive principalement dans les
épreuves dont nous parlerons en leur lieu. Entln ce qu'il y a ici
de plus important, nos actes nous échappent par leur propre sim-
plicité , ce qu'il faut tâcher maintenant d'entendre.
Souvenons-nous donc que l'ame déchue de la justice origi- xvm.
nelle, et entièrement livrée aux sens, ne se connoit plus elle- i^ron
même cp-i avec une peme extrême ; et comme dit samt Augus- se plus
470 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON,
connoîu-e tiii *, s'eiiveL ippuiit avec les images sensibles dont elle est toute
cUe-mô-
nio : ei ses Tcmphe ct toutc oflusquee, elle se fait par ce moyeu toute corpo-
acU'sinlel- t • • 11 » k
leciueis ou Telle, et ne se distmgue pomt elle-même d avec son corps ; ce qm est
dans le fond ne se pas cotmoître et nier en quelque façon sa propre
existence. Néanmoins par un secret sentiment ou, comme on parle,
par une certaine couscii-noe de sa spiritualité, dans la connois-
sance qu'elle tâche d'avoir d'elle-même, elle se décharge le plus
qu'elle peut de la matière, et s'imagine qu elle est un air délié, ou
uue flamme subtile, ou une vapeur du sang et un mou\ement
des esprits, ou (piel(}ue autre chose de semblable, le plus mince
et le plus menu qu'elle puisse imagiurr. P.ir une suite de cet état,
c*' qu'elle ignore le plus, ce sont ses actes et ses mouvemens in-
lellecluels : les sens occupent tout ; et on se remplit tellement des
objets corporels qu'ils nous apportant, que ne >oyant rien qu'à
travers ce nuage épais, ou croit en quebiue façon qut> tout est
corps, »'t (jue ce qui n'est pas corps ou corporel n'e.st rien. D'où
vient aussi cpie l'amc est si peu touchée des biens jmrement in-
tellectuels, et que toiite sa pente est vers les sens et les objets sen-
sibles,
MX. On ne sort de ce triste état que peu à peu, et avec d'extrêmes
LmTcTr eCTorbs, J'avoue bien que l'ame peut se redresser par son raison-
«rîir°de uemeut, comme ont fait quelques philosophes. La foi la redresse
rince d,in. aussi d uuc mauierc plus prompte et plus elficacc, ; mais c est pro-
pu'iion''"ei premeut dans la contemplation que recueillie en elle-même elle
"arrnc ' commcnce à se démêler comme expérimentalement d'avec le
corj)s , dont elle se S(»nt appesantie, et à séparer ses occupations
intellectuelles, qui sont ses véritables actions, d'avec celles des
sens et de la partie imaginafive, qui n'estautre chose qu'un sens
un peu plus ultérieur que les autres; mais dans le fond aussi
grossier, puisqu'après tout ce qui y entri' n'est toujours que
corps.
Lame donc dans cette ignorance, naturellement dominée par
l'habitude de .sentir et de croire en quelque façon que rien n'est
réel (|ue ce qui se sent, ce qui se touche, ce qui se manit', en se
réduisant peu à peu à la pure intellection, s'échappe à elle-même,
1 De Tiin., lib. X , cap. m , iv, olc, n. o, G cl seq.
gage.
TRAITÉ I, LIVRE V, N. XX. 47 f
et ne croit plus opérer pendant qu elle commence à exercer ses
plus véritables et plus naturelles opérations. Les actes de la vo-
lonté sont encore plus imperceptibles que ceux de l'intelligence;
car encore que toute pensée soit prompte et rapide de sa nature,
ce qui fait dire à ce sublime poëte, pour exprimer la célérité d'un
mouvement, qu'il est vite comme la pensée : néanmoins l'acte de
la A'olonté, si on le veut ranger pai'mi les pensées , se trouvera le
plus vite de tous les actes humains, puisqu'il l'est tellement qu'à
peine a-t-on le loisir de le sentir. L'entendement se promène sm^
diverses propositions pour former un raisonnement et tirer une
conséquence ; mais le coup du consentement , pour ainsi parler,
se donne en un instant, et ne se connoît que par ses effets.
L'ame donc dans l'état contemplatif, se trouve si énurée, ou x'^-
comme parlent les spirituels après Cassien ^, « si mince et si dé- ^"^^[ <!«■'
liée : » extenuata meiis, et ses pensées si subtiles et si délicates, i^»*'. «'
■^ ^ cessation
que les sens n'y ont point de prise. Mais toutes ces expressions, ^ujan-
quelque effort que nous ayons fait pour les épm^er, sont grossières,
puisque le menu, le mince, le délié ne tombe après tout que sur
des corps. Le même Cassien a trouvé une autre expression, d'au-
tant meilleure cpi'elle est évangélique. Il dit donc que dans cet
état de pure contemplation, « l'ame s'appauvrit, qu'elle perd les
riches substances de toutes les belles conceptions , de toutes les
belles images, de toutes les behes paroles -, » dont elle accom-
pagnoit ses actes intérieurs. On en vient donc jusqu'à parler le
pur langage du cœm\ Jusqu'à ce cpi'on en soit venu à ce point,
on parle toujours en soi-même un langage humain, et on revêtit
ses pensées des paroles dont on se serviroit pour les exprimer à
im autre. Mais dans la pure contemplation on en vient tellement
à parler à Dieu, (p^i'on n'a plus un autre langage que celui que lui
seul entend, qui est celui que nous avons appelé le langage du
cœur, surtout dans l'acte d'amour, qui ne se peut ni ne se veut
exphquer à Dieu que par lui-même. On ne lui dit qu on l'aime
qu'en aimant, et le cœur alors parle à Dieu seul. Si l'on vient et
jusqu'où l'on vient à la perfection d'un tel acte pendant cette vie,
et si l'on en peut venir jusqu'au point de faire entièrement cesser
' Cass., coll. X, c. VII, IX. Coll. \, c. xvir. — ^ Cass., coll. etc., ii.
472 INSTRUCTION SUR LES ETATS DORAISON.
au dedans de soi toute image et toute parole, je le laisse à décider
aux parfaits spirituels : ici où j'ai dessein d'éviter toute question,
je me contente de dire que cet épurement s'avance si fort dans la
sublime contemplation , qu'on entrevoit du moins la parfaite pu-
reté, et que si Ion n'y parvient pas enlièrement, on a quelque
chose qui s'en ressent beaucoup. La pensée donc ainsi épurée
autant qu'il se peut de tout ce qui la grossit, des images, des ex-
pressions, du langage humain, de tous les retours que lamour-
propre [nous inspire sur nous-mêmes; sans raisonnement, sans
discours, puisqu'il s'agit seulement de recueillir le fruit et la con-
séquence de tous les discours précédens, goûte le plus pur de
tous les êtres, qui est Dieu, non-seulement par la plus pure de
toutes les facultés intérieures, mais encore par le plus pur île tous
ses actes, et s'unit intimement à la vérité, plus encore pai' la vo-
lonté que par rinlelligence.
XXI. Et pour ouvrir encore à l'esprit um^ voie plus excellente, je
Grand , , i p • •
,(mr.m.ni supposc l'auie entièrement captivée et subjuguée par la foi, qui
ip.ir U foi. ., . , 11'-
sans besoin de raisonnement, m de lumière, m de clarté ou d évi-
dence, en croit Dieu, p.irc»^ (jue c'est Dieu, et pour adhérer à la
vérité n'a besoin que de se soumettre à l'autorité de la vérité
même. Une telle ame se réduisant à la seule foi, en vient enfin,
dit Cassien, à cette parfaite pauvreté d'esprit, qui a fait dire à
David : «Li' pauvre et l'indigent vous donneront des louanges ', »
parce (ju'en effet dépouillée de tout ce qu'elle peut avoir par elle-
même, elle se met en état, par la pureté où Dieu seul l'a élevée,
de ne plus rien approuver que ce cpi'il enseigne,
xxii. Elle entre alors véritablement dans l'Ecole du Saint-Esprit,
LiioiiiL- dans cette Ecole intérieure où l'ame est excellemment enseignée
r^medans de Dicu. Qu'elle est éloif/tu'e, dit saint Augustin, du sens de la
le pi.li c/ui/r ', cette Ecole ou règne la paix et le suonce; cette Ecole ou
profond. ,
Dieu se fait entendre , ou se tient le conseil du cœur, et ou se
prennent les résolutions : encore un coup, dit le même Saint,
fjucUe est éloirjnée du sens de la chair *,' Le sens étonné n'y voit
rien , et l'ame ciui lui échappe lui paroît comme réduite à rien.
Adnihiluni rcdactussum, et nescivi : «J'en suis réduit au néant, »
' l'ja/. LX.VIII, LM. — ^ De Prœdcst. Suncl., cap. vili, u. 13.
TRAITÉ I, LIVRE V, iN. XXIII, XXÏV. 473
disoit David '; et ce néant même, que je trouve en moi dans un
fond où Dieu me ramène, m'est impénétrable, et nescivl; ce qui
lui fait ajouter : « je suis devenu devant vous comme une bête : »
ut jumentimi : sans raisonnement, sans discours ; et tout ce que
je puis dire en cet état, «c'est que je suis toujours avec vous, » et
que je ne trouve que vous dans l'obscurité de la foi où vous m'a-
vez enfoncé : et ego semper tecum : voilà ce que je puis dire en
bégayant de l'exercice parfait, et de l'imperceptible vérité des
actes intellectuels dans 1 1 sublime contemplation.
Il est maintenant aisé d'expliquer les actes qui sont commandés ™y
au chrétien, et la manière la plus excellente de les pratiquer. De ^""^ 'f
-^ •*- ■*- -^ actes du
tous ces actes, les plus impurs et les plus grossiers sont ceux '^'^"'■•
qu'on réduit en formule, et qu'on lait comme on les trouve dtms
les livres sous ce titre : Acte de contrition. Acte d'offrande, et
ainsi des autres ; ces actes sont très-imparfaits , et même ne sont
souvent qu'un amusement de notre imagination , sans qu'il en
entre rien dans le cœur. Ils ont cependant leur utilité dans ceux
qui commencent à goûter Dieu : c'est une éeorce, il est vrai ; mai:.
à travers cette éeorce la bonne sé\ e se coule : c'est la neige sur le
bled, qui en le couvrant engraisse la terre et fournit au grain de
la nourriture : on en vient peu à peu aux actes du cœur, que
nous avons expliqués autant que Dieu l'a permis à notre foi-
blesse.
Le Psalmiste a poussé cette explication à la plus grande simpli- xxiv.
cité par ce verset : « Le Seigneur a exaucé le désir des pauvres; David les
votre oreiUe a écouté la préparation de leur cœur -. » Dès qu'il '
commence à s'ébranler et à s'émouvoir pour vouloir, avant qu'il
ait eu le temps de s'expliquer son acte à lui-même. Dieu le voit
dans le fond le plus intime du cœur, et dès là il l'écoute. Pour
s'expliquer davantage, le même Psalmiste dit ailleurs : « J'ai dit :
Je confesserai contre moi-même mon injustice au Seigneur, et
vous avez déjà remis l'iniquité de mon péché *. » Quelle admi-
rable précision : J'ai dit : Je confesserai ; ]Q n'ai pas encore con-
fessé, j'ai résolu de le faire, et j'y ai préparé mon cœur; et il ne
dit pas : Vous remettrez ; comme si Dieu devoit attendre ma con-
1 l'ml. Lxxii, 21. — 5 Psa!. !X, x, sec. Hebr^ vevo. 17. — •' Psul. .\x\!, [1.
474 INSTRUCTION SLR LES ETATS D'ORAISON,
fession pour me reniettre ma faute ; mais il dit : Vous avez remis;
de notre côté, c'est le futur; Je confesserai; du côté de Dieu,
c'est le passé : Vous avez remis : Dieu a plustôt remis que nous
n'avons achevé la confession de notre faute. Je crois pour moi
qu'il faut pousser ce sentiment de David jusqu'à dire qu'avant
que l'esprit ait formé aucune parole en lui-même , Dieu a déjà
écouté la profonde résolution d'un cœm' qui se détermine avant
toute expression à reconnoître sa iaute et à la corriger. Combien
de fois dit-on en soi-même : Je m'en vais prier? et dès là souvent
la prière est déjà l'aile. On sera souvent devant Dieu comme mi
mendiant sans oser lui rien demander, tant on s'en répute indi-
gne ; mais on a déjà demandé par la secrète intention du cœur
ce qu'on n'osoit demander d'une manière plus expresse : Dieu
voit le fruit commencé dans le nœud, et la prière dans l'intention
de prier : « Il fera la volonté de ceux (jui le craignent, et il exau-
cera lenrs prières, et il les sauvera*. » Tels sont les actes du
cœur : plus on les exerce, jilus l'ame s'épure et se simplifie;
ils se concentrent dans la charité, (jui croit fout, qui espère tout,
qui souffre tout, qui diMuande tout; et qui dans les tenq)S con-
venables développe, comme on a vu, tons les actes qu'elle con-
tient en vertu.
Que col ^^^^ t'n cet état que les faux mystiques vouiinti"iit iaire ac-
J;[|";^",''^^; croire à l'ame qu'elle n'a rien à demander. Mais c'est alors au
traTum'i contraire que ses demandes sont les plus vives comme les plus
ci»!Iir'« pures. Cassien, qui nous représente si à fond une ame rt-duite à
pîéi'r.bon. cette bienheureuse pauvreté et sinq)licité d'esprit, y reconnoît la
plu"'/" source des demandes, et reconnoit que l'ame ainsi appauvrie,
« qui ne sent dans l'indigence où elle est réduite aucune sorte de
secoui's-)) {[ui lui vienne de son fonrls, entend mieux (jue jamais
qu'elle « n'a de force qu'en Dieu, et lui crie à chaque moment,
dans un esprit de supphcation : Je suis un pauvre et un mendiant,
ô Dieu, aidez -moi ; » c'est ce qu'il répète souvent, et jamais lame,
selon lui, n'est plus demandante que lorsqu'elle est devenue plus
simple. Ses réflexions sont aussi épurées que ses mouvemens
directs; elles s'y joignent, comme; on a vu, non pour repaître
• Psul. (.-.xLiv, 19. — * Cass., coll. etc., m.
XXV.
TRAITÉ I, LIVRE V, N. XXVI. 475
notre amour-propre , mais pour aider et accélérer tous les mou-
veinens vers Dieu en reconnoissant qu'ils viennent de lui. Ainsi
tout se tourne enfin en humbles actions de grâces^ qui sont le pur
fruit d'un amour reconnoissant; ainsi naissent tous les autres
actes, et l'ame est tenue par leur exercice en tendance continuelle
vers Dieu , autant que le peut souffrir l'état malheureux de cette
vie.
Il ne faut donc point dans l'oraison ni dans l'exercice de la piété ^^'^i-
'- ^ Dieu
imaginer un seul acte , qui comprenant tous les autres, en auto- ^mne aux
rise la suppression : la foi, l'espérance et la charité sont et seront i"^iinct3
toujours trois choses; et leurs actes sont très-distincts , quoiqu'ils ^s ins-
ne soient pas toujours distinctement aperçus. Le Saint-Esprit ex- decouveru
cite souvent dans les cœurs des désirs qu'il n'explique pas : l'ame
sent à de certaines instigations confuses, qu'il veut d'elle quelque
chose qu'elle ne peut comprendre. C'est ce que saint Paul semble
avoir voulu exprimer dans ce passage tant de fois cité, mais qu'il
faut répéter encore : « L'Esprit nous aide dans notre foiblesse;
car nous ne savons pas ce que nous avons à demander dans la
prière poiu* prier comme il faut ; mais l'Esprit demande en nous
avec des gémissemens inexplicables ^ » Yoilà déjà quelque chose
d'incompréhensible dans la prière ; mais ce qui est encore plus
remarquable, c'est que, comme ajoute l'Apôtre, « celui qui sonde
les cœurs , sait le désir , » la pensée , l'intention « de l'Esprit ,
9povr,[j.a, et sait qu'il demande pour les saints ce qui est conforme
à (la volonté de) Dieu. » Toutes ces paroles insinuent quelque
instigation qui ne se découvre pas d'abord; car ce que dit le même
saint Paul, que Dieu sait l'intention de l'Esprit, semble indiquer
que celui en qui il agit ne le sait pas bien ; par où cet Apôtre paroît
vouloir expliquer ce que dit le Sauveur lui-même : « L'Esprit
souffle où il veut et on entend sa voix; mais on ne sait d'où il
vient ni où il va ^ » On sent qu'il veut quelque chose sans démê-
ler ce que c'est : tout ce qu'on sait, en attendant, c'est que ce qu'il
inspire ^'&ipour les saints ^; et en général conforme à Dieu, sans
savoir comment. Quand le même saint Paul disoit à Jésus-Christ,
que voulez-vous que je fasse '% Dieu lui mettoit dans le cœur je ne
1 Rom., vni, 26. — 2 Joan-, m, 8. — ^l\om., \ni, ■rt. — '* Ad., ix, 6.
476 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
sais quoi de confus à quoi il falloit satisfaire; mais qui ne devoil
se développer que dans la suite. Tout n'est pas confus de cette
sorte dans les mouvemens du Saint-Esprit. Au même endroit de
saint Paul, et trois versets auparavant, le même Esprit de prière
dont nous « avons les prémices, nous fait entendre (distinctement)
Tadoption des enfans et la rédemption de nos corps '. » Chacun de
ces instincts du Saint-Esprit, et celui qui est plus confus, et celui
qui est plus marqué, demande sa coopération particulière ; et c'est,
comme on a vu, p.u- 1'-< « ircon.stances qu'il faut décider lecjuel
est le plus parfait.
^rJrlL J oserai pourtant prononcer, et on avouera que ce n'e.st point
<*" """- téméraireni(;nt, (lue les actes distinctement a[>ercus sont les plus
iiq.ie., parfaits en eux-mêmes; et d'aiinnl pour commencer si l'on osoit
mTnn'm, P«ii' J^'^us-Christ . qui dira qu'il n'a pas aperçu ses actes, ou cpie
fr' 'r!'.". pour cela ils aient été moins parfaits et moins méritoires? La joie
i.mde ,c, ^^^ j^^j. m„^.j^ saintes .sont abîmées dans le ciel, ne rend que plus
nette la coimoissance qu'elles ont d'elles-mêmes, et d(^s actes pai'
les(juels elles sont heureuses. Ces âmes choisies à qui on croit que
Dieu, par uik^ honte aussi rare qu'elle est admirable, a révélé
leur prédestination, ressentent distinctement li^s actes (jui les font
saintes et perse vénm tes. Sans parler des grâces extraordinaires ,
combien dames d'une .sainteté éminente ont coiuiu dislinctenient
en elles les opérations du Saint-Esprit et les leurs? L'ignorance
de nous-mêmes et de nos actes, où nous sommes tombés, est une
plaie du péché originel, et souvent même un efTet ou un resb' de
la concupiscence et de l'empire des sens, dont Dieu dégage les
âmes jusipies au point qu'il sait. C'est ce qui fait dans les saints
tant de grands actes qui leur sont connus, comme on l'a vu par
tant d'exemples des prophètes et des apôtres; de sorte que c'est
une erreur visible et intolérable de mettre avec les nouveaux
mystiijues la perfection d<; l'oraison à exterminer les actes dès
qu'on en voit paroitre la moindre lueur.
xxvni. Avant ([ue de passer outre, il faut encore proposer le raisonne-
r,ii.on'rup mcut Ic plus captlcux des nouveaux mystiques ; ils le tirent de
Ire ki ac- l'amouT-propre. Quand on en est possédé, et tous les hommes le
■ nom., VIII, 23,
TRAITÉ I, LIVRE Y, N. XXIX, XXX. 477
sont par leur corruption naturelle^ on ne se dit pas à tout coup : le^ de i»-
A ■. . - mourpro-
Je m'aime moi-même ; on s aime sans s y exciter, sans y songer pre, cties
, . "^ ,, actes de
même, et la pente est si naturelle qu on ne s en aperçoit pas. Sur lamourdi
ce fondement on ra" sonne ainsi : Rien n'est impossible à Dieu, et
il ne peut pas moins par sa grâce que la nature par sa corrup-
tion ; ainsi quand l'amour divin dominera dans un cœur, et quand
il sera tom'iié en habitude formée , les actes couleront de source
sans aucun besoin de les exciter, et sans même qu'on s'aperçoive
d'un sentiment qui nous am'a passé en nature.
Il est aisé de répondre en supposant un principe de la foi; c'est xxix.
que l'amour -propre parvient à l'entière extinction de l'amour de '"'po'ianie
Dieu; mais que par la constitution de la iustice de cette vie, l'a- '"' P'^'-pé-
' i i^ J ' luel de la
mour de Dieu ne parvient jamais à l'entière extinction de l'amour- convoiiisc,
propre : ainsi la concupiscence qui e.^t l'amour-propre peut être ■^'"'^^ "»-
vaincue, mais non pas éteinte ni entièrement désarmée, puisque ''"'"''ère
le combat subsiste toujours , et que les plus justes n'en sortent ^•^"'out-
•i ' i^ 1 J propre et
pas sans quelques blessures , qui leur font pleurer et confesser •'« i'-»."""''-
leurs péchés comme autant d'effets de leur amour-propre, tant
que dure cette vie mortelle. Cela posé, il est faux qu'on puisse être
aussi parfait dans cette vie qu'on y peut être corrompu , ni qu'mi
juste puisse venir à un état où il ne fasse non plus de faute contre
sa fin, qui est Dieu, que l'homme livré à lui-même et à son amour-
propre en fait, pour ainsi parler, contre la sienne, qui est de se
satisfaire. Ainsi l'homme abandonné à sa convoitise ne fait point
de faute contre elle , dont il ait besoin de se relever par ses ré-
flexions ; mais l'homme bien que soumis à la charité , qui sait
qu'il pèche si souvent contre ses lois , doit être attentif à ses pé-
chés, afin de s'en humilier et de s'en corriger.
Pour continuer la différence, on n'a pas besoin de secom^s pour '^x'^-
^ ^ Autres dif-
vouloir se satisfaire soi-même ; mais on a besoin d'un grand et i«;r<;n<:es
iiussi im-
continuel secours pour vouloir contenter Dieu. Ce seroit donc une porumes.
errem' extrême de ne point penser à ce secours, ou de croire qu'en
ayant besoin on ne doive pas le demander ni même s'apercevoir
de son indigence.
L'homme aussi n'a pas besoin d'exciter sa diligence à se con-
tenter soi-même, puisque par sa pente naturelle il ne néglige rien
478 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS DORAISON.
pour cela, ou s'il néglige quelque cliose, sa paresse sera encore
un effet de son amoui'- propre. Mais comme il sait qu'U a dans son
fonds une extrême négligence pour contenter Dieu, U doit détester
la doctrine qui Tempèche de s'animer quand il languit , ou de se
relever quand il tombe. Ainsi la compai-aison de lamom- de Dieu
avec Tamour-propre , qui paroissoit si spécieuse , est absurde et
pitoyable. Dieu peut tout, et il est certain quil pourroit faire dès
cette vie que Thomme fût aussi attaché à lui qu'A l'est à soi-même
naturellement et par son fond corrompu. L'importance est de bien
connoîtrc l'ordre et les temps de sa grâce , ce qu'il veut donner
dans cette vie et ce qu'il veut réserver au siècle futur. 11 ne s'agit
pas de former en son esprit de belles idées, à la manière des nou-
veaux mysticiues; mais de sonder celle de la perfection du chré-
tien sur cette vérité révélée, que jusqu'à la fm de sa vie ses hum-
bles précautions font sa sûreté, et que ses foiblessesen l'humiliant
sont une partie de .son remède. C'est de quoi il n'est pas permis
de tlouter après ce que saint I*aul a. dit de lui-même : « L'ange de
Satan ma été envoyé, de peur^jue la grandeur des révélations ne
m'élevàt '. » Le contraire change la nature de la grâce chré-
tienne; et c'est cette fausse idée de perfection qui a fait Pelage,
Jovinien, les béguards, et aujourd'hui les nouveaux mystiques.
XXXI. {)\v\ui à l'habitude et à ses actes qui coulent de source siuis
jccurn'ii- qu'on ait besoin de les exciter, non plus que de les apercevoir,
niiiire de uos mystlqucs eu les objectant tombent dans leur défaut ordi-
dru* dé- naire, qui est de rendre gênerai ce qui n est vrai (pi avec restric-
ii!!nr,.nur tion, et jusqu'à un certain point. Il est donc vrai que l'habitude
qu. f.ii- tournée en natm'e ote en partie les rellexions, mais non pas toutes
"n 1. nï ni toujours. Les réflexions que les habitudes éteignent ou dimi-
fllU./ nuent sont principalement celles qui nous font paroître nouveau,
ou surprenant , ou admirable et trop remarquable ce que nous fai-
sons ; mais de conclure de là que le chrétien élevé à la perfection
de la vertu formée en habitude, ne réfléchisse point du tout sur
ses actes : deux raisons l'empêchent ; l'une, qu'il faudroit suppo-
ser que ce parfait du'étien ne peut rendre grâces à Dieu de tout le
bien qu'il fait en lui ni le reconnoître : ce qui seroit démentir les
Ml Cor., X11.7.
TRAITÉ I, LlYRE Y, N. XXXÏI, XXXIll. 479
Ecritures où ces actes se trouvent à toutes les pages ; démentir en
même temps tous les exemples des Saints, et finalement se démen-
tir soi-même, puisqu'il nV a point de gens qui discourent davan-
tage de tous leurs états et de tous les degrés de leur oraison que
nos prétendus mystiques.
L'autre raison n'est pas moins claire ; c'est que pour éteindre
toutes réflexions sur leurs propres actes dans l'habitude parfaite
de la vertu, il faudroit encore supposer que l'habitude est montée
si haut et tellement affermie, qu'elle n'a plus aucun besoin de se
redresser ; ce qui est contraire à tout l'état de cette vie, ainsi qu'il
est démontré par la doctrine précédente.
C'est une sembla]}le idée de perfection qu'on se forme dans son xxxn.
esprit sans aucune autorité de la parole de Dieu , qui fait dire jecuôn "n-
qu'une ame qui aime parfaitement ^ non-seulement aime sans natme'^ de
-, . . . . ^ , l'amour, et
songer si elle aimera toujours, mais aime même sans songer si résolution
elle aime. Car c'est, dit-on, un obstacle à la perfection de l'amour ' ' "' " ^
et une interruption de son exercice, que de réfléchir sur l'amour
et sur sa durée, ou sur son accroissement et sa diminution. Voilà
un piège subtil pour introduire une grande errem' : car on ne
prétend rien moins que d'ôter par là aux parfaits le désir d'aimer
davantage ou d'aimer toujours, et les demandes qu'on fait pour
en obtenir la grâce. Ainsi quand David dit : Je vous aimerai * ;
quand saint Paul se sent pressé de ces deux désirs ^, dont l'un est
de voir Jésus-Christ ; quand les Saints ont dit tant de fois après les
apôtres : Seigneur, augmentez notre foi'^, ils interrompoient lem*
amour. On l'interrompt quand on dit : Délivrez-nous du mal ,
puisque le mal , dont on désire d'être délivré par cette prière, est
le mal de n'aimer pas, et le bien qu'on y demande est d'aimer tou-
jours ; ce qui est en d'autres paroles demander de ne pécher plus.
Ainsi cette divine demande sera une interruption de l'amour par-
fait, ou bien il la faudra tordre pour lui donner mi autre sens que
le naturel.
Mais voyons encore sm- quoi l'on se fonde : on apporte l'exemple xxxm.
de l'amour profane. Nous n'examinons point, dit-on, si nous ai- Je<;''«n ti-
mons une personne pour qui nous avons la plus tendre et la plus cû,„parai-
1 Vsal. XVII. — 2 p/nV., i, 'îS. — » Luc , xvii, 5.
4Ç0 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS DORAISON.
fondera- fortc amitiù : tout de môme l'ame parfaite en aimant ne songe
mour ïul- ,. . 1 » 11 • • •
gaire, cl (ju d aimei*, OU plut<jt elle aune sans penser a anner ; et cxammer
réponse
parla doc- sl clle aime lui paroitra une distraction : à quoi on ajoute (jue
Irinc pré- ,
céjenie. commc elle aime sans réflexion sur son amour, elle aime aussi
sans désirer d'aimer. \o'ûh les subtilités de la nouvelle théologie
pour éteindre tout désir et toute df>mande, jusqu'à la demande
même et jusqu'au désir d'aimer Dieu persévéramment et de plus
en plus.
Ce qui fait l'erreur, c'est que l'on compare l'amour ATilgaire et '
sensible dune créature avec l'amom- de Dieu ; mais la différence
est extrême : dans l'amour de la créature on n'est pas né dans
l'impuissance, mais au contraire dans mie pente naturelle à
s'y livrer. On n'a point d'effort à faire pour aimer l'objet oii tous
nos sens nous attirent ; on n'a point à comliatlie un tentateur au
dehors qui est le démon, ni un tentateur au dedans encore [ilus dan-
gereux (pii est la concupiscence; on n'a pas besoin à chiique acte
d'un secours perpétuel de l'objet aimé pour s'y attacher. Comme on
trouve tout Iccontraire dans l'amour divin, il ne faut pas s'étonner
si un amour d'uneautrenalure a des ipialités et demande des accom-
pagnemens si <livers. Ainsi contre la nature de l'amour vulgaire,
on demande la grâce d'aimer à celui (ju'oii aime ; on craint do dé-
choir, et on demande la persévérance ; on craint de ne le pas as-
sez aimer, et on désire avec David de l'aimer et le désirer de plus
en plus: Concupiscit (mima mcn desiderare^. Ces actes ne se
trouvent pas dans 1 amour profime : ce qui est de commun entre
l'amour profane et le sacré, parce qu'il est de la nature de l'a-
mcur, est de désirer la possession assurée de ce qu'on aime : c'est
toutefois ce désir de la ])osses:-ion que les nouveaux mystiques
excluent comme étraiii^'cr et intéressé, et ils n'almndonnent leur
comparaison (]u'à l'endroit où elle est juste.
XXXIV C'est encore ce qui leur fait dire, et c'est le comble de l'illusion,
jcchon qu'il vaut mieux exercer l'amour que d'en désirer ou d'en de-
faplii'use i ^ i 111 ■xi
urc df 11 mander la persévérance, et qu ainsi c est se relâcher de 1 acte d a-
nalurc de i-ii-- ii lo i
lamoiiMi mour (jue de faire celui des désirs ou des demandes, hur cela on
parles inô. dit à l'amc prétendue parfaite : Au lieu de réfléchir sur l'amour,
mes prin-
cipe!. ) Pscl. CXVIII, 20.
TRAITÉ 1, LIVRE V, N. XXXV. 481
aimez : au lieu d'en rendre grâces , aimez : aimez enfm , au lieu
de demander de l'amour : c'est assez demander l'amour que de
l'exercer à chaque moment; ne demandez non plus la jouissance,
aimez seulement ; la jouissance est donnée sans qu'on la demande.
C'est là encore une de ces spécieuses vanités qu'on oppose à la
vérité de Dieu et à l'exemple des saints. Selon ces raisonnemens
il faudi'oit aire à l'épouse : Ne dites point au bien-aimé , Tirez-
moi à vous ' ; aimez seulement , et ne songez pas au besoin que
vous avez qu'il vous attire ; ne dites plus : Sa gauche est sous ma
tête pom* me soutenii' dans ma foiblesse, et sa droite m'embras-
sera - pour m'enivrer des délices de ses célestes caresses : aimez
seulement et laissez là les embrassemens. De même quand à la fin
de Y Apocalypse saint Jean parle ainsi • « L'Esprit et l'Epouse di-
sent : Venez ; que celui qui les écoute dise : Venez ; oui , venez ,
Seigneur Jésus ^ : » il faut dire non-seulement à cet enfant de di-
lection, et à tous ceux qui l'écoutent : mais encore à l'Epouse
même et à l'Esprit qui la meut : Cessez de dire : Venez ; aimez
seulement, et il sam"a bien venir de lui-même. Les raisonnemens
qu'on oppose à ces décisions du Saint-Esprit sont des fruits d'une
superbe et creuse spéculation ; ce sont des discours qu'on prend
dans son cœur, et non pas dans la doctrine révélée de Dieu. Il est
naturel à celui qui aime, et qui ne possède pas, de désirer : comme
il sent sa foiblesse, U lui est naturel de demander du secom's : tout
cela loin d'être mie cessation de l'exercice d'aimer, est l'amom' en
toutes ses formes.
Un abîme en attire un autre : c'est la fausse idée de la perfec- xxxv.
tion et de la béatitude de cette vie qui attire cette exclusion des i?"'s'our'c'e
demandes et des désirs dans nos prétendus parfaits. Ils ont outré ItLIZ
au delà de toute mesure la comparaison de la justice chrétienne mandeT:
avec un or très-pur et affiné , en disant « qu'il a esté mis tant et dTpm'eté!
tant de fois au feu , qu'il perd toute impureté et toute disposition sieraeM'''et
à estre purifié \ » Après cet excès , il ne faut pas s'étonner si on tion^'' "
croit ne devoir plus demander la rémission de ses péchés, ni l'ac-
croissement de la justice : et pour s'expliquer encore plus clau'e-
1 Cani., I, 4.-2 Ibid., ii, 0. — s A\iOc., xxn, 17, 20. — * Uo\ji;n court, ch. xxiv,
p. 123.
TOM. XVIIl. 31
482 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAlSOiN.
ment on ajoute : « Que Torfévi'e ne pouvant plus trouver de mé-
lange à cause qu'il est venu à sa pai'faite pureté et simplicité , le
feu ne peut plus agir sm' cet or, et il y seroit un siècle qu'U n'en
seroit pas plus pur et qu'il ne diminueroit pas '. » Les béguards à
cet égard en disent-ils davantage, et n'est-ce pas précisément
croire avec eux « qu'on ne peut plus profiter en grâce? A))ipl/t(s
in ijratid proficere non r.alvbil-. Il semble «|u'on ait pris plaisir
par tous ces discours à combattre directement cette parole de saint
Jean : « Que celui ipii est juste, se justifie encore ; et que celui
qui est saint , se sanctifie encore ' ; » et celle-ci de David : Nul
homme vivant ne sera pleinement et parfaitement justifié devant
vous * ; et cent autres de la même force, dont toute l'antiquité s'est
servie pour iiKtiiln'r riiupcrfectiou df la justice présente.
On ne pL'ut donner île l»(Ui sens à tous ces excès (jiii oltiigent à
répéter cent et cent fois que toute projjriétê, et avec la propriété
toute la malignité de l'homme *, c'est-à-{lire en d'autres paroles,
toute la concupiscence est délimite; en sorte que l'ameépm'ée,
comme si elle avoit passé par le pm'gatoire, est conduite à la pu-
reté de la création'', nu niimiie l'on dit aillem's^, elle parvient (et
encore) en peu de tcmjjs n lu simplicité et unité en laquelle elle a
esté créée, qui est précisément la même doctrine, avec presque la
même expression de Molinos, lorsqu'il a dit aux endi'oits déjà ci-
tés, (fu'on revient à sapre?/tière origine , et à l'heureuse innocence
que 720S premiers pères ont perdue '.
C'est de cette idée de perfection et de plénitude , ou comme on
l'appelle ailleurs, de rassasiement parfait , que l'on a écrit que
jusqu'au teiiqis que l'ame y soit parvenue, // ha/ échappera tou-
jours quelque désir ou envie^\ ce qui montre que la suppression
de tout désir, envie et inclination , qu'on a établie avec tant de
soin, vient de ce rassasiement, qu'on suppose dès cette vie entier
et pai'fait.
xïxvi. p^j. \g^ s^jtg (lu même principe on pousse encore au delà des
eiiccuriié bornes l'idée de la béatitude de cette vie, puisqu'on assm'e «lue
d.ini celle ^ i. j. i
^ Moyen court , p. 126. — * Clément., Ad nostrum. — ^ Apoc, xxii , i:. —
* Psal. CXLII , 2. — " Moyen court , ibià., p. 122. — « Ifiid., ch. xil , p. 133 , 134.
— ■» P. 84. — * Guide, liv. Il , ch. xx, n. 194, 202. — » Moyen court, sur la Cd.
TRAITÉ 1, LIVRE V, N. XXXVI. 483
Famé parfaite y possède très-réelhment, et plus réellement qu'on Tie, sdon
7ie 'peut dire ressentlelle béatihide ^ : ce qui oblige à décider que veaux"nns-
r essentielle béatitude n'est pas dans la vue de Dieu , et que l'on
peut en jouir et le posséder sans le voir. Il est vrai qu'on en peut
jouir et le posséder sans le voir; mais en espérance et non en effet:
Spe, non re , comme parle toute l'Ecole après saint Augustin ; de
sorte que Ton n'a point Y essentielle béatitude, parce qu'encore que
Jésus-Christ soit présent en quelque façon et par la foi, absolu-
ment parlant il est absent, selon ce que dit saint Paul ^, lorsqu'il
oppose l'état à'absence , qui est celui de cette vie, à Y état de pré-
sence, qui cqjpartient à l'autre. Jésus-Christ nous a doimé la même
idée, puisqu'en nous déclarant huit fois heureux, il explique très-
précisément que ce n'est pas par ce que nous avons mais par ce
que nous aurons que nous le sommes : <( Bienheureux les pauvres
d'esprit, parce cpi'ils posséderont le royaume : Bienheureux ceux
qui ont faim et soif de la justice , parce qu'ils seront rassasiés''; »
et ainsi du reste. Ces faux parfaits affectent toujours des idées et
des expressions contraires à celles de l'Evangile. C'est contre l'es-
prit de Jésus-Christ qu'on sépare de la vue de Dieu la réelle et es-
sentielle béatitude , pendant que ce divin Maître la met précisé-
ment dans cette vue : « Bienheureiix, dit-il, ceux qui ont le cœur
pur, car ils verront Dieu ! » Mais il plaît aux nouveaux mystiques
de trouver je ne sais quelle excellence à avoir le bonheur de la
jouissance sans avoir le plaisir de la vue^. Vous diriez qu'on dé-
roge à l'amour de Dieu en se plaisant à le voir ; ce qui est du
même esprit , qui faisoit dire à Malaval « que s'il plaisoit ainsi à
Dieu, il voudroit l'aimer toute une éternité sans le voir *. » Goût
bizarre, s'il en fut jamais , mais où l'on voit l'esprit des nouveaux
mystiques, qui tend à exténuer la vue de Dieu, encore qu'elle soit
la source certaine et inépuisable du plus pur et du plus parfait
amour : aveugles et conducteiurs d'aveugles , qui en supprimant
le désir de voir, induisent trop clairement à ne pas croire la vi-
sion si désirable. Ailleurs pour nous porter à désirer moins, on
fait croire à l'ame prétendue parfaite que Dieu lui dit ces paroles :
» hiterprét. du Cant., i, i, p. 5, 6.—* II Cor., v, 6, etc. — » Matth., v, 3, etc.
— * Ibid. —^Interprët. du Cani., p. 5. — * P. 169.
484 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
« Je vous ay fait ressembler à mes anges , et je veux que vous
ayez le même avamtage qu'eux, qui est de contempler toujours ma
face '. » Je ne sais si les bépruards en demandoient davantapre :
aussi cette ame n'a-t-elle rien à craindre : « Dieu la lie si forte-
ment à luy qu'elle ne craindra plus aucune défaillance - : » c'est
lefoible « des commencemens d'éprouver des éclipses, et de faire
encore des chutes : » mais l'ame parfaite n'en fait plus; « elle est
confirmée, si l'on peut user de ce terme, dans la ollarité^ » Le cor-
rectif léger. s/Ton jn'i/f, ncmpêche pas (pi'on ne voie que l'esprit
est d'établir un»- fermeté alisubie. en disant ailleurs de cette ame
« qu'on peut dire ciuelle est pour toujours confirmée en amour,
puisqu'elle a esté changée en luy * ; en sorte , dit-elle, (jifil ne
sçauroit plus me njcter, et aussi je ne crains plus d'estre séparée
de liiy\))
Sans cette sécurité où Tnii iihI les .mies , oseroit-on assurer
qu'elles n'nnl |inint à (iemaiulfr la iiiTsevcrancc? mais leur rf/ios
est cmifirmr pour n'eslrojtnnais plus iuterrow))H " ? et encore (]u'on
ajoute qu'il le pouiToit être , et que l'ame }nir sa librrtr })Oiin'oH
défaillir, on ajoute aussi tprcllenc le rondni jonuiisà mnins do la
plus extrcjnr lin/rnlilmh' rt infidrlité, sans vouloir dire (in'eii cctti^
vie on n'i'sl jamais assure (pie cette iiifidt'Tité n'arrivera pas.
C'est pourtant ce (ju'il falloit dire, si l'on vouloit donner un vrai
correctif à la doctrine répandue partout , (pie (-es âmes sont assu-
rées de ne tomber pas : c'est, encore mi coup, ce fpi'il talloit dire
avec saint Augustin et toute l'Kglise, cpii reconnoît humblement
qiiccPttcsccurHr (jn'on entreprend de donner aux âmes parfaites,
non par un don spécial si rare (pi'à peine en peut-on trouverdeiix
on trois exemples certains; maispar un état d'oraison on l'on vient
régnli('renient , « n'est [las utile en ce lieu d'iutirmité , où l'assu-
rance jiourroit produire l'orgueil'. »
xTxvii. ("est donc eu quoi l'esjjrit de l'Eglise est directement opposé à
vraiii celui des n(iuveaux niysti(p]ps. Ll'glise tient ses enfans dansl'in-
injsUc|UM
é(eigmni certiludc , alin de les obliger a prier sans cesse ponrolttenir la
« Interprét. du Cniil., p. 18, 27. — ^Und., ii, 6, p. 47. — » Ihid., p. 48. —
*/iif/., VII, 10. — » P. 176. — « liid., viu, 4, p. 188. — 7 De Corrept. et Grat ,
cap. XIII, u. 40.
vertu.
TRAITÉ I, LIVRE V, N. XXXVII. 485
persévérance ; ceux-ci au contraire induisent à un repos qui ^^^J"^^^
éteint par sa plénitude prétendue Tesprit de désir et de de- ^.fj^^'^^
mande. moiUBca-
tion et de.
Il éteint même l'esprit de mortification et d'austérité, expressé-
ment enseigné par ces paroles de saint Paul : « Je châtie, je mor-
tifie, je flétris mon corps, je réduis en servitude mon corps % » et
le reste qui est connu. Contre cette doctrine apostolique, confir-
mée par la tradition de tous les siècles, on a osé dire que « l'austé-
rité met les sens en vigueur, loin de les amortir; qu'elle émeut
les sens et irrite la passion, loin de Téteindre ; qu'elle peut bien af-
foiblir le corps, mais non jamais émousser la pointe des sens %»
encore que tous les Saints et saint Paul même aient pratiqué ce
remède comme l'un des plus efficaces. C'est en vain que, pom'
adoucir en quelque façon une proposition qui révolteroit tous les
lectem^s, on explique qu'on ne prétend autre chose, smon « qu'il
ne faut pas faire son exercice principal de la mortification^ : » car
qui jamais a pensé que ce fût l'exercice principal? Ce qu'on ajoute,
« qu'il ne faut pas se fixer à telles et teUes austérités, » est direc-
tement opposé à la pratique des Samts. D'ailleurs on donne la vue,
que « sans penser en particuher à la mortification , Dieu en fait
faire de toute sorte* ; » comme si le soin que Dieu prend de nous
mortifier devoit empêcher le sacrifice volontaire des mortifica-
tions particulières : et c'est sous prétexte de soumission à la vo-
lonté de Dieu, condaumer saint Paul, et induire dans la disciphne
chrétienne un relâchement qu'elle n'a jamais connu.
On prend un autre prétexte d'éteindre l'esprit de mortification
dans la Règle des associez à l'enfant Jésus, qui est un li^Te com-
posé dans l'esprit et presque des propres paroles du Moyen court.
On y afToibht les austérités « comme chose peu convenable à l'en-
fance, un enfant estant plus capable de pureté, de grâce et
d'amom', que de rigueur et d'austérité "" ; » qui est un abus visible
du terme dî enfance, et une profanation du mystère de la sainte en-
fance de Jésus-Christ, qu'on tâche de séparer de la mortification
et de la croix.
> I Cor.. IX, 27. — ^ Moyen court, ch. x, p. 38 — ^ Ihid., p. 40. — ' Ihid —
5 Règle, etc., p. 30.
486 INSTRUCTION SUR LES ETATS D0R\1S0N.
Enfin on afToiblit en général le soin paiiiculier de 'cultiver les
vertus, en disant « qu'il n'y a poini d'ames qui prati([uent la vertu
plus fortemrnt que celles qui ne pensent pas à la vertu eu particu-
lier' ; » ce qui revient au principe de ne vouloir rien, de ne réflé-
chir sui' rien, et de supprimer toute activité et tout effort, c'est-
à-dire toute action expresse et délibérée du libre arbitre.
Voilà l'exposition et une réfutation plus que suffisante de la
doctrine des nouveaux mystiques. Poiu* un plus grand éclaircis-
sement, et pour mieux préparer la voie à la juste quiilincation de
lem's propositions, il faut encore en peu de paroles opposer à
leurs nouveautés la tradition de l'Eglise.
LIVRE VI.
Où l'on oppose à ces noux'eautés la tradition de l'Eglise.
I.
I.* Ir.idi--
Le priiitiiKil instrument df la tratlition de l'Eglise est renfermé
tiund^iE ^jjjp^ j^p^ nrii'ri's; et soit (lu'oii n'Lrardti l'action de la liturgie et le
.ruirTair sacrificc, ou qu'on repasse sur les Hymnes, sur les Collectes, sur
Z"\^" ^^^ Secrètes, sur les Postconmmnions, il est remarquable qu'il ne
"• s'en trouvera pas une seule qui ne soit accompagnée de demandes
expresses; en quoi l'Eglise a obéi au commandement de saint
Paul : « (Ju'en toutes vos suinilications vos dt'm;indcs soient por-
tées à Dieu avec action de grâces '. » C'est une chose étonnante
que l'Eglise ne fasse pas une seule prière, je dis encore un coup,
pas une seule sans dem;uide, eu sorte ([ue la demande soit pom*
ainsi dire le fond de toutes ses oraisous, et qu'il y ait de ses en-
fans qui fassent profession do ne plus rien demander. La conclu-
sion S(»lennelle de toutes les oraisons de l'Eglise, par Jcam-Chrht
et <')i l'iniitr (ht Siiinl-KsprU, l'ail voir la nécessité de la foi expresse
en la Trinité, eu l'Incarnation et en la médiation du Fils de Dieu.
Ce ne sont point ici des actes confus et indistincts envers les Per-
sonnes divines, ou même envers les attributs divins; on trouve
• Moyen court, p. 36.— ' Phil., iv, 6.
TRAITÉ I, LIVRE VI, N, II. 487
partout la toute-puissance, la miséricorde, la sagesse , la provi-
dence très-distinctement exprimées. La glorification de la Divinité
dans la Trinité, et l'action de grâces ne sont pas moins répandues
dans les prières ecclésiastiques; mais partout selon Tesprit de
saint Paul, elles se terminent en demande sans y manquer une seule
fois; témoins ces deux admirables glorifications : Gloria in ex-
celsis, et Te Deum laudamus : tout y a pour but la gloire de Dieu;
ce que l'Eglise déclare par ces admirables paroles : « 0 Seigneur,
nous vous rendons grâces à cause de votre grande gloire : » Gra-
tins agimus tibi, etc. Les demandes viennent ensuite : « Ayez
pitié de nous, écoutez nos vœux : » Miserere nohis, etc. : Suscipe
deprecationem , etc. On revient à la glorification : « Parce que
vous êtes le seul saint, le seul Seigneur, » et le reste.
Tel est l'esprit de la prière chrétienne, qui unit en soi ces trois
choses, la glorification de Dieu en lui-même, l'action de grâces et
la demande : selon cet esprit, quand même on les sépare dans
l'exercice, on doit toujours les unir selon l'intime disposition du
cœur ; et en venn à l'exclusion de l'une des trois, comme font les
nouveaux mystiques, c'est éteindre l'esprit d'oraison. Quand l'E-
glise invoque Dieu, comme elle fait partout, sous le titre de mi-
séricordieux ou de tout-puissant, et ainsi des autres , elle montre
que les demandes qui suivent se terminent à le glorifier dans ses
di-\dnes perfections , et plus encore pour ce qu'il est que pour ce
qu'il donne. Ainsi c'est une erreur manifeste et injurieuse à toute
l'Eglise, de regarder les demandes comme intéressées, et d'en sus-
pendre l'usage dans les parfaits.
Les demandes de l'Eghse se rapportent à trois fins, que chacun
désire obtenir pour soi dans cette vie : la rémission des péchés ; re^diTE-
la grâce de n'en plus commettre, ce qui comprend la persévérance ; vai^^queûV
l'augmentation de la justice : et ces trois fins particulières se ter- ceu"q"ui
minent à la grande fin à laquelle toutes les autres sont subordon- que°rs°de-
nées, qui est T accomplissement des promesses dans la vie future, son^fnté-
L'Eglise montre cette intention dans toutes ses prières, et je me "''*""
contente de la marquer dans ceUe-ci : « Donnez-nous, ô Dieu tout-
puissant, l'augmentation de la foi, de l'espérance et de la charité;
et afin que nous obtenions ce que vous avez promis , faites-nous
u.
Les prié-
488 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
aimer ce que vous avez commandé. » Toutes les autres prières
sont du même esprit ; et si ces actes sont intéressés, c'est une chose
horrible à penser cpie l'Eglise ne songe pas imc seule fois à nous
en faire produire d'autres. Pour s'éloigner de tels actes, il faut
renoncer à dire Amen sur la demande qu'on vient d'entendre, et
en mémo temps sur toutes les autres, puisqu'elles sont toutes de
même jntt'ntion. C'est une régie constante de la foi , qu'on prie
selon ce cpi'on croit, et « que la loi de prier étahht celle de croire : »
Ut Icf/nm rrorhufli Ict fttotuat supplirnmJi. Les papes et les con-
ciles nous ont en.seigné que la doctrine de la prière est insépa-
rable de la doctrine de la grâce. « La grâce, dit le concile de Car-
thage dans sa lettre synodicpii' au papo saint Innocent ', est
dé<'laréf' nianifi^stcniont par les priéivs des Saints : Gratin Dei
Sonctorum evidoitiùs oralionilnis (Icclarntur. Voilà ce qu'on écrit
à saint huiocent, et ce grand Pape répond : « Si nous n'avons
pas besoin du secoiu's de Dieu, pounpioi le demandons-nous tous
les jours? Car soit (jue nous vivions liien , nous demandons la
grâce, de mieii.x vivre; et si nous nous détournons «Ui Iticn, nous
sommes enconMlans un pliLs grand besoin delà grâce*. » Comme
donc on disoit alors aux pélagiens, (|ni nioicnt la grâce : Com-
ment la demandez-vous si vous l'aviez? je dirai à nos faux dé-
vots : Comment cessez-vous de la demander si vous croyez en
avoir besoin ? L'erreur est égale , ou de nier ce qu'on demande ,
on de ne demander pas ce qu'on croit alisolnment nécessaire.
'" Ponr étaldir cette d<»ctrine , saint Augustin dans ses derniers
d, ,.uni livres timt autorisés par le Saint-Siège, a dit " (lu il éloit constant,
cidoto.,1, constat, fjue comme il y a des grâces rpie Dieu donne sans (]u'on
raihoh- ipy; (loniandc, par exemple, le commencement d(^ la foi 'et l'esprit
que . qih- 7 11 . l
""Lu"'' iiéme de la prière), aussi y en a-t-il d'autres (]u'il n'a préparées
i..m-vo. (^j'^ QQViX fini les demandent, telle qu'est la persévéraïue dans le
rince 11*11? * • ^ ^
b (lemin- |,i,>,^ s . ^, ^.-^.^j pourquoi il éfoit d'accord avec les senii-pélagiens
qu'on la pouvoit et qu'on la devoit « mériter par d'humbles sup-
phcations : » SuppUciter ctnereri * : d'où il s'ensuit clairement
' Kfiid. Couc. Carlli. ad Innoc. PP., a[). Aug., Ep. c.LXXV, al. xr. — » l/jtil.
Epist. rxxxxi, al. xci, ii. 5. — ^ De ilotin persev., cap. xvi, n. 30. — ' Ibid., c. vi,
D. iO.
TRAITE I, LIVRE VI, N. IV, V. 489
que ceux qui ne veulent pas la demander ne veulent pas l'avoir,
et qu'en évitant la demande on perd la grâce. De là vient que ce
saint docteur enseigne encore comme une vérité constante, « qu'il
n'}^ a aucun des saints qui ne demande la persévérance * : » ceux
donc qui ne la demandent pas , selon lui ne sont pas saints ; et il
ajoute selon la doctrine de saint Cyprien, que, loin qu'on ne doive
pas demander la persévérance, « on ne demande presque autre
chose que ce grand don dans T Oraison Dominicale. »
Ces deux grands saints, je veux dire saint Cyprien et saint Au- qJ^^v^j
gustin , ne connoissent point le mystère du nouveau désintéres- f^^^'t'"" auÎ
sèment, qui persuade à nos faux mystiques à ne rien désirer pom^ Jolf\.
eux-mêmes, puisqu'ils tournent tous deux à eux-mêmes toutes les "f '|;-i"°"
demandes de l'Oraison Dominicale, et entre autres celle-ci : Que '•" /i^^'"-
votre nom soit sanctifié ; car, disoit saint C}q)rien, et saint Augus- '"Qu'eaux'
tin après lui, « nous ne demandons pas que Dieu soit sanctifié '"^•'''i"«-
par nos oraisons ; mais que son nom ( saint par lui-même ) soit
sanctifié en nous; car qui peut sanctifier Dieu, lui qui nous sanc-
tifie? Mais à cause qu'il a dit : Soyez saints comme je suis saint,
nous lui demandons qu'ayant été sanctifiés dans le baptême, nous
persévérions dans la sainteté qui a été commencée en nous. Nous
prions donc nuit et jom^ cpie cette sanctification demeure en
nous ^. » C'est donc pom' nous que nous demandons; cette de-
mande : Votre nom soit sanctifié, regarde Dieu en nous, et ne l'en
regarde pas moins en lui-même, parce que toute notre sanctifi-
cation se rapporte à lui.
Ainsi, encore une fois, ce désintéressement tant vanté par les v.
faux mystiques, qu'on fait consister à ne rien demander pour soi, dôctriL'
est inconnu à saint Cyprien et à saint Augustin : il l'est à Jésus- k»^^
Christ même qui nous commande de dire : Pardonnez-nous , ne 'gn^e ra-
nous induisez pas, délivrez-nous : c'est à nous que les péchés '"'*'""''
doivent être pardonnes ; c'est nous qui voulons être délivrés du
mal; et comme l'Eglise l'interprète à la fin de FOraison Domini-
cale, « du mal passé, du mal présent et du futm' : » Ab omnibus
malis prœteritis, prœsentibus et futuris : ce qui enferme la persé-
^ Bedon. Persev., c. Il, n. 4.— 2 Cypr., de Orat. Dom., p. 207; Aug., loco
mox citât.
4flO INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D ORAISON.
vérance dans le bien, puisque, comme dit saint Augustin, si nous
sommes véritablement délivrés du mal , « nous persisterons dans
la sainteté que nous avons reçue par la grâce ' : » Non-seulement
nous y persisterons, mais encore nous y croîtrons, en disant avec
les apôtres : Augmentez- nous la foi^; et en cela nous aurons
l'effet de cette demande : Votre volonté soit faite , parce que la
iiolonté (Je Dieu, c'est notre sanctification, comme dit saint Paul ^
dans laquelle nous devons croître, selon cet exprès commande-
ment : « Que celui qui est juste se justifie encore, et que celui qui
est saint se sanctifie encore * : » c'est pour cela , continue saint
Augustin, que « iJieu commande à ses saints de lui demander la
persévérance *; » et nos faux contemplatifs osent dire qu'il ne le
commande pas aux paiiait^. comme si les parfaits u'étoient pas
saints,
u'doc- ^^ ^^^'^ "li* ^nwi Augustin de cette deuumde, est expressément
'""Lnu^' défmi dans le secx)nd concile d'Orange par ce chapitre : « 11 faut
mXiM- '^I^^^ l^s saints implorent sans cesse le secours de Dieu, afin qu'ils
""^nl^tl" puissent parvenir à une sainte fm, et persister d;ms les bonnes
œuvTes ^ : » et en dernier liru par le concile de Trente, lorsqu'après
avoir défini (|U(>n ne peut avoir ce grand don que de Dieu seul,
il conclut que nous ne pouvons l'obtenir que par des travaux, des
veilles, des aumônes, des prières, des ol)lations et des jeûnes ". »
lul'df. ^^ v^^* encore par cette doctrine que l'Oraison Dominicale est
""l-nriie'r «upposéc êtrc l'oraison d'obligation de tous les fidèles ; ce qui est
ToVdmm. «'f^nfinn*^ par les décisions du concile de Tarthage *, où l'on sup-
7„tuga-' pose comme mi principe de foi, que les plus grands saints, et
","" p^;;,' fussent- ils aussi saints que saint Jacques, que Job et que Daniel,
parfaii,. q^^ bcsoîu dc faîrc cette demande : « Pardonnez-nous nos péchés,
et que ce n'est point par humilité, mais en vérité qu'ils la font :
Non humiliter, sed veraciter. »
Le concile de Trente suppose aussi que cette demande n'est pas
M seulement humble, mais encore sincère et véritable*; et que
l'Oraison Dominicale où elle est ('iioncée, est d'ime commune
1 De donn pnrsev., cap. v, ii. ;i. — - Luc. \\n, '■>. — ' I Thess., iv, ;;. — * Apoc, xxn,
11. — * De dono />ersev.,CAp. \l , n. 11.— ^ Conc. Aruuc. II., cap. x. — "^ Sess.
VI , c. xili. — 8 Couc. Carth., c. vil, vin. — » Sejs. VI , c \\.
TRAITÉ I, LIVRE VI, N. VIII. 491
obligation poui' tous les chrétiens, même pour les plus parfaits,
puisqu'elle l'est pom* tous ceux qui n'ont plus que de ces péchés
de fragilité, dont personne n'est exempt.
Telle a donc été la doctrine définie par toute l'Eglise contre les
pélagiens ; et par là on voit qu'il est de la foi catholique d'éviter
ce prétendu désintéressement, cfai empêche nos faux parfaits de
rien demander pour eux , parce que ce n'est qu'orgueil et une
manifeste transgression des exprès commandemens de Dieu.
Pour entendre maintenant que cette foi est aussi ancienne que vm.
■^ ■"■ passages
l'Eglise, U ne faut que lire quelques passages de saint Clément >!« père?
d'Alexandi'ie, dont l'autorité est considérable par deux endroits : -^' ""»"»«•
ment de
l'mi, qu'elle a été révérée dès la première antiquité , puisqu'il a ^^^^^ cié-
été dès le second siècle , après le grand Pantenus et devant le le^^andrie.
grand Origène, le théologien et le docteur de la sainte et savante
Eglise. d' Alexandrie, etr autre, qu'il nous propose ce qui con-
vient aux plus parfaits, qu'il appelle les Gnostiques ; c'est-à-dire
selon le langage assez commun de son temps et dérivé de saint
Paul, les parfaits et les spirituels cpii sont parvenus à l'habitude
consommée de la charité.
Des hommes si parfaits et si élevés, dit saint Clément *, au-
desms de l'état commun des fidèles , demandent à Dieu, non pas
les biens apparens , comme fout les imparfaits , mais les vrais
biens qui sont ceux de Famé ^ : ainsi les demandes qu'il met en la
bouche de son gnostique sont les demandes des parfaits. Aussi
quand il vient à spécifier ses demandes particuhères, il n'y met
rien que d'excellent. « Car il demande, dit-il, la rémission de ses
péchés, de n'en faire plus, d'accomplir tout le bien, d'y persévé-
rer, de n'en point déchoir, d'y croître, de le rendre éternel, d'en-
tendre toute la dispensation de Dieu , afin d'avoir le cœur pur et
d'être initié au mystère de la vision de face à face ^ » VoUà ce
que le gnostique , c'est-à-dire le spirituel et le parfait, demande
pour lui-même, selon ce Père, qui est aussi précisément tout
ce qu'on a vu dans les prières de l'Eglise ; et pour les autres, il
demande leur conversion, leur élévation, leur persévérance : pour
^Strom., lib. IV, p. 319, etc., edit. 1629. - 'i Ihid., lib. Vil, p. 721. —
s Lib. VI , p. 665 ; lib. VU , p. im, 726.
492 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
ses ennemis , le changement de lem' cœur. Il n'y a rien là que
d'excellent et digne d'un honmie pai*fait. Aussi saint Clément
ajoute-t-il, que l'homme spirituel et parfait, qui est dans la pro-
fession et dans lluibltude de la piété, demande à Dieu tout cela
(naturellement) comme Vhojnme vulgaire demande la santé, et
le demande sur ce fondement de lEcritm'c, que l'oraison est
bojme avec le jeune : fondement commun à tous les états, et aux
plus parfaits comme aux autres.
Hai'so'n jo ^^ ^1^ î^ Y *^ ^^^ ^ Tcmorquer, c'est que toutes ces demandes sont
incnî d^A- attribuées au spirituel ptu* saint Clément , non comme des choses
po"r"nmn- *^'i^*^i'«^ iuqjarfaïtt'S , dont il lâche de se délivrer, mais comme des
.'vil pro- choses qui démontrent sa perfection. C'est pom'quoi loin de pen-
,i'iii'"pi"'« s^i" ^1^^^ ne soit pas de l'état de l'homme parfait de demander, ce
qu-!i''àp'' Pî^i'^ dit au contraire (pie c'est à lui proprement à le faire ; car
deDiMde''r! P<Jur Ics auU'es, dit-il, « ils ne peuvent pas même prier Dieu pom'
eu obtenir les biens, parce qu'ils ne connoissent pas les biens vé-
rilaliles, rt n'en saïu'oicnt paslr prix, ni l'usage (pi'il en faudrait
faire quand ils les am'oient obtenus '. » Doù il conchit(jue ceux
à (]ui il convient le plus de faire à Dieu des demandes sont les
parfaits; les gnostiques , ceux qui coimoissent vi'aiment Dieu,
« parce (ju'ils savent quels sont les vrais biens, et ce qu'il faut
demander, et (juand et conuuent. » Il dit dans le même esprit,
« que le propre ouvrage du gnostique est de denumder, et qu'il
ne s'aimise pas à de longs discoui's dans la prière, parce qu'il sait
ce qu'il faut deniiuider '. »
(Ju'on vienne dire après cela que ce ne sont pas les parfaits et
■ les plus parfaits, les plus éclairés, les plus spirituels; et selon le
langage de ce Père, les plus gnostiques qui doivent demander,
ou qu'il ne h-m' convient pas de le faire, eux à qui il convient
tout au contraire de le fiiire préférablement à tous les autres.
C'est pomquoi ceux à (]ui ce Saint met la prière à la bouche ^,
après l'Ecritm'e, sont les plus parfaits : un Moïse, une Estlier, mie
Judith, luie Marie sœm' de Moïse qui étoit une prophétesse : dans
le Nouveau Testament, un saint Barnabe, homme juste et rempli
du Sai7it- Esprit, àoniW rapporte cette prière : « Dieu nous donne
> Strom., lib. VI, p. G1Û. — '^ làid., p. 72«. — 3 IbuL, lib IV, p. î)21, 522.
TRAITÉ I, LIVRE VI, N. X, XL 493
la sagesse, rintelligence, la science, la connoissance de ses justi-
fications, la patience *, » et ainsi du reste.
Si Ton répond que la perfection a plusieurs degrés , saint Clé- „^f;^,^„
ment, qui les reconboît, devoit donc dire quelque part qu'il y a ^^^J"/^;^^
un de ces degrés où Ion ne demande plus; mais au contraire il , '''?'"' .
*- J- ' haut point
dit en termes formels, que le gnostique coryphée , c'est-à-dire le ''"f^^ti™
parfait parmi les parfaits, celui qui %^i parvenu au sommet de la 'j"f?,""'
spiritualité , tk àx.poTï-a, et à la plus haute sublimité de lliomme ^^^l^^^^.
'parfait : celui à qui la vertu a passé en nature , en qui elle est '^«'•
devenue permanente et inamissible (au sens qu'on verra) est,
après tout, celui-là même qui fait toutes ces demandes"-.
Il est si parfait «qu'il est déjà avec les anges, et prie avec eux
comme celui cpii est lem' égal ^ » Et cependant il demande « à
n'être pas longtemps dans la chair; mais qu'il y vive comme un
spirituel et comme un homme salis chair , aarxoxc; ; et demande
aussi à la fois d'obtenir les biens excellens , et d'é^4ter les grands
maux. »
On voit donc que celui qui fait les demandes n'est pas seulement
appelé le coryphée , le souverain parfait, mais encore par toutes
les choses qu'on lui attribue qu'il a le \Tai caractère de perfection.
Ailleurs « le même gnostique, qui prie par la seule pensée,
toujom's uni à Dieu par la charité, et familier a^ ec lui '* : en un
mot un de ces parfaits que Dieu exauce toujours, comme il exauça
Anne mère de Samuel, « demande que ses péchés lui soient par-
donnés , de ne pécher plus , » et le reste que nous avons rap-
porté.
Je n'exagérerai point quand je dirai que j'omets trente passages
de même force , et qu'il n'y a rien de plus inculqué dans ce Père
que les demandes dans la bouche et dans le cœur des plus parfaits
spirituels.
Si l'on répond que ces prières des parfaits sont particulièrement x'-
inspirées, nous avons déjà répondu qu'on n'a pas besoin d'inspi- pnèresdes
ration particulière pom^ les choses qui sont de l'état commun de ^»"' '"'p'-
^ ■•- -'^ lees qu au
la piété chrétienne; et nous répondons encore plus précisément même sens
que le sont
1 Strom., lib. II , 396. — ^ Lib, VII , 720. — 3 Ibid., 74G. — * Ibid., Ub. Vi,
p. 665.
494 INSTRUCTION SUR LES ETATS DORAISON.
loatei les SUT saliit Clément qu'en tant d'endroits où il parle de ces prières
prières * r r
chrdien- des parfuits, il n"a pas donné la moindre marmie qu'il les attribue
nés.
à une autre sorte d'inspiration qu'à celle qui est commune à toute
prière chrétienne, ni il ne les fonde sur d'autres préceptes, ou sm*
d'autres promesses que sur celles qui sont données à tous les
fidèles. De sorte que ce recours à des inspirations extraordinaires
dans des choses qui regardent l'état conmimi du chrétien, visilîle-
ment n'est autr.' chose (pi' une échappatoire pour éluder ime vérité
manifeste.
'"' 11 ne reste plus (lu a examiner comment la vertu est inamissihle,
•Juc Ir pif- '^ '
fiildc c'est-à-dire ne peut déchoir dans l'homme parfait, selon saint
<aint Cle- '^ ' '
Dieni pra- Clément d'Alexandrie ; et d'abord il est bien certain que ce Père
rioeiion. gg^ bîcu élolgué de l'errem' df ('alvlu : au même endroit où il parle
ri le» prt- '^ '
caniion., alusi , il ;i (lit (lUf son Lrn<>sti(iut' . s(»n vcrUieux et son spirituel
>lquccV«l 1 ' I I
p"'* 'i»« parfait tJfinaïKlc « lir ne ti»iiiltrr |ttiiiil,se souvenant iiuil v a
in^i-rania- mènie (Ics iujgcs (|ui sont Ujmbés '. » 11 ne se croit donc pas
exempt «le la cbule ; mais la raison (pi'il a n^ndue de la constance
invincible de l'homme parfait dans le bien, est très-remarquable
pour le sujet que nous traitons. Car si le parfait se soutient, « c'est,
dit-il, très-volonliiirement par la force de la raison, jiiir l'iiitelli-
gt'me et par la prévoyance ou la précaution. » Voici un homme
bien éloigné du parfait des nouveaux mystiques, qui n'admettent
ni prévoyance ni réflexion, au lieu que celui de saint Clément en
est tout plein : ciU' « il arrive, poiusuit-il, à mie vertu indéfec-
tible, à cause de sa précaution qui ne se relàclu^ jamais, il joint à
la précaution, qui fait qu'on ne pèche point, It* bon raisonnement
i|ui appicnd à tliscerner les secours (ju'on peut donner à la vertu
pour la rendre permimenle : d'où il conclut que la comioissance
(pratique et habituelle) de Dieu est ime très-grande chose, puis-
qu'elle conserve ce qui rend la vertu indéfectible ; c'est-à-dire
qu'elle conserve les précautions, parmi lesipielles on a vu qu'il a
rangé la prière, lorsque touché de l'exemple des anges qui sont
tombés , il demande de ne tomùe?' pas comme eux. La vertu est
donc innnuable et indéfectible, parce que nous avons tous les se-
com"s qui peuvent la rendre telle, au même sens que David ilisoit :
« Shûm. ,\ih. vil, p. 726.
TRAITÉ I, LIVRE YI, N. XIII, XIY. 495
« Il règle tous ses discours avec jugement : éternellement il ne
sera point ébranlé; son cœur est toujours prêta se confier au Sei-
gneur; son cœm' est affermi et ne sera point ému % » et le reste
de même sens.
A la demande il faut ajouter l'action de grâces, dont saint Clé- ^'"•. ^
ment a parlé en cette sorte : « Le genre de prières de l'homme g^-^^^ de
riionmie
parfait est l'action de grâces pour le passé, pour le présent et pour p'"-''^"-
le fiitm-, qui est déjà présent par la foi - : » d'où l'on ne concliu-a
pas qu'il ne fasse point de demandes après toutes celles qu'on a
vues; mais seulement que l'action de grâces est toujours la prin-
cipale partie de la prière, comme on le voit partout dans saint
Paul. Loin d'exclure la demande, elle en est le fondement, selon
cet Apôtre, lorsqu'il dit : « Que dans toutes vos oraisons vos de-
mandes soient connues >à Dieu avec action de grâces =* » n'y ayant
rien de plus efficace pour obtenir le bien qu'on demande que d'être
reconnoissant de celui qu'on a reçu. C'est ce qu'explique saint
Clément, lorsqu'il recommande « l'action de grâces qui se termine
en demande \ » Et pour montrer que c'est là son intention, au
lieu où il dit « que le genre de prière du gnostique est l'action
de grâces % » il ajoute que ce gnosticjne demande <( que sa vie
soit courte dans la chair, de n'en être point accablé , d'avoir les
vi-ais biens et d'éviter les maux , d'être déhvré de ses péchés , »
et le reste. Tant cela est fondé sur l'action de grâces, par laquelle
on remercie Dieu d'avoir commencé en nous de si grands biens,
et de nous en avoir assm'é l'accomplissement par sa promesse.
Après tout cela on doit être convaincu que ces actes prétendus ^'v-
desinteresses sont enherement inconnus à la pieuse antiquité. On '^•^^^^^le»'
••■ prélendu
voit aussi combien lui est inconnue l'exclusion des actes réflexes. '''■^ "«"-
Qui fait des demandes distinctes sm^ ce qu'il a , sur ce qu'il n'a ^'"i"'-'
pas, y retlecmt : qui rend grâces a Dieu sur le passé, sur le pré- q"^'^ ces-
sent et sur le futm^, comme fait le spirituel de saint Clément, et '«flexion''.
inconnus à
qui comme lui « remercie d'être arrivé à la perfection de la con- i''n'i'i»"«
noissance % » c'est-à-dire de la spiritualité, y réfléchit aussi sans
doute, et il n'y a rien en tout point de plus opposé que le parfait
1 PsaL CXI. — 2 Strom., lib. V i i , p. 7:>U. — 3 P/U/., iv, 6. — * Strom., lih, III,
p. 427. — 5 Lib. Vil , p. 7i6. — ^ Ibid.; liid., p. 719.
496 INSTRUCTION SUR LES ETATS D'ORAISON.
de saint Clément, et celui des nouveaux auteurs que nous com-
battons.
Ou a^nVM P'^ ^^ même raison il est aisé de concevoir qu'il ne faut pas
générlL'. prendre au pied de la lettre le passage où saint Clément dit « que
Te^pùrlu l6 parfait spirituel ne doit point savoir quel il est, ni ce qu'il fait ;
'ne'con- P^ cxempk', CL'lui qui fait raumôue ne doit point savoir qu'il est
Ll'veruTs'. nnséricordieux ' . » Cela, dis-je, ne peut pas être universellement
véritable, et poui* les raisons générales qui ont été rapportées, et
encore pour des raisons pai'ticulières à ce Père ; autrement contre
la doctrine (ju"il vient (renseigner, ce parfait ne rendroit pas grâces
du passé, du présent et du futur, et encore moins d'être pai'venu
à la perfection.
''^' Après avoir éliUjli la demande des biens spirituels par tant de
'li.Mnli!'' rooycns, on peut encore proposer cette question , si les spirituels
'"' '",'" parfaits demandent aussi les biens temporels : et la raison de
douter est (jue saint Clément répète souvent (pie « son gnostique
ne ilc'maiide pas les i>ii'iis temporels, parce (]u'il sait que l)i(Mi les
dttliue aux gens de bien saJlS iprils les (leiliaildeilf -'. »
La difli<'ulté se résout par les endroits, ([iii sont infinis, où ce
l'ère a supposé, ce que persomie aussi ne révociue en doute, que
l'homme parfait, assistant aux prières commîmes où l'Eglise de-
mande les biens temporels, y assiste d'esprit autant cjue de corps ,
disant Amru avec tous les autres sur toutes les oraisons. 11 est
donc (U'-Jà bien certiiin de ce (;ôté-là , qu'il deniiuule avec tous les
saints les biens temporels.
Saint Clément s'en (^xplicpie encore plus précisément, lorsqu'il
dit que « le gnostii]ue prie avec les nouveaux croyans sm* les
choses qu'ils ont à traiter tous ensemble avec Dieu ' : » c'est-à-dh-e
sans difficulté sur toutes les choses temporelles et spirituelles qae
l'on attend de sa grâce, ce qui confirme «pie comme les autres,
les parfaits font de vi'aies d(Mnandes bien formées et bien ré-
fléchies.
XVII. Cette manière de demander les biens temporels, bien loin d'être
mande H.- mteresscc, est d une chai'ite ex([uise, pmsqu û est vrai que sans
'Vo^ir le secours de ces biens plusieiu-s fidèles succomberoient à la ten-
• » Strom., lib. IV, ii. .'i29. — ' Lib. VII , p. 726. — ' Ibid., p. 728.
TRAITÉ I, LIVIÇIE VI, N. XVIII. 497
tation d'impatience et de désespoir. Mais en les demandant avec n'e?tpas
TEglise, le vrai spirituel se distingue-t-il du reste des chrétiens,
et ne dit-il pas avec eux dans le même esprit de simplicité :
c( Donnez-nous les biens de la terre, un temps bénin, la santé, la
paix, » et ainsi du reste? On seroit trop insensible aux intérêts
du genre humain, si l'on négligeoit de telles prières. Ainsi le
spirituel comme vrai membre de l'Eglise, et comme rempli de
l'esprit de la fraternité chrétienne, se met dans la cause com-
mune, et il demande pour lui-même comme pour les autres. Que
veut donc dire saint Clément, quand il dit que le gnostique ne
demande pas les biens temporels , sinon qu'il ne les demande pas
toujours en particulier, et ne les demande jamais comme absolu-
ment nécessaires, se reposant sm* Dieu qui sait les doimer autant
qu'on en a besoin pour le salut?
La raison que ce Père apporte pour ne demander point les biens xvm.
temporels est remarquable : « C'est, dit-il, que Dieu les donne d.'deman-
sans qu'on les demande. » Il enpouvoit dire autant des biens spi- lument'et
rituels, si l'esprit de l'Evangile n'y eût résisté; mais Jésus-Christ diiion.
en nous défendant « de nous inquiéter des biens temporels comme
les Gentils, parce que notre Père céleste sait de quoi nous avons
besoin , » a expressément ajouté : « Cherchez le royaume de
Dieu ', » quoique notre Père céleste ne sache pas moins le besoin
que nous en avons. C'est que ce Maître divin veut exciter en nous
les bons désirs pour lesquels nous sommes pesans, et amortir
les désirs des sens pour lesquels nous sommes trop \ifs. Outre
cela il nous veut apprendre à faire la distinction des] biens qu'il
faut demander absolument, comme sont le royaume de Dieu et la
justice, et de ceux qu'il faut demander seulement sous condition,
et si Dieu veut. Car on suppose pour les premiers que Dieu les
veut toujours donner, et à tous , comme saint Clément l'enseigne
perpétuellement après l'Apôtre.
Au surplus Jésus-Christ lui-même nous a appris à dire : Panem
7iostrum , où constamment l'un des sens est de demander les
biens temporels. Le parfait spirituel n'exclut pas cette demande
du nombre des sept, et si l'on dit néanmoins qu'il ne demande
^ Multli., \\ , 31.
TOM. XV m. 32
498 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORATSON.
rien de temporel, c'est comme Ton "\ient de dire qu'il ne le de-
mande ni comme un bien absolu , ni absolument ; mais par rap-
port au salut , sous la condition de la volonté de Dieu ; ce qui est
plutôt demander la volonté de Dieu que ces biens mêmes.
Ainsi tout est expliqué : la sécheresse des nouveaux mystiques,
qui ne veulent rien demander à Dieu, est confondue dès l'oriprine
du christianisme ; on voit qu'il faut demander même les biens
temporels, mais avec restriction : et la manière différente dont
on doit demander les biens spirituels, confirme l'obligation de
les demander en tout état.
*"; Mais comme saint Clément d'Alexandrie a tant parlé des par-
de u ton- faits, et qu'il semble en avoir porté la perfection jusqu'à leur ôter
e»i pcrpr- jjj concupiscence cl les élever à l'apathie * , c'est-à-dire à Tiniper-
turbabililé, il faut entendre d'abord que ce parfait, dont il est dit
de si grandes choses, selon lui, est composé de deux esprits,
dont l'un convoite contre Vautre, conformément à cette parole de
saint Paul : a La chair convoite contn> Tesprit et l'esprit contre
la cliair* : » car la chair a inie partie de l'esprit qui lui adhère,
comme (lit le uièuie saiut Paul : « Je ne fais pas (parfaitement)
le bien que je veux, parce (jue j'ai en moi un mal inhérent, et
une loi qui s'oppose au bien \ » Ce principe étant supposé avec
saint Paul par saint Clément, il faut entendre au septième livre
oïl il pousse au dernier degré de perfection l'idée du gnostique ,
les con'ectifs qu'il y met, en disant que « Ihomme parfiiit a en
sa puissance ce qui combat contre l'esprit ' : » il n'en est donc pas
entièrement délivré; mais il le tient sous le joug, l'u \\v\\ aitrès :
« L'homme parfait s'élève courageusement contre la crainte, se
fiant en Notre-Seigneiu' : » c'est la posture d'un homme qui la
cond)at. Et dans la suite : « 11 fait la guerre à la malice, » à la cor-
ruption qu'on porte en soi-même : elle résiste donc, elle combat.
\'\\ peu après " : « 11 réprime et châtie sa vue quand il sent un
[ilaisir dans ses regards. » Et encore : « 11 s'élève contre lame
corporelle;» c'est-à-dire, comme il l'exphque, contre la partie
sensitive de l'ame : « mettant un frein à la partie irraisonnable
• Strom., lih. VI , p. 610-C.jI ; lil). VII, p. G52, 725. — » Galui., y, l7. —
3/ÎOTO., vu, 19, 21. — *5/rowj., lib. VII, p. 725. — » Ibid.,^. 744.
TRAITÉ I, LIVRE YI, N. XX. 499
qui se soulève contre le commandement (de la raison)^ parce que
la chair convoite contre l'esprit. » Un des effets du combat perpé-
tuel que saint Clément reconnoît avec tous les saints dans les plus
parfaits^ est qu on y reçoit quelques légères blessures, et qu'on
y tombe dans ces péchés qu'on appelle véniels. Ainsi la vie chré-
tienne est une perpétuelle piuification : la plus parfaite spiritua-
lité n'en est pas exempte ; et saint Clément dit expressément que
toute piue et toute parfaite qu'elle est, non-seulement elle est
prompte à se purifier, mais encore elle est elle-même la plus pjar-
faite purification de l'ame \ Ainsi la pmification est de tous les
états ; pourquoi non, puisqu'on y demande dans les états les plus
parfaits la rémission des péchés et la grâce de n'en plus com-
mettre ^? Après avoir reconnu ces vérités, comment saint Clé-
ment n'am'oit-il pas vu qu'il est nécessaire qu'un chrétien, qui
selon la foi catholique, après tout, jusqu'à la fm de sa vie est un
pécheur, ne cesse de se purifier : « Qu'encore qu'il soit lavé, il
lave encore ses pieds ^, » selon le précepte du Sauveur, « et qu'é-
tant juste, il se justifie de plus en plus '" ? »
C'est à cause de ces combats et de ces péchés que la mortifica- m.
De la moi-
tion est nécessaire en tous les états , pour les expier et pour les uticaiioD
prévenir. Aussi avons-nous vu que saint Clément attribue aux '«-nto en
^ ^ tout «l:it.
plus parfaits l'obhgation d'accomplir ce précepte de l'Ecriture :
L'oraison est bonne avec le jeûne. Yoilà pour ce qui regarde les
austérités communes à tous les saints : mais ce saint prêtre re-
connoît aussi ceUes que chacun peut s'imposer à soi-même selon
les besoins ; et c'est ce qui lui fait dire en parlant des gnostiques
ou des parfaits qui vivent dans l'état conjugal : « Qu'il arrivera
peut-être que quelques-uns d'eux s'abstiendront de viandes , de
peur que la chair ne se laisse trop emporter au plaisir des sens ^ »
Ainsi il n'est au-dessous d'aucun chrétien, pour parfait qu'il soit,
de mortifier la chair par quelques austérités ; et saint Clément
loue en général, et sans distinction d'aucuns états, la sentence de
ce philosophe qui donne la faim, c'est-à-dire l'abstinence et le
jeune, pour le vrai remède de la sensualité ".
1 S/rom., lib. vil, p. 732. — 2 Lili. Vf, p. GGo.— * 7ow., xiii, 10.— * .ipoc. xxii,
H. — 5 Slrom., lib. Vil, p. 718. - e Lib. II, p. 413.
500 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D ORAISON.
XXI. On voit par là qu'en tout et partout il est opposé à nos faux
feciio/Mi parfaits ; et aussi u"a-t-il jamais dit que son gnostique fût inalté-
îl'ncX rable, imperturbable, impassible, sans apporter à ces grands
vLigeTe mots ces correctifs nécessaires : Autant qu' il se peut, autant que
'mTntsur Vétut (le ccttc vic le permet^ ; ou ceux-ci : // tache de l'être, il
veut l'être - , il fait tous ses efforts pour y parvenir ^ : ce qu'il
explique de dessein formé par ces paroles : « Pour moi je demeui;e
souvent étomié comment quehjues-uns osent s'appeler parfaits et
gnostiques, se faisant par ce moyen plus parfaits que 1" Apôtre
même, qui dit ' : « Non que j'aye encore atteint au but que je me
propose, ou que je sois déjà parfait, je m'avance donc, oubliant
ce qut' j'ai fait, et m'étendant à ce qui me reste à accomplir, je
cours sans cesse, » etc. Ainsi il s'estime parfait par rajiport à sa
vie passée dont il a été délivré , et il rn poursuit une meilleure,
non pas connue étant parfait dans la connoissance ( yûoîi ) , dans
la si»iritnalilé , dans la science de Dieu, mais connue désinmt co
qui est parfaite »
On \(>il par ce beau passage qu'il y avoit dès ce temps, conmie
il y en a toujnurs eu, de fan.\ {tarfaits (jui s'imaginoieni diîs états
de perfection au delà des bornes de cette vie. Saint Clément lem*
fait voir comment on est parfait, qu'on l'est non absolument, mais
seiUement par conq)arais()n aux états inférieurs, et à cause qu'on
tend à l'être et (ju'on le désire. Ainsi la description du fjnoslique
ou du parfait spiiituelen cette vie est une idée de perfection, qui
marque ce cpi'on poiu>uit plutôt (pic ce (|u"on possède. -Si après
cela on se tronq)e dans la jjeiiection que .^aiul Clénieid attribue à
son gnostique , ce n'est pas la faute de ce savant prêtre , et il
n'aura pas attribué aux autres .^piriiuels ce qui manquoit à saint
l'aul.
xxii. 11 sexplitpie souvent sm' celte matière, et voici mi des plus
beaux endroits : «Un gnostique, un si»irituel qui de bon etlidèle
serviteui* est parvenu à être ami [)ar la cbarilé , à cause de la
perfection de l'babitnde qu'il s'est acqui.se et où il est établi
avec mie grande pureté, qui est orné dansjses mœurs et qui a
1 Strom., lib. IV, p. -M. — - Lib. Vil, \k r:>2. — » Ibid., p. 723. — * PhiL,
\n, u. — ' l'udo'j., I , G, p. 107.
Autre pas
TRAITÉ I, LIVRE W, N. XXIII. oOl
toutes les richesses du véritable spirituel : le voilà ce me semble
assez parfait : et néamnoins celui-là même fait de « grands efforts
pour arriver à la souveraine perfection K » Ses efforts ne cessent
jamais, parce que la vraie perfection n'est pas de cette vie ; c'est
pourquoi aussi on a ^^i quil ne cesse de désirer et de demander.
Quand après cela on trouvera dans ses écrits que la parfaite
habitude de Thomme spirituel « n'est pas une modération , mais ^^"'•
■■- -L -^ En coiu-
un entier retranchement de la convoitise - : » si on prenoit ses '•'•'".'*•
^ manierez
paroles en toute rig-ueur, on voit bien qu'il en diroit trop et plus """dL'.r
qu'il ne veut, et par conséquent qu'il faut entendre ce retranche- <^'"'= "''•
ment par rapport à certains effets , et non point par rapport à
tous. Ainsi on est impassible et imperturbable, parce que non-
seulement on tâche de l'être , selon les idées de notre auteur, mais
encore qu'on l'est en effet jusqu'à un certain point. On l'est pour
les effets essentiels, et non pas pour tous les effets ; ou pour parler
plus précisément avec saint Augustin ^ on l'est non quant à l'effet
d'accomplir dans le dernier degré de perfection ce précej)te : Non
concupisces : « Yous ne convoiterez point , » vous n'aurez point de
concupiscence ; mais quant à l'effet d'accomplir cet autre précepte :
«Vous n'irez point ax^rès vos concupiscences, » vous ne vous y li-
"VTerez point : en un mot, on est impassible et imperturljaljle par
comparaison aux foil^les dont l'état est toujours vacillant. J'ajou-
terai selon la doctrine du même saint Augustin, que la grâce
chrétienne contient toutes ces qualités, et l'impeccabilité même ;
en sorte que si nous usions comme nous devons de cette grâce ,
nous ne pécherions jamais : mais comme « le Saint-Esprit a prévu
que nul homme n'y seroit fidèle autant qu'il faudroit, ni ne dé-
ploieroit autant les forces de sa volonté qu'il est nécessaire poiu' en
profiter dans toute son étendue, le Saint-Esprit a révélé que tout
homme seroit pécheur , foible et imparfait jusqu'à la fm de sa
vie*^; » en sorte, comme dit le même Père, qu'en tout état « la
justice présente consiste plutôt dans la rémission des péchés
que dans la perfection des vertus ^ »
1 Sirom., Mb. VII, p. 733, 736, — 2 Ib<d., Ub. VI , p. 651. — ^ De nupt. et
concup., lib. 1, cap. xxiii, n. 23, et alibi passim. — * Lib. 1, de pecc. mer., cap.
XXXIX, n. 69. — ^ De Perfed. jiist., per lot. tom. X.
S02 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
XXIV. Outre ces solutions générales , qui servent de dénouement à
uon d'un tous les passages de saint Clément, on trouvera en particulier et
m'îlldi'"' ^^^ charpie lieu une clef pour en ouvrir l'intelligence : par
'^hii"^"' ^^"^mplCj dans cet endroit, qui est le plus fort, où il dit « que son
{^■*'J p"'"' parfait spirituel non-seulement n'est pas corrompu, mais encore
n'est pas tenté *, » il faut ajouter le reste que voici dans la même
page : c'est que ce parfait spirituel, ce gnostique demande à Dieu
la stabilité de ce qu'il possède, d'être rendu propre à ce qui lui
doit encore arriver, et de conserver éternellement ce qu'il a déjà.»
On ne peut pas dire qu'il ne s'agisse pas ici des plus parfaits ,
puisque celui dont ou parle est ce gnostique qui ne donne rien
du tout à ses passions, qui est immuable, et n'est pas même tenté ;
c'est celui-là néanmoins qui « demande que les vrais biens qu'il a
dans l'esprit lui soient donnés et lui demeurent, » Un peu après :
« Il a et il prie; » comme qui diroit : Il a et il n'a pas. Il n'a donc
pas parfaitement et absolument. « Il tâche d'être spirituel par un
amour sans bornes: » c'est donc un homme qui tàdie; et c'est
pourquoi on ajoute : « Il fait les plus grands eflbrts pour possé-
der la puissance de contempler toujom's, » encore qu'il l'ait déjà
en un certain sens ; mais il s'efforce de la posséder de plus en plus,
comme il a été explicpié : « Il a en sa puissance ce qui combat
l'esprit : » il n'est donc pas, encore un coup, entièrement délivré
ni imperturbable.
Il ne sera pas hors de propos de considérer ce que les anciens
ont pensé de l'apathie ou impassibilité, depuis que les erreurs de
o!.''''imïi'r- Jovinien et de Pelage ont rendu l'Eglise plus attentive à cette
iurb,ib.iité matière. Saint Jérôme en écrivant contre ce dernier, a remarqué
qu'Evagre de Pont avoit publié un livre et des sentences sur l'a-
pathie, u que nous pouvons, dit-il, appeler impassibilité ou im-
perturbabilité, qui est un état où l'ame n'est émue d'aucun trouble
\icieux, où, à parler franchement, on est une pierre ou un
Dieu *. » Les Latins n'avoient jamais donné dans ces sentimens,
et ne connoissoient pas ces expressions ; mais Rufm traduisit ce
livre de grec en latin, et le rendit commun en Occident. Cassien
dans les Conférences qu'il publia des Orientaux , parle beaucoup
» Strom., lib. Vil , p. 725. — "- E-ù-^t. ad Cirsiiih.
XXV.
Senlimrns
des an-
ciens sur
TRAITÉ I, LIVRE YI, N. XXVI. 503
d'apathie, mais avec de grands éclaircissemens que nous verrons
dans la suite. Du temps de saint Jérôme cette matière fut un
grand sujet de contestation parmi les solitaires : ce Père, comme
tous les Occidentaux, fut fort opposé à l'apathie, et encourut pour
cela rindignation de la plupart des moines d'Orient, comme il
paroît dans Palladius. A la fm les livres d'Evagre furent condam-
nés dans le concile v, avec ceux d'Origène, dont il étoit sectateur;
et la doctrine de l'apathie a été mise depuis ce temps-là parmi les
erreurs. On voit même dès auparavant , et même dans saint
Jérôme ', qu'Evagre avoit été condamné de son temps par les
évêques, et la condamnation de l'apathie passe pour constante.
Il faut pourtant demeurer d'accord que ce terme à' apathie étoit xxvi.
Div
famiher aux spirituels parmi les Grecs , tant devant le concile v ^'^p™'-
. sions des
que depuis. Un le trouve dans saint Macaire, disciple de saint p^^s
»recs :
Antoine : l'apathie fait un des degrés de l'échelle de saint Jean conformité
Climaque ^ : mais partout on en parle plutôt comme d'ime chose Laims :
, -, belle prié-
ou 1 on tend, que comme d'mie chose où l'on arrive. Yous voyez ^e de saim
. . Arsène.
ces spirituels Grecs dans un combat perpétuel contre leurs pen-
sées , et selon Isaac Syrien ^, ce combat duroit jusqu'à la mort.
Combattre ces pensées , c'étoit combattre les passions qui les fai-
soient naître. C'est à cause des passions qu'on n'avoit jamais assez
vaincues que saint Jean Climaque disoit « qu'après avoir passé
tous les degrés des vertus, il falloit encore demander la rémission
de ses péchés , et avoir un continuel recours à Dieu, qui seul
pouvoit fixer nos inconstances*. » Il n'y avoit rien qu'on fît tant
craindre aux solitaires que la pensée d'être arrivé à la perfection ;
et on raconte de saint Arsène, ce grand solitaire, dont la vertu
étoit parvenue à un si haut degré, qu'en cet état il faisoit à Dieu
cette prière: « 0 mon Dieu, faites -moi la grâce qu'aujom^d'hui
du moins je commence à bien faire ^ » Ainsi les aines les plus
consommées dans la vertu , bien éloignées de se croire dans la
perfection de limpassibilité, ou de faire cesser leurs demandes,
faisoient celles des commençans : comment, s'ils ne sentoient rien
' Episl. ad Ctesiph.— 2 Grad. liO. — » This. ascet., opusc. xii, p. SOS, 309.
— '^ Grad. 38, de Aut. — s Thes.uscet., opiiic. xvi, Theod. Archiepisc. Edess.,
p. 40j.
504 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON. .
à combattre en eux? Il faut avouer après cela que le terme d'a-
pathie n'est guère de saison en cette vie : saint Clément dAlexan-
drie s'en est servi si souvent pour attirer les philosophes qui ne
connoissoient de veiiu que dans cet état : tous y aspiroient jus-
qu'aux épicm'iens. C'est par là que ce Père a mis ce terme en
vogne ; mais il y a apporté les tempéramcns que nous avons mis,
qui reviennent à la doctrine de saint Augustin et de toute l'E-
glise catholique , sm* les combats et l'imperfection de la justice de
celte vie.
XXVII. Après saint Clément d'Alexandrie, celui des anciens qui est le
Sentiment '■ ' ^
ronforme pius proprc à coufoudre les novateurs, c'est Cassien , parce que,
quelle per commc salut Clément, il a expressément traité de l'oraison des
fectiiin il ■*•
rcconuoit parfaits contemplatifs, et même de leur apathie, qu'il appelle
fïinis. comme lui leur lutnwbile et eontinuello triniquiJlitr , mais avec
les mêmes tempéramcns. Car d'abord , dans la neuvième confé-
rence, où l'abbé Isaac commence à traiter de l'oraison, il enseigne
que les parfaits doivent «tendre à cette inunobile tran(|uiHité de
l'esprit, et à la parfaite pureté de cœur, autant que la fragilité
humaine U; .peut souffrir: quantum humnnœ frafjiUtati conce-
ditur '. » Or cette fragilité (pii reste dans les parfaits consiste en
deiLX points, dont l'un est le perpétuel combat de la convoitise
jusqu'à la fin dt^ la vie : le second est l'inévitiible assujettissement
au péché tmit qu'on est sur la terre.
Mviii. Il pousse si loin le premier point dans ses Institutions nionas-
ii..." I .• tiques , qu'il ne craint point d'assurer « que les comliats aug-
coniiuiirc. mentent avec les triomphes, de pem'que l'athlète de Jé.sus-Clu'ist,
corrompu par l'oisiveté, n'oublie son état* : » ce qui est vrai
principalement de l'orgueil à qui tout, jusqu'à la vertu et la per-
fection, sert de pâture : « Et, dit-il, l'ennemi que nous combattons
est enfermé au dedans de nous, et ne cesse de nous condjattre
tous les jours, afin que notre comliat soit un témoignage de notre
vertu. »
Pour ^'enir aux Conférences , la sixième, qui est de l'abbé
Théodore, nous montre les plus parfaits en cette vie, « comme
gens qui remontant une rivière, en combattant le courant par de
» Coll. IX, de Orat. — » Lib. V, c. xix, xxi; p. G9l , G93.
TRAITÉ I, LIVRE VI, N. XXIX-XXXI. SOS
continuels efforts de rames et de bras : d'où il conclut que , pour
peu qu'on cesse d'avancer, on est entraîné ; ce qui oblige, dit-il,
à une sollicitude qui ne se relâche jamais ' : » par où il fait voir,
dans les plus parfaits, des exercices actifs jusqu'à la fm de la vie.
11 conclut encore qu'il n'y a personne de pur sur la terre ; ce qui
démontre que le repos et la pureté de cette vie ne peut jamais
avoir ce nom à toute riguem', ni autrement qu'en comparant un
état à l'autre.
Dans les conférences xxn et xxni , l'abbé Théonas entreprend ^'^'^•
de prouver que ce n'est point en la personne des infidèles , mais ''y^i"'
en la sienne propre, c'est-à-dire en celle de tous les fidèles, sans fg '";;("„':
en excepter les plus parfaits, que saint Paul a dit : Je ne fais pas ^^^^ ^^\^
le bien ciue je veux, et le reste; où ce saint Apôtre porte ses gé- '"i,™/"'^.
missemens sm- le combat de la convoitise, jusqu'à cette excla- r^^i^'iis:
' " ^ le pèche
mation : Malheureux homme que je suis ! Le docte aljbé conclut " "'^■' "'«-
^ ■' vilable.
de là « que les plus forts ne soutiennent pas un combat si conti-
nuel sans y recevoir quelques blessures ; que les plus saints et les
plus justes ne sont pas sans péché, c[ue ce n'est pas seulement
par humilité, mais en vérité qu'ils se confessent impurs '^ »
Pour ce qui regarde les demandes, Cassien n'a pas seulement xxx.
songe à les interdire aux parfaits contemplatifs, et une telle peu- p^i-fiits
see n'etoit entrée dans 1 esprit d aucun chrétien avant nos jours ; liis. ^ei»»
, Cassien,
au contraire parmi les six caractères de la plus sublime et de la f""t -^vec
David de
plus simple oraison, le second est, selon Cassien, « de crier tous cor.iinuei-
les démail-
les jours, » ([uotidie, comme «un humble suppliant,» suppliciter, «Jes.
avec David : « Je suis un pauvre et un mendiant; ô Dieu , aidez-
moi ^ » Yoilà donc dans le plus haut état de la contemplation,
non pas l'extinction des demandes, mids ime demande continuelle
du secours de Dieu.
Il V a dans la neuvième Conférence un chapitre exprès *, où il ^^^^
' s. i. ^ Autre p:
est j)arlé de cette intime et simple oraison qu'on fait à Dieu en si- ^'
lance, et après avoir fermé les portes sur soi, selon le précepte de ^^
l'Evangile ; et on y donne aux parfaits qui la pratiquent des
marques pour connoître qu'ils sont exaucés ; ce qui suppose qu'ils
1 Coll. VI, c. XIV, |). 805. — 2 Coll. XI, 9; coll. xxii. S, 9; coll. xxiii, 17, 18.
— 3 Coll. X, c. XI. — '►Coll. IX, 34; Ibid., 33.
pas-
sage pour
s démon-
S06 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
demaudoient. Parmi ces marques, la principale est de finir tou-
jours sa demande, postulatio , à l'exemple de Jésus-Clmst dans
son agonie, en disant : « Que ma volonté ne se fasse pas, mais la
vôtre : x> d'où il ne faut pas conclure qu'on ne doive rien deman-
der en particulier, mais en général seulement la volonté de Dieu;
car Jésus-Christ , dont Cassien allègue ici l'exemple , faisoit bien
certainement une demande particulière ; et sil ne s'agissoit que
de demander la seule volonté de Dieu en général, on seroit tou-
jours exaucé ; de sorte qu'il n'eût pas fallu chercher les moyens
et les assurances de lètrc, qui est ce que cet auteur se proposoit
dans ce chapitre,
xxxii ^^ reste cette demande riuil faut terminer en disant : Non ma
,„a.,d, v,n f.(jiQjiiA jyifiis id i;C,tre, ne regarde pas les biens éternels et du
salut, non ^ 7 o i
rùem.--". salut, comme il paruît par l'exemple qu'on produit de Jésus-Christ
TuiU'i.'' dans la prière du Jardin, dont le calice de sa passion étoit le sujet.
^,'"'"'h';,.,. Car pour ce rjui regarde le salut, Cassien en expliipiant cette de-
T'u"o- niande de rOraison Dominicale : Votre volonlê soU faite, remarque
^''^^'^ ';,_, que « la volonté de Dieu est que tous les hommes soient sauvés • : »
"''^"- de sorte que demander l'accomplissement de la volonté de Dieu,
c'est demander le silut de tous les hommes, où le nôtre est com-
pris ; ce n'est donc pas ici le cas de dire : Votre volonté soit faite,
et non la mienne, puisqu'on suppose manifestement que sur 1»^ su-
jet de notre salut la volonté de Dieu est déclarée,
wxiu. Ainsi cette demande : /•'/«/ voluntas, (lui est selon Cassien la nlus
'"rtiini' P^^''f'^'^(^ d*? toutes*, et la vraie demande desenfans, et par consé-
"' '"' quent des parfaits, comme il l'explique lui-même, contient lade-
'"" ^^V mande de notre salut. Elle est encore contenue dans cette de-
sien, et
tKvci.Mn. mjinde ; Votre rèfine arrive. Car ce règne, dit Cassien, consiste en
deux choses, dont l'une est que Dieu règne dans les saints, quand
il en chasse les vices ; et l'autre, qu'à la fin il prononce : Veiiez,
les bien-aimés de mon Père ; pussédez le royaume'^, etc. On de-
mande donc son salut en demandant le règne de Dieu ; et cette
demande est celle des plus parfaits, puisqu'elle est, selon Cassien,
du plus pur esprit iSecundapctitio mentis pur issimœ ; casi-h-àiTe
sans difficulté, du plus pur amour, puisque ce qu'on y regarde, et
« Coll. IX, c. XX. — i l/.id. — 3 iLid., c. XIX.
TRAITÉ I, LIVRE VI, N. XXXIV, XXXV. 307
rintérêt qu'on y prend, c'est que le règne de Jésus-Christ soit par-
faitement accompli.
C'est une doctrine constante de saint Augustin et de tous les xxxiv.
° Ce qu'il
Pères , que Jésus-Christ en nous proposant l'Oraison Dominicale faut pen-
comme le modèle de la prière chrétienne , v a renfermé tout ce r^i^sage de
" _ _ Cassien,
qu'il falloit demander à Dieu : en sorte (m'il n'est permis ni d'y "" " p^-
aiouter d'autres demandes, ni aussi de se dispenser en aucun état "•"•i^ine
" '- oraiscm a
de faire celles qu'elle contient. Le Père la Combe oppose à cette loraison
doctrine des Pères un passage de Cassien, oùilreconnoit une orai- '-^'e-
son plus parfaite que cette divine oraison. Il est vrai que seul des
anciens, et contre leur autorité , il a prononcé cette parole. Je
pourrois donc bien ne m'arrèter pas à l'autorité de Cassien, qui
d'ailleurs est affoiblie par les erreurs qui l'ont fait ranger par le
'pape saint Gélase, et par le concile romain, au nombre des auteurs
suspects. Outre ses erreurs sur la grâce, il y a d'autres points en-
core où l'on ne le suit pas \ comme est celui du mensonge et
quelques observations sur la chasteté , que les spirituels ont im-
prouvées. Ainsi en lui laissant l'autorité que lui donnent les règles
des moines sur les exercices de leur état, on pourroit mépriser la
préférence qu'il attribue àja sublime oraison sur l'Oraison Domi-
nicale. Mais après tout je suis obligé de reconnoitre de bonne foi
qu'encore que son expression soit inouïe avant lui, et que depuis
personne ne l'ait suivie , dans le fond il convient avec tous les
Pères que tout ce qu'il faut demander se trouve dans l'Oraison
Dominicale "-, et qu'il n'y a rien de plus élevé ni de plus grand
quanta la substance des demandes; de sorte que la préférence de
cette oraison sublime ne regarde que la manière de prier. L'excel-
lence au. Pater est, non-seulement que cette oraison est la plus
parfaite de toutes les prières vocales , mais encore quant au fond,
que dans l'oraison même la plus intérieure, qui est celle du
cœur, bien qu'elle soit plus parfaite par la manière , on n'a rien
à demander de plus excellent que ce qui est renfermé dans ce
modèle.
Ainsi Cassien ne connoit non plus que les autres ce désintéres- i,,,^i'Jfg]^;„
' Lib. VI Instit., cap. xx, xxii, xxiii; Coll. xv, c. x. — ^ Lit,, instit., c. xx,
XXVIII.
508 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS DORAISON.
dera.'ien semeiit Douveau , que nos mystiques font consister dans la sup-
rcfardc prcssion des demandes. Celui-ci , comme on vient de voir , an-
l'esperan- '' ' ^ ^
te cniD.ne prcnd aux plus parfaits à demander, et à demander tous les jours;
et s'il parle de cet amour désintéressé qui n'agit ni par la crainte,
ni par Fespérance' : il s'explique précisément que l'espérance,
qu'il appelle mercenaire ou intéressée , et quil exclut à ce titre de
l'état de perfection, est « celle où Ton ne désire pas tant la bonté
de celui qui donne, que le prix et l'avantage de la récompense *, »
Si donc dans la récompense on regarde la gloire de Dieu déclarée
par ses largesses et par ses bontés, ou aura , selon Cassien , une
espértmce désintéressée.
fi"y.ne ^6lon cet esprit il décide que « la fin de la profession chrétienne,
'"''" '•'"' c'i.'st le rovaume des cieux, et qu'on endure tout pour l'olitenir ' : »
,""•"' il n'en regarde donc pas le désir et la poursuite comme notre in-
ccliircie. <- 1 1.
térêt, mais comme la fin nécessaire de notre religion. C'est pour-
quoi en parlant des âmes parfaites qui ont f/nt/fé jxir avance la
gloin^ du ciel ', il veut que leur exercice soit « de désirer comme
l'Apùtre d'être avec Jésus-Christ, de s'élever au désir de la perfec-
tion, et à l'espérance de la béatitude future". » Ce n'est donc pas
un intérêt propre et imparfait, mais un exercice des pai-faits de
désirer Jcsus-Christ, et dans lui sa béatitude et son salut éternel,
puisque, connue on a déjà dit, cela même en vérité, et aussi selon
Cassien, c'est désirer l'établissement du règne de Jésus-Christ et
le dernier accomplissement de la volonté de Dieu,
xxxvii. On demandera si à- cause que Ca.ssien, et avant lui le saint doc-
«uTi*« tour de l'Eglise d'Alexandrie, parlent sans cesse de la perpétuité
mi lari.. ct contiiMiité de la contemplitiou et de l'oraison dans les parfaits,
pcriioiJi et en [)articulier dans les solitaires, il faut conclure de là (pi'ils
V."," ont reconnu cet acte unique ct continu, qui fait tout le fondement
''T' 'qut'. j^, 1^ nouv<>lle oraison ; et je réponds que non, sans hésiter.
Cassien dès la première Cniifôroiicp, qui est de l'abbé Moïse, où
il est traité de la fin fpie le solitaire se doit proposer, établit trois
choses : l'uni' (lurla vie monastique, comme toute autre profes-
sion, « doit avoir une intention et une destination fixe, et qui ne
cesse jamais; l'autre, qu'il n'est pas possible de s'attacher conti-
iColl. .XI, etc. — » /i.jC. X.— ' Cnll. i,c. III, iv.— '• lb.,c. xiv.— s/6., c. xvin.
TRAITÉ I, LIVRE YT, N. XXXVIII. 509
nuellement à Dieu clans la fragilité de ce corps mortel ; la troi-
sième, que quand il y a eu quelque interruption, notre intention
nous apprend où nous devons rappeler notre regard , et s'affli-
geant d'avoir été distraite, toutes les fois qu'elle l'a été, elle croit
s'être éloignée du souverain bien. « Ce qu'il ajoute est terrible, que
l'ame j'egarde comme une espèce de fornication de s'éloigner de
Jés'is-Christ, quand ce ne seroit qu'un moment ' . »
De tout cela il faut conclure, premièrement que l'intention sub-
siste toujours, en quelque manière que ce soit, et secondement
qu'elle ne peut pas toujours subsister en acte formel; autrement
on n'auroit jamais besoin de rappeler son regard à Dieu, ni de
tant déplorer ces momens où l'on a été éloigné du souverain bien,
puisqu'on ne l'auroit en efîet jamais été. Yoilà ce que Cassien a
tiré de l'abbé Moïse, qu'il nous donne comme un homme qui ex-
celloit « en pratique comme en théorie, et également dans la vie
active et contemplative : Non solùm in actuali, veriim etiam in
theoricà virtiite -. »
Cette matière revient dans la Conférence xxni, où l'abbé Théo- xxxvm.
nas entreprend de confirmer par beaucoup de preuves ce qu'il ^l^^l^nr
allègue de YEcclésiaste, « qu'il n'y a point de juste sur la terre qÙëiTcon"-
qni fasse bien, et ne pèche pas. C'est, dit-il, que le plus parfait de ''n?peu°
tous les justes, tant qu'il est attaché à ce corps mortel, ne peut
posséder ce souverain bien de ne cesser jamais de contempler
Dieu ^ » Et un peu après : « Nous assurons que saint Paul n'a
pu atteindre à cette perfection ; et que son ame, rruoique sainte et
sublime , ne pouvoit pas n'être pas quelquefois séparée de cette
céleste contemplation par l'attention aux travaux de la terre, etc.
Qui est celui , poursuit-il, qui ne mêle pas dans l'oraison même
des pensées du ciel avec celles de la terre, et qui ne pèche pas
dans le moment même où il espéroit obtenir la rémission de ses
péchés? Qui est l'homme si familier et si uni avec Dieu, qui puisse
se réjouir d'avoir accompli un seul jour ce précepte apostolique
de prier sans cesse? Et quoique les hommes grossiers fassent peu
de cas de ces péchés, ceux qui connoissent la perfection se trouvent
très-chargés de la multitude de ces choses, quoique petites *. »
1 Coll. 1, c- IV. — 2 Ibid., c, VII. — 3 Coll. xxiiij c. V. — '* Ibid., c. vu.
per
prtiiolle.
510 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
Cassien ne finit point sur cette matière ; c'est pourquoi, dans la
Conférence suivante ', il établit la nécessité de relâcher l'esprit,
même à Végard des plus parfaits et des plus experts , pour éviter
la tiédeur et même la maladi(? causée par la contention ; concluant
même que cette interruption est nécessaire pour conserver la per-
pétuité de l'oraison, pai'ce qu'elle nous fait désirer davantage la
retraite : Curswn nostrum diun inlerpolare creuitur jugem con-
servât, qui, si nullo obice tarilarctiir, usque <id finem contendere
indcfcssâ pernicitalc non potcst.
Là il n'oublie pas la comparaison de l'arc tendu et l'exemple de
l'apôtre saint Jean, que tout le monde sait. 11 ne faut donc pas se
persuader quil mette une rigoureuse et métaphysique continuité
de loraison, mais une continuité morale à qui l'interruption même
donne d«^ la force.
Txxix. 11 faut pourtant ajouter à cette diversité de mouveuiens, un
&! qu'il 1 J
1 » •'"" fond qui soutienne tout; c'est-à-dire, selon la doctrine de l'abbé
<i.,n. 1 hi- Moïse , ce fond de bonne intention qui est fixée en Dieu seul par
lomm,. do l'habitude du -saint amoiu' ' : c'est un état immuable et inébran-
l,i|.iolc.
lable, an sons que nous avons vu, par la fermeté de cette divine
habiludf. Un y leiul à une oraison non interrompue, parce qu'on
n'oublie rien pour y parvenir; et ce qu'on fait pour cela, c'est,
comme dit Cassien, de fixer tellement en Dieu son intention ; c'est-
à-dire de mettre tellement en lui sa dernière fin, que rien ne
nous en sépare ; non que nous so}ons toujours actuellement oc-
cupés de cette pensée, ce qu'il a jugé impossible dans cette vie;
mais par une pente, une inclination et une tendance habituelle,
ou même virtuelle, comme l'appelle la théologie, avec une bien-
heureuse facilité qui fait qu'en queUpie état qu'on nous interroge,
à qui d.uis le fond du cœur nous voulons être, nous soyons fou-
jours disposés à répondre que c'est à Dieu, comme la suite nous
l'expliquera davantage.
XL. Après ces maximes générales de Cassien , et avant que d'en
d?"nn.* venir aux moyens particuliers de rendre l'oraison perpétuelle,
Tr.un".,".- souvenons-nous «pie dans la doctrine des nouveaux mystiques, la
conû-cL perpétuité de l'oraison n'est ni dans les excitations qu'on se peut
» Coll. XXIV. c. XX. — » Coll. I, c. IV.
TRAITÉ I, LIVRE YI, N. XLI. 5H
faire à soi-même , ni dans les efforts ou dans les renouvellemens renouvei-
des actes du libre arbitre ; mais dans cet acte continu et perpétuel iaè™' e"
qu on ne réitère jamais qu après qu on 1 a révoque. Mais il n y a ca==ien et
rien de plus opposé à l'esprit de Cassien et des anciens solitaires, cITs "Ôû-
dont cet auteur nous rapporte les sentimens ; car on leur voit pra- '""'''
tiquer à tous la continuelle oraison par de continuels efforts et de
continuelles excitations, que l'amour dont ils étoient remplis leur
rendoit douces. De là vient dans les Institutions du même Cas-
sien % cette psalmodie presque perpétuelle, ces Psaumes inter-
rompus de génuflexions, d'intercessions après trois ou quatre
versets, d'antiennes, d"oraisons mentales, de collectes après
chaque Psaume. De là vient aussi cette maxime de ces saints,
« de faire de très-courtes, mais de très - fréquentes oraisons :
brèves , sed creberrimas ^ ; et cela, disent-ils, afin que priant Dieu
plus fréquemment ils se puissent continuellement attacher à ce
cher objet ^ »
Mais cette continuité consistoit dans divers actes et dans de con-
tinuels élans de leur dévotion ; c'est pourquoi on leur voyoit mul-
tiplier leurs oraisons , inclinations, ou génuflexions jusqu'à cent
fois, jusqu'à deux cents fois, et même beaucoup plus souvent pen-
dant le jour , et autant pendant la nuit. La chose est connue ; et
on voit par là que la perpétuelle oraison consistoit manifestement
dans des actes réitérés autant qu'ils pouvoient.
Dans le même livre des Institutions, Cassien continue à nous xli.
faire voir la pratique des solitaires de la Thébaïde pendant le preuvesle
jour, en ce qu'encore qu'ils n'y fissent ordinairement aucune ÎJ^des
assemblée, « ils mêloient leur continuel travail des mains dans
leurs cellules à la méditation des Psaumes et des Ecritures, qu'ils
n'omettoient jamais, y joignant à chaque moment des prières et
des oraisons, où ils passent tout le jour *. » Ce qu'il avoit proposé
dans les Institutions % il promet dans ce même livre de l'expU-
quer plus à fond dans les Conférences % et réciproquement dans
les Conférences il se propose d'expliquer plus amplement ce qu'il
avoit promis dans les Institutions ; ainsi l'on ne peut douter que
1 Instit., lib. II , c. viii, ix, xii, p. 664. — 2 Lib. l\ , c. 11. — 3 lôicl, c. x. —
♦ Ibid., c, II. — 5 Ibid., c. ix. — ^ Coll. ix.
actes.
512 INSTRUCTION SUR LES ETATS D'ORAISON.
la perpétuité de roraison, dans Tun et dans Vautre livre, ne soit
la même.
L'abbé Isaac donne encore cette maxime pour un fondement « de
la vie spirituelle, de prier fréquemment, mais brièvement : » Fré-
quenter, sed brcviter est orandum \ où il marque manifestement
qu'on « multiplioit les prières et les demandes % » et que c'étoit par
cette multiplication qu'on tàchuit de les rendre perpétuelles. Il
parle en général de tous eeiLX qui prient, et en particulier des
plus parfaits; de ceux dont Toraison se f ,isoit dans le plus intime
du cœur, dans l'endroit où le démon ne voit rien, et où l'ame
toute recueillie avec Dieu donne moins de prise aux attaques de
l'ennemi.
11 trouve la perpétuité de l'oraison, de celle qui est selon lui
jufjifi, incessabilis, indisrupta , etc., dans cette continuelle réci-
tation du verset, Deus, in adjittoriimi , où il n'y a cependant
qu'une pcriictnrlle nniltiplication de toutes les alj'vctiuns que la
piété peut inspirer; et il y met la continuelle méditation qu'on doit
prali(pier, «( selon la loi de Moïse, assis ou marcbant, couché ou
debout, et ainsi du reste ^; » ce (jui montre très-clairement la di-
versité et la nécessaire réitération des actes.
'fLii. (hiand iiar celti- réitération on est arrivé aune oraison plus
Preuve de ^ ' ... .,
la mémo simulc , ct iiu'aussi sa simplicité rend continuelle d'une manière
dan» une p^yg hautc, OU ucst pas pom' ccla réduit à un seul acte, on y pra-
pius »im tique au contraire les demandes, la contemplation des mystères,
une .idmi- Patteutiou à ses foiblesses et à ses besoins; et ce qu'il y a de plus
uuon des remar(iuable, la récitation des Psaumes pour en recevoir en soi
qui est ex- „ toutcs Ics alfcctious : omnes Psnlniorwn affectus ; non comme
|>liquee ici " '
composés par le Prophète ; mais comme produits par l'ame même :
ttmquiun à se éditas * : » ce qni montre non pas une rrpétition
dans sa mémoire, mais une production orir/inale de tous les sen-
timens d'espérance, d'actions de grâces, de demandes et de désirs,
qu'on trouve dans ces cUvins cantiques : et, comme dit Isaac,
l'homme élevé à cette oraison parfaite, 5ff?Y que tout cela se passe
en lui, et n est pas cmpruntr , mais propre et primitif dans son
cœur : en sorte qu'il prononce les Psaumes, non comme les répé-
•CoU. i.\, c. xxxvi. — 2 llid., c. XXXV. — ^ Coll. x, ex. — * ///iW., c. xi.
TRAITÉ I, LIVRE VI, N. XLllI, XLiV. 813
tant, mais comme s'il en étoit lui-même l'auteur : velut auctores
ejus facti, parce qu'il en prend avec David tous les sentimeus et
les affections ; ce qui emporte tous les divers mouvemens et pro-
duits et réitérés dont les Psaumes sont remplis.
C'est pourquoi Cassieu conserve toujours dans les plus parfaits xlhi.
Comment
contemplatifs, ce qu'il appelle volutatio corclis, c'est-à-dire la suc- on cons=r-
Te le même
cession et la volubilité des pensées et des mouvemens du cœur K fond do-
raison
C'est en les réglant que l'oraison est perpétuelle par un renou- dans i
vellement et excitation de son esprit aussi fréquent qu'on le peut.
A quoi pomiant il faut joindre ce fond qui soutient tout; c'est-à-
dire, comme on a vu, le fond de bonne intention, qui produit une
succession de mouvemens si suivis , et si uniformes qu'on voit
bien que tout dépend du même principe, et c'est durant le cours
de cette vie ce qu'on appelle contemplation et prière perpétuelle.
Ce principe de Cassien est aussi celui du saint prêtre d'Alexan- xn
succession
des acles.
Doclrino
drie ; il assure que son gnostique ne prend plus des Heures mar- conforma
qués de Tierce, de Sexte, de iYowepour prier; il prie toujours, dit ciémcni
T-w^ !•> • it^T T d'Aleïan-
ce Père : je 1 avoue en mi certam sens , c est-a-du'e par une dis- due.
position babituelle du cœur ; mais cela n'empêche pas que les plus
parfaits ne demeurent à lem^ manière assujettis à des Heures
d'une attention particulière, témoin saint Pierre, que saint Clé-
ment n'a pas dessein d'excliue du nombre des parfaits, sous pré-
texte qu'il prie à Sexte et à Noue ' ; témoin saint Clément lui-
même, qui fait faire à son gnostique successivement, et par actes
renouvelés , des prières particulières le matin, devant le repas ,
durant qu'on le fait , le soir, la nuit même '*, et ainsi du reste.
Ce n'est pas là cet acte continu, invariable, irréitérable, ce sont
des vicissitudes, de perpétuels renouvellemens ; et c'est par ces
actes incessamment renouvelés que la vie du juste parfait est ,
dit saint Clément, une fête perpétuelle ; c'est par là qu'il se trans-
porte dans le cœur divin, où l'on chante les louanges de Dieu
devant lui , et avec les anges par une mémoire continuelle %
parce qu'il ne cesse, comme on voit, de la rafraîchir ; ce qui lui
fait dire ailleurs « que l'ame parfaite qui ne médite rien moins
1 Coll. X, c. vu, VIII , X, XIII. — - Sirom., lib. VII, p. ~r22. — » Act., iii^ 1;
X, 9. — ^ Sirom., lib. Vil, p. ■:28.— 3 lOid.
TOM. xvm. 33
544 INSTRUCTION SLR LES ÉTATS D'ORAISON,
que d'être Dieu, ne cessant de lui rendre grâces de toutes choses,
par l'attention qu elle prête à écouter la sainte parole , par la
lecture de l'Ecriture divine, par une soigneuï^e recherche de la
vérité , par une sainte oblation , par la bienheureuse prière,
louant, chantant des hymnes, bénissant, psahnodiant, ne se sé-
pare jamais du Seigneur en aucun temps '. » Telle est donc
manifestement la continuité de la prière que connoissent les
saints : ils la soutenoient par des actes continuellement renou-
velés; l'amour de Dieu eu fait la liaison, l'habitude d'une par-
faite charité y met la facilité et la p«;rmauence.
xr.v. Il ne faut pas s'imaginer d'autre mystère dans les expressions
iit!T"î- dont ce docte prêtre relève la perfection de son gnostique, et la
i;"qn.r.r continuité de son oraison. 11 répète, pour ainsi parler, à toutes
lrn'.v"".i les pages que celui qu'il apprlle d'un si beau nom est constitué en
m dVV,'n." cet état par l'habitud»; consonuuée de la vertu "-. C'est par là qu'on
•lohjei. (lit qu'il ne change point de pensée m d objet, a cause que par un
long exercice il a formé riiabilude de penser toujours de même;
à qiioi il faut ajouter (jue les choses dont il d(»il juger ne sont point
celles (pii dépendent de l'opinion ou des coutumes. Il a pour ob-
jet , dit-il , les choses qui sont vt'rila/jlcmcfit\ et non point par
opinion ou en apparence, ivru; ovr*, comme il parle : d'où il s'en-
suit (luil ne change pas, parce qu'il juge des choses par les vé-
ritiibles raisons, ([ui sont stables et éternelles.
C'est en ce sens que l'on dit que celui qui sait ne change point,
et que la science, à la différence de l'opinion, est une habitude
inunuable. L'hommi' spirituel de saint Clément^, qui selon lui est
le savant véritable, s'occupe d'objets qui sont stables et inaltéra-
bles en toutes manières ; et c'est pour celte raison qu'il possède
seul la véritable science ^
Cette science n'est autre chose (lue la Tnl, et la foi est définie
excellemment par notre saint prêtre * : « la stabilité dans ce qui
est. Quiconque a cette si'iencc ne varie jamais, et il devient, au-
tant «pi'il se peut, semblable à Dieu, en s'attachant aux choses
qui sont toujours les mêmes. C'est là , dit -il , l'état de l'esprit eu
1 Lib. Vi , p. C"0. — » Strom., Ub. IV , p. ^29; lib. VI, p. 645. — » Lib. VI,
p. C91. — *Lib. Vil, p. 108.— Mib. VI, p. G'Jo.— «Lib. IV, p. 530, 531.
TRAITÉ I, LIVRE VI, N, XLVI, XLVII. o\ô
tant qu'esprit : les affections variables arrivent à ceux qui sont
attachés aux choses matérielles ( et changeantes ] ; mais au con-
traire l'ame de celui qui a reçu par la foi la connoissance de la vé-
rité, est toujours semblable à elle-même '. »
Par la même raison on avoue sans peine cpie le gnostique n'a
jamais qu'un seul objet, parce qu'encore qu'il exerce les mêmes
actes que le reste des chrétiens, la prière, l'action de grâces et les
autres , et qu'il fasse toutes les demandes différentes qu'on a re-
marquées^ en sorte qu'il n'est pas possible de ne pas reconnoître
en lui la succession des pensées : comme Dieu en est toujours l'u-
nique objet, on peut dire à cet égard qu'il ne change pas.
Enfin le spirituel est appelé immobile par l'opposition qui se xlvi.
trouve entre l'habitude formée et les premières dispositions chan- les aciU
geantes et mcertames de ceux qui commencent : amsi , dit notre piaiir se
saint prêtre, « 1 entendement du spirituel par 1 exercice continuel en s,i s.ib-
devient un toujours entendre» (ce sont ses mots), c'est-à-dire un ion saint
acte perpétuel d'intelligence; « ce qui est la substance propre,
cùaioL, du spirituel, dont la perpétuelle contemplation est une vive
substance -: » par où il ne prétend autre chose que d'exprimer la
force de l'habitude, qu'on appelle une seconde nature, à cause
que par son secours ce qui étoit passager, changeant et acciden-
tel, devient comme inséparable de notre être, et d'une certaine
manière se tourne en notre substance.
Tout cela est du langage ordinaire, et tout le monde l'entend
non métaphysiquement, mais moralement, comme on a dit : qr^c
si on vôuloit prendre ces expressions à la rigueur, on seroit ré-
futé par l'endroit où saint Clément dit que « celui-là même qui a
la science des choses divines et humaines par manière de com-
préhension (c'est-à-dire, sans difficulté, le spirituel parfait),
participe à la sagesse éternelle , non par essence ou substance ,
mais par une participation (un écoulement ) de la puissance di-
vine ^. »
Par un semblable tempérament on dit que l'oraison est conti- xlvu.
nuelle pour exprimer la pente, la disposition, la facilité qui fait icspirui;,!
qu'on ne peine plus : ce qu'il faut pourtant entendre avec correc- li'H".
1 Sîrom., li]3. Il , p. 383. — « Lib. IV, p. 529. — 3 Lib. Yi , p. 683.
s 16 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
lif ; autrement que voudroit dire dans saint Clément même ce re-
lâchement de l'esprit jugé nécessaire et pratiqué par saint Jean,
un si grand apùtre et un spirituel si parfait? qui est aussi un
exemple dont nous avons vu que Cassien s'est servi*,
xivtii. Il ne sert de rien de répondre que la continuité qu'on veut éta-
Eclaircis-
scmenidoî bllr cst uue continuité damour et d'union, qui est dans le cœur
locutions
de saint et uou daus l'esprit. Ce n'est pas ce que dit saint Clément dans le
Clémenlel ^ '^ ,
desauirf., passage allégué : C'est, dit-il, une continuité iV entendre , tcù vcelv,
par l'exem-
ple des lo- et s'il y a un mot dans toute la langue qui signifie proprement
culions les *'
plus vui- entendre, c'est celui-là. Au reste que trouve-t-on d'extraordinaire
gaires.
dans les locutions de ce Pi^re? Qui ne tient tous les jours de mômes
discom's sur les habitudes les plus nalm'elles? Ou dira d'un géo-
mètre que nuit et jom- il est occupé à cette science ; Ihabilude de
démontrer géométriquement lui est passée en nature ; en conver-
sant, en miuigeant il roule toujours quilque théorème dans sa
tète; le sommeil même s'en ressent; il trouve jusque dans ses
songes la résolution d'un problème dont il am'oit été occupé du-
rant tout le jour. Un ne prétend pas pour cela qu'il y pense sans
interinission à toute rigueur, et il faut être bien prévenu pour ne
pas voir (jue les locutions de saint Clément ne sont pas d'un autre
genre.
xLix. Au surplus sans disputer davantage, tout va être décidé par ce
de saint'' scul passagc de saint François de Sales, dont nos mysti(jues allè-
de^suies guent si souvent l'autorité : « L'apostre dit qu'il a une douleur
piiquer co continuellc pour la perte des Juifs; mais c'est comme nous disons
qu'on dit .
deiacon- quc uoiis liciiissons Dieu en tout temps; car cela ne veut dire
linuité di!S . i i • ..
actes. aulre chose, sinon que nous le bénissons lort souvent et en toutes
occasions : et de niesnie le glorieux saint Paul avoit une conti-
nuelle douleur en son cœur, à cause de la réprobation des Juifs,
parce qu'à toutes occasions il déploroit leur malheur ^ »
,y- On peut résoudre par là les endroits des Pères, de Clément d'A-
Du soui- '■ ^
"u.'lc»" lexandrie, de Cassien, de saint Augustin même, et des autres spi-
sXmon'*'' l'ituels anciens et modernes, qui en parlant du sommeil des justes,
semblent dire que leurs exercices n'y sont point interrompus , et
il est vrai que l'impression en demeure dans un certain sens. Les
t > Coll. xxiii. — - Am. de Dieu, liv. IX, ch. vin.
TRAITÉ I, LIVRE M, N. LI. 517
pensées qui leur viennent au réveil font voir où leur ame dans
son fond étoit tournée ; et c'est où Salomon nous vouloit conduire
par ce beau passage des Proverbes : « Attachez les commande-
mens à votre cœur, faites -vous-en un collier qui ne vous quitte
jamais, qu'ils marchent avec vous dans votre chemin, qu'ils vous
gardent dans votre sommeil, et en vous réveillant entretenez-vous
avec eux '-. » Savoir ce qui se passe alors dans l'ame , et quelle
force secrète rappelle comme naturellement dans le réveil la pen-
sée où le sommeil nous a surpris, je n'entreprendrai pas de l'ex-
pliquer. C'est une disposition commime à tous ceux qui fortement
occupés de quekpie objet, semblent en être jour et nuit toujours
remplis : mais ce n'est rien moins que l'acte continu et perpétuel
de nos mystiques, qui selon eux est une si vraie continuation de
l'acte du libre arbitre, qu'il ne faut plus le renouveler après toutes
les distractions qui ne sont pas volontaires , ni même après le
sommeil : d'où il s'ensuivroit que cet acte étant toujours li])re, il
seroit toujours méritoire. Mais il n'en est pas ainsi de cette pente
secrète qui demeure dans le sommeil vers les objets dont on s'est
rempli pendant le jour, qui est trop foible, et pour ainsi dire trop
sourde pour n'avoir pas besoin d'être renouvelée et vivifiée afm
d'être actuelle et méritoire, si ce n'est dans quelque sommeil en-
voyé de Dieu, tel que celui de Salomon.
Pour conclusion, l'on voit assez comment la contemplation est u.
perpétuelle : elle l'est dans l'inclination qui la produit , elle l'est abr"^!!;*'de
dans l'impression qu'elle laisse , elle l'est enfm parce qu'autant trë'vî! '"'
qu'on le peut on ne s'en arrache jamais, et qu'on en déplore les
moindres interruptions ; et c'est le précis de la doctrine de saint
Clément d'Alexandrie et de Cassien.
Pour une entière explication de cette matière , il faudroit peut-
être définir ce qu'on appelle intention actuelle , virtuelle et habi-
tuelle , et par là en démontrer les différences , ce qu'aussi nous
ferons peut-être en un autre lieu ; mais ici il n'en est pas question,
puisque ce sont choses qu'il faut supposer comme avouées de tout
le monde, et que nous ne nous proposons dans ce traité que celles
où l'on est en différend avec les nouveaux mystiques ; autre-
^Prov., VI, 21.
?J1S INSTRUCTION SUR LES ÉTATS DORAISON.
ment nous pousserions hors du temps la dispute jusqu'à rinfuii.
gY'iun Au reste quand nos mystiques am'oient prouvé qu'on eu peut
assurK^'de vcuir à uu état de présence perpétuelle sans aucime interruption,
poinu ac- il y auroit encore bien loin de là à leur acte unique et continu (j^ui
*5enc"c''de ^UTC toute la vlc, sans diversité ni succession de pensées, et aussi
raôrqu'ôn qu'ou n'a pas besoin de renouveler ; car c'est à quoi personne n'a
""""■ jamais songé avant peut-être Falconi ou Molinos ; et pom' ceux
qui sans avoir recours à cet acte absurde , qui ne sert qu'à intro-
duire le relâchement et la nonchalance , prétendent cpi'on peut
toujours sans la moindre interruption conserver du moins en veil-
lant l'actuelle présence de Dieu : sans répéter ce qu'on vient de
dire sur ce sujet, je leur dirai encore ici que personne ne peut
avoir aucune assurance d'être en cet état, tout le monde demeu-
rant d'accord qu'on ne peut assez réflécliir sm* soi-même pour
s'assurer qu'on ne s'échappe jamais. Que si l'on dit que, sans ré-
fléchir, cette présence perpétuelle subsiste dans l'acte direct, c'est
par là même qu'on prouve qu'on ne peut avoir sur cela aucune
assurance, puisque cet acte direct sur lecjuel on n'aura point ré-
fléchi, sera de ces actes non aperçus, ou dont en tout cas on ne
conserve pas la mémoire. Et ici demeure conclu ce que nous
avions à dire contre les principes des nouveaux mystiques.
LIVRE YII.
De l'oraison pa<isive , de sa vérité , et de l'abus qu'on en fait.
•syln^m ^ous entrons dans le second point de notre première partie ,
Sr'c"''" ^^ ^^^^ avons promis de découvrir • , non tant les erreurs des
ïrevii. nouveaux mystiques, que la cause de lem\s erreurs dans l'abus
des oraisons extraonlinaires, dans celui de l'autorité de quelques
saints de nos jours , 'et enfui dans celui des expériences , dont ils
prétendent que leurs pratiques sont autorisées , où il y am'a en-
core une autre sorte d'erreur qu'il nous faudra reconnoître.
' Ci-dcssu3, liv. 1, cb. xii.
TRAITÉ I, LIVRE VII, N. II, III. 5i9
Ce point sera plus court que le précédent, parce que sans nous
mettre en peine d'expliquer à fond les principes de l'oraison ex-
traordinaire , que nous réservons à leur lieu , nous aurons à les
marquer seulement pour faire voir l'abus qu'on en fait dans la
nouvelle oraison pour appuyer les erreurs que nous venons d'ex-
poser aux yeux du monde.
Il y a donc plusieurs oraisons extraordinaires que Dieu donne "•
De l'oMi
à qui il lui plaît; et celle dont on abuse en nos iours, est celle ^"=1 q"»"
qu'on î2omme passive, ou de repos et de quiétude , autrement de p^^^'.'" '■
simple présence, diQ simple regard on, comme parle saint François ''»" -^^
de Sales, de simple remise en Dieu ^
Pour éviter toute équivoque, il faut expliquer avant toutes
choses, que ce qu'on appelle pâtir et souffrir ou endurer en cette
matière, n'est pas le pâtir et le souffrir qui est opposé à la joie et
accompagné de douleur ; mais le pâtir et le souffrir qui est opposé
au mouvement propre, et à l'action cju'on se peut donner à soi-
même. C'est en ce sens qu"en parlant de son Hiérothée, quel qu'il
soit, l'auteur connu sous le nom de saint Denis Aréopagite disoit
que c'étoit « un homme qui non-seulement opéroit , mais encore
endm^oit les choses divines ; » c'est-à-dire qui recevoit des impres-
sions de Dieu, où il n'avoit point ou très-peu de part.
C'est apparemment de cette expression qu'est venue la passiveté
ou l'oraison passive , célèbre dans les mystiques depuis trois à
quatre cents ans ; mais dont on ne trouve dans saint Denis que ce
petit mot, et rien du tout dans les Pères qui l'ont précédé.
Mais sans s'arrêter aux paroles, il est constant par les saintes m-
Principes
Ecritures : '^<= ''> f»'.
sur les-
4° Oue Dieu fait des hommes tout ce qu'il lui plaît, les emporte, q^eb est
^ ^ ^. elablie l'o-
les entraîne où il veut , fait en eux et par eux tout ce qu'il s'en raUû"
est proposé dans son conseil éternel, sans qu'ils lui puissent résis-
ter, parce qu'il est Dieu, qui a en sa main sa créature, et qui de-
meure maître de son ou\Tage , nonobstant le libre arbitre qu'il
lui a donné. Cette proposition est de la foi, et paroît incontestable-
ment dans les extases ou ravissemens, et dans toutes les inspira-
tions prophétiques.
1 Am. ib Dieu, liv. Yl, cli. IX, X, xi , liv. VU; ep. XXII, etc.
qu on
ÎJ20 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS DORAISON.
2° Il est encore de la foi, que dans tous les actes de piété il y
a beaucoup de choses que nous recevons en pure souffrance , au
sens qui est opposé à l'action ou au mouvement propre.
Telles sont les illustrations de rentenderacnt, et les pieuses
affections de la volonté qui se font en nous sans nous , comme
dit toute la théolojrie après saint Augustin : « 11 n'est pas en notre
pouvoir, dit ce Père, qu'une chose nous délecte'. » Saint Am-
broise dit aussi « que notre cœur n'est pas en notre puissance : »
Non est in nostrà potestate cor nostnim * : ce qu'il faut entendre de
certaines dispositions l)onnes ou mauvaises, dont nous ne sommes
pas les maîtres. 11 m' faut (jue ces deux passages pour entendre
dans foutes les conduites de la grâce, une certaine passiveté
qui en est inséparalilc Tout cela appartient à l'attrait de Dieu,
qui estouperceptiiili'ou imperccptiiile, plusou moins; maissans
lequel il est défini (juil ne st^ fait aucune action de piété.
;r J'ajouterai en troisième lieu, que dans toutes ces actions,
non-seul»'n>ent il y a bcaurnup dt* cos choses qui se font en nous
sans nous, mais encore qu'il y en a plus que de celles que nous
faisons de nous-mêmes délibérément ; et la raison est qu'il y a
toujours dans tout l'ouvrage de notre salut, et dans tout ce qui
nous y conduit, plus de Dieu (pie de nous, plus de grâces du côté
de Dieu que d'efforts du nôtre.
IV. Ces trois vérités ne sont révoquées en doute par personne;
L'orai'on
quon mais ce n'est pas là ce que les mvstiques ' et (luand je parle ainsi
nomme * i .i i
P4.MW pjius restriction, le lecteur se doit tenii'pour averti que j'entends
cm- do, toujours les \Tais et orthodoxes mystiques) ; ce n'est pas là, dis-
Tin'T J*^' ^^ ^"^ '^^ mystiques appellent oraison passive. Et d'abord
iiiiqucf. ^>^> ji'cst ni extase ni ravissement, ni révélation ou inspiration et
entraînement prophétique. Tous ceux qui sont dans ces oraisons
ne prétendent pas être mus de cette sorte ; au contraire l'esprit
des mysliiiut's est d'excJure ces motions extraordinaires, comme
il paroit par tous les écrits du l)ienheureux Jean de la Croix, ce
saint et docte disciple de sainte Thérèse, qui a comme renouvelé
au siècle passé les mystères de l'oraison passive. Elle ne consiste
' s. Aiigtist., de S/iir. et /Ht., caj). xxxv, o. 63. — » S. August., de Dono
persev., cap. vni, n. 19; S. Ambros.j de Ftig. sœc., cap. i n. 1.
TRAITÉ I, LIVRE VU, N. V, VI. 521
non plus dans ces motions qui accompagnent tous les actes de
piété , puisqu'en ce sens tous les justes seroient passifs, et il n'y
auroit plus de voie commune.
De là s'ensuit clairement que l'oraison passive ne consiste pas
dans la motion ou grâce efficace, par laquelle Dieu persuade aux
hommes tout ce qu'il lui plaît , parce que cette motion se trouve
dans tous ceux qui pratiquent la vertu, et se trouve perse véram-
ment dans tous ceux qui persévèrent.
Quoique l'oraison passive ne consiste pas dans ces choses, elles v.
•^ ^ ^ ^ Ces choses
servent à donner l'idée comment en beaucoup de rencontres '""<='>»
néanmoins
l'homme peut être passif sous la main de Dieu. C'est ce qui arrive à "^ '* ''"'■■s
■*■ entendre :
tous ceux en oui il se fait soudainement et par une main souveraine <•''<="
^ ^ exemples
de grands changemens : tout d'un coup , et lorsqu'on y pense le ^^^^''11^-^
moins, on se trouve comme un autre Elle, ou comme un autre „'"'' '"^'
' Inme ne
David en figure de Jésus-Christ, le cœur embrasé du zèle de la ?/"' ";"''"
^ ^ (le part.
maison du Seigneur, et prêt à s'opposer comme une muraille à
ses ennemis ; tantôt rempli de tendresse on ne peut retenir ses
larmes, ou dans la vue de ses péchés, ou dans quelque autre im-
pression d'amour également forte, dont sou\eiit on ne connoît
pas le motif; tantôt par une touche secrète de l'esprit qui nous
fait dire au dedans : Mon ame, pourquoi es-tu triste ^ d'une si pro-
fonde tristesse, et d'où me vient ce mystérieux délaissement?
Tout à coup on est transporté à un transport, à une joie, si l'on
peut user de ce mot, à une exultation qui est au-dessus de tous
les sens. Saint Jean Climaque, tous les spirituels anciens et mo-
dernes demeurent d'accord qu'on peut recevoir tous ces mou-
vemens et ces divines impressions sans y rien contribuer de notre
part.
Cependant ce qu'on appelle l'oraison passive n'est pas toujours vi.
la suppression de toute action , même libre, mais seulement de '^pp'^ne
précisé-
tout acte qu'on appelle discursif , et où le raisonnement procède '"«"' ''»■
raison pas-
d'une chose à l'autre : ce qui bien certainement n'empêche pas ^'^■^^ >"-
^ ^ '- fuse ou
l'usage de la liberté , comme il paroît dans les anges , qui sont l'";™^^"-
libres sans être discursifs.
Cette oraison qu'on nomme passive ou infuse, est appelée par
^Psal. TLU, 5.
die.
522 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
les spirituels et entre autres par sainte Thérèse , oraison surna-
turelle : non que l'oraison de la voie commune soit purement na-
turelle ; car il est certain , et nous avons dit souvent , qu'il est de
la foi (jue toute bonne oraison vient du Saint-Esprit et d'un ins-
tinct surnaturel ; mais pour exprimer que celle-ci étant surnatu-
relle par son objet, comme toutes les bonnes oraisons, elle Test
encore dans sa manière par la suppression de tout acte discursif,
de tout propre effort, de toute propre industrie. Voilà ce qu'on
appelle passif, lorsque par la suppression de tous ces actes, qui
sont de notre ordinaire manière d'agir, on est mu de Dieu avec
une heureuse facilité ; ce cpie sainte Thérèse et tous les spirituels
comparent à une pluie où l'eau tombe toute seule sur un jardin ,
au licm de celle qu'on tiroit à force de bras pour l'arroser.
EiVn'i i... Lorsque le propiiète Jérémie, après avoir ouï les trompeuses
uonrd.i P'''^'^''6sses dont le faux prophète Ilananias amusoit le peuple,
saini El. sans l'appeler faux prophète, lui dit avec une douceur admirable :
prii, qu on ' ^ '^ *
noimi.env „ ^.{,)ip)i Hauanias , qu'il soit fait comme vous le dites ; veuille
reiics'" ^'^ Seigneur accomplir vos paroles plutôt (]uc les miennes ; pensez
seulement que les prophètes qui ont vécu avant vous et moi ont
été reconnus tels, quand leurs prédictions ont été suivies de l'é-
vénement'. » Cela dit, quolcjuc Hananias continuât ses discours
menteurs, sans s'emporter contre lui, ni lui reprocher sa corrup-
tion , Jérémie s'en retournait tranquillement et en toute simplicité.
Cette douceur, quant à la manière, étoit toute simple et naturelle
à l'esprit i)énin et modéré de ce prophète, très-a(lmira])le néan-
moins et un grand effet de la grâce. Mais quand au ir.ilieu de son
chemin tout à coup « la parf»le de l,)ieu fut adressée à Jérémie. lui
disant : Va et dis à Ilananie : Voici ce que dit le Seigneur : Ecoute ,
Ilananie : le Seigneur ne t'a pas envoyé , et tu as fait que mon
peuple s'est confié dans le mensonge : pour cela, dit le Seigneur,
je t'ôterai de dessus la terre ; tu mourras dans l'an, parce que tu
as parlé contre le Seigneur ^ : » et quand, en exécution de cette
sentence , Ilananie mourut en effet au septième mois de la même
année, c'est une autre sorte d'opération du Saint-Esprit. En voilà
donc deux surnaturelles sans doute , puisqu'elles ven oient de la
^ Jerem., xxviii, G. — ' Jercm., xxviH, 12.
VUl.
L'on com-
mence à
dulermi-
ler le sens
luielle.
proposi-
tions.
TRAITÉ l, LIVRE VII, N. VIll, IX. 523
grâce ; mais Tune dans la manière naturelle partoit d'mic inspi-
ration plus commune ; au lieu que l'autre , qui vint comme un
coup de tonnerre, surnaturelle et dans son principe, et dans son
objet, et dans sa manière, donne un exemple parfait de la ma-
nière dont on est passif sous la main de Dieu.
L'on peut entendre par là comment l'oraison passive est surna-
turelle en mi sens particulier, et par une opération qui affranchit
l'homme des manières d'asir ordinaires. Il faut demeurer d'ac-
cord de bomie foi que Dieu peut pousser bien loin ou, pour mieux ,'|"'i'4"'esi
dire, aussi loin qu'il veut, ces états passifs, sans que personne ■i'''-^"™'-
lui puisse demander : Pourquoi faites-vous ainsi ? de sorte qu'on ^l
ne peut mettre de bornes à ces états que par la déclaration
qu'il a faite de sa volonté dans sa parole écrite ou non écrite.
Voici donc , pour nous renfermer dans le fait, et ne nous point
jeter dans des possibilités ou impossibilités métaphysiques, ce que
nous trouvons de l'état passif dans les mystiques approuvés, et je
le réduis à six propositions.
La première, que selon eux « l'état passif est un état de suspen-
sion et ligature des puissances ou facultés intellectuelles, oùl'ame i'™p»«*-
o X ^ tiun : ce
demeure impuissante à produire des actes discursifs. » Il faut re- ^^.",'""„|:|^".
marquer avec attention cette dernière parole; car l'intention de ','"7//„.
ces docteurs n'est pas d'exclure de leur oraison les actes libres, ',';'■; ,^;'""
1 ' une sus-
qui, comme on a vu, se pourroient former sans discours ; mais Zl^l'^Ze
les actes où l'on s'excite soi-même par mi discours ou réflexion
précédente , qu'on appelle dans ce langage des actes de propre
industrie ou de propre effort : et il y a là un grand changement
dans la manière d'opérer de l'ame. Car l'ame accoutumée au rai- ,,';,'}",",",„[
sonnement et à exciter elle-même ses affections par la considéra- '||,crèsr''t
tion de certains motifs , tout d'un coup comme poussée de main 'J,"J',eux
souveraine, non-seulement ne discom^t plus, mais encore ne peut ^^^^ '^
plus discourir, ce qui attire d'autres impuissances durant le temps
de l'oraison, que nous verrons dans la suite.
Voilà ce que les mystiques appellent contemplation, qui selon
eux est mi acte de Dieu plutôt que de l'homme, et plutôt infus
qu"excité par le propre effort de l'esprit ; et la différence qu'il y a
entre les vrais et les faux mystiques, c'est que la passiveté au sens
IX.
i'i'eniicrc
dts aclci
discursifs:
différence
eiUre les
vrais et les
(aux injs-
524 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
des derniers devant s'étendre à tout l'état, les autres l'ont limitée
au seul temps de l'oraison.
C'est ce qu'enseigne très-expressément ce sublime contemplatif,
le bienheureux Père Jean de la Croix, disciple de sainte Thérèse,
premier carme déchaussé, et qui est, après cette Sainte, le père et
le fondateur de cet Ordre.
Il n\v a qu'à lire l'endroit où il restreint à un temps particulier
et déterminé ces grandes suppressions d'actes; en sorte que « hors
ce temps-là en tous ses exercices, actes et œmTes , l'ame se doit
aider de tous les moyens ordinaires '. » Par la suite du même
principe U prononce, « qu'il ne faut laisser la méditation que dans
le temps seulement qu'on en est empesché par Nostre-Seigneur,
et qu'aux autres temps et occasions il faut avoir cet appuy -. »
Je pourrois proiluire une infinité' de passages semblables du Père
Jean de la Croix ; mais pour abréger cette preuve, je me contente du
témoignage de son plus savant interprète le Père ^'icolas de Jésus
Maria , dans le li\Te des P/iffise!^ îjujstiqucs, où après avoir rap-
porté la doctrine de Cassieu, de saint Grégoire, de saint Bernard,
de sainte Thérèse, du Père Jean de Jésus et de Suarez', en venant
au bienheureux Jean de la Croix : « Il demeure, dit-il, suffisam-
ment prouvé par cette doctrine que ce dénuement, tant des formes
imagin-^ires que des actes discursifs qu'enseigne et persuade
nostre docteur mystique, ne doit point estre entendu pour toute
sorte de temps , ni aussi pour un long temps, mesme à ceux qui
sont parvenus à l'état de la contemplation sublime ; mais seule-
ment porR CE PEU DE TEMPS quc diu^c la contemplation parfaite et
uniforme, et qu'aux autres temps, cpielque perfection qu'on ait,
on doit se servir des formes imaginaires , des choses inutiles et
d'actes discursifs, comme nous l'avons déjà démontré par les té-
moignages du mesme docteur, et le montrerons encore dans la
suite *. »
Je rapporte au long ce passage, capable seul de confondre nos
faux mystiques. Le bienheureux Père Jean de la Croix et le Père
Nicolas de Jésus Maria, n'ont fait que sui\Te le sentiment de leur
' Mont, du Carm , liv. H , ch. xxxii, p. 147. — - Ob^c. nuit., liv. I, ch. X,
p. 257. — » Lib. Il de Rellg., ex. — * Pliras. nujst., ch. m, § 8, p. 145.
X.
Senlimcns
conrornies
Père
Cullhasir
\lvarez,
un des
TRAITÉ I, LIVRE VII, N. X. 52o
mère sainte Thérèse, qui assure positivement « qu'on ne demeure
que très-peu de temps dans cette suspension de toutes les puis-
sances, que c'est beaucoup d'y estre une demi-heure, et que
pour elle, elle n'a pas de mémoire d'y avoir jamais tant esté K »
Les nouveaux mystiques sont bien plus parfaits, puisqu'ils intro-
duisent une ligature , c'est-à-dire une suspension perpétuelle des
puissances et mie suppression universelle des actes ; mais les vé-
ritables mystiques qui en réservent la suspension au temps de
l'oraison actuelle, laissant le reste du temps libre aux actes que
nous avons vus si expressément commandés par Jésus-Christ, ne
tombent point sous nos censures.
C'est aussi ce que répond le Père Balthasar Alvarez , une des g
lumières de sa compagnie, et qui a été parmi les confesseurs de "ITi
sainte Thérèse, un de ceux dont elle a vu de plus grandes choses, aw^icz.
Comme on lui objecte que cette suspension des puissances, dans ZJe7.
l'oraison de silence et de quiétude, induit la suppression de beau- 'llllihé
coup d'actes nécessaires, comme de celui de demander expressé- '"'"
ment ce que Dieu ordonne : il répond qu'il y a d'autres temps
pour demander que celui où Ton vaque à cette oraison, et que
celuy-là n'y est pas propre - : ce qu'il appuie de cette règle ex-
cellente, « que chaque exercice requiert son temps, comme en
l'oraison on ne demande ni on ne remercie pas toujours ^ : » d'où
il conclut « que ce n'est pas tenter Dieu de faire cesser pour lors
les discours touchant les choses particulières qui concernent les
perfections de Dieu ou nostre réformation, qu'on peut reserver à
un autre temps. » On voit donc pourquoi ce saint homme, un
des plus sublimes contemplatifs de son siècle, ne craignoit point
de tenir pour lors, comme il parle, et dans le temps de cette haute
oraison, certains actes en suspens. En général il nous apprend
que son oraison étoit de faire cesser les discours par intei'vaïles
•pour la présence de Dieu ^ : ce qui est bien éloigné des inconvé-
niens de la doctrine des nouveaux mystiques, et de la perpétuelle
suspension d'actes , où ils s'engagent contre les préceptes de l'E-
vangile, par l'irrévocable continuité de leur acte unique et uni-
' Ch. XVIII de sa Vie, p. 98. — - La Vie du P. Baltas. Alva)\, ch. lx, p. 4G4.
— 3 Ibid., p. 457. — '■* Ibid., ch. xiii, p. 139.
XI.
526 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS DORAISON.
versel. Voilà ce que dit de son oraison le Père Alvarez, dans deux
excelleus discours que le Père Louis du Pont, comme lui, un des
plus grands spirituels de sa compagnie et de son siècle, nous a
rapportés dans la vie de cet admirable jésuite.
Ce quvin- ^n voit donc quelle est la nature des actes qui sont suspendus
^°nlpJ* et comme interdits dans l'oraison passive et de quiétude : ce sont
âck,t,! encore une fois, et on ne peut trop le répéter, les raisonnemens ou
uônfT,'. les considérations discursives. Dieu n'en demeure pas là, et ayant
rurMvc ^^g j.^jg ^.j.^, Tame de sa manière accoutumée, il la manie comme
il lui plaît , souvent il veut seulement qu'elle le regarde en admi-
ration »'t (Ml silence ; elle ne sait où elle est, elle sait seulement
qu'elle est bien ; et une paix que rien ne peut troubler, lui fait
sentir qu'elle n'est pas loin de Dieu. Elle fera dans un autre temps
jes autres actes du cbrétien; dans ce nKMuent, ni elle ne veut,
ni elle ne peut en faire d'autre que celui de se tenir abîmée en
Dieu.
*"; Loin (le reconnoître dans tout l'état une perpétuelle passiveté,
'■""'•"" les nivsli(iu(^s ortliodoxes ne la rcconiioisseut scub'ntent pas con-
" *""•", tinuclle et universelle dans le temps de l'oraison. Car d';d»ord le
coup ur '
^"^^""^: bienheureux .lean de la Croix ramène non-seulement les images
dnX.'. H et notices particulières , comme, il les appelle ' ; mais encore les
rÎTorT"''"' vcues, considérations et méditations nnioiireiises, au t(^mps même
de l'oraison, en faveur de l'humanité de Jésus-Christ, connue nous
dirons bient(M i>bis amplement ^
Selon le même docteur, non-senlenicut l'aine doit pcàtir et se
lai.'ser mener à Dieu qui la meut dans cette oraison, mais encore
il y a des choses cirielle doit avoir soin de faire de sa part^\ ce
qui marque une action plus délibérée, et dans laquelle aussi les
directeurs la doivent aider. Cette action est celle « de se détacher,
(pii est, dit-il, ce que vous devez faire de vostre part sans faire
aucmie force à l'ame , si ce n'est pour Ja séquestrer de tout et l'é-
lever*. » Ce n'est pas là ce qm^ nous disoit celle qui répète à
chaque moment qu'il faut supprimer tout effort , tout soin, toute
activité, et n'exercer envers Dieu qu'un simple laisser faire : mais
l Mont., liv. III , ch. i , p. 153. — ' Inf., ch. xx. — ' Viv. flam., Caitt. ni ,
vers. '.), § N, p. ■;4i. — '< ILid , p. !j49.
TRAITÉ I, LIVRE VII, N. XIII. 527
celui-ci au coDtraire nous apprend ce qu'on doit faire de sa part,
quel soin on doit prendre^ et en quoi il est besoin de forcer l'ame.
Et tout ceci ne se dit pas pour les commencans , mais pour les
états les plus sublimes. C'est dans l'état le plus sublime que l'ame
est élevé e au mariage céleste ^ : mais là il y a de part et d'autre, tant
de la part de l'Epoux céleste que de la part de l'Epouse, une tra-
dition, une délivrance volontaire, qu'il appelle {car il faut dire son
mot) la délivrance matrimoniale égale de part et d'autre, comme
celle dun époux et d'une épouse , l'ame se donnant à Dieu aussi
activement, aussi librement que Dieu se donne à f'/Ze, parce que
Dieu élève l'action du libre arbitre en son plus haut point, afm de se
faire choisir plus parfaitement. C'est ce que vouloit exprimer saint
Clément d'Alexandrie, en disant c/ue F homme prédestine Dieu ,
comme Dieu prédestine l'homme ^ Le libre arbitre s'exerce donc
dans toute son étendue ; l'ame s'excite elle-même , elle parle à
ses passions qui la pouvoient venir troubler, et les prie de la laisser
en repos ^ : et cela qu'est-ce autre chose que de s'exciter soi-
même à les tenir dans le devoir ? C'est ce que dit en termes for-
mels le bienheureux Jean de la Croix. L'ame, continue ce saint
rehgieux, se donne tous ces mouvemens par une déhcate ré-
flexion sur son état, parce que, « se voyant enrichie de tant de
dons précieux , elle désire de se conserver en assurance * ; » en
quoi les nouveaux mystiques la trouveroient bien intéressée.
Dans ses désirs, elle fait à Dieu toutes sortes de prières, dont la
dernière est : « Rompez la toile délicate de cette vie, afm que je
vous puisse aimer dès à présent avec la plénitude et la satiété
que désire mon ame, sans terme et sans fm ^ » Voilà comme
l'ame réiléchit, voilà comme l'ame se meut dans l'oraison même :
à vrai dire les vrais spirituels ne veulent exclure que les actes
pénibles et tirés à force ; tout ce qu'il y a d'afîections y coule de
source.
Une seconde proposition déterminera ce qu'on appelle le temps xm.
., '•! Seconde
de 1 oraison, et « cest celui ou lame demeure spécialement re- et uoisiè-
me propo-
cueillie en foi et en amour dans la contemplation actuelle : » à s"'»»,
1 Viv. flam., p. 555, 556.— ^ Strom., Y)h. VI.— s Cunt., m, 2, comp. p. 468.—
* Ifnd. — 5 Cant., i, p. 311.
528 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
pour dé- quoi il faut ajouter la troisième proposition, qui est que, selon la
ce"^uon doctrine et la distinction de saint Thomas, suivie par tous les
t^mpj dv docteurs , « la contemplation actuelle ne peut pas être de longue
"moTirer durée daus ses actes principaux, quoiqu'elle puisse dm'er long-
t^ps'ne temps dans ses actes moins parfaits, et qui demandent moins
peut être ,, . ,
long. d attention '. »
Tro'ilau. ^^^ ^^'*^*^ proposïtlons précédentes regardent la com'te durée
lrc8
poJ
5 pro- Je loraison appelée passive, mais encore sans en expliquer la
pourexpii- stabilité et la permanence : mais les trois suivantes vont démêler
querlasu- i
biiiiéHia ç^Q^^^ç difficulté et achever notre explication.
perniancn- '■
iuu'* "" ^^ première , qui est la quatrième des six : « Quoique l'oraison
passive soit courte eu elle-même, elle est perpétuelle dans ses
effets, en tant quelle tient l'ame perpétuellement mieux disposée
à se recueillir en Dieu. »
La cinquième proposition : « Cette disposition au recueille-
ment n'est pas méritoire, n'étant pas un acte ; mais elle prépare
lame à produire facilement et de plus en plus les actes les plus
parfaits. »
La sixième et dernière proposition : « Nous appelons un état
d'oraison l'habitude lixe et permanente, (]ui prépare l'ame à li
faire d'une façon plutôt que d'une autre, et lui en domie l'inclina-
tion avec la facilité. »
Ainsi l'oraison passive est fixe et perpétuelle à sa manière :
ainsi elle compose ce qui s'appelle un état ; et met l'ame dans une
sainte stabilité, où elle est sous la main de Dieu de cette admi-
rable manière qui dans le temps de l'oraison exclut les actes dis-
cursifs, et les autres dont il plaît à Dieu de faire sentir aux âmes
la privation, soit par grâce, soit pai' épreuve, comme la suite le
fera paroitre.
,^y-^_^ 11 a fallu réduire les choses à cette précision, afin de détruire
dcmtns clairement les fondcmens des nouveaux mystiques. Leur premier
des nou- ./ i x
J_"'-^^j'^"'J^'; et principal fondement est cjuc l'oraison passive, reconnue par
îcsMx *""■ *^^^ très-grands spirituels, emporte la suppression des actes : il
reccZ'. ^^^*' distinguer : elle emporte la suppression des actes discursifs,
'"• ou de quelques autres dans le temps de l'oraison seulement ; je
« 11» 11'', q. ISO, art. 8; ad 2.
TRAITÉ I, LIVRE Vil, N. XVI, XVII. S29
l'avoue : elle emporte la suppression de tous actes généralement,
et en tout temps , en sorte que l'ame demeure réduite à mie per-
pétuelle passiveté, sans jamais s'exciter elle-même aux actes de
piété ; je le nie. J'espère qu'on me permettra du moins une fois
cette sèche , mais véritable distinction où consiste la difTérence
précise entre les vrais et les faux mystiques, comme il a paru
clairement par les paroles des uns et des autres.
Le second fondement des faux mystiques, c'est que d'un com-
mun consentement l'ame peut être mise par état dans une oraison
passive , d'où ils concluent qu'elle sera donc dans une perpétuelle
et fixe passiveté. On nie cette conséquence, puisqu'on vient de
dire qu'être dans cette oraison par état, c'est y être par habitude,
par inclination, par facilité, et non par un exercice actuel et per-
pétuel ; ce qui étant entendu, tous les fondemens de la nouvelle
oraison demeurent abattus et les objections résolues.
D'expliquer maintenant ce qui se passe dans cette excellente xvi.
oraison, ce n'en est pas ici le lieu; ce que j'en puis dire, c'est que le prînd-
Dieu y tient l'Ecole du cœur, où il se fait écouter en grande tran- ^roraito?"
quillité et eii grand silence. On en dira dans le temps ce que le ''de'quié
Saint-Esprit en apprend aux hommes de Dieu qu'il a mis dans
cette pratique. Il semble au reste , selon les principes qu'on a
posés ailleurs, que cette oraison par sa grande simplicité soit
moins aperçue en elle-même que dans ses effets, dont le prin-
cipal est de tenir l'ame souple et pliante sous la main de Dieu ,
parce qu'elle a expérimenté dans ses impuissances la vérité de
cette parole : « Sans moi vous ne pouvez rien '. »
Laissons à part les autres effets de cette oraison, pour nous at- xvu
tacher aux abus qu'en ont faits nos nouveaux auteurs. On a vu
que le principal est de s'en servir pour exclure les demandes dans "rlbUf
toute la voie : mais le saint jésuite Baltasar Alvarez, bien éloigné T"cetb'
d'une exclusion si générale, les reçoit dans le temps même qu'on "doclvL
donne à l'oraison de quiétude, où il joint « à la révérence, à Baua«7
l'admiration, aux remercîmens, à l'offrande de tout ce qu'on est, sur Z al-
la, demande qu'on fait à Dieu, premièrement de lui-même, et puis
de ses dons, non point pour s'y reposer, mais pour monter à lui
1 Joan ., XV , 5 .
TOM. xvni. 34
On coin-
nience à
530 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
par leur moyen '. » A quoi il ajoute que cette oraison, loin d'ex-
clure les deaiandes, en est le plus solide appui, « puisque qui-
conque sait donner à Dieu, comme fait cette oraison, ce qail
nous demande , lui pomTa confidemment demander ce qui lui est
propre * . »
x\"'- Ce saint religieux dit ailleiu's (lue Dieu, nui voit dans cette
Suite de ° . . ,
lidocirinc oraison «le cœur de son serviteur enclin à désirer quelque chose,
dn mime
Père Bal- gt Qu 11 uc la dcmaudc pas ', » l'accorde facilement de lui-même,
Uiar, très- T. ■»■
opposée sans attendre une demande plus expresse; et la vovant toute faite
aux pré- i. x '
unuons jjjng 1(3 désir même, parce (lue, comme dit ailleuis ce même au-
dcn nou- * ^
""'"""ï»- teur , « les souhaits sont devant Dieu ce que la voix sert aux
hommes*; » c'est-iwlire qu'on parli» à Dieu par le désir, comme
on parle aux hommes par la voix : d'où il s'ensuit cpi'on fait des
demandes dans cette oraison, puisqu'on y pousse de saints dé-
sirs ; ce qui n'est autre chose , continue ce Père, (pie de faire de^
demandes, non/;w ncte signifie , c'est-à-dire par laroles signifi-
catives, mais pftr acte prulitiiic , c'est-à-dire par le désir, qui
dans le fond est une demande par rappoil à Dieu , à qui tous les
désirs sont connus.
On voit comhion ce saint religieux est éloigné de supprimer
dans l'oraison, même dans celle de quiétude , les demandes et les
désirs. 11 ne reste qu'à reléguer au nombre des commençans un
honuue si consonuué d;ms la science des saints, et d'un état si
piulait, qu'on croit même que par un don tout à fait extraordi-
naire, il a mérité de recevoir une assurance entière de son salut,
tant par la bouche de sainte Thérèse que par un témoignage par-
ticulier du Saint-Esprit \
x,x. Un autre moyen d'abuser de cette oraison, est de s'en servir
fr^tî^J^nc comme on a ^u (ju'ont fait les nouveaux mystiques, pour affoi-
«urumor- Wlr l'csprit de mortification et l'étude des vertus; mais le même
ïi"ur"r"- r*ère Daltbasar enseigne « cpi'on doit coiTiger ceux qui se conteii-
luuic.ter |.gjj^ d'être seulement recueillis sans autre exercice de mortification
et des autres vertus, en les avertissant qu'ils s'abusent, et que s'ils
ne se corrigent, on peut tenir leur rccollection fort douteuse '. »
< baltas. Ahar., ch. XL , p. 456. — « P. 4o9. — » P. 46'». - * Ch. xiii, p. 137,
138. — 6 Ballas. Alvar., ch. XIH , p. 1G2, 163, 299, etc. — « Ch. XL, p. 4U1.
TRAITÉ I, L1\RE Vil, N. XX, XXI. 531
Les nouveaux mystiques outrent ce que disent les vrais spiri- xx.
tuels sur les formes et notions particulières , et ils leur donnent heureu"
une perpétuelle exclusion de l'état contemplatif avec un si grand o'L hJi
excès, qu'ils en viennent, comme on a vu, jusqu'à mettre à part ""Tqui
l'humanité de Jésus-Christ : mais le bienheureux Jean de la Croix ,wtj"sut
s'oppose à cette erreur, lorsqu'il déclare « cpie cette exclusion des Tri'uté et
figures et notices (particulières) ne s'entend jamais de Jésus- l'iV/an?
Christ et de son humanité, dont il rend cette raison, que la veiië ' wni^T
et méditation amoureuse de cette tres-sainte humanité aide à tout ^ '' '""
ce qui est bon ; en sorte qu'on montera plus aisément par elle au
plus haut de l'union : car encore, continue-t-il , que d'autres
choses visibles et corporelles doivent estre oubliées et servent
d'empeschement ; celuy qui s'est fait homme pour nostre salut,
ne doit pas estre mis en ce rang^ luy qui est la vérité, le chemin,
la porte et le guide de tout bien ^ » Et quand il tâche d'exclure
ces formes et notions particulières, expressément il se restreint
« à tout ce qui n'est point divinité, ou Dieu fait homme , » parce
que ce souvenir d'un Dieu fait homme, « aide toujours à la fin,
comme estant le souvenir de celuy qui est le vray chemin, le
guide et l'auteur de tout bien ^ »
Si la notion particulière de Jésus-Christ comm.e Fils de Dieu
incarné, ne peut être excluse de la plus haute contemplation, celle
du Père, et par conséquent des trois Personnes divines, sans la-
quelle le Fils n'est pas connu, y doit aussi être admise ; celle-là
n'a pas plus de conformité et de liaison avec la contemplation que
celle des divins attributs ; et c'est pourquoi ce saint homme ,
bien éloigné des nouveaux mystiques qui mettent tout cela à
l'écart, reconnoît tous les attributs avec tous les mystères de
Jésus -Christ dans le plus sublime état de contemplation, et même
de transformation, comme il paroîtra clairement à ceux qui liront
les passages marqués à la marge *, que je me dispense de pro-
duire, pour éviter la longueur dans une chose peu nécessaire.
Quant à ce qui regarde la suspension ou la ligature des puis- ^xi
sauces, outre ce que nous venons de voir qu'elle ne regarde
Que ?e!on
le Père
Callu^ar,
1 Mont, du Carm., liv. 111, cli. i, p. 153. — - îbkL, ch. xiv. p. 172. — ^ Cant.
xxxvii, p. 181, 182.
b32 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS DORAISON.
uugature Ordinairement que les actes discui'sifs, c'est-à-dire de propre in-
fion de» dustrie ou de propre ellort, le Père Baltasar ajoute encore, c( qu'il
puissances . ,,.
ne peut ja- ne faut pas se persuader, comme quelques ignorans se lima-
toiaiedaD! giDeut, quB cc silence de l'ame et cet arrest attentif en silence
A,- quic- fasse cesser de tous pouils les actes des pmssauces, parco que cela
est impossible, fors en duruiant, ou seroit Ires-pcnihlc et do))ima-
geablc, dont il rend cette raison : que ce seroit estre plus (juoisif
et perdre le temps, en danger que l'imagination ne suscitast
quelque fantaisie, ou que le diable y jetast de mauvaises pensées
ou quoy (]ue ce soit impertinentes ' : » tous sentimens bien éloi-
gnés de ceux des nouveaux mystiques et de leur acte continu et
perpétuel, (jue rien n'intenompt, et dont aussi on ne voit aucmi
trait dans les spirituels approuvés.
XXII. Conformément à la doctrine précédente le même W Baltasai"
ladocirinè décidô , avcc tous les vrais spirituels, « que ceux-là mesme qui
rure"'iûT ont monté à cette manière d'oraison de (juiétude ont b(.'Soin de
ire la lo- S cutretcnir en 1 exercice de méditer, et penser un i)eu aux mys-
pciu.iir teres divins, parce que souvent la faveur el le mouvement de
doi pm«" Dieu cesse, qui les élevoit à celle ijuiilude , et il est besoin qu'ils
agissent avec leurs i>uissances'. Car poursuit-il, ils ne ressemblent
pas à ces vaisseaux à haut bord, qui ne se meuvent qu'avec le
vent : mais sont de petits l)ateaux qui ont recom's à la rame,
quand le vent leur faut ; et si le vent et la rame leur manquoit
tout à la fois, ils deineureroient tout cois et calmes (de ce calme
jicrniiit'ux qui suspciul la navigation) : ainsi, dil-il, quand le vent
du spécial mouvement dix in maii(]ue, la coopération <'t industrie
de nos puissances demeureroient oisives dans !•' < ln-miii spi-
rituel. »
XXIII. Si l'on dit qu'il reconnoît donc quïl se trouve elléctivement
r.^^e "nai' dans les voies de l'oraison de ces vaisseaux à liant bord , qui ne
connoii se meuvent que par le vent , sans avoir besoin de ramer, je ré-
^no" lou'- ponds que ce n'est pas là son intention. Car il dit bien ijuc ceux
deDieu.ci doiit il purlc iic sont pas de ces vaisseaux que le ^eul vent guide :
»u«p2nlion mais il ne dit pas pom" cela qu'il y ait d'autres personnes de ce
«ancoJ' u.'. caractère ; ou ce ne seroit en tout cas que dans le temps de l'o-
> liait. Alvar., di. xiv, p. Ii3. — ^Ihid., ch. XLii,ii. 474.
TRAITÉ I, LIVRE YII, N. XXIV, XXV. 533
raison et par intervalles, comme on a vu qu'il l'enseigne perpé- teiiectuei-
les soit to-
tuellement. Au reste on ne voit dans aucun endroit de sa vie que laieetpei-
pétuelle.
l'oraison d un homme si élevé ait été autre que celle qu'il a com-
parée au mouvement de ces petits bateaux, qui sont contraints,
au défaut du vent , de s'aider des rames : au contraire il présup-
pose partout que «on état de lui-même et oit, du moins hors de
l'oraison, àe, s'aider toujom's des puissances , sans en supposer
jamais la suspension ou la ligature totale. Ainsi l'on ne doit pas
dire qu'il parle pour les commençans, qui est la réponse perpé-
tuelle de nos nouveaux mystiques, lorsqu'on leur montre dans
les plus parfaits des sentimens opposés à leurs trompeuses expé-
riences.
Le B. Père Jean de la Croix nous assure aussi « qu'encore qu'il x^iv.
■"■ ^ Senliment
y ait des âmes qui sont tres-ordinairement meuës de Dieu en informe
leurs opérations , à peine s'en trouvera-t-il une seule qui soi! J^^^^" «^e la
mené de Dieu en toute chose et en tout temps ^ » On voit que ce
bienheureux, dont les expériences sont si étendues, ne dit point
qu'il ait jamais trouvé des âmes de cet état; et s'il n'ose nier ab-
solument qu'il ipuisse y en avoir, l'exemple de la sainte Yierge
qu'il venoit d'alléguer expressément, suffisoit pour l'obliger à
cette circonspection, comme lui-même il nous le fait voir par ces
paroles : « La sainte Mère de Dieu, estant dès le commencement
élevée à ce haut état, n'eut jamais en son ame de forme impri-
mée d'aucune créature, laquelle la divertist de Dieu, et jamais ne
se meut par elle-mesme % » parce que toujours sa motion fut du
Saint-Esprit : par où ceux qui vantent sans cesse que tous leurs
mouvemens sont de Dieu, et mettent à tous les jours de tels pro-
diges de ;la grâce, peuvent voir à qui ils s'égalent : ce n'est à
rien moins qu'à la sainte Yierge. Ils doivent aussi reconnoitre
en passant^ quelles sont les formes que ce Bienheureux a inten-
tion de bannir , qui sont uniquement celles qid divertissent de
Dieu.
Aussi voit-on ce saint religieux iusqu'à la fin de sa vie en ve- xxv.
° •* ^ . . Doctrine
nir toujours aux demandes, aux réflexions, aux excitations et a^ ce bien-
heureux
aux autres actes que nos faux mystiques suppriment, sans qu'on contre
1 Mont, du Carm.^ liv. !II, ch. i, p. loi. — "^ Ibid., p. 152.
534 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS DOR.USOX.
ladccon- aperçoive en aucun endroit cet acte unique et continu dont ils
tinu de»
nouTeùiii font le soutien de leui- système : au contraire on ne I)Ou^ oit pas
in;!liquc9.
donner didée plus i'oriucllement opposée à celle-là qu'en distin-
guant, comme il fait *, tout ce qui sappelle acte, et qui appartient
aux puissances, c'est-à-dire à lentenderaent , à la volonté et à la
mémoire , de ce qui touche le fond de l'ame; le premier, dit -il,
estant toxjoKrs passager, et ne pouvant opérer en cette vie d'u-
nion permanente ."'et l'autre (pii est permanent, n'étant pas un
acte, mais une haltitwle seulement : qui est précisément la même
doctrine que nous aN ons opposée aux nouveaux mystiques -.
XXVI. Comme ni lui ni les autres vrais spirituels ne connoissent pas
L-j aclei
Ti- le. cet acte continu et universel , ils ne connoissent non plus les
\i.M\ I1IT4.
uqu,-.,,.... autres actes si c."' . .irmi les nouveaux mystiques , comme
lenl'ei.I.n , ....
en bi.n .1 est celui de se rrji. ni-mesme ; c'est-à-diri", connue ils 1 ex-
en ninl, _ ■' . , , , .
•ont .uM- T)]i(;uent, de se retirer de dessous la main de Dieu en n'Heclns-
Icnfnl in- *^ ^ '
cono. «ui sant sur eux-mêmes, et s'excitant à faire les acte^. (l'est où ces
\ti\t «piri-
'' faux spirituels mettent à présent (comme (ma vu) tout le mal
de la vie si)irituelle, regardant cette rélh^xion comme uu désaveu
de leur premier abandon. Mais aucun des vrais spirituels ne con-
nnlt cet acte, non plus {\\w celui d'abandon, au sens des nouveaux
auteurs : ni ils n'ont Jamais cru (luaacuu chrétien ait cessé de
s'exciter en temps convenable aux actes pieux, ou qu'on ait seu-
lement songé à la cessation de tous ces actes.
Reconiioissons donc que nos prétendus parfaits marchent dans
des voies inconnues aux vrais spirituels: cet acte [>rétendu unique
et iiTévocable de soi n'est qu'mie illusion : c'en est nui' (pii suit
nécessairement de celle-là, que de réfléchir sur les actes (!l s'exci-
ter volontairement à l'amom' de Dieu, soit se reprendre soi-même,
c'est-à-dire se retirer de la main de Dieu : et le comble de l'illu-
sion est de proposer des expériences contraires à celles qu'on
trouve dans les hommes les plus saints.
.Txvii. (".es saints honnues ne connoissent non idus ce vice de nmlti-
vcauxmy". pliclté, quo les faux mystitpies mettent à multiplier et renouveler
tondint tons les Jours les actes de foi , d'espérance et^de charité : car déjà
Ire lu doc on est d accord que sans foi et sans amour il n y a point d oraison,
' Mont, du Carm.f liv. H, cb. V, p, 43. — * Ci-dessus, liv. I , n. 23, etc.
TRAITÉ I, LIVRE YII, N. XXYIIÏ. S35
, et la piété ne permet pas de détacher l'espérance d'avec ses insé- inne a,-^
vrais ?piri-
, parables compagnes, puisqu'elle est le premier fruit de la foi, et «"«'s <«
Qu'elle s'absorbe dans l'amour. muuipii-
^ cité.
Un dernier abus que font les nouveaux mystiques de l'oraison xxvm.
passive ou de quiétude , est de la rendre trop commune et trop eneu? %
,T> 1 ., . ... ifi nouveaux
. necessau'e : c est la un des pomts qui mente une plus torte cen- mystiques,
sure, et en même temps un de ceux que ces faux spirituels pous- dent'i'^o-
111 I ï-\ • 1 iTi- j raison pas-
sent le plus avant. On trouve dans le Mot/en court « que nous sive com-
sommes tous appelez à l'oraison comme nous sommes tous appe- absoi..-
, , , . , , . , ment iio-
lez au salut : qu a la vente tous ne peuvent pas méditer , et que cessaiie.
tres-peu y sont propres : mais aussi que ce n'est pas cette oraison
. que Dieu demande, et que c'est l'oraison de simple présence : que
tous ceux qui veulent estre sauvez la doivent pratiquer, et qu'en-
fin l'oraison qu'il faut apprendre, c'est une oraison qui n'est pas
méditation, mais contemplation passive K »
Voilà pour ce qui regarde la nécessité de cette oraison : pour la
facilité, « elle se peut faire en tout temps^ et ne détourne de rien :
. les princes, les rois, les prélats, les prestres et les magistrats , les
soldats, les enfans, les artisans , les labom'em^s, les femmes et les
malades la peuvent faire. » '
C'est ce que disoit le Père la Combe, qu'on doit induire à cette
oraison jusqu'aux enfans de quatre ans, comme en étant très- ca-
pables ; rien n'est plus aisé : « la manière de chercher Dieu est si
aisée et si naturelle, que l'air que Ton respire ne l'est pas davan-
tage^, » ni la respiration plus continuelle.
Un peu après on commence à faire la loi aux pasteurs et aux
hommes apostoliques ^ : une oraison si facile devroit être apprise
aux enfans comme le catéchisme.
Si tous ceux qui travaiUent à la conquête des âmes tâchoient de
les gagner par le cœur, les mettant d'abord en oraison et en vie
intérieure, ils feroient des conversions infinies. On suppose qu'il
n'y a au monde oraison ni intérieur que dans la passiveté. Voici •
quelque chose de plus outré : « Si l'on apprenoit à nos frères er-
^ rans à croire simplement et à faire oraison (selon la nouvelle mé-
thode), au lieu de disputer beaucoup, on les rameneroit douce-'
1 Mùijen court , § i , p. 2, 4. — ^ lOid., p. G. — ^ P. 15, § m, etc.
536 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
ment à Dieu '. » Sans' doute si on leur avoit persuadé de croire
sifr/p/rr/tenf , ils ne seroient pas hérétiques; mais de leur aller
proposer l'oraison passive comme le seul moyen d'avoir la foi
simple, c'est ce que les Pères ignoroient. S'ils avoient su cette
nouvelle méthode, ils auroient supprimé tant de beaux ouvrages,
tant d'excellentes disputes qui sont encore aujourd'hui les instru-
mensde la tradition et !•' Huidement de l'Eglise. On passe aux ac-
clamations : « 0 quel compte les personnes qui sont chargées des
âmes, n'auront-elles pas à rendre à Dieu *, » de ne leur avoir pas
découvert ce trésor caché de l'oraison passive, comme la seule où
l'on trouve Dieu!
t^hiand je songe à la modestie de sainte Thérèse dans l'instruc-
tion des couvens qu'elle avoit fondés avec tant de témoignages
divin.s, et dont clli' étnit supérieure; et que je considère dunautn^,
côté cet air décisif (pi'« m se donne ici avec les prédicateurs et les
pasteurs, je demeure étonné. On poursuit pourtant, et ces paroles
sont du même ton : Sinn Iritr doimnit d'afmrd \i\ ceux qu'on ins-
truit) la clef de l'intcrirur ', c'e.st-à-dire, comme on a vu, l'aban-
don à ne rien faire du Imil , et attendre (|ue Dieu nous remue :
tout iroit liicn ; ainsi « vous estes conjurez, ô vous tous qui ser-
vez les amcs, de les mettre d'abord dans cette voye, qui est.Iesus-
Christ ^ ; faites des catéchismes particuliers pour enseignera faire
oraison, non par raisonnement ni par méthode , les gens simples
n'en estant pas capal)les, mais une oraison de cn^ur et non de
teste, une oraisrn de l'esprit de Dieu et non de l'invention de
l'homme '. » Hii parle dans tous ces endroits et dans tout le livre
connue s'il n'y avoit ni confiance , ni espérance, ni amour, ni
oraison, ni intérieur, que dans cette oraison partculière (]ui seule
est de Dieu ; et tout le reste, quoique tous les Psaumes, toute l'E-
criture et l'Oraison Dominicale y .«oit contenue, yi'est rju'mve?d/'o}i
de l'homme.
11 ne fjuitdonc pas s'étonner si l'on décide « qu'il est impossible
d'arriver à l'union divine par la seule voye de la méditation, ni
mesme des afîections , ou de quelque oraison lumineuse et com-
» 3/oycn court, § xxiii, p. 111 , ttc. — ' P. 11 i. — ' P. HO. — ' P. 117. —
' P. 1 18.
TRAITÉ I, LIVRE YII, N. XXVIII. 537
prise que ce puisse estre*. » C'est une chose résolue que les Saints
où l'on ne verra que lumières et affections sans aucun vestige
d'oraison passive, ne sont point arrivés à l'union divine. « Au
reste si cette oraison estoit dangereuse , Jésus- Christ en auroit-il
fait la plus parfaite et la plus nécessaire de toutes les voyes ? » On
le suppose partout, quoique ce soit le point de la question , et on
veut qu'on le croie sans preuve. A la fin après avoir invité tout le
monde sans exception à cette voie, comme à la plus nécessaire et
la plus commune de toutes, l'on commence à sentir la difficulté de
rendre si générale une vocation et une grâce si extraordinaire, et
on se fait cette objection : « L'on dit qu'il ne s'y faut pas mettre de
soy-mesme^, » voilà l'objection ; et voici la réponse : « J'en con-
viens ; mais je dis aussi qu'aucune créature ne pourroit jamais
s'y mettre : de sorte que c'est crier contre une chimère que de
crier contre ceux qui se mettent d'eux-mesmes dans cette voye. »
Ce qui autorise tout le monde à ne plus rien examiner quand on
croit y être. Au reste c'est une illusion de dire qu'on ne s'y peut
mettre soi-même, puisqu'encore qu'on ne s'y mette pas d'abord,
on peut trouver une voie et une méthode certaine pour y être
mis facilement et bientôt. De sorte qu'une oraison aussi extraor-
dinaire que la passive , à la fin deviendra aussi commune qu'on
voudra l'imaginer.
On veut toutefois un directeur; mais voici ce qu'on en dit :
« Puisque nul ne peut entrer dans sa fin que l'on ne l'y mette, il
ne s'agit pas d'y introduire personne, mais de montrer le chemin
qui y conduit, et de conjurer que l'on ne se tienne pas lié et atta-
ché à des hôtelleries ou pratiques qu'il faut quitter quand le signal
est donné ; ce qui se connoist par le directeur expérimenté. » Mais
quel sera ce directeur expérimenté, sinon un homme qui déjà
prévenu de la bonté et nécessité de cette voie, puisqu'il y marche
lui-même, vous conduira selon vos désirs et selon les siens? Com
ment pourroit-il faire autrement, puisqu'on l'avertit expressé-
ment que nul homme ne peut feindre d'être dans cet état, non
plus que feindre d'estre rassasié quand il meurt de faim : car il
échappe toujours quelque désir ou envie^. Quand donc on est par-
i Moxjen court, § xxiv, p. 121.— 2 p. 136. — 3 p. 138.
o38 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS DORAISON.
venu à ne plus rien désirer de Dieu, il faut nécessairement qu'un
directeur vous mette dans la voie : et celui qui croira que l'état où
Ton ne désire ni l'on ne demande rien, est trompeur et contraire
à l'Evangile, quelque saint et éclairé cpi'il soit d'ailleurs, bien as-
surément ne sera jamais ce directem* expérimenté (jid montre
l'eau lice et tâche d'y introduire.
Ainsi le signal certain qu'on est appelé à l'oraison passive, c'est
de ne plus rien désirer ni demander, et de supprimer tous les
actes et foutes les pratiques du chrétien : après quoi il ne reste
plus qu'à conclure de cette sorte : « Si la fin est bonne, sainte et
nécessaire; si la porte est bonne, pourquoy le chemin rpii vient
de c.'ltc porte et conduit droit à cette fin, sera-t-il mauvais *? »
Voilà donc une méthode réglée pour arriver à la lin, c'est-à-dire à
l'état où l'on ne l'ait rien «pie dattendre à chaque moment (|ue
Dieu nous renme.
Comnn' pourtant cet dal, du i un ne cesse de tenter Dieu, et où
l'on présume ce qu'il n'a jamais promis, [lourroit à la lin troubler
les âmes, de peur qu'on ne s'en étonne il en faut faire un mystère
en s'écriant : « 0 qu'il est vray, mon Dieu, que vous avez caché
vos secri'ts aux grands et aux sages, pour les révéler aux petits % »
qui mettent bîur petitesse à ne plus rien demander à Dieu, et à
croire (juils l'honoreront en le laissant agir seul sans s'exciter à
lui plaire !
Sur ce fondement tout est décidé : « Quiconijuc; n'entend pas
cette voye (et n'a pas le don extraordinaire d'oraison passive)
non-seulement il n'est pas parfait, mais il ignore le vray amour;
et ce (jui est pis;, plein de l'amour de soy-mesme et d'une attaciie
sensuelle aux créatures il est incapable d'éprouver les ell'ets inef-
faldes de la pure charité \ » Voilà juscju'où l'on pousse la néces-
sité de i'tiraison de quiétude; «-t je prie le sage lecteur de consi-
dérer ces derniers mots, et toutes les décisions (pi'on vient d'en-
tendre dune bouche aussi ignorante cpie téméraire.
XXIX. Mais tout cela tombe par le f(jndement pour trois raisons : la
Troi» de- ^ *
mon.ir... première est théologi(nie, et nous l'avons déjà touchée en disant
logiques que la perfection et la pureté dé[)end du degré et de la grandi'ur
• Moijen court , p. !38. — ' Ibid. — ^Préface sur le Cantique.
TRAITÉ 1, LIVRE Yll, N. XXIX. 539
' de Tamour, et non pas de la manière dont il est infus : ce qui est con''e • >
nécessiti!
fondé sur ce principe, dont tous les théologiens et même les mys- ^e lorai-
soa passive
tiques conviennent, qui est que l'état mystique ou passif n'est pas pouriapu-
. un don appartenant à la grâce qui nous justifie, et qui nous rend t' 1'"'''=
agréables et meilleurs, gratia cjratum faciens ; mais que comme a.uespieu-
; la prophétie et le don des langues ou des miracles, il ressemble à
.cette sorte de grâce qu'on nomme gratuitement donnée, gratia
. gratis data. C'est ainsi que l'ont enseigné positivement Gerson ^
et les autres mystiques de ce temps-là, et dans le nôtre le Père
Jacques Alvarez, savant jésuite, qui a traité plus amplement que
tous les autres la théologie mystique. S'il faut encore aller plus
avant, nous dirons que l'état mystique consistant principalement
.dans quelque chose que Dieu fait en nous sans nous, et où par
.conséquent il n'y a ni ne peut avoir de mérite, on a raison de dé-
cider qu'un tel don, encore qu'il puisse mettre des préparations, à
l'accroissement de la grâce justifiante, ne peut pas appartenir à sa
substance : autrement, et c'est la seconde raison tirée de l'expé-
rience, les plus grands saints de l'antiquité, où l'on ne voit ni trait
ni virgule qui tende à l'état passif : un saint Basile appelé de Dieu
à enseigner les plus parfaits, un saint Grégoire de Nazianze si su-
blime dans la contemplation, un saint Augustin dont nous avons
tant de hautes instructions sur l'oraison, des oraisons actuelles si
belles et si expliquées dans ses Soliloques , dans son livre de la
Trinité '"■, dans ses autre.-; livres, outre les Confessions, qui dans
toute leur étendue ne sont, qu'une perpétuelle oraison, sans qu'on
y voie aucun vestige, mais plutôt tout le contraire de ces impuis-
sances mystiques : en un mot tous les autres saints, les Cypriens,
les Chrysostomes, les Ambroises, les Bernards même, où ces états
extraordinaires purement passifs et ces actes irréitérables ne se
trouvent pas , seroient les plus imparfaits de tous les saints : et
« des femmelettes chargées de péchés, menées piu* divers désirs % »
les surpasseroient en amour et par conséquent en sainteté et en
grâce : ce qui n'est rien moins que de dégrader les saints et leur
1 Gersou., 11! part,. ContiiL, v, vi , vu , xi , etc. — - S. Augnst., Soh'/oq.,
.lib: I, c. i; De Trinit., \ûi. W, c. xxviii, u. 51, etc. — ^ l[ Tii/ioîh.,
III, 6.
540 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS DORAISON.
ôter Vaiitorité qiie non-seulement leur doctrine^ mais encore leur
sainte vie leur donne dans l'Eglise.
Enfin c'est une doctrine certaine en théologie que la purification
des péchés ne dépend point de ces impuissances ni de ces purga-
tions, qu'on nomme passives, ou de ce purgatoire des mystiques
anciens ou modernes dont nous parlerons en son lieu : et saint
Augustin a démontré que, sans sortir de la voie commune, par le
secours des aumônes, des oraisons et delà mortification chré-
tienne, «les fidèles même parfaits, qui ne vivent pas ici sans
péclié, méiitt»nt d'en sortir purs d»^ tout péché : l't qtn nonvivunt
sinr peccato, mcrof/nfitr liinc exire sine peccnto ; parce que, pour-
suit ce saint docteur, comme ils n'ont pas été sans péché, aussi
les remèdes pour les expier ne leur mancpient pas : Qiiin ut pcc-
cntn non dcfitrrunf , itn romedin qxnhua juirfjtirrtittir nffue-
riinl '. »
r.onx-Ià donc (pii se sont servis de ces exjtialiotis sont iW'> âmes
entièrement pures, qui parles voies ordinaires sortent sans péché
de cette vie ; et s'il est vrai, comme l'élahlit et le prouve le même
Saint , que « la perfection de la justice de cette vie consiste plus
dans la rémission des péchés rpie dans la perfection des vertus ' : »
ce sont des justes parfaits qui purifiés de tout péché, comme il
vient de dire, et ne laissant rien entre Dieu et eux capalile de les
sépanM' de sa vue, sans le secours de ces dons extraordinaires,
sont admis d'abord à la vision bienheureuse conforinénient à cette
parole : Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront
Dieu \
dette doctrine convient, tant à la contem[ilation infuse qu'à
''mâli/rc" ^^^^^ H"'- ^*^^ mystiques appellent acquise, puisrpi'elles ont toutes
de it dii- deux les mêmes propriétés et les mêmes efTi^ts. Le bienheureux
entre la j,.,^p ,],, ],^ Ooix suivi (lo tous l(>s mvstiriues, denKinde trois carac-
con(>'in- • '
pj^'"^"} ^^; tcres nécessaires et inséparables , «en sorte qiiil faut les avoir
''"'"• du moins tous trois conjointement , » pour connoitre si l'on est
dans la voie mystique ; c'est-à-dire , comme il l'explique , s'il
faut (|uitler « la méditation et les actes des puissances, au moins
' l'.pist. fid lli/nr. olirn LXXXix, mine CLVii, rap. i, n. 3; Scrni. CLXXXi, n. 8.
— ^ De perfccl. j'usl. cap. xv, n. J4, etc. — ^ Mut/i., v, 8.
ixx.
InuliliK^,
TRAITÉ I, LIVRE YII, N. XXX. Ml
ceux où il y a du discours '. » Or l'un de ces caractères est l'im-
puissance de faire ces actes : d'où il conclut que Ton ne peut en
sûreté les abandonner, jusqu'à ce que la puissance de les exercer
manque tout à fait. Que si Ton dit qu'il ne parle que de la con-
templation infuse, je répondrai en premier lieu qu'il parle d'une
sorte de contemplation qui résulte de l'habitude formée, et celle-
là est l'acquise, ou il n'y en a point de ce titre. Je dirai en se-
cond lieu que ce pieux contemplatif, sans distinguer la contem-
plation acquise d'avec l'infuse , parle en général de l'oraison de
quiétude, et prononce décisivement « qu'il ne faut laisser la
méditation que quand on ne peut point s'en servir, et lors seu-
lement que Nostre-Seigneur l'empeschera ^. » Et pour ôter toute
difficulté, Molinos, qu'on peut citer en ce lieu comme le grand
auteur des nouveaux mystiques, convient qu'il faut avoir la
même marque pour être admis à la contemplation quïl nomme
acquise, que pour être reçu à celle qu'on nomme infuse ^ A son
exemple les nouveaux auteurs demeurent d'accord unanimement
que l'oraison passive, acquise et infuse se fait en nous sans
nous : que personne ne s'y peut mettre, et eniîn que cette im-
puissance d'exercer les actes de discours ou de propre réflexion et
de propre effort , est ce signal de les quitter où un directeur ex-
pert ne se trompe pas \ Ainsi cette distinction de contemplation
infuse ou acquise ne sert de rien en cette occasion qu'à embrouiller
la matière : ce qui fait aussi que nos faux mystiques conviennent
enfin que la contemplation acquise ne diffère guère d'avec l'in-
fuse; qu'elles se suivent de près, si elles ne sont tout à fait insé-
parables ; et qu'elles ont toutes deux les mêmes caractères, c'est-à-
dire ces impuissances auxquelles l'homme ne contribue rien, et où
aussi il ne peut se mettre soi-même, ni y être mis autrement que
par la puissante opération de Dieu, lorsqu'il lui plaît de tenir l'ame
dans sa dépendance d'mie façon particulière : d'où il s'ensuit clai-
rement que la perfection de la contemplation acquise , aussi bien
que celle de l'infuse, n'appartient en aucune sorte à la grâce jus-
tifiante , mais à ces dons gratuits qui de soi ne rendent pas l'homme
1 Mont, du Cann., liv. 11 , cli. xiil, p. 72. — ^ Obic. nuit., liv. 1, ch. x, p. 257.
— 3 Moliû., Guide, Introd., sect. il, lii; etc. — * Moyen court, § 24, p. 136, 138.
542 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS DORAISON.
meilleur, encore qu'ils puissent Vinduire à le devenir : ce qui ren-
verse par le fondement tout le système prétendu mystique des
nouveaux docteurs.
LIYRK VIII.
Loctrine de soint François de Sales.
I
Qu'on ne
Pour achever ce que j'ai promis, ii laul expluiuer les maximes
""«pp!!^"' <îu saint évrqiie de (Icnève, (jue j'ai réserM'es à la lin iiour les ex-
''^„"'"' poser sans interiiiption. Kt d'abord on doit croire cpi il n iii a
.^î^df.'ln. point d'autres (pie celles que nous avons vues si clairement auto-
uc™hm" risées par l'Kcriture , par la tradition et par les mysti(jues ap-
prouvés. Si jamais il y eut un homme qui par son humilité et sa
droiture fût ennemi des nou\ fautes, c'est sans doute ce saiid per-
sonnai:»'. 11 n'y a cpi'à l'etoufcr dans un»' lettre, où avec cette in-
comparalile c^mdeur et simplicité qui fait un de ses plus beaux
caractères : « Je ne sçay, dit-il, j'aime le train des saints devanciers
et des simples : » à quoi il ajoute avec la même humilité : «Je ne
pense pas tant scavoir que je ne sois aise, je dis «'xtrémement aise
destre aidé, de me démettre (W mon sentiment •, » et le reste
qu'l laudra [leut-ètre rapporter ailleurs. Sans doute on ne doit
attendre aucune siuirularité dans les sentimens d'un tel homme;
et aussi lui en attriliuer, ce seroit lui ôt-r r.iiif.,ii(.- «iciit on vi-
vent prévaloir.
ai!!cj^ J*' tlJs donc avant toutes choses qu'il ne connoît pas ces ma-
'«i"iMil!° nières superbement et sèchement désintéres.'îées , qui font établir
dr«d"-.? la pi'rfi'clion à ne ri»Mi demander pour soi-même. Si je voulois
iii«"oifi're- cittu' les t'udroits où il fait à Dieu des demandes, et où il en
qu''ii"ii. ordonne aux plus parfaits, jaurois à transcrire une juste moitié
iùn!.c^ne de st'S Icttrcs ) mais j'aime mieux produire sa doctrine que ses
pratiques, et la Aolci dans le dernier des entretiens qu'il a faits à
' Liv. 11, ktl, 21.
TRAITE I, LIVRE VIII, N. IL 343
ses chères filles de la Yisilation, et qui a pour titre. : Be ne rien
demander.
A ce titre il ne paroît pas que le Saint soit favorable aux de-
mandes, et il s'en montre encore plus éloigné par ces paroles :
« Je veux peu de choses : ce que je veux, je le veux fort peu; je
n'ay presque point de désirs : mais si j'estois à renaistre, je n'en
aurois point du tout. Si Dieu venoit à moy, j'irois aussi àluy :
s'il ne vouloit pas venir à moy, je me tiendrois là, et n'irois pas à
hiy. Je dis donc qu'il ne faut rien demander ni rien refuser, mais
se laisser entre les bras de la Providence divine sans s'amuser à
aucun désir, sinon à voiûoir ce que Dieu veut de nous*. » J'al-
lègue ce passage, parce qu'à le prendre au pied de la lettre c'est
un de ceux où le Saint pousse le plus loin Tindifférence et l'exclu-
sion des désirs, la poussant jusqu'à celui d'aller à Dieu. Mais par
bonheur il a lui-même prévu la difficulté , et on en trouve six
lignes après un parfait éclaircissement dans ces paroles : « Tous
me dites , poursuit le Saint , s'il ne faut pas désirer les vertus, et
que Notre-Seigneur a dit : Demandez, et il vous sera donné. 0 ma
fille , quand on dit qu'il ne faut rien demander ni rien désirer,
j'entends pour les choses de la terre : car pour ce qui est des ver-
tus, nous les pouvons demander ; et demandant l'amour de Dieu
nous les comprenons , car il les contient toutes. » On demande
donc les vertus , et on demande surtout l'amour de Dieu ou la
charité , qui les contient ; et on les demande pour satisfaire à ce
précepte de l'Evangile : Demandez. On n'est donc point indifférent
à les avoir : à Dieu ne plaise qu'on attribue à un homme si éclairé
et si saint une si étrange indifférence, car il la faudroit pousser
jusqu'à être indifférent à aimer ou à n'aimer pas, à avoir la cha-
rité ou à ne l'avoir pas. Mais le Saint marque expressément qu'on
la demande et avec eUe toutes les vertus.
On sait dans l'Ordre de la Visitation que ce dernier entretien
du saint évêque à ses chères filles fut fait à Lyon la veille de sa
mort, et on le doit regarder comme une espèce de testament qu'il
leur a laissé. Il ne s'agit pas des imparfaits, puisque le saint parle
ainsi à l'extrémité de sa vie pom" expliquer la manière dont il a
1 Entret. xxi , p. 904, 90o.
544 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
exclu ou admis les désirs dans son état : il n'y a rien de plus net;
s'il éloit dans les maximes des nouveaux mystiques _, il diroit
comme eux que tout ce c^u'on désire ou qu'on demande pour soi,
même par rapport à Dieu, est intéressé : mais il se réduit mani-
festement à l'exclusion des désirs des dioses de la terre, et il y
apporte en ^ore ce tempérament ' : « Je ne veux pas dire pourtant
qu'on ne puisse pas demander la santé à Nostre-Seignem* comme à
celuy qui nous la peut donner, avec cette condition, si telle est sa
volonté. )• Voilà comment il nous apprend à demander les biens
temporels sous condition ; mais pour les > eitus, il n'en a pas parlé
de même, et il enseife'ue avec tous les saints à les désirer et à les
demander absolument. Ce n'est donc pas à ces vrais biens qu'il
étend son abandon, ni la sainte indilïérence qu'il prêche par-
tout.
On dira que celle demaiide eondilioune'lle de la ^^aIlU' est un
conseil pour les inlirmes, mais non : car il l'approuve il ans la
sainte veuve (juil n'a cessé délever à la perfection ; «Vos désirs,
dit-il, pour la vie mortelle (qu'ell" désiroil à son saint conduc-
teur) ne me déplaisent point, car ils sont justes, pourvu qu "ils ne
soient pas plus grands que leurs objets méritent. C'est bien fait
sans doute de désirer la vie à celuy que Dieu vous a donné pour
conduire la vo.stre *. » Yoilii ce qu'il dit à celle en qui il témoigne
tant de fois qu'il veut éteindre tout désir et la porter au dernier
degré de Tinditrérence ciu'éticnne. Mais c'est que l'indiUérence de
saint François de Sales n'étoit pas une indolence, ni l'insensibilité
des nouveaux mystiques, qui se glorilieut de voir tous les houunes
non pas malades , mais damnés , sans s'en émouvoir. Le saint
évêquc au contraire demande partout qu'on désire pour un ami,
pour un père ou temporel ou spirituelle ce (jui convient : « car,
dit-il, il ne faut pas demeurer sans atlection, ni les avoir égales
et indifférentes : il faut aimer chacunj en son degré •'. » Ainsi
l'inditférence qu'il enseigne n'empéclie pas une juste et vertueuse
pente de la volonté d'un côté, mais il veut en même temps qu'elle
soit soumise.
' Enlrel. xxi, p. 905. — * Liv. 1 V; op. xciv. — 3 Entiol. vm. De /a desapprop.,
p. 833.
TRAITÉ I, LIVRE VIII, N. III, lY. ri45
L'on dira nue ce dénouement n'est pas suffisant pour entendre m.
toute la doctrine du Samt , m même pom* bien expliquer le lieu tirces de,
allégué de l'entretien xxi , puisqu'il y pousse l'exclusion de tout ^aint Ivc-
désir, en cas qu'il eût à renaître , jusqu'au désir d'aile?' à Dieu ,
et jusqu'à prononcer ces paroles : « Si Dieu venoit à moy , j'irois
aussi à luy : s'il ne vouloit pas venir à moy, je me tiendi'ois là ^ »
Ce cfui marque une indifférence même pour les choses de Dieu ,
même pour aller à lui. On voit aussi, dans le Traité de V amour de
Dieu, un chapitre dont le titre est : Que la sainte indifférence s'é-
tend à toutes choses ^. C'est à quoi se rapporte encore la compa-
raison de la statue ^, à qui le Saint fait ressembler l'ame indiffé-
rente pour lui ôter tout désir et tout mouvement ; celle du musi-
cien sourd, et les autres qui semblent pousser l'indifférence^ qu'il
nomme amoureuse , au delà de toute mesure. Il semble aussi ex-
clure de la charité le désir de posséder Dieu, c'est-à-dire celui du
salut et de l'éternelle récompense, et rapporter ce désû* à l'amour
qu'on appelle d'espérance, qui selon lui n'est pas un amour pur,
mais un amour intéressé *. Et voilà fidèlement , sans rien ména-
ger, tout ce qu'on peut tirer de la doctrine du Saint en faveur des
nouveaux mystiques.
Mais pour peu qu'on eût de bonne foi, on ne formeroit pas ces iv.
difficultés; car je voudrois demander à ceux qui les font s'ils veu- pa.- trou
lent attribuer à saint François de Sales une opinion qui diroit , dont la '
que désirer de voir Dieu est un acte qui n'appartient pas à la cha- .^^t : si
rite, ou que cet acte est indifférent au chrétien, ou que le chrétien
est indifférent à avoir la vertu ou ne l'avoir pas. Il faudroit être àési
?cin salut.
insensé pour prendre l'affu'mative sm" aucmie de ces trois ques- «écui.,i,
lia sailli
tions ; mais pour un entier éclaircissement répondons-y par ordre, m ses
. pruprej
, Ma première question a été : Si l'on veut attribuer à ce oamt paroiei.
une opinion où l'on diroit cpie le désir de voir Dieu n'appartient
pas à la charité : mais nous avons déjà vu que ce seroitlui attri-
buer une opinion que personne n'eut jamais, puisque toute la
théologie est d'accord que désirer son salut par conformité à la
sainte volonté de Dieu, comme une chose qu'il veut que nous vou-
1 Entret. xxi, p. 904. — ^ ljv. ix, ch. v. — » Liv. V! , ch. xi; Lettr., liv. 11,
p. 53. — * Am. de Dieu, liv. 11 , ch. xvi, xvii, xxil.
roM. xviii. 35
sse ili'
346 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
lions, et encore le désirer comme une chose où Dieu met sa gloire,
c'est un acte d'un vrai et parfait amour de charité, que David a
exercé lorsqu'il a dit : /e ne désire de Dieu qu'une seule chose * :
que saint Paul a exercé lorsqu'il a dit : Je désire d'être avec Jésus-
Christ - : et que tous les Saints exercent lorsqu'ils demandent à
Dieu que son règne avienne. Voilà un fondement certain , qu'on
ne peut faire ignorer à saint François de Sales , sans en même
temps lui faire ignorer les premiers principes, et ceux qu'il a lui-
même le mieux établis. Et pour ne laisser ici aucun embai'ras, je
n'ai besoin que de deux ou trois chapitres où il parle de ceux qui
nieiirt'iit d'amour pour Dieu. Ceux-là sans doute sont dans la par-
faite charité selon le Saint, comme il paroît par un chapitre qui
porte ce titre : Que le suprême effet de Itnnnur effectif est la mort
des atnans '; où il les distingue en deux classes, dont l'mie est de
ceux qui moururent en atnour * , et l'autre qui sans doute est la
plus parlaite , puisque c'est celle où il met la sainte Vierge et
Jésus-Christ même, est de ceux qui meurent d'amour ^ Or et les
uns et les autres meurent on désirant de jouir de Dieu. Notre Saint
range dans la première classe saint Thom^is d'Aquin, à cpii il fait
dire en mourant ces paroles du Cantique, qui étoient les dernières
qu'il avoit exposées : Venez, 6 mon cher bien-aimé et sortons en-
semble aux champs '. 11 mourut avec cet élan, qui est sans doute
un élan d'amoui', et en même temps un élan qui appelle Jésus-
Christ, et un désir de sortir du corps pour aller se perdre dans ce
champ innnense de l'être divin. Voilà pour ceux qui meurent en
amour et dans l'exercice actuel de la charité. Parmi ceux qui
meurent d'amour, il compte saint François d'Assise ', et en même
temps il remarque qu'il mourut en disant avec David : « Tirez-
moi de la prison ; les justes m'attendent jusqu'à ce que vous me
donniez ma récompense *. »
11 raconte dans le chapitre suivant l'histoire merveilleuse d'un
gentilhomme , qui après avoir visité tous les saints lieux, alla
mourir d'cmiour sur le mont d'OUvet^, d'où Jésus-Christ étoit
> Psal. XXVI, 4. — « Phil., I, 23. — « Liv. VII, ch. i.\. — * Ibid. — » Ibid.,
ch. x; Ibid., ch. xiu et xiv. — « Ibid., cap. ix. — ' Ibid., c. xi. — • Psal.
CXLI, 8.-9 Liv. VII , ch. XII.
TRAITÉ I, LIVRE VIII, N. V. ?ilT
monté aux cieux. On ne peut douter que cet homme n'eût l'amour
dans une grande perfection, puisqu'il en mourut; et que saint
Bernardin de Sienne , dont le saint évêque a tiré cette histoire ,
raconte qu'étant ouvert on trouva gravé dans son cœur : Jésus
mon amour. Or ce bienheureux et parfait amant dont le cœur,
dit notre Saint, s'estait éclaté d'excès et de ferveur d'amour, étoit
mort en disant ces paroles : « 0 Jésus! je ne sçay plus où vous
chercher et sm\Te en terre : Jésus mon amour, accordez donc à
ce cœur qu'il vous suive et s'en aille après vous là haut : et avec
ces ardentes paroles il lança quant et quant son ame au ciel comme
un trait, comme une sagette sacrée, )) dit notre Saint. Yoilà comme
meurent ceux qui meurent d'amour, et non-seulement ils désirent
d'aller posséder Jésus-Christ ; mais encore c'est leiu" désir qui lance
leur ame vers ce divin objet.
Ce seroit en vérité un prodige parmi les chrétiens, de dire que )'-,
le désir de voir Dieu et d'arriver au salut, ne fût pas un désir d'un -'»"<'<'' "J"
^ ^ S.iinl, pour
amour pm'; mais puisque nos mystiques en veulent douter, et Jo'"<|^^^.j"^
qu'Ds veulent s'autoriser de saint François de Sales, il faut encore ^"'»"" }"
■*■ . -^ desu- de
leiu" faire voir sm' quels principes il a accordé la pureté d'un son^aïut
amour désintéressé avec le désir de la jouissance. Or ce principe
est connu de toute la théologie , et n'est autre que celui que nous
avons vu , qui est que Dieu voulant notre salut , il faut que nous
le vouhons , afin de nous conformer à sa volonté par un saint et
parfait amour. Mais peut-on croire que notre Saint ait ignoré ce
beau principe, après qu'il a dit : « Il nous faut estre charitables à
l'endroit de nostre ame *? » Et après : « Ce que nous faisons pour
nostre salut est fait poiu? le service de Dieu , car Nostre-Seigneur
mesme n'a fait en ce monde que nostre salut. » Mais il pousse
cette vérité jusqu'à soîi premier principe dans le Traité de l'amour
de Dieu, où il pose d'abord ce fondement : « Dieu nous a signifié
en tant de sortes et par tant de moyens qu'il vouloit que nous
fussions tous sauvez, que nul ne le peut ignorer -. » Et après :
« Or bien que tous ne se sauvent pas, cette ^^olonté néanmoins ne
laisse pas d'estre une \Taye volonté de Dieu , qui agit en nous
selon la condition de sa nature et de la nostre. » Voilà donc deux
1 Liv. ill, ép. XXX. — - Liv. VIII, ch. iv.
548 INSTRUCTION SIR LES KTATS D0R.\1S0N.
vérités constantes : Tune, que Dieu veut que nous soyons tous
sauvés ; l'autre, qu'il le veut d'une vraye volonté. D"où il suit que
celui qui veut son salut, agit en conformité de la volonté de Dieu,
et conséquemment par amour. Et en effet c'étoit cet amour
qu'exerçoit le Roi-Prophète en disant : «J'ai demandé une chose,
et c'est celle-là que je pom'sui^Tai à jamais : que je voye la vo-
lupté du Seifrueur , et que je visite son temple : mais quelle est,
dit le saint é\ èque de (ienèA e, la volupté de la souveraine bonté,
sinon de se répandre et communiciuer ses perfections? Certes ses
délices sont destre avec les enfans des hommes pour verser sa
grâce sur eux '. » C'est donc aimer Dieu véritaldement et pour sa
bonté, (pic d'aimer cette souveraine lionté dans l'exercice (jnelle
aime le plus, qui est celui d'opérer notre sidut. C'est là sans doute
un acte de vrai et parfait amour, puisque c'est un acte (pii nous
fait aimer non-seulement la volonté , mais encore la volupté du
Seigneur en nous faisant aimer notre salut , parce (ju'ajoute le
Saint après saint Panl , « nostre sanctification est la volonté de
Dieu, t'I ndstre salut son bon plaisir; et il n'y a,' poursuit -il, nulle
dillerence entre le bon plaisir ni la bonne volupté , ni par consé-
quent entre la bonne volupté et la bonne volonté divine; » par
conséquent il n'en faut j)oint faire non plus entre l'amour de notre
salut dans cette vue, et l'amour de cliarité qui nous fait aimei"
Dieu pour Dieu et pour sa bonté souveraine.
VI. Il a pratiqué ce «pi'il a cm : lont est rempli dans s<\s Lettres de
Nulle in- , .
d.iTercnfe lii ccleslc palric : « U Dieu! dit-il. ma Ires-chere mère, annons
pjiir le 9.1- . !• • 1 •
lui d.nj le pariailemeut ce divm obji't (jui nous prépare tant de douceurs
que de daus Ic cicl, ct cnennnons nuit et jour entre les épines et les roses
pour arriver à cette céleste Jérusalem *. » C'est ainsi qu'il aspiroit
incessamment, (pioirpiinsensiblement pour ta plupart du temps,
à runioii au cœur ih; Jésus, et se remplissoit d'une certaine af-
lluence du sentiment (]ue nous aurons pour la \ ne de Dieu en
paradis. Voilà comme il étoit iiidifférent pour cette inedable béa-
titude. En vérité il ne songeoit guère à se désintéresser à la ma-
nière de nos mystiques : « U Dieu ! dit-il , quels soupirs devoit
jeter Moyse à la veuë de la terre promise '? » Pourquoi ces sou-
' Liv. Vlll, rn\^. iv.— s Liv. IV, l'-p. LXXXIX. — ^ Liv. V, ép. i.
TRAITÉ I, LIVRE Vlll, N. VI. 549
pirs? et que ne se dépouilloit-il de cet intérêt? En parlant à mie
ame sainte , « à qui il ne permet pas de lire les livres où il estoit
parlé de la mort, du jugement et de l'enfer, à cause, dit-il, qu'elle
n'avoit pas besoin d'estre poussée à vivre chrestiennement par
les motifs de la frayem' ; ame qui par conséquent estoit élevée à
cette parfaite charité qui bannit la crainte : il luy conseille de
s'entretenir et d'aimer la félicité éternelle, et de faire souvent des
actes d'amom* envers Nostre-Dame , les Saints et les anges céles-
tes, pour s'apprivoiser avec eux; et parce qu'ayant beaucoup
d'accès avec les citoyens de la céleste Jérusalem il luy faschera
moins de quitter ceux de la terrestre ou basse cité du monde K »
Il étoit temps de proposer à une ame d'une si parfaite charité
l'oubh des récompenses éternelles , et de lui défendre les livres
qui lui en parloient, comme ceux qui lui parloient de l'enfer et
du jugement; mais au contraire il nourrit son amour parfait de
cette douce espérance : « Usez, dit-il, toujom\s de paroles d'a-
mour et d'espérance envers Nostre-Seigneur : » pour se détacher
du monde, iWexhortoit à songer toujours à cette vie, à cette féli-
cité éternelle. Etoit-ce pour affoiblir son amour? N'étoit-ce pas
plutôt, comme il dit lui-même en tant d'endroits, que cette
céleste Jérusalem est le lieu où règne ramant, et un lieu par
conséquent qu'une ame qui aime ne peut pas ne point aimer ?
C'est pourquoi aussi , loin de se croire lui-même intéressé , ou
plus imparfait dans le désir qui le possédoit d'être avec Dieu,
au contraire avec sa bonté et simplicité admirable il avoue
« qu'il trouve son ame un peu plus à son gré qu'à l'ordinaire,
parce qu'il la voit plus sensible aux biens éternels ^ » Et pour
montrer que c'étoit un pur et parfait amour qui lui faisoit pousser
tous ces désirs vers la céleste patrie : « Pom* moy, dit-U, je n'ay
rien sçu penser ce matin qu'en cette éternité de biens qui nous
attend , mais en laquelle tout me sembleroit peu ou rien , si ce
n'estoit cet amom^ invariable et toujours actuel de ce grand Dieu
qui y règne toujom's '. » Yoilà donc cet amour toujours actuel,
mais uniquement dans le ciel ; car s'il l'avoit sur la terre , dès
la terre il seroit content. Voilà un homme tout possédé de cette
1 Liv. \', ép. XXVIII. — i Liv. Vij ép. Lvn. — 3 Liv. Vli^ ép, xxxi.
y^O niSTRlTTIûN SIR LES ETATS D'ORAISON.
('temitê do /tiens, mais qui trouve que le plus grand bien ou ]p
seul , (• est que lamour n'y est jamais discontinué : et une ame
faussement mystique s'imagrinera être plus parfaite qu'un si
grand Saint , à cause qu'elle aura dit dédaigneusement qu'elle
ne sait sur quoi arresfcr un desiî' , pas mesme sur les joyes du
paroflis.
^" Ainsi le saint évêtjue de Genève , loin de dire qu'aimer son sa-
..on fit lut OU désirer de Jouir de Dieu ne soit pas un acte de chante, a
deux prin- ' 11-
cipt.. vit démontré le contraire par les exemples des samts et par deux
le «àinl , , . . , .
e.*que ur ralsous, (louf l'uue est qu en désirant son salut on se conforme a
p.i rriie ja voloute de llieu; et l'autre, que ce desir n est (pi \\\\ desir d un
« pour ir amour toujours actuel , invariable et parlait. Mais des la toutes
••lui, qu» , -i-j 11
\tt non- nos (Tuestions sont résolues. Si le >Tai desir de son salut enferme
uqu».»cu- wx\ parfait amour . on ne p»*ut pas y être indilierent. ?Se laissons
l»nl inlro- . , " • i • i
'«''•"■ pas f(>utff(»is d'enfoncer cette matière ; et pour mieux développer
la (liHiriiif ili" ce siiint évè(pie, écoutons en ([iioi il ni«'f sou in-
dilltTciiee.
VIII Ou ne peut srtomier assez rpi'on se soit trompe sur ce sujet-là.
Eu quui
le si.nl après le soin (lu'il a pris en tant d'endroits de réduire cette mdif-
flUblilU ' ' ,, . . . % y • tx t • 1. 1
•«nu- in. férence à ce (ui'il appelle u>s evenemens de la vie. On a of))ecte le
H.irér«nc« , • i-ir- > ' i •
fhr*i.en. chapitre qui a jiour titre : Que In sainte inaiflcreme s elenn a
lie . ri i|i.r ■ < , i i • i « 'il
«nr.ij. toutes choses^; mais c est par cet endroit même fpie se n'sout le
ia4U pour . • . • 1 • /r> ' I • • 1 1-1
|« "lui- plus nettement la dil limite. <( L indifierence, dif-il , se doit prati-
ipier es choses (jui re^^ardent la vie naturelle, comme la santé, la
maladie, la beauté, la laideur, etc. ; es cho.ses qui regardent la vie
. ivile. pour l»'s honneurs, rangs, richesses : es variétez de la vie
spirituelle, comme sécheresse, consolations, gousfs. ariditez : es
actions, es souIVrancHS, »'t en somme à toutes sortes «l'événe-
inens. » On voit <pie parmi les choses où lindilterence s'étend, il
ne comprend pas le salut : à Dieu ne plaise. Il rapporte l'exemple
^^' .loi) alUivrf. (piant à la vie naturelle, quant à la civile , quant à
la r/f sp/rifar/lr/iar pressures, convulsinns, anr/oisse:<, tenehres, etc.
LiiKlillércncedu Saint s'étend jusque-là, mais non pas outre. Il
produit ce beau passage de saint Paul, où il nous annonce une
générale indifférence : mais c'est es tribulations , es nécessitez et
' Ain. (if Dieu, liv. IX, ch. v.
TRAITÉ î, LIVRE VIII, N. IX, X. oSl
angoisses, etc., à droite et à gauche, par la gloire et par l'abjec-
tion, et autres de cette nature qui se rapportent aux divers évé-
nemens de la \'ie.
La raison fondamentale de cette doctrine, c'est que l'indifférence ix.
ne peut tomber sur la volonté déclarée et signifiée de Dieu ; au- ^JXàeu
trement il deviendroit indifférent de vouloir ou ne vouloir pas ce préxldèn'
que Dieu déclare qu'il veut. Or, dit le Saint \ la doctrine chré- deu^Jr-
tienne nous propose clairement les vérités que Dieu veut que nous lonifs '«".'
croyions, les biens qu'il veut que nous espérions, les peines qu'il ^""'
veut que nous craignions, ce qu'il veut que nous aimions, lescom-
mandemens qu'il veut que nous fassions, et les conseils qu'il veut
que nous suivions. En tout cela donc il n'y a point d'indifférence :
par conséquent il n'y en a point pour le salut qu'il îdcyii espérer ,
parce que c'est la volonté signifiée de Dieu ; c'est-à-dire « qu'il
nous a signifié et manifesté cpi'il veut et entend que tout cela soit
cru, espéré, craint, aimé et pratiqué. » C'est à cette volonté de
Dieu que nous devons conformer notre cœur, « croyans selon sa
doctrine, espérans selon ses promesses , craignans selon ses me-
naces, aimans et vivans selon ses ordonnances. »
Par ce moyen l'indifférence étant excluse à l'égard des choses
qui tombent sous la volonté déclarée ou signifiée, parmi lesquelles
est comprise la volonté de se sauver : il a fallu, comme a fait le
Saint, restreindre l'indifférence chrétienne à certains événemens
qui sont réglés par la volonté de bon plaisir , dont les ordres
souverains décident des choses qui arrivent journellement dans
tout le cours de la vie, comme de la mort d'une mère, ou du suc-
cès des affaires, qui sont les exemples par lesquels le saint évêque
détermine ses intentions dans tout ce discours ^.
Il est vrai qu'il a loué auparavant ^ cette héroïque indifférence x.
de saint Paul et de saint Martin qui sembloit s'étendre jusqu'au surfinài"
désir de voir Jésus-Christ ; oui, sans doute, non quant au fond, de ÀXU\.
le voir ou ne le voir pas absolument ; car qui pourroit souffrir Martin!""
cette indifférence ? ou qui jamais a été moins indifférent que saint
Paul sm^ ce sujet? Mais quant au plus tôt ou au plus tard, qui est
1 Am. de Dieu, liv. VIII, ch. m. — '^Ihid., liv. IX, ch. vi. - î Ibid.,
ch. IV.
552 INSTRITTION SUR LES KTATS DnRAlSON.
lUir (\ osf appartontintp aux évenemeiis , puisqu'elle dépend du
momeut de notre mort.
^''■. Les événemens dont il parle, et qui font l'objet de la sainte in-
fifréreuce chrétienne, sont ceux qui se déclarent tous les jours pur
les ordres de la divine Providence. 11 répète la même doctrine
dans un E/Ure(ien admirable ', où l'on trouve un clair dénoue-
ment de toutes les difficultés, et toujours sur le fondement de ces
deux volontés; « Time signifiée, et l'autre de bon plaisir ;\;\.-
(juell . dit-il , regarde les événemens des choses que noiLs ne
pouvons pas prévoir : c^iume par exemple : Je nesç^iy si je mour-
ray demain, et ainsi du reste. De me.srae, continue-t-il, il arri-
vera (|ue vous n'aurez pas de (•ons4 liât ion dans vos exercices . il
est eerlain que c fst le bon })laisir d«* Uieu. ('.'est pourquoy il faut
demeiu-er avec une extrême indilference entre la consolation et la
désolation. De mesnie en faut-il faire d;uis toutes les choses (|ui
nous arrivent. »
Ml. (l'est là aussi ce qu'il appelle l'abandonniMnent qui est . selon
1 !'."J lui, M la vertu de.s vertus; et ce n'est , dit -il . autre rlio.se (|u une
" '■'■■"' '' '
parfaite indilTerence à pH'evoir toute sorte di'veneineiis selon
ipi ils arrivent ', » «'t selon «pi'il plait à l)ieu tpi"ils.sede\elopp«*nt
journellement à nos yeux, tant dans la vie naturelle par les mala-
dies et autres choses «««lublables, (jue dans la vie spirituelle parla
srcheresse ou par la consolation , comme nous venons de l'en-
tendre tant et tant de fois de .sa bouclu*.
oîi'lnn. •''* I»'»iirrois ici rapporter ime infinité de pa.ssiiges decetincom-
iro,... ,a. paj..||^i,> directeur «les âmes, mais <-eux-ci suflisenl ; et i'a.ssurerai
',",''■" siuis crainte (luVn tant de lieux où il parle de la .sainte indi (Té-
pr,.p.rcr ppi^p,, j] ,jp, j^'pQ trouvera pas un seul où il soit .sorti des borne.s
^*"^n^ qu'on vient de voir, et où il ait seulement nommé le salut . au
hi"'.! "• •■<*'draire il a .supjMJsé que rindiirérenee ne tomboit pas sur cet
'7r'r i. ' ol>;et-là, pui.sque la volonté de Dieu s'est déclarée sur l'espérance
"uTJ^ auï-si bien que sur le désir qu'il en faut avoir; et il a si peu pensé
pttMce. jjjjj, ç|, divin commandement ne .s'étendît pas aux plus parfaits,
que p.rlantde lame parfaite, de l'ame (|ui est |)arvenue à l'excel-
lente dignité d'Kpouse, (( de cette admirable amante qui voudroil
' Enlr. n , p. 803. — l'nd., p. 803, 801.
TILViTE j, liVRE Viii, N. XIV. .Sci3
ne point aimer les gousts, les délices, les vertus et les consola-
tions spirituelles, de peur d'estre divertie , poui' peu que ce soit,
de l'unique amour qu'elle porte à son bien-aimé , il luy fait dire
que c'est luy-mesme et non ses dons cju'elle recherche ^ » Elle le
recherche donc ; et loin d'être indifférente à le posséder comme
nos froides et fausses mystiques, elle s'écrie à cette intention .
« Hé ! montrez-moy, mon bien-aimé, où vous paissez et reposez,
afin que je ne me divertisse point après les plaisirs qui sont hors
de vous -. » Tant il étoit natm'el, en parlant des sentimens des
parfaits, d'y joindre comme le comble de la perfection le plus vif
désir de posséder Dieu.
Nous avons résolu les deux premières difficultés que nous ^iv.
Si le Siiiiit
avions proposées ^ : l'une, si l'on peut attribuer au Saint la pensée » "» q» 'i
ne r.tlluil
que le désir du salut n'appartienne pas à la charité ; l'autre, si l'on pas dési-
rer on de-
peut Ini faire accroire qu'il ait tenu cet acte pour indifféi'ent au mandcries
vertu?, et
chrétien. Par là se résout encore la troisième difficulté sur Tin- «n quel
sens il a dit
différence pour les vertus. Car puisqu'elles appartiennent à la vo- a^on en
doit perdre
lonté signifiée, c'est-à-dire à l'exprès commandement de Dieu il le goût.
n'y a point là d'abandon ni d'indifférence à pratiquer : ce seroit
une impiété de s'abandonner à n'avou" point de vertus, ou de de-
meurer indiffèrent à les avou'. C'est pourquoi le Saint nous a dit
dans Y Entretien xxi qu'il les faUoit demander, et les demander
non sous condition, mais absolument, et demander la charité qui
les contient toutes : et s'il dit dans le passage qii'on vient de pro-
duire, que l'ame parfaite désire de ne point gouster les vertus; il a
expliqué aillem's, que ne les point goûter, ce n'est point être in-
différent à les avoir ou à ne les avoir pas ; « mais c'est après s'estre
dépouillé du goust humain et superbe que nous en avions , s'en
revestir derechef, non plus parce qu'ehes nous sont agréables,
utiles, honorables et propres à contenter l'amour que nous avons
pour nous-mesmes ; mais parce qu'elles sont agréables à Dieu,
utiles à son honneur et destinées à sa gloire ^ »
Que si nos nouveaux mystiques répondent que c'est ainsi qu'ils
l'entendent , et qu'ils ne se dégoûtent des vertus qu'au sens de
1 Am. fie Dieu, liv. XI , chap. xvi. — 2 ihid.; Gant, i, 6. — ' Ci-dessus,
chap IV. — '► .\,n. lù; Uiuu, liv. IX^ chap. xvi.
S.Si INSTRlT.TinN SUR f.KS KTATS I>T»RA1S0N.
saint François de Sales : qu ils sen expliquent donc commo lui .
qu'ils cessent dVn parler avec cette dédaigneuse indifférence que
ce saint iiomme neut jamais : quils les désii'ent avec lui , qu'ils
les demandent c/)mme il fait presque à toutes les pagres de ses
écrits; et qu'ils se défassent de cette détestable maxime que ni ce
saint ni les autres saints ne commissent pas . (]ue d;ms un certain
état de perfection il ne faut rien demander pour soi et que cet acte
est intéressé.
XV. il est aisé de résoudre par ces principes les objections que Ton
le ir*tfin tire des comparaisons du s«unt eveque '. Sa statue, qui sm'prend
du niM . . , , . . .
"'i»' le plus ceux qui ne sivent pas de (pioi il s agit , est la plus aisee
eoB.p.rti- àexpli(|uer. parce quelle regarde non pas un état perpétuel,
«uui», ri niais seulement le temps de 1 «iraisoii . «'t encore de cette (iraison
qiM r«ui ... ...
qo.i .«ji particulière (ni'(»ii appelle de simplicité ou de repos , cpu etoit
«lltliqurr
Mrc«*rd* celle de sa sainte tllle la vénérable mère do (Ihantal. Comme cette.
lorai qu. oraison est passive, c'est-à-dire qu'elle appartient a ces bienheu-
l*lrap«d« ,
lof.iton. reux états où l'ame est pou.-vsi'e et agie, pour ainsi parler, par
l'esprit il'* lHeu . plutôt qu'agissante, ainsi qu'il a éti* ilit. il ne
faut pas s'étonner que, dans les monu'ii.s où elle est actuellement
sous la main de hieii , on la compare à une statue qui est mi.s«'
dans un beau jardin seulement pour y .satisfaire les yeux de
celui (pli l'a posée dans sji niche sans presque y exercer aucune
action.
Huand nous traitennis en particulier de 1 oraison de la mère
de Chantai, ce sera le temps de dévoiler tout à lait le mystère
de cette statue vivante et intelligente. En attend. nit nous dirons
qu'elle n'est pas Udlement statue, ^\unu par inttemlewntt nu }>nr
la vitlmilr rlh' nr fossr r/rs artps rnrrrs Dieu * ; et ainsi (ju'elle
est en état qu'on lui doiim^ ces conseils : « Soyez s«Milement bien
fidèle à demeurer .nijti''^ il'' Mii-n 'H celle (loucf el tr;Mi(piille at-
tention de cfpur, et en ce don.v endormi.s.sement entre les bras de,
sa providence, et en ce doux ac(piie.scement à sa sainte volonté :
gardez-vous des forte.s applications de l'entendement, puisqu'elles
vous nuisent non-seulement au reste, mais à l'oraison mesme :
et travaillez autour de vostre cher objet par les afTections tout
1 Liv. VI, c. Il; liv. Il, ép. u, Lin. — » Liv. Il, ép. un.
TRAITE I, LIVRE VIll, N. XVI. S55
simplement et le plus doucement que vous pourrez. » On voit
qu'il parle des âmes dans le temps de l'oraison , et que même en
ce temps-là cet excellent maître sait bien faire faire à sa statue
les actes à' affections douces qui sont laissés en sa liberté. En
quoi il veut qu'elle soit statue, c'est-à-dire non agissante, c'est à
l'égard de ces fortes aj^pUcations qui nuisent à l'oraison mesme.
Il faut réduire les comparaisons dans leurs justes bornes , et c'est
tout détruire que de les pousser à toute rigueur. Ainsi la statue
du Saint n'est point telle par la cessation de tous les actes , mais
par la seule cessation des actes plus turbulens. Au reste quoi-
qu'e//e travaille autour de son cher objet, c'est si doucement qu'à
peine s'en apercoit-on. Nous verrons ailleurs ce qui est compris
dans ce doux travail ; les demandes et les désirs tranquilles et
doux n'en sont pas exclus, et quand ils le seroient passagèrement
dans le temps de l'oraison, on doit les faire en d'autres temps,
comme disoit le Père Baltasar et comme saint François de Sales
nous le dira en son temps ; mais durant certains momens, et dans
l'oraison de cet état , ils ne sont pas nécessaires.
Il ne faut pourtant pas s'imaginer que la grâce de l'oraison xvi.
Comment
soit tellement renfermée dans le temps de l'oraison même, qu'elle ''^'-e e..
un autre
n'influe pas dans toute la suite. Car la grâce n'est donnée dans ^•^n^, et
par rap-
l'oraison qu'afin que toute la vie s'en ressente. Ainsi cette sage po--' ^"^
consola-
statue aura toujours dans l'oraison et hors de l'oraison cette per- """s, res-
" , •"■ semble à
pétueUe disposition de ne vouloir ni s'avancer aux consolations , "les'i'ue-
ni s'éloigner des sécheresses, qu'autant qu'il plaira à Dieu de la
mouvoir, parce que ces vicissitudes de jouissance et de privation
en cette vie ne sont pas en notre puissance : si bien qu'il faut at-
tendre les momens de Dieu et, comme dit le saint directem* ^,
recevoir également l'un et l'autre en demeurant à cet égard dans
l'indifférence qu'il a prescrite. En ce sens on est devant Dieu
comme une statue immobile, qui n'avance, pour ainsi parler,
ni ne recule, et demeure dans une attente paisible. 11 a pratiqué
ce qu'il enseignoit, et c'est l'intention du passage où il nous disoit
que si Dieu venoit à luy en le visitant par les consolations , il
iroit à Dieu en les recevant avec reconnoissance "^ ; mais que s'il
' Entr. IV, p. 821. — ^Ibid., xxi, p. 904.
556 INSTRl CTIO.N SLR IXS ETATS D ORAISON.
ne veiloit pas , s'il retiroit sa douce présence, et laissoit lame
clans la privation et la sécheresse ou même , ce qui lui est bien
plus (iouloiu-eux , dans la désolation et dans rabaudonnemont à
la cr<jix avec J»'sus-(!luist , // se tieiulroit là siuis s"a\ anccr da\ an-
tage , «'l attendant tnuiquillenient les momens divins.
ï^" 11 faut ici prévenir l'ohieetion de ceux (lui, se souveuiuil des
rto.i *ur géniissenieus de saint Hernard et des autres siiints dims le temps
imd.iiï- des privations, trouvent trop grande et trop sèche rindiirérence
renée du ' * ^ '
Saint à té- et légalité (lue recommande notre saint évètiue: Mais nous avons
f *rJ de» ' ■"
foniou- déjà dit • cpu^ lindiirerence de ce >aint n'empêche pas une pente
dei pri.*- d un certam cot»*. 11 permet même dans ces secjieresses de gémir
et de .soupirer, de dire au Sauveur ipii sendde nous délaisser,
mais doucement ; « Venez «lans nostre ame : j'approuve dit-il),
j|ue vous renionti ie/ à vostre «loux Sauveur, mais amoureus4>ment
et .'s»; s empressement, vosti-e arfliction : et comme vous dites
qu'au moins il se laissi» trouvera vostre esprit, car il s»- plais!
(|ue nous luy racontions le mal (pt'il nous fait et (pie nous ncjus
l)lai^'Minns de luy, jMjurvu (jue ce .soit amomeusi'iiienl et hum-
lileuienl et à luy-mesiue, comme font les petits enfims quand leur
client mère les a fouettez '. » (Jui pèsera ces paroles et (pii les
comparera avec celles de .sjiint Hernard , verra que l'indiUV-reiire
flu .saint evêipie ne .s'éloigne pas de l'esprit des antres saints ,
pui.s(|n .1 liiii- exemple elle admet les plaintes pleines de teii(lre.s.se
ipi'on pou.s.se tlans les [irivations : et tout ce (piil demande aux
âmes peiné»'S, c'est qu au moment cpiil faudra boire le calice, et
pour ainsi dire <lonner le coup du con.s«'nleiin'nl, elles con.servent
l'égalité (jui e.Nt nece.ssa'u*e pour dire : Xon m<i voloiilr , mais l>i
vôtre.
xviii. Voilà déjà li'admuables tempenimen.s lires des paroles du
p!i*wMn Siiint à la compju'aison de la statue. Celle du musicien, qui ne
rwnToue joult p is de Ui <loucem' de .ses chants, pai'ce qu'il est devenu sourd,
mium' ni du plaisir de contenter son j»rince pour cpii il touche sou luth,
TfT^Z parce que ce piince s'en va rt le laisse jouer tout seul par obéis-
sance ' est propre à représenter une ame soumise qui chante le
cantique de l'amour divin, non pour se pKiire à elle-même, mais
* Ci-tlet*su9, r. M. — * Liv. V, fp. i. — 'Liv. \\, chap. iv ot xi.
TRAITÉ I, LIVRE VIII, N. XIX. ' 557
pour plaire à Dieu, et souvent même sans savoir si elle lui plaît,
ni pour cela interrompre sa sainte musique. La comparaison est
juste jusque-là. Quand nos faux mystiques en infèrent qu'il faut
porter l'abandon jusqu'à être indifTérent à plaire ou ne pas plaire
à Dieu, et que contre la nature des comparaisons ils poussent
celle-ci à toute outrance : ils tombent dans une erreur manifeste ,
qui est celle de regarder la chai'ité comme une simple bienveil-
lance de l'ame envers Dieu , sans prétendre à un amour réci-
proque. Mais ce sentiment est réprouvé par toute la théologie
et par saint François de Sales lui-même , lorsqu'il enseigne
que l'amour qu'on a pour Dieu dans la charité est une vraye
amitié^ ; c'est-à-dire un amom* réciproque^ Dieu ayant aimé
éternellement quiconque l'a aimé, l'aime, ou Taimera tempo -
rellement. « Cette amitié est déclarée et reconnue mutuelle-
ment , attendu que Dieu ne peut ignorer Famour que nous avons
pour luy, puisque luy-mesme nous le donne ; ni nous aussi celuy
qu'il a pom* nous, puisqu'il l'a tant pulDlié, etc. » Ainsi l'on peut
et l'on doit porter la perfection du détachement jusqu'à ne pas
sentir que nous plaisons à Dieu , ni même que Dieu nous plait ,
s'il nous veut ôter cette connoissance : mais ne songer pas à lui
plaire au fond, et ne le pas désirer de tout son cœm-, c'est re-
noncer à cette amitié réciproque, sans quoi il n'y a point de clia^
rite. C'est néanmoins où nous veulent conduire les faux mystiques,
puisque si nous désirions de plaire à Dieu, c'est-à-dire qu'il nous
aimât, nous ne pourrions ne pas désirer les effets de son amour,
c'est-à-dire les récompenses par lesquelles il en déclare la gran-
dem* et en assm^er la jouissance pour toute l'éternité ; ni ce qui
nous attire son amour , c'est-à-dire toutes les vertus : ce que les
nouveaux mystiques ne permettent pas aux parfaits , puisqu'ils
ne veulent même pas qu'ils en demandent aucune.
Venons aux autres comparaisons. La reine Marguerite femiiie
XIX.
Autre
de saint Louis, qui nous est donnée pour exemple de la volonté cowpa
entiercmeiit morte à elle-mesme , ne se soucie ni de savoir où va ,^
le roi, ni comment, mais seulement d'aller avec luy-. On entend ''"',;
Il An
t evè-
qui
prouve
facilement cette indifférence; cette princesse n'est pas -indifférente nZe\Tm
' Am. dn Dieu, liv. \\, chap. xxii. — ^Ihid., liv. IX, chap. xiii.
«58 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
iMmoyet» È sulvTC Ic Foi , qui est sa fin , ni anx movens nécessaires pour y
maif non
junii. parvenir, comme seroit de shabiller et se tenir prête au moment
pour 11 fin.
qu'il voudra partir; mais aux moyens particuliers qui dép. ndent
du roi son époux, et (ju'aussi elle abandoime à son choix. Il en
est de même envers Jésus-Christ; faire Tame indifférente à le
posséder, comme l'enseignent les nouveaux mystiques, ou aux
moyens néces.saires pour sunir à lui , tels cpie .'^ont les verhis ,
c'est im excès outrageant poiu' cet l'.poux céleste : la faire in-
(liirérente pour les moyens cpii peuvent être tournés en bien et
en mal, t«'ls que sont tous les divers évéïu'uiens de la vie, c'est
tout ce (jue ju't'frnd saint l'rançoLs de Sales , et persomie ne l'en
ilcdit.
\x. C'est encore on t«'rmes exprès par rapport à ces mêmes événe-
.ond»ivn mens particuTH'rs . par Icsijui'ls la Mdonti rhi bon plaisir de Dieu
Uni J(«u<. ,1 • ■ . 1 • 1 I- • I ■ !■
Minière nous e.st d^'CKU'ee, que le sauit eveciue intnKJuit le divui Knlant
dont u Jésus sur le sein et entre les bras de si» sainte Mère . où il n'a pas
qur trui méuîe , dit-il , « la volonté de se laisser porter par elle, mais seu-
x-ni». lem» nt (]ue comme elle marche pour luv. elle veuille aussi pour
rfm.rqni- hiv ' » .sausiiuil vcuiljf rii'U. I.a cdinparaison aTJpiiqnéc anx cvt'-
bi».
iifiiifus particuliers, où l'un ])t'iit iilt.'^dliiiin'iil dt-sirrr de nr licii
voidoir, mais lai.'^ser lUeii en un certain .^cns v<tnl(»ir jwtnr nons.
est excellente ; mais si l'on vent dire quon ne veuille rien du
tout , piLS même d'être mii à Dieu dans le temps et dans l'éternité
par la grâce et par la gloire, la même comparaison .seroit outrée,
et antant injnriensc à IKnfant .Icsus que j»réjudiciabl»' à la liberté
Immainc. Sans doute de tous les enfans celni (|ni n le plus voulu
se laisser porter, c'est l'Enfant Jésus, (jui avoit choi.si cet état; et
si l'on ne rapfiorte aux événemens d'être porté ou à llctbléeni, ou
au tenq)le , ou à Nazareth, ou en Eg}'pte, l'abandon extérieur de
ce divin Enfant à la volonté de sa sainte Mère, les expressions du
saint évèque sont insoutenables. Mais aussi faut-il pratiquer dans
cette occasion ce qu'il dit Ini-même , (ju'on ne doit pas tant su/j(i-
liser, 7/iais Duircher rondejncnt % et prendre ce (juil écrit conmie
il l'entend, r/rosso niodo ' ; ce sont ses termes. Les écrivains qui ,
comme ce Saint , sont pleins d'affections et de sentimens, ne veu-
1 Ain. de Dieu, liv. I.\, »lia|>. .\iv. — * Liv. IV. rp. Liv. — » Liv. V, ép. xxvi.
TRAITÉ I, LIVRE VIII, N. XXI. 559
lent pas être toujours pris au pied de la lettre. Il se faut saisir
du gros de leur intention : et jamais homme ne voulut moins
pousser ses comparaisons ni ses expressions à toute rigueur que
celui-ci. Ecoutons comme il parle de David dans une lettre, où la
matière de la résignation et de l'indifférence est traitée : « Nostre-
Seigneur, dit-il , luy donna le choix de la verge dont il devoit
estre affligé , et Dieu soit béni ; mais il me semble que je n'eusse
pas choisi : j'eusse laissé faire tout à sa divine majesté *. » Veut-
il dire qu'il pense mieux que David? Non, sans dout€. Il dit bon-
nement ( car il faut se servir de ce mot ) ce qu'il sentoit dans le
moment , sans peut-être trop examiner le fond des dispositions de
David , qu'il devoit croire sans difficulté du moins aussi bonnes
que les siennes. Ne cherchons donc pas dans ses écrits cette exac-
titude scrupuleuse et souvent froide du discours ; prenons le fond,
el nous attachant avec lui aux grands principes, « rendons-nous,
comme il Ta dit , phables et maniables au bon plaisir de Dieu ,
comme si nous estions de cire, en disant à Dieu : Non, Seigneur,
je ne veux aucun événement ; car je les vous laisse vouloir pour
moy tout à vostre gré : et au lieu de vous bénir des évenemens ,
je vous bénirai de quoy vous les aurez voulus '-. » Ainsi tout abou-
tit aux évenemens qui se développent de jour en jour dans tout le
cours de la vie.
Mais que dirons-nous de « la fille du médecin ou chirurgien, qui x.xi.
dans une fiè\Te violente , ne sçachant ce qui pom-roit servir à sa m'^ededn "
' • 1 . . T 1 . > . quelle est
guerison, ne désire rien, ne demande rien a son père qm seau- son ind.i-
roit vouloir pour elle tout ce qui sera profitable pour sa santé. poi"qum'
Uuand ce bon père eut tout fait et l'eut saignée sans que seule- éyè^^TL
ment elle y regardast , elle ne le remercia point ; mais elle dit et qu>iîe "L
répéta doucement : Mon père m'aime bien, et moy je suis toute 4" '"""'
sienne ^ » La voilà donc à la fin, nous dira-t-on, cette ame qui
ne désire ni ne remercie, et toujom-s parfaitement indifférente. Je
l'avoue; mais il faut savoir en quoi. La fille de ce chirurgien veut
guérir, et ce qui cause son indifférence pom- les remèdes parti-
culiers , « c'est qu'elle sait que son père voudra pour elle ce qui
sera le plus profitable pour sa santé. » Elle n'est donc point indif-
1 Liv. V, ép. I. — « Am. de Bien, liv. IX, chap. xiv.— » /6irf., cap. xv.
,e remer-
cîmenl.
5t)0 INSTRUCTION SIR LES ETATS DOR-\lSOi\.
férente pour la fin , qui est la santé. Ainsi le chrétien ne le doit
point être pour le salut , qui est sa pai'faite guérison. Lindiffé-
rence du côté de cette lille tombe sur les moyens ; et du côté de
lame chrétienne , elle tombe sur « les evenemeus et accidens .
puisque nous ne sçavons jamais ce que nous devons vouloir ^ »
Il n'en est pas ainsi de la lin , et jamais ou ne fut en peine si on
devoit vouloir son salut et remercier son Sauvem*.
Pomquoi donc cette soigneuse remarque, que la malade ne
remercia point son père ? Est-ce pom* dire qu'elle n avoit pas la
recouuoissâuce dans le cœur ? A Dieu ne plaise : mais le remer-
ciment, qu'est-ce autre chose qu'un acte de reconuoissance ? Ainsi
le desse'm du saint évèque n'est pas doter le remerciment à lame
parfaitement résignée , mais de lui en apprendre im plus simple
et plus noble , oii au lieu « de bénir et remercier la bonté de Dieu
dans ses ell'ets et dans les evenemeus qu'elle ordetmie, ou la beuit
elle-mesme et en sa propre excellence * ; » de quoi personne ne
doute, ni que la l)onté de Dieu, qui est la cause de tout, ne soit
plus iiimable et plus pai faite que tous ses effets.
Huui qu'il eu soit , je ne comprends pas pomxpioi l'ou fait fort
sur cette expression, puis^iuaprès tout cette fille, qui ne fait point
de remerciment , dit et répète « que son père l'aime , et qu'enfin
elle est toute à luy. » Recomioitre en cette sorte la bouté d'mi
père, n'est-ce pas le remercier de la manière la plus efficact- .
puisque reconnoitre et remercier, sans doute n'est autre chose
que goûter la bouté d'un bienfaiteiu- plus encore que ses bien-
faits ? Ainsi ce qu'on ôte à cette lille est tout au plus une formule
de remerciment, et pom* ainsi dire uncomphment sur le bord des
lèvres , en lui laissant tout le sentiment dans le cœm\
1111. \u i-este la seule pratiaue eût pu résoudre la difficulté , et il n'v
i" «« >" auroit qu'à lii'e les Lettres du Saint pour y trouver a toutes
«uiFr»»-ies pages des remercimens imis avec la plus haute résignation.
ronsalsiie
tiialFrai
**ie* «ur Je lie puis oulther celle-ci. où louant l'indifTérence d'une reh-
l« reni*r-
cimou
pindjé. nullement certaines âmes qui n'alTectionnent rien, et a tous eve-
"- gieuse dans ses affau'es , il ajoute ces mots précieux : « Je n aime
nemens demeurent immobiles; mais cela elles le font faute de vi-
« Arn. (ieDturu, liv. IX, cbap. XV. — » Iffid.
TRAITÉ I, LIVRE VIII, N. XXUI 561
gneur et de cœur , ou par mépris du bien et du mal; mais celles
qui par une entière résignation en la volonté de Dieu demeurent
indifférentes , ô mon Dieu ! elles en doivent remercier sa di^■ine
Majesté , car c'est un grand don * : » auquel le remercîment fait
bien voir qu'elles ne sont pas indifférentes.
Après cela n'écoutons plus la sècbe et insensible indifférence
de ceux qui se piquent de n'être touchés de rien. Pour ce qui
regarde les remercimens, U n'y a pas jusqu'à la statue, qui pour
peu que Dieu se fasse sentir, ne lui en témoigne sa reconnoissance,
et n'en rende grâces à sa bonté *-. Elle n'est donc pas indifférente,
autant que le seroit la fîUe de ce médecin , si l'on en prenoit la
parabole en toute rigueur.
Pour les désirs, outre ce qu'on en a déjà wi, on peut lire deux
beaux chapitres dans le Traité de V amour de Dieu, dont l'un a
ce titre : Que le désir précèdent accroistra graivdement Vunion
des bienheureux avec Dieu ^ ; et l'autre est pareillement intitulé :
Comme le désir de louer Dieu nous fait aspirer au ciel *. Yoilà
pour le désir de la fin , et déjà de ce côté-là on voit qu'il n'y a
point d'indifférence : et même pour ce qui regarde les événemens
dans l'endroit où l'indifférence est poussée le plus loin, le Saint ne
laisse pas de décider que « le coeur le plus indiffèrent du monde
(remarquez ces mots^ peut estre touché de quelque affection, tan-
dis qu'il ne sçait encore pas où est la volonté de Dieu '". » De sorte
qu'il n'y a point d'indifférence à toute rigueur, puisqu'après la
volonté déclarée par l'événement il n'y en a plus , et qu'avant on
peut accorder quelque affection avec la plus parfaite indifférence.
A l'occasion de ce passage quelqu'im pomTa trouver un peu sxni.
Be marque
sm'prenante la distinction que fait le Saint de l'indifférence d'à- ^a-- 1^ ^'-
tinction
Aec la résignation ^, et trouver encore plus surprenant que dans enn^iaré-
le même chapitre U établisse parmi les malhem's de la -sie hu- eirmdiffe-
rence.
maine quelque chose de plus élevé que la résignation du saint
homme Job , que l'Ecriture nous donne en tant d'endroits pour
modèle. Qu'y a-t-H sm" cela de plus magnifique que ce qu'a dit
l'apôtre saint Jacques? «Prenez, mes frères, pour exemple de pa-
1 Am. de Dieu. liv. IV. ép. vm. — - Liv. Il , ép. lui. — ^ Lir. III , c, X. —
* Liv. V, chap. X. — ^ Liv. IX, ch. iv. — « Ibid.
TOM. xvm. 36
o62 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
ticnce les prophètes : nous publions bienheureux ceux qui ont
souffert '. » A quoi il ajoute : «Vous avez ouï les souffrances de
Job, et vous avez vu la fin de Nostre-Seigneur. » Voyez comme
cet Apôtre , ayant parlé en général des prophètes , prend soin de
distinguer Job de tous les autres, et même qu'il l'unit avec Jésus-
Christ, pour le mettre, ce semble, au plus liant degré au-dessous
de lui. Quoi qu'il en soit, il paroît peu nécessaire de chercher des
sentinn-ns plus purs et plus parfaits que les siens ni d'imaginer
mie perfection au-dessus de celle qu'on ressent dans ces paroles :
« Je suis sorti nu du sein de ma mère, et j'y retournerai nu : le
Seigneur a donné, le Seigneur a Até, il est arrivé comme il a plu
au Seigneur : le nom du Seigneur soit béni '. »
Je sais qu'on dit que riiidillereuce, qui éteint en quelque sorte
la vdjonté, est au-dessus de la simple résignation, qui se contente
de la captiver et de la soumettre; mais tout cela doit être pris
sainement et sans pointiller, i)uisqu'à la fin il se trouvera qu'il y
a peu ou point d'indilférence à toute rigueur, selon que le saint
évê(iue vient de nous l'apprendre, et qu'il le déclare encore dans
la suite de ce chapitre, comme le sage lecteur pourra le remarquer
en !»■; lisant. Il faut donc, avec une sainte lijierté, sans toujours
s'arrôterscrupuleusemenf aux expressions des plus saints hommes,
ni même à quelques-unes de leurs conceptions, se contenter en
les comparant les unes avec les autres d'en pénétrer le fond. En
tout cas la distinction entre la résignation et l'indifférence est
trop mince, pour mériter fju'on s'y arrête pins longtemps; et
d'ailleurs c'est une recherche peu nécessaire à notre sujet, puis-
qu'après tout il est bien certain (pi'en quchjue sorte qu'on les
prenne, on ne trouvera jamais dans les écrits du saint évêqiie,
que ni la résignation ni rinditfi'rence puissent regarder la perte
du salut, non plus que celle des moyens nécessaires pom' l'obtenir,
ainsi qu'il a été dit.
**"". C'est dans la même pensée qu'il est encore déclaré ailleurs que
iiiarq». « IViou ttous Insplrc des desseins fort relevés, dont il ne veut point
jurl'in.lir-
fcrcnor oi \q succès '. » Salut Louis, par inspu'ation, passe la mer : samt
ri sur los i -i
acjKin» François veut mourir martyr, et ainsi des autres: veulent-ils,
> Juc, V, 10, 1 1. — ' Job, I, 21. — 3 Am. de Dieu, liv. IX, chap. vi.
TRAITÉ I, LIVRE VIII, N. XXV, XXVI. 563
indifféremment ce que Dieu leur met dans le cœur? Non, « ils qu.i Dieu
veulent hardiment, courageusement, constamment, commencer doninéan-
et suivre l'entreprise. » A la rigueur, il n'y a rien de plus éloigné veut point
de l'indifférence que des desseins et des volontés 5/ hardiment pussemont
commencées, et si constamment poursuivies par ces saints ; c'est
néanmoins pour les exercer en cette sainte indifférence que Dieu
leur inspire ces hauts désirs parce qu'ils apprennent à acquiescer
doucement et tranquillement à Vécenement.
Pour montrer la conformité des spirituels , peut-être sera-t-il ^w.
•^ ^ Doctrine
bon de toucher un mot du Père Baltasar Alvarez, dont le P. du «nforme
du Père
Pont a écrit, « qu'il aimoit Dieu si purement, qu'il se privoit mesme ciiiasar
des consolations et des délices qu'on a accoutumé de sentir en l'o- jusqu'où ii
poussoit la
raison, se résignant à en manquer pour contenter Dieu ^ » Et ce résigna-
saint homme lui-même au rapport du même P. du Pont, dit que "•»'' ""
n'y a songé
« la consolation doit estre comme le rafraischissement que le pelé- 1"""- •« s»-
rin prend en passant dans une hostellerie , non pour y séjourner^
mais pour passer outre, avec plus de courage ^ ; » ce qui ne paroît
pas être une indifférence à toute rigueur pour les consolations,
mais une démonstration qu'on n'y est point attaché.
Cette matière de la sainte résignation, est amplement traitée
dans ce chapitre de la Vie du P. Alvarez et dans le suivant ^•
On y peut voir que ce saint religieux ne l'étend jamais qu'aux
prospérités et adversités, aux consolations et privations; mais
pour cette indifférence au salut, elle est entièrement inouie parmi
les véritables serviteurs de Dieu.
11 est temps d'examiner en particulier, l'oraison de la vénérable -^'v'i-
^ ^ ^ On corn-
et digne Mère de Chantai, avec la conduite du Saint, dont Moli- ""="<=« *
o ^ ^ traiter en
nos , et après lui tous les faux mvstiques ont tant abusé. Dieu, p^'i^'Her
^ ^ " -^ de l'orai-
qui vouloit mener cette Mère par des voies admirables et extraor- ^°" <•« '*
-^ '- vénérable
dinaires, lui prépara de loin par les moyens qu'on sait, un grand (,^'''^1^,^^j
directeur en la personne du saint évêque de Genève, à qui il donna pou-^q"»'-
toutes les lumières nécessaires pour la guider dans cette voie ; en
sorte que sa conduite nous peut servir de modèle pour les âmes
qui se trouveront dans cette oraison.
1 Vie du P. Bail. Alvar., chap. L, p. 534. — - Ibid., p. o53, — ' Ibid.y
chap. L, Li.
564 INSTRUCTION SITR LES ETATS D'ORAISON.
Or, pour bien entendre cette conduite, outre les Lettres du Saint,
nous avons dans la Vie de celte Mère quelques-uns de ses écrits,
avec ses consultations et les réponses du saint dii'ecteur, d'où ré-
sultent ces poiiits iniportans '.
Premièrement , que « cette oraison estoit dabandonnement
gênerai , et la remise de soy-mesme entre les bras de la divine
Providence, »
Secondfinent. riime ainsi remise s'oublioii enticn-niciil elle-
mesnie et rejetuit toute sorte dr discours, industrie, réplique,
curiositez et choses semblables. »
Nous avons vu que c'est là ce qui est appelé, par les spirituels,
l'oraison passive ou surnaturelle, non-seulement cpiant à son ob-
jet, comme les autn*s oraisons, mais encor»' quant i\ sa manière ;
lame n'agissant point par discours ni propre indu.^trie , connue
on l'ait ordinairenimt , mais par une impression divine.
De là il arrivi' en Iroisièmr lieu quf lame tombe, connue (»n a
vu, dans <lrs iinjntissances de faire d»- certains actes qu'elle vou-
droit faire, et n»* peut. La Mère se plaignoit souvent de ces inq)uis-
sances, connue il parolt, tant parles Lettres du saint évèque'»iue
par les i>ropres paroles de cette vénérable religieuse, (pii ne tiouve
point de remèd»'! auj- eonfusinns, ténèbres et innniissanees de son
esprit \, jusipi'à ce qiiil se soit uni à Dieu et remis entre ses bra;.
miséricordieiLX : s<nis aetes, dit-elle, ear je n'en jju/'s faire '.
xxvii. b' m'arrête ici un moment, pour conjurer les gens du monde
mJnV'nc. de uc polut traiter ces étals de visions et de rêveries. Doutent-ils
«ing-n. (jue Dieu, cpn est adimrable dans toutes ses oeuvres et smgulie-
i.i.mu.d.' nMuenl admiraitle dans ses Saints, n'ait des mojeus particuliers
la nulicre . , , . , • i i ■ .
. inrtiiinus au montlf, de se comnunn(pier a ses anus, de les tenu*
.sous sa main, et de leur faire sentir .si douce souveraineté?
Qu'ils craignent donc en précipitant leur jugement, d'encourir le
juste reproche que fait l'apôtre saint .lude à ceux qui ù/asphèmenf
ce qu'Us ignorent '; et pour les tenir dans le respect envers les
voies de Dieu , je dirai :
Kn quatrième lieu, que celle oraison fut examinée, non-.seule-
> Vie de Chant., II part., ch. vu.— » Liv. IV, 6p. xiu; liv. V,t-i.. i.— ^Liv. VII,
ép. .\xni, etc. — '• Ecrit de la M. de Chant., Vie, Il i'urt., th. xxi\ . — ^ Jud., 10.
conimrn
TRAITÉ I, LIVRE Mil, N. XXVIll, XXIX. 565i
ment par saint François de Sales, un évêqiie d'une si grande au-
torité , tant par sa doctrine que par sa sainte ^1e , et qui étoit en
cette matière sans contestation le premier homme de son siècle,
mais encore par les gens les plus éclairés de son temps ; ce qui
fait dire à ce saint évêque, en écrivant à la 3ière : « Yostre oraison
de simple remise en Dieu, est extrêmement sainte et salutaire, il
nen faut jamais douter, elle a tant esté examinée, et toùjoiu-s l'on
a trouvé que Nostre-Seignem' vous vouloit en cette manière de
prières ; il ne faut donc plus autre chose que d'y continuer dou-
cement '. »
Nous avons mi que c'étoit pour expliquer cette oraison qu'il a x'^^",'-
introduit sa statue -, à qui il donne véritablement la vie et l'intel- p»»; «*^»«
^ ■* oraison «t
ligenco , mais nul propre mouvement , parce qu'elle est sous la v^^'^^ "Ue
main de Dieu, poussée plutôt qu'agissante. Dieu, qui lui a donné j^'^^j'i^i"'.
ses puissances intellectuelles , les peut suspendre ou lier autant «i"" '•
■I -" X J. comparai-
qu'il lui plaît, et même la volonté , qui est la plus libre et la plus ^o" je u
indépendante de toutes, mais néanmoins toujours très-parfaite-
ment sous la main de son Créateur % qui en fait sans réserve tout
ce qu'il lui plait , comme il fait en tout et partout ce qu'il veut
dans le ciel et dans la terre.
Ces fondemens supposés, il reste deux choses à examiner : l'une
XXIX.
Deux
jusqu'à cpiel temps s'étend cette disposition de l'ame passive sous la f "^'îîT
main de Dieu; et l'autre jusqu'à quels actes elle doit être poussée. {'j„ Si'hJ
Pour le temps , saint François de Sales restreint ces impuis- /^^p'^"^',
sauces d'agir au temps de l'oraison seulement : « Vous ne faites 'Jpf^':^;
rien, dites vous, dcms l'oraison " : vostre façon A' oraison est ''^•
bonne '% etc. Pourquoy voulez-vous pratiquer la partie de Marthe
en l'oraison, puisque Dieu vous fait entendre qu'il veut que vous
pratiquiez celle de Marie? Je vous commande que simplement
vous demeuriez en Dieu sans vous essayer de rien faire , ni vous
enquérir de luy de chose quelconque, sinon à mesure qu'il vous
exciterai » Ainsi l'intention de l'homme de Dieu est de res-
treindre ce conseil au temps d'oraison. Et pom^ bien entendre ceci,
1 Vie de la M. de Chant., liv. Vil , ép. xxil. — ^ Liv. !I, éii. LIII. — ^ Vie de
la M. de CUant., III paît., chap. iv. — '* Liv. II. ép. Li. — ^ ILid., ép. lui. —
^ Vie de la M. de Chant., II part., ch. vu; Mp. à la III^ quest.
566 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
il faut rappeler en notre mémoire ' que les spirituels ne connoissent
pas de ces âmes toujom"s mues divinement de cette manière ex-
traordinaire et passive dont nous parlons. C'est ce que nous avons
ouï de la bouche du B. P. Jean de la Croix, le plus expérimenté
des spirituels de sou temps en cette matière *. Gn sait que sa Mère
sainte Thérèse s'est expressément déclarée contre la longue durée
de ces suspensions., bien loin qu'elle ait pu souffrir qu'on les re-
connût perpétuelles. Conr»»rniémL'nt à leur pensée, la Mère
de Chantai éprouvoit aussi (jue Dieu retiroit son opération pai* in-
tervalles ', (pii étoit le premier moyen de la remettre en sa liberté
pour agir et pour faire des demandes. L'autre étoit quand Dieu
Texcitoit lui-même à agir par ces douces invitations, facilités et
inclinations , (ju'il sait mettre, quand il lui plaît, dans les cœurs.
Cette dernière façon , «pii provcnoit d'une excitation spéciale de
Dieu, éloit sans donle la phis rt'iuarqnable dans la sainte vimve,
surtout pendant l'exercicAî de son oraison. La consultation de la
l^Ière rédnisoit au.ssi la suppression « des actes de discours et de
sa propre industrie, spei-ialenu^nt an /enijis de l'orfuso/i, » parce
qu'encore (jue Dieu soit le maitrede répandre ers inijiuissdnccscn.
tel endroit de la vie qu'il lui plaira, sa conduite ordinaire est de
les rédnire au tenq)s spécial de l'oraison.
Vf\L e ^^ ^'^^ ^^''^' 4^^'' ''^" oraison éloil pres(jne perpétuelle. C'est
p^^'u^'l''^^^'" pom'quoi cette admirable suspension d'actes revenoit souvent,
iviiT.u' u^yis jj^. (iiii-oit pas touiours : ce (juia fait écrire dans sa IVr» «ciue
dam l'éUt loi j
P'»"'f''" dans ce! état passif elle ne lais^oit pas d'agir en certain temps,
cctlcH^rc ^ ••
an.uj..i.i,. quand Dieu retiroit son opération, on (lu'il l'excitoit à cela, mais
direciciir. toujours po)' clcs uctcs courts, simples et amoureux *. » Renuu*-
quez les de;ux causes (|ui lui rendoieut la lilterté de son action :
dont l'un»; est, quand Dieu retirait son 67>tvY///o^i, c'est-à-dire
cette opération extraordinaire qui lui lioit les puissances et la
tenoit lieureusemcnt captive sous une main tonle-puissanle :
ce qui montre que celte opération n'étoit donc pas perpétuelle.
C'est aussi pour cette raison qu'elle réitondit à une supérieure,
1 Voyez ri-flos;.us, liv. VII, cliap. ^\IV. — * Mont, du Garni., liv. III . eh. i,
p. 154. — ' Ihiii, IV, Dem., cbap. m, etc., p. "20; Vie de Chuid., III pari.,
c . IV.— * liid.
TRAITÉ I, LIVRE VIII, N. XXX. 567
qui lui demandoit « si elle faisoit des actes à l'oraison? Oui, ma
fille, quand Dieu le veut, et qu'il, me le témoigne par le mouve-
ment de sa grâce : J'en fais quelques-uns intérieurs, ou prononce
quelques ^^;?'o/t\v extérieures, surtout dans le rejet des tentations. »
A quoi elle ajoute : « Dieu ne permet pas que je sois si téméraire
que je présume n'avoir jamais besoin de faire aucun acte, croyant
que ceux qui disent n'en faire en aucun temps, ne l'entendent pas. »
Yoilà comme elle traitoit ceux qui veulent être tout passifs ; et
pour elle, non-seulement dans toute la ^âe, mais encore en parti-
culier dans l'oraison, elle mêloit la passiveté et les actes, selon le
besoin qu'elle croyoit en avoir; ce qui est, comme on voit, une
manière très-active et de réflexion.
Cependant elle demeuroit toujours soumise à Dieu, soit qu'il
l'invilàt à agir, soit qu'il la laissât à elle-même en retirant son
opération : par où il lui faisoit sentir qu'elle n'étoit pas perpé-
tuellement dans cette suspension des actes et des puissances,
puisque souvent Dieu la remettoit dans sa liberté. Aussi son saint
directeur lui écrivoit : « Ne vous divertissez jamais de cette voye :
souvenez-vous que la demeure de Dieu est faite en paix : suivez
la conduite de ces mouvemens divins : soyez active et passive ou
patiente , selon ce que Dieu voudra et vous y portera ; mais de
vous-mesme ne vous sortez point de votre place * ; » c'est-à-dire ne
sortez point de votre état , ne changez point la nature de votre
oraison ; ne vous forcez point à faire des actes marqués, plus qu'il
ne vous sera donné de le pouvoir faire. Yous voyez que comme
souvent Dieu la tenoit sans action au sens qu'on va expliquer,
aussi quelquefois il la laissoit agir. Nous allons dire quelle sorte
d'actes elle faisoit alors. Ici il faut absolument observer ces trois
mots du saint directeur : Active, passive ou patiente, que la suite
f€ra mieux entendre. L'intention du saint directeur est de mon-
trer par ces trois paroles , ce qu'on ne peut trop remarquer, que
sa fille spirituelle, à qui il les adresse, n'étoit pas toujours dans la
suspension des puissances, c'est-à-dirè dans cet état qu'on nomme
passif, parce que cette soustraction, qui lui arrivoit de l'opération
divine, la laissoit en sa liberté et vraiment active. Toute cette vi-
1 Vie de la M. de Chant., III paît., ch. IV.
o68 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
cissitude ne tendoit qu'à la rendre souple sous la main de Dieu,
et à faire qu'elle ne cessât de s'accommoder à létat où il la met-
toit ; ce qui produisoit les vertus, les soumissions et les résiurna-
tions admirables qui panireut dans toute sa vie.
tf^nire ^^ nous reste encore à apprendre d'elle , jusquoù et justjuà
dan. uw- quels iictes s'ctendoient ses suspensions ou ses impuissances; et
.(uciion il faut toujours se souvenir qu'elle parle du temps de l'oraison.
propuKc " 1 i. L
*ucii.«i. Les actes, qui étoient alors supprimés, sont premièrement les
de. licies discursifs ou, comme elle parle, « toutes sortes de discours , in-
quoiavc- dustries, répliques, curiositez et choses semblables '. » C'est nue
iicrAblc 11' i.
Mère ne Djeu la voulaut mener par la pure voie de la foi, qui de sa nature
l'i"' '""• n'est point (lis(ursiv(\, hii C)\o\[ f conune elle l'avctuei tout le dis-
cours ; même en génér.il tous les actes de l'entendement ne pa-
roissoicnt guère, parce (ju'aussi toute l'ame étoit tournée « à
ces actes courts, simples et amoureux, »> dont nous venons de
parler.
"^"' Les actes supprimés alors étoient .<econdenienf les actes sen-
«un d.. sibles : « Klle demeuroit, dit-elle, dans la simple veuë de Dieu et
»cU;s «en- '
»*'" •■' de son néant, tonte abandonnée, contente et traïKinille, sans se
utrquef. '
remuer null«MniMit, ponr faire //rs nr/cs scns/7/frs de l'entendement
et de la volonté, non pas mesme pour la prati(iue des vertus,
ni détestation des fautes *. « Ce n'étoit donc point le fond des actes
qui lui étoit ôté, mais leur seule sensibilité, qui aussi ne nous est
pas conunandée. Car, connue disoit très-sonNcnl son saint diivc-
tenr, l>ieu cciinii.nule (]"a\()ii- la foi . Tt^spérance et l;i charité,
mais non pasde les sentir. ConuuenI ce fond demeuroit à la sainte
Mère sans le sentiment, elle rexpli(iue très-bien par ces paroles :
« J'écris de Dieu, j'en parle comme si j'en avois Iteaucoup de
si-iiliiiirnl , et cela parce (pie ji* venx d Jf croy ce bien-là au-
(lessns (le nri peine et de mo i afflietirm, et tir dcsirc autre chose
(pie ce tlu'esor de foy, (Xcsperonro et de charité, et de faire fout
ce qvo je pniirrnif connoisfre (pic Dieu mit do mnij ^ : » dispo
sitions très-actives et très-éloignées do la pure et perpétuelle pas-
siveté des nouveaux mystiques. On y désire, on y espère, on y
veut faire tout re qu'on peut convoistrc qtie Dieu veut de nous.
> Vie de la M. de Chant , U pnii, c. vu, quest. 3. — * I6id. — ' l/jid., c. xxiv.
TRAITÉ I, LIVRE VIII, N. XXXII. 569
On est en état de le connoître et d'y réfléchir ; on a très-réellement
tous ces actes , on les produit avec soin , quoique ce soit sans les
sentir distinctement. Ces âmes destituées des actes sensibles et de
la consolation (pi"on en reçoit, ne laissent pas indépendamment
et au-dessus de toutes leurs peines, et de parler et d'agir selon
le fond qu'elles portent, quoique souvent sans goût et sans sen-
timent.
En troisième lieu, toutefois cette privation de sentiment avoit
ses bornes, comme il paroît par ces paroles adressées au saint di-
recteur : « Je ne sens plus cet abandonnement et douce confiance,
ni n'en sçaurois faire aucun cas ^ » A quoi néanmoins elle ajoute
« qu'il luy semble bien toutefois que ces dispositions sont plus
solides et plus fermes que jamais : )> comment s'en aperçoit-elle,
sinon par un reste de sentiment; mais qui demeure, dit- elle, dans
la cime jiointe de l'esprit? et un peu après : « On a le sentiment
de ces actes dans la cime pointe de l'esprit '^ » Ce qu'elle exprime
ailleurs, en disant « qu'elle ne laisse pas, parmi ses détresses, de
jouir quelquefois de certaine paix et suavité intérieure fort mince,
d'avoir d'ardens désirs de ne point ofienser Dieu, et de faire tout
le bien qu'elle pourra*. » D'où il s'ensuit qu elle n'étoit pas entiè-
rement dénuée de sentiment, mais qu'ils deraeuroient dans la
haute pointe de l'ame, sans se répandre ordinairement sur les
sens extérieurs; qui est aussi l'expression, comme la doctrine
constante et perpétuelle de son saint directeur, ainsi qu'on verra
en son lieu.
Une quatrième remarque , c'est que la suppression des actes
sensibles et marqués n'étoit pas universelle. Car, dit-elle, dans
cet état où Ton ne peut faire des actes d'union, mais seulement
demeurer uni, elle disoit c^uelciuefois des prières vocales (qui de
toutes les prières sont les plus actives) /jo?/r tout le monde, pour
les particuliers, pour elle-mesme, et tout cela, ajoute-t-elle, sans
se divertir ni regarder (par d'expresses réflexions et attentions)
pourquoy elle prie, encore qu'elle sente qu'elle prie pour soi et
pour les autres mais sans s'éloigner d'un secret et quasi imper-
ceptible désir (lue Dieu fasse cVelle, de toutes ses créatures, et
1 Vie de la M. de Chant., III part.> c. iv.— 2 /6._, c. iv.— ^Ib., II part.jC. xxiv.
.'170 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
en toutes choses ce qu'il luy plaira K » Voilà donc dans la i»lus
haute oraison passive , des actes exprès et maniués où lame se
porte très-activi'iiicnf . (luoiiin.' loujoiirs sous la conduite de son
unique moteur,
xxxiii. En cinquième lieu, sous le nom d'actes sensibles, on peut en-
«ion de» core enti'ndre les actes raétliodiques et réguliers dont Dieu af-
«ele» me- * "^
thojiquef. franchit une ame qui marche dans la sainte liberté d'esprit ; et
dlusi'Z ^^^^ ^ *i^^^ ^^ P^"*" ï'^'iPPOiter ces deux consultations : la pre-
cid,ui mière, sur les bénéfices et mvslèri»s de Notre-Seitrneur : « que les
.int'd" ^^^^^'^ en.seigncnt, dit-elle, (juil faut méditer: cependant l'ame
recieur. quj ggt eu létal ci-dessus, ne le peut en façon (pielconque en cette
manière; mais, poursuit-elle, il me semble qu'elle le fait cii nue
façon tres-e.xcellenfe, (pii est un simple souvenir et représenta-
tion Iri'S-dcHcatc di'S mystères, avec des albclions tre.s-douces et
savoureu.scs,etc.» A quoy le saint évèque répond ««pie lame doit
s'arrcster au mystère en la façon d'oraison «pie Dieu luy a don-
née : car les j)rédicateurs et Pères spirituels ne l'entendent pas
autrement '. »
La seconde consultation regarde la confession , <iii il faut avoir
do la contrition : «-ependant « l'ame diMueure sans lumière , sèche
et sans .senliment, ce (jui luy est une très-grande peine. » Le
saint direct«nu' répond : « La contrition est fort bonne, sciIk' et
aride, car c'est mie action de la partie supérieure et suprême de
l'ame '. »
XXXIV. On voit par lii que cette ame sainte, dans la plus sublime et
nirdo j... plus passive oraison, loin d'e.xclure de celte haute contemi)lation
cl 1.1 CM l,..s mvstères de Jésus-Christ , en recevoil un doux souvenir , u/k;
trilion rn- *
iroi.nl flclicfi/v rciHesetitat/o/i , nviic di'6 dlTcclions dourcs : ni «jue pour
dan« ii ' " 7 11
timiecn. l^ foutrition son saint directeur ne lui apprend autre chose cnie
^«jciie Je s'en contenter, (jucbpie sèche et queUiue aride qu'elle fût. Ce
qui montre (pie dans ces suspensions et passivetés elle ne perdoit
pas le fond de ces actes, mais leur seule sensibilté, avec leur for-
mule méthodique et régulière. Voilà comme elle étoit dans l'o-
raison, même par rapport aux actes ; et eîicorc que son attrait et
sa voyc fusl d'estre, comme elle dit, totalement passive, c«it attrait
« Viedc.la ii.de Cttaut., III part., ch. iv.— î/6.,II part., cb. Mi — ^lb., q. 8.
TRAITÉ I, LIVRE YIII, N. XXXV. o7I
ne la dominoit pas tellement qu'il ne la laissât très-souvent à elle-
même^ qui est une disposition que nous aurons lieu d'expliquer
bientôt.
Au reste ce qui se passoit en cette sainte ame durant le temps ,Y^';e
de l'oraison, avoit, comme on a vu que c'est l'ordinaire, ime in- ^^ "oyoït
' ' -i ' obligée
fluence dans toute la vie. L'on écrit que son oraison esloit conti- ^^'^ •"^'<'V
nuelle ^, par la disposition toujours vive du simple regard de Dieu '^^ ^^^
en toutes choses. Il ne faut point s"étonner de cette continuité, '■"^""'■
1- ' nient sou
après qu'on a ouï son saint directeur si clairement expliquer que ^.('^■|"'""„.
ce qu'on appelle bénir toujours Dieu ^, n'est pas le bénir toujours '''""-■"«•
actuellement, mais seulement , comme il parle, le bénir souvent
et à toutes occasions. 3Iais comme par ces divines impuissanc^es,
qui la tenoient si souvent sous la main de Dieu , sa vivacité na-
turelle que Dieu vouloit dompter par ce moyen, se ralentissoit
tous les jours : « sa grande cessation d'opérations intérieures lui
fit trouver cette invention : elle décrivit de sa main , et signa
de son sang une grande oraison qu'elle avoit faite de prières,
louanges et actions de grâces pom' les bénéfices généraux et par-
ticuliers, pour les parens, amis et autres devoirs, pour les vi-
vans , les morts, el; enfin pour toutes les choses à quoy elle pen-
soit estre obligée , et que sa dévotion lui suggéra, portant ce
papier nuit et jour à son col, avec la protestation de foy du Mes-
sel, qu'elle avoit aussi signée de son sang, après avoir fait cette
convention amoureuse avec Nostre - Seigneur , que toutefois et
quantes qu'elle les serreroit sur son coem', ce seroit à dessein de
faire tous les actes de loy , de rcmercîment et de prière eontenus
en cet écrit ^ » Nos faux mystiques prennent cette pieuse pra-
tique pom* scrupule et pour foiblesse ; mais elle sera contre eux
un témoignage éternel que cette ame, que Dieu tenoit si puis-
samment sous sa main, fut toujours infiniment éloignée de l'er-
reur de croire qu'elle fût exempte des actes, puisqu encore qu'elle
en fit, pour ainsi parler, de si actuels et de si actifs, elle ne fut
point contente qu elle n'eût encore trouvé ce nouveau moyen de
les pratiquer.
1 Vie de la M. de Chant., 111 part., ch. iv.— ^ Ar7K de Dieu, liv. IX, ch. viii.
— 5 Vie de Chant., III part., ch. iv.
572 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS DORAISON.
Dans ce même esprit elle écrivoit, elle dictoit très-souvent des
actes de soumission envers son saint directeur et envers Jésus-
Christ même, qu'elle signoit de son sang, aussi bien que des
oraisons à la sainte Vierge qu'elle récitoit * : pour les rendre plus
agréables, elle obtenoit de ses supérieurs la permission de les
dire : ce qui montre de plus en plus qu'elle étoit très-afTection-
néeà faire des actes choisis, délibérés, excités en témoignage de
sa foi et pour nourrir son amour.
XXXVI. Qn a encore de ces actes écrits de sa main . entre autres on
Lnrai<on
iieiavoi..!- a qqIuï où elle avuit compris tous les devoirs d'une chrétienne ;
Mmcii...- rien n'v est omis, et tout cela étoit de l'esprit du saint évênue.
Mite, iini" » ^ 1. «
d«« nu-, j'aj ]^j avec attention 'car il ne faut pas mépriser la doctrine de
spintiiil- -^ '■
siinî'" 1 Esprit, c'est-à-dire ce qu'il inspire aux âmes qui sont à lui'i ; j'ai
lu, dis-je, un acte semblable, fait de l'ordre du même saint parla
vénérable Nb're Marie Rossette, une de ses filles, qui fut un pro-
dige de grâce et de sainteté. Elle y enti-e (iims tous les actes les
plus spécinijues (jue l'Ecriture prescrit aux fidèles. Après les
avoir produits et réitérés avec une forée incroyable, elle tàchôit
de se tenir toujours le plus actuellement (jumelle pouvoit dans la
même disposition. Comme il s'élevoit dans .son cn^ur mille bons
désirs particuliers, sans se donner la consolation de s'y arrêter,
elle les metfoit, dit-elle, dans son grand f/rfr fl'dhtnidnn, où tout
avoit été si bien spécifié. Ainsi en un sens elle n'iwercoit (iniiii
seul acte, et en même temps elle exerçoit cent actes divers. C'est
ce que disoit Cassien de celte oraison de feu dont on a parlé, « où
se ramassoient en un tous les sentimens : romjlohath ficnsiôus. »
Les actes de foi, d'espérance et de charité, et tous ceux qui en
dépentb'nt s'y trouvoient tous ave leur distinction naturelle,
puis(]ue saint Paul nous appnMid (jue ces trois choses «leiueurent
dans tout le cours de cette vie; mais de tous ces actes réels et
physiques, si l'on mepermettoit ce mot de l'Ecole, il se composoit
comme un seul acte moral où tout se réunissoit. C'est ce qui arri-
voit à celte sainte religieuse en qui toutes les afTections dontime
ame chrétienne est capable se rassembloient, se pénétroient, poiu*
ainsi parler, l'une l'autre ; et rapportées h la même fin, faisoient
» Vie de la M. de Chant., 11 part., cb. xi ; lil part., ch. vu.
TRAITÉ I, LIVRE VIII, N. XXXVII. 573
un parfait concert. Mais néanmoins pour assurer son état, le saint
évêque non content de cet amas d'actes, pour les développer plus
activement et plus actuellement, faisoit dire à la sainte fille deux
ou trois fois par jour un Pater et un Credo, outre Toffice où elle
assistoit; et il est marqué dans sa vie que lorsqu'étant à Finfir-
merie, elle ne pouvoit aller à Téglise, elle disoit avec rinfirmière,
ou un Salve, Regùia, ou quelque autre semblable prière. Ainsi
comme les autres chrétiens , elle s'excitoit à prier et à faire les
autres actes de piété que l'Evangile commande. Je rapporte
exprès ses dispositions, parce que les nouveaux mystiques la pro-
duisent comme un exemple d une perpétuelle passiveté, mais vai-
nement , comme on voit. Il est vrai que son état particulier étoit
d'une sécheresse , et eu même temps d'mie fidélité incroyable,
parce que dénuée ordinairement de toute consolation et de tout
soutien sensible , elle persistoit dans sa sèche simplicité , et en
même temps demeuroit fidèle jusqu'au bout à dire son Pater et
son Credo; par où elle unissoit parfaitement ce qui étoit de son
attrait particulier avec l'attrait commun de tous les fidèles. Par son
attrait particulier elle étoit portée et inclinée, mais encore comme
de loin , à une continuité et unité d'actes qui n'est pas de cette
vie : mais durant ce temps de pèlerinage il falloit comme rabattre
cet attrait extraordinaire par l'attrait commim des chrétiens, qui
porte aux actes particuliers, expliqués et développés dans le Pater
et dans le Credo; c'est pourquoi on se croyoit obligé d'y astreindre
cette sainte fille , pom' la préserver de l'illusion où tombent nos
faux mystiques en supprimant les actes communs de la piété; à
quoi si on l'eût vue se porter, et se rendre moins obéissante à
faire les actes qu'on lui prescrivoit selon la règle de l'Evangile,
son oraison qui fut admirée auroit été suspecte et mauvaise. Il
est de l'état de cette vie de faire ces actes , quoique l'acte de la
vie future, c'est-à-dire l'acte continu et perpétuel où l'on est poussé
intérieurement, comme on l'est à l'éternelle félicité, commence à
se faire sentir d'une manière encore imparfaite , mais néanmoins
admirable. Dieu soit loué à jamais pour les merveilleuses opéra-
. tions qu'il exerce dans les âmes.
Les faux mystiques outrent tout ; et ils voudroient faire accroire 'QuVvm-
XXXVII.
574 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
différence à la Mèrc de Chantai qu'elle étoit indifTérente pour le salut, sous
du salut , ^. ' • n . T , .
ne f.ii ja- prctextc qu interrogée « si elle esperoit les biens et les joyes de
lUtii^ dans
la Mère de la vie étemelle, elle repartit dans un profond sentiment de sa bas-
sesse : Je sçay qu'aux mérites du Sauveui* elles se doivent espé-
rer; mais mon espérance ne se tourne point de ce costé-là : je ne
veux désirer ni espérer chose quelconque, sinon que Dieu accom-
plisse sa sainte volonté en moy, et qu'à jamais il soit g-lorifié '. »
Sur cela on lui fera dire que Dieu étant glorifié dans la damnation
comme dans le salut des hommes, elle est indifférente pour l'un
et pom" lautre : mais ce sentiment seroit un prodige ; car comme
il s'agit d'espérance, l'espérance seroit pour l'enfer de même
qu'elle est pour le paradis , ce qui n'est rien moins qu'un blas-
phème. La pieuse Mère entend donc que Dieu sera glorifié en
elle, ainsi (pi'il l'est dans ses saints, et que c'est l'unique sujet de
son espérance. Elle dit même très-expressément : « Quand je voy
le Sauveur en croix, ce n'est jamais s;uis espérer (pi'il nous fera
vivre d'amour en sa gloire *. Que si elle estoit, comme elle écrit,
sans aucun désir de recompense et de jouissance, et ne parloit
quasi jamais dQS douceurs de Dieu, mais de ses opérations '; »
la suite fait voir qu'elle l'entendoit de certaines consolations et
suavités de cette vie, qu'on sait bien qu'il ne faut pas désirer avec
cette inquiétude tant blâmée par son saint directeur, ainsi quil a
été souvent remarqué. Au reste « elle conseilloit de ne jamais
regarder le ciel sans Tesperer * ; » et loiii de considérer respér;;nce
comme une vertu intéressée, c'est, disoit-elle, un aiguillon de
l'amour : en quoi elle ne faisoit que suivre les conseils de son
admirable directeur, qui lui écrivoit : « Guy, ma chère fille, il le
faut espérer fort assurément que nous vivrons éternellement : et
Nostre-Seigneur que feroit-il de sa vie éternelle s'il n'en donnoit
point aux pauvres petites et chétives âmes"? » Ainsi ces petites
âmes, c'est-à-dire les âmes simples, vivent d'espérance ; et tout
est plein de semblables sentimens.
XXXVIII. Concluons de tout ce discours que cette sainte ame étoit agis-
leï^chT santé aussi bien que pâtissante dans tout le cours de sa vie, et
1 Vie de In M. de Chant., III part., cli. ii — * Ibid.— » liid., ch. m.— * Ibid.,
ch. II. — 5 Liv. II, ép. M.
TRAITÉ I, LIVRE YIll, N. XXXIX. 57o
même dans son oraison. Je dis même qu'elle étoit agissante par précédens
des actions excitées exprès ; car pom* elles que Dieu excite d'une rlue m-
façon particulière^ elles se trouvent dans l'état le plus passif. Si 'point"]*
donc le saint évêque de Genève ordonne à sa sainte fille d'être [« p'!i^ssw«-
agissante, lorsque Dieu lui en laisse la liberté, il entend qu'elle a
souvent cette liberté , pour en exercer l'action la plus expresse ;
et c'est ce qu'elle marque elle-même très-clairement par ces pa-
roles, que je prie le pieux lecteur de lire attentivement, parce
que toute sa disposition y est renfermée : « Lorsque les distrac-
tions nous pressent , il faut faire l'oraison de patience, et dire
humblement et amoureusement, s'il se peut : Mon Dieu, le seul
appuy de mon ame, ma quiétude et mon unique repos, quand je
cesserois de vi\Te, je ne cesserois de vous aimer : excitant ainsi
son cœur sans attendre que Dieu nous mette le miel à la bouche
pour parler à sa bonté *. » Il se faut donc exciter soi-même, sans
attendre que Dieu nous excite d'une façon particulière : et c'étoit
le conseil comme la pratique de cette sainte ame , quoiqu'elle fût
si puissamment attirée aux états passifs.
On entend maintenant à fond ces paroles du saint directeur à sa xxxix.
digne fille : «Soyez active et passive, ou patiente selon que Dieu momedoc-
le voudra "- ; » c'est comme s'il disoit : Quelque passive que vous expiicàuon
1 • 1 TV- A ^^ l'orai-
soyez sous la mam de Dieu , vous êtes souvent active , puisque ^"n q"e le
souvent il cesse de vous exciter de cette façon particulière, et pen^de
1 1 • . ' • . A rri patience.
alors vous devez agir et vous exciter vous-même. Tant qu'il vous
tient sous sa main n'en sortez pas, et demeurez dans la suspension
où il lui plaît de vous mettre. Voilà donc déjà la disposition active
et passive bien entendue; mais il y a outre cela la disposition qu'il
appelle p«^/en^(?, oui' ame pleine de dégoût, de détresse, de déso-
lation, semble ne pouvoir plus même espérer en Dieu, loin de
pouvoir faire aucun acte sensible d'amour. L'ame alors est plus
que passive, et entre dans l'oraison que le saint évêque appelle de
patience, où les actes sont offusqués et enveloppés, mais non pour
cela éteints et supprimés.
Et pour entendre à fond un tel état, il est bon de se souvenir
d'une excellente doctrine du P. Jean de la Croix, Il dit donc que
1 Vie de la M. de Chant., III pari., cli. iv.— -Ib., ch. m, iv. Ci-dessus, ch. xxs.
576 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS DORAISON.
Tame est jetée dans ces suspensions et empeschcmens ou impuis-
sances divines, « ou par voye de purgatiou et de peine, ou par
une contemplation tres-parfaite ' ; » c"est-à-dire qu'elle y est jetée ,
ou par ajjfjndance de grâces, comme dans les ravissemens et
dans les extases; ou par manière d'épreuve et de soustraction,
lorsque Dieu retire ses consolations et ses sou'.iens. C'est ce que sa
Mère sainU' Thérèse exprimoit en disant : « Que comme la joye
suspend les puissances, la peine aussi fait le mesme effet *. » Ce
dernier état étoil celui de la .Mère de Chantai , (jue limpuissance
de faire des actes aussi exprès qu'elle vouloit, jeloit dans des con-
fusKjns et dans des ténèbres dont elle ne cesse de se plaindre;
mais son saint directeur la rassuroit. en lui disant «pie ces sous-
tractions mystérieuses, loin de suppriuïer les actes de jiiété , ne
faisoient «pic les u concentrer dtuis le cœur, ou les |)orter, comme
il parle, à la cime pointe de resi)ril, » ainsi qu il a déjà ete n>mar-
qué, et {\\\o\\ tàfh.ra de rexpliquer à f(tiid dans le traité des
épreuves.
'^ . Selon ces principes, tiuand le Saint fait dire à sa statut^ (lu elle
Sotte de It I I » i i
'uin»^"cV "*^ voudroil p.is se remm-r pour aller à lui/ si luf/-mcsnicnc le voni-
drrni^n. j,ian(loU \ il faut entendre ces paroles de certains particuliers
•"' ' YJ*' niouvemens «pli ne sont pas essentiels à la piété: car pour les
"'"' "*• actes de foi, d'espérance, de charité, de demande ou de désir et
que. ' 1 '
d'action de grâces, ils sont déjà assez commandés, et à cet é.t:rard
on n'a lu'st)in pour se renuier , non jdus qu un soldat fiour mar-
cher et pour combattre, (pie de l'ordre donné à tous en général.
Ainsi \\n\ voit juscpi'à quel point on doit èlr(\, « tant interieure-
iiM'ul qu'extérieurement, sans atlt.'ntioii, sans élection, sans désir
quelcoïKpie. » Le directeur et la dirigée se sont également expli-
qués sur ce sujet, en répétant trente fois qu'il s'agit du temps de
l'oraison, où même la passivité est mêlée de toute l'activité, de
toute l'action et de tout le choix «pi'on a vu. Il faut aussi se res-
souvenir que ces ét^its imaginaires de nos faux mysliipies, où les
âmes sont toujours mues «livinement par ces impressions extraor-
dinaires dont nous parlons , ne sont connues ni du P. Jean de la
^ Mrmt (lu Cnrnj., liv. Il , cb. X, p. 2.'j7. — * Vie de sainte Thérèse, cb. XX,
p. liJ. — ' Liv. II, ép. LUI.
TRAITÉ I, LIVRE IX, N. I. 577
Croix, ni de sa Mère sainte Thérèse. J'ajoute que ni les Angeles,
ni les Catherines, celle de Sienne et celle de Gènes, les Avilas,les
Alcantai-aSj ni les autres âmes de la plus pure et de la plus haute
contemplation, n'ont jamais cru être toujours passives , mais par
intervalles : et sou\'ent rendues à elles-mêmes, elles ont agi de la
manière ordinaire. La même chose paroît dans la Mère de Chan-
tai, une des personnes de nos jours les plus exercées dans cette
voie, et qu'aussi les nouveaux mystiques ne cessent de nous ob-
jecter : ainsi leur perpétuelle passiveté n'est plus qu'une idée, à
laquelle saint François de Sales et son humble fdle, qu'ils appe-
loient à leur secours, n'ont aucune part.
LIVRE IX.
Où est roppoiiée la suite de la doctrine de saint Fraiiçois de Sales, et de
quelques autres suints.
Pour favoriser cette doctrine inouïe de l'indifTérence du salut , i.
on allègue ce passage de saint François de Sales : a Que le bon posTuons
plaisir de Dieu est le souverain objet de l'ame indifférente , en ulTv'^r
sorte qu'elle aimeroit mieux l'enfer avec la volonté de Dieu, que ''ie''sainr
le paradis sans la volonté de Dieu : ouy mesme il prefereroit l'en- ^rmer"-
fer au paradis, s'il sçavoit qu'en celuy-là il y eust un peu plus du iumu!
bon plaisir divin qu'en celuy-ci ; en sorte que si par imagination
de chose impossible, il sçavoit que sa damnation fust un peu plus
agréable à Dieu que sa salvation, il quitteroit sa salvation et cour-
roit à sa damnation K » Il répète la même chose presque en mêmes
termes dans un de ses Eîitretiens ', et il dit encore ailleurs
« qu'une ame vrayment parfaite et toute piu-e n'aime pas mesme
ce paradis, sinon parce que l'Epoux y est aimé, mais si souverai-
nement aimé en son paradis, que s'il n'a voit point de paradis, il
n'en seroitni moins aimable, ni moins aimé par cette courageuse
amante, qui ne sçait pas aimer le paradis de son Epoux, mais son
1 Am. de Dieu, liv. IX, ch. iv.— 2 Entret. 11, p. 804 ; édit. Vives, tom. I II, p. 288.
TOM xvni. 37
; de l'i-
b-g INSTRUCTION SUR LES ETATS DORAISON.
Epoux de paradis • . » Ces tendres expressions, comme on les voit
dans tous ses écrits, lui sont communes avec plusieurs saints dès
l'origine du christianisme, et nous en verrons Tusag-e ; à présent
ce qu'en infèrent les nouveaux mystiques, c'est que le juste par-
fait est rt-^présenté entre le paradis et l'enfer, comme indifférent
par lui-même à l'un et à l'autre : mais c'est précisément tout le
contraire (ju'il faudroit conclure. On scroit, dit-on, indifférent si
le lion plaisir de Dieu ne délerminoil ; mais c'est aussi pour cela
cp'à cause qu'il détermine on ne l'est plus, et on ne peut l'être.
Ainsi cette indifférence est impossible dans l'homme, puisque la
seule chose (pii la pom-roit faire, c'est-à-dire la séparation du bon
plaisir de l)i«'u d'avec le paradis, ne peut pas être. De cette sorte,
parce qu'il est vrai (lu'on n'aime, comme on vient de voir, fc pa-
radis, sinon parce que l'Kpauj- y est aime-, il faut ( ondun^ non
point (juc le paradis soit indilféreut; ce (jui avant nos mystiques
n'e^t jamais sorti d'une bouche chrétienne ; mais au contraire que
\v paradis n'est ni ne peut être indifférent, parce que ni il n'est, ni
il ne peut être (pie le siiint Epou.x n'y soit point aimé. C'est là
aussi l'exci'lliiite et léi4:itime eonsé(iuence qtie tiroit notre saint
évêquo de ce be^m principe, puisjpi'en disant (jue la bienheureuse
éternité « neluy seroit rien, si cen'estoit cet amour invariable et
toujours actuel de ce j.,Mand Dieu (pii y règne toujours ", >> il dit
en même temps « qu'il n'a sçù penser à autre chose » qu'à cette
bienheureuse éternité ; de sorte que, loin d'inférer qu'elle lui est
indiffén-nte, il assure directement au contraire qu'il n'a pu être
occupé que de cet objet.
On dira que nosmysti([uesnerenfçndent pas autrement, (juils
savent l)ien comme nous que la séparation de Dieu d'avec son pa-
radis est impossible, et enhu qu'il b-iu* faut laisser leurs amou-
reuses extravagances. Je le veux, s'ils n'en font point un mauvais
usage ; mais ils bâtissent sur cette chimère d'indiftérence de très-
réelles pratiques, piiistpi'ils tiouvent intéressé et au-dessous d'eux,
ou en tout cas incompatiltle av»'c la perfection, de désirer ni de
demander à Dieu pour eux-mêmes la glou*e éternelle, (|n<rH|uelle
ne soit autre chose que l'avènement de son règne : et par là ils
» Am. de Dieu, liv. X, eh. v. - « Ibid. - » Liv. VII, <^p. xxx.
TRAITÉ I, LIVRE IX, N. ÎI, 111. 379
séparent l'idée d'aimable et de désirable d'avec celle de la patrie
céleste ; ce qui emporte toutes les froideurs que nous avons re-
marquées dans ces âmes sèches et superbes.
Je ne puis donc condamner les pieuses expressions du saint "• , .
évêque, qui est tout plein de ces suppositions impossibles ; mais il ''■r ""'^
faut avec ce saint homme éviter l'inconvénient d'y attacher, '■'■"' ^n in-
différence
comme les mystiques, la cessation des désirs et l'indifférence. '•'■ss"pp»-
■^ ■■■ ^ fitions im-
« Les âmes pm'es , dit-il , aimeroient autant la laideur que la l'^^sibies.
beauté, si elle plaisoit autant à leur amant ^ » Donc la beauté de
l'ame est indifférente , et il ne faut point la désirer : c'est un pi-
toyable et insupportable raisonnement. Sic'étoit assez défaire des
suppositions impossibles pour conclure ces indifférences, toute la
doctrine de la foi seroit renversée. «Si par impossible un ange du
ciel vous annonçoit un autre Evangile, il le faudroit, dit saint
Paul, frapper d'anathème , ^» comme le démon : donc il est in-
différent d'écouter ou le démon ou un ange du ciel : de même si
le paradis étoit sans amour, et que l'amom" passât à l'enfer, l'enfer
seroit préférable au paradis ; c'est-à-dire, en d'autres termes, si le
paradis devenoit l'enfer, et que l'enfer devînt le paradis ; si la vé-
rité devenoitle mensonge, et que le mensonge devînt la vérité, ce
seroit le mensonge et l'enfer qu'il faudroit aimer ; donc tout cela
est indifférent, et il ne faut demander ni l'un ni l'autre, c'est l'ab-
surdité des absurdités. On aime les choses comme elles sont , ou
du moins comme elles peuvent être; mais l'impossible, qui par
manière de parler a deux degrés de néant, puisque ni il n'est ni il
ne peut être, et qui est par là, si on veut, au-dessous du néant
môme, ne peut pas être un objet , ni contre-peser le désir qui va
droit à la chose comme elle est.
Plusieurs savans hommes , qui voient ces suppositions impos- m.
sibles si fréquentes parmi les saints du dernier âge, sont portés à .■nckn.f el
les mépriser ou à les blâmer comme de pieuses extravagances, en àTccITl
tout cas comme de foibles dévotions où les modernes ont dégé- M°mû-
néré de la gravité des premiers siècles. Mais la vérité ne me per- pLws!
met pas de consentir à leurs discours. Dès l'origine du christia-
nisme nous trouvons saint Clément d'Alexandrie qui s'explique
1 Eiitret. XII; p. 8G0.— ^ Galat., ï, 8.
580 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
de cette sorte : « J'ose dire (ce sont ses paroles) que le parfait spi-
rituel ne recherche pas cet état de perfection^ parce qu'il veut être
sauvé; et qu'interrogé par une manière de supposition impossible
lequel des deux il choisiroit, ou la perfection (qu'il appelle gnose,
TT.v 'çibiwi] ou le salut éternel, si ces deux choses se pouvoient sé-
parer, au lieu qu'elles sont inséparables ; sans hésiter il prendroit
la perfection (tï-.v^vuîiv) comme une chose qui surpassant la foi par
la charité, est désirable par elle-même : d'où il conclut que la pre-
mière lionne œuvre de l'homme parfait est de faire toujours le
bien par une habitude constante, en agissant non pas pour la
gloire ou la réputation, ni pour aucune récompense qui lui vienne
ou des hommes ou de Dieu '. »
J'aurois lieauroup do réflexions à faire sur ce discours de saint
(llément d'Alexandrie; mais je me contente ici d'exposer le fait
des suppositions ou fictions impossibles , en réservant le surplus
au traité suivant . \\()\\v ne point traîner celui-ci en trop de lon-
gueur.
Je diffère par la même raison ce qu'il y lunoil à dire sur ce
passage de saint Paul : « Je désirois d'être anathème pour mes
frères * : » et je m'en tiens à ce fait illustre, qui est que saint
Chrysostome établit par ce passage qu'il ûuidroit aimer Dieu, non-
seulement quand nous ne recevrions de lui autre bien que de l'ai-
mer; mais encore quand au lieu des biens qu'il nous a promi^, il
nous enverroit, s'il se pouvoit, e- .VuvaTov, l'enfer et ses riaïunirs
éternelles, en conservant l'amour.
J'omets toutes les raisons par lesquelles ce Père prouve que c'a
été l'esprit de saint Paul de s'offrir pour être anathème et séparé
éternellement de la présence de Jésus-Cbrist, s'il éloit possible et
(jue par là il put obtenir le salut des Juifs, et mettre fin aux blas-
phèmes que leur réprobation faisoit vomir contre Dieu; et il me
suffit à présent de dire qu'il a employé un long et puissant dis-
cours à établir cette explication dans les homélies xv et xvi sur
YEpître aux Romains, et encon- dans le premier livre de Ja Coin-
ponction, chapitre vu et viii.
C'est encore un autre fait constant^ que toute l'école de saint
> Strum., lil). IV, p. 'o. — -lloin., ix, a.
TRAITÉ I, LIVRE IX, N. ]1I. 81
Chrysostome est entrée dans ce sentiment , comme il paroît par
saint Isidore de Péluse, livi'e n, épître 58 ; par Théodoret^, tom. ni
et IV sur Y Epître aux Romains, verset 38 du chapitre vni, et 3 du
chapitre ix, où il ne fait qu'abréger, mais doctement et judicieu-
sement à son ordinaire, r explication de saint Chrysostome. On
trouve en substance la même interprétation dans Théophylacte
et dans Pliotius , tant dans sa lettre ccx que dans la compilation
d'Œcuménius sur les mêmes endroits de saint Paul.
Saint Thomas sur les mêmes passages rapporte et approuve
l'exposition de saint Chrysostome ; mais Estius et Fromont, deux
excellens interprètes de saint Paul, l'embrassent positivement,
persuadés non-seulement par l'autorité , mais encore par les rai-
sons de saint Chrysostome, et par les doctes réponses de ce Père
à toutes les objections.
On entendra mieux cette belle interprétation de saint Chysos-
tome et de ses disciples, si l'on compare ces paroles de saint Paul :
« Je voudrois être anathème, » avec celles du même Apôtre : « Si
nous ou un ange du ciel vous annonçoit autre chose, qu'il soit
anathème * ; » où d'un côté l'amour de la vérité le porte, s'il étoit
possible qu'un ange du ciel errât, à le frapper d'anathème; et de
l'autre par la ferveur de la charité il s'offre lui-même d'être ana-
thème s'il éloit possible , et qu'il put par cet effort de son amour
arracher , pour ainsi parler , à la divine miséricorde le salut des
Juifs. S'il faut venir aux scolastiques , Scot et toute son école
détermine « cpie la charité tend à son objet considéré en lui-même,
quand même par impossible on sépareroitde cet objet l'utilité ou
l'intérêt qui nous en revient ^; » c'est-à-dire, dans son langage,
la félicité éternelle. Ces suppositions par impossible sont célèbres
dans toute l'Ecole : on n'a pas besoin de rapporter les mystiques,
où elles sont fréquentes ; et après cela il ne faut pas s'étonner de
les trouver si souvent dans le saint évêque de Genève.
Il en est venu à la pratique ; et il paroit en plusieurs endroits
de ses Lettres, qu'il a porté dans sa jeunesse un assez long temps
une impression de réprobation, qui a donné lieu à ces désirs d'ai-
mer Dieu pour sa bonté propre, quand par impossible il ne reste-
1 Galat., 1 , 8. — 2 lu m , diat. 27, q. unie, n. 2.
582 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'OR.\ISON.
roit à celui qui l'aime aucune espérance de le posséder. Ce mys-
tère, qui ne paroît que confusément dans ses Lettres, nous est
développé dans sa Yie * , où dans les frayeurs de l'enfer dont il
étoit saisi , une noire mélancolie et des convulsions qui lui lai-
soient perdre le sommeil et le manger, le poussèrent si près de la
mort qu'on ne voyoit point de remède à son mal; et on voit qu'il
fallut enfin « dans les dernières presses d'un si rude tourment en
venir à cette terrible résolution, que puisqu'on l'autre vie il devoit
estre privé pour jamais de voir et d'aimer un Dieu si digne d'estre
aimé, il A'ouloit au moins, pendant qu'il vivoit sur la terre faire
tout son pnssil)le pour l'aimer de toutes les forces de son ame, et
dans toute l'étendue de ses affections. » On voit qu'il portoit dans
son cœur comme une réponse de inort assurée *; et ce qui étoit
impossible, qu'après avoir aimé toute sa vie, il supposoit qu'il
n'aimeroit plus dans l'éternité. Mais encore que la supposition on
fût inipossible, elle donna lieu à un acte où le Saint trouva sa déb-
^Tance, puisque, comme dit l'auteur de sa Vie, «le démon vaincu
par un acte d'amour si désintéressé luy céda la victoire et luy
quitta la place. »
11 ne faut pas dire pour cela qu'il eut perdu l't'spérance ou le
désir, puisqu'on a "vu que partout ailleurs il enseigne que ces sen-
timens demeurent inébranlables, dm'ant ces états, dans la liante
partie de l'ame, mais enfin par cette tendre et pieuse supposi-
tion, il exerce mi parfait amour.
Sa sainte filb^ l'a imitée lorsque si souvent elle dit à Notre-Sei-
gnem' « (pe s'il luy plaisoit de luy marquer sa place et sa de-
meure dims l'enfer , pourveu que ce fust à sa gloire éternelle ,
elle en seroit contente, et que toujours elle seroit à son Dieu ^. »
La même cliose arrivoit à la bienheureuse Angèle de Foligny,
dont le sa'mt évèque a tant admiré la sainteté et tant décrit les
combats. Lorsqu'une ame si pure se croyoit tellement plongée
dans la malice, qu'elle ne voyoit dans ses actions que corruption
et hypocrisie, elle s'écrioit, comme elle l'écrit elle-même*, avec
grand plaisir : « Seigneur, quoyque je sois danuiée je ne lais-
« TV? (h- S.'iH, imv Maupas, I V'a'.'l-, *'li. v, p. 2."> , 2G.— ^ II Cor., i , n.— ' Vie
de ta. M. do Chant., Il pail , ch. xiv.— ''Eilit. Tans. 15;iS. Vit. Ang., c. xx, p.3G.
TRAITÉ I, LIVRE IX, N. III. 383
seray pas de faire pénitence, et de me dépouiller de tout pour
lamour de vous, et de vous servir K » Son amour la trompoit;
et à force d'aiûier celui qu'elle trouvoit si aimable, elle croyoit
qu'elle l'aimeroit jusque dans l'enfer. C'est pourquoi en une
autre occasion en appelant la mort à son secours , elle disoit à
Dieu : « Seigneur, si vous me devez jeter dans l'enfer, ne dif-
férez pas davantage , liastez-vous ; et puisqu'une fois vous m'a-
vez abandonnée, achevez et plongez-moy dans cet abysme -. »
On ressent dans ces paroles un transport d'amour dont on est
ravi, encore qu'il soit fondé sur une de ces fictions dont nous
parlons.
Dans un semblable transport sainte Catherine de Gênes disoit
à son amour : « Peut-il estre, ô doux amour, que vousnsie -
viez jamais estre aimé sans consolation ni espérance de bien au
ciel ou en terre ■ ? » A la vérité on lui répondit que telle union
avec Dieu ne pouvoit être sans grande joie : mais pour elle, on
voit qu'elle eût souhaité l'impossible pour mieux exprimer son
amom".
C'est encore ce qui lui faisoit dire : « L'amour pur non-seule-
ment ne peut endurer, mais ne peut pas mesme comprendi^e
quelle chose c'est que peine ou tomiiient, tant de l'enfer qui est
déjà fait, que de tous ceux que Dieu pourroit faire; et encore
qu'il fust possible de sentir toutes les peines des démons et de
toutes les âmes damnées, je ne pourrois pourtant jamais dire que
ce fussent peines, tant le pm' amour yferoit trouver de bonhem-,
parce qu'il oste tout moyen et puissance de voir ou sentu' autre
chose que luy- mesme *. »
Sainte Thérèse n'est pas moins fervente, lorsqu'elle dit « Qu'il
n'y a rien que les âmes possédées d'amour ne fissent , et point de
moyens qu'elles n'employassent pour se consumer entièrement,
si elles le pou voient, dans le feu dont il les brusle ; et elles souf-
fru'oient avec joye d'estre pour jamais anéanties, si la destruction
de leur estre pouvoit contribuer à la gloire de leur immortel
Epoux, parce que luy seul remplit tous leurs désirs, et fait toute
1 Vit. Ang., cap. xix, p. 38 — ^ /^/^/.^ p. 47. — 3 yi^, (jg sahile Catherine de
Gênes., cil. xxviii. — 4 iijid,^ cb. .KXlii, p. 157.
584 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON,
leur félicité K » Ces âmes se regarderoient, s'il étoit possible,
comme mie lampe ardente et brûlante en pure perte devant Dieu
et en hommage à sa souveraine grandeur.
Cette Sainte que lEglise met presque au rang des docteurs en
célébrant la sublimité de sa céleste doctrine, « dont les âmes sont
nourries, dit encore ailleurs, «que dans Toraison d"union, le mieux
que puisse faire une ame est de s'abandoimer entièrement à Dieu:
s'il veut l'enlever au ciel, qu'elle y aille ; s'il veut la mener en
enfer, qu'elle s'y résolve sans s'en mettre en peine, puisqu'elle
ne fait que le suivre, et qu'il fait tout son lionheur *. » Fortes ma-
nières de parler, où Ton mêle le possil)le avec l'impossible, pour
montrer qu'on ne donne point de bornes à sa soumission.
A l'exemple de ces grandes âmes, la Mère Marie de llncarna-
tion, ursuline, qu'on appelle la Thérèse de nos jours et du Nou-
veau Monde, dans une vive impression de l'inexorable justice de
Dieu, se condamnoif à une <-lc)'nit('' de peines , et s'y oiïroit elle-
mîinxi', i\{\\\ {\\m If I justice de Dieu fût satisfaite, /ioj//vr/^ seule-
ment, disoitelle, que je ne sois point prirre de rntnour de Dieu et
de Dieu inesme '.
Un vénérable et savant religieux, fils de cette sainte veuve
plus encore selon l'esprit que selon la chair, et qui en a écrit la
vie approuvée par nos plus célèbres docteurs , y fait voir • que
ces transports de l'amour divin sont excités dans les âmes parfai-
tenicnl, unies à Dieu, afin de montrer la dignité infinie et inrom-
préhonsible de ce premier Etre, pour ([ui il vaudroit mieux en-
durer mille supplices, et môme les éternels, que de l'offenser par
la moindre faute. Mais sans chercher des raisons pour autoriser
ces actes, on voit assez qu'on ne les peut regarder comme pro-
duits par la dévotion des derniers siècles ni les accuser de foi-
blesse, puisqu'on en voit la pralicpie et la théorie dès les premiers
âges de l'Eglise, et que les Pères les plus célèbres de ces temps-là
les ont admirés comme pratiqués par saint Paul.
»• Après avoir établi le fait constant, qu'on ne peut rejeter ces ré-
' Chnt. fin Vamp. flem. G. ch. 1\' , sur la fin. — * Vip, cli. xvii , p. 02. — ' Vie,
liv. III, ch. V, p. 429; Ihid. add. au cliap. m, n. I>; aid. au lIi. iv^ p. 1:22;
ch. VI _, p. 432; ibid.. p. 423. — * Ibid., p. 422.
TRAITÉ î, LIVRE IX, N. IV. 585
signations et soumissions fondées sur des suppositions impos- exemples ,
sibles, sans en même temps condamner ce qu il y a de plus grand qmonifait
ces actes
et de plus saint dans l'Eglise, il reste à faire deux choses : l'une, de rési-
gnatioa
de montrer dans quelles cn^onstances on peut fau-e ces actes, et p;ir suppo-
s'il y en a où Ion les puisse conseiller, et c'est ce que nous ferons pi^^ibie,
bientôt ; et l'autre, si l'on peut soupçonner ceux qui les ont pror p"".- cda
moins éloi-
duits de cette damnable indifférence ou nous mènent les nou- g'»'^ 'i« u
supprcs-
veaux mystiques ; mais nous avons déjà vu que le saint éveque ^i»» rf^s
, Ji'in.inde?,
de Genève en a éto infiniment éloigné, et il ne nous sera pas dif- i-i 'i^ im-
. dillerence
ficile de montrer la même chose de tous les autres saints. d'^^ ^oa.
vciux mys-
Pour commencer par saint Paul, posons d'abord ce principe, ''t"'^-
qu'on n'est point indifférent pour les choses qu'on demande et
qu'on désire sans cesse ; c'est pourquoi nos nouveaux docteurs,
qui nous vantent leur indifférence, nous disent en même temps,
comme on a vu, qu'ils ne demandent ni ne désirent rien. Mais
peut-on dire que saint Paul est dans ce dernier état, lui qui ne
cesse de faire des demandes, et de pousser de saints désirs vers la
céleste patrie, gémissant d'en être éloigné ' dans la demeure pe-
sante de ce corps mortel, et ne cessant de s'étendre - par un con-
tinuel effort vers le terme de la carrière, et vers la céleste récom-
pense qui nous y est proposée? Où. placera-t-on dans une telle
ame, la sèche indifférence des nouveaux spirituels ?
Mais il a dit qu'il eût voulu, s'il lui eût été permis , être séparé
d'avec Jésus-Chri:^t pour la gloire de Dieu et le salut de ses frères ^
Ce n'est pas là une indifférence, mais au contraire un sacrifice,
qu'on voudroit pouvoir faire à Dieu de ce qu'on désire le plus : et
pour montrer que ce terme : Je voudrais , n'empêche pas le plus
ardent de tout les désirs et la plus déterminée de toutes les vo-
lontés pour le salut, Photius fait cette belle remarque '% que celui
qui dit . Jevoudrois ou j'eusse désiré^ comme saint Paul {■^■■■>v.''j-'ry),
ne produit pas dans cet acte une volonté absolue, une volonté
formée ; car, comme nous l'avons déjà dit, on ne veut point par
une telle volonté ce qu'on sait être impossible ; ce n'est pas même
une volonté conditionnelle, puisque la condition étant jugée im-
possible, c'est-à-dire un pur néant et quelque chose de moins, elle
1 II Cor., V, 6. — -i P/utip., iir, 13, 14. — 3 /îom., i:c, 3. — '• Phot., ep. 216.
586 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS DORAISON.
n'est pas de nature à pouvoir affecter un acte; mais mie volonté
imparfaite, ou comme parle l'Ecole , une velléilé, qui n'empêche
pas la volonté absolue -et parfaite du contraire de ce qu'on ne
veut qu'en cette sorte. Or une telle volonté ne peut point faire
ime indifférence, ni jamais contre-balancer la volonté fixe qu'on
a du bien : car on ne peut imaginer une indifférence entre ce que
Dieu veut, et ce que ni il ne veut ni il ne peut vouloir. Or est-il
qu'il est certain qu'il ne veut ni ne peut vouloir l'impossible. Je
ne pousse pas plus loin ce raisonnement , parce qu'on l'a mis au-
tant qu'on a pu dans son jour au cli ;pitre précédent.
Dans ci'lui-ci, où nous réduisons notre preuve aux faits cons-
tans, nous dirons que saint Clément d'Alexandrie ne vouloit pas
que son gnostique fût indiflerent au salut , sous prétexte qu'il lui
eût préféré la perfection , si par impossible elle on eût été sépa-
rable, puisque nous avons déjà vu qu'il reconnoît dans les plus
parfaits des demandes continuelles, et par conséquent de puis-
sans désirs de la bienheureuse éternité et des choses qui y con-
duisent. Nous verrons aussi au traité suivant tant de preuves de
cette vérité, qu'il ne restera aucun lieu à l'indlirérence que nous
combattons.
V- Sainte Catherine de Gênes étoit-elle de ces superltes indiffé-
ei;Mi.i.w: rcutes , qui ne veulent rien demander pour elles-mèm"S, elle qui
ardtn, du- disoit « ou'eu reconnoissant le besoin qu'on a de Dieu contre ce
sirs de -"^ _ ^
sninic c« poison caché de rainour-iiropre, il lui venoit une volonté de crier
Ihcriiie de ' i i J
G*ne«ci si fort, qu'elle fût ouïe partout, et ne voudroit dire autre chose,
do sainio } i. l ^ ^
Théroso. sinon : Aidez-moy, aidez-moy ; et le dire , continuoit-elle , autant
de fois que l'haleine me dureroit et fine j'aurois vie au corps'. »
Voici encore une autre demande de cette amante incomparable :
« Mon Seigneur, je vous prie que vous me donniez ime goutte-
lette de cette eau que vous donnastes à la Samaritaine, parce que
je ne puis plus supporter un si grand feu qui me brusle toute au
dedans et au dehors* : » on entend bien que c'étoit le feu de l'a-
mour divin qui la consumoit.
Elle raconte elle-même ailleurs ses autres prières ; elle ne craint
point d'autre enfer que celui de perdre ce qu'elle aime ; elle met-
* Vie , ch. .\XY, p. 173. — * Ibid., ch. xLViii, i>. 350.
TRAITÉ I, LIVRE LX, N. V. 587
toit la pureté de son amour à dire sans cesse : Amou?', je ne veux
que vous^ ; c'étoit Dieu qu'elle appeloit de ce nom : Amour ; con-
noissant bien , disoit-elle, que cet amour pur et net-, et tout en-
semble héatifique qu'elle désiroit_, n'étoit autre chose que Dieu.
Et dans son troisième Dialogue elle s'écrie : « 0 viande d'amour !
de laquelle sont repus les anges, les saints et les hommes : ô
viande béatifique ! vraye viande pour satisfaire à notre faim , tu
éteins tous nos autres appétits. Celuy qui gouste cette viande s'es-
time bienheureux dés cette vie, où Dieu n'en montre qu'une pe-
tite goutte; car s'il en montroit davantage, lliom me mourroit
d'un amour si subtil et si pénétrant , tout l'esprit s'en embrase-
roit et consumeroit tout le corps ^ » Yoilà comme elle étoit in-
difîérente pour ce rassasiement éternel , elle à qui une gouttelette
de ce torrent de délices causoit de si violens transports.
Souvent toutefois elle vous dira qu'elle ne veut rien, qu'elle n'a
rien à désirer, parce que dans certains momens de plénitude de
Dieu, elle ne sentoit point son indigence, quoiqu'elle portât dans
le cœur un insatiable désir de le posséder davantage , comme la
viande béatifique, ainsi qu'on le vient d'entendre , « dont elle es-
toit toujours désireuse, toujours atTamée, comme estant le terme
de ce pur et béatifique instinct dans lequel Dieu nous a créez * ; »
ce qui aussi lui faisoit dire : « 0 Seigneur, toute autre peine que
celle de voir mon péché : montrez-moy tous les démons et tous
les enfers plùtost que de me montrer une oiTense , quelque petite
qu'elle soit, qui empesclie la jouissance du divin Epoux ^ »
Jamais pourtant elle n'a écrit qu'elle eût dans la confession, où
elle alloit très-souvent ®, cette peine en voyant son péché : mais
plutôt elle avoit la peine de ne point trouver ses péchés , parce
que le péché qu'on veut confesser n'a plus, pour ainsi parler, cette
force désunissante , à cause du grand mystère de réconciliation et
de paix qui est dans le ministère de la pénitence. En conformité
de cette disposition , on voit dans la Sainte ce qu'on ne voit point
dans les mystiques de nos jours, un continuel recours à son con-
1 Vie , ch. XVI, p. 112, etc., 1 i6, etc.; di. l, p. 371 ; cîi. xxv, p. Ho. —
^ Ch. XXXVIII, p. 252 ; ch. XXI , p. i48. —^Dmlug., III., ch. Il, p. (i20. —
'■* DiciL, lib. 111, purgat. Ci8. — '■^ 17e, ch, xx, p. ihl. — "^ Ibid., ch. xx
p, 2u,j, etc.
588 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
fesseur pour être éclaircie des moindres doutes ', sans quoi elle
entroit dans d'inexplicables tourmens, ce qui lui inspiroit cette
demande : « Délaissée queje suis de toutes parts, ô Seigrneur, don-
nez-moy du moins quelqu'un qui m'entende et me reconforte * : »
ainsi elle demandoit tout le soutien nécessaire , sans croire pour
cela être intéressée, ni affolblir pour peu que ce fût la pureté de
son amour.
Ecoutons encore un moment les ardens désirs de sainte Thé-
rèse : elle se compare elle-même « à une colombe gémissante,
dont la pi'ini; malgré les faveurs (juclle reçoit tc^us les jours de-
puis plusieurs ainiéfs augmente sans cesse, [jarre (jue plus elle
connoist la grandeur de Dieu , et voit combien il mérite d'estre
aimé, plus son amour pour luy s'enflamme , et plus elle sent
croistre sa peine de se voir encore séparée de luy ; ce (jui luy causeï
enfin, a[)rés plusitmrs années, cette excessive douleur', » (jue Ton
verra dans la suite.
Voilà l'état (»ù se trouve lame dans la sixième demeure, c'est-à-
dire pres([ue au sommet de la perfection. « Mlle s'objecte elle-
mesme que cette ame estant si soumise à la volonté do Dieu devroit
donc s'y conîbrmer ; à (juoy elle répond qu'elle l'auroit pu aupa-
ravant, mais non pas alors, parce qu'elle n'i'st [)lus maistresse de
sa raison, ni capable, de penser qu'à ce (jui c^uise .sa peine, dont
elle rend celte raison : ([n'estant absente de celuy qu'elle aime, et
dans le;|U(d seul consiste tout son bonheur, connnent pourroit-elle
désirer de vivre '? « Klh; ne soupçonne seulement pas qu'il y ait
rien de foible ni d'intéressé dans ce désir. Mais dîuis la septième
demeure, qui est le comble de la perfection, cette disposition
ne change pas , et au contraire « Dieu y a pitié de ce qu'a
souflert et soullVo une ame par son ardent désir de le posséder *. »
Cependant elle représente cet étiit, comme un étal de si grand
repos, que l'anie // perd tmilson mouvement*', en sorte que d'un
cAté il sendile (ju"ell(! est sans désir, et de l'autre, il ne faut pas
s'étonner que ses désirs soient si ardens. D'où vient cette mysté-
» Ch. XLiv. p. 3ia. — » Dinl., liv. Il , <li. x, p. .HO. — » CA^I/., deiii. G, di. xi,
p. 802. — i r/„il., dcui. 6, cil. XI, p. 102. — s Ibid., dom. "î, ch. t, p. S07. —
' lùid fCÎï. n,p. SU.
TRAITÉ I, LIVRE IX, N. V. 589
rieuse contrariété , si ce n'est qu'étant par la singulière présence
de Dieu entre la privation et la jouissance, tantôt elle reste comme
tranquille, tantôt li\Tée au désir de posséder Dieu; ce qu'elle
soufîre est inexplicable. Ce qu'il y a de certain, est que confor-
mément à rétat de cette vie, qui est de pélerinag-e et d'absence,
« ces âmes rentrent dans un désir de le posséder pb inement ;
mais elles reviennent, ajoute-t-elle, aussitost à elles, renoncent à
ce désir ; et se contentant d'estre assurées qu'elles sont toujours
en sa compagnie, elles lui offrent cette disposition de vouloir bien
souffrir la prolongation de leur vie, comme la plus grande
marque et la plus pénible qu'elles luy puissent donner de la réso-
lution de préférer ses interests aux leurs propres * ; » ce qui visi-
blement marque dans le fond, non point une indifTérence pure,
mais dans un ardent désir une parfaite soumission pour le délai.
On voit si cette ame, qui dit qu'elle a renoncé à ses désirs, est
sans désirs en cet état. C'est que le désir banni de la région sen-
sible se conserve dans le fond, et ce sont là les mystérieuses con-
trariétés de l'amour divin, qui combattu par soi-même, ne sait
presque plus ce qu'il veut. Ne dites donc point à cette ame qu'elle
ne désire pont. Tout chrétien est, comme Daniel, homme de
désirs 2, quoiqu'il ne sente pas toujours ce qu'il désire, ni sou-
vent même s'il désire ; « rien ne l'empêche du moins d'épancher
son cœur en actions de grâces ^ » Mais sainte Thérèse ne s'en
tient pas là, et voici ses derniers sentimens : « Quel sentiment
croyez-vous, mes sœurs, que doit estre celuy de ces âmes, lors-
qu'elles pensent qu'elles peuvent estre privées dun si grand
bonheur (par le péché) ? Il est tel qu'il les fait veiller continuelle-
ment sur elles-mesmes , et tâcher à tirer de la force de leur foi-
blesse, pom* ne perdre par leur faute aucune occasion de plaire à
Dieu '\ n Voilà une ame bien avant dans les réflexions et dans
les manières actives que nos nouveaux contempl .tifs vouloient
éteindre. Enfin dans ce sommet de perfection elle finit par cette
prière : « Plaise à sa divine Majesté, mes clîères sœurs et mes
chères filles, que nous nous trouvions toutes ensemble dans cette
1 ChûL, dem. ~, ch. ni, p. 817.— 2 Ban., ix, 23.— » Chût., cli. ni, p. 8i8.
— * Ihid-, p. 820.
390 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
demeure éternelle, où l'on ne cesse jamais de louer Dieu. Ainsi
soit-il K n De cette sorte les demandes toujours vives et persévé-
rantes paroissoient incessamment dans cette grande ame , qu'on
voudroit mettre au rang des indifférentes.
g.J^'p^,. 11 ne faut laisser aux nouveaux mystiques aucun lieu où ils
'«Inif puissent placer leur indifférence. A Dieu ne plaise que ce soit par
«pport; indifTérence que sainte Thérèse ait dit qu'on « laisse à Dieu la dis-
"'mll'ël' position de tout ce qu'on est, sans s'enquérir seulement de quelle
Jnce'^du manière il lui plaira d'en disposer, et qu'on s'abandonne à luy
"'"'■ sans reserve , pour estre ou enlevée au ciel , ou menée dans les
enfers, sans s'en mettre en peine' : » tout cela ne signifie autre
chose sinon ce que dit David : « Quand je marcherois au milieu
des ombres de la mort, je ne craindrois aucun mal, parce que
vous êtes avec moi ' , » c'est-à-dire qu'on n'a point à se mettre en
peine de ce qu'on devient avec un amant qui peut tout : et loin
que par un tel acte l'on supprime le désir immense de le pos-
séder, c't'st au contraire ce qu'on désire le phis ardemment, et
ce (ju'on espère d'autant pkis (pie j)Our l'obtenir on se lie avec
un entier abandon à une bonté toute-puissante. C'est ce que la
Sainte exprime en ces mots : « Tout ce (jue je pouvois faire estoit
de m"al)aiidonner entièrement à ce suprême roi des âmes, pom*
disposer absolument de sa servante, selon sa sainte volonté,
comme sçachant mieux que moy ce qui in estoit le plus 7ftile *. »
Bien loin donc de renoncer par son abandon à cette utilité spiri-
tuelle, à ce noble intérêt de posséder Dieu, elle sent quelle l'as-
sHi'e en s'abandonnant.
Sa ronfiance s'augmente par les grâces qu'elle reçoit, aux-
quelles craignant toujours d'être infidèle : « .\e permettez pas ,
dit-elle, mon Sauveur, qu'un si grand malheur ni'arrivc, après
la grâce que vous m'avez faite de nu; ^•oldoir honorer de vostre
présence*. » Et voilà les sentiniens de sainte Thérèse, après l'a-
bandon où elle paroît si indiflércnte aux nouveaux mystiques.
Il est vrai qu'elle demeure d'accord qu'elle ne peut pas tou-
jom's faire ses prières « dans cette sublime union où elle est in-
' Chili., dcni. ", ch. iv, p. 827. — * Vie , ch. xvii, p. 90. — ' Psal. xxiv, 4.
— * Vit', ch. XXVII, p. 157. — ^ lOid.f ch. xxii, p. 132.
TRAITÉ I, LIVRE IX, N. MI. 591
capable d'agir ' ; » mais il nous suffit d'avoir appris d'elle « que
toujours, au commencement ou à la fin de son oraison, » elle
faisoit ces réflexions et ces demandes sur les grâces qu'elle rece-
voit, et qu'alors elle étoit parfaitement active.
Toute la réponse des nouveaux mystiques à ces exemples et à
ces paroles de sainte Thérèse, c'est qu'ayant vécu longtemps
après ce qu'on vient de voir de son état, elle n'étoit pas encore
arrivée à la perfection : parole téméraire s'il en fut jamais , puis-
qu'on la veut trouver imparfaite dans les états qui ont suffi à
l'Eglise poiu- demander à Dieu qu'il daigne nourrir les fidèles de
la céleste doctrine et des exemples de la foi de cette Sainte.
Personne n'a remarqué qu'elle ait depuis changé de conduite,
et c'est assez qu'on la voie après l'oraison de quiétude , après l'o-
raison d'union, si opposée aux nouveaux mystiques, et se fondre
volontairement en actions de grâces, en désirs, en saintes de-
mandes, jusqu'à la fin de sa vie. Tous les saints et toutes les
saintes en usent de même ; on trouve à toutes les pages les de-
mandes qu'ils font, comme tous les autres fidèles, sans qu'il y
paroisse d'autre inspiration que celle qui est attachée au com-
mandement divin et k la grâce commune du christianisme, et on
ne trouve en aucun endroit cette indifférence à être sauvé ou
damné dont nos faux mystiques font gloire ; on trouve encore
moins cette cessMion de demandes , qui seule leur peut mériter
d'être li\Tés à toutes les abominations dont on les accuse.
Quoique ces suppositions impossibles n'aient ni la nouveauté ^vn.^^^^
ni les inconvéniens que quelques-uns y veulent trouver , il faut ^«•'^s'^'-^-^
avouer qu'il s'y mêle de si fortes exagérations, que si on ne les c^^ ma-
tempère, elles deviennent inintelligibles. Notre saint évèque dira, ^^'|"j^^
par exemple : a Que l'obéissance qui est deuê à Dieu, parce cpi'il ai>use.-.
est nostre Seigneur et maistre, notre Père et bienfaiteur, appar-
tient à la vertu de justice, et non pas à l'amour 2; » et il ajoute
sur ce fondement, non-seulement « que bien qu'il n'y eust ni pa-
radis ni enfer, mais encore que nous n'eussions aucune sorte d'o-
bligation ni de devoir à Dieu ( ce cfui soit dit par imagination de
chose impossible , et qui n'est presque pas imaginable ) , si est-ce
1 Vie, ch. XVIII, p. 95. — '- Am. de Dieu, liv. VIII , cli. ii.
592 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
que lamour de Ijienveillance nous porteroit à rendre à Dieu toute
obéissance par élection. » Si Ton faisoit en toute rigueur l'analyse
de ce discours, on le trouveroit peu exact. 11 nest pas vrai que
Tobéissance qu'on rend à Dieu par justice, comme Père et Créa-
teur, n'appartienne pas à l'amour, puisque de là il suivroit qu'il
faudroit exclure des motifs d'aimer la création et tous les bien-
faits contre toute la théologie, qui loin d'opposer le devoir de la
justice à celui de l'amour, enseigne après saint Augustin que la
première justice est celle de consacrer à Dieu ce qui est à lui , et
ensemble de lui rendre ce qui lui est dû en l'ainumt de tout son
cœur.
C'est peut-être encore un discours plus pieux qu'exact , « qu'on
ne prise pas moins )e Calvaire, tandis que l'Epoux y est crucifié ,
que le ciel où il est glorifié '. » Car dans le choix de 1 Epoux qui est
notre règle, la croix qui est le moyen poui* arriver à sa gloire,
est moins que la gloire mtune; et qui estimeroit autant de voir
Jésus-Christ présent sur la terre, que le voir dans la gloire de son
Père, contr('\ icndioit à cette parole de Jésus-Christ même : « Si
vous m'aimii'Z, vous souhaiteriez que je retournasse à mon Père,
parce que mon Père l'st plus grand (pie moi *. » Cela nous ap-
prend à ne prendre pas tout à la lettre dans les écrits des saints,
à prendre le gros, et à regardera leur intention. Mais quand sur
le fondement de quelques exagérations, on vient avec nos mysti-
ques à faire un dogme formel de l'indifférence du sahit^ jusqu'à
ne le plus désirer ni demander, ces excès qui tendent directe-
ment à la subversion de la piété, ne reçoivent ni explication ni
excuse,
vm. Un autre pass ige qu'on peut objecter pour rindillerence du
vM^rpIr- salut , est celui oîi Ihomme de Dieu couFole une ame peinée par
don, "'loin les terreurs de l'enfer, en la renvoyant à la volonté de Dieu, et
icdèsio. en l'exhortant « à se dépouiller du soin du succès de sa vie ,
poir"'' mesme éternelle, es mains de sa douceur et de son bon plaisir '. »
Mais c'est chose autre de se dépouiller du soin, de l'inquiétude, du
trouble, autre chose de se dépouiller du désir : nous verrons
bienltM en parlant du ^Tai abandon , comment il faut mettre en
1 Am. de Dieu, liv. X , eli. v. — » Joan., xiv, 28. — ' Liv. 111 , 6p. xxvi.
TRAITÉ I, LIVRE IX, N. IX. 503
Dieu toute l'espérance de son salut, et s'en reposer sur lui. Ce
qui, loin d'en diminuer le désir, l'augmente plutôt , puisqu'on se
repose d'autant plus sur Dieu du salut qu'on attend de lui , qu'où
le désire davantage, comme nous l'avons déjà dit*, et comme
nous le dirons plus amplement en son lieu.
Le dernier passage à considérer sur celte matière est le cha- '^
pitre intitulé : Comme nous devons unir nostre volonté à celle <•" '•^'"'
■"■ évèqui! di*
de Dieu en la permission des péchés ^. Le voilà au nœud et pré- '^'^^è'"'
Gisement à l'endroit où nos mystiques se perdent : car c'est dans mission,!,!
une sorte d'union extraordinaire avec la justice et les permissions <-<""rai'-'' -
divines , qu'ils puisent non-seulement leur indifférence pour leur ^"'^ ™>--
■^ ^ ^ tiques.
salut et pour celui des autres; mais, ce qui est encore pis, leur
acquiescement à leur damnation et leur insensibilité pour le péché
même. Opposons-leur la doctrine de saint François de Sales :
« Nous devons, dit-il, désirer de tout nostre cœur que le péché
permis ne soit point commis ^ » Nous ne trouvons point cette af-
fection dans nos mystiques, qui acquiesçant aisément à la per-
mission du péché , le regardent , ainsi qu'on a vu , comme en
quelque sorte envoyé de Dieu, à qui ils attribuent leurs défauts,
et l'envoi des petits renards qui ravagent tout. Après le péché
commis, saint François de Sales veut qu'on s'en afflige «jusqu'à
tomber en pâmoison et à cœur failly avec David , pour les pé-
cheurs qui abandonnent la loy de Dieu \ » Nos mystiques insen-
sibles éteignent la force de cette contrition, comme on a vu, tant
pour eux que pour les autres. Saint François de Sales représente
la continuelle douleur de saint Paul '" , à cause de la réprobation
des Juifs ; nous avons ouï nos mystiques se glorifier qu'ils ver-
roient périr tous les hommes sans en verser une larme. Enfin
saint François de Sales nous apprend bien en général « qu'il faut '
adorer, aimer et louer la justice vengeresse et punissante de Dieu,
et luy baiser avec une dilection et révérence égale la main droite
de sa miséricorde, et la main gauche de sa justice ^ ; » mais il ne
va pas plus -avant : s'il y a quelque acte plus particulier envers
les décrets de la justice divine, ce Saint le réserve à la vie future ,
' Ci-dessns, ch. v. — -.-Iw. (k Dieu , liv. IX , cli. viii. — ^ Ibid. — '• Ihid. —
s Ihid. \). 293. — " lljid.
TOM. XV ni. u6
894 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D ORAISON.
où 7WUS entrerons dans les pi(issa?2ces du Seigneur , rcconnois-
saiit qu'en ce siècle ténébreux. Dieu ne nous ordonne rien par
rapport à ces décrets étemels, dont les causes nous sont incon-
nues, ainsi qu'il a été expliqué ailleurs ', mais nos mystiijues se
vantent de ne pouvoir avoir ni pour eux-mêmes, ni pour les autres
aucune autre volonté que celle que Dieu a eue éternellement , ce
qui les empêche de vouloir absolument leur propre salut , aussi
bien que le salut de ceux qu'ils ne savent pas que Dieu ait pré-
destinés : un faux acquiescement à la volonté de Dieu opère ces
sentimens inconnus jusques ici aux chrétiens, et les mène à un
repos insensible que Dieu ne veut pas.
Tous ces sentimens sont outrés : c'est par cette funeste indo-
lence qu'au lieu de haïr le péché conmie nous éUmt miisible, on
le hait comme Dieu, à (pii il ne peut pas nuire, le hait lui même ;
ainsi on se familiarise avec le péché, en le regardant plutôt
comme permis dans l'ordre des décrets de Dieu que comme dc'-
fendu par ses conuuandemens.
Je ne puis sortir de «-ette matière sans rappeler un récit du
Sfniim.-n. H j^ j>(„^j ^];i,js /,/ | '/> iJu />. Ufillasar Alrnrez. Il raconte donc
d un rt'li-
piiutdcu qyp jg Frère C.himène interrogé par son provincial s'il désiroit
de j«m. iIj.j. .j^j ,.j,.i i„i ivMondit : l'ère, soyons gens de bien, servons
nui nous * ^ •/ \-^
'«ruou l>i6n Dieu connue il appartient, et le laissons faire du reste sans
df.iM du „(^.,g çj^ soucier; car il est infiniment bon et juste : il nous don-
""'.r''dr lît^ra ce (pie nous mériterons : et ajouta que demander le ciel, cela
' roTiT pouvoit naître de l'amour-propre. Ce passage tronq)era tous ceux
qui ne sauront pas le C(jnsidérer', mais en même temps il appren-
dra aux sages lecteurs combien on se trompe sm* certains dis-
cours, dont on ne regarde que l'écorce. Les dé.sirs du ciel qui
peuvent venir de ramoiu*- propre sont ces désirs iuiparfaits dont
il est écrit : « Les désirs donnent la mort au paresseux ; il passe
toute sa vie depuis le matin jusqu'au S(»ir à désirer * » sans agir,
et amusé par ses beaux désirs il ne songe point aux œuvres. Le
saint religieux dont il est parlé en ce lieu, étoit dans une dispo-
sition bien dilVérente, puisque six lignes au-dessus il est dit de
» Ci-dcs3us, liv. m, u. 5, 6, 15, l'J; t'I liv. IV, n. 3, etc. — « Vrov., XXI,
n .lire 3
TRAITÉ I, LIVRE IX, N. XI. S9o
lui « que comme il voyoit finir le temps de mériter et d'amasser
le bien qui ne périt jamais, il se hastoit de bien faire ^ » Il dési-
roit donc ce bien, mais il le désiroit efficacement en se hâtant de
le mériter : disposition bien éloignée de celle de nos mystiques,
qui ne songent point au mérite non plus qu'au salut. Au reste s'il
falloit marquer tous les désirs cpie le saint homme Alvarez pous-
soit vers le ciel, nous en remplirions trop de pages, et c'est
chose si naturelle aux enfans de Dieu qu'il est inutile de le re-
marquer.
Nous avons vu qu'un des dogmes des plus outrés des nouveau?: x,.
mystiques, c'est de rendre l'oraison extraordinaire ou passive si ''dr^inr
commune que tout le monde y soit appelé, qu'elle soit facile à tout L^slts
le monde , et si nécessaire d'ailleurs qu'on « ne puisse parvenir 'ZlZt
sans elle à la parfaite purification, ni connoistre le vrai amour, ni vtZZ"l
se remplir d'autre chose que de l'amour de soy-mesme et d'une meuenu.!
attache sensuelle aux créatures, en sorte qu'on soit incapable d'é- dans^ies'
prouver les effets inefTables de la charité '. » Cependant en 1610, exT*ordi-
après tant d'années d'épiscopat, saint François de Sales déjà r;?-
gardé dès les prémices de sa prêtrise comme un très-grand saint
et comme l'apôtre de son pays , ne connoissoit pas l'oraison do
quiétude ^, et il fait consulter sm- ce sujet-là une sainte religieuse :
pour lui, encore que Dieu l'eût favorisé deux ou troi<i fois d'une
oraison extraordinaire qui paroissoit se réduire à l'affection, //
n'osa jamais se démarcher du (jrand cliemin pour en faire une
méthode : et il avoue qu'illuy est un peu dur d'approcher de Dieu
sans les préparations ordinaires, ou d'en sortir tout à fait sans
actions de grâces, sans offrande, sans prières expresses : ce qui
montre que si avancé dans la sainteté, il n'étoit point encore sorti
de la méditation méthodique, sans laquelle on a osé assurer non-
seulement qu'il n'y a point de parfaite pureté, mais encore qu'on
est dans la vie des sens et de l'amour-propre. .Mais sans faire tort
aux sublimes oraisons très-louables, quand Dieu y élève, je dési-
rerois plus que toutes les sublimités la simplicité du saint évêque;
lorsqu'au milieu de tant de lumières et de tant de grâces, il se dé-
1 Prov., XX ,, 25, ICk — 2 Caniiq. des cardiq., Préface. — s Livre I!
d-p. XXI. , '
596 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
clare , comme on a vu, pour le train des saints deva7iciers et des
simples.
Je l'admire encore davantage lorsqu'il ajoute avec tant d'humi-
lité : « Je ne pense pas tant sçavoir, que je ne sois trés-aise , je
dis extrêmement aise d'estre aidé ; de me démettre de mon senti-
ment et suivre celuy de ceux qui en doivent par toutes raisons
sçavoir plus que moy; je ne dis pas seulement de cette bonne
Mère, mais je dis d'un autre beaucoup moindre. » C'est l'humilité
elle-même qui a dicté ces paroles : oui j'estime, encore un coup,
quoi qu'on puisse dire, ces humbles et bienheureuses simplicités
aussi purifiantes et perfectionnantes que les oraisons les plus pas-
sives : ceux cpii ne veulent pas à cet exemple trouver la parfaite
pureté de coîm" dans le train des simples et dans les saints devan-
ciers, ne sont pas de ces petits que Dieu regarde.
Il ne se donne pas pour plus avancé lorsqu'il dit si bonnement
(car je voudrois pouvoir imiter sa sainte simplicité) : « Dieu me
favorise de beaucoup de consolations et saintes affections par des
clartez et des sentimens qu'il répand en la supérieure partie de
mon ame, la parti»' infcrieure n'y a [loint de part : il en soit béni
éternellement *. »
Le voilà dans les affections, dans les consolations, dans les
clartés, dans les sentimens que nos prétendus parfaits trouvent si
fort au-dessous delem* état, et qu'ils renvoient au degré inférieur
de l'oraison. Il écrivoit cette lettre en 1013, six ou sept ans avant
sa mort : il ne paroît pas qu'il soit sorti de ce sentier des affec-
tions, ni qu'il ait été établi dans ce (]u'on appelle l'état passif. En
est-il moins pur, moins parfait, moins saint? Eu connoît-il moins
le saint abandon et la sainte chrétienne indifférence? Est-il livré
à son amour-propre et incapable d'expérimenter les flamuîes du
saint amour qui se ressentent dans tous ses écrits? Mais en a-t-il
moins saintement et moins sûrement dirigé les âmes que Dieu
mettoit dans les voies extraordinaires ? Ce seroit visiblement ou-
trager l'esprit de sainteté et de conduilt' cjui étoit en lui, que de
parler de cette sorte : il faut donc connoitre et avouer la perfec-
tion et la pureté avec l'esprit de conduite que Dieu sait mettre dans
' Liv. VII, op. XX :i.
TRAITÉ I, LIVRE IX, N. XII, XIII. o07
les cœurs où l'on ne sent rien de ces impuissances qui composent
ces états passifs.
Le saint homme passe encore plus avant , et voici dans un de xn.
^ '- ' Que le
ses Entretiens une décision digne de lui : « Il v a des personnes i=aint évé-
' ^ que Irouve
fort parfaites auxquelles Nostre-Seigneur ne donna jamais de telles pUis pai-
doucem's ni de ces quiétudes : qui font tout avec la partie supe- »" '«'"e
rieure de leur ame, et font mourir leur volonté dans la volonté de q"-- la
quiétude
Dieu à vive force, et avec la pointe de la raison ^ » Elles n'ont ■!'? l'étu
donc pas les facilités de l'état passif : très-actives et très-discur-
sives, sans connoître ces ligatures ou suspensions des puissances
par état^ elles sont dans une sainteté autant ou plus éminente que
celles qui sont conduites aux états passifs : « leur mort, » dit le
saint évêque, il entend leur mort mystique et spirituelle, « est la
mort de la croix, laquelle est beaucoup plus excellente que l'autre,
que l'on doit plutost appeler un endormissement qu'une mort. »
Car on n'éprouve pas là ces combats et la violence qu'il se faut
faire à soi-même dans la mort spirituelle : « et cette ame qui s'est
embarquée dans la nef de la providence de Dieu par l'oraison de
quiétude , se laisse aller et voguer doucement comme une per-
sonne qui dormant dans un vaisseau sur une mer tranquille, ne
laisse pas d'avancer. » Après une si belle peinture de ces deux états
d'oraison, voici la décision du saint évêque : Cette façon de mort
ainsi douce se donne par manière de grâce, et l'autre plus vio-
lente et de vive force se donne par manière de mérite. Il ne faut
rien ajouter à ces paroles : tout est dit en ce seul passage, et il
démontre qu'en poussant si loin la nécessité des états passifs pour
la parfaite purification de notre amour-propre, on ignore les pre-
miers principes de la théologie.
Sainte Thérèse, à qui l'on voit que le saint évêque défère beau- ^l^'J;^^.^^
coup dans tous ses écrits , est de même sentiment, lorsqu'en par- J'^''"''°[J^^
lant du mérite des oraisons extraordinaires de quiétude , d'union "^""'f^^^^j
et autres semblables, elle enseigne « quant à ce qui est de mériter '^''"s'î'vant
davantage, que cela ne dépend pas de ces sortes de grâces, puis-
qu'il y a plusieurs personnes saintes qui n'en ont jamais receu,
et d'autres qui ne sont pas saintes qui en ont receu : » à quoi
> EiiUet. If, p. sa;.
598 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D ORAISON.
elle ajoute que ces grâces peuvent être «d'un grand secours pour
s'avancer dans les vertus ; mais que cehiy qui les acquiert par
son travail mérite beaucoup davantage ' : » qui est de point en
point et presque de mot à mot, ce que nous disoil notre saint
évêque.
Au surplus il faut entendre sainement el toutes choses égales
ce qu'ils disent du plus grand mérite de ceux qui travaillent. Car
au reste la charité étant le principr du mérite dans les pieux
exercices du libre arltifre, (jui a plus de charité, al)solument a
plus de mérite, soit (pi'il travaille plus ou moins. 11 est vrai (jue
l'oraison de pm'e grâce, rjui se fait rn nous sans nous, de soi n'a
point de mérite, parce (ju'elle n'a point de liberté; mais il est vrai
aussi quelle donne lieu à des actes de vertu très-éminens , et
même c'est la doctrine des savans théologiens comme Suarez, que
Dieu ne prive pas toujonrs de mérite les oraisons extatiques et de
ra\issemens, où sonvent il lui plait (pu» la liberlé se eonsei've
tiiulf entière : témoin 1»' songe mysticpie de Salomon, où il lit un
choix si digne de sa sagesse (jui aussi reçut aussitôt une si ample
réconq)ense.
11 ne faut donc i>as décider bupiclle de toutes ces voies actives
ou passives est absolument de plus grand mérite devant Dieu,
jmisque cela dépend du degré de charité conmi à Dieu senl.
Sainte Thérèse ajoute iei « (pi't'lle connoist deux personnes (h;
divers sexe que, Nosire-Seigncnr favorisoil de ses grâces, cpii
avoicnt niir si ^rrandr [i.ission dr !<• siTvir,rt de .-onlfrirsiUis estre
l'éconqiensées de sendilables faveurs, qu'elles se i»laignoient àluy
de ce qu'il les leur accordoit, et ne les auroient pits receues, si
cela eusl dépendu de leur choix : » ce qui ne seroit [)as permis,
s'il s'agissoit de l'augmentation de la grâce sanctifiante. La Sainb^
étoit une de ces deux personnes, puisqu'elle manjue souvent de
tels sentimeus, et (luelle a coulume de [tarler de celte sorte en
tierce personne de ses plus intimes dispositions.
Ce qu'elle rapporte en mi autre endroit est très-remaivjuable :
« Je connois, dit-elle, mie personne fort âgée, fort vertueuse, fort
pénitente, grande servante de Dieu et enfin telle que je m'estime-
' C/uiL, G<" Jl'Ui., cil !X.
TRAITÉ I, LIVRE IX, N. XIII. 590
rois heureuse de luy ressembler, qui emploie les jours et les nuits
en des oraisons vocales, sans pouvoir jamais faire l'oraison men-
tale '. » La Sainte ne craint point de la préférer à plusieurs de
celles qui sont dans la plus sublime contemplation, parce que
tout dépend ici du plus ou du moins de conformité à la volonté de
Dieu ; « car, ajoute-t-elle, Marthe n'estoit-elle pas une sainte, quoy-
qu on ne dise pas qu'elle fust contemplative ? Et que souhaitez-
vous davantage que de pouvoir ressembler à cette bienheureuse
fdle qui mérita de recevoir tant de fois Nostre-Seigneur Jésus-
Christ dans sa maison, de luy donner à manger, de le servir et
de s'asseoir à sa table ? » On peut apprendre de la suite comment
la vie active et contemplative ont chacune leur mérite devant Dieu;
sur quoi il ne s'agit point de prononcer, parce que s'il manque
d'un côté quelque chose à l'une, ce défaut est récompensé par
d'autres endroits, et surtout par la soumission aux ordres de Dieu
qui mène avec des dons différens à une égale perfection.
Nous avons même remarqué dans la préface que selo nies sen-
timens de la Sainte -, Dieu sait se cacher aux âmes et les tromper
d'une manière aussi admirable qu'elle est d'ailleurs miséricor-
dieuse, en leur enveloppant tellement le don sublime de contem-
plation dont il les honore, qu'elles y sont élevées sans sentir
autre chose en elles qu'une simple oraison vocale : tant la sagesse
divine a de profondeur dans la distribution de ses dons.
Concluons donc que c'est une erreur de mettre le mérite et la
perfection à être actif ou passif; c'est à Dieu à juger du mérite
des âmes qu'il favorise de ses grâces , selon les diverses dispo-
sitions qu'il leur inspire, et selon les degrés de l'amour divin qui
ne sont connus que de lui seul. Concluons aussi en général de
tous les discours précédens, que nos faux mystiques qui affectent
des perfections et des sublimités irrégulières, sont outrés, igno-
rans, superbes, dans l'illusion manifeste et sans aucune vraie idée
de la sainteté. Pour en venir maintenant à des qualifications plus •
précises de leurs erreurs, il faut encore ajouter un dernier livre à
notre travail.
1 Chem. de la perf.'Ci., ch. xvii. — ^ Ibid., cli. XXX; p. G03 ; cli. xxil.
600 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
LIVRE X.
Sur les qualifications des propositions particulières.
I Quoiqu'il suffise aux fidèles, poiu* éviter des pratiques suspectes
Le- pro-
posions et dangereuses, de sa^'oir en général que l'Eglise les a censurées,
de» nou-
Tcaui néanmoins il est utile, pour Tinstruction et pour éviter les écueils
iu)5lique9
eiprcssc- OÙ l'intégrité de la foi peut faire naufrage, de descendre au parti-
laent con-
daranccs culisr des diverses qualifications que chaque proposition aura
au concile
de Vienne méritécs ; et c'est pour y parvenir (ju'on a projiosé les xxxiv ar-
de. be- tides des UnlonnaïK-fs dos l(i et îl^y avril iO*.)."").
^■uardi.
Cette partie de Iduvrage est très-importante, parce qu'outre
qu'elle contiendra la ré('a[iitulatiuii de tout le reste, elle en fera la
précise npjdication aux erreurs dont il s'agit.
Il faut ici avertir le lectem' que ce qu'on appelle qualification
est un terme par où l'on exprime ce qu'il faut croire de t^liaque
proposition censurée : tel est le terme d'hrrrtif/iœ , cVcr/wu'; do
scandaleu.r , ou de tvmih'airc , et ainsi des autres. Comme dans le
dessein de ceux qui ont à prononcer en quelque manière que ce
soit sur la doctrine , le sens de ces mots est fort précis et qu'ils
doivent être appliqués avec grand choix, il s'ensuit en premier
lieu qu'il ne se faut point rebuter de trouver de la sécheresse dans
cette discussion, où l'on no doit rechercher que la seule vérité;
et secondement, que la (]u;ilinealioii est une chose qui veut être
étudiée, et réduite à des principes certains, en sorte qu'on ne dise
ni plus ni moins qu'il ne faut.
Avant que de procéder à cet examen , comme les décisions du
concile œcuménique de Vienne où le pape Clément V étoil en per-
sonne, contre les héguards et les liéguines, ont un rapport mani-
feste aux matières qu'on traite aujourd'hui, il faut s'y rendre
attentif.
Sans entrer dans la discussion de toutes les erreurs de ces
hérétiques, il suffit d'aljord de considérer les huit propositions-
TRAITÉ I, LIVRE X, N. 1. 601
condamnées dans la Clémentine;, Ad nostrum, de hœret., etc., avec
l'approbation de ce concile ', parce que c'est là qu'on fit consister
tout le venin de cette hérésie.
La première proposition : « Que Thomme peut acquérir dans
la vie présente un si haut et tel degré de perfection, qu'il devien-
droit impeccable et ne pourroit plus profiter en grâce. » Il faut
avouer de bonne foi , que nos faux mystiques ont souvent rejeté
des propositions si expressément condamnées; mais nous avons
vu qu'on y est tellement mené par la suite de leurs principes,
qu'ils n'ont pu sempèclier « de comparer l'ame à un or tres-pur
et affiné qui a esté mis tant et tant de fois au feu , qu'il perd
toute impm'eté et toute disposition à estre purifié : qu'il n'y a
plus de mélange ; que le feu ne peut plus agir sur cet or; et qu'il
y seroit un siècle qu'il n'en seroit pas plus pur, et qu'il ne dimi-
nueroit pas - : » qui est en termes formels la proposition des
béguards, plus fortement énoncée qu'ils n'ont peut-être jamais
fait.
Nous avons rapporté les passages où Molinos et les autres faux
mystiques ont assuré, que par l'oraison l'ame revenoit à la pureté
où elle a été créée, et que la propriété, c'est-à-dire la concu-
piscence, est enlièrement détruite \
On trouve aussi, dans la bulle d'Innocent XI, parmi les soixante-
huit propositions dont Molinos a été convaincu ou par preuve ou
par son aveu , celle où il est dit : « Que par la voie intérieure on
parvient avec beaucoup de souffrances à purger et éteindre les
passions; en sorte qu'on ne sent plus rien, rien, rien du tout : on
ne sent dans les sens aucune inquiétude, non plus que si le corps
étoit mort, et l'ame ne se laisse plus émouvoir '\ » C'est ce que
porte la cinquante-cinquième proposition , et en conséquence il
est dit dans la soixante-troisième « qu'on en vient à un état con-
tinu, immobile , et dans une paix imperturbable. » Pour ce qui
regarde l'état d'impeccabilité, il est expressément porté dans la
soixante-unième « que l'ame qui est arrivée à la mort mystique
1 Clément., lib. V, tit. m, c. m , Ad nosh-um. — - Moyen court , § 2':. — ' Ci-
desjus, l;v. 111, ch. ii; liv. V, di. xxxv. — ♦ Ci-ri;irèi, dau.s les Actes de la
condamnation d:i-i q^iéli^h^x.
602 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
ne peut plus vouloir autre chose que ce que Dieu veut , parce
qu'elle n"a plus de volonté, et que Dieu la lui a ôtée. »
A cela revient clairement ce qu on trouve à toutes les pages des
livres de nos faux mystiques imprimes et manuscrits : « Que le
néant ne peclie plus : que qui n'a point de volonté ne pèche plus : »
et cent autres propositions de cette force : ce qui emporte l'état
impeccable qu'on trouve établi en termes plus forts qu'en quelque
auteur que ce soit, dans cette parole que nous avons remarquée * :
« que l'ame est pour toujours confirmée en amour, puisqu'elle a
esté changée en Dieu, en sorte que Dieu ne seam'oit plus la rejeter,
et aussi qu'elle ne craint plus destre séparée de luy. » Les bé-
guards n'en oui jamais dit davantage, et par là on voit la pre-
mière des propositions qui les font mettre au rang des hérétiques,
expressément soutenue par les mystiques de nos jours : que s'il
leur arrive de dire le contraire, c'est qu'il lem- ai'rive aussi, comme
à tous les hérétiques, de se contredire, à cause que d'un côté ils se
portent naturellement à suivre leurs pi'ineipes, et que de l'autre
ils n'usent pas toujours les pousser à bout, comme nous l'avons
souvent montré : ce qui a oblige un saint ])ape (c'est le pape
saint Léon II) de prononcer d'un auteur condamné au sixième
concile général, qu'il n'étoit pas seulement « prévaricateur à l'é-
gard de la saine doctrine, mais encore qu'il étoit contraire à lui-
même et combattoit ses propres dogmes : qui etiam sui ipsius
extitit impufjnator [a] : » caractère qui lui est comuinn avec tous
les autres errans : ce qui fait aussi qu'on ne les condaunie pas moins,
encore qu'on trouve de temps en temps dans leurs écrits des vé-
rités opposées aux dogmes pervers qu'ils établissent; ces auteurs
n'en étant que plus condamnables, parce que, pour décrier leurs
mauvais desseins, ils soufflent le froid et le chaud, ou, comme
parle l'apôtre saint Jacques, le bien et le mal, la bénédiction et
la inalédiction d'une même houclie *.
La seconde proposition des béguards regarde certains excès
dont jusqu'ici nous n'avons point voulu parler, mais dont pour-
* Ci-des5U5 , liv. V , ch. xxxvi. — « Jac, m , 10.
{n) Ces parul's ne sont pa? tlu pape saint Léon il , mais de reaiporenr Cou-
slanlin l'ogoiial, qui assista au concile. Voyez Kdid. tnip. Constant, post uct.
xvui CoHcil. yen. VI; Labbe, toiu. ^l, col. 1083. {Edit. de Vernuilles.)
TRAITÉ I, LIVRE X, N. I. 603
tant nous dirons un mot à la fin. En attendant nous remarque-
rons seulement que les béguards assuroient « que l'on ne doit
point jeûner, non plus que prier, dans l'état de perfection. » Nous
avons vu ' que nos faux parfaits, en rejetant les demandes, rejet-
tent ce qui est principalement compris sous le nom de prière ; de
sorte qu'ils participent de ce côté-là à l'iiérésie des béguards : qui
d'ailleurs se glorifiant d'une sublime et perpétuelle communication
avec Dieu, rejetoient les demandes et l'action de grâces, comme
font à leur exemple nos nouveaux mystiques. Pour ce qui regarde
la pratique de ne jeûner plus, en tant qu'elle s'étendroit aux jeûnes
de précepte, je ne la vois pas dans lem's écrits, mais seulement
un décri des mortifications qui peut tendre au mépris du jeûne,
et que nous avons observé ailleurs *.
Je ne trouve point en termes formels dans les écrits que j'ai
vus de nos mystiques, la troisième proposition, où les béguards
« s'affranchissent des lois ecclésiastiques et de toute loi humaine : »
mais un lecteur attentif verra dans la suite de secrètes disposi-
tions à cette doctrine. Nos mystiques tombent manifestement dans
quelque partie de la quatrième proposition des béguards, où il
est porté : « Que l'homme peut obtenir la finale béatitude en cette
vie selon tout degré de perfection, comme il l'aura dans la vie
future : » lorsqu'ils disent « que dans cette vie l'on possède très-
réellement, et plus réellement qu'on ne peut dire, l'essentielle
béatitude ^ : » par où l'on est olîligé à établir un rassasiement
parfait et qui ne souffre ni envie, ni désir quelconque % ni enfin
comme on a vu "" , aucune demande ; ce qui emporte un état où
rien ne manque, et en un mot cet état étoit la béatitude des bé-
guards.
La cinquième proposition ne paroît pas regarder les nouveaux
mystiques; pour la même raison je laisse à part la septième et la
huitième : mais la sixième qui dit « qu'il appartient à l'homme
imparfait de s'exercer dans les actes des vertus, et que l'ame par-
faite s'en exempte, » revient manifestement à la suppression de
1 Cn^essus;, liv. IV, ch. xr , X!i. - 2 Ci-cle?sii>, liv. Y, di. xxxvii. — s IhuL,
ch. XXXVI j ( uni., I, 1 part., 5, U. — '* Moyen court, § 2i. — ^ Ci-dessus, liv. V,
ch. XXXV, XXXVI.
fiOi INSTRUCTION SLR LES ETATS D'ORAISON,
tous les actes, qui est un des fondemens de nos faux mystiques :
leur style est méprisant pour les vertus : la trente-unième propo-
sition de Molinos, dans la bulle d'Innocent XI, porte qu'il faut
perdre les vertus : agir vertueusement, c'est selon ces faux parfaits
agir selon le discours , selon la réflexion , c'est-à-dire dans leur
langage, imparfaitement et bassement. Llnimiliié vertu est selon
eux une humilité pleine d'amour-propre ou du moins d'imperfec-
tion : c'est ce qui fait regarder comme un 7noye7i de pratiquer
jjIus fortcmeni la vertu, l'habitude de ne penser pas à la vertu en
particulier '. Tout cela est visiblement de l'esprit des béguards :
l'imagination de supprimer les actes particuliers des vertus sous
prétexte qu'ils sont compris dans un acte éminent et universel,
revient au même dessein : aussi est-elle de Molinos dans la trente-
deuxième pr(»i)Osition de celles d'Innocent XI. Kn un mot toutes
les errem-s (pion vient d»- voir sont foudroyées par avance dans
le concile de Viemie , f»n parce qu'elles sont les mêmes (jne celles
des hérétiques, ou parce (lu'elles en contiennent (]uel(|ue partie
essentielle et qu'elles en prennent l'esprit.
Si l'on veut voir dans les nouveaux mystiques les autres carac-
in't'i'Li. ^^^^ J*'*' béguards, on les peut ap[)nMuhe de ceux qui ont connu
eondain- Qes liéréticiucs. i\e nous arrêtons pas à n'Uiiniiuer (lu'on les nom-
nea daui ' 1 1 i
'"iî.rdt ^^^^ quiétistes à cause qu'ils se glorifioieiit de leur quiétude :
h^rÔc""'Hr ^'^^^ rinsbroc qui nous l'apprend '-. Ils s'appeloient aussi Ir^s con-
T.iiure ei tcuiplatifs , Ics gcus spirituels et intérieurs : mais il v en avoit de
d«Bioi.. plusieurs espèces. Ceux qui reviennent le plus aux (juiélistes de
nos jours sont décrits en cette sorte par Tanière dans un excellent
sermon sur le premier dimanche de Carême : « Ils n'agissent
point; mais comme rinstruiueut attend l'ouvrier, de même ceux-
ci attendent l'opération divine, ne faisant rien du tout : car ils
disent que l'ieuvre d(^ Dieu seroit empêchée par leur opération.
Ainsi attachés à un vain repos, ils ne s'exercent point dans les
vertus. Voulez- vous. savoir quel repos ils pratiquent, je vous le
dir;ii en peu de mots : ils ne veulent ni rendre grâces, ni louer
bien, ni prier 'c'est-à-dire, comme on va voir, ne rien deman-
' (li-ik'-.-iiis, liv. V, cil. x\.\\ Il j Mo'jen cowt , § 9. — '^ De orn. spir. nupt.,
lib. Il , c. Lxxvi-Lxxix.
II.
Lei nou-
TRAITÉ I, LlYRE X, N. II. 60o
der) , ne rien connoître, ne rien aimer ^ ne rien désirer, car ils
pensent avoir déjà ce qu'ils pouiToient demander K »
Je ne veux pas dire que les faux mystiques d'aujourd'hui aient
tous les caractères que Taulère a remarqués dans ceux-là : c'est
assez qu'on y voie ceux qu'on vient d'entendre. Le même Taulère
pom^suit ainsi : « Quand on cherche le repos en ne rien faisant,
sans de dévotes et intimes aspirations et désirs, on s'expose à
toute tentation et à toute erreur , et on se donne une occasion à
tout mal. » Yoilà comme il met dans la véritable oraison les
aspirations et les désirs que les faux contemplatifs de ce temps-
là excluoient, et que nos parfaits relèguent encore aux degrés
inférieurs de l'oraison. Taulère ajoute : « Personne dans le repos
ne peut être uni à Dieu s'il ne l'aime et ne le désire : » mais
nos nouveaux spirituels rangent les désirs parmi les actes in-
téressés , et on ne sait ce que c'est que leur amom- , puisqu'ils
peuvent ne désirer pas ce qu'ils aiment.
On trouve dans le procès de Molinos qu'il a confessé d'avoir
enseigné « qu'une ame qui ne se peut pas dépouiller du désir
d'aimer Dieu, montre qu'elle le veut aimer à sa mode, ce qui
est nourrir la propriété et le propre choix : » de sorte que pour
aimer Dieu, comme Dieu veut, il faut par une bizarre résigna-
tion à sa divine volonté être disposé à ne le pas aimer s'il ne
veut pas que nous l'aimions, qui est une absurdité bien étrange,
mais néanmoins une suite inévitable des principes que nous avons
vus de nos faux mystiques ^
Au reste les quiétistes de Taulère se croyoient « au-dessus de
tous les exercices et de toutes les vertus, et incapables de péché,
parce qu'ils n'ont plus de volonté, qu'ils sont livrés au repos, et
que réduits au néant, ils ont été faits une même chose avec Dieu; »
et un peu après : « Ils se vantent d'être passifs sous la main de
Dieu : Deum pati, parce qu'ils sont ses instrumens, dont il fait
ce qu'il veut, et que par cette raison ce qu'il fait en eux est beau-
coup au-dessus de toutes les œuvres que l'homme fait par lui-
même, quoiqu'il soit en état de grâce. »
' Tavil., Senu- ii in Dcrn. I Quud.ng. — - Cl-Jes^us, iiv. iii, ch. XV; et \vr.
IV, cli. III et suiv.
606 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
On dira que les choses que Taulère rapporte ne sont pas toutes
blâmable-^ , et qu'ainsi son intention est seulement de reprendre
ces hypocrites pour s être faussement attribué ce qui convenoit
aux saints. Mais ce n'est pas assez pénétrer le dessein de ce zélé
prédicateur, puisqu'on G'.'.'et tout ce qu'il remarque est d'un mau-
vais caractère, et qu"il le donne pour tel. Car, comme il le sait
bien dire, c'est un mal évident de ne point désirer, de ne point
demander, de ne point rendre grâces, de ne point agir, d'attendre
que Dieu nous pousse : et pour les choses qu'on pomi'oit trouver
en quelque manière dans les saints, c'est une autre sorte de mal
de les attribuer uniquement au repos, c'est-à-dire à la cessation
entière et perpétuelle de toute action, comme faisoient les bé-
guards, suivis en cela par les nouveaux quiétistes.
Taulère a copié de Uusbroc une grande partie de ces traits.
C'est Rusbroc (jui a remarqué et blâmé dans les béguards « cette
cessation de désirs, d'actions de grâces, de louanges, de tout acte
de vertu, pour ne point apporter d'obstacle à l'action de Dieu. 11
trouve mauvais qu'on fasse gloire de ne le point sentir, de ne le
point désirer; qui est la même chose que ne l'aimer pas '. » A
ces traits on est Un'ci' de reconnoître dans les nouveaux quiétistes
de trop grandes ressemblances avec les anciens : quelques cor-
rectifs qu'ils apportant à leurs énormes excès, ils en retiennent
toujours de trop mauvais caractères , et ils passeront toujours
pour des béguards trop peu mitigés.
S'ils imitent les béguards, ils sont aussi condamnés dans leurs
erreurs, et condamnés même par les mystiques, par Rusbroc et
par Taulère, dont ils n'-clament sans cesse le secours : on y peut
joindre Louis de Blois, abbé de Liesse en Ilainaut, dans YApolo-
f/ic fie Taulire , où il loue le passage qu'on vient de rapporter :
de sorte (jue le (juiétisme est condamné tout à la fois par trois prin-
cipaux mystiques, par Rusbroc, par Taulère et par le pieux abbé
de Liesse,
m. J'ai omis exprès dans les passages de Rusbroc et de Tanière un
affm'îx'd.- caractère affreux des béguards, que le malheureux Molinos n'a
rS'ci pas voulu (]ui manquât au quiétisme nouveau : on voit bien que
* Rusbroc, De onuspir. iiuiit., lili. Il, c. lxxix.
[louniuui
TRAITÉ I, LIVRE X, N. III. 607
j'entends par là les infamies qu'il a héritées de la secte des bé- moderne.»
giiards comme beaucoup d'autres excès. Je n'en ai point voulu
parler, et je prie le lecteur prudent d'en bien comprendre la rai-
son. Je pourrois dire d'abord qu'on a horreur de traiter de telles
matières ; mais ime raison plus essentielle m'en a détourné , et
c'est qu'on peut séparer ces deux erreurs. On peut, dis-je, sépa-
rer les autres erreurs du quiétisme de ces abominables pratiques,
et plusieurs en efTet les en séparent. Or j'ai voulu attaquer le
quiétisme par son endroit le plus spécieux, je veux dire par les
spiritualités outrées, plutôt que par les grossièretés : par les prin-
cipes qu'il avoue et qu'il étale en plein jour, et non pas par les
endroits qu'il cache, qu'il enveloppe et dont il a honte : et j'ai
conçu ce dessein, afin que ceux qui se sentent un éloignement
infini de ces abominations, ne s'imaginent pas pour cela être in-
nocens, en suivant les autres erreurs plus fines et plus spirituelles
de nos faux contemplatifs. Yoilà pourquoi je n'ai point voulu ap-
puyer sur ces horreurs. Ce que je ne puis omettre ni dissimuler,
c'est dans le fait qu'il est presque toujours arrivé aux sectes d'une
spiritualité outrée, de tomber de là dans ces misères. Les bé-
guards, les illuminés et Molinos dans nos jours en sont un exemple ;
pour ne point parler de ceux qui se sont attribué dans les pre-
miers siècles le nom de gnostiques , sacré dans son origine, puis-
qu'il n'y signifioit que les vrais spirituels et les vrais parfaits ;
mais l'abus qu'on en a fait l'a rendu odieux aussi bien que celui
de quiétistes , qu'on donnoit naturellement aux solitaires qui vi-
voient séquestrés du monde dans un saint repos, r,o-u/âc7at ; mais
dans nos jours il demeure à ceux qui par une totale cessation
d'actes , abusent du saint repos de l'oraison de quiétude. Or com-
ment on tombe de*là, à l'exemple des béguards, dans ces cor-
ruptions qui font horreur, il est aisé de l'entendre. Toute fausse
élévation attire des chutes honteuses. Vous vous guindez au-des-
sus des nues, et par une aveugle présomption vous voulez mar-
cher, comme disoit le Psalmiste , dans des choses merveilleuses
au-dessus de vous : craignez le précipice qui se creuse sous vos
pieds. Car cette chute terrible est un moyen de justifier la vérité
de cette sentence de saint Paul : « Vous êtes si insensés, qu'en
608 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
commençant par l'esprit vous finissez par la chair ' . » Vos prin-
cipes vous conduisent là : vous dédaignez les demandes ; et la
sagesse qui, selon saint Jacques -, n'est promise qu'aux demandes,
vous abandonne : la grâce, que vous ne voulez pas même dési-
rer, se retire : où tombez -vous après cela? Dieu le sait : vous
croyez la tentation tout à fait vaincue : rempli de votre imagi-
naire perfection, vous trouvez au-dessous de vous de penser à
votre foiblesse : la concupiscence vous paroît éteinte : c'est cette
présomption qui la fait re^ivre. C'étoit un caractère des béguai'ds
bien remarqué par Taulère , de se croire affranchi des comman-
demens de Dieu, comme de ceux de V Eglise. Ne vous croyez pas
exempt de cette erreur : vous oubliez les commandemens de de-
mander et de rendre grâces : il ne faut pas s'élonner si la révé-
rence des autres, qui ne sont pas plus importuns ni plus exprès
dans l'Evangile, s'en va peu à peu. Le malheureux >folinos en
est un exemple : tous ne tombent pas dans ces abominables ex-
cès, et ne tirent pas de ces principes les conséquences qu'il en
a tirées : mais on en doit prévenir reffet. L'idée d'une perpétuelle
passiveté mène bien loin. Elle faisoit croire aux l)éguards f|u'il ne
falloit que cesser d'agir, et qu'alors en attendant Dieu qui vous
remueroit, tout ce qui vous vien(h'oit seroit de lui. C'est aussi
le principe des nouveaux mysti(iues; je n'en dirai pas davantage.
On ne sait que trop comme les désirs sensuels se jirésentent na-
turellement. Je ne dirai pas non plus où mènent ces fausses idées
du retour à la pureté de notre origine et du rétablissement de
l'innocence d'Adam. J'omettrai tout ce qu'on cache et qu'on insi-
nue .sous le nom de sinq)li(ité et d'enfance, d'obéissance trop
aveugle et de néant. Faites-moi oublier. Seigneur, les mauvais
fniits de ces mauvaises racines que j'ai vues autrefois germer dans
le lieu saint : l'horreur m'en demeure, et je ne retourne qu'à re-
gret ma pensée vers ces opprobres des mœurs. Ames pures, âmes
innocentes, vous ne savez où conduisent de présomptueuses et
.^spirituelles singularités : ne vous laissez pas surprendre à un
langage spécieux, non plus qu'à un extérieur diuunilité et de
piété : Taulère l'a remarqué dans les béguards : Ils porlcnt , dit-
' Gahd., III, 3. — - iac, l, iJ.
TRAITÉ I, LIVRE X, N. IV. 609
il , facilement toute sorte d'adversités. C'est ce que Gerson appe-
loit dans ces hérétiques une folle patience, fatua peî'pessio, qui
tenoit de l'insensibilité. Par là, dit Tanière, ils se rendetit en beau-
coup de choses fort semblables aux vrais serviteurs de Dieu. Sous
prétexte de renoncer à leur volonté , et même de n'en avoir plus,
ils se remplissent d'eux-mêmes : car qu'y a-t-il qui flatte plus
Tamour-propre que l'idée de l'avoir extirpé ? Ils s'admirent se-
crètement dans lem- paisible singularité , et ne reviennent jamais.
Un faux repos les abuse , mie fausse idée d'acte contiim et de per-
pétuelle passiveté entretient eu eux une hypocrisie étonnante.
Voyez l'austérité apparente des discom's de Molinos dans sa Guide
spirituelle , et si l'on en croit les bruits, sa fausse persévérance
malgré ses rétractations : cependant on sait quel il étoit : Dieu a
voulu mettre au jom* son hypocrisie. C'étoit, dit Tanière, dans
les béguards le mystère d'iniquité , qui prépare les voies à l'An-
téchrist.
Depuis le concile de Tienne, on n'a point frappé d'un si rude iv.
coup les fausses et irrégulières spirituahtés, que de nos jours deMoUnos
sous limocent XI" à l'occasion de Molinos. Le cardinal Caraccioh, q,uétistes
archevêque de Naples, fut un des premiers qui excita ce pieux jl„°.
Pontife par une lettre du 30 janvier 1682 ^, où il lui marquoit que,
sous prétexte de l'oraison de quiétude , plusieurs s'emportoient
jusqu'à se trouver empêchés de l'union avec Dieu, par l'image et
le souvenir de Jésus -Christ crucifié, et à ne se croire plus sou-
mis aux lois. Il avertissoit le Pape que par les livres qu'on lui
présentoit, pour obtenir la permission de les imprimer, il voj'oit
que les plumes étoient disposées à écrire des choses très-dange-
reuses, et que le monde vouloit enfanter quelque étrange nou-
veauté. Rome a procédé dans cette affaire avec beaucoup de gra-
vité et de prudence : je rapporterai à la fm pour mémoire, les
actes qui sont tombés entre mes mains, et il me suffit en cet en-
droit de remarquer que les soixante-huit propositions de Molinos,
dont il a été souvent parlé , sont qualifiées par la bulle d'Inno-
cent XI, du 19 février 1688, hérétiques, suspectes, erronées, scan-
daleuses , blasphématoh'es , offensives des oreilles pieuses, ténié-
' Ci-dessous, Acte^ de la condamnât, des quiétiiten.
TOM. xvm. 39
010 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
raires, tendantes au relâchement et au renversement entier de la
discipline, et séditieuses, respectivenn^nt. Ce qui contient toutes
les plus fortes qualifications qu'on puisse appliquer à une doc-
trine perverse.
Les qualifications respectives, inconnues aux premiers siècles,
ont été fort usitées dans l'Ecrlise, depuis que le concile de Constance
en a donné le premitT exemple. 11 csl vrai que dans le même
concile on s'expliqua plus distinctement dans la bulle de Martin V,
sur les erreurs qu'on avoit flétries respectivement *; et on ne peut
nier que les qualifications précises ne soient plus instructives :
l'Eglise les donne toujours dans le besoin, et c'est aussi pom- eu
venir là par des principes certains qu'on a proposé trente-quatre
articles diuis les ordonnances de^ IG et 25 avril lt>l>ri.
I.
V. Tout clirétien en tout état, quoique non à tout moment . est
qujir» «- obligé de conserver l'exercice de la foi.de l'espérance et delà
ordoDniD chai'ite, et d en pruduue des actes, comme de trois vertus dislm-
cci du IG
ti ïj »frii guées [a] .
iodI rap-
portii. Pour maintenant entendre l'utilité et le dessein de ces trente-
D^Iiein quatre articles, il faut romar(|uer «pie deux choses sont nécessaires
ct"p"cV- dans la condamnation des quiélistes de nos jours : l'une est de
''■'" ;„. bien reconnoître leurs erreurs , l'autre est en les condanmant de
''mi'.r.*'" sauver les vérités avec lestpielli's ces nouveaux docteurs ont
um.ri!e. tâché de les imphquer. Les articles donnent des principes certains
pour exécuter les deux pai'ties de ce dessein. Et premièrement ,
pour découvrir les erreurs des «juiétistes, et en même temps les
qualifier avec des notes et des (létrissiu'es précises, il faut sup-
poser (pie ce qui ofiense le plus les oreilles chrétiennes dans ces
nouveautés, c'est la suppression qu'on a vue dans lem-s écrits,
des actes nécessaires à la piété : mais pour voir si ces supi>ressions
doivent être traitées d'hér. tiques, ou llétries de quelque autre
qualification, le principe le plus simple qu'on pouvoit prendre est
* Conc. Cotist., êess. XLV, Couslit. Inter cuuctos.
{a) Les articles suivons, et m^-iue celui qu'on vient de lire, se trouveiil piur
haut, p. ;iol et suiv., dans V Ordonnance et Instruction pastorale sur /es clats d'o-
raison. Il nous sufliia, sans reproduire tous ces articles, d'y renvoyer le lecteur.
Iioni II
rcliquf»
dri quii*
lilUi.
TRAITÉ 1, LIVRE X, N. VI. 611
en s'arrêtant au Symbole des apôtres et à l'Oraison Dominicale,
qui sont dans la religion chrétienne deux fondemens inébranlables
de la piété;, de tenir pour formellement et précisément hérétique
ce qui supprimoit les actes expressément contenus dans Tun et
dans l'autre.
Ce fondement supposé, sans avoir besoin d'aucune autre preuve,
les articles se justifient avec leurs qualifications : et d'abord il
suit du principe que supprimer les actes de foi exphcite en Dieu
tout-puissant, prévoyant, miséricordieux et juste ; en Dieu subsis-
tant dans trois Personnes égales; et en Jésus -Christ Dieu et
Homme, notre Sauveur et Médiateur, c'est supprimer l'exercice
de la foi expressément énoncée dans le Symbole et tomber dans
mie hérésie formelle. Ce qui étant évident par soi-même, néan-
moins par abondance de droit a été manifestement démontré dans
les endroits marqués à la marge ^ ; et le contraire ouvrant le ciie-
min à un oubli par état de la Trinité et de Jésus-Christ, rend ces
mystères peu nécessaires, favorise les hérétiques qui les nient,
en affoibht ou plutôt en anéantit les effets : de sorte que sans
y penser on fait tendre si clairement à limpiété ceux qui sup-
priment ces actes, qu'il n'y a même plus rien à désu*er pour la
preuve.
Pour les demandes, il n'est pas moins clau que c'est aller di-
rectement contre le Pater, et par conséquent soutenir une héré-
sie, que de croire qu'on ne doive pas demander le royaume des
cieux, la rémission des péchés, la délivrance des tentations, et
enfin la persévérance, puisque ces demandes sont formellement
énoncées dans ces paroles : « Que votre règne arrive ; pardonnez-
nous nos offenses ; ne nous induisez pas en tentation ; délivrez-
nous du mal : » ce qui est clair , tant par l'évidence des paroles,
que par la tradition constante et manifeste de toute l'Eglise, ainsi
quil a été semblablement démontré dans les livres précédens ^.
A ceci il faut ajouter les expresses défmitions de l'Eghse. Il a
été défini par les conciles de Carthage, chapitre vu et vni, et de
Trente, session YI, chapitre u, et canon 23 , que l'Oraison Domi-
nicale est sans exception l'oraison de tous les fidèles : il a été
■ Ci-deiéU3, liv. 11 , n. i et suiv. — ' Ci-dessus, liv. iii , u. iv.
fila LNSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON,
défini dans le concile d'Orange II , chapitre x, et dans le même
concile de Trente, section VI, chapitre xm, qu'on doit demander
la persévérance : le même concile de Trente a défini qu'on doit
aussi demander l'augmentation de la grâce *. Ce quïl prouve tant
par ces paroles de l'Ecriture : Que celui qui est juste, se justifie
eiKore^ : et par celle-ci de V Ecclésiastique : iVe cessez de vous
justifie?' jusqîi'à la mort^ : que par cette prière de l'Eghse : Dou-
nez-7ious rauf/nwntation de la foi , de V espérance et de la cha-
rité. Quiconque donc fait profession , comme font nos quiétistes,
de ne vouloir pas demander en tout état cet accroissement de la
grâce, avec tous les autres dons (ju'on vient d'expliquer, s'op-
pose directement à ces passages de l'Ecriture, à cette prière de
l'Eglise et à la doctrine que le concile de Trente en a inférée : el
par conséquent, il est héréfuiue, comme il a été dit aillem's plus
amplement \
Il resteroit à examiner (juand on tombe dans l'obligation d»
prodnireces actes de foi explicite, et de faire à Dieu ces demandes;
mais ce n'est pas de quoi il s'agit avec les nouveaux mystiques :
il suffit, pour leur montrer que leur doctrine est hérétique, de
prouver qu'ils reconnoissent des états où ces actes sont suppri-
més, sans que pour oela il soit nécessaire de déterminer les mo-
mens auxquels on pourroit y être obligé : c'est pourquoi l'on s'est
contenté de dire que ces actes sont nécessaires en tout état,
quoique non à tout moment, mais seulement dans les temps con-
venaldes* : ce qui donne toute l'instruction qui est nécessaire en
ce lieu, et laisse pom- incontestaltles les huit premiers articles des
trente-quatre, avec leurs (jualifications.
vu. Une suite de la su])pivssion des demandes est d'en tenir le su-
cio, IV X jet, cest-a-du-e le salut même et tout ce qui v conduit pour indif-
il XI. Pro- ..' , r> ni 1 "
poMiion, lerent. Four comondre cette errem' des quietistes, on suppose ce
dci qnié- principe : ce qu on désire et ce qu'on demande à Dieu de tout son
cœur, ne peut pas être mdifférent ; or est-il que par le.-^ articles
précédens, on désire et on demande à Dieu de tout son cœur le
salut et ce qui y conduit : on n'est donc pas indifférent pom- ces
* Ses9. VI , ex. — ' Apoc, xxii , 1 1. — » Eccli., xvni , 22.— * Ci-dessus,
liv. IV, n. IX, X, etc. — B Art. i, etc.; art. x\i.
TIL\ITÉ I, LIVRE X, N. VIII. r.l3
choses; la conclusion est évidente. Peut-être même pourroit-on
dire que Tindifférence des quiétistes, induisant la suppression des
demandes, est hérétique ; mais comme cette induction après tout
ne paroît être qu'ime conséquence , qu'on ne voit point appuyée
d'une détermination en termes formels, il y a plus de justesse et
de précision à la quaUfication d'erronée et de téméraire, contenue
dans l'article ix.
Le X et le xi préviennent deux erreurs des quiétistes, dont
l'une est que les demandes, du moins aperçues, dérogent à la
perfection du cliristianisme : ce qui est pareillement erroné,
puisque ce qui est expressément commandé de Dieu aux parfaits
ne peut déroger à la perfection : or par les articles précédens les
demandes sont expressément commandées à tous , et même aux
parfaits : elles ne dérogent donc pas à la perfection, soit, qu'elles
soient aperçues, soit qu'elles ne le soient pas, parce qu'apercevoir
un bien en soi-même n'est pas l'ôter , mais donner lieu à l'ac-
tion de grâces, selon ce passage de saint Paul : « Nous avons reçu
l'esprit de Dieu, pour connoître ce qui nous est donné de lui *. »
L'autre erreur des quiétistes est qu'ils consentent aux de-
mandes et aux autres actes, seulement dans le cas où ils leur sont
spécialement inspirés ; mais on a clairement démontré ^ que cela
ne se peut souffrir : le commandement est de soi plus que suffi-
sant pour nous déterminer à une pratique ; de sorte qu'exiger par-
dessus cela une inspiration extraordinaire , c'est nier qu'il y ait
un commandement : ce qui est visiblement erroné.
On a pareillement expliqué ce que c'est que l'indifférence du
saint évêque de Genève % qu'on a défendue dans l'article ix selon
l'intention de ce saint homme ; et l'on a aussi remarqué que son
indifférence n"est pas une insensibilité ni une indolence; mais une
entière soumission de sa volonté à celle de Dieu. Ainsi les arti-
cles IX , X et XI sont entièrement éclaircis, et lem^s qualifications
évidemment démontrées.
Après avoir établi la nécessité des actes commandés dans l'E- vm.
Quels sont
vangile, il falloit guérir le scrupule de ceux qui croient ne point les vrais
1 I Cor , II, 12. — - Ci-dessns, liv. 111 , n. ix. — * Ci-dessus, liv. Vlll, n. 2
wl siiiv., 6 etsuiv. 3 liv. IX, n. 2.
614 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
AtiM rtu faire dactes, s'ils ne les font méthodiquement arrangés, ou bien
s'ils ne les réduisent en formules et à certaines paroles, ou enfin
si ceux qu'ils produisent ne sont inquiets et empressés. C'est ce
qu'on fait dans l'article xu. Nous avons vu ce que c'est que ces
actes extérieurs et grossiers ' ; Ton a expliqué de quelle simplicité
sont les veritaliles actes de cœur : saint Paul en enseigne aussi la
sincérité et la vérité par ces paroles : « Tout ce que vous faites,
faites-le de cœur, comme pour Dieu et non pour les hommes,
sachant que c'est du Seigneur ( qui pénètre le secret des cœurs )
que vous devez recevoir votre récompense. Senez-le donc comme
le Seignem* qui voit tout, et à qui tous les désirs sont connus *. »
IX. Les tpiiétisfps présomptueux s'imaginent être les seuls qui con-
ucic xm, nois.sent la simplicit»'. Voxw leur Ater ce faux avantage, l'article
n.iure d. xui Icur moutre la véritable mcinière dont tous les actes se rédui-
sent à l'unité dans la charité , conformément à la doctrine de saint
Paul dans la premirrr aux Cnn'nthiois , qui a été expliquée en
divers endroits.
^ Les articles xiv, xv, xvi et xvu sont propo.sés pour mieux ex-
|)liqut'r les actes particuliers, dont on a montré la nécessité, et
'■' découvTir les évasions des (juiétistes.
Pour éluder l'obligation des désirs de la vision bienheureuse,
ils disent que ces désirs sont auUmt de mouvemens indélibérés ;
maison énonce le contraire dans l'article x, et il a été prouvé
que la proijosition c()nlrair(^ (^st directement opposée aux paroles
expresses de saint Paul , et justement qualifiée d'hérétique '.
Le xV ju-ticle comi)at la mollesse du quiétisme. qui afibiblit
l'acte de contrition et la doctrine énoncée dans le Pater, pour de-
mander la rémission des péchés ; ce qui est plus amplement
établi dans les livTes précédens*, où les faux -fuy ans des quié-
tistes sont réfutés.
Les deux articles suivans , c'est-à-dire le xvi* et le xvn% sont
destinés aux actes réfléchis , dont la nature et la nécessité ont été
expliquées*.
' Gi-dessns, liv. V, n. 25 et suiv. — î Coloss., uï, 23, 24.— » Ci-dessus, liv. III,
n. viit, xu , etc. ' Ci-dessus, liv. IV. n. ix, etc. — " Ci-dessus, li*. \,
n. 1 et âuiv.
rlf-
IV , TTI cl
t% Il
TRAITÉ I, LIVRE X, N. Xl-XIII. 618
Comme on ne trouve point sur ce sujet de déterminations de -
l'Eglise, non plus que dans l'Ecriture des termes exprès pour
prescrire nommément les actes réflexes, on en a marqué la pro-
hibition comme erronée , à quoi on a ajouté qu'elle approche de
l'hérésie, à cause que sil'Ecriture ne commande peut-être pas en
termes formels les saintes réflexions, elle les commande en termes
équivalens, et que tout l'esprit des saints Livi'es nous y porte.
Un des plus mauvais caractères du quiétisme , est d'avoù' affoi- \i
bli le prix du remède souvent nécessaire de la mortification, et cié xvin
!.. . •> 1 •!• eldesraor-
par un discom's profane d avoir fait servir a ce dessem la sim- uscaiions.
plicité de l'enfance chrétienne. On en a qualifié la proposition
d'erronée et d'hérétique, et on a joint ensemble ces deux notes
pour montrer par celle d'hérétique une expresse contrariété avec
ces paroles de saint Paul ' : Je châtie mon corps , etc., et avec les
autres de l'Ecriture , qui obligent précisément à mater la chair.
On a aussi voulu marquer les décisions du concile de Trente en
faveur des austérités, même volontaires, contre les derniers hé-
rétiques 2 ; mais la qualité à' erroné marque outre cela les consé-
quences certaines des grands principes du christianisme ; d'où
suitda nécessité des austérités ; qui sont d'im côté la concupiscence
toujom^s vivante, et de l'autre la désirable conformité avec Jésus-
Christ souffrant.
Pour rejeter l'acte continu et perpétuel qui contienne éminem- xu.
ment tous les autres, et qui aussi pom* cette raison exempte de tidexu'et
les pratiquer dans les temps convenables, il suffit de savoir qu'in- continuel
connu à l'Ecriture, à tous les Pères, à toute la théologie, il ne p^'p"""'
paroit la première fois que dans Falconi , ou dans quelque écri-
vain de son âge et d'une aussi mince autorité : mais pour en
venir à une qualification plus précise, la proposition doit être
déclarée du moins erronée, par la conséquence nécessaire que
l'on en induit contre la pluralité et la succession des actes com-
mandés de Dieu , ainsi qu'il a été souvent démontré ^
L'article xx, où il est parlé de la tradition, pourroit sembler xm.
., , . . ,., 1 ,, Sur l'ar-
inutile a ceux qui ne sauroient pas qu il va au-devant d une so- acie xx et
< I Cor., IX, 27. — 2 Conc. Trident., sess. XIV, c. viii et IX. ^ Ci-dessus,
jv. I, n. XV, XXI, îxiii.
616 rvSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
«uriesura. lutloD des Douveaux mystiques. Rien ne les charge tant que le
silence éterael de tonte l'antiquité sur leur acte continu et uni-
versel, sur la suspension des autres actes expressément comman-
dés de Dieu, et sur la perpétuelle passketé ou ligature des puis-
sances; à quoi ils n'ont de ressource qu'en établissant, s'ils pou-
voient, certaines traditions occultes dans l'Eglise, et en sauvant
sous ce nom le silence perpétuel de tous les saints sur leur do(^-
trine. Dans la suite nous apprendrons de saint Irénée , de saint
Epipliane et de saint Augustin, que ces traditions secrètes étoient
aussi le refuge des gnosticjues et des mimichéens. Il n'y a aucune
mauvaise doctrine qu'on ne puisse introduire sous ce prétexte ,
ainsi qu'il est porté dans Tarticle. x\ous montrerons en son lieu
plus amplement (pic l'Eglise n'a jamais reçu d'autres traditions que
celles qui sont n'C(»nnues par le consentement unanime de tous
les Pères : ce sont celles qui sont établies dans le concUe de
Trente', et ne peuvent être cachées. Nous nous sommes con-
tentés, en attendant, de marquer en peu de paroles la nécessité
de la tradition en cette matière, comme, dans toutes les autres de
la religion; à (pini nous ajoutons, avec les saints Pères, ce com-
mandement de Nofre-.Seigneur : Ce que rous entendez à l'orei/fe,
puhliez-lo sur les toits *; ce qui prouve que le secret, s'il y en a
eu dans la doctrine de Jésus-Christ , a entièrement cessé dans la
prédication de l'Evangile.
sÙrVor- ^'^^ expli(]uant ci-dessus le dessein des articles'', nous en avons
h'.uMm f^'* consister l'utilité en deux choses : Tune, à découvrir les er-
nn"'com" reurs des propositions du (juiétisnie; l'autre, à sauver les bonnes
.r"ouïriî doctrines dont on y abuse, et en empêcher l'abus. Nous en sommes
'rtôdr»."" ^ ''«'tte dernière partie, et nous sommes obligés à y parler de To-
'::La1 raison passive.
u.roT ^D s*^ porte sur ce sujet à deux sortes d'extrémités, dont l'ime
est d'avoir pour cette oraison une espèce de mépris : il y en a (|ui
prennent pour des rêveries et même pour quelque chose de sus-
pect ou de dangereux , les états où certaines âmes d'éUte reçoi
vent passivement, c'est-à-dire sans y contriliuer par leur indus-
trie ou leur propre effort, des impressions divines, si hautes et si
» Ses». IV. — » Matlh., X, 27. — •' Ci-dessus^ n. vi.
TRAITÉ I, LIVRE X, N. XIV. 617
inconnues, qu'on en peut à peine comprendre Tadmircible sim-
plicité. Pour réprimer cet excès dans l'article xxi des ordonnances
du 46 et du 23 avril, en attendant qu'on eût le loisir d'appro-
fondir la matière plus qu'elle ne le pouvoit être dans mie instruc-
tion si courte , on a eu recours au témoignage des spirituels , et
surtout à celui du saint évêque de Genève, dont le nom étoit plus
connu et l'autorité plus révérée. On a passé plus loin dans ce
traité, et on a établi l'oraison passive^ c'est-à-dire la suppression
des actes , et surtout des actes discursifs , non-seulement par au-
torité et par exemples, mais encore par principes K
On a fait voir aussi que la passiveté de ce Saint et des autres
vrais spirituels n'étant que pour un certain temps , qui est celui
de l'oraison , le champ étoit libre dans tout le reste de la vie pour
y pratiquer dans les temps convenables tous les actes commandés
de Dieu \
L'autre extrémité où l'on tombe à l'occasion de l'oraison pas-
ive est celle des quiétistes , qui rendent premièrement dans cer-
tains états la passiveté perpétuelle : qui la rendent secondement
fort commune et fort aisée : qui la rendent en troisième lieu fort
nécessaire, du moins pour la perfection et pour l'entière purifi-
cation. On oppose à ces trois abus *, dont le péril est visible, les
articles xxn, xxni, xxiv, xxv, xxvi et xxvin.
On peut voir en son lieu la démonstration des articles xxn et
xxni, où sont condamnés les quiétistes, qui mettent la perfection
et la sainteté dans les états d'oraison extraordinaire : on a marqué
les inconvéniens de cette doctrine, et en même temps on l'a ré-
futée non-seulement par l'autorité , mais encore par les raisons
du saint évêque de Genève et des autres vrais spirituels.
Pour détruire la perpétuelle passiveté qui éteint dans le cours
de la vie toute industrie propre et tout propre effort , les articles
xxv et XXVI condamnent ceux qui à la faveur de l'état passif, où
ils s'imaginent être élevés , attendent que Dieu les détermine à
chaque action par des voies et inspirations particulières : ce qui
^ Ci-dessus, liv. VII , n. I, etc., ix, etc. — '^ Ci-dessus, liv. Vil , n. ix, etc.;
liv. Vlll, n. \\; liv. IX, n. xxvi, xxix, etc.— ^ Ci-dessus, liv. VI, n. xxvn,
xxiiii etsuiv.
niR INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
ouvre le chemin à toute illusion. Le nombre de ces prétendus
passifs est prrand dans le monde , et se multiplie plus quon ne
croit. Il induit à tenter Dieu, qui veut que Ton s'aide soi-même
avec le secorrs de la grâce, et qui n'a rien promis à ceux qui re-
noncent auii moyens qu'il nous a donnés pom* nous exciter
nous-mêmes à bien faire. La mollesse et le relàcbement d'un côté,
et de l'autre le fanatisme, sont les elfets de cette illusion : et l'ar-
ticle XXVI oppose à cet état dangereux les voies de la pnidence
chrétienne si souvent recommandées dans l'Ecritm-e.
Les quiétistes s'emportent jusqu'à dire qu'on vient par la per-
fection de l'oraison à la grâce et à l'état apostolique, dont nous
avons plusieurs témoignages àansX Interprétation du Conliquedes-
rnnl'npie^ '. Est-il possibU' «{u'oii ne sucIk» pas ((uo l'apostolat
n est pas un état doraisou, mais rt'ilél dune vocation déclarée et
autorisée dans TEgUse? Cet état apostolique emporte aussi le don
de prophétie , et tout cela est rejeté dans l'article xxvn comm»^
plein d'illusion, de témérité et d'erreur.
l'ar cet état prétendu apostolique, on voit des femmes s'attri-
buer des mateniiU'^s sans vocation et sans témoignage, et par
un titre si éblouissant faire des Inijiressions sur les esprits, dont
on a peine à les faire revenir, connue la suite le fera piU'oitre. On
verra dans les articles qu'on vient de citer , la som'ce de ces illu-
sions découverte , et leur effet condamné par des qualifications
dont la raison est visible.
»^ Le remède le plus salutaire quOii puisse apporter aux abus
ciesimii que font les quiétistes de l'état passif, est premièrement de leur
'" faire voir qu'il est très-rare , conmie il i)Mr(»if par l'autorité de
fous les spirituels : par où Wm rejette cette uuillilude étonnante
de prétendus passifs qui inondent le monde : c'est encore un se-
cond remède d'ôter à ces présomptueux l'imagination de n'être
soumis qu'au jugement de ceux qu'ils appellent les gens expéri-
iuentés, dont nous avons assez pailé dans la préface.
L'article xxix est important pour prévenir une objection des
quiétistes, qui demandent s'il n'est pas possible qu'il y ait des âmes
que Dieu meuve passivement, et sans le secours de tout propre
• Juterprét. du Cant., ch. I, n. 1, p. 4, etc.
TRAITÉ 1, LIVRE X, N. XV. 649
effort et de toute propre industrie, à toutes les actions de la piété :
si vous dites que cet état n'est pas possible, ils vous accusent de
lier les mains à Dieu et de limiter sa puissance : si vous en avouez
la possibilité, ils croiront être en droit de soutenir que telles et
telles âmes sont en cet état, et que sans les tourmenter dans cette
pensée, il n'y a qu'à les laisser à leurs directeurs.
C'est là une des sources d'illusion des plus dangereuses. Nous
avons opposé à cette conséquence l'expérience des \Tais spiri-
tuels \ dont aucun n'a cru avoir trouvé des âmes de cette sorte ,
et n'en ont produit pour exemple certain que la sainte Vierge,
comme il a été remarqué : combien donc est-il dangereux de se
forger de telles idées ! Ajoutons que telles âmes toujours mues
divinement et passives sous la main de Dieu, ne pécheroient plus
même véniellement, non plus que la sainte Vierge , et même ne
pourroient plus déchoir de la grâce, comme tout homme attentif
le découvrira facilement : car toute ame mue divinement , hors
d'elle-même, et toujours dans une espèce d'extase durant le temps
de sa motion , n'échappe pas à la main toute - puissante qui la
meut; et n'échappera jamais, si toujours elle est mue de cette
sorte et n'est pas laissée un instant à elle-même. C'est aussi parla
que nos faux mystiques ont été conduits aux propositions où nous
avons vu leur impeccabilité prétendue ^. On l'a assez réfutée , et
en même temps on a averti que ce n'est point précisément dans
ces préventions extraordinaires que consiste la perfection du chris-
tianisme, puisque , comme il a été démontré ^, elle dépend du
degré d'amour où l'ame sera élevée, et que Dieu bien certaine-
ment peut donner par les voies communes : à quoi il faut prendre
garde, pour ne point amuser les âmes par la fausse imagination
de grâces extraordinaires, mais toujours les accoutumer à épurer
leur amour.
On a joint à cet article les expressions nécessaires en faveur
de la sainte Vierge, Mère de Dieu; ce qui opère deux bons
effets : l'un , de rendre en eUe à Jésus-Christ les honneurs qui
lui sont dus ; et l'autre , d'avertir qu'on n'étende pas à d'autres
. » Ci-dessus, liv. VI, n. xxi. xxin, xxiv. — ^ Ci-dessus, liv, V, n. xxxv et
XXXVI, — 3 Ci-dessuSj liv. VII , u. xxix.
620 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
les prérogatives qui lui ont été attirées par uu si grand titre.
XVI. Sur la contemplation . il faut remarquer que plusieurs spiri-
«le ixiv. tuels confondent la contemplation avec Toraison passive, encore
où il esl '^ '^ '
parle delà ouB Ics uotlous u'cu soient pas les mêmes. Quand saint Thomas *
conleiii-
iiiatioii. et les autres traitent de la contemplation, ils n'entendent pas sous
ce nom i'oraison passive. Cai* encore que la contemplation ne soit
point discursive non plus que la foi, elle n'ùle pas toujours le
pouvoir de discom'ir, qui est ce qu'on appelle l'état passif. Pour
donner mie règle générale sur la contemplation, l'article xxiv dit
que ce nest piis seulement l'essence divine qui en est l'objet,
mais encore avec l'essence tous les attributs, les trois Personnes
divines et le Fils de Dieu incaiiié, crucifié et ressuscité, et en un
mot, que toutes les choses (iiii ii(> sont vues que par la foi, sont
lobjet du chrétien conlcinplalil" : ccst aussi lidee de saint Piuil,
lorsqu'il dit que <• nous ne contemplons pas ce nous voyons, mais
ce que nous ne voyons pas, parce que ce qu'on voit est temporel,
et ce qu'on ne voit pas est éternel '. » Cet article étoit nécessaire
pom' condamner les faux mystiques, qui n'admettent dans l'acte
de contemplation ni les attributs , ni les Personnes divmes , ni le
mystère du Dieu lait homme , comme il a été démontré, mais la
seule esseiicediviiie abstraite et couluse.
D?i"rii- ^^ sainte doctrine des épreuves et des exercices di\ iiis nous
m. ii"'.l ^^^^^'^ "" P*^" *^^ 1'^ sécheresse des chapitres précédens. Un des
rri'v*!" P^^'"^ plausibles argumens des quiétistes pour prouver dans cer-
tains états l'entière suppression des actes, se tire des désolations
des âmes peinées, où Dieu fait une impression si foi-te de sa jus-
tice, qiK» l'ame. qui ne sent pohit (ju'il puisse sortir d'elle autre
chose que du mal, liée d'aillem's et serrée de près par une main
souveraine, ne peut presque ou n'ose pas même produire ces actes ;
ce que Job semble exprimer par ces mots : « Dieu arme contre
moi toutes ses terreurs , sans me permettre de respirer ; et les
traits que me lance sa juste fureur, m ont absorbé l'esprit : quo-
vinn indUjnatio chibit spiritum mewn ' : » en sorte que je ne sais
plus si j'agis ou si je n'agis pas; et ailleurs : « Il m'a ;resserré
' s. Thoni,, II' II*, q. LXXXil, art. o; q. fLXXX. per totuxii. etc.— * Il Cor.,
:v, 18. - * Job, VI, 4.
TRAITÉ I, LIVRE X, N. XVII. H2i
dans un sentier étroit, je ne puis passer, et il a couvert ma route
de ténèbres K » En effet on se trouve dans une si grande obscu-
rité, que, contraint de se ranger avec Job au nombre de ceux
dont « la voie est cachée et que Dieu a environnés de ténèbres ^ » il
semble qu^on perd Fespérance d'en sortir. Cependant de temps en
temps il échappe de la nue un petit rayon qui fait dire : « Ma nuit
se tom-nera en jom-, et j'espère la lumière après les ténèbres \ »
Plus on est poussé au désespoir, plus l'espérance se relève ; et
après avoir dit : « Yous m'épouvantez par des songes ; et saisi
d'horrem* dans les visions dont vous m'effrayez, j'en suis réduit
au cordeau, et je ne veux plus que la mort : je suis dans le déses-
poir, et je ne me puis supporter moi-même ; » ce qu'il pousse jus-
qu'à dire encore : « D'où vient que je me déchire la chair avec les
dents, et que je ne songe qu'à m'ôter la vie? » Cependant on en
vient un moment après à dire : « Quand il me tueroit, j'espére-
rai en lui : je ne laisserai pas de reprendre mes voies devant sa
face, et il sera mon Sauveur \ » Ce qui montre que les sentimens,
qui sembloient éteints , n'ont fait que se fortifier en se concen-
trant au dedans. Lequel des saints a jamais dit avec plus de force :
« Qui me donnera cpie mes discom-s soient gravés avec de l'acier
ou sur mie lame de plomb , ou imprunés sur un dur rocher avec
un ciseau? Car je sais que mon Rédempteur est vivant ; ma peau
recouvrira mes os, et je verrai mon Dieu en ma chair?, » et le
reste où l'espérance est si forte. Cependant il sortoit d'un mouve-
ment où loba d'espérer en Dieu, il sembloit lui vouloir fahe son
procès , en disant : « Comprenez qu'il a rendu contre moi un ju-
gement qui n'est pas juste «. » Il avoit aussi dit auparavant : « Je
parlerai avec le Tout-Puissant, je veux disputer avec Dieu ^ » Et
encore : « Plût à Dieu qu'on put plaider avec Dieu comme on fait
avec son égal ^ » Et enfm il ajoute aillem\s : « Je ne veux pas qu'il
conteste avec moi par sa puissance, ni qu'il m'accable du poids
de sa grandeur : qu'il propose des raisons équitables, et je ga-
gnerai mon procès ^ » Mais à quoi aboutit cette hauteur et cette
' Joh., XIX, 7. — 2 ///«/., III, 23. — 3 Ibid., XVII, 12. — 4 Ibid., vu, 14-16. —
5 Ibid., XIX, 23. — 6 Ibid., G. — ^ Ibid., xiii , 3. — » Ibid., xvi , 12. — ' Ibid.,
XX m, 6,7.
lui O .m(>mIiuii>iii .|iii i.iii .iiioniMM' un uoli^ «l'oiiioiir niuiA un ilt'ipll
(ippMi.Mii |»(ii.ui .Mi..H.>. <>( |M>iii «Hrrt iiiioiik tlmiM lUMii^ pHrf>l<> j
.. l'iiirnjii II a M\\\\\\o\wo, i|ii'll MiVuM'rtN»» i «|iril h\\mx\ «tllor m inntii,
.>l 1)11 II me ri«li!mrli(y . iillii t|ui* j'HJn ItV iMiiirtUJMllon (iiio m iioiMI
iii.uii .1.- .1. Mil. III il mit {\\wo iMiuii'lr miiiH iii't'piti'iMMM'. iIm \m\\' ^\\\t\
i l»(ir loihii'MM* .111 piii iiii|i((iiMniHJi) I) m iii'nri'lv«i iltu'onih'iliro h
Iti |wii'til<> <>l () lii \ iiioiilli <hi Niilul *. tt On iMiloMil hliMi i|iii' << o.^l lllun
i|iril tt|i|iolliMiliiril, » (lui'. |)iiiiiYuill II, i|iii\ll(« i>rt|, iiin lori'n? jinlH
jit ni*< iM'itiiioilh) iiiio Hi luKH'iin |Hilli^unuV Md i^liulr \\*m\ pit» «ritl
ruin, ol> nui loroo iToM, ]mvm MU\ tTuiut pttM'l'n , Ji^ un trniivn |miImI
<lit l'iutrinnrrn ru inni ; iintn inniM iir<uil oliiimlnnnt't, ni jii iliMniinrn
HtniH nonlliMi " Il <lii \<iil tliiiii' ciuinnit Ium pluinlon t|n II piMii^rin ni
iiinoKMiii'iii iiiii |Miiir mIi|i«( lu t>niin(iiH»4inii«n ili4 MM fitlllInMMni nl,'lti
riMliiln tlo tuitiiiitilMM <i lu Innldlloii «llmptiliiMiiMt, <>l Hi>lo irini t\\
piiilinl niniMu' l'oinniKnov *'oiiiiMn on d vn, pin' un lrnne«pnrl on
il iiliniil un no ii'iiiioipiull ipiunn rM|H'*iMt iln ijt'tpll , ni il nn prniiil
Iti Inlnlnrn ; pour nlitinlli' ii lu lin ô innllrn i^^on nncourM nn lllnii ,
<>l h ilii'i« iivnt' nn lonutnl ili* piiMiHitH ItninnH •• Mi*» nintf^ t^onl iIhn
«llHt'oiirrnrM f i^hI ponr voniiMonl «pu* |t< \n\mio ionilnt nii*^) yiMiK
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IN<t tlihoiiH tliim \uui <pi<t l(Hi iirlitf^ «nH^nnl ilinin \m (nt>rr)<<OH il)
vlnii ; <ll»on» ipiilM ho rinliiMtl , ni r^oiivnnl, r^oii» Innr conlnili'it .
ipiIlH H'v onvnloppnni , «pTlU «\v t'tpinnnl , «pi'llrt n'y rorllllnnl, ,
<pi llf> on hitiioiil ilo li»Ml|M ni) InmpM n,vnr nno nonvolln vif|iinin'.
iNiMiii itvonH ospliipiô Hni' on (jujol. lu rlooltino ilo Miilnl l'VunoolH rin
SmIoh^ ipn ««nnol^iio ipi(\ lop» uoIom iIo pli'ilô o||uhci«'ipt ol ouinnio l'n
poiiHMi'tr^ <ln lonli In i!inni4ll)ln(in rnlln ni «Imin lu liunltt pulnlr .l< I o^
pril , iToi'i m Konvni'iiit loiil rinlVuloio',
1,11 pioliuKlo oliHoniili'* Mil Ton omI, , n'nmp<^(*lin pui4 ipin lu l'oi
oliMoiirit pin ollo niAnin nn iloploin m vni'ln ' on piAln l'ornilln ^i lu
voix «In Ilinii ipii m Itill niilmirlrn oonn lo l'uti lujn : (pioiipi'on
HO oi'olo iiihoiihililo ol iiuns inonyoïnoiil , mu no IniHHo pu^ iln t^'oh
ollor Hiil inônio . uiniil ipio l'iiliMill lliivlil on iIlHiinl : « IVIoM UMin,
|Miini|n<ii or' In lii.lr. ri | npim im IroiililoM In? J'iMp/^l'n ni)
• ,1x1,, VI, II, m ' iiiiil , Il |.'i " //<(./,, iivi, Ml, » i;i iluMNiu, liv VIII
624 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
Dieu ' . » On ne manque pas de soutien, puisqu'on est soutenu par
sa peine même , comme disoit le môme David : « Mes larmes ont
été mon pain nuit et jom^ '^ : » pour en faire voir non-seulement le
cours continuel, mais encore la force soutenante ; et loin que le
désespoir, dont on paroît assiégé et tout rempli soit effectif , si l'on
sonde au vif les âmes que Dieu met dans ces exercices au milieu
des ténèbres et de la désolation, on y trouvera un fond de con-
fiance inébraulahle et inaltérable.
C'est ce (|u"il a fcdiu expliquer dans l'article xxxi pour évitei'
deux excès : l'un, deceux qui s'im aginent que les peines de ces
états sont imaginaires, ou en tout cas purement humaines ; l'autre,
de ceux qui s'en servent pour induire dans tout cet état une perpé-
tuelle passiveté qui est Terreui* des quiétistes.
DeVa'rUcie ^^^ >' ^ ^^ chapltre daiis ce traité où je désire de trouver de
"él-l'ubit" l'^dtention, c'est celui-ci. Il s'agit d'explicjuer un acte aussi grand
bandorT- ^^ Jiussi cousolaut que ce parfait abandon. En rappelant ce qu'on
dêllinl a dit jusqu'ici de l'abandon des quiétistes, on y découvrira trois
^IT'sl^i erreurs : l'une , que l'acte d'abandon n'appartient qu'à l'oraison
ate"c "f re- P^-Sslve , et qu'ou ne le peut faire dans les voies comnmnes ;
ToiTcr''-'' l'autre , que cet acte emporte une indifférence pour le salut ; la
ra"bando"n demlère, qu'il emporte aussi la suppression de tout acte, et sans
fi"^,''""" jamais se reumer soi-même, une attente purement passive que
Dieu nous remue.
Ces trois erreurs sont détruites par un seul passage de saint
Pierre, qui est celui où ce saint Apôtre définissant l'abandon, dit
ces paroles : « Rejetant en lui toute votre sollicitude , parce qu'il
a soin de vous *. » Oii il faut observer premièrement, qu'il adresse
"ce commandement à tous les fidèles, et non point à certains états
particuliers ; ce qui renverse la première erreur. Secondement,
que bien éloigné de la profane indifférence des quiétistes, saint
Pierre appuie l'abandon sur ce que Dieu a soin de nous : par où
la seconde erreur est réfutée. En dernier lieu, saint Pierre ajoute :
Soyez sobres et veillez; par où est proscrite la troisième errem',
qui sans permettre de se remuer, veut qu'on attende uniquement
que Dieu nous remue.
• Psaï. XLII, 8. — s Psal. XLI, iv. — s 1 Petr., \, 1, 8.
TRAITÉ I, LIVRE X, N. XVIII. fi25
En retranchant de l'abandon ces trois erreiirS;, le pur abandon
chrétien restera avec toute sa force dans l'acte où nous rejetons
sur Dieu seul tous nos soins^ et même le soin de notre salut : non
point par indifférence à être damnés ou sauvés, ce qui fait horreur ;
mais au contraire en abandoimant d'autant plus à Dieu notre salut
(jue nous le désirons avec plus d'ardeur.
C'est ce que les demi-pélagiens ne vouloient pas entendre, lors-
qu'ils croyoient que pour conserver l'espérance il en falloit mettre
en soi-même une partie : mais saint Augustin leur répondoit
qu'au contraire pour la conserver il la falloit mettre toute entière
en Dieu, et dans une pure foi lui abandonner tellement tout son
salut qu'il ne vous en reste' plus nulle inquiétude : « Car, dit-il,
nous vivons plus en sûreté si nous donnons tout à Dieu, que si
nous nous abandomions en partie à lui , et en partie à nous-
mêmes *. » Yoilà donc un abandon parfait à Dieu, parce qu'il ne
reste rien de notre côté en quoi nous puissions prendre confiance :
ce qu'il prouve par l'autorité de saint Cyprien, qui conclut de
rhumble aveu de notre foiblesse dans l'Oraison Dominicale, « qu'il
faut tout donner à Dieu, » et rien à soi-même, selon que le même
martyr l'avoit prononcé ailleurs en disant qu'il ne nous étoit pas
permis de nous glorifier nous-mêmes, « parce que nous n'avions
rien qui soit à nous : in nullo f/loriandtim , quando nostrum nïhil
est 'K »
Il se faut donc bien garder de mettre en nous-mêmes aucune
partie de notre espérance , ni de nous appuyer radicalement sur
nos ])onnes œuvres : non qu'elles ne soient nécessaires pom' aller
au ciel ; mais parce que c'est Dieu qui nous les donne selofi sa
bonne volonté , comme dit saint Paul * ; en sorte , dit saint Au-
gustin après saint Cyprien, qu'à remonter à la source, « il faut
tout donner à Dieu : cela est vi^ai, dit ce saint docteur, cela est
plein de piété, il nous est utile de penser et de parler ainsi ^ : » et
en tra^'aillant sérieusement à notre salut , d'en attribuer à Dieu
l'eifet total.
C'est là qu'il faut perdre tout l'appui sur sa propre volonté.
' T)e dono pa^sev., cap. vi, ii. 12. — ^ Tesiini.^ lib. !II , c. iv. — 3 j'hn^^ jj^ 13_
— '* De dono persev., etc. c. xiii, a. 33.
TOM. XVUl. 40
626 INSTRUCTION SUR LUS UTATS D ORAISON.
" Il y a sujet de s'étonner, dit le même saint Augustin , qxw
1 homme aime mieux se commettre, s'al)andonner à sa propre
foihlessc qu'à la promesst^ inébranlable de Dieu; et, contiiiue-t-il,
il ne sert de rien d'objecter : Mais la volonté de Dieu sur moi-
même m'est incertaine ; » car ce Père reprend aussitôt : « Quoi
donc? Etes-vous certain sur vous-même de votre propre volonté,
et pouvez-vous ne craindre pas cette parole : Que celui «ini est
debout craigne de tomber? Comme donc l'une et l'autre volonté,
et celle de Dieu et la nôtre, est incertaine pour nous, pourquoi
l'homme aimera-l-il mieux alKmdonner sa foi, son espérance et
sa charité, c'est-à-dire tout l'ouvrage de son salut, à la plus
foible volonté qui est la sieime , qu'à la plus puissante qui est
celle de Dieu ' ? »
Tout le but de crtte di^ Irine dv s;iinl Augu.sliu est de nous
faire avouer que, n'y aymit (ju'une seule volonté qui soit iinnmable,
c'est-à-<lire la vohjuté de Dieu , et celle-là tenant la nôtre en sa
main, il n'y a point de certitude pour nous que de nous attacher
Mjuvfrainemrnt à crtt»* suprême volonté qui stule pt ut nous
faire fairr tout cv qu il faut : ee qu'on iw peut •'S[).'rtr (pieu s'a-
bandctnnant entièrement à eJle.
On voit par là (jue, clnrchant l'endroit où le chrétien peut
trouver 1«' repos autant (jue l'éliit de cette vie en est capable, ce
Krand Saint ne lui propose pas le repos funeste de tniir pour
indiirmnt tout ce que Dieu peut ordonner de nous en bien ou vu
mal pour toute l'étrrnité, mais qu'il lui donne tout le n |ios ([u'il
j>eut avoir eu «cttc vif. dans la rmjise de Sii voloiiti' m (elle de
Dieu.
Ce n'est pourtant pas dans le dessein (pie l'on ci'sse de faire ses
efforts, (lar il n'a pas oublié ce qu'il rnsi'igne partout, «que l'ou-
vrage du Sidut ne se doit pas acconq)lir par de simples vq'UX,
sans y joindre en nous efTorçant de notre piu't l'elTicace de noire-
volonté, puisque Dieu est apprlé notre .s'cours, et qu'on n'aide
«jue celui qui fait volontairement (jnelqucs elforts : \cc adjurari
potest, nisi qui aliquid sponte coiiatur ' : n où il ne faut pas en-
' De prcedcstinalionc Sanclonmi, cap. xi, u. :21 — * De lecc. mer., lil». II,
cap. V, n. 6.
TRAITÉ I, LIVRE X, N. XVIII. 627
tendre que cet effort de la volonté précède la grâce, puisque c'est
positivement ce que saint Augustin a voulu détruire, mais plutôt
que tout l'effort que nous pouvons faire en est le salutaire effet.
Et il ne faut pas s'imaginer (jrie cette doctrine qui nous oblige
à donner à Dieu tout l'ouvrage de notre salut, mette les hommes
au désespoir, comme les demi-pélagiens ne cessoient de le repro-
cher à l'Eglise ; au contraire, dit saint Augustin, « j'aime mieux
leur laisser à penser en eux-mêmes que d'entreprendre de l'expli-
quer par mes paroles, quelle erreur c'est de croire, comme eux,
que la prédication de la prédestination apporte aux auditeurs plus
de désespoir que d'exliortation à bien faire : car c'est dire que
l'on désespère de son salut , lorsqu'on apprend à l'espérer non
pas de soi-même, mais de Dieu, pendant qu'il crie par la bouche
du Prophète : Maudit l'homme qui espère en l'homme ' . » Et
ailleurs plus fortement, s'il se peut : « A Dieu ne plaise que vous
croyiez qu'on vous fait désespérer de vous-même, quand on vous
ordonne de mettre votre espérance en Dieu et non en vous-même,
puisqu'il est écrit : «Maudit l'homme qui espère en l'homme : »
et, « Il vaut mieux espérer en Dieu que d'espérer en l'homme ^. » Ce
qu'il inculpe en disant : « Faut-il craindre que l'homme désespère
de lui-même , lorsqu'on lui apprend à mettre son espérance en
Dieu, et qu'il seroit délivré de ce désespoir, si malheureux autant
que superbe , il la mettoit en lui-même ^ ? » Yoilà donc tout le
repos du chrétien : voilà ce qui calme ses inquiétudes ; et pour
réduire cette doctrine en pratique, au-dessus de toutes ses œuvres
et au-dessus en quelque façon de toutes les grâces qui les lui font
faire , il s'attache comme à la source, non à quelque chose qui
soit en lui-même , mais à la bonté qui est en Dieu, et sans relâ-
cher ses efforts il met sa foible volonté dans une volonté toute-
puissante.
Cet acte, si c'est un seul acte, est un parfait abandon : je dis, si
c'est un seul acte ; car en effet c'est un amas et un composé des
actes de la foi la plus parfaite, de l'espérance la plus entière et la
plus abandonnée , et de l'amour le plus pur et le plus fidèle : ce
qui fera toujours trois actes, puisque, comme dit saint Paul, la
1 De dono persev., cap. xvil, n, 16. — ^ Ibid., cap. xxii^ u. 6i'. — ' Ibid.
fi2S INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
foi , respérance el la charité seronf toujours (rois c/ioscs ; mais
trois actes concourant cnseml)leà rendre le chrétien tranquille et
heureux, conformément à cette parole : « IleureiLX riioniinc «pii
se confit' en Dieu '. »
Cet acte, encore un»' f<»is, réunit en^iemble, a\c(' uiw foi par-
faite et une parfaite espérance, un inir et parfait amour : ct't acte
nous détache à fond df nous-mêmes : cet acte noiis unit à Dieu
autant (ju'il est i»ossihlo en cette vie : cet acte fait regretter les
jjéchés par le plus haut et le plus puissant «le tous les motifs, et
ntr li.iilf la erainte ipi'oii en peut avoir. puisipTuii anionr si par-
fait les Consume »'t les ahsoihe. {'.et acie porte en lui-même tout
ce (pii peut nous donner de l'assuraner. puis(iue rien ne nous rend
plus sensible la Ixjuté de Dieu, (pie le mou\ement (pril nous ins-
pire d'en attendri? tout : et l'abandon ne peut pas aller plus loin.
puiscpie c'i'sl là un «'Utier accomplissement de la parole où saint
Pierre ordonne >< de njt'ter en Dieu tonte son impiielude. parce
qu'il a soin de nous *, » sjuis discontinuer néanmoins »le/>;v^;' rf dr
vriller, dr prur if'rtitrrr en frnfotinn. lommc le Sam enr hii-niènie
lavoit ronunandé *.
Voilà rpiel est l'aliandon du rhietien, selon la doctrine aposlo-
hipie, el on voit qu'il présuppose deux fondemens : l'un, decroiic
ipie Dieu a soin de nous; et l'autre, qu'il n'en faul pas moins a.irir
et veilli'i' : autri'inent ec seroit lenlei- Dieu.
Cet art.' uf ufnis est point proposé comme un .ni»' qui n'ajipai'-
tiemie i|U*à la seule oraison passive; il est déduit. c(»uune on voit,
des principes comnums de la fi»i. Saint .Vu^rustin après sain!
(!yprien, et tous deux a[)rt'S saint Pierre, le reconunandent éf^Mle-
nienl à fous les fidèles; et il n'y a (pie les (piirtistes de nos jours,
ipii pour se donner une vaine distinetion , se s(»ienl avisés de ré-
server l'abandon à un état d'oraison exfraoïdinaire.
^'^ Savoir si c'est pousser l'abandon plus loin iiue de se somm'llre.
Duxitiii'' * • '
yiici.. ri si Diru le vouloit et iiuil fût po.ssible , à des peines éternelles,
an tu|>pa- i i i 7
.iLoB. pjr pourvu qu'on ne perdît pas son amour : c'est co rpi'il est aisé de
résoudre jiar l«'s principes (\u(m a posés.
11 a ete établi par des témoignages constans ', ipie le saint des
» Jcrrm., \\u,l.— ' I Vetr.,\, ',li.— KMallh., SXM, SI.— '• Ci licâàus, liv. IV,
TRAITÉ I, LIVRE X, X. XIX. 629^
chrétiens est inséparablement uni à la volonté de Dieu et à sa
gloire, comme à leur fm naturelle. De là il s'est ensuivi que le
désir du salut a pom' sa fm naturelle et dernière la gloire et la vo-
lonté de Dieu, selon ce verset de David : « Que ceux qui aiment,
ô Seigneur, le salut venu de vous , ne cessent de dire : Que le
Seigneur soit glorifié : Dicant souper : Marjnificetur DoniinuSj qui
dilifjunt salutarc tuum '. » Si c'est la gloire de Dieu qui fait qu'on
aime son salut , donc en aimant son salut on aime Dieu plus que
soi-même ; on est touché de ses bienfaits à cause qu'ils viennent
de lui : on est prêt à renoncer à tout, excepté à son amour, et à
tout souffrir plutôt que de résister à sa volonté : ce qui fait un
amour à toute épreuve.
Qu'ajoute à la perfection d'un tel acte l'expression d'une chose
impossible ? Rien qui puisse être réel ; rien par conséquent qui
donne l'idée d'une plus haute et plus elTective perfection.
Pourquoi donc un Moïse , un saint Paul , selon l'interprétation
de saint Chrysostome et de son école ; pourquoi ceux qui ont suivi
cet Apôtre se sont-ils servis de ces fortes expressions ? Pourquoi,
sinon pour nous faire entendre par ces manières d'excès, que lem*
amour est prêt à tout, jusqu'à être anathème si Dieu le vouloit?
U ne faut pas croire pourtant qu'eu parlant de cette sorte ils aient
été persuadés que Dieu voulût ou cpi'il put vouloir, selon les règles
de sa bonté et de sa justice, traiter ses saints avec cette rigueur.
Car on a vu ^ que saint Chrysostome a suppléé dans le passage de
saint Paul , un s'il étoit possible , -"'■ ^u^ariv ; et saint François
de Sales , qui s'est servi si souvent de ces suppositions par im-
possible , n'ignoroit non plus que les autres qui ont parlé comme
lui ce beau passage du livre de la Sagesse : « Comme vous êtes
juste, vous disposez justement de toutes choses, et vous trouvez
éloigné de votre vertu , de condamner ceux qui ne doivent pas
être punis ^ » On sait bien que selon les règles qu'il a établies.
Dieu ne peut envoyer dans les enfers ni priver de l'effet de ses
promesses , ceux qui auront été fidèles à garder ses commande-
mens. Tout l'effet de ces suppositions est que s'élevant en quelque
façon au-dessus tant du possible que de l'impossible , on tâche
1 Vml., XXXIX, i7.— 2 Ci-d'^st^us, liv. 1, u. Ji. — ^ s^^j,^ xil, lo.
fl.30 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
d'exprimer comme on peut ce que porte le sacré Cantique, que
Vfintour est fort comme la mort; et que la jalousie , que l'oii
conçoit pour la g:loire de Dieu, est dure comme V enfer ', et ne cède
pas à ses supplices.
Apr.'-s avoir établi que cet acte ou, si l'on veut, cette expression
est pieuse et légitime, il falloit encore marquer les inconvéniens
où tomlient les quiétistes à son oceasion.
J'en trouve quatre principaux : le premier est de rendre cet acte
trop commun : la terre est couverte de leurs rantiques, où l'on
méprise l'enfer et la damnation ; et c'est la première chose qu'on
fait parmi eux, dès qu'on y peut seulement nonuner l'oraison de
simple regard. Je ne m'en étonne pas, et en soi rien n'est plus
facile (ju'un abandon dont on sait l'exécution iiiq)ossible : mais
lors<pi'il est sérieux, il n'est que pour les Pauls, pour les Moises,
c'est-à-dire pour les plus parfaits. Si sjiint Pierre, mi apAtre si
fervtnt, a été repris pour avoir dit dans son zèle : Je mettrai ma
virpour rous^; et s'il a fallu le convaincre par saebiil«'(pi'il avoit
jinuiiis plus qu'il ne pouvoit, connue remanjue saint Anj,'tislin^ de
«pii'l délaissement ne seiont pas dignes ceux (jui osent d'abord
allronler l'enfer avec ses feux? Ils nes'enb'udenl pas eux-mêmes,
ils ne songent pas à ce (ju'ils disent : à pi'ine sont -ils à l'épreuve
des maux les plus légers, et ils s'imaginent pouvoir soutenir ceux
de l'enfer! Pour faire vérilablement un acte si fort, il faudroit
auparavant avoir passé par mille .sortes d'exercices, èJre poussé à
bout i>ar son amour, et sans relâche pressé et sollicité au tledans
par des impressions divines : autrement cet abandon n'est iju uu
vain discours et une pâture de lamour-propre. (l'est aclieter à tr(»jt
bon marché la perfection, (jue de croire y être arrivé par une sou-
mission en l'air et un dévouement sans effet : voilà donc le pre-
mier inconvénient, c'est de rendre cet acte trop comnnm. Le
second est d'attacher à celle exjjression la perfection et la pureté
de l'amour : car on a vu de très-grands saints, parmi lesquels j'ai
nommé saint Augustin, et J'en imurrois iionnner une infinité
d'autres, (]ui tout embrasés qu'ils etoient du saint amour, n'ont
jamais seulement songé à en expliquer la force par ces supposi-
' CfiiU., VIII, G. — * Jonn., xill, 30.
TILyTÉ I, LIVRE X, N. XX. 631
tions impossibles. Combien de saints ont eu mi amom* capable du
martyre, qui n'ont pas seulement songé à exprimer qu'ils étoient
prêts à le souffrir? Ainsi sans nommer les peines d'enfer, on peut
être très-disposé à les endm-er, si Dieu le vouloit , plutôt que de
l'offenser. Le troisième inconvénient est d'attacher un tel acte à
une oraison extraordinaii'e et passive : car c'est vouloir attacher à
un état extraordinau^e et particulier ce qu'on a vu compris dans
le pur amom% qui est de tous les états^ comme on l'a souvent dé-
montré. Le dernier inconvénient est, sous prétexte d'un acte où
l'on veut réduire la perfection du christianisme , de croire avoir
satisfait à toute la loi de Dieu, et de négliger la pratique des com-
mandemens exprès : ce qui est, comme on a \u par les articles
précédens, une hérésie manifeste.
Au reste je veux bien avouer que quelques savans théologiens
eussent voulu qu'on eût passé cet article sous silence, ou du moins
qu'on s"y fût plutôt servi du terme de tolère?' que de celui d'ins-
pù^er ces actes aux âmes pemées et vraiment humbles, comme il
est porté dans l'article ^ Je voudrois bien pouvoir céder à leurs
sentimens. Mais premièrement pour le silence, c'eût été une peu
sincère dissimulation d'une chose qui est très-célèbre en cette ma-
tière, et on se fût ôté le moyen de découvrir les abus qu'on en a
faits dans le quiétisme.
Pour le terme de tolérer, on ne pouvoit l'appliquer à un acte que
tant de saints, et entre autres saint Clirysostome avec toute sa
savante école , ont attribué à saint Paul.
Pour le terme d'inspirer cet acte, si l'on entendoit r-:'on y dût
porter les âmes comme à un exercice commun, on a wx que je
serois des premiers à m'y opposer : mais pour l'inspirer, ainsi
que porte l'article aux âmes humbles et peinées, que Dieu presse
par des touches particulières à lui faire cette espèce de sacrifice à
l'exemple de saint Paul, comme après tout ce n'est autre chose que
de les aider à produire et en quelque sorte à enfanter ce que Dieu
en exige par ses impulsions, on n'a point trouvé d'autre terme ,
et on est prêt à le changer si quelqu'un en indique un plus propre.
Les directeurs des âmes sont établis par le Saint-Esprit dispen- xx.
* Alt. XXXIII, ci-desîu?, p. ;jG4.
632 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON,
nier arii- sateiiTS (Vunc fjvace qui se dirersi/ïc en pli(s/eu?'s 77umières \ Il
mln.cre's DG faut jias S €11 étomitT, puisque la sagese de Dieu étant ellc-
de diriger iDeme, comme dit saint Paul -, fort divei^sifice dans ses desseins,
les aine». , i ii t « m ,
les grâces qu elle distrilnie ne peuvent être uniformes. Ainsi le
fidèle directeur des âmes , dont tout le travail est d'accommoder
sa conduite à l'opération de Dieu, la doit changer selon ses
ordres ; et cette remanjuc est utile à faire observer qu'il ne s'en-
suit pas. (ju«' pour tenir des voirs différentes, les ministres de
Jésus-C.iirist ne soimt pas animés d'un même esprit.
On ajoute qu'une même vérité de l'Evangile est entendue plus
profondi'imentdesuns que des autres, suivant les degrés de grâces
où chacun est ajipelé ; ce (jui est certain en soi-même, et propre
d'ailleurs à autoriser la conduite des saints direcleurs, (pii s;uis
rien forcer laissent sagement entrer le^ ;uiies dans linlinie va-
riét»'- des voies de Dieu, et enfin ne lont autre chose que de se-
conder son opération.
ou"'in.- Comme 1»^ puhlic a su (jne la personne qui a composé le livre
iruction intitulé Moi/en court , et Vlntrrnrrtfffion du Cantique des ean-
nie kVM- tiques, s'est soumise à l'instruction, il n«' sera pas inutile d'en
lïur du II- _ _
.rc inu- rendre ici quelque compte en très-peu de mots.
Moyen Premièrement elle a siu'ue les xxxiv articles \ (pii lui ont
court, etc. ., . j . . . . . '7 . > .
ete nonnes avec les souscriptions ipu suivent: Deliucrc a Iss//,
t J. IhiMiiNE, ('vrquc de Meau.r ; t Loiis-Ant., év. C. de CJullons;
F. hK YÈyELOs,îio)7i}né à rarchcvrchc de Cambray; L. Tronson.
En signant ces articles, elle signoit visiblement dans le fond la
rétractation de ses erreurs, fini toutes sont incompatibles avec la
doctrine cju'ils contiennent. Pour une plus précise explication,
elle a encore souscrit aux ordonnances et instructions pastorales
des iO et ^2^) avril lOOri. et à la condamnation de ses deux livres,
comme contenant mie mauvaise doetriiu', ainsi qu'elle Ta expres-
sément reconnu. On a défendu à cette personne de répandre ni
ses livres, ni ses manuscrits qui étoient en grand nombre, d'en-
seigner, dogmatiser, diriger les âmes, et de faire aucune fonction
de son prétendu état apostolique , dont aussi elle avoit souscrit la
condamnationd ans rarticle xxvii des xxxiv. On lui a prescrit en
• 1 Vcir., IV, m. — î Eiiliex., lU, 10. — ^ Uapparlôà ci-ilcsiu:, p. '.'ùl et suiv.
TRAITÉ I, LIVRE X, N. XXII. 633
particulier les actes de religion auxquels Ton est obligé par l'E-
vangile, et dont ses livres enseignoient la suppression. Elle s'est
soumise à tout cela par des souscriptions expresses et souvent réi-
térées selon l'occurrence; et ce n'est qu'à ces conditions qu'on l'a
reçue aux sacremens. Ceux donc qui continueront à se servir de
ces livres censurés canoniquement et même condamnés par leur
auteur, ou d'en suivre les maximes, seront de ceux qui suivant
de mauvais guides voudront tomber avec eirx dans le précipice.
On avoit d'abord jugé à propos de ne point entrer dans les ma-
nuscrits de cette personne, dont il ne paroissoit p'.s que le public
fût informé; mais depuis, un saint prélat ayant trouvé l'écrit in-
titulé les Torrens répandu dans son diocèse, on ne peut que louer
le soin (tu'il a pris pour en empêcher la lecture, d'en exposer les
insoutenables excès '; et je ne puis refuser au public le témoi-
gnage sincère que je dois à la vérité des extraits qui sont conte-
nus dans sa censure comme conformes à un exemplaire qui m'a
été mis en main par l'ordre de l'auteur du livre [a] .
Je ne me veux point expliquer sur le reste de ses écrits ; et tout
ce qu'on en peut dire, c'est que le public peut juger de l'opinion
qu'on en a par la défense si expresse qu'on en a faite à leur au-
teur de les répandre, à quoi elle s'est soumise par sa signature,
ainsi qu'on a vu.
Quant à ceux, s'il y en a, qui voudroient défendre les livres
que l'Eglise a flétris par tant de censures, ils se feront plutôt con-
damner qu'ils ne les feront absoudre ; et l'Eglise est attentive sur
cette matière.
Pour achever cet ouvrage et en recueillir le fruit , il ne reste ^'^n-
Récapi-
plus que d'en ramasser les instructions principales, et de les op- ini.tionde
poser en peu de mots aux erreurs qu'on a condamnées. La plus ?<•, etpre-
iiiiercment
dangereuse de toutes est d'ôter du cœur des fidèles ou d'y affoi- ^es er-
reurs sur
blir le désir du salut, qu'on trouve partout dans saint Paul, et en i>i désir du
particulier dans les endroits de cet A[t(jtre , qui ont été rapportés
au troisième livre. Il est démontré par ces passages ^, que ce désir
1 Ordonn. de M. de Chartres portant condamnation de [ilusieurs livres des
qiùétistes, du 21 novembre 1693. — ^ ci-dessus^ liv. ill , u. 8.
(«) M">e Guyon.
634 LNSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
est inspiré par un amour de charité, par un amour lil)re et qui
vient du choix dune volonté droite, et enfm par un amoui' pur,
puisqu'il a la gloire de Dieu pour sa fm.
On a encore établi cette vérité par ce passage de saint Paul :
« Oubliant ce qui est derrière, et m'étendant (par un saint effort)
à ce qui est devant moi, je cours incessamment au bout de la car-
rière, au prix de la vocation d'en haut ', » c'est-à-dire à la cé-
leste récompense : ce qui appartient si visiblement à la perfection,
que l'Apôtre ajoute aussitôt après : « Tant que nous sommes de
parfaits, soyons dans ce sentiment •. »
On a aussi rapporté pour la même fin ', après saint François de
Sales, beaucoup de paroles de David , dont en voici une qu'on ne
peut assez répéter : «J'ai demandé au Seigneur une seule chose : »
wuiin pctii *; ce n'est pas ici une demande imparfaite, et qui
pai'tage le cœur: « Je n'ai, dit -il, demandé qu'une seule chose; »
ce n'est point \nie demande cpii passe comme passent les désirs im-
parfaiLs : lunic rrfjui/'fii/i : «Je la dcnianderai encore, » et je ne ces-
serai do la demander, qui est « dhabift'r dans la maison du Sei-
gneur, de voir sa volupté (d'en jouir) et de visiter son saint l(Miq)le.»
l'uyez donc les expressions des nouveaux mystiques, où vous
ne trouverez ordinairement le désir du salut qu'avec des restric-
tions peu nécessaires, et presque jamais absolument ou à pleine
bouche comme s'il étoit suspect. Gardez-vous bien d"y allacher,
à b'ur exemple , l'idée d'acti- imparfait et inléressé, ou d'en sé-
parer l'idée du pur et parfait amour, de peur (pie des âmes igno-
rantes, en nommant toujoiu's l'amour pur et désintéressé, ne
s'imaginent être plus parfaites qu'un saint Paul et (ju'un David,
où elles trouvent à toutes les pages ces désirs, qu'on les accou-
tume à regarder comme intéressés et comme inq)arfaits.
Ne faites point din^ à saint François de Sales cpie la sainte in-
différence chrétienne enferme une indifférence pour le salut : car
la proposition en est erronée, comme il a été démontré sur l'ar-
ticle IX parmi les xxxiv '.
11 paroit dans le même article «, que « la sainte indilférence
» Phil.,m, 1."!, 11.— » IbiiL, 1.;.— 3 Ci-dessus, liv. Vill, n. :..— '* Pinl.
XXVI, 4. — i Liv. Xj 11. 5 fl 7. — ^ Ihid., u. G.
TRAITÉ I, LIVRE X, N. XXII. 635
chrétienne regarde les événemens de cette vie ( à la réserve du
péché ) et la dispensation des consolations ou sécheresses spiri-
tuelles, sa7îs qu'W soit permis à un chrétien d'être indifférent pour
son salut, ni pour les choses qui y ont rapport, » comme sont les
vertus.
Nous avons rapporté une infinité d'endroits *, et entre autres
deux principaux où le saint évèque de Genève explique expres-
sément ce qui est compris dans l'indifférence chrétienne ; et nous
avons remarqué qu'il n'y a pas une seule fois nommé le salut ^ ;
mais seulement les événemens de la vie, en y comprenant les con-
solations et les sécheresses spirituelles, ce qu'il inculque et répète
dans un entretien où la matière est traitée à fond, ainsi que nous
l'avons observé '.
Si vous tombez sur le passage où il dit : « qu'il désire peu, et
désirerait encore moins s'il étoit à renaître *, » comme s'il croyoit
tous les désirs imparfaits ou intéressés : repassez l'endroit de ce
livre % où en alléguant ce passage nous avons fait voir que le
Saint restreint lui-même sa proposition sur la cessation des désirs,
précisément aux choses de la terre, sans diminuer le d/'sir et la
demande des vertus , comme il l'explique lui-même en termes
formels dans la suite de ce discours.
Ne souffrez pas qu'on abuse de ces paroles du même endroit :
« Si Dieu venoit à moy j'irois à lui : s'il ne vouloit pas venir à
moy, je me tiendrois là et n'irois pas à lui : » car cette froideur
approcheroit du blasphème , si l'on entendoit cette parole du fond
même de la dévotion, et non pas des consolations ou des séche-
resses, où Dieu, selon qu'il lui plaît d'exercer les âmes, s'en ap-
proche et s'en retire , ainsi que nous l'avons démontré par tant
de passages de ce Saint, qu'il n'y peut rester aucmi doute ^.
Au reste s'il étend son indifférence aux consolations et aux sé-
cheresses , il ne faut pas s'imaginer que cette indifférence soit
absolue et entière ; mais il y faut apporter les correctifs que nous
avons remarqués dans une lettre du saint homme "^ : autrement il
1 Liv. Vil!, n. 4 et 13. — 2 Ihiii , n. 8. — s Entr. 11, ci-dessus, liv. VHI,
n. 11. — '' Entr. xxi. — = Ci-dessus , liv. VIII . n. 2. — <= Liv. Vlii , n. IS et
suiv. — "^ ILid., n. 17.
63G INSTRUCTION SUR LES ÉTATS DORAISON.
seroit contraire à saint Bernard , à David qui gémit dans les pri-
vations, et à lui-même.
Quand vous entendrez objecter sous le nom de ce saint évèque
VimUjJcrence lie roïque d'un saint Paul et d'un saint Martin, pous-
sée jusqu'au désir de voir Jésus-llhrist, entendez-la sans hésiter,
connue toute la suite le montre, du plus tùt ou du plus traxl, et
non pas du fond , comme nous l'avons ilémontré ' , et a^sm^ez-
vous que le contraire seroit un blasphème.
C'en seroit un du premier ordre, d'être indifférent à être damné ;
et comme il ne l'csle (jue la damnation à ceux qui perdent le salut,
c'est être indillV-ri'nt pi»ur la daiuiialion (pie de lètre pour le salut
même.
11 ne sert de rien df recourir à la distincfion entre la résigna-
tion et lindidérence ; car nous avons établi qu'elle est bien mince *,
et qu'en tout cas, ni en vérité ni selon saint François de Sales,
on ne trouvera jamais de résignation non plus que d'indifférence
à étr»' privé du salut. 11 a été démontré par des principes tbéolo-
giqu»'S et inrliraidablfs \ que Dieu ne nous demande ancnns
actes de résignation aux décrets qui regarderoieul la re[Hdlia-
tion ; mais plutôt qu'il nous les défend comme contraires à l'a-
mour (pie nous nous de>ons à nous-mêmes, et à notre propre
salut pour l'amour de Dieu.
Qu'on n'impute point à indifférence ces suppositions par impos-
sible, où ce saint homme, à l'exemple de (piel(}ues autres saints,
a reconnu « qu'on préléreroit l'enfer et la damnation au paradis,
si [lar impossible il y avoit plus de la Nolonté de Dim diins l'un
que dans l'autre : » car au contraire nous avons montré* que ces
endroits sont la ruine de l'indiirérence : et souvenez-vous que ce
saint évèque a dit « que les aines pures aimeroient autant la lai-
deur (pie la beauté, si (^Ue plaisoit autant à leur amant ''. » Quelle
absurdité, mais plutôt (pielle impiété d inférer de là que la beauté
de l'aine qui est la justice, et sa laideur qui est le péché, sont
choses inditrérentes ! Saint Paul a dit : « Si nous (tu un ange du
ciel vous annonçoit un autre Evangile, (lu'il soit anathème*,»
> Liv. Vm, n. m — » Uii'I., n. 2:{.— » Liv. III, n- 1" ; liv. IV, n. 1 et suiv.—
* Liv. 1\, 11. I. — s /in.';-. XII, p. S60; ci-de=.6Uii, liv. IX, ii. 2.-6 Galal., i, 8.
TRAITÉ I, LIVRE X, N. XXII. 637
«omme le démon. A l'occasion de ce passage^ fera-t-on des livres
pour dire qu'il est indifférent de prêter l'oreille aux anges de lu-
mière ou de ténèbres ? Ce sont là des expressions pour expliquer
la force de ses sentimens, et non pas ou des états d'oraison ou
des vérités absolues. Ainsi c'est une expression à saint Paul : « Je
voudrois être anathème pom- mes frères ^ ; » et à Moïse : « Ou
pardonnez-leur, ou effacez-moi du livre de vie^ » Ce sont de
pieux excès dans les momens du transport, et l'on n'a aucune rai-
son d'en faire des états d'oraison fixes et permanens. Quand saint
Paul a parlé de cette sorte, il n'a pas prétendu faire un acte plus
parfait ni plus pur que lorsqu'il a dit : « Je désire la présence de
Jésus-Christ ; » et : «Je m'étends en avant vers la récompense ', »
qui n'est autre que lui-même ; mais il a voulu expliquer l'excès
de son amour pour les Juifs qui ne le vouloient pas croire. Au
reste nous avons fait voir * que la pratique de ces expressions ne
peut être sérieuse et véritable que dans les plus grands saints ,
dans un saint Paul , dans un Moïse , c'est-à-dire dans les âmes
d'une sainteté qu'on ne voit paroître dans l'Eglise que cinq ou
six fois dans plusiem's siècles. Répandre sous ce prétexte tant de
cantiques, tant de livres, où l'on étale l'indifférence pour le salut,
et où l'on compte pour rien l'enfer et ses peines, c'est jeter les
âmes dans l'égarement et dans la présomption.
Nous avons observé ^ où tomba saint Pierre, quoique plein d'a-
mour et de ferveur, pour avoir cru trop tôt qu'il étolt à l'épreuve
du martyre : peut-être perdit-il la charité en croyant trop tôt que
la sienne étoit parfaite ; et du moins il est bien certain qu'il ne
fut désabusé de l'opinion qu'il avoit conçue de ses forces, que par
ime chute affreuse. Que ne doit-on craindre pour ceux à qui l'on
fait d'abord défier l'enfer? il n'y a pour les réprimer qu'à relire
attentivement l'endroit marqué à la marge ^
Il falloit donc bien se garder de multiplier des instructions inu-
tiles sur un sujet qui n'a presque point d'application : mais l'on
devoit se garder du moins de faire dire sous ce prétexte , comme
ont fait tous les faux mystiques , au saint évêque de Genève ,
1 Hom., ix,3. — 2 f.ro'/., xxxii,3l, 32.— s Phi/.., m, S; ii, 13^ 14. — ^Ci-
dessus, liv. X, n. 9. — ^ lùid. — e I/jùl., p. 593.
f,38 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON,
fjpi'on dcvoit tenir le salut pour indifférent , ou que le désir en
devoit ou pouvoit être retranché , pour s'en tenir à désirer la vo-
lonté de Dieu en général^ puisque ce saint homme ne Fa jamais
dit, et que ce sentiment seroit une erreur, ainsi qu'on l'a remarqué
au commencement de ce chapitre.
Nous avons rapporté, à cette occasion, la manière sèche et in-
différente dont les faux contemplatifs parlent des vertus K Pour-
quoi dire, par exemple dans le Moyen court , « qu'il n'y a point
dames qui pratiquent la vertu plus fortement, que celles qui ne
pensent pas à la vertu en particulier *? » Un mélange de ce levain
fera ranger les vertus entre les objets de la sainte indifférence,
ou fera dire qu'on ne pense pas à la vertu, ou qu'on ne veut plus
être vertueux, ni cultiver les vertus, comme si le nom de vertu
étoit devenu suspect aux chrétiens. Ce qu'il y a de plus simple est
regardé connue un piège par nos prétendus parfaits. Dans cette
théologie, aussitôt qu'on entend nommer le salut, ou dire qu'on
veut posséder et voir Jésus-Christ, on soupçonne dans ces pa-
roles des imperfections et des sentimens intéressés, et on en retire
son cœur, comme on feroit de (juclque cliose de bas. Yoilà où en
est réduite la piété dans ces âmes (luOn nomme grandes,
xxiii. Une autre source d'erreur dans le quiétisme est l'abus tout
reifr? s"r manifcstc qu'on y fait de loraison passive, où l'on commet trois
fautes : l'une, en la représentant autre qu'elle n'est ; la seconde,
en retendant trop loin; la troisième, en la rendant trop néces-
saire : ce qui tend au renversement de la piété.
Pour prévenir la première, nous avons fait voir ^ avant toutes
choses, ce que c'étoit chez les vrais spirituels que l'oraison qu'on
nomme passive ou de quiétude ; où il a fallu faire deux choses :
la première d'exclure les fausses idées; la seconde, d'établir les
vérilal)les. Et d'abord nous avons montré « que ce qu'on appelle
oraison passive, n'est ni extase ni ravissement, ni révélation ou
inspiration et entraînement prophétique \ » Au contraire l'esprit
des vrais mystiques, et entre autres du B. P. Jean de la Croix ,
est d'exclure toutes ces motions extraordinaires qu'ils réservent
1 Ci-dessus, liv. V, n. 37; liv. VIII, ii. 14. - » Liv. X, u. 1, 2. — ' Liv. VII,
n. 2. — * IbUl., n. 4.
l'oraison
passive.
TRAITÉ î, LIVRE X, N. XXIÎI. 639
à l'inspiration et aux états prophétiques. Ce n'est donc pas en
cela qu'il faut mettre l'oraison passive. Il ne la faut mettre non
plus , et c'est ce qu'il faut soigneusement observer, dans les mo-
tions et inspirations de la grâce commune à tous les justes, parce
que de cette manière « tous les justes seroient passifs, et il n'y
auroit plus de voie commune, » ainsi qu'on l'a dit ailleurs ; et
c'est ici un des fondemens de la \Taie doctrine mj^stique.
Après avoir exclu les fausses idées de l'oraison passive ou de
quiétude, en disant ce qu'elle n'est pas, il a fallu en venir à dire
ce qu'elle étoit ; et pour cela on n'a fait que suivre les sentimens
des vrais et doctes spirituels, à la tête desquels on a mis le B. P.
Jean de la Croix ; d'où l'on a conclu * « que l'état passif est une
suspension et ligature des puissances et facultés intellectuelles ; »
c'est-à-dire de l'entendement et de la volonté, qui par cette sus-
pension demem'ent privés de certains actes qu'il plaît à Dieu de
leur soustraire, et en particulier de tous les actes discursifs. Ce
n'est donc point une suspension de tous les actes du libre arbitre,
mais seulement de ceux qu'on vient de marquer , qui sont les
mêmes que l'on nomme aussi réflexes ou réfléchis, de propre
industrie et de propre effort : tous ces actes sont suspendus dans
les momens que Dieu veut , en sorte qu'il n'est point possible à
l'ame de les exercer dans ces momens : c'est ce qu'enseigne le
P. Jean delà Croix, comme il a été démontré par cent témoi-
gnages certains 2. On y joint ceux de sainte Thérèse, du PèreBal-
tasar Alvarez, un de ses confessem's ^, et de saint François de Sales
en divers endroits , surtout dans ceux où il règle l'oraison de la
Mère de Chantai*. Voilà une claire définition de l'oraison qu'on
nomme passive ; tant qu'on ne la prendra pas par cet endroit-là ,
on ne fera que discourir en l'air , sans seulement effleurer la
question. Ce fondement supposé, il faut ajouter encore que cette
suspension d'actes ne doit pas être étendue hors du temps de
l'oraison , comme il a été démontré % et enfin que cette oraison
extraordinaire ne décide rien pour la sainteté et pour la perfec-
tion des âmes que Dieu y appelle ®. Il ne faut pas regarder ces
1 Liv. VII, 11. 9. — 2 Ibid., D. 9, 30. — 3 Ihid., n. 10, eic— * Liv. VIII, n. 26,
31, etc.— 5 Liv. VII, n. 9, 10,13, 17; liv. VIII, n. 28, 29.— s Lib. YIII, n. 11, 12.
640 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS DORAISON.
remarques coninie de pure curiosité , et les réflexions suivantes
en feront vciir liinportance.
*^'ri'ut ^^^^^ •^onc la grande illusion du quiétisme : c'est d'étendre ces
passif e.t .soustractions et suspensions au delà des bornes. C'est une srrace
ïeVëri'ii ^® ^i^yi très-utile aux âmes de demeurer quelquefois sans pou-
'horHe ^^^ ^^^^'^ aucun effort ; et pai* ce moyen l'oraison passive tient
içmiHde comme le milieu entre les extases ou \'isions prophétiques et la
oucon. yQ\ç commune. La dernière, selon son nom, n'a rien d'extraor-
actuelle, dinaire : l'autre est toute miraculeuse : l'oraison passive marche
entre deux, tt na licn d'extraordinaire (jue la soustraction des
actes (juon a numpiés, tels que sont principalt-ment les actes dis-
cm'sifs * : ce qiii lui donne le nom de surnaturel^» , au sens qu'on
a expliipié par la doctrine et les expressions de sainte Thérèse.
La lin (|uc Dieu se propose dans cette oraison a aussi été
expliquée, lorsipi'on a dit * que par ces suspensions et S(»ustrac-
tions Dieu accoutume les âmes à se laisser manier comme il lui
plait, et que leur faisant expérimenter (ju'elles ne peuvent rien
par b'urs propres forces, il les tient profondément abaissées sous
sa divine opération , sans pouvoir souvent exercer d'autre acte
que celui de se soumettre et d'attendre.
Ce fondement supposé et l'oraison dont il s'agit étant définie,
il faut encore ajouter que cette snsjiension d'actes ne doit pas être
étendue hors des momens où Dieu veut (]ue certaines âmes res-
sentent leur impuissance ; en sorte que dans tout le temps que
cette opération divine se fait sentir, l'ame demeure en attente de
ce (jue Dieu voudra faire en elle, et ne s'excite point à agir. Mais
l'erreur descpiiétisles est d'étendre à tout un état cette dis[)osition
pas.'^agère, comme il a été expliipie '.
Tne des raisons qu'on en allègue est qu'il ne faut point prévenir
Dieu, puisque c'est lui (pii nous prévient; mais seulement le
suivre et le seconder : autrement ce seroit vouloir agir de soi-
même. Mais c'est là réduire les âmes à l'inaction, à l'oisiveté, à
une mortelle léthargie. 11 est vrai que Dieu nous prévient par son
ins[)iratiou ; mais comme nous ne savons [las cjuand ce divin
souflle veut venir, il faut agir sans hésiter comme de nous-mêmes,
• »Ci-Jessiis, liv. VII, ii.G, 8. — = Liv. Vil , ii. Il, 10. — «Liv. VllI, u. la.
TRAITÉ I, LIVRE X, N. XXV. 641
quand le précepte et l'occasion nous y déterminent , dans ime
ferme croyance que la grâce ne nous manque pas.
Nous avons produit plusiem's passages et de l'Ecriture et des
Saints pour établir ce propre effort du libre arbitre , qui s'excite
au bien : mais le plus clair est celui de saint Augustin, où rai-
sonnant sur le nom de la grâce , qui est un secom^s , il dit qu'on
n'aide que celui qui fait volontairement quelques efforts ^ Le
passage est beau et précis, et le lecteur attentif aura de la joie à
le relire. Ce grand défenseur de la grâce en composant un si bel
ouvrage, un des plus doctes qu'il ait composés pour la souteîiir,
assurément ne ^^ouloit pas dire que le libre arbitre prévenoit la
grâce dans les actions de piété : il vouloit dire seulement que
dans l'occasion on doit toujours tâcher, toujours s'efforcer, tou-
jours s'exciter soi-même , conarl : et croire avec tout cela que
quand on tâche et quand on s'efforce, la grâce a prévenu tous nos
efforts.
Il est "STai que, lorsque la grâce se fait sentir de ces manières
vives et toutes-puissantes, qui ne laissent pour ainsi dire aucun
repos à la volonté, souvent il ne faut que se prêter à son opération
et la laisser faire ; mais c'est une errem* aussi grossière que dan-
gereuse, de croire qu'en ce lieu d'exil on en vienne à un état où
il ne faille plus faire de ces doux et volontaires efforts. Nous avons
prouvé le contraire en cent endroits de ce livre : il y a été dé-
montré que c'est tenter Dieu que d'agir d'une autre sorte, et que
c'est une illusion qui mène au fanatisme. David qui reconnoît si
souvent que Dieu nous prévient, nous invite aussi quelquefois à
le prévenir : Prœoccupemus fadern ejus ^ Il ne faut ressembler
ni au pélagien qui croit p^é^'enir la grâce par son libre arbitre
ni au quiétiste qui en attend l'opération dans une moUe oisiveté.
Pour recueillir ce raisonnement et le faire voir comme d'un xw.
coup d'œil, nous arrangerons quatre propositions. prupôs'u
i. La manière dagir naturelle et ordmau'e est de discouru' et rang. os,
d'exciter sa volonté par des réflexions et des représentations Intel- incinani
lectuelles des motifs dont elle est touchée. .Ks.hu^
2. Cette manière d'agir n'est pas absolument nécessaire à la ■...ecJc.H.
1 /> iiccc. mer., lib. il , n G ; ci-des-us^ n. 18. — ^ ii^al. xciv, 2.
Tosr. xvni. 41
C42 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS DORAISOX.
piété : 011 pL'ul agir par la seule foi, qui de sa nalui'e n'est i)as dis-
cursive, et c'est ce qui fait la contemplation.
;j. Dieu, ([ui est le maître de Tame, peut encore la pousser plus
loin; en sorte (pie non-seulement elle n'use plus de discnurs, mais
même <ju'«'lU' ne puisse jjIus en user, qui est ce qu'on appelle la
suspension des puissances, ou l'oraison et contemplation passive,
infuse et surnaturellt*.
4. La <'nntenqilati(>n ni active ni passive n'est que passatrère et
comme momentanée en cette vie, et n'y peut être iierpétuelle.
Nous avons posé ces principes selon siint Tiiomas ' ; et la conrlii-
sion de tout cela est (jue si («Ttains actes, comme les demandes,
les actions de g-races et ceux de foi explicite sur certains objets,
cessent pour un temps dans l'oraison et recueillement actuel, on
les retrouve en d'autres raomens, comme nous la enseif^né le
docte l'ère l)altas;ir Alvarez *; en sorte (pie la suspension n'en est
jamais alisohic. quoi (pi'en disent les faux mysli(pits. m (pnhiue
état que ce soit.
Nous avons atis,si remanpié (pie le II. P. Jean de la (joix en
parlant des rtats perpétuellement passifs, ne tnmve personne à y
mettre que la sainte Mère de Dieu *.
rour aller jusipi'au princii>e, nous avons montré * par saint
Thomas, qu'un tu te confinucl de contctnphitiou rt d'uinnui' est
un acte des bienheureux : et par saint Augustin . ([ue si ces
monieiis lieineux de contemplation pouvoient diirei-, ils diN i. n-
droienf (piel(|ue chose qui ne seroit point celte vie : ce qu'il
re[u'te si souvent et e\\ tant de façons, qu'il est inutile d'en rap-
p«»rter les passages. Kn voici un (pii me vient, sur ce verset du
psaume xi.i : Mon uf/ir, j)ourf/uoi f)ic froufjlcz-vous? k Nous avons
senti avec joie la douceur intérieure de la vérité : nous avons vu
des yeux de res[)rit, (]Uoi(iu'en jiussnnf ri rajtideincnt, je ne sais
quoi dinimuahle : pourquoi donc me troublez- vous encore? Et
l'ame répond dans le silence : Quelle autre raison puis-je avoir de
vous troubler, sinon (pie je ne suis pas encore arrivée au lieu où
se trouve cette douceur ijui m'a ravie en passant?» Voilà ce qu'on
« Ci-de«sus, liv. I, n. 20, et liv. X, ii. 1 G. — * Ci-dessus, liv. Vil, ii. 10.—
*lii(l., ti.2l. — » Ci-dessus, liv. 1, n. 20.
allachécs
,1 l'ùtat
passif.
TRAITÉ I, LIVRE X, N. XXVI, XXVII. 043
sent; voilà ce qu'on aime dans l'acte de contemplation, toujours
passager en cette vie. Cent endroits semblables des autres Pères
de pareille autorité enricliiroient ce chapitre , si la mérité dont il
s'agit n'étoit pas constante.
Une des erreui's des faux mystiques que nous avons souvent xxvi.
relevée, est d'attacher la perfection et la purification de l'ame à nncluôn
l'état passif. Il a été démontré par plusieurs raisons, et en parti- tJtoIl
culier par l'exemple de saint François de Sales ', que cette doc- sirpoint
trme est aussi fausse que dangereuse, puisque sans être élevé à
cette oraison, ce saint évèque est parvenu à la plus haute perfec-
tion du pur amour. Il a même très-clairement expliqué que sans
l'oraison de quiétude, on arrive à un état autant et plus méritoire
qu'on peut faire par son secours -. Nous avons vu la même doc-
trine dans sainte Thérèse, et on en peut voir les passages aux
endroits cités à la marge et dans la préface de ce livre \ Il est
donc très -clairement démontré, et par principes théologiques, et
encore par des témoignages et des exemples certains, que c'est
pousser l'oraison passive au delà des bornes marquées par nos
pères, que de la donner comme nécessaire à la pm^eté et perfection
de l'amour.
Nous avons soigneusement distingué les actes directs et réflé- J^^"
chis, aperçus et non aperçus, empressés ou inquiets et paisibles *.
Nous avons exclu les derniers de l'état de perfection^; mais il
faut bien prendre garde qu'outre l'empressement et l'inquiétude,
il y a une excitation douce et tranquille de soi-même et de sa propre
volonté, un simple et paisible effort de son libre arbitre avec la
grâce, qui est inséparable de la piété durant tout le cours de
cette vie.
Il est vrai que nous avons vu « qu'il y a des actes de simplicité
ou même de transport, qui échappent à notre connoissance , ou
plutôt à notre souvenir; mais si l'on n'y regarde de près, ces actes
seront un prétexte aux âmes infirmes et présomptueuses pour ne
rien faire du tout, et cependant se persuader qu'elles auront fait
1 Ci-dessus, liv. VII, n. 28 et suiv.;liv. IX, n. 11. — ^ Ibid., n. 12. — 3 ibid.
n. 13; Préf., n. 6 et 7.— * Ci-dessus, liv. V, n. 1 , 9 et suiv. — s Ci-dessus'
liv. Ylll, n. 15, 37. -« Liv. V, u. 9. '
de
la (loclniie
des aclos.
644 INSTRUCTION SUR LES UTATS DORAISON.
de grandes choses, que leur propre sul>limité leur aura cachées.
Ces âmes douldement prises dans les lacets du démon par oisiveté
et par orgueil , no lui échapperont jamais. Ouelquo cachées que
soient s^ouvi-nt aux anics parfaites certaines honnes dispositions
de ieur co^ur ', on en doit toujours avoir assez pom* pouvoir dire
avec David : « ^ïon Dieu, je n'ai point élevé mon ca^iu' * ; » et avec
Joh : « Qu'il nie pèse dans un»* juste balance, et qu'il connoisM^
ma .«simplicité'; » et avec saint Paul : « C'est là notre gloire, 1"
témoignage de notre conscience*; » et encore : « Je ne me seii-
coui)al)le de rien"^; » et encore : « >!a conscience me rend témoi-
gnage * ; » et encore : «.lai soutenu un bon condtat, et la couroime
di' justice m'rst ré.servée' ; »> et avec saint Jeaii : <( Si notre tOMir
uf now^ npn'iid pas, nous aurons confiance en Dieu; et tout ce
que nrius di'niandrrons nous sera donné, parce que n(»us gardons
ses ri»nuuan<lrujens, et que nous accomplissons ce (pii lui plaît" ; »
et un peu au-des.sns : « C'est en cela (pie nous connoissons que
nous sommes enfans de la vérité, et ainsi nous fortifions et en-
courageons notro ( (enr m sa jtrési'nce''. » >trltons-nous donc «'ii
état d'avoir rr lidélr apjtui d'un»' bonn»* cunscirnct' ; il .sera par
fait et véritablrnu'ut désintéressé, s'il est acconqiagné de la puri-
fication r\ désai>proi»Tiation , dont nous parlerons bienl«'»l , el (pii
ccmsistc à bien croin- (pu- tout don parfait vient d'en liaul*". Nr
cherchons donc point à étouffer les réflexions sur nous-mêmes .
c'est-à-dirt' ni sur nos péchés, ni .sur les grâces que Dieu non -<
fait , puisipif rt's réfb-xions se tournont m pénitence , en action-
(h' grai es ri «u l'biiiid»!»' téinoignag»' d'une biuiii»' conscience,
xxviii. Au reste j'ai cni (l«'Voir joindre, selon l,i cculuine de IKglise ,
r.nuvn'a à la docD'ine (pie j'ai opjxisée au (piiétisme la réfutation et la flé-
'',n.'l",i.'i tiissure des livres où les maximes de celte .secte sont contenues.
oTrl.'n'r'". Les erreurs ne s'enseignent pas toutes simules : elles s'intriMluisent
d'.ilTu..'r'.' par des livres et par des personnes ; et c'est iionrquoi ceux qui
d'iult^to. condamnent les mauvais dogmes, n'en doivent jioinl éparj^Mier les
auteurs, ni leur chercher des excuses dans les ambiguïtés et va-
« Ci-dc.*?ust, liv. V, n. 5-7. — ' Psal. r.wx, 1. — ' Joi, xxxl, (i. — * Il Cor ,
1 12. — ' I Cor., IV, 4. — « lion)., ix, 1 . — ^ H Timoth., iv, 7. — " I Joan., m ,
iil, 22. — » Util., 19. — '• J«c., I, n.
TRAITÉ I, LIVRE X, xN. XXlX. 6ia
riétés qui se trouvent souvent dans leurs paroles. C'a été la règle
de l'Eglise de regarder où vont leurs principes, et où tend toute
la suite de leurs expressions, comme j'ai tàcîié de l'expliquer en
divers endroits K Celte secte et les autres sectes de même nature
ont été de tout temps si artificieuses, que jamais il n'y a rien eu
de plus difficile que de leur faire avouer leurs sentimens. La sin-
cérité et la charité m'obligent à dire que ces gens savent jouer
divers personnages. Ils sont si enfans, si on les en croit, et dune
telle innocence, que souvent ils signeront ce que vous voudrez ,
sans songer s'il est contraire à leurs sentimens, car ils savent s'en
dépouiller à leur volonté : en sorte que ce sont les leurs sans être
les leurs, parce quils n'y sont, disent-ils, jamais attachés : leur
obéissance est si aveugle , qu'ils signent même sans le croire ce
(fiii leur est présenté par leurs supérieurs : rien cependant n'entre
dans leur cœur, à ce qu'ils avouent eux-mêmes ; et à la première
occasion vous les retrouverez tels qu'ils étoient. Ce n'est pas sans
nécessité et sans l'avoir expérimenté que je leur rends ce témoi-
gnage : et on ne peut trop recommander la vigilance et l'attention
à ceux qui sont chargés de leur conscience.
Le traité qui suivra celui-ci , entrera encore plus avant dans la xxix.
•'1 f • n •! 5 • T > Desse:n
matière du pur et partait amour. Comme il ne s y agira plus guère <i" second
11' -1 • 'in • 1 Irailé.
de découvrir les sentimens outres des taux mystiques de nos jours,
on expliquera par principes et dans toute son étendue la nature
de l'amom' divm, en posant ce fondement de saint Paul : « La cha-
rité ne cherche point ses propres intérêts : » Noîi quœrlt quœ sua
sunt ■-. Ce qui montre que par sa nature elle est désintéressée,
et qu'un amour intéressé n'est pas charité.
En même temps il ne laisse pas d'être véritable qu'elle aime la
béatitude , et c'est un second principe qu'il sera aisé d'établir. On
montrera donc par l'Ecriture et par les Pères, que c'est le vœu
et la voix commune de toute la nature , et des chrétiens comme
des philosophes, qu'on veut être heureux et qu'on ne peut pas ne
le pas vouloir, ni s'arracher ce motif dans aucune des actions que
la raison peut produire, en sorte que c'en est la fin dernière, ainsi
qu'on le reconnoît dans toute l'Ecole.
1 Ci-dessus, liv. I, n.28; liv. M, ii. 2;J ; liv. X , n. i. — 2] Cor., x\u , 3,
64fi INSTRUCTION SUR LES ÉTATS DORAISON.
Dès là donc il n'est pas possible à la charité de se désintéresser
à l'égard de la béatitude : ce qui se confirme par la définition de
la charité (|ue donne saint Thomas ', (jui est que « la charité est
l'amour de Dieu, en tant qu'il nous comnnmique la l):alilude, en
tant (ju'il en est la cause, le principe, l'objet, en tant quil est
notre fin dernière. C'est le propre de la charité, dit ce saint doc
leur, d'atteindre notre fin «lernière , en tant (lu'elle est fin der-
nière ; ce (jui ne convient à aucune autre vertu : » Charitas ten-
dit in finrm idtinimn , sub rntione finis ultinii ; quod non convc-
nit idiriil (dii viftuti*.
lies en tant, que ce saint docteur répèle sans cesse en cette ma-
tière, sont usités dans l'Ecole pour expliquer les raisons formelles
et précises : en sorte que d'aimer Dieu, comme nous connnuni-
quant sa béatitude, emporte nécessairement que la béatitude com-
muniquée est dans l'acte d- charité une raison formelle d'aimer
Dit'U, par conséquent un motif dont l'exclusion ne peut rire (piuiie
illusion manifeste.
(l'est ce (pii fait ajt»uter à ce saint docteur, « que si [lar impos-
sible Dieu n'eloit pas tout le bien de l'honnue, il ne lui seroit pas
la raison d'aimer ' : » c'est-à-dire qu'il ne seroit pas un motif
foriiitl <'t une raison précise pour laquelle il aime. D'où il s'ensuit
que c'est à l'Iiommeun uïolif tl'aiiuer Dieu, (jne Dieu soit tout son
bien, c'est-à-dire, en d'autres mots, sa béalilude.
Cette doctrine de saint Thomas est tirée de saint Augustin *. qui
partout exprime l'amour qu'on a pour Dieu, par le terme de /////,
jouir, (pii «Miferme en sa notion la béatitude, [)uisqu'elle n'est pré-
cisément autre chose (jue la jouissance ou commencée ou accom-
plie de l'objet aime.
C'est donc une illusion d'otei- à l'amour de Dieu le niotil'de nous
rendre heureux; et c'est une contradiction manifeste de dire d'un
côté, avec saint Thomas, qu'on doit aimer Dieu en tant qu'il nous
communijpie la béatitude, et de l'autre, exclure la béatitude d'entre
> 11* 11% q. 23, art. i, c. oj >\. 2'., ail. 2, a.l I ; .|. 2G, t, c; .j. 26, J, c. iv. —
* Q. 23, 7. c, t'I a.l 2, art. 8, etc.; q. 20, 1. ad \ ; q. 27, art, 3, c , etc. — ' Ihiil.,
q. 20, ait. 13, ad 3. — * Oc Uodrina cJirisl., lib. i , n. 3 et seq.; lib, III,
TRAITÉ I, LIVRE X, N. XXIX. C4T
les motifs de l'amour, puisque la raison d'aimer ne s'explique pas
d'une autre sorte.
Au reste ces raffmemens introduits dans la dévotion ne sont pas
de peu d'importance. L'homme à qui Ton veut faire accroire qu'il
peut n'agir pas par ce motif d'être heureux, ne se reconnoît plus
lui-même, et croit qu'on lui en impose en lui parlant d'aimer
Dieu comme en lui parlant d'aimer sans le dessein d'être hem-eux :
de sorte qu'il est porté à mépriser la dévotion comme une chose
trop alambiquée , ou il s'accoutume en tout cas à la mettre dans
des phrases et dans des pointillés.
Pom' s'élever au-dessus de toutes ces foibles idées , il faut avec
saint Augustin entendre la béatitude comme quelque chose au-
dessus de ce qu'on appelle intérêt , encore qu'elle le comprenne,
puisqu'elle comprend tout le bien et que l'intérêt en est une sorte.
C'est ridée non -seulement de saint Augustin et des autres Pères
de même âge et de même autorité; mais encore, et je le dirai
sans hésiter, c'est l'idée, pour ainsi parler, de Jésus-Christ même
dans tout l'Evangile , et en particulier lorsqu'au rapport de saint
Paul il a prononcé cette divine parole, « qu'il est plus heureux de
donner que de recevoir *. » Par où il veut dire, non pas précisé-
ment qu'il est plus utile, mais outre cela principalement qu'il est
meilleur, qu'il est plus noble, plus excellent et plus pur : qui
est l'idée digne et véritable qu'il attachoit à ce terme, il est plus
heureux.
Cette idée est celle que je trouve dans la plupart des anciens
Pères. Si je l'ai bien remarqué, saint Anselme, auteur du siècle
onzième, est le premier qui a défini la béatitude par l'utilité ou
l'intérêt en l'opposant à l'honnêteté et à la justice : la subtilité de
Scot s'est accommodée de cette distinction ; mais il me sera aisé
de faire voir cpie saint Anselme et ceux qui l'ont suivi, en expri-
mant la béatitude d'mie manière plus basse, n'ont pourtant pas
renoncé à l'idée plus grande et plus noble que Dieu même, en
nous formant, avoit attachée à ce beau mot.
Pour en découvrir toute la beauté, il nous faudra exphquer avec
saint Augustin, cpie l'idée de la béatitude est confusément l'idée
' Act., XX, 35,
618 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON,
de Dieu : que tous ceux qui désirent la béatitude, dans le fond
désirent Dieu, et que ceux-là même qui s'écartent de ce premier
Etre, le cherchent à leur manière sans y penser, et ne seldi^rnent
de lui (|ut' par un reste de connoissance (lu'ils ont de lui-même :
ainsi aimer la Ixtatitude, c'est confusément aimer Dieu, puisque
c'est aimer l'amas de tout bien : et aimer F»'"" "" ••'r-t ■•-•-! aimer
plus distinctement la In-atilude.
L'idée de la récompense ne rend i)iLs la charité phis intéressée,
puisqiu» la récompense (pi'elle désire n'est autre que celui qu'elle
aime, et (pi'ellc lU' hii demande ni honneurs, ni richesses, ni
plaisirs, ni aucun des biens (ju il donne pour s'y arrêter, mais lui-
même, (l'est donc en vain (pi'on allètrue un jiassairt! de saint Wvr-
nard où il dit, cpie « l'amour ne veut iK>int de récompense ' : » il
s'expli(|nera lui-même phis «-ommodéfuent en son lieu : «pi'il nous
soit permis en attendant de lui donner pour interprète saint Rnna-
venture, c'est-à-dire un séraphin endirasé d'amour, et do résoudre
ee nteud par cette courte dislinclion : l'amour, selon saint Her-
iiar.l . ur veut point de récompense, où l'espérance de la récom-
pense Cil impnrfaitr et (llmiiun- l'aninur : si vous l'entendez do
la reconqtense créée , saint nonavenlure l'accorde; mais si vous
l'entendez de la récompens»' increée, ce {.q-and auteur le nie '.
La raison profonde et fondamentale de cette distinction est que
la rrrom[>ens(^ incréée est cette récompense que saint Auprusfin
ii\^\^o\\\' juu'fn tionnanlc : morres prrfkicns^ .{^\\M\[\\\\amn\o.\)0\\\o
l'amour de la récompense dans des biens au-dessous de lui, la ré-
compense (piil cherche e,st pour ainsi dire dégradante, ravilis-
sante et déshonorante ; mais ipiand il veut pour sa récompense
Dieu même et tous les biens de lame et du c<trps q>ii en suivent
la possession , c'est là ime récompense perfectiawuinlr , parce
(pi'elle domie la perfedion à son être aussi bien qu'à son amour.
L'honmie a i)our mérite l'amour commencé , et il a pour récom-
pense l'amour coasommé; en sorte que sa récompense, loin de
diminuer son amour, en est le comble; et le désir de la récom-
pense est si jifu la diminution de l'amour, (pi'au contraire il en
« De dilig. f)ro, c. vu , n. J7. — » Bonav., in III , dist. 2(), aii ! . ml ". — s D/:-
Doct. christ., Mit. I, c. XXXII, 11. 3.i; Dr ]>^r/>xt. jifsf., c. \lii, ii. 17.
TRAITÉ I, LIVRE X, N. XXIX. 649
recherche la perfection, et que c'est là son digne et parfait
motif.
J'ai mis avec Dieu, comme récompense, tous les biens du corps
et de l'ame qui en accompagnent la possession , non-seulement
parce qu'on ne peut pas ne pas chérir les récompenses qui nous
sont données d'une main si amie et si natm'ellement bienfaisante,
mais encore parce que ces biens ne sont qu'un regorgement, et
si l'on me permet ce mot, une redondance de la possession de Dieu,
qui fait le fond de la récompense ; c'est pourquoi saint Bonaven-
ture nous apprend que tout cela est l'objet de la charité , à cause
(remarquez ces mots) que la charité , le vrai et parfait amour,
regarde la béatitude avec l'universalité de tous les biens qu'elle
comprend, tant essentiels qu'accidentels '. Yoilà l'objet, voilà le
motif qu'on ne peut jamais exclure de la charité. Ce sont là ces
nobles récompenses , comme les appelle saint Clément d'Alexan-
drie ^, qui épurent l'amour loin de rafroil)lir : récompenses en
effet si nobles, qu'où ce n'est point un intérêt, ou si c'en est im,
le désintéressement n'est pas meilleur.
C'est en effet une fausse idée des nouveaux mystiques de donner
pour objet à la charité la bonté de Dieu, en excluant de l'état par-
fait tout rapport à nous : autrement il faudroit oter de ce grand
précepte de l'amour de Dieu : Tu aimeras le Seigneur, puiscjiie
le mot de Seigneur a rapport à nous. Bien plus il faudroit rayer
ce terme : Le Seigneur ton Dieu, puisqu'il n'est pas Jiotre Dieu
sans ce rapport. Il s'ensuivroit encore de cette doctrine, que l'a-
mour que nous avons pour Dieu comme étant notre premier prin-
cipe et notre dernière fm , ne seroit pas un amour de charité :
erreur qui est réfutée , après saint Thomas, par toute la théo-
logie.
Ne croyons donc pas déroger à la charité en aimant Dieu
comme une nature créatrice et conservatrice, encore que tous ces
mots aient rapport à nous : ni en l'aimant comme Sauveur, et
Jésus comme Jésus , encore que notre salut soit enfermé dans ce
titre et en fasse la douceur. Puis-je aimer Jésus-Christ comme
mon Sauveur, sans aimer par le même aniom' mon salut même
1 Bonay., etc., q. 2, ad 2 — - Slroin., lib. IV,
6"J0 INSTRUCTION SUR LUS ÉTATS DORAISON.
par lequel il est fait Sauveur? C'est pousser l'illusion trop loin
que fie croire que ces motifs dérogent, je ne dirai pas à l'amour,
mais à l'amour le plus pur.
Par la même raison c'est aimer, et aimer du plus pur amour,
que d'aimer Dieu comme une nature bienfaisante et béatifiante :
tout cela étant en Dieu une excellence qui ne peut pas ne pas
être aimée, ni ne pas servir de motif à l'amour, comme il a
été expliqué.
Nous concluons de ces beaux principes qu'il ne faut pas craindre
que celui qui aime Dieu souverainement, en se servant du motif
de la récompense ou de la béatitude éternelle , puisse tomber
dans le vice de rapporter Dieu à soi , puisqu'il est de la nature
de celte récompense perfectionnante et de cet amour jouissant,
d'attacher l'ame à Dieu plus qu'à elle-même : personne ne s'est
jamais confessé, ni ne se confessera jamais d'avoir rapporté à
soi même comme à sa dernière fin l'amour où l'on aime Dieu
souverainement comme son étemelle récompense : ces péchés sont
inconuus aux confesseurs, et ne subsistent que dans les idées de
quelques spirituels, dont il faudra en son lieu expliquer béni-
gnemcnl la bonne intention, mais non pas laisser jamais éliranler
cette immuable vérité de la foi : que l'amour souverain de Dieu
animé par le motif du moins subordonné de la récompensée,
pour ne pas entrer plus avant dims la question, est un vrai
amom' de charité, qui croissant comme il doit faire avec ce motif,
peut devenir un pur et parfait amour.
Et quant à ces abstractions et suppositions impossibles, dont
nous avons tant parlé, nous en parlerons encore pour faire voir
en [>remier lieu, « qu'il ne faut pas permettre aux âmes peinées
d'accpiiescer à leur désespoir et à leur damnation apparente ;
mais avec saint François de Sales les assurer que Dieu ne les
abandonnera pas : » ainsi qu'il est porté dans l'article xxxi parmi
les XXXIV ' . Nous exposerons à fond les conseils de saint François
de Sales : et en même temps nous montrerons que c'est une erreur
d'employer ces suppositions impossililes, pour séparer les motifs
de l'amour les uns d'avec les autres. On dit par exemple : On
*Ci-des=us, p. oG3.
TRAITÉ ], LIVRE X, N. XXIX. 651
aimeroit Dieu, quand par impossible il faudroit Taimer sans ré-
compense; donc la récompense n'est pas une raison d'aimer, et
l'amour parfait exclut ce motif. C'est une erreur semblable à
celle-ci : On aimeroit Dieu, quand par impossible il ne seroit pas
Créateur, puisque la création ne rend pas sa nature plus excel-
lente : donc il faut exclure le motif de la création, lorsqu'on
veut aimer purement. De même on aimeroit Dieu, et on Tai-
meroit souverainement, quand il ne nous auroit pas donné pour
Sauveur son Fils unique : donc cette parole du Sauveur : « Dieu
a tant aimé le monde , qu'il lui a donné son Fils unique ' , »
n'est pas un motif d'amour ; donc c'est d'un amour imparfait et
qLii n'est pas de charité, que parle saint Jean, lorsqu'il dit :
« Aimons Dieu, parce qu'il nous a aimés le premier, et qu'il a
envoyé son Fils pour être le Sauveur du monde ^ : » donc ce
pa?re que de saint Jean n'exprime pas un motif du vrai et par-
fait amour : donc ce doux nom de Jésus, qui réjouit le ciel et la
terre, ne nous est pas proposé comme un moyen et une raison
de toucher les cœurs : et l'amour pur et parfait exclut ce motif.
Tout cela que seroit-ce autre chose, que de vains raisonnemens
qui tendroient à l'extinction de la piété ?
Si l'on vouloit pousser à bout la subtilité et s'abandonner à
son génie , il ne faudroit que dire encore : On aimeroit Dieu
souverainement, quand on ne songeroit pas à la volonté par
laquelle il a disposé de nous et de toutes choses. Car en faisant
abstraction de ce rapport, sans lequel Dieu pouvoit être, puisqu'il
pouvoit être sans rien créer, il ne laisseroit pas d'être souverai-
nement aimable : donc la conformité de notre volonté à celle de
Dieu n'est pas le motif de l'amour et du pm' amour, et il n'y a
qu'à se perdre abstractivement dans l'excellence de l'être divin.
Ainsi les motifs de l'amour s'évanouiront l'un après l'autre ; et à
force de vouloir affluer l'amour, il se perdra entre nos mains. N'en
disons pas davantage , de peur de faire insensiblement le livre
dont nous voulons seulement donner le plan.
J'ai déjà comme ouvert l'entrée à cette doctrine ' ; mais je me
t Joan.. !ii, l(i. — 2 I Joa?i,, iv, 10, l'J.— 3 Ci-dessus, liv. 111, n. 8; liv. IX,
n. 7.
652 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'0R.\1S0N.
vois obligé de la mettre avec la grâce de Dieu dans la dernière
évidence ' : et pour mieux assurer la foi des fidèles, je m'nninii
aux colonnes de 1 Eglise, c'est-à-dire sans affectation à quelques-
uns des principaux d'entre les évèques, comme feront volontiers,
j'ose l'assm-er, ceux qui se proposent d'écrire sur cette matière,
oodiedc- ^^^^ n'oublierons pas dans ce livre la vraie et solide i.urification
pnlCn. ^^ l'auiour, dont les mysti(iues de nosj jom's ne parlent guère ;
pùriSc": elle se fait par la foi en ces paroles : a Tout don parfait vient de
'm"u''r"!,n' ^ieu * : » et : « Uu'iivez-vous que vous n'ayez reçu »? » et : « Sans
ilu!!\T,c. "loi vous nt; pou> ez rien '. » Nous avons touclié cette admirable
cond irui- purification \ en montrant l'abandon parfait où, sans établir en
soi-même aucune partie de sa confiance, on donne tout à Di.u :
Ut totum cletitr bco, comme disent saint (lyjirien et saiiil Au-
gustin. Telle c^t la véritable puriticalion de l'amour : telle est la
parfaite désappropriation du cfiur qui donne tout à Dieu, et ne
veut plus rien avoir de propre. CJiose étrange ! on ne voit point
éditer une si parfaite purification et désappr<»[irialion dans les
écrits des nouv»'aux mysli(|ues. Nous leur avons vu établir la
pureté de l'amour dans la séparation des motifs qui le pouvoient
exiilcr; mais la mctliode quti nous propo-cjns, s'il la faut ajjpeler
ainsi, (|ui est celle que saint Augustin a jirise de l'Evangile, ne
craint point de rassembler tous les motifs pour se fortifier les uns
les autres ; et pour épurer l'amour de Dieu de tout amour de soi-
même, elle entre profondément dans cette foi, qui est le fondement
de la piété, qu'on ne peut rii-n de soi-même, et (lu'ou reçoit tout
iW. Difu ;i (IwKpic acte, à cbaque moment. C'est ainsi que le co'ur
se (iésapproprie : sans celte [luriflcation, tout ce qu'on fait pour
épurer lauiour ne fait que le gâter et le corrompre ; et plus on le
croira pur, plus il sera disposé à devenir la pâture de notre amour-
propic,
CONCLUSION.
Toute la vie clirélienne tend au pur et parfait amour, et fout
chrétien y est appelé par ces paroles : « Vous aimerez le Seigneur
' Ci-dc!5sous, Afitlit. et Conerl., ii. C — » Jar.^ i, 17. — ^ I Cm-., iv, 7. —
* Joan., XV, 5. — » Ci-dess., liv. X, ii. 18,
TRAITÉ I, LIVRE X, CONCLUSION. 653
votre Dieu de tout votre cœur ' : » c'est là en substance tout ce
que Dieu demande de nous : « car qu'est-ce que vous demande le
Seigneur votre Dieu , si ce n'est que vous craigniez le Seigneur
votre Dieu ;, et que vous marchiez dans ses voies, et que vous
l'aimiez, et que vous serviez le Seigneur votre Dieu de tout votre
cœur et de toute votre ame ^? » Il nous donne pour motif de
notre amour ce que Dieu nous est : il est le Seigneur, il est notre
Dieu, qui s'unit à nous, ainsi qu'il l'exprime tout de suite par ces
paroles : « Le ciel et le ciel du ciel, c'est-à-dire le ciel le plus
haut, où sa gloire se manifeste, appartient au Seigneur votre
Dieu, avec la terre et tout ce qu'elle contient ; et toutefois le Sei-
gnem* s'est attaché à vos pères et les a aimés, et en a choisi la
race % » et le reste, qui n'est ni moins tendre ni moins fort, mais
qu'il seroit trop long de rapporter. D'où il conclut : a Aimez donc
le Seigneur votre Dieu \ » On voit, par tout ce discours, que le
chaste et pm- objet de notre amour est un Dieu qui y&ui être à
nous; ce qui faisoit dire à David : « Qu'ai-je dans le ciel, et
qu'ai-je désiré de vous sur la teiTe? Yous êtes le Dieu de mon
cœur, et Dieu est mon partage à jamais ^ » Ainsi ce motif d'ai-
mer Dieu comme le Dieu qui veut être à nous, est du pur amour,
et il n'est permis à personne d'exclure ce beau motif, à moins
de renoncer aux premiers mots du grand et premier précepte de
l'amour de Dieu.
Passons outre : il s'ensuit de tous ces passages et de cent
autres, ou plutôt de tout l'Ancien et de tout le Nouveau Testa-
ment, que le pur et parfait amom- est l'olijet et la fin dernière de
tous les états, et ne l'est pas seulement des états particuliers
qu'on nomme passifs : d'où il faut aussi conclure que le genre
d'oraison cpi'on nomme passive, soit qu'on y soit en passant , ou
qu'on y soit par état, n'est pas nécessaire à la pureté et à la per-
fection de l'amour où toute ame chrétienne est appelée : par où
nous avons montré que ceux qui arrivent à cette oraison n'en
sont pour cela ni plus saints ni plus parfaits que les autres, puis-
qu'ils n'ont pas plus d'amom'.
1 Deut., VI, 5. — 2 Ihhh, X, 12. — ' //,/,/., x, li. — - ILid., xi, 1. — s pg^i^
Lxxn, 25, 26.
Co4 INSTRUCTION SLR LES ÉTATS DORAISON.
La suppression ou suspension de certains actes dans l'état pas-
sif, durant le temps du Recueillement ou de Toraison, n'induit
pas la suppression ou suspension des mêmes actes hors de ce
temps, et ou les doit exercer dans Toccasion , ainsi qu'ils sont
commandés : de cette soiie il faut souvent répéter les actes de foi
explicite, les demandes et les actions de grâces. Il ne faut point
regarder les demandes comme intéressées, sous prétexte que c'est
pour nous (jut* mnis les faisons, et non pas pour Dieu, pour (|ui
il n'y a rien à demander, puisqu'// ?i'a besoin de rien et qu'il
donne tout ' : ne lui cherchons point d'intérêt, car il n'm a point,
et sa gloire est notre salut : et ne croyons pas l'aimer moins,
quand, à la manière d'une lidèle épouse, notre ame le cherchera,
poussée du chaste désir de le posséder.
ADDITIONS ET CORRECTIONS.
„ '" . On a corricré dans cette édition les fautes des citations qui
On fornpo *--'
,un. I.I.- l'-tQ-K^nt dans l'autre >/; : mais il reste des fautes dans les choses
i.r.nvoH inèmes, dont j'ai été averti par mes amis : et comme il y en a
_,"'^;'' _. «pielques-imes qui sont considéraliU^s, je ne sache rien de nieil-
r"u.u« ^6ur que d'avouer franchement que je me suis trompé,
vni'l'". J'ai dit au livre x, n.i,quela vm*" proposition des béguards
bcKii4r.i.. j-apportée dans le concile œcuméniijue de Vienpe ne regardoit
pas les faux mystiques de nos jours, non plus que la v* et la vu" :
encore (pi'elle les regarde directement, comme il paroît par la
simple lecture di' la Clémentine Ad nostrutn : De liœreticis , ap-
prouvée dans ce saint concile. II e^stvrai, ([uant à la vni' jiroposi-
tion, que je n'en ai considéré (ju'une partie, et (jue j'ai man(iué
d'attention pour l'autre. Voici la proposition toute entière, comme
elle est couchée dans la Clémentine : « Qu'ils ne doivent point se
lever à l'élévation du corps de Jésus-Christ ni lui rendre aucmi
» .4c/., xvn, 25.
(a) Cette édition, c'est la secoudc; l'autre^ c'est la première.
ADDITIONS ET CORRECTIONS, N. II. 635
lionneur ; assurant que ce seroit en eux une imperfection, s'ils
descendoient de leur sublime contemplation, pour penser au mi-
nistère ou sacrement de l'Eucharistie, ou à la passion de Tlmma-
nité de Jésus-Christ. »
Dans cette proposition des béguards, je n'ai remarqué que ce
qui regarde l'Eucharistie; et la crainte que j'avais d'imputer aux
nouveaux mystiques ce qui n'étoit point de leur sentiment, m'a
fait dhe que cet article ne les touchoit pas. Mais j'ai fait voir dans
tout le livre II de cette Instruction, que nos faux contemplatifs ne
croyoient que trop que Jésus-Christ Dieu et Homme et les mys-
tères sacrés de son humanité dégradoient la sublimité de leur
oraison et lui étoient un obstacle ; et qu'ainsi de ce côté-là ils ad-
hèrent trop visiblement à l'erreur des béguards.
On m'a aussi averti que je ne devois pas laisser sans preuve ce Draine
que j 'ai dit au livre VI, n. xxxiv, que c'étoit « une doctrine constante "f '^ll
de saint Augustin et de tous les Pères, que Jésus- Christ, en nous ,„"!"']'"-
proposant l'Oraison Dominicale comme le modèle de la prière '%;ii„1t '*
chrétienne, y a renfermé tout ce qu'il falloit demander à Dieu : ^JT'ira-
en sorte qu'il n'est permis ni d'y ajouter d'autres demandes , ni V^^ "' "'
aussi de se dispenser en aucun état de faire celles qu'elle con-
tient. » On a désiré que je soutinsse de quelque passage un point
si fondamental de la matière que je traitois. Et pour satisfaire à
un si juste désir, je rapporterai la doctrine de saint Augustin
dans l'exposition de l'Oraison Dominicale à ceux qu'on appeloit
Compétentes, parce qu'ils demandoient ensemble le baptême ; et
qu'étant admis par l'évêque à ce sacrement, ils dévoient prononcer
la première fois cette divine Oraison à la face de toute l'Eglise, en
sortant des fonts baptismaux.
Dans le premier sermon que ce Père a fait sur ce sujet, qui est
le Lvi* de la nouvelle édition, nous lisons ces mots : « Les paroles
que Notre-Seigneur Jésus-Christ nous a enseignées dans l'Orai-
son Dominicale, sont le modèle de nos désirs : Forma est dcsidc-
rioruni : il ne nous est pas permis de demander autre chose que
ce qui est écrit dans ce lieu : Non licet tibi aliquid petere quàm
quod ibi scriptum est. »
1 Seim. LVi, n. 4.
«56 INSTRUCTION SLK LES KTATS I) UUAISON.
Il importe donc de bien prendre l'esprit de cette divine prière ;
ci saint Aiigubliu continue à nous y faire entrer, en examinant
chaque demande en cette sorte : Que votre imm soit snnctifié.
«< Pourquoi demandez-vous que son nom soit sanctifié? il est déjà
saint. (^Juand vous demandez que son nom soit sanctifié, est-ce
que vous allez prier Dieu pour Dieu et non pas pour vous ? En-
tend(.'Z , f't \-ous priez |X)ur vous-même ; car vous demandez que
ce qui r>t toujours saint en soi soit sanctifié rn vous, «ju'il soit
réputé saint, (pfil ne soit pîis méprisé. Voiis voyez donc que
c'est à vous que vous désircî du liien ; car si vous niéprisez le
nom de Dieu , c'est un mal pour vous et non pas pour Dieu '. »
Hrnianpn'Z celte façon de parler : Ce n'est pas i>our Dieu que
vous offrez tles prières ; c'est \mm\t vous : vous vous désirez du
liirii à vous-même : est-co un dé>ir intéressé? Il n'y sonf^'c .seule-
ment [)as, et nous en verrons la raison. Il poursuit : «< Que votre
règne arrive. Quoi? si vous ne le demandiez pas, le règne de
Dieu ne viendroil pas? Il parle de ce règne qui arrivera à la fin
des siè'cles: car Dieu règne toujoui's, el n'est jamais suis régner,
lui à qui toute créature oln-il. Mais quel règne désirez- vous, si-
non celui dont il est érril : Venf»z, vous (jui avez été hénis par
njon Père, et recevez le royaume. Voilà ce (jui nous fait dire :
Qur votre royaume arrive. .Nous prions que ce royamne soit en
nous : nous demandons d'être unis dans ce royaume, car ce règne
viendra sans doute : mais que vous servira (ju'il vienne, s'il vous
trouve à la gauche? Ainsi en cet enriroit de la prière comme à
l'antre, c'est à vous que vous souhaite/, du bien : c'est pour vous
(pi.- NOUS priez ; et ce que vous désirez, c'est de vivre de la manière
cpii «'st néces.siire jionr arrivi'r à ce royaume, ijui sera donné à
tous les saints '. »
On dira peut-être qu il nous attache troj» à notre intérêt, et
(]u'il ne nous fait pas assez reconnoître l'excellence de la nature
divine en ell«'-niême. Au contraire il la suppose : il suppose,
dis-je, (jui* le nom de Dieu est saint en lui-inênn^ : (jtie le règne
de Dieu est éternel et inséparable de lui : eiilin (jue Dieu est si
graml, (ju'il n'y a rien à lui désirer, et qu'il ne nous reste qu'à
' Sltiu. LVi, aip. IV, 11. :;. — î V.iil., n. C.
ADDITIONS ET CORRECTIONS, N, III. 657
prier pour nous, afin que nous soyons pleins de lui : mais la
demande suivante le fait encore mieux entendre : « Que votre
volonté soit faite : quoi ! si vous ne le demandiez pas , Dieu ne
fera point sa volonté ? Souvenez-vous de l'article du Symbole que
vous avez rendu, c'est-à-dire que vous avez professé à la face de
toute l'Eglise , après l'avoir appris en secret : Je crois en Dieu le
Père tout-puissant : s'il est tout-puissant , pourquoi priez- vous
que sa volonté soit faite ? Que veut donc dire cette demande :
Que votre volonté soit faite? C'est-à-dii'e : Qu'il se fasse en moi
que je ne résiste pas à votre volonté. Ainsi en cette demande
comme dans les autres, c'est pour vous que vous priez, et non
pas pour Dieu ; car la volonté de Dieu se fera en vous, quand
même elle ne se fera pas par vous. La volonté de Dieu se fait dans
les justes, à qui il dit : « Yeuez, ù bénis de Dieu ! et recevez le
royaume , » puisqu'en effet ds le reçoivent : elle se fera aussi
dans ceux à qui il dira : « Allez, maudits. » La volonté de Dieu
se fera en eux, puisqu'ils iront au feu éternel ; mais c'est autre
chose que la volonté de Dieu se fasse par vous. Ce n'est donc pas
sans raison que vous demandez qu'elle s'accomplisse en vous , et
par là vous ne demandez autre chose, sinon que vous soyez heu-
reux ; ?iisi ut henè sit tibi : mot à mot, qu'il vous soit bien; que
vous soyez aussi bien que vous le désh^ez , mais en quelque état ,
ou heureux ou malheureux , que vous soyez , la volonté de Dieu
se fera en vous , et vous avez encore à demander qu'elle se fasse
aussi par vous : fiet in te , sed fiât et à te ' : » afin, comme il vient
de dire, que votre état soit lieureux, ut henè sit tibi.
Cette parole de saint Augustin : Ut henè sit tibi, est répétée de
l'endroit du Deutéronome , où se lit le commandement primitif
du saint amour : « Ecoute, Israël, et prends garde à observer les
commandemens que t'a prescrits le Seigneur, et afin que cela te
tourne à bien : et henè sit tibi^ ; afin que tu sois heureux : comme
s'il disoit : Ce n'est pas pour être heureux lui-même que le Sei-
gnem' ton Dieu veut être aimé de toi : c'est afin que tu le sois ; à
quoi il ajoute : « Ecoute, Israël; le Seigneur notre Dieu est un
seul Seigneur ' ; » ce qui appartient à l'excellence incommuni-
1 Serm. lvi, c. v, n. 7. — 2 Deut., w, 3,-3 Ibid., 4.
TOM. XV ni. 4f2
658 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
cable de la nature divine : d'oîi après avoir posé, comme on a vu,
les motifs fondamentaux de notre amour, il conclut : i< Tu aimeras
le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, etc. ' ; » ne dédaignant
pas d'expliquer dès ces premiers mots que le Dieu qu'il nous faut
aimer est un Dieu qui est notre Dieu ; ce qui comprend que c'est
un Dieu cpii se donne h nous : Dominum Deum tuum.
Il ne faut donc pas s'étonner que saint Augustin ait tant incul-
(|ué (pie ce Dieu (ju'il nous faut aimer n'a pas besoin de notre
amour, et qu il veut ({ue nous l'aimions, parce qu'il veut que
notre amour nous tourne à bien et non pas à lui : Ut bcnè sit
tihl ; ce qui marque la plénitude infinie et surabondante de sa na-
ture bienbeureuse autant que parfaite.
(l'est ainsi que l'Fglise cbréticmie bien instruite des préceptes
de l'Ancien et du Nouveau Testament, faisoit expressément re-
manpicr par la bou«be de ses plus grands évèipics aux enfans
qu'elle alloit engendrer en Jésus-Cbrist, que même dans les de-
mandes où il n'étoit point fait mention d'eiLX, c'étoit néanmoins
pour eux (pi'ils prioient, et non pits pour Dieu qui n'a besoin de
rien. Elle ne vouloit leiu* inspirer, en sortant des eaux du bap-
tême, qu'une sainte et pun* cbarité, pour le nouvj'au Père à qui
elle venoit de les mranter, c'est-à-dire pour notre Père qui est
dans les cieux : et cet amour filial , (pii leur faisoit désirer d'être
j)leins de Dieu, comme d'une nature excellente pour laipiell»- il
n'y avoit rien à demander, n'étoit ni impur ni inq)arfait.
Saint Augustin répète la même leçon dans une semblable oc-
casion au srnno/i suivant, et il enseigne encore aux enfans de
Dieu : « Que nous prions pour nous et non pas pour Dieu : F'ro
nobis rngnmus, noti itro Dro : <ar, dit-il . «e n'est pas à Dieu que
nous .soubaitons du bien, lui à (pii il ne peut jamais rien arriver
de mal ; mais c'est à nous ipie nous désirons ce bien, que son
nom (jui est toujours saint soit sanctifié en nous '. » Et un peu
après : « Demandons, ne demandons pas : Pctamus , non peta-
/ftus , ipie ^(»n règne vienne, il viendra : le règne de Dieu est
éternel. Mais cette demande nous apprend ({ue c'est pour nous
que nous prions et non pas pour Dieu, notre intention n'étant
* Deut., VI, 5. — ' Serra. Lvii, n. h.
ADDITIONS ET CORRECTIONS, N. III. 639
pas de souhaiter du bien à Dieu, comme en désirant qu'il règne :
mais nous entendons que nous-mêmes nous serons son règne ,
si nous profitons dans la foi que nous avons en lui K » Et encore
un peu après : « Que votre volonté soit faite ; c'est pom- nous que
nous faisons cet hem-eux souhait : car pom- la volonté de Dieu ,
elle ne peut pas ne se pas accomplir '. »
Il ne se lasse point d'inculquer cette vérité, et il dit encore
dans un troisième sermon : « La sanctification du nom de Dieu ,
que nous demandons, est ceUe par laqueUe nous sommes faits
saints ; car son nom est toujours saint : et de même quand nous
demandons que son règne arrive, il viendra quand nous ne vou-
drions pas : mais demander et désù-er qu'il vienne, ce n'est autre
chose que lui demander qu'il nous en rende dignes, de peur qu'il
ne vienne, et ne vienne pas pour nous \ »
La même doctrine revient encore au sermon suivant * ; et toute
la distinction que saint Augustin y fait entre les demandes, c'est
que les unes se font dans le temps seulement, comme celle du
pain de tous les jours, celle du pardon des péchés, et ainsi du
reste : au lieu que les autres s'étendent à toute l'éternité comme
les premières ; mais toutes ont cela de commun, que c'est pour
nous et pour notre bien que nous les faisons.
C'est donc ainsi qu'il faut prier, puisque l'Oraison Dominicale
est la forme de toutes les autres, comme on a vu que ce Père l'a
présupposé dès le commencement du sermon lvi. On sait qu'il a
montré en d'autres endroits "^ que cette doctrine étoit celle de samt
Cyprien , et qu'il n'a fait que la répéter après ce saint Martyr.
C'est celle de tous les Saints : et c'est une iUusion de croire cpi'en
quelque état que ce soit, on doive se détacher de tels désirs ou
n'en être pas touché.
Ce n'est pas qu'il ne soit juste et excellent de se complaire dans
la grandeur de Dieu, et de se réjouh^ du bien divm : mais ce n'est
pas là une demande, et ce seroit un acte stériïe si l'on n'envenoit
à la pratique de se remplir de Dieu en le servant. Il faut aussi
désirer la gloire de Dieu dans l'accomplissement de sa volonté :
' Scrm. Lvii, 11. :;. — 2//..:V/., n. G. _ 3 Se^m. lviii, li. 3. — 4 Perm lix d ■■;
elc. — •> De dono persev., c. Ji, ii. 4 et seq. ■ ■ } • ,
tm INSTRUCTION SUR LUS LTAIS DORAISON.
mais cette gloire , celte volonté dont on demande Tacconiplisse-
ment est celle de nous rendre saints et heureux : et la gloire qui
aiTive à Dieu pour faire sa volonté dans ceux qu'il damne, n'est
pas l'objet (le nos vo^ux , mais de nos terroiu's : que si nous ai-
mons sa justice comme im de ses attributs, ce n'est pas pour
nous que nous l'aimons , et au contraire nous avons démontré
que c'est chose abominable de former en nous une volonté par
rapport à cftte justice qui réprouve '. 11 demeui'e donc pour
constant (jue tous les désirs et toutes les demandes que nous fai-
sons dans le Pater, se doivent faire pour nous ; (jue s'éloigner de
ret esprit, c'est s'éloigner de l'esprit autant ipu' des paroles de
cette divine oraison; et que c'est là le premier désir que le Saint-
Esprit produit dans les âmes nouvellement régénérées , lorsqu'il
leur inspire le pur et chaste désir de ci ier pour la première fois :
Soirc Phe , notre Pèrr^.
1" Vax enseignant cette sainte et salutaire doctrine , à Dieu ne
rfotihrw niais»* que saint Augustin ail rien dil (ini déroge à la punté et
\t nrm jni (lésintéressemeiit inséparable «le 1.» ch.irilé : car il savoit bien
q.M. .<•») (in,, saint Paul avoit prononcé , non-seulement de la charité par-
"*'""••'• faite, mais encore de la charité en tout état, qu'elle «ne recherche
n"lu?''"d* P^'"^ ^^^ propre intérêt : »> Sou (jtKrrit qua' sua sunt ' ; et c'est
«■.»Jr"'d pourquoi tout en disant (jun « la charité veut jouir , et qu'elle
h cbjriir. ^,^( ],. ,),.sir de jouir dinie <liose pour l'atnour delleniême * , »
il enseigMi' en nirme lenips « qu'on doit se ra[)porter soi-même
à Dieu, et non Dieu à S(»i : qu'on doit s'aimer soi-même poni"
l'amour de Dieu, et consé<]uenunent aimer Di«'U jibis que soi-
même; et qu'on ne satisfait jamais à (•<■ qu'on lui doit, qu'on ne
lui rende sans rései've tout ce (|u Cn a re«;u de lui*. »
Selon la doctrine jitMiHtnellc dr n- l'en', l'espérance loin de di-
mimier le saint et parlait anKHir. ou d'y apporter im melaîige de
hiLS el foible intérêt, n'a an nnitiMiic . (juaiiil rllr est parfaite,
d'autre fondement ipie l'amoiu', i)uis(pie lespêrance (jui reste
dans les pécheurs ne peut être que fausse ou foible : fausse, s'ils
espèrent les biens éternels sans se corriger; foible, si l'espérance
« Ci-«le.*sus, liv. III .-l IV. — ' l\nm., viii, 1,".; Gnfnf., iv, 0. — » I Car., Xin,5.
— * De Doct. cA/n/., lib. 1, u. J; lih. III , ii. 10. — * 10i<l.. lib. I , ii. 20, 28.
dont
ni do
ADDITIONS ET CORRECTIONS, N. V. 661
des biens éternels ne les porte pas à garder par charité les com-
mandemens : mais, dit-il, « la vraie espérance est celle où la cha-
rité nous fait tellement aimer, qu'en faisant bien et obéissant aux
préceptes des bonnes mœm's, on puisse espérer ensuite de parvenir
à ce qu'on aime ' . »
C'est dans cette vue que ce Père et les autres Saints rangent
souvent l'espérance après la charité., dont ils rendent ces deux
raisons : l'mie que l'espérance est vaine, quand elle n'est pas
fondée sur les bonnes œuvres qui sont faites en charité ; l'autre,
que celui dont on espère le plus, est celui qu'on aime.
Personne aussi n'a parlé plus clairement que ce Père, de l'a- j^^',^-^^
mour pur, désintéressé et gratuit. C'est ce qu'on peut voir à la fm ^'^j^j'^'(_|'"
de ces Additions ^ où l'on trouve cette maxime fondamentale : Si '•««^ement
' de la-
voiis aimez, aimez gratuitement^ : ce qui veut dire que tout °|"^'|^
amour inspiré par la charité est gratuit , selon ce principe de p^^'-^'-
saint Paul : La charité ne recherche point son propre intérêt *.
Mais pour confirmer une vérité qu'il est si nécessaire d'inculquer
en nos jours, il me vient encore ici un passage sur ce verset du
Psaume lui : «Je vous sacrifierai volontairement, voluntariè sa-
crificabo tibi ^ Pourquoi volontairement? Parce que j'aime gra-
tuitement ce que je loue. Je loue Dieu, et je me réjouis dans cette
louange; je me réjouis de sa louange, parce que je n'ai point à
rougir de le louer. Ce n'est pas comme lorsqu'on loue dans le
théâtre ou celui qui mène un chariot, ou celui qui tue adroite-
ment une bête , ou quelqu'un des comédiens , et qu'après leurs
acclamations souvent on rougit de les voir vaincus. Il n'en est pas
ainsi de notre Dieu : qu'on le loue par sa volonté : qu'on l'aime par
sa charité ; que son amour et sa louange soit gratuite ( désinté-
ressée ) : que veut dire désintéressée ? C'est qu'on l'aime, qu'on le
loue pour soi et non pour im autre : car si vous louez Dieu, afin
qu'il vous donne quelque autre chose que lui-même, vous ne l'ai-
mez pas gratuitement. » Et un peu après : « Avare, quelle récom-
pense recevrez- vous de Dieu? Ce n'est pas la terre, c'est lui-même
que vous réserve celui qui a fait le ciel et la terre : c'est ce qui fait
'De Docf. christ., lib. 1, u. 42; Enchirid., cap. cxvii, u. 31. — ^ci-dessous,
n. T. — 3 .^'eriTî clx.v. h. \. — ^ I Cor., xtii, 5. — ■' August., in Psrd. lui, u. 10.
6f.2 INSTRUCTION SLR LES ÉTATS D ORAISON.
(lire au Psaliiiisle : « Je vous sacrifierai voloutairemeul : » ne lui
olfrez donc point votre sacrifice par nécessité. Si vous le louez poui*
une autre chose, vous le louez par nécessité, puisque si vous aviez
(•»* que vous aimez, vous ne le loueriez pas : prenez bien j^^arde à
ce que je dis : si vous louiez Dieu, afin (ju'il vous donnât de
grandes richesses , et que vous les eussiez d'ailleurs, le loueriez-
vous ? Si donc vous louez Dieu poiu- l'amour des richesses , vous
m; lui sacrifiez pas volontairement, mais par une espèce de néces-
sité , parce qu'outre lui vous aimez encore quelque auli*e chose.
C'est pour cela que I)avi<l a dit : « Je vous sacrifierai volont;iire-
ment : mépris»*/ tout : soyez attentif à lui seul. » Kt un ]m'U après:
0 Demandez-lui dans le temps ce (jui pourra vous servir pour
''éternité : mais pour lui, aimi-z-ie gratuitement, parce que vous
ne trouverez rien de meilleur que vous puissiez obtenir de lui (jue
lui-même ; ou si vous trouvez quebpie diose de meilleur, je vous
permets de le demander. » Il .suppose manifestement «pi'on doit
demander pour soi tout ce (ju il y a de meilleur: d'où il tire cette
consé(inence :uJe voussacrilierai voU>ntairement,» (]u'est-<'eàdire,
voloutairemcnt? C'est-à-dire gratuitement (avec un amour désin-
téressé, Une veut dire, avec un amour dvsintn'cssr? Je confesse-
rai, j<' louerai, je bénirai votre nom, parce qu'il est bon : Con/ifc-
hor mniiiui lao, iiuonlmn bonutn rsf. A-t-il dit : « Je bénirai votre
nom . jnure que vous me donnerez de riches possessions ou de
grands honneurs? Ni>n. Pourquoi donc? Parce (ju'il est bon et
(jue je ne trouve rien de meilleur : c'est pour cela que je bénirai
votre nom, parce qu'il est bon : » lK)n en lui-même : h«m h nous,
car il joint toujours ces deux choses; et dans Inn et dans l'autre
sens on ne trouve rien de meilleur.
V- Uuiconque .se .sera rendu attentif aux i)assages de saint Augus-
BcflrtioiK
•uri4do<; ^u qii'oii vient d'entendre , v aura .senfi toute la force , foule la
c.'donic. p^»|.fj.,.ji,,n ^.| i,.s motifs les plus excellens connue les jilus é[)urés
de l'amour divin. Premièrement on a vu qu'il présuppose l'infinie
et sinvminente bonté de la nature divine, à bupielle il faut lap-
porter tout ce (ju'on est, et l'aimer plus que soi-même. Seconde-
nienl il n'ajoute rien à ce niolif. .sinon (jue cette bonté est infini-
njent conunuuicative et veut se d(jnner à nous : non alni (pfelle
ADDITIONS ET CORRECTIONS, N. V. 663
soit plus grande et plus heui^euse , mais afin que nous le soyons ;
ce qui marque précisément la surabondance de la nature divine,
qui n'a pas besoin de nos biens , ainsi que disoit David : Deus
meus es tu, quoniam honorum meorum non ecjes : «Vous êtes
mo.i Dieu , parce que vous n'avez pas besoin de mes biens ^ : »
mais moi j'ai besoin des vôtres, ou, pour mieux parler, je n'ai
besoin pour tout bien que de vous seul.
Si saint Augustin joint ces deux motifs pour exciter son amom*
envers Dieu, nous avons \ti qu'en cela il ne fait que prendre le
plus pur esprit de l'Ecriture, et dès son origine celui du comman-
dement de l'amour. C'est ce que Dieu explique lui-même plus
amplement dans ces paroles, que nous avons déjà rapportées ^ :
« Le ciel et le ciel des cieux est au Seigneur votre Dieu ^ » et
c'est là qu'est établi son trône ; ce qui montre l'excellence de sa
nature ; et il ajoute aussitôt après : « Et cependant le Seignem* s'est
uni, s'est attacbé à vos pères » de la plus intime et de la plus forte
de toutes les unions, que l'Ecritm^e exprime par ces mots : Co7i-
glutinatus est : terme choisi pour faire voir que cette nature très-
parfaite est en même temps souverainement communicative : et
que Dieu a voulu unir ensemble ces deux idées, qui sont les pre-
mières que nous avons de Dieu, pour concliu-e avec la plus grande
force : « Aimez donc le Seigneur votre Dieu, et gardez par amour ses
commandemens *. » Ainsi l'esprit primitifdu commandement de l'a-
mour joint ces deux choses, qu'on a vu aussi que saint Augustin a
unies , que Dieu est la nature la plus parfaite , et dès là aussi la
plus libérale, et la plus communicative : mais communicative et libé-
rale^ afm de nous rendre hem^eux, et non pas pom' l'être elle-même,
puisqu'elle l'est antérieurement à toutes ses communications.
David avoit réuni ces deux motifs d'aimer Dieu dans ces deux
paroles : Excelsus Dominus, et humilia rcsplcit ^ : « Le Seigneur
est haut, » voilà l'excellence de sa nature : « et il regarde ce qui
est petit , » voilà comme il est communicatif : ce n'est pas pom-
devenir grand, ni pour tirer quelque avantage de notre bassesse
pour son élévation, qu'il jette les yeux dessus : mais au contrahe
1 Psal. XV, 2. — 2 Ci-dessus, Conclusion, p. 633.— ^ Deut., X, 14.- * Ibid., xi. 1.
— ^ Psal. cxxxviT, 6.
«fil INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
c'est ;ifin que ce qui est petit par soi-même, relevé de sa petitesse
par le hit-nfaisant rej-'ard de Dieu, commence à devenir prrand en
ce Dieu (pii le regarde : ce qui confn*me toujours que Dieu fait
éclater sa prrandeur en ce qu'il ne la communique à ses serviteurs
que pour leur avantage et non pour le sien.
Ainsi notre amoiu' prend son origine dans l'amour entièrement
gratuit et désintére.'^sé que Dieu a pour nous ; ce qui fait qu'il en
retient le caractère : car déjà il n'y a rien de plus pur et «le plus
désintéres.s«'* que de commencer comme on fait par l'excellence de
la natur<* divine ; et il ne faut pas craindre qu'on s'éloigne de ce
désintéressement, quand on ne «lemande à Dieu pour tout intérêt
que celui de le voir conmie un bon père, et relui de le posséder
comme ini cher époux.
Les grands «le la terre vu fiai tant les hommes de l'espérance de
les rendri' heureux, ont besoin, pour l'être eux-mêm«'s, «les ser-
vices (h' li'urs inférieurs dont l'obéissance fait leur grandeur :
mais Dieu n'«'n est ni plus grand par nos services ni jiluspt'tit par
nos mépris . «t il ne peut se montrer plus indépendant ni plus
gianil , qu'en voidant bien nous n-ndre lieurtMix : f t hcnr ait
nofjis, sans avoir aucim intérêt à nofn> boidieur.
Et si l'on «lit qu'il seroit encore plus désintéiTssé et plus pur de
le .servir sans vn profiter, cela pourroit être vrai avec tout autre
qui^ Dii^u , parce «juil n'y a que lui seul «pii ne s'épuise ni ne se
«limimie jamais ru domiant, et qu'après f«»ut, rv rpi'il (U»nn«* c'est
lui-même : en sorte (piil uf faut pas craindre qu'en le conuoissant
c(trMine il faut, on s'attache aux biens «pi'il donne plutôt qu'à lui-
même , puiscpn^ lui-même il «-st le fond et la substan» -• «bi ''"«'n
qu'il donne.
Il II»' s«'rt de rien de dire qu'il y en a «pii ont désiré «piil ne don-
nât rii'U, afin de l'aimer |>lus [lurement ; car ntil ne peut désirer
séri«'us<'ment et absolunt<Mit «pi'il ne donn(> rien, et smtonl «pTil
ne se doniif pas lui-mênn', p.ircr i\\\r ce seroit s'opposer à la plus
réelle et à la plus déclarée de toutes ses volontés : et pour ce «pii
est de ces désirs, de ces volontés imparfaites, ou plutôt de ces
velléités qu'on forme dans le transport avec plus d'atreclion que
d'exactitude, il Vu faudra toujours revenir à dire que plus Di«'u
ADDITIONS ET CORRECTIONS, N. VI. fifio
mériteroit s'il l'avoit voulu, pour mieux dire s'il a^oit pu le
vouloir, d'être servi sans récompense, plus il est aimable d'en
avoir voulu donner à ses serviteurs une aussi grande que lui-
même.
Enfmce qui empêche éternellement qu'on ne puisse jamais vrai-
ment séparer l'amour de la béatitude , de la volonté d'aimer Dieu
en lui-même et pour lui-même : c'est premièrement , que notre
béatitude n'est au fond que la perfection et l'immutabilité de notre
amour, à quoi nous ne pouvons pas être indifférens sans offen-
ser l'amom' même : et secondement , que cette béatitude , positi-
vement n'est autre chose que la gloire même de Dieu, en tant
qu'elle peut être l'objet de nos désirs.
On a allégué saint Augustin pour prouver que le motif de la vi.
création et les devoirs de la iustice envers Dieu, comme Créateur '■• '^^"'^^
'i ■ ' et de la
et comme Père, ne doivent pas être séparés d'avec ceux du saint j»^''"-
et pur amour * ; et sans entrer dans l'arrangement que fait l'Ecole Augusun.
des motifs premJers et seconds, principaux et sul^ordonnés de la
charité, non plus que dans la distinction entre les actes que la cha-
rité produit et ceux qu'elle commande, puisqu'aussi bien tout cela
ne change rien à la susbstance des actes ni à la pratique : on
remarquera seulement ce passage de saint Augustin sur le
Psaimie cxvm : « Si un père et un époux mortel doit être craint
et aimé, à plus forte raison notre Père qui est dans les cieux et
l'Epoux qui est le plus beau de tous les enfans des hommes, non
selon la chair, mais par sa vertu : car de qui est aimée la loi de
Dieu, sinon de ceux qui l'aiment lui-même? Et qu'a de triste pour
de bons fds la loi d'un père ^? » 11 parle de l'amour de la loi de
Dieu et de la justice, par lequel on sait que ce saint docteur définit
toujours la charité.
Les endroits où il rapporte à la charité les devoirs de la justice
envers Dieu comme Père , Créateur et Bienfaiteur , sont infinis.
Dans le livre premier de la Doctrine chrétienne, où il traite ex-
pressément la matière de Tam-our de Dieu : « Vous devez , dit-il,
aimer Dieu de tout votre cœur, en sorte que vous rapportiez
toutes vos pensées, toute votre vie et toute votre intelligence à
' Ci-dessus, liv. IX, n. 7. — ^ Serin, xxxi, n. 3.
G6G INSTRUCTION SUR LES ÉTATS DORAISON.
celui Je qui vous tenez toutes les choses que vous lui rapportez'. »
Ainsi la création, qui le rend autjur de tout, est le titre qui oblige
aussi à lui tout donner. Saint Augustin établit cette vérité sui* ce
beau [)rincipe de justice : « Celui-là est juste et saint, qui juge de
toutes choses avec intégrité : » Ille juste et sanctè vieil, qui rcruin
inte(jer (Psliinntor est -. C'est de ce principe de justice qu'il con-
clut ensuite qu'il faut aimer Dieu plus que soi-même , et chaque
objet de la charité dans son rang. Au reste , continue-il, nous
sommes jxirce qu'il est hon : notre être est un elîet de sa bonté ;
et (lès que nous sommes , nous sommes bons^j Dieu ne pouvant
rien faire qui ne le soit : de sorte que Taimer comme Créateur,
c'est l'aimer cninme bon, ce cpii est du devoir de la charité.
Il ne sert de rien de di-^linguer comme font (picbiues-uns, la
puissance créatrice d'avec son acte, pour faire de la première un
motif d'amour plutcM que de l'autre : cai' ce sont finesses d'Ecole
(jui ne servent de rien dans la pratitpie, et (jui ne mériteroienl
pas d'étn' relevées ici, si on ne vouloit prévenir jus(iu'aux moin-
dres chicanes.
Saint Augustin tlil aussi que « les martyrs sont dehiteuis de
leur sang;» c'est-à-din? de l'amour parfait qui le fait répandre,
«pm-ce (lue Jésus -Christ eu donnjuit le sien s'est engagé le nôtre,
oppif/neravit *; nous lui eu sonnnes débiteurs ; en le versant
nous ne donnons pas, mais nous rendons : nous acquittons une
dette.
l'.ir la même raison (jue l'amour envers Dieu est une dette, l'a-
niniii envers le procbaiii »'n est une autre, ou plulôt c'est la même
(pion étend, comn)e l'enseigne le même Pere dans mie lellir à
Céleslin, «piiest la Lxn"^ des ancieimes éditions.
En un mot toute l'œuvre de la charité est une. œuvre de justice ,
conf(Uinément à cette parole : (( Rendez à César ce (jui est à Cé-
sai-, et à Ditni ce qui est à Dieu'; » et encore : « Ne devez rien à
personntî, si ce n'est de vous aimer les uns les autres * : » ainsi
la charité est une justice où nous nous ac(|uittons envers Dieu et
ensuite envers le prochain, de la premi('*re de toutes les dettes; et
» lir Dori. rhrnl., lib. I , II. 2!. — î ////'/. II. 28. — ' Mu/,, n. 3".. — »Seriu.
ccxci.x, n. 3. — » Mullh., XXII, 21. — ' liom., xill, 7, 8.
ADDITIONS ET CORRECTIONS, N. VII. 667
il n'y a rien de plus inutile que de tant raffiner sur la distinction
de choses si liées les unes aux autres.
' J'ai nommé saint Augustin en plusieurs endroits, comme un m.
des saints Pères où Ton ne voit pas ces suppositions impossibles ir.ns par
dont il est parlé dans ce Traité * ; mais il ne falloit point niettre en ','u,n «ain't
fait le sentiment d'un si grand docteur ; sans en donner quelcpie i t %ncoré
preuve. Dans le sermon clxi, autrefois le xvni% de Verdis Apostoli, Pure, de
il parle ainsi : « Je vous demande, si Dieu ne vous voyoit pas quand d ^mié-
vous commettez un crime, et que personne ne vous put con-
vaincre dans son jugement, le feriez- vous? Si vous le faites dans
ce cas, vous craignez la peine : vous n'aimez pas la chasteté ; vous
n'avez point la charité ^ » 11 fait la supposition impossible, que
Dieu ne vît pas le péchem% et que le crime en fût impuni, pom*
donner l'idée de la \Taie cause qu'on a de fuir le péché, qui est le
vi'ai et parfait amour.
Dans le même sermon il continue sa supposition par la compa-
raison d une femme qui ordonneroit quelque chose à celui qui
l'aimeroit : Et, dit-il, si vous lui désobéissez, vous damnera-t-
«Ue? vous mettra-t-elle en prison? fera-t-elle venir des bour-
reaux? Point du tout : on ne craint rien dans cette occasion, que
cette parole : Je ne vous verrai jamais. C'est cette menace qui fait
trembler : Vous ne me verrez plus. Si une malheureuse vous parle
ainsi, vous tremblez. Dieu vous tient le même langage, et vous
ne tremblez pas? Vous trembleriez sans doute, si vous aimiez. »
Il continue à montrer la pureté de l'amour dans la supposition
impossible de l'impunité, et c'est ce qu'il répète souvent.
Il parle encore plus clairement sur le Psaume cxxvn , lors-
qu'expliquant cette crainte chaste, dont il est traité dans le
Psaume xvin, selon la version d'alors : Timor Domini castus jjer-
ma?îens in sœculwii sœculi; il raisonne ainsi : « Si Dieu venoit
en personne, et vous disoit de sa propre bouche : Péchez tant que
vous voudrez ; contentez-vous ; que tout ce que vous aimez vous
soit donné ; que tout ce qui s'oppose à vos desseins périsse ; qu'on
ne vous contredise point ; que persoime ne vous reprenne ni ne
vous blâme ; que tous les biens que vous désirez vous soient don-
1 Ci-dessus, liv. X, n. 19. — - Semi. CLXi, n. 8. — ^ loid., ii. 18.
I
668 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS DORAISON.
nés avec profusion : vivez dans cette jouissance, non pour un I
temps, mais toujours : je vous dirai seulement que vous ne verrez
jamais ma face : Mes frères, d'où vient le gémissement qui s'élève
parmi vous à cette parole, si ce n'est que cette crainte chaste, qui
demeure aux siècles des siècles, a déjà pris naissance en vous '? »
Ce qu'il ajoute est rncore plus pn'ssiuit : « Pourquoi, dit-il,
votre cœur l'st-il frappé à cette seule parole : Vous ne verrez
point ma face? Vous vivez dans l'affluence des biens temporels ;
ils ne vou> seront jamais ùtés : qu«' voulez- vous davantage? L'ame
touchée de la crainte chaste, si elle entendoit ces paroles, ne pour-
roil retenir ses larmes et diroit : Ah! que je perde phitôl tctiil le
reste, et (pie je voie votre face. » Voilà ce (pie diroit cette crainte
chaste : elle ne pense pas à S(> détacher d«' voir la face dt» l)i(Mi ;
mais c'est au contraire par le désir de jouir de cette vision, (pi'elle
se détache de tout le reste. Si on la mena(;oit seulement d»^ lui
faire perdre un si grand bien, « elle crieroit avec le Psalmiste,
poursuit saint Au,t.nistin : Dieu des vertus, convertissez-nous, et
montrez-nous \(ttre face; elh' crieroit avec le même David : .[e
n'ai ilemandé à Dieu qu'une seule chose, ([ui (\st de voir yes dé-
lectations, et d'être dans son siiint temple. Voyez comliien est
ardente cette crainte rjiaste, cet amour véritable, cet amoui' sin-
cère. » Saint Augustin lui donne tous ces noms , pour montrer
combien il est pur. (l'est de l'amour (pi'il parle ; c'est à l'amoiu-
(pi'il attribue ces belles qualités, de cha-teet de pur, de \éiitable.
de sincère.
Il donne ailleiu's au même amour, (|ui veut jouir de l;i face de
Dieu, le nom d'amour gratuit ; c'est-à-dire d'amour desintéressé,
de pur amour. « Ce qu'on appelle, dit-il, aimer d'un amour gra-
tuit , ce n'est [)oint aimer comme on fait lorscpi'on ihmis propose
une recompense, parce (pie votre souveraine récompense c'est
IWeu mèiue ipie vous aimez par cet amour gratuit; et vous le.
devez tellement aimer, (pie vous ne cessiez de désirer de. l'avoir
pour récompense '. » Il dit encore : « Si vous aimez véritable-
ment . Vous aimez sans inl/'rèt : Si vcrr amas , gratis amas ' : »
' In Ptal. CXXVU, il. 1'. — ' In l'^af. cxxxiv, ii. 11. — ^ Sonii. CLXV, ii. 4,
ADDITIONS ET CORRECTIONS, N. VIL 669
dont la raison est que a celui que vous aimez est lui-même votre
récompense : Ipse merces quem amas. » Personne n'ignore qu'il
n'y ait sans exagérer deux cents passages de cette sorte , où il
appelle gratuit, désintéressé et pur, l'amour qui demande Dieu
pom* récompense.
Ainsi lorsqu'il veut épurer l'amour et le rendre désintéressé,
loin de penser à- le détacher de la vision de Dieu, il en met le dé-
sintéressement à désirer de posséder Dieu et de le voir.
On voit aussi par là jusqu'où il pousse les suppositions impos-
sibles; c'est seulement jusqu'à dire : Quand votre crime seroit
impuni , quand avec une abondance éternelle et assurée de tous
les biens de la terre , vous n'auriez à craindre que de perdre la
vue de Dieu, vous devriez lui demeui^er toujours attaché : mais il
ne va pas plus loin ; et il n'en vient point jusqu'à dire : Quand
vous devriez perdre la Mie de sa face , il faudroit encore l'aimer ,
parce que sans cette précision il sent qu'il a poussé l'amour à être
chaste, pur, sincère, gratuit , désintéressé , dès là qu'il l'a porté à
ne désirer que Dieu seul pour sa récompense.
Cependant on ne dira pas qu'il soit de ceux qui n'ont pas connu
la pureté de l'amour. On peut entendre jusqu'où il le pousse par
ces paroles : Confitebor tibi , Domine, in toto corde meo. Il les
explique en cette sorte : « Mon Dieu , que la flamme de votre
amour brûle tout mon cœur : qu'elle ne laisse rien en moi qui
soit pour moi ; rien qui me permette de me regarder moi-même :
ISihil in me relinquatur mihi , nec c^uo respiciam ad meipsum :
mais que je brûle, que je me consume tout entier pour vous : que
tout moi-même a'OUS aime, et que je sois tout amour, comme
étant enflammé par vous ; Totus diligam te , tanquàm inflayn-
matns à te K)^ Je ne crois pas qu'on ait jamais mieux exprimé le
pm' amour, ni mieux montré qu'on le ressentoit.
En excluant, comme il fait par ces paroles, tout regard sur soi-
même , il n'exclut pas le désir de Dieu comme récompense, parce
que cette récompense, loin de nous renfermer dans nous-mêmes,
nous en tire et nous absorbe tout à fait en Dieu. C'est pourquoi il
continue à regarder cette récompense dans la suite du même
1 August., in Psal. cxxxvii , n. 2.
670 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS DORAISON.
Psaume, lorsqu'il y fait dire à une martyre, c'est-à-dire à une
amante parfaite de Jésus Christ : « Je ne demande point les féli-
cités de la terre ; je sais les désirs qu'inspire le Nouveau Testa-
ment : je ne demande point la fécondité ; je ne demande point mon
salut temporel, vous m'avez appris ce que je dois demander ; c'est
de psalmodier avec les anges, d'en désirer la compagnie et l'ami-
tié saint(^ et pure ' dont Dieu est le lion ; » et un peu après : « de dé-
sirer les vertus : voilà les vœux qu'il faut faire expressément ; et
vous n'avez rien , dit-il aux fidèles, à désirer davantage, parce
que, comme il dit ailleurs, la vertu comprend tout ce qu'il faut
faire; et la félicité, tout ce qu'il faut désirer : » Omnia ar/ctufa com-
plcctltur virtus , omnia optamla fclicilas'.
Ainsi selon saint Augustin, l'amour désintéressé, loin d'exclure
le motif de la récompense vi\ tant qu'elle est Dieu même, le cam-
prend dans son désir. 11 ne faut pas croire (pi'un si grand doc-
teur, (pii est le docteur de l'amour, à même titre qu'il est celui de
la graciî, soit d'tui autre esprit que le reste des saints ; et s'il s'en
trouve <pii <l<>nneiit pcut-étrt' encore à l'amour un autre motif, ou
égal, ou mémo supcrirur. si ion vent, à nlui (pii est proposé
par saint Augustin, il ne sCn tionvera am un (lui rcxcliic des
états les plus parfaits ; car pour réduire la queslictn à des termes
précis, on peut l>ion ne pas penser à ces hetuix et nobles motifs
de saint Augustin ; et pour parler avec l'Ecole, on peut par une
abstraction passagère et momentanée, les séparer de la charité
par la pensée, mais non pas les rejoter ni les en exclure, ni, cc^
qui est la même chose, les en séparer par état : au contraire
on verra dans la discussion que les âmes de la plus sublime con-
templation n'ont rien eu qui les pressât tant à aimer Dieu , f|ut'
cet amour connnunicatif et 1«' désir de se donner à nous, qu'elles
sentoient dans cx' premier être,
vm. Kn attendant ([u'on étalili^sc nin- vérité si constante, par le sen-
m^'I-nM tinient unanime des saints Pères et de tous les théologiens tant
vicurr'"."'r scolastiques que mysti(iues, et quon ait expli(jué plus à fond les
jcluTo'. principes de saint Augustin ; le pieux lecteur sera bien aise de
voir comment ce Père étoit entendu par un des plus grands théo-
* Alignai., in Psul. CXXXVH, n. 1. — * De Ciiit. Dei , lib. IV, cap. xxi.
refsi-
ADDITIOiNS ET CORRECTIONS, N. VIII. 671
logiens et des plus sublimes contemplatifs du douzième siècle.
C'est Hugues de Saint- Yictor, ami et contemporain de saint Ber-
nard , chanoine régulier et prieur du célèbre monastère de Saint-
Victor de Paris. Ce grand et pieux docteur se propose de prouver
a que celui qui aime Dieu pour soi-même, l'aime d'un amour piu:
et gratuit ; c'est son titre : Quôd pure et gratis amat, qui Dewn
propter se amat : » et il en fait la preuve de cette sorte. « Alais
peut-être serez-vous mercenaire ;, si vous aimez Dieu poiu" ré-
compense. C'est ce que disent quelques insensés : des insensés,
qui se méconnoissent eux-mêmes. Nous aimons Dieu, disent-ils,
et nous ne voulons point de récompense, de peur que nous ne
soyons mercenaires : non , nous ne le désirons pas lui-même : il
nous donnera ce qu'il lui plaira ; nous ne désirons rien. Nos mains
sont tellement -vides de tout présent, que nous ne le désirons pas
lui-même, quoique nous l'aimions : car nous l'aimons d'un amour
gratuit et fdial, sans rien désirer, c'est à lui à nous préparer la
récompense, s'il veut nous la donner : mais nous, nous ne dési-
rons rien ; nous l'aimons sans en rien attendre : lui-même , ce
cher objet de notre amour, nous ne le désirons point. Ecoutez ces
hommes sages ; ils disent : Nous aimons Dieu ; mais nous ne le
désirons point. C'est comme s'ils disoient : Nous l'aimons; mais
nous ne nous en soucions point. Moi homme, je ne voudrois pas
être aimé de vous à ce prix : si vous m'aimiez , sans vous soucier
de moi, je ne tiendrois aucun compte de votre amour. Jugez donc
si l'amour qu'un homme rejetteroit avec raison, peut être digne
de Dieu. Mais , disent-ils , comment ne sommes-nous pas merce-
naires , si nous aimons Dieu par le motif d'en recevoir la récom-
pense ? Cet amom' n'est ni gratuit ni filial : c'est un amour de
mercenaire et d'esclave, qui demande le salah'e de son travail. —
Ceux qui parlent ainsi , ignorent la nature de la charité même :
car qu'est-ce qu'aimer Dieu, si ce n'est vouloir le posséder? Le
désirer seul , et non autre chose , c'est l'aimer d'un amour gra-
tuit. Si vous désiriez autre chose que lui, votre amour ne seroit
pas désintéressé : mais vous ne désirez autre chose que lui-même
que vous aimez : vous désirez néanmoins quelque chose ; et ce
que vous désirez , c'est l'objet même que vous aimez : car si vous
672 INSTRUCTION SLR LES ÉTATS DORAISON.
n'aviez aucun désir, vous nauriez point daniour. 11 y a donc
une grande différence entre aimer autre chose que Dieu et aimer
(jnelque chose t-n Dieu. Si vous aimez autre chose que Dieu,
votre amour ot mercenaire : si vous aimez quelque chose en
Dieu, et que ce que vous aimez soit Dieu même, votre amour
est filial : (pie si vous imaginiez la vie éternelle comme quelcjne
autre chose dillérente du soumain bien , (jui est Dieu même ;
et (lue vous servis.siez Dieu s<'ulement pour *»hlenir ^ce bien que
vous croiriez siparé de Dieu; , ce n'est |>oint une servitude véri-
table, ni un amour gratuit'. » Paixe (jne ce tpii le rend gratuit,
est, connue on a vu, qu'on n'attend , ni on ne v-ui il.n .l.- h\''u
que lui-n)ème pour toute récompenik^
i'ar e(^ princii>es, il explique la nature de lainour de Dieu au
chapitre vu. (piil Ihiit en ces termes non moins remarquables :
« l'eusez-vous «ju'on vous eouuuaude d aimer votre Dieu, pour
lui faire ou lui ilesirer (|uelquebien, et n(»n pas pour le désirer lui
qui e-st votre bien? Yoils ne l'aimez pas {H)ur son bien, mais pour
le vôtre; et vous l'aimez, parce (pi'il est lui-mêm«' voU*e bien.
Car vous ne l'aimez pas |K)ur votre bien . alin que votre bien
vienui' de lui, mais aUn qu'il le soit lui-même*. » Et un peu après,
il se lait faiie cette objection : « l^Mioique j«« ne puisse lui rien
donner, je fais ce (jne je puis et je lui desin; du bien. t^)uel bien
pouvez-vous lui désirer, puisipie vous ne .sauriez trouver aurim
bien hors de lui ? 11 est lui seul tout le bien. » D'où il tire cette
consé(iuence : « t^tuaud donc vous aimez Dieii. vous laimez i»our
vous, et c'est votre bim que vous aimez; et vous l'aiiiiez pour
votre bien, parce (juil e>l lui-iiièun* votre bien qu<' vous lUmez.
(,)uaud vous aimez la justice, pour cpii l'aimez-vous? Pour elle,
ou pour vous? Quand vous aimez la sagesse, la vérib' et la bonté,
pour (pii les aimez-vous? Pour elles, ou pour vous? La lumière
iin'iiif. si d(»uce et si agréable aux yeux, «luaiid vous l'aimez,
pour (jui laiiiiez-vous? C'est pour \os yeux, ou pour \(Mis-nième.
Il en est ainsi de votre Dieu, t^luaud vous l'aimez, cttuipreuez «pi il
est lui-même votre bien, "i iju'esl-ce qu'aimer, si ce n'e>t de-
• * lliig. h s. Viil. , de Sacrum., lib. Il, paît. XIII, cap. vu, loin III,
p. 305. - » lOid.
ADDITIONS ET CORRECTIONS, N. VIII. 673
sirer, vouloir avoir, posséder et jouir? » On connoît la doctrine
de saint Augustin , à ce discours d'un de ses enfans , d'un de ses
religieux, d'un de ses disciples. Elle est devenue si commune
dans l'Eglise, comme la suite le fera voir, qu'elle a été embrassée
par tous les docteurs anciens et nouveaux , qui tous, en ce point
comme dans les autres, se sont glorifiés d'être humbles disciples
d'un si grand maître.
TOM. xvm. i3
ACTES
LA CONDAMNATION DES QUIETISTES.
LETTRE
De M. le cardinal Cararcioli , à Sa Sainteté, écrite de Noples, Je
30 janvier ir.S2, traduite de l'italien.
Trks-saint PJ hk,
Si j'ai quelque sujet de me consoler et de rendre grâces ;\ Dieu , en
apprenant que beaucoup d'ames confiées à mes soins s'appliquent au
saint exercice do l'oraison mentale, source de toute bénétiiclion cé-
leste; je ne dois pas moins m'aftliger d'en voir quelques autres s'éga-
rer inconsidérément dans des voies dangereuses. Depuis quelques
temps, très-saint Père, il s'est introduit à Naples et, comme je l'ap-
prends, en d'autres parties de ce royaume, un usage fréquent de l'orai-
son passive, que quelques-uns appellent de pure foi ou de quiétude.
Us alTectent de prendre le nom dequiétistes, ne faisant ni méditation ni
prières vocales; mais dans l'exercice actuel de l'oraison se tenant dans
un grand repos et dans un grand silence, comme s'ils étoient ou muets
ou morts, ils prétendent faire l'oraison purement passive. En clFet ils
s'elTorcent d'éloigner de lem* esprit, et même de leurs yeux, tout sujet
df méditation, se présentant eux-mêmes, comme ils disent, à la lumière
et au souffli' de Dieu qu'ils attendent du ciel, sans observer aucune
règle ni méthode, et sans se préparer ni par aucune lecture ni par la
considération d'aucun point, quoique les maîtres de la vie spirituelle
aient coutume de les proposer surtout aux commençans , afin que par
la réilexion sur leurs propres défauts , sur leurs passions et sur leurs
iiiiperfections, ils parviennent à s'en corriger : mais ceux-ci préten-
dent s'élever d'eux-mêmes au plus sublime degré de l'oraison et de la
contemplation, qui vient néanmoins de la pure bonté de Dieu , qui le
donne à qui il lui plait et quand il lui plait. Aussi se trompent-ils vi-
siltlement, s'imaginant que, sans avoir passé par les exercices delà vie
purgative, ils peuvent par leurs propres forces s'ouvrir d'abord le che-
CONDAMNATIONS DES QUIÉTISTES. 675
min de la contemplation : sans penser que les anciens et les modernes
traitant cette matière, enseignent imaniraement que l'oraison passive
ou de quiétude ne peut être pratiquée que par des personnes arrivées
à la parfaite mortification de leurs pa-sions, et déjà fort avancées dans
l'oraison. C'est cette méthode irrégulière de faire oraison, par laquelle
le démon est enfin parvenu présentement à se transformer en ange de
lumière, dont je vais faire le récit à Votre Sainteté, non sans une très-
grande horreur.
Il y en a parmi eux qui rejettent entièrement la prière vocale : et il
est arrivé que certains, exercés de longtemps dans l'oraison de pure foi
et de quiétude sous la conduite de ces nouveaux directeurs , étant de-
puis tombés en d'autres mains, n'ont pu se résoudre à dire le saint Ro-
saire, ni même à faire le signe de la croix, disant qu'ils ne peuvent ni
ne veulent le faire , ni réciter aucune prière vocale , parce qu'ils sont
morts en la présence de Dieu, et que ces choses extérieures ne leur ser-
vent de rien. Une femme élevée dans cette pratique ne cesse de dire :
Je ne suis rien, Dieu est tout; et je suis dans l'abandon où vous me
voyez, parce qu'il plaît ainsi à Dieu : elle ne veut plus se confesser;
mais elle voudroit toujours communier : elle n'obéit à personne, et ne
fait aucune prière vocale. D'autres encore, dans cette oraison de quié-
tude, quand il se présente à leur imagination des images même
saintes, et de Notre-Seigneur Jésus-Christ, s'efforcent de les chasser en
secouant la iête, parce, disent-ils, qu'elles les éloignent de Dieu. C'est
pourquoi ils font encore cette action ridicule et scandaleuse, même en
communiant publiquement, parce qu'alors ils s'imaginent devoir lais-
ser Jésus-Christ, pour penser uniquement à Dieu. Leur aveuglement est
si grand, que l'un d'eux s'avisa un jour de renverser un crucifix de
haut en bas, parce, dit-il, qu'il i'empêchoit de s'unir à Dieu, et lui fai-
soit perdiesa présence. Us sont dans cette erreur, de croire que toutes
les pensées qui leur viennent dans le silence et dans le repos de l'orai-
son, sont autant de lumières et d'inspirations de Dieu ; et qu'étant la
lumière de Dieu, elles ne sont sujettes à aucune loi. De là vient
qu'ils se croient permis sans distinction tout ce qui leur passe alors
dans l'esprit.
Ces désordres me pressent, moi qui suis, quoiqu'indigne, comme le
vigneron appliqué à la culture de cette vigne, d'en rendre un compte
exact avec tout le respect que je dois à Votre Sainteté, comme au grand
Père de famille, afin que connoissant par sa sagesse la racine enveni-
mée qui produit de tels germes, il emploie toute la force de son bras
apostolique pour les couper, et pour en arracher jusqu'à la racine,
d'autant plus que sur cette matière il se répand des opinions qui mé-
ritent d'être condamnées. Depuis que je suis ici on m'a présenté mi
manuscrit qui traite de l'oraison de quiétude, pour en obtenir la per-
«Tfi INSTRUCTION SUR LES ET.VTS D0R.\1S()N.
mission de l'imprimer. Il s'y est U'ouvé laul de propositions dignes de
censure, que j'ai refusé celle permission, el que j'ai releiiu le livre. Je
prévois que les plumes se prép:ircnt de tous côtés lï écrire des choses
dangereuses. Je supplie Votre Sainteté de me donner les lumières el les
mojcns qu'elle jugera à propos, afin que de ma part je puisse aller au-
devant des plus grands scandales qu'il y a à craindre en celte ville el
dans ce diocèse. Jt- ne j)uis m'empécher de donner encore avis à Votre
Sainteté de l'usagt' de la conununion journalière , introduit ici p irmi
les laïques même mariés, qui, sans foire piuoitre aucun avancemenl
dans la vie spirituelle, comme ils le devroicut néanmoins en s'appro
chant si souvent de la sainte table , nou-s<^>ulement ne donnent un
cune édiliealion, m.us au contraire heaiicoup de .scandale. Aussi Votre
Sainteté ne peut-elle ignorer ce qu'elle a ordonné dans son décret gé-
néral, recommandant parliculièremcnl aux confesseurs, au jugement
desqiicis doitèlrc réglée la communion jouruaUère des laïques , qu'en
la permellanl ilsse soi. ut de faire voir la grande prépa-
ration «'l la grande pi! . doit apporter au saint bantjuel.
Et néanmoins l'expérience ne lail voir que Uop que sans avoir aucun
égard aux pieux averlisscmens de Volie Sainteté, la plupart des laïques
fréquentent tous les joure la sainte communion, dont je me sens obligé
défaire ma plainte h. Voire Sainteté cumme d'un abus manifeste, au-
quel je la supplie d«' me pn-scrirc un remède convenable avec ses
ordres particuliers que je suivrai, comme la guide qui me doit con-
duire en toute sûreté dans le gouvernement d' - ni.- vn i. >.î. ;.• ]. lis.-
Irès-humblement les pieds de Votre Sainteté.
Siym', le cardinal Caracciou.
LKTTUi: CIl'.Cl l.Mlii:
T)c M. le rardiual Cibo , é'rite de home k 1j frvricr 1C.H7 , u Ions les Po-
tentats, Eveques et Supérieurs de In chrétienté, par l'ordre de la Con-
gréjation du sant Ofjl'e: traduite de l'italien.
Illustrissime etrévérendissime Seigneur et Confrère. La saciéi- Con-
grégation ayant été informée qu'en divers lieux d'Ilidie on voit s'éle-
ver insensiblement, el que même il y en a déji d'établies, des écoles
ou compagnies, des confréries ou assemblées , et encore sous d'autres
noms, dans des églises, dans des oratoires el dans des maisons particu-
lières, sous prétexte de conférences spirituelles, les unes de femmes
CONDAMNATION DES QUIÉTISTES. 677
seulement, d'autres crhommes, ou mêlées des deux sexes; dans les-
quelles certains directeurs, sans aucune expérience des voies de Dieu
fréquentées par les Saints, et peut-être même malicieux , feignant de
conduire les âmes à l'oraison, qu'ils nomment de quiétude ou de pure
foi et intérieure, et encore sous d'autres noms : quoiqu'ils semblent
d'abord parleurs principes mal entendus et très-mauvais dans la pra-
tique, ne proposer autre chose que la perfection la plus haute en toute
manière j néanmoins ils insinuent peu à peu dans les esprits simples
des erreurs frès-grièves et très-pernicieuses, qui enfin aboutissent à des
hérésies manifestes et à des abominations honteuses, avec la perte irré-
parable des âmes qui se mettent sous leur conduite par le seul désir de
servir Dieu, comme on ne sait que trop qu'il est arrivé en quelques
endroits. Les cardinaux inquisiteurs généraux mes confrères, ont jugé
qu'il étoit à propos avant toute chose de vous charger par celte lettre
circulaire, adressée à tous les évèques d'Italie, de faire une recherche
exacte de touies les nouvelles associations semblables à celles-ci, et
différentes de celles qui se sont établies ci-devant, et ont été de tout
temps fréquentées par les catholiques ; afin que, s'il s'en trouve de cette
sorte, vous ayez à les rompre incessamment, et qu'à l'avenir vous ne
permettiez l'établissement d'aucune ; recommandant parliculièrement
aux directeurs des consciences démarcher le grand chemin de la per-
fection chrétienne sans aucune singularité; et ayant surtout un très-
grand soin qu'aucune personne suspecte de ces nouveautés ne s'ingère
dans la direction des religieuses, ni de vive voix ni par écrit, de peur
que cette peste venant à gagner dans les monastères, ne porte la cor-
ruption parmi les Epouses du Seigneur. En remettant le tout à votre
prudence, nous ne prétendons point par cette ordonnance provision-
nelle, nous ôfer la faculté de poursuivre par les voies de la justice,
ceux que l'on découvrira coupables de ces erreurs insupportables. Ce-
pendant on ne cesse de travailler ici à éclaircir cette matière, afin qu'en
son temps on soit en état de faire connoitre aux chrétiens les erreurs
qu'ils auront à éviter. Je vous souhaite toute sorte de prospérité. A
Rome, ce 15 février 1687. Votre confrère très-affectionné,
Sicjné, le cardinal Cibo.
Erreurs principales de la nouvelle contemplation ou oraison de quiétude aussi
traduites de l'iialien.
■1. La contemplation, ou l'oraison de quiétude, consiste à se mettre
en la présence de Dieu par un acte de foi obscure, pure et amoureuse ;
-et ensuite sans passer plus avant, et sans écouter ni raisonnement, ni
image, ni pensées aucunes , à demeurer ainsi oisif : parce qu'il est
«78 INSTUUrTIO.N SLll LES LIAIS 1) OKAlSnN.
contre la révérence qu'on doit à Dieu de réiléror le pnnuier acte : le-
quel aussi est d'un si j?rand mérite et valeur, qu'il contient en soi à la
fois, et mùui»! avec encore un plus prand avantage les actes de toutes
les vertus, et dure tout le temps de la vie, pourvu qu'il ne soit point
rétracté par un acte contraire, d'où vient qu'il n'est pas nécessaire de le
réitérer.
'2. Sans la contemplation aidée de la méditation on ne peut faire un
pas à 1 '>n.
3. Li • i ladoctrioe même théologique et sacrée est un obs-
tacle et un éloignemcnt à la contemplation, tic laquelle les hommes
doctes ne sont point capa!'-^ •' Mi^'er, mais seulement les contempla-
tifs eux-mêmes.
4. L lu- peut I jiir la Divinité : elles
mysli'i' , il vie cl li . ion de noire Sauveur
ne sont point des sujets propres à la contemplation , puisqu'au con-
traire ils l'empêchent : c'fst pourquoi les contemplatifs doivent s'en
éloiiTMcr Itt'.'uirniip ol no Ii->; cofisidt'nM" qu'rn fuyant.
' ii'nn(!nt
p.i , , I par la
vie oootemplative que par la vio purgative et par la pénitence : les
conteni ' *' ' ' ' t «r cl même mépriser les elTets
de la li ripiir, les larmes et les conso-
lations du "- de la eontfmjtlalion.
6. Lacoir , i . ioil s'arnMer a la pure es-
sence de Dieu, • des Personnes et des attributs : et l'acte tir
foi envers Dieu .i.n-. ; plus parfait et plus méritoire que celui
qui le regarde avfc ! .nés et les attributs, étant de la manière
que Jésus-Christ r,'i l'ii-Mifiue lui-même ; joint que ce seeond acte est tiii
obstacle à la véritable et parfaite contemplation de Dieu.
7. Dans la contemplation déji\ acquise l'ame s'unit À Dieu immé-
diatement : c'est pourtpioi toute idée ou image et espèce y est tout à fait
inutile.
5. Tons les contemplalifs dans la contemplation actuelle soulfrcnt des
peines et des tourmens si griefs, qu'ils éLMlenl et même surpassent
ceux des martyrs.
fl. Dans le sacrifice de la messe et aux fete> .1rs N.mils, il vaut mieux
s'appliquer à l'acte de pure foi et de contemplation , iju'au mystère
même du sacrifice, ou aux actions et circonstances de la vie des
Saints.
10. La Icchire des livres spirituels, la prédication , la prière vocale,
l'invocation des Saints et autres choses semblables, sont un obstacle j\
la contemplation et à l'oraison d'atrections, à laquelle on ne doit ap-
porter aucune préparation.
I
CONDAMNATION DES QUIETISTES. 679
11. Le sacrement de pénitence avant la sainte communion n'est pas
nécessaire aux âmes intérieures et contemplatives, mais seulement
à celles qui sont dans la vie active et qui s'exercent encore à la médi-
tation.
42. La méditation ne regarde point Dieu avec la lumière de la foi,
mais avec la lumière naturelle , quoiqu'en esprit et en vérité ; aussi
n'est-elle d'aucun mérite auprès de Dieu.
13. Les images, non-seulement intérieures et spirituelles, mais même
les corporelles exposées à la vénération des fidèles, comme sont celles
de Jésus-Christ et de ses Saints, font un grand tort aux contemplatifs ;
c'est pourquoi il faut les éviter , et même les ôter tout à fait, de peur
qu'elles n'empêchent la contemplation.
14. Celui qui s'est une fois appliqué à la contemplation ne doit plus
retourner à la méditation, parce que ce seroit aller de mieux en pis.
lo. Si dans le temps de la contemplation il survient des pensées ter-
restres et animales, il ne faut prendre aucun soin de les chasser, ni
recourir à aucune bonne pensée, mais au contraire prendre plaisir à
ce tourment.
16. Toute action ou affection intérieure, bien que produite avec ré-
flexion en vue de la foi pure, ne peut être agréable à Dieu, parce qu'elle
naît de l'amour-propre, toutes les fois qu'elle n'est pas inspirée par le
Saint-Esprit avant toute application et toute diligence de notre part ;
c'est pourquoi dans la contemplation ou dans l'oraison d'affections, il
faut demeurer oisif en attendant le souffle miraculeux du Saint-Esprit.
17. Toute personne étant actuellement en contemplation ou dans l'o-
raison de quiétude, soit religieux ou fils de famille, ou autrement dans
la sujétion, ne doit point en ce temps-là obéir à la règle, ni accomplir
les ordres des supérieurs, afin de ne pas interrompre la contemplation.
18. Les contemplafifs doivent être tellement dépouillés de l'affecUon
de toutes choses, qu'ils rejettent loin d'eux et méprisent même les dons
et les faveurs de Dieu, et perdent jusqu'à l'amour des vertus : enfin
pour se dépouiller plus parfaitement de tout, ils doivent faire ce qui
répugne même à la modestie et à l'honnêteté, pourvu que ce ne soit
pas chose expressément contre les préceptes du Décalogue.
19. Les contemplatifs sont quelquefois sujets à des transports qui
leur ôtent tout usage du libre arbitre, tellement qu'encore qu'ils tom-
bent extérieurement dans des péchés très-griefs, néanmoins intérieure-
ment ils n'en sont aucunement coupables : aussi ne se doivent-ils pas
confesser de ce qu'ils ont fait, comme on le prouve par l'exemple de
Job, qui en disant non-seulement des injures au prochain, mais encore
des blasphèmes et des impiétés contre Dieu, ne péehoit en aucune ma-
nière, parce qu'il faisoit tout cela par la violence du démon : or ni la
théologie scolastique ni la morale ne sont d'aucun usage pour juger
«/^O INSTRUCTION SUR LES ÉTATS DORAISON.
de ces portes délais violens, mais il y faut apporter un esprit surna-
turel qui se trouve en très-peti de personnes, dans lesqTielles on ne
doit point juger de l'intérieur par l'extérieur, mais de l'extérieur par
l'intérieur.
CONDAMNATION ni- MOIJNOS.
Malgré les S0ili> il n > ^m r.m Mili> (jii nli Mtiii tu Miii , i.i iKHiNfllc
ronteniplnlion s'est enseitMiri- par loulo ritali»'. Mirhil de Molinf>s,
prêtre du •! - déféré A l'Inqui-
sition de H' ; , , les, eomme l'un
des principaux fauteurs de cette hérésie, fut mis dans les prisons du
saint Oflice le i 8 juillet IfiRo. Son prorès y a été instruit avec beaucoup
do maturité : et enfin après être domeuré d'accord di's principaux
chefs d'nccusati' avoir reconnu et détesté
ses erreurs, et d , -, en considération de sa
repcnlancc on l'a seulement condamné à la prison perpétuelle et à des
pénitences'parliculiîres par sentence des cardinaux inquisiteur géné-
raux dépulés i\ cet etTel, nu moi-* d'août de l'année H:87. Tour rendre
plus aulhenlique la condaninalion de tant trernurs, dans le niènn-
temps le pape Innocent XI a fait suivre cette scnli nrr d un d(< i« t dt
l'Inquisition et d'une buUc, dont voici la teneur.
DÉCRI'T
I)K LINQUISITION DE RO.MK CONTHE MOLINOS,
Trailutt du latin.
Du jeudi ving-hnil ;i<>rit frST.
Dans la Congrégation générale di- la y.innf inqni'-iiioii romaine et
universelle, tenue dans le p.^lais apostolique du Monl-Qiiirinal, ( n pré-
sence de notre trés-snint Père par la Providence divine le pajie Inno-
cent XI, et des éminrntissimes et révérendissimes cardinaux de la sainte
Eglise romaine , inquisiteurs généraux dans la république chrétienne
contre la contagion de l'hérésie , spécialement députés par le Sainl-
Siége apostolique.
CONDAMNATION DES QUIÉTISTES. 681
Pour arrêter le cours d'une hérésie très-dangereuse, qui s'est répan-
due en plusieurs parties da monde au grand scandale des âmes, il
faut que la vigueur apostolique s'anime, afin que par l'autorité et la
sagesse de la sollicitude pastorale l'audace des hérétiques soit abattue
dès les premiers efforts de l'erreur, et que le flambeau de la vérité
cathohque, qui brille dans la sainte Eghse, la fasse voir de toutes parts
pure de l'horreur des fausses doctrines. Etant donc notoire qu'un en-
fant de perdition, nommé Michel de Molinos, a enseigné de vive voix
et par des écrits répandus de tous côtés, des maximes impies qu'il a
même mises en pratique, par lesquelles, sous prétexte d'une oraison
de quiétude contraire à la doctrine et à la pratique des saints Pères
depuis la naissance de l'Eghse, il a précipité les fidèles, de la vraie
rehgion et de la pureté de la piété chrétienne, dans des erreurs très-
grandes et dans des infamies honteuses : notre très-saint Tère le Pape
Innocent XI, qui a tant à cœur que les âmes confiées à ses soins puis-
sent heureusement arriver au port du salut, en bannissant toute erreur
et toute opinion mauvaise, dans une affaire si importante, après avoir
ouï plusieurs fois en sa présence les éminentissimes et révérendissimes
cardinaux inquisiteurs généraux dans toute la république chrétienne,
et plusieurs docteurs en théologie, ayant aussi pris leurs suffrages de
vive voix et par écrit et les ayant mûrement examinés, l'assistance du
Saint-Esprit implorée, il a ordonn.'s qu'il procéderoit comme s'ensuit à
la condamnation des propositions ici rapportées, dont Michel de Mo-
linos est auteur, qu'il a reconnues être les siennes, qu'il a é;é convaincu
et qu'il a confessé respectivement avoir dictées, écrites, communiquées
et crues.
PROPOSITIONS,
1 . Il faut s'anéantir soi-même , et le reste , avec les propositiovs sui-
vantes, jusqu'au nombre de 68, dans la Bulle d'Innocent XI, pag. 085, où
Von renvoie le lecteur.
Lesquelles propositions il condamne, note et etTace comme héréti-
ques, suspectes, erronées, scandaleuses, blasphématoires, offensives
des pieuses oreilles , téméraires , énervant et renversant la discipline
chrétienne, et séditieuses respectivement, et tout ce qui a été dit, écrit
ou imprimé sur ce sujet j défend à tous et à un chacun dorénavant, en
quelque manière que ce soit, d'en parler, écrire, disputer, de les croire,
retenir, enseigner, ou de les mettre en pratique, et toutes autres choses
semblables : quiconque fera autrement, il le prive actuellement et pour
toujours de toute dignité, degré, honneur, bénéfice et office, et le dé-
clare inhabile à en posséder aucun ; il le frappe aussi de l'anathème ,
682 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
dont aucune personne inférieure au souverain Pontife ne pourra l'al)-
soudre sinon à l'heure de la mort.
En outre Sa Sainteté défend et condamne tous les livres et toutes les
œuvres, en quelque lieu et en quelque langue qu'ils soient imprimés,
aussi tous les manuscrits du môme .Michel de Molinos; fait défense
qu'aucun de quelque qualité et condition qu'il soit, dùt-il être nommé
à cause de sa dipnilé, osc- les imprimer ou faire imprimer sous quelque
prétexte que ce soit, en quelque langue que ce puisse être, d;ms les
mêmes paroles ou semblables ou équivalentes, sans nom, ou sous un
nom feint et emprunté; ni les lire ou garder imprimés ou manuscrits;
ordonne de 1. Ire les mains des Ordinaires des
lieux ou des I; i,.s portées ci-dessus, pour être à
riuslaul bmléii a leur diligence.
Lieu •*- du sceau ^'y'"' > Alexandre Speroncs, nolairc de la sainte
I tn Tin -it I. >M liillllIIW ff III ll\ l'I-Hl'tli'
L' t iifflchi <iux parles
àc / . ; ,1 lu. télé du rhnmp
de Flure, et autres tieiix accoutumes de la viHe, par moi François Perino,
couiri'i '1. n,. ,.' K.,.,.f />.,..,',/.. ;.. .,.,../., f., ....... ./,....
Iini>!iiiir a 11. .air i.l a ll.jicucc, avec ijcimiwauu Je* aupcricurs.
CONDAMNATION DES QUIÉTISTES. 683
BULLE D'INNOCENT XI
MICHEL DE MOLINOS.
Innocent, Evêque, serviteur des serviteurs de Dieu : à la mémoire
perpétuelle de la chose. Le céleste pasteur Notre-Seigneur Jésus-Christ
voulant par sa miséricorde ineffable tirer le monde des ténèbres et des
erreurs où il étoit enseveli au milieu de la gentilité, et de la puissance
du démon, sous laquelle il gémissoit depuis la chute de notre premier
père, s'est abaissé jusqu'à prendre notre chair en témoignage de sa
cliarité envers nous, et s'est offert à Dieu une hostie vivante pour nos
péchés, ayant attaché à la croix la cédule de notre rédemption. Aus-
sitôt prêt à retourner au ciel , laissant sur la terre l'Eglise catholique
son Epouse, comme cette sainte cité la nouvelle Jérusalem, descendant
du ciel, n'ayant ni tache ni ride, étant une et sainte, entourée des armes
DAMNATIO PROPOSITIONUM
MICBLiELIS DE MOLINOS.
lunoceutius Episcopus servus servorum Dei : ad peipetuam rei memoriam.
Cœlestis Pastor Christus Dominus, ut jacentem in teuebris uiundum variisque
gentiiim erroiibus iavolutmn , à potestate diaboli, ?ub quà miserè post lapsum
primi nostri pareutis tenebatur, suà iuefTabili iniseratione liberaret , carnem su-
mere , et in ligno crucis cbirographo redemptionis nostrae affixo , in testimo-
nium sufe in nos chaiitatis, sese hostiam viventem Deo pro uobis offerre digua-
tus est. Mox rediturus in cœluin, Ecclesiamcatholicam, Sponsam suam,tanquàm
novam civitatem sanctam Jérusalem, descendeutem de cœlo, non habentemru-
gam neque maculam, unam sanctamque in terris relinquens, armis suée poten-
f)S4 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
de sa toute-puissance contre les portes de l'enfer, il l'a donnée à gou-
verner au prince des apôtres et à ses successeurs, afin qu'ils gardassent
saine et entière la doctrine, qu'ils avoient apprise de la bouche de leur
Maître, et que les ouailles rachetées au prix de son sang ne retombas-
sent point dans leurs anciennes erreurs par l'appât des opinions dé-
pravées, comme nous apprenons dans les saintes Ecritures qu'il a re-
commandé principalement à saint Pierre. Car à quel autre d'entre les
apôtres a-t-il dit : «Pais mes brebis j » et encore : «J'ai prié pour toi,
afin que ta foi ne manque point; et lorsque tu seras converti, fortifie tes
frères? » Aussi nous, qui sommes assis dans la chaire de saint Pierre et
revêtu de sa puissance, non par nos mérites, mais par le conseil impé-
nétrable du Dieu tout-puissant, avons-nous toujours eu cette sollicitude
dans l'esprit, que le peuple chrétien gardât la foi prôchéc par Jésus-
Christ et par ses apôtres, qui nous est venue par une tradition cons-
tante et non interrompue, et doit durer jusqu'à la fin du monde selon
sa promesse.
Comme donc il a été rapporté à notre apostolat que le nommé Mi-
chel de Molinos a enseigné de vive voix et par écrit des maximes im-
pies qu'il a môme mises en pratique, par lesquelles, sous prétexte d'une
oraison de quiétude contraire à la doctrine et à la pratique des saints
Pères depuis la naissance de l'Eglise, il a précipité les fidèles de la
vraie religion et de la pureté de la piété chrélienne dans des erreurs
très-grandes et dans des infamies honteuses. Nous, qui avons tant à
cœur que les âmes confiées à nos soins puissent heureusement arriver
au port du salut, bannissant toute erreur et toute opinion mauvaise,
avons ordonné, sur des indices très-certains que le susdit Michel de
tia; contia portas inferi circumvallatam, Potro apostolornm principi , et succes-
soribus cjus regcndam tratiidit; ut doctiiiiam ah ipsius oie haustain , sartam
tectani(]ue cuslodiiont. ne oves pretioso sanguine suo redoinpta» piavarum opi-
nioniim pabulo in anliquos errores reciderent ; quod pia-cipuè beato Pelro man-
dasse, nos saciœ Liltciœ docent. Cul enim apostolorum nisi Petro dixit : Pasce
oves méat ; et inrsus : Ego rofjmn pro te, ut non deficiat fides tua ; et tu ali-
quandà conversus confirnin fruires tuo\? Quavo nobis, qui non nostiis meritis,
scd inscrutabili Dei omnipotentis consilio ni ojnsdeni Pétri cathedra pari potes-
tatc sedemus, semper fixum in anlino fuit, ut popnlus christian\is eam seclare-
tur fideni, qutc à Chiijto Domino pcr aposlolos sues [)erpeluà et nuuquàm in-
teriuptà traditione praîdicata fuit , quamque ipse usque ad consummalionem
sneculi pcrninnsuram esse promisit.
Cùm igitur ait apostolatum nostrum relatiuu fuis?et qiiemdam Micbaclem de
Molinos prava dogmala tùm verbo. tùin sciipto docuisse, et in praxini deduxisse,
quœ prœle.xln oialiouis qnietis contta doctiinam et usum à sanclis Patiibus ab
ipsis uascenlis Kcclesia) piimordiis receptum, lideles à verà religione et à chris-
tianîe pietalis puiitate in maximes errcres et turiàssima qnaeqiie inducebant ; nos,
cuicordi semper fuit ut tidelium animœ nobis ex alto comu/issaB , pmgatis pra-
■ varum opiuionuni erroiibus. ad oplalum salulis poitum tutô pcrveuire possint,
-legilimis praecedenlibus indiciis, pra;dictum Michaelem de Molinos carceribus
COi^■DAM^■ATiO^' DES QUIETISTES. 685
Molinos fût mis en prison. Ensuite après avoir ouï en notre présence
et dans la présence de nos vénérables frères les cardinaux de la sainte
Eglise romaine, inquisiteurs généraux dans toute la république chré-
tienne députés spécialement par autorité apostolique, plusieurs doc-
teurs en théologie, ayant aussi pris leurs suffrages de vive voix et par
écrit et les ayant mûrement examinés, l'assistance du Saint-Esprit im-
plorée, Nous avons ordonné de l'avis commun de nos susdits frères ,
que nous procéderions, comme s'ensuit, à la condamnation des pro-
positions ici rapportées, dont Michel de Molinos est auteur, qu'il a
reconnues être les siennes, qu'il a été convaincu et qu'il a confessé res-
pectivement avoir dictées, écrites, communiquées et crues, ainsi au'il
est porté plus au long dans son procès et dans le décret qui a été fait
par notre ordre, le 28 août de la présente année 1687.
PROPOSITIONS.
1 . Il faut que l'homme anéantisse ses puissances : c'est la voie inté-
rieure.
2. Vouloir faire une action, c'est offenser Dieu, qui veut être seul
agent; c'est pourquoi il faut s'abandonner totalement à lui, et demeu-
rer ensuite comme un corps sans ame.
3. Le vœu de faire quelque bonne œuvre, est un empêchement à la
perfection.
4. L'activité naturelle est ennemie de la grâce; c'est un obstacle aux
opérations de Dieu et à la vraie perfection , parce que Dieu veut agir
en nous sans nous.
mancipari mandavimus. Deindè, coràm nobis et veuerabilibus fiatrilnis nostris
sauctae roiuanœ Ecclesise cardiualibus, iii totà repul^Iicà clui^tianù generalibus
inquisitoribus, apostolicà auctoritate speciabter deputatis, auditis pluribus in sa-
cra theologià niagislris, eorumque suffiagiis, tùm voce, tùm sCiii)to susceptis
maturèquc pcipeiiï^is, imploralà eliam sancti Spiritûs asristenlià, cum pia;dicto-
rum fratruQi nostrorum unaniini vole, ad damiiatioucin iufrà sciiplaruui propo-
sitionum ejusdem Micbaelis de Molinorf, à quo fuerant pio suis recognitae, et de
quibus propositiuiiibus tanquàm à se dictatis, sciiptis , communicatis et creditis
ipse convictus et respective confessus fuerat , ut latiùs in processu et decreto
de mandate nostro lato die 28 augusti anni preesentis 1087, deveuirc, ut iufrà,
dccrevimus.
PROPOSITIONES.
1 . Oportet hominem suas potentias anniliilare : et hœc est via interna.
2. VeUe operari activé est Deum offendere, qui vult esse ipse solus agons; et
ideô opus est seipsum in Dec totum et totaliter dcreliuquere, et posteà perma-
nere velut corpus exaninie.
3. Vota de aliquo facieudo snnt perfeclionis impedimenta.
4. Activitas uaturalis est gratia' iiiimica, impedilque Dei operationes et veram
perfectionem, quia Deus vult operari in nobis sine uobis.
686 INSTRUCTION SUR LES KTATS D'ORAISUN.
5. L'ame s'anéantit par l'inaction ; retourne à son principe et à son
origine, qui est l'es-sence divine, dans laquelle elle demeure transfor-
mée et déifiée : alors aussi Dieu demeure en lui-même, puisque ce
n'est plus deux choses unies, mais une seule chose : et c'est ainsi que
Dieu vit et règne en nous, et que l'ame s'anéantit même dans sa puis-
sance d'agir.
6. La voie intérieure est celle où l'on ne connoit ni liniiière, ni
amour, m résignation : il ne faut pas même connoilre Dieu; et c'est
ainsi que l'on s avance à la perfection.
7. L'ame ne doit penser ni à la récompense, ni ;\ la punition, ni au
paradis, ni h l'enfer, ni j\ la mort, ni A réiernilé.
H. Kllf ne doit point désirer de «avoir si elle marche dans la volonté
tic Dieu , ni si elle y est as<-. • ou non: et il n'est pas besoin
qu'elle veuille connoilre sou .. .. n iM'iiur iu'muI. mi. ils tllc doit
demeurer comme un coqis sans vie.
9j L'ame ne se doit souvenir, ni d'eih m. me, m de Itiiu, m li .m-
cune chose : car dans la vie intérieure toute réflexion est nuisible ,
même relie qu'on fait sur ses propres actions humaines et sur ses pro-
pres défauts.
iO. Si par ses propres défauts elle scandalise les autres, il n'est pas
encore m'. " ' ' i, pourvu qu'elle ne soit
|)oint dan i : et c'est une grande
Kiace de Dieu , de ne pouvoir plus relkclur sur ses propres manque-
inens.
1 1 . Dans le doute si l'on est dans la bonne ou dans la mauvaise
voie, il ne faut pas rèlléchir.
.■;. Nihil i>iM'raii(lo Jiiiima so anniliilal, rt ad suiini prifuipituu redit, ri adRiinm
orifinacin, niici- f•^l i-s-o-iitui I)»'i, iit ijnà liuin-fiiin nta ninainl ne diviiii!».ita : et
Dfiir. tune in M-ipso roninnrt, (piia lune non ^unt ampliÙ!* «inn' irs unil(r,!<pd nna
tantùni : et liAe lalione vivil Deus et legnnlin noliix, cl nnitnn hripi^om luini-
hilftl in p!*.<e opi-rnlivo.
(i. \ ia interna •'.*l illa, in qnà non cognoMritnr ncc Inmen. nec amor, ncc resi-
gnatio; et non opoilel Deuni oopiiosceie ; el lior nioilo rccii' proceditnr.
7. Non delii't nniina cogiUire, nt-c de lunniio, nec de puiiilinne, nec do para-
diso, nec de inferno, nec de nioilr, née de nleinilale.
8. Non debel velU' pcirc, an gindiatnr rnni volnntatc Dei , an mm eûdem vo-
luntale n-signatn nianeat, mené; me njus e?! ni velit cognosecre Hunni Mahini,
nec pnipiiuni niiiil, ced debel ut C4)i pus t-xaiiinie nanerc.
n. N.m il. bel anima |•emiIli^ei , n<e s-ul. n«c D< i. nec cujnFcnmque rei , el in
v\i\ inleinA omni.'< irdexio est nociva, elinm if flexin ad pua.<* luin.aiîa.-» aciiones el
ad proprios defeclns.
10. Si propiiis defeclibus alio? scandalizet, non est ncccsfaiium renectere,
dummodù ni>n ad^il vuhuitas t>caudidi/ audi : el ad proprios defeclns non posse
reneeleif, ginlij» I)eiesl.
11. A<1 dubia cpio» occurrunl, an rcclè prcccdotur nccnc, non «.tm* r-l reflee-
tere.
CONDAJINATION DES QUIÉTISTES. 687
12. Celui qiii a donné son libre ai-bilre à Dieu ne rf„!( „. .,
souci d'aucune chose, ni de l'enfer, ni du parâdl il n^ f ■'i ' ™
aucun désir de sa propre perfection ni des verta n d^ '™"'
cation, ni de son salut, dont il doit ,;erdre lll^n'ec '' '"'""'"
n. Après avoir remis à Dieu notre libre arbitre il lui' h„f,. ■ ,
donner tonte pensée et tout soin de tout ce ^0! rèl,!^H *™"
soin de faire eu nous sans nous sa divine voTon™ ° '' ""''""= '"
14. Il ne convient point à celui gui s'est résia-nA •-. ]-. ^r.^ ,■ .
de lui faire aucune demande, par^e c^el^lZntl^tf^^^^^^^^
tion, étant un acte de propre volonté et de propre choix c'Pfi^f
que la volonté divine soit conforme à la no^re aussTcAfP n T T
l'Evangile : « Demandez, et vous rece^.ez" n a- t^^e pa lé rH ' ''
Jésus-CMst pour les âmes intérieures qui^'ont poin^ drvoWé V "'
qu'enfin ces âmes parviennent au point de ne pouvoir f^^^ ''
demande à Dieu. i ue ne pou\oir fane aucune
ne'dœf.r.'T-"^"' i''"'' °' ^''' ^'''' ' ^^^^ '-^"«««e demande eUe
ne doit aussi Im rendre grâces d'aucune chose, l'un et l'autrp T^.nf
acte de propre volonté. . i un et i autre étant un
16. 11 n'est pas à propos de chercher des indulgences pour rlimin
les peines dues à nos péchés, parce qu'il vaut m^eu' sa^sfl. i '
justice de Dieu que d'avoir recours ùTa miséïLrd el"n v nant d
u::i°:tr T '"^ • '' ''''''' '^ ^'^-°- intéresse de nons m mes'
aussi est-ce chose qui n'est point agréable à Dieu, ni d'aucuHnTft;
devant lui, pmsque c'est vouloir fuir la croix
17. Le hbre arbitre étant remis à Dieu avec le soin et la connois-
12. Qiii suiun liberum arbitrium Deo donavit dp miliî m ^.k *
bere, nec de inferno, nec de paradL.o • nec débet il f ? '"^^"^ ^^-
perfectionis, nec vktutum, nec pron^fe Lnrh'Lfl '^^^^'^«""«^ >abere propria.
spem purgare débet. ^ ^ -anctitatis, nec propnae salutis, cujus
c.^L^StS:L^^Sr:;SSr^rSeS?\[^^ -V'^'^'o, et
iiam voliintatem. ' ^ ^^^'^ '"^° o^bis suam divi-
^^t^^^J^^I^^':^ r^^^' ^'î ^ ^eo re. aligna.
et est veile ïiuàd divina volSr no^œ o.t^ST ^U^^^ '' l^'^'T' '
et accipietis. non e^t dictum \ Phri tr. *!^ l ' ^' "^"^ Evangelu : Petite
n. Trad,to Deo hbero arb.tno, et eidem reUclà cura et cognitlone a.im<e 00s-
688 INSTRfCriU.N SLR LLS LTATS DOllAISON.
sancc ^e notre ame, il ne faut plus avoir aucune peine des tentations,
ni se soucier d'y faire aucune résistance, si ce n'est négative sans
aucune autre application : que si la nature s'émeut, laissez-la s'émou-
voir, ce n'est que la nature.
18. Celui qui dans l'oraison se sert d'images, de liguri's, d'idées, ou
de ses propres couceplions, n'adore point Dieu en esprit v[ eu vérité.
19. Celui qui aime Dieu à la manière que la raison prouve qu'il le
faut aimer et que rentendemenl le conçoit, n'aime point le vrai Dieu.
20. (/est une ignoraiicti de «lire que dans l'oraisou il faut s'aider de
raisonneuieus et <! Hieu ne parle point i lame : Dieu
ne parle jamais; - ^ 'lion : et il agit dans l'ame toutes
les fois qu'elle n'y met point d'ol»slacle par ses pensées ou par ses opé
rations.
21. 11 faut dans l'or-iison «Irmcurer dans la foi obscure et univer-
selle, en (juiétut! Mi «le toute pensée particulière, même
de la distinction «.■ ■ Dieu cl de la Trinité : il faut demeurer
ainsi en la présence de Dieu pour l'adorer, l'aimer et le servir, mais
sans produir. lie, parce que Dieu n'y prend pas plaisir.
22. Cette » •''»• p^r la foi n'est p;is un acte produit par la
créature, ujaisecsl u de Dieu à la créature,
que la créature ne cou , . <l qu'i ti-iiito elle ne con-
noll point y avoir 6t6 : j'en dis autant de lamoui .
23. Ix's ur ■ '^ainl Bernard dans l'i, i, . -iVs solitaires,
distinguent .; ia lecture, la mêdilatinn, l'oraison et la con-
Irop, non e-t auiiuiiis tinh<'n>la laii.. t'iitatiMinim . mr ii- ic-istcntia flrri «Icbftl
nisi ncj^aUva nuUà adtiibilA in<lustriù ; et fi naliua coniuu»v«>tiir, npoiUH sinert.
quia est natuin.
18. (Jiù in oialionc uUlur iuiAfnnihus , (]piiri.% spcciebn» et proinii» rnucepti-
)iu.4, non oiioiat Deiun in .<|)iritui!l voritale.
lî). 0"> anint Deuu) eo iiiniln qno ratio argumentai nr, aiil inlelieclu!* ooinprr-
j,P„,i,i . .1, ,in;»t vennu Deuni.
j ipioil in oraUni*» opus est sihi prr «Iisoui>«ni nnxilinm forreol per
cojii'..... .. . ,uandô l)ou< nniniani non nlloipiitur , ignoianlia •••.l : Deiwnnn-
qniun loqnilnr ; ejus lorulio csl npeialio ; »t st-niper in aniniA oporalur,
quando lnec suii dL*cursil»us , i-i>gitatii>nihus et upcratioiiiliii!< euni non
imprilit.
21. In orntionc opus est nianere in lUlc obàcurA et univer.»ali . enm quiète el
olilirion*» onjiiiMMUiiipie ropilalionis pnrticiilai i.'< ac ilislineUi>ni!« iitliihiitornni Dei
ac TrinilaU'» ; el sir in l)ei pne^mliA nianere n<i illuni aiioramlnin el aniainluni
cit|uo iuseï viemluin. »€t\ ab.->qne prodiictiunc aetuum, ipiia Deus in hi.* sibi non
complncel.
22. Ci>gnilio lia'c por lidcni non est nrlu.« h rroalurù prodiK-tus, sod est roRiii-
tio à Deo c!'rnlina> IradiU», qnain rreolnia se babere non cugnorscil , nec poste*
cognoseit illnm se babni^se; cl id<-ni dicitur de aiiiore.
23. .Mvsliri, runi suncto Déniai do in S«W chiuslralium, dislingnunl quatuor
gradut« : li-elioncm, niedilationeni , oialioneui cl conlcniplaliouem infuauui. 0>"
CONDAiLNATlON DES QUIÉTISTES. 689
templation infuse. Celui qui s'arrête toujours au premier échelon, ne
peut monter au second : celui qui demeure continuellement au second,
ne peut arriver au troisième , qui est notre contemplation acquise ,
dans laquelle il faut persister pendant toute la vie, si Dieu n'attire
lame , sans toutefois qu'elle le désire , à la contemplation infuse : la-
quelle venant à cesser, l'ame doit descendre au troisième degré, et s'y
fixer tellement qu'elle ne retourne plus ni au second ni au premier.
24. Quelques pensées qu'il vienne dans l'oraison, même impures
ou contre Dieu et contre les Saints, la foi et les sacremens, pourvu qu'on
ne s'y entretienne pas volontairement , mais qu'on les souffre seule-
ment avec indifférence et résignation, elles n'empêchent point l'oraison
de foi, au contraire elles la perfectionnent davantage, parce qu'alors
l'ame demeure plus résignée à la volonté divine.
25. Quoiqu'on soit accablé de sommeil et tout à fait endormi, on ne
cesse pas d'être dans l'oraison et dans la contemplation actuelle, parce
que l'oraison et la résignation , la résignation et l'oraison ne sont
qu'une même chose, et que l'oraison dure tout autant que la résigna-
tion.
26. La distinction des trois voies, purgative, illuminative et unitive,
est la chose la plus absurde qui ait été dite dans la mystique : car il
n'y a qu'une seule voie, qui est la voie intérieure.
27. Celui qui désire et s'arrête à la dévotion sensible, ne désire ni
ne cherche Dieu, mais soi-même : et celui qui marche dans la voie in-
térieure , fait mal de la désirer , et de s'y exciter tant dans les lieux
saints qu'aux fêtes solennelles.
semper in primo sislit, nimquàm ad secundum pertrausit : qui semper in secundo
persistit, nuuquùm ad tertium pervenit, qui est nostra contemplatio acquisita, in
quà per totam vitam persistendum est , dummodô Deus animam non trahat
(absque eo quôd ipsa id expectet) ad contemplationem infusam; et hâc ces-
sante, anima regiedi débet ad tertium gradum, et in ipso permauere, absque eo
quôd ampliùs redeat ad secundum aut piiumm.
24. Qualescumque cogitationes in oratione occurrant etiam impurœ , etiam
contra Deum, Sanctos, fidem et sacramenta, si voluntariè non uutriantur , sed
cum indifferentià et resiguatione tolerentur, non impediunt orationem fidei, imô
eam perfectiorem effîciunt , quia anima timc magis divinaî voluntati resignata
remanet.
23. Etiamsi superveniat somnus et dormiatur , nOiilomiuùs fit oratio et con-
templatio actualis, quia oratio et resiguatio, resignatio et oratio idem sunt; et
dùm resignatio perdurât, perdurât et oratio.
26. Très illce viee, purgativa , illiuuiuativa et uuitiva, suot absurdum maxi-
mum quod dictiun fuerit in mysticcà, cùm non sit nisi unica via, scilicet via in-
terna.
27. Qui desiderat et amplectitur devotionem sensibilem , non desiderat nec
quaerit Deum. sed seipsum; et malè agit cùm eam desiderat et eam habere co-
natur, qui per viam iuternam iiicedit , tam iu locis sacris quàm in diebus solem-
uibus.
TOM. XVIII, A-k
600 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
28. Le dégoût de biens spirituels est un bien, parce qu'il purilie la-
mour-propre.
29. Quand une ame intérieure a du dégoût dos entretiens de
Dieu ou de la vertu , et quand elle est froide et sans ferviur , c'est un
bon signe.
30. Toute sensibilité dans la vie spirituelle est une abomination, sa-
leté et orduri'.
31. Aucun contemplatif ne pratique de ^Taies vertus intérieures,
parce qu'tlles ne se doivent pas connoitre par les sens : il faut donc
bannir les vertus.
32. Avant ou après la communion, il no faut aux amos intérieures
d'autre préparation ni action de grâces que de demeurer dans la rési-
gnation passive »'t ordinaire, parce qu'elle supplée d'une manière j)lus
parfaite à tous les actes de vertus qui .«-e font ou qui se peuvent f.iiro
dans la voie commune ; que si à l'occasion de la communion il s'élève
dans l'ame des senlimens d'humiliation, do demande ou d'action de
grâces, il les faut réprimer toutes les fois qu'on verra qu'ils ne vien-
nent point d'imo inspiration particulière de Dieu : aulremenl ce sont
des émotions do la nature qui n'est pas encore morte.
33. L'ame qui marche dans celte voie intérieure , fait mal d'exciter
on elle par quelque effort, aux fêtes solennelles, des sontimons do dé-
votion : parce que tous les jours de l'ame intérieure sont égaux et tous
lui sont jours de fêtes : j'en dis autant de* lieux sacrés, car tous lea
lieux lui sont aussi égaux.
34. Il n'appartient pas aux amcs intérieures de faire ù Dieu des ao-
28. Tœdium bononiiu i^pirilualium bouiun c<>t, siquidcm purgattir ainnr pro-
priu-H.
'29. Uriui anima interna fa.>«ti(Hl dUcursus de Deo etvirtutes, et frigida rcinn-
uel, nulluni iu seipsn srnUi'iis fcrvorem, bonnm sigiiuni osL
30. ToUiin sensibile ijuod oxperiuiur iii viW spirilnali, r.xl alKiuiinabile, spnr-
cutn et iniimindiun.
31. Niillns nii-iliUiUvtiH veros virlutcs excrcct internaa, ipiaî non debent ù sen-
eihus coguosci ; opus est aniiltero virtntes.
32. Nec ante m-c po^l coniiinniioneiu olia reipiiritur pra>pnralto anl f^rntinnim
nrlit» pn» islis aiiv '••■ •• 'riii-< qn.'iin pennanentin in !*olili\ resigiinlione juis-
sivA, ipiin modo ^iipplit omiiiM aclns viiliilnm <pii lnii pos>unl et
linnl in viA ordiu.k i . hùc occosiono cumnimiionis ini^urgimt moins iiumi-
lialionU , peliliunid oui graliarum actionLs , reprimeudi miiiI, ipiotics non
iliK^it'î'fatur 0O8 esse in uiipuUu s^peciali Dei , aliù.* sunt impulî-us nalnra* iwin-
<him mortuie.
33. .Malè agit anima quœ procedit per banc viam mt(*mani , »ï in dit-bn» so-
lemnibuA vull ali<pio cnnalu ii.irlicMlari rxcilare jn se devotuni aliipK'ni
sensnm ; qnoniam anima* inlornip umne^ ilies sunt «rquales . omnes fcsiivi :
et idem dicitur de lucis sacrln , quia bujusmodi aniniobus omnia loca aM)ii.ilin
.-nul.
34. Verbis et lingiiA Deo gralias agore nou est pru oumiobuâ iuloruis, i\\iip in
1
CONDAMNATION DES QUIÉTISTES. 691
ions de grâces en paroles et de la langue : parce qu'elles doivent de-
meurer en silence, sans opposer aucun obstacle à l'opération de Dieu
en elles : aussi éprouvent-elles , à mesure qu'elles sont plus rési-
gnées à Dieu, qu'elles peuvent moins réciter l'Oraison Dominicale ou
Notre Père.
35. Il ne convient point aux âmes intérieures de faire des actions de
vertus par leur propre choix et leurs propres forces, autrement elles
ne seroient peint mortes : ni de faire des actes d'amour envers la
sainte Vierge, les Saints et l'humanité de Jésus-Christ, parce qu'étant
des objets sensibles, l'amour en est de même nature.
36. Aucune créature, ni la bienheureuse Vierge, ni les Saints ne doi-
vent avoir place dans notre cœur, parce que Dieu veut seul le remphr
et le posséder.
37. Dans des tentations même d'emportement, l'ame ne doit point
faire des actes exphcites des vertus contraires, mais demeurer dans l'a-
mour et dans la résignation qu'on a dit.
38. La croix volontaire des mortifications est un poids insupportable
et sans fruit ; c'est pourquoi il faut s'en décharger.
39. Les plus saintes actions et les pénitenc^'es que les saints ont
faites, ne sont point suffisantes pour effacer de l'ame la moindre
attache.
40. La sainte Vierge n'a jamais fait aucune action extérieure, et néan-
moins elle a été la plus sainte de tous les Saints : on peut donc parve-
nir à la sainteté sans action extérieure.
4i. Dieu permet et veut pour nous humilier, et pour nous conduire
a la parfaite transformation, que le démon fasse violence dans le corps
sUentio manere debent nuUum Deo impedimentinn opponendo , quod operetu-
milhs; et qx,o magis Deo se resignant, experiuntur se non po^se OraUonem
dommicam seu Pw/e/'Tîos^errecitare. F-j--=.e uiduonem
35. Non convenit animabus hujus vite interne quôd faciant operationes etiam
vntuosas ex piopna electione et activitate; aliàs non essent mortuee n^
debent elicere actus amons erga beatam Virginem, Sanctos, aut humanitatem
Cbiistij çpna cum ista sensibilia simt objecta, talis est amor erga iUa
^6. iNuilacreatm-a, nec beata Vii'go, nec Sancti sedere debent in nostro corde
quia solus Deus vull illud occupare et possidere '
37. In occasione tentaUonum etiam furiosarum', non débet anima eHcere actus
explicites vntutma oppositarum, sed débet in supradicto amore et résignations
remanere. c^'»""-'"^
38 Crux voluntaria mortificationum, pondus grave est et infructuosimi ideô-
que dimitteuda. '
39. Sanctiora opéra, et pœnitentiae quas peregerunt Sancti, non suffîciuut ad
removeudam ab anunâ vel imicam adhœsionem.
40. Beata Vii-go nuUum unquàm opus exterius peregit , et tameu fuit Sanc-
exterSri ' ''"'''^"''' '' '^"'"' ""'^ ^^"^'itatem perveniri potest absque opère
41. Deus permittit et vult ad nos humiJiandos, et ad veram transformationem
892 INSTRUCTION SUR LES ETATS DORAISON.
à certaines âmes parfaites, qui ne sont point possédées, jusqu'A leur
faire commettre des actions animales, même dans la veille et sans au-
cun trouble de resprit,enleur remuant réellement les mains et d'autres
parties du coi-jjs contre leur volonté : ce qu'il faut entendre d'autres
actions mauvaises par elles-mêmes, qui ne sont point péché en cotte
rencontre, parce qu'il n'y a point de consi'ntemenl.
42. Ces violences à des actions terrestres peuvent arriver en même
temps entre deux personnes de difTérent sexe, et les pousser jusqu'<\
l'accomplissement d'une action mauvaise.
43. Aux siècles passés Dieu faisoit les Saints par le ministère dos ty-
rans, maintenant il les fait par le ministère des démons, en excitant
en eux ces violences, afin qu'ils se méprisent et s'anéantissent d'autant
plus, et s'ahanilonnent totalement à l)ieu.
44. Jol) a blasphémé, et cependant il n'a point péché par ses lèvres,
parce que c'étoit imc violence du ilémon.
4.>. Saint Paul a ressenti dans son corj>s ces violences ilu démon;
il'oii vient (juil a écrit : o Je ne fais point le bien que je veux, mais je.
fais le n>al que je hais. »
46. Ces violences sont plus propres à anéantir lame, et h la conduire
à la parfaite union et transformation : il n'y a pas même d'autre voie
pour y parvenir, et celle-ci est la plus courte et la plus sûre.
47. Quand ces violences arrivent, il faut laisser agir Satan, sans y
opposer ni efTort ni adressa', mais demeurer dans son néant : et quoi-
qu'il s'en ensuive l'iUusion des sens, ou d'autres actions brutales, et
pertJtiCLMiilos , (]uù(l Ui uluiuil>ii.'« oiiiiiinhu.» |t«.>rfectis , etiiuii iiuii urrppliliii), ilnv
mon vinlciilioin iiirt'iat lorum r.n-]iiiiil»ii!', r(i«t|iie nrlii!» laiiml-'s (•oiiimitli'ro fn-
rml etiaui iu vigiliA <>t sine lui'iilis i>n'ii>4-ati>>iic, iiiuveiitlo |ih\>i<'<' illi^ iiiuiuis et
alin in(?iiil>rn «oiilrn mniiii voluntnlom ; rt idfiu dicilur qtniad illos nclns
ppr se piTcainiiKHos, in quo casu non ."«unt poccala, quin in lii* non ndcst
lOUSeUMIS.
42. Polest dari coiias qiio lnijn.<inodi violcnlia? nd nctii» onninlps rontingnnt eo-
dcni tcniporo ex parte dnanun per«onanmi, srilioet mari» et feinina>, et ex parte
utrin.^qne sequatur aetns.
4.'}. Dons pnrteriliî lemporilnis Saiieto* efllriid)»! tyrannonnn mini«teriii, nniir
verù pos l'fllril sanclon niiiii^ti^rii^ d.i'nionnni , qui rausando in eis pnedirla-s
viulenlia-t, facil ni illi scipsos ningi-t despiciant , annihilent et .'<)- Dec resignent.
44. Joh blu-ipliemavit, et tainen non peceavil lal>ii.< suis, cpiia Tnil ex (lirnioni^
violenliA.
♦5. Sanctnà l*atilus Inijnsniodi «henioni:» vioientia.>* in sno corpore iiassiin
est ; nndè scrip:*it : Son quod volo honum hoc ago, xed quod nolo ma'un hoc
facin.
40. Hiijnsniodi violentia" snnt médium niagi:$ proportionatnm ad annihilanduui
animam, etad eam ad veram Iran-fonnationem et nnionem pi-rduremlam ; nec
alla snperest via, et li.Te est via faeiljor el tntior.
n. Cnni Inijn^nodi violenliin <i(«urrnnt , sinere oporlet ut Satanas op'<relur,
miUani adliilx-ndti indu-tlriam nullinnque propiium eonaluni, sed perniaueie do-
bel homo in suu oihilo : cl cliam^i eioquautur poUutione» el actu:< obscœni pro-
CONDAMNATION DES QUIETISTES. 693
encore pis, il ne faut pas s'inquiéter, mais rejeter loin les scrupules,
les doutes et les craintes , parce que l'ame erx est plus éclairée , plus
fortifiée et plus pure, et acquiert la sainte liberté ; surtout il faut bien
se garder de s'en confesser, c'est très-bien fait de ne s'en point accu-
ser, parce que c'est le moyen de vaincre le démon et de s'amasser un
trésor de paix.
48. Satan, auteur de ces violences, tâche ensuite de persuader à
l'ame que ce sont de grands péchés, afin qu'elle s'en inquiète, et
qu'elle n'avance pas davantage dans la voie intérieure : c'est pourquoi
pour rendre ses efforts inutiles, il vaut bien mieux ne s'en point
accuser, puisqu'aussi bien ce ne sont point des péchés , pas même
véniels.
49. Par la violence du démon Job étoit emporté à des excès étranges,
en même temps qu'il levoit ses mains pures au ciel dans la prière :
ainsi que s'explique ce qu'il dit au chapitre xvi de son livre.
nO. David, Jérémie et plusieurs saints prophètes souffroient ces sortes
de violences au dehors dans de semblables actions honteuses.
ol. Il y a dans la sainte Ecriture plusieurs exemples de ces violences
à des actions extérieures, mauvaises d'elles-mêmes : comme quand
Samson se tua avec les Philistins, quand il épousa une étrangère et
qu'il pécha avec Dalila; choses d'ailleurs défendues et certainement
péchés : quand Judith mentit à Holoferne : quand Ehsée maudit les
enfans : quand Elie fit brûler les chefs du roi Acliab avec leurs troupes :
on laisse seulement à douter si cette violence venoit immédiate-
ment de Dieu, ou du ministère des démons, comme il arrive aux autres
âmes.
priis mauilius , et etiam pejora , nou opiis est seipsum inquietare , sed foras
emittendi suut scrupuli, dubia et tiiuores, cjuia anima fit magis ilkimiuata, magis
roborata magisfpie candida, et acquiritiir sancta libertas : et prae omaibus non
opus est hœc eonfiteii, et sauctissimè fit non confiteudo, qiiia hoc pacto supera-
tm* dœmou et accpiiiitur thésaurus pacis.
48. Satanas qui liujusmodi violentias iufert , suadet demdè gravia esse delicta,
ut anima se incpiietet, ne in via interna ulteriùs progrediatur : imdè ad ejus vi-
res enervandas, meUùs est ea non coufiteri , quia non smit peccata, nec etiam
venialia.
49. Job ex violentià daemonis se propriis manibus polluebat , eodem tem-
père quo mimdas habebat ad Demu preces : sic interpretando locum ex capite
Job XVI.
50. David, Jeremias et multi ex sanctis prophetis hujusmodi violentias patie-
bantur harimi ùnpiu'arum ôperationum externarum.
51. In sacra Scripturà multa simt exempta violentiarum ad actus externes pec-
caminosos ; ut ilhidde Samsoue, qui per violentiam seipsimi occidit cum Phihs-
thœis, coujugiimi iuut cimi aUenigenà , et cum Dahlà meretricc fornicatus est ,
quse aliàs eraut prohibita et peccata fuissent : de Judithà, cpiae Holoferni mentita
fuit : de Elisteo, qui pueris maledixit : de Elià, qui combussit duces cum turmis
régis Achab : an vero fuerit violentià immédiate à Deo peracta , vel ministerio
dœmonimi nt aliis auimabus coutingit, in dubio relinquitur.
694 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
o2. Quand ces sortes de violences, même honteuses, arrivent sans
trouble de l'esprit, alors l'ame peut s'unir ù Dieu, comme en effet elle
s'3' unit toujours.
33. Pour connoître dans la pratique si quelque action dans les autres
personnes vient de cette violence, la règle que j'en ai n'est pas seule-
ment tirée des protestations que ces âmes font de n'avoir pas consenti
à ces violences, ou de ce qu'il est impossible qu'elles jurent faussement
de n'y avoir pas consenti, ou de ce que ce sont des âmes avancées dans
la voie intérieure ; mais je la prends bien plutôt d'une certaine lumière
actuelle, supérieure à toute connoissance humaine et théologique, qui
me fait connoitre certainement avec une conviction intérieure que telle
action vient de la violence : or je suis certain que cette lumière vient
de Dieu, parce qu'elle me vient jointe à la conviction que j'ai qu'elle
est de Dieu; de sorte qu'elle ne me laisse point l'ombre du moindre
doute au contraire : de même qu'il arrive quelquefois que Dieu révé-
lant quelque chose i une ame, il la convainc en même temps que la
révélation vient de lui, de sorte qu'elle n'en peut avoir aucun doute.
o4. Les spirituels, qui marchent dans la voie commune, seront bien
trompés et bien confus à la mort, avec toutes les passions qu'ils auront
à purifier en l'autre monde.
00. Par cette voie intérieure on parvient, quoiqu'avec beaucoup de
peine, à purifier et ù éteindre toutes les passions; de sorte qu'on ne
sent plus rien, quoi que ce soit, pas le moindre aiguillon : on ne sent
pas plus (le révolte que si le corps étoit mort, et l'ame n'est plus sujette
à aucune émotion.
56. Les deux lois elles deux convoitises, l'une de l'ame et l'autre de
52. Cùm hujusinodi violentiae etiara impurse absque montis otTuscalione acci-
dunt, tuuc anima Deo potest nniri, ut fie facto semper unitnr.
53. Ad coguoscemliun lu piaxi au aHipia operalio in aliis persouis fuerit vio-
lentia, régula quani de hoc tiabeo, uedùm snnt proleslatioues auiinariun iiliarum
quae proteslautur se dictis violenliis non cousensisse , aut juiare non posse quôd
non his conscuserint, et videre quod sint aninue quai pioliciunl ia via interna;
sed regidani sumere alumine quodam acluali, cognitioiie Inunanà et llicologicâ
superiorc,'quod me certô cognoscere facit cuni interna cerlitudine , quôd talis
operalio est violenlia : et certus sum quôd lioc lumen à Deo procedil, quia ad
me pnivenit coujunctum cum certiludiue quôd à Deo proveniat, et niihi nec
lunbram dubii relinquit in contrarium : eo modo quo inlerdùm contingit, quôd
Deus aliquid revelaudo, eodem lenipore auimam cciiam reddit (piùd ipse sil qui
revelet, et anima in contrarium non polesl dubllare.
54. Spiriluales viee ordinariiB in horà raoïtis se delusos iuvenieut et confusos,
cum omnibus passionibus in alio mundo purgandis.
55. Per banc viamintcrnam peivenitur, elsi multà cum sufferenlià, ad [jurgan-
das et extinguendas omnes passiones, ila quod nibil ampliùs senlitur, niiiil, niliil :
nec ullrà sentilur inquietudo, sicut corpus uiorluum ; nec anima se ampliùs com-
moveri sinit.
50. Duœ loges el duaî cupidilates, animai una et amoris proprii altéra , landiù
CONDAMNATION DES QUIETISTES. 69^
amour -propre , subsistent autant que règne l'amour-propre : c'est
)ourquoi quand une fois il est épuré et mort, comme il arrive dans la
foie intérieure, alors aussi meurent les deux lois et les deux convoi-
ises ; on ne fait plus aucune chute, on ne sent aucune révolte, et il n'y
i plus même de péché véniel.
57. Par la contemplation acquise on parvient à l'état de ne plus faire
mcun péché, ni mortel ni véniel.
58. On acquiert cet état en ne faisant plus aucune réflexion sur ses
ictions, parce que les défauts viennent de la réflexion.
59. La voie intérieure n'a aucun rapport à la confession, aux confes-
seurs, aux cas de conscience, à la théologie, ni à la philosophie.
60. Dieu rend la confession impossible aux âmes avancées, quand
[ine fuis elles commencent à mourir aux réflexions, ou qu'elles y sont
tout à fait mortes : aussi y suppléé-t-il par une grâce qui les préserve
autant que celle qu'elles recevroient dans le sacrement : c'est pourquoi
en cet état il n'est pas bon que ces âmes fréquentent la confession ,
parce qu'elle leur est impossible.
61. Une ame arrivée à la mort mystique ne peut plus vouloir autre
chose que ce que Dieu veut, parce qu'elle n'a plus de volonté et que
Dieu la lui a ôtée.
62. La voie intérieure conduit aussi à la mort des sens : bien plus,
une marque qu'on est dans l'anéantissement qui est la mort mystique,
c'est que les sens extérieurs ne nous représentent pas plus les choses
sensibles que si elles n'étoient point du tout, parce qu'alors elles ne
peuvent plus faire que l'entendement s'y applique.
perduiaut, quaiKliù perdurât amor proprius : undè quaudô purgatus est et mor-
tuu?, ut lit per viam internam, non adsuiit ampliùs dute ilkB leges et duae cupidi-
tates, nec ulteriùs lapsus aliquis iiicurritur, nec aliquid seutitur ampliùs, ne qui-
dem veniale peccatum.
57. Per contemplationem acquisitain pervenitur ad statum uon fuciendi ampliùs
peccata uec mortaliaiiec venialia.
;58. Ad hujnsmodi statum pervenitur non reflectendo ampliùs ad proprias ope-
rationes, quia defectus ex reflexione oriuntur.
59. Via interna sejuucta est à confession e, à confessariis , à casLbus conscien-
tiœ, à tlieologià et à philosophià.
60. Aniiuabus provectis, quae reflexionibus mori incipiunt, et eô etiam perve-
niunt ut sint mortuœ, Deus confessionem aliquandô efticit impossibilem , et sup-
plet ipse tantà gratià préBservante quantam in sacramento reciperent ; et ideô
liujusmodi animabus non est bonum in tali casu ad sacramentum pœnitentiae ac-
cedere, qma id est illis impossibile.
6t. Anima cùm ad mortem mysticam pervenit , non potcst ampliùs aliud velle
quàm quod Deus vult, quia non habet ampliùs volunlatem, et Deus eam illi abs-
tulil.
02. Per viam internani pervenitur etiam ad mortem sensuûm , quinimô signum
quod quis in statu nihilitatis maneat, id est mortis mysticcD, est si sensus exterio-
res non représentent ampliùs rcs sensibiles ac si non essent, quia non perveniunt
ad faciendiun quod inteUectus ad eas applicet.
«96 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
63. Par la voie intérieure, on parvient ;\ un état toujours fixe d'une
paix imperturbable.
01. Un théologii-n a moins de disposition qu'un idiot ;\ la contem-
plation : \" parce qu'il n'a pas une foi si pure; 2" qu'il n'est pas si
humble; S» qu'il n'a pas tant de soin de son salut; 4*» parce qu'il a la
tôtc pleine de rêveries, d'espèces, d'opinions et de spéculations; de
sorte que la vraie lumière n'y trouve point d'entrée.
65. Il faut obéir aux supérieurs dans Us clioses extérieures; le vœu
d'obéissance des religieux ne s'èlend qu'aux choses de cette nature :
mais pour l'intérieur, il en est tout autrement; il n'y a que Dieu seul
et le directeur qui en f il.
66. C'est uuf dfjcthii' ■ dans l'Eglisc et digne de risée, qut
les âmes dans U-ur intérieur doivent être pouvcrnées par les évèques;
et que l'évèque en éliinl incapable, elles doivent se présenter i\ lui
avec leurs directeurs : c'est, dis-je, une doctrine nouvelle, puisqu'elle
n'est ens. " l " les, ni dans K-s ca-
nons, m ^ ir aucun auteur, et
qu'elle ne le peut être; l hglise ne jugeant pouit des choses cachées, et
toute amc ayant droit île .se choisir qui l>on lui S4*m!)lc.
67. C'est une tromperie manifeste «le dire qu'ouest obligé de décou-
vrir son inlé
de ne le poiii:
et que l'on fait un très-grand (ort aux âmes par ces illusions et ces dé-
gui semens,
68. Il n'y a d:ins le monde ni autorité, ni juridiction qui ait droit
63. P(T viani inlcrnaiii i>crwiiittir ad bloluni riidUnuuui iiiuuobtlcni iu parc
imp-'Hurbahili.
Vt\. Tln-ol'ipiis minoroni iti~pt.qti.-in. m IiaVi>''t .[n^ni Imnin nifH- ad -Infitm i-m'-
l(^in|>l<ilivi : l" quia non li
3» quia ncm aili-o rural |>
tosninlilius, s|Hrifijut<, upintoniliup, ^pi-t uLtlionilMi- ; cl iivu puU:»l ui lUuui in
grodi vcniiîi Iniin'ii.
65. |'r:i ii'i''' l•'li^i<>-
»orunî t.i 11 SI- lialiil,
quo mollis li< u iiili.iul.
66. IUhu liii.' i i|ua-(lani «loclriiia in EccJoiiià Dci, (pi6d anima qnoa<l
intrrnum ffulxiiau 'Iclii-al ab fpisropo ; qnôd si fpb^opns» non .xit c;ipa\, anima
ipsum cuni [suo din-rtorc adoal : novain diro dortrinani, qnia ni-c sacra bciip-
lura, nvc ntnrilia, iht oannnos , ncc huila-. ; '■ iioe auctoros «(un un-
quàm Iradidi-runl nrc Irailcre possunl ; (piia 1 jndical di- occidli^, ri
aninia ju.-« ha)» ' • ' ' '|uonicunii|uo Mhi bcn*' vi~inii.
CI. I)ircr«' iiMin nuiiiifi>tnndiini rsl oxleiioii liihurall pi.'i popilc-
ruin, ri qiiod p. , . .inim «il id non fareic. t'A uianif<'!>la liecrplin, <piia I cclcsia
non judiraldf orculUs, pI propriis aiiiniahus prajutlicant his dfreplionibus pI s»i-
mulalionihus.
08. In nuindo non ct^l fucultas nrr jurisdiclio od prffnpii-ndnni nlnianiftjMiuUii
1
CONDAMNATION DES QUIÉTISTES. 697
d'ordonner que les lettres des directeurs sur l'intérieur des âmes soient
communiquées : c'est pourquoi il est bon qu'on soit averti que c'est
une entreprise du démon.
Lesquelles propositions, de l'avis de nos susdits frères les cardinaux
de la sainte Eglise romaine, et inquisiteurs généraux, nous avons
condamnées, notées, et effacées, comme hérétiques, suspectes, erro-
nées, scandaleuses, blasphématoires, offensives des pieuses oreilles,
téméraires , énervant et détruisant la discipline chrétienne , et sédi-
tieuses, respectivement; et pareillement tout ce qui a été publié sur ce
sujet, de vive voix, ou par écrit, ou imprimé : avons défendu à tous et
à un chacun de parler en aucune manière, d'écrire ou disputer de ces
propositions et de toutes autres semblables, ni de les croire, retenir,
enseigner, ni de les mettre en pratique : avons privé les contrevenans
dès à présent et pour toujours de toutes dignités, degrés, honneurs,
bénéfices et offices, et les avons déclarés inhabiles à en posséder ja-
mais , et en même temps nous les avons frappés de l'anathème , dont
ils ne pourront être absous que par nous ou nos successeurs les pon-
tifes romains.
En outre nous avons défendu et condamné par notre présent décret,
tous les li\Tes, et tous les ouvrages du même Michel de Molinos, en
quelque lieu et en quelque langue qu'ils soient imprimés, même les
manuscrits, avec défense à toute personne de quelque degré, état et con-
dition qu'il puisse être, et quoique par sa dignité il dût être nommé,
d'oser sous quelque prétexte que ce soit les imprimer en toute
epistolse directoris qiioad internimi animée, et ideô opus est animadvertere quôd
hoc est insiûtus Satanse.
Quas quidem propositiones tancpiàm liaereticas, suspectas, erroiieas, scandalo-
sas, blasphémas, piarmn am-iiim offensivas, temeraiias, chiistiaufe discipUnte re-
laxativas et eveisivas , et seditiosas respective , ac quœcimique super ils verbo,
scripto, vel typis emissa, pariter cum voto eorumdem fratrum uostrorum S. R. E.
Cardinahum, et luquisitorum generaliimi damaavmius, circumscripsimus et abo-
levimus ; deque eisdern et simUibus omnibus et siugulis postliàc quoquo modo
loquendi, scribendi," disputandi, easque credeudi, tenendi, doceudi, aut in praxim
reducendi facultatem quibuscumque interdixmuis, et contra facientes omnibus di-
gnitatibus, gradibus, honoribus, beneficiis et ofBciis ipso facto perpétua privavi-
mus, et inhabiles ad quœcumque decreviuius, vinciiloque etiam anathematis eo
ipso imiodavimus , à quo nisi à nobis et à Romanis Pontifîcibus successoribus
nostris valeant absolvi.
Prsetereà eodem nostro decreto prohibuimus et daniuavimus omnes libres, om-
niaque opéra quocumque loco et idiomate impressa, necnon omnia manuscripta
ejusdem Alichaehs de MoUnos, vetuimusque ne quis, cujuscumcpie gradùs, condi-
tionis, vel status, etiam spécial! nota dignus, audeat sub quovis prœtextu, quoli-
bet pariter idiomate, sive sub eisdern verbis , sive sub œqualibus aut fequipoUen-
tibus, sive absque nomine, seu ficto, aut alieno nomine ea imprimere, vel imprimi
098 I.NSTKUCTION SUR LES ÉTATS DORAISON.
langue, dans les mêmes termes, ou en de semblables, ou équivalens,
ou sans nom , ou sous un nom feint et emprunté ; ni les faire impri-
mer, ni même les lire ou retenir chez soi imprimés ou manuscrits;
mais de les porter aussitôt cl de les mettre entre les mains des Ordi-
naires des lieux ou des inquisiteurs contre le venin de l'hérésie , sous
les peines portées ci-dessus, avec ordre de les brûler à la diligence des-
dits Ordinaires ou Inquisiteurs. Enlin pour punir le susdit Michel de
Molinos de ses hérésies . erreurs et faits hontoux , par des chûlimens
proportionnés qui servissent d'exemple aux autres, et ;\ lui de correc-
tion , lecture faite de tout son procès dans notio congrégation susdite ,
ouis nos trè-chers fils les consultcurs du saint Office , docteurs en
Ihéol i:nun de nos vénérables
fiéit - . i romaine : Nous avons
condamné dans toutes les formes de la justice ledit Michel de Molinos,
eomme coupable , convaincu , et après avoir avoué respectivement , et
comme hérétique «léclaré, quoique repentant, A la peine d'une étroite
el p, iros qu'il sera tenu d'ac-
coiiii. !ion suivant le formu-
laire qui lin .s«>ra prescrit : ordonnant qu au jour et à l'heure marqués,
dans l'église de Sainte-Marie de la Minerve de cette ville, en présence
de tous nos vénérables frères les cardinaux de la sainte Eglise ro-
maine, prélats de notre Coi 1'" tout le peuple qui y sera invité
par la concession des indu 'la lue d'im lieu élevé la teneur
du procès, le métne Michel de Molmos étant debout sur un éehafaud,
ensemble la sentimcc qui s'en est ensuivie : et après que ledit de Mo-
linos revêtu de l'habit île pénitent, aura abjuré publiquement les erreurs
et hérésies susdites, nous avons donné pouvoir A notre cher fils le com-
fnrere, nr.; i mnnn.^rripl.'i l<'(;''n', vol ..• lin.i-
rii--» liworir pravilalii* lii<liii-iit.>rili<i* -: .'nii.'
tcnrantiir :>ul» tir-leu» \nv\\in siipnii'i» iiinii-tis. qui Or.!un:ii il liniui-iU'ics -l itiin
ea iRiii roniburaMt. vcl r.iinhuri farianl. TiUi-ieiii. ni pin'ilirliM Mirlinel de Moli-
no!» oli li.i-rosi'- t liirpia faclft pnedirta del.r in ali.iniiu exciii-
plimi. ol ip-'i"- :i(Mn |ilerlorf«liir, lerln in r i n<>iif?ropaliiiiir
tntn pro<- . Ulu diWlis (ilii le lnqiii!'Ui«'nis.
Offirii in - M et iii juiv p. nn.l.Mn vriu-ialii-
rnini Kmliuia n..-lr.>riiin S. H. K. Cni .im lui'n niiiiiiiiu \.'i.,. lin-liim Micliarlnu
de Molinos. Inmpiain reimi convicluiu cl r..iif.',.»Miiii respeclivè, et iiU hjerelinim
fnrmali'iii lic.«l pfriiilcnteinin pfriiiun arrii .1 pripr-lui rarroris, et ad perag.iidar*
nlia.-» pœiiileiitiiu» sahitnre:», pr;evii\ taiiicii alijuiaiionr de f.inuali por iiii'Uiiniiiil-
teiidà. r<.'ival > juds ordiof, ilamiiaviimis : maiidanU^:» iit die et liorA pr.TliRi'iidis
iii ecrl.-*i,\ SaneUr Maii.T supia Miii'TV.nn ImjiH alina> iirl)is, prteai'iilibus om-
niliiH v.-iicrahilibus fraliibtis uosliis S. H. K. Cardiiialibus , et roinana' CuriiB
noatrfP Priplali-i, univ.Tsoqiie populo ad id etiam per conce-sionem iiidulgenlia-
rum .•nnvMCftiido , ex allô lonor proorisiV-* , .étante in sujzg.'sb d.Mii Michaelo
de Moliiio^ mil cmn senlonliA iiulè si-riitA legerelur : cl poslipiàiii id.'in de Mo-
liooâ, liubitu pœoilculiaî iuJutos, prtediclos crrorcs elhuireses publiée abjurasset.
CONDAMNATION DES QUIÉTISTES. 699
raissaire de notre saint Office, de l'absoudre en la forme ordinaire de
l'Eglise, des censures qu'il avoit encourues : ce qui auroit été accompli
en tout point, en exécution de notre ordonnance du 3 septembre de la
présente année.
Et quoique le susdit décret fait par notre ordre, ait été imprimé,
publié et affiché en lieu public pour l'instruction plus ample des fidèles;
néanmoins, de peur que la mémoire de celte condamnation aposto-
lique ne s'efface dans le temps à venir, et afin que le peuple chrétien
instruit de la vérité catholique, marche plus sûrement dans la voie du
salut, en suivant les traces des souverains Pontifes nos prédécesseurs,
par notre présente constitution qui sera à jamais en vigueur, nous ap-
prouvons de nouveau et confirmons le décret susdit, et ordonnons
qu'il soit mis à esécufion comme il le doit être, condamnant en outre
définitivement et réprouvant les propositions susdites, les livres et ma-
nuscrits du même Michel de Molinos, dont nous interdisons et défen-
dons la lecture, sous les mêmes peines et censures portées et inffigées
contre les contrevenans.
Ordonnant au surplus que les présentes lettres auront force, sont et
seront en vigueur perpétuellement et à toujours, sortiront et auront
leur plein et entier effet : que tous juges ordinaires et délégués, et de
quelque autorité qu'ils soient ou puissent être revêtus, seront tenus de
juger et déterminer conformément à icelles, tout pouvoir et autorité de
juger ou interpréter autrement leur étant ùtés à tous et à chacun d'eux;
déclarant nul tout jugement, et comme non avenu, sur ces matières à
facultatem dedimus dilecto filio nostrisancti Officii commissario, ut eum à censuris,
quibus irmodatus erat , la forma Ecclesiab cousuetà absolveiet; quœ omnia in
executionem dictée nostrte ordiualiouis die tertià septeiubris labentià anui solem-
niter adim[ileta suut.
Et licèt suprà uarratiim decretum de mandato nostro latuin, ad majorein fide-
lium cautelam typis editum, publicis locis affixum et divulgatum fuerit, uiliilo-
miaùs, ne hnius apostolicae damnatiouis memoria fuiuris tempoiibus deleii possit,
utque populus christiauus calbolicà vei itate iustvuclior per viam saluUs iucedere
valeat, praedecessorum uostroiimi sumniorum Pontificuni vestigilà inhaerentes;
hàc nostrà perpétué valilurà coQslituiioae supradictum decretum denuô appro-
bamus, contirmamus, et debilœ executioui tradi maudamus ; ilerùm supradictas
propositiones defiuilivè damnantes et i-eprobautes, librosque et mauuscripta ejus-
dem Micbaelis de iMolinos prohibeutes et interdiceutes sub eisdem pœnis et
censmis contra trausgressores latis et inÙictis.
Decernentes insuper praeseutes Utteras semper et perpetuô validas et efficaces
existere et fore, suosque plenarios et intègres effectus sortiri et oblinere : sicque
per quoscimique ordinal ios et delegatos quàvis auctoi itate fungentes et functu-
ros, ubique judicari et detiniri debeie, sublatà eis, et eorum cuilibet, quàvis aliter
judicandi et interpretaudi i'acultale et auctoritate ; ac irritum et tuaue quidquid
secùs super bis à quoquam quàvis auctoritate scienter vel ignoranter contigerit
700 INSTnUGTlON SUR LES ÉTATS DORAISON.
ce contraire, de quelque personne et de quelque autorité qu'il vienne,
sciemment ou par it^norance. Voulons que foi soit ajoutée aux copies
des présentes même imprimées , soussignées de la main d'un notaire
public, et scellées du sceau d'une personne constituée en dignité ecclé-
siastique , comme on l'auroit i\ ces mômes lettres représentées en ori-
ginal. Ouil ne soit donc permis h. aucun homme par une entreprise
téméraire, <le vioh-r ou de lir au contenu de noti^e présente
approbation, eonlirmation, ■ . ition, réprobation, punition, ilé-
cret et volonté. Que celui qui osera l'entreprendre, sache qu'il s'attirera
l'indignation du Dieu tout-puissant et des bienheureux ap»*>trcs saint
Pierre et saint Paul. l»onné à Uome, iï Sainte-Marie Majeure, le vinplième
novembre, l'an mil six cent fpiatre-\ : nation de No-
tre-Seifîncur , et 1<; douzième de noli. , ^ ^ I'. Mataihk. Et
plus bas, J.-l . AiiîvM. Kcgislrëe au sccrélarial des brefs, etc.
Vita de eurid. S. DK PlLASTRls. D. CUMPlNt'S.
Loco t plumbt.
I/an de Nolre-Seigncur Jésus-Christ mil six cent quatre-vingt-huit,
indiction onzième, le tl» février; et du ponliMeal tle notre saint Père le.
Pape par la l'rovidence divin»* Innocent XI, l'an douzième, les présentes
lettres apostoliques ont êlè pulibèes et aHlchées aux portes de l'église
de Saint Jean de Latran, ilo la basilique de Saint-Pierre et de la chan-
cellerie apostolique, et i\ la léte «lu champ de Flore, et aux autres lieux
accoutiunés de la ville, par moi Fr.r î' ino, courrier de notre
saint Père le Pape et de la très sainli , ;i.
nltiMilnri. Vuliiinu- .ml.iii . ni iii.i'-i iiliiiiii lian-iimi II- cli.iui iinim' -i- , ni. mu
noinrii pnlilioi
coiit^filntT mm
riitrii" m liiiiiiitiiiiii li-
Cfftl ! ititini.'*, roprnlin-
liDllir., |iw. I II itii-.li |i-iiii>rari I colitrà
in*. Si ijMi 1 Jinrifif» luiiiiiiidlj-nlis l)ci,
iir heatiiriiin !'• tu ri l'.mli .i,....l..l..i uni ini. Dntiliii
Hoiiinv (i|iiiil s Mnriitni Mnjiiicm, aiiint 1: ... -iiin» srx-
cnnl. liiiio, <lii i(li-ciiiu> Kal. il. i . mliu- , l'uiiUinuili'is nnslii
uurii' ifs.J. F. .VLiiAMS.HcBi-linttt in SecrctnriA Brcvitiiii.
Vixa de curid S. DE Pilastbis. D. Ciamimms.
Loco f phunlii.
Aiinn il Nalivtlnle Oomini no.-<ln Jesu Chrisiti uiillt-s^imn 8excfnU*simo ortiia-
gi'«im<> i>rlnv(i, iiiilirliiin*> uiuK-riniA , ilif vrro 19 fi«liriiarii , pontidonlt'is niiti'iii
HaiH'tiH-iiiii iii Cliii.->t<i l*Htii.-« I>. N. D Innoce.ntii diviiiA Providcntii) Papa- .\l ,
aiiiiu fjus .! I. . 1! .1.-, ni. . liii : -L.lica' aflixie et |.i.l.li. .ii.i in.'innt
tu\ viilv.i- . IJa-ilic.-r |>iiii< i
et Cmicfil.i , , , . , . 1. ..[•, et aliit* locis -. 1 'i
orbid, per tue Francucum Periuutn bS. D. N. Papœ et »anclL».sim(e lQquisiti<)iii!>
pursoreiu.
CONDAALNATIOX DES QUIÉTISTES. 701
DECRET
DE L'INQUISITION DE ROME,
EXTRAIT DU LATIN.
Du jeudi 5 février 1688.
11 porte condamnation de divers omTages des quiétistes, et en par-
ticulier de ceux de Benoit Biscia, prêtre de la congrégation de l'Ora-
toire de la ville de Fermo on Italie ; ensemble d'une feuille volante im-
primée en françois sous ce titre :
Propositions tirées des livres et autres écrits du docteur Molinos, chef
dei quiétistes, condamnées par la sainte Inquisition de Rome.
Ce décret est scellé , et a été publié et affiché selon la coutume , le
27 février 1688.
AUTRE DECRET
DE LA M Ê ]\I E INQUISITION,
EXTRAIT DU LATIN.
Du jeudi 1" avril 1688.
Entre plusieurs livres des quiétistes, qui y sont condamnés, on y voit
les suivans.
Pratique facile pour élever l'ame à la contemplation , en deux parties;
par François Malaval, laïque, aveugle : traduite du françois en italien,
par dom Lucio Labacci, prêtre romain.
Alphabet pour savoir lire en Jésvs-Christ , composé par Fr.-Jean Fal-
coni, de l'ordre de Notre-Dame de la Mercy : traduit de l'espagnol en
italien : avec un abrégé de la vie de l'auteur, et une de ses lettres écrite
à l'une de ses dévotes.
Autre lettre du même auteur à l'une de ses filles spirituelles, touchant
le plus pur et le plus parfait esprit de l'oraison, traduite de l'espagnol
en italien.
Autre du môme à un religieux , sur l'oraison de pure foi , aussi tra-
duite de l'espagnol en italien.
Ce décret est scellé, et a été pulDlié et affiché le 3 avril 1C88.
702 INSTRUCTION SUR LES ÉTATS D ORAISON.
AUTRE DIXRET
I»r I \ .MKME INQL ISITIdN
EITHAIT DU LATIN.
Da jeudi 9 septembre IGSS.
La sacHi' (.nnf^ègation défond et condaniiif les livres qiir voici.
Il y en a plnsii-tirs de diverses malièrrs, dont celui-ci seul a rapport
à la contemplation :
Orationis vient alts Analysis , deque variis ejtuilem speriebus jndicium ex
divini verbi , sanctorumve Patrum sententiit concintia'um : per Putran
D. Fratiritrum la Conihe Tf ■ ' <<utn . conyretja-
tiouis elenrorurn rfgulariunt ... .Virn/aum Uya-
ciulhutu M art un, typf>g. Epifc. lii^ti.
Analyse de l'oraison mentale, par le Pt'Te la C.onibe.
Ce décret est scellé , et a été publié et afUché selon la coutume , le
4 septembre 1088.
Al illE Dl.l.ilKT
I> 1. LA Mf.MF. I.NOflSITION,
F.XTBAIT Df LATIN.
Du mardi 30 novembre 1C89.
I^ sacrée Congrépation défend et condamne les livres que voici.
Lr chrétien intérieur, ou la ronformtfé mléneure que les rhri^liens doi-
vent avoir avec Jésru-Christ , traduit du françois en italien par le .sieur
Alexanjlre Cenami, prieur de Saint-Alexandre de Lucrpies.
Ili'gle de perfection, qui contiait en abré'jé toute la vie spirituelle, réduite
an seul point de li volonté divine, divisée en trois parties; par le l'ère
Henoit df Canfeld, capucin anglois; et traduite du françois en italien.
A Viterbe, 1687.
Moyen court et tréi- facile pour l'oraisnn, que tous peuvent pratiquer trt's-
aisément, et arriver par là en peu à une houle perfection. A Grenoble, 168;).
Jléglc des assoaéi à l'enfance de Jésus : Modèle de perfection pour tous
les états. A Lyon, 1683.
CONDAMNATION DES QUIÉTISTES. 703
Lettre d'un serviteur de Dieu (Falconi) à une personne qui aspire à la
perfection religieuse.
Il contient plusieurs autres livres, sur la nouvelle contemplation, en
italien ou en espagnol, imprimés dans la plupart des villes d'Italie.
Ce décret est scellé, et a été publié et affiché à l'ordinaire les jour et
an que dessus.
AUTRE DECRET
DE LA MÊME INQUISITION,
EXTRAIT DU LATIN ,
Oit sont condamnés les livres suivons.
Du mercredi 19 mars 1692.
Œuvres spirituelles de M. de Bernières Louvigny , d'où a été tiré le
Chrétien intérieur, ou la guide sûre pour ceux qui aspirent à la perfection,
en deux parties : traduites du françois en italien.
Recueil de diverses pièces concernant le quiétisme et les quiétistes ,
ou Molinos et les disciples. A Amsterdam, 1688.
Trois lettres touchant l'état présent d'Italie, écrites en 1688 : 1 , sur
Molinos et ses quiétistes : 2 , sur l'inquisition et l'état de la religion :
3, sur la politique et les intérêts des princes d'Italie. A Cologne , 1688,
et autres ouvrages imprimés.
Scellé, affiché et publié, les jour et an que dessus.
Voilà les actes qu'on a pu avoir de différens endroits , pour
composer ce recueU. Ils sont ici apportés par manière de récit,
afin qu'on voie ce qui s'est passé par toute la chrétienté, et sur-
tout à Rome, dans l'afTaire du quiétisme. Pendant qu'on en ache-
voit l'impression, on a appris la mort de Molinos arrivée dans
sa prison le 29 décembre dernier , après avoir reçu tous ses sa-
cremens avec beaucoup de marques de repentir.
FIN I)U DIX-HUITIÈME VOLUME,
I
TABLE
DES MATIÈRES CONTENUES DANS LE DIX-HUITIÈME VOLUME.
RECUEIL DE DISSERTATIONS ET DE LETTRES
CONCERNANT l'N PUOJtT DE liÉrMON DES PROTESTANS d'aLLEMAGNE DE LA CONFESSIO^I
d'aU(JSBOURG,
A l'église catholique.
Suite de la pi^emière partie.
DE PROFESSORIBUS CONFESSIOMS AUGUSTAN^
AD REPETE>DAM L'NITATEM CATHOLICAM D1SP0NE^D^S.
Admonitio ediloris Pag. 1
Pk.«;fatio. De verâ ralione ineundae pacis, deque duobus postulatis noslris. 3
PARS PRIMA. — Caput I. De primo poslulalo nostro 4
Caput II. Spreto nostro postulato, ac suspensis Trideutinis aliisqiie ab
annis ferè mille decrelis, an primoruin quatuor vel quiuque sseculorum
tutior futura sit auctoritas? G
Caput. 111. An tulior ac facilior fulura sit pax, si hœreauius articulis quos
fundamenlales vocant 7
Caput IV. Uuà iuterrogaliunculà res tota Lransigitur 7
Caput \' . Concilii Tridenliui in bàc tractatione quis unus fulurus sit? . . 7
PÂRSSECUNDA. De altero postulato nostro, sive de via declaratoria
ET EXPOSITORIA.
Pr^.fatio. Quaedam prœmiltuntur de Lutherauorum libris symbolicis :
Controversiarum arliculi ad quatuor capila reducuntur 0
Caput 1. De justiflcatione, eique connexis articulis 10
Art. 1. Quôd juslifi.catio sit gratuita 10
Art. II. De operibus ac meritis justificalionem consecutis 12
Art. III. De promissione gratuita, deque perfectione atque acceptatione
bonorum operum 1 i
Art. IV. De implelione legis 14
Art. V. De meritis quœ vocant ex condigno 15
Art. VI. De fide juslifîcaute 16
Art. Vil. De certitudiue fidei justiflcautis 17
Art. VIII. De gratià et cooperatione liberi arbilrii. 19
TOM. XVIII. 45
706 TAHLE.
Art. IX. C'ir '-liii- i-. ,iM ilialiiitii- i.ili.i iil.i. iiiir.i viil.Mtn: ÙO
CaI'LT II. f)e- . . 20
Abt. I. De l: ... 20
AnT. II. Do m de reaii prsesoutiù 21
ABT. m. D. 22
Art. IV. D' 'Xlni utsuii ... .28
ART. V. D. • .... .25
ART. VI. D. .... 25
Abt. VII. D ! T'^. 2(J
ART. VIII. 1' -'
Art. IX. D» le Pcrnilenliâ et Abso-
luliouc -'
Art. X. De tribus Pœuilciitia» i«clilni«, imprimlt «le Cnnlrilirtne i^t Con-
fes^imie ^iO
Art. XI. De Salwfnclione. .31
Art. XII. I>' - > " raiii.uu?. . ;il
Caj-lt III. |). . :ja
Art. I. Di" ' ne Sanctorum .33
Art. Il, !)<• 35
AUT. III. D> ' ' '■oiic pro .Moriuis, et PargHl.iiK. . , 36
Art. IV. d. 37
Caplt IV. D. : "^
Art. I. Dv r- ^
Art. II. d.' 1 •
Art. III. I)' ' ><i°> aiicloritate speciatim qua* »H Pro-
It'htaiilami ' i"
Art. IV. De f&iltDiauclorilatequidCathoUciBeDliantfetquid Protestant''
(ibjiriaiit. ... .1
Art. V. I>«> H"!!. • 42
Tl HTIA l'AHS. !'• .li: -.1. ii.i.'i lii'i. Ir.i. l.ili.ine onliiian.lA. . *5
Art. I. <Jiii.i .li<li>nini «le fide. 45
Art. II. I'«' ■ . . ''■'■'. 'i<!.i' .i Ho-
niiinit l'oiiiilKe l'.iu.iili |,()««c vidcontur. .47
Art. m. D'- ...iKil.. lii.ltiiijii. . Il)
Art. IV et iLTiJii s. Siiiiunn <lirlonim; ne de di .',1
KXI'LICATU) ILTKIIUd» mktiioui rumomski. .•
eoniin in!«liliita qmi' illiisirissimo et n*veren«lissiiii«» D. J.icmI.o lJ^•lll^'llo
epUcopo Melrlrn^'i TTi'^derntè non mini^o (]ii''ini epidi!»'' .ni entînletn .nniio-
tare placuil. ... . :.4
Prôlogtw -'■*
ExcERITA RX UAc LUKRioRi EXM,:i .\.i in.M.. De luuciUis œcumuuicis iu
oenerc, el in .«pecie de r.ouoilio Tridentiuo .18
EpiloRus Cî)
NoL'VRI-I-K EXPLICATION de In méthode qu'on doit suivre pour par-
venir h la réunion des F"pli9P.s nu sujet des néne:\ion9 éimleuieut sa-
vaiilcfl et modérées, que M. IK-vèque de Menux a bien voulu faire sur
cette mélliode "o
Extrait."? de cette nocvelle explication. Des conciles œcuméniques
en général, cl en particulier du concUe de Trente. ... ... 7»
Conclusion ^0
Si'MMA r.oNTRovERSiJE DE EucHARi.sTlA , intcr quosdam Religiosos et me
( ncmpè Molanum ) 02
RÉSULTAT d'une CONTROVERSE TOUCHANT L'EUCHARISTfE, BRitéc entre
quelques religieux et M. Molnnus, abbé de Lokkum 9.>
TABLE. 707
JuDiCiUM MELDENSis EPiscQPi, de Suiniuà conlroversiœ de Eucliaristià. . 99
Jugement de M. l'évèqde de meaux, sur le Résultat dune controverse
touc liant l'Eucharistie ^qj
ExECDTORiA dominorum legatorum , super compactatis data Bohemis, et
expedita in forma quœ sequitur, anno 163G .' . lOo
Sentence exécutoire rendue par les légats du concile de Bàle, au sujet
du traité conclu avec les Bohémiens , et expédiée dans la forme qui
suit, l'an 1636 ^q9
Observations de M. Leibniz sur l'acte ci-dessus rapporté 115
SECONDE PARTIE
QUI CONTIENT LES LETTRES.
Lettre I. Leibniz à M"^ de Brinon, Hanovre, 16 juilet 1691 117
Lettre IL M™^ la duchesse d'Hanovre à Mi"e l'abbesse de Maubuisson
(extrait) 10 septembre 1691 ^20
Lettre III. Bossuet à Min« de Brinon, 29 septembre 1691. ...!'. 121
Lettre IV. Leibniz à M™^ de Brinon, 29 septembre 1691 1-J5
Lettre V. Leibniz à M™" de Brinon, Hanovre, le 17 décembre 1G91. . . 138
Lettre VI. Leibniz à Bossuet, de Hanovre, le 28 décembre 1691. . . . 139
Lettre VII. Leibniz à Bossuet (extrait) sans date 140
Lettre VIII. Bossuet à Leibniz, à Versailles, le 10 janvier 1692. . . . lU
Lettre IX. Leibniz à Bossuet, à Hanovre 8 (18) janvier 1692 143
Lettre X. Bossuet à Leibniz, à Versailles, 17 janvier 1692 149
Lettre XI. Bossuet à Leibniz, Meaux, le 30 mars 1692 150
Lettre XII. M™^ de Brinon à Bossuet, le 5 avril 1692 '. 131
Lettre XIII. Leibniz à Bossuet, à Hanovre, le 18 avril 1692 133
Lettre XIV. Bossuet à Pelisson, le 7 mai 1692 |r,8
Lettre XV. Pelisson à Bossuet, à Paris, ce 19 juin 1692 160
Lettre XVI. Leibniz à Pelisson (extrait) ce 3 juillet 1692. ...... 161
Lettre XVII. Leibniz à M"^ de Brinon (extrait) 3 juillet 1692 161
Lettre XVIII. M™*^ de Brinon à Bossuet, juillet 1692 '. . 162
Lettre XIX. Leibniz à Bossuet, à Hanovre, le 13 juillet 1692 164
Lettre XX. Bossuet à Leibniz, Versailles, le 27 juillet 1692 166
Lettre XXI. Bossuet à Leibniz, Versailles, 26 août 1692 .* 168
Lettre XXII. Bossuet à Leibniz, Versailles le 28 août 1692 169
Lettre XXIII. Leibniz à Bossuet, à Hanovre, le 1er novembre 1692. . 171
Lettre XXIV. Bossuet à Leibniz, Meaux, 27 décembre 1692 173
Lettre XXV. Leibniz à Bossuet, Hanovre, le 29 mars 1693 178
Lettre XXVI. Ldbniz à Bossuet, 3 juin 1693 ^-g
Lettre XXVII. M™e de Brinon à Bossuet, le '6 août 1693 Igo
Lettre XXVIII. Leibniz à Bossuet, sur le .Mémoire du docteur Pirot
touchant l'autorité du concile de Treule 184
Lettre XXIX et X.XX. Bossuet à Leibniz, sur le Mémoire du docteur Piiol
entre juin et octobre 1693 2n6
Lettre XXXI. Bossuet à Leibniz, à Meaux, le 15 août 1693. . . oj8
Lettre XXXII. Leibniz à Bossuet, sans date .218
Lettre XXXIII. Leibniz à M"ie de Brinon, 23 octobre 1693 * 22n
Lettre XXXIV. M™" de Brinon à Bossuet, le 5 novembre 1693. ... 228
Lettre XXXV. Leibniz à Bossuet, 23 octobre 1693 '. ". 230
Lettre XXXVI. Leibniz à M™e la duchesse de Brunswick, à Hanovre le
2 juillet 1694 ' «'^'î
108
TAHI.K.
Lettre XXXVII. L«ibiiiz à Dos^uel, ù lliuiovre, ce 12 juillet 1C94. .
I.tTTnK XXXYlii. .M"* <lo Dniioii à Boà.-iH'l, le 18 juillet 1C9i.
Lkttiik XXXIX. IJo*J«'^l il Leiliiii/, à Meuux, 12 août IG91. .
Lktthk XL. .M»» lie Brition à Uosinel, 1> 25 juin 1695. . .
LbTTnK XLI. Uosàuet h Leibniz, !t janvier IG99
Lkttbk XLII. Leibniz à Bossu'H, Wolfeubullel . le H décembre 1699.
Lettre XLIII. B >siuet h Leibniz, ii ^'
Lettue XLIV. Bo.^suet à Leil.ui/, .i
Letthk XLV. I î
LKTrnE XLVI.
Lettre XLVII. i ■
Lettre XLVIII. L-.:
Lettre XI.IX i ■
Lettre L. Leil
L»XTRE Ll. IJc... . - ..■.
Lettre LU. BosAuet à Leibniz, le 17 aorti 1701.
OHDON.NANCK CT INSTBICTION PASTOBALK
MEAix, SLR LEH États iiorai^on
i.^r 1700
.iivier IlOii.
1' .ivril 1700. . .
•e 1" juin 1700.
. ' "t.ii 1700. .
> mai 1700.
,.;cnibre J700
juin 1701. . .
M yc.u. 1. 1 \i VI 1-
23!^
2n
247
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270
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:<2I
351
|>>llll<.llnN SI H LKS KTATS hoHAISON,
ou SONT EXI>OSf.F> 1X5 »JIREt'RS DES rAl-'X IIY»TIQrE« λR NOS JOURS ; AVEC
LES ACTES DE LRCR CONDAMNATIdN.
Arli 357
l'tiM l«a«en« , «»t l'on expliqn»» 1«» <lf««»«>in i\f cet
ouviu({.> •'*i7
I. I)e«»*-!n ««n K^ né ml de cel ourraf 3ti*
II. 1 de Molino« cl de •«« .-ccUlcuij >jui mjuU'u; luul r H'i"'rler
è 1 • 368
III. ol'ï'ivali ■ î . . , .voient tout i\ l'expérience :
quelles »<»nl »<• fnut ft.nder 369
IV. Suit'' des ' »'" 370
V. Preuve par 370
VI. Senlinii'iil . 'l'ii préfère In «rience h rexpériencc : el
les rai^^on;^ <'\ 370
VII. Conimi'Jil l'i' 1 ' ' ^ nn»e? HiinpleA leur orai«on : cl cumuienl
IV-tuile peut devenir une ■ on(tni|ilalion éminenle 372
VIII. C'iminoiil riîxpôriciue est suliordoiinéi' à la scienre tliéologiqtie. . 373
IX. Division de cet ouvrage en cinq Imités principaux 374
X. hini.ullés .].' . .II." lii.'ii. r. 374
ApprobUion ■: .épie de Pari- . 377
Approbation «!■ ' iu- de Cliarli' - . 378
Lettre de l'auteur a notre saint l'i-re Ia Pape. . 380
Bref de noire saint Père le Papi- à lauleur. . . 8S2
l'UK.MIKIt TllAlTL. — LIVUL 1".
i>f errrurt </e» nouveaus myilit/Mt en général, et en jtarliculier Irur acte
continu et universel.
1. Obicrvalioii:* pénér.iles sur le style des auteurs mystiques, et sur leurs
exai^ératioiié depuis quelques siècles 383
TABLE. 709
11. Des livres attribués à saint Denys l'Aréopagite, que les mystiques ont
prjs pour modèle *
m. De l'autorité de ces écrivains : sentiment de Suarez! !!!"*' ?83
IV. Les excuses qu'on leur donne : réflexion de Gerson. 3So
V. Autre exagération du même Rusbroc ' ' ' ' 383
VI. Autres exemples d'exagération dans les mystiques ' .' 307
vu. Etrange exagération dans les Institutions de Tanière. 337
VIII. Autre exemple d'exagération dans ces auteurs , . . ' ' 388
IX. Erreur des mystiques de nos jours 300
X. Nécessité du présent traité ?sq
XI. Des béguards et des béguines. ...'...'.'. 39q
xii. Dessein particulier de ce premier traité : sa division générale ': sujet
des dix livres dont il est composé 3g,
XIII. Idée générale de ce qu'on appelle quiétisme." .' .' .* .' .* .' ' " 393
XIV. Premier principe des nouveaux mystiques, que lorsqu'on s'est une
tois donne a Dieu, l'acte en subsiste toujours s'il n'est révoqué , et qu'il
ne le faut point réitérer ni renouveler 594
XV. Que cet acte continue toujours malgré les "distractions, sans qu'elles
obligent à le renouveler _ 3gM
XVI. Qu'il subsiste pendant le sommeil '..'.'.'.'.]' 395
XVII. Combien il est grossier et absurde à Falconi et àMoliiios", .l'avoir
comparé le don de sa liberté avec le don d'un diamant 3S6
xviii. Malaval introduit aussi mal à propres la comparaison d'un mari et
dune femme. . 007
XIX. La proposition de Falconi expressément censurée à Rome. . ! ' 397
XX Cet acte continu et perpétuel de sa nature n'est que pour le ciel'. Sen-
timent de samt Augustin remarqué parle Père Falconi, et celui des autres
P'^res 3g^
XXI. Pourquoi les actes ne sont pas perpétuels en cette vie 398
XXII. Réponse des faux mystiques et démonstration contraire. . . . 398
XXIII. Exemple de l'Ecriture et de Jésus-Christ même 399
XXIV. Le Père Falconi auteur de ce dogme : Molinos le suit : sa comparaison
tirée de l'exemple d'un voyageur ; 500
XXV. Le livre du ûloijen court entre dans tous ces sentimens. '. ' ' 400
XXVI. Suite de la doctrine de ce livre 401
xxvn. Sentiment conforme de Malaval, l ^ [].....'.. , 402
xxviii. Observation importante sur ces auteurs *..'.' 402
XXiX. Conséquences pernicieuses de cette doctrine .' . .* 403
LIVRE il.
De la sui>j,ression des actes de foi.
I. Dessein de ce second livre 40 j,
II. Que la doctrine des nouveaux mystiques supprime l'imion avec'jésus-
Christ en qualité d'homme- Dieu et de Personne divine : passage de Yln-
terprétation sur les Caidiques _ _ _ ^ 4Q2
III. Réflexion sur la doctrine précédente .'...'.* 406
IV. Autre passage de V Interprétation sur le Cantique. Suite pernicieuse de
cette doctrine _ ... 407
V. Etranges paroles sur Jésus-Christ '...'."."..'! -108
VI. Artifice des nouveaux mystiques pour éluder la foi explicite en Jésus-
Cbrist IQQ
VII. Suite de ces artiâces. Parole de Molinos. ...'.'..' ." * ' .' 409
710
TABLE.
VII!. !
II. I
X. c
XI. t
priuctiM:»
XII. Vniiip ^ohBppfitoir<».
Xill
Ziv
d ...
XV. 1 sain! CWn
XVI. '
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'">« (lu Cantique
>Dl les plus su
'^>iul>ole de« apAlres conune l'uli
vplicile qui
a : et ai cet a;. urc que les
ilo d^tounie
-i:li.N.! ilu tuèiiu! .Malaval.
l'pieii (i'uvec celle Je
''M
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41 n
411
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4M
412
41.-)
41G
418
420
421
422
422
423
424
UVllK III.
/V In xuppmtion des dirmandri : et de ta conformité à ta volonté <■
I. l'iiiiiipos ilo» noiiveiuix inysliqup» sur In suppression des d(>iuan(Ic8.
11. I)
m. \'
IV. «.
M
V. L.
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VII. i
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mdcs. . . .
<ii>iimndc8, c'est |r
-' 'Miliùroineul jiuppriiués : tHruiige exc«s
•■•■;>niii^p
puiir supprimer les demandes :
Adressé : Iruis vérités Urées
'{u'ils u'e.\clueul
iiite
>ut acte aperçu,
.il
XI. F! |uiviii|iie9 <.-l illuBiuUs liua tiuu%'euux uijsiiques aur les aclcs et sur
Jésus Christ
Xli. FoiiiltMueiis des : Inhus qu'ils ftait du passoge où
saint Puul dit que ' . tiou-t
Xlil. L'ubus qu'ilii foui >U: t rUo i'.nw.o ; // u'if n qu'une seule chose qui soit
nécessaire : «juelle niulliplieilé nous est défcudde
4iti
428
420
430
430
432
434
4:M
43.'i
43U
TABLE. 711
XIV. Cornment ils abusent de cetle demande : Voire volonté soit faite. . 437
XV. Abandon des nouveaux mj^stiques : prodige d'indifférence 437
XVI. Suite de l'indifférence sous prétexte de la volonté de Dieu 439
XVII. Quelle volonté de Dieu nous devons suivre, et qu'il y a des volontés
divines sur lesquelles Dieu ne nous demande aucun acte 440
xviii. Que selon les nouveaux mystiques, les Psaumes et l'Oraison Domini-
cale ne sont pas pour les parfaits : doctrine du Père la Combe. . . . 441
XIX. Contrariétés entre l'oraison des nouveaux mystiques, et celle des
Psaumes et de Jésus-Cbrist 44'
XX. Autre doctrine sur le Pater 442
XXI. Que le prétendu acte éminent qui dispense de tous les autres , est in-
comiu à l'Ecriture et aux saints 443
LIVRE IV.
Où il est traite' plus à fond de la conformité à la volonté de Dieu.
I. Qu'on doit demander à Dieu absolument les grâces les plus efficaces. 4i5
II. Distinction des deux volontés de signe et de bon plaisir, et l'usage qu'on
en doit faire : principes de saint Augustin 44G
III. L'abandon mal entendu des nouveaux mystiques est contraire à toutes
ces règles 447
IV. Pourquoi c'est un sentiment détestable de consentir à sa damnation
quoique juste 448
V. Que l'excessif abandon des nouveaux mystiques diminue en eux l'borreur
du péché 449
VI. Les nouveaux mystiques proposent une nouvelle et superbe manière
de haïr le péché 450
VII. S'il est vrai que l'oubli de son péché est, comme le prétendent les 452
nouveaux mystiques, une marque qu'il est pardonné 452
VIII. Les nouveaux docteurs font un mystère de leurs défauts et les impu-
tent à Dieu : passage de Gerson 452
IX. Suite des mauvaises maximes sur l'exlinclion de la componction. . . 4:34
X. Mauvaise règle des nouveaux mystiques pour counoitre la volonté de
Dieu 455
XI. Values définitions de la prière pour en exclure les demaudes. . . . 455
XII. L'action de grâces également suprimée dans la nouvelle oraison. . . 457
LIVRE V.
Des actes directs et réfléchis, aperçus et non aperçus, etc.
I. Dessein de ce livre 457
II. Doctrine des nouveaux mystiques sur les actes l'éfléchis • 457
III. Etranges discours sur les réflexions dans le livre du J/o7/(?« coMrf. . . 458
IV. Que la réflexion est une force de l'ame, et ne doit pas être renvoyée
aux états imparfaits 460
v. Trois raisons de cette vérité : première raison, où est démontrée la na-
ture, la nécessité, et la force de la réflexion 'iGO
VI. Seconde raison pour la réflexion , eu ce qu'elle produit l'action de
grâces : réflexion, d'un nouveau mystique sur celle de Job ifil
VII. Troisième raison pour la réflexion : elle produit la prière et la con-
fiance 'i62
VIII. Passage d'Ezéchiel qu'on oppose à la réflexion 463
7,2 rM;i.E.
IX. Quels retours sur soi '. Llàuu's par les sfirilnels : seutoncc
lie saiul Fraii(,oi s de Si nil Aiiluino, que ^o^a^^ou uc se con-
iioll pas clle-UH^me -163
X. Différeucc de* réflcxious ijuiiispirp Tnin-'iir <i«» Di^u d'ftvpc celles qnex-
cile l'amour- propre <64
Xt. Preuve Aviti^'iil*' p»»r «AÏnl Paul ..... 4<)j
j,i I \ ■ il'-; auli-'^ ^.iiiils qm iltscitl que l'o-
,,j tic, cl en quel seiw : prière d'Auiio
mcre de ^ainu-l *<"••"'
xiii. Du irousporl do saint Piorre et de celui de saint Paul i67
XIV. Souvent 1 ' ' uvcnl elle ne s'en aper-
çoit pas : oi 'f-'il *6"
XV. Si el "• *68
XVI. Qu'il ■' '^ P'"^ parfaits, les
aperrjii • ■»"8
jvii. I)i\ 1 arrive qu'on ne C" 469
xvir ' l à ne ec plus counoi . . is
a, .-Is 4G9
xi^ '•'•■ de cette ifrnorancc dans la con-
I. *"o
XX 1^ M , •••vallon du lanirnffe 171
Xxl. «ira. 412
■^xii. Le • l'i'iît'rifur le plus profond. . . . 472
xxm. Q' *"■''
XXIV. c. 47:<
XX \ ' mandes, les actions de grâces, et tous
|, ■ 1* 474
XXVI. iJieu donne aux amc» île» uistincts cachés et des instincts plu» dé-
couverts *75
XXVII. Krrour :tns, d'altribuor généralement A impcr-
feclion lu I • ♦'S
XXVIII. Coin|iarmT.uit . .4J.U<umj t-iilre les actes de l'amour- propre, el les
actes de l'aiiinur divin. 47G
XXIX. Dorlrine impDrInnie sur le . ii)^luel de la convoitise, et
dilTéreme nolal>le entre In muni. • l'aniour-propre et de l'a-
mour de Dieu "^77
XXX. Autre:» dilTérences ausiii importantes 477
XXXI. Autre objection lir^c «le la nature de l'habitude : deux démonstra-
tions pour montrer que celle de la piété n'rteinl pas le réflexion. . . 478
XXXII. Autre objection tirée de la nature de l'amour, cl ré^olution iinpor-
lanle 479
xxxm. Autre objection tirée de In comparaison de l'amour vulgaire , et
répou!»»' par la doctrine précéiltntc 479
XXXIV. Antre objection cnptieuse tirée de la nature de l'amour, et réponse
par le? même:» principes 480
XXXV. Quelle e.-l la source de In suppression des demandes : fausse idée de
pureté, de ntss.isii'uient el de perfection 481
XXXVI. Béatitude et séturilé dans cette vie, selon les nouveaux raysliques. 482
xxxvii. Les nouveaux mystiques éteignent dans les prétendus parfaits l'es-
prit de mortilieation el de vertu l'*^ ^
TABLE. 713
LIVRE VL
Où l'on oppose à ces nouveautés la tradition de l'Eglise.
I. La tradition de l'Eglise s'explique principalement par ses prières. . . 486
II. Les prières de l'Eglise convainquent d'erreur ceux qui croient que les
demandes sont intéressées 4 87
III. Doctrine de saint Augustin et de toute l'Eglise catholique, que nul
n'obtient la persévérance sans la demander 488
IV. Que saint Cyprien et saint Augustin n'ont jamais connu le prétendu
désintéressement des nouveaux mystiques 489
V. Suite de la doctrine de saint Augustin et de l'Eglise catholique. . . . 489
Vf. La doctrine précédente expressément définie par les conciles. . . . 490
VII. 11 est défini par les conciles que l'Oraison Dominicale est d'obligation
pour les plus parfaits 490
viii. Passages des Pères précédens, et nommément de saint Clément d'A-
lexandrie 491
IX. Raison'de saint Clément d'Alexandrie , pour montrer que c'est pro-
prement aux plus parfaits qu'il appartient de demander 492
X. Que selon ce Père c'est dans le plus haut point de la perfection que
l'homme spirituel fait les demandes. . 493
XI. Que ces prières des parfaits ne sont inspirées qu'au môme sens que le
sont toutes les prières chrétiennes 493
XII. Que le parfait de saint Clément pratique les réflexions et les précau-
tions, et que c'est par là que sa vertu est inébranlable • . . 49i
XIII. L'action de grâces de l'homme parfait 495
XIV. Désintéressement prétendu des nouveaux mystiques aussi bien que la
cessation des réflexions, inconnus à l'antiquité 495
XV. Qu'il n'est pas vrai généralement, que le paifait spirituel ne connoisse
pas les vertus 49G
XVI. Comment le parfait demande les biens temporels 496
xvii. Que la demande des biens temporels n'est pas intéressée 496
XVIII. Différence de demander absolument et sous condition 497
XIX. Le combat de la concupiscence est perpétuel 498
XX. De la mortification et de l'austérité en tout état 499
XXI. Toute perfection est défectueuse en cette vie : beau passage de saint
Clément sur saint Paul , ^jUO
XXII. Autre passage 500
'XXIII. En combien de manières on est parfait dans cette vie 501
XXIV. Explication d'un passage où saint Clément dit que le parfait n'est
point tenté •-. . ■'02
XXV. Sentimens des anciens sur l'apathie ou imperturbabilité •"^02
XXVI. Diverses expressions des Pères grecs : conformité avec les Latins :
belle prière de saint Arsène 503
XXVII. Sentiment conforme de Cassien : quelle perfection il reconnoit dans
les saints 30 't
xxvni. La convoitise ne cesse de combattre .- 304
XXIX. Le passage de saint Paul, Rom. vu, 19, entendu par saint Paul lui-
même , et des plus parfaits : le péché véniel inévitable 505
XXX. Les plus parfaits contemplatifs, selon Cassien, font avec David de
continuelles demandes. . , .' 505
XXXI. Autre passage pour les demandes 505
xxxii. Qu'on demande son salut non conditionnellement, mais absolument,
comme une chose conforme à la volonté déclarée de Dieu 506
in TABLE.
xxxiu Que la demande de son salul est très-pure, selon Cassien, et très-
désiotéressée 506
XXXIV. Ce qu'il faut penser d'un passage de Cassien, où il préfère une cer-
taine oraison h l'Or-iisûn Douiinicule 507
xsxv. Rcrlriction dt> Cassien quand il re^jarde l'espérance comme intéressée. 507
XXXVI. La même v('Milé plus amplement éclaircie 508
xxxvM. 0 :> n'a point connu l'acte continu et perpétuel des nou-
veaux I 508
xxxviii. Auif •.i~-.ige pour démontrer que la contemplation ne peut être
perpéluf»lle 509
XXXIX. Ce qiii! ■ '' ' " < • • : >mun'-e do la piété. . 510
XL. Qoe la d le le renouvellement
dr '■ ;■;,:, solitaires 510
XLi. ' 511
XLii. . .■ ■ " •■'"■= simple, par une
adinir.i' 512
XLIIl. ClM : .. ..; .'- 1' -H. ..•-i.Ml
des note» .513
XLiv. h . Mil.- i-.piifnrtiw ilr snint Cléroeol d'Alexandrie 5I.<
XL> 1 ce que par l'habitude formée il ne change
m SU
XLv lu contemplatif se tournent en sa substance selon
0... • 5!.-.
XLVil. C' 51.'.
XLvtiT I lint Clément, et des autres, par
I. -es 5ir.
XL\ - [lour expliTi»*" <•'* T'*^*^ f^i' ''** ''i
r. , 5I(;
L. 1 !<» Salomon. . , 5H»
U. I M 51-;
LU. ].r»ini rnetiiell»» pré"M>?iee de Dieu
dUlMIll Ipl Ull V.'h ......' ^
i/.via-: VII.
De rOrnifon passive, de m vérité, et de Fahus j'i <"i •n / r '
I. ()...o lu t.^ri !i,.,- de ce livre Vil ;s
II. 1 1 nomme passive : oxplicalj.m de* termes 51Î)
III. 1 , .i foi, sur lesfpieU est étalilie l'oraison qu'on nomme
l'as-iv.. 519
IV. I, i . m ipi'on nomme passive n'est aucune des choses qu'on vient
.1 520
V. t . -ervcut néanmoins fi la faire entendre : divers exemples d'im-
pti'.s.-mii:* divin.s, oi'i l'ame m- pi'iit avoir de part 521
VI. Cl- qu Mil jippt'lU» préciséiiieni loiaisxn passive , infuse ou surnaturelle. 521
VII. Kxt'iMples ties motions du Saiul-I^prit, qu'on nomme naturelles ou sur-
nalinelles 522
VIII. L'on commence i^ déterminer le sens auquel l'oraison passive est dite
surnatiir»-!]»», pnr «ix propositions 523
IX. Preiii : ce qu'on appelle Oraison passive consiste d.ins
une su re des actes discursifs : difTércnce entre les vrais
et les r.iiix iiiy--iipi''3 : sentiment de sainte Thérèse et du bienheureux
Jean île lu Croix 523
I
TABLE. 715
X. Sentimens conformes du Père Baltasar Alvarez, un des confesseurs de
sainte Thérèse 523
XI. Ce qu'emporte la suspension des actes ou considérations discursives. . 526
XII. Que dans l'oraison passive il y a beaucoup de pro^u-e action, de propre
industrie et de propre effort. 526
XIII. Seconde et troisième propositions, pour déterminer ce qu'on appelle
le temps d'oraison, et montrer que ce temps ne peut être long. . . . 527
XIV. Trois auties propositions pour expliquer la stabilité et la permanence
d'un état 528
XV. Les fondemens des nouveaux mystiques détruits par les six proposi-
tions précédentes .'528
XVI. Quel est le principal effet de l'oraison passive ou de quiétude. . . . 529
xvir. On commence à expliquer l'abus qu'on fait de cette oraison : doctrine
du Père Baltasar Alvarez sur les demandes. 529
xviH. Suite de la doctrine du même Père Baltasar, très-oppo=éc aux pré-
tentions des nouveaux mystiques 530
XIX. Sentimens du même religieux sur la mortification et sur l'état des
vertus 530
X.\'. Le bienheureux Jean de la Croix bien opposé à ceux qui inetleut à part
Jésus-Chiist, la Trinité et les attributs dans la subhme contemplation. . 531
x.xi. Que selon le Père Baltasar, la liguture ou suspension des puissances,
ne peut jamais être totale dans l'oraison de quiétude 531
x.Mi. Suite de la doctrine du même Père Baltasar contre la totale et per-
pétuelle suspension des puissances 532
XXIII. Que le Père baltasar ne conuoît point d'ames toujours mues de Dieu,
et eu qui la suspension des puissances intellectuelles soit totale et per-
pétuelle 532
XXIV. Sentiment conforme au Père Jean de la Croix 533
XXV. Doctrine de ce bienheureux contre l'acte continu des nouveaux mys-
tiques 533
XXVI. Les actes que les faux mystiques vantent le plus, en bien et en mal,
sont également inconnus aux vrais spirituels . 534
XXVII. Les nouveaux mystiques entendent mal et contre la doctrine des
vrais spirituels le vice de multiplicité 53 i
xxviii. Etrange erreur des nouveaux mystiques, qui l'eudent l'oraison pas-
sive commune et absolument nécessaire 335
XXIX. Trois démonstrations théologiques contre la nécessité de l'oraison
passive pour la purification et perfection des âmes pieuses 338
XXX. Inutilité, dans cette matière, de la distinction entre la contemplation
infuse et acquise 540
LIVRE VIIL
Doctrine de suint François de Saks.
I. Qu'on ne doit point supposer que saint François de Sales ait des maximes
particulières 542
I. Claire décision du saint sur les demandes dans son dernier entretien :
quelle indifférence il enseigne . . 542
m. Objections tirées des paroles du saint évèque 545
IV. Réponse par trois questions, dont la première est : Si c'est un acte
intéressé de désirer son salut. Décision du saint par ses propres paroles. 545
V. Principes sohdes'du saint, pour joindre au parfait amour le désir de son
. salut éternel , . 547
71 « TABLE.
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718 TABLE.
V. Les Ireole-qualre articles de» ordonnances du 16 et 25 avril sont rap-
portés . CIO
VI I».--. in .i.- iiriirlt •:; t^i'^cédenâ : preuve des huit premiers : propositions
li. - 610
VII. 1. 1 1 . Propositions erronées des quiclistPï. . . . G12
VIII. Vucl-; sont les vruis actes du cœur CI3
IX. De 1 article ! 3, et de la nature de la cbarilr CI4
X. D.-8 arlicles 11, 15, 16 et 17 .614
XI. De rarticl*> IS cldcs ninrtiflrritions . f.ir»
xil. Sur l'arlide 19 et sur iuu cl pcrp«lu«^l-
XIII. Ftir l'ir'i ■!'' '2^ t^X - i"tH
jiv. - K^nce hdécouv;ii lus buuuc--
d- 6!f.
XV. Dc.->.. ^ ; • • f''*>
XVI. L)c 1 «'«l parlé de la rrinteniplalion. 6J0
XVII. De ' ou il p«t parlé des . 620
XVIII. De . . •'1 du vérilnbl.' a< n : doctrine de saint
Cypricn cl i. ustin avec la reui iriiuf .i.- trois erreurs dans l'a-
bandon de» 624
XIX. Du: Me 628
XX. Du <!' ''(^ diriger les aoies. . 631
XXI. Qnfli. iii-.iiii iii'ii M'ii a iii.iiii.r ,1 1. 1111. 111 >Ui livre intitulé Moyen
court , rlr 632
XXII. nérapilulnlion de cet ouvrage, et premièrcincol des erreurs sur le
dé!»ir du .•=nlul 633
xxni. D.< ..^..\y,, C38
XXIV. .<i i ■■ univerwl, el «'il s'étend bor« le temps
de lor I ....... ...Uielle 610
XXV. Qii arrangée», qui démontrent la vérité des «leux
cbapiii. |. 6H
XXVI. (.ni.« la puriflcntion et la perfection de rame ne sont point attachées
h l'étal p»4*ir 61::
XXVII. Abrégé de la d.>rtrine dea actes 643
xxviii. Abr ■■:-•'• l-' "■ ■lu'.ii .1 «lit lie» livres des quiélisles, où l'on remarque
un dfs le 6U
XXIX. D. .645
XXX. Qii' tpnaliuu, el «iuellc puriÛcalion de lamour on établira
dansb- lilé 6:;2
CONCLUSIu.N 652
ADDITIONS ET COIlBtCTIO?»».
I. Ou corrise d.ins le livre X, u. \, la faiit*» où l'on est tombé, d'excuser
nos faux iny:*!iques de l'art, viii des béguards 6.'i4
II. Doctrine excellente de saint Augustin sur le Pater, qu'il folloit avoir
ajoutée au livre VI, n. 34 • 655
III. 0»>e la doctrine précédente nempéche pas que saint Augustin n'ait
exc'llemmeiil enletulu la nature du saint amour de la charité. . . . 660
IV. De la pureté et du désintéressement de l'amour, dont on vient de
parler ^'^^
v. Réflexions sur la doctrine précédente <I62
VI. Devoirs de la charité et de la justice : saint Augustin 6C5
TABLE. 719
vu. Suppositions par impossible selon saint Augustin; et encore selon ce
Père, de l'amour désintéressé 667
VIII. Passage d'Hugues de Saint- Victor sur l'amour désintéressé. . . . G70
ACTES DE LA CONDAMxNATlON DES QUIÉTISTES.
Lettre de M. le cardinal Caraccioli à S. S., écrite de Naplesle 30 jan-
vier 1682, traduite de l'italien 674-
Lettre circulaiue de M. le cardinal Cibo, écrite de Rome le 13 février
1687, à tous les Potentats, Evêques et Supérieurs de la chrétienté, par
l'ordre de la Congrégation du S. Office; traduit de l'italien 676
Erreurs principales de la nouvelle contemplation ou oraison de quiétude :
aussi traduites de l'italien 677
Condamnation de AIolinos 680
Décret de l'Inquisittion de Rome contre Molinos 680
Propositions 681
Bulle d'Innocent XI, contre Michel de Molinos 683
Damnatio proposilionum Michaelis de Molinos 683
Propositiones 685
Décrets de l'Inquisition de Rome portant condamnation de plusieurs
ouvrages des quiétistes 701
FIN de la table du DIX- HUITIÈME VOLUME.
BESANÇON, IMPRIMERIE D UUTHEMX CHALANDRE FILS.
PLEASE DO NOT REMOVE
CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET
UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY
PQ Bossuet, Jacques Bénigne, joy,
1725 01 Meaux
A5L3 Oeuvres complètes
v.lS
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