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Full text of "Oeuvres complètes. Publiées d'apres les imprimés et les manuscrits originaux. Purgées des interpolations et rendues à leur intégrité"

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ŒUVRES  COMPLÈTES 

DE  BOSSUET. 


Besançon, —  imprimerie  d'Outheuin  Chalandra  fils. 


OEUVRES 


COMPLETES 


DE 


P  U  B  L  1  E  K 


D'APRÈS  LES  IMPRIMÉS  ET  LES  MAMSCRITS  ORIGINAUX 

PrP.GKFS    I*ES   INTKRl'Ol.ATIOiXS   ET    REXriT'RS   A   LEIK    INTÉ<;RITK 

PAR  F.  LACHAT 

ÉDITION 

lîKM'ERMANT   TOUS   LES   OUVRAGES    KIilTKS   ET   PLl'SIEUlîS   INl'lDITs 

VOLUME  XVIII 


PAlilS 

LIBRAIRIE  DE  LOUTS  VIVES,  ÉDITEUR 

P.UF,   DELAMBRE  ,    9 

18  64 


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RECUEIL 

DE  DISSERTATIONS,  DE  PIÈCES  ET  DE  LETTRES 

CONCERNANT 

UN    PROJET   DE   RÉUNION 

DES  PROTESTANS  DE  FRANCE  ET  DES  PROTESTANS  d'aLLEMAGNE 

A   L'ÉGLISE    CATHOLIQUE. 

AFFAIRE  DU  OUIÉTÏSME: 

INSTRUCTION   SUR  LES   ÉTATS  D'ORAISON. 
REMAROIES  HISTORIQUES. 


Après  un  siècle  de  troubles  et  d'agitations  violentes,  l'Allemagne, 
partagée,  morcelée ,  déchirée  de  ses  propres  mains,  soupiroit  après  la 
concorde ,  le  calme  et  le  repos.  Le  traité  de  Westphalie  avoit  bien 
stipulé  la  tolérance ,  mais  il  n'avoit  pas  ramené  l'unité  religieuse  ;  les 
hommes  éclairés,  les  princes,  la  diète  elle-même  désiroient  de  voir 
la  paix  de  l'avenir  fondée  sur  des  bases  plus  solides ,  dans  la  conci- 
liation des  esprits.  Déjà  les  plus  habiles  théologiens  des  deux  commu- 
nions, des  évoques  et  des  surintendans,  des  nonces  et  des  diplomates 
s'étoient  efforcés  dans  de  longues  négociations  de  préparer  la  réunion 
des  catholiques  et  des  protestans  ;  et  ce  projet,  également  dans  les 
vœux  de  la  politique  et  de  la  religion ,  fut  sur  le  point  d'être  réalisé 
par  un  homme  de  génie,  qui  joignoit  le  zèle  de  l'apôtre  àla  science  du 
docteur. 

Descendant  d'une  illustre  famille  espagnole  et  né  dans  les  Pays-Bas, 
Christophe  de  Rojas  Spinola,  religieux  franciscain,  suivit  à  Vienne  Phi- 
lippe IV.  Devenu  confesseur  de  l'impératrice ,  après  la  mort  de  son 
maître  il  fut  retenu  dans  l'empire ,  et  ses  fidèles  services  le  firent  nom- 
mer évêque  de  Tina,  en  Croatie.  Poursuivant  la  pacification  religieuse, 
il  avoit  visité  plusieurs  fois  les  Cours  d'Allemagne,  et  rédigé  dans  un 
mémoire  les  propositions  concédées  par  les  plus  modérés  des  protes- 
TOM.  xvm.  a 


II  PIÈCES  POUR  LA  RÉUNION  DES  PROTESTANS,  ETC. 

tans.  Son  projet  n'avoit  pas  encore  pour  les  dissidens  le  caractère 
d'authenticité  :  il  alla  demander  à  Rome  la  sanction  de  l'autorité  su- 
prême. Une  commission  de  cardinaux  approuva  son  mémoire ,  et  le 
souverain  Pontife  joignit  un  bref  à  cette  approbation.  Lorsqu'il  fut  de 
retour  à  Vienne,  l'empereur  Lôopold  !*■■,  qui  suivoit  avec  une  vive 
sollicitude  le  projet  d'union,  l'appela  de  Tina  sur  le  siège  épiscopal  de 
Neustadt,  non  loin  de  sa  capitale;  et  l'investit  de  pleins  pouvoirs 
«  pour  traiter  avec  tous  les  Etats,  communautés  ou  même  particuliers 
de  la  religion  protestante.  »  L'infatigable  promoteur  de  la  paix  revint 
à  Hanovre.  Il  eut  le  bonheur  d'y  trouver,  dans  le  directeur  des  églises 
consistoriales ,  le  plus  habile  et  le  plus  modéré  des  théologiens  luthé- 
riens, Gérard  Valther  Van  der  Muelen,  en  latin  Molanus ,  abbé  de 
Loldcum.  L'abbé  de  Lokkum  et  l'évêque  de  Neustadt  choisirent  pour 
règle,  dans  leurs  négociations,  la  méthode  employée  par  Bossuet  con- 
tre les  protestans,  l'exposition  pure  et  simple  des  doctrines,  portant 
ainsi  la  discussion  sur  son  véritable  terrain,  écartant  les  conti'overses 
(jui  nourrissent  l'amour-propre,  et  les  objections  qui  éloignent  les  es- 
prits bien  loin  de  les  rapprocher.  De  leurs  conférences,  qui  durèrent 
six  mois ,  sortit  l'ouvrage  intitulé  :  Rcgicla  circa  christianorwn  omnium 
ecclesiasticam  reunionem  *.  Poursuivies  pendant  plusieurs  années  dans 
d'autres  Cours  de  l'Allemagne,  les  négociations  sembloient  justifier 
les  plus  grands  espérances;  malheureusement  la  mort  d'un  prince  favo- 
rable à  l'union,  la  peste  qui  portoit  au  loin  ses  ravages,  les  armes  turques 
qui  menaçoient  l'empire,  vinrent  dissoudre  pour  ainsi  dire  le  congres 
de  la  paix  religieuse;  et  Spinola  lui-même,  atteint  de  la  goutte  et  vieilli 
par  les  fatigues,  mourut  en  1695.  Toutefois  le  saint  projet  ne  disparut 
point  avec  son  premier  auteur  ;  il  fut  transporté  dans  les  mains  de 
Bossuet,  par  les  circonstances  que  voici. 

Lorsque  l'électeur  palatin  Frédéric  V  eut  perdu,  à  la  bataille  de  Pra- 
gue, ses  Etats  héréditaires  avec  la  couronne  de  Bohême  qui  venoit  de 
lui  être  déférée,  sa  fille  Louise-HoUandine  le  suivit  dans  sa  retraite  en 
Hollande.  Eclairée  sur  les  erreurs  delà  Réforme,  comme  elle  redoutoit 
les  larmes  de  sa  mère,  cette  princesse  s'éloigna  secrètement ,  laissant 
sur  sa  table  un  billet  qui  portoit  ces  mots  :  «  .Je  passe  en  France  pom- 
me rendi'e  catholique  et  me  faire  religieuse.  »  Après  son  abjuration, 
elle  prit  le  voile  en  1659  à  Maubuisson.  Quelques  années  plus  tard,  un 
décret  royal  la  fit  supérieure  de  cette  abbaye ,  dont  on  voit  les  ruines 
près  de  Pontoise,  à  huit  lieues  de  Paris.  Elle  avoit  pour  secrétaire  une 

'  Quelques-uns  disent  «[uo  cet  ouvrage  eut  Spinola  pour  auteur  ;  presque  tous 
peuseut  qu'il  fut  composé  par  les  tliéologieus  de  llauovre  ou  par  Molanus 
en  leur  nom;  dans  tous  les  cas  Molanus  et  Spinola  tombèrent  d'accord  sur  les 
articles  qu'il  renferme,  si  bien  que  les  deux  opinions  reviennent  au  même  dans 
le  fond. 


REMARQUES  HISTORIQUES.  m 

femme  d'esprit  et  de  tète,  Madame  de  Brinon.  D'abord  religieuse  ursu- 
line,  après  avoir  vu  les  flammes  dévorer  son  couvent,  Madame  de  Bri- 
non devintla  première  supérieure  de  Saint-Cyr  ;  elle  rédigea  les  statuts  de 
cette  institution  royale,  et  fut  en  quelque  sorte  la  promotrice  d'Esther 
et  d'Athalie,  en  provoquant  la  tragédie  sans  amour  profane.  Entourée 
d'honneurs  et  jalouse  de  son  autorité,  elle  ne  témoignoit  pas  à  Madame 
de  Maintenon  sa  bienfaitrice  la  déférence  qu'elle  lui  devoit;  elle  fut 
envoyée  à  Maubuisson  avec  une  pension  de  quatre  mille  livres. 

Cependant  une  seconde  fille  de  Frédéric  V  étoit  devenue  duchesse 
de  Hanovre.  La  pieuse  abbesse  Louise-Hollandine  désiroit  la  conver- 
sion de  cette  sœur  bien-aimée  ;  elle  la  désiroit  d'autant  plus  vivement, 
qu'elle  espéroit  de  ramener  avec  elle  dans  le  sein  de  l'Eglise  son  mari 
Ernest -Auguste,  et  probablement  une  partie  des  protestans  d'Alle- 
magne. Déjà  son  zèle  avoit  mis  en  rapport  deux  hommes  honorés,  l'un 
pour  son  caractère  et  l'autre  pour  sa  science,  de  chaque  cùté  du  Rhin; 
Pehssou  et  Leibuitz  entretinrent  par  son  entremise,  jusqu'en  1693,  une 
correspondance  soutenue  sur  la  religion.  Et  quand  elle  sut  qu'on  né- 
gocioit  en  Allemagne  la  paix  religieuse,  elle  pria  sa  sœur  la  du- 
chesse de  faire  appeler  Bossuet  dans  les  délibérations.  La  Cour  de  Ha- 
novre, qui  admiroit  les  productions  du  grand  théologien,  demanda 
son  avis  sur  les  propositions  faites  par  Molanus.  Bossuet  reconnut, 
dans  cette  invitation,  la  voix  de  Dieu  qui  lui  confioit  les  intérêts  de  son 
Eglise  ;  il  fit  parvenir  à  l'abbesse  de  Maubuisson,  pour  le  transmettre  à 
Hanovre,  tm  mémoire  aussi  fort  de  raison  qu'entraînant  de  douce  élo- 
quence, et  noua  dès  ce  moment  avec  Molanus  un  saint  commerce  de 
savans  écrits.  Un  peu  plus  tard,  Leibnitz  ambitionna  l'honneur  de  se 
mesurer  avec  le  grand  homme;  il  sut  même,  en  écarlant  Molanus, 
se  constituer  auprès  de  lui  le  seul  représentant  du  parti  luthérien. 
Voilà  donc  les  personnages  qui  poursuivirent  dans  sa  seconde  phase  le 
projet  d'union  :  comme  écrivains,  Molanus,  Leibnitz  et  Bossuet;  comme 
intermédiaires,  la  princesse  Louise-Hollandine  et  Madame  de  Brinon. 

Ne  pouvant  analyser  complètement  les  ouvrages  qui  parurent  dans 
ces  mémorables  débats,  nous  nous  contenterons  d'esquisser  les  traits 
les  plus  saillans  de  la  discussion.  Homme  plein  de  douceur  et  de  mo- 
dération, pour  ramener  la  paix  entre  les  deux  camps,  Molanus  propose 
de  conclure  une  trêve  qui  suspendra  le  combat,  de  signer  comme  un  ar- 
mistice qui  favorisera  les  négociations,  en  un  mot  d'établir  une  union 
provisoire  fondée  sur  des  engagemens  réciproques.  D'une  part,  les  pro- 
testans vénéreront  dans  le  Pape  le  premier  des  évèques ,  ils  reconnoî- 
trout  .l'autorité  de  la  hiérarchie  ecclésiastique ,  ils  se  soumettront  d'a- 
vance aux  décisions  d'un  futur  concile,  et  regarderont  les  catholiques 
comme  leurs  frères;  d'une  autre  j)art,  l'Eglise  romaine  recevra  sans  re- 
tractation les  protestans  dans  son  sein,  elle  tolérera  leurs  croyances  en 


IV  PIÈCES  POUR  LA  RÉUNION  DES  PROTESTANS,  ETC. 

suspendant  ses  anathèmes,  elle  admettra  leurs  pasteurs  dans  sa  hiérar- 
chie, puis  elle  convoquera  un  concile  général  qui  donnera  voix 
délibérative  à  toutes  les  parties  intéressées ,  aux  luthériens  comme 
aux  catholiques.  En  attendant ,  pour  faciUter  l'œuvre  du  concile,  les 
théologiens  des  deux  églises  prépareront  l'unité  de  croyance  ;  et  tout 
de  suite  Molanus  concilie  lui-même  plusieurs  dogmes  sur  des  points 
fondamentaux,  tels  que  la  justification ,  les  sacremens,  la  messe,  le 
culte  des  Saints.  —  L'évêque  de  Meaux  n'admit  point  la  méthode  pro- 
posée par  l'abbé  de  Lokkum;  il  montre  qu'elle  renverse  l'ordre  naturel 
des  négociations.  En  effet,  la  paix  religieuse  doit  s'étabhr  dans  les  in- 
telligences, par  conséquent  sur  le  terrain  des  dogmes.  Or  point  d'unité 
de  dogme  sans  règle  de  foi.  La  règle  de  foi,  ce  n'est  pas  l'Ecriture 
seule,  puisqu'elle  ouvre  la  porte  à  toutes  les  erreurs  ;  ce  n'est  pas  non 
plus  la  tradition  seule,  puisqu'elle  ne  renferme  pas  les  archives  origi- 
nales de  la  doctrine  révélée  :  c'est  l'Ecriture  interprétée  par  la  tradi- 
tion. Eh  bien,  la  tradition,  comment  pouvons-nous  la  reconnoitre?  Par 
le  témoignage  irréfragable,  par  l'infaillible  autorité  de  l'Eglise  une, 
perpétuelle  et  universelle,  embrassant  touslcs  temps  et  tous  les  lieux. 
11  faut  donc  constater,  par  la  voie  de  l'exposition,  la  doctrine  de 
l'EgUse  catholique;  puis  concilier  sur  cette  base  inébranlable,  comme 
Molanus  l'a  fait  avec  succès  dans  plusieurs  points,  la  doctrine  pro- 
testante. La  conciliation  faite  dans  les  dogmes,  la  paix  s'établira 
comme  d'elle-même  dans  la  discipline  :  pleine  de  condescendance 
pour  des  cnfans  infirmes,  mais  soumis,  l'Epouse  du  Rédempteur,  Mère 
des  chrétiens ,  ouvrira  son  sein  charitable  aux  protcstans  ;  elle  leur 
accordera,  comme  elle  l'accorda  dans  le  concile  de  Bâle  aux  calixtins 
de  Bohème,  l'usage  de  la  coupe;  elle  recevra  leurs  ministres  et  leurs 
surintendans  parmi  ses  prêtres  et  ses  évoques;  elle  leur  laissera  même 
leurs  femmes  jusqu'à  la  mort,  à  condition  que  leurs  successeurs  se 
soumettront  à  sa  discipline. 

Tandis  que  l'honnête  Molanus  cherche  l'union  des  esprits  dans  la 
conciliation  des  croyances,  l'ingénieux  Leibnitz  invente  dans  la  chicane 
et  les  subtilités  de  nouvelles  causes  de  trouble  et  de  division.  Au  lieu 
d'aller  droit  au  dogme,  il  s'arrête  dans  le  domaine  des  faits  :  le  seul 
but  qu'il  se  propose,  l'unique  résultat  qu'il  poursuit,  c'est  d'ébrémler 
le  concile  de  Trente  sous  les  coups  de  l'histoire  écrite  à  la  façon  pro- 
testante; il  attaque  ce  concile  dans  sa  convocation,  dans  son  œcumé- 
nicilé  et  dans  sa  réception;  chose  incroyable,  il  combat  son  décret  sur 
le  canon  des  Ecritm^es;  et  dans  cette  campagne  il  parcourt,  non  plus 
une  partie  de  l'histoire,  mais  pour  ainsi  dire  l'histoire  universelle,  des- 
cendant du  canon  des  Hébreux  jusqu'à,  celui  de  Luther.  Bossuet  ne  se 
laissa  pas  fourvoyer  dans  ces  courses  au  clocher  :  Vous  attaquez,  dit-il, 
à  Leibnitz,  le  concile  de  Trente  :  mais  comment  ne  voyez -vous  pas 


REMARQUES  HISTORIQUES.  v 

que  vous  renversez  du  même  coup  tous  les  conciles  ,  sans  excepter  les 
quatre  premiers,  dont  les  protestans  reçoivent  l'autorité?  Commuent  ne 
comprenez-vous  pas  que  vous  sapez  d'avance  le  futur  concile,  que  vos 
frères  demandent  pour  sceller  le  traité  d'union  générale?  En  détruisant 
le  privilège  de  l'infaillibilité ,  vous  désarmez  l'Eglise  contre  l'hérésie , 
vous  lui  ôtez  le  pouvoir  de  condamner  l'erreur,  vous  livrez  le  christia- 
nisme à  tous  les  caprices  de  l'imagination.  Abordant  la  critique  du  ca- 
non des  Ecritures,  l'aigle  de  Meaux  jette  dans  l'avenir  un  de  ces  re- 
gards qui  pénètrent  les  événemens  futurs  :  «  Plutôt  que  de  conserver  le 
Livre  de  la  Sagesse  et  les  autres,  continue-t-il,  vous  aimez  mieux  con- 
sentir à  noyer  sans  ressource  VEpitre  aux  Hébreux  et  l'Apocalypse ,  et 
parla  même  raison  les  Epîlres  de  saint  Jacques,  de  saint  Jean  et  de 
saint  Jude.  Le  Livre  d'Esther  sera  entraîné  par  la  même  conséquence  : 
vous  ne  ferez  pas  scrupule  de  laisser  perdre  aux  enfans  de  Dieu  tant 

d'oracles  de  leur  Père  céleste U  faudra  laisser  dire  impunément  à 

tous  les  esprits  libertins  ce  qui  leur  viendra  dans  la  pensée.  »  Nous  de- 
vons connoître  maintenant  le  père  de  l'exégèse  moderne.  Toutefois 
l'habile  théologien  ne  se  contente  point  de  ces  réponses  générales  ;  il 
suit  pas  à  pas  son  adversaire,  et  réfute  les  unes  après  les  autres  toutes 
ses  objections. 

Voilà  les  questions  qui  s'agitèrent  entre  Bossuet  d'une  part,  Leibnitz 
et  Molanus  de  l'autre.  Commencées  sous  les  plus  favorables  auspices 
et  poursuivies  d'abord  avec  succès ,  les  négociations  ne  ramenèrent 
point  la  paix  dans  les  esprits  :  à  qui  devons-nous  attribuer  ce  résultat  ? 
Du  côté  des  catholiques,  l'évêque  de  Neustadt  consacra  toute  une  vie 
de  sacrifices  et  de  rudes  labeurs  à  la  pacification  religieuse;  deux 
papes.  Clément  IX  et  Innocent  XI  approuvèrent  son  projet:  vingt  car- 
dinaux le  protégèrent  de  leur  haut  patronage,  et  l'empereur  Léopold 
lui  donna  l'appui  de  l'autorité  souveraine  en  Allemagne.  En  France, 
Bossuet  prêta  pour  sa  part,  à  l'union  sainte,  la  force  de  l'autorité  mo- 
rale avec  le  tribut  de  la  science  et  du  génie  ;  négociateur  de  la  paix 
chrétienne  pour  l'Europe,  il  chercha  dans  l'iiistoire  ecclésiastique  les 
enseignemens  qu'offre  l'apaisement  des  sectes  et  la  conciliation  des 
schismes;  il  se  remplit  de  la  douceur,  de  la  condescendance  et  de  la 
charité  que  l'Eglise  a  toujours  eue  pour  ses  enfans  séparés,  et  proposa 
un  traité  d'alhance  fondée  sur  la  double  base  de  la  vérilé  divine  im- 
muable dans  ses  dogmes,  et  de  la  discipline  ecclésiastique  variable 
dans  ses  prescriptions  suivant  les  temps  et  les  lieux. 

Du  côté  des  protestans,  c'est  pour  ainsi  dire  une  seule  main  qui  te- 
noit  les  rênes  de  la  négociation  :  c'est  la  Com-  de  Hanovre  qui  dirigeoit 
la  plume  de  ses  théologiens,  etparloit  parla  bouche  de  ses  diplomates 
rehgieux.  Le  duc  étoit  luthérien,  la  duchesse  calviniste  et  tous  deux 
suspects  d'indifférence  en  matière  de  religion  :  l'un  disoit  que  les  pa- 


VI  PIÈCES  POUR  LA  RÉUNION  DES  PROTESTANS,  ETC. 

rôles  de  la  Cène  renfermoient  plusieurs  sens,  afin  d'offrir  une  excuse  à 
toutes  les  opinions;  l'autre  demandoit  une  nouvelle  révélation,  pour 
démêler  ces  sens  multiples  et  divers.  La  Maison  de  Hanovre  borna 
longtemps  les  calculs  et  l'action  de  sa  politique  à  l'Allemagne ,  cher- 
chant son  agrandissement  dans  la  faveur  de  l'empereur.  En  1688, 
une  révolution  sanglante  vint  montrer  à  son  ambition,  quoique  dans  un 
horizon  lointain,  le  trône  d'un  grand  peuple  :  elle  tendit  une  main  vers 
l'Angleterre,  et  continua  de  présenter  l'autre  k  la  munificence  impé- 
riale. L'unique  héritier  de  la  couronne  britannique  mourut  en  1700,  et 
le  parlement  lui  déféra  le  trône  l'année  suivante  :  de  cette  heure  elle 
se  détourna  de  l'Allemagne  pour  porter  toutes  ses  vues  de  l'autre  côté 
du  détroit. 

En  signalant  ces  trois  phases  de  la  politique  hanovricnne,  nous 
avons  pour  ainsi  dire  tracé  la  marche  du  projet  d'union  sur  le  terrain 
de  la  Réforme.  Tant  que  le  duc  rcchercliale  titre  d'électeur,  tant  qu'il 
s'efi"orça  de  gagner  les  bonnes  grâces  de  son  souverain,  tant  qu'il 
se  rapprocha  du  catholicisme  dans  l'intérêt  de  son  ambifion,  les  théo- 
logiens luthériens  se  montrèrent  favorables  à  la  pacification  religieuse  : 
Molanus  concilia  cinquante  arficles  sur  les  points  les  plus  importans  de 
la  doctrine  chrétienne;  Leibnilz  ie  suivoit  avec  applaudissement  dans 
cette  voie  de  conciliaUon; et  Bossuet  put  dire  :  «Là  réunion  est  faite.  » 
Mais  la  maison  de  Hanovre  voit  les  événemens  déplacer  le  centre  de 
ses  intérêts  matériels,  elle  craint  d'éloigner  la  faveur  de  l'Angleterre  en 
se  rapprochant  du  catholicisme,  elle  veut  flatter  d'injustes  animosités  qui 
lui  promettent  une  brillante  couronne  :  aussitôt  les  négociateurs  pro- 
testans  se  prennent  d'un  zèle  inflexible  pour  la  sainte  Réforme  évan- 
gélique.  Comme  Molanus  suivoit  les  inspiraUons  de  sa  conscience  plu- 
tôt que  la  nouvelle  politique  de  son  maître,  par  un  procédé  trop  vul- 
gaire pour  être  habile,  Leibnitz  l'écarté  de  la  correspondance  pour  se 
substituer  à  sa  place  ^  et  soulève  mille  obstacles  à  la  conciliation. 

1 11  supposa  deux  choses  qu'il  savoit  fausses  :  «  Vous  avez  témoigné  de  sou- 
haiter, écrivit-il  à  Bossuet ,  quelque  commuuicaliou  avec  un  théologieu  de  ce 
pays-ci;...  mais  on  y  a  trouvé  de  la  difficulté,  puisque  M.  l'abbé  de  Lokkum 
même  paroissoit  ne  vous  pas  revenir.  »  Cette  double  assertion  dut  singulière- 
ment surprendre  Bossuet;  il  répondit  à  Leibnitz  :  «  Je  vous  dirai,  Monsieur, 
premièrement,  rpieje  n'ai  jamais  proposé  de  communication  que  je  désirasse 
avec  qui  que  ce  soit  de  de-là ,  me  contentant  d'être  prêt  à  exposer  mes  senti- 
mens,  sans  affectation  de  qui  que  ce  soit,  à  tous  ceuxcpii  voudroient  bien  entrer 
avec  moi  dans  les  moyens  de  fermer  la  plaie  de  la  chrétienté.  Secondement,... 
j'ai  toujours  dit  que  cette  affaire  devoit  être  traitée  avec  des  théologiens  delà  Con- 
fession d'Augsbourg,  parmi  lesquels  j'ai  toujom-s  mis  au  premier  rang  M.  l'abbé 
de  Lokkum,  comme  un  homme  dont  le  savoir,  la  caudeiu"  et  la  modération  le 
rcudoient  un  des  plus  capables  que  je  connusse  pour  avancer  ce  beau  dessein, 
.l'ai,  Monsieur,  de  ce  savant  honuue  la  même  opinion  que  vous  en  avez  ;  et 
j'avoue  selon  les  termes  de  votre  lettre  que  de  tous  ceux  qui  seront  les  mieux 


REMARQUES  HISTORIQUES.  vu 

Hier  il  disoit  :  «  A  bien  considérer  le  concile  de  Trente ,  il  n  y  a  guère 
de  passages  qui  ne  reçoivent  un  sens  qu'un  protestant  raisonnable 
puisse  admettre;  »  aujourd'hui  sa  verve  épuise  Paolo  Sarpi  et  les  re- 
cueils à'ana  contre  cette  sainte  assemblée;  il  s'efTorce  de  flétrir  a  cette 
bande  de  petits  évèques  italiens ,  courtisans  et  nourrissons  de  Rome , 
qui  fabriquèrent  dans  un  coin  des  Alpes,  d'une  manière  désapprouvée 
hautement  par  les  hommes  les  plus  graves  de  leur  temps,  des  décisions 
qui  doivent  obliger  toute  l'Eglise.  »  Bossuet  réfutoit  vainement  ses  ob- 
jections :  il  revient  cent  fois  sur  des  sophismes  percés  à  jour,  sur  des 
thfficultés  sapées  par  le  fondement,  sur  des  subtilités  plus  dignes  d'oc- 
cuper de  jeunes  théologiens  sur  les  bancs  de  l'école  que  d'être  le  sujet 
d'une  longue  controverse  entre  des  hommes  sérieux.  Mais  déjà  le  pro- 
testantisme prépare  ses  plus  grandes  faveurs,  le  zèle  de  la  Réforme 
s'apprête  à  donner  au  duc  de  Hanowe  le  pouvoir  souverain,  la  haine 
du  catholicisme  va  mettre  une  couromie  royale  sur  sa  tète  :  alors  que 
fait  Leibnitz?  11  trempe  sa  plume  dans  le  fiel  et  trace  des  expressions 
qui  ressemblent  à  des  personnalités  :  il  invite  Bossuet  «  de  ne  prendre 
pour  accordé  que  ce  que  l'adversaire  accorde  effectivement,  »  et  «  de 
retrancher  de  leurs  discussions  tout  ce  qui  est  choquant;  ))il  le  prie  «  de 
faire  cesser  les  supériorités  que  l'éloquence  et  l'autorité  donnent  aux 
grands  hommes ,  pour  ne  faire  triompher  que  la  vérité  ;  »  il  espère 
qu'il  cessera  «  d'esquiver  adroitement  les  objections,  de  fuir  les  expli- 
cations claires  et  d'entraver  la  réunion  des  églises  ;  »  il  lui  conseille  de 
«  renoncer  aux  expressions  tragiques,  à  l'éloigaement  affecté  ,  aux  ré- 
serves artificieuses  ;  »  il  veut  bien  lui  reconnoitre  «  trop  de  lumières 
et  trop  de  bonnes  intentions  pour  conseiller  des  voies  obhcjues  et  peu 
théologiques,  »  mais  il  lui  demande  «  des  avances  qui  marquent  de  la 
bonne  foi,  »  et  des  correspondans  qui  «  puissent  prêter  l'oreille  à  des 
ouvertures  où  son  caractère  (d'évêque)  ne  lui  permet  pas  d'entrer, 
quand  même  il  les  trouveroit  raisonnables;  »  enfin  il  se  plaint  plus  ou 
moins  ouvertement,  plus  ou  moins  secrètement,  «  de  sa  fierté ,  de  sa 
hauteur  et  de  son  humeur  intraitable.  »  En  même  temps  il  tramoit  un 
sourd  complot  pom'  supprimer  Bossuet,  pour  le  supprimer  avec  un  peu 
plus  d'adresse  qu'il  u'avoit  supprimé  Molanus.  Le  galhcanisme  lui  avoit 
toujours  paru  comme  un  trait  d'union  entre  la  France  catholique  et  la 

disposés  à  s'expliquer  de  leur  clief,  aucun  n'a  proposé  une  manière  où  il  y  ait 
autant  d'avances  qu'on  en  peut  remai'quer  dans  ce  qu'il  m'a  écrit.  » 

Bossuet  avoit  déjà  écrit  à  Leibnitz  ,  mais  non  sur  la  pacification  religieuse. 
Lorsque  Ricliard  Simon  aUoit  enfantant  chaque  année  de  nouvelles  errem-s 
contre  les  livres  de  l' Ecriture ,  avant  de  le  réfuter  publiquement,  il  voulut 
détourner  le  cours  de  son  activité  fébrile,  et  lui  oflî'it  avec  une  pension  annuelle 
la  traduction  du  Ta/mud.  En  1G78,  il  demanda  à  Leibnitz  la  liste  des  omTages 
nécessaires  à  ce  travail;  Leibnitz  lui  répondit;  mais  leur  courte  correspondance 
n'eut  d'autre  objet  que  les  gloses  l'abbLuiques. 


Mil         PIÈCES  POUR  LA  RÉUNION  DES  PROTESTANS,  ETC. 

Réforme  protestante  K  Indigné  «  des  enti'eprises  ultramontaines,  »  pour 
déjouer  les  finesses  «  de  Messieurs  les  ecclésiastiques,  »  il  proposa 
d'appeler  dans  les  négociations  les  émules  des  Harlay,  des  Pithou,  des 
Dupu}',  et  voulut  faire  trancher  la  controverse  un  peu  par  l'autorité 
spirituelle  et  beaucoup  par  l'autorité  temporelle  ;  car  il  croyoit  que 
tout  dépendoit  de  Louis  XIV,  de  l'empereur  et  du  pape.  Ainsi  quelques 
légistes  tenant  en  main  le  Digeste  pour  évangile,  convoqués  par  un 
mathématicien  philosophe  et  présidé  par  un  aide  de  camp  en  éperons, 
voilà  le  concile  qui  devoit  remplacer  le  concile  de  Trente,  Et  comme 
si  Leibnitz  ne  se  lut  point  contenté  de  conduire  deux  intrigues  à  la  fois, 
l'une  avec  YuUramontain  Bossuet ,  l'autre  avec  les  légistes  gallicans ,  il 
en  ourdit  une  troisième  à  Berhn  :  il  entreprit  de  réunir  les  sectes  pro- 
lestantes, non  plus  avec  le  catholicisme ,  mais  contre  le  catholicisme. 
Le  soin  d'amalgamer  ensemble  les  rehgions  de  l'Europe,  et  tout  à  la  fois 
de  les  coaliser  par  groupes  les  unes  contre  les  autres ,  ne  l'empèchoit 
point  de  veiller  à  sa  réputation  de  savant;  il  trouvoit  partout  dans  ses 
lettres  l'occasion  de  parler  de  sa  dynamique,  il  s'efïorooit  de  lui  gagner 
des  admirateurs  pai'mi  ses  correspoudans  et  des  avocats  près  de  l'A- 
cadémie des  sciences.  En  présence  de  ces  recherches  de  l'amour-pro- 
pre,  au  milieu  de  ces  manœuvres  et  de  ces  intrigues ,  Bossuet  n'avoit 
que  la  vérité  pour  guide  et  marchoit  droit  son  chemin,  comme  il  le  dit 
lui-même,  «  sans  vue  ni  à  di'oite  ni  à  gauche  ;  »  en  butte  à  mille  insi- 
nuations malveillantes ,  il  ne  faisoit  entendre  que  des  paroles  de  dou- 
ceur, de  paix  et  d'union  :  jamais  il  ne  fut  plus  grand  que  dans  cette 
circonstance..  Tant  de  charité  jointe  à  tant  de  science  ne  devoit  pas 
rester  sans  fruits;  ses  ouvrages  ramenèrent  en  Allemagne  dix-sept 
princes  dans  le  sein  de  l'Eglise. 

Au  reste,  que  Leibnitz  ait  suivi  dans  le  projet  d'union  la  pohtique 
de  la  Cour  hanovrienne  plutôt  que  la  conviction  de  son  esprit ,  quand 
le  fait  ne  seroit  pas  manifeste  par  lui-même,  il  seroit  aisé  d'en  trouver 
de  nouvelles  preuves.  D'oii  viennent  ses  tàtonnemens,  ses  hésitations, 
ses  avances  suivies  de  prompts  retours,  ses  habiletés  diplomatiques 
dont  il  éprouve  le  besoin  de  s'excuser  lui-même?  Il  veut  qu'on  sache, 

1  L'obstacle  quo  le  concile  de  Trente  apporte  à  la  réunion  étant  mûrement 
pesé,  on  jugera  peut-être  que  c'est  par  la  direction  secrète  de  la  Providence 
que  l'autorité  du  concile  de  Trente  n'est  pas  encore  assez  reconnue  en  France, 
afin  qu(>  la  nation  françoise  ,  qui  a  tenu  le  milieu  entre  les  protestans  et  les 
romanistes  outrés,  soit  plus  en  état  de  travailler  un  jour  à  la  délivrance  de 
l'Eglise,  aussi  bien  qu'à  la  réintégration  de  l'unité.  »  {Lettre  XXIII,  l'^novemb. 
1692,  X.\.1I.  )  —  «  On  est  redevable  à  la  France  d'avoir  conservé  la  liberté  de 
l'Eglise  contre  l'infaillibilité  des  papes  ;  et  sans  cela  je  crois  que  la  plus  grande 
partie  de  l'Occident  auroit  subi  le  joug  ;  mais  elle  acliévera  d'obliger  l'Eglise  ca- 
tholique, en  continuant  dans  cette  fermeté  nécessaire  contre  les  surprises  ultra- 
montaines. »  {  Lettre  I,  16  juillet  1691.) 


REMAR   UES  HISTORIQUES.  ix 

écrivoit-il  en  1699  à  M.  du  Héron,  «  combien  la  précaution  d'avoir 
l'agrément  du  duc,  pour  reprendre  la  négociation  avec  M.  de  Meaux, 
étoit  nécessaire.  ))  En  1707,  à  l'occasion  du  mariage  de  la  princesse 
Christine  de  Brunswick- Volfenbuttel  avec  l' archiduc  Charles  d'Autriche, 
on  proposa  la  question  suivante  à  l'université  de  Helmstadt  :  «  Une 
princesse  protestante  peut-elle,  pour  épouser  un  prince  d'une  maison 
souveraine,  embrasser  la  rehgion  cathohque?  »  —Oui,  répondit  l'uni- 
versité luthérienne,  elle  le  peut;  car  «  le  fondement  de  la  religion 
subsiste  dans  l'Eglise  catholique  romaine ,  en  sorte  qu'on  y  peut  être 
orthodoxe,  y  bien  vivre,  y  bien  mourir  et  y  obtenir  son  salut.  »  Cette 
réponse  avoit  eu  pour  rédacteur  un  ami  particulier  de  Leibnitz ,  Ea- 
bricius,  avantageusement  connu  par  un  grand  nombre  d'ouvrages  ;  et 
c'est  la  première  fois ,  chose  inconcevable  ou  plutôt  toute  naturelle 
dans  la  rehgion  du  libre  examen  ,  qu'une  faculté  de  théologie  protes- 
tante fit  usage  de  la  liberté  de  conscience  et  proclama  la  tolérance  re- 
hgieuse.  Cependant  la  consultation  de  Helmstadt  souleva  toute  la  Ré- 
forme :  les  anglicans  se  récrièrent  d'une  voix  unanime;  et  plusieurs 
universités  d'Allemagne,  celles  de  Rostock,  de  Leipsig,  de  ïubingue, 
protestèrent  solennellement.  Effrayés  par  cette  réprobation  générale, 
les  professeurs  trop  osés  s'empressèrent  d'adoucir  leur  réponse  par  des 
exphcations  confuses,  à  l'aide  de  phrases  à  double  entente.  Leibnitz, 
qui  avoit  provoqué  ces  adoucissemens ,  écrivit  à  Fabricius  «  qu'il  lui 
savoit  gré  de  la  déclaration  qu'il  lui  avoit  envoyée,  mais  qu'on  auroit 
désiré  quelque  chose  de  plus  précis;....  que  plusieurs  évèques  d'Angle- 
terre, attachés  à  la  cause  et  aux  intérêts  de  la  Maison  de  Hanovre,  lui 
avoient  fait  entendre  que  la  tolérance  et  l'indulgence  de  l'université 
de  Helmstadt  pour  l'Eglise  catholique  pouvoit  nuire  à  l'expectative 
qui  lui  avoit  été  assurée,  du  trône  d'Angleterre.  »  Il  ajoutoit  dans  une 
autre  lettre  :  «  L'archevêque  de  Cantorbéry  n'est  pas  content  de  la  dé- 
claration, parce  qu'elle  ne  contient  pas  qu'elle  abhorre  le  papisme.  »  Et 
plus  loin  :  «  Tous  les  droits  de  la  Maison  de  Hanovre  au  trône  d'An- 
gleterre sont  uniquement  fondés  sur  la  haine  et  l'exclusion  de  l'Eglise 
cathohque;  il  faut  donc  éviter  avec  soin  tout  ce  qui  annonceroitpeude 
zèle  contre  les  romanistes  \  »  Le  du*  jugea  prudent  de  faire ,  lui  aussi, 
amende  honorable  et  de  sacrifier  au  puritanisme  anglois;  il  retira  pu- 
bhquement  à  Fabricius  la  chaire  qu'il  occupoit  avec  tant  d'éclat,  mais 
il  lui  en  conserva  secrètement  les  honoraires. 

On  doit  connoître  maintenant  les  intentions  que  Leibnitz  apporta 
dans  la  correspondance  avec  Bossuet  ;  on  doit  comprendre  qu'il  sub- 
ordonna la  pacification  religieuse  à  la  pohtique  de  son  maître,  en  un 

1  Lettres  du  17  septembre  et  du  15  octobre  1708,  dans  les  Œuvres  complètes  de 
Leibnitz. 


X  PIÈCES  POUR  LA  RÉUMON  DES  PROTESTANS,  ETC. 

mot,  on  doit  être  à  même  de  répondi'c  à  la  question  posée  précédem- 
ment :  A  qui  faut-il  attribuer  le  non-succès  des  négociations  dans  le  pro- 
jet de  la  réunion  des  églises  chrétiennes  ? 

Les  pièces  relatives  à  ce  projet  restèrent  longtemps  enfermées  dans  la 
bibliothèque  de  1  evêque  de  Troyes  :  c'est  l'abbé  Leroy  ,  ancien  orato- 
rien ,  qui  les  publia  pour  la  première  fois  dans  les  CEuvres  posthumes , 
en  1753. 

Nous  pai'lerons  de  l'affaire  du  quiétisme  dans  le  prochain  volume. 


DE  PROFESSORIBUS 

CONFESSIONIS  AUGUSTANtE 

AD  REPETEKDAM  UNITATEM  CATHOLICAM  DISPONEKDIS. 
AUCTORE  MELDENSI  EPISCOPO. 


ADMONITIO  PRIMI  EDITORIS. 


De  dissertatione  sequenti  paucis  praemonere  lectorem  ideô  necessa- 
rium  esse  duximus,  quôd  mirum  sanè  multis  videbitur  ea  à  nobis 
iterùm  exhiber! ,  quae  maximam  partem  jam  lecta  sunt  in  eâ  dissqr- 
tione  quam  privatis  D.  Molani  Cogitât ionibiis  Episcopus  Meldensis 
opposuerat. 

Quâ  de  re  diù  multùmque  deliberavimus ,  non  quidem  de  suppri- 
mendo  hoc  opère,  in  quo  nonnnlla  sunt  eaque  gravions  momenti 
capita ,  quee  in  dissertatione  adversùs  Molanum  non  reperiuntur  ;  sed 
de  modo  quem  in  eo  edendo  sequi  oportebat  ;  nimirùm  an  edi  de- 
beret  integrum,  an  verù  excisis  iis  quœ  in  supradictâ  dissertatione 
eodem  verborum  ac  sententiarum  tenore  conlinentur.  Duo  autem  nos 
ad  posteriorem  hanc  dissertationem,  ne  mutato  quidem  apice,  eden- 
dam  compulerunt  :  primum,  lectoribus  ingratum  fore  judicavimus 
opus  mutilum  et  sui  parte  truncatum,  in  quo  sine  filo  et  abrupta  sœpè 
oratio  esset,  nisi  ea  supplerentur,  ex  dissertatione  adversùs  Molanum, 
quœ  à  nobis  erasa  fuissent  :  secundum,  hanc  fuisse  mentem  eruditis- 
simi  Auctoris,  ut  hoc  suum  opus  integrum  ederetur,  certis  indiciis 
comperimus  ex  Biario  Episcopi  Meldensis,  quod  exaravit  D-  Ledieu. 

Sciendum  est  enim  totanj  hanc  controversiam  lutheranos  inter  et 
Episcopum  Meldensem  tah  conditione  pertractatam  fuisse,  ut  pauci, 
de  quibus  convenerant,  disceptationis  testes  essent,  neque  scripta 
utriusque  partis  pubUci  juris  slatim  fièrent.  Rescivit  tamen  summus 
Pontifex  Clemens  XI,  anno  1701,  Episcopum  Meldensem  multa  scrip- 
sisse,  quae  ad  convincendos  lutheranos  adhiberi  posse  credebantur,  et 
erat  tune  in  eo  occupatus  Pontifex  ut  lutheranum  quemdam  Princi- 
TOM.  xviii.  1 


2       DISSERT.  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

pem  Germanum  (de  Saxe-Gotha,  si  D.  Ledieu  credimus)  in  Ecclesiae 
gremiiun  reduceret.  Ergô  ab  Episcopo  Meldensi  btinuit,  utilla  ad  se 
mitteret  scripta  quee  ad  informandum  hune  Principem  conducerent. 
Itaque  Meldensis  Episcopus  suam  adversùs  Molanum  dissertationem 
recensait,  novamque  hanc  aliam  scripsit,  in  quâ  ea  omittit  quae  aut 
minus  necessaria  esse  videbantur,  aut  scholasticam  nimiùm  redolere 
disputationem,  ea  supplet  quœ  in  priori  dissertatione ,  quâvis  de 
causa,  locum  non  obtinuerant,  atque  postremum  hoc  opus  tali  arte 
concinnat,  ut  nihil  habeat  asperum ,  nihil  non  suave  ac  lene,  quo 
Principis  animum  ad  unitatem  et  concordiam  meliùs  alliciat. 

Cogitabamus  quidem  hanc  dissertationem  facere  gallicam;  sed  ab 
hoc  suscipiendo  opère  nos  imprimis  deterruit  ipse  Meldensis  Epi- 
scopus, qui  cùm  gallicam  fecisset  suam  adversùs  Molanum  disser- 
tationem, hanc  latinam  tantùm  esse  voluit;  quia  nempè  u traque  dis- 
sertatio  iisdem  nititur  principiis,  eumdem  habet  scopum,  iisdem 
argumentis  fulcitur,  atque ,  ut  uno  verbo  omnia  complectar,  una 
eademque  est,  quanquam  diverso  dicendi  génère,  pro  vario  homi- 
num  ad  quos  spectabat  captu,  una  ab  altéra  distinguatur.  [Edit.  Leroi.  ) 


PR^FATIO  AUGTORIS. 

DE   VERA    RATIONE   I^ELND.E   PACIS  ,    DEQLE    DUOBLS   POSTULATIS   NOSTRIS. 


Multos  novimus  Confessionis  Augustanae  professores  magrice 
auctoritatis  ac  doctrinse  viros  inclytae  ac  fortissimœ  Germanicée 
nationis  ,  qui  divulsse  ac  lacerœ  christianitatis  \TLLnus  intuiti , 
({uaerant  viam  reconciliandce  pacis  sub  his  postulatis  :  Ut  concilii 
Tridentini  anathematismis  ac  decretis  absque  suée  operœ  inter- 
ventu  editis  in  antecessum  suspensis,  quéestiones  de  fide  iterùm 
recudantiu',  novumque  concilium  eà  de  re  institutum  celebretui^ 
et  quod  in  eo  cœtu  utriusque  partis  consensione  fîxum  decisum- 
que  fuerit^  ratum  sit  et  irrevocabile. 

Nos  autem  bonorum  virorum  de  pace  consilia  adjuvare  conati 
duo  proponemus. 

Primum,  eam  viam  de  innovandis  fidei  qucestionibus ,  deque 
concilii  Tridentini  decretis  in  antecessum  suspendendis  non  esse 
utilem  aut  optato  fini  conducibilem  :  altermn ,  aliam  viam  tutam 
ac  facilem  iriiri  oportere  ;  quâ,  per  expositionem  ac  declarationem 
dogmatum  utriusque  partis,  dissidia  componantur ,  adîiibitis 
utrinquè  fidei  regulis,  sive  communibus,  sive  quas  pars  quaeque 
probaverit,  ut  est  apud  nos  synodus  Tridentina,  ac  Pii  lY  fidei 
Confessio  :  apud  protestantes  vero  ipsa  Confessio  Augustcma, 
aliique  libri  infrà  memorandi,  quos  SymboUcos  vocant. 

Sint  ergô  eam  in  rem  duo  a?quissima  postulata  nostra  :  primum. 
Ne  quid  postuletur  ad  ineundam  paccm  quod  ipsius  ineundœ  pa- 
cis rationes  conturbet  :  alterum.  Ut  via  illa  expodtoria  seu  decla- 
ratoria,  quant  diximus,  ineatur  ;  quippe  quœ  omnes  juvet,  noccat 
nemini.  Hsec  duo  sequissima  ac  perspicua  postulata  nostra  duas 
priores  hujus  tractatiunculae  partes  efficient.  His  de  fide  expositis, 
accedet  tertia  pars ,  sive  disceptatio  de  disciplinée  rébus  ac  de  or- 
dinandà  tractatione  totà  ;  qui  dicendi  erit  finis. 


DISSERT.  SUK  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 


PARS  PRIMA. 


CAPUT    PRIMUM. 

De  primo  poslulato  nostro. 

Hoc  ergô'postulatum  sic  habet  :  Ne  quid  postuletur  ad  ineun- 
■dam  pacem  quod  ipshis  pacis  ineiindœ  rationes  conturhet.  Res 
Clara  per  sese  :  uudè  prima  conseciitio^  seii  potiùs  ejusdem  pos- 
tulat! explicatio  :  Ne  quid  fiât  quod  ecclesiasticorum  decreto- 
ruin  stabilitatem  aut  firniitudineni  infringat  ;  si  enim  décréta 
omnia  simt  iustabilia,  proiectù  erit  instabile  hoc  uostrum  quod 
postulant  de  pace  decretum. 

Jam  applicatio  ad  rem  nostram  tam  clara  est,  ut  ipsa  per  sese 
occurrat  animo.  Si  enim,  ut  Confessionis  Aug-ustana^  postulant 
defensores,  anteactorum  conoiliarium  decretorum  nuUa  jam  ratio 
habeatur,  nihil  erit  quod  posteritas  nostri  hujus  decreti  rationem 
hai)eat  ;  nihil  cur  nos  ipsi  ha?reamus,  ac  prô  sacrosancto  inviolato- 
que  reputemus,  aut  dissenticntcs  pœuis  ecclesiasticis  coercendos 
putemus. 

Esto  sanè  consenserimus  in  id  quod  maxime  a  olunt,  nempè  ut 
concilium  Tridentijuun  post  oorum  seccssioncm  celebratum  in 
suspensosit,  eu  maxime  quod  absijue  lutherauorum  operà  sit 
gestum  (  quà  de  re  quaeremus  posteà  )  nihil  agunt  ;  cùm  certum 
sit  artioulos  ferè  omnes,  certè  (juoscumrpie  pra'cipuos  in  concilio 
Tridentuio  definitos ,  ex  pristinis  conciliis  in  pace  habitis  fuisse 
repetitos  :  putà  ex  Lateranensibus  ,  Lugdunensibus,  Constan- 
tiensi  ipso  et  aliis  ;  neque  de  hâc  nova  synodo,  quam  nimc  ha- 
beri  volunt,  major  erit  consensio  quàm  de  anterioribus  fuit; 
atqiie  ut  rem  sul»jiciamus  oculis  :  Pra>dictas  synodos,  quœ  ïri- 
dentinis  defmitionibus  prseluxerunt,  irritas  aut  suspensas  haberi 
volunt,  ideô  quod  illis  contradixerint  hussitœ ,  wiclefita? ,  val- 
denses,  albigenses,  ipse  Berengarius  sacramentaria?  hœreseos. 


DE  PROFESSORIBLS,  ETC.,  PARS  l,  CAPUT  1.  •; 

lutheranis  exosse^  dux  et  magister,  alii  iii  aliis  conciliis  condem- 
nati.  Id  si  concedimus,  nempè  eô  nobis  redibit  res,  non  modo  ut 
infanda  proscriptaque  nomma  reyi\iscant  ;  verùm  etiam  ut  nihil 
pro  judicato  haberipossit,  nisi  litigantes  consenserint,  aut  etiam* 
in  cpiaestionibus  adversùs  illos  constitutis  ipsi  judices  sedeant  : 
quod  mmm  efficiet  ut  omnis  judiciorum  ecclesiasticorum  aucto- 
ritas  concidat,  nostrumque  concilium,  aut  qualecumque  fuerit 
de  pace  decretum ,  in  arenà ,  imo  in  antecedentium  eonciliorum 
ruderibus'collocatum,  facUè  collabatur. 

Rogo  enim,  an  consensionem  in  htec  nostra  de  pace  décréta 
majorem  ac  certiorem  futm^am  putent,  quàm  eam,  yerbi  gratiâ, 
quse  in  Lateranensibus^  Lugdunensibus,  deniquè  in  Constantiensi 
synodo  valuit  adversùs  Joannem  ^Yiclefum  et  Joannem  Hussum  ? 
Res  facti  omittamus,  de  quibus  vana  esset  litigatio,  cùm  agamus  de 
fide  cpiae  non  bis  nititm\  An  ergô  bis  sj^odis  non  aderant  omnes 
tune  catholicse  nationes,  ac  vel  maxime  inclyta  Germanica  natio  ? 
Annon  Constantiae  gesta  ac  décréta  de  fide  adversùs  illius  tem- 
poris  hsereses,  Sigismundi  maxime  imperatoris  ac  Germanicse 
nationis  ductu  processerunt?  Annon  recentissimà  operâ  per  Ger- 
manos  protestantes ,  gesta  Constantiensia  tôt  voluminiljus  édita 
ac  Leopoldo  Augusto  commendata  prodierunt  ad  gloriam  Ger- 
manicse nationis  ?  Ac  ne  illorum  temporum  scbisma  causentm*  ad 
elevandam  s}Tiodi  auctoritatem ,  extat  in  actis ,  Martino  Y  jam 
electo,  Tjibus,  ut  vocabant,  obedientiis  adunatis,  sacro  denicpiè, 
approhante  concilio,  Rulla  Inter  cunctas^;  in  quà,  decretis  om- 
nil3us  repetitis ,  additisque  perspicuis  de  fide  profitendà  interro- 
gationibus ,  miro  unanimique  consensu  fmitse  de  septem  Sacra- 
mentis ,  atque  adeô  omnes  sacramentariœ  quœstiones  :  fmitœ 
imprimis  maximœ  controversiae  de  invisibili  prœdestinatorum 
Ecclesiâ ,  deque  primatu  Pétri  ac  Romanse  Ecclesiœ  super  alias 
ecdesias particidares  :  céetera  denicpiè  omnia  quibus  hodiè  quoque 
controversiarum  summa  constat.  Et  tamen  baec  omnia  tantà  con- 
sensione  gesta  decretaque,  nec  modo  Constantiensia,  sed  etiam 
anteriora  pari  consensione  constituta  per  sexcentos  eoque  ampbùs 
annos  unà  cum  concilio  Tridentino ,  non  modo  suspendenda ,  ve- 

1  Sess.  XLV.  et  ult. 


6  DISSERT.  SUR  LA.  REUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE 
rùm  etiam  retractaiida  atque  antiquanda  proponunt  :  tanquàin 
Christus  per  tôt  sa?cula  obdormierit,  aut  promissorum  immemor, 
Ecclesiam  non  modo  fluctilius  tiiiidi ,  verùm  etiam  pessumdari 
*  ac  mergi  permiserit  :  quà  spe  futm'orum ,  cùm  nulla  alia  noljis 
quàm  antecessoribus  nostris  auctoritas  relinquatur  ?. 

CAPUÏ  II. 

Spreto  7iosfro  postulato ,  ac  suspemis  Triientinis  aliisque  ah  annis  ferè 
mille  decretn,  an  primorum  quatuor  vel  quinque  sœculorum  tutior  futura 
sit  auctoritas  ? 

At  enim,  inquiunt,  saltem  Nicaîiia  décréta,  Ephesinave,  aut 
Clialccdonensia  décréta  intégra  ac  tuta  nobis  relinquentur.  Uti- 
namî  sed  si  semel  illud  valeat,  Tridentiiui  décréta  aliaque  aiite 
sexcentos  annos  édita  rescindi  aut  saltem  suspendi  oportere,  quia 
ea  non  gesta  sunt  cum  litigantibus,  aut  quôd  eorum  consensus 
non  accesserit,  rogo  quid  erit  tutum  ?  An  Nicania  décréta  consen- 
tientibus  arianis  valuerunt  ?  An  ad  Epbesina  aut  Clialccdonensia 
nestorianarum  aut  eutychianarum  partium  consensus  accessit  ? 
Prodibuiit  in  médium  novi  ariani  ;  novi  paulianista^,  sociniani 
scilicet,  exurgent  atque  ultrô  fatebuntur  sua  quidem  dogmata  ad- 
versùs  Arium  etNestorium  ac  Paulum  Samosatensem,  toto  relique 
orbe  consentiente,  damnata,  non  tamen  arianis  aut  samosaten- 
sibus  id  approbantibus.  Ita  pelagiani  :  ita  cœteri  omnes  hairetici, 
cassaque  ac  vana  omnia  esse  contendent  qua}  à  totà  Ecclesià,  non 
tamen  ipsis  consentientiljus,  acta  sint  :  quo  etiam  fiet,  ut  ad  nos- 
tram  pacem  nulla  Christian!  nominis  secla  non  se  admitti  suo  jure 
postulet  :  quin  etiam  si  vel  maxime  adversùs  uUam  hieresini  om- 
nia anteacta  sœcula  consenserint,  non  tamen  proindè  certa  erit 
fides,  prono  humani  generis  in  falsa  ac  dévia  lapsu,  nulloque  im- 
quàm  relicto  nobis  tuto  et  invictae  firmitudinis  adversùs  errores 
prœsidio,  redibit  res  ad  jurgia  :  nequc  ullo  fructu ,  ullâ  spe ,  per 
tôt  rétro  conciliorum  veluti  conculcata  cadavera ,  gradiemur  ad 
illud  nostrum  qiiod  ostentant  triste  concilium  sive  decretum,  pa  • 
rem  profeclo  cum  aliis  sortem  habiturum;  neque  ulla  jam  via 
constabiliendœ  pacis,  infractà  et  collapsà  per  spcciem  novi  cou- 


DE  PROFESSORIBUS,  ETC.,  PARS  I,  CAPUT  m,  IV.  7 

cilii  conciliorum  omnium  auctoritate,  ipsiusqiie  adeô  Ecclesise 
majestate  prostratâ.  Stet  ergô  pacis  ecclesiasticee  tractatio  habens 
fmidamentiiin  hoc  :  Niliil  esse  ab  Ecclesiâ  catholicâ  pacis  iiieundae 
gratiâ  postulandum  ^  quod  concessum,  paeem  ipsam  Ecclesise  dis- 
turbaret. 

CAPUT  III. 

An  tutior  ac  fadliov  futura  sit  pax ,  si  hœreamus  articulis  quos 
fundamentales  vocant? 

Neqiie  hîc  reciirrendum  ad  fundamentales,  ut  vocant,  articulos, 
de  quibus  longe  erit  maxima  et  inextricabilis  concertatio ,  sive 
ad  Scripturam,  sive  ad  apostolicum  aliaque  symbola  provocemus  ; 
ut  non  modo  ratione,  verùm  etiam  ipso  rerum  experimento  con- 
stat. Ne  ergo  dixerint  de  bis  articulis  facdè  conveniri  posse  ; 
omittendos  caeteros,  seu  potiùs  aspernandos  ut  vanos,  nullique 
emolumento  futm^os.  Neque  enim  uUà  disputatione  constabit  de 
illis  articulis ,  nisi  priùs  Ecclesiœ  certâ  et  infallibili  auctoritate 
stabilità.  Sin  autem  id  constituerint ,  sufficere  articulos  Symbolo 
apostoUco  compreliensos ,  quid  necesse  est  ut  cum  protestantibus 
de  his  paciscamur  de  quibus  nec  litigamus  ?  Omninô  defmienda 
nobis  veniunt  quœcumque  à  Deo  revelata  constiterit  :  neque  enim 
Deus  inutilia  revelaverit,  dicente  Prophetâ  :  Ego  Dominus  Deus 
tuus ,  docens  te  utilia ,  guhernans  te  in  via  quâ  ambulas^.  Stet 
ergo  hoc  fundamentum ,  de  omnibus  ad  doctrinam  ac  fidem  quo- 
quo  modo  pertinentibus ,  sive  fundamentalia ,  sive  non  funda- 
mentalia  habeantur,  firma  rataque  esse  Ecclesise  judicata. 

CAPUT  IV. 

TJnâ  interrogatiunculà  res  tota  transigitur. 

Hanc  arcem  qui  deseruerint,  et  à  sacrosanctâ  judiciorum  eccle- 
siasticorum  auctoritate  vel  semel  recesserint ,  dicant  velim  quam 
sibi  asserendse  fidei  et  constituendse  pacis  tutam  ac  munitam  re- 
iinquant  viam  ?  Profecto  nuUam  ;  et  quamcumque  tentaverint , 

^  Isa.,  XLViil,  11. 


8        DISSERT.  SUR  LA  REUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

teste  experientiâ ,  rcvinceiitur.  Ecce  enim ,  exempli  gratiâ ,  pro- 
testantes Concordiœ  librum,  quo  libro  gravissima?  de  fide,  de 
operibus,  de  ubiqiiitate,  de  gratià  ac  libero  aiiiitrio  qu»stiones 
deciduntur;  cpiaiità  auctoritate  venditant?  quot  synodis  consta- 
biliunt?  quot  subscriptionibiis  miiniunt?  et  tameii  post  tôt  annos 
îiondùm  obtinuit ,  toteeque  provincise  cum  Açademià  Julià ,  aliis 
licèt  urgentibus ,  refragaiitui\  Sed  hœc  vetera  :  hoc  recentissi- 
mum,  quod  de  quietismo,  sive,  ut  vocant,  pietismo  inter  pro- 
testantes totà  jam  Germanià  laboratur  :  vanam  et  exitiosani  spi- 
ritualis  vitai  rationem,  etiam  sub  Lutheri  nomine,  passim  obtru- 
dunt ,  nec  ullà  potestate  coerceri  se  sinunt  :  nec  immerito  ;  ipsi 
enim  sibi  succidère  nervos,  judiciorum  ecclesiasticorum  auctori- 
tate sublatà.  Ne  ergo  nos  adigaut  ut  hanc  sacram  anchoram  di- 
niittamus ,  valeant  apud  nos  robusta  et  invicta  quœ  ab  ipsis  in- 
felici  eventu  rescissa  sunt  eeclesiastica  de  fide  judicata  :  alio- 
qui  quô  plura  de  pace  consilia  agitabunt,  eu  magis  alia  ex  aliis 
schisuiatii  consequentui" ,  ncque  uncpiàui  Ecclesiai  vuhiera  coa- 
lescent. 

CAPUT  V. 

Concilii  TridenUni  in  hàc  (ractaHone  quis  mus  futunis  sit  ? 

An  ergô,  incpiies,  ex  rébus  judicatis  liîc  agimus,  et  adversùs 
protestantes  concilii  Tridentini  auctoritate  prœscribimus  ?  Non 
ita.  jEquiora  nostra  sunt  de  pace  postulata,  atque  hîc  valerc  pati- 
niur  Augustinianum  illud  adversùs  Maximinum  arianum  :  «  Ne- 
({ue  ego  Nicœnum ,  neque  tu  debes  Arimineuse  tanquàm  pra?ju- 
dicaturus  proferre  concilium.  Nec  ego  hujus  auctoritate,  nec  tu 
illius  detineris*.  »  Sic  quodam  modo  pro  susponsishabentur  utrius- 
([ue  partis  concilia  et  acta,  subbdis  ulrinquè  pra'judiciis,  tracta- 
tionis  sanè  causa,  non  definitionis  ;  cpia?  quidem  intelligimus  velut 
ex  concessione  esse  dicta.  Nam  si  ad  strictos  juris  apices  res  tota 
redigatur,  neque  arianis  ulla  causa  erat  cm'  Nica^nœ  synodi  auc- 
toritatem  detrectarent ,  in  quà  primùm  ipsa  lis  dijudicata  esset  : 
catholicis  autem  justa  causa  erat  cur  dicerent  Ariminensem  sy- 

*  Coiit.   Maxim.,  lib.  Il,  cap.  xiv. 


DE  PROFESSORIBUS ,  ETC.,  PARS  II,  PRiEFATlO.  9 

nodum  jam  rébus  judicatis  pravo  consilio  superductam.  Profectô 
enim  valere  oportebat  Athanasianum  illiid  argiimentum  ^  cujus 
haec  summa  est  :  «  Quae  nova  causa  orta  erat  ?  Cur  nova  syno- 
dus  '  ?  »  Sed  hsec  ad  contentionem ,  non  sequè  ad  p:;cem  fortassè 
pertineant.  Omittamus  et  illud,  pacis  consilia  inituris^  res  in  eum 
locum  restituendas  videri  quo  ante  secessionem  fuissent  :  quo  se- 
mel  instituto,  et  omnia  protcstantium  gesta  cassa  essent ,  et  sua 
catholicis  constaret  auctoritas ,  proclivi  reditu  ad  eos  undè  facta 
secessio  est.  Id  sanè  per  sese  sequissimum  ;  sed  tamen  pacis  studio 
ad  ulteriora  provehimur. 

Nec  jam  ui'g-emus  Tridentina  décréta.  Sit  hîc  illa  synodus  tan- 
tùm  nostrae  fidei  testis.  Ex  hâc  rejicimus  falsô  imputata  nobis , 
rem  sanè  utilissimam^  et  ad  pacis  negotium  imprimis  necessa- 
riam.  Symbolicos  quoque  lutheranse  partis  adhibebimus  lil}ros , 
iisque  docebimus  maxima  dissidia  non  modo  componi  posse,  ve- 
rùm  etiam  jam  esse  composita  ;  quae  est  illa  declaratoria  et  expo- 
sitoria  via  iam  nobis  ineunda. 


PARS  SEGUNDA. 

DE   ALTERO   POSTULATO   NOSTRO ,    SIVE   DE   VIA   DECLARATORIA 
ET  EXPOSITORIA. 


PR/EFATIO. 


QU^EDAM   PR/EM1TTU?;TUR   DE    LUTIIEUANORUM    LIBRIS    SYMBOLICIS  :  COrJTROVERSIARUM 
AUTICULI   AD   QUATUOR  CAPITA   REDUCUNTUR. 


Hanc  expositoriam  viam  duabus  rébus  constare  diximus.  Pri- 
mum,  expositione  doctrinœ  nostraî  et  concilio  Tridentino^  atque 
indè  depromptà  fidei  confessione  :  tùm  expositione  doctrinœ  pro- 
testantium  ex  Confemone  Augustanâ ,  aliisque  sj/mbolicis ,  ut 
vocant,  sive  authenticis  libîis. 

Sanè  protestantes  GermaniccB  nationis  sœpè  memorant  hserere 

1  Lib.  De  Syn.,  etc.,  n.  i,  5  et  6. 


10      DISSERT.  SUR  LA  RÉUiMOM  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

se  Confessioni  Augustanœ,  qiiam  invariatam  appellant  ;  at  quœ- 
nam  illa  sit,  nusquàm  clarè  defmierunt.  Nos  autem,  ne  qnid  am- 
bigui  subsit^  utimur  iis  editionibiïs  ejusdem  Confessionis ,  qiiae 
ab  anno  1531  vel  1532  usqiie  ad  aiinum  1540,  vi vente  Luthero, 
imo  vero  Witembergae  sub  ejus  oculis  ac  nutu  prodierunt. 

Confessiojiem  Augnstanam  à  Philippe  Melanchthoiie  conditam 
esse  nemo  nescit  :  Apolofjia  verô  ejusdem  Confessionis  ab  eodem 
Melanchthone  paulo  post  est  édita ,  et  in  iisdem  comitiis  Augus- 
tanis  Carolo  V  oblata ,  nomine  principum  et  civitatuin  qui  Con- 
fessioni subscripserant.  Quare  eadeni  Apologia  ab  omnibus  lu- 
theranorum  cœtibus  ,  ac  pra^sertim  in  conventu  Smalcaldico , 
praesente  Luthero,  anno  1537,  inter  symbolicos  et  authenticos 
libres  fuit  recensita. 

Articuli  Smalcaldici  à  Lutliero  et  asseclis  publicè  editi  ac  sub- 
scripti  legitimœ  Confessionis  instar,  ut  concilio  per  Paulum  III 
Mantuam  convocato  suam  lîdem  exhibèrent. 

IIos  articules  et  Apolor/iamlùc  deprompsimus  ex  libro  Concor- 
diœ  àlutherauis  publicato,  eumque  libruni  proi'erinuis  prout  est 
editus  Lipsiœ  anno  1554. 

De  cieteris  libris  symboiicis,  ubi  occurrerint,  suo  loco  dicetm'. 
llorum  ergo  librorum  comparatione  cum  nostris,  additisque,  ubi 
occasio  se  dederit,  decretis  antiquioribus  utrique  parti  commu- 
nibus ,  viam  ad  pacem  munimus  ;  ejusque  rei  gratià  omnes  et 
singulos  articules  de  quibus  controversia  est,  ad  quatuor  velut 
capita  reducimus  :  Primuui ,  de  Justificatione  ;  alterum ,  de  Sa- 
cramentis;  tertium,  de  Cultu  et  Ritibus;  postremum,  de  Fidei 
confirmandœ  mediis,  ubi  de  Scripturà  et  Ecclesiâ,  ac  de  Tradi- 
tienibus. 

CAPUT  PRIMUM. 

De  Justificatione ,  eique  connexis  articulis. 

ARTICULUS   PRIMUS. 

Quod   justificatio  sit  gratuita. 

In  hoc  articule  nulla  est  difficultas.  Summa  enim  spei  nostrae 
ac  justilicatienis  haic  est  :  «  Eum  qui  non  noverat  peccatuni  pro 


DE  PROFESSORIBUS ,  ETC.,  PARS  II,  CAPUT  I,  ART.  I.  i\ 
nobis  peccatum  fecit,  ut  nos  efficeremur  justitia  Dei  in  ipso  '  :  » 
neque  verô  alia  esse  poterat  victima  placabilis  Domino,  aut  hos- 
tia  pro  peccatis ,  nisi  Yerbum  caro  factum ,  ut  Apostolus  prse- 
dixerat  :  «  Deus  erat  in  Christo  mundum  reconcilians  sibi ,  non 
reputans  ipsis  delicta  ipsoruni  -.  »  Neque  enim  imputât,  qui 
non  modo  gratis  dimittit ,  verùm  etiam  justitiam  sanctitatemque 
donat. 

Nec  Tridentina  synodus  negat  imputari  nobis  Christi  justitiam, 
aut  eâ  imputatione  ad  justificationem  opus  esse  ;  sed  id  tantùm, 
«justificari  homines  solà  imputatione  justitise  Christi,  exclusâ 
gratià^,  »  quà  nos  intùs  justos  facit  per  Spiritum  sanctum  diffusa 
in  cordibus  charitate.  Quin  etiam  Christi  mérita  nostra  esse  per 
fidem,  nec  tantùm  imputari  nobis,  sed  etiam  applicari  et  co?n- 
nmnicari  eadem  synodus  profitetur*;  quà  communicatione  fit 
non  modo  ut  peccata  nostra  tollantur,  sed  etiam  à  Cliristo  trans- 
missa  justitia  infundatm\  Hœc  igitur  novi  hominis  justificatio 
est. 

Neque  ab  eà  senteutià  deflectit  Augustana  Confessio,  quae 
sanctum  Augustinum  laudat  Apostoli  dicta  sic  interpretantem  : 
«  Qui  justificat  impimn,  id  est,  qui  ab  injusto  facit  justum  'K  » 

Sanè  Augustinus  eà  in  re  totus  est  :  «  Legimus,  inquit,  in 
Clnisto  justiiicari  qui  credunt  in  eum,  propter  occultam  commu- 
nicationem  et  inspirationem  gratise  spiritualis  ^  »  Nec  aliter  Apo- 
stolus, qui  justificationem  sancto  Spiritui  intùs  regeneranti  et 
renovanti  tribuit  "  :  quo  duce,  Milevitana  synodus,  à  Confessionis 
Augustanœ  professoribus  inter  authenticas  habita,  docet  «  in  par- 
vulis  regeneratione  mundari  quod  generatione  traxerunt  ^  ;  »  quo 
perspicuè  attribuit  regenerationi  remissionem  peccatorum. 

Quid  sit  autem  justificari,  eadem  Milevitana  spiodus  docet 
cap.  V  et  sequentibus;  neque  necesse  est  justificationem  à  rege- 
neratione et  sanctificatione  secerni ,  quas  in  Apolofjiâ  saepè  con- 
fundi  et  ipsi  lutherani  in  libro  Concordiœ  testantur  ^  Certè  Apo- 
logia  passim  justificationem  non  meree  et  externaî  imputationi '", 

1  11  Cor.,  \,  21.—  ï  IbiJ.,  19.— 3  Sess.  vi,  can.  ii.—  *  Sess.  v  ,  CHp.  m,  vu. 
—  5  Cap.  De  bon.  oper.—^  Lib.  1  De  pccc.  mer.  et  remias.,  cap.  x,  n.  M. —  "^  1  Cor., 
VI,  M;  TU.,  m,  .*),  G,  7.-8  Cap.'u,  Labb.,  tom.  Il,  col.  1538.-  »  ConcorJ.,  p.  585, 
586.-  '0  .ApoL,  p.  tiS,  70,  etc. 


i2      DISSERT.  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

sed  Spiritui  sancto  intùs  operanti  tribuit,  et  diserte  dicit  :  «  Solâ 
fide  justificari  nos,  intelligendo  justificationem  ex  injuste  justum 
effici,  seu  regenerari  K  » 

Non  tamen  prohibemiis  quin  sanctificationem ,  sive  regenera- 
tionem  ac  justificationem  re  ipsâ  inseparabiles,  mente,  ut  aiunt, 
et  ratione  seu  cogitatione  secernant  :  quanquàm  non  placet  ad 
hsec  sulitilia  ac  minuta,  ad  hœc  priscis  saeculis  inaudita,  deduci 
christianaî  doctrinœ  gravitatem. 

Illud  autem  prœcipuum  est  hujus  articuli  caput,  ab  eodem 
concilio  Tridentino  traditum  -  :  «  Gratis  justificari  nos,  quia  nihil 
eorum  quœ  justificationem  prœcedunt,  sive  fides,  sive  opéra 
ipsam  justificationis  gratiam  promerentur  :  Si  enim  cjratia  est, 
jam  non  ex  operibus;  alioquin  gratia  jam  non  est  gratta.  »  Per- 
git  sancta  SjTiodus  :  «  Ac  proptereà  necessarium  est  credere,  ne- 
([ue  remitti ,  neque  remissa  uiiquùm  fuisse  peccata ,  nisi  gratis 
divinà  misericordià  propter  Cbristum.  »  Jam  ergô  lutheranis  gra- 
vissimum  sublatum  est  ofTendiciduin,  cùm  nibil  magis  catholicis 
exprobrent,  quàm  quod  se  suis  meritis  justificari  credant  ^ 

ARTICULUS  II. 

De  operibus  ac  meritis  justificationem  consecutis. 

Neque  proptereà  rejicienda  sunt  post  justificationem  bonorum 
operum  mérita  :  quam  doctrinam  paucissimis  verbis  complexus 
beatus  Augustinus  sic  ait  :  «  Nullane  ergô  sunt  bona  mérita  jus- 
torum?  Sunt  plane,  quia  justi  sunt,  sed  ut  justi  essent  mérita 
non  fuerunt*.  »  Cui  doctrinap  attestatur  Arausicana  secunda  syno- 
dus,  dicens  :  «  Debetur  merces  bonis  operil)iis  si  fiant  ;  sed  gratia 
quae  non  debetur,  praecedit  ut  fiant  '\  »  Neque  ab  eâ  lide  al)hidit 
Confessio  Aucjustana,  in  quà  sanè  bonorum  operum  post  justifi- 
cationem mérita  ter  qualerque  inculcantur,  clarèque  docetur  quo- 
modô  «  sint  veri  cultus  ac  meritorii,  eo  quôd  mereantur  pra?mia 
tùm  in  hàc  vità,  tùm  post  banc  vitam  in  vità  a?ternA;  prœcipuè 

*  ApoL,  p.  1\,  etc.— 2  Sess.  Vl^  cap.  vrii.—  3  Con[.  Aug.,  c.  xx  ;  Apol.  Conf. 
Aug.,  De  ju^tif.  et  resp.  adobj.,  p.  62,  74,  102,  lfl3.—  *  V.^Ui.  cxciv,  al.  cv,  ad 
Sixt.,c.  m,   n.   G.  —  ^  Concil.  Araus.  Il,  c.   xviir;  Labb.,  tom.  IV,  col.   1670. 


DE  PROFESSORIBUS,  PARS  II,  CAPUT  I,  ART.  II.  13 

verô  in  hâc  vità  mereantur  donorum  sive  gratise  incrementum , 
juxta  illud  :  Habenti  dabitur  ^  ;  »  laudaturqne  Augustinus,  dicens  : 
«  Dilectio  meretur  incrementum  dilectionis.  »  Rectè  ;  nam  et  hune 
recolimus  sancti  Doctoris  locum  :  «  Restât  ut  intelligamus  Spi- 
ritum  sanctum  liabere  qui  diligit,  et  liabendo  mereri  ut  plus 
habeat,  et  plus  habendo  plus  diligat-.  » 

Hsec  igitm'  sunt  quse  legimus  in  eà  editione  Confessionis  Au- 
gusianœ,  qua?  ab  ipsà  origine^  anno  lo31  vel  153:3,  AVittenberga? 
facta  est.  Apologia  quoque  docet,  «  de  merito  bonorum  operum 
quod  sint  meritoria,  non  quidem  remissionis  peceatorum,  gratia^ 
aut  justificationis,  sed  aliormn  praernioiiim  corporalium  et  spiri- 
tualium,  et  in  hàc  vità  et  post  banc  vitani.  Nam,  inquit,  justitia 
Evangelii,  quœ  versatur  circa  promissionem  gratiae,  gratis  acci- 
pit  justitlcationem  et  vivificationem  ;  sed  impîetio  legis  quœ  se- 
quitiu?  post  fidem,  versatm*  circa  legem,  in  quà  non  gratis,  sed 
pro  nostris  operibus  ofTertm'  et  debetm'  merces  ;  sed  qui  haec  me- 
rentur  priùs  justificati  sunt,  quàm  legem  faciant^  » 

En  perspicuis  verbis  opéra  bona  recognoscunt  «  esse  meritoria 
prœmiorum  corporalium  et  spiritualium ,  et  in  hàc  vità  et  post 
hanc  vitam.  »  Quœ  autem,  rogo  vos,  illa  smit  preemia  «  et  in  hàc 
et  in  futm'à  vità ,  »  nisi  ea  qua?  Dominus  repromisit ,  scilicet  «  in 
hoc  tempore  centies  tantùm,  et  in  sœculo  futuro  vitam  aiter- 
nam  ^  ?  » 

Neque  lutherani  refugiunt  quin  fidèles  ipsam  vitam  œternam 
promereri  possint ,  mltein  qiioad  fjradus ,  quod  sufficit,  cumin 
illà  celebri  disputatione  Lipsiensi  anni  1 539 ,  hoc  ultrô  agnove- 
rint  :  quod  vita  «terna  sit  ipsa  merces  loties  repromissa  creden- 
tibus.  Cœterùm  ea  mérita,  nedùm  excludant  gratiam,  tam  sup- 
ponunt  et  ornant  ;  ac  prEeclarè  sanctus  Augustinus  :  ((  Yita  etiam 
asterua  quam  certuni  est  bonis  operibus  debitam  reddi ,  al^  Apo- 
stolo  tamen  gratia  nuncupatur  :  nec  ideô  quia  meritis  non  datur,  sed 
quia  data  sunt  ipsa  mérita  quibus  datur  ■'.»  De  augmento  verô  gra- 
tiae :  «  Ipsa  gratia  meretur  augeri ,  ut  aucta  mereatm'  et  perfici  ".  » 

1  Conf.  Auff.,  ait.  VI,  et  cap.  De  bon.  oper.  —  ^  Tract.  LXXIV  in  .Toan.,  n.  21. 
—  ^  ApoL,  Hesp.  ad  obj.,  p.  16.—  *  Marc,  x,  30.—  »  Ep.  udSixt.  jain  cit.,  n.  l'J, 
etrfe  Corr.  etGrat.,  c.xili,  n.  41.— «  Ep.  CLXxxvi,  al.  CVJ,  atiPâM/.,cap.  m,  n.  10. 


14      DISSERT.  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 
ARTICULUS   III, 

De  promissione  gratuité,  deque  perfectione  atque  acceptatione 
bonorum  operura. 

Quantacumque  autem  sint  justificati  liominis  mérita,  non  ta- 
men  eis  tanta  deberetur  merces ,  nisi  ex  promissione  gratuità  ; 
quem  ad  locum  pertinet  Tridentinum  illud  :  «  Quôd  benè  operan- 
tibus  usque  in  finem  et  in  Deo  sperantibus  proponenda  est  vita 
aeterna ,  et  tanqiiàm  gratia  filiis  Dei  per  Jesum  Christum  miseri- 
corditer  promissa,  et  tanquàm  merces  ex  ipsius  Dei  promissione 
bonis  ipsorum  operibus  et  meritis  fideliter  reddenda'.  » 

Viget  ergo  fides  ac  spes  christiana  gratuitae  per  Christum  pro- 
missioni  haerens  ;  neque  omittendum  istud  :  «  Qui  ex  nobis,  tan- 
quàm ex  nobis,  nihil  possumus,  eo  coopérante  qui  nos  confortât 
omnia  possumus.  Ita  non  habet  homo  undè  glorietm^  sed  omnis 
gloriatio  nostra  in  Cliristo  est,  in  quo  vivimus,  in  quo  meremur, 
in  quo  satisfacimus ,  facientes  fructus  dignos  pœnitentiae,  qui  ex 
illo  yim  habent,  ab  illo  ofTeruntur  Patri,  et  per  illum  acceptantur 
à  Pâtre  "K  »  Addendumque  illud  :  «  Absit  ut  christianus  homo  in 
seipso  vel  conlidat,  vel  glorietur,  et  non  in  Domino,  cujus  tanta 
est  erga  omncs  homines  bonitas,  ut  eoriim  velit  esse  mérita  quœ 
sunt  ipsius  dona*.  »  Sic  non  modo  retusa,  sed  etiam  radicitùs 
avulsa  superbia  est,  valetque  omninô  apostolicum  illud  :  «  Quis 
te  discernit  ?  Quid  habes  quod  non  accepisti  ?  »  certe  accepisti 
mérita  :  «  Si  autem  accepisti ,  quid  gloriaris  quasi  non  accepe- 
ris*?» 

ARTICULUS   IV. 

De  implctionc'  Legis. 

De  hoc  articulo  nulla  est  difficultas  ;  neque  illum  Confessio 
Augustana  aut  ejus  Apologia  unquàm  negarunt,  ut  patet  ex- 
presso  eâ  de  re  capite  De  dilectione  et  impletione  legis  ;  alioquin 
et  ipsum  negarent  Apostolum  dicentem  :  IHenitudo  sive  impletio 
legis  est  dilectio  ^  Yivere  autem  in  fidelium  cordibus  dilectionem, 

1  Sess.  VI,  c.  XVI.— 2  Sess.  XIV,  c.  viii.— »  Sess.  VI,  cap.  xvi.—  *ICor.,iv,  7. 
—  S  Rom.,  xui,  10. 


DE  PROFESSORIBUS ,  PARS  II,  CAPUT  I,  ART.  V.  15 

non  quidem  eatenùs  ut  peccatum  in  nobis  plané  non  sit,  sed  certè 
eatenùs  ut  in  nobis  non  regnet ,  idem  Apostolus  docet  clariùs , 
quàm  ut  quisquam  christianus  inficiari  possit.  Potest  ergô  nos- 
tra  vera  et  suo  modo ,  non  tamen  absolutè  perfecta  et  sine  omni 
peccato  esse  justitia.  Denicjuè  in  justis  ac  fidelibus  ita  pugnat  cu- 
piditas ,  ut  charitas  praevaleat  ;  ac  si  non  omnia  peccata  absint , 
absunt  tamen  ea  de  quibus  ait  Joannes  :  «  Omnis  qui  in  eo  manet, 
non  peccat*  ;  »  et  Paulus  :  «  Qui  ea  faciunt,  regnum  Dei  nonpos- 
sidebunt  ^  »  De  peccatis  autem  sine  quibus  hic  non  vivitur,  prae- 
clarum  illud  sancti  Augustini  :  «  Qui  ea  mundare  operibus  mi- 
sericordiœ  et  piis  operibus  non  neglexerit ,  merebitur  hinc  exire 
sine  peccato ,  quamvis  cùm  hic  viveret ,  habuerit  nonnulla  pec- 
cata; quia  sicut  ista  non  defuerunt,  ita  remédia  quibus  purga- 
rentur  afTuerunt  ^  » 

Sanè  de  impletione  possibili  legis  pridem  inter  christianos  con- 
stitit,  edito  scilicet  utrique  parti  acceptissimo  capite  Arausicani 
spcundi  concilii  in  quo  legitm%  «  quôd  omnes  baptizati ,  Christo 
auxiliante  et  coopérante ,  quae  ad  salutem  pertinent ,  possint  ac 
debeant ,  si  fideliter  laborare  voluerint ,  adimplere  *  ;  »  quo  ex 
capite  repetitum  est  illud  concilii  Tridentini  de  mandatis  Deo  ad- 
juvante prsestandis  ^,  ut  legenti  patebit. 

ARTICULUS   V. 

De  meritis  quae  vocant  ex  condigno. 

De  meritorum  autem  condignitatC;,  etsi  benè  intellecta  res  ni- 
hil  habet  difficultatis ,  tamen ,  ut  vitentm*  ambigua  et  aliquos  of- 
fensura  vocabula,  cum  concilio  Tridentino,  si  libet  taceatur.  Me- 
minerimus  autem ,  commonente  eodem  concilio  Tridentino  ®,  ad 
prœsentis  vitae  justitiam  pertinere  apostolicum  illud  :  Momenfa- 
neum  et  levé  ;  ad  futuram  autem  mercedem  referri  istud  ex  eodem 
Apostolo  :  Supra  moclum  in  sublimitate  œternum  gloriœ  pondus  ''  ; 
neque  unquàm  excidat  animo  omnia  mérita  eorumque  mercedem 
ex  gratuit^  promissione  pendere,  neque  irlla  opéra  nostra  per 

1  I  Joan.,  m  ,  6,  9.-2  II  Cor.,  vi,  9.-3  Ep.  CLVir,  aliàs  lxxxix,  ad  Hilnr., 
c.  I,  n.  3.—*  Concil.  Araus.  \\.  cap.  ull.  ubisup. —  ^Sess.  Yi,  cap.  xi. —  ^  Ihtd., 
cap.  XVI.— 7  II  Cor.,  iv,  17. 


1 6  DISSERT.  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 
sese  valere ,  sed  Christi  capitis  nostri  infliixu  et  interventu  inde- 
sinenter  indigere,  ut  sint,  ut  persévèrent,  ut  Deo  offeraiitur,  ut 
à  Deo  acceptentur,  ut  statim  diximus  '.  Sanè  concedatur  illud ,  si 
è  re  esse  putent ,  potuisse  pleniorem  à  nolîis ,  imo  plenissimam 
ac  perfectissimam ,  seu  strictam  exigi  justitiam  ;  à  quo  jure  di- 
vina  justitia  per  Novi  Testamenti  fœdus ,  propter  Clu'isti  mérita 
ultrô  decesserit.  Scitum  etiam  illud  :  Noimisi  à  personâ  infinité 
dignà,  qualis  erat  Unigenitus  Deus,  dignam  pro  peccato  satis- 
factionem  offerri  potuisse ,  atque  banc  satisfactionem  sic  à  Deo 
bono  acceptari,  tanquàm  à  nobis  esset  exbibita;  quse  quidem  illa 
est  imputatio  quara  et  illi  urgent ,  et  nos  nulli  refugimus ,  ut  su- 
pra dicium  est  -.  Neque  verù  prohibemus  (juin  etiam  illud  addant  : 
Deum  quidem  nemini  etiam  justissimo,  nedùm  peccatori,  per  se, 
ac  stricto  jui'B  dèbere  posse  quidquam,  nisi  ultrô  spondeat,  aut 
pro  bonitate  ac  sapientià  sua  ad  congruam  beneficentiam  se  in- 
flectat  ;  quœ  etsi  certissima  sunt ,  ad  ea  tamen  descendi  forte  non 
è  re  sit.  Certè  illud  inculcandum  quod  ait  Augustinus  :  huic  qui- 
dem misera^,  et  egena^  mortalitati  oongruere,  <(  ne  superbiamus, 
ut  sub  quotidianà  peccatorum  remissione  vivamus ,  »  ut  est  à 
Tridentina  synodo  defmitum  et  à  nobis  relatum  '. 

ARTICULUS  VI. 

De  fide  justificante. 

Quùd  fides  justificet,  et  quoniodo  id  fiat,  Apologia  ex  sanclo 
Augustino  sic  tradit  :  «  (Juùd  is  clarè  dicat  per  lidem  conciiiari 
justificatorem ,  et  justificationem  fide  impetrari  ',  »  subditque  ex 
eodem  Augustino  paulo  post  :  «  Ex  lege  speranms  in  Deum ,  sed 
timenlibus  p;rnam  absconditm'  gratia;  sub  quo  timoré  anima 
laborans,  per  fidem  confugiat  ad  misericordiam  Dei,  ut  det  quod 
jubet.  »  En  vis  fidei  secundùm  Apologiam,  ut  quis  confisus  gra- 
tia ac  nouiine  Domini  Jesu,  quo,  neque  alio,  salvos  esse  nos 
oportet,  invocet  justifia!  auctorem  Deum,  dicente  Apostolo  : 
«  Quomodô  enim  invocabunt  in  quem  non  crediderunt  ?  »  et  : 

1  Slip.,  art.  m.— 2  Sup.,  art.  i.  — »  Sup.,  art.  iv.—  '*  Apol.  Aug.  Co?if.,  cap. 
Quod  rcmiss.  pecc.  solù  fide,  etc.,  p.  SO. 


DE  PROFESSORIBUS ,  PARS  II,  CAPUT  I,  ART.  YII.  17 

«  Omnis  qiiicumqne  invocaverit  nomen  Domini  salvus  erit  ^  » 
Undè  idem  Augustinus  ^  -.  «  Fide  Jesu  Christi  impetramus  salu- 
tem  et  quantum  à  nobis  inchoatm'  in  re ,  et  quantum  perficiendo 
expectatur  in  spe^  »  et  iterùm  :  «  Per  legem  cognitio peccat'i  :  per 
fidem  impetratio  gratiae  contra  peccatum  :  per  gratiam  sanatio 
animœ  à  morte  peccati.  »  Hsec  igitm*  est  doctrina  Pauli,  Augus- 
tino  teste  ^  quem  ipsa  Apologia  laudat  interpretem. 

Quôd  autem  solà  fide  justificari  nos  sic  m'gent,  ut  etiam  illam 
vocem,  sola,  apostolico  textui,  auctore  Luthero,  addendam  puta- 
rint,  facile  componi  potest.  Diserte  enim  explicatm^  in  Apologia, 
hâc  voce  excludi  tantùm à  justificatione  opinionem  meriti'^,  quam 
et  à  catholicis  excludi  statim  observavimus  ;  extatque  eà  de  re  in 
concilio  Tridentino  decretum  expressum  sub  hoc  titulo  :  «  Quôd 
per  fidem  et  gratis  justificemm'  '*.  » 

Absit  autem,  ut  lutlierani  per  vocem  illam,  solâ  fide ,  exclu- 
dere  velint  pœnitentiam,  cùm  in  libro  authentico,  cui  titulus  : 
Solida  explicatio"%  etc.  hsec  décernant  :  «  Yera  et  salvans  fides 
in  ils  non  est  qui  contritione  carent  et  propositum  in  peccatis 
pergendi  et  perseverandi  habent.  Yera  enim  contritio  praecedit, 
et  fides  justificans  in  iis  est  qui  verè,  non  fictè  pœnitentiam 
agunt.  »  Sic  profectô  de  rébus  deque  ipsâ  doctrinae  summâ  plané 
consentimus,  neque  proptereà,  insertà  voce,  sola,  apostohcum 
textum  novo  nec  posteris  profuturo  exemplo  immutari  oportebat. 

ÂRTiciiLus  vu. 
De  ccrtitudine  ficlei  justificantis. 

De  ejus  autem  fidei  certitudine  docet  Paulus  :  «  In  repromis- 
sione  etiam  Dei  non  hsesitavit  diffidentià,  sed  confortatus  est  fide, 
dans  gloriam  Deo,  plenissimè  sciens  quia  qusecumque  promisit 
potens  est  et  facere  ®  ;  »  quee  est  illa  perfectissima  fidei  plenitudo 
(TCX/ipoocp'k)  quam  idem  Apostolus  toties  commendat.  Ilinc  iuge- 
neratur  animis  certa  fiducia  in  Deum ,  quel  contra  spem  in  spem 

^  Rom.,  X,  13,  11.—  2  De  spir.  nt  lit.  ],  c.  xxix,  xxx,  ii.  .'il,  ''>L>.—  '  ApuL,  tit. 
De  juitif.,  p.  73.  —  '^  Sess.  vi,  cap.  vui. —  •'  lu  lib.  Conc.  Ut.  De  justif.  pdei , 
p.  688.-6  Rom.,  iv,  2U,  21. 

TOM.  xvni.  2 


48      DISSERT.  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

credinms  ^  ;  atque  hune  fidei  justificantis  motum  synodus  Triden- 
tina  in  eo  reponit,  quod  fidèles  «  credant  vera  esse  quse  divinitùs 
revelata  et  promissa  siuit,  atque  illud  iniprimis  à  Deo  justificari 
impium  per  gratiam  ejus^  per  redemptionem  quae  est  in  Christo 
Jesu"  :  »  undè  conterriti,  Dei  urgente  judicio,  «  ejus  misericordiâ 
in  spem  erigmitui^  fidentes  Deum  propter  Christum  sibi  propi- 
tium  fore,  illumque  tanquàm  omnis  justitiae  fontem  (gratis  sci- 
licet  justificantem  )  diligere  incipiuut;  »  quâ  dilectione  prioris 
vitae  delicta  detestantui'.  Quibus  sanè  verbis  egregiè  ac  plenè  tra- 
ditur  fides  illa  justificans,  quâ  divina  etiam  promissa  complexi, 
in  Deo  per  Christum  toti  inuitimur.  Undè  consolatio  ac  fides  illa 
specialis  existit,  quam  pia  corda  testantur,  prœeunte  Apostolo 
his  verbis  :  «  In  fide  vivo  Filii  Dei ,  qui  dilexit  me ,  et  tradidit 
semetipsum  pro  me  ^  » 

Usque  eô  autem  spes  ista  ac  fiducia  progreditur,  ut  absit  anxius 
timor,  absit  Ula  turbulenta  trepidantis  animi  fluctuatio,  adsit  verô 
intùs  Spiritùs  sancti  solatimu  clamantis  :  Abba,  Pater,  insinuan- 
tisque  illud  :  Quod  si  filii,  et  hœredes'';  quo  fit,  ut  spe  gaudentes  ^ 
jam  in  eœlis  conversari  nos  confidamus®.  Neque  proptereà  id  tam 
certo  credimus,  ut  nos  salvos  futm^os  «  absque  ullà  omnino  dubi- 
tatione  statuamus.  »  Neque  id  postulamus,  ut  tam  de  praesente 
justifia,  quàm  de  futurâ  glorià  certiores  simus.  Id  quidem  suffi- 
cit,  ut  quantum  ex  Deo  est,  tuti,  de  ejus  promissis  ac  misericor- 
diâ, deque  Christi  merito,  mortisque  ejus  ac  resurrectionis  effi- 
cacià  nUnquàm  dubitemus,  de  nobis  autem  formidare  cogamm; 
ita  quidem  ut ,  licet  non  adsit  illa  fidei  «  certitudo  cui  non  possit 
subesse  falsum,  »  prœvalente  tamen  fiduciâ,  Salvafore  Christo 
ej  usque  promissis  fruamm'  et  spe  beati  sinms  ;  quae  summa  est 
doctrinae  à  concilio  Tridentino  traditaî  '',  cujus  doctrinae  radix 
articulo  sequente  panditur. 

"  Rom.,  IV,  18.— 2  Scss.  vi,  cap.  VI.— ^  Gai,  n ,  20.— *•  Rom.,  vin,  lo,  17. 
—  5  ibid.,  XII,  12.— 6  VhiL,  m,  20.—  '  Sess.  vi,  cap.  xii,  can.  iii,  xv,  xxi. 


DE  PROFESSORIBUS,  PARS  II,  CAPLT  I,  ART.  YIII.  11) 

ARTICULUS   VIII. 

De  gratià,   et  cooperationc  liberi  arbitrii. 

Lutherani  existimabant  ita  defendi  à  catliolicis  in  rébus  divinis 
liberum  arbitrium,  ut  aliquid  per  se  valeret  efficere  quod  ad  sa- 
lutem  conduceret.  Quod  cùm  Tridentina  s}TQodus  claris  verbis 
damnaverit  ^,  uibil  est  jam  cui'  liberi  arbitrii  Deo  cooperantis  usus 
et  exercitium  improbetur.  Quiii  emn  usum  a^erth^Confessio  Au- 
gustana  ejusque  Apologia  agnoscimt,  dùm  etiam  bonis  justificati 
operibus  meritum  attribuunt,  eaque  meritoria  esse  concedunt,  ut 
suprà  memoravimus  -  ;  piacetque  iterare  illud  Confessioîiis  Au- 
gustanœ,  capite  de  Bonis  operibus  :  «  Débet  autem  ad  baec  Dei 
dona  accedere  exercitatio  nostra,  qnae  et  conservet  ea  et  mereatui^ 
incrementum,  juxta  illud  :  Habenti  dabitur;  et  Augustinus  prae- 
clarè  dixit  :  Dilectio  meretur  incrementum  dilectionis,  cùm  vide- 
licet  exercetur.  »  En  igitur  sul)  ipsà  Dei  gratià  nostrum  quoque 
exercitium  sive  cooperatio;  nec  mirum,  cùm  etiam  Apostolus 
dixerit  :  «  Non  ego,  sed  gratià  Dei  mecum  '^,  »  quem  in  locum 
meritô  Augustinus  :  «  Nec  gratià  Dei  sola,  nec  ipse  soins,  sed 
gratià  Dei  cum  illo  *  ;  »  neque  abs  re  Tridentini  Patres  statuunt  ^ 
liberum  arbitrium  ita  cooperari,  ut  etiam  dissentire  possit,  Dei- 
que  gratiam  abjicere. 

Neque  ab'^eo  dogmate  Confessio  Augiistana  dissentit,  «  cùm 
damnet  anabaptistas,  qui  negant  semel  justificatos  iterùm  posse 
amittere  Spiritum  sanctum  *  ;  »  quem  si  inliabitantem  amittere 
atque  abjicere  possumus ,  quantô  magis  moventem  atque  exci-- 
tantem  neque  adlmc  animae  insidentem?  Cui  doctrinœ  simt  con- 
sona  quse  in  eàdem  Confessione  Augustanà  tradimtur,  articulo  vi, 
et  capite  De  bonis  operibus.  Atque  bis  abundè  constat  Spiritui  et 
ejus  gratiée  ita  repugnari  posse,  ut  etiam  amittantm'  ;  quod  ne 
fiat  rogandus  est  Deus,  ut  voluntatem  nostram,  pro  libertate  suà 
facile  aberrantem,  regat.  Atque  bine  illa  formido,  quam  articulo 

*  Sess,  VI,  cap.  i,  xi,  xii ,  can.  i,  ii,  m,  xxii.—  -  Sup,,  art.  ii  et  seq.— 
'  I  Cor.,  x\,  10.—  *  August.,  De  Graf.  et  lib.  Arb  ,  cap.  v,  u.  12.—  3  Sess.  vi. 
cap.  V,  can.  iv. —  ^  Confes.  August.  art.  il. 


20    DISSERT.  SUR  LA  RÉUMON  DES  PROTEST.  DALLEMAGiNE. 

superiore  commemoravimus  summâ  cum  fiduciâ  atque  altissimâ 
pace  conjunctam.  De  ûeoenim  fidimus,  de  nobis  metuimus  ;  quod 
nec  protestantes  réfugiant,  nionente  Apostolo  :  «  Cuin  metu  et 
tremore  salutem  vestram  operamini  *  :  »  ita  ut  illud  simul  va- 
leat  :  «  Confidens  hoc  ipsum,  quod  qui  cœpit  in  vobis  opus  bonuni 
perficiet  usque  in  diem  Jesu  Christ!  ^.  » 

ARTICULUS   IX. 

Cur  istiiis  conciliationis  ratio  placitura  vidcatur. 

His  quidem  existimo  futuruni  ut  utrique  pai'ti  satisfiat.  Neque 
enim  aut  cathohci  l'ridentinam  fidem,  aut  lutherani  Confessio- 
nem  Augustanam  ejusque  ApoloQumi  rejertuiù  sunt.  Etsi  enim 
hos  quos  memoravi  locos  in  Confessione  Augustanà  posteà  dele- 
verint,  inveniuntur  tamen  in  his  editionibus  quœ  Wittenbergœ 
quoque  sub  Luthero  et  Melanchthone  adornatœ  simt,  ut  jam  an- 
notavimus;  conventusque  Xamiburgensis,  anni  loGl,  etsi  aUam 
quanidaui  prtutulit,  non  tanien  lias  abjecit^  sed  suo  loco  esse  vo- 
luit,  eô  quùd  in  conventibus  ac  disputationibus  pubhcis  jam  inde 
ab  origine  adhibitas  esse  constaret,  et  qua^  in  Confessione  deleta 
smit,  in  Apologià  tamen  intégra  remansere,  ut  legenti  patebit. 

Hœc  auteni  credimus  moderatioribus  lutheranis  placitura,  quod 
sic  non  tam  sua  ejm^are  quàm  interpretari  videantur,  Tridentina 
verô  admittere  cum  iis  ehicidationibus ,  à  quil)us  nemo,  ac  ne 
ipsa  quidem  Confcssio  AïKjustana  dissentiat;  nec  dubito  quiu 
csetera  qua^cumque  proponentm*,  verâ  justàque  et  commodâ  de- 
claratione  adhuc  elucidari  possint.  Sed  jam  ad  alia  properamus. 

CAPUÏ  SEGUNDUM. 

De  Sacramcntis. 

ARTICULUS   PRIMUS. 

De  Baptismo. 

De  Baptismo  nulla  est  controversia;  nam  et  in  parvulis  esse 
efficacem  et  ad  salutem  necessarium,  Confcssio  quoque  Augiis- 

^  Phil.  II,  12.— s  Ibid.  I,  6. 


DE  PROFESSORIBUS ,  PARS  II,  CAPIT  II,  ART.  II.  2f 

tana  confitetiu'  *  ;  quo  etiam  constat  nece^sariô  admittendam  illam 
sacramenti  efficaciam  quse,  per  se  ac  vi  sua,  actioneque,  qnod  est 
ex  opère  operato,  influât  in  animos;  qua?  quidem  -vds  à  verbo  ac 
promissione  ducatur.  Antiqua  autem  Ecclesia,  non  modo  de  Bap- 
tismo ,  verùm  etiam  de  Eucliaristià  ideîn  à  se  credi  docuit ,  dùm 
eam  quoque  communicavit  parvulis^  probo  quidem  ritu,  sed  pro 
temporum  ratione  posteà  immutato,  ut  fit  in  disciplina^  rébus  et 
inter  adiapbora  sive  inditîerentia  recensendis.  Confirmabant  etiam 
parvulos  baptizatos,  si  episcopus  baptismum  administraret.  Tra- 
dimt  quocfue  antiquae  Synodi  :  «  Sicut  Baptisma  paniilis,  ita 
Pœnitentiœ  donum  nescientibus  illabi ,  latenter  infundi  ^,  »  dato 
tamen  anteà  fidei  testimonio.  Quôd  autem  Confessîom's  Aiigiis- 
tanœ  articulo  xm  condemnetur  pharisaica  opinio  «  quœ  fingat 
homines  (  etiam  adultos  )  justos  esse  propter  usum  sacramento- 
rum  ex  opère  operato,  »  et  quidem  «  sine  bono  motu  utentis,  nec 
docet  requiri  fidem,  »  niliil  ad  catholicos  aut  ad  synodum  Tri- 
dentinam,  quœ  uljique  ac  prœsertim  scssione  \\,  capite  vi,  ac  totâ 
sessione  xiv,  apertè  répugnât  ;  atque  id  quidem  de  adultis  ;  de  in- 
fantibus  verô  Confessio  Augustana  consentit,  ut  dictum  est. 

Sanè  catholici  confitentur  prœter  bonos  motus  ac  bonas,  c[uœ- 
cumque  sint,  dispositiones,  ipsamque  adeô  fidem,  dari  alic[uid  à 
Deo;  ipsam  scilicet  propter  Cluisti  mérita,  sancto  Spiritu  intùs 
opérante,  justificationis  gratiam  ;  quod  nemo  diffiteatur,  qui  non 
Ctnisti  mérita  obscurare  velit;  atque  hsec  illa  est  efficacia  ex 
opère  operato  tantoperè  exagitata  à  Luthero  et  lutberanis  :  (juam 
tamen  certo  ac  vero sensu  ab  Ecclesia  intento  et  ipsi  agno^erunt;, 
ut  patet. 

ARTICUHS   II, 

De  Eucliaristià ,  ac  primùra  de  reali  pr.rscnlià. 

Hic  quoque  nulla  controversia  est,  Beoque  agenda3  gratiœ, 
quàm  fieri  possunt  maximae,  quôd  articulum  longé  omnium  dif- 
ficillimum,  imo  solum  difficilem ,  Confessio  Aur/nstany/  retinue- 
rit.  Eam  fidem  firmat  et  illustrât  Apolofjla  in  decimo  articulo  *, 

'  Art.  m— «  Conc  Toi.,  xi:,  cap.  ii.  Labb.,  tom.  vi,  col.  1225.— ^  Apol.  Aug. 
Conf.,  art.  x,  u.  151. 


22    DISSERT.  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

laiidatque  Cyrillum  dicentem  :  «  Chiistum  corporaliter  nobis  ex- 
liibsri  in  cœnâ;  »  Christum  sanè,  emnque  totum;  neque  tantùm 
corpus  et  sanguinem ,  sed  ubique  totum  ex  anima  et  corpore  et 
sanguine ,  iisque  ipsâ  semper  divinitate  conjunctà  ;  undè  subdit  ; 
«  Loquimm'  de  praesentià  vivi  Christi  :  scimus  enim  quod  mors 
ei  non  dominabitur  *.  » 

Haec  igitur  sufficimit  ad  realem  prœsentiam.  Calixtus  autem  et 
Academia  Julia  aliique  permulti  Confessionis  AugustancE  profes- 
sores  commmiionisque  consortes ,  amovent  ubiquitatem  in  libro 
Concordiœ  ssepè  inculcatam,  quœ  catholicis  gravissima  et  intole- 
randa  videretur. 

ARTICULUS  III. 

De   transsubstantiatione. 

Nihil  hîc  à  lutheranis  postulamus,  nisi  ut  à  modo  quo  tanta  res 
fiat  pra'scindentes,  eumque  inexplioabilem  et  incompreliensibilem 
spontè  confessi,  per  verba  potestatemque  Christi  id  effici  agnos- 
cant,  ut  (juàm  vcrè  in  illo  nuptiab  convivio,  Christo  opérante, 
gustarunt  aquam  vinum  factam  ^,  tam  verè  in  hoc  novo  con- 
vivio  panem  corpus  factum,  et  vinum  factum  sanguinem  capia- 
mus;  quo  etiam  ratum  sit  illud,  mutatione  factà,  panem  id  fieri 
et  esse  quod  dicitm%  nempè  Christi  corpus.  Quœ  sanè  usque  adeô 
analogiai  fidei  Christique  verbis  congrumit,  ut  in  Apologiâ  ^  post 
clarè  constabihtam  substantialem  prœsentiam,  statim  procUvi 
lapsu  ad  illam  transniutationem  fiat  traiisitus.  Testis  enim  addu- 
citur  «  Canon  Missœ  Grœcorum,  in  quo  apertè  orat  sacerdos,  ut 
mutato  pane  ipsum  Christi  corpus  fiat.  »  Addi  potuisset,  ex  eâdem 
Grœcorum  htm'già  :  transmutante  Spiritu  sancto,  quo  certior, 
atque,  ut  ita  dicam,  reaUor  illa  mutatio  esse  intehigatur,  per  mi- 
rificam  scihcet  ac  potentissimam  operatioiiem  facta.  Atque  iljidem 
laudatur  Theophylactus  archiepiscopus  Bulgarius  diserte  dicens  : 
«  panem  non  tantùm  figuram  esse,  sed  verè  in  carnem  mutari,  » 
quod  non  mms  ille  Bulgarius,  verùm  etiam  ahi  Patres  longe  an- 
tiquiores  unanimi  voce  dixerunt.  Qua?  rectè  intellecta  niMl  erunt 
aliud  quàm  ipsa  Transsubstantiatio,  hoc  est,  panis,  qui  substantia 

1  Apol.  Axirj.  Conf.  I  art.  x ,  p.  tb8.— ^  Joan.  w ,  9.—  *  Apol.  cap.  xv. 


DE  PROFESSORIBUS ,  PARS  II ,  CAPUT  II ,  ART.  IV.  23 

est,  in  carnem,  rpiae  item  substantia  est  vera  mutatio,  nihilque 
desiderabitiir,  prœter  solam  vocem,  de  quâ  litigare  non  est  cliris- 
tianum. 

Ergo  Apologia  Confessionis  Angustanœ  aliquâ  suî  parte  Trans- 
suhstantiationem  laudat  perspicuis  verbis ,  nedùm  al)  eà  penitùs 
abliorruisse  videatur. 

Quin  ipse  Lutherus  in  ArtlcuUs  Smalcaldicis  concilio  œcume- 
nico  proponendis ,  totâ  sectà  approbante  et  subscribente ,  dixit , 
«  Panem  et  vinum  in  cœnâ  esse  verum  corpus  et  sanguinem  ^  ;  » 
quod  nonnisi  mutatione  panis  in  corpus  posse  consistere  permulti 
protestantes  viri  doctissimi  facile  confitentur. 

Berengarius  quoque  post  multas  tergiversationes  ac  ludifica- 
tiones,  tandem  ad  omnem  ambiguitatem  tollendam  adactus  est 
in  hanc  formulam,  eique  consensit  :  «  Corde  credo  ;,  et  ore  confi- 
teor  panem  et  vinum  quee  ponuntur  in  altari  per  mysterium  sa- 
crœ  orationis  et  verba  nostri  Redemptoris,  substantialiter  converti 
in  veram  et  propriam  ac  vivificatricem  Christi  carnem  et  sangui- 
nem, et  post  consecrationem  esse  verum  Christi  corpus  -,  »  etc., 
quo  fit  manifestum  in  exponendo  Eucharistiee  articulo ,  substàn- 
tiarum  conversionem ,  quâ  panis  jam  sit  flatque  ipsum  Christi 
corpus,  verae  pra^sentise  semper  fuisse  conjunctam.  Constat  autem 
Lutherum  ac  lutheranos  à  berengariano  errore  penitùs  abhor- 
rentes,  et  ejus  damnationem  ssepè  approbasse  et  sacramentariis 
objecisse.  Undè  eam  conversionem  ab  eodem  Luthero  pro  indif- 
ferenti  habitam,  et  contentiosiùs  quàm  graviùs  rejectam  ejus 
libri  satis  indicant  '. 

ARTICULUS  IV. 

De  prœscntià  extra  usum. 

Non  fuerit  difficilior  de  praesentià  extra  usum  litigatio ,  si  res 
ad  originem  atque  ad  ipsa  principia  reducatur.  Neque  enim  eam 
aut  Confessio  AffQustmia ,  (mi  Apolo(/ia,  aut  ArticuU  Smalcaldici 
reprehendunt ,  neque  in  primis  disputationibus  inter  catholicos 

^  Ari.  Svmlc,  \i  iii  lib.  Conc,  p.  330.— ^  Co«c.  Hom.  \i,  Labb.,  loin,  x, 
col.  378.-3  Lib.  De  capt.  Bubyl.  et  in  resp.  ad  art.  cont.  Reg.  Ang.,  t.  il,  Wileb. 


24      DISSERT.  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

et  protestantes  habitis  de  illà  prsesentià  aut  eam  consecutâ  éleva- 

tione,  nlla  legitur  unquàm  fuisse  concertatio. 

Neque  lutherani  in  Confcssione  Angustanâ  ejusque  Apologiâ 
elevationem  memorant  inter  ritus  à  se  sublatos  aut  reprehensos  : 
quin  potiùs  in  eâdem  Ajjoloffiâ  memorant  cum  honore  GrcBcomm 
ritum,  in  quo  fiât  consecratio  à  manducatione  distincta  ^  :  neque 
Lutherus  aut  lutherani  ab  elevatione  abhorrebant,  aut  eam  sus- 
tulerunt,  nisi  ad  annum  1542  aut  1543  ;  neque  tamen  improba- 
verunt  :  imo  retineri  potuisse  fatebantur ,  ut  esset  testimonium 
prœsentiœ  Christi ,  quod  est  in  Lutheri  parvâ  Confcssione  posi- 
tum. 

Sanè  confitemur  Witenbergœ  anno  1536,  in  solemni  conciha- 
tione  Lutheri  cum  Bucoro  ahisque  sectae  sacramentaria:!  principi- 
bus ,  Bucerum  id  tandem  impetrasse  à  Luthero  :  «  Extra  usum 
dùm  reponitur  aut  asservatur  in  pyxide,  aut  ostenditur  in  pro- 
cessionibus  non  adesse  Christi  corpus-.  »  Sed  hîc  etiam  notandae 
sunt  hce  voces:"«Non  fieri  dm-abilem  ahquara  conjunctioncm 
(corporis  Christi)  extra  usum  Sacramenti,»  quœ  nunc  est  com- 
munissima  locutio  totius  lutheranae  partis  :  quantum  autem  duret 
illa  prœsentia  aut  ([uandù  se  subtrahat ,  integris  certè  specielms, 
exponant  si  possint.  Nobis  id  sufficit  veritos  esse  eos  ne  absolutè 
negarent,  extra  usum  Sacramenti,  corporis  prsesentiam  ;  sed  tan- 
tùm  ut  statuerint  «  non  esse  durabilem.  » 

Sin  autem  semel  constiterit  eam  pra-sentiam  valere  extra 
usum,  nostra  sontentia  in  tuto  est,  nec  immérité.  Non  enim  dixit 
Christus  :  IIoc  crit  corpus  meum;  sed  :  Hoc  est  ;  aut  apostoli 
manducarc  jussi  ut  esset  corpus  Chiisti ,  sed  quia  erat  :  cujus 
dicti  simplicitas,  si  semel  infringitur,  concident  universa  Lutheri 
et  lutheranorum  argumenta  -£?î  -^ù  ?y,Tcù  :  zuingliani  et  calviniste 
eorumque  dux  Berengarius  vicerint. 

Utcumquô  autem  rem  habcant ,  sano  attestatur  prœsentiae 
Christi  extra  usum  ipsa  asservatio ,  quam  ncmo  negavcrit  in  Ec- 
clesiâ  fuisse  perpetuam  ;  namque  ab  ipsâ  origine  domum  depor- 
tatus,  atque  ad  absentes  et  a» gros  delatus,  ac  diù  asservatus  sa- 
cer  iste  cibus.  Attestatur  et  illud  vetustissimum  atque  apud  Gra^cos 

»  Tit.  De  Cœn.,  p.  l'J7.  et  de  vocab.  Miss.,  p.  27i,  etc.—  -  In  lib.  ConC,  p.  729. 


DE  PROFESSORIBUS ,  PARS  II ,  CAPUT  II,  ART.  V,  VI.  25 

celebeirimum  quod  vocant  Preesanctificatorum  sacrificiuni.  Non 
soient  autem  nanc  docti  lutherani  improbare  eos  ritus  quos  anti- 
quissimos  esse  constiterit.  Neqiie  circumgestatio  Christum  ex 
Eueliaristià  depellat,  neque  ab  usu  esuque  aliéna  est,  cùm  et  re- 
servata  et  circumgesta  hostia  comedi  jubeatui*  ;  quod  sufficit  ut 
tota  sacramenti  ratio  ibidem  vigeat,  ca?.teris  ritibus  ad  variantem 
disciplinam  meritô  referendis. 

ATICULUS  V. 

De  adoratione. 

Quid  in  hoc  sanctissimo  Sacramento  adoretur,  catholica  Eccle- 
sia  non  reliquit  obscurum,  ipsà  synodo  Tridentinâ  profitente  «  in 
sancto  Eucbaristice  sacramento  Clunstum  unigenitum  Dei  Filium 
esse  cultu  latrise  etiam  externo  adorandum  *  ;  »  quo  sensu  eadem 
synodus  docet  «  latriae  cultum  sacramento  exhibendum ,  eô  quod 
illum  eumdem  Deum  préesentem  in  eo  adesse  credamus ,  quem 
Pater  œternus  introducens  in  orbem  terrarum  dicit  :  Et  adorent 
eum  omnes  amjeli  Dei,  »  etc.  Quo  etiam  sensu  Lutherus  ipse, 
nequicquam  frementibus  zuinglianis ,  in  ipso  vitaï  exitu ,  ne  sen- 
tentiam  mutasse  videatm*,  adorabile  Sacramentum  dixit  ^. 

ARTICULUS  VI. 

De  Sacrificio. 

Norunt  omnes  Cyprianum,  C}'rillum  Hierosolymitanum,  Am- 
brosium,  Augustinum,  cœteros  ubique  terrarum,  qui  vocant 
Eucliaristiam  vernssimiim  ac  singulare  sacrificium  ,  Deo  plé- 
num, verendum,  tremendum  et  sacrosanctum  sacrificium  :  alios- 
que  eam  in  rem  sanctorum  Patrum  locos,  oblationem ,  imo  im- 
molationem  arcanam  et  invisibilem  professos,  à  visibili  mandu- 
catione  distinctam. 

Sanè  protestantes  ubique  praedicant  in  propriè  dicto  sacrificio 
occisionem  veram  contineri  ;  qua^  disputatio  mera  est  de  nomine. 
Nam  et  ipsi  scimit  procul  abhorrere  à  nostrà  sententià  occisio- 

1  Sesâ.  xui,  cap.  v,  can.  vi  —  ^  Cout.  art.  Lov.,  art.  xxvin. 


26     DISSERT.  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

nem  illam ,  realem  quidem  et  veram.  Quippe  et  incruentum  esse 
sacrificium  nostrum  tota  Ecclesia  clàmat,  neque  ulla  ibi  occisio 
est  iiisi  spiritualis  et  mystica,  nec  alius  nisi  verbi  diviiii  gladius  ; 
quam  sanè  doctrinam  neque  Confessio  Aiignstana  aut  Apolocjm 
refugiunt.  Id  enim  vel  maxime  atque  assidue  improbant  :  Missam 
esse  opus  quod  homines  sanctificet  absque  bono  motu  utentis , 
aut  quod  actualia  peccata  dimittat,  cùm  crucis  sacrificio  originide 
deletum  sit,  aut  alia  ejusmodi,  quse  ne  quidem  catholici  somnia- 
ririt. 

Laudat  autem  Apolofjkt  passim  *  Litm'giam  graîcam,  non  modo 
ejusdem  cum  Romanà  sensùs  ac  spiritùs,  verùm  etiam  iisdem 
quoad  substantialia  contextam  vocibus,  ut  legenti  patebit. 

In  utràque  enim  ubique  inculcatur  ol)latio  victima^  salutaris , 
corporis  soUicet  et  sauguinis  Domini ,  ut  rei  pni'sentis  Deoque 
exhibitae,  cujus  etiam  societate  preces  fidelium  consecrentur.  Ne- 
que  quis  meritù  refugerit,  quin  ipsa  consecratio  etiam  à  mandu- 
catione  distintta,  prœsensque  Cluisti  corpus,  res  sit  per  sese  Deo 
grata  et  acceptabilis  ;  quod  quidem  nihil  est  aliud  quàm  illud 
jpsuiii  sacrificium  ab  Ecclesia  catholicà  celebratum  ;  ut  cœnâ  qui- 
dem somel  posità,  corporisque  ac  sauguinis  crédita  prœsentià, 
de  sacrilicio  nuUus  sit  idtercaudi  locus. 


ARTICULUS     vil. 
De  Missis  privalis. 

Sanè  fiitcndum  est  Missas  privatas  seu  al)sque  communicantibus, 
in  Confcssionc  Aiff/ustand  et  Apolor/ià  passim  lial)cri  pro  iinpio 
cultu.  Id  tamen  intelligendum  videtur  saniore  ac  temperatiore 
sensu ,  propter  quasdam  circumstantias  potiùs  quàm  propter  rem 
ipsam.  Ilabcmus  enim  luculentissimum  viri  doctissimi  et  candi- 
dissimi  scriptum  -,  quo  constat ,  nec  ab  ipsis  Confessionis  Augus- 
tanae  professoribus  Missas  illas  privatas  haberi  pro  illicitis ,  cùm 
intra  suas  quoque  ecclesias  pastores  sibi  ipsis ,  nemine  ampliùs 

1  Apol,  cap.  De  dmû,  ci  lit.  De  vocub.  Miss  ,  p.  lo7,  274,  etc.—  -  Vid.  Cogif. 
priv.  D.  Molîiu. 


DE  PROFESSORIBUS ,  PARS  II ,  CAPUT  II ,  ART.  VIIL  27 

prcBsente ,  sacram  cœnam  interdùm  exhibeant,  quod  et  ab  aliis 
dictum  comperimus  et  ab  ipso  usu  certum. 

Necessitatem  obtendunt.  At  si  ea  erat  Christi  volimtas  et  iiisti- 
tutio,  ut  sacramentum  non  consisteret  absque  communicantibus , 
profectô  prœstabilius  erat  cà  communione  abstinere  pastores,  quàm 
communicare  prœter  Christi  institiitum  ;  cùm  prœsertim ,  ex  eo- 
rum  sententià ,  de  accipiendà  cœnâ  nuUum  sit  prœceptum  domi- 
nicum,  sit  autem  gravissimum  ne  prseter  institutionem  accipiant. 
Procul  ergô  abest  illa  cpiam  fmgunt  nécessitas.  Quare  dùm  soli- 
tarias,  ut  vocant,  privatasque  Missas  ipsi  quoque  célébrant  et 
probant,  satis  profectô  intelligunt  dominicse  institutioni  satis- 
fieri ,  si  apparato  Domini  convivio  fidèles  invitentur  ut  et  ipsi 
participent  ;  quod  pio  et  antiquo  more  synodus  Tridentina  prsesti- 
tit  '  ;  nec  si  assistentes  à  capiendo  sacro  cibo  abstineant ,  ideô  aut 
pastores  eo  privandi ,  aut  magni  Patrisfamilias  mensa  minus  in- 
struenda  erit ,  cùm  nec  ipsi  assistentes  contemptu ,  sed  potiùs 
reverentià  abstineant ,  et  voto  spiritualique  desiderio  communi- 
cent ,  et  intérim  spectatis  mysteriis ,  crucisque  ac  dominici  sacri- 
ficii  reprœsentatione  et  commemoratione  piam  mentem  pascant  : 
adeôque  nec  a?quum  sit ,  Missas  eas  privatas  appellare  ac  solita- 
rias,  quœ  et  plebis  quoque  nomine  et  causa,  nec  sine  ejus  prse- 
sentià,  piisque  desideriis  celebrentur. 

ARTICULUS  VIII. 

De  Communione  sub  utràque  specie. 

Ex  his  luce  est  clarius  utramque  speciem  non  pertinere  ad  in- 
stitutionis  substantiam.  Non  enim  magis  ad  eam  pertinet  quàm 
communicatio  circumstantis  plebis  ;  neque  enim  Christus  solus 
celebravit,  solus  accepit,  sed  cum  discipulis  quibus  etiam  dixit  : 
Accipite,  comedlte ,  bibite  ;  et  quidem  omnes ,  quotquot  adestis, 
hoc  facile  ;  et  tamen  lutherani  quoque  probant  accipi  à  mimstris 
alio  ritu  «  modocpe  quàm  Christus  instituit  ;  »  quod  argumento 
est  non  quœcumque  Christus  fecit,  dixit,  instituit,  ad  ipsam  in- 
stitutionis  substantiam  pertinere.  Fregit  quoque  panem,  nec  sine 

*  Sess.  XXII 5  c.  VI. 


28      DISSERT.  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

mysterio,  cùm  et  illud  addiderit  :  Hoc  est  corpus  meum ,  quod 
pro  vobis  frangitur  ;  et  tamen  lutherani  non  urgent,  neque  usur- 
pant fractionem  illam  dominicse  in  cruce  fractionis  ac  vulnera- 
tionis  testem.  Quare  fixum  illud  :  Ad  salutem  sufficere  cœnam  eo 
modo  sumptam,  qui  ipsam  rei  substantiam  atque  institutionis 
summam  complectatur.  Substantia  autem  Imjus  sacramenti  ipse 
Christus  sub  utràvis  specie  totus,  quod  et  lutherani  fatentur,  ut 
yidimus  *  :  summa  institutionis  est  annuntiatio  mortis  dominicae 
ejusque  commemoratio ,  quam  in  unàquàque  specie  fieri  satis 
constat,  attestante  Paulo,  ad  earum  quamlibet  edixisse  Domi- 
num  :  «  Hoc  facile  in  meam  commemorationem  "-.  »  Neqne  Grœci, 
quibus  de  commixtis  speciebus  nullam  litem  movent,  magis  an- 
nuntiant  dominicam  mortem,  corpusque  à  sanguine  separatum 
quàm  nos  ;  neque  Ecclesia  catholica  alterius  speciei  sumptionem 
ex  contemptu  oniittit  ;  quippe  quam  et  probat  in  Graecis  sibi  com- 
municantibus,  et  Latinis  etiam  piè  atque  liumili  animô  petentibus 
sa^pè  concessit.  Neque  statim  indixit  plebi,  ut  sacro  sanguine  ab- 
stineret  ;  scd  ultrù  abstinentem  irreverentiœ  ac  sacri  cruoris  per 
populares  impetus  eiîundendi  metu  laudans ,  ultroneam  consue- 
tudinem  post  alicpiot  sa^cula  legis  loco  esse  voluit  :  quo  etiam  ritu 
mersionerîi  in  Jjaptismo  sublatam,  nemincm  eruditum  latet.  Ne- 
que  lutherani  ab  initio  rem  urgebant ,  atque  omninô  constat  diu- 
tissimè  post  lutheranam  reformationem  initam ,  sub  unâ  specie  in 
eà  communicatum  fuisse,  neque  proptereà  quemquam  à  commu- 
nione  ac  sanctà  Christi  mensà  fuisse  proliiliituin.  (Juin  ipse  Luthe- 
rus  communionem  sub  unà  vel  utràque  specie  inter  indifferentia, 
qualis  erat  sacri  cibi  per  manum  tactio  ;  imo  vero  inter  res  nihili 
memorabat  ^  ;  quod  posteà  exacerbatis  animis ,  plebis  potiùs  stu- 
dio quàm  magistrorum  arbitrio  crimini  versum  fuit.  Id  ergô  vult 
Ecclesia  ut  pétant  non  arripiant ,  ne  piam  matrem  accusare ,  et 
sacramentorum  ritus  licentiùs  quàm  religiosiùs  mutare  sinantur. 
Neque  vero  al)s  re  erit  hic  commemorare  paucis ,  ex  Apologiâ 
Confessionis  Augustanœ ,  quantum  hîc  valeat  Ecclesiae  praxis. 
«  Nos  quidem,  inquiunt,  Ecclesiam  excusamus ,  quae  liane  iriju- 

i  Sup.,  art.  II.— 2  1  Cor.,  xi,  24,  23.-3  ]î.-[nsl.  ad  Ca.'p.  Gusfol.  form.  Miss., 
toin.  Jl,  p.  38i,  386. 


DE  PROFESSORIBUS ,  PARS  II,  CAPUT  II,  ART.  IX.  29 

riara  pertulit ,  cùm  utraque  pars  ei  contingeje  non  posset ,  sed 

auctores  qiii  defendimt  rectè  prohiber! non  excusamiis  ^  » 

Quid  autem  illud  sit,  excusamus  Ecdesiani,  Philipiis  Melanch- 
thon  Apolocjiœ  auctor,  data  ad  Liitherum  Epistolà ,  sic  exponit  : 
ut  Ecclesiam  excusari  oporteret,  quce  imâ  specie^er  errorem  ute- 
retur  ;  «  quia,  inquit,  clamabant  onmes  totain  Ecclesiam  à  nobis 
condemnari^,  »  quam  responsionem  Lutlierus  comprobavit. 

Atqui  in  ipsà  Confessione  Augiistanà  id  scripserant  :  «  Quôd 
una  sancta  Ecclesia  perpétué  mansura  sit.  Est  autem  Ecclesia  con- 
gregatio  Sanctorum ,  in  quâ  Evangelium  rectè  docetur,  et  rectè 
administrantur  sacramenta  ^  »  Ergo  ex  plèbe  audiente  et  pasto- 
ribus  «  rectè  docentibus ,  ac  rectè  sacramenta  administrantibus  » 
consistit  Ecclesia  ;  non  ergo  sibi  constant,  cùm  et  stare  Ecclesiam, 
et  tamen  per  pastorum  aut  errorem  aut  vim  altéra  specie  caruisse 
confitentur  ;  aut  certè  verum  erit  illud,  per^alterius  speciei  priva- 
tiouem  rectse  sacramentorum  administrationi  non  noceri ,  quae 
nostra  sententia  est,  ad  quam  proindè  ducimur  per  Apologiam. 
Non  ergo  excusatione  est  opus ,  totaque  hœc  Ecclesiam  pm'gatio 
(  pace  protestantium  dixerim  )  vana  et  prœpostera  est, 

ARTICULUS    IX. 

De  aliis  quinque  sacramentis,  ac  primùm  de  Pœnitentià  et  absolutione. 

De  absolutione  privatà  in  Confessione  Augustmiâ  traditur, 
quod  retinenda  sit;  et  in  antiquis editionibus  legitur  :  «Damnant 
novatianos ,  qui  nolebant  absolvere  eos  qui  lapsi  post  baptismum 
redeant  ad  pœnitentiam*  :  »  Apolofjia  vero,  capiteV/e  Numéro  et 
usu  sacramentorum ,  posteà  quàm  sacramentorum  propriè  dicto- 
rum  defmitionem  attulit,  ut  sint  «  ritus  à  Deo  mandat!,  addità 
promissione  gratise  ^ ,  »  subdit  :  «  Yerè  igitur  sacramenta  sunt 
Baptismus,  Cœna  Domini,  absolutio  quae  est  sacramentum  Pœ- 
nitentiœ  ;  nam  hi  ritus  liabent  mandatum  Dei  et  promissionem 
gratise  quae  est  propria Novi  Testament!,  »  quels  niliilest  clarius. 

1  Apol.,  tit.  De  uti'àque  spcc  ,  p.  233,  2:54.— 2  MclaiicliUi.,  lib.  I,  Ep.  xv.— 
3  Conf.  Aug.,  art.  \\\i.—  ''lbid.,  art.  \i.—  '^Apol.,  cap.  De  >ium.,  ntc,  p.  200  et 
et  seq. 


^0      DISSERT.  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

Quin  etiam  inter  eirores  recensentur  hae  propositiones  :  «  quôd 
potestas  cla\'ium  valeat  ad  remissionem  peccatorum,  non  coràm 
Deo,  sed  coràm  Ecclesià^  et  quôd  potestate  clavium  non  rcmit- 
tantur  peccata  coràm  Deo  *.  » 

ARTICULUS  X. 

De  tribus  pœnitcntiœ  actibus,  impriniis  de  contritione  et  confessione. 

Neque  refug-iunt  in  eodem  Pœnitcntia'  sacramento  très  pœni- 
tentiœ  actus,  qui  sunt,  coûtritio^  confessio^  satisfactio. 

Et  contritionem  quidem  Confessio  Augiistana  inter  partes  pœ- 
nitentiœ  reponit  ^  Sanè  contritionem  vocat  terrores  conscientiœ 
incussos  agnito  pcccaio ,  quem  actum  admittimus  cum  concilio 
Tridentino  ^  Quod  aulem  eadem  synodus  addit  terroribus  dolo- 
rem  de  peccatis  cum  spe  venise  ac  bono  proposito,  vitaeque  an- 
teacta*  odio  ac  detestatione  \  nemini  est  dubium  quin  actus  illi 
sint  boni  atque  ad  pœnitentiam  necessarii,  dicente  Evangelio  : 
«  Facite  finictum  dignum  pcenitentiae  *.  » 

De  confessione ,  in  Articulis  Smalcaldicis  :  «Nequaquàm  in  Eccle- 
siâ  confessio  et  absolutio  abolenda  est  ® .  »  Quod  autem  enumeratio 
delictorum  in  Confessione  Augiistonâ  rejici  videatur,  id  eo  fit, 
quôd  sit  impossibilis  juxta  Psalmum  :  Delicta  quis  intelligit?  Sed 
liunc  noflum  solvit  Catcchisnms  minor,  in  Concordiœ  libro  inter 
authenticos  libros  editus ,  ulïi  luec  leguntur  :  «  Coràm  Deo  om- 
nium peccatorum  reos  nos  sistere  debemus ,  coràm  ministro  au- 
tem debcmus  tantùm'  ea  peccata  confiteri  qua?  nobis  cognita  sunt 
et  quœ  in  corde  sentimus  ^  »  Subdit  :  «  Deniquè  interroget  con- 
fitentem  :  Nùm  meam  remissionem  credis  esse  Dei  remissionem  ? 
Affirmanti  et  credenti  dicat  :  Fiat  tibi  sicut  credis,  et  ego  ex  man- 
dato  Domininostri  Jesu  Christi  remitto  tibi  tua  peccata  innomine 
Patris,  »  etc. 

1  Apol.,  cap.  De  pœniL,  p.  164. —  -  Conf.  Aug.,  ait.  xii. —  3  gess.  vr,  cap.  vi, 
—  *  Se?s.  XIV,  cap.  m,  etc. —  ^  Mutlh.,  m,  8. —  ^  Art.  Smalc,  viii.  De.  Cunfess., 
p.  33.— '  Ca<.  min.,  in  lib.  Conc,  p.  318,  380. 


DE  PROFESSORIBUS ,  PARS  II,  CAPUT  II,  ART.  XI,  XII.        31 

ARTICULUS   XI. 

De  satisfactione. 

Certum  protestantes  à  satisfactionis  doctrinù  ideô  maxime  ab- 
horrere  visos ,  quia  imus  Christus  pro  nobis  satisfacere  potiiit  ; 
quod  de  plenà  et  exactà  satisfactione  verissimum,  neqiie  unqiiàm 
à  catholicis  ignoratum.  Non  estautem  consectaneum,  ut  si  chris- 
tiani  non  sunt  solvendo  pares ,  ideô  née  se  teneri  putent  ut  pro 
suâ  facultaculà  Christum  imitentur ,  dentque  id  quod  habeant  de 
ejus  largitate,  affligentes  animas  suas  in  luctu,  in  sacco,  in  cinere, 
acpeccata  sua  eleemosynis  redimentes,  offerentes  denique,  more 
Patrum  à  primis  usque  sœculis,  qualescumque  suas  satisfactiones 
in  Cbristi  nomine  valitm^as  ac  per  eum  acceptabiles ,  ut  suprà 
diximus  ^  Quare  nec  satisfactio  rectè  intellecta  displiceat ,  cùm 
dicat  Apologia:  «  Opéra  et  afflictiones  merentiu-,  non  justificatio- 
nem,  sed  alia  prsemia,  corporalia  scilicet  et  spiritualia,  et  gradus 
prœmiorum-,  »  ut  prœmiserat.  Singulatim  vero  de  elecmosynâ , 
quœ  yel  praecipua  inter  illa  satisfactoria  opéra  recensetm'  :  «  Con- 
cedamus  et  hoc ,  inquiunt,  quod  eleemosynœ  mereantur  multa 
bénéficia  Dei ,  mitigent  pœnas  :  quod  mereantur  ut  defendamm* 
in  periculis  peccatorum  et  mortis  '  ;  »  quae  sanè  eô  pertinent ,  ut 
rejectà  satisfactionis,  quam  universa  antiquitas  admisit ,  voce , 
tamen  rem  ipsam  admittant. 

ARTICULTS  XII. 

De  quatuor  reliquis  sacramentis. 

En  igitur  jam  tria  sacramenta  eaque  propriè  dicta,  Baptismus, 
Cœna,  absolutio,  quœ  est  Pœnitentiœ  sacramentum.  Addatur  et 
quartum  :  «  Si  Ordo  de  ministerio  verbi  intelligatur,  haud  gra- 
vatim  vocaverimus  Ordinem  sacramentum  ;  nam  ministerium 
verbi  habet  mandatum  Dei,  ethabet  magnificas  promissiones  *.  » 
Confirmationem  sanè  et  Extremam  Unetionem  fatentur  esse  «  ritus 

1  Slip.,  cap.  I,  art.  m. —  ^  [{esp.  ad  arg.,  p.  137. —  ^îbid.,  p.  117. —  *  ApoL,  De 
num,  et  usu  sacrament.,  p,  201. 


32      DISSERT.  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE, 
acceptes  à  Patribus,  non  tamen  necessarios  ad  salutem,  quia  non 
liabent  mandatum,  aut  claram  promissionem  gratise.  » 

Nemo  tamen  negaverit  sic  ucceptos  à  Patribus,  ut  et  à  Scrip- 
turà  deducerent  :  Confirmationem  quidem  ab  illà  apostolicà  manùs 
impositione,  quà  Spiritiun  sanctuni  traderent,  sacram  verô  Unc- 
tionem  iiifirniormn  quam  Extremam  vocant,  ab  ipsis  Jacobi  ver- 
bis  ^,  qui  hujus  sacramenti  presbytères  assignet  ministros,  ritum, 
inunctionem  cum  oratione  conjunctam  ;  promissionem  autem , 
remissionem  peccatoriim;  quœ  promissio  nonnisi  à  Christi  insti- 
tuto  proficisci  queat,  Jacobo  hujus  institutionis  ac  promissionis 
tantùm  interprète.  Sic  etiam  Apostoli  impositione  manùs  nihil 
aliud  tradebant  credentibus ,  nisi  ipsum  à  Cliristo  promissmn 
Spiritum,  quo  ad  profitendum  Evangelium  virtute  ab  alto  induti 
firmarenlur . 

De  Matrimonio  Apologia  sic  decernit^  :  «  Habet  mandatum  Dei; 
habetpromissiones.»  Quôd  autem  attribuit eas  promissiones  «  quae 
magis  pertineant  ad  vitam  corporalem,  »  absit  ut  neget  alias  po- 
tières, ad  pregignendes  educandosque  Dei  fdios  et  haeredes  futu- 
res ,  ac  sanctificandam  eam  corperum  animorumque  conjunctio- 
nem  qua*,  «  in  Christe  et  Eeclesià  magnum  sacramentum  sit  ^,  » 
à  Deo  quidem  primitùs  institutum ,  sed  à  Christe  Dei  Fihe  resti- 
tutum  ad  priorem  formam.  Un  de  etiam  inter  christiana  sacra- 
menta  cum  Baptismo  recensitum  antiquitas  credidit,  ut  tradit 
Augustinus  *. 

Ergè  enumeratiene  factà ,  septem  tantùm  computamus  sacros 
à  Deo  Christoque  institutos  ritus ,  et  signa  divinis  firmata  promis- 
sionibus.  Neque  preptereà  necesse  est,  hœc  omnia  sacramenta 
ejusdem  necessitatis  esse ,  cùm  nec  Eucharistia  paris  cum  Baptis- 
mo necessitatis  habeatm\  Omnino  enim  suflicit  divina  institutio 
atque  promissio.  Atfjue  hœc  de  sacramentis,  in  quibus  pertrac- 
tandis  maximaS  centreversias  ex  ipsis  lutheranormu  libris  sym- 
bolicis  cempositas  videmus. 

'  Jnc.,\,  li,  15.—  -  A})ol.,  de  Nitm.  et  usu  sncrament.,  p.  202. —  '  Ejh.,  \,  32. 
—  '•  Lib.  1 ,  ('c  Nupt.  ei  concuii.,  cap.  x,  ii.  1 1 . 


DE  PROFESSORIBUS ,  PARS  11,  CAPUT  III,  ART.  I.  33 

CAPUT  TERTIUM. 

Decultu  ac  ritibus. 

ARTICULUS  PRIMUS. 

De  cultu  et  invocatione  Sanctorura. 

In  hoc  articulo  nullam  aliam  conciliationem  magis  quaesiverim 
quàm  aperta'  cahimnia'  depiilsionem.  Ait  enim  Apologia  :  «  Qui- 
dam plané  tribimnt  divinitatem  Sanctis,  \1delicet  qiiôd  tacitas 
cogitationes  mentium  in  nobis  cernant  *;  »  cùm  profectô  nemo 
imqiiàni  talia  somniarit ,  aiit  ab  homine  tacitas  cogitationes  per- 
spici  putaverit,  nisi  Deo  révélante.  Addunt  :  «  Faciunt  ex  Sanctis 
mediatores  redemptionis  :  fmgimt  Christum  duriorem  esse  et 
Sanctos  placabiliores ,  et  magis  confidunt  misericordiâ  Sancto- 
rum,  quàm  misericordiâ  Christi,  et  fugientes  Christum,  quœrunt 
Sanctos.  »  Quae  omnia  evanescunt  lecto  decreto  Tridentino,  que 
constat  ipsos  Sanctos  supplicare,  et  omnia  impetrare  «per  Christum, 
qui  solus  Redemptor  et  Salvator  est  -.  » 

Neque  praHermittendum  hic  est  ipsum  invocationis  genus  quo 
erga  Sanctos  utimur.  Non  enim  invocamus  eos  ut  bonorum  auc- 
tores  ac  datores  :  absit  ;  sed  ut  amicos  Dei  ac  propinquos  nostros 
invitamus,  ut  nobis  apud  communem  Parentem  per  communem 
Mediatorem  prœbeant  fraterna?  ac  pia»  deprecationis  auxilium, 
quod  bonum  et  utile  synodus  Tridentina  prsedicat,  neque  quid- 
quam  ampliùs.  Talis  igitur  nostra  est  beatos  spiritus  invocandi 
ratio,  quae  à  perfectà  absolutâque  invocatione,  soli  Deo  proprià, 
in  infmitum  distat. 

Quod  ergô  assidue  improperant  de  applicatione  meritonmi, 
quasi  doceamus  alterius  quàm  Christi  mérita  applicari  fidelibus 
ut  sancti  justique  fiant,  pace  eorum  dixerim,  falsum  est.  Aliud 
est  enim  celebrare  mérita  Sanctorum,  quœ  Dei  doua  sint,  alind 
profiteri  per  ea  nos  fieri  Deo  gratos.  Quisque  enim  sibi,  non  aliis 
sanctus  est.  Id  tantùm  volumus  ut,  quo  magis  Deo  placent,  bo- 
norumque  operum  abundant  fructibus,  eo  promptiùs  ac  faciliùs 

'  ApoL,  art.  xxr,  de  Invoc.  SS.,  p.  22i,  22o.—  ^  Soss.  x.\v,  de  Invocaf.,  etc. 

TOM.  xvni.  3 


34      niSSERT.  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

memorem  ac  propitiabilem  Demii  ad  iiiisericordiam  inflectant, 
({uod  iienio  pins  negaverit.  Atqiie  lia?c  de  caluinuiis  detegendis. 

J)o  ipsà  autein  re  non  deest  Apologiœ  testinionium^  cujus  ho-'c 
verba  sunt  :  «  Citant  sanctum  Hieronymum  contra  Vigilantium. 
In  hâc  arenâ,  inquiunt,  ante  mille  et  centum  annos  vicit  Hiero- 
nymus  Yigilantiuni.  Sic  triunipliani  adversarii,  quasi  jani  sit  di'- 
bellatura;  nec  vident  isti  asini  apud  llicronjniuni  contra  Mqï- 
lantium  iiullam  extare  syllabam  de  invocatione  :  loquitnr  de  \\o- 
noribns  Sanclftruni,  non  de  invocatione  \  » 

Plane  mcluunt,  nec  iuunoritô;,  ne  Vigilanlio  adversùs  sanctum 
Hieronymum,  totamque  adeô  Ecclesiam,  cujus  ille  causam  age- 
bat,  favere  videantur.  Sed  (juando  quidem  dissimnlantcr  agunt, 
ac  verba  Hieronymi  tacent,  juvat  considerare  paululùni  quinam 
à  viro  maximo  Sanctorum  lionores  commendentur  ^  Ili  nempé, 
eorum  sepulcra,  cineres,  ossa  esse  veneranda,  in  digniorem  locum 
magno  concursu  deri  ac  plebis^inqicratorinn  cl  princi[)uni  snnmio 
cum  honore  translerri,  inl'erri  etiani  C.hristi  alUirilms,  ad  coruni 
prœsentianj  maximas  quotidiè  virtutes  fieri ,  imninndos  tonjucri 
spiritus,  hœc  à  lioniano  pontifice  et  ab  onniibus  episcopis  fre- 
(fuentari,  solos  hicrelicos  et  impios,  Julianum  Apostatam  et  Eu- 
nomium  atque  alios  repugnare  :  hanc  esse  Vigilantii  luercsim , 
(jui  etiam  audeat,  inquit,  «  nos  cinerarios  et  idololatras  appellare, 
qui  nioilunruiii  lioiniiium  ossa  V('ncrennn\,  at(pio  bas  Ecclesiis 
Chrisli  strucre  calunniias.  »  l^luarlo  igilur  sa'culo,  nec  ea^  quibus 
nune  quoque  nos  impelunt  calumnia»  defuerunt,  clarèque  signi- 
ficat  Ilieronynnis,  haîc  omnia  eo  animo  fieri ,  ut  Sanctorum  prc- 
cibus  adjuvenmr,  quos  et  rébus  nostris  intéresse  firmat,  nec 
abesse  onniino,  si  precutor  accesserit.  Ac  si  unus  Hieronymi  locus 
non  sufficit,  habeant  et  hune  :  solitos  fidèles  «  in  sepulcro  Sanc- 
torum pcrvigiles  noctcs  ducere ,  et  quasi  cum  pra'senlil)us  ad 
adjuvandas  oraliones  suas  scrmocinari  ^;  »  «piod  (piidem  nihil  est 
aliud,  quàm  ad  ipsos  Sanctos  nostro  more  rituque  dirigere  preces 
sociaî  charitatis  virtute,  unà  cum  Sanctonnn  supplicationil)us,  ad 
Dominum  perventuras.  lla^c  igitur  cùm  Apohxjia  pra'terniiserit, 

1  Apol.,  aii.  XXI,  De  Invoait.  SS.,  \\.  22:).— "- ///n-.,  Kp.  xxxvil,  al.  Lv,  adv. 
Viijil.—  3  Id.  in  VM  llilar.,  in  fine. 


DD  PROFESSORIBUS ,  PARS  11,  CAPUT  Il( ,  ART.  H.  35 

de  invocationis  voce  litigat.  Benè  tamen  omninô,  quôd  puduerit 
Hieronymo  aiiteponere  Vigilantium,  et  à  priscae  Ecclesiœ  sancto- 
ruinque  Patrum  doctriiià  discedere ,  fpiod  etiam  uljique  profiteri 
Apologiam  sequentia  confirmabmit. 

Neque  ulla  jam  dubitatio  superesse  possit,  posteà  quàm  adver- 
sariorum  quoque  scriptis  eam  in  rem  editis^  ,  constitit  Gregorium 
Naziaiizenum^  Basiliuni,  Ainbrosium,  Augustinum,  aliosque  ejus 
aevi  Patres^  in  eam  invocationem  quam  diximus,  et  in  ipsam  adeo 
vocem,  atque  in  alia  omnia  consensisse  ;  quorum  doctrinam  refu- 
gere  docti  bonique  lutheraui  non  soient.  Portasse  etiam  nobis  ex 
eàdem  Apologià  clarior  et  plenior  conciliatio  affulgebit  in  arti- 
culis  posterioribus  tertio  et  quarto,  ad  quos  properamus. 

ARTICILUS    II. 

De    cultu   imaginum. 

Multis  rationibus  Lutherus,  lutheranique  contra  calvinistas 
evicerunt,  prœceptum  illud  Decalogi  :  Non  faciès  tibi  sculptile,  etc., 
adversùs  eos  conditum,  qui  ex  idolis  deos  faciunt  ;  undè  multi  eo- 
rum  ipsiusque  Lutheri  libri  extant  adversùs  imaginum  confrac- 
tores,  deque  imaginibus  etiam  in  templo  retinendis,  inemoriaB 
causa,  quae  jam  pars  honoris.  Et  quidem  omnis  cultùs  ratio  inde 
proficiscitm^  quod  imagines  tanquàm  visibile  et  [in  oculos  incur- 
rens  instrumentmn  adbibeutm',  quo  Christi  ac  coelestium  rerum 
memoriam,  deindè  per  meinoriam  pios  affectus  excitent,  qui  se- 
mel  in  animo  concepti,  per  exteriores  actus  innoxiè  [se  prodant. 
Placet  ad  prohibendos  excessus  doctrina  Tridentina,  quôd  «  ima- 
ginibus nulla  credatur  inesse  divinitas  aut  virtus  propter  quam 
sint  colendae  ^  »  Addatur  et  illud  ex  septimâ  synodo  :  «  Imaginis 
îioiior  ad  primitivum  transit,  »  et  illud  ex  beato^Leontio  in  eâdem 
synodo  :  «  In  quâcumque  salutatione  vel  adoratione  intentio  ex- 
quirenda.  Cùm  ergô  videris  christianos  adorare  crucem,  scito 
qnôd  crucifixo  Christo  adorationem  offerant  et  non  ligno.  Deletâ 
enim  figura  separatisque  lignis,  projiciunt  et  incendunt.  Itaque 
ad  imaginem  cjnidem  corpore  inclinamur,  in  archetypo  autem 

1  Yid.  cap.  IV,  ait.  11.— 2  Sess.  xxv,  De  invocat.,  etc. 


36      DISSERT.  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEM-^GNE. 

mente  et  intentione  defixi,  figuras  honoramus,  salutamus,  atqne 
honorifîcè  adoramus,  utpotè  per  picturam  suam  ad  ipsum  princi- 
pale, ejusque  recordationem  attrahere  nos  valentes  '.  »  Quœ  et 
elucidationis  gratià  protulimus,  ac  ne  septima  s\-nodus  in  Oriente 
juxta  atque  Occidente  suscepta,  ex  pravo  adorationis  et  cultùs  in- 
tellectu  infametur. 

Haec  si  cogitarent .  facile  delerent  istud  ex  Apologià  -  :  «  Ima- 
gines colebantur.  et  putabatur  eis  inesse  quaedam  aïs,  sicut  magi 
inesse  fingimt  imaginibus  signorum  cœlestium  certo  tempore 
sculptis.  »  Sic  Melanchthon  nostro,  imô  magis  suo  et  sociorum 
damno,  eloquentem  se  praebet. 

ARTICULUS    III. 

De  oratione  atque  oblatione  pro  mortuis ,  et  purgatorio, 

Audiatur  Apologià  Confessionis  AugnstanxE  '  ;  «  Quod  allegant 
Patres  de  oblatione  pro  mortuis,  scimus  eos  loqui  de  oratione  pro 
mortuis  quam  non  prohibemus:  »  et  infrà  Epiphanius  citatur 
memorans  «  Aerium  sensisse  quôd  orationes  pro  mortuis  simt 
inutile*  ;  neque  nos  Aerio  patrocinamur.  »  Ergô  precationes  eas 
fateantm-  necesse  est  utUes  esse  iis  pro  quibus  fiunt  ;  quam  utili- 
tatem  si  negaverint  ac  rejecerint,  profectô  contra  professionem 
suam  tani  claram  Aerio  patrocinabuntur.  Id  enim  est  quod  Epi- 
phanius in  Aerio  reprehendit.  Sin  autem  orationem  quidem  pro- 
bemus  pro  mortuis,  oblationem  verô  improbemus,  pars  esset  er- 
rons Aerii,  quem  Apologià  cum  Epiphanio  et  antiquis  rejicit. 
Damnât  enim  Epiphanius  Aeriimi  dicentem  :  «  Quap  ratio  est  post 
obitum  mortuorum  nomina  appellare  ^?  »  ulii  perspicuum  est  al- 
legari  ritum,  teste  Augustino.  in  iiniversà  Ecclesià  frequentatum 
a  ut  pro  mortuis,  in  sacriflcio  cùm  suo  loco  commemorantur, 
oretur,  ac  pro  ipsis  quoque  id  offerri  commemoretur  *.  »  Undè 
idem  Augustinus  Aerii  haeresim  ex  Epiphanio  sic  refert  ^  «  Orare 
vel  offerre  pro  mortuis  non  oportere.  »  Nota  sunt  Epiphanii  verba  : 

»  Conc.  Nie.  II,  act.  iv.  LaLb.,  tom.  Vil.  col.  235,  etc.,  ôôô.—  ^  Apol.  p,  129. 
—  »  Apol.,  De  locat.  Mus.,  p.  214,  275.  —  *  Kpiph  ,  Haer.  75.—  s  Aug.,  Serui. 
CLini,  al.  ixxii.  De  verb.  Aj'ost.,  n.  2.—  *  Id.  haer.  53. 


DE  PROFESSORIBUS ,  PARS  11 ,  CAPUT  III ,  ART.  lY.  37 

«Caeterùm,  mquit.  quee  pro  mortuis  concipiuntur  preœs  ipsis 
utiles  siint.  »  Ne  inane  suffragium  ^i\isqiie  non  mortuis  profutu- 
nim  suspicemur,  firmat  Augnstinus,  eodem  sermone,  dicens  : 
a  Orationibus  verô  Ecclesiae  et  sacriflcio  salutari  non  est  ambi- 
genduni  mortuos  adjuvari  ;  »  ac  posteà  :  «  Non  est  dubitandum 
prodesse  defimctis,  pro  qnibus  orationes  ad  Demn  non  inaniter 
allegantur.  »  Favent  Liturgise  Graeconmi  in  Apologià  laudatœ, 
ubi  baec  leguntur,  fidelium  defimctorum  nominibus  appellatis  : 
«  Pro  sainte  et  remissione  peccatomm  servi  Bei  talis;  pro  requie 
et  remissione  servi  tui  talis.  »  Favet  CjTillus  antiquissimns  Li- 
tm'giae  interpres  ^,  dùm  pro  Patritius  quidem.  «  prophetis.  apo- 
stolis,  mart}Tibus ,  hoc  est ,  pro  eorum  memorià  offerri  testatur, 
ut  eorum,  inquit,  precibus  Deus  preces  nostras  audiat.  »  Caeterùni 
et  id  addit,  esse  alios  «  pro  quibus  oretur,  eo  quod  certô  credatur 
eorum  animas  plerumquè  sublevari,  factis  precationibus  in  sacri- 
flcio quod  est  super  altari,  oblatoque  Christo  ad  eis  nobisque  im- 
petrandam  misericordiam.  »  Favent  in  Pati'ibus  ejusmodi  loci 
innumerabiles  omnibus  noti.  Hic  autem  Liturgias  commemorari 
oportebat,  eo  quôd  in  Apologià  laudaii'entur,  cùm  certmu  sit  in 
lis,  quotquot  sunt,  duplicem  institui  mortuorum  memoriam;  alio- 
rum,  quorom  adjuvai'i  precibus,  aliorum,  quibus  misericordiam 
impertiri  supplicetui^^  ejusque  rei  gratià  offeratur  sacrilicium.  His 
autem  constitutis ,  vacabit  omnis  de  purgatorio  controversia  ;  de 
quo  quippe  Tridentina  s^nodus  nibil  aliud  edixerit  -,  quàm  «  et 
illud  esse,  animasque  ilii  detentas,  fidelium  siiffragiis,  potissimùm 
vero  acceptabili  altaiis  sacriflcio  juvari.  » 

ARTICULrS   IV. 

De  Yotis  monasticis. 

De  bis  transacta  res  est ,  cùm  monacbatùs  summam ,  dempto 
castitatis  voto,  ex  litteratis  lutheranis  plerique  approbent  et  exer- 
ceant.  De  castitate  autem  ex  Apologià  nulla  difficultas.  cùm  in 
eà  semel  et  iterùm  laudentur,  sanctisque  viiis  accenseantur,  An- 

*  Caiech.  ilyst.,  v. —  -  Ses?,  xxv.  De  Purg. 


38  DISSERT.  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE, 
tonius,  Bernardus,  Dominicus,  Franciscus ',  qui  profectô  et  cas- 
titatem  vovenint  ipsi,  et  suis  ut  voverent  auctores  extiterunt.  De 
Bernardo,  Dominico  et  Francisco  constat  :  Antonii  autem  et  sub- 
secuto  tempore^  id  quod  nos  votwn  vocamus,  illi  propositum  ple- 
runiquè  appellahant,  à  quo  resilii'e,  pedenique  rétro  referre  pia- 
culum  esset,  pari  omnium  sententià,  ut  res  ipsa  docuit, 

Ca^terùra,  cùm  sit  liberimi  amplecti  monacliatum,  non  est  cur 
(fuisquam  ejus  rei  gratià  unitatem  abrumpat.  Ad  eam  autem  rem 
probationem  requuù  magnam ,  et  fortassè  majorem  quàm  adhi- 
beri  soleat,  ultrù  confitemur.  lUud  etiam  observari  placet  :  si  ex 
Apolorjiœ  decretis  Bernardus,  Dominicus,  Franciscus  pro  Sanctis 
viris  iiabeantm*,  qui  et  scriptis  editis  Deiparani  Virginem  ac  Sanc- 
tos  quotidiè  invocabant,  et  Missam  aliaque  nostra  omnia,  ut  no- 
tum  est  omnibus,  fréquentai lant,  uihil  jani  causa'  superesse,  quo- 
minùs  nos  quoque  eàdem  fidc  cultuque,  ad  sanctitatis  pra'mia 
vocari  intelliganuu-. 

CAPUT    QUARTUM. 

De  fulei  firmandœ  mediis. 

ARTICrUS   PRIMUS. 

De   Scripturà  et   Traditionc. 

Scripturae  canonem  Tridentina  sj-nodus  admisit  ilhmi,  qui 
jam  ab  Innocentio  1%  à  concUio  Carthaginensi  III,  à  sancto  Ge- 
lasio  papa  ante  sa^cula  tredecim  admissus  est  :  quà  de  re  nihil 
Confcssio  Aufjustana ,  niliil  Apologia ,  aliique  symbobci  libri  su- 
pra appellati,  questi  sunt.  Rem  ut  notam  mio  verbo  transigimus. 
Id  tantùm  annotamus  à  concilio  Cartbaginensi  III  diligenter  ob- 
servatum,  canone  xlvu,  non  à  s(^  bos  libros  in  canonem  intro- 
ductos,  sed  désignâtes  eos  qui  jam  à  Patribus  Canonicœ  Scrip- 
turœ  titulo  legerentur. 

Vulgata  versio,  sancti  Ilicronymi  nomine  coumiendata,  et  tôt 
sa'culorum  usu  consecrata,  ex  concilii  Tridentini  verbis  ita  «  pro 

^  ApoL,  Rcxp.  ad  objet,,  et  de  vnf.  mon.,  p.  HO,  281.  —  -  Fp.  ii'.  nd  V.rup., 
cap   VII. 


DE  PROFESSORIBUS ,  PARS  11 ,  CAPUT  ÎV,  ART.  II.  30 

authenticà  habetiu*,  cœterisqiie  latiiiis  qnae  circumferuntiir  edi- 
tionil)US  preefertur  ',  »  ut  iiec  textui  originali ,  nec  antiquis  ver- 
sionibus,  iii  Ecclesià  sive  orientait  sive  occidentali  receptis  et  iisi- 
tatis,  sua  detrahatur  veritas  et  auctoritas,  sed  usus  regatur  apud 
nos,  certumtp.ie  omnino  sit ,  eà  versione  ad  fidei  morumque  doo- 
trinam  asserendam,  sacri  textùs  à  Deo  inspirât!  reprœsentari 
substantiam  ac  vini,  c[uod  suffieit. 

Neqiie  litigaudum  videtiu'  de  Traditionibus ,  cùm  vii'os  doctis- 
simos  juxta  atqiie  candidissimos  testes  habeamus  eam  protestan- 
tium  moderatiorum  esse  sententiam,  non  solùm  ipsam  sacram 
Scripturam  nos  traditioni  debere  ,  sed  etiam  genuinum  et  ortho- 
doxuin  Scriptiu'œ  sensum,  et  multa  alia,  quee  ex  sequeutibus  fir- 
mabuntur. 

ARTICULUS    n. 

De  Ecclcsicc  infailibilitate. 

Ecclesiam  esse  infallibilem,  certa  doctrina  est  Confession/s  Aii- 
gustanœ  et  Apologiœ ,  cùm  assidue  provocent  ad  veterem  Eccle- 
siam; imô  etiam,  sua  doctrina  exposità,  diserte  dicant  :  «  Haec 
summa  sit  doctrinae  quee  in  ecclesiis  nostris  traditm*  ;  et  consen- 
taneam  esse  judicamus  propheticse  et  apostolicœ  Scripturce  et  ca- 
tholicœ  Ecclesià?,  postremô  etiam  Ecclesià'  Romanse,  quatenùs  ex 
probatis  auctoriljus  nota  sit.  Non  enim  aspernamur  consensum 
catholicee  Ecclesià?  ^  »  Memorandumque  illud  imprimis  :  «  Non 
enim  adducti  pravà  cupiditate ,  sed  coacti  auctoritate  verln  Dei  et 
veteris  Ecclesiee,  amplexi  sumus  hanc  doctrinam*.  »  Sic  Confes- 
sio  Augustana  luculentissimè  in  primis  editionibus.  In  libro  verô 
Concordiœ  nomiulla  detracta  sunt  ;  illud  scilicet  '*  :  «  Ouod  coacti 
sint  auctoritate  verbi  Dei  et  veteris  Ecclesià?  ;  »  rpiasi  vererentur 
de  Ecclesià  magnificentiùs  dicere  cjriàm  par  esset.  Sanè  apud 
Apologiam ,  in  responsione  ad  argumenta  "" ,  volunt  doctrinam 
suam  «  sanctis  Patribus  et  miiversée  Ecclesiam  Clu'isti  esse  consen- 
taneam,  ita  ut  nec  ab  Ecclesià  Romanà  »  discessum  fuerit.  {)\ViX\, 
si  vero  animo  nec  inaniter  proferuntur,  profectô  documento  smit, 

'  Seri.-^.  IV,  lucr.  de  clit  .  ftc—  '-  Conf-sa.  Aiirjmf.,  cor.d.  — *  Ibid.,  ait.  xxil. 
—  "*  LU).  CoHconl.,  p.  20.  —  '"  ApO'.,  p.  !  H. 


40      DISSERT.  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

haiic  de  Ecclesise  certà  auctoritate  doctrinam,  ex  intimo  Confes- 
sioîiis  Augustanœ  atque  Apologiœ  sensu  esse  depromptam  ;  quo 
pertiiieat  illiid  ex  eàdem  Apologiâ  :  «  Inter  iiifinita  pericula  man- 
sui'am  esse  Ecclesiam  ;  iminità  licèt  multitudine  impiorum  oppres- 
sam ,  atque  omninô  existere  Ecclesiam ,  eamtpie  catholicam ,  non 
civitatem  platonicam,  sed  verè  credentes  et  justos  sparsos  per 
totum  orbem,  cujus  notas  esse  Evangelii  doctrinam  et  sacra- 
menta';  »  ut  proindè  necesse  sit,  queinadmodùni  justi  toto  orbe 
sparsi  sunt,  pastores  itidem  Evangelium  praedicantes  et  sacra- 
menta  pra4)entes  toto  orbe  esse  difTusos ,  neque  unquàm  desitu- 
ros.  «  lla^c ,  inquiimt ,  Ecclesia  est  colunnia  veritatis  ;  »  nunquàm 
scilicet  rectse  pra'dicationis  et  sacramentoruni  adininistrationis 
officio  destituta,  ut  et  suprà  diximus^  Qua?  quidem  summa  est 
verse  doctrinœ,  paucis  desideratis,  quœ  facile  suppleantur. 

ARTICILUS   m. 

De  Coiiciliorum  gencraliura  auctoritate  speciatini,  qua^  sit  protestantiura 

sententia. 

Posteà  quàm  de  Ecclesiœ  catholicse,  si  bonà  fide  agamus,  certà 
auctoritate  constitit,  ad  aucloritateni  conoilioruni  gciieralium, 
quée  Ecclesiam  catholicam  repriesentent,  tacilis  est  transitus  ;  imo 
transacta  res  est  ex  solâ  praifatione  Confessionis  Augustanœ  ad 
Carolum  V,  ubi  hœc  agmit  *  :  primùra,  ut  de  congregando  «  pri- 
mo quoque  tempore  tali  generali  concilio  »  imperator  cum  Ro- 
mano  pontifice  tractet  :  tùm,  ut  in  eo  concilio  spondeant  «  se  com- 
paritui'os  et  causam  dicturos:  »  deniquè,  ut  etiam  commémo- 
rent, «  ad  bujus  generalis  coiicilii  conventum,  in  liàc  gravissimà 
causa,  debito  modo  et  forma  juris  à  se  provocatuni  et  appellatmn 
fuisse;  cui  appellationi,  incpiiunt,  adhuc  adhseremus  '\  » 

Sanè  ibidem  addunt  à  se  quoque  appellatum  ad  Cœsaream 
Majestatem  ;  non  quod  imperator  de  causa  fidei  judicaturus  es- 
set,  quod  erat  inauditum  ;  imo  verô  ipse  Cœsar  palam  declarave- 
rat,  ut  in  eàdem  praefatione  fertur,  «  se  in  hoc  religionis  nego- 

*  Ajiol.,  cap.  De  EccL,  p.  145,  l 'iG,  147,  148.—  -  Sup.,  cap.  Ii,  art  8. — '  Praîf. 
Conf.  Aug.,  in  lib.  Conc,  p.  8,  i). 


DE  PROFESSORIBUS ,  PARS  II ,  CAPUT  IV,  ART.  IV.  41 

tio  non  velle  quidquam  determinare  nec  concludere  posse,  sed 
apud  pontificem  Romanum  diligenter  daturum  operam  de  con- 
gregando  concilio^»  qua?.  ejus  partes  erant,  non  profeeto  ut  ju- 
diciuin  sibi  vindicaret. 

Ergô  in  religionis  causa  ad  solum  générale  concilium  «  debito 
modo  et  forma  juris  provocabant;  »  quoetiam  continebatur  illud, 
ut  et  comparèrent ,  et  causam  dicerent ,  et  judicio  starent ,  cùm 
nec  aliud  agnoscerent  superius  in  terris  judicimn  cui  se  siste- 
rent. 

Quod  autem  îiberum  et  christianum  concilium  postularent, 
jure  et  ordine  factum  ;  neque  liîc  quœritm-  quid  posteà  gestum, 
sed  quid  ipsi  professi  sint  ;  quippe  cùm  solemnis  illa  professio ,  si 
res  bonà  lide,  non  ca\illatoriè  agebatur,  per  sese  valeat  ad  con- 
stituendam  in  ipso  concilio  auctoritatem  eam,  quam  detrectare 
sit  nefas  ;  adeô  hœrebat  animis  ea  religio,  cujus  etiam  in  ipsis 
Confessionis  suse  initiis  immortale  monumentum  extare  et  gestis 
inhserere  voluerunt. 

ARTICULUS   IV. 

De  eàtlera  auctoritate  quid  catholici  sentiant ,  et  quid  protestantes  objiciant. 

Protestantes  catholicis  vitio  soient  vertere,  quod  cùm  Ecclesiaî 
infaUibUitatem  agnoscant,  de  ejus  infallibilitatis  subjecto  nihil 
certi  habeant ,  cùm  pars  in  papa  etiam  solo ,  pars  in  conciliis 
œcumenicis,  pars  in  Ecclesià  toto  orbe  diffusa  infallibilitalem  col- 
locent.  Horum  ergô  gratiâ  nobis  fœdum  incerti  animi  vitium 
atque  apertam  repugnantiam  objicimit.  Neque  animadvertere 
volunt,  eas  sententias,  quas  répugnantes  putant,  communi  om- 
nibus dogmate  ac  veritate  niti.  Qui  enim  papam  vel  solum  pu- 
tant  esse  infallibilem  quantô  magis  cùm  synodum  consentien- 
tem  habeat  ?  Qui  verô  synodum,  quanto  magis  Ecclesiam  riuani 
ipsa  synodus  reprsesentet?  Aperta  ergô  calumnia  est,  quod  nos 
catholici  de  infallibilitatis  subjecto  nihil  certi  habeamus,  cùm  pro 
indubitato  apud  nos  habeatur,  et  Ecclesiam  catholicam  et  conci- 
lium eam  roprœ'sentans  infallibiUtate  gaudere  :  concilium  autem 
œcumenicum  legitinmm  illud  esse  cui  tota  Ecclesià  et  pro  œcu- 


42      DISSERT.  SUR  LA  RÉUMON  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

menico  se  gerenti  communicet,  et  rébus  dijudicatis  adhaerescen- 
dum  sentiat  ;  ut  concilii  auctoritas  ipsa  Ecclesiae  universae  aucto- 
ritate  et  consensione  constet;  imo  vero  ipsissima  sit  catholicœ 
Ecclesiae  auctoritas. 

Taie  ergô  conciliuni  pro  infallibili  habemus ,  exemple  majo- 
rum;  quâ  de  re  facile  possem  ex  antiquis  œcumenicis  synodis 
tanquàm  ex  decretis  commuiiibus  perscribere  auctoritates  ;  sed 
apud  viros  bouos  ac  pacificos^  quales  in  hoc  negotio  postulamus, 
satis  certuni  fore  putamus^,  ab  omni  antiquitatis  memorià  eam 
fuisse  serapor  synodorum  generalium  rcverentiam,  ut  qn*  judi- 
cassent,  de  iis  rursùs  quœrere  piaculi  instar  liaberetur,  atque  om- 
nes  catholici  prolatam  sententiam  pro  divine  testimonio  suscipe- 
rent.  ïïoruin  igitur  exemple  et  ipsa  Confessio  Augiistana  ad  œcu- 
menicam  synodum  appellabat,  et  altéra  pars  protcstantiura  quœ 
ArfjentinensemConfc!<sioncni  simul  edidit  et  obtulit,  in  suà  pe- 
reratione  idem  professa  est  '.  Consentiebant  catholici  ;  ut  profecto 
post  tantnm  tamque  firnnnn  totius  christianitatis  consensum, 
non  jam  de  ipsius  concilii  irretractabili  auctoritate,  sed  de  ejus 
constituendi  optimà  et  légitima  ratione  queeratur. 

ARTICIJLUS   V. 

De  Romauo  Pontificc. 

Futuram  synodum  ad  quam  provocabat  utraque  'pars  protes- 
tantium  à  Pontificc  Uoraano  convocandam  facile  asscntiebantur. 
Atque  ipse  Lutherus,  aune  1537,  edidit  Articulas  Smalcaldicos 
exhibendos  cenciUo  per  Paulum  III  «  Mantuae  indicto,  et  cpio- 
cumque  loco  et  tempère  congregande,  cùm,  inquit,  nobis  rruoque 
sperandum  esset  ut  ad  concilium  etiam  vocaremm",  vel  metuen- 
dum  ne  non  vocati  damnaremm"  ^  »  Ergo  et  banc  synodum 
agnoscebat  Lutherus,  in  quà  causam  diceret,  licet  à  papa  convo- 
candam, et  sub  eo  profecto  congregandam  ;  et  quanquam  in  ee- 
dem  cenventu  se  papœ  infensissimum  praebuit,  profitetur  tamen 
se  non  ausurum  abesse  ab  eâ  synode  quam  papa  congregarct. 

^Coiif.  r/i/'it.riv.  in  p'ruriil .\'n\  SynI.  Canf.,  paît,  l,  p.  199. —  "^  Pr.'S'f  ad  Arf. 
ismakatd.,  in  lib.  Conc.  p.  298. 


DE  PROFESSORIBUS,  PARS  lï,  CAPUT  iV,  AÎ\T.  Y.  't3 

Sanè  Philippus  Melanchthon,  mius  lutheranoriim  doctissimus 
ac  moderatissimiis.  Romani  pontificis  primatum  in  Articulis  quo- 
que  Smalcaldicis  suà  subscriptione  agnoscendum  duxit  his  ver- 
bis  :  «  Ego  Philippus  Melanchthon,  de  pontifice  statiio^  si  Evan- 
gelium  admitteret,  posse  superioritatem  in  episcopos ,  qiiam 
alioquin  ballet  jure  humano,  etiam  à  nobis  permitti  \  »  Ergo  su- 
perioritatem papa?,  salvâ  quidem  doctrinà,  facile  profitetm*  ex 
se  esse  legitimam,  jure  saltem  liumano ,  adeôque  retinendam. 

Extant  ejusdem  v-ri  in  eam  rem  passim  egregia  monumenta, 
prœsertim  in  responsione  ad  Joannem  Bellceum,  quà  et  Monar- 
chiam  papœ  utilissimam  deceinebat  ad  doctrinœ  consensionem, 
ejusque  superioritatem  inter  articulos  facile  conciliabiles  repone- 
bat  ;  cpii  si  perpendisset  antiquorum  conciliorum  acta,  quce  in- 
tégra habemus  ab  Ephesinà  prima  ad  septimam  usque  synodum, 
profecto  fateretur  Romana?  superioritati  nec  divinam  auctoritatem 
defuisse  ;  neque  quidquam  postulamus  à  Confessionis  Augustanœ 
defensoribus ,  quàm  ut  aninmm  adhibeant  sententiis  adversùs 
Nestorium  et  Dioscorum  Ephesi  et  Chalcedone  latis  ^  Ibi  enim 
perspicient  tantarimi  synodorum  auctoritatibus  superioritatem 
papge  in  Petro  institutam,  à  Petro  propagatam,  et  in  Sede  apos- 
tolicà  eminentem  tantâ  evidentià ,  ut  niliil  ampliùs  desiderare 
possimus.  Quo  semel  constituto,  niliil  obstat  quin  christiani  om- 
nes  «  Romano  pontifici  Pétri  successori  et  Christi  vicario  veram 
obedientiam  spondeant,  »  ut  est  in  Confessione  Pii  IV  positum. 
Profecto  enim  valebit  ilhid  Pauli  :  «  Obedite  prœpositis  vestris  ^  » 
(Juôd  si  omnibus,  quanto  magis  illi  quem  praepositis  quoque  prse- 
positum  ab  omni  antiquitate ,  ac  priniis  etiam  generalibus  con- 
ciliis  agnitum  esse  constiterit? 

Neque  hic  disputamus ,  aut  locos  omnes  referimus  ;  sed  ex 
commimibus  decretis  pauca  quœdam  et  brevia  annotamus  quœ 
ad  certam  et  expeditam  pacem  facile  sufficiant.  Articulos  verô 
tôt  labentibus  saiculis  in  schohs  catholicis  imioxiè  disputatos  nec 
memorandos  hic  putamus,  cùm  eos  non  pertinere  ad  fidei  et  com- 
munionis  ecclesiasticse  rationem,  ut  jam  caeteros  omittamus,  car- 

'  Iii  subscript.  Art.  Smnlctiil.,  in  lib.  Conr.  p.  3;i8.—  '-  Epha  conc.  act.  i  ;  Clut/- 
ced.  Conr.  act.  m  et  iv.  —  ■'  liebr.,  xi:i,  \1. 


44      DISSERT.  SUR  LA  RÉUiMON  DES  PROTEST  D'ALLEMAGNE. 

dinalis  Perronius  \  et  ipse  Duvallius  Romanse  auctoritatis  defensor 
acerrimus  ^  ;  ac  ne  Gallos  tantùm  commemoremus ,  imprimis 
Adrianus  Florentins  Doctor  Lovaniensis,  mox  Adrianus  VI  ^,  ac 
fratres  \\'aleniburgici  *,  clarissima  inter  Gernianos  atque  iuter 
episcopos  nomina,  demonstrariiit. 

Nos  quo(jne  omninm  infimos  doctrinam  catliolicam  in  rebiLS 
controversis  exponentes,  ac  ttmtorum  virorum  vestigiis  inliaî- 
rentes ,  Innocentius  XI ,  nostramque  Expositionem ,  binis  datis 
Brevibus  die  iv  Januarii  mdlxxvui,  et  xn  Julii  mdclxxix,  luculen- 
tissimè  et  cumnlatissimè  comprobavit.  Intellexit  enim  optimus  ac 
verè  sanctissinuis  poutifex,  non  licuisse  nobis  eam  pra^cludere 
viam  desertoribus  nostris  ad  castra  redituris,  quam  tanti  doctores 
onniibns  protestantibns,  ac  magnis  etiani  inter  bos  regibus  pate- 
fecerint.  Xoljis  ergo  necessaria ,  perspicuè  quidem  sed  modeste 
dicentibus ,  Sedis  apostolicae  non  defuit  auctoritas ,  quse  suae  sibi 
couscia  majestatis,  certa  et  apudomnes  confessa,  sibi  ad  regendas 
ecclesias  omninô  sufficere  statuit,  reliqnis  suo  loco  et  ordine 
relictis.  At(pie  iiœc  dicta  suiito  adversùs  Ab'lancbtbonem  aliosque 
protestantes,  qui  invidiosissimè  de  pontificià  potestate,  falsa  veris, 
(bil)iis  certa  misceant  ^. 

Sunnna  sit,  pontiliciam  polestateni  iiuiciidis  ecclesiis  et  Christi 
fidelibus  natam ,  diligi ,  coli ,  suscipi  oportere  ab  omnibus  qui 
pacem  catliolicam  mititatemque  diligmit. 

1  Du  Perron,  Rép.  au  Roi  de  la  Grande-Bret.;  Ep.  à  Casaub.,  liv.  IV,  édit. 
d'Antoine  Estienue,  p.  858.—  -  Duval.,  Eknch.,  p.  9  et  CS.  Id.  tract.  De  sup.  R.  P. 
potesl.,  part.  IV,  qu.  vu  ,  p.  843,  ib.  qu.  viii  .  p.  845  et  855,  ib.  part.  // ,  qu.  I, 
p.  751.  ibid.  part.  //,  cpi.  Il,  edit.  1614,  p.  233.  Paris,  1G3().  Toui.  poster,  p.  757, 
ibid.  q.  V,  p.  768 ,  ibid.,  part.  IV,  q.  Vi,  p.  839,  840  et  841  ,  ib.  qu.  X,  condus.  -1, 
p.  858,  et  alibi  passim.  —  3  Adrianus  VI,  in  iv.  De  Confirmât.—  *  Waleuiburg,, 
tom.  11,  tract.  111,  De  Ecoles,  part.i///.  Dcimmobili  Cathol.  fidei  fundam.,]).  134. 
n.  6,  8  et  10;  Cont.  hœr.  fid.,  part.  //,  cap.  ii,  p.  146,  n.  H,  12,  22,  23.  De  De- 
fens.  Bcllann.,  tom.  Il,  ad  lib.  11,  cap.  ii,  n.  13.  Ibid.,  Grets.,  col.  1012,  n,  14, 
15,  16,  17,  27,  33.—  '■>  ^;)o/.til.  De  Eccles.,  in  lib.  Cane.,  p.  149. 


DE  PROFESSORIBUS ,  PARS  III ,  CAPUT  I ,  ART.  I.  43 


TERTIA  PARS. 

DE  DISCIPUK.E   REBUS,    AC   TOTA   HAC   TRACTATIOISE    ORDINANDA. 
ARTICULUS   PRIMUS. 

Quid  ergô  agendum  ex  antecedentibus.  Summa  dictorum  de  fide. 

Ciim  prsecedente  fidei  declaratione  constet  prgecipuas  contro- 
versias  ex  concilii  Tridentini  decretis,  Confessionisquc  Akqus- 
tanœ ,  Apologiœ ,  aliisque  lutheranorum  actis  aiithenticis ,  esse 
compositas,  exhis  œstimari  potest  quid  sit  de  aliis  judicandiim. 
Summa  ergô  dictorum  ha?c  erit. 

I. 

Nullum  in  s^yTiodo  Tridentinà  nodum  esse  cujus  non  in  eàdem 
synodo  solutionem  inveniant  :  si  Confessio  ejusque  Apologia 
bonâ  fide  consulantiu* ,  difficillima  quseque  componi,  et  eafunda- 
menta  poni  è  quibus  nostra  dogmata  perspicuè  deducantur.  Nam 
justificationem  Spiritui  intùs  operanti  tribuunt,  neque  à  regene- 
ratione  aut  sanctificatione  distiiiguunt. 

IL 
Ronorum  operum  post  justificationem  mérita  probant. 

III. 

Absolutionem  et  Ordinationem  inter  sacramenta  habent  :  ab  aliis 
sacramentis  recto  intellectu  non  abhorrent. 

'    IV. 

Liturgiam  Gra^cam ,  in  eàque  panis  et  vini  veram  ac  realeni 
in  corpus  et  sanguinem  transmutationem  laudant  :  concomitan- 
tiam  probant  :  substantialia  sacramentorum  distinguunt  ab  accès- 


46     DISSERT.  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

soriis ,  sive  accidentariis  ;  neque  oblationem  ac  sacrificium  res- 
puunt  :  orationes  pro  mortuis  advcrsùs  Aerium  ut  utiles  admittunt, 
({uo  purgatorii  summa  contiuetui-. 

V. 

Fidei  qua'.stiones  ad  concilia  œcumunica  relerunt  ;  ab  Ecclesià 
vetere,  ab  Ecclesià  catholicâ,  ab  Ecclesià  Romanà  dissentire 
nolunt. 

VI. 

Bernardum,  Dominicum,  Franciscum,  Missamindubiè,  et  assen- 
ilentil)ns  qui  busqué  cbristianis,  célébrantes,  nec  modo  voventes 
continentiam,  sed  etiam  suadentes,  atque  omnia  nostra  sectantes, 
Sanctorum  numéro  reponunt. 

VII. 
Si  hodiornarum  rpioquo  patriarclialium  sedium  ratio  habeatur, 
secunda  Nica'ua  synodus  recipietur,  onines  ferè  conlroversias 
ipsa  Liturgia  decidet,  Romana  Litm'gia  cum  orientalibus  Litm'giis 
gemina  reslituetur,  onmia  probabuntm*  quae  Latinis  Graecisque 
comnumia  sunt. 

VIII. 

De  papa  fidem  nostram  ex  conciliorum  Ephesini  et  Chalcedo- 
nensis  decretis  utiique  parti  commimiI)us ,  eorumque  perspicuis 
verbis  facile  contexinuis. 

IX. 

Si  (piartum  (îtquintum  quotpie  sœculum  veneremur,  fatentil)us 
[)rotestautibus ,  de  cul  tu  reliquiarum  et  Sanctormn  invocatione 
constabit. 

X. 

.lustificationis  doctrinam  Tridentina^  conformem  daliimus,  ex 
communibus  decretis,  illis  scilicet  qua;  adversùs  pelagiauos  iu 
conciliis  Carthaginensi  ac  Milevitano,  atque  item  Arausicano  II, 
adversùs  pelagiauos  defmita  sunt.  Fidem  nostram  ex  eoruni  ac 
saucti  Augustini  verbis  atque  sententiis  contextam  agnoscent. 


DE  PROFESSORIBUS ,  PARS  111,  CAPUT  I,  ART.  II.  47 

Hùc  accédant  de  Sanctorum  oultu ,  de  imaginil)us ,  aliisque 
pacificae  ac  luciilentœ  interpretatioiies,  atque  aimotationes  ex  locis 
in  Apologiâ  indicatis  ;  jam  si  non  onniia ,  certè  summa  confecta 
sunt. 

ARTICULUS    II. 

De  disciplina}  rcbiis  quœ  à  protestaiitibus  postulari,  quœ  à  Roniano 
pontifice  concedi  possc  videantur. 

Jam  fide  constitutâ,  sequentibus  postiilatis  cum  Sede  apostolicà 
pertractandis  locus  erit,  posito  discrimine  inter  civitates  et  regio- 
nes  in  quibus  nullus  sedet  catholicus  episcopus ,  ac  sola  viget 
Aurjustana  Confessio,  et  aliàs. 

I. 

Ut  in  illis  quidem  superintendentes,  subscriptâ  formula,  suisque 
ad  Ecclesiae  communionem  adductis,  à  catholicis  episcopis,  si 
idonei  reperiantur,  ritu  catholico  in  episcopos  ordinentur,  in  aliis 
pro  presbyteris  consecrentur,  et  catholico  episcopo  subsint. 

II, 

In  eodem  priore  casu,  ubi  scilicet  sola  viget  Confessio  Augustana 
nullique  catliolici  episcopi  sedem  ol^tinent,  si  ipsis  ita  videatur^,  ac 
Romamis  pontifex,  consultis  etiam  Germania?  ordinibus^  appro- 
baverit,  novi  episcopatus  fiant  et  ab  antiquis  sedibus  distraliantiir  ; 
ministri  item  in  presbyteratum  catholico  ritu  ordinentur  et  sul) 
episcopo  curati  fiant  :  iidem  novi  episcopatus  catholico  archiepis- 
copo  tribuantm\ 

ni. 

Novis  episcopis  ac  presbyteris  quàm  optimè  fieri  poteritreditus 
assignentur  :  sedulo  agatiu*  cum  Romano  pontifice  ut  de  bonis 
ecclesiasticis  lis  nulli  moveatur. 

IV. 

Episcopi  Confessionis  Augustanae,  si  qui  sunt,  de  quorum  suc- 
cessione  et  légitima  ordinatione  constiterit,  rectam  fidem  professi 
suo  locomaneant  ;  idem  de  presbyteris  este  judicium. 


48      DISSERT.  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 


Missae  solemnes  ritu  catholico ,  verbi  divini  prsedicatione  post 
lectum  Evangelium  pro  more  interjectâ,  celebrentur,  commen- 
dentiir,  freqiienteritur  •  in  divinis  officiis  vernaciilâ  lingruà  qiiapdam 
concinantiir,  posteà  quàm  examinata  et  approbata  fuerint  :  Scrip- 
tura  in  linguam  vernaculam  versa  emendataque,  ac  detractis 
additionibus,  ([ualis  est  vocis  illius,  sola  fides,  in  ipso  Pauli  textu, 
et  aliis  ejusmodi ,  inter  mamis  plebis  maneat,  publiée  etiam  legi 
possit  destinatis  horis.  ' 

VI. 

Communicaturi  quicumqiie ,  ut  id  faciant  in  solemni  Missà  ac 
fidelimn  cœtu  sedulo  invitentur  :  de  hâc  communione  saepè  cele- 
brandà  in  eamque  praxim  instituenrlà  \\\k  plebs  serio  doceatur  : 
si  desint  communicantes,  haud  minus  Missa3  fiant,  ac  celebrans 
ipse  communicet,  omnibus  presbyteris  eo  ritu  celebrare  liceat, 
pietatis  studio,  non  quœstu;  neque  presbyteri  tolerentur  quibus 
victùs  ratio  in  solà  Missarum  celebratione  sit  posita. 

VII. 

Novi  episcopatus  seu  novae  parochiœ  ne  monachorum  ac  monia- 
lium  cœtus  cogantur  admittere  :  ad  eos  amplectendos  adhortatio- 
nibus ,  castisque  et  castigatis  ad  sui  instituti  originalem  ritum 
moribus  invitentm*. 

VIII. 

A  Sanctorum  ac  reliquiarum  atque  imaginum  cidtu ,  supersti- 
tiosa  (pia>que  et  ad  bicrum  composita,  ex  concilii  Tridentini  pla- 
citis  *,at(pie  ibidem  tradità  episcopis  autoritate,  arceantur. 

IX. 

Publica;  preces,  Missales ,  ac  Rituales  libri,  Breviaria,  etc. 
Parisiensis,  Rhemensis,  Vieimensis,  Rupellensis,  Am-elianensis, 
atque  aliarum  nobilissimarum  Ecclesiarum,  Cluniacensis  quoque 

1  Sess.  XXV.  De  invoc,  etc. 


DE  PROFESSORIBUS ,  PARS  Ili ,  CAPUT  I,  ART.  III.  i9 

Archimonasterii  totiusque  ejus  Ordinis  exemple,  meliorem  in 
formam  componantur  :  dubia,  suspecta,  spuria,  superstitiosa 
tollantur  ;  priscam  pietatem  omnia  redoleant. 

X. 

Constitutâ  fide,  diligenter  tractetur  cum  romano  Pontifice,  an, 
et  qiiibus  conditionibiis ,  et  in  quorum  gratiam  usus  calicis  con- 
cedatm'  :  ejus  rei  gratià  proferantur  exempla  majorum  ac  prse- 
sertim  Pii  IV,  post  concUium  Tridentinum  :  imprimis  sacramenti 
ac  divini  calicis  reverentise  consulatur. 

XL 

Illud  etiam  diligentissimè  quseratur,  nùm  ecclesiastico  decori 
conveniat,  ut  superintendentibus  ac  ministris  in  presbytères 
aut  etiam  in  episcopos  ex  liujus  pacti  formula  ordinandis,  quandiù 
erunt  superstites  sua  conjugia  relinquantur. 


XII. 

Episcopi  constituantm-  secundùm  canones,  multâ  probatione, 
aetate  maturâ. 


ARTICILUS   III. 

De  Concilio  Tridentino. 

Operosissimam  plerisque  protestantibus  visam  queestionem  de 
recipiendo  concilio  Tridentino,  ultimo  loco  ponimus.  Ac  primùm 
certum  est  hanc  synodum  in  fidei  rébus  ab  omnibus  catholicis 
pro  œcumenicà  atque  irretractabili  habitam. 

Non  desunt  ex  protestantibus ,  qui  arbitrentur  ab  eâ  sententià 
procul  abesse  Gallos,  sa^pè  professes  eam  synodum  non  esse  in 
regno  receptam;  sed  id  intelligendum  de  solâ  disciplina  libéra, 
de  quâ  recipiendà,  propter  diversas  morum  locorumque  rationes, 
illsesà  dogmatum  fide,  saepè  variari  contigit. 

Nihil  ergô  imquàm  fiet,  aut  à  romano  Pontifice,  aut  à  quorpiam 
unquàm  catholico,  quo  Tridentina  de  fide  décréta  labefactentur  ; 
7ie  non  extingui  schisma ,  sed  majore  impetu  integrari  incipiat, 

TOM.  XV III.  4 


50    DISSERT.  SUR  LA  RÉUNION"  DES  PROTEST.  DALLEMAGNE. 
ut  suprà  diximus^  Una  restât  via,  ut  declarationis  in  modum 
omnia  componantur. 

Sanè  protestantes  moderatiores  illos  jam  huic  synodo  placabi- 
liores  esse  oportet,  posteà  quàm  ejus  dogmata  recto  atque  oLvio 
intellectu ,  antiqua  et  sana  \1sa  simt,  ut  coortae  dissensiones  non 
tam  in  sjTiodum  quàm  in  partium  studia  crudis  adhuc  odiis, 
conjiciendœ  videantur.  Ycl  illud  attendant,  quàm  moderatè,  quàm 
sanetè  Tridentini  Patres  Induhjcntkirum  iisum ,  undè  exortiun 
erat  incendium ,  definiverint  -,  atque  etiam  illud.  «  Quà  modera- 
tione  eas  juxta  vetcrem  et  probatam  in  Eedesiâ  consuetudinem 
adliiberi  oporteret,  ne  nimià  facilitate  ecclesiastica  disciplina 
enervetm-,  »  procul  etiam  abjectis  et  episcoporum  dUigentià  ob- 
servatis  «  abusibus,  pravis  quœstibus,  aliisque  corruptelis  quse 
irrepserunt.  » 

Cœterùm ,  quicumque  pacificà  mente  non  invidiosas  historias, 
sed  ipsa  concilii  décréta  perlegerint,  facile  intelligent  bujus  auc- 
toritatem  eô  vel  maxime  valituram,  ut  proterva  et  in  pravas 
novitates,  etiam  inter  catholicos,  eruplma  ingénia,  suis  coercita 
limitibus  teneantur,  neve  aliis  quibuscumque  suas  opiniones 
obtrudant.  Deniquè  protestantes  eam  synodumcjuam  à  se  alienam 
putant,  intelligendo  et  approbando  suam  faciant. 

Mullis  ScUiè  documentis  licpiet  Ilispaniarum  ecclesias  ortho- 
doxas  certis  impedimentis  ad  sextam  synodum  neque  convenisse, 
neque  vocatas  fuisse.  Quid  ergo  egerunt  cùm  ad  eas  à  Leone  II  et 
Benedicto  II  illa  perlata  est?  nempè  id,  ut  ejus  sjnodi  gesta 
«  synodicâ  iterùm  examinatione  décréta ,  vel  communi  omnium 
concUiorum  (  Hispanicorum  scibcet  )  judicio  comprobata ,  salubri 
etiam  divulgatione  in  agnitionem  plebium  transeant^  »  Sic  sy- 
nodum quam  non  noverant  suam  esse  fecerunt.  Quo  etiam  ritu 
aliae  synodi ,  ipsaque  adeo  Constantinopolitana  I  synodus  ab  Oc- 
cidontalibus  adoptata,  in  secmidi  œcumenici  concilii  nomen  ac 
litulum  crevit.  Sic  quintam  synodum,  absque  Sede  apostolicà  ce- 
lebratam,  eadem  Sedes  probando  fecit  suam.  Septimam  quoque 
synodum  ab  eàdem  Sede  apostolicà,  totàque  orientali  Ecclesià 

•  Sup.,  I,  part.  —  2  Sf'ss.  xxv,  Decr.  de  Indu/g.—  ^  Eph-t.  Léon.  H,  4".  Conc. 
Tolct.,  XIV,  cap,  IV.  Y.  Labb.,  loni.  VI,  cul.  1249,  etc. 


DE  PROFESSORIBUS ,  PARS  III,  CAPUT  I,  ART.  IV.  .j1 

coiifirmatam ,  post  alicfiiot  difficultates  verbonun  ac  disciplinée 
potiùs  quàm  reriim  ac  dogmatum ,  gallicana  ^  qiiœ  non  interfiie- 
rat ,  et  tota  occidentalis  suscepit  Ecclesia  ;  qiiâ  consensione  ejus 
auctoritas  ut  in  Oriente ,  ita  toto  in  Occi  dente  eo  usquè  invaluit , 
ut  nunquàm  posteà  in  duliiuni  revocaretur. 

Quôd  autr^m  protestantes  objiciunt,  concilium  Tridentinuni  non 
esse  œcumenicum ,  eô  quôd  in  iUo  cum  catholicis  episcopis  ipsi 
non  sederint  judices ,  sed  ab  adversâ  parte  latum  sit  judicium  ; 
huic  profectô  querela?  si  daretur  locus,  nulla  unquàm  concilia  ex- 
titissent  aut  extare  possent  ;  cùm  née  Nicsena  synodus  novatianos 
ac  donatistas^  aut  alios  jam  ab  Ecclesia  quocumque  modo  séparâ- 
tes admiserit  judices ,  neque  unquàm  haeretici  nisi  cà  catholicis 
judicari  possunt ,  neque  qui  ab  Ecclesia  secesserunt ,  nisi  ab  ils 
qui  unitatem  servant.  Neque  lutherani  cùm  zuinglianos,  factis 
synodis ,  condemnarent  %  eos  assessores  habuere  ;  nec  sequitas 
sinebat  à  catholicà  Ecclesia  liaberi  judices  etiam  episcopos  Angli- 
cos ,  Danicos ,  Suecios  ,  aperta  odia  professes  ;  quippe  qui  ab 
Ecclesia  romanà  ut  impià,  ut  idololatricà  ,ut  anticliristianà  reces  - 
sissent  ;  nedùm  Germaniee  protestantis  ministros  aut  superinten- 
dentes ,  qui  ne  quidem  essent  episcopi  ;  cùm  solis  episcopis  locum 
in  synodo  deberi  universa  antiquitas  fateatur. 

Sed  hœc  contentiosa  omittamus.  Accédant^  discutiant,  pri^atim 
examinent,  ajquas  et  coramodas  ex  ipso  concilio  repetitas  decla- 
rationes  admittant ,  acta  sua  symbolica  conférant  cum  s^^nodi 
nostrae  decretis ,  pacificum  et  catholicum  induant  animum  ;  sic 
Tridentinam  synodum  sibi  quoque  haud  eegrè  œcumenicam  fa- 
cient. 

ARTICULUS   IV   ET   LLTIMUS. 

Summa  dictorum ,  ac  de  difficultatibus  superandis. 

Maxima  difficultas ,  infixam  pectori  à  cunabulis  penitùsque  vis- 
ceribus  inolitam  atque  concretam  excutei'e  religionem  :  ingens 
opus ,  imô  vero  «  datum  optimum,  donumque  perfectum,  descen- 
dens  à  Pâtre  luminum  ''■,  »  nec  ab  homine  expectandum. 

Et  jam  pro  sua  clementiâ  Pater  misericordiarum  curandis  \iil  - 

^  Lilj.  Conc.  pas6. —  '^Jac,  i,  17.- 


.■J2      DISSERT.  SUR  LA  REUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

ueribus  deplorand»  discessionis  duo  opportmiissima  remédia  ooii- 
tulit  :  alterum ,  ut  intellectu  facile  esset  perspicere  piY >  secessionis 
causis  multa  nobis  fuisse  iuiputata ,  quœ  vel  mera  commenta  es- 
sent ,  vel  ex  privatoruiu  doctonim  opiniouilnis  translata  in  Eccle- 
siam ,  nunquàm  approhante  eà ,  imô  ^erù  potiùs  \el  maxime 
répudiante,  editis  castissimis  et  utilissimis  concilii  Tridentini  prse- 
sertim  de  justificatione  decretis.  Quancpiàm  autem  à  noljis  de  ho- 
rum  magnii  pars  non  indiligenter  patefacta  est ,  innumeral)ilia 
supersmit  haud  minoris  momenti  :  ex  qui  bus  id  inferimus,  his 
remotis  obstaculis  ac  recognitis  iis  quee  falsô  imputata  sint,  facile 
coalituram  paeem,  et  proeliveDi  reditmn  esse  oporiere  fdiorum 
ad  patres  qui  profecto  nostri  fuermit.  Beatuiu  autem  illum  et  à 
Domino  benedictum  prœdicabimus,  qui  «  con^ertet  cor  patrum ad 
fdios  et  cor  fdiorum  ad  patres  '  :  »  et  iterùm  alla  Scriptm'a  dicit  : 
«  Et  congregabimtur  liUi  .hida  et  filii  Israël  pariter,  et  ponent  si- 
bimet  caput  unum  ^  » 

Alterum  remedium  longe  convenientissimum  et  commodissi- 
nmm  est  lioc  :  in  protestantium  libris  symbolicis  atque  in  ipsà 
maxime  Confessione  AuQmtmu)  ejusque  Apolotjià,  Deo  ita  pro- 
vidente ,  tôt  ac  tantas  veritatis  catholica?  retentas  esse  reliquias , 
ut  ex  his  viri  boni  ad  omnia  nostra  facile  i-educautur,  relicto  illis 
fdo,  quo  ex  tortuosis  ac  deviis  ilinoribus  extricati ,  in  antiquas 
planasque  semitas  revocari  possint. 

Id  autem  erit  conunodissimum ,  quôd  vix  ulla  nova  décréta 
condi,  sed  per  expositoriam  ac  declaratoriam  viam  aptas  et  con- 
sentaneas  interpretationes  alïerri  o[)orteat,  ut  Cof/fcssio/iis  Aiigus- 
tanœ  defensores  ad  se  ultrù  rediisse  et  sua  constituta  pandisse  vi- 
deaiitur. 

Neque  necesse  est ,  ut  universa^  simul  Confes^ioni  Aiujmlcutœ 
per  Germaniam  addictae  ecclesiae  de  his  in  commune  consulant  : 
sint  tantùm  aliqui ,  bono  Deo  inspirante ,  principes ,  qui  fraterno 
et  christiano  animo  audiant ,  meditentur,  sua  quoque  proponant 
(  neque  enim  ii  sunuis  (pii  taiitam  rem  uno  velut  ictu  expediri 
posse  credamus  ) ,  suœ  deniquè  salutis  ipsi  curam  gérant,  cœteris 
consilio ,  tractatu  et  exemplo  prosint. 

'  Malw:  ,  m,  G.  —  «  Oye.,  i,  11. 


DE  PROFESSORiBUS  ,  PARS  III,  CAPUT  1,  ART.  lY.  ",3 

Nos  aiiteiii  miiiimi,  qui  sanè  in  liane  partem  nostra  vel  maxima 
studia  contiilimus,  indetesso  animo  nostram  qualemcumqiie  ope- 
ram  pollicemur  ;  et  jam,  Deo  dante,  in  Historiâ  nostrâ  variantis 
(loctrinœ  Ecclesiarum  Prolestantium. ,  multa  retiilimus,  qua»  à 
lutheranorum  dogmate  dehortentiu"  ac  deterreant  ;  errores  vide- 
licet  gra\'issimos  ac  nianifestissimos ,  imprimis  hos  quatuor. 

I.  Quôd  ubique  profcssi,  se  tenere  anticpiorum  Patrum  ac 
maxime  sancti  Augustini  tutam,  pra^sertim  in  articido  de  justifi- 
catione  doctrinam,  eam  tamen  sectentiu-,  quam ,  fatente  Melanch- 
thone,  hujus  fidei  post  Lutlierum  assertore  prœcipuo,  antiqui- 
tati  atqiie  imprimis  sancto  Augustino  ignotam  esse  constet. 

II.  Qu(jd  ])ona  opéra ,  in  Evangelio  sub  interminatione  damna- 
tionis  a?ternae  toties  imperata  et  mandata,  non  sint  nccessaria, 
aut  certè  non  ad  salutem ,  quùdque  contraria  sententia  Scripturis 
atque  omnilnis  christianis  prolnitissima ,  nierito  condemnctur. 

III.  Quod  à  fatalibus  ac  stoicis  ferreisque  necessitatibus  libero 
arbitrio  primùm  impositis ,  ad  inflandas  lilieri  arbitrii  vires ,  at- 
que ad  ipsmn  semipelagianismum  publiée  deflexerint. 

IV.  Quôd  auctore  Lutliero ,  in  explicandù  Christi  liominis  ma- 
jestate,  amplexi  sint  ubicjuitatem ,  à  reliquoruni  christianorum 
ac  doctissimormn  etiam  lutheranorum ,  ipsiusque  adeô  iMelanch- 
thonis  sensibus  penitùs  abhorrentem. 

Quœ  alibi  demonstrata  apertiorem  in  lucem  educere  in  promptu 
est.  Sed  heec  spontè  corruere,  quàm  à  nobis  confutari  malumus  ; 
placetque  qmninô  inire  potiùs  consilia  pacis ,  et  commodissimis 
quibusque  rationihus  mitigare  ofîensiones  animorum.  Ca^terùm , 
illud  in  catliolicà  parte  "sel  commodissimum  putamus,  quôd,  cùm 
de  tantis  rébus ,  seu  fidem ,  seu  disciplinam  spectent ,  ad  roma- 
num  Pontificem,  tanquàm  ad  antesignanum ,  more  majorum , 
referri  oporteat ,  is  nobis  obtigit  Pontifex ,  qui  et  doctissimus  ac 
perspicacissimus ,  omnia  docenda  et  agenda  pervideat,  idemque 
insigni  pietate  ad  optima  quseque  promptissinms ,  omnia  chris- 
tiaiiœ  rei  et  paci  profutnra  concédât. 


34     DISSERT.  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

EXPLIGATIO  ULTEPJOR 

METHODI  REUNIONIS  ECCLESIASTIC^, 

Occasione  eorum  imtituta  quœ  iUustrissimo  et  reverendissimo  D.  Jacobo 
Bmigno  Episcopo  Meldensi  moderaié  non  minus  quàm  erudité  ad  eamdem 
annoiare  placxiit . 

AUCTORE    MO(.A?iO. 


PROLOGUS. 

Dici  non  potest  quanta  cum  animi  voluptate  semel  atque  iterùm 
ac  sappiùs  perlegerini,  qua>  ad  Cogitationes  mcas  piivatas  reu- 
nionis  Gcdesiastica!  methoduui  concenieutes ,  aiiuotare  studio  cu- 
ra^que  habuit  illustrissimus  et  reverendissimus  D.  Episcopus 
Meldensis ,  vir  non  in  (lallià  duntaxat  suà ,  sed  in  nostrà  etiam 
Gernianià  duduni  merito  suo  celeberrinius.  Non  potcrani  nisi 
egregia  niilii  polliceri ,  de  Boctrinœ  cathoUcœ  Expositionis  auc- 
tore,  tôt  episcoporum ,  archiepiscoporum ,  cardinalium ,  ipsius 
deniquè  summi  Pontificis  Innoeontii  XI ,  vGv  h  â-y-.oi;,  calculo  com- 
probatae.  Qua;  sanè  spei  votorumque  pra'suniptio  adoo  nie  non 
fefellit,  ut  lectis  omnilms  cum  ourà,  pro  incolumitate  tanti  auc- 
toris  vota  facere,  Deunique  venerari  nondubitaverini^  ut  pra::suli 
tani  benè  affecto  et  à  studio  partium  tam  alieno,  paceni  insuper  et 
veritatem  ex  sequo  bOnâ  fide  sectanti ,  œtatem  ad  annos  Nestoris, 
hoc  est,  quàm  longissimè  prorogare  ne  dedignetur. 

Scriptum  ipsum  quod  attinet ,  occupatum  id  est  prima  ac  se- 
cundà  suî  parte,  in  examinandà  meà  methodo,  quaui  multis  du- 
t)iis  videri  obnoxiam ,  in  quibusdam  prorsùs  impossibilem ,  uti 
arl)itratur  vir  illustrissimus.  Id  mirum  atque  improvisum  adeô 
mihi  non  accidit,  ut  mirarer  potiùs,  si,  non  dico  in  omnibus, 
quod  ne  sperare  quidem  debui ,  sed  in  plerisque  paria  mecum 


EXPLICATIO  ULTERIOR,  PROLOGUS.  55 

sentiret.  Eorum  enini,  qui  ab  utrâque  dissidentium  parte  ;,  ad 
concordiam  ecclesiasticam  animum  in  liiinc  usque  diem  appli- 
cuere ,  observare  licet,  noiinullos  zeluin  habentes ,  sed  scientià  ac 
rerum  usu  destitiitum,  palinodiam  vel  urgere  manifestô,  vel  post 
ingentem  apparatum,  mellitosque  verborum  globulos,  ac  dicta 
quasi  sesamo  ac  papavere  sparsa,  datis  iinà  manu  quœ  mox  aliâ 
tollantiu-,  nibil  tamen  aliud  deniquè  intendere,  quàm  ut  ad  prœ- 
tensi  erroris  revocationem  discordes  suaviter  inducant  :  alios  con- 
ciliationem  suam  superstruere ,  datis  quasi  ex  concessis  hypo- 
thesibus,  quee  ab  altéra  parte  niîiil  minus  quàm  admittantur  : 
alios  in  cothm^ni  modum ,  qui  cuivis  pedi  sit  aplari  potis,  sub  ge- 
neralium  cpiarumdam  formularum  involucro ,  simpliciorum  con- 
scientiis  slruere  insidias,  nec  in  re  ipsà,  sed  solo  verl)orum  cor- 
tice  pacem  nioliri  :  alios. deniquè  dictatorià  quàdam  auctoritate, 
sua  de  pace  consilia  parti  adversaî  obtrusum  ire ,  et  pro  illis  tan- 
quàm  pro  aris  et  focis  pugnare;  hoc  est,  negotium  pacis  in  novae 
litis  materiam  convertere,  et  sic  in  universum  à  via  maxime  re- 
già  prorsùs  declinare,  seque  necessitatibus  non  necessariis  jugi- 
ter  involvere. 

Cùm  igitur,  liis  diligenter  animadversis ,  appareat,  in  cassum 
laborare  qui  tramitem  hune  insistunt ,  rem  alià  prorsiis  via  ag- 
grediendam  esse  censui;  datâque  mihi  notabili  occasione  primùm, 
à  serenissimo  Brunsw.  et  Lnn.  duce  domino  Joh.  Frederico  Prin- 
cipe romano-catholico  (  cuique  aio  œternum  benè  sit  ) ,  deindè  à 
serenissimo  electore  Brunswico  -  Luneburgico  ,  domino  Ernesto 
Augusto,  domino  meo  clementisssimo,  post  septimestrem  ferè 
disquisitionem  cum  celeberrimo  quodam  Germanise  episcopo  in 
timoré  Dei  institutam,  frustra  tentatis  recentiorum  agendi  modis, 
de  ahà  methodo,  in  verà  quidem  antiquitate  fundatà,  sed  quse 
propter  novum  applicandi  modum ,  nova  videri  queat ,  seriô  co- 
gitare ,  ac  loca  nuUius  antè  trita  solo  calcare  ccepi ,  reque  ipsà 
tandem  deprehendi,  si  neutra  pars  contra  conscientiam  in  se 
quippiam  admittere  debeat ,  et  protestantes  securitati  suorum 
dogmatum,  quibus  propter  obstans  divinum  mandatum  renim- 
tiare  non  hcet,  consulere  velint,  illos  vel  hàc  aut  simili  ratione 
in  gratiam  cum  romanà  Ecclesià  redire  debere,  vel>i  prseter  spem 


56     DISSERT.  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

mater  erga  pristinos  suos  filios,  haud  iniqrua  petentes,  se  diffici- 
lemsit  praebitiira,  hoc  ipso  de  pace  ecclesiasticâ  spem  nobisprae- 
cludi ,  remqiie  oranem,  sine  metii  schismatis,  committeiidam 
Deo  ;  cùm  sufficiat  ad  tranquillandas  conscientias,  omnemque  vel 
suspicionem  schismatis  amovendam,  nos  à  parte  nostrâ  eô  nsque 
processisse,  quousque  erat  possibile,  hiturà  apud  eos  solos  schis- 
matis culpà  ,  qui  ahquid  in  suâ  potestate  positum ,  scientes  et 
admoniti ,  prœtermisere. 

In  quâ  equidom  sententià  (  hàc  nimirùm  aut  œqiiipollente  via 
progrediendum  in  negotio  pacis  )  lectione  scripti  illustrissimi  ac 
reverendissimi  D.  Episcopi  Meldensis  qiiamhbet  egregii  meque 
plurima  docentis,  magnoperè  confirmatum  esse,  sicubi  hàc  vice 
professas  fuero ,  convenientissima  illa  conscientiœ  meai  vox  est. 

Quod  tamen  non  ita  capiendum ,  ac  si  utilitati,  addo  et  necessi- 
tati  methodi  expositoriœ,  optimi  Antistitis ,  scripti  sui  paiie  tertià 
lu(;ult'nter  traditae,  mihique  ex  suprà  laudatà  ejus  Expositione 
dudùni  nota' ,  vel  tantillùm  cupiam  derogatum  ;  quin  potiùs  in 
eâ  sum  sententià,  si  rem  totam  absolveret  expositoria  illa  metho- 
dus,  et  ostendcret  iii  oiiinilnis  articiilis  controversis ,  à  concilie 
Tridentino  sub  anatliejnate  delinitis,  ad  veram  Ecclesise  romanœ 
mentem  explicatis,  nullam  superesse  realem  inter  partes  contro- 
versiam,  injuriuni  fore  in  Deum  etEcclesiam,  quisquis  iUam  am- 
babus  ulnis  non  fuerit  amplexatus ,  utpotè ,  non  meà  duntaxat , 
sed  reliquis  omnibus  hucusquè  excogitatis  ad  reunionem  nietho- 
dis  multis  modis  praistabiliorem,  Quid  enim  opus  postiilatis?  quid 
conventibus?  ([uid  secretis  cum  sunimo  Pontifice,  Imperatore , 
prax'ipuisqiK'  tcrrarum  dominis  de  agendi  modo  tractationibus? 
quid  suspensione  Tridentini  ?  quid  celebrando  novo  concilio  ?  si 
quidem  liquido  queat  ostendi,  ecclesiarum  nostrarum  doctoros 
concilii  Tridentini  canones  intellexis.se  perperàm ,  atque  adeo  in- 
sontes  postulasse  errorum,  qui  nemini  eorum  in  mentem  unquàm 
venerint;  quod  quidem  in  thesi  tam  clarum  est,  ut  si  quis  syUo- 
gismo  rem  velit  complecti ,  ego  majoris  illius  certitudinem  cum 
cujusvis  axiomatos  evidentià  comparare  non  sim  dubitaturus. 
Verùm  enim  verô ,  quœstio  omnis  erit  de  minore  ;  ubi  tamen 
iterùm  largior ,  nuiltas  quœstiones,  de  ([uit)us  inter  nos  conten- 


EXPLICATIO  ULTERIOR,  PROLOGUS.  S7 

tionis  serra  sesqui-saeciilari  spatio  est  reciprocata,  per  dictam  me- 
thodum  conciliari  posse^  imô  ab  illustrissimo  domino  Episcopo 
actu  jam  esse  coneiliatas^  tam  in  Erpositione  doctrinœ  catholkœ, 
quàm  in  hoc,  quod  prse  manibus  liabemus,  doctissimo  illius  scrip- 
to,  ut  in  ealce  totius  hiijus  scriptionis  videbitur. 

Addo  qiiod  secmidùm  ductiim  hiijus  methodi,  invictissimi  piis- 
simiqiie  Imperatoris  nostri  desiderio  faeturus  satis ,  in  aliâ  quâ- 
dam  scriptione  meà,  Vienniam  dimidià  suî  parte  jam  tùm  missà, 
qiiinqiiaginta  circiter  plerasque  omnes  momenti  maximi  qiia's- 
tioues  inter  nos  hactenùs  controversas ,  bono  ciim  Deo ,  jam  tiim 
conciliaverim.  Âd  unum  tamen  omnes,  hàc  via,  controversos  inter 
Romanam  nostrasque  ecclesias  articiilos,  esse  sublatos,  aut  eonci- 
liari  posse,  ne  ipsum  credo  Expositionis  auctorem  eruditissimum 
esse  asseveraturmn.  Agitm'  itaque  inter  nos,  non  de  expositoriae 
methodi  bonitate  et  excellentiâ,  quam  inicjims  sit  qui  non  aguos- 
cat  ;  sed  hoc  in  queestionem  venit  :  an  methodus  illa  sit  adœquata, 
et  ad  omnes  controversias  nostras  ita  se  extendat ,  ut  non  opus 
halieat  summus  Pontifex  per  syncatabasin  largiri  protestantibus 
quosdam  articulos ,  quonim  retractationem  persuasi  illi  fuerint 
conscientiis  suis  adversari ,  aut  quorumdam  decisionem  differre 
in  conciMum  legitimum*?  De  quo  in  progressu  harum  observa- 
tionum  mentem  meam  candide  aperiam ,  visurus  eâdem  operà , 
an  dubiis  circa  nostram  methodum  ab  illustrissimo  viro  motis  , 
si  non  omni ,  aliquà  salteni  ex  parte  fieri  queat  satis.  Faxit  Deus 
Pr inceps  pacis  ut  ad  structuram  sanctuarii  concordi»,  et  ego 
symbolam  aliquam,  si  non  in  aiu"0,  argento,  a?re,  purpura ,  hya- 
eintlîo,  ac  bysso,  saltem  in  caprariim  pilis  adsportare ,  ac  pro  vi- 
rili  portione  meâ,  tenuique  talento ,  ad  minimum  conatum  alicpiem 
juvandi  Ecclesiam  ostendere,  et  per  hoc  schismatis  culpam,  chris- 
tiana^,  charitati,  ex  doctrinâ  divi  Pauli,  tantoperè  adversam,  à 
me  penitùs  amoliri  queam. 


58    DISSERT.  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

EXCERPTA  EX  HAC  ULTERIORI  EXPLICATIONE. 
De  conciliis  œcumenicis  in  génère,  et  in  specie  de  concilio  Tridentino. 

De  conciliis  œcumenicis  légitime  celebratis,  sive  quinque  illa 
sint ,  sive  plura ,  in  génère  dico  :  Christus  per  omnia  sœcula  adest 
sua3  Ecclesiae ,  neiiue  unffuàm  permittet  ut  Ecclesia  universalis 
in  concilio  aliquid  fldci  contrarium  pronuntiet.  Inde  tamen  non 
sequitur  errores  et  abusus  interdùm  non  prœvalere  ;  ponamque 
concilium  Tridentinum  esse  legitimum.  Nonne  Scoti  sententiade 
meritis  operum  promissionem  divinam  supponens,  ibi  est  defi- 
nita  ^ ,  et  nihilominùs  tamen  praevalet,  quee  communior  vocatm* 
Gibboni  de  IJurgos  in  lutliero-calvinismo  suo  schismatico  qui- 
dcm,  sed  reconciliabili,  doctrina  Vasquesii? 

Consonam  esse  judicat  vir  illustrissimus  et  suam  et  meam  sen- 
tentiam  de  formulis  coinpellandi  Sanctos,  quomodolibet  conceptis, 
intercessionaliter  explicandis,  concilio  Tridentino.  Eo  tamen  non 
obstante,  notorii  sunt  circa  hune  cultum  abusus,  de  rjuibus  non 
solùm  Germania'  princeps  Ilassiacus  Ernestus,  ex  relbrmato  factus 
romano-catholicus,  in  suo  vero,  sincero  et  discret©  catholico  per- 
quàm  libéré  conquestus  est  in  facie  totius  Ecclesiœ  ;  sed  et ,  cùm 
querelœ  illœ  Ronue  nondùm  sint  exauditœ,  scriptor  alius  Ger- 
manus  libellum  edidit  sub  titulo  :  Monitorum  salutarium  Beatœ 
Virginis  Mariœ  ad  cultores  sut  indiscretos.  Trii)uituris  Domino 
Adamo  Widelkcls  Jurisconsulto  Coloniensi,  prodiitquc  anno  \(M'i, 
Gandavi,  auctoris  romano-catbolici  auspieiis,  postquàm  in  publi- 
cationem  libelli  consenserant  J.  Gillemanus  sacrae  theologiae  li- 
centiatus  et  archipresbyter  librorumquc  censor ,  Godofredus  Mo- 
lang,  Wernerus  Franken,  Ilenricus  Patricius,  Job.  Folcb,  doc- 
tores  Colonienses ,  imo  ipse  Petrus  de  Walembourg  episcopus 
Mysiensis,  suffraganeus  Coloniensis,  Paulus  Aussemius,  ejusdem 
arcliidiœcesis  vicarius  in  spiritualibus.  Eumdem  librum  postmo- 
dùm  recudi  fecit  et  caloulo  suo  comprobavit  in  Belgio  gallico  il- 
lustrissimus dominus  Episcopus  Tornacensis. 

Synodi  septimae ,  qua3  Nicœna  II  vocatur,  auctoritas ,  ut  in  eâ 

t  Vide  Sent.  Mcld.  Epùc,  n,  3! ,  ubi  soluta  est  objectio. 


EXPLICAÏIO  ULTERIOR,  EXCERPJA.  59 

contineantur  egregia  qusedam ,  data  occasione  merito  citanda  ac 
laudanda ,  in  dubium  tameii  merito  vocaiiir,  cùm  maxima  pars 
Occidentis  ei  contradixerit.  Sanè ,  quœ  de  imaginilRis  decrevit, 
excusari  fortassè  possuiit,  certè  per  omnia  laudari  admodùm  non 
possunt.  Undè  etiam  factum  ut ,  in  sjnodo  Francofurtanâ,  cui  tre- 
centi  circiter  Galliœ,  Germania^  et  Italiaî  episcopi  interfiiere, 
Nica^num  illud  II  fuerit  iniprobatum.  Non  ignoro  quidem  qiiid 
obtendat  Alaniis  Copus,  eumque  secutiis  Gregorius  de  Yalentià, 
lib.  II,  deldololatrià,  cap.  vu,  «  quasi  Fraiicofurdiana  illa  synodus 
non  damnaverit  hanc  Nicœnam,  (jiiœ  vu  vulgo  vocatui',  sed  aliam 
pseudosynodum  iconomacliorum.  »  Yi  autem  veritatis  adactus, 
pro  communi  sententià  tôt  vetermia  auctoritatibus  roboratà  stat 
Bellarminus,  libro  ii,  de  Imafjinibus  Sanctorum,  capite  xiv,  his 
verbis  :  «  Auctores  antiqui  omiies  conveniunt  in  hoc,  quod  in  con- 
cilio  Francofurdiensi ,  sit  reprobata  synodus  vu,  qua?  decreverat 
imagines  adorandas.  îta  Hincmarus,  Aimonius,  Rliegino,  Ado  et 
alii  passim  docent,  Dicere  autem  lios  omnes  mentiri,  vel  libros 
eorum  esse  corruptos,  ut  Alanus  Copus  dicit,  \àdetur  milii  paulo 
durius.  » 

Dissimulare  intérim  ego  non  possum  Francofurtanam  hanc 
synodum  processisse  longiùs  quàm  par  erat  ,  sententiamque 
Grsecorum  in  Nica?no  II,  de  adoratione  imaginum,  in  duriorem 
partem  accepisse,  qua*  commodam  forte  interpretationem  admi- 
sisset,  idque  factum  occasione  versionis  latinee  actorum  dictae 
illius  synodi,  quam  ex  collatione  cum  textu  grœco,  minus  fidelem 
esse  cui  vis  vel  obiter  inspicieiiti  patebit. 

Ad  verba  illustrissimi  domini  Episcopi  :  «  Dm^a  conditio,  ne 
provocetm"  ad  décréta  concilii  Tridentini  vel  aliorum  in  (juibus 
protestantium  dogmata  smit  condemnata  * .  »  Esto  dura ,  sed 
quantô  duriùs  exigi  à  nobis  quippiam  contra  conscieiitiam,  quod- 
que  patratum  teternâ  nos  sainte  excludat,  et  œteriiœ  damnaiionis 
reos  faciat?  Iterùm  dico,  si,  cpiemadmodùm  nonnulla  ab  illustris- 
simo  domino  Episcopo ,  multa  etiam  à  me  producta  in  médium, 
per  methodum  expositoriam  smit  concilial)ilia,  ita  per  eamdem 
methodum  expositoriam  ostendi  queat,  salvo  concilio  Tridentino, 

*  Nuni.  44. 


60    DISSERT.  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

manere  possc  protestantes  in  suà  sententià^  verhi  o^ratià.  de  prœ- 
cepto  [comnumionis  siib  utràque,  rati  haberi  possc  ordinationes 
eonini  luictenùs  faetas^  et  si  quœ  sunt  alia  in  Tridentino  sub  luia- 
themate  credi  jussa,  nec  protestantibus  probata,  tmie  cesset 
sequestratio  dicti  concilii,  utpotè  cujusanathematanos  non  feriant. 
(Juôd  si  autem  methodus  expositoria  ad  bos  siniilesve  articulos  se 
non  exteudat ,  aiit  concedenda  nobis  erit  desiderata  secpiestratio, 
aut  pacis  tractatus  habebit  suum  fmem.  Implicat  enim  contradic- 
tionem  manilestam,  protestantes  reimioneni  qiiaerere  euni  Ecclesià 
Romanà  salvà  conscientiâ ,  et  eos  tamen,  pro  obtinendà  rounione 
obbgari  ad  probationem  concilii  Tridentini  decernentis,  verbi 
gratià,  conuminionem  sul)  utràquc  specie  à  Christo  non  esse 
prœceptani;,  cùni  tamen  illam  pra^ceptam  esse  statuant,  et  per- 
suasi  sint,  veritatem  haiic  agnitam  et  probatam,  sine  certaî  dam- 
nationis  pericnio  negare  se  non  posse. 

Onod  tamen  non  ita  capiendiun  ac  si  conciliormn  verè  œcunie- 
nicorum  anctoritati  derogare  fpiippiam  ego  velim.  Nequaquàm 
Tridentini  suspensioneni  ant  sequestrationem  peto,  (fiioniam 
nostris  [ne  (piidem  pro  legitimo ,  nednni  o^cnnienico  babetnr. 
(JuiUidô  itaque  protestantes  profitcniiu'  se  nlranique  speciem  à 
Christo  prcBceptam  firmiter  credere,  faciiuil  lioc  innixi  argumente 
suprà  proposito;  in  eàque  suà  sententià  niirum  in  moduni  confir- 
m;uitur,  quôd  videant  in  nullo  légitime  concilio  contrarium  esse 
definilum ,  seque  certes  esse,  in  nullo  tali  concilio  contrarium 
défini tum  iri.  Sanè  si  Ecclesià  in  conciliis  certo  et  indisputabUiter 
a-cunieuicis,  (rualia  sunt  .  onmium  partiuin  consensu,  IVica-num, 
Constant inopolitana  tria,  Clialccdoncnse  et  Ephesinum,  decidisset 
contrarium,  dulDium  non  est,  (p.iin  contraria  illa  decisio  i'uisset 
pra^ponderatura.  Quemadmodùm  autem  persuasi  smit  invariatir 
Coufcssioim  Ajifjustanœ  secii,  nmiqucàm  fore  ut  legitimum  mii- 
versale  concilium  statuât  praesentiam  cerporis  Christi  in  cœnà 
esse  tantùm  figuratam,  ita  persuasi  etiam  sunt,  nun(|uàm  fore  ut 
tal(^  concilium  statuât,  usum  spccierum  esse  indifferentem  ;  è 
([uibus  sc(]uitm'  posse  ha^c  due  stare  simul  :  firniiti'r  porsuasuni 
esse  de  aliquà  sententià,  et  tamen  aucteritati  legitimorum  conci- 
liorum  se  submitlerc.  Nam  qui  de  suà  sententià  tirmiter  est  per- 


EXPLICATIO  ULTERIOR,  EXCERPTA.  61 

siiasiis,  et  propter  Ghristi  promissionem  legitimum  conciliuni 
supponit  in  fide  errare  non  posse,  is  non  potest  non  firmiter  esse 
persuasus  dedsionem  talis  concilii  senlentiœ  sua^  essefavituram. 

Ad  viri  illustrissimi  numerum  xi.viii ,  postulatum  illustrissimi 
ac  reverendissimi  domini  Episcopi  conceditur,  applicatio  concedi 
non  potest  :  neque  enim  protestantes  ullius  concilii  extra  contro- 
versiam  legitimi  et  œcumenici  décréta  rescindi  postulant.  Nicœ- 
nuin  secundum  recusavit  magna  pars  Occidentis  :  Latina  illa 
Lateranensia ,  Lugdunensia,  Constantiense,  Basileense,  Florenti- 
num,  ut  aliataceani,  Oriens  non  agnoseit,  et  inter  ipsos  doctores 
Occidentis  denonnullislitigatur,  pro])antibus  Gallis  Constantiense 
et  Basileense ,  quod  Romanae  Curia:'  non  probatui*.  Tridentino  et 
Oriens  et  magna  pars  Occidentis ,  non  postliminio  dmitaxat ,  sed 
durante  adhuc  illius  celebratione,  ex  sonticis  causis  contradixit. 

Uuidquid  igitm'  hic  oljjicitur,  facilem  liaberet  solutionem,  si  ad 
bas  disputationes  descend  ère  velimus.  Cùm  autem  fiximi  sit 
apud  protestantes  se  pacem  contra  conscientiam  cuni  dispendio 
salutis  mmquàm  esse  quœsituros,  cessai  disquisitiouis  illius  neces- 
situdo.  Si  ostendere  poterit  expositoria  metliodus  vibratos  in 
Tridentino  anatliematismos  non  ferire  protestantes ,  res  foret 
longe  facilior  :  quod  nisi  fiat,  et  vel  miicus,  tractis  quamlibet 
reliquis  omnibus  in  bonum  sensum^  supersit  articulus  su!)  ana- 
themate  credi  jussus  ;  est  conscientia?  nostrœ ,  sive  rectœ ,  si\T, 
insuperabiliter  erroneae  adversus^  communio,  verbi  gratià,  sub 
utràquC;,  quam  à  Christo  prœceptam  esse  sumus  persuasif  tniR" 
sensus  communis  dictitat,  vel  seponendum  esse  concilium  Triden- 
tinum ,  vel  omnem  de  pace  tractationem  fore  irritam.  Fac  enim, 
auctoritatem  dicti  concilii  in  ordine  ad  protestantes  non  seponi, 
sed  in  valore  suo  perraanere,  tune  ex  illius  decreto  credere,  et 
contrarium  sentientes  anatliematis  reos  arbitrari  tenebuntiu", 
commmiionem  sub  utràque  à  Christo  non  esse  pra^ceptam,  cùm 
tamen  eam  à  Cln'isto  pra^ceptam  in  conscientia  suà  sint  couAicti, 
et  in  scliismate  mori  innoxiè ,  quàm  agnitœ  huic  veritati  c^t  liino 
dependenti  amicitia'divina^renmitiare  malint,  meniores  illius  verb 
dominici  :  «  Yos  amici  mei  estis,  si  feceritis  quœ  pra-'cipio  vol)is  '„» 

1  Joan.,  XY,  14. 


62    DISSERT.  SUR  LA  REUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE 

De  talibus  ergô  ne  cogitandum  quidem  nobiscum  acturis  cum 
fructu;  mirorque  illustrissimum  ac  reverendissimum  dominiim 
Episcopum,  virum  caïterà  aiqiiissimum ,  in  largiendo  Germanis 
calice  et  seponendo  Tridentino  tam  esse  difficilem  ;  cùm  hœc  duo 
inter  prima  praesulum  Germanicorum,  quibuscum  ego  hactenùs 
egi,  oblata  fuerint,  quœ  ipsi  nobis,  nondùm  talia  petentibus,  certè 
lanien  petituris^  provisionaliter ,  quantum  in  ipsis,  suà  sponte 
largirentur,  largienda  certè  extra  omnem  dubitationis  aleam 
collocarent. 

Ad  numerum  u,  agnoscit  reverendissinms  et  illustrissimus  do- 
minus  Episcopus  anatbematismos  Ephesinœ  synodi,  à  sancto 
Cyrillo  suggcsto.s ,  postmodùm  fuisse  suspensos,  nec  à  Joanne 
Antiocbeno  eju.sque  sequacibus,  etiam  post  factam  roconciliationem 
fuisse  agnitos.  Qmmto  faciliùs  idem  eoncedi  poterit  de  anathema- 
tismis  Tridentinis,  in  quibusdam  Ecclesiae  Romanae  regnis  et  pro- 
vinciis,  nec  in  bunc  usque  diem,  bonà  fide,  et  per  publicam 
magistratùs  civilis  declarationem  receptis,  et  contra  quasdain 
(jua^stiones  vel  scholasticas  vel  plane  otiosas ,  hoc  est ,  nullam 
christianismi  praxim  regulantibus  aut  regulare  idoneis,  vibratis  : 
ex  quorum  numéro  est ,  controversia  de  valore  Baptismi  Joan- 
nitici ,  quam  in  praxi  nuUius  esse  valoris  ,  satis  indè  patet,  quôd 
nemo  à  sancto  Joanne  baptizatus  supersit,  cui  scrupulus  suboriri 
queat,  rite  fuerit  baptizatus  necne. 

Ibidem  ad  verba  tcrtium  excmplum  :  maximi  profeclo  momenti 
est  exemplum,  quod  ex  divite  anticpiitatis  suae  ecclesiasticaî  penu 
suppeditat  nobis  illustrissimus  dominus  Episcopus  de  Gregorio 
Magno  et  quintà  synodo ,  cujus  auctoritas ,  permittente  romano 
Pontifice,  apud  Longobardos  aceipere  illam  detrectantes,  dubia 
mansit  atque  suspensa.  Nam  licèt  nihil  ea  synodus  novi  définisse 
concéda tur,  nonid  tamen  in  qua'stione  est  hàc  vice  ;  sed  hoc  dis- 
quiritur ,  quomodô  cum  illis  agi  queat,  ut  pertinaces  atque  adeo 
haeretici  non  videantur,  qui  synodum  aliquam,  verbi  gratiâ, 
Tridentinam ,  œcumenicam  esse  tantà  rationis  specie  non  agnos- 
cunt.  IToc  itaque  exemplo  admisso,  etiam  novè  à  synodo  sive  ad 
fidem  sive  ad  personas  pertinentia  definita,  synodum  illam,  banc 
ipsam  ol»  causam  non  agnoscentes,  pro  liaTcticis  œnuê  haberi 


EXPLICATIO  ULTERIOR,  EXGERPTA.  63 

non  poterunt.  Fatendum  intérim  ad  suspensionem  perveniri  faci- 
liùs,  ubi  de  personis  tantùm  agitur. 

Ad  niimerum  liv^  Graecos  paiilo  ante  concilium  Lugdimense  II 
cessisse  in  iis,  quee  ipsis  cum  Latinis  erant  controversa,  nesoio  an 
satis  planiim  sit.  Esto  autem  admittatur  (  quod  proptereà  facio  non 
gravatim,  quialiffc  de  Tridentini  auctoritate  disputatio  cordi  mihi 
non  est ,  tam  firmiter  quàm  de  qnàvis  Euclidœà  demonstratione 
persuaso ,  aut  seponendnm  esse  Tridentimim^  aut  in  cassiim  nos 
laboraturos)  :  esto,  inquam,  admittatiu";  quôd  si  fiât,  eô  magis 
mii'um  erit,  niliiltale  ah  eis  ipso  in  limine  exactum,  cùm  Ferraria? 
et  Florentiœ  in  unam  synodum  convenirent  ;  eôcfiie  magis  consi- 
deratione  dignum  est,  et  ad  rem  nostram  pertinens,  quôd  apparent 
lugdunense  illud  concilinm,  quoad  Grsecos,  à  Latinis,  intuitunovi 
habendi  concilii,  in  suspenso  fuisse  relictum.  Ergô  non  est  contra 
modum  agendi  catholicum ,  concilium ,  vel  integrum ,  vel  ejus 
partem  in  suspenso  relinqui.  Sed  haec  obiter. 

Ad  numéros  Lxn  et  Lxm  :  ^r^ô,inquis,  conclamatwn  ipads 
negotium.  Hsec  objectio  est  valdè  rationabilis,  responsioque  nu- 
méro Lxin  et  sequentibus  quibusdam  nimieris  data ,  et  bona  est, 
et  moderata,  et  christiano  praesule  dignissima',  quse  hùc  redit  : 
ad  manus  itaque  sumendam  methodum  expositoriam,  et  videndum 
an  dogmata  controversa,  explicatione  dilucidà  et  declaratione 
commodà,  componi  possint.  Ubi  quidem  censet  vir  optimus,  usque 
adeo  totum  jam  processisse  negotium,  ut  declarationis  hujus  arti- 
cules plurimos  eosque  gravissimos,  non  aliis  quàm  meis  verbis 
contextiu'um  se  spondeat.  «  Adducantm*,  addit,etiam  tridentina 
s^iiodus,  Augustana  Confessio,  aliique  lutheranorum  libri  sym- 
liolici,  utriusque  partis  fidei  testes,  »  etc.  Optimè  ;  ad  viam  pacis 
sternendam  conducere  talia  certissimum  est  ;  ada^quatam  verô 
esse  methodum  illam  expositoriam,  et  ad  omnes  articulos  contro- 
versos  ita  se  extendere ,  ut  non  opus  sit  largiri  quœdam  protes- 
tantibus,  nec  opus  habeant  sive  romano-catholici  sive  protestantes 
articulorum  quorumdam  revocatione,  id  credo  ne  ipsum  quidem 
<licturum  virum  illustrissimum. 

Ad  numerum  lxiv  et  reliquos  in  génère  quaî  tcrtiam  scripti 
hujus  partem  constituuut  :  cùm  illustrlssimus  et  reverendissimus 


64    DISSERT.  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

dominus  Episcopus  hàc  in  parte  metliodi  suée  expositoriae  vires 
experiatur,  etpercoimuodaiii  interprotationem  concilii  Tridentini, 
nostrorumque  libroruin  s>mbolicoruiii,  id  fecerit  quod  doctissimus 
Angiiai  cancellarius  Baco  de  Verulamio,  iu  libro  suo,  de  Augmen- 
Us  Scientiarum  iiiter  desiderata  tùra  temporis  collocavit,  pro 
insigni  illà  operà  laboranti,  et  iii  partes,  proli  dolor  !  scissa3 
Ecciesiae  Christi  prœstità,  ipsius  illustrissimi  et  revereudissimi 
charitati  gratise  merito  sunt  agendse.  Sed  et  ego  cimiulandis 
observât ioiiibus  jam  supersedere  et  reecptui  canere  possim ,  nisi 
occuiTereiit  nomiulla  in  quibus  mentein  meam,  forsitan  quôd 
illam  non  satis  clarè  exposuerim,  in  omnibus  assecutum  haud 
esse  videri  queat.  Quibus  breviter  ostensis,  nihil  superest,  nisi 
appendix  de  concilio  Tridentino  et  horum  laborum  nostrorum 
Iructus,  messis  puta  uberrinia,  articulorum  liactcnùs  contre ver- 
soruni  inter  partes,  qua?  per  methodum  expositoriam  commodas- 
que  déclarât iones,  ad  minimum  inter  nos,  per  Dei  gratiam  aut 
jam  smit  composili,  aut  componi  queant. 

Quœ  enim  hoc  in  loco  de  concilio  Tridentino  vir  reverendissi- 
mus  ex  professo  in  médium  protulit,  ea  non  mihi,  sed  nobilis- 
simo  domino  Leibuizio  nostro  sunt  opposita,  ad  qute  cùm  is 
dubio  procul  sit  responsurus,  ego  niliil  reponam,  nisi  paucula 
quaedam  liistorica,  nullo  alio  fine,  nisi  ut  hinc  évadât  manifes- 
tum  nihil  ini(pmm  i)(>stulari  à  protestantibus,  quandô  petunt  se- 
questrationem  concilii  ïridcntini. 

Ad  ea  quœ  numéro  ci  et  sequentilius  ad  finem  usque  continen- 
tm-  domino  Leibnizio  opposita,  nihil  ego  repono,  mimn  pro 
nostrà  intentione  argumentum  in  médium  producere  contentus  ; 
quod  concilium,  etiam  (pioad  doctrinam,  non  in  omnibus  Kccle- 
siis  romano  Pontifici  subjectis,  auctoritate  publicà  est  receptum, 
et  in  (pio  protestantes  vel  plané  non,  vel  non  sufficienter  smit 
auditi,  illius  sepositionem  si  urgent  protestantes,  concordi;«  stu- 
diosi,  nihil  petunt  absm'di  aut  iniqui  :  atqui  concilium  Tridenti- 
num,  etc.  Ergô,  etc. 

Major  est  manifesta.  Ut  enim  de  prima  ratione  nihil  dicam , 
solacertè  secmid.i  foret  sufficiens  ad  rejectionem,  nedùm  seposi- 
tionem aut  suspensionem  anathematum  talis  concilii;  cum  sit 


EXPLICATIO  ULTERIOR,  EXCERPTA.  65 

nullitas  manifesta,  sententiam  pronuntiare  contra  réuni,  qui  cùm 
audiri  cupiat,  vel  plané  non,  vel  non  sufficienter  sit  auditus.  Auc- 
toritatis  publicse  de  industrià  facio  mentionem  in  majore;  cùm 
aliud  sit  recipi  concilium,  et  décréta  ejus  pro  veris  liaberi  à  prœ- 
latis  et  clero  reliquo,  aliud  sit  recipi  auctoritate  publicà ,  quod  in 
regnis  fit  per  decretum  régis ^  in  arcliiepiscopatibus  et  episcopa- 
tibus,  per  synodum  provincialem ,  minimum  diœcesanam. 

Minor  probatur  quoad  prius  membrum  :  quia  in  Germaniâ 
concilium  illud  nondùm  est  universaliter  receptum.  In  jNlogmi- 
tinâ  certè  diœcesi  sub  quà  tanquàm  suffraganei  stant  episcopus 
Argentoratensis,  Augustanus,  (Àuiensis,  Eistatensis,  Herbipolen- 
sis,  Hildesheimensis,  Spirensis,  Paderbornensis ,  Yormatiensis  et 
alii,  receptum  non  esse  hoc  concilium ,  docuit  me  dominus  Lei- 
bnizius  iioster,  sic  ab  ipso  electort»  et  arcliiepiscopo  Moguntino 
Joanne  Pliilippo  principe  maximo  edoctus,  cui  in  juventute  suâ 
fuit  à  consiliis.  Undè  etiam  fieri  putatur,  quod  iimitius  apostolicus 
in  Germaniâ,  nunquàm  in  diœcesi  Moguntinâ,  quce  aliàs  citra 
controversiam  prima  est  in  nostro  Imperio,  sed  constanter  in 
Coloniensi  resideat ,  cujus  arcliiepiscopi  et  electores ,  cùm  ante 
tempus  concilii  Tridentini  in  hune  usque  diem  ferè  seniper  fue- 
rint  Bavaria?  duces,  in  Bavarià  autem  dictum  concilium  solem- 
niter  sit  receptum,  ego  indè  colligo  aut  minimum  prœsumo ,  in 
Coloniensi  diœcesi  id  publicà  auctoritate  receptum  fuisse.  Recor- 
dor  etiam  Moguntinos,  quoties  iUos  desiderium  invadit  celebrandi 
sjiioduiii  provincialem,  qualis  licentia  à  Curià  Romaiià  segrè  so- 
let  impctrari,  obtentui  interdùm  sumpsisse,  quùd  operam  dare 
velint,  in  tali  synodo,  ut  concilium  Tridentinum  auctoritate  pu- 
bhcà  in  totà  diœcesi  recipiatur.  Sed  ha;c  obiter. 

Cardinalis  Pallavichius,  Histoiiœ  concilii  Tridentini,  lib.  XXIV, 
cap.  xietxn,  sollicite  congerens  eos,  qui  concilii  auctoritatem 
agnoscentes,  solemniter  illud  receperunt ,  et  in  ditionil^is  suis 
promulgare  fecermit,  non  ausus  est  nominare  nisi  regem  llispa- 
niariim  Philippum,  Venetos,  provincias  Austriacae  famihae  hsere- 
ditarias,  (>t  Poloniain.  De  Germaniâ  promitlit  caput  xii,  §  iv,  se 
amplissimè  dicturum  :  reverà  autem  §xi,  aut  iiibil  dicit,  praeter- 
quàm  quod  in  Cœ.saris  provinciis  -hsereditariis  Tridentinum  sit 

TOM.    XVIII.  5 


66    DISSERT.  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

receptum,  aut  si  per  alias  catholicas  provincias  etiam  Mogunti- 
nam  diœcesim  intelligit,  quod  res  est,  non  dicit. 

Yideas  hinc  in  Gernianià,  decreto,  verbi  gratià^  de  non  ducendâ 
uxore  nova,  superstite  adultéra,  quod  in  Florentino  prudenter  se- 
positum,  in  Tridentino,  Grœcis  inauditis,  audaoter  definitum,  in- 
super liabito,  ad  secimda  interdùm  vota  transiri,  ejusque  trans- 
gressores  nihilominùs  in  Ecclesià  Romanà  tolerari,  et  ad  confes- 
siones  et  Eucharistiam  admitti.  Colonelli  locum  tenentem  in  exer- 
citu  suo  habet  serenissimus  Elector  noster.  cni  nomen  Bollin- 
court,  noljilem  Alsaticum,  Ecclesiae  Roman*  seriô  aliàs  addicUim. 
Is  quoad  thorum  et  mensam  ab  uxore  adultéra  in  Alsatiâ  per  sen- 
tentiam  absolutus,  bîc  apud  nos  Hannovpra\,  ante  sex  vel  septem 
annos,  duxit  abam,  et  post  fata  secunda?,  tortiam  insuper,  su- 
perstite in  hune  usque  diem  prima  uxore  adultéra.  Rogatus  à 
nje  qui  fiat  quôd  sacris  non  excluderetur  à  suis,  post  banc  pu- 
bbcae  legis  violationem,  respondit  id  indè  esse,  quôd  Tridenti- 
nnm  in  GermaTiià  non  ul>itpit'  sit  receptum ,  atcpie  adeo  faotum 
suum  improbari  à  suo  quidem  confessionario  quôd  concibi  ana- 
thematismis  faveat,  sed  tolerari. 

Sed  nec  in  Gallià,  per  decretum  abcujus  régis,  à  Parlamento 
verificatum,  unquàm  fuisse  receptum  conciUum  Tridentimim 
equidem  hactenùs  fui  persuasus.  Non  desmit,  qui  arbitrantur,  in- 
qiiit  ilhistrissimus  et  reverendissimus  Episcopus,  nnm,  ci,  «  sy- 
nodum  Tridentinam  in  Galba  non  esse  receptam  ;  sed  id  intelli- 
gendum  de  solà  disciplina,  non  autem  extendendum  ad  firmam 
et  irrefragabilem  regulam  fidei.  »  Sanè,  distinctionis  bujus  factà 
mentione  nuUà,  Pallavicinus  negat  à  Gallis  recei)tum  esse  Triden- 
tinum,  libro  XXIY ,  capite  xi ,  per  totum.  Esto  autem,  si  non  in 
Gallià,  alibi  certè  valere  distinctionem  banc,  patet  indè ,  quœdam 
décréta  Tridentini,  ad  disciplinam  putà  pcrtinentia  posse  seponi, 
salvà  auctoritate  débita  conciliis  in  universuni,  Quidni  ergô  liceat 
petere  protestantibus  suspensionem  anatliematum  ejusdeni  Tri- 
dentini, contra  dogmata  super  quibus  ne  auditi  quidem  sunt? 

An  concilium  Tridentinum  auctoritate  X)ublcà  in  Gallià  sit  re- 
ceptum necne,  facti  quœstio  est,  de  quâ,  cum  tanto  viro,  qualis 
est  iUustrissimus  dominus  Episcopus  fidem  debeam  derogare 


EXPLICATIO  ULTERIOR,  EXCERPTÂ.  67 

causas  nihil  suppetit.  Postquàni  autem  niillum  hactenùs  diploma 
regium  prodiit  in  lucem,  publicse  illius  receptionis  testis^  post- 
quàm  insuper  à  negantium  parte  stat  ipse  cardinalis  Pallavici- 
uus,  in  nequiorem  spero  parteni  non  accipiet  vn"  optimus,  si  ad 
modum  dubii,  cujus  solutionem  petere  liceat  ^  proponantur,  quee 
de  eàdem  recenset,  qiiisquis  is  est,  qui  sub  ficto  nomine  Pétri 
Ambruni  ad  Veteris  Testamenti  criticam  Ilistorlain  P.  Simonii 
respondet,  editionis  Gallicœ  Simoniana?  Roterodamensis  de  anno 
1689,  pag.  9,  verbis  sequentibus. 

«  Quelque  grande  que  soit  son  érudition  (  loquitur  de  Pâtre  Si- 
monio),  je  crois  qu'il  auroit  de  la  peine  de  faire  voir  que  les  déci- 
sions du  concile  de  Trente  sont  généralement  reçues  dans  toutes 
les  églises,  puisqu'on  n'y  sait  pas  même  s'il  y  a  eu  mi  concile  de 
Trente.  Ce  concile  môme  ,  qu'on  nous  veut  faire  croire  être  la 
pure  créance  de  l'Eglise ,  n'est  point  reçu  en  France  ;  et  ainsi 
on  n'a  aucune  raison  de  nous  le  proposer  comme  une  règle,  à 
laquelle  nous  devons  nous  soumettre  aveuglément.  Je  sais  qu'on 
répond  ordinairement  à  cela  qu'il  est  reçu  pour  ce  (jui  regarde 
les  points  de  la  foi,  bien  qu'il  ne  soit  pas  reçu  dans  les  matières 
de  discipline  ;  mais  cette  distinction,  dont  tout  le  monde  se  sert 
est  sans  aucmi  fondement ,  parce  qu'il  n'a  point  été  reçu  plutôt 
pour  la  foi  que  pour  la  discipline.  Si  cela  est,  qu'on  nous  pro- 
duise la  publication  de  ce  concile ,  ou  un  acte  qui  nous  montre 
qu'il  a  été  véritablement  reçu  et  publié.  Car,  selon  les  règles  du 
droit,  un  concile  ne  peut  faire  loi,  s'il  n'a  été  publié.  Il  n'y  a  pas 
encore  beaucoup  d'années  que  dans  une  assemblée  du  clergé  de 
France,  on  délibéra  pour  présenter  une  requête  au  Roi,  afin  que 
ce  concile  fût  reçu,  quant  à  ce  qui  regarde  la  foi  seulement  ;  mais 
quelques  délibérations  que  les  prélats  aient  faites  là-dessus,  la  Cour 
n'a  jamais  voulu  écouter  leurs  requêtes.  Il  n'y  a  eu  que  la  Ligue 
qui  le  publia  dans  Paris  et  dans  quelques  autres  églises  de  France, 
sous  l'autorité  du  duc  de  Ma}enne.  Je  demande  donc  au  Père  Si- 
mon où  il  prendra  sa  tradition?  Sil  me  dit  :  Dans  l'Eglise,  ce 
mot  est  trop  général  :  s'U  ajoute  que  l'Eglise  a  décidé  dans  Itis 
conciles  ce  qu'on  devoit  croire,  je  le  prie  de  me  mar(]uer  dans 
quels  concUes  ?  Nous  venons  de  voir  que  le  concile  de  Trente  n'o- 


C8     DISSERT.  SUi\  LA  RÉUNiON  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

blige  en  conscience,  de  tous  les  François ,  que  les  seuls  ligueurs 
qui  Font  reçu.  » 

î\Iinor  probatur,  quoad  secundum  membrum  ex  illustrissimo 
Tliuano,  Eistoriœ  siiœ  libro  VIII,  ad  annum  1551,  editionis  Fran- 
cofui'tensis ,  fol.  380.  «  ^Ymiembergiei  legati  Tridentum  ve- 
niunt,  sub  exitum  seplcmbris,  Theodoricus  Pleningerus  et  Jo- 
liaimes  lïeclitinus,  ijiiibus  maiidatum  erat,  ut  (îonfcssionem  scripto 
comprehensam  publiée  exliiberent,  eô  venturos  theologos  dice- 
rent,  modo  ipsis  juxta  concilii  Basileensis  formulam  idoneè  cave- 
retui\  Cùm  Monfortiuin  comitem  Csesaris  legatum  couvenisscnt, 
et  exhibito  diplomate,  quid  in  mandatis  haberent  exposuissent, 
ille,  ante  omnia  legatum  pontificium  ipsis  adeundum  persuadere 
conatur.  Yerùm  ii  veriti,  si  cum  legato  pontificio  rem  commmii- 
cassent,  ne  eo  ipso,  jus  illi  ac  prœcipuam  cognoscendi  auctorita- 
tem  tribuere  viderentur ,  magno  fortassè  suœ  causée  praejudicio, 
suspenderunt  judicium ,  dùm  datis  ad  ducem  Wuriembergicum 
litteris,  quid  fieri  in  eo  vellet,  ex  ipso  intelligercnt.  Intérim  à 
Wmiembergico  litteraî  venermit;  sed  seriùs,  quàm  ut  ad  vi  kal. 
decembris,  ut  jubcbantur,  in  consessu  publico  Confessio  exliiberi 
posset.  Igitur  legati  cardinalem  Tridentinum  adeunt,'quôd  Mon- 
fortius  abesset,  et  pro  communis  patria^  cliaritate  et  amicitià,  qua^ 
ipsi  cum  principe  suo  intercedebat,  ut  publiée  audiantur,  postu- 
lat. Ille,  re  cum  legato  pontificio  communicatà,  litteris  etiam  man- 
dati,  ut  majorem  fidem  faceret ,  exlvil)itis,  renmitiat  indignari 
legatum  pontificium,  xjuôd  ((ui  doctrina^  regidam  et  modmn  ac- 
cipere  humiliter  at(]UP  olttemperare  deberent,  scriptum  ullum  ol- 
ferre,  et  majoril)us  sese  (juasi  pra^scribere  ffuidrpiam  auderent. 
Ita  legatos  ad  Franciscum  Toletanum  remittit,  k  quo  variis  ludi- 
ficationibus,  extracto  tempore,  dùm  intereà  etiam  Argentinenses 
à  Guillelmo  Pictavio  ]">ari  arte  (^luderentur,  nibi]  eo  anno  impe- 
trari  ab  ipsis  potuit.  Pontiîex  sub  id  tempus  tredecim  cardinales, 
omnes  Italos  créât,  tutum  potentiaî  suœ  munimentum,  quod  à 
(îermanisacHispanisepiscopisac  theologis  sibi  metueret,  ne  cùm 
de  moinim  emendatione  ageretm',  auctoritati  Pontiticis  detrahi 
paterentur.  »  Hactenùs  ille. 

Cùm  ita(pie  reliqui  in  Germaniâ  protestantes,  ex  boc  specimine 


EXPLICATIO  ULTERIOR,  EPILOGUS.  fiO 

satis  animadverterent,  qiiid  sibi  sperandum  à  tali  conciliO;,  in  qiio 
insuper  nihil  à  Patribus  ibidem  congregatis,  sed  «  omnia  magis 
Romae  quàm  Tridenti  agebantur,  et  qiiee  pul)licabantur  magis 
Pii  IV  placita  quàm  concilii  Tridentini  décréta  jure  existimaban- 
tur,  »  uti  liabent  verlia  oratorum  Caroli  IX  christianissimi  Gal- 
liarum  régis,  demmtiantium,  et  mense  septemb.  anno  1363  quàm 
solemnissimè  protestantium,  «  cjiia^cumque  in  hoc  conventu,  hoc 
est,  solo  Pii  nutu  et  vohmtate  decernebantur  et  publicabantm-, 
ea,  neque  regem  christianissimum  probaturum,  neque  Ecclesiani 
(iallicanam  pro  decreto  œcumcnici  concilii  habituram;  «  hinc 
factum  ut  plerique  electorum,  principum,  et  statuum  Imperii 
protestantium  in  tali  concilio  comparere  detrectantes ,  commimi 
deniquè  consensu  librum  ediderint,  quo  causas  reddunt  répudiât! 
concUii  Tridentini,  cujus  exemplaria  cùm  sint  in  onmiuin  manu, 
exscribere  hîc  nihil  attinet. 

Possem,  corollarii  loco,  adjieere  judicia  de  concilio  Tridentino, 
virormii  in  Ecclesià  Romanà  doctissimorum ,  putà  Edmundi  Ri- 
cherii,  Claudii  Espenceei,  Andrese  Duditii  Episcopi.Quinqueccle- 
siensis,  Imiocentii  Gentiletti,  Polani  Suavis  à  Josseratio  haud  ita 
pridem  gallicè  versi,  et  contra  Pallavicinum  vindicati,  ac  Csesaris 
Âquilii  libro  de  Tribus  Ju'storieis  ronciUi  Tridentini ,  ad  quem  de 
la  Mothe-Josserat  sœpè  provocat  ;  sed  talibus  ad  hominem  argu- 
ments pugnare  non  est  meum. 

EPILOGUS. 

Deo  gratias.  Scribi  cœptum  in  cœnobio  meo  Luccensi  tempore 
Quadragesimali ,  et  utcumrp^iè  al)Solutum  in  ÎTebdomadà  sanctâ, 
pridiè  festi  Paschatis,  salutis  verô  anno  1693,  quando  ad  Vesperam, 
ex  Breviario  sancti  nostri  Ordinis  Cisterciensis ,  in  hune  modum 
oratur. 

«  Spiritum  nobis ,  Domine ,  tuse  charitatis  infmide,  ut  ([uos  pas- 
chalibus  sacramentis  satiasti ,  tuà  facias  pietatc  concordes ,  per 
Dominum  nostrum  Jesum  Christum  Filium  tuum ,  qui  tecum  vi- 
vit  et  régnât  in  unitate  ejusdem  Spiritùs  sancti  Reus,  per  omnia 
ssecula  si'oculorum.  Amen.  » 


70     DISSERT.  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

Revisum  deinceps  Haimoverse,  in  bibliothecâ  meâ,  et  non- 
nullis  in  locis  auctum,  quibusdam  etiam  correctum,  mense  junio. 
Descriptum  mense  julio,  et  ad  fmem  perductum  ipsis  calendis  aii- 

gUSti,  M,  BC.  XCIII. 

Benedicarnus  Domino.  Alléluia. 
Deo  gratias.  Alléluia,  alléluia. 


NOUVELLE  EXPLICATION 

DE    LA    MÉTHODE    QU'ON    DOIT    SUIVRE 

POUR   PARVENIR 

A  LA  RÉUNION  DES  ÉGLISES 

ku  sujet  des  lléflexions  également  savantes  et  modérées,  que  M.  l'évêque 
de  Meaux  a  bien  voulu  faire  sur  cette  Méthode. 

PAR  MOLANUS,  ABBÉ  UE  LAKKUM. 


PROLOGUE. 

J'ai  lu  et  relu  avec  un  singulier  plaisir  les  Réflexions,  que  M.  de 
Meaux,  prélat  aussi  célèbre  en  Allemagne  qu'il  l'est  en  France, 
a  daigné  faire  sur  mes  Pensées  j^articulières  au  sujet  de  la  mé- 
thode qu'on  peut  employer  pour  parvenir  à  la  rémiion.  Je  ne 
pouvois  rien  attendre  que  d'excellent  de  l'auteur  de  V Exposition 
de  la  Doctrine  catholique,  dont  rou\Tage  a  eu  l'approbation  d'un 
grand  nombre  d'évêques,  d'archevêques,  de  cardinaux,  et  enfm 
du  défmit  pape  Imiocent  XI.  J'ai  été  tellement  satisfait  des  Ré- 
flexions de  M.  de  Meaux,  qu'après  les  avoir  lues  avec  toute  l'at- 
tention possible ,  je  n'ai  point  balancé  à  faire  des  vœux  ardens 
pour  la  conservation  de  ce  savant  évèque;  et  j'ai  prié  le  Seigneur 
de  prolonger  les  jours  d'un  prélat  si  bien  disposé,  si  éloigné  de 


NOUVELLE  EXPLICATION,  PROLOGUE.  71 

tout  esprit  de  parti ,  et  qui  cherche  de  si  hoinie  loi  la  vérité  et  la 
paix. 

Il  examine,  dans  les  premières  parties  de  son  ouvrage,  la  mé- 
thode que  je  propose,  qui  lui  paroît  sujette  à  heaucoup  de  difïï- 
cultés,  et  même  impraticable  en  quelques  points.  Cela  ne  me  sur- 
prend pas  :  je  m'étonne,  au  contraire,  que  nous  soyons  si  parfai- 
tement d'accord,  non  sur  tous  les  chefs,  ce  que  je  n'ai  jamais  dû 
espérer,  mais  pourtant  sur  le  plus  grand  nombre. 

Car  quand  je  considère  les  difTérentes  méthodes  employées  jus- 
qu'à présent  par  ceux  qui  de  part  et  d'autre  ont  voulu  travailler  à 
la  rémiion,  je  trouve  que  les  mis  pleins  de  zèle,  mais  sans  science 
et  sans  expérience ,  ont  ou  exigé  sans  détour  des  rétractations 
de  leurs  adversaires,  ou  tâché  de  les  amener  doucement  à  ce  point, 
en  employant  des  discours  pompeux,  de  belles  paroles  et  des  rai- 
sonnemens  ajustés  avec  art,  au  moyen  desquels  ils  retenoient 
d'ime  main  ce  qu'ils  sembloient  donner  de  l'autre  :  que  d'autres 
supposant  comme  avoué  ce  que  leurs  adversaires  contestoient , 
ont  bâti  sur  ce  fondement  de  vains  projets  de  conciUation  :  que 
d'autres  ont  fait  illusion  aux  simples,  en  débitant  de  ces  maximes 
vagues  qu'on  peut  appliquer  à  tout ,  et  de  ces  grands  lieux  com- 
muns sur  la  paix,  qui  ne  renferment  que  des  mots,  et  rien  de 
plus  :  que  d'autres  enfui  ont  cru  qu'un  ton  impérieux  en  impose- 
roit  à  leurs  adversaires ,  qui  n'oseroient  refuser  d'admettre  des 
projets  de  conciliation  qu'ils  verroient  défendre  avec  autant  d'ar- 
deur que  s'il  s'agissoit  de  toute  la  religion.  Ces  difTérentes  mé- 
thodes, loin  de  procurer  la  paix,  n'étoient  propres  qu'à  faire 
naitre  de  nouveUes  contestations ,  parce  qu'en  général  on  s'écar- 
toit  du  droit  chemin,  et  que  l'on  s'engageoit  sans  nécessité  dans 
des  circuits  qui  n'avoient  point  d'issue. 

Il  paroît,  tout  bien  examiné,  que  ce  seroit  travailler  en  vain 
que  de  suivre  ces  mêmes  routes.  J'ai  donc  cru  devoir  m'en  frayer 
une  autre.  Le  sérénissime  duc  de  Brunswick  et  dcLmiebourg, 
Jean-Frédéric,  catholique  romain,  à  qui  je  souhaite  toutes  sortes 
de  prospérités,  est  le  premier  qui  m'ait  fourni  l'occasion  d'entrer 
dans  cette  carrière  :  je  m'y  suis  ensuite  engagé  par  les  ordres  de 
mon  sérénissime  souverain  Ernest-Auguste,  de  Brmiswick-Lmie- 


72     DISSERT.  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE, 
bourg,  électeur  de  Saxe  ;  et  j"ai  discuté  les  matières^  en  la  pré- 
sence de  Dieu,  pendant  l'espace  de  sept  mois  avec  un  illustre 
prélat  d'Allemagne  [a] . 

L'épreuve  que  nous  avons  faite  de  l'inutilité  des  méthodes  em- 
ployées par  les  controversistes  modernes,  m'a  prouvé  que  je  de- 
vois  en  prendre  une  autre ,  qui  pourra  paroître  nouvelle  à  cause 
du  nouvel  usage  que  j'en  fais,  mais  cpii  pourtant  a  son  fondement 
dans  l'antiquité  la  plus  respectable.  J'ai  donc  songé  sérieusement 
à  suivi'e  une  route  dans  laquelle  personne  n'avoit  encore  marclié,  et 
je  me  suis  enfin  convaincu,  par  l'examen  du  fond  des  choses,  que 
si  de  part  et  d'autre  on  ne  veut  rien  faire  contre  sa  conscience , 
et  que  si  les  protestans  veulent  conserver  dans  leur  entier  des 
dogmes  que  la  loi  de  Dieu  leur  défend  d'abandonner,  ils  ne  peu- 
vent se  réimir  avec  l'Eglise  romaine  {ju'en  suivant  cette  méthode 
ou  quelque  autre  semblable.  S'il  arrivoit  contre  nos  espérances 
que  l'Eglise  romaine  se  rendit  difficile  à  ses  anciens  enfans ,  qui 
ne  lui  demandent  rien  que  de  juste,  nous  n'aurions  dès  lors  au- 
cune espérance  de  parvenir  à  la  paix ,  et  il  ne  nous  resteroit  plus 
qu'à  laisser  à  Dieu  le  soin  de  la  procurer ,  sans  craindre  d'être 
coupables  du  crime  de  schisme,  puisqu'il  nous  sufhroit,  pour 
tranquilliser  nos  consciences  et  nous  mettre  à  l'aliri  du  schisme, 
d'avoir  fait  toutes  les  avances  qu'il  nous  étoit  permis  de  faire. 
Dans  ce  cas,  le  crime  du  schisme  retoiïdieroit  sur  ceux  qui,  de 
leur  plein  gré  et  malgré  nos  soUicitatious,  auroient  refusé  de 
faire  ce  qui  dépendoit  entièrement  d'eux. 

L'excellent  ouvrage  de  M.  l'évèque  de  Mcaux,  dans  lequel  j'ai 
trouvé  beaucoup  à  m'instruire,  m'a  pleinement  confirmé  dans 
l'opinion  où  je  suis,  qu'il  faut  traiter  l'affaire  de  la  réunion  sui- 
vant le  plan  que  je  propose  ou  un  autre  semblable.  En  faisant  une 
déclaration  précise  sur  ce  sujet,  je  ne  fais  (pie  manifester  le  té- 
moignage intérieur  de  ma  conscience. 

Cependant  je  ne  prétends  pas  qu'il  ne  soit  utile  et  même  néces- 
saire d'employer  la  méthode  de  Y  Expos f lion,  que  Tillustre  prélat 
propose  avec  beaucoup  de  netteté  dans  la  troisième  partie  de  son 
ouvrage.  Son  livre  de  V Exposition  de  fa  Doctrine  catholique  m'a- 

'    (a)  Ghristoplie,  évèirue  de  Neusfa'lt. 


NOUVELLE  EXPLICATION,  PROLOGUE.  73 

voit  fait  coimoître,  il  y  a  longtemps ,  l'avantage  de  cette  méthode  ; 
je  suis  même  convaincu  que  si  la  méthode  de  l'Exposition  satis- 
faisoità  tout,  et  que  s'il  étoit  possible  de  prouver,  en  l'employant, 
que  l'Eghse  romaine  entend  tous  les  articles  de  nos  controverses^ 
définis  par  le  concile  de  l'rente  sous  peine  d'anathème ,  dans  im 
sens  qui  lève  de  part  et  d'autre  toutes  les  difficultés,  ce  seroit  faire 
injiu-e  à  Dieu  et  à  l'Eglise  que  de  ne  se  pas  empresser  de  prendre 
cette  méthode,  puisqu'elle  seroit  de  beaucoup  préférable,  je  ne 
dis  pas  à  la  mieime,  mais  à  toutes  celles  dont  on  s'est  servi  jusqu'à 
présont.  En  effet  il  n'y  am'oit  plus  de  demandes  à  faire,  d'assem- 
blées à  tenir,  de  négociations  secrètes  à  traiter  avec  le  Pape,  avec 
l'Empereur  et  avec  les  plus  puissans  prmces  :  il  ne  faudroit  plus 
parler  ni  de  suspendre  le  concile  de  Trente,  ni  d'assembler  mi 
nouveau  concile.  Tout  cela  deviendroit  inutile ,  dès  qu'on  pom-- 
roit  prouver  clairement  que  nos  docteurs  ont  mal  pris  le  sens  des 
décrets  de  Trente,  et  qu'ils  ont  faussement  imputé  aux  cathoh- 
ques  des  erreurs  qui  ne  lem*  sont  jamais  venues  dans  l'esprit.  Ce 
que  je  dis  est  si  évident ,  que  si  je  mettois  ce  raisomiement  en 
forme  de  syllogisme,  la  majeure  paroitroit  aussi  incontestable 
que  l'axiome  le  plus  certain  ;  mais  la  mineure  souffre  beaucoup 
de  difficulté.  J'avoue  néanmoins  qu'on  peut,  par  la  méthode  de 
Y  Exposition ,  conciher  beaucoup  de  questions  agitées  avec  feu  de 
part  et  d'autre  depuis  un  siècle  et  demi  ;  et  que  même  un  grand 
nombre  ont  été  conciliées  par  M.  l'évêque  de  Meaux,  tant  dans 
son  livre  de  Y  Exposition ,  etc.  que  dans  l'excellent  ouvrage  que 
j'ai  actuellement  devant  les  yeux,  comme  je  le  ferai  voir  à  la  fin 
de  cet  écrit. 

J'ajoute  que,  pour  satisfaire  au  désir  d(^  notre  invincible  et 
pieux  Empereur,  j  ai  concilié  avec  l'aide  de  Dieu,  en  employant 
cette  méthode,  cinquante  points  des  plus  importans  de  nos  contro- 
verses, dans  un  autre  écrit,  dont  j'ai  envoyé  une  partie  à  Vienne. 

Mais  je  ne  crois  pas  que  personne,  sans  en  excepter  le  savant  au- 
teur de  Y  Exposition,  etc.,  o:-^e  dire  que  tous  les  points  contestés 
Vntre  Rome  et  nous  puissent  sans  exception  être  conciliés  par 
.cette  méthode.  11  ne  s'agit  donc  pas,  entre  nous,  de  savoir  si  la 

méthode  de  Y  Exposition  est  bonne  et  excellente  (il  y  auroit  de 


74     DiSSERT.  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

l'injustice  à  n'en  pas  convenir  )  ;  mais  il  s'agit  de  décider  si  elle 
est  toujours  suffisante,  et  si  l'on  peut  l'appliquer  à  tous  les  points 
de  nos  controverses  ;  de  sorte  qu'il  ne  soit  pas  nécessaire  que  le 
Pape  ait  la  condescendance  d'en  abandonner  quelques-uns ,  que 
les  protestans  ne  croient  pas  pouvoir*  rétracter  en  conscience, 
et  d'en  renvoyer  quelques  autres  à  la  décision  d'un  concile  légi- 
time. Je  dirai  naturellement,  dans  la  suite  de  ces  observations , 
ce  que  je  pense  sur  cet  article ,  et  je  tâcherai  de  résoudre  en  même 
temps  au  moins  une  partie  des  difficultés  que  le  savant  prélat  a 
formées  contre  ma  méthode.  Plaise  à  Dieu,  le  souverahi  maître 
delà  paix,  de  me  faire  contribuer  à  la  construction  du  sanctuaire 
de  la  concorde.  Si  je  ne  puis  donner  de  l'or ,  de  l'argent ,  de  l'ai- 
rain ,  de  l'hyacinthe ,  de  la  pourpre ,  de  l'écarlate ,  qu'au  moins 
je  fournisse  des  poils  de  chèvre,  afin  de  faire  voir  de  mon  mieux, 
suivant  mes  foibles  talens,  combien  je  souhaite  de  venir  au  se- 
cours de  l'Eglise ,  et  par  là  de  me  justifier  pleinement  du  crime 
de  schisme,  crime  tout  à  fait  opposé,  selon  la  doctrine  de  saint 
Paul,  à  la  cliarité  chrétienne. 

EXTRAIT  DE  CETTE  NOUVELLE  EXPLICATION. 
Des  conciles  œcuméuiques  engéjicral,  et  on  particulier  du  concile  de  Trente. 

Je  dis  en  général  au  sujet  des  conciles  généraux  légitimement 
assemblés ,  soit  qu'il  y  en  ait  seulement  cinq  ou  un  plus  grand 
nombre,  que  Jésus-Christ  assiste  son  Eglise  dans  tous  les  siècles, 
et  qu'il  ne  permettra  jamais  que  l'Eglise  universelle  définisse 
dans  un  tel  concile  rien  qui  soit  contraire  à  la  foi  ;  mais  cela  n'em- 
pêche pas  (|ue  les  erreurs  et  les  abus  ne  prévalent  (pielquefois. 
Supposons  le  concile  de  Trente  légitime ,  et  qu'il  a  décidé  en  fa- 
veur du  sentiment  de  Scot  [a]  sur  le  mérite  des  bonnes  œuvres, 
sentiment  qui  suppose  une  promesse  de  la  part  de  Dieu,  cela 
n'empêche  pas  que  la  doctrine  de  Yasquez  ne  soit  devenue  la  plus 
commune,  comme  Gilbert  de  Burgos  •  l'observe  dans  son  Luthero- 
Calvinisme. 

(a)  Molauus  répète  ici  une  objection  que  M.  de  Meaux  avoit  réfutée  dans  son 
Ecrit  lalin,  n.30.  J'y  renvoie  le  lecteur.  [Edit.  de  Leroi.) 

1  De  l'ordre  des  ermites  de  saint  Augustin,  professeur  dans  l'université  d'Er- 
ford. 


NOUVELLE  EXPLICATION,  EXTRAITS.  75 

M.  de  Meaux  croit  que  son  sentiment  et  le  mien ,  sur  les  for- 
mules (l'invoquer  les  Saints',  quon  doit  toujours  entendre,  de 
quelque  façon  qu'elles  soient  conçues ,  dans  le  sens  d'une  simple 
intercession ;,  est  conforme  aux  décisions  de  Trente;  et  cependant 
combien  y  a-t-il  d'alnis  notoires  sur  ce  culte  [a)  !  Le  prince  Ernest 
de  liesse,  qui  de  luthérien  s'est  fait  catholique  romain,  se  plai- 
gnit hautement  de  ces  abus  à  la  face  de  toute  l'Eghse ,  dans  son 
Catholique  véritable,  sincère  et  discret;  mais  comme  Rome  n'a- 
voit  aucun  égard  à  ses  plaintes,  un  autre  écrivain  allemand  pu- 
blia im  livre  sous  ce  titre  :  AxVÎs  salutaires  de  la  sainte  Vierge  à 
ses  dévots  indiscrets.  On  attribue  cet  ouvrage  à  M.  Adam  Widel- 
kels,  jurisconsulte  de  Cologne.  11  parut  à  Gand  en  1G73,  par  l'au- 
torité d'un  catholique  romain,  et  muni  des  approbations  de  J.  Gil- 
lemans ,  hcencié  en  théologie ,  archiprêtre  et  censeur  des  hvres  ; 
de  Geoffroy  ^Nlolang  ;  de  Werner  Franken  ;  d'Henri  Patrice ,  et  de 
J.  Folch,  docteurs  de  Cologne.  On  y  voit  même  celles  de  Pierre 
de  Walembourg,  évêque  de  Mysie,  suffragant  de  Cologne,  et  de 
Paiû  Aussemius ,  archidiacre  et  grand  vicaire  de  la  même  viUe. 
M.  l'évèque  de  Tournay  [h]  a  depuis  autorisé  cet  ouvrage,  en  le 
faisant  imprimer  dans  la  Flandre  françoise. 

Le  vn"  concile,  cpi'on  nomme  communément  le  n*"  de  Nicée, 
contient  d'excellentes  choses  ;  c'est  pour  cela  qu'on  le  cite  dans 
l'occasion,  quoiqu'on  puisse  d'ailleurs  révoquer  en  doute  son  au- 
torité, puisqu'une  grande  partie  de  l'Occident  refusa  de  le  recon- 
noître.  J'avoue  qu'on  peut  peut-être  excuser  ses  décret  sur  les 
images;  mais  je  soutiens  qu'on  ne  peut  pas  les  approuver  tous 
indistinctement.  Aussi  ce  concile  fut-il  rejeté  par  celui  de  Franc- 
fort, composé  d'environ  trois  cents  évêques  françois,  allemands  et 
italiens.  Je  sais  qu'Alain  Copus,  et  après  lui  Grégoire  de  Valence  ^ 
prétendent  (jne  «  ce  fut  un  certain  faux  concile  des  iconomaques, 
et  non  le  n'  de  Nicée,  autrement  appelé  le  vu"  concile,  que  con- 

»N.  XXXVIII.  —  *-  Greg.  de  Val ,  De  idoL,  lib.  II,  c.  vu. 

(a)  Lorsqu'une  pratique  est  bonne  et  qu'où  eu  abuse ,  il  faut  demander  qu'où 
corrige  les  abus.  Au  reste  ou  abu^e  des  meilleures  choses  ,  de  l'Ecriture  et  des 
sacremens;  mais  les  abus  u'autori;,ent  jamais  à  faire  schisme,  comme  M.  Bossuet 
l'a  prouve  dans  tous  ses  écrits  de  controverse.  [Edit.  de  Lerot.) 

(b)  Clioiseul  du  Plessis-Pra.-liu.      • 


76    DISSERT.  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

damnèrent  les  Pères  de  Francfort  ;  »  mais  le  sentiment  commun 
est  si  certain  et  appuyé  sur  tant  de  témoignages  anciens,  que 
Bellarmin  n'a  pu  s'empêcher  de'  l'embrasser.  Voici  ses  paroles  : 
«  Tous  les  auteurs  con\deiment  que  le  concile  de  Francfort  rejeta 
le  vu"  concile,  parce  qu'U.  avoit  décidé  qu'il  falloit  adorer  les 
images.  C'est  ce  que  disent  flincmar,  Aimoin,  Rliéginon,  Adon  et 
d'autres.  Il  me  paroi t  dur  de  dire  avec  Alain  Copus,  ou  que  ces 
autem's  mentent,  ou  i[ue  lem's  livres  ont  été  falsifiés  '. 

Je  ne  puis  cependant  disconvenir  que  le  concile  de  Francfort 
n'ait  été  trop  loin.  Il  prit,  dans  le  sens  le  plus  rigoureux,  la  doc- 
trine établie  par  les  Urecs  du  n"  concile  de  Nicée  sm*  l'adoration 
des  images,  qu'on  pouvoit  interpréter  favorablement.  Le  concile 
de  I^'rancfort  devoit  rccourii*  au  texte  grec  du  concile  de  Nicée, 
et  ne  s'en  pas  tenir  à  la  version  latine,  dont  l'inexactitude  est  pal- 
pable [n). 

Je  viens  à  ce  (pie  dit  M.  Tévêque  de  Meaux,  que  «  les  protes- 
tans  exigent  ime  condition  ])ien  diu'e,  en  demandant  qu'on  ne 
fasse  point  usage  des  décrets  du  concile  de  Trente,  et  des  autres 
conciles  qui  am'oient  condamné  lem's  dogmes  '-.  »  La  condition  est 
dure,  je  l'avoue;  mais  il  seroit  encore  plus  dur  de  vouloir  nous 
obliger  à  des  choses  qui  seroient  contre  notre  conscience,  et  que 
nous  ne  pourrions  faire  sans  risquer  notre  salut  éternel ,  et  nous 
rendre  dignes  de  la  damnation.  Je  le  répète,  s'il  est  possible  de 
faire  voir  par  la  méthode  de  Y E/ position .,  connue  M.  de  Meaux 
et  moi  l'avons  déjà  fait  sur  mi  grand  nombre  d'articles,  que  les 
protestans  peuvent,  sans  donner  atteinte  au  concile  de  Trente, 
demeurer  dans  leurs  sentimcns,  et  croire,  par  exemple,  qu(5  la 
comnnmion  sous  les  deux  espèces  est  de  précepte,  que  les  ordi- 
nations qu'ils  ont  faites  jusqu'à  présent  sont  valides,  et  ainsi  des 

1  Bellarm.,  1.  11.  De  inuuj.,  c.  xiv.  — "-  N.  XLiv. 

[a]  Ce  que  dit  Molanus,  que  le  concile  de  Francfort  n'avoitpas  pris  les  décrets 
<lu  Vil  [«concile  dans  leur  véiitablo  sens,  résout  absolument  sa  difficulté;  et  je 
in'étoiuK!  ([u'uu  honune  si  habile  ait  pu  ijisister  sur  mie  objection  qui  se  détruit 
d'elle-même.  Vn\  (îoucile  n'est  ctmsc  œ(;uméuique  que  quand  les  églises  catho- 
liques ont  concouru  à  le  rendre  tel  par  une  approbation  authentique  de  ses  dé- 
crets, soit  pendant  ou  après  sa  tenue.  Ainsi  le  premier  concile  de  Constantinople, 
<'.omposé  des  seuls  Grecs,  devint  œcuménique  par  rapi>iobation  postérieure  des 
églises  d'Occident.  [Edit.  de  Leroi).      •       > 


NOUVELLE  EXPLICATION,  EXTRAITS.  77 

autres  points,  dont  le  concile  de  Trente  exige  la  croyance  sous 
peine  d'anathènie ,  et  qui  ne  sont  point  approuvés  par  les  protes- 
tans;  dès  lors  il  ne  faut  plus  parler  de  suspendre  le  concile,  puis- 
que ses  anathèmes  ne  portent  pas  contre  nous  ;  mais  s1l  est  im- 
possible de  concilier  ces  articles  et  d'autres  semblables  par  la 
méthode  de  Y Exjiosition ,  il  faut  ou  nous  accorder  la  suspension 
du  concile,  ou  renoncer  à  toute  négociation  de  paix.  Car  il  est 
visible  que  ces  deux  propositions  sont  contradictoires  :  les  pro- 
testans  se  rémiiront  avec  TEglise  romaine,  sans  rien  faire  contre 
lem*  conscience;  et  cependant,  pour  parvenir  à  cette  rémiion,  ils 
seront  obligés  d'approuver  le  concile  de  Trente,  qui  décide,  par 
exemple,  que  Jésus-Christ  n'a  pas  fait  un  précepte  de  la  commu- 
nion sous  les  deux  espèces,  quoiqu'ils  soient  intimement  convain- 
cus que  cette  communion  est  de  précepte,  et  qu'ils  ne  peuvent 
nier  une  ^^érité  si  manifeste  et  si  solidement  établie,  sans  s'exposer 
à  la  damnation  éternelle  [a] . 

Il  ne  s'ensuit  pas  de  là  que  je  veuille  diminuer  en  rien  Tautorité 
des  conciles  vraiment  œcuméniques.  Si  je  demande  qu'on  suspende 
et  qu'on  mette  à  l'écart  celui  de  Trente,  c'est  que,  bien  loin  de  le 
croire  oecuménique,  nous  ne  le  tenons  pas  même  pour  légitime. 
Ainsi  lorsque  les  protestans  font  profession  de  croire  fermement 
que  Jésus-Christ  a  commandé  la  communion  sous  les  deux  espèces, 
ils  fondent  leur  croyance  sur  les  raisons  qu'on  a  dites  ;  et  ce  qui 
contribue  beaucoup  à  les  confu^mer  dans  leiu'  sentiment,  c'est 
qu'ils  voient  qu'aucun  concile  légitime  n'a  décidé  le  contraire,  et 
([u'ils  tiemient  pom'  certain  qu'aucim  concile ,  qui  aiu'a  ce  carac- 
ière,  ne  le  décidera.  En  effet  si  l'Eglise  avoit  décidé  dans  mi  con- 
cile indubitaljlement  œcuménique,  tels  que  le  sont,  de  l'aveu  de 
tous  les  partis,  le  premier  de  Nicée,  les  trois  de  Constantinople, 
celui  de  Chalcédoine  et  celui  d'Ephèse,  le  contraire  de  ce  que  pré- 
tendent les  prot(!stans,  il  n'est  pas  douteux  que  cette  décision  ne 
dût  l'emporter.  Mais  les  défenseurs  de  l.i  Confession  d'Augsbonrg, 

{a)  Molanus  incidente  et  insiste  sur  un  point  particulier  de  peu  d'iuiportauce 
au  fond,  de  l'aveu  même  de  Luther,  et  sur  lequel  il  seroit  facile  de  se  concilier, 
si  les  lutliériens  vouloieut  rcxauiiner  ,sans  prévention.  Voyez  l'Ecrit  latin  de 
M.  Bossuet,  n.  lxxxi;  sou  Traité  de  la  Cornmiunon  sous  les  deux  exi'èces ,  et  sa 
Di'fense  de  ce  Traité. 


78  DISSERT.  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE, 
dont  la  doctrine  est  invariable,  sont  aussi  convaincus  que  jamais 
im  concile  vraiment  œcimnénique  ne  décidera  qu'il  est  indifférent 
de  recevoir  une  ou  deux  espèces,  qu'ils  le  sont  que  jamais  un  tel 
concile  ne  décidera  que  Jésus-Christ  dans  la  Cène  est  seulement 
présent  en  figure.  Il  résulte  de  là  qu'on  peut  être  fermement  per- 
suadé de  la  vérité  d'mie  doctrine ,  et  cependant  se  soumettre  à 
l'autorité  des  conciles  légitimes.  Car  celui  qui  croit  fermement 
que  son  sentiment  est  vrai ,  et  qui  d'ailleurs  est  bien  convaincu 
qu'en  vertu  des  promesses  de  Jésus-Clirist  un  concile  légitime  ne 
peut  errer  sur  les  points  de  foi ,  celui-là  ne  peut  pas  ne  pas  tenir 
pour  certain  qu'un  tel  concile  décidera  toujours  en  faveur  de  ce 
qu'il  croit  [a). 

On  accorde  à  M.  l'évêque  de  Meaux  sa  demande  ',  mais  on  ne 
peut  lui  accorder  Tapplication  qu'il  en  fait;  car  les  protestans 
n'exigent  pas  qu'on  annulle  les  décrets  d'aucun  concile,  reconnu 
pour  incontestablement  légitime  et  œcuménique.  Une  grande  par- 
tie de  l'Occident  a  rejeté  le  second  de  Nicée,  et  TOrient  ne  recon- 
noît  pas  ceux  de  Latran,  de  Lyon ,  de  Constance,  de.  Bâle  et  autres 
tenus  par  les  Latins.  On  dispute  même  en  Occident  sur  plusieurs 
de  ces  conciles.  Les  François  comptent,  parmi  les  conciles  géné- 
raux, ceux  de  Constance  et  de  Bàle,  que  la  cour  de  Rome  n'ap- 
prouve pas.  Quant  à  celui  de  Trente,  tout  l'Orient,  auquel  ime 
grande  partie  de  rOccident  s'est  jointe,  s'y  est  opposé  pendant 
sa  tenue  et  depuis ,  en  fondant  cette  opposition  sur  des  raisons 
très-solides  [/)). 

Il  me  seroit  aisé  de  répondre  aux  difticultés  qu'on  fait  sur  ce  su- 

1  N.  48. 

(«)  Bossuet  a  dit,  dans  son  Traité  de  la  Communion  et  dans  sa  Défense,  pour- 
cpioi  l'Eglise  ancienne  n'a  rien  décidé  dans  ses  conciles  touchant  la  commuuiou 
sous  une  ou  sous  deux  espèces;  c'est  qu'il  n'y  avoit  point  de  contestation  sur  ce 
sujet,  et  que  d'ailleurs  le  point  étoit  décidé  par  la  pratique  constante  depuis 
l'origine  du  christianisme.  [Edit.  de  Leroi.) 

[h)  Le  concile  de  Constance  est  reconnu  pour  œcuménique  à  Rome  même  , 
comme  M.  Bossuet  l'a  prouvé  dans  sa  Défense  des  (juatre  articles,  liv  V,  et  dans 
sa  Dissertation  intitulée  :  Galliaorthodoxa.  Le  même  M.  Bossuet  prouve,  ihid., 
liv.  VI ,  que  les  premières  sessions  du  concile  de  Bàle  sont  universellement  re- 
çues dans  l'Eglise  catholique.  Quant  au  concile  de  Trente,  les  Grecs  schisma- 
tiques  le  rejettent  pour  les  mêmes  raisons  que  les  protestans  Les  raisons  des 
protestans  étant  renversées  par  Bossuet,  celles  des  Grecs  ne  subsistent  plus. 
(  Edit.  de  Levai  ). 


NOUVELLE  EXPLICATION,  EXTRAITS.  79 

jet ,  si  je  voiilois  entrer  dans  cette  discussion  ;  mais  cela  devient 
inutile ,  dès  que  les  protestans  refusent  tout  accommodement ,  qui 
se  feroit  aux  dépens  de  leur  conscience  et  en  mettant  leur  salut  en 
danger.  L'accord  seroit  beaucoup  plus  fticile,  si  Ton  pouvoit  foire 
voir,  par  la  méthode  de  Y  Exposition,  que  les  anathèmes  de  Trente 
ne  tombent  point  sur  les  protestans  ;  mais  c'est  en  vain  qu'on  don- 
nera un  sens  favorable  à  la  plupart  des  articles ,  s'il  en  reste  im 
seul  que  le  concile  ordonne  de  croire  sous  peine  d'anathème ,  et 
que  nous  ne  croyions  pas  pouvoir  admettre  en  conscience,  soit 
ffue  nous  ayons  raison,  ou  que  notre  conscience  soit  invincible- 
ment erronée  ;  tel  qu'est  par  exemple ,  l'article  de  la  communion 
sous  les  deux  espèces,  que  nous  croyons  être  de  précepte.  Le  bon 
sens  dicte  que  dans  ce  cas,  tout  projet  de  conciliation  s'en  ira  en 
fumée,  si  l'on  ne  met  à  l'écart  le  concile  de  Trente.  En  effet  si  l'au- 
torité du  concile  de  Trente  ne  peut  être  suspendue  à  l'égard  des 
protestans,  il  faut  donc  qu'ils  croient,  conformément  à  ses  décrets, 
que  Jésus-Christ  n'a  point  ordonné  la  communion  sous  les  deux 
espèces ,  et  que  ceux  qui  pensent  autrement  sont  frappés  d'ana- 
thème, quoiqu'ils  soient  intimement  convaincus  que  Jésus-Christ  a 
ordonné  de  commmiier  ainsi,  et  qu'il  vaut  mieux  pour  eux  mourir 
dans  un  schisme,  dont  ils  ne  sont  pas  coupables,  que  de  renoncer  à 
cette  vérité  connue  et  à  l'amitié  de  Dieu ,  qui  dépend  de  leur  per- 
sévérance à  la  défendre ,  suivant  cette  parole  du  Seigneur  :  Vous 
serez  mes  amis,  si  vous  faites  ce  que  je  vous  cominande^ . 

Si  l'on  veut  donc  traiter  efficacement  avec  nous ,  il  ne  faut  pas 
même  songer  à  exiger  de  telles  choses  ;  et  je  suis  d'autant  plus 
surpris  que  M.  l'évêque  de  Meaux,  si  équitable  dans  tout  le  reste, 
fasse  tant  de  difficulté  d'accorder  aux  Allemands  la  coupe  et  la 
suspension  du  concile  de  Trente,  que  ces  deux  articles  nous  ont 
été  offerts  dès  le  commencement  par  les  évêques  d'Allemagne , 
avec  lesquels  j'ai  traité.  Ces  évêques,  en  prévenant  nos  demandes, 
et  en  nous  accordant  d'eux-mêmes  par  provision  ces  articles  au- 
tant qu'il  dépendoit  d'eux ,  ne  doutoient  pas  le  moins  du  monde 
que  nous  ne  dussions  les  obtenir  [a). 

^Joan.,  XV,  14. 

{(i)  Ou  l'abbé  Molanus  n'r.  pas  pri?  le  vrai  sens  des  avances  faites  par  des  pré-  ' 


80    DISSERT.  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

M.  de  Meaux  con\dent  '  que  les  anathématismes  dressés  par 
saint  Cyrille  et  approuvés  par  le  concile  dEplièse ,  furent  suspen- 
dus de  manière  que  même  après  la  réunion  Jean  d'Antioche  et  les 
évêques  de  son  parti  ne  les  admirent  pas.  A  combien  plus  forte 
raison  peut-on  accorder  la  suspension  des  anathématismes  de 
Trente ,  puisque  des  provinces  entières  et  des  royaumes  de  l'E- 
glise romaine  ne  les  ont  pas  encore  reçus  nettement ,  en  les  fai- 
sant publier  par  l'autorité  des  cours  séculières ,  et  que  d'ailleurs 
ils  sont  quelquefois  lancés  au  sujet  de  certaines  questions,  ou  pu- 

iNiim.  51, 
lats  allemands,  ou  il  n'a  pas  bien  entendu  ce  que  JI.  de  Jleaux  propose  dans  son 
Eciil  latin.  Ce  piélal  met  expressément  l'usage  du  calice  au  nombre  des  choses 
que  les  protestans  peuvent  obtenir  de  l'Eglise  romaine;  et  il  consent  que,  dans  la 
discussion  des  dogmes,  le  concUe  de  Trente  ne  soit  point  cité  en  preuve,  mais  seu- 
lement comme  le  témoignage  des  sentimcns  de  l'Eglise  romaine;  ce  qui  est 
mettre  clairement  le  concile  à  l'écart  et  le  suspendre  par  rappoit  aux  protestans. 
Car  il  cousent  qu'  on  ait  pour  eiLx  la  même  condescendance  que  l'on  eut  pour 
Jean  d'Antioche  et  pour  les  évoques  de  son  paiti,qui  s'étoient  séparés  du  con- 
cile d'Ephèse  ;  pour  Théodclindc ,  reine  des  Lombards ,  qui  ne  vouloit  pas 
reconnoitre  le  ¥•=  concUe;iiour  les  calixtins,  qui  refusoient  de  se  soumettre 
aux  décisions  du  concile  de  Constance,  etc.  Voyez  l'Ecrit  lalin,  n.  L.  et  suiv.  Il 
est  vrai  que  M.  de  Meaux  ne  prétendoit  point  déroger  à  l'autoiité  du  concile 
de  Trente,  quoiqu'il  consentît  de  ne  le  pas  faire  valoir  contre  les  protestans 
dans  l'examen  des  dogmes  qu'ils  contestoient ,  comme  saint  Augustin  ne  pré- 
tendoit pas  déroger  à  l'autorité  du  concile  de  Nicée  ,  lorsqu'il  s'engageoit  à  ne 
pas  employer  ce  concile  contre  Maximiu.  Voyez  ce  que  dit  sm-  cela  M.  Bossuet, 
dans  sa  Défense  de  la  Tradition  et  des  SS.  l'ères,]iv.  Il,  chap.  xix,  et  dans  la 
note  mise  à  cet  endroit,  et  encore  dans  la  Dissertation  intitulée  :  De  Pro/essori- 
ùus,  etc.,  part.  1,  chap.  v.  M.  Molauus  ne  pouvait  rien  exiger  de  plus  du  savant 
prélat ,  saus  l'obliger  à  renoncer  aux  principes  universellement  reçus  dans  la 
communion  romaine.  Il  est  encore  vrai  que  M.  de  Meaux,  eu  mettant  l'usage 
du  calice  au  nombre  des  choses  hidifférentes,  que  l'Eglise  l'omaine  pouvoit 
accorder  aux  protestans ,  vouloit  que  ceux-ci  reconnussent  que  la  communion 
sous  les  deux  espèces  n'étoit  pas  de  précepte  ,  et  qu'une  seule  esf)èce  sufiisoit 
pour  faire  une  conmiunion  entière  ;  et  certainemeut  il  ne  pouvoit  aller  plus  loin 
sans  renverser  les  principes  de  sa  propre  Eglise.  Il  n'est  pas  vraisemblable  que 
les  prélats  allemands  aient  prétendu  en  accorder  davantage;  et  ces  mots  :  In 
laryiendo  calicis  uni  et  seponendo  Triderdino ,  dont  se  sert  l'abbé  de  Lokkum, 
n'expriment  au  fond  que  ce  que  M.  Bossuet  ofTroit  aux  luthériens  sm-  ces  deux 
articles.  Le  lémoiguage  M.  de  Leibniz,  qui  ne  peut  être  suspect,  ne  permet  pas 
de  soupçonner  l'évéque  de  Neustadt  d'avoir  été  plus  loin  que  M.  de  Meaux  sur 
l'article  de  la  suspension  du  concile  de  Trente.  Voici  les  ];iaroles  de  M.  de  Leibniz 
dans  une  lettre  à  madame  de  Biinon,  qu'on  trouvera  dans  la  11"=  jiaitie  de  ce 
recueil  :  «  il  faut  rendre  cette  justice  à  M.  de  Neustadt ,  qu'il  souliaiteroit  fort 

de  pouvoir  disposer  les  protestans à  tenir  le  concile  de  Trente  pour  ce  qu'il 

.le  croit  être;  c'est-à-dire  pour  imiversel,  et  qu'il  y  eût  moyen  de  leur  faire 
voir  qu'ils  ont  lieu  de  se  contenter  des  expositions,  etc.  »  Je  conclus  de  là  que 
l'évéque  de  Neustadt  n'avoit  pas  d'autres  principes  que  M.  de  Meaux,  et  tra- 
vuilloit  sur  le  môme  plan  à  l'ouvrage  de  la  réunion.  [Edit.  de  Lero:.  ) 


NOUVELLE  EXPOSITION,  EXTILUTS.  81 

rement  scolastiques ,  ou  tout  à  fait  inutiles ,  lesquelles  ne  règlent 
point,  et  même  ne  sont  pas  de  nature  à  pouvoir  régler  la  conduite 
des  chrétiens  ;  telle  qu'est ,  par  exemple,  la  question  de  la  validité 
du  baptême  de  saint  Jean.  Pour  faire  voir  l'inutilité  de  cette  ques- 
tion ,  il  suffit  d'observer  que  n'y  ayant  plus  personne  au  monde 
qui  ait  reçu  le  baptême  de  saint  Jean,  personne  par  conséquent 
ne  peut  être  inquiet  de  la  validité  de  son  baptême  [d] . 

Le  troisième  exemple  que  M.  de  Meaux  tire  de  l'antiquité, 
dont  il  aune  si  parfaite  connoissance,  est  très-important.  Le  voici. 
Saint  Grégoire  le  Grand  suspendit ,  à  l'égard  des  Lombards ,  le 
cinquième  concile  qu'ils  refusoient  de  recevoir*.  Il  est  ATai  que  ce 
concile  n'avoit  rien  défini  de  nouveau  ;  mais  ce  n'est  pas  ce  dont 
il  s'agit  ici  :  il  s'agit  seulement  d'examiner  comment  il  faut  s'y 
prendre ,  afin  que  ceux  qui  fondés  sm'  de  boimes  raisons,  ne  veu- 
lent point  recoimoître  mi  certain  concile ,  par  exemple  celui  de 
Trente ,  pom*  œcuménique ,  ne  soient  pas  regardés  comme  opi- 
niâtres et  hérétiques.  Or  l'exemple  proposé  prouve  qu'on  ne  peut 
regarder  comme  hérétiques  ceux  qui  refusent  de  recevoir  un  cer- 
tain concile  à  cause  de  ses  nouvelles  décisions ,  soit  sm*  la  foi  ou 
sm*  les  personnes.  J'avoue  toutefois  quïl  est  plus  facile  de  sus- 
pendre un  concile  dont  les  décrets  ne  roulent  que  sur  les  per- 
sonnes. 

Je  ne  sais  si  ce  que  M.  de  Meaux  dit  des  Grecs  *  est  bien  prouvé, 
qu'un  peu  avant  la  tenue  du  second  concile  de  Lyon ,  ils  s"étoient 
rendus  sur  tous  les  articles  contestés  entre  eux  et  les  Latins;  mais 
je  n'ai  point  de  peine  à  supposer  le  fait,  parce  que  je  n'entre  pas 
volontiers  dans  la  dispute  sur  l'autorité  du  concile  de  Trente, 
étant  aussi  convaincu  que  je  le  serois  d'mie  démonstration  d"Eu- 
clide ,  que  nous  travaillons  en  vain ,  si  l'on  ne  convient  pas  de  la 
suspension  des  décrets  de  ce  concile.  Je  suppose  donc  le  fait  tel 
qu'on  le  dit ,  et  je  n'en  suis  que  plus  surpris  de  voir  qu'on  n'ait 
rien  exigé  de  semblable  des  mêmes  Grecs,  quand  on  les  admit  à 
Ferrare  et  à  Florence  comme  membres  d'un  même  concile  avec 

1  Num.  44. 

(a)  Voyez  la  lettre  de  JI.  de  .Meaux  sur  l'autorité  du  coucile  de  Trente,  seconde 
partie  de  ce  recueil,  lettre  XL,  où  il  résout  cette  difficulté  proposée  par  Leibniz 
dans  sa  réponse  à  M.  Pirot.  (Noie  de  Leroi.  ) 

TOM.  xvni.  6 


82    DISSERT.  SI  R  LA  RÉU.MON  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE 

les  Latins.  Cette  dernière  circonstance  est  très-importante  pour 
notre  question ,  et  mérite  d'autant  plus  d'être  bien  pesée ,  qu'il 
paroit  que  les  Latins ,  qui  se  proposoient  de  tenir  un  nouveau  con- 
cile, consentirent  à  suspendre  celui  de  Lyon  par  rapport  aux 
Grecs  ;  ce  qui  prom  e  qu'il  n'est  pas  contre  les  maximes  des  ca- 
tholiques de  suspendre  un  concile  en  tout  ou  en  partie.  Cela  soit 
dit  en  passant  [a] . 

«  L'affaire  de  la  réunion,  direz-vous,  est  donc  sans  ressource?  » 
M,  de  Meaux  se  propose  cette  difficulté  \  à  laquelle  il  fait  une 
réponse  bonne,  modérée  et  digne  d'un  prélat  chrétien.  EUe  con- 
siste à  dire  qu'il  faut  en  venir  à  la  méthode  de  VEjcpositioîi ,  et 
examiner  si  l'on  ne  peut  pas  concilier  les  points  qui  nous  divisent, 
par  des  éclaircissemens  et  par  des  déclarations.  Il  trouve  que 
l'affaire  est  déjà  si  fort  avancée,  qu'il  s'engage  à  dresser  une  dé- 
claration de  doctrine  sur  un  très-grand  nombre  des  principaux 
points,  composée  de  mes  propres  paroles.  «  Ou'on  prenne,  ajoute- 
t-il,  le  concile  de  Trente  d'une  part,  et  de  l'autre  la  Confession 
d'Augsbourg  et  les  autres  livres  symbolicpies  des  luthériens,  qui 
sont  les  garans  de  la  doctrine  des  deux  partis,  etc.  »  Cela  est 
très-bon  pour  acheminer  la  paix  ;  mais  je  ne  crois  pas  que  l'il- 
lustre prélat ,  lui-même ,  prétende  que  cette  méthode  satisfasse 
à  tout ,  qu'on  puisse  l'appliquer  à  tous  les  articles  de  nos  contro- 
verses; de  sorte  qu'il  ne  soit  point  nécessaire  de  rien  accorder 
aux  protestans,  et  qu'il  ne  faille  pas,  que  ni  les  protestans  ni  les 
catholiques  révoquent  aucun  point  de  leur  doctrine. 

La  troisième  partie  de  l'ouvrage  de  M.  de  JVIeaux  '  est  employée 
à  faire  un  essai  de  la  métliode  de  V Exposition.  Ce  prélat,  en  in- 
terprétant favorablement  le  concile  de  Trente  et  nos  livi'es  sym- 
boliques, a  trouvé  ce  que  le  savant  Bacon  de  Vérulam,  chancelier 
d'Angleterre,  disoit  dans  son  livre  de  Avgmentis  Scientiarum, 
qu'on  n'a  voit  point  encore  trouvé  de  son  temps.  On  ne  peut  trop 
remercier  cet  illustre  évêque  de  sa  charité,  qui  le  porte  à  rendre 

»  Num.  02,  63.-2  ajuiu.  64  et  seq. 

(a)  Toutes  ces  difficiilti^s  s'évanouissent ,  parce  qu'elles  ne  sont  bâties  sur 
rien,  dès  qu'on  fait  attention  que  M.  de  Meaux  consentoit  à  ne  pas  faire  plus 
d'usage  des  décrets  de  Trente  contre  les  protestans ,  que  saint  Augustin  n'en 
faisoit  de  ceux  de  Nicée  contre  les  ariens.  (Edit.  île  Lerot.) 


NOUVELLE  EXPOSITION  .  EXTRAITS.  83 

dans  cette  occasion  un  semce  signalé  à  l'Eglise  de  Jésus-Christ, 
déchirée  par  le  schisme.  Je  pourrois  finir  ici  mes  observations, 
s'il  ne  se  trouvoit  quelques  endroits  de  mon  écrit,  dans  lesquels, 
faute  apparemment  de  m'ètre  bien  exprimé ,  M.  de  Meaux  ne 
paroîtpas  avoir  saisi  ma  pensée.  Cela  étant  fait  en  peu  de  mots,  il 
ne  me  reste  plus  qu'à  parler  du  concile  de  Trente,  et  à  considérer 
le  fruit  cpi'on  peut  tirer  de  nos  travaux,  puisque  par  la  méthode 
de  V Exposition  il  se  trouve  que  beaucoup  d'articles,  qui  jusqu'à 
présent  ont  fait  l'objet  des  disputes  de  part  et  d'autre,  sont  heu- 
reusement conciliés,  ou  le  peuvent  être  aisément,  au  moins  entre 
M.  de  Meaux  et  moi. 

Ce  que  l'illustre  prélat  dit  sm'  le  concile  de  Trente  ' ,  est  moins 
contre  moi  que  contre  M.  de  Leibniz.  Comme  je  ne  doute  point 
que  M.  de  Leibniz  n'y  réponde,  je  me  contente  de  faire  quelques 
observations  historiques ,  dans  la  seule  vue  de  prouver  que  les 
protestans  ne  sont  point  injustes,  lorscjii'ils  demandent  la  suspen- 
sion du  concile  de  Trente. 

Je  me  borne  doni^  à  ce  seul  argiunent,  pour  répondre  à  ce  que 
le  prélat  dit  contre  M.  de  Leibniz,  à  la  fui  de  son  écrit.  Les  pro- 
testans modérés  n'exigent  rien  d'injuste  et  de  déraisonnable ,  en 
demandant  qu'on  mette  à  l'écart  un  concile  qui  n'a  pas  été  reçu, 
même  quant  à  la  doctrine,  par  l'autorité  publique  dans  toutes  les 
églises  soumises  au  Pontife  romain ,  et  dans  lequel  les  protestans 
n'ont  pas  été  pleinement  et  suffisamment  entendus  :  or  ces  deux 
choses  sont  vraies  du  concile  de  Trente  :  donc,  etc. 

La  majem'e  de  ce  syllogisme  est  évidente.  Car  pom'  ne  rien  dire 
du  premier  grief,  le  second  suffit  pour  autoriser,  non-seulement 
à  suspendre  les  anathématismes  d"im  concile ,  mais  même  à  le 
rejeter  tout  à  fait,  puisqu'une  sentence  prononcée  contre  un  accusé, 
qui  demande  d'être  entendu  et  qu'on  refuse  d'entendre  pleine- 
ment et  suflisamment,  est  manifestement  nulle.  Je  parle  dans  ma 
majeure  de  l'autorité  publi([ue,  parce  que  autre  chose  est  qu'un 
concile  et  ses  décrets  soient  reçus  par  les  évèques  et  par  le  reste 
du  clergé ,  autre  chose  qu'ils  le  soient  par  l'autorité  puliliquc  ;  je 
veux  dire  dans  les  royaumes  par  des  décrets  émanés  du  prince, 

1  Num.  toi  et  seq. 


84    DISSERT.  SUR  LA  REUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

et  dans  les  archevêchés  et  évêchés  pai*  les  s\Tiodes  provinciaux 
ou  au  moins  diocésains. 

La  preuve  de  la  première  partie  de  la  mineure  se  tire  de  ce  que 
le  concile  de  Trente  n'est  pas  encore  universellement  reçu  en 
Allemagne,  au  moins  dans  la  province  de  Mayence,  dont  les 
suffragans  sont  les  évêques  de  Strasbourg,  de  Wirtzbourg, 
de  Wormes,  de  Spire,  d'Augsbourg,  d'Eichstet,  de  Constance, 
de  Hildesheim ,  de  Paderborn ,  de  Coire ,  etc.  C'est  un  fait  (jue 
j'apprends  de  M.  de  Leibniz,  qui  le  tient  du  prince  Jean-Philippe, 
électeur  et  archevêque  de  Mayence,  dont  il  a  été  conseiller  dans 
sa  jeunesse.  On  croit  même  que  c'est  pour  cela  que  le  nonce  du 
Pape,  en  Allemagne,  ne  fait  jamais  sa  résidence  dans  l'électorat 
de  Mayence ,  qui  est  sans  difficulté  le  premier  de  l'Empire,  mais 
dans  celui  de  Cologne.  Les  archevêques  électeurs  de  Cologne  ont 
presque  toujours  été  tirés,  dès  avant  le  concile  de  Trente  et  depuis 
jusqu'à  présent,  de  la  famille  électorale  de  Bavière  :  or,  comme  le 
concile  a  été  reçu  solemiellement  en  lUivière,j'en  conclus,  ou  j'en 
conjecture  au  moins,  qu'il  a  été  publié  à  Cologne  par  l'autorité 
publique.  Observez  encore  que  quand  les  archevêques  de  Mayence 
veulent  tenir  des  conciles  provinciaux ,  ce  que  la  Cour  de  Rome 
n'accorde  jamais  qu'avec  peme,ils  prennent  pour  prétexte  de 
travailler  dans  ce  concile  à  faire  recevoir  celui  de  Trente  dans 
toute  la  province  par  l'autorité  publique.  C'est  ce  que  j'ai  cru 
devoir  faire  remanjuer  en  passant  {n) . 

Le  cardinal  Pallavicin ,  qui  fait  une  liste  exacte  de  tous  les 
princes  cpii  ont  reçu  solennellement  le  concUe  de  Trente  '  et  qui 
l'ont  fait  pubher  dims  leurs  Etats,  n'a  osé  nommer  que  Philippe  II, 
roi  d'Espagne,  les  Vénitiens,  les  pays  héréditaires  de  la  maison 
d'Autriche  et  la  Pologne.  11  promet,  il  est  vrai,  de  parler  au  long 
de  la  réception  du  concde  en  Allemagne  ;  mais  en  effet,  ou  il  n'en 
dit  rien,  sinon  qu'il  est  reçu  dans  les  pays  héréditaires  de  l'Empe- 
reur ;  ou  s'il  entend  par  les  autres  provinces  catholiques,  l'arche- 
vêché de  Mayence,  il  avance  un  fait  contraire  à  la  vérité. 

>  Hist.  Conc.  Trid.,  lilt.  XXIV,  cap.  xi,  xii;  Ihid.,  cap.  xii,  u.  4;  Ibid.,  n.  M. 

(a)  L'auteur  ne  prouve  ricii,  {luisqu'il  ne  prouve  pas,  comme  il  l'avoit  promis, 
que  le  concile  de  ÎYente  n'est  pas  reçu  quant  à  la  doctrine.  (Edit.  de  Leroi.) 


NOUVELLE  EXPOSITION,  EXTRAITS.  83 

C'est  pour  cela  qu'en  Allemagne  on  n'a  point  d'égard  à  la  déci- 
sion mise  prudemment  à  l'écart;,  dans  le  concile  de  Florence,  et 
faite  à  Trente  avec  hardiesse ,  sans  avoir  entendu  les  Grecs,  par 
laquelle  il  est  défendu  de  se  remarier  du  vivant  d'une  femme 
dont  on  s'est  séparé  pour  cause  d'adultère.  On  se  remarie,  dis-je, 
en  Allemagne  malgré  ce  décret  ;  et  l'Eglise  romaine  tolère  ceux 
f[ui  le  font,  et  même  les  admet  à  la  confession  et  à  la  communion. 
M.  Ballincourt,  gentilhomme  d'Alsace  et  lieutenant-colonel  dans 
l'armée  de  notre  électeur,  est  bon  catholique  romain  ;  cependant 
ayant  obtenu  en  Alsace  mie  sentence  qui  le  séparoit  de  corps  et  de 
biens  de  sa  femme  convaincue  d'adultère,  il  se  remaria  à  Hanovre, 
il  y  a  six  ou  sept  ans  ;  et  depuis,  cette  seconde  femme  étant  morte, 
il  en  épousa  une  troisième  du  vivant  de  la  première.  Je  lui 
demandai  comment  on  pouvoit  l'admettre  dans  son  Eglise  à  la 
participation  des  sacremens  malgré  l'infraction  d'ime  loi  si  authen- 
tique, et  il  me  répondit  que  son  confesseiu,  approbateur  des 
anathématismes  de  Trente ,  blàmoit  sa  conduite  ;  mais  pourtant 
qu'il  la  toléroit,  parce  cpie  le  concile  n'étoit  pas  universellement 
reçu  en  Allemagne  [a). 

(«)  Leibniz  ,  dans  sa  Dissertation  contre  le  discours  de  M.  Pirot,  n.  17,  pro- 
pose la  même  difficulté  qui ,  comme  on  va  voir,  porte  à  faux.  Elle  suppose  que 
le  concile  a  condamné  sous  peine  d'anatlième  le  sentiment  des  Grecs  sur  le 
divorce  pour  cause  d'adultère,  ce  qui  n'est  pas,  l'anathème  ne  tombant ,  ni  sur 
les  Grecs,  ni  sur  ceux  qui  peuseroient  comme  eux,  mais  uniquement  sm*  les 
luthériens,  et  sur  ceux  cpii,  à  leur  exemple,  «  auroient  la  témérité  d'accuser 
l'Eglise  d'erreur,  lorsqu'elle  enseigne,  conformément  à  la  doctrine  de  l'Evangile 
et  des  apôtres,  que  le  mariage  ne  peut  être  dissous  par  l'adultère  de  l'im  des 
deux  époux.»  {Conc.  Trid.,  sess.XXIV,  can.  7).  Les  termes  du  canon  sont  ex- 
près, et  l'intention  du  concile  est  certaine.  On  peut  voii-  dans  Pallavicin  et  dans 
Fra-Paolo  (Pallav.,  1.  XXll,  cap.  iv,  n.  17;  Fra-Paol.,  lib.  VIII),  les  raisons  qui 
déterminèrent  les  Pères  de  Trente  à  dresser  le  canon  dans  la  forme  où  U  est, 
très-différente  de  celle,  dans  laquelle  il  avoit  d'abord  été  proposé;  et  le  P.  le 
Courrayer  lui-même  ne  peut  s'empêcher  de  reconnoître  que  «  le  concile  ne  fait 
que  justifier  la  pratique  romame,  sans  condamner  celle  qui  lui  est  opposée.  » 
(Note  C6  sur  le  liv.  Vlll  de  Fra-Paolo,  tom.  U,  p.  68o.) 

On  n'a  donc  pas  décidé  hardiment  à  Trente  ce  qu'on  avoit  eu  la  prudence  de 
laisser  indécis  à  Florence,  comme  M.  Molanus  le  reproche.  On  a  tenu  dans  les 
deux  conciles  ime  conduite  uniforme.  A  Florence,  les  Latins  reprochèrent  aux 
Grecs  que  leur  pratique  étoit  contraire  à  cette  parole  de  Jésus-Christ  :  «  Que 
l'homme  ne  sépare  pas  ce  que  Dieu  a  uni  »  {Matth.,  xix,  G);  ce  qui  n'empêcha 
pas  Eugène  IV  de  dire,  «  que  par  la  grâce  de  Dieu  les  deux  Eghses  ôtoient 
unies  dans  une  même  foi  :  Dei  beneficio  suynvs  in  fide  conjuncti  (Tom.  XV, 
Conc.  Labb.,  col.  526).  A  Trente,  le  concile  déclare  ce  que  l'Eghse  enseiguoit 
conformément  à  la  doctrine  de  l'Evangile   et  des  apôtres,  et  ue  frappe  d'à- 


86     DISSERT.  SUR  LA  REUNION  DES  PHOTEST.  D'ALLEMAGNE. 

J'ai  toujours  été  persuadé  que  le  concile  de  Trente  n"a  jamais 
été  reçu  en  I-'rance  par  un  édit  du  roi,  vérifié  en  parlement.  «  Il 
se  trouve  des  personnes,  dit  M.  de  Meaux',  cj[ui  croient  C(ue  le 
concile  de  Trente  n'est  pas  reçu  en  France,  ce  cpii  n'est  vrai  qu'en 
ce  qui  regarde  la  discipline  et  non  la  règle  ferme  et  inviolable  de 
la  foi.  »  Pallavicin  ne  fait  point  cette  distinction,  lorsfju'il  dit  indé- 
finiment ipie  le  concile  n'est  pas  reçu  en  Frmice.  Mais  supposons 

'  Ninii.  10!. 

nathèiiie  que  conx  qui  taxout  d'eirom-  lo  sontiinenl  de  l'Eglise  :  ce  que  le?  Grecs 
n'avoient  jamais  fait ,  et  ce  qui  étoit  le  crime  des  luthériens. 

«  La  décision  du  concile ,  dit  le  savaut  abbé  Renaudot  {Pevpët.  de  lu  Foi, 
tom.  V,  p.  'i?i^],  dans  un  ouvrage  généralement  approuvé,  est  très-prudente, 
puisqu'elle  juslilie  la  doctrine  iincienne  de  l'Eglise  ,  que  les  luthériens  attaquoient 
témérairenieut ,  saiis  donner  aucmie  atteinte  directi;  ni  indirecte  à  la  pratique 
des  Grecs  connue  l'Eglise  grecque,  même  depuis  le  schisme,  n'a  pas  con- 
danuié  dans  les  Lalhis  rojiinion  qu'ils  avoient  que  le  lien  du  mariage  n'étoit 
pas  rompu  pour  cause  d'adultère,  n 

.\ussi  >L  Dossuet  ne  tonche-t-il  pas  à  cette  question  dans  sa  réponse  à 
.'\1.  Molanus;  quoiqu'il  y  propose  mie  déclaration  de  foi,  que  les  luUiériens  doi- 
vent donner  à  rf'glise  pour  rentrer  dans  sa  ctinunuuion,  et  que  dans  cette  dé- 
claration il  y  ait  un  article  sur  le  mariage.  J^i  quelques  théologiens  particuliers,  si 
M.  Phot,  comme  l'assm-e  M.  de  Leibni;;,  a  dit  qu'après  la  définition  du  concile 
de  Trente  et  auprès  de  ceux  qui  h;  tiennent  pour  <pcuménique  ,  on  ne  sauroit 
douter  sans  /nirésie  de  l'indissolubilité  du  lien  du  mariage  nonobstant  l'adultère, 
il  faut  entendre  ce  tenue  ù'/térésie  d'une  hérésie  matérielle,  qui  consiste  à  sou- 
leriir  de  boime  foi  un  sentiment  contraire  à  l'Ecriture  et  à  la  tradition,  et  non 
d'ime  hérésie  formelle ,  dont  on  n'est  coupable  que  lorsqu'on  défend  une  doc- 
trine condanniée  par  l'autorité  et  la  concorde  très-parfaiti'  de  l'Eglise  univer- 
selle; autrement  la  censure  seroit  excessive.  En  effet  on  voit,  même  depuis  le 
concile  de  Tieute,  des  conciles  particuliers  user  de  la  même  tolérance  envers 
les  (îrecs.  Dans  deux  synodes  île  l'archevêché  de  MoutréiU  en  Sicile  ,  l'un  tenu 
en  1G38  sous  le  cardinal  de  Torres,  et  l'autre  en  16uo,  sous  le  cardhial  Mon- 
talto  (Syn.  Montereq.  i,  an.  1638,  p.  8î,  2,  ann.  t6.'i3,  p.  43,  apud  Renaud.,  ithi 
xup.,  \).  i.j2  ,  enlie  plusieurs  reproches  qu't»n  y  fait  aux  Grec?,  on  n'eu  voit  point 
sur  le  divdice  ;  et  si  dans  le  second  on  veut  répiimer  les  abus  auxquels  la  trop 
grande  facilité  des  divorces  donnoit  lieu,  ou  n'y  dit  rien  de  la  cause  d'adultère. 
Les  Pères  se  couteuteul  de  dire  qu'ils  ne  doivent  poiid  approuver  qu'on  rompe 
si  facilement  les  mariages  des  (irecs  et  que,  pour  obvier  à  cet  abus,  ils  déclarent 
nulles  les  .séparations  quant  au  lieu,  faites  sans  jugement  juridique  et  par  une 
autorité  i)rivée.  Tiun  facile  dii-imi  iiiler  conjuyes  Grœcos  matrimonia  approôare 
nulln  modo  deheuivj:  ;  ideàr/iw  huciisque  fartas  separationes  quoad  vinculum  extra- 
judicialiter  et  aur.toritnte  proprid,  nullas  fuisse  atque  irritas  declaramus. 

Il  est  donc  manifeste  que  le  coucilc  de  Trente  n'a  point  proposé  l'incUssolu- 
hLlité  du  mariage  pour  cause  d'adultère ,  comme  nu  article  de  foi.  Par  consé- 
quent on  l'accuse  injustement  d'avfiir  profite  de  l'absence  des  Grecs  pour  pré- 
cipiter une  décision  qu'on  n'avoit  pas  votdu  faire  à  Florence;  et  c'est  sans  fon- 
dement qu'on  prétend  que  ses  décrets  sur  le  dogme  ne  sont  pas  reçus  par  toute 
l'Eglise,  parce  qu'il  se  trouve  encore  des  f]tats  catholiques  où  le  divorce  poin- 
cause  d'adultère  est  toléré.  {Edit.de  Looi). 


NOUVELLE  EXPOSITION  ,  EXTRAITS.  87 

que  si  l'on  n'a  point  pensé  à  cette  distinction  en  France,  on  s'en 
soit  servi  ailleurs,  il  s'ensuit  qu'on  peut  au  moins  suspendre  les 
décrets  de  discipline  de  ce  concile,  sans  déroger  en  général  à  l'au- 
torité des  conciles.  Cela  étant,  poiuquoi  ne  sera-t-il  pas  permis  aux 
protestans  de  demander  qu'on  suspende  les  anathématismes  pro- 
noncés à  Trente,  au  sujet  des  dogmes  sur  lesquels  ils  n'ont  pas 
été  entendus  {a)  ? 

Rien  ne  m'oblige  à  disputer  avec  im  prélat  aussi  illustre  qu'est 
M.  deMeaux  sur  cette  question  de  fait,  savoir,  si  l'autorité  puljlique 
est  intervenue  en  France  pour  y  faire  recevoir  le  concile  de 
Trente.  Mais  puisque  jusqu'à  présent  il  n'a  pai^u  aucun  édit  du  roi 
qui  prouve  ime  acceptation  authentique,  et  que  le  cardinal  Palla- 
vicin  est  un  de  ceux  qui  nient  que  le  concile  ait  été  reçu  en  France, 
M.  de  ]\[eaux  voudi'a  bien  me  permettre  de  proposer  comme  un 
doute,  dont  je  demande  l'éclaircissement,  ce  passage  tiré  d'une 
réponse  faite,  sous  le  nom  supposé  de  Pierre  d'Ambrun,  à  V Histoire 
critique  du  Vieux  Testament  du  Père  Simon.  Je  cite  l'édition  fran" 
çoise  de  Roterdam,  de  Tan  1689,  p.  9.  «  Quelque  grande  que  soit 
son  érudition  (l'autem"  parle  du  P.  Simon),  je  crois  qu'il  auroit 
de  la  peine  de  faille  voir  que  les  décisions  du  concile  de  Trente 
soient  généralement  reçues  dans  toutes  les  églises,  puisqu'on  n'y 
sait  pas  même  s'il  y  a  eu  un  concile  de  Trente.  Ce  concile  même, 
qu'on  nous  veut  faire  croire  être  la  pure  créance  de  l'Eglise,  n'est 
point  reçu  en  France;  et  ainsi  on  n'a  aucune  raison  de  nous  le 
proposer  comme  ime  règle ,  à  laquelle  nous  devons  nous  sou- 
mettre aveuglément.  Je  sais  qu'on  répond  ordinairement  à  cela 
qu'il  est  reçu  pour  ce  qui  regarde  les  points  de  la  foi,  bien  rpi'il 
ne  soit  pas  reçu  dans  les  matières  de  discipline  ;  mais  cette  dis- 
tinction ,  dont  tout  le  monde  se  sert,  est  sans  aucun  fondement, 
parce  qu'il  n'a  pas  été  reçu  plutôt  pom*  la  foi  que  pour  la  disci- 
pline. Si  cela  est,  qu'on  nous  produise  la  publication  de  ce  concile, 
ou  un  acte  qui  nous  montre  qu'il  a  été  véritablement  reçu  et  pu- 

(a)  C'est,  dit  M.  Bossuet,  Ré/Iex.,  cliap.  vu,  n.  1,  «  qu'il  n'en  est  point  de  la  foi 
comme  des  mœurs.  Il  peut  y  avoir  des  lois  qu'il  soit  impossible  d'ajuster  avec  les 
mœurs  et  les  usages  de  quelques  nations  ;  mais  pour  la  foi ,  comme  elle  est  de 
tous  les  âges,  elle  est  aussi  de  tous  les  lieux.  »  Cette  réponse  est  tranchante,  et  les 
objections  les  plus  spécieuses  ne  peuvent  en  affoiblir  la  force.  (Edit.  de  Leroi.) 


m    DISSERT.  SUR  LA  REUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

hlié.  Car  selon  les  règles  du  droit,  un  concile  ne  peut  faire  loi,  s'il 
n'a  été  publié.  Il  n'y  a  pas  encore  beaucoup  d'années  que  dans 
une  assemblée  du  clergé  de  France ,  on  délibéra  pour  présenter 
une  requête  au  roi,  afin  que  ce  concile  fût  reçu,  quant  à  ce  qui 
regarde  la  foi  seulement;  mais  quelques  délibérations  que  les 
prélats  aient  faites  là- dessus,  la  Cour  n'a  jamais  voulu  écouter 
leur  requête.  Il  n'y  a  eu  que  la  Ligue  qui  le  publia  dans  Paris  et 
dans  quelr[ues  autres  églises  de  France,  sous  l'autorité  du  duc 
de  Mayenne.  Je  demande  donc  au  Père  Simon  où  il  prendra  sa 
tradition.  S'il  dit  :  Dans  l'Eglise ,  ce  mot  est  trop  général  ;  s'il 
ajout«^  que,  l'Eglise  a  décidé  dans  les  conciles  ce  qu'on  devoit 
croire,  je  le  prie  de  me  marquer  dans  quels  conciles.  Nous  venons 
de  voir  que  le  concile  de  Trente  n'oblige  en  conscience,  de  tous 
les  François  que  les  seuls  ligueurs  qui  l'ont  reçu  {a).  » 

La  preuve  de  la  seconde  partie  de  la  mineure  de  mon  raison- 
nement est  fondée  sur  ces  paroles  du  célèbre  historien  de  Thou, 
sur  rannéc  iri,^)!.  «  Les  envoyés,  dit-il  (ô),  du  duc  de  Wittenberg, 
Thicrri  P(>nninger  et  Jean  Iletclin  arrivèrent  à  Trente  sur  la  fin 
du  mois  de  septembre.  Ils  avoient  ordre  de  leur  prince  de  pré- 
senter publiquement  une  profession  de  foi  qu'ils  apportoient  par 
écrit,  et  de  dire  que  lorsqu'on  auroit  donné  aux  théologiens  de 
leur  p;iys  un  sauf-conduit,  semblable  à  celui  qu'avoit  accordé  le 
concile  de  Bâle,  ils  ne  manqueroient  pas  de  venir.  Après  cela, 
étant  allés  trouver  le  comte  de  Montfort,  ambassadeur  de  l'Em- 

(n)  Ce  raisonnemoiit  iroit  à  prouver  que  le  premier  coucile  de  Nicée  n'est 
pas  reçu  ;  car  combien  de  chrétiens  ne  savent  pas  même  s'il  y  a  eu  un  concile  de 
Nicée!  Pour  ce  qui  est  de  cette  acceptation  authentique  qu'exige  le  théologien 
prolcntant,  elli;  est  nécessaire  pour  les  lois  de  discipline,  et  non  pour  celles  de  la 
foi,  qui<nc  sont  pas  uniquement  fondées  sur  la  décision  d'un  tel  coucile  général, 
puisque  le  concile  ne  peut  rien  décider  sur  le  dogme  que  ce  que  la  tradition  a 
appris  d'âge  en  âge  depuis  les  apôtres.  Vouloir  assujettir  la  foi  à  l'ordre  judi- 
ciaire et  à  des  formalités,  c'est  l'avilir.  On  sait  indépendamment  de  toute  pu- 
blication faite  dans  la  forme  judiciaire,  qu'un  concile  est  reçu  par  rapport  aux 
dogmes ,  lorsque  toutes  les  égUses  catholiques  s'accordent  à  le  citer  dans  les 
occasions  comme  ayant  une  autorité  que  personne  ne  conteste,  ni  ne  peut 
contester.  Or  c'est  ainsi  qu'on  cite  le  concile  de  Trente  dans  toutes  les  églises 
catholiques.  Ha  pubUcation  par  des  édits  et  déclarations  des  rpis  n'ajouteroit 
dmic  qu'une  formalité  d'autant  moins  nécessaire ,  que  les  décrets  de  foi  ne 
dépendent  point  des  ordonnances  des  princes  séculiers. 

[h)  Thuan.  1.  virt,  fol.  .'iSO.  Edif.  Francf.  Nous  copions  la  version  de  cette 
histoire  publiée  en  1734. 


NOUVELLE  EXPOSITION  ,  EXTRAITS.  89 

pereiir,  et  lui  ayant  communiqué  leurs  ordres,  le  comte  fut  d'avis 
qu'avant  toutes  choses  ils  vissent  le  légat  du  Pape  ;  mais  comme 
ils  craignirent  que  leur  conférence  avec  lui  ne  leur  fût  préjudi- 
ciable, parce  (ju'il  eût  semblé  par  là  qu'ils  reconnoissoient  le 
Pape  pour  leur  principal  juge,  ils  différèrent  jusqu'à  ce  qu'ils 
sussent  l'intention  de  leur  maître,  à  qui  ils  écrivirent. 

»  Cependant  la  dépêche  du  duc  de  Wittenberg  arriva ,  mais 
trop  tard  pour  que  ces  ambassadeurs  pussent  présenter,  selon 
ses  ordres,  sa  Confession  de  foi  dans  l'assemblée  que  l'on  tint 
le  25  novembre.  Comme  le  comte  de  Montfort  étoit  absent,  ils 
s'adressèrent  au  cardinal  de  Trente,  et  le  conjurèrent,  par  ce 
qu'il  devoit  à  leur  patrie  commune  et  par  les  liaisons  d'amitié 
qu'il  avoit  avec  leur  prince,  de  leur  faire  accorder  une  audience 
publique.  Le  cardinal  en  parla  au  légat,  et  lui  montra  l'ordre 
qu'avoient  reçu  les  ambassadeurs,  afm  qu'il  ajoutât  plus  de  foi 
à  sa  demande;  mais  le  légat  tint  ferme,  et  leur  fit  répondre  par 
le  cardinal  qu'il  étoit  indigné  de  voir  tpie  ceux  qui  dévoient  re- 
cevoir avec  soumission  la  règle  de  leur  créance  et  s'y  conformer, 
osassent  présenter  aucun  écrit,  comme  s'ils  vouloient  donner  des 
lois  à  ceux  qui  avoient  droit  de  leur  en  imposer.  Il  les  renvoya 
ainsi  au  cardinal  de  Tolède,  qui  les  amusa  avec  adresse  pour 
prolonger  le  temps.  Guillaume  de  Poitiers,  troisième  ambassa- 
deur impérial,  en  usa  de  même  avec  ceux  de  Strasbourg;  les 
uns  ni  les  autres  ne  purent  rien  obtenir  cette  année.  Le  Pape 
créa  dans  le  même  temps  treize  cardinaux  tous  Italiens,  pour 
être  les  soutiens  de  sa  puissance,  parce  qu'il  appréhendoit  que 
les  évrques  et  les  théologiens  d'Allemagne  et  d'Espagne  ne  bles- 
sassent son  autorité ,  quand  on  souscriroit  l'article  de  la  réforma- 
tion des  mœurs.  »  Ainsi  parle  l'historien  de  Thon  [a). 

Les  autres  protestans  d'Allemagne  jugèrent  par  là  ce  qu'ils 
avoient  à  espérer  d'un  concile  dont  les  Pères  qui  le  composoient 

(a)  Ce  fait,  en  le  supposant  tel  qu'il  est  rapporté  par  de  Thon,  ne  prouveroit 
rien  autre  chose,  sinon  que  le  légat  eut  peut-être  tort  dans  une  occasion  [lar- 
liculiùre ,  ce  qui  ne  peut  retomber  sur  tout  le  concile.  D'ailleurs  qui  ne  sait  les 
chicanes  et  les  longueurs  employées  par  les  protestans  pour  lasser  la  patience 
du  concile?  Après  avoir  promis  cent  et  cent  fois  de  se  présenter  au  concile  et  y 
avoir  toujours  manqué,  ils  ont  mauvaise  grâce  de  dire  qu'on  n'a  pas  voulu  les 
entendre.  (  Edit.  de  Leroi.  ) 


r»0  DISSERT.  SUR  LA  RliUMON  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE, 
n'avoient  aucun  pouvoii-,  puisque  tout  se  faisoit  à  Rome  et  rien 
à  Trente,  et  que  les  décrets  qu'on  y  publioit  étoient  moins  ceux 
du  concile  que  de  Pie  IV,  comme  le  dirent  les  ambassadeurs  du 
roi  très  -  clu-étien  Charles  IX,  qui  déclarèrent  au  mois  de  sep- 
tembre 1503,  dans  une  protestation  solennelle,  que  le  roi  très- 
chrétien  n'approuveroit  pas  et  que  l'Eglise  gallicane  ne  recevroit 
pas  comme  décrets  dun  concile  œcuménique ,  ce  qu'on  publioit  à 
Trente  au  gré  du  Pape  et  par  sa  seule  volonté.  En  conséquence 
la  plupart  des  électem's,  princes  et  Etats  protestans  de  l'Empire, 
refusèrent  de  venir  à  mi  tel  concile,  et  se  concertèrent  pour  pu- 
blier un  écrit  '  qui  contenoit  les  raisons  pour  lesquelles  ils  reje- 
toient  le  concile  de  Trente.  Il  seroit  inutile  de  faire  des  extraits 
de  cet  écrit ,  qui  est  entre  les  mains  de  tout  le  monde. 

Je  pourrois  ajouter  ici  le  jugement  qu'ont  porté  du  concile 
de  Trente  des  catholiques  très-savaus,  tels  qu'Edmond  Richer, 
Claude  dEspence,  André  Duditius,  évèque  de  Cinq-I^^glises,  Inno- 
cent Gentillet,  Era-Paolo,  dont  l'histoire  a  été  traduite  depuis  peu 
en  françois  pai'  Josserat  [a),  qui  prend  sa  défense  contre  Palla- 
vicin ,  et  enfin  César  Aquilius  dans  son  livre  des  trois  Histo?ie)is 
(lu  concile  de  Trente ,  que  Josserat  cite  souvent;  mais  je  n'aime 
point  à  me  servir  de  ces  sortes  d'argumens,  qu'on  appelle  ad 
hominem. 

CONCLUSION. 

Rendons  grâces  à  Dieu.  J'ai  commencé  cet  écrit  pendant  le 
Carême,  dans  mon  abbaye  de  Lokkum,  et  je  l'ai  achevé  dans  la 
Semaine  sainte,  la  veille  de  Pâques  de  l'an  1 093,  jour  auquel,  sui- 
vant le  bréviaire  de  Cîteaux,  on  dit  cette  oraison  à  Vêpres  : 

«  Seigneur,  répandez  sur  nous  votre  Esprit  de  charité ,  af ni 
qu'après  nous  avoir  rassasiés  des  sacremens  de  la  Pàque,  vous 
nous  fassiez  la  grâce  d'établir  entre  nous  la  concorde.  C'est  ce 
que  nous  vous  demandons  par  votre  Fils  Jésus-Christ  Notre-Sei- 
gneur,  qui  étant  Dieu,  vit  et  règne  avec  vous  dans  l'miité  du 
même  Saint-Esprit,  pendant  tous  les  siècles  des  siècles.  Amen.  » 

'  Méni.  présenté  à  l'Empereur  à  la  diète  de  Francfort. 

i(i)  De  la  Mothe  Josserat  est  le  même  qu'Amelot  de  la  Houssaye. 


NOUVELLE  EXPOSITION,  CONCLUSION.  fll 

J'ai  depuis  revu  cet  écrit  à  HanoN're,  et  j'y  ai  fait  quelques  ad- 
ditions et  corrections  au  mois  de  juin  :  je  Fai  mis  au  net  au  mois 
de  juillet,  et  je  l'ai  enfui  entièrement  achevé  le  premier  août 
M.  DC.  xcui. 

Bénissons  Dieu,  Alléluia. 

Rendons  grâces  à  Dieu,  Alléluia  [a). 

(a)  .Molauus  accouipagna  cet  écrit  de  truis  Dissertations  latines,  qui  faisoieut 
partie  <ln  grand  ouvrage  qu'il  avoil  envoyé  à  Vienne ,  dans  lequel  il  [trétendoit 
avoir  concilié  cinquante  articles  de  nos  controverses.  Nous  ne  croyons  pas 
devoir  grossir  ce  Hecw^il  de  ces  trois  Dissertations,  qui  sont  fort  longues,  et 
d'un  latin  dur  et  obscur,  et  qui  d'ailleurs  n'ont  été  envoyées  à  M.  de  Meaux 
cpie  coninie  un  échantillrm  d'ui;i  plus  grand  ouvi-age.  Si  les  protestans  d'Alle- 
magne jugent  à  propos  de  publier  l'ouvrage  entier,  nous  le  lirons  volontiers,  et 
nous  aiiplaudirons  aux  efforts  faits  par  le  savant  auteur  pour  parvenir  à  la 
réunion.  En  attendant,  nous  nous  contenterons  de  donner  les  titres  des  trois 
Dissertations  trouvées  dans  les  papiers  de  ]\1.  de  Meaux,  et  d'y  ajouter  en  peu  de 
mots  le  sentiment  du  théologien  luthérien  sur  les  questions  qu'il  traite  dans  ces 
Dissertations. 

T'RIMA     rONTROVER  ?l  .\. 

De  sfi'-rifi'n'o  Mixs'e. 
Non  est  realisjSed   duutaxat  verbalis. 

?FXr.\ n.\    r.ONTHOVERSIA. 

De  rafùmr  foDimli  justifient ioim,  sive  in  quo  consistât  juitifiratw  Imminis  perra- 

toris  corùm  Deo. 

f'ostquàm  una  pars  aUeram  uitellexit,  non  ampUûs  realis  ,  sed  adeo  verbalis 
est,  ut  miruni  videatur  qui  rieri  potuerit,  ut  super  tali  qufestione  preeter  omnem 
necessitatem  inter  paites  lauto  temporis  intervallo  fuerit  pugnatum. 

TERTL^    CONTROVERSlA. 

De  ahmluto  certitudine  converti 07111,  pœuitentiœ,  absolntionis,  jidei,  jiistifîcationix, 
sanctifieafionis,  deniquè  salutis  œiernœ. 

l'artim  nuUa  nobis  et  cum  rornanà  Ecclesià  controversia  .  partmi  non  realis, 
fed  dvmtaxat  verbalis.  (  Edit.  de  Leroi.  ) 


92     DISSERT.  SLR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

SUMMA  CONTUOVEUSU: 

DE  EUCHARISTIA 

Inter  quosdmn  rcHgiosoa  et  me. 

AUCTOKE   MOLA>'0  (ci). 


Licèt  pliulmi  dicant  Christum  esse  in  hoc  mysterio  proiit  sol 
irradiât  cubiculum,  exibtimo  tamen  siniile  esse  dissimile,  Solem- 
que  justitiae  adesse  non  prœsentiâ  virtutis  solùm ,  quse  est  omni- 
bus sacramentis  et  sacris  cominunis,  sed  virtute  pra^sentise  per- 
soiialis,  includentis  totuni  Christum  et  tolmii  Christi  ;  ita  ut  corpus 
Christi  in  cœlo,  in  cruce,  et  in  arà  modaUter,  non  substantiahter 
et  numericè  distinchim  existât  :  in  cruce  modo  naturah  et  cruento^ 
in  cQ^lo  visibili  et  glorioso,  in  altari  modo  invisiljili,  incruento  et 
gratioso,  sed  semper  idem  corpus. 

Cum  itaque  Ecclesi.v  Orientahs  et  Occidentahs  Patribus  agnosco 
realem  alterationem  significatam  per  terminos  transmutationis  , 

TRANSELEMENTATIOMS ,    TlUNSSL'USTANTlAïlONlS,  qUOS  GrSBCi  CXpri- 

munt  per  ueTouaiuaiv  ;  undè  post  verba  Dominica  congrue  prolata, 

significatur  hoc  tohmi  virlute  imionis  reahter  esse  quod  non 

erat,  adoral)ihs  scilicet  Jésus.  Verùm  cùm  hîc  visibiUa  et  invisi- 

biha  concurrant ,  in  quo  composito  necessariô  se(|uitur  mutatio , 

quseritur  quahs  sit  hœc  mutatio  in  partibus  componentibus? 

Pro  responso,  tt^rmini  ad  quem  et  à  qno  considerentur.  Ad 

quein,  est  corpus  Christi,  quod  ut  glorificatum,  idcircô  iiigenera- 

(a)  L'éditeur  qui  a  publié  cet  écrit  pour  la  première  fois  dit  dans  une  longue 
note,  qu'il  «  l'a  trouvé  parmi  les  papiers  de  M.  de  Meaux,  dans  le  portefeuille 
du  l'rojet  de  réunion ,  &\c.  C'est,  continue  M.  l'abbé  Leroi,  le  résultat  de  plu- 
sieurs disputes  que  l'auteur  avoit  eues  au  sujet  de  la  présence  réelle  avec  quel- 
fines  relipieux.  Il  y  a  lieu  de  croire  que  ces  religieux  étoient  les  capucins  de 
Hanovre  j  et  suitout  le  célèbre  P.  Denis,  auteur  du  Vin  pacis ,  cité  si  souvent 
avec  éloge  par  Molanus  et  Leibuitz,  et  même  par  Bossuet,  »  etc. 


SUMMA  CONTROVERSEE  DE  EUCHARISTIA,  ETC.  93 

bile  et  incorruptibile.  Quâ  cum  variatione  existât  in  altari ,  varii 
varié  opinantur.  Commmiiter  dicitur  fieri  per  productionem  aut 
reproductionem,  At  Scotus  cum  Bellarmino  et  aliis  diciint  non 
produci  nec  reproduci,  sed  adduci  per  novam  imionem  vel  con- 
servationem  cum  hoc  quod  sentitur  et  videtur.  Nùm  liaec  sint 
admittenda ,  doctiores  hisce  cùm  invenientur  déterminent.  Taies 
enim  in  Ecclesià  corypliœi  cùm  discrepent,  propriam  ignorantiam 
non  erubescens,  nec  anathema  metuens  confiteor. 

Quôd  ad  terminum  à  quo ,  panem  videlicet  et  vinum ,  quanta 
in  his  detur  mutatio  ?  Respondeo,  hoc  esse  mysterium  magnum , 
superans  hominum  captum,  forsitan  et  angelorum.  Quis  igitur 
vel  quantus  sum  ego  humi  reptitans  vermiculus ,  qui  gigantaeo 
conatu  audeam  imponere  Pelion  Ossee?  Quis  smn  ego  homuncio 
in  naturà  vermium  et  ranarum  ignarus,  quàmque  noctivolans^  et 
ad  solem  lippiens  sum  ego  vespertilio,  qui  offuscato  rationis 
lumine  hanc  sacrilège  attentem  introspicere  arcam  mysteriis  ple- 
nam?  Atheniensi  igitur,  ipso  Gentium  non  renuente  Doctore, 
litans  altari,  pie  adoro  cpiod  siniplex  ignoro;  nec  contra  me,  ut 
opinor,  concilium  militât  Tridentinum.  Si  enim  canon  quem  in- 
telligo  sine  rigore,  sumatur  in  rigore,  contrarium,  scilicet  nullam 
dari  vel  posse  dari  transsubstantiationem ,  non  dico.  Audax  enim 
est  illud  Japeti  genus ,  quod  Omnipotenti  sicut  et  Ilerculi  imponit 
terminos  :  ISlec  plus  ultra.  Verè  tamen  dubito  nùm  haec  disser- 
tatio  :  utrùni  hîc  detur  nmtatio  physica ,  non  sit  qusestio  magis 
philosophica  quàm  theologica.  Distinctio  enim  inter  substantiam 
et  accidentia,  materiam  et  formam,  quantitatem  et  materiam  quam 
nominant  primam,  vel  suppositum  quoddam,  quod  nec  est  quan- 
titativum ,  nec  sensibile ,  et  forsitan  cognoscibile  tantùm  instar 
entis  rationis,  alter  fœtus  ejusdem  cerebri  est,  ex  Aristotelislacunis 
hausta ,  quœ  multipartitos  habet  patronos  et  antagonistas.  Diffi- 
cultatum  itaque,  si  non  contradictionum  conglomerato  pra?viso 
agmine,  talia  disquirere  ex  lide  non  teneor  ;  licètque  concilia  duo 
utantur  termino  transsubstantiatio/iis ,  non  sonus,  sed  sensus; 
non  verba,  sed  scopus  est  spectandus,  quem  conjicio,  magis  esse 
ad  adstruendam  veritatem  preesentiœ  corporis  (Ihristi  contra 
hgurizantes,  quàm  ad  determinationem  modi,  multù  minus  mo- 


94     DISSERT.  SUR  LA  REUNION  DES  PROTEST.  DALLEMAGNE. 

dalitatis  hujus  modi  ;  cùm  simplex  Christ!  Sponsa  per  deoem  vel 
duodecim  seecula,  fide,  sine  pliilosophià  ex  1io(î  verè  cli\ino  Aixerit 
cibo,  qui  est  cibus  Domini  et  cibus  Domimis. 

Quamvis  enim  hoc  sit  mysterium  super  superlative  magnum , 
uttamen  argutè  contra  calvinianos  argument atur,  si  mysterium 
consistât  in  figura,  instar  hederae  pro  vino  vendibih,  mysterium 
est  nullum  :  ita  ego  similiter  apphco  :  si  prœsentia  non  tantùm 
credatur,  sed  pariter  modus  inteUigatur,  mysterium  aut  est  nul- 
limi  aut  parvum.  Nec  sum  adeô  Lynceus,  ut  videam  quse  major 
sit  nécessitas  cognoscere  qiiomodo  terminus  à  quo  (juàm  termi- 
nus ad  quein  nmtatur.  Unum  vos  confitemini  vos  ignorare ,  et 
ego  alterum  Deo  cognitum  et  congruum  cognoscere  remitto. 
tjuocircà  si  simus  pacifici  (  virtus  et  finis  sacrificii)  veniani  peti- 
musque  damusque  vicissim.  (Juod  ad  me  igitur,  qui  non  sum  de 
gente  figuratorum,  nullain  faciens  distinctionem ,  inter  Uic  est 
Christns  in  rœnâ,  et  Hoc  est  corpus  meum  ;  dialecticis  sepositis- 
tricis ,  ut  vanam  sapientiltus  philosopliiam ,  campique  ^Fartii , 
quem  hcèt  intt'lhger(nn  non  amo,  seposità  cura,  sat  esse  opinor, 
Christi  gloriosum  corpus ,  non  seorsim  et  in  sensu  diviso ,  sed 
conjunctim  et  in  sensu  composito ,  unà  cuin  gloriosà  anima  et 
adorandà  divinitate,  in  hoc  stupendo  mysterio  smnm  s  cum  humi- 
hlatc,  timoré  et  tremore  agnoscere ,  ut  Deum  factum  l'efugium 
meum. 

Hppc  pauca  consideranda  significn,  quo  faciliùs  Ecclesia'  deci- 
sivo  sul)inittam  sigillé,  confra  (piam  nemo  sohriiis. 


RESULTAT  D'UNE  CONTROVERSE  SUR  L'EUCHARISTIE. 

RÉSULTAT  D'UNE  CONTROVERSE 

TOUCHANT  L'EUCHARISTIE 

Agitée  entre,  quelques  ReHgiexix  et   moi, 

PAR  MOLANUS. 


Quoique  plusieurs  théologiens,  poiir  expliquer  la  présence  de 
Jésus-Christ  dans  l'Eucharistie,  disent  qu'il  y  est  de  la  même  ma- 
nière que  le  soleil  est  dans  mi  lieu  qu'il  éclaire,  je  suis  convaincu 
que  la  comparaison,  juste  en  quelque  chose,  ne  l'est  pas  en  tout 
point.  En  effet  le  Soleil  de  justice  n'est  pas  seulement  présent  dans 
l'Eucharistie  par  sa  vertu,  comme  il  l'est  dans  tous  les  autres 
sacremens  et  dans  tout  ce  qui  concerne  le  culte  divin  ;  mais  il  y 
est  en  personne  :  de  sorte  que  l'Eucharistie  renferme  Jésus-Christ 
tout  entier,  et  tout  ce  qui  constitue  cet  Homme-Dieu.  Je  m'ex- 
plique ,  et  je  dis  que  le  corps  de  Jésus-Christ  est  précisément  et 
substantiellement  le  même  sur  l'autel'  que  dans  le  ciel  et  sur  la 
croix;  mais  qu'il  y  est  d'une  manière  différente.  11  étoit  sur  la 
croix  d'une  manière  naturelle  et  sanglante  :  il  est  dans  le  ciel 
d'une  manière  visible  et  glorieuse ,  au  lieu  qu'il  est  sur  l'autel 
d'mie  manière  invisible ,  non  sanglante  et  accessil)le  [a]  ;  mais 
c'est  toujours  le  même  corps. 

Je  recoimois  donc  avec  les  Pères  des  deux  Eglises  d'Orient  et 
d'Occident,  le  changement  réel  opéré  dans  l'Eucharistie,  rpi'on 
exprime  par  les  mots  de  Transmutation ,  Transrlcmentation , 
Transsubstantiation,  que  les  Grecs  rendent  par  celui  de  p.cTcjaîruai,-, 
ce  qui  signifie  qu'après  que  les  paroles  du  Seigneur  ont  été  pro- 
noncées, il  se  trouve  réellement  sur  l'autel,  en  vertu  de  l'union 

(rt)  Je  crois  devoir  Iradiiii'e  aiii^i  h^  mot  yrattosus,  ijiii  peut  souffrir  plusieura 
explicalioiiri.  [  Edit.  de  Leroi.  ) 


96     DISSERT.  SUR  LA  RÉUNIOiN  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

avec  les  espèces  sensibles  [a],  ce  qui  n'y  étoit  pas;  je  veux  dire  la 
personne  adorable  de  Jésus-Christ.  Mais  comme  des  choses  vi- 
sibles et  des  invisibles  se  rencontrent  ici ,  et  que  leiu"  réunion 
entraîne  nécessairement  quelque  changement,  on  demande  quelle 
sorte  de  changement  est  opéré  dans  les  parties  qui  composent 
l'Eucharistie. 

Je  réponds  qu'il  faut  faire  attention  aux  deux  termes  ad  quem 
et  à  quo.  Le  terme  ad  quem  est  le  corps  de  Jésus-Christ ,  qui 
maintenant  glorieux,  est  par  conséquent  ingénérable  et  incor- 
ruptible. Les  sentimens  sont  partagés  sur  la  manière  dont  se  fait 
le  changement  sur  l'autel.  L'opinion  la  plus  commune  est  que  le 
changement  s'opère  par  production  ou  reproduction  ;  mais  Scot, 
Bellarmin  et  d'autres  doctem's  soutiennent  que  le  corps  de  Jésus- 
Clirist  n  est  ni  produit  ni  reproduit ,  et  l'un  dit  que  Jésus-Christ 
devient  présent  par  ime  nouvelle  union  a\'ec  des  élémens  sen- 
sibles et  visibles;  et  l'autre,  ([u'en  se  rendant  présent,  il  conserve 
les  accidens  de  ces  élémens.  Je  laisse  à  ceux  qui  st'ront  plus  ha- 
biles que  ces  auteurs  à  décider  si  l'on  doit  admettre  l'une  ou  l'autre 
de  ces  opinions.  Mais  puisque  des  doctem's  si  accrédités  dans 
l'Eghse  pensent  différemment  sur  ce  point,  je  ne  rougirai  pas 
d'avouer  mon  ignorance,  et  je  crois  qu'un  tel  aveu  ne  peut  m'at- 
tirer  d'anathème. 

Venons  au  terme  à  quo,  qui  n'est  autre  que  le  pain -et  le  vin.  Si 
l'on  me  demande  jusqu'à  quel  point  le  changement  se  fait  en 
eux,  je  réponds  que  c'est  un  grand  mystère,  qui  passe  l'inteUi- 
gence  des  hommes  et  peut-être  celle  des  imges.  Qui  suis-je,  moi, 
petit  ver  qui  rampe  sur  la  terre  ^^\,  pour  entreprendre  témérai- 
rement de  pénétrer  un  tel  abîme?  Qui  suis-je,  encore  un  coup, 
moi  dont  l'esprit  est  si  borné,  que  je  ne  puis  atteindre  à  connoître 
la  nature  des  insectes  ;  moi,  (jui  semblable  aux  oiseaux  nocturnes, 
ai  les  yeux  trop  foibles  pour  soutenir  l'éclat  du  soleil?  Qui  suis-je 
avec  ma  raison  ténébreuse ,  pour  oser  par  un  attentat  sacrilège 

(a)  C'est  là  le  fond  de  l'erreur  luthérienne,  que  M.  Bossuet  s'applique  parti- 
culièrement à  réfuter  dans  sa  Réponse  à  cet  Ecrit.  [Eilit.  du  Leroi.) 

(l>)  Je  ne  rends  point  ùla  lettre  les  expressions  tro[i  emphatiques  de  l'auteur; 
et  je  me  donne  la  même  lihei  lé  dans  la  suite  sur  des  expression*  triviales  et 
basses.  (  Edit.  de  Leroi.  ) 


RÉSULTAT  D'UNE  CONTROVERSE  SUR  L'EUCHARISTIE.        97 

regarder  curieusement  dans  cette  arche  pleine  de  mystères?  Je  dis 
donc  comme  les  Athéniens,  et  l'Apôtre  des  Gentils  ne  s'y  oppose 
pas,  que  j'adore  sur  l'autel  un  Dieu  qui  s'y  rend  présent  d'une 
façon  que  j'ignore.  Et  quand  on  prendroit  à  la  rigueur  le  canon 
du  concile  de  Trente,  que  j'interprète  benignement,  ce  canon  ne 
seroit  point  contre  moi;  car  je  ne  dis  rien  qui  lui  soit  opposé,  dès 
que  je  ne  prétends  pas  qu'il  n'y  a  point  ou  qu'il  ne  peut  y  avoir 
de  transsubstantiation.  En  effet  il  faut  être  d'une  audace  extrême 
pour  fixer  des  bornes  à  la  toute-puissance  de  Dieu.  Mais  je  doute 
beaucoup  si  l'on  ne  doit  pas  ranger  cette  question ,  savoir  si  dans 
l'Eucharistie  il  s'opère  un  changement  physique ,  au  nombre  de 
celles  qui  appartiennent  plutôt  à  la  philosophie  qu'à  la  théologie. 
Car  la  distinction  entre  la  substance  et  les  accidens,  la  matière  et 
la  forme,  la  quantité  et  la  matière  qu'on  nomme  première,  et  qu'on 
suppose  être  un  certain  suppôt  qui  n'est,  pour  parler  avec  l'Ecole, 
ni  quantitatif  ni  sensible  et  qui  peut-être  n'est  connu  que  comme 
un  être  de  raison;  tout  cela,  dis-je,  vient  de  la  même  source,  c'est- 
à-dire  de  la  doctrine  d'Aristote,  qui  a  ses  défenseurs  et  ses  contra- 
dicteurs. Or  la  foi  ne  m'oblige  pas  à  entrer  dans  la  discussion  de 
ces  difficultés,  ou,  pour  parler  plus  exactement,  de  ces  contradic- 
tions que  j'aperçois  en  foule.  Et  quoique  deux  conciles  emploient 
le  mot  transsubstantiation ,  il  ne  faut  pas  tant  s'arrêter  au  son  et 
au  terme,  qu'au  sens  et  au  but  que  ces  conciles  se  sont  proposés. 
Je  crois  donc  qu'ils  avoient  plutôt  en  vue  d'établir  la  vérité  de  la 
présence  réelle  du  corps  de  Jésus-Christ  dans  l'Eucharistie  contre 
ceux  qui  ne  le  croient  présent  qu'en  figure  («),  que  de  déterminer 
comment  cela  s'opère,  et  encore  moins  la  manière  d'être  de  Jésus- 
Christ  dans  ce  sacrement.  En  effet  l'Epouse  de  Jésus-Christ ,  sans 
le  secours  de  la  philosophie ,  s'est  nourrie  pendant  dix  ou  douze 
siècles  dans  la  simplicité  de  la  foi  de  cette  divine  nourriture ,  qui 
tout  à  la  fois  est  la  nourriture  que  le  Seigneur  nous  présente,  et 
le  Seigneur  même  qui  devient  notre  nourriture. 

J'ajoute  que,  quoique  ce  soit  ici  le  mystère  des  mystères,  cepen- 
dant comme  on  dit  fort  bien  aux  calvinistes  qu'il  n'y  a  plus  de 
mystère ,  s'ils  le  font  consister  à  mettre  dans  le  sacrement  une 

(a)  Les  calvinistes.  (  Edit.  de  Leroi.  ) 

TOM.   XVIII.  7 


98     DISSERT.  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

simple  figure,  semblable  à  ces  signes  arbitraires  dont  les  hommes 
sont  convenus,  je  dis  de  même  qu'on  réduit  le  mystère  à  rien,  ou 
presque  à  rien,  si,  non  content  de  croire  la  présence  réelle,  on  pré- 
tend encore  comprendre  la  manière  dont  elle  se  fait.  Franchement 
je  n'ai  pas  assez  de  pénétration  pour  voir  cpie  Ton  soit  plus  obligé 
de  connoitre  quelle  sorte  de  changement  se  fait  dans  le  terme  à 
fpio  que  dans  le  terme  ad  qucm.  Tous  avouez  votre  ignorance 
sur  l'une  de  ces  choses,  et  moi  je  ne  me  mets  point  en  peine  de 
pénétrer  l'autre ,  qui  me  paroit  ne  pouvoir  être  connue  que  de 
Dieu.  Si  donc  nous  aimons  la  paix  (qui  est  le  fruit  et  la  fin  du 
sacrifice  de  l'autel  i ,  nous  n'aurons  point  de  dispute  sur  ce  sujet. 
Quant  à  moi,  je  ne  suis  pouit  du  nondjre  de  ceux  qui  croient  que 
Jésus-Christ  n'est  présent  qu'en  figure  dans  l'Eucharistie,  et  je  ne 
mets  aucune  différence  entre  ces  expressions  :  .lésus-Christ  est  ici 
dans  la  Cène,  et  ces  autres  :  Ceci  est  mon  corps.  Mettant  à  l'écart 
les  subtilités  de  la  dialectique,  que  je  regarde  comme  une  fausse 
plîilosopliie,  je  n'aime  point  à  disputer  sur  ces  sortes  de  questions, 
(juand  Itien  même  j'en  am'ois  une  ptu^faite  connoissance.  Je  pense 
(piil  me  suffit  de  recomioitre  avec  humilité  et  tremblement,  que 
dans  ce  redoutable  mystère  le  corps  glorieux  de  Jésus-Christ  est 
présent,  non-seulement  dans  ce  (pi'on  appelle  le  sens  divisé,  mnis 
encore  dans  le  sens  composé ,  c'est-à-dire  avec  sa  sainte  ame  et  sa 
divinité  ;  de  sorte  qu'il  y  est  pour  moi  un  Dieu  devenu  mon  refuge. 
Voilà  en  abrégé  ce  que  je  laisse  à  bien  examiner,  et  ce  que  je 
soumets  à  la  décision  de  l'Eglise,  contre  la([uclle  un  homme  sage 
ne  peut  s'élever. 


JUDICIUM  DE  SUMMA  CONTROVERSI^.  99 


JUDIGIUM 


SUMiMA  CONTROVERSIyE  DE  EUCHARISTIA. 


AUCTOUE   MELDENSI   EPISCOPO. 


Haec  summa  de  reali  praesentià  Corporis  Christi  verissima  tra- 

Rectè  docet  de  reproductione  et  adductione  scholasticorum  sen- 
teiitias  inler  à^iâcp&p «.  relinquendas. 

De  transsubstantiatione  rectum  illud  quod  est  in  Summâ  : 
«  Agnosco  realem  alterationem  significatam  per  terminos  Trans- 
nuitationis,  Trcmselementationh ,  Transsiibstantiationis ,  qiiani 
Graeci  dicunt  o-stcjctîuciv.  » 

De  termine  ad  quem  hujiis  alterationis  seu  transmutationis , 
nempè  corpore  et  sanguine  Christi,  rectè  et  praeclarè  docet. 

De  termine  à  quo ,  nempè  pane  et  vino,  ait  «  esse  mysterium 
magnum  superans  hominum  captum,  forte  et  angelormn  ;  »  cpiod 
quidem  explicatione  indiget.  Nam  res  ipsa  certa  ex  Ecclesise 
decretis;  modus  autem  faciendi  rem  theologorum  disputationi 
relictus. 

Res  ipsa,  inquam,  certa  per  Ecclesise  décréta  :  nempè  Tridenti- 
num,  sess.  xni,  can.  n,  anathema  dicit  «  ei  qui  dixerit  in  sacro- 
sancto  Eucharistiae  sacramento  remanere  substantiam  panis  et 
vini ,  etc  ;  negaveritque  mirabilem  illam  et  singularem  conver- 
sioneni  totius  substantiaî  panis  in  Corpus,  et  totius  vini  in  San- 
guinem,  manentibus  duntaxat  speciebus  panis  et  vini.  »  Qui 
canon  Tridentinus  respondet  capiti  iv  ejusdem  sessionis ,  titido 
de  Transsubstantiatione. 

Quo  decreto  clarum  est,  nullam  partem  substantiœ  panis  et 


100    DISSERT.  SUR  L.\  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE 
vini  in  Sacramento  remanere  ;  cùm  tota  siiljstantia  panis  et  viiii 
in  corpus  et  sanguinem  Christi  convertatiu'.  IManifesta  ergô  est 
Ecclesise  sententia ,  de  quà  prseclarè  Summœ  auctor  ait  contra 
eam  nemînem  esse  sobrium. 

CongTuit  Tridentinum  decretum  cum  Lateranensi  suIj  Inno- 
centio  III,  cap.  \de  Fide  CathoUcâ. 

Congruit  et  confessioni  fidei  Berengarii  Turonensis,  in  qiiâ 
confitetur  «  panem  et  viniim  suljstautialiter  converti  in  propriam 
et  veram  ac  vivificatricem  carnem  et  sanguinem  Jesu  Christi  ;  » 
quae  confessio  édita  est  ab  eodem  Berengario  in  concilio  Ro- 
mano  VI ,  cùm  hseresim  suam  secundo  ejuravit. 

Quare  si  quis  aliquam  partem  substantiie  panis  aut  vini  rema- 
nere dixerit,  sive  ea  materia  sit ,  sive  forma,  apertissimis  ver]3is 
ab  Ecclesià  condemnatur. 

Sanè  «  (luff",  distinclio  sit  inter  substantiam  et  accidentia,  nia- 
teriam  et  formani,  quantitatein  et  materiam  quam  vocant  pri- 
mam ,  »  meritô  Summœ  auctor  relert  inter  quaestiones  philoso- 
phicas  magis  quàm  thcoloQicas. 

Intérim  certum  illud,  substantise  panis  et  vini  j)artem  rema- 
nere uullam ,  quocumqutî  nomine  appelletur  ;  alioc^ui  i'alsum 
esset  decretum  Ecclesi»  de  totâ  substantiâ  immutatâ,  speciebus 
tantùm  remanentibus. 

Quo  etiam  constat  mutationem  illam  vcrè  esse  physicam ,  hoc 
est  realem  et  veram,  non  moralem  aut  impropriè  dictam  ;  cùm 
sit  rei  ipsius  in  aliam  rem  vera  conversio. 

Quin  etiam  auctor  pius  et  eruditus  confitetur  «  realem  altera- 
tionem  signilicatam  per  terminos  trammutationis,  transelemen- 
tationis,  etc.  »  Real i s  autem  alteratio  procul  dubio  est  phj^sica 
mutatio.  Certum  ergo  ex  ipso  auctore  est  intervenire  in  pane  et 
vino  mutationem  physicam,  quœ  non  sit  simplex  alteratio  ad 
qualitatem  aut  accidens  spectans,  sed  vera  ac  realis  in  ipsà  sub- 
stantiâ mutatio  aut  conversio. 

Nequehocad  modum  pertinet,  sed  ad  rem  ipsam  ;  cùm  Eccle- 
sià clarè  definiverit  rem  ipsam,  sive  substantiam  panis  et  ^ini, 
converti,  transmutari,  transsul>stantiari. 
Ad  modum  (piidem  pertinet,  an  transsubstantiatio  sit  amiihila- 


JUGEMENT  SUR  LE  RESULTAT  D'UNE  CONTROVERSE.        iOl 

tio,  qnod  negat  sanclus  Thomas.  Ttem  ad  modum  pertinet ,  cujus 
natures  sint  illce  species  quae  rémanent,  aliaque  ejusmodi  ;  sed 
fieri  mutationem  substantiîE  in  sul)stantiam,  est  ipsa  res  quœ  fit, 
non  rei  conficiendi  modus. 

Congruimt  Ecclesiae  decretis  antiqua  illa  dicta  Patrum  Orienta- 
limii  secpiè  ac  Occidentédinm  :  «  Qui  apparet  panis,  non  est  panis, 
sed  corpus  Christi  :  quod  apparet  vinum  non  esse  vinum,  sed 
sanguinem  Christi  :  tam  verè  mutari  paiiem  in  corpus,  et  vinum 
in  sanguinem ,  quàm  verè  mutata  est  à  Christo  aqua  in  vinum  : 
adesse  Spiritum  sanctum,  velut  ignem  invisibilem,  quo  panis  et 
vinum  depascantur,  consumantm*,  ut  ohm  victimae  cœlestis  ignis 
descendit,  »  et  caetera  ejusmodi,  quae  veram,  physicam  et  sub- 
stantialem  indicant  conversionem.  Quae  omnia  eo  nituntur,  quod 
Christus  non  dixerit  :  Hic,  sive  in  re  tah  est  corpus  meum;  quae 
locutio  conjimctionem  panis  cum  corpore  efficeret;  sed  Hoc  est 
corpus  meum,  quo  Patres  omnes ,  atque  Ecclesia  semper  intel- 
lexerit  id  fieri ,  ut  corpus  Christi  jam  esset  iUa  substantia,  quae 
anteà  panis  erat,  conversione  verà,  non  conjunctione. 

Haec  est  procul  dubio  vera  et  cathohca  iides ,  quam  Summœ 
auctor  serpiendam  tam  piè  profitetur. 

Caeterùm,  si  cpiid  adhuc  obsciunun  est,  exponere  non  grava- 
bimur. 


JUGEMENT 

SUR    LE 

RÉSULTÂT  D'UNE  CONTROVERSE  TOUCHANT  L'EUCHARISTIE, 

PAR     I.'ÉVÊQUE    DE    MEAUX. 


Ce  petit  ouvrage  ne  contient  rien  que  de  très-véritable  siu:  la 
présence  réelle  du  corps  de  Jésus-Christ  dans  l'Eucharistie.  11  est 
tout  à  la  fois  et  très-théologique  et  très-orthodoxe. 


102    DISSERT.  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

L'auteur  a  raison  de  mettre  au  nombre  des  opinions  indiffé- 
rentes les  sentimens  opposés  des  scolastiques  de  la  reproduction 
ou  de  l'abduction. 

Il  ne  dit  rien  qui  ne  soit  exact  sur  la  transsubstantiation  par 
ces  paroles  :  «  Je  recomiois  un  changement  réel  opéré  dans  l'Eu- 
charistie, qu'on  exprime  par  les  mots  de  transmutation,  tra.nsélé- 
mentation,  transsubstantiation,  que  les  Grecs  rendent  par  celui  de 

Il  n'avance  rien  non  plus  que  d'exact  et  de  bon  sur  le  terme  ad 
quem  du  changement  ou  de  la  transmutation ,  lequel  terme  est  le 
corps  et  le  sang  de  Jésus- Christ. 

Sm^  le  terme  à  quo,  qui  est  le  pain  et  le  vin,  il  dit  que  «  c'est 
un  grand  mystère,  qui  passe  TinteUigence  des  hommes  et  peut- 
être  celle  des  anges  ;  »  ce  qui  a  besoin  de  quelque  explication. 
Car  il  faut  dire  que  par  les  décrets  de  l'Eglise,  la  chose  même  est 
certaine,  quoique  la  manière  dont  elle  se  fait  soit  abjuidonnée  aux 
disputes  des  théologiens. 

Je  dis  que  i)ar  les  décrets  de  l'Eglise,  la  choses  même  est  rer- 
tamc.  Voici  le  décret  du  concile  de  Trente,  session  xui,  canon  n  : 
«  Si  (juelqu'un  dit  que  la  substance  du  pain  et  du  vin  reste  dans  le 
très-saint  sacrement  de  l'Eucharistie  ;...  et  nie  l'admirable  et  sin- 
gulier changement  de  toute  la  sul)stance  du  pain  au  corps,  et  de 
toute  la  sul)stance  du  vin  au  sang,  de  sorte  ({u'il  ne  reslt;  du  pain 
et  du  vin  que  les  seules  apparences  :...  (luil  soit  anathème.  »  Ce 
canon  du  concile  de  Trente  répond  au  chapitre  iv  de  la  même 
session,  qui  porte  poiu  titre  :  De  la  transsuhstaiitiation. 

Suivant  ce  canon,  il  est  clair  qu'il  ne  reste  rien  dans  l'Eucha- 
ristie de  la  substance  du  pain  et  du  vin,  puisque  toute  la  sul)stance 
du  pain  et  du  vin  est  changée  au  corps  et  au  sang  de  Jésus- 
Christ.  On  voit  donc  évidemment  quel  est  le  sentinuint  de  l'Eglise, 
contre  laquelle,  dit  fort  l)ien  l'auteur,  un  ho7wne  sage  ne  peut 
s'élever. 

Le  décret  du  concile  de  Trente  est  conforme  à  celui  du  concile 
de  Latran  tenu  sous  Innocent  III,  chapitre  i.  De  la  foi  catholique. 

Il  est  pareillement  conforme  à  la  profession  de  foi  de  Bérenger 
de  Tom's ,  dans  laijuelle  il  confesse  «  que  le  pahi  et  le  vin  de- 


JUGEMENT  SUR  LE  RÉSULTAT  D'UNE  CONTROVERSE.        103 

viennent  par  mi  cliangement  de  substance,  la  vraie  et  propre 
chair  et  le  propre  siuig  de  Jésus-Christ.  »  Bérenger  fit  cette  pro- 
fession de  foi  dans  le  sixième  concile  de  Rome,  lorsqu'il  y  abjm'a 
pour  la  seconfle  fois  son  hérésie. 

L'Eglise  condamne  donc  expressément  ceux  qui  diroient  qu'il 
reste  dans  l'Eucharistie  quelque  chose  de  la  substance  du  pain  ou 
du  vin,  soit  qu'ils  nommassent  cette  substance  matière,  ou  seule- 
ment forme. 

Certainement  l'auteur  a  raison  de  prétendre  que  les  questions 
q"ii'on  forme  pour  distinguer  «  la  substance  et  les  accidens,  lajna- 
tière  et  la  forme,  la  quantité  et  la  matière  qu'on  nomme  première, 
appartiennent  plutôt  à  la  philosophie  qu'à  la  théologie.  »  Mais  il 
n'en  est  pas  moins  certain,  de  quoique  terme  qu'on  se  ser^e  pour 
exprimer  la  substance  du  pain  et  du  vin,  qu'il  n'en  reste  pas  la 
moindre  partie  :  autrement  l'Eglise  auroit  fait  une  fausse  décision, 
en  disant  que  toute  la  substance  est  changée  et  qu'il  ne  reste  que 
les  apparences. 

En  conséquence  je  dis  qu'il  est  certain  que  le  changement  est 
vraiment  physique,  je  veux  dire  réel  et  véritable,  et  non  pas  seu- 
lement moral  et  en  prenant  le  terme  de  changement  dans  un  sens 
impropre ,  puisque  c'est  un  vrai  changement  d'une  chose  en  une 
autre. 

Le  pieiix  et  savant  auteur  avoue  «  qu'il  se  fait  un  changement 
réel,  qu'on  exprime  par  les  mots  de  trammutation ,  etc.  »  Or  im 
changement  réel  est  sans  doute  im  changement  physique.  Il  est 
donc  certain  par  l'auteur  même,  qu'il  se  fait  dans  le  pain  et  dans 
le  vin  un  changement  physique ,  non  une  sorte  de  changement 
qui  n'affecte  que  la  qualité  et  les  accidens ,  mais  un  changement 
réel  et  effectif,  en  vertu  dutjuel  ime  substance  devient  ime  autre 
substance.  ' 

Il  s'agit  ici  de  la  chose  même,  et  non  simplement  de  la  manière 
dont  elle  se  fait ,  puisque  l'Eglise  a  clairement  décidé  la  chose 
même ,  en  exprimant  le  changement  du  pain  et  du  a  in  par  les 
mots  de  transmutation ,  transélcnientation,  transsubstantiation. 

J'avoue  qu'il  s'agit  de  la  manière  dans  cette  question ,  savoir  si 
par  la  transsubstantiation  la  matière  du  pain  et  du  vin  est  réduite 


i04    DISSERT.  SUR  LA  REUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

au  néant^  ce  que  saint  Thomas  nie,  et  dans  cette  autre  :  de  quelle 
nature  sont  les  espèces  qui  restent  ?  et  dans  quelques  autres  ques- 
tions semblables  ;  mais  quand  on  parle  du  changement  d'une 
substance  en  une  autre  substance ,  il  s'agit  de  la  chose  même_,  et 
non  de  la  manière  dont  elle  se  fait. 

Les  décrets  de  l'Eglise  sur  ce  point  sont  conformes  à  ces  ex- 
pressions employées  également  par  les  anciens  Pères  de  l'Orient 
et  de  l'Occident  :  «  Ce  qui  paroît  pain  n'est  pas  pain,  mais  le  corps 
de  Jésus-Christ  :  ce  qui  paroît  vin ,  n'est  pas  vin ,  mais  le  sang 
de  Jésus -Christ  :  le  pain  est  changé  au  corps ,  et  le  vin  au  sang, 
aussi  véritablement  que  dans  les  noces  de  Cana  l'eau  fut  changée 
en  vin  par  Jésus- Christ  :  le  Saint-Esprit  est  présent;  et  par  sa 
vertu  comme  par  un  feu  invisible,  le  pain  et  le  vin  sont  dévorés, 
sont  consumés ,  de  la  même  manière  que  la  victime  d'Elie,  sur 
laquelle  le  feu  du  ciel  descendit.  »  Ces  expressions  et  d'autres 
semblables  marquent  un  changement  véritable,  physique  et  sub- 
stantiel. Et  toute  cette  doctrine  est  fondée  sur  ce  que  Jésus-Christ 
n'a  pas  dit:  Ici,  ou  :  dans  ime  telle  chose  est  mon  corps;  ce 
qui  auroit  exprimé  cpie  le  corps  étoit  joint  au  pain;  mais  :  Ceci 
est  mon  corps;  par  où  l'Eglise  et  tous  les  Pères  ont  toujom's  en- 
tendu que  la  substance ,  qui  auparavant  étoit  pain ,  devenoit  le 
corps  de  Jésus- Christ  :  c(^  qui  ne  se  peut  opérer  que  par  mi  chan- 
gement réel,  et  non  par  l'union  des  deux  substances. 

Telle  est  certainement  la  foi  catholique,  que  le  pieux  auteur  fait 
profession  de  vouloir  suivre. 

Au  reste,  si  l'on  trouve  encore  quelques  difficultés  dans  ce  que 
je  viens  de  dire,  je  les  éclaircirai  volontiers. 


EXECUTORÏA,  ETC.  iOli 


EXEGUTORIA 

dominomm  Legatorum,  super  compactatis  data  Bohemis,  et   expedita  in 
forma  quœ  sequifur,  anno  1636  (a). 


Tn  nomine  Domini  nostri  Jesu  Christi,  qui  est  amator  pacis  et 
veritatis,  et  pro  unitate  christiani  popiili  preces  porrexit  ad  Pa- 
trem. 

Nos  Philibertus ,  Dei  et  apdstolicse  Sedis  gratiâ,  episcopus  Con- 
stantiensis,  provincse  Rhotomagensis  ;  Joannes  de  Polomar,  archi- 
diaconus  Barchinonensis ,  apostolici  Palatii  causarum  auditor, 
Becretorum  doctor;  Martinus  Bernerius,  decanus  Turonensis; 
Tilmanus,  propositus  Sancti  Forini  de  Confluentiâ,  Becretorum 
doctor  ;  ^Egidius  Caiierii,  decanus  Cameracensis  ;  et  Thomas  Ha- 
selbach,  sacrae  theologise  professor  Viennensis,  sacri  generalis 
concilii  Basiliensis  ad  regnum  Bohemise  et  marchionatum  Mora- 
vise,  legati  destinât! ,  auctoritate  sacri  concilii,  recipimus  et  ac- 
c«ptamus  imitatem  et  pacem,  per  dictos  regnum  Bohemiœ  et 
marchionatmn  Moraviœ  acceptas,  factas  et  firmatas,  secundùm 
quod  utrique  parti  constat,  per  litteras  indè  confectas,  cum  uni- 
verso  populo  christiano.  ToUimus  omnes  sententias  censurse,  et 
plenariam  abolitionem  facimus.  Item  auctoritate  Dei  omnipoten- 
tis  et  beatorum  apostolorum  Pétri  et  Pauli,  et  dicti  sacri  genera- 
lis concilii,  pronuntiamus  veram,  perpetuam,  firmam,  bonam 
et  christianam  pacem  dictorum  regni  et  marchionatiis,  cum  reli- 
quo  universo  populo  christiano  ;  mandantes  auctoritate  prœdictà 
universis  christiani  orbis  principibus,  et  aliis  Christi  fidelibus 
universis,  cujuscumque  status,  gradùs  et  prœeminentiœ  aut  di- 
gnitatis  existant,  quatenùs  dictis  regno  et  marchionatui  bonam, 

(a)  Nous  donnons  celte  pièce  telle  qu'elle  fut  envoyée  d'Allemagne  par  Leibniz, 
après  l'avoir  collationnée  dans  Goldust,  de  Offic,  Elect.  Uohon.;  Fiaucof.,  1G27. 
p.  173.  [Edtt.  de  Le  roi.) 


106    DISSERT.  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

fîrmam  et  christianam  pacem  observent.  Neque  pro  causis  dis- 
sensionum,  pro  difficiiltatibus  aliquibus  circa  materias  fidei  et 
quatuor  articulorum  dudùm  exortas  et  agitatas  (cùm  jam  sint 
per  dicta  capitula  complanatae  ) ,  aut  pro  eo  quod  communicarunt, 
communicant,  et  communicabunt  sub  utràque  specie,  juxta  for- 
mam  dictorum  capitiilorum,  cos  invadere,  offendere,  infamare, 
aut  injuriari  pra^sumant.  Sed  ipsos  Bohemos  et  Moravos  tanquàm 
fratres,  bonos  et  catholicos  Ecclesise  orthodoxae  fdios,  reverentes 
et  obedientes  eidem  habeant,  et  firmà  dilectione  contractent  :  hoc 
declarato  expresse,  quôd  si  aliquis  contra  faceret,  non  intelliga- 
tur  pax  ipsa  violata,  sed  deljcat  fieri  de  illo  enienda  condigna. 

Cùmque  (prout  in  dictis  capitulis  continetur)  circa  niateriam 
comnumionis  sut)  utràque  specie,  sit  hoc  modo  concordatum , 
quod  dictis  J3o]iemis  et  Moravis.  suscipientibus  ecclesiasticam  uni- 
tatem  et  pacem,  reahter  et  cum  effectu,  et  in  omnibus  ahis  quàm 
in  usu  communionis  utriusfpie  speciei,  fidei  et  ritui  universahs 
Ecclesiaî  conformibus  :  «  llli  et  illaî,  qui  talem  usum  habent,  » 
comniunicabmit  sub  utràque  specie,  «cum  aucloritate  Domini 
nostri  Jesu  Christi  et  Ecclesiaî  verse  sponsai  ejus.  Et  articulus 
illc  in  sacro  concilio  discutictur  ad  plénum  (]uond  materiam  de 
prœcepto;  et  videbitur,  quid  circa  illum  articulum  pro  veritate 
catholicà  sittenendum  et  agendum,  ]tro  utilitate  et  sainte  populi 
christiani.  » 

Et  omnihus  mahu^è  et  digeste  perlractatis,  nihilominùs  si  in 
desiderio  habendi  dictam  communionem  sub  duplici  specie  per- 
severaverint,  lioc  eorum  ambasiatoribus  indicantibus ,  sacrum 
concilium  sacerdotibus  dictorum  regni  et  marcbionatùs,  commu- 
nicandi  sub  utràcpie  specie;  populum,  cas  videlicet  personas,  (piée  in 
annis  discretionis  reverenter  et  dévote  postulaverint,  facultatem 
pro  eorum  utilitate  et  sainte,  in  Dojnino  larf/ichir.  Hoc  semper 
observato,  quôd  saccrdotes  sic  communicantilius  semper  dicant, 
«  quod  ipsi  debent  firmiter  credere,  quod  non  sub  specie  panis 
caro  tantùm,  nec  sub  specie  vini  sanguis  tantùm  ;  sed  sub  quâli- 
bet  specie  est  integer  et  totus  Christus.  » 

Et  juxta  dictorum  compactatorum  formam,  dictis  Bohemis  et 
Moravis  suscipientibus  ecclesiasticam  unitatem  et  pacem,  reahter 


EXECUTORÏA,  ETC.  107 

et  cum  eiîectu,  et  in  omnibus  aliis^  quàm  in  usu  communionis 
utriusque  speciei,  fidei  et  ritui  universalis  Ecclesiae  conformibus  ; 
illi  et  illae  qui  talem  usum  habent,  valeant  communicare  sub 
duplici  specie,  cum  auctoritate  Domini  nostri  Jesu  Clmsti  et 
Ecclesiœ,  vesœ  Sponsai  ejus.  Hoc  expresse  declarato,  quôd  per 
verbum  fidci,  suprà  et  infrà  positum,  intelligmit  et  intelligi  vo- 
lunt  veritatem  primam  et  omnes  alias  credendas  veritates,  se- 
cimdùm  quod  manifestantm'  in  Scripturis  sacris  et  doctrinà  Ec- 
clesiœ  sanè  intellectis.  Item,  cum  dicitur  de  ritibus  universalis 
Ecclesiœ,  intelligunt  et  intelligi  volrnit,  non  de  ritibus  speciali- 
bus,  de  quibus  in  diversis  provinciis  diversa  servantur;  sed  de 
ritibus,  qui  communiter  et  generaliter  circa  divina  semantm'. 
Et  quod  postquàm  in  nomine  regni  et  marchionatûs  in  miiver- 
sitate  hoc  suscipietur,  si  aliqui  in  divinis  celelirandis  non  sta- 
tim  suscipiant  ritus,  qui  generaliter  ol)servantur,  proptereà 
non  fiat  impedimentum  pacis  nec  miitatis. 

Idcircô  reverendis  in  Christo  Patribus,  archiepiscopo  Pragensi, 
et  Olomucensi  et  Luthomislensi  episcopis,  qui  sunt  vel  qui 
pro  tempore  erunt,  universis  et  singulis  ecclesiarum  prœlatis 
curam  habentibus  animarmu,  in  virtute  sanctœ  obedientiae  dis- 
trictè  praecipiendo  mandamus,  quatenùs  illis  personis,  qiiœ 
usum  habent  communicandi  sub  duplici  specie,  juxta  formam  in 
dicta  capitido  contentam.  sacrmn  Eucharistiae  sacramentum  sub 
duplici  specie ,  requisiti,  prout  ad  unumquemque  pertinet  aut 
pertinebit,  in  futurum  ministrent,  et  pro  necessitate  plel)is,  ut 
non  negligatur,  faciant  ministrari,  et  his  nullatenùs  résister e  aut 
contra  ire  prsesumant. 

Scholares  quoque ,  qui  communicaverunt ,  et  deinceps  juxta 
dictorum  capitulorum  formam  comnumicare  volent,  et  etiam 
cùm  promoti  fuerint,  et  ad  eos  ex  officio  pertinebit  aliis  minis- 
trare  suli  duplici  specie,  proptereà  à  promotione  ad  sacros  ordines 
non  prohibeant;  sed  si  aliud  canonicum  non  obsistat,  eos  rite 
promoveant  eorum  episcopi.  Quôd  si  quisquam  contra  hoc  facere 
prœsumpserit  y  per  ejus  superiorem  débité  puniatur;  ut,  pœnâ 
docente ,  cognoscat  quàm  grave  sit  auctoritatem  sacri  concilii 
(jeneralis  haberc  conleinptani.  Universis  quoque  et  singulis  eu- 


108    DISSERT.  SUR  LA  REUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

juscumque  status ,  praeeminentiap  aut  conditionis  existant,  prœ- 
sentium  tenore  districtè  prœcipiendo  mandamus,  quatenùs  dictis 
Botiemis  et  Moravis  servantibus  ecclesiasticam  unitatem,  etuten- 
tibus  communione  sub  duplici  specie,  modo  et  forma  praedictis, 
iiemo  audeat  improperare ,  aut  eorum  famse  vel  honori  detra- 
here. 

Item,  qiiôd  ambasiatores  dicti  regni  et  marchionatùs ,  ad  sa- 
crum concilium,  Deo  propitio,  féliciter  dirigendi,  et  omnes  qui  de 
eodem  regno  vel  marchionatu  dictum  sacrum  concilium  adiré 
voluerint,  securè  poterunt  ordinato  et  honesto  modo  proponere 
(îuidquid  difficultatis  occurrat  circa  materias  fidei ,  sacramento- 
rum,  vel  rituum  Ecclesise,  vel  etiam  pro  reformatione  Ecclesiae  in 
capite  et  in  membris  ;  et,  Spbitu  sancto  dirkjcnte,  fiet  secundùm 
quod  juste  et  rationabiliter  ad  Dei  gloriam  et  ecclesiastici  status 
debitam  honestatem  fuerit  faciendum. 

Item,  recognoscimus  in  gestis  apud  Pragam  in  schedulà,  quae 
incipit  :  Tlœcsunt  responsa  :  Actumper  Reverendum  in  Christo 
Patrem  dominum  Philibertum ,  etc.  :  Hanc  i^esponsionem  scrip- 
tam,  etc.  :  Primo  dixerunt  [o] ,  etc.,  quod  non  est  intentionis 
sacri  concilii  permittere  communioncMn  sub  duplici  specie ,  per- 
missione  tolerantiae,  vel  sicut  Judœis  permissus  fuit  libellus  re- 
pudii.  Quia  cùm  sacrum  concilium  viscera  maternse  pietatis  ex- 
hibere  dictis  Bohemis  et  Moravis  intendat,  non  est  intentionis 
concilii  permittere  tali  permissione,  quaî  pcccatum  non  excludat  ; 
sed  taliter  elargitur  quod  auctoritate  Doinini  nostri  Jcsii  Christi 
et  Ecdesiœ  verœ  Spoiisœ  suœ  sitlicita,  et  digne  sumentibus  utilis 
et  salutaris. 

Quoniam  ita  concordati  sumus  cum  gabernatore,  baronibus  et 
aliis ,  quod  per  illas  formas  in  hàc  et  in  alicà  litterà  conceptas  et 
scriptas ,  dicta  compactata  ad  executionem  deducantur,  et  in  illis 

(n)  On  cite  ici  j  lusieurs  pièces  qui  ne  se  trouvent  pas  dans  la  collection  du 
P.  Labbe.  U  scroità  souhaiter  qu'on  recueillit  en  Allemagne  et  ailleurs  les  pièces 
sur  le  concile  de  Bàle.  échappées  aux  recherches  de  ce  savant  jésuite,  et  qu'on 
les  fit  iinprbner  par  forme  de  supplément  à  sa  collection.  {  Edit.  de  Leroi.  ) 
Mansi  en  a  recueilli  plusieurs  dans  le  quatrième  volume  de  son  Supplément  à 
l'éditinn  da  Cotinles,  donnée  à  Venise  par  Coleti,  qiii  avoit  déjà  réuni  celles  que 
dom  Martène  avoit  publiées  dans  son  Amplissima  Collectio,  et  dans  son  Thé- 
saurus Anecdotorum.  [Edit  de  Déforis.) 


EXECUTORIA,  ETC.  109 

formis  ambae  partes  resedimus.  Item,  in  litteris  ab  utrâque  parte 
ad  invicem  apponantur  in  testimonium,  ad  partium  petitionem  , 
sigilla  serenissimi  domini  Imperatoris,  et  illustrissimi  domini 
Ducis  Austriae  Alberti.  Ambasiatoribus  regni  Bohemiœ  ad  sa- 
crum concilium  destinandis,  dabimus  salvum  conductum  eo 
modo,  qno  dedimus  dominis  Matthiœ,  Procopio  etMartiuo.  Dabi- 
mus bullam  sacri  concilii,  in  quà  inserentur  compactata  et  con- 
firmabmitur.  Item,  aliam  bullam  in  quà  inseretm*  littera  pro 
executione  compactatorum  ,  per  nos  facta  cum  ratificatione. 
Quandô  datae  fuerint  nobis  litterœ  regni,  et  facta  fuerit  obedien- 
tia,  nos  dabimus  litteram,  per  quam  promittemus  quôd,  quàm 
Xîitô  commode  poterimus,  procurabimus  habere  à  sacro  concilio 
dictas  duas  bullas  :  et  hœc  littera  erit  mmiita  sigillis  regni,  et  se- 
renissimi domini  Imperatoris  et  illustrissimi  domini  Ducis  in 
testimonium.  Simili  modo  petimus  salvum  conductum,  si  nos  vel 
aliqui  ex  nobis  velint  transire  ad  legnum.  In  quorum  fidem  et 
testimonium,  nos  Pliiliberlus,  episcopus  Constantiensis  praefatus  ; 
Joannes  de  Polomar,  auditor;  et  Tilmanus,  prœpositus  sancti 
Florini,  vice  et  nomine  omnium  aliorum  colle  garum  nostrorum, 
in  absentiâ  suorum  sigillorum,  présentes  has  litteras  dedimus, 
sigillorum  nostrorum  mmiimine  roboratas  [a] . 


SENTENCE  EXECUTOIRE 

Rendue  ^oar  les  légats  du  concile  de  Bàle ,  au  sujet  du  traité  conclu  avec  les 
Bohémiens,  et  expédiée  dans  la  forme  qui  suit,  l'an  1636. 


Au  nom  de  Notre- Seigneur  Jésus-Christ,  qui  chérit  la  paix, 
et  qui  a  ofTert  ses  prières  à  son  Père  pour  Tmiion  du  peuple 
chrétien. 

(a)  In  alio  autem  codice  sic  habetur  :  in  quorum  omnium  et  singulorum  fidem 
et  testimonium  ,  has  nostras  litteras  sigillis  nostris  feciuius  comrauniri.  Et  ad 
majorem  evidoutiam,  robur  et  firmitatem  sigilla  serenissimi  domini  Sigismundi, 
Uomanorum  imperatoris,  et  illustrissimi  Priucipis  domiui  Alberti,  ducis  Austriae 


no    DISSERT.  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

Nous  Philibert  par  la  grâce  de  Dieu  et  du  Saint  Siège  apostoli- 
que, évêque  de  Coutances,  de  la  province  de  Rouen;  Jean  de  Po- 
lomar  [a),  archidiacre  de  Barcelone,  auditeur  de  la  chambre  apos- 
tolique, docteur  en  droit  canon;  ^Martin  Bernerius,  doyen  de 
Tours;  Tilman,  prévôt  de  Saint-Florin  de  Coblentz,  docteur  en 
droit  canon  ;  Gilles  Charlier,  doyen  de  Cambray  ;  et  Thomas  Ha- 
selbach,  professeur  en  théologie  à  Yiemie,  légats  du  saint  con- 
cile général  de  Bàle,  dans  le  royaume  de  Bohême  et  le  marquisat 
de  Moravie,  acceptons  et  recevons,  par  l'autorité  du  saint  concile, 
les  articles  d'union  et  de  paix  avec  tout  le  peuple  chrétien,  tels 
qu'ils  ont  été  dressés,  acceptés  et  confirmés  dans  lesdits  royaume 
et  marquisat  de  Bohême  et  de  Moravie,  ainsi  qu'il  est  constaté  par 
les  lettres  écrites  de  part  et  d'autre.  Nous  abrogeons  toutes  les 
censin^es  prononcées,  et  les  abolissons  pleinement;  déclarant  par 
l'autorité  de  Dieu  tout-puissant,  des  bienheureux  apôtres  saint 
Pierre  et  saint  Paid  et  du  sacré  concile,  que  lesdits  royaume  et 
marquisat  jouiront  désormais  d'ime  paix  véritable,  perpétuelle, 
ferme,  constante  et  chrétiemie,  avec  les  autres  peuples  clu'éliens. 
Ordonnons  par  l'autorité  ci-dessus,  à  tous  les  princes  du  monde 
chrétien  et  à  tous  autres  fidèles  de  quelque  état,  condition  et  di- 
gnité qu'ils  soient,  de  garder  inviolablement  et  de  bomie  foi  la 
paix  chrétienne  avec  lesdiîs  royaume  et  marquisat,  et  de  ne  les 
point  attaquer,  offenser,  difffimer  ou  injurier  sous  prétexte  des 
disputes  ci-devant  agitées  au  sujet  de  <|uel(]ues  difficultés  sur 
des  matières  de  foi  et  sur  les  quatre  articles  (lesquelles  difficultés 
sont  maintenant  aplanies  par  la  convention  ci-devant  stipulée), 
non  plus  que  sous  prétexte  que  les  Bohémiens  et  les  Moraviens 
ont  communié  par  le  passé,  et  continuc^ront  dans  la  suite  confor- 
mément à  ladite  convention  à  communier  sous  les  deux  espèces. 
Voulons  qu'on  traite  avec  affection  et  fraternellement  les  Bohé- 
miens et  les  Moraviens,  (^t  qu'on  les  regarde  comme  bons  catho- 
liques, et  comme  des  enfans  pleins  de  respect  et  d'obéissance  pour 

cl  marchionis  Moravi»,  ad  inï^iantcs  procès  nostras  sunt  prœsentibus  appensa. 
Datuni  Iglavios  Olomuceusis  difpcesiri,  die  qiiiutàmcnsis  julii,  anno  Uoiriini  14oC. 
(a)  Les  noms  paroissent  estropiés,  ou  dans  Goldast  ou  dans  l'appendice  au 
concile  de  Bàle  du  P.  Labbe.  Au  lieu  de  Poloniar,  le  P.  Labbe  lit  Polcmar,  et 
ensuite  Bcrriuer,  au  lieu  de  Bernerius.  [  Edit.  de  Lcroi.  ) 


SENTENCE  EXECUTOIRE,  ETC.  1 1  { 

l'Eglise  leur  ^îère.  Déclarons  expressément  que  si  quelqu'un  en- 
freint cette  ordonnance,  il  sera  puni  comme  sa  faute  le  mérite, 
et  l'on  ne  regardera  pas  cette  infraction  de  quelques  particuliers 
comme  une  rupture  de  la  paix. 

Au  sujet  de  la  communion  sous  les  deux  espèces,  nous,  ainsi 
qu'il  est  stipulé  dans  les  articles,  par  l'autorité  de  Jésus- Christ 
Notre-Seigneur  et  de  l'Eglise  sa  véritable  Epouse,  accordons  aiLx 
Bohémiens  et  aux  Moraviens  de  l'un  et  de  l'autre^exe  (lescpiels 
prouvent  par  des  effets  qu'ils  embrassent  sincèrement  la  réunion 
et  la  paix  avec  l'Eglise,  dont  ils  suivent  la  foi  et  les  rits,  excepté 
dans  la  manière  de  communier),  la  permission  de  communier 
sous  les  deux  espèces  conformément  à  leur  usage  ;  réservant  au 
saint  concile  la  discussion  finale  de  ce  qui  est  de  précepte  à  cet 
égard,  lequel  concile  décidera  ce  que  la  vérité  catholique  oblige 
de  croire,  et  ce  qu'on  doit  observer  pour  l'utilité  et  le  salut  du 
peuple  chrétien. 

Après  que  toutes  choses  am'ont  été  mûrement  et  solidement 
discutées,  si  les  peuples  desdits  royaume  et  marquisat  persistent 
à  désirer  de  communier  sous  les  deux  espèces,  le  saint  concile 
ayant  égard  à  ce  cpie  diront  leurs  ambassadeurs,  permettra  dans 
le  Seigneur  aux  prêtres  de  donner  la  communion  sous  les  deux 
espèces,  pour  l'utilité  et  le  salut  de  ces  peuples,  à  ceux  qui  la  de- 
manderont avec  respect  et  dévotion,  dépendant  les  prêtres  auront 
grand  soin  de  dire  à  ceux  auxquels  ils  dormeront  ainsi  la  com- 
munion, quils  doivent  croire  d'une  foi  ferme,  que  la  chair  n'est 
I  las  seule  sous  l'espèce  du  pain,  ni  le  sang  seul  sous  l'espèce  du 
vin  ;  mais  que  Jésus-Christ  est  tout  entier  sous  chaque  espèce. 

Nous  ordonnons,  par  l'autorité  de  Jésus-Christ  Notre- Seigneur 
et  de  l'Eglise  sa  véritable  Epouse,  que,  selon  la  teneur  de  la  con- 
\  ention,  les  Bohémiens  et  les  Moraviens  de  l'un  et  de  l'autre  s(;xe, 
lesquels  prouvent  par  des  effets  qu'ils  embrassent  sincèrement  la 
rémvion  et  la  paix  avec  l'Eglise,  dont  ils  suivront  la  foi  et  les  rits, 
excepté  dans  la  manière  de  communier,  puissent  continuer  à 
communier  sous  les  deux  espèces  :  déclarant  expressément  que 
par  le  mot  foi,  employé  ci-dessus  et  dans  la  suite,  on  entend  et 
l'on  doit  entendre  la  vérité  première,  laipielh;  est  le  fondement  et 


H2    DISSERT.  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

la  base  des  autres  vérités  manifestées  dans  l'Ecriture  sainte,  in- 
terprétée conformément  à  la  doctrine  de  l'Eglise  :  qu'on  entend 
aussi  et  qu'on  doit  entendre  par  ces  mots  :  Rits  de  V Eglise  uni- 
verselle,  non  les  rits  particuliers  qui  varient  dans  les  différens 
lieux,  mais  ceux  qui  sont  communément  et  généralement  observés 
dans  la  célébration  des  saints  mystères.  Et  après  que  cette  dé- 
claration aura  été  reçue  en  général  au  nom  du  royaume  de  Bo- 
hême et  du  marquisat  de  Moravie,  s'U  arrive  que  quelques  parti- 
culiers ne  suivent  pas  aussitôt,  dans  la  célébration  des  saints  mys- 
tères, certains  rits  miiversellement  observés,  cette  contravention 
ne  mettra  pas  obstacle  à  la  paix  et  à  la  réunion. 

C'est  pourquoi  nous  ordonnons  en  vertu  de  la  sainte  obéissance, 
aux  révérends  Pères  en  Jésus-Christ ,  l'archevêque  de  Prague,  et 
les  évêques  d'Olmutz  et  de  Littomissel,  présens  et  à  venir,  et  à 
tous  et  chacun  des  pasteurs  ayant  charge  d'ames,  d'administrer 
sur  la  réquisition  de  ceux  à  qui  il  appartient  ou  appartiendra ,  le 
sacrement  de  FEucharistie  sous  les  deux  espèces,  ainsi  qu'U  est  dit 
dans  la  convention,  c'est-à-dire  à  ceux  qui  sont  dans  cet  usage, 
et  de  ne  point  négliger  de  le  faire  administrer  de  la  sorte,  partout 
où  la  nécessité  des  peuples  le  requerra  :  et  qu'aucun  ne  soit  assez 
téméraire  pour  agir  autrement  que  le  porte  la  présente  ordon- 
nance, ou  pour  s'opposer  à  son  exécution. 

Jjes  étudians  [a]  qui  auront  communié ,  et  qui  conformément  à 
la  convention  voudront  dans  la  suite  commmiier  sous  les  deux 
espèces,  dans  la  résolution,  lorsqu'ils  seront  parvenus  au  saint 
ministère,  de  donner  aux  autres  la  communion  de  cette  sorte ,  ne 
pourront  pour  cette  raison  être  éloignés  des  saints  ordres  ;  et  nous 
voulons  (jue  lem's  évêques  les  y  élèvent ,  s'il  n'y  a  point  d'autre 
empêchement  canonique.  Si  quelqu'un  a  la  témérité  d'agir  contre 
cette  ordonnance ,  qu'il  soit  pmii  par  son  supérieur  comme  sa 
faute  le  mérite,  afui  qu'il  connoisse  par  la  sévérité  du  châtiment, 
quel  crime  commettent  ceux  qui  méprisent  l'autorité  du  saint  concile 
général.  Nous  ordonnons  pareillement  par  ces  présentes ,  à  toute 
personne  de  quelque  état ,  dignité  et  condition  qu'elle  soit,  de  ne 

(«)  Lo.  mot  s-rfiohirr'.'i  no  peut  ètrn  traduit  nutreuiont.  11  est  clair  (jii'il  s'agit  ici 
de  ceux  qui  élutlioient  pour  se  disposer  à  l'état  ecclésiastique.  {Edit.  de  Leroi.) 


SENTENCE  EXÉCUTOIRE,  ETC.  413 

faire  aucun  reproche  aux  Bohémiens  et  aux  Moraviens  unis  à  l'E- 
glise, qui  communient  sous  les  deux  espèces  en  la  manière  marquée 
ci-dessus^  et  de  ne  point  attaquer  leur  homieur  et  leur  réputation. 

Nous  voulons  que  les  ambassadeurs  desdits  royaume  et  mar- 
quisat, qui^  comme  nous  l'espérons  de  la  bonté  de  Dieu,  seront  en- 
voyés au  saint  concile,  et  tous  autres  de  ce  royaume  et  marquisat 
qui  voudront  y  venir,  aient  une  pleine  liberté  de  proposer  modes- 
tement leurs  difficultés,  tant  sur  les  matières  delà  foi,  des  sacre- 
ment et  des  rits  ecclésiastiques,  que  même  sur  la  réformation  de 
l'Eglise  dans  son  Chef  et  dans  ses  membres ,  et  l'on  fera,  sous  la 
direction  du  Saint-Esprit,  ce  qui  sera  juste  et  raisomiable  pour  la 
gloire  de  Dieu  et  le  règlement  de  la  discipline  ecclésiastique. 

Nous  reconnoissons  que  dans  les  Actes  passés  à  Prague,  dont  l'un 
commence  par  ces  mots  :  Hœc  suntresponsa,  et  finit  ainsi  :  Actum 
per  Revcrendiun  in  Chris  ta  Patre?n  D.  Philibertum  ;  et  les  autres  : 
Hanc  responsionem  scriptam,  etc.  Primo  dixerunt,  etc.,  le  saint 
concile  n'entend  pas  permettre  la  communion  sous  les  deux  espèces 
par  simple  tolérance,  et  de  la  manière  que  le  divorce  étoit  permis 
aux  Juifs.  Carie  saint  concile,  qui  veut  donner  aux  Bohémiens  et 
aux  Moraviens  des  marques  éclatantes  de  sa  grande  tendresse , 
n'a  pas  intention  de  leur  permettre  ime  chose  qu'ils  ne  pourroient 
faire  sans  péché  :  il  leur  permet,  par  l'autorité  de  Jésus-Christ 
et  de  l'Eglise  sa  véritable  Epouse ,  la  communion  sous  les  deux 
espèces;  parce  qu'elle  est  licite,  utile  et  salutaire  à  ceux  qui  la 
reçoivent  dignement. 

Nous  sommes  convenus  avec  le  gouverneur,  les  barons  et 
autres,  que  les  ai'ticles  de  la  convention  seroient  exécutés  selon 
la  forme  et  teneur  du  présent  décret,  et  d'un  autre  acte  de  même 
gem'e  ;  et  nous  nous  en  tenons  de  part  et  d'autre  à  ladite  forme  et 
tenem".  Nous  sommes  pareillement  convenus  que,  pour  autoriser 
ces  actes  respectifs,  on  y  apposera,  sur  la  réquisition  des  parties, 
les  sceaux  du  sérénissime  Empereur  et  du  très-illustre  Albert,  duc 
d'Autriche.  Nous  donnerons  un  sauf-conduit  à  ceux  qui  seront 
envoyés  au  saint  concile  en  qualité  d'ambassadeurs  du  royaume 
de  Bohème,  semblable  à  celui  par  nous  ci-devant  donné  à  Mat- 
thias, à  Procope  et  à  Martin.  Nous  remettrons  aussi  une  bulle  du 
TOM.  xviu.  8 


]  14    DISSERT.  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

saint  concile,  dans  laquelle  seront  insérés  et  confirmés  les  articles 
de  la  convention.  Nous  y  ajouterons  une  autre  bulle  dans  laquelle 
notre  décret,  touchant  l'exécution  desdits  articles,  sera  inséré  et 
confirmé.  Lorsqu'on  nous  aura  mis  entre  les  mains  l'acte  par 
lequel  le  royaume  promet  obéissance,  nous  nous  engagerons  par 
écrit  à  faire  toute  la  diligence  possible  poiu  obtenir  au  plus  tôt  du 
saint  concile  les  deux  bulles  ci-dessus  mentionnées;  et  notre  écrit 
sera  muni  des  sceaux  du  sérénissime  Empereur  et  du  très-illustre 
duc  d'Autriche.  Nous  demandons  pareillement  un  sauf-conduit 
pour  ceux  d'entre  nous  qui  voudront  aller  en  Bohême.  Pliilibert, 
évoque  de  Coutances  ;  Jean  de  Polomar ,  auditeur  de  la  chambr<', 
apostolique;  Tilman,  prévôt  de  Saint-Florin,  avons  donné  les 
présentes  pour  faire  foi  de  ce  que  dessus,  tant  en  notre  nom  qu'au 
nom  de  nos  collègues  absens,  dont  nous  n"avons  pas  les  sceaux; 
et  nous  avons  fait  apposer  les  nôtres  [a^ . 


ANNOTATIOINES  D.  LEIBNIZII, 

IX  PAf.TA  CUM  BOHEMIS,  SIPKRIIS  RELATA. 


liœc  Coîupactata  fuere  approbata  à  concilio  Basileensi,  et  al) 
ipso  Pontifice  Eugcnio  lY. 

Imprimis  memorabile  est  quœstionem  de  prœcepto  (utrùm  sci- 
licet  utrius(|ue  speciei  usus  omnibus  christianis  prœceptus  sit  ) 
reUctam  in  bis  concordatis  indecisam,  et  ad  futuram  concilii 
defmitionem  fuisse  remissam  ;  tametsi  constaret  quid  jam  pro- 
nuntiasset  synodus  (^onstantiensis  :  quoniam  scilicet  ejus  auctori- 
tatem  Bohemi  non  agnoscebant. 

Undè  inteUigitur  posse  Pontificem  maximum  hodiè  eodem  jure 

((■()  T)cviK  un  autre  exemplairp  on  lit  :  En  foi  de  tout  ce  (]tic  dessus,  uous  avons 
l'ait  apposer  nos  sceaux  au  présent  Acte.  Et  pour  plus  grande  ceititude,  force 
et  autoiité,  on  y  a  ajouté  sur  nos  instantes  prières,  les  sceaux  du  sérénissini*! 
Sigisniond,  Empereur  romain,  et  du  très-illustre  Albert,  duc  d'Autriche  ai  mai - 
<]uis  de  Moravie.  Donné  à  Iglaw,  diocèse  d'Olmutz,  le  5  du  mois  de  juillet  I43ii. 


OBSERVATIONS  DE  M.  DE, LEIBNIZ,  ETC.  nr> 

iiti,  et  sepositis  apud  protestantes  Tridentinis  decretis,  eonciliare 
eos  cum  reliquis  ecclesiis,  et  controversias  qnasdam  siiperfuturas, 
non  obstantibus  Tridentinae  synodi  defmitionibus  vel  anathema- 
tismis,  ad  fiituri  concilii  œciunenici  irrefragabilia  statuta  remit- 
tere,  eaqiie  videtur  unica  snperesse  schismatis  sine  vi  ac  mnltà 
sangninis  effusione  tollendi  via. 

Et  quod  uni  regno  eiqne  non  integro ,  sacrae  pacis  amore,  et 
servandaruni  animaiimi  gratià  olim  concessum  est,  miiltô  gra- 
vioribus  causis  videntiir  impetrare  debere  protestantes,  tôt  régna, 
magnamque  Eiu-opse  partem  complexi,  et  totum  propè  septen- 
trionem  meridionaliori  traetui  Eiu-opse,  gentesque  plerasque  Ger- 
manicas  Latinis  opponentes.  Ut  adeô  sine  ipsis  aliquid  de  totà 
Ecclesiâ  velle  statuere,  neque  a?quum  satis,  neqne  admodùm 
eftîcax  futm'iun  videatiu*.  Et  consiiltiùs  futumm  sit  ejusdem , 
qiiem  paulô  antè  nominavimus,  Eugenii  IV  tractandae  pacis  ra- 
tionem  imitari,  qui  Graecos  licèt  toties  in  Occidente  damnatos  et 
calamitatibus  fractos,  ac  propemodùm  supplices,  non  superbe  re- 
jecit,  aut  alienis  decretis  parère  jussit;  sed  in  ipsum  concibnm 
Florentinum  sententiam  dictiu^os  admisit. 


OBSERVATIONS  DE  M.  DE  LEIB>;ïZ, 

SUR  LACTE  CI-DESSUS  RAPPORTÉ. 


Cette  convention  fut  approuvée  par  le  concile  de  Bàle,  et  même 
par  le  pape  Eugène  lY. 

Il  est  surtout  remarquable  que  la  question  touchant  le  précepte 
(  savoir  s'il  est  ordonné  à  tous  les  chrétiens  de  communier  sous 
les  deux  espècesi,  resta  indécise  dans  l'Acte  de  convention,  et  fut 
renvoyée  ù  la  définition  du  futur  concile,  quoiqu'on  sût  fort  bien 
ce  que  le  concile  de  Constance  avoit  déjà  prononcé;  ce  qu'on  fit 
par  ménagement  pour  les  Bohémiens,  qui  ne  reconnoissoient  pas 
l'autorité  de  ce  concile. 


116   DISSERT.  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

Or  le  souverain  Pontife  a  le  même  di^oit  aujourd'hui ,  et  peut 
par  conséquent  réunir  les  protestans  à  l'Eglise  catholique  romaine, 
en  mettant  à  l'écart  les  décrets  de  Trente,  et  en  renvoyant  certains 
points  de  controverse  au  jugement  irréfragable  du  futur  concile 
général,  sans  avoir  égard  aux  décisions  et  anathématismes  du 
concile  de  Trente.  Ce  mojen  paroît  le  seid  propre  à  extirper  le 
schisme  sans  violence  et  sans  effusion  de  sang. 

Si  le  désir  de  la  paix  et  du  salut  des  âmes  d'mi  seul  royaume, 
ou  plutôt  d'une  partie  d'un  royaume ,  fut  autrefois  un  motif  assez 
puissant  pour  engager  à  une  telle  condescendance,  combien  est-il 
plus  juste  d'en  user  aujourd'hui  de  même  avec  les  protestans,  qui 
remplissent  tant  de  royaumes  et  une  partie  considérable  de  l'Eu- 
rope ,  qui  peuvent  opposer  presque  tout  le  Nord  à  la  partie  plus 
méridionale  de  l'Europe,  et  la  phqiart  des  nations  germaniques 
aux  peuples  latins?  11  n'est,  ce  semble,  ni  juste  ni  utile  de  vouloir 
décider  sans  eux  des  points  qui  intéressent  l'Eglise  universelle.  Si 
l'on  veut  parvenir  à  une  paix  solide,  il  seroit  ])eaucoup  plus  sage 
de  prendre  pour  modèle  la  conduite  d'Eugène  IV,  dont  on  vient  de 
parler.  Ce  pape,  loin  de  rejeter  avec  hauteur  les  Grecs  tant  de  fois 
condamnés  en  Occident,  et  qui  réduits  à  une  extrême  misère,  ve- 
noient  alors  en  qualité  de  supplians  chercher  auprès  de  lui  quelque 
ressource,  n'exigea  pas  même  qu'ils  se  soumissent  aux  décrets 
des  conciles  auxquels  ils  n'avoient  point  eu  de  part,  mais  les  admit 
en  qualité  de  juges  dans  le  concile  de  Florence. 


RECUEIL 

DE  DISSERTATIONS  ET  DE  LETTRES 

1:0  N  1:  K,  R  N  A  N  T 

UN  PROJET  DE  RÉUNION  DES  PROTESTANS  D'ALLEMAGNE, 

DE  LA  COXFESSÎOX  D'AUGSBOURr,, 

A   L'EGLISE    CATHOLIQUE. 

SECONDE  PARTIE 

QUI  CONTIENT  LES  LETTRES. 


LETTRE  PREMIERE. 

LEIBNIZ   A   MADAME   DE   BRINON. 
A  Hanovre,  16  juillet  1691. 

Madame, 

C'est  beaucoup  que  vous  ayez  jugé  ma  lettre  digne  d'être  lue  ; 
mais  c'est  trop  que  vous  l'ayez  lue  à  madame  l'abbesse.  On  doit 
craindre  les  lumières  de  cette  grande  princesse ,  smiout  quand 
on  écrit  aussi  mal  que  je  fais  ;  et  ce  que  votre  bonté  vous  fait  pa- 
roître  supportable,  sera  condamné  d'im  juge  plus  sévère. 

Madame  la  duchesse ,  qui  a  lu  avec  plaisir  la  belle  lettre  dont 
vous  m'avez  honoré,  a  remarqué  avec  cette  pénétration  qui  lui 
est  ordinaire,  que  le  récit  mémorable  des  motifs  du  changement 
de  feu  Madame  votre  mère  a  quelque  chose  de  commun  avec  ce 
cpi'on  rappporte  de  feu  Madame  la  princesse  Palatine ,  dans  le 
sermon  funèbre  fait  par  M.  Fléchier,  si  je  ne  me  trompe  [a).  Il 
faut  avouer  rpie  le  cœur  humain  a  l)ien  des  replis,  et  que  les  per- 
suasions sont  comme  les  goûts  :  nous-mêmes  ne  sommes  pas 

0  II  se  trompe  en  effet;  VOraison  funèbre  est  de  Bossuet. 


H  8    LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

toujours  dans  une  même  assiette  ;  et  ce  qui  nous  trappe  dans  un 
temps,  ne  nous  touclioit  point  dans  Tautre.  Ce  sont  ce  que  j'ap- 
pelle les  raisons  inexplicables  :  il  y  entre  quelque  chose  qui  nous 
passe.  Il  arrive  souvent  que  les  meilleures  preuves  du  monde  ne 
touchent  point,  et  que  ce  qui  touche  n'est  pas  proprement  mie 
preuve. 

Vous  avez  raison ,  ^ladame ,  de  me  juger  cathoMque  dans  le 
cœm^  ;  je  le  suis  même  ouvertement  :  car  il  n'y  a  que  l'opiniâtreté 
qui  fasse  l'hérétique  ;  et  c'est  de  quoi ,  grâce  à  Dieu ,  ma  con- 
science ne  m'accuse  point.  L'essencç  de  la  catholicité  n'est  pas  de 
commmiier  extériemement  avec  Rome  ;  autrement  ceux  qui  sont 
excommuniés  injustement  cesseroient  d'être  catholiques  malgré 
eux  et  sans  ([u'il  y  eût  do  leur  faute.  Lacomnninion  ^Taie  et  essen- 
tielle, qui  fait  que  nous  sommes  du  corps  de  Jésus-Christ,  est  la 
charité.  Tous  cinix  (]ui  entretiemient  le  scliisme  par  leur  faute, 
en  mettant  des  obstacles  à  la  réconciliation,  i-ontraires  à  la  cha- 
rité, sont  véritablement  des  scliismatiques  :  au  lieu  que  ceux  qui 
sont  prêts  à  faire  tout  ce  qui  se  peut  pour  entretenir  encore  la 
communion  extérieure,  sont  cathohques  en  effet.  Ce  sont  des 
principes  dont  on  est  obhgé  de  convenir  partout.  Vous  me  ferez, 
Madame,  la  justice  de  croire  cpie  je  ne  ménage  rien  (piand  il  s'agit 
de  l'intérêt  de  Dieu;  et  je  ne  ferois  pas  scrupule  de  confesser  de- 
vant les  hommes  ce  (pie  je  juge  important  à  mon  salut,  ou  à 
celui  des  autres  :  outre  que  je  suis  dans  mi  pays  où  la  juste  mo- 
dération ,  en  matière  de  religion,  est  dans  son  souverain  degré, 
au  cMh  de  ce  que  j'ai  pu  remarquer  partout  aillem's,  et  où  la 
déclaration  qu'on  peut  faire  en  ces  matières  ne  fait  tort  à  per- 
soime.  Je  ne  suis  pas  homme  à  trahir  la  vérité  pour  quehiue 
avantage  ;  et  je  me  fie  assez  à  la  Providence,  pour  ne  pas  appré- 
hender les  suites  d'une  proléssion  sincère  de  mes  seiitimens.  Mais 
j'am'ois  mauvaise  giace  de  faire  le  brave  ici,  et  de  m'attribuer  un 
courage  dont  on  n'a  pas  besoin,  par  les  bontés  que  nos  souverains 
témoignent  aux  homiètes  gens,  de  quelque  religion  qu'ils  soient. 

De  plus.  Madame,  c'est  par  ordi"e  du  Prince  que  les  théologiens 
de  ce  pays  ont  donné  une  déclaration  de  leurs  sentimens  à  M.  l'é- 
vêque  de  Neustadt ,  autorisé  en  quelque  façon  de  l'Empereur,  et 


LEIBNIZ  A  M™"  DE  BRINON,   16  JUILLET  lfi71.  {{<) 

même  du  Pape,  touchant  les  moyens  de  lever  le  schisme.  Cet 
évêque  en  a  été  très-satislait,  et  même  la  cour  de  Rome  en  a  été 
ravie.  J'ai  fort  applaudi  à  cette  déclaration,  qui  nous  délivre  en- 
tièrement de  l'accusation  du  schisme ,  et  qui  met  dans  leur  tort 
tous  ceux  cpii  peuvent  faire  cesser  les  ohstacles  contraires  aux 
conditions  raisoimables  qu'on  y  a  attachées,  et  qui  ne  le  voudront 
pas  faire.  Je  crois,  Madame,  vous  avoir  déjà  entretenue  de  cette 
affaire.  Que  pouvons-nous  faire  davantage  ?  Les  églises  d'Alle- 
magne, non  plus  que  celles  de  France,  ne  sont  pas  ohhgées  de 
suivTe  tous  les  mouvemens  de  celle  d'Italie.  Comme  la  France 
auroit  tort  de  trahir  la  vérité  pour  reconnoître  l'infaiUiliilité  de 
Rome ,  car  eUe  imposeroit  à  la  postérité  un  joug  insupportable  : 
de  même  on  auroit  tort  en  AUemagne  d'autoriser  mi  concile,  le- 
(}uel,  tout  bien  fait  qu'il  est,  semble  n'avoir  pas  tout  ce  qu'il  faut 
pour  être  œcuménique. 

Quand  tout  ce  qu'il  y  a  dans  le  concile  de  Trente  seroit  le  meil- 
leur (la  monde ,  comme  efifectivement  il  y  a  des  choses  excel- 
lentes, il  y  auroit  toujours  du  mal  de  lui  donner  plus  d'autorité 
qu'il  ne  faut,  à  cause  de  la  conséquence.  Car  ce  seroit  approuver 
et  confumer  un  moyen  de  faire  triompher  l'intrigue,  si  une  assem- 
blée dans  laquelle  une  seule  nation  est  absolue ,  pouvoit  s'attri- 
buer les  droits  de  l'Eglise  universelle  ;  ce  qui  pourroit  tourner 
un  jour  à  la  confusion  de  l'Eglise,  et  faire  douter  les  simples  de  la 
vérité  des  promesses  di\1nes.  J'ai  déjà  écrit  à  M.  Pelisson  qu'au- 
tant que  je  puis  apprendre,  la  nation  françoise  n'a  pas  encore  re- 
connu le  concile  de  Trente  pom'  œcuménique  ;  et  en  Allemagne, 
l'archidiocèse  de  Mayence,  duquel  sont  les  évèques  de  notre 
voisinage ,  ne  l'a  pas  encore  reçu  non  plus.  On  est  redevable  à  la 
France  d'avoir  conservé  la  liberté  de  l'Eglise  contre  l'infaillibilité 
des  papes  ;  et  sans  cela  je  crois  que  la  plus  grande  partie  de  l'Oc- 
cident aui'oit  déjà  subi  le  joug  ;  mais  elle  achèvera  d'obliger 
l'Eglise  catholique,  en  continuant  dans  cette  fermeté  nécessaire 
contre  les  surprises  ultramontaines,  qu'elle  a  montrée  autrefois 
en  s'opposant  à  la  réception  du  concile  de  Trente  ;  ce  qu'elle  n'a 
pas  encore  rétracté  ;  et  rien  n'est  survenu  qui  doive  la  faire  changer 
de  sentiment.  C'est  ain.si  qu'on  peut  moyemier  la  paix  de  l'Eglise, 


120    LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

sans  faire  tort  à  ses  droits  ;  au  lieu  qu'il  sera  difficile  de  procurer 
la  réunion  par  une  autre  voie.  Car  il  semble  que ,  le  destin  mis  a 
part,  le  meillem'  remède  pour  guérir  la  plaie  de  l'Eglise  seroit  un 
concile  bien  autorisé  ;  et  nos  théologiens  ont  cru  que  même  on 
poiuToit  rétablir  préalablement  la  communion  ecclésiastique,  en 
convenant  de  certains  points,  et  en  remettant  d'autres  à  la  déci- 
sion de  ce  concile  ;  ce  que  les  docteurs  considérables  de  Rome 
même  ont  jugé  faisable,  par  des  raisons  que  je  crois  avoir  ex- 
pliquées dans  une  de  mes  précédentes. 

Je  joins  ici  le  pouvoir  que  l'Empereur  vient  de  donner  à  M.  l'é- 
vêque  de  Neustadt  [a],  dont  j'ai  déjà  parlé  :  et  par  ce  pouvoir  il 
est  autorisé  à  traiter  avec  les  protestans  des  terres  héréditaires, 
conformément  aux  projets  dont  il  étoit  convenu  avec  les  théolo- 
giens de  Brunswick  ;  car  ce  que  cet  évêque  m'a  envoyé  depuis 
peu  y  convient  entièrement.  Je  souliaite,  pour  la  gloire  du  Roi  et 
pour  le  succès  de  l'affaire,  que  la  France  y  prenne  part  :  elle  est 
la  pkis  propre  à  être  en  ceci  la  médiatrice  des  nations,  et  de  ré- 
concilier l'Italie  avec  l'Allemagne  :  lorsque  le  Roi  se  mêle  de 
quelque  chose,  il  semble  qu'elle  est  presque  faite.  C'est  à  M.  l'é- 
vêque  de  Meaux,  à  M.  Pelisson  et  à  d'autres  grands  hommes  de 
cette  espèce,  de  faire  ménager  des  occasions  qui  ne  se  présentent 
peut-être  qu'ime  fois  dans  un  siècle.  Votre  éminente  vertu,  Ma- 
dame, qu'on  voit  éclater  par  un  zèle  si  pur  et  si  judicieux,  sera 
d'un  grand  poids  pour  ranimer  le  leur.  Je  suis  avec  respect.  Ma- 
dame, votre,  etc. 

Leibniz. 

LETTRE  IL 

M""'  LA  DUCHESSE  DE  HANOVRE  A  M">«  L'ABBESSE  DE  MONTBUISSON. 

(EXXnAIT.) 

10  Septembre  1691. 

J'ai  envoyé  la  lettre  de  madame  de  Brinon  à  Leibniz,  qui  est 
présentement  dans  la  bibliothèque  de  Wolfenbuttel.  Je  ne  sais  si  elle 

{a)  L'acte  qiii  renferme  ce  plein  pouvoir  se  trouve  au  commeiiccmoiit  des. 
pièces  sm-  la  réunion  des  protestans.  vol.  XVll;  p   358. 


BOSSUET  A  M"'^  DE  BRINON ,  29  SEPTEMBRE  1691.  121 

a  lu  un  luTe  où  il  y  a  le  voyage  d'un  nonce  au  mont  Liban,  où  il  a 
reçu  les  Grecs  dans  l'Eglise  catholique ,  dont  la  différence  est  bien 
plus  grande  que  la  nôtre  avec  votre  église  ;  et  on  les  a  laissés , 
comme  vous  verrez  dans  cette  histoire,  comme  ils  étoient,  don- 
nant la  liberté  à  leurs  prêtres  de  se  marier,  et  ainsi  du  reste.  C'est 
pour  cela  que  je  ne  sais  pas  la  raison  pourquoi  nous  ne  serions 
pas  reçus  aussi  bien  qu'eux,  la  difTérence  étant  bien  moindre. 
Mais  comme  vous  dites  que  chez  vous  il  y  en  a  qui  y  sont  con- 
traires ,  c'est  aussi  la  même  chose  parmi  nous  ;  ce  qui  me  fait 
appréhender  que  quand  on  voudra  s'accorder  sur  les  points  dont 
notre  abbé  Molanus  de  Lokkum  est  convenu  avec  quelques  autres 
des  églises  luthériennes,  il  y  en  am-a  d'autres  qui  y  seront  con- 
traires ;  et  ainsi  ce  seroit  comme  une  nouvelle  religion.  Je  crois 
avoir  envoyé  autrefois  à  M.  l'évêque  de  i^Ieaux  tous  les  points 
dont  l'on  est  convenu  avec  jI.  l'évêque  de  Neustadt,  où  M.  Pelis- 
son  les  pourra  avoir,  s'ils  ne  sont  pas  perdus.  Si  madame  de  Bri- 
non  avoit  donné  les  livres  de  M.  de  Meaux  à  M.  de  la  Neuville,  il 
les  auroit  apportés  ici  ;  s'il  n'est  pas  parti ,  cela  se  pourroit  fah^e 
encore.  Une  difficulté  que  je  trouve  encore,  si  on  nous  accorde  ce 
que  nous  demandons  pour  rentrer  dans  le  giron  de  l'Eglise ,  les 
catholiques  pomToient  dire  :  Nous  voulons  qu'on  nous  accorde  les 
mêmes  choses.  Il  n'y  a  que  les  princes  qui  puissent  mettre  ordre 
à  cela,  chacun  dans  son  pays.  Je  ne  crois  pas  que  Leibniz  ait  lu 
les  livres  de  M.  de  Meaux;  mais  la  réponse  à  Jurieu  est  celle  où 
la  duchesse  l'a  fort  admiré ,  conmie  aussi  le  Catéchisme  du  Père 
Canisi  jésuite,  qu'on  a  traduit  en  allemand 

LETTRE    in. 

BOSSUET    A   MADAME   DE    BRINON. 

29  seplombre  1691. 

Je  me  souviens  bien.  Madame,  que  madame  la  duchesse  d'Ha- 
novre m'a  fait  l'honneur  de  m'envoyer  autrefois  les  articles  qui 
avoient  été  arrêtés  avec  M.  l'évêque  de  Neustadt  [a)  ;  mais  comme 

(a)  Ce  sont  les  ai  licier  iutitnlé.s  :  Rpcii1;l'  ciica  cluistiaiiorum  rcuniouem, 
•Tol.  XV!!,  p.  300. 


122  LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

cette  alîaire  ne  me  parut  pas  avoir  de  la  suite  ,  j'avoue  que  j'ai 
laissé  échapper  ces  papiers  de  dessous  mes  yeux,  et  que  je  ne  sais 
plus  où  les  retrouver  :  de  sorte  qu'il  faudroit,  s'il  vous  plait,  sup- 
plier très-humblement  cette  princesse  de  nous  renvoyer  ce  projet 
d'accord.  Car  encore  qu'il  ne  soit  pas  suffisant,  c'est  quelque  chose 
de  fort  utile  que  de  faire  les  premiers  pas  de  la  réunion,  en  attendant 
cpi'on  soit  disposé  à  faire  les  autres.  Les  ouvrages  de  cette  sorte 
ne  s'achèvent  pas  tout  d'un  coup,  et  l'on  ne  revient  pas  aussi  vite 
de  ses  préventions  qu'on  y  est  entré.  Mais  pour  ne  se  pas  tromper 
dans  ces  projets  d'union,  il  faut  être  bien  averti  qu'en  se  relâchant 
selon  le  temps  et  l'occasion  sur  les  articles  indifférens  et  de  disci- 
pline ,  l'Eglise  romaine  ne  se  relâchera  jamais  d'aucun  point  de 
la  doctrine  défmie ,  ni  en  particulier  de  ceUe  qui  l'a  été  par  le 
concile  de  Trente. 

M.  de  Leibniz  objecte  souvent  à  M.  Pehsson  que  ce  concile  n'est 
pas  reçu  dans  le  royaume.  Cela  est  vrai  pour  quelque  partie  de  la 
discipUne  inditrerente,  parce  que  c'est  une  matière  où  l'Eglise 
peut  varier.  Pour  la  doctrine  révélée  de  Dieu  et  définie  comme 
telle,  on  ne  l'a  jamais  altérée;  et  tout  le  concile  de  Trente  est  reçu 
unanimement  à  cet  égard ,  tant  en  France  que  partout  ailleurs. 
Aussi  ne  voyons-nous  pas  que  ni  l'Empereur  ni  le  Roi  de  France, 
qui  étoient  alors  et  qui  concouroient  au  même  dessein  de  la  ré- 
formation  de  l'Eglise,  aient  jamais  demandé  qu'on  en  réformât 
les  dogmes  ;  mais  seulement  qu'on  déterminât  ce  qu'il  y  avoit  à 
corriger  dans  la  pratique,  ou  ce  qu'on  jugeoit  nécessaire  pour 
rendre  la  discipline  plus  parfaite.  C'est  ce  qui  se  voit  par  les  ar- 
ticles de  réformation  qu'on  envoya  alors  de  concert ,  pour  être 
délibérés  à  Trente,  qui  tous  ou  pour  la  plupart,  étoient  excellens  ; 
mais  dont  phisieurs  n' étoient  peut-être  pas  assez  convenables  à 
la  constitution  des  temps.  C'est  ce  qu'il  seroit  trop  long  d'expli- 
quer ici,  mais  ce  cpi'on  peut  tenir  pour  très-certain. 

Quant  au  voyage  d'un  nonce  au  mont  Liban ,  où  madame  la 
duchesse  d'Hanovre  dit  qu'on  a  reçu  les  Grecs  à  notre  conuiiunion, 
je  ne  sais  rien  de  nouveau  sur  ce  sujet-là.  Ce  qui  est  vrai ,  c'est, 
Madame,  que  le  mont  Liban  est  habité  parles  Maronites,  qui  sont, 
il  y  a  longtemps ,  de  notre  communion  et  conviennent  en  tout  et 


BOSSUEÏ  A  M-"^  DE  BRINON,  29  SEPTEMBRE  1(591.  123 

partout  de  notre  doctrine.  li  n'y  a  pas  à  s'étonner  qu'on  les  ait 
reçus  dans  notre  Eglise  sans  changer  leurs  rits,  et  peut-être  même 
qu'on  n'a  été  que  trop  rigoureux  sur  cela.  Pom*  les  Grecs,  on  n'a 
jamais  fait  de  difficulté  de  laisser  l'usage  du  mariage  à  leurs 
prêtres.  Pour  ce  qui  est  de  le  contracter  depuis  leur  ordination , 
ils  ne  le  prétendent  pas  eux-mêmes.  On  sait  aussi  que  tous  leiu-s 
évèques  sont  obligés  au  célibat,  et  que  pour  cela  ils  n'en  font 
point  qu'ils  ne  les  tirent  de  Tordre  monastique ,  où  l'on  en  fait 
profession.  On  ne  les  trouble  pas  non  plus  sur  l'usage  du  pain  de 
l'Eucharistie,  qu'ils  font  avec  du  levain  :  ils  communient  sous  les 
deux  espèces,  et  on  lem*  laisse  sans  hésiter  toutes  leurs  coutumes 
anciennes.  Mais  on  ne  trouvera  pas  qu'on  les  ait  reçus  dans  notre 
communion,  sans  en  exiger  expressément  la  profession  des  dogmes' 
qui  séparoient  les  deux  églises ,  et  qui  ont  été  définis  conformé- 
ment à  notre  doctrine  dans  les  conciles  de  Lyon  et  de  Florence. 
Ces  dogmes  sont  la  procession  du  Saint-Esprit,  du  Père  et  du  Fils, 
la  prière  pom'  les  morts,  la  réception  dans  le  ciel  des  âmes  suffi- 
samment purifiées,  et  la  primauté  du  Pape  établie  en  la  personne 
de  saint  Pierre.  Il  est.  Madame,  très-constant  qu'on  n'a  jamais 
reçu  les  Grecs  qu'avec  la  profession  expresse  de  ces  quatre  arti- 
cles, qui  sont  les  seuls  où  nous  différons.  Ainsi  l'exemple  de  lem' 
réunion  ne  peut  rien  faire  au  dessein  qu'on  a.  L'Orienta  toujours 
eu  ses  coutumes,  que  l'Occident  n'a  pas  improuvées;  mais  comme 
l'EgUsé  d'Orient  n'a  jamais  souffert  qu'on  s'éloignât  en  Orient 
des  praticpies  qui  y  étoient  unanimement  reçues,  l'Eglise  d'Occi- 
dent n'approuve  pas  que  les  nouvelles  sectes  d'Occident  aient 
renoncé  d'elles-mêmes  et  de  lem*  propre  autorité ,  aux  pratiques 
que  le  consentement  unanime  de  l'Occident  avoit  établies.  C'est 
pourquoi  nous  ne  croyons  pas  que  les  luthériens  ni  les  calvinistes 
aient  dû  changer  ces  coutumes  de  l'Occident  tout  entier  ;  et  nous 
croyons  au  contraire  que  cela  ne  doit  se  faire  que  par  ordre ,  et 
avec  l'autorité  et  le  consentement  du  chef  de  l'Eglise.  Car  sans 
subordination ,  l'Eglise  même  ne  seroit  rien  qu'un  assemblage 
monstrueux,  où  chacun  feroit  ce  qu'il  voudroit,  et  interroinproit 
l'harmonie  de  tout  le  corps. 

J'avoue  doue  qu'nn  jiouiToit  accorder  aux  luthériens  certaines 


124    LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

choses  qu'ils  semblent  désirer  beaucoup,  comme  sont  les  deux 
espèces  ;  et  en  effet ,  il  est  bien  constant  que  les  papes ,  à  qui  les 
Pères  de  Trente  avoient  renvoyé  cette  affaire ,  les  ont  accordées 
depuis  le  concile  à  quelques  pays  d'Allemagne  qui  les  deman- 
doient.  C'est  sur  ce  point  et  sur  les  autres  de  cette  nature ,  que 
la  négociation  pourroit  tomber.  On  pourroit  aussi  convenir  de 
certaines  explications  de  notre  doctrine  ;  et  c'est,  s'il  m'en  souvient 
bien ,  ce  qu'on  avoit  fait  utilement  en  quelques  points  dans  les 
articles  de  M.  de  Neustadt.  Mais  de  croire  qu'on  fasse  jamais  au- 
cune capitulation  sur  le  fond  des  dogmes  définis ,  la  constitution 
de  l'Eglise  ne  le  souffre  pas  ;  et  il  est  aisé  de  voir  que  d'en  agir 
autrement,  c'est  renverser  les  fondemens,  et  mettre  toute  la  reli- 
gion en  dispute.  J'espère  que  M.  de  Leibniz  demeurera  d'accord 
de  cette  vérité,  s'il  prend  la  peine  de  lire  mon  dernier  écrit  contre 
le  ministre  Jurieu  que  je  vous  envoie  pour  lui.  Je  vois  dans  la 
lettre  de  madame  la  duchesse  dHanovre,  qu'on  a  vu  à  Zell  les 
réponses  que  j'ai  faites  à  ce  ministre,  et  que  madame  la  duchesse 
de  Zell  ne  les  a  pas  improuvées.  Si  cela  est,  il  faudroit  prendre 
soin  de  lui  faire  tenir  ce  qui  lui  pourroit  manquer  de  ces  réponses, 
et  particulièrement  tout  le  sixième  Avertissement.  Voilà,  Madame, 
l'éclaircissement  que  je  vous  puis  donner  siu*  la  lettre  de  madame 
la  duchesse  d'Hanovre,  dont  madame  de  Maubuisson  a  bien  voulu 
que  vous  m'envoyassiez  l'extrait.  Si  elle  juge  qu'il  soit  utile  de 
faire  passer  cette  lettre  en  Allemagne,  elle  en  est  la  maîtresse. 

Quant  aux  autres  difficidtés  que  propose  M.  de  Leibniz,  il  en 
aura  une  si  parfaite  résolution  par  les  réponses  de  M.  Pelisson, 
que  je  n'ai  rien  à  dire  sur  ce  sujet.  Ainsi  je  n'ajouterai  que  les 
assurances  de  mes  très-humbles  respects  envers  madame  d'Ha- 
novre ,  à  qui  je  me  souviens  d'avoir  eu  l'honneur  de  les  rendre 
autrefois  à  Maubuisson;  et  je  conserve  une  grande  idée  de  l'esprit 
d'une  si  grande  princesse.  C'est,  Madame,  votre  très-humble 
serviteur, 

J. -Bénigne  Bossuet,  Ev.  de  Meaux. 

Du  29  sonteiiibre  ÎGOI. 


LEIBNIZ  A  M'""  DE  BRINON,  29  SEPTEMBRE  1691.  125 

LETTRE    IV. 

LEIBNMZ    A   MADAME   DE   BRINON. 

29  septembre  1(J91. 
Madame, 

Aussitôt  que  nous  avons  appris  que  ce  qu'on  avoit  envoyé  au- 
trefois à  M.  l'évêque  de  Meaux,  touchant  la  négociation  de  M.  de 
Neustadt  [a],  ne  se  trouve  pas,  M.  l'abbé  Molanus,  qui  est  le  pre- 
mier des  théologiens  de  cet  état,  et  qui  a  eu  le  plus  de  part  à  cette 
affaire,  y  a  travaillé  de  nouveau.  J'envoie  son  écrit  à  M.  l'évêque 
de  Meaux  [b],  et  je  n'y  ai  pas  voiûu  joindre  mes  réflexions  ;  car  • 
ce  seroit  une  témérité  à  moi  de  me  vouloir  mettre  entre  deux 
excellens  hommes,  dans  une  matière  qui  regarde  leur  profession. 
Cependant  comme  vous  avez  la  bonté ,  Madame ,  de  souffrir  mes 
discours,  qui  ne  peuvent  être  recommandables  que  par  lem*  sin- 
cérité, je  dirai  quelque  chose  à  vous,  sur  cette  belle  lettre  de  M.  de 
Meaux  que  vous  nous  avez  commmiiquée,  et  dont  en  mon  parti- 
culier je  vous  ai  une  très-grande  obligation,  aussi  bien  qu'à  cet 
illustre  prélat,  qui  marque  tant  de  bonté  pour  moi. 

M.  de  Meaux  dit,  I  :  «  Que  ce  projet  donné  à  M.  de  Neustadt  ne 
lui  paroit  point  encore  suffisant  ;  II.  Qu'il  ne  laisse  pas  d'être  fort 
utile,  parce  qu'il  faut  toujours  quelque  commencement;  III.  Que 
Rome  ne  se  relâchera  jamais  d'aucun  point  de  la  doctrine  définie 
par  l'Eglise ,  et  c[u'on  ne  sam'oit  faire  aucune  capitulation  là-des- 
sus ;  IV.  Que  la  doctrine  définie  dans  le  concile  de  Trente  est  reçue 
en  France  et  ailleurs  par  tous  les  catholiques  romains  ;  V.  Qu'on 
peut  satisfaire  aux  protestans,  à  l'égard  de  certains  points  de  dis- 
cipline et  d'explication,  et  qu'on  l'avoit  fait  utilement  en  quel- 
ques-uns touchés  dans  le  Projet  de  M.  de  Neustadt,  »  Voilà  les 
propositions  substantielles  de  la  lettre  de  M.  de  Meaux,  que  je 
tiens  toutes  très- véritables.  Il  n'y  en  a  qu'une  seule  encore,  dans 

(a)  L'écrit  intitulé  Regulœ,  dont  il  a  déjà  été  parlé. 

{h)  C'est  celui  qui  a  pour  titre  :  Cogitationcs  i>rivafce.   Ou  l'a  donné  dans  la 
première  partie.  {Edit.  de  Leroi.) 


120    LETTRES  SUR  LA  RÉUNlOiN  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

cette  même  lettre ,  qu'on  peut  mettre  en  question  ;  savoir  si  les 
protestans  ont  eu  droit  de  changer  de  leur  autorité  quelques  rits 
reçus  dans  tout  l'Occident.  Mais  comme  elle  n'est  pas  essentielle 
au  point  dont  il  s'agit,  je  n'y  entre  pas. 

Quant  aux  cinq  propositions  susdites  (autant  que  je  comprends 
l'intention  de  ^I.  de  Neustadt  et  de  ceux  qui  ont  traité  avec  lui) , 
ils  ne  s'y  opposent  point ,  et  il  n'y  a  rien  en  cela  qui  ne  soit  con- 
forme à  leurs  sentimens  :  surtout  la  troisième ,  qu'on  pourroit 
croire  contraire  à  de  tels  projets  d'accommodement,  ne  leur  pou- 
voit  être  inconnue;  M.  de  Neustadt,  aussi  bien  que  M.  Molanus 
et  une  partie  des  autres  qui  avoient  traité  cette  affaire,  ayant 
régenté  en  théologie  dans  des  universités.  On  peut  dire  même 
qu'ils  ont  Ijàti  là-dessus ,  parce  qu'ils  ont  voulu  voir  ce  cpi'il  étoit 
possible  de  faire  entre  des  gens  qui  croient  avoir  raison  chacmi , 
et  qui  ne  se  départent  point  de  lem's  principes  ;  et  c'est  ce  qu'il  y 
a  de  singulier  et  de  considérable  dans  ce  projet.  Tls  ne  nièrent 
point  non  plus  la  première;  car  ils  n'ont  regardé  leur  projet  que 
comme  un  pourparler  ;  pas  un  n'ayant  charge  de  son  parti  de 
conclm'e  quelque  chose.  La  seconde  et  la  cinquième  contiennent 
une  approbation  de  ce  qu'ils  ont  fait ,  qui  ne  sauroit  manquer  de 
leur  plaire.  Je  conviens  aussi  de  la  quatrième;  mais  elle  n'est  pas 
contraire  à  ce  que  j'avois  avancé.  Car  quoique  le  royaume  de 
France  suive  la  doctrine  du  concile  de  Trente,  ce  n'est  pas  en  vertu 
de  la  déiinition  de  ce  concile,  et  on  n'en  peut  pas  inférer  que  la 
nation  françoise  ait  rétracté  ces  protestations  ou  doutes  d'autre- 
fois ,  ni  qu'elle  ait  déclaré  que  ce  concile  est  véritablement  œcu- 
ménique. Je  ne  sais  pas  même  si  le  Roi  voudroit  faire  une  telle 
déclaration ,  sans  une  assemblée  générale  des  trois  Etats  de  son 
royaume;  et  je  prétends  que  cette  déclaration  manque  encore  en 
Allemagne,  même  du  côté  du  parti  catholique.  Cependant  il  faut 
rendre  cette  justice  à  M.  Févêque  de  Neustadt,  qu'il  souhaiteroit 
fort  de  pouvoir  disposer  les  protestans  et  tous  les  autres  à  tenir  le 
concile  de  Trente  pour  ce  qu'il  le  croit  être,  c'est-à-dire  pour  uni- 
versel ;  et  quil  y  eût  moyen  de  leur  faire  voir  qu'ils  ont  lieu  de  se 
contenter  des  expositions  aussi  belles  et  aussi  modérées  que  celles 
que  M.  de  Meaux  en  a  données,  de  l'aveu  de  Rome  même.  C'est 


LEIBNIZ  A  M'"^  DE  BRINON,  29  SEPTEMBRE  1691.  127 

même  une  chose  à  laquelle  Je  crois  que  M.  de  Neustadt  travaille 
encore  effectivement.  Il  m'avoua  d'avoir  extrêmement  profité  de 
cet  ouvrage  [a],  qu'il  considère  comme  un  des  plus  excellens 
moyens  de  retrancher  une  bonne  partie  des  controverses. 

Mais  comme  il  en  reste  quelques-unes ,  où  il  n'y  a  pas  encore 
eu  moyen  de  contenter  les  esprits  par  la  seule  voie  de  Texplica- 
tion,  telle  qu'est,  par  exemple,  la  controverse  de  la  transsubstan- 
tiation, la  question  est  :  Si  nonobstant  des  dissensions  sur  certains 
points  qu'un  parti  tient  pour  vrais  et  définis  et  que  l'autre  ne  tient 
pas  pour  tels ,  il  seroit  possible  d'admettre  ou  de  rétablir  la  com- 
munion ecclésiastique  :  je  àispossidle  en  soi-même  d'une  possibi- 
lité de  droit,  sans  examiner  ce  qui  est  à  espérer  dans  le  temps  et 
dans  les  circonstances  où  nous  sommes.  Ainsi  il  s'agit  d'examiner 
si  le  schisme  pourroit  être  levé  par  les  trois  moyens  suivans  joints 
ensemble.  Premièrement,  en  accordant  aux  protestans  certains 
points  de  discipline,  comme  seroient  les  deux  espèces,  le  mariage 
des  gens  d'église,  l'usage  de  la  langue  vulgaire,  etc..  ;  et  secon- 
dement, en  leur  donnant  des  expositions  sur  les  points  de  contro- 
verse et  de  foi,  telles  que  M.  de  Meaux  en  a  publiées,  qui  font  voir 
du  moins  de  l'aveu  de  plusieurs  protestans  habiles  et  modérés, 
que  des  doctrines  prises  dans  ce  sens,  quoiqu'elles  ne  leur  paroi s- 
sent  pas  encore  toutes  entièrement  véritables,  ne  leur  paroissent 
pas  pourtant  damnal)les  non  plus  :  et  troisièmement,  en  remédiant 
à  quelques  scandales  et  abus  de  pratique,  dont  ils  se  peuvent 
plaindre ,  et  que  l'Eghse  même  et  des  gens  de  piété  et  de  savoir 
de  la  communion  romaine  désapprouvent;  en  sorte  qu'après  cela 
les  uns  pourroiènt  comnmnier  chez  les  autres,  suivant  les  rits  de 
ceux  où  ils  vont ,  et  que  la  hiérarchie  ecclésiastique  seroit  réta- 
blie :  ce  que  les  différentes  opinions  sur  les  articles  encore  indécis 
empècheroient  aussi  peu  que  les  controverses  sur  la  grâce,  sur  la 
probabilité  morale ,  sur  la  nécessité  de  l'amour  de  Dieu  et  autres 
points;  ou  que  le  différend  qu'il  y  a  entre  Rome  et  la  France 
touchant  les  quatre  articles  du  clergé  de  cette  nation,  ont  pu  em- 
pêcher l'union  ecclésiastique  des  disputans,  quoique  peut-être 
quelques-uns  de  ces  points  agités  dans  l'Eglise  romaine,  soient 

(«)  h'ETposnion  de  la  dorh'ine  de  l'Eglise  rotlolifiue. 


128   LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

aussi  importans  pour  le  moins  que  ceux  qui  demeureroient  en- 
core en  dispute  entre  Rome  et  Augsbourg  :  à  condition  pourtant 
qu'on  se  soumettroit  à  ce  que  l'Eglise  pourroit  décider  quelque 
jour  dans  un  concile  œcuménique  nouveau,  autorisé  dans  les 
formes ,  où  les  nations  protestantes  réconciliées  interviendroient 
par  leurs  prélats  et  surintendans  généraux  reconnus  pour  évê- 
ques,  et  même  confumés  de  Sa  Sainteté,  aussi  bien  que  les  autres 
nations  catholiques. 

C'est  ainsi  que  l'état  de  la  question  sur  la  négociation  de  M.  de 
Neustadt  et  de  quelques  théologiens  de  la  Confession  d'Augs- 
bourg,  assemblés  à  Hanovre  par  l'ordre  de  Monseigneur  le  Duc, 
doit  être  entendu,  pour  en  juger  équitablement,  et  pour  ne  pas 
imputer  à  ces  Messieurs  ou  d'avoir  par  là  trahi  les  intérêts  de 
leur  parti  et  renoncé  à  leurs  Confessions  de  foi,  ou  d'avoir  bâti 
en  l'air.  Car  cpiant  à  ces  théologiens  de  la  Confession  d'Augs- 
bourg,  ils  ont  cru  être  en  droit  de  répondre  affirmativement, 
bien  qu'avec  quelque  limitation,  à  cette  question,  après  avoir 
examiné  les  explications  et  déclarations  autorisées  qu'on  a  don- 
nées dans  l'Eglise  romaine,  qui  lèvent,  selon  ces  Messieurs,  tout 
ce  qu'on  pourroit  appeler  erreur  fondamentale. 

M.  de  Neustadt  de  son  côté  a  eu  en  main  des  résolutions  affir- 
matives de  cette  même  question,  données  par  des  théologiens 
graves  d(ï  di (ferons  ordres,  ayant  parlé  plutôt  en  se  rapportant 
aux  sentimcns  d'aulrui  que  de  son  chef.  Et  voici  ce  que  j'ai  com- 
pris de  la  raison  de  l'affirmative  :  c'est  qu'on  peut  souvent  se 
tromper,  même  en  matière  de  foi,  sans  être  hérétique  ni  schis- 
matique,  tandis  qu'on  ne  sait  pas  et  qu'on  ignore  mvinciblement 
(jue  l'Eglise  catholi(pie  a  délhii  le  contraire,  poui'vu  qu'on  recon- 
noisse  les  principes  de  la  catholicité,  qui  portent  que  l'assistance 
que  Dieu  a  promise  à  son  Eglise,  ne  permettra  jamais  qu'un  con- 
cile œcuménique  s'éloigne  de  la  vérité  en  ce  qui  regarde  le  salut. 
Or  ceux  qui  doutent  de  l'œcuménicité  d'mi  concile  ne  savent 
point  que  l'Eglise  a  défini  ce  qui  est  défini  dans  ce  concile  :  et 
s'ils  ont  des  raisons  d'en  douter,  fort  apparentes  pour  eux,  qu'ils 
n'ont  pu  surmonter  après  avoir  fait  de  bonne  foi  toutes  les  dili- 
gences et  recherches  convenables,  on  peut  dire  qu'ils  ignorent 


LEIBNIZ  A  M"^  DE  BRINON,  29  SEPTEMBRE  1691.  129 

invinciblement  que  le  concile  dont  il  s'agit  est  œcuménique  :  et 
pourvu  qu'ils  reconnoissent  l'autorité  de  tels  conciles  en  général, 
ils  ne  se  trompent  en  cela  cjne  dans  le  fait,  et  ne  sauroient  être 
tenus  pour  hérétiques. 

Et  c'est  dans  cette  assiette  d'esprit  que  se  trouvent  les  églises 
protestantes,  ({ui  peuvent  prendre  part  à  cette  négociation,  les- 
quelles se  soumettant  à  un  véritable  concile  œcuménique  futur,  à 
l'exemple  de  la  Confession  rTAugsbourg  même  ;  et  déclarant  de 
bonne  foi  qu'il  n'est  pas  à  présent  en  leur  pouvoir  de  tenir  celui 
de  Trente  pom^  tel,  font  connoître  qu'ils  sont  susceptibles  de  la 
communion  ecclésiastique  avec  l'Eglise  romaine,  lors  même  qu'ils 
ne  sont  pas  en  état  de  recevoir  tous  les  dogmes  du  concile  de 
Trente.  Après  cela,  jugez.  Madame,  si  l'on  n'a  point  fait  du  côté 
de  notre  Cour  et  de  nos  théologiens  toutes  les  démarches  qu'il 
leur  étoit  possible  de  faire  en  conscience  pour  rétablir  l'union  de 
l'Eglise,  et  si  nous  n'avons  pas  droit  d'en  attendre  autant  de 
l'autre  côté.  En  tout  cas,  si  on  n'y  est  pas  en  humem*  ou  en  état 
d'y  répondre,  les  nôtres  ont  du  moins  gagné  ce  point,  que  leur 
conscience  est  déchargée,  qu'ils  sont  allés  au  dernier  degré  de 
condescendance,  usque  ad  aras,  et  que  toute  imputation  de  schisme 
est  visiblement  injuste  à  leur  égard. 

Enfm  la  question  étant  formée  comme  j'ai  fait,  on  demande^ 
non  pas  si  la  chose  est  praticable  à  présent  ou  à  espérer  ;  mais  si 
elle  est  loisible  en  ehe-même,  et  peut  être  même  commandée  en 
conscience,  lorsqu'on  rencontre  toutes  les  dispositions  nécessau-es 
pour  l'exécuter.  Si  ce  point  de  di'oit  ou  de  théorie  étoit  établi,  cela 
ne  laisseroit  pas  d'être  de  conséquence  ;  et  la  postérité  en  pour- 
roit  profiter,  quand  le  siècle  qui  va  bientôt  finir  ne  serait  pas  assez 
heureux  pour  en  avoir  le  fruit.  Il  n'en  faut  pourtant  pas  encore 
désespérer  tout  à  fait.  La  main  de  Dieu  n'est  pas  raccourcie  :  l'Em- 
pereur y  a  de  la  disposition;  le  pape  Innocent  XI  et  plusieurs  car- 
dinaux, généraux  d'ordres,  le  Maître  du  sacré  palais  et  théolo- 
giens graves,  après  l'avoir  bien  comprise,  se  sont  expliqués  d'mie 
manière  très-favorable.  J'ai  vu  moi-même  la  lettre  originale  de 
feu  révérend  Père  Noyelles,  général  des  jésuites,  qui  ne  saui'oit 
être  plus  précise  :  et  on  peut  dire  que  si  le  Roi,  et  les  prélats  et 
TOM.  xvui.  9 


130    LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

théologiens  qu'il  entend  sur  ces  matières  s'y  joignoient,  l'afTaire 
seroit  plus  que  faisable;  car  elle  seroit  presque  faite,  surtout  si 
Dieu  donnoit  un  bon  moyen  de  rendre  le  calme  à  l'Em^ope.  Et 
comme  le  Roi  a  déjà  écouté  autrefois  les  sentimens  de  M.  Tévè- 
que  de  Meaux  siu-  cette  sainte  matière,  ce  digne  prélat,  après 
avoir  examiné  la  chose  avec  cette  pénétration  et  cette  modération 
qui  lui  est  ordinaire,  aura  une  occasion  bien  importante  et  peu 
commune  de  contribuer  au  bien  de  l'Eglise  et  à  la  gloire  de  Sa 
Majesté  :  car  l'inclination  seule  de  ce  monarcjue  seroit  déjà  capa- 
ble de  nous  faire  espérer  un  si  grand  bien,  dont  on  ne  sauroit  se 
flatter  sans  son  approbation. 

En  attendant,  on  doit  faire  son  devoir  par  des  déclarations  sin- 
cères de  ce  qui  se  peut  ou  doit  faire  ;  et  si  le  parti  catholique  ro- 
main autorisoit  des  déclarations  dont  leurs  théologiens  ne  sau- 
roient  disconvenir  dans  le  fond,  il  est  sùi*  que  l'Eglise  en  tireroit 
un  fruit  immense  ;  et  que  bien  des  personnes  de  probité  et  de  ju- 
gement, et  peut-être  des  nations  et  provinces  entières,  avec  ceux 
qui  les  gouvernent,  voyant  la  barrière  levée,  feroient  conscience 
de  part  et  d'autre  de  demeui'er  dans  la  séparation,  etc. 

Leibniz. 
LETTRE  IV. 

LEIBNIZ    A    MADAxME    DE  BIIINON. 

Si  je  ne  vous  avois  point  d'autre  obligation,  Madame,  que  celle 
de  m'avoir  procuré  rhonneur  de  la  connoissance  d'un  homme 
aussi  illustre  que  M.  Pelisson,  je  ne  pourrois  pas  me  dispenser 
de  m'adresser  à  vous-même,  pour  vous  en  faire  mes  remercî- 
mens  en  forme  ;  mais  vos  bontés  vont  bien  au  delà.  On  pouvoit 
connoître  M.  Pelisson,  sans  connoître  tout  son  mérite;  et  vous 
avez  fait.  Madame,  qu'il  s'est  abaissé  jusqu'à  m'instruire  ;  ce  qu'il 
a  fait  sans  doute  par  la  déférence  qu'on  a  partout  pour  vos  émi- 
nentes  vertus.  Je  suis  bien  aise  de  le  contenter  en  quelque  chose, 
et  de  lui  donner  au  moins  des  preuves  de  ma  sincérité.  Si  l'on 
parloit  toujours  aussi  rondement  que  nous  faisons,  ce  seroit  le 


LEIBNIZ  A  M""»  DE  BRINON,  29  SEPTEMBRE  1691.  131 

moyen  de  finir  les  controverses  :  car  on  reconnoîtroit  bientôt  la 
vérité^  ou  du  moins  FindéterminaLilité  delà  question,  lorsque  les 
moyens  de  connoitre  la  vérité  nous  manquent;  ce  qui  suffiroit 
pour  notre  repos  :  car  Dieu  ne  nous  a  pas  promis  de  nous  instruire 
sur  tout  ce  que  nous  serions  bien  aises  de  savoir,  et  le  privilège 
de  l'Eglise  ne  va  qu'à  ce  qui  importe  au  salut. 

M.  Pelisson  prend  droit  siu*  ce  que  je  lui  ai  accordé,  et  je  ne 
me  rétracte  point.  Suivant  ses  paroles,  je  conviens  d'une  Eglise, 
et  d'une  Eglise  visible  à  laquelle  il  faut  tâcher  de  se  joindre,  et 
y  faire  tout  ce  qu'on  peut;  qu'elle  doit  avoir  le  pouvoir  d'excom- 
munier les  rebelles;  qu'on  doit  obéissance  aux  supérieiu-s  que 
Dieu  y  a  établis  ;  qu'il  faut  conserver  un  esprit  de  docilité  pour 
eux,  et  un  esprit  de  charité  pour  ceux  dont  on  est  séparé.  Il  reste 
seulement  de  voir  si  ces  considérations  portent  avec  elles  une  né- 
cessité indispensable  de  retourner  à  la  communion  des  supérieurs 
ecclésiastiques,  qu'on  reconnoissoit  autrefois  :  en  sorte  qu'on  ne 
sauroit  être  sauvé  autrement. 

Mais  il  me  semble  que  la  question  est  toute  décidée  par  l'aveu 
de  ceux  qui  reconnoissent  des  hérétiques  matériels,  ou  des  héré- 
tiques de  nom  et  d'apparence,  comme  M.  Pelisson  l'explique  fort 
bien;  c'est-à-dire,  des  gens  qui  paroissent  être  hors  de  l'Eglise, 
et  y  sont  pourtant  en  effet  ;  ou  bien,  qui  sont  hors  de  la  commu- 
nion visible  de  l'Eglise,  mais  étant  dans  une  ignorance  ou  erreur 
in\T.ncible,  sont  jugés  excusables  :  et  s'ils  ont  d'ailleurs  la  charité 
et  la  contrition,  ils  sont  dans  l'Eglise  virtuellement,  et  in  voto, 
et  se  sauvent  aussi  bien  que  ceux  qui  y  sont  visiblement.  Mon- 
seigneur le  landgrave  Erneste,  qui  a  fort  travaillé  sur  les  contro- 
verses, et  a  fait  paroître  autant  de  zèle  que  qui  que  ce  soit  pour 
la  réunion  des  protestans,  ne  laisse  pas  de  demeurer  d'accord  de 
tout  ceci  ;  et  il  a  entendu  dire  ces  choses  en  termes  formels  au 
cardinal  Sforza  Pallavicini ,  et  au  Père  Honoré  Fabri,  pénitencier 
de  Saint-Pierre,  qu'il  avoit  pratiqué  à  Rome.  Et  moi  je  puis  dire 
avoir  entendu  soutenir  la  même  chose  à  des  docteurs  catholiques 
romains  très-habiles.  Aussi  M.  Pelisson  ne  s'y  oppose  point  :  mais 
il  explique  cette  doctrine,  afin  qu'on  n'en  abuse  pas  ;  et  il  n'admet 
parmi  les  hérétiques  matériels,  que  ceux  qui  ne  savent  point  que 


132    LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

les  dogmes  qu'ils  rejettent  en  matière  de  foi,  soient  la  doctrine 
de  l'Eglise  catholique. 

Appliquons  cette  restriction  aux  protestans,  et  nous  trouverons 
qu'ils  sont  de  ce  nombre.  On  sait  les  plaintes  qu'ils  ont  faites 
contre  le  concile  de  Trente  avec  beaucoup  d'apparence,  pour  lui 
disputer  la  qualité  d'œcuménique.  On  n'ignore  pas  les  protesta- 
tions solennelles  de  la  nation  françoise  contre  ce  concile,  qui  n'ont 
pas  encore  été  rétractées  ;  quoique  le  clergé  ait  fait  son  possible 
pour  le  faire  reconnoître.  Ce  n'est  pas  une  chose  nouvelle  qu'on 
dispute  sur  l'universalité  des  conciles  :  ceux  de  Constance  et  de 
Bâle  ne  sont  pas  reconnus  en  Italie,  ni  le  dernier  concile  de  La- 
tran  en  France  :  et  quoique  les  papes,  par  le  moyen  de  la  profes- 
sion de  foi,  aient  tenté  de  faire  recoimoître  indirectement  le  con- 
cile de  Trente,  je  ne  sais  pourtant  si  cela  suffit  ;  au  moins  la  no- 
blesse et  le  tiers-état,  avec  les  cours  souveraines,  ne  le  croyoient 
pas  encore  dans  l'assemblée  des  Etats  du  royaume,  qui  fut  tenue 
après  la  mort  de  Henri  IV.  Je  sais  que  des  docteurs  catholiques 
ont  avoué  qu'un  protestant  qui  seroit  porté  à  se  soumettre  aux 
décisions  de  l'Eglise  catholicpie,  mais  qui  se  trompant  dans  le  fait 
ne  croiroit  pas  que  le  concile  de  Trente  eût  été  œcuménique,  ne 
seroit  qu'un  hérétique  matériel.  Il  est  vrai  qu'il  paroît  beaucoup 
de  sagesse  et  de  bon  ordre  dans  les  actes  de  ce  concile,  quoiqu'il 
y  ait  quelque  mondanité  entremêlée  :  et  où  est-ce  qu'on  n'en 
trouve  point?  C'est  pourcpioi  je  ne  suis  pas  du  nombre  de  ceux 
qui  s'emportent  contre  le  concile  de  Trente  :  cependant  il  me 
semble  qn'on  aura  bien  de  la  peine  à  prouver  cfu'il  est  œcumé- 
nique. Et  peut-être  que  c'est  par  un  secret  de  la  Providence,  qui 
a  voulu  laisser  cette  porte  ouverte ,  pour  moyenner  un  jour  la 
réconciliation  par  un  autre  concile  plus  autorisé  et  moins  italien. 
Mais  quand  le  concile  de  Trente  auroit  toutes  les  formalités  re- 
quises, il  y  a  encore  ime  autre  importante  considération  ;  c'est  que 
peut-être  ses  décisions  ne  sont  pas  si  contraires  aux  protestans, 
que  l'on  s'imagine.  Ses  canons  sont  souvent  couchés  d'une  ma- 
nière à  recevoir  plusieurs  sens;  et  les  protestans  se  pourroient 
croire  en  droit  de  recevoir  celui  qu'ils  jugent  le  plus  convenable, 
jusqu'à  la  décision  de  l'Eglise  dans  un  concile  général  futur,  où 


LEIBNIZ  A  M"'^  DE  BRINON,  29  SEPTEMBRE  1691.  133 

les  églises  protestantes  prétendront  avec  raison  d'être  admises 
parmi  les  autres  églises  particulières.  Cassandre  et  Grotius  ont 
trouvé  que  le  concile  de  Trente  n'est  pas  toujours  fort  éloigné  de 
la  Confession  d'Augsbourg.  Le  Père  Dez  qui  prêchoit  à  Strasbourg 
sur  cette  Confession^  sembloit  favoriser  ce  sentiment^  et  en  tiroit 
des  conséquences  à  sa  mode  ;  et  bien  des  protestans  ont  cru  que 
Y  Exposition  de  monseigneur  l'évêque  de  Meaux  leur  revenoit 
assez.  Ainsi  il  n'est  pas  aisé  de  prouver  aux  protestans  qu'Us  nient 
ce  qu'ils  savent  être  décidé  par  l'Eglise  catholique. 

Aussi  semble-t-il  que  c'est  plutôt  la  pratique  des  abus  dominans, 
que  les  protestans  croient  reconnoître  parmi  ceux  qui  commu- 
nient avec  Rome,  que  les  dogmes  spécidatifs,  qui  empêchent  la 
réunion.  Qui  ne  sait  que  la  question  sur  la  justification  fut 
crue  autrefois  des  plus  importantes?  Et  cependant  de  la  manière 
qu'on  s'explique  aujourd'hui ,  il  ne  semble  pas  difficile  de 
convenir  là-dessus.  L'on  sait  quelles  limites  on  donne  en  France 
à  l'autorité  des  papes  et  des  autres  pasteurs;  combien  les  rois 
qui  connoissent  Rome,  sont  jaloux  de  leurs  droits  :  et  de  la 
manière  que  l'honneur  rendu  aux  créatures  s'explique  dans  la 
théorie,  conformément  au  concile  de  Trente,  il  paroît  très-excu- 
sable. Mais  la  praticpie  est  assez  souvent  fort  éloignée  de  la 
théorie.  Il  se  passe  ijien  des  choses  autorisées  publiquement 
dans  l'Eghse  romaine ,  qui  alarment  la  conscience  des  gens  de 
bien  parmi  les  protestans,  et  leur  paroissent  abominai  )les,  ou  sont 
au  moins  très-dangereuses  :  je  laisse  à  M.  Jurieu  le  soin  de  les 
exagérer;  car  pour  moi  je  souhaiterois  plutôt  de  les  adoucir.  Ce 
sont  ces  pratiques  qui  empêchent  la  réimion,  plus  que  les  dogmes. 
Dieu  est  un  Dieu  jaloux  de  son  hoimeur,  et  il  semble  que  c'est  le 
trahir  cpie  de  dissimuler  en  certaines  rencontres.  Ainsi  tout  ce 
qu'on  peut  dire  à  l'avantage  des  décisions  de  l'Eglise  catholique , 
n'empêche  pas  qu'un  homme  de  bien  ne  puisse  être  alarmé  des 
abus  qui  se  répandent  dans  l'Eglise,  sans  que  l'Eglise  cathohque 
les  approuve  ;  et  il  paroît  en  certaines  rencontres  qu'on  est  obligé 
de  témoigner  son  déplaisir.  Que  si  des  nations  ou  des  provinces 
entières  s'élèvent  contre  ces  désordres,  et  qu'on  prétende  là-dessus 
les  retrancher  de  la  commmiion;  il  semble  qu'une  excommunica- 


134    LETTRES  SUR  LA  REUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

tion  si  injuste  ne  leui"  sauroit  nuire  ;  et  qu'eux-mêmes  ne  sont  pas 
obligés  de  recevoir  les  excommmiians  à  lem*  communion ,  ou,  ce 
qui  est  la  même  chose,  de  retourner  à  la  leur,  jusqu'à  ce  cpi'on 
lève  le  sujet  de  lem's  plaintes  :  d'autant  qu'ils  se  plaignent  de 
choses  que  le  concUe  de  Trente  n'a  pas  osé  approuver  depuis,  ou 
qu'il  a  plutôt  désapprouvées,  quoique  sans  effet  dans  la  pratique. 
On  ne  s'élève  donc  pas  contre  l'Eglise  catholique,  mais  contre 
quelques  nations  ou  églises  particulières  mal  réglées;  fjuoiqu'il 
arrive  peut-être  que  le  siège  patriarcal  de  l'Occident,  et  même 
la  métropolitaine  de  l'univers  y  soit  comprise,  qu'on  ne  doit  con- 
sidérer tpie  comme  particulière  à  l'égard  des  abus  tpi'elle  tolère. 
On  peut  dire  en  effet  que  le  foible  et  les  intérêts  des  nations  s'y 
mêlent.  Les  Italiens  et  les  Espagnols  donnent  fort  dans  l'exté- 
rieur, et  ALM.  les  Italiens  se  font  quelquefois  un  point  de  politique 
de  soutenir  Rome  ;  aussi  profitent- Us  le  plus  de  ses  avantages.  Ils 
seroieut  peut-être  bien  aises  (jue  tous  les  autres  fussent  leurs  dupes, 
et  surtout  ceux  du  Nord;  cela  est  naturel.  Mais  la  nation  françoise 
devroit  se  joindre  avec  la  nation  germaniqne,  pour  remettre 
l'Eglise  dans  son  lustre,  à  l'exemple  de  l'ancien  concile  de  Franc- 
fort ;  et  il  faudroit  profiter  de  la  conjoncture  de  quelque  pape  bien 
intentionné ,  qui  se  souviendroit  phitôt  d'être  père  commun  ,  que 
d'être  Romain  ou  Toscan.  Je  suis  assuré  que  parmi  les  Itahens, 
dans  Rome  même,  et  entre  les  prélats,  on  trouveroitbien  des  gens 
de  doctruie  et  de  probité,  qui  contribueroient  do  bon  cœur  à  la  ré- 
forme de  l'Eghse,  s'ils  voyoient  quelque  apparence  de  succès.  Il 
faut  même  rendre  cette  justice  à  la  ville  de  Rome ,  que  tout  y  va 
bien  mieux  qu'autrefois  ;  qu'on  n'y  est  pas  trop  favoral)le  aux  ba- 
gatelles de  dévotion;  et  (pi'elle  pourra  peut-être  un  jour  recouvrer 
l'honneur  qu'elle  avoit  dans  les  anciens  temps ,  de  donner  bon 
exemple  et  de  servir  de  règle. 

Mettant  donc  le  concile  de  Trente  à  part  pom*  les  raisons  sus- 
dites, on  peut  dire  que  l'Eglise  catholique  n'a  pas  excommunié 
les  protestans.  Si  quelque  Eglise  italienne  le  fait,  on  lui  peut  dire 
qu'elle  passe  son  pouvoir,  et  ne  fait  que  s'attirer  une  excommunia 
cation  réciproque,  à  peu  près  comme  disoient  un  jour  [a]  des 

~{a)  C'étoient  les  évArjuns  du  pmti  «le  Louis  h>  Débcmnairc,  qui  pailoicnit  ainsi, 


LEIBNIZ  A  M"'  DE  BRINON,  29  SEPTEMBRE  1691.  135 

évêques  françois  à  l'égard  d'mi  pape  :  Si  e.xcommimicatunis  veyiif, 
excommimicatus  ahibit  :  «  S'il  vient  pour  excommunier ,  il  s'en 
ira  excommunié.  »  Et  lorsqu'une  église  particulière  excommunie 
quelqu' autre  église  particulière  ou  cjuelque  nation,  et  même  quand 
une  église  métropolitaine  excommunie  une-  église  qui  est  sous 
elle,  ou  bien  quand  un  évèque  excommmiie  quelque  prince  ou 
particulier  de  son  diocèse ,  les  sentences  ne  sont  pas  des  oracles  : 
elles  peuvent  avoir  des  défauts ,  non-seulement  de  nullité ,  mais 
encore  d'injustice.  Car  quoique  les  arrêts  des  juges  séculiers  soient 
exécutés  par  les  hommes,  il  ne  faut  pas  s'imaginer  que  Dieu  exé- 
cute contre  les  âmes  les  sentences  injustes  des  ecclésiastiques  : 
c'est  ici  que  la  condition  Clave  non  errante  a  lieu.  Tout  ce  que 
opère  l'autorité  du  supérieur  ecclésiastique  est  qu'on  lui  doit 
obéir  autant  qu'on  peut,  sauf  sa  conscience;  ceçqui  est  déjà  beau- 
coup :  et  c'est  à  peu  près  comme  les  canons  disent  à  l'égard  des 
sermens,  qu'on  doit  les  garder,  autant  qu'on  peut,  sans  préjudi- 
cier  à  son  ame.  Ce  n'est  donc  pas  anéantir  l'autorité  des  ecclésias- 
tiques ou  des  sermens ,  que  de  les  ainsi  limiter.  On  sait  assez 
quelle  déférence  on  a  en  France  et  ailleurs  pour  les  excommu- 
nications fulminées  dans  la  bulle  în  Cœnà  Domini,  et  pour  les  dé- 
crets de  l'inquisition  de  Rome.  Je  ne  dis  donc  rien  en  cela,  que  les 
catholiques  romains ,  et  des  canonistes  ,  particulièrement  ceux  de 
France,  ne  reconnoissent.  Je  suis  bien  éloigné  de  vouloir  éluder 
l'autorité  de  l'Eglise  et  des  ecclésiastiques,  par  une  interprétation 
que  M.  Pelisson  me  prête;  comme  si  la  restriction,  que  je  donne 
à  la  force  des  excommunications  et  autres  arrêts  des  supérieurs 
ecclésiastiques,  se  réduisoit  à  ce  beau  privilège  :  Vous  jugerez 
bien,  quand  vous  jugerez  bien.  Car  je  distingue  entre  le  corps  de 
l'Eglise,  qu'on  n'accorde  pas  avoir  jamais  prononcé  contre  les 
protestans ,  et  entre  les  supérieurs  ecclésiastiques  hors  du  corps, 
qui  ne  sauroient  être  infaillibles ,  et  dont  les  excommunications 
sont  semblables  à  celles  dont  le  procureur  général  d'un  grand 
roi  a  appelé  depuis  peu  au  concile  général  futur. 
Après  les  choses  que  je  viens  de  dire ,  il  n'est  pas  nécessaire 

ù  l'occasion  des  menace?  qu(jn  prétendoit  que  Grégoire  IV,  attaché  ù  Lothaire, 
avoit  faites  de  les  excommunier.  (  Edit.  de  Deforis.) 


136  LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

d'examiner  les  questions  difficiles,  qu'on  peut  former  touchant  le 
salut  de  ceux  qui  font  tout  ce  qu'ils  peuvent  pour  croire  à  l'Eglise 
catholique,  sans  en  venir  à  hout,  ni  comment  ils  sont  dans 
TEglise  in  voto.  Car  le  cas  des  protestans  est  tout  autre,  comme  je 
viens  de  l'expliquer;  et  ils  ne  rejettent  que  ce  qu'ils  croient  con- 
traire à  la  doctrine  de  l'Eglise  de  Dieu.  Je  passe  aussi  plusieurs 
beaux  endroits  de  1  écrit  de  M.  Pelisson,  de  peur  d'aller  trop  loin  : 
mais  je  ne  saurois  passer  des  choses  très-considérables  qu'il  dit 
dans  le  dernier  article,  sans  faire  là-dessus  quelque  réflexion.  Il 
accorde  que  lEglise  a  besoin  de  réforniation  à  l'égard  des  abus 
(le  pratique;  que  le  peuple  fait  quelquefois  un  grand  abus  des 
images  ;  que  le  temps  est  venu  où  la  lecture  des  livres  sacrés  ne 
sera  plus  défendue;  qu'il  n'est  pas  hors  d'apparence  qu'on  pour- 
roit  rétablir  l'ancienne  liberté  de  communier  sous  les  deux  es- 
pèces, au  moins  quatre  ou  cinq  fois  l'année,  d'autant  que  les  pro- 
testans ne  ccnrjn.unient  guère  davantage,  pourvu  qu'on  le  de- 
mande avec  la  .«soumission  nécessaire  ;  il  ne  doute  point  que  les 
Iirinces  protestans  ne  lolitiemK'nt  pour  eux  et  pour  leurs  Etats, 
en  rentrant  dans  la  communion  de  lEglise  romaine.  Nous  avons 
vu,  dit-il,  il  n'y  a  pas  dix  ans,  (]uand  on  ne  convcrtissoit  les  gens 
en  France  que  par  la  persuasion  et  par  les  grâces,  ce  projet  non- 
seulement  écouté  à  la  Cour,  et  approuvé  de  nos  plus  saints  pré- 
lats ,  mais  en  état  d'être  reçu  à  Rome  ,  si  nos  régales  et  nos  fran- 
chises ne  fussent  venues  à  la  traverse. 

A  propos  de  cette  considération  de  M.  Pelisson,  je  dirai  (jne 
lorsque  M.  l'évêque  de  Tina,  maintenant  de  Neustadt  en  Autriche, 
éloit  ici  par  ordre  de  l'Empereur  ]>our  des  vues  toutes  semblables, 
j'envoyai  moi-même  sa  lettre  à  M.  l'évêque  de  Meaux,  où  il  lui 
donnoit  part  de  sa  négociation.  Cet  illustre  prélat  en  ayant  parlé 
au  Roi,  répondit  que  Sa  Majesté,  bien  loin  d'y  être  contraire,  goù- 
toit  ces  pensées  et  les  favoriseroit.  Quelques  années  après,  la  né- 
gociation de  M.  de  Neustadt  avec  nos  théologiens  ayant  eu  des 
suites  considérables,  et  M,  de  Meaux  l'ayant  su  par  une  lettre  de 
notre  in(>omparable  duchesse,  que  ^ladame  lui  avoit  montrée ,  il 
en  félicita  M.  de  Neustadt,  et  répéta  les  premières  expressions. 
En  effet ,  on  peut  dire  que,  depuis  le  colloque  de  Ratisbonne  du 


LEIBNIZ  A  M'""  DE  BRINON,  29  SEPTEMBRE  1691.  137 

siècle  passé,  rien  n'avoit  été  fait  de  plus  praticable ,  ni  de  plus 
ajusté  aux  principes  des  deux  partis.  Le  feu  pape  en  témoigna 
quekpie  satisfaction ,  aussi  bien  que  des  généraux  de  quelques 
grands  ordres  ,  et  autres  personnes  de  grande  autorité.  Mais 
ces  régales  et  ces  û'anchises  vinrent  encore  ici  à  la  traverse.  Il 
semble  que  les  offres  de  M,  de  Meaux  ne  furent  pas  assez  suivies, 
et  que  quelques-uns  se  firent  un  point  de  politique  de  contre- 
carrer tout  ce  qu'ils  croyoient  pouvoir  être  goûté  du  feu  pape,  ou 
recommandé  par  l'Empereur;  comme  si  les  jalousies  d'état  dé- 
voient lever  toute  communication  et  concurrence  dans  les  matières 
les  plus  saintes  et  les  plus  innocentes.  Cependant  on  peut  dire 
que  la  glace  a  été  rompue  :  peut-être  que  les  temps  propres  à 
poursuivre  ces  desseins  viendront  un  jour,  et  que  la  postérité 
nous  en  saura  quelque  gré.  Il  est  vrai  qu'on  y  devroit  songer  de 
part  et  d'autre  un  peu  plus  qu'on  ne  fait,  au  lieu  d'entretenir  cette 
funeste  séparation ,  qui  ne  sauroit  être  assez  pleurée  de  toutes  nos 
larmes,  pour  me  servir  de  l'expression  touchante  de  M.  Pelisson. 
Au  reste,  je  vous  assure.  Madame,  et  vous  pouvez  assurer 
M.  Pelisson,  qu'il  n'y  a  rien  moins  que  les  considérations  de 
quelque  agrandissement  temporel  de  la  part  de  nos  princes,  qui 
empêche  la  paix  de  l'Eglise.  Ils  ont  fait  des  pas  désintéressés,  qui 
marcfuent  leurs  intentions  généreuses  et  sincères,  et  qui  leur 
donnent  droit  d'attendre  des  dispositions  réciproques  de  la  part 
de  ceux  de  l'autre  communion,  suivant  les  apparences  qu'on  leur 
avoit  fait  voir,  auxquelles  Monseigneur  le  Duc,  dont  les  lumières 
et  les  sentimens  héroïques  sont  assez  reconnus,  avoit  cru  devoir 
répondre  par  une  facilité  toute  chrétienne.  Cette  princesse,  à  qui 
M.  Pelisson  donne  avec  raison  le  titre  de  grande  et  d'incompara- 
ble, a  eu  quelque  part  à  ces  bons  desseins,  et  en  a  été  remerciée. 
Plût  à  Dieu  que  la  force  des  expressions  de  M.  Pelisson,  et  les 
raisons  de  ces  grands  prélats,  qui  paroissent  animés  du  même 
esprit  que  lui,  puissent  gagner  quelque  chose  sur  les  personnes 
puissantes  de  leur  côté,  pour  faire  revivre  nos  espérances.  Les 
malheurs  des  temps  s'y  opposent,  je  l'avoue;  mais  peut-être  re- 
verrons-nous  encore  la  sérénité  et  le  calme.  Je  ne  désespère  pas 
entièrement  du  soulagement  des  maux  de  l'Europe,  quand  je 


138    LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

considère  que  Dieu  peut  nous  le  donner,  en  tournant  comme  il 
faut  pour  cela  le  cœur  d'une  seule  personne ,  qui  semble  avoir  le 
bonlieur  et  le  malheur  des  hommes  entre  ses  mains.  On  peut  dire 
que  ce  monarque,  car  il  est  aisé  de  juger  de  qui  je  parle,  l'ait  lui 
seul  le  destin  de  son  siècle  ;  et  que  la  félicité  publique  pouiToit 
naître  de  quelques  heureux  momens,  quand  il  plaira  à  Dieu  de 
lui  donner  une  réflexion  convenable.  Je  crois  que  pour  être  assez 
touché,  il  n'auroit  besoin  que  de  connoître  sa  puissance  ;  car  il 
ne  manquera  jamais  de  vouloir  le  bien  qu'il  jugera  pouvoir  faire  : 
et  si  cette  prudence  réservée  et  scrupuleuse,  qu'il  fait  paroître  au 
milieu  des  phis  grands  succès  dont  un  homme  est  capable,  lui 
avoit  permis  de  croire  qu'il  dépendoit  de  lui  seul  de  rendre  le 
genre  humain  heureux,  sans  que  qui  que  ce  soit  eût  été  en  état 
de  l'empêcher  et  de  l'interrompre,  je  tiens  qu'il  n'auroit  pas  ba- 
lancé un  seul  moment.  Et  s'il  considéroit  que  c'est  le  comble  de 
la  grandeur  humaine  de  pouvoir,  comme  lui,  faire  le  bien  géné- 
ral des  hommes  ,  il  jugeroit  bien  aussi  que  le  suprême  degré  de 
la  félicité  seroit  de  le  faire  en  cfl'et.  Les  éloges  gâtent  les  princes 
foibles  :  mais  ce  grand  roi  a  besoin  de  comprendre  toute  l'étendue 
des  siens,  pour  faire  ce  qu'il  peut,  et  pour  connoître  tout  ce  (lu'il 
peut  faire.  Yoilà  un  endroit  où  l'éloquence  inimitable  de  M.  Pe- 
lisson  pourroit  triompher,  en  persuadant  au  Roi  qu'il  est  plus 
grand  qu'il  ne  pense ,  et  par  conséquent  qu'il  est  au-dessus  de 
certaines  craintes  pour  le  bien  de  son  Etat,  qui  pourroient  le  dé- 
tourner des  vm;s  plus  grandes  et  plus  héroïques,  dont  l'objet  est 
le  bien  du  monde.  Quel  panégyrirjue  peut-on  se  figurer  plus  ma- 
gnifi([ue  et  plus  glorieux,  que  celui  dont  le  succès  seroit  suivi  de 
la  tranquillité  de  l'Europe,  et  même  de  la  paix  de  l'Eglise  ! 

li:ttre  y. 

LEIBNIZ    A    MADAMK    DE   BRINON. 
De  Hanovre,  le  17  décembre  1691. 
Madame, 

Voici  enfin  une  partie  de  l'écrit  de  M.  l'abbé  Molanus  :  le  reste 
suivra  bientôt.  J'avoue  de  l'avoir  promis  il  y  a  longtemps,  et  d'y 


LEIBNIZ  A  BOSSUET,  28  DÉCEMBRE  1691.  139 

avoir  manqué  plusieurs  semaines  de  suite  ;  mais  ce  n'étoit  pas 
ma  faute,  ni  celle  de  M.  Molanus  non  plus.  Je  puis  lui  rendre  té- 
moignage qu'il  y  a  travaillé  à  diverses  reprises  ;  mais  qu'il  a  été 
interrompu  par  des  occupations  indispensables.  Je  vous  supplie. 
Madame ,  de  faire  tenir  ma  lettre  [a]  à  M.  de  Meaux ,  avec  l'écrit 
latin  ci-joint.  Je  vous  envoie  en  même  temps  mes  réflexions  [b], 
que  j'avois  faites  il  y  a  plusieurs  semaines.  C'est  pour  vous 
domier    des    preuves   du  zèle  avec  lequel  je   serai    toujours , 

Madame,  votre,  etc. 

Leibniz. 

P.  S.  Je  ne  sais  si  je  dois  oser  vous  supplier  de  faire  rendre  la 
ci-jointe  à  M,  de  Larroque,  qui  est  connu  de  M.  de  Meaux  et  de 
M.  Pelisson, 

LETTRE  YL 

LEIBNIZ   A   BOSSUET. 

De  Hanovre,  le  28  décembre  1691. 

Monseigneur, 

Je  ne  doute  point  que  vous  n'ayez  reçu  la  première  partie  de 
l'éclaircissement  que  vous  aviez  demandé,  toucliant  un  projet  de 
rémiion  qui  avoit  été  négocié  ici  avec  M.  l'évèque  de  Neu- 
stadt  (c)  :  car  je  l'avois  adressé  à  madame  de  Brinon,  avec  une 
lettre  que  j'avois  pris  la  liberté  de  vous  écrire,  pour  me  conserver 
l'hoimeur  de  vos  bonnes  grâces ,  et  pour  vous  témoigner  le  zèle 
avec  lequel  je  souhaite  d'exécuter  vos  ordres. 

Je  vous  envoie  maintenant  le  reste  de  cet  éclaircissement  fait 
par  le  même  théologien ,  qui  vous  honore  infiniment  ;  mais  qui 
désire  avec  raison,  comme  j'ai  déjà  marqué,  que  ceci  ne  se 
publie  point,  d'autant  qu'on  en  est  convenu  ainsi  avec  M.  de  Neu- 
stadt.  Nous  attendrons  votre  jugement ,  qui  donnera  un  grand 
jour  à  cette  matière  importante.  Au  reste  je  me  rapporte  à  ma 

(a)  Cette  lettre  ne  s'est  point  trouvée  parmi  les  papiers  de  Bossuet.  (Leroi.) 
(6)  Ce  sont  apparemment  celles  qu'on  trouve  dans  la  lettre  précédente. 
(c)  11  s'agit  des  Cogitationes  priuatœ,  de  Molanus. 


440    LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE, 
précédente,  et  je  suis  avec  respect.  Monseigneur,  votre  très- 
humble,  etc. 

GEOFFROI-GumLAUME  LeIBNIZ. 

P.  S.  Je  prie  Dieu  que  l'année  où  nous  allons  entrer  vous  soit 
heyi'euse,  et  accompagnée  de  toutes  sortes  de  prospérités ,  avec 
la  continuation  ad  nmltos  annos. 

LETTRE  VIL 

LEIBNIZ  A    BOSSUE  T. 

(extrait.) 

Sans    date. 

Monseigneur,  i 

Il  eût  été  à  souhaiter  que  V  Histoire  de  la  ré  formation  d'Alle- 
magne que  M.  de  Seckendorf  vient  de  publier  eût  paru  plus  tôt. 
Quelque  habile  que  soit  M.  Burnet,  je  trouve  que  les  protestans 
d'Allemagne  n'ont  plus  sujet  de  porter  envie  aux  Anglois.  L'au- 
teur qui  a  été  autrefois  premier  ministre  d'mi  duc  de  Saxe,  nous 
donne  là  dedans  la  connoissance  d'une  infinité  de  faits  importans 
qu'il  a  tirés  des  archives.  Il  m'écrit  lui-même  d'y  avoir  employé 
plus  de  quatre  cents  volumes  manuscrits.  Il  est  difficile  de  dire 
s'il  y  a  plus  d'érudition  ou  plus  de  jugement.  Ce  n'est  pas  qu'il 
n'y  ait  rien  où  l'on  puisse  trouver  à  redire  dans  un  si  grand 
ouvrage,  ni  que  l'auteur  soit  sans  aucune  prévention.  Mais  du 
moins  je  crois  qu'il  est  difficile  qu'un  auteur  qui  prend  parti 
hautement  puisse  écrire  avec  plus  de  modération. 

Je  parle  de  cet  ou^Tage  parce  qu'il  se  peut  que  vous  ne  l'ayez 
pas  encore  vu. 

•    Je  suis  avec  respect.  Monseigneur, 

Vostre  très-humble  et  très- obéissant  serviteur, 

Leibniz. 


BOSSUET  A  LEIBNIZ,  10  JANVIER  1692.  141 

LETTRE  ym. 

BOSSUET   A    LEIBNIZ. 

A  Versailles,  ce  10  janvier  1692. 

Monsieur, 

J'ai  reçu ,  par  l'entremise  de  madame  de  Brinon ,  la  lettre  que 
vous  m'avez  fait  l'homieur  de  m' écrire ,  cfiii  est  si  honnête  et  si 
obligeante,  que  je  ne  puis  assez  vous  en  remercier,  ni  assez  vous 
témoigner  Testime  que  je  fais  de  tant  de  politesse  et  d'iioimêteté, 
jointe  à  un  si  grand  savoir  et  à  de  si  bonnes  intentions  pour  la 
paix  du  christianisme.  Les  articles  de  M.  Tabbé  ^Molanus  seront , 
s'il  plaît  à  Dieu ,  un  grand  acheminement  à  un  si  bel  ouvrage. 
J'ai  lu  ce  que  vous  m'en  avez  envoyé  avec  beaucoup  d'attention 
et  de  plaisir,  et  j'en  attends  la  suite ,  que  vous  me  faites  espérer, 
avec  une  extrême  impatience.  Ce  sera  quand  j'am'ai  tout  vu  que 
je  pourrai  vous  en  dire  mon  sentiment  ;  et  je  crohois  mon  juge- 
ment trop  précipité,  si  j'entreprenois  de  le  porter  sm'  la  partie 
avant  que  d'avoir  vu  et  compris  le  tout.  Pom*  la  même  raison, 
Monsieiu",  il  est  assez  difficile  de  répondre  précisément  à  ce  que 
vous  dites  à  madame  de  Brinon,  dans  la  lettre  quelle  m'a  com- 
mimiquée,  puisque  tout  dépendant  de  ce  projet,  il  faut  l'avoir  vu 
tout  entier  avant  que  de  s'expliquer  sm*  cette  matière. 

Tout  ce  que  je  puis  dire  en  attendant ,  c'est ,  Monsiem%  que  si 
vous  êtes  véritablement  d'accord  des  cinq  propositions  mention- 
nées dans  votre  lettre  {a]y  vous  ne  pouvez  pas  demem^er  long- 
temps dans  l'état  ou  vous  êtes  sur  la  religion  :  et  je  voudrois  bien 
seulement  vous  supplier  de  me  dire  premièrement  si  vous  croyez 
que  l'infaillibilité  soit  tellement  dans  le  concile  œcuménique, 
qu'elle  ne  soit  pas  encore  davantage ,  s'il  se  peut ,  dans  tout  le 
corps  de  l'Eglise,  sans  qu'elle  soit  assemblée;  secondement  si 
vous  croyez  qu'on  fût  en  sûreté  de  conscience  après  le  concile  de 
Nicée  et  de  Chalcédoine,  par  exemple,  en  demeurant  d'accord  que 
le  concile  œcmnénique  est  infaillible ,  et  mettant  toute  la  dispute 

(«)  Lettre  m,  à  madame  de  Brinon. 


f42  LETTRES  SUR  LA  REUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 
à  savoir  si  ces  conciles  méritoient  le  titre  d'œcuméniques  ;  troi- 
sièmement s'il  ne  vous  paroit  pas  que,  réduire  la  dispute  à  cette 
question^  et  se  croire  par  ce  moyen  en  sûreté  de  conscience ,  c'est 
ouvrir  manifestement  la  porte  à  ceux  qui  ne  voudront  pas  croire 
aux  conciles,  et  leur  donner  une  ouverture  à  en  éluder  l'autorité  ; 
quatrièmement  si  vous  pouvez  douter  que  les  décrets  du  concile 
de  Trente  soient  autant  reçus  en  France  et  en  Allemagne  parmi 
les  catholiques,  fpi'en  Espagne  et  en  Italie ,  en  ce  qui  regarde  la 
foi  ;  et  si  vous  avez  jamais  ouï  un  seul  catholique  qui  se  crût  libre 
à  recevoir  ou  ne  recevoir  pas  la  foi  de  ce  concUe  ;  cinquièmement, 
si  vous  croyez  rpie  dans  les  points  cpie  ce  concile  a  déterminés 
contre  Luther,  Zuingle  et  Calvin,  et  contre  les  Confessions  d'Augs- 
1  bourg ,  de  Strasbourg  et  de  Genève,  il  ait  fait  autre  chose  que  de 
proposer  à  croire  à  tous  les  fidèles  ce  qui  étoit  déjà  cru  et  reçu , 
quand  Luther  a  commencé  de  se  séparer  :  par  exemple,  s'il  n'est 
pas  certain  qu'au  temps  de  cette  séparation,  on  croyoit  déjà  la 
transsubstantiation,  le  sacrifice  de  la  messe,  la  nécessité  du  libre 
arbitre,  l'honneur  des  Saints,  des  reli(|ues,  des  images,  la  prière 
et  le  sacrifice  pour  les  morts,  et  en  un  mot ,  tous  les  points  pour 
lesquels  Luther  et  Calvin  se  sont  séparés.  Si  vous  voulez ,  Mon- 
sieur ,  prendre  la  peine  de  répondre  à  ces  cinq  questions  avec 
votre  brièveté,  votre  netteté  et  votre  candeur  ordinaires,  j'espère 
que  vous  reconnoîtrez  facilement  que  quelque  disposition  qu'on 
ait  pour  la  paix,  on  n'est  jamais  \Taiment  pacifique  et  en  état 
de  salut,  jus(|u'à  ce  qu'on  soit  actuellement  réuni  de  communion 
avec  nous. 

Je  vcrrois ,  au  reste ,  avec  plaisir  Y  Histoire  de  la  Ré  formation 
d'Allemagne  de  M.  de  Seckendorf  (^r),  si  elle  pouvoit  venir  jus- 
qu'en ce  pays,  supposé  qu'elle  fût  écrite  en  une  langue  que  j'en- 
tendisse, et  je  puis  vous  assurer  par  avance  que  si  cette  histoire 
est  véritable,  il  faudra  nécessairement  qu'elle  se  trouve  conforme 
à  celle  des  Variations  ,  que  j'ai  pris  la  liberté  de  vous  envoyer; 
puisque  je  n'y  donne  rien  pour  certain  que  ce  qui  est  avoué  par 

(a)  Tous  les  éditeurs  disent  ici,  après  Leroi  :  «  Apparemment  que  M.  de  Leib- 
niz parloit  de  celte  histoire  dans  sa  lettre  à  M.  de  Meaux,  que  nous  n'avons 
pas.  »  Nous  avons  donné ,  dans  la  lettre  précédente,  de  Leibniz,  le  passage  qui 
mentionne  l'histoire  de  Seckendorf. 


LEIBNIZ  A  BOSSUET,  8  JAAYIER  1692.  143 

les  adversaires.  C'est,  Monsieur,  à  mon  avis,  la  seule  méthode 
sûre  d'écrire  de  telles  histoires ,  où  la  chaleur  des  partis  feroit 
trouver  sans  cela  d'inévitables  écueils. 

Excusez,  Monsieur,  si  je  vous  entretiens  si  longtemps.  Ce  n'est 
pas  seulement  par  le  plaisir  de  converser  avec  un  homme  comme 
vous;  mais  c'est  que  j'espère  que  nos  entretiens  pourront  avoir 
des  suites  heureuses  pour  l'ouvrage  que  vous  et  M.  l'abbé  ^lo- 
lanus  avez  tant  à  cœur.  Il  ne  me  reste  qu'à  vous  témoigner  la 
joie  que  je  ressens  des  choses  obligeantes  que  madame  la  duchesse 
d'Hano\Te  daigne  me  dire  par  votre  entremise,  et  de  vous  sup- 
plier de  l'assurer  de  mes  très-humbles  respects,  en  l'encourageant 
toujours  à  ne  se  rebuter  jamais  des  difficultés  qu'elle  trouvera 
dans  l'accomplissement  du  grand  ouvrage  dont  Dieu  lui  a  inspiré 
le  dessein.  Je  connois,  il  y  a  longtemps,  la  capacité  et  les  saintes 
intentions  de  M.  l'évêque  de  Neustadt.  Je  suis  avec  toute  l'estime 
possible.  Monsieur,  votre  très-humble  servitem% 

t  J.-Bémgne,  Ev.  deMeaux. 
LETTRE  IX. 

LEIBNIZ  A  BOSSLET. 
A  Hanovre,  8  (18)  janvier  1692. 

Monseigneur, 

Je  vous  dois  de  grands  remercîmens  de  votre  présent  [a] ,  qui 
ne  m'a  été  rendu  que  depuis  quelques  jours.  Tout  ce  qui  vient 
de  votre  part  est  précieux,  tant  en  soi  qu'à  cause  de  son  auteur  : 
mais  le  prix  d'un  présent  est  encore  rehaussé  par  la  disproportion 
de  celui  qui  le  reçoit  ;  et  une  faveur  dont  le  plus  grand  prince  se 
tiendroit  honoré ,  est  une  grâce  infiniment  relevée  à  l'égard  d'un 
particulier  aussi  peu  distingué  que  moi. 

Je  ne  doute  point  que  vous  n'ayez  fait  l'effort,  dans  V Histoire 
des  Variations,  de  rapporter  exactement  les  faits.  Cependant 
comme  votre  ouvrage  ne  fait  voir  que  quelques  imperfections 
qu'on  a  remarquées  dans  ceux  qui  se  sont  mêlés  de  la  Réforme,  il 

[")  L'Histoire  des  Variations. 


144    LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

semble  que  celui  de  M.  de  Seckendorf ,  étoit  nécessaire  pour  les 
montrer  aussi  de  leur  bon  côté.  Il  est  vi-ai  qu'il  ne  dissimule  pas 
des  choses  que  vous  reprenez ,  et  il  me  paroît  sincère  et  modéré 
pour  l'ordinaire.  Peut-être  qu'il  y  a  quelques  endroits  un  peu 
durs  qui  lui  sont  échappés  :  mais  il  est  difficile  d'être  toujours 
réservé,  quand  on  a  devant  ses  yeux  tant  de  passages  des  adver- 
saires infiniment  plus  choquans.  Et  qui  est-ce  qui  peut  être  tou- 
jours sur  ses  gardes  dans  un  si  grand  ouvrage?  car  ce  sont  deux 
volumes  in-folio;  et  le  livre  s'est  grossi  par  Tinsertion  des  extraits 
d'une  infinité  de  pièces,  dont  une  bonne  partie  n'étoit  pas  impri- 
mée. Tout  l'ouvrage  est  écrit  en  latin.  S'il  y  avoit  occasion  de 
l'envoyer  en  France,  je  n'y  manquerois  pas.  Cependant  je  m'ima- 
gine qu'on  l'y  recevra  bientôt  de  Hollande. 

Vous  avez  reçu  cependant  la  suite  du  discours  de  M.  l'abbé  Mo- 
lanus.  ]\Iais  les  questions  que  vous  me  proposez,  Monseigneur,  à 
l'occasion  de  cela,  me  paroissent  un  peu  difficiles  à  résoudre;  et 
je  souhaiterois  plutôt  votre  instruction  là-dessus.  La  première  de 
ces  questions  traite  du  sujet  de  rinfaillil)ilité,  si  elle  réside  pro- 
prement et  uniquement  dans  le  concile  œcuménique ,  ou  si  elle 
appartient  encore  au  corps  de  l'Eglise,  c'est-à-dire,  comme  je 
l'entends ,  aux  opinions  qui  y  sont  reçues  le  plus  généralement. 
Mais  puisque  dans  l'Eghse  romaine  on  n'est  pas  encore  convenu 
du  vrai  sujet  ou  siège  radical  de  linlaillibilité,  les  uns  le  faisant 
consister  dans  le  Pape,  les  autres  dans  le  concile,  quoique  sans  le 
Pape,  et  que  les  auteurs  qui  ont  écrit  de  lanalyse  de  la  foi ,  sont 
infiniment  différens  les  uns  des  autres  :  je  serois  bien  empêché 
de  dire  comment  on  doit  étendre  cette  infaillibihté  encore  au  delà, 
savoir,  à  un  certain  sujet  vague,  qu'on  appelle  le  corps  de  V Eglise, 
hors  de  l'assemblée  actuelle  :  et  il  me  semble  que  la  même  diffi- 
culté se  rencontreroit  dans  mi  état  populaire,  prenant  le  peuple 
hors  de  l'assemblée  des  Etats.  Il  y  entre  encore  cette  question  dif- 
ficile :  S'il  est  dans  le  pouvoir  de  TEglise  moderne  ou  d'un  con- 
cile, et  comment,  de  définir  comme  de  foi  ce  qui  autrefois  ne  pas- 
soit  pas  encore  dans  l'opinion  générale  pour  un  point  de  foi;  et  je 
vous  supplie  de  m'instruire  là-dessus.  On  pourroit  dire  aussi  que 
Dieu  a  attaché  une  grâce  ou  promesse  particulière  aux  assemblées 


LEIBNIZ  A  BOSSUET,  8  JAiNVlER  1692.  f4.'> 

de  l'Eglise;  et  comme  on  distingue  entre  le  Pape  qui  parle  à  l'or- 
dinaire et  entre  le  Pape  qui  prononce  ex  cathedra,  quelques-uns 
pourroient  aussi  considérer  les  conciles  comme  la  voix  de  l'Eglise 
ex  cathedra. 

Quant  à  la  seconde  question  :  Si  un  homme  qui,  après  le  concMie 
de  Nicée  ou  de  Chalcédoine ,  auroit  voulu  mettre  en  doute  l'auto- 
rité œcuménifjue  de  ces  conciles,  eût  été  en  sûreté  de  conscience, 
on  pourroit  répondre  plusieurs  choses  ;  mais  je  vous  représen- 
terai seulement  ceci,  pour  recevoir  là-dessus  des  lumières  de  votre 
part.  Premièrement,  il  semble  qu'il  soit  difficile  de  douter  de  l'au- 
torité œcuménique  de  tels  conciles ,  et  je  ne  vois  pas  ce  que  l'on 
pourroit  dire  à  l' encontre  de  raisonnable,  ni  comment  on  trouvera 
des  conciles  œcuméniques,  si  ceux-ci  ne  le  sont  pas.  Secondement, 
posons  le  cas  qu'un  homme  de  bonne  foi  y  trouve  de  grandes 
apparences  à  l' encontre  ;  la  question  sera  si  les  choses  définies  par 
ces  conciles  étoient  déjà  auparavant  nécessaires  au  salut  ou  non. 
Si  elles  l'étoient,  il  faut  dire  que  les  apparences  contraires  à  la 
forme  légitime  du  concile  ne  sauveront  pas  cet  homme  :  mais  si 
les  points  définis  n'étoient  pas  nécessaires  avant  la  définition,  je 
dirois  que  la  conscience  de  cet  homme  est  en  sûreté. 

A  la  troisième  question  :  Si  une  telle  excuse  n'ouvre  point  la 
porte  à  ceux  qui  voudront  ruiner  l'autorité  des  conciles,  j'oserois 
répondre  que  non,  et  je  dirai  que  ce  seroit  un  scandale  plutôt  pris 
que  donné.  Il  s'agit  de  la  mineure,  ou  du  fait  particulier  d'un  cer- 
tain concile  :  savoir,  s'il  a  toutes  les  conditions  requises  à  un  con- 
cile œcuménique,  sans  que  la  majeure  de  l'autorité  des  conciles 
en  reçoive  de  la  difficulté.  Cela  fait  seulement  voir  que  les  choses 
humaines  ne  sont  jamais  sans  cpiekpie  inconvénient,  et  que  les 
meilleurs  règlemens  ne  sauroient  exclure  tous  les  abus  in  frau- 
dem  legls.  On  ne  sauroit  rejeter  en  général  l'exception  du  juge 
incompétent  ou  suspect,  bien  (jue  les  chicaneurs  en  abusent.  Rien 
n'est  sujet  à  de  plus  grands  abus  que  la  torture  ou  la  question 
des  criminels  ;  cependant  on  aiu-oit  bien  de  la  peine  à  s'en  passer 
entièrement.  Un  homme  peut  s'inscrire  en  faux  contre  une  écri- 
ture qui  ressemble  à  la  sienne ,  et  demander  la  comparaison  des 
écritures.  Cela  donne  moyen  de  chicaner  contre  le  droit  le  plus 
TOM.  xvni.  10 


14G    LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

liquide;  mais  on  ne  sauroit  pouiiant  retranche^  ce  remède  en 
général.  J'avoue  qnil  est  dangereux  de  fournir  des  prétextes 
pour  douter  des  concUes  :  mais  il  n'est  pas  moins  dangereux 
d'autoriser  des  conciles  douteux,  et  d'établir  par  là  un  moyen 
d'opprimer  la  vérité. 

Quant  à  la  quatrième  question  :  Si  je  doute  que  les  décrets  du 
concile  de  Trente  soient  aussi  bien  reçus  en  France  et  en  Alle- 
magne cju'en  Italie  ou  en  Espagne,  je  pomTois  me  rapporter  au 
sentiment  de  quelques  doctem's  espagnols  ou  italiens,  qui  repro- 
chent aux  François  de  s'éloigner  en  certains  points  de  la  doctrine 
de  ce  concile ,  par  exemple ,  à  l'égard  de  ce  qui  est  essentiel  à  la 
validité  du  mariage  :  ce  qui  n'est  pas  seulement  de  discipline , 
mais  encore  de  doctrine,  puisqu'il  s'agit  de  l'essence  d'un  sacre- 
ment. Mais  sans  m'arrêter  à  cela,  je  répondi'ai,  comme  j'ai  déjà 
fuit  :  quand  toute  la  doctrine  du  concile  de  Trente  seroit  reçue  en 
Fj'ance,  qu'U  ne  s'ensuit  point  qu'on  l'ait  reçue  connue  venue  du 
concile  œcuménique  de  Trente,  puisqu'on  a  si  souvent  mis  en 
doute  cette  qualité  de  ce  concile. 

La  cinquième  question  est  d'une  plus  grande  discussion  :  Sa- 
voir, si  tout  ce  qui  a  été  défini  à  Trente  passoit  déjà  généralement 
pour  catholique  et  de  foi  avant  cela ,  lorsque  Luther  commença 
d'enseigner  sa  doctrine.  Je  crois  qu'on  trouvera  quantité  de  pas- 
sages de  bons  auteurs ,  qui  ont  écrit  avant  le  concile  de  Trente , 
et  qui  ont  révoqué  en  doute  des  choses  défmies  dans  ce  concile. 
Les  livres  des  protestans  en  sont  pleins,  et  il  est  très-sùr  que  de- 
puis on  n'a  plus  osé  parler  si  libri'ment.  C'est  pom^quoi  les  livres, 
appelés  Indices  expurgatorii,  ont  trouvé  tant  de  choses  à  retran- 
cher dans  les  auteurs  antérieurs.  Je  crois  qu'un  passage  d'un 
liabile  homme ,  comme  Erasme ,  mérite  autant  de  réflexion  que 
quantité  d'écrivains  du  bas  ordre ,  qui  ne  font  que  se  copier  les 
uns  les  autres.  Mais  quand  on  accorderoit  que  toutes  ces  décisions 
passoient  dt\jà  pour  véritables,  selon  la  plus  commune  opinion, 
il  ne  s'ensuit  point  qu'elles  passoient  toujours  pour  être  de  foi  ; 
et  il  semble  que  les  anathèmes  du  concile  de  Trente  ont  bien 
changé  l'état  des  choses.  Enfin  quand  ces  décisions  auroient  déjà 
été  enseignées  comme  de  foi  par  la  plupart  des  doctem's,  on  re- 


LEIBNIZ  A  BOSSUET,  8  JANVIER  1692.  147 

tomberoit  dans  la  première  question ,  pour  savoir  si  ces  sortes 
d'opinions  communes  sont  infaillibles,  et  peuvent  passer  pour  la 
voix  de  l'Eglise. 

En  écrivant  ceci,  je  reçois  l'avis  que  vous  me  donnez.  Monsei- 
gneur, d'avoir  reçu  le  reste  de  l'écrit  de  M.  Tabbé  Molanus.  Nous 
attendrons  la  grâce,  que  vous  nous  faites  espérer,  de  voir  votre 
jugement  là-dessus.  Je  ne  doute  point  qu'il  ne  soit  aussi  équi- 
table que  solide.  On  a  fait  ici  de  très-grands  pas  pour  satisfaii*e  à 
ce  qu'on  a  jugé  dû  à  la  charité  et  à  l'amour  de  la  paix.  On  s'est 
approché  des  bords  de  la  rivière  de  Bidassoa,  pour  passer  un  jour 
dans  rile  de  la  Conférence  [a] .  On  a  quitté  exprès  toutes  ces  ma- 
nières qui  sentent  la  dispute ,  et  tous  ces  airs  de  supériorité  que 
chacun  a  coutume  de  donner  à  son  parti;  et  quidquid  ah  ulràque 
parte  dici  potest ,  etsi  ab  utrâque  parte  verè  dici  non  possit  ;  cette 
fierté  choquante,  ces  expressions  de  l'assurance  où  chacun  est  en 
effet,  mais  dont  il  est  inutile  et  même  déplaisant  de  faire  parade 
auprès  de  ceux  'qui  n'en  ont  pas  moins  de  leur  part.  Ces  façons 
servent  à  attirer  de  l'applaudissement  des  lecteurs  entêtés  ;  et  ce 
sont  ces  façons  qui  gâtent  ordinairement  les  colloques,  où  la  vanité 
de  plaire  aux  auditeurs  et  de  paroître  vamqueur ,  l'emporte  sm' 
l'amour  de  la  paix  :  mais  rien  n'est  plus  éloigné  du  véritable  but 
d'une  conférence  pacifique.  Il  ftmt  qu'il  y  ait  de  la  différence  entre 
des  avocats  qui  plaident  et  entre  des  entremetteurs  qui  négocient. 
Les  uns  demeurent  dans  un  éloignement  affecté  et  dans  des  ré- 
serves artificieuses;  et  les  autres  font  connoître,  par  toutes  leurs 
démarches,  que  leur  intention  est  sincère  et  portée  à  facihter  la 
paix.  Comme  vous  avez  fait  louer  votre  modération,  Monseigneur, 
en  traitant  les  controverses  publiquement,  que  ne  doit-on  pas 
attendre  de  votre  candeur,  quand  il  s'agit  de  répondre  à  ceUe  des 
personnes  qui  marquent  tant  de  bonnes  intentions?  Aussi  peut-on 
dire  que  le  blâme  de  la  continuation  du  schisme  doit  tomber  sur 
ceux  qui  ne  font  pas  tout  ce  qu'ils  peuvent  pour  le  lever,  siu'tout 
dans  les  occasions  qui  les  doivent  inviter  et  qu'à  peine  un  siècle  a 

{a)  Les  conférences  entre  le  cardinal  Mazarin  et  don  Louis  de  Haro  ,  pour 
pacifier  la  Franco  et  l'Espagne,  se  tinrent  dans  l'île  des  Faisans,  située  au  milieu 
de  la  Bidassoa. 


^i8    LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

coutume  d'offrir.  Quand  il  n'y  auroit  que  la  grandeur  et  les  lu- 
mières infiniment  relevées  de  votre  Monarque  si  capable  de  faire 
réussir  ce  qu'il  approuve,  jointes  aux  dispositions  d'un  Pape,  qui 
semble  avoir  la  pureté  du  zèle  d'Innocent  XI  sans  en  avoir  l'aus- 
térité ,  vous  jugeriez  bien  (ju'il  seroit  inexcusable  de  n'en  point 
profiter. 

Mais  vous  voyez  qu'il  y  a  encore  d'autres  raisons  qui  donnent 
de  l'espérance.  Un  Empereur  des  plus  éclairés  dans  les  affaires  qui 
aient  jamais  été,  et  des  plus  zélés  pour  la  foi,  y  contribue;  un 
prince  protestant  des  plus  propres  par  son  mérite  personnel  et 
par  son  autorité  de  faire  réussir  une  grande  affaire,  y  prend  quel- 
que part;  des  théologiens  séculiers  et  réguliers,  célèbres  de  part 
et  d'autre ,  travaillent  à  aplanir  le  chemin ,  et  commencent  d'en- 
trer en  matière  par  l'unique  ouverture  que  la  nature  des  choses 
y  semble  avoir  laissée,  pour  se  rapprocher  sans  que  chacun 
s'éloigne  de  ses  principes.  Votre  réputation  y  peut  donner  le 
plus  grand  poids  du  monde  ;  et  vous  vous  direz  assez  à  vous- 
même  ,  sans  moi,  que  plus  on  est  capable  de  faire  du  bien  et  que 
ce  bien  est  grand,  plus  on  est  responsable  des  omissions. 

Toute  la  question  se  réduit  à  ce  point  essentiel  de  votre  côté  : 
S'il  seroit  permis  en  conscience  aux  églises  unies  avec  Rome  d'en- 
trer en  union  ecclésiastique  avec  les  églises  soumises  aux  senti - 
mens  de  l'Eglise  catholique ,  et  prêtes  à  être  même  dans  la  liai- 
son de  la  hiérarchie  romaine  ;  mais  qui  ne  demeurent  pas  d'ac- 
cord de  quelques  décisions ,  parce  qu'elles  sont  portées ,  par  des 
apparences  très -grandes  et  presrjue  insurmontables  à  leur  égard, 
à  ne  point  croire  que  l'Eglise  catholique  les  ait  autorisées,  et  qui 
d'aiUem's  demandent  ime  réformation  effective  des  abus  que 
Rome  même  no  peut  approuver.  Je  ne  vois  pas  quel  crime  votre 
parti  commettroit  par  cette  condescendance.  Il  est  sur  qu'on  peut 
entretenir  l'union  avec  de  telles  gens ,  qui  se  trompent  sans  ma- 
lice. Les  points  spéculatifs,  qui  resteroient  en  contestation,  ne  pa- 
roi ssent  pas  des  plus  importans,  puisque  plusieurs  siècles  se  sont 
passés,  sans  que  les  fidèles  en  aient  eu  une  connoissance  fort  dis- 
tincte. Il  me  semble  qu'il  y  a  des  contestations  tolérées  dans  la 
communion  romaine ,  qui  sont  autant  ou  peut-être  plus  impor- 


BOSSUET  A  LEIBNIZ,  17  JANVIER  1692.  149 

tantes  que  celles-là  :  et  j'oserois  croire  que  si  l'ou  feigiioit  que 
les  églises  septentrionales  fussent  unies  elTectivement  avec  les 
vôtres,  à  ces  opinions  près,  vous  seriez  fâché  de  voir  rompre  cette 
union,  et  que  vous  dissuaderiez  la  rupture  de  tout  votre  pouvoir 
à  ceux  qui  la  voudroient  entreprendre. 

Voilà  sur  quoi  tout  roule  à  présent.  Car  de  parler  de  rétractations, 
cela  n'est  pas  de  saison.  Tl  faut  supposer  que  de  l'un  et  de  l'autre 
côté  on  parle  sincèrement  :  et  puisqu'on  s'est  épuisé  en  disputes , 
il  est  lîon  de  voir  une  fois  ce  qu'il  est  possible  de  faire  sans  y 
entrer,  sauf  à  les  diminuer  par  des  éclaircissemens ,  par  des  ré- 
formations effectives  des  abus  reconnus ,  et  par  toutes  les  dé- 
marches qu'on  peut  faire  en  conscience,  et  par  conséquent  qu'on 
doit  faire  s'il  est  possiljle  pour  faciliter  un  si  grand  bien  ;  en  at- 
tendant que  l'Eglise  par  cela  même  soit  mise  en  état  de  venir  à 
une  assemblée,  par  laquelle  Dieu  mette  fm  au  reste  du  mal.  Mais 
je  m'aperçois  de  la  faute  que  je  fais  de  m'étendre  sur  des  choses 
que  vous  voyez  d'un  clin  d'œil,  et  mieux  que  moi.  Je  prie  Dieu 
de  vous  conserver  longtemps,  pour  contribuer  au  bien  des  âmes, 
tant  par  vos  ouvrages  que  par  l'estime  que  le  plus  grand ,  ou 
pour  parler  avec  M.  Pelisson,  le  plus  roi  entre  les  rois  a  conçue 
de  votre  mérite.  Je  ne  saurois  mieux  marquer  que  par  un  tel 
souliait  le  zèle  avec  lecpiel  je  suis,  Monseigneur,  votre  très- 
humble  et  obéissant  ser\'iteur , 

Geoffroy -Guillaume  de  Leibniz. 

P.  S.  Il  est  peut-être  inutile  que  je  dise  que  ce  qu'on  vous 
envoie.  Monseigneur,  peut  encore  être  communiqué  à  M.  Pelis- 
son, dont  on  se  promet  le  même  ménagement. 

LETTRE  X. 

BOSSUET    A    LEIBNIZ. 
A  Versailles,  17  jauvier  1692. 

Monsieur  , 

J'ai  reçu  avec  votre  lettre  du  28  décembre  la  seconde  partie  du 
projet  de  réunion,  et  je  vous  en  donne  en  même  temps  avis.  Vous 


iSO    LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

aurez  Ta,  par  ma  précédente ,  la  réception  de  la  première  partie. 
Le  premier  loisir  que  j'aurai  sera  employé  à  vous  dire  mon  senti- 
ment avec  une  entière  ingénuité.  Yous  me  ferez.  Monsieur,  beau- 
coup de  plaisir  d'assurer  M.  Tabbé  Molanus  de  l'estime  que  j'ai 
pour  lui  et  de  ma  parfaite  reconnoissance  pour  les  bontés  dont  il 
m'honore.  Nous  lui  garderons  fidèlement  tout  le  secret  qu'il 
nous  demande,  et  nous  nous  estimons  très -honoré  de  ce  qu'il 
veut  bien  nous  le  confier.  Pour  moi,  je  puis  vous  dire  avec 
combien  de  cordialité  et  d'estime  je  suis,  Monsieur, 

Votre  très-humble  serviteur. 

Bénigne,  Ev.  de  Meaux. 

LETTRE  XL 

BOSSU  ET   A   LEIBNIZ. 
A  Meaux,  30  mars  1692. 

Monsieiu",  je  suis  obligé  de  vous  dire  que  madame  la  marquise 
de  Béthune  m'a  dit  à  Chantilly,  où  je  fus  saluer  le  Boi  lorsqu'il  y 
passa  pour  aller  commander  ?es  armées  en  personne,  qu'elle 
avoit  unj  livre  à  me  rendre  de  la  part  de  madame  la  duchesse 
d'Hanovre.  Ce  m'est  un  grand  honneur  qu'une  telle  princesse 
veuille  bien  se  souvenir  de  moi.  .Fai  reçu  le  livre  par  la  voie  de 
M.  Pelisson,  comme  vous  aviez  pris  la  peine  de  me  le  mander.  Il 
me  semble  qu'il  démontre  parfaitement  que  les  catholiques  ont 
très-bien  connu,  et  devant  et  après  Luther,  la  justification  gratuite 
et  la  confiance  en  Jésus-Christ  seul  ;  et  cela  étant,  je  ne  sais  si  on 
peut  lire  sans  quelque  honte  les  menteries  de  Luther  et  de  ses 
disciples  et  même  ceUes  de  la  Confession  d'Augsbourg  et  de  1'^- 
pologie ,  où  l'on  parle  toujours  de  cet  article  comme  du  grand 
article  de  la  réforme  luthérienne,  entièrement  oublié  dans  l'EgUse. 

J'ai  voulu,  Monsieur,  lire  tout  ce  livre  avant  que  de  faire 
mettre  au  net  ma  réponse  sur  le  projet  d'union  [a],  pour 
voir  si  elle  me  donneroit  lieu  d'y  ajouter  quelque  chose.  Vous 

(«)  Sur  les  Cogilationes  privatœ  de  Molanus. 


M'"^  DEBRINON  A  BOSSUET,  5  AVRIL  1692.  151 

l'aurez  dans  peii^  s'il  plait  à  Dieu  ;  je  suis  fâché  de  faire  si  long- 
temps attendre  si  peu  de  chose,  vous  voyez  bien  les  raisons  du 

délai  et  j'espère  qu'on  me  le  pardonnera  [a] 

Je  suis  et  serai  toujours  avec  une  estime  et  une  inclination 
particulière  ;, 

Monsieiu",  votre  très-humble  serviteur. 

J.  Bénigne,  Ev.  de  Meaux. 

LETTRE    XIL 

MADAME  DE   BRINON    A   BOSSUET. 
Ce  0  avrU  IG92. 

Madame  la  duchesse  d'Hanovre  commençoit  à  s'impatienter. 
Monseigneur ,  de  ce  que  vous  ne  disiez  mot  sur  les  écrits  de 
M.  l'abbé  Molanus',  et  elle  en  tiroit  quelque  mauvais  présage  : 
mais  la  lettre  que  vous  écrivez  à  M.  Leibniz,  que  j'ai  lue  à  ma- 
dame de  Maubuisson ,  comme  Votre  Grandeur  me  l'a  ordonné, 
la  rassurera.  Par  malheur  pour  la  diligence  elle  a  attendu  ici 
quatre  jours,  parce  que  la  poste  d'Allemagne  ne  part  que  deux 
fois  la  semaine.  Il  me  semble,  Monseignem%  que  Dieu  m'a  asso- 
ciée au  grand  ouvrage  de  la  réunion  des  protestans  d'Allemagne, 
puisqu'il  a  permis  qu'on  m'ait  adressé  les  premières  objections 
pour  les  envoyer  à  M.  Pelisson,  et  que  depuis  j'ai  eu  l'honneur  de 
faire  tenir  les  lettres  de  part  et  d'autre,  et  d'en  écrire  quelquefois 
moi-même,  qui  n'ont  pas  été  inutiles  pour  réveiller  du  côté  de 
l'Allemagne  leurs  bons  desseins. 

Je  me  suis  sentie,  Monseigneur,  pressée  intérieurement,  et 
Dieu  veuille  que  ce  soit  son  Esprit  qui  m'ait  conduite,  d'écrire  à 
M.  Leibniz,  pour  l'engager  à  prendre  garde  de  revenir  à  l'Eglise 
avec  un  cœm'  contrit  et  humilié,  sans  lui  faire  de  conditions  oné- 
reuses, comme  est  celle  qu'il  demande  de  la  réformation  des  abus, 
que  l'Eglise  souhaite  plus  qu'eux  dans  ses  enfans. 

(a)  Leibniz  avoit  parlé  à  Bossuet,  comme  il  eu  parloit  à  tout  le  monde,  de 
sa  dynamique,  qu'il  qualitioit  de  philosophie.  Avant  de  finir,  Bossnet  répond  à 
Leibniz,  quelques  mots  sur  cette  grande  découverte,  l'assurant  qu'il  létudieroit 
au  premier  moment  de  loisir,  et  que  rien  ne  lempêchcra  d'être  son  disciple. 


ib2    LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

Je  lui  mande,  le  plus  doucement  qu'il  m'est  possible,  qu'elle  n'a 
point  attendu  après  la  réunion  des  protestans,  pour  réformer  les 
al)us  que  l'intérêt,  d'un  côté,  et  la  simplicité  du  peuple  peut  avoir 
établis  dans  le  culte  extérieur  que  nous  rendons  aux  Saints  ;  que 
tous  les  pasteurs  \igilans  y  travaillent  sans  relâche,  et  que  depuis 
que  j'ai  l'usage  de  ma  raison,  j'ai  toujours  ouï  blâmer  et  re- 
prendre sévèrement  dans  l'Eglise  la  superstition  :  mais  qu'il  n'est 
pas  facile  de  remédier  à  plusieurs  abus  sur  lesquels  tout  le  monde 
n'entend  pas  raison  ;  que  la  foi  des  particuliers  ne  doit  point  être 
intimidée  là-dessus  puisque  les  fautes  sont  personnelles,  et  que 
Dieu  ne  nous  jugera  que  sur  nos  devoirs,  et  non  pas  sm'  ceux  des 
autres  ;  que  c'est  à  lui  de  séparer  la  zizanie  d'avec  le  bon  grain  ; 
et  que  pom'  ne  donner  aucun  prétexte  à  la  désunion  des  chré- 
tiens il  avoit  souffert  dans  sa  compagnie  et  dans  celle  de  ses 
apôtres  le  plus  méchant  homme  du  monde,  qui  étoit  Judas.  Je  lui 
dis  que  revenant  à  l'Eglise  dans  l'unique  motif  de  se  réunir  à  son 
Chef,  et  de  cesser  d'être  schismatique,  il  falloit  imiter  l'enfant  pro- 
digue, dire  simplement  :  «  J'ai  péché ,  et  je  ne  suis  pas  digne 
d'être  appelé  votre  enfant,  »  ce  qui  seroit  propre  à  exciter  notre 
Mère  à  tuerie  veau  gras  en  lem*  faveur,  c'est-à-dire  à  leur  accor- 
der avec  charité  tout  ce  qui  ne  choqueroit  pas  la  religion  en  chose 
essentielle. 

J'ai  cru  qu'étant ,  comme  je  suis ,  une  personne  sans  consé- 
quence ,  je  pouvois  sans  rien  risquer  écrire  bonnement  à  M.  Lei- 
bniz ,  qui  est  le  plus  doux  du  monde  et  le  plus  raisonnable,  ce 
qui  me  paroissoit  de  sa  proposition  de  réformer  l'Eglise,  eux 
qui  n'ont  erré  que  pour  l'avoir  voulu  faire  mal  à  propos.  Je  me 
suis  déjà  aperçu  que  quekjnes  autres  petits  avis,  que  je  lui  ai  don- 
nés à  la  traverse,  n'ont  pas  fait  de  mal  dans  les  suites,  et  qu'il  est 
impossible  que  ma  franchise  puisse  rien  troubler.  Au  contraire  il 
m'en  saïu'a  gré  ,  ce  me  semble,  de  la  manière  dont  Dieu  m'a  fait 
la  grâce  de  lui  tourner  cela  ;  et  puis  une  personne  comme  moi 
est  sans  conséquence  pour  eux.  Je  suis  ravie.  Monseigneur,  que 
vous  soyez  content  de  M.  l'abbé  Molanus  :  c'est  im  homme  en 
qui  madame  la  duchesse  d'Hanovre  a  une  fort  grande  conhance. 
Dieu  veuille  bénir  tous  vos  soins  et  toutes  nos  prières.  Je  suis 


LEIBNIZ  A  BOSSUET,  18  AVRIL  1692.  153 

avec  un  très-profond  respect,  votre  très-humble  et  très-obéis- 
sante servante, 

Sr.  ^[.  i»E  Brinon. 

LETTRE  XIÎI. 

LEIBNIZ    A    BOSSCET. 
A  Hanovre,  ce  18  avril  1692. 

Monseigneur, 

Je  ne  veux  pas  tarder  un  moment  de  répondre  à  votre  lettre 
pleine  de  bonté,  d'autant  qu'elle  m'est  venue  justement  le  lende- 
main du  jour  où  je  m'étois  avisé  d'un  exemple  important,  qui 
peut  servir  dans  Taffaire  de  la  réunion.  Vous  avez  toutes  les  rai- 
sons du  monde  de  dire  qu'on  ne  doit  poiat  prendre  pour  facile  ce 
qui  dans  le  fond  ne  l'est  point.  Je  vous  avoue  que  la  chose  est 
difficile  par  sa  nature  et  par  les  circonstances,  et  je  ne  me  suis 
jamais  figuré  de  la  facilité  dans  une  si  grande  affaire.  Mais  il 
s'agit  d'établir  avant  toutes  choses  ce  qui  est  possible  ou  loisible. 
Or  tout  ce  qui  a  été  fait ,  et  dont  il  y  a  des  exemples  approuvés 
dans  l'Eglise,  est  possible  ;  et  il  semble  que  le  parti  des  protes- 
tans  est  si  considérable,  qu'on  doit  faire  pour  eux  tout  ce  qui  se 
peut.  Les  calixtins  de  Bohême  l'étoient  bien  moins  :  ce  n'étoit 
qu'une  partie  d'un  royaume.  Cependant  vous  voyez  par  la  lettre 
exécutoriale  des  députés  du  concile  de  Bàle,  que  je  joins  ici,  qu'en 
les  recevant  on  a  suspendu  à  lem'  égard  un  décret  notoire  du 
concile  de  Constance  :  savoir,  celui  qui  décide  cpie  l'usage  des 
deux  espèces  n'est  pas  commandé  à  tous  les  fidèles.  Les  calixtins 
ne  reconnoissant  point  l'autorité  du  concile  de  Constance  et  n'é- 
tant point  d'accord  avec  ce  décret,  le  pape  Eugène  et  le  concile 
de  Bàle  passèrent  par-dessus  cette  considération,  et  n'exigèrent 
point  d'eux  de  s'y  soumettre  ;  mais  renvoyèrent  l'affaire  à  ime 
nouvelle  décision  future  de  l'Eglise.  Ils  mirent  seulement  cette 
condition,  que  les  calixtins  rémiis  dévoient  croire  ce  qu'on  ap- 
pelle la  concomitance,  ou  la  présence  de  Jésus-Christ  tout  entier 
sous  chacune  des  espèces,  et  admettre  par  conséquent  que  la  com- 
munion sous  une  espèce  est  entière  et  valide,  poiu*  parler  ainsi. 


iU    LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

sans  être  obligés  de  croire  qu'elle  est  licite.  Ces  concordats  entre 
les  députés  du  concile  et  ceux  des  Etats  calixtins  de  la  Bohême  et 
de  la  Moravie^  ont  été  ratifiés  par  le  concile  de  Bàle.  Le  pape  Eu- 
gène en  fit  connoîtresajoie  par  une  lettre  écrite  aux  Bohémiens  : 
encore  Léon  X  longtemps  après  déclara  qu'il  les  approuvoit,  et 
Ferdinand  promit  de  les  maintenir.  Cependant  ce  n'étoit  qu'mie 
poignée  de  gens  :  un  seul  Zisca  les  avoit  rendus  considérables  :  un 
seul  Procope  les  maintenoit  par  sa  valeur  :  pas  un  prince  ou 
Etat  souverain,  point  d'évêque  ni  d'archevêque  n'y  prenoit  part. 
Maintenant  c'est  quasi  tout  le  Nord  qui  s'oppose  au  Sud  de  l'Eu- 
rope ;  c'est  la  plus  grande  partie  des  peuples  germaniques  opposée 
aux  Latins.  Car  l'Europe  se  peut  diviser  en  quatre  langues  prin- 
cipales, la  grecque,  la  latine,  la  germanique  et  la  sclavonne.  Les 
Grecs,  les  Latins  et  les  Germains  font  trois  grands  partis  dans 
l'Eglise  :  la  sclavonne  est  partagée  entre  les  autres.  Car  les  Fran- 
çois, Italiens,  Espagnols,  Portugais ,  sont  Latins  et  Romains  :  les 
Anglois,  Ecossois,  Danois,  Suédois  sont  Germains  et  protestans  : 
les  Polonois,  Bohémiens  et  Russes  ou  Moscovites  sont  Sclavons  ; 
et  les  Moscovites  avec  les  peuples  de  la  même  langue  qui  ont  été 
soumis  aux  Ottomans ,  et  une  bonne  partie  de  ceux  qui  recon- 
noissent  la  Pologne,  suivent  le  rit  grec. 

Jugez,  Monseigneur,  si  la  plus  grande  partie  de  la  langue  ger- 
manique ne  mérite  pas  pour  le  moins  autant  de  complaisance 
qu'on  en  a  eu  pour  les  Bohémiens.  Je  vous  supplie  de  bien  con- 
sidérer cet  exemple,  et  de  me  dire  votre  sentiment  là -dessus.  Ne 
vaudroit-il  pas  mieux  pour  Rome  et  pour  le  bien  général  de  re- 
gagner tant  de  nations,  quand  on  devroit  demeurer  en  différend 
sur  quelques  opinions  durant  quelque  temps,  puisqu'il  est  vrai 
que  ces  difîérends  seroient  encore  moins  considérables  que  quel- 
ques-uns de  ceux  qui  sont  tolérés  dans  l'Eglise  romaine,  tel  qu'est, 
par  exemple,  le  point  de  la  nécessité  de  l'amour  de  Dieu  et  le 
point  du  probabilisme,  pour  ne  rien  dire  du  grand  différend  entre 
Rome  et  la  France?  Je  ne  désespère  pas  cependant.  Si  l'affaire 
étoit  traitée  comme  il  faut,  je  crois  que  les  protestans  pourroient 
un  jour  s'expliquer  sur  les  dogmes  encore  plus  favorablement 
qu'il  ne  semble  d'abord,  siulout  s'ils  voyoient  des  marques  d'un 


LEIBNIZ  A  BOSSUET,  18  AVRIL  1692.  15o 

véritable  zèle  pour  la  réforme  effective  des  abus  reconnus,  par- 
ticulièrement en  matière  de  culte.  Et  en  effet,  je  suis  persuadé 
en  général  qu'il  y  a  plus  de  difficulté  dans  les  pratiques  que  dans 
les  doctrines. 

Le  Père  Denis,  capucin,  a  été  lecteur  de  théologie,  et  mainte- 
nant il  est  gardien  à  Hildesheim.  Dans  sa  Viapacis,  il  traite  de 
la  justification,  du  mérite  des  œuvres  et  matières  semblables,  et 
allègue  un  grand  nombre  de  passages  des  auteiu-s  de  son  parti, 
qui  parlent  d'ime  manière  que  les  protestans  peuvent  approuver. 

.l'ai  eu  riionnem"  de  parler  des  sciences  avec  M.  de  la  Loubère; 
mais  je  croyois  que  c'étoit  plutôt  de  mathématiques  que  de  phi- 
losophie. Il  est  vrai  que  j'ai  encore  fort  pensé  autrefois  sur  la 
dernière,  et  que  je  voudrois  que  mes  opinions  fussent  rangées 
pour  pouvoir  être  soumises  à  votre  jugement.  Si  vous  ne  me 
sembliez  ordonner  d'en  toucher  quelque  chose,  je  croirois  qu'il 
seroit  mal  à  propos  de  vous  en  entretenir.  Car  quoique  vous  soyez 
profond  en  toutes  choses,  vous  ne  pouvez  pas  donner  du  temps  à 
tout  dans  le  poste  élevé  où  vous  êtes.  Or  pour  ne  rien  dire  de  la 
physique  particulière,  quoique  je  sois  persuadé  que  naturelle- 
ment tout  est- plein  et  que  la  matière  garde  sa  dimension,  je  crois 
néanmoins  que  l'idée  de  la  matière  demande  quelque  autre  chose 
que  l'étendue,  et  que  c'est  plutôt  l'idée  de  la  force  qui  fait  celle  de 
la  substance  corporelle,  et  qui  la  rend  capable  d'agir  et  de  résister. 
C'est  pourquoi  je  crois  qu'im  parfait  repos  ne  se  trouve  nulle  part, 
que  tout  corps  agit  sur  tous  les  autres  à  proportion  de  la  distance  ; 
qu'il  n'y  a  point  de  dureté  ni  de  fluidité  parfaite,  et  qu'ainsi  il  n'y 
a  point  de  premier  ni  de  second  élément  :  qu'il  n'y  a  point  de  por- 
tion de  matière  si  petite,  dans  laquelle  il  n'y  ait  un  monde  infini 
de  créatures.  Je  ne  doute  point  du  système  de  Copernic;  je  crois 
avoir  démontré  que  la  même  quantité  de  mouvement  ne  se  con- 
serve point,  mais  bien  la  même  quantité  de  force.  Je  tiens  aussi 
que  jamais  changement  ne  se  fait  par  saut  (par  exemple,  du 
mouvement  au  repos,  ou  au  mouvement  contraire  i,  et  qu'il  faut 
toujours  passer  par  une  infinité  de  degrés  moyens,  bien  qu'ils  ne 
soient  pas  sensibles  :  et  j'ai  quantité  d'autres  maximes  sembla- 
bles, et  bien  des  nouvelles  définitions,  (\m.  pourroient  servir  de 


156  LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

fondement  à  des  démonstrations.  J'ai  envoyé  quelque  chose  à 
M.  Pelisson  (sur  ses  ordres)  touchant  la  force,  parce  qu'elle  sert 
à  éclaircir  la  nature  du  corps;  mais  je  ne  sais  si  cela  mérite  que 
vous  jetiez  les  yeux  dessus. 

J'ajouterai  un  mot  de  M,  de  Seckendorf.  Son  livre  est  long; 
mais  cela  n'est  pas  un  défaut  à  l'égard  des  choses  qui  sont  bonnes. 
Cependant  je  l'exhortai  d'abord  à  en  donner  un  abrégé;  ce  qui  se 
fera  bientôt.  Il  y  a  une  infinité  de  choses  qui  n  étoient  pas  bien 
connues.  Je  ne  sais  si  on  se  peut  plaindre  de  l'ordre  ;  car  il  suit 
celui  des  temps.  On  reconnoîl  partout  la  bonne  foi  et  Texactitude. 
Il  pouvoit  retrancher  bien  des  choses;  mais  c'est  de  quoi  je  ne  me 
plains  jamais,  surtout  à  l'égard  des  livres  qui  ne  sont  pas  faits 
pour  le  plaisir.  Il  y  a  de  bons  registres.  Le  style,  les  expressions, 
les  réflexions  marquent  le  jugement  et  l'érudition  de  l'auteur. 
Son  âge  avancé  a  fait  qu'il  s'est  borné  à  la  mort  de  Luther  ;  et 
pour  aller  à  la  Formule  de  concorde,  il  auroit  fallu  avoir  à  la 
main  les  archiv(îs  de  la  Saxe  électorale,  comme  il  a  (;u  celles  de 
la  Saxe  ducale.  Avec  toute  la  grande  opinion  que  j'ai  du  savoir, 
des  lumières  et  de  l'honnêteté  de  M.  de  Seckendorf,  je  lui  trouve 
quelquefois  des  sentimens  et  des  expressions  rigides  :  mais  c'est 
en  conséquence  du  parti,  et  il  ne  faut  pas  trouver  mauvais  qu'une 
personne  parle  suivant  sa  conscience.  Aussi  sait-on  assez  que  les 
Saxons  supérieurs  sont  plus  rigides  que  les  théologiens  de  ces 
provinces  de  la  Basse-Saxe. 

Pour  ce  qui  est  de  Y  Histoire  de  la  Concorde ,  les  deux  livres 
contraires,  l'un  d'Hospinien,  appelé  Concordia  discors,  l'autre  de 
Ilutterus,  appelé  Concordia  concors,  opposé  au  premier,  en  rap- 
portent beaucoup  de  particularités.  Je  m'imagine  qu'il  y  aura  des 
gens  qui  se  chargeront  de  la  continuation  de  Y  Histoire  de  M.  de 
Seckendorf.  Je  demeure  d'accord  qu'il  y  a  beaucoup  de  choses 
dans  le  livre  de  celui-ci ,  qui  regardent  plutôt  le  cabinet  que  la 
religion  ;  mais  il  a  cru  avec  raison  que  cela  serviroit  à  faire  mieux 
connoître  la  conduite  des  princes  protestans ,  d'autant  plus  que 
ceux  (pii  tâchent  de  la  décrier  prétendent  que  le  contre-coup  en 
doit  rejaillir  sur  la  religion.  Puisque  madame  la  marquise  de  Bé- 
thune  passe  par  ici,  je  profite  de  l'occasion  pour  vous  envoyer  le 


LEIBNIZ  A  BOSSUET,  18  AVRIL  1692.  157 

livre  du  Père  Denis ^  et  j'adresserai  le  paquet  à  M.  Pelisson. 

.Vai  oublié  de  dire  ci-dessus  que  je  demeure  d'accord  que  tout 
se  foit  mécaniquement  dans  la  nature;  mais  je  crois  que  les  prin- 
cipes mêmes  de  la  mécanique,  c'est-à-dire  les  lois  de  la  nature,  à 
l'égard  de  la  force  mouvante,  viennent  des  raisons  supérieures  et 
d'une  cause  immatérielle,  qui  fait  tout  de  la  manière  la  plus  par- 
faite :  et  c'est  à  cause  de  cela,  aussi  bien  que  de  l'infini  enveloppé 
en  toutes  choses,  que  je  ne  suis  pas  du  sentiment  d'un  habile 
homme,  auteur  des  Entretiens  de  la 'pluralité  des  Mondes  [a],  qui 
dit  à  sa  marquise ,  qu'elle  aura  eu  sans  doute  une  plus  grande 
opinion  de  la  nature ,  que  maintenant  qu'elle  voit  que  ce  n'est 
([ue  la  boutique  d'un  ouvrier;  à  peu  près  comme  le  roi  Alphonse, 
qui  trouva  le  système  du  monde  fort  médiocre.  Mais  il  n'en  avoit 
pas  la  véritable  idée  ;  et  j'ai  peur  que  le  même  ne  soit  arrivé  h  cet 
autem' ,  tout  pénétrant  qu'il  est ,  qui  croit  à  la  cartésienne  que 
toute  la  machine  de  la  nature  se  peut  expliquer  par  certains  res- 
sorts ouélémens.  Mais  il  n'en  est  pas  ainsi;  et  ce  n'est  pas  comme 
dans  les  montres,  où  l'analyse  étant  poussée  jusqu'aux  dents  des 
roues,  il  n'y  a  plus  rien  à  considérer.  Les  machines  de  la  nature 
sont  machines  partout ,  quelque  petite  partie  qu'on  y  prenne  ;  ou 
phitôt,  la  moindre  partie  est  un  monde  infini  à  son  tour,  et  qui 
exprime  même  à  sa  façon  tout  ce  qu'il  y  a  dans  le  reste  de  l'uni- 
vers. Cela  passe  notre  imagination  :  cependant  on  sait  que  cela 
doit  être  ;  et  toute  cette  variété  infiniment  infinie  est  animée  dans 
toutes  ses  parties  par  une  sagesse  architectonique  plus  qu'infhiie. 
On  peut  dire  qu'il  y  a  de  l'harmonie,  de  la  géométrie,  de  la  mé- 
taphysique, et,  pour  parler  ainsi,  de  la  morale  partout  ;  et  ce  qui 
est  surprenant,  à  prendre  les  choses  dans  un  sens,  chaque  sub- 
stance agit  spontanément  comme  indépendante  de  toutes  les 
autres  créatures ,  bien  que  dans  un  autre  sens  toutes  les  autres 
l'o'nligent  k  s'accommoder  avec  elles  :  de  sorte  qu'on  peut  dire 
(pie  toute  la  nature  est  pleine  de  miracles,  mais  de  miracles  de 
rai  on,  et  qui  deviennent  miracles,  à  force  d'être  raisonnables, 
d'une  manière  qui  nous  étonne.  Car  les  raisons  s'y  poussent  à  un 
progrès  infini,  où  notre  esprit,  bien  qu'il  voie  que  cela  se  doit, 

[o]  M.  (le  Fontenelle. 


lf)8    LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

ne  peut  suivre  par  sa  compréhension.  Autrefois  on  admiroit  la 
nature  sans  y  rien  entendre,  et  on  trouvoit  cela  beau.  Dernière- 
ment on  a  commencé  à  la  croire  si  aisée ,  que  cela  est  allé  à  un 
mépris,  et  jusqu'à  nourrir  la  fainéantise  de  quelques  nouveaux 
philosophes,  qui  s'imaginèrent  en  savoir  déjà  assez.  Mais  le  vé- 
ritable tempérament  est  d'admirer  la  nature  avec  connoissance , 
et  d'y  reconnoître  que  plus  on  y  avance,  plus  on  découvre  de 
merveilleux  ;  et  que  la  grandeur  et  la  beauté  des  raisons  mêmes 
est  ce  qu'il  y  a  de  plus  étonnant  et  de  moins  compréhensible  à  la 
nôtre.  Je  suis  allé  trop  loin,  en  voulant  remplir  le  vide  de  ce  pa- 
pier. J'en  demande  pardon,  et  je  suis  avec  zèle  et  reconnoissance, 
Monseignem*,  votre  très-obéissant  serviteur, 

Leu^mz. 


LETTRE   XIY. 

BOSSU  ET   A    PE  LIS  SON. 

Ce  1  mai  1692. 

J'ai  vu.  Monsieur,  la  pièce  que  vous  envoie  M.  Leibniz  sur  les 
calixtins.  11  n'y  paroît  autre  chose  qu'une  sainte  économie  du 
concile  et  de  ses  légats,  pour  les  attirer  à  cette  sainte  assemblée. 
La  discussion  qu'on  leur  offre  dans  le  concile  de  Bàle  n'est  pas  une 
discussion  entre  les  juges,  comme  si  la  chose  étoit  encore  en  sus- 
pens après  le  jugement  de  Constance;  mais  une  discussion  amiable 
entre  les  contredisans  pour  les  instruire.  Cela  n'est  rien  moins 
qu'une  suspension  du  concile  de  Constance.  Les  calixtins  ce- 
pendant s'obligeoient  à  consulter  le  concile  :  ils  y  venoient  pour 
y  être  enseignés.  On  espéroit  qu'en  y  comparoissant,  la  majesté, 
la  charité,  l'autorité  du  concile  qu'ils  reconnoissoient ,  aclieve- 
roient  leur  conversion  :  finalement  la  question ,  qu'on  remettoit 
au  concile ,  y  fut  terminée  par  une  décision  conforme  en  tout 
point  à  ceUe  du  concile  de  Constance. 

Si  cette  affau^e  eut  peu  de  succès,  ce  ne  fut  pas  la  faute  du  con- 
cile, qui  poussa  la  condescendance  jusqu'au  dernier  point  où  l'on 


BOSSUET  A  PELISSON,  7  MAI  1692.  159 

pouvoit  aller,  sans  blesser  la  foi  et  l'autorité  des  jugemens  de  l'E- 
glise. Voilà  ce  qu'il  est  aisé  de  justifier  par  pièces.  Si  vous  savez 
quelque  chose  de  particulier  sur  ce  fait,  vous  m'obligerez  de  m'en 
faire  part  avant  que  j'envoie  ma  réponse.  11  faut  aussi  bien  ob- 
server que  les  calixtins  ne  demandoient  pas  de  prendre  séance 
dans  le  concile  ;  mais  qu'eux  et  leurs  prêtres  recomioissoient  celui 
de  Bàle,  qui  n'étoit  composé  que  de  catholiques.  Yoilà,  Monsieur, 
la  substance  de  ma  réponse,  que  je  vous  enverrai  enrichie  de  vos 
avis,  si  vous  en  avez  quelques-uns  à  me  donner.  Si  vous  croyez 
même  qu'il  presse  de  faire  quelque  réponse,  vous  pouvez  faire 
passer  cette  lettre  à  M.  Leibniz.  Il  verra  du  moins  qu'on  fait  atten- 
tion à  ses  remarques.  Celle  qu'il  fait  sur  le  concile  de  Florence, 
où  les  Grecs  sont  admis  à  décider  la  question  avec  les  Latins  dans 
la  session  publique ,  seroit  quelque  chose ,  si  ce  n'étoit  qu'avant 
que  de  les  y  admettre,  on  étoit  convenu  de  tout  avec  eux  dans  les 
disputes  et  congrégations  tenues  entre  les  prélats.  Tout  cela  est 
expliqué  dans  mes  Réflexions  sur  l'Ecrit  de  M.  l'abbé  Molanus. 
Si  ma  réponse  est  tardive ,  il  le  faut  attribuer  aux  occupations 
d'un  diocèse  ;  et  si  ell  ^,  est  un  peu  longue ,  c'est  qu'il  a  fallu  tra- 
vailler, non  pas  seulement  à  montrer  les  difficultés,  mais  à  pro- 
poser de  notre  côté  les  expédiens.  S'il  vous  en  vient  d'autres  que 
ceux  que  je  propose,  je  profiterai  de  vos  lumières;  mon  esprit, 
comme  le  vôtre,  étant  de  pousser  la  condescendance  jusqu'à  ses 
dernières  limites,  autant  qu'il  dépend  de  nous. 

Quand  vous  am'ez  reçu  le  livre  du  capucin,  intitulé  :  Via  pacis, 
que  M.  Leibniz  veut  bien  vous  envoyer  pour  moi,  je  vous  prie  de 
m'en  donner  avis. 

La  pièce  de  M.  Leibniz  est  en  substance  dans  Raynaldus  ;  et  si 
je  m'en  souviens  bien,  dans  les  Conciles  du  Père  Labbe.  Mais  je 
ne  l'avois  pas  vue  si  entière  qu'il  vous  l'envoie  ;  et  il  seroit  cu- 
rieux pour  l'histoire  de  savoir  d'où  elle  est  prise  [a]  :  du  reste  eUe 
est  conforme  à  tout  ce  qu'on  a  déjà.  Elle  pourroit  être  aussi  dans 
Cocchlœus,  que  je  n'ai  point  ici.  J'attends,  Monsieur,  une  réponse. 
Vous  ne  parlez  point  si  vous  serez  du  voyage.  J'aurois  bien  de 

(a)  Elle  est  mot  à  mot,  comme  je  l'ai  remarqué;  dans  Goldast.  Voyez  ma 
première  note  sur  cette  pièce.  (Edit.de  Leroi.) 


160  LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

la  joie  de  vous  embrasser  à  Chantilly,  où  je  me  rendrai,  s'il  plaît 

à  Dieu. 

J.  Bénigne,  Ev.  de  Meaux. 


LETTRE    XY. 

P  E  L  1  s  s  0  N   A    B  0  S  S  U  E  T. 
A  Paris,  ce  19  juiii  1G92. 

Je  dois  réponse ,  Monseigneur,  à  la  dernière  de  vos  lettres  ; 
mais  il  n'y  avoit  rien  de  pressé,  et  j'attendois  votre  écrit.  Il  est 
venu  ces  jours  passés ,  et  m'a  trouvé  embarrassé  de  beaucoup 
d'alfaires  pour  autrui ,  que  je  ne  pouvois  interrompre  :  de  sorte 
que  j'ai  failli  à  vous  le  renvoyer  sans  le  voir,  de  peur  de  vous  le 
faire  trop  attendre;  sachant  bien  que  c'est  un  homieur  et  un 
plaisir  que  a  ous  avez  voulu  me  faire ,  mais  dont  vous  n'aviez 
aucun  besoin,  ni  ne  pouviez  tirer  aucun  avantiige.  Cependant  j'ai 
mieux  aimé  prendre  le  parti  de  le  voir  à  diverses  reprises,  et  de 
vous  en  renvoyer  la  moitié ,  et  avec  fort  peu  de  remarques  et 
assez  inutiles.  Votre  ecclésiastique  m'ayant  dit  qu'il  pouvoit  s'en  re- 
tourner vendredi,  qui  est  demain,  je  verrai  le  reste  incessamment, 
et  en  ferai  un  autre  paquet  ou  rouleau  cacheté,  que  j'enverrai  à 
votre  hôtel.  Toute  cette  première  partie  m'a  semblé  très- bien 
entendue  et  très-propre  à  faire  un  bon  effet,  nonobstant  les  grandes 
difficultés  du  dessein,  que  vous  remarquez  vous-même,  mais  qui 
ne  doivent  pas  nous  faire  perdre  courage. 

Je  suis  bien  aise  que  vous  ayez  trouvé  bon  et  utile  le  livre 
du  Capucm.  Il  faut  vous  dire.  Monseigneur,  qu'mi  gentil- 
homme suédois,  nommé  Micander,  homme  de  quelque  littéra- 
ture, mais  que  je  ne  connoissois  pas,  ayant  lu  le  livre  de  la  To- 
lérance des  Religions  [a],  \\xii  céans  avec  un  religieux  de  l'ab- 
baye, qui  y  laissa  un  billet  et  un  écrit  latin  qu'il  me  prioit  de 
voir,  parce  (jue  le  gentilhonnne  partoit  dans  trois  jours  pour 
l'Angleterre.  L'écrit  étoit  un  projet  d'accommodement  :  le  titre 
portoit  qu'il  étoit  fait  par  im  évèque  catholique  ;  mais  il  se  trouva 

(a)  Pelisson  est  auteur  de  ce  livre  (  Edit.  de  Leroi.  ] 


LEIBNIZ  A  PELISSON,  3  JUILLET  1692.  i6i 

que  récriture  étoit  très-mauvaise;,  pleine  d'abréviations,  et  telle 
enfin  que  je  me  fis  beaucoup  de  mal  aux  yeux  et  à  la  tête  pour 
en  avoir  voulu  déchiffrer  quatre  ou  cinq  pages.  Le  Suédois 
vint  me  dire  adieu  en  partant  ;  je  le  lui  rendis  :  il  me  promit 
de  m'en  envoyer  copie  de  HoUande  où  il  doit  passer.  Il  me  dit 
que  l'auteur  étoit  l'évêque  de  Neustadt.  Je  ne  sais  si  vous  n'a- 
vez point  vu  cela  autrefois.  L'écrit  commençoit  par  l'exemple  de 
la  défense  du  sang  et  des  choses  étouffées,  que  les  apôtres  ont 
autorisée  pour  un  temps,  encore  qu'ils  ne  la  crussent  pas  bonne , 
et  le  reste  de  ce  que  j'ai  vu  ,  avoit  aussi  beaucoup  de  rapport  à 
l'écrit  de  l'abbé  Molanus. 

J'écrirai  à  M.  de  Leibniz  au  premier  moment  de  loisir  que  je 
trouverai  ;  car  je  lui  dois  une  réponse.  Je  lui  demanderai  d'où 
il  a  pris  ce  qu'il  vous  a  envoyé  du  concile  de  Bâle.  Il  m'en  a  fait 
un  grand  article  à  moi-même  ;  mais  vous  y  avez  si  bien  et  si 
parfaitement  répondu,  que  je  le  renverrai  simplement  à  votre 
écrit.  Je  vous  rends,  Monseigneur,  mille  très-humbles  grâces  de 
toutes  vos  bontés,  et  suis  toujours  à  vous  avec  tout  le  respect 

possible. 

Pelisson-Fontanier. 

LETTRE    XVL 

LEIBNIZ    A    PELISSON. 

(extrait.) 
Ce  3  juillet  1692. 

Nous  avons  appris  que  les  Réflexions  de  M.  l'évêque  de  Meaux 
sont  achevées  ;  et  nous  espérons.  Monsieur,  que  vous  nous  com- 
muniquerez vos  propres  pensées  sur  le  même  sujet,  et  que  vous 
nous  direz  surtout  votre  sentiment  sur  la  condescendance  du 
concile  de  Bàle  envers  les  calixtins,  qui  lui  a  fait  suspendre  à  leur 
égard  les  décrets  du  concile  de  Constance,  contre  ceux  (jui  soute- 
noient  que  les  deux  espèces  étoient  ex  pi^œcepto;  ce  qui  paroît 
être  in  terminis  le  cas  que  nous  traitons ,  et  non  une  simple  con- 
cession de  l'usage  des  deux  espèces,  sur  laquelle  il  ne  peut  y 
avoir  de  difficultés. 

TOAi.  xvni.  11 


162  LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

Nous  nous  attendons  qu'on  viendra  à  l'essentiel  de  la  question  ; 
savoir,  si  ceux  qui  sont  prêts  à  se  soumettre  à  la  décision  de  l'E- 
glise, mais  qui  ont  des  raisons  de  ne  pas  reconnoître  un  certain 
concile  pour  légitime,  sont  véritablement  hérétiques;  et  si  une 
telle  question  n'étant  que  de  fait,  les  choses  ne  sont  pas  à  leur 
égard  in  foro  poli,  et  lorsqu'il  s'agit  de  l'afTaire  de  l'Eglise  et  du 
salut ,  comme  si  la  décision  n'avoit  pas  été  faite ,  puisqu'ils  ne 
sont  pas  opiniâtres.  La  condescendance  du  concile  de  Bàle  semble 
appuyée  sur  ce  fondement. 

LETTRE  XVII. 

.  LEIBNIZ    A   MADAME  DE  BRINON. 

(extrait.) 

3  juiUet  1692. 

Je  voudrois,  dans  les  matières  importantes,  un  raisonnement 
tout  sec,  sans  agrément ,  sans  beautés,  semblable  à  celui  dont  les 
gens  qui  tiennent  des  livres  de  compte  ou  les  arpenteurs  se 
servent  à  l'égard  des  nombres  et  des  lignes.  Tout  est  admirable 
dans  M.  de  Meaux  et  M.  Pelisson  :  la  beauté  et  la  force  de  leiuS 
expressions ,  aussi  bien  que  lem's  pensées,  me  charment  jusqu'à 
me  lier  l'entendement.  Mais  quand  je  me  mets  à  examiner  leurs 
raisons  en  logicien  et  en  calculateur,  elles  s'évanouissent  de  mes 
mains  ;  et  quoiqu'elles  paroissent  solides,  je  trouve  alors  qu'elles 
ne  concluent  pas  tout  à  fait  tout  ce  qu'on  en  veut  tirer.  Plût  à 
Dieu  qu'ils  pussent  se  dispenser  d'épouser  tous  les  sentimens  de 
parti.  On  a  souvent  décidé  des  questions  non  nécessaires.  Si  ces 
décisions  se  pouvoient  sauver  par  des  interprétations  modérées, 
tout  iroit  bien.  On  ne  pourra  du  moins,  ce  semble,  guérir  les  dé- 
fiances des  protestans  que  par  la  suspension  de  certaines  déci- 
sions. Mais  la  question  est ,  si  l'Eglise  en  pourra  venir  là  sans 
faire  tort  à  ses  droits.  J'ai  trouvé  un  exemple  formel,  où  l'Eglise 
l'a  pratiqué  ;  sur  quoi  nous  attendons  le  sentiment  de  M.  de  Meaux 
et  de  M.  Pelisson,  et  surtout  le  reste  de  l'écrit  de  M.  Molanus. 

JN'ous  espérons  que  tant  nos  écrits  que  les  censures  seront  mé- 


LEIBNIZ  A  BOSSUET,  JUILLET  1692.  163 

nagées  et  tenues  secrètes ,  hors  à  des  personnes  nécessaires.  Pu- 
blier ces  choses  sans  sujet ,  c'est  en  empêcher  l'efTet.  C'est  pour- 
quoi madame  la  duchesse  a  été  surprise  de  voir  par  la  lettre  de 
madame  sa  sœm^  { l'abbesse  de  Maubuisson  ],  qu'on  pensoit  à  les 
imprimer.  Peut-être  y  a-t-il  du  malentendu  [a).  En  tout  cas^  je 
vous  supplie,  Madame,  de  faire  connoître  l'importance  du  secret, 
afui  que  ni  M.  l'évèque  de  Neustadt  ni  M.  Molanus  n'aient  sujet 
de  se  plaindre  de  moi. 

LETTRE  XVIII. 

MADAME    DE    BRINON    A   BOSSUET. 
Juillet  1692. 

Yoilà,  Monseigneur,  une  lettre  que  j'ai  reçue  de  M.  Leibniz 
depuis  deux  heures  ;  je  l'envoie  aussitôt  à  notre  cher  ami  M.  Pe- 
lisson,  pour  vous  la  faire  tenu*.  Je  crois  qu'il  est  bon  que  vous 
lisiez  la  lettre  qu'il  m'écrit ,  dont  je  tire  un  bon  et  un  mauvais 
augure ,  selon  qu'il  est  plus  ou  moins  sincère.  C'est  un  homme 
dont  l'esprit  naturel  combat  contre  les  vérités  surnaturelles,  et 
qui  attribue  à  l'éloquence  les  traces  que  la  vérité  fait  dans  son 
esprit  ;  mais  quand  la  grâce  voudra  bien  venir  au  secours  de  ses 
doutes,  j'espère.  Monseigneur,  qu'il  sera  moins  vacillant.  Je 
mande  à  M.  Pelisson  la  route  que  je  voudrois  bien  que  put 
prendre  votre  réponse  à  M.  Molanus.  J'espère  que  Votre  Grandem' 
nous  l'aura  fait  traduire,  et  c'est  cette  traduction  qui  a  fait  l'équi- 
vorpie  dont  M.  Leibniz  se  plaint.  Je  suis  persuadée  Monseigneur, 
que  plus  cette  affaire  se  rend  difficile,  et  plus  votre  courage  aug- 
mente pour  la  soutenir.  C'est  une  œuvre  qui  doit  être  traversée  : 
mais  avec  tout  cela  j'espère  qu'elle  réussira,  et  que  Dieu  bénira 
votre  zèle  et  celui  de  M.  Pelisson ,  qui  est  capable  de  faire  mi 
miracle,  s'il  est  joint  à  la  foi  qui  est  nécessaire  pour  son  accom- 
plissement. Je  vous  demande,  Monseigneur,  votre  bénédiction  et 

(a)  M.  de  M  eaux  ayant  promis  de  traduii-e  en  francois  ses  Ué flexions  com- 
posées en  latin  pour  les  théologiens  d'Hanovre,  comme  il  fit  en  effet  en  faveur 
de  madame  la  <luchesse  de  Hanovre,  cela  fit  croire  que  c'étoit  pour  les  im- 
pi'imer,  ce  qu'il  u'avoit  pas  dessein  de  faire  et  ce  qu'Q  no  fit  pas  non  plus. 
(  Edit.  de  Leroi.) 


164  LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE, 
la  participation  que  vous  m'avez  promise  en  vos  prières  et  en 
vos  bonnes  grâces.  De  ma  part,  je  prie  Dieu  qu'il  vous  conserve, 

et  qu'il  vous  sanctifie  de  plus  en  plus. 

Sœnr  de  Brinon. 


LETTRE  XIX. 

LEIBNIZ  A  BOSSLET. 
A    Hanovre,  ce    13    juillet    1692. 

Monseigneur, 
Je  suis  bien  aise  que  le  livre  du  révérend  Père  Denis,  gardien 
des  capucins  de  Hildesbeim,  ne  vous  a  point  déplu.  Ce  Père  est 
de  mes  amis,  et  il  étoit  autrefois  à  Hanovre  dans  l'hospice  que 
les  capucins  avoient  ici  du  temps  de  feu  Monseigneur  le  duc  Jean- 
Frédéric.  Il  se  contente  de  faire  voir  que  les  bons  sentimens  ont 
été  en  vogue  depuis  longtemps  dans  son  parti,  sans  en  tirer  au- 
cune fâcheuse  conséquence  contre  la  Réforme ,  comme  il  semble 
que  vous  faites,  Monseigneur,  dans  la  lettre  que  vous  me  faites 
l'hoimeur  de  m'écrire.  Les  protestans  raisonnables ,  bien  loin  de 
se  fâcher  d'un  tel  ouvrage,  en  sont  réjouis  ;  et  rien  ne  leur  sauroit 
être  plus  agréable ,  que  de  voir  tpie  les  sentimens  qu'ils  jugent 
les  meilleurs  soient  approuvés  jusque  dans  l'Eglise  romaine.  Ils 
ont  déjà  rempli  des  volumes  de  ce  (pi'ils  appellent  catalogues  des 
témoins  do  la  vérité  ;  et  ils  n'appréhendent  point  qu'on  en  infère 
l'inutilité  de  la  Réforme.  Au  contraire  rien  ne  sert  davantage  à 
leur  justification  que  les  suffrages  de  tant  de  l)ons  auteurs-,  qui 
ont  approuvé  les  sentimens  qu'ils  ont  ti'availlé  à  faire  revivre , 
lorsqu'ils  étoient  comme  étouffés  sous  les  épines  d'une  infinité  de 
bagatelles,  qui  dé  tournoient  l'esprit  des  fidèles  de  la  solide  vertu 
et  de  la  véritable  théologie. 

Erasme  et  tant  d'autres  excellens  hommes,  qui  n'aimoient  point 
Luther,  ont  reconnu  la  nécessité  qu'il  y  avoit  de  ramener  les  gens 
à  la  doctrine  de  saint  Paul;  et  ce  n'étoit  pas  la  matière,  mais  la 
forme  qui  leur  déplaisoit  dans  Luther.  Aujourd'hui  que  la  bonne 
doctrine  sur  la  justification  est  rétablie  dans  l'Eglise  romaine,  le 


LEIBNIZ  A  BOSSUET,  13  JUILLET  1692.  165 

malheur  a  voulu  cfiie  d'autres  abus  se  sont  agrandis  ;  et  que  par 
les  confraternités  et  semblables  pratiques ,  qui  ne  sont  pas  trop 
approuvées  à  Rome  même,  mais  qui  n'ont  que  trop  de  cours  dans 
l'usage  public,  le  peuple  fut  détourné  de  cette  adoration  en  esprit 
et  en  vérité,  qui  fait  l'essence  de  la  religion.  Plût  à  Dieu  que  tous 
les  diocèses  ressemblassent  à  ce  que  j'entends  dire  du  vôtre,  et  de 
quelques  autres  gouvernés  par  de  grands  et  saints  évoques  1  Mais 
les  protestans  seroient  fort  malavisés,  s'ils  se  laissoient  donner  le 
change  là-dessus.  C'est  cela  même  qui  les  doit  encourager  à  pres- 
ser davantage  la  continuation  de  ces  fruits  des  travaux  communs 
des  personnes  bien  intentionnées;  et  vous,  Monseignem*,  avec 
vos  semblables  [dont  il  seroit  à  souhaiter  qu'il  y  en  eût  beaucoup 
■à  présent,  et  qu'il  y  eût  sûreté  d'en  trouver  toujoiu"s  beaucoup 
dans  le  temps  à  venir),  vous  vous  devez  joindre  avec  eux  en  cela, 
sans  entrer  dans  la  dispute  sur  la  pointillé  ;  savoir,  à  qui  on  en  est 
redevable,  si  les  protestans  y  ont  contribué,  ou  si  on  savoit  déjà 
les  choses  avant  eux.  Ces  questions  sont  bonnes  pour  ceux  qui 
cherchent  plutôt  leiu*  honneur  que  celui  de  Dieu,  et  qui  font  entrer 
partout  l'esprit  de  secte  ou,  ce  qui  est  la  même  chose,  de  l'autorité 
et  gloire  humaine. 

Je  suis  ravi  d'apprendre  que  vos  Réflexions  sur  l'écrit  de 
M.  l'abbé  de  Lokkum  sont  achevées.  Nous  vous  supplions  d'y 
joindre  votre  sentiment  sur  l'exemple  du  pape  Eugène  et  du  con- 
cile de  Bâle,  qui  jugèrent  que  les  décrets  du  concile  de  Constance 
ne  les  dévoient  point  empêcher  de  recevoir  à  la  communion  de 
l'Eglise  les  calixtins  de  Bohême,  qui  ne  pouvoient  pas  acquiescer 
à  ces  décrets  sur  la  question  du  précepte  des  deux  espèces.  Cet 
exemple  m'étant  venu  heureusement  dans  l'esprit,  je  m'étois  hâté 
de  vous  l'envoyer,  parce  que  c'est  notre  cas  in  terminis  ;  et  je 
croyois  qu'il  pourroit  diminuer  la  répugnance  que  vous  pourriez 
avoir  contre  la  suspension  des  décrets  d'un  concile  où  les  protes- 
tans trouvent  encore  plus  à  dire  que  les  calixtins  contre  celui  de 
Constance.  jNIais  nous  nous  assurons  surtout  que  vous  aurez  la 
bonté  de  ménager  ces  écrits-là,  afm  qu'ils  ne  passent  point  en 
d'autres  mains.  C'est  la  prière  que  je  vous  ai  faite  d'abord,  et  vous 
y  aviez  acquiescé.  Il  ne  s'agit  pas  ici  de  disputer  et  de  faire  des 


106  LETTRES  SUR  LA  REUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

livres  ;  mais  d'apprendre  les  sentimens ,  et  ce  que  chacun  juge 
pouvoir  faire  de  part  et  d'autre.  En  user  autrement,  ce  seroit 
gâter  la  chose,,  au  lieu  de  l'avancer.  Madame  la  duchesse  de  Zell 
a  lu  particulièrement  votre  Histoire  des  Variations.  Je  n'ai  pas 
encore  eu  Thonneur  de  la  voir  depuis  qu'elle  m"a  renvoyé  cet 
ouvrage;  mais  je  sais  déjà  qu'elle  estime  beaucoup  tout  ce  qui 
vient  de  votre  part. 

Vous  avez  sans  doute  la  plus  grande  raison  du  monde  d'avoir 
du  penchant  pour  cette  philosophie,  qui  explique  mécaniquement 
tout  ce  qui  se  fait  dans  la  nature  corporelle;  et  je  ne  crois  pas 
qu'il  y  ait  rien  où  je  m'éloigne  beaucoup  de  vos  sentimens.  Bien 
souvent  je  trouve  qu'on  a  raison  de  tous  côtés,  quand  on  s'en- 
tend; et  je  n'aime  pas  tant  à  réfuter  et  à  détruire  qu'à  découvrir 
quelque  chose  et  à  bâtir  sur  les  fondemens  déjà  posés.  Néanmoins 
s'il  y  avoit  quelque  chose  en  particulier  que  vous  n'approuviez 
pas,  je  m'en  défierois  assurément,  (>t  j'implorerois  le  secours  de 
vos  lumières ,  qui  ont  autant  de  pénétration  que  d'étendue.  Un 
seul  mot  de  votre  part  peut  donner  autant  d'ouvertm'es  que  les 
grands  discours  de  quelque  autre.  Je  suis  entièrement,  3Ionsei- 
gneur,  votre  très-humble  et  très-obéissant  serviteur, 

Leibniz. 
LETTRE  XX. 

B03SUKT  A    LHIlîMZ. 

A   Versailles,  ce  27  juillet   IG92. 

Monsieur, 

Après  vous  avoir  marqué  la  réception  de  votre  lettre  du  13,  je 
commencerai  par  vous  dire  qu'on  n'a  pas  seulement  songé  à  im- 
primer ni  l'Ecrit  de  M.  l'abbé  Molanus  ni  mes  Réflexions.  Tout 
cela  n'a  passé  ni  ne  passera  en  d'autres  mains  qu'en  celles  que  vous 
avez  choisies  vous-même  pour  nous  servir  de  canal,  qui  sont  celles 
de  madame  de  Brinon,  Tout  a  été  communiqué  selon  le  projet  à 
M.  Pelisson  seul  :  et  madame  de  Brinon  m'écrit  qu'on  vous  a  bien 
mandé  que  je  traduisois  lès  écrits  latins  pour  les  deux  princesses  ; 


BOSSUET  A  LEIBNIZ,  27  JUILLET  1G92.  167 

mais  non  pas  qu'on  eût  parlé  d'impression.  Nous  regardons  ces 
écrits  de  même  œil  que  vous,  non  pas  comme  des  pièces  qui  doi- 
vent paroître,  mais  comme  une  recherche  particulière  de  ce  qu'on 
peut  faire  de  part  et  d'autre,  et  juscpi'où  il  est  permis  de  se  relâ- 
cher sans  blesser  ni  affoiblir  en  aucune  sorte  les  droits  de  l'Eglise 
et  les  fondemens  sur  lesquels  se  repose  la  foi  des  peuples.  Je  trai- 
terai cette  matière  avec  toute  la  simplicité  possible;  et  j'exami- 
nerai en  particulier  ce  qiie  vous  avez  proposé  des  conciles  de 
Constance  et  de  Bàle,  avec  toute  l'attention  que  vous  souhaitez, 
sans  me  fonder  sur  aucune  autre  chose  que  sur  les  Actes.  On 
achève  d'écrire  mes  Réflexions  :  si  vous  prenez  la  peine  de  con- 
sidérer tout  ce  qui  a  retardé  cet  ouvrage,  j'espère  que  vous  me 
pardonnerez  le  délai. 

Ce  que  j'ai  remarqué,  Monsiem-,  sm^  l'Ecrit  du  Père  Denis,  est 
bien  éloigné  de  la  pointillé  de  savoir  à  qui  est  dû  l'honneur  des 
éclaircissemens  qu'on  a  apportés  à  la  matière  de  la  justification  ; 
mais  voici  uniquement  où  cela  va  :  si  la  doctrine  qui  a  domié  le 
sujet  premièrement  aux  reproches,  et  ensuite  à  la  rupture  de 
Luther,  a  toujours  été  enseignée  d'une  manière  orthodoxe  dans 
l'Eglise  romaine,  et  si  l'on  ne  peut  montrer  qu'elle  y  ait  jamais 
dérogé  par  aucmi  acte  ;  donc  tout  ce  qu'on  a  dit  et  fait  pour  la 
rendre  odieuse  au  peuple,  venoit  d'une  mauvaise  volonté  et  tendoit 
au  schisme.  Les  confréries  que  vous  alléguez,  premièrement  n'ont 
rien  cpii  soit  contraire  à  la  véritable  doctrine  de  la  justification;  et 
d'ailleurs  il  est  inutile  de  les  alléguer  comme  une  matière  de  rup- 
ture, puisqu'après  tout  personne  n'est  obligé  d'en  être.  Au  reste 
avec  le  principe  que  vous  posez ,  que  dans  les  siècles  passés  on  a 
fait  beaucoup  de  décisions  inutiles ,  on  iroit  loin  ;  et  vous  voyez 
qu'en  venant  à  la  question  :  Quand  est-ce  qu'on  a  commencé  à 
faire  de  ces  décisions?  il  n'y  a  rien  qu'on  ne  fasse  repasser  par 
l'étamine  :  de  sorte  qu'avec  cette  ouverture,  on  ne  trouvera  point 
de  décision  dont  on  ne  puisse  éluder  l'autorité,  et  qu'il  ne  restera 
plus  de  l'infaillibihté  de  l'Eglise  que  le  nom.  Ainsi  ceux  qui 
comme  vous,  Monsieur,  font  profession  de  la  croire  et  de  se  sou- 
mettre à  ses  conciles,  doivent  croire  très- certainement  que  le 
même  Esprit  qui  l'empêche  de  diminuer  la  foi ,  l'empêche  aussi 


168    LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

d'y  rien  ajouter;  ce  qui  fait  qu'il  n'y  a  non  plus  de  décisions  inu- 
tiles que  de  fausses. 

Je  ne  réponds  rien  sur  ce  que  vous  voulez  bien  penser  de  mon 
diocèse.  C'est  autre  chose  de  corriger  les  abus  autant  qu'on  le 
peut,  autre  chose  d'apporter  du  changement  à  la  doctrine  con- 
stamment et  unanimement  reçue.  Les  gens  de  bien  qui  aiment  la 
paix  auroient  pu  se  joindre  à  vos  réformateurs,  s'ils  s'en  étoient 
tenus  au  premier  :  mais  le  second  étoit  trop  incompatible  avec  la 
foi  des  promesses  faites  à  l'Eghse  ;  et  s'y  joindre,  c'étoit  rendre 
tout  indécis,  comme  l'expérience  ne  l'a  que  trop  fait  connoître.  Il 
faut  donc  chercher  une  réunion  qui  laisse  en  son  entier  ce  grand 
principe  de  l'infaillibilité  de  l'Eglise,  dont  vous  convenez;  et 
l'Ecrit  de  M.  l'abbé  Molanus  donne  un  grand  jour  à  ce  dessein. 
Vous  y  contribuez  beaucoup  par  vos  lumières,  et  j'espère  que 
dans  la  suite  vous  ferez  encore  plus. 

Il  n'est  encore  rien  venu  à  moi  de  votre  philosophie.  Je  vous 
rends  mille  grâces  de  toutes  vos  bontés,  et  je  finis  en  vous  assu- 
rant de  l'estime  avec  laquelle  je  suis,  Monsieur,  votre  très-hum- 
ble serviteur, 

J.  Bénigne,  év.  de  Mcaux. 

LETTRE  XXL 

BOSSUET   A    LEIBNIZ. 
A  Versailles,  26  août  1692. 

Monsieur, 

Je  ne  veux  pas  laisser  partir  mon  écrit  sans  l'accompagner  des 
marques  de  mon  estime  envers  vous  et  M.  l'abbé  ]\ïolanus.  J'es- 
père que  Dieu  bénira  vos  bonnes  intentions,  auxquelles  je  me 
suis  conformé  autant  que  j'ai  pu.  Il  ne  faudra  pas.  Monsieur,  se 
rebuter  quand  on  ne  s'entendroit  pas  d'abord  en  quelques  points. 
C'est  ici  un  ouvrage  de  réflexion  et  de  patience,  et  déjà  il  est  bien 
certain  que  suivant  les  sentimens  de  M.  l'ablîé ,  l'affaire  est  plus 
qu'à  demi  faite.  Au  reste  vous  ne  direz  pas,  à  cette  fois,  que  l'élo- 
quence surprenne  l'esprit  ou  enveloppe  les  choses.  Le  style. 


BOSSUET  A  LEIBNIZ,  28  AOUT  1692.  109 

comme  l'ordre,  est  tout  scholastiqiie.  Il  a  fallu  à  la  fm  lâcher  des 
mots  que  j'avois  évités  dans  tout  le  reste  du  discours,  parce  qu'on 
n'auroit  pas  satisfait  à  vos  questions  sans  cela.  La  charité  et  l'es- 
time n'en  sont  pas  .moins  dans  le  cœur,  et  je  suis  avec  passion. 

Votre  très-humble  serviteur. 

Bénigne,  év.  de  Meaux. 

LETTRE  XXn. 

BOSSUET    A    LEIBNIZ. 

Versailles,  ce  28  août  1C92. 

Monsieur, 

J'accompagne  encore  de  cette  lettre  la  version  que  je  vous  en- 
voie de  l'Ecrit  de  M.  l'abbé  Molanus  et  du  mien  [a).  Ce  qui  m'a 
déterminé  à  la  faire,  c'est  le  désir  (|ue  j'ai  eu  que  xMadame  la  du- 
chesse d'Hanovre  put  entrer  dans  nos  projets.  Je  demande  pardon 
à  M.  l'abbé  Molanus  de  la  liberté  que  j'ai  prise  d'abréger  un  peu 
son  Ecrit.  Pour  mes  Réflexions,  il  m'a  été  d'autant  plus  libre  de 
leur  donner  un  tour  plus  court,  que  par  là  loin  de  rien  ôter  du 
fond  des  choses,  il  me  paroît  au  contraire  que  j'ai  rendu  mon 
dessein  plus  clair. 

Je  me  suis  cru  obligé,  dans  l'Ecrit  latin,  de  suivre  une  méthode 
scolastique,  et  de  répondre  pied  à  pied  à  tout  l'Ecrit  de  M.  l'abbé, 
pom'  y  remarquer  ce  qui  m'y  paroissoit  praticable  ou  impratica- 
ble. Il  a  fallu  après  cela  en  venir  à  dire  mon  sentiment  ;  mais  tout 
cela  est  tourné  plus  court  dans  l'Ecrit  françois  et  j'espère  que  ceux 
qui  auront  lu  le  latin  ne  perdront  pas  tout  à  fait  leur  temps  à  y 
jeter  l'œil. 

YoUà,  Monsieur,  ce  que  j'ai  pu  faire  pour  entrer  dans  les  des- 
seins d'union  :  mais  je  ne  puis  vous  dissimider  qu'un  des  plus 
grands  ol)stacles  que  j'y  vois  est  dans  l'idée  qui  paroît  dans  plu- 
sieurs protestans,  sous  le  beau  prétexte  de  la  simplicité  de  la  doc- 

(a)  11  s'agit  de  la  version  des  Cogitationes  privnfœ  de  Molanus ,  et  des  Ré- 
flexioni  de  Bossuet  sur  cet  écrit.  Voir  vol.  XVII,  p.  394. 


170  LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

trine  chrétienne,  d^en  vouloir  retrancher  tous  les  mystères,  qu'ils 
nomment  subtils,  abstraits  et  métaphysiques,  et  réduire  la  reli- 
gion à  des  vérités  populaires.  Yous  voyez  où  nous  mènent  ces 
idées;  et  j'ai  deux  choses  à  y  opposer  du  côté  du  fond  :  la  pre- 
mière, que  FEvangile  est  visiblement  rempli  de  ces  hauteurs,  et 
que  la  simplicité  de  la  doctrine  chrétienne  ne  consiste  pas  à  les 
rejeter  ou  à  les  affoiblir,  mais  seulement  à  se  renfermer  précisé- 
ment dans  ce  qui  en  est  révélé,  sans  vouloir  aller  plus  avant  et 
aussi  sans  demeurer  en  arrière  ;  la  seconde ,  que  la  ^'^éritable 
simplicité  de  la  doctrine  clu'étienne  consiste  principalement 
et  essentiellement  à  toujours  se  déterminer,  en  ce  qui  regarde 
la  foi,  par  ce  fait  certain  :  Hier  on  croyoit  ainsi  ;  donc  encore  au- 
jourd'hui il  faut  croire  de  même. 

Si  l'on  parcourt  toutes  les  questions  qui  se  sont  élevées  dans 
l'Eglise,  on  verra  qu'on  les  y  a  toujours  décidées  par  cet  endroit- 
là  :  non  qu'on  ne  soit  quelquefois  entré  dans  la  discussion  pour 
une  plus  pleine  déclaration  diî  la  vérité,  et  une  plus  entière  con- 
viction de  l'erreur;  mais  enfin  on  trouvera  toujours  que  la  raison 
essentielle  de  la  décision  a  été  :  On  croyoit  ainsi  (piand  vous  êtes 
veims  ;  donc  à  présent  vous  croirez  de  môme,  ou  vous  demeurerez 
séparés  de  la  tige  de  la  société  chrétienne.  C'est  ce  qui  réduit  les 
décisions  à  la  chose  du  monde  la  plus  simple  ;  c'est-à-dire  au  fait 
constant  et  notoire  de  l'iimovation,  par  rapport  à  l'état  où  l'on 
avoit  trouvé  les  choses  en  innovant. 

C'est  ce  qui  fait  que  l'Eglise  n  a  jamais  été  embarrassée  à  ré- 
soudre les  plus  hautes  questions,  par  exemple  celles  de  la  Trinité, 
de  la  grâce,  et  ainsi  du  reste,  parce  que  lorsqu'on  a  commencé  à 
les  émouvoir,  elle  en  trouvoit  la  décision  déjà  constante  dans  la 
foi,  dans  les  prières,  dans  le  culte,  dans  la  pratique  unanime  de 
toute  l'Eglise.  Cette  méthode  subsiste  encore  dans  l'Eglise  catho- 
lique :  c'est  donc  eUe  qui  est  demeurée  en  possession  de  la  vérita- 
ble simplicité,  chrétienne.  Ceux  qui  n'y  peuvent  entrer  sont  bien 
loin  du  royaume  de  Dieu,  et  doivent  craindre  d'en  venir  enfin  à 
la  fausse  simplicité,  qui  voudroit  qu'on  laissât  la  foi  des  hauts 
mystères  à  la  liberté  d'un  chacun. 

Au  reste  les  luthériens,  quoiqu'ils  se  vantent  d'avoir  ramené 


LEIBNIZ  A  BOSSUET,  1"  NOVEMBRE   1G92.  171 

ks  dogmes  des  chrétiens  à  la  simplicité  primitive  de  rEvangile, 
s'en  sont  visiblement  éloignés;  et  c'est  de  là  que  sont  venus  leurs 
raffinemens  sur  l'ubiquité,  sur  la  nécessité  des  bonnes  œuvres, 
sur  la  distinction  de  la  justification  d'avec  la  sanctification,  et  sur 
les  autres  articles  où  nous  avons  vu  que  tout  consiste  en  pointillé, 
et  qu'ils  en  sont  revenus  à  nos  expressions  et  à  nos  sentimens, 
lorsqu'ils  ont  voulu  parler  naturellement. 

Je  prends ,  Monsieur,  la  liberté  de  vous  dire  ces  choses  en  gé- 
néral ,  comme  à  un  homme  que  son  bon  esprit  fera  aisément 
entrer  dans  le  détail  nécessaire  ;  et  je  finirai  cette  lettre  en  vous 
avançant  deux  faits  constans  :  le  premier,  qu'on  ne  trouvera  dans 
l'Eglise  catholique  aucmi  exemple  où  une  décision  ait  été  faite 
autrement  qu'en  maintenant  le  dogme  qu'on  trouvoit  déjà  établi  ; 
le  second,  qu'on  n'en  trouvera  non  plus  aucun  où  une  décision  déjà 
faite  ait  jamais  été  affoiblie  par  la  postérité. 

Il  ne  me  reste  qu'à  vous  supplier  de  vouloir  bien  avertir  vos 
grandes  princesses,  si  elles  jettent  les  yeux  sm^  mes  Réflexions, 
qu'il  faudra  qu'elles  se  résolvent  à  me  pardonner  la  sécheresse  à 
laquelle  il  a  fallu  se  réduire  dans  cette  manière  de  traiter  les 
choses.  Yous  en  savez  les  raisons ,  et  sans  perdre  le  temps  à 
m'en  excuser,  je  vous  dirai  seulement  toute  l'estime  avec  la- 
quelle je  suis,  ]\Ionsieur,  votre  très-humble  servitem*, 

J.  Bénigne,  év.  de  Meaux. 
LETTRE    XXIII. 

LEIBNIZ  A  BOSSUET. 
A  Hanovre  ,  ce   l^r   noveniljre    1692. 

Monseigneur, 

J'ai  eu  enfin  le  bonheur  de  recevoir  des  mains  de  M.  le  comte 
Balati ,  vos  Réflexions  importantes  sur  l'Ecrit  de  M.  l'abbé  jMola- 
nus,  avec  ce  que  vous  m'avez  fait  la  grâce  de  m'écrire  en  particu- 
lier. Ce  n'est  que  depuis  quelques  jours  que  nous  avons  reçu  tout 
cela  ;  je  le  donnai  d'abord  à  M.  Molanus  ;  et  nous  le  parcourûmes 


172  LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE, 
ensemble  sur-le-champ  avec  cette  avidité  que  l'auteur,  la  matière 
et  notre  attente  a  voient  fait  naître.  Cependant  nous  reconnûmes 
fort  bien  que  des  méditations  aussi  profondes  et  aussi  solides  que 
les  vôtres,  doivent  être  lues  et  relues  avec  beaucoup  d'attention  ; 
c'est  à  quoi  nous  ne  manquerons  pas  aussi .  Madame  la  duchesse 
encore  aura  cette  satisfaction ,  et  Monseigneur  le  duc  lui-même 
en  voudra  être  informé.  C'est  déjà  beaucoup  qu'il  paroît  que  vous 
approuvez  assez  la  conciliation  de  tant  d'articles  importans,  et 
M.  Molanus  en  est  ravi.  Nous  ne  doutons  point  que  votre  dessein 
ne  soit  de  donner  encore  des  ouvertm^es  convenables,  surtout  à 
l'égard  des  points  où  les  conciliations  n'ont  point  de  lieu,  et  dont 
nous  ne  saurions  encore  nous  persuader  ffu'ils  aient  été  décidés 
par  l'Eglise  catholique.  Nous  tâcherons  d'apprendre  ces  ouver- 
tures en  méditant  votre  écrit;  et  s'il  en  est  besoin,  j'espère  que 
vous  nous  permettrez  de  demander  des  éclaircissemens. 

Je  toucherai  maintenant  ce  que  vous  m'écrivez,  Monseigneur, 
sur  quelques  points  de  mes  lettres,  où  je  ne  me  suis  pas  assez  ex- 
pliqué. Quand  j'y  parfois  des  décisions  superflues  ,  je  n'entendois 
pas  celles  de  l'Eglise  et  des  conciles  œcuménif[ues,  mais  bien  celles 
de  quelques  conciles  particuliers,  ou  des  papes,  ou  des  docteurs. 
Je  n'avois  allégué  les  confréries ,  entre  autres ,  que  parce  qu'il 
semble  que  des  abus  s'y  praticpient  publiquement  ;  à  quoi  il  est 
bon  de  remédier,  pour  montrer  qu'on  a  des  intentions  sincères. 

Quant  à  l'obstacle  que  vous  craignez,  ^Monseigneur,  de  la  part 
de  plusieurs  protestans ,  dont  vous  croyez  que  le  penchant  va  à 
réduire  la  foi  aux  notions  populaires  et  à  retrancher  les  mystères, 
je  vous  dirai  que  nous  ne  remarquons  pas  ce  penchant  dans  nos 
professeurs  :  ils  en  sont  bien  éloignés  ,  et  ils  donnent  plutôt  dans 
l'excès  contraire  des  subtilités ,  aussi  bien  que  vos  scolastiques. 
Il  y  a  bien  à  dire  à  ceci  :  «  Hier  on  croyoit  ainsi  ;  donc  aujoiu"- 
d'hui  il  faut  croire  de  même.  »  Car  que  dirons-nous,  s'il  se  trouve 
qu'on  en  croyoit  autrement  avant-hier?  Faut-il  toujours  canoni- 
ser les  opinions  qui  se  trouvent  les  dernières?  Notre- Seigneur 
réfuta  bien  celles  des  pharisiens  :  Olim  no7i  erat  sic.  Un  tel 
axiome  sert  à  autoriser  les  abus  dominans.  En  effet  cette  raison 
est  provisioimelle ,  mais  ellp  n'est  point  décisive.  Il  ne  faut  pas 


LEIBNIZ  A  BOSSUET,  1"  NOVEMBRE  1692.  173 

avoir  égard  seulement  à  nos  temps  et  à  notre  pays,  mais  à  toute 
l'Eglise  et  surtout  à  l'antiquité  ecclésiastique.  J'avoue  cependant 
que  ceux  qui  ne  sont  pas  en  état  d'approfondir  les  choses,  font 
bien  de  suivre  ce  qu'ils  trouvent.  Je  ne  sais  s'il  n'y  a  pas  des 
instances  contraires  à  cette  thèse ,  ([ui  suppose,  qu'on  a  toujours 
maintenu  ce  quon  trouvoit  déjà  établi  :tdiV  ce  qu'on  a  décidé 
contre  les  monothélites  paroissoit  auparavant  fort  douteux  ;  d'au- 
tant qu'on  ne  s'étoit  point  avisé  de  songer  à  cette  question  :  S'il  y 
a  une  ou  deux  volontés  en  Jésus-Christ.  Encore  aujourd'hui,  je 
gage  que  si  on  demandoit  à  des  gens  qui  ne  savent  point  l'his- 
toire ecclésiastique,  quoique  d'ailleurs  instruits  dans  les  dogmes, 
s'ils  croient  une  ou  deux  volontés  en  Jésus-Christ,  on  trouvera 
bien  des  monothélites.  Que  dirons-nous  du  second  concile  de  Ni- 
cée,  que  vos  Messieurs  veulent  faire  passer  pour  œcuménique  ? 
A-t-il  trouvé  le  culte  des  images  établi?  Il  s'en  faut  beaucoup. 
Irène  venoit  de  l'établir  par  la  force  ;  les  iconodules  et  les  icono- 
clastes prévaloient  tour  à  tour  ;  et  le  concile  de  Francfort,  qui 
tenoit  le  n^ilieu ,  s'opposa  formellement  à  celui  de  Nicée ,  de  la 
part  de  la  France,  de  F  Allemagne  et  de  la  Bretagne.  Aujourd'hui 
l'Eglise  de  France  paroît  assez  éloignée  des  sentimens  de  ses 
ancêtres  assemblés  dans  ce  concile,  lesquels  se  seroient  bien  ré- 
criés, s'ils  avoient  vu  ce  qu'on  pratique  souvent  maintenant  dans 
lem's  églises.  Je  ne  sais  si  cela  se  peut  nier  entièrement  ;  quoique 
je  ne  veuille  blâmer  que  les  abus  qui  dominent.  Je  vous  demande 
pardon,  Monseigneur,  de  la  liberté  que  je  prends  devons  dire 
ces  choses.  Je  ne  vois  pas  moyen  de  les  dissimuler,  lorsqu'il  s'a- 
git de  parler  exactement  et  sincèrement  ;  si  ces  axiomes  avancés 
dans  votre  lettre  étoient  universels  et  démontrés ,  nous  n'amions 
plus  le  mot  à  dire ,  et  nous  serions  véritablement  opiniâtres.  Je 
suis  avec  respect.  Monseigneur,  votre  très-humble  et  très-ol)éis- 

sant  serviteur, 

Leibniz. 

P.  S.  Je  crois  que  sans  la  décision  de  l'Eglise,  les  scolas- 
tiques  disputeroient  jusqu'au  jour  du  jugement,  s'il  y  a 
deux  différentes  actions  complètes  dans  la  personne  de  Jésus- 
Christ,   ou  s'il  n'y  en  a  qu'une.  Je  sais  par   expérience  que 


174  LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

des  personnes  de  ]3on  esprit  et  d'ailleurs  instruites  sur  la  foi , 
quand  on  leur  a  proposé  cette  question  :  Si  les  deux  volontés, 
savoir,  la  divine  et  l'humaine ,  exercent  ensemble  un  seul  acte , 
ou  deux,  sans  leur  rien  dire  de  ce  qui  s'est  passé  là-dessus  dans 
l'Eglise,  se  sont  trouvées  embarrassées.  Il  ne  s'agit,  dit-on,  que 
de  savoir  s'il  y  a  une  ame  humaine  en  Jésus-Christ  ;  mais  les 
monothélites  ne  le  savoient-ils  pas?  Les  facultés,  dit-on,  sont 
données  pom'  l'acte,  mais  les  adversaires  en  pouvoient  demeu- 
rer d'accord  ;  car  ils  pouvoient  dire  que  la  faculté  de  l'ame  con- 
court à  l'acte  commun  des  deux  natures. 

Plusieurs  scolastiques  ont  soutenu  qu'il  n'est  pas  vrai  que  la 
matière  ou  que  la  forme  agisse,  mais  que  l'action  appartient  au 
composé  ;  et  ils  l'ont  entendu  de  même  à  l'égard  du  corps  et  de 
l'ame,  dans  l'état  de  l'union  natm-elle. 

Les  adversaires  pouvoient  dire  aussi  qu'en  vertu  de  l'union 
personnelle,  qui  fait  que  la  nature  humaine  n'a  pas  sa  propre 
sul)sistance  qu'elle  auroit  sans  cela  natiuellement,  on  doit  juger 
que  des  actions  naturelles  de  l'ame  humaiae  n'auront  pas  en 
elles  ce  cjni  les  rend  complètes,  non  plus  que  la  nature  qui  est 
leur  principe;  et  ce  complément,  tant  du  suppôt  que  de  son 
action,  se  trouve  dans  le  Yerbc.  Et  si  les  actions  ne  se  doivent 
attribuer  in  concreto  qu'au  suppôt ,  ils  diront  que  l'action ,  qui 
s'attribue  proprement  à  une  nature  abstraite,  est  incomplète,  et 
qu'ils  n'entendent  parler  que  de  celle  qui  s'attribue  proprement 
in  concreto,  lorsqu'ils  n'en  admettent  qu'une  ;  que  sans  cela  on 
viole  l'union  des  natiu-es ,  et  qu'on  établit  le  nestorianisme  par 
conséquence  et  sans  y  penser.  Aussi  sait-on  que  les  monothé- 
lites imputoient  autant  le  nestorianisme  à  leurs  adversaires  que 
ceux-ci  leur  imputoient  l'eutychianisme.  Je  tiens  que  les  mono- 
thélites ne  raisonnoient  pas  exactement  dans  le  fond;  mais  je 
tiens  aussi  qu'ils  ne  manquoient  pas  d'apparences  très-plausibles, 
ni  même  d'autorités  qu'on  sait  qu'ils  alléguoient.  Car  il  est  ordi- 
naire qu'avant  une  question  émue  et  éclaircie,  les  auteurs  n'en 
parlent  pas  avec  toute  l'exactitude  qui  seroit  à  désirer,  témoin  le 
pélagianisme  et  autres  érreiu-s.  Il  y  a  mille  difficultés  chez  les  . 
philosophes  à  l'égard  du  concours  de  Dieu  avec  les  créatures. 


BOSSUET  A  LEIBNIZ,  27  DÉCEMBRE  1692.  175 

Quelques-uns  ont  cru  que  la  créature  n'agissoit  point  du  tout  ; 
d'autres  ont  cru  que  raction  de  Dieu  devenoit  celle  des  créatures 
par  leur  réception,  et  y  trouvoit  sa  limitation.  On  a  douté  aussi 
quelle  pouvoit  être  l'action  de  Dieu,  si  c'étoit  un  être  créé  ou  incréé, 
ou  si  ce  n'étoit  pas  l'action  même  de  la  créature,  en  tant  qu'elle 
dépend  de  Dieu  :  et  la  difficulté  devient  encore  plus  grande,  lors- 
que Dieu  concourt  avec  une  créature  qui  lui  est  unie  personnel- 
lement, et  qui  n'a  qu'en  lui  sa  subsistance  ou  son  suppôt. 

LETTRE  XXIV. 

BOSSUET    A    LEIBNIZ. 

Meaiix,  27  décembre  1G92. 

Monsieur, 

Parmi  tant  de  belles  choses  dont  M.  Pelisson  m'a  régalé  en 
m'envoyant  trois  de  vos  lettres,  j'ai  trouvé  quelques  plaintes  contre 
moi ,  qui ,  toutes  modestes  qu'elles  sont,  n'ont  pas  laissé  de  me 
faire  beaucoup  de  peine.  Mais  je  ne  puis  me  résoudre  à  me  dé- 
fendre contre  vous.  Renvoyez  à  M.  Pelisson  mon  apologie,  qu'il 
a  déjà  commencée  avec  tant  de  bonté,  et  je  vous  dirai  seulement 
que  je  suis  prêt  à  effacer  tout  ce  qui  vous  a  déplu. 

Au  lieu.  Monsieur,  de  répondre  à  ces  plaintes,  je  vous  dois  de 
grands  remercîmens  pom*  deux  lettres  que  vous  avez  pris  la 
peine  de  m'écrire.  Vous  me  donnez  une  joie  extrême  en  me  disant 
que  vous  et  M.  l'abbé  de  Lokkum  étiez  contens  de  la  première  vue 
de  mes  Réflexions.  J'espère  que  la  seconde  et  la  troisième  vous 
feront  encore  entrer  plus  avant  dans  ma  pensée.  Vous  m'appre- 
nez une  chose  qui  me  ravit  :  c'est  que  mon  écrit  sera  vu  non- 
seulement  de  vos  incomparables  princesses,  mais  encore  d'un 
prince  aussi  éclairé  et  aussi  sage  qne  le  vôtre.  Je  ne  connois 
personne  plus  capable  que  ce  grand  prince  d'entrer  dans  un 
dessein  comme  celui-ci  ni  de  l'appuyer  davantage ,  et  il  ne  reste 
qu'à  prier  Celui  qui  tient  les  cœurs  en  sa  main  d'ouvrir  le  sien  à 
la  vérité. 

Yous  me  demandez.  Monsieur,  dans  une  des  lettres  dont  vous 


176   LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

m'honorez,  s'il  ne  pourroit  pas  y  avoir  des  instances  contraires  à 
ce  que  je  crois  avoir  été  invariable  dans  l'Eglise,  qui  est  qu'on 
a  toujours  maintenu  ce  qu'on  a  trouvé  établi  en  matière  de  foi, 
car  c'est  ainsi  quil  le  faut  entendre.  Je  vous  réponds  hardiment. 
Monsieur,  que  jamais  vous  ne  trouverez  d'exemple  contraire. 
Vous  alléguez  celui  des  monothélites  et  vous  demandez  si,  de 
bonne  foi,  on  s'est  toujours  avisé  que  Jésus-Christ  eût  deux  vo- 
lontés. Cela  dépend  de  savoir  si  on  s'est  toujours  avisé  qu'il  y 
eût  deux  natures,  la  divine  et  l'humaine,  et  en  toutes  deux  une  vo- 
lonté visiblement  renfermée  là  dedans  :  on  pensera  aussitôt  qu'il 
n'y  a  pas  d'ame,  que  de  penser  que  cette  ame  ni  n'entend  ni  ne 
veut  rien.  On  entend  dire  tant  de  Jésus-Christ  :  Je  veux,  ou  :  Je 
ne  veux  pas,  dans  les  choses  qui  le  regardent  en  qualité 
d'homme,  qu'on  ne  peut  douter  de  lui  non  plus  que  des  autres 
hommes ,  qu'ils  ne  soient  voulaus  ;  ce  qui  est  penser  en  termes 
formels  qu'ils  ont  une  volonté ,  et  si  on  ne  s'avise  pas  toujours 
de  dire  que  Jésus- Christ  a  une  volonté  humaine,  non  plus  que 
de  dire  qu'il  a  une  ame  humaine,  c'est  que  cela  se  présente 
natuvellement  à  l'esprit  et  qu'on  n'a  pas  besoin  de  s'expliquer 
une  chose  si  manifeste. 

11  faut  que  les  hérétiques  qui  ont  pu  douter  d'une  vérité  si 
sensible  aient  fait  à  leur  esprit  de  ces  violences  que  se  font  ceux 
que  leur  orgueil  ou  leur  cm'iosité  embrouiUe  et  confond.  Pour 
ce  qui  regarde  les  images,  qui  est  le  second  exemple  que  vous 
produisez,  il  est  bien  certain  que  nos  Pères,  qui  tinrent  le  con- 
cile de  Francfort,  et  qui  s'opposèrent  si  longtemps  au  second 
concile  de  Ni cée,  ne  le  rejetèrent  que  sur  un  malentendu;  car 
c'est  un  fait  bien  constant  qu'ils  honoroient  les  reli(|ues  et  qu'ils 
adoroient  la  croix  de  ce  genre  d'adoration  que  le  concile  se- 
cond de  Nicée  a  établi  pour  les  images.  11  n'y  a  personne  qui  ne 
sache  ce  que  le  fameux  Anastase,  bibliothécaire  de  l'Eglise  ro- 
maine, leur  reprochoit  :  «  Vous  voulez  bien,  disoit-il,  vous  pros- 
terner devant  l'image  de  la  croix ,  et  vous  ne  voulez  pas  en  faire 
autant  devant  l'image  de  Jésus-Christ  même  I  Est-ce  donc  que  sa 
croix  vous  paroit  d'une  plus  grande  dignité  que  sa  personne ,  ou 
que  l'image  de  l'une  soit  plus  digne  de  vénération  que  celle  de 


BOSSUET  A  LEIBNIZ,  27  DÉCEMBRE  1692.  177 

l'autre  ?  »  Il  est  donc  clair  que  dans  le  fond  ils  recevoient  ce  culte 
relatif,  cpii  faisoit  la  question  de  ces  temps-là.  S'ils  rejetoient 
lie  concile  de  Nicée,  c'est  qu'ils  croyoient,  comme  ils  le  dé- 
clarent dans  le  concile  de  Francfort ,  qu'on  y  adoroit  les  images 
comme  on  y  adoroit  la  Trinité  ;  c'étoit  donc  visiblement  un  malen- 
tendu ,  dont  aussi  on  est  revenu  naturellement  quand  on  a  bien 
compris  le  vrai  état  de  la  question.  La  diversité  qui  étoit  dans  le 
surplus  n'étoit  que  de  pure  discipline,  et  on  voit  par  ce  qui  vient 
d'être  dit,  ce  qui  est  incontestable  entre  personnes  de  bonne  foi, 
qu'ils  étoient  d'accord  du  fond.  Du  reste  le  concile  de  Nicée  se- 
cond n'étoit  pas  encore  reconnu.  Nos  Pères  n'y  avoient  pas  as- 
sisté, et  de  tous  les  évèques  d'Occident  le  Pape  fut,-le  seul  qu'on  y 
appela.  C'est  donc  un  de  ces  conciles  qui  n'a  été  réputé  pour  gé- 
néral que  par  le  consentement  subséquent,  encore  qu'il  ne  le  fût 
dans  son  origine  non  plus  que  beaucoup  d'autres  qui  ont  depuis 
été  très-reçus.  Ainsi  je  vous  dirai  encore  une  fois,  Monsiem',  que 
la  maxime  est  constante ,  qu'en  matière  de  dogmes  de  foi ,  ce  qui 
a  été  cru  un  jour  l'a  été  et  le  sera  toujours;  autrement  la  chaîne 
de  la  succession  seroit  rompue,  l'autorité  anéantie  et^la  promesse 
détruite.  Je  vois,  Monsiem',  dans  votre  lettre  à  M.  Pelisson ,  que 
vous  croyez  que  je  n'ai  pas  voulu  expliquer  tout  ce  que  je  sais 
sur  ce  que  vous  m'avez  objecté  du  concile  de  Bàle.  Je  vous  assm'e 
que  j'ai  dit  très-sincèrement  tout  ce  que  j'avois  dans  le  cœur.  En- 
core l'ai-je  prouvé  par  les  Actes.  J'ai  dit  que  le  nouvel  examen  et 
la  nouvelle  discussion  que  le  concile  de  Bâle  vouloit  faire  du  décret 
de  Constance  étoient  une  discussion  et  un  examen,  non  de  doute, 
mais  de  plus  grand  éclaircissement;  j'ai  rapporté  les  paroles  où 
le  concile  s'explique  ainsi  et  en  mêmes  termes.  Qu'y  a-t-il  donc 
à  dire  à  cela  ?  Rien  du  tout ,  Monsieur ,  et  vous  le  direz  comme 
moi  quand  il  vous  plaira  de  vous  élever  au-dessus  de  la  préven- 
tion; mais  il  faut  que  Dieu  s'en  mêle,  et  j'espère  qu'il  le  fera  :  il 
a  mis  dans  les  esprits  de  nos  Cours  de  trop  favorables  dispositions. 
M.  l'abbé  de  Lokkum  a  fait  des  pas  très-essentiels  ;  vous-même , 
vous  pensez  trop  bien  de  l'autorité  des  conciles  pour  demeurer  en 
si  beau  chemin.  Tout  ce  qui  peut  rester  de  difficulté  est  infiniment 
au-dessous  de  celles  qui  sont  résolues  par  les  expositions  de 
TOM.  xvni.  12 


47a  LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

M.  l'abbé  et  par  la  propre  Confession  d'Augsbourg  et  nos  autres 
livres  symboliques.  Je  trancherai  hardiment  le  mot  :  il  faut,  ou 
fermer  les  yeux  aux  conséquences  les  plus  naturelles ,  ou  sortir 
du  luthéranisme  ;  il  faut,  dis-je,  ou  faire  des  pas  vers  nous  ou  re- 
culer en  arrière,  ce  que  Dieu  ne  permettra  pas.  Ne  craignez  point. 
Monsieur,  qu'on  demeure  court  de  notre  côté.  Vous  dites  à  M.  Pe- 
lisson  que  s'il  ne  s'agissoit  que  d'exposition,  j'aurois  tout  gagné, 
et  j'ose  vous  dire.  Monsieur,  que  ce  n'est  que  de  cela  qu'il  s'agit. 
Les  difficultés  sont  résolues  dans  le  fond  par  les  principes  posés 
de  votre  côté;  il  n'y  a  plus  qu'à  en  faire  l'application,  et  vous  serez 
catholique.  Ne  vous  lassez  donc  point,  Monsieur,  de  travailler  à 
cet  ouvrage,  et  je  vous  promets  que  nous  ne  nous  lasserons  point 
de  vous  seconder.  C'en  est  trop ,  mais  je  n'ai  pu  refuser  ces  ré- 
flexions à  vos  lettres  [a]... 

Je  suis  de  toute  mon  ame ,  Monsieur ,  votre  très-humble  ser- 
viteur, 

J.  Bénigne,  év.  de  Meaux. 


LETTRE  XXV. 

LEIBNMZ    A    BOSSUET  [b). 
Hanovre,  le  29  mars  1693. 

Monseigneur, 

Je  suis  d'autant  plus  sensible,  pour  mon  particulier,  à  la  perte 
que  nous  avons  faite  dans  la  mort  de  M.  Pelisson,  que  j'ai  joui 
bien  peu  de  temps  d'une  si  belle  et  si  importante  connoissance. 
Il  pouvoit  rendre  de  grands  services  au  public ,  et  ne  manquoit 
pas  de  lumières  ni  d'ardeur,  et  il  y  avoit  sans  doute  bien  peu  de 

(a)  Les  quelques  mots  retranchés  se  rapportent  à  la  djTiamique ,  c'est-à-dire 
au  système  physique  de  Leibniz. 

(b)  Tous  les  éditeurs  disent  après  l'aibé  Leroy  :  «  Cette  lettre  en  suppose 
une  précédente  de  Bossuct,  dans  laquelle  le  prélat  répondoit  aux  objections  que 
Leibniz  prétendoit  tirer  de  la  condamnation  des  monothélites  dans  le  sixième 
concile ,  et  du  culte  des  images  établi  dans  le  second  concile  de  Nicée.  Mais 
nous  n'avons  point  trouvé  dans  les  papiers  de  M.  de  Meaux  la  lettre  à  laquelle 
il  est  visible  que  Leibniz  répond  ici.  »  Nous  avons  donné  cette  lettre  immédia- 
tement avant  celle-ci  -,  c'est  la  xxivo. 


LEIBNIZ  A  BOSSUET,  29  MARS  1693.  179 

gens  de  sa  force.  Mais  enfin  il  faut  s'en  remettre  à  Dieu,  qui  sait 
choisir  le  temps  et  les  instrumens  de  ses  desseins,  comme  bon  lui 
semble.  Madame  de  Brinon  m'a  fait  l'honneur  de  me  commmii- 
quer  une  lettre  que  vous  lui  avez  écrite,  pom*  désabuser  les  gens 
de  certains  faux  bruits  qui  ont  couru.  Pour  moi,  si  j'ai  cru  que 
M.  Pelisson  se  trompoit  en  certains  points  de  religion,  je  ne  l'ai 
jamais  cru  hypocrite.  J'ai  aussi  reçu  une  feuille  imprimée,  que 
M.  le  landgrave  Erneste  m'a  envoyée.  Je  crois  qu'elle  est  venue 
de  France,  Elle  tend  àjustifier  la  mémoire  de  cet  excellent  homme 
contre  les  imputations  de  la  Gazette  de  Roterdam  ;  mais  il  me 
semble  que  l'auteur  de  la  feuille  n'étoit  pas  parfaitement  informé, 
et  il  l'avoue  lui-même.  Madame  de  Brinon  me  mande  que  par 
ordre  du  Roi,  les  papiers  de  feu  ^^I.  Pelisson  sur  la  religion  ont  été 
mis  entre  vos  mains;  sans  doute  le  Roi  ne  les  pouvoit  mieux 
placer.  Elle  ajoute  que  ce  qu'il  avoit  écrit  sur  l'histoire  de  Sa  Ma- 
jesté a  été  doimé  à  M.  Piacine,  qui  est  chargé  de  ce  travail.  J'avois 
moi-même  quelques  vues  pour  l'histoire  du  temps  ;  et  M.  Pelisson, 
par  la  bonté  qu'il  avoit  pour  moi,  alloit  jusqu'à  me  faire  espérer 
du  secours  et  des  informations  sur  le  fond  des  choses;  mais  je 
crains  que  sa  mort  ne  me  prive  de  cet  avantage,  comme  elle  m'a 
privé  d'autres  lumières  que  j'attendois  de  sa  correspondance,  si 
ce  n'est  que  vous.  Monseigneur,  ne  trouviez  quelque  occasion  d'y 
pourvoir. 

Madame  de  Brinon  ne  me  pouvoit  rien  mander  de  plus  propre 
à  me  consoler  que  ce  qu'elle  me  fit  connoître  de  la  bonté  que 
vous  voulez  avoir.  Monseigneur,  de  vous  mettre  en  quelque  façon 
à  la  place  de,  M.  Pelisson,  quand  il  s'agira  de  me  favoriser.  Cepen- 
dant vos  bontés  ont  déjà  assez  paru  à  mon  égard  en  plusiem's  oc- 
casions; et  je  ménagerai  vos  grâces  comme  il  faut,  sachant  que 
vos  importantes  fonctions  vous  laissent  peu  à  vous-même. 

C'est  cette  considération  qui  m'avoit  fait  différer  de  répondi'e  à 
votre  lettre  extrêmement  obligeante  et  pleine  d'ailleurs  de  consi- 
dérations importantes  et  instructives ,  pour  ne  pas  revenir  trop 
souvent.  Maintenant  je  vous  dirai,  Monseignem%  que  la  réplique 
de  M.  l'abbé  Molanus  sera  bientôt  achevée.  Comme  il  a  la  direction 
des  églises  du  pays,  il  a  été  bien  distrait;  et  afin  de  finir,  il  se  retire 


180  LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

exprès  à  son  abbaye  pour  quelques  semaines  pendant  le  carême, 
qui  chez  nous,  suivant  le  ^deux  style,  est  venu  cette  fois  bien  plus 
tard  que  chez  vous.  Je  ne  renouvelle  pas  les  petites  plaintes  que 
j'avois  cru  avoir  sujet  de  faire.  11  est  vrai  que  si  la  censure  fût 
allée  au  général,  sans  me  frapper  nommément  en  particulier,  je 
n'aurois  pas  eu  besoin  d'apologie. 

Quand  j'accorderois  cette  observation,  quon  a  toujours  main- 
tenu ce  qu'on  a  trouvé  établi  en  matière  de  foi,  cela  ne  suffîroit 
pas  pour  en  faire  une  règle  pour  toujours.  Car  enfin  les  erreurs 
peuvent  commencer  une  fois  à  régner  tellement,  qu'alors  on  sera 
obligé  de  changer  de  conduite.  Je  ne  vois  pas  que  les  promesses 
divines  infèrent  le  contraire.  Cependant  l'observation  même ,  qui 
est  de  fait,  me  pai'oît  encore  douteuse.  Par  exemple,  je  tiens  que 
toute  l'ancienne  Eglise  ne  croyoit  pas  le  culte  des  images  permis  : 
et  si  quelqu'un  des  anciens  martyrs  revenoit  ici ,  il  se  trouveroit 
l)ien  sm'pris.  Cependant  l'Orient  ayant  changé  peu  après  là-des- 
sus, le  dogme  combattu  longtenqis  par  l'inclination  (jui  porte  les 
hommes  à  l'extérieur,  a  été  enfin  renversé  par  le  second  concile 
de  Nicée ,  qui  se  sert  de  textes  pour  appuyer  sa  prétention  :  et 
malgré  la  meiUem'e  partie  de  l'Occident,  qui  s'y  opposoit  dans 
le  concile  de  Francfort,  Rome  donna  là-dedans.  Votre  remanjue, 
Monseignem-,  sur  le  concile  de  Nicée ,  est  considérable.  L'argu- 
ment ad  homineni  d'iVnastase  le  Bibliothécaire,  pris  de  l'adoration 
de  la  croix  déjà  reçue,  prouve  seulement  (pie  les  al)us  s'autori- 
sent les  uns  les  autres.  On  avoit  été  plus  facile  sur  la  croix,  d'au- 
tant que  ce  n'est  pas  la  ressemblance  d'une  chose  vivante  :  par 
après  on  a  joint  l'image  ou  effigie  de  Jésus-Chi'ist  à  la  croix  pour 
l'adorer;  et  enfin  on  s'est  laissé  aller  jusqu'aux  images  des 
simples  créatures ,  en  adorant  ceUes  des  Saints  ;  ce  qui  étoit  le 
comble. 

J'ai  de  la  peine  à  croire  que  les  Pères  de  FrMucfort  eussent  per- 
mis le  culte  des  images,  sous  condition  d'une  adoration  infériem"e. 
Ils  ont  donc  tort  de  n'avoir  pas  marqué  qu'ils  entroient  dans  un 
tempérament  qui  se  présentoit  naturellement  à  ceux  qui  y  avoient 
de  l'inclination.  Mais  ils  jugeoient  tout  autrement  :  ils  croyoient 
princijuis  esse  obstamlum.  Si  on  l'avoit  fait  de  bonne  heure,  le 


LEIBNIZ  A  BOSSUET,  29  MARS  1693.  181 

christianisme  ne  seroit  point  devenu  méprisable  dans  l'Orient ,  et 
Mahomet  n'auroit  point  prévalu. 

L'autre  question  étoit  :  Si  Ton  n'a  pas  reçu  quelquefois  des  sen- 
timens,  comme  de  foi,  qui  n'étoient  pas  établis  auparavant.  J'avois 
apporté  l'exemple  de  la  condamnation  des  monothélites.  Tous  ré- 
pondez. Monseigneur,  qu'accordant  que  Jésus-Christ  a  véritable- 
ment la  nature  humaine  aussi  bien  que  la  divine,  il  falloit  accor- 
der qu'il  a  deux  volontés.  Mais  voilà  une  autre  question,  sur  la 
conséquence  de  laquelle  les  plus  habiles  gens  de  ce  temps-là  ne 
demeuroient  point  d'accord.  Il  s'agit  du  dogme  même,  s'il  étoit 
établi  ;  de  plus,  la  conséquence  souffre  bien  des  difficultés,  et  dé- 
pend d'une  discussion  profonde  de  métaphysique,  et  je  suis  comme 
persuadé  que  si  la  chose  n'avoit  été  décidée ,  les  scolastiques  se 
seroient  trouvés  partagés  sur  cette  question.  Il  ne  s'agit  pas  de  la 
volonté  in  actu  primo,  qui  est  une  faculté  inséparable  de  la  na- 
ture humaine,  mais  de  l'action  de  vouloir,  qi(œ potest  indigere 
complemcnto  à  sustentante  Verho  ;  ita  lit  ab  utràque  resultet 
unica  aetio,  citm  dici  soient  actiones  esse  suppositorum. 

Quant  au  concile  de  Bâle ,  il  lui  étoit  permis  de  parler  comme 
vous  dites,  Monseignem*;  et  si  l'on  faisoit  mi  traité  semblable 
avec  les  protestans ,  il  seroit  permis  à  chaque  parti  de  dire  que  la 
discussion  future  des  points  qui  resteroient  à  décider ,  seroit  une 
discussion  d'éclaircissement,  et  non  pas  de  doute,  chacun  ayant  la 
croyance  que  l'opinion  cpi'il  tient  véritalile  prévaudi'a.  Ce  seroit 
donc  assez  que  vos  Messieurs  fissent  ce  qu'on  fit  à  Bàle.  J'ai  cru 
que  la  seule  exposition  ne  suffisoit  pas,  entre  autres  parce  qu'il  y 
a  des  questions  qui  ne  sont  pas  de  théorie  seulement,  mais  encore 
de  pratique.  J'avoue  aussi.  Monseigneur,  que  je  ne  vois  pas  com- 
ment de  certains  principes  accordés,  il  s'ensuive  qu'on  doive  tout 
accorder  de  votre  côté  :  au  contraire  j'ose  dire  que  je  crois  voir 
clairement  l'oljligation  où  l'on  est  d'offrir  ce  que  fit  le  pape 
Eugène  avec  le  concile  de  Bâle,  à  l'égard  des  calixtins.  En  vérité, 
je  ne  crois  pas  qu'autrement  il  y  ait  moyen  de  venir  à  une  réu- 
nion, qui  soit  sans  contrainte.  Cependant  il  faut  pousser  la  voie  de 
l'exposition  aussi  loin  qu'il  est  possible,  et  je  ne  crois  pas  que  per- 
sonne vous  y  surpasse.  A,ussi  M.  Molanus  tâchera  de  vous  y  se- 


182  LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

conder  ;  et  pour  moi^  je  contribuerai  au  moins  par  mes  applau- 

dissemens,  ne  le  pouvant  pas  par  mes  lumières  trop  courtes.  Je 

suis  avec  un  attachement  parfait^  Monseigneur,  votre  très-humble 

et  très-obéissant  serviteur  [a] 

Leibniz. 

LETTRE  XXYL 

LEIBNIZ   A    BOSSUET. 
i)  juin  1693. 

Je  me  rapporte  à  une  lettre  assez  ample,  que  je  me  suis  donné 
riionneur  de  vous  écrire  il  y  a  quelque  temps  (Z») .  Je  croyois  ce- 
pendant vous  envoyer  la  réponse  de  M.  l'abbé  de  Lolvkum  ;  et  en 
effet  j'en  ai  lu  déjà  la  plus  grande  partie.  ]\Iais  comme  il  est  sou- 
vent très-occupé,  ayant  la  direction  de  notre  consistoire  et  de  tant 
d'éghses ,  il  n'a  pas  encore  pu  finir.  Ce  sera  pourtant  dans  peu  ; 
car  il  se  presse  effectivement  pour  cela  le  plus  qu'il  peut.  La  ré- 
ponse sera  bien  ample,  et  contiendra  bien  des  bonnes  choses. 

En  attendant  cet  ouvrage,  qui  sera  r/ravis  armaturœ  miles ,  je 

vous  envoie,  Monseigneur,  velitem  quemdam.  C'est  ma  réponse 

au  discours  de  M.  l'aljlté  Pirot,  touchant  l'autorité  du  concile  de 

Trente,  que  je  soumets  aussi  à  votre  jugement,  et  vous  supplie 

de  la  lui  faire  tenir.  Je  suis  avec  beaucoup  de  zèle.  Monseigneur, 

votre  très-humble  et  très-obéissant  serviteur, 

Leibniz. 

LETTRE  XXVir. 

MADAME   DE   BRINON    A    BOSSUET. 
Ce  o  août  1C93. 

Madame  la  duchesse  de  Brunswick  m'a  envoyé.  Monseigneur, 
cette  grande  lettre  de  M.  Leibniz  ;  elle  souhaiteroit  fort  que  Votre 

(a)  Leibniz  s'empresse  de  revenir  à  la  fin  de  sa  lettre,  sur  la  nature  et  la  force 
des  corps;  \\  raconte  longuement  les  difficultés  que  sa  Dynu nique \  rencontre 
eu  France,  devant  l'Académie  des  sciences. 

{b)  Sans  doute  la  lettre  précédente,  du  9  mars. 


M'"'^  DE  BRINON  A  BOSSUET,  5  AOUT  1693.  183 

Grandeur  voulût  y  répondre.  Je  crains  que  M.  Leibniz  n'embar- 
rasse sa  foi  par  ses  subtilités,  et  qu'il  ne  veuille  aussi  essayer  de 
vous  faire  parler  à  un  autre  qu'à  lui  sur  le  concile  de  Trente  :  car 
assurément  ce  que  vous  lui  en  avez  dit,  et  M.  Pirot  aussi,  lui  de- 
vroit  suffu'e.  J'ai  mandé  toujours  d'avance  à  cette  duchesse ,  qui 
est  fort  goûtée  des  protestans,  que  la  matière  du  concile  de  Trente 
étoit  épuisée  et  décidée  entre  Votre  Grandeur  et  M.  Leibniz  :  que 
s'il  étoit  de  bonne  foi ,  il  n'avoit  qu'à  lui  montrer  ce  que  vous 
aviez  pris  la  peine  de  lui  en  écrire  ;  que  vous  n'auriez  rien  davan- 
tage à  lui  dire  là-dessus.  Mais  comme  je  doute  fort  qu'il  montre  à 
son  Altesse  sérénissime  ce  que  Votre  Grandeur  lui  en  a  écrit ,  et 
M.  Pirot  aussi,  avant  que  notre  illustre  ami  M.  Pelisson^ût  mort, 
je  vous  supplie  très-humblement,  3Ionseigneur,  de  me  faire  Ihon- 
nem"  de  m'écrire  quelque  chose  là-dessus ,  que  je  puisse  envoyer 
en  Allemagne  à  madame  la  duchesse  de  Brunswick,  afm  qu'elle 
voie  que  je  n'ai  pas  manqué  de  vous  envoyer  la  lettre  de  M.  Leib- 
niz, comme  eUe  me  l'a  ordonné,  et  qu'elle  puisse  elle-même  sa- 
voù'  à  quoi  s'en  tenir  sm*  le  concile  de  Trente.  EUe  m'écrit  qu'elle 
est  fort  surprise  d'apprendre  qu'il  n'est  pas  reçu  en  France,  aussi 
bien  sur  les  dogmes  que  sur  la  politique.  Je  serois  très-fàchée, 
dans  l'estime  et  l'amitié  que  j'ai  pour  cette  duchesse  et  dans  l'in- 
tégrité où  je  connois  sa  foi,  qu'on  la  pût  séduire  en  ce  dangereux 
pays  sm'  la  moindre  chose.  C'est  ce  qui  fait^  Monseigneur,  que 
j'ai  recours  à  vous,  afm  que  vous  lui  donniez  quelque  antidote 
contre  ce  poison.  Je  m'aperçois  que  M.  Leibniz  a  des  correspon- 
dances avec  quelques  doctem's,  qui  l'instruisent  de  tout,  bien  ou 
mal  :  c'est  ma  pensée;  peut-être  que  je  me  trompe;  mais  il  me 
semble  que  ce  jugement  n'est  point  témérau'e.  Je  vous  demande 
toujom's  la  continuation  de  votre  bienveillance. 


184  LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 
LETTRE    XXYIII. 

LEIBNIZ  A  BOSSUET 

SlJRiLE      MÉMOIRE     DU      DOCTEUR     l'IROT 

touchant  l'autorité  du  concile  de  Trente  {a). 

I.  La  Dissertation  de  M.  Tabbé  Pirot  sur  Tautorité  du  concile 
de  Trente  en  France,  ne  m'a  point  paru  prolixe  ;  et  quand  j'étois 
à  la  dernière  feuille ,  j'en  cherchois  encore  d'autres.  Il  y  a  plu- 
sieurs faits  importans  éclaircis  en  aussi  peu  de  mots  qu'il  est 
possible  :  et  les  discussions  des  faits  demandent  plus  d'étendue 
que  les  raisonnemens.  ,ïe  lui  suis  infiniment  obligé  de  la  peine 
qu'il  a  prise,  principalement  pour  mon  instruction,  lui  qui  est  si 
capable  d'instruii'e  le  public.  Je  souhaiterois  qu'il  me  fût  possible, 
dans  l'état  de  distraction  où  je  me  trouve  maintenant ,  d'entrer 
assez  avant  dans  cette  discussion  des  faits  pour  profiter  davan- 
tage de  ses  lumières;  mais  ne  pouvant  pas  aller  si  loin,  je 
m'attacherai  principalement  aux  conséquences  qu'on  en  tire. 

II.  Le  concile  de  Trente  a  eu  deux  buts  :  l'un  de  décider  ou  de 
déclarer  ce  qui  est  de  foi  et  de  droit  divin  ;  Tautre ,  de  faire  des 
règlemens  ou  lois  positives  ecclésiastiques.  On  demeure  d'ac- 
cord ,  de  part  et  d'autre,  que  les  lois  positives  tridentines  ne  sont 
pas  reçues  en  France  sur  l'autorité  du  concile ,  mais  par  des  con- 
stitutions particulières  ou  règlemens  du  royaume  ;  et  sur  ce  que 
le  concile  de  Trente  décide  comme  de  foi  ou  de  droit  divin, 
M.  l'abbé  Pirot  m'assure  qu'il  n'y  a  point  de  catholique  romain 
en  France  qui  ne  l'approuve,  et  je  veux  le  croire.  On  demandera 
donc  en  (pioi  je  ne  suis  pas  encore  tout  à  fait  convaincu  ;  le  voici: 
c'est  premièrement  qu'on  peut  tenir  une  opinion  pour  véritable, 
sans  être  assuré  qu'elle  est  de  foi.  C'est  ainsi  que  le  clergé  de 
France  tient  les  quatre  propositions ,  sans  accuser  d'hérésie  les 

(a)  Tous  les  éditeurs  disent  qu'ils  «  n'ont  pu  recouvrer  le  mémoire  de  l'abbé 
Pirot.  »  Leibniz  a  résumé  selon  ses  convenances,  dans  le  dessein  d'y  répondre, 
l'écrit  du  savant  théologien  catholique.  Nous  ne  croyons  pas  que  son  analyse 
succincte  mérite  d'être  mise  sous  les  yeux  du  lecteur;  et  si  nous  publious  sa 
réponse,  c'est  que  Bossuet  doit  s'en  occuper. 


LEIBNIZ  A  BOSSUET.  185 

docteurs  italiens  ou  espagnols,  qui  sont  d'un  autre  sentiment. 
Secondement,  qu'on  peut  approuver  comme  de  foi  tout  ce  que  le 
concile  a  défini  comme  tel,  non  pas  en  vertu  de  la  décision  de  ce 
concile,  ou  comme  si  on  le  reconnoissoit  pour  œcuménique  ;  mais 
parce  qu'on  en  est  persuadé,  d'ailleurs.  Troisièmement,  quand 
il  n'y  auroit  point  de  particulier  en  France  qui  osât  dire  qu'il 
doute  de  l'œcuménicité  du  concile  de  Trente,  cela  ne  prouve  point 
encore  que  la  nation  l'a  reçu  pour  œcuménique.  Les  lois  doivent 
être  faites  dans  les  formes  dues.  Ces  mômes  personnes  qui,  main- 
tenant qu'elles  sont  dispersées,  paroissent  être  dans  quelque 
opinion,  pourroient  se  tourner  tout  autrement  dans  l'assemblée. 
On  en  a  eu  des  exemples  dans  les  élections  et  dans  les  jugemens 
rendus  par  quelques  tribunaux  ou  parlemens,  dont  les  memljres 
sont  entrés  dans  le  conseil  avec  des  sentimens  bien  difTérens  de 
ceux  que  certains  incidens  ont  fait  naître  dans  la  délilîération 
même.  C'est  aussi  en  cela  que  le  Saint-Esprit  a  privilégié  parti- 
culièrement les  assemblées  tenues  en  son  nom,  et  que  la  direc- 
tion divine  se  fait  connoître  ;  et  cette  considération  a  même  quel- 
que lien  dans  les  afîaires  humaines.  Par  exemple ,  quand  un  roi 
de  la  Grande-Bretagne  voulut  amasser  les  voix  des  provinces 
pour  trouver  là-dedans  un  préjugé  à  l'égard  du  parlement,  cette 
manière  de  savoir  la  volonté  de  la  nation  ne  fut  point  ap- 
prouvée ;  d'autant  que  plusieurs  n'osent  point  se  déclarer  quand 
on  les  interroge  ainsi,  et  que  les  cabales  ont  trop  beau  jeu,  outre 
que  les  lumières  s'entre -communiquent  dans  les  délibérations 
communes. 

III.  Pour  éclaircir  davantage  ces  trois  doutes,  qui  me  pa- 
roissent très -raisonnables,  je  commencerai  parle  dernier,  savoir, 
par  le  défaut  d'une  déclaration  solennelle  de  la  nation.  M.  l'abbé 
Pirot  donne  assez  à  connoître  quil  a  du  penchant  à  ne  pas  croire 
qu'il  y  ait  jamais  eu  un  édit  de  Henri  III ,  touchant  la  réception 
du  concile  de  Trente  en  ce  qui  est  de  foi.  Un  acte  public  de  cette 
force  ne  seroit  pas  demeuré  dans  le  silence  ;  les  registres  et  les 
auteurs  en  parleroient  :  cependant  il  n'y  a  que  M.  de  Marca  seul 
qui  dise  l'avoir  vu,  à  qui  la  mémoire  peut  avoir  rendu  ici  un 
mauvais  office.  Mais  quand  il  y  auroit  eu  une  telle  déclaration 


d86  LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  ..DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

du  Roi,  il  la  faudroit  voir,  pour  juger  si  eUe  ordonne  proprement 
que  le  concile  de  Trente  doit  être  tenu  pour  œcuménique  ;  car 
autre  chose  estrecevoii'  la  foi  du  concile,  et  recevoir  Tautorité 
du  concile. 

IV.  Quant  à  la  profession  de  foi  de  Ilenri  IV,  je  parlerai  ci- 
dessous  de  celle  qu  il  fit  à  Saint-Denis  ;  et  cependant  j'accorde 
que  la  seconde ,  que  MM.  du  Perron  et  d'Ossat  firent  en  son  nom 
à  Rome,  a  été  conforme  incontestablement  au  formulaire  de 
Pie  IV.  Je  ne  veux  pas  aussi  avoir  recours  à  la  chicane ,  comme 
si  le  roi  eût  révoqué  ou  motUfié ,  par  quelque  acte  inconnu  ou 
réservation  cachée ,  ce  qui  avoit  été  fait  par  lesdits  du  Perron  et 
d'Ossat,  bien  qu'il  y  ait  eu  bien  des  choses  dans  cette  absolution 
de  Rome,  qui  sont  de  dure  digestion;  et  particulièrement  cette 
prétendue  nullité  de  l'absolution  de  l'archevêque  de  Bom'ges, 
dont  je  ne  sais  si  l'Eglise  de  France  demeurera  jamais  d'accord  : 
comme  si  les  papes  étoient  juges  et  seuls  juges  des  rois,  et  d'mie 
manière  toute  particulière  à  l'égard  de  leur  orthodoxie.  Dirons- 
nous  que,  par  cette  ratification,  Henri  IV  a  somnis  les  rois  de 
France  à  ce  joug?  Je  crois  que  non,  et  je  m'imagine  qu'on  aura 
recours  ici  à  la  distinction  entre  ce  qu'un  roi  fait  pour  sa  persoime 
et  entre  ce  qu'il  fait  pom'  sa  couronne,  entre  ce  qu'il  fait  dans  son 
cabinet  et  entre  ce  qu'il  fait  ex  throno ,  pour  avoir  un  terme  qui 
réponde  ici  à  ce  que  le  Pape  fait  ex  cathedra.  Un  Pape  pourra 
faire  une  profession  de  sa  foi,  sans  qu'il' déclare  ex  cathedra  la. 
volonté  qu'il  a  de  la  proposer  aux  autres.  Nous  savons  assez  le 
sentiment  du  pape  Clément  VIII  sur  la  matière  de  Auxiliis;  il  s'est 
assez  déclaré  contre  Mohna  :  mais  les  jésuites,  qui  tiennent  le 
Pape  infaillible,  lorsqu'il  prononce  ex  cathedra,  ne  jugent  pas 
que  celui-ci  ait  rien  prononcé  contre  eux  ;  et  on  en  demeure  d'ac- 
cord. Ainsi  la  profession  de  Henri  IV  ne  sauroit  avoir  la  force 
d'une  déclaration  du  royaume  de  France  à  l'égard  de  l'œcuméni- 
cité  du  concile  de  Trente  :  eUe  prouve  seulement  que  Henri  IV  en 
son  particulier,  ou  plutôt  ses  procureurs  ont  déclaré  tenir  le  con- 
cile de  Trente  pour  œcuménique  ;  et  ce  n'est  qu'un  aveu  de  son 
opinion  là-dessus.  Ainsi  je  n'ai  pas  besoin  d'appuyer  ici  sm^  la 
clause  qui  le  dispense  de  l'obligation  de  porter  ses  sujets  à  la 


LEIBNIZ  A  BOSSUET.  187 

même  foi ,  sachant  bien  que  ce  ne  fut  qu'à  l'occasion  des  reli- 
gionnaires  que  le  Pape  l'en  dispensa,  bien  qu'en  effet  la  dispense 
soit  générale,  et  qu'il  ne  faille  pas  juger  des  actes  solennels  par 
leur  occasion ,  mais  par  leur  teneur  précise  ;  surtout  in  Us  quœ 
siuit  stricti  juris ,  nec  cmiplianda,  nec  restringenda ,  tel  qu'est  ce 
qui  emporte  l'introduction  d'une  nouvelle  décision  dans  l'Eglise  à 
regard  des  articles  de  foi.  Mais  encore,  quand  le  roi  se  seroit 
obligé  de  porter  ses  sujets  à  la  récognition  de  l'autorité  œcumé- 
nique du  concile  de  Trente,  sans  en  excepter  d'autres  que  les 
religionnaires,  ce  ne  seroit  pas  une  déclaration  du  royaume,  mais 
une  obligation  dans  le  roi,  de  faire  ce  qu'il  pourroit  raisonnable- 
ment pour  y  porter  son  peuple;  ce  qui  n'excluroit  nullement  une 
assemblée  des  Etats,  ou  au  moins  des  notables  des  trois  Etats. 

Y.  Quand  il  n'y  auroit  point  eu  autrefois  de  déclaration  solen- 
nelle de  la  France  contre  le  concile  de  Trente,  il  semble  néaimioins 
qu'il  faudroit  toujours  une  déclaration  solennelle  pom'  ce  concile, 
afm  que  son  autorité  y  soit  établie,  à  cause  des  doutes  où  le  monde 
a  toujours  été  là-dessus.  Ainsi  quand  j'ai  dit  que  la  déclaration 
solennelle  doit  être  levée  par  mie  autre  déclaration  solennelle , 
c'est  seulement  pour  aggraver  cette  nécessité.  Et  quand  ces  dé- 
clarations solennelles  contraires  auroient  quelque  défaut  de  for- 
malité,  cela  ne  nuiroit  pas  à  mon  raisonnement.  Car  il  ne  s'agit 
pas  ici  de  l'établissement  de  quelque  droit ,  ou  qualité  de  droit  ; 
mais  seulement  de  ce  qui  fait  paroitre  la  volonté  des  hommes  :  à 
peu  près  comme  un  testament  défectueux  ne  laisse  pas  de  mar- 
quer la  volonté  du  testateur.  Ainsi  l'esprit  de  la  nation,  ou  de  ceux 
qui  la  représentent ,  paroissant  avoir  été  contraire  au  concile  de 
■  Trente,  on  a  d'autant  plus  besoin  d'une  déclaration  lîien  expresse 
pom'  marcpier  le  retour  et  la  repentance  de  la  même  nation. 

YI.  Mais  considérons  un  peu  les  actes  publics,  faits  de  la  part 
de  la  France  contre  ce  concile,  tirés  des  Mémoires  que  MM.  du 
Puy  ont  publiés.  Le  premier  Acte  est  la  protestation  du  roi 
Henri  II,  lue  dans  le  concile  même  par  M.  Amiot.  Le  roi  y  dé- 
clare tenir  cette  assemblée  sous  Jules  III,  pour  une  convention 
particulière,  et  nullement  pour  un  concile  général.  M.  Amiot 
avoit  une  lettre  de  créance  du  roi  pour  être  ouï  dans  le  concile; 


d88    LETTRES  SUR  LA  REUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

(it  cela  autorise  sa  protestation,,  bien  que  ladite  lettre  ne  parlât 
point  de  la  protestation  :  ce  qu'on  fit  exprès  sans  doute,  pour  em- 
pêcher les  Pères  de  rejeter  d'abord  la  lettre,  et  de  renvoyer  le 
porteur  sans  l'entendre  ;  et  apparemment  il  ne  voulut  point  at- 
tendre la  réponse  du  concile,  parce  qu'il  ne  s'attendoit  à  rien  de 
bon  :  aussi  n'avoit-il  rien  proposé  qui  demandât  une  réponse. 
Ensuite  de  cette  protestation,  les  François  ne  se  trouvèrent  point 
à  cette  convocation,  et  ne  reconnurent  pas  les  six  séances  tenues 
sous  Jules  III,  tout  comme  les  Allcmynds  ne  reconnurent  point 
ce  qui  s'étoit  lait  auparavant  sous  Paul  III,  après  la  translation  du 
concile  fïiite  malgré  l'Empereur.  Nous  verrons  après  si  cette  pro- 
testation a  été  levée  ensuite.  Or  dans  les  séances  contestées  par 
les  François,  on  avoit  entrepris  de  régler  des  points  fort  impor- 
tans,  comme  sont  FEucharistie  et  la  pénitence;  et  M.  Tabbé  Pirot 
le  reconnoît  lui-même. 

VII.  La  seconde  protestation  des  François  fut  faite  dans  la  troi- 
sième convocation  sous  Pie  IV,  à  cause  de  la  partialité  que  le 
Pape  et  le  concile  témoignoient  pour  l'Espagne  à  l'égard  du  rang; 
et  les  ambassadeurs  de  France  se  retirèrent  à  Venise,  tant  à  cause 
de  cela  que  parce  qu'on  n'avoit  pas  assez  d'égard  à  Trente  à  l'au- 
k)rité  du  roi,  aux  libertés  de  l'Eglise  gallicane,  et  à  l'opposition 
que  les  François  faisoient  à  la  prétendue  continuation  du  concile  ; 
soutenant  toujours  que  ce  qui  avoit  été  fait  sous  Jules  III  ne  de- 
voit  pas  être  reconnu,  et  que  la  convocation  sous  Pie  IV  étoit  une 
nouvelle  indication.  Il  est  vrai  que  les  prélats  françois  restèrent 
au  concile,  et  donnèrent  leur  consentement  à  ce  qui  y  fut  arrêté, 
et  môme  à  ce  qui  avoit  été  arrêté  dans  les  convocations  précé- 
dentes, sans  excepter  ce  qui  s'étoit  fait  sous  Jules  III.  Mais  on 
voit  cependant  que  les  ambassadeurs  du  roi  n'approuvoient  ni  ce 
que  faisoit  le  concile,  ni  la  qualité  qu'il  prenoit  ;  et  bien  que  la 
harangue  sanglante  que  M.  duFerrier  un  des  ambassadeurs  avoit 
préparée,  n'ait  pas  été  prononcée,  elle  ne  laisse  pas  de  témoigner 
les  senti  mens  de  l'ambassade  et  l'état  véritable  des  clioses,  que 
les  hommes  ne  découvrent  souvent  que  dans  la  chaleur  des  con- 
testations. Elle  dit  :  Cù?n  tamen  nihil  à  vobis,  sed  omnia  maqis 
Romœ  quàni  Tridenti  cujantur,  et  liœc  quœ  imhlicanlur  magis 


LEIBNIZ  A  BOSSUET.  ISO 

PU  IV  placita,  quàm  conciln  Tridentini  décréta  jiire  existhnen- 
tiir,  denuntiamus  ac  Ustmnur ,  quœciimque  in  hoc  concilio  ^ 
hoc  est  Pu  IV  motu  décréta  siint  et  puhlicata,  decernentur  et 
jmhlicabuntur ,  ea  nerpœ  Regem  christianissimum  probatiirimi, 
neque  Ecclesiam  gcdlicanam  pro  decretis  œcumenkœ  synod/ 
habituram.  ïl  est  vrai  que  la  même  harangue  devoit  déclarer  le 
rappel  des  prélats  françois,  qui  ne  fut  point  exécuté  :  mais  quoi- 
qu'on en  soit  venu  à  des  tempéramens  pour  ne  pas  rompre  la 
convocation,  la  vérité  du  fait  demem^e  toujours,  que  la  France  ne 
croyoit  pas  cette  convocation  assez  libre  pour  avoir  la  qualité  de 
concile  œcuménique. 

La  protestation  que  ?.LM.  Pibrac  et  du  Ferrier,  ambassadeurs 
de  France,  ont  faite  ensuite,  avant  que  de  se  retirer,  déclare  for- 
mellement qu'ils  s'opposent  aux  décrets  du  concile.  Il  est  vrai 
qu'ils  allèguent  pour  raison  le  peu  d'égard  qu'on  a  pour  la  France 
et  pour  les  rois  en  général  ;  mais  quoique  la  raison  soit  particu- 
lière, l'opposition  ne  laisse  pas  d'être  générale.  De  dire  que  cet 
acte  n'ait  pas  été  fait  au  nom  du  roi,  c'est  à  quoi  je  ne  vois  point 
d'apparence  :  car  les  ambassadeurs  n'agissent  pas  en  leur  nom 
dans  ces  rencontres  ;  ils  n'ont  pas  besoin  d'un  nouveau  pouvoir 
ou  aveu  pour  tous  les  actes  particuliers.  Le  roi  leur  ordoimant  de 
demeurer  à  Venise,  a  approuvé  pultliquement  leur  conduite  ;  et 
les  sollicitations  du  cardinal  de  Lorraine  pom'  les  faire  retourner 
au  concile,  furent  sans  eîTet  outre  qu'on  reconnoît  qu'ils  avoient 
ordre  du  roi  de  protester  et  de  se  retirer.  On  a  laissé  les  prélats 
françois  pour  éviter  le  blâme  et  pour  donner  moyen  au  Pape  et 
au  concile  de  corriger  les  choses  insensiblement  et  sans  éclat,  en 
rétablissant  dans  le  concile  la  liberté  des  suffrages,  et  tout  ce  qui 
étoit  convenaljle  pour  lui  donner  une  véritable  autorité.  Le  dé- 
faut d'enregistrement  de  la  protestation  faite  par  M.  du  Ferrier 
et  le  refus  cpi'il  lit  d'en  donner  copie,  ne  rend  pas  la  protestation 
nulle  ;  et  on  ne  peut  pas  même  dire  qu'un  tel  acte  demeure  comme 
en  suspens,  jusqu'à  ce  qu'on  trouve  bon  de  l'em'egistrer  et  d'en 
communiquer  des  copies,  puisc^u'il  porte  lui-même  avec  soi  toutes 
les  solennités  nécessaires  pour  subsister.  Le  refus  des  copies  vint 
apparemment  de  ce  qu'on  vouloit  adoucir  les  choses  et  dorer  la 


190  LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEÎiLVGNE. 

pillule,  et  encore  pour  ne  pas  donner  sujet  à  des  contestations 
nouvelles.  C'est  ainsi  que  les  ambassadeurs  de  Bavière  et  de  Ve- 
nise ayant  protesté  dans  le  même  concile  Tun  contre  l'autre  à 
cause  du  rang  contesté  entre  eux,  refusèrent  d'en  donner  copie, 
comme  le  cardinal  PaUa^icin  le  rapporte.  Mais  quand  la  protes- 
tation seroit  nulle  à  cause  des  défauts  de  formalité,  j'ai  déjà  dit 
que  le  sentiment  des  ambassadeurs  et  de  la  Corn-  ne  laisse  pas  de 
marquer  la  vérité  des  choses  ;  et  les  lettres  que  les  ambassadem's 
écrivirent  de  Venise  au  roi,  font  connoître  qu'ils  ne  trouvoient 
pas  à  propos  de  retourner  à  Trente  et  d'assister  à  la  conclusion 
(lu  concile,  pour  ne  pas  paroître  l'approuver,  et  pour  ne  pas  don- 
ner la  main  à  la  prétendue  continuation,  ni  aller  contre  la  protes- 
tation de  Henri  II,  outre  les  autres  raisons  qu'ils  alléguèrent  dans 
leur  lettre  au  roi  Charles  IX. 

VIII.  La  ratification  du  concile  entier  et  de  toutes  ses  séances 
depuis  le  commencement  jusqu'au  dernier  Acte,  faite  en  présence 
des  prélats  françois  et  de  leur  consentement,  sans  excepter  même 
les  sessions  tenues  sous  Jules  III  sans  les  François,  contre  la  pro- 
testation de  Henri  II,  ne  suffit  pas  à  mon  avis  pom^  lever  les  op- 
positions de  la  nation  françoise.  Ces  prélats  n'étoient  point  auto- 
risés à  venir  à  l'encontre  de  la  déclaration  de  la  nation  faite  par 
le  roi.  Leur  silence  et  même  leur  consentement  peut  témoigner 
lem'  opinion;  mais  non  pas  l'approlxition  de  l'Eglise  et  nation  gal- 
licane. La  conduite  du  cardinal  de  Lorraine  n'a  pas  été  approu- 
vée ;  et  les  autres  fm'ent  entraînés  par  son  autorité  :  outre  que  ces 
sortes  de  ratifications  m  sacco,  en  général  et  sans  discussion,  ou 
pour  parler  avec  nos  anciens  jurisconsultes,  per  aversionem,  sont 
sujettes  à  des  surprises  et  à  des  subreptions.  11  falloit  reprendre 
toutes  les  matières  qui  avoient  été  traitées  en  l'absence  de  la  na- 
tion françoise,  aussi  bien  que  les  matières  traitées  en  l'absence 
de  la  nation  allemande  ;  et  après  une  délibération  préalable,  faire 
des  conclusions  convenables  pour  suppléer  au  défaut  de  l'absence 
de  ces  deux  grandes  nations. 

IX.  Tout  ce  que  je  viens  de  dire,  depuis  le  troisième  para- 
graphe, tend  à  justifier  ce  que  j'ai  dit  de  la  déclaration  solen- 
ïielle  de  la  nation,  qui  bien  loin  de  se  trouver  pour  le  concile. 


LEIBNIZ  A  BOSSUET.  191 

se  trouve  plutôt  contraire  à  son  autorité,  quand  même  j'accor- 
derois  que  les  particuliers  ont  été  et  sont  persuadés  que  ce  con- 
cile est  véritablement  œcuménique.  Cependant  je  ne  vois  rien 
encore  qui  m'oblige  d'accorder  cela  :  assurément  ce  n'étoit  pas 
le  sentiment  de  MM.  Pibrac  et  du  Ferrier.  Il  semble  qu'on  re- 
connoît  aussi  que  ce  n'étoit  pas  celui  du  feu  président  de  Thou, 
ni  de  MM.  du  Puy.  J'ai  vu  des  objections  d'un  auteur  catholi- 
que romain  contre  la  réception  du  concile  de  Trente,  faites  pen- 
dant la  séance  des  Etats,  l'an  1615,  avec  des  réponses  assez  im- 
portantes, le  tout  inséré  dans  un  volume  manuscrit,  sur  l'as- 
semblée du  clergé  de  l'an  1614^  et  1615. 

Ces  objections  marquent  assez  que  l'autem'  ne  tient  pas  ce 
concile  pom*  œcuménique  ;  à  quoi  l'autem*  des  réponses  n'oppose 
que  des  pétitions  de  principe.  J'ai  lu  ce  que  les  députés  du  tiers- 
état  ont  opiné  entre  eux  sur  l'article  du  concile.  Quelques-uns 
demeurent  en  termes  généraux,  refusant  d'entrer  en  matière,  soit 
parce  cjn'on  étoit  sur  le  point  de  finir  leurs  cahiers,  qu'ils  dévoient 
présenter  au  roi,  soit,  disent-ils,  parce  que  les  François  ne  sont 
pas  à  présent  plus  sages  qu'ils  étoient  il  y  a  soixante  ans  ;  et  que 
leurs  prédécesseurs  apparemment  avoient  eu  de  bonnes  raisons 
de  ne  pas  consentir  à  la  réception  du  concile,  qu'on  n'avoit  pas 
maintenant  le  loisir  d'examiner.  Quelques-ims  disent  qu'on  reçoit 
la  foi  du  concile  de  Trente  ;  mais  non  pas  les  règlemens  de  disci- 
pline. J'ai  remarqué  qu'il  y  en  a  eu  un,  et  il  me  semble  que  c'est 
Miron  lui-même,  président  de  l'assemblée,  qui  dit  en  opinant  que 
le  concile  est  œcuménique  ;  mais  que  cela  nonobstant,  il  n'est  pas 
à  propos  maintenant  de  parler  de  sa  réception.  Cependant  je  ne 
vois  pas  que  d'autres  en  aient  dit  autant.  Charles  du  Moulin,  au- 
teur catholique  romain  et  fameux  jurisconsulte,  a  écrit  positive- 
ment, si  je  ne  me  trompe,  contre  l'autorité  du  concile  de  Trente  : 
ce  qui  a  fait  que  les  Italiens  l'ont  pris  pour  protestant  ;  et  que  ses 
livres  sont  tellement  inter  prohibitos  jirimœ  classis,  que  j'ai  vu 
que  lorsqu'on  donne  licence  à  Rome  de  lire  des  li\Tes  défendus, 
Machiavel  et  du  Moulin  sont  ordinairement  exceptés.  L'on  en 
trouvera  sans  doute  encore  bien  d'autres  déclarés  contre  le  con- 
cile. M.  Yigor  en  paroît  être,  et  peut-être  M.  de  Launoi  lui-même. 


192  LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE, 
à  considérer  son  livre  :  De  poiestate  Régis  circa  validiiatem  ma- 
trimonii;  et  les  modernes,  qui  se  rapportent  aux  raisons  et  con- 
sidérations de  leui^s  ancêtres,  témoignent  assez  de  laisser  au  moins 
ce  point  en  suspens.  La  foiblesse  du  gouvernement  de  Catherine 
de  Médicis  et  ses  enfans,  a  fait  que  le  clergé  de  son  autorité  privée 
a  introduit  en  France  la  Profession  de  foi  de  Pie  IV,  et  obligé 
tous  les  bénéficiers  et  ceux  qui  ont  droit  d'enseigner  de  faire  cette 
profession  ;  par  une  entreprise  semblable  à  celle  qui  porta  Mes- 
sieurs du  clergé,  dans  leur  assemblée  de  1615,  à  déclarer,  quant 
à  eux,  le  concile  de  Trente  pour  reçu.  Je  crois  que  Messieurs  des 
conseils  et  parlemens  et  les  gens  du  roi  dans  les  corps  de  justice, 
n'approuvent  guère  ni  l'un  ni  l'autre. 

X.  Or,  pour  revenir  enfin  à  ma  première  distinction,  ces  catho- 
liques romains,  qui  doutent  de  l'autorité  du  concile  de  Trente, 
peuvent  pourtant  demem-er  d'accord  de  tout  ce  qu'il  a  défini 
comme  de  foi.  Ils  peuvent  approuver  la  foi  du  concile  de  Trente, 
sans  recevoir  le  concile  de  Trente  pour  règle  de  foi  ;  et  ils  peu- 
vent môme  approuver  les  décrets  du  concile,  sans  approuver 
qu'on  y  attache  les  anathèmes,  ni  qu'on  exige  des  autres  l'appro- 
bation des  mêmes  décrets  sous  peine  d'hérésie.  Car  on  n'est  pas 
hérétique  quand  on  se  trompe  sur  un  point  de  fait,  tel  qu'est  l'au- 
torité d'un  certain  concile  prétendu  œcuménique.  C'est  ainsi  que 
les  ultramontains  et  citramontains  ont  été  et  sont  en  dispute  tou- 
chant les  conciles  de  Constance  et  de  Bàle,  ou  au  moins  touchant 
leurs  parties,  et  touchant  celui  de  Pise  et  le  dernier  de  Latran.  Et 
apparemment  la  reine  Catherine  de  Médicis,  avec  son  conseil,  étoit 
dans  le  sentiment  que  je  viens  de  dire  sur  le  concile  de  Trente, 
lorsque  pour  donner  raison  du  refus  qu'elle  fit  de  la  réception  de 
ce  concile,  elle  allégua  qu'il  empècheroit  la  réunion  des  protes- 
tans,  comme  M.  l'abbé  Pirot  l'avoue,  et  reconnoît  que  le  prétexte 
étoit  beau;  marque  qu'elle  désiroit  un  concile  plus  libre,  plus  au- 
torisé et  plus  capable  de  donner  satisfaction  aux  protestans ,  et 
qu'alors  la  difficulté  n'étoit  pas  seulement  sur  la  disciphne. 

XI.  Cela  peut  suffire  maintenant,  sur  ce  que  M.  l'abbé  Pirot  dit 
dans  son  discours,  de  l'autorité  du  concile  de  Trente  en  France. 
Je  vois  qu'il  suppose  (jpi'en  Allemagne  tout  le  concile  de  Trente 


LEIBNIZ  A  BOSSUET.  193 

passe  pour  œcuménique ,  nonobstant  les  oppositions  que  l'empe- 
reur Charles  V  avoit  faites  contre  la  translation  du  concile.  Cepen- 
dant ayant  été  autrefois  moi-même  au  service  d'un  électeur  de 
MayencB;,  qui  est  le  premier  prélat  de  l'Allemagne  et  dont  la  ju- 
ridiction ecclésiastique  est  la  plus  étendue ,  j'ai  appris  que  le 
concile  de  Trente  n'a  pas  encore  été  reçu  dans  l'archidiocèse  de 
Mayence,  ni  dans  les  évêchés  qui  reconnoissent  cet  archevêque. 
Je  crois  l'avoir  entendu  de  la  bouche  du  feu  électeur  Jean-Phi- 
lippe ,  dont  le  savoir  et  la  prudence  sont  connus.  La  même  chose 
m'a  été  confumée  par  ses  ministres.  Je  ne  suis  pas  bien  informé 
de  ce  qui  s'est  fait  dans  les  autres  ég-lises  métropolitaines  d'Alle- 
magne :  mais  je  suis  porté  à  en  croire  autant  de  quelques-unes, 
parce  qu'autrement  il  auroit  fallu  des  synodes  provinciaux  pour 
cette  introduction,  dont  cependant  on  n'a  point  de  connoissance. 
XII.  Au  reste  les  protestans  ont  publié  plus  d'mie  fois  les  rai- 
sons qu'ils  avoient  de  ne  pas  déférer  à  ce  concile.  Je  n'y  veux 
point  entrer;  et  je  dirai  seulement  ici  qu'outre  l'opposition  faite 
par  l'empereur  Charles  Y  contre  ce  qui  s'étoit  passé  à  Boulogne, 
il  falloit  que  Pie  IV  tâchât  de  faire  remettre  les  choses ,  à  Tégard 
des  Allemands ,  aux  termes  où  Charles  V  les  avoit  mises  lorsque 
les  ambassadeurs  et  les  théologiens  des  protestans  aUoient  à 
Trente  :  ce  qui  ayant  été  sans  suite  à  cause  de  la  guerre  survenue, 
de  voit  être  par  après  réintégré.  Mais  la  cour  de  Rome  étoit  bien 
aise  de  s'en  être  dépêtrée;  et  ce  fut  avec  ime  étrange  précipitation 
que  les  grandes  controverses  furent  dépêchées  à  Trente  par  une 
troupe  de  gens  dévoués  à  Rome  et  peu  zélés  pom'le  véritable  bien 
de  l'Eglise,  qui  appréhendoient  davantage  de  choquer  Scot  ou 
Cajetan  que  d'offenser  irréconcihablement  des  nations  entières. 
Car  ils  se  moquoient  des  peuples  éloignés  qui  ne  les  touchoient 
guère,  pendant  qu'ils  ménageoient  des  moines  ;  parce  qu'il  y  en 
avoit  beaucoup  dans  leur  assemblée,  et  qu'ils  les  voyoient  consi- 
dérés dans  les  pays  d'où  étoient  les  prélats  qui  remplissoient  le 
coucile.  Ainsi  ces  messieurs  ne  faisoient  pas  la  moindre  difficulté 
de  trancher  net  sur  des  questions  de  la  dernière  importance,  qui 
étoient  en  controverse  avec  les  protestans,  et  que  les  anciens  Pères 
n' avoient  pas  osé  déterminer,  et  parloient  ambigument  et  avec 
TOM.  xvm.  13 


AU    LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

beaucoup  de  réserve  de  ce  qui  étoit  en  dispute  entre  les  sco- 
lastiques. 

XIII.  Il  semble  même  qu'ils  vouloient  profiter  de  ces  momens 
favorables,  que  les  temps  et  les  conjonctures  leur  fournissoient, 
lorsque  les  protestans  et  presque  toutes  les  nations  du  Nord  étoient 
absentes ,  aussi  bien  que  les  Grecs  et  les  Orientaux  ;  qu'il  y  avoit 
un  roi  d'Espagne  entêté  des  moines ,  dont  les  sentimens  étoient 
bien  éloignés  de  ceux  de  l'empereur  son  père;  et  que  la  France 
étoit  gouvernée  par  une  femme  italienne  et  par  les  princes  de  la 
maison  de  Lorraine,  qui  avoient  leur  but.  Ainsi  ces  prélats,  ita- 
liens pour  la  plupart,  toujours  entêtés  de  certaines  opinions  chi- 
mériques ,  que  les  autres  sont  des  barbares  et  qu'il  appartient  à 
eux  de  gouverner  le  monde  ;  bien  aises  d'avoir  les  coudées  fran- 
ches et  de  voir  en  quelque  façon  dans  l'opinion  de  bien  des  gens 
le  pouvoir  de  l'Eglise  'universelle  déposé  entre  leurs  mains,  au 
lieu  qu'à  Constance  et  à  Bùle  les  autres  nations  balancoient  fort  et 
obscurcissoient  môme  l'autorité  des  Italiens  :  ces  prélats,  dis-je, 
soutenus  et  animés  par  la  direction  de  Rome,  taillèrent  en  plein 
drap ,  et  firent  des  décisions  à  outrance  à  l'égard  de  la  foi ,  sans 
vouloir  ouïr  des  oppositions  ;  vA  au  lieu  d'une  réforme  véritable 
des  abus  dominans  dans  l'Eglise,  ils  consumèrent  le  temps  en  des 
matières  qui  ne  touchoient  que  l'écorce,  pour  se  tirer  bientôt 
d'affaire  et  apaiser  le  monde,  qui  avoit  été  dans  l'attente  de 
quelque  chose  de  grand  de  la  part  de  ce  concile.  Aussi  peut-on 
dire  que  bien  des  choses  empirèrent  cjuand  il  fut  terminé  ;  que 
Rome  triompha  de  joie  d'être  sortie  sans  dépens  de  cette  grande 
affaire  et  d'avoir  maintenu  toute  son  autorité  ;  que  l'espérance  de 
la  réconciliation  fut  perdue;  que  les  abus  jetèrent  des  racines  plus 
fortes  ;  que  les  religieux  par  le  moyen  des  confréries  et  de  mille 
inventions ,  portèrent  la  superstition  plus  loin  qu'elle  n'avoit 
jamais  été,  au  grand  déplaisir  des  personnes  bien  intentionnées; 
que  personne  n'osa  plus  ouvrir  la  bouche,  parce  qu'on  le  traitoit 
d'abord  d'hérétique,  au  lieu  qu'auparavant  des  Erasmes  et  des 
Yivès,  tout  estimés  qu'ils  étoient  dans  l'Eglise  romaine,  n'avoient 
pas  laissé  de  s'ouvrir  sur  les  erreurs  et  les  abus  des  moines  et 
des  scolastiques  qu'on  vit  alors  canoiiisés ,  tandis  que  plusieurs 


LEIBNIZ  A  BOSSUET.  195 

honnêtes  gens  et  bons  auteurs  furent  marqués  au  coin  de  l'hérésie 
par  ces  nouveaux  juges.  La  France  presque  seule  alors  pouvoit 
et  devoit  maintenir  la  liberté  de  l'Eglise,  contre  cette  conspiration 
d'une  troupe  de  prélats  et  de  docteurs  ultramontains,  qui  étoient 
comme  aux  gages  des  légats  du  Pape  :  mais  la  foiblesse  du  gou- 
vernement et  l'ascendant  du  cardinal  de  Lorraine,  lièrent  les 
mains  aux  bien  intentionnés.  Cependant  Dieu  voulut  que  la  vic- 
toire ne  fût  pas  entière  ;  que  le  génie  libre  de  la  nation  françoise 
ne  fût  pas  tout  à  fait  supprimé  ;  et  que  nonobstant  les  efforts  des 
papes  et  du  cardinal  de  Lorraine,  la  réception  du  concile  ne  passât 
jamais. 

XIV.  Quelqu'un  dira  qu'on  n'a  pas  besoin  du  consentement  des 
nations  ;  que  les  seuls  prélats  ou  évêques  convoqués  par  le  Pape, 
sont  de  l'essence  d'un  concile  œcuménique  ;  et  que  ce  qu'ils  déci- 
dent doit  être  reçu,  sous  peine  de  damnation  éternelle,  comme  la 
voix  du  Saint-Esprit,  sans  s'arrêter  aux  intérêts  des  couronnes  ou 
nations.  Il  semble  que  c'étoit  le  sentiment  de  l'évêque  de  Beauvais, 
dans  la  harangue  qu'il  fit  aux  députés  du  tiers-état,  l'an  1615. 
C'est  aussi  l'opinion  de  l'auteur  des  Réponses  pour  la  réception  du 
concile,  contre  les  objections  dont  j'ai  parlé  ci-dessus,  et  même  les 
ambassadeurs  de  France,  retirés  à  Venise,  écrivirent  au  roi  lem' 
maître,  que  les  ambassadeurs  n'assistoient  pas  aux  anciens  con- 
ciles; et  quelques  députés  du  tiers-état  disent  en  opinant,  que  les 
conciles  n'ont  pas  besoin  de  réception,  et  s'étonnent  qu'on  la  de- 
mande; mais  c'est  pour  éviter  cette  réception  qu'ils  le  disent. 

Je  réponds  qu'il  semble  en  effet  que  les  seuls  évêques  ou  pas- 
teurs des  peuples  doivent  avoir  voix  délibérative  et  décisive  dans 
les  conciles  :  mais  cela  ne  se  doit  point  prendre  avec  cette  préci- 
sion métaphysique,  cjiie  les  affaires  humaines  n'admettent  point. 
Il  faut  des  préparatifs  avant  que  de  venir  à  ces  délibérations  déci- 
sives ;  et  les  puissances  séculières ,  en  personne  ou  par  leurs  am- 
bassadeurs, y  doivent  avoir  une  certaine  concurrence  à  l'égard 
de  la  direction.  Il  est  convenable  que  les  prélats  soient  autorisés 
des  nations,  et  même  que  les  prélats  se  partagent  et  délibèrent 
par  nation ,  afin  que  chaque  nation  faisant  convenir  ceux  de  son 
corps  et  communiquant  avec  les  autres ,  on  prépare  lé  chemin  à 


196  LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

l'accord  général  de  toute  rassemblée.  C'est  ainsi  qu'on  en  usa  à 
Constance,  et  je  me  suis  étonné  plusieurs  t'ois  de  ce  que  l'Empe- 
reur et  la  France  ne  tâchèrent  pas  d'obliger  les  papes  à  suivre 
cet  exemple  à  Trente.  Les  clioses  am-oient  tourné  tout  autrement  ; 
et  peut-être  les  nations  allemande  et  angloise ,  avec  le  reste  du 
Nord,  n'en  seroient  pas  venus  à  cette  séparation  entière  qu"on  ne 
sauroit  assez  déplorer,  et  de  laquelle  la  cour  de  Rome  ne  se  sou- 
cioit  plus  guère,  aimant  mieux  les  perdre  et  garder  mi  plus 
grand  pouvoir  sur'  ceux  qu'elle  retenoit  que  de  les  retenir  tous 
aux  dépens  de  son  autorité.  Mais  je  crois  qu'en  effet  les  papes, 
craignant  déjà  assez  la  tenue  d'un  concile  général,  n'y  seroient 
venus  qu'à  l'extrémité ,  si  on  les  avoit  obligés  à  cette  forme  ;  et 
leur  l)onheur  fut  le  malheur  comnum ,  en  ce  que  les  deux  puis- 
sances principales  de  la  chrétienté  étoient  toujours  brouillées 
ensemble. 

XV.  Quant  à  l'assistance  de  la  puissance  séculière,  on  ne  sau- 
roit disconvenir  à  l'égard  des  anciens  conciles  que  l'indiction  dé- 
pendoit  de  l'Empereur,  et  que  les  empereurs  ou  leurs  légats 
avoient  proprement  la  direction  du  concile  pour  y  maintenir  l'or- 
dre. Presque  toute  l'Eglise  étoit  comprise  dans  l'Empire  romain  : 
les  Perses  étoient  encore  idolâtres;  les  rois  des  (Joths  et  des  Van- 
dales étoient  ariens  ;  les  Axumites  ou  Abyssins,  et  quelques  autres 
peuples  semblables,  convertis  depuis  peu  par  des  évoques  de 
l'Empire  romain,  n'y  faisoient  pas  grande  figure,  et  venoient 
plutôt  pour  apprendre  que  pour  enseigner.  Enfin  les  légats  des 
empereurs  avoient  encore  grande  influence  sur  la  conclusion  finale 
du  concile,  qu'ils  pouvoient  avancer  ou  suspendre.  Le  Pape  s'est 
attribué  une  partie  de  ce  pouvoir  depuis  la  décadence  de  TEnipire 
romain  :  le  reste  doit  être  partagé  entre  les  puissances  souveraines 
ou  grands  Etats  qui  composent  l'Eglise  chrétienne  ;  en  sorte  néan- 
moins que  l'Empereur  y  ait  quelque  préciput,  comme  premier 
chef  séculier  de  l'Eglise  :  et  les  ambassadeurs,  qui  représentent 
leurs  maîtres  dans  les  conciles,  forment  un  corps  ensemble  dans 
lequel  se  trouve  le  droit  des  anciens  empereurs  romains  ou  de 
leurs  légats  :  et  le  moyen  le  plus  connnode  de  maintenir  le  droit 
de  leur  influence,  est  celui  des  nations,  puisque  chaque  nation  et 


LEIBNIZ  A  BOSSUET.  107 

couronne  a  un  rapport  particulier  à  ses  souverains  et  à  ceux  qui 
les  représentent.  Cela  n'est  pas  assujettir  l'Eglise  universelle  aux 
souverains;  mais  c'est  trouver  un  juste  tempérament  entre  la 
puissance  ecclésiastique  et  séculière,  et  employer  toutes  les  voies 
de  la  prudence  pour  disposer  les  choses  à  une  bonne  fin. 

XYI.  On  me  dira  peut-être  que  tout  ceci  est  fort  bon,  mais  nul- 
lement nécessaire.  Je  ne  veux  point  disputer  présentement/ quoi- 
((u'il  y  ait  peut-être  quelque  chose  à  dire  à  l'égard  de  Tindiction 
d'un  concile,  où  le  concours  des  souverains  pourroit  paroître  es- 
sentiel; mais  je  dirai  seulement  à  l'égard  du  concile  de  Trente, 
qu'aftn  qu'un  concile  soit  œcuménique,  il  ne  faut  pas  qu'une  na- 
tion ou  deux  y  dominent  :  il  faut  que  le  nombre  des  prélats  des 
autres  nations  y  soit  assez  considérable  pour  s'entre-balancer  ; 
afin  qu'on  puisse  reconnoître  la  voix  de  toute  l'Eglise,  à  laquelle 
Dieu  a  promis  particulièrement  son  assistance,  outre  que  dans  les 
conciles  il  s'agit  souvent  de  la  tradition,  de  lacpielle  une  ou  deux 
nations  ne  sauroient  rendre  un  bon  témoignage.  Or  il  faut  recon- 
noître que  les  Italiens  dominoient  proprement  à  Trente,  et  qu'a- 
près eux  les  Espagnols  se  faisoient  considérer,  que  les  François 
n'y  faisoient  pas  grande  figure,  et  que  les  Allemands,  qui  dévoient 
surtout  être  écoutés,  n'en  faisoient  point  du  tout.  Mais  TEglise 
grecque  particulièrement  ne  devoit  pas  être  négligée,  à  cause  des 
traditions  anciennes  dont  elle  peut  rendre  témoignage  contre  les 
opinions  nouvelles,  reçues  et  devenues  communes  parmi  les  La- 
tins, par  l'ascendant  qu'y  avoient  pris  les  ordres  mendians  et  les 
scolastiques  sortis  de  ces  ordres,  souvent  bien  éloignés  de  l'an- 
cien esprit  de  l'Eglise. 

XVII.  Ainsi  on  peut  dire  cpie  les  prélats  n'étoient  pas  en  nom- 
bre suffisant,  à  proportion  des  nations,  pour  représenter  l'Eglise 
œcuménique  :  et  afin  de  balancer  les  Italiens  et  les  Espagnols,  il 
faUoit  bon  nombre,  non-seulement  de  François,  qui,  avec  lesdits 
Italiens  et  Espagnols,  composent  proprement  la  langue  latine; 
mais  encore  de  la  langue  allemande,  sous  laquelle  on  peut  com- 
prendre encore  les  Anglois,  Danois,  Suédois,  Flamands,  et  de  la 
langue  sclavonne,  qui  comprend  les  com^onnes  de  Pologne  et  de 
Bohême,  et  autres  peuples,  et  qui  se  pourroit  associer  les  Hon- 


198    LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

grois,  pour  ne  rien  dire  des  Grecs  et  des  Orientaux.  Et  il  ne  sert 
de  rien  de  répliquer  qu'une  bonne  partie  de  ces  peuples  est  sépa- 
rée de  l'Eglise  :  car  c'est  prendre  pour  accordé  ce  qui  est  en  ques- 
tion; et  de  dire  qu'on  les  a  cités,  cela  n'est  rien.  Il  falloit  prendre 
des  mesures  pour  qu'ils  pussent  venir  honnêtement  et  sûrement, 
et  sans  vouloir  les  traiter  en  condamnés.  On  en  sut  bien  prendre 
avec  les  Grecs  dans  le  concile  de  Ferrare  ou  de  Florence;  et  le 
prétendu  schisme  où  l'on  veut  que  les  Grecs  se  trouvent  enve- 
loppés n'empêcha  pas  leurs  prélats  d'entrer  dans  le  concile,  et  de 
traiter  avec  les  Latins  d'égal  à  égal.  On  les  ménagea  même  dans 
les  matières  qn'on  a  précipitées  à  Trente  sans  ménagement  ;  et 
M.  l'abbé  Pirot  a  bien  remarqué  qu'on  ne  voulut  rien  décider  à 
Florence,  en  présence  des  Grecs,  à  l'égard  de  la  dissolution  du 
mariage  par  adultère.  Quelle  apparence  donc  de  le  décider  par 
après  dans  un  autre  concile  en  leur  absence,  sans  aucune  commu- 
nication avec  eux?  C'est  cependant  ce  que  le  concile  de  Trente  n'a 
pas  fait  scrupule  de  faire,  passant  ainsi  par-dessus  toutes  les 
formes,  (l'étoit  apparemment  pour  contrecarrer  davantage  les 
protestans  :  car  on  prenoit  plaisir  de  les  condamner  en  toutes 
les  rencontres;  connue  si  on  étoit  l)ien  aise  de  se  défaire  des 
gens  et  des  peuples,  dont  la  cour  de  Rome  craignoit  quelque 
préjudice  à  son  autorité.  On  a  coutume  de  dire  qu'il  y  avoit  peu 
d'Occidentaux  au  grand  concile  de  Nicée  ;  mais  le  nombre  ne  fait 
rien,  quand  le  consentement  est  notoire,  au  lieu  qu'il  faut  en- 
tendre les  gens  lorsque  leur  dissension  est  connue.  Mais  j'ai  déjà 
dit  que  le  concile  de  Trente  étoit  plutôt  mi  synode  de  la  nation 
italienne,  où  Ton  ne  faisoit  entrer  les  autres  que  pour  la  forme  et 
pom-  mieux  couvrir  le  jeu;  et  le  Pape  y  étoit  absolu.  C'est  ce 
que  les  François  déclarèrent  assez  dans  les  occasions,  lorsqu'on 
avoit  mis  leur  patience  à  bout  par  quelque  entreprise  contraire 
à  cette  couronne.  Qu'ils  l'aient  fait  en  forme  due  ou  non,  par  des 
harangues  prononcées  ou  seulement  projetées,  par  des  protesta- 
tions enregistrées  ou  non  enregistrées,  avouées  ou  non  avouées; 
qu'on  ait  rappelé  les  prélats  françois,  ou  qu'on  les  y  ail  laissés  : 
cela  ne  fait  rien  à  la  vérité  des  choses,  et  ne  lève  pas  les  défauts 
essentiels  qui  se  trouvoient  dans  le  concile. 


LEIBNIZ  A  BOSSUET.  199 

XVIII.  Je  ne  m'étois  proposé  que  de  parler  de  l'autorité  du  con- 
cile de  Trente  en  France;  mais  j'ai  été  insensiblement  porté  à 
parler  de  Tautorité  de  ce  concile  en  elle-même  à  l'égard  de  la 
forme.  Ainsi,  pour  achever,  je  veux  encore  dire  quelque  chose 
de  sa  matière  et  de  ses  décisions.  J'ai  été  bien  aise  d'apprendre 
par  la  dissertation  de  M.  l'abbé  Pirot,  en  quoi  l'on  croit  propre- 
ment que  le  concile  de  Trente  a  fait  de  nouvelles  décisions  en  ma- 
tière de  foi.  Je  sais  que  les  sentimens  sont  assez  partagés  là-des- 
sus, mais  le  jugement  d'un  sorboniste  aussi  célèbre  et  aussi 
éclairé  que  lui  me  paroîtra  toujours  très-considérable.  Il  rapporte 
donc  qu'après  la  définition  du  concile  de  Trente  et  auprès  de  ceux 
qui  le  tiemient  pour  œcuménique ,  on  ne  sauroit  douter  sans  hé- 
résie d'aucuns  des  livres ,  ni  d'aucmie  partie  des  livres  compris 
dans  le  volume  de  FEcritm^e  sainte,  sans  en  excepter  même  Ju- 
ditJi,  Tobie,  la  Sagesse,  Y  Ecclésiastique ,  les  Machabées,  et  sans 
en  excepter  encore  le  reste  d'Esther ,  le  Cantique  des  Enfans , 
l'histoire  de  Susanne,  ceUe  de  l'histoire  de  Bel  et  du  Dragon, 
aussi  bien  que  la  prophétie  de  Baruch;  qu'on  ne  sauroit  plus 
douter  que  la  justification  se  fait  par  une  qualité  inhérente,  ni  que 
la  foi  j  ustifiante  est  distinguée  de  la  confiance  en  la  miséricorde 
divine,  ni  du  nombre  septénaire  des  sacremens,  de  l'intention  du 
ministre  y  requise;  de  la  nécessité  absolue  du  baptême;  de  la 
concomitance  du  corps  et  du  sang  de  Jésus-Christ  dans  l'Eucha- 
ristie avec  sa  divinité  ;  de  la  matière ,  forme  et  ministre  des  sa- 
cremens ;  de  l'indissolubihté  du  lien  du  mariage  nonobstant  l'a- 
dultère. 

XIX.  Je  crois  qu'on  y  pourroit  ajouter  encore  d'autres  points  : 
par  exemple ,  la  distinction  entre  le  baptême  de  saint  Jean-Bap- 
tiste et  celui  de  Notre-Seigneur,  établie  avec  anathème;  la  confir- 
mation de  quelques  canons  de  saint  Augustin  et  du  concile  d'O- 
range sur  la  grâce;  et  selon  les  jésuites  ou  leurs  partisans,  la 
suffisance  de  l'attrition  jointe  avec  le  sacrement  de  pénitence. 
Selon  les  protestans  et  même  selon  quelques  catholiques  romains, 
qui  doutent  de  l'autorité  de  quelques  conciles  antériem's,  on  y 
pourroit  encore  joindre  bien  d'autres  articles.  Mais  en  général  on 
l^eut  dire  que  plusieurs  propositions  reçues  dans  l'Occident  avant 


200    LETTRES  SUR  LA  REUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

ce  concile,  n'ont  commencé  que  par  lui  à  être  établies  sous  peine 
d'hérésie  et  d'anathème. 

XX.  Mais  tout  cela,  bien  loin  de  servir  à  la  louange  du  concile 
de  Trente ,  doit  rendre  tant  les  catholiques  romains  que  les  pro- 
testans  plus  difficiles  à  le  reconnoître.  Nous  n'avons  peut-être 
que  trop  de  prétendues  définitions  en  matière  de  foi.  On  devoit  se 
tenir  à  la  tradition  et  à  l'antiquité ,  sans  prétendre  de  savoir  et 
d'enjoindre  aux  autres,  sous  peine  de  damnation,  des  articles  dont 
l'Eglise  s'étoit  passée  depuis  tant  de  siècles,  et  dont  les  saints  et 
grands  hommes  de  l'antiquité  chrétienne  n'étoient  nullement  ins- 
truits ni  persuadés.  Pourquoi  rendre  le  joug  des  fidèles  plus  pe- 
sant, et  la  réconciliation  avec  les  protestans  plus  difficile?  Quel 
besoin  de  canoniser  l'histoire  de  Judith  et  autres  semblables, 
nicdgré  les  grandes  difficultés  qu'il  y  a  à  l'encontre?  Et  quelle 
apparence  que  nous  en  puissions  plus  savoir  que  l'Eglise  au  temps 
de  saint  Jérôme,  vu  que  tout  ce  qui  est  de  foi  divine,  tandis  que 
nous  manquons  de  révélations  nouvelles,  ne  nous  sauroit  être 
appris  que  par  IJ-x-riture  sainte  ou  par  la  tradition  de  l'ancienne 
Eglise?  Et  si  nous  nous  tenons  à  la  règle  de  Vincent  de  Lérins, 
touchant  ce  qu'on  doit  appeler  catholique,  ou  même  à  ce  que  dit 
la  Profession  de  Pie  iV,  qu'il  ne  faut  jamais  interpréter  rEcriture 
que  juxta  unanimem  coiisensum  Patrum,  et  enfin  à  ce  que  Henri 
Holden,  Anglois,  docteur  sorboniste,  si  je  m'en  souviens  bien,  a 
écrit  de  l'analyse  de  la  foi  contre  les  sentimcns  du  Père  Gretser, 
jésuite  :  touti  s  ces  décisions  seront  en  danger  de  perdre  leur  au- 
torité. Surtout  il  falloit  bien  se  donner  de  garde  d'y  attacher 
hidifférenmient  des  anathèmes.  (ieorge  Calixte,  un  des  plus  savans 
et  des  plus  modérés  théologiens  de  la  Confession  d'Augsbourg,  a 
bien  représenté  dans  ses  Remarques  sur  le  concile  de  Tre?ite  et 
dans  ses  autres  ouvrages,  le  tort  que  ce  concile  a  fait  à  l'Eglise 
par  ses  anathématismes. 

XXI.  Cependant  je  crois  que  bien  souvent  on  pourroit  venir  au 
secours  du  concile  par  une  interprétation  favorable.  J'ai  vu  mi 
essai  de  celles  d'un  protestant,  et  j'en  vois  des  exemples  parmi 
ceux  de  la  communion  de  Rome.  En  voici  deux  assez  considé- 
r,ables.  Les  protestans  ont  coutume  de  se  récrier  étrangement 


LEIBNIZ  A  BOSSUET.  201 

contre  ce  concile,  sur  ce  qu'il  fait  dépendre  la  validité  du  sacre- 
ment de  Tintention  du  ministre.  Ainsi,  disent-ils,  on  aura  tou- 
jours sujet  de  douter  si  on  est  baptisé  ou  absous.  Cependant  je 
me  souviens  d'avoir  vu  des  auteurs  catholiques  romains  qui  le 
prenoient  tout  autrement;  et  lorsquim  prince  de  leur  commu- 
nion, dans  mie  lettre  que  j'eus  riionneur  de  recevoir  de  lui,  cotoit 
parmi  les  autres  différends  celui  de  l'intention  du  ministre,  je  lui 
en  marquai  mon  opinion.  Il  eut  de  la  peine  à  y  ajouter  foi  :  mais 
ayant  considté  un  célèbre  théologien  aux  Pays-Bas,  il  en  eut  cette 
réponse,  quej'avois  raison;  que  plusiem's  catholiques  romains 
étoient  de  cette  opinion;  qu'elle  avoit  été  soutenue  en  Sorbonne, 
et  même  qu'elle  y  étoit  la  mieux  reçue  ;  qu'effectivement  un  bap- 
tême comique  n'étoit  pas  valide  ;  mais  aussi  que ,  lorsqu'on  fait 
tout  ce  que  TEglise  ordonne,  la  seule  substraction  interne  du  con- 
sentement ne  nuisoit  point  à  l'intention,  et  n'étoit  qu'une  protes- 
tation contraire  au  fait.  L'autre  exemple  pourra  être  la  suffisance 
de  Fattrition  avec  le  sacrement.  J'avoue  que  le  concile  de  Trente 
paroît  la  marquer  assez  clairement,  chapitre  iv  de  la  session  xiv, 
et  les  jésuites  preiuient  droit  là-dessus.  Cependant  ceux  qu'on 
appelle  Jansénistes  s'y  sont  opposés  avec  tant  de  force  et  de  suc- 
cès, que  la  chose  paroît  maintenant  douteuse,  surtout  depuis  que 
les  papes  mêmes  ont  ordonné  que  les  parties  ne  se  déchireroient 
plus,  et  ne  s'accuseroient  plus  d'hérésie  sur  cet  article.  Cela  fait 
voir  que  bien  des  choses  passent  pour  décidées  dans  le  concile  de 
Trente,  qui  ne  le  sont  peut-être  pas  autant  qu'on  le  pense.  Ainsi, 
quelque  autorité  qu'on  donne  au  concile  de  Trente,  il  sera  néces- 
saire un  jour  de  venir  à  im  autre  concile  plus  propre  à  remédier 
aux  plaies  de  l'Eglise. 

XXII.  Toutes  ces  choses  étant  bien  considérées,  et  surtout 
l'obstacle  que  le  concile  de  Trente  apporte  à  la  réunion  étant  mû- 
rement pesé,  on  jugera  peut-être  que  c'est  par  la  direction  secrète 
de  la  Providence  que  l'autorité  du  concile  de  Trente  n'est  pas, 
encore  assez  reconnue  en  France ,  afin  que  la  nation  françoise, 
qui  a  tenu  le  milieu  entre  les  protestans  et  les  romanistes  outrés, 
soit  plus  en  état  de  travailler  un  jour  à  la  délivrance  de  rEghse, 
aussi  bien  qu'à  la  réintégration  delunité.  Aux  Etats  de  l'an  1G14 


202    LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

et  1615,  le  clergé  avoit  manqué  en  ce  qu'il  avoit  difîéré  de  parler 
de  ce  point  de  la  réception  du  concile  jusqu'à  la  fm  des  Etats  : 
autrement,  autant  que  je  puis  juger  par  ce  qui  se  passa  dans  le 
tiers-état,  on  seroit  entré  en  matière;  et  je  crois  que  le  clergé, 
qui  avoit  déjà  gagné  la  noblesse ,  l'auroit  emporté.  Mais  j'ai  déjà 
dit,  et  je  le  dis  encore,  qu'il  semble  que  Dieu  ne  l'a  point  voulu, 
afin  que  le  royaume  de  France  conservât  la  liberté,  et  demeurât 
en  état  de  mieux  contribuer  un  jour  au  rétablissement  de  l'unité 
ecclésiastique  par  un  concile  plus  convenable  et  plus  autorisé. 
Aussi  mettant  à  part  la  force  des  armes,  il  n'est  pas  vraisemljlable 
que,  sans  un  concile  nouveau,  la  réconciliation  se  fasse,  ni  que 
tant  de  grandes  nations,  qui  remplissent  quasi  tout  le  Nord,  sans 
parler  des  Orientaux,  se  soumettent  jamais  aveuglément  au  bon 
plaisir  de  quelques  Italiens,  unicpies  auteurs  du  concile  de  Trente. 
Je  ne  le  dis  par  aucune  haine  contre  les  Italiens.  J'y  ai  des  amis  : 
je  sais  par  expérience  qu'ils  sont  mieux  réglés  aujourd'hui  et 
plus  modérés  qu'ils  ne  paroissoient  être  autrefois  ;  et  même 
j'estime  leur  habileté  à  se  mettre  en  état  de  gouverner  les  autres 
par  adresse,  au  défaut  de  la  force  des  anciens  Romains.  Mais  enfin 
il  est  permis  à  ceux  du  Nord  d'être  sur  leurs  gardes,  pour  ne  pas 
être  les  dupes  des  nations  que  leur  climat  rend  plus  spirituelles. 
Pour  assurer  la  liberté  publique  de  l'Eglise  dans  un  concile  nou- 
veau, le  plus  sûr  sera  de  retourner  à  la  forme  du  concile  de 
Constance  en  procédant  par  nations ,  et  d'accorder  aux  protes- 
tans  ce  qu'on  accordoit  aux  Grecs  dans  le  concile  de  Florence. 

XXIII.  J'ajouterai  un  mot  de  la  puissance  indirecte  de  l'Eglise 
sur  le  temporel  des  souverains ,  puisque  M.  l'abbé  Pirot  a  voulu 
faire  des  réflexions  sur  ce  que  j'avois  dit  à  cet  égard.  J'ai  vu  la 
consultation  de  M.  d'Ossat,  qui  porte  pour  titre  :  IJtrmn  Henricus 
Borbonius  sit  absolvendus  et  ad  regnum  dispensandus  ;  où  il 
semble  qu'il  a  voulu  s'accommoder  aux  principes  de  la  cour  de 
Rome  où  il  étoit,  selon  le  proverbe,  Uhda  cum  lupis.  Le  cardinal 
du  Perron ,  dans  sa  Harangue  prononcée  devant  les  députés  du 
tiers-état,  pouvoit  se  borner  à  démontrer  qu'il  ne  falloit  pas  faire 
mie  loi  en  France,  par  laquelle  les  docteurs  ultramontains  et 
le  Pape  même  seroient  déclarés  hérétiques  :  mais  il  alla  plus 


LEIBMZ  A  BOSSUET.  203 

avant,  et  fit  assez  comioître  son  penchant  à  croire  que  les  princes 
chrétiens  perdent  leur  état  par  l'hérésie.  Ce  n'est  pas  à  moi  de 
prononcer  sur  des  questions  si  délicates.  Cependant,  exceptant  ce 
qui  peut  avoir  été  réglé  par  les  lois  fondamentales  de  quelques 
Etats  ou  royaumes,  j'aime  mieux  croire  cpie  régulièrement  les 
sujets  se  doivent  contenter  de  ce  qu'on  les  affranchit  de  l'ohéis- 
sance  active ,  sans  qu'ils  se  puissent  dispenser  de  la  passive  ; 
c'est-à-dire  qu'il  leur  doit  être  assez  de  ne  pas  obéir  aux  comman- 
demens  des  souverains,  contraires  à  ceux  de  Dieu,  sans  qu'ils 
aient  droit  de  passer  à  la  rébelhon  pour  chasser  un  prince  qui  les 
incommode  ou  qui  les  persécute.  Il  sera  difficile  de  sauver  ce 
qu'on  dit  dans  le  troisième  concile  de  Latran  sous  Alexandre  IIÏ, 
ni  ce  qu'on  a  fait  dans  le  premier  concile  de  Lyon  sous  Innocent  IV. 
Cependant  le  soin  que  M.  l'abbé  Pirot  prend  eu  faveur  de  ces  deux 
conciles  est  fort  louable.  Mais  sans  parler  de  la  déposition  des 
princes  et  de  l'absolution  des  sujets  delem'  serment  de  fidélité,  on 
peut  former  des  questions  où  la  puissance  indirecte  de  l'Eglise 
sur  les  matières  temporelles  paroit  plus  raisonnable  :  par  exemple, 
si  quelque  prince  exerçoit  une  infinité  d'actions  cruelles  contre  les 
églises,  contre  les  innocens,  contre  ceux  qui  refuseroient  de 
donner  leur  approbation  expresse  à  toutes  ses  méchancetés  :  on 
demande  si  l'Eglise  pourroit  déclarer  pour  le  salut  des  aines,  que 
ceux  qui  assistent  ce  prince  dans  ses  violences  pèchent  griève- 
ment et  sont  en  danger  de  leur  salut  ;  et  si  elle  pourroit  procéder 
à  l'excommunication ,  tant  contre  ce  prince  que  contre  ceux  de 
ses  sujets  qui  lui  donneroient  assistance,  non  pas  pour  se  main- 
tenir dans  son  royaume  et  dans  ses  autres  droits,  mais  pour 
continuer  les  maux  que  nous  venons  de  dire.  Car  ce  cas  ne  paroît 
pas  contraire  à  l'obéissance  passive  :  et  c'est  à  cet  égard  que  j'ai 
parlé  de  la  puissance  indirecte  de  l'Eghse  sur  les  matières  tempo- 
relles, pour  ne  rien  dire  à  présent  des  lois  ecclésiastiques,  des 
mariages  et  autres  matières  semblables. 

XXIV.  Avant  que  de  conclure,  je  satisferai,  comme  hors 
d'œu\Te,  à  la  promesse  que  j'ai  faite  ci-dessus,  de  dire  ce  que  j'ai 
appris  de  la  profession  de  foi  que  Henri  IV  avoit  faite  à  Saint- 
Denis  ,  quand  l'archevêque  de  Bourges  l'eut  réconcilié  avec 


204    LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

l'Eglise.  J'ai  lu  un  volume  manuscrit,  contenant  tout  ce  qui  con- 
cerne l'al^solution  de  Henri  IV,  tant  à  Saint-Denis  qu'à  Rome.  Les 
six  premières  pièces  du  volume  appartiennent  à  l'absolution  de 
Saint-Denis.  Il  y  a  premièrement  la  promesse  du  roi,  à  son  avè- 
nement à  la  couronne,  de  maintenir  la  religion  catholique  romaine, 
4  d'août  1389;  secondement.  Acte  par  lequel  quelques  princes, 
ducs  et  autres  seigneurs  françois  le  reconnoissent  pour  roi,  con- 
formément à  l'Acte  précédent  de  la  même  date;  troisièmement, 
le  procès-verbal  de  ce  qui  se  passa  à  Saint-Denis  à  l'instruction 
et  absolution  du  roi,  du  22  au  25  juillet  1593  ;  quatrièmement, 
promesse  que  le  roi  donna  par  écrit,  signée  de  sa  main  et  contre- 
signée du  sieur  Ruzé  son  secrétaire  d'Etat,  après  avoir  fait 
l'abjuration  et  reçu  l'absolution  comme  dessus,  du  25  juillet  1593; 
cinquièmement,  profession  de  foi,  ûiite  et  présentée  par  le  roi  lors 
de  son  absolution;  sixièmement,  discours  de  M.  du  Mans  poiu" 
l'absolution  du  roi. 

Le  procès-verbal  susdit  marque  que  les  prélats  délibérèrent  si 
on  ne  renverroit  pas  l'affaire  à  Rome  :  mais  enfin  ils  conclurent, 
à  cause  de  la  nécessité  du  temps ,  du  péril  ordinaire  de  mort 
auquel  le  roi  était  exposé  par  la  guerre,  et  de  la  difficulté  d'aller 
ou  d'envoyer  à  Rome ,  mais  sm-tout  pour  ne  pas  perdre  la  belle 
occasion  de  la  réunion  d'un  si  grand  prince,  que  Tal  (solution  lui 
seroit  donnée  à  la  charge  que  le  roi  enverroit  envers  le  Pape  ;  et 
ces  raisons  sont  étendues  plus  amplement  dans  le  discours  de 
M.  du  Mans.  Il  y  est  aussi  marqué  que  les  prélats  assemblés  pour 
l'instruction  et  réconciliation  du  roi ,  firent  dresser  la  profession 
de  foi  à  la  demande  réitérée  du  roi ,  qui  fut  lue  et  approuvée  de 
toute  l'assemblée  comme  conforme  à  celle  du  concile.  Cependant 
il  est  très-remarquable  que  cette  profession,  toute  conforme 
qu'elle  est  en  tout  autre  point  avec  celle  de  Pie  IV,  en  est  notable- 
ment différente  dans  les  seuls  endroits  dont  il  s'agit,  savoir  en  ce 
qu'elle  ne  fait  pas  la  moindre",  mention  du  concile  de  Trente.  Car 
les  articles  en  question  de  ladite  Profession  de  Pie  IV  disent  : 
Omnia  et  singula  quœ  de  peccato  oricjinali  et  jiistificatione  in 
sacrosanctà  tridentinâ  Synodo  definita  et  declarata  fuerunt , 
amplector  et  recipio;  et  plus  bas  :  Cœtera  item  omnia  à  sacris 


LEIBNIZ  A  BOSSUET.  205 

canonibiis  et  œcumcmicis  conciliis ,  ac  prœcipuè  à  sacrosanctà 
Tridenlinà  synodo  tradita,  definita  et  dcclarata  indubitanter 
rccipto  atque  profiteur;  simulque  contraria  omnia,  atque  hœreses 
quascumque  ah  Ecclesià  damnatas,  rejcctas  et  anathematizatas, 
ego  pariter  damno,  rejicio  et  anathematizo  :  au  lieu  que  la  pro- 
fession de  foi  de  Henri  IV,  omettant  exprès  le  concile  de  Trente 
dans  tous  ces  deux  endroits,  dit  ainsi  :  «  Je  crois  aussi  et  em- 
brasse tout  ce  c|ui  a  été  défini  et  déclaré  par  les  saints  conciles 
touchant  le  péché  originel  et  la  justification  ;  »  et  plus  bas  : 
«  J'approuve  sans  aucun  doute  et  fais  profession  de  tout  ce  qui  a 
été  décidé  et  déterminé  par  les  saints  canons  et  conciles  généraux, 
et  rejette ,  réprouve  et  anathématise  tout  ce  qui  est  contraire  à 
iceux,  et  toutes  hérésies  condamnées,  rejetées  et  anathématisées 
par  l'Eglise.  »  On  ne  sauroit  coucevou  ici  une  faute  du  copiste, 
puisqu'elle  seroit  la  même  en  deux  endroits.  Je  ne  crois  pas  aussi 
qu'il  y  ait  de  la  falsification  :  car  l'exemplaire  vient  de  bon  lieu. 
Ainsi  je  suis  porté  à  croire  que  ces  prélats  mêmes,  qui  em'ent  soin 
de  cette  instruction  et  abjuration  du  roi,  trouvèrent  bon  de  faire 
abstraction  du  concile  de  Trente,  dont  l'autorité  étoit  contestée  en 
France  :  et  cela  fait  assez  connoître  que  le  doute  où  l'on  étoit  là- 
dessus,  ne  regardoit  pas  seulement  ses  règlemens  sur  la  disci- 
pline, mais  qu'il  s'étendoit  aussi  à  son  autorité  en  ce  qui  est  de 
la  foi. 

J'ajouterai  encore  cette  réflexion,  que  si  le  concile  de  Trente 
avoit  été  reçu  pour  œcuménique  par  la  nation  françoise,  on 
n'auroit  pas  eu  besoin  d'en  solliciter  la  réception  avec  tant  d'em- 
pressement. Car  quant  aux  lois  positives  ou  de  discipMue,  que  ce 
concile  a  faites,  elles  étoient  presque  toutes  reçues  ou  recevables 
en  vertu  des  ordonnances,  excepté  ce  qui  paroissoit  éloigné  des 
libertés  gallicanes ,  cpie  le  clergé  même  ne  prétendoit  pas  faire 
recevoir.  Il  paroît  donc  qu'on  a  eu  en  vue  de  faire  recevoir  le 
concile  pour  o?cuménique  et  règle  de  foi  ;  que  c'est  ainsi  que  la 
reine  Catherine  de  Médicis  l'a  entendu,  en  alléguant  pom"  raison 
de  son  refus  l'éloignement  de  la  réconciliation  des  protestans  que 
cela  causeroit  ;  et  que  les  prélats  françois  assemblés  à  Saint-Denis 
Tont  pris  de  même,  et  ont  cru  mie  teUe  réception  encore  douteuse. 


206    LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE, 
lorsqu'ils  ont  omis  tout  exprès  la  mention  du  concile  dans  la  pro- 
fession de  foi  qu'ils  demandèrent  à  Henri  IV. 

LETTRE  XXX. 

BOSSUET    A    LEIBNIZ 

SUR    LE    MÉMOIRE    DU     DOCTEUR    PIROT. 

Entre  juin  et  octobre  IG93. 

En  relisant  la  lettre  de  M.  Leibniz  du  29  mars  1693,  j'ai  trouvé 
que  sans  m'engager  à  de  longues  dissertations,  qui  ne  sont  plus 
nécessaires  après  teint  d'explications  qu'on  a  données,  je  pouvois 
résoudre  trois  de  ses  doutes. 

Le  premier  sur  le  culte  des  images.  Ce  culte  n'a  rien  de  nou- 
veau, puisque  pour  peu  qu'on  le  veuille  définir,  on  trouvera  qu'il 
a  pour  fin  d'exciter  le  souvenir  des  originaux  ;  et  qu'au  fond 
cela  [a)  est  compris  dans  l'adoration  dp  l'arche  d'alliance,  et  dans 
l'honneur  que  toute  l'antiquité  a  rendu  aux  reliques  et  aux 
choses  qui  servent  aux  ministères  divins.  Ainsi  on  trouvera  dans 
toute  l'antiquité  des  honneurs  rendus  à  la  croix,  à  la  crèche  de 
Notre-Seigneur,  aux  vaisseaux  sacrés,  à  l'autel  et  à  la  table 
sacrée,  qui  sont  de  même  nature  que  ceux  qu'on  rend  aux  images. 
L'extension  de  ces  honneurs  aux  images  a  pu  être  très-différente, 
selon  les  temps  et  les  raisons  de  la  discipline  ;  mais  le  fond  a  si 
peu  de  difficulté,  qu'on  ne  peut  assez  s'étonner  comment  des 
gens  d'esprit  s'y  arrêtent  tant. 

Le  second  doute  regarde  l'erreur  des  monothélites.  Avec  la 
permission  de  M.  Leibniz,  je  m'étonne  qu'il  regarde  cette  ques- 
tion comme  dépendante  d'une  haute  métaphysique.  Il  ne  faut 
que  savoir  qu'il  y  a  une  ame  humaine  en  Jésus- Christ,  pour 
savoir  en  même  temps  qu'il  y  a  une  volonté;  non-seulement  en 
prenant  la  volonté  pour  la  faculté  et  le  principe ,  mais  encore  en 
la  prenant  pour  l'acte,  les  facultés  n'étant  données  que  pom*  cela. 

Ce  qu'il  dit,  que  les  actions  sont  des  suppôts  selon  l'axiome  de 

(fl)  Var.  :  Et  (jue  cela  en  substance. 


BOSSUET  A  LEIBNIZ,  ENTRE  JUIN  ET  OCT.  1693.  207 

l'Ecole,  ne  signifie  rien  autre  chose,  sinon  qu'elles  lui  sont  attri- 
buées in  concreto  ;  mais  non  pas  que  chaque  partie  n'exerce  pas 
son  action  propre^  comme  en  nous  le  corps  etl'ame  le  font.  Ainsi 
dans  la  personne  de  Jésus-Christ,  le  Verbe,  qui  ne  change  point, 
exerce  toujours  sa  même  action  :  l'ame  humaine  exerce  la  sienne 
sous  la  direction  du  Verbe  ;  et  cette  action  est  attribuée  au  même 
Verbe ,  comme  au  suppôt.  Mais  que  l'ame  demeure  sans  son  ac- 
tion [a],  c'est  une  chose  si  absurde  en  elle-même,  qu'on  ne  la 
comprend  pas.  Aussi  paroît-il  clairement ,  par  les  témoignages 
rapportés  dans  le  concile  vi  et  par  une  infmité  d'autres,  qu'on  a 
toujom's  cru  deux  volontés^  même  quant  à  l'acte,  en  Jésus-Christ  : 
et  si  quelques-uns  ont  cru  le  contraire,  c'est  une  preuve  que  les 
hommes  sont  capables  de  croire  toute  absurdité,  quand  ils  ne 
prennent  pas  soin  de  démêler  leurs  idées  :  ce  qui  paroît  à  la  vé- 
rité dans  toutes  les  hérésies  ;  mais  plus  que  dans  toutes  les  autres, 
dans  celle  des  eutychiens,  dont  celle  des  monothélites  est  une 
annexe. 

Pour  le  concile  de  Bâle,  son  exemple  prouve  qu'on  peut  offrir 
aux  protestans  un  examen  par  manière  d'éclaircissement ,  et  non 
par  manière  de  doute,  puisqu'il  paroît  par  les  termes  que  j'en  ai 
rapportés  cpi'on  excluoit  positivement  le  dernier.  Si  Ton  prétend 
qu'il  ne  puisse  y  avoir  de  réunion  qu'en  présupposant  un  examen 
par  forme  de  doute  sur  les  questions  résolues  à  Trente ,  il  faut 
avouer  dès  à  présent  qu'il  n'y  en  aura  jamais  :  car  l'Eglise  ne  fera 
point  une  chose ,  sous  prétexte  de  réunion ,  qui  renverseroit  les 
fondemens  de  l'unité.  Ainsi  les  protestans  de  bonne  foi,  et  encoRî 
plutôt  ceux  qui  croient,  comme  M.  Leibniz,  l'infaillibilité  de  l'E- 
glise, doivent  entrer  dans  l'expédient  de  terminer  nos  disputes 
par  forme  d'éclaircissement  :  et  ce  qui  prouve  qu'on  peut  allei' 
bien  loin  par  là,  c'est  le  progrès  qu'on  feroit  en  suivant  les  expli- 
cations de  M.  l'abbé  Molanus. 

Pour  donner  une  claire  et  dernière  résolution  des  doutes  que 
Ton  propose  sm'  le  concile  de  Trente^,  il  faut  présupposer  quelques 
principes. 

Premièrement,  que  lïnfaillibilité  que  Jésus-Christ  a  promise  à 

(a)  Var.  :  sans  son  action  ualuielle. 


20S    LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE, 
son  Eglise  réside  primitivement  dans  tout  le  corps ,  puisque  c'est 
là  cette  Eglise  qui  est  bâtie  sur  la  pierre ,  à  laquelle  le  Fils  de 
Dieu  a  promis  que  les  portes  d'enfer  ne  prévaudroient  point 
contre  elle. 

Secondement,  que  cette  infaillibilité,  en  tant  rpi'elle  consiste, 
non  à  recevoir,  mais  à  enseigner  la  vérité,  réside  dans  Tordre  des 
pasteurs,  qui  doivent  successivement  et  de  main  en  main  succé- 
der aux  apôtres,  puisque  c'est  à  cet  ordre  que  Jésus-Christ  a  pro- 
mis qu'il  seroit  toujours  avec  lui  :  «  Allez,  enseignez,  baptisez  : 
je  suis  toujours  avec  vous;  »  c'est-à-dire,  sans  difficulté,  avec 
vous  qui  enseignez  et  qui  baptisez ,  et  avec  vos  successeurs  que 
je  considère  en  vous  comme  étant  la  source  de  leur  vocation  et  de 
leur  ordination,  sous  l'autorité  et  au  nom  de  Jésus-Christ. 

Troisièmement,  que  les  évêques  ou  pasteurs  principaux,  qui 
n'ont  pas  été  ordonnés  par  et  dans  cette  succession,  n'ont  point  de 
part  à  la  promesse,  parce  qu'ils  ne  sont  pas  con'enus  dans  la 
source  de  rordination  apostolique,  fpii  doit  être  perpétuelle  et 
continuelle,  c'est-à-dire  sans  interiniption  :  autrement  cette  parole  : 
«  Je  suis  avec  vous  jusqu'à  la  consommation  des  siècles,  »  seroit 
inutile. 

Quatrièmement ,  que  les  évêques  ou  pasteurs  principaux  qui 
auroient  été  ordonnés  dans  cette  succession,  s'ils  renonçoient  à  la 
foi  de  leurs  consécrateurs ,  c'est-à-dire  à  celle  qui  est  en  vigueur 
dans  tout  le  corps  de  l'épiscopat  et  de  l'Eglise ,  renonceroient  en 
même  temps  à  la  promesse ,  parce  qu'ils  renonceroient  à  la  suc- 
cession, à  la  continuité,  à  la  perpétuité  de  la  doctrine  :  de  sorte 
qu'il  ne  faudroit  plus  les  réputer  pour  légitimes  pasteurs,  ni  avoir 
aucun  égard  à  leurs  sentimens,  parce  qu'encore  qu'ils  conservas- 
sent la  vérité  de  leiu"  caractère  que  leur  infidélité  ne  peut  pas 
anéantir,  ils  n'en  peuvent  conserver  l'autorité,  qui  consiste  dans 
la  succession,  dans  la  continuité,  dans  la  perpétuité  qu'on  vient 
d'établir. 

Cinquièmement ,  que  les  évêques  ou  les  pasteurs  principaux , 
établis  en  vertu  de  la  promesse  et  demeurant  dans  la  foi  et  dans 
la  communion  du  corps  où  ils  ont  été  consacrés,  peuvent  témoi- 
gner leur  foi,  ou  par  leur  prédication  unanime  dans  la  dispersion 


BOSSUET  A  LEIBNIZ,  EMRE  JUIN  ET  OCT.   1693.  209 

de  TEglise  catholique,  ou  par  un  jugement  exprès  dans  ime 
assemblée  légitime.  Dans  l'mie  et  l'autre  considération,  leur  auto- 
rité est  également  iniailiible ,  leur  doctrine  également  certaine  : 
dans  la  première,  parce  que  c'est  à  ce  corps  ainsi  dispersé  à  Tex- 
tériem^  mais  uni  par  le  Saint-Esprit,  que  l'infaillibilité  de  l'Eglise 
est  attachée;  dans  la  seconde,  parce  que  ce  corps  étant  infaillible, 
l'assemblée  qui  le  représente  véritablement,  c'est-à-dire  le  concile, 
jouit  du  même  privilège,  et  peut  dire  à  l'exemple  des  apôtres  : 
«  Il  a  semblé  bon  au  Saint-Esprit  et  à  nous.  » 

Sixièmement ,  la  dernière  marque  que  l'on  peut  avoir  que  ce 
concile  ou  cette  assemblée  représente  véritablement  l'Eglise  ca- 
tholique ,  c'est  lorsque  tout  le  corps  de  l'épiscopat ,  et  toute  la 
société  qui  fait  profession  d'en  recevoir  les  instructions,  l'approuve 
et  le  reçoit  ;  c'est  là,  dis-je,  le  dernier  sceau  de  l'autorité  de  ce 
concile  et  de  rinfaillibihté  de  ses  décrets,  parce  cpi^autremcnt,  si 
l'on  supposoit  qu'Q  se  put  faire  qu'mi  concile  ainsi  reçu  errât  dans 
la  foi,  il  s'ensuivroit  que  le  corps  de  l'épiscopat,  et  par  conséquent 
l'Eglise  ou  la  société  qui  fait  profession  de  recevoir  les  enseigne - 
mens  de  ce  corps ,  se  pourroit  tromper  ;  ce  qui  est  directement 
opposé  aux  cinq  articles  précédons,  et  notamment  au  cinquième. 

Ceux  qui  ne  voudront  pas  convenir  de  ces  principes  ne  doivent 
jamais  espérer  aucune  union  avec  nous,  parce  qu'ils  ne  convien- 
dront jamais  qu'en  paroles  de  l'infaillibilité  de  l'Eglise,  qui  est  le 
seul  principe  solide  de  la  réunion  des  chrétiens. 

Ces  six  articles  suivent  si  clairement  et  si  nécessairement  l'un 
de  l'autre  dans  l'ordre  avec  lequel  ils  ont  été  proposés ,  qu'ils  ne 
font  qu'un  même  corps  de  doctrine ,  et  sont  en  effet  renfermés 
dans  celui-ci  du  Symbole  :  Je  crois  V Eglise  catholique ,  qui  veut 
dire,  non-seulement  :  Je  crois  qu'elle  est;  mais  encore  :  Je  crois 
ce  qu'elle  croit  ;  autrement,  c'est  ne  la  pas  croire  elle-même,  c'est 
ne  pas  croire  qu'elle  est ,  puisque  le  fond ,  et  pour  ainsi  dire  la 
substance  de  son  être,  c'est  la  foi  qu'elle  déclare  à  tout  l'univers  ; 
dé  sorte  que  si  la  foi  que  l'Eglise  prêche  est  vraie ,  elle  constitue 
une  ATaie  Eglise  ;  et  si  elle  est  fausse,  elle  en  constitue  une  fausse. 
On  peut  donc  tenir  pour  certain  qu'il  n'y  am^a  jamais  d'accord 
véritable  que  dans  la  confession  de  ces  six  principes,  desquels 
TOM.  xvm.  14 


210    LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE, 
nous  ne  pouvons  non  plus  nous  départir  que  de  l'Evangile,  puis- 
qu'ils en  contiennent  la  solide  et  inébranlable  promesse,  d'où  dé- 
pendent toutes  les  autres  et  toutes  les  parties  de  la  profession 
chrétienne. 

Cela  posé ,  il  est  aisé  de  résoudre  tous  les  doutes  qu'on  peut 
avoir  sur  le  concile  de  Trente  en  ce  qui  regarde  la  foi  ;  étant 
constant  qu'il  est  tellement  reçu  et  approuvé  à  cet  égard  dans 
tout  le  corps  des  églises  qui  sont  unies  de  communion  à  celle  de 
Rome  et  que  nous  tenons  les  seules  catholiques,  qu'on  n'en  rejette 
non  plus  l'autoriié  que  ceUe  du  concile  de  Nicée.  Et  la  preuve  de 
cette  acceptation  est  dans  tous  les  livres  des  docteurs  catholiques, 
parmi  lesquels  il  ne  s'en  trouvera  jamais  un  seul,  où  lorsqu'on 
objecte  ime  décision  du  concile  de  Trente  en  matière  de  foi,  quel- 
qu'un ait  répondu  qu'il  n'est  pas  reçu  :  ce  qu'on  ne  fait  nulle 
difficulté  de  dire  de  certains  articles  de  discipline,  qui  ne  sont  pas 
reçus  partout.  Et  la  raison  de  cette  différence,  c'est  qu'il  n'est  pas 
essentiel  à  l'Eglise  que  la  discipline  y  soit  uniforme  non  plus 
([u  immuable;  mais  au  contraire  la  foi  catholique  est  toujours  la 
même. 

Qu'ainsi  ne  soit,  je  demande  qu'on  me  montre  un  seul  auteur 
catholique,  un  seul  évèquo,  un  seul  prêtre,  un  seul  homme,  quel 
(ju'il  soit,  qui  croie  pouvoir  dire  dans  l'Eglise  catholique  :  Je  ne 
reçois  pas  la  foi  de  Trente  :  On  peut  douter  de  la  foi  de  Trente. 
Cela  ne  se  trouvera  jamais.  On  est  donc  d'accord  sur  ce  point , 
autant  en  Allemagne  et  en  France  qu'en  Italie  et  à  Rome  même, 
et  partout  ailleurs  :  ce  qui  enferme  la  réception  incontestable  de 
ce  concile  en  ce  qui  regarde  la  foi. 

Toute  autre  réception  [a]  qu'on  pourroit  demander  n'est  pas 
nécessaire  :  car  s'il  falloit  une  assemblée  pour  accepter  le  concile, 
il  n'y  a  pas  moins  de  raison  de  n'en  demander  pas  encore  une 
autre  pour  accepter  celle-là  :  et  ainsi  de  formalité  en  formalité  et 
d'acceptation  en  acceptation,  on  iroit  jusqu'à  l'infini.  Et  le  terme 
où  il  faut  s'arrêter,  c'est  de  tenir  pour  infaillible  ce  que  l'Eglise , 
qui  est  infaillible,  reçoit  unanimement,  sans  qu'il  y  ait  sur  cola 
aucune  contestation  dans  tout  le  corps. 

(«)  Var.  :  Toute  autre  réception  d'une  assemblée. 


BOSSUET  A  LEIBNIZ,  ENTRE  JUIN  ET  OCT.  1693.  211 

Par  là  on  voit  qu'il  importe  peu  qu'on  ait  protesté  contre  ce 
concile  une  fois,  deux  fois,  tant  de  fois  que  Ton  voudi^a  :  car  outre 
f[ue  ces  protestations  n'ont  jamais  regardé  la  foi,  il  suffit  qu'elles 
demeurent  sans  effet  par  le  consentement  subsécjiient;  ce  qui  ne 
dépend  d'aucune  formalité,  mais  de  la  seule  promesse  de  Jésus- 
Clirist  et  de  la  seule  notoriété  du  consentement  universel. 

On  dit  que  tel  pourra  convenir  de  la  doctrine  du  concile ,  qui 
ne  conviendra  pas  de  ses  anathèmes  ;  mais  c'est  une  illusion  :  car 
c'est  une  partie  de  la  doctrine,  de  décider  si  elle  est  digne  ou  non 
digne  d'aisathème.  Ainsi  dès  que  l'on  convient  de  la  doctrine  d'un 
concile ,  ses  anathèmes  très -constamment  passent  avec  elle  en 
décisions. 

On  trouve  de  Tinconvénient  à  faire  passer  et  recevoir  tout  d'un 
coup  tant  d'anathèmes.  On  n'y  en  trouveroit  point,  si  l'on  son- 
geoit  que  ces  anathèmes ,  que  l'on  a  prononcés  à  Trente  en  si 
grand  nombre,  dépendent  après  tout  de  cinq  ou  six  points,  d'où 
tous  les  autres  sont  si  clairement  et  si  naturellement  dérivés, 
qu'on  voit  bien  qu'ils  ne  peuvent  être  révoqués  en  doute,  sans  y 
révoquer  aussi  le  principe  d'où  ils  sont  tirés.  Ainsi  pour  affermir 
la  foi  de  ces  principes,  il  n'a  pas  été  moins  nécessaire  d'affermir 
celle  de  ces  conséquences ,  et  d'en  faciliter  la  croyance  par  des 
décisions  expresses  et  particulières. 

Et  pom-  s'arrêter  à  un  des  exemples  que  l'autem*  de  la  réponse 
à  lS[.  Pirot  semble  trouver  l'un  des  plus  forts,  il  juge  que  la  dis- 
tinction du  baptême  de  Jésus-Christ  d'avec  celui  de  saint  Jean- 
Baptiste,  n'est  pas  un  article  d'une  importance  à  être  établi  sous 
peine  d'anathème.  Mais  si  l'on  rejetoit  cet  anathème,  onrejetteroit 
en  même  temps  celui  qui  regarde  l'institution  divine  et  efficace 
des  sacremens ,  outre  que  la  distinction  de  ces  deux  baptêmes  est 
formelle  dans  les  paroles  de  Jésus-Christ  et  des  apôtres. 

J'allègue  cela  pour  exemple  ;  mais  il  seroit  aisé  de  faire  voir 
([ue  tous  les  anathèmes  du  concile  dépendent  de  cinq  ou  six  arti- 
cles principaux;  et  c'est  à  l'Eglise  à  juger  delà  liaison  de  ces  ana- 
thématismes  particuliers  avec  ces  principes  généraux,  puisque 
cela  fait  une  partie  de  la  doctrine,  et  qu'avec  la  même  autorité  que 
l'Eglise  emploie  à  juger  de  ces  articles  principaux,  elle  juge  aussi 


212  LETTRES  SUR  LA  REUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

de  tous  ceux  qui  sont  nécessaires  pour  lem*  servir  de  rempart , 
et  cfui  doivent  faire  corps  avec  eux  ;  autrement  il  n'y  auroit  point 
dïnfaillibilité.  Exemple  :  par  la  même  autorité  avec  laquelle  FE- 
glise  a  jugé  que  Jésus-Chiist  est  Dieu  et  Homme,  elle  a  jugé  qu'il 
avoit  une  ame  humaine  aussi  ])ien  qu'un  corps;  et  par  la  môme 
autorité  avec  kupielle  elle  a  jugé  qu'il  avoit  une  ame  humaine, 
elle  a  jugé  quil  y  avoit  dans  cette  ame  un  entendement  et  une 
volonté  humaine,  tout  cela  étant  renfermé  dans  celte  décision  : 
Dieu  s'est  fait  Homme.  11  en  est  de  même  de  tous  les  autres  arti- 
cles décidés  :  et  s'il  y  en  a  eu  un  plus  grand  nombre  décidés  à 
Trente,  c'est  que  ceux  qu'il  y  a  fallu  condamner  avoient  remué 
plus  de  matières  ;  et  que  ])Our  ne  donner  pas  lieu  à  renouveler  les 
hérésies,  il  a  fallu  en  étehidre  jusqu'à  la  moindre  étincelle.  Et 
sans  entrer  dans  tout  cela ,  il  est  clair  (jue  si  la  moindre  parcelle 
des  décisions  de  l'Eglise  est  affoiblie,  la  promesse  est  démentie, 
et  avec  elle  tout  le  corps  de  la  révélation. 

Il  ne  sert  de  rien  de  dire  que  les  protestans,  un  si  grand  corps, 
n'ont  point  consenti  au  roni'ilc  de  Trente;  au  contraire  qu'ils  le 
rejettent,  et  que  leurs  pasteurs  n'y  ont  point  été  reçus,  pas  même 
ceux  qui  avoient  été  ordonnés  dans  l'Eglise  catholique,  connu;- 
ceux  de  Suède  et  d'Angleterre.  Car  par  l'article  quatrième,  les 
évêques,  quoique  légitimement  ordonnés,  s'ils  renoncent  à  la  foi 
de  leurs  consécrateurs  et  du  corps  de  l'épiscopat  auquel  ils  avoient 
été  agrégés,  comme  ont  fait  Irès-constanmient  les  Anglois,  les 
Danois  et  les  Suédois,  dès-là  ils  ne  sont  plus  comptés  comme 
étant  du  corps,  et  l'on  n'a  aucun  égard  à  leurs  sentimens.  A  plus 
forte  raison  n'en  a-t-on  point  à  ceux  des  pasteurs  qui  ont  été 
ordonnés  dans  le  cas  de  l'cU'ticle  troisième  et  hors  de  la  suc- 
cession. 

Ainsi  l'on  n'a  pas  besoin  d'entrer  dans  la  discussion  de  tous  les 
faits,  très-cm'ieusement  et  très-doctement,  mais  très-inutilement 
recherchés  dans  la  réponse  à  M.  Pi  rot.  Tout  cela  est  bon  pom* 
l'histoire  particulière  de  ce  ([ui  pourroit  regarder  le  concile  de 
Trente  :  mais  tout  cela  ne  fait  rien  à  l'essentiel  de  son  autorité  ; 
et  tout  dépend  de  savoir  s'il  est  efCectivement  reçu  ou  non;  c'est- 
ii-dire  s'il  est  écrit  dans  le  cœm'  de  tous  les  catholiques  et  dans  la 


BOSSUET  A  LEIBNIZ,  ENTRE  JUIN  ET  OCT.   1693.  213 

(Toyanoe  publique  de  toute  l'Eglise ,  que  l'on  ne  peut  ni  l'on  ne 
doit  s'opposer  à  ses  décisions,  ni  les  révoquer  en  doute.  Or  cela 
est  très-constant,  puisque  tout  le  monde  l'avoue  et  que  personne 
ne  réclame.  Il  est  donc  incontestable  que  le  concile  de  Trente  a 
reçu  ce  dernier  sceau,  qui  est  expliqué  dans  l'article  sixième,  qui 
renferme  en  soi  la  vertu,  et  qui  est  le  clair  résultat  des  cinq  autres, 
comme  les  cinq  autres  s'entre- suivent  mutuellement  les  uns  les 
autres,  ainsi  qu'il  a  été  dit. 

Et  si  l'on  répond  que  les  décisions  de  ce  concile  sont  reçues , 
non  pas  en  vertu  du  concile  même ,  mais  à  cause  qu'on  croyoit 
auparavant  les  points  de  doctrine  qu'elles  établissent ,  tant  pis 
pour  celui  qui  rejetteroit  ces  points  de  doctrine,  puisqu'il  avoueroit 
que  c'étoit  donc  la  foi  ancienne;  que  le  concile  l'a  trouvée  déjà 
établie,  et  n'a  fait  que  la  déclarer  plus  expressément  contre  ceux 
qui  la  rejetoient  :  ce  qui  en  effet  est  très-véritable,  non-seulement 
de  ce  concile,  mais  encore  de  tous  les  autres. 

Enfin  il  ne  s'agit  plus  de  délibérer  si  l'on  recevra  ce  concile  ou 
non  :  il  est  constant  qu'il  est  reçu  en  ce  qui  regarde  la  foi.  Une 
Confession  de  foi  a  été  extraite  des  paroles  de  ce  concile  :  le  Pape 
l'a  proposée;  tous  les  évêques  l'ont  souscrite  et  la  souscrivent 
jom'nellement;  ils  la  font  souscrire  à  tout  l'ordre  sacerdotal.  Il 
n'y  a  là  ni  surprise  ni  violence  ;  tout  le  monde  tient  à  gloire  de 
souscrire  :  dans  cette  souscription  est  comprise  celle  du  concile 
de  Trente.  Le  concile  de  Trente  est  donc  souscrit  de  tout  le  corps 
(le  l'épiscopat  et  de  toute  l'Eglise  catholique.  Nous  faire  délibérer 
après  cela  si  nous  recevrons  le  concile,  c'est  nous  faire  délibérer 
si  nous  croirons  l'Eglise  infaillible,  si  nous  serons  catholiques,  si 
nous  serons  chrétiens. 

Non-seulement  le  concile  de  Trente,  mais  tout  Acte  qui  seroit 
souscrit  de  cette  sorte  par  toute  l'Eglise ,  seroit  également  ferme 
et  certain.  Lorsque  les  pélagiens  furent  condamnés  par  le  pape 
saint  Zozime,  et  que  tous  les  évêques  du  monde  eurent  souscrit  à 
son  décret,  ces  hérétiques  se  plaignirent  qu'on  avoit  extorqué  une 
souscription  des  évêques  particuliers  :  De  singidaribus  episcopis 
subscriptio  extorta  est:  on  ne  les  écouta  pas.  Saint  Augustin  leur 
soutint  qu'ils  étoient  légitimement  et  irrémédiablement  condam- 


21  i  LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 
liés  K  Si  les  Actes  <iui  les  condamnoieiit  furent  ensuite  approuvés 
par  le  concile  œcuménique  d"Ephèse,  ce  fut  par  occasion,  ce  con- 
cile étant  assemblé  pour  une  autre  chose.  Le  concile  d'Orange, 
dont  il  est  fait  mention  dans  la  Réponse ,  n'étoit  rien  moins  rpi'u- 
niversel.  Il  contenoit  des  chapitres  que  le  Pape  avoit  envoyés  :  à 
peine  y  avoit- il  douze  ou  treize  évoques  dans  ce  concile.  Mais 
parce  qu'il  est  reçu  sans  contestation,  on  n'en  rejette  non  plus  les 
décisions  (]ue  celles  du  concile  de  Nicée ,  parce  que  tout  dépend 
du  consentement.  L'autem-  même  de  la  Réponse  reconnoît  cette 
vérité  :  a  Le  nombre  ne  fait  rien ,  dit-il ,  quand  le  consentement 
est  notoire.  »  Il  n'y  avoit  que  peu  d'évèques  d'Occident  dans  le 
concile  de  Nicée  :  il  n'y  en  avoit  aucun  dans  le  concile  de  Cons- 
tautinople  :  il  n'y  avoit  dans  celui  d'Ephèse  et  dans  cehii  de  Chal- 
cédoine  que  les  seuls  légats  du  Pape,  et  ainsi  des  autres.  Mais 
parce  que  tout  le  monde  consi^ntoit  ou  a  consenti  aprcs,  ces  dé- 
crets sont  les  décrets  de  tout  l'univers.  Si  l'on  veut  remonter  plus 
haut ,  Paul  de  Samosate  n'est  condamné  que  par  un  concile  par- 
ticulier tenu  à  Antioche;  mais  parce  que  le  décret  en  est  adressé 
à  tous  les  évèques  du  monde,  et  qu'il  en  a  été  reçu  (  car  c'est  là 
qu'est  toute  la  force,  et  sans  cela  l'adresse  ne  serviroit  de  rien),  ce 
décret  est  inébranlable.  Quelle  assemblée  a-t-on  faite  pour  le  re- 
cevoir? Nulle  assemldée  :  le  consenteiuput  universel  est  notoire. 
Alexandre  d'^Vlexandrie  dit,  avec  l'applaudissemtîut  de  toute  l'E- 
ghse,  que  Paul  de  Samosate  étoit  condamné  par  tous  les  évèques 
du  monde,  quoiqu'il  n'y  en  eût  aucun  Acte;  et  une  telle  condam- 
nation est  sans  appel  et  sans  retour. 

Je  ne  dis  pas  qu'on  ne  puisse  et  qu'on  ne  doive  quelquefois 
s'assembler  en  corps ,  ou  pour  former  des  décisions  ',  ou  pour  ac- 
cepter celles  qui  auront  déjà  été  formées.  On  le  pmit,  dis-je,  et  on 
le  doit  faire  quelquefois,  ou  pour  faciliter  la  réception  des  articles 
résolus,  ou  pour  mieux  fermer  la  bouche  aux  contredisans.  Mais 
cela  n'est  point  nécessaire ,  quand  la  réception  est  constante 
d'ailleurs,  comme  l'est  celle  du  concile  de  Trente,  quand  ce  ne 
seroit  que  par  la  souscription  qu'on  en  fait  journellement  et  sans 
aucune  contestation. 

1  S.  Angnst.,  lil).  IV,  Cont.  rlaat  Epist.  pplagianor.,  cap.  xil,  ii.  '■l't. 


BOSSUET  A  LEIBNIZ,  ENTRE  JUIN  ET  OCT.  1693.  215 

Qu'importe  après  cela  d'examiner  si  dans  la  profession  de  foi, 
qu'on  fit  souscrire  à  Henri  le  Grand  à  Saint-Denis,  on  avoit  ex- 
primé le  concile  de  Trente  ;  ou  si  par  condescendance  et  poui- 
empêcher  de  nouvelles  noises  et  de  nouvelles  chicanes ,  on  avoit 
trouvé  à  propos  d'en  taire  le  nom?  En  vérité ,  je  n'en  sais  rien, 
et  je  ne  sais  aucmi  moyen  de  m'en  assurer,  puisque  les  historiens 
n'en  disent  mot  et  que  les  Actes  originaux  ne  se  trouvent  plus  : 
mais  aussi  tout  cela  est  inutile.  En  quelque  forme  que  ce  grand 
roi  eût  souscrit,  il  demeuroit  jour  constant  qu'il  avoit  souscrit  à 
la  foi  qu'on  avoit  à  Rome,  autant  qu'à  celle  qu'on  avoit  en  France, 
puisque  personne  ne  doutoit  que  ce  ne  fût  la  même  en  tout 
point.  La  foi  ne  dépend  point  de  ces  minuties.  Ou  l'Eglise  consent 
ou  non  :  c'est  ce  qu'on  ne  peut  ignorer;  c'est  d'où  tout  dépend. 
On  parle  de  Râle  et  de  Constance,  où  l'on  opina  par  nations  : 
une  seule  nation  ne  dominoit  pas  ;  l'une  contre -balançoit  l'autre. 
Tout  cela  est  bon;  mais  cette  forme  n'est  pas  nécessaire.  Il  y  avoit 
à  Ephèse  deux  cents  évêques  d'Orient  contre  deux  ou  trois  d'Occi- 
dent ;  et  à  Chalcédoine ,  six  cents  encore  contre  deux  ou  trois. 
Disoit-on  que  les  Grecs  dominassent?  Ainsi,  que  les  Italiens  aient 
été  à  Trente  en  plus  grand  nombre,  ils  ne  nous  dominoient  pas 
pour  cela  :  nous  avions  tous  la  même  foi.  Les  Italiens  ne  disoient 
pas  une  autre  messe  que  nous  ;  ils  n'avoient  point  un  autre  culte, 
ni  d'autres  sacremens,  ni  d'autres  rituels,  ni  des  temples  ou  des 
autels  destinés  à  un  autre  sacrifice.  Les  autem\s,  qui  de  siècle  en 
siècle ,  avoient  soutenu  contre  tous  les  novateurs  les  sentimens 
dans  lesquels  on  se  maintenoit ,  n'étoient  pas  plus  italiens  que 
françois  ou  allemands.  Une  partie  des  articles  résolus  à  Trente, 
et  la  partie  la  plus  essentielle,  avoit  déjà  été  déterminée  à  Cons- 
tance, où  l'on  avoue  que  les  nations  étoient  également  fortes. 
Quant  aux  points  qui  restent  encore  contestés ,  il  est  bien  aisé  de 
les  connoître.  Ce  qui  est  reçu  mianimement  a  le  vrai  caractère  de 
la  foi  :  car  si  la  promesse  est  véritable,  ce  qui  est  reçu  aujourd'hui 
reçoit  hier,  et  ce  qui  l'étoit  hier  l'a  toujours  été. 

Le  concile  de  Trente,  dit  l'auteur  de  la  Réponse,  est  devenu  par 
la  multiphcité  de  ses  décisions  un  obstacle  invincible  à  la  réu- 
nion. Au  contraire  la  révocation  ou  la  suspension  de  ce  concile 


216  LETTRES  SUR  L.\  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

feroit  seule  cet  obstacle.  Qu'on  me  trouve  un  moyen  de  faire  un 
Acte  ferme,  si  le  concile  de  Trente  reçu  et  souscrit  de  toute 
l'Eglise  catholique,  est  mis  en  doute. 

Mais  vous  supposez,  direz -vous,  que  vous  êtes  seuls  l'Eglise 
catholique.  11  est  vrai,  nous  le  supposons;  nous  l'avons  prouvé 
ailleurs  :  mais  il  suffit  ici  de  le  supposer,  parce  que  nous  avons 
afTaire  à  des  personnes  qui  en  veulent  venir  avec  nous  à  une  réu- 
nion, sans  nous  obliger  à  nous  départir  de  nos  principes. 

Mais,  dira-t-on,  à  la  fin  avec  ce  principe,  il  n'y  aura  donc  jamais 
de  réunion.  C'est  en  quoi  est  l'absurdité ,  qu'on  pense  pouvoir 
établir  une  réunion  solide  sans  établir  un  principe  qui  le  soit.  (Jr 
le  seul  principe  solide,  c';  st  que  l'Eglise  ne  peut  errer  :  par  con- 
séquent qu'elle  n'crroitpas  quand  on  a  voulu  la  réformer  dans  sa 
foi  :  autrement  ce  n'eût  pas  été  la  réformer,  mais  la  dresser  de 
nouveau  ;  de  sorte  qu'il  y  avoit  une  manifeste  contradiction  dans 
les  propres  termes  de  cette  réformation,  puisqu'il  falloit  supposer 
que  l'Eglise  étoit  et  qu'elle  n'étoit  pas.  Elle  étoit,  puisqu'on  ne 
vouloit  pas  dire  quelle  fût  éteinte,  et  qu'on  ne  le  pou  voit  dire 
sans  anéantir*  la  promesse;  elle  n'étoit  pas,  puisqu'elle  étoit  rem- 
plie d'erreurs.  La  contradiction  est  beaucoup  plus  grande  à 
présent  que  l'on  convient  de  l' infaillibilité  de  l'Eglise,  puisqu'il 
faut  dire  en  même  temps  (ju'elle  est  infaillible  et  qu'elle  se  trompe, 
et  unir  l'infiiillibilité  avec  l'erreur. 

Il  est  vrai  qu'on  répond  qu'en  convenant  di;  l'infaillibilité  de 
l'Eglise,  on  dispute  seulement  d'un  fait,  qui  est  de  savoir  si  im 
tel  concile  est  œcuménique.  Mais  ce  fait  entraîne  une  erreur  de 
toute  l'Eglise,  si  toute  l'Eglise  reçoit  comme  décision  d'un  concile 
œcuménique  ce  qui  est  si  faux  ou  si  douteux,  qu'il  en  faut  encore 
délibérer  dans  un  nouveau  concile. 

Pour  nous  recueillir,  il  n'y  a  rien  à  espérer  pour  la  réunion , 
quand  on  voudra  supposer  que  les  décisions  de  foi  du  concile  de 
Trente  peuvent  demeurer  en  suspens.  Il  faut  donc,  ou  se  réduire 
à  des  déclarations  qu'on  pom^ra  donner  sur  les  doutes  des  pro- 
testans  conformément  aux  décrets  de  ce  concile  et  des  autres  con- 
ciles générairx ,  ou  attendre  un  autre  temps  et  d'autres  disposi- 
tions de  la  part  des  protestans. 


BOSSUET  A  LEiBNIZ,  ENTRE  JUIN  ET  OCT.  1693.  217 

Et  de  la  part  des  catholiques,  nous  avons  proposé  deux  moyens 
poiu"  établir  la  réception  du  concile  de  Trente  dans  les  matières 
de  foi  :  le  premier,  que  tous  les  catholiques  en  conviennent  comme 
d'une  règle.  Dans  toute  contestation,  si  un  catholique  oppose  une 
décision  de  Trente ,  l'autre  catholique  ne  répond  jamais  quelle 
n'e-t  pas  reçue  :  par  exemple ,  dans  la  dispute  de  Jansénius,  on 
lui  objecte  que  le  concile  de  Trente ,  session  VI,  chapitre  xi  et 
canon  28 ,  est  contraire  à  sa  doctrine  ;  il  reçoit  l'autorité ,  et  con- 
vient de  la  régie.  Yoilà  le  premier  moyen.  Le  second  :  il  y  a  ime 
réception  et  souscription  expresse  du  concile  :  tous  les  évoques  et 
tous  ceux  qui  sont  constitués  en  dignité  reçoi\  ent  et  souscrivent 
la  Confession  de  foi  dressée  par  Pie  IV;  Confession  qui  est  un 
extrait  des  décisions  du  concile,  et  dans  laquelle  la  foi  du  concile 
est  souscrite  expressément  en  deux  endroits  :  nul  ne  réclame  ; 
tout  le  monde  signe  :  donc  ce  concile  est  reçu  unanimement  en 
matière  de  foi  :  et  l'on  ne  peut  le  tenir  en  suspens,  quoiqu'il  n'y 
ait  point  peut-être  en  France ,  ou  ailleurs,  d'Acte  exprès  pour  le 
recevoir  ;  et  la  manière  dont  constamment  il  est  reçu  est  plus  forte 
que  tout  Acte  exprès. 

On  en  revient  souvent,  ce  me  semble,  et  plus  souvent  qu'il  ne 
conviendrolt  à  des  gens  d'esprit,  à  certaines  dévotions  populaires, 
qui  semblent  tenir  de  la  superstition.  Cela  ne  fait  rien  à  la  réu- 
nion ,  puisque  tout  le  monde  demem^e  d'accord  qu'elle  ne  peut 
être  empêchée  que  par  des  choses  auxquelles  on  soit  obligé  dans 
une  communion.  Mais  en  tout  cas,  pour  éloulfer  tous  ces  cultes 
ou  ambigus  ou  superstitieux,  loin  qu'il  faille  tenir  en  suspens  le 
concile  de  Trente,  il  n'y  a  qu'à  l'exécuter,  puisque  premièrement 
il  a  donné  des  principes  pour  établir  le  vrai  culte  sans  aucun 
mélange  de  superstition;  et  que  secondement  («),  il  a  donné  aux 
évêques  toute  l'autorité  nécessaire  pour  y  pourvoir. 

Et  quant  à  la  réformation  de  la  discipline,  il  n'y  auroit  pour  la 
rendre  parfaite  qu'à  bâtir  sur  les  fondemens  du  concile  de  Trente, 
et  ajouter  sur  ces  fondemens  ce  que  la  conjoncture  des  temps  n'a 
peut-être  pas  permis  à  cette  sainte  assemblée. 

(a)  Var.  .-  Et  qu'en  outre. 


218    LETTRES  SUR  LA  RÉUNIO.N  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

LETTRE  XXXI. 

BOSSU  ET    A    LE  I  BN  IZ. 
A  Meaux,  ce  15  août  1G93. 

Voilà,  Monsieur,  la  réponse  à  la  réponse  qu'on  a  faite  à 
M.  Pirot  [a],  et  que  vous  m'avez  envoyée  sur  le  concile  de  Trente  : 
assurez -vous  que  c'est  un  point  fixé  sur  lequel  on  ne  passera 
jamais  de  notre  part.  J'aurois  beaucoup  de  choses  à  dire  sur  les 
lettres  que  vous  avez  pris  la  peine  de  m'écrire;  mais  il  faut  donner 
des  bornes  à  ces  disputes  cpiand  les  choses  en  sont  venues  à  un 
certain  point  d'éclaircissement.  J'attends  avec  patience  et  impa- 
tience tout  ensemble  le  nouvel  écrit  de  M.  l'abbé  Molanus  :  s'il  y 
avance  autant  qu'il  l'a  fait  dans  le  premier,  la  réunion  sera  aisée, 
et  il  ne  sera  plus  besoin  de  nous  contester  la  réception  du  concile 
dont  le  fond  sera  déjà  accepté  dans  les  articles  les  plus  essen- 
tiels. J'ai  vu  au  reste ,  Monsieur,  dans  quelques  petits  voyages 
que  je  fais  à  Paris,  un  excellent  homme,  qui  est  M.  l'abbé  Bignon, 
que  j'ai  trouvé  bien  informé  de  votre  mérite  et  très-porté  à  vous 
donner  toutes  les  marques  possibles  de  son  estime.  Pour  moi, 
je  suis  et  serai  toujours  avec  une  estime  que  rien  n'altérera  jamais. 
Monsieur,  votre  très-bunible  serviteur. 

J.  Béxigne,  évêque  de  Meaux. 
LETTRE  XXXn. 

L  E  I  B  N  1 Z   A    B  0  S  S  U  E  T. 
Sans    date. 

Pour  le  faire  court,  d'autant  qu'il  semble  que  cela  est  désiré  de 
ceux  qui  supposent  avoir  donné  une  claire  et  dernière  résolution, 
je  ne  veux  pas  éplucher  les  six  principes ,  qui  ne  sont  pas  sans 
quelques  obscurités  et  doutes,  peut-être  même  du  côté  de  ceux 

(a)  C'est  X ExpHcatio  ulterior  melhodi  reunionis. 


LEIBNIZ  A  BOSSUET,  SANS  DATE.  219 

qui  les  avancent  ou  du  moins  dans  leur  parti ,  quoiqu'ils  soient 
couchés  avec  beaucoup  de  savoir  et  d'adresse.  Je  viendrai  d'abord 
à  ce  qu'on  dit  pour  les  applicpier  au  concile  de  Trente^  et  je  réduis 
le  tout  à  deux  questions. 

L'une ,  si  le  concile  de  Trente  est  reçu  de  la  nation  françoise  ; 
l'autre,  quand  il  seroit  reçu  de  toutes  les  nations  unies  de  com- 
munion avec  Rome ,  s'il  s'ensuit  que  ce  concile  ne  sauroit  de- 
meurer en  suspens  à  l'égard  des  protestans ,  en  cas  de  quelque 
réunion.  La  première  question  étoit  proprement  agitée  entre 
M.  l'abbé  Pirot  et  moi  ;  mais  il  semble  qu'on  en  fait  maintenant 
un  accessoire.  J'avois  prouvé  ;,  par  plusieurs  raisons,  que  le  con- 
cile de  Trente  n'avoit  pas  été  jugé  autrefois  reçu  dans  ce  royaume, 
pas  même  en  matière  de  foi  ;  entre  autres  preuves,  parce  que  la 
reine  Catherine  de  Médicis,  en  refusant  de  le  faire  publier,  allégua 
que  cela  rendroit  la  réunion  des  protestans  trop  difficile  ;  item, 
parce  que  plusiem's  des  principaux  prélats  de  France  assemblés 
pour  l'instruction  de  Henri  IV,  se  servirent  en  effet  du  formulaire 
de  la  P?'ofession  de  foi  de  Pie  lY,  pom'  le  proposer  au  roi  ;  mais 
après  en  avoir  rayé  exprès  deux  endroits  qui  font  mention  de 
l'autorité  du  concile  de  Trente,  comme  je  l'ai  trouvé  dans  un  livre 
manuscrit  tiré  des  archives,  où  le  procès -verbal  tout  entier  est 
mis  assez  au  long  ;  item,  parce  que  ceux  qui  pressoient  la  récep- 
tion du  concile  témoignoient  assez  qu'il  ne  s'agissoit  pas  de  la 
discipline,  puisque  les  ordonnances  avoient  déjà  autorisé  les  points 
de  discipline  recevables  en  France  ,  et  qu'on  demeuroit  d'accord 
que  les  autres  ne  seroient  point  introduits  par  la  réception ,  poui' 
ne  pas  répéter  les  déclarations  solennelles  de  la  France,  faites  par 
la  bouche  de  ses  ambassadeurs  ,  contre  l'autorité  de  ce  concile, 
qu'on  ne  reconnoissoit  nullement  pom'un  concile  libre.  On  ne  dit 
rien  à  toutes  ces  choses,  sinon  que  le  concile  de  Trente  a  été  reçu 
en  France  par  un  consentement  subséquent.  On  ajoute  seulement, 
à  regard  de  la  profession  de  Henri  le  Grand  à  Saint-Denis,  que 
les  historiens  ne  parlent  point  de  cette  particularité  que  j'avois 
remarquée ,  que  les  Actes  originaux  ne  se  trouvent  plus.  Passe 
pour  les  historiens  ;  mais  quant  aux  originaux,  je  ne  sais  d'où 
l'on  juge  qu'ils  ne  subsistent  plus.  Je  jugerois  plutôt  le  contraire. 


220  LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

et  je  m'imagine  que  les  archives  de  France  en  pom-roicnt  fournir 
des  pièces  en  bonne  forme.  En  tout  cas^  je  crois  qu'il  y  en  a  des 
copies  assez  authentiques  pour  prouver  au  défaut  des  originaux, 
d'autant  que  le  manuscrit  que  j'ai  vu  vient  de  bon  lieu. 

Je  viens  au  consentement  subséquent ,  auquel  on  a  recours. 
Mais  il  semble  que  ce  consentement  subséquent,  quand  il  seroit 
prouvé,  ne  sauroit  lever  les  difficultés  ;  car  la  France  d'aujourd'hui 
peut-elle  mieux  savoir  si  le  concile  de  Trente  a  été  libre  et  si  l'on 
y  a  procédé  légitimement ,  que  la  France  du  siècle  passé  et  que 
les  ambassadeurs  présens  au  concile,  qui  ont  protesté  contre  par 
ordre  de  la  Cour?  J'avoue  que  la  France  peut  toujours  déclarer 
qu'elle  reçoit  ou  a  reçu  la  foi  du  concile  ;  mais  quand  elle  déclare- 
roit  aujourd'hui  qu'elle  reçoit  l'autorité  du  concile ,  cela  ne  gué- 
riroit  de  rien,  à  moins  qu'on  ne  trouve  qu'elle  a  plus  de  lumières 
aujourd'hui  qu'alors,  sur  le  fait  du  concile,  puisque  c'est  du  fait 
dont  il  s'agit.  Les  députés  du  tiers-état,  qui  disoient  l'an  1614  que 
les  François  d'alors  n'étoient  pas  phis  sages  que  leurs. ancêtres, 
avoient  raison  dans  cette  rencontre  de  se  servir  dune  maxime 
qui  d'ailleurs  est  assez  sujette  aux  abus. 

Mais  voyons  comment  ce  consentement  subséquent  se  prouve. 
On  avoue  (ju'il  n'y  a  aucun  Acte  authentique  de  la  nation ,  (|ui 
déclare  un  tel  consentement.  On  est  donc  contraint  de  recourir  au 
sentiment  des  particuliers  et  à  la  Profession,  de  foi  de  Pie  IV,  qui 
se  fait  en  l^'rance,  comme  ailleurs,  par  ceux  qui  ont  cliarge  d'ames 
et  quekpies  autres.  Quant  au  sentiment  des  particuliers,  je  veux 
croire  qu'il  n'y  en  a  aucun  en  France  qui  ose  dire  que  le  concile 
de  Trente  n'est  point  œcuménique,  en  parlant  de  sa  propre  opi- 
nion, excepté  peut-èlre  ces  nouveaux  convertis,  rpii  n'ont  pas  été 
obligés  à  la  l'rolèssion  de  Pie  IV.  Je  le  veux  croire,  dis-je,  bien 
qu'en  effet  je  ne  sache  pas  si  la  chose  seroit  tout  à  fait  sûre.  S'il 
falloit  opiner  dans  les  cours  souveraines,  peut-être  qu'il  y  auroit 
des  gens  qui  ne  le  nieroient  et  ne  l'affirmeroient  pas ,  remettant 
la  chose  à  une  plus  ample  discussion  et  à  une  décision  authen- 
tique de  la  nation  :  et  il  semble  que  le  tiers-état  n'a  pas  encore 
renoncé  au  droit  de  dire  ce  qu'il  dit  l'année  1614.  Il  semble  aussi 
que  tous  les  Frajiçois  du  parti  de  Rome,  soit  anciens  ou  nouvelle- 


LEIBNIZ  A  BOSSUET,  SANS  DATE.  221 

ment  convertis^  qui  n'ont  pas  encore  fait  ladite  Profession  de  foi, 
ont  droit  d'en  dire  autant,  sans  que  Messieurs  du  clergé,  qui  ne 
sont  que  le  tiers  de  la  nation  en  ceci ,  leur  puissent  donner  de  loi 
là-dessus.  Et  même ,  parmi  les  théologiens ,  je  me  souviens  que 
quelque  auteur  a  reproché  à  feu  M.  de  Launoi,  qu'il  n'avoit  pas 
eu  égard  à  la  décision  du  concile  de  Trente  sur  le  sujet  du  divorce 
par  adultère,  qui  est  pourtant  accompagnée  d'anathème.  Je  me 
rapporte  à  ce  qui  en  est. 

IMais  accordons  qu'aucun  François  n'oseroit  disconvenir  que  le 
concile  de  Trente  est  œcuménique  :  il  ne  sera  pas  ohligé  de  dire 
pour  cela  que  le  concile  de  Trente  est  suffisamment  recomiu  en 
France  pour  œcuménique  ;  car  il  y  entre  une  question  de  di'oii 
qui  paroît  recevoir  de  la  difficulté  :  savoir,  si  cela  fait  autan- 
qu'une  déclaration  de  la  nation.  En  effet  s'il  s'agissoit  de  la  foi, 
j'accorderois  plus  volontiers  que  l'opinion  de  tous  les  particuliers 
vaut  autant  qu'une  déclaration  du  corps  ;  mais  il  s'agit  ici  d'un 
fait  :  savoir,  si  l'on  a  procédé  légitimement  à  Trente,  et  si  le  con- 
cile qu'on  y  a  tenu  a  toutes  les  conditions  d'un  concile  œcumé- 
nique. On  m'avouera  que  l'opinion  de  tous  les  juges  interrogés 
en  particulier,  quand  elle  seroit  déclarée  par  leurs  écrits  particu- 
liers, ne  seroit  nullement  un  arrêt  jusqu'à  ce  qu'ils  se  joignent 
pom*  en  former  un.  Ainsi  tout  ce  qu'on  allègue  du  consentement 
de  l'Eglise ,  qui  fait  proprement  qu'ime  doctrine  est  tenue  pom- 
catholique,  quand  il  n'y  auroit  point  de  concile,  et  qui  peut  même 
adopter  la  doctrine  des  conciles  particuliers ,  ne  convient  point  à 
la  question  :  Si  la  nation  françoise  a  reçu  le  concile  de  Trente  poui' 
œcuménique,  et  légitimement  tenu.  Je  ne  veux  pas  répéter  ce  que 
j'ai  dit  dans  ma  première  Réponse,  pour  montrer  qu'on  doit  être 
fort  sur  ses  gardes  à  l'égard  de  ces  consentemens  des  particuliers 
recueillis  par  des  voies  indirectes  et  moins  authentiques. 

Du  sentiment  des  particuliers,  venons  à  la  Profession  de  foi  de 
Pie  IV,  introduite  en  France  par  l'adresse  du  clergé,  sans  l'inter- 
vention de  l'autorité  suprême,  ou  plutôt  contre  son  autorité, 
puisqu'on  savoit  que  les  rois  et  les  Etats  généraux  du  royaume 
n'étoient  pas  résolus  de  déclarer  ce  qui  s'y  dit  du  concile.  La 
question  est  :  Si  cela  peut  passer  pour  une  réception  du  concile. 


222  LETTRES  SUR  LA  RÉUiNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 
J'oserois  dire  que  non  ;  car  comme  c'est  une  matière  de  fait  dont 
les  nations  ont  droit  de  juger,  si  un  concile  a  été  tenu  comme  il 
faut,  ce  n'est  pas  seulement  au  clergé  qu'il  appartient  de  pronon- 
cer :  et  tout  ce  qu'il  peut  introduire  là-dessus  ne  sauroit  faire 
préjudice  à  la  nation,  non  plus  que  l'entreprise  du  même  clergé, 
{jui  après  le  refus  du  tiers-état,  s'avança  jusqu'à  déclarer  de  son 
chef  que  le  concile  étoit  reçu;  ce  qu'on  a  eu  l'ingénuité  de  ne  pas 
approuver.  On  voit  par  là  coml)ien  on  doit  être  sm'  ses  gardes 
contre  ces  sortes  d'introductions  tacites,  indirectes  et  artificieuses, 
qui  peuvent  être  extrêmement  préjudiciables  au  bien  du  peuple 
de  Dieu ,  en  empêchant  sans  nécessité  la  paix  de  l'Eghse  et  en 
établissant  une  prévention  qu'on  défend  après  avec  opiniâtreté 
parce  cpi'on  s'en  fait  un  point  d'honneur  et  même  un  point  de 
religion. 

Il  reste  maintenant  la  seconde  fjuestion  :  Posé  qu'un  concile; 
soit  reçu,  ou  que  la  foi  d'mi  concile  .soit  reçue  dans  toute  la  com- 
munion romaine ,  s'il  s'ensuit  que  l'autorité  ou  les  sentimens  de 
ce  concile  ne  sauroient  demeurer  en  suspens  à  l'égard  des  pro- 
testans,  qui  pourtant  croient  avoir  de  grandes  raisons  de  n'en 
point  convenir.  J'avois  répondu  que  cela  ne  s'ensuit  point  ;  et 
entre  autres  raisons ,  j'avois  allégué  l'exemple  formel  du  concile 
de  Bàle  encore  uni  avec  le  pape  Eugène,  qui  déclara  rece\'oir  les 
calixlins  de  Bohême  à  sa  communion ,  nonobstant  le  refus  qu'ils 
firent  de  se  soumettre  à  l'autorité  du  concile  de  Constance ,  qui 
avoit  décidé  qu'il  est  licite  de  prendre  la  communion  sous  une 
seule  espèce. 

Je  ne  vois  pas  qu'on  y  réponde;  mais  on  croit  avoir  trouvé  uu 
autre  tour  pour  l'éviter.Voici  comment  on  raisonne  :  Le  consen- 
tement général  de  l'Eglise  catholique  est  infailHl)le,  soit  qu'elle 
s'explique  dans  un  concile  œcuménique,  ou  que  d'aillem'S  sa  doc- 
trine soit  notoire  ;  donc  les  protestans,  qui  ne  veulent  pas  se  sou- 
mettre aux  sentimens  de  l'Eglise  romaine ,  qui  est  seule  catho- 
lique ,  sont  par  cela  même  irréconciliables.  C'est  parler  ronde- 
ment ;  mais  la  supposition  est  un  peu  forte,  et  on  le  reconnoît  en 
se  faisant  cette  objection  :  «  Mais  vous  supposez,  direz-vous,  que 
vous  êtes  seuls  l'Eghse  catholique.  Il  est  vrai  que  nous  le  suppo- 


LEIBNIZ  A  BOSSUET,  SANS  DATE.  223 

sons  ;  nous  l'avons  prouvé  ailleurs  :  mais  il  suffit  de  le  supposer, 
parce  que  nous  avons  affaire  à  des  personnes  qui  en  veulent  venir 
avec  nous  à  une  réunion ,  sans  nous  obliger  à  nous  départir  de 
nos  principes.  » 

J'avoue  que  cette  manière  de  raisonner  m'a  surpris,  comme 
si  toutes  les  suppositions  ou  conclusions  prétendues ,  qu'on  sup- 
pose avoir  prouvées  ailleurs,  étoient  des  principes,  ou  comme 
si  nous  avions  déclaré  vouloir  consentir  à  tous  leurs  principes , 
par  cela  seul  que  nous  voulons  consentir  qu'ils  les  gardent 
jusqu'à  ce  qu'un  concile  légitime  les  établisse  ou  les  réforme, 
comme  nous  prétendons  aussi  garder  les  nôtres  de  même.  Il  me 
semble  qu'il  y  a  bien  de  la  difTérence  entre  suivre  un  principe  , 
et  consentir  que  d'autres  ne  s'en  départent  point.  Supposons  que 
le  concile  de  Trente  soit  le  principe  de  l'Eglise  romaine ,  et  que 
la  Confession  (T Aufjshourfj  soit  le  principe  des  protestans  (je 
parle  des  principes  secondaires),  des  personnes  de  mérite  des 
deux  côtés  avoient  jugé  que  la  réunion,  à  laquelle  on  peut  penseï* 
raisonnablement,  se  doit  pouvoir  faire  sans  obliger  l'un  ou  l'autre 
parti  à  se  départir  de  ses  principes  et  livres  symboliques ,  ou  de 
certains  sentimens  dont  il  se  tient  très-assuré.  On  a  prouvé,  par 
l'exemple  du  concile  de  Bàle,  que  cela  est  faisable  dans  la  com- 
munion romaine.  On  avoue  pourtant  que  cette  commmiion  a  un 
autre  principe ,  dont  elle  est  obligée  d'exiger  la  créance  ;  c'est 
l'infaillibilité  de  l'Eglise  catholique,  soit  qu'elle  s'explique  légiti- 
mement dans  un  concile  œcuménique,  ou  que  son  consentemeni 
soit  notoire  ,  suivant  les  règles  de  Vincent  de  Lérins,  que  George 
flalixte,  un  des  plus  célèbres  auteurs  protestans,  a  trouvées  très- 
bonnes.  On  peut  convenir  de  ces  points  de  droit  ou  de  foi  sur 
l'article  de  l'Eglise,  quoiqu'on  ne  soit  pas  d'accord  touchant  cer- 
tains faits  ;  savoir,  si  un  tel  concile  a  été  légitime,  ou  si  une  telle 
commimion  fait  l'Eglise  ;  et  par  conséquent,  si  une  telle  opinion 
sur  la  doctrine  ou  sur  la  discipline  est  le  sentiment  de  l'Eglise  : 
pourvu  cependant  que  la  dissension  ne  soit  que  sur  des  points 
dont  on  avoue  qu'on  pouvoit  les  ignorer  sans  mettre  son  salut  en 
compromis,  avant  que  le  sentiment  de  l'Eglise  là-dessus  ait  été 
connu.  Car  on  suppose  que  la  réunion  ne  se  sauroit  fau'e  qu'en 


224    LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

obviant  de  part  et  d'autre  aux  abus  de  doctrine  et  de  pratique , 
que  l'un  ou  l'autre  parti  tient  pour  essentiels.  Aussi  n'offrons- 
nous  de  faire  que  ce  que  nous  croyons  que  la  partie  adverse  est 
obligée  de  faire  aussi;  c'est-à-dire  de  contribuer  à  la  réunion, 
autant  que  chacun  croit  qu'il  lui  est  permis  dans  sa  conscience  ; 
et  ceux  qui  s'opiniàtrent  à  refuser  ce  qu'ils  pouiToient  a(;cor(lor, 
demeurent  coupables  de  la  continuation  du  f:chisme. 

Je  pourrois  faire  des  remarques  sur  plusieurs  endroits  de  la 
réplique  à  laquelle  je  viens  de  répondre  ;  mais  je  ne  veux  encore 
tou/îher  (ju'à  quelques  endroits  plus  importans,  à  l'égard  de  ce 
dont  il  s'agit.  On  dit  que  s'il  faut  venir  un  jour  à  un  autre  concile, 
on  pourroit  encore  disputer  sur  les  formalités.  ^lais  c'est  pour 
cela  qu'on  en  pourroit  convenir,  même  avant  la  rémiiou.  11  peut 
y  avoir  de  la  nullité  dans  im  arrêt,  sans  qu'on  puisse  alléguer 
contre  celui  qui  allègue  cette  nullité ,  qu'ainsi  il  pomToit  révo- 
quer en  doute  tous  les  autres  arrêts  :  car  il  ne  pourra  pas  tou- 
jours avoir  les  mêmes  moyens.  J'avois  dit  que  le  concile  de 
Trente  a  été  un  peu  trop  facile  à  venir  aux  anathèmes,  et  j'avois 
allégué  les  décisions  sur  le  baptême  de  saint  Jean-Baptiste  et  sur 
le  divorce  en  cas  d'adultère.  On  ne  dit  rien  sm'  la  seconde  ;  et  on 
répond  sur  la  première  cjue  sans  cela  l'institution  divine  du  bap- 
tême de  Jésus-Christ  seroit  rejetée  :  mais  il  n'est  pas  aisé  d'en 
voir  la  conséquence.  On  nous  nie  aussi  que  les  Italiens  aient  do- 
miné à  Trente  :  c'est  pourtant  un  fait  assez  reconnu.  On  ne  sam'oit 
dire  aussi  qu'on  n'y  ait  décidé  que  des  choses  établies  déjà,  puis- 
qu'on demeure  d'accord  ,  par  exemple ,  (jue  la  condamnation  du 
divorce,  en  cas  d'adultère,  n'avoit  pas  encore  paru  établie  dans 
le  concile  de  Florence  \a  .  On  dit  aussi  que  les  dévotions  popu- 
laires, qui  semblent  tenir  de  la  superstition,  ne  doivent  pas  em- 
pêcher la  réunion,  parce  que,  dit-on,  tout  le  monde  demeure 
d'accord  qu'elle  ne  peut  être  empêchée  que  par  des  choses  aux- 
quelles on  soit  obUgé  dans  une  communion.  Mais  je  ne  sais  d'où 
l'on  a  pris  celte  maxime  :  au  moins  nous  n'en  demeurons  nulle- 
ment d'accord  ,  et  on  ne  sauroit  aisément  entrer  dans  une  com- 
munion où  des  abus  pernicieux  sont  autorisés,  qui  font  tort  à 

(a)  Voyez  la  note  déjà  indiquée,  ci-dessus,  p.  218. 


LEIBNIZ  A  M™^  DE  BRINON,  23  OCTOBRE  1693.  225 

l'essence  de  la  piété.  A  quoi  tient-il  qu'on  n'y  remédie,  puisqu'on 
le  peut  et  qu'on  le  doit  faire  ? 

LETTRE  XXXIII. 

LEIBNIZ   A   MADAME   DE   BRINON. 
23  octobre  1G93. 

Madame  ;, 

Quand  je  n'aurois  jamais  rien  vu  de  votre  part  que  la  dernière 
lettre,  j'aurois  eu  de  quoi  me  convaincre  également  de  votre  cha- 
rité et  de  votre  prudence,  qui  vous  font  tourner  toutes  les  choses 
du  bon  côté,  et  prendre  en  bonne  part  ce  que  j'avois  dit  peut- 
être  avec  un  peu  trop  de  liberté.  Vous  imitez  Dieu,  qui  sait  tirer 
le  bien  du  mal.  Nous  le  devons  faire  dans  les  occasions  ;  et  puis- 
qu'il y  a  un  schisme  depuis  tant  d'années ,  il  faut  le  faire  servir  à 
lever  les  causes  qui  Ton  fait  naître.  Les  abus  et  les  superstitions 
en  ont  été  la  principale.  J'avoue  que  la  doctrine  même  de  votre 
Eglise  en  condamne  ime  bonne  partie  ;  mais  pour  venir  à  la  ré- 
forme efTective  d'un  mal  enraciné,  il  faut  de  grands  motifs,  tel 
que  pourra  être  la  réunion  des  peuples  entiers.  Si  on  la  prévient, 
pour  ne  paroître  point  y  avoir  été  poussés  par  les  protestans , 
nous  ne  nous  en  fâcherons  pas.  La  France  y  pourra  le  plus  con- 
tribuer, et  il  y  a  en  cela  de  quoi  couronner  la  gloire  de  votre 
grand  monarque. 

Yous  dites.  Madame,  que  toutes  les  superstitions  imaginables 
ne  sauroient  excuser  la  continuation  du  schisme.  Cela  est  vrai  de 
ceux  qui  l'entretiennent;  il  est  très-sùr  qu'une  Eghse  peut  être 
si  corrompue ,  que  d'autres  églises  ne  sauroient  entretenu-  com- 
munion avec  elle  ;  c'est  lorsqu'on  autorise  des  abus  pernicieux. 
J'appelle  autoriser  ce  qu'on  introduit  publiquement  dans  les  églises 
et  dans  les  confréries.  Ce  n'est  pas  assez  qu'on  n'exige  pas  de  nous 
de  pratiquer  ces  choses  ;  c'est  assez  qu'on  exige  de  nous  d'entrer 
en  communion  avec  ceux  qui  en  usent  ainsi,  et  d'exposer  nos 
peuples  et  notre  postérité  à  un  mal  aussi  contagieux  (jue  le  sont 
les  abus  dont  ils  ont  été  à  peine  affranchis  après  tant  de  travaux. 
TOM.  xvni.  15 


220    LETTRES  SUR  LA  REUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

L'union  est  exigée  par  la  charité  ;  mais  ici  elle  est  défendue  par 
la  suprême  loi,  qui  est  celle  de  Famom'  de  Dieu,  dont  la  gloire  est 
intéressée  dans  ces  connivences. 

Mais  quand  tous  ces  abus  seroient  levés  d'une  manière  capable 
de  satisfaire  les  personnes  raisonnables,  il  reste  encore  le  grand 
empêchement  ;  c'est  que  vos  Messiem's  exigent  de  nous  la  profes- 
sion de  certaines  opinions  que  nous  ne  trouvons  ni  dans  la  raison, 
ni  dans  l'Ecriture  sainte ,  ni  dans  la  voix  de  l'Eglise  universelle. 
Les  sentimens  ne  sont  point  arbitraires.  Quand  je  le  voudrois,  je 
ne  saurois  donner  mie  telle  déclaration  sans  menth\  C'est  pour- 
quoi quelques  théologiens  graves  de  votre  parti  ont  renouvelé 
un  tempérament  pratiqué  déjà  par  leurs  ancêtres;  et  j'avoue  que 
c'est  là  ]e  véritable  chenùu  :  et  cela,  joint  à  mie  déclai'atioii  effi- 
cace contre  les  abus  pernicieux,  peut  redonner  la  paix  à  l'Eglise. 
En  espérer  d'autres  voies,  je  pai"le  des  voies  amiables,  c'est  se 
flatter.  Nous  avons  fait  dans  cette  vue  des  avances,  qu'on  n'a  point 
faites  depuis  les  premiers  autem's  de  la  Réforme;  mais  nous  en 
devons  attendre  de  réciproques.  C'est  à  cela ,  Madame ,  qu'il  est 
juste  que  vous  tourniez  vos  exhortations  et  ceUes  des  personnes 
puissantes  par  leur  rang  et  par  leur  mérite,  dont  vous  possédez 
les  bonnes  grâces.  Madame  de  Maubuisson  a  déjà  fait  des  démar- 
ches importantes  :  son  esprit  et  sa  piété  étant  élevés  autant  que 
sa  naissance,  elle  a  des  avantages  merveilleux  pom*  reiidi'e  un 
grand  service  à  l'Eghse  de  Dieu.  Je  tiens.  Madame,  que  votre 
entremise  pomToit  avoir  un  grand  effet  de  plusiem's  façons.  Nous 
ne  serons  jamais  excusables,  si  nous  laissons  perdre  des  conjonc- 
tures si  favorables.  11  y  a  chez  vous  un  roi  qui  est  eu  possession 
de  faire  ce  qui  étoit  impossible  à  tout  autre ,  et  dont  on  m'assure 
que  les  lumières,  qui  vont  de  pair  avec  la  puissance,  sont  fort 
tournées  du  côté  de  Dieu.  11  y  a  chez  nous  un  prince  des  plus 
éclairés  ,  qui  a  de  l'autorité  ,  et  surtout  de  l'inclination  pour  ces 
bons  desseins  :  l'électrice  son  épouse  et  madame  de  jMaubuisson 
contribueront  beaucoup  à  entretenir  nos  espérances.  Ajoutez-y 
des  théologiens  aussi  éclairés  que  l'est  M.  l'évêque  de  Meaux,  et 
aussi  bien  disposés  que  l'est  M.  l'abbé  Molanus,  dont  la  doctrine 
est  aussi  grande  que  la  sincérité. 


LEIBNIZ  A  M"*  DE  BRINON,  23  OCTOBRE  lfi93.  227 

Tl  est  vrai  que  M.  de  Meaiix  a  fait  paroître  des  scrupules  que 
d'autres  excellens  hommes  n'ont  point  eus  :  c'est  ce  qui  nous  a 
donné  de  la  peine^  et  pourra  faire  quelque  tort.  Mais  j'espère  c[ue 
ce  n'aïu^a  été  qu'un  malentendu  ;  car  si  l'on  croit  obtenir  un  parfait 
consentement  sur  toutes  les  décisions  de  Trente,  adieu  la  réu- 
nion :  c'est  le  sentiment  de  M.  l'abbé  de  Lokkum,  qu'on  ne  doit 
pas  même  penser  à  une  telle  soumission.  Ce  sont  des  conditions 
véritablement  onéreuses,  ou  plutôt  impossibles.  C'est  assez  pour 
un  véritable  catholicpie,  de  se  soumettre  à  la  voix  de  l'Eglise, 
que  nous  ne  saurions  reconnoître  dans  ces  sortes  de  décisions. 
Il  est  permis  à  la  France  de  ne  pas  reconnoître  le  dernier  concile 
de  Latran  et  autres;  il  est  permis  aux  Italiens  de  ne  point  re- 
connoître celui  de  Bàle  :  il  sera  donc  permis  à  une  grande  partie 
de  l'Europe  de  demander  un  concile  plus  autorisé  que  celui  de 
Trente,  sauf  à  d'autres  de  le  reconnoître  en  attendant  mieux.  Il 
est  vrai  que  M.  de  Meaux  n'a  pas  encore  nié  formellement  la  pro- 
position dont  il  s'agit;  mais  il  a  évité  de  s'expli(pier  assez  là-des- 
sus. Peut-être  que  cela  tient  lieu  de  consentement,  sa  prudence 
trop  réservée  ne  lui  ayant  pas  permis  d'aller  à  une  telle  ouver- 
ture. Il  a  même  dit  un  mot  qui  semble  donner  dans  notre  sens. 
Je  crois  qu'une  ouverture  de  cœur  est  nécessaire  pour  avancer  ces 
bons  desseins.  On  en  a  fait  paroître  beaucoup  de  notre  côté  .  et 
en  tout  cas ,  nous  avons  satisfait  à  notre  devoir ,  ayant  mis  bas 
toutes  les  considérations  humaines  ;  et  notre  conscience  ne  nous 
reproche  rien  là -dessus.  Je  joins  un  grand  paquet  pour  M.  l'é- 
vêque  de  Meaux.  Si  ce  digne  prélat  veut  aller  aussi  loin  qu'il 
peut,  il  rendra  un  service  à  l'Eglise,  qu'il  est  difficile  d'attendre 
d'aucun  autre  :  et  c'est  pour  cela  même  qu'on  le  doit  attendre  de 
sa  charité,  que  son  mérite  éminent  en  rendra  'responsable.  Nous 
attendons  l'arrivée  de  madame  la  duchesse  douairière ,  qui  nous 
donnera  bien  de  la  joie.  Il  y  a  longtemps  que  cette  princesse, 
dont  la  vertu  est  si  éminente ,  m'a  donné  quelque  part  dans  ses 
bonnes  grâces.  Peut-être  que  son  voyage  servira  encore  à  nos 
bons  dessems.  Je  suis  avec  zèle,  Madame,  votre  très-hmnble  et 
très-obéissant  serviteur, 

Leibniz. 


228    LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 
LETTRE  XXXIY. 

M  A  D  A  M  E    DE    B  R I  N  0  N    A   B  0  S  S  U  K  T. 
Ce  5  novembre  1693. 

Voilà  M.  Leibniz  qui  revient  à  vous,  Monseigneur,  et  qui,  grâce 
à  Dieu,  ne  veut  point  quitter  la  partie.  Le  commencement  de  la 
lettre  qu'il  vous  écrit,  qu'il  m'a  envoyée  toute  ouverte,  m'a  donné 
quelque  frayeur;  mais  en  avançant  je  nai  rien  trouvé  de  déses- 
péré. Je  laisse  à  Votre  Grandem*  à  faire  les  réflexions  qu'il  con- 
\ient  sm"  une  si  importante  affaire.  Je  lui  dirai  seulement  que 
je  souhaite  de  tout  mon  cœm-  qu'elle  couronne  tous  les  services 
qu'elle  a  rendus  à  l'Eglise,  par  la  plus  digne  et  la  plus  belle 
action  qu'un  grand  prélat  puisse  faire. 

Vous  avez  un  beau  chanqi,  si  M.  le  nonce  est  habile;  mais  je 
mems  de  peur  que  non  :  je  ^■ous  dis  cela  tout  bas.  Si  vous  trou- 
viez. Monseigneur,  que  les  choses  que  les  protestans  demandent 
se  pussent  accorder,  comme  il  seroit  à  souhaiter ,  il  me  semble 
que  vous  devriez  faire  agir  le  Roi,  et  tirer  de  sa  toute-puissance 
tous  les  moyens  qui  peuvent  être  propres  à  ce  grand  dessein.  Le 
clergé  n'y  peut-il  pas  quelque  chose?  Rome,  qui  est  pour  nous 
dans  mi  si  beau  chemin,  désire  ardeunncnt  cette  réunion;  et 
vous  n'aurez  pas  sans  doute  oublié  que  le  feu  Pape  en  a  écrit  à 
madame  de  Maubuisson,  pour  la  remercier  de  ce  qu'il  avoit  ap- 
pris qu'elle  contribuoit  à  ce  grand  dessein  et  pour  l'encourager 
à  le  suivre  jusqu'au  liout  ,  promettant  d'y  donner  les  mains  de 
tout  son  pouvoir. 

Madame  de  Maul)uisson,  à  laquelle  je  lis  tout  ce  (jui  vient  d'Al- 
lemagne, croit  (]iie  vous  avez  écrit  quelque  lettre  que  nous  n'a- 
sons  pas  vue.  Je  lui  ai  dit  qu'il  me  paroissoit  que  vous  m'aviez 
fait  l'honnem'  de  me  les  envoyer  toutes  ouvertes. 

Quoi  qu'il  en  soit.  Monseigneur,  ne  souffrez  pas  que  nos  frères 
vous  échappent  :  soutenez  les  moyens  dont  Votre  Grandeur  a  fait 
la  proposition,  puisque  cela  est  si  agréable  aiLx:  protestans;  et 
laissons-leui"  mettre  un  pied  diuis  notre  bergerie  ;  ils  y  auront 


LEIBNIZ  A  M-"^  DE  BRINON,  5  NOVEMBRE  1693.  229 

bientôt  tous  les  deux.  Je  dis  cela  à  propos  de  ce  qu'ils  demandent 
qu'on  ne  les  contraigne  pas  de  souscrire  au  concile  de  Trente 
présentement.  Dieu  ne  fait  pas  tout  d'un  coup  ses  plus  grands 
ouvrages,  quoiqu'il  agisse  sm'  nous  avec  une  pleine  puissance  : 
il  semble  que  son  autorité  souveraine  ménage  toujours  notre  foi- 
blesse. 

Il  nous  apprend  par  là,  ce  me  semljle,  qu'il  faut  toujours 
prendre  ce  que  nos  frères  offrent  de  nous  donner,  en  attendant 
que  Dieu  perfectionne  cet  ou\Tage,  pour  lequel  je  ne  puis  douter 
que  vous  n'ayez,  jMonseigneur,  mie  affection  bien  pleine  du  désir 
de  cette  réunion,  où  vous  voyez  que  les  protestans  vous  ap- 
pellent. 

C'est  assez  vous  marquer  que  la  di\àne  Pro\àdence  vous  a 
choisi  pour  la  faire  réussir.  Tous  les  chemins  vous  sont  ouverts, 
tant  du  côté  de  l'Eglise  que  de  celui  de  la  Cour  :  vous  êtes  dans 
l'une  et  dans  l'autre  si  considéré  et  si  approuvé,  qu'on  ne  peut 
douter  que  vous  ne  puissiez  Ijeaucoup  faire  avec  l'aide  de  celui  à 
qui  rien  ne  peut  résister.  Je  suis  toute  attendrie  de  la  persévé- 
rance avec  laquelle  ces  honnêtes  protestans  reviennent  à  nous  : 
l'esprit  de  Jésus- Christ  est  plein  d'une  charitable  condescendance, 
pom-vu  qu'on  ne  choque  pas  la  vérité.  Au  nom  de  Dieu,  Monsei- 
gneur, livrez-vous  un  peu  à  cet  ouATage,  et  voyez  tout  ce  qui 
peut  contribuer  à  le  faire  réussir.  Si  vous  jugez  que  je  le  doive, 
j'en  écrirai  à  la  persoime  qui  pourroit  vous  faciliter  les  moyens, 
et  je  pourroislui  marquer  ce  que  Yotre  Grandeur  m'ordonneroit 
de  lui  dire,  en  cas  ffiie  vous  ne  puissiez  pas  lui  parler  vous- 
même  ;  ce  qui  seroit,  ce  me  semble,  le  meilleur.  Je  suis  avec  un 
grand  respect,  de  Yotre  Grandeur ,  la  très-humble  et  très-obéis- 
sante servante. 

Sœur  DE  Brinon. 


230    LETTRES  SLR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  DALLEMAGNE. 


LETTRE  XXXV. 

LEIBNIZ    A    B  0  S  S  U  E  T. 
23  octobre  1G93. 

Monseigneur  , 

Je  voudrois  pouvoir  m'abstenir  d'entrer"  en  matière  dans  cette 
lettre  :  je  sens  bien  quelle  ne  devroit  contenir  que  des  mai'ques 
d'un  respect  que  je  souhaiterois  pouvoir  porter  jusqu'à  une  dé- 
férence entière  à  Tégard  même  des  sentimens,  si  cela  me  parois- 
soit  possible  ;  mais  je  sais  que  vous  préférerez  toujom's  la  sincé- 
rité aux  plus  belles  paroles  du  monde  ,  que  le  cieur  désavoue. 
Ce  (jui  nous  a  domié  de  la  peine,  et  particulièrement  à  M.  l'abbé 
de  Lokkum,  qui  avoit  fait  paroître  tant  d'ouverture  et  tant  de 
sincérité,  c'est  cette  réserve  scrupuleuse  qu'on  remarque.  Mon- 
seigneur, dans  vos  lettres  et  diuis  la  Réponse  à  son  > Ecrit,  qui 
vous  a  fait  éviter  l'éclaircissement  dont  U  s'agissoit  chez  nous , 
sm'  le  pouvoir  que  l'Eglise  a  de  faire  à  l'égard  des  protestans,  ce 
i\\w  le  concile  de  Bàle  a  fait  envers  d'autres,  quoi(|ue  d'excellens 
théologiens  de  votre  parti  n'aient  point  fait  les  diiiicdes  là-dessus. 
M.  l'abbé  étoit  supris  de  voir  qu'on  donnoit  im  autre  tour  à  la 
question,  comme  si  nous  demandions  à  vos  Mcssiem's  de  renoncer 
aux  décisions  (pi'ils  croient  avoir  été  faites ,  ou  de  les  suspendre 
à  leur  propre  égard  ;  ce  qui  n'a  nullement  été  notre  intention, 
non  plus  que  celle  des  Pères  de  Bàle  n'a  été  de  se  dépaitir  des 
décisions  de  Constance,  lorsqu'ils  les  suspendoient  à  l'égard  des 
Bohémiens  rémiis. 

Mais  nous  avons  sm'tout  été  étonnés  de  la  manière  dont  notre 
sentiment  a  été  pris  dernièrement,  dans  la  réplique  que  j'ai 
reçue  touchant  la  réception  du  concile  de  Trente  en  France, 
comme  si  nous  nous  étions  engagés  à  nous  soumettre  a  tous  les 
principes  du  parti  romain ,  lorsque  nous  avions  dit  seulement 
(pi'unc  réunion  raisonnable  se  devoit  faire  sans  obliger  l'un  ou 
l'autre  parti  de  se  départu'  par  avance  de  ses  principes  ou  livres 


LEIBNIZ  A  BOSSUET,  23  OCTOBRE  1693.  231 

symboliques.  Je  crois  que  cela  vient  de  ce  que  l'auteui'  de  cette 
réplique  n'a  pas  été  informé  à  fond  de  nos  sentimens,  puisqu' aussi 
bien  on  avoit  désiré  qu'ils  ne  fussent  communiqués  qu'aux  per- 
sonnes dont  on  étoit  convenu.  Mais  cela  étant,  il  étoit  juste  qu'on 
ne  permît  point  que  de  si  étranges  sentimens  nous  fussent  attri- 
bués. Je  doute  que  jamais  théologien  protestant,  depuis  Mélanch- 
thon,  soit  allé  au  delà  de  cette  fi-ancliise  pleine  de  sincérité,  que 
M.  l'abbé  de  Lokkum  a  fait  paroître  dans  cette  rencontre,  quoique 
son  exemple  ait  été  suivi  depuis  de  quelques  autres  du  premier 
rang.  Mais  ayant  fait  des  réflexions  sm^  vos  Réponses,  il  a  sou- 
vent été  en  doute  du  fruit  qu'il  doit  attendre ,  en  cas  qu'on  s'}^ 
arrête.  Car  étant  persuadé  autant,  suivant  ses  propres  termes, 
qu'on  le  pourroît  être  d'mie  démonstration  de  mathématique, 
que  les  seules  expositions  ne  sauroient  lever  toutes  les  con- 
ti'overses,  avant  l'éclaircissement  qu'on  dit  attendre  d'un  concile 
général,  il  est  persuadé  aussi  qu'à  moins  d'une  condescendance 
préalable,  qui  soit  semblable  à  celle  des  Pères  de  Bâle,  il  n'y  a 
rien  à  espérer. 

Ces  sortes  de  scrupules  étoient  fort  capables  de  ralentir  notre 
ardem-  pleine  de  bonne  intention,  sans  votre  dernière  qui  nous  a 
remis  en  espérance,  lorsque  vous  dites.  Monseigneur  ,  qu'on  ne 
viendra  jamais  de  votre  part  à  une  nouvelle  discussion  par  forme 
de  doute,  mais  bien  par  forme  d'éclaircissement.  J'ai  pris  cela 
pour  le  plus  excellent  expédient  que  vous  pouviez  trouver  sur  ce 
sujet.  Il  n'y  a  rien  de  si  juste  que  cette  distinction ,  et  rien  de  si 
convenable  à  ce  que;  nous  demandons  :  aussi  tous  ceux  qui 
entrent  dans  ime  conférence,  ou  même  dans  un  concile,  avec  cer- 
tains sentimens  dont  ils  sont  persuadés  ,  ne  le  font  pas  par  ma- 
nière de  doute,  mais  dans  le  dessein  d'éclaircir  et  de  confirmer 
leur  sentiment,  et  ce  dessein  est  commun  aux  deux  partis.  C'est 
Dieu  qui  doit  décider  la  question  par  le  résultat  d'un  concile  œcu- 
ménique, auquel  on  se  sera  soumis  par  avance  :  et  quoique  cha- 
cun présume  que  le  concile  serapom*  ce  qu'il  croit  être  conforme 
à  la  vérité  salutaire,  chacun  est  pourtant  assuré  que  ce  concile  ne 
sauroit  faillir,  et  que  Dieu  fera  à  son  Eglise  la  grâce  de  toucher 
ceux  qui  ont  ces  bons  sentimens,  pour  les  faire  renoncer  à  Ter- 


232    LETTRES  SUR  LA  REUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

reiir  lorsque  l'Eglise  universlle  aura  paiié.  Cétoit  sans  doute  le 
sentiment  des  Pères  de  Bàle,  lorsqu'ils  déclarèrent  recevoir  ceux 
qui  paroissoicnt  animés  de  cet  esprit;  et  si  vous  croyez,  Mon- 
scig-neur,  que  lEglise  d'à  présent  les  pourroit  imiter  après  les 
préparations  convenables,  nous  avouerons  que  vous  aurez  jeté 
un  fondement  solide  de  la  réunion,  sm'  lequel  on  bâtira  avec 
beaucoup  de  succès,  suivant  votre  excellente  méthode  d'éclair- 
cissement, qui  servira  à  y  acheminer  les  choses.  Car  plus  on  di- 
minuera les  controverses,  et  moins  celles  qui  resteront  seront 
capables  d'arrêter  la  réunion  efTective.  Mais  si  la  déclaration  pré- 
liminaire que  je  viens  de  dire  est  refusée,  nous  ne  pouvons  man- 
quer de  juger  qu'on  a  fermé  la  porte.  Car  l'ouverture  et  la  con- 
descendance en  tout  ce  qui  est  loisible,  doit  être  réciproque  :  sans 
cela,  le  parti  (pii  fait  seul  les  frais  des  av;mces  se  préjuilicie  ;  et 
les  particuliers  qui  font  des  démardu^s  de  leur  côté,  sans  en  at- 
tendre de  proportionnées  de  l'autre,  s'exposent  à  faire  tort  à  leur 
parti,  ou  du  moins  à  en  essuyer  des  reproches  qui  ne  seront  pas 
sans  (|u<'lque  justice.  Aussi  ne  seroit-on  pas  allé  si  loin  sans  les 
déclarations  formelles  de  quelques  éminens  théologiens  de  votre 
parti,  dont  il  y  ou  a  un  (jui  dit  eu  termes  exprès  dans  son  écrit  : 
Qiml  circa  ptiucas  quo'sliones  mi niis  principales,  ubi  Tridontini 
cum  afiis  confcssionihits  imio  cj pressa  fieri  mm  possct,  fi.cri  de- 
beat  saltem  implicita.  Ilœc  autem ,  inquit ,  in  hoc  consistit,  quùd 
partes  circa  difficidtatem  rémanent em  paratœ  esse  debent  illa 
tandem  acceptare  qiiœ  per  legitimicfn  et  œcumeniciim  conci- 
Uum  decidentnr,  aut  actu  decisa  esse  demonstrabuntur .  Intérim 
iitrincp(è  quietabimtiir  per  exemphim  anionis  sat  manifestum 
inter  Stephanum  Papam  et  sanction  Cyprianwn  '.  U  allègue 

•  M.  (le  Leibniz  nmis  auroit  fait  [>lai?ir  df  iioinmcr  ces  t/ic'olof/irns  émineruf.  Il 
dit  sur  ce  mêuie  sujet  dans  sa  lettre  ii  madame  de  Brinon,  du  29  septembre 
IIJOI,  <pic  plusieurs  théologiens  graves  de  la  comnuuiion  romaiuc  sont  de  sou 
avis;  et  il  cite  une  lettre  d'un  Père  Noyellcs,  qu'on  dit  avoir  été  le  onzième  ou 
douzième  général  des  Jésuites,  i|ui  selon  lui  ne  sauroit  être  jtlus  faécisc.  Que 
le  passage  latin  copié  par  Leibniz  ,  soit  du  l'ère  Noyelles  ou  d'un  autre  auteur, 
il  n'est  pas  possible  d'en  approuver  la  décision,  qui  tout  au  moins  est  fort  obs- 
cure. Ku  effet  il  faudroit  expliijuer  quelles  sont  les  questions  moins  principales 
dont  veut  pailer  cet  auteur.  S'il  met  ilans  ce  rang  celle  de  lacounnnnion  sous 
les  deux  espèces,  telle  qu'elle  est  agitée  par  les  protestans  contre  les  catholiques, 
il  est  certain  c[u'il  se  trompe  ;  et  que  c'est  une  question  très- importante  de  savoir 


LEIBNIZ  A  BOSSUET,  23  OCTOBRE  1093.  233 

aussi  l'exemple  de  la  France  ;,  dont  l'union  avec  Rome  n'est  pas 
empêchée  par  la  dissension  sur  la  supériorité  du  Pape  ou  du  con- 
cile; et  il  en  infère  que^  nonobstant  les  contestations  moins  prin- 
cipales qui  pourroient  rester,  la  réunion  effective' se  peut,  et 
quand  tout  y  sera  disposé,  se  doit  faire. 

C'est  du  côté  des  vôtres  qu'on  a  commencé  de  faire  cette  ou- 
verture ;  et  ces  Messieurs  qui  l'ont  faite  ont  eu  raison  de  croire 
qu'on  gagneroit  beaucoup  en  obtenant  une  soumission  effective 
des  nations  protestantes  à  la  hiérarchie  romaine,  sans  cpie  les 
nations  de  la  commmiion  romaine  soient  obligées  de  se  départir 
de  quoi  que  ce  soit ,  que  leur  Eglise  enseigne  ou  commande.  Ils 
ont  bien  jugé  qu'il  étoit  plutôt  permis  aux  protestans  de  faire  les 
difficiles  là-dessus  ;  et  que  pom'  eux,  c'étoit  une  nécessité  indis- 
pensable de  leur  offrir  cela,  pour  entrer  en  négociation  et  pour 
donner  l'espérance  de  quelque  succès.  Si  vous  ne  rejetez  point 
cette  thèse ,  Monseigneur,  que  nous  considérons  comme  la  base 
de  la  négociation  pacifique,  il  y  aura  moyen  d'aller  bien  avant  : 
mais  sans  cela ,  nous  nous  consolerons  d'avoir  fait  ce  qui  dépen- 
doit  de  nous  ;  et  le  iDlàme  du  schisme  restera  à  ceux  qui  auront 

si  l'Eglise  a  violé  un  commandement  exprès  de  Jésus-Christ  et  donné  un  sacre- 
ment imparfait,  en  communiant  dans  tous  les  siècles  les  malades  les  solitaires, 
les  enfans  et  même  assez  souvent  les  fidèles  pendant  les  persécutions,  sous  une 
seule  espèce.  On  peut  consulter  le  Traité  de  la  Connnuninn  de  31.  de  Meaux,  et 
la  Défense  de  ce  Traité.  (  Ci-dessus,  tom.  XV I) .  On  ne  sauroit  aussi  deviner  ce  que 
l'autem'  entend  par  une  réunion  implicite.  Ce  sont  là  des  mots  vides  de  sens;  et  je 
soutiens  qu'il  ne  peut  y  avoir  de  réunion  entre  les  catholiques  et  les  protestans, 
tandis  qu'ils  seront  aussi  étrangement  divisés  qu'ils  le  sont  sur  des  points  de 
doctrine.  Tenons-nous-en  à  celui  de  la  communion.  Les  protestans  soutiennent 
que  la  commmiion  sous  les  deux  espèces  est  d'une  nécessité  indispensable,  et 
que  cette  nécessité  est  tellement  fondée  sur  un  précepte  formel  de  Jésus-Christ, 
qu'ils  ne  peuvent  abandonner  cette  pratique,  sans  risquer  leur  salut  éternel.  Les 
cathoUques  croient  fermement  le  contraire,  et  ont  pom'  eux  les  décisions  de 
deux  conciles  œcuméniques.  En  quoi  consistera  donc  la  réunion  implicite  sur 
cet  article  ?  On  cite  l'exemple  de  saint  Cyprien  et  de  saint  Etienne;  mais  la  cause 
de  saint  Cj'prien  étoit  toute  différente  de  celle  des  protestans.  Le  saint  martyr 
se  trompoit  sur  une  question  obscurcie  par  une  coutmne  qu'il  trouvoit  établie  : 
cette  question  n'avoit  jamais  été  agitée  :  l'on  ne  pouvoit  par  conséquent  lui 
opposer  l'autorité  et  la  concorde  parfaite  de  l'Eglise  universelle,  suivant  l'expres- 
sion de  saint  Augustin  :  d'ailleurs  saint  Cyprien,  en  défendant  son  erreur,  ne 
rompit  point  l'unité  ;  de  sorte  qu'il  n'avoit  pas  besoin  d'être  réuni,  puisqu'il  n'a- 
voit jamais  été  séparé.  La  cause  des  protestans  a  tous  les  caractères  opposés. 
Jl  est  inutile  d'entrer  dans  un  plus  grand  détail  sur  ime  matière  qui  ne  peut 
être  raisonnablement  contestée.  {Edit.  de  Leroi.) 


231    LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

refusé  des  conditions  raisonnables.  Peut-être  qu'on  s'étonnera  un 
jour  de  leur  scrupulosité ,  et  qu'on  voudroit  acheter  pour  beau- 
coup que  les  choses  fussent  remises  aux  termes  qu'on  dédaigne 
d'accepter  à  présent,  sur  une  persuasion  peu  sûre  de  tout  empor- 
ter sans  condition,  dont  on  s'est  souvent  repenti.  La  providence 
ne  laissera  pas  de  trouver  son  temps,  quand  elle  voudra  se  servir 
d'instrumens  plus  heureux  :  Fata  viam  invenient.  Cependant  vous 
aurez  la  bonté ,  j\Ionseigneur,  de  faire  ménager  ce  qu'on  a  pris  la 
liberté  de  vous  envoyer  sur  ce  sujet;  et  M.  l'abbé  Molanus  ne 
laissera  pas  d'achever  ce  qu'il  prépare  sur  votre  Réponse ,  où  ses 
bonnes  intentions  ne  paroitront  pas  moins  que  dans  son  premier 
Ecrit.  Je  tâche  de  le  fortifier  dans  la  résolution  qu'il  a  prise  d'y 
mettre  la  dernière  main  malgré  la  difficulté  qu'il  y  a  trouvée , 
depuis  qu'on  avoit  mis  en  doute  contre  son  attente  une  chose  qu'il 
prenoit  pour  accordée,  et  qu'il  a  raison  de  considérer  comme 
fondamcntide  dans  cette  matière.  Peut-être  que,  suivant  votre 
dernier  expédient,  il  se  trouvera  qu'il  n'y  a  eu  que  du  malentendu  ; 
ce  que  je  souliaite  de  tout  mon  cœm*.  Enfin,  3Ionseigneur,  si 
vous  allez  aussi  loin  que  %'os  lumières  et  votre  charité  le  peuvent 
permettre ,  vous  rendrez  à  l'Eglise  un  service  des  plus  grands , 
et  d'autant  plus  digne  de  votre  application ,  qu'on  ne  le  sauroit 
attendre  aisément  d'aucun  autre. 

Je  vous  remercie.  Monseigneur,  de  la  bonté  que  vous  avez  eue 
de  m'assurer  les  bontés  d'une  personne  aussi  excellente  que  l'est 
M.  l'abbé  Bignon,  à  qui  je  viens  d'écrire  sur  ce  fondement.  Il  n'a 
point  été  marqué  de  qui  est  l'Ecrit  sur  la  notion  du  corps  ;  mais 
11  doit  venir  d'une  personne  (]ui  a  médité  profondément  sur  la 
matière,  et  dont  la  pénétration  paroit  assez.  J'ai  inséré  dans  ma 
réponse  une  de  mes  démonstrations  sur  la  véritable  estime  de  la 
force  contre  l'opinion  vulgaire,  mais  sans  l'appareil  qui  seroit 
nécessaire  pour  la  rendre  propre  à  convaincre  toutes  sortes  d'es- 
prits. Je  suis  avec  beaucoup  de  vénération ,  Monseigneur,  votre 

trôs-hmuble  et  très-obéissant  serviteur, 

Leibniz. 


LEIBNIZ  A  M"<=  DE  BRUNSWICK,  2  JUILLET  1094.  233 


LETTRE  XXXVI. 

LEIBNIZ    A    M>ne  LA    DUCHESSE  DE    BRUNSWICK. 

A  Hanovre,  ce  2  juillet  1694. 

Madame  , 

Votre  x\ltesse  Sérénissime  ayant  paru  surprime  de  ce  que  j'avois 
dit  sur  le  concile  de  Trente,  comme  s'il  n'étoit  pas  reçu  en  France 
pour  règle  de  foi,  j'ai  jugé  cju'il  étoit  de  mon  devoir  de  lui  en 
rendre  raison  ;  et  j'ai  cru  que  votre  Altesse  Sérénissime  le  pren- 
droit  en  bonne  part ,  son  zèle  pour  l'essentiel  de  la  foi  étant  ac- 
compagné de  lumières  qui  la  lui  font  distinguer  des  abus  et  des 
additions.  Je  sais  bien  qu'on  a  insinué  cette  opinion  dans  les  es- 
prits, que  ce  concile  est  reçu  en  France  pour  règle  de  foi,  et  non 
pas  pour  règle  de  discipline  ;  mais  je  ferai  voir  que  la  nation  n'a 
déclaré  ni  l'un  ni  l'autre ,  quoiqu'on  ait  usé  d'adresse  pour  ga- 
gner insensiblement  ce  grand  point ,  que  les  prétendus  zélés  ont 
toujours  cherché  à  faire  passer  :  et  c'est  pom'  cela  même  qu'il  est 
bon  qu'on  s'y  oppose  de  temps  en  temps ,  afin  d'interrompre  la 
prescription,  de  peur  qu'ils  n'obtiennent  lem*  but  par  la  négli- 
gence des  autres.  Car  c'est  par  cette  négligence  du  bon  parti  que 
ces  zélotes  ont  gagné  bien  d'autres  points  :  par  exemple ,  le  se- 
cond concile  de  Nicée ,  tenu  pour  le  culte  des  images ,  a  été  dés- 
approuvé hautement  par  le  grand  concUe  d'Occident  tenu  à  Franc- 
fort sous  Charlemagne.  Cependant  le  parti  des  dévotions  mal  en- 
tendues ,  (jui  a  ordinairement  le  vulgaire  de  son  côté ,  étant  tou- 
jours attentif  à  faire  valoir  ce  qu'il  s'est  mis  en  tête  et  à  profiter 
des  occasions  où  les  autres  se  relâchent ,  a  fait  en  sorte  qu'il  n'y 
a  presque  plus  personne  dans  la  communion  de  Rome  qui  ose  nier 
que  le  concile  de  Nicée  soit  œcuménique. 

Rien  ne  doit  être  plus  vénérable  en  terre  que  la  décision  d'un 
véritable  concile  général  ;  mais  c'est  pour  cela  même  qu'on  doit 
être  extrêmement  sm*  ses  gardes,  afin  que  l'erreur  ne  prenne  pas 
les  livrées  de  la  vérité  divine.  Et  comme  on  ne  reconnoîtra  pas 
un  homme  pom-  plénipotentiaire  d'mi  grand  prince,  s'il  n'est  au- 


236  LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

torisé  par  des  preuves  bien  claires,  et  qu'on  sera  toujours  plus 
disposé  en  cas  de  doute  à  le  récuser  qu'à  le  recevoir,  on  doit  à  plus 
forte  raison  user  de  cette  précaution  envers  une  assemblée  de 
gens  qui  prétendent  que  le  Saint-Esprit  parle  par  leui'  bouche  : 
de  sorte  qu'il  est  plus  sur  et  plus  raisonnable  en  cas  de  doute  de 
récuser  que  de  recevoir  un  concile  prétendu  général.  Car  alors, 
si  l'on  s'y  trompe ,  les  choses  demeurent  seulement  aux  termes 
où  elles  étoient  avant  ce  concile,  sauf  à  un  concile  futur,  plus  au- 
torisé, d'y  remédier.  Mais  si  l'on  recevoit  un  faux  concile  et  de 
fausses  décisions,  on  feroit  une  brèche  irréparable  à  l'Eglise, 
parce  qu'on  n'ose  plus  révoquer  en  doute  ce  (pii  passe  pour  établi 
par  l'Eglise  universelle ,  qu'un  tel  concile  représente. 

Avant  que  de  prouver  ce  cpie  j'ai  promis,  il  faut  bien  former 
l'état  de  la  question,  pom'  éviter  l'équivoque.  Je  demem^e  d'accord 
que  les  doctrines  du  concile  de  Trente  sont  reçues  en  France  ; 
mais  elles  ne  sont  pas  reçues  comme  des  doctrines  divines  ni 
comme  de  foi ,  ni  par  conséquent  comme  d'mi  concile  œcumé- 
nique. L'équivoque  qui  est  là-dedans  trompe  bien  des  gens. 
Quand  ils  entendent  dire  que  l'Eglise  de  France  approuve  ordi- 
nau'cment  les  dogmes  de  Trente,  ils  s'imaginent  qu'elle  se  soumet 
aux  décisions  de  ce  concile  comme  œcuménique ,  et  cpi'elle  ap- 
prouve aussi  les  anathèmes  que  ce  concile  a  prononcés  contre  les 
protestans;  ce  qui  n'est  point.  ^loi-même,  je  suis  du  sentiment  de 
ce  concile  en  bien  des  choses  ;  mais  je  ne  reconnois  pas  pour  cela 
son  autorité  ni  ses  anathèmes. 

Yoici  encore  une  adresse  dont  on  s'est  servi  pour  surprendre 
les  gens.  On  a  fait  accroire  aux  ecclésiastiques  cpi'il  est  de  leur 
intérêt  de  poursuivre  la  réception  du  concile  de  Trente  ;  et  c'est 
pom^  cela  que  le  clergé  de  France,  gouverné  par  le  cardinal 
du  Perron,  dans  les  Etats  du  royaume  tenus  immédiatement  après 
l'assassinat  de  Henri  IV,  sous  une  reine  italienne  et  novice  au 
gouvernement,  fit  des  efforts  pour  procurer  cette  réception  : 
mais  le  tiers-état  s'y  opposant  fortement  et  le  clergé  ne  pouvant 
obtenir  son  dessein  dans  l'assemblée  des  Etats ,  il  osa  déclarer  de 
son  autorité  privée  qu'il  vouloit  tenir  ce  concile  pour  reçu  ;  ce  qui 
étoit  une  entreprise  blâmée  des  personnes  modérées.  C'est  à  la 


LEIBNIZ  A  M™"  DE  BRUNSWICK,  2  JUILLET  1694.  237 

nation,  et  non  ali  clergé  seul ,  de  faire  une  telle  déclaration  ;  et 
c'est  suivant  cette  maxime  que  le  clergé  s'est  laissé  induire ,  par 
les  partisans  de  RomCj  d'obliger  tous  ceux  qui  ont  charge  d'ame, 
à  faire  la  Profession  de  foi  publiée  par  Pie  lY,  dans  laquelle  le 
concile  de  Trente  est  autorisé  en  passant.  Mais  cette  introduction 
particulière,  faite  par  cabale  et  par  surprise  contre  les  déclara- 
tions publiques,  ne  sauroit  passer  pour  une  réception  légitime, 
outre  que  ce  qui  se  dit  en  passant  est  plutôt  une  supposition  où 
l'on  se  rapporte  à  ce  qui  en  est,  qu'une  déclaration  indirecte. 

Après  avoir  prévenu  ces  difficultés  et  ces  équivoques,  je  viens 
à  mes  preuves,  et  je  mets  en  fait  qu'il  ne  se  trouvera  jamais 
aucune  déclaration  du  roi,  ni  de  la  nation  francoise,  par  laquelle 
le  concile  de  Trente  soit  reçu. 

Au  contraire  les  ambassadeurs  de  France  déclarèrent  dans  le 
concile  même  qu'ils  ne  le  tenoient  point  pour  libre,  ni  ses  déci- 
sions pour  légitimes,  et  que  la  France  ne  les  rece%Toit  pas  ;  et 
là-dessus  ils  se  retirèrent.  Une  déclaration  si  authentique  devroit 
être  levée  par  une  autre  déclaration  authentique. 

Par  après,  les  nonces  des  Papes  sollicitant  toujom's  la  réception 
du  concile  en  France,  la  reine  Catherine  de  Médicis,  qui  étoit  une 
princesse  éclairée ,  répondit  que  cela  n'étoit  nullement  à  propos, 
parce  que  cette  réception  rendroit  le  schisme  des  protestans  irré- 
médiable :  ce  qui  fait  voir  que  ce  n'est  pas  sur  la  discipline  seu- 
lement, mais  encore  sur  la  foi  qu'on  a  refusé  de  reconnoître  ce 
concile. 

Pendant  les  troubles,  la  ligue  résolut  la  réception  du  concile 
de  Trente  ;  mais  le  parti  fidèle  au  roi  s'y  opposa  hautement. 

J'ai  remarqué  un  fait  fort  notable ,  que  les  auteurs  ont  passé 
sous  silence.  Henri  IV  se  réconciliant  avec  l'église  de  France  et 
faisant  son  abjuration  à  Saint-Denis,  demanda  que  l'archevêque 
de  Bourges  et  autres  prélats  assemblés  pour  son  instruction,  lui 
dressassent  un  formulaire  de  la  foi.  Cette  assemblée  lui  prescrivit 
la  Profession  susdite  du  pape  Pie  IV  ;  mais  après  y  avoir  rayé 
exprès  les  deux  endroits  où  il  est  parlé  du  concile  de  Trente  ;  ce 
qui  fait  voir  incontestablement  que  cette  assemblée  ecclésiastique 
ne  tenoit  pas  ce  concile  pour  reçu  en  France  et  comme  règle  de 


238    LETTRES  SUR  LA  REUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

la  foi,  puisqu'elle  le  raya,  lorsqu'il  s'agissoit  d'en  prescrire  une 
au  roi  de  France. 

Après  la  mort  de  Henri  le  Grand,  le  tiers -état  s'opposa  à  la  ré- 
ception, comme  j'ai  déjà  dit,  nonobstant  que  le  clergé  eût  assuré 
(ju'on  ne  recevroit  pas  une  discipline  contraire  aux  libertés  de 
l'Eglise  gallicane.  Et  comme  les  autres  règlemens  de  Trente 
étoient  déjà  reçus  en  France  par  des  ordonnances  particulières, 
on  voit  ([u'il  ne  s'agissoit  plus  de  discipline,  qui  étoit  ou  déjà  reçue 
ou  non  recevable  ;  mais  qu'il  s'agissoit  de  faire  reconnoître  le 
concile  de  Trente  pour  œcuménique ,  c'est-à-dire  pour  règle  de 
la  foi. 

Les  auteurs  italiens  soutiennent  bautement  que  l'ordonnance 
publiée  en  France  sur  la  nullité  des  mariages  des  enlans  sans 
demander  le  consentement  de  père  et  de  mère,  est  contraire  à  ce 
(jue  le  concile  de  Trente  a  décidé  comme  de  droit  divin  ;  et  ils 
soutiennent  qu'il  n'appartient  pas  aux  lois  séculières  de  changer 
ce  qui  est  de  l'essence  dun  sacrement  ;  mais  l'ordoimance  susdite 
est  toujours  demeurée  en  vigueur. 

Je  pourrois  alléguer  encore  bien  des  choses  sur  ce  point,  si  je 
n'aimois  la  brièveté  et  si  je  ne  croyois  pas  que  ce  que  j'ai  dit  peut 
suffire.  Je  tiens  aussi  que  les  Cours  souveraines  et  les  procureurs 
généraux  du  roi  n'accorderont  jamais  que  le  concile  de  Trente  a 
été  reçu  en  France  pom'  œcuménique  ;  et  s'il  y  a  eu  mi  temps  où 
le  clergé  de  France  s'est  assez  laissé  gouverner  par  des  intrigues 
étrangères  pour  solliciter  ce  point,  je  crois  que  maintenant  que 
ce  clergé  a  de  grands  hommes  à  sa  tète,  qui  entendent  mieux  les 
intérêts  de  l'Eglise  gallicane,  ou  plutôt  de  lEglise  universelle,  il 
en  est  bien  éloigné  ;  et  ce  cpii  me  conflrme  dans  cette  opinion, 
c'est  qu'on  a  proposé  à  des  nouveaux  convertis  une  profession  de 
foi  où  il  n' étoit  pas  fait  mention  du  concile  de  Trente.  , 

Je  ne  dis  point  tout  cela  par  un  mépris  pour  ce  concile,  dont 
les  décisions  pour  la  plupart  ont  été  faites  avec  beaucoup  de 
sagesse  ;  mais  parce  qu'étant  sur  que  les  protestans  ne  le  recon- 
noîtront  pas,  il  importe,  pour  conserver  l'espérance  de  la  paix  de 
l'Eglise  universelle ,  que  l'Eglise  de  France  demeure  dans  l'état 
qui  la  rend  plus  propre  à  moyenner  cette  paix ,  laquelle  seroit 


LEIBNIZ  A  BOSSUET,  12  JUILLET  1694.  239 

sans  doute  une  des  plus  souhaitables  choses  du  monde,  si  elle 

pouvoit  être  obtenue  sans  faire  tort  aux  consciences  et  sans  blesser 

la  charité.  Je  suis  avec  dévotion,  Madame,  de  votre  Altesse  Séré- 

nissime,  le  très-humble  et  très-fidèle  serviteur, 

Leibniz. 

P.  S.  Le  cardinal  Pallavicin,  qui  fait  valoir  le  concile  de  Trente 
autant  qu'il  peut  et  marque  les  lieux  où  il  a  été  reçu,  ne  dit  point 
qu'il  ait  été  reçu  en  France ,  ni  pour  règle  de  la  foi  ni  pour  la 
discipline  ;  et  même  cette  distinction  n'est  point  approuvée  à 
Rome. 

LETTRE  XXXYIL 

LEIBNIZ     A     BOSSUET  (a). 
A  Hanovre,  ce  12  juillet  1694. 

Monseigneur, 

Votre  dernière  a  fait  revivre  nés  espérances.  M.  l'abbé  de  Lok- 
kum  travaille  fort  et  ferme  à  une  espèce  de  liquidation  des  con- 
troverses qu'il  y  a  entre  Rome  et  Augsbourg,  et  il  le  fait  pai' 
ordre  de  l'Empereur.  Mais  il  a  affaire  à  des  gens  qui  demeurent 
d'accord  du  grand  principe  de  la  réunion,  qui  est  la  base  de  toute 
la  négociation  :  et  c'est  sur  cela  qu'une  convocation  de  nos  théo- 
logiens avoit  fait  solennellement  et  authentiquement  ce  pas  que 
vous  savez,  qui  est  le  plus  grand  qu'on  ait  fait  depuis  la  Réforme. 
Voici  l'échantillon  de  quelques  articles  de  cette  liquidation ,  que 
je  vous  envoie.  Monseigneur,  de  sa  part.  Il  y  en  a  jusqu'à  chi- 
quante qui  sont  déjà  prêts.  Ce  qu'il  avoit  projeté  sur  votre  excel- 
lent Ecrit  entre  maintenant  dans  sa  liquidation,  qui  lui  a  fait 
prendre  les  choses  de  plus  haut  et  les  traiter  plus  à  fond  ;  ce  qui 
servira  aussi  à  vous  donner  plus  de  satisfaction  un  jour.  Cepen- 
dant je  vous  envoie  aussi  la  préface  de  ce  qu'il  vous  destinoit 
dès  lors,  et  des  passages  où  il  s'expliquoit  à  l'égard  du  concile 

[il]  Tous  les  éditeurs  de  Bossuet  font  cette  lennuque  :  «  On  n'a  point  la  lettre 
de  M.  de  Meaux,  à  laquelle  répond  Leibniz.  »  Cette  Lettre ,  qui  est  du  15  août 
1093,  nous  l'avons  donnée  plus  haut,  p.  218. 


240  LETTRES ^SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

de  Trente  ;  et  rien  ne  l'a  arrêté  que  la  difficulté  qu'il  voyoit  naître 
chez  vous  sur  ce  concile,  jugeant  que  si  Ton  vouloit  s'y  attacher, 
ce  seroit  travailler  sans  fruit  et  sans  espérance,  et  même  se  faire 
tort  de  notre  côté,  et  s'éloigner  des  mesures  prises  dans  la  con- 
vocation et  du  fondement  qu'on  y  a  jeté.  Il  espère  toujoui^s  de 
vous  une  déclaration  sur  ce  grand  principe,  qui  le  mette  en  état 
de  se  joindi^e  à  vous  dans  ce  grand  et  pieux  dessein  de  la  réu- 
nion ,  avec  cette  ouverture  de  cœur  qui  est  nécessaire.  11  me 
presse  fort  là-dessus,  et  il  est  le  plus  étonné  du  monde  de  voir 
qu'on  y  fait  difficulté,  ceux  qui  ont  fait  la  proposition  de  votre 
côté  et  qui  ont  fait  naitre  la  négociation,  ayant  débuté  par  cette 
condescendance,  et  ayant  très-bien  reconnu  que  sans  cela  il  n"}' 
auroit  pas  moyen  d'entrer  seulement  en  négociation. 

Le  grand  article  qu'on  accorde  de  notre  côté ,  est  qu'on  se  sou- 
mette aux  conciles  œcuméniques  et  à  l'unité  hiérarchique  ;  et  le 
grand  article  réciproque  qu'on  attend  de  votre  côté,  est  que  vous 
ne  prétendiez  pas  que  pour  venir  à  la  réunion,  nous  devions 
reconnoître  le  concile  de  Trente  pour  œcuménique ,  ni  ses  procé- 
dures pour  légitimes.  Sans  cela  M.  de  Molanus  croit  qu'il  ne  faut 
pas  seulement  songer  à  traiter,  et  que  les  théologiens  de  ce  pays 
n'am'oient  pas  donné  leur  déclaration  ;  et  qu'ainsi  lui-même  ne 
peut  guère  avancer  non  plus,  de  peur  de  s'écarter  des  principes  de 
cette  convocation,  où  il  a  eu  tant  de  part.  11  s'agit  de  savoir  si 
Rome ,  en  cas  de  disposition  favorable  à  la  réunion  et  supposé 
qu'il  ne  restât  que  cela  à  faire ,  ne  pourroit  pas  accorder  aux 
peuples  du  Nord  de  l'Europe,  à  l'égard  du  concile  de  Trente,  ce 
que  l'Italie  et  la  France  s'accordent  nuituellement  sur  les  conciles 
de  Constance,  de  Bàle  et  sur  le  dernier  de  Latran ,  et  ce  que  le 
Pape  avec  le  concile  de  Bàle  ont  accordé  aux  Etats  de  Bohême, 
S7il)  utràque,  à  l'égard  des  décisions  de  Constance.  Il  me  semble, 
Monseigneur,  que  vous  ne  sauriez  nier,  in  tltesi,  que  la  chose  soit 
possible  ou  licite.  Mais  si  les  affaires  sont  déjà  assez  disposées,  in 
Iti/pothcsi ,  c'est  une  autre  question.  Cependant  il  faut  toujours 
commencer  par  le  commencement,  et  convenir  des  principes,  afin 
de  pouvoir  travailler  sincèrement  et  utilement. 

Puisque  vous  demandez,  Monseigneur,  où  j'ai  trouvé  l'acte  en 


M™^  DE  BRIINON  A  BOSSUET,  18  JUILLET  1G94.  241 

forme,  passé  entre  les  députés  du  concile  de  Bâle  et  les  Bohémiens, 
par  lequel  ceux-ci  doivent  être  reçus  dans  l'Eglise  sans  être  obli- 
gés de  se  soumettre  aux  décisions  du  concile  de  Constance ,  je 
vous  dirai  que  c'est  chez  un  auteur  très  catholique  que  je  l'ai 
trouvé,  savoir,  dans  les  Miscellanea  Bohemica  du  révérend  P.  Bal- 
binus,  jésuite  des  plus  savans  de  son  ordre  pour  l'histoire,  qui  a 
enrichi  ce  grand  ouvrage  de  beaucoup  de  pièces  authentiques, 
tu'ées  des  archives  du  royaume,  dont  il  a  eu  l'entrée.  Il  n'est 
mort  que  depuis  peu.  Il  donne  aussi  la  lettre  du  pape  Eugène, 
qui  est  une  espèce  de  gratulation  sm*  cet  accord  ;  car  le  Pape  et  le 

concile  n'avoient  pas  rompu  alors  [a) 

N'ayant  pas  maintenant  le  livre  du  Père  Balbinus,  j'ai  cherché 
si  la  pièce  dont  il  s'agit  ne  se  trouveroit  pas  dans  le  livre  de  Gol- 
dastus  de  Regno  Bohemiœ.  Je  l'y  ai  donc  trouvée,  et  l'ai  fait 
copier  telle  qu'il  la  donne  :  mais  il  sera  toujours  à  propos  de 
recourir  à  Balbinus.  Les  Cojnpactata  mêmes  se  trouvent  aussi 
dans  Goldastus,  qui  disent  la  même  chose  et  dans  les  mêmes 
termes,  quant  au  point  de  prœcepto.  Peut-être  que  dans  les  ar- 
chives de  l'église  de  Coutances  en  Normandie,  dont  l'évêque  a  été 
le  principal  entre  les  légats  du  concile,  ou  parmi  les  papiers 
d'autres  prélats  et  doctem's  françois ,  qui  ont  été  au  concile  de 
Bàle,  on  trouveroit  plus  de  particularités  sur  toute  cette  négo- 
ciation. Je  suis  avec  zèle.  Monseigneur,  votre  très-humble  et  obéis- 
sant serviteur, 

Leibniz. 

LETTRE  XXXVIII. 

MADAME  DE   BRINON    A   BOSSUET. 
Ce  18  juillet  1694. 

Voilà  enfm  la  réponse  de  M.  Tabbé  de  Lokkum  que  je  vous 
envoie,  Monseignem'  ;  Dieu  veuille  qu'elle  soit  telle  que  nous  la 
devons  désirer  :  j'espère  cjpie  vous  nous  ferez  voir  la  vôtre  en 

[a]  Nous  supprimons  ici,  avec  tous  les  éditeurs,  uu  long  passage  sur  la  dyna- 
mique. 

TOM.  xvni.  16 


242  LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE, 
françois.  Madame  de  MauLuisson,  qui  n'a  plus  de  sœur  que 
madame  la  duchesse  d'Hanovre^  désire  beaucoup  que  vous  fassiez 
tout  de  votre  mieux  pour  contribuer  à  cette  réunion,  que  je  crois 
qui  ne  sera  pas  bien  aisée  ;  à  moins  que  la  pm'eté  de  vos  bonnes 
intentions  n'attire  sur  ce  parti  plus  de  vues  droites  qu'il  n'y  en  a 
présentement  parmi  les  luthériens,  qui  ne  sont  gouvernés  que 
par  lem'  politique,  et  non  par  l'esprit  de  Dieu.  ?.Iadame  la  duchesse 
de  Brunswick ,  qui  les  voit  de  près  présentement ,  me  mande 
qu'elle  n"a  jamais  tant  senti  la  vérité  de  notre  rehgion  que  depuis 
qu'elle  est  parmi  ces  personnes,  qui  sont  à  ce  qu'il  lui  paroît 
chacun  les  arbitres  de  leur  foi ,  ne  croyant  que  ce  qu'il  leur  plaît 
de  croire.  Cependant  le  livre  de  l'Eucharistie  de  notre  illustre 
mort  [a)  y  fait  des  merveilles  en  quelque  façon.  M.  Leibniz  l'a  lu 
en  deux  jours;  il  le  loue  et  l'admire.  Le  prince  Christian,  neveu 
de  madame  de  "Maubuisson ,  ne  se  peut  lasser  de  l'entendre  lire 
chez  madame  la  duchesse  d'IIano\Te  sa  mère,  qui  le  faisoit  lire; 
et  lui,  il  disputoit,  quoique  luthérien,  en  notre  faveur,  avouant 
que  tout  ce  qu'on  y  disoit  du  luthéranisme  étoit  vrai. 

Quand  de  tout  ce  que  vous  avez  fait,  Monseignem-,  et  notre 
cher  ami  M.  Pelisson,  il  n'en  résulteroit  que  la  conversion  d'une 
ame.  Dieu  vous  en  tiendroit  aussi  bien  compte  que  si  vous  aviez 
changé  toute  l'Allomagne,  puisque  vous  avez  assez  travaillé  pour  > 
que  tous  les  hérétiques  se  rendent  catholiques.  Mais  Dieu  seul, 
qui  peut  ruiner  leur  orgueil  qui  les  empêche  de  se  soumettre  à 
l'Eglise,  à  laquelle  ils  dem<mdent  des  conditions  onéreuses  pour 
s'y  rejoindre,  peut  donner  l'accroissement  à  tout  ce  que  vous  avez 
semé.  Ne  vous  rel)utez  donc  pas,  ^lonseigneur  ;  au  contraire  roi- 
dissez-vous  contre  le  découragement,  s'il  vous  en  prenoit  quelque 
envie.  Madame  la  duchesse  d'Hanovre  mande  à  madame  sa  sceur 
que  M.  l'abbé  de  Lokkum  et  M.  Leibniz  veulent  de  bonne  foi  la 
réunion  ;  et  madame  la  duchesse  de  Brunswick  me  le  confirme. 
Quoique  M.  Leibniz  ait  un  caractère  bien  différent  de  l'autre, 
cependant  il  me  paroît  qu'il  ne  veut  pas  quitter  la  partie  :  il  a 
trop  d'esprit  pour  ne  se  pas  apercevoir  qu'on  le  met  plus  dehors 
que  dedans  cette  affaire;  mais  il  tâche  de  s'y  raccrocher.  11  ne  m'a 

[a)  Pelisson. 


BOSSUET  A  LEIBNIZ,  12  AOUT  1694.  243 

point  écrit  cette  fois,  et  j'ai  reçu  uniquement  le  paquet  que  je 
vous  envoie  par  la  poste,  n'ayant  point  d'autre  voie.  Si  vous  me 
faites  l'honneur  de  me  communiquer  quelque  chose  de  tout  cela_, 
et  que  le  paquet  soit  gros ,  je  vous  supplie,  !^Ionseigneur,  de  l'a- 
dresser à  M.  Desmarais,  rue  Cassette,  faubourg  Saint-Germain, 
notre  correspondant. 

Comme  cette  affaire  me  tient  au  cœur,  j'ai  demandé  le  sentiment 
d'un  docteur  de  Sorbonne,  de  mes  amis,  sur  ce  qu'ils  demandent 
de  tenir  indécise  l'autorité  du  concile  de  Trente,  jusqu'à  ce  que 
l'Eglise  en  ait  décidé  par  un  nouveau  concile.  L'on  m*a  répondu 
que  pourvu  qu'ils  crussent  la  réalité  de  la  présence  de  .lésus- 
Christ  au  saint  Sacrement ,  de  la  manière  que  nous  la  croyons  ; 
qu'ils  revinssent  à  l'Eglise  avec  un  esprit  de  soumission  pour  tout 
ce  qu'elle  déclareroit  dans  le  concile  futm'  qu'ils  demandent  ; 
qu'on  ne  doute  pas  que  pour  un  si  grand  bien  que  la  réunion, 
l'on  ne  leur  accorde  ce  qu'ils  désirent ,  pour-vT^i  que  cette  réunion 
fût  sincère  et  du  fond  du  coeur,  et  qu'elle  ne  soit  pas  vm  nouveau 
sujet  de  nous  désapprouver  dans  les  pratiques  de  notre  religion. 
L'on  dit  même  que  tous  les  gens  de  bien,  qui  ont  quelque  autorité 
dans  l'Eglise ,  s'emploieroient  à  leur  obtenir  ce  qu'ils  désirent, 
s'ils  revenoient,  comme  je  leur  ai  mandé  autrefois,  comme  l'en- 
fant prodigue,  se  jeter  tête  Ijaissée  entre  les  bras  de  lem'  mère,  en 
confessant  qu'ils  ont  péché.  Mais  c'est  en  cet  endroit  im  coup  de 
Dieu  qu'il  faut  lui  demander,  l'humilité  ne  se  trouvant  guère  dans 
un  parti  d'hérétiques,  puisqu'elle  est  le  caractère  des  \Tais  enftms 
de  Dieu  et  de  l'Eglise.  J'espère,  Monseignem',  que  vous  ferez  de 
votre  part  tout  ce  qu'on  doit  attendre  de  votre  zèle,  de  votre  dou- 
ceur et  de  votre  charité. 

Sœur  DE  BRINON. 

LETTRE  XXXIX, 

BOSSUET     A     LEIBNIZ. 
A  Meaux,  12   août  1694. 

'^^iii  garde.  Monsieur,  avec  vous  un  trop  long  silence,  dans  l'at- 
tente OÙ  vous  m'avez  mis  de  la  réponse  de  M.  l'abbé  de  Loldvum. 


244  LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

Vous  me  faisiez  l'honneur  de  me  mander  qu'elle  étoit  presque  eu 
état  de  nous  être  envoyée.  Je  crains  que  quelque  indisposition 
ne  l'ait  encore  retardée  ;  car  pour  ce  qui  est  de  nos  fâcheuses  et 
cruelles  guerres  ,  quoiqu'elles  pussent  retarder  l'effet  de  nos 
souhaits^  elles  ne  doivent  pas  empêcher  les  particuliers  pacifi- 
ques de  préparer  les  choses  :  c'est  ce  que  personne  ne  peut  mieux 
faire  que  ce  savant  abbé.  Pressez  donc  toujours  sa  réponse,  je 
vous  en  conjure  :  s'il  reste  encore  quelque  chose  à  dire  sur  le 
concile  de  Trente  et  sur  celui  de  Bàle,  nous  le  ferons  alors.  J'ai 
toujours  oublié  de  vous  demander  d'où  étoit  pris  l'acte  du  dernier 
concile  (pie  vous  nous  avez  envoyé  :  nous  en  savions  le  fond  et 
nous  eu  avions  les  principales  clauses  en  divers  tuidroits  ;  mais 
nous  n'avons  pas  encore  reçu  la  pièce  entière.  Elle  est  fort  belle, 
et  il  faudra  la  faire  insérer  dans  rédition  des  conciles. 

Je  suis  toujours  avec  la  même  passion,  Monsieiu',  votre  très- 
humble  serviteur. 

Bénigne,  év.  de  Meaux. 

LETTRE  XL. 

MADAME    DE    DRINON    A    BOSSUET. 
Ce  25  juin  1695. 

Voilà  une  lettre,  Muuseigiieur,  de  M.  Leilmiz,  qui  se  réveille 
de  temps  en  temps  sur  un  sujet  qui  devroit  l'empêcher  de  dormir. 
L'objection  qu'il  fait  sur  le  concile  de  Trente  ne  me  paroît  pas 
malaisée  à  résoudre  :  car  les  évêijucs  cpii  ont  fait  faire  rabjm-a- 
lion  à  Henri  IV,  pourroieiit  avoir  manqué  en  n'y  voulant  pas 
comprendre  le  concile  de  Trente,  pour  ne  le  pjis  effaroucher  :  cela 
ne  prouveroit  pas  qu'il  ne  fût  pas  reçu  en  France  sur  li^s  dogmes 
de  la  foi,  comme  il  ne  l'est  pas  sur  quelques  points  de  discipline. 
Ce  n'est  point  à  moi,  Monseigneur,  à  entamer  ces  questions,  ni 
à  répondre  à  ce  que  m'en  écrit  M.  Leibniz  :  cela  regarde  Votre 
Grandem*.  Je  voudrois  pourtant  bien  voir  ce  qu'il  vous  en  écrit 
et  ce  (jue  vous  lui  répondrez,  pour  le  lire  à  madame  de  .Alaubuis- 
son,  qui  est  pleine  de  bonnes  lumières,  et  (jui  voit  d'un  coup 
dœil  le  bien  et  le  mal  des  choses. 


BOSSUET  A  M"^'^  DE  BRINON,  2S  JUIN  1695.  245 

Je  crois.  Monseigneur,  ([ue  vous  ne  sauriez  trop  relever  les 
bons  desseins  de  M.  de  Loldvum ,  pour  F  encourager  à  poursuivre 
la  réunion  et  à  venir  des  bonnes  paroles  aux  bons  effets.  Car  écrire 
et  discourir  toute  la  vie  sur  une  chose  qui  ne  peut  plus  se  faire 
après  la  mort  et  de  laquelle  dépend  le  salut,  c'est  ce  que  je  ne 
puis  comprendre  ;  et  je  doute  toujours  qu'il  y  ait  un  commen- 
cement de  foi  dans  Tame  des  personnes  qui  veulent  persuader 
qu'elles  cherchent  la  vérité,  quand  tout  cela  se  fuit  si  à  loisir  et 
même  avec  quelque  indifférence.  Mais  Votre  Grandeur  m'a  déjà 
mandé  qu'il  faUoit  faire  ce  qui  pouvoit  dépendre  de  nous,  et  at- 
tendre de  flieu  ce  qui  dépend  de  lui ,  comme  est  cette  réunion 
qu'un  intérêt  temporel  fait  rechercher  selon  toutes  les  apparences  : 
mais  Dieu  en  saura  bien  tirer  sa  gloire  et  l'avantage  de  l'Eglise, 
pour  latpielle  Votre  Grandeur  a  tant  travaillé. 

J'avois  mandé  à  mademoiselle  de  Scudery  que  j'avois  vu  mi 
petit  manuscrit  que  M.  Pirot  avoit  fait  sur  le  concile  de  Trente, 
que  M.  Pelisson  auroit  bien  voulu  faire  imprimer  à  la  fin  de  son 
livre  fait,  ou  peu  s'en  faut,  sur  l'Eucharistie  :  mais  il  faudroit 
auparavant  ([u'il  fût  rectifié,  et  quon  n'y  laissât  aucun  sujet  de 
doute.  Je  l'ai  lu  lorsque  le  cher  défunt  me  Tenvoya  pour  le  faire 
tenir  en  Allemagne  :  autant  que  je  puis  m'y  connoître,  je  le 
trouvai  bien  fort.  Je  prie  Dieu,  Monseigneur,  qu'il  vous  aug- 
mente de  plus  en  plus  ses  divines  lumières ,  et  qu'il  vous  donne 
la  persévérance  qui  vous  est  nécessaire ,  pour  faire  tout  seul  ce 
qui  avoit  paru  devoir  être  fait  avec  le  pauvi'e  M.  Pelisson ,  dont 
le  mérite  se  reconnoit  de  plus  en  plus.  Vous  m'avez  promis,  Mon- 
seigneur, votre  bienveillance  et  vos  prières  ;  je  vous  supplie  de 
vous  en  souvenir,  et  de  croire  que  j'ai  pour  Votre  Grandeur  tout 
le  respect  et  l'estime  que  doit  avoir,  votre  très-humble  et  très- 
obéissante  servante. 

Sr.  M.  DE  Brinon. 


246   LETTRES  SUR  LA  REUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 


LETTRE  XLT. 

nOSSUET   A    LEI  15  NM  Z. 
11  janvier  1699. 

Monsieui'.  j'ai  vu  entre  les  mains  de  M.  le  marquis  de  Torcy 
mie  de  vos  lettres  à  un  de  nos  princes,  dont  on  dit  iei  mille  biens 
et  dont  les  honnêtes  gens  célèbrent  l'esprit  et  les  droites  inten- 
tions. Dans  le  compte  (jue  vous  lui  rendez  du  commerce  que  nous 
avons  eu  sur  la  religion,  feu  M.  Pelisson  et  moi  avec  vous  et 
M.  Tabbé  de  Lolckura ,  vous  semblez  insinuer  que  ce  commerce 
a  cessé  de  mon  côté  tout  à  coup  sans  que  vous  en  sachiez  la  vé- 
ritable raison.  Je  vous  assure.  Monsieur,  quil  n'en  faut  point 
chercher  d'autre  que  la  guerre  survenue,  pendant  laquelle  je 
n'ai  pas  cm  qu'il  fût  aisé  de  traiter  de  la  réunion  des  esprits  sm' 
la  religion.  Maintenant  que  Dieu  nous  a  rendu  la  paix,  je  loue 
sa  bonté  infinie  du  désir  qu'elle  vous  a  mis  dans  le  cœur  de  re- 
prendi'e  cette  affaire.  J'approuve,  Monsieur,  le  dessein  d'y  faire 
entrer  quelque  magistrat  important,  et  il  ne  sera  pas  malaisé 
d'en  trouver  quelqu'un  aussi  propre  à  cette  sainte  négociation 
que  le  feu  M.  Pelisson.  Quand  vous  en  serez  convenu,  ce  qui 
sera  très-facile,  avec  M.  le  marquis  de  Torcy,  fpii  prendra  là- 
dessus  les  ordres  du  Roi,  il  faudra  que  vous  trouviez  bon  que  je 
lui  donne  communication  de  tout  ce  que  nous  aAons  écrit  sur 
cette  matière,  vous,  M.  l'abbé  de  Lokkum  et  moi.  Si  vous  voulez 
bien  nous  marquer  en  quoi  vous  croyez  que  je  n'ai  pas  répondu 
à  votre  désh,  je  vous  assure  que  j'y  satisferai  pleinement,  sans 
aucune  Mie  ni  à  droite  ni  à  gauche,  mais  avec  toiit(^  la  droitm'e 
de  bonne  intention  que  vous  pouvez  désirer  d'un  homme  qui  ne 
peut  jamais  avoir  de  plus  grande  joie  que  celle  de  travailler  avec 
de  si  hal)iles  et  de  si  honnêtes  gens  à  refermer,  s'il  se  peut,  les 
plaies  de  l'Eglise  encore  toutes  sanglantes  par  un  schisme  si  dé- 
plorable. En  votre  particuher.  Monsieur,  je  conserve  toujours 
]iour  ^'ons  et  pour  vos  tra\'aiix,  dont  il  vous  a  plu  me  faire  part. 


LEIBNIZ  A  BOSSUET,  H  DÉCEMBRE  1C99.  247 

toute  l'estime  possible,  et  je  suis  aVec  une  parfaite  sincérité^ 
Monsieur,,  votre  très-humble  serviteur, 

J.  Bénigne,  év.  de  Meaux. 

LETTRE    XLIÏ. 

LEIBiMZ  A  BO-SUET. 
Wolfenbuttel ,  c.o.    Il  décombre   1699. 

Monseigneur  , 

Lorsque  j'arrivai  ici,  il  y  a  quelques  jours,  Monseignem'  le  duc 
Antoine  Ukicmc  demanda  de  vos  nouvelles  ;  et  quand  je  répondis 
que  je  n'avois  point  eu  Ihonneur  d'en  recevoir  depuis  longtemps, 
il  me  dit  qu'U  vouloit  me  fournir  de  la  matière  pour  vous  faire 
souvenir  de  nous.  C'est  qu'un  abbé  de  votre  religion,  qui  est  de 
considération  et  de  mérite,  lui  a  voit  envoyé  le  livi'e  que  voici  («), 
qu'il  avoit  donné  au  public  sur  ce  qui  est  de  foi.  Son  Altesse  Séré- 
nissime  m'ordonna  de  vous  le  communiquer  pour  le  soumettre  à 
votre  jugement^  et  pour  tâcher  d'apprendre.  Monseigneur,  selon 
votre  commodité,  s'il  a  votre  approbation,  de  laquelle  ce  prince 
feroit  presque  autant  de  cas  que  si  elle  venoit  de  Rome  même , 
m'ayant  ordonné  de  vous  faire  ses  complimens  et  de  vous  mar- 
quer combien  il  honore  votre  mérite  éminent. 

Le  dessein  de  distinguer  ce  qui  est  de  foi  de  ce  qui  ne  l'est  point, 
paroît  assez  conforme  à  vos  vues  et  à  ce  que  vous  appelez  la 
méthode  de  Y  Exposition  ;  et  il  n'y  a  rien  de  si  utile  pom'  nous 
décharger  d'une  bonne  partie  des  controverses,  que  de  faire  con- 
noître  que  ce  qu'on  dit  de  part  et  d'autre  n'est  point  de  foi.  Ce- 
pendant son  Altesse  Sérénissime  ayant  jeté  les  yeux  sur  ce  livre, 

[a]  Voici  le  titre  de  cet  ouvrage  :  Secret io  eorum  quœ  de  fide  catholicc) ,  ab  iis 
quœ  non  sunt  de  firlc  ,  in  controversiis  plnri-ique  hoc  sœculo  motis ,  juxta  regulam 
fidei  ah  Exe.  D.  Franc.  Veronio  Sacrœ  Theologiœ  Doctore  nnfchàc  compilatam , 
ab  omnibus  Sorbon.  Doctor.  in  plenâ  congregatione  Facultaiis  Theologiœ  appro- 
batam,  necnon  anno  1645  in  gen.  conventu  ah  unicerso  Clcro  Gallic.  receptam,  ac 
per  Illustr.  et  Doctiss.  W/dknh.  Epi-ic.  multiim  laudatnm ,  ex  ipso  concilio  Tri- 
dentino  et  prœfatâ  régula  compendio.sè  excerplu,  anno  Christi  1699.  1  vol.  iu-i6, 
sans  nom  d'auteur,  de  ville  et  d'iuipriuieur. 


248    LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

y  a  trouvé  bien  des  difficultés.  Car  premièrement ,  il  lui  semble 
qu'on  n'a  pas  assez  marqué  les  conditions  de  ce  qui  est  de  foi,  ni 
les  principes  par  lesquels  on  le  peut  connoître  ;  de  plus,  il  semble, 
en  second  lieu,  qu'il  y  a  dés  degrés  entre  les  articles  de  foi,  les 
uns  étant  plus  importans  que  les  autres. 

Si  j'ose  expliquer  plus  amplement  ce  que  son  Altesse  Sérénis- 
sime  m'avoit  marqué  en  peu  de  mots,  je  dirai  que  pom'  ce  qui 
est  des  conditions  et  principes,  tout  article  de  foi  doit  être  sans 
doute  une  vérité  que  Dieu  a  révélée  ;  mais  la  question  est  si  Dieu 
en  a  seulement  révélé  autrefois,  ou  s'il  en  révèle  encore  ;  et  si  les 
révélations  d'autrefois  sont  toutes  dans  l'Ecritm^e  sainte,  ou  sont 
venues  du  moins  d'une  tradition  apostolique  :  ce  que  ne  nient 
point  plusieurs  des  plus  accommodans  entre  les  protestans. 

Mais  conmie  bien  des  choses  passent  aujourd'hui  pour  être  de 
foi,  qui  ne  sont  point  assez  révélées  par  l'Ecriture  et  où  la  tradi- 
tion apostolique  ne  paroît  pas  non  plus;  comme,  par  exemple,  la 
canonicité  des  livres  que  les  protestans  tiennent  pour  apocryphes, 
la(pielle  passe  aujourd'hui  poin-étre  de  foi  dans  votre  communion 
contre  ce  qui  étoit  cru  par  des  personnes  d'autorité  dans  l'ancienne 
Eglise  :  comment  le  peut-on  savoir,  si  l'on  n'admet  des  révélations 
nouvelles,  en  disant  que  Dieu  assiste  tellement  son  Eglise  qu'elle 
choisit  toujours  le  bon  parti,  soit  par  une  réception  tacite  ou  droit 
non  écrit,  soit  par  une  définition  ou  loi  expresse  d'un  concile 
œcuménique  ?  Où  il  est  encore  rpiestion  de  ])ien  déterminer  les  con- 
ditions d'un  tel  concile ,  et  s'il  est  nécessaire  crue  le  Pape  prenne 
part  aux  décisions,  pour  ne  rien  dire  du  Pape  à  part,  ni  encore  de 
quelque  particulier  qui  pourroit  vérifier  ses  révélations  par  des 
miracles,  ]\Iais  si  l'on  accorde  à  l'Eglise  le  droit  d'établir  de  nou- 
veaux articles  de  foi ,  on  a])an(lonnera  la  perpétuité ,  qui  avoit 
passé  pour  lamarf[ue  de  la  foi  catholique.  .T'avois  remarqué  autre- 
fois que  vos  propres  auteurs  ne  s'y  accordent  point  et  n'ont  point 
les  mêmes  fundemens  sur  l'analyse  de  la  foi,  et  cpie  le  P.  (irégoire 
de  Valentia ,  jésuite ,  dans  un  livre  fait  là- dessus,  la  réduit  aux 
décisions  du  Pape,  avec  ou  sans  le  concile  ;  au  lieu  qu'un  docteur 
de  Sorbonne,  nommé  Holden,  vouloit,  aussi  dans  mi  livre  exprès, 
que  tout  devoit  avoir  déjà  été  révélé  aux  apôtres,  et  puis  propagé 


LEIBNIZ  A  BOSSUET,  11  DÉCEMBRE  1699.  240 

jusqu'à  nous  par  l'entremise  de  l'Eglise  ;  ce  qui  paroîtra  le  meilleur 
aux  protestans.  Mais  aJors  il  sera  difficile  de  justifier  l'antiquité  de 
bien  des  sentimens,  qu'on  veut  faire  passer  pour  être  de  foi  dans 
l'Eglise  romaine  d'aujourd'hui. 

Et  quant  aux  degrés  de  ce  qui  est  de  foi^  on  disputa  dans  le 
colloque  de  Ratisbonne  de  ce  siècle  entre  Hunnius  protestant  et 
le  Père  Tanner  jésuite ,  si  les  vérités  de  peu  d'importance^,  qui 
sont  dans  l'Ecriture  sainte,  comme,  par  exemple,  celle  du  chien 
de  Tobie,  suivant  votre  canon,  sont  des  articles  de  foi,  comme  le 
Père  Tanner  l'assura.  Ce  qui  étant  posé,  il  faut  reconnoitre  qu'il  y 
a  une  infinité  d'articles  de  foi  qu'on  peut,  non-seulement  ignorer, 
mais  même  nier  impmiément,  pourvu  qu'on  croie  qu'ils  n'ont 
point  été  révélés  :  comme  si  quelqu'un  croyoit  que  ce  passage  : 
Très  siint  qui  testhnonh/m  dant,  etc.  *  n'est  point  authentique , 
puisqu'il  manque"  dans  les  anciens  exemplaires  grecs.  3îais  il  sera 
question  maintenant  de  savoir  s'il  n'y  a  pas  des  articles  tellement 
fondamentaux,  qu'ils  soient  nécessaires,  necessitate  medii;  en  sorte 
qu'on  ne  les  sauroit  ignorer  ou  nier  sans  exposer  son  salut ,  et 
comment  on  les  peut  discerner  des  autres. 

La  comioissance  de  ces  choses  paroît  si  nécessaire.  Monseigneur, 
pour  entendre  ce  que  c'est  que  d'être  de  foi,  que  monseigneur 
le  duc  a  cru  qu'il  falloit  avoir  recom's  à  vous  pour  les  bien 
connoître,  ne  sachant  personne  aujourd'hui  dans  votre  église, 
qu'on  puisse  consulter  plus  sûrement,  et  se  flattant  sur  les  ex- 
pressions obligeantes  de  votre  lettre  précédente,  que  vous  aurez 
bien  la  bonté  de  lui  donner  des  éclaircissemens.  Je  ne  suis  main- 
tenant que  son  interprète ,  et  je  ne  suis  pas  moins  avec  respect. 
Monseigneur,  votre  très-humlile  et  très-obéissant  serviteur, 

Leibxtz. 

^  1  Joan.,  V,  7,  8. 


2-;0  LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

LETTRE  XLIII. 

BOSSU  HT    A     LEIBNIZ. 
A  Meaux,  ce  9  janvier  1700. 

Monsieur, 

Rien  ne  me  pouvoit  arriver  de  plus  agréable  (jue  d'avoir  à  satis- 
faire, selon  mon  pouvoir,  aux  demandes  d'un  aussi  grand  prince 
que  monseigneur  le  duc  Antoine  UMc,  et  encore  m'étant  propo- 
sées par  im  homme  aussi  hahile  et  que  j'estime  autant  fpie  vous. 
Elles  se  rap})(>rlent  à  deux  points  :  le  premier  consiste  à  juger 
d'un  livret  intitulé,  Secretio,  etc.;  ce  (jui  demande  du  temps, 
non  pour  le  volume ,  mais  pour  la  qualité  des  matières  sur  les- 
queUes  il  faut  parler  sùi'ement  et  juste.  Je  supplie  donc  Son 
Altesse  de  me  permettre  im  court  délai,  parce  que  n'ayant  reçu 
ce  livre  que  depuis  deux  jours,  à  peine  ai-je  eu  le  loisir  de  le  con- 
sidérer. 

La  seconde  demande  a  deux  parties ,  dont  la  première  regarde 
les  conditions  et  les  principes  par  lesquels  on  peut  recomioître  ce 
qui  est  de  foi,  en  le  distinguant  de  ce  qui  n'en  est  pas;  et  la  seconde 
observe  qu'il  y  a  des  degrés  entre  les  articles  de  foi,  les  mis  étant 
plus  importans  que  les  autres. 

Quant  au  premier  point,  vous  supposez  avant  toutes  choses 
comme  indubitable,  que  tout  article  de  foi  doit  être  une  vérité 
révélée  de  Dieu  <le  quoi  je  conviens  sans  dii'Iiculté  ;  mais  vous 
venez  à  deux  questions,  dont  l'une  e.st  :  «  Si  Dieu  en  a  seulement 
révélé  autrefois,  ou  s'il  en  révèle  encore;  »  et  la  seconde  :  «  Si  les 
révélations  d'autrefois  sont  toutes  dans  l'Ecriture  sainte,  ou  sont 
venues  du  moins  d'une  tradition  apostolique,  ce  que  ne  nient  point 
plusieurs  des  plus  accommodans  entre  les  protestans.  » 

.Te  réponds  sans  hésiter.  Monsieur,  que  Dieu  ne  révèle  point  de 
nouvelles  vérités  qui  appartiennent  à  la  loi  catholique,  et  qu'il 
faut  suivre  la  règle  de  la  perpétuité,  qui  avoit,  comm(3  vous  dites 
très-bien ,  passé  pour  la  règle  de  la  catholicité,  de  laquelle  aussi 
l'Eglise  ne  s'est  jamais  départie. 


BOSSUET  A  LEIBNIZ,  9  JANVIER  1700.  251 

Il  ne  s'agit  pas  ici  de  disputer  de  l'autorité  des  traditions  apos- 
toliques, puisque  vous  dites  vous-même.  Monsieur,  que  les  plus 
accommodans,  c'est-à-dire,  comme  je  l'entends,  non-seulement 
les  plus  doctes ,  mais  encore  les  plus  sages  des  protestans  ne  les 
nient  pas;  comme  je  crois  en  effet  l'avoir  remarqué  dans  votre 
savant  Calixte  et  dans  ses  disciples.  Mais  je  dois  vous  faire  obser- 
ver que  le  concile  de  Trente  reconnoît  la  règle  de  la  perpétuité, 
lorsqu'il  déclare  qu'il  n'en  a  point  d'autre  que  «  ce  qui]est  contenu 
dans  l'Ecritm'e  sainte,  ou  dans  les  traditions  non  écrites,  qui 
reçues  par  les  apôtres  de  la  bouche  de  Jésus-Christ ,  ou  dictées 
aux  mêmes  apôtres  par  le  Saint-Esprit,  sont  Avenues  à  nous  comme 
de  main  en  main  ' .  » 

Il  faut  donc.  Monsieur,  tenir  pom'  certain  que  nous  n'admettons 
aucmie  nouvelle  révélation,  et  que  c'est  la  foi  expresse  du  concile 
de  Trente,  que  toute  vérité  révélée  de  Dieu'est  -venue  de  main  en 
main  jusqu'à  nous;  ce  qui  aussi  a  donné  lieu  à  cette  expression 
qui  règne  dans  tout  ce  concile,  que  le  dogme  qu'il  établit  a  tou- 
jours été  entendu  comme  il  l'expose  :  Sicut  Ecclesia  catliolica 
semper  mtellcxit  ^  Selon  cette  règle  on  doit  tenir  pour  assuré 
q-ue  les  conciles  oecuméniques,  lorsqu'ils  décident  quelque  vérité, 
ne  proposent  point  de  nouveaux  dogmes,  mais  ne  font  que  décla- 
rer ceux  qui  ont  toujom's  été  crus,  et  les  expliquer  seulement  en 
termes  plus  clairs  et  plus  précis. 

Quant  à  la  demande  que  vous  me  faites  :  «  S'il  faut ,  avec  Gré- 
goire de  Yalence,  réduire  la  certitude  de  la  décision  à  ce  que  pro- 
nonce le  Pape,  ou  avec  ou  sans  le  concile,  »  elle  me  paroît  assez 
inutile.  On  sait  ce  qu'a  écrit  sm*  ce  sujet  le  cardinal  du  Perron, 
dont  l'autorité  est  de  beaucoup  supérieure  à  celle  de  ce  célèbre 
jésuite,  et  pour  ne  point  rapporter  des  autorités  particulières,  on 
voit  en  cette  matière  ce  qu'enseigne  et  ce  que  pratique,  même  de 
nos  jours  et  encore  tout  récemment,  l'Eglise  de  France. 

Nous  donnerons  donc  pour  règle  infaillible ,  et  certainement 
reconnue  par  les  catholiques,  des  vérités  de  foi ,  le  consentement 
mianime  et  perpétuel  de  toute  l'Eglise,  soit  assemblée  en  concile, 
soit  dispersée  par  toute  la  terre,  et  toujours  enseignée  par  le  même 

'  Sess.  IV,  Décret,  de  Can.  Scrip.  —  '^lbid. 


2;j2  lettres  sur  la  réunion  des  protest.  D'ALLEMAGNE. 

Saint-Esprit.  Si  c'est  là ,  pour  me  servir  de  vos  expressions ,  ce 
qui  est  le  plus  agréable  aux  protestans,  Lien  éloignés  de  les 
détourner  de  cette  doctrine,  nous  ne  craignons  point  de  la  garan- 
tir comme  incontestablement  saine  et  orthodoxe. 

«  Mais  alors,  continuez- vous,  il  sera  difficile  de  justifier  Taiiti- 
quité  de  bien  des  sentimens ,  qu'on  veut  faire  passer  pour  être  de 
foi  dans  l'Eglise  romaine  d'aujourd'hui.  » 

Non,  Monsieur,  j'ose  vous  répondre  avec  confiance  que  cela 
n'est  pas  si  difficile  que  vous  pensez,  pourvu  qu'on  éloigne  de  cet 
examen  l'esprit  de  contention,  en  se  réduisant  aux  faits  certains. 

Vous  en  pouvez  faire  l'essai  dans  l'exemple  que  vous  alléguez, 
et  qui  est  aussi  le  plus  fort  <iu'on  puis.^e  alléguer,  «  de  la  canoni- 
cité  des  livres  que  les  protestans  tiennent  pour  apocryphes, 
laquelle  passe  aujom'd'hui  pour  être  de  foi  dans  votre  communion, 
contre  ce  qui  étoit  cru  par  des  personnes  d'autorité  dans  l'ancienne 
Eghse.  »  ]\Iais,  Monsieur,  vous  allez  voir  clairement,  si  je  ne  me 
trompe,  cette  question  résolue  par  des  faits  entièrement  incon- 
testables. 

Le  premier  est,  que  ces  livres  dont  on  dispute ,  ou  dont  autre- 
fois on  a  disputé ,  ne  sont  pas  des  livres  nouveaux  ou  nouvel- 
lement trouvés ,  auxquels  on  ait  donné  de  l'autorité.  La  seconde 
Lettre  de  saint  Pierre ,  celle  aux  Hébreux,  Y Apocnh/psc  et  les 
autres  livres  qui  ont  été  contestés,  ont  toujours  été  connus  dans 
l'Eglise  et  intitulés  du  nom  des  apôtres,  à  qui  encore  aujom'd'hui 
on  les  attribue.  Si  quelques-uns  leur  ont  disputé  ce  titrr:,  on 
n'a  pas  nié  pour  cela  l'existence  de  ces  livres,  et  qu'ils  ne  por- 
ttissent  cette  iiititulatioii,  ou  partout,  ou  dans  la  plupart  des  lieux 
où  on  les  lisoit,  ou  du  moins  dans  les  plus  célèbres. 

Second  fait  :  J'en  dis  autant  des  livres  de  l'Ancien  Testament. 
La  Sagesse,  Y  Ecclésiastique ,  les  Macliabées  et  les  autres,  ne  sont 
pas  des  li\Tes  nouveaux  :  ce  ne  sont  pas  les  chrétiens  qui  les  ont 
composés  :  ils  ont  précédé  la  naissance  de  Jésus-Christ;  et  nos 
Pères  les  ayant  trouvés  parmi  les  Juifs,  les  ont  pris  de  leurs 
mains  pour  l'usage  et  pour  rédificatioii  de  lEglise, 

Troisième  fait  :  Ce  n'est  point  non  plus  par  de  nouvelles  révé- 
lations, ou  par  de  nouveaux  miracles  qu'on  les  a  reçus  dans  le 


•BOSSUET  A  LEIBNIZ,  9  JANVIER   1700.  253 

canon.  Tous  ces  moyens  sont  suspects  ou  particuliers,  et  par  con- 
séquent insuffisans  à  fonder  une  tradition  et  un  témoignage  de  la 
foi.  Le  concile  de  Trente,  qui  les  a  rangés  dans  le  canon,  les  y  a 
trouvés,  il  y  a  plus  de  douze  cents  ans  et  dès  le  quatrième  siècle, 
le  plus  savant  sans  contestation  de  toute  l'Eglise. 

Quatrième  fait  :  Personne  n'ignore  le  canon  xLvn  du  concile  m 
de  Cartilage,  qui  constamment  est  de  ce  siècle-là,  et  où  les  mêmes 
livres,  sans  en  excepter  aucun,  reçus  dans  le  concile  de  Trente, 
sont  reconnus  comme  livres  «  qu'on  lit  dans  l'Eglise  sous  le  nom 
de  divines  Ecritures,  et  d'Ecritures  canoniques  .  »  Sub  nomine 
divbiarum  Scripturarum,  etc.,  ccmonicœ  Scriptvrœ,  etc. 

Cinquième  fait  :  C'est  un  fait  qui  n'est  pas  moins  constant,  que 
les  mêmes  livres  sont  mis  au  rang  des  saintes  Ecritures,  avec  le 
Pentateiique,  avec  l'Evangile,  avec  tous  les  autres  les  plus  cano- 
niques ,  dans  la  réponse  du  pape  Innocent  I,  à  la  consultation  du 
saint  évêque  Exupère  de  Toulouse  [cap.  vn),  en  l'an  405  de  Notre- 
Seigneur.  Le  décret  du  concile  romain  tenu  par  le  pape  saint  Gé- 
lase,  fait  le  même  dénombrement  au  cinquième  siècle ,  et  c'est  là 
le  dernier  canon  de  l'Eglise  romaine  sur  ce  sujet,  sans  que  ses 
décrets  aient  jamais  varié.  Tout  l'Occident  a  suivi  l'Eglise  romaine 
en  ce  point ,  et  le  concile  de  Trente  n'a  fait  que  marcher  sur  ses 
pas. 

Sixième  fait  :  Il  y  a  des  églises  que  dès  le  temps  de  saint  Augus- 
tin on  a  regardées  comme  plus  savantes  et  plus  exactes  que  toutes 
les  autres,  doctiores  ac  diligentiores  Ecclesiœ  K  ()i\  ne  peut  dénier 
ces  titres  à  l'Eglise  d'Afrique,  ni  à  l'Eglise  romaine ,  qui  avoit 
outre  cela  la  principauté  ou  la  primauté  de  la  Chaire  apostolique, 
comme  parle  saint  Augustin  :  In  qud  semper  apostoUcœ  CatJie- 
drœ  vigidt  principatus ,  et  dans  laquelle  on  convenoit .  dès  le 
temps  de  saint  Irénée,  que  la  tradition  des  apôtres  s'étoit  toujours 
conservée  avec  plus  de  soin. 

Septième  fait  :  Saint  Augustin  a  pris  séance  dans  ce  concile,  du 
moins  il  étoit  de  ce  temps-là ,  et  il  en  a  suivi  la  tradition  dans  le 
livre  de  la  Doctrine  chrétienne ,  où  nous  lisons  ces  paroles  «  Tout 
le  canon  des  Ecritures  contient  ces  livres,  cinq  de  Moïse,  etc.,  » 

1  Df  Dod.  Christ.,  lib.  Il,  cap.  xv,  ii.  22. 


254  LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

OÙ  sont  nommés  en  même  rang-,  «  Tobie,  Judith,  deux  des  Macha- 
hées,  la  Sagesse,  V Ecclésiastique,  quatorze  Epîtres  de  saint  Paul, 
et  notamment  celle  aux  Hébreux ,  »  ainsi  qu'elles  sont  comptées, 
tant  dans  le  canon  de  Carthage  que  dans  saint  Augustin  :  «  deux 
Lettres  de  saint  Pierre,  trois  de  saint  Jean,  et  Y  Apocalypse  *.  » 

Huitième  fait  :  Ces  anciens  canons  n'ont  pas  été  une  nouveauté 
introduite  par  ces  conciles  et  par  ces  papes  :  mais  une  déclaration 
de  la  tradition  ancienne,  comme  il  est  expressément  porté  dans  le 
canon  déjà  cité  du  concile  ni  de  Carthage  :  «  Ce  sont  des  livres, 
dit-il,  que  nos  Pères  nous  ont  appris  à  lire  dans  l'église ,  sous  le 
titre  d'Ecritures  divines  et  canoniques,  »  comme  marque  le  com- 
mencement du  canon. 

Neuvième  fait  :  La  preuve  en  est  bien  constante  par  les  remarques 
suivantes.  Saint  Augustin  avoit  cité,  contre  les  pélagiens,  ce  pas- 
sage du  livre  de  la  Sagesse  :  «  Il  a  été  enlevé  de  la  vie,  de  crainte 
que  la  malice  ne  corrompît  son  esprit  -.  »  Les  semi-pélagiens 
avoient  contesté  l'autorité  de  ce  livre  comme  n'étant  point  cano- 
nique; et  saint  Augustin  répond  «  qu'il  ne  falloit  point  rejeter  le 
livre  de  la  Sagesse,  qui  a  été  jugé  digne  depuis  une  si  longue 
antiquité,  tam  longâ  annositate ,  d'être  lu  dans  la  place  des  lec- 
tem's  et  d'être  ouï  par  tous  les  chrétiens,  depuis  les  évêques  jus- 
qu'aux derniers  des  laïques,  fidèles,  catéchumènes  et  pénitens, 
avec  la  vénération  qui  est  due  à  l'autorité  divine  ^.  »  A  quoi  il 
ajoute  que  ce  livre  doit  être  préféré  à  tous  les  docteurs  particuliers 
parce  que  les  docteurs  particuliers  les  plus  excellens  et  les  plus 
proches  du  temps  des  apôtres,  se  le  sont  eux-mêmes  préféré,  et 
que  produisant  ce  livre  à  témoin,  ils  ont  cru  ne  rien  alléguer  de 
moins  qu'un  témoignage  divin  :  »  Nihil  se  aclhibere  nisidimnuni 
lestimonimn  credidcrunt;  répétant  encore  à  la  fin  le  grand  nombre 
d'années,  tantâ  annorimi  numerositate ,  où  ce  livre  a  eu  cette 
autorité.  On  pourroit  montrer  à  peu  près  la  même  chose  des 
autres  livres,  qui  ne  sont  ni  plus  ni  moins  contestés  que  celui-là, 
et  en  faire  remonter  l'autorité  jusqu'aux  temps  les  plus  voisins 
des  apôtres,  sans  qu'on  en  puisse  montrer  le  commencement. 

1  De  Dont.  Clirisi.,  ]^b.  I!,  cap.  viit,  u.  ïo.  — -  Sup.,  l'v,  11.  —  ^  pe  prœdest. 
Sunct.,  cap.  xiv,  u.  27. 


BOSSUET  A  LEIBMZ,  il  JANVIER  1700.  2oo 

Dixième  fait  :  En  effet  si  l'on  vouloit  encore  pousser  la  tradi- 
tion plus  loin ,  et  nommer  ces  excellens  docteiu^s  et  si  voisins  du 
temps  des  apôtres ,  qui  sont  marqués  dans  saint  Augustin ,  on 
peut  assurer  qu'il  avoit  en  vue  le  li^Te  des  Témoignages  de  saint 
CyprieU;,  qui  est  un  recueil  des  passages  de  l'Ecriture ,  où  à  l'ou- 
verture du  livre,  la  Sagesse,  Y  Ecclésiastique  et  les  Machabées  se 
trouveront  cités  en  plusieurs  endroits  avec  la  même  autorité  que 
les  li\Tes  les  plus  divins,  et  après  avoir  promis  deux  et  trois  fois 
très-expressément  dans  les  préfaces,  de  ne  citer  dans  ce  livre  que 
des  Ecritures  prophétiques  et  apostoliques. 

Onzième  fait  :  L'Afrique  et  l'Occident  n'étoient  pas  les  seuls  à 
reconnoître  pom-  canoniques  les  livres  que  les  Hébreux  n'avoient 
pas  mis  dans  leur  canon.  On  trouve  partout  dans  saint  Clément 
d'Alexandrie  et  dans  Origène ,  pom"  ne  point  parler  des  autres 
Pères  plus  nouveaux,  les  livres  de  la  Sagesse  et  de  Y  Ecclésiastique 
cités  avec  la  même  autorité  que  ceux  de  Salomon,  et  même  ordi- 
nairement sous  le  nom  de  Salomon  même,  afin  que  le  nom  d'un 
écrivain  canonique  ne  leur  manquât  pas,  et  à  cause  aussi,  dit  saint 
Augustin,  qu'ils  en  avoient  pris  l'esprit. 

Douzième  fait  :  Quand  Julius  Africanus  rejeta  dans  le  prophète 
Daniel  l'histoire  de  Susanne,  et  voulut  défendre  les  Hébreux  contre 
les  Chrétiens,  on  sait  comme  il  fut  repris  par  Origène.  Lorsqu'il 
s'agira  de  l'autorité  et  du  savoir ,  je  ne  crois  pas  qu'on  balance 
entre  Origène  et  Julius  Africanus.  Personne  n'a  mieux  connu 
l'autorité  de  l'hébreu  qu  Origène,  qui  l'a  fait  connoître  aux  églises 
chrétiennnes  ;  et  sans  plus  de  discussion,  sa  Lettre  à  Africajms, 
dont  on  nous  a  depuis  peu  donné  le  grec,  établit  le  fait  constant 
que  ces  livres,  que  les  Hébreux  ne  hsoient  point  dans  lem's  syna- 
gogues, étoient  lus  dans  les  églises  chrétiennes  sans  aucune  dis- 
tinction d'avec  les  autres  livres  divins. 

Treizième  fait  :  H  faut  pourtant  avouer  que  plusieurs  églises  ne 
les  mettoient  point  dans  leur  canon,  parce  que  dans  les  livres  du 
Vieux  Testament  elles  ne  vouloient  que  copier  le  canon  des  Hé- 
breux, et  compter  simplement  les  livres  (jue  personne  ne  contes- 
toit,  ni  juif  ni  chrétien.  Il  faut  aussi  avouer  que  plusieurs  savans, 
comme  saint  Jérôme  et  quelques  autres  grands  critiques,  ne  vou- 


256  LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

loient  point  recevoii'  ces  livres  pour  établii'  les  dogmes  ;  mais  leur 
avis  particulier  n'étoit  pas  suivi,  et  n'empêchoit  pas  que  les  plus 
sublimes  et  les  plus  solides  théologiens  ne  citassent  ces  li\Tes  en 
autorité,  même  contre  les  hérétiques ,  comme  l'exemple  de  saint 
Augustin  vient  de  le  faire  voir,  pom*  ne  point  entrer  ici  dans  la 
discussion  inutile  des  autres  auteurs.  D'autres  ont  remarqué  avant 
moi  que  saint  Jérôme  lui-même  a  souvent  cité  ces  livres  en  auto- 
rité avec  les  autres  Ecritures  ;  et  qu'ainsi  les  opinions  particu- 
lières des  docteurs  étoient,  dans  lem's  propres  livres,  souvent 
emportées  par  l'esprit  de  la  tradition  et  par  l'autorité  des  églises. 

Quatorzième  fait  :  Je  n'ai  pas  besoin  de  m'étendre  ici  sur  le  ca- 
non des  Hébreux,  ni  sur  les  diverses  significations  du  mot  d'apo- 
crT/phe,  qui,  comme  on  sait,  n'est  pas  toujours  également  désa- 
Muitageux.  Je  ne  dirai  pas  non  plus  quelle  autorité  parmi  les 
Juifs,  après  leur  canon  fermé  par  Esdras,  pouvoient  avoir,  sous 
un  autre  titre  (jue  celui  de  canonique,  ces  livres  qu'on  ne  trouve 
point  dans  l'hébreu.  Je  laisserai  encore  à  part  l'autorité  que  leur 
peuvent  concilier  les  allusions  secrètes  qu'on  remarque  aux  sen- 
tences de  ces  livres,  non-seulement  dans  les  auteurs  profanes, 
mais  encore  dans  l'Evangile.  Il  me  semble  que  le  savant  évêque 
d'Avranches,  dont  le  nom  est  si  honoral)le  dans  la  littérature  ,  n'a 
rien  laissé  à  dire  sur  cette  matière  ;  et  pour  moi,  Monsieur,  je  me 
contente  d'avoir  démontré,  si  je  ne  me  trompe,  que  la  définition 
du  concile  de  Trente  sur  la  cauonicité  des  Ecritm-es,  loin  de  nous 
obliger  à  reeonnoître  de  nouvelles  révélations,  fait  voir  au  con- 
traire que  l'Eglise  catholique  demem'e  toujours  inviolablement 
attachée  à  la  tradition  anciemie,  venue  jusqu'à  nous  de  main  en 
main. 

Quinzième  fait  :  Que  si  enfin  vous  m'objectez  que  du  moins  cette 
tradition  n'étoit  pas  universelle,  puisque  de  très-grands  docteurs 
et  des  églises  entières  ne  l'ont  pas  connue,  c'est.  Monsieur,  une 
objection  que  vous  avez  à  résoudre  avec  moi.  La  démonstration 
en  est  évidente  :  nous  convenons  tous  ensemble,  protestans  ou 
catholiques,  également  des  mêmes  livres  du  Nouveau  Testament  ; 
car  je  ne  crois  pas  que  persoimc  voulût  sui^Te  encore  les  empor- 
temeus  de  Luther  contre  XEpitre  de  sauit  Jacques.  Passons  donc 


BOSSUET  A  LEIBNIZ,  9  JANVIER  1700.  257 

une  même  canoiiicité  à  tous  ces  livres,  contestés  autrefois  ou  non 
contestés  :  après  cela.  Monsieur,  permettez -moi  de  vous  deman- 
der si  vous  voulez  affoiblir  l'autorité  ou  de  VEpitf^e  aux  Hébreux, 
si  haute,  si  théologique,  si  divine  ;  ou  celle  de  V Apocalypse,  où 
reluit  l'esprit  prophétique  avec  autant  de  magnificence  que  dans 
Isaie  ou  dans  Daniel.  Ou  bien  dira-t-on  peut-être  que  c'est  une 
nouvelle  révélation  qui  les  a  fait  reconnoître?  Yous  êtes  trop 
ferme  dans  les  bons  principes  pour  les  abandonner  aujourd'hui. 
Nous  dirons  donc,  s'il  vous  plaît,  tous  deux  ensemble,  qu'une 
nouvelle  reconnoissance  de  quelque  livre  canonique,  dont  quel- 
ques-uns am'ont  douté,  ne  déroge  point  à  la  perpétuité  de  la  tra- 
dition, que  vous  voulez  ])ien  avouer  pour  marque  de  la  vérité  ca- 
tholique. Pour  être  constante  et  perpétuelle,  la  vérité  catholique 
ne  laisse  pas  d'avoir  ses  progrès  :  elle  est  connue  en  mi  lieu  plus 
qu'en  un  autre,  plus  clairement,  plus  distinctement,  plus  univer- 
sellement. 11  suffit,  pom'  établir  la  succession  et  la  perpétuité  de 
la  foi  d'un  Livre  saint,  comme  de  toute  autre  vérité,  qu'elle  soit 
toujom's  reconnue;  qu'elle  le  soit  dans  le  plus  grand  nombre  sans 
comparaison  ;  qu'elle  le  soit  dans  les  églises  les  plus  éminentes , 
les  plus  autorisées  et  les  plus  révérées  :  qu'elle  s'y  soutienne, 
qu'elle  gagne  et  qu'eUe  se  répande  d'elle-même,  jusqu'à  tant  que 
le  Saint-Esprit,  la  force  de  la  tradition  et  le  goût ,  non  celui  des 
particuliers,  mais  l'universel  de  l'Eglise,  la  fasse  enfin  prévaloir, 
comme  elle  a  fait  au  concile  de  Trente. 

Seizième  fait  :  Ajoutons,  si  vous  l'avez  agréable,  que  la  foi 
qu'on  a  en  ces  livres  nouvellement  reconnus,  a  toujours  eu  dans 
les  églises  un  témoignage  authentique  dans  la  lecture  qu'on  en  a 
faite  dès  le  commencement  du  clu-istianisme,  sans  aucune  marque 
de  distinction  d'avec  les  Livres  recoimus  divins  :  ajoutons  l'auto- 
rité qu'on  leur  donne  partout  natm'ellement  dans  la  pratique , 
comme  nous  l'avons  remarqué  ;  ajoutons  enfin  que  le  terme  de 
canonique  n'ayant  pas  toujours  mie  signification  uniforme,  nier 
qumi  lÏM'e  soit  canonique  en  un  sens ,  ce  n'est  pas  nier  qu'il  ne 
le  soit  en  un  autre  ;  nier  qu'il  soit,  ce  qui  est  très- vrai,  dans  le  ca- 
non des  Hébreux,  ou  reçu  sans  contradiction  parmi  les  chi'étiens, 
n'empêche  pas  qu'il  ne  soit  au  fond  dans  le  canon  de  l'Eglise,  par 
TOM.  xviii.  17 


2o8    LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

l'autorité  que  lui  donne  la  lecture  presque  générale  et  pai'  l'usage 
qu'on  en  faisoit  par  tout  l'univers.  C'est  ainsi  qu'il  faut  concilier, 
plutôt  que  commettre  ensemble  les  églises  et  les  autem^s  ecclé- 
siastiques, par  des  principes  communs  à  tous  les  divers  sentimens 
et  par  le  retranchement  de  toute  ambiguïté. 

Dix- septième  fait  :  Il  ne  faut  pas  oulilier  le  fait  que  saint  Jérôme 
raconte  à  tout  l'univers,  sans  que  personne  l'en  ait  démenti ,  qui 
est  que  le  li\Te  de  Judith  axoit  reçu  un  grand  témoignage  par  le 
concile  de  Nicée.  On  n'aura  point  de  peine  à  croire  que  cet  infati- 
galile  lecteur  de  tous  les  livres  et  de  tous  les  actes  ecclésiastiques 
ait  pu  voir  par  ses  curieuses  et  laborieuses  recherches,  auxquelles 
rien  n'échappoit,  quelque  mémoire  de  ce  concile,  qui  se  soit  perdu 
depuis.  Ainsi  ce  savant  critique,  qui  ne  vouloit  pas  admettre  le 
livre  dont  nous  parlons,  ne  laisse  pas  de  lui  donner  le  plus  grand 
témoignage  qu'il  put  jamais  recevou',  et  de  nous  montrer  en  même 
temps  que,  sans  le  mettre  dans  le  canon,  les  Pères  et  les  conciles 
les  plus  vénérables  s'en  servoient  dans  l'occasion ,  comme  nous 
venons  de  le  dire,  et  le  consacroient  par  la  pratique. 

Dix-huitième  fait  :  Quoi(|ue  je  commence  à  sentir  la  longueur 
de  cette  lettre ,  qui  devient  un  petit  livre  contre  mon  attente,  le 
plaisir  de  m' entretenir  par  votre  entremise  avec  un  prince  qui 
aime  si  fort  la  religion,  qu'il  daigne  même  m'ordonner  de  lui  en 
parler  de  si  loin,  me  fera  encore  ajouter  un  fait  qu'il  approuvera. 
C'est,  Monsieur,  que  la  diversité  des  canons  de  l'Ecriture,  dont  on 
usoit  dans  les  églises,  ne  les  empêchoit  pas  de  concourir  dans  la 
même  théologie,  dans  les  mêmes  dogmes,  dans  la  même  con- 
danmation  de  toutes  les  erreui's,  et  non- seulement  de  celles  qui 
attaquoient  les  grands  mystères  delà  Trinité,  de  l'Incarnation,  de 
la  Grâce  ;  mais  encore  de  celles  qui  blessoient  les  autres  vérités 
révélées  de  Dieu,  comme  faisoient  les  montanistes,  les  novatiens, 
les  donatistes ,  et  ainsi  du  reste.  Par  exemple  la  province  de  Phry- 
gie,  qui  assemblée  dans  le  concile  de  Laodicée,  ne  recevoit  point 
en  autorité ,  et  sembloit  même  ne  vouloir  pas  lire  dans  l'église 
quelques-uns  des  livres  dont  il  s'agit,  contre  la  coutume  presque 
universelle  des  autres  éghses,  entre  autres  de  celles  d'Occident , 
n'en  condamnoit  pas  moins  avec  elles  toutes  les  erreurs  qu'on 


LEIBNIZ  A  BOSSUET,  9  JANVIER,  1700.  2Î)9 

vient  de  marquer  ;  de  sorte  qu'en  vérité  il  ne  leur  mauquoit-  au- 
cun dogme,  encore  qu'il  manquât  dans  I»'ur  canon  quelques-uns 
des  livres  qui  servoient  à  les  convaincre. 

Dix-neuvième  fait  :  C'est  pour  cela  qu'on  se  laissoit  les  uns  aux 
autres  une  grande  liberté ,  sans  se  presser  d'obliger  toutes  les 
églises  au  même  canon,  parce  qu'on  ne  voyoit  naître  de  là  aucune 
diversité,  ni  dans  la  foi  ni  dans  les  mœurs  :  et  la  raison  en  étoit 
que  les  fidèles,  qui  ne  cherclioient  pas  les  dogmes  de  foi  dans  ces 
livres  non  canonisés  en  quelques  endroits,  les  trouvoient  suffisam- 
ment dans  ceux  qui  n'avoient  jamais  été  révoqués  en  doute  ;  et 
que  même  ce  qu'on  ne  trouvoit  pas  dans  les  Ecritures  en  général, 
on  le  recouvi'oit  dans  les  traditions  perpétuelles  et  universelles. 

Vingtième  fait  :  Sur  cela  même  nous  lisons  dans  saint  Augustin 
et  dans  l'un  de  ses  plus  savans  écrits,  cette  sentence  mémorable  : 
«  L'homme  tjui  est  affermi  dans  la  foi,  dans  l'espérance  et  dans  la 
charité,  et  qui  est  inébranlable  à  les  conserver ,  n'a  besoin  des 
Ecritures  que  pour  instruire  les  autres  ;  ce  qui  fait  aussi  que  plu- 
siem's  vivent  sans  aucmi  livre  dans  les  solitudes  *.  »  On  sait  d'ail- 
leurs qu'il  y  a  eu  des  peuples  qui,  sans  avoir  l'Ecriture  qu'on  n'a- 
voit  pu  encore  traduire  en  leurs  langues  barbares  et  irrégulières, 
n'en  étoient  pas  moins  chrétiens  que  les  autres  :  par  où  aussi  Ton 
peut  entendre  que  la  concorde  dans  la  foi ,  loin  de  dépendre  de  la 
réception  de  quelques  li\Tes  de  l'Ecritm'e ,  ne  dépend  pas  même 
de  toute  l'Ecriture  en  général  ;  ce  qui  pourroit  se  prouver  encore 
par  Tertullien  et  par  tous  les  autres  auteurs,  si  cette  discussion  ne 
nous  jetoit  trop  loin  de  notre  sujet. 

Yingt-unième  fait  :  Que  si  enfin  on  demande  pourquoi  donc  le 
concile  de  Trente  n'a  pas  laissé  sur  ce  point  la  même  liberté  que 
l'on  avoit  autrefois,  et  défend  sous  peine  d'anathème  de  recevoir 
mi  autre  canon  que  celui  qu'il  propose ,  session  IV,  sans  vouloir 
rien  dire  d'amer,  je  laisserai  seulement  à  examiner  aux  protes- 
tans  modérés  si  l'Eglise  romaine  a  dû  laisser  ébranler  par  les 
protestans  le  canon,  dont ,  comme  on  a  vu,  elle  étoit  en  posses- 
sion avec  tout  l'Occident,  non-seulement  dès  le  ^quatrième  siècle, 
mais  encore  dès  l'origine  du  christianisme  :  cimon  qui  s'étoit 

•  De  doct.  christ.,  lib.  I,  n.  43. 


200  LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE, 
affermi  depuis  par  Tusage  de  douze  cents  ans  sans  aucune  con- 
tradiction •  canon  enfin  dont  on  prenoit  occasion  de  la  calomnier, 
comme  falsifiant  les  Ecritures  ;  ce  qui  faisoit  remonter  l'accusa- 
tion jusqu'aux  siècles  les  plus  purs;  je  laisse,  dis-je,  à  examiner, 
si  l'Eglise  a  dû  tolérer  ce  soulèvement,  ou  Lien  le  réprimer  par 
ses  anatlièmes. 

Yingt-deuxième  fait  :  Il  n'est  donc  rien  arrivé  ici  que  ce  que 
l'on  a  vu  arriver  à  toutes  les  autres  vérités,  qui  est  d'être  décla- 
rées plus  expressément,  plus  autlientiquement,  plus  fortement 
par  le  jugement  de  l'Eglise  catholique ,  lorsqu'elles  ont  été  plus 
ouvertement,  et,  s'il  est  permis  de  dire  une  fois  ce  mot,  plus  opi- 
niâtrement contredites  ;  en  sorte  qu'après  ce  décret ,  le  doute  ne 
soit  plus  permis. 

Vingt-troisième  fait  :  Je  n"ai  point  ici  à  rendre  raison  pom'- 
quoi  nous  donnons  le  nom  d'Eglise  catholique  à  la  communion 
romaine,  ni  le  nom  de  concile  œcuménique  à  celui  qu'elle  recon- 
noît  pour  tel.  C'est  une  dispute  à  part,  où  l'on  ne  doit  pas  entrer 
ici;  et  il  me  suffit  d'avoir  remarqué  les  faits  constans  d'où  ré- 
sultent l'anticpiité  et  la  perpétuité  du  canon  dont  nous  usons. 

Vingt-quatrième  fait  :  Après  tout,  quelque  inviolalile  que  soit 
la  certitude  que  nous  y  trouvons,  il  sera  toujours  véritable  que 
les  livres  qui  n'ont  jamais  été  contestés  ont  dès  là  une  force  par- 
ticulière pour  la  conviction,  parce  qu'encore  que  nul  esprit  rai- 
sonnable ne  doive  douter  des  autres  après  la  décision  de  l'Eglise, 
les  premiers  ont  cela  de  particulier,  que  procédant  ad  hominem 
et  ex  concessis,  comme  l'on  parle,  ils  sont  plus  propres  à  fermer 
la  bouche  aux  contredisans. 

Voilà,  Monsieur,  im  long  discours,  encore  que  je  n'aie  fait  que 
proposer  les  principes.  C'est  à  Dieu  à  ouvrir  les  cœurs  de  ceux 
qui  le  liront.  Ce  dont  je  vous  prie,  c'est  de  le  présenter  à  votre 
grand  prince ,  de  prendre  les  momens  heureux  où  son  oreille 
sera  plus  libre ,  et  enfin  de  lui  faire  regarder  comme  un  effet  de 
mon  très-humble  respect.  Le  reste  se  dira  une  autre  fois,  et  bien- 
tôt, s'il  plaît  à  Dieu.  Je  suis  cependant,  et  serai  toujours  avec  une 
estime  et  une  affection  cordiale ,  Monsiem^ ,  votre  très  -  humble 
.serviteur,  J.  Bénigne,  év.  de  Meaux. 


BOSSUET  A  LEIBNIZ,  30  JANVIER  1700,  2fH 

LETTRE  XLIV. 

BOSSUET    A    LE  1  lî  N  I  Z. 
A  Versailles,  'M  janviei'  1700. 

MONSIEUR;, 

Des  deux  difficultés  que  vous  m'avez  proposées  dans  votre 
lettre  du  Jl  décembre  1699;,  de  la  part  de  votre  grand  et  habile 
prince ,  la  seconde  regardoit  les  degrés  'entre  les  articles  de  foi, 
les  uns  étant  plus  importans  que  les  autres  ;  et  c'est  celle-là  sur 
laquelle  il  faut  tâcher  aujouixriiui  de  le  satisfaire. 

Vous  l'expliquez  en  ces  termes  :  «  Quant  aux  degrés  de  ce  qui 
est  de  foi,  on  disputa  dans  le  colloque  de  Ratisbonne  de  ce  siècle, 
entre  Hunnius  protestant,  et  le  Père  Tanner  jésuite,  si  les  vérités 
de  peu  d'importance,  qui  sont  dans  l'Ecriture  sainte,  comme, 
par  exemple,  celle  du  chien  de  Tobie,  sont  des  articles  de  foi, 
comme  le  Père  Tanner  l'assura  :  ce  qui  étant  posé,  il  faut  re- 
connoître  qu'il  y  a  une  infinité  d'articles  de  foi  qu'on  peut  non- 
seulement  ignorer,  mais  même  nier  impunément,  pom'vu  qu'on 
croie  qu'ils  n'ont  point  été  révélés;  comme  si  quelqu'un  croyoit 
fpie  ce  passage  :  Très  sunt  qui  testimoniumperhibent,  etc.,  n'est 
point  authenticjue,  puisqu'il  manque  dans  les  anciens  exemplaires 
grecs.  Il  sera  question  maintenant  de  savoir  s'il  y  a  des  articles 
tellement  fondamentaux  (pi'ils  soient  nécessaires,  necessitate  me- 
dii;  en  sorte  qu'on  ne  les  sauroit  ignorer  ou  nier  sans  exposer 
son  salut,  et  connnent  on  les  peut  discerner  d'avec  les  autres.  » 

Il  me  semble  premièrement.  Monsieur,  que  si  j'avois  assisté  à 
quelque  colloque  semblable  à  celui  de  Ratisbonne,  et  qu'il  m'eût 
fallu  répondre  à  la  question  du  chien  de  Tobie ,  sans  savoir  ce 
({ue  dit  alors  le  Père  Tanner,  j'aurois  cru  devoir  user  de  dis- 
tinction. En  prenant  le  terme  iï Article  de  fol  selon  la  signifi- 
cation moins  propre  et  plus  étendue,  j'aurois  dit  que  toutes  les 
choses  révélées  de  Dieu  dans  les  Ecritures  canonicpies ,  inqtor- 
tantes  ou  non  importantes,  sont  en  ce  sens  articles  de  foi  ;  mais 
(|u'en  prentuit  ce  terme  &' Article  de  foi  dans  sa  signification 


262   LETTRES  SUR  LA  RÉUMON  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

étroite  et  propre,  pour  des  dogmes  théologiqiies  immédiatement 
révélés  de  Dieu,  tous  ces  faits  particuliers  ne  méritent  pas  ce  titre. 

Je  n'ai  pas  besoin  de  vous  dire  que  je  compte  ici  parmi  les 
dogmes  révélés  de  Dieu ,  certaines  choses  de  fait  sur  lesquelles 
roule  la  religion,  comme  la  nativité ,  la  mort  et  la  résuiTection 
de  Notre-Seigneur.  Les  faits  dont  nous  parlons  ici,  sont,  comme 
je  viens  de  le  marquer,  les  faits  particuliers.  Il  y  en  a  de  deux 
sortes  :  les  uns  servent  à  établir  les  dogmes  par  des  exemples 
plus  ou  moins  illustres,  comme  riiisloire  d'Esther  et  les  combats 
de  David  ;  les  autres,  pom*  ainsi  pai'lei- ,  ne  font  que  peindre  et 
décrire  une  action,  comme  seroient,  par  exemple ,  la  couleur  des 
pavillons  qui  étoient  tendus  dans  le  festin  d' Assuérus  et  les  autres 
menues  circonstances  de  cette  fête  royale  ;  et  de  ce  genre  seroit 
aussi  le  chien  de  Tobie ,  aussi  bien  que  le  bâton  de  David,  et  si 
l'on  veut  la  couleur  de  ses  cheveux.  Tout  cela  de  soi  est  telle- 
ment indifférent  à  la  religion,  qu'on  peut  ou  le  savoir  ou  l'igno- 
rer, sans  qu'elle  en  souffre  pom*  peu  que  ce  soit.  Les  autres  faits, 
qui  sont  proposés  pour  appuyer  les  dogmes  divins ,  comme  sont 
la  justice,  la  miséricorde  et  la  providence  divine ,  quoique  bien 
plus  importans,  ne  sont  pas  absolument  nécessaires,  parce  qu'on 
peut  savoir  d'aiUem^s  ce  qu'ils  nous  apprennent  de  Dieu  et  de  la 
religion. 

Pour  ce  qui  est  de  nier  ces  faits ,  la  question  se  réduit  à  celle 
de  la  canonicité  des  hvres  dont  ils  sont  tirés.  Par  exemple,  si  l'on 
nioit  ou  le  bâton  de  David ,  ou  la  couleur  de  ses  cheveux  et  les 
autres  choses  de  cette  sorte ,  la  dénégation  en  pourroit  devenir 
très-importante,  parce  qu'elle  entraîneroit  celle  du  Livre  des  Rois, 
où  ces  circonstances  sont  racontées. 

Tout  cela  n'a  point  de  difficulté,  et  je  ne  l'ai  rapporté  que  pour 
toucher  tous  les  points  de  votre  lettre.  Mais  pour  les  difficultés 
qui  regardent  les  vrais  articles  de  foi  et  les  dogmes  théologiques, 
immédiatement  révélés  de  Dieu,  encore  que  la  discussion  en  de- 
mande plus  d'étendue,  il  est  aisé  d'en  sortir. 

Je  rappelle  tout  à  trois  propositions  :  La  première,  qu'il  y  a  des 
articles  fondamentaux  et  des  articles  non  fondamentaux;  c'est-à- 
dire  des  articles  dont  la  coimoissance  et  la  foi  expresse  est  néces- 


BOSSUET  A  LEIBNIZ,  30  JANVIER  1700.  263 

saii*e  au  salut ,  et  des  articles  dont  la  cominoissance  et  la  foi  ex- 
presse n"est  pas  nécessaire  au  salut. 

La  seconde,  qu'il  y  a  des  règles  pour  les  discerner  les  uns  des 
autres. 

La  troisième,  que  les  articles  révélés  de  Dieu,  quoique  non  fon- 
damentaux, ne  laissent  pas  d'être  importans ,  et  de  donner  ma- 
tière de  schisme,  surtout  après  que  l'Eglise  les  a  défmis. 

La  pi'cmière  proposition,  qu'il  y  a  des  articles  fondamentaux , 
c'est-à-dire  dont  la  counoissance  et  la  foi  expresse  est  nécessaire 
au  salut,  n'est  pas  disputée  entre  nous.  Nous  convenons  tous  du 
Symbole  attribué  à  saint  Atlianase,  qui  est  l'un  des  trois  recon- 
nus dans  la  Confession  cT Augsboiirg ,  comme  parmi  nous  ;  et  on 
y  lit  à  la  tète  ces  paroles  :  Quicumque  vult  salvus  esse,  etc.;  et 
au  milieu  :  Qui  vult  crfjo  sulvm  esse,  etc.  ;  et  à  la  fm  :  Eœc  est 
fi.des  catholica,  quam  nisi  qidsque,  etc....,  absque  dubio  in  œter- 
num  perihit. 

Savoir  maintenant  si  les  articles  contenus  dans  ce  Symbole  y 
sont  reconnus  nécessaires ,  necessitate  medii,  ou  necessitate  pi^œ- 
cepti,  c'est  à  mon  avis  en  ce  lieu  une  question  assez  inutile ,  et  il 
suffira  peut-être  d'en  dire  un  mot  à  la  fm. 

La  seconde  proposition ,  qu'il  y  a  des  règles  pour  discerner 
ces  articles ,  n'est  pas  difficile  entre  nous ,  puiscjue  nous  suppo- 
sons tous  qu'il  y  a  des  premiers  principes  de  la  religion  chré- 
tienne qu'il  n'est  permis  à  personne  d'ignorer  ;  tels  que  sont , 
pour  descendre  dans  un  plus  grand  détail,  le  Symbole  des  apô- 
tres ,  l'Oraison  Dominicale,  et  le  Décalogue  avec  son  abrégé  né- 
cessaire dans  les  deux  préceptes  de  la  charité ,  dans  lesquels  con- 
siste ,  selon  l'Evangile ,  toute  la  loi  et  les  prophètes. 

C'est  de  quoi  nous  convenons  tous  catholiques  et  protestans 
également  :  et  nous  convenons  encore  que  le  Symbole  des  apô- 
tres doit  être  entendu  comme  il  a  été  exposé  dans  le  Symbole  de 
Nicée,  et  dans  celui  qu'on  attribue  à  saint  Athanase, 

On  se  peut  réduire  à  un  principe  plus  simple  en  disant  que  ce 
dont  la  counoissance  et  la  foi  expresse  est  nécessaire  au  salut,  est 
cela  même  sans  quoi  on  ne  peut  avoir  aucime  véritable  idée  du 
salut  qui  nous  est  donné  en  Jésus-Clu'ist,  Dieu  voulant  nous  y 


264   LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

amener  par  la  connoissance ,  et  non  par  un  instinct  aveugle, 
comme  on  feroit  des  bêtes  brutes. 

Dans  ce  principe  si  clair  et  si  simple ,  tout  le  monde  voit  d'a- 
bord qu'il  faut  connoître  la  personne  du  Sauveur,  qui  est  Jésus- 
Christ  Fils  de  Dieu  ;  qu'il  faut  aussi  connoître  son  Père  qui  l'a  en- 
voyé ,  avec  le  Saint-Esprit  de  qui  il  a  été  conçu  et  par  lequel  il 
nous  sanctifie  ;  quel  est  le  salut  qu'il  nous  propose ,  ce  qu'il  a  fait 
pour  nous  l'acquérir,  et  ce  qu'il  veut  que  nous  fassions  pour  lui 
plaire  :  ce  qui  ramène  naturellement  Tun  après  l'autre  les  Sym- 
boles dont  nous  avons  parlé,  l'Oraison  Dominicale  et  le  Décalogue  ; 
et  tout  cela,  réduit  en  peu  de  paroles,  est  ce  que  nous  avons  nommé 
les  premiers  principes  de  la  religion  chrétienne. 

La  troisième  proposition  a  deux  parties  :  la  première ,  que  ces 
articles  non  fondamentaux ,  encore  que  la  connoissance  et  la  foi 
expresse  n'en  soit  pas  absolument  nécessaire  à  tout  le  monde,  ne 
laissent  pas  d'être  importans,  C'est  ce  qu'on  ne  peut  nier,  puis- 
qu'on suppose  ces  articles  révélés  de  Dieu,  qui  ne  révèle  rien  que 
d'important  à  la  piété ,  et  dont  aussi  il  est  écrit  :  «  Je  suis  le  Sei- 
gneur ton  Dieu,  qui  t'enseigne  des  choses  utiles  *.  » 

Ce  fondement  supposé ,  il  y  a  raison  et  nécessité  de  noter  ceux 
qui  s'opposent  à  ces  dogmes  utiles ,  et  qui  manquent  de  docilité 
à  les  recevoir,  quand  l'Eglise  les  leur  propose.  La  pratique  uni- 
verselle de  l'ancienne  Eglise  confirme  cette  seconde  partie  de  la 
proposition.  Elle  amis  au  rang  des  hérétiques,  non-seulement 
les  ariens ,  les  sabclliens ,  les  paulianistes ,  les  macédoniens ,  les 
nestoriens,  les  euty chiens,  et  ceux  en  un  mot  qui  rejetoient  la 
Trinité  et  les  autres  dogmes  égalem.ent  fondamentaux  ;  mais  en- 
core les  novatiens  ou  cathares,  qui  ôtoient  aux  ministres  de  l'E- 
glise le  pouvoir  de  remettre  les  péchés ,  les  montanistes  ou  cata- 
phrygiens ,  qui  improuvoient  les  secondes  noces  ;  les  aériens  qui 
nioient  l'utilité  'des  oblations  pour  les  morts ,  avec  la  distinction 
de  l'épiscopat  et  de  la  prêtrise  ;  Jovinien  et  ses  sectateurs ,  (]ui  à 
finjure  du  Fils  de  Dieu,  nioient  la  virginité  perpétuelle  de  sa 
sainte  Mère,  et  jusqu'aux  quartodécimans ,  qui  aimant  mieux 
célébrer  la  pàque  avec  les  Juifs  qu'avec  les  Chrétiens ,  tàchoient 

*  Isa.,  XLYiii,  17. 


BOSSUET  A  LEIBNIZ,  30  JANVIER  1700.  26o 

fie  rétablir  le  judaïsme  et  ses  observances,  contre  l'ordonnance 
(les  apôtres.  Les  auteurs  opiniâtres  de  ces  dogmes  pervers  ont  été 
frappés  par  les  Pères ,  par  les  conciles ,  quelques-uns  même  par 
le  grand  concile  de  Nicée,  le  premier  et  le  plus  vénérable  des  œcu- 
méniques ,  parce  qu'encore  que  les  articles  qu'ils  combattoient 
ne  fussent  pas  de  ce  premier  rang  qu'on  appelle  fondamentaux, 
l'Eglise  ne  devoit  pas  souffrir  qu'on  méprisât  aucune  partie  de  la 
doctrine  céleste  que  Jésus-Christ  et  les  apôtres  avoient  enseignée. 

Si  Messieurs  de  la  Confession  d'Augsbourg  ne  convenoient  de 
ce  principe,  ils  n'auroient  pas  mis  au  nombre  des  hérétiques, 
sous  le  nom  de  sacrameîitaires ,  Bérenger  et  ses  sectateurs,  puis- 
que la  présence  réelle ,  qui  fait  le;n'  erreur,  n'est  pas  comptée 
parmi  les  articles  fondamentaux. 

L'Eglise  fait  néanmoins  mie  grande  différence  entre  ceux  qui 
ont  combattu  ces  dogmes  utiles  et  nécessaires  à  leur  manière, 
quoique  d'une  nécessité  inférieure  et  seconde ,  avant  ou  depuis 
ses  définitions.  Avant  qu'elle  eût  déclaré  la  vérité  et  l'antiquité 
ou  plutôt  la  perpétuité  de  ces  dogmes,  par  un  jugement  authen- 
ti([ue ,  elle  toléroit  les  errans ,  et  ne  craignoit  point  d'en  mettre 
même  quelques-uns  au  rang  de  ses  Saints  :  mais  depuis  sa  déci- 
sion ,  elle  ne  les  a  plus  soufferts  ;  et  sans  hésiter,  elle  les  a  ran- 
gés au  nombre  des  hérétiques.  C'est,  Monsieur,  comme  vous 
savez,  ce  qui  est  arrivé  à  saint  Cyprien  et  aux  donatistes.  Ceux-ci 
convenoient  avec  ce  saint  martyr  dans  le  dogme  pervers,  qui  re- 
jetoit  le  baptême  administré  par  les  hérétiques  :  mais  leur  sort  a 
été  bien  différent ,  puisfiue  saint  Cyprien  est  demeuré  parmi  les 
Saints,  et  les  autres  sont  rangés  parmi  les  hérétiques  :  ce  qui  fait 
dire  au  docte  Vincent  de  Lérins ,  dans  ce  livre  tout  d'or,  qu'il  a 
intitulé  :  Comnionitorium ,  ou  Mémoire  sur  l'antiquité  de  la  foi  : 
«  0  changement  étonnant  !  Les  auteurs  d'une  opinion  sont  catho- 
liques ,  les  sectateurs  sont  condamnés  comme  liéréti([ues  :  les 
maîtres  sont  absous ,  les  disciples  sont  réprouvés  :  ceux  qui  ont 
écrit  les  livres  erronés  sont  les  enfans  du  royaume  ,  p(Midant  (jue 
leurs  défenseurs  sont  précipités  dans  l'enfer.  »  Voilà  des  paroles 
bien  terribles  pour  la  damnation  de  ceux  qui  avoient  opiniâtre- 
ment soutenu  les  dogmes  fjue  les  Saints  avoient  proposés  de 


206    LETTRES  SLR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

bonne  foi ,  dont  on  voit  bien  que  la  différence  consiste  précisé- 
ment à  avoir  erré  avant  que  TEgiise  se  fût  expliquée ,  ce  qui  se 
pouvoit  inuocpmment  ;  et  avoir  erré  contre  ses  décrets  solennels, 
ce  qui  ne  peut  plus  être  imputé  qu'à  orgueil  et  irrévérence. 

C'est  aussi  ce  que  saint  Augustin  ne  nous  laisse  point  ignorer, 
lorsque  comparant  saint  Cyprien  avec  les  donatistes  :  «  Nous- 
mAmes ,  dit-il ,  nous  n'oserions  pas  enseigner  ime  telle  chose  » 
contre  un  aussi  grand  docteur  que  saint  Cyprien ,  c'est-à-dire,  la 
sainteté  et  la  validité  du  baptême  administré  par  les  hérétiques , 
a  si  nous  n'étions  appuyés  sm^  l'autorité  de  l'Eglise  miiverselle, 
à  laquelle  il  auroit  très-certainement  cédé  lui-même ,  si  la  vérité 
éclaircie  avoit  été  confirmée  dès  lors  par  un  concile  universel  :  » 
Ctii  et  ille procul  dubio  cederet,  si  quœstionis  hujus  veritos ,  cU- 
quata  et  declarata  per  plenarhtm  coiiciliiim ,  soUdaretiir  ' . 

Telle  est  donc  la  différence  qu'on  a  toujours  mise  entre  les 
dogmes  non  encore  entièrement  autorisés  par  le  jugement  de  l'E- 
glise ,  et  ceux  qu'elle  a  déclarés  authentiquement  véritables  :  et 
cela  est  fondé  sm"  ce  que ,  la  soumission  à  l'autorité  de  l'Eglise 
étant  la  dernière  épreuve  où  Jésus- Christ  a  voulu  mettre  la  doci- 
lité de  la  foi ,  on  n'a  plus ,  quand  on  méprise  cette  autorité ,  à  at- 
tendre que  cette  sentence  :  «  S'il  n'écoute  pas  l'Eglise ,  qu'il  vous 
soit  connue  un  païen  et  un  publicain  -.  » 

Il  ne  s'agit  pas  ici  de  prouver  cette  doctrine ,  mais  seulement 
d'exposer  à  votre  grand  princi;  la  méthode  de  l'Eglise  catholique, 
pour  distinguer  parmi  les  articles  non  fondamentaux,  les  erreurs 
où  l'on  peut  tomber  innocemment ,  d'avec  les  autres.  La  racine 
et  l'effet  de  la  distinction  se  tirent  principalement  de  la  décision 
de  l'Eglise.  Nous  n'avançons  rien  de  nouveau  en  cet  endroit,  non 
plus  que  dans  toutes  les  autres  parties  de  notre  doctrine.  Les  plus 
célèbres  docteurs  du  quatrième  siècle  parloient  et  pensoient  comme 
nous.  Il  n'est  pas  permis  de  nn'priser  des  autorités  si  révérées 
dans  tous  les  siècles  suivans  :  et  d'ailleurs  quand  saint  Augustin 
assure  que  saint  Cyprien  auroit  cédé  à  l'autorité  de  l'Eglise  uni- 
verselle ,  si  sa  foi  s'étoit  déclarée  de  son  temps  par  un  concile  de 
toute  la  terre ,  il  n'a  parlé  de  cette  sorte  que  sur  les  paroles  ex- 

1  August.jrfe  Iiapt.,Vih.  II,  cap.  iv,  u.  5.  —  ^  Maltk  ,  xviii,  17. 


BOSSUET  A  LEIBNIZ,  30  JANVIER.  267 

presses  de  ce  saint  martyr,  qui  interrogé  par  Antonien  son  col- 
lègue dans  répiscopat  quelles  étoient  les  erreurs  de  Novatien  : 
«  Sachez  premièrement ,  lui  disoit-il ,  que  nous  ne  devons  pas 
même  être  curieux  de  ce  qu'il  enseigne ,  puisqu'il  est  hors  de 
l'Eglise  :  quel  qu'il  soit  et  quelque  autorité  qu'il  s'attribue ,  il 
n'est  pas  chrétien,  puisqu'il  n'est  pas  dans  l'Eglise  de  Jésus- 
Christ  :  »  Cliristianus  non  est ,  qui  in  CJiristi  Ecclesià  non  est\ 
Saint  Augustin  n'a  pas  tort  de  dire  qu'un  homme  qui  ne  souffre 
pas  qu'on  juge  digne  d'examen  une  doctrine  qu'on  enseigne  hors 
de  l'Eglise ,  mais  qui  veut  qu'on  la  rejette  à  ce  seul  titre ,  n'au- 
roit  eu  garde  de  se  soustraire  lui-même  à  une  autorité  si  invio- 
lable. 

Il  n'est  pas  même  toujours  nécessaire,  pour  mériter  d'être 
condamné,  d'avoir  contre  soi  une  expresse  décision  de  l'Eglise, 
pourvu  que  d'aiUeurs  sa  doctrine  soit  bien  connue  et  constante. 
C'est  aussi  pour  cette  raison  que  le  même  saint  Augustin,  en 
parlant  du  baptême  des  petits  enfans ,  a  prononcé  ces  paroles  : 
«  Il  faut,  dit-il,  souffrir  les  contredisans  dans  les  questions  qui 
ne  sont  pas  encore  bien  examinées,  ni  pleinement  décidées  par 
l'autorité  de  l'Eglise  :  »  In  quœstionibus  nondinnplenà  Ecclesiœ 
auctorUate  firmath"- .  «  C'est  là^  continue  ce  Père,  que  l'errem'  se 
peut  tolérer  ;  mais  elle  ne  doit  pas  entreprendre  d'ébranler  le  fon- 
dement de  l'Eglise  :  »  lin  ferendus  est  error,  non  usqueadeopro- 
fjredi  débet ,  ut  fundamentum  Ipsum  Ecclesiœ  quatere  nioliatur. 

On  n'avoit  encore  tenu  aucun  concile  pour  y  traiter  expressé- 
ment la  question  du  baptême  des  petits  enfans  ;  mais  parce  que 
la  pratique  en  étoit  constante  et  universelle,  en  sorte  qu'il  n'y 
avoit  aucun  moyen  de  la  contester,  loin  de  permettre  de  la  révo- 
quer en  doute,  saint  Augustin  la  prêche  hautement  comme  une 
vérité  toujours  établie,  et  dit  que  ce  doute  seul  emporte  le  ren- 
versement du  fondement  de  l'Eglise. 

C'est  à  cause  que  ceux  qui  nient  cette  autorité  sont  proprement 
ces  esprits  contentieux  ,  que  l'Apôtre  ne  souffre  pas  dans  les 
églises'.  Ce  sont  ces  frères,  qui  marchent  désordonnément ,  et 
non  pas  selon  la  règle  qu'il  leur  a  donnée,  dont  le  même  Apôtre 

1  Cypr..  epist.  lu.  —  -  Aiigust.,  scim.  xiv,  De  Vcrù.  Apost.  —  *  I  Cor.,  xi,  10, 


268  LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

veut  cpi'on  se  retire^.  On  ne  se  doit  retirer  cFeux  qu'à  cause  qu'ils 
se  retirent  les  premiers  de  l'autorité  de  l'Eglise  et  de  ses  décrets, 
et  se  rang-ent  au  nombre  de  ceux  qui  se  séparent  eux-mêmes  ^  : 
d'où  l'on  doit  conclure  qu'encore  que  la  matière  de  leur  dispute 
ne  soit  peut-être  pas  fondamentale,  et  du  rang  de  celles  dont  la 
connoissance  est  absolument  nécessaire  à  chaque  particulier ,  ils 
ne  laissent  pas  par  un  autre  endroit  d'ébranler  le  fondement  de 
la  foi ^  en  te  soulevant  contre  l'Eglise,  et  en  attaquant  directe- 
ment un  article  du  Symbole  aussi  important  que  celui-  ci  :  Je  crois 
l'Eglise  catholique. 

S'il  faut  maintenant  venir  à  la  connoissance  nécessaire,  neces- 
sitate  medii ,  la  principale  de  ce  genre  est  celle  de  Jésus -Christ, 
puiscju'il  est  établi  de  Dieu  comme  Tunique  moyen  du  salut,  sans 
la  foi  du([uel  on  est  déjà  jugé  ^  et  la  colère  de  Dieu  demeure  sur 
nous.  Il  n'est  pas  dit  qu'elle  y  tombe  :  mais  qu'elle  y  demeure , 
parce  qu'étant,  comme  nous  le  sommes,  dans  une  juste  damna- 
tion par  notre  naissance.  Dieu  ne  fait  point  d'injustice  à  ceux 
qu'il  y  laisse.  C'est  peut-être  à  cet  égard  qu'il  est  écrit  :  «  Qui 
gnore  sera  ignoré*  :  »  et  quoi  qu'il  en  sôit,  qui  ne  connoît  Jésus- 
Christ  n'en  est  pas  connu  ;  et  il  est  de  ceux  à  qui  il  sera  dit  au 
jugement  :  «  Je  ne  vous  connois  pas  '■*.  » 

On  pourroit  ici  considérer  cette  parole  de  Notre-Seigneur  :  «  La 
vie  éternelle  est  de  vous  connoître,  vous  qui  êtes  le  seul  vrai 
Dieu,  et  Jésus-Christ  que  vous  avez  envoyé".  »  Cependant,  à 
parler  correctement,  il  semble  qu'on  ne  doit  pas  dire  que  la  con- 
noissance de  Dieu  soit  nécessaire,  necessitate  medii ,  mais  plutôt 
d'ime  nécessité  d'un  plus  haut  l'ang ,  necessitate  finis ,  parce  que 
Dieu  est  la  fin  unique  de  la  vie  humaine,  le  terme  de  notre  amour 
et  l'objet  où  consiste  le  salut  :  mais  ce  seroit  inutilement  que 
nous  nous  étendrions  ici  sur  cette  expression ,  puisqu'elle  ne  fait 
aucune  sorte  de  controverse  parmi  nous. 

Pour  le  livret  intitulé  :  Sccrctio ,  etc.,  il  est  très-bon  dans  le 
fond.  On  en  pourroit  retrancher  encore  quelques  articles  ;  il  y  en 
auroit  quelques  autres  à  éclaircir  un  peu  davantage.  Pour  en- 

>  Il  Thes^.,  m,  G.  —  2  J'iil.,  19.  —  »  Joan.,  m ,  18,  3G.  —  '*  I  Cor.,  xiv,  38.  — 
^ Matth.,  V!i,  liJ.  —  "  Joan..\\u,  3. 


BOSSUET  A  LEIBNIZ,  30  JANVIER  1700.  269 

Irer  dans  un  plus  grand  détail ,  il  faudroit  traiter  tous  les  ar- 
ticles de  controverse  ;  ce  que  je  pense  avoir  assez  fait  et  avec 
toutes  les  marques  d'approîjation  de  TEgiise  ,  dans  mon  livre  de 
V  Exposition. 

Je  me  suis  aussi  expliqué  sur  cette  matière  dans  ma  Réponse 
latine  à  M.  l'abbé  de  Lokkum.  Si  néanmoins  votre  sage  et  habile 
prince  souhaite  que  je  m'explique  plus  précisément,  j'embras- 
serai avec  joie  toutes  les  occasions  d'obéir  à  Son  Altesse  Séré- 
nissime. 

Rien  n'est  plus  digne  de  lui  que  de  travailler  à  guérir  la  plaie 
qu'a  faite  au  christianisme  le  schisme  du  dernier  siècle.  Il  trou- 
vera en  vous  un  digne  instrument  de  ses  intentions  ;  et  ce  que 
nous  avons  tous  à  faire  dans  ce  beau  travail  est,  en  fermant  cette 
plaie,  de  ne  donner  pas  occasion  au  temps  à  venir  d'en  rouvrir 
mie  plus  grande. 

J'avoue  au  reste  ,  Monsieur ,  ce  que  vous  dites  des  anciens 
exemplaires  grecs  sur  le  passage,  Très  stint,  etc.  :  mais  vous 
savez  aussi  bien  que  moi ,  que  l'article  contenu  dans  ce  passage 
ne  doit  pas  être  pour  cela  révoqué  en  doute ,  étant  d'ailleurs  établi 
non-seulement  par  la  tradition  des  églises  ,  mais  encore  par  l'E- 
criture très-évidemment.  Vous  savez  aussi,  sans  doute,  que  ce 
passage  se  trouve  reçu  dans  tout  l'Occident  ;  ce  qui  paroît  mani- 
feste ,  sans  même  remonter  plus  haut ,  par  la  production  qu'en 
fait  saint  Fulgence  dans  ses  Ecrits ,  et  même  dans  une  excellente 
Confession  de  foi  présentée  unanimement  au  roi  lîunéric  par 
toute  l'Eglise  d'Afrique.  Ce  témoignage  produit  par  un  aussi 
grand  théologien  et  par  cette  savante  église,  n'ayant  point  été 
reproché  par  les  hérétiques ,  et  au  contraire  étant  confirmé  par 
le  sang  de  tant  de  martyrs ,  et  encore  par  tant  de  miracles  dont 
cette  Confession  de  foi  fut  suivie,  est  une  démonstration  de  la  tra- 
dition, du  moins  de  toute  l'Eglise  d'Afrique,  l'une  des  plus  il- 
lustres du  monde.  On  trouve  même  dans  saint  Cyprien  imo  allu- 
sion manifeste  à  ce  passage ,  qui  a  passé  naturellement  dans  notre 
Vulfjate ,  et  confirme  la  tradition  de  tout  l'Occident.  Je  suis, 
Monsieur,  votre  très  humble  serviteur, 

J.  Bénigne,  év.  de  Meaux. 


270  LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 
LETTRE  XLY. 

L  E  1  B  M  Z      A      B  0  S  S  r  E  T. 
Wolfeubuttel,  30  aviU  1700. 

Monseigneur, 

Il  y  a  plus  de  deux  mois  que  j'ai  écrit  deux  lettres  très-amples 
pour  répondre  distinctement  à  deux  des  vôtres,  que  j'avois  eu 
l'honneur  de  recevoir  :  sur  ce  qui  est  de  foi  en  général ,  et  sur 
l'application  des  principes  généraux  à  la  question  particulière 
des  livres  canoniques  de  la  Bible.  J'avois  laissé  le  tout  alors  à 
Wolfenbuttel,  pour  être  mis  au  net  et  expédié  ;  mais  j'ai  trouvé 
en  y  arrivant  présentement,  que  la  personne  qui  s'en  étoit  char- 
gée ne  s'est  point  acquittée  de  sa  promesse.  C  est  ce  qui  me  fait 
prendre  la  plume  pour  vous  écrire  ceci  par  avance  et  pour  m'ex- 
cuser  de  ce  délai,  que  j'aurai  soin  de  réparer. 

Je  suis  fâché  cependant  de  ne  pouvoir  pas  vous  domier  cause 
gagnée ,  Monseigneur,  sans  blesser  ma  conscience  :  car  après 
avoir  examiné  la  matière  avec  attention,  il  me  paroît  incontes- 
table que  le  sentiment  de  saint  Jérôme  a  été  celui  de  toute  l'E- 
glise ,  jusqu'aux  innovations  modernes  qui  se  sont  laites  dans 
votre  parti ,  principalement  à  Trente  ;  et  que  les  papes  Innocent 
etGélase,  le  concile  de  Carthage  et  saint  Augustin  ont  pris  le 
terme  d'Ecritm'e  canonique  et  divine  largement,  pour  ce  que 
l'Eglise  a  autorisé  comme  conforme  aux  Ecritures  inspirées  ou 
immédiatement  divines  ;  et  ([u'on  ne  sauroit  les  expliquer  autre- 
ment, sans  les  faire  aller  contre  le  torrent  de  toute  l'antiquité 
chrétienne,  outre  que  saint  Augustin  favorise  lui-même  avec 
d'autres  cette  interprétation.  Ainsi  à  moins  qu'on  ne  donne  encore 
avec  quelques-uns  une  interprétation  de  pareille  nature  aux  pa- 
roles du  concile  de  Trente,  que  je  voudrois  bien  pouvoir  souffrir, 
la  conciliation  par  voie  d'exposition  cesse  ici  ;  et  je  ne  vois  pas 
moyen  d'excuser  ceux  qui  ont  dominé  dans  cette  assemblée ,  du 
blâme  d'avoir  osé  prononcer  analhème  contre  la  doctrine  de  toute 


LEIBNIZ  A  BOSSUET,  30  AVRIL  1700.  271 

Tancienne  Eglise.  Je  suis  bien  trompé  si  cela  passe  jamais ,  à 
moins  que  par  un  étrange  renversement  on  ne  retombe  dans  la 
barbarie,  ou  qu'un  terrible  jugement  de  Dieu  ne  fasse  régner 
dans  l'Eglise  quelque  chose  de  pire  que  l'ignorance  ;  car  la  vérité 
me  semble  ici  trop  claire,  je  Tavoue.  Il  me  paroit  fort  suppor- 
table qu'on  se  trompe  en  cela  à  Trente  ou  à  Rome,  pourvu  qu'on 
raye  les  anathématismes ,  qui  sont  la  plus  étrange  chose  du 
monde,  dans  un  cas  où  il  me  paroît  impossible  que  ceux  qui  ne 
sont  point  prévenus  très-fortement  se  puissent  rendre  de  bonne  foi. 

C'est  avec  cette  bonne  foi  et  ouverture  de  cœur  que  je  parle  ici. 
Monseigneur,  suivant  ma  conscience.  Si  l'affaire  étoit  d'une  autre 
nature,  je  ferois  gloire  de  vous  rendre  les  armes  ;  cela  me  seroit 
honorable  et  avantageux  de  toutes  les  manières.  Je  continuerai 
d'entrer  dans  le  détail  avec  toute  la  sincérité ,  application  et  doci- 
lité possibles  :  mais  en  cas  que,  procédant  avec  soin  et  ordre, 
nous  ne  trouvions  pas  le  moyen  de  convenir  sur  cet  article , 
quand  même  il  n'y  en  auroit  point  d'autre,  quoiqu'il  n'y  en  ait 
que  trop,  il  faudra  ou  renoncer  aux  pensées  iréniques  là-dessus, 
ou  recourir  à  la  voie  de  l'exemple  que  je  vous  ai  allégué  autre- 
fois, auquel  vous  n'avez  jamais  satisfait,  et  où  vous  n'avez  voulu 
venir  qu'après  avoir  épuisé  les  autres  moyens,  j'entends  ceux  de 
douceur  :  car  quant  aux  voies  de  fait  et  guerres,  je  suppose  que, 
suivant  le  véritable  esprit  du  christianisme,  vous  ne  les  conseil- 
leriez pas  ;  et  que  l'espérance  qu'on  peut  avoir  dans  votre  parti 
de  réussir  un  jour  par  ces  voies ,  laquelle ,  quelque  spécieuse 
qu'elle  soit,  peut  tromper,  ne  sera  pas  ce  qui  vous  empêchera  de 
donner  les  mains  à  tout  ce  qui  paroitra  le  plus  propre  à  refermer 
la  plaie  de  l'Eglise. 

Monseigneiu"  le  Duc  a  pris  garde  à  un  endroit  de  votre  lettre, 
où  vous  dites  que  cela  ne  se  doit  point  faire  d'une  manière  où  il 
y  ait  danger  ;  que  cette  plaie  se  pourroit  rouvrir  davantage ,  et 
devenir  pire  :  mais  il  n'a  point  compris  en  quoi  consiste  ce  dan- 
ger, et  il  a  souhaité  de  le  pouvoir  comprendre  ;  car,  non  plus  que 
vous,  nous  ne  voulons  pas  des  cures  palhatives  qui  fassent  em- 
pirer le  mal.  Je  suis  avec  zèle.  Monseigneur,  vôtres  très-humble 
et  très-obéissant  serviteur,  Leibniz. 


272  LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE 
LETTRE    XLVI. 

BOSSUET   A   LEIBNIZ. 
A   Versailles,  ce    1"  juiii   1700. 

Monsieur, 

Votre  lettre  du  30  avril  ma  tiré  de  peine  sur  les  deux  miennes, 
en  m'apprenant  non-seulement  que  vous  les  avez  reçues,  mais  en- 
core que  vous  avez  pris  la  peine  d'y  répondre,  et  que  je  puis  es- 
pérer bientôt  cette  réponse.  Il  ne  serviroit  de  rien  de  la  prévenir  ; 
et  encore  (jue  dès  à  présent  je  pusse  peut-être  vous  expliquer 
l'équivoque  du  mot  de  canonique ,  qui  à  la  fm  se  tournera  contre 
vous,  il  vaut  mieux  attendre  que  vous  ayez  traité  à  fond  ce  que 
vous  n'avez  dit  encore  qu'en  passant.  Mais  je  ne  puis  tarder  à 
vous  expliquer  l'endroit  de  ma  lettre  sur  lequel  Monseigneur  le 
Duc  veut  être  éclairci.  J'ai  donc  dit  que  l'on  tenteroit  vainement 
des  pacifications  suiilcs  controverses,  en  présupposant  qu'il  fallût 
changer  quoique  chose  dans  aucun  des  jugemens  portés  par  l'E- 
glise. Car  comme  nos  successeurs  croiroient  avoir  le  même  droit 
de  changer  ce  que  nous  ferions,  que  nous  aurions  eu  de  changer 
ce  que  nos  ancêtres  auroient  fait ,  il  arriveroit  nécessairement 
qu'en  pensant  fermer  une  plaie ,  nous  en  rouvririons  une  plus 
grande.  Ainsi  la  religion  n'auioit  rien  de  ferme  ;  et  tous  ceux 
qui  en  aiment  la  stabilité  doivent  poser  avec  nous  pom'  fonde- 
ment, que  les  décisions  de  l'Eglise,  une  fois  données,  sont  in- 
failhbles  et  inaltéral)les.  Voilà,  Monsieur,  ce  que  j'ai  dit  et  ce 
qui  est  très-vérital)l(^  Au  reste  à  Dieu  ne  plaise  que  je  sois  ca- 
pable de  compter  la  guerre  parmi  les  moyens  de  finir  le  schisme  : 
à  Dieu  ne  plaise ,  encore  un  coup ,  qu'une  telle  pensée  ait  pu 
m'entrer  dans  l'esprit ,  et  je  ne  sais  à  quel  propos  vous  m'en 
parlez. 

Quant  à  l'endroit  où  vous  dites  que  je  n'ai  pas  répondu  ou  que 
j'ai  différé  de  répondre,  j'avoue  que  je  ne  l'entends  pas;  je  soup- 
çonne seulement  que  vous  voulez  parler  d'un  acte  du  concile 


LEIBNIZ  A  BOSSUET,  14  MAI  1700.  273 

de  Bàlo,  que  vous  m'avez  autrefois  envoyé.  Mais  assurément  j'y 
ai  répondu  si  démonstrativement  dans  mon  Ecrit  à  M.  l'abbé 
de  Lokkum,  que  je  n'ai  rien  à  y  ajouter.  Je  vous  supplie  donc, 
Monsieiu-,  encore  un  coup ,  comme  je  crois  l'avoir  déjà  fait,  de 
repasser  sur  cette  réponse,  si  vous  l'avez,  et  de  marquer  les  en- 
di'oits  où  vous  croyez  que  je  n'aie  pas  répondu,  afin  que  je  tâche 
de  vous  satisfaire,  ne  désirant  rien  tant  au  monde  que  de  conten- 
ter ceux  qui  cherchent  le  royaume  de  Dieu. 

Permettez -moi  de  vous  prier  encore  une  fois,  en  finissant  cette 
lettre,  d'examiner  sérieusement  devant  Dieu  si  vous  avez  quelque 
bon  moyen  d'empêcher  Tétat  de  l'Eglise  de  devenir  éterneUement 
variable  ,  en  présupposant  qu'elle  peut  errer  et  changer  ses  dé- 
crets sur  la  foi.  Trouvez  bon  que  je  ^  ous  envoie  une  Instruction 
pastorale  que  je  viens  de  publier  sur  ce  sujet-Là  [a]  ;  et  si  vous  la 
jugez  digne  d'être  présentée  à  votre  grand  et  habile  prince,  je  me 
donnerai  l'honneur  de  lui  en  fah^e  le  présent  dans  les  formes,  avec 
tout  le  respect  qui  lui  est  dû.  J'espère  que  la  lecture  ne  lui  en  sera 
pas  désagréable,  ni  à  vous  aussi  :  puisque  cet  Ecrit  comprend  la 
plus  pure  tradition  du  christianisme  sur  les  promesses  de  1  Eglise. 
Continuez-moi  l'honnem*  de  votre  amitié,  comme  je  suis  de  mon 
côté  avec  toute  sorte  d'estime ,  Monsieur,  votre  très-humble  ser- 
viteur, 

J.  Bénigne,  évéque  de  Meaux. 

LETTRE    XLYII. 

LEIBNIZ  A  BOSSUET. 
A    Wolfenbuttel  ,   ce    14    mai   1700. 

Monseigneur, 

Yos  deux  grandes  et  belles  lettres  n'étant  pas  tant  pour  moi  que 
pour  Monseignem"  le  duc  Antoine  Ulric,  je  n'ai  point  manqué  d'en 
faire  rapport  à  Son  Altesse  Sérénissime,  qui  même  a  eu  la  satis- 
faction de  les  lire.  Il  vous  en  est  fort  obhgé  ;  et  comme  il  honore 

(«)  première  histruction  pastorale  sur  les  pi'omesses  de  l'Eglise. 

TOU.    XVUI.  18 


274  LETTRES  SUR  LA  REUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

extrêmement  votre  mérite  émment ,  il  en  attend  aussi  beaucoup 
pour  le  bien  de  la  chi'étienté,  jugeant  sur  ce  qu  il  a  appris  de 
votre  réputation  et  autorité  que  vous  y  pourriez  le  plus  contri- 
buer. 11  seroit  fâché  de  vous  avoir  donné  de  la  peine ,  s'il  ne  se 
félicitoit  de  vous  avoii'  donné  en  même  temps  Foccasion  d'employer 
de  nouveau  vos  grands  talens  à  ce  qu'il  croit  le  plus  utile  et  même 
très-conforme  à  la  volonté  du  Roi,  suivant  ce  que  M.  le  marquis 
de  Torcy  avoit  fait  connoître. 

Comme  vous  entrez  dans  le  détail,  j'avois  supplié  ce  prince  de 
charger  un  théologien  de  la  discussion  des  points  qui  le  de- 
mandent :  mais  il  a  eu  ses  raisons  pour  vouloir  que  je  continuasse 
de  vous  proposer  les  considérations  qui  se  présenteroient,  et  dont 
une  bonne  partie  a  été  fournie  pai*  Son  Altesse  même  :  et  pour  moi, 
j'ai  tâché  d'expliquer  et  de  fortifier  ses  sentimens  par  des  autori- 
tés incontestables. 

11  trouve  fort  bon  que  ^  ous  ayez  choisi  une  controverse  parti- 
culière, agitée  entre  les  tridentins  et  les  protestans  :  car  sil  se 
trouve  un  seul  point,  tel  que  celui  dont  il  s'agit  ici,  où  il  est  visible 
que  nous  avons  contre  certains  anathématismes  prononcés  chez 
vous  des  raisons  qui ,  après  un  examen  fait  avec  soin  et  avec  sin- 
cérité, nous  paroissent  invincibles;  on  est  obhgé  chez  vous,  sui- 
vant le  droit  et  suivant  les  exemples  pratiqués  autrefois,  de  les 
suspendre  à  l'égard  de  ceux  qui  ne  s'éloignent  point  pour  cela  de 
l'obéissance  due  à  l'Eglise  catholique. 

I.  Mais  pour  venir  au  détail  de  vos  lettres,  dont  la  première  donne 
les  principes  qui  peuvent  servira  distinguer  ce  qui  est  de  foi  de  ce 
([ui  ne  l'est  pas,  et  dont  la  seconde  explique  les  degrés  de  ce  qui  est 
de  foi  :  je  m'arrêterai  principalement  à  la  première,  où  vous  ac- 
cordez d'abord,  Monseigneur,  que  Dieu  ne  révèle  point  de  nou- 
velles vérités  qui  a  partiennent  à  la  foi  catholique  ;  que  la  lègle 
de  la  perpétuité  est  aussi  celle  de  la  cathohcité  ;  que  les  concdes 
œcuméniques  ne  proposent  point  de  nouveaux  dogmes;  enfui  que 
la  règle  infaillible  des  vérités  de  la  foi  est  le  consentement  unanime 
et  perpétuel  de  toute  l'Eglise.  J'avois  dit  que  les  protestans  ne 
reconnoissent  pour  un  article  de  la  foi  chrétienne  que  ce  que  Dieu 
a  révélé  d'abord  par  Jésus-Christ  et  ses  apôtres;  et  je  suis  bien 


LEIBNIZ  A  BOSSUET,  14  MAI  1700.  275 

aise  d'apprendre  par  votre  déclaration^  que  ce  sentiment  est  encore 
ou  doit  être  celui  de  votre  communion. 

II.  J'avoue  cependant  que  l'opinion  contraire,  ce  semble,  d'une 
infinité  de  vos  docteurs ,  me  fait  de  la  peine  :  car  on  voit  que, 
selon  eux,  l'analyse  de  la  foi  revient  à  l'assistance  du  Saint- 
Esprit,  qui  autorise  les  décisions  de  l'Eglise  universelle;  ce  qui 
étant  posé,  l'ancienneté  n'est  point  nécessaire,  et  encore  moins  la 
perpétuité. 

III.  Le  concile  de  Trente  ne  dit  pas  aussi  qu'elles  sont  nécessaires, 
quoiqu'il  dise,  sur  quelques  dogmes  particuliers,  que  l'Eglise  l'a 
toujours  entendu  ainsi  ;  car  cela  ne  tire  point  à  conséquence  pour 
tous  les  autres  dogmes. 

IV.  Encore  depuis  peu  Georges  Bullus,  savant  prêtre  de  l'Eglise 
anglicane,  ayant  accusé  le  Père  Pétau  d'avoir  attribué  aux  Pères 
de  la  primitive  Eglise  des  erreurs  sur  la  Trinité ,  pour  autoriser 
davantage  les  conciles  à  pouvoir  établir  et  manifester,  constituere 
et  patefacere ,  de  nouveaux  dogmes  ;  le  cm'ateur  de  la  dernière 
édition  des  Dogmes  Théologiques  de  ce  Père,  qui  est  apparemment 
de  la  même  société,  répond  dans  la  préface  :  Est  quidcm  hoc  dogma 
catholicœ  rationis ,  ah  Ecclesiâ  constitui  Fidei  capita;  sedprop- 
tereà  minime  sequitur  Petavium  malis  artihus  ad  id  confirman- 
dum,  usum. 

V.  Ainsi  le  Père  Grégoire  de  Valentia  a  bien  des  approbateui-s 
de  son  Analyse  de  la  foi;  et  je  ne  sais  si  le  sentiment  du  cardinal 
du  Perron ,  que  vous  lui  opposez ,  prévaudra  à  celui  de  tant, 
d'autres  docteurs.  Le  cardinal  d'ailleurs  n'est  pas  toujours  bien 
sur ,  et  je  doute  que  l'Eglise  de  France  d'aujoiu-d'hui  approuve  la 
harangue  qu'il  prononça  dans  l'assemblée  des  Etats  im  peu  après 
la  mort  de  Henri  IV,  et  qu'il  n'auroit  osé  prononcer  dans  un  autre 
temps  que  celui  d'une  minorité;  car  il  passe  poi^r  mi  peu  poli- 
tique en  matière  de  foi. 

VI.  De  plus,  suivant  votre  maxime,  il  ne  seroit  pas  dans  le  pou- 
voir du  Pape  ni  de  toute  l'Eglise,  de  décider  la  question  de  la  con- 
ception immaculée  de  la  sainte  Vierge.  Cependant  le  concile  de 
Bàle  entreprit  de  le  faire  :  et  il  n'y  a  pas  encore  longtemps  qu'un 
roi  d'Espagne  envoya  exprès  au  Pape  pour  le  solliciter  à  donner 


276  LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

une  décision  là-dessus  ;  ce  qu'on  entendoit  sans  doute  sous  ana- 
thènie.  On  croyoit  donc  en  Espagne  que  cela  n'excède  point  le 
pouvoir  de  l'Eglise.  Le  relus  aussi,  ou  le  délai  du  Pape,  n'étoit 
pas  fondé  sur  son  impuissance  d'établir  de  nouveaux  articles 
de  foi. 

Yll.  J'en  dirai  autant  de  la  question  De  auxiliis  grotke,  qu'on 
dit  que  le  pape  Clément  Vlll  avoit  dessein  de  décider  pour  les 
thomistes  contre  les  molinistes  ;  mais  la  mort  l'en  ayant  empêché, 
ses  successeurs  trouvèrent  plus  à  propos  de  laisser  la  chose  en 
su.-pens. 

Vill.  11  semble  que  vous-même,  Monseigneur,  laissez  quelque 
porte  de  derrière  ouverte,  en  disant  (]ue  les  conciles  œcuméni(iues, 
lorsqu'ils  décident  quelque  vérité ,  ne  proposent  point  de  nou- 
veaux dogmes ,  mais  ne  font  que  déclarer  ceux  qui  ont  toujours 
été  crus  et  les  expliquer  seulement  en  termes  plus  clairs  et  plus 
précis.  Car  si  la  déclaration  contient  quelque  proposition  qui  ne 
peut  pas  être  tirée,  par  une  conséquence  légitime  et  certaine,  de 
ce  qui  étoit  déjà  reçu  auparavant,  et  par  conséquent  n'y  est  point 
comprise  virluellement;  il  faudra  avouer  que  la  décision  nouvelle 
élal)lit  en  ellet  un  artich!  nouveau,  quoiqu'on  veuille  couvrir  la 
chose  sous  le  nom  de  déclaration. 

IX.  C'est  ainsi  (pic  la  décision  contre  les  monothélites  établissoit 
en  effet  un  article  nouveau,  connue  je  crois  l'avoir  manfué  autre- 
fois; et  c'est  ainsi  quelatranssTibstantiation  a  été  décidée  bien  tard 
dans  l'Eglise  d'Occident ,  quoique  cette  manière  de  la  présence 
réelle  et  du  changement  ne  fût  pas  une  conséfpience  nécessaire  de 
ce  que  l'Eglise  avoit  toujours  cru  auparavant. 

X.  11  y  a  encore  ime  autre  difficulté,  sur  ce  cpie  c'est  que  d'avoir 
été  cru  auparavant.  Car  voulez- vous,  Monseigneur,  ([u'il  suffise 
que  le  dogme  que  l'Eglise  déclare  être  véritable  et  de  foi  ait  été 
cru  en  un  temps  par  quelques-uns ,  quels  qu'ils  puissent  être, 
c'est-à-dire  par  un  petit  nombre  de  personnes  et  par  des  gens  peu 
considérés  ;  ou  bien  faut-il  qu'il  ait  toujours  été  cru  par  le  plus 
grand  nombre,  ou  par  les  plus  accrédités?  Si  vous  voulez  le  pre- 
mier, il  n'y  aura  guère  d'opinion  qui  n'ait  toujours  eu  quelques 
sectateurs  ,  et  qui  ne  puisse  ainsi  s'attribuer  une  manière  d'an- 


LEIBNIZ  A  BOSSUET,  14  MAI  1700.  277 

cicnneté  et  de  perpétuité  ;  et  par  conséquent  cette  marque  de  la 
vérité,  qu'on  fait  tant  valoir  chez  vous,  sera  fort  affaiblie. 

XI.  Mais  si  vous  voulez  que  l'Eglise  ne  manque  jamais  de  pro- 
noncer pour  l'opinion  qui  a  toujours  été  la  plus  commune  ou  la 
plus  accréditée,  vous  aurez  de  la  peine  à  justifier  ce  sentiment  par 
les  exemples.  Car  outre  qu'il  y  a  opiniones  communes  contra 
communes,  et  que  souvent  le  grand  nombre  et  les  personnes  les 
plus  accréditées  ne  s'accordent  pas,  le  mal  est  que  des  opinions 
qui  étoient  commîmes  et  accréditées,  cessent  de  l'être  avec  le 
temps,  et  celles  qui  nel'étoient  pas  le  deviennent.  Ainsi  quoiqu'il 
arrive  naturellement  qu'on  prononce  pour  l'opinion  qui  est  la 
plus  en  vogue,  lorsqu'on  prononce  néanmoins  il  arrive  ordinaire- 
ment que  ce  qui  est  eudoxe  dans  un  temps  étoit  paradoxe  aupa- 
ravant, et  vice  versa. 

XÏI.  Comme,  par  exemple,  le  règne  de  mille  ans.  étoit  en  vogue 
dans  la  primitive  Eglise,  et  maintenant  il  est  rebuté.  On  croit 
maintenant  que  les  anges  sont  sans  corps,  au  lieu  que  les  anciens 
Pères  leur  donnoient  des  corps  animés,  mais  plus  parfaits  que  les 
nôtres.  On  ne  croyoit  pas  que  les  âmes  qui  doivent  être  sauvées 
parviennent  sitôt  à  la  parfaite  béatitude  ;  sans  parler  de  cjuantité 
d'autres  exemples. 

XIII.  D'où  il  s'ensuit  que  l'Eglise  ne  sauroit  prononcer  en  fa- 
veur de  l'incorporalité  des  anges,  ou  de  ([uelque  autre  opinion 
seml)lable  ;  ou  si  elle  le  faisoit ,  cela  ne  s'accorderoit  pas  avec  la 
règle  de  la  perpétuité,  ni  avec  celle  de  Vincent  de  Lérins,  du  sem- 
per  et  uhkiue,  ni  avec  votre  règle  des  vérités  de  foi ,  cuie  vous 
dites  être  le  consentement  unanime  et  perpétuel  de  toute  l'Eglise, 
soit  assemblée  en  concile,  soit  dispersée  par  toute  la  terre.  En 
effet  cela  est  beau  et  magnifique  à  dire ,  tant  qu'on  demeure  en 
termes  généraux;  mais  quand  on  vient  au  fait,  on  se  trouve 
loin  de  son  conqite,  comme  il  paroîtra  dans  l'exemple  de  la  con- 
troverse des  livres  canoniques. 

XIV.  Enfin  on  peut  demander  si  pour  décider  qu'une  doctrine 
est  de  foi,  il  suffit  qu'elle  ait  été  simplement  crue  ou  reçue  aupa- 
ravant, et  s'il  ne  faut  pas  aussi  qu'elle  ait  été  reçue  comme  de 
foi.  Car  à  moins  qu'on  ne  veuille  se  fonder  sur  de  nouvelles  ré- 


278  LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

vélations,  il  semble  que  pour  faire  qu'une  doctrine  soit  un  article 
de  foi,  il  faut  que  Dieu  l'ait  révélée  comme  telle,  et  que  l'Eglise 
dépositaire  de  ses  révélations,  l'ait  toujours  reçue  comme  étant 
partie  de  la  foi,  puisqu'on  ne  pourroit  savoir  que  par  révélation 
si  une  doctrine  est  de  foi  ou  non. 

XV.  Ainsi  U  ne  semble  pas  qu'une  opinion  qui  a  passé  pour 
philosophique  auparavant,  quelque  reçue  qu'elle  ait  été,  puisse 
être  proposée  légitimement  sous  anathème  ;  comme,  par  exemple, 
si  quelque  concile  s'avisoit  de  prononcer  pour  le  repos  de  la  terre 
contre  Copernic,  il  semble  qu'on  auroit  droit  de  ne  lui  point 
obéir. 

XVI.  Et  il  paroit  encore  moins  qu'une  opinion  qui  a  passé 
longtemps  pour  problématique  ,  puisse  enûn  devenir  un  article 
de  foi  par  la  seule  autorité  de  l'Eglise ,  à  moins  qu'on  ne  lui  at- 
tribue une  nouvelle  révélation  en  vertu  de  lassistance  infaillible 
du  Saint-Esprit  :  autrement  l'Eglise  auroit  d'elle-même  un  pou- 
voir sur  ce  qui  est  de  droit  divin. 

XVII.  Mais  si  nous  refusons  à  l'Eglise  la  faculté  de  changer  en 
article  de  foi  ce  qui  passoit  pour  philosophique  ou  problématique 
auparavant,  plusieurs  décisions  de  Trente  doivent  tomber,  quand 
même  on  accorderoit  que  ce  concile  est  tel  qu'il  faut  ;  ce  qui  va 
paroître  particulièrement ,  à  mon  avis ,  à  l'égard  des  livres  que 
ce  concile  a  déclarés  canoniques  contre  le  sentiment  de  l'ancienne 
Eghse. 

XVIII.  Venons  donc  maintenant  à  l'exameu  de  la  question  de 
ces  Livres  de  la  Bible ,  contredits  de  tout  temps  ,  à  qui  le  concile 
de  Trente  donne  une  autorité  divine,  comme  s'ils  avoient  été 
dictés  mot  à  mot  par  le  Saint-Esprit,  à  l'égal  du  Pentatcuque, 
des  Evangiles  et  autres  livres  recomius  pour  canoniques  du  pre- 
mier rang,  ou  protocanoniques;  au  lieu  que  les  protestans 
tiennent  ces  livres  contestés  pour  bons  et  utiles,  mais  pour  ecclé- 
siastiques seulement;  c'est-à-dire  dont  l'autorité  est  purement 
humaine,  et  nullement  infaillible. 

XIX.  J'étois  surpris,  Monseignem',  de  vous  voir  dire  que  je 
verrois  cette  question  clairement  résolue  par  des  faits  incontes- 
tables en  faveur  de  votre  doctrine  ;  et  je  fus  encore  plus  surpris 


LEIBNIZ  A  BOSSUET,  14  MAI  1700.  279 

en  lisant  la  suite  de  votre  lettre  :  car  j'étois  comme  enchanté 
pendant  la  lecture  ;  et  vos  expressions  et  manières  belles  ,  fortes 
et  plausibles^  s'emparoient  de  mon  esprit.  Mais  quand  le  charme 
de  la  lecture  étoit  passé,  et  quand  je  comparois  de  sang-froid  les 
raisons  et  autorités  de  part  et  d'autre,  il  me  semble  que  je  voyois 
clair  comme  le  jour,  non-seulement  que  la  canonicité  des  livres 
en  question  n'a  jamais  passé  pour  article  de  foi  ;  mais  plutôt  que 
Fopinion  commune,  et  celle  encore  des  plus  habiles^  a  été  tou- 
jours à  rencontre. 

XX.  Il  y  a  même  peu  de  dogmes  si  approuvés  de  tout  temps 
dans  l'Eglise  que  celui  des  protestans  sur  ce  point  ;  et  l'on  pour- 
roit  écrire  en  sa  faveur  un  livre  de  la  perpétuité  de  la  foi  à  cet 
égard,  qui  seroit  surtout  incontestable  par  rapport  à  l'Eglise 
grecque,  depuis  l'Eglise  primitive  jusqu'au  temps  présent  :  mais 
on  la  peut  encore  prouver  dans  l'Eglise  latine. 

XXI.  J'avoue  que  cette  évidence  me  fait  de  la  peine  ,  car  il  me 
seroit  véritablement  glorieux  d'être  vaincu ,  IMonseigneur,  par 
une  personne  comme  vous  êtes.  Ainsi  si  j'avois  les  vues  du 
monde  et  cette  vanité  qui  y  est  jointe,  je  profiterois  d'une  défaite 
qui  me  seroit  avantageuse  de  toutes  les  manières  ;  et  l'on  ne  me 
diroit  pas  pour  la  troisième  fois  :  jEneœ  magni  dextrà  cadis.  Mais 
le  moyen  de  le  faire  ici  sans  blesser  sa  conscience,  outre  que  je 
suis  interprète  en  partie  des  sentimens  d'un  grand  prince  ?  Je 
suivrai  donc  les  vingt- (juatre  paragraphes  de  votre  première 
lettre,  (jui  regardent  ce  sujet;  et  puis  j'y  ajouterai  quelque  chose 
du  mien,  quoique  je  ne  me  fonde  que  sur  des  autorités  que  Chem- 
nice,  Gérard,  Calixte,  Rainold  et  autres  théologiens  protestans 
ont  déjà  apportées,  dont  j'ai  choisi  celles  que  j'ai  crues  les  plus 
efficaces. 

XXII.  Comme  il  ne  s'agit  que  des  livres  de  l'Ancien  Testament, 
qu'on  n'a  point  en  langue  originale  hébraïque  et  qui  ne  se  sont 
jamais  trouvés  dans  le  canon  des  Hébreux,  je  ne  parlerai  point 
des  livres  reçus  également  chez  vous  et  chez  nous.  J'accorde  donc 
que,  suivant  votre  §  1,  les  livres  en  question  ne  sont  point  nou- 
veaux, et  qu'ils  ont  toujours  été  connus  et  lus  dans  l'Eglise  chré- 
tienne, suivant  les  titres  (qu'ils  portent;  et  §  2,  que  particuhère- 


280    LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

ment  la  Sagesse,  V Ecclésiastique,  Judith,  Tobie  et  les  Machabées 
ont  précédé  la  naissance  de  Notre- Seigneui\ 

'  XXIIl.  Mais  je  n'accorde  pas  ce  qui  est  dans  le  §  3,  que  le  con- 
cile de  Trente  les  a  trouvés  dans  le  canon,  ce  mot  pris  en  rigueur 
depuis  douze  cents  ans.  Et  quant  à  la  preuve  contenue  dans  le 
§  -4,  je  crois  que  je  ferai  voir  clairement  ci-dessous  que  le  con- 
cile III  de  (larthage,  saint  Augustin  qui  y  a  été  présent,  à  ce 
qu'on  croit,  et  quelques  autres,  qui  ont  parlé  quelquefois  comme 
eux  et  après  eux,  se  sont  servis  des  mots  canoniques  et.  divins 
d'mie  manière  plus  générale  et  dans  une  signification  fort  infé- 
rieure, preucUit  canonique  pour  ce  que  les  canons  de  TEglise 
autorisent ,  et  qui  est  opposé  à  Y  apocryphe  ou  cachée  pris  dans 
un  mauvais  sens;  et  divin,  pour  ce  qui  contient  des  instructions 
excellentes  sur  les  choses  divines,  et  qui  est  reconnu  conforme 
aux  livres  immédiatement  divins. 

XXIV.  Et  puisque  le  même  saint  Augustin  s'explique  fort  net- 
tement en  d'autres  endroits,  où  il  marque  précisément  après  tant 
d'autres  l'infériorité  de  ces  livres,  je  crois  que  les  règles  de  la 
bonne  interprétation  demandent  que  les  passages  où  l'on  parle 
d'une  manière  plus  vague,  soient  expliqués  par  ceux  où  l'auteur 
s'explique  avec  distinction. 

XXY.  On  doit  donner  la  même  interprétation ,  §  5,  à  la  lettre 
du  pape  Innocent  I,  écrite  à  Exupère  évêque  de  Toulouse,  en  405, 
et  au  décret  du  pape  Gélase  ;  Lnu'  Init  ayant  été  de  marquer  les 
livres  autorisés  ou  canoniques,  pris  largement  ou  opposés  aux 
apocryphes,  pris  en  un  mauvais  sens,  puisque  ces  livres  auto- 
risés se  trou  voient  joints  aux  livres  véritablement  divins,  et  se 
lisoient  aussi  avec  eux. 

XXVI.  Cependant  ces  autem's  ou  canons  n'ont  point  marqué  ni 
pu  marquer  en  aucune  manière  contre  le  sentiment  reçu  alors 
dans  l'Eglise,  que  les  livTCs  contestés  sont  égaux  à  ceux  qui  sont 
incontestablement  canoniques,  ou  du  premier  degré  ;  et  ils  n'ont 
point  parlé  de  cette  infaiUibilité  de  l'inspiration  divine,  que  les 
Pères  de  Trente  se  sont  hasardés  d'attribuer  à  tous  les  livres  de 
la  Bible,  en  haine  seulement  des  protestans  et  contre  la  doctrine 
constante  de  l'Eglise. 


LEIBNIZ  A  BOSSUET,  14  MAI  1700.  281 

XXVII.  On  voit  en  cela^,  par  un  liel  échantillon,  comment  les 
erreurs  prennent  racine  et  se  glissent  dans  les  esprits.  On  change 
premièrement  les  termes  par  une  facilité  innocente  en  elle-même, 
mais  dangereuse  par  la  suite  ;  et  enfin  on  abuse  de  ces  termes 
pour  changer  même  les  sentimens,  lorsque  les  erreurs  favorisent 
les  penchans  populaires ,  et  que  d'autres  passions  y  conspirent, 

XXVIII.  Je  ne  sais  si/avec  le  §  6,  on  peut  dire  que  les  Eglises 
de  Rome  et  d'Afrique ,  favorables  en  apparence,  comme  on  vient 
d'entendre,  aux  livres  contestés,  étoient  censées  du  temps  de 
saint  Augustin ,  doctiores  et  diligcMtiores  Ecclesiœ  ;  et  que  saint 
Augustin  les  a  eues  en  vue,  livre  II,  chapitre  xv,  de  Doctrmâ 
ehristianâ,  en  disant  que,  lorsqu'il  s'agit  d'estimer  l'autorité  des 
Livres  sacrés ,  il  faut  préférer  ceux  qui  sont  approuvés  par  les 
églises  où  il  y  a  plus  de  doctrine  et  plus  d'exactitude. 

XXIX.  Car  les  Africains  étoient  à  l'extrémité  de  l'Empire,  et 
n'avoient  leur  doctrine  ou  érudition  que  des  Latins,  qui  ne  l'a- 
voient  eux-mêmes  que  des  Grecs.  Ainsi  on  peut  bien  assurer  que 
doctiores  Ecclesiœ  n'étoient  pas  la  romaine  ni  les  autres  églises 
occidentales,  et  encore  moins  celles  d'Afrique. 

XXX.  L'on  sait  que  les  Pères  latins  de  ce  temps  n'étoient  ordi- 
nairement que  des  copistes  des  auteurs  grecs,  surtout  quand  il 
s'agissoit  de  la  sainte  Ecriture.  Il  n'y  a  eu  que  saint  Jérôme  et 
saint  Augustin  à  la  fm,  qui  aient  mérité  d'être  exceptés  de  la 
règle,  l'un  par  son  érudition,  l'autre  par  son  esprit  pénétrant, 

XXXI.  Ainsi  l'Eglise  grecque  l'emportoit  sans  doute  du  côté  de 
l'érudition;  et  je  ne  crois  pas  non  plus  que  l'Eghse  romaine  de 
ce  temps-là  puisse  être  comptée  intei'  ecclesias  diligentiores.  Le 
faste  mondain,  typhus  sœeuli,  le  luxe  et  la  vanité  y  ont  régné  de 
bonne  heure,  comme  l'on  voit  par  le  témoignage  d'Ammien 
Marcellin,  païen,  qui  en  blâmant  ce  qui  se  faisoit  alors  à  Rome, 
rend  en  même  temps  un  bon  témoignage  aux  églises  éloignées 
des  grandes  villes  ;  ce  qui  marque  son  équité  sur  ce  point. 

XXXil.  Cette  vanité,  jointe  au  mépris  des  études,  excepté  celle 
de  l'éloquence,  n'étoit  guère  propre  à  rendre  les  gens  diligens 
et  industrieux.  Il  n'y  a  presque  point  d'auteur  latin  d'alors  qui 
ait  écrit  quelque  chose  de  tolérable  sur  les  sciences ,  smiout  de 


282  LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

son  chef.  La  jurisprudence  même,  qui  étoit  la  véritable  science 
des  Romains,  et  presque  la  seule ,  avec  ceUe  de  la  guerre,  où  ils 
aient  excellé  suivant  le  bon  mot  de  Virgile  : 

Tu  regere  imperio  populos,  Romane,  mémento  : 
H  £6  tibi  erunt  artes  i, 

étoit  tombée,  aussi  bien  que  l'art  militaire,  avec  la  translation  du 
siège  de  TEmpire.  On  négligeoit  à  Rome  l'histoire  ecclésiastique 
et  les  anciens  monumens  de  l'Eglise  ;  et  sans  Eusèbe  et  quelques 
autres  Grecs,  nous  n'en  aurions  presque  rien.  Ainsi  avant  l'ir- 
ruption des  Barbares ,  la  barbarie  étoit  à  demi  formée  dans  l'Oc- 
cident. 

XXXIII.  Cette  ignorance ,  jointe  à  la  vanité ,  faisoit  que  la  su- 
perstition ,  vice  des  femmes  et  des  riches  ignorans ,  aussi  bien 
que  la  vanité,-  prenoit  peu  à  peu  le  dessus  ,  et  qu'on  donna  par 
après,  en  Italie  principalement ,  dans  les  excès  sm^  le  culte  sur- 
tout des  images ,  lorsque  la  Grèce  balançoit  encore ,  et  que  les 
Gaules,  la  Germanie  et  la  Grande-Bretagne  étoient  plus  exemptes 
de  cette  corruption.  On  reçut  la  mauvaise  marchandise  d'un  Isi- 
dorus  Mercator  ;  et  l'on  tomba  enfin  en  Occident  dans  une  bar- 
barie de  théologie,  pire  que  la  barbarie  qui  y  étoit  déjà  à  l'égard 
des  mœurs  et  des  arts. 

XXXIV.  Encore  présentement,  s'il  s'agissoit  de  marquer  dans 
votre  communion ,  ecclesias  doctiores  et  diUgentiores,  il  faudroit 
nommer  sans  doute  celles  de  France  et  des  Pays-Bas,  et  non  pas 
celles  d'Italie  ;  tant  il  est  vrai  qu'on  s'étoit  relâché  depuis  long- 
temps à  Rome  et  aux  environs  à  l'égard  de  l'érudition  et  de  l'ap- 
plication aux  vérités  solides.  Ce  défaut  des  Romains  n'empêche 
point  cependant  que  cette  capitale  n'ait  eu  la  primatie  et  la  di- 
rection dans  l'Eglise,  après  celle  qu'elle  avait  eue  dans  l'Empire. 
L'érudition  et  l'autorité  sont  des  choses  qui  ne  se  trouvent  pas 
toujours  jointes,  non  plus  que  la  fortune  et  le  mérite. 

XXXV.  Mais  quand  on  accorderoit  que  saint  Augustin  avoit 
voulu  parler  des  Eglises  de  Rome  et  d'Afrique,  j'ai  déjà  fait  voir 
que  ces  églises  ne  nous  étoient  pas  contraires  ;  et  de  plus,  saint 

1  Mneid.,  lib.  VI,  vers.  851,  852. 


LEIBNIZ  A  BOSSUET,  14  MAI  1700.  283 

Augustin  ne  parloit  pas  alors  des  livres  véritablement  canoniques, 
dont  l'autorité  ne  dépend  pas  de  si  foibles  preuves. 

XXXVI.  Pour  ce  qui  est  dit  de  l'autorité  de  saint  Augustin, 
§  7,  j'ai  déjà  répondu,  comme  aussi  au  texte  du  concile  de  Car- 
tilage ,  §  8  :  mais  je  le  ferai  encore  plus  distinctement  en  son  lieu, 
c'est-à-dire  dans  la  lettre  suivante.  Il  est  vrai  aussi,  §9,  que 
saint  Augustin  ayant  cité  contre  les  pélagiens  ce  passage  de  la 
Sagesse  :  «  Il  a  été  enlevé  de  la  vie ,  de  crainte  que  la  malice  ne 
corrompît  son  esprit;  »  et  que  des  prêtres  de  Marseille  ayant 
trouvé  étrange  qu'il  eût  employé  un  livre  non  canonique  dans 
une  matière  de  controverse,  il  défendit  sa  citation  :  mais  je  ferai 
voir  plus  bas  que  son  sentiment  n'étoit  pas  éloigné  du  nôtre  dans 
le  fond. 

XXXYII.  Et  quant  aux  citations  de  ces  livres  qui  se  trouvent 
chez  Clément  Alexandrin,  Origène,  saint  Cyprien  et  autres,  §  10 
et  H,  elles  ne  prouvent  point  ce  qui  est  en  question  :  les  protes- 
tans  en  usent  de  même  bien  souvent.  Saint  Cyprien,  saint  Am- 
broise  et  le  canon  de  la  messe  ont  cité  le  quatrième  Livre  d'Esdras, 
qui  n'est  pas  même  dans  votre  canon  ;  et  le  Livre  du  Pasteur  a 
été  cité  par  Origène  et  par  le  grand  concile  de  Nicée,  sans  parler 
d'autres  :  et  s'il  y  a  des  allusions  secrètes  que  l'Evangile  fait  aux 
sentences  des  livres  contestés  entre  nous,  §  1-4,  peut-être  en 
pourra-t-on  trouver  qui  se  rapportent  encore  au  quatrième  Livre 
d'Esdras,  sans  parler  de  la  prophétie  d'Enoch  citée  dans  VEpître 
de  saint  Jude. 

XXXVIII.  Il  est  sur  qu'Origène  a  mis  expressément  les  li\Tes 
contestés  hors  du  canon  :  et  s'il  a  été  plus  favorable  aux  fragmens 
de  Daniel  dans  une  lettre  écrite  à  Julius  Africanus,  que  vous  m'ap- 
prenez, §  12,  avoir  été  publiée  depuis  peu  en  grec,  c'est  quelque 
chose  de  particulier. 

XXXIX.  Vous  reconnoissez ,  Monseigneur,  §  13,  15,  que  plu- 
sieurs éghses  et  plusieurs  savans,  comme  saint  Jérôme,  par 
exemple,  ne  vouloient  point  recevoir  ces  li\Tes  pour  établir  les 
dogmes;  mais  vous  dites  «  que  leur  avis  particulier  n'a  point  été 
suivi.  »  Je  montrerai  bientôt  que  leur  doctrine  là-dessus  étoit 
reçue  dans  l'Eglise  ;  mais  quand  cela  n'auroit  point  été ,  il  suffi- 


284  LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

roit  que  des  églises  entières  et  des  Pères  très-estimés  ont  été  d'un 
sentiment,  pour  en  conclure  que  le  contraire  ne  pouvoit  être  cru 
de  foi  de  leur  temps,  et  ne  le  sauroit  être  encore  présentement, 
à  moins  qu  on  n'accorde  à  l'Eglise  le  pouvoir  d'en  établir  de 
nouveaux  articles. 

XL.  Mais  vous  objectez,  §  io,  que  par  la  même  raison  on  pour- . 
roit  encore  combattre  l'autorité  de  1'  h2pître  aux  Hébreux  et  de  1'^- 
pocalypse  de  saint  Jean;  et  qu'ainsi  il  faudra  que  je  reconnoisse 
aussi,  ou  que  leur  autorité  n'est  point  de  foi ,  ou  qu'il  y  a  des 
articles  de  foi  qui  ne  l'ont  pas  été  toujours.  Il  y  a  plusieurs 
choses  à  répondre.  Car  premièrement  les  protestans  ne  demandent 
pas  que  les  vérités  de  foi  aient  toujours  prévalu,  ou  qu'elles  aient 
toujom's  été  reçues  généralement  :  et  puis  il  y  a  bien  de  la  diffé- 
rence aussi  entre  la  doctrine  constante  de  l'Eglise  ancienne,  con- 
traire à  la  pleine  autorité  des  Livres  de  l'Ancien  Testament,  qui 
sont  hors  du  canon  des  Hébreux,  et  entre  les  doutes  particuliers 
que  quelques-ims  ont  formés  contre  YEpîb^e  aux  Hébrcnx,  ou 
contre  V Apocalypse;  outre  qu'on  peut  nier  qu'elles  sont  de  saint- 
Paul  ou  de  saint  Jean,  sans  nier  (ju'elles  sont  divines. 

XLI.  Mais  f(uand  on  accordei'oit  chez  nous  qu'on  n'est  pas  oblig-é, 
sous  peine  d'anathème,  de  reconnoître  ces  deux  livres  pour  divins 
et  infaillibles,  il  n'y  auroit  pas  grand  mal.  Le  moins  d'anathèmes 
qu'on  peut,  c'est  le  meilleur. 

XLII.  Yous  essayez  dans  le  même  endroit,  §  15,  de  donner  une 
solution  conforme  à  vos  principes  ;  mais  il  semble  qu'elle  les  ren- 
verse en  partie.  Après  avoir  dit,  par  forme  d'objection  contre  vous- 
même,  «que  du  moins  cette  tradition  n'étoit  pas  universelle, 
puisque  de  très-grands  doctem^s  et  des  églises  entières  ne  l'ont 
pas  connue,»  vous  répendez,  «  qu'une  nouvelle  reconnoissance 
de  fjuelques  livres  canoniques ,  dont  quelques-uns  auront  douté, 
ne  déroge  point  à  la  perpétuité  de  la  tradition ,  qui  doit  être  la 
marque  de  la  vérité  catholique,  laquelle,  dites-vous,  pour  être 
constante  et  perpétuelle,  ne  laisse  pas  d'avoir  ses  progrès.  Elle 
est  connue  eu  un  lieu  plus  qu'en  un  autre,  plus  clairement,  plus 
distinctement,  plus  universellement.  11  suffit,  pour  établir  la  suc- 
cession et  la  perpétuité  de  la  foi  d'un  Livre  saint,  comme  de  toute 


LEIBNIZ  A  BOSSUET,   14  MAI  1700.  28î; 

autre  vérité,  qu'elle  soit  toujours  recounuc ,  qu'elle  soit  dans  hî 
plus  grand  nombre  sans  comparaison,  qu'elle  le  soit  dans  les 
églises  les  plus  éminentes  et  les  plus  autorisées,  les  plus  révérées, 
qu'elle  s'y  soutienne ,  qu'elle  gagne  et  qu'elle  se  répande  d'elle- 
même  jusqu'au  temps  que  le  Saint-Esprit,  la  force  delà  tradition, 
le  goût,  non  celui  des  particuliers,  mais  l'universel  de  l'Eglise, 
la  fasse  enfin  prévaloir,  comme  elle  a  fait  au  concile  de  Trente.  » 

XLIII.  J'ai  été  bien  aise.  Monseigneur,  de  répéter  tout  au  long  vos 
propres  paroles.  Iln'étoit  pas  possible  de  donner  un  meilleur  tour 
à  la  chose.  Cependant  où  demeurent  maintenant  ces  grandes  et 
magnifiques  promesses  qu'on  a  coutume  de  faire  du  toujours  et 
partout,  sEMi'EK  TE  uiuQUE,  dcs  véiités  qu'on  appelle  catholiques, 
et  ce  que  vous  aviez  dit  vous-même  ci-dessus,  que  la  règle  infail- 
lible des  vérités  de  la  foi  est  le  consentement  unanime  ei  perpétuel 
de  toute  l'Iiglise?  Le  toujours  ou  la  perpétuité  se  peut  sauver  en 
quelque  façon  et  à  moitié,  comme  je  vais  dire  ;  mais  le  partout  ou 
Yunanime  ne  sauroit  subsister,  suivant  votre  propre  aveu. 

XLIV.  Je  ne  parle  pas  d'une  unanimité  parfaite  ;  car  j'avoue 
que  l'exception  des  sentiraens  extraordinaires  de  quelques  parti- 
culiers ne  déroge  point  à  celle  dont  il  s'agit  :  mais  je  parle  d'une 
unanimité  d'autorité,  à  laquelle  déroge  le  combat  d'autorité  contre 
autorité,  quand  on  peut  opposer  églises  à  églises,  et  des  doc- 
teurs accrédités  les  uns  aux  autres ,  surtout  lorsque  ces  églises 
et  ces  docteurs  ne  se  blàmoient  point  pour  être  de  différente  opi- 
nion, et  ne  contestoient  et  ne  disputoient  pas  même  :  ce  qui 
paroît  une  marque  certaine ,  ou  qu'on  tenoit  la  question  pour 
problématique  et  nullement  de  foi ,  ou  qu'on  étoit  dans  le  fond 
du  même  sentiment,  comme  en  effet  saint  Augustin  à  mon  avis 
n'étoit  point  d'un  autre  sentiment  que  saint  Jérôme. 

XLV.  Or  ce  que  nous  venons  de  dire  étant  vrai,  la  perpétuité 
même  reçoit  une  atteinte.  Car  elle  subsiste,  à  la  vérité,  à  l'égard 
du  dogme  considéré  comme  une  doctrine  humaine ,  mais  non 
pas  à  l'égard  de  sa  qualité ,  pom*  être  cru  un  article  de  foi  di- 
vine. Et  il  n'est  pas  possible  de  concevoir  comment  la  tradition 
continuelle  sur  un  dogme  de  foi  puis!-:e  être  plus  claire,  onze  ou 
douze  siècles  après,  qu'elle  ne  l'étoit  dans  le  troisième  ou  qua- 


286  LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

trième  siècle  de  l'Eglise,  puisqu'un  siècle  ne  la  peut  recevoir  que 
de  tous  les  siècles  précédens. 

XL VI.  Il  se  peut,  je  l'avoue,  que  quelquefois  elle  se  conserve 
tacitement,  sans  qu'on  s'avise  d'y  prendre  garde  ou  d'en  parler  : 
mais  quand  une  question  est  traitée  expressément,  en  simple 
problème,  entre  les  églises  et  entre  les  principaux  docteurs,  il 
n'est  plus  soutenable  qu'elle  ait  été  enseignée  alors  comme  un 
article  de  foi  connu  par  une  tradition  apostolique.  Une  doctrine 
peut  avoir  pour  elle  plus  d'églises  et  plus  de  docteurs,  ou  des 
églises  plus  révérées  et  des  docteurs  plus  estimés  ;  cela  la  rendra 
plus  considérable  :  mais  l'opinion  contraire  ne  laissera  pas  que 
d'être  considérable  aussi ,  et  elle  sera  ho^s  d'atteinte ,  au  moins 
pour  lors  et  selon  la  mesure  de  la  révélation  qu'il  y  a  alors  dans 
l'Eglise ,  et  même  absolument,  si  l'on  exclut  les  nouvelles  révé- 
lations, ou  inspirations  en  matière  de  foi.  Car  toutes  ces  églises, 
quoique  partagées  sur  la  question,  convenoient  alors  qu'il  n'y  a 
aucune  révélation  divine  là-dessus,  puisque  même  les  églises  qui 
étoient  les  plus  révérées  et  que  vous  faites  contraires  à  d'autres, 
non-seulement  n'exerçoient  point  dé  censures  contre  les  autres 
et  ne  les  blâmoient  point  ;  mais  ne  travailloient  pas  même  à  les 
désabuser,  quoiqu'elles  sussent  bien  leur  sentiment,  qui  étoit 
public  et  notoire. 

XLYII.  De  sorte  que  si  une  doctrine  combattue  par  des  auto- 
rités si  considérables  et  reconnue  dans  un  temps  pour  n'être  pas 
de  foi,  se  soutient  pourtant,  ?e  répand  et  gagne  enfin  le  dessus 
de  telle  sorte  que  le  Saint-Esprit  et  le  goût  présent  universel  de 
l'Eglise  la  font[  prévaloir  jusqu'à  être  déclarée  enfin  article  de  foi 
par  une  décision  légitime  :  il  faut  dire  que  c'est  par  une  révé- 
lation nouvelle  du  Saint-Esprit,  dont  l'assistance  infaillible  fait 
naître  et  gouverne  ce  goût  universel  et  les  décisions  des  con- 
ciles œcuméniques  ;  ce  qui  est  contre  votre  système. 

XLVIII.  J'ai  parlé  ici  suivant  votre  supposition,  que  les  li\Tes 
en  question  ont  eu  pour  eux  la  plus  grande  partie  des  chrétiens 
et  les  plus  considérables  églises  et  docteurs  :  mais  en  effet  je  crois 
que  c'étoit  tout  le  contraire  ;  ce  qui  ne  s'accommode  pas  avec  le 
principe  du  grand  nombre,  sur  lequel  certains  autem^s  ont  voulu 


LEIBNIZ  A  BOSSUET,  14  MAI  1700.  287 

fonder  depuis  peu  la  perpétuité  de  leur  croyance,  contre  le  senti- 
ment des  antérieurs,  tel  qu'Alphonsus  Tostatus,  qui  a  dit  : 
Manet  Ecclesia  universalis  in  partibus  illis  quœ  non  errant,  sivc 
illœ  sint  plures  numéro  quàm  errantes,  sive  non  *  ;  où  il  suppose 
que  le  plus  grand  nombre  peut  tomber  dans  l'erreur. 

XLIX.  Mais  il  y  a  plus  ici  ;  et  nous  verrons  par  après ,  dans  la 
lettre  suivante,  que  non-seulement  la  plupart,  et  les  plus  consi- 
dérables, mais  tous  en  eflét  étoient  du  sentiment  des  protestans , 
qui  pouvoit  passer  alors  pour  œcuménique. 

L.  Il  est  vrai,  suivant  votre  §  16,  que  ces  livres  ont  toujours  été 
lus  dans  les  églises,  tout  comme  les  Livres  véritablement  divins  ; 
mais  cela  ne  prouve  pas  qu'ils  étoient  du  même  rang.  On  lit  des 
prières  et  on  chante  des  hymnes  dans  l'église,  sans  égaler  ces 
prières  et  ces  hymnes  aux  Evangiles  et  aux  Epitres.  Cependant 
j'avoue  que  ces  livres  que  vous  recevez,  ont  eu  ce  grand  avan- 
tage sur  quel  ques  autres  livres,  comme  sur  celui  du  Pasteur,  et 
sur  les  epitres  de  Clément  aux  Corinthiens  et  autres ,  qui  ont  été 
lus  dans  toutes  les  églises  ;  au  lieu  que  ceux-ci  n'ont  été  lus  que 
dans  quelques-unes  :  et  c'est  ce  qui  paroît  avoir  été  entendu  et 
considéré  par  ces  anciens,  qui  ont  enfin  canonisé  ces  Livres,  qu'ils 
trouvoient  autorisés  universellement;  et  c'est  à  quoi  saint  Au- 
gustin paroît  avoir  butté,  en  voulant  qu'on  estime  davantage 
les  livres  reçus  apud  Ecclesias  doctiores  et  dilifjentiores. 

LL  Peut-être  pourroit-on  encore  dh'e  qu'il  en  est,  en  quelque 
façon,  comme  de  la  version  Yulgate,  que  votre  église  tient  poui' 
authentique  et  pour  ainsi  dire  pour  canonique,  c'est-à-dire  auto- 
risée par  vos  canons  :  mais  je  ne  crois  pas  qu'on  pense  lui  donner 
ime  autorité  divine  infaillible,  à  l'égard  de  l'original,  comme  si 
elle  avoit  été  inspirée.  En  la  faisant  authentique,  on  déclare  que 
c'est  un  livre  sur  et  utile  ;  mais  non  pas  qu'elle  est  d'une  autorité 
infaillible  pour  la  preuve  des  dogmes,  non  plus  que  les  livres  qu'on 
avoit  mêlés  parmi  ceux  de  la  sainte  Ecriture  divinement  ins- 
pirée. 

LIL  II  ne  paroît  pas  qu'on  puisse  concilier  les  anciens,  qui 
semblent  se  contrarier  sur  notre  question,  en  disant  avec  le  §  16, 

'  Prolog.  II,  in  Matth.,  quitst.  IV. 


288  LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

que  ceux  qui  mettent  les  livres  de  Judith,  de  Tobie,  des  Macha- 
bées,  etc.^  hors  du  canon,  l'entendent  seulement  du  canon  des  Hé- 
breux, et  non  pas  du  canon  des  chrétiens.  Car  ces  auteurs  marquent 
en  termes  formels  que  l'Eglise  chrétienne  ne  reçoit  rien  du  Vieux 
Testament  dans  son  canon,  que  l'Eglise  du  Vieux  Testament  n'ait 
déjà  reçu  dans  le  sien.  J'en  apporterai  les  passages  dans  la  lettre 
suivante. 

LUI.  11  faut  donc  recourir  à  la  conciliation  exphquée  ci-dessus, 
savoir,  que  ceux  qui  ont  reçu  ces  livres  dans  le  canon,  l'ont 
entendu  d'un  degré  inférieur  de  canonicité  :  et  cette  conciliation, 
outre  qu'elle  peut  seule  avoir  lieu  et  est  fondée  en  raison ,  est  en- 
core rendue  incontestable  parce  que  quelques-uns  de  ces  mêmes 
auteurs  s'expliquent  ainsi,  comme  je  le  ferai  encore  voir. 

LIV.  Je  croirai  volontiers ,  sur  la  foi  de  saint  Jérôme ,  que  le 
grand  concile  de  Nicée  a  parlé  avantageusement  du  livre  de  Ju- 
dith :  mais  dans  le  même  concile  on  a  encore  cité  le  livre  ûxi  Pas- 
teur d'IIermas  ',  qui  nétoit  guère  moins  estimé  par  plusieurs  que 
celui  de  Judith.  Le  cardinal  Baronius  trompé  par  le  passage  de 
saint  Jérôme,  crut  que  le  concile  de  Nicée  avoit  dressé  un  canon  " 
pour  le  dénombrement  des  saintes  Ecritures,  où  le  livre  de  Judith 
s'étoit  trouvé  :  mais  il  se  rétracta  dans  une  autre  édition  ,  et  re- 
connut que  ce  ne  de  voit  avoir  été  qu'une  citation  de  ce  hvre. 

LV.  Au  reste  vous  soutenez  vous-même,  Monseigneur,  §  18, 
que  les  églises  de  ces  siècles  reculés  étoient  partagées  sur  l'auto- 
rité d*;s  Livres  de  la  liible,  «  sans  que  cela  les  empècliàt  de  con- 
courir dans  la  même  théologie;  »  et  vous  jugez  bien  que  «  cette 
remarque  plaira  à  Monseigneur  le  Duc,  »  comme  en  effet  rien  ne 
lui  sauroit  plaire  davantage  que  ce  qui  marque  de  la  modération. 
Ils  avoient  raison  aussi,  puisqu'ils  reconnoissoient,  comme  vous  le 
remarquez,  §  49,  que  cette  diversité  du  canon,  mais  qui  à  mon 
avis  n'étoit  qu'apparente,  ne  faisoit  naître  aucune  diversité  dans  la 
foi  ni  dans  les  mœurs.  Or  je  crois  qu'on  peut  dire  qu'encore  à 
présent  la  diversité  du  canon  de  vos  églises  et  de  la  nôtre  ne  fait 
aucune  diversité  des  dogmes.  Et  comme  nous  nous  servirions  de 
vos  versions  et  vous  des  nôtres  en  un  besoin,  nous  pourrions  bien 

1  Episf.,  pro  Nicœn.  Syn.  décret. 


LEIBNIZ  A  BOSSUET,  14  MAI  1700.  289 

en  user  de  même,  sans  rien  hasarder ,  à  l'égard  des  livres  apo- 
cryphes que  vous  avez  canonisés.  Donc  il  semble  que  l'assemblée 
de  Trente  auroit  bien  fait  d'imiter  cette  sagesse  et  cette  modéra- 
tion des  anciens,  que  vous  recommandez. 

LVI.  J'avoue  aussi,  suivant  ce  qui  est  dit  §  20,  que  non-seule- 
ment la  connoissance  du  canon ,  mais  même  de  toute  l'Ecriture 
sainte ,  n'est  point  nécessaire  absolument  ;  qu'il  y  a  des  peuples 
sans  Ecriture,  et  que  l'enseignement  oral  ou  la  tradition  peut  sup- 
pléer à  son  défaut.  Mais  il  faut  avouer  aussi  que  sans  mie  assis- 
tance toute  particulière  de  Dieu ,  les  traditions  de  bouche  ne  sau- 
roient  aller  dans  des  siècles  éloignés  sans  se  perdre  ou  sans  se 
corrompre  étrangement,  comme  les  exemples  de  toutes  les  tra- 
ditions qui  regardent  l'histoire  profane,  et  les  lois  et  coutumes 
des  peuples,  et  même  les  arts  et  sciences,  le  montrent  incontesta- 
blement. 

Ainsi  la  Providence  se  servant  ordinairement  des  moyens  na- 
turels et  n'augmentant  pas  les  miracles  sans  raison,  n'a  pas 
manqué  de  se  servir  de  l'Ecriture  sainte ,  comme  du  moyen  plus 
propre  à  garantir  la  pureté  de  la  religion  contre  les  corruptions  des 
temps  :  et  les  anathèmes  prononcés  dans  l'Ecriture  même  contre 
ceux  qui  y  ajoutent  ou  qui  en  retranchent,  en  font  encore  voir 
l'importance,  et  le  soin  qu'on  doit  prendre  à  ne  rien  admettre 
dans  le  canon  principal ,  qui  n'y  ait  été  d'aliord.  C'est  pourquoi , 
s'il  y  avoit  des  anathèmes  à  prononcer  sur  cette  matière,  il  semble 
que  ce  seroit  à  nous  de  le  faire,  avec  bien  plus  de  raison  que  les 
Grecs  n'en  avoient  de  censurer  les  Latins,  pour  avoir  ajouté  leur 
Filioque  dans  le  Symbole. 

LVII.  Mais  comme  nous  sommes  plus  modérés,  au  lieu  d'imi- 
ter ceux  qui  portent  tout  aux  extrémités,  nous  les  blâmons  ;  et  par 
conséquent  nous  sommes  en  droit  de  demander,  comme  vous  faites 
enfin  vous-même  §  21 ,  «  pourquoi  le  concile  de  Trente  n'a  pas 
laissé  sur  ce  point  la  même  liberté  que  l'on  avoit  autrefois ,  et 
pourquoi  il  a  défendu  sous  peine  d'anathèmede  recevoir  un  autre 
canon  que  celui  qu'il  propose  ^  »  Nous  pourrions  même  deman- 
der comment  cette  assemblée  a  osé  condamner  la  doctrine  cons- 

1  Sess.  IV. 

TOM  xvni.  19 


200   LETTRES  SUR  LA  RÉL^NION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE, 
tante  de  rantiquité  chrétienne.  Mais  voyons  ce  que  vous  direz  au 
moins  à  votre  propre  demande. 

LYIII.  La  réponse  est,  §  21  ,  que  l'Eglise  romaine,  avec  tout 
l'Occident,  étoit  en  possession  du  canon  approuvé  à  Trente  depuis 
douze  cents  ans,  et  même  depuis  l'origine  du  christianisme,  et  ne 
devoit  point  se  laisser  troubler  dans  sa  possession  sans  se  mainte- 
nir par  des  anathèmes.  11  nv  amoit  rien  à  répliquer  à  cette  ré- 
ponse, si  cette  même  Eglise  avoit  été  depuis  tant  de  temps  en 
possession  de  ce  canon  comme  certain  et  de  foi  ;  mais  c'étoit  tout 
le  contraire  :  et  si,  selon  votre  propre  sentiment,  l'Eglise  étoit 
autrefois  en  lilierté  là-dessus,  comme  en  effet  rien  ne  lui  avoit  en- 
core fait  perdre  cette  lilierté,  les  prutestans  étoient  on  droit  de  s'y 
raaintenir  avec  lEglise.  et  dinterronq)rt'  une  manière  d'usui'pa- 
tion  contraire,  qui  enfin  pouvoit  dégénérer  en  senitude,  et  faire 
oublier  l'ancienne  doctrine,  connue  il  n'est  lurivé  (pie  trop.  Mais, 
(jui  plus  est,  il  y  avoit  non-seulement  une  faculté  libre,  mais 
uiém»'  ime  obligation  ou  nécessité  de  séparer  les  livres  ecclésias- 
ticpies  des  Livres  divinement  inspirés  :  i-t  ce  (pie  les  protestans 
rais(»ieut  u'étoit  pas  seulement  pour  niaiutenir  la  liberté  etledroit 
de  faire  une  distinction  juste  et  légitime  entre  ces  livres,  mais 
encore  pour  maintenir  ce  qui  est  du  devoir  et  pour  empêcher  une 
confusion  illégitime. 

LIX.  Mais  vous  ajout(V.,  §2-2,  (pi'il  n'est  ri(Mi  arrivé  ici  (pie  ce 
(|ue  l'on  a  vu  arriver  à  toutes  les  autres  vérités,  (pii  est  d'être  dé- 
(Jarées  plus  expressément,  plus  authentiquement,  plus  fortement 
parle  jugement  de  l'Eglise  calholicpie,  lo!S(prelles  ont  été  jdus 
ouvertement  et  plus  opiniâtrement  contredites.  Mais  les  protes- 
tans ont-ils  marqué  lem*  sentiment  plus  ouvertement ,  ou  plut<H 
t«t-il  possible  de  le  maniuer  plus  ouverteminit  et  plus  fortement 
tpie  de  la  manière  que  l'ont  fait  saint  Méliton,  évè(pie  de  Sardes, 
et  Origène,  et  Eusèbe,  tpii  rapiiorte  et  approuve  les  autorités  de 
ces  deux;  et  saint  Athanase,  et  saint  Cyrille  de  .lérusalem,  et  saint 
Kpiphane,  et  saint  Chrysostome,  et  le  sjTiode  de  Laodicée,  et  Am- 
[tliilochius,  et  Rufin,  et  saint  JéiVimc,  (pii  a  mis  \m  gardien  ou 
suisse  ai'raé  d'un  casque  à  la  tête  des  livres  canoniques  ;  c'est  son 
Piolofjus  Gakatus,  à  (lui  il  dit  avoir  donné  ce  nom  exprès  pour 


LEIBNIZ  A  BOSSUET,  14  MAI  1700.  291 

empêcher  les  livres  apocryphes  et  les  ecclésiastiques  de  se  fourrer 
parmi  eux;  et  après  cela,  est-il  possible  d'accuser  les  protestans 
d'opiniâtreté?  ou  plutôt  est-il  possible  de  ne  pas  accuser  d'opiniâ- 
treté et  de  quelque  chose  de  pis  ceux  qui,  à  la  faveiu"  de  quelques 
termes  équivoques  de  certains  anciens,  ont  eu  la  hardiesse  d'éta- 
bhr  dans  l'Eglise  une  doctrine  nouvelle  et  entièrement  contraire 
à  la  sacrée  antiquité ,  et  de  prononcer  même  anathème  contre 
ceux  qui  maintiennent  la  pureté  de  la  vérité  catholique  ?  Si  nous 
ne  connoissions  pas  la  force  de  la  prévention  et  du  parti,  nous  ne 
comprendrions  point  comment  des  personnes  éclairées  et  bien 
intentionnées  peuvent  soutenir  une  telle  entreprise. 

LX.  Mais  si  nous  ne  pouvons  pas  nous  empêcher  d'en  être  sur- 
pris, nous  ne  le  t^ommes  nullement  de  ce  qu'on  domiechez  vous  à 
votre  communion  le  nom  à' Eglise  catholique  ;  et  je  demeure 
d'accord  de  ce  qui  est  dit,  §  23,  que  ce  n'est  pas  ici  le  lieu  d'en 
rendre  raison.  Les  protestans  en  donnent  autant  à  leur  commu- 
nion. On  comioit  la  Confession  catholique  de  notre  Gérard,  et  le 
Catholique  orthodoxe  de  Morton,  Anglois.  Et  il  est  clair  au  moins 
(pie  notre  sentiment,  sur  le  canon  des  livres  divinement  inspirés, 
a  toutes  les  marques  d'une  doctrine  cathohque ,  au  lieu  que  la 
nouveauté  introduite  par  l'assemblée  de  Trente  a  toutes  les 
marques  ici  d'un  soulèvement  schismatique.  Car  que  des  nova- 
teurs prononcent'  anathème  contre  la  doctrine  constante  de  lE- 
glise  catholique,  c'est  la  plus  grande  marque  de  rébellion  et  de 
schisme  qu'on  puisse  donner.  Je  vous  demande  pardon.  Monsei- 
gneur ,  de  ces  expressions  indispensables ,  que  vous  connoissez 
mieux  que  personne  ne  pouvoir  point  passer  pour  téméraires,  ni 
pour  injm'ieuses  dans  une  telle  occasion. 

LXÏ.  Je  ne  vois  donc  pas  moyen  d'excuser  la  décision  de  Trente, 
à  moins  que  vous  ne  vouliez,  Monseigneur,  approuver  l'explica- 
tion de  quelques-uns  qui  croient  pouvoir  encore  la  concilier  avec 
la  doctrine  des  protestans,  et  qui  malgré  les  paroles  du  concile , 
prétendent  qu'on  peut  encore  les  expliquer  comme  saint  Augustin 
a  exphqué  les  siennes.  En  ce  cas ,  il  ne  faudroit  pas  ^seulement 
donner  aux  Livres  incontestablement  canoniques  un  avantage 
ad hominem,  comme  vous  faites  §  2-4,  mais  absolument,  en  di- 


292  LETTRES  SUR  LA  RÉU?JION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

sant  que  le  canon  de  Trente,  comme  celui  d'Afrique,  comprend 
•'■gaiement  les  livres  infaillibles  ou  divinement  inspirés,  et  les 
livres  ecclésiastiques  aussi,  c'est-à-dire  ceux  que  l'Eglise  a  dé- 
clarés authentiques  et  conformes  aux  Livi'es  divins.  Je  n'ose  point 
me  flatter  que  vous  approuviez  une  explication  qui  paroît  si  con- 
traire à  ce  fjue  vous  venez  de  soutenir  avec  tant  d'esprit  et  d'éru- 
dition :  cep  iidant  il  ne  paroît  pas  qu'il  y  ait  moyen  de  sauver  au- 
trement l'honneur  des  canons  de  Trente  sur  cet  article. 

Me  voilà  maintenant  au  bout  de  votre  lettre,  Monseigneur,  dont 
je  n'ai  pu  faire  une  exacte  analyse ,  qu'en  m'étendimt  bien  plus 
qu'elle.  Je  suis  bien  fâché  de  cette  prolixité  ;  mais  je  n'y  vois  point 
de  remède.  Et  cependant  je  ne  suis  pas  encore  au  bout  de  ma  car- 
rière :  car  j'ai  promis  plus  dune  fois  de  montrer  en  abrégé,  au- 
tant (|u"il  sera  possible,  la  perpétuité  de  la  toi  eatln»li(]ue  conforme 
à  la  iloctiiiii'  des  protestans  sur  ce  sujet.  C'est  ce  (|iie  je  ferai, 
avec,  votre  permission,  dans  la  lettre  suivante  .  que  je  me  donne - 
lai  l'honneur  de  vous  écrire  ;  et  cependant  je  suis  avec  zèle , 
Monseigneiu",  votre  très-humble  et  très-obéissant  serviteur, 

Leibniz. 
LETTRi:    Xl.YllI. 

LKinMZ  A  UÔ^Sl  ET 
Wulf.Mil.iiU.;!,    r.o     21     iniii     1700. 

Monseigneur, 

Vous  aurez  reçu  ma  lettre  précédente,  larpielle,  toute  ample 
qu'elle  est,  n'est  (pu;  la  moitié  de  ce  que  je  dois  faire,  .l'ai  tâché 
d'approfondir  l'éclaircissement  cpie  vous  avez  bien  voulu  douuer 
sur  ce  que  c'est  d'être  de  foi.  et  suiiont  sur  la  question,  si  l'Kglise 
en  peut  faire  de  nouveaux  articles  :  et  comme  j'avois  douté  s'il 
éloit  possible  de  concilier  avec  l'antiquité  tout  ce  qu'on  a  voulu 
définir  dans  votre  communion  depuis  la  réformation,  et  que  j'a- 
vois proposé  particulièrement  l'exempledela  question  de  la  cano- 
nicité  de  certains  livres  de  la  lUble,  ce  qui  vous  avoit  engagé  à 
examiner  cette  matière,  j'étois  entré  avec  toute  la  sincérité  et  do- 


LEIBMZ  A  BOSSUET,  24  MAI  1700.  293 

cilité  possible,  dans  tout  ce  que  vous  aviez  allégué  en  faveur  du 
sentiment  moderne  de  votre  parti.  Mais  ayant  examiné  non-seu- 
lement les  passages  qui  vous  paroissoient  favorables,  mais  encore 
ceux  qui  vous  sont  opposés,  j'ai  été  surpris  de  me  voir  dansTim  ■ 
possibilité  de  me  soumettre  à  votre  sentiment;  et  après  avoir  ré- 
pondu à  vos  preuves  dans  ma  précédente,  j'ai  voulu  maintenant 
représenter,  selon  l'ordre  des  temps,  un  abrégé  de  la  perpétuité 
de  la  doctrine  catliolique  sm*  le  canon  des  Livres  du  Vieux  Testa- 
ment, conforme  entièrement  au  canon  des  Hébreux.  C'est  ce  qui 
fera  le  sujet  de  cette  seconde  lettre,  qui  auroit  pu  être  bien  plus 
ample,  si  je  n'avois  eu  peur  de  faire  un  livre,  outre  que  je  ne 
puis  presque  rien  dire  ici  cjui  n'ait  déjà  été  dit.  Mais  j'ai  tâché  de 
le  mettre  en  vue,  pour  voir  s'il  n'y  a  pas  moyen  défaire  en  sorte 
(]ue  des  personnes  appliquées  et  bien  intentionnées  puissent  vider 
entre  elles  mi  point  de  fait ,  où  il  ne  s'agit  ni  de  mystère  ni  de 
philosophie,  soit  en  s'accordant,  soit  en  reconnoissant  au  moins 
qu'on  doit  s'abstenir  de  prononcer  anathème  là-dessus. 

LXII  [a].  Je  commence  par  l'antiquité  de  l'Eglise  judaïque. 
Rien  ne  me  paroît  plus  solide  que  la  remarque  que  fit  d'abord 
Monseigneur  le  Duc ,  que  nous  ne  pouvons  avoir  les  Livres  di- 
vins de  l'Ancien  Testament,  que  parle  témoignage  et  la  tradition 
de  l'Eglise  de  l'Ancien  Testament  ;  car  il  n'y  a  pas  la  moindre 
trace  ni  apparence  que  Jésus-Christ  ait  donné  un  nouveau  ca- 
non là-dessus  à  ses  disciples  ;  et  plusieurs  anciens  ont  dit  en 
termes  formels,  que  l'Eglise  chrétienne  se  tient  à  l'égard  du  Vieux 
Testament  au  canon  des  Hébreux. 

LXIII.  Or  cela  posé,  nous  avons  le  témoignage  incontestable 
de  Josèphe,  auteur  très-digne  de  foi  sur  ce  point,  qui  dit  dans 
son  premier  livre  Contre  Appion,  que  les  Hébreux  n'ont  que 
vingt-deux  Livres  de  pleine  autorité  ,  savoir,  les  cinq  livres  de 
Moïse    qui  contiennent  l'histoire  et  les  lois;  treize  livres,  qui 

(«)  Toutes  les  éditions  de  Bossuet  renferment  la  note  que  voici  :  «  Leibniz 
a  voulu  suivre  les  numéros  de  sa  lettre  précédente,  mais  il  s'est  trompé;  car  ce 
numéro  devroit  être  LX.V,  au  lieu  de  LXll...  »  Ce  sont  les  éditeurs  qui  se  sont 
trompés,  ce  n'est  point  Leibniz.  Leibniz  a  rectifié  les  numéros  de  sa  première 
lettre  dans  le  manuscrit  original;  mais  les  éditeurs  ont  suivi  une  copie  qui  ne 
porte  point  ces  rectifications. 


29  i    LETTRES  SUR  LA  REUMON  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

contiennent  ce  qui  s'est  passé  depuis  la  mort  de  Moïse  jusqu'à 
Artaxerxès  ,  où  il  comprend  Job  et  les  Prophètes  ;  et  quatre 
livres  d'hymnes  et  admonitions,  qui  sont  sans  doute  les  Pommes 
de  David  ;  et  les  trois  hvres  canoniques  de  Sidomon,  le  Cantique, 
les  Paraboles  et  YEcclcsiaste. 

LXIV.  Josèphe  ajoute  que  personne  n'y  a  rien  osé  ajouter  ni 
retrancher  ou  clianger,  et  que  ce  qui  a  été  écrit  depuis  Artaxerxès 
n'est  pas  si  digne  de  foi.  Et  c'est  dans  le  même  sens  qu'Eusèbe 
dit  «  que  depuis  le  temps  de  Zorobabel  jusqu'au  Sauvem',  il  n'y 
a  aucun  volume  sacré  *.  » 

LXV.  C'est  aussi  ce  que  confessent  unanimement  les  Juifs  que 
depuis  l'auteur  du  premier  livre  des  Macliabées  jusqu'aux  mo- 
dernes ,  l'inspiration  divine  ou  l'esprit  prophéticpie  a  cessé  alors. 
Car  il  est  dit,  dans  le  livre  des  Mac/iabces ,  «  (ju'il  n'y  a  jamais 
eu  une  telh;  trii)ulation  depuis  ([u'on  n'a  plus  vu  de  prophète  en 
Israi'l  *,  »  Le  Sep/ier  Ohim,  ou  la  Chronique  des  Juifs  avoue  (jue 
la  pro[thétie  a  cessé  depuis  l'tui  r>2  des  Mèdes  et  des  Perses;  et 
Aben-Kzra,  sur  >hdachie,  dit  que  dans  la  mort  de  ce  prophète,  la 
prophétie  a  quitté  le  peuple  d'Israël.  Cela  a  passé  jusqu'à  saint  Au- 
gustin, qui  dit  «  qu'il  n'y  a  point  eu  de  prophète  depuis  Malachie 
jus(]u'à  l'avénemeut  de  Notre-Seigneur  '.  »  Et  conférant  ces  té- 
moignages avec  celui  de  Josèphe  et  d'Eusèbe,  on  voit  bien  que 
ces  autem's  entendent  toute  inspiration  divine,  dciut  aussi  l'esprit 
prnpbérKjue  est  la  plus  évidente  jireuve. 

LXYI.  On  a  remarqué  que  ce  nombre  de  viugl-deux  livres  ca- 
noni(]ues  du  Vieux  Testament,  (pie  nous  avons  tous  dans  la  langue 
originale  des  Hébreux,  se  rapportoit  au  nombre  des  lettres  de  la 
langue  liébraïque.  L'allusion  est  de  peu  de  considération  ;  mais 
elle  prouve  pourtant  que  les  chrétiens  qui  s'en  sont  servis, 
étoient  entièrement  dans  le  sentiment  des  protestans  sur  le  ca- 
non; comme  Origène,  saint  Cyrille  de  Jérusalem,  et  saint  Gré- 
goire de  Nazianze,  dont  il  y  a  des  vers,  où  le  sens  d'un  des  dis- 
tiques est  : 

Fœileris  antiqui  tliut  suiit  librique  viginti. 
Hebnpte  41101  habent  uuiiiina  liUcMula\ 

1  Dcmonst.  evanrj.,  lib.  Vlll.-  -  I  Mach.,  i\,  27.  —  3  De  Civif.  Dei.  lib.  XVII I, 
cap.  XLV,  n.  1. 


LEIBMZ  A  BOSSUET,  24  MAI  1700.  29:; 

LXVII.  Ces  vingt-deux  Livres  se  comptent  ainsi  chez  les  Juifs, 
suivant  ce  que  rapporte  déjà  saint  Jérôme  dans  son  Prologus  Ga- 
leatus  :  cinq  de  Moïse,  huit  prophétiques,  qui  sont  Josué,  Juges, 
avec  Ruth ,  Samuel,  Rois,  haie ,  Jérémie,  Ezéchiel,  et  les  douze 
petits  prophètes  ;  et  neuf  hagio graphes,  qui  sont  Psaumes ,  Pa- 
raboles, Ecclésiaste ,  et  Cantique  de  Salomon,  Job,  Daniel,,  Es- 
dras  et  Néhémie  pris  ensemble  ;  enfm  Esther  et  les  Chroniques. 
Et  Ton  croit  que  les  mots  de  Notre-Seigneur  chez  saint  Luc  se 
rapportent  à  cette  division  ;  car  il  y  a  :  «  11  faut  C]iie  tout  ce  qui 
est  écrit  dans  la  loi  de  Moïse ,  dans  les  prophètes  et  dans  les 
Psaumes ,  s'accomplisse  ^  » 

LXYIII.  Il  est  vrai  que  d'autres  ont  compté  vingt-quatre  Livres  ; 
mais  ce  n'étoit  qu'en  séparant  en  deux  ce  que  les  autres  aboient  pris 
ensemble.  Ceux  qui  ont  fait  ce  dénombrement  l'ont  encore  vouhi 
justifier  par  des  allusions ,  soit  aux  six  ailes  des  qiiatre  animaux 
d'Ezéchiel,  comme  Tertullien  ;  soit  aux  vingt- quatre  anciens  de 
Y  Apocalypse,  comme  le  rapporte  saint  Jérôme  dans  le  même  Pro- 
logue, disant  :  Xonnulli  Ruth  et  Cinoth,  (  les  Lamentations  de 
Jérémie  détachées  de  sa  prophétie)  inter  hagiographa putant  esse 
computandos ,  ac  hos  esse  priscos  legis  libros  viginti  quatuor, 
quos  sub  numéro  viginti  quatuor  Seniorum  Apocalypsis  Joannes 
inducit  adorantes  Agnum.  Quelques  Juifs  dévoient  compter  de 
même ,  puisque  saint  Jérôme  dit ,  dans  son  Prologue  sm'  Daniel  : 
In  très  partes  à  Judœis  omnis  Scriptura  diciditur ,  in  Legem,  in 
Prophetas  et  in  Hagiographa  ;  hoc  est ,  in  quinciue ,  et  in  octo,  et 
in  undecim  libros.  Ainsi  il  paroît  cpie  l'allusion  aux  six  ailes  des 
quatre  animaux  venoit  des  Juifs,  qui  avoient  coutume  de  cher- 
cher leurs  plus  grands  mystères  cabalistiques  dans  les  animaux 
d'Ezéchiel ,  comme  l'on  voit  dans  Maimonide. 

LXIX.  Venons  maintenant  de  l'Eghse  du  Vieux  Testament  à 
celle  du  Nouveau,  quoiqu'on  voie  déjà  que  les  chrétiens  ont  sui\'i 
le  canon  des  HéJjreux  :  mais  il  sera  bon  de  le  montrer  plus  dis- 
tinctement. Le  plus  ancien  dénombrement  des  Livres  divins  qu'on 
ait,  est  celui  de  i\Iéliton,  évoque  de  Sardes,  qui  a  vécu  du  temps 
de  Marc-Am'èle,  qu'Eusèbe  nous  a  conservé  dans  son  Histoire 

*  Luc,  xsiv,  44. 


296    LETTRES  SUR  LA  RÉLTSION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGiNE. 

ecclésiastique  '.  Cet  évêque,  en  écrivant  à  Onésimns,  dit  quil  lui 
envoie  les  Livres  de  la  sainte  Ecriture,  et  il  ne  nomme  que  ceux 
qui  sont  reçus  par  les  protestans,  savoir,  ces  mêmes  vingt-deux 
livres,  le  livre  d'i^s/A^' paroissant  avoir  été  omis  par  mégarde 
et  par  la  négligence  des  copistes. 

LXX.  Le  même  Eusèbe  nous  a  conservé  au  même  endroit  mi 
passage  du  grand  Origène,  qui  est  de  la  préface  quil  avoit  mise 
devant  son  Commentaire  sur  les  Psaumes ,  où  il  fait  le  même 
dénombrement  :  le  Livre  des  douze  petits  prophètes  ne  pouvant 
avoir  été  omis  que  par  une  faute  contraire  à  l'intention  de  l'au- 
teur, puisqu'il  (lit  cju'il  y  a  vingt-deux  livres,  savoir,  autant  que 
les  Ilébreux  ont  de  lettres. 

LXXI.  On  ne  peut  [if»int  douter  (jne  l'Eglise  latinr  de  ces  pre- 
miers siéck's  n'ait  été  du  même  .sentiment.  Car  Tertullieu,  qui 
étoit  d'Afrique,  et  vivoit  à  Rome,  en  parle  ainsi  dans  ses  Vers  (a) 
contre  Murt  ion  : 

Ast  fpiater  alii'  sex  voloris  prœconia  verbi 
Tcstiticantis  ca  qiia»  posteà  facla  tlticeumr  : 
His  alis  voliloiil  cœlcstia  verba  p^^r  orbeni. 


Alaniiti  mmionis  iintiipia  voluuiiua  signal,  etc. 

LXX  II.  On  ne  trouve  [las  (juc  dans  ces  siècles  d'or  de  l'Eglise, 
qui  ont  précédé  bi  grand  Constantin,  ou  ait  compté  autrement. 
Plusieurs  mettent  le  synode  de  Laodicée  avant  celui  de  Nicée  ;  et 
quoiqu'il  paroisse  postérieur,  néanmoins  il  en  a  été  assez  proche, 
pour  que  son  Jugcnirnl  Sdil  cru  ci'lui  di-  ii'llc  iirimitive  Eglise. 
Or  vous  avez  rcnianjut'  vous-niénu'.  Monseigneur,  §.  18,  (|ue  ce 
synode  de  Laodicée,  dont  l'autorité  a  été  reçue  généralement 
dans  le  code  des  canons  de  l'Eglise  universelle,  et  ne  doit  pas  être 
prise  pour  mi  sentiment  particulier  des  églises  de  Phrygie,  ne 
comi)te  (ju'avec  les  protestans,  c'est-à-dire  les  vingt-deux  livres 
canoniques  du  Vieux  Testament. 

LXXIII.  De  cela  il  est  aisé  de  juger  que  les  Pères  du  concile  de 

*  Eus.,  Hist.  eccles.,  lib.  IV,  cap.  v. 

[a]  Ces  vpi-s  no  sont  pdint  do  Tcrtnllion,  niai^  d'un  écrivaui  bien  iniï'riour  à 
ce  grand  génie.  Voyez  les  UcniaKiues  de  lUgaidl.  (Edit.  de  Lerui.) 


LEIBNIZ  A  BOSSUET,  2i  MAI  1700.  297 

Nicée  ne  pouvoient  avoir  été  d'un  autre  sentiment  que  les  protes- 
tans  sur  le  nombre  des  li\Tes  canonicpies ,  quoiqu'on  y  ait  cité , 
comme  les  protest  ans  font  souvent  aussi,  le  Livre  de  Judith ,  de 
même  que  le  Livre  du  Pastew\  Les  évêques  assemblés  à  Laodicée 
ne  se  seroient  jamais  écartés  du  sentiment  de  ce  grand  concile  ; 
et  sïls  avoient  osé  le  faire,  jamais  leur  canon  n'am'oit  été  reçu 
dans  le  code  des  canons  de  l'Eglise  universelle.  Mais  cela  se  con- 
firme encore  davantage  par  les  témoignages  de  saint  Athanase , 
le  meilleur  témoin  sans  doute  qu'on  puisse  nommer  à  l'égard  de 
ce  tèmps-là. 

LXXIV.  Il  y  a  dans  ses  œuvres  une  Synopse  ou  abrégé  de  la 
'sainte  Ecriture,  qui  ne  nomme  aussi  que  vingt-deux  Livres  cano- 
niques du  Vieux  Testament  ;  mais  l'auteur  de  cet  ouvrage  n'étant 
pas  trop  assuré,  il  nous  peut  suffire  d'y  ajouter  le  fragment 
d'une  lettre  circulaire  aux  églises,  qui  est  sans  doute  de  saint 
Athanase,  où  il  a  le  même  catalogue  que  celui  de  la  Synopse, 
qu'il  obsigne,  s'il  m'est  permis  de  me  servir  de  ce  terme,  par 
ces  mots  :  Nemo  his  addat,  nec  lus  au  ferai  quicquam.  Et  que  cette 
opinion  étoit  également  des  orthodoxes  ou  homoousiens  et  de 
ceux  qu'on  ne  croyoit  pas  être  de  ce  nombre,  cela  paroît  par 
Eusèbe,  dans  Tendroit  cité  ci-dessus  de  son  Histoire  ecclésiastique, 
oii  il  rapporte  et  approuve  les  autorités  des  plus  anciens. 

LXXV.  Ceux  qui  sont  venus  bientôt  après,  ont  dit  uniformément 
et  unanimement  la  même  chose.  L'ouvrage  catéchétique  de  saint 
Cyrille  de  Jérusalem  a  toujours  passé  pom'  très -considérable  :  or 
il  spécifie  justement  les  mêmes  livres  que  nous ,  et  ajoute  qu'on 
doit  lire  les  divines  Ecritures,  savoir,  les  vingt-deux  Livres  du 
Vieux  Testament,  que  les  soixante  et  douze  interprètes  ont  tra- 
duits. 

LXXVI.  On  a  déjà  cité  un  distique  tiré  du  poème  que  saint  Gré- 
goire de  Nazianze  a  fait  exprès  sur  le  dénombrement  des  véri- 
tables Livres  de  l'Ecriture  divinement  inspirée  :  n^pl  twv  pT.siojv  bi- 
êxîuv  T^;  OjcTTvîudToj  ^paœvi;.  Ce  dénombrement  ne  rapporte  que  les 
livres  que  les  protestans  reconnoissent,  et  dit  expressément  qu'ils 
sont  au  nombre  de  vingt- deux. 

LXXYIL  Saint  Amphiloche,  évêque  d'Iconie,  étoit  du  même 


298  LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE, 
temps  et  de  pareille  autorité.  11  a  aussi  fait  des  vers,  mais  ïain- 
biques,  sur  le  même  sujet,  adressés  à  un  Séleucus.  Outre  quïl 
nomme  les  mêmes  li^Tes ,  il  parle  encore  fort  distinctement  de  la 
différence  des  livres  qu'on  faisoit  passer  sous  le  nom  de  la  sainte 
Ecriture.  Il  dit  qu'il  y  en  a  d'adultérins,  qu'on  doit  éviter  et  qu'il 
compare  avec  de  la  fausse  monnoie  ;  qu'il  y  en  a  de  moyens  èauf- 
ccu;,  et  comme  il  dit,  approchans  de  la  parole  de  la  vérité,  -^abcvaç, 
voisins  ;  mais  qu'il  y  en  a  aussi  de  d'ivinement  inspirés ,  dont  il 
dit  vouloir  nommer  chacun,  pour  les  discerner  des  autres. 

Ego  Theopneuslos  siiigulos  ilicam  libi. 

Et  là-dessus  il  ne  nomme  du  Vieux  Testament,  que  ceux  qui  sont 
reçus  par  les  Hébreux  ;  ce  qu'il  dit  être  le  plus  assuré  canon  des 
Livres  inspirés. 

LXXVUl.  Saint  Epiphane ,  évêquede  Salamine  dans  l'île  de  Chy- 
pre, a  fait  un  livTe  De^  poids  et  des  mesures,  où  il  y  a  encore  mi 
dénombremiMit  tout  scmblalde  des  Livres  divins  du  Vieux  Testa- 
ment, (pi'il  dit  être  vingt  et  deux  en  nombre;  et  il  pousse  la  com- 
paraison avec  les  lettres  de  l'alphabet  si  loin ,  qu'il  dit  que,  comme 
il  y  a  des  lettres  doubles  de  l'alphabet,  il  y  a  aussi  des  Livres 
de  la  sainte  Ecriture  du  Vieux  Testament ,  qui  sont  partagés  en 
d'autres  Livres.  On  trouve  la  même  conformité  avec  le  canon  des 
Hél)reux  dans  ses  Flérésics  V  et  LXXVI . 

LXXIX.  Saint  Chrysostome  n'étoit  guère  de  ses  amis  :  cepen- 
dant il  étoit  du  même  sentiment;  et  il  dit,  dans  sa  quatrième 
Homélie  sur  la  (jenèse,  que  «  tous  les  Livres  divins,  iriaat  aï  e^rti 
BiCàci  ,  du  Vieux  Testament  ont  été  écrits  originairement  en 
langue  hébraïque;  et  tout  le  monde,  ajoute-t-il,  le  confesse  avec 
nous  :  »  marque  que  c'étoit  le  sentiment  unanime  et  incontestable 
de  l'EgHse  de  ce  temps-là. 

LXXX.  Et  afin  (ju'on  ne  s'imagine  point  que  c'étoit  seulement 
le  sentiment  des  églises  d'Orient,  voici  un  témoignage  de  saint 
Hilaire,  qui,  dans  la  préface  de  ses  Explications  des  Psaumes,  où 
il  paroît  avoir  suivi  Origène,  comme  ailleurs,  dit  que  le  Vieux 
Testament  consiste  en  vingt  et  deux  Livres. 

LXXXl.  Jusqu'ici,  c'est-à-dire  jusqu'au  commencement  du  cin- 


LEIBNIZ  A  BOSSUET,  24  MAI  1700.  299 

quième  siècle^  pas  un  auteur  d'autorité  ne  s'est  a\1sé  de  faire  un 
autre  dénombrement.  Car  bien  que  saint  Cyprien  et  le  concile  de 
Nicée,  et  quelques  autres  aient  cité  quelques-uns  des  livres  ecclé- 
siastiques parmi  les  Livres  divins,  l'on  sait  que  ces  manières  de 
parler  confusément,  en  passant,  et  in  sensu  laxiore,  sont  assez 
en  usage,  et  ne  sauroient  être  opposées  à  tant  de  passages  for- 
mels et  précis,  qui  distinguent  les  choses. 

LXXXII.  Je  ne  pense  pas  aussi  que  personne  veuille  appuyer 
sur  le  passage  d'un  recueil  des  coutumes  et  doctrines  de  l'ancienne 
Eglise ,  fait  par  un  auteur  inconnu ,  sous  le  nom  des  Canons  des 
Apôtres,  qui  met  les  trois  livres  des  Machabées  parmi  les  Livres 
du  Yieux  Testament ,  et  les  deux  Epitres  de  Clément  écrites  aux 
Corinthiens,  parmi  ceux  du  Nouveau.  Car  outre  qu'il  peut  parler 
largement,  on  voit  qu'il  flotte  entre  deux,  comme  un  homme  mal 
instruit  excluant  du  canon  Sapientiam  eruditissimi  Siracidis, 
qu'il  dit  être  extra  hos ,  mais  dont  il  recommande  la  lecture  à  la 
jeunesse. 

LXXXIIL  Voici  maintenant  le  premier  auteur  connu  et  d'auto- 
rité, qui  traitant  expressément  cette  matière ,  semble  s'éloigner 
delà  doctrine  constante  que  l'Eglise  avoit  eue  jusqu'ici  sur  le  ca- 
non du  Yieux  Testament.  C'est  le  pape  Imiocent  I,  qui  répondant 
à  la  consultation  d'Exupère  évêque  de  Toulouse ,  Tan  405,  paroît 
avoir  été  du  sentiment  catholique  dans  le  fond  :  mais  son  expres- 
sion équivoque  et  peu  exacte  a  contribué  à  la  confusion  de 
quelques  autres  après  lui,  et  enfin  à  Terreur  des  Latins  mo- 
dernes ;  tant  il  est  important  d'éditer  le  relâchement,  même  dans 
les  manières  de  parler. 

LXXXIY.  Ce  pape  est  le  premier  auteur  qui  ait  nommé  cano- 
niques les  Livres  que  l'Eglise  romaine  d'aujourd'hui  tient  pour 
divinement  inspirés,  et  que  les  protestans,  comme  les  anciens,  ne 
tiemient  que  pour  ecclésiastiques.  Mais  en  considérant  ses  paroles, 
on  voit  clairement  son  but,  qui  est  de  faire  un  canon  des  Livres 
que  l'Eghse  reconnoît  pour  authentiques,  et  (ju'elle  fait  lire  pu- 
bliquement comme  faisant  partie  de  la  Bible.  Ainsi  ce  canon  devoit 
comprendre  tant  les  Li\Tes  théopneustes  ou  divinement  inspirés, 
que  les  livres  ecclésiastiques ,  pour  les  distinguer  tous  ensemble 


300  LETTRES  SUR  LA  REUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

des  livres  apocryphes,  plus  spécialement  nommés  ainsi ,  c'est-à- 
dire  de  ceux  qui  doivent  être  cachés  et  défendus  comme  sus- 
pects. Ce  Ijut  paroît  par  les  paroles  expresses^  où  il  dit  :  Si  qua 
sunt  alia ,  non  solimi  repiidiawhK  rorirni  rtiani  noveris  esse 
damnanda. 

LXXXY.  Non-seulement  l'appellation  de  canoniques,  mais  en- 
core de  saintes  et  divines  Ecritures  étoit  alors  employée  abusive- 
ment :  et  c'étoit  l'usage  de  ces  temps-là,  de  donner  dans  mi  excès 
étrange  sm'  les  titres  et  sur  les  épithètes.  Un  évêque  étoit  traité 
de  Votre  Sainteté  par  ceux  qui  l'accusoient  et  parloient  de  le 
déposer,  l^n  empereiu*  clu'étien  chsoit  :  Xostrum  numen ,  et  ne 
laissoit  presque  rien  à  Dieu,  pas  même  l'éternité.  Il  ne  faut  donc 
pas  s'étonner  des  termes  du  concile  III  de  Carthage,  que  d'autres 
croient  avoir  été  le  cinquième,  ni  les  prendre  à  la  rigueur,  lorsque 
ce  concile  dit  :  Placuit ,  ut  prœtcr  Scripturas  cammicns  nUiil  in 
ecclesiâ  legatur  sitb  nojnine  divinarum  Scripturminn. 

LXXXVI.  r,(da  fait  voir  cpi'on  avoit  accoutumé  déjà  d'appeler 
abusivement  du  nom  d'Kcritui'es  divines  tous  les  livres  qui  se 
lisoient  dans  l'église,  parmi  lesquels  étoient  le  Livre  du  Pasteur, 
et  je  ne  sais  quelle  doctrine  des  apôtres  Ji^a^Yi  ^aXcuaivri  tûv  ÀitoçcXwv, 
dont  parle  saint  Athanase  dims  VEpitre  citée  ci-dessus  :  item,  les 
Epitres  de  saint  Clément  aux  Corintliiens ,  qu'on  lisoit  dans  plu- 
sieurs Eglises,  et  particulièrement  dans  celle  de  Corinthe,  surtout 
la  première,  suivant  Eusèbe  et  suivant  Denis,  évèque  de  Corinthe, 
chez  Eusèbe*.  C'est  pourquoi  elle  se  trouvoit  aussi  jointe  aux 
livres  sacrés  dans  l'ancien  exemplaire  de  l'église  d'Alexandrie, 
(|ue  le  patriarche  Cyrille  Lucaris  envoya  au  roi  de  la  Grande- 
Bretagne,  Charles  I".  sur  lequel  eUe  a  été  ressuscitée  et  publiée. 

LXX.WII.  Tout  cela  fait  voir  qu'on  se  servoit  quelquefois  de 
ces  termes  d'une  manière  peu  exacte  ;  et  même  Origène  compte 
en  qu(>l([ue  endroit  le  Lirre  du  Pasteur  parmi  les  Livres  divins  : 
ce  qu'il  n'entendoit  pas  sans  doute  dans  le  sens  excellent  et  rigou- 
reux. C'est  sur  le  chap.  xvi,  verset  i4.,  aux  Ro7nains,  où  il  dit  ; 
«  Je  crois  que  cet  Hermas  est  l'auteur  du  livre  ([u'on  appelle 
le  Pasteur,  cpii  est  fort  utile  et  me  semble  divinement  inspiré.  » 

>  Euseb  ,  Uist.  Eccl.,  lib.  III,  cap.  xil;  lib.  IV,  cap.  xxii. 


LEIBNIZ  A  BOSSUET,  24  MAI  1700.  301 

LXXXVIII.  On  peut  encore  moins  nous  opposer  la  liste  des  Li^Tes 
de  l'Ecriture ,  qu'on  dit  que  le  pape  Gélase  a  faite  dans  un  synode 
romain,  au  commencement  du  cinquième  siècle,  où  il  en  fait  aussi 
le  dénombrement  d'une  manière  large,  qui  comprend  les  livres 
ecclésiastiques  aussi  bien  que  les  Livres  canoniques  par  excel- 
lence ,  et  Ton  voit  clairement  que  ces  deux  papes  et  ces  synodes 
de  Cartilage  et  de  Rome  vouloient  nommer  tout  ce  qu'on  lisoit 
publiquement  dans  toute  l'Eglise,  et  tout  ce  qui  passoit  pour  être 
de  la  Bible,  et  qui  n'étoit  pas  suspect  ou  apocryphe,  pris  dans  le 
mauvais  sens. 

LXXXIX,  Cependant  il  est  remarquable  que  le  pape  Gélase  et  son 
synode  n'ont  mis  dans  leur  liste  que  le  premier  dcsMachabées,  qu'on 
sait  avoir  été  toujours  plus  estimé  que  l'autre,  saint  Jérôme  ayant 
remarqué  que  le  style  même  trahit  le  second  des  Machabées  et  le 
livre  de  la  Sagesse ,  et  fait  connoître  qu'ils  sont  originairement 
grecs. 

XC.  Je  ne  vois  pas  qu'il  soit  possible  qu'une  personne  équitable 
et  non  prévenue  puisse  douter  du  sens  que  je  donne  au  canon  des 
deux  papes  et  du  concile  de  Cartilage.  Car  autrement  il  faudroit 
dire  qu'ils  se  sont  séparés  ouvertement  de  la  doctrine  constante  de 
l'Eglise  universelle,  du  concile  de  Laodicée  et  de  tous  ces  grands 
et  saints  docteurs  de  l'Orient  et  de  l'Occident  que  je  viens  de  citer; 
en  quoi  il  n'y  a  point  d'apparence.  Les  erreurs  ordinairement  se 
glissent  insensiblement  dans  les  esprits ,  et  elles  n'entrent  guère 
ouvertement  par  la  grande  porte.  Ce  divorce  auroit  été  fait  très- 
mal  à  propos,  et  auroit  fait  du  bruit  et  fait  naître  des  contes- 
tations. 

XCI.  Mais  rien  ne  prouve  mieux  le  sens  de  la  lettre  du  pape 
Innocent  I  et  de  l'Eglise  romaine  de  ce  temps  que  la  doctrine  ex- 
presse, précise  et  constante  de  saint  Jérôme,  qui  fleurissoit  à  Rome 
en  ce  temps-là  même,  et  qui  cependant  a  toujours  soutenu  que  les 
Livres  proprement  divins  et  canoniques  du  Yieux  Testament,  ne 
sont  que  ceux  du  canon  des  Hébreux.  Est-il  possible  de  s'imaginer 
que  ce  grand  homme  auroit  osé  s'opposer  à  la  doctrine  de  l'Eghse 
de  son  temps,  et  que  personne  ne  l'en  auroit  repris,  pas  même 
Rufm,  qui  étoit  aussi  du  même  sentiment  que  lui,  et  tant  d'autres 


302  LETTRES  SLR  LA  RÉUiNION  DES  PROTEST.  D'ALLE>LVGNE. 

adversaires  cpi"il  avoit;  et  qu'il  n'eût  jamais  fait  Tapologie  de  son 
procédé,  comme  il  fait  pourtant  en  tant  d'autres  rencontres  de 
moindre  importance  ?  11  est  sûr  que  l'ancienne  Eglise  latine  n'a 
jamais  eu  de  Père  plus  savant  que  lui ,  ni  de  meilleur  interprète 
critique  ou  littt'^ral  de  la  sainte  Ecriture,  surtout  du  Vieux  Testa- 
ment dont  il  connoissoit  la  langue  originale  :  ce  qui  a  fait  dire  à 
Alphonse  Testatus  qu'en  cas  de  conflit,  il  faut  plutôt  croire  à  saint 
Jérôme  qu'à  saint  Augustin,  surtout  quand  il  s'agit  du  Vieux 
Testament  et  de  l'Histoire,  en  quoi  il  a  surpassé  tous  les  docteurs 
de  TEglise. 

XCll.  C'est  pourquoi,  bien  que  jaie  déjà  parlé  plus  d'une  fois 
des  passages  de  saint  Jérôme,  entièrement  conformes  au  senti- 
ment des  protestans,  il  sera  bon  d'en  p;u'ler  encore  ici.  J'ai  déjà 
cité  son  Prologus  Qaleatus,  qui  est  la  préface  des  livres  des  Rois  ; 
mais  qu'on  met ,  suivant  l'intention  de  l'auteur,  au-devant  des 
Livres  véritablement  canoniques  du  Vieux  Testament,  comme  une 
espèce  <le  sentinelle  pour  iléfendre  l'entrée  aux  autres.  Voici  les 
paroles  de  l'auteur  :  Ilir  Prolofjus  Scriptiirnniimiii'isi  (idlcdluni 
P/'t'nc//)ii/ûi  omniliKs  lihris,  ijuos  dr  hchrcpo  crrtiniiis  in  Jntinuni, 
conccnirc  pntcst.  11  semble  que  ce  grand  homme  prévoyoit  que 
l'ignorance  des  temps  et  le  torrent  populaire  forceroit  la  digue  du 
véritable  canon,  et  qu'il  travailla  à  s'y  opposer.  Mais  la  sentinelle 
(pi'il  y  mit  avec  son  casrpie  n'a  pas  été  capable  d'éloigner  la  har- 
diesse de  ceux  qui  ont  travaillé  à  rompre  celte  digue,  qui  séparuit 
le  divin  de  l'humain. 

Xr.Ill.  Or,  comme  j'ai  dit  ci-dessus  ',  il  comptoit  tantôt  vingt- 
deux  ,  tantôt  vingt-quatre  Livres  du  Vieux  Testament  ;  mais  (m 
effet  toujours  les  mêmes.  Et  ce  qu'il  écrit  dans  une  lettre  à  Paulin, 
qu'on  avoit  coutume  de  mettre  au-devant  des  Ihbles  avec  le  Pro- 
lor/m  (jûlcûfi/s,  marque  toujours  le  même  sentiment.  Il  s'expli([ue 
encore  particulièrement  dans  ses  préfaces  sur  Toùie,. sur  Judilli, 
et  ailleurs  :  Quod  talium  auctoritas  ad  roboranda  eu  <juir  in  con- 
tcntioncm  vcniunt  minier  idonca  judiratur  •.  Et  parlant  du  livre 
de  Jésus,  fds  de  Sirach,  et  du  livre  nommé  faussement  \-ASafjes^e 
dfiSnIomon,  il  dit  :  S icut  Judith  et  Tobiœet  Machabœoi'um  libros 

'  N.  67,  es.  —  «  Prœf.  in  Jadifft. 


LEIBNIZ  A  BOSSUET,  24  MAI  1700.  303 

legit  quidern  Ecdeda,  sedeos  incanonicas  Scripturas  non  recipit; 
sic  et  hœc  duo  vohimina  legit  ad  œdificatio7iem  plebis,  non  ad 
auctoritatem  ecclesiasticorum  dogmatum  cqnfîrmandain  \ 

XCIY,  Rien  ne  sauroit  être  plus  précis  ;  et  il  est  remarqualjie 
qu'il  ne  parle  pas  ici  de  son  sentiment  particulier,  ni  de  celui  de 
quelques  savans,  mais  de  celui  de  l'Eglise  :  Ecclesia,  dit-il,  non 
recipit.  Pouvoit-il  ignorer  le  sentiment  de  l'Eglise  de  son  temps? 
Ou  pouvoit-il  mentir  si  ouvertement  et  si  impudemment,  comme 
il  auroit  fait  sans  doute  si  elle  avoit  été  d'un  autre  sentiment  que 
lui?  Il  s'explique  encore  plus  fortement  dans  la  Préface  sur 
Esdras  et  Néhémie  :  Qnœ  non  hahentur  apud  Hebrœos ,  nec  de 
viginti  quatuor  senibus  sunt ,  (  on  a  expliqué  cela  '  )  procid  abji- 
ciantur;  c'est-à-dire  loin  du  canon  des  Livres  véritablement  divins 
et  infaillibles. 

XCV.  Je  crois  qu'après  cela  on  peut  être  persuadé  du  sentiment 
de  saint  Jérôme  et  de  l'Eglise  de  son  temps  ;  mais  on  le  sera  encore 
davantage ,  quand  on  considérera  que  Rufin  son  grand  adver- 
saire ,  homme  savant  et  qui  cherchoit  occasion  de  le  contredire, 
n'auroit  point  manqué  de  se  servir  de  celle-ci ,  s'il  avoit  cru  que 
saint  Jérôme  s'éloignoit  du  sentiment  de  l'Eglise.  Mais  bien  loin 
de  cela,  il  témoigne  d'être  lui-même  du  même  sentiment,  lorsqu'il 
parle  ainsi  dans  son  Exposition  du  Symbole ,  après  avoir  fait  le 
dénombrement  des  Li^Tes  divins  ou  canoniques,  tout  comme  saint 
Jérôme  :  «  Il  faut  savoir,  dit-il,  qu'il  y  a  des  livres  que  nos  anciens 
ont  appelés,  non  pas  canoniques ,  mais  ecclésiastiques,  comme  la 
Sagesse  de  Salomon,  et  cette  autre  Sagesse  du  fils  de  Sirach,  qu'il 
semble  que  les  Latins  ont  appelée  pour  cela  même  du  nom  géné- 
ral d'Ecclésiastique  ;  en  quoi  on  n'a  pas  voulu  marquer  l'auteur, 
mais  la  qualité  du  Livre.  Tobie  encore,  Judith  et  les  Machabées 
sont  du  même  ordre  ou  rang  :  et  dans  le  Nouveau  Testament,  le 
Livre  pastoral  d'Hermas  appelé  les  Deux  voies  et  le  Jugement  de 
Pierre  :  livres  qu'on  a  voulu  faire  lire  dans  l'église,  mais  qu'on 
n'a  pas  voulu  laisser  employer  pour  confirmer  l'autorité  de  la 
foi.  Les  autres  Ecritures  ont  été  appelées  apocryphes,  dont 
on  n'a  pas  voulu  permettre  la  lecture  publique  dans  les  églises.  » 

'  Vrœf.  in  lib.  Salom.  —  -  Sup.,  n.  68. 


304  LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

XCYI.  Ce  passage  est  fort  précis  et  iiistructil'  ;  et  il  faut  le  con- 
férer avec  celui  d'Amphilochius  cité  ci-dessus  S  aiin  de  mieux 
distinguer  les  trois  espèces  d'Ecritures  ;  savoir  :  les  divines  ou 
les  canoniques  de  la  première  espèce ,  les  moyennes  ou  ecclésias- 
tiques qui  sont  canonitpies ,  selon  le  style  de  quelques-uns ,  de  la 
seconde  espèce ,  ou  bien  apocryphes  selon  le  sens  le  plus  doux  ; 
et  enfin  les  apocryphes  dans  le  mauvais  sens,  c'est-à-dire,  comme 
dit  saint  Athanase  ou  lauteur  de  la  Synopse,  (pii  sont  plus  dignes 
d'être  cachées,  i^Toy.fuo/i; ,  tpie  d'être  lues,  et  descpielles  saint  Jé- 
rôme dit,  Kp.  vu  aclLœtam  :  C'aveat  apocnjpha;  etsur haïe,  liv,  4: 
Apocryphorwn  deliramenta  conficiant. 

Voici  la  représentation  de  ces  degrés  ou  espèces  : 

Canoniques. 


Prnproniont  ou  du 
premier  ranç. 

Divins,  ou  infuil- 
libles. 


Inipropronient  ou 
d'un  rang  inférieur 

Ecclésiastiques,  ou 
moyens. 


Défendus,  cpiant  à 
la  lecture  publique. 


Ajiocnjp/ics. 

Improprement,  ou 
dans  le  seus  plus 
doux. 


Plus  proprement, 
ou  dans  le  mauvais 


XCVll.  Mais  on  achèvera  d'être  ptîrsuadé  que  la  doctrine  de 
l'église  de  ce  temps  étoit  celle  des  protestans  d'aujom'd'hui , 
quand  on  verra  que  saint  Augustin ,  qui  parle  aussi  comme  le 
pape  Innocent  I  et  le  spiode  ni  de  Carthage,  où  l'on  croit  qu'il  a 
été,  s'expliipie  pourtant  fort  précisément  en  d'autres  endroits, 
tout  comme  saint  Jérôme  et  tous  les  autres.  En  voici  quelques 
passages  :  «  Cette  Ecritur»? ,  dit-il  ,  (]u'on  appelle  des  Machabées , 
n'est  pas  chez  les  Juifs  comme  la  Lui,  les  Prophètes  et  les  Psaumes, 
à  qui  Notre-Seigneur  a  rendu  témoignage  comme  à  ses  témoms. 

t  N.  78. 


LEIBNIZ  A  BOSSUET,  24  MAI  1700.  305 

Cependant  l'Eglise  Ta  reçue  avec  utilité ,  pourvu  qu'on  la  lise 
sobrement  ;  ce  qu'on  a  fait  principalement  à  cause  de  ces  Macha- 
bées ,  qui  ont  souffert  en  vrais  martyrs  pour  la  loi  de  Dieu  S  etc.  » 

XCYIII.  Et  dans  la  Cité  de  Dieu  :  «  Les  trois  Livres  de  Salo- 
mon  ont  été  reçus  dans  Tautorité  canonique  ;  savoir,  les  Pro- 
verbes, VEcclésiaste,  et  le  Cantique  des  cantiques.  Mais  les  deux 
autres  qu'on  appelle  la  Sagesse  et  Y  Ecclésiastique ,  et  qui  à  cause 
de  quelque  ressemblance  du  style ,  ont  été  attribués  à  Salomon 
(  quoique  les  savans  ne  doutent  point  qu'ils  ne  soient  point  de 
lui  ) ,  ont  pourtant  été  reçus  anciennement  dans  l'autorité  par 

l'Eglise  occidentale  principalement Mais  ce  tpii  n'est  pas  dans 

le  canon  des  Hébreux  n'a  pas  autant  de  force  contre  les  contre- 
disans  que  ce  qui  y  est^  »  On  voit  par  là  qu'il  y  a  selon  lui  des 
degrés  dans  l'autorité  ;  qu'il  y  a  une  autorité  canonique  dans  le 
sens  plus  noble ,  qui  n'appartient  qu'aux  véritables  livres  de  Sa- 
lomon ,  compris  dans  le  canon  des  Hébreux  ;  mais  qu'il  y  a  aussi 
une  autorité  inférieure,  que  l'Eglise  occidentale  surtout  avoit  ac- 
cordée aux  livres  qui  ne  sont  pas  dans  le  canon  hébraïque ,  et  qui 
consiste  dans  la  lecture  publique  pom*  l'édification  du  peuple , 
mais  non  pas  dans  l'infaillibilité,  qui  est  nécessaire  pour  prouver 
lesdogmes  de  la  foi  contre  les  contredisans. 

XCIX.  Et  encore  dans  le  même  ouvi'age  :  «  La  supputation  du 
temps ,  depuis  la  restitution  du  temple,  ne  se  trouve  pas  dans  les 
saintes  Ecritures  qu'on  appelle  canoniriues  ;  mais  dans  quelques 
autres  que ,  non  les  Juifs ,  mais  l'Eglise  tient  pour  canoniques , 
à  cause  des  admirables  soufTrances  des  martyrs  ^,  »  etc.  On  voit 
combien  saint  Augustin  est  flottant  dans  ses  expressions  ;  mais 
c'est  toujours  le  même  sens.  Il  dit  que  les  Machabées  ne  se  trou- 
vent pas  dans  les  saintes  Ecritures  qu'on  appelle  canoniques  ;  et 
puis  il  dit  que  l'Eglise  les  tient  poui'  canoniques.  C'est  donc  dans 
un  autre  sens  inférieur,  que  la  raison  qu'il  ajoute  fait  connoître  : 
car  les  admirables  exemples  de  la  souffrance  des  martyrs ,  pro- 
pres à  fortifier  les  chrétiens  durant  les  persécutions,  faisoient 
juger  que  la  lecture  de  ces  livres  seroit  très-utile.  C'est  pour  cela 

1  Cont.  Gaudnt.,  lib.  1..  cap.  xxxi,  n.  38.  —  ^  De  Ctvit.  Dei ,  lib.  XVli,  c.  xx. 
—  5  ILiid.,  cap.  XXXVI. 

TOM.  xvni.  20 


306  LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE, 
que  l'Eglise  les  a  reçus  dans  l'autorité  et  dans  une  manière  de 
canon,  c'est-à-dire  comme  ecclésiastiques  ou  utiles;  mais  non 
pas  comme  divins  ou  infaillibles  :  car  cela  ne  dépend  pas  de  l'E- 
glise ;  mais  de  la  révélation  de  Dieu ,  faite  par  la  bouche  de  ses 
prophètes  ou  apôtres. 

C.  Enfin  saint  Augustin ,  dans  son  livre  de  la  Doctrine  chré- 
tienne, raisonne  sm'  les  li\Tes  canoniques  dans  un  sens  fort  ample 
et  général,  entendant  tout  ce  qui  étoit  autorisé  dans  l'Eglise. 
C'est  poiu-quoi  il  dit  que  pour  en  juger,  il  faut  en  faire  estime  se- 
lon le  nombre  et  l'autorité  des  églises  :  puis  il  vient  au  dénom- 
brement :  Totus  aiitem  canon  Scripturarnm  in  ciuo  istam  con- 
siderationem  versandam  dicimiis ,  his  libris  contineiur^,  etc.;  et 
il  nomme  les  mêmes  que  le  pape  Innocent  I  :  ce  qui  fait  visible- 
ment connoître  qu'en  parlant  du  canon,  il  n'entendoit  pas  seule- 
ment les  Livres  divins  incontestables ,  mais  encore  ceux  qu'on 
regardoit  diversement,  et  qui  avoient  leur  autorité  de  l'Eglise 
seulement  ou  des  églises ,  et  nullement  dune  révélation  divine. 

Cl.  Après  cela  le  passage  de  saint  Augustin ,  où ,  dans  la  cha- 
leur de  l'apologie  de  sa  citation  il  seml)le  aller  plus  loin ,  ne  sau- 
roit  faire  de  la  peine.  Vous  aviez  remarcpié.  Monseigneur,  §  0, 
qu'il  avoit  cité  contre  les  pélagiens  ce  passage  de  la  Sagesse  : 
Raptus  est  nemalitia  mutaret  intellectmn  ejus  *.  Quelques  savans 
Gaulois  avoient  trouvé  mauvais  qu'il  eût  employé  ce  livre ,  lors- 
qu'il s'agissoit  de  prouver  des  dogmes  de  foi  :  Tanqitàm  non 
canonicum  definiebant  omittendwn.  Saint  Augustin  se  défend 
dans  son  livre  de  la  Prédestination  des  Saints^.  Il  ne  dit  pas 
([ue  la  Sagesse  est  égale  en  autorité  aux  autres;  ce  cpi'il  auroit 
fallu  dire,  s'il  avoit  été  dans  les  sentimens  tridentins  :  mais 
il  répond  que  quand  elle  ne  diroit  rien  de  semblable,  la  chose  est 
assez  claire  en  elle-même  ;  qu'elle  doit  cependant  être  préférée  à 
tous  les  auteurs  particuliers ,  oimiibiis  tractatoribus  debere  ante- 
poni ,  parce  que  tous  ces  auteurs,  même  les  plus  proches  deS 
temps  des  apiMres ,  avoient  eu  cette  déférence  pour  ce  livre  :  Qui 
eum  testem  adhibentes ,  nihil  se  adhibere  nisi  divinum  testinio- 

.     1  De  Doct.  Christ.,  lib.  11,  cap.  viir,  n.  13.  —  *  Siip.,  i\,  li.  —  ^  De  prœded. 
Sanct.,  cap.  ïiv,  n.  27. 


LEIBNIZ  A  BOSSUET,  24  MAI  1700.  307 

nium  crediderimt.  Et  un  peu  auparavant  :  Menasse  in  Ecclesid 
Christi  tam  longâ  aimositate  rccitari,  et  oh  omnibus  chri^ticnùs 
cwn  veneratione  divinœ  auctoritatis  audiri. 

CIL  Ces  paroles  de  saint  Augustin  paroîtroient  étranges, 
d'autant  qu'elles  semblent  contraires  à  la  doctrine  reçue  dans 
l'Eglise,  si  l'on  n  étoit  déjà  instruit  de  son  langage  par  tous  les 
passages  précédens.  Donc  puisque  aussi  il  n'est  pas  croyable  que 
ce  grand  homme  ait  voulu  s'opposer  à  lui-même  et  à  tant  d'au- 
tres, il  faut  conclure  que  cette  autorité  divine  dont  il  parle  ne  peut 
être  autre  chose  que  le  témoignage  que  l'Eglise  a  rendu  au  livre 
de  la  Sagessse;  qu'il  n'y  a  rien  là  que  de  conforme  aux  Ecritures 
immédiatement  divines  ou  inspirées ,  puisqu'il  avoit  reconnu  lui- 
même  ,  dans  son  li^Te  de  la  Ci//'  de  Dieu  ',  que  ce  li\Te  n'a  reçu 
son  autorité  que  par  l'Eglise ,  siu-tout  en  Occident  ;  mais  qu'il  n'a 
pas  assez  de  force  contre  les  contredisans ,  parce  qu'il  n'est  pas 
dans  le  canon  originaire  du  Vieux  Testament.  Et  le  même  saint 
Augustin  citant  un  hvre  de  pareille  nature  ^,  qui  est  celui  du  fds  de 
Sirach,  n'y  insiste  point,  et  se  contente  de  dire  que  si  on  contredit 
à  ce  livre  parce  qu'il  n'est  pas  dans  le  canon  des  Ilélireux ,  il  fîui- 
dra  au  moins  croire  au  Dcutéronome  et  à  l'Evangile  qu'il  cite  après. 

cm.  Ce  qu'on  a  dit  du  sens  de  saint  Augustin  doit  être  encore 
entendu  de  ceux  qui  ont  copié  ses  expressions  par  après ,  comme 
Isidore  et  Rabanus  Mauiiis,  et  autres,  lorsqu'ils  parloient  dime 
manière  plus  confuse.  Mais  quand  ils  parloient  distinctement,  et 
traitoient  la  question  de  l'égalité  ou  inégalité  des  Li\Tes  de  la 
Bible,  ils  continuoient  à  parler  comme  l'Eglise  avoit  toujours 
parlé;  en  quoi  l'Eglise  grecque  n'a  jamais  biaisé.  Et  l'autorité  de 
saint  Jérôme  a  toujours  servi  de  préservatif  dans  l'Eglise  d'Occi- 
dent ,  malgré  la  barbarie  qui  s'en  étoit  emparée.  On  a  toujours 
été  accoutumé  de  mettre  son  Prologus  Galeatus  et  sa  Lettre  à 
Paulin  à  la  tète  de  la  sainte  Ecritm'e ,  et  ses  autres  Préfaces  de- 
vant les  livres  de  la  Bible  qu'elles  regardent  ;  où  il  s'explique 
aussi  nettement  qu'on  a  vu,  sans  que  personne  ait  jamais  osé,  j(^ 
ne  dis  pas  condamner,  mais  critiquer  même  cette  doctrine  jus- 

1  De  civil.  Dei,  lib.  XVII,  cap.  xx ,  ubi  sup.  —  -  Lib.  de  cvrâ  pro  Mordiis , 
'■ap.  XV. 


308  LETTRES  SUR  LA  RÉUiNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

qu'au  concile  de  Trente^  qui  l'a  frappée  d'anathème  par  une  en- 
treprise des  plus  étoimautes. 

CIV.  Il  sera  à  propos  de  particulariser  tant  soit  peu  cette  cou- 
se rvationde  la  saine  doctrine  ;  car  poui'  rapporter  tout  ce  qui  se 
pourroit  dire  il  faudroit  un  ample  volume.  Cassiodore  dans  ses 
InMitutions ,  a  donné  les  deux  catalogues,  tant  le  plus  étroit  de 
saint  Jérôme  et  de  l'Eglise  universelle,  qui  n'eet  que  des  Livres 
immédiatement  divins,  que  la  liste  plus  large  de  saint  Augustin 
et  des  églises  de  Rome  et  d'Africpie,  qui  comprend  aussi  les  li\Tes 
ecclésiastiques. 

CV.  .Junilius,  évêque  d'Afrique,  fait  parler  un  maître  avec  son 
disciple.  Ce  maître  s'explique  fort  nettement,  et  sert  très-bien  à 
faire  voir  qu'on  donnoit  abusivement  le  titre  de  Livi'es  divins  à 
ceux  qui,  à  parler  proprement,  ne  le" dévoient  point  avoir.  Disci- 
PULUS  :  Quomodo  divùionan  Librorum  consideratur  auctoritas  ? 
Magister  :  Quia  quidam  perfectœ  auctoritatis  simt,  c/uidam  me- 
diœ,  quidam  nuflius  K  Après  cela  on  ne  s'étonnera  pas  si  quelques- 
uns,  surtout  les  Africains,  ont  donné  le  nom  de  divines  Ecritures 
aux  livres  qui  dans  la  vérité  n'étoient  qu'ecclésiastiques. 

CYI.  Grégoire  le  Grand,  quoirpie  pape  du  siège  de  Rome  ei 
successeur  d'Innocent  I  et  de  Gélase,  n'a  pas  laissé  de  parler 
comme  saint  Jérôme  :  et  il  a  montré  par  là  que  les  sentimens  de 
ses  prédécesseurs  dévoient  être  expliqués  de  même  ;  car  il  dit  po- 
sitivement que  les  livres  des  Machahées  ne  sont  point  canoniques, 
licèt  non  canonicos-;  mais  (ju'ils  servent  à  l'édification  de  l'Eglise. 

CVII.  11  sera  bon  de  revoir  un  peu  les  Grecs  avant  cpie  de  venir 
aux  Latins  postérieurs.  Léontius,  auteiu'  du  sixiènie  siècL',  parlf 
comme  les  plus  anciens.  Il  dit  qu'il  y  a  vingt -deux  Livres  du 
Vieux  Testament,  et  (pie  l'Eglise  n'a  reçu  dans  le  canon  (pie 
ceux  qui  sont  reçus  cliez  les  Hébreux  *. 

CYI  IL  Mais  sans  s'amuser  à  beaucoup  d'autres,  on  peut  se  con- 
tenter de  l'autorité  de  Jean  de  Damas,  premier  auteur  d'un  sys- 
tème de  théologie,  qui  a  écrit  dans  le  huitième  siècle ,  et  que  les 
Grecs  plus  modernes,  et  môme  les  scolastiques  latins  ont  suivi. 

1  Lib.  lie  Part.  div.  /cjv,  cap.  vm.  —  -  Moral-,  lib.  X!X,  ca;).  xxi,  ri.  ;ri.  — 
"  De  Serf.,  act.  ii. 


LEIBNIZ  A  BOSSUET,  24  MAI  1700.  309 

Cet  auteur ,  dans  son  li^Te  IV  de  la  Foi  orthodoxe  *,  imitant^ 
comme  il  semble,  le  passage  allégué  ci-dessus  du  li%Te  d'Epi - 
phane  des  Poids  et  mesures ,  ne  nomme  cpie  vingt-deux  Livres 
canoniques  du  Vieux  Testament;  et  il  ajoute  que  les  livres  des 
deux  Sagesses ,  de  celle  qu'on  attribue  à  Salomon  et  de  celle  du 
fils  de  Siracli,  quoique  beaux  et  bons,  ne  sont  pas  du  nombre 
des  canoniques,  et  n'ont  pas  été  gardés  dans  l'arche,  où  il  croit 
([ueles  Li\Tes  canoniques  ont  été  enfermés. 

CIX.  Pour  retom^ner  aux  Latins,  Strabus ,  auteur  de  la  Glose 
ordinaire,  qui  a  écrit  dans  le  neu^4ème  siècle,  venant  à  la  préface 
de  saint  Jérôme  mise  devant  le  li^Te  de  Tohie,  où  il  y  a  ces  pa- 
rôles  :  Librum  Tobiœ  Hebrœi  de  catalogo  divinariim  Scriptura- 
runi  sécantes ,  iis  quœ  hagiographa  memorant,  manciparunt, 
remarque  ceci  :  Potiiis  et  veriùs  dixisset  apocrypha ,  vel  large 
accepit  hagiographa ,  quasi  Sanctorum  scripta ,  et  non  de  îui- 
mero  illorwn  novem,  etc. 

ex.  Radulphus  Flaviacensis,  bénédictin  du  dixième  siècle ,  dit 
au  commencement  de  son  Ywxe,  quatorzième  sur  le  Lévitique  : 
«  Quoiqu'on  lise  Tobie ,  Judith  et  les  Machabées  pour  l'instruc- 
tion, ils  n'ont  pas  pourtant  une  parfaite  autorité.  » 

CXL  Rupert,  abbé  de  Tuits,  parlant  de  la  Sagesse  :  «  Ce  livre, 
dit-il,  n"est  pas  dans  le  canon,  et  ce  qui  en  est  pris  n'est  pas  tiré 
de  l'Ecriture  canonique  ^  » 

CXÏI.  Pierre  le  Vénérable,  abbé  de  Cluny,  écrivant  une  lettre 
contre  certains,  nommés  Pètrobrusiens ,  qu'on  disoit  ne  recevoir 
de  l'Ecritm-e  que  les  seuls  Evangiles ,  lem'  prouve,  en  supposant 
l'autorité  des  Evangiles,  qu'il  faut  donc  recevoir  encore  les  autres 
Livres  canoniques. 

Sa  preuve  ne  s'étend  qu'à  ceux  que  les  protestans  recon- 
noissent  aussi.  Et  quant  aux  ecclésiastiques,  il  en  parle  ainsi  : 
«  Après  les  Livres  authentiques  de  la  sainte  Ecritm'e ,  restent  en- 
core six,  qui  ne  sont  pas  à  oublier,  la  Sagesse ,  Jésus  fds  de 
Sirach,  Tobie,  Judith  et  les  deux  des  Machabées ,  qui  n'arrivent 
pas  à  la  sublime  autorité  des  précédens,  mais  qui  à  cause  de 
leur  doctrine  louable  et  nécessaire  ont  mérité  d'être  reçus  par 

1  Cap.  xviii.  —  -  Lih.  III,  i}i  Gra.,  cap.  xxxi. 


310    LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

TEglise.  Je  n'ai  pas  besoin  de  vous  les  recommander;  car  si  vous 
avez  quelque  considération  pour  l'Eglise,  vous  recevrez  quelque 
chose  siu-  son  autorité.  »  Ce  qui  fait  voir  que  'cet  auteur  ne  con- 
sidère ces  livres  que  comme  seulement  ecclésiastiques. 

CXIII.  Hugues  de  Saint-Victor,  auteur  du'  commencement  du 
douzième  siècle,  dans  son  livre  des  Ecritures  et  Ecricfiins  sacrés, 
fait  le  dénombrement  de.s  vingt-deux  liM*es  du  Vieux  Testament; 
et  puis  il  ajoute  :  «  Il  y  a  encore  d'autres  livres,  comme  la  Sa- 
gesse de  Salomon,  le  livre  de  Jésus  fils  de  Sirach,  Judith,  Tohie  et 
les  Machabécs  qu'on  lit,  mais  qu'on  ne  met  pas  dans  le  canon  '  ;  » 
et  ayant  parlé  des  écrits  des  Pèn's,  comme  de  saint  Jérôme, 
saint  Augustin,  etc.,  il  dit  (pie  ces  liM-es  des  Pères  ne  sont  pas 
du  texte  de  l'Ecriture  sainte,  «  de  même  qu'il  y  a  des  livres  du 
Vieux  Testament  qu'on  lit,  mais  (pi'on  ne  met  pas  dans  le  canon, 
comme  la  Sagesse  et  (]uelqu»'s  aulres.  » 

CXIV.  Pierre  Comestor,  aiilciir  ^]i'  V Histoire  Scolastique  ,con- 
friiiporain  de  Pierre  Lombard,  fondateur  de  la  théologie  scolas- 
tiipic,  va  jus(pi"à  ('(irriger  en  eriti(|iic  If  tcxtr  du  passage  de  saint 
Jérôme,  dans  sa  Préface  de  J)  al  il  h,  où  il  y  a  (jne  Judith  est  entre 
les  luigiographcs  chez  les  llébreiLX,  et  (pie  son  autorité  n'est  pas 
.suffisante  pour  décider  des  controverses.  Pierre  Comestor  veut 
qu'au  lieu  àluigiograpfia ,  on  lise  apocn/pha ,  croyant  que  les 
copistes  prenant  les  apocryphes  en  mauvais  sens,  ont  corrompu 
le  texte  de  saint  Jérôme:  Apocrj/plui  horrentcs ,  eo  rejccto ,  ha- 
giographa  scripserc.  11  semble  (pu'  le  passage  de  Strabus  sur 
Tobie  a  donné  occasion  à  cette  doctrine. 

CXV.  Dans  le  treizième  siècle  fleurissoit  un  autre  Hugo,  domi- 
nicain, premier  auteur  des  Concorda?ices  sur  la  sainte  Ecriture, 
c'est-à-dire  des  idlégations  marginales  des  passages  parallèles, 
fait. cardinal  par  Innocciil  IV.  On  a  de  lui  des  vers,  où  après  le 
dén(»inbn'ment  des  Livres  canoniques,  suivant  ranti(iuité  et  les 
protestans,  on  trouve  ceci  : 

Lcx  vêtus  liis  libris  pcrfectè  tota  tenetur  ; 
Restant  apocrypha  :  Jésus,  Sai)ie7itia,  Paslor, 
Et  Macha/jœorum  libri,  Judith  atque  Tobias. 

Cap.  VI. 


BOSSUET  A  LEIBNIZ,  24  MAI  1700.  3H 

Hi,  quia  simt  diibii;  sub  Canone  uon  uuinerantur  ; 
Sed  quia  vora  cammtj  Ecclesia  suspicit  illos. 

CXVI.  Nicolas  de  Lyre,  fameux  commentateur  de  la  sainte  Ecri- 
ture du  quatorzième  siècle,  commençant  d'écrire  sur  les  livres 
non  canoniques,  débute  ainsi  dans  sa  Préface  sur  Tobie  :  «  Jus- 
qu'ici j'ai  écrit,. avec  l'aide  de  Dieu,  sur  les  Livres  canoniques; 
maintenant  je  veux  écrire  sur  ceux  qui  ne  sont  plus  dans  le  ca- 
non. »  Et  puis,  «  bien  (jne  la  vérité  écrite  dans  les  Li\Tes  cano- 
niques précède  ce  qui  est  dans  les  autres ,  à  l'égard  du  temps 
dans  la  plupart  et  à  Tégard  de  la  dignité  en  tous ,  néanmoins  la 
vérité  écrite  dans  les  livres  non  canoniques  est ,' utile  pour  nous 
diriger  dans  le  chemin  des  boimes  mœurs,  qui  mène  au  royaume 
des  deux.  » 

CXVII.  Dans  le  même  siècle,  le  glossateur  du  décret,  qu'on 
ci^oit  être  Jean  Semeca,  dit  le  Teutonique,  parle  ainsi  :  «  La  Sa- 
gesse de  Salomon  j  et  le  li\Te  de  Jésus  fils  de  Sirach ,  Judith , 
ToMe  et  le  livre  des  Machabées  sont  apocr;y'phes.  On  les  lit  ;  mais 
peut-être  n'est-ce  pas  généralement  '.  » 

CXVIII.  Dans  le  quinzième  siècle ,  Antonin,  archevêque  de  Flo- 
rence, que  Rome  a  mis  au  nombre  des  Saints,  dans  sa  Somme  de 
théologie^,  après  avoir  dit  que  \di  Sagesse ,  Y  Ecclésiastique ,  Ju- 
dith, Tobie  et  les  Machabées  sont  apocryphes  chez  les  Hébreux  ; 
et  que  saint  Jérôme  ne  les  juge  point  propres  à  décider  les  con- 
troverses, ajoute  que  «  saint  Thomas,  in  secundâ  secundœ,  et  Ni- 
colas de  Lyre ,  sur  Tobie ,  en  disent  autant  ;  savoir  ,  qu'on  n'en 
peut  pas  tirer  des  argumens  efficaces  en  ce  qui  est  de  la  foi , 
comme  des  autres  Livres  de  la  sainte  Ecriture.  Et  peut-être,  ajoute 
Antonin,  qu'ils  ont  la  môme  autorité  que  les  paroles  des  Saints , 
approuvées  par  l'Eglise.  » 

CXIX.  Alphonse  Tostat,  grand  commentatem"  du  siècle  qui  a 
précédé  celui  de  la  réformation,  dit  dans  son  Defensorium,  «  que 
la  distinction  des  Livres  du  Vieux  Testament  en  trois  classes,  faite 
par  saint  Jérôme  dans  son  Prologus  Galeatus,  est  celle  de  l'Eglise 
universelle;  qu'on  l'a  eue  des  Hébreux  avant  Jésus-Christ,  et 

'•  Can,  c,  di<t.  IG.  —  ^  Summa  Tk?ol.,  part.  Hi,  lit.  IS,  cap.  vi,  §  2. 


312   LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

qu'elle  a  été  continuée  dans  l-Eglise  '.  »  Il  parle  en  quelques  en- 
droits comme  saint  Augustin ,  disant  dans  son  Commentaire  sur 
le  Prolofjus  Gcleaiiis,  que  l'Eglise  reçoit  ces  livres,  exclus  parles 
Hébreux ,  pour  authentiques  et  compris  au  nombre  des  saintes 
Ecritures.  Mais  il  s'explicjue  lui-même  sur  saint  Matthieu  :  «  Il  y 
a,  dit-il,  d'autres  Ii\Tes  que  l'Eglise  ne  met  pas  dans  le  canon,  et 
ne  leiu'  ajoute  pas  autant  de  foi  qu'aux  autres  :  Non  rccipientes 
non  jiidicat  inobcdientea  aut  infidèles^;  elle  ignore  s'ils  sont 
inspirés;  »  et  puis  il  nomme  expressément  à  ce  propos  la  Sagesse, 
VErclésiastif/ue ,  les  Macliabées ,  Judith  et  Tobie ,  disant  :  Quod 
probatio  ex  illis  snmpta  sit  aliqiiaJitcr  efficax.  Et  parlant  des 
apocryphes,  dont  il  n'est  pas  certain  qu'ils  ont  été  écrits  par 
des  auteurs  inspirés,  il  dit  «  qu'il  suffit  qu'il  n'y  a  rien  qui  soit 
manifestement  faux  ou  suspect;  qu'ainsi  l'Eglise  ne  les  met  pas 
dans  son  canon  et  ne  force  personne  à  les  croii'c  ;  cependant  elle 
les  lit*,  etc.  ;  »  et  puis  il  dit  expressément  au  même  endroit,  qu'il 
n'est  pas  assuré  que  les  cinq  livres  susdits  soient  inspirés  :  De 
auctoribus  horinnnon  constat  Ecdcsioi  an  Spiritu  sancto  dictante 
scripscrint,  non  tamen  rcperit  in  illis  aliriuid  falsum  aut  valdè 
suspcctum  de  falsitate. 

CXX.  Enfin  dans  le  seizième  siècle,  immédiatement  avant  la  ré- 
formation ,  dans  la  préface  de  la  IJiblc  du  cardinal  Ximenès ,  dé- 
diée à  LéonX,  il  est  dit  que  les  Uvres  du  Vieux  Testament,  qu'on 
n'a  ([u'en  grec,  sont  hors  du  canon,  et  sont  plutùl;  reçus  pour  l'é- 
dification du  peuple  que  pour  établir  des  dogmes. 

CXXI.  Et  le  cardinal  Cajétan,  écrivant  après  la  réformation  com- 
mencée, mais  avant  le  concile  de  Trente,  dit  j\  la  fin  de  son  Com- 
mentaire sur  YEcclésiaste  de  Salomon,  puldié  à  Rome  en  1534  : 
«  C'est  ainsi  que  finit  YEcclésiaste  avec  les  livres  de'  Salomon  et 
de  la  Sagesse.  Mais  quant  aux  autres  livres,  à  qui  on  donne  ce 
nom,  gui  rncaiilur  libri  sapieutiales,  puisque  saint  Jérôme  les  met 
hors  du  canon  qui  a  l'autorité  de  la  foi ,  nous  les  omettrons ,  et 
nous  nous  hâterons  d'aller  aux  oracles  des  prophètes.  » 

CXXII.  Après  ce  détail  de  l'autorité  de  tant  de  grands  hommes 

»  Part.  !1  ,  cap.  xxtii.  —  -  QuiCàt.  il.  —  '  Aulon.  Sunora  Theolog.,  paît.  II, 
cap.  XIII,  quiEst.  III. 


LEIBNIZ  A  BOSSUET,  24  MAI  1700.  313 

de  tous  ces  siècles,  qui  ont  parlé  formellement  comme  l'ancienne 
Eglise  et  comme  les  protestans,  on  ne  sauroit  clouter,  ce  semble, 
que  l'Eglise  a  toujours  fait  une  grande  différence  entre  les  livres 
canoniques  ou  immédiatement  divins ,  et  entre  d'autres  compris 
dans  la  Bible,  mais  qui  ne  sont  qu'ecclésiastiques  :  de  sorte  que 
la  condamnation  de  ce  dogme,  que  le  concile  de  Trente  a  publiée, 
est  une  des  plus  visibles  et  des  plus  étranges  nouveautés  qu'on 
ait  jamais  introduites  dans  l'Eglise. 

Il  est  temps,  Monseigneur,  que  je  revienne  à  vous,  et  même 
que  je  finisse  ;  car  votre  seconde  Lettre  n'a  rien  qui  nous  doive 
arrêter,  excepté  ce  que  j'ai  touché  au  commencement  de  ma  pre- 
mière réponse.  Au  reste  j'y  trouve  presque  tout  assez  conforme 
au  sens  des  protestans  :  car  je  n'insiste  point  sur  quelques  choses 
incidentes  ;  et  il  suffit  de  remarquer  que  ce  que  vous  dites  si  bien 
de  lautorilé  et  de  la  doctrine  constante  de  l'Eglise  catholique,  est 
entièrement  favorable  aux  protestans  et  absolument  contraire  à 
des  novatem's  aussi  grands  que  ceux  qui  étoient  de  la  faction  si 
désapprouvée  en  France,  qui  nous  a  produit  les  anathèmes  inex- 
cusables de  Trente. 

Je  ne  doute  point  que  la  postérité  au  moins  n'ouvre  les  yeux 
là-dessus;  et  j'ai  meilleure  opinion  de  l'Eglise  catholique  et  de 
l'assistance  du  Saint-Esprit,  que  de  pouvoir  croire  qu'un  concile 
de  si  mauvais  aloi  soit  jamais  reçu  pour  œcuménique  par  l'Eglise 
universelle.  Ce  seroit  faire  une  trop  grande  brèche  à  l'autorité  de 
l'Eglise  et  du  christianisme  même ,  et  ceux  qui  aiment  sincère- 
ment son  véritable  intérêt  s'y  doivent  opposer.  C'est  ce  que  la 
France  a  fait  autrefois  avec  un  zèle  digne  de  louange,  dont  elle  ne 
devroit  pas  se  relâcher  maintenant  qu'elle  a  été  enrichie  de 
tant  de  nouvelles  lumières,  parmi  lesqueUes  on  vous  voit  tant 
briUer. 

En  tout  cas,  je  suis  persuadé  que  vous  et  tout  ce  cpi'il  y  a  de 
personnes  éclairées  dans  votre  parti,  qui  ne  sauroient  encore  sur- 
monter les  préventions  où*ils  sont  engagés,  rendront  assez  de 
justice  aux  protestans  pour  reconnoître  qu'il  ne  leur  est  pas  moins 
impossible  d'effacer  l'impression  de  tant  de  raisons  invincibles, 
([u'ils  croient  avoir  contre  un  concile  dont  la  matière  et  la  forme 


314    LETTRES  SUR  LA  REUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEM.\GNE. 

paroissent  également  insoutenables.  Il  n'y  a  que  la  force,  ou  bien 
une  indifférence  peu  éloignée  d'une  irréligion  déclarée,  qui  ne  se 
fait  que  trop  remarquer  dans  le  monde,  qui  puisse  le  faire  triom- 
pher. J'espère  que  Dieu  préservera  son  Eglise  d'un  si  grand 
mal  ;  et  je  le  prie  de  vous  conserver  longtemps ,  et  de  vous  don- 
ner les  pensées  (pi'il  faut  avoir  pour  contribuer  à  sa  gloire  autant 
que  les  talens  extraordinaires  qu'il  vous  a  confiés  vous  donnent 
moyen  de  le  faire.  Et  je  suis  avec  zèle.  Monseigneur,  votre  très- 
humble  et  très-obéissant  serviteur, 

Lkihniz. 


LETTRE    XLIX. 

LEIBNIZ  A  nOSSL'ET. 
A  Biiin5.\vick,  ce    3    scptembip    1700. 

MONSEIGNRUK, 

Votre  lettre  du  l"  '  juin  ne  m'a  été  rendue  ([u'à  mon  retour  de 
Berlin,  OÙ  j'ai  été  plus  de  trois  mois,  parce  que  Monseigneur  l'é- 
ledour  de  l^randebourg  m'y  a  fait  appeler,  pour  contribuer  à  la 
fondation  d'une  nouvelle  société  pour  les  sciences,  dont  Son  Al- 
tesse Electorale  veut  (pie  j'aie  soin.  J'avois  laissé  ordre  qu'on  ne 
m'envoyât  pas  les  paquets  un  peu  gros  ;  et  comme  il  y  avoit  im 
livre  dans  le  vôtre,  on  l'a  fait  attendi'e  plus  que  je  n'eusse  voulu. 
C'est  de  la  communication  de  ce  livre  encore  que  je  vous  remercie 
bien  fort  ;  et  je  trouve  que  par  les  choses  et  par  le  bon  tour  qu'il 
leur  donne,  il  est  merveilleusement  propre  pour  le  but  où  il  est 
destiné,  c'est-à-dire  pour  acliever  ceux  (pii  chancèlent.  Mais  il  ne 
l'est  pas  tant  pour  ceux  (jui  sont  dans  une  autre  assiette  d'esprit, 
et  qui  opposent  à  vos  prc\jugés  de  l)elle  prestance  d'autres  préju- 
gés qui  ne  le  sont  pas  moins,  et  la  discussion  même,  (|ui  vaut 
mieux  que  tous  les  préjugés.  Cependant  il  semble.  Monseigneur, 
(jur  lliabiludr  (pic  vous  avez  de  vaincre,  vous  fait  toujours 
prendre  des  expressions  (pii  y  conviennent.  Vous  me  prédisez 
que  l'équivoque  de  canonique  se  tournera  enfin  contre  moi.  Vous 
me  demandez  à  (luel  propos  je  vous  parle  de  la  force,  comme 


LEIBNIZ  A  BOSSUET,  3  SEPTEMBRE  1700.  31f> 

d'un  moyen  de  finir  le  schisme.  Yous  supposez  toujours  qu'on  re- 
connoît  que  l'Eglise  a  décidé,  et  après  cela  vous  inférez  qu'on  ne 
doit  point  toucher  à  de  telles  décisions. 

Mais  quant  aux  Livres  canoniques ,  il  faudra  se  remettre  à  la 
discussion  où  nous  sommes  ;  et  quant  à  l'usage  de  la  force  et  des 
armes,  ce  n'est  pas  la  première  fois  que  je  vous  ai  dit.  Monsei- 
gneur, que  si  vous  voulez  que  toutes  les  opinions  qu'on  autorise 
chez  vous  soient  reçues  partout  comme  des  jugemens  de  l'Eglise, 
dictés  par  le  Saint-Esprit,  il  faudra  joindre  la  force  à  la  raison. 

En  disputant,  je  ne  sais  si  ou  ne  pourroit  pas  distinguer  entre 
ce  qui  se  dit  adpopulum,  et  entre  ce  dont  pourroient  convenir 
des  personnes  qui  font  profession  d'exactitude.  Il  faut  ad popu- 
lum,  phaleras .  J'y  accorderois  les  ornemens,  et  je  pardonnerois 
même  les  suppositions  et  pétitions  de  principe  :  c'est  assez  qu'on 
persuade.  Mais  quand  il  s'agit  d'approfondir  les  choses  et  de  par- 
venir à  la  vérité,  ne  vaudroit-il  pas  mieux  convenir  d'une  autre 
méthode  qui  approche  un  peu  de  celle  des  géomètres,  et  ne 
prendre  pour  accordé  cpie  ce  que  l'adversaire  accorde  effective- 
ment, ou  ce  qu'on  peut  dire  déjà  prouvé  par  un  raisonnement 
exact?  C'est  de  celte  méthode  que  je  souhaiterois  de  me  pouvoir 
servir.  EUe  retranche  d'abord  tout  ce  qui  est  choquant  ;  elle  dis- 
sipe les  nuages  du  beau  tour ,  et  fait  cesser  les  supériorités  que 
réloquence  et  l'autorité  donnent  aux  grands  hommes,  pour  ne 
faire  triompher  que  la  vérité. 

Suivant  ce  style,  on  diroit  qu'un  tel  concile  a  décidé  ceci  ou  cela  ; 
mais  on  ne  dira  pas  que  c'est  le  jugement  de  l'Eglise,  avant  que 
d'avoir  montré  qu'on  a  observé,  en  doimant  ce  jugement,  les  con- 
ditions d'un  concile  légitime  et  œcuménique,  ou  que  l'Eghse  uni- 
verselle s'est  expliquée  par  d'autres  marques  ;  ou  bien,  au  lieu  de 
dire  l'Eghse,  on  diroit  l'Eglise  romaine. 

Pour  ce  qui  est  de  la  réponse  que  vous  nous  avez  donnée  au- 
trefois. Monseigneur,  voici  de  quoi  je  me  souviens.  Yous  aviez 
pris  la  question  comme  si  nous  voulions  que  vous  deviez  renon- 
cer vous-même  aux  conciles  que  vous  reconnoissez ,  et  c'est  sm' 
ce  pied-lcà  que  vous  répondîtes  à  M.  l'abbé  de  Loldvum.  Mais  je 
vous  remontrai  fort  distinctement  qu'il  ne  s'agissoit  pas  de  cela; 


:H6    lettres  SUR  LA  REUiMON  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

et  que  les  conciles,  suivant  vos  propres  maximes,  n'obligent  point 
là  où  de  grandes  raisons  empêchent  qu'on  ne  les  reçoive  ou  re- 
eonnoisse  ;  et  c'est  ce  (jue  je  vous  prouvai  par  un  exemple  très- 
considérable.  Avant  que  d'y  répondre,  vous  demandâtes,  Monsci- 
gnem",  que  je  vous  envoyasse  l'acte  public  qui  justifioit  la  ^^hité 
de  cet  exemple.  Je  le  fis,  et  après  cela  le  droit  du  jeu  étoit  que 
vous  répondissiez  conformément  à  l'état  de  la  question  qu'on  ve- 
noit  de  former.  Mais  vous  ne  le  fîtes  jamais;  et  maintenant,  par 
oubli  sans  doute,  vous  me  renvoyez  à  la  première  réponse,  dont 
ilnes'agissoit  plus. 

Vous  avez  raison  de  me  sommer  d'examiner  sérieusement  de- 
vant Dieu  s'il  y  a  quelque  bon  moyen  d'empêcher  l'état  de  l'Eglise 
de  devenir  élernellement  variable:  mais  je  l'entends  en  supposant 
qu'on  peut,  non  pas  changer  ses  décrets  sur  la  foi  et  les  recon- 
noilre  pour  des  erreurs,  comme  vous  le  prenez ,  mais  suspendre 
ou  tenir  pour  suspenrlue  la  force  de  ses  décisions  en  certains  cas 
et  à  certains  égards;  en  sorte  (pie  la  suspension  ait  lieu,  non  pas 
(Mitre  ceux  cpii  les  croient  émanées  de  l'Eglise,  mais  à  l'égard 
d'autres,  afin  qu'on  ne  prononce  point  anafhème  contre  ceux  à  qui 
sur  des  raisons  très-apparentes  cela  ne  paroît  point  croyable,  sur- 
tout lorsque  plusieurs  grandes  nations  sont  dans  ce  cas ,  et  qu'il 
est  difficile  de  parvenir  autrement  à  l'union  e^ans  des  boulevcrse- 
ni(Mis  (]ui  (mtraincnt ,  non-seulement  une  terrilde  effusion  de 
sang,  mais  encore  la  perte  d'une  infinité  d'anies. 

Eh  bien,  Monseigneur,  employez-y  plutôt  vous-même  vos  mé- 
ditations et  ce  grand  esprit  dont  Dieu  vous  a  doué  :  rien  ne  le 
mérite  mieux.  A  mon  avis ,  le  bon  moyen  d'enqiècher  les  varia- 
tions est  tout  trouvé  chez  vous,  pourvu  qu'on  le  veuille  employer 
mi(Hix  qu'on  n'a  fait,  comme  personne  ne  le  peut  faire  mieux 
(jue  vous-même.  C'est  qu'il  faut  être  circonspect,  et  on  ne  sauroit 
l'être  trop  pour  ne  faire  passer  pour  le  jugement  de  l'Eglise  que 
ce  (pii  en  a  les  caractères  indubitables,  de  peur  qu'en  recevant 
trop  légèrement  certaines  décisions,  on  n'expose  et  on  n'afibiblisse 
par  là  l'autorité  de  l'Eglise  universelle,  plus  sans  doute  incompa- 
rablement (|ue  si  on  les  rejetoit  comme  non  prononcées  ;  ce  qui  fe- 
roit  tout  demeurer  sauf  et  en  son  entier  :  d'oiî  il  est  manifeste  qu'il 


LEIBNiZ  A  BOSSUET,  3  SEPTEMBRE  1700.  317 

vaut  mieux  être  trop  réservé  là-dessus  que  trop  peu.  Tôt  ou  tard 
la  vérité  se  fera  jour  ;  et  il  faut  craindre  que  lorsqu'on  croira 
d'avoir  tout  gagné ,  quand  c'est  par  des  mauvais  moyens ,  on 
am'a  tout  gâté  et  fait  au  christianisme  même  un  tort  difficile  à  ré- 
parer. Car  il  ne  faut  pas  se  dissimuler  ce  que  tout  le  monde  en 
France  et  ailleurs  pense  et  dit  sans  se  contraindre,  tant  dans  les 
livres  que  dans  le  pul)lic.  Ceux  qui  sont  véritablement  catholiques 
et  chrétiens  en  doivent  être  touchés,  et  doivent  encore  souhaiter 
qu'on  ménage  extrêmement  le  nom  et  l'autorité  de  l'Eghsc,  en  ne 
lui  attribuant  que  des  décisions  bien  avérées,  afin  que  ce  beau 
moyen  qu'elle  nous  fournit  d'apprendre  la  vérité  garde  sans  falsi- 
fication toute  sa  pureté  et  toute  sa  force,  comme  le  cachet  du 
prince  ou  comme  la  monnoie  dans  un  Etat  bien  policé  :  et  ils 
doivent  compter  pour  un  grand  bonheur  et  pour  un  coup  de  la 
Providence,  que  la  nation  gallicane  ne  s'est  pas  encore  précipitée 
par  aucun  acte  authentique,  et  qu'il  y  a  tant  de  peuples  qui  s'op- 
posent à  certaines  décisions  de  mauvais  aloi . 

Jugez  vous-même,  Monseigneur,  je  vous  en  conjure,  lesquels 
sont  meilleurs  catholiques,  ou  ceux  qui  ont  soin  de  la  réputation 
sohde  et  pureté  de  l'Eglise  et  de  la  conservation  du  christianisme, 
ou  ceux  qui  en  abandonnent  l'honneur  pour  maintenir,  au  péril 
de  l'Eglise  même  et  de  tant  de  millions  d'ames,  les  thèses  qu'on  a 
épousées  dans  le  parti.  Il  semble  encore  temps  de  sauver  cet 
honneur,  et  personne  n'y  peut  plus  que  vous.  Aussi  ne  crois-je 
pas  qu'il  y  ait  personne  qui  y  soit  plus  engagé  par  des  liens  de 
conscience,  puisqu'un  jour  on  vous  reprochera  peut-être  qu'il  n'a 
tenu  qu'à  vous  qu'un  des  plus  grands  biens  ait  été  obtenu.  Car 
vous  pouvez  beaucoup  auprès  du  roi  dans  ces  matières,  et  l'on 
sait  ce  que  le  roi  peut  dans  le  monde.  Je  ne  sais  si  ce  n'est  pas 
encore  l'intérêt  de  Rome  même  :  toujours  est-ce  celui  de  la  vé- 
rité. 

Pourquoi  porter  tout  aux  extrémités ,  et  pourquoi  récuser  les 
voies  qui  paroissent  seules  conciliables  avec  les  propres  et  grands 
principes  de  la  catholicité,  et  dont  il  y  a  même  des  exemples?  Est- 
ce  qu'on  espère  que  son  parti  l'emportera  de  haute  lutte  ?  Mais 
Dieu  sait  quelle  blessure  cela  fera  au  christianisme.  Est-ce  qu'on 


318  LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE, 
craint  de  se  faire  des  affaires  ?  Mais  outre  que  la  conscience  passe 
toutes  choses,  il  semble  que  vous  savez  des  voies  sûres  et  solides 
pour  faire  entrer  les  puis^^ances  dans  les  intérêts  de  la  vérité.  En- 
fin je  crains  de  dire  trop  quand  je  considère  vos  lumières,  et  pas 
assez  quand  je  considère  lïmportance  de  la  matière.  11  faut  donc 
en  abandonner  le  soin  et  l'effet  à  la  Providence,  et  ce  qu'elle  fera 
sera  le  meillem',  quand  ce  seroit  de  faire  durer  et  augmenter  nos 
maux  encore  pour  longtemps.  Cependant  il  faut  que  nous  n'ayons 
rien  à  nous  reprocher.  Je  fais  tout  ce  que  je  puis  ;  et  quand  je  ne 
réussis  pas,  je  ne  laisse  pas  d'être  très-content.  Dieu  fera  sa  sainte 
volonté,  et  moi  j'aurai  fait  mon  devoir.  Je  prie  la  divine  bonté  de 
vous  conserver  encore  longtemps,  et  de  vous  donner  les  occa- 
sions, aussi  bien  que  la  pensée,  de  contr  ibuer  à  sa  gloire,  autant 
(|u'il  vous  en  a  donné  les  moyens.  Et  je  suis  avec  zèle.  Monsei- 
gneur, votre  très-buiiililc  et  très- obéissant  serviteur, 

Leu»niz. 

P.  S.  Mon  zèle  et  ma  bonne  intention  ayant  fait  que  je  me  suis 
émancipé  un  peu  dans  cette  lettre,  j'ai  cru  que  je  ne  ménagerois 
pas  assez  ce  que  je  vous  dois,  si  je  la  faisois  passer  sous  d'autres 
yeux  en  la  laissant  ouverte.  J'ajoute  encore  seulement  que  toutes 
nos  ouvertures  ou  propositions  viennent  de  votre  parti  même. 
Nous  n'en  sommes  pas  les  inventeurs.  Je  le  dis,  afin  (pi'on  ne 
croie  point  qu'un  point  d'honneur  ou  de  gloire  m'intéresse  à  les 
pousser.  C'est  la  raison,  c'est  le  devoir. 


LETTRE  L. 

LEIBNIZ    A    BOSSUET. 
A   VolfenbuUel,  co  21  j"i"  l~0'- 

Monseigneur, 

J'ai  eu  riioiHieur  d'apprendre  de  Monseigneur  le  prince,  héri- 
tier de  Wolfenbuttel,  que  vous  aviez  témoigné  de  souhaiter  quelque 
communication  avec  un  théologien  de  ces  pays-ci.  Son  Altesse 


I 


LEIBNIZ  A  BOSSUET,  21  JUIN  1701.  310 

Sérénissime  y  a  pensé,  et  m'a  fait  la  grâce  de  vouloir  aussi  écouter 
mon  sentiment  là-dessus  :  mais  on  y  a  trouvé  de  la  difficulté, 
puisque  M.  l'abbé  de  Lokkum  même  paroissoit  ne  vous  pas  reve- 
nir [a],  que  nous  savons  être  sans  contredit  celui  de  tous  ces  pays-ci 
qui  a  le  plus  d'autorité,  et  dont  la  doctrine  et  la  modération  ne 
sont  guère  moins  hors  du  pair  chez  nous.  Les  autres  qui  seront 
le  mieux  disposés,  n'oseront  pas  s'expliquer  de  lem-  chef  d'ime 
manière  où  il  y  ait  autant  d'avances  qu'on  en  peut  remarquer  dans 
ce  qu'il  vous  a  écrit.  Et  comme  ils  communiqueront  avec  lui  aupa- 
ravant et  peut-être  encore  avec  moi^  il  n'y  a  point  d'apparence 
que  vous  en  tiriez  quelque  chose  de  plus  avantageux  que  ce  qu'on 
vous  a  mandé.  La  plupart  même  en  seront  bien  éloignés,  et  diront 
des  choses  qui  vous  accommoderont  encore  moins  incompara- 
blement ;  car  il  faut  bien  préparer  les  esprits  pour  leur  faire  goû- 
ter les  voies  de  modération  :  outre  qu'il  faut,  ^lonseigneur,  que 
vous  fassiez  aussi  des  avances  qui  marquent  votre  équité  ;  d'autant 
qu'il  ne  s'agit  pas  proprement  dans  notre  communication  que  vous 
quittiez  à  présent  vos  doctrines ,  mais  que  vous  nous  rendiez  la 
justice  de  reconnoître  que  nous  avons  de  notre  côté  des  appa- 
rences assez  fortes  pour  nous  exempter  d'opiniâtreté,  lorsque 
nous  ne  saurions  passer  l'autorité  de  quelques-unes  de  vos  déci- 
sions. Car  si  voulez  exiger  comme  articles  de  foi  des  opinions  dont 
le  contraire  étoit  reçu  notoirement  par  toute  l'antiquité,  et  tenu 
encore  du  temps  du  cardinal  Cajétan  immédiatement  avant  le  con- 
cile de  Trente  ;  comme  est  l'opinion  cpie  vous  paroissiez  vouloir 
soutenir,  d'une  parfaite  et  entière  égalité  de  tous  les  hvres  de  la 
Bible,  qui  me  paroît  détruite  absolument  et  sans  réplique  par  les 

(al  ]1  est  difficile  de  deviner  sur  quoi  M.  de  Leibniz  a.  pu  soupçonner  M.  de 
Meaux  de  ne  vouloir  pas  traiter  avec  Molanus,  puisque  ce  prélat  a  toujours  au 
coutraii-e  témoigué  une  estime  toute  particulière  pour  l'abbé  de  Lokkum,  dont 
le  savoir  et  la  modération  étoient  en  effet  très-estimables.  Si  l'on  veut  examiner 
les  cboses  de  près,  je  crois  qu'on  soupçonnera  plutôt  M.  de  Leibniz  d'avoir 
écarté  Molanus,  et  de  s'être  mis  à  sa  place  fort  mal  à  propos.  Car  il  est  certain 
que  M.  de  Leibniz  ne  montre  pas  la  même  candeur  et  la  même  sincérité,  il 
chicane  sur  tout;  il  incidente  à  tout  propos;  il  répète  des  objections  déjà  réso- 
lues, et  paroît  employer  tout  son  esprit  à  éluder  les  réponses  si  satisfaisantes 
qu'on  lui  donnoit,  et  à  faire  naitre  de  nouvelles  difticultés,  au  lieu  que  Molanus 
ne  cherchoit  cpi'à  les  aplanir.  Cette  lettre,  ainsi  que  plusieurs  autres  qui  l'ont 
précédée,  n'est  pleine,  à  proprement  parler,  que  de  chicanes,  comme  M.  de 
Jîeaux  le  fait  assez  sentir  dans  sa  Réponse.  [Edit.  de  Leroi.) 


320    LETTRES  SUR  LA  REUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

passages  que  je  vous  ai  envoyés,  il  est  impossible  qu'où  vienne  au 
but;  car  vous  avez  trop  de  lumières  et  trop  de  bonnes  intentions 
pour  conseiller  des  voies  obliques  et  peu  théologiques,  et  nos  théo- 
logiens sont  de  trop  honnêtes  gens  pour  y  donner.  Ainsi  je  vous 
laisse  à  penser  à  ce  que  vous  pourrez  juger  faisable  ;  et  si  vous 
croyez  pouvoir  me  le  commmiiquer,  j'y  contribuerai  sincèrement 
en  tout  ce  qui  dépendra  de  moi.  Cai'  bien  loin  de  me  vouloir 
approprier  cette  négociation,  je  voudrois  la  pouvoir  étendre  Ijien 
avant  à  d'autres;  et  je  doute  qu'on  retrouve  sitôt  des  occasions 
si  favombles  du  côté  des  princes  et  des  théologiens. 

Vous  m'aviez  témoigné  autrefois,  Monseigneur,  d'avoir  pris  en 
bonne  part  que  j'avois  conseillé  qu'on  y  joignît  de  votre  côté 
quelque  persoime  des  conseils  du  roi,  versée  dans  les  lois  et  droits 
du  royaume  de  France ,  (]ui  eût  toutes  les  counoissances  et  qua- 
lités requises,  et  qui  pourroit  prêter  l'oreille  à  des  tempéraniens 
et  ouvertm'es  où  votre  caractère  ne  vous  permet  pas  d'entrer, 
quand  même  vous  les  trouveriez  raisonnables  ;  mais  qui  ne  feroient 
point  de  peine  à  une  personne  semblalile  à  feu  M.  Pelisson,  ou  au 
président  Miron,  qui  parla  pour  le  tiers-état  en  1014.  Car  ces 
ouvertures  pourroient  être  réconciliables  avec  les  anciens  prin- 
cipes et  privilèges  de  l'église  et  de  la  nation  françoise ,  appuyés 
sur  l'autorité  royale  et  soutenus  dans  les  assemblées  nationales 
el  aillem's;  mais  que  votre  clergé  a  tâché  de  renverser  par  une 
entreprise  contraire  à  l'autorité  du  roi ,  qui  ne  seroit  point  souf- 
ferte aujourd'hui.  Ainsi  je  suis  très-content.  Monseigneur,  que 
vous  demandiez  des  théologiens ,  comme  j'ai  demandé  des  juris- 
consultes. La  did'érence  qu'il  y  a  est  que  votre  demande  ne  sert 
point  à  faciliter  les  choses,  comme  faisoit  la  mienne,  et  que  vous 
avez  en  eiïet  ce  que  vous  demandez.  Car  ce  (jue  je  vous  ai  mandé 
a  été  communiqué  avec  M.  l'abbé  de  Lokkum,  et  en  substance 
encore  avec  d'autres.  Je  suis  avec  tout  le  zèle  et  toute  la  déférence 
possibles ,  Monseigneur,  votre  très-humble  et  très-obéissant  ser- 
vi leur, 

Lëiuiniz. 


BOSSUET  A  LEIBNIZ,  12  AOUT  1701.  321 


LETTIΠ LI. 

BOSSUET    A   LEIBNIZ. 
A   Germigny,  ce    12   août  1701. 

Monsieur, 

Je  vois  dans  la  lettre  dont  vous  m'honorez ,  du  21  juin  de  cette 
année,  qu'on  avoit  dit  à  Monseigneur  le  prince,  héritier  de  Wol- 
fenbuttel,  «que  j'avois  témoigné  souhaiter  quelque  communication 
avec  un  théologien  du  pays  où  vous  êtes  ;  »  et  qu'on  y  trouvoit 
d'autant  plus  de  difficulté  «  que  M.  l'abbé  de  Loldvum  même  ne 
seml)loit  pas  me  revenir.  »  C'est  sur  quoi  je  suis  obligé  de  vous 
satisfaire  ;  et  puisque  la  chose  a  été  portée  à  Messeigneurs  vos 
princes,  dans  la  bienveillance  desquels  j'ai  tant  d'intérêt  de  me 
conserver  quekpie  part,  en  reconnoissance  des  bontés  qu'ils  m'ont 
souvent  fait  l'honneur  de  me  témoigner  par  vous-même,  je  vous 
supplie  que  cette  réponse  ne  soit  pas  seulement  pour  vous,  mais 
encore  pour  leurs  Altesses  Sérénissimes.  ' 

Je  vous  dirai  donc.  Monsieur,  premièrement,  que  je  n'ai  jamais 
proposé  de  communication  que  je  désirasse  avec  qui  que  ce  soit 
de  delà,  me  contentant  d'être  prêt  à  exposer  mes  sentimens,  sans 
affectation  de  qui  que  ce  soit,  à  tous  ceux  qui  voudroient  bien  entrer 
avec  moi  dans  les  moyens  de  fermer  la  plaie  de  la  clu^étienté. 
Secondement,  quand  quelqu'un  de  vos  pays,  catholique  ou  pro- 
testant ,  m'a  parlé  des  voies  qu'on  pourroit  tenter  pour  mi  ou- 
vrage si  désirable,  j'ai  toujours  dit  que  cette  affaire  devoit  être 
principalement  traitée  avec  des  théologiens  de  la  Confession 
d'Augsbourg,  parmi  lesquels  j'ai  toujours  mis  au  premier  rang 
M.  l'abbé  de  Lokkum,  comme  un  homme  dont  le  savoir,  la  can- 
deur et  la  modération  le  rendoient  un  des  plus  capables  que  je 
connusse  pour  avancer  ce  beau  dessein. 

J'ai,  Monsieur,  de  ce  savant  homme  la  même  opinion  que  vous 
en  avez;  et  j'avoue  selon  les  termes  de  votre  lettre  a  que  de 
TOM.  xvin.  21 


322  LETTRES  SUR  LA  REUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

tous  ceux  qui  seront  le  mieux  disposés  à  s'expliquer  de  leur  chef, 
aucun  n'a  proposé  une  manière  où  il  y  ait  autant  d'avances 
qu'on  en  peut  remarquer  dans  ce  qu'il  m'a  écrit.  » 

Cela,  Monsieur,  est  si  véritable,  que  j'ai  cru  devoir  assm'er  ce 
docte  abbé ,  dans  la  réponse  que  je  lui  fis  il  y  a  déjà  plusieurs 
années,  par  M.  le  comte  Balati,  que  s'il  pouvoit  faire  passer  ce 
qu'il  appelle  ses  «  Pensées  particulières,  »  Cogitationes  privatœ, 
à  un  consentement  suffisant,  je  me  promettois  qu'en  y  joignant 
les  rcinarcpies  que  je  lui  envoyois  sur  la  Confession  cV Aufishoirr(] 
et  les  autres  Ecrits  symboliques  des  protestans,  l'ouvrage  de  la 
réunion  seroit  achevé  dans  ses  parties  les  plus  difficiles  et  les 
plus  essentielles,  en  sorte  qu'il  ne  faudroit  à  des  personnes  bien 
disposées  que  très-peu  de  temps  pour  le  conclure. 

Vous  voyez  par  là,  Monsieur,  combien  est  éloigné  de  la  vé- 
rité ce  qu'on  a  dit  comme  en  mon  nom  à  Monseigneur  le  prince 
héritier,  puis(pie,  bien  loin  de  récuser  ]\I.  l'abbé  de  Lokkum, 
comme  on  m'en  accuse ,  j'en  ai  dit  (  e  que  vous  venez  d'en- 
tendre, et  ce  que  je  vous  supplie  de  lire  à  vos  princes,  aux  pre- 
miers momens  de  leur  commodité  (jue  vous  trouverez. 

Quand  j'ai  parlé  des  théologiens  nécessaires  principalement 
dans  cette  affaire,  ce  n'a  pas  été  pour  en  exclure  les  laïques, 
puiscfu'au  contraire  un  concours  de  tous  les  ordres  y  sera  utile, 
et  notamment  le  votre. 

En  effet  quand  vous  proposâtes,  ainsi  que  vous  le  remarquez 
dans  votre  lettre,  de  nommer  ici  des  jurisconsultes  pour  travailler 
avec  les  théologiens,  vous  pouvez  vous  souvenir  avec  quelle  faci- 
lité on  y  donna  les  mains;  et  cela  étant,  permettez-moi  de  vous 
témoigner  mon  étonnement  sur  la  fin  de  votre  lettre,  où  vous 
dites  «  que  ma  demande  ne  sert  point  à  faciliter  les  choses,  comme 
faisoit  la  vôtre.  »  Vous  seinl)lez  |iar  là  m'accuser  de  chercher  des 
longueurs;  à  quoi  vous  voyez  Ineii  par  mon  procédé,  tel  que  je 
viens  de  vous  l'expliquer  sous  les  yeux  de  Dieu,  que  je  n'ai  seule- 
ment pas  pensé. 

Quant  à  ce  que  vous  ajoutez,  (|ue  j'ai  déjà  ce  que  je  demande, 
ou  plutôt  ce  que  je  propose  sans  rien  demander,  c'est-à-dire  un 
théologien,  cela  seroit  vrai,  si  M.  l'abbé  de  Lokkum  paroissoit 


BOSSUET  A  LEIBNIZ,  12  AOUT  1701.  323 

encore  dans  les  dernières  communications  crue  nous  a\ons  eues 
ensemble ,  au  lieu  qu'il  me  semble  que  nous  Favons  tout  à  fait 
perdu  de  vue. 

Vous  voyez  donc,  ce  me  semble,  assez  clairement  que  cette  pro- 
position tend  plutôt  à  abréger  qu'à  prolonger  les  affaires;  et  ma 
disposition  est  toujours,  tant  qu'il  restera  la  moindre  lueur  d'es- 
pérance dans  ce  grand  ouvrage,  de  m'appliquer  sans  relâche  à  le 
faciliter,  autant  qu'il  pourra  dépendre  de  ma  bonne  volonté  et  de 
mes  soins. 

Il  faudroit  maintenant  vous  dire  un  mot  sur  les  avances  que 
vous  désireriez  que  je  fisse,  «  qui,  dites-vous,  marquent  de  l'é- 
quité et  de  la  modération.  »  On  peut  faire  deux  sortes  d'avances  : 
les  unes  sur  la  discipline,  et  sm*  cela  on  peut  entrer  en  composi- 
tion. ,Je  ne  crois  pas  avoir  rien  omis  de  ce  côté-là,  comme  il  paroit 
par  ma  réponse  à  M.  l'abbé  de  Lokkum.  S'il  va  poiu-tant  quelque 
chose  qu'on  y  puisse  encore  ajouter,  je  suis  prêt  à  y  suppléer  par 
d'autres  ouvertures,  aussitôt  qu'on  se  sera  expliqué  sm'  les  pre- 
mières ,  ce  qui  n'a  pas  encore  été  fait.  Quant  aux  avances  que 
vous  semblez  attendre  de  notre  part  sur  les  dogmes  de  la  foi,  je 
^'Ous  ai  répondu  souvent  que  la  constitution  de  l'Eglise  romaine 
n'en  souffre  aucune,  que  par  voie  expositoire  et  déclarât oire.  J'ai 
fait  sur  cela,  Monsieur,  toutes  les  avances  dont  je  me  suis  avisé 
pom*  lever  les  difficultés  qu'on  trouve  dans  notre  doctrine,  en 
l'exposant  telle  qu'elle  est  :  les  autres  expositions  que  l'on  pour- 
roit  encore  attendre,  dépendant  des  nouvelles  difficultés  qu'on 
nous  pomToit  proposer.  Les  affaires  de  la  religion  ne  se  traitent 
pas  comme  les  affaires  temporelles,  que  l'on  compose  souvent  en 
se  relâchant  de  part  et  d'autre,  parce  que  ce  sont  des  affaires  dont 
les  hommes  sont  les  maîtres.  Mais  les  affaires  de  la  foi  dépendent 
de  la  révélation ,  sur  laquelle  on  peut  s'expliquer  mutuellement 
pour  se  faire  bien  entendre;  mais  c'est  là  aussi  la  seule  méthode 
qui  peut  réussir  de  notre  côté.  Il  ne  serviroit  de  rien  à  la  chose 
que  j'entrasse  dans  les  autres  voies,  et  ce  seroit  faire  le  modéré 
itial  à  propos.  La  véritable  modération  qu'il  faut  garder  en  de 
telles  choses ,  c'est  de  dire  au  vrai  l'état  où  elles  sont,  puisqu»^ 
toute  autre  facilité  qu'on  pomToit  chercher  ne  serviroit  qu'à  perdre 


324    LETTRES  SUR  LA  REUNION  DES  PROTEST.  DALLEMAGNE. 

1  e  temps,  et  à  faire  naître  dans  la  suite  des  difficultés  encore  plus 

grandes. 

La  grande  difficulté  à  laquelle  je  vous  ai  souvent  représenté 
qu'il  falloit  chercher  un  remède,  c'est,  en  parlant  de  réunion., 
d'en  proposer  des  moyens  qui  ne  nous  fissent  point  tomher  dans 
un  schisme  plus  dangereux  et  plus  irrémédial)le  que  celui  que 
nous  tâcherions  de  guérir.  La  voie  déclaratoire  que  je  vous  pro- 
pose évite  cet  inconvénient;  et  au  contraù'e  la  suspension  que 
vous  proposez  nous  y  jette  jusqu'au  fond ,  sans  qu'on  s'en  puisse 
tirer. 

Vous  vous  attachez,  Monsieui',  à  nous  proposer  pour  prélimi- 
naire la  suspension  du  concile  de  Trente.  S(His  prétexte  qu'il  n'est 
pas  reçu  en  l'rance.  .l'ai  en  l'iionneiir  de  vous  dire,  et  je  vous  le 
répéterai  sans  cesse,  que  sans  ici  regarder  la  discipline,  il  étoit 
reçu  pour  le  dogme.  Tous  tant  que  nous  sommes  d'évèques ,  et 
tout  ce  qu'il  y  a  d'ecclésias^liques  dans  l'Eglise  catholique,  nous 
avons  souscrit  la  foi  de  ce  concile.  Il  n'y  a  dans  toute  la  commu- 
nion romaine  aucun  théologien  qui  réponde  aux  décrets  de  foi 
(]ii'on  en  lire,  qu'il  n't'st  pas  reçu  dans  (.etie  partie  :  tous  au  con- 
Irairt',  en  l-iancc  ou  en  Allciiiiignc,  comme  en  Halie,  recomiois- 
sent  duii  comimm  accord  (pie  c'est  là  mie  autorité  dont  aucun 
auteur  calhoUijne  ne  se  donne  la  liberté  de  se  départir.  Lorsqu'on 
veut  noter  ou  qualilier,  comme  on  appelle,  des  propositions  cen- 
surables,  mie  des. notes  des  plus  ordinaires  est  qu'elle  est  con- 
traire à  la  doctrine  du  concile  de  Trente  :  toutes  les  facultés  de 
théologie,  et  la  Sorbonne  comme  les  autres  ,  se  servent  tous  les 
jours  de  cette  censure;  tous  les  évèques  l'enqjloient,  et  en  parti- 
culier, et  dans  les  assemblées  générales  du  clergé  ;  ce  que  la  der- 
nière a  encore  solennellement  i>rati(iué.  11  ne  faut  point  chercher 
d'autre  acceptation  de  ce  concile  (|uant  au  dogme,  (jue  des  aclcs 
si  authentiques  et  si  souvent  réitérés. 

Mais,  dites-vous,  «  vous  ne  proposez  (jue  de  suspendre  les  ana- 
thèmes  de  ce  concile  à  l'égard  de  ceux  qui  ne  sont  pas  persuadés 
(|u'il  soit  légitime.  »  C'est  votre  réponse  dans  votre  Lettre  du 
3  septembre  1700. 

Mais  au  fond  et  quoi  qu'il  en  soit .  on  laissci'a  libi'e  de  croire. 


BOSSUET  A  LEIBNIZ,  12  AOUT  1701.  325 

OU  de  ne  croire  pas  ses  décisions;  ce  qui  n'est  rien  moins,  Lien 
qu'on  adoucisse  les  termes,  que  de  lui  oter  toute  autorité.  Et  après 
tout,  que  servira  cet  expédient,  puisqu'il  n'en  faudroit  pas  moins 
croire  la  transsubstantiation,  le  sacrifice,  la  primauté  du  Pape  de 
droit  divin,  la  prière  des  Saints  et  celle  pour  les  morts,  qui  ont 
été  définies  dans  les  conciles  précédens?  Ou  bien  il  faudra  abolir 
par  un  seul  coup  tous  les  conciles ,  que  votre  nation ,  comme  les 
autres,  ont  tenus  ensemble  depuis  sept  à  huit  cents  ans.  Ainsi  le 
concile  de  Constance ,  où  toute  la  nation  germanique  a  concom'u 
avec  une  si  parfaite  unanimité  contre  Jean  Wiclef  et  Jean  Hus, 
sera  le  premier  à  tomber  par  terre  :  tout  ce  qui  a  été  fait,  à  re- 
monter jusqu'aux  décrets  contre  Bérenger,  sera  révoqué  en  doute, 
quoique  reçu  par  toute  TEglise  d'Occident  et  en  Allemagne  comme 
partout  ailleurs;  les  conciles  que  nous  avons  célébrés  avec  les 
Grecs  n'auront  pas  plus  de  solidité.  Le  second  concile  de  Nicée  , 
que  l'Orient  et  l'Occident  reçoivent  d'un  commun  accord  parmi 
les  œcuméniques,  tombera  comme  les  autres.  Si  vous  objectez 
que  les  François  y  ont  trouvé  de  la  difficulté  pendant  quelque 
temps,  M.  l'abbé  de  Lokkum  vous  répondra  cjiie  ce  fut  faute  de 
s'entendre;  et  cette  réponse  contenue  dans  les  Ecrits  que  j'ai  de 
lui,  est  digne  de  son  savoir  et  de  sa  bonne  foi.  Les  conciles  de 
l'âge  supérieur  ne  tiendront  pas  davantage;  et  vous-même,  sans 
que  je  puisse  entendre  pom'quoi,  vous  ôtez  toute  autorité  à  la 
définition  du  concile  vi,  sm"  les  deux  volontés  de  Jésus-Cimst, 
encore  que  ce  concile  soit  reçu  en  Orient  et  en  Occident  sans  au- 
cune difficulté.  Tout  le  reste  s'évanouira  de  même ,  ou  ne  sera 
appuyé  que  sur  des  fondemens  arbitraires.  Trouvez,  Monsieur, 
un  remède  à  ce  désordre ,  ou  renoncez  à  l'expédient  que  vous 
proposez. 

Mais,  nous  direz- vous,  vous  vous  faites  vous-mêmes  l'Eglise, 
et  c'est  ce  qu'on  vous  conteste.  Il  est  vrai  ;  mais  ceux  qui  nous  le 
contestent,  ou  nient  l'Eglise  infaillible,  ou  ils  l'avouent.  S'ils  la 
nient  infaillible ,  qu'ils  donnent  donc  un  moyen  de  conserver  le 
point  fixe  de  la  religion.  Ils  y  demeureront  courts  ;  et  dès  la  pre- 
mière dispute  l'expérience  les  démentira.  Il  faudra  donc  avouer 
l'Eglise  infaillible  :  mais  déjà  sans  discussion,  vous  ne  l'êtes  pas^ 


326    LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

VOUS  qui  ôtez  constamment  cet  attribut  à  TEglise.  La  première 
chose  que  fera  le  concile  œcuménique  que  vous  proposez,  sans 
vouloir  discuter  ici  comment  on  le  formera ,  sera  de  repasser  et 
comme  refondre  toutes  les  pr(if(\>;sions  de  foi  par  un  nou\'el  exa- 
men. Laissez-nous  dune  en  place  comme  vous  nous  }'  avez  trou- 
vés ,  et  ne  forcez  pas  tout  le  monde  à  varier  ni  à  mettre  tout  en 
dispute  :  laissez  sm*  la  terre  tjuelques  chrétiens  qui  ne  rendent 
pas  impossijjles  les  décisions  inviolables  sur  les  questions  de  la 
foi,  (jui  osent  assurer  la  religion,  et  attendre  de  Jésus-Christ  selon 
sa  parole  une  assistance  hifaillible  sur  ces  matières.  C'est  là  l'u- 
nique espérance  du  christianisme. 

Mais,  direz-vous,  quel  droit  pensez-vous  avoir  de  nous  obliger 
à  changer  plutôt  que  vous?  Hast  aisé  de  répondre.  C'est  que  vous 
agissez  selon  vos  maximes,  en  olVrant  un  nouvel  examen,  et  nous 
pouvons  accepter  l'ollre  [a)  :  mais  nous  de  notre  coté  ,  selon  nos 
principes,  nous  ne  pouvons  rien  de  senddable  ;  et  (|uand  quelques 
particuliers  y  cousentiroient,  ils  seroient  incontinent  démentis 
par  tout  le  reste  de  ri-^glis.'. 

Tout  est  d(MU'  désesjiére,  repivndrcz-vous ,  puisque  nous  vou- 
lons eiiti'.'ren  traite  avec  avantage.  C'est,  Monsieur, un  avantage 
qu'on  ne  peut  ôter  à  la  conununion  dont  les  autres  se  sont  sépa- 
rées, l't  avec  laipielle  on  travaille  à  les  réunir.  Enfin  c'est  un 
avantage  qui  nous  est  donné  par  la  constitution  de  l'Eglise  où 
nous  vivons  et ,  eoiiinie  ou  a  vu.  pour  le  bien  ((iiiiiiiiiii  de  j.i  sta- 
bilité du  eln-istianisme ,  dont  vous  devez  être  jaloux  autant  (|ue 
nous. 

A  cela,  Monsiem',  vous  opposez  la  convention,  ou,  connue  on 

(o)  Déforis  racoute,  dans  une  loiigut'  note,  coinineiit  sonjccnscur  vouloil  lui 
faire  rctraiicliL'r  cotlo  iiliia#o,  t-t  couuul'uI  il  rofusa  celle  suppression.  Cepeudanl 
il  aihuit  la  rectilîcalion  que  voici  :  «  Vous  agissez  selon  vos  maximes  eu  uoua 
nlïianl  un  uouvel  examen,  el  en  prclendant  que  uous  pouvons  accepter  l'offre.  » 
On  voilque  le  commentaire  va  droit  à  rencontre  du  texte.  La  phrase  de  Bossuct 
doit  manifestement  se  traduire  de  cette  manière  :  «  Vous  nous  proposez  d'exa- 
miner de  nouveau  les  dogmes  du  coucile  de  Trente  :  nous  pouvons  accepter  cet 
examen,  non  pour  uous,  mais  [mur  votre  avantage  ;  non  pour  fortilier  notre  foi, 
mais  pour  dissiper  vos  doutes;  non  pour  vérilier  les  déliuitious  du  concile  de 
Trente,  mais  pour  vous  amener  à  ses  décisions.  »  Qu'y  a-t-il  de  lépréliensible 
dans  cetli!  doctrine  ?  Si  nous  ne  pouvions  examiner  notre  croyance  avec  ceux 
•  pu  la  eoniballent,  pourquoi  les  dispuL's,  les  polémiiiues ,  les  discussions,  les 
apologies?  pourquoi  renseignemenl  di>  loult-s  li-s  sciences  Ihéologiques ? 


BOSSUET  A  LEIBNIZ,   12  AOUT  1701.  327 

l'appeloit,  le  Compact  accordé  aux  calixtins  dans  le  concile  de 
Bàle,  par  une  suspension  du  concile  de  Constance;  et  vous  dites 
que  m'en  ayant  proposé  l'objection,  je  n'y  ai  jamais  fait  de  ré- 
ponse. C'est  ce  qu'on  lit  dans  votre  lettre  du  3  septembre  1700. 
Pardonnez-moi,  Monsieur,  si  je  vous  dis  que  par  là  vous  me  pa- 
roissez  avoir  oublié  ce  que  contenoit  la  réponse  que  j'envoyai  à 
la  Cour  d'Hanovre  par  M.  le  comte  Balati,  sm'  l'Ecrit  de  M.  l'abbé 
de  Lokkum  et  sur  les  vôtres.  Je  vous  prie  de  la  repasser  sous  vos 
yeux;  vous  trouverez  que  j'ai  répondu  exactement  à  toutes  vos 
difficultés,  et  notamment  à  celle  que  vous  tirez  du  concile  de  Bàle. 
Si  mon  Ecrit  est  égaré,  comme  il  se  peut,  depuis  tant  d'années, 
il  est  aisé  de  vous  l'envoyer  de  nouveau,  et  de  vous  convaincre 
par  vos  yeux  de  la  vérité  de  tout  ce  que  j'avance  aujourd'lmi. 
Pour  moi,  je  puis  vous  assurer  que  je  n'ai  pas  perdu  un  seul 
papier  de  ceux  qui  nous  ont  été  adressés,  à  feu  M.  Pelisson,  et  à 
moi ,  par  l'entremise  de  cette  sainte  et  religieuse  princesse  ma- 
dame l'abbesse  de  Maubuisson,  et  cpie  les  repassant  tous,  je  vois 
que  j'ai  satisfait  à  tout. 

Yous-mème,  en  relisant  ces  réponses,  vous  verrez  en  même 
temps.  Monsieur,  qu'encore  que  nous  rejetions  la  voie  de  suspen- 
sion comme  impraticable ,  les  moyens  de  la  réunion  ne  manque- 
ront pas  à  ceux  qui  la  chercheront  avec  un  esprit  chrétien,  puis- 
que, bien  loin  que  le  concile  de  Trente  y  soit  un  obstacle,  c'est  au 
contraire  principalement  de  ce  concile  que  se  tireront  des  éclair- 
cissemens  qui  devront  contenter  les  protestans ,  et  qui  à  la  fois 
seront  dignes  d'être  approuvés  par  la  chaire  de  saint  Pierre  et 
par  toute  l'Eglise  catholique. 

Vous  voyez  par  là.  Monsieur,  quel  usage  nous  voulons  faire  de 
ce  concile.  Ce  n'est  pas  d'abord  de  le  faire  servir  de  préjugé  aux 
protestans,  puisque  ce  seroit  supposer  ce  qui  est  en  question 
entre  nous.  Nous  agissons  avec  plus  d'équité.  Ce  concile  nous 
servira  à  donner  de  solides  éclaircissemens  de  notre  doctrine.  La 
méthode  que  nous  suivrons  sera  de  nous  expliquer  sur  les  points 
où  l'on  s'impute  mutuellement  ce  qu'on  ne  croit  pas ,  et  oii  l'on 
dispute  faute  de  s'entendre.  Cela  se  peut  pousser  si  avant,  que 
M.  l'abbé  de  Lokkum  a  concilié  actuellement  les  pomts  si  essen- 


328    LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

tiels  de  la  justification  et  du  sacrifice  de  l'Eucharistie  ;  et  il  ne  lui 
manque,  de  ce  côté-là,  que  de  se  faire  avouer.  Pourquoi  no  pas 
espérer  de  finir  par  le  même  moyen,  des  disputes  moins  difficiles 
et  moins  importantes?  Poui"  moi,  bien  certainement,  je  n'avance 
ni  je  n'avancerai  rien  dont  je  ne  puisse  très-aisément  obtenir  l'a- 
veu parmi  nous.  A  ces  éclaircissemens  on  joindra  ceux  (jui  se 
tireront,  non  des  docteurs  particuliers,  ce  qui  seroit  infini,  mais  de 
vos^  livres  symboliques.  Vos  Princes  trouveront  sans  doute  qu'il 
n'y  a  rien  de  plus  équitable  que  ce  procédé.  Si  l'on  avoit  fait  atten- 
tion aux  solides  conciliations  que  j'ai  proposées  sur  ce  fondement, 
au  lieu  qu'il  ne  pîiroît  pas  qu'on  ait  fait  semblant  de  les  voir, 
l'affaire  seroit  peut-être  à  présent  bien  aviuicée.  Ainsi  ce  n'est 
pas  à  moi  ([u'il  fjuit  imputer  le  retardement.  Si  l'état  des  affaires 
survenues  rend  les  clinses  plus  difficiles;  si  les  difficultés  sem- 
blent s'augmenter  au  li«'u  de  décroître,  et  que  Dieu  ir(Mivre  pas 
encore  les  cœurs  aux  propositions  de  paix  si  bien  commencées, 
«t'est  à  noas  à  attendre  les  momens  que  notre  Père  céleste  a  mis 
en  sa  puissance,  et  à  nous  tenir  toujours  prêts  au  premier  signal 
à  travailler  à  son  omimc  (|ni  est  (('lie  de  l;i  \)a'\\. 

Je  n'avois  pas  dessein  de  répondre  à  vos  deux  lettres  sur  le 
canon  des  Ecritures ,  parce  cpie  je  craignois  que  cetti:  réponse 
ne  nous  jetât  dans  des  traités  de  controverse,  au  lieu  que  nous 
n'avions  mis  la  main  à  la  plume  cpie  pour  donner  des  principes 
d'éclaircissement.  Mais  comme  j'ai  vu  dans  la  dernière  lettre 
dont  vous  m'honorez,  (|uc  vous  vous  portez  jusqu'à  dire  que  vos 
objections  contre  1<'  décret  de  Trente  sont  sans  réplique,  je  ne 
dois  pas  vr»us  laisser  dans  cette  pensée.  Vous  aurez  ma  l'éponse, 
s'il  plait  à  Dieu,  dès  le  premier  ordinaire;  et  cependant  je  demeu- 
rerai avec  toute  l'estime  possible,  Monsieur,  votre  très-hinuble  et 
très-obéissant  serviteur, 

.1.  nft.MGNE,  év.  de  Meawx. 


BOSSUET  A  LEIBNIZ,  17  AOUT  1701.  32^ 


LETTRE  LU. 

BOSSUET  A  lf:ibniz 

Ce  17  août  1701. 

Je  ne  croyois  pas  avoir  encore  à  traiter  cette  matière  avec  vous. 
Monsieur,  après  les  principes  cpie  j'avois  posés  :  car  de  descendre 
au  détail  de  cette  matière,  cela  n'est  pas  de  notre  dessein,  et  n'o- 
péreroit  autre  chose  qu'ime  controverse  dans  les  formes,  ajoutée 
à  toutes  les  autres.  Ne  nous  jetons  donc  point  dans  cette  discus- 
sion ;  et  voyons  par  les  principes  communs  s'il  est  véritable  que 
le  décret  du  concile  de  Trente  sur  la  canonicité  des  Livres  de  la 
Bible,  soit  détniit  absolument  et  sans  réplique  par  vos  deux 
lettres  du  1-4  et  du  ^i  mai  1700,  ainsi  que  vous  l'assurez  dans 
votre  dernière  lettre,  qui  est  du  21  juin  1701.  Il  ne  faut  pas  vous 
laisser  dans  cette  erreur,  puisqu'il  est  si  aisé  de  vous  donner  les 
moyens  de  vous  en  tirer,  et  qu'il  n'y  a,  en  vous  remettant  de- 
vant les  yeux  les  principes  que  vous  posez,  qu'à  vous  faire  voir 
qu'ils  sont  tous  évidemment  contraires  à  la  règle  de  la  foi  et,  (  [ui 
plus  est,  de  votre  aveu  propre. 

L  Ce  que  vous  avez  remarqué  comme  le  plus  convaincant,  c'est 
que  «  nous  exigeons  comme  articles  de  foi  des  opinions,  dont  le 
contraire  étoit  reçu  notoirement  par  toute  l'antiquité  ,  et  tenu  en- 
core du  temps  du  cardinal  Cajétan,  immédiatement  avant  le  con- 
cile de  Trente  '.  »  Vous  allég^uez  sur  cela  l'opinion  de  ce  cardinal, 
qui  rejette  du  canoii  des  Ecritm^es  anciennes  la  Sagesse,  V Ecclé- 
siastique et  les  autres  li\Tes  semblables  que  le  concile  de  Trente 
a  reçus.  Mais  il  ne  falloit  pas  dissimuler  que  le  même  cardinal 
exclut  du  canon  des  Ecritures  VEpître  de  saint  Jacques,  celle  de 
saint  Jude,  deux  de  saint  Jean,  et  même  YEpitre  aux  Hébreux, 
comme  «  n'étant  ni  de  saint  Paul,  ni  certainement  canonique;  en 
sorte  qu'elle  ne  suffit  pas  à  déterminer  les  points  de  la  foi  par  sa 
seule  autorité.  » 

Il  se  fonde  comme  vous  sur  saint  Jérôme  ;  et  il  pousse  si  loin 

>  Lettre  de  Leib.^  du  21  juin  1701. 


330   LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST. -D'ALLEMAGNE. 

sa  critique,  qu'il  ne  reçoit  pas  dans  saint  Jean  l'histoire  de  la 
femme  adultère  comme  tout  à  fait  authentique,  ni  comme  faisant 
une  partie  assm'ée  de  TEvangile.  Si  donc  l'opinion  de  CajjHan 
étoit  unprc^jugé  en  faveur  de  ces  exclusions,  le  concile  n'auroit 
pas  pu  recevoir  ces  livres  ;  ce  qui  est  évidemment  faux,  puisque 
vous-même  vous  les  rece^•ez. 

II.  Vous  voyez  donc,  Monsieur,  que  dans  l'argument  (|ue  voils 
croyez  sans  réplique,  vous  avez  posé  d"a])ord  ce  faux  principe 
(ju'il  n'est  pas  permis  de  passer  pom*  certainement  canonique  un 
livre  ilout  il  auroit  été  autrefois  permis  de  douter. 

III.  J'ajoute  (jue,  dans  tous  vos  autres  argumens,  vous  tombez 
dans  le  défaut  de  prouver  trop,  qui  est  le  plus  grand  où  puisse 
tondier  un  théologien,  et  même  un  dialecticien  et  un  philosophe, 
puiscju'il  ûte  toute  la  justesse  de  la  preu^e  et  se  tourne  contre 
soi-même.  J'ajontt*  encore  (pie  vous  ne  donnez  en  effet  aucun 
principe  cfrlaiii  pour  Jiigfi-  de  la  cMUonicilé  iU's  saints  Livres. 
(Iclui  que  vous  proposez  comme  cf>ust;inunent  reçu  par  toute 
lancienne  Eglise  pour  les  Livres  de  l'Ancien  Testament,  qui  est 
de  ne  recevoir  que  les  livres  qui  sont  contenus  dans  le  canon 
di's  Hébreux ,  n'est  rien  moins  que  construit  et  universel,  puisfjue 
le  plus  ancien  canon  cpie  vous  proposez,  qui  est  celui  de  Méliton 
chez  Eusèbe  •,  ne  contient  pas  le  livre  (V lislJter ,  (|uoi(|ue  cons- 
tamment n-cu  dans  le  canon  des  Hébreux. 

IV.  Après  le  canon  de  Méliton,  le  plus  ancien  que  vous  pro- 
duisiez est  celui  du  concile  de  Laodicée  *  ;  mais  si  vous  aviez 
marqué  que  ce  concile  a  mis  dans  son  canon  Jérémie  avec  Ba- 
ri/ch,  les  Lamentations,  VEp/tre  de  ce  prophète ,  où  l'on  voit  avec 
les  Lamentations,  qui  sont  dans  l'hébreu,  deux  livres  qui  ne  se 
lrouv(^nt  que  dans  le  grec,  on  auroit  vu  cpie  la  règle  de  ce  concile 
n'étoit  pas  le  canon  des  Hébreux. 

V.  Le  concile  de  Laodicée  étoit  composé  de  plusieurs  pntvinces 
d'Asie.  On  voit  donc  par  là  le  principe,  non  pas  seulement  de 
quelques  particuliers,  mais  encore  de  plusieurs  éghses,  et  môme 
de  plusieurs  provinces. 

'  Eiisob.,  llist.  Eccl.,  lib.  IV.  cap.  .\xvi.  —  "-  Conc.  Luoil.,  caii.  lx;  Lab., 
loin.  I,  col.  1521. 


BOSSUET  A  LEIB.MZ,  17  AOUT  1701.  331 

VI.  Le  même  concile  ne  reçoit  pas  \ Apocalypse ,  que  nous  re- 
cevons tous  également,  encore  qu'il  fût  composé  de  tant  d'églises 
d'Asie,  et  même  de  l'Eglise  de  Laodicée,  qui  étoit  une  de  celles 
à  qui  cette  divine  révélation  étoit  adressée  '.  Nonobstant  cette 
exclusion,  la  tradition  plus  universelle  l'a  emporté.  Yous  ne  pre- 
nez donc  pas  pour  règle  le  canon  de  Laodicée,  et  vous  ne  tirez 
pas  à  conséquence  cette  exclusion  de  V Apocalypse. 

YII.  Vous  produisez  le  dénombrement  de  saint  Athanase  dans 
le  fragment  précieux  d'une  de  ses  Lettres  pascales  -,  et  l'abrégé 
ou  Synopse  de  l'Ecritm'e  ^,  ouvrage  excellent  attribué  au  même 
Père;  mais  si  vous  aviez  ajouté  que  dans  ce  fragment,  le  livre 
à'Esther  ne  se  trouve  pas  au  rang  des  canoniques ,  le  défaut  de 
votre  preuve  eût  sauté  aux  yeux. 

Ylil.  Il  est  vrai  que  sur  la  fm  il  ajoute  que  pour  mie  plus 
grande  exactitude,  il  remarquera  d'autres  livres  qu'on  lit  aux 
catéchumènes  par  l'ordre  des  Pères,  quoiqu'ils  ne  soient  pas  dans 
le  canon,  et  qu'il  compte  parmi  ces  livres  celui  d'Estfier.  Mais 
il  est  vrai  aussi  qu'il  y  compte  en  même  temps  la  Sagesse  de 
Salomon,  la  Sagesse  de  Sirach,  Judith  et  Toble.  Je  ne  parle  pas 
de  deux  autres  livres  dont  il  fait  encore  mention ,  ni  de  ce  qu'il 
dit  des  apocryphes  inventés  par  les  hérétiques  en  confirmation 
de  leurs  erreurs. 

IX.  VouT  lu.  Synopse ,  qui  est  un  ouvrage  qu'on  ne  juge  pas 
indigne  de  saint  Athanase,  encore  qu'il  n'en  soit  pas,  nous  y 
trouvons  en  premier  lieu  avec  Jcrémie ,  Barucli,  les  Lamenta- 
tions, et  la  lettre  qui  est  à  la  fin  de  Baruch  *,  comme  un  ouvrage 
de  Jérémie  :  d'où  je  tire  la  même  conséquence  que  du  canon  de 
Laodicée. 

X.  En  second  lieu,  Esther  y  est,  mais  non  pas  parmi  les  vingt- 
deux  Livres  du  canon.  L'autem*  la  met  à  la  tête  des  livres  de  Ju- 
dith, de  Tobie,  de  la  Sagesse  de  Salomon,  et  de  celle  de  Jésus  fils 
de  Sirach  ^  Quoiqu'il  ne  compte  pas  ces  livres  parmi  les  vingt- 
deux  Livres  canoniques,  il  les  range  parmi  les  Livres  du  Vieux 
Testament  qu'on  lit  aux  catéchumènes  :  sur  quoi  je  vous  laisse  à 

1  Vid.  Apoc,  III,  14.—  -  Nniii.  ~\,  S.  Athaii.,  frugm.  E/n\i.  jcst.—  3  Tom.  \\, 
p.  12(5.  —  '»  IbuL,  p.  IGT.  —  ■'>  Ibid..,  p.  I2i»,  l(j8. 


332     LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE, 
faire  telle  réflexion  qu'il  vous  plaira.  Il  me  suffit  de  vous  faire 
voir  qu'il  les  compte  avec  Esther ,  et  leur  donne  la  même  au- 
torité. 

XI.  Vous  alléguez  le  dénombrement  de  saint  Grégoire  de  Na- 
zianze,  de  llambique  m  du  même  saint  à  Séleucus,  que  vous 
attribuez  à  Amphiloque'.  Vous  deviez  encore  ajouter  que  saint 
Grégoire  de  Nazianze  omet  le  livre  ôl  Esther,  comme  avoit  fait 
Méliton,  avec  VEpître  avx  Echreux  et  Y  Apocalypse,  et  laisse 
parmi  les  livres  douteux  ceux  qu'il  n'a  pas  dénommés. 

XII.  L"Iambi([ue  que  vous  donnez  à  Ampbiloque,  après  le  dé- 
noml)rement  des  Livres  de  l'Ancien  Testament ,  remarque  que 
f[uelques-uns  y  ajoutent  le  li\Te  d' Es f lier,  le  laissant  par  ce  moyen 
en  termes  exprès  parmi  les  douteux.  Quant  à  YEptlre  aux  Hé- 
breux, il  la  reçoit,  en  observant  que  quelques-uns  ne  l'admettent 
pas  :  mais  pour  ce  (jui  est  de  VApnrah/psr ,  il  dit  que  la  plupart 
la  rejettent. 

XIII.  .levons  laisse  à  jugera  vous-même  de  ce  qu'il  faut  penser 
de  Tomission  du  livre  d' Esther,  que  vous  dites  laite  par  UK'garde 
et  par  la  négligence  des  copistes  dans  le  dénombrement  de  Méli- 
ton'.  Foible  dénouement  s'il  en  fut  jamais,  puisque  les  passages 
de  saint  Athiuiase,  de  la  Synapse  e\  de  saint  Grégoire  de  Nazianze 
avec  celui  d'Ampliilorpie,  font  voir  que  cette  omission  avoit  du 
dessein,  et  ne  doit  pas  être  imputée  à  la  méprise  à  laquelle  vous 
avez  recours  sans  fondement.  Ainsi  le  livre  iVEsther,  que  vous 
recevez  pour  constamment  canonique,  demeure  selon  vos  prin- 
cipes éternellement  douteux,  et  vous  ne  laissez  aucun  moyen  de 
le  rétablir. 

XIV.  Vous  répondez  en  un  autre  endroit  (pie  ce  qui  pouvoit 
faire  difficulté  sur  le  livre  iVEsfhrr,  c'étoient  les  additions,  sans 
songer  (pie  par  la  même  raison,  il  auroit  fallu  laisser  bors  du 
canon  Daniel  comme  Esthrr. 

XV.  Vous  faites  beaucoup  valoir  le  dénombrement  de  saint  Epi- 
phane  *,  (pii  dans  les  livres  des  Poids  et  des  mesures,  et  encore 
dans  celui  des  Hérésies,  se  réduit  au  ca  on  des  Hébreux  pour  les 
Livres  de  l'Ancien  Testament. 

'  N.  71,,  Greg.  Naz.,  Cnr,n.  .^xx!!l.—  -  Sup.,  Ictt.  du  21  mai  1700.  —  '  N.  78. 


BOSSUET  A  LElBÎSiZ,  17  AOUT  1701.  333 

Mais  vous  oubliez  dans  cette  même  hérésie  lxxvi  ,  qui  est  celle 
des  anoméens ,  l'endroit  où  ce  Père  dit  nettement  à  l'hérésiarque 
Aétius,  «  que  s'il  avoitlu  les  vingt-deux  Livres  de  l'Ancien  Tes- 
tament, depuis  la  Genèse  jusqu'au  temps  d'Esther,  les  quatre 
Evangiles,  les  quatorze  Epi  très  de  saint  Paul,  avec  les  sept  ca- 
tholiques et  V Apocalypse  de  saint  Jean,  ensemble  les  livres  de  la 
Sagesse  de  Salomon  et  de  Jésus  fds  de  Sirach,  enfin  tous  les 
Livres  de  l'Ecriture,  il  se  condamneroit  lui-même  '  »  sur  le  titre 
qu'il  donnoit  à  Dieu  pour  ôter  la  divinité  à  son  Fils  unique.  Il 
met  donc  dans  le  même  rang ,  avec  les  saints  Livres  de  l'Ancien 
et  du  Nouveau  Testament,  les  deux  livres  de  la  Sagesse  et  de 
Y  Ecclésiastique  ;  et  encore  qu'il  ne  les  compte  pas  avec  les  vingt- 
deux  qui  composent  le  canon  primitif  qui  est  celui  des  Hébreux, 
il  les  emploie  également,  comme  les  autres  Livres  divins,  à  con- 
vaincre les  hérétiques. 

XVI.  Toutes  vos  règles  sont  renversées  par  ces  dénombremens 
des  Livres  sacrés.  Vous  les  employez  à  établir  que  la  règle  de 
l'ancienne  Eglise ,  pour  les  Livres  de  l'Ancien  Testament ,  est  le 
canon  des  Hébreux  :  mais  vous  voyez  au  contraire  que  ni  on  ne 
met  dans  le  canon  tous  les  livres  qui  sont  dans  l'hébreu ,  ni  on 
n'en  exclut  tous  ceux  qui  ne  se  trouvent  que  dans  le  grec  ;  et 
qu'encore  qu'on  ne  mette  pas  certains  livres  dans  le  canon  pri- 
mitif, on  ne  laisse  pas  d'ailleurs  de  les  employer  comme  Livres 
.divinement  inspirés ,  pour  établir  les  vrais  dogmes  et  condamner 
les  mauvais. 

XVII.  Votre  autre  règle  tombe  encore,  qui  consiste  à  ne  rece- 
voir que  les  livres  qui  ont  toujours  été  reçus  d'un  consentement 
unanime ,  puisque  vous  recevez  vous-même  des  livres  que  le  plus 
grand  nombre  en  certains  pays ,  et  des  provinces  entières  avoient 
exclus. 

XVIII.  Je  ne  répéterai  pas  ce  que  j'ai  dit  d'Origène  dans  ma 
lettre  du  9  janvier  1700^,  et  que  vous  avez  laissé  passer  sans  con- 
tradiction dans  votre  lettre  du  14  mai  1700  ',  en  répondant  seule- 
ment que  c'est  là  quelque  chose  de  particulier.  Mais  quoi  qu'il 
en  soit,  il  y  a  ceci  de  général  dans  un  auteur  si  ancien  et  si  sa- 

'  Epiph.,  HcEi'.  LXXVI,  c.  V.  —  2  Ibid.,  11.  !0.  —  ^  /,VV/.,  11.  41. 


:iU  LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE, 
vant,  que  les  Iléljreux  ne  sont  pas  à  sunTe  dans  la  suppression 
qu'ils  ont  faite  de  ce  qui  ne  se  trouve  que  dans  le  grec ,  et  qu'en 
cela  il  faut  préférer  l'autorité  des  chrétiens  ;  ce  qui  est  décisif 
pour  notre  cause. 

XIX.  Pendant  que  nous  sommes  sm*  Orig-ène,  vous  m'accusez 
du  même  défaut  que  je  vous  objecte ,  qui  est  celui  de  prouver 
trop  ;  et  vous  soutenez  que  les  citations  si  fréquentes,  dans  les 
ouvrages  de  ce  grand  homme,  de  ces  livres  contestés,  aussi  bien 
fjue  celles  de  saint  Clément  Alexandrin,  de  saint  Cyprien  et  de 
ffuelques  autres,  ne  prouvent  rien,  parce  que  le  même  Origène 
a  cité  le  Pasteur,  livre  si  suspect.  C'est,  Monsieur,  ce  qui  fait 
contre  vous,  puisfiu'en  citant  le  Pa>itenr  W  y  ajoute  ordinaire- 
ment cette  exception  :  Si  ad  tamcn  Uln-Uiis  ille  suscipiendus  vi- 
(Ictur  ;  restriction  que  je  n'ai  pas  remarqué  qu'il  ajoutât ,  lorsqu'il 
cite  Judith,  Tohie  et  le  H^Te  de  la  Saçjcsae;  comme,  on  le  peut 
remarquer  en  plusiem's  endroits,  et  notamment  dans  ses  Homé- 
lies xxvn  et  xxxui  sur  les  Nombres,  où  les  trois  livres  qu'on 
vient  de  nommer  sont  allégués  sans  exception ,  et  en  parallèle 
avec  les  livres  iYKstlivr,  du  Ij'viticjiic  et  des  No7nl)res ,  et  même 
avec  lEvangile  et  les  Epitres  de  saint  Paul. 

XX.  Vous  aviez  comme  supposé  votre  principe  dès  votre  lettre 
du  11  décembre  HiOO  ;  et  je  vous  avois  représenté  par  ma  réponse 
du  9  janvier  1700,  n.  xv,  que  cette  difficulté  vous  étoit  commune 
avec  nous,  puisque  vous  receviez  pour  certainement  canoniques 
YEpitre  aux  Eèhreux  et  les  autres,  dont  vous  voyez  aussi  bien 
(jue  moi  qu'on  n'a  pas  plus  été  toujours  d'accord  que  de  la  Sa- 
f/essc ,  etc. 

XXI.  Si  je  voulois  dire,  Monsieur,  ((ue  c'est  Là  un  raisonnement 
sans  réplique,  je  lepourrois  démontrer  par  la  nullité  évidente  de 
vos  réponses  dans  votre  lettre  du  11  mai  1700. 

XXII.  Vous  en  faites  deux  :  la  première  dans  l'endroit  de  cette 
lettre ,  où  vous  parlez  en  cette  sorte  :  «  Il  y  a  plusieurs  choses  à 
répondre  ;  car  premièrement  les  protestans  ne  demandent  pas 
({ue  les  vérités  de  foi  aient  toujours  prévalu ,  ou  qu'elles  aient 
toujours  été  reçues  généralement'.  »  Dites-moi  donc,  je  vous 

'  Lfltio  (lu  14  iiiai  ITÛO^  u.  43. 


BOSSUET  A  LEIBNIZ,  17  AOUT  1701.  335 

prie,  quelle  règle  se  proposent  vos  églises  sur  la  réception  des 
Ecritures  canoniques.  En  savent-elles  plus  que  les  autres  pour 
les  discerner  ?  Voudront-elles  a^oir  recoiu-s  à  l'inspiration  parti- 
culière des  prétendus  réformés,  c'est-à-dire  à  leur  fanatisme? 
C'est,  Monsieur,  ce  que  je  vous  laisse  à  considérer;  et  je  vous 
dirai  seulement  que  votre  réponse  est  un  manifeste  abandonne - 
ment  du  principe  que  vous  aviez  posé  comme  certain  et  commun, 
dans  votre  lettre  du  11  décembre  1699,  qui  a  été  le  fondement  de 
tout  ce  cpie  nous  avons  écrit  depuis. 

XXIII.  Je  trouve  une  autre  réponse  dans  la  même  lettre  du 
14  mai  1700,  où  vous  parlez  ainsi  :  «  Il  y  a  bien  de  la  diffé- 
rence entre  la  doctrine  constante  de  l'Eglise  ancienne,  contraire 
à  la  pleuie  autorité  des  Livres  de  l'Ancien  Testament,  qui  sont 
hors  du  canon  des  Hébreux,  et  entre  les  doutes  particuliers  que 
quelques-uns  ont  formés  contre  VEpltre  aux  Hébreux  et  contre 
V Apocalypse  ;  outre  qu'on  peut  nier  qu'elles  soient  de  saint  Paul 
ou  de  saint  Jean,  sans  nier  qu'elles  sont  divines  *.  » 

XXIV.  Mais  vous  voye?  bien  en  premier  lieu,  que  ceux  qui 
n'admeftoient  pas  YEpUre  aux  Hébreux  et  Y  Apocalypse,  ne  leur 
ôtoient  pas  seulement  le  nom  de  saint  Paul  ou  de  saint  Jean , 
mais  encore  leur  canonicité  ;  et  en  second  lieu,  qu'il  ne  s'agit 
point  ici  d'un  doute  particulier ,  mais  du  doute  de  plusieurs 
églises,  et  souvent  même  de  plusiem^s  provinces. 

XXV.  Convaincu  par  ces  deux  réponses,  que  vous  avez  pu  ai- 
sément prévoir,  vous  n'en  avez  plus  que  de  dire  «  que,  quand  on 
accorderoit  chez  les  protestans  qu'on  n'est  pas  obligé  sous  ana- 
thème  de  reconnoître  ces  deux  Livres  {  VEpttre  aux  Hébreux  et 
V Apocalypse  )  comme  divins  et  infaillibles ,  il  n'y  auroit  pas  grand 
mal  ^  »  Ainsi  plutôt  que  de  conserver  les  livres  de  la  Sagesse  et 
les  autres,  vous  aimez  mieux  consentir  à  noyer  sans  ressource 
VE pitre  aux  Hébreux  et  V Apocalypse,  et  par  la  même  raison  les 
Epitres  de  saint  Jacques,  de  saint  Jean  et  de  saint  Jude.  Le  livre 
(ÏEsther  sera  entraîné  par  la  même  conséquence.  Vous  ne  ferez 
point  de  scrupule  de  laisser  perdre  aux  enfans  de  Dieu  tant  d'o- 
racles de  leur  Père  céleste,  à  cause  qu'on  aura  souffert  à  Cajétan 

1  Lettre  du  14  mai  1700,  n.  43.  —  ^  X.  44. 


336    LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

et  à  quelques  autres  de  ne  les  pas  recevoir.  On  n'osera  plus  ré- 
primer Luther,  qui  a  blasphémé  contre  YEpltre  de  saint  Jacques, 
qu'il  appelle  une  Epitre  de  paille.  11  faudra  laisser  dire  impuné- 
ment à  tous  les  esprits  lil)ertins ,  ce  qui  leur  viendra  dans  la 
pensée  contre  deux  Livres  aussi  divins  que  sont  VEpîtrc  aux  Hé- 
breux et  V Apocalypse  ;  et  l'on  en  sera  quitte  pour  dire ,  comme 
vous  faites  en  ce  lieu ,  «  que  le  moins  d'anathèmes  qu'on  peut , 
c'est  le  meilleur.  » 

XXVI.  LEglise  catholique  raisonne  sur  de  plus  solides  fonde- 
mens,  et  met  les  doutes  sm'  ceilains  livres  canoniques  au  rang- 
de  ceux  quelle  a  soufferts  siu-  tant  d'autres  matières,  avant 
qu'elles  fussent  bien  éclaircies  et  bien  décidées  pju-  le  jugement 
exprès  de  l'Eglise. 

XXVII.  Vous  avez  peine  à  recx)nnoitre  l'autorité  de  ces  déci- 
sions. Vous  complez  pour  innovations ,  lorsqu'on  passe  en  articles 
des  points  qu'on  ne  soulliv  plus  qui  soient  contestés  par  ceux 
qu'on  soulfroit  auparavant.  Par  là  vous  rejetez  la  doctrine  cons- 
tante et  indubitable  <jue  j'avois  tâché  d'expliquer  par  uia  lettre 
du  ;]0  janviiîr  1700  ,  à  laquelle  vous  voulez  bien  que  je  vous  ren- 
voie, puis(iue  après  l'avoir  laissée  sans  contradiction,  vous  dé- 
clarez sur  la  lin  (lt•^(>ll•(■  Ifllif  du  I  'i  mai  1700.  (|u'au  fond  rllr  ne 
doit  point  nous  arrêter. 

XXVIII.  Aussi  cette  doctrine  est-elle  certaine  parmi  les  chré- 
tiens. Personne  ne  trouve  la  rebaptisation  aussi  coupable  dans 
saint  Cyprien  qu'elle  l'a  été  dans  les  donatistes  di^puis  la  décision 
de  l'Eglise  universelle.  Ceux  qui  ont  favorisé  les  pélagiens  et  les 
demi-pélagiens  avant  les  définitions  de  Cartilage,  d'Orange,  etc., 
sont  excusés ,  et  non  pas  ceux  ijui  l'ont  fait  depuis.  11  en  est  ainsi 
des  autres  dogmes.  Les  décisions  de  l'Eglise,  sans  rien  dij'e  de 
nouveau,  niettent  dans  la  chose  une  précision  et  mie  autorité  à 
laquelle  il  n'est  plus  permis  de  résister. 

XXIX.  Ouand  donc  on  demande  ce  que  devient  cette  maxime  : 
Que  la  foi  est  enseignée  toujours ,  partout  et  par  tous,  il  faut  en- 
tendre ce  tous  du  gros  de  l'Eglise:  et  je  m'assure.  Monsieur, 
([ue  vous-même  ne  feriez  pas  une  autre  réponse  à  une  pareille 
(Icinaiide. 


BOSSUET  A  LEIBNIZ,  17  AOUT  1701.  337 

XXX.  Il  n'y  a  plus  qu'à  l'appliquer  à  la  matière  que  nous  trai- 
tons. L'Eglise  catholique  n'a  jamais  cru  que  le  canon  des  Hé- 
breux fût  la  seule  règle ,  ni  que  pour  exclure  certains  Livi-es  de 
l'Ancien  Testament  de  ce  canon,  qu'on  appeloit  le  Canon  par  ex- 
cellence, parce  que  c'étoit  le  premier  et  le  primitif,  on  eût  eu  in- 
tention pour  cela  de  les  rayer  du  nombre  des  Livres  que  le  Saint- 
Esprit  a  dictés.  Elle  a  donc  porté  ses  yeux  sur  toute  la  tradition; 
et  par  ce  moyen  elle  a  aperçu  que  tous  les  Livres  qui  sont  aujour- 
d'hui dans  son  canon,  ont  été  communément  et  dès  l'origine  du 
christianisme ,  cités  même  en  confirmation  des  dogmes  les  plus 
essentiels  de  la  foi  par  la  plupart  des  saints  Pères.  Ainsi  elle  a 
trouvé  dans  saint  Athanase ,  au  li\Te  Contre  les  Geiitlls ,  la  Sa- 
gesse citée  en  preuve  indilTéremment  avec  les  autres  Ecritures. 
On  trouve  encore  dans  sa  première  Lettre  à  Sérapion,  aussi  bien 
qu'ailleurs,  le  livre  de  la  Sagesse  cité  sans  distinction  avec  les 
livres  les  plus  authentiques ,  en  preuve  certaine  de  l'égalité  des 
attributs  du  Saint-Esprit  avec  ceux  du  Père  et  du  Fils ,  pour  en 
conclure  la  divinité.  On  trouvera  le  même  argument  dans  saint 
Grégoire  de  Nazianze  et  dans  les  autres  saints.  Nous  venons  d'ouïr 
la  citation  de  saint  Epiphane  contre  l'hérésie  d'Aétius ,  qui  dégra- 
doit  le  Fils  de  Dieu.  Nous  avons  vu  dans  les  lettres  du  9  et  du  30 
janvier  1700,  celle  de  saint  Augustin  contre  les  semi-pélagiens  , 
et  il  y  faudra  bientôt  revenir.  Nous  produirions  aisément  beau- 
coup d'exemples  semblables. 

XXXI.  Pom-  marcher  plus  sûrement,  on  trouve  encore  des  ca- 
nons exprès  et  authentiques ,  où  ces  hvres  sont  rédigés.  C'est  le 
pape  saint  Innocent,  qui  consulté  par  saint  Exupère ,  a  instruit 
en  sa  personne  toute  l'église  galUcane  de  leur  autorité ,  sans  les 
distinguer  des  autres.  C'est  le  troisième  concile  de  Carthage ,  qui 
voulant  laisser  à  toute  l'Afrique  un  monument  éternel  des  Livres 
qu'elle  avoit  reconnus  de  tout  temps,  a  inséré  dans  son  canon  ces 
mêmes  livres  sans  en  excepter  un  seul ,  avec  le  titre  à' Ecritures 
canoniques  *.  On  n'a  plus  besoin  de  parler  du  concile  romain 
sous  le  pape  Gélase  :  il  faut  seulement  remarquer  que  s'il  ne 
nomme  qu'un  livre  des  Machabées ,  c'est  visiblement  au  même 

'  Conc.  Cnrtlt.  111,  caii.  47  ;  .,  Labb.,  toui.  H,  col.  ]  177. 

TOM.  xvin.  22 


338  LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE 

sens  que  dans  la  plupart  des  canons,  les  deux  livres  des  Paralipu- 
mènes  ne  sont  comptés  que  pour  im ,  non  plus  que  Néhémias  et 
Esdras ,  et  beaucoup  d'autres ,  à  cause ,  comme  saint  Jérôme  l'a 
bien  reniarcjué  ',  qu'on  en  faisoit  un  même  volume  :  ce  qui  peut 
d'autant  plutôt  être  arrivé  aux  deux  livres  des  Machabces ,  que 
dans  le  fond  ils  ne  font  ensemble  qu'une  même  histoire. 

XXXII.  Yous  voulez  nous  persuader  que,  sous  le  nom  d'Ecri- 
ture canonique,  on  cnlendoit  souvent  en  ce  temps  les  Ecritures 
qu'on  lisoit  publi*iuement  dtms  l'église,  encore  qu'on  ne  lem* 
donnât  pas  une  autorité,  inviolable  :  mais  le  langage  commun  do 
l'Eglise  s'ojjpost'  à  crtte  pensée,  dont  aussi  il  ne  paroît  aucun 
témoignage  au  milieu  de  tant  de  [lassages  que  vous  produisez. 

XXXI II.  Je  ne  sais  quelle  conséquence  vous  voulez  tirer  dans 
votre  lettre  du  24  mai  17()0,  des  paroles  de  saint  Innocent  I,  qui 
ajoute  au  dénombrement  des  Ecritiu'es  la  condamnation  expresse 
(les  a[>oi'rvpln's  :  Si  t/i((i  sunt  tilia ,  no7i  solùm  rcpwUanda ,  vc- 
riun  eliinii  /lorcn's  rssr  (hunnnii'ln.  Voici  comment  vous  vous  en 
expliquez:  «En  considérant  ses  paroles,  (jui  sont  celles  (ju'on 
vient  d'entendre  ,  on  voit  clairement  son  but,  qui  est  de  faire  un 
canon  des  Livres  (jue  l'Eglise  reconnoît  poiu-  authentiques,  et 
qu'elle  fait  lire  publi(iuement  comme  faisant  partie  de  la  Bible. 
Ainsi  ce  canon  devoit  conq)rendre  tant  les  Livres  tliéopneustes  ou 
divinement  inspirés,  que  les  livres  ecclésiastiques,  pour  les  dis- 
tinguer tous  ensemble  des  Uvres  apocryphes  plus  spécialement 
nonunés  ainsi  ;  c'est-à-dire  de  cenx  (|ui  devoit'nt  èti'<'  eiM-liés  et 
delVutlus  connue  suspects-.  » 

XXXIV.  J'avoue  bien  la  distinction  des  livres  apocrj'phes,  (pidn 
délendoit  expressément  comme  suspects,  ou  ainsi  que  nous  l'a- 
vons vu  dans  le  fragment  de  saint  Athanase  ',  comme  inventés 
par  les  hérétiques.  Ceux-ci  dévoient  être  spécialement  contiant- 
nés,  comme  Us  le  sont  par  saint  Innocent.  (Mi  ponvoit  aussi  reje- 
ter et  en  un  sens  condamner  les  autres,  en  tant  qu'on  les  ann»it 
voulu  égaler  aux  Livres  canoni{]ues  :  mais  quant  à  la  distinction 
i\vs  livn;s  authentiques  et  ({ui  faisoient  partie  de  la  Bible,  d'avec 
les  Livres  divinement  inspirés,  je  ne  sais  où  vous  l'avez  prise;  et 

»  IliiTon.,  f'iiibt.  L,  ad  Paul.  —  -  N.  SJ.  —  3  ï^up.,  ii.  8. 


BOSSUET  A  LEIBNIZ,  il  AOUT  1701.  339 

pour  moi,  je  ne  la  vois  nulle  part.  Car  aussi  quelle  autorité  avoit 
TEglise  de  faire  que  des  livres,  selon  vous,  purement  humains  et 
nullement  infaillibles ,  fussent  authentiques  et  méritassent  d'être 
partie  de  la  Bible  '?  Quelle  est  rauthenticité  que  vous  leur  attri- 
buez, s'il  n'est  pas  indubitable  qu'ils  sont  sans  erreiu"?  L'Eglise 
les  déclare  utiles ,  dites- vous  ;  mais  tous  les  livres  utiles  font-ils 
partie  de  la  Bible  ,  et  l'approbation  de  l'Eglise  les  peut-elle  ren- 
dre authentiques?  Tout  cela  ne  s'entend  pas;  et  il  faut  dire  qu'être 
authentique,  c'est  selon  le  langage  du  temps ,  être  reçu  en  auto- 
rité comme  Ecritures  divines.  Je  ne  connois  aucun  livre  qui  fasse 
partie  de  la  Bible  que  les  Livres  divinement  inspirés,  dont  la 
Bible  est  le  recueil.  Les  apocryphes  qu'on  a  jugés  supportables, 
comme  pourroit  être  la  prière  de  Manassès  avec  le  troisième  et  le 
quatrième  livre  à'Esdras ,  sont  bien  aujourd'hui  attachés  à  la 
Bible;  mais  ils  n'en  sont  pas  pour  cela  réputés  partie,  et  la  dis- 
tinction en  est  infinie.  Il  en  étoit  de  même  dans  l'ancienne  Eglise, 
qui  aussi  ne  les  a  jamais  mis  au  rang  des  Ecritures  canoniques 
dans  aucun  dénombrement, 

XXXV.  Je  n'entends  pas  davantage  votre  distinction,  de  la  ma- 
nière que  vous  la  posez,  entre  les  li\Tes  que  vous  appelez  ecclé- 
siastiques et  les  Livres  vraiment  canoniques.  Dans  le  li\Te  que 
saint  Jérôme  a  composé,  de  Scriptorihvs  ecclrsiasficis,  il  a  com- 
[jris  les  apôtres  et  les  évangélistes  sous  ce  titre.  Il  est  ^Tai  qu'on 
peut  distinguer  les  auteurs  purement  ecclésiastiques  d'avec  les 
autres.  Mais  vous  ne  montrerez  jamais  que  la  Sagesse  et  les  autres 
Livres  dont  il  s'agit  soient  appelés  purement  ecclésiastiques.  Si 
vous  voulez  dire  qu'on  lisoit  souvent  dans  les  églises  des  livres 
qui  n'étoient  pas  canoniques,  mais  qu'on  pouvoit  appeler  simple- 
ment ecclésiastiques ,  comme  les  Actes  des  martyrs,  j'en  trouve 
bien  la  distinction  dans  le  canon  XLvn  du  concile  m  de  Carthage  : 
mais  j'y  trouve  aussi  que  ce  n'est  point  en  ce  rang  qu'on  mettoit 
la  Sagesse  et  les  autres  li\Tes  de  cette  nature,  puisqu'ils  sont  très- 
expressément  nommés  canoniqiœs ,  et  que  le  concile  déclare  en 
termes  formels  que  ceux  qui  sont  compris  dans  son  canon,  parmi 
lesquels  se  trouvent  ceux-ci  en  parfaite  égalité,  sont  les  seuls 

i  L'ttre  du  14  mai  1700,  n.  2a. 


338  LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE, 
qu'on  lit  sous  le  titre  de  canoniques,  Sub  titulo  canonicœ  Sciip- 
turœ. 

XXXVI.  Je  ne  puis  donc  dire  autre  chose,  sur  votre  distinction 
de  Livre  inspiré  de  Dieu  et  de  Livre  authentique  et  qui  fasse  partie 
de  la  Bible,  sinon  qu  elle  est  tout  à  fait  vaine  ;  et  qu'ainsi  en  ran- 
geant les  hvres  dont  vous  contestez  l'autorité  au  nombre  des  au- 
thentiques et  faisant  partie  de  la  Bible ,  au  fond  vous  les  faites 
vous-même  véritablement  des  Livres  divins  ou  divinement  ins- 
pirés et  parfaitement  canoniques. 

XXXVII.  Saint  Augustin,  cjui  étoit  du  temps  et  qui  vit  tenir  le 
concile  de  Carthage ,  sil  ny  étoit  pas  en  personne,  a  fait  deux 
choses  :  l'une ,  de  mettre  lui-même  ces  livres  au  rang  des  Ecri- 
tm-es  canoniques  '  ;  l'autre,  de  répéter  trente  fois ,  que  les  Ecri- 
tures canoniques  sont  les  seules  à  qui  il  rend  cet  honneur  de  les 
croire  exemptes  de  toute  erreur,  et  de  n'en  révoquer  jamais  en 
doute  l'autorité  *  :  ce  qui  montre  Tidée  qu'il  avoit,  et  qu'on  avoit 
de  son  temps,  du  mot  ^'Ecritures  canoniques. 

XXXVIII.  Cependant  c'est  saint  Augustin  que  vous  alléguez 
dans  votre  lettre  du  2i  mai  1700  ^  pour  témoin  de  ce  langage  que 
vous  attribuez  à  l'Eglise.  Voyons  donc  si  vos  passages  seront  sans 
réplique.  «  L'Ecritm^e  des  MacJiabêes,  dit  saint  Augustin,  n'est  pas 
chez  les  Juifs  comme  la  loi  et  les  prophètes  ;  mais  l'Eglise  l'a  reçue 
avec  utilité,  pourvu  qu'on  la  lise  sobrement.  La  Sagesse  et  Y  Ecclé- 
siastique ne  sont  pas  de  Salomon  ;  mais  l'Eglise,  principalement 
celle  d'Occident,  les  a  reçus  anciennement  en  autctrité.  Les  temps 
du  second  temple  ne  sont  pas  marqués  dans  les  saintes  Ecritures, 
qu'on  appelle  canoniques;  mais  dans  les  livres  des  Machabées,  qui 
sont  tenus  pour  canoniques,  non  par  les  Juifs,  mais  par  l'Eglise,  à 
cause  des  admirables  souffrances  de  certains  martyrs  *.  » 

XXXIX.  Je  vois.  Monsieur,  dans  tous  ces  passages  qu'on  appelle 
particulièrement  canoniques  les  Livres  du  canon  des  Hébreux ,  à 
cause  que  c'est  le  premier  et  le  primitif,  comme  il  a  déjà  été  dii  ; 
pour  les  autres,  qui  sont  reçus  anoiemiement  en  autorité  par  l'E- 

»  Lib.  U  de  Doct.  Christ-,  cap.  viii,  n.  \2  et  13.  —  *  ViJ.,  episl.  lxxxh,  al.  19; 
II.  2  pt  3.  —  3  N.  99  etsuiv.  —  *  Aug.,  lib.  Il,  co7it.  Garni.,  cap.  xxiii;  idem.,  de 
Cunt.  Dci,  lib.  .Wll,  cap  xx,  ibtd.,  lib.  XIII,  cap.  xix,  ubi  sup. 


BOSSUET  A  LEIBNIZ,  iT  AOUT  1701.  341 

glise  Je  vois  aussi  rcccasion  qui  l'y  a  rendue  attentive,  et  qu'il 
les  faut  lire  avec  quelque  circonspection ,  à  cause  de  certains  en- 
droits qui ,  mal  entendus^  pouiToient  paroître  suspects  :  mais  que 
leur  canonicité  consiste  précisément  en  ce  qu'on  les  lit  dans 
l'église ,  sans  avoii'  dessein  d'en  recommander  l'autorité  comme 
inviolable;  c'est; de  quoi  saint  Augustin  ne  dit  pas  im  mot. 

XL.  Et  je  vous  prie,  Monsiem-,  entendons  de  bonne  foi  quelle 
autorité  saint  Augustin  veut  donner  à  ces  li\Tes  :  premièrement, 
vous  am'iez  pu  nous  avertir  qu'au  même  lieu  que  vous  alléguez  * 
pour  donner  atteinte  à  la  Sagesse  et  à  Y  Ecclésiastique,  saint 
Augustin  prétend  si  bien  que  ces  Liwes  sont  prophétiques,  qu'il 
en  rapporte  deux  prophéties  très-claires  et  très-expresses  :  l'une, 
de  la  passion  du  Fils  de  Dieu;  l'autre,  de  la  conversion-des  Gentils. 
Je  n'ai  pas  besoin  de  les  citer  :  elles  sont  connues ,  et  il  me  suffit 
de  faire  voir  que  ce  Père,  bien  éloigné  de  mettre  lem*  canonicité 
en  ce  qu'on  les  hsoit  dans  l'égUse,  comprenoit  au  contraire  cpie 
de  tout  temps,  comme  il  le  remarque,  on  les  lisoit  dans  l'église  à 
cause  qu'on  les  y  avoit  regardés  comme  prophétiques. 

XLI.  Venons  à  l'usage  qu'il  fait  de  ces  hvres,  puisque  c'est  la 
meilleure  preuve  du  sentiment  qu'il  en  avoit.  Ce  n'est  pas  pom* 
une  fois  seulement,  mais  par  une  coutume  invai'iable,  qu'il  les 
emploie  pour  confirmer  les  vérités  révélées  de  Dieu,  et  nécessaires 
au  salut,  par  autorité  infaillible.  Nous  avons  \-u  son  allégation  du 
h\Te  de  la  Sagesse.  Il  a  cité  avec  le  même  respect  Y  Ecclésias- 
tique, pour  établir  le  dogme  important  du  libre  arbitre  ;  et  il  fait 
marcher  ce  livre  indistinctement  comme  Moïse  et  les  Proverbes  de 
Salomon,  avec  cet  éloge  commun  à  la  tête  :  «  Dieu  nous  a  révélé 
par  ses  Ecritures  qu'il  faut  croire  le  hbre  arbitre  ;  et  je  vais  vous 
représenter  ce  qu'il  en  a  révélé  par  la  parole,  non  des  hommes , 
mais  de  Dieu  :  »  Non  kumano  eloquio  sed  divino  ^.  Vous  voyez 
donc  que  s'il  a  cité  le  livre  de  la  Sagesse  et  celui  de  Y  Ecclésias- 
tique, ce  n'est  pas  en  passant  ou  par  mégarde,  mais  de  propos  dé- 
hbéré ,  et  parce  que  chez  lui  c'étoit  un  point  fixe  de  se  servu* 
authentiquement  des  livres  du  second  canon,  ainsi  que  des  autres. 

XLII.  C'est  dans  ses  derniers  ouvrages  qu'il  a  parlé  le  plus  ferme 

»  De  Civit  ,m).  XYll,  cap.  xx.  —  -  De  Grat.  et  Ub.  arb.,  cap.  ii,  n.  2. 


312    LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE, 
sur  ce  sujet  :  c'est-à-dire  qu'il  alloit  toujours  se  confirmant  de 
plus  en  plus  dans  la  tradition  ancienne;  et  que  plus  il  seconsoni- 
moit  dans  la  science  ecclésiastique,  plus  aussi  il  faisoit  valoii-  lau- 
toritt'  de  ces  Livres. 

XLIII.  Ce  (]u"il  y  a  ici  déplus  n'iuanjuablo,  c'est  (pi'il  s'attacha 
à  soutenir  la  divinité  du  livre  de  la  Sagesse,  après  qu'elle  lui  eut 
été  contestée  par  les  fauteurs  du  sémi-pélagianisme;  et  qu'au 
lieu  de  lâcher  pied  ou  de  répondre  m  hésitant,  il  n'en  parla  (pie 
d'un  ton  plus  ferme. 

XLIY.  Après cela^  Monsietn*.  ponvcz-vous  élre  c(»ntrnf  de  votn» 
réponse,  lorscpie  vous  dites,  dans  N(»lrc  niéme  lettre  chi  m  mai 
17(M)  ',  (|ue  saint  Augustin  a  parle  si  ferme  de  lautorité  de 
la  Sf/f/rssr  dans  la  chaleiu*  de  son  Apolof/ir ,  pendant  que  vous 
voyez  si  clairement  (|uece  n'est  pas  ici  une  affaire  de  chaleur,  mais 
de  dessein  et  de  raison .  puisque  ce  i,'ran(l  honnne  ne  fait  (jue 
marcher  sur  les  principes  qu'il  avoit  toujours  soutenus,  et  dans 
lesquels  il  s'allennissoil  tous  Irs  jom's,  cKiniiie  nu  lait  dans  les 
vérit«''s  hien  entendues? 

XLV.  Vous  l'eniarciuez  (lu'il  n"a  p.is  dit  (|ue  ce  li\re  iïit  éi^al  au.v 
autres;  ce  (|ii  il  aiiroil  fallu  dire  s'il  eût  été  des  sentimens  triden- 
tins.  Mais  ne  voit-on  pas  ré([uivalent  dans  les  paroles  où  il  in- 
cultpie  avec  tant  de  force  (pi'on  fait  injure  à  ce  livre  ,  lorsqu'on 
lui  conteste  son  aut(M"ité,  puisqu'il  a  été  écouté  comme  un  témoi- 
gnage di\in?  Happortons  ses  propres  paroles  :  «Hu  a  cni,  dit-il, 
qu'on  n'y  écoutoit  autre  chose  cpi'un  témoignage  divin  -,  »  sans 
(piil  y  eût  rien  dinnnain  mêlé  dedans.  Mais  i-ncore,  qui  en  avoit 
cette  croyance?  Les  évèques  et  tous  les  chrétiens,  jusqu'au  der- 
nier rang  des  laï([ues ,  pénitens  et  catéchumènes.  (3n  eut  induit 
les  derniers  à  erreur,  si  on  leur  eût  donné  comme  purement  divin 
ce  qui  n'étoit  pas  dicté  par  le  Saint -Msjirit ,  et  si  Ton  eût  fait  de 
lautorité  divine  de  ce  livre  comme  mie  jtarlie  du  catéchisme? 
Après  cela.  Monsieur,  permettez  (pie  je  vous  demande  si  c'est  là 
ce  (jue  disent  les  protestans;  et  si  vous  pouvez  concilier  l'autorité 
de  ces  livres,  purement  ecclésiastique  et  humaine,  et  nullement 
infaillible  ([ue  vous  leur  donnez,  avec  celle  d'un  témoignage  divin, 

'  N.   lo:;.  —  *  .\n;.'usl..  flr  Prœd.  San-t.,  caii.  xiv,  iibi  sup. 


BOSSUET  A  LEIBNIZ,  17  AOUT  1701.  313 

unanimement  reconnu  par  tous  les  ordres  de  TEglise,  que  saint 
Augustin  leur  attribue.  C'est  ici  que  j'espère  tout  de  votre  can- 
deur, sans  m'cxpliquer  davantage. 

XLVl.  En  un  mot,  saint  Augustin  ayant  distingué,  comme  on  a 
vu  ci-dessus  ',  aussi  clairement  qu'il  a  fait,  la  déférence  qu'il  rend 
aux  auteurs  qu'il  appelle  ecclésiastiques ,  ecclesimtici  iractatores, 
et  celle  rpi'il  a  pour  les  auteurs  des  Ecritures  canoniques ,  en  ce 
qu'il  regarde  les  uns  comme  capables  d'errer,  et  les  autres  non  : 
dès  qu'il  met  ces  livres  au-dessus  des  auteurs  ecclésiastiques,  et 
qu'il  ajoute  que  ce  n'est  pas  lui  qui  leur  a  donné  ce  rang,  «  mais 
les  docteurs  les  plus  proches  du  temps  des  apôtres,  »  temporibus 
proximi  apostolorum  ecclesiastici  tractatores,  il  est  plus  claii'  que 
le  jour  qu'il  ne  leur  peut  donner  d'autre  autorité  que  celle  qui  est 
supérieure  à  tout  entendement  humain,  c'est-à-dire  toute  divine  et 
absolument  infaillible. 

XLYII.  Yous  pouvez  voir  ici,  encore  une  fois,  ce  qui  a  déjà  été 
démontré  ci-dessus  %  combien  vous  vous  éloignez  de  la  vérité,  en 
nous  disant  qu'en  ce  temps  le  livre  de  la  Sagesse  et  les  autres 
étoient  mis  simplement  au  rang  des  livres  ecclésiastiques,  puisque 
vous  voyez  si  clairement  saint  Augustin,  auteur  de  ce  temps ,  les 
élever  au-dessus  de  tous  les  livres  ecclésiastiques,  juscju'au  point 
de  n'y  écouter  qu'un  témoignage  divin  ;  ce  que  ce  Père  n'a  dit  ni 
pu  dire  d'aucun  de  ceux  qu'il  appeUe  ecclésiastiques ,  à  l'autorité 
desquels  il  ne  se  croit  pas  obligé  de  céder. 

XLYIII.  Quand  vous  dites  dans  votre  même  lettre  du  *2i  mai 
1700  S  qu'il  reconnoît  dans  ces  hvres  seulement  l'autorité  de 
l'Eghse,  et  nullement  celle  d'une  révélation  divine,  peut-être 
n'auriez-vous  point  regardé  ces  deux  autorités  comme  opposées 
l'mie  à  l'autre,  si  vous  aviez  considéré  que  le  principe  perpétuel 
de  saint  Augustin  est  de  reconnoitre  sur  les  Ecritures  l'autorité  de 
l'Eglise  comme  la  marque  certaine  de  la  révélation,  jusqu'à  dire, 
comme  vous  savez  aussi  bien  que  moi,  qu'il  ne  croiroit  pas 
à  l'Evangile,  si  l'autorité  de  l'Eghse  catholique  ne  l'y  portoit  *. 

XLIX.  Que  s'il  a  dit  souvent  avec  tout  cela,  comme  vous  l'avez 

'  N.  '1?,.  —  2  i\.  :\?,,  ;î;;.  —  '  N.  102.— '•  s.  Angnst.,  lib  cont.  F.pist.  Fundam., 
cap.  V,  n.  6. 


a44  LETTRES  SUR  L.\  REUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

remarqué,  qu'on  ne  cite  pas  ces  livres  que  les  Hébreux  n'ont  pas 
reçus  dans  leur  canon  avec  la  même  force  que  ceux  dont  personne 
n'a  jamais  douté,  j'en  dirai  bien  autant  moi-même,  et  je  n'ai  pas 
feint  d'avouer  que  les  li\Tes  du  premier  canon  sont  en  effet  encore 
aujourd'hui  cités  par  les  catholiques  avec  plus  de  force  et  de  con- 
viction, parce  qu'ils  ne  sont  contestés  ni  par  les  Juifs,  ni  par  aucun 
chrétien,  orthodoxe  ou  non ,  ni  enfin  par  qui  que  ce  soit  :  ce  qui 
ne  convient  j)as  aux  autres.  .Mais  si  vous  concluez  de  là  que  ces 
livres  ne  sont  donc  pas  véritablement  canoniques,  les  regardant 
en  eux-mêmes,  vous  vous  sentirez  forcé,  malgré  vous,  à  rejeter 
la  parfaite  canonicité  de  V Apocalypse  et  de  XEpîtrc  mix  ïlrhrcnx, 
sous  prétexte  quon  n'a  pas  toujours  égjilement  produit  ces  divins 
Livres  comme  canoniques. 

L.  Puisque  vous  appuyez  tant  sur  l'autorité  de  saint  Jérôme, 
voul«'Z-\  ous  que  nous  jtrcnions  au  pied  de  la  lettre  ce  qu'il  dit  si 
positivement  en  plusieurs  endroits  :  «  que  la  coutume  des  Latins 
ne  reçoit  pas  XKpttre  aux  Ih'hreux  parmi  les  Ecritures  cano- 
niques :  »  Lnlina  ronsitetii(/u  intcr  canonicas  Srripluras  non 
recijiil  '  ?  A  la  rigueur,  ei^  discours  ne  seroit  pas  véritable.  Le  tor- 
rent des  Pères  latins  conmie  des  Grecs  cite  YEpltre  aux  Hvbreux 
comme  eanoniciue,  dès  le  tenqis  de  saint  Jérôme  et  auparavant. 
Faudra-t-il  donc  démentir  un  fait  constant?  Ou  plutôt  ne  faudra-t-il 
pas  réduire  à  un  sens  tempéré  l'exagération  de  saint  Jérôme? 
Venons  à  quelque  chose  de  plus  précis.  Quand  saint  Augustin, 
quimd  les  autres  Pères,  et  ce  qu'il  y  a  de  plus  fort,  quand  les  papes 
et  les  conciles  ont  reçu  authentiquement  ces  Livres  pour  cano- 
niques, saint  Jérôme  avoit  déjà  écrit  qu'ils  n'étoient  pas  propres 
en  matière  contentieuse  à  (confirmer  les  dogmes  de  la  foi  ;  mais 
l'Eglise,  qui  dans  le  fait  voyoit  en  tant  d'autres,  les  plus  anciens, 
les  plus'éminens  en  doctrine,  et  en  si  grand  nombre,  une  pra- 
tique contraire,  n'flj^t-elle  pas  pu  expliquer  l)énignement  saint 
Jérôme,  en  reconnoissant  dans  les  Livres  du  premier  canon  une 
autorité  ]j1us  miiversellement  reconnue  et  que  personne  ne  récu- 
soit?  Ce  qui  est  a  rai  en  un  certain  sens  encore  à  présent,  comme 

'  In  Isai.,  VI  et  vu,  tnlnr  Ep.  dit.  ICpinl.  ad  Duril.;  et  lih.  II,  ///  Zncluiv.,  et 
uliLi. 


BOSSUET  A  LEIBNIZ,  17  xVOUT  170i.  343 

on  vient  de  le  voir,  et  ce  que  les  catholiques  ne  contestent  pas. 

LI.  On  pourra  donc  dire  que  le  discours  de  saint  Jérôme  est 
recevable  en  ce  sens,  d'autant  plus  que  ce  grand  homme  a 
comme  fourni  une  réponse  contre  lui-même ,  en  reconnoissant 
que  le  concile  de  Nicée  avoit  compté  le  livre  de  Judith  parmi 
les  saintes  Ecritures  ',  encore  qu'il  ne  fut  pas  du  premier  canon. 

LIT.  Yous  conjecturez  que  ce  grand  concile  aura  cité  ce  li\Te 
en  passant,  sous  le  nom  de  sainte  Ecritm^e,  comme  le  même 
concile,  à  ce  que  a'ous  dites,  Monsiem',  car  je  n'en  ai  point 
trouvé  le  passage,  ou  quelques  autres  auteurs  auront  cité  le 
Pasteur,  ou  bien  comme  saint  Ambroise  a  cité  le  quatrième 
livre  à^Esdras.  Mais  je  vous  laisse  encore  à  juger  si  une  citation 
de  cette  sorte  remplit  la  force  de  l'expression,  où  l'on  énonce 
que  le  concile  de  Nicée  a  compté  le  hvre  de  Judith  parmi  les 
saintes  Ecritures.  Que  si  vous  me  demandez  pourquoi  donc  il 
hésite  encore  après  un  si  grand  témoignage,  à  recevoir  ce  livre 
en  preuve  sur  les  dogmes  de  la  foi,  je  vous  répondrai  que  vous 
avez  le  même  intérêt  que  moi  à  adoucir  ses  paroles  par  ime 
interprétation  favorable,  pour  ne  le  pas  faire  contraire  à  lui- 
même.  Au  surplus,  je  me  promets  de  votre  candeur  que  vous 
m'avouerez  cjue  le  Pasteur,  et  encore  moins  le  quatrième  livre 
à'Esdras,  n'ont  été  cités  ni  pour  des  points  si  capitaux,  ni  si  géné- 
ralement, ni  avec  la  même  force,  que  les  Livres  dont  il  s'agit. 
Nous  avons  remarqué  comment  Origène  cite  le  livre  du  Pasteur  ^'- 
Il  est  YTHi  que  saint  Athanase  cite  quelquefois  ce  livre  :  mais  il  ne 
faut  pas  oublier  comment;  car  au  lieu  qu'il  cite  partout  le  livre 
de  la  Sagesse  comme  l'Ecritm'e  sainte,  il  se  contente  de  dire,  le 
Pasteur,  le  très-utile  livre  du  Pasteur.  Du  moins  est- il  bien  cer- 
tain que  jamais  ni  en  Orient  ni  en  Occident,  ni  en  particulier  ni  en 
public,  on  n'a  compris  ces  livres  dans  aucun  canon  ou  dénom- 
brement des  Ecritures.  Cet  endroit  est  fort  décisif  pom-  empêcher 
qu'on  ne  les  compare  avec  des  livi'es  qu'on  trouve  dans  les  canons 
si  anciens  et  si  authentiques,  que  nous  avons  rapportés. 

LUI.  Vous  avez  vu  les  canons  que  le  concile  de  Trente  a  pris 
pour  modèles.  Je  dirai  à  leur  avantage  qu'il  n'y  manque  aucun 

1  Prœf.  in  Judith.  —  -  Suprà,  n.  19. 


346  LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

(les  Li\Tes  de  TAncien  ou  du  Nouveau  Testament.  Le  livre  d'Es- 
ther  y  trouve  sa  ^ilace,  quïl  avoit  perdue  parmi  tant  de  Grecs  :  le 
Nouveau  Testament  y  est  entier.  Ainsi  déjà  de  ce  côté-là,  les 
canons  que  le  concile  de  Trente  a  suivis  sont  sans  reproche, 
(juand  il  les  a  adoptés  ou  plutôt  triuiscrits,  il  y  avoit  douze  cents 
ans  que  toute  l'Eglise  d'Occident,  à  laquelle  depuis  plusiem's  siècles 
toute  la  catholicité  s'est  réunie,  en  étoit  en  possession  ;  et  ces  canons 
étoient  le  fruit  de  la  tradition  immémoriale,  dès  les  temps  les  plus 
prochains  des  apôtres;  conune  il  paroit,  sans  nommer  les  autres, 
par  un  Origène  et  par  un  siiint  Cyprien,  dans  lequel  on  doit  croire 
entendre  tous  les  anciens  évèques  et  martyrs  de  l'Eglise  d'Afrique. 
N'est-ce  pas  là  une  antiquité  assez  vénérahle? 

LIY.  C'est  ici  t\n\\  faut  appliquer  celte  règle  tant  répétée  et  tant 
célébrée  par  saint  Augustin  :  «  Ce  qu'on  ne  trouve  pas  institué 
par  h's  conciles,  mais  reçu  et  t'iabli  de  tout  temps,  ne  peut  venir 
que  (l«'s  apôtres  '.  »  Nous  sonuues  précist-menl  dans  le  même  c<»s. 
Ce  n'est  point  le  concile  de  Carthag»^  qui  a  inventé  ou  institué  son 
canon  des  Ecritures,  puisqu'il  a  mis  à  la  tête  que  c'étoit  celui  qu'il 
avoit  trouvé  de  toute  antiquité  dans  l'Eglise.  11  étoit  donc  de  tout 
tiinqjs  ;  et  quand  saint  Cyprien,  quand  Origène,  qutuid  saint  Clé- 
ment d'Alexandrie,  quand  celui  de  Home  (car  comme  les  autres  il 
a  cité  ces  livres  en  autorité,;  en  un  mot,  quand  tous  les  autres 
ont  concom^u  à  les  citer  comme  on  a  vu ,  c'étoit  une  impression 
venue  des  apôtres  et  soutenue  de  leur  aiitorité,  comme  les  autres 
traditions  non  écrites,  rpie  vous  avez  paru  reconnoître  dans  votre 
lettre  du  premier  décembre  \V>\)\),  conune  je  lai  remarqué  dans 
les  lettres  que  j'écrivis  en  réponse. 

LV.  Celte  doctrine  doit  être  commune  entre  nous;  et  si  vous 
n'y  revenez  entièrement,  vous  voyez  (jue  non-s(Milement  les  «on- 
cilcs  seront  ébnuilés ,  mais  encore  (pie  le  canon  même  des  Ecri- 
tures ne  demeui'era  pas  en  son  entier. 

LVI.  Cependant  c'est  pour  im  canon  si  ancien,  si  complet  et  de 
plus  venu  d'une  tradition  immémoriale ,  qu'on  accuse  d'inno- 
vation les  Pères  de  Trente,  au  lieu  (juil  faudroit  louer  leur  véné- 
ration et  k'ur  zèle  pour  l'antiquité. 

'  Lil),  IV,  de  Bapi  ,  cup.  xxiv,  ii.  :il  cl  alil).  iia>isim. 


BOSSUET  A  LEiBMZ,  17  AOUT  1701.  347 

LVII.  Que  s'il  n'y  a  point  d'anathèmes  dans  ces  trois  anciens 
canons,  non  plus  que  dans  tous  les  autres,  c'est  qu'on  n'avoit  point 
coutume  alors  d'en  appliquer  à  ces  matières ,  qui  ne  causoient 
point  de  dissension  ;  chaque  église  lisoit  en  paix  ce  qu'elle  avoit 
accoutumé  de  lire,  sans  (pie  cette  diversité  changeât  rien  dans  la 
doctrine ,  et  sans  préjudice  de  l'autorité  que  ces  livides  avoient 
partout,  encore.que  tous  ne  les  missent  pas  dans  le  canon.  Il  suffi- 
soit  à  l'Eglise  quelle  se  fortifiât  par  l'usage,  et  que  la  vérité  prit 
tous  les  jours  de  plus  en  plus  le  dessus. 

LVIII.  Quand  on  vit  à  Trente  que  des  livres  canonisés  depuis 
tant  de  siè(  les,  non-seulement  n'étoient  point  admis  par  les  pro- 
testans,  mais  encore  en  étoient  repoussés  le  plus  souvent  avec  mé- 
pris et  avec  outrage,  on  crut  qu'il  étoit  temps  de  les  réprimer,  de 
ramener  les  catholiques  qui  se  licencioient,  de  venger  les  apôtres 
et  les  autres  hommes  inspirés  dont  on  rejetoit-les  Ecrits,  et  de 
mettre  fin  aux  dissensions  par  un  anathème  éternel. 

LIX.  L'Eglise  est  juge  de  cette  matière  comme  des  autre  ■;  de  la 
foi  :  c'est  à  elle  de  peser  toutes  les  raisons  qui  servent  à  éclaircir 
la  tradition,  et  c'est  à  elle  à  coimoîlre  quand  il  est  temps  d'employer 
l'anathème  qu'elle  a  dans  sa  main. 

LX.  Au  reste  je  ne  veux  pas  soupçonner  que  ce  soient  vos  dispo- 
sitions peu  favorables  envers  les  canons  de  Rome  et  d'Afrique, 
qui  vous  aient  porté  à  rayer  ces  églises  du  nombre  de  celles  que 
saint  Augustin  appelle  «les  plus  savantes,  les  plus  exactes,  les  plus 
graves  :  »  Doctioi^cs ,  cUlif/entiores ,  fjraviores  :  mais  je  ne  puis 
assez  m'étonner  que  vous  ayez  pu  entrer  dans  ce  sentiment.  Où 
y  a-t-il  une  église  mieux  instruite  en  toutes  matières  de  dogmes 
et  de  discipline,  que  celle  dont  les  conciles  et  les  conférences  sont 
le  plus  riche  trésor  de  la  science  ecclésiastique ,  qui  en  a  donné  à 
l'Eglise  les  plus  beaux  monumens ,  qui  a  eu  pour  maîtres  un 
Tertullien,  un  saint  Cyprien,  mi  saint  Optât,  tant  d'autres  grands 
hommes ,  et  qui  avoit  alors  dans  son  sein  la  plus  grande  lumière 
de  l'Eglise,  c'est-à-dire  saint  x\ugustin  lui-même?  Il  n'y  a  qu'à  lire 
ses  hvres  de  la  Doctrine  chrétienne ,  pour  voir  qu'il  exceUoit 
dans  la  matière  des  Ecritures  comme  dans  toutes  les  autres.  Vous 
voulez  qu'on  préfère  les  églises  grecques  :  à  la  iionne  heure  ;  rece- 


348  LETTRES  SUR  LA  RÉUNION  DES  PROTEST.  DALLEMAGNE. 

vez  donc  Baruch  et  la  lettre  de  Jérémie ,  avec  celles  qui  les  ont 
mis  dans  leur  canon.  Rendez  raison  pourquoi  il  y  en  a  tant  qui 
n'ont  pas  reçu  Esther;  et  cessez  de  donner  poui'  règle  de  ces  deux 
églises  le  canon  hébreu  où  elle  est.  Dites  aussi  pourquoi  un  si 
grand  nomi)rc  de  ces  églises  ont  omis  Y  Apocalypse ,  que  tout 
l'Occident  a  reçue  avec  tant  de  vénération,  sans  avoir  jamais  hé- 
site.  Et  pom'  Rome,  quand  il  n'y  auroit  autre  chose  que  le  recours 
cpi'on  a  eu  dès  Toriginc  du  christianisme  à  la  foi  romaine,  et  dans 
les  temps  dont  il  s'agit  à  la  foi  de  saint  Anastase,  de  saint  Inno- 
cent, d(î  saint  Célestin  ot  des  autres,  c'en  est  assez  pour  lui  mériter 
le  titre  que  vous  lui  ôlez.  Mais  surtout  on  ne  peut  le  lui  dispulor 
en  cette  matière,  puisqu'il  est  de  fait  ([ue  tout  le  concile  d'Afriijue 
a  recours  au  pape  saint  Roniface  II ,  pour  confirmer  le  canon  du 
même  concile  sur  les  Ecritures ,  conmie  il  est  expressément  porlé 
dans  ce  canon  mùme;  ci' qui  pourtant  ne  se  trouva  pas  nécessaire, 
parce  qu'apparemment  on  sut  bicntùt  ce  qu'avoit  fait  par  avance 
saint  Innocent  sur  ce  point. 

L\I.  .l'ai  prescpie  oublié  un  argument  (pie  vous  mettez  à  la 
tête  de  votre  lettre  du  2i  mai  1700,  comme  le  plus  fort  de  tous; 
c'est  que  depuis  la  conclusion  du  canon  des  Hébreux  sous  Esdras, 
les  Juifs  ne  reconnoissoient  plus  parmi  eux  d'inspirations  pro- 
phéfi(pies;  ce  (pii  même  ])aroit  à  l'endroit  du  premier  livre  des 
Math'iljt'rs,  où  nous  lisons  ces  mots  :  «  Il  n'y  a  point  eu  de  pa- 
reille tribulation  en  Israël,  depuis  le  jour  qu'Israël  a  cessé  d'a- 
voir des  prophètes'.  »  Mais  entendons-nous,  et  toute  la  diffi- 
culté sera  levée.  Israël  avoit  cessé  d'avoir  des  prophètes ,  c'est-à- 
dire  des  propliètes  semblables  à  ceux  qui  paroissent  aux  livres 
des  Rois,  et  (jui  régloient  en  ce  temps  les  affaires  du  peuple  de 
Dieu  av<Y'  des  prodiges  inouïs  et  des  prédictions  aussi  étonnantes 
que  continuelles,  en  sorte  qu'on  les  pouvoit  appeler  aussi  bien 
qu'Elie  et  Elisée  les  conducteurs  du  char  d'Israël*,  je  l'avoue  : 
mais  des  prophètes,  c'est-à-dire  en  général  des  hommes  inspirés 
qui  aient  éerit  les  merveilles  de  Dieu ,  et  même  sur  l'avenir ,  je 
ne  crois  pas  (pie  vous-même  le  prétendiez.  Saint  Augustin  ,  non 
content  de  mettre  les  livres  que  vous  contestez  parmi  les  livres 

>  I  Much.,  IX,  27.  —  »  IV  nrg.,  \\,  \-l;  xiir,   14. 


BOSSUET  A  LEIBNIZ,  17  AOUT  1701.  349 

prophétiques,  a  remarqué  en  particulier  deux  célèbres  prophéties 
dans  la  Sagesse  et  dans  V Ecclésiastique;  et  celle  entre  autres  de 
la  passion  de  Notre- Seigneur  est  aussi  expresse  que  celles  de  Da- 
vid et  d'ïsaïe.  S'il  faut  venir  à  Tobie,  on  y  trouve  une  prophétie 
de  la  fin  de  la  captivité,  de  la  chute  de  Ninive  et  de  la  gloire  fu- 
ture de  Jérusalem  rétablie  \  qui  ravit  en  admiration  tous  les 
cœurs  chrétiens  ;  et  l'expression  en  est  si  prophétique ,  que  saint 
Jean  Ta  transcrite  de  mot  à  mot  dans  V Apocalypse'^ .  On  ne  doit 
donc  pas  s'étonner  si  saint  Ambroise  appelle  Tobie  un  prophète, 
et  son  livre  un  livre  prophétique  ^  C'est  une  chose  qui  tient  du 
miracle,  et  qui  ne  peut  être  arrivée  sans  une  disposition  particu- 
lière de  la  divine  Providence,  que  les  promesses  de  la  vie  future^ 
scellées  dans  les  anciens  livres,  soient  développées  dans  le  livre 
de  la  Sagesse  et  dans  le  martyre  des  3Iachabées,  avec  presque  au- 
tant d'évidence  que  dans  l'Evangile  ;  en  sorte  qu'on  ne  peut  pas 
s'empêcher  de  voir  qu'à  mesure  que  les  temps  de  Jésus-Christ 
approchoient,  la  lumière  de  la  prédication  évangélique  commen- 
çoit  à  éclater  davantage  par  une  espèce  d'anticipation. 

LXII.  Il  est  pourtant  véritable  que  les  Juifs  ne  purent  faire  un 
nouveau  canon,  non  plus  qu'exécuter  beaucoup  d'autres  choses 
encore  moins  importantes,  jusqu'à  ce  qu'il  leur  vint  de  ces  pro- 
phètes du  caractère  de  ceux  qui  régloient  tout  autrefois  avec  une 
autorité  manifestement  divine  ;  et  c'est  ce  qu'on  voit  dans  le  livre 
des  Machabées'\  Si  cep  endant  cette  raison  les  empèchoit  de  re- 
connoître  ces  livres  par  acte  public,  ils  ne  laissoient  pas  de  les 
conserver  précieusement.  Les  chrétiens  les  trouvèrent  entre  leurs 
mains  ;  les  magnifiques  prophéties ,  les  martyres  éclatans  et  les 
promesses  si  expresses  de  la  vie  future,  qui  faisoient  partie  de  la 
grâce  du  Nouveau  Testament,  les  y  rendirent  attentifs  :  on  les 
lut,  on  les  goûta,  on  y  remarqua  beaucoup  d'endroits  que  Jésus- 
Christ  même  et  ses  apôtres  sembloient  avoir  expressément  voulu 
tirer  de  ces  livres  et  les  avoir  comme  cités  secrètement  ;  tant  la 
conformité  y  paroissoit  grande.  Il  ne  s'agit  pas  de  deux  ou  trois 
mots  marqués  en  passant,  comme  sont  ceux  que  vous  alléguez  de 

'  Tob.,  XIII  et  XIV  —  2  Apoi:.,  xxii,  16  et  seq.  —3  S.  Amhr.,  di  Tob.,  part.  1, 
u.  î.  —  M  Mach.,  IV,  46  ;  xiv,  il. 


350  LETTRES  SUR  LA  REUNION  DES  PROTEST.  D'ALLEMAGNE. 

VEjj/tre  de  saint  Jude  :  ce  sont  des  versets  entiers  tirés  frétjiieni- 
nient  et  de  mot  à  mot  de  ces  livres.  Nos  auteurs  les  ont  recueillis; 
et  ceux  qui  voudront  les  remarquer ,  en  trouveront  de  cette  na- 
ture un  plus  grand  nombre  et  de  plus  près  qu'ils  ne  pensent. 
Toutes  ces  divines  conformités  inspirèrent  aux  plus  saints  doc- 
teurs, dès  les  premiers  temps ,  la  coutume  de  les  citer  comme 
divins  avec  la  force  que  nous  avons  vue,  <  hi  a  vu  aussi  (jue  cette 
coutume  ne  pouvoit  être  intr<»duite  ni  autorisée  que  par  les 
apôtres,  puiscjuon  n"v  remarquait  pas  de  conmiencement.  lletoit 
naturel  en  cet  état  de  mettre  ces  livres  dans  le  canon.  Une  tradi- 
tion immémoriale  les  avoit  déjà  distingués  d'avec  les  ouvrages 
des  auteurs  qu'on  appeloit  ecch'-sinsliqucs  :  l'Occident ,  où  nous 
pouvons  dire  avec  confiance  (jue  la  pureté  de  la  foi  et  des  Iradi- 
tioDS  chrétiemies  s'e^t  conservée  avec  un  éclat  piU'ticulier,  en  lit 
le  (.mon  ;  et  le  concile  de  Trente  en  a  suivi  l'autorité. 

Voilà,  Monsieur,  les  preuves  constantes  delà  tradition  de  ce 
<;oncile.  J'aime  mieux  attendre  de  votre  équité  que  vous  les  ju- 
giez sans  réplique  (jue  d«'  vous  le  dire;  et  je  me  tiens  très-assuré 
(jue  M.  l'ablié  de  Lokkum  ne  croira  jamais  (|ue  ce  soit  là  une 
mat  ère  de  rupture,  ni  une  raison  de  vous  élever  avec  tant  de 
force  contre  le  concile  de  Trente.  .le  suis  avec  l'estime  (pie  vous 
savez,  .Monsieui',  votre  très-humble  serviteur, 

.T.  ni-.MGNE,  év.  de  Meaux  [a). 

(fl)  Loibiiiz  voulut  avoir  lo  (Jt>niit'r  uiot  :  il  répoiirlil  à  la  loltro  qu'on  vient  de 
lire  ,  c'est-h-dirp  il  y  opposa  un  lonp  tissu  do  rcdilt's,  dt>  cbicanes,  de  sophisraes 
rt  d'insinuations  pou  polios.  Nous  ne  publi'Tons  point  sa  réponse,  d'autant  moins 
<|u'elle  n'est  pas  nit'^nio  nionliunnéc  dans  l"s  préi<^dontos  éditions  iW  IJossuot. 

A  l'ôpoque  où  nous  snnnnos  arrivés,  on  1701  ,  le  souverain  pontife  Clénionl  XI 
voulut  prendre  ronnoissance  dos  écrits  connposés  par  Bossuet  pour  la  conciliation 
des  églises;  et  plusieurs  conversions  s'opérèrent  dans  les  cours  protesl.uiles 
d'Allemagne,  entre  autres  celle  du  duc  de  s^oxe-fiotha  et  celle  du  duc  Antoine 
Ulrich. 


ORDONNANCE 

ET 

INSTRUCTION    PASTORALE 

DE  M^B  L'ÉVKOrE  DE  MEAUX 

SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 


Jacques-Bénigne,  par  la  permission  divine,  Evêque  de  IMeaiix  : 
à  tous  curés,  confesseurs,  supérieurs  de  communautés,  et  à  tous 
prêtres  de  notre  diocèse.  Salut  et  bénédiction  e>'Notre-Seigneur. 

Touchés  des  périls  de  ceux  qui,  «  marchant,  comme  dit  David, 
dans  les  grandes  choses  et  dans  des  choses  merveilleuses  au-dessus 
d'eux  ',  »  recherchent  dans  l'oraison  des  sublimités  que  Dieu  n'a 
point  révélées,  et  que  les  Saints  ne  connoissent  pas  :  bien  informés 
d'ailleurs  que  ces  dangereuses  manières  de  prier  introduites  par 
quelques  mystiques  de  nos  jours,  se  répandoient  insensiblement 
même  dans  notre  diocèse,  par  un  grand  nombre  de  petits  livres  et 
écrits  particuhers  que  la  divine  Providence  a  fait  tomber  entre 
nos  mains  :  nous  nous  sommes  sentis  obhgésà  prévenir  les  suites 
d'un  si  grand  mal.  Nous  y  avons  encore  été  excités  par  la  vigi- 
lance et  attention  extraordinaire  qui  a  paru  sur  cette  matière  dans 
la  chaire  de  saint  Pierre.  On  n'y  eut  pas  plutôt  aperçu  le  secret 
progrès  de  ces  nouveautés ,  que  le  pape  Innocent  XI  d'heureuse 
mémoire  donna  tous  ses  soins  pour  l'empêcher.  Et  d'abord  il  pa- 
rut une  lettre  circulaire  de  Téminentissime  cardinal  Cibo,  chef  de 
la  Congrégation  du  saint  Office,  maintenant  très-digne  doyen  du 
sacré  Collège,  pour  avertir  les  évêques  de  prendre  garde  à  une 
doctrine  pernicieuse  sur  Toraison,  qui  se  répandoit  en  divers  en- 
droits d'Italie,  et  qu'on  réduisit  alors  à  dix-neuf  articles  princi- 
paux contenus  dans  la  même  lettre,  en  date  de  Rome,  du  15  fé- 
vrier 1687,  en  attendant  un  plus  ample  examen. 

'  Psal.  cxxx,  1. 


352  ORDONNANCE 

Pour  s'opposer  davantage  à  ce  mystère  d'iniiuil"-,  on  arrêta  à 
Rome  celui  qu'on  en  croyoit  le  principal  promoteur,  pour  lui  faire 
son  procès,  et  il  fut  condamné  pour  plusieurs  crimes,  et  pour  avoir 
enseigné  des  propositions  contraires  à  la  foi  et  aux  bonnes  mœurs, 
au  nomlirc  de  plus  de  cent,  mentiomiées  dans  le  procès  et  décret 
de  condamnation.  On  condamna  aussi  par  un  autre  décret  du  28 
août  1087,  soixante-huit  propositions  extraites  des  précédentes, 
où  tout  le  venin  de  cette  secte  cachée  éloit  renfermé.  Pour  en 
rendre  la  condamnation  plus  soleimelle,  elle  fut  poussée  jusipi' à 
une  bulle  pontificale,  où  il  fut  expressément  déclaré  que  ces  pro- 
positions éloient  respectivement  hérétiques,  suspectes,  erronées, 
scandaleuses  ,  blasphématoires,  avec  d'autres  grièves  qualifica- 
tions portées  dans  la  même  bulle. 

Parla  rontiiuiutinii  de  la  même  sollicitude,  on  a  flrtri  par  di- 
vers décrets  plusieurs  l.vres  de  toutes  langues,  où  oi'tte  fausse 
oraison  éloit  enseignée.  De  grands  évêques  ont  reçu  l'impression 
que  le  Saint  Siège  a  donnée  à  toute  la  chrétienté,  et  ont  suivi 
l'exemple  de  la  mère  et  maîtresse  des  Eglises,  parmi  lescpiels 
Monseigneur  l'archevêjiue  de  Paris  notre  métropolitain,  conti- 
nuant à  signaler  son  pontificat  par  la  censure  et  condamnation  de 
be;iucoup  d'erreurs,  a  fait  paroître  son  zèle  .dans  sa  judicieuse 
ordonnance  du  10  octobre  lOOi,  où  plusieurs  propositions  de  ces 
faux  mvsliques  sont  proscrites  sous  de  grièves  (jualilications , 
même  connne  condamnées  par  les  conciles  de  Vienne  et  de 
Trente,  sans  approbation  des  autres,  avec  expresse  condamna- 
lion  dt'  (pit'biucs  livres  où  elles  sont  conteinies,  et  défense  de  les 
retenir. 

Animés  par  de  tels  exemples,  et  déterminés  par  diverses  occa- 
sions que  la  Providence  divine  nous  a  fait  naître,  à  nous  appli- 
quer avec  un  soin  particulier  à  cette  matière  ;  après  en  avoir  con- 
féré avec  plusieurs  docteurs  en  théologie,  supérieurs  de  commu- 
nautés, même  avec  de  très-grands  prélats  consommés  en  piété  et 
«Ml  savoir,  et  autres  graves  personnages  exercés  dans  la  conduite 
des  âmes;  après  aussi  avoir  lu  et  examiné  plusieurs  livres  el  écrits 
particuliers  où  ces  maximes  dangereuses  étoient  enseignées  :  le 
saint  nom  do  Dieu  invoqué,  nous  nous  sommes  sentis  pressés  par 


SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON.  353 

la  charité,  en  condamnant,  comme  nous  faisons  par  ces  présentes, 
cette  doctrine  réprouvée ,  de  vous  mettre  en  main  des  moyens 
pour  en  connoitre  les  défense ui's  et  pour  les  convaincre. 

Pom"  les  connoitre ,  nous  vous  avertissons  en  Notre-Seigneur 
d'observer  ceux  qui  affectent  dans  leurs  discours  des  élévations 
extraordinaires,  et  de  fausses  sublimités  dans  leur  oraison. 

Premièrement,  lorsque  sous  prétexte  d'honorer  l'essence  di- 
vine, ils  excluent  de  la  haute  contemplation  l'humanité  sainte  de 
Notre-Seignem'  Jésus-Christ,  comme  si  elle  en  étoit  un  empêche- 
ment, encore  qu'elle  soit  la  voie  domiée  de  Dieu  même  pour  nous 
élever  à  lui  :  et  non-seulement  ils  éloignent  cette  sainte  huma- 
nité; mais  encore  les  attributs  divins,  même  ceux  qui  sont  les 
fondemens  les  plus  essentiels  et  les  plus  commmis  de  notre  foi, 
tels  que  sont  la  toute-puissance ,  la  miséricorde  et  la  justice  de 
Dieu.  Ils  éloignent  par  même  raison  les  trois  Persomies  divines , 
encore  que  nous  leur  soyons  expressément  et  distinctement  con- 
sacrés par  notre  baptême,  dont  on  ne  peut  supprimer  le  souvenir 
explicite  sans  renoncer  au  nom  de  chrétien  :  de  sorte  qu'ils  met- 
tent la  perfection  de  Foraison  chrétienne  à  s'élever  au-dessus  des 
idées  qui  appartiennent  proprement  au  christianisme  ;  c'est-à-dire 
de  ceUes  de  la  Trinité  et  de  F  Incarnation  du  Fils  de  Dieu. 

Nous  ne  répétons  qu'avec  horreur  cette  parole  d'un  faux  mys- 
tique de  nos  jours,  qui  ose  dire  que  Jésus-Christ  selon  son  huma- 
nité étant  la  voie,  on  n'a  plus  besoin  d"y  retourner  lorsqu'on  est 
arrivé ,  et  que  la  boue  doit  tomber  quand  les  yeux  de  l'aveugle 
sont  ouverts.  Le  prétexte  dont  on  se  sert  pour  éloigner  l'humanité 
sainte  de  Jésus- Christ  avec  les  attributs  essentiels  et  personnels  , 
c'est  que  tout  cela  est  compris  dans  la  foi  ou  vue  confuse,  géné- 
rale et  mdistincte  de  Dieu,  sans  songer  que  Jésus- Christ,  qui  a 
dit  :  Voies  croi/ez  en  Dieu,  ajoute  tout  de  suite  et  en  même  temps  : 
Croyez  aussi  en  moi^,  pour  nous  apprendre  que  la  foi  au  Média- 
teur doit  être  aussi  explicite  et  aussi  distincte  que  celle  qu'on  a  en 
Dieu  considéré  en  lui-même  ;  ce  qu'il  confirme  par  cette  parole  : 
«La  vie  éternelle  est  de  vous  connoitre,  vous  qui  êtes  le  vrai 
Dieu,  et  Jésus-Christ  que  vous  avez  envoyé^  ;  »  et  celle-ci  de  saint 

1  Joun  ,  XIV,  1.  —  î  Joan  ,  xvii,  ',). 

TÙM.    XVIU.  23 


354  ORDONNANCE 

Paul  :  €  Je  ne  connois  qu'une  seule  chose,  qui  est  Jésus-Christ .  et 
Jésu5-Q  ■  ".e  '.  » 

L'n  se  :  de  rélévation  affectée  de  ces  nouveaux  mys- 

tiques, est  de  marquer  envers  Di«i  conmie  une  fausse  générosité 
et  une  espèce  de  desinteressem«it  qui  fait  qu'on  ne  veut  plus  lui 
d^  mander  rien  pour  soi-même,  pas  même  la  rémission  de  ses  pé- 
<  ht  s.  lavenem^it  de  son  règne,  et  la  grâce  de  i:»erseverer  dans  le 
bien,  d'opérer  scm  salut ,  non  plus  que  lui  rendre  grâces  de  tous 
-  -  -  '  r  Dieu  d'une  manière 

..   -  .—      ...   r ,..     .    .     :re  lexoellence  de  sa 

nature  bienfaisante ,  ou  que  le  salut  du  chretien  ne  fût  pas  le 

-:  nd  ou\Tage  de  Dieu,  et  la  parfaite  manifestation  et  ccwi- 

-*'  ■    •    sa  gloire .  que  ses  enfans  ne  peuvent  assez  désirer 

Ces*  encore  un  semblable  effet  de  ces  élévations  outrées ,  de 

n ,  un  rassasie- 
w  .  j  5- ...;..,..  vUie  sorte  de  béa- 
titude qui  rei.  rs  et  les  demandes ,  malgré  l'état 
de  foiblesse,  et  au  mihea  des  péchés  et  des  tentations  qui  font  gé- 
mir tous  les  saints,  tant  qu'ils  demeurent  chargés  de  ce  corps  de 
mort. 

Pour  troisième  moyen  de  connoître  ces  faux  docteurs,  nou.s 

ui  fait  consister  la  p»erfection 
.   ■  >.>  ..    «..  >     . ..  ...w..,  ut  ceux  que  le  cluvtien  excite 

•  :ne  avec  le  secours  de  la  grâce  prevenante  :  pour  ne 

laisser  aux  pretendus  parfaits  qu'un  seul  acte  produit  une  fois  au 
..  rit.  qui  dure  ensuite  sans  iri*  '         '  -  "i, 

o  ler  jusqu'à  la  fin  de  la  v  ■  .  ;i 

qu'on  nomme  passif,  au  préjudice  du  Ubre  arbitre  et  des  actes 
i  lire  par  l'exprès  -  ?it  de  Dieu.  Pour  les 

e:». .,...  *  .  ..  ..î  ramènera  ce  pi.  ■  i. ...  ».  .<    imique.  on  emploie 

encore  le  terme  de  simpiicité;  comme  si  Dieu ,  qui  nous  a  com- 
mandé d'être  ses  simples  enfans ,  n'avoit  pas  en  même  temps 
comi'i  '  îes  très-distincts. 

«V  ^  veaux  docteurs  appellent l'o^/e  M/mcrse/, 


SUR  LES  KTATS  D'ORAISi'.N.  305 

qui  selon  eux  comprenant  excellemment  et  éminemment  tous  les 
autres,  exempte  de  les  produire ,  est  un  prodige  nouveau  parmi 
les  chrétiens  :  on  n'en  trouve  aucim  vestige,  aucun  trait  dans  les 
Livres  sacrés  ni  dans  la  doctrine  des  Saints  :  David  ne  le  connoît 
pas,  puisqu'il  s'excite  lui-même  à  former  tant  d'actes  divers  et  réi- 
térés en  disant  :  «  Mon  ame,  bénis  le  Seigneur  :  Seignem'Jevous 
aimerai  :  Mon  ame,  pourquoi  es-tu  triste?  Espère  au  Seigneur  : 
Elève-toi,  ma  langue  :  élève-toi,  ma  lyre  \  »  et  le  reste. 

Jésus- Christ  ignoroit  aussi  la  perfection  imaginaire  de  cet  acte 
unique  et  miiversel ,  lorsqu'il  oblige  les  plus  parfaits  à  tant  de 
demandes,  notamment  dans  l'Oraison  Dominicale.  Aussi  est-il  vi'ai 
que  les  nouveaux  mystiques  par  une  idée  de  perfection  inconnue 
jusques  ici  aux  chrétiens ,  renvoient  les  Psaumes  de  David,  et 
même  la  sainte  prière  qui  nous  a  été  enseignée  par  Notre- Sei- 
gneur, aux  degrés  inférieurs  de  l'oraison,  et  les  excluent  des 
états  les  plus  éminens. 

Nous  voyons  aussi  que  David ,  comme  les  autres  prophètes, 
bien  éloigné  de  supprimer  dans  la  prière  les  efforts  du  libre  ar- 
bitre pour  demeurer  en  pure  attente  de  ce  que  Dieu  voudra 
opérer  en  nous,  prévient  la  face  du  Seigneur  par  la  pul)lication 
de  ses  louanges,  secrètement  prévenu  du  doux  instinct  de  sa 
grâce,  et  il  fait  ce  qu'il  peut  de  son  côté  avec  ce  secours  ;  ce  qui 
lui  fait  dire  ailleurs  :  «  Votre  serviteur  a  trouvé  son  cœur  pour 
vous  faire  cette  prière  ^;  »  et  encore  :  «  Seigneur,  je  rechercherai 
votre  visage  ^  ;  »  et  enfin  :  «  Ne  cessez  jamais  de  chercher  la  face 
de  Dieu,  et  de  vous  tourner  vers  lui  *.  » 

Pom'  exclure  tant  d'actes  commandés  de  Dieu,  on  se  sert  en- 
core du  mot  de  silence  et  ^anéantissement ,  dont  on  aljuse  pour 
induire  la  suppression  de  toute  action  et  opération  qu'on  peut 
exciter  avec  la  prévention  de  la  grâce,  ou  qu'on  peut  même  aper- 
cevoir dans  son  intérieur  :  ce  qui  ne  tend  à  rien  moins  ([u'à  les 
étouffer  tout  à  fait,  et  ôter  en  même  temps  toute  attention  aux 
dons  de  Dieu,  sous  prétexte  de  ne  s'attacher  qu'à  lui  seul,  contre 
cette  parole  expresse  de  saint  Paul  :  «  Nous  avons  reçu  un  es- 

1  Vuil.  cii,  xvh,  xLil,  LVi,  (.■le.  -  Ml  Wrq.,  \\\,  -r,.  —  ■•  Vml.  ww,  8.  — 
i  VmI.  r.iv,  4. 


358  ORDONNANCE 

prit  qui  vient  de  Dieu,  pour  connoître  les  choses  que  Dieu  nous 
a  données  ' .  »  Nous  ne  voulons  point  parler  ici  des  autres  per- 
nicieuses significations  que  quelques-ims  donnent  au  mot  de  7îéant 
et  d^ anéantissement. 

Vous  aui'ez  pour  quatrième  marque  de  cette  doctrine  outrée, 
les  manières  de  parler  dont  on  y  use  sm'  la  mortification  et 
sur  Tapplication  aux  exercices  particuliers  des  autres  vertus,  en 
les  faisant  regarder  comme  des  pratiques  ^allgaires  et  au-dessous 
des  parfaits  ;  et  la  mortification  en  particulier  comme  chose  qui 
met  les  sens  en  vigueur,  loin  de  les  amortir  :  contre  les  exemples 
des  saints  qui  ont  pratitpié  les  austérités  comme  mi  des  moyens 
les  plus  efficaces  pour  aliattre  et  humilier  l'esprit  et  le  corps,  et 
contre  la  parole  expresse  de  saint  Paul,  qui  chàtU'  son  corps  et 
réduit  en  servitude  son  corps  *,  le  frappe,  le  flétrit,  le  tient  sous  le 
joug.  Le  même  Apôtre  ne  s'explique  pas  moins  clairement  sur 
l'exercice  distinct  et  particulier  des  vertus;  et  saint  Pierre  n'est 
pas  moins  exprès  sur  cette  matière,  lorscju'il  nous  apprend  l'en- 
chaînement  des  vertus  j»ar  ces  paroles  :  «  Donnez  tous  vos  soins 
poui- Joiiidie  à  Vdlrc  foi  la  vertu  :  à  la  vertu  la  science  :  à  la 
science  la  tempérance  :  à  la  tenqjérance  la  patience  :  à  la  patience 
la  piété  :  à  la  piété  l'amour  de  vos  frères  :  à  l'amour  de  vos  frères 
la  charité  \)>  , 

Enfin  mi  cinquième  effet  de  la  doctrine  cpie  nous  voulons  vous 
faire  comioitre,  est  de  ne  louer  comnnmément  que  les  oraisons 
extraordinaires  :  y  attacher  la  perfection  et  la  pureté  :  y  attirer 
tout  le  monde  avec  peu  de  discernement,  Jus(iu'aux  enfans  du 
plus  bas  âge  :  comme  si  on  s'en  [)ouvoit  ouvrir  l'entrée  par  de 
certaines  méthodes  qu'on  propose  comme  faciles  à  tous  les  fidèles  : 
ce  qui  fait  aussi  qu'on  s'y  ingère  avec  une  témérité  dont  l'eftet 
inévitable ,  principalement  dans  les  commmiautés ,  est  sous  pré- 
texte de  s'abandonner  à  l'esprit  de  Dieu,  de  ne  faire  que  ce  qu'on 
veut,  avec  mépris  de  la  disciphne  et  des  confessem's  et  supériem*s 
ordinaires,  (|uel(jue  éclairés  ([u'ils  soient  d'ailleurs,  pour  chercher 
selon  ses  préventions  et  présomptions  des  guides  qu'on  croil  phis 
experts. 

•  1  Cor.,  11,  [-2.  -  "  llti'L,  IX,  27.  —  »  Il  Pelr.,  \,  5,  G,  7. 


SUR  LES  ETATS  D  nRAiSON.  357 

Nous  omettons  d'autres  marques  dont  l'explication  demande- 
roit  un  plus  long  discours.  Celles-ci  suffisent,  et  vous  y  trou- 
verez comme  cinq  caractères  sensibles  qui  vous  aideront  à  con- 
noitre  ceux  dont  nous  voulons  que  vous  obserNiez  la  conduite  et 
évitiez  les  raffinemens.  Mais  pour  vous  faciliter  le  moyen  de  les 
convaincre,  il  faut  vous  avertir  avant  toutes  choses  de  prendre 
garde  de  n'entamer  pas  la  véritable  spiritualité  en  attaquant  la 
fausse  qui  fait  semblant  de  1"  imiter  :  à  quoi  nous  ne  voyons  rien 
de  plus  utUe  que  de  vous  mettre  devant  les  yeux  quelques  vérités 
fondamentales  de  la  religion,  ordonnées  à  cette  fin  dans  les  ar- 
ticles suivans^  que  nous  avons  digérés  avec  une  longue  et  mûre 
délibération,  et  avec  tous  les  sages  a\is  que  nous  vous  avons  déjà 
mai'qués  :  en  apposant  à  chacun  pom'  votre  soulagement  et  plus 
grande  facihte  les  qualifications  convenables. 

ARTICLES 

Sra  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

I. 

Tout  chrétien  en  tout  état,  quoique  non  à  tout  moment,  est 
obhgé  de  conserver  l'exercice  de  la  foi.  de  l'espérance  et  de  la  ^l^^ 
charité,  et  d'en  produire  des  actes  comme  de  trois  vertus  distin-  ^^;;-  ^ 
guées.  *:Jl 

11.  M.  de 

ChâJons 

Tout  chrétien  est  obhgé  d'avoir  la  foi  exphcite  en  Dieu  tout-  ^^^^['^^ 

puissant,  créateur  du  ciel  et  de  la  terre,  rémunératem'  de  ceux    ^"^; 

qui  le  cherchent,  et  en  ses  autres  attributs  également  révélés  ;  et  ^^'■^^^ 

à  faire  des  actes  de  cette  foi  eu  tout  état,  quoique  non  à  tout  mo-  ^t™"^'"" 

ment. 

III. 

Tout  chrétien  est  pareillement  obhgé  à  la  foi  exphcite  en  Dieu, 
Père,  Fils,  et  Saint-Esprit,  et  à  fau'e  des  actes  de  cette  foi  en  tout 
état,  quoique  non  à  tout  moment. 


Le-  xnn 


■i'à^  0RDn^^■A^<Jb: 

IV. 

Tout  chrétien  est  de  même  obligé  à  la  loi  explicite  en  Jésus- 
Christ  Dieu  et  Homme,  comme  Médiateur,  sans  lequel  on  ne  peut 
approcher  de  Dieu,  et  à  faire  des  actes  de  cette  foi  en  tout  état, 
quoique  non  à  tout  moment. 

V. 

Tout  chrétien  eu  tout  état,  quoi(]iie  non  à  tout  moment,  est 

obligt'  de  vouloir,  désirer  et  demander  «wplicitement  son  salut 

éternel,  comme  chose  (pie  Dieu  veut,  et  (|u"il  veut  (jue  nous  vou- 

hons  poiu"  sa  gloire, 

VI. 

Dieu  veut  que  tout  chrétien  en  tout  l'tat,  (juoiciue  non  à  tout 

moment,  lui  demande  expressément  la  rémission  de  ses  péchés, 

la  grâce  de  n'en  i)lus  commettre,  la  persévérance  dans  le  bien, 

l'augmentation  des  vertus,  et  toute  autre  chose  requise  pour  le 

salut  éternel. 

VII. 

Kn  tout  état  le  chrétien  a  la  concupiscence  à  comhattre,  (pioique 
non  toujours  également  ;  ce  <pii  l'oblige  en  t(mtétat,  quoique  non 
à  tout  moment,  à  demander  force  contre  les  tentations. 

VIII. 

Toutes  ces  propositions  sont  de  la  foi  catholi(|ue,  expresséuient 
contenues  dtms  le  Symbole  des  apôtres  et  dans  lOraison  Domini- 
l'ale,  qui  est  la  prière  connnune  etjoiuiialière  de  tous  lesenfans 
de  Dieu  :  ou  même  expressément  délhiies  par  l'Eglise,  comme 
celle  de  la  demande  de  la  rémission  des  péchés  et  du  don  de  persé- 
vérance et  celle  du  combat  de  la  convoitise,  dans  les  conciles  de 
Cartilage,  d'Orange  et  de  Trente  :  ainsi  les  propo.sitions  contraire^s 
sont  formellement  hérétiques. 

IX. 

Il  n'est  pas  permis  à  un  chrétien  d'être  indinén^nt  pour  son  sa- 
lut, ni  pour  le.->  ciioses  qui  y  ont  rap[)ort  :  la  sainte  indifférence 


SUR  LES  ÉTATS  D'URAISO.X.  339 

chrétienne  regarde  les  événemens  de  cette  vie  (  à  la  réserve  du 
péché),  et  la  dispensation  des  consolations  ou  sécheresses  spiri- 
tuelles. 

X. 

Les  actes  mentioimés  ci-dessus  ne  dérogent  point  à  la  plus 
grande  perfection  du  chiistianisme,  et  ne  cessent  pas  d'être  par- 
faits pour  être  aperçus,  pourvu  qu'on  en  rende  grâces  à  Dieu,  et 
qu'on  les  rapporte  à  sa  gloire. 

XI. 

Il  n'est  pas  permis  au  chrétien  d'attendre  que  Dieu  lui  inspire 
ces  actes  par  voie  et  inspiration  particulière  ;  et  il  n'a  besoin  pour 
s'y  exciter  que  de  la  foi  qui  lui  fait  connoître  la  \'olonté  de  Dieu 
signifiée  et  déclarée  par  ses  commandemens,  et  des  exemples  des 
Saints,  en  supposant  toujoiu^s  le  secours  de  la  grâce  excitante  et 
prévenante.  Les  trois  dernières  propositions  sont  des  suites  ma- 
nifestes des  précédentes,  et  les  contraires  sont  téméraires  et  er- 
ronées. 

XII. 

Par  les  actes  d'obhgation  ci-dessus  marqués,  on  ne  doit  pas 
entendre  toujours  des  actes  méthodiques  et  arrangés;  encore 
moins  des  actes  réduits  en  formules  et  sous  certaines  paroles,  ou 
des  actes  inquiets  et  empressés  :  mais  des  actes  sincèrement  for- 
més dans  le  cœur,  avec  toute  la  sainte  doucem^  et  tranquillité 
qu'inspire  l'esprit  de  Dieu. 

XIII. 

Dans  la  vie  et  dans  l'oraison  la  plus  parfaite,  tous  ces  actes  sont 
unis  dans  la  seule  charité,  en  tant  qu'elle  anime  toutes  les  vertus 
et  en  commande  l'exercice,  selon  ce  que  dit  samt  Paul  :  «  La  cha- 
rité souffre  tout,  elle  croit  tout,  elle  espère  tout,  elle  soutient 
tout.  »  On  en  peut  dire  autant  des  autres  actes  du  chrétien,  dont 
elle  règle  et  prescrit  les  exercices  distincts ,  quoiqu'ils  ne  soient 
pas  toujours  sensiblement  et  distinctement  aperçus. 


3fiO  ORDONNANCE 

XIV. 

Le  désir  qu'on  voit  dans  les  Saints ,  (^oninio  dans  saint  Paul  et 
dans  les  autres,  de  leur  salut  éternel  et  parfaite  rédemption,  n  est 
pas  seulement  un  désir  ou  appétit  indélihéré,  mais,  comme  rap- 
pelle le  même  saint  Paul ,  une  l)onne  volcMité  (pie  nous  devons 
former  et  ojjerer  liltremenl  en  nous  avec  le  secours  de  la  grâce  , 
comme  parfiiitement  conforme  à  la  volonté  de  Dieu.  Cette  propo- 
sition est  clairement  révélée,  et  la  contraire  est  hérétique. 

W. 

C'est  pareillement  une  volonté  conforme  à  celle  de  Dieu  et  ali- 
sfilumeul  nécessaire  en  tout  elat.  quoique  nf»n  à  loul  moment,  de 
vouloir  ne  pécher  [»as  ;  el  non-seulement  de  condanmer  le  iteclie, 
mais  encx)re  de  regretter  de  lavoir  commis,  el  de  vouloir  quil 
soit  detniil  eu  nous  par  le  pardon. 

XVI. 

Les  réflexions  sui-  .s(»i-mèiiie.  sur  ses  actes  et  sur  les  dons  quon 
a  reçus,  qu'on  voit  partout  pi-atiipiées  par  les  prophètes  et  par 
les  apôtres  pour  rendre  .grâces  à  Dieu  de  ses  bienfaits,  et  pour 
autres  fuis  senihlahles,  sont  proposées  pour  exemples  à  tous  les 
fidèles,  même  aux  plus  ptu'faits;  et  la  docliiue  (|ui  les  en  éloigne 
est  erronéi^  el  approche  de  l'hérésie. 

Wll. 

Il  iTy  a  de  réflexions  mauvaises  et  dangereu.ses,  que  celles  où 
Ton  fait  des  retours  sur  ses  actions  et  sur  les  dons  (|u'on  a  reçus, 
pour  repaître  son  amour-propre,  se  chercher  mi  appui  humain, 
ou  s'occuper  trop  de  soi-même. 

XMIl. 

Les  moitilicalions  convienueul  à  loul  étal  du  christianisme,  et 
y  sont  souvent  nécessaires  :  cl  en  éloigner  les  fidèles  sous  pré- 
texte de  perfection,  c'est  condamner  ouvertement  saint  Paul,  et 
présupposer  mie  doctrine  erronée  et  hérétique. 


SUR  LES  ETATS  D'ORAISON.  361 

XIX. 

L'oraison  perpétuelle  ne  consiste  pas  dans  un  acte  perpétuel  et 
unique  qu'on  suppose  sans  interiTiption^  et  qui  aussi  ne  doive  ja- 
mais se  réitérer  ;  mais  dans  une  disposition  et  préparation  habi- 
tuelle et  perpétuelle  à  ne  rien  faire  qui  déplaise  à  Dieu ,  et  à  faire 
tout  pour  lui  plaire  :  la  proposition  contraire,  qui  excluroit  en 
quelque  état  que  ce  fût,  même  parfait,  toute  plui'alité  et  succession 
d'actes,  seroit  erronée  et  opposée  à  la  tradition  de  tous  les  Saints. 

XX. 

Il  n'y  a  point  de  traditions  apostoliques  (jue  celles  qui  sont  re- 
connues par  toute  l'Eglise ,  et  dont  l'autorité  est  décidée  par  le 
concile  de  Trente  :  la  proposition  contraire  est  erronée,  et  les 
prétendues  traditions  apostoliques  secrètes  seroient  un  piège  pour 
les  fidèles,  et  un  moyen  d'introduire  toutes  sortes  de  mauvaises 

doctrines. 

XXI. 

L'oraison  de  simple  présence  de  Dieu,  ou  de  remise  et  de  quié- 
tude,  et  les  autres  oraisons  extraordinaires ,  même  passives,  ap- 
prouvées par  saint  François  de  Sales  et  les  autres  spirituels  reçus 
dans  toute  l'Eglise,  ne  peuvent  être  rejetées  ni  tenues  pour  sus- 
pectes sans  une  insigne  témérité  ;  et  elles  n'empêchent  pas  qu'on 
ne  demeure  toujours  disposé  à  produire  en  temps  convenable 
tous  les  actes  ci-dessus  marqués  :  les  réduire  en  actes  implicites 
ou  éminens  en  favem*  des  plus  parfaits,  sous  prétexte  que  l'amour 
de  Dieu  les  renferme  tous  d'ime  certaine  manière,  c'est  en  éluder 
l'obligation,  et  en  détruire  la  distinction  qui  est  révélée  de  Dieu. 

XXIL 

Sans  ces  oraisons  extraordinaires  on  peut  devenir  un  très-grand 
saint,  et  atteindre  à  la  perfection  du  christianisme. 

XXÎII. 

Réduire  l'état  intérieur  et  la  purification  de  l'ame  à  ces  oraisons 
extraordinaires,  c'est  une  erreur  manifeste. 


302  URDU.N.NANCt: 

XXIV. 

C/«'ii  est  uiie  également  dangereuse  d'exclure  de  Tetiit  de  con- 
templation les  attributs,  les  trois  Personnes  divines  et  les  mys- 
tères du  Fils  de  Dieu  incarné,  surtout  celui  de  la  croix  et  celui  de 
la  résurreclion;  et  inutes  les  choses  (7111  ne  sont  N'ues  que  par  la 
foi  sont  lobjel  du  cluvlien  contem[ilatif. 

XXV. 

Il  n'est  pas  permis  à  mi  chrétien ,  sous  prétexte  d'oraison  pas- 
sive ou  aulre  fxtraordiu  ire,  d'attendre  dans  la  conduite  de  la 
vi»',  tant  an  ^piritui'l  (|n'au  tniipoifL  «|iii'  l>i»'n  Ir  dcItTriiiiie  à 
cha(|iif  arlion  par  vuie  et  inspiration  pirtitiilitTc  :  cl  le  conlraire 
induit  à  t«*nter  bien,  à  illusion  et  à  nonchalance. 

XXVI. 

Ijors  il'  cas  et  les  nioinens  d'insiiiration  prophétique  ou  extra- 
ordinaire, la  Nfiitahlf  soumission  (pu-  toult'iinn'chit'ficnnr  ménic 
parfaite  doit  a  Itini.  i-^t  de  sr  sfr\  ii-drs  hmiièresnalnrfllfscl  snr- 
natmcllcs  (pi'elleen  reçoit  cl  des  régies  de  la  prudence  chrétienne, 
en  presup|)osajit  toujours  (jue  Hieu  dirige  tout  j)ar  sai)rovidence, 
et  qu'il  est  auteur  de  tout  hon  eonseil. 

XW  II. 

(In  ne  doit  point  attacher  le  don  île  [iropiietie,  et  encore  moins 
l'état  apo^toli(iue,  à  \m  certain  état  de  i)erfection  et  d'oraison;  et 
les  y  attacher,  «-'est  induire  à  illusion,  témérité  et  erreur. 

XWIIl. 

Les  voies  extraordinaires,  avec  les  marques  (pi  en  oïd  données 
les  s])irituels  approuvés,  selon  oïLX-mèmes  sont  très-rares,  et  sont 
sujettes  à  l'examen  des  évèijues,  supérieurs  ecclésiastiiiues  et 
docteurs,  (jui  doivent  en  juger,  non  tiuit  selon  les  expériences 
(jue  selon  les  régies  immuables  de  l'Ecriture  et  de  la  tradition  ; 
enseigner  et  pratiquer  le  contraire,  est  secouer  le  joug  de  l'obéis- 
sance qu  un  iluit  à  1  EgUse. 


SUR  LES  ETATS  D  ('RAiSU.N.  303 

XXIX. 

S'il  y  a  ou  s'il  y  a  eu  en  quelque  endroit  de  la  terre  im  très- 
petit  nombre  d'ames  d'élite,  que  Dieu  par  des  préventions  extraor- 
dinaires et  particulières  qui  lui  sont  connues,  meuve  à  chaque 
instant  de  telle  manière  à  tous  actes  essentiels  au  christianisme 
et  aux  autres  bonnes  œuvres,  qu'il  ne  soit  pas  nécessaire  de  leur 
rien  prescrire  pour  s'y  exciter ,  nous  le  laissons  au  jugement  de 
Dieu  ;  et  sans  avouer  de  pareils  états,  nous  disons  seulement  dans 
la  pratique,  qu'il  n'y  a  rien  de  si  dangereux  ni  de  si  sujet  à  illu- 
sion que  de  conduire  les  âmes  comme  si  elles  y  étoient  arrivées, 
et  qu'en  tout  cas  ce  n'est  point  dans  ces  préventions  que  consiste 
la  perfection  du  christianisme. 

XXX. 

Dans  tous  les  articles  susdits ,  en  ce  qui  regarde  la  concupis- 
cence, les  imperfections  et  principalement  le  péché  ,  pour  l'hon- 
neur de  Notre-Seigneur,  nous  n'entendons  pas  comprendre  la 
très-sainte  Vierge  sa  Mère. 

XXXI. 

Pour  les  âmes  que  Dieu  tient  dans  les  épreuves,  Job  qui  en  est 
le  modèle  leur  apprend  à  profiter  du  rayon  qui  revient  par  inter- 
valles, pour  produire  les  actes  les  plus  excellens  de  foi,  d'espé- 
rance et  d'amour.  Les  spirituels  leur  enseignent  à  les  trouver 
dans  la  cime  et  la  plus  haute  partie  de  l'esprit.  Il  ne  faut  donc 
pas  leur  permettre  d'acquiescer  à  leur  désespoir  et  damnation 
apparente,  mais  avec  saint  François  de  Sales  les  assurer  que  Dieu 
ne  les  abandonnera  pas. 

XXXII. 

Il  faut  bien  en  tout  état,  principalement  en  ceux-ci,  adorer  la 
justice  vengeresse  de  Dieu ,  mais  non  souliaiter  jamais  qu'elle 
s'exerce  sur  nous  on  toute  rigueur,  puisque  même  l'un  des  effets 
de  cette  rigueur  est  de  nous  priver  de  Faînour.  L'abandon  du 
chrétien  est  de  rejeter  en  Dieu  toute  son  inquiétude,  mettre  en 


3H4  ORDOlNNAX.K 

sa  bonté  l'espérance  de  son  salut,  et  comme  l'enseigne  saint  Au- 

^stin  après  saint  Cyprien ,  lui  donner  tout  :  Ut  totwn  detur  Deo. 

XXXIII. 

Oïl  iM'ul  aussi  inspirer  aux  âmes  peinées  et  vraiment  humbles 
une  soumission  et  coiisenteiiu'ni  à  la  volonté  de  Dieu  ,  (piaud 
même  par  um;  très-lauss»;  supix)silion,  au  lieu  des  biens  éternels 
qu'il  a  promis  aux  aines  justes,  il  les  tieudroit  pai'  son  bon  plaisir 
dans  dts  loumicns  éternels,  sans  néaiunoins  cpielles  soi»'nt  pri- 
vées de  sa  gracf  «^t  de  s«>n  amour  (tr.  qui  est  un  aot«'  d'abandon 
parfait  et  d'un  amour  pur  [tralicpir  [tar  drs  siiints,  «'t  qui  le  peut 
être  utilement  avrc  ime  grâce  três-particuliéiv  •!••  l>i»'n  par  les 
âmes  vraiment  parfaites  :  siuis  dcrogrr  à  robbi-Mlion  dfs  autres 
actes  ci-dt'ssus  manjui-s,  (jui  sont  essentiels  au  christianisme. 

WMV. 

Au  sui*phis  il  est  crrtain  (luc  Ifs  comuM'ncans  et  les  parfaits 
doivent  être  n»nduils  rliacnn  selon  sa  vn'u-  par  i\i'>  n-frlfs  (llirc- 
rentes,  t'I  qnr  !••>  dt-rnitTs  fiilriidriit  plii>  liautfmcut  et  plus  a 
fond  les  vérités  chrétit'unrs. 

Si  vous  pesez  avec  attention  charnn  drs  articles  prccedrns, 
vous  trouverez  que,  selon  les  règh's  de  la  plus  conuuune  théo- 
logie, il  n'es!  piLs  permis  de  s'en  éloigner,  cl  (pion  ne  le  jx'ut 
sans  scandalist'r  tout»'  rKglisc. 

Nous  croyons  aussi  que  ceux  d  entre  vous  (pii  méditeront  et 
étudieront  ces  articles,  avec  la  grâce  de  Dieu  y  trouveront  un 
corps  de  doctrine  qui  ne  laiss<?ra  aucun  lieu  à  celle  des  nouveaux 
mysti(pies,  sans  donner  atteinte  à  celle  des  docteurs  approuvés 
dont  ils  tâchent  de  se  couvrir  :  et  de  peur  (pion  ne  les  confonde, 
nous  vous  nommons  expressém(>nt  |iarmi  li's  livres  suspects  et 
condanmés  ceux-ci  comme  plus  connus.  /.//  Cnudc  spirituelle,  de 

(n)  «  L'actr  marqué  dans  l'artirlc  3:i,  loiu  liVlrt'  irobligation,  «Idil  (■'lie  fait 
avpc  bpaTicoiip  i\o  prt^cauUoti.  ,!n  no  1p  trouvp  nnllp  part  dans  >ninf  Aupiislin  , 
ni  lien  d'approchant  :  cependant  c'est  lui,  après  les  aiiôtres ,  qui  est  le  docteur 
de  la  rhnrit.'  comme  de  la  grâce.  »  (  Cossiiet ,  Irltrc  224  à  i/""  d'Alhcrt  de 
Luifnri,  .MenuT.  17  mai  1695.)  Voir  ci-après,  Inslrurlion  sur  les  élnts  d'oraison  , 
liv!  X,  n.  19. 


SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON.  365 

Michel  de  Molinos  :  La  pratique  facile  pour  élever  l'ame  à  la  con- 
templation, par  François  jMalaval  :  Le  moyen  court  et  facile  de 
faire  oraison  :  La  règle  des  associés  à  l'enfant  Jésus  :  Le  Can- 
tique des  Cantiques  de  Salomon,  interprété  selon  les  sens  mys- 
tiques et  la  vraie  représentation  des  états  intérieurs  :  avec  un 
livre  latin  intitulé,  Orationis  mentalis  anàlysis,  eic,  per  Patrem 
Dom  Franciscum  la  Combe,  Tononensem  :  lesquels  livres  déjà 
notés  par  diverses  censures,  nous  condamnons  d'abondant  comme 
contenant  une  mauvaise  doctrine,  et  toutes  ou  les  principales 
propositions  ci-dessus  pai*  nous  condamnées  dans  les  articles  sus- 
dits, sans  approbation  des  autres  livides.  Nous  défendons  très- 
expressément  la  lectm'e  de  ces  livres  à  tous  ceux  qui  sont  commis 
à  notre  conduite ,  sous  toutes  les  peines  de  droit  ;  et  ordonnons 
sous  les  mêmes  peines  qu  ils  seront  remis  entre  nos  mains,  ou 
de  nos  vicaires  généraux ,  ou  des  cm'és  pour  nous  les  remettre , 
aussi  bien  que  les  écrits  particuliers  qui  se  répandent  secrète- 
ment en  faveur  de  ces  nouveautés. 

Pour  déraciner  tout  le  doute  qui  pourroit  rester  sur  cette  ma- 
tière, avec  la  grâce  de  Dieu  nous  prendi'ons  soin  de  vous  pro- 
curer le  plus  tôt  qu'n  sera  possible  une  instruction  plus  ample,  où 
paroîtra  Tapplication  avec  les  preuves  des  susdits  articles ,  encore 
qu'ils  se  soutiennent  assez  par  eux-mêmes  ;  et  ensemble  les  prin- 
cipes solides  de  l'oraison  clu^étienne  selon  l'Ecriture  sainte  et  la 
tradition  des  Pères  :  enfin  en  suivant  les  règles  et  les  pratiques 
des  saints  docteurs,  nous  tâcherons  de  donner  des  bornes  à  la 
théologie  peu  correcte,  et  aux  expressions  et  exagérations  irrégu- 
lières de  certains  mystiques  inconsidérés  ou  même  présomptueux, 
lesquelles  nous  pouvons  ranger  avec  les  profanes  nouveautés  de 
langage  que  saint  Paul  défend  ' . 

Nous  avons  évité  exprès  de  vous  parlei'  dans  cette  Instruction 
de  certaines  propositions  dont  les  oreilles  chrétiennes  sont  trop 
offensées  :  Nous  nous  réservons  à  les  noter  si  l'extrême  nécessité 
le  demande,  ensemble  à  vous  instruire  sm*  toutes  les  autres  pro- 
prositions  qui  seront  jugées  nécessaires  pour  l'entière  extinction 
de  ces  erreurs. 

»  I  Tinu,  VI,  20. 


3fir,  ((KUuNNANCE  SLR  LES  LTATS  DORAISON. 

Mandons  et  ordoimons  à  tous  curés .  vicaires  et  prédicateurs . 
de  publiiT  d;ms  leurs  prunes  et  prédications  notre  présente  Or- 
donnance et  Imtruction ,  aussitôt  quelle  leur  sera  adressée  :  Nous 
ordonnons  pan-illenient  (ju'elle  sera  envoyée  à  toutes  les  commu- 
nautés, idin  que  tout  le  monde  veille  contre  ceux  (jui  sous  pré- 
texte de  piété  et  de  perfection  introduiroient  insensiblement  un 
nouvel  Evangrile. 

Donné  à  Meaux.  en  notre  palais  épiscopal.  le  samedi  seizième 
jdur  d  avril  mil  six  cent  (luatre-vin^M-ijuinze. 

SirjW'^  ].  IJKMliMv,  Evèque  de  Meanx. 

Et  plus  bas  : 
l*tir  le  commandement  de  mondil  Seiyneur, 

Rover. 


INSTRUCTION 


LES    ETATS    D'ORAISON, 


OU   PONT  EXPOSEES    LES   ERREL'RS   DES    FAUX    MYSTIQUES    DE   XOS    JOURS    :   AVEC 
LES  ACTES   DE  LEUR   CONDAMNATION. 


PRÉFACE 

Où  l'on  pos'  les  fondcmons  et  Von  explirpie  Je  dessein  de  cet  ovvrafje. 


Si  Ton  croyoif ,  en  lisant  le  titre  de  ce  livre  ^  que  je  voulusse  y       i. 

"  ^  De?5. 

donner  des  règles  pour  tous  les  états  d'oraison,  ou  des  moyens  ^n  ?^^^ 


de  cet 


pour  y  arriver  et  s'y  bien  conduire,  on  m'attribueroit  un  dessein  °""'''' 
trop  vaste ,  et  qui  aussi  est  bien  éloigné  de  ma  pensée.  Il  faut  se 
souvenir  de  l'occasion  qui  m'a  engagé  à  traiter  cette  matière  dans 
une  Ordonnance  et  Instruction  pastorale,  et  qui  m'a  fait  promettre 
un  traité  plus  ample  sur  un  sujet  si  important.  J'ai  voulu  exposer 
les  excès  de  ceux  c[ui  abusent  de  l'oraison,  pom' jeter  les  âmes,  sous 
prétexte  de  perfection ,  dans  des  sentimens  et  dans  des  pratiques 
contraires  à  l'Evangile ,  et  dans  une  cessation  de  plusieurs  actes 
expressément  commandés  de  Dieu  et  essentiels  à  la  piété.  Je  les  ai 
marqués  dans  V  Instruction  pastorale  autant  que  la  brièveté  d'un 
discom's  de  cette  natm'e  le  pou  voit  permettre,  et  il  s'agit  mainte- 
nant de  les  expliquer  plus  à  fond. 

Il  faudra  aussi  faire  voir  que  les  erreurs  que  l'on  entreprend  de 
combattre  ne  sont  pas  des  erreurs  imaginaires,  mais  qu'elles  sont 
véritaljlement  contenues  dans  un  grand  nombre  de  livres  qu'on 


368  INSTRUCTION  SUR  LES  ETATS  D  ORAISON. 

trouve  entre  les  mains  de  tout  le  monde,  et  (pi'on  lit  d'autant  plus 

qu'ils  sont  ordinairement  fort  petits. 

Dans  un  temps  où  chacun  se  mêle  de  dogmatiser  sur  l'oraison, 
et  où  il  nv  a  presque  point  de  directeur  qui  n'entreprenne  d'en 
donner  des  règles  par  son  propre  esprit  à  ses  pénitens  et  à  ses  pé- 
nitentes, celui  qui  doit  traiter  un  si  grand  sujet,  et  que  l'obligation 
de  son  ministère  jointe  aux  besoins  de  l'Eglise  obligent  à  s'expli- 
quer sur  cette  matière,  doit  aussi  avant  toutes  choses  demander  à 
Dieu  son  esprit  de  discernement  et  d'intelligence  pour  démêler  le 
vrai  d'avec  le  faux ,  et  le  certain  ou  le  sùi-  d'avec  le  suspect  et  le 
dangereux,  (^est  ce  que  j'ai  tâché  de  faire  en  toute  simplicité,  al 
je  me  confie  eu  Notre-Seigueur,  qu'il  am-a  reçu  mes  vœux  dans  son 
sanctuaire. 
pj,|;,^       Je  me  suis  du  moins  proposé  la  règle  siu'c  et  invariable  ponr 
MciMit/r.  juger  de  toutes  ces  choses,  qui  est  l'IùViture  sainte  et  la  tradition. 
îlhu't^T  Molinus  ef  ses  se<fateurs  voudroient  (|u'on  renvoyât  tout  à  l'ex- 
toiii  r.ip-  perience  ;  et  imiir  laisser  iiii  rliaini)  lihi'e  a  Inus  iniagiiKiliDiis  ils 
''•»[»•'■    décrient  la  scienci' et   les  savans.  «  (-es  .seavaiis  scolastiques ,  di- 

ritiicv. 

seul-ils,  ne  scavent  ce  que  c'est  (jue  se  perdre  eu  Dieu  :  »  on  fait 
accroire  aux  théologiens  «  qu'ils  condanment  la  science  mystique, 
parce  qu'ils  n'y  comioissent  rien  :  »  et  on  donne  pour  «  régie  sans 
exception,  qu'il  eu  faut  sçavoir  la  pratique  avant  la  théorie,  et  en 
ressentir  les  effets  par  la  contemplation  surnaturelle  >,  »  avant  que 
lie  prononcer  dessus.  Parmi  les  soixante-huit  propositions  dt^  cet 
auteui-  condamnées  par  la  bulle  d'innoeent  \l  d'heureuse  mé- 
moire, mie  des  plus  remarquables  est  la  i.xiv'  où  il  dit  (|ue  «  les 
théologiens  sont  moins  disposez  à  la  contemplation  (|ue  les  igno- 
rans,  paire  qu'ils  ont  moins  de  foy,  moins  (riuimililé,  moins 
de  soin  de  leur  salut  ;  et  qu'ils  ont  la  teste  remplie  de  fantosmes, 
d'espèces ,  d'opinions  et  de  spéculations  (jui  ferment  l'entrée  à  la 
véritable  lumière  :  »  de  là  on  conclut  «  (pi'ils  ne  sont  pas  propres 
à  juger  de  telles  matières,  et  que  la  contemplation  ne  reçoit  pniul 

1  Guide  spir  ,  liv.  III,  chap.  XVil,  xviii. 


PRÉFACE,  N.  m.  369 

(f  autres  juges  que  les  contemplatifs.  »  C'étoit  la  ni*  des  dix-neuf 
propositions  qu'on  envoya  de  Rome  aux  évoques  pour  les  mettre 
en  garde  contre  les  nouveaux  contemplatifs.  Et  c'est  encore  à 
présent  ce  qu'ils  ont  sans  cesse  à  la  bouche  pour  éluder  les  cen- 
sm'es  dont  on  les  flétrit  de  tous  côtés. 

Gerson,  que  nos  pères  ont  justement  appelé  Docteur  très-chré-     '"• 
tien  tant  à  cause  de  sa  piété  que  pour  avoir  été  en  son  temps  la  ^''''"  ''* 

•-  ^         ^  i.  Gerson  sur 

lumière  de  ce  royaume ,  remarquoit  dès  lors  qu'un  des  artifices  l'^^^^^i 
de  ceux  qui  veulent  se  donner  toute  liberté  d'enseigner  ce  cju'il  'pïritncT:' 
leur  plait  sur  une  matière  si  cachée  et  si  déUcate,  est  d'en  ap-  Tnt'îes 
peler  toujom-s  aux  expériences  *.  Ils  se  proposent  certaines  per-  ^es  sur 

lesquelles 

sonnes  connues  ou  inconnues^  qu'ils  prétendent  guidées  de  Dieu  "  '*=  ''''"' 
d'une  façon  particulière  ;  et  avec  cette  fragile  autorité ,  ils  ré- 
cusent tous  les  juges  qui  ne  leur  sont  pas  favorables,  sous  pré- 
texte qu'il  ne  sont  pas  expérimentés  :  ce  qui  ne  tend  à  rien 
moins  qu'à  rendre  ces  nouveaux  docteurs  indépendans  des  cen- 
sures et  des  jugemens  de  l'Eghse,  parce  qu'on  ne  saura  jamais 
qui  sont  ces  juges  expérimentés  dont  il  faudra  sui\Te  les  senti- 
mens,  ni  si  les  docteurs,  les  évêcpies  ou  les  pasteurs  ordinaires 
sont  certamement  de  ce  nomlîre.  Mais  il  est  clair  indépendamment 
de  ces  prétendues  expériences ,  qu'il  y  a  des  règles  certaines  dans 
l'Eghse  pour  juger  des  bonnes  et  mauvaises  oraisons,  et  que  toutes 
les  expériences  qui  y  sont  contraires  sont  des  illusions.  On  ne  peut 
douter  que  les  prophètes  et  les  apôtres ,  que  Dieu  nous  a  donnés 
pom-  doctem-s,  n'aient  été  très-instruits  et  très -expérimentés 
dans  ses  voies  :  les  saints  Pères ,  qui  les  ont  suivis  et  nous  en  ont 
exphqué  la  sainte  doctrine ,  ont  pris  leur  esprit  ;  et  animés  de  la 
même  grâce,  ils  nous  ont  laissé  des  traditions  infaillililes  sur  cette 
matière  comme  sm*  toutes  les  autres  qui  regardent  la  religion. 
Yoilà  les  expériences  solennelles  et  authentiques  sur  lesquelles  il 
se  faut  fonder,  et  non  pas  sur  les  expériences  particulières  qu'il 

1  E[>ist.  ad  fratr.  Barth.   Carthus.,  et  lit),  de  Dût.  verar.  vis.  à  falsis.  cont. 
epist.  Jo.  de  Schoen.  Edit.  Aut.  170G,  tom.  1 ,  col.  43,  59,  78. 

TOM.  xvni.  24 


j:o  instruction  sur  les  états  DORAISON . 

est  difficile  ni  d'attribuer  ni  de  contester  à  persoinie  par  des  [iriii- 
cipes  certains, 
suîk  d..  Ce  même  docteur,  puur  réfuter  ceux  qui  prétendoieut  que  ces 
uonVlfu  matières  de  loraisou  ne  dévoient  point  être  portées  à  V école , 
ctntn.  mais  seulement  traitées  par  les  liommes  expérimentés  dans  cette 
pratique ,  découvre  les  illusions  où  tombent  ceux  qui  donnent 
pour  toute  raison  «  leiu's  expériences,  et  qui,  trimsportés  par  des 
affections  déréglées  envers  les  vertus  et  piu*  des  idées  indiscrètes 
de  l'amour  de  Dieu  ,  ont  un  zèle  ijui  n'est  pas  selon  la  science  '.  » 
Il  se  trouve,  ajoute-t-il,  parmi  eux  «  des  femmes  d'une  incroyable 
subtilité,  »  dont  les  écriti>  (juelquefois  «contiennent  de  très-bomies 
choses  ;  mais  leur  orgueil  et  la  véhémence  de  leiu'  excessive  pas- 
sion lem*  persuadant  qu\'lles  jouissent  dt-  jticu  dts  cittr  vie.  elles 
disent  des  choses  sur  cette  bienhennuse  vision  ,  que  rien  nau- 
roit  éf^^dées,  si  elles  les  avoient  a]ipli(piées  à  la  vie  future'.  «  .le 
rapi)orte  ces  pas.siiges  iK)ur  monticr  jusipiVtù  peut  aller  l'esprit 
de  séduction,  et  eusend)le  comiiif  sous  !<•  ikhii  di-  raiiKnir  di\iii 
il  s'introduit  des  excès  cpii  détruisent  la  pitic.  C'est  de  là  ,  dit  ce 
pieux  docteur,  iiue  sont  nés  les  héf/itanis  et  les  hétpdnvs,  doid  mi 
connoit  les  énormes  excès  ;  mais  (Jerson  les  attaipie  ici  par  leiu- 
bel  endroit,  je  veux  dire  par  la  trompeuse  apparence  de  leur  spé- 
cieux commencement  ,  il  il  atbKpie  en  même  lenq)S  les  «  antres 
semblables  fohes  d'amans  insensés  que  la  science  ne  guide  pas  : 
insmtias  ama)itiu7n,  iniù  et  anientium,  (laia  no?i  seritnf/àni  srirn- 
tiain  :  d  où  il  conclut  qu  il  m  falloit  croire  /<>.%•  doctes  théolix/icns 
cpii  savoient  les  règles,  plutôt  (jue  les  dévots  qui  se  glorilicnt  de 
leur  expérience, 
V-  C'est  aussi  ce  qu'on  pratiqua  dans  le  concile  de  Vienne  contre 

le  ç.M.cie  ces  faux  contemplatifs.  A  les  enteuilre ,  ils  étoient  élevés  à  la  plus 
sublime  oraison,  passifs  sous  la  main  de  Dieu,  transportés  par 
un  amour  extatifpie  et  toujom's  mus  par  des  inqailsions  et  im- 

'  Kp.  Jo.  (InSchoen.  et  Rcsp.  Gers.,  ibid.  lil).  de  D^it.  verar.  vis  ù  fidxis,  oW. — 
•  Ibid  ,  col.  55. 


PRÉFACE,  N.  VI.  37i 

pressions  divines.  Mais  encore  qu'ils  ne  cessassent  d'alléguer  leui's 
expériences ,  on  ne  les  écouta  pas  ;  et  malgré  ces  épreuves  tant 
vantées  qu'on  prit  pour  des  tromperies  du  malin  esprit,  et  en  tout 
cas  pour  de  vains  transports  d'ime  imagination  échauffée,  ils  fu- 
rent frappés  d'un  anathème  éternel,  dont  ils  furent  plutôt  abattus 
que  convertis  :  laissant  au  monde  un  exemple  des  aveugles  et 
opiniâtres  engagemens  où  l'on  entre,  en  préférant  des  expé- 
riences particulières  et  souvent  trompeuses  à  la  règle  invariable 
de  la  tradition. 

C'est  par  la  même  raison  que  sainte  Thérèse  a  désiré  à  la  vérité  s,„^-|,;ent 
de  trouver  dans  les  directeurs  la  science  et  l'expérience ,  s'il  se  'xue^èsè! 
peut,  unies  ensemble;  mais  faute  ou  de  l'une  ou  de  l'autre,  elle  a  TaLTenc! 

,  ,  à  l'eïpé- 

prefere  le  savant  a  celui  qui  n  e^t  que  spirituel^.  Ce  passage  n'est  nence:  et 
ignoré  de  personne  ;  mais  on  n'a  peut-être  pas  assez  réfléchi  sur  ^°°^^^^ 
les  raisons  de  cette  Sainte  :  l'une  est  que  l'homme  d'oraison  ren- 
fermé dans  son  expérience ,  «  s'il  ne  marche  pas  dans  votre  voie, 
comme  il  en  sera  surpris  (  par  le  défaut  de  science  ) ,  il  ne  man- 
quera pas  de  la  condamner  :  »  ce  que  les  hommes  savans  et  bien 
instruits  de  la  règle  ne  feront  pas  :  «  l'autre ,  que  la  connoissance 
que  leur  science  leur  donne  d'autres  choses  non  moins  admirables 
reçues  dans  l'Eglise ,  leur  fait  ajouter  foi  à  celles  que  vous  leur 
raconterez  (  de  votre  ultérieur  ) ,  quoiqu'elles  ne  leur  soient  pas 
encore  connues  ^.  » 

Ainsi  ce  qu'on  n'aura  point  expérimenté  en  soi-même,  on  le  sen- 
tira dans  les  autres  ou  dans  des  cas  approchans.  La  Sainte  n'y 
met  qu'une  condition ,  qui  est  que  ces  savans  que  l'on  consulte 
soient  gens  de  hie^i,  parce  qu'alors  en  joignant  ensemble  la  science 
et  la  vertu,  ils  seront  de  ces  spirituels^  au  sens  de  saint  Paul  ',  qui 
jugent  de  toutes  choses,  sans  que  pour  cela  il  soit  nécessaire  qu'ils 
soient  arrivés  à  ces  hautes  spiritualités  de  ceux  qu'on  appelle  les 
grands  Directeurs  :  car  on  voit  que  le  saint  Apôtre  dit  bien  que  le 

1  Cliàt.j  G«  deiii.  chap.  vni.  —  "-  Chài.,  ."«  dem.  cliap.  i.  —  »  I  Cor  ,  n,  13. 


372  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'OR.\ISON. 

spirituel,  dont  il  parle,  jufje  de  tout;  mais  non  pas  qu'il  ait  tout 
expérimenté  par  lui-même,  ni  rpie  pom'  juger  de  chaque  manière 
d'oraison ,  il  faille  qu'il  y  ait  passé  :  autrement  il  l'audroit  aussi 
avoir  éprouvé  les  extases  pour  en  porter  un  jugement  droit  et 
discerner  les  bonnes  d'avec  les  mauvaises  ;  et  le  spirituel,  qui  jitf/e 
de  tout ,  seroit  uniquement  celui  (jui  auroit  expérimenté  toutes  les 
oraisons  extraordinaires  :  ce  qui  bien  assurément  n'est  pas  véri- 
table. 

Ces  directeurs  renommés  dont  on  vante  les  expériences  et  qui 
ne  doutent  de  rien,  ignorent-ils  que  Dieu  dont  le  bras  s'étend  au 
delà  de  toutes  leurs  épreuves,  aux(juelles,  connue  sainte  Thérèse 
vient  de  nous  le  dire,  ils  veulent  réduire  les  âmes,  les  jette  bien 
loin  àl'écait  et  se  plait  à  les  déi(  ni»  r  :  en  sorte  que  leurs  expé- 
riences, qu'ils  prenoient  pour  guides,  ne  serviront  souvent  cju'ù 
les  confondre,  pendant  (|uc  les  savans  hommes  liien  instruits  des 
règles,  poui'vu  seulement  (juils  soient  luunbh'S  et  que  leur  cœur 
soit  droit  a vex"  Dieu,  sauront  bien  quand  il  faudra  ne  pas  juger, 
et  jiiLTioiit  aussi  ([uand  il  if  laiidra.  avec  d'autant  jiliis  de  sûreté, 
«  que  Dieu,  dit  sainte  Thérèse,  les  ayant  choisis  pour  être  des 
lumières  de  son  Eglise,  ils  ont  cet  avantage  par-dessus  les  autres, 
qu(î  (juand  on  leur  propose  quelques  vérités,  il  les  dispose  à  les 
recevoir  '  :  «  de  sorte  qu'en  les  suivant,  ce  n'est  pas  sur  nix, 
mais  sur  Dieu  seul  (ju'on  s'a^ipuie.  11  ne  faut  pas  (lublier  que  la 
Sainte  ajonfe  quelle  en  peut  bien  parler  par  e.rjx'rience:  et  puis(juc 
c'est  à  lexiiérience  (ju'on  voudroit  tout  ra[t[»oiler,  on  en  peut 
croire  la  sienne. 
VII.        C'est  ildiic,  pour  ainsi  parler,  l'expérience  elle-même  <jni  rm- 

Ciiniiuonl 

D.iMica^h.  pêche  de  tout  donner  à  l'expérience  :  mais  pour  pénétrer  au  fond 

4IIX    «llll-i 

-impu»  de  cette  matière,  voici  en  dernier  lieu  une  autre  sorte  d'expé- 
romnieni  Tieuce  uiarquéc  p.'U"  cette  Sainte.  C'est  qu'on  est  ('ontenq)lalif,  sans 
,,euï"deic-  le  penser  être  :  le  dirai-je?  on  est  expérimcnlé  sans  le  savoir  : 

ilir  une  _  .  ,.  .  rni     '     '  .... 

ruuicuipu  «Je  sais,  dit  sainte  Inerese,  une  personne  <ini  ii  ayant  jamais  pu 
1  Chùl.,  5»  tlcm.,  cLnp.  i. 


PRÉFACE,  .\.  Mil.  373 

faire  d'autre  oraison  aue  la  vocale,  possédoit  toutes  les  autres;  et  uon  éa^i- 

"^  '  nente. 

quand  elle  vouloit  prier  d'une  autre  manière,  son  esprit  s'éga- 
roit  de  telle  sorte  qu'elle  ne  se  pouvoit  souffrir  elle-même  :  mais 
plût  à  Dieu  que  nos  oraisons  mentales  fussent  semblables  à  To- 
raison  vocale  qu'elle  faisoit.  Un  jour,  continue  la  Sainte ,  elle 
me  vint  trouver  fort  affligée  de  ce  que  ne  pouvant  faire  une 
oraison  mentale  ni  s'appliquer  à  la  contemplation,  elle  se  trou- 
voit  réduite  à  faire  souvent qu ïlqaes  oraisons  vocal  es'.  »  A  la 
fin  pourtant  il  se  trouva  qu'elle  étoit ,  sans  y  avoir  seulement 
songé,  dans  la  plus  sublime  contemplation.  Ce  sont  les  secrets  et 
pour  ainsi  dire  les  jeux  merveilleux  de  la  sagesse  étemelle,  qui 
cache  aux  âmes  ce  qu'elle  leur  donne,  et  qui  leur  fait  rechercher 
la  contemplation  pendant  qu'eUes  la  possèdent  :  les  gens  savans 
sont  soumis  comme  les  autres  à  ces  conduites  cachées  :  Dieu  les 
fait  petits  autant  qu'il  lui  plaît ,  et  ils  ne  trouvent  en  eux  qu'i- 
gnorance et  aveuglement.  Par  ces  admirables  ressorts  de  la 
di^1ne  sagesse,  im  bon  et  simple  docteur,  qui  ne  croira  pas 
savoir  prier  autrement  que  le  conmum  des  fidèles,  sans  faire  le 
grand  directeiu"  ni  parler  de  son  oraison  ou  raconter  les  expé- 
riences que  les  autres  vantent,  vous  dira  en  simphcité  ce  que  Dieu 
demande  de  vous  :  son  étude,  qui  selon  la  règle  de  saint  Augus- 
tin, n'est  qu'une  attention  à  la  lumière  éternelle,  et  un  saint  atta- 
chement de  son  cœur  à  celui  qui  est  la  vérité  même ,  est  une 
sorte  de  contemplation  :  quand  il  parlera  de  l'oraison ,  il  croira 
parler  du  don  d'autrui  plutôt  que  du  sien  :  plus  ses  éprem  es 
lui  paroissent  foibles,  ou  plutôt  moins  il  les  connoît  et  moins  il 
y  songe,  plus  il  se  met  en  état  de  profiter  de  ceUes  des  autres  ;  et 
en  se  laissant  lui-même  pour  ce  qu'il  est  aux  yeux  de  Dieu,  il  an- 
noncera la  doctrine  que  les  Ecritures  apostohques  et  la  tradition 
des  Saints  lui  auront  apprise. 

Qu'on  ne  croie  pas  toutefois  que  je  rejette  le  secours  de  l'expé-     vm. 

j .  Coaunent 

rience  :  ce  seroit  manquer  de  sens  et  de  raison  :  mais  je  dis  que   lexpé- 

•*•  ^  ^         rience   est 

1  Chern.  de  ficrf.,  chap.  III. 


37+  INSTRUCTION  SUR  LES  ETATS  DORAISON. 

.uboMon- l'expérience,  qui  peut  bien  régler  certaines  choses,  est  subor- 
lh«'o*   donnée  dans  son  tout  à  la  science  théologique,  qui  consulta  la  tra- 
pqur.    jIjjjqjj  ^.^  ^jjjj  j,Qssè(le  Ics  pi'incipes.  C'est  ici  ime  vérité  constante 
et  inébranlable  qu'on  ne  peut  nier  sans  erreur  :  le  contraire, 
«onime  on  a  vu,  est  un  moyen  indirect  de  se  soustraire  au  juge- 
ment de  la  Siiine  théologie,  et  en  général  à  l'autorité  des  jugemens 
ecclésiastiques. 
Din.io.,      Appuyé  sur  ces  solides  fondt'nu'us ,  jcntn-rai  avec  condanco 
J^„'p!.  dans  celte  matière;  et  pour  y  prori-der  avec  ordre,  je  diviserai 
"*'«"•''  cet  ouvrage  en  cinq  traités.  Je  proi>oscrai  (Uuisle  premier,  (pii  est 
celui-ci,  les  faux  principes  des  mystujues  de  nos  jours  ri  leur 
mauvaise  théologie,  avec  une  juste  censure  de  leurs  erreurs.  Pour 
les  réfuter  pUis  à  fond,  le  .H'cond  traité  fera  voir  les  principes 
conuuuns  de  l'oraison  chrétienne.  Lv  tn>isième  e.xpostM'a  par  les 
mêmes  règles  U's  principes  des  oraisons  e.xtraord inaires,  dont 
Dieu  favori.s»'  (piebpie.s-mis  de  î*es  serviteurs.  Les  épreuves  et  les 
exercices  feront  U-  sujet  du  (pialriènu-.  Kntin  je  conclurai  cet 
ouvrage  en  exprupiant  les  seutimens  et  les  locutions  d«*s  saints 
docteurs  dont  les  fiiu.v  mystiques  ont  abu.sé,  et  partout  je  tâcherai 
d"eiiq)ècherquc  l'abus  qu'ils  en  auront  fait,  ne  fa.sse  perdre  le  goùi 
de  la  vérité.  J'espère  (pie  jiai*  ce  moyen  1«;  pieux  lecteur  n'aura 
rien  à  désirer  sur  cette  matière  :  les  erreurs  seront  di couvertes  : 
ceux  (pii  mantpient  moins  par  malice  (pie  par  imprmlence  se 
réjouiront  d'être  redresst's  :  les  âmes  simples  et  encore  infirmes 
seront  attirées  à  rorai.son,  et  celles  (pii  y  sont  déjà  exercx'cs  crain- 
dront moins  de  se  livrer  aux  attraits  divins.  lUeusiit  que  ce  n'est 
pas  de  moi-même,  mais  de  la  doctrine  des  SainLset  de  la  force  de 
la  vérité  cpie  j'espère  ces  avantages. 
Dim'uiiri      U"oi(pie  mon  des.sein  principal  soit  de  répandre  dans  tous  les 
mlwrr"  ecpui's  l«'s  (loux  atti'ails  de  la  parfaite  oraison,  néanmoins  en  di- 
vers endroits «'t  surtout lors(pi"il  s'agira  de  l'orais^m  (ju'on  nomme 
pa.s.sive,  je  ne  pourrai  éviter  rabstraction  et  la  sécheresse,  qui 
dans  un  sujet  si  sublime  et  si  délicat,  accompagnent  uécessai- 


PRÉFACE,  N.  X.  375 

rement  les  définitions  et  les  résolutions  précises.  D'ailleurs  il  fau- 
dra entrer  dans  des  matières  que  le  monde  ne  goûte  guère,  et 
dont  souvent  il  fait  le  sujet  de  ses  railleries.  On  y  traite  ordinai- 
rement les  contemplatifs  de  cerveaux  foibles  et  blessés  ;  les  ravis- 
semens ,  les  extases  et  les  saintes  délicatesses  de  l'amour  divin, 
de  songes  et  de  creuses  visions.  L'homme  animal,  comme  dit 
saint  Paul  ',  qui  ne  veut  ni  ne  peut  entendre  les  merveilles  de 
Dieu,  s'en  scandalise  :  ces  admirables  opérations  du  Saint-Esprit 
dans  les  âmes,  ces  bienheureuses  commimications  et  cette  douce 
familiarité  de  la  sagesse  éternelle,  qui  fait  ses  délices  de  converser 
avec  les  hommes,  sont  un  secret  inconnu ,  dont  chacim  veut  rai- 
sonner à  sa  fantaisie.  Parmi  tant  de  différentes  pensées  qui  se 
forment  sur  ce  sujet  dans  tous  les  esprits,  comment  empêcherai-je 
la  profanation  du  mystère  de  la  piété ,  que  le  monde  ne  veut  pas 
goûter?  Dieu  le  sait,  et  il  sait  encore  l'usage  que  je  dois  faire  des 
contradictions  ou  secrètes  ou  déclarées  qu'on  trouve  sur  son  che- 
min, dans  mie  matière  où  tout  le  monde  se  croit  maître,  et  où 
l'on  ne  voit  que  trop  que  les  esprits  prévenus  se  passionnent  d'une 
étrange  sorte  pour  leurs  sentimens.  Mais  qu'importent  ces  oppo  - 
sitions  à  qui  cherche  la  vérité?  Dieu  connoît  ceux  à  qui  il  veut 
parler  :  il  sait  les  trouver,  et  sait  malgré  tous  les  obstacles  faire 
dans  leurs  cœurs,  par  nos  foibles  discours,  les  impressions  qu'il 
a  résolues.  Son  œuvre  dont  une  partie  et  peut-être  la  principale, 
du  moins  la  fondamentale,  est  de  découvrir  les  erreurs,  s'accom- 
plit avec  patience,  et  souvent  s'avance  davantage  par  les  contra- 
dictions de  ceux  qui  s'y  opposent  que  par  les  applaudissemens  de 
ceux  qui  l'approuvent.  Marchons  donc  avec  confiance,  et  n'épar- 
gnons rien  pour  prévenir  le  venin  d'une  doctrine  qui  ne  cherche 
qu'à  s'établir  insensiblement  sous  coLilem'  de  piété.  Plusieurs 
seront  étonnés  de  la  nécessité  où  je  me  suis  mis  d'exposer  le  sen- 
timent de  quelques  pieux  contemplatifs  des  derniers  temps,  dans 
la  doctrine  desquels  le  public  s'intéresse  peu,  et  que  souvent  il  ne 

'  I  Cor.,  Il,  14. 


376  INSTRUCTION  SUR  LES  ETATS  D  ORAISON, 

connoit  gruère  :  on  nw  dira  qu'après  avoir  établi  la  vérité  révélée 
par  TEcritui'e  et  par  les  Pères,  je  devois  présupposer  que  ces  spi- 
rituels s"v  sont  conformés,  en  tout  cas  qu'ils  ont  dû  le  faire;  ainsi 
que  je  pou  vois  mépargm-r  le  soin  d'examiner  leurs  [jensées,  aux- 
quelles aussi  bien  on  ne  se  croit  pas  obligé  de  déférer  beaucoup. 
Je  ne  sais  que  dire  à  cette  objection,  si  ce  n'est  que  la  charité  m'a 
inspiré  mi  dessein  plus  étendu ,  et  (jne  je  me  suis  proposa'  de  ne 
laisser  aucun  refuge  à  ceux  qui  n'épargnent  rien  poui'  trouNer 
des  approbateurs  à  lem's  nou\eaulés.  (^Ki'on  souffre  donc  ma  dili- 
gence peut-être  excessive  •  l'afTaire  «'st  plus  inqmrtante  (]ue  ne 
le  peuvent  penser  ceux  (jui  n'eu  sont  [uis  tout  à  fait  instruits  :  et 
avant  (pie  de  passi'r  outre,  j'en  reviens  à  fleeliir  mes  gi'uoux 
devant  Dieu  l'ère  de  Nutre-Seigneur  Jesus-tlhrisl,  pour  lui  lieman- 
der  non-seulement  la  netteté  et  la  précision,  mais  encore  la  sim- 
plicité et  l'onction  de  sa  grâce,  dans  un  ouvrage  où  il  s'agit  de 
parler  au  rieur  plut»'»l  qu'à  l'esprit. 


APPROBATIONS.  377 


APPROBATION 

DE   MONSEIGNEUR  L'ArxCHEVÊQUE   DE   PARIS. 


L'expérience  nous  apprend;,  aussi  bien  que  l'Ecriture,  que  le  démon  a 
ses  profondeurs  comme  Dieu,  mais  qu'elles  sont  d'une  nature  bien  diffé- 
rente. Les  conseils  de  Dieu  étant  conduits  par  une  sagesse  toute  sainte  et 
toute-puissante,  tendenttoujoursà  tirer  le  bien  du  mal  môme,  au  lieu  que 
les  artifices  du  démon  ne  vont  qu'à  tourner  le  bien  en  mal  :  lorsqu'il  ne 
peut  éloigner  les  âmes  du  bien  où  la  grâce  les  attire,  il  en  fait  un  mal 
par  le  poison  qu'il  y  répand.  C'est  ce  qu'il  fait  sur  la  matière  de  l'orai- 
son depuis  quelques  années  surtout.  Comme  il  sait  que  la  prière  est  le 
grand  moyen  de  le  désarmer  et  de  tout  obtenir  de  Dieu,  ou  il  en  dégoijte 
entièrement  par  le  mépris  qu'il  en  inspire  aux  enfans  du  siècle,  et  par 
les  vaines  craintes  qu'il  donne  aux  âmes  timides;  ou  il  la  corrompt  par 
l'illusion.  Il  y  a  fait  tomber  plusieurs  personnes,  qui  faute  d'humilité 
ont  donné  dans  le  piège;  l'orgueil  les  a  séduites,  et  leur  a  fait  enseigner 
une  nouvelle  spiritualité  que  les  Saints  n'ont  point  connue;  elles  se  sont 
flattées  de  pouvoir  par  des  méthodes  de  leur  invention,  rendre  faciles  et 
communs  à  tous  le  monde,  les  dons  les  plus  précieux  et  les  plus  rares 
que  le  Saint-Esprit  n'accorde  qu'à  quelques  âmes  choisies  que  Dieu 
veut  favoriser  d'une  manière  particulière,  sans  manquer  à  ce  qu'il  a 
promis  pour  le  salut  des  autres.  Il  faut  donc  faire  connoîlre  la  fausseté 
de  leurs  maximes  et  les  abus  où  elles  jettent  :  il  faut  expliquer  les  mys- 
tères les  plus  profonds  de  l'amour  divin  ,  que  l'Eglise  ne  découvre 
qu'avec  réserve  et  à  proportion  de  ses  besoins,  parce  que  les  âmes  sen- 
suelles n'en  sont  pas  capables;  mais  elle  le  fait  toujours  sans  dissimulation 
et  sans  artilice,  parce  qu'elle  n'enseigne  rien  que  de  saint  et  qui  ne  soit 
digne  de  Dieu. 

Il  falloit  pour  traiter  une  matière  si  diflicile  et  si  délicate  une  main 
aussi  habile  que  celle  du  grand  prélat  qui  a  composé  cet  ouvrage.  Son 
nom  seul  porte  avec  soi  son  approbation  et  son  éloge  :  car  qui  ne  con- 
noît  sa  profonde  érudition,  son  zèle  pour  la  vérité,  son  application  con- 
tinuelle à  combattre  les  erreurs,  et  les  autres  qualités  épiscopales  dont 
Dieu  l'a  rempli?  On  en  trouvera  de  nouvelles  preuves  dans  ce  livre, 
comme  dans  les  autres  excellens  ouvrages  qu'il  a  donnés  au  public. 
Ainsi  ce  n'est  point  assez  de  dire  que  nous  n'y  trouvons  rien  de  con- 


378  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  DORAISON. 

traire  à  la  foi  ni  à  la  morale  chrétienne  :  nous  exhortons  de  plus  les 
âmes  vérilahleinenl  pieuses  de  le  lire  avec  attention,  et  de  se  servir  des 
pures  lumières  qu'elles  y  trouveront  pour  éviter  les  routes  égarées  de  la 
fausse  spiritualité,  et  pour  marcher  toujours  dans  la  voie  droite  de  la 
perfection.  Donné  à  Paris,  dans  notre  palais  archiépiscopal,  le  ilou- 
zième  jour  du  mois  de  février,  l'an  de  grâce  mil  six  cent  quatre-vingt- 
dix-sept. 

Signe  t  Louis  Antoine,  archevêque  de  Paris. 


APPROI^.ATIOX 

DE    MONSKUiM:rH   l/HVf.olE    HE    rilARTRES. 


J'ai  lu  l'excellenl  livre  intitulé  ;  Instruclinn  sur  les  états  d'Oraison, 
oit  scmt  exposées  les  erreurs  des  faux  >iiysti(/ues  de  vos  jours,  avec  les  actes 
de  leur  condaunuilioti.  L'erreur  des  «juiétistes  y  est  démasipiée,  désarmée, 
et  inviueihlt'ni'nl  confondue.  Monseigneur  rKvè(]iie  de  Meaux,  toujours 
altcntilù  défendre  l'Kglise  contre  toute  nouveauté,  fait  voir  clairement 
où  tendent  leurs  principes  cl  le  sens  pernicieux  de  leurs  maximes.  Ils 
ont  |)ensé  ce  (ju'ils  ont  écrit,  ce  ipi'ils  ont  tant  de  fuis  répété,  ce  (ju'ils 
se  sont  elïorcés  de  prouver,  ce  qu'ils  ont  explitpié  par  des  comparaisons 
très-sensibles,  ce  ijui  forme  leur  système  et  ce  cpii  est  le  sens  de  tous 
leurs  ouvrages. 

Qu'ils  ne  tentent  donc  plus  de  rappeler  ici  en  leur  faveur  la  fameuse 
dislinclion  du  droit  et  du  fait;  cène  pourroit  être  (pi'un  arlilicc  pour 
éluder  les  condauinalidus  de  l'Kglise,  dans  une  occasi(»n  où  les  écrits 
condamnés  parlent  si  clairement  et  d'une  manière  si  peu  équivoque. 

Les  légers  correctifs  qu'on  y  trouve  quehjuefois,  et  ceux-là  même  où 
ils  semblent  nier  ce  qu'ils  assurent  ailleu  rs,  ne  servent  de  rien  pour  leur 
excuse  ;  ils  se  sont  par  là  préparé  des  évasions;  ils  ont  dit  de  bonnes 
choses  |)our  faire  passer  les  mauvaises;  et  tout  ce  (pi'on  peut  conclure 
de  ces  contrariétés,  c'est  qu'ils  ont  voulu  se  déguiser;  mais  ils  ont  beau 
faire  :  il  y  a  certains  endroits  dans  leurs  ouvrages  qui  en  sont  comme 
lestbefs  et  le  dénouement  par  où  ils  se  découvrent  malgré  eux.  On  n'a 
l>ar  exem|de  qu'à  les  suivre  dans  les  dilTérens  degrés  de  leur  |)rétendue 
perfection,  et  à  sé[)arer  comme  ils  fout  en  chaque  degré,  le  commencc- 
nicnt,  le  progrès  et  \>'  U  rme  ;  un  trouvera  que  ce  qu'ils  semblent  accor- 


APPROBATIONS.  379 

der  à  la  vérité  catholique  dans  le  degré  des  plus  parfaits  n'est  vrai,  selon 
eux,  que  pour  le  commencement  du  degré,  ou  tout  au  pliîs  dans  le  pro- 
grès qu'on  y  fait,  et  que  quand  entin  on  est  arrivé  à  leur  terme,  il  n'y  a 
plus  rien  à  faire  pour  la  créature;  qu'alors  tout  acte  de  vie  chrétienne, 
quelque  simple  et  délicat  qu'il  soit,  est  entièrement  éteint  ;  et  voilà  la 
mort  mystique,  selon  eux,  qui  conduit  h  la  vie  parfaite;  mais  c'est  en 
effet  la  mort  de  la  grâce,  qui  mène  à  l'indifférence  du  salut  et  à  la  répro- 
bation éternelle. 

Ils  ont  eu  la  hardiesse  d'appeler  cà  leur  défense  les  plus  saints  mys- 
tiques ;  mais  M.  de  Meaux  a  réparé  l'injure  faite  à  ces  grands  Saints,  en 
montrant  par  eux-mêmes  leurs  véritables  sentimens,  et  a  confondu  les 
novateurs  par  la  foi  et  la  tradition  constante  de  l'Eglise. 

Après  les  éclaircissemens  de  ce  grand  prélat,  il  est  évident  que  celte 
nouveauté  est  le  renversement  de  la  foi  et  de  la  morale  de  l'Evangile. 
Luther  et  Calvin  attaquèrent  l'une  et  l'autre  sous  prétexte  de  réforme  au 
commencement  du  siècle  passé,  et  les  faux  mystiques  d'aujourd'hui 
attentent  la  même  chose  sous  le  voile  spécieux  de  la  plus  haute  perfec- 
tion. Il  ne  faut  donc  pas  s'étonner  si  les  calvinistes  ont  fait  l'apologie  de 
Molincs,  et  si  les  trembleurs  d'Angleterre  ont  reçu  dans  leur  communion 
les  quiétistcs  fugitifs  d'Italie. 

C'est  un  monstre ,  que  des  chrétiens  et  des  chrétiennes  aient  pu 
donner  de  tels  excès  au  public  sous  les  noms  de  la  plus  parfaite  piété. 
Ils  ont  réduit  l'exercice  de  la  foi  à  des  idées  si  confuses  de  la  Divinité, 
et  les  pratiques  de  l'Evangile  à  une  telle  inaction  et  insensibilité,  qu'un 
licencieux  déiste,  qui  auroit  voulu  secouer  le  joug  de  la  religion  et  étouffer 
les  remords  de  sa  conscience,  n'auroit  pu  rien  concerter  de  plus  favorable 
à  son  libertinage. 

Quelles  suites  d'une  si  énorme  doctrine,  et  quand  on  ne  les  auroit 
pas  prévues,  en  seroient-elles  moins  à  craindre  ?  On  sait  quelle  a  été  la 
vie  de  Molinos  :  Dieu  punit  souvent  l'orgueil  de  l'esprit  par  les  humilia- 
lions  de  la  chair  :  Evamierunt  in  cogitationibus  suis  ;  dicentes  enim  se 

esse  sopienfes;  stulti  facti  sunt Tradidit  illos  Deus  in  reprobum 

sensum,  ut  faciant  ea  quœ  non  conveniunt.  On  doit  tout  craindre  quand 
on  est  superbe  ;  et  l'orgueil  peut-il  monter  plus  haut  en  celte  vallée 
de  larmes  que  de  s'attribuer  une  justice,  un  désintéressement,  un 
rassasiement,  une  transformation  si  fort  au-dessus  de  notre  état  pré- 
sent? 

Prétendre  avoir  extirpé  l'amour-propre,  c'est  sans  doute  le  comble  de 
l'amour-propre;  et  quelle  plus  grande  marque  en  peuvent  donner  ces 
âmes  vaines,  que  leur  folle  présomption  de  n'avoir  plus  rien  à  demander 
à  Dieu  ?  11  n'est  point  de  chute  honteuse  où  un  tel  excès  d'orgueil  ne 
puisse  précipiter  :  et  plaise  au  Seigneur  que  sous  ces  noms  spécieux  de 
simplicité,  ^'enfance,  d'obéissance  trop  aveugle,  de  néant,  il  n'y  ait  rien 


380  l.NSTiaCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

de  caché  de  ce  que  l'on  a  découvert  ailleurs  dans  ces  orgueilleuses  et  spi- 
rituelles singularités. 

Après  ïlnslruction  exacte  qu'on  donne  ici  sur  un  sujet  si  délicat  et 
si  important,  nous  espérons  que  toutes  les  personnes  de  bonne  foi  et  de 
bon  esprit,  (|ui  sr*  seroicnt  laissé  prévenir  par  l'endroit  spécieux  do  cette 
nouveauté,  reviendront  de  leur  prévention;  et  que  les  auteurs  mêmes 
des  ouvrages  condamnés  détesteront  avec  humilité  et  sincérité  leurs 
erreurs,  si  l'infaillibilité  que  quelques-uns  d'entre  eux  s'attribuent,  et  le 
mépris  qu'ils  font  de  toute  la  terre  n'oppose  pas  aux  remèdes  de  l'Eglise 
un  orgueilleux  entêtement  qui  rende  leur  mal  incurable. 

Nous  ne  cesserons  d'ulTrir  à  Dieu  nos  prières  et  nos  sacrifices,  pour 
qu'il  détourne  de  dessus  leurs  tètes  un  si  grand  malheur,  par  une  ré- 
tractation et  une  pénitence  sincère,  qui  console  Jésus-Christ  et" son 
Eglise  de  leurs  égaremens  passés.  Que  si  au  contraire  ils  continuoient 
de  résister  toujours  opiniâtrement  à  la  vérité,  ainsi  (pie  Jannès  et  Mam- 
brès  résistèrent  à  Muïse ,  du  moins  leurs  opinions  insensées  ne  feront 
plus  aucun  pmgrès  :  car  leur  folie  va  ôlre  maintenant  connue  et  détestée 
de  tout  le  monde,  comme  le  fut  celle  de  ces  magiciens  :  Sed  ultra  non 
proficienl  ;  insipieutia  enim  eorum  manifesta  erit  omnibus,  sicut  et 
illorum  fuit. 

C'est  le  grand  fruit  que  nous  avons  tout  lit-ii  d'atlcDilrc  de  l'excellent 
livre  (11-  M.  l'Evèipie  de  Meaux,  si  rempli  de  la  itrolondeur,  de  la  lumière, 
de  la  pureté  et  de  la  force  de  la  vérité  calholi(|ue,  dont  ce  grand  i)rélat 
s'est  toujours  montré  si  utilement  pour  l'Eglise  le  zélé  défenseur  contre 
toute  erreur  qui  l'a  os-'  attaquer  ilans  ces  derniers  temps.  Fait  à  Chartres, 
ce  troisième  de  mars  mil  six  cent  (juatre-vingt-dix-sept. 

Signé  y  I'ail,  évèque  de  Chartres. 


LETTRE   DE    I/AFTEUR 

A  N.  S.  rKi'.r.  i.i;  vwv.. 


Bk.VTIS^IME  PATER  , 

Ad  pedes  bcatissimosappono  librum  pro  defensione  derretorum  apos- 
tolie.T  Sedis  à  me  editum,  et  vix  ])v;i'lo  subtrarlum.  Qua-  enim  catlioli- 
cam  veritatem  ,  qu;c  calhedrœ  Pétri  dignitatem  majestauKpie  sjiectant, 
ea  chrislianis  quidem  omnibus,  sed  nobis  polissimùm  episcopis  curai 


APPROBATIONS.  381 

esse  oportet,  qui  in  partem  vocati  sollicitudinis^  plenitudinem  poteslatis 
colère  debearaus.  Et  quidem,  Pontifex  sanctissirae,  quàm  adversùs  er- 
rores  Romana  vigilaret  fides,  recentissimo  exemplo  claruit,  cùm  in 
ipsam  christianitatis  arcem,  id  est  in  ipsam  Urbem,  sub  orationis  ac 
pielatis  specie  pestiferum  virus  lalentcr  irreperet^  ac  raagnam  Italiœ 
partem  flamma  pervaderet.  Sed  error  occultus  non  fefellit  PelriSedem, 
in  quà  fides  apostolico  ore  laudata,  etChristi  oratione  firmata  non  potest 
sentire  defectum.  Statim  enim  fnnocentius  XI  sanctae  recordationis , 
antecessor  luiis,  ab  ipsà  Pétri  Sede,  hoc  estab  altiore  loco  speculac  pas- 
toralis,  classicum  insonuit^  et  universos  excitavit  episcopos  :  quà  voce 
commonili  nos  quoque  insurrexinnis,  zeloque  zelati  pro  Domino  Deo 
exercituum^  in  his  quoque  partibus  comprimere  conati  sumus  gliscentem 
hœresim ,  qua)  per  innumerabiles  libelles  longé  latèque  difTusa,  ac  ne 
latiùs  spargeretur,  ab  apostolicâ  Sede  damnata  est.  Nos  autem  ultrô 
prolitemur^  Beatissime  Pater^  in  damnandis  propositionibus  ac  pros- 
cribendis  libris,  sanctissimœ  Sedis  decrelis  inhœsisse  :  et  nunc  toto  hoc 
opusculo  nihil  aliud  agimus,  quàm  ut  id  quod  summà  aucloritate  et 
œquitate  est  gestum,  Scripturarum  testimoniis^  traditione  Patrum  ac 
verae  Iheologiœ  decretis  fulciatur  :  qua3  promptâ  et  humili  mente  co- 
nantem,  et  sub  tantîE  Sedis  auctoritate  certantem  procul  dubio  adjuva- 
bis.  Sanè  diligenter  cavendum  est,  ne  in  ipso  orationis  fonte  christiana 
pietas  corrumpatur  :  id  enim  omninô  agunt  prœdictorum  libellorum, 
quos  Sedes  apostolicâ  damnavit,  auctoresj  ut  gratuiti  amoris  specie, 
christianae  spei  solatium ,  et  sensus  œternge  beatitudinis,  quae  est  ipse 
Deus  noster,  ipsa  etiam  sanctaî  dilectionis  incentiva  languescant,  ac  sic 
tota  pietas  in  argutiis  inanibus  ,  abstractisque  et  exsuccis  conceplibus 
reponatur;  satis  superque  se  spiriluales  ac  mysticos  arbitrati,  si  à  ne- 
mine  capianîur,  et  in  suis  cogitationibus  evanescant.  Quœ  si  ratio  inva- 
lescat,  jam  ad  verba  subtilia,  novasque  ac  vanas  voces  apostolicâ  iila, 
solida  sinceraque  pietas  ac   simplicitas  redigetur,   verœque   virtutis 
studiura  refrigcscet  :  quaî  absint  à  temporibus  tuis.  Nos  enim  prœdica- 
mus  Innocentium  XII,  verœ  genuinœque  pietatis  exemplum,  christiani 
gregis  formam,  episcoporum  patrem,  altorem  pauperum,  optimœ  cujus- 
que  institutionis  auctorem  :  qui  pacem  ecclesiis,  pacem  regnis  afferat; 
Ecclesiœ  gallicanœ.  Régi  nostro  magno,  optimo,  verè  christianissimo, 
ac  Sedis  apostolicae  veneralori  preecipuo,  totique  florentissimo  ac  reli- 
giosissimo  regno  parentem  se  prœbeat;  Belgarum  turbas  componat  ; 
atque  ad  Sinenses  usque  ac  remotissimas  illas  vaslissimasque  Orientis 
provincias  apostolicae  providentiae  intendat  aciem,ac  cœlestis  vinese 
operariis  partito  labore  partâque  concordià  ostium  aperiat  Evangelio. 
Quid  superest,  Beatissime  Pater,  nisi  ut  Sanctitati  Tuœ  omnibus  votis 
incolumitatem  apprecer,   ejusque  tutelœ  commendem  hoc  opusculum 
meum  pro  sanctissinue  Sedis  decretis,  summà  quidem  fiducià,  sed  inte- 


3S2  INSTRUCTION  SUR  LES  ETATS  DORAISON. 

rim  deniisso  animo  pugnaturum.  Deniquè  ut  peromnia,  in  luaîSedis- 
que  aposlolica;  polestale  fiilurum  esse  me  spondeam,  ac  per  abbàlem 
Bossuetum  paternaî  erga  illum  tiue  benevolenliœ  meinorein,  tanquàm 
per  aUcruiu  nie,  aposlolica.'  benediclionis  inunus  accipiam, 

Beatissime  Pateîi, 

Sanctituli  Tuœ  devotissimu»  et  aJdictissimus  servus  et  filius  : 
Signé  f  J.  bexigxus,  epUcopus  Meldensis, 

Parisiis  die  1"  luarlii,  an.  Doiii.  1697. 

E(  uu-desstn  :  Sunclltôimo  Domiuo  Domiuo  Ixnocentio  Papœ  Xll. 


CHEF  DE  N.  S.  PERE  LE  PAPE. 

A   L'AUTEUn. 


I.NNOr.ENTirS  PAPA  XII. 

VtMUTabilis  Fialcr,  salult'rn  cl  apnslolicani  bencdiotioncm.  Kisi  ad 
rralcrnilaU'iii  tiiain  per  uliari  (piodain  prupciisa"  voliiiitalis  sensu  proso- 
quondain  valida  nobis  iiicilaiiienla  non  decranl  à  \irUilil)iis,  doclrinàac 
nierilis,  quibus  pra'slas;  acriores  niliiloniinùs  in  idipsum  slinudos  addi- 
dit  vulumen  quod  in  lucem  nupcr  edidisli,  quodque  unà  cum  litteris 
ob.sequenlibus  erga  nos  significalionibus  referlis  à  diloclo  filio  abbate 
Hossncto  accepinius.  Quamobrem  pro  cxploraio  babcro  i)oleris,  non  dc- 
fidura  libi  in  occasionibus  qua'  se  ollerenl,  pra-i  ijuia  i>ra'dicla'  vohintalis 
leslinionia,  cujus  intérim  rei  pignus  ai>osloli(ain  bencdiclioneni  fraler- 
nilati  tua?  pcramanter  imperliinur.  Dalum  RomiP  apud  sanctam  Mariam 
Majorom.sub  annulo  Piscaloris,  die  viinaii  mdcxcvm,  Pontilicalùs  nostri 
anno  sexto. 

Sigi^é  Marils  Spinula. 

Et  au-dessus  :  Vcucrabili  Fralri  JAConn  Bemono,  Episcopo  Meldcnsi. 


INSTRUCTION 


LES    ÉTATS   D'ORAISON 


llfl-VI  V1 1 WV WVl  Wï-Wt»  »  V». 


PREMIER  TRAITE. 

OL'.SO.NT  EXPOSÉES  LES  EECELT.S   DLS  TAUX   iiySTIQUfS  DE  NOS  JOURS. 


LIVRE  PREMIER. 

Les  erreurs  des  nouveaux  mystiques  en  gênerai,  et  en  particulier  leur  acte 
continu  et  universel. 

Il  y  a  déjà  quelques  siècles  que  plusieurs  de  ceux  cju'on  appelle  oJ;,,^. 
mystiques  ou  contemplatifs ,  ont  introduit  dans  l'Eglise  un  nou-  '1""^,;,"" 
veau  langag-e  qui  leur  attire  des  contradicteurs.  En  voici  un  "'!"'"  "^'^ 

<-''--'         ^  at's  au- 

échantillon  dans  le  livre  de  Jean  Rusbroc ,  chanoine  régulier  de  !' "" "i": 

'  C  licjnes,    cl 

Tordre  de  Saint-Augustin,  prieui'  et  fondateur  du  monastère  de  '"^J^^^: 
Vauvert^Tun  des  plus  célèbres  mystiques,  qui  mourut  vers  la  |,'^"''',,;|^'", 
fin  du  quartorzième  siècle.  Cet  homme  donc,  dans  son  livre  de    ^^^^'(l^_ 
V Ornement  des  Nopces  spirituelles ,  qui  est  son  chef-d'œuvre  ,  a 
avancé  ces  propositions,  que  Gerson,  qui  florissoit  quelque  temps 
après,  lui  a  reprochées,  «  que  non-seulement  l'ame  contempla- 
tive voit  Dieu  par  une  clarté  qui  est  la  divine  essence,  mais  en- 
core que  l'ame  même  est  cette  clarté  divine  ;  cpie  l'ame  cesse 
d'être  dans  l'existence  qu'elle  a  eue  auparavant  en  son  propre 
genre;  qu'elle  est  changée,  transformée,  absorbée  dans  l'être  di- 
vin, et  s'écoule  dans  l'être  idéal  qu'elle  avoit  de  toute  éternité  dans 
l'essence  divine  ;  et  qu'elle  est  tellement  perdue  dans  cet  abîme. 


384  INSTRUCTION  SUR  LES  UTATS  DORAISON. 

qu'aucune  créature  ne  la  peut  retrouver  :  Non  est  repen'l/ilis  au 
iilld  creaturà  '.  »  Quoi  !  Tange  saint ,,  qui  est  préposé  à  la  conduite 
de  cette  ame ,  et  les  autres  esprits  bienhem*eux  ne  peuvent  plus 
la  distincriièr  do  Dieu?  Elle  ne  connoît  pas  elle-même  sa  distinc- 
tion, ou  coinin»*  parle  cet  aulfur.  s(»n  nltrrUc?  Elle  ne  sent  plus 
de  foiltlesse  ;  elle  ne  sent  nit'nif  iilus  (pielle  est  créature?  C'est 
lui  donner  plus  qu'on  ne  peut  avoir  même  dans  le  ciel;  et  lorsque 
Dieu  sera  tout  eu  tous  -,  ceux  que  lApùtre  comprend  sous  le  nom 
de  tous,  connoîtront  (pi'ils  sont  et  demeurent  plusiem's,  bien  que 
réunis  ù  un  seul  Dieu.  Quoiqu'à  force  de  subtiliser  et  d'airoiblir 
les  termes,  on  puisse  à  la  fin  peut-être  réduire  ces  expressions 
de  Rusbroc  à  quoique  sens  supportabh' ,  (ierson  soutient  que, 
midgré  la  bonne  intention  de  celui  «pii  s'en  est  servi,  elles  sont 
en  elles-mêmes  dignes  de  censure  et  propres  à  favoriser  la  doc- 
trine des  héréti(|Uos.  qui  disoient  que  riiomme  pouvoit  être  réel- 
lement changé  en  l)ieu  et  en  l'essence  divine  :  mais  Sîuis  entrer 
dans  cette  dispute,  il  me  suftit  ici  de  remanpier  (|ue  cet  ;int. m- 
et  ses  sondilables  S(»nt  pleins  d'expressions  de  cette  nature,  dont 
on  ne  peut  tirer  de  bon  sens  tjue  pai'  de  bénignes  interprétations, 
ou  ]Mtur  parler  nettement  (pie  par  des  gloses  forcées.  En  ellct  il 
ne  faut  ([ue.  lire  les  explicaticms  (|n"iin  pieux  chartreux  de  ce 
teniiis-là,  en  réjiondant  àfierson,  donne  aux  paroles  de  Rusbroc 
dont  il  etoit  dis(  iple,  pour  être  bientôt  convaincu  qu'on  ne  doit 
attendre  ni  justesse  ni  i>récision  dans  ces  expressions  étranges  , 
mais  les  excuser  tout  au  plus  avec  beaucoup  d'indulgence. 
•I-  Ce  (lui  paroit  nrincinaltMncMit  leur  avoir  inspiré  ce  langage  exa- 

>»•  Inrr.  1111  .       ,  . 

iribiir.  \  gératif ,  c'est  (lue  prenant  pour  modèle  l«\s  livres  attruiues  a  samt 

•ml   t).  -  ^  -Il  !•        • 

,.iAn.>-  Denvs  l'Aréonagite  [n] ,  ils  en  ont  inute  le  stvle  extraordinaire, 
"  "•!•"■  (lue  Gerson  a  bien  connu  ;  et  selon  le  naturel  de  l'esprit  buniain  , 

|0r«   oui 

.m  pour  (jui  s'étant  une  lois  guindé  ne  peut  plus  se  donner  de  !  ornes,  ils 

modèle.      •  o  1  l 

n'ont  cessé  d'enchérir  les  uns  sur  les  autres  :  (îe  qui  a  la  lin  les  a 
mis  au  rang  des  auteurs  dont  on  ne  fait  point  d'usage,  (lar  qui 
connoît  maintenant  Ilaipbiiis  ou  Uusbroc  lui-même,  ou  les  autres 

>  Gers.,  ad  Cnrl/ms.,  tnm.  1  ,  n.l.  f.O  ;  lUis-1..,  dp  Oru.  sjiirit.  nxiji.,  III  piiil., 
cap.  H  t't  111,  etc.  —  »  I  Cor.,  xv,  28. 

(a)  La  critique  luoderne  a  prouve'  l'aullionlicilé  de  ces  précieux  ouvrages. 


TRAITÉ  l,  LIVRE  I,  N.  III- V.  o85 

écrivains  de  ce  caractère?  Non  que  la  doctrine  en  soit  mauvaise, 
puisque ,  comme  Ta  sagement  remarqué  le  cardinal  Bellarmin , 
elle  est  demem^ée  sans  atteinte  :  ni  que  leurs  écrits  soient  mépri- 
sables ,  puisque  beaucoup  de  savans  auteurs  les  ont  estimés  et  en 
ont  pris  en  main  la  défense  :  mais  à  cause  qu'on  n'a  pu  rien  con- 
clm^e  de  précis  de  leurs  exagérations  :  de  sorte  qu'on  a  mieux 
aimé  les  abandonner,  et  qu'ils  demeurent  presque  inconnus  dans 
des  coins  de  bibliothèques. 
De  là  aussi  il  est  arrivé  que  leur  autorité  est  fort  petite,  pour     ni. 

min'i  1  ^^  l'aulo- 

ne  pas  du^e  nulle  dans  1  école  :  tout  ce  qu  on  y  dit  de  plus  favo-  riie  de  ces 

,  ci'rivains: 

rable  pour  eux,  c  est  que  ce  sont  des  auteurs  qu  il  faut  interpréter  fe,.t,ment 

d'j  Suarei- 

bénignement;  et  quand  on  objecte  à  Suarez  l'autorité  de  Taulère, 
qui  est  poui'tant  à  mon  avis  un  des  plus  solides  et  des  plus  cor- 
rects des  mystiques ,  il  répond  «  que  cet  auteur  ne  parlant  pas 
avec  la  précision  et  subtilité  scolastique ,  mais  avec  des  plirases 
mystiques,  on  ne  peut  pas  faire  grand  fondement  sur  ses  pa- 
roles, quand  on  voudroit  déférer  à  sou  autorité  *.  » 

Ce  qu'on  dit  de  plus  vraisemblable  et  de  plus  avantageux  pour     iv. 
excuser  lem\s  expressions  exorlntantes  ,  c'est  qu'élevés  à  une  ses  qnon 
oraison  dont  ils  ne  pouvoient  expliquer  les  sublimités  par  le  lan-  réflexion 
gage  commun,  ils  ont  été  obligés  d'enfler  leur  style  pour  nous 
donner  quelque  idée  de  leurs  transports.  Mais  le  saint  homme 
Gerson,  qui  ne  leur  est  point  opposé,  puisqu'il  a  fait  expressé- 
ment leur  apologie,  ne  laisse  pas  de  leur  reprocher  de  pratiquer 
tout  le  contraire  de  Jésus- Christ  et  de  ses  apôtres,  qui  ayant  à 
développer  des  mystères  impénétrables  et  cachés  à  tous  les  siè- 
cles, les  ont  proposés  en  termes  simples  et  vulgaires.  Saint  Au- 
gustin ,  saint  Bernard,  tous  les  autres  Saints  les  ont  imités  ;  au 
lieu ,  dit  le  docte  et  pieux  Gerson  ^,  que  ceux-ci  dans  une  moindre 
élévation  semblent  ne  songer  qu'à  percer  les  nues  et  à  se  faire 
perdre  de  vue  par  leurs  lecteurs. 

C'est  de  quoi  je  vais  donner  un  second  exemple  tiré  du  même      v. 
Rusbroc  dans  le  même  livre  ^,  plus  étrange  que  le  premier.  Car  "^péiliion 
en  parlant  d'un  homme  abandonné  à  Dieu  afin  qu'il  fasse  de  lui  ZZÎT 

1  Suar.,  de  Relig.,  cap.  ii  ;  lib.  II,  de  Orat.  ment.,  cap.  xii,  n.  17.—  2  Ubi  sup. 
—  *  De  Orn.  spir.  nupt.,  p.  111. 

TOM.  xvni.  25 


38()  INSTRUCTION  SUR  LES  ETATS  D'ORAISON. 

tout  ce  quil  voudra  dans  le  temps  et  dans  réternitc,  il  dit  que 
cela  lui  i)aioitra  nn-illcur,  Id  mdim  ei  sapict ,  que  s'il  jiouvoit 
aimer  Dieu  eteruelk'iîieut  :  qui  est  une  pensée  qu'on  ne  peut  com- 
prendre ;  car  qu'y  a-t-il  au-dessus  d'aimer  Dieu  d'un  amour  éter- 
nel ;  c'est-à-dire  de  l'aimer  comme  les  esprits  bienheureux ,  comme 
Tamc  saiute  de  Jésus-Christ,  comme  Di«'u  s'aime  lui-même?  Ce- 
pendant ce  contenqtlatir  trouve  quelque  chose  de  meilleur.  Mais 
ce  qu'il  veut  mettre  à  la  place  de  cet  amoiu*  éternel  sera  pourtanl 
de  l'amour  ;  cet  amour  en  sera-t-il  meilleur  pour  n'être  pas  éter- 
nel ,  et  pour  être  de  cette  vie  plutôt  (pie  de  1  autn;?  t^luoi!  perdra- 
t-il  son  prix,  parce  (juil  sera  inunuable  et  héatiliant?  La  propo- 
sition paroit  étraiijs'e ,  mais  ce  n'est  rien  en  comparaison  de  la 
rai.sfiu  (pi'il  en  rend  ;  «  Car  encore,  continue-t-il,  que  de  toutes 
les  actions  la  plus  agréable  soit  de  louer  Dieu,  il  est  encore  plus 
agréable  d  être  le  propre  bien  de  Dieu,  parce  que  cela  mène  à  lui 
[ilus  profondément,  et  (jue  c'e>t  [)bdôt  en  recevoir  l'opération  (pie 
d"aj.,'ir  soi-même  :  Passio  potiii^  est  I)ri  (jwnn  tictio  :  »  connue  si 
Dieu  agissant  en  nous  y  poiivoit  opérer  (juchpie  chose  d(!  nieil- 
lenr  en  soi,  ou  (|iii  nous  unit  davantage  à  lui  ,  ou  (|ui  nous  tiui 
davantage  dans  sa  de[)endance,  (jne  de  se  faire  aimer  et  louer  de 
iKtus  par  un  éternel  amour;  ou  bien  qu'étant  dans  le  ciel  avec  cet 
anioin-,  il  fallût  encore  rechercher  des  moyens  imaginaires  de 
s'en  dépouiller  :  en  sorte  ijue  par  amour  et  par  soumission  à  Dieu, 
on  consentît  d«î  ne  plus  aimer,  s'il  le  vouloil,  ou  d'aimer  moins 
et  d'avoir  mi  genre  d'amour  plus  imjjarfait  que  celui  (|tii  est  éter- 
nel et  béatificpicî  :  absurdités  si  étranges,  qudn  ne  sait  par  où 
elles  (»nt  jMi  enh'er  dans  l'esprit  d'un  bonune  ;  et  néanmoins 
riKtnmie  (pii  nous  les  propose  ,  c'est  Uusbruc,  le  plus  célèbre  de 
tous  les  mystiques  de  son  temps  et  le  maître  de  tous  les  autres  ; 
le  maître  d'Henri  Harphius  (pii  l'a  copié,  et  de  Jean  Tanière  qui 
l'a  suivi  '  :  celui  (pie  ses  disciples  donnoient  comme  un  liomme 
inunediatement  inspiré  de  Dieu,  surbiut  dans  le  trailé  dont  il 
s'agit*.  (,iue  de  violens  correctifs  ne  faut-il  iioint  apporter  à  ses 
propositions  pour  les  rendre  .supportables?  Concluons  donc,  en- 
core un  coup,  que  si  l'on  ne  trouve  aux  prodigieux  discours  (h- 
*  VU.  Rusb.  per  Suriuiu.  —  *  Jo.  dcSchoen.,  ap.  Gers.,  ibid.,  col.  63. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  I,  N.  M,  VU.  387 

Rusbroc  et  de  ses  semblables ,  de  charitables  adoucissemens  qui 
les  réduisent  à  de  justes  bornes,  on  se  jette  dans  un  labyrinthe 
dont  on  ne  peut  sortir. 

Un  des  caractères  de  ces  auteurs,  c'est  de  pousser  à  bout  les    J^^- . 
allégories  ;  ie  ne  dis  pas  seulement  en  se  i étant  comme  fait  Rus-  "■^"•p'f 
broc  dans  de  vaines  spéculations  sur  les  planètes  et  leurs  enfans,  '','^,f„f,^.' 
tirées  des  astrologues  »,  mais  en  poussant  les  allégories  jusqu'aux  '''^"''• 
plus  mauvaises  conséquences  ;  comme  quand  le  bon  Arphius,  en 
parlant  des  noces  spirituelles  de  Tame  avec  Jésus- Christ,  dit  et 
répète  qu'elles  produisent  ime  entière  inséparabilité  ^  :  ce  qui  étant 
pris  à  la  lettre ,  ne  seroit  rien  moins  que  l'hérésie  de  Calvin  et 
de  ses  sectateurs. 

Mais  il  ne  faut  pas  pousser  à  toute  rigueur  des  gens  dont  les 
intentions  ont  été  meilleures  que  lem's  expressions  n'ont  été 
exactes.  Par  exemple,  quand  Suson  dit  et  inculque  que  les  par- 
faits contemplatifs  ne  ressentent  plus  aucune  tentation  ^,  il  vaut 
mieux  entendre  qu'il  parle  ainsi,  non  absolument,  mais  par  com- 
paraison à  d'autres  états  qui  en  sont  plus  travaillés,  que  de 
prendre  au  pied  de  la  lettre  une  expression  par  où  ces  contempla- 
tifs seroient  tirés  des  communes  infirmités  de  tous  les  justes,  jus- 
qu'à n'avoir  plus  besoin  de  l'Oraison  Dominicale  :  ce  qui  est, 
comme  on  verra,  un  des  excès  où  sont  tombés  les  mystiques  de 
nos  jours. 

On  trouve  dans  un  livre  intitulé  Institutions  de  Tanière ,  oui     ^'i- 
parmi  les  livres  mystiques  est  un  des  plus  estimés ,  une  histoire  «a?eni- 

lion    d.ui3 

assez  étrange  cVun  saint  homme'',  qui  après  avoir  exposé  dans  son  '«  insuiu- 

lions   de 

oraison  qu'il  ne  vouloit  plus  de  consolation  sur  la  terre,  entend  le  Tmière. 
Père  céleste  qui  lui  dit  :  «  Je  vous  donnerai  mon  Fils ,  afin  qu'il 
vous  accompagne  toujours  en  quelque  lieu  que  vous  soyez  :  Non, 
mon  Dieu,  repartit  ce  saint  homme,  je  désire  demeurer  en  vous 
et  dans  votre  essence  même.  Alors  le  Père  céleste  lui  répondit  : 
Vous  êtes  mon  fils  bien-aimé  dans  qui  j'ai  mis  toute  mon  afi'ec- 
tion.  » 

*  De  contempL,  cap.  xxxit  et  seq.,  lxviii  ,  etc.—  *  De  Theol.  myst.,  lib.  I, 
cap.  CI,  fol.  124,  12o.  —  3  Dial.  cum  sap.  At.,  p.  413.  —  *  Instit.  Taul.,  cap.  i, 
edit.  Paris,  1623,  p.  076;  traduct.  de  1638,  p.  21. 


388  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

C'est  assurément  une  étrange  idée  de  refuser  Jésus-Clirist  avec 
un  non  si  formel  et  si  sec,  pour  avoir  l'essence  divine.  Craig-noit- 
il  d'en  être  privé  ayant  Jésus-Clirist ,  et  avoit-il  oublié  saint  Paul 
qui  nous  dit  :  «  Celui  c]ui  nous  a  donné  son  propre  Fils,  comment 
ne  nous  a-t-il  pas  domié  toutes  choses  avec  lui  *  ?  »  Combien  de 
toui's  violens  faut-il  donner  à  son  esprit,  pour  réduire  ce  discours 
à  un  bon  sens?  Mais  quelle  oreille  chrétienne  n'est  point  blessée 
de  cette  parole  du  Père  éternel  à  celui  qui  refuse  son  Fils ,  en  lui 
disant  à  lui-même  :  «  Vous  êtes  mon  iils  l)ien-aimé  dans  qui  j'ai 
mis  mes  complaisances?  »  En  vérité  cela  est  outré  ,.pom'  ne  rien 
dire  de  plus.  Conclurons-nous  pour  cela  qu'on  enseigne  à  refuser 
le  Fils  de  Dieu ,  ou  bien  qu'on  lui  égale  une  créatui'c,  en  lui  ap- 
plicpiant  ce  (|uelePère  éternel  n'a  .jamais  dit  (|u  à  son  Fils  unicjue? 
C'est  à  (ju<ji  ni  le  l>on  Taidère,  ni  Surins,  cjui  a  compilé  ^a^J/is/i- 
tufions,  n'oui iiimiûs  songi.  Je  veux  seulement  conclure  (junne 
ardente  imagination  jette  souvent  ces  auteurs  dans  des  expres- 
sions absurdes,  et  qui  sans  rien  vouloir  diminuer  de  la  réputation 
de  Tanière,  nous  apprennent  du  moins  à  ne  pas  prendre  au  pied 
de  la  lettre  tout  ce  qui  lui  est  échapi)é. 

Si  je  voulois  recueillir  tontes  les  façons  de  parler  excessives  et 
alambiquées,  «pii  se  liouvenl  dans  cet  écrivain  et  dans  ses  sem- 
blables, je  ne  liniidis  jamais  ce  discours.  11  me  suflit  d'observer 
que  les  plus  outrées  sont  celles  que  les  mystiques  de  nos  jours  ai- 
ment le  mieux  :  en  sorte  que  lem'  caractère ,  je  le  puis  dire  sans 
crainte,  c'est  d'outrer  ce  qui  l'est  le  plus  ,  et  d'enchérir  au-dessus 
de  tous  les  excès, 
viir.         Enfin  pour  dernier  exenqde  des  exagérations  dont  je  me  [ilains, 
exemple  j'allégucrai  ce  que  les  mystiques  répètent  à  toutes  les  pages,  que 
''iu,"^dln.  la  contemplation  exclut  non-seulement  toutes  images  dans  la  mé- 
ceiauuiur»  j^^^jj-^^  ct  toutcs  traccs  dans  le  cerveau,  mais  encore  toute  idée  dans 
l'esprit  et  toute  espèce  hitellectueUe  :  ce  qui  est  si  insoutenable  et 
si  inintelligilde,  qu'en  même  temps  qu'ils  le  disent.  Us  sont  con- 
traints de  le  détruire,  non-seulement  à  l'égard  des  espèces  et  des 
idées   intellectuelles,  mais  encore  à  l'égard  des  images  nièmt^ 
corporelles,  puisque  les  livres  où  ils  les  excluent  en  sont  tout  rem- 
»  Rom.,  VIII,  32. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  I,  X.  IX,  X.  389 

plis;  témoin  Rusbroc  clans  celui  des  Nopces  spintuelles ,  où  en 
s'opposant  à  ces  images  de  toute  sa  force ,  il  ne  peut  écrire  une 
page  sans  y  revenir. 

Tous  les  autres  mystiques  suivent  son  exemple  :  le  plus  sublime 
de  tous  les  états  d'union  est  en  effet,  et  selon  eux,  celui  où  Tame 
est  élevée  d'une  façon  particulière  à  la  dignité  d'Epouse  de  Jésus- 
Christ;  mais  ici  n'emploie-t-on  pas  à  chaque  moment  les  images 
des  fiançailles  et  des  noces  ;  de  la  chaste  consommation  de  ce  divin 
mariage  ;  delà  dot  de  Tame mariée  au  Yerbe,  aussi  bien  que  des 
présens  qu'elle  en  reçoit  ;  et  cent  autres  de  cette  nature  tirées  des 
saintes  Ecritures ,  et  qu'on  ne  peut  rejeter  en  aucun  état,  sans 
anéantir  le  sacré  mystère  du  Co.ntique  des  cantiques  ? 

Par  ime  semblable  exagération,  les  mystiques  les  plus  sages 
inculquent  sans  cesse  leur  ligature  ou  suspension  des  puissances  : 
si  on  les  entend  à  la  lettre ,  en  certains  états  on  n'est  plus  uni  à 
Dieu  par  l'intelligence,  par  la  volonté,  par  la  mémoire  ;  mais  par 
la  substance  de  l'ame  :  chose  reconnue  impossible  par  toute  la 
théologie,  qui  convient  que  l'on  ne  peut  s'unir  à  Dieu  que  par  la 
connoissance  et  par  l'amour,  par  conséquent  par  les  facultés  in- 
tellectuelles :  et  il  est  constant  que  les  ^Tais  mystiques  dans  le 
fond  n'entendent  pas  autre  chose,  encore  que  leur  expression  porte 
plus  loin. 

Il  falloit  donc  s'accoutumer  à  tempérer  par  de  saintes  inter-     ix. 

,  Erreur  des 

prétations  les  excessives  exagérations  de  ces  auteurs  sur  les  états  mystiques 
de  contemplation  ou  d'oraison  extraordinaire.  On  a  fait  tout  le  jour». 
contraire,  et  les  mysticpies  de  nos  jours  ,  non  contens  de  prendre 
à  la  lettre  ces  expressions,  les  ont  poussées  jusqu'à  un  excès  qu'il 
n'y  a  plus  moyen  de  supporter,  et  y  ont  ajouté  des  choses  que 
personne  n'avoit  pensées  avant  eux;  d'où  sont  enfin  venues 
toutes  les  errem\s  inconnues  airx  anciens  mystiques ,  que  nous  al- 
lons exposer. 

J'entreprends  ici  pour  l'amour  de  Dieu  et  de  son  Eglise,  un    ..^-  . . 
travail  ingrat,  qui  est  celui  d'aller  rechercher  dans  de  petits  livres  ^'^  p'',^sent 
de  peu  de  mérite  un  nombre  infini  d'erreurs ,  qu'il  faudroit  ce 
semble  plutôt  laisser  tomber  d'elles-mêmes  que  de  prendre  soin 
de  les  réfuter,  ou  même  de  leur  donner  quelque  sorte  de  réputa- 


390  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  DORAISON. 

tionpar  nos  censures.  Plusieurs  croiront  (pie  ces  livres  ne  méri- 
toient  que  (lu  mépris,  surtout  celui  (lui  a  pour  auteur  lYauçois 
Malaval,  un  laïque  sans  théologie,  et  les  deux  qui  sont  composés 
par  une  fejume,  comme  .^ont  le  Moyen  court  et  facile, Qi  Y  Inter- 
prétation sur  le  Cantique  des  cantiques.  On  pourra  dire  (ju'il 
suffiront  en  tout  c<is,  après  les  avoir  notés,  de  faire  paroître  les 
actes  où  elle  en  a  souscrit  la  condamnation,  le  reste  ne  méritant 
pas  d'occuper  des  doctt^irs  et  «'ucore  moins  des  évècpies  :  mais  je 
ne  suis  pas  de  cet  avis  :  j'entre  au  contraire  dans  les  sentimens  de 
tant  de  jirélats  (»t  de  papes  mêmes,  dont  les  judicieuses  censures 
font  voir  de  quidli,'  inqxirtance  leur  a  [laru  cette  affaire  ;  et  pour 
rinslruclion  du  lecteur  on  les  trouvera  recuiMllies  à  la  fin  de  cet 
ouvrage.  Ceux  (jui  veulent  qu'on  méprise  tout,  v.ulrnl  en  même 
tenq»s  laisser  tout  courir.  Les  saints  l'éres  n'ont  pas  dcdaigné 
d'allaipicr  les  moindres  écrits,  (piand  ils  les  ont  vus  entre  les 
mains  de  plusieurs  et  répandus  dans  le  puMie.  Kiru  me  préserve 
de  la  vanité  de  croire  mon  temps  et  mon  travail  plus  précieux  (jue 
celui  de  ces  grands  hommes  :  il  ne  faut  pas  mépriser  le  péril  des 
âmes,  ni  leur  refus"r  les  préservatifs  nécessaires  contre  des  livn^s 
(pii  corrompent  «mi  tant  de  manières  la  simplicité  de  la  foi.  Ces 
livres,  (pioi(pie  dans  le  fond  j"(»n  avojie  le  peu  de  mi'i'ile  ,  ne  sont 
pas  écrits  sans  artifice  :  le  m:d  (]u'ils  conlieimenl  est  adroitement 
déguisé  :  s'ils  sont  courts,  ils  remuent  de  grandes  questions  ;  leur 
lu'ièveté  les  rend  plus  insinuans  :  le  nombre  s'en  multiplie  au  delà 
de  toute  mesure  :  on  les  ti'ouve  partout  et  en  toutes  mains.  Cenx 
qui  sont  composés  par  une  fenmie  sont  ceux  (pii  ont  le  ])lus  piijué 
la  curiosité  et  (]ui  ont  iieut-èlre  le  pins  cMoui  le  monde  :  encore 
qu'elle  en  ait  souscrit  la  condanmation,  ils  ne  laissent  pas  de  cou- 
rir et  de  susciter  des  dissensions  en  beaucoup  de  lieux  d'où  il 
nous  en  vient  de  sérieux  avis.  Toute  la  nouvelle  contemplation  y 
a  été  renfermée,  et  réduite  méthodiquement  à  certains  chapitres. 
On  y  voit  l'approbation  des  docteurs  dont  une  apparentée  trom- 
peuse a  surpris  la  simplicité ,  et  ce  n'est  pas  sans  raison  (pie  l'on 
appréhende  de  voir  renaître  en  nos  jours  plusieurs  erreurs  de  la 
secte  des  béguards. 
XI-         Celle  secte  ne  prétendoit  pas  se  >éparer  de  l'Eglise  :  elle  se 


des  bé- 
uines. 


TRAITÉ  î,  LIVRE  I,  N.  XII.  391 

couloit  dans  son  sein  sous  prétexte  de  piété  :  il  y  avoit  au  com-  gaard 
mencement  plus  d'ignorance  et  de  témérité  que  de  malice.  G'étoit 
principalement  des  femmes  qui  dogmatisoient  sous  le  voile  de  la 
sainteté,  comme  dit  la  Clémentine  :  Cù?n  de  quibiisdamK  On  ne 
les  épargna  pas  sous  prétexte  cp.i'elles  étoient  femmes  et  qu'elles 
étoient  ignorantes.  L'Eglise  a  vu  dès  son  origine  des  femmes  qui 
se  disoient  prophétesses  ^,  et  les  apôtres  n'ont  pas  dédaigné  de  les 
noter.  Ceux  qui  ont  réfuté  Montan,  n'ont  pas  oublié  dans  leurs 
écrits  ses  prophétesses.  Je  ne  parle  pas  des  autres  exemples  que 
nous  fournit  l'histoire  de  l'Eglise  :  il  ne  faut  pas  toujours  attendre 
que  l'ignorance  présomptueuse,  qui  est  la  mère  de  l'obstination, 
se  tourne  en  secte  formée  ;  et  dès  que  le  mal  commence  à  se  dé- 
clarer, la  sollicitude  pastorale  le  doit  prévenir. 

Je  me  sens  donc  obligé  à  découvrir  celui  qui  est  renfermé  dans     xn. 

,  Dessein 

les  livres  censures  :  et  pour  cela  je  ferai  deux  choses  qui  divise-  particulier 

de  ce  pre- 

ront  ce  premier  Traité  en  deux  parties  :  la  première  qui  occupera     mier 
la  plus  grande  partie  de  rou\Tage,  montrera  la  fausse  idée  de   div.s'ion 

sénéi-ale  : 

perfection  que  les  nouveaux  mystiques  ou  contemplatifs,  connus  «"je'  des 

dix  livres 

SOUS  le  nom  de  Quiétistes,  tâchent  d'introduire  ;  et  l'on  verra  dans  J""'  i'  «st 

cuiJiposé. 

la  seconde  en  particulier  l'abus  que  font  ces  nouveaux  auteui's  de 
l'oraison  de  quiétude ,  aussi  bien  que  des  expériences  et  la  doc- 
trine des  saints  qui  l'ont  pratiquée. 

On  voit  fort  bien,  sans  que  je  le  dise,  qu'U  y  a  des  choses  dans 
ce  dessein  qui  demandent  un  peu  d'étendue,  dont  la  première  est 
la  nécessité  de  rapporter  les  passages  des  nouveaux  auteurs  pour 
justifier  la  vérité  des  censures,  et  de  peur  que  quelqu'un  ne  croie 
qu'on  leur  en  impose  :  la  seconde,  c'est  qu'en  découvrant  le  poi- 
son il  faudra  aussi  commencer  à  proposer  l'antidote  et  opposer 
la  tradition  à  ces  nouveautés  :  la  troisième,  qui  ne  sera  pas  la 
moins  importante,  c'est  qu'il  est  de  mon  devoir  d'ôter  aux  nou- 
veaux mystiques  quelques  auteurs  renommés  dont  ils  s'appuient, 
et  entre  autres  saint  François  de  Sales,  qu'ils  ne  cessent  d'alléguer 
comme  leur  étant  favorable,  quoiqu'il  n'y  ait  rien  qui  leur  soit 
plus  opposé  que  la  doctrine  et  la  conduite  de  ce  saint  évoque  :  et 

1  la  Gleme.it.,  lit.  de  lldir/ios.  domib.,  lih.  Ml  ,  cap.  i.  —  2  Apo-:,. 
Il,  20. 


302  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

voilà  en  général  ce  que  j'ai  à  faire  dans  ce  Traité,  qui  est  le  pre- 
mier des  cinq  que  j'ai  promis  au  public. 

Pour  en  donner  ime  idée  encore  plus  particulière  et  aider  en 
toutes  manières  autant  qu'il  sera  possible  le  pieux  lectem',  je  lui 
propose  d'abord  en  peu  de  paroles  le  sujet  de  chacun  des  dix 
livres  dont  ce  Traité  sera  composé. 

Dans  le  premier  on  verra,  après  une  idée  générale  de  ce  qu'on 
appelle  qidétisme ,  le  premier  principe  de  cette  doctrine,  qui  con- 
siste dans  un  certain  acte  continu  et  universel  qu'on  y  établit,  et 
qu'il  faudra  non-seulement  expliquer ,  mais  encore  réfuter  aussi 
brièvement  qu'il  sera  possible. 

Le  plus  dangereux  effet  de  ce  faux  principe  est  dinduire  la 
suppression  des  actes  explicites;  et  premièrement  de  ceux  de  la 
foi  tant  envers  les  personnes  divines ,  en  y  comprenant  Jésus- 
Christ,  c'est-à-dire  le  Fils  de  Dieu  incarné,  (pi'cnvers  les  princi- 
paux aflribnls  de  Dieu,  (pic  nos  nouveaux  auteurs  ne  craignent 
pas  doter  aux  contemplatifs,  sous  i>rétexte  de  les  att.iclier  à  la 
seule  essence  divine,  et  ce  sera  le  sujet  du  second  livre. 

De  la  suppression  des  actes  de  foi,  on  passera  dans  le  troisième 
livre  à  celle  des  désirs  et  des  demandes,  où  les  faux  mystiques 
nous  montrent  quelque  chose  d'intéressé  et  de  bas  qui  les  rend 
indignes  des  âmes  sublimes  :  contre  les  exprès  commandemens 
deTEvangile. 

Comme  le  prétexte  de  la  suppression  des  demandes  est  une 
fausse  conformité  à  la  volonté  de  Dieu  fort  vantée  par  les  nouveaux 
mystiques,  on  emploiera  le  quatrième  livre  à  montrer  combien 
elle  est  mal  entendue ,  et  à  condjien  d'erreurs  et  d'illusions  elle 
ouvre  la  porte. 

On  examine  au  cinquième  livre  les  actes  directs  et  réfléchis, 
distinets  et  confus,  aperçus  et  non  aperçus  :  par  où  l'on  ôte  aux 
nouveaux  mystiques  une  fausse  idée  de  recutnllemcnt  et  une 
source  intarissable  de  fausses  maximes ,  dont  on  ne  peut  expli- 
quer ici  tout  le  détail. 

Avant  que  de  passer  outre  à  la  découverte  des  erreurs,  le 
sixième  livre  opposera  à  celles  qu'on  vient  d'exposer  la  tradition 
des  Saints. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  I,  X.  XIII.  393 

On  commence  au  septième  livre  à  découvrir  l'abus  que  font 
nos  faux  mystiques';  de  l'oraison  passive  ou  de  quiétude,  et  on  en 
expliquera  la  pratique  et  les  vrais  principes  par  la  doctrine  cons- 
tante des  mystiques  véritables  et  approuvés;  tels  que  sont  le  bien- 
heureux Père  Jean  de  la  Croix  et  le  vénérable  Père  Baltasar  Al- 
varez, de  la  compagnie  de  Jésus,  un  des  confesseurs  de  sainte 
Thérèse. 

La  doctrine  de  saint  François  de  Sales  et  la  conduite  delà  véné- 
rable Mère  de  Chantai  sa  fdle  spirituelle,  servant  d'un  vain  refuge 
au:ç  faux  mystiques,  le  huitième  et  le  neuvième  livres  seront  uti- 
lement employés  à  expliquer  les  maximes  de  ce  saint  évêque,  et 
ils  seront  soutenus  par  les  sentimens  conformes  de  sainte  Thérèse, 
de  sainte  Catherine  de  Gênes  et  de  quelques  autres  excellens  spi- 
rituels. 

Enfin  dans  le  dernier  livre ,  qui  est  l'un  des  plus  importans , 
parce  que  c'est  comme  un  résultat  de  la  doctrine  de  tous  les  autres, 
on  rendra  raison  des  articles  exposés  dans  les  ordonnances  de 
M.  l'évêque  de  Châlons  h  présent  archevêque  de  Paris,  et  de  l'é- 
vêque  de  Meaux,  et  de  toutes  les  qualifications  qui  y  sont  appo- 
sées aux  propositions  des  quiétistes.  On  expliquera  les  rétracta- 
tions et  le  moyen  de  connoître  ceux  qui  persistent  dans  leurs  ma- 
ximes. Je  propose  d'abord  cette  analyse  des  dix  livres  de  ce  Traité, 
afin  que  les  lecteurs,  conduits  par  la  main,  entendent  toutes  les 
démarches  qu'on  leur  fera  faire,  et  connoissent  le  progrès  de  leurs 
connoissances  :  heureux  si  en  même  temps  ils  s'avancent  dans 
l'union  avec  Dieu,  qui  est  la  fin  de  tout  ce  discours. 

Pour  maintenant  entrer  en  matière,  disons  que  l'abrégé  des     xm. 

Idée  '^cné- 

erreurs  du  quietisme  est  de  mettre  la  sublimité  et  la  perfection  raie  de  ce 
dans  des  choses  qui  ne  sont  pas,  ou  en  tout  cas  qui  ne  sont  pas  de  peiie 
cette  vie  :  ce  qui  les  oblige  à  supprimer  dans  certains  états ,  et 
dans  ceux  qu'on  nomme  pa?' faits  contemplatifs,  beaucoup  d'actes 
essentiels  à  la  piété  et  expressément  commandés  de  Dieu,  par 
exemple ,  les  actes  de  foi  explicite  contenus  dans  le  Symbole  des 
apôtres,  toutes  les  demandes  et  même  celles  de  l'Oraison  Domi- 
nicale, les  réflexions,  les  actions  de  grâces,  et  les  autres  actes  de 
cette  nature  qu'on  trouve  commandés  et  pratiqués  dans  toutes  les 


394  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

pages  de  l'Ecriture,  et  dans  tous  les  ouvrages  des  Saints.  Ces  sen- 
timens  en  général  prennent  leur  naissance  de  rorgueil  naturel  à 
l'esprit  humain,  qui  adécte  toujours  de  se  distinguer  :  et  qui  pour 
cette  raison  mêle  partout,  si  l'on  n'y  prend  gai'de,  et  même  dans 
l'oraison ,  c'est-à-dire  dims  le  centre  de  la  religion ,  de  superl)es 
singularités.  Mais  pour  en  venir  maintenant  aux  principes  et  aux 
conclusions  particulières,  les  voici  : 
Premir  ^^  ^''^^  priucipes  du  quiétisme,  et  peut-èti*e  le  premier  de  tous, 
principe  gg^  pi>oi)osé  en  ces  termes  uiir  le  Père  Jean  Falconi ,  dans  une 

des  nou-  ^        '^  ^  ' 

Tea.iiniï*.  lettrc  ciu'on  a  imprimée  à  la  lin  du  livret  intitulé  :  Moyen  court,  etc. 

lique',  que  ^  '■  u  ^ 

lor.,,,.,.,.  (,  j(3  voudrois,  dit-il,  (rue  tous  vos  soins,  tous  vos  mois,  toutes  vos 

Scsi    IIIIL-  J  J       1  ^  ? 

^t'oi!:".' '  années  et  vostre  vie  toute  entière  fust  employée  dans  un  acte  con- 
'subsi.ic"  ^"^u*^^  ^'^  contemplation  *.  En  cette  disposition,  continue-t-il ,  il 
loujuiir.  ij'pj^t  p-ig  nécessaire  que  vous  vous  donniez  à  Dieu  de  nouveau, 
It'llTù  P^^^^^  '^I^^'^  "^'*^*i^  l'avez  déjà  fait  :  où  il  apporte  la  comparaison  dun 
le  faii   diamant,  qu'on  auroit  donné  à  un  amv  :  à  qui  aînés  l'avoir  mis 
r'nu'uvdèr  ^^^ti'e  U'S  malus,  il  ne  faudroil  plus  repeter  tous  les  jours  que  vous 
luy  donniez  cette  hague  :  il  ne  faudrait  (pie  la  laisser  entre  ses 
mains  .'^ans  la  re[)rendre ,  parce  que  pendant  que  vous  ne  la  luy 
ostez  pas,  et  que  vous  n'en  avez  pas  mesme  le  désir,  il  est  tou- 
jours vray  de  dire  ({ue  vous  Iny  avez  fait  ce  présent,  et  que  vous 
ne  le  révoquez  pas  -.  »  Ainsi  en  est-il,  conclut  cet  auteur,  du 
d(Mj  (pie  vous  avez  fait  à  Dieu  de  vous-même  par  un  amoiueux 
aliandon. 

La  comparaison  a  paru  si  belle  à  nos  nouveaux  mystiques,  cpi'ils 
ne  cessent  de  la  répéter,  et  Molinos,  qui  l'a  prise  du  Père  ]'\alconi, 
se  la  rend  propre  ^  Par  une  semblable  similitude ,  Mala^•al  repré- 
sente aussi  (pi'une  épouse  ne  répète  pas  à  chaque  moment  :  Je 
suis  à  vous  *;  et  fout  cela  pour  montrer  que  content  de  s'être 
douné  une  fois  à  Dieu,  on  ne  doit  pas  se  mettre  en  peine  de  réi- 
térer un  acte  si  essentiel,  ou  craindre  qu'il  nous  soit  ôté ,  ni  par 
les  occupations  de  cette  vie  ni  même  par  les  péchés  où  nous  tom- 
bons tous  les  jours,  puisque  de  soi  il  est  perpétuel  s'il  n'est  révo- 
qué, comme  ce  Père  l'explique  en  ces  termes  :  «  Ce  qui  est  de  plus 

'  Mni/r;i  r:,tirt.  ji.  I  i  I,  {'■')'  ol  >!niv.  —  ^  I/jicL,  p.  I;i9.  —  ^  GuicL,  liv.  I  ,  ch;ip. 
XIII,  XIV,  x\.  -  3  Matavul,  I,  p.  27. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  I,  N.  XV,  XVI.  39^5 

important ,  c'est  de  n'ester  plus  à  Dieu  ce  que  nous  luy  avons 
donné,  en  faisant  quelque  chose  notable  contre  son  divin  ])on 
plaisir  :  car  pourveu  que  cela  n'arrive  pas ,  l'essence  et  la  conti- 
nuation de  vostre  abandon  et  de  vostre  conformité  au  vouloir  de 
Dieu  dure  toujours,  parce  que  les  fautes  légères  que  l'on  fait  sans 
y  bien  penser,  ne  détruisent  pas  le  point  essentiel  de  cette  con- 
formité * .  » 

Selon  ces  principes,  il  reprend  ceux  qui  croient  «  que  les  exer-  Q^Jcet 
cices  de  la  vie  humaine  interrompent  cet  acte  d'amour  continu^,  »  li'^HÎc'tou- 
Parmi  ces  exercices  de  la  vie  humaine,  il  comprend  les  occupations  ^°^'|  "1!^'" 
les  plus  distrayantes.  En  eiTet  c'est  une  maxime  dans  le  quiétisme,  ii||,',3"a„3 
que  nulles  distractions  n'interrompent  l'acte  d'amour,  et  qu'en-  Ji-'l'ent'à 
core  que  dans  l'oraison  on  soit  distrait  jusqu'au  point  de  ne  plus  du 
tout  songer  à  Dieu,  c'est  foiblesse,  c'est  inquiétude  de  renouveler 
l'acte  d'amour,  parce  que  la  distraction  n'étant  pas  la  révocation 
de  cet  acte,  il  a  toujours  subsisté  pendant  qu'on  étoit  ainsi  distrait. 

Il  n'est  pas  même  interrompu  par  le  sommeil ,  autrement  il 
faudroit  du  moins  le  renouveler  tous  les  iours  en  s'é veillant ,  ^'"^  p;^»- 

«  -'  ÛJIll      1.". 

comme  le  pi'atiquent  les  Saints  :  mais  c'est  de  quoi  ce  religieux 
ne  dit  pas  un  mot;  il  défend  en  général  de  jamais  renouveler  cet 
acte,  si  ce  n'est  dans  le  seul  cas  où  on  l'am^oit  révoqué  :  partout 
ailleurs,  «  vous  n'avez,  dit-il,  qu'à  demeurer  là  ;  gardez-vous  de 
l'inquiétude  et  des  efforts  qui  tendent  à  faire  de  nouveaux  actes  *  :  » 
gardez-vous-en  par  conséquent  après  le  sommeil  ;  car  le  renou- 
vellement seroit  trop  fréquent,  et  on  auroit  tort  d'appeler  perpé- 
tuel ce  qui  cesseroit  tant  de  fois  et  si  longtemps,  (l'est  pour- 
quoi l'auteur  du  Moyen  court  àdiWS  son  Interprétation  du  Cantique 
des  cantiques  '*,  a  trouvé  que  «  les  âmes  fort  avancées  dans  l'o- 
raison passive  ou  de  quiétude ,  éprouvent  une  chose  fort  surpre- 
nante, qui  est  qu'elles  n'ont  la  nuit  qu'un  demy-sommeil,  et  Dieu 
opère  plus  ce  semljle  en  elles  durant  la  nuit  et  dans  le  sommeil 
que  pendant  le  jour.  »  Ce  n'est  point  à  une  grâce  extraordinaire 
et  miraculeuse  qu'elle  attri])ue  cet  événement  :  c'est  un  effet  de 
l'avancement  dans  certains  états  d'oraison;  ce  qui  n'est  qu'une 

1  Falc,  ibid.,  l'JO.  —  2  Ihirl.^   iGI.  —  s  /vV/.,    iGO.  —  '>  Cant.,  clin.p.   LV,  v.  :.', 
p.  111. 


le  renou- 
veler. 


XVI. 

Qu'il  sub- 


djiit    le 
sûiuracil. 


XVII. 


30G  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

conséquence  de  ce  qu'elle  avoit  dit  au  commencement  \  que  cet 
acte  subsiste  toujours  parmi  toutes  choses;  et  il  le  faut  l)ion  selon 
le  principe ,  puisque  dormir  n'est  pas  révoquer  ;  et  que  l'ami  à 
qui  j'ai  donné  le  diamant  en  demeure  également  possesseur,  soit 
que  je  dorme,  soit  que  je  veille. 
^   ..        L'absurdité  de  cette  doctrine  se  fait  sentir  d'abord  aux  plus 

Combien  l 

''»*ié'r*'cr  ignorans.  Attribuer  une  perpétuelle  consistance,  et  même  pen- 
^î"^'^,"  ^^  dant  le  sommeil,  ou  parmi  les  plus  grandes  distractions,  à  un 
^"aloT'  ^^^^  du  libre  arbitre,  c'est  confondre  l'acte  avec  la  disposition 
ie"dTnl.  liabituelle  qu'il  péri  mettre  dans  le  cœur.  La  comparaison  du 
avec'ieln  J^Y^^  donué,  qul  paroît  si  spécieuse  aux  quiétistes ,  est  dans  le 
mïni.'"''"  ^^^^  ^^i*^ï^  grossière.  (l'est  autre  chose  qu'mie  donation  faite  une 
fois  ait  un  effet  perpétuel,  autre  chose  qu'un  acte  du  libre  arbitre 
de  soi  et  par  sa  nature  subsiste  toujours.  11  n'en  est  pas  de  même 
de  donntM*  sa  volonté  que  de  donner  une  bague  ou  quehpie  autre 
présent  corpond.  (!ar  dès  que  l'on  a  donné  en  cette  dernière  ma- 
nière, ion  ne  peut  plus  soi-même  révoquer  le  don  :  maisr au  con- 
traire on  ne  peut  (jue  trop  révoquer  le  don  qu'on  a  fait  à  Dieu  de 
sa  hberlé,  et  tous  les  actes  par  où  l'on  a  tâché  de  l'en  rendre 
maître  :  mais  stms  même  les  révoquer,  d'autres  actes,  d'autres 
exercices  les  interrompent,  et  les  font  trop  souvent  oui)lier.  Qui 
ne  doit  pas  craindre  que  ce  malheur  ne  lui  arrive  souvent?  Qui 
ne  doit  point  réchauffer  une  volonté  languissante?  On  peut  faire 
de  si  bon  cœur  le  don  d'une  bague,  qu'il  n'y  ait  rien  en  nous  qui 
y  répugne  :  quoi  qu'il  en  soit,  lorsqu'on  l'a  livrée  et  qu'on  en 
est  venu  à  cet  acte  qui  s'appelle  tradition,  on  est  tellement  des- 
saisi,  que  nul  acte,  nulle  répugnance  contraire  n'affolblit  pour 
peu  que  ce  soit  l'effet  de  ce  don.  Mais  puis-je  venir  à  b(»ut, 
quelque  bel  acte  que  je  fasse,  de  me  dessaisir  éternellement  du 
libre  arl)itre  que  Dieu  m'a  donué,  et  qu'il  ne  veut  point  me  ravir 
dans  cette  vie?  Et  puisque  dans  ce  lieu  d'exil,  «  ou  la  chair  con- 
voite contre  l'esprit,  et  l'esprit  contre  la  chair*,  »  le  don  de  soi- 
même  qu'on  fait  à  Dieu  par  un  acte  de  sa  liberté  est  combattu, 
c'est  l'exposer  à  se  ralentir,  à  se  changer,  à  se  perdre,  que  de 
négliger  de  le  reuouveler  souvent. 

»  Cant.,  eh.  M.     .  2,  p.  3.  —    Gnl.,  \,  17. 


TRAITÉ  1,  LIVRE  I,  N.  XYIII-XX.  397 

L'objection  de  Malaval  se  résout  par  le  même  principe.  Une  xvm. 

femme,  crui  s'est  une  fois  donnée  dans  le  mariag-e  par  un  légi-  '"iroduit 

time  consentement ,  ne  dit  pas  à  chaciue  moment  à  son  mari  :  Je  -^  p™p<" 

'■'■■'■  la  coiiipa- 

suis  à  vous  :  ainsi  en  est-il  d'une  ame  qui  s'est  une  fois  donnée  à  raison dun 

■^  mari    et 

Jésus-Clnist.  C'est  bien  parler  sans  entendre  que  de  raisonner    /"■"= 

■■■  ■"■  femme. 

de  cette  sorte.  Cette  femme  est  à  son  mari  en  deux  manières,  par 
le  di'oit  du  nœud  conjugal  qui  est  perpétuel  et  irrévocable  et  qui 
subsiste  de  soi,  soit  qu'on  le  veuille,  soit  qu'on  ne  le  veuille  pas. 
Elle  est  à  lui  d'une  autre  sorte,  par  son  cœur,  par  sa  volonté,  par 
son  choix,  qu'elle  voudroit  toujours  faire  quand  elle  seroit  encore 
en  sa  liberté,  et  cette  manière  de  se  donner  se  renouvelle  souvent. 
Il  ne  suffit  pas  d'avoir  mi  amour  habituel  poiu'  un  père,  pour 
une  mère,  pour  une  épouse,  pour  un  ami,  pour  un  bienfaiteur; 
il  faut  que  l'habitude  se  réduise  en  acte  :  il  faut  de  même  réduire 
en  acte  la  disposition  habitueUe  à  aimer  Dieu  et  à  se  donner  à 
lui.  Otez-vous  de  l'esprit  l'envie  inquiète  de  vous  tom^menter  sans 
cesse  à  former  de  nouveaux  actes,  puisqu'après  qu'ils  ont  été 
faits,  on  sent  par  expérience  qu'ils  subsistent  longtemps  en  vertu  : 
mais  de  vouloir  domier  pour  règle  qu'à  moins  qu'on  révoque  ces 
actes,  ils  soient  de  nature  à  subsister  toute  la  vie  et  par  là  induire 
les  âmes  à  ne  prendre  jamais  aucun  soin  de  les  renouveler ,  c'est 
introduire  un  relâchement  qu'on  ne  peut  assez  condamner. 

Aussi  Rome  a-t-ehe  flétri  par  décret  exprès  cet  écrit  du  Père  Fal-     xix. 

,  .    La  propsi- 

coni ,  et  on  trouve  les  propositions  équivalentes  à  la  sienne  parmi   iion  de 
les  soixante-huit  que  le  Pape  a  expressément  condamnées,  comme 
il  paroît  par  les  xn,  xv,  xvn,  xxiv,  xxv  et  autres  semblables. 

Par  ce  principe,  Falconi  tombe  dans  l'erreur  de  mettre  la     xx. 

,,     -  .  Cet  acte 

perfection  de  cette  A'ie  dans  un  acte  qui  ne  convient  qu  a  la  vie  continu  et 

,  .         rr-ii  perpétuel 

future.  11  est  vrai,  comme  cet  auteur  1  enseigne  après  saint  iho-  de  sa  «a- 

.         ,    'ure  n'est 

mas,  que  la  vie  des  bienheureux  esprits  n  est  qu  un  acte  continue  que  pour 
de  contemplation  et  d'amour  *  :  mais  de  conclure  la  même  conti-  sentiment 

de  saint 

nuité  dans  cette  vie,  où  nous  ne  vovons  qu'à  travers  un  nuage  et  Augustin 

"  _  remarqué 

parmi  des  énigmes,  sous  prétexte  que  la  contemplation  est  plus  parie  père 
durable  dans  un  même  acte  continué  que  dans  plusieurs  actes  celui  des 

autres 

difTérens  ;  c'est  de  la  terre  faire  le  ciel  et  de  l'exil  la  patrie.  pèret. 

iFalc,,p.  157. 


F.ilconi 
expressé- 
ment cen- 
surée à 


30S  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

Le  Père  Falooni  devoit  avoir  \ti  la  réîutation  de  sa  doctrine 
dans  un  passage  de  saint  Augustin  qu  il  cite  lui-même,  puisqu'a- 
près  avoir  domié  le  chapitre  x  du  livre  ix  de  ses  Co?ifessions, 
comme  une  preuve  que  le  parfait  abandon  qu'il  veut  établir  est 
un  paradis  sur  la  terre  ;  il  ajoute  ([ue  le  même  Père,  au  lieu  qu'il 
en  a  cité,  dit  encore  «que  si  cette  contemplation  étoit  de  durée,  elle 
seroit  quasi  la  môme  chose  que  celle  dont  les  Saints  jouissent  au 
ciel  '  :  »  où  il  marque  très-clairement  (jue  les  actes  d'une  si  su- 
blime contemplation  sont  d'mie  courte  durée  ;  et  saint  Augustin 
le  répète  en  cent  endroits  ;  tous  les  autres  Pères  le  disent  de 
même  :  saint  Bernard  inculque  sans  cesse  qu'on  ne  jouit  ciu'en 
passant  de.  cette  parfaite  contemplation,  rapfi/n.  Saint  Grégoire 
s'étoit  servi  de  la  même  expression.  Mais  les  cjuiétistes  plus  élevés 
que  les  plus  grands  saints  et  les  plus  parfaits  contemplatifs, 
veult'iit  introduire  sur  la  terre  ce  qu'ils  ont  inumimement  réservé 
au  ciel. 
^^'-        A|)rès  tout,  il  faudroil  nous  dire  où  l'on  a  pris  ce  nouveau 

rour(|iiiii  '■  '■ 

le»  ad. .  principe,  que  tout  acte  dure  de  soi  s'il  n'est  révoqué  :  car  au  con- 
pirceimi.  tralrc  c'est  un  principe  constant  par  la  raison  et  iiar  l'expérience, 

l'ii  celle  Ml-  ^  '  •■  11- 

que  tout  acte  est  passager  de  soi ,  et  qu'un  acte  perpétuel  est  un 
acte  de  l'autre  vie.  La  raison  en  est  rpi'en  l'autre  vie  l'ame  entiè- 
rement réimie  à  son  premier  principe  sans  être  partagée  et  appe- 
santie par  le  corps,  par  les  soins  inévitables,  par  la  concupiscence, 
par  les  tentations,  par  aucune  distraction  (pielle  (pi'elle  soit,  agit  de 
toute  sa  force  ;  et  c'est  pourquoi  le  précepte  d'aimer  Dieu  de  tout 
son  cœur  et  de  toute  son  intelligence,  ayant  alors  sou  dernier  ac- 
complissement, cet  acte  d'amour  ne  peut  souffrir  (rinterruption. 
Mais  ici,  où  nous  nous  trouvons  dans  un  état  tout  contraire,  nos 
actes  les  plus  parfaits,  qui  viennent  toujours  d'un  cœiu-  en  quelque 
façon  divisé,  ne  peuvent  jamais  avoir  toute  leur  vigueur ,  et  sont 
sujets  à  s'éteindre  naturellement  parmi  les  occupations  de  cette 
vie,  si  on  les  fait  revivre.  C'est  pourquoi  on  ne  prescrit  rien  tant 
au  chrétien  que  le  renouvellement  d(^s  actes  intérieurs. 
XXII.  11  ne  faut  pas  écouter  nos  faux  mystiques ,  lorsqu'ils  répondent 
des  fuiu  qu'aussi  ne  défendent-ils  pas  ces  actes  renouvelés  au  commun  des 

»  FiU.-.,  p.  156. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  I,  N.  XXIII.  399 

chrétiens^  mais  seulement  aux  parfaits  :  c'est-à-dire ,  selon  leur  m„tiques 
langage^  à  ceux  qui  sont  élevés  aux  oraisons  extraordinaires  :  ''\,^^ZT 
car  pour  détruire  cette  réponse,  il  ne  faut  que  demander  à  nos  pré-  "'"'""™- 
tendus  parfaits,  si  les  justes  qui  vivent  dans  les  voies  communes 
n'accomplissent  pas  selon  la  mesure  de  cette  vie  le  précepte  d'ai- 
mer Dieu.  Cet  acte  est  un  acte  fort,  puisqu'il  consiste  à  aimer 
Dieu  de  toute  sa  force;  pourquoi  un  acte  si  fort  ne  sera-t-il  pas 
perpétuel,  dans  tous  ceux  qui  le  produisent?  11  ne  faudroit  donc 
obliger  personne  à  le  renouveler,  et  la  défense  de  réitérer  les 
actes  de  charité  devroit  s'étendre  à  tous  les  justes  qui  conservent 
la  grâce  de  Dieu;  ce  qui  seroit  un  renversement  de  toute  la  mo- 
rale chrétienne. 

Pour  une  plus  claire  conviction  de  ceux  qui  nous  disent  des  x.xiu. 
choses  si  étranges,  demandons-leur  si  David  n'avoit  jamais  fait  de  mri- 
d'actes  d'amour  quand  il  chanta  de  cœur  et  de  bouche  le  psaume  "jésus-  ^ 
nUirjam  te"",  etc.,  où  il  commence  par  dire  :  «  Mon  Dieu,  qui  êtes  mêml 
ma  force,  mon  appui,  et  mon  seul  Dieu,  je  vous  aimerai ,  »  et  le 
reste  ;  ou  s'il  ne  l'a  pas  réitéré  quand  il  a  dit  et  répété  tant  de  fois  : 
«Mon  ame,  bénis  le  Seignem' :  mon  ame,  loue  le  Seigneur! 
0  Seigneur,  mon  ame  a  soif  de  vous  ;  en  combien  de  manières  et 
combien  souvent ,  quàm  multipliciter ,  ma  chair  même  vous  dé- 
sire-t-elle"^  ?  »  Saint  Paul  n'avoit-il  pas  fait  un  acte  fort,  lorsqu'il 
demandoit  à  .Jésus- Christ  d'être  délivré  de  cette  importime  tenta- 
tion, et  cependant  il  y  revient  par  trois  fois  :  J'ai  prié  trois  fois 
le  Seigneur^,  et  on  sait  que  trois  fois,  c'est  très-souvent  ;  et  ce- 
pendant c'est  un  des  parfaits,  c'est  un  apôtre  distingué  entre  tous 
les  autres  :  et  en  un  mot,  c'est  un  saint  Paul  qui  réitère  cet  acte. 
Mais  Jésus- Christ  vouloit-il  foiblement  sa  passion  quand  il  dit  : 
«  Je  désire  d'être  baptisé  d'un  baptême  *  ;  et  encore  :  «  Que  votre 
volonté  soit  faite,  et  non  pas  la  mienne  ;  »  et  cependant  il  revient 
aussi  par  trois  fois  à  cette  demande ,  et  l'Evangile  rapporte  que 
«  jusqu'à  trois  fois  il  répéta  le  même  discours  ^  »  Si  l'on  dit  qu'il 
le  fit  pour  notre  exemple  seulement,  et  encore  en  la  personne  des 
infirmes  :  j'ai  bien  ouï  dire  qu'il  disoit  en  la  persomie  des  infirmes  : 

1  Psal.  xvn.  —  2  psai  lxii,  cii  ,  cv,  cxiv.  —  3  ;[  Cor.,  xil  ,  8.  —  *  Luc,  \i\, 
50.  —  s  Matth.,  XXVI,  39,  43,  44. 


400  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

«  Détournez  de  moi  ce  calice  :  »  mais  de  dire  et  de  répéter  :  «  Que 
votre  volonté  soit  faite ,  »  ce  n'est  le  langage  des  infirmes  qu'au 
sens  où  tous  les  hommes  le  sont  durant  tout  le  cours  de  leur  vie  : 
si  ce  n'est  qu'il  faille  excepter  de  cette  loi  ceux  qui  nous  vantent 
une  oraison  continuelle  de  quiétude,  et  qui  disent  tout  ce  qui  leur 
plait  autant  sans  preuve  que  sans  règle, 
îcïiv-  Au  reste  je  dois  avertir  que  je  ne  trouve  personne ,  avant  le 
Faiconi   Pèrc  .Icau  Falconi,  qui  ait  enseigné  le  nouveau  prodige  de  cet 

iul.:ur  de  ,  ^  ^  1  O 

edo^mt.:  acte  irréitérable  :  mais  nous  avons  déjà  \t.i  que  Molinos  quiaem- 

lolinos  le  J  1  i 

«uii:  5a  brassé  cette  doctrine  •,  s'appuie  sm-  l'autorité  de  Falconi,  qui  est 

:oiiip.irai-  -^ 

«on  lin,-  i)ien  fragile  :  il  en  adopte  les  termes  :  et  il  ajoute  à  la  corapa- 
pie  du.,  raison  du  joyau  celle-ci  d'un  voyagcm*  :  a  11  marche ,  dit-il ,  et 

voyageur.  .  .  -      '-  ■  ' 

sans  avoir  besoin  de  dire  toujours  :  Je  vais  à  Rome ,  il  continue 
son  voyage  en  vertu  de  la  première  résolution  qu'il  a  faite  d  y  al- 
ler*. ))  Voilà  connue  ces  spéculatifs,  sans  principe,  sans  autorité, 
ou  de  rKcrilure  ou  des  Pères,  endorment  les  âmes  par  des  com- 
paraisons qui  flattent  leur  nonchalance.  11  falloit  songer  (jue  si  le 
voyage  étoit  difficile  et  qu'il  s'élevât  à  chaque  pas  de  nouveaux 
obstacles,  on  auroit  besoin  souvent  de  ranimer  son  courage  et 
comme  de  remonter  son  jtremier  désir;  et  quand  même  tout  se- 
roit  facile  l't  heureux,  il  ne  faudroit  pas  pour  cela  s'imaginer 
cpi'on  alhU  tout  seul,  mais  donumder  à  Dieu  qu'il  lui  jdùt  nous 
continuer  des  forces  proportionnées  à  la  longueur  du  chemin,  qui 
est  une  manière  aussi  solide  que  nécessaire  de  renouveler  ses 
actes. 
,xv.  Molinos,  dans  les  chapitres  qu'on  vient  de  mariim-r,  aj(»utt;  à 
''j/n'./rV.'"  l'autorité  du  l'ère  Falconi  celle  de  saint  François  de  Sales,  dont 
cnrrc'danf.  nous  parlcrous  en  son  \w\\.  Ci-ux  (jui  (tiit  fait  imprimer  le  Moyen 
.enûmt"'».  coui't  out  aussi  impHuié  avec  ce  livret  les  mêmes  autorités,  tant 
celles  de  ce  religieux  que  celles  du  saint  évoque  de  tienève;  et  on 
voit  manifestement  que  dans  la  publication  de  ce  petit  livre  on  est 
entré  dans  le  dessein  de  Molinos. 

On  voit  aussi  dans  ce  livre  le  même  principe  de  la  perpétuité 
de  l'acte  de  conrcrsion ,  par  lequel  on  se  doime  une  fois  à  Dieu  : 
«  Sitost,  dit-on  ,  (juc  Famé  s'aperçoit  qu'elle  s'est  détournée  dans 

1  CuiJ.  siàr.,\i\.  I,  chap.  XIli-xv.  —  «  IbuL,  p.  15,  65,  66. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  1,  N.  XXVI.  401 

les  choses  de  dehors ,  il  faut  que  par  un  acte  simple ,  qui  est  un 
retour  vers  Dieu ,  elle  se  remette  eu  luy  ;  puis  son  acte  subsiste 
tant  que  sa  conversion  dure  *.  »  On  ajoute  par  un  sentiment  assez 
extraordinaire,  que  cet  acte  devient  comme  habituel,  à  force  de 
ravoir  réitéré  ;  de  sorte  qu'il  ne  faut  plus  le  renouveler,  comme 
il  paroit  par  ces  paroles  :  «  L'ame  ne  doit  pas  se  mettre  en  peine 
de  chercher  cet  acte  pour  le  former,  parce  qu'il  subsiste  ;  elle 
trouve  mesme  qu'elle  se  tire  de  son  état  sous  prétexte  de  le  cher- 
cher, CE  qu'elle  ne  doit  ja-^[ais  faire,  puisqu'il  subsiste  en  habi- 
tude, et  qu'alors  elle  est  dans  la  conversion  et  dans  un  amour 
habituel^,  »  Si  l'on  vouloit  dire  seulement,  comme  l'enseigne  la 
philosophie,  que  souvent  par  un  seul  acte  très-fort  on  produit 
une  habitude,  on  ne  diroit  rien  que  de  commun,  mais  on  veut 
que  l'acte  subsiste  ;  et  encore  qu'il  y  ait  beaucoup  d'ignorance  à 
croire  qu'il  subsiste  en  habitude,  puisque  l'acte  et  l'habitude  sont 
choses  distinctes ,  on  ne  laisse  pas  d'assurer  que  cet  amour  cpi'on 
nomme  habituel,  est  à  la  fois  actuel,  puisque  c'est  un  acte.  C'est 
pourquoi  on  s'élève  ensuite  contre  ceux  qui  cherchent  cet  acte , 
c'est-à-dire  qui  le  renouvellent  en  leur  faisant  ce  reproche  :  «  On 
•cherche  un  acte  par  un  acte,  au  lieu  de  se  tenir  attaché  par  un 
acte  simple  avec  Dieu  ^  » 

Si  on  demande  combien  cet  acte  peut  durer,  on  répondra  selon  xxvi. 
ce  principe  «  qu'il  dureroit  naturellement  toute  la  vie ,  puisque  ^dôcir 
l'homme  s'estant  donné  à  Dieu  dans  le  commencement  de  la  voye, 
afin  qu'il  fist  de  luy  et  en  luy  tout  ce  qu'il  voudroit ,  il  donna  dès 
lors  un  consentement  actif  et  général  pour  tout  ce  que  Dieu  fe- 
roit  :  »  D'où  l'on  conclut  «  que  dans  la  suite  il  suffit  qu'il  donne 
un  consentement  passif,  afin  qu'il  ait  une  pleine  et  entière  li- 
berté \  »  Qu'on  explique  comme  on  voudra  ce  consentement  pas- 
sif, dont  nous  aurons  à  parler  ailleius  ;  toujom's  bien  certaine- 
ment ce  n'est  pas  une  réitération  d'un  acte  qui  subsiste  de  soi  :  c'est 
pourquoi  aussi  elle  assure  :  «  Lorsqu'on  a  facilité  de  faire  des 
actes  distincts,  que  c'est  une  marque  que  l'on  s'estoit  détourné  ^,  » 
mais  qu'au  reste  natm-ellement  on  ne  renouvelle  pas  Vacte  direct 

1  Moyen  court,  ch.  xxil,  p.  101.  —  2  IfjùJ,^  p.  102.  —  »  Ibid.,  p.  103.  —  '-  IbvI., 
«h.  XXIV,  p.  130.  —  3  Ibid.,  ch.  xxiv,  p.  103. 

TOM.   XVIII.  26 


Suite  de  la 

doclrine 
de  ce  livre. 


402  INSTRUCTION  SUR  LES  KTATS  D'ORAISON, 

une  fols  produit,  à  moins  qu'on  Tait  réroqur ,  comme  disoit  Fal- 
coni  :  qui  est  ici  ce  qu'on  appelle  .se  détourner.  L'acte  donc  sub- 
siste toujours  ;  et  à  moins  qu'on  ne  se  détourne ,  il  y  a  «  un  acte 
toujours  subsistant ,  qui  est  un  doux  enfoncement  en  Dieu.  » 

On  n'a  donc  qu'à  s'y  enfoncer  ime  fois  ;  il  ne  faut  plus  après 
cela  que  laisser  subsister  son  acte,  sans  se  mettre  en  peine  de  le 
renouveler  jamais  ;  et  plus  on  aura  de  facilité  à  se  passer  de  ce 
renouvellement,  que  la  pratique  et  la  doctrine  de  tous  les  Saints 
nous  montrent  si  nécessaire,  plus  on  sera  assuré  qu  on  ne  s'est 
point  détourné  de  sa  voie,  ce  qui  est  précisément  la  doctrine  ré- 
prouvée du  Père  Falconi,  qu'aussi  poiu*  cette  raison  on  a  impri- 
mée av<'c  le  livi*»' du  Moi/cn  court,  comme  étant  visiblement  du 
même  de.s.sein. 
XXVII.       Par  la  même  raisnn  Vnu  y  iHiuvnit  joindre  non-seulement  Mo- 

Scnliincnl  *  ,.  ii  •  j 

conform-  Hnos ,  mais  encore  Malaval ,  avec  son  acte  qu  u  appelle  universel: 
qui  comprend  éminenmient  tous  les  autres  actes  du  chrétien,  et 
e.xcuqitf  aussi  d»'  roltrn.,'ati(ni  de  les  pratiquer.  Car  c'est  un  acte 
«  comme  permanent  ,  p;ir  une  continuelle  et  insensible  réitéra- 
tion, par  une  sinqilc  n'.-^oiution  de  ne  jioint  sortir  de  la  jiré.sMice 
de  Dieu,  »  le  .spirituel  «s'y  conserve  incessamment,  quoi  (piil 
fasse'  :  »  aussi  a-t-on  w\,  selon  cet  auteui-,  (]iit'  l'Epouse  ne  dit 
plus  à  un  cher  Epoux  :  «  Je  me  donne  î\  vous  »  :  »  il  suflit  de  l'a- 
voir dit  une  fois;  c'est  im  acte  qui  ne  passe  point  :  In  protestation 
tme  fois  bien  faite  de  vouloir  entièrement  être  à  IMcu,  devient 
hnhitueUe,  c'est-à-dire  dans  ce  lanprage,  devient  un  acte  hahUurl 
et  continu  ou,  connue  parle  l'auteur,  un  tirtc  luni  interroni/tu , 
non  point  par  cette  intention  qu'on  nomme  virtuelle;  celle-là, 
dit -il,  ne  suffît  pus,  n'étant  pas  assez  actuelle  à  son  gré.  C'est 
puiuquoi  il  a  inventé  une  intention  êniinentc ;  car  il  n'y  a  qu'à 
tn»uv('r  nu  mot  qui  éblouis.se  le  monde ,  c'en  est  assez  pour  dire 
sans  preuve  tout  ce  qu'on  veut,  et  pour  décharger  les  lidèles  du 
soin  de  renouveler  les  actes  les  j»lus  iiiiporlaMs. 

Au  reste  pour  bien  entendre  le  sentiment  de  ces  auteurs,  je 


XXVIII 


1  Moyrn  court,  11  i.ail.,  p.  197  ,  198,  3.57  ,  361 ,  3G6,  390,  397  ,  '.H,  418.  /,:U  ; 
I  pnil,  p.  29,  30,  32,  15,46-,  etc.,  66,  70.  —  « /6jrf.,  I  part.,  p.  27  ;  ci-(1hssus, 
chap.  XIV. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  I,  N.  XXIX.  403 

dois  ici  avertir  le  sage  lecteur  qu'il  ne  faut  point  s'arrêter  à  cer-  tioiu.nfor- 
tains  petits  correctifs  qu'ils  sèment  deçà  et  delà  dans  leurs  écrits  ;  crauicun 
mais  regarder  où  va  le  principe,  où  portent  les  expressions^  et 
quel  est  en  un  mot  l'esprit  du  livre.  Par  exemple,  on  peut  avoii- 
remarqué  que  Malaval  semble  hésiter  à  nommer  son  acte  uni- 
versel ixh^olMai&wi  permanent  :  il  est  comme  permanent ,  dit-il  : 
mais  il  ajoute  aussitôt  après,  et  il  répète  sans  fin,  rju' il  est  perpé- 
tuel,  non  interrompu ,  et  le  reste  qu'on  vient  de  voir.  Le  prin- 
cipe porte  là  ;  toute  la  suite  du  discours  y  conduit,  et  ces  légers 
correctifs  font  voir  seulement  que  ces  auteurs  ont  senti  quelque- 
fois les  excès  où  ils  se  jetoient,  et  en  ont  été  étonnés.  Souvent 
même  ils  semblent  nier  en  un  endroit  ce  qu'ils  assurent  en 
l'autre,  pour  se  préparer  des  excuses  et  se  donner  des  échappa- 
toires. Il  ne  faut  pas  se  persuader  que  parmi  tant  d'absurdités  on 
puisse  conserver  une  doctrine  suivie  :  les  principes  fondamen- 
taux du  chi'istianisme  ne  peuvent  pas  s'éloigner  tout  à  fait  de  la 
pensée.  De  là  vient  qu'on  trouve  même  dans  les  ariens,  dans  les 
pélagiens,  dans  les  eutychiens,  dans  tous  les  autres  hérétiques,  des 
propositions  ou  échappées  ou  artificieuses,  dans  lesquelles  ils 
semblent  quitter  Jeur  errem*  :  à  plus  forte  raison  en  doit-on  trou- 
ver dans  les  nouveaux  mystiques ,  où  la  teinture  de  la  piété  s'est 
encore  plus  conservée  :  la  force  de  la  vérité  arrache  toujours 
beaucoup  de  choses  à  ceux  qui  s'égarent ,  et  il  en  faut  dire  quel- 
quefois qui  fassent  passer  les  autres.  L'Eglise  sans  s'y  arrêter  et 
sans  chercher  des  excuses  à  ceux  qui  veulent  tromper ,  a  con- 
damné les  hérétiques  par  la  force  de  leurs  principes  et  par  le  gros 
de  leurs  expressions  ;  et  tout  ce  qu'on  pom'ra  conclm-e  de  celles 
qui  semblent  contraires ,  c'est  qu'ils  ont  voulu  se  déguiser. 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  est  bien  constant  que  la  nouvelle  oraison    xxix, 
mystique  tend  à  relâcher  dans  les  parfaits  le  soin  de  renouveler  que"'!! 
les  actes  les  plus  essentiels  à  la  piété.  Falconi  a  ouvert  la  carrière;  fes'Zceuê 
3Iolinos  l'a  suivi  en  termes  formels  ;  Malaval,  qui  a  voulu  quel-  ""'""'■ 
quefois  biaiser ,  ne  laisse  pas  de  s'expliquer  clairement  ;  et  pour 
le  livre  du  Moyen  court ,  la  perpétuité  des  actes  irréitérables  de 
leur  nature  y  est  assurée  à  pleine  bouche. 

C'est  encore  une  conséquence  de  cette  doctrine,  qu'il  ne  faut 


404  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D0R.\1S0N. 

point  se  donner  de  peine  pour  se  recueillir,  quelque  distrait  et 
occupé  qu'on  ait  été;  car  les  actes  l)ien  faits  une  fois,  comme  Test 
sans  doute  celui  du  recueillement  produit  au  commencement  de 
la  vie  intérieure,  ne  périssent  point.  Ainsi  on  n'a  point  à  craindi'e 
de  se  dissiper,  puis(|u'à  moins  que  de  révoquer  ses  premiers 
actes,  on  y  demeure  toujours,  en  dormant  et  en  veillant,  occupé 
ou  non  occupé.  Ce  sont  là  les  moyens  faciles  qu'on  propose  pour 
l'oraison,  et  on  pousse  la  facilité  jusqu'à  exempter  les  prétendus 
parfaits  du  soin  de  renou\eler  leur  recueillement  :  on  porte  in- 
sensiblement tout  le  monde  au  repos  ;  et  la  réitération  des  actes 
étant  selon  ces  principes  une  marque  qu'on  les  a  mal  faits  la  pre- 
mière fois,  autant  qu'on  veut  asoir  liien  fait,  autant  veut-on 
éviter  de  les  réitérer.  Telles  sont  h-s  facilitrs  de  la  nouvelle  mé- 
thode :  en  voici  d'autres  (jui  ne  sont  pas  moins  considérables. 


LIVRE    IL 

Bc  la  suppression  des  actes  de  foi. 

i  \ous  entrons  dans  l'exposition  d'une  erreur  des  plus  impor- 

''«'cc'!.nd  tantes  de  la  nouvelle  oraison  :  c'est  (jne  tous  les  actes  explicites 
'""■  sur  la  Trinité,  sur  l'Incarnation,  sur  les  attributs  divins,  sur  les 
articles  du  Credo,  sur  les  demandes  du  Pater,  ne  sont  plus  d'o- 
bligation [)()ur  ces  prétendus  parfaits  :  et  la  laison  en  est  évi- 
dente; car  s'il  n'y  a  pour  eux  ([u'un  seul  acte  perpétuel  et  uni- 
versel, ce  seroit  inutilement  cpi'on  levu"  prescriroit  tant  d'actes  de 
foi  explicite,  tant  de  demandes  expresses  ;  tout  est  renfermé  pour 
eux  dans  un  acte  confus  et  éminent,  où  tous  les  autres  se  trou- 
vent autant  qu'il  est  nécessaire  pour  contenter  Dieu,  et  ce  sont  les 
facilités  (jue  l'auteur  du  Moyen  court  nous  vouloit  donner. 

Nous  avons  donc  à  faire  voir  par  ordre  que  tous  les  actes  énon- 
cés dans  le  Symbole  des  apôtres,  toutes  les  demandes  formées 
dans  l'Oraison  Dominicale  ne  sont  plus  pour  nos  superbes  par- 
faits. Commençons  dans  ce  second  li\Te  par  ce  (pii  regarde  les 


TRAITE  I,  LIVRE  11,  N.  11.  403 

actes  de  foi ,  et  en  particulier  les  actes  de  foi  sur  la  Trinité  et  sur 
rincarnation. 

On  en  supprime  l'obligation;  le  passage  en  est  exprès,  sur  le      \\. 
Cantique  des  cantiques  '  :  mais  il  en  faut  avant  toutes  choses  bien  dodnne 

des  nou- 

expliffuer  le  langage.  On  y  distingue  d'abord  deux  sortes  d'union  veauxmys- 
avec  Jésus-Christ.  Tune  essentielle  et  l'autre  personnelle  :  l'es-  supprime 

.    ,  ,       ,  l'union 

sentielle  est  celle  ou  l'on  est  uni  à  Tessence  de  la  divmite  ;  la  per-  avecjésus- 

Chri^-t  en 

sonnelle  est  celle  où  l'on  est  uni  à  la  personne  du  Fils  de  Dieu,    quauié 

d'Horame- 

Cette  union  personnelle  est  encore  double,  parce  qu'où  l'on  s'unit  Dieu  et  de 

Personne 

à  Jésus-Christ  comme  étant  simplement  le  Yerbe  divin,  ou  bien  rfmne: 

passage  de 

l'on  s'unit  à  lui  comme  étant  aussi  un  homme  parfait.  Je  n'allègue  ''^«'e'-- 

2>rctation 

point  ce  langage  pom-  le  reprendre  ;  car  il  ne  faut  jamais  disputer   «"'■  '« 

u  i  Cantiques 

des  mots ,  mais  tâcher  de  les  bien  entendre.  Ceux-ci  étant  expli- 
qués, il  n'y  a  plus  qu'à  écouter  ces  mots  de  notre  auteur  :  «  L'on 
peut  ici  résoudre  la  difficulté  de  quelques  personnes  spirituelles , 
qui  ne  veulent  pas  que  l'ame  estant  arrivée  en  Dieu  (  ce  qui  est 
l'état  d'union  essentielle),  parle  de  Jésus-Christ  et  de  ses  états  in- 
térieurs, disant  que  pour  une  telle  ame  cet  état  est  passé  ^  »  Yoilà 
du  moins  la  difficulté  bien  proposée  :  il  est  question  de  savoir  si 
l'ame  unie  à  Dieu,  essence  à  essence,  qui  est  selon  le  langage  de 
l'auteur  la  dernière  et  la  plus  parfaite  union,  peut  encore  parler 
de  Jesus-Christ  homme  et  de  ses  états  intérieurs.  En  vérité  est-ce 
là  une  question  entre  les  chrétiens,  et  peut- on  parmi  eux  cher- 
cher un  état  où  il  ne  se  parle  plus  de  Jésus-Christ?  Si  l'on  disoit 
qu'absorlîé  dans  la  divinité,  il  y  a  de  certains  momens  où  la 
pensée  ne  s'occupe  pas  d'un  Dieu  fait  homme,  il  n'y  auroit  là 
rien  d'impossible  :  mais  il  s'agit  d'un  état  où  l'on  ne  parle  plus 
de  Jésus-Christ ,  où  par  état  on  l'oublie,  à  cause  c/ue  cet  état  [  où 
l'on  parle  de  Jésus-Christ)  est  passé  pour  une  telle  ame  :  au  lieu 
de  détester  un  tel  état,  sans  même  l'examiner,  on  se  tourmente  à 
justifier  ceux  qui  veulent  que  cet  état  oii  fon  parle  encore  de 
Jésus-Christ  soit  un  état  passager.  «  Je  conviens ,  dit  cet  auteur 
avec  eux,  que  l'union  à  Jésus-Christ  {  comme  personne  divine) 
a  précédé  de  très  longtemps  l'union  essentielle  ;  »  c'est-à-dire 
l'union  à  Jésus-Christ  selon  l'essence  de  sa  divinité  ;  dont  on  rend 

'  Cliap   I,  vers.  1.    —  '-  Conf.,  p.  4-6. 


406  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D  ORAISON. 

cette  raison,  «  que  Fimion  à  Jésus- Christ  comme  divine  personne, 
s'éprouve  dans  l'union  des  puissances  (  qui  est  encore ,  selon  ce 
langage ,  une  sorte  d'union  inférieure  )  ;  et  que  l'union  à  Jésus- 
Christ  Homme-Dieu  est  la  première  de  toutes ,  et  qu'elle  se  fait 
dès  le  commencement  de  la  vie  illuminative.  »  Yoilà  donc  déjà 
deux  degrés  d'union  avec  Jésus-Christ  très-distinctement  mar- 
qués :  l'un  dès  le  commencement  de  la  vie  illuminative  avec 
Jésus-  Christ  Homme-Dieu  ;  l'autre  avec  Jésus-Chiist  simplement 
comme  personne  divine,  qui  appartient  à  ceux  dont  l'avance- 
ment est  déjà  plus  grand  :  à  quoi  si  nous  ajoutons  le  dernier 
degré  où  l'ame,  dit-on,  est  arrivée  en  Dieu  seul ,  c'est-à-dire  à 
l'essence  seule  sans  plus  parler  des  personnes ,  on  trouvera  trois 
états.  Le  premier  où  l'on  est  uni  à  Jésus-Christ  Homme-Dieu,  qui 
est  le  plus  imparfait  do  tout  :  le  second  où  l'on  est  uni  à  Jésus- 
Christ  comme  personne  divine,  qui  est  à  la  vérité  plus  élevé, 
mais  comme  inférieur  au  troisième,  que  l'on  explique  en  disant 
fpie  l'ante  //  est  établie  en  Dieu  par  l'union  essentielle,  et  non  plus 
par  la  personnelle  comme  auparavant. 

Sans  examiner  en  pari ieuru'r  ces  raffinemens,  ni  les  suites  qu'on 
en  propose,  il  nous  suffit  d'avoir  vu  ti'ois  états  d'union  avec 
Jésus-Christ,  que  l'on  doit  passer  l'un  après  l'autre.  L'union  qu'on 
a  avec  lui  comme  Homme- Dieu ,  précède  celle  qu'on  a  avec  lui 
simplement  comme  persomie  divine,  en  faisant  ahstraction  de 
l'humanité;  et  celle-ci  précède,  dit-on,  de  très  lonrjtonps  celle 
qu'on  a  avec  lui  selon  l'essence  divine. 

Ces  trois  degrés  sont  étaljlis  pour  résoudre  la  difficulté  de  ceux 
qui  veulent  que  dans  l'imion  avec  l'essence  divine  on  ne  doive 
plus  parler  de  Jésus-Christ  et  de  ses  états  inférieurs,  parce  fju'a- 
lors  cet  état  est  passé.  Ainsi  l'état,  où  l'o?!  parle  encore  de  Jésus- 
Christ  comme  homme  est  un  état  passager  :  l'état  où  Von  s'y  unit 
comme  personne  divine ,  l'est  aussi;  et  le  seul  état  permanent, 
aussi  bien  que  parfait,  est  celui  où  l'on  est  uni  à  l'essence  même 
de  Dit  u,  sans  ^\\i>  parler  de  Jésus-('hrist  ou  de  ses  états  intérieurs, 
ni  s"unir  ii  sa  divine  personne. 
'"•  Yoilà  les  prodiges  de  la  nouvelle  doctrine;  voilà  les  degrés  de 
"^  1'   l'union  avec  Jésus-Chiist  établis  ;  de  sorte  que,  dans  le  dernier 


TRAITÉ  I,  LIVRE  II,  N.  IV.  407 

degré  où  l'on  s'unit  à  son  essence,  Ton  cesse  de  s'unir  à  lui  comme  doctrine 
2)ersomie  divine ,  et  encore  plus  de  s'y  unir  selon  son  humanité  dénie. 
et  ses  états  intérieurs.  Si  on  cesse  de  s'unir  à  Jésus-Christ  comme 
personne  divine,  on  cesse  par  conséquent  de  s'unir  de  cette  sorte 
au  Père  et  au  Saint-Esprit.  Si  on  cesse  de  s'y  unir,  on  cesse 
d'exercer  sur  ces  divins  objets  aucun  acte  de  foi  explicite  ;  car  ces 
actes  nous  unu'oient.  Par  là  ou  en  veut  venir  comme  à  un  état 
plus  parfait  à  s'établh  en  Dieu  seul^  considéré  selon  son  essence  ; 
et  on  y  veut  imaginer  plus  de  perfection  qu'à  s'imir  à  Dieu  selon  la 
distinction  des  trois  Personnes  divines.  En  effet  nous  verrons  bien- 
tôt qu'on  pousse  le  raffmement  jusque-là,  et  même  encore  plus 
avant ,  puisqu'on  trouve  une  espèce  de  perfection  plus  éminente 
dans  l'exclusion  des  attributs  divins,  pour  se  réduire  à  la  nature 
confuse  et  indistincte  de  l'essence  seule.  C'est  le  langage  commun  , 
de  tous  nos  nouveaux  mystiques.  Quand  ils  se  croient  arrivés, 
comme  ils  parlent,  en  Dieu  seul,  c'est  redescendre  que  de  con- 
templer la  Trinité  ou  l'Incarnation.  L'on  ne  dit  donc  plus  le  Credo, 
et  l'on  se  trouve  trop  parfait  pour  en  produire  les  actes.  Croiroit- 
on  que  les  chrétiens  pussent  domier  dans  ces  excès?  Une  pré- 
tendue simplification,  une  prétendue  réduction  de  tous  nos  actes 
à  un  acte  perpétuel  et  universel,  a  introduit  ces  prodiges. 

Que  si  l'on  peut  encore  douter  des  sentimens  de  ces  auteurs,  on      iv. 
n'a  qu'à  lire  ces  mots  dans  la  môme  Interprétation  sur  le  Can-  '  "age^dT 
tique  :  «  Dès  que  l'ame  commence  de  recouler  à  son  Dieu  comme  prétaLn 
un  fleuve  dans  son  origine,  elle  doit  estre  toute  perdue  et  abîmée  cantique. 
en  Dieu  ;  il  faut  mesme  alors  qu'elle  perde  la  veuë  aperceuë  de  nideuse 

de  cette 

Dieu,  et  toute  connoissance  distincte  pour  petite  qu'elle  soit  '.  »  dodrine. 
Il  n'y  a  donc  plus  de  distinction,  je  ne  dis  pas  d'attributs,  mais  de 
personnes  divines  :  ce  qu'elle  explique  plus  clairement  en  parlant 
ainsi  :  «  Lorsque  je  parle  de  distinction,  je  ne  l'entends  pas  de  la 
distinction  de  quelque  perfection  divine  en  Dieu  mesme;  car  elle 
est  perdue  il  y  a  longtemps  -.  »  On  perd  donc  bientôt  ces  distinc- 
tions des  perfections  divines  ;  «  et  dès  les  premiers  absorbemens 
l'ame  n'a  qu'une  veuë  de  foy  confuse  et  générale  de  Dieu  en  luy, 
.sans  distinctions  de  perfections  ni  d'attributs  relatifs  ou  alisolus  ; 

^Intn'prct.sur  le  Cantiq.,  chap.  vi,  vers.  4,  p.  W'j. —  -  Ibid.,  p.  ]'ii. 


408  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

car  une  fois  la  distinction  est  alors  entièrement  ôtée  :  on  ne  dis- 
tingue plus  de  personnes  divines,  par  conséquent  plus  de  Jésus- 
<lhrist;  et  tout  cela  (:[irest-ce  autre  chose,  sans  exacérer,  qu'un 
artiiice  de  l'ennenii  poiu"  faire  oublier  les  mystères  du  christia- 
nisme, sous  prétexte  de  raffinement  sm'  la  contemplation  ? 
V-  Conformément  à  cette  doctrine ,  on  trouve  dans  un  exemplaire 
paroles   très-bicu  avéré  du  manuscrit  intitulé  les  Torrens ,  nui  est  du 

fur  Jésus-  '      '■ 

oi"!.  même  auteur  que  le  Moyen  court  et  Y  Interprétation  sur  les  Can- 
tiques, «  qu'ime  ame  sans  avoir  pensé  à  aucun  état  de  Jésus-Christ 
depuis  les  dix  et  vingt  ans,  »  trouve  que  toute  la  force  en  est 
«  imprimée  en  elle  par  état,  qiioitpie  Tame  dans  toute  sa  voye 
n'ait  point  de  veué  distincte  de  Jésus-Christ.  »  Vous  le  voyez,  sage 
lecteur  :  qui  ne  pense  à  aucun  état  de  Jésus-Christ,  ne  pense  ni  à 
sa  croix  ni  à  sa  gloire  :  qui  demeure  sans  en  avoir  aucune  veuë 
distincte ,  ne  songe  ni  s'il  est  distinctement  le  Fils  de  Dieu,  la 
seconde  personne  de  la  Trinité ,  ni  s'il  est  le  Fils  de  l'homme, 
'^onune  il  s'appelle  lui-même,  qui  nous  a  sauvés  par  son  sang. 
Dans  ces  étranges  sublimités,  on  passe  tranquillement  les  dix  et 
les  vinr/t  ans  sans  seulement  penser  à  lui  ni  à  aucun  de  ses  états  : 
et  tout  cela  encore  un  coup ,  qu'est-ce  autre  chose  sinon  de  fah'e 
servir  la  contemplation  à  une  extinction  totale  de  la  foi  explicite 
en  Jésus-Christ  ? 
Jilflf..  ^"  ^"'^  ^^^  ^^**^  objection  est  préMie  et  résolue  dans  le  Moyen 
des  nou-  court  par  ces  paroles  :  «  L'on  m'obiectcra  (lue  par  cette  vove  » 
.  ''<>""  (où  Ton  n"a  (lue  ces  vues  confuses  et  indistinctes  de  Dieu),  «  l'on 
t"  ilciie'  °®  s'imprimera  pas  les  mystères  ;  c'est  tout  le  contraire ,  ils  sont 
airni'"'  donnez  en  réalité  à  l'ame,  comme  saint  Paul  dit  qu'il  les  portoit 
sur  son  corps  '.  »  Mais  tout  cela  n'est  qu'éluder  :  il  ne  s'agit  pas 
de  porter  sur  son  corps,  avec  cet  Apôtre,  la  mort  et  les  blessures 
de  Jésus  *  ;  mais  de  s'y  luiir  par  un  acte  de  foi  explicite,  comme 
faisf»it  sans  cesse  et  dans  toutes  ses  Epîtres  le  même  saint  Paul, 
jus([u"à  dire  qu'Une  savoit  rien  que  Jésus-Christ,  non  pas  le 
voyant  en  Dieu  par  des  vues  confuses  et  générales,  mais  distinc- 
tement et  expressément  comme  C7nfcifié  :  Jesum  et  Jiunc  cruci- 
fionim  '  :  mais  au  contraire  nos  nouveaux  mystiques  donnent  pour 

1  Moi/encourt,  p.  ;J2,  33.  —  *  Galaf.,  vi,  17.  -  •"»  1  Cor.,  ii,  2. 


TR.\ITÉ  I,  LIVRE  II,  N.  Yll,  VIII.  409 

règle  *,  «  que  rattention  amoureuse  à  Dieu  renferme  toute  dévo- 
tion particulière ,  et  que  qui  est  uni  à  Dieu  seul  (dans  sa  seule 
essence  comme  on  a  vu),  par  son  repos  en  lui,  est  appliqué  d'une 
manière  plus  excellente  à  tous  les  mystères  * .  »  C'est  là,  encore  une 
fois,  un  moyen  pom*  éluder  tout  acte  de  foi  en  Jésus-Christ;  c'est 
faire  oublier  à  cette  ame,  qui  croit  être  dans  de  sublimes  oraisons, 
le  besoin  qu'elle  a  de  sa  grâce  et  de  sa  médiation  perpétuelle  : 
c'est  enfui  ne  le  proposer  à  ces  âmes  qu'en  Dieu  et  en  général, 
sans  connoissance  et  application  distincte ,  contre  saint  Paul  qui 
disoit  :  Je  vis  en  la  foi  du  Fils  de  Dieu  qui  m'a  aimé  et  s'est 
donné  pour  moi"-. 

Ce  n'est  point  satisfaire  à  la  diftlculté  que  d'ajouter,  comme  on     vu. 
fait,  «  que  cpii  aime  Dieu,  aime  ce  qui  est  de  lui  :  »  car  c'est  pré-   ces  arti- 
cisément  la  même  chose  que  ce  que  disoit  Molinos  :  «  Celui  qui   roie  de 

^  ^  ^  ,  -^  Molinos. 

pense  à  Dieu  et  qui  le  regarde,  pense  et  regarde  Jésus-Christ  ^;  » 
ce  qui  ne  sort  point  d'im  amour  confus ,  où  sans  penser  à  Jésus- 
Christ  par  un  acte  de  foi  explicite ,  on  croit  tout  faire  en  pensant 
à  Dieu  en  général.  Je  ne  veux  pas  dire  qu'il  faille  astreindre  les 
âmes  dans  chaque  moment  delem'  oraison  à  penser  toujours  actuel- 
lement à  Jésus-Christ,  encore  moins  à  raisonner  sur  lui,  puisque 
la  foi  n'a  pas  besoin  de  raisonnement.  Les  faux  contemplatifs 
doivent  savoir  que  ce  n'est  pas  là  ce  qu'on  leur  demande  :  on  leur 
dit  et  on  lem"  répète  que  d'établir  des  oraisons  où  par  état  et  comme 
de  profession  on  cesse  de  penser  à  Jésus-Christ,  à  ses  mystères,  à 
la  Trinité,  sous  prétexte  de  se  perdre  mieux  dans  l'essence  divine, 
c'est  une  fausse  piété  et  une  illusion  du  mahn  esprit. 

Molinos,  très- artificieux,  a  paru  avoude  la  peine  à  venir  à  ces 
explications ,  cpii  rendoient  sa  mystagogie  odieuse  ;  et  il  se  con- 
tente ordinairement  d'exclure  la  pensée  distincte  et  particulière  de 
Jésus-Christ,  ou  de  ses  mystères,  et  des  personnes  divines,  en  pro- 
posant, comme  il  fait  sans  cesse,  sa  foij  et  sa  connoissance  géné- 
rale et  confuse  :  autrement  sa  foy  amoureuse  et  obscure,  satis 
aucune  distinction  des  perfections  et  attributs  '%  comme  la  seule 
et  perpétuelle  action  de  contemplatif;  ce  qui  emporte  l'exclusion 

^  Moyen  court,  p.  34.  —  '^  Galat.,  II,  20.  —  *  Sect.  Il,  u.  12,  p.  7.  —  ^  Introd., 
sect.  1,  u.  1,  p.  1  ;  liv.  1 ,  ch.  ii,  p.  44,  etc. 


VIII. 
de  Molinos 


410  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D  ORAISON. 

des  actes  de  foi  explicite  et  distincte  dans  certains  états.  Mais  à  la 
fin  il  faut  parler  :  et  entraîné  par  la  force  de  ses  principes ,  il  a 
prononcé  les  mots  qu'on  vient  d'entendre  :  Qui  pense  à  Dieu 
pense  à  Jésus- Christ  '  ;  à  quoi  il  ajoute  quon  ne  se  sert  plus  des 
moyem  lorsqu'on  a  obtenu  la  fin  ^ 

Il  est  vrai  qu'il  semble  réduire  l'exclusion  de  ces  moyens  à 
celle  de  la  méditation  discursive  ;  mais  ses  expressions  aussi  bien 
que  ses  principes  vont  plus  loin,  puisqu'il  restreint  l'ame  à  la  pré- 
sence de  la  divinité,  et  à  la  connoissance  générale  et  confuse  que 
la  foij  hiy  en  donne  :  ce  qui  dins  tout  son  langage  ne  contient 
que  ces  notions  générales  et  iudisUncles,  où  l'un  ne  voit  ni  per- 
sonnes ni  attributs  divins, 
jx  C'est  précisément  ce  que  disoit  Malaval  sur  ces  paroles   de 

k^MaUMi  Jésus-Christ  :  Je  suis  la  voie  ;  où  ce  téméraire  contemplatif  inter- 
prète ainsi  :  «  S'il  est  la  voye,  passons  par  luy  *  ;  »  et  il  répète  en- 
core une  fois  un  peu  après  :  «  Puisqu'il  est  la  voye,  passons  par 
luy;  mais  celuy  (]ui  passe  toujours  n'arrive  jamais*  ;  »  à  quoi  il 
ajoute  en  d'autres  endroits  ces  foibles  comparaisons  .  «  (Juec(;luy 
qui  est  arrivé  ne  songe  plus  par  quel  chemin  il  a  esté  obligé  de 
passer,  fust  il  un  cliemin  pavé  de  marbre  ou  de  porphyre,  et  que 
s'il  pense  queliiuefois  au  chemin,  c'est  pour  s'en  souvenir,  et  non 
■  pas  pour  y  retournera  »  (Juelque  insensée  que  soit  cette  expres- 
sion, l'auteur  enchérit  encore  par  celle-ci  :  a  Comme  la  boue 
tombe  f[uand  les  yeux  de  l'aveugle  sont  ouverts,  ainsi  l'humanité 
s'évanouit  pour  atteindre  à  la  divinité  ^  »  Yoilà  les  délicatesses 
de  la  nouvelle  contemplation,  et  c'est  ainsi  qu'on  apprend  à  y 
goûter  Jésus-Christ, 
j  C'est  l'esprit  de  Jésus-Christ  et  de  l'Evangile ,  qu'un  Dieu  a 

?""'"ê  '^o^i^ii  fpe  la  plénitude  de  la  divinité  habitât  corporellement  et 
"""ouJ  expressément  en  Jésus- Christ  \  afm  qu'on  s'incorporât  à  l'homme 
coiu'  de  semblable  à  nous,  à  qui  nous  touchons  de  si  près,  et  qu'on  le  sai- 

'Eïaiigil-'.  ^         ^  ... 

sît  pom' ainsi  dire  par  la  foi,  sans  perdre  la  divinité  qui  lui  est 
unie  en  unité  de  personne;  et  cependant,  selon  ces  docteurs,  l'hu- 
manité de  Jésus-Christ  sera  la  boue ,  dont  il  faudra  nous  laver 

'  Inirod.,  scct.  Il,  n.  12.  —  «  IhirL.  n.  \\\.  —  s  Mabival,  li ,  p.  2:jG.  —  '  llnd., 
p.  2t;!J.  —  »P.  34. —  «/W.,  p.  liO.  — ''Co/.,  II,  y. 


TRAITÉ  ],  LIYRE  II,  N.  XI-XIII.  Ui 

pour  avoir  les  yeux  ouverts  à  la  contemplation.  Peut-on  chercher 
des  explications  à  ces  paroles  insensées,  et  qui  jamais  ouït  parler 
d'un  tel  prodige? 

Cependant  il  ne  faut  point  s'en  étonner,  c'est  la  suite  des  prin-  ,  ^^• 
cipes  de  la  nouvelle  oraison.  On  s"v  attache  à  cet  acte  confus  et'''-»''  ^es 

'  nouveaux 

universel,  sans  pensée  ciuelconciue  c^ui  soit  distincte^  :  où  il  n'y  a  •"ï^îiiq"*'' 
que  la  seule  notion  de  Dieu  &\me  manière  obscure  et  imiver-  ^""•^  "^- 
selle^;  et  il  y  faut  tellement  reqorder  Dieu  sans  aucune  notion  ''•^ '•^"^ 

*'  "^  principes. 

distincte  '  :  Dieu  pur  y  est  tellement  l'objet  de  la  contemplation,  et 
il  se  faut  tellement  (/ardcr  d'y  rien  ajouter  à  la  simple  veuë  de 
Dieu,  que  Jésus-Christ  homme  n'y  peut  entrer.  Les  Personnes  di- 
vines n'y  entrent  non  plus  *,  puisqu'o^z  y  doit  considérer  Dieu  en 
Iwj-mesme  sans  attributs ,  sans  aucune  action  distincte  selon  son 
essence  ^,  et  en  tant  qu'il  a  dit  :  Je  suis  celui  qui  suis  :  ou  si  l'on 
veut  une  autre  phrase  ;  on  doit  se  le  représenter  sous  la  notion  la 
jjIus  imicerselle ,  qui  est  celle  cVestre  par  essence^.  Or  tout  cela 
ne  souffre  point  de  distinction  de  personnes,  par  conséquent  point 
de  Jésus-Christ  ;  et  ainsi,  comme  d'autres  Vont  remarqué,  un  vrai 
adorateur  de  Dieu  devroit  suivre  les  notions  les  plus  approchantes 
de  celles  des  mahométans  ou  des  Juifs,  ou  si  l'on  veut  des 
déistes;  autrement  il  seroit  dégradé  de  la  haute  contemplation,  et 
il  retomberoit  dans  ce  qu'on  appelle  multiplicité. 

Je  sais  qu'on  pourroit  penser  que  cette  doctrine  n'a  lieu  que     xn. 
dans  les  temps  de  l'oraison  :  mais  ceux  qui  se  contenteront  de  ecnippa- 

^  ^  luire. 

cette  réponse,  seront  peu  instruits  des  secrets  de  la  nouveUe  doc- 
trine, puisqu'on  y  enseigne  que  l'oraison  des  prétendus  parfaits 
n'a  point  d'interruption,  et  que  leur  contemplation  est  perpé- 
tuelle ;  réduite  par  conséquent  à  ces  idées  générales  et  indistinctes, 
où  les  Personnes  divines  n'entrent  point,  et  où  Jésus- Christ  ne  se 
trouve  qu'en  Dieu  regardé  confusément. 

On  a  pu  remarquer  ici  une  autre  sublimité;  c'est-à-dire  une     xm. 

-  Doi:lriue 

autre  ignorance  et  un  autre  égarement  de  la  nouvelle  contempla-  d.s  nou- 
tion.  C'est  c[u' après  avoir  laissé  aux  plus  imparfaits  les  trois  Per-  iiqu.s  sur 
sonnes  divines  et  l'Incarnation  du  Fils  de  Dieu,  elle  veut  s  élever  busdinns 

1  Malaval ,   i ,  p.  oo.  —  2  ii ,  j,    |  >6.  —  »  Ihiil.,  p.  2:^8  ,  27.i.  —  '*  IbiJ.,  p.  ;22i. 
—  '^  Ibid.,  p   221,  222,  22G,  22s.  —  "  Ibid.,  p.  2-i2. 


412  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

encore  au-dessus  de  tous  les  attributs  divins  pour  s'attacher  à  la 
seule  essence  :  mais  qu'est-ce  que  cette  essence  ?  Qui  la  connoît  en 
cette  vie?  (}ui  peut  se  vanter  d'y  connoître  certainement  Tossonce 
ou  la  substance  d'aucune  chose  créée  quelle  quellesoit?  Combien 
plus  l'essence  divine  est-elle  au-dessus  de  nos  conceptions  ?  Et  si 
l'on  dit  que  l'on  ne  parle  ainsi  que  selon  nos  foibles  manières  de 
concevoir  et  selon  les  idées  de  l'Ecole,  y  convient-on  de  la  notion 
où  il  faut  mettre  la  raison  essentielle  et  constitutive  de  Dieu,  se- 
lon nos  manières  imparfaites  de  la  comioître?  Malaval,  qui  vient 
faire  la  leçon  au  monde  et  lui  donner  des  idées  nouvelles  de  la 
contemplation,  ignore-t-il  qu'une  partie  de  lEcole  établit  l'essence 
de  Dieu  dans  im  acte  d'une  simple  et  pure  intelligence  ?  Ceux  qui 
sont  de  ce  sentiment  sont-ils  oltli.û^és  de  changer  d'avis  dans  la 
contemplation,  ou  ne  ftiut-il  pas  plutôt  avouer  qu'on  y  doit  regar- 
der Dieu  d'une  manière  plus  simple,  et  pour  ainsi  parler  anté- 
rieure à  la  distinction  de  l'essence  et  des  attributs?  Cependant 
Midavid  s'obstine  à  ne  vouloir  attacher  la  contenqilali(Mi  qu'à  la 
seule  essence  de  Dieu,  en  tant  (pie  par  la  pensée  on  la  dislingue 
de  ses  perfections  ;  et  la  raison  qu'il  en  rend ,  c'est  que  les  divines 
perfections  ne  sont  que  quelque  chose  de  Dieu\  au  lieu  que  l'es- 
sence est  Dieu  même  :  idée  qui  pour  la  sublime  contemplation 
divise  trop  cette  nature  infinie,  et  en  fait  très-mal  entendre  la  per- 
fection. 
XIV.  ]\[yjg  c'est  que  toutes  les  fois  qu'on  se  veut  truindcr  au-dessus 
'nH'.n"v!-  ^^^  T^^QS  on  s'y  perd,  ou  pour  parler  plus  simplement,  on  manque 
Ty./'r"  ^^  précision  et  de  justesse,  et  on  montre  son  ignorance.  N'est-ce 
JT'cânZ  P^^  encore  une  belle  idée  dans  Y E.rplication  du  Cantique ,  que 
c.m/V.Î<»  ^^^^^'  OÙ  l'on  nous  dit  «  que  les  soixante  forts  d'Israël,  ces  vaillans 
pnierriers  qui  gardent  le  lit  de  repos  du  véritables  Salomon,  sont 
les  attributs  divins  qui  environnent  ce  lit  royal,  et  qui  en  empes- 
chent  l'accès  à  ceux  (pii  ne  sont  pas  entièrement  anéantis  -.  »  C'est 
une  bizarre  pensée  de  détacher  les  attributs  de  Dieu  d'avec  lui- 
même,  pour  en  faire  les  satellites  qui  le  gardent  ;  et  une  étrange 
ignorance  de  dire  que  ces  attriliuts  absolus  ou  relatifs  indistincte- 
ment enipeschent  l'accès  auprès  de  Dieu,  et  le  repos  dans  son  es- 
'  Malaval ,  I  part.,  p.  47.  —  »Cliap.  m,  u.  7,  p.  7i. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  II,  N.  XV,  XVI.  413 

sence.  Mais  c'est  uiie  erreur  extrême  de  vouloir  insinuer  par  là 
que  pour  entrer  dans  la  haute  contemplation  de  l'essence  de  Dieu, 
il  faille  laisser  les  attributs  au-dessous  d'elle ,  et  ne  s'y  attacher 
non  plus  que  l'on  fait  aux  gardes  quand  on  est  avec  le  roi.  On 
dira  qu'il  ne  faudroit  point  demander  tant  d'exactitude  à  une 
femme  :  je  le  veux,  pourvu  qu'on  m'avoue  qu'il  ne  falloit  non 
plus  avancer,  comme  on  ose  faire  dès  l'entrée  de  ce  livre,  que 
cette  nouvelle  explication ,  fautive  par  tant  d'endroits ,  «  ne  peut 
estre  que  le  fruit  dune  assistance  particulière  du  Saint-Esprit  *.» 

Pour  présenter  quelque  chose  de  plus  utile  et  de  plus  agréable  p^sfa^'ede 
au  lecteur,  ennuyé  peut-être  aussi  bien  que  moi  du  récit  de  tant  ^.^^"t  d'I- 
de  vaines  subtilités,  je  le  prie  d'entendre  un  passage  de  saint  Clé-  '""'"'"'• 
ment  d'Alexandrie  sur  les  noms  et  les  attributs  divins  :  «  Dieu  est 
infini,  dit-il,  et  sans  figure,  et  ne  peut  être  nommé,  quoique  nous 
le  nommions  cpielquefois  improprement,  comme  quand  nous  le 
nommons  Dieu  ;  et  encore  aussi  que  nous  le  nommions  ou  un,  ou 
bon,  ou  intelligent,  ou  Celui  qui  est,  ou  Père ,  ou  Dieu ,  ou  Créa- 
teur, ou  Seignem",  nous  ne  prétendons  point  par  là  dire  son  nom  ; 
mais  nous  nous  servons  de  tous  ces  beaux  noms  à  cause  de  la  di- 
sette de  notre  langage  ;  car  aucun  d'eux  pris  à  part  n'exprime 
Dieu,  mais  tous  ensemble  en  indiquent  la  souveraine  puissance  ^.» 
Voilà  comme  on  est  contraint ,  pour  contempler  et  connoitre  la 
perfection  de  l'Etre  divin ,  de  conduire  avec  l'Ecriture  son  esprit 
par  plusieurs  idées,  étant  impossible  d'en  trouver  aucune  dont  on 
soit  content  ;  et  celle-ci ,  Celui  qui  est ,  quoiqu'elle  soit  en  efîet  la 
plus  grande  et  la  plus  simple  de  toutes ,  étant  rangée  comme  on 
vient  de  voir  par  ce  docte  Père  avec  les  autres  si  défectueuses,  dont 
le  concours  nous  est  nécessaire  pour  exprimer  Dieu  à  notre  ma- 
nière imparfaite,  il  semble  avoir  voulu  expressément  réfuter  la  rê- 
verie de  Malaval  et  de  ses  semblables,  cpii  s'attachent  à  cette  idée  : 
Celui  qui  est,  pour  exclure  toutes  les  autres  de  la  parfaite  oraison 
et  de  l'état  contemplatif. 

On  fait  ici  une  objection  qu'il  ne  faut  pas  dissimuler;  c'est  que    xvi. 
les  scolastiques  demeurent  d'accord  que  la  plus  parfaite  contem-  linu  à^  u 
plation  de  la  nature  divine ,  est  celle  où  on  la  regarde  selon  les  scot'  ei  .le 

Suarez. 

1  Cunt.,  -pvéi.  —  ^Strom.,  V,  i>.  587. 


41  i  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

notions  les  moins  resserrées ,  comme  celle  d'être ,  de  vérité^  de 
bonté,  de  perfection  :  tant  à  cause  que  ces  notions  sont  en  effet 
celles  qui  sont  les  plus  pm'es,  les  plus  intellectuelles,  les  plus  abs- 
traites, les  plus  élevées  au-dessus  de  ces  images  corporelles  que 
l'Ecole  appelle  fantômes  ;  qu'à  cause  aussi  que  par  leur  univer- 
salité elles  font  en  quelque  façon  mieux  entendre  l'miiverselle 
perfection  de  Dieu  dans  toute  son  étendue,  que  ne  font  les  idées 
plus  particulières  et  plus  restreintes,  de  juste,  de  sage,  de  saint. 
C'est  l'excellente  doctrine  de  Scot  et  de  Suarez  '  ;  et  j'avoue  que 
dans  ces  idées  :  Dieu  est  l'être  même,  Dieu  est  la  bonté ^  ou  comme 
il  dit  à  Moïse,  //  est  tout  le  bien,  on  lui  attribue  davantage  d'une 
certaine  manière  les  perfections  infinies  qui  sont  comprises  con- 
fusément <^f  universellement  dans   ces  notions  abstraites;  par  où 
aussi  l'on  excite  plus  cette  admiration,  cet  étonncnient,  ce  silence 
par  où  commence  la  contemplation,  et  qui  fait  dire  à  David  :  «  0 
Seigneur,  notre  Seigneur,  (jue  votre  nom  est  admirable  dans 
toute;  la  terre  M  »  et  encore  :  «  Le  silence  est  votre  louange  ',  » 
XVII.        Mais  cette  doctrine  est  bien  éloignée  de  celle  des  nouveaux 
quc^cii'  raystirpies,  qui,  sous  prétexte  qu'en  un  certain  sens  on  attribue  à 
irnoiinn'  Dieu  plus  de  perfections  dans  les  notions  les  plus  générales,  ex- 
ksTo'nVL  cluent  de  la  contemplation  celles  qui   sont  plus  particulières , 
biimcs"   comme  celles  de  la  justice ,  de  la  clémence  et  de  la  sainteté  de 
fd"rmrir  Dieu;  en  quoi  leur  erreur  est  visible,  parce  qu'encore   (ju'il 
"'"'"soit  beau  de  louer  et  d'admirer  la  grandeur  de  Dieu  par  ces 
notions  générales,  on  a  pour  lui  une  admiration  à  sa  manière 
aussi  excelli'nte,  (|iiaiid  on  coiitemple  distinctement,  et  qu'on 
ex]ili(ine  pour  ainsi  dire  à  son  es[)rit  étonné  les  perfections  plus 
particulières  de  cet  être  infini.   (!ar  comme   chacune    de  nos 
conceptions  et  toutes  nos  conceptions  ensemble,  ainsi  que  nous 
le  disoit  saint  Clément  d'Alexandrie ,  demeurent  infiniment  au- 
dessous  de  la  perfection  de  l'être  divin ,  l'Ecriture  présente  à 
notre  esprit  toutes  les  manières  de  le  contempler,  qui  à  la  fm 
seront  toutes  également  parfaites,  parce  qu'elles  nous  replon- 
gent toutes,  pour  ainsi  parler,  dans  l'immensité  de  la  perfec- 

'Sect   I,  n.  11,  (list.  3,  q.  3;  Siiarfz,  lib.  II  du  Omi.  nteni  ,  c.  xiil,  n.  19,  :^0. 
—  'ipsal.  vm,  i.  —  ^Psal.  LXiv,  1,  joxt.  llebr. 


TRAITÉ  1,  LIVRE  II,  N.  XVIII.  413 

lion  de i Dieu,  et  dans  son  incompréhensible  vérité.  Par  exemple, 
qui  oseroit  dire  qu'Isaïe  et  ses  séraphins  n  aient  pas  été  élevés  à 
la  plus  haute  contemplation  dans  cette  admirable  vision  de  Dieu 
trois  fois  saint  S  ou  que  dans  une  vue  si  haute  de  sa  sainteté  ils 
ne  se  soient  pas  abîmés  avec  un  amour  immense  dans  cette  pro- 
fonde incompréhensibilité  de  l'Etre  divin,  puisque  c'est  ce  qui  les 
oblige  à  s'envelopper  dans  leurs  ailes,  et  à  s'en  faire  une  couver- 
ture, c'est-à-dire  à  trouver  toujours  une  ignorance  infinie  dans 
leurs  plus  sublimes  pensées  ? 

Par  là  on  voit  clairement  que  c'est  une  fausse  subtilité  et  une    -"*'^'"'- 

^  luiis  les 

erreur  dangereuse  des  nouveaux  mystiques ,  de  renvover  aux   """'""^ 

^  -J  1  ^  -  proposes 

commençans  la  contemplation  des  attributs  divins,  et  de  réserver  ^^"''^'i^j,", 
aux  parfaits  celle  de  l'essence  seule.  C'est  faire  pour  les  parfaits  '^'^!J,;f' '" 
un  autre  symbole  que  celui  qu'on  a  toujours  révéré  comme  l€>  i^'jj;^'^'^^'^ 
Symbole  des  apôtres,  puisque  tous  les  attributs  divins  nous  y  '4';|)|J""" 
sont  clairement  proposés  comme  l'unique  fondement  de  notre 
espérance.  Et  d'abord  la  toute-puissance  y  est  exprimée  enfermes 
formels,  et  déclarée  par  la  création  du  ciel  et  de  la  terre;  où  Té- 
ternité  paroît  aussi,  puisque  si  Dieu  n  étoit  éternel  et  de  soi- 
même,  il  seroit  créé,  et  non  créatem\  La  miséricorde  s'y  trouve 
dans  ces  paroles  :  Je  crois  la  rémission  des  péchés,  qui  est  le  com- 
mencement des  miséricordes  de  Dieu,  comme  on  en  voit  la  consom- 
mation dans  l'article  oii  est  énoncée  la  résurrection  de  la  chair  et 
la  vie  éternelle.  La  justice  est  dans  celle-ci  :  //  viendra  juger  les 
vivans  et  les  morts.  Là  même  se  doit  entendre  en  Dieu  la  parfaite 
compréhension  de  toutes  choses,  et  même  du  secret  des  cœurs, 
puisque  c'est  par  là  que  les  hommes  seront  jugés,  selon  ce  que 
dit  saint  Paul,  «  qu'il  révélera  ce  qu'on  croira  avoir  recelé  dans 
les  ténèbres,  et  mettra  en  évidence  le  secret  des  cœurs,  et  alors 
chacun  rece\Ta  de  Dieu  la  louange  qu'il  mérite  ^  »  Ce  qui  induit 
l'immensité  de  l'Etre  divin,  présent  à  tous,  sans  qu'on  puisse  se 
soustraire  à  sa  connoissance,  à  sa  puissance ,  à  sa  providence,  à 
sa  justice.  La  vraie  idée  de  la  sainteté  de  Dieu  est  dans  ces  ar- 
ticles :  Je  crois  au  Saint-Esprit,  la  communion  des  séants,  la  ré- 
mission des  péchés;  où  l'on  nous  montre  que  la  sainteté  de  Dieu 

'  Isa.,  VI.  —  2 1  Cor.,  i\,  3. 


416  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

consiste  en  ce  qu'il  est  saint,  non  pas  d'une  sainteté  empruntée, 
mais  saint  et  sanctifiant;  non  sanctifié  par  l'infusion  d'une  sain- 
teté étrangère,  mais  opérant  par  lui-même,  avec  la  rémission 
des  péchés,  la  communion  des  saints  par  la  charité  vivifiante  et 
sanctifiante  (pii  les  unit  entre  eux  et  avec  Dieu.  On  ne  peut  nier 
sans  impiété  que  tous  les  fidèles  ne  soient  obligés  à  concevoir, 
chacun  selon  leur  mesure,  ces  divines  perfections,  renfermées  si 
clairement  dans  le  Syndjole,  sans  lesquelles  liieu  n'est  pas  Dieu, 
et  son  culte  est  anéanti.  Hue  s'il  y  a  quelques  attriluits  plus  ca- 
chés, et  peut-étri;  moins  nécessaires  à  la  cornu  tissanee  de  tous 
les  partieidiers,  on  sait  en  théologie  qu'ils  sont  renfermes  diuis 
ceux-<i,  (pie  per.'ionne  ne  [leut  oublier  sans  mettre  son  salut  en 
péril;  (pii  est  atjssi  la  raison  pour  kupielle  on  les  a  mis  si  expres- 
sément dans  le  Symbole  des  apiMres. 

Une  s'ils  sont  lobjet  de  notre  foi  en  toiii  étal,  ils  le  sont  aussi 

de  la  contemplation,  dont  la  foi  est  le  fondement;  et  on  ne  peut 

s'élever  au -dessus  di'  la  foi  (pii   nous  les  propos<' .  (uie  par  une 

fausse  et  imaginaire  transcendance. 

MX.         hiiu  pardonne  à  ceux  qui  onUdit,  ou  (uii  disent  i)eut-étre  en- 

i.j.rii,..,  core.  que  pour  étjdilir  la  néce.s.sité  des  actes  de  foi  exjilicite  dans 

q.K«  uiM  les  articles  I,  n,  m,  iv,  vdesordomiances  des  Kiet  î2ri  avril  l(iî)."nV/), 

fUP       Ir< 

âcu»j.-f.M  OU  v  a  poussr  troj)  a\  aut  les  points  de  toi  (piil  faut  erou'e  ex- 
-i"i '""i  plioitemeut  jtour  être  sauve  :  (jueujues- uns  oïd  deniande  entre 
autres  cho.ses  si  1  on  jiouvoit  obliger  des  gens  rustiques  et  gros- 
siers à  croire  expressément  la  toute-puissance;  et  leur  objection 
ne  nous  a  pas  été  inconnue.  Ceux  qui  l'ont  faitt^  dévoient  penser 
que  les  auteurs  pour  «jui  nous  parlions  ne  sont  pas  de  ces  gros- 
siers ni  de  ces  rusti(|ues  (jui  [leiivent  en  certains  cas  trouver  leur 
excuse  dans  leur  ignorance  ;  mais  au  contrain'  (pi'ils  se  prétendent 
les  plus  éclairés  parmi  les  spirituels,  ils  ne  doivent  donc  pas 
ignorer  (piils  sont  sujets  au  commandement  d'avoir  et  d'exercer 
la  foi  catholique,  du  moins  .sur  les  points  (pii  sont  contenus  dans 
le  Svinbole  des  aptMres.   ('."est   p(i\ii'  eux  princi[»alen)eiil  (jue  le 

(fl)  Cfis  oriK.unaiiccs  sont,  d'abord  cille  qui  se  trouve  pins  haut,  de  Dossuet, 
puis  cellf  df  M.  df  Nuailles,  évèiiue  dt-  CIiûIods,  pour  la  publication  des  aiticle» 
d'Issy. 


II.'  il,- 


TRAITÉ  1,  LIVRE  II,  N.  XIX.  417 

Symbole  attribué  à  sauat  Athanase  prononce  qu'ils  doivent  croire 
explicitement  la  Trinité,  l'Incarnation ,  les  perfections  ou  les  at- 
tributs de  la  nature  divine,  parmi  lesquels  est  nommée  la  toute- 
puissance,  s'ils  veulent  être  sauvés  :  et  enefîet  quel  article  est  plus 
nécessaire  que  celui  de  la  toute«-puissance ,  sans  lequel  tout  le 
Symbole  est  anéanti  ?  Si  Dieu  n'est  pas  tout-puissant,  il  ne  sera 
point  créateur  ;  Jésus-Christ  ne  sera  pas  né  d'une  Vierge  ;  car  il  a 
fallu  pour  le  faire  croire  à  sa  sainte  Mère,  que  l'ange  l'assurât 
que  Dieu  pouvoit  tout  ^  Si  Dieu  n'est  pas  tout-puissant,  ni  Jésus- 
Christ  n'est  pas  ressuscité ,  ni  nous  ne  ressusciterons,  ni  nous  ne 
serons  sanctifiés  dans  le  temps,  ni  nous  n'am'ons  la  vie  éternelle 
au  siècle  futur.  C'est  aussi  pom"  cette  raison  que  la  toute-puis- 
sance est  expressément  énoncée  à  la  tête  du  Symbole ,  comme  la 
base  inébranlable  de  tout  le  reste.  On  n'oblige  pas  les  simples  à 
faire  de  sublimes  raisonnemens  sur  cet  attribut  ;  mais  il  est  sans 
doute  que  celui  de  tous  que  le  peuple  doit  le  mieux  connoître,  et 
connoît  le  mieux  en  effet,  est  celui-là.  Car  aussi  comment  pou- 
voit-il  mettre  en  Dieu,  en  tout  et  partout,  une  espérance  sans 
bornes,  s'il  ne  savoit  qu'il  peut  tout?  Je  relève  expressément  cette 
objection  pour  faù^e  voir  au  pieux  lecteur  ce  que  peut  sur  cer- 
taines gens  l'esprit  de  contradiction,  qu'on  pousse  à  l'extrémité 
dans  notre  siècle. 

Au  reste  pom?  justifier  les  cinq  articles  de  ces  ordonnances  dont 
il  s'agit  en  ce  heu,  on  n'a  pas  besoin  que  les  actes  de  foi  explicite, 
auxquels  on  a  obligé  les  nouveaux  mystiques ,  soient  nécessaires 
de  nécessité  de  moyen;  il  suffit  qu'ils  soient  nécessaires  de  néces- 
sité de  précepte,  pour  condamner  ceux  qui  les  omettent  volontai- 
rement :  mais  quand  on  auroit  enseigné  que  les  actes  exprimés 
dans  ces  cinq  articles  sont  nécessaires  de  nécessité  de  moyen,  on 
n'auroit  pas  sujet  de  s'en  repentir,  puisqu'après  tout  en  cela  on 
n'auroit  fait  autre  chose  que  de  suivre  toute  l'Ecole  après  saint 
Thomas,  qui  détermine  clairement  qu'il  «  est  nécessaire  de  néces- 
sité de  salut  de  croire  explicitement  »  l'Incarnation  ^,  à  cause 
qu'elle  propose  en  Jésus-Clmst  l'unique  moyen  de  s'unir  à  Dieu. 
C'est  par  la  même  raison  qu'il  faut  croire  la  Trinité,  sans  laquelle 

^  Luc,  I,  37.  —2  lia  11*^  q.  K^  ait.  7,8. 

TOxM.  xvni.  27 


418  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

Jésus-Christ  n'est  pas  connu  ;,  non  plus  que  le  baptême  qu'on  re- 
çoit en  lui.  Au  même  endroit  S  le  même  saint  Thomas  étabht 
après  saint  Paul  -  que  celui  qui  «  veut  s'approcher  de  Dieu  doit 
croire  qu'il  est,  et  qu'il  est  rémunérateur  de  ceux  qui  le  servent,  » 
et  cela  explicitement,  comme  le  conclut  saint  Thomas  des  paroles 
même  de  l'Apôtre  ;  car  ilseroit  très-absm'de  de  ne  croire  que  con- 
fusément que  Dieu  est,  ou  cpiil  est  rémunérateur.  Le  même  Doc- 
teur angélique  démontre  encore  que  tous  les  articles  du  Symbole 
doivent  être  connus  par  tous  les  fidèles  '  ;  et  l'article  où  est  pro- 
posée la  toute -puissance  est  un  de  ceux  qu'il  juge  des  plus  né- 
cessaires \ 

Si  l'on  en  demande  davantage,  je  veux  bien  encore  ajouter  que 
quelques-uns  des  casuistes  relàcliés  ayant  osé  soutenir  que  «  la 
foi  explicite  en  Dieu  rémuuératem" nétoit pas  nécessaire  de  néces- 
sité de  moyen,  mais  seulement  la  foi  eu  im  seul  Dieu,  »  toute  l'E- 
glise s'est  élevée  contre  ce  blasphème,  et  cette  erreur  a  été  rangée 
l)armi  les  soix;uite-cin([  propositions  réprouvées  par  Innocent  XI 
d'heureuse  mémoire  %  avec  un  applaudissement  miiversel.  (Ju'on 
cesse  donc  de  croire  assez  exercer  la  foi,  en  l'exerçant  sur  la  divi- 
nité considérée  indistinctement  et  en  général,  et  ipi'on  sache  qu'il 
est  nécessaire  à  tout  cluétit.'u  sans  exception,  de  faire  des  actes 
exprès  sur  les  autres  points  que  nous  avons  remarqués  :  que  si 
l'on  demande  quand,  ce  n'est  pas  là  de  quoi  il  s'agit  en  ce  lieu,  et 
on  a  dit  ce  ([ui  suflisoit  pom'  notre  sujet  dans  l'article  des  ordon- 
nances des  lu  et  25  avi'il,  où  l'on  a  marqué  qu'il  falloit  faire  ces 
actes  en  temps  convenables  ". 
XX.         Au  reste  on  ne  sait  pourquoi  nos  faux  niystiipies  en  éloi.Lriiant 
"cncc^lc"  les  attributs  divins  de  ce  qu'ils  appellcut  lu  subliuie  contenqila- 
a'uùribÛl  tion,  n'y  en  ont  réservé  qu'un  seul,  qui  est  celui  de  la  présence 
nJcîs'^iîrc  de  Dieu  en  nous  et  en  toutes  choses;  ou,  comme  parle  Malaval, 
a'ih'ès  A  la  de  Dieu  «  qui  estant  partout,  est  aussi  par  conséquent  dans  nostre 
coniompia-  ^^^  ^ .  ^^  ^^  ^^^^j  ^^^^  j.^^  délînir  la  contemplation  «  mi  regard  amou- 
reux sur  Dieu  présent  :  »  et  ailleurs,  «  un  acte  confus  de  Dieu 

1  11'  ll'v,  quœst.  II,  art.  .j.  —  ^  lle/.r.,  xj ,  6.  —  '  I''id.,  q.  i ,  arl.  G,  7,  8.  — 
^  lùid.,  art.  8,  ad.  2.—  ^  Decr.  Iiiuoc.  XI,  2  mart.  IG79,  prop.  2.ï.  —  «  Arl.  21. 
—  '  Mulaval,  1  part.,  p.  7.  etc. 


TRAITÉ  i,  LIVRE  II,  N.  XX.  419 

présent  *.  »  S'il  faut  s'attacher  à  l'essence,  personne  ne  la  consti- 
tue dans  la  présence  de  Dieu;  s'il  faut  rappeler  quelque  attribut;, 
on  ne  voit  pas  pourquoi  celui-ci  plutôt  que  les  autres. 

Mais  pour  ne  point  disputer  du  mot,  expliquons  en  combien  de 
sortes  on  conçoit  que  Dieu  est  présent.  Premièrement  il  est  pré- 
sent dans  toute  créature  animée  et  inanimée,  sainte  ou  pécheresse, 
glorifiée  ou  damnée  :  ce  n'est  pas  en  cette  manière  que  la  foi  de 
la  présence  de  Dieu  est  la  plus  parfaite  ;  car  il  y  faut  ajouter  d'a- 
bord que  Dieu  est  présent  comme  la  cause  dont  l'influence  inspire 
partout  l'être,  le  mouvement  et  la  vie  ;  qui  est  aussi  l'idée  de  pré- 
sence que  saint  Paul  doimoit  aux  Athéniens ,  en  disant  que  Dieu 
«  distribue  à  tous  la  vie ,  la  respiration  et  toutes  choses  ^  :  »  d'où 
il  concluoit  qu'il  n'est  pas  loin  de  nous.  Mais  il  n'y  a  personne  qui 
ne  voie  qu'en  prenant  la  présence  en  cette  sorte,  on  y  joint  né- 
cessairement la  toute-puissance,  c'est-à-dire  cette  vertu  créatrice 
et  conservatrice  par  qui  tout  subsiste.  Ce  n'est  pas  là  néanmoins 
encore  ce  qu'il  y  a  de  plus  excellent  dans  la  foi  de  la  présence  de 
Dieu  :  car  saint  Paul ,  qui  parloit  alors  à  des  infidèles ,  ne  leur 
parle  que  de  la  présence  par  laquelle  il  étoit  en  eux,  et  même  dans 
les  démons.  Mais  il  y  a  une  autre  présence  par  laquelle  il  n'est 
que  dans  les  saints,  y  opérant  par  une  action  immortelle  la  sain- 
teté et  la  grâce.  C'est  une  telle  présence  qu'il  faut  avoir  dans  l'o- 
raison, parce  que  c'est  par  la  foi  de  cette  présence  qu'on  prie 
Dieu  en  soi-même  comme  dans  son  temple,  ce  qui  opère  le  parfait 
recueillement.  Mais  dès  là  on  ajoute  à  la  foi  de  la  présence  mii- 
verseUe  celle  de  Dieu  comme  saint  et  comme  sanctificatem',  où  se 
trouve  encore  ime  autre  présence,  ou  plutôt  une  extension  admi- 
rable de  celle-ci  ':  c'est  que  Dieu  nous  inspire  la  prière,  qu'il  nous 
fait  prier,  qu'il  prie  en  nous,  selon  l'expression  de  saint  Paul  ^; 
et  c'est  là  précisément  la  présence  qu'on  doit  avoir  en  priant, 
puisque  c'est  celle  qui  nous  unissant  à  l'auteur  de  la  prière,  nous 
y  fait  trouver  la  force  et  le  vrai  esprit  de  prier.  C'est  peu  de  croire 
que  Dieu  est  présent  :  le  premier  sentiment  de  celui  qui  prie,  c'est 
qu'il  est  écouté,  et  que  l'oreille  de  celui  qu'il  appelle  à  son  secours 
n'est  pas  éloignée  ;  mais  (juand  on  le  croit  présent  de  cette  pré- 

1  Malaval,  II  part.,  p.  404.  —  ^  Ad.,  xvii,  2ci,  27.  2S.  —  ^  Rom.,  vin,  27. 


420  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

sence  dont  Jésus-Christ  a  dit  à  ses  apôtres  :  «  Demeurez  en  moi, 
et  moi  en  vous  :  je  suis  le  cep  de  la  \igne,  d'où  vous  tirez  à  cha- 
que moment  toute  Tinfluence  :  vous  ne  pouvez  rien  sans  moi  : 
sans  moi  vous  ne  pouvez  porter  aucun  fruit  *.  »  Vous  ne  pouvez 
donc  pas  porter  le  fruit  de  la  prière  :  je  suis  en  vous  pour  vous 
l'inspirer,  pour  vous  en  dicter  tous  les  sentimens,  et  le  reste  qui 
est  renfermé  dans  ce  grand  acte  de  foi.  Cette  foi  de  la  divine  pré- 
sence fait  tout  le  fondement  de  l'oraison ,  ou  pour  mieux  parler 
l'oraison  entière.  Or  de  dire  qu'une  telle  foi  choisisse  parmi  les 
attributs  la  présence  universelle  de  Dieu  en  toutes  choses  pour  en 
faire  Tunique  olijet  de  la  contemplation,  c'est  réduire  la  contem- 
plation au  moindre  degré  de  la  présence  de  Dieu.  La  vraie  pré- 
sence de  Dieu ,  dont  le  contemplatif  doit  être  imprimé ,  est  celle 
de  Dieu  dans  les  âmes  comme  leur  sanctificateur  et  comme  leur 
inspirant  la  prière;  mais  par  là  on  doit  a^'ouer  dans  la  plus  su- 
blime contemplation  la  présence  d'un  Dieu  saint  et  sanctifiant , 
d'un  Dieu  juste  et  inspirant  la  justice,  d'un  Dieu  tout-puissant  qui 
opère  dans  les  cœurs,  d'un  Dieu  iniséricordi(;ux  qui  établit  sa  de- 
meure dans  les  hommes  dorft  le  co^ur  est  droit. 
3tï'-        Malerré  l'ambiguïté  des  expressions  de  nos  mystiques,  je  ne 

Fquitoqiic  ou 

Je  racle  crois  pas  qu'ils  puissent  ou  veuillent  nier  la  nécessite  et  la  perfec- 

confus  r  i  1 

iimi\éc.  ^jQjj  jg  cpttp  présence  dans  la  contemplation;  et  c'est  en  vain 
après  cela  qu'ils  travaillent  tant  à  l'exclusion  des  attributs,  puis- 
qu'il faut,  malgré  qu'on  en  ait,  en  réserver  un  qui  les  ramène  tous 
sous  un  autre  nom.  11  ne  reste  plus  qu'à  demander  à  Malaval 
pourquoi  il  veut  si  absolument  que  l'acte  de  contemplation  soit 
un  acte  co?ifus  de  Dieu  présent  ^  Ce  mot  roiififs ,  dont  il  se  sert 
perpétuellement,  peut  être  pris  en  difFérens  sens.  Si  par  un  acte 
confus  il  entend  mi  acte  simple  ou  mi  acte  obscm*  à  cause  de  la 
foi  d'où  il  émane ,  un  acte  distinct  de  la  présence  de  Dieu  ou  de 
tout  autre  attribut  particulier,  a  sans  doute  cette  sainte  obscurité 
et  cette  simplicité  de  la  foi.  S'il  veut  appeler  confits  ce  qui  nous 
jette  dans  ([uelque  chose  d'incompréliensible,  nous  avons  vu  = 
que  les  actes  les  plus  distincts  de  contemplation,  comme  ceux  où 
l'on  s^arrête  sur  la  sainteté,  ou  sur  la  justice,  ou  sm'  la  puissance 

Woa/i.,  XV,  1.  —  *  Malaval,  Il  part.;  p.  404.  —  3  Ci-dessus,  u.  13  et  14. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  II,  N.  XXII.  421 

de  Dieu ,  nous  jettent  tous  pareillement  dans  cet  abîme  de  l'in- 
compréhensibilité  divine.  N'astreignons  donc  point  les  contem- 
platifs à  des  actes  confus  au  même  sens  quïls  sont  indistincts , 
puisque  les  actes  distincts  sur  les  attributs,  sm'  les  Personnes 
divines,  sur  Jésus-Christ  Dieu  fait  homme  et  réconciliant  le  monde 
en  soi ,  et  les  autres  de  même  nature,  sont  également  saints  et 
parfaits.  On  ne  pense  pas  toujours  à  tous  ces  objets  divins  ;  mais 
on  n'en  exclut  aucun,  et  la  contemplation  occupée  tantôt  de  l'un 
et  tantôt  de  l'autre,  trouve  dans  chacun  l'infinité  de  Dieu  entière 
et  parfaite. 
Par  là  se  voit  l'illusion  du  raisonnement  de  Malaval,  qui  pour    ^"u. 

^  '-  Egaronienl 

détom^ner  les  fidèles  de  raisonner  sur  la  puissance  de  Dieu  et  sur  ^^  m*'*^*' 

■^  sur  les  at- 

ki  création  du  ciel  et  de  la,  terre ,  remarque  «  que  raisonner  de  '"'^'"''• 
tout  n'est  rien  à  comparaison  de  regarder  Dieu  en  luy-mesme  : 
Dieu,  dit-il,  n'est-il  pas  plus  que  la  puissance,  que  le  ciel,  que  la 
terre,  que  toutes  les  pensées  des  hommes  *  ?  »  Je  veux  bien  qu'un 
contemplatif  ne  raisonne  pas  et  qu'il  agisse  par  la  pure  foi ,  qui 
de  sa  nature  n'est  point  raisonnante;  et  ce  n'est  pas  là  de  quoi 
nous  disputons.  Mais  quant  à  cette  belle  interrogation  :  Dieu 
n' est-il  pas  plus  que  la  puissance?  non,  Dieu  n'est  pas  plus  que  la 
puissance,  parce  qu'il  est  sa  puissance  même.  Il  n'est  pas  plus  que 
sa  sainteté  et  que  sa  sagesse,  parce  qu'il  est  sa  sagesse  même,  sa 
sainteté  même.  Il  ne  faut  que  se  souvenir  de  cette  définition  du 
concile  de  Reims,  tirée  de  saint  Augustin  et  dictée  par  saint  Ber- 
nard :  Dieu  est  saint.  Dieu  est  sage.  Dieu  est  grand  par  la  sain- 
teté, par  la  sagesse,  par  la  grandeur  qui  est  lui-même  ^.  C'est 
donc  une  ignorance  grossière  de  dire  que  Dieu  soit  plus  que  sa 
propre  toute-puissance  :  c'en  est  une  autre  de  dire  que  penser  à 
Dieu  tout-puissant  ou  saint,  ne  soit  pas  le  regarder  en  lui-même, 
puisque  sans  doute  c'est  lui-même  qui  est  tout-puissant  et  saint  ; 
et  quand  on  ajoute  qu'il  est  au-dessus  de  toutes  les  pensées  des 
hommes ,  il  faudroit  songer  qu'il  est  donc  aussi  au-dessus  du  re- 
gard confus  de  sa  présence ,  qui  sans  doute  est  une  pensée ,  et 
que  s'il  faut  supprimer  les  af  tes  qui  sont  au-dessous  de  Dieu ,  il 

1  Malaval,  p.  8. —  *  Conc.  Rheui.,  sub  Eugen.  lil,  an.  H. 83  Labbe,  tom.  X; 
col.  1118.     ' 


422  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D  ORAISON, 

n'en  faut  laisser  aucun,  puisqu'il  les  surpasse  tous  jusqu'à  l'infini. 
vàme  d,  -      ^^^  "iii'^  <ï^6  cet  auteur  n'ignore  pas  que  «  la  bonté,  la  justice, 
rouveaux  ^^  pulssauce ,  l'étemité  de  Dieu  ne  soient  Dieu  même,  »  puisqu'il 
X'ui'îme  l6  dit  très-expressément  *  :  je  l'avoue;  mais  son  perpétuel  égare- 
uuicur.    jjjgjjj.  j^g^  ,1(3  jjg  p.|g  voir  ce  qu'il  voit,  et  après  avoir  posé  de  bons 
principes  d'en  tirer  de  mauvaises  conséquences.  Car,  par  exemple, 
dans  le  lieu  qu'on  vient  de  citer,  quelle  errem^  de  dire  qu'en  pensant 
aux  attributs  particuliers  on  semble  partage?-  Dieu  en  plusieurs 
pièces?  Isaïe   et  les  séraphins  qui  adoroient  Dieu  comme  saint, 
mettoient-ils  en  pièces  sa  simplicité?  Que  ces  raffineui's  sont 
grossiers  !  ils  ne  songent  plus  que  Dieu  n'est  pas  saint,  ni  sage , 
ni  puissant  comme  le  sont  les  créatm'es  par  des  dons  particuliers  ; 
mais  qu'étant  tout  par  lui-même  et  par  sa  propre  substance, 
loute  l'infinité  de  ce  premier  Etre  se  voit  dans  chacune  de  ses  per- 
fections, (^e  n'est  donc  pas  les  partager,  comme  le  dit  trop  char- 
nellement ce  téméraire  spéculatif,  que  de  les  considérer  par  des 
vues  distinctes  à  la  manière  qu'on  vient  d'exposer.  C'est  au  con- 
traire les  réunir  et  seidement  aider  la  f(Mblesse  humaine,  qui  ne 
peut  pas  tout  porter  à  la  fois.  Et  quand  il  ajoute  «  qu'en  regar- 
dant Dieu  en  lui-mesme  par  sa  simple  présence,  il  le  voit  tel  qu'il 
est  en  soy,  et  non  pas  tel  qu'il  est  conçu  par  nous  :  »  il  oublie  ffue 
ne  rcf/ard  de  Dieu  présent  est  en  nous  une  des  manières  de  le 
concevoir;  et  qu'enfm  de  quelcpie  côté  que  se  tourne  sa  vaine 
subtilité ,  il  ne  fera  jamais  que  nous  voyions  Dieu  autrement  que 
par  (piel(|u'mie  de  nos  vues,  ni  (|ue  nous  le  concevions  autrement 
que  par  quelqu'mie  de  nos  conceptions.  Et  si  l'on  dit  qu'il  faut 
s'élever  au-dessus  de  ses  conceptions,  qui  en  doute,  et  ses  faux 
sulilils  pensent-ils  apprendre  au  monde  cette  vérité  ?  Mais  cela 
même  n'est-ce  pas  encore  mic  des  conceptions  de  l'esprit  humain? 
Que  s'ils  veident  dhe  seulement  que  les  seules  conceptions  dignes 
de  Dieu  sont  celles  qu'il  nous  inspire,  et  que  sans  tant  songer  aux 
conceptions,  il  se  faut  livrer  à  l'amour,  c'est  de  quoi  tout  le  monde 
convient  dans  tout  état  d'oraison,  et  il  ne  faJloit  pas  recourir  ici  à 
des  oraisons  extraordinaires, 
ixiv.       On  voit  donc  que  ces  grands  mystiques  à  force  de  raffiner  se 

Parabole 

'  Malaval;  p.  64. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  II,  ^^  XXV.  423 

perdent  dans  leurs  pensées,  et  ne  font  qu'éblouir  les  simples  par  ou  simiii- 
mi  langage  qui  n'a  point  de  sens,  ou  en  tout  cas  s'attribuer  à  eux  diiiuslon 
seuls  des  pratiques  communes  à  tous  ceux  qui  sont  un  peu  avan-  qu'eue  dé- 
cès dans  la  piété.  Le  même  Malaval  amuse  le  monde  par  une  si-   Dieu,  de 
militude  qu'il  recommande  sans  cesse  ^,  et  où  il  croit  avoir  ren-  et  de  jé- 
fermé  toute  la  fmesse  de  son  oraison  ;  c'est  celle  de  cette  fille  qui 
appelée  par  uu  roi  à  sa  couche  nuptiale,  au  lieu  d'aller  droit  à  lui 
«  s'arresteroit  à  considérer  la  lettre  du  roi  ^;»  c'est-à-dire,  selon  cet 
auteur,  l'Ecriture  sainte  :  ou  ses  beaux  appartemens ,  ses  riches 
habits ,  qui  sont  les  attributs  divins  ;  «  ou  sa  pom'pre,  qui  est,  dit- 
il,  l'humanité  du  Sauvem%  dont  un  Dieu  s'est  revestu    pour 
l'amour  de  nous  ^  »  IMais  à  quoi  sert  cette  allégorie,  sinon ,  sous 
prétexte  de  regarder  le  visage  du  roi,  à  détourner  l'ame  de  ses 
divines  perfections  d'une  manière  indirecte  ;  lui  inspirer  du  dé- 
goût ou  pour  l'Ecriture,  ou  même  pour  un  Dieu  fait  homme  ?  Qui 
n'a  appris  de  saint  Irénée,  de  saint  Augustin  et  des  autres,  ou  qui 
ne  voit  par  expérience  qu'il  y  a  des  âmes  que  Dieu  élève  à  la 
sainteté  sans  la  lecture  des  saints  Livres?  Mais  il  ne  faut  pas  pour 
cela  faire  imaginer  aux  contemplatifs  que  pour  ne  hre  plus  l'Ecri- 
tm'e  sainte,  ils  soient  plus  parfaits  qu'un  saint  Augustin,  un 
saint  Bernard  et  les  autres,  dont  la  dévotion  étoit  attachée  à  im 
goût  divin,  qui  leur  étoit  inspiré  pour  cette  lecture. 
Malaval  hésite  quelquefois,  et  semble  marcher  à  tâtons  sur    ^^• 

Autre  ma- 

Jésus-Christ,  sans  oser  dire  ce  qu'il  dit;  mais  en  gros  on  a  pu  "'""  '•" 

■^  ■•  "^  J-  détourner 

voir  et  il  est  certain  qu'il  en  dégoûte  les  âmes.  Je  ne  veux  pour  ctîJr T 
l'en  convaincre  que  ce  petit  mot  à  sa  PhUothée,  qui  lui  avouoit  |^^^*''^^" 
simplement  «  que  les  considérations  des  œuvres  de  Notre-Seigneiu? 
l'élevoient  à  sa  Persomie,  et  que  cette  Personne  infinie  lui  faisoit 
trouver  quelque  chose  d'infini  dans  l'action  du  Sauveur  *.  »  A  quoi 
ce  froid  directeur  lui  répond  dédaigneusement  comme  à  une  per- 
sonne imparfaite  :  «  Usez  bien  de  cette  grâce,  et  ne  vous  attachez 
qu'à  Dieu  qui  vous  l'a  faite  ;  »  comme  si  Jésus-Christ  l'en  eût 
empêchée.  De  tels  discours ,  qui  sont  semés  dans  tout  le  livre, 
détournent  les  âmes  de  Jésus-Christ,  sous  prétexte  d'inculquer 

1  Malaval,  1  part.,  p.  8,  etc.;  Il  part.,  p.  37,  52,  53,  etc.  —  ^n  part.,  p.  37. 
—  3  P.  64,  u.  19.  —  4  Malaval,  P.  24ti. 


424  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  DORAISON. 

toujours  Dieu  en  lui-même  :  au  lieu  qu'il  faudroit  penser  qu'une 
manière  excellente  de  contempler  Dieu  en  lui-même,  est  de  le 
contempler  en  Jésus-Clirist,  «  dans  lequel  la  divinité  habite  corpo- 
reUement  et  dans  sa  plénitude,  »  selon  l'expression  de  saint  Paul  * , 
qui  dit  encore  ces  paroles  d'une  si  sublime  et  si  douce  contem- 
plation :  «  Dieu  étoit  en  Jésus- Christ  se  réconciliant  le  monde  *,  » 
et  se  l'unissant  d'une  façon  si  intime  et  si  admirable. 
^^^^■'-       Je  suis  obhgé  d'avertir  (lue  ces  docteurs  sont  bien  plus  outrés 
iri'r.  dT.  ^^^  ^"^  ^^^^  parle  sainte  Thérèse,  et  dont  elle  ne  peut  approu- 
nmir,.a,iT  yer  le  scntimeut,  lorsqu'ils  disent  trop  généralement  que  l'huma- 
li'^vec    uité  de  Jésus-dhrist  est  un  ol)stacle  à  la  contemplation.  Nous 

Mlle  df  ' 

quelques  fraiterous  ailleurs  phisà  fond  cette  matière,  mais  vouloir  tout  dire 
doni-ainir  rj  \^  ffjjg  g  cst  embrouiller  un  discours.  Je  dirai  donc  seulement 

Tn>Te«e  a 

parle.  j,.j  qu'mic  am<'  attirée  par  mi  instinct  particulier  à  contiMupler 
Dieu  comme  Dieu,  peut  bien  durant  ces  momens  ne  penser  ni  à 
la  sainte  limnanité  de  Jésus-Christ,  ni  aux  Personnes  divines,  ni 
si  vous  voidez  à  certains  attributs  paiiiculiers  ;  car  elle  sortiroit 
de  l'attrait  présent ,  et  mettroit  olistacle  à  la  pn-ace.  Ce  qu'on  ré- 
prouve dcUis  les  m}sti(iues  de  nos  jours,  c'est  Texclusion  perma- 
nente et  par  état  de  ces  objets  divins  dans  la  parfaite  contempla- 
tion, et  ce  rpii  est  encore  plus  pernicieux,  dans  toute  la  durée  de 
cet  état,  puisque  l'acte  de  contemplation  y  est  selon  eux  continu 
et  perpétuel  ;  par  où  l'on  est  induit  à  la  suppression  des  actes  de 
foi  explicite,  absolument  commandés  par  l'Evangile,  ainsi  que  je 
in'étois  proposé  de  le  faire  voir  dans  ce  livre. 


LIVRE  III. 

De  la  suppression  des  demandes,  et  de  la  conformité  à  la  volonté  de  Dieu. 
1  Après  avoir  vu  les  actes  de  foi  explicite  que  suppriment  nos 

l'illU-i|IP< 

•<' »-  nouveaux  docteurs,  sans  respecter  leSvmbole,  il  est  aisé  de  com- 

I.1U. ,  M.r  prendre  qu'ils  n'épargnent  pas  davantage  les  demandes  qui  sont 

'  Coioss.,  II,  9.  —  »  Il  Cor.,  \,  19. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  III,  N.  II.  425 

contenues  dans  l'Oraison  Dominicale.  Tous  ces  actes,  et  les  de-  i.^uppies- 
mandes  comme  les  autres,  sont  également  renfermés  dans  cet  acte  de,n"andes. 
unique,  continu  et  perpétuel ,  et  nous  allons  voir  aussi  par  cette 
raison  les  demandes  entièrement  suspendues.  Mais  outre  cette 
raison  commune  aux  actes  de  foi  et  aux  demandes,  il  y  en  a  une 
particulière  pour  les  demandes  ;  c'est  qu'elles  sont  toutes  intéres- 
sées ,  indignes  par  conséquent  de  la  générosité  de  nos  parfaits, 
à  la  réserve  peut-être  de  celle-ci  :  Fiat  voluntas  tua,  «votre 
volonté  soit  faite  ;  »  encore  que  Jésus-Christ,  qui  sans  doute  en  a 
l)ien  connu  toute  la  force,  n'ait  pas  laissé  de  commander  également 
toutes  les  autres. 

Ces  fondemens  supposés,  il  ne  faut  plus  qu'entendre  parler  nos      "• 
faux  docteurs.  JMolinos  ouvi^e  la  carrière  par  cet  anéantissement   ^^  *'°"- 

'-  nos  :  sup- 

de  tous  actes,  de  tous  désii^s,  de  toutes  demandes,  ou  il  prêche  p^f^^i»" 

-^  ■*■  de  tous  les 

partout.  «  L'anéantissement,  dit-il,  pour  estre  parfait,  s'étend  sur  <*•'■'" 
le  jugement,  actions,  inclinations,  désirs,  pensées,  sur  toute  la 
substance  de  la  vie  ' .  »  En  voilà  beaucoup,  et  on  ne  sait  plus  ce 
qu'il  veut  laisser  à  un  chrétien.  Il  pousse  pourtant  encore  plus 
loin  :  «  L'ame  doit  estre  morte  à  ses  souhaits,  efforts,  perceptions, 
voulant  comme  si  elle  ne  vouloit  pas,  comprenant  comme  si  elle 
ne  comprenoit  pas,  sans  avoir  mesme  de  l'inclination  pour  le 
néant  ;  »  c'est-à-dire  sans  en  avoir  pour  l'indifTérence  :  ce  qui  est 
la  pousser  enfin  jusc[u'à  se  détruire  elle-même.  Ce  parfait  anéan- 
tissement qui  a  supprimé  les  désirs,  avec  eux  a  supprimé  les  de- 
mandes et  les  prières  qui  en  sont  l'effet  ;  et  un  peu  après  :  «  C'est  à 
ne  considérer  rien,  à  ne  désirer  rien,  à  ne  vouloir  rien,  à  ne  faire 
aucun  effort,  que  consiste  la  \ie,  le  repos  et  la  joie  de  l'ame  -.  » 

C'est  ce  qu'il  appelle ,  en  termes  plus  généraux  :  se  plonger 
dans  son  rien  ^,  c'est-à-dire  ne  produire  aucun  désir.  «  Le  néant, 
dit-il,  doit  fermer  la  porte  à  tout  ce  ipii  n'est  pas  Dieu  *  :  »  le  dé- 
sir même  de  Dieu  n'est  pas  Dieu,  et  le  néant  hn/  ferme  la  porte 
comme  à  tout  le  reste  :  «  Autrefois  l'ame  estoit  affamée  des  biens 
du  ciel ,  elle  avoit  soif  de  Dieu  craignant  de  le  perdre  *  :  »  mais 
c'est  autrefois  ;  maintenant  et  depuis  qu'on  est  parfait  on  ne  prend 

1  Guide,  liv.  II  ,  ch.  xix,  n.  193,  p.  \m.  —  ^lbid.,  liv.  li,  ch.  x.\,  u.  202,  p.  199. 
—  ^Ibid.,  Q.  196,  p.l97.  — */èi(/.,  n.  201.  —  i>lbid.,  ch.  il,  p.  21,  q.  206,  p.  201. 


426  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

plus  de  part  «  à  la  béatitude  de  ceux  qui  ont  faim  et  soif  de  la  jus- 
tice, à  qui  Jésus-Christ  a  promis  quils  seroient  rassasiez.  »  C'est 
par  là  qu'où  piu'vieut  à  la  sainte  et  céleste  indijference.  «  Ceux 
(jni  avoient  reçeu  avec  saint  Paul  les  prémices  du  Saint-Esprit 
estoient  dans  mi  gémissement  perpétuel  et  dans  les  douleurs  de 
renfantement ,  en  désirant  ladoption  des  enfans  et  Fheritage 
céleste.  Maintenant  qu'on  est  plus  fort ,  on  est  aussi  content  dans 
la  terre  que  dans  le  ciel  ;  on  revient  à  la  première  origine  ' .  » 
L'homme  n'avoit  point  à  gémir  en  cet  état,  il  étoit  aussi  tran- 
quille quinnoct'ut,  et  «  rindinVrence  céleste  nous  ramené  aussi  à 
l'heureuse  imiocence  que  nos  parens  ont  perdue  :  »  au  contraire 
«  nous  aiTeslons  les  grâces  célestes  eu  voulant  l'aire  quel(]ue 
chose.  »  C'est  faire  quelque  chose  que  désirer  et  demander;  ainsi 
tout  désir  doit  être  indifférent  et  anéanti. 
D"'rint.  MiiIiiN  .il  ne  parle  pas  moins  clairement  ;  son  fondement  est  dès 
j"'y","'^',  le  comiin'iiccmnit  dji  son  livr»',  (jue  conlrnt  de  jeter  ce  regard 
3',u.J  itnioiu'cux  sur  Dieu  présent,  «  il  ne  faut  rien  penser  ni  rien  désirer 
daiundu.  autiuit  de  temps  (ju'il  sera  possible  *.  »  S'il  se  restreint  d'abord  à 
mi  certain  temps,  c'est  en  faveur  des  conmiençans  ;  mais  au  reste 
nous  avons  vu  '  (ju'on  en  vient  «  à  mi  acte  continu  et  perpétuel  : 
la  veué  simple  et  amoureuse  comprend  tous  les  actes,  foy,  espé- 
rance, amom',  action  de  grâce  *,  »  et  tout  le  reste  :  on  n'exerce 
plus  ni  entendement,  ni  volonté,  ni  mémoire,  <<  comme  si  Ton  n'en 
avoit  point  '  :  vostre  acte  éminent  absorl»e  tout,  et  contient  tout 
en  vertu  et  en  valeur  "  :  »  il  n'y  a  qu'à  pousser  l'abandon  à  V opé- 
ration divine  jusqu'à  ne  rien  faire  et  laisser  tout  faire  à  Dieu  :  il 
faut  «  suspendre  tous  les  actes  distincts  et  particuliers  pour  faire 
place  à  l'acte  confus  et  universel  de  la  présence  de  Dieu  ''  :  cet  acte 
luiiversel  emporte  la  suspension  des  actes  particuliers*:  »  que 
serviroient  les  désirs  et  les  demandes?  Toutes  les  demandes  sont 
renfermées  diuis  ce  grand  acte  universel  *•.  Il  y  a  dims  un  entre- 
tien un  endroit  exprès  destiné  à  cette  matière  ^**;  et  il  y  est  décidé 
«  que  l'ame  qui  possède  Dieu  par  une  présence  amoureuse ,  ne 

»  Guide,  ch.  xix,  XX,  n.  194,  202,  p.  197,  199;  ch.  XXI,  n.  206,  207  et  212.  — 
2. Malaval,  I  part.,  p.  8.  —  ■' Ci-dessii?  ,  liv.  H,  u.  26.  —  *  .Malaval,  I  part., 
p.  63.  — 6  p.  7.—  s  Malaval,  I  part.,  p.  63,  64.  -^  n  part.,  p.  106.  — »  P.  3.^7. 
-  9  Ibid.,  p.  412,  413.  -  to  Entr.  12,  n.  10. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  III,  N.  IV.  427 

demande  rien  que  le  Dieu  qu'elle  possède  :  »  c'est-à-dire  cju'elle 
en  est  si  contente,  qu'elle  n'en  désire  plus  rien  que  ce  qu'elle  en  a, 
comme  si  elle  n'étoit  plus  dans  le  lieu  de  pèlerinage  et  d'exil. 
Une  seconde  raison  contre  les  demandes,  c'est  que  si  Dieu  s'est 
«  donné  luy-mesme,  il  nous  donnera  nos  besoins  sans  que  nous 
les  demandions  :  et  que  les  âmes  dépoiiillées  de  tout  sont  bien  en 
peine  que  demander  à  Dieu  si  ce  n'est  sa  volonté  K  Elles  sont 
donc  bien  en  peine,  si  elles  doivent  lui  demander  ce  qu'il  leur  ex- 
plique lui-même,  ce  quïl  lem'  ordonne.  Ainsi  quand  on  veut  contre 
son  précepte  tout  réduire  à  cette  seule  demande  :  Votre  volonté 
soit  faite ,  et  que  l'on  ajoute  que  lliomme  qui  n'a  qu'une  volo?ité^, 
c'est-à-dire  celle  de  Dieu,  ?i'a  jamais  qu'une  demande  à  faire  ;  on 
suppose  que  ceux  qui  font,  pour  ainsi  parler,  tout  du  long  les 
sept  demandes  du  Pater,  ont  une  autre  volonté  que  celle  de  Dieu. 
Pour  troisième  et  dernière  raison,  on  demande  tout  en  s'um'ssant 
amoureusement  à  celuy  qui  est  tout.  Sans  doute  Jésus-Christ  aura 
ignoré  ce  mystère  ;  il  ne  songeoit  pas  à  la  force  de  cette  demande  : 
Fiat  voluntas  tua.  S'il  faUoit  supprimer  les  autres  à  cause  qu'elles 
sont  comprises  dans  ceUe-ci  seule ,  pourquoi  Jésus-Christ  ne  les 
a-t-il  pas  supprimées,  et  d'où  vient  qu'il  nous  a  domié  l'Oraison 
Dominicale  comme  elle  est?  Qui  pourroit  souffrir  des  chrétiens 
qui  disputent  contre  Jésus-Christ ,  et  qui  vieiment  réformer  une 
prière,  qui  dans  sa  simplicité  et  dans  sa  grandeur  est  une  des 
merveilles  du  christianisme  ? 

]\Iais  le  livre  où  l'on  se  déclare  le  plus  contre  les  demandes,  c'est      iv. 
sans  doute  le  Moyen  court  et  facile  :  on  n'y  attend  pas  que  l'ame  uvre  q„i 

'        <    1  1  1  o        •  '        outre    le 

soit  arrivée  a  la  plus  haute  perfection,  et  dès  les  premiers  degrés   i'U.s  k 
elle  «  se  trouvera ,  dit-on ,  dans  im  état  d'impuissance  de  faire  les  sion  des 

1         ■>  T\'  1    ^^      f    •       •  T\  demandes, 

demandes  a  Dieu,  qu  elle  laisoit  auparavant  avec  facilité  '.  »  Remar-  cest  le 
qnez  ceci  :  ceux  qui  veulent  qu'on  réduise  à  rien  les  expressions  coun. 
par  des  interprétations  forcées,  entendent  par  cette  impuissance  un 
manquement  de  facilité,  ne  songeant  pas  que  Ton  oppose  la  faciUté 
d'autrefois  à  l'impuissance  d'aujourd'hui  ;  ce  qui  n'a  point  d'autre 
sens,  si  ce  n'est  que  l'ame,  qui  avoit  auparavant  des  facilités,  ne 
trouve  plus  que  des  impuissances,  et  des  impuissance:  /)«;■  étcU,  afin 
1  Malaval,  II  part.,  p.  414.  —  '-  Ibid.  —  »  Moyen  court,  §  17,  p.  68. 


428  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON, 

qu'on  ne  pense  pas  que  ce  soit  des  impuissances  passagères.  La 
raison  qu'on  en  allègue  est  imiverselle  :  car  c'est  alors  (jue  l'Esprit 
demande  pour  les  saints,  selon  la  parole  de  saint  Paul  '  ;  comme 
si  cette  parole  ne  regardoit  (ju'un  état  particulier  d'oraison,  et  non 
pas  en  général  toute  prière  bien  faite,  en  quelque  état  qu'on  la  fasse. 
C'est  déjà  une  eiTem-  grossière,  bien  contraire  à  saint  Augustin  *, 
qui  prouve  par  ce  passage  que  toute  prière,  et  celle  des  commen- 
çans  comme  des  autres,  est  inspirée  de  Dieu  :  mais  c'est  l'erreur 
ordinaire  des  nouveaux  mystiques  d'attribuer  à  certains  états 
extraordinaires  i>t  particuliers  ce  qui  convient  en  général  à  l'état 
du  chrétien.  Laissons  à  part  cette  errein-,  (pi'il  n'est  pas  temps  de 
relever,  et  considérons  seulement  la  consécjuence  qu'on  tire  de  la 
parole  de  l'Apôtre  :  c(  C'est,  dit-on,  qu'il  faut  seconder  les  desseins 
de  Dieu,  tpii  est  de  dépouiller  lame  de  ses  propres  opérations 
pom'  sul)stituer  les  sieimes  à  la  place  :  laissez-le  donc  faire.  »  Ce 
laissez  faire,  dans  ce  limgage,  c'est  ne  faire  rien,  ne  désii-er  rien, 
ne  demander  rien  de  .son  côté,  et  attendre  que  Dieu  fasse  tout.  On 
ajoute  :  <(  La  vol^nlé  de  Dieu  est  préréral)l('  à  tout  autre  bien  ; 
défaites-vous  de  vos  interests,  et  vivez  d'abandon  ri  de  foy  ;  » 
c'est-à-dire,  comme  on  va  voir  :  Vivez  dans  lindillérence  de  toutes 
choses,  et  même  de  votre  salut  et  de  votre  danmation  :  défaites- 
vous  de  cet  intérêt  comme  de  tous  les  autres  ;  ne  regardez  plus 
comme  une  peine  l'impuissance  de  faire  à  Dieu  aucune  demande, 
puisqu'il  ne  lui  faut  pas  même  demander  \v.  bonheur  de  le  pos- 
.séder  :  «  C'est  icy,  continue-t-on,  que  la  foy  connnence  d'opérer 
excellemment,  »  quand  on  fait  cesser  toutes  les  demandes  comme 
imparfaites  et  intéressées.  Voilà  de  tous  les  égaremens  des  nou- 
veaux mystiques  le  plus  incompréhensible  ;  c'est  un  désintéres- 
sement outré,  qui  fait  que  le  salut  est  indilTérent;  mie  fausse 
générosité  envers  Dieu,  comme  si  c'étoit  l'offenser  et  l'importuner 
dans  un  extrême  besoin  de  demander  quelqut^  chose  à  celui  dont 
les  richesses  aussi  bien  que  les  boutés  sont  inépuisables. 
V.  C'est  ce  (ju'on  explique  précisément  sur  le  Cantique  des  can- 
ei  la  do   tiques,  où  Ion  remarque  que  l'Epouse  demeure  ««?«  tien  deman- 

'  Rom.,  VIII,  26.  —  'De  Jono  persev.,  cap.  xxiii ,  u.  G4.  Episf.  ad  Sixt.  olim 
cv,  nunc  cxav,  n.  15-17. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  III,  N.  VI.  429 

der  pour  elle-mesme  '.  Aquoi  on  ajoute  un  peu  après  ces  étranges  'n^n^e  du 
paroles  :  «  C'estoit  une  perfection  qu'elle  avoit  autrefois ,  que  de  ''"emem 

supprimés 

désirer  ardemment  cette  charmante  possession  ;  car  cela  estoit  «''^"ge 

excès  dans 

nécessaire  pour  la  faire  marcher  et  aller  à  luy  ;  maintenant  c'est  ''/'^'"•- 

''  prétalion 

une  imperfection  qu'elle  ne  doit  point  admettre^,  son  bien-aimé  la  ''«  can- 
possédant  parfaitement  dans  son  essence  et  dans  ses  puissances 
d'une  manière  très-réelle  et  invariable,  au-dessus  de  tout  temps, 
de  tout  moyen  et  de  tout  lieu  ^  »  Elle  est  donc  parfaitement  heu- 
reuse ;  elle  est  dans  la  patrie ,  et  non  pas  dans  l'exil  :  autrement 
elle  auroit  encore  et  des  désirs  à  pousser,  et  des  demandes  à  faire  : 
mais  au  contraire ,  «  elle  n'a  plus  que  faire  de  soupirer  après  des 
momens  de  jouissance  distincte  et  aperceuë  ;  outre  qu'elle  est 
dans  une  si  entière  desappropriation,  qu'elle  ne  sauroit  plus  arres- 
ter  un  seul  désir  sur  quoy  que  ce  soit,  non  pas  mesme  sur  les 
joyes  du  paradis ,  »  quoique  ces  joies  du  paradis  ne  soient  autre 
chose  que  le  comble,  la  surabondance,  la  perfection  de  l'amom'  de 
Dieu  et  le  dernier  accomplissement  de  sa  volonté. 

Cependant  cette  ame  est  tellement  pleine  ou  indifférente,  qu'elle 
laisse  l'Epoux  céleste  répandre  où  il  lui  plaira ,  et  dans  d'autres 
âmes ,  comme  un  baume  précieux ,  toute  sorte  de  saints  désirs  : 
«  Mais  pom*  elle  elle  ne  sçauroit  luy  rien  demander,  ni  rien  dési- 
rer de  luy,  à  moins  que  ce  ne  fust  luy-mesme  qui  luy  en  don- 
nast  le  mouvement,  non  qu'elle  méprise  et  rejette  les  consola- 
tions divines  :  mais  c'est  que  ces  sortes  de  grâces  ne  sont  plus 
guère  de  saison  pour  une  ame  aussi  anéantie  qu'elle  l'est,  et  qui 
est  établie  dans  la  jouissance  du  centre ,  et  qu'ayant  perdu  toute 
volonté  dans  la  volonté  de  Dieu ,  elle  ne  peut  plus  rien  vouloir  ■'  ;  » 
pas  même  vouloir  voir  Dieu ,  et  l'aimer  comme  on  fera  dans  le 
ciel ,  c'est-à-dire  de  la  manière  la  plus  excellente. 

On  ne  pouvoit  pousser  plus  loin  la  présomption  et  l'égarement  ;      w. 
car  encore  qu'il  ne  s'agisse  en  apparence  que  des  visites  particu-  de^cVan" 
lières  du  Verbe  qui  vient  à  nous  par  ses  consolations ,  on  pousse  m..n"  i^up- 
l'indiff'érence  jusqu'à  Téternelle  possession  de  Dieu;  on  prononce  '"'"''''" 
généralement  qu'on  ne  sauroit  lui  rien  demander,  ni  désirer  rien 
de  lui ,  par  conséquent  en  rien  espérer,  puisqu'on  désire  ce  qu'on 

*  Cant.,  ch.  vni ,  vers.  16,  p.  200.  —  2  Ibid.,  p.  207.  —  »  Ibid.»  p.  208. 


vu. 

Deu\  rai- 
sons dri 
nouveaux 


430  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

espère ,  et  que  lespérance  enferme ,  ou  est  elle-même ,  selon  les 
doctem's ,  une  espèce  de  désir.  Ainsi  de  trois  vertus  théologales , 
on  en  éclipse  la  seconde,  qui  est  Tespérance  ;  et  on  porte  si  avant 
l'extii'pation  du  désir,  qu'on  ne  sauroit  plus  en  former  ni  en  arrê- 
ter lin  seul  sur  (juot/  que  ce  soit. 

Mais  les  raisons  quon  allègue  de  cet  état  sont  encore  plus  per- 
nicieuses que  la  chose  même  :  il  y  en  a  deux  dans  le  passage 
rour'^ip-  qu'on  vient  de  produire  :  Tune  est  la  plénitude  de  la  jouissance 
deml^de'r:  M^l  empèchc  tous  les  désirs,  et  pai'  conséquent  toutes  les  de- 
nMo'mbi'en  i^i^idcs  ;  lautré  est  le  parfait  desiutércsseme)it  et  dcsnppropna- 
"'""'•     tion  de  cette  iune,  qni  l'empêche  de  rien  demander  pour  elle.  La 
première  est  le  conihle  de  l'égarement  :  cette  plénitude  qu'on 
vante  dans  la  jouissance  du  centre ,  avec  celte  paifaile  posses- 
sion «  du  bien-aimé  dans  son  essence  et  dans  ses  puissances  d'une 
manière  tres-réelle  et  invariable,  au-dessus  de  tout  temps    de 
tout  moyen,  de  tout  lieu  :  »  c'est  comme  on  verra  en  son  lieu, 
une  illusion  des  béguards.  Il  y  a  une  tt'Ue  disproporliou  entre  la 
I)lénitu(le  qu'on  peut  concevoir  en  cette  vie  et  celle  de  hi  Nie  fu- 
ture, (ju'il  y  reste  toujours  ici-l)as  de  quoi  espérer,  de  qu(ji  dési- 
rer, de  quoi  demander  jusqu'à  l'inlini  ;  et  que  supprimer  ces  de- 
mandes, c'est  ouiilier  ses  besoins,  et  nom*ru'  sii  présonqjtion  de 
la  manière  la  plus  dangereuse  et  la  plus  outrée. 
,'"'"'i.       La  seconde  raison  de,  cet  état  où  l'on  sujtprime  les  demandes, 
;;,,;,",;'",  c'est  (piil  les  faut  regarder  conmu'  intéressées.  Je  suis  ici  oliligé 
VvZ  m-  d'avertir  que  nos  mystiques  se  fondent  principidement  sur  mie 
irm^wn-  opinlou  de  l'Ecole,  qui  met  l'essence  de  la  charité  à  aimer  Dieu, 
'i,!  ^^  connue  on  parle  ,  sans  retour  sur  soi ,  sans  attention  à  son  éter- 
d  mil  doc!  ncUe  liéatitude.  J'am'ai  dans  la  suite  à  faire  voir  que  ce  n'est  là 
î^Er'ôitf  dims  le  fond  qu'une  dispute  de  mots  entre  les  docteurs  ortho- 
doxes, et  qu'en  tout  cas  cette  opinion  ne  peut  servir  de  ft)ndement 
aux  nouveaux  mystiques.  J'oserai  seulement  ;ivec  respect  avertir 
les  théologiens  scolastiques  de  mesurer  de  manière  leurs  expres- 
\        sions,  qu'ils  ne  donnent  point  de  prise  à  des  gens  outrés.  Mais  en 
attendant  (ju'on  développe  cette  théologie  de  l'Ecole  dans  le  traité 
qui  suivra  celui-ci,  je  dirai  avec  assm'ance  que  désirer  son  salut 
comme  l'accomplissement  de  la  volonté  de  Dieu,  comme  une 


TRAITÉ  I,  LIVRE  III,  N.  VIll.  431 

chose  cjii'il  veut  et  qu'il  veut  que  nous  voulions ,  et  enfin  comme 
le  comble  de  sa  gloire  et  la  plus  parfaite  manifestation  de  sa  gran- 
deur, c'est  constamment  de  Favis  de  tout  le  monde  un  acte  de 
charité.  C'est  là  une  vérité  manifestement  révélée  de  Dieu  par  ces 
paroles  de  saint  Paul ,  où  en  exprimant  avec  toute  l'énergie  pos- 
sible le  désir  de  posséder  Jésus-Christ ,  il  conclut  que  nous  l'avons 
«  par  une  bonne  volonté  :  »  bonam  vohmtatem  habemus  '  :  or  la 
bonne  volonté,  c'est  la  charité.  Saint  Paul  nous  exprime  encore 
cette  boime  volonté  comme  un  effet  de  notre  choix  :  «  Je  suis,  dit- 
il,  pressé  d'un  double  désir,  l'un  d'être  avec  Jésus-Christ,  ce  qui 
est  le  mieux  de  beaucoup  ;  l'autre  de  demeurer  avec  vous,  ce  qui 
vous  est  plus  nécessaire  :  et  je  ne  sais  que  choisir  ^  ;  »  nous  mon- 
trant très-expressément,  par  ces  paroles,  que  lequel  des  deux 
qu'il  eût  fait,  c'eût  été  l'effet  de  sou  choix.  Mais  ce  choix  auroit 
eu  pour  fin  naturelle  la  gloire  de  Dieu,  comme  le  même  saint 
Paul  le  témoigne  manifestement,  lorsqu'il  se  propose  dans  l'a- 
doption éternelle  des  enfans  de  Dieu  la  possession  de  l'héritage 
céleste  «  pom^  la  louange  de  la  gloire  de  sa  grâce  ^,  »  à  laquelle  il 
rapporte  aussi  tout  le  conseil  de  la  prédestination  *.  Ainsi  le  Saint- 
Esprit  nous  a  révélé  expressément  par  saint  Paul  trois  vérités 
importantes  sur  le  désir  d'être  avec  Jésus-Christ.  Premièrement , 
que  c'est  un  acte  de  charité  :  secondement,  que  c'est  un  acte  très- 
délibéré  :  troisièmement,  que  c'est  un  acte  d'amour,  et  d"mi  amour 
pm^  et  parfaitement  désintéressé,  où  l'on  rapporte  non  point  Dieu 
à  soi,  mais  soi-même  tout  entier  à  Dieu  et  à  sa  gloire.  Dès  lors 
donc  on  l'aime  plus  que  soi-même ,  puisqu'on  ne  s'aime  soi-même 
qu'en  lui  et  pour  lu': . 

Pour  réduire  ce  raisonnement  en  peu  de  paroles  :  un  acte  n'est 
point  intéressé  lorsqu'il  a  pour  fin  naturelle  et  premièrement  re- 
gardée la  gloire  de  Dieu.  Ce  principe  est  incontestable.  Or  est-il 
que  le  désir  du  salut  a  pour  sa  fin  naturelle  et  premièrement  re- 
gardée la  gloire  de  Dieu.  La  preuve  en  est  manifeste  dans  les  pas- 
sages de  saint  Paul  qu'on  vient  d'alléguer  :  j'ajoute  celui  de  David 
lorsqu'il  espère  à  la  vérité  «■  d'être  rassasié ,  »  mais  seulement 
«  quand  la  gloire  de  Dieu  lui  apparoitra  :  »  Satiabor  cùm  appa- 

1 II  Cor.,  V,  8.  —  2  PhU.,  I,  22,  23.  —  »  Ephes.,  i,  6.  —  *  Roni.,  XI,  33. 


432  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

ruerit  gloria  tua  '.  Donc  le  désir  du  salut  ne  peut  être  rangé  sans 

erreui'  parmi  les  actes  intéressés. 

Sur  ce  fondement,  il  est  certain  que  tous  les  désirs  de  posséder 

Dieu,  qu'on  voit  dans  les  Psaumes,  dans  saint  Paul  et  dans  tous 

les  Saints ,  sont  des  désirs  inspirés  par  un  amour  pm*,  et  qu'on 

ne  peut  accuser  dètre  iuiparlaits  saas  un  manifeste  égarement  , 

ni  s'élever  au-dessus  sans  porter  la  présomption  jusqu'au  comble. 

Deux  ex-     Aussi  iios  uouveaux  mystiques  tâchent  de  tempérer  leurs  excès 

*i"ouvea.a  P^i"  dcux  exi^ises  :  Tmie  en  disant  que  lorsqu'ils  rejettent  si  ex- 

r'prem"iù-  pressémeut  dtms  l'ame  parfaite  tous  désii-s  et  toutes  demandes , 

"cidiieni  ils  y  apportent  cette  exception  :  «  à  moins  que  ce  fust  Dieu  mesme 

d'emJdl»  qui  luy  en  donnast  le  mouvement  *.  »  Ce  (jue  Malaval  explique 

de'D^eiK  en  ces  termes  :  ((  (Ju'il  faut  estre  siuis  aucune  pensée  distimle,  si 

fm^rtlni"  ce  n'est  que  le  Saint-Esprit  nous  y  applique  par  la  volonté  divine, 

cl  mm  par  la  nostre  qui  n'agit  plus,  ni  par  nostre  choix  '.  » 

Laulre  l'xcust;,  c'est  qu'en  excluant  ainsi  les  désirs  et  les  de- 

nianiles,  ils  «;ntendent  seulement  les  désirs  connus  et  les  demandes 

intéressées  et  aperceuës  *,  sans  prétendre  exclure  les  autres. 

Les  faux-fny;uis  de  l'erreur  ne  servent  qu'à  la  décou\  rii"  plus 
clairement,  et  une  comle  distinction  le  va  fau^e  voir.  (Juand  on 
a  dit  qu'on  ne  sçauroit  plus  rien  demandera  Dieu,  ni  rien  désirer 
de  luy ,  qu'il  n  en  donne  le  mouvement  ',  »  ou  l'on  entend  par  ce 
mouvement  l'inspiration  prévenante  de  la  grâce  comimiiK^  à  tous 
les  justes,  ou  l'on  entend  une  inspiration  particidière  :  si  c'est  le 
premier,  on  dit  vrai,  mais  on  ne  dit  rien  (jui  soit  à  propos.  On 
flit  vrai ,  ctu  il  est  de  la  foi  Ciitlioli(ine  (pi'on  ne  peut  faire  au<Mnie 
jirièi-e  agréable  à  Dieu,  ni  produire  aucun  bon  désir,  qu'on  ne 
soit  prévenu  par  sa  grâce  :  mais  en  même  temps  on  ne  dit  rien 
à  propos,  puisqu'on  n'exphque  point  ce  qu'on  prétend,  qui  est 
de  montrer  dans  un  état  particulier  la  cessation  des  demandes. 
Mais  si  pour  diie  «luelque  chose  (pii  soit  particulier  à  cet  état ,  on 
veut  dire  qu'on  y  attend  une  inspuation  particulière  pour  faire  à 
Dieu  les  demandes  qu'il  a  commandées,  c'est  en  cela  qu'est  Ter- 
rem-.  L  erienr  est,  dis-je, de  croire  que  pour  prier  ou  demander, 

'  Pml.  XM,  i:i.  —  *  hifcrprét.  sur  le  Cant.,  p.  208.— ^  Malaval,  I  paît.,  p.  .'i.")— 
* Interfjfél.  sur  le  Cant.,  p.  207.  iloyeti  court,  p.  129,  etc.  —  ^Ibid.,  p.  208. 


TRAITÉ  l,  LIVRE  III,  N.  IX.  433 

le  commandement  exprès  de  Jésus-Christ^  son  exemple  et  celui 
de  tout  ce  qu'il  y  a  de  saints  ne  suffisent  pas  à  certaines  âmes , 
comme  si  elles  étoient  exemptes  de  pratiquer  ces  commande- 
mens,  ou  de  suivre  ces  exemples.  Cette  erreur  est  directement 
condamnée  dans  cette  détermination  du  concile  de  Trente ,  tirée 
de  saint  Augustin,  et  de  la  tradition  de  tous  les  saints  :  «  Dieu  ne 
commande  rien  d'impossible  ;  mais  en  commandant  il  nous  aver- 
tit de  faire  ce  que  nous  pouvons ,  et  de  demander  ce  que  nous  ne 
pouvons  pas,  et  il  nous  aide  à  le  pouvoir  K  »  Selon  cette  défini- 
tion, toute  ame  juste  doit  croire  que  la  prière  lui  est  possible  au- 
tant qu'elle  est  nécessaire  et  commandée  :  que  Dieu  frappe  à  la 
porte,  et  que  ce  n'est  que  par  notre  faute  que  nous  la  tenons  fer- 
mée :  et  enfin  que  le  mouvement  de  la  grâce  ne  nous  manque  pas 
pour  accomplir  ce  précepte  de  Jésus-Christ  :  «  Demandez,  et  vous 
obtiendrez  :  cherchez,  et  vous  trouverez  :  frappez,  et  il  vous  sera 
ouvert  ^  ;  »  ni  celui-ci  de  saint  Jacques  ^  :  «  Si  l'on  a  besoin  de  sa- 
gesse, »  et  qui  n'en  a  pas  besoin  sur  la  terre  ?  «  qu'on  la  demande 
au  Seigneur.  »  Que  si  la  foi  nous  assure  que  ce  mouvement  de  la 
grâce  ne  manque  point  au  fidèle,  en  attendre  un  autre  et  en  l'at- 
tendant demeurer  en  suspens  ;  attendre  que  Dieu  7iOîis  applique, 
et  encore  sa?is  nosire  choix , par  sa  volonté  particulière,  et  non 
par  la  nôtre,  à  cause  qu'elle  n'agit  plus,  c'est  pécher  contre  ce 
précepte  :  «  Tous  ne  tenterez  point  le  Seigneur  votre  Dieu  *  ;  »  c'est 
résister  à  sa  grâce  commune  à  tous  les  fidèles  et  à  son  comman- 
dement exprès  ;  c'est  enfin  ouvrir  la  porte  à  toute  illusion,  et 
pousser  les  âmes  infirmes  jusqu'au  fanatisme. 

Par  là  il  est  aisé  d'établir  la  note  ou  la  censure  précise  dont  la 
proposition  des  nouveaux  mystiques  doit  être  qualifiée  ;  en  disant 
qu'on  ne  peut^j/ws  rien  demander  que  Dieu  n'en  donne  le  'mou- 
vement ,  si  par  ce  plus  on  entend  qu'on  le  pouvoit  auparavant 
sans  le  mouvement  de  la  grâce  prévenante ,  c'est  une  hérésie  :  et 
si  l'on  entend  qu'on  ne  le  ^Quiplus,  parce  que  le  commandement 
général,  et  la  grâce  commune  à  tous  les  justes  ne  nous  suffisent 
pas  dans  de  certains  états,  en  sorte  qu'il  y  faiUe  attendre  pour 
nous  remuer  que  Dieu  nous  remue  par  une  inspiration  plus  par- 

1  Sess.  VI ,  cap.  ii.  —  "-  Matth.,  vu,  7.  —  s  Jac,  i ,  5.  —  *  Mattft.,  iv,  7. 

TOM.  xvm.  28 


434  INSTRUCTION  SUR  LES  ETATS  DORAISON. 

ticulière  ;  c'est  une  autre  hérésie  contraire  à  la  manifeste  révéla- 
tion de  Dieu  et  à  l'expresse  détermination  du  concile  de  Trente. 
X-  Que  si  Ton  en  revient  à  dire  qu'en  assurant  qu'on  ne  peut  plus 

Sccomli- 

«ïciue  de»  faire  de  demandes  ou  produire  des  désirs ,  on  ne  veut  exclure 

noiivraiix 

mïiUqucM  que  les  demandes  connues  et  les  désirs  aperçus  -j'avoue  que  c'est 

quercjclcr 

loui  .ci«  la  doctrine  perpétuelle  des  nouveaux  docteurs ,  et  que  les  actes 

aperçu , 

cVit  u   qu'ils  veulent  suspendre  ou  supiirimer  sont  partout  les  actes 

iui>iiic  cho-    ■*  *■ 

•c  qne  de  counus  :  mais  c'est  là  précisément  retomber  dans  l'erreur  qu'on 
louiicie  yeut  éviter.  Qui  ne  peut  souffrir  en  soi-même  la  connoissance 
d'un  acte,  par  soi-même  n'en  veut  aucun.  On  trouve  en  etret  cette 
décision  dans  le  Moijcn  court,  «  (piil  faut  ;r//o»r«*  à  toutes  in- 
clinations particulières,  qurUpie  lionnes  (prcllesparoisseut.  sitost 
qu'on  les  sent  naistre'.  »  lies  iiicliiKitions  particulicrcs  sont  celles 
où  l'on  voudroit  quelque  autre  chose  que  la  volonté  de  Dieu  en 
général  :  et  c'est  pouniutii  un  i(»u<lul  après,  pour  «  liudilference 
à  tout  liien,  ou  de  l'ainf  <»u  du  (•or[>s,  ou  du  tenijis,  ou  de  l'éter- 
nité. »  Ainsi  il  ne  suftit  pas  d<'  \w  produin-  aucun  de  ces  actes;  il 
y  faut  renoncer  dès  qu'o//  les  snit  /xiisfrc  ;  ce  (pii  n'emporte  rien 
moins  que   l'entière  «'xtinctioii  de  tout  acte  de  piété  ,  dont  le 
moindre  coiiunencement,  la  moindre  étincelle,  et  la  pensée  seu- 
lement pourroit  s'élever  en  nous.  Si  l'on  y  doit  renoncer  lorsqu'ils 
paroissent ,  à  ]ilus  forte  raison  se  doll-ou  empêcher  d'en  pro- 
duire :  »^t  p.u'  consé(iuent  dini  (pi'on  n'eu  veut  jamais  avoir  »jui 
soit  connu  ou  aperçu,  c'est  dire  qu'on  n'en  veut  point  avoir  du 
tout  ;  ce  qui  est  précisément  la  même  hérésie  dont  on  vient  de 
voir  la  condamnât  if  >n. 
SI.         Cet  endroit  est  plus  important  (pi'on  ne  sauroit  dire  ;  et  si  l'on 
qi.c?"'i 'il-  ne  sait  entendre  ces  finesses  des  nouveaux  luystiques,  on  n'en 
",''m"caûi  évitera  jamais  les  illusions  :  car  ils  vous  disent  souvent  (pi'ils  font 
,'i'i7Îm'«-  des  demandes,  qu'ils  font  des  actes  de  foi  explicite  en  Jésus-dhrisi 

Ivi  -^t  lur  .  !•     •  ••!  ,  »  1  1  •         1- 

j.<ui-  et  aiLX  trois  personnes  divmcs,quHs  ont  même  des  dévotions 
particulières  aux  mystères  de  Jésus-Christ,  comme  à  sa  croix  ou 
à  son  enfance  :  mais  ce  n'est  rien  dire,  puisqu'ils  entendent  qu'ils 
font  de  tels  actes  y  étant  poussés  par  inspiration  extraordinaire 
et  particulière  à  certains  états,  et  aussi  que  pour  en  produire  ils 

'  Moyen  court,  §  G,  p.  29. 


(.Iii-isl. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  III,  N.  XII.  435 

attendenttoiijoui's  cette  inspiration;  en  sorte  que  si  elle  ne  vient, 
c'est-à-dire  s'ils  ne  s'imaginent  que  Dieu  la  leur  donne  par  une 
inspiration  extraordinaire,  ils  vivront  paisiblement  dix  et  vingt 
ans  sans  penser  à  Jésus-Ctu-ist,  et  sans  faire  un  seul  acte  de  foi 
explicite  sur  aucun  de  ses  mystères ,  comme  on  a  vu  *  ;  ce  qui  est 
visiblement  retomber  dans  l'errem'  qu'ils  font  semblant  de  désa- 
vouer. 

Et  pour  achever  de  les  convaincre  lorsqu'ils  laissent  subsister 
dans  leurs  âmes  des  actes  qu'ils  y  remarquent,  à  cause  qu'ils  se 
pei'suadent  qu'ils  lem"  sont  inspirés  d'en  haut  par  ce  genre  d'ins- 
piration particulière  aux  états  d'oraisons  extraordinaires ,  il  leur 
faut  encore  demander  à  quoi  ils  connoissent  cette  inspiration. 
S'ils  répondent  selon  leurs  principes ,  que  s'étant  abandonnés  à 
Dieu  afin  qu'il  fît  seul  en  eux  ce  qu'il  lui  plairoit ,  ils  doivent 
croire  que  rien  ne  leur  vient  dans  la  pensée  qui  ne  soit  de  Dieu  : 
lem-  présomption  qui  n'est  soutenue  d'aucune  promesse  les  met 
au  rang  des  hommes  livrés  à  l'illusion  de  leui^s  cœurs ,  et  prêts  à 
appeler  Dieu  tout  ce  qu'il  leur  plaît. 

C'en  seroit  assez  quant  à  présent  sur  cette  matière ,  s'il  ne  fal-    ^fj^^^ 
loit  exposer  les  fondemens  des  nouveaux  contemplatifs.  Les  voici  '"'="'  '^"^ 

^  ■*-  nouveaux 

dans  le  Moyen  court ,  au  chapitre  de  la  Demande^ ,  où  en  traitant  ^.f^^s"' 
ce  passage  de  saint  Paul  :  «  Nous  ne  savons  pas  ce  qu'il  nous  faut  3"  ''^^^"^0 
demander  ;  mais  le  Saint-Esprit  prie  en  nous  avec  des  gémisse-   fj^^l^ 
mens  inexplicables.  Cecy ,  dit-on,  est  positif  :  si  nous  ne  sca-   f^^l^^, 
vous  pas  ce  qu'il  nous  faut,  et  s'il  faut  que  l'Esprit  qui  est  eu  l^[^^^, 
nous,  à  la  motion  duquel  nous  nous  abandonnons,  le  demande 
pour  nous ,  ne  devons- nous  pas  le  laisser  faire  ?  »  C'est  bien  là  un 
raisonnement  capable  d'éblouir  l'esprit  ignorant  et  prévenu  d'une 
femme,  qui  ne  sait  pas,  ou  ne  songe  pas  que  saint  Paul  ne  dit 
pas  ceci  d'une  oraison  extraordinaire,  mais  de  l'oraison  commune 
à  tous  les  fidèles  :  où  le  laisser  faire  qu'on  veut  introduire,  c'est- 
à-dire  la  suspension  de  tout  acte  exprès  et  de  tout  effort  du  lil)re 
arbitre,  n'a  point  de  lieu.  Car  le  dessein  de  l'Apôtre  ^  visiblement 
est  de  faire  voir  que  le  Saint-Esprit  est  l'auteur ,  non  pas  des 

1  Ci-dessuSj  liv,  11^  cli.  v.  — ^  }'oye7i  court,  ch.  xx,  p.  93.  — '  Ro)n.,  viii, 
2u,  27. 


436  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

prières  d'un  certain  état,  mais  de  celles  de  tous  les  fidèles.  Mais 
si  dire  que  le  Saint-Esprit  forme  nos  prières,  c'est j'dire  qu'il  ne 
faut  pas  s'exciter  soi-même ,  mais  attendre  comme  en  suspens 
que  cet  Esprit  nous  remue  d'une  façon  extraordinaire,  c'est  attri- 
buer cet  état  à  tous  les  justes  ;  c'est  leur  ôter  cet  effort  du  libre 
arbitre ,  conatus ,  que  saint  Augustin  '  et  tous  les  saints  y  recon- 
noissent;  c'est  introduire  la  passiveté,  comme  on  l'appelle,  dans 
l'oraison  la  plus  commune.  Au  lieu  donc  de  dire,  comme  on  fait: 
Si  le  Saint-Esprit  agit  en  nous,  il  n'y  a  qu'à  le  laisser  faire,  il 
falloit  dire  au  contraire  :  S'il  agit  en  nous ,  s'il  nous  excite  à  de 
saints  gémissemens,  il  faut  agii'  avec  lui,  gémir  avec  lui,  avec 
lui  s'exciter  soi-même ,  et  faire  de  pieux  efforts  pour  enfanter 
l'esprit  de  salut  et  d'adoption ,  comme  saint  Paul  nous  y  exhorte 
dans  tout  ce  passage  *. 
XIII.        Ainsi  la  conséquence  qu'on  tire  en  ces  mots  :  «  Pom'quoy  après 
<iu"ii»  font  cela  nous  accabler  de  soins  superflus,  et  nous  fatiguer  dans  la 
pirou:'^  multiplicité  de  nos  actes,  sans  jamais  dire  :  Demeurons  en  re- 
'  qu'ùno"  pos  '?  »  est  un  abus  manifeste  de  ri'.vaugile  :  car  c'est  mettre  au 
se  qui  soit  rang  des  soins  superflus  le  soin  de  s'exciter  à  prier  Dieu;  c'est 


nt'ctissai* 


rc:.  quille  attribuer  à  une  mauvaise  nmlliplicité  la  pluralité  des  actes  que 

imillipli-  .  1  '  I      •  1        •  1  '1'  ^ 

ciie  nou9  Jjicu  nous  commande;  c  est  mduu'e  les  âmes  a  un  taux  repos,  a 
duc.  un  repos  que  Dieu  leur  défend,  et  où  elles  sont  livrées  à  la  non- 
chalance :  c'est  avoir  une  fausse  idée  de  cette  parole  où  le  Sau- 
veur reprend  Marti le  «  de  se  troubler  dans  plusieurs  choses,  au 
lieu  qu'il  n'y  en  a  qu'une  (^Ui  soit  nécessaire  '.  »  U  est  vrai,  une 
seule  chose  est  nécessaire,  qui  est  Dieu;  mais  il  y  a  plusieurs  actes 
pour  s'y  vmir.  Il  n'y  a  qu'une  fin,  mais  il  y  a  ]>lusieurs  moyens 
pour  y  arriver;  autrement  la  foi,  l'espérance,  et  la  charité,  qui 
selon  saint  Paul  sont  trois  choses  ^ ,  seroient  supprimées  par  cette 
imité  où  le  Fils  de  Dieu  nous  réduit,  et  son  Apôtre  lui  seroit  con- 
traire. On  ne  peut  donc  pas  tomber  dans  un  plus  étrange  égare- 
ment, que  de  tourner  contre  les  actes  de  piété  ce  que  Jésus-Christ 
visiblement  a  prononcé  contre  la  multiplicité  des  actes  vains  et 

'  August.,  in  Psal.  xxvi,  cnarr.  2,  n.  17;  DeNat.  et  grat.,  cap.  Lxv,  n.  7S.  — 
2  nom.,  VIII,  22,  etc.  —  ^ Moyen  court,  cli.  xx,  p.  9j.  —  ''Luc,  x,  41.  —  M  Cor., 

XIII;  15. 


TRAITÉ  I,  LlYRE  III,  N.  XIV,  XV.  437 

tiirbulens  que  donnent  les  soins  du  monde ,  ou  qu  une  dévotion 
inquiète  etrmal  réglée  peut  inspirer. 
Nos  nouveaux  docteurs  posent  encore  un  autre  fondement,  et    xiv. 

.    ^  .  Comment 

celui-ci  est  le  prmcipal,  qu'il  n'y  a  rien  à  vouloir  m  a  désirer  que  ns  abusent 

de   celte 

la  volonté  de  Dieu,  et  qu'ainsi  toute  autre  demande  est  superflue,  demande: 

"  Votre 

Nous  avons  déjà  répondu  que  Jésus-Christ  savoit  bien  la  force  de  ™ionté 

soilfaile.o 

cette  demande  :  «  Votre  volonté  soit  faite.  »  Il  devoit  donc  sup- 
primer les  autres  demandes;  et  s'il  les  juge  nécessaires,  il  ne  faut 
pas  être  plus  sage  que  lui. 

C'en  seroitî  assez  pour  convaincre  l'erreur;  mais  pour  en  con- 
noître  toute  l'étendue ,  il  faut  développer  un  peu  davantage  ce 
qu'on  entend  dans  le  quiétisme  par  se  conformer  à  la  volonté  de 
Dieu  :  c'est,  en  im  mot,  être  indifférent  à  être  sauvé  ou  damné  ; 
ce  qui  emporte  une  entière  indifférence  à  être  en  grâce  ou  n'y 
être  pas,'  agréable  à  Dieu  ou  haï  de  lui,  avoir  pour  lui  de  l'amour 
ou  en  être  privé  dans  le  temps  et  dans  l'éternité  par  une  entière 
soustraction  de  ses  dons. 

Ces  sentimens  font  horreur,  et  ceux  qui  ne  sauront  pas  les  pré- 
tentions des  mystiques  d'aujourd'hui,  auront  de  la  peine  à  croire 
qu'ils  aillent  jusqu'à  ces  excès  ;  mais  il  n'y  a  rien  pourtant  de  si 
véritable. 

C'est  ici  qu'il  faut  expliciuer  cet  abandon  «  qui  est,  dit-on,  ce     ^^■ 
qu'il  V  a  de  conséquence  dans  toute  la  voye,  et  la  clef  de  tout  l'in-  J'^s  °»"- 

veaux  mys- 

térieur  '.  »  Qu'on  retienne  bien  ces  paroles  :  il  faut  se  rendre  at-    "l'-es: 

prodige 

tentif  à  cet  endroit  de  la  doctrine  nouvelle,  dont  on  voit  que  c'est  diadiffé- 
ici  le  nœud  principal.  L'abandon,  selon  qu'il  est  révélé  dans  ces 
paroles  de  saint  Pierre  ^  :  «  Jetez  en  hii  toute  votre  sollicitude,  » 
tous  vos  soins,  toutes  vos  espérances,  et  dans  cent  autres  sembla- 
bles, est  d'obligation  pour  tous  les  fidèles  :  il  faut  donc  que  nos 
prétendus  parfaits,  qui  veulent  nous  expliquer  des  voies  particu- 
lières, entendent  aussi  dans  l'abandon,  qui  en  fait  le  fond,  quelque 
chose  de  particulier.  Or  jeter  en  Dieu  tous  ses  soins,  et  s'aban- 
donner à  lui,  selon  ce  que  dit  saint  Pierre,  c'est  vouloir  tout  ce 
qu'il  veut  ;  par  conséquent  vouloir  son  salut,  parce  qu'il  veut  que 
nous  le  voulions  ;'^en  prendre  soin,  parce  qu'il  veut  que  nous  pre- 

1  Moyen  cou>-t,  p.  26.  —  2  I  Petr.,  \,  7. 


438  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON, 

nions  ce  soin  ;  lui  demander  pour  cela  tout  ce  qui  nous  est  néces- 
saire; c'est-à-dire  la  continuation  de  ses  grâces  et  notre  persévé- 
rance ;  croire  avec  une  ferme  et  \\ye  foi  que  notre  salut  est  rœu\Te 
de  Dieu  plus  que  la  nôtre  ;  dans  cette  foi,  en  attendre  TelTet  et  les 
grâces  qui  y  conduisent,  de  sa  pure  libéralité,  et  lui  demander 
ses  dons  qui  font  nos  mérites  :  voilà  jusqu'oii  l'abandon  se  doit 
porter  selon  les  communes  obligations.  11  n'y  a  rien  au  delà  pour 
composer  un  état  et  une  oraison  extraordinaire ,  que  l'abandon  à 
être  damné,  dont  nous  avons  déjà  vu  un  petit  essai  dans  l'indiffé- 
rence de  Molinos  et  de  Malaval  ;  mais  dont  nous  allons  voir  le  plus 
grand  excès  dans  Yliitcrpi'ctation  fin  Cnntifpio  :  «  L'ame  arrivée 
à  ce  degré  entre  dans  les  interests  de  la  divine  justice,  et  à  son 
égard  et  à  celuy  des  autres ,  d'ime  telle  sorte  qu'elle  ne  pouvoit 
vouloir  autre  cliose,  soit  pour  elle  ou  [lour  aulrt*  quelconipie,  que 
cebiy  (pie  cette  divine  justice  luy  vouloit  doimcr  pour  le  temps  et 
pour  rétemité  '.  »  Voilà  dans  cette  ame  prétendue  parfaite  une 
indifférence  inouïe  parmi  les  saints  :  «  Dieu  veut  que  tous  les 
hommes  soient  sauvés  *  :  »  celle-ci  ni  ne  veut  ni  ne  peut  avoir 
cette  volonté.  Une  des  interprétations  de  ce  passage  de  saint  Paul, 
c'est  que  Dieu  inspire  à  tous  les  justes  la  volonté  du  salut  de  tous 
les  hommes.  Celle-ci  se  met  au-dessus  de  cette  inspiration,  et 
aussi  indifférente  pour  les  autres  que  pour  elle-même,  quoiqu'elle 
fut,  dit-elle,  a  toute  preste  d'estre  anathéme  pour  ses  frères,  comme 
saint  l'aul,  et  qu'elle  ne  travaille  à  autre  chose  qu'à  leur  salut, 
elle  est  néanmoins  indirPerente  pour  le  succès,  et  elle  ne  pourroit 
estre  affligée  ni  de  sa  propre  perte,  ni  de  celle  d'aucune  créature 
regardée  du  costé  de  la  justice  de  Dieu  \  »  Ce  correctif  est  bien 
foible,  puisque  l'abandon  où  cette  ame  vient  de  déclarer  qu'elle 
se  trouvoit,  l'empêche  de  regarder  les  autres  âmes,  non  plus 
qu'elle-même,  d'un  autre  côté  que  de  celui  de  la  volonté  et  de  la 
justice  de  Dieu.  Les  excès  énormes  oii  se  jettent  ces  esprits  outrés, 
les  ol)ligent  de  temps  en  temps  à  de  petits  correctifs,  qui  ne  disent 
rien  dans  le  fond,  et  qui  ne  servent  (ju'à  faire  sentir  qu'en  voyant 
l'inévitable  censure  de  leurs  sentiraens,  ils  ont  voulu  se  préparer 

>  Inlerpr.  du  Cant.,  cb.  Vlll,  vers.  14,  p.  20(i.—  -  I  Jimoth.,  n ,  4.  —  ^  Inlerj»-. 
(lu  Cant.,  cb.  vim,  vers.  U,  p.  206. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  III,  N.  XVI.  439 

quelque  échappatoire  ;  mais  en  vain ,  puisqu  après  tout ,  disent- 
ils,  «  l'indifférence  est  si  grande,  que  l'ame  ne  peut  pencher  ni 
du  costé  de  la  jouissance,  ni  du  costé  de  la  privation  ;  et  quoyque 
son  amour  soit  incomparablement  plus  fort  qu'il  n'a  jamais  esté, 
elle  ne  peut  néanmoins  désirer  le  paradis  \  »  ni  pour  elle,  ni  pour 
aucun  autre,  comme  on  a  vu  ;  et  la  raison  qu'on  en  apporte,  c'est 
que  «  l'effet  le  plus  profond  de  F  anéantissement  doit  estre  l'indif- 
férence pour  le  succès  »  de  tout  ce  qu'on  fait  pour  son  salut  et 
pour  celui  du  prochain.  Saint  Paul,  dont  on  allègue  l'exemple , 
ne  fut  jamais  anéanti  de  cette  sorte.  Pendant  qu'il  se  dévoue  pour 
être  anathème,  il  déclare  qu'il  est  saisi  «  d'une  tristesse  profonde,  » 
et  ressent  «  une  contiimelle  et  violente  douleur  ;  d^iw!,  pour  le  salut 
de  ses  frères  les  Israélites  -.  »  Celle-ci  le  pousse  plus  loin  que  cet 
Apôtre ,  et  «  ne  peut  estre  affligée  ni  de  sa  propre  perte ,  ni  de 
celle  d'aucune  autre  créature.  »  Yoilà  une  nouvelle  générosité  de 
ces  âmes  si  étrangement  désintéressées;  la  perfection  de  saint 
Paul  ne  leur  suffit  pas,  il  leur  faut  faire  un  autre  évangile. 

La  même  doctrine  est  établie  dans  le  Moyen  court,  et  la  diffé-     xvi. 
rence  qui  se  trouve  entre  ces  deux  livres,  c'est  que  le  Cantique  vmmé- 

rtîiicc  sous 

va  plus  par  saillies,  et  que  l'autre  va  phis  par  principes.  C'est  prétexte 

'11  7  '7     •  de  la  vo- 

pourauoi  am^ès  avoh'  supposé  l'idée  générale  du  délaissement  umté  d« 
total,  on  en  vient  à  l'application  par  ces  paroles  :  «  Il  faut  ne 
vouloir  que  ce  que  Dieu  a  voulu  dès  son  éternité  ^  »  Yoilà  sous 
une  expression  spécieuse  d'étranges  sentimens  cachés.  Dieu  a 
voulu  de  toute  éternité  priver  les  réprouvés  de  lui-même,  et  ne 
leur  pardonner  jamais  ;  ce  qui  est  le  plus  malheureux,  et  aussi  le 
plus  juste  effet  de  leur  damnation.  Au  lieu  donc  de  demander 
pardon  pour  eux,  ou  de  le  demander  pour  soi-même,  dans  l'igno- 
rance où  l'on  est  du  secret  de  Dieu,  il  faut  supprimer  ces  demandes, 
à  moins  de  se  mettre  au  hasard  de  vouloir  autre  chose  que  ce  que 
Dieu  veut  de  toute  éternité  :  d'où  aussi  l'on  est  forcé  de  conclure 
«  qu'il  faut  estre  indiffèrent  à  toutes  choses,  soit  pom*  le  corps, 
soit  pour  l'ame ,  pour  les  biens  temporels  et  éternels ,  laisser  le 
passé  dans  l'oubli,  l'avenir  à  la  providence,  donner  le  présent 

t  Mei-p.  (lu  Cant.,  ch,  viii,  vers.  14  ,  p.  200.  —  -  lloin.,  i\,  2.-3   §  De  l'a- 
handoii,  p.  2S. 


UO  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

à  Dieu;  »  c'est-à-dire,  pour  le  passé  et  poui*  l'avenir,  se  mettre 
dans  la  disposition  la  plus  opposée  au  soin  que  Dieu  nous  com- 
mande d'avoir  de  notre  salut,  au  souvenir  de  nos  pécliés  pour  lui 
en  demander  pardon,  à  la  prévoyance  des  périls  et  à  la  demande 
des  g-races.  Voilîi  où  l'on  en  vouloit  enfin  venir  par  ces  mots  spé- 
cieux de  délaissement  et  à' abandon,  et  par  tout  ce  bel  appai'cil  où 
l'on  semljle  n'avoir  d'autre  but  que  de  se  li\Ter  soi-même  à  la  vo- 
lonté divine. 
oiiènc"io.      C'est  donc  ici  que  Ton  tombe  manifestement  dans  ce  dérégle- 
fJ""u'"Ju,  ment  étnmge,  et  si  justement  reproché  aux  nouveaux  mystiques, 
^<^n"\\.  ^^  ^^^  ^^s  prétexte  de  s'abandonner  aux  volontés  incomiues  do 
de"  ToLn-  Dieu,  de  mépriser  celles  qu'il  nous  a  révélées  dans  ses  comman- 
'Vur'i'."-'  démens  pour  en  faire  notre  règle.  La  volonté  que  Dieu  nous  dé- 
Di!Ju  no  cl^*i'c  par  SCS  saints  conunandeinens,  c'est  qu'il  veut  que  nous  dé- 
iiundt tu-  sirions  notre  Sidut;  que  nous  lui  demandions  ses  grâces,  cl  (]ue 
nous  craii^'-nions  plus  (pu*  toutes  choses  d'en  mériter  la  soustrac- 
tion par  nos  péchés;  (juc  nous  en  demandions  tous  les  jours  pai'- 
don  à  Dieu,  et  le  priions  (juil  nous  fa-sse vaincre  les  tentations (jui 
nous  y  portent.  Voilà  ce  que  Dieu  commande,  et  à  quoi  les  nou- 
veaux mysticpics  ne  peuvent  plus  seulement  songer  ;au  contraire 
ils  font  sur  les  volontés  inconnues  de  Dieu  des  actes  (pi'il  ne  leur 
demande  j  as,  comme  sur  l'-ui-  réprobation  et  celle  des  autres  :  il 
est  certain,  et  il  faudra  peut-être  bientôt  démontrer  plus  ample- 
ment, que  Dieu  ne  commande  à  ses  créatures  aucun  acte  de  leur 
volonté  sur  ce  sujet  :  de  sorte  qu'il  n'y  a  rien  de  moins  conforme 
à  la  volonté  de  Dieu  que  cet  abimdon  à  sa  damnation  éternelle,  et 
ce  tranquille  consentement  à  celle  des  autres. 

Cette  barbare  indillerence  emporte  une  plus  funeste  disposition 
que  celle  des  libertins,  qui  se  contentent  de  dire  en  leur  cœur  : 
Dieu  a  décidé  de  mon  sort  ;  je  n'ai  qu'à  demeurer  sans  rien  faire, 
et  attendre  la  suite  de  ma  destinée  :  mais  ceux-ci  y  ajoutent  encore  : 
Je  ne  m'en  mets  point  en  peine,  et  je  tiens  pour  indifférent  d'être 
sauvé  ou  damné.  On  déteste  l'impiété  d'mi  Prodifjue  et  des  autres 
qui  rejetoient  la  prière,  sous  prétexte  que  Dieu  sait  de  touffe  éter- 
nité ce  cpi'il  nous  faut  et  ce  qu'il  a  résolu  de  nous  donner.  Ces 
impies  ne  songeoient  pas  que  ce  n'est  point  pour  instruire  Dieu 


TRAITÉ  I,  LIVRE  III,  N.  XYIII.  441 

que  nous  lui  offrons  des  prières  ;  mais  pour  nous  mettre  nous- 
mêmes  dans  les  bonnes  dispositions  où  nous  devons  être  envers 
lui.  On  ramène  le  mauvais  effet  de  cette  doctrine  sous  prétexte  de 
perfection,  puisqu'on  envient  à  la  suppression  de  la  prière,  et 
qu'on  cesse  d'honorer  Dieu  par  les  demandes  qu'il  a  daigné  lui- 
même  nous  mettre  à  la  bouche. 

C'est  une  suite  de  cette  doctrine  que  ni  l'Oraison  Dominicale,  ni  ^^J'"; 
les  Psaum.es  qui  sont  remplis  de  tant  de  demandes,  ne  sont  pas  ^l.'^u"^^' 
les  oraisons  des  parfaits.  Sur  cela  il  faut  écouter  le  Père  François  p^"^";]' 
la  Combe  dans  son  livre  intitulé  :  Anahjsis  orationis  :  et  encore  d'„'|,'iXai 
qu"il  n'ait  osé  déclarer  une  erreur  si  insupportable  qu'avec  quelque  "pouffei 
sorte  de  détour,  son  sentiment  ne  paroîtra  point  oljscur  à  ceux  a'o'"ctt'o 
qui  sauront  entendre  toute  la  finesse  de  ses  trois  espèces  d'oraison  ifcoTb! 
mentale  :  Celle  de  méditation  ou  de  discours  ;  celle  d'affection,  et 
celle  de  contemplation  *.  La  distinction  est  commune  ;  mais  cet 
auteiu"  y  ajoute  deux  choses  ^  :  «  l'une,  qu'il  est  certain  qu'on  doit 
quitter  la  méditation  ou  le  discours  dans  l'oraison  d'affection,  et 
qu'il  faut  aussi  s'abstenir  des  affections  lorsque  l'oraison  de  silence 
ou  de  quiétude  (  qui  est  celle  qu'il  appelle  aussi  contemplation  ) 
nous  est  commandée;  ce  que  l'on  comioît,  poursuit-il,  par  des 
règles  sûres  et  très- excellentes,  que  les  bons  directeurs  savent 
discerner  :  »  et  il  confirme  sa  proposition  par  cette  sentence  :  «  que 
celui  qui  a  la  fin  quitte  les  moyens  ;  que  celui  qui  est  au  terme 
quitte  le  chemin  ;  que  celui  qui  demeure  toujours  dans  les  moyens 
et  veut  toujours  être  dans  la  voie,  n'arrivera  jamais  ;  »  c'est-à-dire 
selon  ses  maximes  qu'il  faut  quitter  la  méditation  et  les  affections, 
qui  sont  les  moyens  et  la  voie,  aussitôt  qu'on  est  parvenu  à  la 
contemplation  qui  est  la  fin  et  le  terme. 

Mais  l'autre  chose  qu'ajoute  le  Père  la  Combe,  c'est  que  «  les 
Psaumes,  les  lamentations  des  prophètes,  les  plaintes  des  pénitens, 
les  joies  des  saints ,  toutes  les  hymnes  de  l'Eglise  et  toutes  ses 
oraisons ,  principalement  l'oraison  divine  que  Jésus-Christ  nous  a 
enseignée,  avec  sa  préface  où  nous  adorons  Dieu  dans  les  cieux 
comme  notre  Père,  et  ses  sept  demandes,  appartiennent  à  l'orai- 
son d'affection  ^  ;  »  par  conséquent  aux  moyens  qu'il  faut  laisser, 

1  Anal,  orat.,  ci,  p.  18.  —  -  Ibid.,  c.  x,  p.  33.  —  ^  Ibid  ,  c.  tv,  p.  2j,  2(i. 


i42  INSTRUCTION  SUR  LES  ETATS  D'ORAISON. 

au  chemin  qu'il  faut  quitter,  lorsqu'on  est  dans  la  quiétude  ;  et 
enfin  à  cette  oraison  qui  doit  céder  la  place  à  une  meilleure. 

Il  confirme  cette  doctrine  en  répétant  que  l'Oraison  Dominicale 
est  entièrement  aspirative  \  c'est-à-dire  qu'elle  appartient  à 
l'afTection  :  d'où  il  conclut  «  (]u'encore  qu'elle  semble  contenir 
toute  la  plénitude  de  la  perfection,  elle  élève  ceux  qui  se  la  ren- 
dent familière  à  un  état  plus  haut  :  »  où  il  abuse  d'mi  passage  de 
Cassien,  que  nous  examinerons  ailleurs  ;  et  quoi  qu'il  en  soit ,  il 
est  constant  selon  lui,  que  les  Psaumes  et  le  Pater  appartiennent 
à  un  genre  d'oraison  inférieure  à  celle  des  parfaits. 

XIX.  Et  en  effet  comment  ajuster  nulle  demande  avec  sept  demandes 
lo^s'enire  exprcsscs  ;  nul  acte  distinct  avec  cent  actes  distincts,  sans  lesquels 
dcs"no"u"  on  ne  peut  dire  les  Psaumes;  nulle  affection,  nul  désir,  avec  ces 
iiqi"«',""ei  perpétuelles  affections  et  désirs,  dont  sont  pleins  ces  divins  can- 

psîumiV  tiques  :  enfin  nul  soin  de  s'exciter  soi-même  à  produire  des  actes 
fuschri-i.  et  des  désirs,  avec  ces  continuelles  excitations,  où  David  se  dit 
à  lui-même  :  «  Mon  ame,  l)énissez  le  Seigneur  ;  encore  un  coup. 
Bénissez  le  Seigneur  :  mon  ame,  louez  le  Seigneur  :  Seignem',  je 
vous  aimerai,  élevez-vous,  ma  langue  :  Elevez- vous,  ma  lyre  et  ma 
guitare  :  Je  chanterai  au  Seigneur  tant  que  je  serai  en  vie  =  :  »  et 
le  reste  (]u'on  ne  peut  citer  sans  transcrire  tous  les  versets  des 
Psaumes  ? 

XX.  On  a  vu  en  plusieurs  mains  une  défense  du  Moyen  court  de  son 

Autre  doc-  ,  \    -t         ,     i- ,  ii  •  i  ii 

irine  sur  autcur  mcmc,  OU  il  est  dit  «que  les  plus  résignez  ne  s  exemptent 

Iti  Pdtcï". 

jamais  de  dire  le  Pater,  »  dont  on  rend  cette  raison  ;  «  car  quoycpie 
l'on  sçache  que  l'on  puisse  en  cette  vie  acquérir  l'entière  résigna- 
tion, nul  ne  présume  de  l'avoir  :  »  et  l'on  en  infère  cette  consé- 
quence :  «  (Concluons  donc  que  l'on  peut  acquérir  la  parfaite  rési- 
gnation; mais  (pie  cette  acquisition  estant  ignorée  presque  toujours 
de  celuy  (jui  la  possède,  n'est  pas  une  exclusion  de  dire  le  Pater.  » 
Cette  réponse  contient  une  erreur  insuppor taille  avec  une  illusion 
manifeste.  L'erreur  est  que  la  parfaite  résignation  soit  incompa- 
liltle  avec  les  demandes  du  Pater,  et  l'illusion  de  faire  croire  au 
lecteur  qu'on  ne  sait  pas  cpiand  on  a  atteint  cette  parfaite  résigna- 
tion. Car  lors(]u'on  supprime  jusqu'au  moindre  petit  mouvement 
«  Anal.  orut..  c.  vi ,  p.  :j.j.  —  «  Psal.  en,  \,  2;  xvii,  2  ;  lyi,  9  ;  CXLV,  2. 


s  les 
est 
onnu   à 


TRAITÉ  I,  LIVRE  III,  N.  XXI.  443 

de  demande  ou  de  désir  qu'on  aperçoit  dans  son  cœur  :  ou  l'on 
sait  que  Ton  est  dans  ce  haut  état  de  résignation  prétendue ,  ou 
l'on  ne  le  sait  pas  :  si  on  le  sait ,  c'est  une  illusion  de  dire  qu'on 
n'en  sait  rien  ;  et  si  on  ne  le  sait  pas,  c'est  une  autre  illusion  bien 
plus  dangereuse  de  se  dispenser  de  l'observance  d'un  comman- 
dement exprès,  sans  savoir  si  on  est  dans  le  cas  où  l'on  prétend 
que  ce  précepte  n'oblige  plus  :  quoi  qu'il  en  soit,  on  voit  assez 
que  tout  le  système,  tout  l'esprit  du  livre,  tous  les  principes  et 
tous  les  raisonnemens  de  la  nou^s^elle  mystique,  conspirent  à  la 
<^essation  de  toute  demande ,  même  de  celles  qui  sont  les  plus 
pures  et  les  plus  expressément  contenues  dans  l'Oraison  Domi- 
nicale. 

Il  ne  reste  qu'une  défaite  aux  nouveaux  mystiques,  c'est  de    ^^^-^^ 
dire  qu'ils  font  toutes  les  demandes  et  tous  les  actes  commandés  pf ''="'^" 

1  acle    emi- 

dans  un  seul  acte  èminenl  qui  comprend  les  autres  * ,  comme  on  "™'  i"' 

J^  i  '  dispense 

l'a  VU  exprimé  et  si  souvent  répété  par  Malaval.  Qu'on  me  défi-  f|;j|."^^ 
nisse  cet  acte  ;  où  le  trouvera-t-on  ?  Dans  quel  endroit  de  l'Ecri-  jl^, 
ture  ?  Est-ce  l'acte  de  charité  ?  Mais  cet  acte  est  commun  à  tous  ^^^^"^ 
les  justes,  qui  pourtant  ne  prétendent  pas  être  exempts  de  tous 
les  autres  actes.  Saint  Paul  a  compté  trois  choses  ou  trois  vertus 
principales,  «la  foi,  l'espérance  et  la  charité  ^,  »  cfiii  ont  cha- 
cune leur  acte  distinct  :  et  si  l'on  veut  ne  faire  qu'un  acte  de  ces 
trois  actes  et  de  tous  les  autres  qui  en  dépendent,  à  cause  qu'ils 
se  rapportent  à  la  charité,  ou  à  cause  qu'elle  les  anime,  ou  à 
cause  qu'elle  les  commande,  selon  cette  parole  de  saint  Paul: 
«  La  charité  croit  tout,  elle  espère  tout,  elle  soutient  tout';  » 
cela  est  encore  commun  à  tous  les  états.  Enfin  de  quelque  manière 
que  l'on  définisse  ce  prétendu  acte  éminent ,  ou  abandon ,  ou  in- 
différence, ou  présence  fixe  de  Dieu,  ou  comme  on  voudra,  cet 
acte,  s'il  est  véritable,  am'a  été  connu  de  Jésus- Christ;  et  cepen- 
dant il  n'en  a  pas  moins  commandé  les  autres  à  tout  le  monde 
indifféremment. 

Il  a  bien  su  que  la  charité  en  un  certain  sens  comprenoit  toutes 
les  vertus  ;  qu'elle  poussoit  tous  les  bons  désirs  ;  qu'elle  excitoit 
toutes  les  demandes  :  il  n'en  a  pas  moins  pour  cela  commandé 

*  Moyp.n  court ,  p.  iïi,  04.  — i  I  Cor.,  xiil,  13.  — ^  Ibid.,  7. 


444  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

tous  les  exercices  particuliers  pour  être  faits  au  temps  conve- 
nable. Il  a  bien  su  ce  que  vouloit  dire  :  Fiat  voluntas  tua;  et  si 
quelfjuun  osoit  demander  pourcjiioi  donc  il  a  ordonné  les  autres 
demandes,  que  celle-là  en  un  certain  sens  contenoit  toutes,  on 
pourroit  dire  à  ce  téméraire  demandeur  :  «  0  homme,  qui  ètes- 
vous  pour  disputer  avec  Dieu  '?  »  Mais  sans  lui  fermer  la  bouche 
avec  une  autoi'ité  si  alisolue,  disons-lui  que  vouloir  supprimer 
les  actes  cpie  la  charité  contient  en  vertu  d'une  certaine  ma- 
nière, ou  les  demandes  sous  prétexte  tpi'elles  semblent  renfermées 
dans  une  seule,  c'est  de  même  que  si  Ton  disoit  qu'il  ne  faut 
point  développer  dans  un  arbre  les  branches,  les  feuilles  et  les 
fruits,  sous  prétexte  que  la  racine  ou  le  pépin  même  les  con- 
tiendra ru  vertu.  C'est  au  contraire  dans  le  développement  que 
consiste  non-seuleinent  la  beaut»'  et  la  perfection,  mais  encore 
l'être  de  l'iu'bre  :  et  pour  aller  juscju'au  fond  ,  il  est  aisé  de  com- 
prendre que  ce  n'est  pas  pour  instruire  Dieu  (pie  nous  lui  faisons 
nos  demandes,  car  il  sait  tout  ce  qu'il  faut,  je  ne  dirai  pas  avant 
que  nous  lui  parlions,  mai^  avant  (pie  nous  poussions  le  premier 
désir  ;  ni  pour  le  pei-su.uler  on  TeMionvoir ,  comme  on  l'ait  nu 
homme;  ni  pom-  lui  faire  chanprer  ses  décrets,  puis(|n'on  sait 
qu'ils  sont  innnuables,  mais  pour  faire  ce  que  demandent  nos 
devoirs.  De  cette  sorte ,  il  faut  croire  d'une  ferme  foi  que  .Jésus- 
Christ,  qui  sait  ce  qui  nous  est  propre,  a  vu  (lu'il  étoit  conve- 
nable et  nécessaire  à  l'homme  de  développer  tous  ses  actes,  et  de 
former  toutes  ses  demandes  poiu*  entrer  dans  la  dépendance  où 
l'on  doit  être  envers  Dieu;  pour  exercer  les  vertus  et  les  mettre 
au  Jour,  pcMU*  s'y  adermir,  pour  se  rendre  attentifs  à  ses  besoins 
et  aux  jj^races  qui  sont  nécessaires  :  en  un  mot  pour  exercer  da- 
vantage, et  par  là  mieux  conserver ,  ou  même  accroître  et  for- 
tifier la  charité  même.  Ceux  qui  en  veulent  savoir  davantage,  ou 
(pii  recherchent  des  sublimités  exorbitantes,  sans  preuve,  sans 
temoigna.Lre,  sans  exemple,  sans  autorité  ,  ne  savent  ce  (pi'ils  de- 
mandent, et  il  n'y  a  plus  (pi'à  Inir  ri'pnmlro ,  avec  Salomon, 
selon  leur  folie  *,  c'est-à-dire  à  condanmer  leur  erreur. 

*  ftow.,  IX  ,  20.  —  *  Prof.,  XXVI,  y. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  lY,  N.  I.  445 


LIVRE     IV. 

Où  il  est  traité  i^lus  à  fond  de  la  conformité  à  la  volonté  de  Dieu. 

On  demande  en  théologie  si  tous  les  fidèles  peuvent  et  doivent      i. 
demander  à  Dieu  ces  grandes  grâces  qui  sont  suivies  de  l'effet,  'à"nZitr 
et  surtout  ce  don  spécial  de  persévérance  qui  n'est  donné  qu'aux  "so^umen'î" 
élus  '  ;  et  tous  répondent  unanimement  qu'on  doit  demander  tous  'îes'pTu'' 
ces  dons,  sans  entrer  dans  la  question  si  Dieu  a  résolu  de  toute 
éternité  de  les  accorder  ou  non.  La  raison  est  en  premier  lieu 
qu'il  est  de  la  foi  que  Dieu  veut  dormer  tous  ces  dons,  et  même  ce 
grand  don  de  persévérance  à  ceux  qui  l'en  prient  de  la  manière 
dont  il  veut  être  prié  ;  d'où  il  s'ensuit  qu'il  l'en  faut  prier  de  tout 
son  pouvoir.  Secondement,  on  est  obligé  de  demander  à  Dieu 
son  royaume  céleste,  et  par  conséquent  ce  qui  y  conduit.  En  troi- 
sième lieu  on  est  obligé  de  s"aimer  soi-même  conformément  à  ce 
précepte  :  «  Vous  aimerez  votre  prochain  comme  vous-même  -  ;  » 
selon  lequel  il  est  clair  qu'on  ne  peut  aimer  son  prochain  sans 
s'aimer  soi-même  auparavant  ;  mais  on  ne  s'aime  pas  soi-même 
comme  il  faut,  sans  se  procurer,  du  moins  sans  se  désirer  tous 
les  biens  que  Dieu  a  proposés-  à  notre  foi.  En  quatrième  lieu  c'est 
à  nous  une  perfection  et  une  vertu  de  faire  cette  demande  ;  et  au 
contraire  ne  la  faire  pas,  c'est  négiiger  les  moyens  d'éviter  le 
péché,  et  entretenir  dans  nos  cœurs  une  pernicieuse  indifférence 
à  pécher  ou  ne  pécher  pas.  Enfin  en  cinquième  et  dernier  lieu, 
tout  le  monde  demem'e  d'accord  que  la  demande  des  grâces 
qu'on  nomme  efficaces,  et  celle  du  don  de  persévérance,  sont 
clairement  et  formellement  renfermées ,  non-seulement  dans  les 
prières  de  l'Eglise,  mais  encore  (  ce  cpii  est  bien  plus  important  ) 
dans  les  demandes  du  Pâte?',  et  en  particulier  dans  ceUe-ci  : 
«  Ne  souffrez  pas  que  nous  succombions  à  la  tentation,  mais  dé- 

»  Suar.,  de  Reîig.,  lib.  I,  cap.  xx ,  xxi.  —  2  Marc,  un,  33. 


446  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON, 

livrez-nous  du  mal  ;  »  ce  qui  emporte  une  délivrance  étemelle 
du  péché,  et  une  victoire  entière  sur  la  tentation. 

Par  ces  raisons  les  docteurs  décident  sans  hésiter  qu'on  peut, 
et  par  conséquent  cpi'il  y  a  obligation  de  demander  à  Dieu  toutes 
ces  grâces ,  et  en  particulier  le  don  spécial  de  persévérance .  et 
même  de  le  demander  absolument  ;  car  on  met  cette  différence 
entre  la  demande  des  biens  temporels  et  celle  des  éternels,  que  les 
premiers  nétant  pas  des  biens  absolus,  on  ne  peut  aussi  les  de- 
mander absolument,  mais  seulement  sous  la  condition  de  la  vo- 
lonté de  Dieu  ;  au  heu  que  les  biens  éternels  étant  les  vrais  biens 
et  absolument  tels,  il  ny  a  point  à  hésiter  à  les  demander  abso- 
lument à  Dieu,  et  on  ne  peut  sans  lui  lïiire  injure  les  lui  demander 
avec  la  condition  sil  veut  les  donner,  pai'ce  qu'on  ne  peut  pas 
douter  qu'il  ne  les  veuiUe  domier  à  ceux  qui  les  lui  demandent, 
puisqu'il  s'y  est  engagé  par  sa  promesse. 

Ainsi  on  ne  peut  douter  de  l'obligation  ni  de  désirer,  ni  de  de- 
mander de  si  grands  biens,  et  tous  les  moyens  préparés  de  Dieu 
pour  nous  y  conduire,  sans  entrer  dans  la  ([uestion  de  ce  que 
Dieu  a  voulu  ou  n'a  pas  voulu  sur  ce  sujet  par  ses  décrets  éter- 
nels, parce  que  comme  raisonnent  très- bien  ces  théologiens,  et 
entre  autres  Suarez,  nous  n'avons  pas  à  examiner  ce  que  Dieu  a 
voulu  en  cette  sorte,  mais  ce  qui  nous  convient  et  ce  qu'il  nous 
ordomie  de  vouloir. 

C'est  aussi  à  quoi  aboutit  cette  distinction  de  l'Ecole  :  Il  y  a  une 
lio^n'^rr  volonté  qu'on  nomme  de  bon  plaisir,  par  laquelle  Dieu  décide  des 
îîmùv.",K.  événemens;  et  il  y  a  une  volonté  qu'on  appelles  signifiée,  par  la- 
boTpiu-  quelle  il  nous  commande  ce  qu'il  veut  de  nous.  Cette  dernière 
s.îy!,.r"n  constannnent  est  la  règle  de  notre  vie,  et  il  y  a  des  occasions 
f"irt":    où  nous  ne  pouvons  ni  ne  devons  regarder  l'autre. 

Et  pour  remonter  à  la  source,  il  convient  à  Dieu  comme  cause 
universeUe,  absolue,  première  et  toute-puissante,  de  vouloir  des 
choses  qu'il  ne  convient  pas  aux  hommes  de  vouloir.  Saint  Au- 
gustin ',  qui  a  établi  doctement  cette  règle  contre  les  pélagiens, 
en  a  donné  cet  exemple,  que  Dieu  peut  ne  vouloir  pas  empêcher 

1  0/).  impa-f.,  lib.  111,  cap.  xxii  et  ^oq.  usqiie  a<l  xxvii  ;  cl  lib.  IV,  c.  xxxiv, 
XXXVI. 


deux 

lonk 
«ipiic 
bo 
sir,  cl  \'ii- 

.IRC  qu'iii 
en  duit 
faire  : 

principes 

il'    sainl 
Aiii:n<lin. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  IV,  N.  III.  447 

les  crimes  qu'il  pourroit  empêcher  s'il  vouloit;,  au  contraire  il 
veut  les  permettre^  et  cependant  il  demeure  très-bon;  au  lieu 
que  si  l'homme  agissoit  ainsi,  il  ne  pourroit  être  que  très-mauvais. 
De  cette  sorte ,  dit  ce  Père  ,  Dieu  veut  des  choses  par  une  bonne 
volonté  que  nous  ne  pouvons  vouloir  que  par  une  volonté  per- 
verse ;  et  ainsi  sans  raisoimer  sur  ce  qu'il  veut  ou  ne  veut  pas  en 
lui-même ,  nous  n'avons  qu'à  considérer  ce  qu'il  veut  que  nous 
voulions. 

Toutes  ces  règles  sont  renversées  par  les  fondemens  dans  l'a-     m- 

L'.iliaiidon 

bandon  et  l'indifférence  des  nouveaux  mystiques.  Un  des  fonde-  ■"''  "■- 

•^  ^  Icndu    des 

mens  des  demandes  qu'on  doit  faire  pour  soi  et  pour  les  autres,  nouveaux 

lÈiysliiiues, 

et  peut-être  le  principal ,  c'est  l'amour  que  Dieu  nous  commande  *'*'  •■»"- 
pour  le  prochain  comme  pour  nous  ;  mais  nos  faux  mystiques  y  '»"'«  ces 
renoncent,  et  ils  ne  s'en  cachent  pas,  puisqu'ils  parlent  de  cette 
sorte  :  «  Il  faut  que  cette  ame,  laquelle  par  un  mouvement  de  cha- 
rité se  vouloit  tous  les  biens  possibles  par  rapport  à  Dieu,  s'oublie 
entièrement  de  toute  elle-mesme,  pour  ne  plus  penser  qu'à  son 
bien-aimé  '.  »  Remarquez  que  ce  qu'elle  oubhe  ce  n'est  pas  un 
amour-propre,  mais  le  mouvement  de  charité  qu'elle  av oit  pour 
elle-mesme  par  rapport  à  Dieu;  c'est-à-dire  qu'elle  s'oublie  du 
second  précepte  de  la  charité,  par  lequel  Dieu  lui  commandoit  de 
s'aimer  soi-même  avec  le  prochain,  d'un  même  amour  :  elle  re- 
fuse au  contraire  d'exercer  cet  acte,  et  ne  veut  plus  ni  à  soi-même, 
ni  au  prochain  tout  le  bien  qu'elle  lui  vouloit  par  rapport  à  Dieu. 
Si  on  lui  demande  qui  l'a  exemptée  de  ce  commandement  et  où  en 
est  écrite  la  dispense,  et  qu'elle  réponde  que  c'est  qu'eUe  craint 
de  vouloir  ce  que  Dieu  ne  veut  pas,  ou  ce  qu'elle  ne  sait  pas  que 
Dieu  veuille,  nul  ne  le  sait  sur  la  terre  et  voilà  mie  raison  géné- 
rale de  supprimer  ce  second  précepte.  Mais  si  elle  dit  que  c'est 
l'abondance  de  son  amour  envers  Dieu  qui  l'empêche  de  s'aimer 
soi-même  et  ses  frères  par  rapport  à  lui,  c'est  précisément  où  est 
l'erreur  de  croire  qu'on  s'en  aime  moins,  et  qu'on  aime  moins  le 
prochain  en  aimant  Dieu  davantage,  puisqu'au  contraire  ce  se- 
cond amour  étant  une  suite  de  celui  qu'on  a  pour  Dieu ,  nous  le 
praticpions  d'autant  plus  que  nous  aimons  Dieu  plus  fortement  ; 

1  Interpr.  du  Cant.  des  cant,,  cli.  ii,  vers.  4,  p.  44. 


448  INSTRUCTION  SUR  LES  ETATS  D'ORAISON. 

ainsi  cette  ame  prétendue  parfaite  prend  un  vain  prétexte  de  ne 
plus  exercer  Tamour  qu  elle  se  doit  à  elle-même,  en  disant  qu'elle 
s'oublie  de  tout  intcrest  de  salut  et  de  perfection  pour  ne  penser 
qu'à  Vinterest  de  Dieu  :  comme  si  Dieu  avoit  un  autre  intérêt 
que  celui  de  faire  du  bien  à  ceux  qui  Taiment,  ou  une  autre 
gloire  plus  grande  que  celle  de  se  rendre  admirable  dans  ses 
saints. 

On  voit  donc  que  cette  manière  de  séparer  nos  intérêts  d'avec 
ceux  de  Dieu,  poussée  à  l'extrémité  où  la  poussent  les  faux  mys- 
tiques ,  éteint  le  second  précepte  de  la  charité.  La  même  séche- 
resse qu'ils  ont  pour  eux-mêmes,  ils  l'ont  aussi  pour  les  autres  : 
et  au  lieu  que  Samuel  ne  cessoit  de  pleurer  et  de  prier  pour 
Saûl,  et  que  pour  faire  cesser  ses  gémisscmens  il  fallut  que  Dieu 
révélât  expressément  au  saint  prophète  la  réprobation  de  ce  mal- 
heureux roi  '  ;  ceux  ci  au  contraire  suppriment  d"t'nx-mêmes 
leurs  lamentations.  Dieu  nous  tient  ses  décrets  cachés,  de  peur 
que  nos  prières  ne  discontinuent  ;  et  comme  dit  saint  Augustin  *, 
il  n'y  a  que  le  diable  et  ses  anges  pour  (]ui  il  ne  soit  plus  permis 
de  prier,  parce  que  leur  sentence  est  déclarée ,  et  leur  éternel 
endurcissement  révélé  :  par  où  l'on  voit  en  quel  rang  nos  mys- 
tiques se  mettent  eux-mêmes,  et  tous  ceux  pour  qui  ils  déclarent 
qu'ils  ne  peuvent  plus  faire  aucune  demande. 
IV.  Il  est  vrai  qu'en  nous  tenant  le  sort  des  réprouvés  si  caché, 
cCiTn'  Dieu,  dont  les  jugemens  sont  toujours  justes,  n'a  pas  laissé  de 
dlicsiâb".  révéler  qu'il  ne  donne  pas  à  tout  le  monde  le  don  de  persévé- 
lirTT  rance ,  ni  la  gloire  éternelle  qu'il  y  a  attacliée.  A  ceux-là  il  est 
quoiqi'io  certain  (pi'il  a  voulu  et  destiné  par  sa  justice  la  soustraction  de 
ses  dons ,  de  son  amour  et  de  tout  lui-même,  comme  une  juste 
peine  de  leur  défection  volontaire,  conformément  à  cette  règle  de 
justice  expressément  déclarée  dans  l'Evangile  :  Il  sera  do?mé  à 
celui  qui  a  :  la  gloire  sera  donnée  à  celui  qui  a  la  grâce  ;  la  cou- 
ronne de  justice  sera  donnée  à  celui  qui  a  les  mérites  :  inais  pour 
celui  qui  n'a  pas  (la  grâce  et  la  charité),  même  ce  qu'il  a  (ces 
petits  restes  de  grâce  et  de  justice  qui  demeurent  dans  les  plus 
médians  )  lui  sera  ùté,  et  par  cette  soustraction,  il  sera  jeté  dans 

U  Rey.,  XVI,  1.  -  2Z)e  Civit.  Dci,  lib.  XXI ,  cap.  xxiv. 


TRAITÉ  1,  LIVRE  IV,  N.  V.  449 

les  ténèbres  du  dehors  ^  :  c'est-à-dire  séparé  de  Dieu  et  livré  à  lui- 
même.  Tel  sera  donc  le  sort  de  ces  malheureux,  et  nul  ne  sait  en 
cette  vie  s'il  est  digne  d'amour  ou  de  haine  -.  Mais  Dieu  n'exige 
des  hommes  aucmi  consentement  à  leur  perte,  quoique  justement 
résolue  par  un  irrévocahle  décret;  au  contraire  il  nous  défend 
expressément  d'exercer  sur  ce  sujet-là  aucim  acte  de  volonté, 
parce  que  cet  acte  est  de  ceux  qui  ne  conviendroient  pas  à  notre 
nature.  Il  ne  conviendroit ,  dis-je,  pas  avec  l'horrem"  que  nous 
devons  avoir  de  l'état  où  l'on  est  pri^é  de  Dieu  ;  et  ce  seroit  dimi- 
nuer cette  horreur,  et  pour  ainsi  dire  nous  apprivoiser  et  nous 
familiariser  avec  un  si  grand  mal,  que  de  nous  permettre  d'y 
consentir  ;  ce  seroit  nous  rendre  cruels  et  envers  nous  et  envers 
les  autres ,  et  nourrir  dans  les  cœm^s  chrétiens  la  sécheresse  et 
l'inhumanité.  Mais  nos  mystiques  méprisent  ces  règles  invariables 
de  la  sagesse  divine,  et  nous  avons  ouï  de  leur  bouche  cette  éton- 
nante parole  :  «  Elle  entre  (  cette  ame  prétendue  parfaite  )  dans 
les  interests  de  la  justice  de  Dieu,  consentant  de  tout  son  cœur  à 
tout  ce  qu'elle  fera  d'elle,  soit  pour  le  temps,  soit  pour  l'éternité  ^;  » 
sans  songer  que  ce  que  Dieu  veut  faire  des  réprouvés  par  sa  jus- 
tice, c'est  de  les  priver  de  lui-même,  de  ses  grâces,  de  son  amom% 
de  tout  bien  ;  à  quoi  une  ame  pieuse  ne  peut  jamais  consentir, 
tant  à  eau-  e  des  maux  que  contient  cette  privation  qu'à  cause 
de  ceux  qu'elle  attire,  comme  sont  la  haine  de  Dieu,  le  déses- 
poir et  pom-  tout  dire  en  un  mot,  l'endurcissement  dans  le 
péché. 

Il  arrive  aussi  de  là  que  ces  âmes  prétendues  parfaites,  mais      ^'■ 

Que  l'cx- 

qui  déclarent  l'extinction  de  leur  charité  par  les  dispositions  qu'on    "«sif 

•^  abandon 

vient  de  voir,  perdent  peu  à  peu  l'horreur  du  péché  que  la  piété  ^e,  nou- 

Teaux  mys- 

mspire  à  toute  ame  juste  :  car  dans  ces  fausses  sublimités ,  pre-  «'a"«s  di- 

.^  '  riiinue    en 

mierement  nous  a^ons  vu  quon  ne  demande  point  pardon  à  Dieu,  <=^^  l'hor- 
puisqu  on  ne  lui  demande  rien  du  tout  :  secondement  qu  on  n  y   réché. 
laisse  aucun  lieu  à  la  componction.  De  telles  âmes  en  approchant 
du  confessionnal,  «  au  lieu  du  regret  et  d'un  acte  de  contrition 
qu'elles  avoient  accoutumé  de  faire^  »  n'ont  plus,  à  ce  qu'elles 
disent ,  «  qu'im  amour  doux  et  tranquille  qui  s'empare  de  leur 

1  Madh.,  \Uï,  12,  e[xxv,2'),-6Q.—  ^Ecck\,ix,  L  —  ^hlterp|■ét.duC(mt.,u,l^.U. 

TOM.  xvm.  29 


450  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

cœur,  *  ;  »  et  toute  la  vivacité  de  la  componction,  avec  les  douces 
larmes  de  la  pénitence,  demeure  à  jamais  éteinte. 

Il  est  étrange  qu'on  ose  faire  ici  une  règle  pour  tout  un  état  de 
cette  cessation  de  la  contrition.  C'est  une  doctrine  connnune,  que 
les  péchés  véniels ,  même  hors  de  la  confession ,  peuvent  être 
effacés  par  un  acte  d'amour.  Je  ne  veux  pas  entrer  dans  la  ques- 
tion si  et  comment  un  acte  d'amour  sans  regret  de  chaque  péché, 
ou  du  péché ,  si  l'on  veut ,  en  général,  peut  concourir  ou  suffire 
selon  ses  diverses  circonstances  à  la  justification  du  pécheur  :  ce 
que  je  condamne  sans  hésiter  avec  tous  les  saints  docteurs,  c'est 
de  voulr.ir  être  ainsi  par  état  ;  d'exclure,  dis-je,  par  état  l'acte  de 
contrition  de  ses  péchés  ;  et  non-seulement  de  le  supprimer  quand 
il  se  présente,  mais  encore  faire  profession  de  ne  s'y  exciter  jamais  : 
car  avec  ces  exclusions  et  ces  suppressions,  l'acte  d'amour  qu'on 
croit  avoir  n'est  qu'imaginaire.  C'est  pourtant  où  l'on  veut  mener 
les  âmes  par  ces  prétendus  états  d'oraison  ;  on  y  blâme  en  géné- 
ral «ceux  (jui  veulent  se  retirer  de  là  (de  ce  doux  et  tranquille 
amour)  pour  faire  un  acte  de  contrition,  parce  qu'ils  ont  oïiy  dire 
que  cela  est  nécessaire  et  il  est  vrai  *.  »  Ou  a  bien  peur  que  ces 
âmes  ne  se  portent  à  la  contrition.  S'il  est  vrai  qu'elle  soit  néces- 
saire et  qu'on  le  reconnoisse  de  bonne  foi,  falloit-il  blâmer,  comme 
sortant  de  leur  état,  ceux  qui  forment  un  acte  de  contrition ,  ni 
leur  dire  «qu'ils  perdent  la  véritable  contrition,  qui  est  cet  amour 
infus  infiniment  i)lus  grand  que  ce  fpi'ils  pourroiciit  faire  par  cnx- 
mcsmcs?»  Tout  ce  discours  est  plein  d'erreur:  car  preiiiièreiiieiit 
s'ils  sont  vraiment  chrétiens,  loin  (]o  prétendre  lien  faire  jk/?' 
nix-mcsmcs ,  ils  croient  qiie  sans  Jésus-Christ  on  ne  peut  rien  : 
secondement  si  par  acte  infus  ils  entendent  cette  infusion  extraor- 
dinaire et  passive  dont  nous  parlerons  en  son  lieu,  il  est  faux  que 
cet  acte-là  soit  la  véritable  coniritioii,  à  l'exclusion  de  celui  ([ui 
est  répandu  d'une  autre  ?ôrte  dans  les  co'urs  ;  et  ûuix  encore  que 
cet  acte  d'iunour  infus  exclue  la  contrition,  comme  s'il  étoit  in- 
compatible avec  elle  :  au  contraire  on  sait  que  l'acte  de  contrition 
peut  être  infus  comme  tous  les  autres.  C'est  d'ailleurs  un  [irodigc 
inouï  dans  la  théologie  de  dire  que  la  contrition  déroge  à  l'amour  : 

«  (il/oj/en  court,  p.  20,  63.  —  *  Ibid.,  p.  G3. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  IV,  .\.  VI.  4oI 

et  quand  après  pour  exclure  Tacte  de  conîrition  de  certains  états 
d'oraison,  l'on  ajoute  qu'en  ces  «  états  on  a  un  acte  éminent  qui 
comprend  les  autres  avec  plus  de  perfection,  cpioyqu'on  n'ait  pas 
ceux-cy  comme  distincts  et  multipliez  '  :  »  nous  avons  vu  que  c'est 
mi  prétexte  pour  détruire  la  pluralité  des  actes  expressément  et 
distinctement  commandés ,  sous  couleur  r/'un  acte  éminrnt  qu"on 
ne  trouve  nulle  part,  ni  dans  l'Ecriture,  ni  dans  les  saints  Pères, 
comme  il  a  été  démontré  2. 

Pour  supprimer  la  contrition  on  a  un  dernier  recom's  à  l'ex-      vi. 
cellence  de  l'opération  divine,  «  et  l'on  dit  que  c'est  haïr  le  péché  Teau'xmys- 

.  ^  tiques  pro- 

comme  Dienle  hait,  de  le  haïr  de  cette  sorte  »  (sans  en  être  con-  posent  une 

,  ,  .  r\  1  nouvelle 

tnt  ni  atfhge)  ;  a  quoi  on  ajoute  cette  autre  sentence  :  «  Que  c  est  et  superbe 

.  ,  .         manière 

1  amour  le  plus  pur  que  celui  cpie  Dieu  opère  en  1  ame  :  »  mais  de  ha.r  le 
tout  cela  est  faux  encore  dans  toutes  ses  parties.  Car  pour  com- 
mencer par  la  dernière,  où  l'on  défmit  l'amour  le  plus  pur  celui 
que  Dieu  opère  en  l'ame  ;  on  a  déjà  \ti  qu'il  n'y  a  point  d'amom* 
que  Dieu  n'opère  dans  l'ame  ;  et  celui  qu'il  y  opère  par  cette  infu- 
sion qu'on  nomme  passive,  n'est  pas  plus  pm^  que  les  autres  ni 
plus  parfait,  parce  que  sa  pureté  et  sa  perfection  dépend  de  son 
objets  et  non  pas  de  la  manière  dont  il  est  produit,  comme  il  sera 
plus  amplement  démontré  ailleurs.  Quant  à  cette  superbe  sentence 
où  l'on  assure  qu'il  est  plus  parfait  de  haïr  le  péché  sans  s'en 
affliger  et  sans  en  être  contrit,  parce  que  c'est  le  hau-  comme  Dieu 
le  hait  Iwj-mesme ,  ce  sont  là  de  spécieuses  paroles,  mais  dont  la  ' 
signification  est  pernicieuse ,  et  l'on  y  recoimoît  ces  âmes  qui  ne  '  '' 
conçoivent  la  perfection  qu'en  la  poussant  sans  mesure  au  delà 
du  but.  Car  la  créature  doit  haïr  le  péché,  non  pas  comme  Dieu, 
qui  n'en  peut  être  ni  affligé  ni  contrit,  qui  le  permet  pouvant 
l'empêcher,  et  qui  par  son  étemelle  sagesse  a  mieux  aimé  en  tu-er 
du  bien  que  d'empêcher  qu'il  ne  fût.  Il  n'appartient  pas  àlacréa- 
tm'e  de  haïr  le  péché  en  cette  sorte.  Dieu  nous  commande  de  le 
haïr  comme  le  doivent  haïr  des  créatures  pécheresses;  c'est-à-dire 
comme  étant  en  elles  le  souverain  mal  le  plus  nuisible  de  tous'  les 
maux;  ce  qui  n'est  point  à  l'égard  de  Dieu,  à  qui  ses  ennemis  ne 
peuvent  nuire  ;  et  encore  comme  étant  un  mal  qui  est  de  leur 

*  Moyen  courl,  p.  64.  --  2  Ci-dessus,  liv.  III,  cli.  xxi.  '     ' 


S'il   eil 
ïrii , 
l'oubli    d 


452  INSTRUCTION  SUR  LES  ETATS  DORAISON. 

fond,  cjui  les  teute  et  qui  les  attire,  qui  se  forme  en  elles  naturel- 
lement depuis  le  péché  originel,  et  qui  les  sépare  de  Dieu;  contre 
lequel  aussi  il  nous  est  expressément  connnandé  de  nous  nuinir, 
en  disant,  non  pas  toujours,  mais  en  tout  état  et  dans  les  temps 
convenables  :  «  Pardonnez-nous  nos  fautes,  et  ne  nous  induisez 
pas  en  tentation.  » 
^■"-         C'est  encore  un  autre  excès  eiraleiucut  cundainnulile  de  donner 

CM     p,l  '-> 

1""  pom'  règle  générale,  fjttc  Votihli  est  mic  marqua  de  la  puriftca- 
5on  p.Jciio  iIqji  (Jq  g(i  faute  '  ;  cai'  saint  Pierre  n'a  i)as  oublié  son  reniement, 

est ,   coin-  ' 

""■'•'  >"^«  qu'il  a  pleuré  toute  sa  vie  iusiiu  à  s'en  caver  les  joues,  si  l'on  en 
"»""•'"'  croit  une  sainte  et  pieuse  tradition  ;  et  saint  Paul  bien  certaine- 

myiliqucs,  * 

iiiid  ui.r-  lisent  s'est  souvenu  avec  douleur  durant  toute  sa  vie  des  persécu- 

quf     qu'il 

'■''  p"-  lions  nu'il  avoit  faites  à  l'Eglise  dans  son  ignorance.  A  son  exemple 
saint  Augustin  a  pleuré  dans  son  extrême  vieillesse ,  et  après 
trente  ans  d'une  vie  si  sainte,  les  péchés  quil  avoit  commis  avant 
son  baptême.  David  à  (pii  le  prophète  avoit  amioncé  la  rémission 
de  son  péché,  ne  laisse  pas  de  demander  à  Dieu  «  (ju'il  l'en  lave 
(îiicore  davantage  :  »  Anipliîis  /ara  itte^:  lui  et  tous  les  saints  ont 
repassé  leurs  années  dans  l'amertume  de  leur  aine,  .l'accorderai 
donc  si  l'on  veut  à  ('assien,  ou  à  (jnelque  autre  spirituel  iuicien  du 
moderne,  ijue  (luelijuefois  dans  certains  momens,  et  lorsijue  l'a- 
bondance i\{i^  miséricordes  se  fait  sentir  plus  pleinement  à  une  ame, 
le  grand  calme  où  elle  se  trouve  peut  être  ime  marque  que  Dieu 
a  oublié  son  péché  :  mais  de  fiiire  de  cette  marciue  luie  règle  gé- 
nérale et  une  chose  d'étal  perpétuel,  c'(^st  une  erreur  insuppor- 
table cl  mi  manifeste  aU'olblissemenl  de  l'horreur  qu'on  doit  avoir 
en  tout  étal  pour  le  péché, 
vm.        (les  parfaits  passent  |>ourtant  encore  plus  avant,  puisqu'ils  ini- 
xMindoc-  puteni  leurs  péchés  à  Dieu,  témoin  celle  qui  dit  sm'  le  (Jaiitiqiœ  : 
u'n  luv-  «  Ne  jugez  pas  de  moy  par  la  couleur  brime  que  je  porte  au  de- 
leurs  Ai-  jiors,  \ù  \}AV  uics  défauts  extérieurs,  soit  réels  ou  apparens  ;  car 
imimici.ii  cela  ne  vient  pas  comme  aux  âmes  connncnçantes  laute  d  amour 

Dion  :  p.i«-  .  ,       ,  T     •  1     •  1  1 

S.I-.'  .u-  et  de  courage  ;  mais  c  est  (]ue  mon  divin  stdeil  par  ses  regards 
cdiiliiiuels,  anlens  et  brùlans  m'a  décolorée,  et  c'est  la  force  de 
l'amour  qui  me  sèche  la  peau  et  la  brmiit'.  »  On  ne  sait  ce  que 

»  Moyrn  court,  p.  65.  —  «  Psa!.  L,  4.  —  '  Interi>rcl.  du  Cant.,  I,  5,  p.  l'J. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  IV,  N.  VIlî.  'm 

c'est  que  ces  défauts  qu'on  attribue  à  Dieu  et  à  ses  regards,  soit 
quils  soient  réels  ou  apparens.  On  entend  encore  moins  que  ces 
défauts  ne  soient  des  défauts  que^o?/r  les  (unes  qui  commencent, 
et  n'en  soient  plus  pour  les  âmes  parfaites.  «  Cette  noirceur,  pour- 
suit-on, est  un  avancement,  et  non  pas  un  défaut  ;  mais  un  avan- 
cement que  vous  ne  devez  pas  considérer,  vous  qui  estes  encore 
jeunes,  parce  que  la  noirceur  que  vous  vous  donneriez  seroit  un 
défaut.  Elle  ne  doit  venir,  pour  estre  bonne ,  que  du  soleil  de  jus- 
tice. »  Ce  que  c'est  dans  les  âmes  que  cette  noircem'  et  que  ces  dé- 
fauts qui  viennent  du  soleil  de  justice,  c'est  un  mystère  qui  m'est 
inconnu,  et  que  l'Ecriture  ni  les  Saints  ne  m'appremient  pas  : 
nos  défauts  et  notre  noirceur  viennent  de  nous-mêmes,  et  le  con- 
traire est  impie. 

Dans  la  suite  l'amante  fidèle  prie  l'Epoux  d'ôter  les  petits  re- 
nards, qui  «  sont  quantité  de  petits  défauts,  »  qu'on  veut  appeler 
petits,  encore  f[u'ils  gastent  la  vigne,  cjuils.la  ravagent,  qu'ils 
en  abattent  la  fleur  et  y  fassent  d'étranges  ravages  * .  »  On  avoue 
pourtant  que  ces  défauts  viennent  du  maître  de  la  vigne ,  c'est-à- 
dire  de  Dieu  même  :  car  on  ajoute  :  «  Que  ferez-vous ,  pauvre 
ame ,  pour  abandonner  cette  vigne  à  laquelle  vous  estes  attachée 
sans  le  connoistre?  Ali  !  le  maistre  y  mettra  luy-mesme  de  petits 
renards,  c'est-à-dire  ces  défauts  qui  la  ravagent,  qui  en  abattent 
les  fleurs,  »  c'est-à-dire  du  moins  les  orneniens,  et  y  font  tout  le 
dégât  cju'on  vient  de  voir.  Au  lieu  de  s'humilier  de  ces  défauts , 
on  les  impute  à  Dieu  même ,  et  on  s'en  fait  un  sujet  de  gloire. 

Le  saint  homme  Gerson,  dans  le  savant  livre  qu'il  a  composé 
de  la  Distinction  des  véritables  visions  d'avec  les  fausses,  dit  «  qu'on 
trouve  de  faux  dévots ,  cjui  se  glorifient  témérairement  de  leurs 
défauts,  de  leurs  négligences  et  de  leurs  nécessités  (ou  de  leurs 
foiblesses  )  ;  chose  absurde  à  penser  :  mais  il  est  vrai  qu'ils  s'en 
glorifient  de  telle  manière,  qu'ils  pensent  que  Dieu  les  permet, 
comme  dans  saint  Paul,  de  pem'  que  la  grandeur  des  révélations 
ou  de  leurs  vertus  ne  les  enfle.  Quelle  misère,  poursuit-il,  d'une 
conscience  arrogante,  qui  n'est  ni  humiliée,  ni  guérie  de  ses  dé- 
fauts, et  loin  de  s'abaisser  s'en  ftiit  un  argument  de  son  éléva- 

^  Interprét.  du  Cunt.,  n  ,  lo,  02. 


maui 

maitiDi! 

5tir  I 
tiocti 


4oi  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  DORAISON. 

tion  '  !  »  Celles-ci  poussent  encore  la  chose  plus  loin,  puisqu'elles 
disent  qu'il  a  fallu  pour  les  détacher  d'elles-mêmes,  non-seule- 
ment que  Dieu  permît,  mais  qu'il  mit  en  elles  ces  défauts. 
Su"'  de,  ^^^*^  encore  une  autre  maxime  tpii  tend  à  étehidi'e  l'horreui"  du 
»^«»  péclié,  de  dire  que  la  perfection  consiste  à  ne  s'en  plus  souvenir, 
'j^^-  sous  prétexte  qu'on  est  arrivé  à  un  degré  où  le  ntciUeur  est  d'ou- 
'oBcCi  ^''^'  ^^  ^"'  ''^'^"^  concerne,  pour  ne  se  souvenir  que  de  Dieu  *. 
Quoi  donc,  c'est  oublier  Dieu  que  d'être  affligé  de  son  péché  pom- 
l'amour  de  lui?  Faut-il,  pour  (luhlicr  ce  qui  nous  concerne,  ne 
songer  phis  que  le  péché  souille  notre  conscience,  nous  rend 
odieux  à  Dieu  ,  nous  en  sépare?  Où  prend -on  ces  rafTmemens,  et 
pom'quoi  par  tant  d'ailifices  afl'oiblir  l'esprit  de  componction  ? 

Cepcuflaiit  sur  ces  fondemens  on  «umonce  aiLX  âmes  qui  tàcheni 
de  s'iillliger  de  leurs  [léchés  duns  h-  confessionnnl ,  qu'elles  s'en 
tiennent  à  leurs  simples  occupations* -j  c'esl-tHlire  que  la  sinq)licité 
se  jie.rd  par  la  componction.  On  dit  <U'  même  à  l'é.u^ud  de  la  com- 
munion, (jut^  les  âmes  de  ce  degré  laissent  agir  Dieu,  et  qu'elles 
'      demeurent  en  siJcnce.  On  a  déjà  entendu  ce  que  c'est  que  ce  5/- 
knce  et  ce  laisser  agir  ;c'esi-ii-dm^  demeuier  perpétueflement  et 
piU"  état   sans  s'émouvoir  ;\  la  contrition,  ni  à  aucim  acte  de 
piété,  ('/est  la  seule  pré[)aralioii  <]u'on  leur  })ernu't  avec  cette  im- 
périeuse décision  :  Qu'elles  se  don/rçnt  liien  de  garde  de  chenher 
d'autre  disposition ,   quelle  qu'elle  soit,   que  h-ur  simjde  repos 
■     '     (dans  l'entière  cessation  de  tous  les  acle.s)  ^  dette  loi  s'étend  à 
tout,  à  la  confession,  à  la  ro/naïuftion,  à  l'actio/i  de-  grâces;  eH' 
tout  cela,  leur  dit-on,  //  n'f/  a  rien  à  faire  qu'à  se  laisser  remjdh' 
de  celte  effusion  divine ,  sans  januiis  .s'aider  à  bien  faire.  Voilà 
toutes  les  leçons  que  l'on  donne  aux  âmes  dans  ce  degré  d'oraison, 
(lui  n'est  pourtant  encore  que  le  seroml.  A  (pu>lle  cessiition  de  toute 
coniponclion,  de  tout  désir  et  en  mi  mot  de  tout  acte,  ne  viendra- 
t-on  pas  dans  la  suite? 

On  a  pouit<mt  rcs.senti  que  ces  hardies  déterminations  feroient 
de  la  iteine  au  lecteur,  et  on  lâche  de  l'amuser  par  cette  restric- 
tion :  ««  Je  n'entends  pas  parler  des  préparations  nécessaires  pour 

1  D<?  Jù/.  ver.  vil.  à  ffifxis  ,  §  Trrtiuut  igitur  si/jjium,  tnin.  I,  cul.  .".ij. — 
î  Moijen  court,  p.  03.  —  »  làkl.,  l».  OG.  —  *  IbiJ.,  ch.  XM,  [>.  o7. 


Miiuvaii 


TRAITÉ  I,  LIVRE  IV,  N.  X,  XI.  455 

les  sacremens  ;  mais  de  la  plus  parfaite  disposition  intérieure  dans 
laquelle  on  puisse  les  recevoii',  qui  est  celle  que  je  viens  de  dire  ' .  » 
On  n'entend  rien  dans  ce  discours  ;  quand  on  est  dans  la  plus 
•parfaite  disposition  intérieure ,  à  plus  forte  raison  doit-on  avoir 
les  préparations  nécessaires  :  ainsi  cette  restriction  apparente  n'est 
dans  le  fond  qu'un  amusement  ;  et  on  laisse  pour  assm^é  que  ni  la 
confession,  ni  la  communion,  ni  l'action  de  grâces,  ni  aucmi 
exercic?  clu^étien  ne  demande  ni  componction  de  cœur ,  ni  aucun 
effort  quel  qu'il  soit  pour  s'élever  à  Dieu. 

La  règle  de  nos  mysticpies  pour  comioître  la  volonté  de  Dieu, 
ne  peut  pas  être  soufferte,  puisqu'elle  oblige  à  se  «  convaincre  ^"^^Àe^ 
fortement  que  tout  ce  qui  nous  arrive  de  moment  en  moment  est  ,"js"ùques 
ordre  et  volonté  de  Dieu,  et  tout  ce  cpi'il  nous  faut  ^  »  Si  nous  ""noiire'""' 
poussons  ces  paroles  dans  toute  leur  étendue ,  le  péché  y  sera  cieT.  '^ 
compris.  On  le  trouve  encore  plus  dans  celles-ci,  où  l'on  nous 
oblige  c(  à  nous  contenter  du  moment  actuel  de  Dieu ,  qui  nous 
apporte  avec  soy  l'ordre  éternel  de  Dieu  sur  nous  ^  :  »  à  la  fin 
pom-tant,  après  avoir  si  longtemps  frappé  le  lecteur  par  des  pro- 
positions si  miiverselles,  on  en  ressent  le  mauvais  effet,  et  on  con- 
clut en  disant  «  qu'il  ne  faut  rien  attribuer  à  la  créature  de  tout 
ce  qui  nous  arrive ,  mais  regarder  toutes  choses  en  Dieu  comme 
venant  infailliblement  de  sa  main,  à  la  réserve  de  nostre  propre 
péché  *.  »  Je  recevrois  l'exception  sans  peine  si  elle  étoit  plus  pré- 
cise :  mais  que  veut  dire  cette  réserve  de  nostre  propre  péché? 
Est-ce  que  le  péché  d'autrui  peut  être  imputé  à  Dieu  plutôt  que  le 
nôtre  propre  ?  Mais  s'il  faut  excepter  de  l'abandon  du  moins  notre 
péché  propre ,  il  ne  faut  donc  pas  y  demeurer  indifférent  jusqu'à 
ne  "souloir  plus  s'en  affliger,  ni  en  demander  pardon ,  ou  prier 
dêtre  déhvré  de  tous  les  maux  qu'il  attire  en  cetta  vie  et  en 
l'autre. 

Pour  soutenir  ces  excès  et  la  suppression  des  demandes,  il  fal-     xi. 

,  Vaines 

loit  changer  la  natm'e  de  la  prière ,  et  c'est  a  quoi  se  rapporte  denmiion.. 
tout  un  chapitre  dans  le  Moyen  court,  où  d'abord  on  définit  ainsi    prière 
la  prière  :  «  La  prière  n'est  autre  chose  quime  chaleur  d  amour  exdureies 


^^ucnm  court,  cli.xiii.  p   .'iT.  —  -  JhliL,   cli.  vi .  p.  26.—  '^  IbicL,  p.  29.— 


456  INSTRUCTION  SUR  LES  ETATS  D'ORAISON. 

qui  fond  et  qui  dissout  l'ame,  la  subtilise  et  la  fait  monter  jusqu'à 
Dieu  :  à  mesure  qu'elle  se  fond  elle  rend  son  odeur,  et  cette  odeur 
vient  de  la  charité  qui  la  brûle  ' .  »  Yoilà  en  passant  comme  ces 
spirituels  bannissent  les  images;  tout  en  est  plein  dans  leurs 
livi'es,  et  il  n  y  a  pas  une  demi-page  qui  en  soit  exempte  :  mais 
ce  n'est  pas  de  quoi  il  s'agit;,  et  il  nous  suffit  de  remartjuer  que 
dans  cet  amas  de  phrases,  il  n'y  en  a  pas  une  seule  où  il  soit  parlé 
de  defnande.  Yoici  au  même  chapitre  une  autre  définition  :  «  La 
prière  est  un  état  de  sacrifice  essentiel  à  la  religion  chrétienne^ 
par  larpielle  l'ame  se  laisse  détruire  et  anéantir  pour  rendi'e 
hommage  à  la  souveraineté  de  Dieu  -.  »  On  ne  voit  non  plus  la 
demande  dans  cette  définition  que  dans  la  première,  et  vous  diriez 
qu'elle  ne  soit  pas  essentielle  à  la  religion  chrétienne.  Nous  pou- 
vons donner  pour  troisième  définition  de  la  prière  ce  petit  mot  : 
«  L'anéantissement  est  la  véritable  prière  '.  »  On  ajoute  mille 
belles  choses  sur  la  gloire  que  la  prièn;  donne  à  Dieu,  mais  sans 
songer  seulement  h  l'humble  demande,  quoiqu'elle  glorifie  Dieu 
d'imc  manière  si  admirable.  Enfin  tout  ce  chapitre  n'est  fait  que 
pour  montrer  la  prière  sans  demande,  (le  n'est  pas  ainsi  que  les 
Saints  ont  traité  cotte  matière.  Saint  Jean  de  Damas  a  défini  la 
prière  :  «  L'élévation  de  l'esprit  à  Dieu ,  ou  la  demande  qu'on 
fait  à  Dieu  des  choses  convenables  *.  »  Aucun  docteur,  excepté 
ceux-ci,  n'a  expliqué  la  prière  sans  expliquer  la  demande^  et  c'est 
l'esprit  de  l'Evangile.  .lésus-Christ  snpplié  par  ses  apôtres  de  leur 
apprendre  à  prier,  leur  donne  les  sept  demaudi-s  du  Pakr,  pour 
leur  montrer  combien  la  demande  étoit  de  l'intention  de  la  prière. 
C'est  pomvjuoi  Tapùtre  saint  Paul,  le  plus  divin  interprète  do  l'E- 
vangile, parle  en  cette  sorte  :  «  Ne  vous  inquiétez  dt^  rien,  mais 
qu'en  toute  prière  et  supplication  vos  demandes  paroissent  devant 
Dieu  accompagnées  d'actions  de  grâces  ^  ;  »  ou,  comme  porte  l'o- 
riginal, d'une  manière  encore  plus  universelle  :  «  Qu'en  quelque 
état  où  vous  soyez  vos  demandes  paroissent  devant  Dieu  dans  la 
supplication  et  dans  la  prière  :  »  ce  qui  décide  en  termes  formels 
que  la  demande  est  renfermée  dans  l'esprit  et  dans  le  dessein  de 

'  Moijon  court,  ch   XX,  p.  "3,  74. —  -  P.  7.').  —  '  1'.  77.  —  *  Lih.  I!l  Or/IiofL 
fiii.,  c.  xxili.  —  »  P/iil.,  IV,  fi. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  V,  N.  I,  II.  457 

la  prière,  et  que  l'exercice  actuel  en  doit  être  très-fréquent  en 
quelque  état  qu'on  se  trouve,  comme  dit  saint  Paul. 

Si  la  demande  est  au-dessous  des  nouveaux  parfaits,  Faction     ^"•. 
de  grâces  ne  leur  conviendra  pas  davantage ,  puisque  ce  sont  ^I^^if.^f^t^ 
deux  actes  qui  se  répondent  l'un  à  l'autre ,  et  qu'après  avoir  ^''l^^^''^^ 
demandé,  il  est  naturel  qu'on  rende  grâces  d'avoir  oljtenu.  Ce-   """^'^"'^ 
pendant  ime  action  si  convenable  et  si  juste ,  qui  se  trouve  h 
toutes  les  pages  de  l'Ecriture  dans  la  bouche  des  plus  saints,  et 
qui  est  d'ailleurs  si  expressément  commandée  et  en  termes  si  uni- 
versels, est  rayée  du  nombre  des  actes  parfaits  à  deux  titres  :  l'un, 
plus  général,  parce  qu'elle  est  intéressée  comme  la  demande  ; 
l'autre ,  plus  particulier ,  parce   que  c'est  un  acte  réfléchi  et 
que  toute  réflexion  est  proscrite  dans  la  nouvelle  voie  de  per- 
fection qu'on  veut  introduire ,  qui  est  une  des  erreurs  des  nou- 
veaux mystiques,  qu'il  faut  examiner  avec  plus  de  soin. 


LIVRE  V. 

Des  actes  directs  et  réfléchis,  aperçus  et  non  aperças,  etc. 


lles.-cirt 


Il  nous  faut  donc  ici  examiner  la  nature  et  la  perfection  des      '• 

■*■  lies 

actes  directs  et  réfléchis,  où  il  faudra  aussi  parler  des  actes  dis-  «^«l'vre- 
tincts  et  confus ,  des  actes  aperçus  et  non  aperçus  ;  et  voilà  une 
ample  carrière  ouverte  à  notre  discours,  mais  que  nous  pouvons 
expliquer  en  assez  peu  de  paroles  en  la  réduisant  à  ses  prin- 
cipes. 

Pour  y  procéder  avec  ordre ,  posons  avant  toutes  choses  la  doc- 
trine des  nouveaux  mystiques  sur  les  réflexions  :  voyons  ensuite 
ce  qui  est  certain  sur  cela  dans  les  saintes  Ecritures  :  en  troi- 
sième lieu  nous  résoudrons  par  ces  principes  les  difficultés  qui 
se  présentent.  C'est  ici  un  des  nœuds  les  plus  importans  de  toute 
cette  matière,  et  il  n'y  faut  laisser  aucun  embarras. 

Premièrement  il  est  certain  que  la  nouvelle  spiritualité  rejette  Doctrine 
généralement  les  réflexions  de  tout  l'état  des  contemplatifs  ou  "y,""^' 
des  pariaits.  '    ' 


«8  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

«ur  ic!  Mûlinos  mardie  à  la  tète,  et  d'abord  il  pose  pour  fondement 
nccbi'.  de  l'état  contemplatif,  d'abdudowwr  toutes  les  réflexions  pour 
marcher  dans  la  voie  qu'on  nomme  directe  '.  Il  poursuit  :  «Vous 
ne  sauriez  avec  tous  vos  cfTorls  faire  une  seule  réflexion  '.  » 
Aussi  la  réflexion  est-elle  un  si  grand  obstacle  à  la  vie  intérieui'e, 
qu'une  raison  de  blâmer  certains  sentimens ,  c'est  qu'Us  sont 
réfléchis  :  selon  lui  a  une  réflexion  de  l'ame  sur  ses  actions 
l'empesche  de  recevoir  la  vraye  lumière,  et  de  faire  im  pas  vers 
la  perfection  '.  »  11  ne  compte  pour  de  vrais  actes  de  piété  que 
les  directs;  et  au  reste  «  il  faut  marcher  sans  réflexion  sm*  vous- 
mesmeSjjii  sur  li's  perfections  de  Dieu  *.  »  Ce  seroit  perdre  le 
temps  (]ue  d'en  rapporter  davantage. 

Malaval  a  suivi  son  fxemple,  et  si  l'on  pense  ou  (jn'on  se  sou- 
vienne de  Jésus-Christ  Homme-Dieu,  il  veut  que  ce  soit  d'une  seule 
vue  d'esjjrit^;  c'est-à-dire  par  un  acte  direct,  suns  uurune  poisre 
distincte  et  sans  notre  chois:  ce  qui  emporte  l'exclusion  de  tout 
acte  réfléchi:  c'e.sl  à  quoi  tend  encore  tout  ce  (pion  a  vu  de  cet 
acte  continu  et  universel,  de  cette  vue  simple  et  unioureuse  c^ui 
comprend  tous  les  actes,  de  cet  acte  rminrut  fjui  les  absorbe  ',  et 
jpii  fait  ainsi  cesser  toute  réflexion, 
m.  Mîiis  le  livre  où  Ion  s'explique  le  plus  hardiment  et  avec  le 
di'/rouri'  moins  de  mesures  sur  ce  sujet  conmie  sur  les  autres,  c'est  le 
*"ne»"»r  Moyen  court.  Le  principe  est  que  le  nuniveincnt  du  Saint-Esprit 
'«  du'  que  l'ame  doit  suivre,  «  ne  la  porte  jamais  si  reculer;  c'est-à-dire 
à  réfléchir  sur  la  créature,  ni  à  se  recourber  contre  elle-mesme  ; 
mais  à  aller  toujours  devant  elle  avançant  incessamment  vers  sa 
fln  '.  »  <>n  voit  ici  que  reculer  c'est  réfléchir ,  ce  qu'on  appelle  se 
recourber  contre  soy-mesme ;  et  on  oppose  ce  mouvement  à  eelni 
d'avancer  toujours  à  sa  fin,  comme  si  la  réflexion  y  étoit  un  ob- 
stacle, ou  (pie  les  bons  mouvemens  directs  ou  réfléchis  ne  fussent 
pas  également  du  Sauit-Esprit.  C'est  ce  qu'on  appelle  ailleurs  se 
reprendre  soy-mesme,  à  quoi  l'on  oppose  se  quitter  soy-mesme, 
laisser  faire  Dieu,  et  les  autres  choses  semblables  ;  c'est  cesser 

'  Guittc,  Introd.,  sect.  I,  n.  2,  p.  23.  —  *  Guide,  liv.  I  ,  eh.  n  ,  n.  n,  y.  18.— 
'  Ibiit .  di.  V,  n.  ."1".,  p.  31.  —  *  tbtfi.,  ch.  XI ,  n.  Go,  p.  4G.  —  "  .Miilaval,  I  pari., 
p.  55.  —  «  IbuL,  p.  bJ,  etc.  —  '  Moyen  court ,  §  81. 


Moynx 
court. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  V,  N.  III.  459 

de  s'exciter  au  bien  et  attendre  que  Dieu  nous  mène.  Yoilà  ce 
qu'on  appelle  l'abandon,  ou  cette  «  renonciation  absolue  à  toutes 
inclinations  particulières,  quelque  bonnes  qu'elles  paroissent  K  » 
Quand  donc  on  réfléchit  sur  ses  besoins  et  sur  les  actes  que  Dieu 
nous  commande,  ou  que  l'on  commence  à  s'y  exciter,  c'est 
alors  qu'o?i  se  reprend  soy-mesme ;  qui  est  comme  on  verra,  la 
plus  grande  faute  que  Ton  puisse  commettre  dans  la  nouvelle 
voie. 

En  conséquence  de  ce  principe,  on  lit  dans  le  Cantique  des  can- 
tiques que  «  la  vertu  de  simplicité  tant  recommandée  dans  l'Ecri- 
ture, nous  fait  agir  à  l'égard  de  Dieu  incessamment  sans  hésita- 
tion, directement  sans  reflexion  ^  »  Par  cette  simplicité  lame 
dont  le  regard  est  toujours  direct  et  sans  réflexion  ne  connoist 
pas  son  regard'^,  où  l'on  met  deux  choses  ensemble.  La  première, 
de  n'avoir  plus  que  des  actes  directs  et  sans  réflexion;  d'où  suit 
aussi  la  seconde ,  qu'on  n'a  plus  d'acte  aperçu  ;  principe  dont  on 
a  vu  les  mauvaises  suites  \  Au  reste  quand  on  jette  encore  quel- 
ques  regards  sur  soy-mesme,  c'est  une  infidélité  ^  ;  et  cela  se  pousse 
si  avant,  que  par  cette  légère  faute  l'ame  periroit  si  son  bien- 
aimè  ne  Veust  soutenue,  par  où  l'on  voit  jusques  à  quel  point  les 
réflexions  sont  bannies,  et  on  ne  sait  plus  où  en  trouver  d'inno- 
centes. 11  ne  faut  donc  pas  s'étonner  si  Ion  dit  que  cette  belle  ame 
a  deux  qualités^ ,  dont  l'une,  qui  fait  à  notre  sujet,  est  de  ne  se 
courber  jamais  vers  elle-mesme  pour  aucune  grâce  qu'elle  ait  re- 
çeuë  de  Dieu,  pas  même  pour  lui  en  faire  ses  remercîmens.  Il 
est  maintenant  aisé  de  voir  dans  quels  périls  on  jette  les  âmes  en 
les  rendant  si  ennemies  des  réflexions,  puisque  suivant  à  l'a- 
veugle les  mouvemens  directs  qu'on  leur  donne  dans  certains 
états  pour  inspirés,  elles  iront  partout  où  les  portera  leur  instinct 
avec  une  rapidité  sans  bornes.  . 

Il  est  poutant  vérita]}le,  tant  cet  état  est  peu  naturel,  qu'on 
ne  cesse  de  réfléchir,  en  disant  qu'on  ne  réfléchit  pas  ,  et  quand 
cette  ame  non  réfléchissante  dit  tout  court  :  Je  ne  suis  plus  en 

1  Moyen  court,  vi  ,  p.  26,  27,  28.  —  ^  Inferprcf.  du  Cent.,  iv ,  1,  p.  S.".  — 
3  IbùL,  9,  p.  07.  —'►Ci-dessus,  liv.  li!,  ch.  x.  —  ^  Inter/in'I.  du  Canf.,  vi, 
p.  15;).—   ^  lôid.,  VII,  7,  p.  17i. 


460  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

état  de  me  regarder  ',  c'est  clans  la  plus  apparente  extinction  des 
réflexions  une  des  réflexions  les  plus  affectées  sur  soi-même  et 
sur  son  état, 
"j  ,^     Comment  accorder  ce  sentiment  avec  ces  préceptes  dont  les 
rtUciio .  saints  LivTes  sont  remplis  :  «  Veillez  sur  vous ,  considérez  vos 

est   uiiL-  ^  •" 

iw  [t  voies,  que  vos  yeux  précèdent  vos  pas,  prenez  garde  à  vous;  » 
"a«  r.  I.''  c'est-à-dire,  selon  saint  Basile ,  «  observez  le  temps  présent,  pré- 
Toj«  .i,.ï  voyez  l'avenir  *,  »  et  cent  autres  de  celte  sorte  :  en  vérité  je  ne 
p»rfjiii.  l'entends  pas.  Je  n'accorde  non  plus  ces  discours  avec  ces  sen- 
tences des  Pères,  où  l'on  nous  montre  que  les  précautions ,  les 
circonspections,  les  examens  de  la  conscience,  et  les  autres  qu'on 
nous  prescrit  font  la  sûreté  de  la  vie.  On  pourroit  rapporter  ici 
toutes  les  règles  des  solitaires,  tous  les  traités  ascétiques  de  saint 
Basile  et  des  autres  ;  et  si  l'on  répond  sans  autorité  et  sans  preuve 
que  ces  saintes  in-tilutions  nr  regardent  «[ue  les  commençans,  je 
répondrai  au  contraire  (jue  la  réflexion  est  une  force  de  Tame,  et 
(jne  ratlrlliucr  si  nniversellemi'nt  ;\  foiblesse  ,  c'est  un  mani- 
feste parallogisme.  .l'avoui'  liii-ii  (iiTm  général  la  réflexion  est 
une  iiiii)t'rr»'(ti(»n  de  la  nature  humaine,  puisqu'on  ne  la  trouve 
point,  je  ne  dirai  pas  dans  la  Divinité,  mais  dans  les  plus  su- 
blimes opérations  de  la  nature  angélique  ou  des  esprits  bien- 
heureux.  Mais  en  l'état  où  nous   sommes,  c'est  une  force  de 
l'ame,  (|uc  l'Ecriture  nous  mar([ue  dans  les  plus  parfaits  pour 
trois  raisons. 
^-         La  première  est  que  la  réflexion  afrermil  nos  actes,  et  cet  affer- 

Troi»  ni-  *■ 

«""•''■    missemcnt  nous  est  nécessaire  tant  (uu^  nous  sommes  dans  cette 

celte  vc-  * 

riM  :pr.-  vit',  OÙ  nous  ne  voyons /7//V;/;wr//r',  comme  dit  saint  Paul'',  c'est- 

niiirc  rai- 

'on.o.TM  à-dire  imparfaitement.  De  la  foiblesse  de  nos  vues  vient  celle  de  nos 
1.1  n.i.ir, ,  résolutions.  En  cet  état  Dieu  a  voulu  mettre  dans  l'esprit  humain 

la  no,  c«-  ^ 

«iic  ri  u  la  force,  pour  ainsi  parler,  de  redoulder  ses  actes  par  la  réflexion, 

force  .le  la  '  ^  ^  ,  ^  ' 

reneiion.  pour  donucr  de  la  fermeté  à  ses  mouvemens  directs;  ainsi  les 
actes  directs  ont  quehpie  cliose  de  plus  simple,  de  plus  natiii'cl, 
de  plus  sincère  peut-être,  qui  vient  plus  du  fond  si  vous  voulez  ; 
mais  les  réflexions  qui  ont  la  forc(^  de  les  confirmer  venant  par- 

»  Interprét.  du  Gant.,  viii,  2,  p.  183.—  *  Uomil.  in  Attende  tibi  ipsi.—  »  1  Cor., 
xiii,  0. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  V,  N.  Yl.  461 

dessus^  elles  font  dire  à  David  :  «  J'ai  juré  et  j'ai  résolu  de  garder 
les  lois  de  votre  j  ustice  ' ,  » 

C'est  pourquoi  la  réflexion  est  appelée  l'œil  de  l'ame,  parce  que 
l'acte  direct  n'étant  pas  le  plus  som'cnt  assez  aperçu,  la  réflexion  en 
l'apercevant  TafTermit  avec  connoissance,  et  comme  par  un  juge- 
ment conflrmatif.  Elle  a  aussi  ses  profondeurs,  lorsque  nous  faisons 
ces  réflexions  profondes ,  qui  font  entrer  si  avant  nos  résolutions 
dans  notre  cœur.  C'est  une  vaine  pensée  de  s'imaginer  qu'à  force 
d'avoir  réfléchi  on  n'a  plus  besoin  de  le  faire  ;  ce  qui  pomToit  être 
vrai  jusqu'à  un  certain  degré,  mais  non  jamais  simplement  et 
absolument.  Tant  que  le  jugement  peut  vaciller,  et  que  la  volonté 
est  muable,  la  réflexion  leur  est  nécessaire.  Saint  Thomas  n'a  pas 
prétendu  atîoiblir  les  actes  de  la  volonté,  lorsqu'il  a  dit  «  qu'elle 
étoit  naturellement  réfléchissante  sur  elle-même,  qu'on  aimoit  à 
aimer,  qu'on  vouloit  vouloir  -,  et  le  reste.  Tout  cela  grave,  for- 
tifie, imprime  les  actes  dans  le  cœm%  inspire  des  précautions  ;  et 
si  l'on  dit  que  les  parfaits  n'en  ont  pas  besoin  tant  qu'ils  sont  en 
cette  vie  ._  on  dément  encore  David,  lorsqu'il  dit  :  «  J'ai  repassé 
mes  années  ;  »  et  encore  :  «  J'approfondirai  vos  commandemens  ;  » 
et  encore  :  «  J'ai  considéré  mes  voies,  et  j'ai  tourné  mes  pas  du 
côté  de  vos  préceptes  ;  »  et  encore  :  «  Combien  ai-je  aimé  votre 
loi?  »  et  encore  :  «  Votre  serviteur  garde  vo.-;  préceptes  ;  on  est 
l)ien  récompensé  en  les  gardant';  »  et  le  reste  qu'on  trouve  à 
toutes  les  pages. 

Le  second  effet  de  la  réflexion,  c'est  (ui'elle  produit  l'action  &î     vi. 
grâces  tant  commandée  à  tous  les  fidèles  par  saint  Paul  :  «  Rendez     a-on 

°  '-  .    pour  la ré- 

graces  à  Dieu  en  toutes  choses;  que  votre  action  de  grâces  lui  ^-^;  <■,  en 

,  ,  -.ce    qu'elle 

soit  présentée  en  tout  état,  en  toute  prière,  en  toute  supplica-   i.."duit 

--      l'ai-Uon  de 

tion  *,  »  et  le  reste.  Cette  action  appartient  aux  plus  forts,  et  elle  tr,ces  : 

l'iTiLxiou 

est  de  la  parfaite  justice,  puisqu'elle  glorifie  Dieu  dans  son  ou-  <!■,:,  nou- 

Vi'.m  njjs- 

vrage  le  plus  excellent,  qui  est  la  communication  de  ses  grâces,  nqnesur 

celle  de 

Marie  pleine  de  grâces  et  de  Jésus- Christ  qu'elle  porte  daus  son  job. 
sein,  chante  les  merveilles  que  le  Tout-Puissant  a  faites  en  elle  : 
elle  s'en  réjouit  et  l'en  glorifie.  Après  son  exemple  faudroit-il 

1  Psul.  cxviii,  loc  — M^  11'%  q.  26,  art.  2.—  ^  Pml.  cxviii,  59,  C),  etc.  — 
*  l'hil.,  IV,  6. 


462  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  DORAISÛN. 

parler  des  autres  saints?  Souvenons -nous  néanmoins  du  saint 
homme  Job,  qui  disoit  :  «  J'ai  été  l'œil  de  l'aveugle  et  le  pied  du 
boiteux  :  j'ai  été  le  père  des  pauvres,  la  consolation  et  la  défense 
du  délaissé  •  :  j'ai  fait  un  pacte  avec  mes  yeux  pom'  ne  point  laisser 
aller  un  regard  furtif ,  ni  le  moindre  désir  vers  une  vierge;  si 
j'ai  mangé  mon  pain  seul,  et  que  je  ne  l'aie  point  partagé  avec 
l'orphelin  vl  l'étranger  ',  »  et  le  reste,  que  tout  le  monde  sait  par 
cœur  :  il  n'y  a  qu'à  dire  que  ce  sont  là  des  di.^cours  d'un  impar- 
fait, et  ne  trouver  la  perfection  que  dans  les  (juiétistes. 

J'en  connois  un  des  principaux,  dont  j'ai  lu  un  commentaire 
sur  Jo//,  où  il  ose  dire  que  ce  discours  du  saint  homme  Job  que 
lui  ins[)ire  la  condance  d'une  conscience  innocente,  est  celui  que 
Dieu  a  repris  d;ms  le  chapitre  xxxvin  et  dans  les  suivans ,  pen- 
dant «pie  Dieu  déclare  lui-même  que  le  sujet  de  s«'s  invectives 
étoit  les  discours,  non  pas  où  Job  racontoit  les  bienfaits  de  Dieu 
pour  le  glorifier,  mais  ceux  où  il  sembloit  vouloir  disputer  avec 
lui  et  fnlminer  contre  sa  justice  ;  ce  que  Dieu  rabat  en  ces  termes  : 
«  Anéantire/.-vous  nn^s  jugemens,  et  me  condamnerez-v<Mis  pour 
vous  justifier '?  »  et  le  reste  ([uil  est  inutile  de  rapporlei'. 
vu.         Le  troisième  effet  de  la  réflexion  est  felui  iranimer  notre  <'oii- 
^7»i'on""  fiance,  et  d'exciter  nos  prières  :  «  Si  notre  co-ur  nous  rei»rend, 
Tulyf'  Dieu  est  plus  grand  que  notre  cœur,  et  il  connoit  toutt's  clioses  : 
'dÛiM»    si  notre  cœur  ne  nous  reprend  pas,  nous  trouvons  de  laconflimco 
c.miiwô*  auprès  de  Dieu,  et  nous  pouvons  tout  obtenir  par  nos  prières*. 
Voilà  ce  qui  nous  fait  connoitre  (pie  nous  sonunes  enfans  de  la 
vérité,  et  nous  ibrtilions  notre  cceur  en  sa  présence ^  »  Si  c'est 
là  encore  un  discours  adressé  aux  imparfaits,  c'est  donc  aussi 
inqierfection  de  dire  :  «  J'ai  achevé  un  bon  combat;  j'ai  accompli 
ma  course;  j'ai  gardé  la  foi,  et  au  reste  la  couronne  de  justice 
.    m'est  réservée  *,  »  etc. 

Tels  sont  les  fruits  de  la  réflexion  dans  les  plus  grands  saints, 
et  dans  l'.qiôtre  saint  Taul  à  la  veille  de  son  martyre  et  de  la  con- 
soiniiiation  de  son  sacrilice.  Une  sainte  inilignalion  saisit  le  lec- 
li'ur,  (luaiid  il  voit  éluder  ces  beaux  sentimens  par  de  vaines 

>'Jo/i,  ^XIX,  15  et  scq.  —  » /6iV/..  XXXI,  1.  —  ^  Juh,  xl,  3,  etc.  — '•  I  Joan., 
III,  -û-ilJ.  —  ''Ibid.,  19.  —«11   Innulh.,  iv,  7. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  Y,  N.  YllI,  IX.  463 

subtilités,  qui  n'ont  pour  tout  fondement  qu  une  perfection  ima- 
ginaire. 
Yoici  pourtant  un  passage  qu'on  allègue,  et  c'est  dans  le  cha-     vm. 

Passage 

riot  d'Ezéchiel  :  «  Cet  esprit  de  vie  qui  est  dans  les  roues ,  cette  <i  E^échiei 

qu'on   op- 

impétuosité  de  l'esprit  qui  les  portoit ,  et  portoit  les  animaux  p»se  à  u 

réflexion. 

mystiques  chacun  toujours  devant  soi,  sans  s'arrêter  dans  leur 
marche  ni  retourner  sur  lem-s  pas  *  ;  »  par  où  l'on  entend  la  ces- 
sation des  réflexions  :  je  le  veux,  et  je  conclus  que  cette  cessation 
se  trouve  en  effet  dans  l'inspiration  et  impression  prophétique , 
mais  non  pour  cela  dans  un  certain  état  d'oraison  d'une  manière 
fixe  et  perpétuelle.  Dieu  suspend  la  réflexion  quand  il  lui  plait  : 
la  question  est  de  savoir  s'il  y  a  des  états  en  cette  vie  où  il  l'ôte 
tout  à  fait,  et  si  l'on  peut  passer  en  règle  qu'elle  n'appartient 
qu'aux  imparfaits,  contre  tant  de  témoignages  exprès  qu'on  vient 
de  voir  du  contraire  dans  l'Ecriture. 

On  prétend  décréditer  la  réflexion  en  l'exprimant  par  ces     ix. 
odieuses  paroles  de  retour  sur  soy-mesme  ;  mais  c  est  encore  une  tom- 


soi-memi; 


illusion  :  il  y  a  des  réflexions  et  des  retours  sur  soi-même  d'mi  sont  biâ- 
orgueil  grossier,  comme  celui  du  pharisien  pour  vanter  ses  œu-  les  spin. 
vres,  sous  prétexte  d'action  de  grâces.  Mais  saint  François  de  lencrdc 
Sales  nous  apprend  des  tours  plus  délicats  de  l' amour-propre ,  ^m^aTL- 
lorsque  «  sans  cesse  et  par  des  replis  ou  retours  perpétuels  sm*  ^aini  aT- 
nous-mesmes,  nous  voulons  penser  queues  sont  nos  pensées,  loraison 

•  1  •11-  •  ..1.  ne  se  con- 

considerer  nos  considérations ,  voir  nos  veues ,  discerner  que  nou  pas 
nous  discernons  ;  ce  qui  jette  l'ame  dans  un  labyrinthe  et  un  en- 
tortillement, qui  oste  toute  la  droiture  de  nos  actions  et  toute 
la  bonne  sève  de  la  piété  ^  »  L'oraison  de  telles  gens  est  un 
trouble  perpétuel  dans  l'oraison  même,  dont  ils  quittent  les  doux 
mouvemens ,  «  pour  voir  comment  ils  se  comportent ,  s'ils  sont 
bien  contens,  si  leur  tranquillité  est  bien  trancpiille,  leur  quié- 
tude assez  quiète  '  ;  »  jamais  occupés  de  Dieu,  et  toujours  atten- 
tifs à  leurs  sentimens.  ' 

C'est  assurément  un  des  plus  dangereux  amusemens  de  ceux 
qui  prient,  parce  qu'alors,  dit  ce  grand  maître  de  la  vie  spiri-    . 

1  Ezech.,  I.  —  -  Am.  de    Dieu,  liv.   VI,  chap.  i.  —  ^  Am.   de  Dieu  ^  liv.  YI, 
ch.  XIII. 


464  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  DORAISON. 

tiielle,  ce  71' est  plus  Dieu  qu'on  ?'CQar(le\  mais  soi-même  :  doù 
il  conclut  que  «  ccluy  qui  priant  s'apcieoil  qu'il  prie,  n'est  pas 
pirfaitemcnt  attentif  à  prier,  et  divertit  ?on  att'?nliou  pour  penser 
à  la  prière,  par  laquelle  il  prie;  »  ce  qu'au  rapport  de  l'abbé  Isaac 
chez  Cassien ,  saint  Antoine  exprimoil  encore  plus  fortement , 
lorsqu'il  diM)it  que  «  l'oraison  du  solitaire  ii'e^t  pas  véritable , 
lorsqu'il  se  connoit  lui-même  et  sa  prière,  qui  est,  disoit  Cassien. 
une  sentence  céleste  et  plus  divine  qu'humaine  '.  » 

De  tels  retoui*s  sur  soi-même  sont  mie  jjàlure  de  l'amour- 
propre,  et  un  obstacle  à  la  prière  :  u  Si  vous  voulez  regarder 
Dieu,  poursuit  saint  François  de  Sales,  regardez-le  donc  :  si  vous 
reflt'chissez  v\  si  vous  retournez  vos  yeux  sur  vous-mesme  ptnir 
voir  la  contenance  que  vous  tenez  en  le  regardant,  ce  n'est  plus 
l;iy  (jue  vous  regardez,  mais  vostre  maintien.  » 

L'on  voit  ici  (piel  retour  sur  soi-u.'  land  dlicclcui'  des 

âmes  a  voulu  coml>allre  :  c'est  dan>  i:  un  l'etour  de  l'a- 

mour-propre  sur  soi-même,  pour  s'appuyer  sur  ses  actes  connue 
siens;  car  si  on  les  regardoit  comme  étant  de  Dieu  et  allant  à 
Dieu,  connue  ayant  Dieu  pour  principe  et  Dieu  pour  (»bjet,  on  ne 
seretoMrnen.it  point  sur  eux  poiu"  s'y  complaire,  comme  pour 
:  !•  mirer  dedans  et  y  regarder  sa  propre  beauté;  mais  tout  en 
mouvement  vers  Dieu,  on  ne  feroit  d'att«Mifion  sur  ces  aeles  (pie 
[>our  en  rendre  à  Dii'U  tonte  la  gloire  ;  ce  (jni  est  à  la  vérité  une 
sorte  de  réflexion,  mais  (pii  bien  loin  trarrêter  1  homme  en  lui- 
même,  se  joint  à  l'impression  de  l'acte  direct  et  ne  fait  que  le  con- 
firmer ;  en  sorte  que  l'oraison  avec  ses  réflexions  et  actions  de 
grâces,  est  un  encens  brûlé  devant  Dieu  «pii  monte  toiM  «'iitier 
vers  le  ciel. 
X.  Remanpiez  donc  cette  dillérence  des  saintes  ivllcxioiis  qnins- 

i!!!'7r'nT- pii*e  laniour  de  Dieu,  et  des  retours  sur  soi-même  qu'inspire 
,i„'nip'rr  lanionr-propre.  Dans  les  premiers,  l'amc  miitpiement  possédée 
dÎ'cu  dv  de  Dirii .  ne  réfléchit  sur  ses  monveinens  que  pour  les  lui  raj)- 
'quwlui'  porter;  dans  l.'s  autres  elle  se  comi»laît  elle-même;  elle  vent  se 
'p'roprT  pouvoir  dire  à  elle  même  dans  son  cieur  :  Je  prie,  Je  m'occupe 
de  Dieu  ;  [leiiilanl  ([ue  sous  ce  pri-trxtc  au  fond  elle  s'occupe 
»  Am.  de  Dieu.  liv.  i.\  ,  rli.  x.  —  -  Cuil.  l\,  de  Oral.,  .i\. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  V,  N.  XI,  XII.  463 

d'elle-même,  et  qu'elle  clierclie  à  se  glorifier  de  faire  bien_,  ce  qiii 
est  se  remercier  soi-même,  et  non  pas  Dieu. 

Saint  Paul  explique  cette  impression  de  la  véritable  piété  par     xi. 


Preuve 


ces  paroles  :  «  Tout  ce  que  je  fais,  c'est  qu'en  oubliant  ce  qui  est  .vident' 
derrière  moi  et  m'a^ançant  vers  ce  qui  est  devant ,  je  cours  in-  Pau^'" 
cessamraent  vers  le  bout  de  la  carrière  et  à  la  récompense  qui 
m'est  destinée  ' .  »  Yoilà  un  liomme  dans  un  mouvement  bien  di-  . 
rect,  puisqu'il  ne  regarde  que  le  terme  où  il  doit  tendre,  et  qu'il 
oublie  tout  ce  qu'il  a  fait  :  néanmoins  après  tout  il  se  sent  aller,  et 
il  dit  :  «  Je  poursuis  ma  course,  je  m'avance,  je  m'étends^.  » 
A  Dieu  ne  plaise  que  nous  pensions  que  ce  soit  là  un  mouvement 
de  commençant,  puisqu'il  ajoute  :  «  Ayons  ce  sentiment  tant  que 
nous  sommes  de  parfaits.  »  Que  si  l'on  dit  que  saint  Paul  se  sent 
aller  par  conscience,  comme  on  parle,  de  son  sentiment,  plutôt 
que  par  réflexion,  quoi  qu'il  en  soit,  il  se  sent  aller  sans  aucun 
retour  d'amour- propre  :  et  quand  il  en  vient  à  la  réflexion  mani- 
feste, qui  lui  fait  dire  :  «  J'ai  livré  un  bon  combat,  j'ai  gardé  la 
foi,  j'ai  achevé  ma  course,  et  la  com'onne  de  justice  m'est  ré- 
servée ^,  »  l'amour-propre  ne  le  domine  pas  davantage ,  puisque 
toutes  ses  réflexions  ne  font  que  se  joindre  au  mouvement  droit 
qui  le  porte  à  Dieu  et  le  fortifle,  pour  accomplir  ce  qu'il  dit  lui- 
même  :  «  Nous  avons  reçu  un  esprit  qui  nous  fait  savoir  ce  qui 
nous  est  donné  de  Dieu  *.  » 

On  voit  donc  ici  un  homme  parfait,  qui  se  sent  lui-même,  qui 
réfléchit  sur  lui-même ,  mais  uniquement  pour  glorifier  Dieu 
davantage  ;  et  en  passant  ce  parfait-là  se  propose  la  récompense 
au  ]]Out  de  la  carrière  ;  où  il  réfute  deux  erreurs  des  nouveaux 
mystiques  :  l'une,  que  les  parfaits  ne  réfléchissent  pas  ;  l'autre, 
qu'ils  ne  songent  point  à  la  récompense,  et  que  ce  n'est  point  là 
un  acte  d'amour  pur  ;  directement  contre  saint  Paul,  qui  enseigne 
que  c'est  l'acte  d'un  homme  parfait,  par  conséquent  un  acte  d'a- 
mour très-pur,  sans  quoi  il  n'y  a  point  de  perfection. 

On  demande  ici  comment  il  faut  prendre  cette  parole  de  saint     xn. 
Antoine,  et  après  lui  du  saint  évêque  de  Genève,  que  la  vraie    uo^foê'' 
oraison  ne  se  connoit  pas  elle-même  ;  à  quoi  je  réponds  que  si  iok,eei,le3 

1  l'idl.,  III  ,  13,  !4.  —  2  Ibid.  —  3  II    Timoth.,   iv,   7.  —  M  Cor.,   x\ ,  12. 

TOM.  xvm.  30 


466  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'OR,\ISON. 

auires    Cela  étoit  vrai  universellement,  sainte  Thérèse,  par  exemple. 


l'oraison 
ne  se  con- 

noil  pas 
e!le-niéir:e 


disënM^uê  n'auroit  pas  écrit  avec  tant  de  simplicité  et  d'humilité  de  si 
grandes  choses  sur  son  oraison.  Saint  François  de  Sales  lui-même 
n'auroit  pas  dit  avec  la  simplicité  et  la  magnanimité  qui  ne  se 
'èn":p''r'i'!  trouve  que  dans  les  grandes  âmes  :  «  J'ay  esté  ce  matin  un  peu 
"intrTZ'  en  sohtude,  où  j'ay  fait  un  acte  de  résignation  nompareille*  :  » 
Samuel.   ^  ^j.\q[i  gang  doutc ,  et  il  prioit  très-paiiaitement,  puisqu'il  pro- 
duisoit  une  tcUe  résignation  ;  mais  en  même  temps  il  entendoit 
sa  résignation  et  sa  prière  ;  et  dans  cette  vue  il  s'écrie  :  «  0  que 
bienheureuses  les  âmes  qui  vivent  de  la  seule  volonté  de  Dieu  !  » 
Dieu  lui  imprima  dans  le  cœur  qu'il  s'étoit  passé  en  lui  quelque 
chose  qui  se  ressentoit  de  cet  état.  Cent  traits  semblables  de  ce 
saint  auteur  et  des  autres  saints,  feront  voir  qu'on  ne  peut  sans 
absurdité  prononcer  que  tous  ceux  qui  prient  parfaitement  n'en- 
tendent rien  dans  lem-  oraison;  et  saint  Antoine  lui-même,  de 
qui  est  cette  belle  sentence ,  lorsqu'il  voyoit  venir  le  soleil  et  qu'il 
s'écrioit  dans  la  ferveur  de  son  esprit  :  «  0  soleil,  pourquoi  me 
troubles- tu  *  ■?  »  sentoit  bien  qu'il  avoit  prié  avec  un  doux  recueil- 
lement pendant  toute  hi  nuit,  ce  qui  n'est  pas  ignorer  absolu- 
ment sa  prière.  11  veut  donc  dire  que  «  souvent,  »  fréquenter, 
dans  l'oraison  de  transport,  que  Cassien  qui  nous  a  conservé  cette 
parole  de  saint  Antoine,  appelle  pour  cette  raison  l'ow/.w??  defev, 
dans  «le  ravissement,  dans  le  transport,  »  in  excessu  mentis, 
il  se  passe  bien  des  choses  dans  le  cœur ,  que  des  amans  trans- 
portés disent  en  secret  au  bien-aimé  qui  voit  tout,  plutôt  qu'ils 
ne  les  ressentent  ou  n'y  ré  fléchissent  ;  car  tout  n'est  pas  réflexion, 
et  parmi  les  réflexions  il  y  en  a  de  si  délicates,  qu'elles  échap- 
pent à  l'esprit.  On  voit  aussi  par  toute  la  suite  que  la  sentence  de 
samt  Antoine  regardoit  un  genre  d'oraison  extatique,  et  non  pas 
en  général  toute  oraison,  même  parfaite.  Quand  Anne  mère  de 
Samuel  fit  juger  au  saint  homme  lléli  par  le  mouvement  irrégu- 
lier de  ses  lèvres,  qu'elle  étoit  ivre,  elle  sut  bien  lui  répondre 
«  qu'elle  ne  rétoit  pas,  mais  seulement  qu'elle  avoit  parlé  dans 
l'excès  de  sa  douleur'  ;  »  il  est  dit  expressément  qu'elle  ne  par- 
loit  que  dans  le  cœur  ;  ses  lèvres  alloient  sans  proférer  aucun 

>  Liv.  IV,  IcU.  1.  —  *  Cass.,  coll.  ix ,  de  Orat.,  31.  —  3 1  Rcg  ,1,12  et  seq. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  V,  N.  XIII,  XIV.  467 

mot.  Ce  mouvement  marquoit  le  saint  transport  de  son  ame ,  et 
pouvoit  l'empêcher  d'entendre  distinctement  ce  qu'elle  disoit  à 
Dieu,  dans  Vamertume  de  son  cœur  et  avec  tant  de  larmes  ^  Elle 
savoit  bien  néanmoins  ce  qu'elle  avoit  voulu  demander  à  Dieu , 
et  le  vœu  qu'elle  lui  avoit  fait  pour  obtenir  un  fils.  Ce  sont  de  ces 
oraisons  de  transport  où  la  réflexion  a  peu  de  part ,  et  peut-être 
point.  Tout  se  passe  entre  Dieu  et  l'ameavec  tant  de  rapidité,  et 
néanmoins  (  quand  il  plait  à  Dieu  )  avec  tant  de  tranquillité  et  de 
paix,  que  Tame  étonnée  de  se  sentir  mue  par  un  esprit  si  puissant 
et  si  doux  à  la  fois,  ne  se  connoît  plus  elle-même. 

On  peut  attribuer  à  un  semblable  transport  et  à  une  espèce    xm. 
d'extase  ce  qui  arriva  à  saint  Pierre,  lorsqu'il  fut  délivré  de  la  pri-  ^,'1'^" 
son  d'Hérode-.  Il  s'éveille  frappé  par  l'ange,  il  se  lève,  et  il  voit  '.t'eft' 
tomber  toutes  les  chaînes  de  ses  mains  ;  il  prend  ses  habillemens  s'iint Vul 
l'un  après  raiitre  au  commandement  de  Fange,  sans  s'apercevoir 
de  ce  qu'il  fait  ;  enfin  après  avoir  passé  tout  hors  de  lui-même 
deux  corps-de- garde  et  ime  porte  de  fer  qui  s'ouvrit  devant  lui, 
marchant  le  long  d  une  rue ,  il  commence  à  revenir  à  soi,  et  tout 
ce  qui  s'étoit  passé  auparavant  lui  avoit  paru  comme  mi  songe  ; 
tant  il  se  sentoit  peu  lui-même  dans  cette  espèce  d'extase,  et  tant 
l'étonnement  d'mi  prodige  si  inespéré  déroboit  tout  ce  qu'il  fai- 
soit  à  sa  connoissance.  C'est  encore  dans  un  transport  et  dans  le 
ravissement  de  son  esprit,  que  saint  Paul  enlevé  au  troisième 
ciel  et  étonné  des  paroles  qu'il  y  entend ,  ne  se  connoît  plus  lui- 
même,  et  ne  sait  s'il  est  dans  son  corps,  ou  s'il  en  est  séparé  \ 
Yoilà  ce  qu'opère  letransport  ;  et  il  ne  faut  pas  douter  que  dans 
de  telles  ou  de'  semblables  opérations  de  l'esprit  de  Dieu ,  il  ne 
se  passe  beaucoup  de  choses,  que  les  âmes  font  ou  souffrent  sans 
le  sentir  distinctement. 

S'il  faut  encore  aller  plus  avant,  je  dirai  que  quelquefois  l'ame     xiv. 
s'aperçoit  de  ses  sentimens,  et  que  quelquefois  elle  ne  s'en  aper- 
çoit pas ,  ou  ne  s'en  aperçoit  que  confusément.  'se's's'Lfi- 

Qu'on  s'aperçoive  souvent  de  ses  sentimens,  saint  Paul  l'a  '"ÔÛLf 
déclaré  expressément  par  ces  paroles  :  «  Qui  sait  ce  qui  est  en  '"përcô™ 
l'homme,  si  ce  n'est  l'esprit  de  l'homme  qui  est  en  lui?.  »  ^\^^ 

>  I  lieg.,  \,  10.  —  2  Ad.,  xii.  -  s  II  Cor.,  xn,  3.  —  M  Cor.,  u,   n. 


SouTeiit 
l'ame  s'a- 


468  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

d.5 doux  Qu'il  y  ait  aussi  dans  Ihomme  des  sentimens  qu'il  n'apprçoit 
i.irf.ûi.  pas,  David  le  décide  en  s'écriant  :  «  Qui  conuoit  ses  péchés?  Pu- 
rifiez-moi de  mes  fautes  cachées  '  :  »  cela  arrive  dans  les  bonnes 
choses  comme  dans  les  mauvaises ,  puisque  «  nul  ne  sait  s'il  est 
digne  damour  ou  de  haine';  »  l'on  ne  sait  donc  aussi  si  soi- 
même  l'on  aime  Dieu ,  ou  si  on  ne  l'aime  pas,  puisque  si  on  sa- 
voit  assurément  qu'on  l'aimât,  on  sauroit  aussi  qu'on  ne  l'aime 
pas  sans  eu  être  aimé,  et  on  verroit  lamour  que  Dieu  a  poiur 
nous  dans  celui  (ju'on  auroit  pom*  lui.  Mais  encore  un  coup,  le- 
quel des  deux  est  le  plus  parlait ,  ou  de  connoilre  ses  actes  pom* 
en  rapporter  la  gloire  à  Dieu,  selon  ce  que  dit  saint  Paul  :  «  Qui 
sait  ce  qui  est  en  l'homme,  sinon  l'esprit  de  Ihomme  qui  est  en 
lui  ?  »  et  après  :  «  Nous  avons  reçu  de  Dieu  un  esprit  pour  con- 
noitre  ce  qui  nous  est  donné  de  Dieu  '  ;  »  ou  de  ne  le  pas  con- 
noilre, rX  d'aimer  Dieu  sans  songer  qu'on  l'aiuic  et  sans  même 
savoir  ou  songer  «  e  (pie  c'est  quaimer  :  ijui  cnlrepreutha  de  le 
décider,  si  ce  n'est  celui  qui  veut  savoir  ce  (pie  Dieu  a  réservé  à 
sa  connoissance  ? 

XV.  Tout  ce  (jue  je  sais,  c'est  (jue  Dieu  veut  (pielipiefois  rendre  une 
mèniilZ  aine  attentive  à  l'amour  qu'elle  a  jjour  lui ,  à  peu  près  de  la  même 

Tonn.Ti  sorte  (jue  lors(pi"il  dit  à  saint  l'ierie  jus(prà  trois  lois  :  Pierre, 
'""*""""'  /n'fih/iiz-rous'''*  Condiien  de  semhlaldes  iiilerrogations  se  l'ont 
souvent  dansées  secrets  C(»lloques  des  âmes  avec  Dieu,  où  il  sembl»^ 
leur  demander  en  les  examinant:  M'nintez-vous?  et  l'anie  ne 
peut  répondre  autre  chose,  sinon,  sans  hésiter,  (ju'elle  l'aime. 
Mais  [)ar  un  mystère  merveilleux,  en  reconnoissant  avec  un  aveu 
.sincère  (prelle  l'aime,  souvent  dans  un  autre  sens,  si  elle  s'ap- 
profondissoit  elle-même,  à  moins  dune  révélation  particulière, 
elle  n'oseroit  s'a.ssurer  (pi'elle  aime  c«»nnne  il  l'aiit  ;  et  contrainte 
d'appeler  un  meilleur  témoin  d'elle-même  quelle-même,  elledi- 
roit  enfin  comme  saint  Pierre  :  «  Seigneur,  vous  savez  tout,  et 
vous  savez  que  je  vous  aime  ",  »  et  si  je  ne  vous  aime  pas  encore 
comme  vous  voulez,  vous  savez  m'inspirer  un  vrai  amour. 

XVI.  Par  là  se  découvre  manil'estemenf  l'erreur  des  nouveau.K  mvs- 

(}u  il  nr 

«  Psnl.  .wni  ,  Vi.  —  ^EccL,  IX,  1.  -  '  \Cor.,  \\,  11,  \l.—  ^Joan.,  XXI,  15.— 
t  llid. 


où  il 
rive    qu'on 
!:e  connoit 

point  1,'S 

acte?. 


TRAITÉ  1,  LlYRE  V,  X.  XVIÎ,  XVIII.  469 

tiques,  lorsqu'ils  décident  hardiment  que  les  actes  non  aperçus    fautpa? 
ou  aperçus  confusément  sont  les  plus  parfaits  et  des  âmes  les  plus  '"jn'g™r 
parfaites.  Au  contraire,  régulièrement  parlant,  comme  un  péché  ''"onV'ièr 
commis  avec  réflexion  a  plus  de  malice,  il  semble  aussi  qu'un  acte  rais^'les 
vertueux  produit  avec  réflexion  et  avec  une  connoissance  plus  ex-   les'non" 
presse,  ait  plus  de  bonté.  D'autres  raisons  peuvent  tempérer  celle-  '""  "  ' 
là ,  et  c'est  par  les  circonstances  et  par  les  effets  qu'il  faut  juger 
du  mérite  de  ces  actes.  Le  mieux  est  le  plus  souvent  de  n'en  juger 
point  ;  il  faut  laisser  voir  le  mérite  à  Dieu  sans  le  voir  soi-même; 
et  la  seule  règle  certaine  est  de  rendre  à  Dieu  tout  le  bien  que  nous 
apercevons  en  nous. 

Si  Ton  cherche  comment  et  pour  quelles  causes  nos  actes  inté-  xvii. 
rieurs  bons  et  mauvais  échappent  à  notre  propre  connoissance,  omsès'pir 
on  en  trouvera  d'infinies,  qui  toutes  ont  lieu  dans  l'oraison.  Un 
acte  nous  peut  échapper  quand  il  est  si  délicat  qu'il  ne  fait  point 
d'impression,  ou  en  fait  si  peu  qu'on  l'oublie;  car  il  est  alors 
comme  si  on  ne  l'avoit  jamais  produit.  Il  peut  y  avoir  des  actes  si 
spirituels  et  intellectuels,  ou  en  tout  cas  si  rapides,  qu'ils  ne  lais- 
sent aucmie  trace  dans  le  cerveau ,  ou  n'y  en  laissent  que  de  fort 
légères,  qui  s'effacent  comme  d'elles-mêmes,  ainsi  qu'un  flot  qui 
se  dissout  au  milieu  de  l'eau.  Une  grande  dissipation  et  divaga- 
tion de  l'esprit  apporte  mille  pensées  qui  se  dérobent  à  nous  en 
même  temps  qu'elles  naissent.  La  disposition  opposée,  je  veux 
dire  une  véhémente  occupation  de  l'esprit  d'un  côté,  fait  échap- 
per ce  qui  s'insinue  par  l'autre.  La  même  chose  nous  arrive, 
comme  on  vient  de  voir,  par  le  transport,  lorsque  l'ame  dans  une 
espèce  d'extase  ou  saintement  emportée  de  ses  désirs ,  ne  se  pos- 
sède plus.  De  même  lorsqu'il  s'élève  dans  l'intérieur  un  violent 
combat  de  nos  pensées,  elles  partagent  tellement  notre  ccem*  qu'on 
ne  sait  à  laquelle  on  a  cédé  ;  ce  qui  arrive  principalement  dans  les 
épreuves  dont  nous  parlerons  en  leur  lieu.  Entln  ce  qu'il  y  a  ici 
de  plus  important,  nos  actes  nous  échappent  par  leur  propre  sim- 
plicité ,  ce  qu'il  faut  tâcher  maintenant  d'entendre. 

Souvenons-nous  donc  que  l'ame  déchue  de  la  justice  origi-    xvm. 
nelle,  et  entièrement  livrée  aux  sens,  ne  se  connoit  plus  elle-  i^ron 
même  cp-i  avec  une  peme  extrême  ;  et  comme  dit  samt  Augus-    se  plus 


470  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON, 

connoîu-e  tiii  *,  s'eiiveL  ippuiit  avec  les  images  sensibles  dont  elle  est  toute 

cUe-mô- 

nio :  ei ses  Tcmphe  ct  toutc  oflusquee,  elle  se  fait  par  ce  moyeu  toute  corpo- 

acU'sinlel-  t       •  •  11  »  k 

leciueis  ou  Telle,  et  ne  se  distmgue  pomt  elle-même  d  avec  son  corps  ;  ce  qm  est 
dans  le  fond  ne  se  pas  cotmoître  et  nier  en  quelque  façon  sa  propre 
existence.  Néanmoins  par  un  secret  sentiment  ou,  comme  on  parle, 
par  une  certaine  couscii-noe  de  sa  spiritualité,  dans  la  connois- 
sance  qu'elle  tâche  d'avoir  d'elle-même,  elle  se  décharge  le  plus 
qu'elle  peut  de  la  matière,  et  s'imagine  qu  elle  est  un  air  délié,  ou 
uue  flamme  subtile,  ou  une  vapeur  du  sang  et  un  mou\ement 
des  esprits,  ou  (piel(}ue  autre  chose  de  semblable,  le  plus  mince 
et  le  plus  menu  qu'elle  puisse  imagiurr.  P.ir  une  suite  de  cet  état, 
c*'  qu'elle  ignore  le  plus,  ce  sont  ses  actes  et  ses  mouvemens  in- 
lellecluels  :  les  sens  occupent  tout  ;  et  on  se  remplit  tellement  des 
objets  corporels  qu'ils  nous  apportant,  que  ne  >oyant  rien  qu'à 
travers  ce  nuage  épais,  ou  croit  en  quebiue  façon  qut>  tout  est 
corps,  »'t  (jue  ce  qui  n'est  pas  corps  ou  corporel  n'e.st  rien.  D'où 
vient  aussi  cpie  l'amc  est  si  peu  touchée  des  biens  jmrement  in- 
tellectuels, et  que  toiite  sa  pente  est  vers  les  sens  et  les  objets  sen- 
sibles, 
MX.         On  ne  sort  de  ce  triste  état  que  peu  à  peu,  et  avec  d'extrêmes 
LmTcTr  eCTorbs,  J'avoue  bien  que  l'ame  peut  se  redresser  par  son  raison- 
«rîir°de  uemeut,  comme  ont  fait  quelques  philosophes.  La  foi  la  redresse 
rince  d,in.  aussi  d  uuc  mauierc  plus  prompte  et  plus  elficacc,  ;  mais  c  est  pro- 
pu'iion''"ei  premeut  dans  la  contemplation  que  recueillie  en  elle-même  elle 
"arrnc  '  commcnce  à  se  démêler  comme  expérimentalement  d'avec  le 
corj)s ,  dont  elle  se  S(»nt  appesantie,  et  à  séparer  ses  occupations 
intellectuelles,  qui  sont  ses  véritables  actions,  d'avec  celles  des 
sens  et  de  la  partie  imaginafive,  qui  n'estautre  chose  qu'un  sens 
un  peu  plus  ultérieur  que  les  autres;  mais  dans  le  fond  aussi 
grossier,  puisqu'après  tout  ce  qui  y  entri'  n'est  toujours  que 
corps. 

Lame  donc  dans  cette  ignorance,  naturellement  dominée  par 
l'habitude  de  .sentir  et  de  croire  en  quelque  façon  que  rien  n'est 
réel  (|ue  ce  qui  se  sent,  ce  qui  se  touche,  ce  qui  se  manit',  en  se 
réduisant  peu  à  peu  à  la  pure  intellection,  s'échappe  à  elle-même, 

1  De  Tiin.,  lib.  X ,  cap.  m ,  iv,  olc,  n.  o,  G  cl  seq. 


gage. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  V,  N.  XX.  47 f 

et  ne  croit  plus  opérer  pendant  qu  elle  commence  à  exercer  ses 
plus  véritables  et  plus  naturelles  opérations.  Les  actes  de  la  vo- 
lonté sont  encore  plus  imperceptibles  que  ceux  de  l'intelligence; 
car  encore  que  toute  pensée  soit  prompte  et  rapide  de  sa  nature, 
ce  qui  fait  dire  à  ce  sublime  poëte,  pour  exprimer  la  célérité  d'un 
mouvement,  qu'il  est  vite  comme  la  pensée  :  néanmoins  l'acte  de 
la  A'olonté,  si  on  le  veut  ranger  pai'mi  les  pensées ,  se  trouvera  le 
plus  vite  de  tous  les  actes  humains,  puisqu'il  l'est  tellement  qu'à 
peine  a-t-on  le  loisir  de  le  sentir.  L'entendement  se  promène  sm^ 
diverses  propositions  pour  former  un  raisonnement  et  tirer  une 
conséquence  ;  mais  le  coup  du  consentement ,  pour  ainsi  parler, 
se  donne  en  un  instant,  et  ne  se  connoît  que  par  ses  effets. 

L'ame  donc  dans  l'état  contemplatif,  se  trouve  si  énurée,  ou     x'^- 
comme  parlent  les  spirituels  après  Cassien  ^,  «  si  mince  et  si  dé-  ^"^^[  <!«■' 
liée  :  »  extenuata  meiis,  et  ses  pensées  si  subtiles  et  si  délicates,   i^»*'.  «' 

■^  ^  cessation 

que  les  sens  n'y  ont  point  de  prise.  Mais  toutes  ces  expressions,  ^ujan- 
quelque  effort  que  nous  ayons  fait  pour  les  épm^er,  sont  grossières, 
puisque  le  menu,  le  mince,  le  délié  ne  tombe  après  tout  que  sur 
des  corps.  Le  même  Cassien  a  trouvé  une  autre  expression,  d'au- 
tant meilleure  cpi'elle  est  évangélique.  Il  dit  donc  que  dans  cet 
état  de  pure  contemplation,  «  l'ame  s'appauvrit,  qu'elle  perd  les 
riches  substances  de  toutes  les  belles  conceptions ,  de  toutes  les 
belles  images,  de  toutes  les  behes  paroles  -,  »  dont  elle  accom- 
pagnoit  ses  actes  intérieurs.  On  en  vient  donc  jusqu'à  parler  le 
pur  langage  du  cœm\  Jusqu'à  ce  cpi'on  en  soit  venu  à  ce  point, 
on  parle  toujours  en  soi-même  un  langage  humain,  et  on  revêtit 
ses  pensées  des  paroles  dont  on  se  serviroit  pour  les  exprimer  à 
im  autre.  Mais  dans  la  pure  contemplation  on  en  vient  tellement 
à  parler  à  Dieu,  (p^i'on  n'a  plus  un  autre  langage  que  celui  que  lui 
seul  entend,  qui  est  celui  que  nous  avons  appelé  le  langage  du 
cœur,  surtout  dans  l'acte  d'amour,  qui  ne  se  peut  ni  ne  se  veut 
exphquer  à  Dieu  que  par  lui-même.  On  ne  lui  dit  qu  on  l'aime 
qu'en  aimant,  et  le  cœur  alors  parle  à  Dieu  seul.  Si  l'on  vient  et 
jusqu'où  l'on  vient  à  la  perfection  d'un  tel  acte  pendant  cette  vie, 
et  si  l'on  en  peut  venir  jusqu'au  point  de  faire  entièrement  cesser 
'  Cass.,  coll.  X,  c.  VII,  IX.  Coll.  \,  c.  xvir.  — ^  Cass.,  coll.  etc.,  ii. 


472  INSTRUCTION  SUR  LES  ETATS  DORAISON. 

au  dedans  de  soi  toute  image  et  toute  parole,  je  le  laisse  à  décider 
aux  parfaits  spirituels  :  ici  où  j'ai  dessein  d'éviter  toute  question, 
je  me  contente  de  dire  que  cet  épurement  s'avance  si  fort  dans  la 
sublime  contemplation  ,  qu'on  entrevoit  du  moins  la  parfaite  pu- 
reté, et  que  si  Ion  n'y  parvient  pas  enlièrement,  on  a  quelque 
chose  qui  s'en  ressent  beaucoup.  La  pensée  donc  ainsi  épurée 
autant  qu'il  se  peut  de  tout  ce  qui  la  grossit,  des  images,  des  ex- 
pressions, du  langage  humain,  de  tous  les  retours  que  lamour- 
propre  [nous  inspire  sur  nous-mêmes;  sans  raisonnement,  sans 
discours,  puisqu'il  s'agit  seulement  de  recueillir  le  fruit  et  la  con- 
séquence de  tous  les  discours  précédens,  goûte  le  plus  pur  de 
tous  les  êtres,  qui  est  Dieu,  non-seulement  par  la  plus  pure  de 
toutes  les  facultés  intérieures,  mais  encore  par  le  plus  pur  île  tous 
ses  actes,  et  s'unit  intimement  à  la  vérité,  plus  encore  pai'  la  vo- 
lonté que  par  rinlelligence. 
XXI.        Et  pour  ouvrir  encore  à  l'esprit  um^  voie  plus  excellente,  je 

Grand  ,  ,  i       p    •  • 

,(mr.m.ni  supposc  l'auie  entièrement  captivée  et  subjuguée  par  la  foi,  qui 

ip.ir  U  foi.  .,  .  ,  11'- 

sans  besoin  de  raisonnement,  m  de  lumière,  m  de  clarté  ou  d  évi- 
dence, en  croit  Dieu,  p.irc»^  (jue  c'est  Dieu,  et  pour  adhérer  à  la 
vérité  n'a  besoin  que  de  se  soumettre  à  l'autorité  de  la  vérité 
même.  Une  telle  ame  se  réduisant  à  la  seule  foi,  en  vient  enfin, 
dit  Cassien,  à  cette  parfaite  pauvreté  d'esprit,  qui  a  fait  dire  à 
David  :  «Li'  pauvre  et  l'indigent  vous  donneront  des  louanges ',  » 
parce  (ju'en  effet  dépouillée  de  tout  ce  qu'elle  peut  avoir  par  elle- 
même,  elle  se  met  en  état,  par  la  pureté  où  Dieu  seul  l'a  élevée, 
de  ne  plus  rien  approuver  que  ce  cpi'il  enseigne, 
xxii.       Elle  entre  alors  véritablement  dans  l'Ecole  du  Saint-Esprit, 
LiioiiiL-  dans  cette  Ecole  intérieure  où  l'ame  est  excellemment  enseignée 
r^medans  de  Dicu.  Qu'elle  est  éloif/tu'e,  dit  saint  Augustin,  du  sens  de  la 
le  pi.li  c/ui/r  ',  cette  Ecole  ou  règne  la  paix  et  le  suonce;  cette  Ecole  ou 

profond.  , 

Dieu  se  fait  entendre ,  ou  se  tient  le  conseil  du  cœur,  et  ou  se 
prennent  les  résolutions  :  encore  un  coup,  dit  le  même  Saint, 
fjucUe  est  éloirjnée  du  sens  de  la  chair  *,'  Le  sens  étonné  n'y  voit 
rien ,  et  l'ame  ciui  lui  échappe  lui  paroît  comme  réduite  à  rien. 
Adnihiluni  rcdactussum,  et  nescivi  :  «J'en  suis  réduit  au  néant,  » 

'  l'ja/.  LX.VIII,  LM.  —  ^  De  Prœdcst.  Suncl.,  cap.  vili,  u.  13. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  V,  iN.  XXIII,  XXÏV.  473 

disoit  David  ';  et  ce  néant  même,  que  je  trouve  en  moi  dans  un 
fond  où  Dieu  me  ramène,  m'est  impénétrable,  et  nescivl;  ce  qui 
lui  fait  ajouter  :  «  je  suis  devenu  devant  vous  comme  une  bête  :  » 
ut  jumentimi  :  sans  raisonnement,  sans  discours  ;  et  tout  ce  que 
je  puis  dire  en  cet  état,  «c'est  que  je  suis  toujours  avec  vous,  »  et 
que  je  ne  trouve  que  vous  dans  l'obscurité  de  la  foi  où  vous  m'a- 
vez enfoncé  :  et  ego  semper  tecum  :  voilà  ce  que  je  puis  dire  en 
bégayant  de  l'exercice  parfait,  et  de  l'imperceptible  vérité  des 
actes  intellectuels  dans  1 1  sublime  contemplation. 

Il  est  maintenant  aisé  d'expliquer  les  actes  qui  sont  commandés    ™y 
au  chrétien,  et  la  manière  la  plus  excellente  de  les  pratiquer.  De  ^""^  'f 

-^  •*-  ■*-  -^  actes   du 

tous  ces  actes,  les  plus  impurs  et  les  plus  grossiers  sont  ceux  '^'^"'■• 
qu'on  réduit  en  formule,  et  qu'on  lait  comme  on  les  trouve  dtms 
les  livres  sous  ce  titre  :  Acte  de  contrition.  Acte  d'offrande,  et 
ainsi  des  autres  ;  ces  actes  sont  très-imparfaits ,  et  même  ne  sont 
souvent  qu'un  amusement  de  notre  imagination ,  sans  qu'il  en 
entre  rien  dans  le  cœur.  Ils  ont  cependant  leur  utilité  dans  ceux 
qui  commencent  à  goûter  Dieu  :  c'est  une  éeorce,  il  est  vrai  ;  mai:. 
à  travers  cette  éeorce  la  bonne  sé\  e  se  coule  :  c'est  la  neige  sur  le 
bled,  qui  en  le  couvrant  engraisse  la  terre  et  fournit  au  grain  de 
la  nourriture  :  on  en  vient  peu  à  peu  aux  actes  du  cœur,  que 
nous  avons  expliqués  autant  que  Dieu  l'a  permis  à  notre  foi- 
blesse. 

Le  Psalmiste  a  poussé  cette  explication  à  la  plus  grande  simpli-    xxiv. 
cité  par  ce  verset  :  «  Le  Seigneur  a  exaucé  le  désir  des  pauvres;  David  les 
votre  oreiUe  a  écouté  la  préparation  de  leur  cœur  -.  »  Dès  qu'il  ' 
commence  à  s'ébranler  et  à  s'émouvoir  pour  vouloir,  avant  qu'il 
ait  eu  le  temps  de  s'expliquer  son  acte  à  lui-même.  Dieu  le  voit 
dans  le  fond  le  plus  intime  du  cœur,  et  dès  là  il  l'écoute.  Pour 
s'expliquer  davantage,  le  même  Psalmiste  dit  ailleurs  :  «  J'ai  dit  : 
Je  confesserai  contre  moi-même  mon  injustice  au  Seigneur,  et 
vous  avez  déjà  remis  l'iniquité  de  mon  péché  *.  »  Quelle  admi- 
rable précision  :  J'ai  dit  :  Je  confesserai  ;  ]Q  n'ai  pas  encore  con- 
fessé, j'ai  résolu  de  le  faire,  et  j'y  ai  préparé  mon  cœur;  et  il  ne 
dit  pas  :  Vous  remettrez  ;  comme  si  Dieu  devoit  attendre  ma  con- 

1  l'ml.  Lxxii,  21.  —  5  Psa!.  !X,  x,  sec.  Hebr^  vevo.  17.  —  •'  Psul.  .\x\!,  [1. 


474  INSTRUCTION  SLR  LES  ETATS  D'ORAISON, 

fession  pour  me  reniettre  ma  faute  ;  mais  il  dit  :  Vous  avez  remis; 
de  notre  côté,  c'est  le  futur;  Je  confesserai;  du  côté  de  Dieu, 
c'est  le  passé  :  Vous  avez  remis  :  Dieu  a  plustôt  remis  que  nous 
n'avons  achevé  la  confession  de  notre  faute.  Je  crois  pour  moi 
qu'il  faut  pousser  ce  sentiment  de  David  jusqu'à  dire  qu'avant 
que  l'esprit  ait  formé  aucune  parole  en  lui-même ,  Dieu  a  déjà 
écouté  la  profonde  résolution  d'un  cœm'  qui  se  détermine  avant 
toute  expression  à  reconnoître  sa  iaute  et  à  la  corriger.  Combien 
de  fois  dit-on  en  soi-même  :  Je  m'en  vais  prier?  et  dès  là  souvent 
la  prière  est  déjà  l'aile.  On  sera  souvent  devant  Dieu  comme  mi 
mendiant  sans  oser  lui  rien  demander,  tant  on  s'en  répute  indi- 
gne ;  mais  on  a  déjà  demandé  par  la  secrète  intention  du  cœur 
ce  qu'on  n'osoit  demander  d'une  manière  plus  expresse  :  Dieu 
voit  le  fruit  commencé  dans  le  nœud,  et  la  prière  dans  l'intention 
de  prier  :  «  Il  fera  la  volonté  de  ceux  (jui  le  craignent,  et  il  exau- 
cera lenrs  prières,  et  il  les  sauvera*.  »  Tels  sont  les  actes  du 
cœur  :  plus  on  les  exerce,  jilus  l'ame  s'épure  et  se  simplifie; 
ils  se  concentrent  dans  la  charité,  (jui  croit  fout,  qui  espère  tout, 
qui  souffre  tout,  qui  diMuande  tout;  et  qui  dans  les  tenq)S  con- 
venables développe,  comme  on  a  vu,  tons  les  actes  qu'elle  con- 
tient en  vertu. 
Que  col  ^^^^  t'n  cet  état  que  les  faux  mystiques  vouiinti"iit  iaire  ac- 
J;[|";^",''^^;  croire  à  l'ame  qu'elle  n'a  rien  à  demander.  Mais  c'est  alors  au 
traTum'i  contraire  que  ses  demandes  sont  les  plus  vives  comme  les  plus 
ci»!Iir'«  pures.  Cassien,  qui  nous  représente  si  à  fond  une  ame  rt-duite  à 
pîéi'r.bon.  cette  bienheureuse  pauvreté  et  sinq)licité  d'esprit,  y  reconnoît  la 
plu"'/"  source  des  demandes,  et  reconnoit  que  l'ame  ainsi  appauvrie, 
«  qui  ne  sent  dans  l'indigence  où  elle  est  réduite  aucune  sorte  de 
secoui's-))  {[ui  lui  vienne  de  son  fonrls,  entend  mieux  (jue  jamais 
qu'elle  «  n'a  de  force  qu'en  Dieu,  et  lui  crie  à  chaque  moment, 
dans  un  esprit  de  supphcation  :  Je  suis  un  pauvre  et  un  mendiant, 
ô  Dieu,  aidez -moi  ;  »  c'est  ce  qu'il  répète  souvent,  et  jamais  lame, 
selon  lui,  n'est  plus  demandante  que  lorsqu'elle  est  devenue  plus 
simple.  Ses  réflexions  sont  aussi  épurées  que  ses  mouvemens 
directs;  elles  s'y  joignent,  comme;  on  a  vu,  non  pour  repaître 
•  Psul.  (.-.xLiv,  19.  —  *  Cass.,  coll.  etc.,  m. 


XXV. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  V,  N.  XXVI.  475 

notre  amour-propre ,  mais  pour  aider  et  accélérer  tous  les  mou- 
veinens  vers  Dieu  en  reconnoissant  qu'ils  viennent  de  lui.  Ainsi 
tout  se  tourne  enfin  en  humbles  actions  de  grâces^  qui  sont  le  pur 
fruit  d'un  amour  reconnoissant;  ainsi  naissent  tous  les  autres 
actes,  et  l'ame  est  tenue  par  leur  exercice  en  tendance  continuelle 
vers  Dieu ,  autant  que  le  peut  souffrir  l'état  malheureux  de  cette 
vie. 
Il  ne  faut  donc  point  dans  l'oraison  ni  dans  l'exercice  de  la  piété    ^^'^i- 

'-  ^  Dieu 

imaginer  un  seul  acte ,  qui  comprenant  tous  les  autres,  en  auto-  ^mne  aux 
rise  la  suppression  :  la  foi,  l'espérance  et  la  charité  sont  et  seront  i"^iinct3 
toujours  trois  choses;  et  leurs  actes  sont  très-distincts ,  quoiqu'ils  ^s  ins- 
ne  soient  pas  toujours  distinctement  aperçus.  Le  Saint-Esprit  ex-  decouveru 
cite  souvent  dans  les  cœurs  des  désirs  qu'il  n'explique  pas  :  l'ame 
sent  à  de  certaines  instigations  confuses,  qu'il  veut  d'elle  quelque 
chose  qu'elle  ne  peut  comprendre.  C'est  ce  que  saint  Paul  semble 
avoir  voulu  exprimer  dans  ce  passage  tant  de  fois  cité,  mais  qu'il 
faut  répéter  encore  :  «  L'Esprit  nous  aide  dans  notre  foiblesse; 
car  nous  ne  savons  pas  ce  que  nous  avons  à  demander  dans  la 
prière  poiu*  prier  comme  il  faut  ;  mais  l'Esprit  demande  en  nous 
avec  des  gémissemens  inexplicables  ^  »  Yoilà  déjà  quelque  chose 
d'incompréhensible  dans  la  prière  ;  mais  ce  qui  est  encore  plus 
remarquable,  c'est  que,  comme  ajoute  l'Apôtre,  «  celui  qui  sonde 
les  cœurs ,  sait  le  désir ,  »  la  pensée ,  l'intention  «  de  l'Esprit , 
9povr,[j.a,  et  sait  qu'il  demande  pour  les  saints  ce  qui  est  conforme 
à  (la  volonté  de)  Dieu.  »  Toutes  ces  paroles  insinuent  quelque 
instigation  qui  ne  se  découvre  pas  d'abord;  car  ce  que  dit  le  même 
saint  Paul,  que  Dieu  sait  l'intention  de  l'Esprit,  semble  indiquer 
que  celui  en  qui  il  agit  ne  le  sait  pas  bien  ;  par  où  cet  Apôtre  paroît 
vouloir  expliquer  ce  que  dit  le  Sauveur  lui-même  :  «  L'Esprit 
souffle  où  il  veut  et  on  entend  sa  voix;  mais  on  ne  sait  d'où  il 
vient  ni  où  il  va  ^  »  On  sent  qu'il  veut  quelque  chose  sans  démê- 
ler ce  que  c'est  :  tout  ce  qu'on  sait,  en  attendant,  c'est  que  ce  qu'il 
inspire  ^'&ipour  les  saints  ^;  et  en  général  conforme  à  Dieu,  sans 
savoir  comment.  Quand  le  même  saint  Paul  disoit  à  Jésus-Christ, 
que  voulez-vous  que  je  fasse  '%  Dieu  lui  mettoit  dans  le  cœur  je  ne 

1  Rom.,  vni,  26.  —  2  Joan-,  m,  8.  —  ^l\om.,  \ni,  ■rt.  —  '*  Ad.,  ix,  6. 


476  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

sais  quoi  de  confus  à  quoi  il  falloit  satisfaire;  mais  qui  ne  devoil 

se  développer  que  dans  la  suite.  Tout  n'est  pas  confus  de  cette 

sorte  dans  les  mouvemens  du  Saint-Esprit.  Au  même  endroit  de 

saint  Paul,  et  trois  versets  auparavant,  le  même  Esprit  de  prière 

dont  nous  «  avons  les  prémices,  nous  fait  entendre  (distinctement) 

Tadoption  des  enfans  et  la  rédemption  de  nos  corps  '.  »  Chacun  de 

ces  instincts  du  Saint-Esprit,  et  celui  qui  est  plus  confus,  et  celui 

qui  est  plus  marqué,  demande  sa  coopération  particulière  ;  et  c'est, 

comme  on  a  vu,  p.u-  1'-<  «  ircon.stances  qu'il  faut  décider  lecjuel 

est  le  plus  parfait. 

^rJrlL      J  oserai  pourtant  prononcer,  et  on  avouera  que  ce  n'e.st  point 

<*"  """-  téméraireni(;nt,  (lue  les  actes  distinctement  a[>ercus  sont  les  plus 

iiq.ie.,    parfaits  en  eux-mêmes;  et  d'aiinnl  pour  commencer  si  l'on  osoit 

mTnn'm,  P«ii' J^'^us-Christ .  qui  dira  qu'il  n'a  pas  aperçu  ses  actes,  ou  cpie 

fr' 'r!'.".  pour  cela  ils  aient  été  moins  parfaits  et  moins  méritoires?  La  joie 

i.mde  ,c,  ^^^  j^^j.  m„^.j^  saintes  .sont  abîmées  dans  le  ciel,  ne  rend  que  plus 

nette  la  coimoissance  qu'elles  ont  d'elles-mêmes,  et  d(^s  actes  pai' 

les(juels  elles  sont  heureuses.  Ces  âmes  choisies  à  qui  on  croit  que 

Dieu,  par  uik^  honte  aussi  rare  qu'elle  est  admirable,  a  révélé 

leur  prédestination,  ressentent  distinctement  li^s  actes  (jui  les  font 

saintes  et  perse vénm tes.  Sans  parler  des  grâces  extraordinaires , 

combien  dames  d'une  .sainteté  éminente  ont  coiuiu  dislinctenient 

en  elles  les  opérations  du  Saint-Esprit  et  les  leurs?  L'ignorance 

de  nous-mêmes  et  de  nos  actes,  où  nous  sommes  tombés,  est  une 

plaie  du  péché  originel,  et  souvent  même  un  efTet  ou  un  resb'  de 

la  concupiscence  et  de  l'empire  des  sens,  dont  Dieu  dégage  les 

âmes  jusipies  au  point  qu'il  sait.  C'est  ce  qui  fait  dans  les  saints 

tant  de  grands  actes  qui  leur  sont  connus,  comme  on  l'a  vu  par 

tant  d'exemples  des  prophètes  et  des  apôtres;  de  sorte  que  c'est 

une  erreur  visible  et  intolérable  de  mettre  avec  les  nouveaux 

mystiijues  la  perfection  d<;  l'oraison  à  exterminer  les  actes  dès 

qu'on  en  voit  paroitre  la  moindre  lueur. 

xxvni.       Avant  ([ue  de  passer  outre,  il  faut  encore  proposer  le  raisonne- 

r,ii.on'rup  mcut  Ic  plus  captlcux  des  nouveaux  mystiques  ;  ils  le  tirent  de 

Ire  ki  ac-  l'amouT-propre.  Quand  on  en  est  possédé,  et  tous  les  hommes  le 

■  nom.,  VIII,  23, 


TRAITÉ  I,  LIVRE  Y,  N.  XXIX,  XXX.  477 

sont  par  leur  corruption  naturelle^  on  ne  se  dit  pas  à  tout  coup  :  le^  de  i»- 

A  ■.     .  -  mourpro- 

Je  m'aime  moi-même  ;  on  s  aime  sans  s  y  exciter,  sans  y  songer  pre,  cties 

,  .    "^  ,,  actes  de 

même,  et  la  pente  est  si  naturelle  qu  on  ne  s  en  aperçoit  pas.  Sur  lamourdi 
ce  fondement  on  ra" sonne  ainsi  :  Rien  n'est  impossible  à  Dieu,  et 
il  ne  peut  pas  moins  par  sa  grâce  que  la  nature  par  sa  corrup- 
tion ;  ainsi  quand  l'amour  divin  dominera  dans  un  cœur,  et  quand 
il  sera  tom'iié  en  habitude  formée ,  les  actes  couleront  de  source 
sans  aucun  besoin  de  les  exciter,  et  sans  même  qu'on  s'aperçoive 
d'un  sentiment  qui  nous  am'a  passé  en  nature. 

Il  est  aisé  de  répondre  en  supposant  un  principe  de  la  foi;  c'est    xxix. 
que  l'amour -propre  parvient  à  l'entière  extinction  de  l'amour  de  '"'po'ianie 
Dieu;  mais  que  par  la  constitution  de  la  iustice  de  cette  vie,  l'a-  '"'  P'^'-pé- 

'  i  i^  J  '  luel   de  la 

mour  de  Dieu  ne  parvient  jamais  à  l'entière  extinction  de  l'amour-  convoiiisc, 
propre  :  ainsi  la  concupiscence  qui  e.^t  l'amour-propre  peut  être  ■^'"'^^  "»- 
vaincue,  mais  non  pas  éteinte  ni  entièrement  désarmée,  puisque  ''"'"''ère 
le  combat  subsiste  toujours ,  et  que  les  plus  justes  n'en  sortent  ^•^"'out- 

•i  '  i^  1  J  propre  et 

pas  sans  quelques  blessures ,  qui  leur  font  pleurer  et  confesser  •'«  i'-»."""''- 
leurs  péchés  comme  autant  d'effets  de  leur  amour-propre,  tant 
que  dure  cette  vie  mortelle.  Cela  posé,  il  est  faux  qu'on  puisse  être 
aussi  parfait  dans  cette  vie  qu'on  y  peut  être  corrompu ,  ni  qu'mi 
juste  puisse  venir  à  un  état  où  il  ne  fasse  non  plus  de  faute  contre 
sa  fin,  qui  est  Dieu,  que  l'homme  livré  à  lui-même  et  à  son  amour- 
propre  en  fait,  pour  ainsi  parler,  contre  la  sienne,  qui  est  de  se 
satisfaire.  Ainsi  l'homme  abandonné  à  sa  convoitise  ne  fait  point 
de  faute  contre  elle ,  dont  il  ait  besoin  de  se  relever  par  ses  ré- 
flexions ;  mais  l'homme  bien  que  soumis  à  la  charité ,  qui  sait 
qu'il  pèche  si  souvent  contre  ses  lois ,  doit  être  attentif  à  ses  pé- 
chés, afin  de  s'en  humilier  et  de  s'en  corriger. 

Pour  continuer  la  différence,  on  n'a  pas  besoin  de  secom^s  pour    '^x'^- 

^  ^  Autres  dif- 

vouloir  se  satisfaire  soi-même  ;  mais  on  a  besoin  d'un  grand  et  i«;r<;n<:es 

iiussi    im- 

continuel  secours  pour  vouloir  contenter  Dieu.  Ce  seroit  donc  une  porumes. 
errem'  extrême  de  ne  point  penser  à  ce  secours,  ou  de  croire  qu'en 
ayant  besoin  on  ne  doive  pas  le  demander  ni  même  s'apercevoir 
de  son  indigence. 

L'homme  aussi  n'a  pas  besoin  d'exciter  sa  diligence  à  se  con- 
tenter soi-même,  puisque  par  sa  pente  naturelle  il  ne  néglige  rien 


478  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  DORAISON. 

pour  cela,  ou  s'il  néglige  quelque  cliose,  sa  paresse  sera  encore 
un  effet  de  son  amoui'- propre.  Mais  comme  il  sait  qu'U  a  dans  son 
fonds  une  extrême  négligence  pour  contenter  Dieu,  U  doit  détester 
la  doctrine  qui  Tempèche  de  s'animer  quand  il  languit ,  ou  de  se 
relever  quand  il  tombe.  Ainsi  la  compai-aison  de  lamom-  de  Dieu 
avec  Tamour-propre ,  qui  paroissoit  si  spécieuse ,  est  absurde  et 
pitoyable.  Dieu  peut  tout,  et  il  est  certain  quil  pourroit  faire  dès 
cette  vie  que  Thomme  fût  aussi  attaché  à  lui  qu'A  l'est  à  soi-même 
naturellement  et  par  son  fond  corrompu.  L'importance  est  de  bien 
connoîtrc  l'ordre  et  les  temps  de  sa  grâce ,  ce  qu'il  veut  donner 
dans  cette  vie  et  ce  qu'il  veut  réserver  au  siècle  futur.  11  ne  s'agit 
pas  de  former  en  son  esprit  de  belles  idées,  à  la  manière  des  nou- 
veaux mysticiues;  mais  de  sonder  celle  de  la  perfection  du  chré- 
tien sur  cette  vérité  révélée,  que  jusqu'à  la  fm  de  sa  vie  ses  hum- 
bles précautions  font  sa  sûreté,  et  que  ses  foiblessesen  l'humiliant 
sont  une  partie  de  .son  remède.  C'est  de  quoi  il  n'est  pas  permis 
de  tlouter  après  ce  que  saint  I*aul  a. dit  de  lui-même  :  «  L'ange  de 
Satan  ma  été  envoyé,  de  peur^jue  la  grandeur  des  révélations  ne 
m'élevàt  '.  »  Le  contraire  change  la  nature  de  la  grâce  chré- 
tienne; et  c'est  cette  fausse  idée  de  perfection  qui  a  fait  Pelage, 
Jovinien,  les  béguards,  et  aujourd'hui  les  nouveaux  mystiques. 
XXXI.        {)\v\ui  à  l'habitude  et  à  ses  actes  qui  coulent  de  source  siuis 
jccurn'ii-  qu'on  ait  besoin  de  les  exciter,  non  plus  que  de  les  apercevoir, 
niiiire  de  uos  mystlqucs  eu  les  objectant  tombent  dans  leur  défaut  ordi- 
dru*  dé-  naire,  qui  est  de  rendre  gênerai  ce  qui  n  est  vrai  (pi  avec  restric- 
ii!!nr,.nur  tion,  et  jusqu'à  un  certain  point.  Il  est  donc  vrai  que  l'habitude 
qu.   f.ii-  tournée  en  natm'e  ote  en  partie  les  rellexions,  mais  non  pas  toutes 
"n  1.  nï  ni  toujours.  Les  réflexions  que  les  habitudes  éteignent  ou  dimi- 
fllU./    nuent  sont  principalement  celles  qui  nous  font  paroître  nouveau, 
ou  surprenant ,  ou  admirable  et  trop  remarquable  ce  que  nous  fai- 
sons ;  mais  de  conclure  de  là  que  le  chrétien  élevé  à  la  perfection 
de  la  vertu  formée  en  habitude,  ne  réfléchisse  point  du  tout  sur 
ses  actes  :  deux  raisons  l'empêchent  ;  l'une,  qu'il  faudroit  suppo- 
ser que  ce  parfait  du'étien  ne  peut  rendre  grâces  à  Dieu  de  tout  le 
bien  qu'il  fait  en  lui  ni  le  reconnoître  :  ce  qui  seroit  démentir  les 

Ml  Cor.,  X11.7. 


TRAITÉ  I,  LlYRE  Y,  N.  XXXÏI,  XXXIll.  479 

Ecritures  où  ces  actes  se  trouvent  à  toutes  les  pages  ;  démentir  en 
même  temps  tous  les  exemples  des  Saints,  et  finalement  se  démen- 
tir soi-même,  puisqu'il  nV  a  point  de  gens  qui  discourent  davan- 
tage de  tous  leurs  états  et  de  tous  les  degrés  de  leur  oraison  que 
nos  prétendus  mystiques. 

L'autre  raison  n'est  pas  moins  claire  ;  c'est  que  pour  éteindre 
toutes  réflexions  sur  leurs  propres  actes  dans  l'habitude  parfaite 
de  la  vertu,  il  faudroit  encore  supposer  que  l'habitude  est  montée 
si  haut  et  tellement  affermie,  qu'elle  n'a  plus  aucun  besoin  de  se 
redresser  ;  ce  qui  est  contraire  à  tout  l'état  de  cette  vie,  ainsi  qu'il 
est  démontré  par  la  doctrine  précédente. 

C'est  une  sembla]}le  idée  de  perfection  qu'on  se  forme  dans  son    xxxn. 
esprit  sans  aucune  autorité  de  la  parole  de  Dieu ,  qui  fait  dire  jecuôn  "n- 
qu'une  ame  qui  aime  parfaitement  ^  non-seulement  aime  sans  natme'^  de 

-,  .  .  .  .  ^  ,    l'amour,  et 

songer  si  elle  aimera  toujours,  mais  aime  même  sans  songer  si  résolution 
elle  aime.  Car  c'est,  dit-on,  un  obstacle  à  la  perfection  de  l'amour  '  ' "'  "  ^ 
et  une  interruption  de  son  exercice,  que  de  réfléchir  sur  l'amour 
et  sur  sa  durée,  ou  sur  son  accroissement  et  sa  diminution.  Voilà 
un  piège  subtil  pour  introduire  une  grande  errem'  :  car  on  ne 
prétend  rien  moins  que  d'ôter  par  là  aux  parfaits  le  désir  d'aimer 
davantage  ou  d'aimer  toujours,  et  les  demandes  qu'on  fait  pour 
en  obtenir  la  grâce.  Ainsi  quand  David  dit  :  Je  vous  aimerai  *  ; 
quand  saint  Paul  se  sent  pressé  de  ces  deux  désirs  ^,  dont  l'un  est 
de  voir  Jésus-Christ  ;  quand  les  Saints  ont  dit  tant  de  fois  après  les 
apôtres  :  Seigneur,  augmentez  notre  foi'^,  ils  interrompoient  lem* 
amour.  On  l'interrompt  quand  on  dit  :  Délivrez-nous  du  mal , 
puisque  le  mal ,  dont  on  désire  d'être  délivré  par  cette  prière,  est 
le  mal  de  n'aimer  pas,  et  le  bien  qu'on  y  demande  est  d'aimer  tou- 
jours ;  ce  qui  est  en  d'autres  paroles  demander  de  ne  pécher  plus. 
Ainsi  cette  divine  demande  sera  une  interruption  de  l'amour  par- 
fait, ou  bien  il  la  faudra  tordre  pour  lui  donner  mi  autre  sens  que 
le  naturel. 

Mais  voyons  encore  sm-  quoi  l'on  se  fonde  :  on  apporte  l'exemple  xxxm. 
de  l'amour  profane.  Nous  n'examinons  point,  dit-on,  si  nous  ai-  Je<;''«n  ti- 
mons une  personne  pour  qui  nous  avons  la  plus  tendre  et  la  plus  cû,„parai- 

1  Vsal.  XVII.  —  2  p/nV.,  i,  'îS.  —  »  Luc  ,  xvii,  5. 


4Ç0  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  DORAISON. 

fondera-  fortc  amitiù  :  tout  de  môme  l'ame  parfaite  en  aimant  ne  songe 

mour  ïul-  ,.        .  1         »         11         •  •        • 

gaire,  cl  (ju  d  aimei*,  OU  plut<jt  elle  aune  sans  penser  a  anner  ;  et  cxammer 

réponse 

parla  doc-  sl  clle  aime  lui  paroitra  une  distraction  :  à  quoi  on  ajoute  (jue 

Irinc    pré-  , 

céjenie.  commc  elle  aime  sans  réflexion  sur  son  amour,  elle  aime  aussi 
sans  désirer  d'aimer.  \o'ûh  les  subtilités  de  la  nouvelle  théologie 
pour  éteindre  tout  désir  et  toute  df>mande,  jusqu'à  la  demande 
même  et  jusqu'au  désir  d'aimer  Dieu  persévéramment  et  de  plus 
en  plus. 

Ce  qui  fait  l'erreur,  c'est  que  l'on  compare  l'amour  ATilgaire  et  ' 
sensible  dune  créature  avec  l'amom-  de  Dieu  ;  mais  la  différence 
est  extrême  :  dans  l'amour  de  la  créature  on  n'est  pas  né  dans 
l'impuissance,  mais  au  contraire  dans  mie  pente  naturelle  à 
s'y  livrer.  On  n'a  point  d'effort  à  faire  pour  aimer  l'objet  oii  tous 
nos  sens  nous  attirent  ;  on  n'a  point  à  comliatlie  un  tentateur  au 
dehors  qui  est  le  démon,  ni  un  tentateur  au  dedans  encore  [ilus  dan- 
gereux (pii  est  la  concupiscence;  on  n'a  pas  besoin  à  chiique  acte 
d'un  secours  perpétuel  de  l'objet  aimé  pour  s'y  attacher.  Comme  on 
trouve  tout  Iccontraire  dans  l'amour  divin,  il  ne  faut  pas  s'étonner 
si  un  amour  d'uneautrenalure  a  des  ipialités  et  demande  des  accom- 
pagnemens  si  <livers.  Ainsi  contre  la  nature  de  l'amour  vulgaire, 
on  demande  la  grâce  d'aimer  à  celui  (ju'oii  aime  ;  on  craint  do  dé- 
choir, et  on  demande  la  persévérance  ;  on  craint  de  ne  le  pas  as- 
sez aimer,  et  on  désire  avec  David  de  l'aimer  et  le  désirer  de  plus 
en  plus:  Concupiscit  (mima  mcn  desiderare^.  Ces  actes  ne  se 
trouvent  pas  dans  1  amour  profime  :  ce  qui  est  de  commun  entre 
l'amour  profane  et  le  sacré,  parce  qu'il  est  de  la  nature  de  l'a- 
mcur,  est  de  désirer  la  possession  assurée  de  ce  qu'on  aime  :  c'est 
toutefois  ce  désir  de  la  ])osses:-ion  que  les  nouveaux  mystiques 
excluent  comme  étraiii^'cr  et  intéressé,  et  ils  n'almndonnent  leur 
comparaison  (]u'à  l'endroit  où  elle  est  juste. 
XXXIV  C'est  encore  ce  qui  leur  fait  dire,  et  c'est  le  comble  de  l'illusion, 
jcchon    qu'il  vaut  mieux  exercer  l'amour  que  d'en  désirer  ou  d'en  de- 

faplii'use  i  ^     i  111  ■xi 

urc  df  11  mander  la  persévérance,  et  qu  ainsi  c  est  se  relâcher  de  1  acte  d  a- 

nalurc    de  i-ii--  ii  lo  i 

lamoiiMi  mour  (jue  de  faire  celui  des  désirs  ou  des  demandes,  hur  cela  on 
parles inô.  dit  à  l'amc  prétendue  parfaite  :  Au  lieu  de  réfléchir  sur  l'amour, 

mes   prin- 
cipe!. )  Pscl.  CXVIII,  20. 


TRAITÉ  1,  LIVRE  V,  N.  XXXV.  481 

aimez  :  au  lieu  d'en  rendre  grâces ,  aimez  :  aimez  enfm ,  au  lieu 
de  demander  de  l'amour  :  c'est  assez  demander  l'amour  que  de 
l'exercer  à  chaque  moment;  ne  demandez  non  plus  la  jouissance, 
aimez  seulement  ;  la  jouissance  est  donnée  sans  qu'on  la  demande. 
C'est  là  encore  une  de  ces  spécieuses  vanités  qu'on  oppose  à  la 
vérité  de  Dieu  et  à  l'exemple  des  saints.  Selon  ces  raisonnemens 
il  faudi'oit  aire  à  l'épouse  :  Ne  dites  point  au  bien-aimé ,  Tirez- 
moi  à  vous  '  ;  aimez  seulement ,  et  ne  songez  pas  au  besoin  que 
vous  avez  qu'il  vous  attire  ;  ne  dites  plus  :  Sa  gauche  est  sous  ma 
tête  pom*  me  soutenii'  dans  ma  foiblesse,  et  sa  droite  m'embras- 
sera -  pour  m'enivrer  des  délices  de  ses  célestes  caresses  :  aimez 
seulement  et  laissez  là  les  embrassemens.  De  même  quand  à  la  fin 
de  Y  Apocalypse  saint  Jean  parle  ainsi  •  «  L'Esprit  et  l'Epouse  di- 
sent :  Venez  ;  que  celui  qui  les  écoute  dise  :  Venez  ;  oui ,  venez , 
Seigneur  Jésus  ^  :  »  il  faut  dire  non-seulement  à  cet  enfant  de  di- 
lection,  et  à  tous  ceux  qui  l'écoutent  :  mais  encore  à  l'Epouse 
même  et  à  l'Esprit  qui  la  meut  :  Cessez  de  dire  :  Venez  ;  aimez 
seulement,  et  il  sam"a  bien  venir  de  lui-même.  Les  raisonnemens 
qu'on  oppose  à  ces  décisions  du  Saint-Esprit  sont  des  fruits  d'une 
superbe  et  creuse  spéculation  ;  ce  sont  des  discours  qu'on  prend 
dans  son  cœur,  et  non  pas  dans  la  doctrine  révélée  de  Dieu.  Il  est 
naturel  à  celui  qui  aime,  et  qui  ne  possède  pas,  de  désirer  :  comme 
il  sent  sa  foiblesse,  U  lui  est  naturel  de  demander  du  secom's  :  tout 
cela  loin  d'être  mie  cessation  de  l'exercice  d'aimer,  est  l'amom'  en 
toutes  ses  formes. 

Un  abîme  en  attire  un  autre  :  c'est  la  fausse  idée  de  la  perfec-  xxxv. 
tion  et  de  la  béatitude  de  cette  vie  qui  attire  cette  exclusion  des  i?"'s'our'c'e 
demandes  et  des  désirs  dans  nos  prétendus  parfaits.  Ils  ont  outré  ItLIZ 
au  delà  de  toute  mesure  la  comparaison  de  la  justice  chrétienne  mandeT: 
avec  un  or  très-pur  et  affiné ,  en  disant  «  qu'il  a  esté  mis  tant  et  dTpm'eté! 
tant  de  fois  au  feu ,  qu'il  perd  toute  impureté  et  toute  disposition  sieraeM'''et 
à  estre  purifié  \  »  Après  cet  excès ,  il  ne  faut  pas  s'étonner  si  on  tion^''  " 
croit  ne  devoir  plus  demander  la  rémission  de  ses  péchés,  ni  l'ac- 
croissement de  la  justice  :  et  pour  s'expliquer  encore  plus  clau'e- 

1  Cani.,  I,  4.-2  Ibid.,  ii,  0.  —  s  A\iOc.,  xxn,  17,  20.  —  *  Uo\ji;n  court,  ch.  xxiv, 
p.  123. 

TOM.    XVIIl.  31 


482  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAlSOiN. 

ment  on  ajoute  :  «  Que  Torfévi'e  ne  pouvant  plus  trouver  de  mé- 
lange à  cause  qu'il  est  venu  à  sa  pai'faite  pureté  et  simplicité ,  le 
feu  ne  peut  plus  agir  sm'  cet  or,  et  il  y  seroit  un  siècle  qu'U  n'en 
seroit  pas  plus  pur  et  qu'il  ne  diminueroit  pas  '.  »  Les  béguards  à 
cet  égard  en  disent-ils  davantage,  et  n'est-ce  pas  précisément 
croire  avec  eux  «  qu'on  ne  peut  plus  profiter  en  grâce?  A))ipl/t(s 
in  ijratid  proficere  non  r.alvbil-.  Il  semble  «|u'on  ait  pris  plaisir 
par  tous  ces  discours  à  combattre  directement  cette  parole  de  saint 
Jean  :  «  Que  celui  ipii  est  juste,  se  justifie  encore  ;  et  que  celui 
qui  est  saint ,  se  sanctifie  encore  '  ;  »  et  celle-ci  de  David  :  Nul 
homme  vivant  ne  sera  pleinement  et  parfaitement  justifié  devant 
vous  *  ;  et  cent  autres  de  la  même  force,  dont  toute  l'antiquité  s'est 
servie  pour  iiKtiiln'r  riiupcrfectiou  df  la  justice  présente. 

On  ne  pL'ut  donner  île  l»(Ui  sens  à  tous  ces  excès  (jiii  oltiigent  à 
répéter  cent  et  cent  fois  que  toute  projjriétê,  et  avec  la  propriété 
toute  la  malignité  de  l'homme  *,  c'est-à-{lire  en  d'autres  paroles, 
toute  la  concupiscence  est  délimite;  en  sorte  que  l'ameépm'ée, 
comme  si  elle  avoit  passé  par  le  pm'gatoire,  est  conduite  à  la  pu- 
reté de  la  création'',  nu  niimiie  l'on  dit  aillem's^,  elle  parvient  (et 
encore)  en  peu  de  tcmjjs  n  lu  simplicité  et  unité  en  laquelle  elle  a 
esté  créée,  qui  est  précisément  la  même  doctrine,  avec  presque  la 
même  expression  de  Molinos,  lorsqu'il  a  dit  aux  endi'oits  déjà  ci- 
tés, (fu'on  revient  à  sapre?/tière  origine ,  et  à  l'heureuse  innocence 
que  720S  premiers  pères  ont  perdue  '. 

C'est  de  cette  idée  de  perfection  et  de  plénitude  ,  ou  comme  on 
l'appelle  ailleurs,  de  rassasiement  parfait ,  que  l'on  a  écrit  que 
jusqu'au  teiiqis  que  l'ame  y  soit  parvenue,  //  ha/  échappera  tou- 
jours quelque  désir  ou  envie^\  ce  qui  montre  que  la  suppression 
de  tout  désir,  envie  et  inclination ,  qu'on  a  établie  avec  tant  de 
soin,  vient  de  ce  rassasiement,  qu'on  suppose  dès  cette  vie  entier 
et  pai'fait. 
xïxvi.  p^j.  \g^  s^jtg  (lu  même  principe  on  pousse  encore  au  delà  des 
eiiccuriié  bornes  l'idée  de  la  béatitude  de  cette  vie,  puisqu'on  assm'e  «lue 

d.ini  celle  ^    i.  j.  i 

^  Moyen  court ,  p.  126.  —  *  Clément.,  Ad  nostrum.  —  ^  Apoc,  xxii ,  i:.  — 
*  Psal.  CXLII ,  2.  —  "  Moyen  court ,  ibià.,  p.  122.  —  «  Ifiid.,  ch.  xil ,  p.  133 ,  134. 
—  ■»  P.  84.  —  *  Guide,  liv.  Il ,  ch.  xx,  n.  194,  202.  —  »  Moyen  court,  sur  la  Cd. 


TRAITÉ  1,  LIVRE  V,  N.  XXXVI.  483 

Famé  parfaite  y  possède  très-réelhment,  et  plus  réellement  qu'on  Tie,  sdon 
7ie  'peut  dire  ressentlelle  béatihide  ^  :  ce  qui  oblige  à  décider  que  veaux"nns- 
r essentielle  béatitude  n'est  pas  dans  la  vue  de  Dieu ,  et  que  l'on 
peut  en  jouir  et  le  posséder  sans  le  voir.  Il  est  vrai  qu'on  en  peut 
jouir  et  le  posséder  sans  le  voir;  mais  en  espérance  et  non  en  effet: 
Spe,  non  re ,  comme  parle  toute  l'Ecole  après  saint  Augustin  ;  de 
sorte  que  Ton  n'a  point  Y  essentielle  béatitude,  parce  qu'encore  que 
Jésus-Christ  soit  présent  en  quelque  façon  et  par  la  foi,  absolu- 
ment parlant  il  est  absent,  selon  ce  que  dit  saint  Paul  ^,  lorsqu'il 
oppose  l'état  à'absence ,  qui  est  celui  de  cette  vie,  à  Y  état  de  pré- 
sence, qui  cqjpartient  à  l'autre.  Jésus-Christ  nous  a  doimé  la  même 
idée,  puisqu'en  nous  déclarant  huit  fois  heureux,  il  explique  très- 
précisément  que  ce  n'est  pas  par  ce  que  nous  avons  mais  par  ce 
que  nous  aurons  que  nous  le  sommes  :  <(  Bienheureux  les  pauvres 
d'esprit,  parce  cpi'ils  posséderont  le  royaume  :  Bienheureux  ceux 
qui  ont  faim  et  soif  de  la  justice ,  parce  qu'ils  seront  rassasiés'';  » 
et  ainsi  du  reste.  Ces  faux  parfaits  affectent  toujours  des  idées  et 
des  expressions  contraires  à  celles  de  l'Evangile.  C'est  contre  l'es- 
prit de  Jésus-Christ  qu'on  sépare  de  la  vue  de  Dieu  la  réelle  et  es- 
sentielle béatitude ,  pendant  que  ce  divin  Maître  la  met  précisé- 
ment dans  cette  vue  :  «  Bienheureiix,  dit-il,  ceux  qui  ont  le  cœur 
pur,  car  ils  verront  Dieu  !  »  Mais  il  plaît  aux  nouveaux  mystiques 
de  trouver  je  ne  sais  quelle  excellence  à  avoir  le  bonheur  de  la 
jouissance  sans  avoir  le  plaisir  de  la  vue^.  Vous  diriez  qu'on  dé- 
roge à  l'amour  de  Dieu  en  se  plaisant  à  le  voir  ;  ce  qui  est  du 
même  esprit ,  qui  faisoit  dire  à  Malaval  «  que  s'il  plaisoit  ainsi  à 
Dieu,  il  voudroit  l'aimer  toute  une  éternité  sans  le  voir  *.  »  Goût 
bizarre,  s'il  en  fut  jamais ,  mais  où  l'on  voit  l'esprit  des  nouveaux 
mystiques,  qui  tend  à  exténuer  la  vue  de  Dieu,  encore  qu'elle  soit 
la  source  certaine  et  inépuisable  du  plus  pur  et  du  plus  parfait 
amour  :  aveugles  et  conducteiurs  d'aveugles ,  qui  en  supprimant 
le  désir  de  voir,  induisent  trop  clairement  à  ne  pas  croire  la  vi- 
sion si  désirable.  Ailleurs  pour  nous  porter  à  désirer  moins,  on 
fait  croire  à  l'ame  prétendue  parfaite  que  Dieu  lui  dit  ces  paroles  : 

»  hiterprét.  du  Cant.,  i,  i,  p.  5,  6.—*  II  Cor.,  v,  6,  etc.  —  »  Matth.,  v,  3,  etc. 
—  *  Ibid.  —^Interprët.  du  Cani.,  p.  5.  —  *  P.  169. 


484  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

«  Je  vous  ay  fait  ressembler  à  mes  anges ,  et  je  veux  que  vous 
ayez  le  même  avamtage  qu'eux,  qui  est  de  contempler  toujours  ma 
face  '.  »  Je  ne  sais  si  les  bépruards  en  demandoient  davantapre  : 
aussi  cette  ame  n'a-t-elle  rien  à  craindre  :  «  Dieu  la  lie  si  forte- 
ment à  luy  qu'elle  ne  craindra  plus  aucune  défaillance  -  :  »  c'est 
lefoible  «  des  commencemens d'éprouver  des  éclipses,  et  de  faire 
encore  des  chutes  :  »  mais  l'ame  parfaite  n'en  fait  plus;  «  elle  est 
confirmée,  si  l'on  peut  user  de  ce  terme,  dans  la  ollarité^  »  Le  cor- 
rectif léger.  s/Ton jn'i/f,  ncmpêche  pas  (pi'on ne  voie  que  l'esprit 
est  d'établir  un»-  fermeté  alisubie.  en  disant  ailleurs  de  cette  ame 
«  qu'on  peut  dire  ciuelle  est  pour  toujours  confirmée  en  amour, 
puisqu'elle  a  esté  changée  en  luy  *  ;  en  sorte ,  dit-elle,  (jifil  ne 
sçauroit  plus  me  njcter,  et  aussi  je  ne  crains  plus  d'estre  séparée 
de  liiy\)) 

Sans  cette  sécurité  où  Tnii  iihI  les  .mies ,  oseroit-on  assurer 
qu'elles  n'nnl  |inint  à  (iemaiulfr  la  iiiTsevcrancc?  mais  leur  rf/ios 
est  cmifirmr  pour  n'eslrojtnnais  plus  iuterrow))H  "  ?  et  encore  (]u'on 
ajoute  qu'il  le  pouiToit  être  ,  et  que  l'ame  }nir  sa  librrtr })Oiin'oH 
défaillir,  on  ajoute  aussi  tprcllenc  le  rondni  jonuiisà  mnins  do  la 
plus  extrcjnr  lin/rnlilmh'  rt  infidrlité,  sans  vouloir  dire  (in'eii  cctti^ 
vie  on  n'i'sl  jamais  assure  (pie  cette  iiifidt'Tité  n'arrivera  pas. 

C'est  pourtant  ce  (ju'il  falloit  dire,  si  l'on  vouloit  donner  un  vrai 
correctif  à  la  doctrine  répandue  partout ,  (pie  (-es  âmes  sont  assu- 
rées de  ne  tomber  pas  :  c'est,  encore  mi  coup,  ce  fpi'il  talloit  dire 
avec  saint  Augustin  et  toute  l'Kglise,  cpii  reconnoît  humblement 
qiiccPttcsccurHr  (jn'on  entreprend  de  donner  aux  âmes  parfaites, 
non  par  un  don  spécial  si  rare  (pi'à peine  en  peut-on  trouverdeiix 
on  trois  exemples  certains;  maispar  un  état  d'oraison  on  l'on  vient 
régnli('renient ,  «  n'est  [las  utile  en  ce  lieu  d'iutirmité  ,  où  l'assu- 
rance jiourroit  produire  l'orgueil'.  » 
xTxvii.  ("est  donc  eu  quoi  l'esjjrit  de  l'Eglise  est  directement  opposé  à 
vraiii    celui  des  n(iuveaux  niysti(p]ps.  Ll'glise  tient  ses  enfans  dansl'in- 

injsUc|UM 

é(eigmni  certiludc ,  alin  de  les  obliger  a  prier  sans  cesse  ponrolttenir  la 

«  Interprét.  du  Cniil.,  p.  18,  27.  —  ^Und.,  ii,  6,  p.  47.  —  »  Ihid.,  p.  48.  — 
*/iif/.,  VII,  10.  —  »  P.  176.  — «  liid.,  viu,  4,  p.  188.  —  7  De  Corrept.  et  Grat , 
cap.  XIII,  u.  40. 


vertu. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  V,  N.  XXXVII.  485 

persévérance  ;  ceux-ci  au  contraire  induisent  à  un  repos  qui  ^^^J"^^^ 
éteint  par  sa  plénitude  prétendue  Tesprit  de  désir  et  de  de-  ^.fj^^'^^ 
mande.  moiUBca- 

tion  et  de. 

Il  éteint  même  l'esprit  de  mortification  et  d'austérité,  expressé- 
ment enseigné  par  ces  paroles  de  saint  Paul  :  «  Je  châtie,  je  mor- 
tifie, je  flétris  mon  corps,  je  réduis  en  servitude  mon  corps  %  »  et 
le  reste  qui  est  connu.  Contre  cette  doctrine  apostolique,  confir- 
mée par  la  tradition  de  tous  les  siècles,  on  a  osé  dire  que  «  l'austé- 
rité met  les  sens  en  vigueur,  loin  de  les  amortir;  qu'elle  émeut 
les  sens  et  irrite  la  passion,  loin  de  Téteindre  ;  qu'elle  peut  bien  af- 
foiblir  le  corps,  mais  non  jamais  émousser  la  pointe  des  sens  %» 
encore  que  tous  les  Saints  et  saint  Paul  même  aient  pratiqué  ce 
remède  comme  l'un  des  plus  efficaces.  C'est  en  vain  que,  pom' 
adoucir  en  quelque  façon  une  proposition  qui  révolteroit  tous  les 
lectem^s,  on  explique  qu'on  ne  prétend  autre  chose,  smon  «  qu'il 
ne  faut  pas  faire  son  exercice  principal  de  la  mortification^  :  »  car 
qui  jamais  a  pensé  que  ce  fût  l'exercice  principal?  Ce  qu'on  ajoute, 
«  qu'il  ne  faut  pas  se  fixer  à  telles  et  teUes  austérités,  »  est  direc- 
tement opposé  à  la  pratique  des  Samts.  D'ailleurs  on  donne  la  vue, 
que  «  sans  penser  en  particuher  à  la  mortification ,  Dieu  en  fait 
faire  de  toute  sorte*  ;  »  comme  si  le  soin  que  Dieu  prend  de  nous 
mortifier  devoit  empêcher  le  sacrifice  volontaire  des  mortifica- 
tions particulières  :  et  c'est  sous  prétexte  de  soumission  à  la  vo- 
lonté de  Dieu,  condaumer  saint  Paul,  et  induire  dans  la  disciphne 
chrétienne  un  relâchement  qu'elle  n'a  jamais  connu. 

On  prend  un  autre  prétexte  d'éteindre  l'esprit  de  mortification 
dans  la  Règle  des  associez  à  l'enfant  Jésus,  qui  est  un  li^Te  com- 
posé dans  l'esprit  et  presque  des  propres  paroles  du  Moyen  court. 
On  y  afToibht  les  austérités  «  comme  chose  peu  convenable  à  l'en- 
fance, un  enfant  estant  plus  capable  de  pureté,  de  grâce  et 
d'amom',  que  de  rigueur  et  d'austérité  ""  ;  »  qui  est  un  abus  visible 
du  terme  dî  enfance,  et  une  profanation  du  mystère  de  la  sainte  en- 
fance de  Jésus-Christ,  qu'on  tâche  de  séparer  de  la  mortification 
et  de  la  croix. 

>  I  Cor..  IX,  27.  —  ^  Moyen  court,  ch.  x,  p.  38  —  ^  Ihid.,  p.  40.  —  '  Ihid  — 
5  Règle,  etc.,  p.  30. 


486  INSTRUCTION  SUR  LES  ETATS  D0R\1S0N. 

Enfin  on  afToiblit  en  général  le  soin  paiiiculier  de 'cultiver  les 
vertus,  en  disant  «  qu'il  n'y  a  poini  d'ames  qui  prati([uent  la  vertu 
plus  fortemrnt  que  celles  qui  ne  pensent  pas  à  la  vertu  eu  particu- 
lier' ;  »  ce  qui  revient  au  principe  de  ne  vouloir  rien,  de  ne  réflé- 
chir sui'  rien,  et  de  supprimer  toute  activité  et  tout  effort,  c'est- 
à-dire  toute  action  expresse  et  délibérée  du  libre  arbitre. 

Voilà  l'exposition  et  une  réfutation  plus  que  suffisante  de  la 
doctrine  des  nouveaux  mystiques.  Poiu*  un  plus  grand  éclaircis- 
sement, et  pour  mieux  préparer  la  voie  à  la  juste  quiilincation  de 
lem's  propositions,  il  faut  encore  en  peu  de  paroles  opposer  à 
leurs  nouveautés  la  tradition  de  l'Eglise. 


LIVRE  VI. 

Où  l'on  oppose  à  ces  noux'eautés  la  tradition  de  l'Eglise. 


I. 

I.*  Ir.idi-- 


Le  priiitiiKil  instrument  df  la  tratlition  de  l'Eglise  est  renfermé 
tiund^iE  ^jjjp^  j^p^  nrii'ri's;  et  soit  (lu'oii  n'Lrardti  l'action  de  la  liturgie  et  le 
.ruirTair  sacrificc,  ou  qu'on  repasse  sur  les  Hymnes,  sur  les  Collectes,  sur 
Z"\^"  ^^^  Secrètes,  sur  les  Postconmmnions,  il  est  remarquable  qu'il  ne 
"•        s'en  trouvera  pas  une  seule  qui  ne  soit  accompagnée  de  demandes 
expresses;  en  quoi  l'Eglise  a  obéi  au  commandement  de  saint 
Paul  :  «  (Ju'en  toutes  vos  suinilications  vos  dt'm;indcs  soient  por- 
tées à  Dieu  avec  action  de  grâces  '.  »  C'est  une  chose  étonnante 
que  l'Eglise  ne  fasse  pas  une  seule  prière,  je  dis  encore  un  coup, 
pas  une  seule  sans  dem;uide,  eu  sorte  ([ue  la  demande  soit  pom* 
ainsi  dire  le  fond  de  toutes  ses  oraisous,  et  qu'il  y  ait  de  ses  en- 
fans  qui  fassent  profession  do  ne  plus  rien  demander.  La  conclu- 
sion S(»lennelle  de  toutes  les  oraisons  de  l'Eglise,  par  Jcam-Chrht 
et  <')i  l'iniitr  (ht  Siiinl-KsprU,  l'ail  voir  la  nécessité  de  la  foi  expresse 
en  la  Trinité,  eu  l'Incarnation  et  en  la  médiation  du  Fils  de  Dieu. 
Ce  ne  sont  point  ici  des  actes  confus  et  indistincts  envers  les  Per- 
sonnes divines,  ou  même  envers  les  attributs  divins;  on  trouve 

•  Moyen  court,  p.  36.—  '  Phil.,  iv,  6. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  VI,  N,  II.  487 

partout  la  toute-puissance,  la  miséricorde,  la  sagesse ,  la  provi- 
dence très-distinctement  exprimées.  La  glorification  de  la  Divinité 
dans  la  Trinité,  et  l'action  de  grâces  ne  sont  pas  moins  répandues 
dans  les  prières  ecclésiastiques;  mais  partout  selon  Tesprit  de 
saint  Paul,  elles  se  terminent  en  demande  sans  y  manquer  une  seule 
fois;  témoins  ces  deux  admirables  glorifications  :  Gloria  in  ex- 
celsis,  et  Te  Deum  laudamus  :  tout  y  a  pour  but  la  gloire  de  Dieu; 
ce  que  l'Eglise  déclare  par  ces  admirables  paroles  :  «  0  Seigneur, 
nous  vous  rendons  grâces  à  cause  de  votre  grande  gloire  :  »  Gra- 
tins agimus  tibi,  etc.  Les  demandes  viennent  ensuite  :  «  Ayez 
pitié  de  nous,  écoutez  nos  vœux  :  »  Miserere  nohis,  etc.  :  Suscipe 
deprecationem ,  etc.  On  revient  à  la  glorification  :  «  Parce  que 
vous  êtes  le  seul  saint,  le  seul  Seigneur,  »  et  le  reste. 

Tel  est  l'esprit  de  la  prière  chrétienne,  qui  unit  en  soi  ces  trois 
choses,  la  glorification  de  Dieu  en  lui-même,  l'action  de  grâces  et 
la  demande  :  selon  cet  esprit,  quand  même  on  les  sépare  dans 
l'exercice,  on  doit  toujours  les  unir  selon  l'intime  disposition  du 
cœur  ;  et  en  venn  à  l'exclusion  de  l'une  des  trois,  comme  font  les 
nouveaux  mystiques,  c'est  éteindre  l'esprit  d'oraison.  Quand  l'E- 
glise invoque  Dieu,  comme  elle  fait  partout,  sous  le  titre  de  mi- 
séricordieux  ou  de  tout-puissant,  et  ainsi  des  autres ,  elle  montre 
que  les  demandes  qui  suivent  se  terminent  à  le  glorifier  dans  ses 
di-\dnes  perfections ,  et  plus  encore  pour  ce  qu'il  est  que  pour  ce 
qu'il  donne.  Ainsi  c'est  une  erreur  manifeste  et  injurieuse  à  toute 
l'Eglise,  de  regarder  les  demandes  comme  intéressées,  et  d'en  sus- 
pendre l'usage  dans  les  parfaits. 

Les  demandes  de  l'Eghse  se  rapportent  à  trois  fins,  que  chacun 
désire  obtenir  pour  soi  dans  cette  vie  :  la  rémission  des  péchés  ;  re^diTE- 
la  grâce  de  n'en  plus  commettre,  ce  qui  comprend  la  persévérance  ;  vai^^queûV 
l'augmentation  de  la  justice  :  et  ces  trois  fins  particulières  se  ter-  ceu"q"ui 
minent  à  la  grande  fin  à  laquelle  toutes  les  autres  sont  subordon-  que°rs°de- 
nées,  qui  est  T accomplissement  des  promesses  dans  la  vie  future,  son^fnté- 
L'Eglise  montre  cette  intention  dans  toutes  ses  prières,  et  je  me  "''*"" 
contente  de  la  marquer  dans  ceUe-ci  :  «  Donnez-nous,  ô  Dieu  tout- 
puissant,  l'augmentation  de  la  foi,  de  l'espérance  et  de  la  charité; 
et  afin  que  nous  obtenions  ce  que  vous  avez  promis ,  faites-nous 


u. 

Les  prié- 


488  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

aimer  ce  que  vous  avez  commandé.  »  Toutes  les  autres  prières 
sont  du  même  esprit  ;  et  si  ces  actes  sont  intéressés,  c'est  une  chose 
horrible  à  penser  cpie  l'Eglise  ne  songe  pas  imc  seule  fois  à  nous 
en  faire  produire  d'autres.  Pour  s'éloigner  de  tels  actes,  il  faut 
renoncer  à  dire  Amen  sur  la  demande  qu'on  vient  d'entendre,  et 
en  mémo  temps  sur  toutes  les  autres,  puisqu'elles  sont  toutes  de 
même  jntt'ntion.  C'est  une  régie  constante  de  la  foi ,  qu'on  prie 
selon  ce  cpi'on  croit,  et  «  que  la  loi  de  prier  étahht  celle  de  croire  :  » 
Ut  Icf/nm  rrorhufli  Ict  fttotuat  supplirnmJi.  Les  papes  et  les  con- 
ciles nous  ont  en.seigné  que  la  doctrine  de  la  prière  est  insépa- 
rable de  la  doctrine  de  la  grâce.  «  La  grâce,  dit  le  concile  de  Car- 
thage  dans  sa  lettre  synodicpii'  au  papo  saint  Innocent  ',  est 
dé<'laréf'  nianifi^stcniont  par  les  priéivs  des  Saints  :  Gratin  Dei 
Sonctorum  evidoitiùs  oralionilnis  (Icclarntur.  Voilà  ce  qu'on  écrit 
à  saint  huiocent,  et  ce  grand  Pape  répond  :  «  Si  nous  n'avons 
pas  besoin  du  secoiu's  de  Dieu,  pounpioi  le  demandons-nous  tous 
les  jours?  Car  soit  (jue  nous  vivions  liien  ,  nous  demandons  la 
grâce,  de  mieii.x  vivre;  et  si  nous  nous  détournons  «Ui  Iticn,  nous 
sommes  enconMlans  un  pliLs  grand  besoin  delà  grâce*.  »  Comme 
donc  on  disoit  alors  aux  pélagiens,  (|ni  nioicnt  la  grâce  :  Com- 
ment la  demandez-vous  si  vous  l'aviez?  je  dirai  à  nos  faux  dé- 
vots :  Comment  cessez-vous  de  la  demander  si  vous  croyez  en 
avoir  besoin  ?  L'erreur  est  égale ,  ou  de  nier  ce  qu'on  demande , 
on  de  ne  demander  pas  ce  qu'on  croit  alisolnment  nécessaire. 
'"  Ponr  étaldir  cette  d<»ctrine  ,  saint  Augustin  dans  ses  derniers 

d,  ,.uni  livres  timt  autorisés  par  le  Saint-Siège,  a  dit  "  (lu  il  éloit  constant, 
cidoto.,1,  constat,  fjue  comme  il  y  a  des  grâces  rpie  Dieu  donne  sans  (]u'on 

raihoh-   ipy;  (loniandc,  par  exemple,  le  commencement  d(^  la  foi  'et  l'esprit 

que  .      qih-  7    11  .  l 

""Lu"''  iiéme  de  la  prière),  aussi  y  en  a-t-il  d'autres  (]u'il  n'a  préparées 
i..m-vo.  (^j'^  QQViX  fini  les  demandent,  telle  qu'est  la  persévéraïue  dans  le 

rince  11*11?     *  •  ^  ^ 

b  (lemin-  |,i,>,^  s  .  ^,  ^.-^.^j  pourquoi  il  éfoit  d'accord  avec  les  senii-pélagiens 
qu'on  la  pouvoit  et  qu'on  la  devoit  «  mériter  par  d'humbles  sup- 
phcations  :  »  SuppUciter  ctnereri  *  :  d'où  il  s'ensuit  clairement 

'  Kfiid.  Couc.  Carlli.  ad  Innoc.  PP.,  a[).  Aug.,  Ep.  c.LXXV,  al.  xr.  —  »  l/jtil. 
Epist.  rxxxxi,  al.  xci,  ii.  5.  —  ^  De  ilotin  persev.,  cap.  xvi,  n.  30.  —  '  Ibid.,  c.  vi, 
D.  iO. 


TRAITE  I,  LIVRE  VI,  N.  IV,  V.  489 

que  ceux  qui  ne  veulent  pas  la  demander  ne  veulent  pas  l'avoir, 
et  qu'en  évitant  la  demande  on  perd  la  grâce.  De  là  vient  que  ce 
saint  docteur  enseigne  encore  comme  une  vérité  constante,  «  qu'il 
n'}^  a  aucun  des  saints  qui  ne  demande  la  persévérance  *  :  »  ceux 
donc  qui  ne  la  demandent  pas ,  selon  lui  ne  sont  pas  saints  ;  et  il 
ajoute  selon  la  doctrine  de  saint  Cyprien,  que,  loin  qu'on  ne  doive 
pas  demander  la  persévérance,  «  on  ne  demande  presque  autre 
chose  que  ce  grand  don  dans  T Oraison  Dominicale.  » 

Ces  deux  grands  saints,  je  veux  dire  saint  Cyprien  et  saint  Au-  qJ^^v^j 
gustin ,  ne  connoissent  point  le  mystère  du  nouveau  désintéres-  f^^^'t'""  auÎ 
sèment,  qui  persuade  à  nos  faux  mystiques  à  ne  rien  désirer  pom^  Jolf\. 
eux-mêmes,  puisqu'ils  tournent  tous  deux  à  eux-mêmes  toutes  les  "f '|;-i"°" 
demandes  de  l'Oraison  Dominicale,  et  entre  autres  celle-ci  :  Que  '•" /i^^'"- 
votre  nom  soit  sanctifié  ;  car,  disoit  saint  C}q)rien,  et  saint  Augus-  '"Qu'eaux' 
tin  après  lui,  «  nous  ne  demandons  pas  que  Dieu  soit  sanctifié  '"^•'''i"«- 
par  nos  oraisons  ;  mais  que  son  nom  (  saint  par  lui-même  )  soit 
sanctifié  en  nous;  car  qui  peut  sanctifier  Dieu,  lui  qui  nous  sanc- 
tifie? Mais  à  cause  qu'il  a  dit  :  Soyez  saints  comme  je  suis  saint, 
nous  lui  demandons  qu'ayant  été  sanctifiés  dans  le  baptême,  nous 
persévérions  dans  la  sainteté  qui  a  été  commencée  en  nous.  Nous 
prions  donc  nuit  et  jom^  cpie  cette  sanctification  demeure  en 
nous  ^.  »  C'est  donc  pom'  nous  que  nous  demandons;  cette  de- 
mande :  Votre  nom  soit  sanctifié,  regarde  Dieu  en  nous,  et  ne  l'en 
regarde  pas  moins  en  lui-même,  parce  que  toute  notre  sanctifi- 
cation se  rapporte  à  lui. 

Ainsi,  encore  une  fois,  ce  désintéressement  tant  vanté  par  les      v. 
faux  mystiques,  qu'on  fait  consister  à  ne  rien  demander  pour  soi,   dôctriL' 
est  inconnu  à  saint  Cyprien  et  à  saint  Augustin  :  il  l'est  à  Jésus-  k»^^ 
Christ  même  qui  nous  commande  de  dire  :  Pardonnez-nous ,  ne  'gn^e  ra- 
nous  induisez  pas,  délivrez-nous  :  c'est  à  nous  que  les  péchés    '"'*'""'' 
doivent  être  pardonnes  ;  c'est  nous  qui  voulons  être  délivrés  du 
mal;  et  comme  l'Eglise  l'interprète  à  la  fin  de  FOraison  Domini- 
cale, «  du  mal  passé,  du  mal  présent  et  du  futm'  :  »  Ab  omnibus 
malis  prœteritis,  prœsentibus  et  futuris  :  ce  qui  enferme  la  persé- 

^  Bedon.  Persev.,  c.  Il,  n.  4.—  2  Cypr.,  de  Orat.   Dom.,  p.  207;  Aug.,  loco 
mox  citât. 


4flO  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D  ORAISON. 

vérance  dans  le  bien,  puisque,  comme  dit  saint  Augustin,  si  nous 
sommes  véritablement  délivrés  du  mal ,  «  nous  persisterons  dans 
la  sainteté  que  nous  avons  reçue  par  la  grâce  '  :  »  Non-seulement 
nous  y  persisterons,  mais  encore  nous  y  croîtrons,  en  disant  avec 
les  apôtres  :  Augmentez- nous  la  foi^;  et  en  cela  nous  aurons 
l'effet  de  cette  demande  :  Votre  volonté  soit  faite ,  parce  que  la 
iiolonté  (Je  Dieu,  c'est  notre  sanctification,  comme  dit  saint  Paul  ^ 
dans  laquelle  nous  devons  croître,  selon  cet  exprès  commande- 
ment :  «  Que  celui  qui  est  juste  se  justifie  encore,  et  que  celui  qui 
est  saint  se  sanctifie  encore  *  :  »  c'est  pour  cela ,  continue  saint 
Augustin,  que  «  iJieu  commande  à  ses  saints  de  lui  demander  la 
persévérance  *;  »  et  nos  faux  contemplatifs  osent  dire  qu'il  ne  le 
commande  pas  aux  paiiait^.  comme  si  les  parfaits  u'étoient  pas 
saints, 
u'doc-      ^^  ^^^'^  "li*  ^nwi  Augustin  de  cette  deuumde,  est  expressément 
'""Lnu^'  défmi  dans  le  secx)nd  concile  d'Orange  par  ce  chapitre  :  «  11  faut 
mXiM-  '^I^^^  l^s  saints  implorent  sans  cesse  le  secours  de  Dieu,  afin  qu'ils 
""^nl^tl"  puissent  parvenir  à  une  sainte  fm,  et  persister  d;ms  les  bonnes 
œuvTes  ^  :  »  et  en  dernier  liru  par  le  concile  de  Trente,  lorsqu'après 
avoir  défini  (|U(>n  ne  peut  avoir  ce  grand  don  que  de  Dieu  seul, 
il  conclut  que  nous  ne  pouvons  l'obtenir  que  par  des  travaux,  des 
veilles,  des  aumônes,  des  prières,  des  ol)lations  et  des  jeûnes  ".  » 
lul'df.     ^^  v^^*  encore  par  cette  doctrine  que  l'Oraison  Dominicale  est 
""l-nriie'r  «upposéc  êtrc  l'oraison  d'obligation  de  tous  les  fidèles  ;  ce  qui  est 
ToVdmm.  «'f^nfinn*^  par  les  décisions  du  concile  de  Tarthage  *,  où  l'on  sup- 
7„tuga-' pose  comme  mi  principe  de  foi,  que  les  plus  grands  saints,  et 
",""  p^;;,'  fussent- ils  aussi  saints  que  saint  Jacques,  que  Job  et  que  Daniel, 
parfaii,.    q^^  bcsoîu  dc  faîrc  cette  demande  :  «  Pardonnez-nous  nos  péchés, 
et  que  ce  n'est  point  par  humilité,  mais  en  vérité  qu'ils  la  font  : 
Non  humiliter,  sed  veraciter.  » 

Le  concile  de  Trente  suppose  aussi  que  cette  demande  n'est  pas 
M  seulement  humble,  mais  encore  sincère  et  véritable*;  et  que 
l'Oraison   Dominicale  où  elle  est  ('iioncée,  est  d'ime  commune 

1  De  donn  pnrsev.,  cap.  v,  ii.  ;i. —  -  Luc.  \\n,  '■>. —  '  I  Thess.,  iv,  ;;. —  *  Apoc,  xxn, 
11.  —  *  De  dono  />ersev.,CAp.  \l ,  n.  11.—  ^  Conc.  Aruuc.  II.,  cap.  x.  — "^  Sess. 
VI  ,  c.  xili.  —  8  Couc.  Carth.,  c.  vil,  vin.  —  »  Sejs.  VI  ,  c  \\. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  VI,  N.  VIII.  491 

obligation  poui'  tous  les  chrétiens,  même  pour  les  plus  parfaits, 
puisqu'elle  l'est  pom*  tous  ceux  qui  n'ont  plus  que  de  ces  péchés 
de  fragilité,  dont  personne  n'est  exempt. 

Telle  a  donc  été  la  doctrine  définie  par  toute  l'Eglise  contre  les 
pélagiens  ;  et  par  là  on  voit  qu'il  est  de  la  foi  catholique  d'éviter 
ce  prétendu  désintéressement,  cfai  empêche  nos  faux  parfaits  de 
rien  demander  pour  eux ,  parce  que  ce  n'est  qu'orgueil  et  une 
manifeste  transgression  des  exprès  commandemens  de  Dieu. 

Pour  entendre  maintenant  que  cette  foi  est  aussi  ancienne  que    vm. 

■^  ■"■  passages 

l'Eglise,  U  ne  faut  que  lire  quelques  passages  de  saint  Clément  >!«  père? 
d'Alexandi'ie,  dont  l'autorité  est  considérable  par  deux  endroits  :  -^'  ""»"»«• 

ment  de 

l'mi,  qu'elle  a  été  révérée  dès  la  première  antiquité ,  puisqu'il  a  ^^^^^  cié- 
été  dès  le  second  siècle ,  après  le  grand  Pantenus  et  devant  le  le^^andrie. 
grand  Origène,  le  théologien  et  le  docteur  de  la  sainte  et  savante 
Eglise. d' Alexandrie,  etr autre,  qu'il  nous  propose  ce  qui  con- 
vient aux  plus  parfaits,  qu'il  appelle  les  Gnostiques  ;  c'est-à-dire 
selon  le  langage  assez  commun  de  son  temps  et  dérivé  de  saint 
Paul,  les  parfaits  et  les  spirituels  cpii  sont  parvenus  à  l'habitude 
consommée  de  la  charité. 

Des  hommes  si  parfaits  et  si  élevés,  dit  saint  Clément  *,  au- 
desms  de  l'état  commun  des  fidèles ,  demandent  à  Dieu,  non  pas 
les  biens  apparens ,  comme  fout  les  imparfaits ,  mais  les  vrais 
biens  qui  sont  ceux  de  Famé  ^  :  ainsi  les  demandes  qu'il  met  en  la 
bouche  de  son  gnostique  sont  les  demandes  des  parfaits.  Aussi 
quand  il  vient  à  spécifier  ses  demandes  particuhères,  il  n'y  met 
rien  que  d'excellent.  «  Car  il  demande,  dit-il,  la  rémission  de  ses 
péchés,  de  n'en  faire  plus,  d'accomplir  tout  le  bien,  d'y  persévé- 
rer, de  n'en  point  déchoir,  d'y  croître,  de  le  rendre  éternel,  d'en- 
tendre toute  la  dispensation  de  Dieu ,  afin  d'avoir  le  cœur  pur  et 
d'être  initié  au  mystère  de  la  vision  de  face  à  face  ^  »  VoUà  ce 
que  le  gnostique ,  c'est-à-dire  le  spirituel  et  le  parfait,  demande 
pour  lui-même,  selon  ce  Père,  qui  est  aussi  précisément  tout 
ce  qu'on  a  vu  dans  les  prières  de  l'Eglise  ;  et  pour  les  autres,  il 
demande  leur  conversion,  leur  élévation,  leur  persévérance  :  pour 

^Strom.,  lib.  IV,  p.  319,  etc.,  edit.  1629.  -  'i  Ihid.,  lib.  Vil,  p.  721.  — 
s  Lib.  VI  ,  p.  665  ;  lib.  VU  ,  p.  im,  726. 


492  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

ses  ennemis ,  le  changement  de  lem'  cœur.  Il  n'y  a  rien  là  que 
d'excellent  et  digne  d'un  honmie  pai*fait.  Aussi  saint  Clément 
ajoute-t-il,  que  l'homme  spirituel  et  parfait,  qui  est  dans  la  pro- 
fession et  dans  lluibltude  de  la  piété,  demande  à  Dieu  tout  cela 
(naturellement)  comme  Vhojnme  vulgaire  demande  la  santé,  et 
le  demande  sur  ce  fondement  de  lEcritm'c,  que  l'oraison  est 
bojme  avec  le  jeune  :  fondement  commun  à  tous  les  états,  et  aux 
plus  parfaits  comme  aux  autres. 
Hai'so'n  jo      ^^  ^1^  î^  Y  *^  ^^^  ^  Tcmorquer,  c'est  que  toutes  ces  demandes  sont 
incnî  d^A-  attribuées  au  spirituel  ptu*  saint  Clément ,  non  comme  des  choses 
po"r"nmn-  *^'i^*^i'«^  iuqjarfaïtt'S ,  dont  il  lâche  de  se  délivrer,  mais  comme  des 
.'vil  pro-  choses  qui  démontrent  sa  perfection.  C'est  pom'quoi  loin  de  pen- 
,i'iii'"pi"'«  s^i"  ^1^^^  ne  soit  pas  de  l'état  de  l'homme  parfait  de  demander,  ce 
qu-!i''àp''   Pî^i'^  dit  au  contraire  (pie  c'est  à  lui  proprement  à  le  faire  ;  car 
deDiMde''r!  P<Jur  Ics  auU'es,  dit-il,  «  ils  ne  peuvent  pas  même  prier  Dieu  pom' 
eu  obtenir  les  biens,  parce  qu'ils  ne  connoissent  pas  les  biens  vé- 
rilaliles,  rt  n'en  saïu'oicnt  paslr  prix,  ni  l'usage  (pi'il  en  faudrait 
faire  quand  ils  les  am'oient  obtenus  '.  »  Doù  il  conchit(jue  ceux 
à  (]ui  il  convient  le  plus  de  faire  à  Dieu  des  demandes  sont  les 
parfaits;   les  gnostiques ,  ceux  qui  coimoissent  vi'aiment  Dieu, 
«  parce  (ju'ils  savent  quels  sont  les  vrais  biens,  et  ce  qu'il  faut 
demander,  et  (juand  et  conuuent.  »  Il  dit  dans  le  même  esprit, 
«  que  le  propre  ouvrage  du  gnostique  est  de  denumder,  et  qu'il 
ne  s'aimise  pas  à  de  longs  discoui's  dans  la  prière,  parce  qu'il  sait 
ce  qu'il  faut  deniiuider  '.  » 

(Ju'on  vienne  dire  après  cela  que  ce  ne  sont  pas  les  parfaits  et 
■  les  plus  parfaits,  les  plus  éclairés,  les  plus  spirituels;  et  selon  le 
langage  de  ce  Père,  les  plus  gnostiques  qui  doivent  demander, 
ou  qu'il  ne  h-m'  convient  pas  de  le  faire,  eux  à  qui  il  convient 
tout  au  contraire  de  le  fiiire  préférablement  à  tous  les  autres. 
C'est  pomquoi  ceux  à  (]ui  ce  Saint  met  la  prière  à  la  bouche  ^, 
après  l'Ecritm'e,  sont  les  plus  parfaits  :  un  Moïse,  une  Estlier,  mie 
Judith,  luie  Marie  sœm'  de  Moïse  qui  étoit  une  prophétesse  :  dans 
le  Nouveau  Testament,  un  saint  Barnabe,  homme  juste  et  rempli 
du  Sai7it- Esprit,  àoniW  rapporte  cette  prière  :  «  Dieu  nous  donne 

>  Strom.,  lib.  VI,  p.  G1Û.  —  '^  làid.,  p.  72«.  —  3  IbuL,  lib  IV,  p.  î)21,  522. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  VI,  N.  X,  XL  493 

la  sagesse,  rintelligence,  la  science,  la  connoissance  de  ses  justi- 
fications, la  patience  *,  »  et  ainsi  du  reste. 

Si  Ton  répond  que  la  perfection  a  plusieurs  degrés ,  saint  Clé-  „^f;^,^„ 
ment,  qui  les  reconboît,  devoit  donc  dire  quelque  part  qu'il  y  a  ^^^J"/^;^^ 
un  de  ces  degrés  où  Ion  ne  demande  plus;  mais  au  contraire  il ,  '''?'"' . 

*-  J-  '  haut  point 

dit  en  termes  formels,  que  le  gnostique  coryphée ,  c'est-à-dire  le  ''"f^^ti™ 
parfait  parmi  les  parfaits,  celui  qui  %^i  parvenu  au  sommet  de  la  'j"f?,""' 
spiritualité ,  tk  àx.poTï-a,  et  à  la  plus  haute  sublimité  de  lliomme  ^^^l^^^^. 
'parfait  :  celui  à  qui  la  vertu  a  passé  en  nature ,  en  qui  elle  est  '^«'• 
devenue  permanente  et  inamissible  (au  sens  qu'on  verra)  est, 
après  tout,  celui-là  même  qui  fait  toutes  ces  demandes"-. 

Il  est  si  parfait  «qu'il  est  déjà  avec  les  anges,  et  prie  avec  eux 
comme  celui  cpii  est  lem'  égal  ^  »  Et  cependant  il  demande  «  à 
n'être  pas  longtemps  dans  la  chair;  mais  qu'il  y  vive  comme  un 
spirituel  et  comme  un  homme  salis  chair ,  aarxoxc;  ;  et  demande 
aussi  à  la  fois  d'obtenir  les  biens  excellens ,  et  d'é^4ter  les  grands 
maux.  » 

On  voit  donc  que  celui  qui  fait  les  demandes  n'est  pas  seulement 
appelé  le  coryphée ,  le  souverain  parfait,  mais  encore  par  toutes 
les  choses  qu'on  lui  attribue  qu'il  a  le  \Tai  caractère  de  perfection. 

Ailleurs  «  le  même  gnostique,  qui  prie  par  la  seule  pensée, 
toujom's  uni  à  Dieu  par  la  charité,  et  familier  a^  ec  lui  '*  :  en  un 
mot  un  de  ces  parfaits  que  Dieu  exauce  toujours,  comme  il  exauça 
Anne  mère  de  Samuel,  «  demande  que  ses  péchés  lui  soient  par- 
donnés  ,  de  ne  pécher  plus ,  »  et  le  reste  que  nous  avons  rap- 
porté. 

Je  n'exagérerai  point  quand  je  dirai  que  j'omets  trente  passages 
de  même  force ,  et  qu'il  n'y  a  rien  de  plus  inculqué  dans  ce  Père 
que  les  demandes  dans  la  bouche  et  dans  le  cœur  des  plus  parfaits 
spirituels. 

Si  l'on  répond  que  ces  prières  des  parfaits  sont  particulièrement     x'- 
inspirées,  nous  avons  déjà  répondu  qu'on  n'a  pas  besoin  d'inspi-  pnèresdes 
ration  particulière  pom^  les  choses  qui  sont  de  l'état  commun  de  ^»"'  '"'p'- 

^  ■•-  -'^  lees  qu  au 

la  piété  chrétienne;  et  nous  répondons  encore  plus  précisément  même  sens 

que  le  sont 

1  Strom.,  lib.  II ,  396.  —  ^  Lib,  VII  ,  720.  —  3  Ibid.,  74G.  —  *  Ibid.,  Ub.  Vi, 
p.  665. 


494  INSTRUCTION  SUR  LES  ETATS  DORAISON. 

loatei  les  SUT  saliit  Clément  qu'en  tant  d'endroits  où  il  parle  de  ces  prières 

prières  *  r  r 

chrdien-  des  parfuits,  il  n"a  pas  donné  la  moindre  marmie  qu'il  les  attribue 

nés. 

à  une  autre  sorte  d'inspiration  qu'à  celle  qui  est  commune  à  toute 
prière  chrétienne,  ni  il  ne  les  fonde  sur  d'autres  préceptes,  ou  sm* 
d'autres  promesses  que  sur  celles  qui  sont  données  à  tous  les 
fidèles.  De  sorte  que  ce  recours  à  des  inspirations  extraordinaires 
dans  des  choses  qui  regardent  l'état  conmimi  du  chrétien,  visilîle- 
ment  n'est  autr.'  chose  (pi' une  échappatoire  pour  éluder  ime  vérité 
manifeste. 
'"'  11  ne  reste  plus  (lu  a  examiner  comment  la  vertu  est  inamissihle, 

•Juc  Ir  pif-  '^  ' 

fiildc    c'est-à-dire  ne  peut  déchoir  dans  l'homme  parfait,  selon  saint 

<aint    Cle-  '^  '  ' 

Dieni  pra-  Clément  d'Alexandrie  ;  et  d'abord  il  est  bien  certain  que  ce  Père 
rioeiion.  gg^  bîcu  élolgué  de  l'errem' df  ('alvlu  :  au  même  endroit  où  il  parle 

ri  le»  prt-  '^  ' 

caniion.,  alusi ,  il  ;i  (lit  (lUf  son  Lrn<>sti(iut' .  s(»n  vcrUieux  et  son  spirituel 

>lquccV«l  1  '  I  I 

p"'* 'i»«  parfait  tJfinaïKlc  «  lir  ne  ti»iiiltrr  |ttiiiil,se  souvenant  iiuil  v  a 
in^i-rania-  mènie  (Ics  iujgcs  (|ui  sont  Ujmbés  '.  »  11  ne  se  croit  donc  pas 
exempt  «le  la  cbule  ;  mais  la  raison  (pi'il  a  n^ndue  de  la  constance 
invincible  de  l'homme  parfait  dans  le  bien,  est  très-remarquable 
pour  le  sujet  que  nous  traitons.  Car  si  le  parfait  se  soutient,  «  c'est, 
dit-il,  très-volonliiirement  par  la  force  de  la  raison,  jiiir  l'iiitelli- 
gt'me  et  par  la  prévoyance  ou  la  précaution.  »  Voici  un  homme 
bien  éloigné  du  parfait  des  nouveaux  mystiques,  qui  n'admettent 
ni  prévoyance  ni  réflexion,  au  lieu  que  celui  de  saint  Clément  en 
est  tout  plein  :  ciU'  «  il  arrive,  poiusuit-il,  à  mie  vertu  indéfec- 
tible, à  cause  de  sa  précaution  qui  ne  se  relàclu^  jamais,  il  joint  à 
la  précaution,  qui  fait  qu'on  ne  pèche  point,  It*  bon  raisonnement 
i|ui  appicnd  à  tliscerner  les  secours  (ju'on  peut  donner  à  la  vertu 
pour  la  rendre  permimenle  :  d'où  il  conclut  que  la  comioissance 
(pratique  et  habituelle)  de  Dieu  est  ime  très-grande  chose,  puis- 
qu'elle conserve  ce  qui  rend  la  vertu  indéfectible  ;  c'est-à-dire 
qu'elle  conserve  les  précautions,  parmi  lesipielles  on  a  vu  qu'il  a 
rangé  la  prière,  lorsque  touché  de  l'exemple  des  anges  qui  sont 
tombés ,  il  demande  de  ne  tomùe?'  pas  comme  eux.  La  vertu  est 
donc  innnuable  et  indéfectible,  parce  que  nous  avons  tous  les  se- 
com"s  qui  peuvent  la  rendre  telle,  au  même  sens  que  David  ilisoit  : 

«  Shûm. ,\ih.  vil,  p.  726. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  YI,  N.  XIII,  XIY.  495 

«  Il  règle  tous  ses  discours  avec  jugement  :  éternellement  il  ne 
sera  point  ébranlé;  son  cœur  est  toujours  prêta  se  confier  au  Sei- 
gneur; son  cœm'  est  affermi  et  ne  sera  point  ému  %  »  et  le  reste 
de  même  sens. 

A  la  demande  il  faut  ajouter  l'action  de  grâces,  dont  saint  Clé-     ^'"•.  ^ 
ment  a  parlé  en  cette  sorte  :  «  Le  genre  de  prières  de  l'homme  g^-^^^  de 

riionmie 

parfait  est  l'action  de  grâces  pour  le  passé,  pour  le  présent  et  pour  p'"-''^"- 
le  fiitm-,  qui  est  déjà  présent  par  la  foi  -  :  »  d'où  l'on  ne  concliu-a 
pas  qu'il  ne  fasse  point  de  demandes  après  toutes  celles  qu'on  a 
vues;  mais  seulement  que  l'action  de  grâces  est  toujours  la  prin- 
cipale partie  de  la  prière,  comme  on  le  voit  partout  dans  saint 
Paul.  Loin  d'exclure  la  demande,  elle  en  est  le  fondement,  selon 
cet  Apôtre,  lorsqu'il  dit  :  «  Que  dans  toutes  vos  oraisons  vos  de- 
mandes soient  connues >à  Dieu  avec  action  de  grâces  =*  »  n'y  ayant 
rien  de  plus  efficace  pour  obtenir  le  bien  qu'on  demande  que  d'être 
reconnoissant  de  celui  qu'on  a  reçu.  C'est  ce  qu'explique  saint 
Clément,  lorsqu'il  recommande  «  l'action  de  grâces  qui  se  termine 
en  demande  \  »  Et  pour  montrer  que  c'est  là  son  intention,  au 
lieu  où  il  dit  «  que  le  genre  de  prière  du  gnostique  est  l'action 
de  grâces  %  »  il  ajoute  que  ce  gnosticjne  demande  <(  que  sa  vie 
soit  courte  dans  la  chair,  de  n'en  être  point  accablé ,  d'avoir  les 
vi-ais  biens  et  d'éviter  les  maux ,  d'être  déhvré  de  ses  péchés  ,  » 
et  le  reste.  Tant  cela  est  fondé  sur  l'action  de  grâces,  par  laquelle 
on  remercie  Dieu  d'avoir  commencé  en  nous  de  si  grands  biens, 
et  de  nous  en  avoir  assm'é  l'accomplissement  par  sa  promesse. 

Après  tout  cela  on  doit  être  convaincu  que  ces  actes  prétendus    ^'v- 
desinteresses  sont  enherement  inconnus  à  la  pieuse  antiquité.  On  '^•^^^^^le»' 

••■  prélendu 

voit  aussi  combien  lui  est  inconnue  l'exclusion  des  actes  réflexes.  '''■^  "«"- 
Qui  fait  des  demandes  distinctes  sm^  ce  qu'il  a ,  sur  ce  qu'il  n'a    ^'"i"'-' 
pas,  y  retlecmt  :  qui  rend  grâces  a  Dieu  sur  le  passé,  sur  le  pré-  q"^'^  ces- 
sent et  sur  le  futm^,  comme  fait  le  spirituel  de  saint  Clément,  et  '«flexion''. 

inconnus  à 

qui  comme  lui  «  remercie  d'être  arrivé  à  la  perfection  de  la  con-  i''n'i'i»"« 
noissance  %  »  c'est-à-dire  de  la  spiritualité,  y  réfléchit  aussi  sans 
doute,  et  il  n'y  a  rien  en  tout  point  de  plus  opposé  que  le  parfait 

1  PsaL  CXI.  —  2  Strom.,  lib.  V  i  i ,  p.  7:>U.  —  3  P/U/.,  iv,  6.  —  *  Strom.,  lih,  III, 
p.  427.  —  5  Lib.  Vil  ,  p.  7i6.  —  ^  Ibid.;  liid.,  p.  719. 


496  INSTRUCTION  SUR  LES  ETATS  D'ORAISON. 

de  saint  Clément,  et  celui  des  nouveaux  auteurs  que  nous  com- 
battons. 
Ou  a^nVM     P'^  ^^  même  raison  il  est  aisé  de  concevoir  qu'il  ne  faut  pas 
générlL'.  prendre  au  pied  de  la  lettre  le  passage  où  saint  Clément  dit  «  que 
Te^pùrlu  l6  parfait  spirituel  ne  doit  point  savoir  quel  il  est,  ni  ce  qu'il  fait  ; 
'ne'con-   P^  cxempk',  CL'lui  qui  fait  raumôue  ne  doit  point  savoir  qu'il  est 
Ll'veruTs'.  nnséricordieux  ' .  »  Cela,  dis-je,  ne  peut  pas  être  universellement 
véritable,  et  poui*  les  raisons  générales  qui  ont  été  rapportées,  et 
encore  pour  des  raisons  pai'ticulières  à  ce  Père  ;  autrement  contre 
la  doctrine  (ju"il  vient  (renseigner,  ce  parfait  ne  rendroit  pas  grâces 
du  passé,  du  présent  et  du  futur,  et  encore  moins  d'être  pai'venu 
à  la  perfection. 
''^'         Après  avoir  éliUjli  la  demande  des  biens  spirituels  par  tant  de 
'li.Mnli!''  rooycns,  on  peut  encore  proposer  cette  question ,  si  les  spirituels 
'"'  '",'"  parfaits  demandent  aussi  les  biens  temporels  :  et  la  raison  de 
douter  est  (jue  saint  Clément  répète  souvent  (pie  «  son  gnostique 
ne  ilc'maiide  pas  les  i>ii'iis  temporels,  parce  (]u'il  sait  que  l)i(Mi  les 
dttliue  aux  gens  de  bien  saJlS  iprils  les  (leiliaildeilf  -'.  » 

La  difli<'ulté  se  résout  par  les  endroits,  ([iii  sont  infinis,  où  ce 
l'ère  a  supposé,  ce  que  persomie  aussi  ne  révociue  en  doute,  que 
l'homme  parfait,  assistant  aux  prières  commîmes  où  l'Eglise  de- 
mande les  biens  temporels,  y  assiste  d'esprit  autant  cjue  de  corps , 
disant  Amru  avec  tous  les  autres  sur  toutes  les  oraisons.  11  est 
donc  (U'-Jà  bien  certiiin  de  ce  (;ôté-là ,  qu'il  deniiuule  avec  tous  les 
saints  les  biens  temporels. 

Saint  Clément  s'en  (^xplicpie  encore  plus  précisément,  lorsqu'il 
dit  que  «  le  gnostii]ue  prie  avec  les  nouveaux  croyans  sm*  les 
choses  qu'ils  ont  à  traiter  tous  ensemble  avec  Dieu  '  :  »  c'est-à-dh-e 
sans  difficulté  sur  toutes  les  choses  temporelles  et  spirituelles  qae 
l'on  attend  de  sa  grâce,  ce  qui  confirme  «pie  comme  les  autres, 
les  parfaits  font  de  vi'aies  d(Mnandes  bien  formées  et  bien  ré- 
fléchies. 
XVII.       Cette  manière  de  demander  les  biens  temporels,  bien  loin  d'être 
mande  H.-  mteresscc,  est  d  une  chai'ite  ex([uise,  pmsqu  û  est  vrai  que  sans 
'Vo^ir  le  secours  de  ces  biens  plusieiu-s  fidèles  succomberoient  à  la  ten- 

•   »  Strom.,  lib.  IV,  ii.  .'i29.  —  '  Lib.  VII ,  p.  726.  —  '  Ibid.,  p.  728. 


TRAITÉ  I,  LIVIÇIE  VI,  N.  XVIII.  497 

tation  d'impatience  et  de  désespoir.  Mais  en  les  demandant  avec  n'e?tpas 
TEglise,  le  vrai  spirituel  se  distingue-t-il  du  reste  des  chrétiens, 
et  ne  dit-il  pas  avec  eux  dans  le  même  esprit  de  simplicité  : 
c(  Donnez-nous  les  biens  de  la  terre,  un  temps  bénin,  la  santé,  la 
paix,  »  et  ainsi  du  reste?  On  seroit  trop  insensible  aux  intérêts 
du  genre  humain,  si  l'on  négligeoit  de  telles  prières.  Ainsi  le 
spirituel  comme  vrai  membre  de  l'Eglise,  et  comme  rempli  de 
l'esprit  de  la  fraternité  chrétienne,  se  met  dans  la  cause  com- 
mune, et  il  demande  pour  lui-même  comme  pour  les  autres.  Que 
veut  donc  dire  saint  Clément,  quand  il  dit  que  le  gnostique  ne 
demande  pas  les  biens  temporels ,  sinon  qu'il  ne  les  demande  pas 
toujours  en  particulier,  et  ne  les  demande  jamais  comme  absolu- 
ment nécessaires,  se  reposant  sm*  Dieu  qui  sait  les  doimer  autant 
qu'on  en  a  besoin  pour  le  salut? 

La  raison  que  ce  Père  apporte  pour  ne  demander  point  les  biens    xvm. 
temporels  est  remarquable  :  «  C'est,  dit-il,  que  Dieu  les  donne  d.'deman- 
sans  qu'on  les  demande.  »  Il  enpouvoit  dire  autant  des  biens  spi-  lument'et 
rituels,  si  l'esprit  de  l'Evangile  n'y  eût  résisté;  mais  Jésus-Christ  diiion. 
en  nous  défendant  «  de  nous  inquiéter  des  biens  temporels  comme 
les  Gentils,  parce  que  notre  Père  céleste  sait  de  quoi  nous  avons 
besoin ,  »  a  expressément  ajouté  :  «  Cherchez  le  royaume  de 
Dieu  ',  »  quoique  notre  Père  céleste  ne  sache  pas  moins  le  besoin 
que  nous  en  avons.  C'est  que  ce  Maître  divin  veut  exciter  en  nous 
les  bons  désirs  pour  lesquels  nous  sommes  pesans,  et  amortir 
les  désirs  des  sens  pour  lesquels  nous  sommes  trop  \ifs.  Outre 
cela  il  nous  veut  apprendre  à  faire  la  distinction  des]  biens  qu'il 
faut  demander  absolument,  comme  sont  le  royaume  de  Dieu  et  la 
justice,  et  de  ceux  qu'il  faut  demander  seulement  sous  condition, 
et  si  Dieu  veut.  Car  on  suppose  pour  les  premiers  que  Dieu  les 
veut  toujours  donner,  et  à  tous ,  comme  saint  Clément  l'enseigne 
perpétuellement  après  l'Apôtre. 

Au  surplus  Jésus-Christ  lui-même  nous  a  appris  à  dire  :  Panem 
7iostrum  ,  où  constamment  l'un  des  sens  est  de  demander  les 
biens  temporels.  Le  parfait  spirituel  n'exclut  pas  cette  demande 
du  nombre  des  sept,  et  si  l'on  dit  néanmoins  qu'il  ne  demande 

^  Multli.,  \\ ,  31. 

TOM.  XV m.  32 


498  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORATSON. 

rien  de  temporel,  c'est  comme  Ton  "\ient  de  dire  qu'il  ne  le  de- 
mande ni  comme  un  bien  absolu  ,  ni  absolument  ;  mais  par  rap- 
port au  salut ,  sous  la  condition  de  la  volonté  de  Dieu  ;  ce  qui  est 
plutôt  demander  la  volonté  de  Dieu  que  ces  biens  mêmes. 

Ainsi  tout  est  expliqué  :  la  sécheresse  des  nouveaux  mystiques, 
qui  ne  veulent  rien  demander  à  Dieu,  est  confondue  dès  l'oriprine 
du  christianisme  ;  on  voit  qu'il  faut  demander  même  les  biens 
temporels,  mais  avec  restriction  :  et  la  manière  différente  dont 
on  doit  demander  les  biens  spirituels,  confirme  l'obligation  de 
les  demander  en  tout  état. 
*";        Mais  comme  saint  Clément  d'Alexandrie  a  tant  parlé  des  par- 
de  u  ton-  faits,  et  qu'il  semble  en  avoir  porté  la  perfection  jusqu'à  leur  ôter 
e»i  pcrpr-  jjj  concupiscence  cl  les  élever  à  l'apathie  * ,  c'est-à-dire  à  Tiniper- 
turbabililé,  il  faut  entendre  d'abord  que  ce  parfait,  dont  il  est  dit 
de  si  grandes  choses,  selon  lui,  est  composé  de  deux  esprits, 
dont  l'un  convoite  contre  Vautre,  conformément  à  cette  parole  de 
saint  Paul  :  a  La  chair  convoite  contn>  Tesprit  et  l'esprit  contre 
la  cliair*  :  »  car  la  chair  a  inie  partie  de  l'esprit  qui  lui  adhère, 
comme  (lit  le  uièuie  saiut  Paul  :  «  Je  ne  fais  pas  (parfaitement) 
le  bien  que  je  veux,  parce  (jue  j'ai  en  moi  un  mal  inhérent,  et 
une  loi  qui  s'oppose  au  bien  \  »  Ce  principe  étant  supposé  avec 
saint  Paul  par  saint  Clément,  il  faut  entendre  au  septième  livre 
oïl  il  pousse  au  dernier  degré  de  perfection  l'idée  du  gnostique , 
les  con'ectifs  qu'il  y  met,  en  disant  que  «  Ihomme  parfiiit  a  en 
sa  puissance  ce  qui  combat  contre  l'esprit  '  :  »  il  n'en  est  donc  pas 
entièrement  délivré;  mais  il  le  tient  sous  le  joug,  l'u  \\v\\  aitrès  : 
«  L'homme  parfait  s'élève  courageusement  contre  la  crainte,  se 
fiant  en  Notre-Seigneiu'  :  »  c'est  la  posture  d'un  homme  qui  la 
cond)at.  Et  dans  la  suite  :  «  11  fait  la  guerre  à  la  malice,  »  à  la  cor- 
ruption qu'on  porte  en  soi-même  :  elle  résiste  donc,  elle  combat. 
\'\\  peu  après  "  :  «  11  réprime  et  châtie  sa  vue  quand  il  sent  un 
[ilaisir  dans  ses  regards.  »  Et  encore  :  «  11  s'élève  contre  lame 
corporelle;»  c'est-à-dire,  comme  il  l'exphque,  contre  la  partie 
sensitive  de  l'ame  :  «  mettant  un  frein  à  la  partie  irraisonnable 

•  Strom.,  lih.  VI  ,   p.  610-C.jI  ;   lil).  VII,   p.   G52,  725.  —  »  Galui.,  y,   l7.  — 
3/ÎOTO.,  vu,  19,  21.  —  *5/rowj.,  lib.  VII,  p.  725.  —  »  Ibid.,^.  744. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  YI,  N.  XX.  499 

qui  se  soulève  contre  le  commandement  (de  la  raison)^  parce  que 
la  chair  convoite  contre  l'esprit.  »  Un  des  effets  du  combat  perpé- 
tuel que  saint  Clément  reconnoît  avec  tous  les  saints  dans  les  plus 
parfaits^  est  qu  on  y  reçoit  quelques  légères  blessures,  et  qu'on 
y  tombe  dans  ces  péchés  qu'on  appelle  véniels.  Ainsi  la  vie  chré- 
tienne est  une  perpétuelle  piuification  :  la  plus  parfaite  spiritua- 
lité n'en  est  pas  exempte  ;  et  saint  Clément  dit  expressément  que 
toute  piue  et  toute  parfaite  qu'elle  est,  non-seulement  elle  est 
prompte  à  se  purifier,  mais  encore  elle  est  elle-même  la  plus  pjar- 
faite  purification  de  l'ame  \  Ainsi  la  pmification  est  de  tous  les 
états  ;  pourquoi  non,  puisqu'on  y  demande  dans  les  états  les  plus 
parfaits  la  rémission  des  péchés  et  la  grâce  de  n'en  plus  com- 
mettre ^?  Après  avoir  reconnu  ces  vérités,  comment  saint  Clé- 
ment n'am'oit-il  pas  vu  qu'il  est  nécessaire  qu'un  chrétien,  qui 
selon  la  foi  catholique,  après  tout,  jusqu'à  la  fm  de  sa  vie  est  un 
pécheur,  ne  cesse  de  se  purifier  :  «  Qu'encore  qu'il  soit  lavé,  il 
lave  encore  ses  pieds  ^,  »  selon  le  précepte  du  Sauveur,  «  et  qu'é- 
tant juste,  il  se  justifie  de  plus  en  plus  '"  ?  » 

C'est  à  cause  de  ces  combats  et  de  ces  péchés  que  la  mortifica-     m. 

De  la  moi- 

tion  est  nécessaire  en  tous  les  états ,  pour  les  expier  et  pour  les  uticaiioD 
prévenir.  Aussi  avons-nous  vu  que  saint  Clément  attribue  aux  '«-nto  en 

^  ^  tout  «l:it. 

plus  parfaits  l'obhgation  d'accomplir  ce  précepte  de  l'Ecriture  : 
L'oraison  est  bonne  avec  le  jeûne.  Yoilà  pour  ce  qui  regarde  les 
austérités  communes  à  tous  les  saints  :  mais  ce  saint  prêtre  re- 
connoît aussi  ceUes  que  chacun  peut  s'imposer  à  soi-même  selon 
les  besoins  ;  et  c'est  ce  qui  lui  fait  dire  en  parlant  des  gnostiques 
ou  des  parfaits  qui  vivent  dans  l'état  conjugal  :  «  Qu'il  arrivera 
peut-être  que  quelques-uns  d'eux  s'abstiendront  de  viandes ,  de 
peur  que  la  chair  ne  se  laisse  trop  emporter  au  plaisir  des  sens  ^  » 
Ainsi  il  n'est  au-dessous  d'aucun  chrétien,  pour  parfait  qu'il  soit, 
de  mortifier  la  chair  par  quelques  austérités  ;  et  saint  Clément 
loue  en  général,  et  sans  distinction  d'aucuns  états,  la  sentence  de 
ce  philosophe  qui  donne  la  faim,  c'est-à-dire  l'abstinence  et  le 
jeune,  pour  le  vrai  remède  de  la  sensualité  ". 

1  S/rom., lib.  vil,  p.  732.  — 2  Lili.  Vf,  p.  GGo.— *  7ow.,  xiii,  10.— *  .ipoc.  xxii, 
H.  —  5  Slrom.,  lib.  Vil,  p.  718.  -  e  Lib.  II,  p.  413. 


500  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D  ORAISON. 

XXI.        On  voit  par  là  qu'en  tout  et  partout  il  est  opposé  à  nos  faux 

feciio/Mi  parfaits  ;  et  aussi  u"a-t-il  jamais  dit  que  son  gnostique  fût  inalté- 

îl'ncX  rable,  imperturbable,  impassible,  sans  apporter  à  ces  grands 

vLigeTe  mots  ces  correctifs  nécessaires  :  Autant  qu' il  se  peut,  autant  que 

'mTntsur  Vétut  (le  ccttc  vic  le  permet^  ;  ou  ceux-ci  :  //  tache  de  l'être,  il 

veut  l'être  - ,  il  fait  tous  ses  efforts  pour  y  parvenir  ^  :  ce  qu'il 

explique  de  dessein  formé  par  ces  paroles  :  «  Pour  moi  je  demeui;e 

souvent  étomié  comment  quehjues-uns  osent  s'appeler  parfaits  et 

gnostiques,  se  faisant  par  ce  moyen  plus  parfaits  que  1" Apôtre 

même,  qui  dit  '  :  «  Non  que  j'aye  encore  atteint  au  but  que  je  me 

propose,  ou  que  je  sois  déjà  parfait,  je  m'avance  donc,  oubliant 

ce  qut'  j'ai  fait,  et  m'étendant  à  ce  qui  me  reste  à  accomplir,  je 

cours  sans  cesse,  »  etc.  Ainsi  il  s'estime  parfait  par  rajiport  à  sa 

vie  passée  dont  il  a  été  délivré  ,  et  il  rn  poursuit  une  meilleure, 

non  pas  connue  étant  parfait  dans  la  connoissance  (  yûoîi  ) ,  dans 

la  si»iritnalilé  ,  dans  la  science  de  Dieu,  mais  connue  désinmt  co 

qui  est  parfaite  » 

On  \(>il  par  ce  beau  passage  qu'il  y  avoit  dès  ce  temps,  conmie 
il  y  en  a  toujnurs  eu,  de  fan.\  {tarfaits  (jui  s'imaginoieni  diîs  états 
de  perfection  au  delà  des  bornes  de  cette  vie.  Saint  Clément  lem* 
fait  voir  comment  on  est  parfait,  qu'on  l'est  non  absolument,  mais 
seiUement  par  conq)arais()n  aux  états  inférieurs,  et  à  cause  qu'on 
tend  à  l'être  et  (ju'on  le  désire.  Ainsi  la  description  du  fjnoslique 
ou  du  parfait  spiiituelen  cette  vie  est  une  idée  de  perfection,  qui 
marque  ce  cpi'on  poiu>uit  plutôt  (pic  ce  (|u"on  possède. -Si  après 
cela  on  se  tronq)e  dans  la  jjeiiection  que  .^aiul  Clénieid  attribue  à 
son  gnostique ,  ce  n'est  pas  la  faute  de  ce  savant  prêtre ,  et  il 
n'aura  pas  attribué  aux  autres  .^piriiuels  ce  qui  manquoit  à  saint 
l'aul. 
xxii.  11  sexplitpie  souvent  sm'  celte  matière,  et  voici  mi  des  plus 
beaux  endroits  :  «Un  gnostique,  un  si»irituel  qui  de  bon  etlidèle 
serviteui*  est  parvenu  à  être  ami  [)ar  la  cbarilé ,  à  cause  de  la 
perfection  de  l'babitnde  qu'il  s'est  acqui.se  et  où  il  est  établi 
avec  mie  grande  pureté,  qui  est  orné  dansjses  mœurs  et  qui  a 

1  Strom.,  lib.   IV,   p.  -M.  —  -  Lib.  Vil,  \k  r:>2.  —  »  Ibid.,  p.  723.  —  *  PhiL, 
\n,  u.  —  '  l'udo'j.,  I  ,  G,  p.  107. 


Autre  pas 


TRAITÉ  I,  LIVRE  W,  N.  XXIII.  oOl 

toutes  les  richesses  du  véritable  spirituel  :  le  voilà  ce  me  semble 
assez  parfait  :  et  néamnoins  celui-là  même  fait  de  «  grands  efforts 
pour  arriver  à  la  souveraine  perfection  K  »  Ses  efforts  ne  cessent 
jamais,  parce  que  la  vraie  perfection  n'est  pas  de  cette  vie  ;  c'est 
pourquoi  aussi  on  a  ^^i  quil  ne  cesse  de  désirer  et  de  demander. 
Quand  après  cela  on  trouvera  dans  ses  écrits  que  la  parfaite 
habitude  de  Thomme  spirituel  «  n'est  pas  une  modération ,  mais    ^^"'• 

■■-  -L  -^  En  coiu- 

un  entier  retranchement  de  la  convoitise  -  :  »  si  on  prenoit  ses  '•'•'".'*• 

^  manierez 

paroles  en  toute  rig-ueur,  on  voit  bien  qu'il  en  diroit  trop  et  plus  """dL'.r 
qu'il  ne  veut,  et  par  conséquent  qu'il  faut  entendre  ce  retranche-  <^'"'=  "''• 
ment  par  rapport  à  certains  effets ,  et  non  point  par  rapport  à 
tous.  Ainsi  on  est  impassible  et  imperturbable,  parce  que  non- 
seulement  on  tâche  de  l'être ,  selon  les  idées  de  notre  auteur,  mais 
encore  qu'on  l'est  en  effet  jusqu'à  un  certain  point.  On  l'est  pour 
les  effets  essentiels,  et  non  pas  pour  tous  les  effets  ;  ou  pour  parler 
plus  précisément  avec  saint  Augustin  ^  on  l'est  non  quant  à  l'effet 
d'accomplir  dans  le  dernier  degré  de  perfection  ce  précej)te  :  Non 
concupisces  :  «  Yous  ne  convoiterez  point ,  »  vous  n'aurez  point  de 
concupiscence  ;  mais  quant  à  l'effet  d'accomplir  cet  autre  précepte  : 
«Vous  n'irez  point  ax^rès  vos  concupiscences,  »  vous  ne  vous  y  li- 
"VTerez  point  :  en  un  mot,  on  est  impassible  et  imperturljaljle  par 
comparaison  aux  foil^les  dont  l'état  est  toujours  vacillant.  J'ajou- 
terai selon  la  doctrine  du  même  saint  Augustin,  que  la  grâce 
chrétienne  contient  toutes  ces  qualités,  et  l'impeccabilité  même  ; 
en  sorte  que  si  nous  usions  comme  nous  devons  de  cette  grâce , 
nous  ne  pécherions  jamais  :  mais  comme  «  le  Saint-Esprit  a  prévu 
que  nul  homme  n'y  seroit  fidèle  autant  qu'il  faudroit,  ni  ne  dé- 
ploieroit  autant  les  forces  de  sa  volonté  qu'il  est  nécessaire  poiu'  en 
profiter  dans  toute  son  étendue,  le  Saint-Esprit  a  révélé  que  tout 
homme  seroit  pécheur ,  foible  et  imparfait  jusqu'à  la  fm  de  sa 
vie*^;  »  en  sorte,  comme  dit  le  même  Père,  qu'en  tout  état  «  la 
justice  présente  consiste  plutôt  dans  la  rémission  des  péchés 
que  dans  la  perfection  des  vertus  ^  » 

1  Sirom.,  Mb.  VII,  p.  733,  736,  —  2  Ib<d.,  Ub.  VI  ,  p.  651.  —  ^  De  nupt.  et 
concup.,  lib.  1,  cap.  xxiii,  n.  23,  et  alibi  passim.  —  *  Lib.  1,  de  pecc.  mer.,  cap. 
XXXIX,  n.  69.  —  ^  De  Perfed.  jiist.,  per  lot.  tom.  X. 


S02  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

XXIV.  Outre  ces  solutions  générales ,  qui  servent  de  dénouement  à 
uon  d'un  tous  les  passages  de  saint  Clément,  on  trouvera  en  particulier  et 
m'îlldi'"'  ^^^  charpie  lieu  une  clef  pour  en  ouvrir  l'intelligence  :  par 
'^hii"^"'  ^^"^mplCj  dans  cet  endroit,  qui  est  le  plus  fort,  où  il  dit  «  que  son 
{^■*'J  p"'"' parfait  spirituel  non-seulement  n'est  pas  corrompu,  mais  encore 
n'est  pas  tenté  *,  »  il  faut  ajouter  le  reste  que  voici  dans  la  même 
page  :  c'est  que  ce  parfait  spirituel,  ce  gnostique  demande  à  Dieu 
la  stabilité  de  ce  qu'il  possède,  d'être  rendu  propre  à  ce  qui  lui 
doit  encore  arriver,  et  de  conserver  éternellement  ce  qu'il  a  déjà.» 
On  ne  peut  pas  dire  qu'il  ne  s'agisse  pas  ici  des  plus  parfaits , 
puisque  celui  dont  ou  parle  est  ce  gnostique  qui  ne  donne  rien 
du  tout  à  ses  passions,  qui  est  immuable,  et  n'est  pas  même  tenté  ; 
c'est  celui-là  néanmoins  qui  «  demande  que  les  vrais  biens  qu'il  a 
dans  l'esprit  lui  soient  donnés  et  lui  demeurent,  »  Un  peu  après  : 
«  Il  a  et  il  prie;  »  comme  qui  diroit  :  Il  a  et  il  n'a  pas.  Il  n'a  donc 
pas  parfaitement  et  absolument.  «  Il  tâche  d'être  spirituel  par  un 
amour  sans  bornes:  »  c'est  donc  un  homme  qui  tàdie;  et  c'est 
pourquoi  on  ajoute  :  «  Il  fait  les  plus  grands  eflbrts  pour  possé- 
der la  puissance  de  contempler  toujom's,  »  encore  qu'il  l'ait  déjà 
en  un  certain  sens  ;  mais  il  s'efforce  de  la  posséder  de  plus  en  plus, 
comme  il  a  été  explicpié  :  «  Il  a  en  sa  puissance  ce  qui  combat 
l'esprit  :  »  il  n'est  donc  pas,  encore  un  coup,  entièrement  délivré 
ni  imperturbable. 

Il  ne  sera  pas  hors  de  propos  de  considérer  ce  que  les  anciens 
ont  pensé  de  l'apathie  ou  impassibilité,  depuis  que  les  erreurs  de 
o!.''''imïi'r-  Jovinien  et  de  Pelage  ont  rendu  l'Eglise  plus  attentive  à  cette 
iurb,ib.iité  matière.  Saint  Jérôme  en  écrivant  contre  ce  dernier,  a  remarqué 
qu'Evagre  de  Pont  avoit  publié  un  livre  et  des  sentences  sur  l'a- 
pathie, u  que  nous  pouvons,  dit-il,  appeler  impassibilité  ou  im- 
perturbabilité,  qui  est  un  état  où  l'ame  n'est  émue  d'aucun  trouble 
\icieux,  où,  à  parler  franchement,  on  est  une  pierre  ou  un 
Dieu  *.  »  Les  Latins  n'avoient  jamais  donné  dans  ces  sentimens, 
et  ne  connoissoient  pas  ces  expressions  ;  mais  Rufm  traduisit  ce 
livre  de  grec  en  latin,  et  le  rendit  commun  en  Occident.  Cassien 
dans  les  Conférences  qu'il  publia  des  Orientaux  ,  parle  beaucoup 

»  Strom.,  lib.  Vil  ,  p.  725.  —  "-  E-ù-^t.   ad  Cirsiiih. 


XXV. 

Senlimrns 
des  an- 
ciens   sur 


TRAITÉ  I,  LIVRE  YI,  N.  XXVI.  503 

d'apathie,  mais  avec  de  grands  éclaircissemens  que  nous  verrons 
dans  la  suite.  Du  temps  de  saint  Jérôme  cette  matière  fut  un 
grand  sujet  de  contestation  parmi  les  solitaires  :  ce  Père,  comme 
tous  les  Occidentaux,  fut  fort  opposé  à  l'apathie,  et  encourut  pour 
cela  rindignation  de  la  plupart  des  moines  d'Orient,  comme  il 
paroît  dans  Palladius.  A  la  fm  les  livres  d'Evagre  furent  condam- 
nés dans  le  concile  v,  avec  ceux  d'Origène,  dont  il  étoit  sectateur; 
et  la  doctrine  de  l'apathie  a  été  mise  depuis  ce  temps-là  parmi  les 
erreurs.  On  voit  même  dès  auparavant ,  et  même  dans  saint 
Jérôme  ',  qu'Evagre  avoit  été  condamné  de  son  temps  par  les 
évêques,  et  la  condamnation  de  l'apathie  passe  pour  constante. 

Il  faut  pourtant  demeurer  d'accord  que  ce  terme  à' apathie  étoit    xxvi. 


Div 


famiher  aux  spirituels  parmi  les  Grecs ,  tant  devant  le  concile  v   ^'^p™'- 

.  sions   des 

que  depuis.  Un  le  trouve  dans  saint  Macaire,  disciple  de  saint    p^^s 


»recs : 


Antoine  :  l'apathie  fait  un  des  degrés  de  l'échelle  de  saint  Jean  conformité 
Climaque  ^  :  mais  partout  on  en  parle  plutôt  comme  d'ime  chose    Laims  : 

,    -,  belle  prié- 

ou  1  on  tend,  que  comme  d'mie  chose  où  l'on  arrive.  Yous  voyez  ^e  de  saim 

.    .  Arsène. 

ces  spirituels  Grecs  dans  un  combat  perpétuel  contre  leurs  pen- 
sées ,  et  selon  Isaac  Syrien  ^,  ce  combat  duroit  jusqu'à  la  mort. 
Combattre  ces  pensées ,  c'étoit  combattre  les  passions  qui  les  fai- 
soient  naître.  C'est  à  cause  des  passions  qu'on  n'avoit  jamais  assez 
vaincues  que  saint  Jean  Climaque  disoit  «  qu'après  avoir  passé 
tous  les  degrés  des  vertus,  il  falloit  encore  demander  la  rémission 
de  ses  péchés ,  et  avoir  un  continuel  recours  à  Dieu,  qui  seul 
pouvoit  fixer  nos  inconstances*.  »  Il  n'y  avoit  rien  qu'on  fît  tant 
craindre  aux  solitaires  que  la  pensée  d'être  arrivé  à  la  perfection  ; 
et  on  raconte  de  saint  Arsène,  ce  grand  solitaire,  dont  la  vertu 
étoit  parvenue  à  un  si  haut  degré,  qu'en  cet  état  il  faisoit  à  Dieu 
cette  prière:  «  0  mon  Dieu,  faites -moi  la  grâce  qu'aujom^d'hui 
du  moins  je  commence  à  bien  faire  ^  »  Ainsi  les  aines  les  plus 
consommées  dans  la  vertu ,  bien  éloignées  de  se  croire  dans  la 
perfection  de  limpassibilité,  ou  de  faire  cesser  leurs  demandes, 
faisoient  celles  des  commençans  :  comment,  s'ils  ne  sentoient  rien 

'  Episl.  ad  Ctesiph.—  2  Grad.  liO.  —  »  This.  ascet.,  opusc.  xii,  p.  SOS,  309. 
—  '^  Grad.  38,  de  Aut. —  s  Thes.uscet.,  opiiic.  xvi,  Theod.  Archiepisc.  Edess., 
p.  40j. 


504  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON.      . 

à  combattre  en  eux?  Il  faut  avouer  après  cela  que  le  terme  d'a- 
pathie n'est  guère  de  saison  en  cette  vie  :  saint  Clément  dAlexan- 
drie  s'en  est  servi  si  souvent  pour  attirer  les  philosophes  qui  ne 
connoissoient  de  veiiu  que  dans  cet  état  :  tous  y  aspiroient  jus- 
qu'aux épicm'iens.  C'est  par  là  que  ce  Père  a  mis  ce  terme  en 
vogne  ;  mais  il  y  a  apporté  les  tempéramcns  que  nous  avons  mis, 
qui  reviennent  à  la  doctrine  de  saint  Augustin  et  de  toute  l'E- 
glise catholique ,  sm*  les  combats  et  l'imperfection  de  la  justice  de 
celte  vie. 
XXVII.       Après  saint  Clément  d'Alexandrie,  celui  des  anciens  qui  est  le 

Sentiment  '■  '  ^ 

ronforme  pius  proprc  à  coufoudre  les  novateurs,  c'est  Cassien ,  parce  que, 
quelle  per  commc  salut  Clément,  il  a  expressément  traité  de  l'oraison  des 

fectiiin  il  ■*• 

rcconuoit  parfaits  contemplatifs,  et  même  de  leur  apathie,  qu'il  appelle 
fïinis.     comme  lui  leur  lutnwbile  et  eontinuello  triniquiJlitr ,  mais  avec 
les  mêmes  tempéramcns.  Car  d'abord ,  dans  la  neuvième  confé- 
rence, où  l'abbé  Isaac  commence  à  traiter  de  l'oraison,  il  enseigne 
que  les  parfaits  doivent  «tendre  à  cette  inunobile  tran(|uiHité  de 
l'esprit,  et  à  la  parfaite  pureté  de  cœur,  autant  que  la  fragilité 
humaine  U;  .peut  souffrir:  quantum  humnnœ  frafjiUtati  conce- 
ditur  '.  »  Or  cette  fragilité  (pii  reste  dans  les  parfaits  consiste  en 
deiLX  points,  dont  l'un  est  le  perpétuel  combat  de  la  convoitise 
jusqu'à  la  fin  dt^  la  vie  :  le  second  est  l'inévitiible  assujettissement 
au  péché  tmit  qu'on  est  sur  la  terre. 
Mviii.       Il  pousse  si  loin  le  premier  point  dans  ses  Institutions  nionas- 
ii..."  I  .•   tiques ,  qu'il  ne  craint  point  d'assurer  «  que  les  comliats  aug- 
coniiuiirc.  mentent  avec  les  triomphes,  de  pem'que  l'athlète  de  Jé.sus-Clu'ist, 
corrompu  par  l'oisiveté,  n'oublie  son  état*  :  »  ce  qui  est  vrai 
principalement  de  l'orgueil  à  qui  tout,  jusqu'à  la  vertu  et  la  per- 
fection, sert  de  pâture  :  «  Et,  dit-il,  l'ennemi  que  nous  combattons 
est  enfermé  au  dedans  de  nous,  et  ne  cesse  de  nous  condjattre 
tous  les  jours,  afin  que  notre  comliat  soit  un  témoignage  de  notre 
vertu.  » 

Pour  ^'enir  aux  Conférences ,  la  sixième,  qui  est  de  l'abbé 
Théodore,  nous  montre  les  plus  parfaits  en  cette  vie,  «  comme 
gens  qui  remontant  une  rivière,  en  combattant  le  courant  par  de 

»  Coll.  IX,  de  Orat.  —  »  Lib.  V,  c.  xix,  xxi;  p.  G9l ,  G93. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  VI,  N.  XXIX-XXXI.  SOS 

continuels  efforts  de  rames  et  de  bras  :  d'où  il  conclut  que ,  pour 
peu  qu'on  cesse  d'avancer,  on  est  entraîné  ;  ce  qui  oblige,  dit-il, 
à  une  sollicitude  qui  ne  se  relâche  jamais  '  :  »  par  où  il  fait  voir, 
dans  les  plus  parfaits,  des  exercices  actifs  jusqu'à  la  fm  de  la  vie. 
11  conclut  encore  qu'il  n'y  a  personne  de  pur  sur  la  terre  ;  ce  qui 
démontre  que  le  repos  et  la  pureté  de  cette  vie  ne  peut  jamais 
avoir  ce  nom  à  toute  riguem',  ni  autrement  qu'en  comparant  un 
état  à  l'autre. 

Dans  les  conférences  xxn  et  xxni ,  l'abbé  Théonas  entreprend  ^'^'^• 
de  prouver  que  ce  n'est  point  en  la  personne  des  infidèles ,  mais  ''y^i"' 
en  la  sienne  propre,  c'est-à-dire  en  celle  de  tous  les  fidèles,  sans  fg '";;("„': 
en  excepter  les  plus  parfaits,  que  saint  Paul  a  dit  :  Je  ne  fais  pas  ^^^^  ^^\^ 
le  bien  ciue  je  veux,  et  le  reste;  où  ce  saint  Apôtre  porte  ses  gé-  '"i,™/"'^. 
missemens  sm-  le  combat  de  la  convoitise,  jusqu'à  cette  excla-  r^^i^'iis: 

'    "         ^  le  pèche 

mation  :  Malheureux  homme  que  je  suis  !  Le  docte  aljbé  conclut  "  "'^■'  "'«- 

^  ■'  vilable. 

de  là  «  que  les  plus  forts  ne  soutiennent  pas  un  combat  si  conti- 
nuel sans  y  recevoir  quelques  blessures  ;  que  les  plus  saints  et  les 
plus  justes  ne  sont  pas  sans  péché,  c[ue  ce  n'est  pas  seulement 
par  humilité,  mais  en  vérité  qu'ils  se  confessent  impurs  '^  » 

Pour  ce  qui  regarde  les  demandes,  Cassien  n'a  pas  seulement    xxx. 
songe  à  les  interdire  aux  parfaits  contemplatifs,  et  une  telle  peu-    p^i-fiits 
see  n'etoit  entrée  dans  1  esprit  d  aucun  chrétien  avant  nos  jours  ;  liis.  ^ei»» 

,  Cassien, 

au  contraire  parmi  les  six  caractères  de  la  plus  sublime  et  de  la  f""t  -^vec 

David  de 

plus  simple  oraison,  le  second  est,  selon  Cassien,  «  de  crier  tous  cor.iinuei- 

les  démail- 
les jours,  »  ([uotidie,  comme  «un humble  suppliant,»  suppliciter,  «Jes. 

avec  David  :  «  Je  suis  un  pauvre  et  un  mendiant;  ô  Dieu ,  aidez- 
moi  ^  »  Yoilà  donc  dans  le  plus  haut  état  de  la  contemplation, 
non  pas  l'extinction  des  demandes,  mids  ime  demande  continuelle 
du  secours  de  Dieu. 
Il  V  a  dans  la  neuvième  Conférence  un  chapitre  exprès  *,  où  il    ^^^^ 

'  s.  i.  ^  Autre  p: 

est  j)arlé  de  cette  intime  et  simple  oraison  qu'on  fait  à  Dieu  en  si-  ^' 
lance,  et  après  avoir  fermé  les  portes  sur  soi,  selon  le  précepte  de  ^^ 
l'Evangile  ;  et  on  y  donne  aux  parfaits  qui  la  pratiquent  des 
marques  pour  connoître  qu'ils  sont  exaucés  ;  ce  qui  suppose  qu'ils 

1  Coll.  VI,  c.  XIV,  |).  805.  —  2  Coll.  XI,  9;  coll.  xxii.  S,  9;  coll.  xxiii,  17,  18. 
—  3  Coll.  X,  c.  XI.  — '►Coll.  IX, 34;  Ibid.,  33. 


pas- 
sage   pour 
s  démon- 


S06  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

demaudoient.  Parmi  ces  marques,  la  principale  est  de  finir  tou- 
jours sa  demande,  postulatio ,  à  l'exemple  de  Jésus-Clmst  dans 
son  agonie,  en  disant  :  «  Que  ma  volonté  ne  se  fasse  pas,  mais  la 
vôtre  :  x>  d'où  il  ne  faut  pas  conclure  qu'on  ne  doive  rien  deman- 
der en  particulier,  mais  en  général  seulement  la  volonté  de  Dieu; 
car  Jésus-Christ ,  dont  Cassien  allègue  ici  l'exemple ,  faisoit  bien 
certainement  une  demande  particulière  ;  et  sil  ne  s'agissoit  que 
de  demander  la  seule  volonté  de  Dieu  en  général,  on  seroit  tou- 
jours exaucé  ;  de  sorte  qu'il  n'eût  pas  fallu  chercher  les  moyens 
et  les  assurances  de  lètrc,  qui  est  ce  que  cet  auteur  se  proposoit 
dans  ce  chapitre, 
xxxii  ^^  reste  cette  demande  riuil  faut  terminer  en  disant  :  Non  ma 
,„a.,d,  v,n  f.(jiQjiiA  jyifiis  id  i;C,tre,  ne  regarde  pas  les  biens  éternels  et  du 

salut,  non  ^  7  o  i 

rùem.--".  salut,  comme  il  paruît  par  l'exemple  qu'on  produit  de  Jésus-Christ 
TuiU'i.''  dans  la  prière  du  Jardin,  dont  le  calice  de  sa  passion  étoit  le  sujet. 
^,'"'"'h';,.,.  Car  pour  ce  rjui  regarde  le  salut,  Cassien  en  expliipiant  cette  de- 
T'u"o-  niande  de  rOraison  Dominicale  :  Votre  volonlê  soU  faite,  remarque 
^''^^'^ ';,_,  que  «  la  volonté  de  Dieu  est  que  tous  les  hommes  soient  sauvés  •  :  » 
"''^"-       de  sorte  que  demander  l'accomplissement  de  la  volonté  de  Dieu, 
c'est  demander  le  silut  de  tous  les  hommes,  où  le  nôtre  est  com- 
pris ;  ce  n'est  donc  pas  ici  le  cas  de  dire  :  Votre  volonté  soit  faite, 
et  non  la  mienne,  puisqu'on  suppose  manifestement  que  sur  1»^  su- 
jet de  notre  salut  la  volonté  de  Dieu  est  déclarée, 
wxiu.       Ainsi  cette  demande  :  /•'/«/  voluntas,  (lui  est  selon  Cassien  la  nlus 
'"rtiini'  P^^''f'^'^(^  d*?  toutes*,  et  la  vraie  demande  desenfans,  et  par  consé- 
"'  '"'    quent  des  parfaits,  comme  il  l'explique  lui-même,  contient  lade- 
'""  ^^V  mande  de  notre  salut.  Elle  est  encore  contenue    dans  cette  de- 

sien,  et 

tKvci.Mn.  mjinde  ;  Votre  rèfine  arrive.  Car  ce  règne,  dit  Cassien,  consiste  en 
deux  choses,  dont  l'une  est  que  Dieu  règne  dans  les  saints,  quand 
il  en  chasse  les  vices  ;  et  l'autre,  qu'à  la  fin  il  prononce  :  Veiiez, 
les  bien-aimés  de  mon  Père  ;  pussédez  le  royaume'^,  etc.  On  de- 
mande donc  son  salut  en  demandant  le  règne  de  Dieu  ;  et  cette 
demande  est  celle  des  plus  parfaits,  puisqu'elle  est,  selon  Cassien, 
du  plus  pur  esprit  iSecundapctitio  mentis  pur issimœ  ;  casi-h-àiTe 
sans  difficulté,  du  plus  pur  amour,  puisque  ce  qu'on  y  regarde,  et 
«  Coll.  IX,  c.  XX.  —  i  l/.id.  —  3  iLid.,  c.  XIX. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  VI,  N.  XXXIV,  XXXV.  307 

rintérêt  qu'on  y  prend,  c'est  que  le  règne  de  Jésus-Christ  soit  par- 
faitement accompli. 

C'est  une  doctrine  constante  de  saint  Augustin  et  de  tous  les   xxxiv. 

°  Ce  qu'il 

Pères ,  que  Jésus-Christ  en  nous  proposant  l'Oraison  Dominicale  faut  pen- 
comme  le  modèle  de  la  prière  chrétienne ,  v  a  renfermé  tout  ce  r^i^sage  de 

"  _  _  Cassien, 

qu'il  falloit  demander  à  Dieu  :  en  sorte  (m'il  n'est  permis  ni  d'y  ""  "  p^- 
aiouter  d'autres  demandes,  ni  aussi  de  se  dispenser  en  aucun  état  "•"•i^ine 

"  '-  oraiscm     a 

de  faire  celles  qu'elle  contient.  Le  Père  la  Combe  oppose  à  cette  loraison 
doctrine  des  Pères  un  passage  de  Cassien,  oùilreconnoit  une  orai-  '-^'e- 
son  plus  parfaite  que  cette  divine  oraison.  Il  est  vrai  que  seul  des 
anciens,  et  contre  leur  autorité ,  il  a  prononcé  cette  parole.  Je 
pourrois  donc  bien  ne  m'arrèter  pas  à  l'autorité  de  Cassien,  qui 
d'ailleurs  est  affoiblie  par  les  erreurs  qui  l'ont  fait  ranger  par  le 
'pape  saint  Gélase,  et  par  le  concile  romain,  au  nombre  des  auteurs 
suspects.  Outre  ses  erreurs  sur  la  grâce,  il  y  a  d'autres  points  en- 
core où  l'on  ne  le  suit  pas  \  comme  est  celui  du  mensonge  et 
quelques  observations  sur  la  chasteté ,  que  les  spirituels  ont  im- 
prouvées. Ainsi  en  lui  laissant  l'autorité  que  lui  donnent  les  règles 
des  moines  sur  les  exercices  de  leur  état,  on  pourroit  mépriser  la 
préférence  qu'il  attribue  àja  sublime  oraison  sur  l'Oraison  Domi- 
nicale. Mais  après  tout  je  suis  obligé  de  reconnoitre  de  bonne  foi 
qu'encore  que  son  expression  soit  inouïe  avant  lui,  et  que  depuis 
personne  ne  l'ait  suivie ,  dans  le  fond  il  convient  avec  tous  les 
Pères  que  tout  ce  qu'il  faut  demander  se  trouve  dans  l'Oraison 
Dominicale  "-,  et  qu'il  n'y  a  rien  de  plus  élevé  ni  de  plus  grand 
quanta  la  substance  des  demandes;  de  sorte  que  la  préférence  de 
cette  oraison  sublime  ne  regarde  que  la  manière  de  prier.  L'excel- 
lence au.  Pater  est,  non-seulement  que  cette  oraison  est  la  plus 
parfaite  de  toutes  les  prières  vocales ,  mais  encore  quant  au  fond, 
que  dans  l'oraison  même  la  plus  intérieure,  qui  est  celle  du 
cœur,  bien  qu'elle  soit  plus  parfaite  par  la  manière ,  on  n'a  rien 
à  demander  de  plus  excellent  que  ce  qui  est  renfermé  dans  ce 
modèle. 
Ainsi  Cassien  ne  connoit  non  plus  que  les  autres  ce  désintéres-  i,,,^i'Jfg]^;„ 

'  Lib.  VI  Instit.,  cap.  xx,  xxii,  xxiii;  Coll.  xv,  c.  x.  —  ^  Lit,,  instit.,  c.  xx, 

XXVIII. 


508  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  DORAISON. 

dera.'ien  semeiit  Douveau ,  que  nos  mystiques  font  consister  dans  la  sup- 
rcfardc   prcssion  des  demandes.  Celui-ci ,  comme  on  vient  de  voir ,  an- 

l'esperan-    ''  '  ^        ^ 

te  cniD.ne  prcnd  aux  plus  parfaits  à  demander,  et  à  demander  tous  les  jours; 

et  s'il  parle  de  cet  amour  désintéressé  qui  n'agit  ni  par  la  crainte, 

ni  par  Fespérance'  :  il  s'explique  précisément  que  l'espérance, 

qu'il  appelle  mercenaire  ou  intéressée ,  et  quil  exclut  à  ce  titre  de 

l'état  de  perfection,  est  «  celle  où  Ton  ne  désire  pas  tant  la  bonté 

de  celui  qui  donne,  que  le  prix  et  l'avantage  de  la  récompense  *,  » 

Si  donc  dans  la  récompense  on  regarde  la  gloire  de  Dieu  déclarée 

par  ses  largesses  et  par  ses  bontés,  ou  aura ,  selon  Cassien  ,  une 

espértmce  désintéressée. 

fi"y.ne      ^6lon  cet  esprit  il  décide  que  «  la  fin  de  la  profession  chrétienne, 

'"''"  '•'"'  c'i.'st  le  rovaume  des  cieux,  et  qu'on  endure  tout  pour  l'olitenir  '  :  » 

,""•"'     il  n'en  regarde  donc  pas  le  désir  et  la  poursuite  comme  notre  in- 

ccliircie.  <-  1  1. 

térêt,  mais  comme  la  fin  nécessaire  de  notre  religion.  C'est  pour- 
quoi en  parlant  des  âmes  parfaites  qui  ont  f/nt/fé  jxir  avance  la 
gloin^  du  ciel  ',  il  veut  que  leur  exercice  soit  «  de  désirer  comme 
l'Apùtre  d'être  avec  Jésus-Christ,  de  s'élever  au  désir  de  la  perfec- 
tion, et  à  l'espérance  de  la  béatitude  future".  »  Ce  n'est  donc  pas 
un  intérêt  propre  et  imparfait,  mais  un  exercice  des  pai-faits  de 
désirer  Jcsus-Christ,  et  dans  lui  sa  béatitude  et  son  salut  éternel, 
puisque,  connue  on  a  déjà  dit,  cela  même  en  vérité,  et  aussi  selon 
Cassien,  c'est  désirer  l'établissement  du  règne  de  Jésus-Christ  et 
le  dernier  accomplissement  de  la  volonté  de  Dieu, 
xxxvii.      On  demandera  si  à- cause  que  Ca.ssien,  et  avant  lui  le  saint  doc- 
«uTi*«  tour  de  l'Eglise  d'Alexandrie,  parlent  sans  cesse  de  la  perpétuité 
mi  lari..  ct  contiiMiité  de  la  contemplitiou  et  de  l'oraison  dans  les  parfaits, 
pcriioiJi  et  en  [)articulier  dans  les  solitaires,  il  faut  conclure  de  là  (pi'ils 
V.","    ont  reconnu  cet  acte  unique  ct  continu,  qui  fait  tout  le  fondement 
''T'  'qut'.  j^,  1^  nouv<>lle  oraison  ;  et  je  réponds  que  non,  sans  hésiter. 

Cassien  dès  la  première  Cniifôroiicp,  qui  est  de  l'abbé  Moïse,  où 
il  est  traité  de  la  fin  fpie  le  solitaire  se  doit  proposer,  établit  trois 
choses  :  l'uni'  (lurla  vie  monastique,  comme  toute  autre  profes- 
sion, «  doit  avoir  une  intention  et  une  destination  fixe,  et  qui  ne 
cesse  jamais;  l'autre,  qu'il  n'est  pas  possible  de  s'attacher  conti- 
iColl.  .XI,  etc.  — »  /i.jC.  X.—  '  Cnll.  i,c.  III,  iv.—  '•  lb.,c.  xiv.— s/6.,  c.  xvin. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  YT,  N.  XXXVIII.  509 

nuellement  à  Dieu  clans  la  fragilité  de  ce  corps  mortel  ;  la  troi- 
sième, que  quand  il  y  a  eu  quelque  interruption,  notre  intention 
nous  apprend  où  nous  devons  rappeler  notre  regard ,  et  s'affli- 
geant  d'avoir  été  distraite,  toutes  les  fois  qu'elle  l'a  été,  elle  croit 
s'être  éloignée  du  souverain  bien.  «  Ce  qu'il  ajoute  est  terrible,  que 
l'ame  j'egarde  comme  une  espèce  de  fornication  de  s'éloigner  de 
Jés'is-Christ,  quand  ce  ne  seroit  qu'un  moment  ' .  » 

De  tout  cela  il  faut  conclure,  premièrement  que  l'intention  sub- 
siste toujours,  en  quelque  manière  que  ce  soit,  et  secondement 
qu'elle  ne  peut  pas  toujours  subsister  en  acte  formel;  autrement 
on  n'auroit  jamais  besoin  de  rappeler  son  regard  à  Dieu,  ni  de 
tant  déplorer  ces  momens  où  l'on  a  été  éloigné  du  souverain  bien, 
puisqu'on  ne  l'auroit  en  efîet  jamais  été.  Yoilà  ce  que  Cassien  a 
tiré  de  l'abbé  Moïse,  qu'il  nous  donne  comme  un  homme  qui  ex- 
celloit  «  en  pratique  comme  en  théorie,  et  également  dans  la  vie 
active  et  contemplative  :  Non  solùm  in  actuali,  veriim  etiam  in 
theoricà  virtiite  -.  » 

Cette  matière  revient  dans  la  Conférence  xxni,  où  l'abbé  Théo-  xxxvm. 
nas  entreprend  de  confirmer  par  beaucoup  de  preuves  ce  qu'il  ^l^^l^nr 
allègue  de  YEcclésiaste,  «  qu'il  n'y  a  point  de  juste  sur  la  terre  qÙëiTcon"- 
qni  fasse  bien,  et  ne  pèche  pas.  C'est,  dit-il,  que  le  plus  parfait  de  ''n?peu° 
tous  les  justes,  tant  qu'il  est  attaché  à  ce  corps  mortel,  ne  peut 
posséder  ce  souverain  bien  de  ne  cesser  jamais  de  contempler 
Dieu  ^  »  Et  un  peu  après  :  «  Nous  assurons  que  saint  Paul  n'a 
pu  atteindre  à  cette  perfection  ;  et  que  son  ame,  rruoique  sainte  et 
sublime ,  ne  pouvoit  pas  n'être  pas  quelquefois  séparée  de  cette 
céleste  contemplation  par  l'attention  aux  travaux  de  la  terre,  etc. 
Qui  est  celui ,  poursuit-il,  qui  ne  mêle  pas  dans  l'oraison  même 
des  pensées  du  ciel  avec  celles  de  la  terre,  et  qui  ne  pèche  pas 
dans  le  moment  même  où  il  espéroit  obtenir  la  rémission  de  ses 
péchés?  Qui  est  l'homme  si  familier  et  si  uni  avec  Dieu,  qui  puisse 
se  réjouir  d'avoir  accompli  un  seul  jour  ce  précepte  apostolique 
de  prier  sans  cesse?  Et  quoique  les  hommes  grossiers  fassent  peu 
de  cas  de  ces  péchés,  ceux  qui  connoissent  la  perfection  se  trouvent 
très-chargés  de  la  multitude  de  ces  choses,  quoique  petites  *.  » 

1  Coll.  1,  c-  IV.  —  2  Ibid.,  c,  VII.  —  3  Coll.  xxiiij  c.  V.  —  '*  Ibid.,  c.    vu. 


per 
prtiiolle. 


510  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

Cassien  ne  finit  point  sur  cette  matière  ;  c'est  pourquoi,  dans  la 
Conférence  suivante  ',  il  établit  la  nécessité  de  relâcher  l'esprit, 
même  à  Végard  des  plus  parfaits  et  des  plus  experts ,  pour  éviter 
la  tiédeur  et  même  la  maladi(?  causée  par  la  contention  ;  concluant 
même  que  cette  interruption  est  nécessaire  pour  conserver  la  per- 
pétuité de  l'oraison,  pai'ce  qu'elle  nous  fait  désirer  davantage  la 
retraite  :  Curswn  nostrum  diun  inlerpolare  creuitur  jugem  con- 
servât, qui,  si  nullo  obice  tarilarctiir,  usque  <id  finem  contendere 
indcfcssâ  pernicitalc  non  potcst. 

Là  il  n'oublie  pas  la  comparaison  de  l'arc  tendu  et  l'exemple  de 
l'apôtre  saint  Jean,  que  tout  le  monde  sait.  11  ne  faut  donc  pas  se 
persuader  quil  mette  une  rigoureuse  et  métaphysique  continuité 
de  loraison,  mais  une  continuité  morale  à  qui  l'interruption  même 
donne  d«^  la  force. 
Txxix.       11  faut  pourtant  ajouter  à  cette  diversité  de  mouveuiens,  un 

&!    qu'il  1  J 

1  »  •'""  fond  qui  soutienne  tout;  c'est-à-dire,  selon  la  doctrine  de  l'abbé 
<i.,n.  1  hi-  Moïse ,  ce  fond  de  bonne  intention  qui  est  fixée  en  Dieu  seul  par 
lomm,.  do  l'habitude  du -saint  amoiu'  '  :  c'est  un  état  immuable  et  inébran- 

l,i|.iolc. 

lable,  an  sons  que  nous  avons  vu,  par  la  fermeté  de  cette  divine 
habiludf.  Un  y  leiul  à  une  oraison  non  interrompue,  parce  qu'on 
n'oublie  rien  pour  y  parvenir;  et  ce  qu'on  fait  pour  cela,  c'est, 
comme  dit  Cassien,  de  fixer  tellement  en  Dieu  son  intention  ;  c'est- 
à-dire  de  mettre  tellement  en  lui  sa  dernière  fin,  que  rien  ne 
nous  en  sépare  ;  non  que  nous  so}ons  toujours  actuellement  oc- 
cupés de  cette  pensée,  ce  qu'il  a  jugé  impossible  dans  cette  vie; 
mais  par  une  pente,  une  inclination  et  une  tendance  habituelle, 
ou  même  virtuelle,  comme  l'appelle  la  théologie,  avec  une  bien- 
heureuse facilité  qui  fait  qu'en  queUpie  état  qu'on  nous  interroge, 
à  qui  d.uis  le  fond  du  cœur  nous  voulons  être,  nous  soyons  fou- 
jours  disposés  à  répondre  que  c'est  à  Dieu,  comme  la  suite  nous 
l'expliquera  davantage. 
XL.        Après  ces  maximes  générales  de  Cassien ,  et  avant  que  d'en 

d?"nn.*  venir  aux  moyens  particuliers  de  rendre  l'oraison  perpétuelle, 
Tr.un".,".-  souvenons-nous  «pie  dans  la  doctrine  des  nouveaux  mystiques,  la 

conû-cL  perpétuité  de  l'oraison  n'est  ni  dans  les  excitations  qu'on  se  peut 
»  Coll.  XXIV.  c.  XX.  —  »  Coll.  I,  c.  IV. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  YI,  N.  XLI.  5H 

faire  à  soi-même ,  ni  dans  les  efforts  ou  dans  les  renouvellemens  renouvei- 
des  actes  du  libre  arbitre  ;  mais  dans  cet  acte  continu  et  perpétuel  iaè™'  e" 
qu  on  ne  réitère  jamais  qu  après  qu  on  1  a  révoque.  Mais  il  n  y  a  ca==ien  et 
rien  de  plus  opposé  à  l'esprit  de  Cassien  et  des  anciens  solitaires,  cITs  "Ôû- 
dont  cet  auteur  nous  rapporte  les  sentimens  ;  car  on  leur  voit  pra-  '""''' 
tiquer  à  tous  la  continuelle  oraison  par  de  continuels  efforts  et  de 
continuelles  excitations,  que  l'amour  dont  ils  étoient  remplis  leur 
rendoit  douces.  De  là  vient  dans  les  Institutions  du  même  Cas- 
sien  %  cette  psalmodie  presque  perpétuelle,  ces  Psaumes  inter- 
rompus de  génuflexions,  d'intercessions  après  trois  ou  quatre 
versets,  d'antiennes,    d"oraisons  mentales,  de  collectes  après 
chaque  Psaume.  De  là  vient  aussi  cette  maxime  de  ces  saints, 
«  de  faire  de  très-courtes,  mais  de  très  -  fréquentes  oraisons  : 
brèves ,  sed  creberrimas  ^  ;  et  cela,  disent-ils,  afin  que  priant  Dieu 
plus  fréquemment  ils  se  puissent  continuellement  attacher  à  ce 
cher  objet  ^  » 

Mais  cette  continuité  consistoit  dans  divers  actes  et  dans  de  con- 
tinuels élans  de  leur  dévotion  ;  c'est  pourquoi  on  leur  voyoit  mul- 
tiplier leurs  oraisons ,  inclinations,  ou  génuflexions  jusqu'à  cent 
fois,  jusqu'à  deux  cents  fois,  et  même  beaucoup  plus  souvent  pen- 
dant le  jour ,  et  autant  pendant  la  nuit.  La  chose  est  connue  ;  et 
on  voit  par  là  que  la  perpétuelle  oraison  consistoit  manifestement 
dans  des  actes  réitérés  autant  qu'ils  pouvoient. 

Dans  le  même  livre  des  Institutions,  Cassien  continue  à  nous     xli. 
faire  voir  la  pratique  des  solitaires  de  la  Thébaïde  pendant  le  preuvesle 
jour,  en  ce  qu'encore  qu'ils  n'y  fissent  ordinairement  aucune  ÎJ^des 
assemblée,  «  ils  mêloient  leur  continuel  travail  des  mains  dans 
leurs  cellules  à  la  méditation  des  Psaumes  et  des  Ecritures,  qu'ils 
n'omettoient  jamais,  y  joignant  à  chaque  moment  des  prières  et 
des  oraisons,  où  ils  passent  tout  le  jour  *.  »  Ce  qu'il  avoit  proposé 
dans  les  Institutions  %  il  promet  dans  ce  même  livre  de  l'expU- 
quer  plus  à  fond  dans  les  Conférences  %  et  réciproquement  dans 
les  Conférences  il  se  propose  d'expliquer  plus  amplement  ce  qu'il 
avoit  promis  dans  les  Institutions  ;  ainsi  l'on  ne  peut  douter  que 

1  Instit.,  lib.  II  ,  c.  viii,  ix,  xii,  p.  664.  —  2  Lib.  l\ ,  c.  11.  —  3  lôicl,  c.  x.  — 
♦  Ibid.,  c,  II.  —  5  Ibid.,  c.  ix.  —  ^  Coll.  ix. 


actes. 


512  INSTRUCTION  SUR  LES  ETATS  D'ORAISON. 

la  perpétuité  de  roraison,  dans  Tun  et  dans  Vautre  livre,  ne  soit 

la  même. 

L'abbé  Isaac  donne  encore  cette  maxime  pour  un  fondement  «  de 
la  vie  spirituelle,  de  prier  fréquemment,  mais  brièvement  :  »  Fré- 
quenter, sed  brcviter  est  orandum  \  où  il  marque  manifestement 
qu'on  «  multiplioit  les  prières  et  les  demandes  %  »  et  que  c'étoit  par 
cette  multiplication  qu'on  tàchuit  de  les  rendre  perpétuelles.  Il 
parle  en  général  de  tous  eeiLX  qui  prient,  et  en  particulier  des 
plus  parfaits;  de  ceux  dont  Toraison  se  f  ,isoit  dans  le  plus  intime 
du  cœur,  dans  l'endroit  où  le  démon  ne  voit  rien,  et  où  l'ame 
toute  recueillie  avec  Dieu  donne  moins  de  prise  aux  attaques  de 
l'ennemi. 

11  trouve  la  perpétuité  de  l'oraison,  de  celle  qui  est  selon  lui 
jufjifi,  incessabilis,  indisrupta ,  etc.,  dans  cette  continuelle  réci- 
tation du  verset,  Deus,  in  adjittoriimi ,  où  il  n'y  a  cependant 
qu'une  pcriictnrlle  nniltiplication  de  toutes  les  alj'vctiuns  que  la 
piété  peut  inspirer;  et  il  y  met  la  continuelle  méditation  qu'on  doit 
prali(pier,  «(  selon  la  loi  de  Moïse,  assis  ou  marcbant,  couché  ou 
debout,  et  ainsi  du  reste  ^;  »  ce  (jui  montre  très-clairement  la  di- 
versité et  la  nécessaire  réitération  des  actes. 
'fLii.        (hiand  iiar  celti-  réitération  on  est  arrivé  aune  oraison  plus 

Preuve   de  ^  '  ...  ., 

la  mémo  simulc ,  ct  iiu'aussi  sa  simplicité  rend  continuelle  d'une  manière 
dan»  une  p^yg  hautc,  OU  ucst  pas  pom' ccla  réduit  à  un  seul  acte,  on  y  pra- 
pius  »im  tique  au  contraire  les  demandes,  la  contemplation  des  mystères, 
une  .idmi-  Patteutiou  à  ses  foiblesses  et  à  ses  besoins;  et  ce  qu'il  y  a  de  plus 
uuon  des  remar(iuable,  la  récitation  des  Psaumes  pour  en  recevoir  en  soi 
qui  est  ex-  „  toutcs  Ics  alfcctious  :  omnes  Psnlniorwn  affectus  ;  non  comme 

|>liquee  ici  "  ' 

composés  par  le  Prophète  ;  mais  comme  produits  par  l'ame  même  : 
ttmquiun  à  se  éditas  *  :  »  ce  qni  montre  non  pas  une  rrpétition 
dans  sa  mémoire,  mais  une  production  orir/inale  de  tous  les  sen- 
timens  d'espérance,  d'actions  de  grâces,  de  demandes  et  de  désirs, 
qu'on  trouve  dans  ces  cUvins  cantiques  :  et,  comme  dit  Isaac, 
l'homme  élevé  à  cette  oraison  parfaite,  5ff?Y  que  tout  cela  se  passe 
en  lui,  et  n  est  pas  cmpruntr ,  mais  propre  et  primitif  dans  son 
cœur  :  en  sorte  qu'il  prononce  les  Psaumes,  non  comme  les  répé- 
•CoU.  i.\,  c.  xxxvi.  —  2  llid.,  c.  XXXV.  —  ^  Coll.  x,  ex.  —  *  ///iW.,  c.  xi. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  VI,  N.  XLllI,  XLiV.  813 

tant,  mais  comme  s'il  en  étoit  lui-même  l'auteur  :  velut  auctores 
ejus  facti,  parce  qu'il  en  prend  avec  David  tous  les  sentimeus  et 
les  affections  ;  ce  qui  emporte  tous  les  divers  mouvemens  et  pro- 
duits et  réitérés  dont  les  Psaumes  sont  remplis. 

C'est  pourquoi  Cassieu  conserve  toujours  dans  les  plus  parfaits    xlhi. 

Comment 

contemplatifs,  ce  qu'il  appelle  volutatio  corclis,  c'est-à-dire  la  suc-  on  cons=r- 

Te  le  même 

cession  et  la  volubilité  des  pensées  et  des  mouvemens  du  cœur  K  fond  do- 
raison 
C'est  en  les  réglant  que  l'oraison  est  perpétuelle  par  un  renou-    dans  i 

vellement  et  excitation  de  son  esprit  aussi  fréquent  qu'on  le  peut. 
A  quoi  pomiant  il  faut  joindre  ce  fond  qui  soutient  tout;  c'est-à- 
dire,  comme  on  a  vu,  le  fond  de  bonne  intention,  qui  produit  une 
succession  de  mouvemens  si  suivis ,  et  si  uniformes  qu'on  voit 
bien  que  tout  dépend  du  même  principe,  et  c'est  durant  le  cours 
de  cette  vie  ce  qu'on  appelle  contemplation  et  prière  perpétuelle. 
Ce  principe  de  Cassien  est  aussi  celui  du  saint  prêtre  d'Alexan-    xn 


succession 
des    acles. 


Doclrino 


drie  ;  il  assure  que  son  gnostique  ne  prend  plus  des  Heures  mar-  conforma 
qués  de  Tierce,  de Sexte,  de  iYowepour  prier;  il  prie  toujours,  dit  ciémcni 

T-w^  !•>  •  it^T  T         d'Aleïan- 

ce  Père  :  je  1  avoue  en  mi  certam  sens ,  c  est-a-du'e  par  une  dis-  due. 
position  babituelle  du  cœur  ;  mais  cela  n'empêche  pas  que  les  plus 
parfaits  ne  demeurent  à  lem^  manière  assujettis  à  des  Heures 
d'une  attention  particulière,  témoin  saint  Pierre,  que  saint  Clé- 
ment n'a  pas  dessein  d'excliue  du  nombre  des  parfaits,  sous  pré- 
texte qu'il  prie  à  Sexte  et  à  Noue  '  ;  témoin  saint  Clément  lui- 
même,  qui  fait  faire  à  son  gnostique  successivement,  et  par  actes 
renouvelés ,  des  prières  particulières  le  matin,  devant  le  repas , 
durant  qu'on  le  fait ,  le  soir,  la  nuit  même  '*,  et  ainsi  du  reste. 
Ce  n'est  pas  là  cet  acte  continu,  invariable,  irréitérable,  ce  sont 
des  vicissitudes,  de  perpétuels  renouvellemens  ;  et  c'est  par  ces 
actes  incessamment  renouvelés  que  la  vie  du  juste  parfait  est , 
dit  saint  Clément,  une  fête  perpétuelle  ;  c'est  par  là  qu'il  se  trans- 
porte dans  le  cœur  divin,  où  l'on  chante  les  louanges  de  Dieu 
devant  lui ,  et  avec  les  anges  par  une  mémoire  continuelle  % 
parce  qu'il  ne  cesse,  comme  on  voit,  de  la  rafraîchir  ;  ce  qui  lui 
fait  dire  ailleurs  «  que  l'ame  parfaite  qui  ne  médite  rien  moins 

1  Coll.  X,  c.  vu,  VIII ,  X,  XIII.  —  -  Sirom.,  lib.  VII,  p.  ~r22.  —  »  Act.,  iii^  1; 
X,  9.  —  ^  Sirom.,  lib.  Vil,  p.  ■:28.—  3  lOid. 

TOM.  xvm.  33 


544  INSTRUCTION  SLR  LES  ÉTATS  D'ORAISON, 

que  d'être  Dieu,  ne  cessant  de  lui  rendre  grâces  de  toutes  choses, 
par  l'attention  qu  elle  prête  à  écouter  la  sainte  parole ,  par  la 
lecture  de  l'Ecriture  divine,  par  une  soigneuï^e  recherche  de  la 
vérité ,  par  une  sainte  oblation ,  par  la  bienheureuse  prière, 
louant,  chantant  des  hymnes,  bénissant,  psahnodiant,  ne  se  sé- 
pare jamais  du  Seigneur  en  aucun  temps  '.  »  Telle  est  donc 
manifestement  la  continuité  de  la  prière  que  connoissent  les 
saints  :  ils  la  soutenoient  par  des  actes  continuellement  renou- 
velés; l'amour  de  Dieu  eu  fait  la  liaison,  l'habitude  d'une  par- 
faite charité  y  met  la  facilité  et  la  p«;rmauence. 
xr.v.        Il  ne  faut  pas  s'imaginer  d'autre  mystère  dans  les  expressions 
iit!T"î-  dont  ce  docte  prêtre  relève  la  perfection  de  son  gnostique,  et  la 
i;"qn.r.r  continuité  de  son  oraison.  11  répète,  pour  ainsi  parler,  à  toutes 
lrn'.v"".i  les  pages  que  celui  qu'il  apprlle  d'un  si  beau  nom  est  constitué  en 
m  dVV,'n."  cet  état  par  l'habitud»;  consonuuée  de  la  vertu  "-.  C'est  par  là  qu'on 
•lohjei.     (lit  qu'il  ne  change  point  de  pensée  m  d  objet,  a  cause  que  par  un 
long  exercice  il  a  formé  riiabilude  de  penser  toujours  de  même; 
à  qiioi  il  faut  ajouter  (jue  les  choses  dont  il  d(»il  juger  ne  sont  point 
celles  (pii  dépendent  de  l'opinion  ou  des  coutumes.  Il  a  pour  ob- 
jet ,  dit-il ,  les  choses  qui  sont  vt'rila/jlcmcfit\  et  non  point  par 
opinion  ou  en  apparence,  ivru;  ovr*,  comme  il  parle  :  d'où  il  s'en- 
suit (luil  ne  change  pas,  parce  qu'il  juge  des  choses  par  les  vé- 
ritiibles  raisons,  ([ui  sont  stables  et  éternelles. 

C'est  en  ce  sens  que  l'on  dit  que  celui  qui  sait  ne  change  point, 
et  que  la  science,  à  la  différence  de  l'opinion,  est  une  habitude 
inunuable.  L'hommi'  spirituel  de  saint  Clément^,  qui  selon  lui  est 
le  savant  véritable,  s'occupe  d'objets  qui  sont  stables  et  inaltéra- 
bles en  toutes  manières  ;  et  c'est  pour  celte  raison  qu'il  possède 
seul  la  véritable  science  ^ 

Cette  science  n'est  autre  chose  (lue  la  Tnl,  et  la  foi  est  définie 
excellemment  par  notre  saint  prêtre  *  :  «  la  stabilité  dans  ce  qui 
est.  Quiconque  a  cette  si'iencc  ne  varie  jamais,  et  il  devient,  au- 
tant «pi'il  se  peut,  semblable  à  Dieu,  en  s'attachant  aux  choses 
qui  sont  toujours  les  mêmes.  C'est  là  ,  dit -il ,  l'état  de  l'esprit  eu 

1  Lib.  Vi ,  p.  C"0.  —  »  Strom.,  Ub.  IV  ,  p.  ^29;  lib.  VI,  p.  645.  —  »  Lib.  VI, 
p.  C91.  —  *Lib.  Vil,  p.  108.—  Mib.  VI,   p.  G'Jo.—  «Lib.  IV,  p.  530,  531. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  VI,  N,  XLVI,  XLVII.  o\ô 

tant  qu'esprit  :  les  affections  variables  arrivent  à  ceux  qui  sont 
attachés  aux  choses  matérielles  (  et  changeantes  ]  ;  mais  au  con- 
traire l'ame  de  celui  qui  a  reçu  par  la  foi  la  connoissance  de  la  vé- 
rité, est  toujours  semblable  à  elle-même  '.  » 

Par  la  même  raison  on  avoue  sans  peine  cpie  le  gnostique  n'a 
jamais  qu'un  seul  objet,  parce  qu'encore  qu'il  exerce  les  mêmes 
actes  que  le  reste  des  chrétiens,  la  prière,  l'action  de  grâces  et  les 
autres  ,  et  qu'il  fasse  toutes  les  demandes  différentes  qu'on  a  re- 
marquées^ en  sorte  qu'il  n'est  pas  possible  de  ne  pas  reconnoître 
en  lui  la  succession  des  pensées  :  comme  Dieu  en  est  toujours  l'u- 
nique objet,  on  peut  dire  à  cet  égard  qu'il  ne  change  pas. 

Enfin  le  spirituel  est  appelé  immobile  par  l'opposition  qui  se    xlvi. 
trouve  entre  l'habitude  formée  et  les  premières  dispositions  chan-  les  aciU 
geantes  et  mcertames  de  ceux  qui  commencent  :  amsi ,  dit  notre  piaiir  se 
saint  prêtre,  «  1  entendement  du  spirituel  par  1  exercice  continuel  en  s,i  s.ib- 
devient  un  toujours  entendre»  (ce  sont  ses  mots),  c'est-à-dire  un  ion  saint 
acte  perpétuel  d'intelligence;  «  ce  qui  est  la  substance  propre, 
cùaioL,  du  spirituel,  dont  la  perpétuelle  contemplation  est  une  vive 
substance  -:  »  par  où  il  ne  prétend  autre  chose  que  d'exprimer  la 
force  de  l'habitude,  qu'on  appelle  une  seconde  nature,  à  cause 
que  par  son  secours  ce  qui  étoit  passager,  changeant  et  acciden- 
tel, devient  comme  inséparable  de  notre  être,  et  d'une  certaine 
manière  se  tourne  en  notre  substance. 

Tout  cela  est  du  langage  ordinaire,  et  tout  le  monde  l'entend 
non  métaphysiquement,  mais  moralement,  comme  on  a  dit  :  qr^c 
si  on  vôuloit  prendre  ces  expressions  à  la  rigueur,  on  seroit  ré- 
futé par  l'endroit  où  saint  Clément  dit  que  «  celui-là  même  qui  a 
la  science  des  choses  divines  et  humaines  par  manière  de  com- 
préhension (c'est-à-dire,  sans  difficulté,  le  spirituel  parfait), 
participe  à  la  sagesse  éternelle ,  non  par  essence  ou  substance , 
mais  par  une  participation  (un  écoulement  )  de  la  puissance  di- 
vine ^.  » 

Par  un  semblable  tempérament  on  dit  que  l'oraison  est  conti-    xlvu. 
nuelle  pour  exprimer  la  pente,  la  disposition,  la  facilité  qui  fait  icspirui;,! 
qu'on  ne  peine  plus  :  ce  qu'il  faut  pourtant  entendre  avec  correc-  li'H". 

1  Sîrom.,  li]3.  Il ,  p.  383.  —  «  Lib.  IV,  p.  529.  —  3  Lib.  Yi ,  p.  683. 


s  16  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

lif  ;  autrement  que  voudroit  dire  dans  saint  Clément  même  ce  re- 
lâchement de  l'esprit  jugé  nécessaire  et  pratiqué  par  saint  Jean, 
un  si  grand  apùtre  et  un  spirituel  si  parfait?  qui  est  aussi  un 
exemple  dont  nous  avons  vu  que  Cassien  s'est  servi*, 
xivtii.      Il  ne  sert  de  rien  de  répondre  que  la  continuité  qu'on  veut éta- 

Eclaircis- 

scmenidoî  bllr  cst  uue  continuité  damour  et  d'union,  qui  est  dans  le  cœur 

locutions 

de  saint  et  uou  daus  l'esprit.  Ce  n'est  pas  ce  que  dit  saint  Clément  dans  le 

Clémenlel  ^  '^  , 

desauirf.,  passage  allégué  :  C'est,  dit-il,  une  continuité  iV entendre ,  tcù  vcelv, 

par  l'exem- 
ple des  lo-  et  s'il  y  a  un  mot  dans  toute  la  langue  qui  signifie  proprement 

culions  les  *' 

plus  vui-  entendre,  c'est  celui-là.  Au  reste  que  trouve-t-on  d'extraordinaire 

gaires. 

dans  les  locutions  de  ce  Pi^re?  Qui  ne  tient  tous  les  jours  de  mômes 
discom's  sur  les  habitudes  les  plus  nalm'elles?  Ou  dira  d'un  géo- 
mètre que  nuit  et  jom-  il  est  occupé  à  cette  science  ;  Ihabilude  de 
démontrer  géométriquement  lui  est  passée  en  nature  ;  en  conver- 
sant, en  miuigeant  il  roule  toujours  quilque  théorème  dans  sa 
tète;  le  sommeil  même  s'en  ressent;  il  trouve  jusque  dans  ses 
songes  la  résolution  d'un  problème  dont  il  am'oit  été  occupé  du- 
rant tout  le  jour.  Un  ne  prétend  pas  pour  cela  qu'il  y  pense  sans 
interinission  à  toute  rigueur,  et  il  faut  être  bien  prévenu  pour  ne 
pas  voir  (jue  les  locutions  de  saint  Clément  ne  sont  pas  d'un  autre 
genre. 
xLix.        Au  surplus  sans  disputer  davantage,  tout  va  être  décidé  par  ce 
de  saint''  scul  passagc  de  saint  François  de  Sales,  dont  nos  mysti(jues  allè- 
de^suies  guent  si  souvent  l'autorité  :  «  L'apostre  dit  qu'il  a  une  douleur 
piiquer  co  continuellc  pour  la  perte  des  Juifs;  mais  c'est  comme  nous  disons 

qu'on  dit  . 

deiacon-  quc  uoiis  liciiissons  Dieu  en  tout  temps;  car  cela  ne  veut  dire 

linuité  di!S  .  i       i  •  .. 

actes.       aulre  chose,  sinon  que  nous  le  bénissons  lort  souvent  et  en  toutes 
occasions  :  et  de  niesnie  le  glorieux  saint  Paul  avoit  une  conti- 
nuelle douleur  en  son  cœur,  à  cause  de  la  réprobation  des  Juifs, 
parce  qu'à  toutes  occasions  il  déploroit  leur  malheur  ^  » 
,y-         On  peut  résoudre  par  là  les  endroits  des  Pères,  de  Clément  d'A- 

Du  soui-  '■  ^ 

"u.'lc»"  lexandrie,  de  Cassien,  de  saint  Augustin  même,  et  des  autres  spi- 

sXmon'*''  l'ituels  anciens  et  modernes,  qui  en  parlant  du  sommeil  des  justes, 

semblent  dire  que  leurs  exercices  n'y  sont  point  interrompus ,  et 

il  est  vrai  que  l'impression  en  demeure  dans  un  certain  sens.  Les 

t  >  Coll.  xxiii.  —  -  Am.  de  Dieu,  liv.  IX,  ch.  vin. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  M,  N.  LI.  517 

pensées  qui  leur  viennent  au  réveil  font  voir  où  leur  ame  dans 
son  fond  étoit  tournée  ;  et  c'est  où  Salomon  nous  vouloit  conduire 
par  ce  beau  passage  des  Proverbes  :  «  Attachez  les  commande- 
mens  à  votre  cœur,  faites -vous-en  un  collier  qui  ne  vous  quitte 
jamais,  qu'ils  marchent  avec  vous  dans  votre  chemin,  qu'ils  vous 
gardent  dans  votre  sommeil,  et  en  vous  réveillant  entretenez-vous 
avec  eux  '-.  »  Savoir  ce  qui  se  passe  alors  dans  l'ame ,  et  quelle 
force  secrète  rappelle  comme  naturellement  dans  le  réveil  la  pen- 
sée où  le  sommeil  nous  a  surpris,  je  n'entreprendrai  pas  de  l'ex- 
pliquer. C'est  une  disposition  commime  à  tous  ceux  qui  fortement 
occupés  de  quekpie  objet,  semblent  en  être  jour  et  nuit  toujours 
remplis  :  mais  ce  n'est  rien  moins  que  l'acte  continu  et  perpétuel 
de  nos  mystiques,  qui  selon  eux  est  une  si  vraie  continuation  de 
l'acte  du  libre  arbitre,  qu'il  ne  faut  plus  le  renouveler  après  toutes 
les  distractions  qui  ne  sont  pas  volontaires ,  ni  même  après  le 
sommeil  :  d'où  il  s'ensuivroit  que  cet  acte  étant  toujours  li])re,  il 
seroit  toujours  méritoire.  Mais  il  n'en  est  pas  ainsi  de  cette  pente 
secrète  qui  demeure  dans  le  sommeil  vers  les  objets  dont  on  s'est 
rempli  pendant  le  jour,  qui  est  trop  foible,  et  pour  ainsi  dire  trop 
sourde  pour  n'avoir  pas  besoin  d'être  renouvelée  et  vivifiée  afm 
d'être  actuelle  et  méritoire,  si  ce  n'est  dans  quelque  sommeil  en- 
voyé de  Dieu,  tel  que  celui  de  Salomon. 

Pour  conclusion,  l'on  voit  assez  comment  la  contemplation  est     u. 
perpétuelle  :  elle  l'est  dans  l'inclination  qui  la  produit ,  elle  l'est  abr"^!!;*'de 
dans  l'impression  qu'elle  laisse ,  elle  l'est  enfm  parce  qu'autant  trë'vî!  '"' 
qu'on  le  peut  on  ne  s'en  arrache  jamais,  et  qu'on  en  déplore  les 
moindres  interruptions  ;  et  c'est  le  précis  de  la  doctrine  de  saint 
Clément  d'Alexandrie  et  de  Cassien. 

Pour  une  entière  explication  de  cette  matière ,  il  faudroit  peut- 
être  définir  ce  qu'on  appelle  intention  actuelle ,  virtuelle  et  habi- 
tuelle ,  et  par  là  en  démontrer  les  différences ,  ce  qu'aussi  nous 
ferons  peut-être  en  un  autre  lieu  ;  mais  ici  il  n'en  est  pas  question, 
puisque  ce  sont  choses  qu'il  faut  supposer  comme  avouées  de  tout 
le  monde,  et  que  nous  ne  nous  proposons  dans  ce  traité  que  celles 
où  l'on  est  en   différend  avec  les  nouveaux  mystiques  ;  autre- 

^Prov.,  VI,  21. 


?J1S  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  DORAISON. 

ment  nous  pousserions  hors  du  temps  la  dispute  jusqu'à  rinfuii. 
gY'iun     Au  reste  quand  nos  mystiques  am'oient  prouvé  qu'on  eu  peut 
assurK^'de  vcuir  à  uu  état  de  présence  perpétuelle  sans  aucime  interruption, 
poinu  ac-  il  y  auroit  encore  bien  loin  de  là  à  leur  acte  unique  et  continu  (j^ui 
*5enc"c''de  ^UTC  toute  la  vlc,  sans  diversité  ni  succession  de  pensées,  et  aussi 
raôrqu'ôn  qu'ou  n'a  pas  besoin  de  renouveler  ;  car  c'est  à  quoi  personne  n'a 
""""■      jamais  songé  avant  peut-être  Falconi  ou  Molinos  ;  et  pom'  ceux 
qui  sans  avoir  recours  à  cet  acte  absurde ,  qui  ne  sert  qu'à  intro- 
duire le  relâchement  et  la  nonchalance ,  prétendent  cpi'on  peut 
toujours  sans  la  moindre  interruption  conserver  du  moins  en  veil- 
lant l'actuelle  présence  de  Dieu  :  sans  répéter  ce  qu'on  vient  de 
dire  sur  ce  sujet,  je  leur  dirai  encore  ici  que  personne  ne  peut 
avoir  aucune  assurance  d'être  en  cet  état,  tout  le  monde  demeu- 
rant d'accord  qu'on  ne  peut  assez  réflécliir  sm*  soi-même  pour 
s'assurer  qu'on  ne  s'échappe  jamais.  Que  si  l'on  dit  que,  sans  ré- 
fléchir, cette  présence  perpétuelle  subsiste  dans  l'acte  direct,  c'est 
par  là  même  qu'on  prouve  qu'on  ne  peut  avoir  sur  cela  aucune 
assurance,  puisque  cet  acte  direct  sur  lecjuel  on  n'aura  point  ré- 
fléchi, sera  de  ces  actes  non  aperçus,  ou  dont  en  tout  cas  on  ne 
conserve  pas  la  mémoire.  Et  ici  demeure  conclu  ce  que  nous 
avions  à  dire  contre  les  principes  des  nouveaux  mystiques. 


LIVRE  YII. 

De  l'oraison  pa<isive ,  de  sa  vérité ,  et  de  l'abus  qu'on  en  fait. 


•syln^m     ^ous  entrons  dans  le  second  point  de  notre  première  partie , 
Sr'c"''"  ^^  ^^^^  avons  promis  de  découvrir  • ,  non  tant  les  erreurs  des 
ïrevii.    nouveaux  mystiques,  que  la  cause  de  lem\s  erreurs  dans  l'abus 
des  oraisons  extraonlinaires,  dans  celui  de  l'autorité  de  quelques 
saints  de  nos  jours , 'et  enfui  dans  celui  des  expériences ,  dont  ils 
prétendent  que  leurs  pratiques  sont  autorisées ,  où  il  y  am'a  en- 
core une  autre  sorte  d'erreur  qu'il  nous  faudra  reconnoître. 
'  Ci-dcssu3,  liv.  1,  cb.  xii. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  VII,  N.  II,  III.  5i9 

Ce  point  sera  plus  court  que  le  précédent,  parce  que  sans  nous 
mettre  en  peine  d'expliquer  à  fond  les  principes  de  l'oraison  ex- 
traordinaire ,  que  nous  réservons  à  leur  lieu ,  nous  aurons  à  les 
marquer  seulement  pour  faire  voir  l'abus  qu'on  en  fait  dans  la 
nouvelle  oraison  pour  appuyer  les  erreurs  que  nous  venons  d'ex- 
poser aux  yeux  du  monde. 

Il  y  a  donc  plusieurs  oraisons  extraordinaires  que  Dieu  donne      "• 


De  l'oMi 


à  qui  il  lui  plaît;  et  celle  dont  on  abuse  en  nos  iours,  est  celle  ^"=1  q"»" 
qu'on  î2omme  passive,  ou  de  repos  et  de  quiétude ,  autrement  de  p^^^'.'"  '■ 
simple  présence,  diQ  simple  regard  on,  comme  parle  saint  François  ''»"  -^^ 
de  Sales,  de  simple  remise  en  Dieu  ^ 

Pour  éviter  toute  équivoque,  il  faut  expliquer  avant  toutes 
choses,  que  ce  qu'on  appelle  pâtir  et  souffrir  ou  endurer  en  cette 
matière,  n'est  pas  le  pâtir  et  le  souffrir  qui  est  opposé  à  la  joie  et 
accompagné  de  douleur  ;  mais  le  pâtir  et  le  souffrir  qui  est  opposé 
au  mouvement  propre,  et  à  l'action  cju'on  se  peut  donner  à  soi- 
même.  C'est  en  ce  sens  qu"en  parlant  de  son  Hiérothée,  quel  qu'il 
soit,  l'auteur  connu  sous  le  nom  de  saint  Denis  Aréopagite  disoit 
que  c'étoit  «  un  homme  qui  non-seulement  opéroit ,  mais  encore 
endm^oit  les  choses  divines  ;  »  c'est-à-dire  qui  recevoit  des  impres- 
sions de  Dieu,  où  il  n'avoit  point  ou  très-peu  de  part. 

C'est  apparemment  de  cette  expression  qu'est  venue  la  passiveté 
ou  l'oraison  passive ,  célèbre  dans  les  mystiques  depuis  trois  à 
quatre  cents  ans  ;  mais  dont  on  ne  trouve  dans  saint  Denis  que  ce 
petit  mot,  et  rien  du  tout  dans  les  Pères  qui  l'ont  précédé. 

Mais  sans  s'arrêter  aux  paroles,  il  est  constant  par  les  saintes     m- 

Principes 

Ecritures  :  '^<=  ''>  f»'. 

sur  les- 

4°  Oue  Dieu  fait  des  hommes  tout  ce  qu'il  lui  plaît,  les  emporte,  q^eb  est 

^  ^  ^.  elablie  l'o- 

les  entraîne  où  il  veut ,  fait  en  eux  et  par  eux  tout  ce  qu'il  s'en  raUû" 
est  proposé  dans  son  conseil  éternel,  sans  qu'ils  lui  puissent  résis- 
ter, parce  qu'il  est  Dieu,  qui  a  en  sa  main  sa  créature,  et  qui  de- 
meure maître  de  son  ou\Tage ,  nonobstant  le  libre  arbitre  qu'il 
lui  a  donné.  Cette  proposition  est  de  la  foi,  et  paroît  incontestable- 
ment dans  les  extases  ou  ravissemens,  et  dans  toutes  les  inspira- 
tions prophétiques. 

1  Am.  ib  Dieu,  liv.  Yl,  cli.  IX,  X,  xi ,  liv.  VU;  ep.  XXII,  etc. 


qu  on 


ÎJ20  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  DORAISON. 

2°  Il  est  encore  de  la  foi,  que  dans  tous  les  actes  de  piété  il  y 
a  beaucoup  de  choses  que  nous  recevons  en  pure  souffrance ,  au 
sens  qui  est  opposé  à  l'action  ou  au  mouvement  propre. 

Telles  sont  les  illustrations  de  rentenderacnt,  et  les  pieuses 
affections  de  la  volonté  qui  se  font  en  nous  sans  nous ,  comme 
dit  toute  la  théolojrie  après  saint  Augustin  :  «  11  n'est  pas  en  notre 
pouvoir,  dit  ce  Père,  qu'une  chose  nous  délecte'.  »  Saint  Am- 
broise  dit  aussi  «  que  notre  cœur  n'est  pas  en  notre  puissance  :  » 
Non  est  in  nostrà potestate  cor  nostnim  *  :  ce  qu'il  faut  entendre  de 
certaines  dispositions  l)onnes  ou  mauvaises,  dont  nous  ne  sommes 
pas  les  maîtres.  11  m'  faut  (jue  ces  deux  passages  pour  entendre 
dans  foutes  les  conduites  de  la  grâce,  une  certaine  passiveté 
qui  en  est  inséparalilc  Tout  cela  appartient  à  l'attrait  de  Dieu, 
qui  estouperceptiiili'ou  imperccptiiile,  plusou  moins;  maissans 
lequel  il  est  défini  (juil  ne  st^  fait  aucune  action  de  piété. 

;r  J'ajouterai  en  troisième  lieu,  que  dans  toutes  ces  actions, 
non-seul»'n>ent  il  y  a  bcaurnup  dt*  cos  choses  qui  se  font  en  nous 
sans  nous,  mais  encore  qu'il  y  en  a  plus  que  de  celles  que  nous 
faisons  de  nous-mêmes  délibérément  ;  et  la  raison  est  qu'il  y  a 
toujours  dans  tout  l'ouvrage  de  notre  salut,  et  dans  tout  ce  qui 
nous  y  conduit,  plus  de  Dieu  (pie  de  nous,  plus  de  grâces  du  côté 
de  Dieu  que  d'efforts  du  nôtre. 
IV.         Ces  trois  vérités  ne  sont  révoquées  en  doute  par  personne; 

L'orai'on 

quon    mais  ce  n'est  pas  là  ce  que  les  mvstiques  '  et  (luand  je  parle  ainsi 

nomme  *  i  .i       i 

P4.MW    pjius  restriction,  le  lecteur  se  doit  tenii'pour  averti  que  j'entends 

cm- do,  toujours  les  \Tais  et  orthodoxes  mystiques)  ;  ce  n'est  pas  là,  dis- 

Tin'T    J*^'  ^^  ^"^  '^^  mystiques  appellent  oraison  passive.  Et  d'abord 

iiiiqucf.    ^>^>  ji'cst  ni  extase  ni  ravissement,  ni  révélation  ou  inspiration  et 

entraînement  prophétique.  Tous  ceux  qui  sont  dans  ces  oraisons 

ne  prétendent  pas  être  mus  de  cette  sorte  ;  au  contraire  l'esprit 

des  mysliiiut's  est  d'excJure  ces  motions  extraordinaires,  comme 

il  paroit  par  tous  les  écrits  du  l)ienheureux  Jean  de  la  Croix,  ce 

saint  et  docte  disciple  de  sainte  Thérèse,  qui  a  comme  renouvelé 

au  siècle  passé  les  mystères  de  l'oraison  passive.  Elle  ne  consiste 

'  s.  Aiigtist.,  de  S/iir.  et  /Ht.,  caj).  xxxv,  o.  63.  —  »  S.  August.,  de  Dono 
persev.,  cap.  vni,  n.  19;  S.  Ambros.j  de  Ftig.  sœc.,  cap.  i    n.  1. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  VU,  N.  V,  VI.  521 

non  plus  dans  ces  motions  qui  accompagnent  tous  les  actes  de 
piété ,  puisqu'en  ce  sens  tous  les  justes  seroient  passifs,  et  il  n'y 
auroit  plus  de  voie  commune. 

De  là  s'ensuit  clairement  que  l'oraison  passive  ne  consiste  pas 
dans  la  motion  ou  grâce  efficace,  par  laquelle  Dieu  persuade  aux 
hommes  tout  ce  qu'il  lui  plaît ,  parce  que  cette  motion  se  trouve 
dans  tous  ceux  qui  pratiquent  la  vertu,  et  se  trouve  perse véram- 
ment  dans  tous  ceux  qui  persévèrent. 

Quoique  l'oraison  passive  ne  consiste  pas  dans  ces  choses,  elles     v. 

•^  ^  ^  ^  Ces  choses 

servent  à  donner  l'idée  comment  en  beaucoup  de  rencontres    '""<='>» 

néanmoins 

l'homme  peut  être  passif  sous  la  main  de  Dieu.  C'est  ce  qui  arrive  à  "^  '*  ''"'■■s 

■*■  entendre  : 

tous  ceux  en  oui  il  se  fait  soudainement  et  par  une  main  souveraine    <•''<=" 

^  ^  exemples 

de  grands  changemens  :  tout  d'un  coup ,  et  lorsqu'on  y  pense  le  ^^^^''11^-^ 
moins,  on  se  trouve  comme  un  autre  Elle,  ou  comme  un  autre  „'"''  '"^' 

'  Inme  ne 

David  en  figure  de  Jésus-Christ,  le  cœur  embrasé  du  zèle  de  la  ?/"'  ";"''" 

^  ^  (le  part. 

maison  du  Seigneur,  et  prêt  à  s'opposer  comme  une  muraille  à 
ses  ennemis  ;  tantôt  rempli  de  tendresse  on  ne  peut  retenir  ses 
larmes,  ou  dans  la  vue  de  ses  péchés,  ou  dans  quelque  autre  im- 
pression d'amour  également  forte,  dont  sou\eiit  on  ne  connoît 
pas  le  motif;  tantôt  par  une  touche  secrète  de  l'esprit  qui  nous 
fait  dire  au  dedans  :  Mon  ame,  pourquoi  es-tu  triste  ^  d'une  si  pro- 
fonde tristesse,  et  d'où  me  vient  ce  mystérieux  délaissement? 
Tout  à  coup  on  est  transporté  à  un  transport,  à  une  joie,  si  l'on 
peut  user  de  ce  mot,  à  une  exultation  qui  est  au-dessus  de  tous 
les  sens.  Saint  Jean  Climaque,  tous  les  spirituels  anciens  et  mo- 
dernes demeurent  d'accord  qu'on  peut  recevoir  tous  ces  mou- 
vemens  et  ces  divines  impressions  sans  y  rien  contribuer  de  notre 
part. 

Cependant  ce  qu'on  appelle  l'oraison  passive  n'est  pas  toujours     vi. 
la  suppression  de  toute  action ,  même  libre,  mais  seulement  de    '^pp'^ne 

précisé- 

tout  acte  qu'on  appelle  discursif ,  et  où  le  raisonnement  procède  '"«"'  ''»■ 

raison  pas- 

d'une  chose  à  l'autre  :  ce  qui  bien  certainement  n'empêche  pas  ^'^■^^  >"- 

^  ^  '-  fuse  ou 

l'usage  de  la  liberté ,  comme  il  paroît  dans  les  anges ,  qui  sont  l'";™^^"- 
libres  sans  être  discursifs. 

Cette  oraison  qu'on  nomme  passive  ou  infuse,  est  appelée  par 

^Psal.  TLU,  5. 


die. 


522  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

les  spirituels  et  entre  autres  par  sainte  Thérèse ,  oraison  surna- 
turelle :  non  que  l'oraison  de  la  voie  commune  soit  purement  na- 
turelle ;  car  il  est  certain ,  et  nous  avons  dit  souvent ,  qu'il  est  de 
la  foi  (jue  toute  bonne  oraison  vient  du  Saint-Esprit  et  d'un  ins- 
tinct surnaturel  ;  mais  pour  exprimer  que  celle-ci  étant  surnatu- 
relle par  son  objet,  comme  toutes  les  bonnes  oraisons,  elle  Test 
encore  dans  sa  manière  par  la  suppression  de  tout  acte  discursif, 
de  tout  propre  effort,  de  toute  propre  industrie.  Voilà  ce  qu'on 
appelle  passif,  lorsque  par  la  suppression  de  tous  ces  actes,  qui 
sont  de  notre  ordinaire  manière  d'agir,  on  est  mu  de  Dieu  avec 
une  heureuse  facilité  ;  ce  cpie  sainte  Thérèse  et  tous  les  spirituels 
comparent  à  une  pluie  où  l'eau  tombe  toute  seule  sur  un  jardin  , 
au  licm  de  celle  qu'on  tiroit  à  force  de  bras  pour  l'arroser. 
EiVn'i  i...  Lorsque  le  propiiète  Jérémie,  après  avoir  ouï  les  trompeuses 
uonrd.i  P'''^'^''6sses  dont  le  faux  prophète  Ilananias  amusoit  le  peuple, 
saini  El.  sans  l'appeler  faux  prophète,  lui  dit  avec  une  douceur  admirable  : 

prii,  qu  on  '  ^  '^         * 

noimi.env  „  ^.{,)ip)i  Hauanias ,  qu'il  soit  fait  comme  vous  le  dites  ;  veuille 
reiics'"  ^'^  Seigneur  accomplir  vos  paroles  plutôt  (]uc  les  miennes  ;  pensez 
seulement  que  les  prophètes  qui  ont  vécu  avant  vous  et  moi  ont 
été  reconnus  tels,  quand  leurs  prédictions  ont  été  suivies  de  l'é- 
vénement'. »  Cela  dit,  quolcjuc  Hananias  continuât  ses  discours 
menteurs,  sans  s'emporter  contre  lui,  ni  lui  reprocher  sa  corrup- 
tion ,  Jérémie  s'en  retournait  tranquillement  et  en  toute  simplicité. 
Cette  douceur,  quant  à  la  manière,  étoit  toute  simple  et  naturelle 
à  l'esprit  i)énin  et  modéré  de  ce  prophète,  très-a(lmira])le  néan- 
moins et  un  grand  effet  de  la  grâce.  Mais  quand  au  ir.ilieu  de  son 
chemin  tout  à  coup  «  la  parf»le  de  l,)ieu  fut  adressée  à  Jérémie.  lui 
disant  :  Va  et  dis  à  Ilananie  :  Voici  ce  que  dit  le  Seigneur  :  Ecoute , 
Ilananie  :  le  Seigneur  ne  t'a  pas  envoyé ,  et  tu  as  fait  que  mon 
peuple  s'est  confié  dans  le  mensonge  :  pour  cela,  dit  le  Seigneur, 
je  t'ôterai  de  dessus  la  terre  ;  tu  mourras  dans  l'an,  parce  que  tu 
as  parlé  contre  le  Seigneur  ^  :  »  et  quand,  en  exécution  de  cette 
sentence ,  Ilananie  mourut  en  effet  au  septième  mois  de  la  même 
année,  c'est  une  autre  sorte  d'opération  du  Saint-Esprit.  En  voilà 
donc  deux  surnaturelles  sans  doute ,  puisqu'elles  ven oient  de  la 

^  Jerem.,  xxviii,  G. —  '  Jercm.,  xxviH,  12. 


VUl. 

L'on  com- 
mence  à 
dulermi- 
ler  le  sens 


luielle. 


proposi- 
tions. 


TRAITÉ  l,  LIVRE  VII,  N.  VIll,  IX.  523 

grâce  ;  mais  Tune  dans  la  manière  naturelle  partoit  d'mic  inspi- 
ration plus  commune  ;  au  lieu  que  l'autre ,  qui  vint  comme  un 
coup  de  tonnerre,  surnaturelle  et  dans  son  principe,  et  dans  son 
objet,  et  dans  sa  manière,  donne  un  exemple  parfait  de  la  ma- 
nière dont  on  est  passif  sous  la  main  de  Dieu. 

L'on  peut  entendre  par  là  comment  l'oraison  passive  est  surna- 
turelle en  mi  sens  particulier,  et  par  une  opération  qui  affranchit 
l'homme  des  manières  d'asir  ordinaires.  Il  faut  demeurer  d'ac- 
cord  de  bomie  foi  que  Dieu  peut  pousser  bien  loin  ou,  pour  mieux  ,'|"'i'4"'esi 
dire,  aussi  loin  qu'il  veut,  ces  états  passifs,  sans  que  personne  ■i'''-^"™'- 
lui  puisse  demander  :  Pourquoi  faites-vous  ainsi  ?  de  sorte  qu'on  ^l 
ne  peut  mettre  de  bornes  à  ces  états  que  par  la  déclaration 
qu'il  a  faite  de  sa  volonté  dans  sa  parole  écrite  ou  non  écrite. 

Voici  donc ,  pour  nous  renfermer  dans  le  fait,  et  ne  nous  point 
jeter  dans  des  possibilités  ou  impossibilités  métaphysiques,  ce  que 
nous  trouvons  de  l'état  passif  dans  les  mystiques  approuvés,  et  je 
le  réduis  à  six  propositions. 

La  première,  que  selon  eux  «  l'état  passif  est  un  état  de  suspen- 
sion et  ligature  des  puissances  ou  facultés  intellectuelles,  oùl'ame   i'™p»«*- 

o  X  ^  tiun  :  ce 

demeure  impuissante  à  produire  des  actes  discursifs.  »  Il  faut  re-  ^^.",'""„|:|^". 
marquer  avec  attention  cette  dernière  parole;  car  l'intention  de  ','"7//„. 
ces  docteurs  n'est  pas  d'exclure  de  leur  oraison  les  actes  libres,  ',';'■;  ,^;'"" 

1  '     une  sus- 

qui,  comme  on  a  vu,  se  pourroient  former  sans  discours  ;  mais  Zl^l'^Ze 
les  actes  où  l'on  s'excite  soi-même  par  mi  discours  ou  réflexion 
précédente ,  qu'on  appelle  dans  ce  langage  des  actes  de  propre 
industrie  ou  de  propre  effort  :  et  il  y  a  là  un  grand  changement 
dans  la  manière  d'opérer  de  l'ame.  Car  l'ame  accoutumée  au  rai-  ,,';,'}",",",„[ 
sonnement  et  à  exciter  elle-même  ses  affections  par  la  considéra-  '||,crèsr''t 
tion  de  certains  motifs ,  tout  d'un  coup  comme  poussée  de  main  'J,"J',eux 
souveraine,  non-seulement  ne  discom^t  plus,  mais  encore  ne  peut  ^^^^  '^ 
plus  discourir,  ce  qui  attire  d'autres  impuissances  durant  le  temps 
de  l'oraison,  que  nous  verrons  dans  la  suite. 

Voilà  ce  que  les  mystiques  appellent  contemplation,  qui  selon 
eux  est  mi  acte  de  Dieu  plutôt  que  de  l'homme,  et  plutôt  infus 
qu"excité  par  le  propre  effort  de  l'esprit  ;  et  la  différence  qu'il  y  a 
entre  les  vrais  et  les  faux  mystiques,  c'est  que  la  passiveté  au  sens 


IX. 

i'i'eniicrc 


dts  aclci 
discursifs: 
différence 

eiUre  les 
vrais  et  les 
(aux  injs- 


524  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

des  derniers  devant  s'étendre  à  tout  l'état,  les  autres  l'ont  limitée 
au  seul  temps  de  l'oraison. 

C'est  ce  qu'enseigne  très-expressément  ce  sublime  contemplatif, 
le  bienheureux  Père  Jean  de  la  Croix,  disciple  de  sainte  Thérèse, 
premier  carme  déchaussé,  et  qui  est,  après  cette  Sainte,  le  père  et 
le  fondateur  de  cet  Ordre. 

Il  n\v  a  qu'à  lire  l'endroit  où  il  restreint  à  un  temps  particulier 
et  déterminé  ces  grandes  suppressions  d'actes;  en  sorte  que  «  hors 
ce  temps-là  en  tous  ses  exercices,  actes  et  œmTes ,  l'ame  se  doit 
aider  de  tous  les  moyens  ordinaires  '.  »  Par  la  suite  du  même 
principe  U  prononce,  «  qu'il  ne  faut  laisser  la  méditation  que  dans 
le  temps  seulement  qu'on  en  est  empesché  par  Nostre-Seigneur, 
et  qu'aux  autres  temps  et  occasions  il  faut  avoir  cet  appuy  -.  » 

Je  pourrois  proiluire  une  infinité'  de  passages  semblables  du  Père 
Jean  de  la  Croix  ;  mais  pour  abréger  cette  preuve,  je  me  contente  du 
témoignage  de  son  plus  savant  interprète  le  Père  ^'icolas  de  Jésus 
Maria ,  dans  le  li\Te  des  P/iffise!^  îjujstiqucs,  où  après  avoir  rap- 
porté la  doctrine  de  Cassieu,  de  saint  Grégoire,  de  saint  Bernard, 
de  sainte  Thérèse,  du  Père  Jean  de  Jésus  et  de  Suarez',  en  venant 
au  bienheureux  Jean  de  la  Croix  :  «  Il  demeure,  dit-il,  suffisam- 
ment prouvé  par  cette  doctrine  que  ce  dénuement,  tant  des  formes 
imagin-^ires  que  des  actes  discursifs  qu'enseigne  et  persuade 
nostre  docteur  mystique,  ne  doit  point  estre  entendu  pour  toute 
sorte  de  temps ,  ni  aussi  pour  un  long  temps,  mesme  à  ceux  qui 
sont  parvenus  à  l'état  de  la  contemplation  sublime  ;  mais  seule- 
ment porR  CE  PEU  DE  TEMPS  quc  diu^c  la  contemplation  parfaite  et 
uniforme,  et  qu'aux  autres  temps,  cpielque  perfection  qu'on  ait, 
on  doit  se  servir  des  formes  imaginaires ,  des  choses  inutiles  et 
d'actes  discursifs,  comme  nous  l'avons  déjà  démontré  par  les  té- 
moignages du  mesme  docteur,  et  le  montrerons  encore  dans  la 
suite  *.  » 

Je  rapporte  au  long  ce  passage,  capable  seul  de  confondre  nos 
faux  mystiques.  Le  bienheureux  Père  Jean  de  la  Croix  et  le  Père 
Nicolas  de  Jésus  Maria,  n'ont  fait  que  sui\Te  le  sentiment  de  leur 

'  Mont,  du  Carm  ,  liv.  H  ,  ch.  xxxii,  p.  147.  —  -  Ob^c.  nuit.,  liv.  I,  ch.  X, 
p.  257.  —  »  Lib.  Il  de  Rellg.,  ex.  —  *  Pliras.  nujst.,  ch.  m,  §  8,  p.  145. 


X. 

Senlimcns 

conrornies 

Père 

Cullhasir 

\lvarez, 

un   des 


TRAITÉ  I,  LIVRE  VII,  N.  X.  52o 

mère  sainte  Thérèse,  qui  assure  positivement  «  qu'on  ne  demeure 
que  très-peu  de  temps  dans  cette  suspension  de  toutes  les  puis- 
sances, que  c'est  beaucoup  d'y  estre  une  demi-heure,  et  que 
pour  elle,  elle  n'a  pas  de  mémoire  d'y  avoir  jamais  tant  esté  K  » 
Les  nouveaux  mystiques  sont  bien  plus  parfaits,  puisqu'ils  intro- 
duisent une  ligature ,  c'est-à-dire  une  suspension  perpétuelle  des 
puissances  et  mie  suppression  universelle  des  actes  ;  mais  les  vé- 
ritables mystiques  qui  en  réservent  la  suspension  au  temps  de 
l'oraison  actuelle,  laissant  le  reste  du  temps  libre  aux  actes  que 
nous  avons  vus  si  expressément  commandés  par  Jésus-Christ,  ne 
tombent  point  sous  nos  censures. 

C'est  aussi  ce  que  répond  le  Père  Balthasar  Alvarez ,  une  des  g 
lumières  de  sa  compagnie,  et  qui  a  été  parmi  les  confesseurs  de  "ITi 
sainte  Thérèse,  un  de  ceux  dont  elle  a  vu  de  plus  grandes  choses,  aw^icz. 
Comme  on  lui  objecte  que  cette  suspension  des  puissances,  dans  ZJe7. 
l'oraison  de  silence  et  de  quiétude,  induit  la  suppression  de  beau-  'llllihé 
coup  d'actes  nécessaires,  comme  de  celui  de  demander  expressé-  '"'" 
ment  ce  que  Dieu  ordonne  :  il  répond  qu'il  y  a  d'autres  temps 
pour  demander  que  celui  où  Ton  vaque  à  cette  oraison,  et  que 
celuy-là  n'y  est  pas  propre  -  :  ce  qu'il  appuie  de  cette  règle  ex- 
cellente, «  que  chaque  exercice  requiert  son  temps,  comme  en 
l'oraison  on  ne  demande  ni  on  ne  remercie  pas  toujours  ^  :  »  d'où 
il  conclut  «  que  ce  n'est  pas  tenter  Dieu  de  faire  cesser  pour  lors 
les  discours  touchant  les  choses  particulières  qui  concernent  les 
perfections  de  Dieu  ou  nostre  réformation,  qu'on  peut  reserver  à 
un  autre  temps.  »  On  voit  donc  pourquoi  ce  saint  homme,  un 
des  plus  sublimes  contemplatifs  de  son  siècle,  ne  craignoit  point 
de  tenir  pour  lors,  comme  il  parle,  et  dans  le  temps  de  cette  haute 
oraison,  certains  actes  en  suspens.  En  général  il  nous  apprend 
que  son  oraison  étoit  de  faire  cesser  les  discours  par  intei'vaïles 
•pour  la  présence  de  Dieu  ^  :  ce  qui  est  bien  éloigné  des  inconvé- 
niens  de  la  doctrine  des  nouveaux  mystiques,  et  de  la  perpétuelle 
suspension  d'actes ,  où  ils  s'engagent  contre  les  préceptes  de  l'E- 
vangile, par  l'irrévocable  continuité  de  leur  acte  unique  et  uni- 

'  Ch.  XVIII  de  sa  Vie,  p.  98.  —  -  La  Vie  du  P.  Baltas.  Alva)\,  ch.  lx,  p.  4G4. 
—  3  Ibid.,  p.  457. —  '■*  Ibid.,  ch.  xiii,  p.  139. 


XI. 


526  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  DORAISON. 

versel.  Voilà  ce  que  dit  de  son  oraison  le  Père  Alvarez,  dans  deux 
excelleus  discours  que  le  Père  Louis  du  Pont,  comme  lui,  un  des 
plus  grands  spirituels  de  sa  compagnie  et  de  son  siècle,  nous  a 
rapportés  dans  la  vie  de  cet  admirable  jésuite. 
Ce  quvin-      ^n  voit  donc  quelle  est  la  nature  des  actes  qui  sont  suspendus 
^°nlpJ*  et  comme  interdits  dans  l'oraison  passive  et  de  quiétude  :  ce  sont 
âck,t,!  encore  une  fois,  et  on  ne  peut  trop  le  répéter,  les  raisonnemens  ou 
uônfT,'.  les  considérations  discursives.  Dieu  n'en  demeure  pas  là,  et  ayant 
rurMvc    ^^g  j.^jg  ^.j.^,  Tame  de  sa  manière  accoutumée,  il  la  manie  comme 
il  lui  plaît  ,  souvent  il  veut  seulement  qu'elle  le  regarde  en  admi- 
ration »'t  (Ml  silence  ;  elle  ne  sait  où  elle  est,  elle  sait  seulement 
qu'elle  est  bien  ;  et  une  paix  que  rien  ne  peut  troubler,  lui  fait 
sentir  qu'elle  n'est  pas  loin  de  Dieu.  Elle  fera  dans  un  autre  temps 
jes  autres  actes  du  cbrétien;  dans  ce  nKMuent,  ni  elle  ne  veut, 
ni  elle  ne  peut  en  faire  d'autre  que  celui  de  se  tenir  abîmée  en 
Dieu. 
*";         Loin  (le  reconnoître  dans  tout  l'état  une  perpétuelle  passiveté, 
'■""'•""   les  nivsli(iu(^s  ortliodoxes  ne  la  rcconiioisseut  scub'ntent  pas  con- 
"  *""•",    tinuclle  et  universelle  dans  le  temps  de  l'oraison.  Car  d';d»ord  le 

coup    ur  ' 

^"^^""^:  bienheureux  .lean  de  la  Croix  ramène  non-seulement  les  images 

dnX.'.  H  et  notices  particulières ,  comme,  il  les  appelle  '  ;  mais  encore  les 

rÎTorT"''"'  vcues,  considérations  et  méditations  nnioiireiises,  au  t(^mps  même 

de  l'oraison,  en  faveur  de  l'humanité  de  Jésus-Christ,  connue  nous 

dirons  bient(M  i>bis  amplement  ^ 

Selon  le  même  docteur,  non-senlenicut  l'aine  doit  pcàtir  et  se 
lai.'ser  mener  à  Dieu  qui  la  meut  dans  cette  oraison,  mais  encore 
il  y  a  des  choses  cirielle  doit  avoir  soin  de  faire  de  sa  part^\  ce 
qui  marque  une  action  plus  délibérée,  et  dans  laquelle  aussi  les 
directeurs  la  doivent  aider.  Cette  action  est  celle  «  de  se  détacher, 
(pii  est,  dit-il,  ce  que  vous  devez  faire  de  vostre  part  sans  faire 
aucmie  force  à  l'ame ,  si  ce  n'est  pour  Ja  séquestrer  de  tout  et  l'é- 
lever*. »  Ce  n'est  pas  là  ce  qm^  nous  disoit  celle  qui  répète  à 
chaque  moment  qu'il  faut  supprimer  tout  effort ,  tout  soin,  toute 
activité,  et  n'exercer  envers  Dieu  qu'un  simple  laisser  faire  :  mais 

l  Mont.,  liv.  III  ,  ch.  i ,  p.  153.  —  '  Inf.,  ch.  xx.  —  '  Viv.  flam.,  Caitt.  ni  , 
vers.  '.),  §  N,  p.  ■;4i.  —  '<  ILid ,  p.  !j49. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  VII,  N.  XIII.  527 

celui-ci  au  coDtraire  nous  apprend  ce  qu'on  doit  faire  de  sa  part, 
quel  soin  on  doit  prendre^  et  en  quoi  il  est  besoin  de  forcer  l'ame. 
Et  tout  ceci  ne  se  dit  pas  pour  les  commencans ,  mais  pour  les 
états  les  plus  sublimes.  C'est  dans  l'état  le  plus  sublime  que  l'ame 
est  élevé  e  au  mariage  céleste  ^  :  mais  là  il  y  a  de  part  et  d'autre,  tant 
de  la  part  de  l'Epoux  céleste  que  de  la  part  de  l'Epouse,  une  tra- 
dition, une  délivrance  volontaire,  qu'il  appelle  {car  il  faut  dire  son 
mot)  la  délivrance  matrimoniale  égale  de  part  et  d'autre,  comme 
celle  dun  époux  et  d'une  épouse ,  l'ame  se  donnant  à  Dieu  aussi 
activement,  aussi  librement  que  Dieu  se  donne  à  f'/Ze,  parce  que 
Dieu  élève  l'action  du  libre  arbitre  en  son  plus  haut  point,  afm  de  se 
faire  choisir  plus  parfaitement.  C'est  ce  que  vouloit  exprimer  saint 
Clément  d'Alexandrie,  en  disant  c/ue  F  homme  prédestine  Dieu , 
comme  Dieu  prédestine  l'homme  ^  Le  libre  arbitre  s'exerce  donc 
dans  toute  son  étendue  ;  l'ame  s'excite  elle-même ,  elle  parle  à 
ses  passions  qui  la  pouvoient  venir  troubler,  et  les  prie  de  la  laisser 
en  repos  ^  :  et  cela  qu'est-ce  autre  chose  que  de  s'exciter  soi- 
même  à  les  tenir  dans  le  devoir  ?  C'est  ce  que  dit  en  termes  for- 
mels le  bienheureux  Jean  de  la  Croix.  L'ame,  continue  ce  saint 
rehgieux,  se  donne  tous  ces  mouvemens  par  une  déhcate  ré- 
flexion sur  son  état,  parce  que,  «  se  voyant  enrichie  de  tant  de 
dons  précieux ,  elle  désire  de  se  conserver  en  assurance  *  ;  »  en 
quoi  les  nouveaux  mystiques  la  trouveroient  bien  intéressée. 
Dans  ses  désirs,  elle  fait  à  Dieu  toutes  sortes  de  prières,  dont  la 
dernière  est  :  «  Rompez  la  toile  délicate  de  cette  vie,  afm  que  je 
vous  puisse  aimer  dès  à  présent  avec  la  plénitude  et  la  satiété 
que  désire  mon  ame,  sans  terme  et  sans  fm  ^  »  Voilà  comme 
l'ame  réiléchit,  voilà  comme  l'ame  se  meut  dans  l'oraison  même  : 
à  vrai  dire  les  vrais  spirituels  ne  veulent  exclure  que  les  actes 
pénibles  et  tirés  à  force  ;  tout  ce  qu'il  y  a  d'afîections  y  coule  de 
source. 

Une  seconde  proposition  déterminera  ce  qu'on  appelle  le  temps     xm. 

.,  '•!  Seconde 

de  1  oraison,  et  «  cest  celui  ou  lame  demeure  spécialement  re-  et  uoisiè- 

me  propo- 

cueillie  en  foi  et  en  amour  dans  la  contemplation  actuelle  :  »  à   s"'»», 

1  Viv.  flam.,  p.  555,  556.—  ^  Strom.,  Y)h.  VI.—  s  Cunt.,  m,  2,  comp.  p.  468.— 
*  Ifnd.  —  5  Cant.,  i,  p.  311. 


528  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

pour  dé-  quoi  il  faut  ajouter  la  troisième  proposition,  qui  est  que,  selon  la 
ce"^uon  doctrine  et  la  distinction  de  saint  Thomas,  suivie  par  tous  les 
t^mpj  dv  docteurs ,  «  la  contemplation  actuelle  ne  peut  pas  être  de  longue 
"moTirer  durée  daus  ses  actes  principaux,  quoiqu'elle  puisse  dm'er  long- 
t^ps'ne  temps  dans  ses  actes  moins  parfaits,  et  qui  demandent  moins 

peut    être    ,,  .  , 

long.       d  attention  '.  » 


Tro'ilau.     ^^^  ^^'*^*^  proposïtlons  précédentes  regardent  la  com'te  durée 

lrc8 
poJ 


5  pro- Je  loraison  appelée  passive,  mais  encore  sans  en  expliquer  la 
pourexpii-  stabilité  et  la  permanence  :  mais  les  trois  suivantes  vont  démêler 

querlasu-  i 

biiiiéHia  ç^Q^^^ç  difficulté  et  achever  notre  explication. 

perniancn-  '■ 

iuu'*  ""  ^^  première ,  qui  est  la  quatrième  des  six  :  «  Quoique  l'oraison 
passive  soit  courte  eu  elle-même,  elle  est  perpétuelle  dans  ses 
effets,  en  tant  quelle  tient  l'ame  perpétuellement  mieux  disposée 
à  se  recueillir  en  Dieu.  » 

La  cinquième  proposition  :  «  Cette  disposition  au  recueille- 
ment n'est  pas  méritoire,  n'étant  pas  un  acte  ;  mais  elle  prépare 
lame  à  produire  facilement  et  de  plus  en  plus  les  actes  les  plus 
parfaits.  » 

La  sixième  et  dernière  proposition  :  «  Nous  appelons  un  état 
d'oraison  l'habitude  lixe  et  permanente,  (]ui  prépare  l'ame  à  li 
faire  d'une  façon  plutôt  que  d'une  autre,  et  lui  en  domie  l'inclina- 
tion avec  la  facilité.  » 

Ainsi  l'oraison  passive  est  fixe  et  perpétuelle  à  sa  manière  : 
ainsi  elle  compose  ce  qui  s'appelle  un  état  ;  et  met  l'ame  dans  une 
sainte  stabilité,  où  elle  est  sous  la  main  de  Dieu  de  cette  admi- 
rable manière  qui  dans  le  temps  de  l'oraison  exclut  les  actes  dis- 
cursifs, et  les  autres  dont  il  plaît  à  Dieu  de  faire  sentir  aux  âmes 
la  privation,  soit  par  grâce,  soit  pai'  épreuve,  comme  la  suite  le 
fera  paroitre. 
,^y-^_^  11  a  fallu  réduire  les  choses  à  cette  précision,  afin  de  détruire 
dcmtns   clairement  les  fondcmens  des  nouveaux  mystiques.  Leur  premier 

des  nou-  ./  i  x 

J_"'-^^j'^"'J^';  et  principal  fondement  est  cjuc  l'oraison  passive,  reconnue  par 

îcsMx  *""■  *^^^  très-grands  spirituels,  emporte  la  suppression  des  actes  :  il 

reccZ'.  ^^^*'  distinguer  :  elle  emporte  la  suppression  des  actes  discursifs, 

'"•        ou  de  quelques  autres  dans  le  temps  de  l'oraison  seulement  ;  je 

«  11»  11'',  q.  ISO,  art.  8;  ad  2. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  Vil,  N.  XVI,  XVII.  S29 

l'avoue  :  elle  emporte  la  suppression  de  tous  actes  généralement, 
et  en  tout  temps ,  en  sorte  que  l'ame  demeure  réduite  à  mie  per- 
pétuelle passiveté,  sans  jamais  s'exciter  elle-même  aux  actes  de 
piété  ;  je  le  nie.  J'espère  qu'on  me  permettra  du  moins  une  fois 
cette  sèche ,  mais  véritable  distinction  où  consiste  la  difTérence 
précise  entre  les  vrais  et  les  faux  mystiques,  comme  il  a  paru 
clairement  par  les  paroles  des  uns  et  des  autres. 

Le  second  fondement  des  faux  mystiques,  c'est  que  d'un  com- 
mun consentement  l'ame  peut  être  mise  par  état  dans  une  oraison 
passive ,  d'où  ils  concluent  qu'elle  sera  donc  dans  une  perpétuelle 
et  fixe  passiveté.  On  nie  cette  conséquence,  puisqu'on  vient  de 
dire  qu'être  dans  cette  oraison  par  état,  c'est  y  être  par  habitude, 
par  inclination,  par  facilité,  et  non  par  un  exercice  actuel  et  per- 
pétuel ;  ce  qui  étant  entendu,  tous  les  fondemens  de  la  nouvelle 
oraison  demeurent  abattus  et  les  objections  résolues. 

D'expliquer  maintenant  ce  qui  se  passe  dans  cette  excellente     xvi. 
oraison,  ce  n'en  est  pas  ici  le  lieu;  ce  que  j'en  puis  dire,  c'est  que  le  prînd- 
Dieu  y  tient  l'Ecole  du  cœur,  où  il  se  fait  écouter  en  grande  tran-  ^roraito?" 
quillité  et  eii  grand  silence.  On  en  dira  dans  le  temps  ce  que  le  ''de'quié 
Saint-Esprit  en  apprend  aux  hommes  de  Dieu  qu'il  a  mis  dans 
cette  pratique.  Il  semble  au  reste ,  selon  les  principes  qu'on  a 
posés  ailleurs,  que  cette  oraison  par  sa  grande  simplicité  soit 
moins  aperçue  en  elle-même  que  dans  ses  effets,  dont  le  prin- 
cipal est  de  tenir  l'ame  souple  et  pliante  sous  la  main  de  Dieu , 
parce  qu'elle  a  expérimenté  dans  ses  impuissances  la  vérité  de 
cette  parole  :  «  Sans  moi  vous  ne  pouvez  rien  '.  » 

Laissons  à  part  les  autres  effets  de  cette  oraison,  pour  nous  at-  xvu 
tacher  aux  abus  qu'en  ont  faits  nos  nouveaux  auteurs.  On  a  vu 
que  le  principal  est  de  s'en  servir  pour  exclure  les  demandes  dans  "rlbUf 
toute  la  voie  :  mais  le  saint  jésuite  Baltasar  Alvarez,  bien  éloigné  T"cetb' 
d'une  exclusion  si  générale,  les  reçoit  dans  le  temps  même  qu'on  "doclvL 
donne  à  l'oraison  de  quiétude,  où  il  joint  «  à  la  révérence,  à  Baua«7 
l'admiration,  aux  remercîmens,  à  l'offrande  de  tout  ce  qu'on  est,  sur Z al- 
la, demande  qu'on  fait  à  Dieu,  premièrement  de  lui-même,  et  puis 
de  ses  dons,  non  point  pour  s'y  reposer,  mais  pour  monter  à  lui 

1  Joan .,  XV ,  5 . 

TOM.  xvni.  34 


On  coin- 
nience   à 


530  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

par  leur  moyen  '.  »  A  quoi  il  ajoute  que  cette  oraison,  loin  d'ex- 
clure les  deaiandes,  en  est  le  plus  solide  appui,  «  puisque  qui- 
conque sait  donner  à  Dieu,  comme  fait  cette  oraison,  ce  qail 
nous  demande ,  lui  pomTa  confidemment  demander  ce  qui  lui  est 
propre  * .  » 
x\"'-        Ce  saint  religieux  dit  ailleiu's  (lue  Dieu,  nui  voit  dans  cette 

Suite  de  °  .  .  , 

lidocirinc  oraison  «le  cœur  de  son  serviteur  enclin  à  désirer  quelque  chose, 

dn     mime 

Père  Bal-  gt  Qu  11  uc  la  dcmaudc  pas  ',  »  l'accorde  facilement  de  lui-même, 

Uiar,  très-  T.  ■»■ 

opposée   sans  attendre  une  demande  plus  expresse;  et  la  vovant  toute  faite 

aux  pré-  i.  x  ' 

unuons  jjjng  1(3  désir  même,  parce  (lue,  comme  dit  ailleuis  ce  même  au- 

dcn  nou-  *  ^ 

""'"""ï»- teur ,  «  les  souhaits  sont  devant  Dieu  ce  que  la  voix  sert  aux 
hommes*;  »  c'est-iwlire  qu'on  parli»  à  Dieu  par  le  désir,  comme 
on  parle  aux  hommes  par  la  voix  :  d'où  il  s'ensuit  cpi'on  fait  des 
demandes  dans  cette  oraison,  puisqu'on  y  pousse  de  saints  dé- 
sirs ;  ce  qui  n'est  autre  chose ,  continue  ce  Père,  (pie  de  faire  de^ 
demandes,  non/;w  ncte  signifie ,  c'est-à-dire  par  laroles  signifi- 
catives, mais  pftr  acte  prulitiiic ,  c'est-à-dire  par  le  désir,  qui 
dans  le  fond  est  une  demande  par  rappoil  à  Dieu ,  à  qui  tous  les 
désirs  sont  connus. 

On  voit  comhion  ce  saint  religieux  est  éloigné  de  supprimer 
dans  l'oraison,  même  dans  celle  de  quiétude ,  les  demandes  et  les 
désirs.  11  ne  reste  qu'à  reléguer  au  nombre  des  commençans  un 
honuue  si  consonuué  d;ms  la  science  des  saints,  et  d'un  état  si 
piulait,  qu'on  croit  même  que  par  un  don  tout  à  fait  extraordi- 
naire, il  a  mérité  de  recevoir  une  assurance  entière  de  son  salut, 
tant  par  la  bouche  de  sainte  Thérèse  que  par  un  témoignage  par- 
ticulier du  Saint-Esprit  \ 
x,x.        Un  autre  moyen  d'abuser  de  cette  oraison,  est  de  s'en  servir 
fr^tî^J^nc  comme  on  a  ^u  (ju'ont  fait  les  nouveaux  mystiques,  pour  affoi- 
«urumor-  Wlr  l'csprit  de  mortification  et  l'étude  des  vertus;  mais  le  même 
ïi"ur"r"-  r*ère  Daltbasar  enseigne  «  cpi'on  doit  coiTiger  ceux  qui  se  conteii- 
luuic.ter  |.gjj^  d'être  seulement  recueillis  sans  autre  exercice  de  mortification 
et  des  autres  vertus,  en  les  avertissant  qu'ils  s'abusent,  et  que  s'ils 
ne  se  corrigent,  on  peut  tenir  leur  rccollection  fort  douteuse  '.  » 

<  baltas.  Ahar.,  ch.  XL  ,  p.  456.  —  «  P.  4o9.  — »  P.  46'».  -  *  Ch.  xiii,  p.  137, 
138.  —  6  Ballas.  Alvar.,  ch.  XIH ,  p.  1G2,  163,  299,  etc.  —  «  Ch.  XL,  p.  4U1. 


TRAITÉ  I,  L1\RE  Vil,  N.  XX,  XXI.  531 

Les  nouveaux  mystiques  outrent  ce  que  disent  les  vrais  spiri-     xx. 
tuels  sur  les  formes  et  notions  particulières ,  et  ils  leur  donnent  heureu" 
une  perpétuelle  exclusion  de  l'état  contemplatif  avec  un  si  grand  o'L hJi 
excès,  qu'ils  en  viennent,  comme  on  a  vu,  jusqu'à  mettre  à  part  ""Tqui 
l'humanité  de  Jésus-Christ  :  mais  le  bienheureux  Jean  de  la  Croix  ,wtj"sut 
s'oppose  à  cette  erreur,  lorsqu'il  déclare  «  cpie  cette  exclusion  des  Tri'uté  et 
figures  et  notices  (particulières)  ne  s'entend  jamais  de  Jésus-  l'iV/an? 
Christ  et  de  son  humanité,  dont  il  rend  cette  raison,  que  la  veiië  '  wni^T 
et  méditation  amoureuse  de  cette  tres-sainte  humanité  aide  à  tout   ^  ''  '"" 
ce  qui  est  bon  ;  en  sorte  qu'on  montera  plus  aisément  par  elle  au 
plus  haut  de  l'union  :  car  encore,   continue-t-il ,   que  d'autres 
choses  visibles  et  corporelles  doivent  estre  oubliées  et  servent 
d'empeschement  ;  celuy  qui  s'est  fait  homme  pour  nostre  salut, 
ne  doit  pas  estre  mis  en  ce  rang^  luy  qui  est  la  vérité,  le  chemin, 
la  porte  et  le  guide  de  tout  bien  ^  »  Et  quand  il  tâche  d'exclure 
ces  formes  et  notions  particulières,  expressément  il  se  restreint 
«  à  tout  ce  qui  n'est  point  divinité,  ou  Dieu  fait  homme ,  »  parce 
que  ce  souvenir  d'un  Dieu  fait  homme,  «  aide  toujours  à  la  fin, 
comme  estant  le  souvenir  de  celuy  qui  est  le  vray  chemin,  le 
guide  et  l'auteur  de  tout  bien  ^  » 

Si  la  notion  particulière  de  Jésus-Christ  comm.e  Fils  de  Dieu 
incarné,  ne  peut  être  excluse  de  la  plus  haute  contemplation,  celle 
du  Père,  et  par  conséquent  des  trois  Personnes  divines,  sans  la- 
quelle le  Fils  n'est  pas  connu,  y  doit  aussi  être  admise  ;  celle-là 
n'a  pas  plus  de  conformité  et  de  liaison  avec  la  contemplation  que 
celle  des  divins  attributs  ;  et  c'est  pourquoi  ce  saint  homme , 
bien  éloigné  des  nouveaux  mystiques  qui  mettent  tout  cela  à 
l'écart,  reconnoît  tous  les  attributs  avec  tous  les  mystères  de 
Jésus -Christ  dans  le  plus  sublime  état  de  contemplation,  et  même 
de  transformation,  comme  il  paroîtra  clairement  à  ceux  qui  liront 
les  passages  marqués  à  la  marge  *,  que  je  me  dispense  de  pro- 
duire, pour  éviter  la  longueur  dans  une  chose  peu  nécessaire. 

Quant  à  ce  qui  regarde  la  suspension  ou  la  ligature  des  puis-     ^xi 
sauces,  outre  ce  que  nous  venons  de  voir  qu'elle  ne  regarde 


Que  ?e!on 
le   Père 
Callu^ar, 


1  Mont,  du  Carm.,  liv.  111,  cli.  i,  p.  153. —  -  îbkL,  ch.  xiv.  p.  172. —  ^  Cant. 
xxxvii,  p.  181,  182. 


b32  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  DORAISON. 

uugature  Ordinairement  que  les  actes  discui'sifs,  c'est-à-dire  de  propre  in- 
fion  de»  dustrie  ou  de  propre  ellort,  le  Père  Baltasar  ajoute  encore,  c(  qu'il 

puissances  .  ,,. 

ne  peut  ja- ne  faut  pas  se  persuader,  comme  quelques  ignorans  se  lima- 
toiaiedaD!  giDeut,  quB  cc  silence  de  l'ame  et  cet  arrest  attentif  en  silence 
A,-  quic-  fasse  cesser  de  tous  pouils  les  actes  des  pmssauces,  parco  que  cela 
est  impossible,  fors  en  duruiant,  ou  seroit  Ires-pcnihlc  et  do))ima- 
geablc,  dont  il  rend  cette  raison  :  que  ce  seroit  estre  plus  (juoisif 
et  perdre  le  temps,  en  danger  que  l'imagination  ne  suscitast 
quelque  fantaisie,  ou  que  le  diable  y  jetast  de  mauvaises  pensées 
ou  quoy  (]ue  ce  soit  impertinentes  '  :  »  tous  sentimens  bien  éloi- 
gnés de  ceux  des  nouveaux  mystiques  et  de  leur  acte  continu  et 
perpétuel,  (jue  rien  n'intenompt,  et  dont  aussi  on  ne  voit  aucmi 
trait  dans  les  spirituels  approuvés. 

XXII.  Conformément  à  la  doctrine  précédente  le  même  W  Baltasai" 
ladocirinè  décidô ,  avcc  tous  les  vrais  spirituels,  «  que  ceux-là  mesme  qui 
rure"'iûT  ont  monté  à  cette  manière  d'oraison  de  (juiétude  ont  b(.'Soin  de 
ire  la  lo-  S  cutretcnir  en  1  exercice  de  méditer,  et  penser  un  i)eu  aux  mys- 

pciu.iir  teres  divins,  parce  que  souvent  la  faveur  el  le  mouvement  de 
doi  pm«"  Dieu  cesse,  qui  les  élevoit  à  celle  ijuiilude ,  et  il  est  besoin  qu'ils 
agissent  avec  leurs  i>uissances'.  Car  poursuit-il,  ils  ne  ressemblent 
pas  à  ces  vaisseaux  à  haut  bord,  qui  ne  se  meuvent  qu'avec  le 
vent  :  mais  sont  de  petits  l)ateaux  qui  ont  recom's  à  la  rame, 
quand  le  vent  leur  faut  ;  et  si  le  vent  et  la  rame  leur  manquoit 
tout  à  la  fois,  ils  deineureroient  tout  cois  et  calmes  (de  ce  calme 
jicrniiit'ux  qui  suspciul  la  navigation)  :  ainsi,  dil-il,  quand  le  vent 
du  spécial  mouvement  dix  in  maii(]ue,  la  coopération  <'t  industrie 
de  nos  puissances  demeureroient  oisives  dans  !•'  <  ln-miii  spi- 
rituel. » 

XXIII.  Si  l'on  dit  qu'il  reconnoît  donc  quïl  se  trouve  elléctivement 
r.^^e  "nai'  dans  les  voies  de  l'oraison  de  ces  vaisseaux  à  liant  bord ,  qui  ne 

connoii  se  meuvent  que  par  le  vent ,  sans  avoir  besoin  de  ramer,  je  ré- 
^no"  lou'-  ponds  que  ce  n'est  pas  là  son  intention.  Car  il  dit  bien  ijuc  ceux 
deDieu.ci  doiit  il  purlc  iic  sont  pas  de  ces  vaisseaux  que  le  ^eul  vent  guide  : 
»u«p2nlion  mais  il  ne  dit  pas  pom"  cela  qu'il  y  ait  d'autres  personnes  de  ce 
«ancoJ' u.'.  caractère  ;  ou  ce  ne  seroit  en  tout  cas  que  dans  le  temps  de  l'o- 

>  liait.  Alvar.,  di.  xiv,  p.  Ii3.  —  ^Ihid.,  ch.  XLii,ii.  474. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  YII,  N.  XXIV,  XXV.  533 

raison  et  par  intervalles,  comme  on  a  vu  qu'il  l'enseigne  perpé-  teiiectuei- 

les  soit  to- 

tuellement.  Au  reste  on  ne  voit  dans  aucun  endroit  de  sa  vie  que  laieetpei- 

pétuelle. 

l'oraison  d  un  homme  si  élevé  ait  été  autre  que  celle  qu'il  a  com- 
parée au  mouvement  de  ces  petits  bateaux,  qui  sont  contraints, 
au  défaut  du  vent ,  de  s'aider  des  rames  :  au  contraire  il  présup- 
pose partout  que  «on  état  de  lui-même  et  oit,  du  moins  hors  de 
l'oraison,  àe,  s'aider  toujom's  des  puissances ,  sans  en  supposer 
jamais  la  suspension  ou  la  ligature  totale.  Ainsi  l'on  ne  doit  pas 
dire  qu'il  parle  pour  les  commençans,  qui  est  la  réponse  perpé- 
tuelle de  nos  nouveaux  mystiques,  lorsqu'on  leur  montre  dans 
les  plus  parfaits  des  sentimens  opposés  à  leurs  trompeuses  expé- 
riences. 

Le  B.  Père  Jean  de  la  Croix  nous  assure  aussi  «  qu'encore  qu'il    x^iv. 

■"■  ^  Senliment 

y  ait  des  âmes  qui  sont  tres-ordinairement  meuës  de  Dieu  en  informe 
leurs  opérations ,  à  peine  s'en  trouvera-t-il  une  seule  qui  soi!  J^^^^"  «^e  la 
mené  de  Dieu  en  toute  chose  et  en  tout  temps  ^  »  On  voit  que  ce 
bienheureux,  dont  les  expériences  sont  si  étendues,  ne  dit  point 
qu'il  ait  jamais  trouvé  des  âmes  de  cet  état;  et  s'il  n'ose  nier  ab- 
solument qu'il  ipuisse  y  en  avoir,  l'exemple  de  la  sainte  Yierge 
qu'il  venoit  d'alléguer  expressément,  suffisoit  pour  l'obliger  à 
cette  circonspection,  comme  lui-même  il  nous  le  fait  voir  par  ces 
paroles  :  «  La  sainte  Mère  de  Dieu,  estant  dès  le  commencement 
élevée  à  ce  haut  état,  n'eut  jamais  en  son  ame  de  forme  impri- 
mée d'aucune  créature,  laquelle  la  divertist  de  Dieu,  et  jamais  ne 
se  meut  par  elle-mesme  %  »  parce  que  toujours  sa  motion  fut  du 
Saint-Esprit  :  par  où  ceux  qui  vantent  sans  cesse  que  tous  leurs 
mouvemens  sont  de  Dieu,  et  mettent  à  tous  les  jours  de  tels  pro- 
diges de  ;la  grâce,  peuvent  voir  à  qui  ils  s'égalent  :  ce  n'est  à 
rien  moins  qu'à  la  sainte  Yierge.  Ils  doivent  aussi  reconnoitre 
en  passant^  quelles  sont  les  formes  que  ce  Bienheureux  a  inten- 
tion de  bannir ,  qui  sont  uniquement  celles  qid  divertissent  de 
Dieu. 

Aussi  voit-on  ce  saint  religieux  iusqu'à  la  fin  de  sa  vie  en  ve-    xxv. 

°  •*         ^  .        .  Doctrine 

nir  toujours  aux  demandes,  aux  réflexions,  aux  excitations  et  a^  ce  bien- 
heureux 
aux  autres  actes  que  nos  faux  mystiques  suppriment,  sans  qu'on    contre 

1  Mont,  du  Carm.^  liv.  !II,  ch.  i,  p.  loi.  —  "^  Ibid.,  p.  152. 


534  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  DOR.USOX. 

ladccon-  aperçoive  en  aucun  endroit  cet  acte  unique  et  continu  dont  ils 

tinu    de» 

nouTeùiii  font  le  soutien  de  leui-  système  :  au  contraire  on  ne  I)Ou^  oit  pas 

in;!liquc9. 

donner  didée  plus  i'oriucllement  opposée  à  celle-là  qu'en  distin- 
guant, comme  il  fait  *,  tout  ce  qui  sappelle  acte,  et  qui  appartient 
aux  puissances,  c'est-à-dire  à  lentenderaent ,  à  la  volonté  et  à  la 
mémoire  ,  de  ce  qui  touche  le  fond  de  l'ame;  le  premier,  dit -il, 
estant  toxjoKrs  passager,  et  ne  pouvant  opérer  en  cette  vie  d'u- 
nion permanente  ."'et  l'autre  (pii  est  permanent,  n'étant  pas  un 
acte,  mais  une  haltitwle  seulement  :  qui  est  précisément  la  même 
doctrine  que  nous  aN  ons  opposée  aux  nouveaux  mystiques  -. 
XXVI.        Comme  ni  lui  ni  les  autres  vrais  spirituels  ne  connoissent  pas 

L-j  aclei 

Ti-  le.   cet  acte  continu  et  universel ,  ils  ne  connoissent  non  plus  les 

\i.M\     I1IT4. 

uqu,-.,,....  autres  actes  si  c."'    .       .irmi  les  nouveaux  mystiques ,  comme 

lenl'ei.I.n  ,  .... 

en  bi.n  .1  est  celui  de  se  rrji.  ni-mesme  ;  c'est-à-diri",  connue  ils  1  ex- 

en  ninl,         _  ■'  .  ,      ,    ,  . 

•ont  .uM-  T)]i(;uent,  de  se  retirer  de  dessous  la  main  de  Dieu  en  n'Heclns- 

Icnfnl  in-  *^        ^  ' 

cono.  «ui  sant  sur  eux-mêmes,  et  s'excitant  à  faire  les  acte^.  (l'est  où  ces 

\ti\t  «piri- 

''        faux  spirituels  mettent  à  présent  (comme  (ma  vu)  tout  le  mal 

de  la  vie  si)irituelle,  regardant  cette  rélh^xion  comme  uu  désaveu 
de  leur  premier  abandon.  Mais  aucun  des  vrais  spirituels  ne  con- 
nnlt  cet  acte,  non  plus  {\\w  celui  d'abandon,  au  sens  des  nouveaux 
auteurs  :  ni  ils  n'ont  Jamais  cru  (luaacuu  chrétien  ait  cessé  de 
s'exciter  en  temps  convenable  aux  actes  pieux,  ou  qu'on  ait  seu- 
lement songé  à  la  cessation  de  tous  ces  actes. 

Reconiioissons  donc  que  nos  prétendus  parfaits  marchent  dans 
des  voies  inconnues  aux  vrais  spirituels:  cet  acte  [>rétendu  unique 
et  iiTévocable  de  soi  n'est  qu'mie  illusion  :  c'en  est  nui'  (pii  suit 
nécessairement  de  celle-là,  que  de  réfléchir  sur  les  actes  (!l  s'exci- 
ter volontairement  à  l'amom' de  Dieu,  soit  se  reprendre  soi-même, 
c'est-à-dire  se  retirer  de  la  main  de  Dieu  :  et  le  comble  de  l'illu- 
sion est  de  proposer  des  expériences  contraires  à  celles  qu'on 
trouve  dans  les  hommes  les  plus  saints. 
.Txvii.       (".es  saints  honnues  ne  connoissent  non  idus  ce  vice  de  nmlti- 

vcauxmy".  pliclté,  quo  les  faux  mystitpies  mettent  à  multiplier  et  renouveler 
tondint  tons  les  Jours  les  actes  de  foi ,  d'espérance  et^de  charité  :  car  déjà 

Ire  lu  doc  on  est  d  accord  que  sans  foi  et  sans  amour  il  n  y  a  point  d  oraison, 
'  Mont,  du  Carm.f  liv.  H,  cb.  V,  p,  43. —  *  Ci-dessus,  liv.  I ,  n.  23,  etc. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  YII,  N.  XXYIIÏ.  S35 

,  et  la  piété  ne  permet  pas  de  détacher  l'espérance  d'avec  ses  insé-  inne  a,-^ 

vrais  ?piri- 

,  parables  compagnes,  puisqu'elle  est  le  premier  fruit  de  la  foi,  et    «"«'s  <« 
Qu'elle  s'absorbe  dans  l'amour.  muuipii- 

^  cité. 

Un  dernier  abus  que  font  les  nouveaux  mystiques  de  l'oraison   xxvm. 
passive  ou  de  quiétude ,  est  de  la  rendre  trop  commune  et  trop  eneu? % 

,T>  1  .,  .  ...  ifi  nouveaux 

.  necessau'e  :  c  est  la  un  des  pomts  qui  mente  une  plus  torte  cen-  mystiques, 
sure,  et  en  même  temps  un  de  ceux  que  ces  faux  spirituels  pous-  dent'i'^o- 

111  I      ï-\        •  1  iTi-  j  raison  pas- 

sent le  plus  avant.  On  trouve  dans  le  Mot/en  court  «  que  nous  sive  com- 

sommes  tous  appelez  à  l'oraison  comme  nous  sommes  tous  appe-   absoi..- 

, ,    ,  .     ,  , . ,  ment  iio- 

lez  au  salut  :  qu  a  la  vente  tous  ne  peuvent  pas  méditer ,  et  que  cessaiie. 
tres-peu  y  sont  propres  :  mais  aussi  que  ce  n'est  pas  cette  oraison 
.  que  Dieu  demande,  et  que  c'est  l'oraison  de  simple  présence  :  que 
tous  ceux  qui  veulent  estre  sauvez  la  doivent  pratiquer,  et  qu'en- 
fin l'oraison  qu'il  faut  apprendre,  c'est  une  oraison  qui  n'est  pas 
méditation,  mais  contemplation  passive  K  » 

Voilà  pour  ce  qui  regarde  la  nécessité  de  cette  oraison  :  pour  la 

facilité,  «  elle  se  peut  faire  en  tout  temps^  et  ne  détourne  de  rien  : 

.  les  princes,  les  rois,  les  prélats,  les  prestres  et  les  magistrats ,  les 

soldats,  les  enfans,  les  artisans  ,  les  labom'em^s,  les  femmes  et  les 

malades  la  peuvent  faire.  »  ' 

C'est  ce  que  disoit  le  Père  la  Combe,  qu'on  doit  induire  à  cette 
oraison  jusqu'aux  enfans  de  quatre  ans,  comme  en  étant  très- ca- 
pables ;  rien  n'est  plus  aisé  :  «  la  manière  de  chercher  Dieu  est  si 
aisée  et  si  naturelle,  que  l'air  que  Ton  respire  ne  l'est  pas  davan- 
tage^, »  ni  la  respiration  plus  continuelle. 

Un  peu  après  on  commence  à  faire  la  loi  aux  pasteurs  et  aux 
hommes  apostoliques  ^  :  une  oraison  si  facile  devroit  être  apprise 
aux  enfans  comme  le  catéchisme. 

Si  tous  ceux  qui  travaiUent  à  la  conquête  des  âmes  tâchoient  de 
les  gagner  par  le  cœur,  les  mettant  d'abord  en  oraison  et  en  vie 
intérieure,  ils  feroient  des  conversions  infinies.  On  suppose  qu'il 
n'y  a  au  monde  oraison  ni  intérieur  que  dans  la  passiveté.  Voici  • 
quelque  chose  de  plus  outré  :  «  Si  l'on  apprenoit  à  nos  frères  er- 
^  rans  à  croire  simplement  et  à  faire  oraison  (selon  la  nouvelle  mé- 
thode), au  lieu  de  disputer  beaucoup,  on  les  rameneroit  douce-' 

1  Mùijen  court ,  §  i ,  p.  2,  4.  —  ^  lOid.,  p.  G.  —  ^  P.  15,  §  m,  etc. 


536  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

ment  à  Dieu  '.  »  Sans' doute  si  on  leur  avoit  persuadé  de  croire 
sifr/p/rr/tenf ,  ils  ne  seroient  pas  hérétiques;  mais  de  leur  aller 
proposer  l'oraison  passive  comme  le  seul  moyen  d'avoir  la  foi 
simple,  c'est  ce  que  les  Pères  ignoroient.  S'ils  avoient  su  cette 
nouvelle  méthode,  ils  auroient  supprimé  tant  de  beaux  ouvrages, 
tant  d'excellentes  disputes  qui  sont  encore  aujourd'hui  les  instru- 
mensde  la  tradition  et  !•'  Huidement  de  l'Eglise.  On  passe  aux  ac- 
clamations :  «  0  quel  compte  les  personnes  qui  sont  chargées  des 
âmes,  n'auront-elles  pas  à  rendre  à  Dieu  *,  »  de  ne  leur  avoir  pas 
découvert  ce  trésor  caché  de  l'oraison  passive,  comme  la  seule  où 
l'on  trouve  Dieu! 

t^hiand  je  songe  à  la  modestie  de  sainte  Thérèse  dans  l'instruc- 
tion des  couvens  qu'elle  avoit  fondés  avec  tant  de  témoignages 
divin.s,  et  dont  clli'  étnit  supérieure;  et  que  je  considère  dunautn^, 
côté  cet  air  décisif  (pi'«  m  se  donne  ici  avec  les  prédicateurs  et  les 
pasteurs,  je  demeure  étonné.  On  poursuit  pourtant,  et  ces  paroles 
sont  du  même  ton  :  Sinn  Iritr  doimnit  d'afmrd  \i\  ceux  qu'on  ins- 
truit) la  clef  de  l'intcrirur  ',  c'e.st-à-dire,  comme  on  a  vu,  l'aban- 
don à  ne  rien  faire  du  Imil ,  et  attendre  (|ue  Dieu  nous  remue  : 
tout  iroit  liicn  ;  ainsi  «  vous  estes  conjurez,  ô  vous  tous  qui  ser- 
vez les  amcs,  de  les  mettre  d'abord  dans  cette  voye,  qui  est.Iesus- 
Christ  ^  ;  faites  des  catéchismes  particuliers  pour  enseignera  faire 
oraison,  non  par  raisonnement  ni  par  méthode ,  les  gens  simples 
n'en  estant  pas  capal)les,  mais  une  oraison  de  cn^ur  et  non  de 
teste,  une  oraisrn  de  l'esprit  de  Dieu  et  non  de  l'invention  de 
l'homme  '.  »  Hii  parle  dans  tous  ces  endroits  et  dans  tout  le  livre 
connue  s'il  n'y  avoit  ni  confiance  ,  ni  espérance,  ni  amour,  ni 
oraison,  ni  intérieur,  que  dans  cette  oraison  partculière  (]ui  seule 
est  de  Dieu  ;  et  tout  le  reste,  quoique  tous  les  Psaumes,  toute  l'E- 
criture et  l'Oraison  Dominicale  y  .«oit  contenue,  yi'est  rju'mve?d/'o}i 
de  l'homme. 

11  ne  fjuitdonc  pas  s'étonner  si  l'on  décide  «  qu'il  est  impossible 
d'arriver  à  l'union  divine  par  la  seule  voye  de  la  méditation,  ni 
mesme  des  afîections ,  ou  de  quelque  oraison  lumineuse  et  com- 

»  3/oycn  court,  §  xxiii,  p.  111  ,  ttc.  —  '  P.  11  i.  —  '  P.  HO.  —  '  P.  117.  — 
'  P.  1 18. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  YII,  N.  XXVIII.  537 

prise  que  ce  puisse  estre*.  »  C'est  une  chose  résolue  que  les  Saints 
où  l'on  ne  verra  que  lumières  et  affections  sans  aucun  vestige 
d'oraison  passive,  ne  sont  point  arrivés  à  l'union  divine.  «  Au 
reste  si  cette  oraison  estoit  dangereuse ,  Jésus- Christ  en  auroit-il 
fait  la  plus  parfaite  et  la  plus  nécessaire  de  toutes  les  voyes  ?  »  On 
le  suppose  partout,  quoique  ce  soit  le  point  de  la  question ,  et  on 
veut  qu'on  le  croie  sans  preuve.  A  la  fin  après  avoir  invité  tout  le 
monde  sans  exception  à  cette  voie,  comme  à  la  plus  nécessaire  et 
la  plus  commune  de  toutes,  l'on  commence  à  sentir  la  difficulté  de 
rendre  si  générale  une  vocation  et  une  grâce  si  extraordinaire,  et 
on  se  fait  cette  objection  :  «  L'on  dit  qu'il  ne  s'y  faut  pas  mettre  de 
soy-mesme^,  »  voilà  l'objection  ;  et  voici  la  réponse  :  «  J'en  con- 
viens ;  mais  je  dis  aussi  qu'aucune  créature  ne  pourroit  jamais 
s'y  mettre  :  de  sorte  que  c'est  crier  contre  une  chimère  que  de 
crier  contre  ceux  qui  se  mettent  d'eux-mesmes  dans  cette  voye.  » 
Ce  qui  autorise  tout  le  monde  à  ne  plus  rien  examiner  quand  on 
croit  y  être.  Au  reste  c'est  une  illusion  de  dire  qu'on  ne  s'y  peut 
mettre  soi-même,  puisqu'encore  qu'on  ne  s'y  mette  pas  d'abord, 
on  peut  trouver  une  voie  et  une  méthode  certaine  pour  y  être 
mis  facilement  et  bientôt.  De  sorte  qu'une  oraison  aussi  extraor- 
dinaire que  la  passive ,  à  la  fin  deviendra  aussi  commune  qu'on 
voudra  l'imaginer. 

On  veut  toutefois  un  directeur;  mais  voici  ce  qu'on  en  dit  : 
«  Puisque  nul  ne  peut  entrer  dans  sa  fin  que  l'on  ne  l'y  mette,  il 
ne  s'agit  pas  d'y  introduire  personne,  mais  de  montrer  le  chemin 
qui  y  conduit,  et  de  conjurer  que  l'on  ne  se  tienne  pas  lié  et  atta- 
ché à  des  hôtelleries  ou  pratiques  qu'il  faut  quitter  quand  le  signal 
est  donné  ;  ce  qui  se  connoist  par  le  directeur  expérimenté.  »  Mais 
quel  sera  ce  directeur  expérimenté,  sinon  un  homme  qui  déjà 
prévenu  de  la  bonté  et  nécessité  de  cette  voie,  puisqu'il  y  marche 
lui-même,  vous  conduira  selon  vos  désirs  et  selon  les  siens?  Com 
ment  pourroit-il  faire  autrement,  puisqu'on  l'avertit  expressé- 
ment que  nul  homme  ne  peut  feindre  d'être  dans  cet  état,  non 
plus  que  feindre  d'estre  rassasié  quand  il  meurt  de  faim  :  car  il 
échappe  toujours  quelque  désir  ou  envie^.  Quand  donc  on  est  par- 

i  Moxjen  court,  §  xxiv,  p.  121.—  2  p.  136.  —  3  p.  138. 


o38  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  DORAISON. 

venu  à  ne  plus  rien  désirer  de  Dieu,  il  faut  nécessairement  qu'un 
directeur  vous  mette  dans  la  voie  :  et  celui  qui  croira  que  l'état  où 
Ton  ne  désire  ni  l'on  ne  demande  rien,  est  trompeur  et  contraire 
à  l'Evangile,  quelque  saint  et  éclairé  cpi'il  soit  d'ailleurs,  bien  as- 
surément ne  sera  jamais  ce  directem*  expérimenté  (jid  montre 
l'eau  lice  et  tâche  d'y  introduire. 

Ainsi  le  signal  certain  qu'on  est  appelé  à  l'oraison  passive,  c'est 
de  ne  plus  rien  désirer  ni  demander,  et  de  supprimer  tous  les 
actes  et  foutes  les  pratiques  du  chrétien  :  après  quoi  il  ne  reste 
plus  qu'à  conclure  de  cette  sorte  :  «  Si  la  fin  est  bonne,  sainte  et 
nécessaire;  si  la  porte  est  bonne,  pourquoy  le  chemin  rpii  vient 
de  c.'ltc  porte  et  conduit  droit  à  cette  fin,  sera-t-il  mauvais  *?  » 
Voilà  donc  une  méthode  réglée  pour  arriver  à  la  lin,  c'est-à-dire  à 
l'état  où  l'on  ne  l'ait  rien  «pie  dattendre  à  chaque  moment  (|ue 
Dieu  nous  renme. 

Comnn'  pourtant  cet  dal,  du  i  un  ne  cesse  de  tenter  Dieu,  et  où 
l'on  présume  ce  qu'il  n'a  jamais  promis,  [lourroit  à  la  lin  troubler 
les  âmes,  de  peur  qu'on  ne  s'en  étonne  il  en  faut  faire  un  mystère 
en  s'écriant  :  «  0  qu'il  est  vray,  mon  Dieu,  que  vous  avez  caché 
vos  secri'ts  aux  grands  et  aux  sages,  pour  les  révéler  aux  petits  %  » 
qui  mettent  bîur  petitesse  à  ne  plus  rien  demander  à  Dieu,  et  à 
croire  (juils  l'honoreront  en  le  laissant  agir  seul  sans  s'exciter  à 
lui  plaire  ! 

Sur  ce  fondement  tout  est  décidé  :  «  Quiconijuc;  n'entend  pas 
cette  voye  (et  n'a  pas  le  don  extraordinaire  d'oraison  passive) 
non-seulement  il  n'est  pas  parfait,  mais  il  ignore  le  vray  amour; 
et  ce  (jui  est  pis;,  plein  de  l'amour  de  soy-mesme  et  d'une  attaciie 
sensuelle  aux  créatures  il  est  incapable  d'éprouver  les  ell'ets  inef- 
faldes  de  la  pure  charité  \  »  Voilà  juscju'où  l'on  pousse  la  néces- 
sité de  i'tiraison  de  quiétude;  «-t  je  prie  le  sage  lecteur  de  consi- 
dérer ces  derniers  mots,  et  toutes  les  décisions  (pi'on  vient  d'en- 
tendre dune  bouche  aussi  ignorante  cpie  téméraire. 
XXIX.        Mais  tout  cela  tombe  par  le  f(jndement  pour  trois  raisons  :  la 

Troi»  de-  ^  * 

mon.ir...  première  est  théologi(nie,  et  nous  l'avons  déjà  touchée  en  disant 
logiques  que  la  perfection  et  la  pureté  dé[)end  du  degré  et  de  la  grandi'ur 
•  Moijen  court ,  p.  !38.  —  '  Ibid.  —  ^Préface  sur  le   Cantique. 


TRAITÉ  1,  LIVRE  Yll,  N.  XXIX.  539 

'  de  Tamour,  et  non  pas  de  la  manière  dont  il  est  infus  :  ce  qui  est  con''e  •  > 

nécessiti! 

fondé  sur  ce  principe,  dont  tous  les  théologiens  et  même  les  mys-  ^e  lorai- 

soa  passive 

tiques  conviennent,  qui  est  que  l'état  mystique  ou  passif  n'est  pas  pouriapu- 
.  un  don  appartenant  à  la  grâce  qui  nous  justifie,  et  qui  nous  rend  t'  1'"'''= 
agréables  et  meilleurs,  gratia  cjratum  faciens ;  mais  que  comme  a.uespieu- 
;  la  prophétie  et  le  don  des  langues  ou  des  miracles,  il  ressemble  à 
.cette  sorte  de  grâce  qu'on  nomme  gratuitement  donnée,  gratia 
.  gratis  data.  C'est  ainsi  que  l'ont  enseigné  positivement  Gerson  ^ 
et  les  autres  mystiques  de  ce  temps-là,  et  dans  le  nôtre  le  Père 
Jacques  Alvarez,  savant  jésuite,  qui  a  traité  plus  amplement  que 
tous  les  autres  la  théologie  mystique.  S'il  faut  encore  aller  plus 
avant,  nous  dirons  que  l'état  mystique  consistant  principalement 
.dans  quelque  chose  que  Dieu  fait  en  nous  sans  nous,  et  où  par 
.conséquent  il  n'y  a  ni  ne  peut  avoir  de  mérite,  on  a  raison  de  dé- 
cider qu'un  tel  don,  encore  qu'il  puisse  mettre  des  préparations,  à 
l'accroissement  de  la  grâce  justifiante,  ne  peut  pas  appartenir  à  sa 
substance  :  autrement,  et  c'est  la  seconde  raison  tirée  de  l'expé- 
rience, les  plus  grands  saints  de  l'antiquité,  où  l'on  ne  voit  ni  trait 
ni  virgule  qui  tende  à  l'état  passif  :  un  saint  Basile  appelé  de  Dieu 
à  enseigner  les  plus  parfaits,  un  saint  Grégoire  de  Nazianze  si  su- 
blime dans  la  contemplation,  un  saint  Augustin  dont  nous  avons 
tant  de  hautes  instructions  sur  l'oraison,  des  oraisons  actuelles  si 
belles  et  si  expliquées  dans  ses  Soliloques ,  dans  son  livre  de  la 
Trinité  '"■,  dans  ses  autre.-;  livres,  outre  les  Confessions,  qui  dans 
toute  leur  étendue  ne  sont,  qu'une  perpétuelle  oraison,  sans  qu'on 
y  voie  aucun  vestige,  mais  plutôt  tout  le  contraire  de  ces  impuis- 
sances mystiques  :  en  un  mot  tous  les  autres  saints,  les  Cypriens, 
les  Chrysostomes,  les  Ambroises,  les  Bernards  même,  où  ces  états 
extraordinaires  purement  passifs  et  ces  actes  irréitérables  ne  se 
trouvent  pas ,  seroient  les  plus  imparfaits  de  tous  les  saints  :  et 
«  des  femmelettes  chargées  de  péchés,  menées  piu*  divers  désirs  %  » 
les  surpasseroient  en  amour  et  par  conséquent  en  sainteté  et  en 
grâce  :  ce  qui  n'est  rien  moins  que  de  dégrader  les  saints  et  leur 

1  Gersou.,   11!  part,.    ContiiL,  v,  vi ,  vu  ,  xi ,  etc.  —  -  S.  Augnst.,   Soh'/oq., 
.lib:    I,   c.   i;   De  Trinit.,  \ûi.    W,    c.    xxviii,   u.  51,   etc.   —  ^  l[    Tii/ioîh., 
III,  6. 


540  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  DORAISON. 

ôter  Vaiitorité  qiie  non-seulement  leur  doctrine^  mais  encore  leur 
sainte  vie  leur  donne  dans  l'Eglise. 

Enfin  c'est  une  doctrine  certaine  en  théologie  que  la  purification 
des  péchés  ne  dépend  point  de  ces  impuissances  ni  de  ces  purga- 
tions,  qu'on  nomme  passives,  ou  de  ce  purgatoire  des  mystiques 
anciens  ou  modernes  dont  nous  parlerons  en  son  lieu  :  et  saint 
Augustin  a  démontré  que,  sans  sortir  de  la  voie  commune,  par  le 
secours  des  aumônes,  des  oraisons  et  delà  mortification  chré- 
tienne, «les  fidèles  même  parfaits,  qui  ne  vivent  pas  ici  sans 
péclié,  méiitt»nt  d'en  sortir  purs d»^  tout  péché  :  l't  qtn  nonvivunt 
sinr  peccato,  mcrof/nfitr  liinc  exire  sine peccnto  ;  parce  que,  pour- 
suit ce  saint  docteur,  comme  ils  n'ont  pas  été  sans  péché,  aussi 
les  remèdes  pour  les  expier  ne  leur  mancpient  pas  :  Qiiin  ut  pcc- 
cntn  non  dcfitrrunf ,  itn  romedin  qxnhua  juirfjtirrtittir  nffue- 
riinl  '.  » 

r.onx-Ià  donc  (pii  se  sont  servis  de  ces  exjtialiotis  sont  iW'>  âmes 
entièrement  pures,  qui  parles  voies  ordinaires  sortent  sans  péché 
de  cette  vie  ;  et  s'il  est  vrai,  comme  l'élahlit  et  le  prouve  le  même 
Saint ,  que  «  la  perfection  de  la  justice  de  cette  vie  consiste  plus 
dans  la  rémission  des  péchés  rpie  dans  la  perfection  des  vertus  '  :  » 
ce  sont  des  justes  parfaits  qui  purifiés  de  tout  péché,  comme  il 
vient  de  dire,  et  ne  laissant  rien  entre  Dieu  et  eux  capalile  de  les 
sépanM' de  sa  vue,  sans  le  secours  de  ces  dons  extraordinaires, 
sont  admis  d'abord  à  la  vision  bienheureuse  conforinénient  à  cette 
parole  :  Bienheureux  ceux  qui  ont  le  cœur  pur,  car  ils  verront 
Dieu  \ 
dette  doctrine  convient,  tant  à  la  contem[ilation  infuse  qu'à 
''mâli/rc"  ^^^^^  H"'-  ^*^^  mystiques  appellent  acquise,  puisrpi'elles  ont  toutes 
de  it  dii-  deux  les  mêmes  propriétés  et  les  mêmes  efTi^ts.  Le  bienheureux 
entre  la  j,.,^p  ,],,  ],^  Ooix  suivi  (lo  tous  l(>s  mvstiriues,  denKinde  trois  carac- 

con(>'in-  •  ' 

pj^'"^"}  ^^;  tcres  nécessaires  et  inséparables  ,  «en  sorte  qiiil  faut  les  avoir 

''"'"•      du  moins  tous  trois  conjointement ,  »  pour  connoitre  si  l'on  est 

dans  la  voie  mystique  ;  c'est-à-dire ,  comme  il  l'explique ,  s'il 

faut  (|uitler  «  la  méditation  et  les  actes  des  puissances,  au  moins 

'  l'.pist.  fid  lli/nr.  olirn  LXXXix,  mine  CLVii,  rap.  i,  n.  3;  Scrni.  CLXXXi,  n.  8. 
—  ^  De  perfccl.  j'usl.  cap.  xv,  n.  J4,  etc.  —  ^  Mut/i.,  v,  8. 


ixx. 

InuliliK^, 


TRAITÉ  I,  LIVRE  YII,  N.  XXX.  Ml 

ceux  où  il  y  a  du  discours  '.  »  Or  l'un  de  ces  caractères  est  l'im- 
puissance de  faire  ces  actes  :  d'où  il  conclut  que  Ton  ne  peut  en 
sûreté  les  abandonner,  jusqu'à  ce  que  la  puissance  de  les  exercer 
manque  tout  à  fait.  Que  si  Ton  dit  qu'il  ne  parle  que  de  la  con- 
templation infuse,  je  répondrai  en  premier  lieu  qu'il  parle  d'une 
sorte  de  contemplation  qui  résulte  de  l'habitude  formée,  et  celle- 
là  est  l'acquise,  ou  il  n'y  en  a  point  de  ce  titre.  Je  dirai  en  se- 
cond lieu  que  ce  pieux  contemplatif,  sans  distinguer  la  contem- 
plation acquise  d'avec  l'infuse ,  parle  en  général  de  l'oraison  de 
quiétude,  et  prononce  décisivement  «  qu'il  ne  faut  laisser  la 
méditation  que  quand  on  ne  peut  point  s'en  servir,  et  lors  seu- 
lement que  Nostre-Seigneur  l'empeschera  ^.  »  Et  pour  ôter  toute 
difficulté,  Molinos,  qu'on  peut  citer  en  ce  lieu  comme  le  grand 
auteur  des  nouveaux  mystiques,  convient  qu'il  faut  avoir  la 
même  marque  pour  être  admis  à  la  contemplation  quïl  nomme 
acquise,  que  pour  être  reçu  à  celle  qu'on  nomme  infuse  ^  A  son 
exemple  les  nouveaux  auteurs  demeurent  d'accord  unanimement 
que  l'oraison  passive,  acquise  et  infuse  se  fait  en  nous  sans 
nous  :  que  personne  ne  s'y  peut  mettre,  et  eniîn  que  cette  im- 
puissance d'exercer  les  actes  de  discours  ou  de  propre  réflexion  et 
de  propre  effort ,  est  ce  signal  de  les  quitter  où  un  directeur  ex- 
pert ne  se  trompe  pas  \  Ainsi  cette  distinction  de  contemplation 
infuse  ou  acquise  ne  sert  de  rien  en  cette  occasion  qu'à  embrouiller 
la  matière  :  ce  qui  fait  aussi  que  nos  faux  mystiques  conviennent 
enfin  que  la  contemplation  acquise  ne  diffère  guère  d'avec  l'in- 
fuse; qu'elles  se  suivent  de  près,  si  elles  ne  sont  tout  à  fait  insé- 
parables ;  et  qu'elles  ont  toutes  deux  les  mêmes  caractères,  c'est-à- 
dire  ces  impuissances  auxquelles  l'homme  ne  contribue  rien,  et  où 
aussi  il  ne  peut  se  mettre  soi-même,  ni  y  être  mis  autrement  que 
par  la  puissante  opération  de  Dieu,  lorsqu'il  lui  plaît  de  tenir  l'ame 
dans  sa  dépendance  d'mie  façon  particulière  :  d'où  il  s'ensuit  clai- 
rement que  la  perfection  de  la  contemplation  acquise ,  aussi  bien 
que  celle  de  l'infuse,  n'appartient  en  aucune  sorte  à  la  grâce  jus- 
tifiante ,  mais  à  ces  dons  gratuits  qui  de  soi  ne  rendent  pas  l'homme 

1  Mont,  du  Cann.,  liv.  11 ,  cli.  xiil,  p.  72.  —  ^  Obic.  nuit.,  liv.  1,  ch.  x,  p.  257. 
—  3  Moliû.,  Guide,  Introd.,  sect.  il,  lii;  etc.  —  *  Moyen  court,  §  24,  p.  136,  138. 


542  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  DORAISON. 

meilleur,  encore  qu'ils  puissent  Vinduire  à  le  devenir  :  ce  qui  ren- 
verse par  le  fondement  tout  le  système  prétendu  mystique  des 
nouveaux  docteurs. 


LIYRK   VIII. 

Loctrine  de  soint  François  de  Sales. 


I 

Qu'on  ne 


Pour  achever  ce  que  j'ai  promis,  ii  laul  expluiuer  les  maximes 
""«pp!!^"'  <îu  saint  évrqiie  de  (Icnève,  (jue  j'ai  réserM'es  à  la  lin  iiour  les  ex- 
''^„"'"' poser  sans  interiiiption.  Kt  d'abord  on  doit  croire  cpi  il  n  iii  a 
.^î^df.'ln.  point  d'autres  (pie  celles  que  nous  avons  vues  si  clairement  auto- 
uc™hm"  risées  par  l'Kcriture  ,  par  la  tradition  et  par  les  mysti(jues  ap- 
prouvés. Si  jamais  il  y  eut  un  homme  qui  par  son  humilité  et  sa 
droiture  fût  ennemi  des  nou\ fautes,  c'est  sans  doute  ce  saiid  per- 
sonnai:»'.  11  n'y  a  cpi'à  l'etoufcr  dans  un»'  lettre,  où  avec  cette  in- 
comparalile  c^mdeur  et  simplicité  qui  fait  un  de  ses  plus  beaux 
caractères  :  «  Je  ne  sçay,  dit-il,  j'aime  le  train  des  saints  devanciers 
et  des  simples  :  »  à  quoi  il  ajoute  avec  la  même  humilité  :  «Je  ne 
pense  pas  tant  scavoir  que  je  ne  sois  aise,  je  dis  «'xtrémement  aise 
destre  aidé,  de  me  démettre  (W  mon  sentiment  •,  »  et  le  reste 
qu'l  laudra  [leut-ètre  rapporter  ailleurs.  Sans  doute  on  ne  doit 
attendre  aucune  siuirularité  dans  les  sentimens  d'un  tel  homme; 
et  aussi  lui  en  attriliuer,  ce  seroit  lui  ôt-r  r.iiif.,ii(.-  «iciit  on  vi- 
vent prévaloir. 
ai!!cj^     J*'  tlJs  donc  avant  toutes  choses  qu'il  ne  connoît  pas  ces  ma- 
'«i"iMil!°  nières  superbement  et  sèchement  désintéres.'îées ,  qui  font  établir 
dr«d"-.?  la  pi'rfi'clion  à  ne  ri»Mi  demander  pour  soi-même.  Si  je  voulois 
iii«"oifi're- cittu'  les  t'udroits  où  il  fait  à  Dieu  des  demandes,  et  où   il  en 
qu''ii"ii.  ordonne  aux  plus  parfaits,  jaurois  à  transcrire  une  juste  moitié 
iùn!.c^ne  de  st'S  Icttrcs  )  mais  j'aime  mieux  produire  sa  doctrine  que  ses 
pratiques,  et  la  Aolci  dans  le  dernier  des  entretiens  qu'il  a  faits  à 

'  Liv.  11,  ktl,  21. 


TRAITE  I,  LIVRE  VIII,  N.  IL  343 

ses  chères  filles  de  la  Yisilation,  et  qui  a  pour  titre.  :  Be  ne  rien 
demander. 

A  ce  titre  il  ne  paroît  pas  que  le  Saint  soit  favorable  aux  de- 
mandes, et  il  s'en  montre  encore  plus  éloigné  par  ces  paroles  : 
«  Je  veux  peu  de  choses  :  ce  que  je  veux,  je  le  veux  fort  peu;  je 
n'ay  presque  point  de  désirs  :  mais  si  j'estois  à  renaistre,  je  n'en 
aurois  point  du  tout.  Si  Dieu  venoit  à  moy,  j'irois  aussi  àluy  : 
s'il  ne  vouloit  pas  venir  à  moy,  je  me  tiendrois  là,  et  n'irois  pas  à 
hiy.  Je  dis  donc  qu'il  ne  faut  rien  demander  ni  rien  refuser,  mais 
se  laisser  entre  les  bras  de  la  Providence  divine  sans  s'amuser  à 
aucun  désir,  sinon  à  voiûoir  ce  que  Dieu  veut  de  nous*.  »  J'al- 
lègue ce  passage,  parce  qu'à  le  prendre  au  pied  de  la  lettre  c'est 
un  de  ceux  où  le  Saint  pousse  le  plus  loin  Tindifférence  et  l'exclu- 
sion des  désirs,  la  poussant  jusqu'à  celui  d'aller  à  Dieu.  Mais  par 
bonheur  il  a  lui-même  prévu  la  difficulté ,  et  on  en  trouve  six 
lignes  après  un  parfait  éclaircissement  dans  ces  paroles  :  «  Tous 
me  dites ,  poursuit  le  Saint ,  s'il  ne  faut  pas  désirer  les  vertus,  et 
que  Notre-Seigneur  a  dit  :  Demandez,  et  il  vous  sera  donné.  0  ma 
fille ,  quand  on  dit  qu'il  ne  faut  rien  demander  ni  rien  désirer, 
j'entends  pour  les  choses  de  la  terre  :  car  pour  ce  qui  est  des  ver- 
tus, nous  les  pouvons  demander  ;  et  demandant  l'amour  de  Dieu 
nous  les  comprenons ,  car  il  les  contient  toutes.  »  On  demande 
donc  les  vertus ,  et  on  demande  surtout  l'amour  de  Dieu  ou  la 
charité ,  qui  les  contient  ;  et  on  les  demande  pour  satisfaire  à  ce 
précepte  de  l'Evangile  :  Demandez.  On  n'est  donc  point  indifférent 
à  les  avoir  :  à  Dieu  ne  plaise  qu'on  attribue  à  un  homme  si  éclairé 
et  si  saint  une  si  étrange  indifférence,  car  il  la  faudroit  pousser 
jusqu'à  être  indifférent  à  aimer  ou  à  n'aimer  pas,  à  avoir  la  cha- 
rité ou  à  ne  l'avoir  pas.  Mais  le  Saint  marque  expressément  qu'on 
la  demande  et  avec  eUe  toutes  les  vertus. 

On  sait  dans  l'Ordre  de  la  Visitation  que  ce  dernier  entretien 
du  saint  évêque  à  ses  chères  filles  fut  fait  à  Lyon  la  veille  de  sa 
mort,  et  on  le  doit  regarder  comme  une  espèce  de  testament  qu'il 
leur  a  laissé.  Il  ne  s'agit  pas  des  imparfaits,  puisque  le  saint  parle 
ainsi  à  l'extrémité  de  sa  vie  pom"  expliquer  la  manière  dont  il  a 

1  Entret.  xxi ,  p.  904,  90o. 


544  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

exclu  ou  admis  les  désirs  dans  son  état  :  il  n'y  a  rien  de  plus  net; 
s'il  éloit  dans  les  maximes  des  nouveaux  mystiques  _,  il  diroit 
comme  eux  que  tout  ce  c^u'on  désire  ou  qu'on  demande  pour  soi, 
même  par  rapport  à  Dieu,  est  intéressé  :  mais  il  se  réduit  mani- 
festement à  l'exclusion  des  désirs  des  dioses  de  la  terre,  et  il  y 
apporte  en  ^ore  ce  tempérament  '  :  «  Je  ne  veux  pas  dire  pourtant 
qu'on  ne  puisse  pas  demander  la  santé  à  Nostre-Seignem*  comme  à 
celuy  qui  nous  la  peut  donner,  avec  cette  condition,  si  telle  est  sa 
volonté.  )•  Voilà  comment  il  nous  apprend  à  demander  les  biens 
temporels  sous  condition  ;  mais  pour  les  >  eitus,  il  n'en  a  pas  parlé 
de  même,  et  il  enseife'ue  avec  tous  les  saints  à  les  désirer  et  à  les 
demander  absolument.  Ce  n'est  donc  pas  à  ces  vrais  biens  qu'il 
étend  son  abandon,  ni  la  sainte  indilïérence  qu'il  prêche  par- 
tout. 

On  dira  que  celle  demaiide  eondilioune'lle  de  la  ^^aIlU'  est  un 
conseil  pour  les  inlirmes,  mais  non  :  car  il  l'approuve  il  ans  la 
sainte  veuve  (juil  n'a  cessé  délever  à  la  perfection  ;  «Vos  désirs, 
dit-il,  pour  la  vie  mortelle  (qu'ell"  désiroil  à  son  saint  conduc- 
teur) ne  me  déplaisent  point,  car  ils  sont  justes,  pourvu  qu  "ils  ne 
soient  pas  plus  grands  que  leurs  objets  méritent.  C'est  bien  fait 
sans  doute  de  désirer  la  vie  à  celuy  que  Dieu  vous  a  donné  pour 
conduire  la  vo.stre  *.  »  Yoilii  ce  qu'il  dit  à  celle  en  qui  il  témoigne 
tant  de  fois  qu'il  veut  éteindre  tout  désir  et  la  porter  au  dernier 
degré  de  Tinditrérence  ciu'éticnne.  Mais  c'est  que  l'indiUérence  de 
saint  François  de  Sales  n'étoit  pas  une  indolence,  ni  l'insensibilité 
des  nouveaux  mystiques,  qui  se  glorilieut  de  voir  tous  les  houunes 
non  pas  malades ,  mais  damnés ,  sans  s'en  émouvoir.  Le  saint 
évêquc  au  contraire  demande  partout  qu'on  désire  pour  un  ami, 
pour  un  père  ou  temporel  ou  spirituelle  ce  (jui  convient  :  «  car, 
dit-il,  il  ne  faut  pas  demeurer  sans  atlection,  ni  les  avoir  égales 
et  indifférentes  :  il  faut  aimer  chacunj  en  son  degré  •'.  »  Ainsi 
l'inditférence  qu'il  enseigne  n'empéclie  pas  une  juste  et  vertueuse 
pente  de  la  volonté  d'un  côté,  mais  il  veut  en  même  temps  qu'elle 
soit  soumise. 

'  Enlrel.  xxi,  p.  905.  —  *  Liv.  1 V;  op.  xciv.  —  3  Entiol.  vm.  De  /a  desapprop., 
p.  833. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  VIII,  N.  III,  lY.  ri45 

L'on  dira  nue  ce  dénouement  n'est  pas  suffisant  pour  entendre     m. 
toute  la  doctrine  du  Samt ,  m  même  pom*  bien  expliquer  le  lieu  tirces  de, 
allégué  de  l'entretien  xxi ,  puisqu'il  y  pousse  l'exclusion  de  tout  ^aint  Ivc- 
désir,  en  cas  qu'il  eût  à  renaître ,  jusqu'au  désir  d'aile?'  à  Dieu , 
et  jusqu'à  prononcer  ces  paroles  :  «  Si  Dieu  venoit  à  moy ,  j'irois 
aussi  à  luy  :  s'il  ne  vouloit  pas  venir  à  moy,  je  me  tiendi'ois  là  ^  » 
Ce  cfui  marque  une  indifférence  même  pour  les  choses  de  Dieu , 
même  pour  aller  à  lui.  On  voit  aussi,  dans  le  Traité  de  V amour  de 
Dieu,  un  chapitre  dont  le  titre  est  :  Que  la  sainte  indifférence  s'é- 
tend à  toutes  choses  ^.  C'est  à  quoi  se  rapporte  encore  la  compa- 
raison de  la  statue  ^,  à  qui  le  Saint  fait  ressembler  l'ame  indiffé- 
rente pour  lui  ôter  tout  désir  et  tout  mouvement  ;  celle  du  musi- 
cien sourd,  et  les  autres  qui  semblent  pousser  l'indifférence^  qu'il 
nomme  amoureuse ,  au  delà  de  toute  mesure.  Il  semble  aussi  ex- 
clure de  la  charité  le  désir  de  posséder  Dieu,  c'est-à-dire  celui  du 
salut  et  de  l'éternelle  récompense,  et  rapporter  ce  désû*  à  l'amour 
qu'on  appelle  d'espérance,  qui  selon  lui  n'est  pas  un  amour  pur, 
mais  un  amour  intéressé  *.  Et  voilà  fidèlement ,  sans  rien  ména- 
ger, tout  ce  qu'on  peut  tirer  de  la  doctrine  du  Saint  en  faveur  des 
nouveaux  mystiques. 

Mais  pour  peu  qu'on  eût  de  bonne  foi,  on  ne  formeroit  pas  ces     iv. 
difficultés;  car  je  voudrois  demander  à  ceux  qui  les  font  s'ils  veu-  pa.-  trou 
lent  attribuer  à  saint  François  de  Sales  une  opinion  qui  diroit ,    dont  la  ' 
que  désirer  de  voir  Dieu  est  un  acte  qui  n'appartient  pas  à  la  cha-   .^^t  :  si 
rite,  ou  que  cet  acte  est  indifférent  au  chrétien,  ou  que  le  chrétien 
est  indifférent  à  avoir  la  vertu  ou  ne  l'avoir  pas.  Il  faudroit  être   àési 

?cin    salut. 

insensé  pour  prendre  l'affu'mative  sm"  aucmie  de  ces  trois  ques-  «écui.,i, 

lia   sailli 

tions  ;  mais  pour  un  entier  éclaircissement  répondons-y  par  ordre,   m  ses 

.  pruprej 

,  Ma  première  question  a  été  :  Si  l'on  veut  attribuer  à  ce  oamt  paroiei. 
une  opinion  où  l'on  diroit  cpie  le  désir  de  voir  Dieu  n'appartient 
pas  à  la  charité  :  mais  nous  avons  déjà  vu  que  ce  seroitlui  attri- 
buer une  opinion  que  personne  n'eut  jamais,  puisque  toute  la 
théologie  est  d'accord  que  désirer  son  salut  par  conformité  à  la 
sainte  volonté  de  Dieu,  comme  une  chose  qu'il  veut  que  nous  vou- 

1  Entret.  xxi,  p.  904.  —  ^  ljv.  ix,  ch.  v.  —  »  Liv.  V! ,  ch.  xi;  Lettr.,  liv.  11, 
p.  53.  —  *  Am.  de  Dieu,    liv.  11  ,   ch.  xvi,  xvii,  xxil. 

roM.  xviii.  35 


sse   ili' 


346  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

lions,  et  encore  le  désirer  comme  une  chose  où  Dieu  met  sa  gloire, 
c'est  un  acte  d'un  vrai  et  parfait  amour  de  charité,  que  David  a 
exercé  lorsqu'il  a  dit  :  /e  ne  désire  de  Dieu  qu'une  seule  chose  *  : 
que  saint  Paul  a  exercé  lorsqu'il  a  dit  :  Je  désire  d'être  avec  Jésus- 
Christ  -  :  et  que  tous  les  Saints  exercent  lorsqu'ils  demandent  à 
Dieu  que  son  règne  avienne.  Voilà  un  fondement  certain ,  qu'on 
ne  peut  faire  ignorer  à  saint  François  de  Sales ,  sans  en  même 
temps  lui  faire  ignorer  les  premiers  principes,  et  ceux  qu'il  a  lui- 
même  le  mieux  établis.  Et  pour  ne  laisser  ici  aucun  embai'ras,  je 
n'ai  besoin  que  de  deux  ou  trois  chapitres  où  il  parle  de  ceux  qui 
nieiirt'iit  d'amour  pour  Dieu.  Ceux-là  sans  doute  sont  dans  la  par- 
faite charité  selon  le  Saint,  comme  il  paroît  par  un  chapitre  qui 
porte  ce  titre  :  Que  le  suprême  effet  de  Itnnnur  effectif  est  la  mort 
des  atnans  ';  où  il  les  distingue  en  deux  classes,  dont  l'mie  est  de 
ceux  qui  moururent  en  atnour  * ,  et  l'autre  qui  sans  doute  est  la 
plus  parlaite  ,  puisque  c'est  celle  où  il  met  la  sainte  Vierge  et 
Jésus-Christ  même,  est  de  ceux  qui  meurent  d'amour  ^  Or  et  les 
uns  et  les  autres  meurent  on  désirant  de  jouir  de  Dieu.  Notre  Saint 
range  dans  la  première  classe  saint  Thom^is  d'Aquin,  à  cpii  il  fait 
dire  en  mourant  ces  paroles  du  Cantique,  qui  étoient  les  dernières 
qu'il  avoit  exposées  :  Venez,  6  mon  cher  bien-aimé  et  sortons  en- 
semble aux  champs  '.  11  mourut  avec  cet  élan,  qui  est  sans  doute 
un  élan  d'amoui',  et  en  même  temps  un  élan  qui  appelle  Jésus- 
Christ,  et  un  désir  de  sortir  du  corps  pour  aller  se  perdre  dans  ce 
champ  innnense  de  l'être  divin.  Voilà  pour  ceux  qui  meurent  en 
amour  et  dans  l'exercice  actuel  de  la  charité.  Parmi  ceux  qui 
meurent  d'amour,  il  compte  saint  François  d'Assise  ',  et  en  même 
temps  il  remarque  qu'il  mourut  en  disant  avec  David  :  «  Tirez- 
moi  de  la  prison  ;  les  justes  m'attendent  jusqu'à  ce  que  vous  me 
donniez  ma  récompense  *.  » 

11  raconte  dans  le  chapitre  suivant  l'histoire  merveilleuse  d'un 
gentilhomme ,  qui  après  avoir  visité  tous  les  saints  lieux,  alla 
mourir  d'cmiour  sur  le  mont  d'OUvet^,  d'où  Jésus-Christ  étoit 

>  Psal.  XXVI,  4.  —  «  Phil.,  I,  23.  —  «  Liv.  VII,  ch.  i.\.  —  *  Ibid.  —  »  Ibid., 
ch.  x;  Ibid.,  ch.  xiu  et  xiv.  —  «  Ibid.,  cap.  ix.  —  '  Ibid.,  c.  xi.  —  •  Psal. 
CXLI,  8.-9  Liv.  VII ,  ch.  XII. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  VIII,  N.  V.  ?ilT 

monté  aux  cieux.  On  ne  peut  douter  que  cet  homme  n'eût  l'amour 
dans  une  grande  perfection,  puisqu'il  en  mourut;  et  que  saint 
Bernardin  de  Sienne ,  dont  le  saint  évêque  a  tiré  cette  histoire , 
raconte  qu'étant  ouvert  on  trouva  gravé  dans  son  cœur  :  Jésus 
mon  amour.  Or  ce  bienheureux  et  parfait  amant  dont  le  cœur, 
dit  notre  Saint,  s'estait  éclaté  d'excès  et  de  ferveur  d'amour,  étoit 
mort  en  disant  ces  paroles  :  «  0  Jésus!  je  ne  sçay  plus  où  vous 
chercher  et  sm\Te  en  terre  :  Jésus  mon  amour,  accordez  donc  à 
ce  cœur  qu'il  vous  suive  et  s'en  aille  après  vous  là  haut  :  et  avec 
ces  ardentes  paroles  il  lança  quant  et  quant  son  ame  au  ciel  comme 
un  trait,  comme  une  sagette  sacrée,  ))  dit  notre  Saint.  Yoilà  comme 
meurent  ceux  qui  meurent  d'amour,  et  non-seulement  ils  désirent 
d'aller  posséder  Jésus-Christ  ;  mais  encore  c'est  leiu"  désir  qui  lance 
leur  ame  vers  ce  divin  objet. 

Ce  seroit  en  vérité  un  prodige  parmi  les  chrétiens,  de  dire  que     )'-, 
le  désir  de  voir  Dieu  et  d'arriver  au  salut,  ne  fût  pas  un  désir  d'un  -'»"<'<''  "J" 

^  ^  S.iinl,  pour 

amour  pm';  mais  puisque  nos  mystiques  en  veulent  douter,  et  Jo'"<|^^^.j"^ 
qu'Ds  veulent  s'autoriser  de  saint  François  de  Sales,  il  faut  encore  ^"'»""  }" 

■*■  .  -^  desu-  de 

leiu"  faire  voir  sm'  quels  principes  il  a  accordé  la  pureté  d'un  son^aïut 
amour  désintéressé  avec  le  désir  de  la  jouissance.  Or  ce  principe 
est  connu  de  toute  la  théologie ,  et  n'est  autre  que  celui  que  nous 
avons  vu ,  qui  est  que  Dieu  voulant  notre  salut ,  il  faut  que  nous 
le  vouhons ,  afin  de  nous  conformer  à  sa  volonté  par  un  saint  et 
parfait  amour.  Mais  peut-on  croire  que  notre  Saint  ait  ignoré  ce 
beau  principe,  après  qu'il  a  dit  :  «  Il  nous  faut  estre  charitables  à 
l'endroit  de  nostre  ame  *?  »  Et  après  :  «  Ce  que  nous  faisons  pour 
nostre  salut  est  fait  poiu?  le  service  de  Dieu ,  car  Nostre-Seigneur 
mesme  n'a  fait  en  ce  monde  que  nostre  salut.  »  Mais  il  pousse 
cette  vérité  jusqu'à  soîi  premier  principe  dans  le  Traité  de  l'amour 
de  Dieu,  où  il  pose  d'abord  ce  fondement  :  «  Dieu  nous  a  signifié 
en  tant  de  sortes  et  par  tant  de  moyens  qu'il  vouloit  que  nous 
fussions  tous  sauvez,  que  nul  ne  le  peut  ignorer  -.  »  Et  après  : 
«  Or  bien  que  tous  ne  se  sauvent  pas,  cette  ^^olonté  néanmoins  ne 
laisse  pas  d'estre  une  \Taye  volonté  de  Dieu ,  qui  agit  en  nous 
selon  la  condition  de  sa  nature  et  de  la  nostre.  »  Voilà  donc  deux 

1  Liv.  ill,  ép.  XXX.  —  -  Liv.  VIII,  ch.  iv. 


548  INSTRUCTION  SIR  LES  KTATS  D0R.\1S0N. 

vérités  constantes  :  Tune,  que  Dieu  veut  que  nous  soyons  tous 
sauvés  ;  l'autre,  qu'il  le  veut  d'une  vraye  volonté.  D"où  il  suit  que 
celui  qui  veut  son  salut,  agit  en  conformité  de  la  volonté  de  Dieu, 
et  conséquemment  par  amour.  Et  en  effet  c'étoit  cet  amour 
qu'exerçoit  le  Roi-Prophète  en  disant  :  «J'ai  demandé  une  chose, 
et  c'est  celle-là  que  je  pom'sui^Tai  à  jamais  :  que  je  voye  la  vo- 
lupté du  Seifrueur ,  et  que  je  visite  son  temple  :  mais  quelle  est, 
dit  le  saint  é\  èque  de  (ienèA  e,  la  volupté  de  la  souveraine  bonté, 
sinon  de  se  répandre  et  communiciuer  ses  perfections?  Certes  ses 
délices  sont  destre  avec  les  enfans  des  hommes  pour  verser  sa 
grâce  sur  eux  '.  »  C'est  donc  aimer  Dieu  véritaldement  et  pour  sa 
bonté,  (pic  d'aimer  cette  souveraine  lionté  dans  l'exercice  (jnelle 
aime  le  plus,  qui  est  celui  d'opérer  notre  sidut.  C'est  là  sans  doute 
un  acte  de  vrai  et  parfait  amour,  puisque  c'est  un  acte  (pii  nous 
fait  aimer  non-seulement  la  volonté ,  mais  encore  la  volupté  du 
Seigneur  en  nous  faisant  aimer  notre  salut ,  parce  (ju'ajoute  le 
Saint  après  saint  Panl ,  «  nostre  sanctification  est  la  volonté  de 
Dieu,  t'I  ndstre  salut  son  bon  plaisir;  et  il  n'y  a,' poursuit -il,  nulle 
dillerence  entre  le  bon  plaisir  ni  la  bonne  volupté ,  ni  par  consé- 
quent entre  la  bonne  volupté  et  la  bonne  volonté  divine;  »  par 
conséquent  il  n'en  faut  j)oint  faire  non  plus  entre  l'amour  de  notre 
salut  dans  cette  vue,  et  l'amour  de  cliarité  qui  nous  fait  aimei" 
Dieu  pour  Dieu  et  pour  sa  bonté  souveraine. 
VI.         Il  a  pratiqué  ce  «pi'il  a  cm  :  lont  est  rempli  dans  s<\s  Lettres  de 

Nulle  in-  ,  . 

d.iTercnfe  lii  ccleslc  palric  :  «  U  Dieu!  dit-il.  ma  Ires-chere  mère,  annons 

pjiir  le  9.1-  .  !•      •  1    • 

lui  d.nj  le  pariailemeut  ce  divm  obji't  (jui  nous  prépare  tant  de  douceurs 
que  de  daus  Ic  cicl,  ct  cnennnons  nuit  et  jour  entre  les  épines  et  les  roses 
pour  arriver  à  cette  céleste  Jérusalem  *.  »  C'est  ainsi  qu'il  aspiroit 
incessamment,  (pioirpiinsensiblement  pour  ta  plupart  du  temps, 
à  runioii  au  cœur  ih;  Jésus,  et  se  remplissoit  d'une  certaine  af- 
lluence  du  sentiment  (]ue  nous  aurons  pour  la  \ ne  de  Dieu  en 
paradis.  Voilà  comme  il  étoit  iiidifférent  pour  cette  inedable  béa- 
titude. En  vérité  il  ne  songeoit  guère  à  se  désintéresser  à  la  ma- 
nière de  nos  mystiques  :  «  U  Dieu  !  dit-il ,  quels  soupirs  devoit 
jeter  Moyse  à  la  veuë  de  la  terre  promise  '?  »  Pourquoi  ces  sou- 

'  Liv.  Vlll,  rn\^.  iv.—  s  Liv.  IV,  l'-p.  LXXXIX.  —  ^  Liv.  V,  ép.  i. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  Vlll,  N.  VI.  549 

pirs?  et  que  ne  se  dépouilloit-il  de  cet  intérêt?  En  parlant  à  mie 
ame  sainte ,  «  à  qui  il  ne  permet  pas  de  lire  les  livres  où  il  estoit 
parlé  de  la  mort,  du  jugement  et  de  l'enfer,  à  cause,  dit-il,  qu'elle 
n'avoit  pas  besoin  d'estre  poussée  à  vivre  chrestiennement  par 
les  motifs  de  la  frayem'  ;  ame  qui  par  conséquent  estoit  élevée  à 
cette  parfaite  charité  qui  bannit  la  crainte  :  il  luy  conseille  de 
s'entretenir  et  d'aimer  la  félicité  éternelle,  et  de  faire  souvent  des 
actes  d'amom*  envers  Nostre-Dame ,  les  Saints  et  les  anges  céles- 
tes, pour  s'apprivoiser  avec  eux;  et  parce  qu'ayant  beaucoup 
d'accès  avec  les  citoyens  de  la  céleste  Jérusalem  il  luy  faschera 
moins  de  quitter  ceux  de  la  terrestre  ou  basse  cité  du  monde  K  » 
Il  étoit  temps  de  proposer  à  une  ame  d'une  si  parfaite  charité 
l'oubh  des  récompenses  éternelles ,  et  de  lui  défendre  les  livres 
qui  lui  en  parloient,  comme  ceux  qui  lui  parloient  de  l'enfer  et 
du  jugement;  mais  au  contraire  il  nourrit  son  amour  parfait  de 
cette  douce  espérance  :  «  Usez,  dit-il,  toujom\s  de  paroles  d'a- 
mour et  d'espérance  envers  Nostre-Seigneur  :  »  pour  se  détacher 
du  monde,  iWexhortoit  à  songer  toujours  à  cette  vie,  à  cette  féli- 
cité éternelle.  Etoit-ce  pour  affoiblir  son  amour?  N'étoit-ce  pas 
plutôt,  comme  il  dit  lui-même  en  tant  d'endroits,  que  cette 
céleste  Jérusalem  est  le  lieu  où  règne  ramant,  et  un  lieu  par 
conséquent  qu'une  ame  qui  aime  ne  peut  pas  ne  point  aimer  ? 
C'est  pourquoi  aussi ,  loin  de  se  croire  lui-même  intéressé ,  ou 
plus  imparfait  dans  le  désir  qui  le  possédoit  d'être  avec  Dieu, 
au  contraire  avec  sa  bonté  et  simplicité  admirable  il  avoue 
«  qu'il  trouve  son  ame  un  peu  plus  à  son  gré  qu'à  l'ordinaire, 
parce  qu'il  la  voit  plus  sensible  aux  biens  éternels  ^  »  Et  pour 
montrer  que  c'étoit  un  pur  et  parfait  amour  qui  lui  faisoit  pousser 
tous  ces  désirs  vers  la  céleste  patrie  :  «  Pom*  moy,  dit-U,  je  n'ay 
rien  sçu  penser  ce  matin  qu'en  cette  éternité  de  biens  qui  nous 
attend ,  mais  en  laquelle  tout  me  sembleroit  peu  ou  rien ,  si  ce 
n'estoit  cet  amom^  invariable  et  toujours  actuel  de  ce  grand  Dieu 
qui  y  règne  toujom's  '.  »  Yoilà  donc  cet  amour  toujours  actuel, 
mais  uniquement  dans  le  ciel  ;  car  s'il  l'avoit  sur  la  terre ,  dès 
la  terre  il  seroit  content.  Voilà  un  homme  tout  possédé  de  cette 

1  Liv.  \',  ép.  XXVIII.  —  i  Liv.  Vij  ép.  Lvn.  —  3  Liv.  Vli^  ép,  xxxi. 


y^O  niSTRlTTIûN  SIR   LES  ETATS  D'ORAISON. 

('temitê  do  /tiens,  mais  qui  trouve  que  le  plus  grand  bien  ou  ]p 
seul ,  (•  est  que  lamour  n'y  est  jamais  discontinué  :  et  une  ame 
faussement  mystique  s'imagrinera  être  plus  parfaite  qu'un  si 
grand  Saint ,  à  cause  qu'elle  aura  dit  dédaigneusement  qu'elle 
ne  sait  sur  quoi  arresfcr  un  desiî' ,  pas  mesme  sur  les  joyes  du 
paroflis. 
^"  Ainsi  le  saint  évêtjue  de  Genève  ,  loin  de  dire  qu'aimer  son  sa- 
..on  fit  lut  OU  désirer  de  Jouir  de  Dieu  ne  soit  pas  un  acte  de  chante,  a 

deux  prin-  '  11- 

cipt..  vit  démontré  le  contraire  par  les  exemples  des  samts  et  par  deux 

le  «àinl  ,  ,  .     .  ,      . 

e.*que  ur  ralsous,  (louf  l'uue  est  qu  en  désirant  son  salut  on  se  conforme  a 
p.i  rriie  ja  voloute  de  llieu;  et  l'autre,  que  ce  desir  n  est  (pi  \\\\  desir  d  un 
«  pour ir  amour  toujours  actuel ,  invariable  et  parlait.  Mais  des  la  toutes 

••lui,  qu»  ,  -i-j  11 

\tt  non-  nos  (Tuestions  sont  résolues.  Si  le  >Tai  desir  de  son  salut  enferme 
uqu».»cu-  wx\  parfait  amour  .  on  ne  p»*ut  pas  y  être  indilierent.  ?Se  laissons 

l»nl  inlro-  .  ,  "  •  i  •        i 

'«''•"■       pas  f(>utff(»is  d'enfoncer  cette  matière  ;  et  pour  mieux  développer 
la  (liHiriiif  ili"  ce  siiint  évè(pie,  écoutons  en  ([iioi  il  ni«'f  sou  in- 
dilltTciiee. 
VIII  Ou  ne  peut  srtomier  assez  rpi'on  se  soit  trompe  sur  ce  sujet-là. 

Eu    quui 

le  si.nl  après  le  soin  (lu'il  a  pris  en  tant  d'endroits  de  réduire  cette  mdif- 

flUblilU       '  '  ,,      .  .      .  %      y  •         tx  t  •       1.    1 

•«nu-  in.  férence  à  ce  (ui'il  appelle  u>s  evenemens  de  la  vie.  On  a  of))ecte  le 

H.irér«nc«  ,  •       i-ir-  >   '  i      • 

fhr*i.en.  chapitre  qui  a  jiour  titre  :   Que  In  sainte  inaiflcreme  s  elenn  a 

lie .  ri  i|i.r  ■  <        ,  i  i         •  i  «  'il 

«nr.ij.  toutes  choses^;  mais  c  est  par  cet  endroit  même  fpie  se  n'sout  le 

ia4U   pour  .  •  .  •       1  •  /r>  '  I  •      •  1  1-1 

|«  "lui-  plus  nettement  la  dil limite.  <(  L  indifierence,  dif-il ,  se  doit  prati- 
ipier  es  choses (jui  re^^ardent  la  vie  naturelle,  comme  la  santé,  la 
maladie,  la  beauté,  la  laideur,  etc.  ;  es  cho.ses  qui  regardent  la  vie 
.  ivile.  pour  l»'s  honneurs,  rangs,  richesses  :  es  variétez  de  la  vie 
spirituelle,  comme  sécheresse,  consolations,  gousfs.  ariditez  :  es 
actions,  es  souIVrancHS,  »'t  en  somme  à  toutes  sortes  «l'événe- 
inens.  »  On  voit  <pie  parmi  les  choses  où  lindilterence  s'étend,  il 
ne  comprend  pas  le  salut  :  à  Dieu  ne  plaise.  Il  rapporte  l'exemple 
^^'  .loi)  alUivrf.  (piant  à  la  vie  naturelle,  quant  à  la  civile  ,  quant  à 
la  r/f  sp/rifar/lr/iar  pressures,  convulsinns,  anr/oisse:<,  tenehres,  etc. 
LiiKlillércncedu  Saint  s'étend  jusque-là,  mais  non  pas  outre.  Il 
produit  ce  beau  passage  de  saint  Paul,  où  il  nous  annonce  une 
générale  indifférence  :  mais  c'est  es  tribulations ,  es  nécessitez  et 

'  Ain.  (if  Dieu,  liv.  IX,  ch.  v. 


TRAITÉ  î,  LIVRE  VIII,  N.  IX,  X.  oSl 

angoisses,  etc.,  à  droite  et  à  gauche,  par  la  gloire  et  par  l'abjec- 
tion, et  autres  de  cette  nature  qui  se  rapportent  aux  divers  évé- 
nemens  de  la  \'ie. 

La  raison  fondamentale  de  cette  doctrine,  c'est  que  l'indifférence     ix. 
ne  peut  tomber  sur  la  volonté  déclarée  et  signifiée  de  Dieu  ;  au-  ^JXàeu 
trement  il  deviendroit  indifférent  de  vouloir  ou  ne  vouloir  pas  ce  préxldèn' 
que  Dieu  déclare  qu'il  veut.  Or,  dit  le  Saint  \  la  doctrine  chré-  deu^Jr- 
tienne  nous  propose  clairement  les  vérités  que  Dieu  veut  que  nous  lonifs  '«".' 
croyions,  les  biens  qu'il  veut  que  nous  espérions,  les  peines  qu'il  ^""' 
veut  que  nous  craignions,  ce  qu'il  veut  que  nous  aimions,  lescom- 
mandemens  qu'il  veut  que  nous  fassions,  et  les  conseils  qu'il  veut 
que  nous  suivions.  En  tout  cela  donc  il  n'y  a  point  d'indifférence  : 
par  conséquent  il  n'y  en  a  point  pour  le  salut  qu'il  îdcyii  espérer , 
parce  que  c'est  la  volonté  signifiée  de  Dieu  ;  c'est-à-dire  «  qu'il 
nous  a  signifié  et  manifesté  cpi'il  veut  et  entend  que  tout  cela  soit 
cru,  espéré,  craint,  aimé  et  pratiqué.  »  C'est  à  cette  volonté  de 
Dieu  que  nous  devons  conformer  notre  cœur,  «  croyans  selon  sa 
doctrine,  espérans  selon  ses  promesses ,  craignans  selon  ses  me- 
naces, aimans  et  vivans  selon  ses  ordonnances.  » 

Par  ce  moyen  l'indifférence  étant  excluse  à  l'égard  des  choses 
qui  tombent  sous  la  volonté  déclarée  ou  signifiée,  parmi  lesquelles 
est  comprise  la  volonté  de  se  sauver  :  il  a  fallu,  comme  a  fait  le 
Saint,  restreindre  l'indifférence  chrétienne  à  certains  événemens 
qui  sont  réglés  par  la  volonté  de  bon  plaisir ,  dont  les  ordres 
souverains  décident  des  choses  qui  arrivent  journellement  dans 
tout  le  cours  de  la  vie,  comme  de  la  mort  d'une  mère,  ou  du  suc- 
cès des  affaires,  qui  sont  les  exemples  par  lesquels  le  saint  évêque 
détermine  ses  intentions  dans  tout  ce  discours  ^. 

Il  est  vrai  qu'il  a  loué  auparavant  ^  cette  héroïque  indifférence      x. 
de  saint  Paul  et  de  saint  Martin  qui  sembloit  s'étendre  jusqu'au  surfinài" 
désir  de  voir  Jésus-Christ  ;  oui,  sans  doute,  non  quant  au  fond,  de  ÀXU\. 
le  voir  ou  ne  le  voir  pas  absolument  ;  car  qui  pourroit  souffrir  Martin!"" 
cette  indifférence  ?  ou  qui  jamais  a  été  moins  indifférent  que  saint 
Paul  sm^  ce  sujet?  Mais  quant  au  plus  tôt  ou  au  plus  tard,  qui  est 

1  Am.  de  Dieu,  liv.  VIII,  ch.  m.  —  '^Ihid.,  liv.  IX,  ch.  vi.  -  î  Ibid., 
ch.  IV. 


552  INSTRITTION  SUR  LES  KTATS  DnRAlSON. 

lUir  (\  osf  appartontintp  aux  évenemeiis ,  puisqu'elle  dépend  du 
momeut  de  notre  mort. 

^''■.  Les  événemens  dont  il  parle,  et  qui  font  l'objet  de  la  sainte  in- 
fifréreuce  chrétienne,  sont  ceux  qui  se  déclarent  tous  les  jours  pur 
les  ordres  de  la  divine  Providence.  11  répète  la  même  doctrine 
dans  un  E/Ure(ien  admirable  ',  où  l'on  trouve  un  clair  dénoue- 
ment de  toutes  les  difficultés,  et  toujours  sur  le  fondement  de  ces 
deux  volontés;  «  Time  signifiée,  et  l'autre  de  bon  plaisir ;\;\.- 
(juell  .  dit-il ,  regarde  les  événemens  des  choses  que  noiLs  ne 
pouvons  pas  prévoir  :  c^iume  par  exemple  :  Je  nesç^iy  si  je  mour- 
ray  demain,  et  ainsi  du  reste.  De  me.srae,  continue-t-il,  il  arri- 
vera (|ue  vous  n'aurez  pas  de  (•ons4  liât  ion  dans  vos  exercices  .  il 
est  eerlain  que  c  fst  le  bon  })laisir  d«*  Uieu.  ('.'est  pourquoy  il  faut 
demeiu-er  avec  une  extrême  indilference  entre  la  consolation  et  la 
désolation.  De  mesnie  en  faut-il  faire  d;uis  toutes  les  choses  (|ui 
nous  arrivent.  » 

Ml.         (l'est  là  aussi  ce  qu'il  appelle  l'abandonniMnent  qui  est  .  selon 

1  !'."J lui,  M  la  vertu  de.s  vertus;  et  ce  n'est ,  dit -il .  autre  rlio.se  (|u  une 

"  '■'■■"'  ''  ' 

parfaite   indilTerence   à    pH'evoir  toute  sorte  di'veneineiis  selon 

ipi  ils  arrivent  ',  »  «'t  selon  «pi'il  plait  à  l)ieu  tpi"ils.sede\elopp«*nt 
journellement  à  nos  yeux,  tant  dans  la  vie  naturelle  par  les  mala- 
dies et  autres  choses  «««lublables,  (jue  dans  la  vie  spirituelle  parla 
srcheresse  ou  par  la  consolation ,  comme  nous  venons  de  l'en- 
tendre tant  et  tant  de  fois  de  .sa  bouclu*. 
oîi'lnn.      •''*  I»'»iirrois  ici  rapporter  ime  infinité  de  pa.ssiiges  decetincom- 
iro,...  ,a.  paj..||^i,>  directeur  «les  âmes,  mais  <-eux-ci  suflisenl  ;  et  i'a.ssurerai 
',",''■"  siuis  crainte  (luVn  tant  de  lieux  où  il  parle  de  la  .sainte  indi  (Té- 
pr,.p.rcr  ppi^p,,   j]  ,jp,  j^'pQ  trouvera  pas  un  seul  où  il  soit  .sorti  des  borne.s 
^*"^n^    qu'on  vient  de  voir,  et  où  il  ait  seulement  nommé  le  salut  .  au 
hi"'.!  "•  •■<*'draire  il  a  .supjMJsé  que  rindiirérenee  ne  tomboit  pas  sur  cet 
'7r'r  i.  '  ol>;et-là,  pui.sque  la  volonté  de  Dieu  s'est  déclarée  sur  l'espérance 
"uTJ^  auï-si  bien  que  sur  le  désir  qu'il  en  faut  avoir;  et  il  a  si  peu  pensé 
pttMce.  jjjjj,  ç|,  divin  commandement  ne  .s'étendît  pas  aux  plus  parfaits, 
que  p.rlantde  lame  parfaite,  de  l'ame  (|ui  est  |)arvenue  à  l'excel- 
lente dignité  d'Kpouse,  ((  de  cette  admirable  amante  qui  voudroil 
'  Enlr.  n  ,  p.  803.  —  l'nd.,  p.  803,  801. 


TILViTE  j,  liVRE  Viii,  N.  XIV.  .Sci3 

ne  point  aimer  les  gousts,  les  délices,  les  vertus  et  les  consola- 
tions spirituelles,  de  peur  d'estre  divertie ,  poui'  peu  que  ce  soit, 
de  l'unique  amour  qu'elle  porte  à  son  bien-aimé ,  il  luy  fait  dire 
que  c'est  luy-mesme  et  non  ses  dons  cju'elle  recherche  ^  »  Elle  le 
recherche  donc  ;  et  loin  d'être  indifférente  à  le  posséder  comme 
nos  froides  et  fausses  mystiques,  elle  s'écrie  à  cette  intention  . 
«  Hé  !  montrez-moy,  mon  bien-aimé,  où  vous  paissez  et  reposez, 
afin  que  je  ne  me  divertisse  point  après  les  plaisirs  qui  sont  hors 
de  vous  -.  »  Tant  il  étoit  natm'el,  en  parlant  des  sentimens  des 
parfaits,  d'y  joindre  comme  le  comble  de  la  perfection  le  plus  vif 
désir  de  posséder  Dieu. 
Nous  avons  résolu  les  deux  premières  difficultés  que  nous     ^iv. 

Si  le  Siiiiit 

avions  proposées  ^  :  l'une,  si  l'on  peut  attribuer  au  Saint  la  pensée  »  "»  q»  'i 

ne     r.tlluil 

que  le  désir  du  salut  n'appartienne  pas  à  la  charité  ;  l'autre,  si  l'on  pas  dési- 

rer  on  de- 

peut  Ini  faire  accroire  qu'il  ait  tenu  cet  acte  pour  indifféi'ent  au  mandcries 

vertu?,    et 

chrétien.  Par  là  se  résout  encore  la  troisième  difficulté  sur  Tin-  «n  quel 

sens  il  a  dit 

différence  pour  les  vertus.  Car  puisqu'elles  appartiennent  à  la  vo-  a^on  en 

doit  perdre 

lonté  signifiée,  c'est-à-dire  à  l'exprès  commandement  de  Dieu  il  le  goût. 
n'y  a  point  là  d'abandon  ni  d'indifférence  à  pratiquer  :  ce  seroit 
une  impiété  de  s'abandonner  à  n'avou"  point  de  vertus,  ou  de  de- 
meurer indiffèrent  à  les  avou'.  C'est  pourquoi  le  Saint  nous  a  dit 
dans  Y  Entretien  xxi  qu'il  les  faUoit  demander,  et  les  demander 
non  sous  condition,  mais  absolument,  et  demander  la  charité  qui 
les  contient  toutes  :  et  s'il  dit  dans  le  passage  qii'on  vient  de  pro- 
duire, que  l'ame  parfaite  désire  de  ne  point  gouster  les  vertus;  il  a 
expliqué  aillem's,  que  ne  les  point  goûter,  ce  n'est  point  être  in- 
différent à  les  avoir  ou  à  ne  les  avoir  pas  ;  «  mais  c'est  après  s'estre 
dépouillé  du  goust  humain  et  superbe  que  nous  en  avions ,  s'en 
revestir  derechef,  non  plus  parce  qu'ehes  nous  sont  agréables, 
utiles,  honorables  et  propres  à  contenter  l'amour  que  nous  avons 
pour  nous-mesmes  ;  mais  parce  qu'elles  sont  agréables  à  Dieu, 
utiles  à  son  honneur  et  destinées  à  sa  gloire  ^  » 

Que  si  nos  nouveaux  mystiques  répondent  que  c'est  ainsi  qu'ils 
l'entendent ,  et  qu'ils  ne  se  dégoûtent  des  vertus  qu'au  sens  de 

1  Am.  fie   Dieu,  liv.    XI  ,  chap.  xvi.  —  2  ihid.;  Gant,  i,  6.  —  '  Ci-dessus, 
chap    IV.  —  '►  .\,n.  lù;  Uiuu,  liv.  IX^  chap.  xvi. 


S.Si  INSTRlT.TinN  SUR  f.KS  KTATS  I>T»RA1S0N. 

saint  François  de  Sales  :  qu  ils  sen  expliquent  donc  commo  lui  . 
qu'ils  cessent  dVn  parler  avec  cette  dédaigneuse  indifférence  que 
ce  saint  iiomme  neut  jamais  :  quils  les  désii'ent  avec  lui ,  qu'ils 
les  demandent  c/)mme  il  fait  presque  à  toutes  les  pagres  de  ses 
écrits;  et  qu'ils  se  défassent  de  cette  détestable  maxime  que  ni  ce 
saint  ni  les  autres  saints  ne  commissent  pas  .  (]ue  d;ms  un  certain 
état  de  perfection  il  ne  faut  rien  demander  pour  soi  et  que  cet  acte 
est  intéressé. 
XV.  il  est  aisé  de  résoudre  par  ces  principes  les  objections  que  Ton 
le  ir*tfin  tire  des  comparaisons  du  s«unt  eveque  '.  Sa  statue,  qui  sm'prend 

du   niM  .    . ,      ,        .  .     . 

"'i»'    le  plus  ceux  qui  ne  sivent  pas  de  (pioi  il  s  agit ,  est  la  plus  aisee 

eoB.p.rti-  àexpli(|uer.  parce  quelle  regarde  non  pas  un  état  perpétuel, 

«uui»,  ri  niais  seulement  le  temps  de  1  «iraisoii .  «'t  encore  de  cette  (iraison 
qiM  r«ui  ...  ... 

qo.i  .«ji  particulière  (ni'(»ii  appelle  de  simplicité  ou  de  repos  ,  cpu  etoit 

«lltliqurr 

Mrc«*rd*  celle  de  sa  sainte  tllle  la  vénérable  mère  do  (Ihantal.  Comme  cette. 
lorai  qu.  oraison  est  passive,  c'est-à-dire  qu'elle  appartient  a  ces  bienheu- 

l*lrap«d«  , 

lof.iton.  reux  états  où  l'ame  est  pou.-vsi'e  et  agie,  pour  ainsi  parler,  par 
l'esprit  il'*  lHeu  .  plutôt  qu'agissante,  ainsi  qu'il  a  éti*  ilit.  il  ne 
faut  pas  s'étonner  que,  dans  les  monu'ii.s  où  elle  est  actuellement 
sous  la  main  de  hieii ,  on  la  compare  à  une  statue  qui  est  mi.s«' 
dans  un  beau  jardin  seulement  pour  y  .satisfaire  les  yeux  de 
celui  (pli  l'a  posée  dans  sji  niche  sans  presque  y  exercer  aucune 
action. 

Huand  nous  traitennis  en  particulier  de  1  oraison  de  la  mère 
de  Chantai,  ce  sera  le  temps  de  dévoiler  tout  à  lait  le  mystère 
de  cette  statue  vivante  et  intelligente.  En  attend. nit  nous  dirons 
qu'elle  n'est  pas  Udlement  statue,  ^\unu  par  inttemlewntt  nu  }>nr 
la  vitlmilr  rlh'  nr  fossr  r/rs  artps  rnrrrs  Dieu  *  ;  et  ainsi  (ju'elle 
est  en  état  qu'on  lui  doiim^  ces  conseils  :  «  Soyez  s«Milement  bien 
fidèle  à  demeurer  .nijti''^  il''  Mii-n  'H  celle  (loucf  el  tr;Mi(piille  at- 
tention de  cfpur,  et  en  ce  don.v  endormi.s.sement  entre  les  bras  de, 
sa  providence,  et  en  ce  doux  ac(piie.scement  à  sa  sainte  volonté  : 
gardez-vous  des  forte.s  applications  de  l'entendement,  puisqu'elles 
vous  nuisent  non-seulement  au  reste,  mais  à  l'oraison  mesme  : 
et  travaillez  autour  de  vostre  cher  objet  par  les  afTections  tout 

1  Liv.  VI,  c.  Il;  liv.  Il,  ép.  u,  Lin.  —  »  Liv.  Il,  ép.  un. 


TRAITE  I,  LIVRE  VIll,  N.  XVI.  S55 

simplement  et  le  plus  doucement  que  vous  pourrez.  »  On  voit 
qu'il  parle  des  âmes  dans  le  temps  de  l'oraison ,  et  que  même  en 
ce  temps-là  cet  excellent  maître  sait  bien  faire  faire  à  sa  statue 
les  actes  à' affections  douces  qui  sont  laissés  en  sa  liberté.  En 
quoi  il  veut  qu'elle  soit  statue,  c'est-à-dire  non  agissante,  c'est  à 
l'égard  de  ces  fortes  aj^pUcations  qui  nuisent  à  l'oraison  mesme. 
Il  faut  réduire  les  comparaisons  dans  leurs  justes  bornes ,  et  c'est 
tout  détruire  que  de  les  pousser  à  toute  rigueur.  Ainsi  la  statue 
du  Saint  n'est  point  telle  par  la  cessation  de  tous  les  actes ,  mais 
par  la  seule  cessation  des  actes  plus  turbulens.  Au  reste  quoi- 
qu'e//e  travaille  autour  de  son  cher  objet,  c'est  si  doucement  qu'à 
peine  s'en  apercoit-on.  Nous  verrons  ailleurs  ce  qui  est  compris 
dans  ce  doux  travail  ;  les  demandes  et  les  désirs  tranquilles  et 
doux  n'en  sont  pas  exclus,  et  quand  ils  le  seroient  passagèrement 
dans  le  temps  de  l'oraison,  on  doit  les  faire  en  d'autres  temps, 
comme  disoit  le  Père  Baltasar  et  comme  saint  François  de  Sales 
nous  le  dira  en  son  temps  ;  mais  durant  certains  momens,  et  dans 
l'oraison  de  cet  état ,  ils  ne  sont  pas  nécessaires. 
Il  ne  faut  pourtant  pas  s'imaginer  que  la  grâce  de  l'oraison     xvi. 

Comment 

soit  tellement  renfermée  dans  le  temps  de  l'oraison  même,  qu'elle  ''^'-e  e.. 

un  autre 

n'influe  pas  dans  toute  la  suite.  Car  la  grâce  n'est  donnée  dans  ^•^n^,  et 

par  rap- 

l'oraison  qu'afin  que  toute  la  vie  s'en  ressente.  Ainsi  cette  sage  po--'  ^"^ 

consola- 
statue  aura  toujours  dans  l'oraison  et  hors  de  l'oraison  cette  per-  """s,  res- 

"  ,  •"■  semble  à 

pétueUe  disposition  de  ne  vouloir  ni  s'avancer  aux  consolations ,  "les'i'ue- 
ni  s'éloigner  des  sécheresses,  qu'autant  qu'il  plaira  à  Dieu  de  la 
mouvoir,  parce  que  ces  vicissitudes  de  jouissance  et  de  privation 
en  cette  vie  ne  sont  pas  en  notre  puissance  :  si  bien  qu'il  faut  at- 
tendre les  momens  de  Dieu  et,  comme  dit  le  saint  directem*  ^, 
recevoir  également  l'un  et  l'autre  en  demeurant  à  cet  égard  dans 
l'indifférence  qu'il  a  prescrite.  En  ce  sens  on  est  devant  Dieu 
comme  une  statue  immobile,  qui  n'avance,  pour  ainsi  parler, 
ni  ne  recule,  et  demeure  dans  une  attente  paisible.  11  a  pratiqué 
ce  qu'il  enseignoit,  et  c'est  l'intention  du  passage  où  il  nous  disoit 
que  si  Dieu  venoit  à  luy  en  le  visitant  par  les  consolations ,  il 
iroit  à  Dieu  en  les  recevant  avec  reconnoissance  "^  ;  mais  que  s'il 

'  Entr.  IV,  p.  821.  —  ^Ibid.,  xxi,  p.  904. 


556  INSTRl  CTIO.N  SLR  IXS  ETATS  D  ORAISON. 

ne  veiloit pas ,  s'il  retiroit  sa  douce  présence,  et  laissoit  lame 

clans  la  privation  et  la  sécheresse  ou  même  ,  ce  qui  lui  est  bien 

plus  (iouloiu-eux ,  dans  la  désolation  et  dans  rabaudonnemont  à 

la  cr<jix  avec  J»'sus-(!luist ,  // se  tieiulroit là  siuis  s"a\ anccr  da\ an- 

tage ,  «'l  attendant  tnuiquillenient  les  momens  divins. 

ï^"         11  faut   ici  prévenir  l'ohieetion  de  ceux  (lui,  se  souveuiuil  des 

rto.i  *ur  géniissenieus  de  saint  Hernard  et  des  autres  siiints  dims  le  temps 

imd.iiï-  des  privations,  trouvent  trop  grande  et  trop  sèche  rindiirérence 

renée     du  '  *      ^  ' 

Saint  à  té-  et  légalité  (lue  recommande  notre  saint  évètiue:  Mais  nous  avons 

f  *rJ  de»  '  ■" 

foniou-  déjà  dit  •  cpu^  lindiirerence  de  ce  >aint  n'empêche  pas  une  pente 
dei  pri.*-  d  un  certam  cot»*.  11  permet  même  dans  ces  secjieresses  de  gémir 
et  de  .soupirer,  de  dire  au  Sauveur  ipii  sendde  nous  délaisser, 
mais  doucement  ;  «  Venez  «lans  nostre  ame  :  j'approuve    dit-il), 
j|ue  vous  renionti  ie/  à  vostre  «loux  Sauveur,  mais  amoureus4>ment 
et  .'s»;  s  empressement,  vosti-e  arfliction  :  et  comme  vous  dites 
qu'au  moins  il  se  laissi»  trouvera  vostre  esprit,  car  il  s»-  plais! 
(|ue  nous  luy  racontions  le  mal  (pt'il  nous  fait  et  (pie  nous  ncjus 
l)lai^'Minns  de  luy,  jMjurvu  (jue  ce  .soit  amomeusi'iiienl  et  hum- 
lileuienl  et  à  luy-mesiue, comme  font  les  petits  enfims  quand  leur 
client  mère  les  a  fouettez  '.  »  (Jui  pèsera  ces  paroles  et  (pii  les 
comparera  avec  celles  de  .sjiint  Hernard  ,  verra  que  l'indiUV-reiire 
flu  .saint  evêipie  ne  .s'éloigne  pas  de  l'esprit  des  antres  saints  , 
pui.s(|n  .1  liiii-  exemple  elle  admet  les  plaintes  pleines  de  teii(lre.s.se 
ipi'on  pou.s.se  tlans  les  [irivations  :  et  tout  ce  (piil  demande  aux 
âmes  peiné»'S,  c'est  qu  au  moment  cpiil  faudra  boire  le  calice,  et 
pour  ainsi  dire  <lonner  le  coup  du  con.s«'nleiin'nl,  elles  con.servent 
l'égalité  (jui  e.Nt  nece.ssa'u*e  pour  dire  :  Xon  m<i  voloiilr ,  mais  l>i 
vôtre. 
xviii.        Voilà  déjà  li'admuables   tempenimen.s   lires    des    paroles  du 
p!i*wMn  Siiint  à  la  compju'aison  de  la  statue.  Celle  du  musicien,  qui  ne 
rwnToue  joult  p  is  de  Ui  <loucem'  de  .ses  chants,  pai'ce  qu'il  est  devenu  sourd, 
mium'  ni  du  plaisir  de  contenter  son  j»rince  pour  cpii  il  touche  sou  luth, 
TfT^Z  parce  que  ce  piince  s'en  va  rt  le  laisse  jouer  tout  seul  par  obéis- 
sance '  est  propre  à  représenter  une  ame  soumise  qui  chante  le 
cantique  de  l'amour  divin,  non  pour  se  pKiire  à  elle-même,  mais 
*  Ci-tlet*su9,  r.  M.  —  *  Liv.  V,  fp.  i.  —  'Liv.  \\,  chap.  iv  ot  xi. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  VIII,  N.  XIX.      '  557 

pour  plaire  à  Dieu,  et  souvent  même  sans  savoir  si  elle  lui  plaît, 
ni  pour  cela  interrompre  sa  sainte  musique.  La  comparaison  est 
juste  jusque-là.  Quand  nos  faux  mystiques  en  infèrent  qu'il  faut 
porter  l'abandon  jusqu'à  être  indifTérent  à  plaire  ou  ne  pas  plaire 
à  Dieu,  et  que  contre  la  nature  des  comparaisons  ils  poussent 
celle-ci  à  toute  outrance  :  ils  tombent  dans  une  erreur  manifeste , 
qui  est  celle  de  regarder  la  chai'ité  comme  une  simple  bienveil- 
lance de  l'ame  envers  Dieu ,  sans  prétendre  à  un  amour  réci- 
proque. Mais  ce  sentiment  est  réprouvé  par  toute  la  théologie 
et  par  saint  François  de  Sales  lui-même  ,  lorsqu'il  enseigne 
que  l'amour  qu'on  a  pour  Dieu  dans  la  charité  est  une  vraye 
amitié^  ;  c'est-à-dire  un  amom*  réciproque^  Dieu  ayant  aimé 
éternellement  quiconque  l'a  aimé,  l'aime,  ou  Taimera  tempo - 
rellement.  «  Cette  amitié  est  déclarée  et  reconnue  mutuelle- 
ment ,  attendu  que  Dieu  ne  peut  ignorer  Famour  que  nous  avons 
pour  luy,  puisque  luy-mesme  nous  le  donne  ;  ni  nous  aussi  celuy 
qu'il  a  pom*  nous,  puisqu'il  l'a  tant  pulDlié,  etc.  »  Ainsi  l'on  peut 
et  l'on  doit  porter  la  perfection  du  détachement  jusqu'à  ne  pas 
sentir  que  nous  plaisons  à  Dieu ,  ni  même  que  Dieu  nous  plait , 
s'il  nous  veut  ôter  cette  connoissance  :  mais  ne  songer  pas  à  lui 
plaire  au  fond,  et  ne  le  pas  désirer  de  tout  son  cœm-,  c'est  re- 
noncer à  cette  amitié  réciproque,  sans  quoi  il  n'y  a  point  de  clia^ 
rite.  C'est  néanmoins  où  nous  veulent  conduire  les  faux  mystiques, 
puisque  si  nous  désirions  de  plaire  à  Dieu,  c'est-à-dire  qu'il  nous 
aimât,  nous  ne  pourrions  ne  pas  désirer  les  effets  de  son  amour, 
c'est-à-dire  les  récompenses  par  lesquelles  il  en  déclare  la  gran- 
dem*  et  en  assm^er  la  jouissance  pour  toute  l'éternité  ;  ni  ce  qui 
nous  attire  son  amour ,  c'est-à-dire  toutes  les  vertus  :  ce  que  les 
nouveaux  mystiques  ne  permettent  pas  aux  parfaits ,  puisqu'ils 
ne  veulent  même  pas  qu'ils  en  demandent  aucune. 
Venons  aux  autres  comparaisons.  La  reine  Marguerite  femiiie 


XIX. 

Autre 


de  saint  Louis,  qui  nous  est  donnée  pour  exemple  de  la  volonté cowpa 


entiercmeiit  morte  à  elle-mesme ,  ne  se  soucie  ni  de  savoir  où  va  ,^ 
le  roi,  ni  comment,  mais  seulement  d'aller  avec  luy-.  On  entend  ''"',; 


Il  An 

t   evè- 


qui 


prouve 


facilement  cette  indifférence;  cette  princesse  n'est  pas -indifférente  nZe\Tm 

'  Am.  dn  Dieu,  liv.  \\,  chap.  xxii.  —  ^Ihid.,  liv.  IX,  chap.  xiii. 


«58  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

iMmoyet»  È  sulvTC  Ic  Foi ,  qui  est  sa  fin ,  ni  anx  movens  nécessaires  pour  y 

maif    non 

junii.    parvenir,  comme  seroit  de  shabiller et  se  tenir  prête  au  moment 

pour  11  fin. 

qu'il  voudra  partir;  mais  aux  moyens  particuliers  qui  dép.  ndent 
du  roi  son  époux,  et  (ju'aussi  elle  abandoime  à  son  choix.  Il  en 
est  de  même  envers  Jésus-Christ;  faire  Tame  indifférente  à  le 
posséder,  comme  l'enseignent  les  nouveaux  mystiques,  ou  aux 
moyens  néces.saires  pour  sunir  à  lui ,  tels  cpie  .'^ont  les  verhis , 
c'est  im  excès  outrageant  poiu'  cet  l'.poux  céleste  :  la  faire  in- 
(liirérente  pour  les  moyens  cpii  peuvent  être  tournés  en  bien  et 
en  mal,  t«'ls  que  sont  tous  les  divers  évéïu'uiens  de  la  vie,  c'est 
tout  ce  (jue  ju't'frnd  saint  l'rançoLs  de  Sales ,  et  persomie  ne  l'en 
ilcdit. 
\x.  C'est  encore  on  t«'rmes  exprès  par  rapport  à  ces  mêmes  événe- 
.ond»ivn  mens  particuTH'rs .  par  Icsijui'ls  la  Mdonti  rhi  bon  plaisir  de  Dieu 

Uni  J(«u<.  ,1  •  ■       .  1     •      1         I-     •         I  ■     !■ 

Minière   nous  e.st  d^'CKU'ee,  que  le  sauit  eveciue  intnKJuit  le  divui  Knlant 

dont  u   Jésus  sur  le  sein  et  entre  les  bras  de  si»  sainte  Mère .  où  il  n'a  pas 

qur  trui  méuîe  ,  dit-il ,  «  la  volonté  de  se  laisser  porter  par  elle,  mais  seu- 

x-ni».   lem»  nt  (]ue  comme  elle  marche  pour  luv.  elle  veuille  aussi  pour 

rfm.rqni-  hiv  '  »  .sausiiuil  vcuiljf  rii'U.  I.a  cdinparaison  aTJpiiqnéc  anx  cvt'- 
bi». 

iifiiifus  particuliers,  où  l'un  ])t'iit  iilt.'^dliiiin'iil  dt-sirrr  de  nr  licii 

voidoir,  mais  lai.'^ser  lUeii  en  un  certain  .^cns  v<tnl(»ir  jwtnr  nons. 

est  excellente  ;  mais  si  l'on  vent  dire  quon  ne  veuille  rien  du 

tout ,  piLS  même  d'être  mii  à  Dieu  dans  le  temps  et  dans  l'éternité 

par  la  grâce  et  par  la  gloire,  la  même  comparaison  .seroit  outrée, 

et  antant  injnriensc  à  IKnfant  .Icsus  que  j»réjudiciabl»'  à  la  liberté 

Immainc.  Sans  doute  de  tous  les  enfans  celni  (|ni  n  le  plus  voulu 

se  laisser  porter,  c'est  l'Enfant  Jésus,  (jui  avoit  choi.si  cet  état;  et 

si  l'on  ne  rapfiorte  aux  événemens  d'être  porté  ou  à  llctbléeni,  ou 

au  tenq)le ,  ou  à  Nazareth,  ou  en  Eg}'pte,  l'abandon  extérieur  de 

ce  divin  Enfant  à  la  volonté  de  sa  sainte  Mère,  les  expressions  du 

saint  évèque  sont  insoutenables.  Mais  aussi  faut-il  pratiquer  dans 

cette  occasion  ce  qu'il  dit  Ini-même ,  (ju'on  ne  doit  pas  tant  su/j(i- 

liser,  7/iais  Duircher  rondejncnt %  et  prendre  ce  (juil  écrit conmie 

il  l'entend,  r/rosso  niodo '  ;  ce  sont  ses  termes.  Les  écrivains  qui , 

comme  ce  Saint ,  sont  pleins  d'affections  et  de  sentimens,  ne  veu- 

1  Ain.  de  Dieu,  liv.  I.\,  »lia|>.  .\iv. —  *  Liv.  IV.  rp.  Liv.  —  »  Liv.  V,  ép.  xxvi. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  VIII,  N.  XXI.  559 

lent  pas  être  toujours  pris  au  pied  de  la  lettre.  Il  se  faut  saisir 
du  gros  de  leur  intention  :  et  jamais  homme  ne  voulut  moins 
pousser  ses  comparaisons  ni  ses  expressions  à  toute  rigueur  que 
celui-ci.  Ecoutons  comme  il  parle  de  David  dans  une  lettre,  où  la 
matière  de  la  résignation  et  de  l'indifférence  est  traitée  :  «  Nostre- 
Seigneur,  dit-il ,  luy  donna  le  choix  de  la  verge  dont  il  devoit 
estre  affligé ,  et  Dieu  soit  béni  ;  mais  il  me  semble  que  je  n'eusse 
pas  choisi  :  j'eusse  laissé  faire  tout  à  sa  divine  majesté  *.  »  Veut- 
il  dire  qu'il  pense  mieux  que  David?  Non,  sans  dout€.  Il  dit  bon- 
nement (  car  il  faut  se  servir  de  ce  mot  )  ce  qu'il  sentoit  dans  le 
moment ,  sans  peut-être  trop  examiner  le  fond  des  dispositions  de 
David ,  qu'il  devoit  croire  sans  difficulté  du  moins  aussi  bonnes 
que  les  siennes.  Ne  cherchons  donc  pas  dans  ses  écrits  cette  exac- 
titude scrupuleuse  et  souvent  froide  du  discours  ;  prenons  le  fond, 
el  nous  attachant  avec  lui  aux  grands  principes,  «  rendons-nous, 
comme  il  Ta  dit ,  phables  et  maniables  au  bon  plaisir  de  Dieu , 
comme  si  nous  estions  de  cire,  en  disant  à  Dieu  :  Non,  Seigneur, 
je  ne  veux  aucun  événement  ;  car  je  les  vous  laisse  vouloir  pour 
moy  tout  à  vostre  gré  :  et  au  lieu  de  vous  bénir  des  évenemens , 
je  vous  bénirai  de  quoy  vous  les  aurez  voulus  '-.  »  Ainsi  tout  abou- 
tit aux  évenemens  qui  se  développent  de  jour  en  jour  dans  tout  le 
cours  de  la  vie. 

Mais  que  dirons-nous  de  «  la  fille  du  médecin  ou  chirurgien,  qui     x.xi. 
dans  une  fiè\Te  violente ,  ne  sçachant  ce  qui  pom-roit  servir  à  sa  m'^ededn  " 

'     •  1       .  .  T  1  .  >  .  quelle    est 

guerison,  ne  désire  rien,  ne  demande  rien  a  son  père  qm  seau-  son  ind.i- 
roit  vouloir  pour  elle  tout  ce  qui  sera  profitable  pour  sa  santé.  poi"qum' 
Uuand  ce  bon  père  eut  tout  fait  et  l'eut  saignée  sans  que  seule-  éyè^^TL 
ment  elle  y  regardast ,  elle  ne  le  remercia  point  ;  mais  elle  dit  et  qu>iîe  "L 
répéta  doucement  :  Mon  père  m'aime  bien,  et  moy  je  suis  toute  4"  '"""' 
sienne  ^  »  La  voilà  donc  à  la  fin,  nous  dira-t-on,  cette  ame  qui 
ne  désire  ni  ne  remercie,  et  toujom-s  parfaitement  indifférente.  Je 
l'avoue;  mais  il  faut  savoir  en  quoi.  La  fille  de  ce  chirurgien  veut 
guérir,  et  ce  qui  cause  son  indifférence  pom-  les  remèdes  parti- 
culiers ,  «  c'est  qu'elle  sait  que  son  père  voudra  pour  elle  ce  qui 
sera  le  plus  profitable  pour  sa  santé.  »  Elle  n'est  donc  point  indif- 

1  Liv.  V,  ép.  I.  —  «  Am.  de  Bien,  liv.  IX,  chap.  xiv.—  »  /6irf.,  cap.  xv. 


,e   remer- 
cîmenl. 


5t)0  INSTRUCTION  SIR  LES  ETATS  DOR-\lSOi\. 

férente  pour  la  fin ,  qui  est  la  santé.  Ainsi  le  chrétien  ne  le  doit 
point  être  pour  le  salut ,  qui  est  sa  pai'faite  guérison.  Lindiffé- 
rence  du  côté  de  cette  lille  tombe  sur  les  moyens  ;  et  du  côté  de 
lame  chrétienne ,  elle  tombe  sur  «  les  evenemeus  et  accidens . 
puisque  nous  ne  sçavons  jamais  ce  que  nous  devons  vouloir  ^  » 
Il  n'en  est  pas  ainsi  de  la  lin ,  et  jamais  ou  ne  fut  en  peine  si  on 
devoit  vouloir  son  salut  et  remercier  son  Sauvem*. 

Pomquoi  donc  cette  soigneuse  remarque,  que  la  malade  ne 
remercia  point  son  père  ?  Est-ce  pom*  dire  qu'elle  n  avoit  pas  la 
recouuoissâuce  dans  le  cœur  ?  A  Dieu  ne  plaise  :  mais  le  remer- 
ciment,  qu'est-ce  autre  chose  qu'un  acte  de  reconuoissance  ?  Ainsi 
le  desse'm  du  saint  évèque  n'est  pas  doter  le  remerciment  à  lame 
parfaitement  résignée ,  mais  de  lui  en  apprendre  im  plus  simple 
et  plus  noble ,  oii  au  lieu  «  de  bénir  et  remercier  la  bonté  de  Dieu 
dans  ses  ell'ets  et  dans  les  evenemeus  qu'elle  ordetmie,  ou  la  beuit 
elle-mesme  et  en  sa  propre  excellence  *  ;  »  de  quoi  personne  ne 
doute,  ni  que  la  l)onté  de  Dieu,  qui  est  la  cause  de  tout,  ne  soit 
plus  iiimable  et  plus  pai  faite  que  tous  ses  effets. 

Huui  qu'il  eu  soit ,  je  ne  comprends  pas  pomxpioi  l'ou  fait  fort 
sur  cette  expression,  puis^iuaprès  tout  cette  fille,  qui  ne  fait  point 
de  remerciment ,  dit  et  répète  «  que  son  père  l'aime ,  et  qu'enfin 
elle  est  toute  à  luy.  »  Recomioitre  en  cette  sorte  la  bouté  d'mi 
père,  n'est-ce  pas  le  remercier  de  la  manière  la  plus  efficact- . 
puisque  reconnoitre  et  remercier,  sans  doute  n'est  autre  chose 
que  goûter  la  bouté  d'un  bienfaiteiu-  plus  encore  que  ses  bien- 
faits ?  Ainsi  ce  qu'on  ôte  à  cette  lille  est  tout  au  plus  une  formule 
de  remerciment,  et  pom*  ainsi  dire  uncomphment  sur  le  bord  des 
lèvres ,  en  lui  laissant  tout  le  sentiment  dans  le  cœm\ 
1111.        \u  i-este  la  seule  pratiaue  eût  pu  résoudre  la  difficulté ,  et  il  n'v 
i"  ««  >"  auroit  qu'à  lii'e  les  Lettres  du  Saint  pour  y  trouver  a  toutes 
«uiFr»»-ies  pages  des  remercimens  imis  avec  la  plus  haute  résignation. 


ronsalsiie 
tiialFrai 

**ie*  «ur     Je  lie  puis  oulther  celle-ci.  où  louant  l'indifTérence  d'une  reh- 

l«  reni*r- 
cimou 

pindjé.  nullement  certaines  âmes  qui  n'alTectionnent  rien,  et  a  tous  eve- 


"-  gieuse  dans  ses  affau'es ,  il  ajoute  ces  mots  précieux  :  «  Je  n  aime 


nemens  demeurent  immobiles;  mais  cela  elles  le  font  faute  de  vi- 

«  Arn.  (ieDturu,  liv.  IX,  cbap.  XV.  —  »  Iffid. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  VIII,  N.  XXUI  561 

gneur  et  de  cœur ,  ou  par  mépris  du  bien  et  du  mal;  mais  celles 
qui  par  une  entière  résignation  en  la  volonté  de  Dieu  demeurent 
indifférentes ,  ô  mon  Dieu  !  elles  en  doivent  remercier  sa  di^■ine 
Majesté ,  car  c'est  un  grand  don  *  :  »  auquel  le  remercîment  fait 
bien  voir  qu'elles  ne  sont  pas  indifférentes. 

Après  cela  n'écoutons  plus  la  sècbe  et  insensible  indifférence 
de  ceux  qui  se  piquent  de  n'être  touchés  de  rien.  Pour  ce  qui 
regarde  les  remercimens,  U  n'y  a  pas  jusqu'à  la  statue,  qui  pour 
peu  que  Dieu  se  fasse  sentir,  ne  lui  en  témoigne  sa  reconnoissance, 
et  n'en  rende  grâces  à  sa  bonté  *-.  Elle  n'est  donc  pas  indifférente, 
autant  que  le  seroit  la  fîUe  de  ce  médecin ,  si  l'on  en  prenoit  la 
parabole  en  toute  rigueur. 

Pour  les  désirs,  outre  ce  qu'on  en  a  déjà  wi,  on  peut  lire  deux 
beaux  chapitres  dans  le  Traité  de  V amour  de  Dieu,  dont  l'un  a 
ce  titre  :  Que  le  désir  précèdent  accroistra  graivdement  Vunion 
des  bienheureux  avec  Dieu  ^  ;  et  l'autre  est  pareillement  intitulé  : 
Comme  le  désir  de  louer  Dieu  nous  fait  aspirer  au  ciel  *.  Yoilà 
pour  le  désir  de  la  fin ,  et  déjà  de  ce  côté-là  on  voit  qu'il  n'y  a 
point  d'indifférence  :  et  même  pour  ce  qui  regarde  les  événemens 
dans  l'endroit  où  l'indifférence  est  poussée  le  plus  loin,  le  Saint  ne 
laisse  pas  de  décider  que  «  le  coeur  le  plus  indiffèrent  du  monde 
(remarquez  ces  mots^  peut  estre  touché  de  quelque  affection,  tan- 
dis qu'il  ne  sçait  encore  pas  où  est  la  volonté  de  Dieu  '".  »  De  sorte 
qu'il  n'y  a  point  d'indifférence  à  toute  rigueur,  puisqu'après  la 
volonté  déclarée  par  l'événement  il  n'y  en  a  plus ,  et  qu'avant  on 
peut  accorder  quelque  affection  avec  la  plus  parfaite  indifférence. 

A  l'occasion  de  ce  passage  quelqu'im  pomTa  trouver  un  peu    sxni. 

Be  marque 

sm'prenante  la  distinction  que  fait  le  Saint  de  l'indifférence  d'à-  ^a-- 1^  ^'- 

tinction 

Aec  la  résignation  ^,  et  trouver  encore  plus  surprenant  que  dans  enn^iaré- 
le  même  chapitre  U  établisse  parmi  les  malhem's  de  la  -sie  hu-  eirmdiffe- 

rence. 

maine  quelque  chose  de  plus  élevé  que  la  résignation  du  saint 
homme  Job ,  que  l'Ecriture  nous  donne  en  tant  d'endroits  pour 
modèle.  Qu'y  a-t-H  sm"  cela  de  plus  magnifique  que  ce  qu'a  dit 
l'apôtre  saint  Jacques?  «Prenez,  mes  frères,  pour  exemple  de  pa- 

1  Am.  de  Dieu.  liv.  IV.  ép.  vm.  — -  Liv.  Il ,  ép.  lui.  —  ^  Lir.  III ,  c,  X.  — 
*  Liv.  V,  chap.  X.  —  ^  Liv.  IX,  ch.  iv.  —  «  Ibid. 

TOM.  xvm.  36 


o62  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

ticnce  les  prophètes  :  nous  publions  bienheureux  ceux  qui  ont 
souffert  '.  »  A  quoi  il  ajoute  :  «Vous  avez  ouï  les  souffrances  de 
Job,  et  vous  avez  vu  la  fin  de  Nostre-Seigneur.  »  Voyez  comme 
cet  Apôtre ,  ayant  parlé  en  général  des  prophètes ,  prend  soin  de 
distinguer  Job  de  tous  les  autres,  et  même  qu'il  l'unit  avec  Jésus- 
Christ,  pour  le  mettre,  ce  semble,  au  plus  liant  degré  au-dessous 
de  lui.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  paroît  peu  nécessaire  de  chercher  des 
sentinn-ns  plus  purs  et  plus  parfaits  que  les  siens  ni  d'imaginer 
mie  perfection  au-dessus  de  celle  qu'on  ressent  dans  ces  paroles  : 
«  Je  suis  sorti  nu  du  sein  de  ma  mère,  et  j'y  retournerai  nu  :  le 
Seigneur  a  donné,  le  Seigneur  a  Até,  il  est  arrivé  comme  il  a  plu 
au  Seigneur  :  le  nom  du  Seigneur  soit  béni  '.  » 

Je  sais  qu'on  dit  que  riiidillereuce,  qui  éteint  en  quelque  sorte 
la  vdjonté,  est  au-dessus  de  la  simple  résignation,  qui  se  contente 
de  la  captiver  et  de  la  soumettre;  mais  tout  cela  doit  être  pris 
sainement  et  sans  pointiller,  i)uisqu'à  la  fin  il  se  trouvera  qu'il  y 
a  peu  ou  point  d'indilférence  à  toute  rigueur,  selon  que  le  saint 
évê(iue  vient  de  nous  l'apprendre,  et  qu'il  le  déclare  encore  dans 
la  suite  de  ce  chapitre,  comme  le  sage  lecteur  pourra  le  remarquer 
en  !»■;  lisant.  Il  faut  donc,  avec  une  sainte  lijierté,  sans  toujours 
s'arrôterscrupuleusemenf  aux  expressions  des  plus  saints  hommes, 
ni  même  à  quelques-unes  de  leurs  conceptions,  se  contenter  en 
les  comparant  les  unes  avec  les  autres  d'en  pénétrer  le  fond.  En 
tout  cas  la  distinction  entre  la  résignation  et  l'indifférence  est 
trop  mince,  pour  mériter  fju'on  s'y  arrête  pins  longtemps;  et 
d'ailleurs  c'est  une  recherche  peu  nécessaire  à  notre  sujet,  puis- 
qu'après  tout  il  est  bien  certain  (pi'en  quchjue  sorte  qu'on  les 
prenne,  on  ne  trouvera  jamais  dans  les  écrits  du  saint  évêqiie, 
que  ni  la  résignation  ni  rinditfi'rence  puissent  regarder  la  perte 
du  salut,  non  plus  que  celle  des  moyens  nécessaires  pom'  l'obtenir, 
ainsi  qu'il  a  été  dit. 
**"".  C'est  dans  la  même  pensée  qu'il  est  encore  déclaré  ailleurs  que 
iiiarq».    «  IViou  ttous  Insplrc  des  desseins  fort  relevés,  dont  il  ne  veut  point 

jurl'in.lir- 

fcrcnor  oi  \q  succès '.  »  Salut  Louis,  par  inspu'ation,  passe  la  mer  :  samt 

ri  sur    los  i  -i 

acjKin»  François  veut  mourir  martyr,  et  ainsi  des  autres:  veulent-ils, 

>  Juc,  V,  10,  1 1.  —  '  Job,  I,  21.  —  3  Am.  de  Dieu,  liv.  IX,  chap.  vi. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  VIII,  N.  XXV,  XXVI.  563 

indifféremment  ce  que  Dieu  leur  met  dans  le  cœur?  Non,  «  ils  qu.i  Dieu 
veulent  hardiment,  courageusement,  constamment,  commencer  doninéan- 
et  suivre  l'entreprise.  »  A  la  rigueur,  il  n'y  a  rien  de  plus  éloigné  veut  point 
de  l'indifférence  que  des  desseins  et  des  volontés  5/  hardiment  pussemont 
commencées,  et  si  constamment  poursuivies  par  ces  saints  ;  c'est 
néanmoins  pour  les  exercer  en  cette  sainte  indifférence  que  Dieu 
leur  inspire  ces  hauts  désirs  parce  qu'ils  apprennent  à  acquiescer 
doucement  et  tranquillement  à  Vécenement. 
Pour  montrer  la  conformité  des  spirituels  ,  peut-être  sera-t-il    ^w. 

•^  ^  Doctrine 

bon  de  toucher  un  mot  du  Père  Baltasar  Alvarez,  dont  le  P.  du   «nforme 

du    Père 

Pont  a  écrit,  «  qu'il  aimoit  Dieu  si  purement,  qu'il  se  privoit  mesme  ciiiasar 
des  consolations  et  des  délices  qu'on  a  accoutumé  de  sentir  en  l'o-  jusqu'où  ii 

poussoit  la 

raison,  se  résignant  à  en  manquer  pour  contenter  Dieu  ^  »  Et  ce  résigna- 
saint  homme  lui-même  au  rapport  du  même  P.  du  Pont,  dit  que  "•»''  "" 

n'y  a  songé 

«  la  consolation  doit  estre  comme  le  rafraischissement  que  le  pelé- 1"""-  •«  s»- 
rin  prend  en  passant  dans  une  hostellerie ,  non  pour  y  séjourner^ 
mais  pour  passer  outre,  avec  plus  de  courage  ^  ;  »  ce  qui  ne  paroît 
pas  être  une  indifférence  à  toute  rigueur  pour  les  consolations, 
mais  une  démonstration  qu'on  n'y  est  point  attaché. 

Cette  matière  de  la  sainte  résignation,  est  amplement  traitée 
dans  ce  chapitre  de  la  Vie  du  P.  Alvarez  et  dans  le  suivant  ^• 
On  y  peut  voir  que  ce  saint  religieux  ne  l'étend  jamais  qu'aux 
prospérités  et  adversités,  aux  consolations  et  privations;  mais 
pour  cette  indifférence  au  salut,  elle  est  entièrement  inouie  parmi 
les  véritables  serviteurs  de  Dieu. 

11  est  temps  d'examiner  en  particulier,  l'oraison  de  la  vénérable    -^'v'i- 

^  ^  ^  On  corn- 

et digne  Mère  de  Chantai,  avec  la  conduite  du  Saint,  dont  Moli-  ""="<=«  * 

o  ^  ^  traiter    en 

nos ,  et  après  lui  tous  les  faux  mvstiques  ont  tant  abusé.  Dieu,  p^'i^'Her 

^  ^  "  -^  de    l'orai- 

qui  vouloit  mener  cette  Mère  par  des  voies  admirables  et  extraor-  ^°"  <•«  '* 

-^  '-  vénérable 

dinaires,  lui  prépara  de  loin  par  les  moyens  qu'on  sait,  un  grand  (,^'''^1^,^^j 
directeur  en  la  personne  du  saint  évêque  de  Genève,  à  qui  il  donna  pou-^q"»'- 
toutes  les  lumières  nécessaires  pour  la  guider  dans  cette  voie  ;  en 
sorte  que  sa  conduite  nous  peut  servir  de  modèle  pour  les  âmes 
qui  se  trouveront  dans  cette  oraison. 

1  Vie  du  P.  Bail.  Alvar.,  chap.  L,  p.  534.  —  -  Ibid.,  p.  o53,  —  '  Ibid.y 
chap.  L,  Li. 


564  INSTRUCTION  SITR  LES  ETATS  D'ORAISON. 

Or,  pour  bien  entendre  cette  conduite,  outre  les  Lettres  du  Saint, 
nous  avons  dans  la  Vie  de  celte  Mère  quelques-uns  de  ses  écrits, 
avec  ses  consultations  et  les  réponses  du  saint  dii'ecteur,  d'où  ré- 
sultent ces  poiiits  iniportans  '. 

Premièrement  ,  que  «  cette  oraison  estoit  dabandonnement 
gênerai ,  et  la  remise  de  soy-mesme  entre  les  bras  de  la  divine 
Providence,  » 

Secondfinent.  riime  ainsi  remise  s'oublioii  enticn-niciil  elle- 
mesnie  et  rejetuit  toute  sorte  dr  discours,  industrie,  réplique, 
curiositez  et  choses  semblables.  » 

Nous  avons  vu  que  c'est  là  ce  qui  est  appelé,  par  les  spirituels, 
l'oraison  passive  ou  surnaturelle,  non-seulement  cpiant  à  son  ob- 
jet, comme  les  autn*s  oraisons,  mais  encor»'  quant  i\  sa  manière  ; 
lame  n'agissant  point  par  discours  ni  propre  indu.^trie  ,  connue 
on  l'ait  ordinairenimt ,  mais  par  une  impression  divine. 

De  là  il  arrivi'  en  Iroisièmr  lieu  quf  lame  tombe,  connue  (»n  a 

vu,  dans  <lrs  iinjntissances  de  faire  d»-  certains  actes  qu'elle  vou- 

droit  faire,  et  n»*  peut.  La  Mère  se  plaignoit  souvent  de  ces  inq)uis- 

sances,  connue  il  parolt,  tant  parles  Lettres  du  saint  évèque'»iue 

par  les  i>ropres  paroles  de  cette  vénérable  religieuse,  (pii  ne  tiouve 

point  de  remèd»'!  auj-  eonfusinns,  ténèbres  et  innniissanees  de  son 

esprit  \,  jusipi'à  ce  qiiil  se  soit  uni  à  Dieu  et  remis  entre  ses  bra;. 

miséricordieiLX  :  s<nis  aetes,  dit-elle,  ear  je  n'en  jju/'s  faire  '. 

xxvii.        b'  m'arrête  ici  un  moment,  pour  conjurer  les  gens  du  monde 

mJnV'nc.  de  uc  polut  traiter  ces  étals  de  visions  et  de  rêveries.  Doutent-ils 

«ing-n.  (jue  Dieu,  cpn  est  adimrable  dans  toutes  ses  oeuvres  et  smgulie- 

i.i.mu.d.'  nMuenl  admiraitle  dans  ses  Saints,  n'ait  des  mojeus  particuliers 

la  nulicre   .  ,  ,  .  ,  •  i      i  ■        . 

.  inrtiiinus  au  montlf,  de  se  comnunn(pier  a  ses  anus,  de  les  tenu* 
.sous  sa  main,  et  de  leur  faire  sentir  .si  douce  souveraineté? 
Qu'ils  craignent  donc  en  précipitant  leur  jugement,  d'encourir  le 
juste  reproche  que  fait  l'apôtre  saint  .lude  à  ceux  qui  ù/asphèmenf 
ce  qu'Us  ignorent  ';  et  pour  les  tenir  dans  le  respect  envers  les 
voies  de  Dieu ,  je  dirai  : 

Kn  quatrième  lieu,  que  celle  oraison  fut  examinée,  non-.seule- 

>  Vie  de  Chant.,  II  part.,  ch.  vu.— »  Liv.  IV,  6p.  xiu;  liv.  V,t-i..  i.— ^Liv.  VII, 
ép.  .\xni,  etc.  —  '•  Ecrit  de  la  M.  de  Chant.,  Vie,  Il  i'urt.,  th.  xxi\ .  —  ^  Jud.,  10. 


conimrn 


TRAITÉ  I,  LIVRE  Mil,  N.  XXVIll,  XXIX.  565i 

ment  par  saint  François  de  Sales,  un  évêqiie  d'une  si  grande  au- 
torité ,  tant  par  sa  doctrine  que  par  sa  sainte  ^1e ,  et  qui  étoit  en 
cette  matière  sans  contestation  le  premier  homme  de  son  siècle, 
mais  encore  par  les  gens  les  plus  éclairés  de  son  temps  ;  ce  qui 
fait  dire  à  ce  saint  évêque,  en  écrivant  à  la  3ière  :  «  Yostre  oraison 
de  simple  remise  en  Dieu,  est  extrêmement  sainte  et  salutaire,  il 
nen  faut  jamais  douter,  elle  a  tant  esté  examinée,  et  toùjoiu-s  l'on 
a  trouvé  que  Nostre-Seignem'  vous  vouloit  en  cette  manière  de 
prières  ;  il  ne  faut  donc  plus  autre  chose  que  d'y  continuer  dou- 
cement '.  » 

Nous  avons  mi  que  c'étoit  pour  expliquer  cette  oraison  qu'il  a  x'^^",'- 
introduit  sa  statue  -,  à  qui  il  donne  véritablement  la  vie  et  l'intel-  p»»;  «*^»« 

^         ■*  oraison  «t 

ligenco  ,  mais  nul  propre  mouvement ,  parce  qu'elle  est  sous  la  v^^'^^  "Ue 
main  de  Dieu,  poussée  plutôt  qu'agissante.  Dieu,  qui  lui  a  donné  j^'^^j'i^i"'. 
ses  puissances  intellectuelles ,  les  peut  suspendre  ou  lier  autant   «i""  '• 

■I  -"  X  J.  comparai- 

qu'il  lui  plaît,  et  même  la  volonté ,  qui  est  la  plus  libre  et  la  plus  ^o"  je  u 
indépendante  de  toutes,  mais  néanmoins  toujours  très-parfaite- 
ment sous  la  main  de  son  Créateur  %  qui  en  fait  sans  réserve  tout 
ce  qu'il  lui  plait ,  comme  il  fait  en  tout  et  partout  ce  qu'il  veut 
dans  le  ciel  et  dans  la  terre. 


Ces  fondemens  supposés,  il  reste  deux  choses  à  examiner  :  l'une 


XXIX. 
Deux 


jusqu'à  cpiel  temps  s'étend  cette  disposition  de  l'ame  passive  sous  la  f  "^'îîT 
main  de  Dieu;  et  l'autre  jusqu'à  quels  actes  elle  doit  être  poussée.  {'j„  Si'hJ 
Pour  le  temps ,  saint  François  de  Sales  restreint  ces  impuis-  /^^p'^"^', 
sauces  d'agir  au  temps  de  l'oraison  seulement  :  «  Vous  ne  faites  'Jpf^':^; 
rien,  dites  vous,  dcms  l'oraison  "  :  vostre  façon  A' oraison  est ''^• 
bonne  '%  etc.  Pourquoy  voulez-vous  pratiquer  la  partie  de  Marthe 
en  l'oraison,  puisque  Dieu  vous  fait  entendre  qu'il  veut  que  vous 
pratiquiez  celle  de  Marie?  Je  vous  commande  que  simplement 
vous  demeuriez  en  Dieu  sans  vous  essayer  de  rien  faire ,  ni  vous 
enquérir  de  luy  de  chose  quelconque,  sinon  à  mesure  qu'il  vous 
exciterai  »  Ainsi  l'intention  de  l'homme  de  Dieu  est  de  res- 
treindre ce  conseil  au  temps  d'oraison.  Et  pom^  bien  entendre  ceci, 

1  Vie  de  la  M.  de  Chant.,  liv.  Vil ,  ép.  xxil.  —  ^  Liv.  !I,  éii.  LIII.  —  ^  Vie  de 
la  M.  de  CUant.,  III  paît.,  chap.  iv.  —  '*  Liv.  II.  ép.  Li.  —  ^  ILid.,  ép.  lui.  — 
^  Vie  de  la  M.  de  Chant.,  II  part.,  ch.  vu;  Mp.  à  la  III^  quest. 


566  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

il  faut  rappeler  en  notre  mémoire  '  que  les  spirituels  ne  connoissent 
pas  de  ces  âmes  toujom"s  mues  divinement  de  cette  manière  ex- 
traordinaire et  passive  dont  nous  parlons.  C'est  ce  que  nous  avons 
ouï  de  la  bouche  du  B.  P.  Jean  de  la  Croix,  le  plus  expérimenté 
des  spirituels  de  sou  temps  en  cette  matière  *.  Gn  sait  que  sa  Mère 
sainte  Thérèse  s'est  expressément  déclarée  contre  la  longue  durée 
de  ces  suspensions.,  bien  loin  qu'elle  ait  pu  souffrir  qu'on  les  re- 
connût perpétuelles.  Conr»»rniémL'nt  à  leur  pensée,  la  Mère 
de  Chantai  éprouvoit  aussi  (jue  Dieu  retiroit  son  opération  pai*  in- 
tervalles ',  (pii  étoit  le  premier  moyen  de  la  remettre  en  sa  liberté 
pour  agir  et  pour  faire  des  demandes.  L'autre  étoit  quand  Dieu 
Texcitoit  lui-même  à  agir  par  ces  douces  invitations,  facilités  et 
inclinations ,  (ju'il  sait  mettre,  quand  il  lui  plaît,  dans  les  cœurs. 
Cette  dernière  façon  ,  «pii  provcnoit  d'une  excitation  spéciale  de 
Dieu,  éloit  sans  donle  la  phis  rt'iuarqnable  dans  la  sainte  vimve, 
surtout  pendant  l'exercicAî  de  son  oraison.  La  consultation  de  la 
l^Ière  rédnisoit  au.ssi  la  suppression  «  des  actes  de  discours  et  de 
sa  propre  industrie,  spei-ialenu^nt  an  /enijis  de  l'orfuso/i,  »  parce 
qu'encore  (jue  Dieu  soit  le  maitrede  répandre  ers  inijiuissdnccscn. 
tel  endroit  de  la  vie  qu'il  lui  plaira,  sa  conduite  ordinaire  est  de 
les  rédnire  au  tenq)s  spécial  de  l'oraison. 
Vf\L  e  ^^  ^'^^  ^^''^'  4^^''  ''^"  oraison  éloil  pres(jne  perpétuelle.  C'est 
p^^'u^'l''^^^'"  pom'quoi  cette  admirable  suspension  d'actes  revenoit  souvent, 
iviiT.u'  u^yis  jj^.  (iiii-oit  pas  touiours  :  ce  (juia  fait  écrire  dans  sa  IVr»  «ciue 

dam  l'éUt  loi  j 

P'»"'f''"  dans  ce!  état  passif  elle  ne  lais^oit  pas  d'agir  en  certain  temps, 

cctlcH^rc  ^  •• 

an.uj..i.i,.  quand  Dieu  retiroit  son  opération,  on  (lu'il  l'excitoit  à  cela,  mais 
direciciir.  toujours  po)'  clcs  uctcs  courts,  simples  et  amoureux  *.  »  Renuu*- 
quez  les  de;ux  causes  (|ui  lui  rendoieut  la  lilterté  de  son  action  : 
dont  l'un»;  est,  quand  Dieu  retirait  son  67>tvY///o^i,  c'est-à-dire 
cette  opération  extraordinaire  qui  lui  lioit  les  puissances  et  la 
tenoit  lieureusemcnt  captive  sous  une  main  tonle-puissanle  : 
ce  qui  montre  que  celte  opération  n'étoit  donc  pas  perpétuelle. 
C'est  aussi  pour  cette  raison  qu'elle  réitondit  à  une  supérieure, 

1  Voyez  ri-flos;.us,  liv.  VII,  cliap.  ^\IV.  —  *  Mont,  du  Garni.,  liv.  III  .  eh.  i, 
p.  154.  —  '  Ihiii,  IV,  Dem.,  cbap.  m,  etc.,  p.  "20;  Vie  de  Chuid.,  III  pari., 
c  .  IV.—  *  liid. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  VIII,  N.  XXX.  567 

qui  lui  demandoit  «  si  elle  faisoit  des  actes  à  l'oraison?  Oui,  ma 
fille,  quand  Dieu  le  veut,  et  qu'il,  me  le  témoigne  par  le  mouve- 
ment de  sa  grâce  :  J'en  fais  quelques-uns  intérieurs,  ou  prononce 
quelques ^^;?'o/t\v  extérieures,  surtout  dans  le  rejet  des  tentations.  » 
A  quoi  elle  ajoute  :  «  Dieu  ne  permet  pas  que  je  sois  si  téméraire 
que  je  présume  n'avoir  jamais  besoin  de  faire  aucun  acte,  croyant 
que  ceux  qui  disent  n'en  faire  en  aucun  temps,  ne  l'entendent  pas.  » 
Yoilà  comme  elle  traitoit  ceux  qui  veulent  être  tout  passifs  ;  et 
pour  elle,  non-seulement  dans  toute  la  ^âe,  mais  encore  en  parti- 
culier dans  l'oraison,  elle  mêloit  la  passiveté  et  les  actes,  selon  le 
besoin  qu'elle  croyoit  en  avoir;  ce  qui  est,  comme  on  voit,  une 
manière  très-active  et  de  réflexion. 

Cependant  elle  demeuroit  toujours  soumise  à  Dieu,  soit  qu'il 
l'invilàt  à  agir,  soit  qu'il  la  laissât  à  elle-même  en  retirant  son 
opération  :  par  où  il  lui  faisoit  sentir  qu'elle  n'étoit  pas  perpé- 
tuellement dans  cette  suspension  des  actes  et  des  puissances, 
puisque  souvent  Dieu  la  remettoit  dans  sa  liberté.  Aussi  son  saint 
directeur  lui  écrivoit  :  «  Ne  vous  divertissez  jamais  de  cette  voye  : 
souvenez-vous  que  la  demeure  de  Dieu  est  faite  en  paix  :  suivez 
la  conduite  de  ces  mouvemens  divins  :  soyez  active  et  passive  ou 
patiente ,  selon  ce  que  Dieu  voudra  et  vous  y  portera  ;  mais  de 
vous-mesme  ne  vous  sortez  point  de  votre  place  *  ;  »  c'est-à-dire  ne 
sortez  point  de  votre  état ,  ne  changez  point  la  nature  de  votre 
oraison  ;  ne  vous  forcez  point  à  faire  des  actes  marqués,  plus  qu'il 
ne  vous  sera  donné  de  le  pouvoir  faire.  Yous  voyez  que  comme 
souvent  Dieu  la  tenoit  sans  action  au  sens  qu'on  va  expliquer, 
aussi  quelquefois  il  la  laissoit  agir.  Nous  allons  dire  quelle  sorte 
d'actes  elle  faisoit  alors.  Ici  il  faut  absolument  observer  ces  trois 
mots  du  saint  directeur  :  Active,  passive  ou  patiente,  que  la  suite 
f€ra  mieux  entendre.  L'intention  du  saint  directeur  est  de  mon- 
trer par  ces  trois  paroles ,  ce  qu'on  ne  peut  trop  remarquer,  que 
sa  fille  spirituelle,  à  qui  il  les  adresse,  n'étoit  pas  toujours  dans  la 
suspension  des  puissances,  c'est-à-dirè  dans  cet  état  qu'on  nomme 
passif,  parce  que  cette  soustraction,  qui  lui  arrivoit  de  l'opération 
divine,  la  laissoit  en  sa  liberté  et  vraiment  active.  Toute  cette  vi- 

1  Vie  de  la  M.  de  Chant.,  III  paît.,  ch.  IV. 


o68  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

cissitude  ne  tendoit  qu'à  la  rendre  souple  sous  la  main  de  Dieu, 
et  à  faire  qu'elle  ne  cessât  de  s'accommoder  à  létat  où  il  la  met- 
toit  ;  ce  qui  produisoit  les  vertus,  les  soumissions  et  les  résiurna- 
tions  admirables  qui  panireut  dans  toute  sa  vie. 

tf^nire  ^^  nous  reste  encore  à  apprendre  d'elle ,  jusquoù  et  justjuà 
dan. uw-  quels  iictes  s'ctendoient  ses  suspensions  ou  ses  impuissances;  et 

.(uciion  il  faut  toujours  se  souvenir  qu'elle  parle  du  temps  de  l'oraison. 

propuKc  "  1  i.  L 

*ucii.«i.  Les  actes,  qui  étoient  alors  supprimés,  sont  premièrement  les 
de.  licies  discursifs  ou,  comme  elle  parle,  «  toutes  sortes  de  discours  ,  in- 
quoiavc-  dustries,  répliques,  curiositez  et  choses  semblables  '.  »  C'est  nue 

iicrAblc  11'  i. 

Mère  ne  Djeu  la  voulaut  mener  par  la  pure  voie  de  la  foi,  qui  de  sa  nature 
l'i"'  '""•  n'est  point  (lis(ursiv(\,  hii  C)\o\[  f  conune  elle  l'avctuei  tout  le  dis- 
cours ;  même  en  génér.il  tous  les  actes  de  l'entendement  ne  pa- 
roissoicnt  guère,  parce  (ju'aussi  toute  l'ame  étoit  tournée  «  à 
ces  actes  courts,  simples  et  amoureux,  »>  dont  nous  venons  de 
parler. 
"^"'        Les  actes  supprimés  alors  étoient  .<econdenienf  les  actes  sen- 
«un  d..  sibles  :  «  Klle  demeuroit,  dit-elle,  dans  la  simple  veuë  de  Dieu  et 

»cU;s   «en-  ' 

»*'"  •■'  de  son   néant,  tonte  abandonnée,  contente  et  traïKinille,  sans  se 

utrquef.  ' 

remuer  null«MniMit,  ponr  faire  //rs  nr/cs  scns/7/frs  de  l'entendement 
et  de  la  volonté,  non  pas  mesme  pour  la  prati(iue  des  vertus, 
ni  détestation  des  fautes  *.  «  Ce  n'étoit  donc  point  le  fond  des  actes 
qui  lui  étoit  ôté,  mais  leur  seule  sensibilité,  qui  aussi  ne  nous  est 
pas  conunandée.  Car,  connue  disoit  très-sonNcnl  son  saint  diivc- 
tenr,  l>ieu  cciinii.nule  (]"a\()ii-  la  foi  .  Tt^spérance  et  l;i  charité, 
mais  non  pasde  les  sentir.  ConuuenI  ce  fond  demeuroit  à  la  sainte 
Mère  sans  le  sentiment,  elle  rexpli(iue  très-bien  par  ces  paroles  : 
«  J'écris  de  Dieu,  j'en  parle  comme  si  j'en  avois  Iteaucoup  de 
si-iiliiiirnl ,  et  cela  parce  (pie  ji*  venx  d  Jf  croy  ce  bien-là  au- 
(lessns  (le  nri  peine  et  de  mo  i  afflietirm,  et  tir  dcsirc  autre  chose 
(pie  ce  tlu'esor  de  foy,  (Xcsperonro  et  de  charité,  et  de  faire  fout 
ce  qvo  je  pniirrnif  connoisfre  (pic  Dieu  mit  do  mnij  ^  :  »  dispo 
sitions  très-actives  et  très-éloignées  do  la  pure  et  perpétuelle  pas- 
siveté  des  nouveaux  mystiques.  On  y  désire,  on  y  espère,  on  y 
veut  faire  tout  re  qu'on  peut  convoistrc  qtie  Dieu  veut  de  nous. 
>  Vie  de  la  M.  de  Chant  ,  U  pnii,  c.  vu,  quest.  3.  —  *  I6id.  —  '  l/jid.,  c.  xxiv. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  VIII,  N.  XXXII.  569 

On  est  en  état  de  le  connoître  et  d'y  réfléchir  ;  on  a  très-réellement 
tous  ces  actes ,  on  les  produit  avec  soin ,  quoique  ce  soit  sans  les 
sentir  distinctement.  Ces  âmes  destituées  des  actes  sensibles  et  de 
la  consolation  (pi"on  en  reçoit,  ne  laissent  pas  indépendamment 
et  au-dessus  de  toutes  leurs  peines,  et  de  parler  et  d'agir  selon 
le  fond  qu'elles  portent,  quoique  souvent  sans  goût  et  sans  sen- 
timent. 

En  troisième  lieu,  toutefois  cette  privation  de  sentiment  avoit 
ses  bornes,  comme  il  paroît  par  ces  paroles  adressées  au  saint  di- 
recteur :  «  Je  ne  sens  plus  cet  abandonnement  et  douce  confiance, 
ni  n'en  sçaurois  faire  aucun  cas  ^  »  A  quoi  néanmoins  elle  ajoute 
«  qu'il  luy  semble  bien  toutefois  que  ces  dispositions  sont  plus 
solides  et  plus  fermes  que  jamais  :  )>  comment  s'en  aperçoit-elle, 
sinon  par  un  reste  de  sentiment;  mais  qui  demeure, dit- elle,  dans 
la  cime  jiointe  de  l'esprit?  et  un  peu  après  :  «  On  a  le  sentiment 
de  ces  actes  dans  la  cime  pointe  de  l'esprit  '^  »  Ce  qu'elle  exprime 
ailleurs,  en  disant  «  qu'elle  ne  laisse  pas,  parmi  ses  détresses,  de 
jouir  quelquefois  de  certaine  paix  et  suavité  intérieure  fort  mince, 
d'avoir  d'ardens  désirs  de  ne  point  ofienser  Dieu,  et  de  faire  tout 
le  bien  qu'elle  pourra*.  »  D'où  il  s'ensuit  qu  elle  n'étoit  pas  entiè- 
rement dénuée  de  sentiment,  mais  qu'ils  deraeuroient  dans  la 
haute  pointe  de  l'ame,  sans  se  répandre  ordinairement  sur  les 
sens  extérieurs;  qui  est  aussi  l'expression,  comme  la  doctrine 
constante  et  perpétuelle  de  son  saint  directeur,  ainsi  qu'on  verra 
en  son  lieu. 

Une  quatrième  remarque ,  c'est  que  la  suppression  des  actes 
sensibles  et  marqués  n'étoit  pas  universelle.  Car,  dit-elle,  dans 
cet  état  où  Ton  ne  peut  faire  des  actes  d'union,  mais  seulement 
demeurer  uni,  elle  disoit  c^uelciuefois  des  prières  vocales  (qui  de 
toutes  les  prières  sont  les  plus  actives) /jo?/r  tout  le  monde,  pour 
les  particuliers,  pour  elle-mesme,  et  tout  cela,  ajoute-t-elle,  sans 
se  divertir  ni  regarder  (par  d'expresses  réflexions  et  attentions) 
pourquoy  elle  prie,  encore  qu'elle  sente  qu'elle  prie  pour  soi  et 
pour  les  autres  mais  sans  s'éloigner  d'un  secret  et  quasi  imper- 
ceptible désir  (lue  Dieu  fasse  cVelle,  de  toutes  ses  créatures,  et 

1  Vie  de  la  M.  de  Chant.,  III  part.>  c.  iv.—  2  /6._,  c.  iv.—  ^Ib.,  II  part.jC.  xxiv. 


.'170  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

en  toutes  choses  ce  qu'il  luy  plaira  K  »  Voilà  donc  dans  la  i»lus 
haute  oraison  passive ,  des  actes  exprès  et  maniués  où  lame  se 
porte  très-activi'iiicnf  .  (luoiiin.'  loujoiirs  sous  la  conduite  de  son 
unique  moteur, 
xxxiii.  En  cinquième  lieu,  sous  le  nom  d'actes  sensibles,  on  peut  en- 
«ion  de»  core  enti'ndre  les  actes  raétliodiques  et  réguliers  dont  Dieu  af- 

«ele»    me-  *  "^ 

thojiquef.  franchit  une  ame  qui  marche  dans  la  sainte  liberté  d'esprit  ;  et 
dlusi'Z  ^^^^  ^  *i^^^  ^^  P^"*"  ï'^'iPPOiter  ces  deux  consultations  :  la  pre- 
cid,ui   mière,  sur  les  bénéfices  et  mvslèri»s  de  Notre-Seitrneur  :  «  que  les 
.int'd"   ^^^^^'^  en.seigncnt,  dit-elle,  (juil  faut  méditer:  cependant  l'ame 
recieur.    quj  ggt  eu  létal  ci-dessus,  ne  le  peut  en  façon  (pielconque  en  cette 
manière;  mais,  poursuit-elle,  il  me  semble  qu'elle  le  fait  cii  nue 
façon  tres-e.xcellenfe,  (pii  est  un  simple  souvenir  et  représenta- 
tion Iri'S-dcHcatc  di'S  mystères,  avec  des  albclions  tre.s-douces  et 
savoureu.scs,etc.»  A  quoy  le  saint  évèque  répond  ««pie  lame  doit 
s'arrcster  au  mystère  en  la  façon  d'oraison  «pie  Dieu  luy  a  don- 
née :  car  les  j)rédicateurs  et  Pères  spirituels  ne  l'entendent  pas 
autrement  '.  » 

La  seconde  consultation  regarde  la  confession  ,  <iii  il  faut  avoir 

do  la  contrition  :  «-ependant  «  l'ame  diMueure  sans  lumière  ,  sèche 

et  sans  .senliment,  ce  (jui  luy  est  une  très-grande  peine.  »  Le 

saint  direct«nu'  répond  :  «  La  contrition  est  fort  bonne,  sciIk'  et 

aride,  car  c'est  mie  action  de  la  partie  supérieure  et  suprême  de 

l'ame  '.  » 

XXXIV.       On  voit  par  lii  que  cette  ame  sainte,  dans  la  plus  sublime  et 

nirdo  j...  plus  passive  oraison,  loin  d'e.xclure  de  celte  haute  contemi)lation 

cl  1.1  CM  l,..s  mvstères  de  Jésus-Christ ,  en  recevoil  un  doux  souvenir  ,  u/k; 

trilion  rn-  * 

iroi.nl    flclicfi/v  rciHesetitat/o/i ,  nviic  di'6  dlTcclions  dourcs  :  ni  «jue  pour 

dan«    ii  '  "  7  11 

timiecn.  l^  foutrition  son  saint  directeur  ne  lui  apprend  autre  chose  cnie 
^«jciie  Je  s'en  contenter,  (jucbpie  sèche  et  queUiue  aride  qu'elle  fût.  Ce 
qui  montre  (pie  dans  ces  suspensions  et  passivetés  elle  ne  perdoit 
pas  le  fond  de  ces  actes,  mais  leur  seule  sensibilté,  avec  leur  for- 
mule méthodique  et  régulière.  Voilà  comme  elle  étoit  dans  l'o- 
raison, même  par  rapport  aux  actes  ;  et  eîicorc  que  son  attrait  et 
sa  voyc  fusl  d'estre,  comme  elle  dit,  totalement  passive,  c«it  attrait 
«  Viedc.la  ii.de  Cttaut.,  III  part.,  ch.  iv.—  î/6.,II  part.,  cb.  Mi  —  ^lb.,  q.  8. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  YIII,  N.  XXXV.  o7I 

ne  la  dominoit  pas  tellement  qu'il  ne  la  laissât  très-souvent  à  elle- 
même^  qui  est  une  disposition  que  nous  aurons  lieu  d'expliquer 
bientôt. 

Au  reste  ce  qui  se  passoit  en  cette  sainte  ame  durant  le  temps  ,Y^';e 
de  l'oraison,  avoit,  comme  on  a  vu  que  c'est  l'ordinaire,  ime  in-  ^^  "oyoït 

'  '  -i  '  obligée 

fluence  dans  toute  la  vie.  L'on  écrit  que  son  oraison  esloit  conti-  ^^'^  •"^'<'V 
nuelle  ^,  par  la  disposition  toujours  vive  du  simple  regard  de  Dieu   '^^  ^^^ 
en  toutes  choses.  Il  ne  faut  point  s"étonner  de  cette  continuité,   '■"^""'■ 

1-  '     nient  sou 

après  qu'on  a  ouï  son  saint  directeur  si  clairement  expliquer  que  ^.('^■|"'""„. 
ce  qu'on  appelle  bénir  toujours  Dieu  ^,  n'est  pas  le  bénir  toujours  '''""-■"«• 
actuellement,  mais  seulement ,  comme  il  parle,  le  bénir  souvent 
et  à  toutes  occasions.  3Iais  comme  par  ces  divines  impuissanc^es, 
qui  la  tenoient  si  souvent  sous  la  main  de  Dieu ,  sa  vivacité  na- 
turelle que  Dieu  vouloit  dompter  par  ce  moyen,  se  ralentissoit 
tous  les  jours  :  «  sa  grande  cessation  d'opérations  intérieures  lui 
fit  trouver  cette  invention  :  elle  décrivit  de  sa  main ,  et  signa 
de  son  sang  une  grande  oraison  qu'elle  avoit  faite  de  prières, 
louanges  et  actions  de  grâces  pom'  les  bénéfices  généraux  et  par- 
ticuliers, pour  les  parens,  amis  et  autres  devoirs,  pour  les  vi- 
vans ,  les  morts,  el;  enfin  pour  toutes  les  choses  à  quoy  elle  pen- 
soit  estre  obligée ,  et  que  sa  dévotion  lui  suggéra,  portant  ce 
papier  nuit  et  jour  à  son  col,  avec  la  protestation  de  foy  du  Mes- 
sel,  qu'elle  avoit  aussi  signée  de  son  sang,  après  avoir  fait  cette 
convention  amoureuse  avec  Nostre  -  Seigneur ,  que  toutefois  et 
quantes  qu'elle  les  serreroit  sur  son  coem',  ce  seroit  à  dessein  de 
faire  tous  les  actes  de  loy ,  de  rcmercîment  et  de  prière  eontenus 
en  cet  écrit  ^  »  Nos  faux  mystiques  prennent  cette  pieuse  pra- 
tique pom*  scrupule  et  pour  foiblesse  ;  mais  elle  sera  contre  eux 
un  témoignage  éternel  que  cette  ame,  que  Dieu  tenoit  si  puis- 
samment sous  sa  main,  fut  toujours  infiniment  éloignée  de  l'er- 
reur de  croire  qu'elle  fût  exempte  des  actes,  puisqu  encore  qu'elle 
en  fit,  pour  ainsi  parler,  de  si  actuels  et  de  si  actifs,  elle  ne  fut 
point  contente  qu  elle  n'eût  encore  trouvé  ce  nouveau  moyen  de 
les  pratiquer. 

1  Vie  de  la  M.  de  Chant.,  111  part.,  ch.  iv.—  ^  Ar7K  de  Dieu,  liv.  IX,  ch.  viii. 
—  5  Vie  de  Chant.,  III  part.,  ch.  iv. 


572  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  DORAISON. 

Dans  ce  même  esprit  elle  écrivoit,  elle  dictoit  très-souvent  des 
actes  de  soumission  envers  son  saint  directeur  et  envers  Jésus- 
Christ  même,  qu'elle  signoit  de  son  sang,  aussi  bien  que  des 
oraisons  à  la  sainte  Vierge  qu'elle  récitoit  *  :  pour  les  rendre  plus 
agréables,  elle  obtenoit  de  ses  supérieurs  la  permission  de  les 
dire  :  ce  qui  montre  de  plus  en  plus  qu'elle  étoit  très-afTection- 
néeà  faire  des  actes  choisis,  délibérés,  excités  en  témoignage  de 
sa  foi  et  pour  nourrir  son  amour. 
XXXVI.       Qn  a  encore  de  ces  actes  écrits  de  sa  main .  entre  autres  on 

Lnrai<on 

iieiavoi..!-  a  qqIuï  où  elle  avuit  compris  tous  les  devoirs  d'une  chrétienne  ; 
Mmcii...-  rien  n'v  est  omis,  et  tout  cela  étoit  de  l'esprit  du  saint  évênue. 

Mite,   iini"  »  ^  1.  « 

d««  nu-,  j'aj  ]^j  avec  attention  'car  il  ne  faut  pas  mépriser  la  doctrine  de 

spintiiil-  -^  '■ 

siinî'"  1  Esprit,  c'est-à-dire  ce  qu'il  inspire  aux  âmes  qui  sont  à  lui'i  ;  j'ai 
lu,  dis-je,  un  acte  semblable,  fait  de  l'ordre  du  même  saint  parla 
vénérable  Nb're  Marie  Rossette,  une  de  ses  filles,  qui  fut  un  pro- 
dige de  grâce  et  de  sainteté.  Elle  y  enti-e  (iims  tous  les  actes  les 
plus  spécinijues  (jue  l'Ecriture  prescrit  aux  fidèles.  Après  les 
avoir  produits  et  réitérés  avec  une  forée  incroyable,  elle  tàchôit 
de  se  tenir  toujours  le  plus  actuellement  (jumelle  pouvoit  dans  la 
même  disposition.  Comme  il  s'élevoit  dans  .son  cn^ur  mille  bons 
désirs  particuliers,  sans  se  donner  la  consolation  de  s'y  arrêter, 
elle  les  metfoit,  dit-elle,  dans  son  grand  f/rfr  fl'dhtnidnn,  où  tout 
avoit  été  si  bien  spécifié.  Ainsi  en  un  sens  elle  n'iwercoit  (iniiii 
seul  acte,  et  en  même  temps  elle  exerçoit  cent  actes  divers.  C'est 
ce  que  disoit  Cassien  de  celte  oraison  de  feu  dont  on  a  parlé,  «  où 
se  ramassoient  en  un  tous  les  sentimens  :  romjlohath  ficnsiôus.  » 
Les  actes  de  foi,  d'espérance  et  de  charité,  et  tous  ceux  qui  en 
dépentb'nt  s'y  trouvoient  tous  ave  leur  distinction  naturelle, 
puis(]ue  saint  Paul  nous  appnMid  (jue  ces  trois  choses  «leiueurent 
dans  tout  le  cours  de  cette  vie;  mais  de  tous  ces  actes  réels  et 
physiques,  si  l'on  mepermettoit  ce  mot  de  l'Ecole,  il  se  composoit 
comme  un  seul  acte  moral  où  tout  se  réunissoit.  C'est  ce  qui  arri- 
voit  à  celte  sainte  religieuse  en  qui  toutes  les  afTections  dontime 
ame  chrétienne  est  capable  se  rassembloient,  se  pénétroient,  poiu* 
ainsi  parler,  l'une  l'autre  ;  et  rapportées  h  la  même  fin,  faisoient 
»  Vie  de  la  M.  de  Chant.,  11  part.,  cb.  xi  ;  lil  part.,  ch.  vu. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  VIII,  N.  XXXVII.  573 

un  parfait  concert.  Mais  néanmoins  pour  assurer  son  état,  le  saint 
évêque  non  content  de  cet  amas  d'actes,  pour  les  développer  plus 
activement  et  plus  actuellement,  faisoit  dire  à  la  sainte  fille  deux 
ou  trois  fois  par  jour  un  Pater  et  un  Credo,  outre  Toffice  où  elle 
assistoit;  et  il  est  marqué  dans  sa  vie  que  lorsqu'étant  à  Finfir- 
merie,  elle  ne  pouvoit  aller  à  Téglise,  elle  disoit  avec  rinfirmière, 
ou  un  Salve,  Regùia,  ou  quelque  autre  semblable  prière.  Ainsi 
comme  les  autres  chrétiens ,  elle  s'excitoit  à  prier  et  à  faire  les 
autres  actes  de  piété  que  l'Evangile  commande.  Je  rapporte 
exprès  ses  dispositions,  parce  que  les  nouveaux  mystiques  la  pro- 
duisent comme  un  exemple  d  une  perpétuelle  passiveté,  mais  vai- 
nement ,  comme  on  voit.  Il  est  vrai  que  son  état  particulier  étoit 
d'une  sécheresse ,  et  eu  même  temps  d'mie  fidélité  incroyable, 
parce  que  dénuée  ordinairement  de  toute  consolation  et  de  tout 
soutien  sensible ,  elle  persistoit  dans  sa  sèche  simplicité ,  et  en 
même  temps  demeuroit  fidèle  jusqu'au  bout  à  dire  son  Pater  et 
son  Credo;  par  où  elle  unissoit  parfaitement  ce  qui  étoit  de  son 
attrait  particulier  avec  l'attrait  commun  de  tous  les  fidèles.  Par  son 
attrait  particulier  elle  étoit  portée  et  inclinée,  mais  encore  comme 
de  loin ,  à  une  continuité  et  unité  d'actes  qui  n'est  pas  de  cette 
vie  :  mais  durant  ce  temps  de  pèlerinage  il  falloit  comme  rabattre 
cet  attrait  extraordinaire  par  l'attrait  commim  des  chrétiens,  qui 
porte  aux  actes  particuliers,  expliqués  et  développés  dans  le  Pater 
et  dans  le  Credo;  c'est  pourquoi  on  se  croyoit  obligé  d'y  astreindre 
cette  sainte  fille ,  pom'  la  préserver  de  l'illusion  où  tombent  nos 
faux  mystiques  en  supprimant  les  actes  communs  de  la  piété;  à 
quoi  si  on  l'eût  vue  se  porter,  et  se  rendre  moins  obéissante  à 
faire  les  actes  qu'on  lui  prescrivoit  selon  la  règle  de  l'Evangile, 
son  oraison  qui  fut  admirée  auroit  été  suspecte  et  mauvaise.  Il 
est  de  l'état  de  cette  vie  de  faire  ces  actes ,  quoique  l'acte  de  la 
vie  future,  c'est-à-dire  l'acte  continu  et  perpétuel  où  l'on  est  poussé 
intérieurement,  comme  on  l'est  à  l'éternelle  félicité,  commence  à 
se  faire  sentir  d'une  manière  encore  imparfaite ,  mais  néanmoins 
admirable.  Dieu  soit  loué  à  jamais  pour  les  merveilleuses  opéra- 
.  tions  qu'il  exerce  dans  les  âmes. 

Les  faux  mystiques  outrent  tout  ;  et  ils  voudroient  faire  accroire  'QuVvm- 


XXXVII. 


574  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

différence  à  la  Mèrc  de  Chantai  qu'elle  étoit  indifTérente  pour  le  salut,  sous 

du    salut  ,  ^.  '  •        n  .      T  ,   . 

ne  f.ii  ja-  prctextc  qu  interrogée  «  si  elle  esperoit  les  biens  et  les  joyes  de 

lUtii^   dans 

la  Mère  de  la  vie  étemelle,  elle  repartit  dans  un  profond  sentiment  de  sa  bas- 
sesse :  Je  sçay  qu'aux  mérites  du  Sauveui*  elles  se  doivent  espé- 
rer; mais  mon  espérance  ne  se  tourne  point  de  ce  costé-là  :  je  ne 
veux  désirer  ni  espérer  chose  quelconque,  sinon  que  Dieu  accom- 
plisse sa  sainte  volonté  en  moy,  et  qu'à  jamais  il  soit  g-lorifié  '.  » 
Sur  cela  on  lui  fera  dire  que  Dieu  étant  glorifié  dans  la  damnation 
comme  dans  le  salut  des  hommes,  elle  est  indifférente  pour  l'un 
et  pom"  lautre  :  mais  ce  sentiment  seroit  un  prodige  ;  car  comme 
il  s'agit  d'espérance,  l'espérance  seroit  pour  l'enfer  de  même 
qu'elle  est  pour  le  paradis ,  ce  qui  n'est  rien  moins  qu'un  blas- 
phème. La  pieuse  Mère  entend  donc  que  Dieu  sera  glorifié  en 
elle,  ainsi  (pi'il  l'est  dans  ses  saints,  et  que  c'est  l'unique  sujet  de 
son  espérance.  Elle  dit  même  très-expressément  :  «  Quand  je  voy 
le  Sauveur  en  croix,  ce  n'est  jamais  s;uis  espérer  (pi'il  nous  fera 
vivre  d'amour  en  sa  gloire  *.  Que  si  elle  estoit,  comme  elle  écrit, 
sans  aucun  désir  de  recompense  et  de  jouissance,  et  ne  parloit 
quasi  jamais  dQS  douceurs  de  Dieu,  mais  de  ses  opérations  ';  » 
la  suite  fait  voir  qu'elle  l'entendoit  de  certaines  consolations  et 
suavités  de  cette  vie,  qu'on  sait  bien  qu'il  ne  faut  pas  désirer  avec 
cette  inquiétude  tant  blâmée  par  son  saint  directeur,  ainsi  quil  a 
été  souvent  remarqué.  Au  reste  «  elle  conseilloit  de  ne  jamais 
regarder  le  ciel  sans  Tesperer  *  ;  »  et  loiii  de  considérer  respér;;nce 
comme  une  vertu  intéressée,  c'est,  disoit-elle,  un  aiguillon  de 
l'amour  :  en  quoi  elle  ne  faisoit  que  suivre  les  conseils  de  son 
admirable  directeur,  qui  lui  écrivoit  :  «  Guy,  ma  chère  fille,  il  le 
faut  espérer  fort  assurément  que  nous  vivrons  éternellement  :  et 
Nostre-Seigneur  que  feroit-il  de  sa  vie  éternelle  s'il  n'en  donnoit 
point  aux  pauvres  petites  et  chétives  âmes"?  »  Ainsi  ces  petites 
âmes,  c'est-à-dire  les  âmes  simples,  vivent  d'espérance  ;  et  tout 
est  plein  de  semblables  sentimens. 
XXXVIII.  Concluons  de  tout  ce  discours  que  cette  sainte  ame  étoit  agis- 
leï^chT  santé  aussi  bien  que  pâtissante  dans  tout  le  cours  de  sa  vie,  et 

1  Vie  de  In  M.  de  Chant.,  III  part.,  cli.  ii  —  *  Ibid.—  »  liid.,  ch.  m.—  *  Ibid., 
ch.  II.  —  5  Liv.  II,  ép.  M. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  YIll,  N.  XXXIX.  57o 

même  dans  son  oraison.  Je  dis  même  qu'elle  étoit  agissante  par  précédens 
des  actions  excitées  exprès  ;  car  pom*  elles  que  Dieu  excite  d'une  rlue  m- 
façon  particulière^  elles  se  trouvent  dans  l'état  le  plus  passif.  Si  'point"]* 
donc  le  saint  évêque  de  Genève  ordonne  à  sa  sainte  fille  d'être  [«  p'!i^ssw«- 
agissante,  lorsque  Dieu  lui  en  laisse  la  liberté,  il  entend  qu'elle  a 
souvent  cette  liberté ,  pour  en  exercer  l'action  la  plus  expresse  ; 
et  c'est  ce  qu'elle  marque  elle-même  très-clairement  par  ces  pa- 
roles, que  je  prie  le  pieux  lecteur  de  lire  attentivement,  parce 
que  toute  sa  disposition  y  est  renfermée  :  «  Lorsque  les  distrac- 
tions nous  pressent ,  il  faut  faire  l'oraison  de  patience,  et  dire 
humblement  et  amoureusement,  s'il  se  peut  :  Mon  Dieu,  le  seul 
appuy  de  mon  ame,  ma  quiétude  et  mon  unique  repos,  quand  je 
cesserois  de  vi\Te,  je  ne  cesserois  de  vous  aimer  :  excitant  ainsi 
son  cœur  sans  attendre  que  Dieu  nous  mette  le  miel  à  la  bouche 
pour  parler  à  sa  bonté  *.  »  Il  se  faut  donc  exciter  soi-même,  sans 
attendre  que  Dieu  nous  excite  d'une  façon  particulière  :  et  c'étoit 
le  conseil  comme  la  pratique  de  cette  sainte  ame ,  quoiqu'elle  fût 
si  puissamment  attirée  aux  états  passifs. 

On  entend  maintenant  à  fond  ces  paroles  du  saint  directeur  à  sa  xxxix. 
digne  fille  :  «Soyez active  et  passive,  ou  patiente  selon  que  Dieu  momedoc- 
le  voudra  "-  ;  »  c'est  comme  s'il  disoit  :  Quelque  passive  que  vous  expiicàuon 

1  •         1       TV-  A  ^^    l'orai- 

soyez  sous  la  mam  de  Dieu ,  vous  êtes  souvent  active ,  puisque  ^"n  q"e  le 
souvent  il  cesse  de  vous  exciter  de  cette  façon  particulière,   et  pen^de 

1  1  •  .  '  • .  A  rri  patience. 

alors  vous  devez  agir  et  vous  exciter  vous-même.  Tant  qu'il  vous 
tient  sous  sa  main  n'en  sortez  pas,  et  demeurez  dans  la  suspension 
où  il  lui  plaît  de  vous  mettre.  Voilà  donc  déjà  la  disposition  active 
et  passive  bien  entendue;  mais  il  y  a  outre  cela  la  disposition  qu'il 
appelle  p«^/en^(?,  oui' ame  pleine  de  dégoût,  de  détresse,  de  déso- 
lation, semble  ne  pouvoir  plus  même  espérer  en  Dieu,  loin  de 
pouvoir  faire  aucun  acte  sensible  d'amour.  L'ame  alors  est  plus 
que  passive,  et  entre  dans  l'oraison  que  le  saint  évêque  appelle  de 
patience,  où  les  actes  sont  offusqués  et  enveloppés,  mais  non  pour 
cela  éteints  et  supprimés. 

Et  pour  entendre  à  fond  un  tel  état,  il  est  bon  de  se  souvenir 
d'une  excellente  doctrine  du  P.  Jean  de  la  Croix,  Il  dit  donc  que 

1  Vie  de  la  M.  de  Chant.,  III  pari.,  cli.  iv.—  -Ib.,  ch.  m,  iv.  Ci-dessus,  ch.  xxs. 


576  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  DORAISON. 

Tame  est  jetée  dans  ces  suspensions  et  empeschcmens  ou  impuis- 
sances divines,  «  ou  par  voye  de  purgatiou  et  de  peine,  ou  par 
une  contemplation  tres-parfaite  '  ;  »  c"est-à-dire  qu'elle  y  est  jetée , 
ou  par  ajjfjndance  de  grâces,  comme  dans  les  ravissemens   et 
dans  les  extases;  ou  par  manière  d'épreuve  et  de  soustraction, 
lorsque  Dieu  retire  ses  consolations  et  ses  sou'.iens.  C'est  ce  que  sa 
Mère  sainU'  Thérèse  exprimoit  en  disant  :  «  Que  comme   la  joye 
suspend  les  puissances,  la  peine  aussi  fait  le  mesme  effet  *.  »  Ce 
dernier  état  étoil  celui  de  la  .Mère  de  Chantai ,  (jue  limpuissance 
de  faire  des  actes  aussi  exprès  qu'elle  vouloit,  jeloit  dans  des  con- 
fusKjns  et  dans  des  ténèbres  dont  elle  ne  cesse  de  se  plaindre; 
mais  son  saint  directeur  la  rassuroit.  en  lui  disant  «pie  ces  sous- 
tractions mystérieuses,  loin  de  suppriuïer  les  actes  de  jiiété  ,  ne 
faisoient  «pic  les  u  concentrer  dtuis  le  cœur,  ou  les  |)orter,  comme 
il  parle,  à  la  cime  pointe  de  resi)ril,  »  ainsi  qu  il  a  déjà  ete  n>mar- 
qué,  et  {\\\o\\   tàfh.ra  de  rexpliquer   à  f(tiid  dans  le  traité  des 
épreuves. 
'^  .       Selon  ces  principes,  tiuand  le  Saint  fait  dire  à  sa  statut^  (lu  elle 

Sotte  de  It  I  I         »     i  i 

'uin»^"cV  "*^  voudroil  p.is  se  remm-r  pour  aller  à  lui/  si  luf/-mcsnicnc  le  voni- 
drrni^n.  j,ian(loU  \  il  faut  entendre  ces  paroles  de  certains  particuliers 
•"' '  YJ*' niouvemens  «pli  ne  sont  pas  essentiels  à  la  piété:  car  pour  les 
"'"'  "*•  actes  de  foi,  d'espérance,  de  charité,  de  demande  ou  de  désir  et 

que.  '  1  ' 

d'action  de  grâces,  ils  sont  déjà  assez  commandés,  et  à  cet  é.t:rard 
on  n'a  lu'st)in  pour  se  renuier ,  non  jdus  qu  un  soldat  fiour  mar- 
cher et  pour  combattre,  (pie  de  l'ordre  donné  à  tous  en  général. 
Ainsi  \\n\  voit  juscpi'à  quel  point  on  doit  èlr(\,  «  tant  interieure- 
iiM'ul  qu'extérieurement,  sans  atlt.'ntioii,  sans  élection,  sans  désir 
quelcoïKpie.  »  Le  directeur  et  la  dirigée  se  sont  également  expli- 
qués sur  ce  sujet,  en  répétant  trente  fois  qu'il  s'agit  du  temps  de 
l'oraison,  où  même  la  passivité  est  mêlée  de  toute  l'activité,  de 
toute  l'action  et  de  tout  le  choix  «pi'on  a  vu.  Il  faut  aussi  se  res- 
souvenir que  ces  ét^its  imaginaires  de  nos  faux  mysliipies,  où  les 
âmes  sont  toujours  mues  «livinement  par  ces  impressions  extraor- 
dinaires dont  nous  parlons  ,  ne  sont  connues  ni  du  P.  Jean  de  la 

^  Mrmt  (lu  Cnrnj.,  liv.  Il  ,  cb.  X,  p.   2.'j7.   —  *  Vie  de  sainte  Thérèse,  cb.    XX, 
p.  liJ.  —  '  Liv.  II,  ép.  LUI. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  IX,  N.  I.  577 

Croix,  ni  de  sa  Mère  sainte  Thérèse.  J'ajoute  que  ni  les  Angeles, 
ni  les  Catherines,  celle  de  Sienne  et  celle  de  Gènes,  les  Avilas,les 
Alcantai-aSj  ni  les  autres  âmes  de  la  plus  pure  et  de  la  plus  haute 
contemplation,  n'ont  jamais  cru  être  toujours  passives ,  mais  par 
intervalles  :  et  sou\'ent  rendues  à  elles-mêmes,  elles  ont  agi  de  la 
manière  ordinaire.  La  même  chose  paroît  dans  la  Mère  de  Chan- 
tai, une  des  personnes  de  nos  jours  les  plus  exercées  dans  cette 
voie,  et  qu'aussi  les  nouveaux  mystiques  ne  cessent  de  nous  ob- 
jecter :  ainsi  leur  perpétuelle  passiveté  n'est  plus  qu'une  idée,  à 
laquelle  saint  François  de  Sales  et  son  humble  fdle,  qu'ils  appe- 
loient  à  leur  secours,  n'ont  aucune  part. 


LIVRE  IX. 

Où  est  roppoiiée  la  suite  de  la  doctrine  de  saint  Fraiiçois  de  Sales,  et  de 
quelques  autres  suints. 

Pour  favoriser  cette  doctrine  inouïe  de  l'indifTérence  du  salut ,       i. 
on  allègue  ce  passage  de  saint  François  de  Sales  :  a  Que  le  bon  posTuons 
plaisir  de  Dieu  est  le  souverain  objet  de  l'ame  indifférente ,  en  ulTv'^r 
sorte  qu'elle  aimeroit  mieux  l'enfer  avec  la  volonté  de  Dieu,  que  ''ie''sainr 
le  paradis  sans  la  volonté  de  Dieu  :  ouy  mesme  il  prefereroit  l'en-  ^rmer"- 
fer  au  paradis,  s'il  sçavoit  qu'en  celuy-là  il  y  eust  un  peu  plus  du  iumu! 
bon  plaisir  divin  qu'en  celuy-ci  ;  en  sorte  que  si  par  imagination 
de  chose  impossible,  il  sçavoit  que  sa  damnation  fust  un  peu  plus 
agréable  à  Dieu  que  sa  salvation,  il  quitteroit  sa  salvation  et  cour- 
roit  à  sa  damnation  K  »  Il  répète  la  même  chose  presque  en  mêmes 
termes  dans  un  de  ses  Eîitretiens  ',  et  il  dit  encore  ailleurs 
«  qu'une  ame  vrayment  parfaite  et  toute  piu-e  n'aime  pas  mesme 
ce  paradis,  sinon  parce  que  l'Epoux  y  est  aimé,  mais  si  souverai- 
nement aimé  en  son  paradis,  que  s'il  n'a  voit  point  de  paradis,  il 
n'en  seroitni  moins  aimable,  ni  moins  aimé  par  cette  courageuse 
amante,  qui  ne  sçait  pas  aimer  le  paradis  de  son  Epoux,  mais  son 

1  Am.  de  Dieu,  liv.  IX,  ch.  iv.—  2  Entret.  11,  p.  804  ;  édit.  Vives,  tom.  I II,  p.  288. 

TOM  xvni.  37 


;  de  l'i- 


b-g  INSTRUCTION  SUR  LES  ETATS  DORAISON. 

Epoux  de  paradis  • .  »  Ces  tendres  expressions,  comme  on  les  voit 
dans  tous  ses  écrits,  lui  sont  communes  avec  plusieurs  saints  dès 
l'origine  du  christianisme,  et  nous  en  verrons  Tusag-e  ;  à  présent 
ce  qu'en  infèrent  les  nouveaux  mystiques,  c'est  que  le  juste  par- 
fait est  rt-^présenté  entre  le  paradis  et  l'enfer,  comme  indifférent 
par  lui-même  à  l'un  et  à  l'autre  :  mais  c'est  précisément  tout  le 
contraire  (ju'il  faudroit  conclure.  On  scroit,  dit-on,  indifférent  si 
le  lion  plaisir  de  Dieu  ne  délerminoil  ;  mais  c'est  aussi  pour  cela 
cp'à cause  qu'il  détermine  on  ne  l'est  plus,  et  on  ne  peut  l'être. 
Ainsi  cette  indifférence  est  impossible  dans  l'homme,  puisque  la 
seule  chose  (pii  la  pom-roit  faire,  c'est-à-dire  la  séparation  du  bon 
plaisir  de  l)i«'u  d'avec  le  paradis,  ne  peut  pas  être.  De  cette  sorte, 
parce  qu'il  est  vrai  (lu'on  n'aime,  comme  on  vient  de  voir,  fc  pa- 
radis, sinon  parce  que  l'Kpauj-  y  est  aime-,  il  faut  (  ondun^  non 
point  (juc  le  paradis  soit  indilféreut;  ce  (jui  avant  nos  mystiques 
n'e^t  jamais  sorti  d'une  bouche  chrétienne  ;  mais  au  contraire  que 
\v  paradis  n'est  ni  ne  peut  être  indifférent,  parce  que  ni  il  n'est,  ni 
il  ne  peut  être  (pie  le  siiint  Epou.x  n'y  soit  point  aimé.  C'est  là 
aussi  l'exci'lliiite  et  léi4:itime  eonsé(iuence  qtie  tiroit  notre  saint 
évêquo  de  ce  be^m  principe,  puisjpi'en  disant  (jue  la  bienheureuse 
éternité  «  neluy  seroit  rien,  si  cen'estoit  cet  amour  invariable  et 
toujours  actuel  de  ce  j.,Mand  Dieu  (pii  y  règne  toujours  ",  >>  il  dit 
en  même  temps  «  qu'il  n'a  sçù  penser  à  autre  chose  »  qu'à  cette 
bienheureuse  éternité  ;  de  sorte  que,  loin  d'inférer  qu'elle  lui  est 
indiffén-nte,  il  assure  directement  au  contraire  qu'il  n'a  pu  être 
occupé  que  de  cet  objet. 

On  dira  que  nosmysti([uesnerenfçndent  pas  autrement,  (juils 
savent  l)ien  comme  nous  que  la  séparation  de  Dieu  d'avec  son  pa- 
radis est  impossible,  et  enhu  qu'il  b-iu*  faut  laisser  leurs  amou- 
reuses extravagances.  Je  le  veux,  s'ils  n'en  font  point  un  mauvais 
usage  ;  mais  ils  bâtissent  sur  cette  chimère  d'indiftérence  de  très- 
réelles  pratiques,  piiistpi'ils  tiouvent  intéressé  et  au-dessous  d'eux, 
ou  en  tout  cas  incompatiltle  av»'c  la  perfection,  de  désirer  ni  de 
demander  à  Dieu  pour  eux-mêmes  la  glou*e  éternelle,  (|n<rH|uelle 
ne  soit  autre  chose  que  l'avènement  de  son  règne  :  et  par  là  ils 

»  Am.  de  Dieu,  liv.  X,  eh.  v.  -  «  Ibid.  -  »  Liv.  VII,  <^p.  xxx. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  IX,  N.  ÎI,  111.  379 

séparent  l'idée  d'aimable  et  de  désirable  d'avec  celle  de  la  patrie 
céleste  ;  ce  qui  emporte  toutes  les  froideurs  que  nous  avons  re- 
marquées dans  ces  âmes  sèches  et  superbes. 

Je  ne  puis  donc  condamner  les  pieuses  expressions  du  saint  "•  , . 
évêque,  qui  est  tout  plein  de  ces  suppositions  impossibles  ;  mais  il  ''■r  ""'^ 
faut  avec  ce  saint  homme  éviter  l'inconvénient  d'y  attacher,  '■'■"' ^n in- 

différence 

comme  les  mystiques,  la  cessation  des  désirs  et  l'indifférence.  '•'■ss"pp»- 

■^  ■■■  ^  fitions  im- 

«  Les  âmes  pm'es ,  dit-il ,  aimeroient  autant  la  laideur  que  la  l'^^sibies. 
beauté,  si  elle  plaisoit  autant  à  leur  amant  ^  »  Donc  la  beauté  de 
l'ame  est  indifférente ,  et  il  ne  faut  point  la  désirer  :  c'est  un  pi- 
toyable et  insupportable  raisonnement.  Sic'étoit  assez  défaire  des 
suppositions  impossibles  pour  conclure  ces  indifférences,  toute  la 
doctrine  de  la  foi  seroit  renversée.  «Si  par  impossible  un  ange  du 
ciel  vous  annonçoit  un  autre  Evangile,  il  le  faudroit,  dit  saint 
Paul,  frapper  d'anathème  ,  ^»  comme  le  démon  :  donc  il  est  in- 
différent d'écouter  ou  le  démon  ou  un  ange  du  ciel  :  de  même  si 
le  paradis  étoit  sans  amour,  et  que  l'amom"  passât  à  l'enfer,  l'enfer 
seroit  préférable  au  paradis  ;  c'est-à-dire,  en  d'autres  termes,  si  le 
paradis  devenoit  l'enfer,  et  que  l'enfer  devînt  le  paradis  ;  si  la  vé- 
rité devenoitle  mensonge,  et  que  le  mensonge  devînt  la  vérité,  ce 
seroit  le  mensonge  et  l'enfer  qu'il  faudroit  aimer  ;  donc  tout  cela 
est  indifférent,  et  il  ne  faut  demander  ni  l'un  ni  l'autre,  c'est  l'ab- 
surdité des  absurdités.  On  aime  les  choses  comme  elles  sont ,  ou 
du  moins  comme  elles  peuvent  être;  mais  l'impossible,  qui  par 
manière  de  parler  a  deux  degrés  de  néant,  puisque  ni  il  n'est  ni  il 
ne  peut  être,  et  qui  est  par  là,  si  on  veut,  au-dessous  du  néant 
môme,  ne  peut  pas  être  un  objet ,  ni  contre-peser  le  désir  qui  va 
droit  à  la  chose  comme  elle  est. 

Plusieurs  savans  hommes ,  qui  voient  ces  suppositions  impos-     m. 
sibles  si  fréquentes  parmi  les  saints  du  dernier  âge,  sont  portés  à  .■nckn.f  el 
les  mépriser  ou  à  les  blâmer  comme  de  pieuses  extravagances,  en  àTccITl 
tout  cas  comme  de  foibles  dévotions  où  les  modernes  ont  dégé-  M°mû- 
néré  de  la  gravité  des  premiers  siècles.  Mais  la  vérité  ne  me  per-  pLws! 
met  pas  de  consentir  à  leurs  discours.  Dès  l'origine  du  christia- 
nisme nous  trouvons  saint  Clément  d'Alexandrie  qui  s'explique 

1  Eiitret.  XII;  p.  8G0.—  ^  Galat.,  ï,  8. 


580  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

de  cette  sorte  :  «  J'ose  dire  (ce  sont  ses  paroles)  que  le  parfait  spi- 
rituel ne  recherche  pas  cet  état  de  perfection^  parce  qu'il  veut  être 
sauvé;  et  qu'interrogé  par  une  manière  de  supposition  impossible 
lequel  des  deux  il  choisiroit,  ou  la  perfection  (qu'il  appelle  gnose, 
TT.v  'çibiwi]  ou  le  salut  éternel,  si  ces  deux  choses  se  pouvoient  sé- 
parer, au  lieu  qu'elles  sont  inséparables  ;  sans  hésiter  il  prendroit 
la  perfection  (tï-.v^vuîiv)  comme  une  chose  qui  surpassant  la  foi  par 
la  charité,  est  désirable  par  elle-même  :  d'où  il  conclut  que  la  pre- 
mière lionne  œuvre  de  l'homme  parfait  est  de  faire  toujours  le 
bien  par  une  habitude  constante,  en  agissant  non  pas  pour  la 
gloire  ou  la  réputation,  ni  pour  aucune  récompense  qui  lui  vienne 
ou  des  hommes  ou  de  Dieu  '.  » 

J'aurois  lieauroup  do  réflexions  à  faire  sur  ce  discours  de  saint 
(llément  d'Alexandrie;  mais  je  me  contente  ici  d'exposer  le  fait 
des  suppositions  ou  fictions  impossibles ,  en  réservant  le  surplus 
au  traité  suivant .  \\()\\v  ne  point  traîner  celui-ci  en  trop  de  lon- 
gueur. 

Je  diffère  par  la  même  raison  ce  qu'il  y  lunoil  à  dire  sur  ce 
passage  de  saint  Paul  :  «  Je  désirois  d'être  anathème  pour  mes 
frères  *  :  »  et  je  m'en  tiens  à  ce  fait  illustre,  qui  est  que  saint 
Chrysostome  établit  par  ce  passage  qu'il  ûuidroit  aimer  Dieu,  non- 
seulement  quand  nous  ne  recevrions  de  lui  autre  bien  que  de  l'ai- 
mer; mais  encore  quand  au  lieu  des  biens  qu'il  nous  a  promi^,  il 
nous  enverroit,  s'il  se  pouvoit,  e- .VuvaTov,  l'enfer  et  ses  riaïunirs 
éternelles,  en  conservant  l'amour. 

J'omets  toutes  les  raisons  par  lesquelles  ce  Père  prouve  que  c'a 
été  l'esprit  de  saint  Paul  de  s'offrir  pour  être  anathème  et  séparé 
éternellement  de  la  présence  de  Jésus-Cbrist,  s'il  éloit  possible  et 
(jue  par  là  il  put  obtenir  le  salut  des  Juifs,  et  mettre  fin  aux  blas- 
phèmes que  leur  réprobation  faisoit  vomir  contre  Dieu;  et  il  me 
suffit  à  présent  de  dire  qu'il  a  employé  un  long  et  puissant  dis- 
cours à  établir  cette  explication  dans  les  homélies  xv  et  xvi  sur 
YEpître  aux  Romains,  et  encon-  dans  le  premier  livre  de  Ja  Coin- 
ponction,  chapitre  vu  et  viii. 

C'est  encore  un  autre  fait  constant^  que  toute  l'école  de  saint 

>  Strum.,  lil).  IV,  p.  'o.  —  -lloin.,  ix,  a. 


TRAITÉ   I,  LIVRE  IX,  N.  ]1I.  81 

Chrysostome  est  entrée  dans  ce  sentiment ,  comme  il  paroît  par 
saint  Isidore  de  Péluse,  livi'e  n,  épître  58  ;  par  Théodoret^,  tom.  ni 
et  IV  sur  Y  Epître  aux  Romains,  verset  38  du  chapitre  vni,  et  3  du 
chapitre  ix,  où  il  ne  fait  qu'abréger,  mais  doctement  et  judicieu- 
sement à  son  ordinaire,  r explication  de  saint  Chrysostome.  On 
trouve  en  substance  la  même  interprétation  dans  Théophylacte 
et  dans  Pliotius ,  tant  dans  sa  lettre  ccx  que  dans  la  compilation 
d'Œcuménius  sur  les  mêmes  endroits  de  saint  Paul. 

Saint  Thomas  sur  les  mêmes  passages  rapporte  et  approuve 
l'exposition  de  saint  Chrysostome  ;  mais  Estius  et  Fromont,  deux 
excellens  interprètes  de  saint  Paul,  l'embrassent  positivement, 
persuadés  non-seulement  par  l'autorité ,  mais  encore  par  les  rai- 
sons de  saint  Chrysostome,  et  par  les  doctes  réponses  de  ce  Père 
à  toutes  les  objections. 

On  entendra  mieux  cette  belle  interprétation  de  saint  Chysos- 
tome  et  de  ses  disciples,  si  l'on  compare  ces  paroles  de  saint  Paul  : 
«  Je  voudrois  être  anathème,  »  avec  celles  du  même  Apôtre  :  «  Si 
nous  ou  un  ange  du  ciel  vous  annonçoit  autre  chose,  qu'il  soit 
anathème  *  ;  »  où  d'un  côté  l'amour  de  la  vérité  le  porte,  s'il  étoit 
possible  qu'un  ange  du  ciel  errât,  à  le  frapper  d'anathème;  et  de 
l'autre  par  la  ferveur  de  la  charité  il  s'offre  lui-même  d'être  ana- 
thème s'il  éloit  possible ,  et  qu'il  put  par  cet  effort  de  son  amour 
arracher ,  pour  ainsi  parler ,  à  la  divine  miséricorde  le  salut  des 
Juifs.  S'il  faut  venir  aux  scolastiques ,  Scot  et  toute  son  école 
détermine  «  cpie  la  charité  tend  à  son  objet  considéré  en  lui-même, 
quand  même  par  impossible  on  sépareroitde  cet  objet  l'utilité  ou 
l'intérêt  qui  nous  en  revient  ^;  »  c'est-à-dire,  dans  son  langage, 
la  félicité  éternelle.  Ces  suppositions  par  impossible  sont  célèbres 
dans  toute  l'Ecole  :  on  n'a  pas  besoin  de  rapporter  les  mystiques, 
où  elles  sont  fréquentes  ;  et  après  cela  il  ne  faut  pas  s'étonner  de 
les  trouver  si  souvent  dans  le  saint  évêque  de  Genève. 

Il  en  est  venu  à  la  pratique  ;  et  il  paroit  en  plusieurs  endroits 
de  ses  Lettres,  qu'il  a  porté  dans  sa  jeunesse  un  assez  long  temps 
une  impression  de  réprobation,  qui  a  donné  lieu  à  ces  désirs  d'ai- 
mer Dieu  pour  sa  bonté  propre,  quand  par  impossible  il  ne  reste- 
1  Galat.,  1 ,  8.  —  2  lu  m ,  diat.  27,  q.  unie,  n.  2. 


582  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'OR.\ISON. 

roit  à  celui  qui  l'aime  aucune  espérance  de  le  posséder.  Ce  mys- 
tère, qui  ne  paroît  que  confusément  dans  ses  Lettres,  nous  est 
développé  dans  sa  Yie  * ,  où  dans  les  frayeurs  de  l'enfer  dont  il 
étoit  saisi ,  une  noire  mélancolie  et  des  convulsions  qui  lui  lai- 
soient  perdre  le  sommeil  et  le  manger,  le  poussèrent  si  près  de  la 
mort  qu'on  ne  voyoit  point  de  remède  à  son  mal;  et  on  voit  qu'il 
fallut  enfin  «  dans  les  dernières  presses  d'un  si  rude  tourment  en 
venir  à  cette  terrible  résolution,  que  puisqu'on  l'autre  vie  il  devoit 
estre  privé  pour  jamais  de  voir  et  d'aimer  un  Dieu  si  digne  d'estre 
aimé,  il  A'ouloit  au  moins,  pendant  qu'il  vivoit  sur  la  terre  faire 
tout  son  pnssil)le  pour  l'aimer  de  toutes  les  forces  de  son  ame,  et 
dans  toute  l'étendue  de  ses  affections.  »  On  voit  qu'il  portoit  dans 
son  cœur  comme  une  réponse  de  inort  assurée  *;  et  ce  qui  étoit 
impossible,  qu'après  avoir  aimé  toute  sa  vie,  il  supposoit  qu'il 
n'aimeroit  plus  dans  l'éternité.  Mais  encore  que  la  supposition  on 
fût  inipossible,  elle  donna  lieu  à  un  acte  où  le  Saint  trouva  sa  déb- 
^Tance,  puisque,  comme  dit  l'auteur  de  sa  Vie,  «le  démon  vaincu 
par  un  acte  d'amour  si  désintéressé  luy  céda  la  victoire  et  luy 
quitta  la  place.  » 

11  ne  faut  pas  dire  pour  cela  qu'il  eut  perdu  l't'spérance  ou  le 
désir,  puisqu'on  a  "vu  que  partout  ailleurs  il  enseigne  que  ces  sen- 
timens  demeurent  inébranlables,  dm'ant  ces  états,  dans  la  liante 
partie  de  l'ame,  mais  enfin  par  cette  tendre  et  pieuse  supposi- 
tion, il  exerce  mi  parfait  amour. 

Sa  sainte  filb^  l'a  imitée  lorsque  si  souvent  elle  dit  à  Notre-Sei- 
gnem'  «  (pe  s'il  luy  plaisoit  de  luy  marquer  sa  place  et  sa  de- 
meure dims  l'enfer ,  pourveu  que  ce  fust  à  sa  gloire  éternelle , 
elle  en  seroit  contente,  et  que  toujours  elle  seroit  à  son  Dieu  ^.  » 

La  même  cliose  arrivoit  à  la  bienheureuse  Angèle  de  Foligny, 
dont  le  sa'mt  évèque  a  tant  admiré  la  sainteté  et  tant  décrit  les 
combats.  Lorsqu'une  ame  si  pure  se  croyoit  tellement  plongée 
dans  la  malice,  qu'elle  ne  voyoit  dans  ses  actions  que  corruption 
et  hypocrisie,  elle  s'écrioit,  comme  elle  l'écrit  elle-même*,  avec 
grand  plaisir  :  «  Seigneur,  quoyque  je  sois  danuiée  je  ne  lais- 

«  TV?  (h-  S.'iH,  imv  Maupas,  I  V'a'.'l-,  *'li.  v,  p.  2."> ,  2G.—  ^  II  Cor.,  i ,  n.—  '  Vie 
de  ta. M.  do  Chant.,  Il  pail ,  ch.  xiv.—  ''Eilit.  Tans.  15;iS.  Vit.  Ang.,  c.  xx,  p.3G. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  IX,  N.  III.  383 

seray  pas  de  faire  pénitence,  et  de  me  dépouiller  de  tout  pour 
lamour  de  vous,  et  de  vous  servir  K  »  Son  amour  la  trompoit; 
et  à  force  d'aiûier  celui  qu'elle  trouvoit  si  aimable,  elle  croyoit 
qu'elle  l'aimeroit  jusque  dans  l'enfer.  C'est  pourquoi  en  une 
autre  occasion  en  appelant  la  mort  à  son  secours ,  elle  disoit  à 
Dieu  :  «  Seigneur,  si  vous  me  devez  jeter  dans  l'enfer,  ne  dif- 
férez pas  davantage ,  liastez-vous  ;  et  puisqu'une  fois  vous  m'a- 
vez abandonnée,  achevez  et  plongez-moy  dans  cet  abysme  -.  » 
On  ressent  dans  ces  paroles  un  transport  d'amour  dont  on  est 
ravi,  encore  qu'il  soit  fondé  sur  une  de  ces  fictions  dont  nous 
parlons. 

Dans  un  semblable  transport  sainte  Catherine  de  Gênes  disoit 
à  son  amour  :  «  Peut-il  estre,  ô  doux  amour,  que  vousnsie  - 
viez  jamais  estre  aimé  sans  consolation  ni  espérance  de  bien  au 
ciel  ou  en  terre  ■  ?  »  A  la  vérité  on  lui  répondit  que  telle  union 
avec  Dieu  ne  pouvoit  être  sans  grande  joie  :  mais  pour  elle,  on 
voit  qu'elle  eût  souhaité  l'impossible  pour  mieux  exprimer  son 
amom". 

C'est  encore  ce  qui  lui  faisoit  dire  :  «  L'amour  pur  non-seule- 
ment ne  peut  endurer,  mais  ne  peut  pas  mesme  comprendi^e 
quelle  chose  c'est  que  peine  ou  tomiiient,  tant  de  l'enfer  qui  est 
déjà  fait,  que  de  tous  ceux  que  Dieu  pourroit  faire;  et  encore 
qu'il  fust  possible  de  sentir  toutes  les  peines  des  démons  et  de 
toutes  les  âmes  damnées,  je  ne  pourrois  pourtant  jamais  dire  que 
ce  fussent  peines,  tant  le  pm'  amour  yferoit  trouver  de  bonhem-, 
parce  qu'il  oste  tout  moyen  et  puissance  de  voir  ou  sentu'  autre 
chose  que  luy- mesme  *.  » 

Sainte  Thérèse  n'est  pas  moins  fervente,  lorsqu'elle  dit  «  Qu'il 
n'y  a  rien  que  les  âmes  possédées  d'amour  ne  fissent ,  et  point  de 
moyens  qu'elles  n'employassent  pour  se  consumer  entièrement, 
si  elles  le  pou  voient,  dans  le  feu  dont  il  les  brusle  ;  et  elles  souf- 
fru'oient  avec  joye  d'estre  pour  jamais  anéanties,  si  la  destruction 
de  leur  estre  pouvoit  contribuer  à  la  gloire  de  leur  immortel 
Epoux,  parce  que  luy  seul  remplit  tous  leurs  désirs,  et  fait  toute 

1  Vit.  Ang.,  cap.  xix,  p.  38  —  ^  /^/^/.^  p.  47.  —  3  yi^,  (jg  sahile  Catherine  de 
Gênes.,  cil.  xxviii.  —  4  iijid,^  cb.  .KXlii,  p.  157. 


584  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON, 

leur  félicité  K  »  Ces  âmes  se  regarderoient,  s'il  étoit  possible, 
comme  mie  lampe  ardente  et  brûlante  en  pure  perte  devant  Dieu 
et  en  hommage  à  sa  souveraine  grandeur. 

Cette  Sainte  que  lEglise  met  presque  au  rang  des  docteurs  en 
célébrant  la  sublimité  de  sa  céleste  doctrine,  «  dont  les  âmes  sont 
nourries,  dit  encore  ailleurs,  «que  dans  Toraison  d"union,  le  mieux 
que  puisse  faire  une  ame  est  de  s'abandoimer  entièrement  à  Dieu: 
s'il  veut  l'enlever  au  ciel,  qu'elle  y  aille  ;  s'il  veut  la  mener  en 
enfer,  qu'elle  s'y  résolve  sans  s'en  mettre  en  peine,  puisqu'elle 
ne  fait  que  le  suivre,  et  qu'il  fait  tout  son  lionheur  *.  »  Fortes  ma- 
nières de  parler,  où  Ton  mêle  le  possil)le  avec  l'impossible,  pour 
montrer  qu'on  ne  donne  point  de  bornes  à  sa  soumission. 

A  l'exemple  de  ces  grandes  âmes,  la  Mère  Marie  de  llncarna- 
tion,  ursuline,  qu'on  appelle  la  Thérèse  de  nos  jours  et  du  Nou- 
veau Monde,  dans  une  vive  impression  de  l'inexorable  justice  de 
Dieu,  se  condamnoif  à  une  <-lc)'nit(''  de  peines ,  et  s'y  oiïroit  elle- 
mîinxi',  i\{\\\  {\\m  If I  justice  de  Dieu  fût  satisfaite, /ioj//vr/^  seule- 
ment, disoitelle,  que  je  ne  sois  point  prirre  de  rntnour  de  Dieu  et 
de  Dieu  inesme  '. 

Un  vénérable  et  savant  religieux,  fils  de  cette  sainte  veuve 
plus  encore  selon  l'esprit  que  selon  la  chair,  et  qui  en  a  écrit  la 
vie  approuvée  par  nos  plus  célèbres  docteurs ,  y  fait  voir  •  que 
ces  transports  de  l'amour  divin  sont  excités  dans  les  âmes  parfai- 
tenicnl,  unies  à  Dieu,  afin  de  montrer  la  dignité  infinie  et  inrom- 
préhonsible  de  ce  premier  Etre,  pour  ([ui  il  vaudroit  mieux  en- 
durer mille  supplices,  et  môme  les  éternels,  que  de  l'offenser  par 
la  moindre  faute.  Mais  sans  chercher  des  raisons  pour  autoriser 
ces  actes,  on  voit  assez  qu'on  ne  les  peut  regarder  comme  pro- 
duits par  la  dévotion  des  derniers  siècles  ni  les  accuser  de  foi- 
blesse,  puisqu'on  en  voit  la  pralicpie  et  la  théorie  dès  les  premiers 
âges  de  l'Eglise,  et  que  les  Pères  les  plus  célèbres  de  ces  temps-là 
les  ont  admirés  comme  pratiqués  par  saint  Paul. 
»•        Après  avoir  établi  le  fait  constant,  qu'on  ne  peut  rejeter  ces  ré- 

'  Chnt.  fin  Vamp.  flem.  G.  ch.  1\'  ,  sur  la  fin.  —  *  Vip,  cli.  xvii ,  p.  02.  —  '  Vie, 
liv.  III,  ch.  V,  p.  429;  Ihid.  add.  au  cliap.  m,  n.  I>;  aid.  au  lIi.  iv^  p.  1:22; 
ch.  VI _,  p.  432;  ibid..  p.  423.  —  *  Ibid.,  p.  422. 


TRAITÉ  î,  LIVRE  IX,  N.  IV.  585 

signations  et  soumissions  fondées  sur  des  suppositions  impos-  exemples , 
sibles,  sans  en  même  temps  condamner  ce  qu  il  y  a  de  plus  grand  qmonifait 

ces  actes 

et  de  plus  saint  dans  l'Eglise,  il  reste  à  faire  deux  choses  :  l'une,    de  rési- 

gnatioa 

de  montrer  dans  quelles  cn^onstances  on  peut  fau-e  ces  actes,  et  p;ir  suppo- 
s'il  y  en  a  où  Ion  les  puisse  conseiller,  et  c'est  ce  que  nous  ferons  pi^^ibie, 
bientôt  ;  et  l'autre,  si  l'on  peut  soupçonner  ceux  qui  les  ont  pror  p"".-  cda 

moins  éloi- 

duits  de  cette  damnable  indifférence  ou  nous  mènent  les  nou-  g'»'^  'i«  u 

supprcs- 

veaux  mystiques  ;  mais  nous  avons  déjà  vu  que  le  saint  éveque  ^i»»  rf^s 

,  Ji'in.inde?, 

de  Genève  en  a  éto  infiniment  éloigné,  et  il  ne  nous  sera  pas  dif-  i-i  'i^  im- 

.  dillerence 

ficile  de  montrer  la  même  chose  de  tous  les  autres  saints.  d'^^  ^oa. 

vciux  mys- 

Pour  commencer  par  saint  Paul,  posons  d'abord  ce  principe,  ''t"'^- 
qu'on  n'est  point  indifférent  pour  les  choses  qu'on  demande  et 
qu'on  désire  sans  cesse  ;  c'est  pourquoi  nos  nouveaux  docteurs, 
qui  nous  vantent  leur  indifférence,  nous  disent  en  même  temps, 
comme  on  a  vu,  qu'ils  ne  demandent  ni  ne  désirent  rien.  Mais 
peut-on  dire  que  saint  Paul  est  dans  ce  dernier  état,  lui  qui  ne 
cesse  de  faire  des  demandes,  et  de  pousser  de  saints  désirs  vers  la 
céleste  patrie,  gémissant  d'en  être  éloigné  '  dans  la  demeure  pe- 
sante de  ce  corps  mortel,  et  ne  cessant  de  s'étendre  -  par  un  con- 
tinuel effort  vers  le  terme  de  la  carrière,  et  vers  la  céleste  récom- 
pense qui  nous  y  est  proposée?  Où.  placera-t-on  dans  une  telle 
ame,  la  sèche  indifférence  des  nouveaux  spirituels  ? 

Mais  il  a  dit  qu'il  eût  voulu,  s'il  lui  eût  été  permis ,  être  séparé 
d'avec  Jésus-Chri:^t  pour  la  gloire  de  Dieu  et  le  salut  de  ses  frères  ^ 
Ce  n'est  pas  là  une  indifférence,  mais  au  contraire  un  sacrifice, 
qu'on  voudroit  pouvoir  faire  à  Dieu  de  ce  qu'on  désire  le  plus  :  et 
pour  montrer  que  ce  terme  :  Je  voudrais ,  n'empêche  pas  le  plus 
ardent  de  tout  les  désirs  et  la  plus  déterminée  de  toutes  les  vo- 
lontés pour  le  salut,  Photius  fait  cette  belle  remarque  '%  que  celui 
qui  dit .  Jevoudrois  ou  j'eusse  désiré^  comme  saint  Paul  {■^■■■>v.''j-'ry), 
ne  produit  pas  dans  cet  acte  une  volonté  absolue,  une  volonté 
formée  ;  car,  comme  nous  l'avons  déjà  dit,  on  ne  veut  point  par 
une  telle  volonté  ce  qu'on  sait  être  impossible  ;  ce  n'est  pas  même 
une  volonté  conditionnelle,  puisque  la  condition  étant  jugée  im- 
possible, c'est-à-dire  un  pur  néant  et  quelque  chose  de  moins,  elle 

1  II  Cor.,  V,  6.  —  -i  P/utip.,  iir,  13,  14.  — 3  /îom.,  i:c,  3.  —  '•  Phot.,  ep.  216. 


586  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  DORAISON. 

n'est  pas  de  nature  à  pouvoir  affecter  un  acte;  mais  mie  volonté 
imparfaite,  ou  comme  parle  l'Ecole ,  une  velléilé,  qui  n'empêche 
pas  la  volonté  absolue  -et  parfaite  du  contraire  de  ce  qu'on  ne 
veut  qu'en  cette  sorte.  Or  une  telle  volonté  ne  peut  point  faire 
ime  indifférence,  ni  jamais  contre-balancer  la  volonté  fixe  qu'on 
a  du  bien  :  car  on  ne  peut  imaginer  une  indifférence  entre  ce  que 
Dieu  veut,  et  ce  que  ni  il  ne  veut  ni  il  ne  peut  vouloir.  Or  est-il 
qu'il  est  certain  qu'il  ne  veut  ni  ne  peut  vouloir  l'impossible.  Je 
ne  pousse  pas  plus  loin  ce  raisonnement ,  parce  qu'on  l'a  mis  au- 
tant qu'on  a  pu  dans  son  jour  au  cli  ;pitre  précédent. 

Dans  ci'lui-ci,  où  nous  réduisons  notre  preuve  aux  faits  cons- 
tans,  nous  dirons  que  saint  Clément  d'Alexandrie  ne  vouloit  pas 
que  son  gnostique  fût  indiflerent  au  salut ,  sous  prétexte  qu'il  lui 
eût  préféré  la  perfection ,  si  par  impossible  elle  on  eût  été  sépa- 
rable,  puisque  nous  avons  déjà  vu  qu'il  reconnoît  dans  les  plus 
parfaits  des  demandes  continuelles,  et  par  conséquent  de  puis- 
sans  désirs  de  la  bienheureuse  éternité  et  des  choses  qui  y  con- 
duisent. Nous  verrons  aussi  au  traité  suivant  tant  de  preuves  de 
cette  vérité,  qu'il  ne  restera  aucun  lieu  à  l'indlirérence  que  nous 
combattons. 
V-  Sainte  Catherine  de  Gênes  étoit-elle  de  ces  superltes  indiffé- 

ei;Mi.i.w:  rcutes ,  qui  ne  veulent  rien  demander  pour  elles-mèm"S,  elle  qui 
ardtn,  du-  disoit  «  ou'eu  reconnoissant  le  besoin  qu'on  a  de  Dieu  contre  ce 

sirs  de  -"^         _  ^ 

sninic  c«  poison  caché  de  rainour-iiropre,  il  lui  venoit  une  volonté  de  crier 

Ihcriiie  de   '  i         i  J 

G*ne«ci  si  fort,  qu'elle  fût  ouïe  partout,  et  ne  voudroit  dire  autre  chose, 

do    sainio  }     i.  l  ^  ^ 

Théroso.  sinon  :  Aidez-moy,  aidez-moy  ;  et  le  dire ,  continuoit-elle ,  autant 
de  fois  que  l'haleine  me  dureroit  et  fine  j'aurois  vie  au  corps'.  » 
Voici  encore  une  autre  demande  de  cette  amante  incomparable  : 
«  Mon  Seigneur,  je  vous  prie  que  vous  me  donniez  ime  goutte- 
lette de  cette  eau  que  vous  donnastes  à  la  Samaritaine,  parce  que 
je  ne  puis  plus  supporter  un  si  grand  feu  qui  me  brusle  toute  au 
dedans  et  au  dehors*  :  »  on  entend  bien  que  c'étoit  le  feu  de  l'a- 
mour divin  qui  la  consumoit. 

Elle  raconte  elle-même  ailleurs  ses  autres  prières  ;  elle  ne  craint 
point  d'autre  enfer  que  celui  de  perdre  ce  qu'elle  aime  ;  elle  met- 

*  Vie ,  ch.  .\XY,  p.  173.  —  *  Ibid.,  ch.  xLViii,  i>.  350. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  LX,  N.  V.  587 

toit  la  pureté  de  son  amour  à  dire  sans  cesse  :  Amou?',  je  ne  veux 
que  vous^  ;  c'étoit  Dieu  qu'elle  appeloit  de  ce  nom  :  Amour  ;  con- 
noissant  bien ,  disoit-elle,  que  cet  amour  pur  et  net-,  et  tout  en- 
semble héatifique  qu'elle  désiroit_,  n'étoit  autre  chose  que  Dieu. 
Et  dans  son  troisième  Dialogue  elle  s'écrie  :  «  0  viande  d'amour  ! 
de  laquelle  sont  repus  les  anges,  les  saints  et  les  hommes  :  ô 
viande  béatifique  !  vraye  viande  pour  satisfaire  à  notre  faim ,  tu 
éteins  tous  nos  autres  appétits.  Celuy  qui  gouste  cette  viande  s'es- 
time bienheureux  dés  cette  vie,  où  Dieu  n'en  montre  qu'une  pe- 
tite goutte;  car  s'il  en  montroit  davantage,  lliom me  mourroit 
d'un  amour  si  subtil  et  si  pénétrant ,  tout  l'esprit  s'en  embrase- 
roit  et  consumeroit  tout  le  corps  ^  »  Yoilà  comme  elle  étoit  in- 
difîérente  pour  ce  rassasiement  éternel ,  elle  à  qui  une  gouttelette 
de  ce  torrent  de  délices  causoit  de  si  violens  transports. 

Souvent  toutefois  elle  vous  dira  qu'elle  ne  veut  rien,  qu'elle  n'a 
rien  à  désirer,  parce  que  dans  certains  momens  de  plénitude  de 
Dieu,  elle  ne  sentoit  point  son  indigence,  quoiqu'elle  portât  dans 
le  cœur  un  insatiable  désir  de  le  posséder  davantage ,  comme  la 
viande  béatifique,  ainsi  qu'on  le  vient  d'entendre ,  «  dont  elle  es- 
toit  toujours  désireuse,  toujours  atTamée,  comme  estant  le  terme 
de  ce  pur  et  béatifique  instinct  dans  lequel  Dieu  nous  a  créez  *  ;  » 
ce  qui  aussi  lui  faisoit  dire  :  «  0  Seigneur,  toute  autre  peine  que 
celle  de  voir  mon  péché  :  montrez-moy  tous  les  démons  et  tous 
les  enfers  plùtost  que  de  me  montrer  une  oiTense ,  quelque  petite 
qu'elle  soit,  qui  empesclie  la  jouissance  du  divin  Epoux  ^  » 

Jamais  pourtant  elle  n'a  écrit  qu'elle  eût  dans  la  confession,  où 
elle  alloit  très-souvent  ®,  cette  peine  en  voyant  son  péché  :  mais 
plutôt  elle  avoit  la  peine  de  ne  point  trouver  ses  péchés ,  parce 
que  le  péché  qu'on  veut  confesser  n'a  plus,  pour  ainsi  parler,  cette 
force  désunissante ,  à  cause  du  grand  mystère  de  réconciliation  et 
de  paix  qui  est  dans  le  ministère  de  la  pénitence.  En  conformité 
de  cette  disposition ,  on  voit  dans  la  Sainte  ce  qu'on  ne  voit  point 
dans  les  mystiques  de  nos  jours,  un  continuel  recours  à  son  con- 

1  Vie ,  ch.  XVI,  p.  112,  etc.,  1  i6,  etc.;   di.  l,  p.  371  ;  cîi.  xxv,  p.   Ho.  — 
^  Ch.  XXXVIII,  p.  252  ;  ch.  XXI ,  p.   i48.    —^Dmlug.,   III.,    ch.   Il,    p.   (i20. — 
'■*  DiciL,  lib.  111,  purgat.  Ci8.  —  '■^    17e,  ch,  xx,   p.   ihl.  —  "^    Ibid.,  ch.  xx 
p,  2u,j,  etc. 


588  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

fesseur  pour  être  éclaircie  des  moindres  doutes  ',  sans  quoi  elle 
entroit  dans  d'inexplicables  tourmens,  ce  qui  lui  inspiroit  cette 
demande  :  «  Délaissée  queje  suis  de  toutes  parts,  ô  Seigrneur,  don- 
nez-moy  du  moins  quelqu'un  qui  m'entende  et  me  reconforte  *  :  » 
ainsi  elle  demandoit  tout  le  soutien  nécessaire ,  sans  croire  pour 
cela  être  intéressée,  ni affolblir  pour  peu  que  ce  fût  la  pureté  de 
son  amour. 

Ecoutons  encore  un  moment  les  ardens  désirs  de  sainte  Thé- 
rèse :  elle  se  compare  elle-même  «  à  une  colombe  gémissante, 
dont  la  pi'ini;  malgré  les  faveurs  (juclle  reçoit  tc^us  les  jours  de- 
puis plusieurs  ainiéfs  augmente  sans  cesse,  [jarre  (jue  plus  elle 
connoist  la  grandeur  de  Dieu ,  et  voit  combien  il  mérite  d'estre 
aimé,  plus  son  amour  pour  luy  s'enflamme ,  et  plus  elle  sent 
croistre  sa  peine  de  se  voir  encore  séparée  de  luy  ;  ce  (jui  luy  causeï 
enfin,  a[)rés  plusitmrs  années,  cette  excessive  douleur',  »  (jue  Ton 
verra  dans  la  suite. 

Voilà  l'état  (»ù  se  trouve  lame  dans  la  sixième  demeure,  c'est-à- 
dire  pres([ue  au  sommet  de  la  perfection.  «  Mlle  s'objecte  elle- 
mesme  que  cette  ame  estant  si  soumise  à  la  volonté  do  Dieu  devroit 
donc  s'y  conîbrmer  ;  à  (juoy  elle  répond  qu'elle  l'auroit  pu  aupa- 
ravant, mais  non  pas  alors,  parce  qu'elle  n'i'st  [)lus  maistresse  de 
sa  raison,  ni  capable,  de  penser  qu'à  ce  (jui  c^uise  .sa  peine,  dont 
elle  rend  celte  raison  :  ([n'estant  absente  de  celuy  qu'elle  aime,  et 
dans  le;|U(d  seul  consiste  tout  son  bonheur,  connnent  pourroit-elle 
désirer  de  vivre  '?  «  Klh;  ne  soupçonne  seulement  pas  qu'il  y  ait 
rien  de  foible  ni  d'intéressé  dans  ce  désir.  Mais  dîuis  la  septième 
demeure,  qui  est  le  comble  de  la  perfection,  cette  disposition 
ne  change  pas  ,  et  au  contraire  «  Dieu  y  a  pitié  de  ce  qu'a 
souflert  et  soullVo  une  ame  par  son  ardent  désir  de  le  posséder  *.  » 

Cependant  elle  représente  cet  étiit,  comme  un  étal  de  si  grand 
repos,  que  l'anie  //  perd  tmilson  mouvement*',  en  sorte  que  d'un 
cAté  il  sendile  (ju"ell(!  est  sans  désir,  et  de  l'autre,  il  ne  faut  pas 
s'étonner  que  ses  désirs  soient  si  ardens.  D'où  vient  cette  mysté- 

»  Ch.  XLiv.  p.  3ia.  —  »  Dinl.,  liv.  Il ,  <li.  x,  p.  .HO.  —  »  CA^I/.,  deiii.  G,  di.  xi, 
p.  802.  —  i  r/„il.,  dcui.  6,  cil.  XI,  p.  102.  —  s  Ibid.,  dom.  "î,  ch.  t,  p.  S07.  — 
'  lùid  fCÎï.  n,p.  SU. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  IX,  N.  V.  589 

rieuse  contrariété ,  si  ce  n'est  qu'étant  par  la  singulière  présence 
de  Dieu  entre  la  privation  et  la  jouissance,  tantôt  elle  reste  comme 
tranquille,  tantôt  li\Tée  au  désir  de  posséder  Dieu;  ce  qu'elle 
soufîre  est  inexplicable.  Ce  qu'il  y  a  de  certain,  est  que  confor- 
mément à  rétat  de  cette  vie,  qui  est  de  pélerinag-e  et  d'absence, 
«  ces  âmes  rentrent  dans  un  désir  de  le  posséder  pb  inement  ; 
mais  elles  reviennent,  ajoute-t-elle,  aussitost  à  elles,  renoncent  à 
ce  désir  ;  et  se  contentant  d'estre  assurées  qu'elles  sont  toujours 
en  sa  compagnie,  elles  lui  offrent  cette  disposition  de  vouloir  bien 
souffrir  la  prolongation  de  leur  vie,  comme  la  plus  grande 
marque  et  la  plus  pénible  qu'elles  luy  puissent  donner  de  la  réso- 
lution de  préférer  ses  interests  aux  leurs  propres  *  ;  »  ce  qui  visi- 
blement marque  dans  le  fond,  non  point  une  indifTérence  pure, 
mais  dans  un  ardent  désir  une  parfaite  soumission  pour  le  délai. 
On  voit  si  cette  ame,  qui  dit  qu'elle  a  renoncé  à  ses  désirs,  est 
sans  désirs  en  cet  état.  C'est  que  le  désir  banni  de  la  région  sen- 
sible se  conserve  dans  le  fond,  et  ce  sont  là  les  mystérieuses  con- 
trariétés de  l'amour  divin,  qui  combattu  par  soi-même,  ne  sait 
presque  plus  ce  qu'il  veut.  Ne  dites  donc  point  à  cette  ame  qu'elle 
ne  désire  pont.  Tout  chrétien  est,  comme  Daniel,  homme  de 
désirs  2,  quoiqu'il  ne  sente  pas  toujours  ce  qu'il  désire,  ni  sou- 
vent même  s'il  désire  ;  «  rien  ne  l'empêche  du  moins  d'épancher 
son  cœur  en  actions  de  grâces  ^  »  Mais  sainte  Thérèse  ne  s'en 
tient  pas  là,  et  voici  ses  derniers  sentimens  :  «  Quel  sentiment 
croyez-vous,  mes  sœurs,  que  doit  estre  celuy  de  ces  âmes, lors- 
qu'elles pensent  qu'elles  peuvent  estre  privées  dun  si  grand 
bonheur  (par  le  péché)  ?  Il  est  tel  qu'il  les  fait  veiller  continuelle- 
ment sur  elles-mesmes ,  et  tâcher  à  tirer  de  la  force  de  leur  foi- 
blesse,  pom*  ne  perdre  par  leur  faute  aucune  occasion  de  plaire  à 
Dieu  '\  n  Voilà  une  ame  bien  avant  dans  les  réflexions  et  dans 
les  manières  actives  que  nos  nouveaux  contempl  .tifs  vouloient 
éteindre.  Enfin  dans  ce  sommet  de  perfection  elle  finit  par  cette 
prière  :  «  Plaise  à  sa  divine  Majesté,  mes  clîères  sœurs  et  mes 
chères  filles,  que  nous  nous  trouvions  toutes  ensemble  dans  cette 

1  ChûL,  dem.  ~,  ch.  ni,  p.  817.—  2  Ban.,  ix,  23.—  »  Chût.,  cli.  ni,  p.  8i8. 
—  *  Ihid-,  p.  820. 


390  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

demeure  éternelle,  où  l'on  ne  cesse  jamais  de  louer  Dieu.  Ainsi 
soit-il  K  n  De  cette  sorte  les  demandes  toujours  vives  et  persévé- 
rantes paroissoient  incessamment  dans  cette  grande  ame ,  qu'on 
voudroit  mettre  au  rang  des  indifférentes. 
g.J^'p^,.     11  ne  faut  laisser  aux  nouveaux  mystiques  aucun  lieu  où  ils 
'«Inif  puissent  placer  leur  indifférence.  A  Dieu  ne  plaise  que  ce  soit  par 
«pport;  indifTérence  que  sainte  Thérèse  ait  dit  qu'on  «  laisse  à  Dieu  la  dis- 
"'mll'ël'  position  de  tout  ce  qu'on  est,  sans  s'enquérir  seulement  de  quelle 
Jnce'^du  manière  il  lui  plaira  d'en  disposer,  et  qu'on  s'abandonne  à  luy 
"'"'■      sans  reserve ,  pour  estre  ou  enlevée  au  ciel ,  ou  menée  dans  les 
enfers,  sans  s'en  mettre  en  peine'  :  »  tout  cela  ne  signifie  autre 
chose  sinon  ce  que  dit  David  :  «  Quand  je  marcherois  au  milieu 
des  ombres  de  la  mort,  je  ne  craindrois  aucun  mal,  parce  que 
vous  êtes  avec  moi  ' ,  »  c'est-à-dire  qu'on  n'a  point  à  se  mettre  en 
peine  de  ce  qu'on  devient  avec  un  amant  qui  peut  tout  :  et  loin 
que  par  un  tel  acte  l'on  supprime  le  désir  immense  de  le  pos- 
séder, c't'st  au  contraire  ce  qu'on  désire  le  phis  ardemment,  et 
ce  (ju'on  espère  d'autant  pkis  (pie  j)Our  l'obtenir  on  se  lie  avec 
un  entier  abandon  à  une  bonté  toute-puissante.  C'est  ce  que  la 
Sainte  exprime  en  ces  mots  :  «  Tout  ce  (jue  je  pouvois  faire  estoit 
de  m"al)aiidonner  entièrement  à  ce  suprême  roi  des  âmes,  pom* 
disposer  absolument  de  sa  servante,  selon  sa  sainte  volonté, 
comme  sçachant  mieux  que  moy  ce  qui  in  estoit  le  plus  7ftile  *.  » 
Bien  loin  donc  de  renoncer  par  son  abandon  à  cette  utilité  spiri- 
tuelle, à  ce  noble  intérêt  de  posséder  Dieu,  elle  sent  quelle  l'as- 
sHi'e  en  s'abandonnant. 

Sa  ronfiance  s'augmente  par  les  grâces  qu'elle  reçoit,  aux- 
quelles craignant  toujours  d'être  infidèle  :  «  .\e  permettez  pas , 
dit-elle,  mon  Sauveur,  qu'un  si  grand  malheur  ni'arrivc,  après 
la  grâce  que  vous  m'avez  faite  de  nu;  ^•oldoir  honorer  de  vostre 
présence*.  »  Et  voilà  les  sentiniens  de  sainte  Thérèse,  après  l'a- 
bandon où  elle  paroît  si  indiflércnte  aux  nouveaux  mystiques. 
Il  est  vrai  qu'elle  demeure  d'accord  qu'elle  ne  peut  pas  tou- 
jom's  faire  ses  prières  «  dans  cette  sublime  union  où  elle  est  in- 

'  Chili.,  dcni.  ",  ch.  iv,  p.  827.  —  *  Vie ,  ch.  xvii,  p.  90.  —  '  Psal.  xxiv,  4. 
—  *  Vit',  ch.  XXVII,  p.  157.  —  ^  lOid.f  ch.  xxii,  p.  132. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  IX,  N.  MI.  591 

capable  d'agir  '  ;  »  mais  il  nous  suffit  d'avoir  appris  d'elle  «  que 
toujours,  au  commencement  ou  à  la  fin  de  son  oraison,  »  elle 
faisoit  ces  réflexions  et  ces  demandes  sur  les  grâces  qu'elle  rece- 
voit,  et  qu'alors  elle  étoit  parfaitement  active. 

Toute  la  réponse  des  nouveaux  mystiques  à  ces  exemples  et  à 
ces  paroles  de  sainte  Thérèse,  c'est  qu'ayant  vécu  longtemps 
après  ce  qu'on  vient  de  voir  de  son  état,  elle  n'étoit  pas  encore 
arrivée  à  la  perfection  :  parole  téméraire  s'il  en  fut  jamais ,  puis- 
qu'on la  veut  trouver  imparfaite  dans  les  états  qui  ont  suffi  à 
l'Eglise  poiu-  demander  à  Dieu  qu'il  daigne  nourrir  les  fidèles  de 
la  céleste  doctrine  et  des  exemples  de  la  foi  de  cette  Sainte. 

Personne  n'a  remarqué  qu'elle  ait  depuis  changé  de  conduite, 
et  c'est  assez  qu'on  la  voie  après  l'oraison  de  quiétude ,  après  l'o- 
raison d'union,  si  opposée  aux  nouveaux  mystiques,  et  se  fondre 
volontairement  en  actions  de  grâces,  en  désirs,  en  saintes  de- 
mandes, jusqu'à  la  fin  de  sa  vie.  Tous  les  saints  et  toutes  les 
saintes  en  usent  de  même  ;  on  trouve  à  toutes  les  pages  les  de- 
mandes qu'ils  font,  comme  tous  les  autres  fidèles,  sans  qu'il  y 
paroisse  d'autre  inspiration  que  celle  qui  est  attachée  au  com- 
mandement divin  et  k  la  grâce  commune  du  christianisme,  et  on 
ne  trouve  en  aucun  endroit  cette  indifférence  à  être  sauvé  ou 
damné  dont  nos  faux  mystiques  font  gloire  ;  on  trouve  encore 
moins  cette  cessMion  de  demandes ,  qui  seule  leur  peut  mériter 
d'être  li\Tés  à  toutes  les  abominations  dont  on  les  accuse. 

Quoique  ces  suppositions  impossibles  n'aient  ni  la  nouveauté   ^vn.^^^^ 
ni  les  inconvéniens  que  quelques-uns  y  veulent  trouver ,  il  faut  ^«•'^s'^'-^-^ 
avouer  qu'il  s'y  mêle  de  si  fortes  exagérations,  que  si  on  ne  les  c^^  ma- 
tempère,  elles  deviennent  inintelligibles.  Notre  saint  évèque  dira,  ^^'|"j^^ 
par  exemple  :  a  Que  l'obéissance  qui  est  deuê  à  Dieu,  parce  cpi'il  ai>use.-. 
est  nostre  Seigneur  et  maistre,  notre  Père  et  bienfaiteur,  appar- 
tient à  la  vertu  de  justice,  et  non  pas  à  l'amour  2;  »  et  il  ajoute 
sur  ce  fondement,  non-seulement  «  que  bien  qu'il  n'y  eust  ni  pa- 
radis ni  enfer,  mais  encore  que  nous  n'eussions  aucune  sorte  d'o- 
bligation ni  de  devoir  à  Dieu  (  ce  cfui  soit  dit  par  imagination  de 
chose  impossible ,  et  qui  n'est  presque  pas  imaginable  ) ,  si  est-ce 
1  Vie,  ch.  XVIII,  p.  95.  —  '-  Am.  de  Dieu,  liv.  VIII ,  cli.  ii. 


592  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

que  lamour  de  Ijienveillance  nous  porteroit  à  rendre  à  Dieu  toute 
obéissance  par  élection.  »  Si  Ton  faisoit  en  toute  rigueur  l'analyse 
de  ce  discours,  on  le  trouveroit  peu  exact.  11  nest  pas  vrai  que 
Tobéissance  qu'on  rend  à  Dieu  par  justice,  comme  Père  et  Créa- 
teur, n'appartienne  pas  à  l'amour,  puisque  de  là  il  suivroit  qu'il 
faudroit  exclure  des  motifs  d'aimer  la  création  et  tous  les  bien- 
faits contre  toute  la  théologie,  qui  loin  d'opposer  le  devoir  de  la 
justice  à  celui  de  l'amour,  enseigne  après  saint  Augustin  que  la 
première  justice  est  celle  de  consacrer  à  Dieu  ce  qui  est  à  lui ,  et 
ensemble  de  lui  rendre  ce  qui  lui  est  dû  en  l'ainumt  de  tout  son 
cœur. 

C'est  peut-être  encore  un  discours  plus  pieux  qu'exact ,  «  qu'on 
ne  prise  pas  moins  )e  Calvaire,  tandis  que  l'Epoux  y  est  crucifié  , 
que  le  ciel  où  il  est  glorifié  '.  »  Car  dans  le  choix  de  1  Epoux  qui  est 
notre  règle,  la  croix  qui  est  le  moyen  poui*  arriver  à  sa  gloire, 
est  moins  que  la  gloire  mtune;  et  qui  estimeroit  autant  de  voir 
Jésus-Christ  présent  sur  la  terre,  que  le  voir  dans  la  gloire  de  son 
Père,  contr('\  icndioit  à  cette  parole  de  Jésus-Christ  même  :  «  Si 
vous  m'aimii'Z,  vous  souhaiteriez  que  je  retournasse  à  mon  Père, 
parce  que  mon  Père  l'st  plus  grand  (pie  moi  *.  »  Cela  nous  ap- 
prend à  ne  prendre  pas  tout  à  la  lettre  dans  les  écrits  des  saints, 
à  prendre  le  gros,  et  à  regardera  leur  intention.  Mais  quand  sur 
le  fondement  de  quelques  exagérations,  on  vient  avec  nos  mysti- 
ques à  faire  un  dogme  formel  de  l'indifférence  du  sahit^  jusqu'à 
ne  le  plus  désirer  ni  demander,  ces  excès  qui  tendent  directe- 
ment à  la  subversion  de  la  piété,  ne  reçoivent  ni  explication  ni 
excuse, 
vm.        Un  autre  pass  ige  qu'on  peut  objecter  pour  rindillerence  du 
vM^rpIr-  salut ,  est  celui  oîi  Ihomme  de  Dieu  couFole  une  ame  peinée  par 
don, "'loin  les  terreurs  de  l'enfer,  en  la  renvoyant  à  la  volonté  de  Dieu,  et 
icdèsio.  en  l'exhortant  «  à  se  dépouiller  du  soin  du  succès  de  sa  vie , 
poir"''    mesme  éternelle,  es  mains  de  sa  douceur  et  de  son  bon  plaisir  '.  » 
Mais  c'est  chose  autre  de  se  dépouiller  du  soin,  de  l'inquiétude,  du 
trouble,  autre  chose  de  se  dépouiller  du  désir  :  nous  verrons 
bienltM  en  parlant  du  ^Tai  abandon ,  comment  il  faut  mettre  en 

1  Am.  de  Dieu,  liv.  X ,  eli.  v.  —  »  Joan.,  xiv,  28.  —  '  Liv.  111 ,  6p.  xxvi. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  IX,  N.  IX.  503 

Dieu  toute  l'espérance  de  son  salut,  et  s'en  reposer  sur  lui.  Ce 
qui,  loin  d'en  diminuer  le  désir,  l'augmente  plutôt ,  puisqu'on  se 
repose  d'autant  plus  sur  Dieu  du  salut  qu'on  attend  de  lui ,  qu'où 
le  désire  davantage,  comme  nous  l'avons  déjà  dit*,  et  comme 
nous  le  dirons  plus  amplement  en  son  lieu. 

Le  dernier  passage  à  considérer  sur  celte  matière  est  le  cha-      '^ 
pitre  intitulé  :  Comme  nous  devons  unir  nostre  volonté  à  celle  <•"  '•^'"' 

■"■  évèqui!   di* 

de  Dieu  en  la  permission  des  péchés  ^.  Le  voilà  au  nœud  et  pré-    '^'^^è'"' 
Gisement  à  l'endroit  où  nos  mystiques  se  perdent  :  car  c'est  dans  mission,!,! 
une  sorte  d'union  extraordinaire  avec  la  justice  et  les  permissions  <-<""rai'-''  - 
divines ,  qu'ils  puisent  non-seulement  leur  indifférence  pour  leur  ^"'^  ™>-- 

■^  ^  ^  tiques. 

salut  et  pour  celui  des  autres;  mais,  ce  qui  est  encore  pis,  leur 
acquiescement  à  leur  damnation  et  leur  insensibilité  pour  le  péché 
même.  Opposons-leur  la  doctrine  de  saint  François  de  Sales  : 
«  Nous  devons,  dit-il,  désirer  de  tout  nostre  cœur  que  le  péché 
permis  ne  soit  point  commis  ^  »  Nous  ne  trouvons  point  cette  af- 
fection dans  nos  mystiques,  qui  acquiesçant  aisément  à  la  per- 
mission du  péché ,  le  regardent ,  ainsi  qu'on  a  vu ,  comme  en 
quelque  sorte  envoyé  de  Dieu,  à  qui  ils  attribuent  leurs  défauts, 
et  l'envoi  des  petits  renards  qui  ravagent  tout.  Après  le  péché 
commis,  saint  François  de  Sales  veut  qu'on  s'en  afflige  «jusqu'à 
tomber  en  pâmoison  et  à  cœur  failly  avec  David ,  pour  les  pé- 
cheurs qui  abandonnent  la  loy  de  Dieu  \  »  Nos  mystiques  insen- 
sibles éteignent  la  force  de  cette  contrition,  comme  on  a  vu,  tant 
pour  eux  que  pour  les  autres.  Saint  François  de  Sales  représente 
la  continuelle  douleur  de  saint  Paul  '" ,  à  cause  de  la  réprobation 
des  Juifs  ;  nous  avons  ouï  nos  mystiques  se  glorifier  qu'ils  ver- 
roient  périr  tous  les  hommes  sans  en  verser  une  larme.  Enfin 
saint  François  de  Sales  nous  apprend  bien  en  général  «  qu'il  faut  ' 
adorer,  aimer  et  louer  la  justice  vengeresse  et  punissante  de  Dieu, 
et  luy  baiser  avec  une  dilection  et  révérence  égale  la  main  droite 
de  sa  miséricorde,  et  la  main  gauche  de  sa  justice  ^  ;  »  mais  il  ne 
va  pas  plus -avant  :  s'il  y  a  quelque  acte  plus  particulier  envers 
les  décrets  de  la  justice  divine,  ce  Saint  le  réserve  à  la  vie  future , 

'  Ci-dessns,  ch.  v.  —  -.-Iw.  (k  Dieu  ,  liv.   IX  ,  cli.  viii.  —  ^  Ibid.  —  '•  Ihid.  — 
s  Ihid.  \).  293.  —  "  lljid. 

TOM.  XV ni.  u6 


894  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D  ORAISON. 

où  7WUS  entrerons  dans  les  pi(issa?2ces  du  Seigneur ,  rcconnois- 
saiit  qu'en  ce  siècle  ténébreux.  Dieu  ne  nous  ordonne  rien  par 
rapport  à  ces  décrets  étemels,  dont  les  causes  nous  sont  incon- 
nues, ainsi  qu'il  a  été  expliqué  ailleurs  ',  mais  nos  mystiijues  se 
vantent  de  ne  pouvoir  avoir  ni  pour  eux-mêmes,  ni  pour  les  autres 
aucune  autre  volonté  que  celle  que  Dieu  a  eue  éternellement ,  ce 
qui  les  empêche  de  vouloir  absolument  leur  propre  salut ,  aussi 
bien  que  le  salut  de  ceux  qu'ils  ne  savent  pas  que  Dieu  ait  pré- 
destinés :  un  faux  acquiescement  à  la  volonté  de  Dieu  opère  ces 
sentimens  inconnus  jusques  ici  aux  chrétiens,  et  les  mène  à  un 
repos  insensible  que  Dieu  ne  veut  pas. 

Tous  ces  sentimens  sont  outrés  :  c'est  par  cette  funeste  indo- 
lence qu'au  lieu  de  haïr  le  péché  conmie  nous  éUmt  miisible,  on 
le  hait  comme  Dieu,  à  (pii  il  ne  peut  pas  nuire,  le  hait  lui  même  ; 
ainsi  on  se  familiarise  avec  le  péché,  en  le  regardant  plutôt 
comme  permis  dans  l'ordre  des  décrets  de  Dieu  que  comme  dc'- 
fendu  par  ses  conuuandemens. 
Je  ne  puis  sortir  de  «-ette  matière  sans  rappeler  un  récit  du 
Sfniim.-n.  H   j^  j>(„^j  ^];i,js  /,/  | '/>  iJu  />.  Ufillasar  Alrnrez.  Il  raconte  donc 

d  un    rt'li- 

piiutdcu  qyp  jg  Frère  C.himène  interrogé  par  son  provincial  s'il  désiroit 
de  j«m.    iIj.j.  .j^j  ,.j,.i    i„i  ivMondit  :  l'ère,  soyons  gens  de  bien,  servons 

nui     nous  *  ^  •/  \-^ 

'«ruou  l>i6n  Dieu  connue  il  appartient,  et  le  laissons  faire  du  reste  sans 
df.iM  du  „(^.,g  çj^  soucier;  car  il  est  infiniment  bon  et  juste  :  il  nous  don- 
""'.r''dr  lît^ra  ce  (pie  nous  mériterons  :  et  ajouta  que  demander  le  ciel,  cela 
'  roTiT  pouvoit  naître  de  l'amour-propre.  Ce  passage  tronq)era  tous  ceux 
qui  ne  sauront  pas  le  C(jnsidérer',  mais  en  même  temps  il  appren- 
dra aux  sages  lecteurs  combien  on  se  trompe  sm*  certains  dis- 
cours, dont  on  ne  regarde  que  l'écorce.  Les  dé.sirs  du  ciel  qui 
peuvent  venir  de  ramoiu*- propre  sont  ces  désirs  iuiparfaits  dont 
il  est  écrit  :  «  Les  désirs  donnent  la  mort  au  paresseux  ;  il  passe 
toute  sa  vie  depuis  le  matin  jusqu'au  S(»ir  à  désirer  *  »  sans  agir, 
et  amusé  par  ses  beaux  désirs  il  ne  songe  point  aux  œuvres.  Le 
saint  religieux  dont  il  est  parlé  en  ce  lieu,  étoit  dans  une  dispo- 
sition bien  dilVérente,  puisque  six  lignes  au-dessus  il  est  dit  de 

»  Ci-dcs3us,  liv.  m,  u.  5,  6,  15,    l'J;  t'I  liv.    IV,  n.   3,   etc.  —  «  Vrov.,    XXI, 


n  .lire  3 


TRAITÉ  I,  LIVRE  IX,  N.  XI.  S9o 

lui  «  que  comme  il  voyoit  finir  le  temps  de  mériter  et  d'amasser 
le  bien  qui  ne  périt  jamais,  il  se  hastoit  de  bien  faire  ^  »  Il  dési- 
roit  donc  ce  bien,  mais  il  le  désiroit  efficacement  en  se  hâtant  de 
le  mériter  :  disposition  bien  éloignée  de  celle  de  nos  mystiques, 
qui  ne  songent  point  au  mérite  non  plus  qu'au  salut.  Au  reste  s'il 
falloit  marquer  tous  les  désirs  cpie  le  saint  homme  Alvarez  pous- 
soit  vers  le  ciel,  nous  en  remplirions  trop  de  pages,  et  c'est 
chose  si  naturelle  aux  enfans  de  Dieu  qu'il  est  inutile  de  le  re- 
marquer. 

Nous  avons  vu  qu'un  des  dogmes  des  plus  outrés  des  nouveau?:  x,. 
mystiques,  c'est  de  rendre  l'oraison  extraordinaire  ou  passive  si  ''dr^inr 
commune  que  tout  le  monde  y  soit  appelé,  qu'elle  soit  facile  à  tout  L^slts 
le  monde ,  et  si  nécessaire  d'ailleurs  qu'on  «  ne  puisse  parvenir  'ZlZt 
sans  elle  à  la  parfaite  purification,  ni  connoistre  le  vrai  amour,  ni  vtZZ"l 
se  remplir  d'autre  chose  que  de  l'amour  de  soy-mesme  et  d'une  meuenu.! 
attache  sensuelle  aux  créatures,  en  sorte  qu'on  soit  incapable  d'é-  dans^ies' 
prouver  les  effets  inefTables  de  la  charité  '.  »  Cependant  en  1610,  exT*ordi- 
après  tant  d'années  d'épiscopat,  saint  François  de  Sales  déjà  r;?- 
gardé  dès  les  prémices  de  sa  prêtrise  comme  un  très-grand  saint 
et  comme  l'apôtre  de  son  pays ,  ne  connoissoit  pas  l'oraison  do 
quiétude  ^,  et  il  fait  consulter  sm-  ce  sujet-là  une  sainte  religieuse  : 
pour  lui,  encore  que  Dieu  l'eût  favorisé  deux  ou  troi<i  fois  d'une 
oraison  extraordinaire  qui  paroissoit  se  réduire  à  l'affection,  // 
n'osa  jamais  se  démarcher  du  (jrand  cliemin  pour  en  faire  une 
méthode  :  et  il  avoue  qu'illuy  est  un  peu  dur  d'approcher  de  Dieu 
sans  les  préparations  ordinaires,  ou  d'en  sortir  tout  à  fait  sans 
actions  de  grâces,  sans  offrande,  sans  prières  expresses  :  ce  qui 
montre  que  si  avancé  dans  la  sainteté,  il  n'étoit  point  encore  sorti 
de  la  méditation  méthodique,  sans  laquelle  on  a  osé  assurer  non- 
seulement  qu'il  n'y  a  point  de  parfaite  pureté,  mais  encore  qu'on 
est  dans  la  vie  des  sens  et  de  l'amour-propre.  .Mais  sans  faire  tort 
aux  sublimes  oraisons  très-louables,  quand  Dieu  y  élève,  je  dési- 
rerois  plus  que  toutes  les  sublimités  la  simplicité  du  saint  évêque; 
lorsqu'au  milieu  de  tant  de  lumières  et  de  tant  de  grâces,  il  se  dé- 

1   Prov.,   XX  ,,    25,   ICk  —    2  Caniiq.   des    cardiq.,    Préface.  —   s  Livre    I! 
d-p.  XXI.  ,  ' 


596  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

clare ,  comme  on  a  vu,  pour  le  train  des  saints  deva7iciers  et  des 

simples. 

Je  l'admire  encore  davantage  lorsqu'il  ajoute  avec  tant  d'humi- 
lité :  «  Je  ne  pense  pas  tant  sçavoir,  que  je  ne  sois  trés-aise ,  je 
dis  extrêmement  aise  d'estre  aidé  ;  de  me  démettre  de  mon  senti- 
ment et  suivre  celuy  de  ceux  qui  en  doivent  par  toutes  raisons 
sçavoir  plus  que  moy;  je  ne  dis  pas  seulement  de  cette  bonne 
Mère,  mais  je  dis  d'un  autre  beaucoup  moindre.  »  C'est  l'humilité 
elle-même  qui  a  dicté  ces  paroles  :  oui  j'estime,  encore  un  coup, 
quoi  qu'on  puisse  dire,  ces  humbles  et  bienheureuses  simplicités 
aussi  purifiantes  et  perfectionnantes  que  les  oraisons  les  plus  pas- 
sives :  ceux  cpii  ne  veulent  pas  à  cet  exemple  trouver  la  parfaite 
pureté  de  coîm"  dans  le  train  des  simples  et  dans  les  saints  devan- 
ciers, ne  sont  pas  de  ces  petits  que  Dieu  regarde. 

Il  ne  se  donne  pas  pour  plus  avancé  lorsqu'il  dit  si  bonnement 
(car  je  voudrois  pouvoir  imiter  sa  sainte  simplicité)  :  «  Dieu  me 
favorise  de  beaucoup  de  consolations  et  saintes  affections  par  des 
clartez  et  des  sentimens  qu'il  répand  en  la  supérieure  partie  de 
mon  ame,  la  parti»'  infcrieure  n'y  a  [loint  de  part  :  il  en  soit  béni 
éternellement  *.  » 

Le  voilà  dans  les  affections,  dans  les  consolations,  dans  les 
clartés,  dans  les  sentimens  que  nos  prétendus  parfaits  trouvent  si 
fort  au-dessous  delem*  état,  et  qu'ils  renvoient  au  degré  inférieur 
de  l'oraison.  Il  écrivoit  cette  lettre  en  1013,  six  ou  sept  ans  avant 
sa  mort  :  il  ne  paroît  pas  qu'il  soit  sorti  de  ce  sentier  des  affec- 
tions, ni  qu'il  ait  été  établi  dans  ce  (]u'on  appelle  l'état  passif.  En 
est-il  moins  pur,  moins  parfait,  moins  saint?  Eu  connoît-il  moins 
le  saint  abandon  et  la  sainte  chrétienne  indifférence?  Est-il  livré 
à  son  amour-propre  et  incapable  d'expérimenter  les  flamuîes  du 
saint  amour  qui  se  ressentent  dans  tous  ses  écrits?  Mais  en  a-t-il 
moins  saintement  et  moins  sûrement  dirigé  les  âmes  que  Dieu 
mettoit  dans  les  voies  extraordinaires  ?  Ce  seroit  visiblement  ou- 
trager l'esprit  de  sainteté  et  de  conduilt'  cjui  étoit  en  lui,  que  de 
parler  de  cette  sorte  :  il  faut  donc  connoitre  et  avouer  la  perfec- 
tion et  la  pureté  avec  l'esprit  de  conduite  que  Dieu  sait  mettre  dans 

'  Liv.  VII,  op.  XX :i. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  IX,  N.  XII,  XIII.  o07 

les  cœurs  où  l'on  ne  sent  rien  de  ces  impuissances  qui  composent 
ces  états  passifs. 
Le  saint  homme  passe  encore  plus  avant ,  et  voici  dans  un  de     xn. 

^  '-  '  Que     le 

ses  Entretiens  une  décision  digne  de  lui  :  «  Il  v  a  des  personnes  i=aint  évé- 

'  ^  que  Irouve 

fort  parfaites  auxquelles  Nostre-Seigneur  ne  donna  jamais  de  telles  pUis  pai- 
doucem's  ni  de  ces  quiétudes  :  qui  font  tout  avec  la  partie  supe-  »"  '«'"e 
rieure  de  leur  ame,  et  font  mourir  leur  volonté  dans  la  volonté  de    q"--  la 

quiétude 

Dieu  à  vive  force,  et  avec  la  pointe  de  la  raison  ^  »  Elles  n'ont  ■!'?  l'étu 
donc  pas  les  facilités  de  l'état  passif  :  très-actives  et  très-discur- 
sives, sans  connoître  ces  ligatures  ou  suspensions  des  puissances 
par  état^  elles  sont  dans  une  sainteté  autant  ou  plus  éminente  que 
celles  qui  sont  conduites  aux  états  passifs  :  «  leur  mort,  »  dit  le 
saint  évêque,  il  entend  leur  mort  mystique  et  spirituelle,  «  est  la 
mort  de  la  croix,  laquelle  est  beaucoup  plus  excellente  que  l'autre, 
que  l'on  doit  plutost  appeler  un  endormissement  qu'une  mort.  » 
Car  on  n'éprouve  pas  là  ces  combats  et  la  violence  qu'il  se  faut 
faire  à  soi-même  dans  la  mort  spirituelle  :  «  et  cette  ame  qui  s'est 
embarquée  dans  la  nef  de  la  providence  de  Dieu  par  l'oraison  de 
quiétude ,  se  laisse  aller  et  voguer  doucement  comme  une  per- 
sonne qui  dormant  dans  un  vaisseau  sur  une  mer  tranquille,  ne 
laisse  pas  d'avancer.  »  Après  une  si  belle  peinture  de  ces  deux  états 
d'oraison,  voici  la  décision  du  saint  évêque  :  Cette  façon  de  mort 
ainsi  douce  se  donne  par  manière  de  grâce,  et  l'autre  plus  vio- 
lente et  de  vive  force  se  donne  par  manière  de  mérite.  Il  ne  faut 
rien  ajouter  à  ces  paroles  :  tout  est  dit  en  ce  seul  passage,  et  il 
démontre  qu'en  poussant  si  loin  la  nécessité  des  états  passifs  pour 
la  parfaite  purification  de  notre  amour-propre,  on  ignore  les  pre- 
miers principes  de  la  théologie. 

Sainte  Thérèse,  à  qui  l'on  voit  que  le  saint  évêque  défère  beau-  ^l^'J;^^.^^ 
coup  dans  tous  ses  écrits ,  est  de  même  sentiment,  lorsqu'en  par-  J'^''"''°[J^^ 
lant  du  mérite  des  oraisons  extraordinaires  de  quiétude ,  d'union  "^""'f^^^^j 
et  autres  semblables,  elle  enseigne  «  quant  à  ce  qui  est  de  mériter  '^''"s'î'vant 
davantage,  que  cela  ne  dépend  pas  de  ces  sortes  de  grâces,  puis- 
qu'il y  a  plusieurs  personnes  saintes  qui  n'en  ont  jamais  receu, 
et  d'autres  qui  ne  sont  pas  saintes  qui  en  ont  receu  :  »  à  quoi 

>  EiiUet.  If,  p.  sa;. 


598  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D  ORAISON. 

elle  ajoute  que  ces  grâces  peuvent  être  «d'un  grand  secours  pour 
s'avancer  dans  les  vertus  ;  mais  que  cehiy  qui  les  acquiert  par 
son  travail  mérite  beaucoup  davantage  '  :  »  qui  est  de  point  en 
point  et  presque  de  mot  à  mot,  ce  que  nous  disoil  notre  saint 
évêque. 

Au  surplus  il  faut  entendre  sainement  el  toutes  choses  égales 
ce  qu'ils  disent  du  plus  grand  mérite  de  ceux  qui  travaillent.  Car 
au  reste  la  charité  étant  le  principr  du  mérite  dans  les  pieux 
exercices  du  libre  arltifre,  (jui  a  plus  de  charité,  al)solument  a 
plus  de  mérite,  soit  (pi'il  travaille  plus  ou  moins.  11  est  vrai  (jue 
l'oraison  de  pm'e  grâce,  rjui  se  fait  rn  nous  sans  nous,  de  soi  n'a 
point  de  mérite,  parce  (ju'elle  n'a  point  de  liberté;  mais  il  est  vrai 
aussi  quelle  donne  lieu  à  des  actes  de  vertu  très-éminens ,  et 
même  c'est  la  doctrine  des  savans  théologiens  comme  Suarez,  que 
Dieu  ne  prive  pas  toujonrs  de  mérite  les  oraisons  extatiques  et  de 
ra\issemens,  où  sonvent  il  lui  plait  (pu»  la  liberlé  se  eonsei've 
tiiulf  entière  :  témoin  1»'  songe  mysticpie  de  Salomon,  où  il  lit  un 
choix  si  digne  de  sa  sagesse  (jui  aussi  reçut  aussitôt  une  si  ample 
réconq)ense. 

11  ne  faut  donc  i>as  décider  bupiclle  de  toutes  ces  voies  actives 
ou  passives  est  absolument  de  plus  grand  mérite  devant  Dieu, 
jmisque  cela  dépend  du  degré  de  charité  conmi  à  Dieu  senl. 

Sainte  Thérèse  ajoute  iei  «  (pi't'lle  connoist  deux  personnes  (h; 
divers  sexe  que,  Nosire-Seigncnr  favorisoil  de  ses  grâces,  cpii 
avoicnt  niir  si  ^rrandr  [i.ission  dr  !<•  siTvir,rt  de  .-onlfrirsiUis  estre 
l'éconqiensées  de  sendilables  faveurs,  qu'elles  se  i»laignoient  àluy 
de  ce  qu'il  les  leur  accordoit,  et  ne  les  auroient  pits  receues,  si 
cela  eusl  dépendu  de  leur  choix  :  »  ce  qui  ne  seroit  [)as  permis, 
s'il  s'agissoit  de  l'augmentation  de  la  grâce  sanctifiante.  La  Sainb^ 
étoit  une  de  ces  deux  personnes,  puisqu'elle  manjue  souvent  de 
tels  sentimeus,  et  (luelle  a  coulume  de  [tarler  de  celte  sorte  en 
tierce  personne  de  ses  plus  intimes  dispositions. 

Ce  qu'elle  rapporte  en  mi  autre  endroit  est  très-remaivjuable  : 
«  Je  connois,  dit-elle,  mie  personne  fort  âgée,  fort  vertueuse,  fort 
pénitente,  grande  servante  de  Dieu  et  enfin  telle  que  je  m'estime- 

'  C/uiL,  G<"  Jl'Ui.,  cil   !X. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  IX,  N.  XIII.  590 

rois  heureuse  de  luy  ressembler,  qui  emploie  les  jours  et  les  nuits 
en  des  oraisons  vocales,  sans  pouvoir  jamais  faire  l'oraison  men- 
tale '.  »  La  Sainte  ne  craint  point  de  la  préférer  à  plusieurs  de 
celles  qui  sont  dans  la  plus  sublime  contemplation,  parce  que 
tout  dépend  ici  du  plus  ou  du  moins  de  conformité  à  la  volonté  de 
Dieu  ;  «  car,  ajoute-t-elle,  Marthe  n'estoit-elle  pas  une  sainte,  quoy- 
qu  on  ne  dise  pas  qu'elle  fust  contemplative  ?  Et  que  souhaitez- 
vous  davantage  que  de  pouvoir  ressembler  à  cette  bienheureuse 
fdle  qui  mérita  de  recevoir  tant  de  fois  Nostre-Seigneur  Jésus- 
Christ  dans  sa  maison,  de  luy  donner  à  manger,  de  le  servir  et 
de  s'asseoir  à  sa  table  ?  »  On  peut  apprendre  de  la  suite  comment 
la  vie  active  et  contemplative  ont  chacune  leur  mérite  devant  Dieu; 
sur  quoi  il  ne  s'agit  point  de  prononcer,  parce  que  s'il  manque 
d'un  côté  quelque  chose  à  l'une,  ce  défaut  est  récompensé  par 
d'autres  endroits,  et  surtout  par  la  soumission  aux  ordres  de  Dieu 
qui  mène  avec  des  dons  différens  à  une  égale  perfection. 

Nous  avons  même  remarqué  dans  la  préface  que  selo  nies  sen- 
timens  de  la  Sainte  -,  Dieu  sait  se  cacher  aux  âmes  et  les  tromper 
d'une  manière  aussi  admirable  qu'elle  est  d'ailleurs  miséricor- 
dieuse, en  leur  enveloppant  tellement  le  don  sublime  de  contem- 
plation dont  il  les  honore,  qu'elles  y  sont  élevées  sans  sentir 
autre  chose  en  elles  qu'une  simple  oraison  vocale  :  tant  la  sagesse 
divine  a  de  profondeur  dans  la  distribution  de  ses  dons. 

Concluons  donc  que  c'est  une  erreur  de  mettre  le  mérite  et  la 
perfection  à  être  actif  ou  passif;  c'est  à  Dieu  à  juger  du  mérite 
des  âmes  qu'il  favorise  de  ses  grâces ,  selon  les  diverses  dispo- 
sitions qu'il  leur  inspire,  et  selon  les  degrés  de  l'amour  divin  qui 
ne  sont  connus  que  de  lui  seul.  Concluons  aussi  en  général  de 
tous  les  discours  précédens,  que  nos  faux  mystiques  qui  affectent 
des  perfections  et  des  sublimités  irrégulières,  sont  outrés,  igno- 
rans,  superbes,  dans  l'illusion  manifeste  et  sans  aucune  vraie  idée 
de  la  sainteté.  Pour  en  venir  maintenant  à  des  qualifications  plus  • 
précises  de  leurs  erreurs,  il  faut  encore  ajouter  un  dernier  livre  à 
notre  travail. 

1  Chem.  de  la  perf.'Ci.,  ch.  xvii.  —  ^  Ibid.,  cli.  XXX;  p.  G03  ;  cli.  xxil. 


600  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

LIVRE     X. 

Sur  les  qualifications  des  propositions  particulières. 
I  Quoiqu'il  suffise  aux  fidèles,  poiu*  éviter  des  pratiques  suspectes 

Le-  pro- 
posions et  dangereuses,  de  sa^'oir  en  général  que  l'Eglise  les  a  censurées, 

de»  nou- 

Tcaui    néanmoins  il  est  utile,  pour  Tinstruction  et  pour  éviter  les  écueils 

iu)5lique9 

eiprcssc-  OÙ  l'intégrité  de  la  foi  peut  faire  naufrage,  de  descendre  au  parti- 

laent  con- 

daranccs  culisr  des  diverses  qualifications  que  chaque  proposition  aura 

au  concile 

de  Vienne  méritécs  ;  et  c'est  pour  y  parvenir  (ju'on  a  projiosé  les  xxxiv  ar- 
de.  be-   tides  des  UnlonnaïK-fs  dos  l(i  et  îl^y  avril  iO*.).""). 

^■uardi. 

Cette  partie  de  Iduvrage  est  très-importante,  parce  qu'outre 
qu'elle  contiendra  la  ré('a[iitulatiuii  de  tout  le  reste,  elle  en  fera  la 
précise  npjdication  aux  erreurs  dont  il  s'agit. 

Il  faut  ici  avertir  le  lectem'  que  ce  qu'on  appelle  qualification 
est  un  terme  par  où  l'on  exprime  ce  qu'il  faut  croire  de  t^liaque 
proposition  censurée  :  tel  est  le  terme  d'hrrrtif/iœ ,  cVcr/wu';  do 
scandaleu.r ,  ou  de  tvmih'airc ,  et  ainsi  des  autres.  Comme  dans  le 
dessein  de  ceux  qui  ont  à  prononcer  en  quelque  manière  que  ce 
soit  sur  la  doctrine ,  le  sens  de  ces  mots  est  fort  précis  et  qu'ils 
doivent  être  appliqués  avec  grand  choix,  il  s'ensuit  en  premier 
lieu  qu'il  ne  se  faut  point  rebuter  de  trouver  de  la  sécheresse  dans 
cette  discussion,  où  l'on  no  doit  rechercher  que  la  seule  vérité; 
et  secondement,  que  la  (]u;ilinealioii  est  une  chose  qui  veut  être 
étudiée,  et  réduite  à  des  principes  certains,  en  sorte  qu'on  ne  dise 
ni  plus  ni  moins  qu'il  ne  faut. 

Avant  que  de  procéder  à  cet  examen ,  comme  les  décisions  du 
concile  œcuménique  de  Vienne  où  le  pape  Clément  V  étoil  en  per- 
sonne, contre  les  héguards  et  les  liéguines,  ont  un  rapport  mani- 
feste aux  matières  qu'on  traite  aujourd'hui,  il  faut  s'y  rendre 
attentif. 

Sans  entrer  dans  la  discussion  de  toutes  les  erreurs  de  ces 
hérétiques,  il  suffit  d'aljord  de  considérer  les  huit  propositions- 


TRAITÉ  I,  LIVRE  X,  N.  1.  601 

condamnées  dans  la  Clémentine;,  Ad  nostrum,  de  hœret.,  etc.,  avec 
l'approbation  de  ce  concile  ',  parce  que  c'est  là  qu'on  fit  consister 
tout  le  venin  de  cette  hérésie. 

La  première  proposition  :  «  Que  Thomme  peut  acquérir  dans 
la  vie  présente  un  si  haut  et  tel  degré  de  perfection,  qu'il  devien- 
droit  impeccable  et  ne  pourroit  plus  profiter  en  grâce.  »  Il  faut 
avouer  de  bonne  foi ,  que  nos  faux  mystiques  ont  souvent  rejeté 
des  propositions  si  expressément  condamnées;  mais  nous  avons 
vu  qu'on  y  est  tellement  mené  par  la  suite  de  leurs  principes, 
qu'ils  n'ont  pu  sempèclier  «  de  comparer  l'ame  à  un  or  tres-pur 
et  affiné  qui  a  esté  mis  tant  et  tant  de  fois  au  feu ,  qu'il  perd 
toute  impm'eté  et  toute  disposition  à  estre  purifié  :  qu'il  n'y  a 
plus  de  mélange  ;  que  le  feu  ne  peut  plus  agir  sur  cet  or;  et  qu'il 
y  seroit  un  siècle  qu'il  n'en  seroit  pas  plus  pur,  et  qu'il  ne  dimi- 
nueroit  pas  -  :  »  qui  est  en  termes  formels  la  proposition  des 
béguards,  plus  fortement  énoncée  qu'ils  n'ont  peut-être  jamais 
fait. 

Nous  avons  rapporté  les  passages  où  Molinos  et  les  autres  faux 
mystiques  ont  assuré,  que  par  l'oraison  l'ame  revenoit  à  la  pureté 
où  elle  a  été  créée,  et  que  la  propriété,  c'est-à-dire  la  concu- 
piscence, est  enlièrement  détruite  \ 

On  trouve  aussi,  dans  la  bulle  d'Innocent  XI,  parmi  les  soixante- 
huit  propositions  dont  Molinos  a  été  convaincu  ou  par  preuve  ou 
par  son  aveu ,  celle  où  il  est  dit  :  «  Que  par  la  voie  intérieure  on 
parvient  avec  beaucoup  de  souffrances  à  purger  et  éteindre  les 
passions;  en  sorte  qu'on  ne  sent  plus  rien,  rien,  rien  du  tout  :  on 
ne  sent  dans  les  sens  aucune  inquiétude,  non  plus  que  si  le  corps 
étoit  mort,  et  l'ame  ne  se  laisse  plus  émouvoir  '\  »  C'est  ce  que 
porte  la  cinquante-cinquième  proposition ,  et  en  conséquence  il 
est  dit  dans  la  soixante-troisième  «  qu'on  en  vient  à  un  état  con- 
tinu, immobile  ,  et  dans  une  paix  imperturbable.  »  Pour  ce  qui 
regarde  l'état  d'impeccabilité,  il  est  expressément  porté  dans  la 
soixante-unième  «  que  l'ame  qui  est  arrivée  à  la  mort  mystique 

1  Clément.,  lib.  V,  tit.  m,  c.  m ,  Ad  nosh-um. —  -  Moyen  court ,  §  2':.  —  '  Ci- 
desjus,  l;v.  111,  ch.  ii;  liv.  V,  di.  xxxv.  —  ♦  Ci-ri;irèi,  dau.s  les  Actes  de  la 
condamnation  d:i-i  q^iéli^h^x. 


602  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

ne  peut  plus  vouloir  autre  chose  que  ce  que  Dieu  veut ,  parce 
qu'elle  n"a  plus  de  volonté,  et  que  Dieu  la  lui  a  ôtée.  » 

A  cela  revient  clairement  ce  qu  on  trouve  à  toutes  les  pages  des 
livres  de  nos  faux  mystiques  imprimes  et  manuscrits  :  «  Que  le 
néant  ne  peclie  plus  :  que  qui  n'a  point  de  volonté  ne  pèche  plus  :  » 
et  cent  autres  propositions  de  cette  force  :  ce  qui  emporte  l'état 
impeccable  qu'on  trouve  établi  en  termes  plus  forts  qu'en  quelque 
auteur  que  ce  soit,  dans  cette  parole  que  nous  avons  remarquée  *  : 
«  que  l'ame  est  pour  toujours  confirmée  en  amour,  puisqu'elle  a 
esté  changée  en  Dieu,  en  sorte  que  Dieu  ne  seam'oit  plus  la  rejeter, 
et  aussi  qu'elle  ne  craint  plus  destre  séparée  de  luy.  »  Les  bé- 
guards  n'en  oui  jamais  dit  davantage,  et  par  là  on  voit  la  pre- 
mière des  propositions  qui  les  font  mettre  au  rang  des  hérétiques, 
expressément  soutenue  par  les  mystiques  de  nos  jours  :  que  s'il 
leur  arrive  de  dire  le  contraire,  c'est  qu'il  lem-  ai'rive  aussi,  comme 
à  tous  les  hérétiques,  de  se  contredire,  à  cause  que  d'un  côté  ils  se 
portent  naturellement  à  suivre  leurs  pi'ineipes,  et  que  de  l'autre 
ils  n'usent  pas  toujours  les  pousser  à  bout,  comme  nous  l'avons 
souvent  montré  :  ce  qui  a  oblige  un  saint  ])ape  (c'est  le  pape 
saint  Léon  II)  de  prononcer  d'un  auteur  condamné  au  sixième 
concile  général,  qu'il  n'étoit  pas  seulement  «  prévaricateur  à  l'é- 
gard de  la  saine  doctrine,  mais  encore  qu'il  étoit  contraire  à  lui- 
même  et  combattoit  ses  propres  dogmes  :  qui  etiam  sui  ipsius 
extitit  impufjnator  [a]  :  »  caractère  qui  lui  est  comuinn  avec  tous 
les  autres  errans  :  ce  qui  fait  aussi  qu'on  ne  les  condaunie  pas  moins, 
encore  qu'on  trouve  de  temps  en  temps  dans  leurs  écrits  des  vé- 
rités opposées  aux  dogmes  pervers  qu'ils  établissent;  ces  auteurs 
n'en  étant  que  plus  condamnables,  parce  que,  pour  décrier  leurs 
mauvais  desseins,  ils  soufflent  le  froid  et  le  chaud,  ou, comme 
parle  l'apôtre  saint  Jacques,  le  bien  et  le  mal,  la  bénédiction  et 
la  inalédiction  d'une  même  houclie  *. 

La  seconde  proposition  des  béguards  regarde  certains  excès 
dont  jusqu'ici  nous  n'avons  point  voulu  parler,  mais  dont  pour- 

*  Ci-des5U5 ,  liv.  V  ,  ch.  xxxvi.  —  «  Jac,  m  ,  10. 

{n)  Ces  parul's  ne  sont  pa?  tlu  pape  saint  Léon  il  ,  mais  de  reaiporenr  Cou- 
slanlin  l'ogoiial,  qui  assista  au  concile.  Voyez  Kdid.  tnip.  Constant,  post  uct. 
xvui  CoHcil.  yen.  VI;  Labbe,  toiu.  ^l,  col.  1083.  {Edit.  de  Vernuilles.) 


TRAITÉ  I,  LIVRE  X,  N.  I.  603 

tant  nous  dirons  un  mot  à  la  fin.  En  attendant  nous  remarque- 
rons seulement  que  les  béguards  assuroient  «  que  l'on  ne  doit 
point  jeûner,  non  plus  que  prier,  dans  l'état  de  perfection.  »  Nous 
avons  vu  '  que  nos  faux  parfaits,  en  rejetant  les  demandes,  rejet- 
tent ce  qui  est  principalement  compris  sous  le  nom  de  prière  ;  de 
sorte  qu'ils  participent  de  ce  côté-là  à  l'iiérésie  des  béguards  :  qui 
d'ailleurs  se  glorifiant  d'une  sublime  et  perpétuelle  communication 
avec  Dieu,  rejetoient  les  demandes  et  l'action  de  grâces,  comme 
font  à  leur  exemple  nos  nouveaux  mystiques.  Pour  ce  qui  regarde 
la  pratique  de  ne  jeûner  plus,  en  tant  qu'elle  s'étendroit  aux  jeûnes 
de  précepte,  je  ne  la  vois  pas  dans  lem's  écrits,  mais  seulement 
un  décri  des  mortifications  qui  peut  tendre  au  mépris  du  jeûne, 
et  que  nous  avons  observé  ailleurs  *. 

Je  ne  trouve  point  en  termes  formels  dans  les  écrits  que  j'ai 
vus  de  nos  mystiques,  la  troisième  proposition,  où  les  béguards 
«  s'affranchissent  des  lois  ecclésiastiques  et  de  toute  loi  humaine  :  » 
mais  un  lecteur  attentif  verra  dans  la  suite  de  secrètes  disposi- 
tions à  cette  doctrine.  Nos  mystiques  tombent  manifestement  dans 
quelque  partie  de  la  quatrième  proposition  des  béguards,  où  il 
est  porté  :  «  Que  l'homme  peut  obtenir  la  finale  béatitude  en  cette 
vie  selon  tout  degré  de  perfection,  comme  il  l'aura  dans  la  vie 
future  :  »  lorsqu'ils  disent  «  que  dans  cette  vie  l'on  possède  très- 
réellement,  et  plus  réellement  qu'on  ne  peut  dire,  l'essentielle 
béatitude  ^  :  »  par  où  l'on  est  olîligé  à  établir  un  rassasiement 
parfait  et  qui  ne  souffre  ni  envie,  ni  désir  quelconque  %  ni  enfin 
comme  on  a  vu  "" ,  aucune  demande  ;  ce  qui  emporte  un  état  où 
rien  ne  manque,  et  en  un  mot  cet  état  étoit  la  béatitude  des  bé- 
guards. 

La  cinquième  proposition  ne  paroît  pas  regarder  les  nouveaux 
mystiques;  pour  la  même  raison  je  laisse  à  part  la  septième  et  la 
huitième  :  mais  la  sixième  qui  dit  «  qu'il  appartient  à  l'homme 
imparfait  de  s'exercer  dans  les  actes  des  vertus,  et  que  l'ame  par- 
faite s'en  exempte,  »  revient  manifestement  à  la  suppression  de 

1  Cn^essus;,  liv.  IV,  ch.  xr  ,  X!i.  -  2  Ci-cle?sii>,  liv.  Y,  di.  xxxvii.  —  s  IhuL, 
ch.  XXXVI  j  (  uni.,  I,  1  part.,  5,  U.  —  '*  Moyen  court,  §  2i.  —  ^  Ci-dessus,  liv.  V, 
ch.  XXXV,  XXXVI. 


fiOi  INSTRUCTION  SLR  LES  ETATS  D'ORAISON, 

tous  les  actes,  qui  est  un  des  fondemens  de  nos  faux  mystiques  : 
leur  style  est  méprisant  pour  les  vertus  :  la  trente-unième  propo- 
sition de  Molinos,  dans  la  bulle  d'Innocent  XI,  porte  qu'il  faut 
perdre  les  vertus  :  agir  vertueusement,  c'est  selon  ces  faux  parfaits 
agir  selon  le  discours ,  selon  la  réflexion ,  c'est-à-dire  dans  leur 
langage,  imparfaitement  et  bassement.  Llnimiliié  vertu  est  selon 
eux  une  humilité  pleine  d'amour-propre  ou  du  moins  d'imperfec- 
tion :  c'est  ce  qui  fait  regarder  comme  un  7noye7i  de  pratiquer 
jjIus  fortcmeni  la  vertu,  l'habitude  de  ne  penser  pas  à  la  vertu  en 
particulier  '.  Tout  cela  est  visiblement  de  l'esprit  des  béguards  : 
l'imagination  de  supprimer  les  actes  particuliers  des  vertus  sous 
prétexte  qu'ils  sont  compris  dans  un  acte  éminent  et  universel, 
revient  au  même  dessein  :  aussi  est-elle  de  Molinos  dans  la  trente- 
deuxième  pr(»i)Osition  de  celles  d'Innocent  XI.  Kn  un  mot  toutes 
les  errem-s  (pion  vient  d»-  voir  sont  foudroyées  par  avance  dans 
le  concile  de  Viemie ,  f»n  parce  qu'elles  sont  les  mêmes  (jne  celles 
des  hérétiques,  ou  parce  (lu'elles  en  contiennent  (]uel(|ue  partie 
essentielle  et  qu'elles  en  prennent  l'esprit. 

Si  l'on  veut  voir  dans  les  nouveaux  mystiques  les  autres  carac- 
in't'i'Li.  ^^^^  J*'*'  béguards,  on  les  peut  ap[)nMuhe  de  ceux  qui  ont  connu 
eondain-  Qes  liéréticiucs.  i\e  nous  arrêtons  pas  à  n'Uiiniiuer  (lu'on  les  nom- 

nea  daui  '  1  1  i 

'"iî.rdt    ^^^^  quiétistes  à  cause  qu'ils  se  glorifioieiit  de  leur  quiétude  : 
h^rÔc""'Hr  ^'^^^  rinsbroc  qui  nous  l'apprend  '-.  Ils  s'appeloient  aussi  Ir^s  con- 
T.iiure  ei  tcuiplatifs ,  Ics  gcus  spirituels  et  intérieurs  :  mais  il  v  en  avoit  de 
d«Bioi..   plusieurs  espèces.  Ceux  qui  reviennent  le  plus  aux  (juiélistes  de 
nos  jours  sont  décrits  en  cette  sorte  par  Tanière  dans  un  excellent 
sermon  sur  le  premier  dimanche  de  Carême  :   «  Ils  n'agissent 
point;  mais  comme  rinstruiueut  attend  l'ouvrier,  de  même  ceux- 
ci  attendent  l'opération  divine,  ne  faisant  rien  du  tout  :  car  ils 
disent  que  l'ieuvre  d(^  Dieu  seroit  empêchée  par  leur  opération. 
Ainsi  attachés  à  un  vain  repos,  ils  ne  s'exercent  point  dans  les 
vertus.  Voulez- vous. savoir  quel  repos  ils  pratiquent,  je  vous  le 
dir;ii  en  peu  de  mots  :  ils  ne  veulent  ni  rendre  grâces,  ni  louer 
bien,  ni  prier  'c'est-à-dire,  comme  on  va  voir,  ne  rien  deman- 

'  (li-ik'-.-iiis,   liv.  V,  cil.  x\.\\  Il  j   Mo'jen  cowt ,  §  9.  —  '^  De  orn.  spir.  nupt., 
lib.  Il ,  c.  Lxxvi-Lxxix. 


II. 

Lei  nou- 


TRAITÉ  I,  LlYRE  X,  N.  II.  60o 

der) ,  ne  rien  connoître,  ne  rien  aimer ^  ne  rien  désirer,  car  ils 
pensent  avoir  déjà  ce  qu'ils  pouiToient  demander  K  » 

Je  ne  veux  pas  dire  que  les  faux  mystiques  d'aujourd'hui  aient 
tous  les  caractères  que  Taulère  a  remarqués  dans  ceux-là  :  c'est 
assez  qu'on  y  voie  ceux  qu'on  vient  d'entendre.  Le  même  Taulère 
pom^suit  ainsi  :  «  Quand  on  cherche  le  repos  en  ne  rien  faisant, 
sans  de  dévotes  et  intimes  aspirations  et  désirs,  on  s'expose  à 
toute  tentation  et  à  toute  erreur ,  et  on  se  donne  une  occasion  à 
tout  mal.  »  Yoilà  comme  il  met  dans  la  véritable  oraison  les 
aspirations  et  les  désirs  que  les  faux  contemplatifs  de  ce  temps- 
là  excluoient,  et  que  nos  parfaits  relèguent  encore  aux  degrés 
inférieurs  de  l'oraison.  Taulère  ajoute  :  «  Personne  dans  le  repos 
ne  peut  être  uni  à  Dieu  s'il  ne  l'aime  et  ne  le  désire  :  »  mais 
nos  nouveaux  spirituels  rangent  les  désirs  parmi  les  actes  in- 
téressés ,  et  on  ne  sait  ce  que  c'est  que  leur  amom- ,  puisqu'ils 
peuvent  ne  désirer  pas  ce  qu'ils  aiment. 

On  trouve  dans  le  procès  de  Molinos  qu'il  a  confessé  d'avoir 
enseigné  «  qu'une  ame  qui  ne  se  peut  pas  dépouiller  du  désir 
d'aimer  Dieu,  montre  qu'elle  le  veut  aimer  à  sa  mode,  ce  qui 
est  nourrir  la  propriété  et  le  propre  choix  :  »  de  sorte  que  pour 
aimer  Dieu,  comme  Dieu  veut,  il  faut  par  une  bizarre  résigna- 
tion à  sa  divine  volonté  être  disposé  à  ne  le  pas  aimer  s'il  ne 
veut  pas  que  nous  l'aimions,  qui  est  une  absurdité  bien  étrange, 
mais  néanmoins  une  suite  inévitable  des  principes  que  nous  avons 
vus  de  nos  faux  mystiques  ^ 

Au  reste  les  quiétistes  de  Taulère  se  croyoient  «  au-dessus  de 
tous  les  exercices  et  de  toutes  les  vertus,  et  incapables  de  péché, 
parce  qu'ils  n'ont  plus  de  volonté,  qu'ils  sont  livrés  au  repos,  et 
que  réduits  au  néant,  ils  ont  été  faits  une  même  chose  avec  Dieu;  » 
et  un  peu  après  :  «  Ils  se  vantent  d'être  passifs  sous  la  main  de 
Dieu  :  Deum  pati,  parce  qu'ils  sont  ses  instrumens,  dont  il  fait 
ce  qu'il  veut,  et  que  par  cette  raison  ce  qu'il  fait  en  eux  est  beau- 
coup au-dessus  de  toutes  les  œuvres  que  l'homme  fait  par  lui- 
même,  quoiqu'il  soit  en  état  de  grâce.  » 

'  Tavil.,  Senu-  ii  in  Dcrn.  I  Quud.ng.  —  -  Cl-Jes^us,  iiv.  iii,  ch.  XV;  et  \vr. 
IV,  cli.  III  et  suiv. 


606  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

On  dira  que  les  choses  que  Taulère  rapporte  ne  sont  pas  toutes 
blâmable-^ ,  et  qu'ainsi  son  intention  est  seulement  de  reprendre 
ces  hypocrites  pour  s  être  faussement  attribué  ce  qui  convenoit 
aux  saints.  Mais  ce  n'est  pas  assez  pénétrer  le  dessein  de  ce  zélé 
prédicateur,  puisqu'on  G'.'.'et  tout  ce  qu'il  remarque  est  d'un  mau- 
vais caractère,  et  qu"il  le  donne  pour  tel.  Car,  comme  il  le  sait 
bien  dire,  c'est  un  mal  évident  de  ne  point  désirer,  de  ne  point 
demander,  de  ne  point  rendre  grâces,  de  ne  point  agir,  d'attendre 
que  Dieu  nous  pousse  :  et  pour  les  choses  qu'on  pomi'oit  trouver 
en  quelque  manière  dans  les  saints,  c'est  une  autre  sorte  de  mal 
de  les  attribuer  uniquement  au  repos,  c'est-à-dire  à  la  cessation 
entière  et  perpétuelle  de  toute  action,  comme  faisoient  les  bé- 
guards,  suivis  en  cela  par  les  nouveaux  quiétistes. 

Taulère  a  copié  de  Uusbroc  une  grande  partie  de  ces  traits. 
C'est  Rusbroc  (jui  a  remarqué  et  blâmé  dans  les  béguards  «  cette 
cessation  de  désirs,  d'actions  de  grâces,  de  louanges,  de  tout  acte 
de  vertu,  pour  ne  point  apporter  d'obstacle  à  l'action  de  Dieu.  11 
trouve  mauvais  qu'on  fasse  gloire  de  ne  le  point  sentir,  de  ne  le 
point  désirer;  qui  est  la  même  chose  que  ne  l'aimer  pas  '.  »  A 
ces  traits  on  est  Un'ci'  de  reconnoître  dans  les  nouveaux  quiétistes 
de  trop  grandes  ressemblances  avec  les  anciens  :  quelques  cor- 
rectifs qu'ils  apportant  à  leurs  énormes  excès,  ils  en  retiennent 
toujours  de  trop  mauvais  caractères ,  et  ils  passeront  toujours 
pour  des  béguards  trop  peu  mitigés. 

S'ils  imitent  les  béguards,  ils  sont  aussi  condamnés  dans  leurs 
erreurs,  et  condamnés  même  par  les  mystiques,  par  Rusbroc  et 
par  Taulère,  dont  ils  n'-clament  sans  cesse  le  secours  :  on  y  peut 
joindre  Louis  de  Blois,  abbé  de  Liesse  en  Ilainaut,  dans  YApolo- 
f/ic  fie  Taulire ,  où  il  loue  le  passage  qu'on  vient  de  rapporter  : 
de  sorte  (jue  le  (juiétisme  est  condamné  tout  à  la  fois  par  trois  prin- 
cipaux mystiques,  par  Rusbroc,  par  Taulère  et  par  le  pieux  abbé 
de  Liesse, 
m.         J'ai  omis  exprès  dans  les  passages  de  Rusbroc  et  de  Tanière  un 
affm'îx'd.-  caractère  affreux  des  béguards,  que  le  malheureux  Molinos  n'a 
rS'ci  pas  voulu  (]ui  manquât  au  quiétisme  nouveau  :  on  voit  bien  que 

*  Rusbroc,  De  onuspir.  iiuiit.,  lili.  Il,  c.  lxxix. 


[louniuui 


TRAITÉ  I,  LIVRE  X,  N.  III.  607 

j'entends  par  là  les  infamies  qu'il  a  héritées  de  la  secte  des  bé-  moderne.» 
giiards  comme  beaucoup  d'autres  excès.  Je  n'en  ai  point  voulu 
parler,  et  je  prie  le  lecteur  prudent  d'en  bien  comprendre  la  rai- 
son. Je  pourrois  dire  d'abord  qu'on  a  horreur  de  traiter  de  telles 
matières  ;  mais  ime  raison  plus  essentielle  m'en  a  détourné ,  et 
c'est  qu'on  peut  séparer  ces  deux  erreurs.  On  peut,  dis-je,  sépa- 
rer les  autres  erreurs  du  quiétisme  de  ces  abominables  pratiques, 
et  plusieurs  en  efTet  les  en  séparent.  Or  j'ai  voulu  attaquer  le 
quiétisme  par  son  endroit  le  plus  spécieux,  je  veux  dire  par  les 
spiritualités  outrées,  plutôt  que  par  les  grossièretés  :  par  les  prin- 
cipes qu'il  avoue  et  qu'il  étale  en  plein  jour,  et  non  pas  par  les 
endroits  qu'il  cache,  qu'il  enveloppe  et  dont  il  a  honte  :  et  j'ai 
conçu  ce  dessein,  afin  que  ceux  qui  se  sentent  un  éloignement 
infini  de  ces  abominations,  ne  s'imaginent  pas  pour  cela  être  in- 
nocens,  en  suivant  les  autres  erreurs  plus  fines  et  plus  spirituelles 
de  nos  faux  contemplatifs.  Yoilà  pourquoi  je  n'ai  point  voulu  ap- 
puyer sur  ces  horreurs.  Ce  que  je  ne  puis  omettre  ni  dissimuler, 
c'est  dans  le  fait  qu'il  est  presque  toujours  arrivé  aux  sectes  d'une 
spiritualité  outrée,  de  tomber  de  là  dans  ces  misères.  Les  bé- 
guards,  les  illuminés  et  Molinos  dans  nos  jours  en  sont  un  exemple  ; 
pour  ne  point  parler  de  ceux  qui  se  sont  attribué  dans  les  pre- 
miers siècles  le  nom  de  gnostiques ,  sacré  dans  son  origine,  puis- 
qu'il n'y  signifioit  que  les  vrais  spirituels  et  les  vrais  parfaits  ; 
mais  l'abus  qu'on  en  a  fait  l'a  rendu  odieux  aussi  bien  que  celui 
de  quiétistes ,  qu'on  donnoit  naturellement  aux  solitaires  qui  vi- 
voient  séquestrés  du  monde  dans  un  saint  repos,  r,o-u/âc7at  ;  mais 
dans  nos  jours  il  demeure  à  ceux  qui  par  une  totale  cessation 
d'actes ,  abusent  du  saint  repos  de  l'oraison  de  quiétude.  Or  com- 
ment on  tombe  de*là,  à  l'exemple  des  béguards,  dans  ces  cor- 
ruptions qui  font  horreur,  il  est  aisé  de  l'entendre.  Toute  fausse 
élévation  attire  des  chutes  honteuses.  Vous  vous  guindez  au-des- 
sus des  nues,  et  par  une  aveugle  présomption  vous  voulez  mar- 
cher, comme  disoit  le  Psalmiste ,  dans  des  choses  merveilleuses 
au-dessus  de  vous  :  craignez  le  précipice  qui  se  creuse  sous  vos 
pieds.  Car  cette  chute  terrible  est  un  moyen  de  justifier  la  vérité 
de  cette  sentence  de  saint  Paul  :  «  Vous  êtes  si  insensés,  qu'en 


608  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

commençant  par  l'esprit  vous  finissez  par  la  chair  ' .  »  Vos  prin- 
cipes vous  conduisent  là  :  vous  dédaignez  les  demandes  ;  et  la 
sagesse  qui,  selon  saint  Jacques  -,  n'est  promise  qu'aux  demandes, 
vous  abandonne  :  la  grâce,  que  vous  ne  voulez  pas  même  dési- 
rer, se  retire  :  où  tombez -vous  après  cela?  Dieu  le  sait  :  vous 
croyez  la  tentation  tout  à  fait  vaincue  :  rempli  de  votre  imagi- 
naire perfection,  vous  trouvez  au-dessous  de  vous  de  penser  à 
votre  foiblesse  :  la  concupiscence  vous  paroît  éteinte  :  c'est  cette 
présomption  qui  la  fait  re^ivre.  C'étoit  un  caractère  des  béguai'ds 
bien  remarqué  par  Taulère ,  de  se  croire  affranchi  des  comman- 
demens  de  Dieu,  comme  de  ceux  de  V Eglise.  Ne  vous  croyez  pas 
exempt  de  cette  erreur  :  vous  oubliez  les  commandemens  de  de- 
mander et  de  rendre  grâces  :  il  ne  faut  pas  s'élonner  si  la  révé- 
rence des  autres,  qui  ne  sont  pas  plus  importuns  ni  plus  exprès 
dans  l'Evangile,  s'en  va  peu  à  peu.  Le  malheureux  >folinos  en 
est  un  exemple  :  tous  ne  tombent  pas  dans  ces  abominables  ex- 
cès, et  ne  tirent  pas  de  ces  principes  les  conséquences  qu'il  en 
a  tirées  :  mais  on  en  doit  prévenir  reffet.  L'idée  d'une  perpétuelle 
passiveté  mène  bien  loin.  Elle  faisoit  croire  aux  l)éguards  f|u'il  ne 
falloit  que  cesser  d'agir,  et  qu'alors  en  attendant  Dieu  qui  vous 
remueroit,  tout  ce  qui  vous  vien(h'oit  seroit  de  lui.  C'est  aussi 
le  principe  des  nouveaux  mysti(iues;  je  n'en  dirai  pas  davantage. 
On  ne  sait  que  trop  comme  les  désirs  sensuels  se  jirésentent  na- 
turellement. Je  ne  dirai  pas  non  plus  où  mènent  ces  fausses  idées 
du  retour  à  la  pureté  de  notre  origine  et  du  rétablissement  de 
l'innocence  d'Adam.  J'omettrai  tout  ce  qu'on  cache  et  qu'on  insi- 
nue .sous  le  nom  de  sinq)li(ité  et  d'enfance,  d'obéissance  trop 
aveugle  et  de  néant.  Faites-moi  oublier.  Seigneur,  les  mauvais 
fniits  de  ces  mauvaises  racines  que  j'ai  vues  autrefois  germer  dans 
le  lieu  saint  :  l'horreur  m'en  demeure,  et  je  ne  retourne  qu'à  re- 
gret ma  pensée  vers  ces  opprobres  des  mœurs.  Ames  pures,  âmes 
innocentes,  vous  ne  savez  où  conduisent  de  présomptueuses  et 
.^spirituelles  singularités  :  ne  vous  laissez  pas  surprendre  à  un 
langage  spécieux,  non  plus  qu'à  un  extérieur  diuunilité  et  de 
piété  :  Taulère  l'a  remarqué  dans  les  béguards  :  Ils  porlcnt ,  dit- 

'  Gahd.,  III,  3.  —  -  iac,  l,  iJ. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  X,  N.  IV.  609 

il ,  facilement  toute  sorte  d'adversités.  C'est  ce  que  Gerson  appe- 
loit  dans  ces  hérétiques  une  folle  patience,  fatua  peî'pessio,  qui 
tenoit  de  l'insensibilité.  Par  là,  dit  Tanière,  ils  se  rendetit  en  beau- 
coup de  choses  fort  semblables  aux  vrais  serviteurs  de  Dieu.  Sous 
prétexte  de  renoncer  à  leur  volonté ,  et  même  de  n'en  avoir  plus, 
ils  se  remplissent  d'eux-mêmes  :  car  qu'y  a-t-il  qui  flatte  plus 
Tamour-propre  que  l'idée  de  l'avoir  extirpé  ?  Ils  s'admirent  se- 
crètement dans  lem-  paisible  singularité ,  et  ne  reviennent  jamais. 
Un  faux  repos  les  abuse ,  mie  fausse  idée  d'acte  contiim  et  de  per- 
pétuelle passiveté  entretient  eu  eux  une  hypocrisie  étonnante. 
Voyez  l'austérité  apparente  des  discom's  de  Molinos  dans  sa  Guide 
spirituelle ,  et  si  l'on  en  croit  les  bruits,  sa  fausse  persévérance 
malgré  ses  rétractations  :  cependant  on  sait  quel  il  étoit  :  Dieu  a 
voulu  mettre  au  jom*  son  hypocrisie.  C'étoit,  dit  Tanière,  dans 
les  béguards  le  mystère  d'iniquité ,  qui  prépare  les  voies  à  l'An- 
téchrist. 

Depuis  le  concile  de  Tienne,  on  n'a  point  frappé  d'un  si  rude     iv. 
coup  les  fausses  et  irrégulières  spirituahtés,  que  de  nos  jours  deMoUnos 
sous  limocent  XI" à  l'occasion  de  Molinos.  Le  cardinal  Caraccioh,  q,uétistes 
archevêque  de  Naples,  fut  un  des  premiers  qui  excita  ce  pieux   jl„°. 
Pontife  par  une  lettre  du  30  janvier  1682  ^,  où  il  lui  marquoit  que, 
sous  prétexte  de  l'oraison  de  quiétude ,  plusieurs  s'emportoient 
jusqu'à  se  trouver  empêchés  de  l'union  avec  Dieu,  par  l'image  et 
le  souvenir  de  Jésus -Christ  crucifié,  et  à  ne  se  croire  plus  sou- 
mis aux  lois.  Il  avertissoit  le  Pape  que  par  les  livres  qu'on  lui 
présentoit,  pour  obtenir  la  permission  de  les  imprimer,  il  voj'oit 
que  les  plumes  étoient  disposées  à  écrire  des  choses  très-dange- 
reuses, et  que  le  monde  vouloit  enfanter  quelque  étrange  nou- 
veauté. Rome  a  procédé  dans  cette  affaire  avec  beaucoup  de  gra- 
vité et  de  prudence  :  je  rapporterai  à  la  fm  pour  mémoire,  les 
actes  qui  sont  tombés  entre  mes  mains,  et  il  me  suffit  en  cet  en- 
droit de  remarquer  que  les  soixante-huit  propositions  de  Molinos, 
dont  il  a  été  souvent  parlé ,  sont  qualifiées  par  la  bulle  d'Inno- 
cent XI,  du  19  février  1688,  hérétiques,  suspectes,  erronées,  scan- 
daleuses ,  blasphématoh'es ,  offensives  des  oreilles  pieuses,  ténié- 

'  Ci-dessous,  Acte^  de  la  condamnât,  des  quiétiiten. 

TOM.  xvm.  39 


010  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

raires,  tendantes  au  relâchement  et  au  renversement  entier  de  la 
discipline,  et  séditieuses,  respectivenn^nt.  Ce  qui  contient  toutes 
les  plus  fortes  qualifications  qu'on  puisse  appliquer  à  une  doc- 
trine perverse. 

Les  qualifications  respectives,  inconnues  aux  premiers  siècles, 
ont  été  fort  usitées  dans  l'Ecrlise,  depuis  que  le  concile  de  Constance 
en  a  donné  le  premitT  exemple.  11  csl  vrai  que  dans  le  même 
concile  on  s'expliqua  plus  distinctement  dans  la  bulle  de  Martin  V, 
sur  les  erreurs  qu'on  avoit  flétries  respectivement  *;  et  on  ne  peut 
nier  que  les  qualifications  précises  ne  soient  plus  instructives  : 
l'Eglise  les  donne  toujours  dans  le  besoin,  et  c'est  aussi  pom-  eu 
venir  là  par  des  principes  certains  qu'on  a  proposé  trente-quatre 
articles  diuis  les  ordonnances  de^  IG  et  25  avril  lt>l>ri. 

I. 

V.  Tout  clirétien  en  tout  état,  quoique  non  à  tout  moment .  est 
qujir»  «- obligé  de  conserver  l'exercice  de  la  foi.de  l'espérance  et  delà 
ordoDniD  chai'ite,  et  d  en  pruduue  des  actes,  comme  de  trois  vertus  dislm- 

cci    du   IG 

ti  ïj  »frii  guées  [a] . 

iodI     rap- 

portii.  Pour  maintenant  entendre  l'utilité  et  le  dessein  de  ces  trente- 
D^Iiein  quatre  articles,  il  faut  romar(|uer  «pie  deux  choses  sont  nécessaires 

ct"p"cV-  dans  la  condamnation  des  quiélistes  de  nos  jours  :  l'une  est  de 
''■'"  ;„.  bien  reconnoître  leurs  erreurs ,  l'autre  est  en  les  condanmant  de 

''mi'.r.*'"  sauver  les   vérités  avec  lestpielli's  ces  nouveaux    docteurs  ont 

um.ri!e.  tâché  de  les  imphquer.  Les  articles  donnent  des  principes  certains 
pour  exécuter  les  deux  pai'ties  de  ce  dessein.  Et  premièrement , 
pour  découvrir  les  erreurs  des  «juiétistes,  et  en  même  temps  les 
qualifier  avec  des  notes  et  des  (létrissiu'es  précises,  il  faut  sup- 
poser (pie  ce  qui  ofiense  le  plus  les  oreilles  chrétiennes  dans  ces 
nouveautés,  c'est  la  suppression  qu'on  a  vue  dans  lem-s  écrits, 
des  actes  nécessaires  à  la  piété  :  mais  pour  voir  si  ces  supi>ressions 
doivent  être  traitées  d'hér.  tiques,  ou  llétries  de  quelque  autre 
qualification,  le  principe  le  plus  simple  qu'on  pouvoit  prendre  est 

*  Conc.  Cotist.,  êess.  XLV,  Couslit.  Inter  cuuctos. 

{a)  Les  articles  suivons,  et  m^-iue  celui  qu'on  vient  de  lire,  se  trouveiil  piur 
haut,  p.  ;iol  et  suiv.,  dans  V Ordonnance  et  Instruction  pastorale  sur  /es  clats  d'o- 
raison. Il  nous  sufliia,  sans  reproduire  tous  ces  articles,  d'y  renvoyer  le  lecteur. 


Iioni  II 
rcliquf» 

dri     quii* 

lilUi. 


TRAITÉ  1,  LIVRE  X,  N.  VI.  611 

en  s'arrêtant  au  Symbole  des  apôtres  et  à  l'Oraison  Dominicale, 
qui  sont  dans  la  religion  chrétienne  deux  fondemens  inébranlables 
de  la  piété;,  de  tenir  pour  formellement  et  précisément  hérétique 
ce  qui  supprimoit  les  actes  expressément  contenus  dans  Tun  et 
dans  l'autre. 

Ce  fondement  supposé,  sans  avoir  besoin  d'aucune  autre  preuve, 
les  articles  se  justifient  avec  leurs  qualifications  :  et  d'abord  il 
suit  du  principe  que  supprimer  les  actes  de  foi  exphcite  en  Dieu 
tout-puissant,  prévoyant,  miséricordieux  et  juste  ;  en  Dieu  subsis- 
tant dans  trois  Personnes  égales;  et  en  Jésus -Christ  Dieu  et 
Homme,  notre  Sauveur  et  Médiateur,  c'est  supprimer  l'exercice 
de  la  foi  expressément  énoncée  dans  le  Symbole  et  tomber  dans 
mie  hérésie  formelle.  Ce  qui  étant  évident  par  soi-même,  néan- 
moins par  abondance  de  droit  a  été  manifestement  démontré  dans 
les  endroits  marqués  à  la  marge  ^  ;  et  le  contraire  ouvrant  le  ciie- 
min  à  un  oubli  par  état  de  la  Trinité  et  de  Jésus-Christ,  rend  ces 
mystères  peu  nécessaires,  favorise  les  hérétiques  qui  les  nient, 
en  affoibht  ou  plutôt  en  anéantit  les  effets  :  de  sorte  que  sans 
y  penser  on  fait  tendre  si  clairement  à  limpiété  ceux  qui  sup- 
priment ces  actes,  qu'il  n'y  a  même  plus  rien  à  désu*er  pour  la 
preuve. 

Pour  les  demandes,  il  n'est  pas  moins  clau  que  c'est  aller  di- 
rectement contre  le  Pater,  et  par  conséquent  soutenir  une  héré- 
sie, que  de  croire  qu'on  ne  doive  pas  demander  le  royaume  des 
cieux,  la  rémission  des  péchés,  la  délivrance  des  tentations,  et 
enfin  la  persévérance,  puisque  ces  demandes  sont  formellement 
énoncées  dans  ces  paroles  :  «  Que  votre  règne  arrive  ;  pardonnez- 
nous  nos  offenses  ;  ne  nous  induisez  pas  en  tentation  ;  délivrez- 
nous  du  mal  :  »  ce  qui  est  clair ,  tant  par  l'évidence  des  paroles, 
que  par  la  tradition  constante  et  manifeste  de  toute  l'Eglise,  ainsi 
quil  a  été  semblablement  démontré  dans  les  livres  précédens  ^. 

A  ceci  il  faut  ajouter  les  expresses  défmitions  de  l'Eghse.  Il  a 
été  défini  par  les  conciles  de  Carthage,  chapitre  vu  et  vni,  et  de 
Trente,  session  YI,  chapitre  u,  et  canon  23 ,  que  l'Oraison  Domi- 
nicale est  sans  exception  l'oraison  de  tous  les  fidèles  :  il  a  été 

■  Ci-deiéU3,  liv.  11 ,  n.  i  et  suiv. —  '  Ci-dessus,  liv.  iii ,  u.  iv. 


fila  LNSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON, 

défini  dans  le  concile  d'Orange  II ,  chapitre  x,  et  dans  le  même 
concile  de  Trente,  section  VI,  chapitre  xm,  qu'on  doit  demander 
la  persévérance  :  le  même  concile  de  Trente  a  défini  qu'on  doit 
aussi  demander  l'augmentation  de  la  grâce  *.  Ce  quïl  prouve  tant 
par  ces  paroles  de  l'Ecriture  :  Que  celui  qui  est  juste,  se  justifie 
eiKore^  :  et  par  celle-ci  de  V Ecclésiastique  :  iVe  cessez  de  vous 
justifie?'  jusqîi'à  la  mort^  :  que  par  cette  prière  de  l'Eghse  :  Dou- 
nez-7ious  rauf/nwntation  de  la  foi ,  de  V espérance  et  de  la  cha- 
rité. Quiconque  donc  fait  profession ,  comme  font  nos  quiétistes, 
de  ne  vouloir  pas  demander  en  tout  état  cet  accroissement  de  la 
grâce,  avec  tous  les  autres  dons  (ju'on  vient  d'expliquer,  s'op- 
pose directement  à  ces  passages  de  l'Ecriture,  à  cette  prière  de 
l'Eglise  et  à  la  doctrine  que  le  concile  de  Trente  en  a  inférée  :  el 
par  conséquent,  il  est  héréfuiue,  comme  il  a  été  dit  aillem's  plus 
amplement  \ 

Il  resteroit  à  examiner  (juand  on  tombe  dans  l'obligation  d» 
prodnireces  actes  de  foi  explicite,  et  de  faire  à  Dieu  ces  demandes; 
mais  ce  n'est  pas  de  quoi  il  s'agit  avec  les  nouveaux  mystiques  : 
il  suffit,  pour  leur  montrer  que  leur  doctrine  est  hérétique,  de 
prouver  qu'ils  reconnoissent  des  états  où  ces  actes  sont  suppri- 
més, sans  que  pour  oela  il  soit  nécessaire  de  déterminer  les  mo- 
mens  auxquels  on  pourroit  y  être  obligé  :  c'est  pourquoi  l'on  s'est 
contenté  de  dire  que  ces  actes  sont  nécessaires  en  tout  état, 
quoique  non  à  tout  moment,  mais  seulement  dans  les  temps  con- 
venaldes*  :  ce  qui  donne  toute  l'instruction  qui  est  nécessaire  en 
ce  lieu,  et  laisse  pom-  incontestaltles  les  huit  premiers  articles  des 
trente-quatre,  avec  leurs  (jualifications. 
vu.  Une  suite  de  la  su])pivssion  des  demandes  est  d'en  tenir  le  su- 
cio,  IV  X  jet,  cest-a-du-e  le  salut  même  et  tout  ce  qui  v  conduit  pour  indif- 

il  XI.  Pro-    ..'  ,       r>  ni  1  " 

poMiion,  lerent.  Four  comondre  cette  errem'  des  quietistes,  on  suppose  ce 

dci  qnié-  principe  :  ce  qu  on  désire  et  ce  qu'on  demande  à  Dieu  de  tout  son 

cœur,  ne  peut  pas  être  mdifférent  ;  or  est-il  que  par  le.-^  articles 

précédens,  on  désire  et  on  demande  à  Dieu  de  tout  son  cœur  le 

salut  et  ce  qui  y  conduit  :  on  n'est  donc  pas  indifférent  pom-  ces 

*  Ses9.  VI ,  ex.  —  '  Apoc,  xxii ,  1 1.  —  »  Eccli.,  xvni ,  22.—  *  Ci-dessus, 
liv.  IV,  n.  IX,  X,  etc.  —  B  Art.  i,  etc.;  art.  x\i. 


TIL\ITÉ  I,  LIVRE  X,  N.  VIII.  r.l3 

choses;  la  conclusion  est  évidente.  Peut-être  même  pourroit-on 
dire  que  Tindifférence  des  quiétistes,  induisant  la  suppression  des 
demandes,  est  hérétique  ;  mais  comme  cette  induction  après  tout 
ne  paroît  être  qu'ime  conséquence ,  qu'on  ne  voit  point  appuyée 
d'une  détermination  en  termes  formels,  il  y  a  plus  de  justesse  et 
de  précision  à  la  quaUfication  d'erronée  et  de  téméraire,  contenue 
dans  l'article  ix. 

Le  X  et  le  xi  préviennent  deux  erreurs  des  quiétistes,  dont 
l'une  est  que  les  demandes,  du  moins  aperçues,  dérogent  à  la 
perfection  du  cliristianisme  :  ce  qui  est  pareillement  erroné, 
puisque  ce  qui  est  expressément  commandé  de  Dieu  aux  parfaits 
ne  peut  déroger  à  la  perfection  :  or  par  les  articles  précédens  les 
demandes  sont  expressément  commandées  à  tous ,  et  même  aux 
parfaits  :  elles  ne  dérogent  donc  pas  à  la  perfection,  soit,  qu'elles 
soient  aperçues,  soit  qu'elles  ne  le  soient  pas,  parce  qu'apercevoir 
un  bien  en  soi-même  n'est  pas  l'ôter ,  mais  donner  lieu  à  l'ac- 
tion de  grâces,  selon  ce  passage  de  saint  Paul  :  «  Nous  avons  reçu 
l'esprit  de  Dieu,  pour  connoître  ce  qui  nous  est  donné  de  lui  *.  » 

L'autre  erreur  des  quiétistes  est  qu'ils  consentent  aux  de- 
mandes et  aux  autres  actes,  seulement  dans  le  cas  où  ils  leur  sont 
spécialement  inspirés  ;  mais  on  a  clairement  démontré  ^  que  cela 
ne  se  peut  souffrir  :  le  commandement  est  de  soi  plus  que  suffi- 
sant pour  nous  déterminer  à  une  pratique  ;  de  sorte  qu'exiger  par- 
dessus cela  une  inspiration  extraordinaire  ,  c'est  nier  qu'il  y  ait 
un  commandement  :  ce  qui  est  visiblement  erroné. 

On  a  pareillement  expliqué  ce  que  c'est  que  l'indifférence  du 
saint  évêque  de  Genève  %  qu'on  a  défendue  dans  l'article  ix  selon 
l'intention  de  ce  saint  homme  ;  et  l'on  a  aussi  remarqué  que  son 
indifférence  n"est  pas  une  insensibilité  ni  une  indolence;  mais  une 
entière  soumission  de  sa  volonté  à  celle  de  Dieu.  Ainsi  les  arti- 
cles IX ,  X  et  XI  sont  entièrement  éclaircis,  et  lem^s  qualifications 
évidemment  démontrées. 

Après  avoir  établi  la  nécessité  des  actes  commandés  dans  l'E-     vm. 

Quels  sont 

vangile,  il  falloit  guérir  le  scrupule  de  ceux  qui  croient  ne  point  les   vrais 

1  I  Cor  ,  II,  12.  —  -  Ci-dessns,  liv.  111 ,  n.  ix.  —  *  Ci-dessus,  liv.  Vlll,  n.  2 
wl  siiiv.,  6  etsuiv.  3  liv.  IX,  n.  2. 


614  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

AtiM  rtu  faire  dactes,  s'ils  ne  les  font  méthodiquement  arrangés,  ou  bien 
s'ils  ne  les  réduisent  en  formules  et  à  certaines  paroles,  ou  enfin 
si  ceux  qu'ils  produisent  ne  sont  inquiets  et  empressés.  C'est  ce 
qu'on  fait  dans  l'article  xu.  Nous  avons  vu  ce  que  c'est  que  ces 
actes  extérieurs  et  grossiers  '  ;  Ton  a  expliqué  de  quelle  simplicité 
sont  les  veritaliles  actes  de  cœur  :  saint  Paul  en  enseigne  aussi  la 
sincérité  et  la  vérité  par  ces  paroles  :  «  Tout  ce  que  vous  faites, 
faites-le  de  cœur,  comme  pour  Dieu  et  non  pour  les  hommes, 
sachant  que  c'est  du  Seigneur  (  qui  pénètre  le  secret  des  cœurs  ) 
que  vous  devez  recevoir  votre  récompense.  Senez-le  donc  comme 
le  Seignem*  qui  voit  tout,  et  à  qui  tous  les  désirs  sont  connus  *.  » 
IX.         Les  tpiiétisfps  présomptueux  s'imaginent  être  les  seuls  qui  con- 
ucic  xm,  nois.sent  la  simplicit»'.  Voxw  leur  Ater  ce  faux  avantage,  l'article 
n.iure  d.  xui  Icur  moutre  la  véritable  mcinière  dont  tous  les  actes  se  rédui- 
sent à  l'unité  dans  la  charité  ,  conformément  à  la  doctrine  de  saint 
Paul  dans  la  premirrr  aux  Cnn'nthiois ,  qui  a  été  expliquée  en 
divers  endroits. 
^  Les  articles  xiv,  xv,  xvi  et  xvu  sont  propo.sés  pour  mieux  ex- 

|)liqut'r  les  actes  particuliers,  dont  on  a  montré  la  nécessité,  et 
'■'  découvTir  les  évasions  des  (juiétistes. 

Pour  éluder  l'obligation  des  désirs  de  la  vision  bienheureuse, 
ils  disent  que  ces  désirs  sont  auUmt  de  mouvemens  indélibérés  ; 
maison  énonce  le  contraire  dans  l'article  x,  et  il  a  été  prouvé 
que  la  proijosition  c()nlrair(^  (^st  directement  opposée  aux  paroles 
expresses  de  saint  Paul ,  et  justement  qualifiée  d'hérétique  '. 

Le  xV  ju-ticle  comi)at  la  mollesse  du  quiétisme.  qui  afibiblit 
l'acte  de  contrition  et  la  doctrine  énoncée  dans  le  Pater,  pour  de- 
mander la  rémission  des  péchés  ;  ce  qui  est  plus  amplement 
établi  dans  les  livTes  précédens*,  où  les  faux -fuy ans  des  quié- 
tistes  sont  réfutés. 

Les  deux  articles  suivans  ,  c'est-à-dire  le  xvi*  et  le  xvn%  sont 
destinés  aux  actes  réfléchis ,  dont  la  nature  et  la  nécessité  ont  été 
expliquées*. 

'  Gi-dessns,  liv.  V,  n.  25  et  suiv.  —  î  Coloss.,  uï,  23,  24.—  »  Ci-dessus,  liv.  III, 
n.  viit,  xu ,  etc.  '  Ci-dessus,  liv.  IV.  n.  ix,  etc.  —  "  Ci-dessus,  li*.  \, 
n.  1  et  âuiv. 


rlf- 

IV  ,    TTI    cl 
t%  Il 


TRAITÉ  I,  LIVRE  X,  N.  Xl-XIII.  618 

Comme  on  ne  trouve  point  sur  ce  sujet  de  déterminations  de  - 
l'Eglise,  non  plus  que  dans  l'Ecriture  des  termes  exprès  pour 
prescrire  nommément  les  actes  réflexes,  on  en  a  marqué  la  pro- 
hibition comme  erronée ,  à  quoi  on  a  ajouté  qu'elle  approche  de 
l'hérésie,  à  cause  que  sil'Ecriture  ne  commande  peut-être  pas  en 
termes  formels  les  saintes  réflexions,  elle  les  commande  en  termes 
équivalens,  et  que  tout  l'esprit  des  saints  Livi'es  nous  y  porte. 

Un  des  plus  mauvais  caractères  du  quiétisme ,  est  d'avoù'  affoi-     \i 
bli  le  prix  du  remède  souvent  nécessaire  de  la  mortification,  et  cié  xvin 

!..  .  •>  1  •!•  eldesraor- 

par  un  discom's  profane  d  avoir  fait  servir  a  ce  dessem  la  sim-  uscaiions. 
plicité  de  l'enfance  chrétienne.  On  en  a  qualifié  la  proposition 
d'erronée  et  d'hérétique,  et  on  a  joint  ensemble  ces  deux  notes 
pour  montrer  par  celle  d'hérétique  une  expresse  contrariété  avec 
ces  paroles  de  saint  Paul  '  :  Je  châtie  mon  corps ,  etc.,  et  avec  les 
autres  de  l'Ecriture ,  qui  obligent  précisément  à  mater  la  chair. 
On  a  aussi  voulu  marquer  les  décisions  du  concile  de  Trente  en 
faveur  des  austérités,  même  volontaires,  contre  les  derniers  hé- 
rétiques 2  ;  mais  la  qualité  à' erroné  marque  outre  cela  les  consé- 
quences certaines  des  grands  principes  du  christianisme  ;  d'où 
suitda  nécessité  des  austérités  ;  qui  sont  d'im  côté  la  concupiscence 
toujom^s  vivante,  et  de  l'autre  la  désirable  conformité  avec  Jésus- 
Christ  souffrant. 

Pour  rejeter  l'acte  continu  et  perpétuel  qui  contienne  éminem-     xu. 
ment  tous  les  autres,  et  qui  aussi  pom*  cette  raison  exempte  de  tidexu'et 
les  pratiquer  dans  les  temps  convenables,  il  suffit  de  savoir  qu'in-  continuel 
connu  à  l'Ecriture,  à  tous  les  Pères,  à  toute  la  théologie,  il  ne  p^'p"""' 
paroit  la  première  fois  que  dans  Falconi ,  ou  dans  quelque  écri- 
vain de  son  âge  et  d'une  aussi  mince  autorité  :  mais  pour  en 
venir  à  une  qualification  plus  précise,  la  proposition  doit  être 
déclarée  du  moins  erronée,  par  la  conséquence  nécessaire  que 
l'on  en  induit  contre  la  pluralité  et  la  succession  des  actes  com- 
mandés de  Dieu ,  ainsi  qu'il  a  été  souvent  démontré  ^ 

L'article  xx,  où  il  est  parlé  de  la  tradition,  pourroit  sembler    xm. 

.,       ,  .  .  ,.,  1  ,,  Sur  l'ar- 

inutile  a  ceux  qui  ne  sauroient  pas  qu  il  va  au-devant  d  une  so-  acie  xx  et 

<  I  Cor.,  IX,  27.  —  2  Conc.  Trident.,  sess.  XIV,  c.  viii  et  IX.       ^  Ci-dessus, 
jv.  I,  n.  XV,  XXI,  îxiii. 


616  rvSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

«uriesura.  lutloD  des  Douveaux  mystiques.  Rien  ne  les  charge  tant  que  le 
silence  éterael  de  tonte  l'antiquité  sur  leur  acte  continu  et  uni- 
versel, sur  la  suspension  des  autres  actes  expressément  comman- 
dés de  Dieu,  et  sur  la  perpétuelle  passketé  ou  ligature  des  puis- 
sances;  à  quoi  ils  n'ont  de  ressource  qu'en  établissant,  s'ils  pou- 
voient,  certaines  traditions  occultes  dans  l'Eglise,  et  en  sauvant 
sous  ce  nom  le  silence  perpétuel  de  tous  les  saints  sur  leur  do(^- 
trine.  Dans  la  suite  nous  apprendrons  de  saint  Irénée ,  de  saint 
Epipliane  et  de  saint  Augustin,  que  ces  traditions  secrètes  étoient 
aussi  le  refuge  des  gnosticjues  et  des  mimichéens.  Il  n'y  a  aucune 
mauvaise  doctrine  qu'on  ne  puisse  introduire  sous  ce  prétexte  , 
ainsi  qu'il  est  porté  dans  Tarticle.  x\ous  montrerons  en  son  lieu 
plus  amplement  (pic  l'Eglise  n'a  jamais  reçu  d'autres  traditions  que 
celles  qui  sont  n'C(»nnues  par  le  consentement  unanime  de  tous 
les  Pères  :  ce  sont  celles  qui  sont  établies  dans  le  concUe  de 
Trente',  et  ne  peuvent  être  cachées.  Nous  nous  sommes  con- 
tentés, en  attendant,  de  marquer  en  peu  de  paroles  la  nécessité 
de  la  tradition  en  cette  matière,  comme,  dans  toutes  les  autres  de 
la  religion;  à  (pini  nous  ajoutons,  avec  les  saints  Pères,  ce  com- 
mandement de  Nofre-.Seigneur  :  Ce  que  rous  entendez  à  l'orei/fe, 
puhliez-lo  sur  les  toits  *;  ce  qui  prouve  que  le  secret,  s'il  y  en  a 
eu  dans  la  doctrine  de  Jésus-Christ ,  a  entièrement  cessé  dans  la 
prédication  de  l'Evangile. 
sÙrVor-      ^'^^  expli(]uant  ci-dessus  le  dessein  des  articles'',  nous  en  avons 
h'.uMm  f^'*  consister  l'utilité  en  deux  choses  :  Tune,  à  découvrir  les  er- 
nn"'com"  reurs  des  propositions  du  (juiétisnie;  l'autre,  à  sauver  les  bonnes 
.r"ouïriî  doctrines  dont  on  y  abuse,  et  en  empêcher  l'abus.  Nous  en  sommes 
'rtôdr».""  ^  ''«'tte  dernière  partie,  et  nous  sommes  obligés  à  y  parler  de  To- 
'::La1  raison  passive. 

u.roT  ^D  s*^  porte  sur  ce  sujet  à  deux  sortes  d'extrémités,  dont  l'ime 
est  d'avoir  pour  cette  oraison  une  espèce  de  mépris  :  il  y  en  a  (|ui 
prennent  pour  des  rêveries  et  même  pour  quelque  chose  de  sus- 
pect ou  de  dangereux ,  les  états  où  certaines  âmes  d'éUte  reçoi 
vent  passivement,  c'est-à-dire  sans  y  contriliuer  par  leur  indus- 
trie ou  leur  propre  effort,  des  impressions  divines,  si  hautes  et  si 

»  Ses».  IV.  —  »  Matlh.,  X,  27.  —  •'  Ci-dessus^  n.  vi. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  X,  N.  XIV.  617 

inconnues,  qu'on  en  peut  à  peine  comprendre  Tadmircible  sim- 
plicité. Pour  réprimer  cet  excès  dans  l'article  xxi  des  ordonnances 
du  46  et  du  23  avril,  en  attendant  qu'on  eût  le  loisir  d'appro- 
fondir la  matière  plus  qu'elle  ne  le  pouvoit  être  dans  mie  instruc- 
tion si  courte ,  on  a  eu  recours  au  témoignage  des  spirituels ,  et 
surtout  à  celui  du  saint  évêque  de  Genève,  dont  le  nom  étoit  plus 
connu  et  l'autorité  plus  révérée.  On  a  passé  plus  loin  dans  ce 
traité,  et  on  a  établi  l'oraison  passive^  c'est-à-dire  la  suppression 
des  actes ,  et  surtout  des  actes  discursifs ,  non-seulement  par  au- 
torité et  par  exemples,  mais  encore  par  principes  K 

On  a  fait  voir  aussi  que  la  passiveté  de  ce  Saint  et  des  autres 
vrais  spirituels  n'étant  que  pour  un  certain  temps ,  qui  est  celui 
de  l'oraison ,  le  champ  étoit  libre  dans  tout  le  reste  de  la  vie  pour 
y  pratiquer  dans  les  temps  convenables  tous  les  actes  commandés 
de  Dieu  \ 

L'autre  extrémité  où  l'on  tombe  à  l'occasion  de  l'oraison  pas- 
ive  est  celle  des  quiétistes ,  qui  rendent  premièrement  dans  cer- 
tains états  la  passiveté  perpétuelle  :  qui  la  rendent  secondement 
fort  commune  et  fort  aisée  :  qui  la  rendent  en  troisième  lieu  fort 
nécessaire,  du  moins  pour  la  perfection  et  pour  l'entière  purifi- 
cation. On  oppose  à  ces  trois  abus  *,  dont  le  péril  est  visible,  les 
articles  xxn,  xxni,  xxiv,  xxv,  xxvi  et  xxvin. 

On  peut  voir  en  son  lieu  la  démonstration  des  articles  xxn  et 
xxni,  où  sont  condamnés  les  quiétistes,  qui  mettent  la  perfection 
et  la  sainteté  dans  les  états  d'oraison  extraordinaire  :  on  a  marqué 
les  inconvéniens  de  cette  doctrine,  et  en  même  temps  on  l'a  ré- 
futée non-seulement  par  l'autorité ,  mais  encore  par  les  raisons 
du  saint  évêque  de  Genève  et  des  autres  vrais  spirituels. 

Pour  détruire  la  perpétuelle  passiveté  qui  éteint  dans  le  cours 
de  la  vie  toute  industrie  propre  et  tout  propre  effort ,  les  articles 
xxv  et  XXVI  condamnent  ceux  qui  à  la  faveur  de  l'état  passif,  où 
ils  s'imaginent  être  élevés ,  attendent  que  Dieu  les  détermine  à 
chaque  action  par  des  voies  et  inspirations  particulières  :  ce  qui 

^  Ci-dessus,  liv.  VII ,  n.  I,  etc.,  ix,  etc.  —  '^  Ci-dessus,  liv.  Vil ,  n.  ix,  etc.; 
liv.  Vlll,  n.  \\;  liv.  IX,  n.  xxvi,  xxix,  etc.—  ^  Ci-dessus,  liv.  VI,  n.  xxvn, 
xxiiii  etsuiv. 


niR  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

ouvre  le  chemin  à  toute  illusion.  Le  nombre  de  ces  prétendus 
passifs  est  prrand  dans  le  monde ,  et  se  multiplie  plus  quon  ne 
croit.  Il  induit  à  tenter  Dieu,  qui  veut  que  Ton  s'aide  soi-même 
avec  le  secorrs  de  la  grâce,  et  qui  n'a  rien  promis  à  ceux  qui  re- 
noncent auii  moyens  qu'il  nous  a  donnés  pom*  nous  exciter 
nous-mêmes  à  bien  faire.  La  mollesse  et  le  relàcbement  d'un  côté, 
et  de  l'autre  le  fanatisme,  sont  les  elfets  de  cette  illusion  :  et  l'ar- 
ticle XXVI  oppose  à  cet  état  dangereux  les  voies  de  la  pnidence 
chrétienne  si  souvent  recommandées  dans  l'Ecritm-e. 

Les  quiétistes  s'emportent  jusqu'à  dire  qu'on  vient  par  la  per- 
fection de  l'oraison  à  la  grâce  et  à  l'état  apostolique,  dont  nous 
avons  plusieurs  témoignages  àansX  Interprétation  du  Conliquedes- 
rnnl'npie^  '.  Est-il  possibU'  «{u'oii  ne  sucIk»  pas  ((uo  l'apostolat 
n  est  pas  un  état  doraisou,  mais  rt'ilél  dune  vocation  déclarée  et 
autorisée  dans  TEgUse?  Cet  état  apostolique  emporte  aussi  le  don 
de  prophétie ,  et  tout  cela  est  rejeté  dans  l'article  xxvn  comm»^ 
plein  d'illusion,  de  témérité  et  d'erreur. 

l'ar  cet  état  prétendu  apostolique,  on  voit  des  femmes  s'attri- 
buer des  mateniiU'^s  sans  vocation  et  sans  témoignage,  et  par 
un  titre  si  éblouissant  faire  des  Inijiressions  sur  les  esprits,  dont 
on  a  peine  à  les  faire  revenir,  connue  la  suite  le  fera  piU'oitre.  On 
verra  dans  les  articles  qu'on  vient  de  citer ,  la  som'ce  de  ces  illu- 
sions découverte ,  et  leur  effet  condamné  par  des  qualifications 
dont  la  raison  est  visible. 
»^  Le  remède  le  plus  salutaire  quOii  puisse  apporter  aux  abus 

ciesimii  que  font  les  quiétistes  de  l'état  passif,  est  premièrement  de  leur 
'"  faire  voir  qu'il  est  très-rare  ,  conmie  il  i)Mr(»if  par  l'autorité  de 
fous  les  spirituels  :  par  où  Wm  rejette  cette  uuillilude  étonnante 
de  prétendus  passifs  qui  inondent  le  monde  :  c'est  encore  un  se- 
cond remède  d'ôter  à  ces  présomptueux  l'imagination  de  n'être 
soumis  qu'au  jugement  de  ceux  qu'ils  appellent  les  gens  expéri- 
iuentés,  dont  nous  avons  assez  pailé  dans  la  préface. 

L'article  xxix  est  important  pour  prévenir  une  objection  des 
quiétistes,  qui  demandent  s'il  n'est  pas  possible  qu'il  y  ait  des  âmes 
que  Dieu  meuve  passivement,  et  sans  le  secours  de  tout  propre 

•  Juterprét.  du  Cant.,  ch.  I,  n.  1,  p.  4,  etc. 


TRAITÉ  1,  LIVRE  X,  N.  XV.  649 

effort  et  de  toute  propre  industrie,  à  toutes  les  actions  de  la  piété  : 
si  vous  dites  que  cet  état  n'est  pas  possible,  ils  vous  accusent  de 
lier  les  mains  à  Dieu  et  de  limiter  sa  puissance  :  si  vous  en  avouez 
la  possibilité,  ils  croiront  être  en  droit  de  soutenir  que  telles  et 
telles  âmes  sont  en  cet  état,  et  que  sans  les  tourmenter  dans  cette 
pensée,  il  n'y  a  qu'à  les  laisser  à  leurs  directeurs. 

C'est  là  une  des  sources  d'illusion  des  plus  dangereuses.  Nous 
avons  opposé  à  cette  conséquence  l'expérience  des  \Tais  spiri- 
tuels \  dont  aucun  n'a  cru  avoir  trouvé  des  âmes  de  cette  sorte , 
et  n'en  ont  produit  pour  exemple  certain  que  la  sainte  Vierge, 
comme  il  a  été  remarqué  :  combien  donc  est-il  dangereux  de  se 
forger  de  telles  idées  !  Ajoutons  que  telles  âmes  toujours  mues 
divinement  et  passives  sous  la  main  de  Dieu,  ne  pécheroient  plus 
même  véniellement,  non  plus  que  la  sainte  Vierge ,  et  même  ne 
pourroient  plus  déchoir  de  la  grâce,  comme  tout  homme  attentif 
le  découvrira  facilement  :  car  toute  ame  mue  divinement ,  hors 
d'elle-même,  et  toujours  dans  une  espèce  d'extase  durant  le  temps 
de  sa  motion ,  n'échappe  pas  à  la  main  toute  -  puissante  qui  la 
meut;  et  n'échappera  jamais,  si  toujours  elle  est  mue  de  cette 
sorte  et  n'est  pas  laissée  un  instant  à  elle-même.  C'est  aussi  parla 
que  nos  faux  mystiques  ont  été  conduits  aux  propositions  où  nous 
avons  vu  leur  impeccabilité  prétendue  ^.  On  l'a  assez  réfutée ,  et 
en  même  temps  on  a  averti  que  ce  n'est  point  précisément  dans 
ces  préventions  extraordinaires  que  consiste  la  perfection  du  chris- 
tianisme, puisque ,  comme  il  a  été  démontré  ^,  elle  dépend  du 
degré  d'amour  où  l'ame  sera  élevée,  et  que  Dieu  bien  certaine- 
ment peut  donner  par  les  voies  communes  :  à  quoi  il  faut  prendre 
garde,  pour  ne  point  amuser  les  âmes  par  la  fausse  imagination 
de  grâces  extraordinaires,  mais  toujours  les  accoutumer  à  épurer 
leur  amour. 

On  a  joint  à  cet  article  les  expressions  nécessaires  en  faveur 
de  la  sainte  Vierge,  Mère  de  Dieu;  ce  qui  opère  deux  bons 
effets  :  l'un ,  de  rendre  en  eUe  à  Jésus-Christ  les  honneurs  qui 
lui  sont  dus  ;  et  l'autre ,  d'avertir  qu'on  n'étende  pas  à  d'autres 

.   »  Ci-dessus,  liv.  VI,  n.  xxi.   xxin,  xxiv.  —  ^  Ci-dessus,  liv,  V,   n.  xxxv  et 
XXXVI,  —  3  Ci-dessuSj  liv.  VII ,  u.  xxix. 


620  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

les  prérogatives  qui  lui  ont  été  attirées  par  uu  si  grand  titre. 

XVI.        Sur  la  contemplation .  il  faut  remarquer  que  plusieurs  spiri- 

«le  ixiv.  tuels  confondent  la  contemplation  avec  Toraison  passive,  encore 

où    il    esl  '^  '^  ' 

parle  delà  ouB  Ics  uotlous  u'cu  soient  pas  les  mêmes.  Quand  saint  Thomas  * 

conleiii- 

iiiatioii.  et  les  autres  traitent  de  la  contemplation,  ils  n'entendent  pas  sous 
ce  nom  i'oraison  passive.  Cai*  encore  que  la  contemplation  ne  soit 
point  discursive  non  plus  que  la  foi,  elle  n'ùle  pas  toujours  le 
pouvoir  de  discom'ir,  qui  est  ce  qu'on  appelle  l'état  passif.  Pour 
donner  mie  règle  générale  sur  la  contemplation,  l'article  xxiv  dit 
que  ce  nest  piis  seulement  l'essence  divine  qui  en  est  l'objet, 
mais  encore  avec  l'essence  tous  les  attributs,  les  trois  Personnes 
divines  et  le  Fils  de  Dieu  incaiiié,  crucifié  et  ressuscité,  et  en  un 
mot,  que  toutes  les  choses  (iiii  ii(>  sont  vues  que  par  la  foi,  sont 
lobjet  du  chrétien  conlcinplalil"  :  ccst  aussi  lidee  de  saint  Piuil, 
lorsqu'il  dit  que  <•  nous  ne  contemplons  pas  ce  nous  voyons,  mais 
ce  que  nous  ne  voyons  pas,  parce  que  ce  qu'on  voit  est  temporel, 
et  ce  qu'on  ne  voit  pas  est  éternel  '.  »  Cet  article  étoit  nécessaire 
pom'  condamner  les  faux  mystiques,  qui  n'admettent  dans  l'acte 
de  contemplation  ni  les  attributs  ,  ni  les  Personnes  divmes ,  ni  le 
mystère  du  Dieu  lait  homme  ,  comme  il  a  été  démontré,  mais  la 
seule  esseiicediviiie  abstraite  et  couluse. 
D?i"rii-  ^^  sainte  doctrine  des  épreuves  et  des  exercices  di\  iiis  nous 
m.  ii"'.l  ^^^^^'^  ""  P*^"  *^^  1'^  sécheresse  des  chapitres  précédens.  Un  des 
rri'v*!"  P^^'"^  plausibles  argumens  des  quiétistes  pour  prouver  dans  cer- 
tains états  l'entière  suppression  des  actes,  se  tire  des  désolations 
des  âmes  peinées,  où  Dieu  fait  une  impression  si  foi-te  de  sa  jus- 
tice, qiK»  l'ame.  qui  ne  sent  pohit  (ju'il  puisse  sortir  d'elle  autre 
chose  que  du  mal,  liée  d'aillem's  et  serrée  de  près  par  une  main 
souveraine,  ne  peut  presque  ou  n'ose  pas  même  produire  ces  actes  ; 
ce  que  Job  semble  exprimer  par  ces  mots  :  «  Dieu  arme  contre 
moi  toutes  ses  terreurs ,  sans  me  permettre  de  respirer  ;  et  les 
traits  que  me  lance  sa  juste  fureur,  m  ont  absorbé  l'esprit  :  quo- 
vinn  indUjnatio  chibit  spiritum  mewn  '  :  »  en  sorte  que  je  ne  sais 
plus  si  j'agis  ou  si  je  n'agis  pas;  et  ailleurs  :  «  Il  m'a  ;resserré 

'  s.  Thoni,,  II'  II*,  q.  LXXXil,  art.  o;  q.  fLXXX.  per  totuxii.  etc.—  *  Il  Cor., 
:v,  18.  -  *  Job,  VI,  4. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  X,  N.  XVII.  H2i 

dans  un  sentier  étroit,  je  ne  puis  passer,  et  il  a  couvert  ma  route 
de  ténèbres  K  »  En  effet  on  se  trouve  dans  une  si  grande  obscu- 
rité, que,  contraint  de  se  ranger  avec  Job  au  nombre  de  ceux 
dont  «  la  voie  est  cachée  et  que  Dieu  a  environnés  de  ténèbres  ^  »  il 
semble  qu^on  perd  Fespérance  d'en  sortir.  Cependant  de  temps  en 
temps  il  échappe  de  la  nue  un  petit  rayon  qui  fait  dire  :  «  Ma  nuit 
se  tom-nera  en  jom-,  et  j'espère  la  lumière  après  les  ténèbres  \  » 
Plus  on  est  poussé  au  désespoir,  plus  l'espérance  se  relève  ;  et 
après  avoir  dit  :  «  Yous  m'épouvantez  par  des  songes  ;  et  saisi 
d'horrem*  dans  les  visions  dont  vous  m'effrayez,  j'en  suis  réduit 
au  cordeau,  et  je  ne  veux  plus  que  la  mort  :  je  suis  dans  le  déses- 
poir, et  je  ne  me  puis  supporter  moi-même  ;  »  ce  qu'il  pousse  jus- 
qu'à dire  encore  :  «  D'où  vient  que  je  me  déchire  la  chair  avec  les 
dents,  et  que  je  ne  songe  qu'à  m'ôter  la  vie?  »  Cependant  on  en 
vient  un  moment  après  à  dire  :  «  Quand  il  me  tueroit,  j'espére- 
rai en  lui  :  je  ne  laisserai  pas  de  reprendre  mes  voies  devant  sa 
face,  et  il  sera  mon  Sauveur  \  »  Ce  qui  montre  que  les  sentimens, 
qui  sembloient  éteints ,  n'ont  fait  que  se  fortifier  en  se  concen- 
trant au  dedans.  Lequel  des  saints  a  jamais  dit  avec  plus  de  force  : 
«  Qui  me  donnera  cpie  mes  discom-s  soient  gravés  avec  de  l'acier 
ou  sur  mie  lame  de  plomb ,  ou  imprunés  sur  un  dur  rocher  avec 
un  ciseau?  Car  je  sais  que  mon  Rédempteur  est  vivant  ;  ma  peau 
recouvrira  mes  os,  et  je  verrai  mon  Dieu  en  ma  chair?,  »  et  le 
reste  où  l'espérance  est  si  forte.  Cependant  il  sortoit  d'un  mouve- 
ment où  loba  d'espérer  en  Dieu,  il  sembloit  lui  vouloir  fahe  son 
procès ,  en  disant  :  «  Comprenez  qu'il  a  rendu  contre  moi  un  ju- 
gement qui  n'est  pas  juste  «.  »  Il  avoit  aussi  dit  auparavant  :  «  Je 
parlerai  avec  le  Tout-Puissant,  je  veux  disputer  avec  Dieu  ^  »  Et 
encore  :  «  Plût  à  Dieu  qu'on  put  plaider  avec  Dieu  comme  on  fait 
avec  son  égal  ^  »  Et  enfm  il  ajoute  aillem\s  :  «  Je  ne  veux  pas  qu'il 
conteste  avec  moi  par  sa  puissance,  ni  qu'il  m'accable  du  poids 
de  sa  grandeur  :  qu'il  propose  des  raisons  équitables,  et  je  ga- 
gnerai mon  procès  ^  »  Mais  à  quoi  aboutit  cette  hauteur  et  cette 

'  Joh.,  XIX,  7.  —  2  ///«/.,  III,  23.  —  3  Ibid.,  XVII,  12.  —  4  Ibid.,  vu,  14-16.  — 
5  Ibid.,  XIX,  23.  —  6  Ibid.,  G.  —  ^  Ibid.,  xiii ,  3.  —  »  Ibid.,  xvi ,  12.  —  '  Ibid., 
XX m,  6,7. 


lui  O  .m(>mIiuii>iii  .|iii  i.iii  .iiioniMM'  un  uoli^  «l'oiiioiir  niuiA  un  ilt'ipll 
(ippMi.Mii  |»(ii.ui  .Mi..H.>.  <>(  |M>iii  «Hrrt  iiiioiik  tlmiM  lUMii^  pHrf>l<>  j 
..  l'iiirnjii  II  a  M\\\\\\o\wo,  i|ii'll  MiVuM'rtN»»  i  «|iril  h\\mx\  «tllor  m  inntii, 
.>l  1)11  II  me  ri«li!mrli(y .  iillii  t|ui*  j'HJn  ItV  iMiiirtUJMllon  (iiio  m  iioiMI 
iii.uii  .1.-  .1. Mil.  III  il  mit  {\\wo  iMiuii'lr  miiiH  iii't'piti'iMMM'.  iIm  \m\\'  ^\\\t\ 
i  l»(ir  loihii'MM*  .111  piii  iiii|i((iiMniHJi)  I)  m  iii'nri'lv«i  iltu'onih'iliro  h 
Iti  |wii'til<>  <>l  ()  lii  \  iiioiilli  <hi  Niilul  *.  tt  On  iMiloMil  hliMi  i|iii'  <<  o.^l  lllun 
i|iril  tt|i|iolliMiliiril,  »  (lui'.  |)iiiiiYuill  II,  i|iii\ll(«  i>rt|,  iiin  lori'n?  jinlH 
jit  ni*<  iM'itiiioilh)  iiiio  Hi  luKH'iin  |Hilli^unuV  Md  i^liulr  \\*m\  pit»  «ritl 
ruin,  ol>  nui  loroo  iToM,  ]mvm  MU\  tTuiut  pttM'l'n  ,  Ji^  un  trniivn  |miImI 
<lit  l'iutrinnrrn  ru  inni  ;  iintn  inniM  iir<uil  oliiimlnnnt't,  ni  jii  iliMniinrn 
HtniH  nonlliMi  "  Il  <lii  \<iil  tliiiii'  ciuinnit  Ium  pluinlon  t|n  II  piMii^rin  ni 
iiinoKMiii'iii  iiiii  |Miiir  mIi|i«(  lu  t>niin(iiH»4inii«n  ili4  MM  fitlllInMMni  nl,'lti 
riMliiln  tlo  tuitiiiitilMM  <i  lu  Innldlloii  «llmptiliiMiiMt,  <>l  Hi>lo  irini  t\\ 
piiilinl  niniMu' l'oinniKnov  *'oiiiiMn  on  d  vn,  pin'  un  lrnne«pnrl  on 
il  iiliniil  un  no  ii'iiiioipiull  ipiunn  rM|H'*iMt  iln  ijt'tpll ,  ni  il  nn  prniiil 
Iti  Inlnlnrn  ;  pour  nlitinlli'  ii  lu  lin  ô  innllrn  i^^on  nncourM  nn  lllnii , 
<>l  h  ilii'i«  iivnt'  nn  lonutnl  ili*  piiMiHitH  ItninnH  ••  Mi*»  nintf^  t^onl  iIhn 
«llHt'oiirrnrM    f  i^hI  ponr  voniiMonl  «pu*  |t<  \n\mio  ionilnt  nii*^)  yiMiK 

on  pl<>iiln  "    H 

IN<t  tlihoiiH  tliim  \uui  <pi<t  l(Hi  iirlitf^  «nH^nnl  ilinin  \m  (nt>rr)<<OH  il) 
vlnii  ;  <ll»on»  ipiilM  ho  rinliiMtl ,  ni  r^oiivnnl,  r^oii»  Innr  conlnili'it . 
ipiIlH  H'v  onvnloppnni ,  «pTlU  «\v  t'tpinnnl ,  «pi'llrt  n'y  rorllllnnl, , 
<pi  llf>  on  hitiioiil  ilo  li»Ml|M  ni)  InmpM  n,vnr  nno  nonvolln  vif|iinin'. 
iNiMiii  itvonH  ospliipiô  Hni'  on  (jujol.  lu  rlooltino  ilo  Miilnl  l'VunoolH  rin 
SmIoh^  ipn  ««nnol^iio  ipi(\  lop»  uoIom  iIo  pli'ilô  o||uhci«'ipt  ol  ouinnio  l'n 
poiiHMi'tr^  <ln  lonli  In  i!inni4ll)ln(in  rnlln ni  «Imin  lu  liunltt  pulnlr  .l<  I  o^ 
pril  ,  iToi'i  m  Konvni'iiit  loiil  rinlVuloio', 

1,11  pioliuKlo  oliHoniili'*  Mil  Ton  omI, ,  n'nmp<^(*lin  pui4  ipin  lu  l'oi 
oliMoiirit  pin  ollo  niAnin  nn  iloploin  m  vni'ln  '  on  piAln  l'ornilln  ^i  lu 

voix  «In  Ilinii  ipii  m  Itill  niilmirlrn  oonn lo  l'uti  lujn  :  (pioiipi'on 

HO  oi'olo  iiihoiihililo  ol  iiuns  inonyoïnoiil  ,  mu  no  IniHHo  pu^  iln  t^'oh 
ollor  Hiil  inônio  .  uiniil  ipio  l'iiliMill   lliivlil  on  iIlHiinl  :  «  IVIoM  UMin, 
|Miini|n<ii   or'  In   lii.lr.   ri  | npim   im    IroiililoM  In?   J'iMp/^l'n  ni) 

•  ,1x1,,  VI,  II,  m       '  iiiiil ,  Il  |.'i       "  //<(./,,  iivi,  Ml,      »  i;i  iluMNiu,  liv   VIII 


624  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

Dieu  ' .  »  On  ne  manque  pas  de  soutien,  puisqu'on  est  soutenu  par 
sa  peine  même ,  comme  disoit  le  môme  David  :  «  Mes  larmes  ont 
été  mon  pain  nuit  et  jom^  '^  :  »  pour  en  faire  voir  non-seulement  le 
cours  continuel,  mais  encore  la  force  soutenante  ;  et  loin  que  le 
désespoir,  dont  on  paroît  assiégé  et  tout  rempli  soit  effectif ,  si  l'on 
sonde  au  vif  les  âmes  que  Dieu  met  dans  ces  exercices  au  milieu 
des  ténèbres  et  de  la  désolation,  on  y  trouvera  un  fond  de  con- 
fiance inébraulahle  et  inaltérable. 

C'est  ce  (|u"il  a  fcdiu  expliquer  dans  l'article  xxxi  pour  évitei' 
deux  excès  :  l'un,  deceux  qui  s'im  aginent  que  les  peines  de  ces 
états  sont  imaginaires,  ou  en  tout  cas  purement  humaines  ;  l'autre, 
de  ceux  qui  s'en  servent  pour  induire  dans  tout  cet  état  une  perpé- 
tuelle passiveté  qui  est  Terreui*  des  quiétistes. 
DeVa'rUcie      ^^^  >'  ^  ^^  chapltre  daiis  ce  traité  où  je  désire  de  trouver  de 
"él-l'ubit"  l'^dtention,  c'est  celui-ci.  Il  s'agit  d'explicjuer  un  acte  aussi  grand 
bandorT-  ^^  Jiussi  cousolaut  que  ce  parfait  abandon.  En  rappelant  ce  qu'on 
dêllinl  a  dit  jusqu'ici  de  l'abandon  des  quiétistes,  on  y  découvrira  trois 
^IT'sl^i  erreurs  :  l'une ,  que  l'acte  d'abandon  n'appartient  qu'à  l'oraison 
ate"c  "f  re-  P^-Sslve ,  et  qu'ou  ne  le  peut  faire  dans  les  voies  comnmnes  ; 
ToiTcr''-''  l'autre ,  que  cet  acte  emporte  une  indifférence  pour  le  salut  ;  la 
ra"bando"n  demlère,  qu'il  emporte  aussi  la  suppression  de  tout  acte,  et  sans 
fi"^,''"""  jamais  se  reumer  soi-même,  une  attente  purement  passive  que 
Dieu  nous  remue. 

Ces  trois  erreurs  sont  détruites  par  un  seul  passage  de  saint 
Pierre,  qui  est  celui  où  ce  saint  Apôtre  définissant  l'abandon,  dit 
ces  paroles  :  «  Rejetant  en  lui  toute  votre  sollicitude ,  parce  qu'il 
a  soin  de  vous  *.  »  Oii  il  faut  observer  premièrement,  qu'il  adresse 
"ce  commandement  à  tous  les  fidèles,  et  non  point  à  certains  états 
particuliers  ;  ce  qui  renverse  la  première  erreur.  Secondement, 
que  bien  éloigné  de  la  profane  indifférence  des  quiétistes,  saint 
Pierre  appuie  l'abandon  sur  ce  que  Dieu  a  soin  de  nous  :  par  où 
la  seconde  erreur  est  réfutée.  En  dernier  lieu,  saint  Pierre  ajoute  : 
Soyez  sobres  et  veillez;  par  où  est  proscrite  la  troisième  errem', 
qui  sans  permettre  de  se  remuer,  veut  qu'on  attende  uniquement 
que  Dieu  nous  remue. 

•  Psaï.  XLII,  8.  —  s  Psal.  XLI,  iv.  —  s  1  Petr.,  \,  1,  8. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  X,  N.  XVIII.  fi25 

En  retranchant  de  l'abandon  ces  trois  erreiirS;,  le  pur  abandon 
chrétien  restera  avec  toute  sa  force  dans  l'acte  où  nous  rejetons 
sur  Dieu  seul  tous  nos  soins^  et  même  le  soin  de  notre  salut  :  non 
point  par  indifférence  à  être  damnés  ou  sauvés,  ce  qui  fait  horreur  ; 
mais  au  contraire  en  abandoimant  d'autant  plus  à  Dieu  notre  salut 
(jue  nous  le  désirons  avec  plus  d'ardeur. 

C'est  ce  que  les  demi-pélagiens  ne  vouloient  pas  entendre,  lors- 
qu'ils croyoient  que  pour  conserver  l'espérance  il  en  falloit  mettre 
en  soi-même  une  partie  :  mais  saint  Augustin  leur  répondoit 
qu'au  contraire  pour  la  conserver  il  la  falloit  mettre  toute  entière 
en  Dieu,  et  dans  une  pure  foi  lui  abandonner  tellement  tout  son 
salut  qu'il  ne  vous  en  reste'  plus  nulle  inquiétude  :  «  Car,  dit-il, 
nous  vivons  plus  en  sûreté  si  nous  donnons  tout  à  Dieu,  que  si 
nous  nous  abandomions  en  partie  à  lui ,  et  en  partie  à  nous- 
mêmes  *.  »  Yoilà  donc  un  abandon  parfait  à  Dieu,  parce  qu'il  ne 
reste  rien  de  notre  côté  en  quoi  nous  puissions  prendre  confiance  : 
ce  qu'il  prouve  par  l'autorité  de  saint  Cyprien,  qui  conclut  de 
rhumble  aveu  de  notre  foiblesse  dans  l'Oraison  Dominicale,  «  qu'il 
faut  tout  donner  à  Dieu,  »  et  rien  à  soi-même,  selon  que  le  même 
martyr  l'avoit  prononcé  ailleurs  en  disant  qu'il  ne  nous  étoit  pas 
permis  de  nous  glorifier  nous-mêmes,  «  parce  que  nous  n'avions 
rien  qui  soit  à  nous  :  in  nullo  f/loriandtim ,  quando  nostrum  nïhil 
est  'K  » 

Il  se  faut  donc  bien  garder  de  mettre  en  nous-mêmes  aucune 
partie  de  notre  espérance  ,  ni  de  nous  appuyer  radicalement  sur 
nos  ])onnes  œuvres  :  non  qu'elles  ne  soient  nécessaires  pom'  aller 
au  ciel  ;  mais  parce  que  c'est  Dieu  qui  nous  les  donne  selofi  sa 
bonne  volonté ,  comme  dit  saint  Paul  *  ;  en  sorte ,  dit  saint  Au- 
gustin après  saint  Cyprien,  qu'à  remonter  à  la  source,  «  il  faut 
tout  donner  à  Dieu  :  cela  est  vi^ai,  dit  ce  saint  docteur,  cela  est 
plein  de  piété,  il  nous  est  utile  de  penser  et  de  parler  ainsi  ^  :  »  et 
en  tra^'aillant  sérieusement  à  notre  salut ,  d'en  attribuer  à  Dieu 
l'eifet  total. 

C'est  là  qu'il  faut  perdre  tout  l'appui  sur  sa  propre  volonté. 

'  T)e  dono  pa^sev.,  cap.  vi,  ii.  12.  —  ^  Tesiini.^  lib.  !II ,  c.  iv.  —  3  j'hn^^  jj^  13_ 
—  '* De  dono  persev.,  etc.  c.  xiii,  a.  33. 

TOM.    XVUl.  40 


626  INSTRUCTION  SUR  LUS  UTATS  D  ORAISON. 

"  Il  y  a  sujet  de  s'étonner,  dit  le  même  saint  Augustin ,  qxw 
1  homme  aime  mieux  se  commettre,  s'al)andonner  à  sa  propre 
foihlessc  qu'à  la  promesst^  inébranlable  de  Dieu;  et,  contiiiue-t-il, 
il  ne  sert  de  rien  d'objecter  :  Mais  la  volonté  de  Dieu  sur  moi- 
même  m'est  incertaine  ;  »  car  ce  Père  reprend  aussitôt  :  «  Quoi 
donc?  Etes-vous  certain  sur  vous-même  de  votre  propre  volonté, 
et  pouvez-vous  ne  craindre  pas  cette  parole  :  Que  celui  «ini  est 
debout  craigne  de  tomber?  Comme  donc  l'une  et  l'autre  volonté, 
et  celle  de  Dieu  et  la  nôtre,  est  incertaine  pour  nous,  pourquoi 
l'homme  aimera-l-il  mieux  alKmdonner  sa  foi,  son  espérance  et 
sa  charité,  c'est-à-dire  tout  l'ouvrage  de  son  salut,  à  la  plus 
foible  volonté  qui  est  la  sieime  ,  qu'à  la  plus  puissante  qui  est 
celle  de  Dieu  '  ?  » 

Tout  le  but  de  crtte  di^  Irine  dv  s;iinl  Augu.sliu  est  de  nous 
faire  avouer  que,  n'y  aymit  (ju'une  seule  volonté  qui  soit  iinnmable, 
c'est-à-<lire  la  vohjuté  de  Dieu ,  et  celle-là  tenant  la  nôtre  en  sa 
main,  il  n'y  a  point  de  certitude  pour  nous  que  de  nous  attacher 
Mjuvfrainemrnt  à  crtt»*  suprême  volonté  qui  stule  pt  ut  nous 
faire  fairr  tout  cv  qu  il  faut  :  ee  qu'on  iw  peut  •'S[).'rtr  (pieu  s'a- 
bandctnnant  entièrement  à  eJle. 

On  voit  par  là  (jue,  clnrchant  l'endroit  où  le  chrétien  peut 
trouver  1«'  repos  autant  (jue  l'éliit  de  cette  vie  en  est  capable,  ce 
Krand  Saint  ne  lui  propose  pas  le  repos  funeste  de  tniir  pour 
indiirmnt  tout  ce  que  Dieu  peut  ordonner  de  nous  en  bien  ou  vu 
mal  pour  toute  l'étrrnité,  mais  qu'il  lui  donne  tout  le  n  |ios  ([u'il 
j>eut  avoir  eu  «cttc  vif.  dans  la  rmjise  de  Sii  voloiiti'  m  (elle  de 
Dieu. 

Ce  n'est  pourtant  pas  dans  le  dessein  (pie  l'on  ci'sse  de  faire  ses 
efforts,  (lar  il  n'a  pas  oublié  ce  qu'il  rnsi'igne  partout,  «que  l'ou- 
vrage du  Sidut  ne  se  doit  pas  acconq)lir  par  de  simples  vq'UX, 
sans  y  joindre  en  nous  efTorçant  de  notre  piu't  l'elTicace  de  noire- 
volonté,  puisque  Dieu  est  apprlé  notre  .s'cours,  et  qu'on  n'aide 
«jue  celui  qui  fait  volontairement  (jnelqucs  elforts  :  \cc  adjurari 
potest,  nisi  qui  aliquid  sponte  coiiatur  '  :  n  où  il  ne  faut  pas  en- 

'  De  prcedcstinalionc  Sanclonmi,  cap.  xi,  u.  :21  —  *  De  lecc.  mer.,  lil».  II, 
cap.  V,  n.  6. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  X,  N.  XVIII.  627 

tendre  que  cet  effort  de  la  volonté  précède  la  grâce,  puisque  c'est 
positivement  ce  que  saint  Augustin  a  voulu  détruire,  mais  plutôt 
que  tout  l'effort  que  nous  pouvons  faire  en  est  le  salutaire  effet. 
Et  il  ne  faut  pas  s'imaginer  (jrie  cette  doctrine  qui  nous  oblige 
à  donner  à  Dieu  tout  l'ouvrage  de  notre  salut,  mette  les  hommes 
au  désespoir,  comme  les  demi-pélagiens  ne  cessoient  de  le  repro- 
cher à  l'Eglise  ;  au  contraire,  dit  saint  Augustin,  «  j'aime  mieux 
leur  laisser  à  penser  en  eux-mêmes  que  d'entreprendre  de  l'expli- 
quer par  mes  paroles,  quelle  erreur  c'est  de  croire,  comme  eux, 
que  la  prédication  de  la  prédestination  apporte  aux  auditeurs  plus 
de  désespoir  que  d'exliortation  à  bien  faire  :  car  c'est  dire  que 
l'on  désespère  de  son  salut ,  lorsqu'on  apprend  à  l'espérer  non 
pas  de  soi-même,  mais  de  Dieu,  pendant  qu'il  crie  par  la  bouche 
du  Prophète  :  Maudit  l'homme  qui  espère  en  l'homme  ' .  »  Et 
ailleurs  plus  fortement,  s'il  se  peut  :  «  A  Dieu  ne  plaise  que  vous 
croyiez  qu'on  vous  fait  désespérer  de  vous-même,  quand  on  vous 
ordonne  de  mettre  votre  espérance  en  Dieu  et  non  en  vous-même, 
puisqu'il  est  écrit  :  «Maudit  l'homme  qui  espère  en  l'homme  :  » 
et,  «  Il  vaut  mieux  espérer  en  Dieu  que  d'espérer  en  l'homme  ^.  »  Ce 
qu'il  inculpe  en  disant  :  «  Faut-il  craindre  que  l'homme  désespère 
de  lui-même ,  lorsqu'on  lui  apprend  à  mettre  son  espérance  en 
Dieu,  et  qu'il  seroit  délivré  de  ce  désespoir,  si  malheureux  autant 
que  superbe ,  il  la  mettoit  en  lui-même  ^  ?  »  Yoilà  donc  tout  le 
repos  du  chrétien  :  voilà  ce  qui  calme  ses  inquiétudes  ;  et  pour 
réduire  cette  doctrine  en  pratique,  au-dessus  de  toutes  ses  œuvres 
et  au-dessus  en  quelque  façon  de  toutes  les  grâces  qui  les  lui  font 
faire ,  il  s'attache  comme  à  la  source,  non  à  quelque  chose  qui 
soit  en  lui-même ,  mais  à  la  bonté  qui  est  en  Dieu,  et  sans  relâ- 
cher ses  efforts  il  met  sa  foible  volonté  dans  une  volonté  toute- 
puissante. 

Cet  acte,  si  c'est  un  seul  acte,  est  un  parfait  abandon  :  je  dis,  si 
c'est  un  seul  acte  ;  car  en  effet  c'est  un  amas  et  un  composé  des 
actes  de  la  foi  la  plus  parfaite,  de  l'espérance  la  plus  entière  et  la 
plus  abandonnée ,  et  de  l'amour  le  plus  pur  et  le  plus  fidèle  :  ce 
qui  fera  toujours  trois  actes,  puisque,  comme  dit  saint  Paul,  la 

1  De  dono  persev.,  cap.  xvil,  n,  16.  —  ^  Ibid.,  cap.  xxii^  u.  6i'.  —  '  Ibid. 


fi2S  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

foi ,  respérance  el  la  charité  seronf  toujours  (rois  c/ioscs  ;  mais 
trois  actes  concourant  cnseml)leà  rendre  le  chrétien  tranquille  et 
heureux,  conformément  à  cette  parole  :  «  IleureiLX  riioniinc  «pii 
se  confit'  en  Dieu  '.  » 

Cet  acte,  encore  un»'  f<»is,  réunit  en^iemble,  a\c('  uiw  foi  par- 
faite et  une  parfaite  espérance,  un  inir  et  parfait  amour  :  ct't  acte 
nous  détache  à  fond  df  nous-mêmes  :  cet  acte  noiis  unit  à  Dieu 
autant  (ju'il  est  i»ossihlo  en  cette  vie  :  cet  acte  fait  regretter  les 
jjéchés  par  le  plus  haut  et  le  plus  puissant  «le  tous  les  motifs,  et 
ntr  li.iilf  la  erainte  ipi'oii  en  peut  avoir.  puisipTuii  anionr  si  par- 
fait les  Consume  »'t  les  ahsoihe.  {'.et  acie  porte  en  lui-même  tout 
ce  (pii  peut  nous  donner  de  l'assuraner.  puis(iue  rien  ne  nous  rend 
plus  sensible  la  Ixjuté  de  Dieu,  (pie  le  mou\ement  (pril  nous  ins- 
pire d'en  attendri?  tout  :  et  l'abandon  ne  peut  pas  aller  plus  loin. 
puiscpie  c'i'sl  là  un  «'Utier  accomplissement  de  la  parole  où  saint 
Pierre  ordonne  ><  de  njt'ter  en  Dieu  tonte  son  impiielude.  parce 
qu'il  a  soin  de  nous  *,  »  sjuis  discontinuer  néanmoins  »le/>;v^;'  rf  dr 
vriller,  dr  prur  if'rtitrrr  en  frnfotinn.  lommc  le  Sam  enr  hii-niènie 
lavoit  ronunandé  *. 

Voilà  rpiel  est  l'aliandon  du  rhietien,  selon  la  doctrine  aposlo- 
hipie,  el  on  voit  qu'il  présuppose  deux  fondemens  :  l'un,  decroiic 
ipie  Dieu  a  soin  de  nous;  et  l'autre,  qu'il  n'en  faul  pas  moins  a.irir 
et  veilli'i'  :  autri'inent  ec  seroit  lenlei-  Dieu. 

Cet  art.'  uf  ufnis  est  point  proposé  comme  un  .ni»'  qui  n'ajipai'- 
tiemie  i|U*à  la  seule  oraison  passive;  il  est  déduit.  c(»uune  on  voit, 
des  principes  comnums  de  la  fi»i.  Saint  .Vu^rustin  après  sain! 
(!yprien,  et  tous  deux  a[)rt'S  saint  Pierre,  le  reconunandent  éf^Mle- 
nienl  à  fous  les  fidèles;  et  il  n'y  a  (pie  les  (piirtistes  de  nos  jours, 
ipii  pour  se  donner  une  vaine  distinetion  ,  se  s(»ienl  avisés  de  ré- 
server l'abandon  à  un  état  d'oraison  exfraoïdinaire. 
^'^         Savoir  si  c'est  pousser  l'abandon  plus  loin  iiue  de  se  somm'llre. 

Duxitiii''  *  •  ' 

yiici..  ri  si  Diru  le  vouloit  et  iiuil  fût  po.ssible ,  à  des  peines  éternelles, 

an  tu|>pa-  i  i  i  7 

.iLoB.  pjr  pourvu  qu'on  ne  perdît  pas  son  amour  :  c'est  co  rpi'il  est  aisé  de 
résoudre  jiar  l«'s  principes  (\u(m  a  posés. 

11  a  ete  établi  par  des  témoignages  constans  ',  ipie  le  saint  des 

»  Jcrrm.,  \\u,l.—  '  I  Vetr.,\,  ',li.— KMallh.,  SXM,  SI.— '•  Ci  licâàus,  liv.  IV, 


TRAITÉ  I,  LIVRE  X,  X.  XIX.  629^ 

chrétiens  est  inséparablement  uni  à  la  volonté  de  Dieu  et  à  sa 
gloire,  comme  à  leur  fm  naturelle.  De  là  il  s'est  ensuivi  que  le 
désir  du  salut  a  pom'  sa  fm  naturelle  et  dernière  la  gloire  et  la  vo- 
lonté de  Dieu,  selon  ce  verset  de  David  :  «  Que  ceux  qui  aiment, 
ô  Seigneur,  le  salut  venu  de  vous ,  ne  cessent  de  dire  :  Que  le 
Seigneur  soit  glorifié  :  Dicant  souper  :  Marjnificetur  DoniinuSj  qui 
dilifjunt  salutarc  tuum  '.  »  Si  c'est  la  gloire  de  Dieu  qui  fait  qu'on 
aime  son  salut ,  donc  en  aimant  son  salut  on  aime  Dieu  plus  que 
soi-même  ;  on  est  touché  de  ses  bienfaits  à  cause  qu'ils  viennent 
de  lui  :  on  est  prêt  à  renoncer  à  tout,  excepté  à  son  amour,  et  à 
tout  souffrir  plutôt  que  de  résister  à  sa  volonté  :  ce  qui  fait  un 
amour  à  toute  épreuve. 

Qu'ajoute  à  la  perfection  d'un  tel  acte  l'expression  d'une  chose 
impossible  ?  Rien  qui  puisse  être  réel  ;  rien  par  conséquent  qui 
donne  l'idée  d'une  plus  haute  et  plus  elTective  perfection. 

Pourquoi  donc  un  Moïse ,  un  saint  Paul ,  selon  l'interprétation 
de  saint  Chrysostome  et  de  son  école  ;  pourquoi  ceux  qui  ont  suivi 
cet  Apôtre  se  sont-ils  servis  de  ces  fortes  expressions  ?  Pourquoi, 
sinon  pour  nous  faire  entendre  par  ces  manières  d'excès,  que  lem* 
amour  est  prêt  à  tout,  jusqu'à  être  anathème  si  Dieu  le  vouloit? 

U  ne  faut  pas  croire  pourtant  qu'eu  parlant  de  cette  sorte  ils  aient 
été  persuadés  que  Dieu  voulût  ou  cpi'il  put  vouloir,  selon  les  règles 
de  sa  bonté  et  de  sa  justice,  traiter  ses  saints  avec  cette  rigueur. 
Car  on  a  vu  ^  que  saint  Chrysostome  a  suppléé  dans  le  passage  de 
saint  Paul ,  un  s'il  étoit  possible ,  -"'■  ^u^ariv  ;  et  saint  François 
de  Sales ,  qui  s'est  servi  si  souvent  de  ces  suppositions  par  im- 
possible ,  n'ignoroit  non  plus  que  les  autres  qui  ont  parlé  comme 
lui  ce  beau  passage  du  livre  de  la  Sagesse  :  «  Comme  vous  êtes 
juste,  vous  disposez  justement  de  toutes  choses,  et  vous  trouvez 
éloigné  de  votre  vertu ,  de  condamner  ceux  qui  ne  doivent  pas 
être  punis  ^  »  On  sait  bien  que  selon  les  règles  qu'il  a  établies. 
Dieu  ne  peut  envoyer  dans  les  enfers  ni  priver  de  l'effet  de  ses 
promesses  ,  ceux  qui  auront  été  fidèles  à  garder  ses  commande- 
mens.  Tout  l'effet  de  ces  suppositions  est  que  s'élevant  en  quelque 
façon  au-dessus  tant  du  possible  que  de  l'impossible ,  on  tâche 

1  Vml.,  XXXIX,   i7.—  2  Ci-d'^st^us,  liv.  1,  u.  Ji.  —  ^  s^^j,^  xil,  lo. 


fl.30  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

d'exprimer  comme  on  peut  ce  que  porte  le  sacré  Cantique,  que 
Vfintour  est  fort  comme  la  mort;  et  que  la  jalousie ,  que  l'oii 
conçoit  pour  la  g:loire  de  Dieu,  est  dure  comme  V enfer  ',  et  ne  cède 
pas  à  ses  supplices. 

Apr.'-s  avoir  établi  que  cet  acte  ou,  si  l'on  veut,  cette  expression 
est  pieuse  et  légitime,  il  falloit  encore  marquer  les  inconvéniens 
où  tomlient  les  quiétistes  à  son  oceasion. 

J'en  trouve  quatre  principaux  :  le  premier  est  de  rendre  cet  acte 
trop  commun  :  la  terre  est  couverte  de  leurs  rantiques,  où  l'on 
méprise  l'enfer  et  la  damnation  ;  et  c'est  la  première  chose  qu'on 
fait  parmi  eux,  dès  qu'on  y  peut  seulement  nonuner  l'oraison  de 
simple  regard.  Je  ne  m'en  étonne  pas,  et  en  soi  rien  n'est  plus 
facile  (ju'un  abandon  dont  on  sait  l'exécution  iiiq)ossible  :  mais 
lors<pi'il  est  sérieux,  il  n'est  que  pour  les  Pauls,  pour  les  Moises, 
c'est-à-dire  pour  les  plus  parfaits.  Si  sjiint  Pierre,  mi  apAtre  si 
fervtnt,  a  été  repris  pour  avoir  dit  dans  son  zèle  :  Je  mettrai  ma 
virpour  rous^;  et  s'il  a  fallu  le  convaincre  par  saebiil«'(pi'il  avoit 
jinuiiis  plus  qu'il  ne  pouvoit,  connue  remanjue  saint  Anj,'tislin^  de 
«pii'l  délaissement  ne  seiont  pas  dignes  ceux  (jui  osent  d'abord 
allronler  l'enfer  avec  ses  feux?  Ils  nes'enb'udenl  pas  eux-mêmes, 
ils  ne  songent  pas  à  ce  (ju'ils  disent  :  à  pi'ine  sont -ils  à  l'épreuve 
des  maux  les  plus  légers,  et  ils  s'imaginent  pouvoir  soutenir  ceux 
de  l'enfer!  Pour  faire  vérilablement  un  acte  si  fort,  il  faudroit 
auparavant  avoir  passé  par  mille  .sortes  d'exercices,  èJre  poussé  à 
bout  i>ar  son  amour,  et  sans  relâche  pressé  et  sollicité  au  tledans 
par  des  impressions  divines  :  autrement  cet  abandon  n'est  iju  uu 
vain  discours  et  une  pâture  de  lamour-propre.  (l'est  aclieter  à  tr(»jt 
bon  marché  la  perfection,  (jue  de  croire  y  être  arrivé  par  une  sou- 
mission en  l'air  et  un  dévouement  sans  effet  :  voilà  donc  le  pre- 
mier inconvénient,  c'est  de  rendre  cet  acte  trop  comnnm.  Le 
second  est  d'attacher  à  celle  exjjression  la  perfection  et  la  pureté 
de  l'amour  :  car  on  a  vu  de  très-grands  saints,  parmi  lesquels  j'ai 
nommé  saint  Augustin,  et  J'en  imurrois  iionnner  une  infinité 
d'autres,  (]ui  tout  embrasés  qu'ils  etoient  du  saint  amour,  n'ont 
jamais  seulement  songé  à  en  expliquer  la  force  par  ces  supposi- 

'  CfiiU.,  VIII,  G.  —  *  Jonn.,  xill,  30. 


TILyTÉ  I,  LIVRE  X,  N.  XX.  631 

tions  impossibles.  Combien  de  saints  ont  eu  mi  amom*  capable  du 
martyre,  qui  n'ont  pas  seulement  songé  à  exprimer  qu'ils  étoient 
prêts  à  le  souffrir?  Ainsi  sans  nommer  les  peines  d'enfer,  on  peut 
être  très-disposé  à  les  endm-er,  si  Dieu  le  vouloit ,  plutôt  que  de 
l'offenser.  Le  troisième  inconvénient  est  d'attacher  un  tel  acte  à 
une  oraison  extraordinaii'e  et  passive  :  car  c'est  vouloir  attacher  à 
un  état  extraordinau^e  et  particulier  ce  qu'on  a  vu  compris  dans 
le  pur  amom%  qui  est  de  tous  les  états^  comme  on  l'a  souvent  dé- 
montré. Le  dernier  inconvénient  est,  sous  prétexte  d'un  acte  où 
l'on  veut  réduire  la  perfection  du  christianisme ,  de  croire  avoir 
satisfait  à  toute  la  loi  de  Dieu,  et  de  négliger  la  pratique  des  com- 
mandemens  exprès  :  ce  qui  est,  comme  on  a  \u  par  les  articles 
précédens,  une  hérésie  manifeste. 

Au  reste  je  veux  bien  avouer  que  quelques  savans  théologiens 
eussent  voulu  qu'on  eût  passé  cet  article  sous  silence,  ou  du  moins 
qu'on  s"y  fût  plutôt  servi  du  terme  de  tolère?'  que  de  celui  d'ins- 
pù^er  ces  actes  aux  âmes  pemées  et  vraiment  humbles,  comme  il 
est  porté  dans  l'article  ^  Je  voudrois  bien  pouvoir  céder  à  leurs 
sentimens.  Mais  premièrement  pour  le  silence,  c'eût  été  une  peu 
sincère  dissimulation  d'une  chose  qui  est  très-célèbre  en  cette  ma- 
tière, et  on  se  fût  ôté  le  moyen  de  découvrir  les  abus  qu'on  en  a 
faits  dans  le  quiétisme. 

Pour  le  terme  de  tolérer,  on  ne  pouvoit  l'appliquer  à  un  acte  que 
tant  de  saints,  et  entre  autres  saint  Clirysostome  avec  toute  sa 
savante  école ,  ont  attribué  à  saint  Paul. 

Pour  le  terme  d'inspirer  cet  acte,  si  l'on  entendoit  r-:'on  y  dût 
porter  les  âmes  comme  à  un  exercice  commun,  on  a  wx  que  je 
serois  des  premiers  à  m'y  opposer  :  mais  pour  l'inspirer,  ainsi 
que  porte  l'article  aux  âmes  humbles  et  peinées,  que  Dieu  presse 
par  des  touches  particulières  à  lui  faire  cette  espèce  de  sacrifice  à 
l'exemple  de  saint  Paul,  comme  après  tout  ce  n'est  autre  chose  que 
de  les  aider  à  produire  et  en  quelque  sorte  à  enfanter  ce  que  Dieu 
en  exige  par  ses  impulsions,  on  n'a  point  trouvé  d'autre  terme , 
et  on  est  prêt  à  le  changer  si  quelqu'un  en  indique  un  plus  propre. 

Les  directeurs  des  âmes  sont  établis  par  le  Saint-Esprit  dispen-     xx. 

*  Alt.  XXXIII,  ci-desîu?,  p.  ;jG4. 


632  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON, 

nier  arii-  sateiiTS  (Vunc  fjvace  qui  se  dirersi/ïc  en  pli(s/eu?'s  77umières  \  Il 
mln.cre's  DG  faut  jias  S  €11  étomitT,  puisque  la  sagese  de  Dieu  étant  ellc- 
de  diriger  iDeme,  comme  dit  saint  Paul  -,  fort  divei^sifice  dans  ses  desseins, 

les    aine».  ,  i    ii  t     «    m  , 

les  grâces  qu  elle  distrilnie  ne  peuvent  être  uniformes.  Ainsi  le 
fidèle  directeur  des  âmes ,  dont  tout  le  travail  est  d'accommoder 
sa  conduite  à  l'opération  de  Dieu,  la  doit  changer  selon  ses 
ordres  ;  et  cette  remanjuc  est  utile  à  faire  observer  qu'il  ne  s'en- 
suit pas.  (ju«'  pour  tenir  des  voirs  différentes,  les  ministres  de 
Jésus-C.iirist  ne  soimt  pas  animés  d'un  même  esprit. 

On  ajoute  qu'une  même  vérité  de  l'Evangile  est  entendue  plus 
profondi'imentdesuns  que  des  autres,  suivant  les  degrés  de  grâces 
où  chacun  est  ajipelé  ;  ce  (jui  est  certain  en  soi-même,  et  propre 
d'ailleurs  à  autoriser  la  conduite  des  saints  direcleurs,  (pii  s;uis 
rien  forcer  laissent  sagement  entrer  le^  ;uiies  dans  linlinie  va- 
riét»'-  des  voies  de  Dieu,  et  enfin  ne  lont  autre  chose  que  de  se- 
conder son  opération. 
ou"'in.-      Comme  1»^  puhlic  a  su  (jne  la  personne  qui  a  composé  le  livre 
iruction   intitulé  Moi/en  court ,  et  Vlntrrnrrtfffion  du  Cantique  des  ean- 
nie kVM-  tiques,  s'est  soumise  à  l'instruction,  il  n«'  sera  pas  inutile  d'en 

lïur  du  II-  _     _ 

.rc  inu-  rendre  ici  quelque  compte  en  très-peu  de  mots. 

Moyen       Premièrement  elle  a  siu'ue  les  xxxiv  articles  \  (pii  lui  ont 

court, etc.    .,  .    j  .  .       .  .  .  '7    .    >  . 

ete  nonnes  avec  les  souscriptions  ipu  suivent:  Deliucrc  a  Iss//, 
t  J.  IhiMiiNE,  ('vrquc  de  Meau.r  ;  t  Loiis-Ant.,  év.  C.  de  CJullons; 
F.  hK  YÈyELOs,îio)7i}né  à  rarchcvrchc  de  Cambray;  L.  Tronson. 
En  signant  ces  articles,  elle  signoit  visiblement  dans  le  fond  la 
rétractation  de  ses  erreurs,  fini  toutes  sont  incompatibles  avec  la 
doctrine  cju'ils  contiennent.  Pour  une  plus  précise  explication, 
elle  a  encore  souscrit  aux  ordonnances  et  instructions  pastorales 
des  iO  et  ^2^)  avril  lOOri.  et  à  la  condamnation  de  ses  deux  livres, 
comme  contenant  mie  mauvaise  doetriiu',  ainsi  qu'elle  Ta  expres- 
sément reconnu.  On  a  défendu  à  cette  personne  de  répandre  ni 
ses  livres,  ni  ses  manuscrits  qui  étoient  en  grand  nombre,  d'en- 
seigner, dogmatiser,  diriger  les  âmes,  et  de  faire  aucune  fonction 
de  son  prétendu  état  apostolique  ,  dont  aussi  elle  avoit  souscrit  la 
condamnationd  ans  rarticle  xxvii  des  xxxiv.  On  lui  a  prescrit  en 

•  1  Vcir.,  IV,  m. —  î  Eiiliex.,  lU,  10.  —  ^  Uapparlôà  ci-ilcsiu:,  p.  '.'ùl  et  suiv. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  X,  N.  XXII.  633 

particulier  les  actes  de  religion  auxquels  Ton  est  obligé  par  l'E- 
vangile, et  dont  ses  livres  enseignoient  la  suppression.  Elle  s'est 
soumise  à  tout  cela  par  des  souscriptions  expresses  et  souvent  réi- 
térées selon  l'occurrence;  et  ce  n'est  qu'à  ces  conditions  qu'on  l'a 
reçue  aux  sacremens.  Ceux  donc  qui  continueront  à  se  servir  de 
ces  livres  censurés  canoniquement  et  même  condamnés  par  leur 
auteur,  ou  d'en  suivre  les  maximes,  seront  de  ceux  qui  suivant 
de  mauvais  guides  voudront  tomber  avec  eirx  dans  le  précipice. 

On  avoit  d'abord  jugé  à  propos  de  ne  point  entrer  dans  les  ma- 
nuscrits de  cette  personne,  dont  il  ne  paroissoit  p'.s  que  le  public 
fût  informé;  mais  depuis,  un  saint  prélat  ayant  trouvé  l'écrit  in- 
titulé les  Torrens  répandu  dans  son  diocèse,  on  ne  peut  que  louer 
le  soin  (tu'il  a  pris  pour  en  empêcher  la  lecture,  d'en  exposer  les 
insoutenables  excès  ';  et  je  ne  puis  refuser  au  public  le  témoi- 
gnage sincère  que  je  dois  à  la  vérité  des  extraits  qui  sont  conte- 
nus dans  sa  censure  comme  conformes  à  un  exemplaire  qui  m'a 
été  mis  en  main  par  l'ordre  de  l'auteur  du  livre  [a] . 

Je  ne  me  veux  point  expliquer  sur  le  reste  de  ses  écrits  ;  et  tout 
ce  qu'on  en  peut  dire,  c'est  que  le  public  peut  juger  de  l'opinion 
qu'on  en  a  par  la  défense  si  expresse  qu'on  en  a  faite  à  leur  au- 
teur de  les  répandre,  à  quoi  elle  s'est  soumise  par  sa  signature, 
ainsi  qu'on  a  vu. 

Quant  à  ceux,  s'il  y  en  a,  qui  voudroient  défendre  les  livres 
que  l'Eglise  a  flétris  par  tant  de  censures,  ils  se  feront  plutôt  con- 
damner qu'ils  ne  les  feront  absoudre  ;  et  l'Eglise  est  attentive  sur 
cette  matière. 

Pour  achever  cet  ouvrage  et  en  recueillir  le  fruit ,  il  ne  reste    ^'^n- 

Récapi- 

plus  que  d'en  ramasser  les  instructions  principales,  et  de  les  op-  ini.tionde 
poser  en  peu  de  mots  aux  erreurs  qu'on  a  condamnées.  La  plus  ?<•,  etpre- 

iiiiercment 

dangereuse  de  toutes  est  d'ôter  du  cœur  des  fidèles  ou  d'y  affoi-    ^es  er- 

reurs    sur 

blir  le  désir  du  salut,  qu'on  trouve  partout  dans  saint  Paul,  et  en  i>i  désir  du 
particulier  dans  les  endroits  de  cet  A[t(jtre  ,  qui  ont  été  rapportés 
au  troisième  livre.  Il  est  démontré  par  ces  passages  ^,  que  ce  désir 

1  Ordonn.  de  M.  de  Chartres  portant  condamnation  de  [ilusieurs  livres  des 
qiùétistes,  du  21  novembre  1693.  —  ^  ci-dessus^  liv.  ill  ,  u.  8. 

(«)  M">e  Guyon. 


634  LNSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

est  inspiré  par  un  amour  de  charité,  par  un  amour  lil)re  et  qui 
vient  du  choix  dune  volonté  droite,  et  enfm  par  un  amoui'  pur, 
puisqu'il  a  la  gloire  de  Dieu  pour  sa  fm. 

On  a  encore  établi  cette  vérité  par  ce  passage  de  saint  Paul  : 
«  Oubliant  ce  qui  est  derrière,  et  m'étendant  (par  un  saint  effort) 
à  ce  qui  est  devant  moi,  je  cours  incessamment  au  bout  de  la  car- 
rière, au  prix  de  la  vocation  d'en  haut  ',  »  c'est-à-dire  à  la  cé- 
leste récompense  :  ce  qui  appartient  si  visiblement  à  la  perfection, 
que  l'Apôtre  ajoute  aussitôt  après  :  «  Tant  que  nous  sommes  de 
parfaits,  soyons  dans  ce  sentiment  •.  » 

On  a  aussi  rapporté  pour  la  même  fin  ',  après  saint  François  de 
Sales,  beaucoup  de  paroles  de  David  ,  dont  en  voici  une  qu'on  ne 
peut  assez  répéter  :  «J'ai  demandé  au  Seigneur  une  seule  chose  :  » 
wuiin  pctii  *;  ce  n'est  pas  ici  une  demande  imparfaite,  et  qui 
pai'tage  le  cœur:  «  Je  n'ai,  dit -il,  demandé  qu'une  seule  chose;  » 
ce  n'est  point  \nie  demande  cpii  passe  comme  passent  les  désirs  im- 
parfaiLs  :  lunic  rrfjui/'fii/i  :  «Je  la  dcnianderai  encore,  »  et  je  ne  ces- 
serai do  la  demander,  qui  est  «  dhabift'r  dans  la  maison  du  Sei- 
gneur, de  voir  sa  volupté  (d'en  jouir)  et  de  visiter  son  saint  l(Miq)le.» 

l'uyez  donc  les  expressions  des  nouveaux  mystiques,  où  vous 
ne  trouverez  ordinairement  le  désir  du  salut  qu'avec  des  restric- 
tions peu  nécessaires,  et  presque  jamais  absolument  ou  à  pleine 
bouche  comme  s'il  étoit  suspect.  Gardez-vous  bien  d"y  allacher, 
à  b'ur  exemple  ,  l'idée  d'acti-  imparfait  et  inléressé,  ou  d'en  sé- 
parer l'idée  du  pur  et  parfait  amour,  de  peur  (pie  des  âmes  igno- 
rantes, en  nommant  toujoiu's  l'amour  pur  et  désintéressé,  ne 
s'imaginent  être  plus  parfaites  qu'un  saint  Paul  et  (ju'un  David, 
où  elles  trouvent  à  toutes  les  pages  ces  désirs,  qu'on  les  accou- 
tume à  regarder  comme  intéressés  et  comme  inq)arfaits. 

Ne  faites  point  din^  à  saint  François  de  Sales  cpie  la  sainte  in- 
différence chrétienne  enferme  une  indifférence  pour  le  salut  :  car 
la  proposition  en  est  erronée,  comme  il  a  été  démontré  sur  l'ar- 
ticle IX  parmi  les  xxxiv  '. 

11  paroit  dans  le  même  article  «,  que  «  la  sainte  indilférence 

»  Phil.,m,  1."!,  11.—  »  IbiiL,  1.;.—  3  Ci-dessus,  liv.  Vill,  n.  :..—  '*  Pinl. 
XXVI,  4.  —  i  Liv.  Xj  11.  5  fl  7.  —  ^  Ihid.,  u.  G. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  X,  N.  XXII.  635 

chrétienne  regarde  les  événemens  de  cette  vie  (  à  la  réserve  du 
péché  )  et  la  dispensation  des  consolations  ou  sécheresses  spiri- 
tuelles, sa7îs  qu'W  soit  permis  à  un  chrétien  d'être  indifférent  pour 
son  salut,  ni  pour  les  choses  qui  y  ont  rapport,  »  comme  sont  les 
vertus. 

Nous  avons  rapporté  une  infinité  d'endroits  *,  et  entre  autres 
deux  principaux  où  le  saint  évèque  de  Genève  explique  expres- 
sément ce  qui  est  compris  dans  l'indifférence  chrétienne  ;  et  nous 
avons  remarqué  qu'il  n'y  a  pas  une  seule  fois  nommé  le  salut  ^  ; 
mais  seulement  les  événemens  de  la  vie,  en  y  comprenant  les  con- 
solations et  les  sécheresses  spirituelles,  ce  qu'il  inculque  et  répète 
dans  un  entretien  où  la  matière  est  traitée  à  fond,  ainsi  que  nous 
l'avons  observé  '. 

Si  vous  tombez  sur  le  passage  où  il  dit  :  «  qu'il  désire  peu,  et 
désirerait  encore  moins  s'il  étoit  à  renaître  *,  »  comme  s'il  croyoit 
tous  les  désirs  imparfaits  ou  intéressés  :  repassez  l'endroit  de  ce 
livre  %  où  en  alléguant  ce  passage  nous  avons  fait  voir  que  le 
Saint  restreint  lui-même  sa  proposition  sur  la  cessation  des  désirs, 
précisément  aux  choses  de  la  terre,  sans  diminuer  le  d/'sir  et  la 
demande  des  vertus ,  comme  il  l'explique  lui-même  en  termes 
formels  dans  la  suite  de  ce  discours. 

Ne  souffrez  pas  qu'on  abuse  de  ces  paroles  du  même  endroit  : 
«  Si  Dieu  venoit  à  moy  j'irois  à  lui  :  s'il  ne  vouloit  pas  venir  à 
moy,  je  me  tiendrois  là  et  n'irois  pas  à  lui  :  »  car  cette  froideur 
approcheroit  du  blasphème ,  si  l'on  entendoit  cette  parole  du  fond 
même  de  la  dévotion,  et  non  pas  des  consolations  ou  des  séche- 
resses, où  Dieu,  selon  qu'il  lui  plaît  d'exercer  les  âmes,  s'en  ap- 
proche et  s'en  retire ,  ainsi  que  nous  l'avons  démontré  par  tant 
de  passages  de  ce  Saint,  qu'il  n'y  peut  rester  aucmi  doute  ^. 

Au  reste  s'il  étend  son  indifférence  aux  consolations  et  aux  sé- 
cheresses ,  il  ne  faut  pas  s'imaginer  que  cette  indifférence  soit 
absolue  et  entière  ;  mais  il  y  faut  apporter  les  correctifs  que  nous 
avons  remarqués  dans  une  lettre  du  saint  homme  "^  :  autrement  il 

1  Liv.  Vil!,  n.  4  et  13.  —  2  Ihiii ,  n.  8.  —  s  Entr.  11,  ci-dessus,  liv.  VHI, 
n.  11.  —  ''  Entr.  xxi.  —  =  Ci-dessus  ,  liv.  VIII .  n.  2.  —  <=  Liv.  Vlii ,  n.  IS  et 
suiv.  —  "^  ILid.,  n.  17. 


63G  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  DORAISON. 

seroit  contraire  à  saint  Bernard  ,  à  David  qui  gémit  dans  les  pri- 
vations, et  à  lui-même. 

Quand  vous  entendrez  objecter  sous  le  nom  de  ce  saint  évèque 
VimUjJcrence  lie roïque  d'un  saint  Paul  et  d'un  saint  Martin,  pous- 
sée jusqu'au  désir  de  voir  Jésus-llhrist,  entendez-la  sans  hésiter, 
connue  toute  la  suite  le  montre,  du  plus  tùt  ou  du  plus  traxl,  et 
non  pas  du  fond ,  comme  nous  l'avons  ilémontré  ' ,  et  a^sm^ez- 
vous  que  le  contraire  seroit  un  blasphème. 

C'en  seroit  un  du  premier  ordre,  d'être  indifférent  à  être  damné  ; 
et  comme  il  ne  l'csle  (jue  la  damnation  à  ceux  qui  perdent  le  salut, 
c'est  être  indillV-ri'nt  pi»ur  la  daiuiialion  (pie  de  lètre  pour  le  salut 
même. 

11  ne  sert  de  rien  df  recourir  à  la  distincfion  entre  la  résigna- 
tion et  lindidérence  ;  car  nous  avons  établi  qu'elle  est  bien  mince  *, 
et  qu'en  tout  cas,  ni  en  vérité  ni  selon  saint  François  de  Sales, 
on  ne  trouvera  jamais  de  résignation  non  plus  que  d'indifférence 
à  étr»'  privé  du  salut.  11  a  été  démontré  par  des  principes  tbéolo- 
giqu»'S  et  inrliraidablfs  \  que  Dieu  ne  nous  demande  ancnns 
actes  de  résignation  aux  décrets  qui  regarderoieul  la  re[Hdlia- 
tion  ;  mais  plutôt  qu'il  nous  les  défend  comme  contraires  à  l'a- 
mour (pie  nous  nous  de>ons  à  nous-mêmes,  et  à  notre  propre 
salut  pour  l'amour  de  Dieu. 

Qu'on  n'impute  point  à  indifférence  ces  suppositions  par  impos- 
sible, où  ce  saint  homme,  à  l'exemple  de  (piel(}ues  autres  saints, 
a  reconnu  «  qu'on  préléreroit  l'enfer  et  la  damnation  au  paradis, 
si  [lar  impossible  il  y  avoit  plus  de  la  Nolonté  de  Dim  diins  l'un 
que  dans  l'autre  :  »  car  au  contraire  nous  avons  montré*  que  ces 
endroits  sont  la  ruine  de  l'indiirérence  :  et  souvenez-vous  que  ce 
saint  évèque  a  dit  «  que  les  aines  pures  aimeroient  autant  la  lai- 
deur (pie  la  beauté,  si  (^Ue  plaisoit  autant  à  leur  amant ''.  »  Quelle 
absurdité,  mais  plutôt  (pielle  impiété  d  inférer  de  là  que  la  beauté 
de  l'aine  qui  est  la  justice,  et  sa  laideur  qui  est  le  péché,  sont 
choses  inditrérentes  !  Saint  Paul  a  dit  :  «  Si  nous  (tu  un  ange  du 
ciel  vous  annonçoit  un  autre  Evangile,  (lu'il  soit  anathème*,» 

>  Liv.  Vm,  n.  m  —  »  Uii'I.,  n.  2:{.—  »  Liv.  III,  n-  1"  ;  liv.  IV,  n.  1  et  suiv.— 
*  Liv.  1\,  11.  I.  —  s  /in.';-.  XII,  p.  S60;  ci-de=.6Uii,  liv.  IX,  ii.  2.-6  Galal.,  i,  8. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  X,  N.  XXII.  637 

«omme  le  démon.  A  l'occasion  de  ce  passage^  fera-t-on  des  livres 
pour  dire  qu'il  est  indifférent  de  prêter  l'oreille  aux  anges  de  lu- 
mière ou  de  ténèbres  ?  Ce  sont  là  des  expressions  pour  expliquer 
la  force  de  ses  sentimens,  et  non  pas  ou  des  états  d'oraison  ou 
des  vérités  absolues.  Ainsi  c'est  une  expression  à  saint  Paul  :  «  Je 
voudrois  être  anathème  pom-  mes  frères  ^  ;  »  et  à  Moïse  :  «  Ou 
pardonnez-leur,  ou  effacez-moi  du  livre  de  vie^  »  Ce  sont  de 
pieux  excès  dans  les  momens  du  transport,  et  l'on  n'a  aucune  rai- 
son d'en  faire  des  états  d'oraison  fixes  et  permanens.  Quand  saint 
Paul  a  parlé  de  cette  sorte,  il  n'a  pas  prétendu  faire  un  acte  plus 
parfait  ni  plus  pur  que  lorsqu'il  a  dit  :  «  Je  désire  la  présence  de 
Jésus-Christ  ;  »  et  :  «Je  m'étends  en  avant  vers  la  récompense  ',  » 
qui  n'est  autre  que  lui-même  ;  mais  il  a  voulu  expliquer  l'excès 
de  son  amour  pour  les  Juifs  qui  ne  le  vouloient  pas  croire.  Au 
reste  nous  avons  fait  voir  *  que  la  pratique  de  ces  expressions  ne 
peut  être  sérieuse  et  véritable  que  dans  les  plus  grands  saints , 
dans  un  saint  Paul ,  dans  un  Moïse ,  c'est-à-dire  dans  les  âmes 
d'une  sainteté  qu'on  ne  voit  paroître  dans  l'Eglise  que  cinq  ou 
six  fois  dans  plusiem's  siècles.  Répandre  sous  ce  prétexte  tant  de 
cantiques,  tant  de  livres,  où  l'on  étale  l'indifférence  pour  le  salut, 
et  où  l'on  compte  pour  rien  l'enfer  et  ses  peines,  c'est  jeter  les 
âmes  dans  l'égarement  et  dans  la  présomption. 

Nous  avons  observé  ^  où  tomba  saint  Pierre,  quoique  plein  d'a- 
mour et  de  ferveur,  pour  avoir  cru  trop  tôt  qu'il  étolt  à  l'épreuve 
du  martyre  :  peut-être  perdit-il  la  charité  en  croyant  trop  tôt  que 
la  sienne  étoit  parfaite  ;  et  du  moins  il  est  bien  certain  qu'il  ne 
fut  désabusé  de  l'opinion  qu'il  avoit  conçue  de  ses  forces,  que  par 
ime  chute  affreuse.  Que  ne  doit-on  craindre  pour  ceux  à  qui  l'on 
fait  d'abord  défier  l'enfer?  il  n'y  a  pour  les  réprimer  qu'à  relire 
attentivement  l'endroit  marqué  à  la  marge  ^ 

Il  falloit  donc  bien  se  garder  de  multiplier  des  instructions  inu- 
tiles sur  un  sujet  qui  n'a  presque  point  d'application  :  mais  l'on 
devoit  se  garder  du  moins  de  faire  dire  sous  ce  prétexte ,  comme 
ont  fait  tous  les  faux  mystiques ,  au  saint  évêque  de  Genève , 

1  Hom.,  ix,3.  —  2  f.ro'/.,  xxxii,3l,  32.—  s  Phi/..,  m, S;  ii,  13^  14.  — ^Ci- 
dessus,  liv.  X,  n.  9.  —  ^  lùid.  —  e  I/jùl.,  p.   593. 


f,38  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON, 

fjpi'on  dcvoit  tenir  le  salut  pour  indifférent ,  ou  que  le  désir  en 
devoit  ou  pouvoit  être  retranché  ,  pour  s'en  tenir  à  désirer  la  vo- 
lonté de  Dieu  en  général^  puisque  ce  saint  homme  ne  Fa  jamais 
dit,  et  que  ce  sentiment  seroit  une  erreur,  ainsi  qu'on  l'a  remarqué 
au  commencement  de  ce  chapitre. 

Nous  avons  rapporté,  à  cette  occasion,  la  manière  sèche  et  in- 
différente dont  les  faux  contemplatifs  parlent  des  vertus  K  Pour- 
quoi dire,  par  exemple  dans  le  Moyen  court ,  «  qu'il  n'y  a  point 
dames  qui  pratiquent  la  vertu  plus  fortement,  que  celles  qui  ne 
pensent  pas  à  la  vertu  en  particulier  *?  »  Un  mélange  de  ce  levain 
fera  ranger  les  vertus  entre  les  objets  de  la  sainte  indifférence, 
ou  fera  dire  qu'on  ne  pense  pas  à  la  vertu,  ou  qu'on  ne  veut  plus 
être  vertueux,  ni  cultiver  les  vertus,  comme  si  le  nom  de  vertu 
étoit  devenu  suspect  aux  chrétiens.  Ce  qu'il  y  a  de  plus  simple  est 
regardé  connue  un  piège  par  nos  prétendus  parfaits.  Dans  cette 
théologie,  aussitôt  qu'on  entend  nommer  le  salut,  ou  dire  qu'on 
veut  posséder  et  voir  Jésus-Christ,  on  soupçonne  dans  ces  pa- 
roles des  imperfections  et  des  sentimens  intéressés,  et  on  en  retire 
son  cœur,  comme  on  feroit  de  (juclque  cliose  de  bas.  Yoilà  où  en 
est  réduite  la  piété  dans  ces  âmes  (luOn  nomme  grandes, 
xxiii.  Une  autre  source  d'erreur  dans  le  quiétisme  est  l'abus  tout 
reifr?  s"r  manifcstc  qu'on  y  fait  de  loraison  passive,  où  l'on  commet  trois 
fautes  :  l'une,  en  la  représentant  autre  qu'elle  n'est  ;  la  seconde, 
en  retendant  trop  loin;  la  troisième,  en  la  rendant  trop  néces- 
saire :  ce  qui  tend  au  renversement  de  la  piété. 

Pour  prévenir  la  première,  nous  avons  fait  voir  ^  avant  toutes 
choses,  ce  que  c'étoit  chez  les  vrais  spirituels  que  l'oraison  qu'on 
nomme  passive  ou  de  quiétude  ;  où  il  a  fallu  faire  deux  choses  : 
la  première  d'exclure  les  fausses  idées;  la  seconde,  d'établir  les 
vérilal)les.  Et  d'abord  nous  avons  montré  «  que  ce  qu'on  appelle 
oraison  passive,  n'est  ni  extase  ni  ravissement,  ni  révélation  ou 
inspiration  et  entraînement  prophétique  \  »  Au  contraire  l'esprit 
des  vrais  mystiques,  et  entre  autres  du  B.  P.  Jean  de  la  Croix  , 
est  d'exclure  toutes  ces  motions  extraordinaires  qu'ils  réservent 

1  Ci-dessus,  liv.  V,  n.  37;  liv.  VIII,  ii.  14.  -  »  Liv.  X,  u.  1,  2.  —  '  Liv.  VII, 
n.  2.  —  *  IbUl.,  n.  4. 


l'oraison 
passive. 


TRAITÉ  î,  LIVRE  X,  N.  XXIÎI.  639 

à  l'inspiration  et  aux  états  prophétiques.  Ce  n'est  donc  pas  en 
cela  qu'il  faut  mettre  l'oraison  passive.  Il  ne  la  faut  mettre  non 
plus ,  et  c'est  ce  qu'il  faut  soigneusement  observer,  dans  les  mo- 
tions et  inspirations  de  la  grâce  commune  à  tous  les  justes,  parce 
que  de  cette  manière  «  tous  les  justes  seroient  passifs,  et  il  n'y 
auroit  plus  de  voie  commune,  »  ainsi  qu'on  l'a  dit  ailleurs  ;  et 
c'est  ici  un  des  fondemens  de  la  \Taie  doctrine  mj^stique. 

Après  avoir  exclu  les  fausses  idées  de  l'oraison  passive  ou  de 
quiétude,  en  disant  ce  qu'elle  n'est  pas,  il  a  fallu  en  venir  à  dire 
ce  qu'elle  étoit  ;  et  pour  cela  on  n'a  fait  que  suivre  les  sentimens 
des  vrais  et  doctes  spirituels,  à  la  tête  desquels  on  a  mis  le  B.  P. 
Jean  de  la  Croix  ;  d'où  l'on  a  conclu  *  «  que  l'état  passif  est  une 
suspension  et  ligature  des  puissances  et  facultés  intellectuelles  ;  » 
c'est-à-dire  de  l'entendement  et  de  la  volonté,  qui  par  cette  sus- 
pension demem'ent  privés  de  certains  actes  qu'il  plaît  à  Dieu  de 
leur  soustraire,  et  en  particulier  de  tous  les  actes  discursifs.  Ce 
n'est  donc  point  une  suspension  de  tous  les  actes  du  libre  arbitre, 
mais  seulement  de  ceux  qu'on  vient  de  marquer ,  qui  sont  les 
mêmes  que  l'on  nomme  aussi  réflexes  ou  réfléchis,  de  propre 
industrie  et  de  propre  effort  :  tous  ces  actes  sont  suspendus  dans 
les  momens  que  Dieu  veut ,  en  sorte  qu'il  n'est  point  possible  à 
l'ame  de  les  exercer  dans  ces  momens  :  c'est  ce  qu'enseigne  le 
P.  Jean  delà  Croix,  comme  il  a  été  démontré  par  cent  témoi- 
gnages certains  2.  On  y  joint  ceux  de  sainte  Thérèse,  du  PèreBal- 
tasar  Alvarez,  un  de  ses  confessem's  ^,  et  de  saint  François  de  Sales 
en  divers  endroits ,  surtout  dans  ceux  où  il  règle  l'oraison  de  la 
Mère  de  Chantai*.  Voilà  une  claire  définition  de  l'oraison  qu'on 
nomme  passive  ;  tant  qu'on  ne  la  prendra  pas  par  cet  endroit-là , 
on  ne  fera  que  discourir  en  l'air ,  sans  seulement  effleurer  la 
question.  Ce  fondement  supposé,  il  faut  ajouter  encore  que  cette 
suspension  d'actes  ne  doit  pas  être  étendue  hors  du  temps  de 
l'oraison ,  comme  il  a  été  démontré  %  et  enfin  que  cette  oraison 
extraordinaire  ne  décide  rien  pour  la  sainteté  et  pour  la  perfec- 
tion des  âmes  que  Dieu  y  appelle  ®.  Il  ne  faut  pas  regarder  ces 

1  Liv.  VII,  11.  9.  —  2  Ibid.,  D.  9,  30.  —  3  Ihid.,  n.  10,  eic—  *  Liv.  VIII,  n.  26, 
31,  etc.— 5  Liv.  VII,  n.  9,  10,13,  17;  liv.  VIII,  n.  28,  29.— s  Lib.  YIII,  n.  11, 12. 


640  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  DORAISON. 

remarques  coninie  de  pure  curiosité  ,  et  les  réflexions  suivantes 

en  feront  vciir  liinportance. 

*^'ri'ut     ^^^^^  •^onc  la  grande  illusion  du  quiétisme  :  c'est  d'étendre  ces 

passif  e.t  .soustractions  et  suspensions  au  delà  des  bornes.  C'est  une  srrace 

ïeVëri'ii  ^®  ^i^yi  très-utile  aux  âmes  de  demeurer  quelquefois  sans  pou- 

'horHe   ^^^  ^^^^'^  aucun  effort  ;  et  pai*  ce  moyen  l'oraison  passive  tient 

içmiHde  comme  le  milieu  entre  les  extases  ou  \'isions  prophétiques  et  la 

oucon.   yQ\ç  commune.  La  dernière,  selon  son  nom,  n'a  rien  d'extraor- 

actuelle,    dinaire  :  l'autre  est  toute  miraculeuse  :  l'oraison  passive  marche 

entre  deux,  tt  na  licn  d'extraordinaire  (jue  la  soustraction  des 

actes  (juon  a  numpiés,  tels  que  sont  principalt-ment  les  actes  dis- 

cm'sifs  *  :  ce  qiii  lui  donne  le  nom  de  surnaturel^» ,  au  sens  qu'on 

a  expliipié  par  la  doctrine  et  les  expressions  de  sainte  Thérèse. 

La  lin  (|uc  Dieu  se  propose  dans  cette  oraison  a  aussi  été 
expliquée,  lorsipi'on  a  dit  *  que  par  ces  suspensions  et  S(»ustrac- 
tions  Dieu  accoutume  les  âmes  à  se  laisser  manier  comme  il  lui 
plait,  et  que  leur  faisant  expérimenter  (ju'elles  ne  peuvent  rien 
par  b'urs  propres  forces,  il  les  tient  profondément  abaissées  sous 
sa  divine  opération  ,  sans  pouvoir  souvent  exercer  d'autre  acte 
que  celui  de  se  soumettre  et  d'attendre. 

Ce  fondement  supposé  et  l'oraison  dont  il  s'agit  étant  définie, 
il  faut  encore  ajouter  que  cette  snsjiension  d'actes  ne  doit  pas  être 
étendue  hors  des  momens  où  Dieu  veut  (]ue  certaines  âmes  res- 
sentent leur  impuissance  ;  en  sorte  que  dans  tout  le  temps  que 
cette  opération  divine  se  fait  sentir,  l'ame  demeure  en  attente  de 
ce  (jue  Dieu  voudra  faire  en  elle,  et  ne  s'excite  point  à  agir.  Mais 
l'erreur  descpiiétisles  est  d'étendre  à  tout  un  état  cette  dis[)osition 
pas.'^agère,  comme  il  a  été  expliipie  '. 

Tne  des  raisons  qu'on  en  allègue  est  qu'il  ne  faut  point  prévenir 
Dieu,  puisque  c'est  lui  (pii  nous  prévient;  mais  seulement  le 
suivre  et  le  seconder  :  autrement  ce  seroit  vouloir  agir  de  soi- 
même.  Mais  c'est  là  réduire  les  âmes  à  l'inaction,  à  l'oisiveté,  à 
une  mortelle  léthargie.  11  est  vrai  que  Dieu  nous  prévient  par  son 
ins[)iratiou  ;  mais  comme  nous  ne  savons  [las  cjuand  ce  divin 
souflle  veut  venir,  il  faut  agir  sans  hésiter  comme  de  nous-mêmes, 

•    »Ci-Jessiis,  liv.  VII,  ii.G,  8.  —  =  Liv.  Vil  ,  ii.  Il,  10.  —  «Liv.  VllI,  u.  la. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  X,  N.  XXV.  641 

quand  le  précepte  et  l'occasion  nous  y  déterminent ,  dans  ime 
ferme  croyance  que  la  grâce  ne  nous  manque  pas. 

Nous  avons  produit  plusiem's  passages  et  de  l'Ecriture  et  des 
Saints  pour  établir  ce  propre  effort  du  libre  arbitre ,  qui  s'excite 
au  bien  :  mais  le  plus  clair  est  celui  de  saint  Augustin,  où  rai- 
sonnant sur  le  nom  de  la  grâce ,  qui  est  un  secom^s ,  il  dit  qu'on 
n'aide  que  celui  qui  fait  volontairement  quelques  efforts  ^  Le 
passage  est  beau  et  précis,  et  le  lecteur  attentif  aura  de  la  joie  à 
le  relire.  Ce  grand  défenseur  de  la  grâce  en  composant  un  si  bel 
ouvrage,  un  des  plus  doctes  qu'il  ait  composés  pour  la  souteîiir, 
assurément  ne  ^^ouloit  pas  dire  que  le  libre  arbitre  prévenoit  la 
grâce  dans  les  actions  de  piété  :  il  vouloit  dire  seulement  que 
dans  l'occasion  on  doit  toujours  tâcher,  toujours  s'efforcer,  tou- 
jours s'exciter  soi-même ,  conarl  :  et  croire  avec  tout  cela  que 
quand  on  tâche  et  quand  on  s'efforce,  la  grâce  a  prévenu  tous  nos 
efforts. 

Il  est  "STai  que,  lorsque  la  grâce  se  fait  sentir  de  ces  manières 
vives  et  toutes-puissantes,  qui  ne  laissent  pour  ainsi  dire  aucun 
repos  à  la  volonté,  souvent  il  ne  faut  que  se  prêter  à  son  opération 
et  la  laisser  faire  ;  mais  c'est  une  errem*  aussi  grossière  que  dan- 
gereuse, de  croire  qu'en  ce  lieu  d'exil  on  en  vienne  à  un  état  où 
il  ne  faille  plus  faire  de  ces  doux  et  volontaires  efforts.  Nous  avons 
prouvé  le  contraire  en  cent  endroits  de  ce  livre  :  il  y  a  été  dé- 
montré que  c'est  tenter  Dieu  que  d'agir  d'une  autre  sorte,  et  que 
c'est  une  illusion  qui  mène  au  fanatisme.  David  qui  reconnoît  si 
souvent  que  Dieu  nous  prévient,  nous  invite  aussi  quelquefois  à 
le  prévenir  :  Prœoccupemus  fadern  ejus  ^  Il  ne  faut  ressembler 
ni  au  pélagien  qui  croit  p^é^'enir  la  grâce  par  son  libre  arbitre 
ni  au  quiétiste  qui  en  attend  l'opération  dans  une  moUe  oisiveté. 

Pour  recueillir  ce  raisonnement  et  le  faire  voir  comme  d'un    xw. 
coup  d'œil,  nous  arrangerons  quatre  propositions.  prupôs'u 

i.  La  manière  dagir  naturelle  et  ordmau'e  est  de  discouru'  et  rang. os, 
d'exciter  sa  volonté  par  des  réflexions  et  des  représentations  Intel-  incinani 
lectuelles  des  motifs  dont  elle  est  touchée.  .Ks.hu^ 

2.  Cette  manière  d'agir  n'est  pas  absolument  nécessaire  à  la  ■...ecJc.H. 

1  />  iiccc.  mer.,  lib.  il ,  n   G  ;  ci-des-us^  n.  18.  —  ^  ii^al.  xciv,  2. 

Tosr.  xvni.  41 


C42  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  DORAISOX. 

piété  :  011  pL'ul  agir  par  la  seule  foi,  qui  de  sa  nalui'e  n'est  i)as  dis- 
cursive, et  c'est  ce  qui  fait  la  contemplation. 

;j.  Dieu,  ([ui  est  le  maître  de  Tame,  peut  encore  la  pousser  plus 
loin;  en  sorte  (pie  non-seulement  elle  n'use  plus  de  discnurs,  mais 
même  <ju'«'lU'  ne  puisse  jjIus  en  user,  qui  est  ce  qu'on  appelle  la 
suspension  des  puissances,  ou  l'oraison  et  contemplation  passive, 
infuse  et  surnaturellt*. 

4.  La  <'nntenqilati(>n  ni  active  ni  passive  n'est  que  passatrère  et 
comme  momentanée  en  cette  vie,  et  n'y  peut  être  iierpétuelle. 
Nous  avons  posé  ces  principes  selon  siint  Tiiomas  '  ;  et  la  conrlii- 
sion  de  tout  cela  est  (jue  si  («Ttains  actes,  comme  les  demandes, 
les  actions  de  g-races  et  ceux  de  foi  explicite  sur  certains  objets, 
cessent  pour  un  temps  dans  l'oraison  et  recueillement  actuel,  on 
les  retrouve  en  d'autres  raomens,  comme  nous  la  enseif^né  le 
docte  l'ère  l)altas;ir  Alvarez  *;  en  sorte  (pie  la  suspension  n'en  est 
jamais  alisohic.  quoi  (pi'en  disent  les  faux  mysli(pits.  m  (pnhiue 
état  que  ce  soit. 

Nous  avons  atis,si  remanpié  (pie  le  II.  P.  Jean  de  la  (joix  en 
parlant  des  rtats  perpétuellement  passifs,  ne  tnmve  personne  à  y 
mettre  que  la  sainte  Mère  de  Dieu  *. 

rour  aller  jusipi'au  princii>e,  nous  avons  montré  *  par  saint 
Thomas,  qu'un  tu  te  confinucl  de  contctnphitiou  rt  d'uinnui'  est 
un  acte  des  bienheureux  :  et  par  saint  Augustin  .  ([ue  si  ces 
monieiis  lieineux  de  contemplation  pouvoient  diirei-,  ils  diN  i.  n- 
droienf  (piel(|ue  chose  qui  ne  seroit  point  celte  vie  :  ce  qu'il 
re[u'te  si  souvent  et  e\\  tant  de  façons,  qu'il  est  inutile  d'en  rap- 
p«»rter  les  passages.  Kn  voici  un  (pii  me  vient,  sur  ce  verset  du 
psaume  xi.i  :  Mon  uf/ir,  j)ourf/uoi  f)ic  froufjlcz-vous?  k  Nous  avons 
senti  avec  joie  la  douceur  intérieure  de  la  vérité  :  nous  avons  vu 
des  yeux  de  res[)rit,  (]Uoi(iu'en  jiussnnf  ri  rajtideincnt,  je  ne  sais 
quoi  dinimuahle  :  pourquoi  donc  me  troublez- vous  encore?  Et 
l'ame  répond  dans  le  silence  :  Quelle  autre  raison  puis-je  avoir  de 
vous  troubler,  sinon  (pie  je  ne  suis  pas  encore  arrivée  au  lieu  où 
se  trouve  cette  douceur  ijui  m'a  ravie  en  passant?»  Voilà  ce  qu'on 

«  Ci-de«sus,  liv.  I,  n.  20,  et  liv.  X,  ii.  1  G. —  *  Ci-dessus,  liv.  Vil,    ii.  10.— 
*lii(l.,  ti.2l.  —  »  Ci-dessus,  liv.  1,  n.  20. 


allachécs 
,1  l'ùtat 
passif. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  X,  N.  XXVI,  XXVII.  043 

sent;  voilà  ce  qu'on  aime  dans  l'acte  de  contemplation,  toujours 
passager  en  cette  vie.  Cent  endroits  semblables  des  autres  Pères 
de  pareille  autorité  enricliiroient  ce  chapitre ,  si  la  mérité  dont  il 
s'agit  n'étoit  pas  constante. 

Une  des  erreui's  des  faux  mystiques  que  nous  avons  souvent  xxvi. 
relevée,  est  d'attacher  la  perfection  et  la  purification  de  l'ame  à  nncluôn 
l'état  passif.  Il  a  été  démontré  par  plusieurs  raisons,  et  en  parti-  tJtoIl 
culier  par  l'exemple  de  saint  François  de  Sales  ',  que  cette  doc-  sirpoint 
trme  est  aussi  fausse  que  dangereuse,  puisque  sans  être  élevé  à 
cette  oraison,  ce  saint  évèque  est  parvenu  à  la  plus  haute  perfec- 
tion du  pur  amour.  Il  a  même  très-clairement  expliqué  que  sans 
l'oraison  de  quiétude,  on  arrive  à  un  état  autant  et  plus  méritoire 
qu'on  peut  faire  par  son  secours  -.  Nous  avons  vu  la  même  doc- 
trine dans  sainte  Thérèse,  et  on  en  peut  voir  les  passages  aux 
endroits  cités  à  la  marge  et  dans  la  préface  de  ce  livre  \  Il  est 
donc  très -clairement  démontré,  et  par  principes  théologiques,  et 
encore  par  des  témoignages  et  des  exemples  certains,  que  c'est 
pousser  l'oraison  passive  au  delà  des  bornes  marquées  par  nos 
pères,  que  de  la  donner  comme  nécessaire  à  la  pm^eté  et  perfection 
de  l'amour. 

Nous  avons  soigneusement  distingué  les  actes  directs  et  réflé-  J^^" 
chis,  aperçus  et  non  aperçus,  empressés  ou  inquiets  et  paisibles  *. 
Nous  avons  exclu  les  derniers  de  l'état  de  perfection^;  mais  il 
faut  bien  prendre  garde  qu'outre  l'empressement  et  l'inquiétude, 
il  y  a  une  excitation  douce  et  tranquille  de  soi-même  et  de  sa  propre 
volonté,  un  simple  et  paisible  effort  de  son  libre  arbitre  avec  la 
grâce,  qui  est  inséparable  de  la  piété  durant  tout  le  cours  de 
cette  vie. 

Il  est  vrai  que  nous  avons  vu  «  qu'il  y  a  des  actes  de  simplicité 
ou  même  de  transport,  qui  échappent  à  notre  connoissance ,  ou 
plutôt  à  notre  souvenir;  mais  si  l'on  n'y  regarde  de  près,  ces  actes 
seront  un  prétexte  aux  âmes  infirmes  et  présomptueuses  pour  ne 
rien  faire  du  tout,  et  cependant  se  persuader  qu'elles  auront  fait 

1  Ci-dessus,  liv.  VII,  n.  28  et  suiv.;liv.  IX,  n.  11.  —  ^  Ibid.,  n.  12. —  3  ibid. 
n.  13;  Préf.,  n.  6  et  7.—  *  Ci-dessus,  liv.  V,  n.  1 ,  9  et  suiv.  —  s  Ci-dessus' 
liv.  Ylll,  n.  15,  37.  -«  Liv.  V,  u.  9.  ' 


de 

la  (loclniie 
des   aclos. 


644  INSTRUCTION  SUR  LES  UTATS  DORAISON. 

de  grandes  choses,  que  leur  propre  sul>limité  leur  aura  cachées. 
Ces  âmes  douldement  prises  dans  les  lacets  du  démon  par  oisiveté 
et  par  orgueil ,  no  lui  échapperont  jamais.  Ouelquo  cachées  que 
soient  s^ouvi-nt  aux  anics  parfaites  certaines  honnes  dispositions 
de  ieur  co^ur  ',  on  en  doit  toujours  avoir  assez  pom*  pouvoir  dire 
avec  David  :  «  ^ïon  Dieu,  je  n'ai  point  élevé  mon  ca^iu'  *  ;  »  et  avec 
Joh  :  «  Qu'il  nie  pèse  dans  un»*  juste  balance,  et  qu'il  connoisM^ 
ma  .«simplicité';  »  et  avec  saint  Paul  :  «  C'est  là  notre  gloire,  1" 
témoignage  de  notre  conscience*;  »  et  encore  :  «  Je  ne  me  seii- 
coui)al)le  de  rien"^;  »  et  encore  :  «  >!a  conscience  me  rend  témoi- 
gnage *  ;  »  et  encore  :  «.lai  soutenu  un  bon  condtat,  et  la  couroime 
di' justice  m'rst  ré.servée'  ;  »>  et  avec  saint  Jeaii  :  <(  Si  notre  tOMir 
uf  now^  npn'iid  pas,  nous  aurons  confiance  en  Dieu;  et  tout  ce 
que  nrius  di'niandrrons  nous  sera  donné,  parce  que  n(»us  gardons 
ses  ri»nuuan<lrujens,  et  que  nous  accomplissons  ce  (pii  lui  plaît"  ;  » 
et  un  peu  au-des.sns  :  «  C'est  en  cela  (pie  nous  connoissons  que 
nous  sommes  enfans  de  la  vérité,  et  ainsi  nous  fortifions  et  en- 
courageons notro  (  (enr  m  sa  jtrési'nce''.  »  >trltons-nous  donc  «'ii 
état  d'avoir  rr  lidélr  apjtui  d'un»'  bonn»*  cunscirnct'  ;  il  .sera  par 
fait  et  véritablrnu'ut  désintéressé,  s'il  est  acconqiagné  de  la  puri- 
fication r\  désai>proi»Tiation  ,  dont  nous  parlerons  bienl«'»l ,  el  (pii 
ccmsistc  à  bien  croin-  (pu-  tout  don  parfait  vient  d'en  liaul*".  Nr 
cherchons  donc  point  à  étouffer  les  réflexions  sur  nous-mêmes  . 
c'est-à-dirt'  ni  sur  nos  péchés,  ni  .sur  les  grâces  que  Dieu  non -< 
fait ,  puisipif  rt's  réfb-xions  se  tournont  m  pénitence  ,  en  action- 
(h'  grai es  ri  «u  l'biiiid»!»'  téinoignag»'  d'une  biuiii»'  conscience, 
xxviii.  Au  reste  j'ai  cni  (l«'Voir  joindre,  selon  l,i  cculuine  de  IKglise  , 
r.nuvn'a  à  la  docD'ine  (pie  j'ai  opjxisée  au  (piiétisme  la  réfutation  et  la  flé- 
'',n.'l",i.'i  tiissure  des  livres  où  les  maximes  de  celte  .secte  sont  contenues. 
oTrl.'n'r'".  Les  erreurs  ne  s'enseignent  pas  toutes  simules  :  elles  s'intriMluisent 
d'.ilTu..'r'.'  par  des  livres  et  par  des  personnes  ;  et  c'est  iionrquoi  ceux  qui 
d'iult^to.  condamnent  les  mauvais  dogmes,  n'en  doivent  jioinl  éparj^Mier  les 
auteurs,  ni  leur  chercher  des  excuses  dans  les  ambiguïtés  et  va- 

«  Ci-dc.*?ust,  liv.  V,  n.  5-7.  —  '  Psal.  r.wx,  1.  —  '  Joi,  xxxl,  (i.  —  *  Il  Cor  , 
1  12.  —  '  I  Cor.,  IV,  4.  —  «  lion).,  ix,  1 .  —  ^  H  Timoth.,  iv,  7.  —  "  I  Joan.,  m  , 
iil,  22.  —  »  Util.,  19.  —  '•  J«c.,  I,  n. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  X,  xN.  XXlX.  6ia 

riétés  qui  se  trouvent  souvent  dans  leurs  paroles.  C'a  été  la  règle 
de  l'Eglise  de  regarder  où  vont  leurs  principes,  et  où  tend  toute 
la  suite  de  leurs  expressions,  comme  j'ai  tàcîié  de  l'expliquer  en 
divers  endroits  K  Celte  secte  et  les  autres  sectes  de  même  nature 
ont  été  de  tout  temps  si  artificieuses,  que  jamais  il  n'y  a  rien  eu 
de  plus  difficile  que  de  leur  faire  avouer  leurs  sentimens.  La  sin- 
cérité et  la  charité  m'obligent  à  dire  que  ces  gens  savent  jouer 
divers  personnages.  Ils  sont  si  enfans,  si  on  les  en  croit,  et  dune 
telle  innocence,  que  souvent  ils  signeront  ce  que  vous  voudrez , 
sans  songer  s'il  est  contraire  à  leurs  sentimens,  car  ils  savent  s'en 
dépouiller  à  leur  volonté  :  en  sorte  que  ce  sont  les  leurs  sans  être 
les  leurs,  parce  quils  n'y  sont,  disent-ils,  jamais  attachés  :  leur 
obéissance  est  si  aveugle ,  qu'ils  signent  même  sans  le  croire  ce 
(fiii  leur  est  présenté  par  leurs  supérieurs  :  rien  cependant  n'entre 
dans  leur  cœur,  à  ce  qu'ils  avouent  eux-mêmes  ;  et  à  la  première 
occasion  vous  les  retrouverez  tels  qu'ils  étoient.  Ce  n'est  pas  sans 
nécessité  et  sans  l'avoir  expérimenté  que  je  leur  rends  ce  témoi- 
gnage :  et  on  ne  peut  trop  recommander  la  vigilance  et  l'attention 
à  ceux  qui  sont  chargés  de  leur  conscience. 
Le  traité  qui  suivra  celui-ci ,  entrera  encore  plus  avant  dans  la    xxix. 

•'1  f    •  n  •!  5  •  T  >  Desse:n 

matière  du  pur  et  partait  amour.  Comme  il  ne  s  y  agira  plus  guère  <i"  second 

11'  -1  •  'in  •  1  Irailé. 

de  découvrir  les  sentimens  outres  des  taux  mystiques  de  nos  jours, 
on  expliquera  par  principes  et  dans  toute  son  étendue  la  nature 
de  l'amom'  divm,  en  posant  ce  fondement  de  saint  Paul  :  «  La  cha- 
rité ne  cherche  point  ses  propres  intérêts  :  »  Noîi  quœrlt  quœ  sua 
sunt  ■-.  Ce  qui  montre  que  par  sa  nature  elle  est  désintéressée, 
et  qu'un  amour  intéressé  n'est  pas  charité. 

En  même  temps  il  ne  laisse  pas  d'être  véritable  qu'elle  aime  la 
béatitude ,  et  c'est  un  second  principe  qu'il  sera  aisé  d'établir.  On 
montrera  donc  par  l'Ecriture  et  par  les  Pères,  que  c'est  le  vœu 
et  la  voix  commune  de  toute  la  nature ,  et  des  chrétiens  comme 
des  philosophes,  qu'on  veut  être  heureux  et  qu'on  ne  peut  pas  ne 
le  pas  vouloir,  ni  s'arracher  ce  motif  dans  aucune  des  actions  que 
la  raison  peut  produire,  en  sorte  que  c'en  est  la  fin  dernière,  ainsi 
qu'on  le  reconnoît  dans  toute  l'Ecole. 

1  Ci-dessus,  liv.  I,  n.28;  liv.  M,  ii.  2;J  ;  liv.  X  ,  n.  i.  — 2]  Cor.,  x\u ,  3, 


64fi  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  DORAISON. 

Dès  là  donc  il  n'est  pas  possible  à  la  charité  de  se  désintéresser 
à  l'égard  de  la  béatitude  :  ce  qui  se  confirme  par  la  définition  de 
la  charité  (|ue  donne  saint  Thomas  ',  (jui  est  que  «  la  charité  est 
l'amour  de  Dieu,  en  tant  qu'il  nous  comnnmique  la  l):alilude,  en 
tant  (ju'il  en  est  la  cause,  le  principe,  l'objet,  en  tant  quil  est 
notre  fin  dernière.  C'est  le  propre  de  la  charité,  dit  ce  saint  doc 
leur,  d'atteindre  notre  fin  «lernière ,  en  tant  (lu'elle  est  fin  der- 
nière ;  ce  (jui  ne  convient  à  aucune  autre  vertu  :  »  Charitas  ten- 
dit in  finrm  idtinimn ,  sub  rntione  finis  ultinii ;  quod  non  convc- 
nit  idiriil  (dii  viftuti*. 

lies  en  tant,  que  ce  saint  docteur  répèle  sans  cesse  en  cette  ma- 
tière, sont  usités  dans  l'Ecole  pour  expliquer  les  raisons  formelles 
et  précises  :  en  sorte  que  d'aimer  Dieu,  comme  nous  connnuni- 
quant  sa  béatitude,  emporte  nécessairement  que  la  béatitude  com- 
muniquée est  dans  l'acte  d-  charité  une  raison  formelle  d'aimer 
Dit'U,  par  conséquent  un  motif  dont  l'exclusion  ne  peut  rire  (piuiie 
illusion  manifeste. 

(l'est  ce  (pii  fait  ajt»uter  à  ce  saint  docteur,  «  que  si  [lar  impos- 
sible Dieu  n'eloit  pas  tout  le  bien  de  l'honnue,  il  ne  lui  seroit  pas 
la  raison  d'aimer  '  :  »  c'est-à-dire  qu'il  ne  seroit  pas  un  motif 
foriiitl  <'t  une  raison  précise  pour  laquelle  il  aime.  D'où  il  s'ensuit 
que  c'est  à  l'Iiommeun  uïolif  tl'aiiuer  Dieu,  (jne  Dieu  soit  tout  son 
bien,  c'est-à-dire,  en  d'autres  mots,  sa  béalilude. 

Cette  doctrine  de  saint  Thomas  est  tirée  de  saint  Augustin  *.  qui 
partout  exprime  l'amour  qu'on  a  pour  Dieu,  par  le  terme  de  /////, 
jouir,  (pii  «Miferme  en  sa  notion  la  béatitude,  [)uisqu'elle  n'est  pré- 
cisément autre  chose  (jue  la  jouissance  ou  commencée  ou  accom- 
plie de  l'objet  aime. 

C'est  donc  une  illusion  d'otei-  à  l'amour  de  Dieu  le  niotil'de  nous 
rendre  heureux;  et  c'est  une  contradiction  manifeste  de  dire  d'un 
côté,  avec  saint  Thomas,  qu'on  doit  aimer  Dieu  en  tant  qu'il  nous 
communijpie  la  béatitude,  et  de  l'autre,  exclure  la  béatitude  d'entre 

>  11*  11%  q.  23,  art.  i,  c.  oj  >\.  2'.,  ail.  2,  a.l  I  ;  .|.  2G,  t,  c;  .j.  26,  J,  c.  iv.  — 
*  Q.  23,  7.  c,  t'I  a.l  2,  art.  8,  etc.;  q.  20,  1.  ad  \  ;  q.  27,  art,  3,  c  ,  etc.  —  '  Ihiil., 
q.  20,  ait.   13,   ad  3.  —  *  Oc   Uodrina   cJirisl.,  lib.  i  ,  n.  3  et  seq.;   lib,   III, 


TRAITÉ  I,  LIVRE  X,  N.  XXIX.  C4T 

les  motifs  de  l'amour,  puisque  la  raison  d'aimer  ne  s'explique  pas 
d'une  autre  sorte. 

Au  reste  ces  raffmemens  introduits  dans  la  dévotion  ne  sont  pas 
de  peu  d'importance.  L'homme  à  qui  Ton  veut  faire  accroire  qu'il 
peut  n'agir  pas  par  ce  motif  d'être  heureux,  ne  se  reconnoît  plus 
lui-même,  et  croit  qu'on  lui  en  impose  en  lui  parlant  d'aimer 
Dieu  comme  en  lui  parlant  d'aimer  sans  le  dessein  d'être  hem-eux  : 
de  sorte  qu'il  est  porté  à  mépriser  la  dévotion  comme  une  chose 
trop  alambiquée ,  ou  il  s'accoutume  en  tout  cas  à  la  mettre  dans 
des  phrases  et  dans  des  pointillés. 

Pom'  s'élever  au-dessus  de  toutes  ces  foibles  idées ,  il  faut  avec 
saint  Augustin  entendre  la  béatitude  comme  quelque  chose  au- 
dessus  de  ce  qu'on  appelle  intérêt ,  encore  qu'elle  le  comprenne, 
puisqu'elle  comprend  tout  le  bien  et  que  l'intérêt  en  est  une  sorte. 
C'est  ridée  non -seulement  de  saint  Augustin  et  des  autres  Pères 
de  même  âge  et  de  même  autorité;  mais  encore,  et  je  le  dirai 
sans  hésiter,  c'est  l'idée,  pour  ainsi  parler,  de  Jésus-Christ  même 
dans  tout  l'Evangile ,  et  en  particulier  lorsqu'au  rapport  de  saint 
Paul  il  a  prononcé  cette  divine  parole,  «  qu'il  est  plus  heureux  de 
donner  que  de  recevoir  *.  »  Par  où  il  veut  dire,  non  pas  précisé- 
ment qu'il  est  plus  utile,  mais  outre  cela  principalement  qu'il  est 
meilleur,  qu'il  est  plus  noble,  plus  excellent  et  plus  pur  :  qui 
est  l'idée  digne  et  véritable  qu'il  attachoit  à  ce  terme,  il  est  plus 
heureux. 

Cette  idée  est  celle  que  je  trouve  dans  la  plupart  des  anciens 
Pères.  Si  je  l'ai  bien  remarqué,  saint  Anselme,  auteur  du  siècle 
onzième,  est  le  premier  qui  a  défini  la  béatitude  par  l'utilité  ou 
l'intérêt  en  l'opposant  à  l'honnêteté  et  à  la  justice  :  la  subtilité  de 
Scot  s'est  accommodée  de  cette  distinction  ;  mais  il  me  sera  aisé 
de  faire  voir  cpie  saint  Anselme  et  ceux  qui  l'ont  suivi,  en  expri- 
mant la  béatitude  d'mie  manière  plus  basse,  n'ont  pourtant  pas 
renoncé  à  l'idée  plus  grande  et  plus  noble  que  Dieu  même,  en 
nous  formant,  avoit  attachée  à  ce  beau  mot. 

Pour  en  découvrir  toute  la  beauté,  il  nous  faudra  exphquer  avec 
saint  Augustin,  cpie  l'idée  de  la  béatitude  est  confusément  l'idée 

'  Act.,  XX,  35, 


618  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON, 

de  Dieu  :  que  tous  ceux  qui  désirent  la  béatitude,  dans  le  fond 
désirent  Dieu,  et  que  ceux-là  même  qui  s'écartent  de  ce  premier 
Etre,  le  cherchent  à  leur  manière  sans  y  penser,  et  ne  seldi^rnent 
de  lui  (|ut'  par  un  reste  de  connoissance  (lu'ils  ont  de  lui-même  : 
ainsi  aimer  la  Ixtatitude,  c'est  confusément  aimer  Dieu,  puisque 
c'est  aimer  l'amas  de  tout  bien  :  et  aimer  F»'""  ""  ••'r-t  ■•-•-!  aimer 
plus  distinctement  la  In-atilude. 

L'idée  de  la  récompense  ne  rend  i)iLs  la  charité  phis  intéressée, 
puisqiu»  la  récompense  (pi'elle  désire  n'est  autre  que  celui  qu'elle 
aime,  et  (pi'ellc  lU'  hii  demande  ni  honneurs,  ni  richesses,  ni 
plaisirs,  ni  aucun  des  biens  (ju  il  donne  pour  s'y  arrêter,  mais  lui- 
même,  (l'est  donc  en  vain  (pi'on  allètrue  un  jiassairt!  de  saint  Wvr- 
nard  où  il  dit,  cpie  «  l'amour  ne  veut  iK>int  de  récompense  '  :  »  il 
s'expli(|nera  lui-même  phis  «-ommodéfuent  en  son  lieu  :  «pi'il  nous 
soit  permis  en  attendant  de  lui  donner  pour  interprète  saint  Rnna- 
venture,  c'est-à-dire  un  séraphin  endirasé  d'amour,  et  do  résoudre 
ee  nteud  par  cette  courte  dislinclion  :  l'amour,  selon  saint  Her- 
iiar.l .  ur  veut  point  de  récompense,  où  l'espérance  de  la  récom- 
pense Cil  impnrfaitr  et  (llmiiun-  l'aninur  :  si  vous  l'entendez  do 
la  reconqtense  créée  ,  saint  nonavenlure  l'accorde;  mais  si  vous 
l'entendez  de  la  récompens»'  increée,  ce  {.q-and  auteur  le  nie  '. 

La  raison  profonde  et  fondamentale  de  cette  distinction  est  que 
la  rrrom[>ens(^  incréée  est  cette  récompense  que  saint  Auprusfin 
ii\^\^o\\\'  juu'fn  tionnanlc  :  morres  prrfkicns^  .{^\\M\[\\\\amn\o.\)0\\\o 
l'amour  de  la  récompense  dans  des  biens  au-dessous  de  lui,  la  ré- 
compense (piil  cherche  e,st  pour  ainsi  dire  dégradante,  ravilis- 
sante  et  déshonorante  ;  mais  ipiand  il  veut  pour  sa  récompense 
Dieu  même  et  tous  les  biens  de  lame  et  du  c<trps  q>ii  en  suivent 
la  possession ,  c'est  là  ime  récompense  perfectiawuinlr ,  parce 
(pi'elle  domie  la  perfedion  à  son  être  aussi  bien  qu'à  son  amour. 
L'honmie  a  i)our  mérite  l'amour  commencé ,  et  il  a  pour  récom- 
pense l'amour  coasommé;  en  sorte  que  sa  récompense,  loin  de 
diminuer  son  amour,  en  est  le  comble;  et  le  désir  de  la  récom- 
pense est  si  jifu  la  diminution  de  l'amour,  (pi'au  contraire  il  en 

«  De  dilig.  f)ro,  c.  vu ,  n.  J7.  —  »  Bonav.,  in  III ,  dist.  2(),  aii  ! .  ml  ".  —  s  D/:- 
Doct.  christ.,  Mit.  I,  c.  XXXII,  11.  3.i;  Dr  ]>^r/>xt.  jifsf.,  c.  \lii,  ii.  17. 


TRAITÉ  I,  LIVRE  X,  N.  XXIX.  649 

recherche  la  perfection,  et  que  c'est  là  son  digne  et  parfait 
motif. 

J'ai  mis  avec  Dieu,  comme  récompense,  tous  les  biens  du  corps 
et  de  l'ame  qui  en  accompagnent  la  possession ,  non-seulement 
parce  qu'on  ne  peut  pas  ne  pas  chérir  les  récompenses  qui  nous 
sont  données  d'une  main  si  amie  et  si  natm'ellement  bienfaisante, 
mais  encore  parce  que  ces  biens  ne  sont  qu'un  regorgement,  et 
si  l'on  me  permet  ce  mot,  une  redondance  de  la  possession  de  Dieu, 
qui  fait  le  fond  de  la  récompense  ;  c'est  pourquoi  saint  Bonaven- 
ture  nous  apprend  que  tout  cela  est  l'objet  de  la  charité ,  à  cause 
(remarquez  ces  mots)  que  la  charité ,  le  vrai  et  parfait  amour, 
regarde  la  béatitude  avec  l'universalité  de  tous  les  biens  qu'elle 
comprend,  tant  essentiels  qu'accidentels '.  Yoilà  l'objet,  voilà  le 
motif  qu'on  ne  peut  jamais  exclure  de  la  charité.  Ce  sont  là  ces 
nobles  récompenses ,  comme  les  appelle  saint  Clément  d'Alexan- 
drie ^,  qui  épurent  l'amour  loin  de  rafroil)lir  :  récompenses  en 
effet  si  nobles,  qu'où  ce  n'est  point  un  intérêt,  ou  si  c'en  est  im, 
le  désintéressement  n'est  pas  meilleur. 

C'est  en  effet  une  fausse  idée  des  nouveaux  mystiques  de  donner 
pour  objet  à  la  charité  la  bonté  de  Dieu,  en  excluant  de  l'état  par- 
fait tout  rapport  à  nous  :  autrement  il  faudroit  oter  de  ce  grand 
précepte  de  l'amour  de  Dieu  :  Tu  aimeras  le  Seigneur,  puiscjiie 
le  mot  de  Seigneur  a  rapport  à  nous.  Bien  plus  il  faudroit  rayer 
ce  terme  :  Le  Seigneur  ton  Dieu,  puisqu'il  n'est  pas  Jiotre  Dieu 
sans  ce  rapport.  Il  s'ensuivroit  encore  de  cette  doctrine,  que  l'a- 
mour que  nous  avons  pour  Dieu  comme  étant  notre  premier  prin- 
cipe et  notre  dernière  fm ,  ne  seroit  pas  un  amour  de  charité  : 
erreur  qui  est  réfutée ,  après  saint  Thomas,  par  toute  la  théo- 
logie. 

Ne  croyons  donc  pas  déroger  à  la  charité  en  aimant  Dieu 
comme  une  nature  créatrice  et  conservatrice,  encore  que  tous  ces 
mots  aient  rapport  à  nous  :  ni  en  l'aimant  comme  Sauveur,  et 
Jésus  comme  Jésus ,  encore  que  notre  salut  soit  enfermé  dans  ce 
titre  et  en  fasse  la  douceur.  Puis-je  aimer  Jésus-Christ  comme 
mon  Sauveur,  sans  aimer  par  le  même  aniom'  mon  salut  même 

1  Bonay.,  etc.,  q.  2,  ad  2  —  -  Slroin.,  lib.  IV, 


6"J0  INSTRUCTION  SUR  LUS  ÉTATS  DORAISON. 

par  lequel  il  est  fait  Sauveur?  C'est  pousser  l'illusion  trop  loin 
que  fie  croire  que  ces  motifs  dérogent,  je  ne  dirai  pas  à  l'amour, 
mais  à  l'amour  le  plus  pur. 

Par  la  même  raison  c'est  aimer,  et  aimer  du  plus  pur  amour, 
que  d'aimer  Dieu  comme  une  nature  bienfaisante  et  béatifiante  : 
tout  cela  étant  en  Dieu  une  excellence  qui  ne  peut  pas  ne  pas 
être  aimée,  ni  ne  pas  servir  de  motif  à  l'amour,  comme  il  a 
été  expliqué. 

Nous  concluons  de  ces  beaux  principes  qu'il  ne  faut  pas  craindre 
que  celui  qui  aime  Dieu  souverainement,  en  se  servant  du  motif 
de  la  récompense  ou  de  la  béatitude  éternelle ,  puisse  tomber 
dans  le  vice  de  rapporter  Dieu  à  soi ,  puisqu'il  est  de  la  nature 
de  celte  récompense  perfectionnante  et  de  cet  amour  jouissant, 
d'attacher  l'ame  à  Dieu  plus  qu'à  elle-même  :  personne  ne  s'est 
jamais  confessé,  ni  ne  se  confessera  jamais  d'avoir  rapporté  à 
soi  même  comme  à  sa  dernière  fin  l'amour  où  l'on  aime  Dieu 
souverainement  comme  son  étemelle  récompense  :  ces  péchés  sont 
inconuus  aux  confesseurs,  et  ne  subsistent  que  dans  les  idées  de 
quelques  spirituels,  dont  il  faudra  en  son  lieu  expliquer  béni- 
gnemcnl  la  bonne  intention,  mais  non  pas  laisser  jamais  éliranler 
cette  immuable  vérité  de  la  foi  :  que  l'amour  souverain  de  Dieu 
animé  par  le  motif  du  moins  subordonné  de  la  récompensée, 
pour  ne  pas  entrer  plus  avant  dims  la  question,  est  un  vrai 
amom'  de  charité,  qui  croissant  comme  il  doit  faire  avec  ce  motif, 
peut  devenir  un  pur  et  parfait  amour. 

Et  quant  à  ces  abstractions  et  suppositions  impossibles,  dont 
nous  avons  tant  parlé,  nous  en  parlerons  encore  pour  faire  voir 
en  [>remier  lieu,  «  qu'il  ne  faut  pas  permettre  aux  âmes  peinées 
d'accpiiescer  à  leur  désespoir  et  à  leur  damnation  apparente  ; 
mais  avec  saint  François  de  Sales  les  assurer  que  Dieu  ne  les 
abandonnera  pas  :  »  ainsi  qu'il  est  porté  dans  l'article  xxxi  parmi 
les  XXXIV  ' .  Nous  exposerons  à  fond  les  conseils  de  saint  François 
de  Sales  :  et  en  même  temps  nous  montrerons  que  c'est  une  erreur 
d'employer  ces  suppositions  impossililes,  pour  séparer  les  motifs 
de  l'amour  les  uns  d'avec  les  autres.  On  dit  par  exemple  :  On 

*Ci-des=us,  p.  oG3. 


TRAITÉ  ],  LIVRE  X,  N.  XXIX.  651 

aimeroit  Dieu,  quand  par  impossible  il  faudroit  Taimer  sans  ré- 
compense; donc  la  récompense  n'est  pas  une  raison  d'aimer,  et 
l'amour  parfait  exclut  ce  motif.  C'est  une  erreur  semblable  à 
celle-ci  :  On  aimeroit  Dieu,  quand  par  impossible  il  ne  seroit  pas 
Créateur,  puisque  la  création  ne  rend  pas  sa  nature  plus  excel- 
lente :  donc  il  faut  exclure  le  motif  de  la  création,  lorsqu'on 
veut  aimer  purement.  De  même  on  aimeroit  Dieu,  et  on  Tai- 
meroit  souverainement,  quand  il  ne  nous  auroit  pas  donné  pour 
Sauveur  son  Fils  unique  :  donc  cette  parole  du  Sauveur  :  «  Dieu 
a  tant  aimé  le  monde ,  qu'il  lui  a  donné  son  Fils  unique  ' ,  » 
n'est  pas  un  motif  d'amour  ;  donc  c'est  d'un  amour  imparfait  et 
qLii  n'est  pas  de  charité,  que  parle  saint  Jean,  lorsqu'il  dit  : 
«  Aimons  Dieu,  parce  qu'il  nous  a  aimés  le  premier,  et  qu'il  a 
envoyé  son  Fils  pour  être  le  Sauveur  du  monde  ^  :  »  donc  ce 
pa?re  que  de  saint  Jean  n'exprime  pas  un  motif  du  vrai  et  par- 
fait amour  :  donc  ce  doux  nom  de  Jésus,  qui  réjouit  le  ciel  et  la 
terre,  ne  nous  est  pas  proposé  comme  un  moyen  et  une  raison 
de  toucher  les  cœurs  :  et  l'amour  pur  et  parfait  exclut  ce  motif. 
Tout  cela  que  seroit-ce  autre  chose,  que  de  vains  raisonnemens 
qui  tendroient  à  l'extinction  de  la  piété  ? 

Si  l'on  vouloit  pousser  à  bout  la  subtilité  et  s'abandonner  à 
son  génie ,  il  ne  faudroit  que  dire  encore  :  On  aimeroit  Dieu 
souverainement,  quand  on  ne  songeroit  pas  à  la  volonté  par 
laquelle  il  a  disposé  de  nous  et  de  toutes  choses.  Car  en  faisant 
abstraction  de  ce  rapport,  sans  lequel  Dieu  pouvoit  être,  puisqu'il 
pouvoit  être  sans  rien  créer,  il  ne  laisseroit  pas  d'être  souverai- 
nement aimable  :  donc  la  conformité  de  notre  volonté  à  celle  de 
Dieu  n'est  pas  le  motif  de  l'amour  et  du  pm'  amour,  et  il  n'y  a 
qu'à  se  perdre  abstractivement  dans  l'excellence  de  l'être  divin. 
Ainsi  les  motifs  de  l'amour  s'évanouiront  l'un  après  l'autre  ;  et  à 
force  de  vouloir  affluer  l'amour,  il  se  perdra  entre  nos  mains.  N'en 
disons  pas  davantage ,  de  peur  de  faire  insensiblement  le  livre 
dont  nous  voulons  seulement  donner  le  plan. 

J'ai  déjà  comme  ouvert  l'entrée  à  cette  doctrine  '  ;  mais  je  me 

t  Joan..  !ii,  l(i.  —  2  I  Joa?i,,  iv,  10,  l'J.—  3  Ci-dessus,  liv.  111,  n.  8;  liv.  IX, 
n.  7. 


652  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'0R.\1S0N. 

vois  obligé  de  la  mettre  avec  la  grâce  de  Dieu  dans  la  dernière 
évidence  '  :  et  pour  mieux  assurer  la  foi  des  fidèles,  je  m'nninii 
aux  colonnes  de  1  Eglise,  c'est-à-dire  sans  affectation  à  quelques- 
uns  des  principaux  d'entre  les  évèques,  comme  feront  volontiers, 
j'ose  l'assm-er,  ceux  qui  se  proposent  d'écrire  sur  cette  matière, 
oodiedc-  ^^^^  n'oublierons  pas  dans  ce  livre  la  vraie  et  solide  i.urification 
pnlCn.  ^^  l'auiour,  dont  les  mysti(iues  de  nosj  jom's  ne  parlent  guère  ; 
pùriSc":  elle  se  fait  par  la  foi  en  ces  paroles  :  a  Tout  don  parfait  vient  de 
'm"u''r"!,n'  ^ieu  *  :  »  et  :  «  Uu'iivez-vous  que  vous  n'ayez  reçu  »?  »  et  :  «  Sans 
ilu!!\T,c.  "loi  vous  nt;  pou>  ez  rien  '.  »  Nous  avons  touclié  cette  admirable 
cond  irui-  purification  \  en  montrant  l'abandon  parfait  où,  sans  établir  en 
soi-même  aucune  partie  de  sa  confiance,  on  donne  tout  à  Di.u  : 
Ut  totum  cletitr  bco,  comme  disent  saint  (lyjirien  et  saiiil  Au- 
gustin. Telle  c^t  la  véritable  puriticalion  de  l'amour  :  telle  est  la 
parfaite  désappropriation  du  cfiur  qui  donne  tout  à  Dieu,  et  ne 
veut  plus  rien  avoir  de  propre.  CJiose  étrange  !  on  ne  voit  point 
éditer  une  si  parfaite  purification  et  désappr<»[irialion  dans  les 
écrits  des  nouv»'aux  mysli(|ues.  Nous  leur  avons  vu  établir  la 
pureté  de  l'amour  dans  la  séparation  des  motifs  qui  le  pouvoient 
exiilcr;  mais  la  mctliode  quti  nous  propo-cjns,  s'il  la  faut  ajjpeler 
ainsi,  (|ui  est  celle  que  saint  Augustin  a  jirise  de  l'Evangile,  ne 
craint  point  de  rassembler  tous  les  motifs  pour  se  fortifier  les  uns 
les  autres  ;  et  pour  épurer  l'amour  de  Dieu  de  tout  amour  de  soi- 
même,  elle  entre  profondément  dans  cette  foi,  qui  est  le  fondement 
de  la  piété,  qu'on  ne  peut  rii-n  de  soi-même,  et  (lu'ou  reçoit  tout 
iW.  Difu  ;i  (IwKpic  acte,  à  cbaque  moment.  C'est  ainsi  que  le  co'ur 
se  (iésapproprie  :  sans  celte  [luriflcation,  tout  ce  qu'on  fait  pour 
épurer  lauiour  ne  fait  que  le  gâter  et  le  corrompre  ;  et  plus  on  le 
croira  pur,  plus  il  sera  disposé  à  devenir  la  pâture  de  notre  amour- 
propic, 

CONCLUSION. 

Toute  la  vie  clirélienne  tend  au  pur  et  parfait  amour,  et  fout 
chrétien  y  est  appelé  par  ces  paroles  :  «  Vous  aimerez  le  Seigneur 

'  Ci-dc!5sous,  Afitlit.  et  Conerl.,  ii.   C  —  »  Jar.^  i,   17.  —  ^  I  Cm-.,   iv,  7.  — 
*  Joan.,  XV,  5.  —  »  Ci-dess.,  liv.  X,  ii.  18, 


TRAITÉ  I,  LIVRE  X,  CONCLUSION.  653 

votre  Dieu  de  tout  votre  cœur  '  :  »  c'est  là  en  substance  tout  ce 
que  Dieu  demande  de  nous  :  «  car  qu'est-ce  que  vous  demande  le 
Seigneur  votre  Dieu ,  si  ce  n'est  que  vous  craigniez  le  Seigneur 
votre  Dieu  ;,  et  que  vous  marchiez  dans  ses  voies,  et  que  vous 
l'aimiez,  et  que  vous  serviez  le  Seigneur  votre  Dieu  de  tout  votre 
cœur  et  de  toute  votre  ame  ^?  »  Il  nous  donne  pour  motif  de 
notre  amour  ce  que  Dieu  nous  est  :  il  est  le  Seigneur,  il  est  notre 
Dieu,  qui  s'unit  à  nous,  ainsi  qu'il  l'exprime  tout  de  suite  par  ces 
paroles  :  «  Le  ciel  et  le  ciel  du  ciel,  c'est-à-dire  le  ciel  le  plus 
haut,  où  sa  gloire  se  manifeste,  appartient  au  Seigneur  votre 
Dieu,  avec  la  terre  et  tout  ce  qu'elle  contient  ;  et  toutefois  le  Sei- 
gnem*  s'est  attaché  à  vos  pères  et  les  a  aimés,  et  en  a  choisi  la 
race  %  »  et  le  reste,  qui  n'est  ni  moins  tendre  ni  moins  fort,  mais 
qu'il  seroit  trop  long  de  rapporter.  D'où  il  conclut  :  a  Aimez  donc 
le  Seigneur  votre  Dieu  \  »  On  voit,  par  tout  ce  discours,  que  le 
chaste  et  pm-  objet  de  notre  amour  est  un  Dieu  qui  y&ui  être  à 
nous;  ce  qui  faisoit  dire  à  David  :  «  Qu'ai-je  dans  le  ciel,  et 
qu'ai-je  désiré  de  vous  sur  la  teiTe?  Yous  êtes  le  Dieu  de  mon 
cœur,  et  Dieu  est  mon  partage  à  jamais  ^  »  Ainsi  ce  motif  d'ai- 
mer Dieu  comme  le  Dieu  qui  veut  être  à  nous,  est  du  pur  amour, 
et  il  n'est  permis  à  personne  d'exclure  ce  beau  motif,  à  moins 
de  renoncer  aux  premiers  mots  du  grand  et  premier  précepte  de 
l'amour  de  Dieu. 

Passons  outre  :  il  s'ensuit  de  tous  ces  passages  et  de  cent 
autres,  ou  plutôt  de  tout  l'Ancien  et  de  tout  le  Nouveau  Testa- 
ment, que  le  pur  et  parfait  amom-  est  l'olijet  et  la  fin  dernière  de 
tous  les  états,  et  ne  l'est  pas  seulement  des  états  particuliers 
qu'on  nomme  passifs  :  d'où  il  faut  aussi  conclure  que  le  genre 
d'oraison  cpi'on  nomme  passive,  soit  qu'on  y  soit  en  passant ,  ou 
qu'on  y  soit  par  état,  n'est  pas  nécessaire  à  la  pureté  et  à  la  per- 
fection de  l'amour  où  toute  ame  chrétienne  est  appelée  :  par  où 
nous  avons  montré  que  ceux  qui  arrivent  à  cette  oraison  n'en 
sont  pour  cela  ni  plus  saints  ni  plus  parfaits  que  les  autres,  puis- 
qu'ils n'ont  pas  plus  d'amom'. 

1  Deut.,  VI,  5.  —  2  Ihhh,  X,  12.  —  '  //,/,/.,  x,  li.  —  -  ILid.,  xi,  1.  —  s  pg^i^ 
Lxxn,  25,  26. 


Co4  INSTRUCTION  SLR  LES  ÉTATS  DORAISON. 

La  suppression  ou  suspension  de  certains  actes  dans  l'état  pas- 
sif, durant  le  temps  du  Recueillement  ou  de  Toraison,  n'induit 
pas  la  suppression  ou  suspension  des  mêmes  actes  hors  de  ce 
temps,  et  ou  les  doit  exercer  dans  Toccasion ,  ainsi  qu'ils  sont 
commandés  :  de  cette  soiie  il  faut  souvent  répéter  les  actes  de  foi 
explicite,  les  demandes  et  les  actions  de  grâces.  Il  ne  faut  point 
regarder  les  demandes  comme  intéressées,  sous  prétexte  que  c'est 
pour  nous  (jut*  mnis  les  faisons,  et  non  pas  pour  Dieu,  pour  (|ui 
il  n'y  a  rien  à  demander,  puisqu'//  ?i'a  besoin  de  rien  et  qu'il 
donne  tout  '  :  ne  lui  cherchons  point  d'intérêt,  car  il  n'm  a  point, 
et  sa  gloire  est  notre  salut  :  et  ne  croyons  pas  l'aimer  moins, 
quand,  à  la  manière  d'une  lidèle  épouse,  notre  ame  le  cherchera, 
poussée  du  chaste  désir  de  le  posséder. 


ADDITIONS  ET  CORRECTIONS. 
„   '"  .        On  a  corricré  dans  cette  édition  les  fautes  des  citations  qui 

On  fornpo  *--' 

,un.  I.I.-  l'-tQ-K^nt  dans  l'autre  >/;  :  mais  il  reste  des  fautes  dans  les  choses 
i.r.nvoH  inèmes,  dont  j'ai  été  averti  par  mes  amis  :  et  comme  il  y  en  a 
_,"'^;''  _.  «pielques-imes  qui  sont  considéraliU^s,  je  ne  sache  rien  de  nieil- 
r"u.u«  ^6ur  que  d'avouer  franchement  que  je  me  suis  trompé, 
vni'l'".      J'ai  dit  au  livre  x,  n.i,quela  vm*"  proposition  des  béguards 
bcKii4r.i..  j-apportée  dans  le  concile  œcuméniijue  de  Vienpe  ne  regardoit 
pas  les  faux  mystiques  de  nos  jours,  non  plus  que  la  v*  et  la  vu"  : 
encore  (pi'elle  les  regarde  directement,  comme  il  paroît  par  la 
simple  lecture  di'  la  Clémentine  Ad  nostrutn  :  De  liœreticis ,  ap- 
prouvée dans  ce  saint  concile.  II  e^stvrai,  ([uant  à  la  vni'  jiroposi- 
tion,  que  je  n'en  ai  considéré  (ju'une  partie,  et  (jue  j'ai  man(iué 
d'attention  pour  l'autre.  Voici  la  proposition  toute  entière,  comme 
elle  est  couchée  dans  la  Clémentine  :  «  Qu'ils  ne  doivent  point  se 
lever  à  l'élévation  du  corps  de  Jésus-Christ  ni  lui  rendre  aucmi 

»  .4c/.,  xvn,  25. 

(a)  Cette  édition,  c'est  la  secoudc;  l'autre^  c'est  la  première. 


ADDITIONS  ET  CORRECTIONS,  N.  II.  635 

lionneur  ;  assurant  que  ce  seroit  en  eux  une  imperfection,  s'ils 
descendoient  de  leur  sublime  contemplation,  pour  penser  au  mi- 
nistère ou  sacrement  de  l'Eucharistie,  ou  à  la  passion  de  Tlmma- 
nité  de  Jésus-Christ.  » 

Dans  cette  proposition  des  béguards,  je  n'ai  remarqué  que  ce 
qui  regarde  l'Eucharistie;  et  la  crainte  que  j'avais  d'imputer  aux 
nouveaux  mystiques  ce  qui  n'étoit  point  de  leur  sentiment,  m'a 
fait  dhe  que  cet  article  ne  les  touchoit  pas.  Mais  j'ai  fait  voir  dans 
tout  le  livre  II  de  cette  Instruction,  que  nos  faux  contemplatifs  ne 
croyoient  que  trop  que  Jésus-Christ  Dieu  et  Homme  et  les  mys- 
tères sacrés  de  son  humanité  dégradoient  la  sublimité  de  leur 
oraison  et  lui  étoient  un  obstacle  ;  et  qu'ainsi  de  ce  côté-là  ils  ad- 
hèrent trop  visiblement  à  l'erreur  des  béguards. 

On  m'a  aussi  averti  que  je  ne  devois  pas  laisser  sans  preuve  ce    Draine 
que  j 'ai  dit  au  livre  VI,  n.  xxxiv,  que  c'étoit  «  une  doctrine  constante  "f  '^ll 
de  saint  Augustin  et  de  tous  les  Pères,  que  Jésus- Christ,  en  nous  ,„"!"']'"- 
proposant  l'Oraison  Dominicale  comme  le  modèle  de  la  prière '%;ii„1t '* 
chrétienne,  y  a  renfermé  tout  ce  qu'il  falloit  demander  à  Dieu  :  ^JT'ira- 
en  sorte  qu'il  n'est  permis  ni  d'y  ajouter  d'autres  demandes ,  ni  V^^  "'  "' 
aussi  de  se  dispenser  en  aucun  état  de  faire  celles  qu'elle  con- 
tient. »  On  a  désiré  que  je  soutinsse  de  quelque  passage  un  point 
si  fondamental  de  la  matière  que  je  traitois.  Et  pour  satisfaire  à 
un  si  juste  désir,  je  rapporterai  la  doctrine  de  saint  Augustin 
dans  l'exposition  de  l'Oraison  Dominicale  à  ceux  qu'on  appeloit 
Compétentes,  parce  qu'ils  demandoient  ensemble  le  baptême  ;  et 
qu'étant  admis  par  l'évêque  à  ce  sacrement,  ils  dévoient  prononcer 
la  première  fois  cette  divine  Oraison  à  la  face  de  toute  l'Eglise,  en 
sortant  des  fonts  baptismaux. 

Dans  le  premier  sermon  que  ce  Père  a  fait  sur  ce  sujet,  qui  est 
le  Lvi*  de  la  nouvelle  édition,  nous  lisons  ces  mots  :  «  Les  paroles 
que  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  nous  a  enseignées  dans  l'Orai- 
son Dominicale,  sont  le  modèle  de  nos  désirs  :  Forma  est  dcsidc- 
rioruni  :  il  ne  nous  est  pas  permis  de  demander  autre  chose  que 
ce  qui  est  écrit  dans  ce  lieu  :  Non  licet  tibi  aliquid petere  quàm 
quod  ibi  scriptum  est.  » 

1  Seim.  LVi,  n.  4. 


«56  INSTRUCTION  SLK  LES  KTATS  I)  UUAISON. 

Il  importe  donc  de  bien  prendre  l'esprit  de  cette  divine  prière  ; 
ci  saint  Aiigubliu  continue  à  nous  y  faire  entrer,  en  examinant 
chaque  demande  en  cette  sorte  :  Que  votre  imm  soit  snnctifié. 
«<  Pourquoi  demandez-vous  que  son  nom  soit  sanctifié?  il  est  déjà 
saint.  (^Juand  vous  demandez  que  son  nom  soit  sanctifié,  est-ce 
que  vous  allez  prier  Dieu  pour  Dieu  et  non  pas  pour  vous  ?  En- 
tend(.'Z ,  f't  \-ous  priez  |X)ur  vous-même  ;  car  vous  demandez  que 
ce  qui  r>t  toujours  saint  en  soi  soit  sanctifié  rn  vous,  «ju'il  soit 
réputé  saint,  (pfil  ne  soit  pîis  méprisé.  Voiis  voyez  donc  que 
c'est  à  vous  que  vous  désircî  du  liien  ;  car  si  vous  niéprisez  le 
nom  de  Dieu  ,  c'est  un  mal  pour  vous  et  non  pas  pour  Dieu  '.  » 

Hrnianpn'Z  celte  façon  de  parler  :  Ce  n'est  pas  i>our  Dieu  que 
vous  offrez  tles  prières  ;  c'est  \mm\t  vous  :  vous  vous  désirez  du 
liirii  à  vous-même  :  est-co  un  dé>ir  intéressé?  Il  n'y  sonf^'c  .seule- 
ment [)as,  et  nous  en  verrons  la  raison.  Il  poursuit  :  «<  Que  votre 
règne  arrive.  Quoi?  si  vous  ne  le  demandiez  pas,  le  règne  de 
Dieu  ne  viendroil  pas?  Il  parle  de  ce  règne  qui  arrivera  à  la  fin 
des  siè'cles:  car  Dieu  règne  toujoui's,  el  n'est  jamais  suis  régner, 
lui  à  qui  toute  créature  oln-il.  Mais  quel  règne  désirez- vous,  si- 
non celui  dont  il  est  érril  :  Venf»z,  vous  (jui  avez  été  hénis  par 
njon  Père,  et  recevez  le  royaume.  Voilà  ce  (jui  nous  fait  dire  : 
Qur  votre  royaume  arrive.  .Nous  prions  que  ce  royamne  soit  en 
nous  :  nous  demandons  d'être  unis  dans  ce  royaume,  car  ce  règne 
viendra  sans  doute  :  mais  que  vous  servira  (ju'il  vienne,  s'il  vous 
trouve  à  la  gauche?  Ainsi  en  cet  enriroit  de  la  prière  comme  à 
l'antre,  c'est  à  vous  que  vous  souhaite/,  du  bien  :  c'est  pour  vous 
(pi.-  NOUS  priez  ;  et  ce  que  vous  désirez,  c'est  de  vivre  de  la  manière 
cpii  «'st  néces.siire  jionr  arrivi'r  à  ce  royaume,  ijui  sera  donné  à 
tous  les  saints  '.  » 

On  dira  peut-être  qu  il  nous  attache  troj»  à  notre  intérêt,  et 
(]u'il  ne  nous  fait  pas  assez  reconnoître  l'excellence  de  la  nature 
divine  en  ell«'-niême.  Au  contraire  il  la  suppose  :  il  suppose, 
dis-je,  (jui*  le  nom  de  Dieu  est  saint  en  lui-inênn^  :  (jtie  le  règne 
de  Dieu  est  éternel  et  inséparable  de  lui  :  eiilin  (jue  Dieu  est  si 
graml,  (ju'il  n'y  a  rien  à  lui  désirer,  et  qu'il  ne  nous  reste  qu'à 

'  Sltiu.  LVi,  aip.  IV,  11.  :;.  —  î  V.iil.,  n.  C. 


ADDITIONS  ET  CORRECTIONS,  N,  III.  657 

prier  pour  nous,  afin  que  nous  soyons  pleins  de  lui  :  mais  la 
demande  suivante  le  fait  encore  mieux  entendre  :  «  Que  votre 
volonté  soit  faite  :  quoi  !  si  vous  ne  le  demandiez  pas ,  Dieu  ne 
fera  point  sa  volonté  ?  Souvenez-vous  de  l'article  du  Symbole  que 
vous  avez  rendu,  c'est-à-dire  que  vous  avez  professé  à  la  face  de 
toute  l'Eglise ,  après  l'avoir  appris  en  secret  :  Je  crois  en  Dieu  le 
Père  tout-puissant  :  s'il  est  tout-puissant ,  pourquoi  priez- vous 
que  sa  volonté  soit  faite  ?  Que  veut  donc  dire  cette  demande  : 
Que  votre  volonté  soit  faite?  C'est-à-dii'e  :  Qu'il  se  fasse  en  moi 
que  je  ne  résiste  pas  à  votre  volonté.  Ainsi  en  cette  demande 
comme  dans  les  autres,  c'est  pour  vous  que  vous  priez,  et  non 
pas  pour  Dieu  ;  car  la  volonté  de  Dieu  se  fera  en  vous,  quand 
même  elle  ne  se  fera  pas  par  vous.  La  volonté  de  Dieu  se  fait  dans 
les  justes,  à  qui  il  dit  :  «  Yeuez,  ù  bénis  de  Dieu  !  et  recevez  le 
royaume ,  »  puisqu'en  effet  ds  le  reçoivent  :  elle  se  fera  aussi 
dans  ceux  à  qui  il  dira  :  «  Allez,  maudits.  »  La  volonté  de  Dieu 
se  fera  en  eux,  puisqu'ils  iront  au  feu  éternel  ;  mais  c'est  autre 
chose  que  la  volonté  de  Dieu  se  fasse  par  vous.  Ce  n'est  donc  pas 
sans  raison  que  vous  demandez  qu'elle  s'accomplisse  en  vous ,  et 
par  là  vous  ne  demandez  autre  chose,  sinon  que  vous  soyez  heu- 
reux ;  ?iisi  ut  henè  sit  tibi  :  mot  à  mot,  qu'il  vous  soit  bien;  que 
vous  soyez  aussi  bien  que  vous  le  désh^ez ,  mais  en  quelque  état , 
ou  heureux  ou  malheureux ,  que  vous  soyez ,  la  volonté  de  Dieu 
se  fera  en  vous ,  et  vous  avez  encore  à  demander  qu'elle  se  fasse 
aussi  par  vous  :  fiet  in  te ,  sed  fiât  et  à  te  '  :  »  afin,  comme  il  vient 
de  dire,  que  votre  état  soit  lieureux,  ut  henè  sit  tibi. 

Cette  parole  de  saint  Augustin  :  Ut  henè  sit  tibi,  est  répétée  de 
l'endroit  du  Deutéronome ,  où  se  lit  le  commandement  primitif 
du  saint  amour  :  «  Ecoute,  Israël,  et  prends  garde  à  observer  les 
commandemens  que  t'a  prescrits  le  Seigneur,  et  afin  que  cela  te 
tourne  à  bien  :  et  henè  sit  tibi^  ;  afin  que  tu  sois  heureux  :  comme 
s'il  disoit  :  Ce  n'est  pas  pour  être  heureux  lui-même  que  le  Sei- 
gnem'  ton  Dieu  veut  être  aimé  de  toi  :  c'est  afin  que  tu  le  sois  ;  à 
quoi  il  ajoute  :  «  Ecoute,  Israël;  le  Seigneur  notre  Dieu  est  un 
seul  Seigneur  '  ;  »  ce  qui  appartient  à  l'excellence  incommuni- 

1  Serm.  lvi,  c.  v,  n.  7.  —  2  Deut.,  w,  3,-3  Ibid.,  4. 

TOM.  XV ni.  4f2 


658  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

cable  de  la  nature  divine  :  d'oîi  après  avoir  posé,  comme  on  a  vu, 
les  motifs  fondamentaux  de  notre  amour,  il  conclut  :  i<  Tu  aimeras 
le  Seigneur  ton  Dieu  de  tout  ton  cœur,  etc.  '  ;  »  ne  dédaignant 
pas  d'expliquer  dès  ces  premiers  mots  que  le  Dieu  qu'il  nous  faut 
aimer  est  un  Dieu  qui  est  notre  Dieu  ;  ce  qui  comprend  que  c'est 
un  Dieu  cpii  se  donne  h  nous  :  Dominum  Deum  tuum. 

Il  ne  faut  donc  pas  s'étonner  que  saint  Augustin  ait  tant  incul- 
(|ué  (pie  ce  Dieu  (ju'il  nous  faut  aimer  n'a  pas  besoin  de  notre 
amour,  et  qu  il  veut  ({ue  nous  l'aimions,  parce  qu'il  veut  que 
notre  amour  nous  tourne  à  bien  et  non  pas  à  lui  :  Ut  bcnè  sit 
tihl  ;  ce  qui  marque  la  plénitude  infinie  et  surabondante  de  sa  na- 
ture bienbeureuse  autant  que  parfaite. 

(l'est  ainsi  que  l'Fglise  cbréticmie  bien  instruite  des  préceptes 
de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament,  faisoit  expressément  re- 
manpicr  par  la  bou«be  de  ses  plus  grands  évèipics  aux  enfans 
qu'elle  alloit  engendrer  en  Jésus-Cbrist,  que  même  dans  les  de- 
mandes où  il  n'étoit  point  fait  mention  d'eiLX,  c'étoit  néanmoins 
pour  eux  (pi'ils  prioient,  et  non  pits  pour  Dieu  qui  n'a  besoin  de 
rien.  Elle  ne  vouloit  leiu*  inspirer,  en  sortant  des  eaux  du  bap- 
tême, qu'une  sainte  et  pun*  cbarité,  pour  le  nouvj'au  Père  à  qui 
elle  venoit  de  les  mranter,  c'est-à-dire  pour  notre  Père  qui  est 
dans  les  cieux  :  et  cet  amour  filial ,  (pii  leur  faisoit  désirer  d'être 
j)leins  de  Dieu,  comme  d'une  nature  excellente  pour  laipiell»- il 
n'y  avoit  rien  à  demander,  n'étoit  ni  impur  ni  inq)arfait. 

Saint  Augustin  répète  la  même  leçon  dans  une  semblable  oc- 
casion au  srnno/i  suivant,  et  il  enseigne  encore  aux  enfans  de 
Dieu  :  «  Que  nous  prions  pour  nous  et  non  pas  pour  Dieu  :  F'ro 
nobis  rngnmus,  noti  itro  Dro  :  <ar,  dit-il .  «e  n'est  pas  à  Dieu  que 
nous  .soubaitons  du  bien,  lui  à  (pii  il  ne  peut  jamais  rien  arriver 
de  mal  ;  mais  c'est  à  nous  ipie  nous  désirons  ce  bien,  que  son 
nom  (jui  est  toujours  saint  soit  sanctifié  en  nous  '.  »  Et  un  peu 
après  :  «  Demandons,  ne  demandons  pas  :  Pctamus ,  non  peta- 
/ftus ,  ipie  ^(»n  règne  vienne,  il  viendra  :  le  règne  de  Dieu  est 
éternel.  Mais  cette  demande  nous  apprend  ({ue  c'est  pour  nous 
que  nous  prions  et  non  pas  pour  Dieu,  notre  intention  n'étant 
*  Deut.,  VI,  5.  —  '  Serra.  Lvii,  n.  h. 


ADDITIONS  ET  CORRECTIONS,  N.  III.  639 

pas  de  souhaiter  du  bien  à  Dieu,  comme  en  désirant  qu'il  règne  : 
mais  nous  entendons  que  nous-mêmes  nous  serons  son  règne  , 
si  nous  profitons  dans  la  foi  que  nous  avons  en  lui  K  »  Et  encore 
un  peu  après  :  «  Que  votre  volonté  soit  faite  ;  c'est  pom-  nous  que 
nous  faisons  cet  hem-eux  souhait  :  car  pom-  la  volonté  de  Dieu , 
elle  ne  peut  pas  ne  se  pas  accomplir  '.  » 

Il  ne  se  lasse  point  d'inculquer  cette  vérité,  et  il  dit  encore 
dans  un  troisième  sermon  :  «  La  sanctification  du  nom  de  Dieu , 
que  nous  demandons,  est  ceUe  par  laqueUe  nous  sommes  faits 
saints  ;  car  son  nom  est  toujours  saint  :  et  de  même  quand  nous 
demandons  que  son  règne  arrive,  il  viendra  quand  nous  ne  vou- 
drions pas  :  mais  demander  et  désù-er  qu'il  vienne,  ce  n'est  autre 
chose  que  lui  demander  qu'il  nous  en  rende  dignes,  de  peur  qu'il 
ne  vienne,  et  ne  vienne  pas  pour  nous  \  » 

La  même  doctrine  revient  encore  au  sermon  suivant  *  ;  et  toute 
la  distinction  que  saint  Augustin  y  fait  entre  les  demandes,  c'est 
que  les  unes  se  font  dans  le  temps  seulement,  comme  celle  du 
pain  de  tous  les  jours,  celle  du  pardon  des  péchés,  et  ainsi  du 
reste  :  au  lieu  que  les  autres  s'étendent  à  toute  l'éternité  comme 
les  premières  ;  mais  toutes  ont  cela  de  commun,  que  c'est  pour 
nous  et  pour  notre  bien  que  nous  les  faisons. 

C'est  donc  ainsi  qu'il  faut  prier,  puisque  l'Oraison  Dominicale 
est  la  forme  de  toutes  les  autres,  comme  on  a  vu  que  ce  Père  l'a 
présupposé  dès  le  commencement  du  sermon  lvi.  On  sait  qu'il  a 
montré  en  d'autres  endroits  "^  que  cette  doctrine  étoit  celle  de  samt 
Cyprien ,  et  qu'il  n'a  fait  que  la  répéter  après  ce  saint  Martyr. 
C'est  celle  de  tous  les  Saints  :  et  c'est  une  iUusion  de  croire  cpi'en 
quelque  état  que  ce  soit,  on  doive  se  détacher  de  tels  désirs  ou 
n'en  être  pas  touché. 

Ce  n'est  pas  qu'il  ne  soit  juste  et  excellent  de  se  complaire  dans 
la  grandeur  de  Dieu,  et  de  se  réjouh^  du  bien  divm  :  mais  ce  n'est 
pas  là  une  demande,  et  ce  seroit  un  acte  stériïe  si  l'on  n'envenoit 
à  la  pratique  de  se  remplir  de  Dieu  en  le  servant.  Il  faut  aussi 
désirer  la  gloire  de  Dieu  dans  l'accomplissement  de  sa  volonté  : 

'  Scrm.  Lvii,  11.  :;.  —  2//..:V/.,  n.  G.  _  3  Se^m.  lviii,  li.  3.  —  4  Perm  lix   d   ■■; 
elc.  —  •>  De  dono  persev.,  c.  Ji,  ii.  4  et  seq.  ■      ■ }     •    , 


tm  INSTRUCTION  SUR  LUS  LTAIS  DORAISON. 

mais  cette  gloire ,  celte  volonté  dont  on  demande  Tacconiplisse- 
ment  est  celle  de  nous  rendre  saints  et  heureux  :  et  la  gloire  qui 
aiTive  à  Dieu  pour  faire  sa  volonté  dans  ceux  qu'il  damne,  n'est 
pas  l'objet  (le  nos  vo^ux  ,  mais  de  nos  terroiu's  :  que  si  nous  ai- 
mons sa  justice  comme  im  de  ses  attributs,  ce  n'est  pas  pour 
nous  que  nous  l'aimons ,  et  au  contraire  nous  avons  démontré 
que  c'est  chose  abominable  de  former  en  nous  une  volonté  par 
rapport  à  cftte  justice  qui  réprouve  '.  11  demeui'e  donc  pour 
constant  (jue  tous  les  désirs  et  toutes  les  demandes  que  nous  fai- 
sons dans  le  Pater,  se  doivent  faire  pour  nous  ;  (jue  s'éloigner  de 
ret  esprit,  c'est  s'éloigner  de  l'esprit  autant  ipu'  des  paroles  de 
cette  divine  oraison;  et  que  c'est  là  le  premier  désir  que  le  Saint- 
Esprit  produit  dans  les  âmes  nouvellement  régénérées ,  lorsqu'il 
leur  inspire  le  pur  et  chaste  désir  de  ci  ier  pour  la  première  fois  : 
Soirc  Phe ,  notre  Pèrr^. 
1"  Vax  enseignant   cette  sainte  et  salutaire  doctrine  ,  à  Dieu  ne 

rfotihrw  niais»*  que  saint  Augustin  ail  rien  dil  (ini  déroge  à  la  punté  et 
\t  nrm    jni  (lésintéressemeiit  inséparable  «le  1.»  ch.irilé  :  car  il  savoit  bien 
q.M.  .<•»)  (in,,  saint  Paul  avoit  prononcé  ,  non-seulement  de  la  charité  par- 
"*'""••'•  faite,  mais  encore  de  la  charité  en  tout  état,  qu'elle  «ne  recherche 
n"lu?''"d*  P^'"^  ^^^  propre  intérêt  :  »>  Sou  (jtKrrit  qua'  sua  sunt  '  ;  et  c'est 
«■.»Jr"'d  pourquoi  tout  en  disant  (jun  «  la  charité  veut  jouir ,  et  qu'elle 
h  cbjriir.  ^,^(  ],.  ,),.sir  de  jouir  dinie  <liose  pour  l'atnour  delleniême  * ,  » 
il  enseigMi'  en  nirme  lenips  «  qu'on  doit  se  ra[)porter  soi-même 
à  Dieu,  et  non  Dieu  à  S(»i  :  qu'on   doit  s'aimer  soi-même  poni" 
l'amour  de  Dieu,  et  consé<]uenunent  aimer  Di«'U  jibis  que  soi- 
même;  et  qu'on  ne  satisfait  jamais  à  (•<■  qu'on  lui  doit,  qu'on  ne 
lui  rende  sans  rései've  tout  ce  (|u Cn  a  re«;u  de  lui*.  » 

Selon  la  doctrine  jitMiHtnellc  dr  n-  l'en',  l'espérance  loin  de  di- 
mimier  le  saint  et  parlait  anKHir.  ou  d'y  apporter  im  melaîige  de 
hiLS  el  foible  intérêt,  n'a  an  nnitiMiic  .  (juaiiil  rllr  est  parfaite, 
d'autre  fondement  ipie  l'amoiu',  i)uis(pie  lespêrance  (jui  reste 
dans  les  pécheurs  ne  peut  être  que  fausse  ou  foible  :  fausse,  s'ils 
espèrent  les  biens  éternels  sans  se  corriger;  foible,  si  l'espérance 

«  Ci-«le.*sus,  liv.  III  .-l  IV.  —  '  l\nm.,  viii,  1,".;  Gnfnf.,  iv,  0.  —  »  I  Car.,  Xin,5. 
—  *  De  Doct.  cA/n/.,  lib.  1,  u.  J;  lih.  III ,  ii.  10.  —  *  10i<l..  lib.  I ,  ii.  20,  28. 


dont 
ni  do 


ADDITIONS  ET  CORRECTIONS,  N.  V.  661 

des  biens  éternels  ne  les  porte  pas  à  garder  par  charité  les  com- 
mandemens  :  mais,  dit-il,  «  la  vraie  espérance  est  celle  où  la  cha- 
rité nous  fait  tellement  aimer,  qu'en  faisant  bien  et  obéissant  aux 
préceptes  des  bonnes  mœm's,  on  puisse  espérer  ensuite  de  parvenir 
à  ce  qu'on  aime  ' .  » 

C'est  dans  cette  vue  que  ce  Père  et  les  autres  Saints  rangent 
souvent  l'espérance  après  la  charité.,  dont  ils  rendent  ces  deux 
raisons  :  l'mie  que  l'espérance  est  vaine,  quand  elle  n'est  pas 
fondée  sur  les  bonnes  œuvres  qui  sont  faites  en  charité  ;  l'autre, 
que  celui  dont  on  espère  le  plus,  est  celui  qu'on  aime. 

Personne  aussi  n'a  parlé  plus  clairement  que  ce  Père,  de  l'a-  j^^',^-^^ 
mour  pur,  désintéressé  et  gratuit.  C'est  ce  qu'on  peut  voir  à  la  fm  ^'^j^j'^'(_|'" 
de  ces  Additions  ^  où  l'on  trouve  cette  maxime  fondamentale  :  Si  '•««^ement 

'  de  la- 

voiis  aimez,  aimez  gratuitement^  :  ce  qui  veut  dire  que  tout  °|"^'|^ 
amour  inspiré  par  la  charité  est  gratuit ,  selon  ce  principe  de  p^^'-^'- 
saint  Paul  :  La  charité  ne  recherche  point  son  propre  intérêt  *. 
Mais  pour  confirmer  une  vérité  qu'il  est  si  nécessaire  d'inculquer 
en  nos  jours,  il  me  vient  encore  ici  un  passage  sur  ce  verset  du 
Psaume  lui  :  «Je  vous  sacrifierai  volontairement,  voluntariè  sa- 
crificabo  tibi  ^  Pourquoi  volontairement?  Parce  que  j'aime  gra- 
tuitement ce  que  je  loue.  Je  loue  Dieu,  et  je  me  réjouis  dans  cette 
louange;  je  me  réjouis  de  sa  louange,  parce  que  je  n'ai  point  à 
rougir  de  le  louer.  Ce  n'est  pas  comme  lorsqu'on  loue  dans  le 
théâtre  ou  celui  qui  mène  un  chariot,  ou  celui  qui  tue  adroite- 
ment une  bête ,  ou  quelqu'un  des  comédiens ,  et  qu'après  leurs 
acclamations  souvent  on  rougit  de  les  voir  vaincus.  Il  n'en  est  pas 
ainsi  de  notre  Dieu  :  qu'on  le  loue  par  sa  volonté  :  qu'on  l'aime  par 
sa  charité  ;  que  son  amour  et  sa  louange  soit  gratuite  (  désinté- 
ressée )  :  que  veut  dire  désintéressée  ?  C'est  qu'on  l'aime,  qu'on  le 
loue  pour  soi  et  non  pour  im  autre  :  car  si  vous  louez  Dieu,  afin 
qu'il  vous  donne  quelque  autre  chose  que  lui-même,  vous  ne  l'ai- 
mez pas  gratuitement.  »  Et  un  peu  après  :  «  Avare,  quelle  récom- 
pense recevrez- vous  de  Dieu?  Ce  n'est  pas  la  terre,  c'est  lui-même 
que  vous  réserve  celui  qui  a  fait  le  ciel  et  la  terre  :  c'est  ce  qui  fait 

'De  Docf.  christ.,  lib.  1,  u.  42;  Enchirid.,  cap.  cxvii,  u.  31.  —  ^ci-dessous, 
n.  T.  —  3  .^'eriTî   clx.v.  h.  \.  —  ^  I  Cor.,  xtii,  5.  —  ■'  August.,  in  Psrd.  lui,  u.  10. 


6f.2  INSTRUCTION  SLR  LES  ÉTATS  D  ORAISON. 

(lire  au  Psaliiiisle  :  «  Je  vous  sacrifierai  voloutairemeul  :  »  ne  lui 
olfrez  donc  point  votre  sacrifice  par  nécessité.  Si  vous  le  louez  poui* 
une  autre  chose,  vous  le  louez  par  nécessité,  puisque  si  vous  aviez 
(•»*  que  vous  aimez,  vous  ne  le  loueriez  pas  :  prenez  bien  j^^arde  à 
ce  que  je  dis  :  si  vous  louiez  Dieu,  afin  (ju'il  vous  donnât  de 
grandes  richesses ,  et  que  vous  les  eussiez  d'ailleurs,  le  loueriez- 
vous  ?  Si  donc  vous  louez  Dieu  poiu-  l'amour  des  richesses ,  vous 
m;  lui  sacrifiez  pas  volontairement,  mais  par  une  espèce  de  néces- 
sité ,  parce  qu'outre  lui  vous  aimez  encore  quelque  auli*e  chose. 
C'est  pour  cela  que  I)avi<l  a  dit  :  «  Je  vous  sacrifierai  volont;iire- 
ment  :  mépris»*/  tout  :  soyez  attentif  à  lui  seul.  »  Kt  un  ]m'U  après: 
0  Demandez-lui  dans  le  temps  ce  (jui  pourra  vous  servir  pour 
''éternité  :  mais  pour  lui,  aimi-z-ie  gratuitement,  parce  que  vous 
ne  trouverez  rien  de  meilleur  que  vous  puissiez  obtenir  de  lui  (jue 
lui-même  ;  ou  si  vous  trouvez  quebpie  diose  de  meilleur,  je  vous 
permets  de  le  demander.  »  Il  .suppose  manifestement  «pi'on  doit 
demander  pour  soi  tout  ce  (ju  il  y  a  de  meilleur:  d'où  il  tire  cette 
consé(inence  :uJe  voussacrilierai  voU>ntairement,»  (]u'est-<'eàdire, 
voloutairemcnt?  C'est-à-dire  gratuitement  (avec  un  amour  désin- 
téressé, Une  veut  dire,  avec  un  amour  dvsintn'cssr?  Je  confesse- 
rai, j<'  louerai,  je  bénirai  votre  nom,  parce  qu'il  est  bon  :  Con/ifc- 
hor  mniiiui  lao,  iiuonlmn  bonutn  rsf.  A-t-il  dit  :  «  Je  bénirai  votre 
nom  .  jnure  que  vous  me  donnerez  de  riches  possessions  ou  de 
grands  honneurs?  Ni>n.  Pourquoi  donc?  Parce  (ju'il  est  bon  et 
(jue  je  ne  trouve  rien  de  meilleur  :  c'est  pour  cela  que  je  bénirai 
votre  nom,  parce  qu'il  est  bon  :  »  lK)n  en  lui-même  :  h«m  h  nous, 
car  il  joint  toujours  ces  deux  choses;  et  dans  Inn  et  dans  l'autre 
sens  on  ne  trouve  rien  de  meilleur. 
V-  Uuiconque  .se  .sera  rendu  attentif  aux  i)assages  de  saint  Augus- 

BcflrtioiK 

•uri4do<;  ^u  qii'oii  vient  d'entendre  ,  v  aura  .senfi  toute  la  force  ,  foule  la 
c.'donic.  p^»|.fj.,.ji,,n  ^.|  i,.s  motifs  les  plus  excellens  connue  les  jilus  é[)urés 
de  l'amour  divin.  Premièrement  on  a  vu  qu'il  présuppose  l'infinie 
et  sinvminente  bonté  de  la  nature  divine,  à  bupielle  il  faut  lap- 
porter  tout  ce  (ju'on  est,  et  l'aimer  plus  que  soi-même.  Seconde- 
nienl  il  n'ajoute  rien  à  ce  niolif.  .sinon  (jue  cette  bonté  est  infini- 
njent  conunuuicative  et  veut  se  d(jnner  à  nous  :  non  alni  (pfelle 


ADDITIONS  ET  CORRECTIONS,  N.  V.  663 

soit  plus  grande  et  plus  heui^euse ,  mais  afin  que  nous  le  soyons  ; 
ce  qui  marque  précisément  la  surabondance  de  la  nature  divine, 
qui  n'a  pas  besoin  de  nos  biens ,  ainsi  que  disoit  David  :  Deus 
meus  es  tu,  quoniam  honorum  meorum  non  ecjes  :  «Vous  êtes 
mo.i  Dieu ,  parce  que  vous  n'avez  pas  besoin  de  mes  biens  ^  :  » 
mais  moi  j'ai  besoin  des  vôtres,  ou,  pour  mieux  parler,  je  n'ai 
besoin  pour  tout  bien  que  de  vous  seul. 

Si  saint  Augustin  joint  ces  deux  motifs  pour  exciter  son  amom* 
envers  Dieu,  nous  avons  \ti  qu'en  cela  il  ne  fait  que  prendre  le 
plus  pur  esprit  de  l'Ecriture,  et  dès  son  origine  celui  du  comman- 
dement de  l'amour.  C'est  ce  que  Dieu  explique  lui-même  plus 
amplement  dans  ces  paroles,  que  nous  avons  déjà  rapportées  ^  : 
«  Le  ciel  et  le  ciel  des  cieux  est  au  Seigneur  votre  Dieu  ^  »  et 
c'est  là  qu'est  établi  son  trône  ;  ce  qui  montre  l'excellence  de  sa 
nature  ;  et  il  ajoute  aussitôt  après  :  «  Et  cependant  le  Seignem*  s'est 
uni,  s'est  attacbé  à  vos  pères  »  de  la  plus  intime  et  de  la  plus  forte 
de  toutes  les  unions,  que  l'Ecritm^e  exprime  par  ces  mots  :  Co7i- 
glutinatus  est  :  terme  choisi  pour  faire  voir  que  cette  nature  très- 
parfaite  est  en  même  temps  souverainement  communicative  :  et 
que  Dieu  a  voulu  unir  ensemble  ces  deux  idées,  qui  sont  les  pre- 
mières que  nous  avons  de  Dieu,  pour  concliu-e  avec  la  plus  grande 
force  :  «  Aimez  donc  le  Seigneur  votre  Dieu,  et  gardez  par  amour  ses 
commandemens  *.  »  Ainsi  l'esprit  primitifdu  commandement  de  l'a- 
mour joint  ces  deux  choses,  qu'on  a  vu  aussi  que  saint  Augustin  a 
unies ,  que  Dieu  est  la  nature  la  plus  parfaite ,  et  dès  là  aussi  la 
plus  libérale,  et  la  plus  communicative  :  mais  communicative  et  libé- 
rale^ afm  de  nous  rendre  hem^eux,  et  non  pas  pom'  l'être  elle-même, 
puisqu'elle  l'est  antérieurement  à  toutes  ses  communications. 

David  avoit  réuni  ces  deux  motifs  d'aimer  Dieu  dans  ces  deux 
paroles  :  Excelsus  Dominus,  et  humilia  rcsplcit  ^  :  «  Le  Seigneur 
est  haut,  »  voilà  l'excellence  de  sa  nature  :  «  et  il  regarde  ce  qui 
est  petit ,  »  voilà  comme  il  est  communicatif  :  ce  n'est  pas  pom- 
devenir  grand,  ni  pour  tirer  quelque  avantage  de  notre  bassesse 
pour  son  élévation,  qu'il  jette  les  yeux  dessus  :  mais  au  contrahe 

1  Psal.  XV,  2.  —  2  Ci-dessus,  Conclusion,  p.  633.—  ^  Deut.,  X,  14.-  *  Ibid.,  xi.  1. 
—  ^  Psal.  cxxxviT,  6. 


«fil  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

c'est  ;ifin  que  ce  qui  est  petit  par  soi-même,  relevé  de  sa  petitesse 
par  le  hit-nfaisant  rej-'ard  de  Dieu,  commence  à  devenir  prrand  en 
ce  Dieu  (pii  le  regarde  :  ce  qui  confn*me  toujours  que  Dieu  fait 
éclater  sa  prrandeur  en  ce  qu'il  ne  la  communique  à  ses  serviteurs 
que  pour  leur  avantage  et  non  pour  le  sien. 

Ainsi  notre  amoiu'  prend  son  origine  dans  l'amour  entièrement 
gratuit  et  désintére.'^sé  que  Dieu  a  pour  nous  ;  ce  qui  fait  qu'il  en 
retient  le  caractère  :  car  déjà  il  n'y  a  rien  de  plus  pur  et  «le  plus 
désintéres.s«'*  que  de  commencer  comme  on  fait  par  l'excellence  de 
la  natur<*  divine  ;  et  il  ne  faut  pas  craindre  qu'on  s'éloigne  de  ce 
désintéressement,  quand  on  ne  «lemande  à  Dieu  pour  tout  intérêt 
que  celui  de  le  voir  conmie  un  bon  père,  et  relui  de  le  posséder 
comme  ini  cher  époux. 

Les  grands  «le  la  terre  vu  fiai  tant  les  hommes  de  l'espérance  de 
les  rendri'  heureux,  ont  besoin,  pour  l'être  eux-mêm«'s,  «les  ser- 
vices (h'  li'urs  inférieurs  dont  l'obéissance  fait  leur  grandeur  : 
mais  Dieu  n'«'n  est  ni  plus  grand  par  nos  services  ni  jiluspt'tit  par 
nos  mépris  .  «t  il  ne  peut  se  montrer  plus  indépendant  ni  plus 
gianil ,  qu'en  voidant  bien  nous  n-ndre  lieurtMix  :  f  t  hcnr  ait 
nofjis,  sans  avoir  aucim  intérêt  à  nofn>  boidieur. 

Et  si  l'on  «lit  qu'il  seroit  encore  plus  désintéiTssé  et  plus  pur  de 
le  .servir  sans  vn  profiter,  cela  pourroit  être  vrai  avec  tout  autre 
qui^  Dii^u ,  parce  «juil  n'y  a  que  lui  seul  «pii  ne  s'épuise  ni  ne  se 
«limimie  jamais  ru  domiant,  et  qu'après  f«»ut,  rv  rpi'il  (U»nn«*  c'est 
lui-même  :  en  sorte  (piil  uf  faut  pas  craindre  qu'en  le  conuoissant 
c(trMine  il  faut,  on  s'attache  aux  biens  «pi'il  donne  plutôt  qu'à  lui- 
même ,  puiscpn^  lui-même  il  «-st  le  fond  et  la  substan» -•  «bi  ''"«'n 
qu'il  donne. 

Il  II»'  s«'rt  de  rien  de  dire  qu'il  y  en  a  «pii  ont  désiré  «piil  ne  don- 
nât rii'U,  afin  de  l'aimer  |>lus  [lurement  ;  car  ntil  ne  peut  désirer 
séri«'us<'ment  et  absolunt<Mit  «pi'il  ne  donn(>  rien,  et  smtonl  «pTil 
ne  se  doniif  pas  lui-mênn',  p.ircr  i\\\r  ce  seroit  s'opposer  à  la  plus 
réelle  et  à  la  plus  déclarée  de  toutes  ses  volontés  :  et  pour  ce  «pii 
est  de  ces  désirs,  de  ces  volontés  imparfaites,  ou  plutôt  de  ces 
velléités  qu'on  forme  dans  le  transport  avec  plus  d'atreclion  que 
d'exactitude,  il  Vu  faudra  toujours  revenir  à  dire  que  plus  Di«'u 


ADDITIONS  ET  CORRECTIONS,  N.  VI.  fifio 

mériteroit  s'il  l'avoit  voulu,  pour  mieux  dire  s'il  a^oit  pu  le 
vouloir,  d'être  servi  sans  récompense,  plus  il  est  aimable  d'en 
avoir  voulu  donner  à  ses  serviteurs  une  aussi  grande  que  lui- 
même. 

Enfmce  qui  empêche  éternellement  qu'on  ne  puisse  jamais  vrai- 
ment séparer  l'amour  de  la  béatitude ,  de  la  volonté  d'aimer  Dieu 
en  lui-même  et  pour  lui-même  :  c'est  premièrement ,  que  notre 
béatitude  n'est  au  fond  que  la  perfection  et  l'immutabilité  de  notre 
amour,  à  quoi  nous  ne  pouvons  pas  être  indifférens  sans  offen- 
ser l'amom' même  :  et  secondement ,  que  cette  béatitude ,  positi- 
vement n'est  autre  chose  que  la  gloire  même  de  Dieu,  en  tant 
qu'elle  peut  être  l'objet  de  nos  désirs. 

On  a  allégué  saint  Augustin  pour  prouver  que  le  motif  de  la     vi. 
création  et  les  devoirs  de  la  iustice  envers  Dieu,  comme  Créateur  '■•  '^^"'^^ 

'i  ■  '  et  de  la 

et  comme  Père,  ne  doivent  pas  être  séparés  d'avec  ceux  du  saint  j»^''"- 
et  pur  amour  *  ;  et  sans  entrer  dans  l'arrangement  que  fait  l'Ecole  Augusun. 
des  motifs  premJers  et  seconds,  principaux  et  sul^ordonnés  de  la 
charité,  non  plus  que  dans  la  distinction  entre  les  actes  que  la  cha- 
rité produit  et  ceux  qu'elle  commande,  puisqu'aussi  bien  tout  cela 
ne  change  rien  à  la  susbstance  des  actes  ni  à  la  pratique  :  on 
remarquera  seulement  ce  passage  de  saint  Augustin  sur  le 
Psaimie  cxvm  :  «  Si  un  père  et  un  époux  mortel  doit  être  craint 
et  aimé,  à  plus  forte  raison  notre  Père  qui  est  dans  les  cieux  et 
l'Epoux  qui  est  le  plus  beau  de  tous  les  enfans  des  hommes,  non 
selon  la  chair,  mais  par  sa  vertu  :  car  de  qui  est  aimée  la  loi  de 
Dieu,  sinon  de  ceux  qui  l'aiment  lui-même?  Et  qu'a  de  triste  pour 
de  bons  fds  la  loi  d'un  père  ^?  »  11  parle  de  l'amour  de  la  loi  de 
Dieu  et  de  la  justice,  par  lequel  on  sait  que  ce  saint  docteur  définit 
toujours  la  charité. 

Les  endroits  où  il  rapporte  à  la  charité  les  devoirs  de  la  justice 
envers  Dieu  comme  Père ,  Créateur  et  Bienfaiteur ,  sont  infinis. 
Dans  le  livre  premier  de  la  Doctrine  chrétienne,  où  il  traite  ex- 
pressément la  matière  de  Tam-our  de  Dieu  :  «  Vous  devez ,  dit-il, 
aimer  Dieu  de  tout  votre  cœur,  en  sorte  que  vous  rapportiez 
toutes  vos  pensées,  toute  votre  vie  et  toute  votre  intelligence  à 

'  Ci-dessus,  liv.  IX,  n.  7.  —  ^  Serin,  xxxi,  n.  3. 


G6G  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  DORAISON. 

celui  Je  qui  vous  tenez  toutes  les  choses  que  vous  lui  rapportez'.  » 
Ainsi  la  création,  qui  le  rend  autjur  de  tout,  est  le  titre  qui  oblige 
aussi  à  lui  tout  donner.  Saint  Augustin  établit  cette  vérité  sui*  ce 
beau  [)rincipe  de  justice  :  «  Celui-là  est  juste  et  saint,  qui  juge  de 
toutes  choses  avec  intégrité  :  »  Ille  juste  et  sanctè  vieil,  qui  rcruin 
inte(jer  (Psliinntor  est  -.  C'est  de  ce  principe  de  justice  qu'il  con- 
clut ensuite  qu'il  faut  aimer  Dieu  plus  que  soi-même ,  et  chaque 
objet  de  la  charité  dans  son  rang.  Au  reste ,  continue-il,  nous 
sommes  jxirce  qu'il  est  hon  :  notre  être  est  un  elîet  de  sa  bonté  ; 
et  (lès  que  nous  sommes ,  nous  sommes  bons^j  Dieu  ne  pouvant 
rien  faire  qui  ne  le  soit  :  de  sorte  que  Taimer  comme  Créateur, 
c'est  l'aimer  cninme  bon,  ce  cpii  est  du  devoir  de  la  charité. 

Il  ne  sert  de  rien  de  di-^linguer  comme  font  (picbiues-uns,  la 
puissance  créatrice  d'avec  son  acte,  pour  faire  de  la  première  un 
motif  d'amour  plutcM  que  de  l'autre  :  cai'  ce  sont  finesses  d'Ecole 
(jui  ne  servent  de  rien  dans  la  pratitpie,  et  (jui  ne  mériteroienl 
pas  d'étn'  relevées  ici,  si  on  ne  vouloit  prévenir  jus(iu'aux  moin- 
dres chicanes. 

Saint  Augustin  tlil  aussi  que  «  les  martyrs  sont  dehiteuis  de 
leur  sang;»  c'est-à-din?  de  l'amour  parfait  qui  le  fait  répandre, 
«pm-ce  (lue  Jésus -Christ  eu  donnjuit  le  sien  s'est  engagé  le  nôtre, 
oppif/neravit  *;  nous  lui  eu  sonnnes  débiteurs  ;  en  le  versant 
nous  ne  donnons  pas,  mais  nous  rendons  :  nous  acquittons  une 
dette. 

l'.ir  la  même  raison  (jue  l'amour  envers  Dieu  est  une  dette,  l'a- 
niniii  envers  le  procbaiii  »'n  est  une  autre,  ou  plulôt  c'est  la  même 
(pion  étend,  comn)e  l'enseigne  le  même  Pere  dans  mie  lellir  à 
Céleslin,  «piiest  la  Lxn"^  des  ancieimes  éditions. 

En  un  mot  toute  l'œuvre  de  la  charité  est  une.  œuvre  de  justice , 
conf(Uinément  à  cette  parole  :  ((  Rendez  à  César  ce  (jui  est  à  Cé- 
sai-,  et  à  Ditni  ce  qui  est  à  Dieu';  »  et  encore  :  «  Ne  devez  rien  à 
personntî,  si  ce  n'est  de  vous  aimer  les  uns  les  autres  *  :  »  ainsi 
la  charité  est  une  justice  où  nous  nous  ac(|uittons  envers  Dieu  et 
ensuite  envers  le  prochain,  de  la  premi('*re  de  toutes  les  dettes;  et 

»  lir  Dori.  rhrnl.,  lib.  I ,  II.  2!.  —  î  ////'/.  II.  28.  —  '  Mu/,,  n.  3"..  —  »Seriu. 
ccxci.x,  n.  3.  —  »  Mullh.,  XXII,  21.  —  '  liom.,  xill,  7,  8. 


ADDITIONS  ET  CORRECTIONS,  N.  VII.  667 

il  n'y  a  rien  de  plus  inutile  que  de  tant  raffiner  sur  la  distinction 
de  choses  si  liées  les  unes  aux  autres. 

'   J'ai  nommé  saint  Augustin  en  plusieurs  endroits,  comme  un     m. 
des  saints  Pères  où  Ton  ne  voit  pas  ces  suppositions  impossibles  ir.ns  par 
dont  il  est  parlé  dans  ce  Traité  *  ;  mais  il  ne  falloit  point  niettre  en  ','u,n  «ain't 
fait  le  sentiment  d'un  si  grand  docteur  ;  sans  en  donner  quelcpie  i  t  %ncoré 
preuve.  Dans  le  sermon  clxi,  autrefois  le  xvni%  de  Verdis  Apostoli,  Pure,  de 
il  parle  ainsi  :  «  Je  vous  demande,  si  Dieu  ne  vous  voyoit  pas  quand  d  ^mié- 
vous  commettez  un  crime,  et  que  personne  ne  vous  put  con- 
vaincre dans  son  jugement,  le  feriez- vous?  Si  vous  le  faites  dans 
ce  cas,  vous  craignez  la  peine  :  vous  n'aimez  pas  la  chasteté  ;  vous 
n'avez  point  la  charité  ^  »  11  fait  la  supposition  impossible,  que 
Dieu  ne  vît  pas  le  péchem%  et  que  le  crime  en  fût  impuni,  pom* 
donner  l'idée  de  la  \Taie  cause  qu'on  a  de  fuir  le  péché,  qui  est  le 
vi'ai  et  parfait  amour. 

Dans  le  même  sermon  il  continue  sa  supposition  par  la  compa- 
raison d  une  femme  qui  ordonneroit  quelque  chose  à  celui  qui 
l'aimeroit  :  Et,  dit-il,  si  vous  lui  désobéissez,  vous  damnera-t- 
«Ue?  vous  mettra-t-elle  en  prison?  fera-t-elle  venir  des  bour- 
reaux? Point  du  tout  :  on  ne  craint  rien  dans  cette  occasion,  que 
cette  parole  :  Je  ne  vous  verrai  jamais.  C'est  cette  menace  qui  fait 
trembler  :  Vous  ne  me  verrez  plus.  Si  une  malheureuse  vous  parle 
ainsi,  vous  tremblez.  Dieu  vous  tient  le  même  langage,  et  vous 
ne  tremblez  pas?  Vous  trembleriez  sans  doute,  si  vous  aimiez.  » 
Il  continue  à  montrer  la  pureté  de  l'amour  dans  la  supposition 
impossible  de  l'impunité,  et  c'est  ce  qu'il  répète  souvent. 

Il  parle  encore  plus  clairement  sur  le  Psaume  cxxvn ,  lors- 
qu'expliquant  cette  crainte  chaste,  dont  il  est  traité  dans  le 
Psaume  xvin,  selon  la  version  d'alors  :  Timor  Domini  castus  jjer- 
ma?îens  in  sœculwii  sœculi;  il  raisonne  ainsi  :  «  Si  Dieu  venoit 
en  personne,  et  vous  disoit  de  sa  propre  bouche  :  Péchez  tant  que 
vous  voudrez  ;  contentez-vous  ;  que  tout  ce  que  vous  aimez  vous 
soit  donné  ;  que  tout  ce  qui  s'oppose  à  vos  desseins  périsse  ;  qu'on 
ne  vous  contredise  point  ;  que  persoime  ne  vous  reprenne  ni  ne 
vous  blâme  ;  que  tous  les  biens  que  vous  désirez  vous  soient  don- 

1  Ci-dessus,  liv.  X,  n.  19.  —  -  Semi.  CLXi,  n.  8.  —  ^  loid.,  ii.  18. 


I 


668  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  DORAISON. 

nés  avec  profusion  :  vivez  dans  cette  jouissance,  non  pour  un         I 
temps,  mais  toujours  :  je  vous  dirai  seulement  que  vous  ne  verrez 
jamais  ma  face  :  Mes  frères,  d'où  vient  le  gémissement  qui  s'élève 
parmi  vous  à  cette  parole,  si  ce  n'est  que  cette  crainte  chaste,  qui 
demeure  aux  siècles  des  siècles,  a  déjà  pris  naissance  en  vous  '?  » 

Ce  qu'il  ajoute  est  rncore  plus  pn'ssiuit  :  «  Pourquoi,  dit-il, 
votre  cœur  l'st-il  frappé  à  cette  seule  parole  :  Vous  ne  verrez 
point  ma  face?  Vous  vivez  dans  l'affluence  des  biens  temporels  ; 
ils  ne  vou>  seront  jamais  ùtés  :  qu«'  voulez- vous  davantage?  L'ame 
touchée  de  la  crainte  chaste,  si  elle  entendoit  ces  paroles,  ne  pour- 
roil  retenir  ses  larmes  et  diroit  :  Ah!  que  je  perde  phitôl  tctiil  le 
reste,  et  (pie  je  voie  votre  face.  »  Voilà  ce  (pie  diroit  cette  crainte 
chaste  :  elle  ne  pense  pas  à  S(>  détacher  d«'  voir  la  face  dt»  l)i(Mi  ; 
mais  c'est  au  contraire  par  le  désir  de  jouir  de  cette  vision,  (pi'elle 
se  détache  de  tout  le  reste.  Si  on  la  mena(;oit  seulement  d»^  lui 
faire  perdre  un  si  grand  bien,  «  elle  crieroit  avec  le  Psalmiste, 
poursuit  saint  Au,t.nistin  :  Dieu  des  vertus,  convertissez-nous,  et 
montrez-nous  \(ttre  face;  elh'  crieroit  avec  le  même  David  :  .[e 
n'ai  ilemandé  à  Dieu  qu'une  seule  chose,  ([ui  (\st  de  voir  yes  dé- 
lectations,  et  d'être  dans  son  siiint  temple.  Voyez  comliien  est 
ardente  cette  crainte  rjiaste,  cet  amour  véritable,  cet  amoui'  sin- 
cère. »  Saint  Augustin  lui  donne  tous  ces  noms ,  pour  montrer 
combien  il  est  pur.  (l'est  de  l'amour  (pi'il  parle  ;  c'est  à  l'amoiu- 
(pi'il  attribue  ces  belles  qualités,  de  cha-teet  de  pur,  de  \éiitable. 
de  sincère. 

Il  donne  ailleiu's  au  même  amour,  (|ui  veut  jouir  de  l;i  face  de 
Dieu,  le  nom  d'amour  gratuit  ;  c'est-à-dire  d'amour  desintéressé, 
de  pur  amour.  «  Ce  qu'on  appelle,  dit-il,  aimer  d'un  amour  gra- 
tuit ,  ce  n'est  [)oint  aimer  comme  on  fait  lorscpi'on  ihmis  propose 
une  recompense,  parce  (pie  votre  souveraine  récompense  c'est 
IWeu  mèiue  ipie  vous  aimez  par  cet  amour  gratuit;  et  vous  le. 
devez  tellement  aimer,  (pie  vous  ne  cessiez  de  désirer  de.  l'avoir 
pour  récompense  '.  »  Il  dit  encore  :  «  Si  vous  aimez  véritable- 
ment .  Vous  aimez  sans  inl/'rèt  :  Si  vcrr  amas ,  gratis  amas  '  :  » 

'  In  Ptal.  CXXVU,  il.  1'.  —  '  In  l'^af.  cxxxiv,    ii.   11.  —  ^  Sonii.  CLXV,  ii.    4, 


ADDITIONS  ET  CORRECTIONS,  N.  VIL  669 

dont  la  raison  est  que  a  celui  que  vous  aimez  est  lui-même  votre 
récompense  :  Ipse  merces  quem  amas.  »  Personne  n'ignore  qu'il 
n'y  ait  sans  exagérer  deux  cents  passages  de  cette  sorte ,  où  il 
appelle  gratuit,  désintéressé  et  pur,  l'amour  qui  demande  Dieu 
pom*  récompense. 

Ainsi  lorsqu'il  veut  épurer  l'amour  et  le  rendre  désintéressé, 
loin  de  penser  à- le  détacher  de  la  vision  de  Dieu,  il  en  met  le  dé- 
sintéressement à  désirer  de  posséder  Dieu  et  de  le  voir. 

On  voit  aussi  par  là  jusqu'où  il  pousse  les  suppositions  impos- 
sibles; c'est  seulement  jusqu'à  dire  :  Quand  votre  crime  seroit 
impuni ,  quand  avec  une  abondance  éternelle  et  assurée  de  tous 
les  biens  de  la  terre ,  vous  n'auriez  à  craindre  que  de  perdre  la 
vue  de  Dieu,  vous  devriez  lui  demeui^er  toujours  attaché  :  mais  il 
ne  va  pas  plus  loin  ;  et  il  n'en  vient  point  jusqu'à  dire  :  Quand 
vous  devriez  perdre  la  Mie  de  sa  face ,  il  faudroit  encore  l'aimer , 
parce  que  sans  cette  précision  il  sent  qu'il  a  poussé  l'amour  à  être 
chaste,  pur,  sincère,  gratuit ,  désintéressé ,  dès  là  qu'il  l'a  porté  à 
ne  désirer  que  Dieu  seul  pour  sa  récompense. 

Cependant  on  ne  dira  pas  qu'il  soit  de  ceux  qui  n'ont  pas  connu 
la  pureté  de  l'amour.  On  peut  entendre  jusqu'où  il  le  pousse  par 
ces  paroles  :  Confitebor  tibi ,  Domine,  in  toto  corde  meo.  Il  les 
explique  en  cette  sorte  :  «  Mon  Dieu ,  que  la  flamme  de  votre 
amour  brûle  tout  mon  cœur  :  qu'elle  ne  laisse  rien  en  moi  qui 
soit  pour  moi  ;  rien  qui  me  permette  de  me  regarder  moi-même  : 
ISihil  in  me  relinquatur  mihi ,  nec  c^uo  respiciam  ad  meipsum  : 
mais  que  je  brûle,  que  je  me  consume  tout  entier  pour  vous  :  que 
tout  moi-même  a'OUS  aime,  et  que  je  sois  tout  amour,  comme 
étant  enflammé  par  vous  ;  Totus  diligam  te ,  tanquàm  inflayn- 
matns  à  te  K)^  Je  ne  crois  pas  qu'on  ait  jamais  mieux  exprimé  le 
pm'  amour,  ni  mieux  montré  qu'on  le  ressentoit. 

En  excluant,  comme  il  fait  par  ces  paroles,  tout  regard  sur  soi- 
même  ,  il  n'exclut  pas  le  désir  de  Dieu  comme  récompense,  parce 
que  cette  récompense,  loin  de  nous  renfermer  dans  nous-mêmes, 
nous  en  tire  et  nous  absorbe  tout  à  fait  en  Dieu.  C'est  pourquoi  il 
continue  à  regarder  cette  récompense  dans  la  suite  du  même 
1  August.,  in  Psal.  cxxxvii ,  n.  2. 


670  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  DORAISON. 

Psaume,  lorsqu'il  y  fait  dire  à  une  martyre,  c'est-à-dire  à  une 
amante  parfaite  de  Jésus  Christ  :  «  Je  ne  demande  point  les  féli- 
cités de  la  terre  ;  je  sais  les  désirs  qu'inspire  le  Nouveau  Testa- 
ment :  je  ne  demande  point  la  fécondité  ;  je  ne  demande  point  mon 
salut  temporel,  vous  m'avez  appris  ce  que  je  dois  demander  ;  c'est 
de  psalmodier  avec  les  anges,  d'en  désirer  la  compagnie  et  l'ami- 
tié saint(^  et  pure  '  dont  Dieu  est  le  lion  ;  »  et  un  peu  après  :  «  de  dé- 
sirer les  vertus  :  voilà  les  vœux  qu'il  faut  faire  expressément  ;  et 
vous  n'avez  rien ,  dit-il  aux  fidèles,  à  désirer  davantage,  parce 
que,  comme  il  dit  ailleurs,  la  vertu  comprend  tout  ce  qu'il  faut 
faire;  et  la  félicité,  tout  ce  qu'il  faut  désirer  :  »  Omnia  ar/ctufa  com- 
plcctltur  virtus ,  omnia  optamla  fclicilas'. 

Ainsi  selon  saint  Augustin,  l'amour  désintéressé,  loin  d'exclure 
le  motif  de  la  récompense  vi\  tant  qu'elle  est  Dieu  même,  le  cam- 
prend  dans  son  désir.  11  ne  faut  pas  croire  (pi'un  si  grand  doc- 
teur, (pii  est  le  docteur  de  l'amour,  à  même  titre  qu'il  est  celui  de 
la  graciî,  soit  d'tui  autre  esprit  que  le  reste  des  saints  ;  et  s'il  s'en 
trouve  <pii  <l<>nneiit  pcut-étrt'  encore  à  l'amour  un  autre  motif,  ou 
égal,  ou  mémo  supcrirur.  si  ion  vent,  à  nlui  (pii  est  proposé 
par  saint  Augustin,  il  ne  sCn  tionvera  am  un  (lui  rcxcliic  des 
états  les  plus  parfaits  ;  car  pour  réduire  la  queslictn  à  des  termes 
précis,  on  peut  l>ion  ne  pas  penser  à  ces  hetuix  et  nobles  motifs 
de  saint  Augustin  ;  et  pour  parler  avec  l'Ecole,  on  peut  par  une 
abstraction  passagère  et  momentanée,  les  séparer  de  la  charité 
par  la  pensée,  mais  non  pas  les  rejoter  ni  les  en  exclure,  ni,  cc^ 
qui  est  la  même  chose,  les  en  séparer  par  état  :  au  contraire 
on  verra  dans  la  discussion  que  les  âmes  de  la  plus  sublime  con- 
templation n'ont  rien  eu  qui  les  pressât  tant  à  aimer  Dieu ,  f|ut' 
cet  amour  connnunicatif  et  1«'  désir  de  se  donner  à  nous,  qu'elles 
sentoient  dans  cx'  premier  être, 
vm.         Kn  attendant  ([u'on  étalili^sc  nin-  vérité  si  constante,  par  le  sen- 

m^'I-nM  tinient  unanime  des  saints  Pères  et  de  tous  les  théologiens  tant 
vicurr'"."'r  scolastiques  que  mysti(iues,  et  quon  ait  expli(jué  plus  à  fond  les 

jcluTo'.   principes  de  saint  Augustin  ;  le  pieux  lecteur  sera  bien  aise  de 
voir  comment  ce  Père  étoit  entendu  par  un  des  plus  grands  théo- 

*  Alignai.,  in  Psul.  CXXXVH,  n.  1.  —  *  De  Ciiit.  Dei ,  lib.  IV,  cap.  xxi. 


refsi- 


ADDITIOiNS  ET  CORRECTIONS,  N.  VIII.  671 

logiens  et  des  plus  sublimes  contemplatifs  du  douzième  siècle. 
C'est  Hugues  de  Saint- Yictor,  ami  et  contemporain  de  saint  Ber- 
nard ,  chanoine  régulier  et  prieur  du  célèbre  monastère  de  Saint- 
Victor  de  Paris.  Ce  grand  et  pieux  docteur  se  propose  de  prouver 
a  que  celui  qui  aime  Dieu  pour  soi-même,  l'aime  d'un  amour  piu: 
et  gratuit  ;  c'est  son  titre  :  Quôd pure  et  gratis  amat,  qui  Dewn 
propter  se  amat  :  »  et  il  en  fait  la  preuve  de  cette  sorte.  «  Alais 
peut-être  serez-vous  mercenaire  ;,  si  vous  aimez  Dieu  poiu"  ré- 
compense. C'est  ce  que  disent  quelques  insensés  :  des  insensés, 
qui  se  méconnoissent  eux-mêmes.  Nous  aimons  Dieu,  disent-ils, 
et  nous  ne  voulons  point  de  récompense,  de  peur  que  nous  ne 
soyons  mercenaires  :  non ,  nous  ne  le  désirons  pas  lui-même  :  il 
nous  donnera  ce  qu'il  lui  plaira  ;  nous  ne  désirons  rien.  Nos  mains 
sont  tellement  -vides  de  tout  présent,  que  nous  ne  le  désirons  pas 
lui-même,  quoique  nous  l'aimions  :  car  nous  l'aimons  d'un  amour 
gratuit  et  fdial,  sans  rien  désirer,  c'est  à  lui  à  nous  préparer  la 
récompense,  s'il  veut  nous  la  donner  :  mais  nous,  nous  ne  dési- 
rons rien  ;  nous  l'aimons  sans  en  rien  attendre  :  lui-même ,  ce 
cher  objet  de  notre  amour,  nous  ne  le  désirons  point.  Ecoutez  ces 
hommes  sages  ;  ils  disent  :  Nous  aimons  Dieu  ;  mais  nous  ne  le 
désirons  point.  C'est  comme  s'ils  disoient  :  Nous  l'aimons;  mais 
nous  ne  nous  en  soucions  point.  Moi  homme,  je  ne  voudrois  pas 
être  aimé  de  vous  à  ce  prix  :  si  vous  m'aimiez ,  sans  vous  soucier 
de  moi,  je  ne  tiendrois  aucun  compte  de  votre  amour.  Jugez  donc 
si  l'amour  qu'un  homme  rejetteroit  avec  raison,  peut  être  digne 
de  Dieu.  Mais ,  disent-ils ,  comment  ne  sommes-nous  pas  merce- 
naires ,  si  nous  aimons  Dieu  par  le  motif  d'en  recevoir  la  récom- 
pense ?  Cet  amom'  n'est  ni  gratuit  ni  filial  :  c'est  un  amour  de 
mercenaire  et  d'esclave,  qui  demande  le  salah'e  de  son  travail.  — 
Ceux  qui  parlent  ainsi ,  ignorent  la  nature  de  la  charité  même  : 
car  qu'est-ce  qu'aimer  Dieu,  si  ce  n'est  vouloir  le  posséder?  Le 
désirer  seul ,  et  non  autre  chose ,  c'est  l'aimer  d'un  amour  gra- 
tuit. Si  vous  désiriez  autre  chose  que  lui,  votre  amour  ne  seroit 
pas  désintéressé  :  mais  vous  ne  désirez  autre  chose  que  lui-même 
que  vous  aimez  :  vous   désirez  néanmoins  quelque  chose  ;  et  ce 
que  vous  désirez ,  c'est  l'objet  même  que  vous  aimez  :  car  si  vous 


672  INSTRUCTION  SLR  LES  ÉTATS  DORAISON. 

n'aviez  aucun  désir,  vous  nauriez  point  daniour.  11  y  a  donc 
une  grande  différence  entre  aimer  autre  chose  que  Dieu  et  aimer 
(jnelque  chose  t-n  Dieu.  Si  vous  aimez  autre  chose  que  Dieu, 
votre  amour  ot  mercenaire  :  si  vous  aimez  quelque  chose  en 
Dieu,  et  que  ce  que  vous  aimez  soit  Dieu  même,  votre  amour 
est  filial  :  (pie  si  vous  imaginiez  la  vie  éternelle  comme  quelcjne 
autre  chose  dillérente  du  soumain  bien ,  (jui  est  Dieu  même  ; 
et  (lue  vous  servis.siez  Dieu  s<'ulement  pour  *»hlenir  ^ce  bien  que 
vous  croiriez  siparé  de  Dieu; ,  ce  n'est  |>oint  une  servitude  véri- 
table, ni  un  amour  gratuit'.  »  Paixe  (jne  ce  tpii  le  rend  gratuit, 
est,  connue  on  a  vu,  qu'on  n'attend  ,  ni  on  ne  v-ui  il.n  .l.-  h\''u 
que  lui-n)ème  pour  toute  récompenik^ 

i'ar  e(^  princii>es,  il  explique  la  nature  de  lainour  de  Dieu  au 
chapitre  vu.  (piil  Ihiit  en  ces  termes  non  moins  remarquables  : 
«  l'eusez-vous  «ju'on  vous  eouuuaude  d  aimer  votre  Dieu,  pour 
lui  faire  ou  lui  ilesirer  (|uelquebien,  et  n(»n  pas  pour  le  désirer  lui 
qui  e-st  votre  bien?  Yoils  ne  l'aimez  pas  {H)ur  son  bien,  mais  pour 
le  vôtre;  et  vous  l'aimez,  parce  (pi'il  est  lui-mêm«'  voU*e  bien. 
Car  vous  ne  l'aimez  pas  |K)ur  votre  bien  .  alin  que  votre  bien 
vienui'  de  lui,  mais  aUn  qu'il  le  soit  lui-même*.  »  Et  un  peu  après, 
il  se  lait  faiie  cette  objection  :  «  l^Mioique  j««  ne  puisse  lui  rien 
donner,  je  fais  ce  (jne  je  puis  et  je  lui  desin;  du  bien.  t^)uel  bien 
pouvez-vous  lui  désirer,  puisipie  vous  ne  .sauriez  trouver  aurim 
bien  hors  de  lui  ?  11  est  lui  seul  tout  le  bien.  »  D'où  il  tire  cette 
consé(iuence  :  «  t^tuaud  donc  vous  aimez  Dieii.  vous  laimez  i»our 
vous,  et  c'est  votre  bim  que  vous  aimez;  et  vous  l'aiiiiez  pour 
votre  bien,  parce  (juil  e>l  lui-iiièun*  votre  bien  qu<'  vous  lUmez. 
(,)uaud  vous  aimez  la  justice,  pour  cpii  l'aimez-vous?  Pour  elle, 
ou  pour  vous?  Quand  vous  aimez  la  sagesse,  la  vérib'  et  la  bonté, 
pour  (pii  les  aimez-vous?  Pour  elles,  ou  pour  vous?  La  lumière 
iin'iiif.  si  d(»uce  et  si  agréable  aux  yeux,  «luaiid  vous  l'aimez, 
pour  (jui  laiiiiez-vous?  C'est  pour  \os  yeux,  ou  pour  \(Mis-nième. 
Il  en  est  ainsi  de  votre  Dieu,  t^luaud  vous  l'aimez,  cttuipreuez  «pi  il 
est  lui-même  votre  bien,  "i   iju'esl-ce  qu'aimer,  si  ce  n'e>t  de- 

•    *    lliig.  h  s.  Viil. ,  de  Sacrum.,  lib.    Il,   paît.  XIII,  cap.   vu,   loin     III, 
p.  305.  -  »  lOid. 


ADDITIONS  ET  CORRECTIONS,  N.  VIII.  673 

sirer,  vouloir  avoir,  posséder  et  jouir?  »  On  connoît  la  doctrine 
de  saint  Augustin ,  à  ce  discours  d'un  de  ses  enfans ,  d'un  de  ses 
religieux,  d'un  de  ses  disciples.  Elle  est  devenue  si  commune 
dans  l'Eglise,  comme  la  suite  le  fera  voir,  qu'elle  a  été  embrassée 
par  tous  les  docteurs  anciens  et  nouveaux ,  qui  tous,  en  ce  point 
comme  dans  les  autres,  se  sont  glorifiés  d'être  humbles  disciples 
d'un  si  grand  maître. 


TOM.  xvm.  i3 


ACTES 


LA  CONDAMNATION  DES  QUIETISTES. 


LETTRE 

De  M.  le  cardinal  Cararcioli ,  à   Sa  Sainteté,   écrite  de  Noples,  Je 
30  janvier  ir.S2,  traduite  de  l'italien. 

Trks-saint  PJ  hk, 

Si  j'ai  quelque  sujet  de  me  consoler  et  de  rendre  grâces  ;\  Dieu ,  en 
apprenant  que  beaucoup  d'ames  confiées  à  mes  soins  s'appliquent  au 
saint  exercice  do  l'oraison  mentale,  source  de  toute  bénétiiclion  cé- 
leste; je  ne  dois  pas  moins  m'aftliger  d'en  voir  quelques  autres  s'éga- 
rer inconsidérément  dans    des  voies   dangereuses.   Depuis   quelques 
temps,  très-saint  Père,  il  s'est  introduit  à  Naples  et,  comme  je  l'ap- 
prends, en  d'autres  parties  de  ce  royaume,  un  usage  fréquent  de  l'orai- 
son passive,  que  quelques-uns  appellent  de  pure  foi  ou  de  quiétude. 
Us  alTectent  de  prendre  le  nom  dequiétistes,  ne  faisant  ni  méditation  ni 
prières  vocales;  mais  dans  l'exercice  actuel  de  l'oraison  se  tenant  dans 
un  grand  repos  et  dans  un  grand  silence,  comme  s'ils  étoient  ou  muets 
ou  morts,  ils  prétendent  faire  l'oraison  purement  passive.  En  clFet  ils 
s'elTorcent  d'éloigner  de  lem*  esprit,  et  même  de  leurs  yeux,  tout  sujet 
df  méditation,  se  présentant  eux-mêmes,  comme  ils  disent,  à  la  lumière 
et  au  souffli'  de  Dieu  qu'ils  attendent  du  ciel,  sans  observer  aucune 
règle  ni  méthode,  et  sans  se  préparer  ni  par  aucune  lecture  ni  par  la 
considération  d'aucun  point,  quoique  les  maîtres  de  la  vie  spirituelle 
aient  coutume  de  les  proposer  surtout  aux  commençans ,  afin  que  par 
la  réilexion  sur  leurs  propres  défauts ,  sur  leurs  passions  et  sur  leurs 
iiiiperfections,  ils  parviennent  à  s'en  corriger  :  mais  ceux-ci  préten- 
dent s'élever  d'eux-mêmes  au  plus  sublime  degré  de  l'oraison  et  de  la 
contemplation,  qui  vient  néanmoins  de  la  pure  bonté  de  Dieu ,  qui  le 
donne  à  qui  il  lui  plait  et  quand  il  lui  plait.  Aussi  se  trompent-ils  vi- 
siltlement,  s'imaginant  que,  sans  avoir  passé  par  les  exercices  delà  vie 
purgative,  ils  peuvent  par  leurs  propres  forces  s'ouvrir  d'abord  le  che- 


CONDAMNATIONS  DES  QUIÉTISTES.  675 

min  de  la  contemplation  :  sans  penser  que  les  anciens  et  les  modernes 
traitant  cette  matière,  enseignent  imaniraement  que  l'oraison  passive 
ou  de  quiétude  ne  peut  être  pratiquée  que  par  des  personnes  arrivées 
à  la  parfaite  mortification  de  leurs  pa-sions,  et  déjà  fort  avancées  dans 
l'oraison.  C'est  cette  méthode  irrégulière  de  faire  oraison,  par  laquelle 
le  démon  est  enfin  parvenu  présentement  à  se  transformer  en  ange  de 
lumière,  dont  je  vais  faire  le  récit  à  Votre  Sainteté,  non  sans  une  très- 
grande  horreur. 

Il  y  en  a  parmi  eux  qui  rejettent  entièrement  la  prière  vocale  :  et  il 
est  arrivé  que  certains,  exercés  de  longtemps  dans  l'oraison  de  pure  foi 
et  de  quiétude  sous  la  conduite  de  ces  nouveaux  directeurs ,  étant  de- 
puis tombés  en  d'autres  mains,  n'ont  pu  se  résoudre  à  dire  le  saint  Ro- 
saire, ni  même  à  faire  le  signe  de  la  croix,  disant  qu'ils  ne  peuvent  ni 
ne  veulent  le  faire ,  ni  réciter  aucune  prière  vocale ,  parce  qu'ils  sont 
morts  en  la  présence  de  Dieu,  et  que  ces  choses  extérieures  ne  leur  ser- 
vent de  rien.  Une  femme  élevée  dans  cette  pratique  ne  cesse  de  dire  : 
Je  ne  suis  rien,  Dieu  est  tout;  et  je  suis  dans  l'abandon  où  vous  me 
voyez,  parce  qu'il  plaît  ainsi  à  Dieu  :  elle  ne  veut  plus  se  confesser; 
mais  elle  voudroit  toujours  communier  :  elle  n'obéit  à  personne,  et  ne 
fait  aucune  prière  vocale.  D'autres  encore,  dans  cette  oraison  de  quié- 
tude, quand  il  se  présente  à  leur  imagination  des  images  même 
saintes,  et  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  s'efforcent  de  les  chasser  en 
secouant  la  iête,  parce,  disent-ils,  qu'elles  les  éloignent  de  Dieu.  C'est 
pourquoi  ils  font  encore  cette  action  ridicule  et  scandaleuse,  même  en 
communiant  publiquement,  parce  qu'alors  ils  s'imaginent  devoir  lais- 
ser Jésus-Christ,  pour  penser  uniquement  à  Dieu.  Leur  aveuglement  est 
si  grand,  que  l'un  d'eux  s'avisa  un  jour  de  renverser  un  crucifix  de 
haut  en  bas,  parce,  dit-il,  qu'il  i'empêchoit  de  s'unir  à  Dieu,  et  lui  fai- 
soit  perdiesa  présence.  Us  sont  dans  cette  erreur,  de  croire  que  toutes 
les  pensées  qui  leur  viennent  dans  le  silence  et  dans  le  repos  de  l'orai- 
son, sont  autant  de  lumières  et  d'inspirations  de  Dieu  ;  et  qu'étant  la 
lumière  de  Dieu,  elles  ne  sont  sujettes  à  aucune  loi.  De  là  vient 
qu'ils  se  croient  permis  sans  distinction  tout  ce  qui  leur  passe  alors 
dans  l'esprit. 

Ces  désordres  me  pressent,  moi  qui  suis,  quoiqu'indigne,  comme  le 
vigneron  appliqué  à  la  culture  de  cette  vigne,  d'en  rendre  un  compte 
exact  avec  tout  le  respect  que  je  dois  à  Votre  Sainteté,  comme  au  grand 
Père  de  famille,  afin  que  connoissant  par  sa  sagesse  la  racine  enveni- 
mée qui  produit  de  tels  germes,  il  emploie  toute  la  force  de  son  bras 
apostolique  pour  les  couper,  et  pour  en  arracher  jusqu'à  la  racine, 
d'autant  plus  que  sur  cette  matière  il  se  répand  des  opinions  qui  mé- 
ritent d'être  condamnées.  Depuis  que  je  suis  ici  on  m'a  présenté  mi 
manuscrit  qui  traite  de  l'oraison  de  quiétude,  pour  en  obtenir  la  per- 


«Tfi  INSTRUCTION  SUR  LES  ET.VTS  D0R.\1S()N. 

mission  de  l'imprimer.  Il  s'y  est  U'ouvé  laul  de  propositions  dignes  de 
censure,  que  j'ai  refusé  celle  permission,  el  que  j'ai  releiiu  le  livre.  Je 
prévois  que  les  plumes  se  prép:ircnt  de  tous  côtés  lï  écrire  des  choses 
dangereuses.  Je  supplie  Votre  Sainteté  de  me  donner  les  lumières  el  les 
mojcns  qu'elle  jugera  à  propos,  afin  que  de  ma  part  je  puisse  aller  au- 
devant  des  plus  grands  scandales  qu'il  y  a  à  craindre  en  celte  ville  el 
dans  ce  diocèse.  Jt-  ne  j)uis  m'empécher  de  donner  encore  avis  à  Votre 
Sainteté  de  l'usagt'  de  la  conununion  journalière ,  introduit  ici  p  irmi 
les  laïques  même  mariés,  qui,  sans  foire  piuoitre  aucun  avancemenl 
dans  la  vie  spirituelle,  comme  ils  le  devroicut  néanmoins  en  s'appro 
chant  si  souvent  de  la  sainte  table ,  nou-s<^>ulement  ne  donnent  un 
cune  édiliealion,  m.us  au  contraire  heaiicoup  de  .scandale.  Aussi  Votre 
Sainteté  ne  peut-elle  ignorer  ce  qu'elle  a  ordonné  dans  son  décret  gé- 
néral, recommandant  parliculièremcnl  aux  confesseurs,  au  jugement 
desqiicis  doitèlrc  réglée  la  communion  jouruaUère  des  laïques  ,  qu'en 
la  permellanl  ilsse  soi.  ut  de  faire  voir  la  grande  prépa- 

ration «'l  la  grande  pi!  .    doit  apporter  au  saint  bantjuel. 

Et  néanmoins  l'expérience  ne  lail  voir  que  Uop  que  sans  avoir  aucun 
égard  aux  pieux  averlisscmens  de  Volie  Sainteté,  la  plupart  des  laïques 
fréquentent  tous  les  joure  la  sainte  communion,  dont  je  me  sens  obligé 
défaire  ma  plainte  h.  Voire  Sainteté  cumme  d'un  abus  manifeste,  au- 
quel je  la  supplie  d«'  me  pn-scrirc  un  remède  convenable  avec  ses 
ordres  particuliers  que  je  suivrai,  comme  la  guide  qui  me  doit  con- 
duire en  toute  sûreté  dans  le  gouvernement  d'  -  ni.-  vn  i.  >.î.  ;.•  ].  lis.- 
Irès-humblement  les  pieds  de  Votre  Sainteté. 

Siym',  le  cardinal  Caracciou. 


LKTTUi:  CIl'.Cl  l.Mlii: 

T)c  M.  le  rardiual  Cibo ,  é'rite  de  home  k  1j  frvricr  1C.H7  ,  u  Ions  les  Po- 
tentats, Eveques  et  Supérieurs  de  In  chrétienté,  par  l'ordre  de  la  Con- 
gréjation  du  sant  Ofjl'e:  traduite  de  l'italien. 

Illustrissime  etrévérendissime  Seigneur  et  Confrère.  La  saciéi-  Con- 
grégation ayant  été  informée  qu'en  divers  lieux  d'Ilidie  on  voit  s'éle- 
ver insensiblement,  el  que  même  il  y  en  a  déji  d'établies,  des  écoles 
ou  compagnies,  des  confréries  ou  assemblées ,  et  encore  sous  d'autres 
noms,  dans  des  églises,  dans  des  oratoires  el  dans  des  maisons  particu- 
lières, sous  prétexte  de  conférences  spirituelles,  les  unes  de  femmes 


CONDAMNATION  DES  QUIÉTISTES.  677 

seulement,  d'autres  crhommes,  ou  mêlées  des  deux  sexes;  dans  les- 
quelles certains  directeurs,  sans  aucune  expérience  des  voies  de  Dieu 
fréquentées  par  les  Saints,  et  peut-être  même  malicieux ,  feignant  de 
conduire  les  âmes  à  l'oraison,  qu'ils  nomment  de  quiétude  ou  de  pure 
foi  et  intérieure,  et  encore  sous  d'autres  noms  :  quoiqu'ils  semblent 
d'abord  parleurs  principes  mal  entendus  et  très-mauvais  dans  la  pra- 
tique, ne  proposer  autre  chose  que  la  perfection  la  plus  haute  en  toute 
manière  j  néanmoins  ils  insinuent  peu  à  peu  dans  les  esprits  simples 
des  erreurs  frès-grièves  et  très-pernicieuses,  qui  enfin  aboutissent  à  des 
hérésies  manifestes  et  à  des  abominations  honteuses,  avec  la  perte  irré- 
parable des  âmes  qui  se  mettent  sous  leur  conduite  par  le  seul  désir  de 
servir  Dieu,  comme  on  ne  sait  que  trop  qu'il  est  arrivé  en  quelques 
endroits.  Les  cardinaux  inquisiteurs  généraux  mes  confrères,  ont  jugé 
qu'il  étoit  à  propos  avant  toute  chose  de  vous  charger  par  celte  lettre 
circulaire,  adressée  à  tous  les  évèques  d'Italie,  de  faire  une  recherche 
exacte  de  touies  les  nouvelles  associations  semblables  à  celles-ci,  et 
différentes  de  celles  qui  se  sont  établies  ci-devant,  et  ont  été  de  tout 
temps  fréquentées  par  les  catholiques  ;  afin  que,  s'il  s'en  trouve  de  cette 
sorte,  vous  ayez  à  les  rompre  incessamment,  et  qu'à  l'avenir  vous  ne 
permettiez  l'établissement  d'aucune  ;  recommandant  parliculièrement 
aux  directeurs  des  consciences  démarcher  le  grand  chemin  de  la  per- 
fection chrétienne  sans  aucune  singularité;  et  ayant  surtout  un  très- 
grand  soin  qu'aucune  personne  suspecte  de  ces  nouveautés  ne  s'ingère 
dans  la  direction  des  religieuses,  ni  de  vive  voix  ni  par  écrit,  de  peur 
que  cette  peste  venant  à  gagner  dans  les  monastères,  ne  porte  la  cor- 
ruption parmi  les  Epouses  du  Seigneur.  En  remettant  le  tout  à  votre 
prudence,  nous  ne  prétendons  point  par  cette  ordonnance  provision- 
nelle, nous  ôfer  la  faculté  de  poursuivre  par  les  voies  de  la  justice, 
ceux  que  l'on  découvrira  coupables  de  ces  erreurs  insupportables.  Ce- 
pendant on  ne  cesse  de  travailler  ici  à  éclaircir  cette  matière,  afin  qu'en 
son  temps  on  soit  en  état  de  faire  connoitre  aux  chrétiens  les  erreurs 
qu'ils  auront  à  éviter.  Je  vous  souhaite  toute  sorte  de  prospérité.  A 
Rome,  ce  15  février  1687.  Votre  confrère  très-affectionné, 

Sicjné,  le  cardinal  Cibo. 


Erreurs  principales  de  la  nouvelle  contemplation  ou  oraison  de  quiétude  aussi 
traduites  de  l'iialien. 

■1.  La  contemplation,  ou  l'oraison  de  quiétude,  consiste  à  se  mettre 

en  la  présence  de  Dieu  par  un  acte  de  foi  obscure,  pure  et  amoureuse  ; 

-et  ensuite  sans  passer  plus  avant,  et  sans  écouter  ni  raisonnement,  ni 

image,  ni  pensées  aucunes ,  à  demeurer  ainsi  oisif  :  parce  qu'il  est 


«78  INSTUUrTIO.N  SLll  LES  LIAIS  1)  OKAlSnN. 

contre  la  révérence  qu'on  doit  à  Dieu  de  réiléror  le  pnnuier  acte  :  le- 
quel aussi  est  d'un  si  j?rand  mérite  et  valeur,  qu'il  contient  en  soi  à  la 
fois,  et  mùui»!  avec  encore  un  plus  prand  avantage  les  actes  de  toutes 
les  vertus,  et  dure  tout  le  temps  de  la  vie,  pourvu  qu'il  ne  soit  point 
rétracté  par  un  acte  contraire,  d'où  vient  qu'il  n'est  pas  nécessaire  de  le 
réitérer. 

'2.  Sans  la  contemplation  aidée  de  la  méditation  on  ne  peut  faire  un 
pas  à  1  '>n. 

3.  Li  •  i  ladoctrioe  même  théologique  et  sacrée  est  un  obs- 
tacle et  un  éloignemcnt  à  la  contemplation,  tic  laquelle  les  hommes 
doctes  ne  sont  point  capa!'-^  •'  Mi^'er,  mais  seulement  les  contempla- 
tifs eux-mêmes. 

4.  L  lu-  peut  I  jiir  la  Divinité  :  elles 
mysli'i'  ,  il  vie  cl  li  .  ion  de  noire  Sauveur 
ne  sont  point  des  sujets  propres  à  la  contemplation  ,  puisqu'au  con- 
traire ils  l'empêchent  :  c'fst  pourquoi  les  contemplatifs  doivent  s'en 
éloiiTMcr  Itt'.'uirniip  ol  no  Ii->;  cofisidt'nM"  qu'rn  fuyant. 

'  ii'nn(!nt 

p.i  ,  ,  I  par  la 

vie  oootemplative  que  par  la  vio  purgative  et  par  la  pénitence  :  les 
conteni   '  *'     '  '  '  t  «r  cl  même  mépriser  les  elTets 

de  la  li  ripiir,  les  larmes  et  les  conso- 

lations du  "-  de  la  eontfmjtlalion. 

6.  Lacoir  ,  i  .  ioil  s'arnMer  a  la  pure  es- 
sence de  Dieu,  •  des  Personnes  et  des  attributs  :  et  l'acte  tir 
foi  envers  Dieu  .i.n-.  ;  plus  parfait  et  plus  méritoire  que  celui 
qui  le  regarde  avfc  !  .nés  et  les  attributs,  étant  de  la  manière 
que  Jésus-Christ  r,'i  l'ii-Mifiue  lui-même  ;  joint  que  ce  seeond  acte  est  tiii 
obstacle  à  la  véritable  et  parfaite  contemplation  de  Dieu. 

7.  Dans  la  contemplation  déji\  acquise  l'ame  s'unit  À  Dieu  immé- 
diatement :  c'est  pourtpioi  toute  idée  ou  image  et  espèce  y  est  tout  à  fait 
inutile. 

5.  Tons  les  contemplalifs  dans  la  contemplation  actuelle  soulfrcnt  des 
peines  et  des  tourmens  si  griefs,  qu'ils  éLMlenl  et  même  surpassent 
ceux  des  martyrs. 

fl.  Dans  le  sacrifice  de  la  messe  et  aux  fete>  .1rs  N.mils,  il  vaut  mieux 
s'appliquer  à  l'acte  de  pure  foi  et  de  contemplation ,  iju'au  mystère 
même  du  sacrifice,  ou  aux  actions  et  circonstances  de  la  vie  des 
Saints. 

10.  La  Icchire  des  livres  spirituels,  la  prédication  ,  la  prière  vocale, 
l'invocation  des  Saints  et  autres  choses  semblables,  sont  un  obstacle  j\ 
la  contemplation  et  à  l'oraison  d'atrections,  à  laquelle  on  ne  doit  ap- 
porter aucune  préparation. 


I 


CONDAMNATION  DES  QUIETISTES.  679 

11.  Le  sacrement  de  pénitence  avant  la  sainte  communion  n'est  pas 
nécessaire  aux  âmes  intérieures  et  contemplatives,  mais  seulement 
à  celles  qui  sont  dans  la  vie  active  et  qui  s'exercent  encore  à  la  médi- 
tation. 

42.  La  méditation  ne  regarde  point  Dieu  avec  la  lumière  de  la  foi, 
mais  avec  la  lumière  naturelle ,  quoiqu'en  esprit  et  en  vérité  ;  aussi 
n'est-elle  d'aucun  mérite  auprès  de  Dieu. 

13.  Les  images,  non-seulement  intérieures  et  spirituelles,  mais  même 
les  corporelles  exposées  à  la  vénération  des  fidèles,  comme  sont  celles 
de  Jésus-Christ  et  de  ses  Saints,  font  un  grand  tort  aux  contemplatifs  ; 
c'est  pourquoi  il  faut  les  éviter ,  et  même  les  ôter  tout  à  fait,  de  peur 
qu'elles  n'empêchent  la  contemplation. 

14.  Celui  qui  s'est  une  fois  appliqué  à  la  contemplation  ne  doit  plus 
retourner  à  la  méditation,  parce  que  ce  seroit  aller  de  mieux  en  pis. 

lo.  Si  dans  le  temps  de  la  contemplation  il  survient  des  pensées  ter- 
restres et  animales,  il  ne  faut  prendre  aucun  soin  de  les  chasser,  ni 
recourir  à  aucune  bonne  pensée,  mais  au  contraire  prendre  plaisir  à 
ce  tourment. 

16.  Toute  action  ou  affection  intérieure,  bien  que  produite  avec  ré- 
flexion en  vue  de  la  foi  pure,  ne  peut  être  agréable  à  Dieu,  parce  qu'elle 
naît  de  l'amour-propre,  toutes  les  fois  qu'elle  n'est  pas  inspirée  par  le 
Saint-Esprit  avant  toute  application  et  toute  diligence  de  notre  part  ; 
c'est  pourquoi  dans  la  contemplation  ou  dans  l'oraison  d'affections,  il 
faut  demeurer  oisif  en  attendant  le  souffle  miraculeux  du  Saint-Esprit. 

17.  Toute  personne  étant  actuellement  en  contemplation  ou  dans  l'o- 
raison de  quiétude,  soit  religieux  ou  fils  de  famille,  ou  autrement  dans 
la  sujétion,  ne  doit  point  en  ce  temps-là  obéir  à  la  règle,  ni  accomplir 
les  ordres  des  supérieurs,  afin  de  ne  pas  interrompre  la  contemplation. 

18.  Les  contemplafifs  doivent  être  tellement  dépouillés  de  l'affecUon 
de  toutes  choses,  qu'ils  rejettent  loin  d'eux  et  méprisent  même  les  dons 
et  les  faveurs  de  Dieu,  et  perdent  jusqu'à  l'amour  des  vertus  :  enfin 
pour  se  dépouiller  plus  parfaitement  de  tout,  ils  doivent  faire  ce  qui 
répugne  même  à  la  modestie  et  à  l'honnêteté,  pourvu  que  ce  ne  soit 
pas  chose  expressément  contre  les  préceptes  du  Décalogue. 

19.  Les  contemplatifs  sont  quelquefois  sujets  à  des  transports  qui 
leur  ôtent  tout  usage  du  libre  arbitre,  tellement  qu'encore  qu'ils  tom- 
bent extérieurement  dans  des  péchés  très-griefs,  néanmoins  intérieure- 
ment ils  n'en  sont  aucunement  coupables  :  aussi  ne  se  doivent-ils  pas 
confesser  de  ce  qu'ils  ont  fait,  comme  on  le  prouve  par  l'exemple  de 
Job,  qui  en  disant  non-seulement  des  injures  au  prochain,  mais  encore 
des  blasphèmes  et  des  impiétés  contre  Dieu,  ne  péehoit  en  aucune  ma- 
nière, parce  qu'il  faisoit  tout  cela  par  la  violence  du  démon  :  or  ni  la 
théologie  scolastique  ni  la  morale  ne  sont  d'aucun  usage  pour  juger 


«/^O  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  DORAISON. 

de  ces  portes  délais  violens,  mais  il  y  faut  apporter  un  esprit  surna- 
turel qui  se  trouve  en  très-peti  de  personnes,  dans  lesqTielles  on  ne 
doit  point  juger  de  l'intérieur  par  l'extérieur,  mais  de  l'extérieur  par 
l'intérieur. 


CONDAMNATION  ni-   MOIJNOS. 

Malgré  les  S0ili>  il  n  >  ^m  r.m  Mili>  (jii  nli  Mtiii  tu  Miii  ,  i.i  iKHiNfllc 
ronteniplnlion  s'est  enseitMiri-  par  loulo  ritali»'.  Mirhil  de  Molinf>s, 
prêtre  du  •!  -  déféré  A  l'Inqui- 

sition de  H' ;  ,        ,  les,  eomme  l'un 

des  principaux  fauteurs  de  cette  hérésie,  fut  mis  dans  les  prisons  du 
saint  Oflice  le  i 8  juillet  IfiRo.  Son  prorès  y  a  été  instruit  avec  beaucoup 
do  maturité  :  et  enfin  après  être  domeuré  d'accord  di's  principaux 
chefs  d'nccusati'  avoir  reconnu  et  détesté 

ses  erreurs,  et  d  ,  -,  en  considération  de  sa 

repcnlancc  on  l'a  seulement  condamné  à  la  prison  perpétuelle  et  à  des 
pénitences'parliculiîres  par  sentence  des  cardinaux  inquisiteur  géné- 
raux dépulés  i\  cet  etTel,  nu  moi-*  d'août  de  l'année  H:87.  Tour  rendre 
plus  aulhenlique  la  condaninalion  de  tant  trernurs,  dans  le  niènn- 
temps  le  pape  Innocent  XI  a  fait  suivre  cette  scnli nrr  d  un  d(<  i«  t  dt 
l'Inquisition  et  d'une  buUc,  dont  voici  la  teneur. 


DÉCRI'T 

I)K  LINQUISITION  DE  RO.MK  CONTHE  MOLINOS, 

Trailutt  du  latin. 

Du  jeudi  ving-hnil  ;i<>rit  frST. 

Dans  la  Congrégation  générale  di-  la  y.innf  inqni'-iiioii  romaine  et 
universelle,  tenue  dans  le  p.^lais  apostolique  du  Monl-Qiiirinal,  (  n  pré- 
sence de  notre  trés-snint  Père  par  la  Providence  divine  le  pajie  Inno- 
cent XI,  et  des  éminrntissimes  et  révérendissimes  cardinaux  de  la  sainte 
Eglise  romaine ,  inquisiteurs  généraux  dans  la  république  chrétienne 
contre  la  contagion  de  l'hérésie ,  spécialement  députés  par  le  Sainl- 
Siége  apostolique. 


CONDAMNATION  DES  QUIÉTISTES.  681 

Pour  arrêter  le  cours  d'une  hérésie  très-dangereuse,  qui  s'est  répan- 
due en  plusieurs  parties  da  monde  au  grand  scandale  des  âmes,  il 
faut  que  la  vigueur  apostolique  s'anime,  afin  que  par  l'autorité  et  la 
sagesse  de  la  sollicitude  pastorale  l'audace  des  hérétiques  soit  abattue 
dès  les  premiers  efforts  de  l'erreur,  et  que  le  flambeau  de  la  vérité 
cathohque,  qui  brille  dans  la  sainte  Eghse,  la  fasse  voir  de  toutes  parts 
pure  de  l'horreur  des  fausses  doctrines.  Etant  donc  notoire  qu'un  en- 
fant de  perdition,  nommé  Michel  de  Molinos,  a  enseigné  de  vive  voix 
et  par  des  écrits  répandus  de  tous  côtés,  des  maximes  impies  qu'il  a 
même  mises  en  pratique,  par  lesquelles,  sous  prétexte  d'une  oraison 
de  quiétude  contraire  à  la  doctrine  et  à  la  pratique  des  saints  Pères 
depuis  la  naissance  de  l'Eghse,  il  a  précipité  les  fidèles,  de  la  vraie 
rehgion  et  de  la  pureté  de  la  piété  chrétienne,  dans  des  erreurs  très- 
grandes  et  dans  des  infamies  honteuses  :  notre  très-saint  Tère  le  Pape 
Innocent  XI,  qui  a  tant  à  cœur  que  les  âmes  confiées  à  ses  soins  puis- 
sent heureusement  arriver  au  port  du  salut,  en  bannissant  toute  erreur 
et  toute  opinion  mauvaise,  dans  une  affaire  si  importante,  après  avoir 
ouï  plusieurs  fois  en  sa  présence  les  éminentissimes  et  révérendissimes 
cardinaux  inquisiteurs  généraux  dans  toute  la  république  chrétienne, 
et  plusieurs  docteurs  en  théologie,  ayant  aussi  pris  leurs  suffrages  de 
vive  voix  et  par  écrit  et  les  ayant  mûrement  examinés,  l'assistance  du 
Saint-Esprit  implorée,  il  a  ordonn.'s  qu'il  procéderoit  comme  s'ensuit  à 
la  condamnation  des  propositions  ici  rapportées,  dont  Michel  de  Mo- 
linos est  auteur,  qu'il  a  reconnues  être  les  siennes,  qu'il  a  é;é  convaincu 
et  qu'il  a  confessé  respectivement  avoir  dictées,  écrites,  communiquées 
et  crues. 


PROPOSITIONS, 


1 .  Il  faut  s'anéantir  soi-même ,  et  le  reste ,  avec  les  propositiovs  sui- 
vantes,  jusqu'au  nombre  de  68,  dans  la  Bulle  d'Innocent  XI,  pag.  085,  où 
Von  renvoie  le  lecteur. 

Lesquelles  propositions  il  condamne,  note  et  etTace  comme  héréti- 
ques, suspectes,  erronées,  scandaleuses,  blasphématoires,  offensives 
des  pieuses  oreilles ,  téméraires ,  énervant  et  renversant  la  discipline 
chrétienne,  et  séditieuses  respectivement,  et  tout  ce  qui  a  été  dit,  écrit 
ou  imprimé  sur  ce  sujet  j  défend  à  tous  et  à  un  chacun  dorénavant,  en 
quelque  manière  que  ce  soit,  d'en  parler,  écrire,  disputer,  de  les  croire, 
retenir,  enseigner,  ou  de  les  mettre  en  pratique,  et  toutes  autres  choses 
semblables  :  quiconque  fera  autrement,  il  le  prive  actuellement  et  pour 
toujours  de  toute  dignité,  degré,  honneur,  bénéfice  et  office,  et  le  dé- 
clare inhabile  à  en  posséder  aucun  ;  il  le  frappe  aussi  de  l'anathème , 


682  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

dont  aucune  personne  inférieure  au  souverain  Pontife  ne  pourra  l'al)- 
soudre  sinon  à  l'heure  de  la  mort. 

En  outre  Sa  Sainteté  défend  et  condamne  tous  les  livres  et  toutes  les 
œuvres,  en  quelque  lieu  et  en  quelque  langue  qu'ils  soient  imprimés, 
aussi  tous  les  manuscrits  du  môme  .Michel  de  Molinos;  fait  défense 
qu'aucun  de  quelque  qualité  et  condition  qu'il  soit,  dùt-il  être  nommé 
à  cause  de  sa  dipnilé,  osc-  les  imprimer  ou  faire  imprimer  sous  quelque 
prétexte  que  ce  soit,  en  quelque  langue  que  ce  puisse  être,  d;ms  les 
mêmes  paroles  ou  semblables  ou  équivalentes,  sans  nom,  ou  sous  un 
nom  feint  et  emprunté;  ni  les  lire  ou  garder  imprimés  ou  manuscrits; 
ordonne  de  1.  Ire  les  mains  des  Ordinaires  des 

lieux  ou  des  I;  i,.s  portées  ci-dessus,  pour  être  à 

riuslaul  bmléii  a  leur  diligence. 

Lieu  •*- du  sceau       ^'y'"' >    Alexandre  Speroncs,   nolairc  de   la  sainte 

I  tn  Tin -it  I.  >M      liillllIIW     ff     III  ll\  l'I-Hl'tli' 

L'  t  iifflchi  <iux  parles 

àc  /  .  ;  ,1  lu.  télé  du  rhnmp 

de  Flure,  et  autres  tieiix  accoutumes  de  la  viHe,  par  moi  François  Perino, 

couiri'i  '1.  n,.  ,.'  K.,.,.f  />.,..,',/..  ;..  .,.,../.,  f., ....... ./,.... 

Iini>!iiiir  a  11. .air  i.l  a  ll.jicucc,  avec  ijcimiwauu  Je*  aupcricurs. 


CONDAMNATION  DES  QUIÉTISTES.  683 


BULLE  D'INNOCENT  XI 


MICHEL  DE  MOLINOS. 


Innocent,  Evêque,  serviteur  des  serviteurs  de  Dieu  :  à  la  mémoire 
perpétuelle  de  la  chose.  Le  céleste  pasteur  Notre-Seigneur  Jésus-Christ 
voulant  par  sa  miséricorde  ineffable  tirer  le  monde  des  ténèbres  et  des 
erreurs  où  il  étoit  enseveli  au  milieu  de  la  gentilité,  et  de  la  puissance 
du  démon,  sous  laquelle  il  gémissoit  depuis  la  chute  de  notre  premier 
père,  s'est  abaissé  jusqu'à  prendre  notre  chair  en  témoignage  de  sa 
cliarité  envers  nous,  et  s'est  offert  à  Dieu  une  hostie  vivante  pour  nos 
péchés,  ayant  attaché  à  la  croix  la  cédule  de  notre  rédemption.  Aus- 
sitôt prêt  à  retourner  au  ciel ,  laissant  sur  la  terre  l'Eglise  catholique 
son  Epouse,  comme  cette  sainte  cité  la  nouvelle  Jérusalem,  descendant 
du  ciel,  n'ayant  ni  tache  ni  ride,  étant  une  et  sainte,  entourée  des  armes 


DAMNATIO    PROPOSITIONUM 

MICBLiELIS  DE  MOLINOS. 


lunoceutius  Episcopus  servus  servorum  Dei  :  ad  peipetuam  rei  memoriam. 
Cœlestis  Pastor  Christus  Dominus,  ut  jacentem  in  teuebris  uiundum  variisque 
gentiiim  erroiibus  iavolutmn ,  à  potestate  diaboli,  ?ub  quà  miserè  post  lapsum 
primi  nostri  pareutis  tenebatur,  suà  iuefTabili  iniseratione  liberaret ,  carnem  su- 
mere ,  et  in  ligno  crucis  cbirographo  redemptionis  nostrae  affixo ,  in  testimo- 
nium  sufe  in  nos  chaiitatis,  sese  hostiam  viventem  Deo  pro  uobis  offerre  digua- 
tus  est.  Mox  rediturus  in  cœluin,  Ecclesiamcatholicam,  Sponsam  suam,tanquàm 
novam  civitatem  sanctam  Jérusalem,  descendeutem  de  cœlo,  non  habentemru- 
gam  neque  maculam,  unam  sanctamque  in  terris  relinquens,  armis  suée  poten- 


f)S4  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

de  sa  toute-puissance  contre  les  portes  de  l'enfer,  il  l'a  donnée  à  gou- 
verner au  prince  des  apôtres  et  à  ses  successeurs,  afin  qu'ils  gardassent 
saine  et  entière  la  doctrine,  qu'ils  avoient  apprise  de  la  bouche  de  leur 
Maître,  et  que  les  ouailles  rachetées  au  prix  de  son  sang  ne  retombas- 
sent point  dans  leurs  anciennes  erreurs  par  l'appât  des  opinions  dé- 
pravées, comme  nous  apprenons  dans  les  saintes  Ecritures  qu'il  a  re- 
commandé principalement  à  saint  Pierre.  Car  à  quel  autre  d'entre  les 
apôtres  a-t-il  dit  :  «Pais  mes  brebis  j  »  et  encore  :  «J'ai  prié  pour  toi, 
afin  que  ta  foi  ne  manque  point;  et  lorsque  tu  seras  converti,  fortifie  tes 
frères?  »  Aussi  nous,  qui  sommes  assis  dans  la  chaire  de  saint  Pierre  et 
revêtu  de  sa  puissance,  non  par  nos  mérites,  mais  par  le  conseil  impé- 
nétrable du  Dieu  tout-puissant,  avons-nous  toujours  eu  cette  sollicitude 
dans  l'esprit,  que  le  peuple  chrétien  gardât  la  foi  prôchéc  par  Jésus- 
Christ  et  par  ses  apôtres,  qui  nous  est  venue  par  une  tradition  cons- 
tante et  non  interrompue,  et  doit  durer  jusqu'à  la  fin  du  monde  selon 
sa  promesse. 

Comme  donc  il  a  été  rapporté  à  notre  apostolat  que  le  nommé  Mi- 
chel de  Molinos  a  enseigné  de  vive  voix  et  par  écrit  des  maximes  im- 
pies qu'il  a  môme  mises  en  pratique,  par  lesquelles,  sous  prétexte  d'une 
oraison  de  quiétude  contraire  à  la  doctrine  et  à  la  pratique  des  saints 
Pères  depuis  la  naissance  de  l'Eglise,  il  a  précipité  les  fidèles  de  la 
vraie  religion  et  de  la  pureté  de  la  piété  chrélienne  dans  des  erreurs 
très-grandes  et  dans  des  infamies  honteuses.  Nous,  qui  avons  tant  à 
cœur  que  les  âmes  confiées  à  nos  soins  puissent  heureusement  arriver 
au  port  du  salut,  bannissant  toute  erreur  et  toute  opinion  mauvaise, 
avons  ordonné,  sur  des  indices  très-certains  que  le  susdit  Michel  de 

tia;  contia  portas  inferi  circumvallatam,  Potro  apostolornm  principi ,  et  succes- 
soribus  cjus  regcndam  tratiidit;  ut  doctiiiiam  ah  ipsius  oie  haustain ,  sartam 
tectani(]ue  cuslodiiont.  ne  oves  pretioso  sanguine  suo  redoinpta»  piavarum  opi- 
nioniim  pabulo  in  anliquos  errores  reciderent  ;  quod  pia-cipuè  beato  Pelro  man- 
dasse, nos  saciœ  Liltciœ  docent.  Cul  enim  apostolorum  nisi  Petro  dixit  :  Pasce 
oves  méat  ;  et  inrsus  :  Ego  rofjmn  pro  te,  ut  non  deficiat  fides  tua  ;  et  tu  ali- 
quandà  conversus  confirnin  fruires  tuo\?  Quavo  nobis,  qui  non  nostiis  meritis, 
scd  inscrutabili  Dei  omnipotentis  consilio  ni  ojnsdeni  Pétri  cathedra  pari  potes- 
tatc  sedemus,  semper  fixum  in  anlino  fuit,  ut  popnlus  christian\is  eam  seclare- 
tur  fideni,  qutc  à  Chiijto  Domino  pcr  aposlolos  sues  [)erpeluà  et  nuuquàm  in- 
teriuptà  traditione  praîdicata  fuit ,  quamque  ipse  usque  ad  consummalionem 
sneculi  pcrninnsuram  esse  promisit. 

Cùm  igitur  ait  apostolatum  nostrum  relatiuu  fuis?et  qiiemdam  Micbaclem  de 
Molinos  prava  dogmala  tùm  verbo.  tùin  sciipto  docuisse,  et  in  praxini  deduxisse, 
quœ  prœle.xln  oialiouis  qnietis  contta  doctiinam  et  usum  à  sanclis  Patiibus  ab 
ipsis  uascenlis  Kcclesia)  piimordiis  receptum,  lideles  à  verà  religione  et  à  chris- 
tianîe  pietalis  puiitate  in  maximes  errcres  et  turiàssima  qnaeqiie  inducebant  ;  nos, 
cuicordi  semper  fuit  ut  tidelium  animœ  nobis  ex  alto  comu/issaB  ,  pmgatis  pra- 
■  varum  opiuionuni  erroiibus.  ad  oplalum  salulis  poitum  tutô  pcrveuire  possint, 
-legilimis  praecedenlibus  indiciis,  pra;dictum   Michaelem  de  Molinos  carceribus 


COi^■DAM^■ATiO^'  DES  QUIETISTES.  685 

Molinos  fût  mis  en  prison.  Ensuite  après  avoir  ouï  en  notre  présence 
et  dans  la  présence  de  nos  vénérables  frères  les  cardinaux  de  la  sainte 
Eglise  romaine,  inquisiteurs  généraux  dans  toute  la  république  chré- 
tienne députés  spécialement  par  autorité  apostolique,  plusieurs  doc- 
teurs en  théologie,  ayant  aussi  pris  leurs  suffrages  de  vive  voix  et  par 
écrit  et  les  ayant  mûrement  examinés,  l'assistance  du  Saint-Esprit  im- 
plorée, Nous  avons  ordonné  de  l'avis  commun  de  nos  susdits  frères , 
que  nous  procéderions,  comme  s'ensuit,  à  la  condamnation  des  pro- 
positions ici  rapportées,  dont  Michel  de  Molinos  est  auteur,  qu'il  a 
reconnues  être  les  siennes,  qu'il  a  été  convaincu  et  qu'il  a  confessé  res- 
pectivement avoir  dictées,  écrites,  communiquées  et  crues,  ainsi  au'il 
est  porté  plus  au  long  dans  son  procès  et  dans  le  décret  qui  a  été  fait 
par  notre  ordre,  le  28  août  de  la  présente  année  1687. 

PROPOSITIONS. 

1 .  Il  faut  que  l'homme  anéantisse  ses  puissances  :  c'est  la  voie  inté- 
rieure. 

2.  Vouloir  faire  une  action,  c'est  offenser  Dieu,  qui  veut  être  seul 
agent;  c'est  pourquoi  il  faut  s'abandonner  totalement  à  lui,  et  demeu- 
rer ensuite  comme  un  corps  sans  ame. 

3.  Le  vœu  de  faire  quelque  bonne  œuvre,  est  un  empêchement  à  la 
perfection. 

4.  L'activité  naturelle  est  ennemie  de  la  grâce;  c'est  un  obstacle  aux 
opérations  de  Dieu  et  à  la  vraie  perfection ,  parce  que  Dieu  veut  agir 
en  nous  sans  nous. 

mancipari  mandavimus.  Deindè,  coràm  nobis  et  veuerabilibus  fiatrilnis  nostris 
sauctae  roiuanœ  Ecclesise  cardiualibus,  iii  totà  repul^Iicà  clui^tianù  generalibus 
inquisitoribus,  apostolicà  auctoritate  speciabter  deputatis,  auditis  pluribus  in  sa- 
cra theologià  niagislris,  eorumque  suffiagiis,  tùm  voce,  tùm  sCiii)to  susceptis 
maturèquc  pcipeiiï^is,  imploralà  eliam  sancti  Spiritûs  asristenlià,  cum  pia;dicto- 
rum  fratruQi  nostrorum  unaniini  vole,  ad  damiiatioucin  iufrà  sciiplaruui  propo- 
sitionum  ejusdem  Micbaelis  de  Molinorf,  à  quo  fuerant  pio  suis  recognitae,  et  de 
quibus  propositiuiiibus  tanquàm  à  se  dictatis,  sciiptis ,  communicatis  et  creditis 
ipse  convictus  et  respective  confessus  fuerat ,  ut  latiùs  in  processu  et  decreto 
de  mandate  nostro  lato  die  28  augusti  anni  preesentis  1087,  deveuirc,  ut  iufrà, 
dccrevimus. 

PROPOSITIONES. 

1 .  Oportet  hominem  suas  potentias  anniliilare  :  et  hœc  est  via  interna. 

2.  VeUe  operari  activé  est  Deum  offendere,  qui  vult  esse  ipse  solus  agons;  et 
ideô  opus  est  seipsum  in  Dec  totum  et  totaliter  dcreliuquere,  et  posteà  perma- 
nere  velut  corpus  exaninie. 

3.  Vota  de  aliquo  facieudo  snnt  perfeclionis  impedimenta. 

4.  Activitas  uaturalis  est  gratia'  iiiimica,  impedilque  Dei  operationes  et  veram 
perfectionem,  quia  Deus  vult  operari  in  nobis  sine  uobis. 


686  INSTRUCTION  SUR  LES  KTATS  D'ORAISUN. 

5.  L'ame  s'anéantit  par  l'inaction  ;  retourne  à  son  principe  et  à  son 
origine,  qui  est  l'es-sence  divine,  dans  laquelle  elle  demeure  transfor- 
mée et  déifiée  :  alors  aussi  Dieu  demeure  en  lui-même,  puisque  ce 
n'est  plus  deux  choses  unies,  mais  une  seule  chose  :  et  c'est  ainsi  que 
Dieu  vit  et  règne  en  nous,  et  que  l'ame  s'anéantit  même  dans  sa  puis- 
sance d'agir. 

6.  La  voie  intérieure  est  celle  où  l'on  ne  connoit  ni  liniiière,  ni 
amour,  m  résignation  :  il  ne  faut  pas  même  connoilre  Dieu;  et  c'est 
ainsi  que  l'on  s  avance  à  la  perfection. 

7.  L'ame  ne  doit  penser  ni  à  la  récompense,  ni  ;\  la  punition,  ni  au 
paradis,  ni  h  l'enfer,  ni  j\  la  mort,  ni  A  réiernilé. 

H.  Kllf  ne  doit  point  désirer  de  «avoir  si  elle  marche  dans  la  volonté 
tic  Dieu  ,  ni  si  elle  y  est  as<-.  •  ou  non:  et  il  n'est  pas  besoin 

qu'elle  veuille  connoilre  sou  ..  ..  n  iM'iiur  iu'muI.  mi. ils  tllc  doit 
demeurer  comme  un  coqis  sans  vie. 

9j  L'ame  ne  se  doit  souvenir,  ni  d'eih  m. me,  m  de  Itiiu,  m  li  .m- 
cune  chose  :  car  dans  la  vie  intérieure  toute  réflexion  est  nuisible , 
même  relie  qu'on  fait  sur  ses  propres  actions  humaines  et  sur  ses  pro- 
pres défauts. 

iO.  Si  par  ses  propres  défauts  elle  scandalise  les  autres,  il  n'est  pas 
encore  m'.  "    '  '  i,  pourvu  qu'elle  ne  soit 

|)oint  dan  i  :  et  c'est  une  grande 

Kiace  de  Dieu ,  de  ne  pouvoir  plus  relkclur  sur  ses  propres  manque- 
inens. 

1 1 .  Dans  le  doute  si  l'on  est  dans  la  bonne  ou  dans  la  mauvaise 
voie,  il  ne  faut  pas  rèlléchir. 

.■;.  Nihil  i>iM'raii(lo  Jiiiima  so  anniliilal,  rt  ad  suiini  prifuipituu  redit,  ri  adRiinm 
orifinacin,  niici-  f•^l  i-s-o-iitui  I)»'i,  iit  ijnà  liuin-fiiin  nta  ninainl  ne  diviiii!».ita  :  et 
Dfiir.  tune  in  M-ipso  roninnrt,  (piia  lune  non  ^unt  ampliÙ!*  «inn'  irs  unil(r,!<pd  nna 
tantùni  :  et  liAe  lalione  vivil  Deus  et  legnnlin  noliix,  cl  nnitnn  hripi^om  luini- 
hilftl  in  p!*.<e  opi-rnlivo. 

(i.  \  ia  interna  •'.*l  illa,  in  qnà  non  cognoMritnr  ncc  Inmen.  nec  amor,  ncc  resi- 
gnatio;  et  non  opoilel  Deuni  oopiiosceie  ;  el  lior  nioilo  rccii'  proceditnr. 

7.  Non  delii't  nniina  cogiUire,  nt-c  de  lunniio,  nec  de  puiiilinne,  nec  do  para- 
diso,  nec  de  inferno,  nec  de  nioilr,  née  de  nleinilale. 

8.  Non  debel  velU'  pcirc,  an  gindiatnr  rnni  volnntatc  Dei ,  an  mm  eûdem  vo- 
luntale  n-signatn  nianeat,  mené;  me  njus  e?!  ni  velit  cognosecre  Hunni  Mahini, 
nec  pnipiiuni  niiiil,  ced  debel  ut  C4)i  pus  t-xaiiinie  nanerc. 

n.  N.m  il.  bel  anima  |•emiIli^ei ,  n<e  s-ul.  n«c  D<  i.  nec  cujnFcnmque  rei ,  el  in 
v\i\  inleinA  omni.'<  irdexio  est  nociva,  elinm  if  flexin  ad  pua.<*  luin.aiîa.-»  aciiones  el 
ad  proprios  defeclns. 

10.  Si  propiiis  defeclibus  alio?  scandalizet,  non  est  ncccsfaiium  renectere, 
dummodù  ni>n  ad^il  vuhuitas  t>caudidi/ audi  :  el  ad  proprios  defeclns  non  posse 
reneeleif,  ginlij»  I)eiesl. 

11.  A<1  dubia  cpio»  occurrunl,  an  rcclè  prcccdotur  nccnc,  non  «.tm*  r-l  reflee- 
tere. 


CONDAJINATION  DES  QUIÉTISTES.  687 

12.  Celui  qiii  a  donné  son  libre  ai-bilre  à  Dieu    ne  rf„!(  „.      ., 

souci  d'aucune  chose,  ni  de  l'enfer,  ni  du  parâdl    il  n^  f  ■'i  '  ™ 

aucun  désir  de  sa  propre  perfection    ni  des  verta     n  d^         '™"' 

cation,  ni  de  son  salut,  dont  il  doit  ,;erdre  lll^n'ec         ''  '"'""'" 

n.  Après  avoir  remis  à  Dieu  notre  libre  arbitre  il  lui' h„f,.     ■   , 
donner  tonte  pensée  et  tout  soin  de  tout  ce  ^0!  rèl,!^H         *™" 
soin  de  faire  eu  nous  sans  nous  sa  divine  voTon™        °      ''  ""''""=  '" 

14.  Il  ne  convient  point  à  celui  gui  s'est  résia-nA  •-.  ]-.  ^r.^     ,■  . 
de  lui  faire  aucune  demande,  par^e  c^el^lZntl^tf^^^^^^^^ 
tion,  étant  un  acte  de  propre  volonté  et  de  propre  choix    c'Pfi^f 
que  la  volonté  divine  soit  conforme  à  la  no^re     aussTcAfP  n     T  T 
l'Evangile  :  «  Demandez,  et  vous  rece^.ez"  n  a- t^^e  pa  lé  rH  '  '' 
Jésus-CMst  pour  les  âmes  intérieures  qui^'ont  poin^  drvoWé  V "' 
qu'enfin  ces  âmes  parviennent  au  point  de  ne  pouvoir  f^^^ '' 
demande  à  Dieu.  i  ue  ne  pou\oir  fane  aucune 

ne'dœf.r.'T-"^"'  i''"''  °'  ^'''  ^''''  '  ^^^^  '-^"«««e  demande    eUe 
ne  doit  aussi  Im  rendre  grâces  d'aucune  chose,  l'un  et  l'autrp T^.nf 
acte  de  propre  volonté.  .  i  un  et  i  autre  étant  un 

16. 11  n'est  pas  à  propos  de  chercher  des  indulgences  pour  rlimin 
les  peines  dues  à  nos  péchés,  parce  qu'il  vaut  m^eu'   sa^sfl.      i ' 
justice  de  Dieu  que  d'avoir  recours  ùTa  miséïLrd  el"n  v  nant  d 

u::i°:tr  T  '"^  •  ''  '''''''  '^  ^'^-°-  intéresse  de  nons  m  mes' 
aussi  est-ce  chose  qui  n'est  point  agréable  à  Dieu,  ni  d'aucuHnTft; 
devant  lui,  pmsque  c'est  vouloir  fuir  la  croix 
17.  Le  hbre  arbitre  étant  remis  à  Dieu  avec  le  soin  et  la  connois- 

12.  Qiii  suiun  liberum  arbitrium  Deo   donavit    dp  miliî  m  ^.k  * 
bere,  nec  de  inferno,  nec  de  paradL.o  •  nec  débet  il  f  ?  '"^^"^  ^^- 

perfectionis,  nec  vktutum,  nec  pron^fe  Lnrh'Lfl  '^^^^'^«""«^  >abere  propria. 
spem  purgare  débet.  ^  ^        -anctitatis,  nec  propnae  salutis,  cujus 

c.^L^StS:L^^Sr:;SSr^rSeS?\[^^         -V'^'^'o,  et 
iiam  voliintatem.  '  ^  ^^^'^  '"^°  o^bis  suam  divi- 

^^t^^^J^^I^^':^  r^^^'  ^'î  ^  ^eo  re.  aligna. 

et  est  veile  ïiuàd  divina  volSr  no^œ    o.t^ST ^U^^^         ''  l^'^'T'  ' 
et  accipietis.  non  e^t  dictum  \  Phri  tr.  *!^  l       '  ^'  "^"^  Evangelu  :  Petite 

n.  Trad,to  Deo  hbero  arb.tno,  et  eidem  reUclà  cura  et  cognitlone  a.im<e  00s- 


688  INSTRfCriU.N  SLR  LLS  LTATS  DOllAISON. 

sancc  ^e  notre  ame,  il  ne  faut  plus  avoir  aucune  peine  des  tentations, 
ni  se  soucier  d'y  faire  aucune  résistance,  si  ce  n'est  négative  sans 
aucune  autre  application  :  que  si  la  nature  s'émeut,  laissez-la  s'émou- 
voir, ce  n'est  que  la  nature. 

18.  Celui  qui  dans  l'oraison  se  sert  d'images,  de  liguri's,  d'idées,  ou 
de  ses  propres  couceplions,  n'adore  point  Dieu  en  esprit  v[  eu  vérité. 

19.  Celui  qui  aime  Dieu  à  la  manière  que  la  raison  prouve  qu'il  le 
faut  aimer  et  que  rentendemenl  le  conçoit,  n'aime  point  le  vrai  Dieu. 

20.  (/est  une  ignoraiicti  de  «lire  que  dans  l'oraisou  il  faut  s'aider  de 
raisonneuieus  et  <!  Hieu  ne  parle  point  i  lame  :  Dieu 
ne  parle  jamais;  -    ^                           'lion  :  et  il  agit  dans  l'ame  toutes 
les  fois  qu'elle  n'y  met  point  d'ol»slacle  par  ses  pensées  ou  par  ses  opé 
rations. 

21.  11  faut  dans  l'or-iison  «Irmcurer  dans  la  foi  obscure  et  univer- 
selle, en  (juiétut!  Mi  «le  toute  pensée  particulière,  même 
de  la  distinction  «.■  ■  Dieu  cl  de  la  Trinité  :  il  faut  demeurer 
ainsi  en  la  présence  de  Dieu  pour  l'adorer,  l'aimer  et  le  servir,  mais 
sans  produir.               lie,  parce  que  Dieu  n'y  prend  pas  plaisir. 

22.  Cette  »  •''»•  p^r  la  foi  n'est  p;is  un  acte  produit  par  la 
créature,  ujaisecsl  u  de  Dieu  à  la  créature, 
que  la  créature  ne  cou  ,  .  <l  qu'i  ti-iiito  elle  ne  con- 
noll  point  y  avoir  6t6  :  j'en  dis  autant  de  lamoui . 

23.  Ix's  ur  ■  '^ainl  Bernard  dans  l'i,  i, .  -iVs  solitaires, 
distinguent  .;                         ia  lecture,  la  mêdilatinn,  l'oraison  et  la  con- 

Irop,  non  e-t  auiiuiiis  tinh<'n>la  laii..  t'iitatiMinim  .  mr  ii-  ic-istcntia  flrri  «Icbftl 
nisi  ncj^aUva  nuUà  adtiibilA  in<lustriù  ;  et  fi  naliua  coniuu»v«>tiir,  npoiUH  sinert. 
quia  est  natuin. 

18.  (Jiù  in  oialionc  uUlur  iuiAfnnihus  ,  (]piiri.%  spcciebn»  et  proinii»  rnucepti- 
)iu.4,  non  oiioiat  Deiun  in  .<|)iritui!l  voritale. 

lî).  0">  anint  Deuu)  eo  iiiniln  qno  ratio  argumentai nr,  aiil  inlelieclu!*  ooinprr- 
j,P„,i,i    .  .1,    ,in;»t  vennu  Deuni. 

j  ipioil  in  oraUni*»  opus  est  sihi  prr  «Iisoui>«ni  nnxilinm  forreol  per 

cojii'.....   ..     .  ,uandô   l)ou<  nniniani  non  nlloipiitur  ,  ignoianlia  •••.l  :  Deiwnnn- 

qniun  loqnilnr  ;  ejus  lorulio  csl  npeialio  ;  »t  st-niper  in  aniniA  oporalur, 
quando  lnec  suii  dL*cursil»us ,  i-i>gitatii>nihus  et  upcratioiiiliii!<  euni  non 
imprilit. 

21.  In  orntionc  opus  est  nianere  in  lUlc  obàcurA  et  univer.»ali .  enm  quiète  el 
olilirion*»  onjiiiMMUiiipie  ropilalionis  pnrticiilai  i.'<  ac  ilislineUi>ni!«  iitliihiitornni  Dei 
ac  TrinilaU'»  ;  el  sir  in  l)ei  pne^mliA  nianere  n<i  illuni  aiioramlnin  el  aniainluni 
cit|uo  iuseï  viemluin.  »€t\  ab.->qne  prodiictiunc  aetuum,  ipiia  Deus  in  hi.*  sibi  non 
complncel. 

22.  Ci>gnilio  lia'c  por  lidcni  non  est  nrlu.«  h  rroalurù  prodiK-tus,  sod  est  roRiii- 
tio  à  Deo  c!'rnlina>  IradiU»,  qnain  rreolnia  se  babere  non  cugnorscil  ,  nec  poste* 
cognoseit  illnm  se  babni^se;  cl  id<-ni  dicitur  de  aiiiore. 

23.  .Mvsliri,  runi  suncto  Déniai  do  in  S«W  chiuslralium,  dislingnunl  quatuor 
gradut«  :  li-elioncm,  niedilationeni ,  oialioneui  cl  conlcniplaliouem  infuauui.  0>" 


CONDAiLNATlON  DES  QUIÉTISTES.  689 

templation  infuse.  Celui  qui  s'arrête  toujours  au  premier  échelon,  ne 
peut  monter  au  second  :  celui  qui  demeure  continuellement  au  second, 
ne  peut  arriver  au  troisième ,  qui  est  notre  contemplation  acquise , 
dans  laquelle  il  faut  persister  pendant  toute  la  vie,  si  Dieu  n'attire 
lame ,  sans  toutefois  qu'elle  le  désire ,  à  la  contemplation  infuse  :  la- 
quelle venant  à  cesser,  l'ame  doit  descendre  au  troisième  degré,  et  s'y 
fixer  tellement  qu'elle  ne  retourne  plus  ni  au  second  ni  au  premier. 

24.  Quelques  pensées  qu'il  vienne  dans  l'oraison,  même  impures 
ou  contre  Dieu  et  contre  les  Saints,  la  foi  et  les  sacremens,  pourvu  qu'on 
ne  s'y  entretienne  pas  volontairement ,  mais  qu'on  les  souffre  seule- 
ment avec  indifférence  et  résignation,  elles  n'empêchent  point  l'oraison 
de  foi,  au  contraire  elles  la  perfectionnent  davantage,  parce  qu'alors 
l'ame  demeure  plus  résignée  à  la  volonté  divine. 

25.  Quoiqu'on  soit  accablé  de  sommeil  et  tout  à  fait  endormi,  on  ne 
cesse  pas  d'être  dans  l'oraison  et  dans  la  contemplation  actuelle,  parce 
que  l'oraison  et  la  résignation ,  la  résignation  et  l'oraison  ne  sont 
qu'une  même  chose,  et  que  l'oraison  dure  tout  autant  que  la  résigna- 
tion. 

26.  La  distinction  des  trois  voies,  purgative,  illuminative  et  unitive, 
est  la  chose  la  plus  absurde  qui  ait  été  dite  dans  la  mystique  :  car  il 
n'y  a  qu'une  seule  voie,  qui  est  la  voie  intérieure. 

27.  Celui  qui  désire  et  s'arrête  à  la  dévotion  sensible,  ne  désire  ni 
ne  cherche  Dieu,  mais  soi-même  :  et  celui  qui  marche  dans  la  voie  in- 
térieure ,  fait  mal  de  la  désirer ,  et  de  s'y  exciter  tant  dans  les  lieux 
saints  qu'aux  fêtes  solennelles. 

semper  in  primo  sislit,  nimquàm  ad  secundum  pertrausit  :  qui  semper  in  secundo 
persistit,  nuuquùm  ad  tertium  pervenit,  qui  est  nostra  contemplatio  acquisita,  in 
quà  per  totam  vitam  persistendum  est ,  dummodô  Deus  animam  non  trahat 
(absque  eo  quôd  ipsa  id  expectet)  ad  contemplationem  infusam;  et  hâc  ces- 
sante, anima  regiedi  débet  ad  tertium  gradum,  et  in  ipso  permauere,  absque  eo 
quôd  ampliùs  redeat  ad  secundum  aut  piiumm. 

24.  Qualescumque  cogitationes  in  oratione  occurrant  etiam  impurœ ,  etiam 
contra  Deum,  Sanctos,  fidem  et  sacramenta,  si  voluntariè  non  uutriantur  ,  sed 
cum  indifferentià  et  resiguatione  tolerentur,  non  impediunt  orationem  fidei,  imô 
eam  perfectiorem  effîciunt ,  quia  anima  timc  magis  divinaî  voluntati  resignata 
remanet. 

23.  Etiamsi  superveniat  somnus  et  dormiatur  ,  nOiilomiuùs  fit  oratio  et  con- 
templatio actualis,  quia  oratio  et  resiguatio,  resignatio  et  oratio  idem  sunt;  et 
dùm  resignatio  perdurât,  perdurât  et  oratio. 

26.  Très  illce  viee,  purgativa ,  illiuuiuativa  et  uuitiva,  suot  absurdum  maxi- 
mum quod  dictiun  fuerit  in  mysticcà,  cùm  non  sit  nisi  unica  via,  scilicet  via  in- 
terna. 

27.  Qui  desiderat  et  amplectitur  devotionem  sensibilem ,  non  desiderat  nec 
quaerit  Deum.  sed  seipsum;  et  malè  agit  cùm  eam  desiderat  et  eam  habere  co- 
natur,  qui  per  viam  iuternam  iiicedit ,  tam  iu  locis  sacris  quàm  in  diebus  solem- 
uibus. 

TOM.    XVIII,  A-k 


600  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

28.  Le  dégoût  de  biens  spirituels  est  un  bien,  parce  qu'il  purilie  la- 
mour-propre. 

29.  Quand  une  ame  intérieure  a  du  dégoût  dos  entretiens  de 
Dieu  ou  de  la  vertu ,  et  quand  elle  est  froide  et  sans  ferviur ,  c'est  un 
bon  signe. 

30.  Toute  sensibilité  dans  la  vie  spirituelle  est  une  abomination,  sa- 
leté et  orduri'. 

31.  Aucun  contemplatif  ne  pratique  de  ^Taies  vertus  intérieures, 
parce  qu'tlles  ne  se  doivent  pas  connoitre  par  les  sens  :  il  faut  donc 
bannir  les  vertus. 

32.  Avant  ou  après  la  communion,  il  no  faut  aux  amos  intérieures 
d'autre  préparation  ni  action  de  grâces  que  de  demeurer  dans  la  rési- 
gnation passive  »'t  ordinaire,  parce  qu'elle  supplée  d'une  manière  j)lus 
parfaite  à  tous  les  actes  de  vertus  qui  .«-e  font  ou  qui  se  peuvent  f.iiro 
dans  la  voie  commune  ;  que  si  à  l'occasion  de  la  communion  il  s'élève 
dans  l'ame  des  senlimens  d'humiliation,  do  demande  ou  d'action  de 
grâces,  il  les  faut  réprimer  toutes  les  fois  qu'on  verra  qu'ils  ne  vien- 
nent point  d'imo  inspiration  particulière  de  Dieu  :  aulremenl  ce  sont 
des  émotions  do  la  nature  qui  n'est  pas  encore  morte. 

33.  L'ame  qui  marche  dans  celte  voie  intérieure ,  fait  mal  d'exciter 
on  elle  par  quelque  effort,  aux  fêtes  solennelles,  des  sontimons  do  dé- 
votion :  parce  que  tous  les  jours  de  l'ame  intérieure  sont  égaux  et  tous 
lui  sont  jours  de  fêtes  :  j'en  dis  autant  de*  lieux  sacrés,  car  tous  lea 
lieux  lui  sont  aussi  égaux. 

34.  Il  n'appartient  pas  aux  amcs  intérieures  de  faire  ù  Dieu  des  ao- 

28.  Tœdium  bononiiu  i^pirilualium  bouiun  c<>t,  siquidcm  purgattir  ainnr  pro- 
priu-H. 

'29.  Uriui  anima  interna  fa.>«ti(Hl  dUcursus  de  Deo  etvirtutes,  et  frigida  rcinn- 
uel,  nulluni  iu  seipsn  srnUi'iis  fcrvorem,  bonnm  sigiiuni  osL 

30.  ToUiin  sensibile  ijuod  oxperiuiur  iii  viW  spirilnali,  r.xl  alKiuiinabile,  spnr- 
cutn  et  iniimindiun. 

31.  Niillns  nii-iliUiUvtiH  veros  virlutcs  excrcct  internaa,  ipiaî  non  debent  ù  sen- 
eihus  coguosci  ;  opus  est  aniiltero  virtntes. 

32.  Nec  ante  m-c  po^l  coniiinniioneiu  olia  reipiiritur  pra>pnralto  anl  f^rntinnim 
nrlit»  pn»  islis  aiiv  '••■  ••  'riii-<  qn.'iin  pennanentin  in  !*olili\  resigiinlione  juis- 
sivA,  ipiin  modo  ^iipplit  omiiiM    aclns  viiliilnm   <pii  lnii  pos>unl  et 

linnl  in  viA  ordiu.k i    .  hùc  occosiono  cumnimiionis   ini^urgimt  moins  iiumi- 

lialionU ,  peliliunid  oui  graliarum  actionLs ,  reprimeudi  miiiI,  ipiotics  non 
iliK^it'î'fatur  0O8  esse  in  uiipuUu  s^peciali  Dei ,  aliù.*  sunt  impulî-us  nalnra*  iwin- 
<him  mortuie. 

33.  .Malè  agit  anima  quœ  procedit  per  banc  viam  mt(*mani ,  »ï  in  dit-bn»  so- 
lemnibuA  vull  ali<pio  cnnalu  ii.irlicMlari  rxcilare  jn  se  devotuni  aliipK'ni 
sensnm  ;  qnoniam  anima*  inlornip  umne^  ilies  sunt  «rquales  .  omnes  fcsiivi  : 
et  idem  dicitur  de  lucis  sacrln ,  quia  bujusmodi  aniniobus  omnia  loca  aM)ii.ilin 
.-nul. 

34.  Verbis  et  lingiiA  Deo  gralias  agore  nou  est  pru  oumiobuâ  iuloruis,  i\\iip  in 


1 


CONDAMNATION  DES  QUIÉTISTES.  691 

ions  de  grâces  en  paroles  et  de  la  langue  :  parce  qu'elles  doivent  de- 
meurer en  silence,  sans  opposer  aucun  obstacle  à  l'opération  de  Dieu 
en  elles  :  aussi  éprouvent-elles ,  à  mesure  qu'elles  sont  plus  rési- 
gnées à  Dieu,  qu'elles  peuvent  moins  réciter  l'Oraison  Dominicale  ou 
Notre  Père. 

35.  Il  ne  convient  point  aux  âmes  intérieures  de  faire  des  actions  de 
vertus  par  leur  propre  choix  et  leurs  propres  forces,  autrement  elles 
ne  seroient  peint  mortes  :  ni  de  faire  des  actes  d'amour  envers  la 
sainte  Vierge,  les  Saints  et  l'humanité  de  Jésus-Christ,  parce  qu'étant 
des  objets  sensibles,  l'amour  en  est  de  même  nature. 

36.  Aucune  créature,  ni  la  bienheureuse  Vierge,  ni  les  Saints  ne  doi- 
vent avoir  place  dans  notre  cœur,  parce  que  Dieu  veut  seul  le  remphr 
et  le  posséder. 

37.  Dans  des  tentations  même  d'emportement,  l'ame  ne  doit  point 
faire  des  actes  exphcites  des  vertus  contraires,  mais  demeurer  dans  l'a- 
mour et  dans  la  résignation  qu'on  a  dit. 

38.  La  croix  volontaire  des  mortifications  est  un  poids  insupportable 
et  sans  fruit  ;  c'est  pourquoi  il  faut  s'en  décharger. 

39.  Les  plus  saintes  actions  et  les  pénitenc^'es  que  les  saints  ont 
faites,  ne  sont  point  suffisantes  pour  effacer  de  l'ame  la  moindre 
attache. 

40.  La  sainte  Vierge  n'a  jamais  fait  aucune  action  extérieure,  et  néan- 
moins elle  a  été  la  plus  sainte  de  tous  les  Saints  :  on  peut  donc  parve- 
nir à  la  sainteté  sans  action  extérieure. 

4i.  Dieu  permet  et  veut  pour  nous  humilier,  et  pour  nous  conduire 
a  la  parfaite  transformation,  que  le  démon  fasse  violence  dans  le  corps 

sUentio  manere  debent  nuUum  Deo  impedimentinn  opponendo  ,  quod  operetu- 
milhs;  et  qx,o  magis  Deo  se  resignant,  experiuntur  se  non  po^se  OraUonem 
dommicam  seu  Pw/e/'Tîos^errecitare.  F-j--=.e  uiduonem 

35.  Non  convenit  animabus  hujus  vite  interne  quôd  faciant  operationes  etiam 
vntuosas  ex  piopna  electione  et  activitate;  aliàs  non  essent  mortuee  n^ 
debent  elicere  actus  amons  erga  beatam  Virginem,  Sanctos,  aut  humanitatem 
Cbiistij  çpna  cum  ista  sensibilia  simt  objecta,  talis  est  amor  erga  iUa 

^6.  iNuilacreatm-a,  nec  beata  Vii'go,  nec  Sancti  sedere  debent  in  nostro  corde 
quia  solus  Deus  vull  illud  occupare  et  possidere  ' 

37.  In  occasione  tentaUonum  etiam  furiosarum',  non  débet  anima  eHcere  actus 
explicites  vntutma  oppositarum,  sed  débet  in  supradicto  amore  et  résignations 
remanere.  c^'»""-'"^ 

38  Crux  voluntaria  mortificationum,  pondus  grave  est  et  infructuosimi  ideô- 
que  dimitteuda.  ' 

39.  Sanctiora  opéra,  et  pœnitentiae  quas  peregerunt  Sancti,  non  suffîciuut  ad 
removeudam  ab  anunâ  vel  imicam  adhœsionem. 

40.  Beata  Vii-go  nuUum  unquàm  opus  exterius  peregit ,  et  tameu  fuit  Sanc- 
exterSri     '  ''"'''^"'''  ''   '^"'"'  ""'^    ^^"^'itatem  perveniri  potest  absque    opère 

41.  Deus  permittit  et  vult  ad  nos  humiJiandos,  et  ad  veram  transformationem 


892  INSTRUCTION  SUR  LES  ETATS  DORAISON. 

à  certaines  âmes  parfaites,  qui  ne  sont  point  possédées,  jusqu'A  leur 
faire  commettre  des  actions  animales,  même  dans  la  veille  et  sans  au- 
cun trouble  de  resprit,enleur  remuant  réellement  les  mains  et  d'autres 
parties  du  coi-jjs  contre  leur  volonté  :  ce  qu'il  faut  entendre  d'autres 
actions  mauvaises  par  elles-mêmes,  qui  ne  sont  point  péché  en  cotte 
rencontre,  parce  qu'il  n'y  a  point  de  consi'ntemenl. 

42.  Ces  violences  à  des  actions  terrestres  peuvent  arriver  en  même 
temps  entre  deux  personnes  de  difTérent  sexe,  et  les  pousser  jusqu'<\ 
l'accomplissement  d'une  action  mauvaise. 

43.  Aux  siècles  passés  Dieu  faisoit  les  Saints  par  le  ministère  dos  ty- 
rans, maintenant  il  les  fait  par  le  ministère  des  démons,  en  excitant 
en  eux  ces  violences,  afin  qu'ils  se  méprisent  et  s'anéantissent  d'autant 
plus,  et  s'ahanilonnent  totalement  à  l)ieu. 

44.  Jol)  a  blasphémé,  et  cependant  il  n'a  point  péché  par  ses  lèvres, 
parce  que  c'étoit  imc  violence  du  ilémon. 

4.>.  Saint  Paul  a  ressenti  dans  son  corj>s  ces  violences  ilu  démon; 
il'oii  vient  (juil  a  écrit  :  o  Je  ne  fais  point  le  bien  que  je  veux,  mais  je. 
fais  le  n>al  que  je  hais.  » 

46.  Ces  violences  sont  plus  propres  à  anéantir  lame,  et  h  la  conduire 
à  la  parfaite  union  et  transformation  :  il  n'y  a  pas  même  d'autre  voie 
pour  y  parvenir,  et  celle-ci  est  la  plus  courte  et  la  plus  sûre. 

47.  Quand  ces  violences  arrivent,  il  faut  laisser  agir  Satan,  sans  y 
opposer  ni  efTort  ni  adressa',  mais  demeurer  dans  son  néant  :  et  quoi- 
qu'il s'en  ensuive  l'iUusion  des  sens,  ou  d'autres  actions  brutales,  et 

pertJtiCLMiilos  ,  (]uù(l  Ui  uluiuil>ii.'«  oiiiiiinhu.»  |t«.>rfectis  ,  etiiuii  iiuii  urrppliliii),  ilnv 
mon  vinlciilioin  iiirt'iat  lorum  r.n-]iiiiil»ii!',  r(i«t|iie  nrlii!»  laiiml-'s  (•oiiimitli'ro  fn- 
rml  etiaui  iu  vigiliA  <>t  sine  lui'iilis  i>n'ii>4-ati>>iic,  iiiuveiitlo  |ih\>i<'<'  illi^  iiiuiuis  et 
alin  in(?iiil>rn  «oiilrn  mniiii  voluntnlom  ;  rt  idfiu  dicilur  qtniad  illos  nclns 
ppr  se  piTcainiiKHos,    in  quo  casu   non  ."«unt  poccala,  quin  in    lii*  non  ndcst 

lOUSeUMIS. 

42.  Polest  dari  coiias  qiio  lnijn.<inodi  violcnlia?  nd  nctii»  onninlps  rontingnnt  eo- 
dcni  tcniporo  ex  parte  dnanun  per«onanmi,  srilioet  mari»  et  feinina>,  et  ex  parte 
utrin.^qne  sequatur  aetns. 

4.'}.  Dons  pnrteriliî  lemporilnis  Saiieto*  efllriid)»!  tyrannonnn  mini«teriii,  nniir 
verù  pos  l'fllril  sanclon  niiiii^ti^rii^  d.i'nionnni ,  qui  rausando  in  eis  pnedirla-s 
viulenlia-t,  facil  ni  illi  scipsos  ningi-t  despiciant ,  annihilent  et  .'<)-  Dec  resignent. 

44.  Joh  blu-ipliemavit,  et  tainen  non  peceavil  lal>ii.<  suis,  cpiia  Tnil  ex  (lirnioni^ 
violenliA. 

♦5.  Sanctnà  l*atilus  Inijnsniodi  «henioni:»  vioientia.>*  in  sno  corpore  iiassiin 
est  ;  nndè  scrip:*it  :  Son  quod  volo  honum  hoc  ago,  xed  quod  nolo  ma'un  hoc 
facin. 

40.  Hiijnsniodi  violentia"  snnt  médium  niagi:$  proportionatnm  ad  annihilanduui 
animam,  etad  eam  ad  veram  Iran-fonnationem  et  nnionem  pi-rduremlam  ;  nec 
alla  snperest  via,  et  li.Te  est  via  faeiljor  el  tntior. 

n.  Cnni  Inijn^nodi  violenliin  <i(«urrnnt  ,  sinere  oporlet  ut  Satanas  op'<relur, 
miUani  adliilx-ndti  indu-tlriam  nullinnque  propiium  eonaluni,  sed  perniaueie  do- 
bel  homo  in  suu  oihilo  :  cl  cliam^i  eioquautur  poUutione»  el  actu:<  obscœni  pro- 


CONDAMNATION  DES  QUIETISTES.  693 

encore  pis,  il  ne  faut  pas  s'inquiéter,  mais  rejeter  loin  les  scrupules, 
les  doutes  et  les  craintes ,  parce  que  l'ame  erx  est  plus  éclairée ,  plus 
fortifiée  et  plus  pure,  et  acquiert  la  sainte  liberté  ;  surtout  il  faut  bien 
se  garder  de  s'en  confesser,  c'est  très-bien  fait  de  ne  s'en  point  accu- 
ser, parce  que  c'est  le  moyen  de  vaincre  le  démon  et  de  s'amasser  un 
trésor  de  paix. 

48.  Satan,  auteur  de  ces  violences,  tâche  ensuite  de  persuader  à 
l'ame  que  ce  sont  de  grands  péchés,  afin  qu'elle  s'en  inquiète,  et 
qu'elle  n'avance  pas  davantage  dans  la  voie  intérieure  :  c'est  pourquoi 
pour  rendre  ses  efforts  inutiles,  il  vaut  bien  mieux  ne  s'en  point 
accuser,  puisqu'aussi  bien  ce  ne  sont  point  des  péchés ,  pas  même 
véniels. 

49.  Par  la  violence  du  démon  Job  étoit  emporté  à  des  excès  étranges, 
en  même  temps  qu'il  levoit  ses  mains  pures  au  ciel  dans  la  prière  : 
ainsi  que  s'explique  ce  qu'il  dit  au  chapitre  xvi  de  son  livre. 

nO.  David,  Jérémie  et  plusieurs  saints  prophètes  souffroient  ces  sortes 
de  violences  au  dehors  dans  de  semblables  actions  honteuses. 

ol.  Il  y  a  dans  la  sainte  Ecriture  plusieurs  exemples  de  ces  violences 
à  des  actions  extérieures,  mauvaises  d'elles-mêmes  :  comme  quand 
Samson  se  tua  avec  les  Philistins,  quand  il  épousa  une  étrangère  et 
qu'il  pécha  avec  Dalila;  choses  d'ailleurs  défendues  et  certainement 
péchés  :  quand  Judith  mentit  à  Holoferne  :  quand  Ehsée  maudit  les 
enfans  :  quand  Elie  fit  brûler  les  chefs  du  roi  Acliab  avec  leurs  troupes  : 
on  laisse  seulement  à  douter  si  cette  violence  venoit  immédiate- 
ment de  Dieu,  ou  du  ministère  des  démons,  comme  il  arrive  aux  autres 
âmes. 

priis  mauilius ,  et  etiam  pejora ,  nou  opiis  est  seipsum  inquietare ,  sed  foras 
emittendi  suut  scrupuli,  dubia  et  tiiuores,  cjuia  anima  fit  magis  ilkimiuata,  magis 
roborata  magisfpie  candida,  et  acquiritiir  sancta  libertas  :  et  prae  omaibus  non 
opus  est  hœc  eonfiteii,  et  sauctissimè  fit  non  confiteudo,  qiiia  hoc  pacto  supera- 
tm*  dœmou  et  accpiiiitur  thésaurus  pacis. 

48.  Satanas  qui  liujusmodi  violentias  iufert ,  suadet  demdè  gravia  esse  delicta, 
ut  anima  se  incpiietet,  ne  in  via  interna  ulteriùs  progrediatur  :  imdè  ad  ejus  vi- 
res enervandas,  meUùs  est  ea  non  coufiteri ,  quia  non  smit  peccata,  nec  etiam 
venialia. 

49.  Job  ex  violentià  daemonis  se  propriis  manibus  polluebat ,  eodem  tem- 
père quo  mimdas  habebat  ad  Demu  preces  :  sic  interpretando  locum  ex  capite 
Job  XVI. 

50.  David,  Jeremias  et  multi  ex  sanctis  prophetis  hujusmodi  violentias  patie- 
bantur  harimi  ùnpiu'arum  ôperationum  externarum. 

51.  In  sacra  Scripturà  multa  simt  exempta  violentiarum  ad  actus  externes  pec- 
caminosos  ;  ut  ilhidde  Samsoue,  qui  per  violentiam  seipsimi  occidit  cum  Phihs- 
thœis,  coujugiimi  iuut  cimi  aUenigenà ,  et  cum  Dahlà  meretricc  fornicatus  est , 
quse  aliàs  eraut  prohibita  et  peccata  fuissent  :  de  Judithà,  cpiae  Holoferni  mentita 
fuit  :  de  Elisteo,  qui  pueris  maledixit  :  de  Elià,  qui  combussit  duces  cum  turmis 
régis  Achab  :  an  vero  fuerit  violentià  immédiate  à  Deo  peracta ,  vel  ministerio 
dœmonimi  nt  aliis  auimabus  coutingit,  in  dubio  relinquitur. 


694  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

o2.  Quand  ces  sortes  de  violences,  même  honteuses,  arrivent  sans 
trouble  de  l'esprit,  alors  l'ame  peut  s'unir  ù  Dieu,  comme  en  effet  elle 
s'3'  unit  toujours. 

33.  Pour  connoître  dans  la  pratique  si  quelque  action  dans  les  autres 
personnes  vient  de  cette  violence,  la  règle  que  j'en  ai  n'est  pas  seule- 
ment tirée  des  protestations  que  ces  âmes  font  de  n'avoir  pas  consenti 
à  ces  violences,  ou  de  ce  qu'il  est  impossible  qu'elles  jurent  faussement 
de  n'y  avoir  pas  consenti,  ou  de  ce  que  ce  sont  des  âmes  avancées  dans 
la  voie  intérieure  ;  mais  je  la  prends  bien  plutôt  d'une  certaine  lumière 
actuelle,  supérieure  à  toute  connoissance  humaine  et  théologique,  qui 
me  fait  connoitre  certainement  avec  une  conviction  intérieure  que  telle 
action  vient  de  la  violence  :  or  je  suis  certain  que  cette  lumière  vient 
de  Dieu,  parce  qu'elle  me  vient  jointe  à  la  conviction  que  j'ai  qu'elle 
est  de  Dieu;  de  sorte  qu'elle  ne  me  laisse  point  l'ombre  du  moindre 
doute  au  contraire  :  de  même  qu'il  arrive  quelquefois  que  Dieu  révé- 
lant quelque  chose  i  une  ame,  il  la  convainc  en  même  temps  que  la 
révélation  vient  de  lui,  de  sorte  qu'elle  n'en  peut  avoir  aucun  doute. 

o4.  Les  spirituels,  qui  marchent  dans  la  voie  commune,  seront  bien 
trompés  et  bien  confus  à  la  mort,  avec  toutes  les  passions  qu'ils  auront 
à  purifier  en  l'autre  monde. 

00.  Par  cette  voie  intérieure  on  parvient,  quoiqu'avec  beaucoup  de 
peine,  à  purifier  et  ù  éteindre  toutes  les  passions;  de  sorte  qu'on  ne 
sent  plus  rien,  quoi  que  ce  soit,  pas  le  moindre  aiguillon  :  on  ne  sent 
pas  plus  (le  révolte  que  si  le  corps  étoit  mort,  et  l'ame  n'est  plus  sujette 
à  aucune  émotion. 

56.  Les  deux  lois  elles  deux  convoitises,  l'une  de  l'ame  et  l'autre  de 

52.  Cùm  hujusinodi  violentiae  etiara  impurse  absque  montis  otTuscalione  acci- 
dunt,  tuuc  anima  Deo  potest  nniri,  ut  fie  facto  semper  unitnr. 

53.  Ad  coguoscemliun  lu  piaxi  au  aHipia  operalio  in  aliis  persouis  fuerit  vio- 
lentia,  régula  quani  de  hoc  tiabeo,  uedùm  snnt  proleslatioues  auiinariun  iiliarum 
quae  proteslautur  se  dictis  violenliis  non  cousensisse ,  aut  juiare  non  posse  quôd 
non  his  conscuserint,  et  videre  quod  sint  aninue  quai  pioliciunl  ia  via  interna; 
sed  regidani  sumere  alumine  quodam  acluali,  cognitioiie  Inunanà  et  llicologicâ 
superiorc,'quod  me  certô  cognoscere  facit  cuni  interna  cerlitudine  ,  quôd  talis 
operalio  est  violenlia  :  et  certus  sum  quôd  lioc  lumen  à  Deo  procedil,  quia  ad 
me  pnivenit  coujunctum  cum  certiludiue  quôd  à  Deo  proveniat,  et  niihi  nec 
lunbram  dubii  relinquit  in  contrarium  :  eo  modo  quo  inlerdùm  contingit,  quôd 
Deus  aliquid  revelaudo,  eodem  lenipore  auimam  cciiam  reddit  (piùd  ipse  sil  qui 
revelet,  et  anima  in  contrarium  non  polesl  dubllare. 

54.  Spiriluales  viee  ordinariiB  in  horà  raoïtis  se  delusos  iuvenieut  et  confusos, 
cum  omnibus  passionibus  in  alio  mundo  purgandis. 

55.  Per  banc  viamintcrnam  peivenitur,  elsi  multà  cum  sufferenlià,  ad  [jurgan- 
das  et  extinguendas  omnes  passiones,  ila  quod  nibil  ampliùs  senlitur,  niiiil,  niliil  : 
nec  ullrà  sentilur  inquietudo,  sicut  corpus  uiorluum  ;  nec  anima  se  ampliùs  com- 
moveri  sinit. 

50.  Duœ  loges  el  duaî  cupidilates,  animai  una  et  amoris  proprii  altéra  ,  landiù 


CONDAMNATION  DES  QUIETISTES.  69^ 

amour -propre ,  subsistent  autant  que  règne  l'amour-propre  :  c'est 
)ourquoi  quand  une  fois  il  est  épuré  et  mort,  comme  il  arrive  dans  la 
foie  intérieure,  alors  aussi  meurent  les  deux  lois  et  les  deux  convoi- 
ises  ;  on  ne  fait  plus  aucune  chute,  on  ne  sent  aucune  révolte,  et  il  n'y 
i  plus  même  de  péché  véniel. 

57.  Par  la  contemplation  acquise  on  parvient  à  l'état  de  ne  plus  faire 
mcun  péché,  ni  mortel  ni  véniel. 

58.  On  acquiert  cet  état  en  ne  faisant  plus  aucune  réflexion  sur  ses 
ictions,  parce  que  les  défauts  viennent  de  la  réflexion. 

59.  La  voie  intérieure  n'a  aucun  rapport  à  la  confession,  aux  confes- 
seurs, aux  cas  de  conscience,  à  la  théologie,  ni  à  la  philosophie. 

60.  Dieu  rend  la  confession  impossible  aux  âmes  avancées,  quand 
[ine  fuis  elles  commencent  à  mourir  aux  réflexions,  ou  qu'elles  y  sont 
tout  à  fait  mortes  :  aussi  y  suppléé-t-il  par  une  grâce  qui  les  préserve 
autant  que  celle  qu'elles  recevroient  dans  le  sacrement  :  c'est  pourquoi 
en  cet  état  il  n'est  pas  bon  que  ces  âmes  fréquentent  la  confession , 
parce  qu'elle  leur  est  impossible. 

61.  Une  ame  arrivée  à  la  mort  mystique  ne  peut  plus  vouloir  autre 
chose  que  ce  que  Dieu  veut,  parce  qu'elle  n'a  plus  de  volonté  et  que 
Dieu  la  lui  a  ôtée. 

62.  La  voie  intérieure  conduit  aussi  à  la  mort  des  sens  :  bien  plus, 
une  marque  qu'on  est  dans  l'anéantissement  qui  est  la  mort  mystique, 
c'est  que  les  sens  extérieurs  ne  nous  représentent  pas  plus  les  choses 
sensibles  que  si  elles  n'étoient  point  du  tout,  parce  qu'alors  elles  ne 
peuvent  plus  faire  que  l'entendement  s'y  applique. 

perduiaut,  quaiKliù  perdurât  amor  proprius  :  undè  quaudô  purgatus  est  et  mor- 
tuu?,  ut  lit  per  viam  internam,  non  adsuiit  ampliùs  dute  ilkB  leges  et  duae  cupidi- 
tates,  nec  ulteriùs  lapsus  aliquis  iiicurritur,  nec  aliquid  seutitur  ampliùs,  ne  qui- 
dem  veniale  peccatum. 

57.  Per  contemplationem  acquisitain  pervenitur  ad  statum  uon  fuciendi  ampliùs 
peccata  uec  mortaliaiiec  venialia. 

;58.  Ad  hujnsmodi  statum  pervenitur  non  reflectendo  ampliùs  ad  proprias  ope- 
rationes,  quia  defectus  ex  reflexione  oriuntur. 

59.  Via  interna  sejuucta  est  à  confession e,  à  confessariis ,  à  casLbus  conscien- 
tiœ,  à  tlieologià  et  à  philosophià. 

60.  Aniiuabus  provectis,  quae  reflexionibus  mori  incipiunt,  et  eô  etiam  perve- 
niunt  ut  sint  mortuœ,  Deus  confessionem  aliquandô  efticit  impossibilem  ,  et  sup- 
plet  ipse  tantà  gratià  préBservante  quantam  in  sacramento  reciperent  ;  et  ideô 
liujusmodi  animabus  non  est  bonum  in  tali  casu  ad  sacramentum  pœnitentiae  ac- 
cedere,  qma  id  est  illis  impossibile. 

6t.  Anima  cùm  ad  mortem  mysticam  pervenit  ,  non  potcst  ampliùs  aliud  velle 
quàm  quod  Deus  vult,  quia  non  habet  ampliùs  volunlatem,  et  Deus  eam  illi  abs- 
tulil. 

02.  Per  viam  internani  pervenitur  etiam  ad  mortem  sensuûm  ,  quinimô  signum 
quod  quis  in  statu  nihilitatis  maneat,  id  est  mortis  mysticcD,  est  si  sensus  exterio- 
res  non  représentent  ampliùs  rcs  sensibiles  ac  si  non  essent,  quia  non  perveniunt 
ad  faciendiun  quod  inteUectus  ad  eas  applicet. 


«96  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D'ORAISON. 

63.  Par  la  voie  intérieure,  on  parvient  ;\  un  état  toujours  fixe  d'une 
paix  imperturbable. 

01.  Un  théologii-n  a  moins  de  disposition  qu'un  idiot  ;\  la  contem- 
plation :  \"  parce  qu'il  n'a  pas  une  foi  si  pure;  2"  qu'il  n'est  pas  si 
humble;  S»  qu'il  n'a  pas  tant  de  soin  de  son  salut;  4*»  parce  qu'il  a  la 
tôtc  pleine  de  rêveries,  d'espèces,  d'opinions  et  de  spéculations;  de 
sorte  que  la  vraie  lumière  n'y  trouve  point  d'entrée. 

65.  Il  faut  obéir  aux  supérieurs  dans  Us  clioses  extérieures;  le  vœu 
d'obéissance  des  religieux  ne  s'èlend  qu'aux  choses  de  cette  nature  : 
mais  pour  l'intérieur,  il  en  est  tout  autrement;  il  n'y  a  que  Dieu  seul 
et  le  directeur  qui  en  f  il. 

66.  C'est  uuf  dfjcthii'  ■  dans  l'Eglisc  et  digne  de  risée,  qut 
les  âmes  dans  U-ur  intérieur  doivent  être  pouvcrnées  par  les  évèques; 
et  que  l'évèque  en  éliinl  incapable,  elles  doivent  se  présenter  i\  lui 
avec  leurs  directeurs  :  c'est,  dis-je,  une  doctrine  nouvelle,  puisqu'elle 
n'est  ens.  "  l  "  les,  ni  dans  K-s  ca- 
nons, m  ^  ir  aucun  auteur,  et 
qu'elle  ne  le  peut  être;  l  hglise  ne  jugeant  pouit  des  choses  cachées,  et 
toute  amc  ayant  droit  île  .se  choisir  qui  l>on  lui  S4*m!)lc. 

67.  C'est  une  tromperie  manifeste  «le  dire  qu'ouest  obligé  de  décou- 
vrir son  inlé 

de  ne  le  poiii: 

et  que  l'on  fait  un  très-grand  (ort  aux  âmes  par  ces  illusions  et  ces  dé- 
gui  semens, 

68.  Il  n'y  a  d:ins  le  monde  ni  autorité,  ni  juridiction  qui  ait  droit 

63.  P(T  viani  inlcrnaiii  i>crwiiittir  ad  bloluni  riidUnuuui  iiiuuobtlcni  iu  parc 
imp-'Hurbahili. 

Vt\.  Tln-ol'ipiis  minoroni  iti~pt.qti.-in. m  IiaVi>''t  .[n^ni  Imnin  nifH- ad  -Infitm  i-m'- 
l(^in|>l<ilivi  :  l"  quia  non  li 
3»  quia  ncm  aili-o  rural  |> 

tosninlilius,  s|Hrifijut<,  upintoniliup,  ^pi-t uLtlionilMi-  ;  cl   iivu  puU:»l  ui  lUuui  in 
grodi  vcniiîi  Iniin'ii. 

65.  |'r:i  ii'i'''  l•'li^i<>- 
»orunî  t.i  11  SI-  lialiil, 
quo  mollis  li<  u                        iiili.iul. 

66.  IUhu  liii.'  i  i|ua-(lani  «loclriiia  in  EccJoiiià  Dci,  (pi6d  anima  qnoa<l 
intrrnum  ffulxiiau  'Iclii-al  ab  fpisropo  ;  qnôd  si  fpb^opns»  non  .xit  c;ipa\,  anima 
ipsum  cuni  [suo  din-rtorc  adoal  :  novain  diro  dortrinani,  qnia  ni-c  sacra  bciip- 
lura,  nvc  ntnrilia,  iht  oannnos  ,  ncc  huila-.  ;  '■  iioe  auctoros  «(un  un- 
quàm  Iradidi-runl  nrc  Irailcre  possunl  ;  (piia  1  jndical  di-  occidli^,  ri 
aninia  ju.-«  ha)»  '  •  '         '  '|uonicunii|uo  Mhi  bcn*'  vi~inii. 

CI.    I)ircr«'  iiMin  nuiiiifi>tnndiini  rsl  oxleiioii   liihurall  pi.'i  popilc- 

ruin,  ri  qiiod  p. , .  .inim  «il  id  non  fareic.  t'A  uianif<'!>la  liecrplin,  <piia  I  cclcsia 
non  judiraldf  orculUs,  pI  propriis  aiiiniahus  prajutlicant  his  dfreplionibus  pI  s»i- 
mulalionihus. 

08.  In  nuindo  non  ct^l  fucultas  nrr  jurisdiclio  od  prffnpii-ndnni  nlnianiftjMiuUii 


1 


CONDAMNATION  DES  QUIÉTISTES.  697 

d'ordonner  que  les  lettres  des  directeurs  sur  l'intérieur  des  âmes  soient 
communiquées  :  c'est  pourquoi  il  est  bon  qu'on  soit  averti  que  c'est 
une  entreprise  du  démon. 

Lesquelles  propositions,  de  l'avis  de  nos  susdits  frères  les  cardinaux 
de  la  sainte  Eglise  romaine,  et  inquisiteurs  généraux,  nous  avons 
condamnées,  notées,  et  effacées,  comme  hérétiques,  suspectes,  erro- 
nées, scandaleuses,  blasphématoires,  offensives  des  pieuses  oreilles, 
téméraires ,  énervant  et  détruisant  la  discipline  chrétienne ,  et  sédi- 
tieuses, respectivement;  et  pareillement  tout  ce  qui  a  été  publié  sur  ce 
sujet,  de  vive  voix,  ou  par  écrit,  ou  imprimé  :  avons  défendu  à  tous  et 
à  un  chacun  de  parler  en  aucune  manière,  d'écrire  ou  disputer  de  ces 
propositions  et  de  toutes  autres  semblables,  ni  de  les  croire,  retenir, 
enseigner,  ni  de  les  mettre  en  pratique  :  avons  privé  les  contrevenans 
dès  à  présent  et  pour  toujours  de  toutes  dignités,  degrés,  honneurs, 
bénéfices  et  offices,  et  les  avons  déclarés  inhabiles  à  en  posséder  ja- 
mais ,  et  en  même  temps  nous  les  avons  frappés  de  l'anathème ,  dont 
ils  ne  pourront  être  absous  que  par  nous  ou  nos  successeurs  les  pon- 
tifes romains. 

En  outre  nous  avons  défendu  et  condamné  par  notre  présent  décret, 
tous  les  li\Tes,  et  tous  les  ouvrages  du  même  Michel  de  Molinos,  en 
quelque  lieu  et  en  quelque  langue  qu'ils  soient  imprimés,  même  les 
manuscrits,  avec  défense  à  toute  personne  de  quelque  degré,  état  et  con- 
dition qu'il  puisse  être,  et  quoique  par  sa  dignité  il  dût  être  nommé, 
d'oser   sous    quelque  prétexte    que   ce  soit  les   imprimer   en  toute 

epistolse  directoris  qiioad  internimi  animée,  et  ideô  opus  est  animadvertere  quôd 
hoc  est  insiûtus  Satanse. 

Quas  quidem  propositiones  tancpiàm  liaereticas,  suspectas,  erroiieas,  scandalo- 
sas,  blasphémas,  piarmn  am-iiim  offensivas,  temeraiias,  chiistiaufe  discipUnte  re- 
laxativas  et  eveisivas  ,  et  seditiosas  respective  ,  ac  quœcimique  super  ils  verbo, 
scripto,  vel  typis  emissa,  pariter  cum  voto  eorumdem  fratrum  uostrorum  S.  R.  E. 
Cardinahum,  et  luquisitorum  generaliimi  damaavmius,  circumscripsimus  et  abo- 
levimus  ;  deque  eisdern  et  simUibus  omnibus  et  siugulis  postliàc  quoquo  modo 
loquendi,  scribendi,"  disputandi,  easque  credeudi,  tenendi,  doceudi,  aut  in  praxim 
reducendi  facultatem  quibuscumque  interdixmuis,  et  contra  facientes  omnibus  di- 
gnitatibus,  gradibus,  honoribus,  beneficiis  et  ofBciis  ipso  facto  perpétua  privavi- 
mus,  et  inhabiles  ad  quœcumque  decreviuius,  vinciiloque  etiam  anathematis  eo 
ipso  imiodavimus  ,  à  quo  nisi  à  nobis  et  à  Romanis  Pontifîcibus  successoribus 
nostris  valeant  absolvi. 

Prsetereà  eodem  nostro  decreto  prohibuimus  et  daniuavimus  omnes  libres,  om- 
niaque  opéra  quocumque  loco  et  idiomate  impressa,  necnon  omnia  manuscripta 
ejusdem  Alichaehs  de  MoUnos,  vetuimusque  ne  quis,  cujuscumcpie  gradùs,  condi- 
tionis,  vel  status,  etiam  spécial!  nota  dignus,  audeat  sub  quovis  prœtextu,  quoli- 
bet pariter  idiomate,  sive  sub  eisdern  verbis  ,  sive  sub  œqualibus  aut  fequipoUen- 
tibus,  sive  absque  nomine,  seu  ficto,  aut  alieno  nomine  ea  imprimere,  vel  imprimi 


098  I.NSTKUCTION  SUR  LES  ÉTATS  DORAISON. 

langue,  dans  les  mêmes  termes,  ou  en  de  semblables,  ou  équivalens, 
ou  sans  nom  ,  ou  sous  un  nom  feint  et  emprunté  ;  ni  les  faire  impri- 
mer, ni  même  les  lire  ou  retenir  chez  soi  imprimés  ou  manuscrits; 
mais  de  les  porter  aussitôt  cl  de  les  mettre  entre  les  mains  des  Ordi- 
naires des  lieux  ou  des  inquisiteurs  contre  le  venin  de  l'hérésie ,  sous 
les  peines  portées  ci-dessus,  avec  ordre  de  les  brûler  à  la  diligence  des- 
dits Ordinaires  ou  Inquisiteurs.  Enlin  pour  punir  le  susdit  Michel  de 
Molinos  de  ses  hérésies .  erreurs  et  faits  hontoux  ,  par  des  chûlimens 
proportionnés  qui  servissent  d'exemple  aux  autres,  et  ;\  lui  de  correc- 
tion ,  lecture  faite  de  tout  son  procès  dans  notio  congrégation  susdite , 
ouis  nos  trè-chers  fils  les  consultcurs  du  saint  Office ,  docteurs  en 
Ihéol  i:nun  de  nos  vénérables 

fiéit  -  .  i  romaine  :  Nous  avons 

condamné  dans  toutes  les  formes  de  la  justice  ledit  Michel  de  Molinos, 
eomme  coupable ,  convaincu ,  et  après  avoir  avoué  respectivement ,  et 
comme  hérétique  «léclaré,  quoique  repentant,  A  la  peine  d'une  étroite 
el  p,  iros  qu'il  sera  tenu  d'ac- 

coiiii.  !ion  suivant  le  formu- 

laire qui  lin  .s«>ra  prescrit  :  ordonnant  qu  au  jour  et  à  l'heure  marqués, 
dans  l'église  de  Sainte-Marie  de  la  Minerve  de  cette  ville,  en  présence 
de  tous  nos  vénérables  frères  les  cardinaux  de  la  sainte  Eglise  ro- 
maine, prélats  de  notre  Coi  1'"  tout  le  peuple  qui  y  sera  invité 
par  la  concession  des  indu  'la  lue  d'im  lieu  élevé  la  teneur 
du  procès,  le  métne  Michel  de  Molmos  étant  debout  sur  un  éehafaud, 
ensemble  la  sentimcc  qui  s'en  est  ensuivie  :  et  après  que  ledit  de  Mo- 
linos revêtu  de  l'habit  île  pénitent,  aura  abjuré  publiquement  les  erreurs 
et  hérésies  susdites,  nous  avons  donné  pouvoir  A  notre  cher  fils  le  com- 

fnrere,  nr.;  i  mnnn.^rripl.'i  l<'(;''n',  vol  ..•  lin.i- 

rii--»  liworir  pravilalii*  lii<liii-iit.>rili<i*   -:  .'nii.' 

tcnrantiir  :>ul»  tir-leu»  \nv\\in  siipnii'i»  iiinii-tis.  qui  Or.!un:ii  il  liniui-iU'ics  -l  itiin 
ea  iRiii  roniburaMt.  vcl  r.iinhuri  farianl.  TiUi-ieiii.  ni  pin'ilirliM  Mirlinel  de  Moli- 
no!»  oli  li.i-rosi'-  t  liirpia  faclft  pnedirta  del.r  in  ali.iniiu  exciii- 

plimi.  ol  ip-'i"-  :i(Mn  |ilerlorf«liir,  lerln  in  r  i  n<>iif?ropaliiiiir 

tntn  pro<-  .  Ulu  diWlis  (ilii  le  lnqiii!'Ui«'nis. 

Offirii  in  -  M  et  iii  juiv  p.  nn.l.Mn  vriu-ialii- 

rnini  Kmliuia  n..-lr.>riiin  S.  H.  K.  Cni  .im  lui'n  niiiiiiiiu  \.'i.,.  lin-liim  Micliarlnu 
de  Molinos.  Inmpiain  reimi  convicluiu  cl  r..iif.',.»Miiii  respeclivè,  et  iiU  hjerelinim 
fnrmali'iii  lic.«l  pfriiilcnteinin  pfriiiun  arrii  .1  pripr-lui  rarroris,  et  ad  perag.iidar* 
nlia.-»  pœiiileiitiiu»  sahitnre:»,  pr;evii\  taiiicii  alijuiaiionr  de  f.inuali  por  iiii'Uiiniiiil- 
teiidà.  r<.'ival  >  juds  ordiof,  ilamiiaviimis  :  maiidanU^:»  iit  die  et  liorA  pr.TliRi'iidis 
iii  ecrl.-*i,\  SaneUr  Maii.T  supia  Miii'TV.nn  ImjiH  alina>  iirl)is,  prteai'iilibus  om- 
niliiH  v.-iicrahilibus  fraliibtis  uosliis  S.  H.  K.  Cardiiialibus ,  et  roinana'  CuriiB 
noatrfP  Priplali-i,  univ.Tsoqiie  populo  ad  id  etiam  per  conce-sionem  iiidulgenlia- 

rum  .•nnvMCftiido  ,   ex  allô  lonor  proorisiV-*  ,  .étante  in  sujzg.'sb d.Mii  Michaelo 

de  Moliiio^  mil  cmn  senlonliA  iiulè  si-riitA  legerelur  :  cl  poslipiàiii  id.'in  de  Mo- 
liooâ,  liubitu  pœoilculiaî  iuJutos,  prtediclos  crrorcs  elhuireses  publiée  abjurasset. 


CONDAMNATION  DES  QUIÉTISTES.  699 

raissaire  de  notre  saint  Office,  de  l'absoudre  en  la  forme  ordinaire  de 
l'Eglise,  des  censures  qu'il  avoit  encourues  :  ce  qui  auroit  été  accompli 
en  tout  point,  en  exécution  de  notre  ordonnance  du  3  septembre  de  la 
présente  année. 

Et  quoique  le  susdit  décret  fait  par  notre  ordre,  ait  été  imprimé, 
publié  et  affiché  en  lieu  public  pour  l'instruction  plus  ample  des  fidèles; 
néanmoins,  de  peur  que  la  mémoire  de  celte  condamnation  aposto- 
lique ne  s'efface  dans  le  temps  à  venir,  et  afin  que  le  peuple  chrétien 
instruit  de  la  vérité  catholique,  marche  plus  sûrement  dans  la  voie  du 
salut,  en  suivant  les  traces  des  souverains  Pontifes  nos  prédécesseurs, 
par  notre  présente  constitution  qui  sera  à  jamais  en  vigueur,  nous  ap- 
prouvons de  nouveau  et  confirmons  le  décret  susdit,  et  ordonnons 
qu'il  soit  mis  à  esécufion  comme  il  le  doit  être,  condamnant  en  outre 
définitivement  et  réprouvant  les  propositions  susdites,  les  livres  et  ma- 
nuscrits du  même  Michel  de  Molinos,  dont  nous  interdisons  et  défen- 
dons la  lecture,  sous  les  mêmes  peines  et  censures  portées  et  inffigées 
contre  les  contrevenans. 

Ordonnant  au  surplus  que  les  présentes  lettres  auront  force,  sont  et 
seront  en  vigueur  perpétuellement  et  à  toujours,  sortiront  et  auront 
leur  plein  et  entier  effet  :  que  tous  juges  ordinaires  et  délégués,  et  de 
quelque  autorité  qu'ils  soient  ou  puissent  être  revêtus,  seront  tenus  de 
juger  et  déterminer  conformément  à  icelles,  tout  pouvoir  et  autorité  de 
juger  ou  interpréter  autrement  leur  étant  ùtés  à  tous  et  à  chacun  d'eux; 
déclarant  nul  tout  jugement,  et  comme  non  avenu,  sur  ces  matières  à 

facultatem  dedimus  dilecto  filio  nostrisancti  Officii  commissario,  ut  eum  à  censuris, 
quibus  irmodatus  erat ,  la  forma  Ecclesiab  cousuetà  absolveiet;  quœ  omnia  in 
executionem  dictée  nostrte  ordiualiouis  die  tertià  septeiubris  labentià  anui  solem- 
niter  adim[ileta  suut. 

Et  licèt  suprà  uarratiim  decretum  de  mandato  nostro  latuin,  ad  majorein  fide- 
lium  cautelam  typis  editum,  publicis  locis  affixum  et  divulgatum  fuerit,  uiliilo- 
miaùs,  ne  hnius  apostolicae  damnatiouis  memoria  fuiuris  tempoiibus  deleii  possit, 
utque  populus  christiauus  calbolicà  vei  itate  iustvuclior  per  viam  saluUs  iucedere 
valeat,  praedecessorum  uostroiimi  sumniorum  Pontificuni  vestigilà  inhaerentes; 
hàc  nostrà  perpétué  valilurà  coQslituiioae  supradictum  decretum  denuô  appro- 
bamus,  contirmamus,  et  debilœ  executioui  tradi  maudamus  ;  ilerùm  supradictas 
propositiones  defiuilivè  damnantes  et  i-eprobautes,  librosque  et  mauuscripta  ejus- 
dem  Micbaelis  de  iMolinos  prohibeutes  et  interdiceutes  sub  eisdem  pœnis  et 
censmis  contra  trausgressores  latis  et  inÙictis. 

Decernentes  insuper  praeseutes  Utteras  semper  et  perpetuô  validas  et  efficaces 
existere  et  fore,  suosque  plenarios  et  intègres  effectus  sortiri  et  oblinere  :  sicque 
per  quoscimique  ordinal  ios  et  delegatos  quàvis  auctoi itate  fungentes  et  functu- 
ros,  ubique  judicari  et  detiniri  debeie,  sublatà  eis,  et  eorum  cuilibet,  quàvis  aliter 
judicandi  et  interpretaudi  i'acultale  et  auctoritate  ;  ac  irritum  et  tuaue  quidquid 
secùs  super  bis  à  quoquam  quàvis  auctoritate  scienter  vel  ignoranter  contigerit 


700  INSTnUGTlON  SUR  LES  ÉTATS  DORAISON. 

ce  contraire,  de  quelque  personne  et  de  quelque  autorité  qu'il  vienne, 
sciemment  ou  par  it^norance.  Voulons  que  foi  soit  ajoutée  aux  copies 
des  présentes  même  imprimées  ,  soussignées  de  la  main  d'un  notaire 
public,  et  scellées  du  sceau  d'une  personne  constituée  en  dignité  ecclé- 
siastique ,  comme  on  l'auroit  i\  ces  mômes  lettres  représentées  en  ori- 
ginal. Ouil  ne  soit  donc  permis  h.  aucun  homme  par  une  entreprise 
téméraire,  <le  vioh-r  ou  de  lir  au  contenu  de  noti^e  présente 

approbation,  eonlirmation,  ■  .  ition,  réprobation,  punition,  ilé- 

cret  et  volonté.  Que  celui  qui  osera  l'entreprendre,  sache  qu'il  s'attirera 
l'indignation  du  Dieu  tout-puissant  et  des  bienheureux  ap»*>trcs  saint 
Pierre  et  saint  Paul.  l»onné  à  Uome,  iï  Sainte-Marie  Majeure,  le  vinplième 
novembre,  l'an  mil  six  cent  fpiatre-\  :  nation  de  No- 

tre-Seifîncur ,  et  1<;  douzième  de  noli.    ,  ^  ^      I'.  Mataihk.  Et 

plus  bas,  J.-l .  AiiîvM.  Kcgislrëe  au  sccrélarial  des  brefs,  etc. 

Vita  de  eurid.  S.  DK  PlLASTRls.  D.  CUMPlNt'S. 
Loco  t  plumbt. 

I/an  de  Nolre-Seigncur  Jésus-Christ  mil  six  cent  quatre-vingt-huit, 
indiction  onzième,  le  tl»  février;  et  du  ponliMeal  tle  notre  saint  Père  le. 
Pape  par  la  l'rovidence  divin»*  Innocent  XI,  l'an  douzième,  les  présentes 
lettres  apostoliques  ont  êlè  pulibèes  et  aHlchées  aux  portes  de  l'église 
de  Saint  Jean  de  Latran,  ilo  la  basilique  de  Saint-Pierre  et  de  la  chan- 
cellerie apostolique,  et  i\  la  léte  «lu  champ  de  Flore,  et  aux  autres  lieux 
accoutiunés  de  la  ville,  par  moi  Fr.r  î'    ino,  courrier  de  notre 

saint  Père  le  Pape  et  de  la  très  sainli   ,  ;i. 

nltiMilnri.    Vuliiinu-   .ml.iii  .    ni   iii.i'-i  iiliiiiii  lian-iimi  II-  cli.iui  iinim'  -i- ,   ni. mu 
noinrii  pnlilioi 
coiit^filntT  mm 

riitrii"  m   liiiiiiitiiiiii   li- 

Cfftl  !  ititini.'*,  roprnlin- 

liDllir.,  |iw.  I  II  itii-.li  |i-iiii>rari  I  colitrà 

in*.  Si  ijMi  1  Jinrifif»  luiiiiiiidlj-nlis  l)ci, 

iir  heatiiriiin    !'•  tu   ri    l'.mli    .i,....l..l..i  uni  ini.    Dntiliii 

Hoiiinv  (i|iiiil  s    Mnriitni  Mnjiiicm,  aiiint  1:  ...  -iiin»  srx- 

cnnl.  liiiio,  <lii  i(li-ciiiu>  Kal.  il.  i . mliu- ,  l'uiiUinuili'is  nnslii 

uurii'  ifs.J.  F.  .VLiiAMS.HcBi-linttt  in  SecrctnriA  Brcvitiiii. 

Vixa  de  curid  S.  DE  Pilastbis.  D.  Ciamimms. 
Loco  f  phunlii. 

Aiinn  il  Nalivtlnle  Oomini  no.-<ln  Jesu  Chrisiti  uiillt-s^imn  8excfnU*simo  ortiia- 
gi'«im<>  i>rlnv(i,  iiiilirliiin*>  uiuK-riniA ,  ilif  vrro  19  fi«liriiarii ,  pontidonlt'is  niiti'iii 
HaiH'tiH-iiiii   iii  Cliii.->t<i   l*Htii.-«  I>.  N.  D    Innoce.ntii  diviiiA  Providcntii)  Papa-  .\l  , 

aiiiiu  fjus  .! I.  .  1! .1.-,  ni.  .   liii : -L.lica'  aflixie  et  |.i.l.li.  .ii.i    in.'innt 

tu\  viilv.i-  .  IJa-ilic.-r  |>iiii<  i 

et  Cmicfil.i  ,  ,       ,  .   ,  .  1.   ..[•,  et  aliit*  locis -.  1  'i 

orbid,  per  tue  Francucum  Periuutn  bS.  D.  N.  Papœ  et  »anclL».sim(e  lQquisiti<)iii!> 

pursoreiu. 


CONDAALNATIOX  DES  QUIÉTISTES.  701 


DECRET 

DE    L'INQUISITION   DE    ROME, 

EXTRAIT  DU  LATIN. 

Du  jeudi  5  février  1688. 

11  porte  condamnation  de  divers  omTages  des  quiétistes,  et  en  par- 
ticulier de  ceux  de  Benoit  Biscia,  prêtre  de  la  congrégation  de  l'Ora- 
toire de  la  ville  de  Fermo  on  Italie  ;  ensemble  d'une  feuille  volante  im- 
primée en  françois  sous  ce  titre  : 

Propositions  tirées  des  livres  et  autres  écrits  du  docteur  Molinos,  chef 
dei  quiétistes,  condamnées  par  la  sainte  Inquisition  de  Rome. 

Ce  décret  est  scellé ,  et  a  été  publié  et  affiché  selon  la  coutume ,  le 
27  février  1688. 


AUTRE  DECRET 

DE    LA    M  Ê  ]\I  E    INQUISITION, 

EXTRAIT  DU  LATIN. 
Du  jeudi  1"  avril  1688. 

Entre  plusieurs  livres  des  quiétistes,  qui  y  sont  condamnés,  on  y  voit 
les  suivans. 

Pratique  facile  pour  élever  l'ame  à  la  contemplation  ,  en  deux  parties; 
par  François  Malaval,  laïque,  aveugle  :  traduite  du  françois  en  italien, 
par  dom  Lucio  Labacci,  prêtre  romain. 

Alphabet  pour  savoir  lire  en  Jésvs-Christ ,  composé  par  Fr.-Jean  Fal- 
coni,  de  l'ordre  de  Notre-Dame  de  la  Mercy  :  traduit  de  l'espagnol  en 
italien  :  avec  un  abrégé  de  la  vie  de  l'auteur,  et  une  de  ses  lettres  écrite 
à  l'une  de  ses  dévotes. 

Autre  lettre  du  même  auteur  à  l'une  de  ses  filles  spirituelles,  touchant 
le  plus  pur  et  le  plus  parfait  esprit  de  l'oraison,  traduite  de  l'espagnol 
en  italien. 

Autre  du  môme  à  un  religieux ,  sur  l'oraison  de  pure  foi ,  aussi  tra- 
duite de  l'espagnol  en  italien. 

Ce  décret  est  scellé,  et  a  été  pulDlié  et  affiché  le  3  avril  1C88. 


702  INSTRUCTION  SUR  LES  ÉTATS  D  ORAISON. 


AUTRE  DIXRET 

I»r     I    \     .MKME     INQL  ISITIdN 
EITHAIT   DU   LATIN. 

Da  jeudi  9  septembre  IGSS. 

La  sacHi'  (.nnf^ègation  défond  et  condaniiif  les  livres  qiir  voici. 

Il  y  en  a  plnsii-tirs  de  diverses  malièrrs,  dont  celui-ci  seul  a  rapport 
à  la  contemplation  : 

Orationis  vient alts  Analysis ,  deque  variis  ejtuilem  speriebus  jndicium  ex 
divini  verbi ,  sanctorumve  Patrum  sententiit  concintia'um  :  per  Putran 
D.  Fratiritrum  la  Conihe  Tf  ■      '  <<utn .  conyretja- 

tiouis  elenrorurn  rfgulariunt  ...  .Virn/aum  Uya- 

ciulhutu  M  art  un,  typf>g.  Epifc.  lii^ti. 

Analyse  de  l'oraison  mentale,  par  le  Pt'Te  la  C.onibe. 

Ce  décret  est  scellé  ,  et  a  été  publié  et  afUché  selon  la  coutume ,  le 
4  septembre  1088. 


Al   illE  Dl.l.ilKT 

I>  1.    LA     Mf.MF.    I.NOflSITION, 

F.XTBAIT  Df  LATIN. 

Du  mardi  30   novembre  1C89. 

I^  sacrée  Congrépation  défend  et  condamne  les  livres  que  voici. 

Lr  chrétien  intérieur,  ou  la  ronformtfé  mléneure  que  les  rhri^liens  doi- 
vent avoir  avec  Jésru-Christ ,  traduit  du  françois  en  italien  par  le  .sieur 
Alexanjlre  Cenami,  prieur  de  Saint-Alexandre  de  Lucrpies. 

Ili'gle  de  perfection,  qui  contiait  en  abré'jé  toute  la  vie  spirituelle,  réduite 
an  seul  point  de  li  volonté  divine,  divisée  en  trois  parties;  par  le  l'ère 
Henoit  df  Canfeld,  capucin  anglois;  et  traduite  du  françois  en  italien. 
A  Viterbe,  1687. 

Moyen  court  et  tréi- facile  pour  l'oraisnn,  que  tous  peuvent  pratiquer  trt's- 
aisément,  et  arriver  par  là  en  peu  à  une  houle  perfection.  A  Grenoble,  168;). 

Jléglc  des  assoaéi  à  l'enfance  de  Jésus  :  Modèle  de  perfection  pour  tous 
les  états.  A  Lyon,  1683. 


CONDAMNATION  DES  QUIÉTISTES.  703 

Lettre  d'un  serviteur  de  Dieu  (Falconi)  à  une  personne  qui  aspire  à  la 
perfection  religieuse. 

Il  contient  plusieurs  autres  livres,  sur  la  nouvelle  contemplation,  en 
italien  ou  en  espagnol,  imprimés  dans  la  plupart  des  villes  d'Italie. 

Ce  décret  est  scellé,  et  a  été  publié  et  affiché  à  l'ordinaire  les  jour  et 
an  que  dessus. 


AUTRE  DECRET 

DE    LA    MÊME    INQUISITION, 

EXTRAIT  DU  LATIN  , 

Oit  sont  condamnés  les  livres  suivons. 

Du  mercredi  19  mars  1692. 

Œuvres  spirituelles  de  M.  de  Bernières  Louvigny ,  d'où  a  été  tiré  le 
Chrétien  intérieur,  ou  la  guide  sûre  pour  ceux  qui  aspirent  à  la  perfection, 
en  deux  parties  :  traduites  du  françois  en  italien. 

Recueil  de  diverses  pièces  concernant  le  quiétisme  et  les  quiétistes , 
ou  Molinos  et  les  disciples.  A  Amsterdam,  1688. 

Trois  lettres  touchant  l'état  présent  d'Italie,  écrites  en  1688  :  1 ,  sur 
Molinos  et  ses  quiétistes  :  2 ,  sur  l'inquisition  et  l'état  de  la  religion  : 
3,  sur  la  politique  et  les  intérêts  des  princes  d'Italie.  A  Cologne ,  1688, 
et  autres  ouvrages  imprimés. 

Scellé,  affiché  et  publié,  les  jour  et  an  que  dessus. 

Voilà  les  actes  qu'on  a  pu  avoir  de  différens  endroits ,  pour 
composer  ce  recueU.  Ils  sont  ici  apportés  par  manière  de  récit, 
afin  qu'on  voie  ce  qui  s'est  passé  par  toute  la  chrétienté,  et  sur- 
tout à  Rome,  dans  l'afTaire  du  quiétisme.  Pendant  qu'on  en  ache- 
voit  l'impression,  on  a  appris  la  mort  de  Molinos  arrivée  dans 
sa  prison  le  29  décembre  dernier ,  après  avoir  reçu  tous  ses  sa- 
cremens  avec  beaucoup  de  marques  de  repentir. 

FIN  I)U  DIX-HUITIÈME  VOLUME, 


I 


TABLE 

DES  MATIÈRES  CONTENUES   DANS  LE  DIX-HUITIÈME  VOLUME. 


RECUEIL  DE  DISSERTATIONS  ET  DE  LETTRES 

CONCERNANT   l'N    PUOJtT  DE  liÉrMON   DES  PROTESTANS   d'aLLEMAGNE  DE  LA  CONFESSIO^I 

d'aU(JSBOURG, 

A    l'église    catholique. 

Suite  de  la  pi^emière  partie. 

DE    PROFESSORIBUS   CONFESSIOMS  AUGUSTAN^ 

AD  REPETE>DAM  L'NITATEM  CATHOLICAM  D1SP0NE^D^S. 

Admonitio  ediloris Pag.  1 

Pk.«;fatio.  De  verâ  ralione  ineundae  pacis,  deque  duobus  postulatis  noslris.  3 

PARS  PRIMA.  —  Caput  I.  De  primo  poslulalo  nostro 4 

Caput  II.  Spreto  nostro  postulato,  ac  suspensis  Trideutinis  aliisqiie  ab 
annis  ferè  mille  decrelis,  an  primoruin  quatuor  vel  quiuque  sseculorum 

tutior  futura  sit  auctoritas? G 

Caput.  111.  An  tulior  ac  facilior  fulura  sit  pax,  si  hœreauius  articulis  quos 

fundamenlales  vocant 7 

Caput  IV.  Uuà  iuterrogaliunculà  res  tota  Lransigitur 7 

Caput  \' .  Concilii  Tridenliui  in  bàc  tractatione  quis  unus  fulurus  sit?  .     .  7 

PÂRSSECUNDA.  De  altero  postulato  nostro,  sive  de   via  declaratoria 

ET   EXPOSITORIA. 

Pr^.fatio.  Quaedam  prœmiltuntur  de  Lutherauorum  libris  symbolicis  : 

Controversiarum  arliculi  ad  quatuor  capila  reducuntur 0 

Caput  1.  De  justiflcatione,  eique  connexis  articulis 10 

Art.  1.  Quôd  juslifi.catio  sit  gratuita 10 

Art.  II.  De  operibus  ac  meritis  justificalionem  consecutis 12 

Art.  III.  De  promissione  gratuita,  deque  perfectione  atque  acceptatione 

bonorum  operum 1  i 

Art.  IV.  De  implelione  legis 14 

Art.  V.  De  meritis  quœ  vocant  ex  condigno 15 

Art.  VI.  De  fide  juslifîcaute 16 

Art.  Vil.  De  certitudiue  fidei  justiflcautis 17 

Art.  VIII.  De  gratià  et  cooperatione  liberi  arbilrii. 19 

TOM.    XVIII.  45 


706  TAHLE. 

Art.  IX.  C'ir  '-liii-  i-.  ,iM  ilialiiitii-  i.ili.i  iil.i.  iiiir.i  viil.Mtn: ÙO 

CaI'LT  II.  f)e-                                                                                                       .     .  20 

Abt.  I.  De  l:                                                                                             ...  20 

AnT.  II.  Do                                       m  de  reaii  prsesoutiù 21 

ABT.  m.  D.                                      22 

Art.  IV.  D'  'Xlni  utsuii  ...  .28 

ART.   V.  D.    •  ....  .25 

ART.  VI.  D.                          ....                                25 

Abt.  VII.  D                     !    T'^.                                        2(J 

ART.  VIII.  1'                                                                       -' 

Art.  IX.  D»  le  Pcrnilenliâ et  Abso- 

luliouc -' 

Art.  X.  De  tribus  Pœuilciitia»  i«clilni«,  imprimlt  «le  Cnnlrilirtne  i^t  Con- 

fes^imie ^iO 

Art.  XI.  De  Salwfnclione.  .31 

Art.  XII.  I>'                              -  >  "  raiii.uu?.                                                  .  ;il 

Caj-lt  III.  |).                         .  :ja 

Art.  I.  Di"  '  ne  Sanctorum .33 

Art.  Il,  !)<•                                35 

AUT.  III.  D>                              '  '  '■oiic  pro  .Moriuis,  et  PargHl.iiK.      .    ,  36 

Art.  IV.  d.                                     37 

Caplt  IV.  D.   :  "^ 

Art.  I.  Dv  r-  ^ 

Art.  II.  d.'  1  • 

Art.  III.  I)'   '  ><i°>  aiicloritate  speciatim  qua*  »H  Pro- 

It'htaiilami  ' i" 

Art.  IV.  De  f&iltDiauclorilatequidCathoUciBeDliantfetquid  Protestant'' 

(ibjiriaiit.  ...                    .1 

Art.  V.  I>«>  H"!!.                      • 42 

Tl  HTIA  l'AHS.  !'•                       .li: -.1.    ii.i.'i  lii'i.   Ir.i.  l.ili.ine  onliiian.lA.     .  *5 

Art.  I.  <Jiii.i                                                                            .li<li>nini  «le  fide.  45 
Art.  II.  I'«'  ■        .                     .                                         ''■'■'.  'i<!.i'  .i  Ho- 
niiinit  l'oiiiilKe  l'.iu.iili  |,()««c   vidcontur.                                                     .47 

Art.  m.  D'- ...iKil..  lii.ltiiijii. .  Il) 

Art.  IV  et  iLTiJii  s.  Siiiiunn  <lirlonim;  ne  de  di  .',1 
KXI'LICATU)  ILTKIIUd»    mktiioui   rumomski.                                     .• 
eoniin   in!«liliita  qmi'  illiisirissimo  et  n*veren«lissiiii«»  D.  J.icmI.o  lJ^•lll^'llo 
epUcopo  Melrlrn^'i  TTi'^derntè  non   mini^o  (]ii''ini  epidi!»''  .ni  entînletn  .nniio- 

tare  placuil.                        ...                                                                      .  :.4 

Prôlogtw -'■* 

ExcERITA    RX    UAc    LUKRioRi    EXM,:i .\.i in.M..  De  luuciUis  œcumuuicis  iu 

oenerc,  el  in  .«pecie  de  r.ouoilio  Tridentiuo .18 

EpiloRus Cî) 

NoL'VRI-I-K  EXPLICATION  de  In  méthode  qu'on  doit  suivre  pour  par- 
venir h  la  réunion  des  F"pli9P.s  nu  sujet  des  néne:\ion9  éimleuieut  sa- 
vaiilcfl   et  modérées,  que  M.  IK-vèque  de  Menux  a  bien  voulu  faire  sur 

cette  mélliode "o 

Extrait."?   de  cette  nocvelle  explication.  Des  conciles  œcuméniques 

en  général,  cl  en  particulier  du  concUe  de  Trente.      ...         ...  7» 

Conclusion ^0 

Si'MMA    r.oNTRovERSiJE  DE  EucHARi.sTlA ,   intcr  quosdam  Religiosos  et  me 

(  ncmpè  Molanum  ) 02 

RÉSULTAT    d'une     CONTROVERSE     TOUCHANT    L'EUCHARISTfE,     BRitéc    entre 

quelques  religieux  et  M.  Molnnus,  abbé  de  Lokkum 9.> 


TABLE.  707 

JuDiCiUM  MELDENSis  EPiscQPi,  de  Suiniuà  conlroversiœ  de  Eucliaristià.  .  99 
Jugement  de  M.  l'évèqde  de  meaux,  sur  le  Résultat  dune  controverse 

touc liant  l'Eucharistie ^qj 

ExECDTORiA  dominorum  legatorum ,  super  compactatis  data  Bohemis,  et 

expedita  in  forma   quœ   sequitur,  anno  163G .'    .     lOo 

Sentence  exécutoire  rendue  par  les  légats  du  concile  de  Bàle,  au  sujet 

du  traité   conclu  avec   les   Bohémiens ,  et  expédiée  dans  la  forme  qui 

suit,  l'an  1636 ^q9 

Observations  de  M.  Leibniz  sur  l'acte  ci-dessus  rapporté 115 


SECONDE  PARTIE 

QUI     CONTIENT    LES     LETTRES. 

Lettre  I.  Leibniz  à  M"^  de  Brinon,  Hanovre,  16  juilet  1691 117 

Lettre  IL  M™^   la  duchesse   d'Hanovre  à  Mi"e  l'abbesse  de  Maubuisson 

(extrait)  10  septembre  1691 ^20 

Lettre  III.  Bossuet  à  Min«  de  Brinon,  29  septembre  1691.     ...!'.  121 

Lettre  IV.  Leibniz  à  M™^  de  Brinon,  29  septembre  1691 1-J5 

Lettre  V.  Leibniz  à  M™"  de  Brinon,  Hanovre,  le  17  décembre  1G91.    .     .  138 

Lettre  VI.  Leibniz  à  Bossuet,  de  Hanovre,  le  28  décembre  1691.   .    .     .  139 

Lettre  VII.  Leibniz  à  Bossuet  (extrait)  sans  date 140 

Lettre  VIII.  Bossuet  à  Leibniz,  à  Versailles,  le  10  janvier  1692.     .     .     .  lU 

Lettre  IX.  Leibniz  à  Bossuet,  à  Hanovre  8  (18)  janvier  1692 143 

Lettre  X.  Bossuet  à  Leibniz,  à  Versailles,  17  janvier  1692 149 

Lettre  XI.  Bossuet  à  Leibniz,  Meaux,  le  30  mars  1692 150 

Lettre  XII.  M™^  de  Brinon  à  Bossuet,  le  5  avril  1692 '.  131 

Lettre  XIII.  Leibniz  à  Bossuet,  à  Hanovre,  le  18  avril  1692 133 

Lettre  XIV.  Bossuet  à  Pelisson,  le  7  mai  1692 |r,8 

Lettre  XV.  Pelisson  à  Bossuet,  à  Paris,  ce  19  juin  1692 160 

Lettre  XVI.  Leibniz  à  Pelisson  (extrait)  ce  3  juillet  1692.   ......  161 

Lettre  XVII.  Leibniz  à  M"^  de  Brinon  (extrait)  3  juillet  1692 161 

Lettre  XVIII.  M™*^  de  Brinon  à  Bossuet,  juillet  1692 '.    .  162 

Lettre  XIX.  Leibniz  à  Bossuet,  à  Hanovre,  le  13  juillet  1692 164 

Lettre  XX.  Bossuet  à  Leibniz,  Versailles,  le  27  juillet  1692 166 

Lettre  XXI.  Bossuet  à  Leibniz,  Versailles,  26  août  1692 .*  168 

Lettre  XXII.  Bossuet  à  Leibniz,  Versailles  le  28  août  1692 169 

Lettre  XXIII.  Leibniz  à  Bossuet,  à  Hanovre,  le  1er  novembre  1692.  .  171 

Lettre  XXIV.  Bossuet  à  Leibniz,  Meaux,  27  décembre  1692 173 

Lettre  XXV.  Leibniz  à  Bossuet,  Hanovre,  le  29  mars  1693 178 

Lettre  XXVI.  Ldbniz  à  Bossuet,  3  juin  1693 ^-g 

Lettre  XXVII.  M™e  de  Brinon  à  Bossuet,  le  '6  août  1693 Igo 

Lettre  XXVIII.   Leibniz  à  Bossuet,  sur  le  .Mémoire  du  docteur  Pirot 

touchant  l'autorité  du  concile  de  Treule 184 

Lettre  XXIX  et  X.XX.  Bossuet  à  Leibniz,  sur  le  Mémoire  du  docteur  Piiol 

entre  juin  et  octobre  1693 2n6 

Lettre  XXXI.  Bossuet  à  Leibniz,  à  Meaux,  le  15  août  1693.      .         .  oj8 

Lettre  XXXII.  Leibniz  à  Bossuet,  sans  date .218 

Lettre  XXXIII.  Leibniz  à  M"ie  de  Brinon,  23  octobre  1693 *  22n 

Lettre  XXXIV.  M™"  de  Brinon  à  Bossuet,  le  5  novembre  1693.      ...  228 

Lettre  XXXV.  Leibniz  à  Bossuet,  23  octobre  1693 '.    ".  230 

Lettre  XXXVI.  Leibniz  à  M™e  la  duchesse  de  Brunswick,  à  Hanovre    le 

2  juillet  1694 '  «'^'î 


108 


TAHI.K. 


Lettre  XXXVII.  L«ibiiiz  à  Dos^uel,  ù  lliuiovre,  ce  12  juillet  1C94.  . 
I.tTTnK  XXXYlii.  .M"*  <lo  Dniioii  à  Boà.-iH'l,  le  18  juillet  1C9i. 
Lkttiik  XXXIX.  IJo*J«'^l  il  Leiliiii/,  à  Meuux,  12   août  IG91.     . 
Lktthk  XL.  .M»»  lie  Brition  à  Uosinel,  1>  25  juin  1695.      .     . 

LbTTnK  XLI.  Uosàuet  h  Leibniz,  !t  janvier  IG99 

Lkttbk  XLII.  Leibniz  à  Bossu'H,  Wolfeubullel .  le  H  décembre  1699. 


Lettre  XLIII.  B  >siuet  h  Leibniz,  ii  ^' 
Lettue  XLIV.  Bo.^suet  à  Leil.ui/,  .i 
Letthk  XLV.  I  î 

LKTrnE  XLVI. 
Lettre  XLVII.  i  ■ 
Lettre  XLVIII.  L-.: 
Lettre  XI.IX     i     ■ 
Lettre  L.  Leil 

L»XTRE  Ll.  IJc... . -  ..■. 

Lettre  LU.  BosAuet  à  Leibniz,  le  17  aorti  1701. 

OHDON.NANCK  CT  INSTBICTION   PASTOBALK 
MEAix,  SLR  LEH  États  iiorai^on 


i.^r  1700 
.iivier  IlOii. 
1'  .ivril  1700.     .     . 
•e  1"  juin  1700. 
.        '     "t.ii  1700.     . 
>  mai  1700. 
,.;cnibre  J700 
juin  1701.     .     . 


M  yc.u.  1.  1  \i  VI  1- 


23!^ 

2n 


247 
2r.o 
21)1 
270 
272 
273 
293 
3U 
318 
:<2I 

351 


|>>llll<.llnN  SI  H  LKS  KTATS  hoHAISON, 

ou   SONT  EXI>OSf.F>    1X5  »JIREt'RS   DES    rAl-'X    IIY»TIQrE«    λR  NOS    JOURS   ;  AVEC 
LES  ACTES  DE  LRCR  CONDAMNATIdN. 

Arli  357 

l'tiM  l«a«en« ,  «»t  l'on  expliqn»»  1«»  <lf««»«>in  i\f  cet 

ouviu({.> •'*i7 

I.  I)e«»*-!n  ««n  K^  né  ml  de  cel  ourraf  3ti* 

II.  1  de  Molino«  cl  de  •««  .-ccUlcuij  >jui  mjuU'u;  luul  r  H'i"'rler 

è  1  • 368 

III.  ol'ï'ivali        ■      î               .         .      ,           .voient  tout  i\  l'expérience  : 
quelles  »<»nl  »<•  fnut  ft.nder 369 

IV.  Suit''  des  '  »'" 370 

V.  Preuve  par  370 

VI.  Senlinii'iil  .  'l'ii  préfère  In  «rience  h  rexpériencc  :  el 

les  rai^^on;^  <'\  370 

VII.  Conimi'Jil   l'i'  1  ' '   ^  nn»e?  HiinpleA  leur  orai«on  :  cl  cumuienl 

IV-tuile  peut  devenir  une  ■  on(tni|ilalion  éminenle 372 

VIII.  C'iminoiil  riîxpôriciue  est  suliordoiinéi'  à  la  scienre  tliéologiqtie.     .     373 

IX.  Division  de  cet  ouvrage  en  cinq  Imités  principaux 374 

X.  hini.ullés  .].'  .  .II."  lii.'ii.  r. 374 

ApprobUion  ■:  .épie  de  Pari-  .  377 

Approbation  «!■      '  iu- de  Cliarli' -  .  378 

Lettre  de  l'auteur  a  notre  saint  l'i-re  Ia  Pape.  .  380 

Bref  de  noire  saint  Père  le  Papi-  à  lauleur.   .  .  8S2 

l'UK.MIKIt  TllAlTL.  —  LIVUL  1". 

i>f  errrurt  </e»  nouveaus  myilit/Mt  en  général,  et  en  jtarliculier  Irur  acte 
continu  et  universel. 


1.  Obicrvalioii:*  pénér.iles  sur  le  style  des  auteurs  mystiques,  et  sur  leurs 
exai^ératioiié  depuis  quelques  siècles 383 


TABLE.  709 

11.  Des  livres  attribués  à  saint  Denys  l'Aréopagite,  que  les  mystiques  ont 

prjs  pour  modèle * 

m.  De  l'autorité  de  ces  écrivains  :  sentiment  de  Suarez!     !!!"*'    ?83 

IV.  Les  excuses  qu'on  leur  donne  :  réflexion  de  Gerson.        3So 

V.  Autre  exagération  du  même  Rusbroc '    '     '    '    383 

VI.  Autres  exemples  d'exagération  dans  les  mystiques     '    .' 307 

vu.  Etrange  exagération  dans  les  Institutions  de  Tanière. 337 

VIII.  Autre  exemple  d'exagération  dans  ces  auteurs    ,     .         .     '  '    388 

IX.  Erreur  des  mystiques  de  nos  jours 300 

X.  Nécessité  du  présent  traité ?sq 

XI.  Des  béguards  et  des  béguines.     ...'...'.'. 39q 

xii.  Dessein  particulier  de  ce  premier  traité  :  sa  division  générale   ':  sujet 

des  dix  livres  dont  il  est  composé 3g, 

XIII.  Idée  générale  de  ce  qu'on  appelle  quiétisme."    .'    .'    .*    .'    .*    .'     '     "    393 

XIV.  Premier  principe  des  nouveaux  mystiques,  que  lorsqu'on  s'est  une 
tois  donne  a  Dieu,  l'acte  en  subsiste  toujours  s'il  n'est  révoqué ,  et  qu'il 

ne  le  faut  point  réitérer  ni  renouveler 594 

XV.  Que  cet  acte  continue  toujours  malgré  les  "distractions,  sans  qu'elles 
obligent  à  le  renouveler _  3gM 

XVI.  Qu'il  subsiste  pendant  le  sommeil '..'.'.'.'.]'    395 

XVII.  Combien  il  est  grossier  et  absurde  à  Falconi  et  àMoliiios",  .l'avoir 
comparé  le  don  de  sa  liberté  avec  le  don  d'un  diamant 3S6 

xviii.  Malaval  introduit  aussi  mal  à  propres  la  comparaison  d'un  mari  et 

dune  femme.     . 007 

XIX.  La  proposition  de  Falconi  expressément  censurée  à  Rome.  .         !     '    397 
XX  Cet  acte  continu  et  perpétuel  de  sa  nature  n'est  que  pour  le  ciel'.  Sen- 
timent de  samt  Augustin  remarqué  parle  Père  Falconi,  et  celui  des  autres 
P'^res 3g^ 

XXI.  Pourquoi  les  actes  ne  sont  pas  perpétuels  en  cette  vie 398 

XXII.  Réponse  des  faux  mystiques  et  démonstration  contraire.     .         .    .    398 

XXIII.  Exemple  de  l'Ecriture  et  de  Jésus-Christ  même 399 

XXIV.  Le  Père  Falconi  auteur  de  ce  dogme  :  Molinos  le  suit  :  sa  comparaison 
tirée  de  l'exemple  d'un  voyageur ; 500 

XXV.  Le  livre  du  ûloijen  court  entre  dans  tous  ces  sentimens.  '.    '     '    400 

XXVI.  Suite  de  la  doctrine  de  ce  livre 401 

xxvn.  Sentiment  conforme  de  Malaval,     l     ^     [].....'..     ,  402 

xxviii.  Observation  importante  sur  ces  auteurs *..'.'  402 

XXiX.  Conséquences  pernicieuses  de  cette  doctrine .'     .     .*  403 

LIVRE  il. 

De  la  sui>j,ression  des  actes  de  foi. 

I.  Dessein  de  ce  second  livre 40  j, 

II.  Que  la  doctrine  des  nouveaux  mystiques  supprime  l'imion  avec'jésus- 
Christ  en  qualité  d'homme- Dieu  et  de  Personne  divine  :  passage  de  Yln- 
terprétation  sur  les  Caidiques _     _  _     ^     4Q2 

III.  Réflexion  sur  la  doctrine  précédente .'...'.*    406 

IV.  Autre  passage  de  V Interprétation  sur  le  Cantique.  Suite  pernicieuse  de 
cette  doctrine _         ...  407 

V.  Etranges  paroles  sur  Jésus-Christ '...'."."..'!     -108 

VI.  Artifice  des  nouveaux  mystiques  pour  éluder  la  foi  explicite  en  Jésus- 
Cbrist IQQ 

VII.  Suite  de  ces  artiâces.  Parole  de  Molinos.     ...'.'..'    ."     *     '    .'    409 


710 


TABLE. 


VII!.    ! 
II.    I 

X.  c 

XI.  t 

priuctiM:» 

XII.  Vniiip  ^ohBppfitoir<». 
Xill 

Ziv 
d  ... 

XV.  1  sain!  CWn 

XVI.  ' 
XVI'. 

M. 

XVII 

j'" 

XIX.  i 

8<' 

XX.  : 

a>. 

XXI.  - 
XXt:. 
XXI 

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il' 

XXV 

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i'i'  iiiVr5?niro  i\c  Irnrs 


r.  ihb.     .     .     . 
'">«  (lu  Cantique 


>Dl  les  plus  su 
'^>iul>ole  de«  apAlres  conune  l'uli 
vplicile  qui 
a  :  et  ai  cet  a;.  urc  que  les 


ilo  d^tounie 


-i:li.N.!    ilu  tuèiiu!  .Malaval. 

l'pieii  (i'uvec  celle  Je 


''M 
410 
41  n 

411 
iH 
4M 

412 
41.-) 


41G 

418 
420 
421 

422 

422 
423 

424 


UVllK  III. 
/V  In  xuppmtion  des  dirmandri  :  et  de  ta  conformité  à  ta  volonté  <■ 
I.  l'iiiiiipos  ilo»  noiiveiuix  inysliqup»  sur  In  suppression  des  d(>iuan(Ic8. 


11.  I) 

m.  \' 

IV.  «. 

M 

V.  L. 
duns 

VI 

VI.    1    . 

>.■■ 

VII.    i 

II 

VIII 

d. 

l\.  1' 

X.  .*• 

c  '■ 

i.i    -lii.ir.'^  1  m    1)1- ■ 


mdcs.  .     .    . 
<ii>iimndc8,  c'est  |r 


-'  'Miliùroineul  jiuppriiués  :  tHruiige  exc«s 

•■•■;>niii^p 

puiir  supprimer  les  demandes  : 


Adressé  :  Iruis  vérités  Urées 


'{u'ils  u'e.\clueul 

iiite 

>ut  acte  aperçu, 

.il 

XI.  F!  |uiviii|iie9    <.-l  illuBiuUs  liua    tiuu%'euux  uijsiiques  aur  les  aclcs  et  sur 

Jésus  Christ 

Xli.  FoiiiltMueiis  des  :  Inhus  qu'ils  ftait  du  passoge  où 

saint  Puul  dit  que  '  .  tiou-t 

Xlil.  L'ubus  qu'ilii  foui  >U:  t  rUo  i'.nw.o  ;  //  u'if  n  qu'une  seule  chose  qui  soit 
nécessaire  :  «juelle  niulliplieilé  nous  est  défcudde 


4iti 


428 
420 

430 

430 

432 

434 

4:M 

43.'i 

43U 


TABLE.  711 

XIV.  Cornment  ils  abusent  de  cetle  demande  :  Voire  volonté  soit  faite.     .    437 

XV.  Abandon  des  nouveaux  mj^stiques  :  prodige  d'indifférence 437 

XVI.  Suite  de  l'indifférence  sous  prétexte  de  la  volonté  de  Dieu 439 

XVII.  Quelle  volonté  de  Dieu  nous  devons  suivre,  et  qu'il  y  a  des  volontés 
divines  sur  lesquelles  Dieu  ne  nous  demande  aucun  acte 440 

xviii.  Que  selon  les  nouveaux  mystiques,  les  Psaumes  et  l'Oraison  Domini- 
cale ne  sont  pas  pour  les  parfaits  :  doctrine  du  Père  la  Combe.     .     .     .    441 

XIX.  Contrariétés  entre  l'oraison  des  nouveaux  mystiques,  et  celle  des 
Psaumes  et  de  Jésus-Cbrist 44' 

XX.  Autre  doctrine  sur  le  Pater 442 

XXI.  Que  le  prétendu  acte  éminent  qui  dispense  de  tous  les  autres ,  est  in- 
comiu  à  l'Ecriture  et  aux  saints 443 

LIVRE  IV. 

Où  il  est  traite'  plus  à  fond  de  la  conformité  à  la  volonté  de  Dieu. 

I.  Qu'on  doit  demander  à  Dieu  absolument  les  grâces  les  plus  efficaces.    4i5 

II.  Distinction  des  deux  volontés  de  signe  et  de  bon  plaisir,  et  l'usage  qu'on 

en  doit  faire  :  principes  de  saint  Augustin 44G 

III.  L'abandon  mal  entendu  des  nouveaux  mystiques  est  contraire  à  toutes 

ces   règles 447 

IV.  Pourquoi  c'est  un  sentiment  détestable  de  consentir  à  sa  damnation 
quoique  juste 448 

V.  Que  l'excessif  abandon  des  nouveaux  mystiques  diminue  en  eux  l'borreur 

du  péché 449 

VI.  Les  nouveaux  mystiques  proposent  une  nouvelle  et  superbe  manière 

de  haïr  le  péché 450 

VII.  S'il  est  vrai  que  l'oubli  de  son  péché  est,  comme   le  prétendent  les    452 
nouveaux  mystiques,  une  marque  qu'il  est  pardonné 452 

VIII.  Les  nouveaux  docteurs  font  un  mystère  de  leurs  défauts  et  les  impu- 
tent à  Dieu  :  passage  de  Gerson 452 

IX.  Suite  des  mauvaises  maximes  sur  l'exlinclion  de  la  componction.     .     .    4:34 

X.  Mauvaise  règle  des  nouveaux  mystiques  pour  counoitre  la  volonté   de 
Dieu 455 

XI.  Values  définitions  de  la  prière  pour  en  exclure  les  demaudes.    .    .     .    455 

XII.  L'action  de  grâces  également  suprimée  dans  la  nouvelle  oraison.  .     .    457 

LIVRE  V. 

Des  actes  directs  et  réfléchis,  aperçus  et  non  aperçus,  etc. 

I.  Dessein  de  ce  livre 457 

II.  Doctrine  des  nouveaux  mystiques  sur  les  actes  l'éfléchis •  457 

III.  Etranges  discours  sur  les  réflexions  dans  le  livre  du  J/o7/(?«  coMrf.    .    .  458 

IV.  Que  la  réflexion  est  une  force  de  l'ame,  et  ne  doit  pas  être  renvoyée 

aux  états  imparfaits 460 

v.  Trois  raisons  de  cette  vérité  :  première  raison,  où  est  démontrée  la  na- 
ture, la  nécessité,  et  la  force  de  la  réflexion 'iGO 

VI.  Seconde  raison  pour  la  réflexion ,  eu  ce  qu'elle   produit  l'action  de 
grâces  :  réflexion,  d'un  nouveau  mystique  sur  celle  de  Job ifil 

VII.  Troisième  raison  pour  la  réflexion  :  elle  produit  la  prière  et  la  con- 
fiance   'i62 

VIII.  Passage  d'Ezéchiel  qu'on  oppose  à  la  réflexion 463 


7,2  rM;i.E. 

IX.  Quels  retours  sur  soi  '.  Llàuu's  par  les  sfirilnels  :  seutoncc 
lie  saiul  Fraii(,oi  s  de  Si  nil  Aiiluino,  que  ^o^a^^ou  uc  se  con- 
iioll  pas  clle-UH^me -163 

X.  Différeucc  de*  réflcxious  ijuiiispirp  Tnin-'iir  <i«»  Di^u  d'ftvpc  celles  qnex- 

cile  l'amour- propre <64 

Xt.  Preuve  Aviti^'iil*' p»»r  «AÏnl  Paul  .....  4<)j 

j,i    I  \  ■   il'-;  auli-'^  ^.iiiils  qm  iltscitl  que  l'o- 

,,j  tic,   cl  en  quel  seiw  :  prière  d'Auiio 

mcre  de  ^ainu-l *<"••"' 

xiii.  Du  irousporl  do  saint  Piorre  et  de  celui  de  saint  Paul i67 

XIV.  Souvent  1  '  '  uvcnl  elle  ne  s'en  aper- 
çoit pas  :  oi  'f-'il *6" 

XV.  Si  el  "• *68 

XVI.  Qu'il  ■'  '^  P'"^  parfaits,  les 
aperrjii                                           •     ■»"8 

jvii.  I)i\  1  arrive  qu'on  ne  C"  469 

xvir    '  l  à  ne  ec  plus  counoi .     .    is 

a,  .-Is 4G9 

xi^  '•'•■  de  cette  ifrnorancc  dans  la  con- 

I.  *"o 

XX    1^    M  ,      •••vallon  du  lanirnffe 171 

Xxl.  «ira. 412 

■^xii.  Le  •  l'i'iît'rifur  le  plus  profond.     .     .     .  472 

xxm.  Q'  *"■'' 

XXIV.  c.  47:< 

XX  \  '  mandes,  les  actions  de  grâces,  et  tous 

|,         ■  1* 474 

XXVI.  iJieu  donne  aux  amc»  île»  uistincts  cachés  et  des  instincts  plu»  dé- 
couverts   *75 

XXVII.  Krrour  :tns,  d'altribuor  généralement  A  impcr- 
feclion  lu  I  •  ♦'S 

XXVIII.  Coin|iarmT.uit  . .4J.U<umj  t-iilre  les  actes  de  l'amour- propre,  el  les 
actes    de    l'aiiinur    divin. 47G 

XXIX.  Dorlrine  impDrInnie  sur  le  .  ii)^luel  de  la  convoitise,  et 
dilTéreme  nolal>le  entre  In  muni.  •  l'aniour-propre  et  de  l'a- 
mour de  Dieu "^77 

XXX.  Autre:»  dilTérences  ausiii  importantes 477 

XXXI.  Autre  objection  lir^c  «le  la  nature  de  l'habitude  :  deux  démonstra- 
tions pour  montrer  que  celle  de  la  piété  n'rteinl  pas  le  réflexion.     .     .     478 

XXXII.  Autre  objection  tirée  de  la  nature  de  l'amour,  cl  ré^olution  iinpor- 
lanle 479 

xxxm.  Autre  objection  tirée  de  In  comparaison  de  l'amour  vulgaire ,  et 
répou!»»' par  la  doctrine  précéiltntc 479 

XXXIV.  Antre  objection  cnptieuse  tirée  de  la  nature  de  l'amour,  et  réponse 

par  le?  même:»  principes 480 

XXXV.  Quelle  e.-l  la  source  de  In  suppression  des  demandes  :  fausse  idée  de 
pureté,  de  ntss.isii'uient  el  de  perfection 481 

XXXVI.  Béatitude  et  séturilé  dans  cette  vie,  selon  les  nouveaux  raysliques.    482 
xxxvii.  Les  nouveaux  mystiques  éteignent  dans  les  prétendus  parfaits  l'es- 
prit  de  mortilieation  el  de   vertu l'*^  ^ 


TABLE.  713 

LIVRE  VL 
Où  l'on  oppose  à  ces  nouveautés  la  tradition  de  l'Eglise. 

I.  La  tradition  de  l'Eglise  s'explique  principalement  par  ses  prières.     .    .     486 

II.  Les  prières  de  l'Eglise  convainquent  d'erreur  ceux  qui  croient  que  les 
demandes  sont  intéressées 4  87 

III.  Doctrine  de   saint  Augustin  et  de  toute  l'Eglise  catholique,  que    nul 
n'obtient  la  persévérance  sans  la  demander 488 

IV.  Que  saint  Cyprien  et  saint  Augustin  n'ont  jamais  connu  le  prétendu 
désintéressement  des  nouveaux  mystiques 489 

V.  Suite  de  la  doctrine  de  saint  Augustin  et  de  l'Eglise  catholique.  .  .  .  489 
Vf.  La  doctrine  précédente  expressément  définie  par  les  conciles.  .  .  .  490 
VII.  11  est  défini  par  les  conciles  que  l'Oraison  Dominicale  est  d'obligation 

pour  les  plus  parfaits 490 

viii.  Passages  des  Pères  précédens,  et  nommément  de  saint  Clément  d'A- 
lexandrie  491 

IX.  Raison'de  saint  Clément  d'Alexandrie ,  pour  montrer  que  c'est  pro- 
prement aux  plus   parfaits  qu'il  appartient  de  demander 492 

X.  Que  selon  ce  Père  c'est  dans  le  plus  haut  point  de  la  perfection  que 
l'homme  spirituel  fait  les  demandes.  . 493 

XI.  Que  ces  prières  des  parfaits  ne  sont  inspirées  qu'au  môme  sens  que  le 
sont  toutes  les  prières  chrétiennes 493 

XII.  Que  le  parfait  de  saint  Clément  pratique  les  réflexions  et  les  précau- 
tions, et  que  c'est  par  là  que  sa  vertu  est  inébranlable •  .     .     49i 

XIII.  L'action  de  grâces  de  l'homme  parfait 495 

XIV.  Désintéressement  prétendu  des  nouveaux  mystiques  aussi  bien  que  la 
cessation  des  réflexions,  inconnus  à  l'antiquité 495 

XV.  Qu'il  n'est  pas  vrai  généralement,  que  le  paifait  spirituel  ne  connoisse 

pas  les  vertus 49G 

XVI.  Comment  le  parfait  demande  les  biens  temporels 496 

xvii.  Que  la  demande  des  biens  temporels  n'est  pas  intéressée 496 

XVIII.  Différence  de  demander  absolument  et  sous  condition 497 

XIX.  Le  combat  de  la  concupiscence  est  perpétuel 498 

XX.  De  la  mortification  et  de  l'austérité  en  tout  état 499 

XXI.  Toute  perfection  est  défectueuse  en  cette  vie  :  beau  passage  de  saint 
Clément  sur  saint  Paul , ^jUO 

XXII.  Autre  passage 500 

'XXIII.  En  combien  de  manières  on  est  parfait  dans  cette  vie 501 

XXIV.  Explication  d'un  passage  où  saint  Clément  dit  que  le  parfait  n'est 
point  tenté •-.     . ■'02 

XXV.  Sentimens  des  anciens  sur  l'apathie  ou  imperturbabilité •"^02 

XXVI.  Diverses  expressions  des  Pères  grecs  :  conformité  avec  les  Latins  : 
belle  prière  de  saint  Arsène 503 

XXVII.  Sentiment  conforme  de  Cassien  :  quelle  perfection  il  reconnoit  dans 

les  saints 30 't 

xxvni.  La  convoitise  ne  cesse  de  combattre .- 304 

XXIX.  Le  passage  de  saint  Paul,  Rom.  vu,  19,  entendu  par  saint  Paul  lui- 
même  ,  et  des  plus  parfaits  :  le  péché  véniel  inévitable 505 

XXX.  Les  plus  parfaits  contemplatifs,  selon  Cassien,  font  avec  David  de 
continuelles  demandes.     .     ,     .' 505 

XXXI.  Autre  passage  pour  les  demandes 505 

xxxii.  Qu'on  demande  son  salut  non  conditionnellement,  mais  absolument, 

comme  une  chose  conforme  à  la  volonté  déclarée  de  Dieu 506 


in  TABLE. 

xxxiu   Que  la  demande  de  son  salul  est  très-pure,  selon  Cassien,  et  très- 

désiotéressée 506 

XXXIV.  Ce  qu'il  faut  penser  d'un  passage  de  Cassien,  où  il  préfère  une  cer- 
taine oraison  h  l'Or-iisûn  Douiinicule 507 

xsxv.  Rcrlriction  dt>  Cassien  quand  il  re^jarde  l'espérance  comme  intéressée.    507 

XXXVI.  La  même  v('Milé  plus  amplement  éclaircie 508 

xxxvM.  0  :>  n'a  point  connu  l'acte  continu  et  perpétuel  des  nou- 
veaux I  508 

xxxviii.  Auif  •.i~-.ige  pour  démontrer  que  la  contemplation  ne  peut  être 

perpéluf»lle 509 

XXXIX.  Ce  qiii!  ■  ''     '        "    <  •    •  :  >mun'-e  do  la  piété.    .     510 

XL.  Qoe  la  d  le   le  renouvellement 

dr '■  ;■;,:,  solitaires 510 

XLi.  ' 511 

XLii.  .  .■  ■     "  •■'"■=  simple,  par  une 

adinir.i'  512 

XLIIl.  ClM :     ..      ..; .'-    1'    -H.  ..•-i.Ml 

des  note» .513 

XLiv.  h  .  Mil.- i-.piifnrtiw  ilr  snint  Cléroeol  d'Alexandrie 5I.< 

XL>  1  ce  que  par  l'habitude  formée  il  ne  change 

m  SU 

XLv  lu  contemplatif  se  tournent  en  sa  substance  selon 

0...       •                                 5!.-. 

XLVil.  C'                                                                 51.'. 

XLvtiT    I  lint  Clément,  et  des  autres,  par 

I.                                                          -es 5ir. 

XL\  -  [lour  expliTi»*"  <•'*  T'*^*^  f^i' ''** ''i 

r.  ,     5I(; 

L.  1  !<»  Salomon.    .                                     ,     5H» 

U.  I  M 51-; 

LU.  ].r»ini  rnetiiell»»  pré"M>?iee  de  Dieu 

dUlMIll    Ipl  Ull     V.'h  ......'   ^ 

i/.via-:  VII. 

De  rOrnifon  passive,  de  m  vérité,  et  de  Fahus  j'i  <"i  •n  /  r  ' 

I.  ()...o  lu  t.^ri      !i,.,- de  ce  livre  Vil ;s 

II.  1  1  nomme  passive  :  oxplicalj.m  de*  termes 51Î) 

III.  1  ,  .i  foi,  sur  lesfpieU  est  étalilie  l'oraison  qu'on  nomme 
l'as-iv.. 519 

IV.  I,      i  . m  ipi'on  nomme  passive  n'est  aucune  des  choses  qu'on  vient 

.1  520 

V.  t .  -ervcut  néanmoins  fi  la  faire  entendre  :  divers  exemples  d'im- 
pti'.s.-mii:*  divin.s,  oi'i  l'ame  m-  pi'iit  avoir  de    part 521 

VI.  Cl-  qu  Mil  jippt'lU»  préciséiiieni  loiaisxn  passive  ,  infuse  ou  surnaturelle.     521 

VII.  Kxt'iMples  ties  motions  du  Saiul-I^prit,  qu'on  nomme  naturelles  ou  sur- 
nalinelles 522 

VIII.  L'on  commence  i^  déterminer  le  sens  auquel  l'oraison  passive  est  dite 
surnatiir»-!]»»,  pnr  «ix  propositions 523 

IX.  Preiii  :  ce  qu'on  appelle  Oraison  passive  consiste  d.ins 
une  su  re  des  actes  discursifs  :  difTércnce  entre  les  vrais 
et  les  r.iiix  iiiy--iipi''3  :  sentiment  de  sainte  Thérèse  et  du  bienheureux 
Jean  île  lu  Croix 523 


I 


TABLE.  715 

X.  Sentimens  conformes  du  Père  Baltasar  Alvarez,  un  des  confesseurs  de 
sainte  Thérèse 523 

XI.  Ce  qu'emporte  la  suspension  des  actes  ou  considérations  discursives.     .     526 

XII.  Que  dans  l'oraison  passive  il  y  a  beaucoup  de  pro^u-e  action,  de  propre 
industrie  et  de  propre  effort. 526 

XIII.  Seconde  et  troisième  propositions,  pour  déterminer  ce  qu'on  appelle 

le  temps  d'oraison,  et  montrer  que  ce  temps  ne  peut  être  long.     .     .     .    527 

XIV.  Trois  auties  propositions  pour  expliquer  la  stabilité  et  la  permanence 
d'un  état 528 

XV.  Les  fondemens  des  nouveaux  mystiques  détruits  par  les  six  proposi- 
tions précédentes .'528 

XVI.  Quel  est  le  principal  effet  de  l'oraison  passive  ou  de  quiétude.    .    .    .    529 
xvir.  On  commence  à  expliquer  l'abus  qu'on  fait  de  cette  oraison  :  doctrine 

du  Père  Baltasar  Alvarez  sur  les  demandes. 529 

xviH.  Suite  de  la  doctrine  du  même  Père  Baltasar,  très-oppo=éc  aux  pré- 
tentions des  nouveaux  mystiques 530 

XIX.  Sentimens  du  même  religieux  sur  la  mortification  et  sur  l'état  des 
vertus 530 

X.\'.  Le  bienheureux  Jean  de  la  Croix  bien  opposé  à  ceux  qui  inetleut  à  part 
Jésus-Chiist,  la  Trinité  et  les  attributs  dans  la  subhme  contemplation.    .     531 

x.xi.  Que  selon  le  Père  Baltasar,  la  liguture  ou  suspension  des  puissances, 
ne  peut  jamais  être  totale  dans  l'oraison  de  quiétude 531 

x.Mi.  Suite  de  la  doctrine  du  même  Père  Baltasar  contre  la  totale  et  per- 
pétuelle suspension  des  puissances 532 

XXIII.  Que  le  Père  baltasar  ne  conuoît  point  d'ames  toujours  mues  de  Dieu, 
et  eu  qui  la  suspension  des  puissances  intellectuelles  soit  totale  et  per- 
pétuelle  532 

XXIV.  Sentiment  conforme  au  Père  Jean  de  la  Croix 533 

XXV.  Doctrine  de  ce  bienheureux  contre  l'acte  continu  des  nouveaux  mys- 
tiques  533 

XXVI.  Les  actes  que  les  faux  mystiques  vantent  le  plus,  en  bien  et  en  mal, 
sont  également  inconnus  aux  vrais  spirituels .    534 

XXVII.  Les  nouveaux  mystiques  entendent  mal  et  contre  la  doctrine  des 
vrais  spirituels  le  vice  de  multiplicité 53 i 

xxviii.  Etrange  erreur  des  nouveaux  mystiques,  qui  l'eudent  l'oraison  pas- 
sive commune  et  absolument  nécessaire 335 

XXIX.  Trois  démonstrations  théologiques  contre  la  nécessité  de  l'oraison 
passive  pour  la  purification  et  perfection  des  âmes  pieuses 338 

XXX.  Inutilité,  dans  cette  matière,  de  la  distinction  entre  la  contemplation 
infuse  et  acquise 540 

LIVRE  VIIL 

Doctrine  de  suint  François  de  Saks. 

I.  Qu'on  ne  doit  point  supposer  que  saint  François  de  Sales  ait  des  maximes 
particulières 542 

I.  Claire  décision  du  saint  sur  les  demandes  dans  son  dernier  entretien  : 
quelle  indifférence  il  enseigne .     .    542 

m.  Objections  tirées  des  paroles  du  saint  évèque 545 

IV.  Réponse  par  trois  questions,  dont  la  première  est  :  Si  c'est  un  acte 
intéressé  de  désirer  son  salut.  Décision  du  saint  par  ses  propres  paroles.     545 

V.  Principes  sohdes'du  saint,  pour  joindre  au  parfait  amour  le  désir  de  son 

.   salut  éternel , .     547 


71  «  TABLE. 


- 452 

i52 


>53 


.    SS4 
!55 


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SL-  S'::!'..^  Ci  -î  iircûé  ôodjrôSj  ^âesŒBsre  î#itesiûHii  set  M  s:: 


i .  !  ^  jBjiiiisâMes,  par  fesifiadlilés  le  aasiiît  éTOgii*  es^asaoÊ  Fee- 

r -r SuS 

^■-  --  "    -     -     -  ?:71t 


_-^  Tlbéîèse.  laji^iaptiè  'câ-'âs3S!E-  witHtiw-  i  îiaiiSiE- 
'. ' SS» 

...'....-' .'.-..  5S 

.  .  .     r  ...'-.  sîfs 

■    -  -câ 

.  Î5S 


718  TABLE. 

V.  Les  Ireole-qualre  articles  de»  ordonnances  du  16  et  25  avril  sont  rap- 
portés      .     CIO 

VI  I».--.  in  .i.-  iiriirlt  •:;  t^i'^cédenâ  :  preuve  des  huit  premiers  :  propositions 
li.  - 610 

VII.  1.  1 1 .  Propositions  erronées  des  quiclistPï.    .     .     .     G12 

VIII.  Vucl-;  sont  les  vruis  actes  du  cœur CI3 

IX.  De  1  article  ! 3,  et  de  la  nature  de  la  cbarilr CI4 

X.  D.-8  arlicles  11,  15,  16  et  17 .614 

XI.  De  rarticl*>  IS  cldcs  ninrtiflrritions .     f.ir» 

xil.  Sur  l'arlide  19  et  sur  iuu  cl  pcrp«lu«^l- 

XIII.  Ftir  l'ir'i  ■!''  '2^  t^X  -  i"tH        

jiv.  -  K^nce  hdécouv;ii  lus  buuuc-- 
d-  6!f. 

XV.  Dc.->..  ^ ;      •  •      f''*> 

XVI.  L)c  1  «'«l  parlé  de  la  rrinteniplalion.  6J0 

XVII.  De  '  ou  il  p«t  parlé  des  .  620 

XVIII.  De  .  .  •'1  du  vérilnbl.'  a<  n  :  doctrine  de  saint 
Cypricn  cl  i.  ustin  avec  la  reui  iriiuf  .i.-  trois  erreurs  dans  l'a- 
bandon   de» 624 

XIX.  Du:  Me 628 

XX.  Du  <!'  ''(^  diriger  les  aoies.     .    631 

XXI.  Qnfli.  iii-.iiii  iii'ii  M'ii  a  iii.iiii.r  ,1  1. 1111. 111  >Ui  livre  intitulé  Moyen 
court  ,    rlr 632 

XXII.  nérapilulnlion  de  cet  ouvrage,  et  premièrcincol  des  erreurs  sur  le 
dé!»ir  du  .•=nlul 633 

xxni.  D.< ..^..\y,, C38 

XXIV.  .<i  i  ■■  univerwl,  el  «'il  s'étend  bor«  le  temps 

de  lor  I  .......  ...Uielle 610 

XXV.  Qii  arrangée»,  qui  démontrent  la  vérité  des  «leux 
cbapiii.     |.  6H 

XXVI.  (.ni.«  la  puriflcntion  et  la  perfection  de  rame  ne  sont  point  attachées 

h  l'étal  p»4*ir 61:: 

XXVII.  Abrégé  de  la  d.>rtrine  dea  actes 643 

xxviii.  Abr  ■■:-•'•   l-'  "■  ■lu'.ii  .1  «lit  lie»  livres  des  quiélisles,  où  l'on  remarque 

un  dfs  le 6U 

XXIX.  D.  .645 

XXX.  Qii'  tpnaliuu,  el  «iuellc  puriÛcalion  de  lamour  on  établira 
dansb-  lilé 6:;2 

CONCLUSIu.N 652 


ADDITIONS   ET  COIlBtCTIO?»». 

I.  Ou  corrise  d.ins  le  livre  X,  u.  \,  la  faiit*»  où  l'on  est  tombé,  d'excuser 

nos  faux  iny:*!iques  de  l'art,  viii  des  béguards 6.'i4 

II.  Doctrine  excellente  de  saint  Augustin  sur  le  Pater,  qu'il  folloit  avoir 
ajoutée  au  livre  VI,  n.  34 •     655 

III.  0»>e   la  doctrine  précédente  nempéche   pas  que  saint  Augustin  n'ait 
exc'llemmeiil  enletulu  la  nature  du  saint  amour  de  la  charité.      .     .     .     660 

IV.  De    la  pureté   et  du  désintéressement  de   l'amour,  dont  on  vient  de 
parler ^'^^ 

v.  Réflexions  sur  la  doctrine  précédente <I62 

VI.  Devoirs  de  la  charité  et  de  la  justice  :  saint  Augustin 6C5 


TABLE.  719 

vu.  Suppositions  par  impossible  selon  saint  Augustin;  et  encore  selon  ce 

Père,  de  l'amour  désintéressé 667 

VIII.  Passage  d'Hugues  de  Saint- Victor  sur  l'amour  désintéressé.     .    .     .  G70 


ACTES  DE  LA  CONDAMxNATlON  DES  QUIÉTISTES. 

Lettre  de   M.   le  cardinal  Caraccioli  à  S.  S.,  écrite  de  Naplesle  30  jan- 
vier 1682,  traduite  de  l'italien 674- 

Lettre  circulaiue  de   M.  le  cardinal  Cibo,  écrite  de  Rome  le  13  février 
1687,  à  tous  les  Potentats,  Evêques  et  Supérieurs  de  la  chrétienté,  par 

l'ordre  de  la  Congrégation  du  S.  Office;  traduit  de  l'italien 676 

Erreurs  principales  de  la  nouvelle  contemplation  ou  oraison  de  quiétude  : 

aussi  traduites  de  l'italien 677 

Condamnation  de  AIolinos 680 

Décret  de  l'Inquisittion  de  Rome  contre  Molinos 680 

Propositions 681 

Bulle  d'Innocent  XI,  contre  Michel  de  Molinos 683 

Damnatio  proposilionum  Michaelis  de  Molinos 683 

Propositiones 685 

Décrets  de  l'Inquisition   de  Rome  portant  condamnation    de    plusieurs 

ouvrages  des  quiétistes 701 


FIN   de  la  table   du  DIX- HUITIÈME  VOLUME. 


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PQ  Bossuet,  Jacques  Bénigne,  joy, 

1725  01  Meaux 

A5L3      Oeuvres  complètes 

v.lS 


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