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Full text of "Oeuvres complètes de Voltaire : avec notice, préfaces, variantes, table analytique, les notes de tous les commentateurs et des notes nouvelles, conforme pour le texte à l'èdition de Beuchot, enrichie des découvertes les plus récentes et mise au courant des travaux qui ont paru jusqu'à ce jour;"

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ŒUVRES    COMPLÈTES 

DB 

VOLTAIRE 

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CORRESPONDANCE 

IX 

Années  17G0-17G1.  —  N"  4282-4793 


l'ARIS.  -  IMPRIMERIE  A.  QUANTIiN   ET   C'° 
ANCIKKNIi  -MAISON  J.  CLAYE 

7,     RL'K     SAINT-BENOIT 


EUVRES    COMl^LÉTES 


VOLTAIRE 


NOLVELLE    EDITION 


^0T1CES,  PKÉFACES,  VARIANTES,  TABLE  ANALYTIQUE 

LBS  NOTES  DB  TOUS  LES  C0MMBNTATEUK3   BT   DBS  NOTES  NOUVaLLUS 

Conforme  pour  le  texte  à  l'édition  de  Bkucuot 
EiMllCmii    DES    DÉCOUVERTES    LES    PLUS    liÉCENTES 

ET    MISE    AU     COUKANT 

DES    TRAVAUX     QUI    OM     PAIIU     JUSQU'A     CB    JOUR 

PRÉCÉDÉE     DE     LA 

VIE     DE     VOLTAIRE 

PAR    COiNDOUCET 

ET    d'autres    étu  des  isiog  HAPHIQUES 
Ornée  d'un  portrait  en  pied  d'après  la  statue  du  foyer  de  la  Comédie  française 


COUllESPONDAiXCE 

IX 

(Années   1760-1701.  —  iN<"  4282-4793; 


gCF| 


PARIS 


GARMER    FRERES,    LIRRAIRES-ÉDITEURS 

l>,    IILL     DES     S  \I\TS-l'EllES,     0 


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CORRESPONDANCE 


4282.    —    A    MADAME  LA   COMTKSSH    D'AUGKNTAL. 

h""  octobre. 

Charmante  madame  Scaliger,  la  lettre,  le  savant  commentaire 
du  2k,  redoublent  ma  vénération.  M.  le  duc  de  Villars  s'habille 
pour  jouer,  à  huis  clos,  Gengiskan^;  la  Denis  se  requinque; 
deux  grands  acteurs,  par  parenthèse.  On  rajuste  mon  honnet, 
et  je  saisis  ce  temps  pour  vous  remercier,  pour  vous  dire  la 
centième  partie  de  ce  que  je  voudrais  vous  dire.  Je  suis  devenu 
un  peu  sourd,  mais  ce  n'est  pas  à  vos  remarques,  ce  n'est  pas  à 
vos  bontés-. 

Voilà  à  peu  près  tous  les  ordres  de  ma  souveraine  exécutés 
en  courant.  Toutes  les  judicieuses  critiques  scaligériennes  ont 
trouvé  un  V.  docile,  un  V.  reconnaissant,  un  V.  prompt  à  se  cor- 
riger, et  quelquefois  un  V.  opiniâtre,  qui  dispute  comme  un 
pédant,  et  qui  encore  vous  supplie  h  genoux  d'accepter  ses  chan- 
gements, de  faire  ùler  ce  détestable 

Car  tu  m'as  déjà  dil  (|iie  cet  audacieux^; 

et  il  vous  conjure,  plus  que  jamais,  d'ajouter  au  palhctique 
du  tableau  de  Chiiron,  au  cin(|,  ce  morceau  |)his  palbétique 
encore  : 

\.rr6te/....  vous  n'aos  point  mon  piMt",  etc. 

11  me  semble  que,  grâce  à  vos  bontés,  tout  est  à  présent  assez 
arrondi,  malgré  la  multitude  de  tant  d'idées  étrangères  à  Tan- 
crcde,  ([ui  melutinent  dei)uis  un  mois. 

M""'  Denis  partage  toute  ma  reconnaissance.  Divins  anges, 
veillez  sur  moi  ;  je  vous  lulovo.  du  culte  de  diilic  cl  de  lati-ie. 

1.  On  nicoiilc  qu'un  jour,  après  avoir  joue  ce  rùlo,  le  duc  de  Villars  demanda 
à  Voltaire  comment  il  l'avait  rempli,  et  que  l'auteur  do  l'Orphelin  lui  répondit  : 
Monseigneur,  vous  l'avez  joué  comme  un  duc  et  pair.  (Ci,.) 

2.  Il  y  avait  ici  dos  corrections  pour  Tancrùdc.  (K.) 

3.  Voyez  tome  XL,  pag'd  557. 

41.  —  Coiiiii;si>c).\nANCi!.  IX.  1 


2  COUUESrUND.VNCli. 

4-283.    —  A  M.   FAiniYS 

MAIRE     ET     SUBDÉLliGUÉ     DU     PAYS     DK     GEX. 

Aux  Délices,  octobre. 

Puisque  M.  de  Flciiry'  veut  garder  l'incognito,  je  ne  sais 
|)oint  qu'il  doit  venir,  cl  je  n'ai  point  l'honneur  de  lui  écrire. 

S'il  ne  se  propose  que  d'aller  à  Genève  pour  un  jour  et  demi, 
il  logera  au  cabaret  et  sera  fort  mal.  Il  fera  un  voyage  peu 
agréable.  Il  ne  verra  point  les  environs  ;  les  portes  se  ferment  à 
six  heures. 

Mais  s'il  veut  faire  une  halte  aux  Délices  le  lundi  13,  comme 
il  se  le  propose,  il  fera  un  léger  dîner  avec  sa  compagnie;  après 
quoi  nous  aurons  l'honneur  de  le  mener  à  Tournay,  où  nous  lui 
donnerons  une  pièce  nouvelle  ;  de  là  nous  le  remènerons,  lui  et  sa 
compagnie,  souper  aux  Délices;  et  après  souper,  nous  le  mène- 
rons courber  à  Fcrney.  Quoique  le  château  ne  soit  ni  meublé, 
ni  fini,  il  y  trouvera  dans  les  altiques  quatre  lits  de  maître  et  des 
lits  pour  ses  domestiques.  De  là  il  prendra  son  parti  ou  d'aller 
voir  Genève,  ou  de  dîner  à  Ferney,  ou  de  dîner  aux  Délices. 

Ayez  la  bonté,  monsieur,  de  lui  présenter  celte  requête;  il 
mettra  bon  au  bas  s'il  veut  nous  favoriser.  Nous  sommes  à  ses 
ordres.  Nous  avons  ici  M.  le  duc  de  Villars  et  M.  de  Sainl-Priest. 
Tout  s'est  arrangé  fort  bien.  On  pardonne  à  la  petitesse  de  ma 
maison,  au  théâtre  de  Polichinelle,  à  la  médiocre  chère,  et  celle 
indulgence  nous  encourage. 

Présentez,  je  vous  prie,  mes  respects  à  monsieur  l'intendant; 
donnez-moi  ses  ordres  précis,  et  comptez,  monsieur,  sur  le  dévoue- 
ment entier  de  votre  très-humble  et  obéissant  serviteur. 

4284.   —  A  M.   L  E  MARQUIS  DE   CÏIAUVELIN. 

Aux  Délices,  3  octobre. 

Le  baron  germanique'  qui  se  charge  de  rendre  ce  paquet  à 
Voire  Excellence  est  un  heureux  petit  baron.  Je  connais  des  Fran- 
çais qui  voudraient  bien  être  à  sa  place,  et  faire  leur  cour  à 
M.  et  à  M"'^  de  Chauvclin.  Je  n'ai  point  eu  l'honneur  de  vous 
écrire  pendant  que  vous  bouleversiez  nos  limites,  et  que  vous 


1.  Éditeurs,  Baveux  et  François. 

2.  Joly  de  Fleury,  intcudant  de  Bourgogn  ■, 
Grimm. 


ANNÉE    17  GO.  3 

rendiez  des  Savoyards  Français,  et  des  Français  Savoyards.  Je 
conçois  très-ljjen  qu'il  y  a  du  plaisir  à  être  Savoyard  quand 
vous  êtes  en  Savoie.  Souvenez-vous,  monsieur,  que  quand  vous 
prendrez  le  chemin  de  Versailles  pour  donner  la  chemise'  au 
roi,  vous  devez  au  moins  venir  changer  de  chemise  dans  nos 
ermitages. 

J'ai  riionneur  de  vous  envoyer  une  partie  de  la  Vie  du  Selon 
et  du  Lycurgue  du  Nord.  Si  la  cour  de  lUissie  était  aussi  diligente 
à  m'envoyer  ses  archives  que  je  le  suis  à  les  compiler,  vous  auriez 
eu  deux  ou  trois  tomes  au  lieu  d'un.  Je  me  souviens  d'avoir  en- 
tendu dire  à  vos  ministres,  au  cardinal  Dubois,  à  M.  de  Mor- 
ville*,  que  le  czar  n'était  qu'un  extravagant,  né  pour  être  contre- 
maître d'un  navire  hollandais;  que  Pétershourg  ne  pourrait 
subsister  ;  qu'il  était  impossible  qu'il  gardât  la  Livonie,  etc.  ; 
et  voilà  aujourd'hui  les  Russes  dans  Berlin^  et  un  Tottleben 
donnant  ses  ordres  datés  de  Sans-Souci!  Si  j'avais  été  là,  j'aurais 
demandé  le  beau  Mercure  de  Pigalle  pour  le  rendre  au  roi. 

En  qualité  de  tragédien,  j'aime  toutes  ces  révolutions-là  pas- 
sionnément. J'ai  et  j'aurai  contentement.  Peut-être,  si  j'étais  sir 
Politick'^,  je  ne  les  aimerais  pas  tant.  Je  ne  suis  pas  trop  mécon- 
tent de  vous  autres  sur  terre,  mais  vous  êtes  sur  mer  de  bien 
pauvres  diables. 

Si  j'osais,  je  vous  conjurerais  à  genoux  de  débarrasser  pour 
jamais  du  Canada  le  ministère  de  France.  Si  vous  le  perdez, 
vous  ne  perdez  presque  rien  ;  si  vous  voulez  qu'on  vous  le  rende, 
on  ne  vous  rend  qu'une  cause  éternelle  de  guerre  et  d'humilia- 
tions. Songez  que  les  Anglais  sont  au  moins  cinquanlc  conlre 
un  dans  l'Amérique  septentrionale.  Par  quelle  démence  horrible 
a-t-on  pu  négliger  la  Louisiane,  pour  acheter,  tous  les  ans, 
trois  millions  cinq  cent  mille  livres  de  tabac  de  vos  vain- 
queurs? N'est-il  pas  absurde  que  la  France  ait  dépensé  tant 
d'argent  en  Amérique,  pour  y  être  la  dernière  des  nations  de 
l'Europe? 

Le  zèle  me  suffoque;  je  tremble  depuis  un  an  pour  les  Indes 
orientales.  Un  maudit  gouverneur  de  la  colonie  anglaise  à  Su- 


1.  En  17(iO,  Chauvclin    avait  obtenu  une   des  deux  charges  de  maître  de  la 
(jarde-robe. 

2.  La  lettre  173  lui  est  adressée. 

3.  Selon  VAH  de  vérifier  les  dates,  Tottleben  s'empara  de  lierlin  le  9  octobre 
17G0,  et  selon  d'autres,  il  y  entra  dès  le  :•. 

4.  Voyez,  tome  III,  la  Piéruco  (de  1738)  en  tète  de  la  Murl  de  Ccsar ;  et  tome 
XXIX,  page  208. 


4  CUllUliSPONDANClî. 

nilf,  et  un  ceilaiii  coimiiodore  qui  nous  a  frottés  dans  l'Inde, 
sont  M'Mus  me  voir;  ils  liiont  assuré  que  Pondicliéry  serait  à 
CUV  dans  (lualre  mois.  Dieu  veuille  que  M.  JJcrryer  confonde 
iiKiii  Commodore! 

pour  me  dépiciucrdes  malheurs  publics  et  des  miens  propres 
((.•arjenavij;ue  malheureusement  dans  la  barque),  je  me  suis  mis 
à  jouer  force  tragédies,  et  nous  gardons  des  rôles  pour  madame 
l'ambassadrice.  Nous  jouîmes  Fanime  ces  jours  passés;  la  scène 
est  à  Saïd,  i)elil  port  de  Syrie.  Nous  eûmes  pour  spectateur  un 
Arabe  (jui  est  de  Saïd  même,  qui  sait  sept  ou  huit  langues,  qui 
parle  très-bien  français,  et  qui  eut  beaucoup  de  plaisir.  Savez- 
^ous  bien  que  j'ai  eu  un  autre  arabe?  C'est  l'abbé  d'Espagnac. 
Pourquoi  faut-il  qu'un  homme  si  coriace  soit  si  aimable!  Vivent 
les  gens  faciles  en  allaires!  la  vie  est  trop  courte  pour  chipoter. 

Vous  connaissez  la  belle  lettre*  de  Luc,  où  il  parle  si  courtoi- 
sement de  M.  le  duc  de  Choiseul.  J'ai  bien  peur  que  mes  Piusses 
n'aient  pris  aussi  une  lettre  qu'il  m'adressait.  Cet  homme  ne  mé- 
nage pas  plus  les  termes  que  ses  troupes;  il  perdra  ses  États 
pour  avoir  fait  des  épigrammes.  Ce  sera  du  moins  une  aven- 
ture unique  dans  les  chroniques  de  ce  monde. 

Je  suis  un  grand  babillard,  monsieur;  mais  il  est  si  doux  de 
s'entretenir  avec  vous  des  sottises  du  genre  humain,  et  de  vous 
ouvrir  son  cœur!  Je  compte  si  fort  sur  vos  bontés  que  je  me  suis 
laissé  aller.  Conservez-moi,  et  madame  l'ambassadrice,  un  peu  de 
souvenir  et  de  bienveillance.  Je  vous  avertis  que  M""^  Denis  est  de- 
venue très-digne  de  jouer  les  seconds  rôles  avec  M'"*  de  Chauvelin. 

L'oncle  et  la  nièce  sont  à  ses  pieds.  Je  vous  présente  mon 
tendre  respect  dans  la  foule  de  ceux  qui  vous  aiment. 


4285.  -  A  M.  LE  DOCTEUR  TROiNCHIIN  2. 

Voici,  mon  cher  Esculape,  le  volume  dont  vous  voulez  sans 
doute  amuser  Son  Excellence.  Je  vous  demande  en  grâce  de  me 
le  renvoyer  au  plus  tôt.  J'ai  cherché  la  lettre  de  ce  J.-J.  ou  J.-F. 


1.  Celte  lettre,  adressée  à  d'Argens,  et  datée  de  Hersmannsdorff,  près  de  Bres- 
lan,  le  27  août  17C0,  est  dans  la  Correspondance  littéraire  de  Grimm,  du  15  sep- 
tembre suivant.  On  lit  cette  phrase  dans  le  dernier  alinéa  :  «  Je  sais  un  trait  du 
duc  de....  (Choiseul)  que  je  vous  conterai  lorsque  je  vous  verrai.  Jamais  pro- 
cédé plu<ï  fou  et  plus  inconséquent  n'a  flétri  un  ministre  de  France,  depuis  que 
cette  monarchie  en  a.  »  —Voyez  plus  bas  la  lettre  4317. 

1.  Éditeurs,  de  Cayrol  et  François. 


ANNÉE    17  60.  :j 

Si  je  la  trouve,  vous  l'aurez  sur-le-champ.  Je  vous  demande  on 
grâce  de  ne  pas  laisser  ignorer  à  votre  ambasscur  malade  le  vif 
intérêt  que  je  prends  à  sa  santé.  Vous  le  guérirez,  j'en  réponds. 
Il  n'a  que  trente-quatre  ans,  et  j'en  ai  soixante  et  onze. 

P.  S.  Je  n'aurai  pas  le  dernier;  croyez  qu'il  y  a  une  très- 
grande  différence  entre  Paris  et  une  petite  ville,  que  la  plaisan- 
terie de  Hume  est  fort  bonne,  et  que  celle  des  Dialogues  chrétiens 
est  fort  triste.  Je  ris  pour  Paris,  mais  je  ne  ris  point  pour  Genève. 
Non  omnibus  rideo.  Je  prends  ici  la  chose  très-sérieusement,  et  je 
ne  veux  pas  accoutumer  des  faquins  de  libraires  à  abuser  de 
mon  nom.  Je  dirai  à  Vernet  qu'il  est  un  fripon,  quand  il  me 
plaira;  mais  je  neveux  pas  qu'on  mêle  fasse  dire.  Mon  cher 
Esculape,  croyez-moi,  aimez  la  franchise  de  mon  caractère. 

4286.  —  A  M.   LE   MARQUIS  ALBERGATI   CAPACELLI». 

Aux  Délices,  3  octobre. 

Signor  mio  amabile,  caro  protettore  di  tutte  le  buone  arti,  vi 
ho  scritto  per  mezzo  d'  un  cavalière  chiamato  M.  Hope,  mezzo 
Inglese,  mezzo  Ollandese,  e  richissimo,  dunquc  tre  volte  libero. 
Egli  va  a  vcdere  tutta  1'  Italia  et  la  Grecia  ancora. 

Ringrazio  la  sua  cortesia  per  i  primi  versi  délia  traduzionc 
del  Tancredi.  Prego  il  gentile  poeta  -  clie  mi  fa  1'  onore  d'  abbcl- 
lirmi  di  ferma rsi  un  poco,  perche  la  tragedia  di  Tancredi  si  rap- 
presenta  in  Parigi  molto  différente  da  quella  cli'  io  vi  mandai 
troppo  frettolosamente.  Bisogna  sempre  ripulire  le  nostre  opère, 

Et  maie  formatos  incudi  reddere  versus. 

Ecco  dunquc  i  nostri  comici  trastulli  andati  al  diavolo  col  bel 
tempo.  IIo  fatto  sempre  i  vecchio  sul  mio  piccolo  tcalro,  e  1'  ho 
rappresentato  troppo  naturalmentc.  La  mia  vecchiezza  non  mi 
concède  la  licenza  di  vcnire  à  Bologna.  Venite  dunquc  ad  po- 
veras  Delicias  mcas  ^. 


1.  Éditeurs,  de  Cayrol  et  François. 

2.  l'aradisi. 

3.  Traduction  :  Seigneur  très-aimable,  protecteur  des  beaux-arts,  je  vous  ai 
écrit  par  l'intermédiaire  d'un  cavalier  nommé  M.  Hope,  demi-Anc-lais.  domi-Ilol- 
landais,  et  richissime,  par  conséquent  trois  fois  libre.  Il  va  visiter  tuute  l'Italie  et 
la  Grèce  par-dessus  le  marché. 

Je  rends  grâce  à  votre  courtoi'^ie  pour  les  premiers  vers  de  la  traduction  île 


G  CORRESPONDANCE 

Adit'ii.  iiiniisiciir,  jo  vous  respecte,  je  vous  aime  de  tout  mon 
cu'ur. 

/'.  .^'.  Ne  m'oubliez  pas  auprès  de  mou  illustre  Goldoni,  que 
i'.iiinc  |)liis  que  jamais. 

4-287.  —  A    M.   LE   COMTE    D'ARGENTAL. 

Aux  Délices,  i  octobre,  à  midi. 

Kli  1  mon  Dieu,  mes  anges,  vous  voilà  faciles  contre  moi  !  vous 
voilà  tles  anges  exterminateurs.  Que  votre  face  ne  s'allume  pas 
contre  moi,  et  regardez-moi  en  pitié. 

Je  vous  ai  écrit  une  lettre  ^  ce  matin  ;  je  réponds  à  votre 
courroux  du  29.  Figurez-vous  que  je  n'ai  le  temps  ni  de  manger 
ni  de  dormir;  la  tête  me  tourne. 

1*^  Je  vous  jure  qu'on  m'a  mandé  que  Lekain  et  la  Clairon 
avaient  arrangé  le  troisième  acte  à  leur  fantaisie;  mais  allons 
pied  à  pied,  si  je  puis,  et  commençons  par  le  commencement. 

2"  J'ai  déjà  dit  et  je  redis  que  la  transfusion  des  deux  scènes 
paternelles  d'Argire  avec  Aménaïde  en  une  seule  scène,  vers  la 
fin  du  premier  acte,  était  le  salut  de  la  république;  j'ai  remercié 
et  je  remercie. 

3"  Je  m'en  tiens  à  cette  manière  de  finir  le  premier  acte  : 

Viens...  je  le  dirai  tout...  mais  il  faut  tout  oser; 
Le  joug  est  trop  affreux;  ma  main  doit  le  briser; 
La  persécution  enhardit  la  faiblesse. 

Cela  fortifie  le  caractère  d'Aménaïde,  et  rend  en  même  temps 
ses  accusateurs  moins  odieux. 

/i"  Le  second  acte  commence  encore  d'une  manière  plus 
forte  : 


Moi,  des  remords I  qui,  moi!  le  crime  seul  les  donne,  etc. 

Tancrède.  Je  prie  le  gentil  poète  qui  me  fait  l'honneur  de  m'embcllir  de  s'arrêter 
un  peu,  parce  que  la  tragédie  de  Tancrède  qu'on  représente  à  Paris  est  bien  diffé- 
rente de  celle  que  je  vous  mandai  avec  trop  de  hâte.  Il  est  besoin  de  repolir  sans 
cesse  nos  œuvres,  «  et  de  remettre  sur  l'cnclame  les  vers  mal  formés  ». 

Voici  donc  nos  amusements  comiques  qui  s'en  vont  au  diable  avec  le  beau 
temps.  J'ai  toujours  joué  le  vieillard  sur  mon  petit  théâtre,  et  je  l'ai  représenté 
trop  au  naturel.  Ma  vieillesse  ne  me  permet  pas  d'aller  à  Bologne.  Venez  donc  à 
no-;  pauvres  Délices. 

I.  Elle  manque.  (Cl.) 


ANNÉE    1760.  7 

Et  c'est  Aménaïdc,  et  non  la  suivante,  qui  fait  tout  ;  et  il  est  bien 
plus  naturel  de  lui  donner  de  la  confiance  pour  un  esclave  qui 
l'a  déjà  servie  que  de  remettre  tout  aux  soins  de  Fanie  :  cela 
était  trop  d'une  petite  fille,  et  cette  fermeté  du  caractère  d'Amé- 
naïde  prépare  mieux  les  reproches  vigoureux  qu'elle  fait  ensuite 
à  son  père. 

5°  Jamais  je  n'ai  eu  d'autre  idée,  au  troisième  acte,  que  de 
faire  apprendre  à  ïancrède  son  malheur  par  gradation  ;  je  n'ai 
jamais  prétendu  qu'il  parlât  d'abord  à  Aldamon,  comme  au  con- 
fident de  son  amour  ;  et  quand  Tancrède  disait,  au  nom  d'Or- 
bassan  : 

Orbassan,  l'ennemi,  le  rival  de  Tancrèdel 

(Scène  I.) 

il  le  disait  à  part;  et,  pour  lever  toute  équivoque,  j'ai  mis  Vop- 
prcsseurde  Tancrède,  au  lieu  de  rival.  J'ai  toujours  prétendu  que 
Tancrède,  en  arrivant  dans  la  ville,  avait  appris,  par  le  bruit 
public,  qu'Orbassan  devait  épouser  Aménaïde;  c'est  une  chose 
très-naturelle:  tout  le  monde  en  parle,  et  Aldamon  n'en  sait  que 
ce  que  la  voix  publique  lui  en  a  appris. 

Quand  Tancrède  demande  qui  commande  les  armes  dans  la 
ville,  Aldamon  peut  répondre  : 

Ce  fut,  vous  le  savez,  le  respectable  Argire, 


Mai:; Orbassan  lui  succède. 

(Acte  m,  scène  i.) 

En  un  mot,  tout  l'art  de  cette  scène  doit  consister  dans  la 
manière  dont  Tancrède  laisse  pénétrer  son  secret  par  Aldamon, 
qui  voit,  par  son  émotion,  quels  sont  ses  chagrins  et  ses  projets. 
Je  vais  parler  de  vous  était  équivoque;  vous  cependant  ne  signifie 
pas  je  vous  nommerai;  il  signifie  qu'Aménaïde  pourra  se  douter 
quel  est  ce  vous;  mais  cela  est  trop  subtil,  et  vous  m'envoyez  vaut 
mieux.  Ce  sont  bagatelles. 

C" Je  suis  encor  sous  le  couteau 

(Acte  III,  scène  vu.) 

est  une  expression  noble  et  terrible  :  si  on  ne  la  trouve  pas 
ailleurs,  tant  mieux  ;  elle  a  le  mérite  de  la  nouveauté,  de  la  vérité, 
et  rie  l'intérêt.  Celle  scène  a  fait  un  grand  ell'el  chez  moi.  Il  faut 
laisser  dire  les  petits  critiques,  qui  font  semblant  de  s'ellarou- 


H  COHHESPONDANCE. 

cher  ilo  loul  ce  (jiii  est  nouveau,  et  qui  no  voudraient  que  des 
expressions  triviales;  notre  lanj^ue  n'est  déjà  que  trop  stérile. 

7"  La  dernière  scène  du  second  acte  était  aussi  nécessaire 
fine  celle  tirrnière  scène  du  troisième;  mais  comme  ce  petit 
nionoIo^Mic  du  second  ne  peut  être  qu'une  expression  simple  de 
la  situation  (rAniénaïde,  conmie  ce  tableau  de  son  état  n'est  point 
un  j^rand  combat  de  passions,  il  ne  faut  pas  s'attendre  à  de  grands 
elïets  de  ce  monologue,  mais  seulement  à  rendre  le  spectateur 
satisfait,  et  à  terminer  Fade  avec  rondeur  et  élégance,  sans 
refroidir. 

8"  Si, 

0  ma  fille!  vivez,  fiissioz-vous  ci-iminelle*, 

est  dit  par  un  acteur  glacé,  tel  que  les  acteurs  français  l'ont 
presque  toujours  été  ;  si  ce  vers  n'est  pas  dans  la  bouche  d'un 
liomme  qui  ait  déjà  pleuré  ou  fait  pleurer,  il  est  clair  que  ce 
vers  doit  être  mal  reçu  ;  mais  moi,  en  le  disant,  j'arrache  des 
larmes.  J'ai  voulu  peindre  un  vieillard  faible  et  malheureux  ;  c'est 
la  nature.  Il  y  a  un  préjugé  bien  ridicule  parmi  nous  autres 
Francs,  c'est  que  tous  les  personnages  doivent  avoir  la  même 
noblesse  d'âme,  qu'ils  doivent  tous  être  bien  élevés,  bien  élé- 
gants, bien  compassés;  la  nature  n'est  pas  faite  ainsi. 
9°  Le  grand  point  est  de  toucher; 

Inventez  des  ressorts  qui  puissent  m'atlachcr, 

(BoiLEAU,    l'Art  poel.,  cli.  III    v.  26.) 

Or  Aménaïde  est  aussi  touchante  à  la  lecture  qu'au  théâtre. 
Cependant  vous  savez,  mes  anges,  que  M.  de  Chauvelin  avait  été 
mécontent  du  quatrième  acte;  il  avait  imaginé  d'envoyer  un 
ambassadeur  de  Solamir,  et  de  substituer  une  entrée  et  une 
audience  aux  sentiments  douloureux  d'une  femme  qui  a  été 
condamnée  à  mort  par  son  père,  et  qui  est  à  la  fois  méprisée  et 
défendue  par  son  amant.  Toutes  ces  idées  que  chacun  a  dans  sa 
tête,  de  la  manière  dont  on  pourrait  conduire  autrement  une 
pièce  nouvelle,  ne  serviront  jamais  qua  refroidir  un  auteur,  à  lui 
ôter  tout  son  enthousiasme.  On  pourra  gagner  quelque  chose  du 
côté  de  l'historique,  et  on  perdra  tout  l'intérêt.  Si  Corneille  avait 
suivi  dans  le  Cid  le  plan  de  l'Académie,  le  Cid  était  à  la  glace. 

1.  Ce  vers,  qui  sortait  glace  de   la  bouche  de   Brizard,  n'a  pas  été  conservé 
.dans  Tancrède.  {Va..) 


ANNliE    17  0  0.  9 

On  crie,  aux  premières  représentations,  et  le  couteau,  et  la 
liaine  outragcusc,  et 

...Je  ne  peux  souffrir  ce  qui  n'est  pas  Tancrède; 

(Acte  II,  scèno  i.) 

au  bout  de  huit  jours  on  ne  crie  plus. 

10°  Les  longueurs  doivent  être  accourcies  ;  mais  l'étriqué  et 
l'étranglé  détruit  tout.  Un  sentiment  qui  n'a  pas  sa  juste  étendue 
ne  peut  faire  eiïct.  Qu'est-ce  qu'une  tragédie  en  abrégé? 

1^  Nous  soutenons  toujours  que  les  derniers  vers  d'Amé- 
naïde  sont  un  morceau  pathétique,  terrible,  nécessaire,  et  nous 
en  avons  eu  la  preuve  : 

Arrêtez...  vous  n'ùtes  point  mon  père,  etc. 

(Acte  V,  scène  vi.) 

On  fut  transporté. 

Je  n'ai  plus  de  papier,  je  n'ai  plus  ni  tête  ni  doigts.  Mon  cœur 
est  navré  de  douleur  si  j'ai  déplu  à  mes  anges;  mais,  au  nom 
de  Dieu,  ùtez-moi  ce 

Car  tu  m'as  déjà  dit'. 

4288.   —  A   M.   PALISS0T2. 

Octobre. 

J'ai  reçu,  monsieur,  votre  lettre  du  13.  Je  dois  me  plaindre 
d'abord  à  vous  de  ce  que  vous  avez  publié  mes  lettres  sans  m(> 
demander  mon  consentement  :  ce  procédé  n'est  ni  de  la  philo- 
sophie ni  du  monde.  Je  vous  réponds  cependant,  en  vous  priant, 
par  tous  les  devoirs  de  la  société,  de  ne  point  publier  ce  que  je 
ne  vous  écris  que  pour  vous  seul. 

Je  dois  vous  remercier  de  la  part  que  vous  voulez  bien  prendre 
au  succès  de  Tancrhde,  et  vous  dire  que  vous  avez  très-grande  raison 
de  ne  vouloir  d'appareil  et  d'action  au  théùtre  qu'autant  que  l'un 
et  l'autre  sont  liés  à  l'intérêt  de  la  pièce.  Vous  écrivez  Iroj)  bien 
pour  ne  pas  vouloir  que  le  poète  l'emporte  sur  les  décorateurs. 

1.  Voyez  lomo  XL.  page  .j.jT. 

2.  Cette  lettre  a  été  imprimée  à  la  page  3.j7  du  tome  I"  du  Stippli'ment  au 
recueillies  lellres  de  M.  de  Voltaire,  Paris,  Xlirouci,  1808,  deux  volumes  in-8"  on 
in-12.  Augcr,  qui  fut  éditeur  de  ces  doux  volumes,  la  donna  d'après  une  copif 
écrile  de  la  main  du  secréluire  de  Voltaire;  je  la  reproduis  ici,  sans  cherchera 
expliquer  pourquoi  cette  copie  est  si  différente  de  la  lettre  à  Palissot  du  2i  sep- 
tembie  (voyez  n"  427.3),  dont  elle  est  évidemment  une  autre  version;  mais  c'est  le 
texte  de  la  lettre  du  2i  seplimbrc  qui  est  l'authentique.  (B.) 


10  CORRESPONDANCE. 

Je  (lois  aussi  vous  dire  que  la  guerre  n'est  pas  de  mon  goût,  mais 
qu'on  est  (luclquofoislbrcéà  la  faire.  Les  agresseurs  en  tout  genre 
ont  tort  devant  Dieu  et  devant  les  hommes.  Je  n'ai  jamais  attaqué 
persDiine.  Fréron  m'a  insulté  des  années  entières  sans  que  je 
l'aie  su  ;  on  m'a  dit  ([ue  ce  serpent  avait  mordu  ma  lime^  avec 
des  dents  aussi  envenimées  que  faibles.  Lefranc  a  prononcé 
devant  l'Académie  un  discours  insolent  dont  il  doit  se  repentir 
toute  sa  vie,  parce  que  le  public  a  oublié  ce  discours,  et  se  sou- 
vient seulement  des  ridicules  qu'il  lui  a  valus. 

Pour  votre  pièce  des  Philosopiies,  je  vous  répéterai  toujours 
que  cet  ouvrage  m'a  sensiblement  affligé.  J'aurais  souhaité  que 
vous  eussiez  employé  l'art  du  dialogue  et  celui  des  vers,  que 
vous  entendez  si  bien,  à  traiter  un  sujet  qui  ne  dût  pas  une 
partie  de  son  succès  à  la  malignité  des  hommes,  et  que  vous 
n'eussiez  point  écrit  pour  flétrir  des  gens  d'un  très-grand  mérite, 
dont  (juelques-uns  sont  mes  amis,  et  parmi  lesquels  il  y  en  a  eu 
de  malheureux  et  de  persécutés.  Le  public  finit  par  prendre  leur 
j)arti  ;  ou  ne  veut  pas  que  l'on  Immole  sur  le  théâtre  ceux  que  la 
cour  a  opprimés.  Ils  ont  pour  eux  tous  les  gens  qui  pensent, 
tous  les  esprits  qui  ne  veulent  point  être  tyrannisés,  tous  ceux 
qui  détestent  le  fanatisme  ;  et  vous,  qui  pensez  comme  eux,  pour- 
quoi vous  êtos-vous  brouillé  avec  eux?  11  faudrait  ne  se  brouiller 
qu'avec  les  sots. 

On  m'a  envoyé  un  Recueil^  de  la  plupart  des  pièces  concer- 
nant cette  querelle.  In  des  intéressés  a  fait  des  Notes  ^  bien  fortes 
sur  les  accusations  que  vous  avez  malheureusement  intentées 
aux  philosophes,  et  sur  les  méprises  où  vous  êtes  tombé  dans 
ces  imputations  cruelles.  Il  n'est  pas  permis,  vous  le  savez,  à  un 
accusateur  de  se  tromper.  C'est  encore  un  grand  désagrément 
pour  moi  que  notre  commerce  de  lettres  ait  été  empoisonné  par 
les  reproches  sanglants  qu'on  vous  fait  dans  ce  Recueil,  et  par 
ceux  qu'on  m'a  faits,  à  moi,  d'entretenir  commerce  avec  celui 
qui  se  déclare  contre  mes  amis. 

J'avais  été  gai  avec  Lefranc,  avec  Trublet,  et  même  avec 
Fréron  ;  j'avais  été  touché  de  la  visite  que  vous  me  fîtes  aux 
Délices;  j'ai  regretté  vivement  votre  ami  M.  Patu,  et  mes  senti- 
ments, partagés  entre  vous  et  lui,  se  réunissaient  pour  vous  ; 
j'avais  pris  un  intérêt  extrême  au  succès  de  vos  talents;  vous 


1.  Allusion  à  la  fable  de  La  Fontaine,  livre  V,  fable  .wi. 

2.  Le  Recueil  des  Facéties  parisiennes  pour  les  six  premiers  mois  de  l'an  1700. 
:{.  \oyc7.,  tome  XL,  la  note  4  de  la  page  ô-jo. 


ANNÉE    17G0.  H 

m'avez  fait  jouer  un  triste  personnage  quand  je  me  suis  trouvé 
entre  vous  et  mes  amis,  que  vous  avez  décliirés.  Je  vous  avais 
ouvert  une  voie  pour  tout  concilier;  mais,  au  lieu  delà  prendre, 
vous  avez  redoublé  vos  attaques.  C'est  aux  jésuites  et  aux  jansé- 
nistes à  se  détruire,  et  nous  aurions  dû  les  manger^  tranquille- 
ment, au  lieu  de  nous  dévorer  les  uns  les  autres. 


4289.  —   A  M.   D'ALEMBERT. 

8  octobre. 

Jai  eu,  mon  très-cher  maître,  votre  discours*  et  M.  de  Mau- 
dave,  et  j'ai  été  Lien  content  de  l'un  et  de  l'autre.  Indépendam- 
ment de  vos  bontés  pour  moi,  j'aime  tout  ce  que  vous  faites; 
vous  avez  un  style  ferme  qui  fait  trembler  les  sots.  Je  vous  sais 
bon  gré  de  n'avoir  pas  mis  la  tragédie  dans  la  foule  des  genres 
de  poésie  qu'on  ne  peut  lire.  Je  vous  prie,  à  propos  de  tragédie, 
de  ne  pas  croire  que  j'aie  fait  Tancrède  comme  on  le  joue  à  Paris. 
Les  comédiens  m'ont  cassé  bras  et  jambes  ;  vous  verrez  que  la 
pièce  n'est  pas  si  dégingandée.  Heureusement  le  jeu  de  M""  Clairon 
a  couvert  les  sottises  dont  ces  messieurs  ont  enrichi  ma  pièce 
pour  la  mettre  à  leur  ton.  Nous  l'avons  jouée  ici;  et,  si  vous  y 
revenez,  nous  la  jouerons  pour  vous.  Vous  seriez  étonné  de  nos 
acteurs.  GrAce  au  ciel,  j'ai  corrompu  Genève,  comme  m'écrivait 
votre  fou  de  Jean-Jacques'.  Il  faut  que  je  vous  conte,  pour  votre 
(Vlilicntion,  que  j'ai  fait  un  singulier  prosélyte.  Ln  ancien  olTicier*, 
homme  de  grande  condition,  retiré  dans  ses  terres  h  cent  cin- 
quante lieues  de  chez  moi,  m'écrit  sans  me  connaître,  me  confie 
qu'il  a  des  doutes,  fait  le  voyage  pour  les  lever,  les  lève,  et  me  pro- 
met d'instruire  sa  famille  et  ses  amis,  La  vigne  du  Seigneur  n'est 
l)as  mal  cultivée.  Vous  prenez  le  parti  de  rire,  et  moi  aussi;  mais 

En  riant  quelquefois  on  rase 

D'assez  près  ces  extravagants 

A  manteaux  noirs,  à  manteaux  blancs, 

Tant  les  ennemis  d'Allianase, 

Honteux  ariens  de  ce  temps, 

Que  les  amis  de  l'hypostase, 

Et  ces  sols  qui  prennent  i)Our  base 

1.  Mfinocons  du  jésuite!...  est  le  cri  des  Oreillons,  dans  le  chap.  xvi  du  roman 
de  Cuiididc. 

'2.  liélhixions  sur  la  Poésie;  vojcz  tonio  XL,  paj^c  .j"JG 

3.  Voyez  le  passage  de  sa  lettre,  t oiiie  XL,  p.'iL,'c  423. 

4.  Le  marquis  d'Arj^ence  de  Dirac. 


42  CORRESPONDANCE. 

De  leurs  cniuiyciix  ;irguments 
De  Haïus  quehjuo  para  pi  ira  se. 
Sur  mon  bidet,  nommé  Pégase, 
J'éclabousse  un  peu  ces  pédants; 
Mais  il  faut  que  je  les  écrase 
lui  riant. 

Laissons  là  ce  rondoau  ;  ce  n'est  pas  la  peine  de  le  finir;  le 
temps  est  trop  cher.  M.  le  chevalier  de  Maudavc  m'a  donné  des 
commentaires  snr  le  Ycidam  qui  en  valent  bien  d'autres.  Il  m'a 
donné  de  plus  un  dieu  qui  en  vaut  bien  un  autre  :  c'est  le  Phal- 
liim  '.  Il  m'a  l'air  d'en  porter  sur  lui  une  belle  copie. 

Duclos  m'a  envoyé  le  T,  pour  rapetasser  cette  partie  du  Dic- 
tiornuiirc-.  Signa  T  super  caput  dolenlium^.  Je  n'ai  pas  encore  eu 
le  temps  d'y  travailler;  il  nous  faut  jouer  la  comédie  deux  fois 
par  semaine.  Nous  avons  eu  dans  notre  trou  quarante-neuf  per- 
sonnes à  souper  qui  parlaient  toutes  h  la  fois,  comme  dans 
PÉcossaise:  cela  rompt  le  chaînon  des  études.  Je  donnerais  ces 
quarante-neuf  convives  pour  vous  avoir.  A  propos,  vous  frondez 
la  perruque'^  de  Boileau  ;  vous  avez  la  tète  bien  près  du  bonnet. 
S'il  avait  fait  une  épître  à  sa  perruque,  bon  ;  mais  il  en  parle  en 
un  demi-vers,  pour  exprimer,  en  passant,  une  chose  difficile  à 
dire  dans  une  épître  morale  et  utile. 

Si  j'ai  le  temps  et  le  j^énie,  je  ferai  une  épître  ^  à  Clairon,  et 
je  vous  promets  de  n'y  point  parler  de  ma  perruque. 

Il  n'y  a  point  de  metum  Juclxorum^  ;  nous  avons  ici  doux 
maîtres  des  requêtes  qui  m'ont  annoncé  M.  Turgot.  Nous  allons 
avoir  un  conseiller  de  grand'chambre'' ;  c'est  dommage  qu'Orner 
Joly  de  Flcury  n'y  vienne  pas. 

Luc  est  remonté  sur  sa  bête,  et  sa  bête  est  Daun  ^ 

Aimez-moi  un  peu  ;  et,  s'il  y  a  à  Paris  quelque  bonne  et  grave 
impertinence,  ne  me  la  laissez  pas  ignorer. 

1.  Ou  Phallus.  Voyez  ce  qu'en  dit  Voltaire,  tome  XXIX,  page  103. 

2.  Le  Dictionnaire  de  V Académie.  (Cl.)  —  Le  travail  de  Voltaire  sur  la  lettre  T 
pour  le  Diclionnaire  de  l'Académie  a  été  mis,  par  les  éditeurs  de  Kehl,  dans  le 
Dictionnaire  pitilosophique;  voyez  tome  XX. 

3.  Kzéchiel,  cliap.  ix,  v.  4. 

4.  D'Alembcrt  prétendait,  dans  ses  Réflexions  stir  la  Poésie,  que  Boileau  avait 
avili  la  langue  dos  dieux  en  exprimant  poétiquement  sa  perruque.  Voltaire,  avec 
raison,  prend  ici  le  parti  des  faux  cheveux  blonds  du  législateur  du  Parnasse. 
Voyez  VËpiIre  x  de  Boileau  à  mes  vers,  v.  26.  (Cl.) 

b.  C'est  ;\  quoi  l'avait  engagé  d'Alembert  dans  la  lettre  4267. 

6.  Jean,  vu,  13. 

7.  L'abbé  d'Espagnac. 

8.  Voyez  tome  XL,  page  525. 


ANNÉE    17  GO.  43 


l-2'JO.  —  A  M.  ÏIIltRIOT. 

8  octobre. 

Je  vous  (lois  Lien  des  réponses,  mon  ancien  ami.  Puisque 
vous  logez  chez  un  médecin',  ce  n'est  pas  merveille  que  vous 
soyez  malade.  Si  vous  venez  aux  Délices,  vous  vous  porterez 
bien,  M""^  Denis  vous  fera  pleurer  dans  Tancrede  tout  autant  que 
M"-^^  Clairon  ;  et  moi,  je  vous  ferai  plus  d'impression  que  Crizard  ; 
je  suis  un  e.Ycellent  bonhomme  de  père. 

Je  vous  enverrai  incessamment  un  Pierre  le  Grand  par  M,  Dami- 
laville. 

Je  ne  i)eux  vous  donner  la  Capilotade  -  que  cet  hiver;  je  n"ai 
l)as  un  moment  à  moi. 

J"ai  dans  mon  taudis  des  Délices  M.  le  duc  de  Villars,  un 
intendant ^  un  homme  d'un  grand  mérite*  qui  a  fait  cent  cin- 
quante lieues  pour  me  voir,  JNous  couchons  les  uns  sur  les 
autres.  Il  y  avait  hier  quarante-neuf  personnes  à  souper.  Nous 
jouons  aujourd'hui  Mahomet;  une  Palmire  ^  jeune,  naïve,  char- 
manie,  voix  de  sirène,  cœur  sensible,  avec  deux  yeux  qui  fondent 
en  larmes;  on  n'y  tient  pas  :  Gaussin  était  une  statue.  Nota  bene 
que  jarrache  l'ùme  au  quatrième  acte. 

Mon  église  ne  se  bùtira  qu'au  printemps.  Vous  voulez  que  j'ose 
consulter  M.  Soufflot  sur  cette  église  de  village,  et  j'ai  fait  mon 
château  sans  consulter  personne. 

J'ai  reçu  le  Pcre  de  famille;  mais  je  voulais  l'édition  avec 
rt'l)igrai)he  grecque,  et  les  deux  lettres  qui  tirent  tant  de  bruits 

Bonsoir,  mon  cher  ami;  la  tête  me  tourne  de  plaisir  et  de 
l'a  ligue. 

Dites-moi  donc  quelles  crili(|ues  on  fait  de  Tancrede,  cl  vale. 


4201.    —  A  M.   DAMILAMLLI'. 

8  octobre. 

M.  Tliieriol,  monsieur,  ni'api)ren(l    toutes  vos  bontés;  il  me 
dit  aussi   (|ue  vous  avez   une  bibliolhè(iue  choisie.  Je   devrais, 


1.  ilyacintlio-Tliéodorc  Haron,  habile  mcdcciii  mort  à  Paris  en  1787. 

2.  Chant  XVIII  de  la  Pucelle;  voyez  la  lottrc  à  d'Alcmbcrt,  du  G  janvier  1701, 

3.  L'intendant  de  Uour^,'0;,'nc;  voyez  la  lettre  i-83. 

4.  Le  marquis  d'Ar|,'ence  de  Dirac. 

;>.  M""^  lUIliet;  voyez  tome  \L,  [laL'e  ôOl. 

0.  Voyez  la  note,  tome  XL,  jjage  iUO. 


^4  COKUESl'OXDANCE. 

paicc  (|ii"('lle  f'sl  choisie,  ne  point  hasarder  de  vous  présenter 
ce  (jiie  j'ai  iail  iniprinicr  sur  l'icrrc  le  Grand,  et  que  les  lenteurs 
de  la  cour  de  Pélcrsbourg  ont  empêché  l'année  passée  de  pa- 
raître. 

Je  vous  demande  le  secret;  personne  n'en  a  de  ma  main'. 
Je  vous  prierai  de  permettre  que  j'en  fasse  tenir  un  par  vous  à 
M.  Thieriol,  dans  quelques  jours. 

Pardonnez  à  mon  laconisme;  je  n'ai  pas  le  temps,  depuis 
quinze  jours,  de  manger  et  de  dormir. 

4292.  —  A    M.   LE    COMTE    D'ARGENTAL. 

8  octobre. 

0  divins  anges!  jugez  si  je  suis  fidèle  à  mon  culte;  je  vais 
jouer  Zopire  ;  j'ai  deux  cents  personnes  à  placer;  je  fais  copier 
Tancrhie;  je  vous  écris.  Où  diahle  avez-vous  péché,  mes  anges, 
que  j'avais  un  peu  d'amertume,  quand  je  suis  pénétré  de  vos 
bontés? 

Je  vous  enverrais  aujourd'hui  Tancrhie,  si  j'avais  seulement 
le  temps  de  faire  un  paquet.  Qui,  moi  de  l'amertume,  parce  que 
j'ai  pris  le  parti  du  troisième  acte,  et  que  j'ai  cru  que  Lekain  me 
l'avait  sahoulé?  Pour  Dieu,  laissez-moi  mon  franc  arbitre  ;  encore 
faut-il  bien  que  j'aie  mon  avis;  Dieu  a  permis  à  ses  créatures  de 
dire  ce  qu'elles  pensent.  Mon  cher  ange,  mandez-moi,  je  vous 
prie,  où  l'on  en  est  de  ce  Tancrhie,  quel  parti  on  prend.  J'ai  en- 
voyé un  long  mémoire  à  Clairon,  par  Versailles;  je  vous  écris 
aussi  par  Versailles.  Je  ne  veux  pas  ruiner  mes  anges  par  mes 
bavarderies.  Nous  jouons  donc  iI7fl/io)77e«  aujourd'hui.  N'a-t-onpas 
fait  cent  critiques  de  3Iahomei?  Cela  empêche-t-i!  qu'elle  ne  doive 
faire  un  effet  terrible,  qu'elle  ne  doive  déchirer  le  cœur  !  Ah , 
Gaussin  !  Gaussin  !  si  vous  aviez  la  centième  partie  de  Tàme  de 
M""=  Rilliet-!  si  on  avait  eu  un  Séide!  Pauvres  Parisiens!  vous 
n'avez  point  d'acteurs  qui  pleurent.  J'ai  un  petit  mot  à  vous  dire, 
mes  anges  :  c'est  que  presque  toutes  vos  tragédies  sont  froides, 
et  vos  acteurs  aussi,  excepté  la  divine  Clairon,  et  quelquefois 
Lekain.  Mes  yeux  se  sont  ouverts,  mais  trop  tard.  Je  mourrai 
sans  avoir  fait  une  pièce  selon  mon  goût. 


1.  Voltaire  avait  déjà  adressé  le  premier  volume  de  son  Illsloire  à  Tressan,  à 
Algarott^,  à  Chauvelin,  etc.  (Cl.) 

2.  M""=  Rilliet;  voyez  Ibme  XL,  page  5GI. 


ANNÉE    1760.  Vô 

M.  le  duc  de  Clioiseul  vous  a-t-il  montré  la  facétie  de  ma  dé- 
dicace^? 

Avez- vous  reçu  un  Pierre? 

Madame  Scaligcr,  ne  soyez  donc  plus  fâchée  contre  moi. 
C'est  que  je  suis  à  vos  pieds,  c'est  que  je  vous  aime  et  révère  au 
pied  de  la  lettre, 

4293.—  A   MADAME    LA    :\IARQUISE    DU   DEFFANT-\ 

10  octobre. 

Si  vous  n'êtes  point  W7Î  gtwul  enfant^,  madame,  vous  n'êtes 
pas  non  plus  une  pciite  vieille.  Je  suis  votre  aîné,  et  je  joue  la  co- 
médie deux  fois  par  semaine;  et  le  bon  de  l'afï'aire  c'est  que 
nous  jouons  des  pièces  nouvelles  de  ma  façon,  que  Paris  ne 
verra  pas,  à  moins  qu'il  ne  soit  Lien  sage  et  bien  honnête. 

Comme  je  fais  le  théâtre,  les  pièces,  et  les  acteurs,  qu'en 
outre  je  bâtis  une  église  et  un  château,  et  que  je  gouverne  par 
moi-même  tous  ces  tripots-lh  ;  et  que,  pour  m'achever  de  peindre, 
il  faut  finir  VHisloire  de  Pierre  le  Grand,  et  que  j'ai  dix  ou  douze 
lettres  à  écrire  par  jour,  tout  cela  fait  que  vous  devez  me  par- 
donner, madame,  si  je  ne  vous  ennuie  pas  aussi  souvent  que  je 
le  voudrais. 

J'ai  pourtant  un  plaisir  extrême  à  m'entretenir  avec  vous  ;  vous 
savez  que  j'aime  passionnément  votre  esprit,  votre  imagination, 
votre  façon  de  penser.  Vous  aurez  la  moitié  de  Pierre  incessam- 
ment. 11  y  a  un  paquet  tout  prêt  pour  vous  et  pour  M.  le  prési- 
dent Ilénault;  mais  on  ne  sait  comment  faire  pour  dépêcher  ces 
paquets  par  la  poste. 

Je  vous  avertis  que  la  Préface  vous  fera  pouffer  de  rire,  c! 
vous  serez  tout  étonnée  de  voir  que  la  plaisanterie''  n'est  poiiil 
déplacée. 

J'y  joins  un  chant  de  la  Pucclle^,  qui  pourra  vous  faire  rire 
aussi.  Je  vous  promets  encore  de  vous  chercher  des  fariboles 
philosophiques  dans  ma  bibliothèque;  mais  il  faut  que  vous 
iiacliiez  que  je  ne  suis  guère  le  maître  d'entrer  dans  ma  biblio- 
thèque ù  présent,  [)arce  qu'elle  est  dans  rappartement  qu'occupe 


i.  Celle  (le  Tancrède. 

2.  Réponse  à  la  leUre  de  la  marquise,  du  20  septembre  précédent. 

3.  Voyez  tome  \L,  pape  532. 

4.  Voltaire  veut  sans  doute  parii  r  de  la  plaisanterie  sur  Francus  et  le  mare 
chai  de  Villars,  dans  la  Préface  de  Pierre  le  Grand;  voyez  tome  XVJ,  page  382. 

5.  Voyez  la  lettre  42U0. 


4C 


COlUU-Sl'OXDANCIi:. 


^1.  I,.  , lue  (le  Mll.iis,  avec  tout  sou  monde.  Il  nous  a  Jimio,  à  huis 
rios,  (icui^iskau  clans  l'Orphelin  de  la  Chine;  il  vaut  mieux  que 
tous  vos  comédiens  de  Paris. 

Je  suis  Tort  aise,  madame,  qu'on  ait  imprimé  ma  lettre ^  au 
roi  do  l'oiognc.  Trois  ou  quatre  lettres  par  an,  dans  ce  goîlt-là, 
écrites  aux  puissances,  ou  soi-disant  telles,  no  laisseraient  pas 
(le  l'aire  du  bien.  11  faut  rendre  service  aux  hommes  tant  qu'on 
le  pi'ut,  (iuoi(iu'ils  n'en  vaillent  guère  la  peine. 

.Mou  petit  parti  d'ailleurs  m'amuse  heaucoup.  J'avoue  que 
tous  mes  complices  n'ont  pas  sacrifié  aux  Grâces;  mais,  s'ils 
étaient  tous  aimables,  ils  ne  seraient  pas  si  attachés  à  la  bonne 
cause.  Les  gens  de  bonne  compagnie  ne  font  point  de  prosé- 
lytes; ils  sont  tièdcs-,  ils  ne  songent  qu'à  plaire;  Dieu  leur  de- 
mandera un  jour  compte  de  leurs  talents. 

Vous  avez  bien  raison,  madame,  d'aimer  ['Histoire^  de  mon 
ami  Hume;  il  est,  comme  vous  savez,  le  cousin  de  l'auteur  de 
l'Écossaise.  Vous  voyez  comme  il  rend,  dans  celte  histoire,  le  fana- 
tisme odieux. 

i\e  croyez  pas  que  VHistoire  de  Pierre  le  Grand  puisse  vous 
amuser  autant  que  celle  des  Stuarts;  on  ne  peut  guère  lire 
Pierre  qu'une  carte  géographique  à  la  main  ;  on  se  trouve  d'ail- 
leurs dans  un  monde  inconnu.  Lue  Parisienne  ne  peut  s'in- 
téresser à  des  combats  sur  les  Palus-Méotides,  et  se  soucie 
fort  peu  de  savoir  des  nouvelles  de  la  grande  Permie  et  des 
Samoyèdes.  Ce  livre  n'est  point  un  amusement,  c'est  une  étude. 

M.  le  président  Hénault  ne  veut  point  que  je  donne  Pierre 
chiquette  à  chiquette  ;  je  ne  le  voudrais  pas  non  plus,  mais  j'y 
suis  forcé.  On  a  un  peu  de  peine  avec  les  Russes,  et  vous  savez 
que  je  ne  sacrifie  la  vérité  à  personne. 

Adieu,  madame;  si  vous  aviez  des  yeux,  je  vous  dirais  :  Venez 
philosopher  avec  nous,  parce  que  vos  yeux  seraient  égayés  pen- 
dant neuf  mois  par  le  plus  agréable  aspect  qui  soit  sur  la  terre  ; 
mais  ce  qui  fait  le  charme  de  la  vie  est  perdu  pour  vous,  et  je 
vous  assure  que  cela  me  fait  toujours  saigner  le  cœur. 

J'ai  chez  moi  un  homme  d'un  mérite  rare,  homme  de  grande 
condition,  ancien  officier  retiré  dans  ses  terres^  ;  il  les  a  quittées 
pour  venir,  à  cent  cinquante  lieues  de  chez  lui,  philosopher 


1.  Voyez  n»  4230. 

2.  Voltaire  songeaii  au  président  Ilonault  en  ccrivaul-  ceci. 

3.  Celle  de  la  maison  de  Sluart. 

i.  D'Argence  de  Dirac,  dont  il  est  question  plus  haut. 


ANNÉE    1760.  a 

dans  une  retraite.  Je  ne  l'avais  jamais  vu,  je  ne  savais  pas  même 
qu'il  existât  ;  il  a  voulu  venir,  il  est  venu  ;  il  fait  de  grands  pro- 
grès, et  il  m'enchante.  Mais,  par  malheur,  il  me  vient  des  inten- 
dants' :  ces  gens-là  ne  sont  pas  tous  philosophes.  Mon  Dieu  !  ma- 
dame, que  je  hais  ce  que  vous  savez'! 

Je  vais  être  en  relation  avec  un  brame  des  Indes,  par  le 
moyen  d'un  officier'  qui  va  commander  sur  la  côte  de  Coroman- 
del,  et  qui  m'est  venu  voir  en  passant.  J'ai  déjà  grande  envie  de 
trouver  mon  brame  plus  raisonnable  que  tous  vos  butors  de  la 
Sorbonne. 

Adieu  encore  une  fois,  madame  ;  je  vous  aime  beaucoup  plus 
que  vous  ne  pensez. 

4294.   —  A   M.  LE    CONSEILLER    LE    BAULT  *. 

Au.\  Délices,  12  octobre. 

Qu'est  devenu,  monsieur,  le  gros  tonneau  dont  vous  aviez  eu 
la  bonté  de  me  flatter  après  le  temps  où  les  chaleurs  seraient 
passées?  Je  suis  toujours  à  vos  ordres.  Je  ne  sais  si  on  paye 
vingt  francs  par  pinte  comme  par  roue  de  carrosse.  J'espère  que 
les  impôts  serviront  un  jour  à  nous  faire  boire  votre  vin  en  paix. 
On  dit  qu'il  y  a  dans  les  vignes  de  Tournay  un  peu  de  vin  pas- 
sable ;  mais  je  le  ferai  boire  aux  Genevois,  et  je  ne  goûterai  que 
le  vôtre  si  vous  en  avez.  Permettez-moi  de  saisir  cette  occasion 
do  présenter  mon  respect  à  M""'  Le  Bault,  et  de  vous  assurer  de 
celui  avec  lequel  je  serai  toute  ma  vie,  etc. 

4295.  —  A  MADAME   LA  COMTESSE  D'ARGENTAL. 

13  octobre. 

Madame  Scaliger,  savez-vous  bien  que  vous  êtes  adorable?  Des 
lettres  de  quatre  pages,  des  mémoires  raisonnes,  des  bontés  de 
toute  espèce  ;  mon  cœur  est  tout  gros.  J'aime  mes  anges  à  la 
folie.  Quand  je  vous  ai  envoyé  des  bribes  pour  Tancrcde,  imagi- 
nez-vous, madame,  qu'on  m'essayait  un  habit  de  théâtre  pour 
Zopire,  et  un  autre  pour  Zamti  ;  qu'il  fallait  compter  avec  mes 
ouvriers,  faire  mes  vendanges  et  mes  répétitions.  J'écrivais  au 

1.  Joly  de  Fli'iiry  do  L;v  Viilottc,  iiilendiint  de  IJoiii'gognc. 

2.  L'infâme  suporstitioii.  (Ci..) 

3.  Le  chevalier  de  Maudave. 

4.  Éditeur,  Tii.  l'oisset. 

il.    —    C()llllKSl'OM>\N(.K.   I  \.  2 


,ji  CORRESPONDANCE. 

courant  de  la  plume,  cl  un  Tancrède  sortait  de  la  placeK  Cette 
place  n'est  pas  lenable  :  il  y  avait  cent  autres  incongruités  ;  je  m'en 
apercevais  bien  ;  je  les  corrigeais  quand  le  courrier  était  parti. 
J'envoyais  des  mémoires  à  Clairon  ;  je  priais  qu'on  suspendît  les 
représentations,  qu'on  me  donnât  du  temps.  Voilà  ce  qui  est  lait; 
tout  est  Uni,  plus  de  chevalerie.  Vous  aurez  une  nouvelle  leçon 
quand  vous  voudrez. 

Pour  moi,  je  vais  jouer  le  père  de  Fanime  dans  deux  heures, 
et  je  vous  avertis  que  je  vais  faire  pleurer.  Fanime  se  tue  ;  il  faut 
que  je  vous  confie  cette  anecdote.  Mais  comment  se  tue-t-clle?  à 
mon  gré,  de  la  manière  la  plus  neuve,  la  plus  touchante.  Cette 
Fanime  fait  fondre  en  larmes,  du  moins  M""'  Denis  fait  cet  elTet: 
car,  ne  vous  déplaise,  elle  a  la  voix  plus  attendrissante  que  Clai- 
ron. Et  moi,  je  vous  répète  que  je  vaux  cent  Sarrasin,  et  que  j'ai 
formé  une  troupe  qui  gagnerait  fort  bien  sa  vie.  Ah  !  si  nous 
pouvions  jouer  devant  madame  Scaliger  ! 

Mais  vous  a-t-on  envoyé  Pierre  I''?  Cela  n'est  pas  si  amusant 
qu'une  tragédie.  Que  ferez-vous  de  la  grande  Permie  et  des  Sa- 
moyèdes?  Il  y  a  pourtant  une  Préface  à  faire  rire,  et  j'ose  vous 
répondre  qu'elle  vous  divertira.  Je  crois  que  j'étais  né  plaisant,  et 
que  c'est  dommage  que  je  me  sois  adonné  parfois  au  sérieux.  Je 
n'ai  point  vu  les  fréronades-  sur  Tancrède;  mais  je  me  trompe, 
ou  Jérôme  Carré  est  plus  plaisant  que  Fréron.  Je  me  mo([ue  un 
peu  du  genre  humain,  et  je  fais  bien  ;  mais  avec  cela,  comme 
mon  cœur  est  sensible,  comme  je  suis  pénétré  de  vos  bontés! 
comme  j'aime  mes  anges  !  Je  les  chéris  autant  que  je  déteste  ce 
que  vous  savez.  Mon  aversion  pour  cette  infamie^  ne  fait  que 
croître  et  embellir.  M.  d'Argental  est  donc  à  la  campagne?  Com- 
ment peut-il  faire  pour  ne  pas  sortir  à  cinq  heures?  Comment 
va  la  santé  de  M,  de  Pont-de-Veyle  ? 

Quand  mon  cher  ange  rcviendra-t-il?  Je  suis  à  vos  pieds, 
divine  Scaliger. 

42'JG.  —  A  MADEMOISELLE   CLAIRON  *. 

14  octobre. 

Je  ne  conçois  pas,  mademoiselle,  comment  on  a  pu  vous  dire 
qu'il  y  a  de  l'inconséquence  dans  les  réponses  qu'Aménaïde  fait 

1.  Allusion  au  moment  où  Tancrède,  sans  doute  dans  le  quatrième  acte,  sortait 
de  Syracuse  pour  fuir  Aménaïde  et  combattre  Solaniir. 

2.  Voyez  tome  V,  page  493. 

.'?.  La  superstition,  l'hypocrisie,  etc.  (Cl.) 
4.  Éditeurs,  de  Cayrol  et  François. 


ANNEE    17  GO.  19 

à  son  père  au  quatrième  acte.  Vous  avez  senti  sans  doute  qu'Amé- 
naïde  ne  s'emporte  que  quand  son  père  s'oppose  à  l'idée  d'aller 
trouver  Tancrède;  aussi  ces  nouveaux  emportements,  loin  de 
contredire  ces  vers, 

Votre  vertu  se  fait  des  reproches  si  grands,  etc., 

sont  la  conduite  évidente  de  ce  sentiment.  Elle  n'ose  d'abord 
dire  à  son  père  tout  ce  qu'elle  relient  dans  son  cœur  par  res- 
pect ;  et  enfin  ce  respect  cède  à  la  douleur.  Voilà  la  marche  du 
cœur  humain.  Je  vous  demande  en  grâce  de  ne  point  écouter 
les  fausses  délicatesses  de  tant  de  mauvais  critiques,  et  de  vous 
en  rapporter  à  votre  propre  sentiment;  il  doit  être  celui  de  la 
nature. 

J'ignore  encore  pourquoi  on  a  dit  que  votre  situation  au 
deuxième  acte  n'était  pas  intéressante  avec  votre  père.  Tout  ce 
que  je  sais,  c'est  que  le  père  a  été  chez  moi  très-intéressant  à  ce 
second  acte.  Il  pleurait  et  il  faisait  pleurer. 

J'ai  vu  aussi  l'effet  de  la  fin.  Les  fureurs  d'Aménaïde  seraient 
écourtées  (ce  qui  est  le  plus  grand  des  défauts)  si  elle  ne  repous- 
sait pas  son  père,  à  qui  elle  demande  pardon  le  moment 
d'après.  Les  fureurs  d'Oreste  sont  froides,  parce  qu'Oreste  est 
seul,  parce  qu'il  n'y  a  point  d'objet  présent  qui  cause  ces  fu- 
reurs, parce  que  ces  fureurs  ne  sont  pas  nécessaires,  parce 
qu'on  s'intéresse  très-médiocrement  à  lui;  c'est  ici  tout  le  con- 
traire. 

J'aurais  bien  d'autres  choses  à  vous  dire;  mais  je  crains 
d'abuser  de  vos  bontés.  Il  vaut  mieux  employer  mon  temps  à 
perfectionner  ma  pièce  qu'à  la  défendre  ;  et  d'ailleurs,  vous 
avez  une  autre  pièce  à  jouer.  Rien  ne  réussira  que  par  vous. 

Recevez,  parmi  tant  d'autres  hommages,  ceux  du  vieux  Suisse. 

4297.  —  A   MADt:.MOISELLE   GLAIUON. 

IG  octobre. 

Relie  Molpomène,  ma  main  ne  répondra  pas  à  la  lettre  dont 
vous  m'honorez,  parce  qu'elle  est  un  peu  impotente;  mais  mon 
cœur,  qui  ne  l'est  pas,  y  répondra. 

lînisonnons  ensemble,  raisonnons. 

Les  monologues,  (|ui  ne  sont  pas  des  combals  de  passions,  ne 
pinui-nt  jamais  renmcr  l'Ame  et  la  transporter.  Un  monologue, 
qui  n'est  et  ne  peut  être  (jue  la  continuation  des  mêmes  idées  et 


20  COUIU'SPONDANCE. 

(les  mC'ines  stMitiinents,  ii'esl  qu'une  pièce  nécessaire  à  l'édifice; 
cl  tout  ce  (lu'oii  lui  deinaiide,  c'est  de  ne  pas  refroidir. 

Le  mieux,  sans  contredit,  dans  votre  monologue  du  second 
acte,  est  (|u'il  soit  court,  mais  pas  trop  court.  On  peut  faire  venir 
Fanic,  et  finir  par  une  situation  attendrissante.  Je  tûcherai  d'ail- 
leurs de  fortifier  ce  petit  morceau,  ainsi  que  bien  d'autres.  Un 
a  été  forcé  de  donner  Tanœxk  avant  que  j'y  eusse  pu  mettre  la 
dernière  main.  Cette  pièce  ne  m'a  jamais  coûté  un  mois.  Vos 
talents  ont  sauvé  mes  défauts  ;  il  est  temps  de  me  rendre  moins 
indigne  de  vous. 

Je  ne  suis  point  du  tout  de  votre  avis  S  ma  belle  Melpomène, 
sur  le  petit  ornement  de  la  Grève,  que  vous  me  proposez.  Gar- 
dez-vous, je  vous  en  conjure,  de  rendre  la  scène  française  dé- 
goûtante et  horrible,  et  contentez-vous  du  terrible.  N'imitons  pas 
ce  qui  rend  les  Anglais  odieux.  Jamais  les  Grecs,  qui  entendaient 
si  bien  l'appareil  du  spectacle,  ne  se  sont  avisés  de  cette  inven- 
tion de  barbares.  Quel  mérite  y  a-t-il,  s'il  vous  plaît,  à  faire  con- 
struire un  échafaud  par  un  menuisici'?  En  quoi  cet  échafaud  se 
lie-t-il  à  l'intrigue?  Il  est  beau,  il  est  noble  de  suspendre  des 
armes  et  des  devises.  Il  en  résulte  qu'Orbassan,  voyant  le  bouclier 
de  Tancrède  sans  armoiries,  et  sa  cotte  d'armes  sans  faveurs  des 
belles,  croit  avoir  bon  marché  de  son  adversaire  ;  on  jette  le  gage 
de  bataille,  on  le  relève  ;  tout  cela  forme  une  action  qui  sert 
au  nœud  essentiel  de  la  pière.  Mais  faire  paraître  un  échafaud, 
pour  le  seul  plaisir  d'y  mettre  quelques  valets  de  bourreau, 
c'est  déshonorer  le  seul  art  par  lequel  les  Français  se  distinguent, 
c'est  immoler  la  décence  à  la  barbarie  ;  croyez-en  Boileau,  qui 
dit  : 

Mais  il  est  des  objets  que  l'art  judicieux 
Doit  offrir  à  l'oreille,  et  reculer  des  yeux. 

(L'An  jwct.,  ch.  III,  V.  53.) 

Ce  grand  homme  en  savait  plus  que  les  beaux  esprits  de  nos 
jours. 

J'ai  crié,  trente  ou  quarante  ans,  qu'on  nous  donnât  du 
spectacle  dans  nos  conversations  en  vers ,  appelées  tragédies  ; 


1.  Ce  fut  contre  son  avis,  et  à  la  pluralité  des  voix,  que  M"«  Clairon  fut  chargée 
de  proposer  à  M.  de  Voltaire  de  tendre  le  théâtre  en  noir,  et  de  dresser  un  écha- 
faud au  troisième  acte  de  Tancrède.  Les  principes  de  cette  grande  actrice  n'ont 
jamais  dilTéré  de  ceux  qui  sont  établis  dans  cette  lettre.  (K.)  — Quoi  qu'on  disent 
les  éditeurs  de  Kchl,  M""'  Clairon  n'était  guère  éloignée  de  partager  l'avis  des 
comédiens,  avis  qui  était  celui  de  d'Alembcrt.  (Ci,.) 


ANNÉE    1760.  21 

mais  je  criornis  bien  davantage  si  on  changeait  la  scène  en 
place  de  Grève.  Je  vous  conjure  de  rejeter  celto  abominable  ten- 
tation. 

J'enverrai  dans  quelque  temps  Tancride,  quand  j'aurai  pu  y 
travailler  à  loisir:  car  figurez-vous  que,  dans  ma  retraite,  c'est  le 
loisir  qui  me  manque.  Fanime  suivra  de  près;  nous  venons  de 
l'essayer  en  présence  de  M.  le  duc  de  Villars,  de  l'intendant  de 
liourgogue,  et  de  celui  de  Languedoc'.  Il  y  avait  une  assemblée 
I lès-choisie.  Votre  rôle  est  plus  décent,  et  par  conséquent  plus 
attendrissant  qu'il  n'était;  vous  y  mourez  d'une  manière  qu'on 
ne  peut  prévoir,  et  qui  a  fait  un  efi'et  terrible,  à  ce  qu'on  dit.  La 
pièce  est  prête.  Je  vais  bientôt  donner  tous  mes  soins  à  Tancrede. 
Ouand  vous  aurez  donné  la  vie  à  ces  deux  pièces,  je  vous  sup- 
plierai d'être  malade,  et  de  venir  vous  mettre  entre  les  mains  de 
Tronchin,  afin  que  nous  puissions  être  tous  à  vos  pieds. 

4298,  —  DE   M.  D'ALEMBERT. 

Paris,  ce  18  octobre. 

Jo  m'attendais  bien,  mon  cher  et  grand  pliilosophe,  que  vous  seriez  con- 
tent de  l'Indien'  que  je  vous  ai  adressé,  et  qui  brûlait  d'envie  d'aller 
prendre  vos  ordres  pour  les  bramines.  A  l'égard  de  mon  discours,  maître 
Aliljoron,  votre  ami  et  le  mien,  n'en  a  pas  pensé  comme  vous.  11  ne  l'a  ni 
lu  ni  entendu,  et  en  conséquence  il  vient  de  faire  deux  feuilles  contre  moi 
que  je  n'ai  auési  ni  lues  ni  entendues,  et  dans  lesquelles  je  sais  seulement 
que  vous  avez  votre  part.  Il  prétend  que  si  votre  siècle  a  des  bontés  pour 
vous,  la  postérité  ne  vous  promet  pas  poires  molles,  et  il  vous  met  au-des- 
sous de  tous  les  poëtes  passes,  présents  et  à  venir,  depuis  Homère  jusqu'à 
l'ompignan.  J'ai  hésité  si  je  vous  annoncerais  crûment  cette  humiliation; 
mais  je  veux  être  l'esclave  des  triomphateurs  romains,  et  vous  apprendre  à 
ne  pas  mettre  au  pilori,  comme  vous  avez  fait,  l'honneur  de  la  littérature 
française. 

Je  ne  sais  pas  si  les  comédiens  ont  cassé  bras  et  jambes  à  Tancrede; 
mais  je  sais  que,  pour  un  roué,  il  avait  encore  très-bonne  grâce.  Au  reste, 
je  suis  bien  aise  de  vous  apprendre  encore  (  car  je  veux  absolument  vous 
humilier  aujourd'hui)  que  l'on  répète  à  celto  occasion  ce  qu'on  a  dit  régu- 
lièrement à  chacune  de  vos  pièces,  que  vous  n'avez  encore  rien  fait  d'aussi 
faible;  il  est  vrai  qu'on  dit  cela  les  yeux  gros,  et  cela  doit  essuyer  les  vôtres. 

\raiment  je  vous  félicite  de  tout  mon  cœur  do  la  contiuôte'  que  vous 

1.  GuignardilcSaint-l'riesl,  père  ilc  cului  ([iii,  plus  tard,  fui  l'un  dos  ministres 
<lo  F.oui3  XVI.  (Cf..) 

".  F.r;  chevalier  d(!  Maudnvc. 
:{.  Do  d'Argenco. 


22  CORRESPONDANCE. 

vonoz  do  faire  à  la  vi(jne  du  Sei(/neui\  Depuis  le  voyage  do  la  reine  do  Saba, 
il  n'y  on  a  point  do  plus  édifiant  (pie  celui  do  ce  bon  gentilhomme  qui  fait 
cent  cini|uar)te  lieues  jiour  ôtre  bien  sûr  que  deux  et  un  font  trois.  Il  est  vrai 
que  vous  étiez  fait,  j)lus  que  personne,  pour  lui  persuader  que  trois  no  font 
ipi'un,  car  il  a  dû  voir  cpio  vous  en  valiez  bien  trois  autres. 

Je  no  douto  point  que  vous  ne  conserviez  précieusement  lo  dieu*  que 
M.  de  Maudavo  vous  a  apporté  des  Indes.  Ces  gens-là  sont  plus  sensés  que 
nous;  nous  avons  fait  notre  dieu  d'une  gaufre;  les  Indiens  vont,  comme  Bar- 
llioloméo,  di'oil  au  solide  '. 

Priapuni, 

Maluit  esse  deum. 

,(IIoK.,  lib.  I,  sat.  vin,  v.  2.) 

C'est  celui-là  qu'on  peut  bien  appeler  Dieu  le  père. 

Je  passe  à  Boileau  d'avoir  parlé  en  vers  de  sa  perruque,  mais  je  ne  lui 
passe  pas  de  s'être  donné  là-dessus  les  violons.  La  poésie,  quoi  qu'il  en  dise, 
ne  doit  se  permettre  qu'à  regret  les  petits  détails  qui  ne  valent  pas  la 
peine  qu'ils  donnent;  elle  est  faite  pour  exprimer  de  grandes  choses,  nobles 
et  vraies.  Si  vous  no  pensiez  pas  comme  moi,  je  dirais  que  vous  avez  fait, 
comme  M.  Jourdain,  de  la  prose  ■'  sans  le  savoir. 

Oui,  en  vérité,  vous  devez  une  épllre  à  M""  Clairon,  et  je  ne  vous  lais- 
serai point  en  repos  que  vous  n'ayez  acquitté  cette  dette.  Je  vous  permets,  pour 
vous  mettre  à  votre  aise,  d'y  parler  de  tout  ce  qu'il  vous  plaira,  même  de 
votre  perruque;  et,  s'il  vous  en  faut  encore  une  autre,  je  vous  abandonne 
celles  de  Pompignan,  Fréron,  et  Trublet,  que  vous  avez  déjà  si  bien  pei- 
gnées. 

M.  Turgot  m'écrit  qu'il  compte  être  à  Genève  vers  la  fin  de  ce  mois; 
vous  en  serez  sûrement  très-content*.  C'est  un  homme  d'esprit,  très-instruit, 
et  très-vertueux,  en  un  mot,  un  très-honnête  cacoîtac  ^,  mais  qui  a  de  bonnes 
raisons  pour  ne  le  pas  trop  paraître  :  car  je  suis  payé  pour  savoir  que  la 
cacouaquerie  ne  mène  pas  à  la  fortune,  et  il  mérite  de  faire  la  sienne. 

Comment  diable,  quarante-neuf  convives^  à  votre  table,  dont  deux 
maîtres  des  requêtes  et  un  conseiller  de  grand'chanibre,  sans  compter  le 
duc  de  Villars  et  compagnie! 

Vous  êtes  donc  comme  le  père  de  famille  de  l'Évangile'',  qui  admet  à 
son  festin  les  clairvoyants  et  les  aveugles,  les  boiteux,  et  ceux  qui  marchent 


1.  C'était  un  Limgam  ou  Phallus,  très-révéré  dans  l'Inde.  C'est  l'instrument 
qui  distinguait  le  dieu  Priape,  et  qui  était  également  honoré  chez  les  Romains 
comme  l'emblème  de  la  génération.  —  Quant  aux  gaufres,  voyez  la  lettre  de 
d'Alembert  à  Voltaire,  du  2  octobre  1762. 

2.  Contes  de  La  Fontaine,  le  Calendrier  des  vieillards. 

3.  Le  Bourgeois  yenlilhomme,  acte  II,  scène  vi. 

4.  Très-content  eu  elïct.  Voyez  plus  bas  la  réponse  de  Voltaire,  sous  le  n°  4337. 
0.  Un  philosophe. 

6.  Voyez  la  lettre  'fJUO. 

7.  Luc,  chap.  mv,  v.  '21. 


ANNÉE   1760  23 

droit?  Votre  maison  va  être  comme  la  Bourse  do  Londres  :  le  jésuite  et  le 
janséniste,  le  catholique  et  le  socinien,  le  convulsionnaire  et  l'encyclopédiste, 
vont  bientôt  s'y  embrasser  de  bon  cœur,  et  rire  encore  de  meilleur  cœur 
les  uns  des  autres.  Si  vous  pouviez  encore  engager  Jean-Jacques  Rousseau  à 
venir  à  quatre  pattes,  do  Montmorency  à  Genève,  faire  amende  honorable  à 
la  comédie  en  se  redressant  sur  ses  deux  pieds  de  derrière  pour  jouer  dans  quel- 
qu'une de  vos  pièces,  ce  serait  vraiment  là  une  belle  cure,  et  plus  belle  que 
celle  de  votre  campagnard  nouveau  converti  ;  mais  je  crois  que  pour  Jean- 
Jacques  l'heure  de  la  grâce  n'est  pas  encore  venue. 

Il  me  semble,  comme  à  vous,  que  votre  ancien  disciple  est  un  peu  re- 
monté sur  sa  bêle  ^;  mais  je  crains  qu'elle  ne  soit  encore  un  peu  récalci- 
trante, et  je  ne  le  vois  pas  bien  affermi  sur  ses  étriers.  Mais,  ii  propos  do 
bêle,  que  dites-vous  de  la  figure  que  nous  faisons  sur  la  nôtre?  Que  dites- 
vous  de  ce  fameux  duc  de  Broglie, 

Sage  en  projets,  et  vif  dans  les  combats, 
Qui  va  veneer  les  malheurs  de  la  France-? 

Il  me  semble  qu'il  perd  sa  réputation  sou  à  sou;  c'est  se  ruiner  assez  plate- 
mont. 

En  attendant,  nous  avons  perdu  le  Canada.  Voilà  le  fruit  de  la  besogne 
de  ce  grand  cardinal  '  que  vous  appeliez  si  bien  Margot  la  bouquetière,  et 
dont  j'osais  dire  autrefois,  en  lui  entendant  lire  ses  poésies,  que  si  on  cou- 
pait les  ailes  aux  Zéphyrs  et  à  l'Amour,  on  lui  couperait  les  vivres.  Nous 
ne  nous  attendions  pas,  vous  et  moi,  qu'il  nous  prouverait  un  jour,  par  le  traité 
de  Versailles,  que  sa  prose  vaudrait  encore  moins  que  ses  vers.  Nous  n'au- 
rions pas  cru  cela,  lorsqu'il  lisait  à  l'Académie  son  poëme  ''  contre  les  incré- 
dules, pour  attraper  un  petit  bénéfice  de  Yarchimage  Yebor^,  qui  l'écoutait 
en  branlant  sa  vieille  tète  de  singe,  et  qui  semblait  lui  dire  :  «  Non,  non, 
vous  n'aurez  rien,  quoi  que  vous  disiez;  on  ne  m'attrape  ])as  ainsi.  »  Que 
Dieu  le  bénisse,  lui,  ses  vers,  et  sa  prose  !  On  dit  qu'il  a  permission  d'aller 
se  promener  dans  ses  abbayes;  on  aurait  dû  l'envoyer  promener  quatre  ans 
])lus  tôt.  11  ne  reste  plus  qu'à  savoir  ce  que  nous  allons  devenir,  et  quel  parti 
nous  allons  prendre. 

Quand  on  a  tout  perdu,  quand  on  n'a  plus  d'espoir, 
La  guerre  est  un  opprobre,  et  la  paix  un  devoir  *. 

Quant  à  nos  sottises  intestines,  elles  commencent  à  foisonner  un  peu 
moins  dans  ce  moment-ci.  Il  n'y  a  rien  do  nouveau,  que  jo  sache,  du   cpiar- 


1.  Le    pi^néral  Daun,   battu  compI(';temcnt  par  Frédéric   pn-s  de  Torpau,  le 
3  novembre  sui-vant. 

2.  Ces  vers  sont  du  Pauvre  Diable  :  voyez  tome  X. 

3.  Bcrnis. 

4.  Intitulé  la  Religion  vengée,  dont  la  première  édition  est  di'  1795. 
.5.  Anagramme  de  IJoyer. 

6.  Parodie  des  derniers  vers  du  second  acte  do  Mérope.  tome  IV,  page  220. 


2i  CORRESPONDANCE. 

lii«r  gônéral  do  V Encyclopédie  ot  do  la  J'alissolerie.  La  i)lnlosophio  osten- 
Irt'O  011  (luailior  d'hiver.  Dieu  vouillo  (ju'on  l'y  laisse  respirer! 

Adieu,  mon  cher  et  ilkislro  niaUre;  continuez  à  rire  de  tout  ce  qui  so 
passe.  J'en  ris  tout  autant  que  vous,  quoique  je  sois  dans  la  poôio;  heureux 
qui,  comme  vous,  a  trouvé  moyen  de  sauter  dehors!  Vous  ne  vous  plaindrez 
pas  que  cette  épitre  est  une  ledrc  de  Lacédêmonien  ^  :  pourvu  qu'elle  ne 
vous  paraisse  pas  une  lettre  de  Béotien  2,  je  serai  consolé  de  mon  bavardage. 

A  propos,  vraiment  j'oubliais  de  vous  dire  que  je  suis  raccommodé,  vaille 
que  vaille,  avec  M'""  du  Déliant;  elle  prétend  qu'elle  n'a  point  protégé  Pa- 
lissol  ni  Fréroii,  et  j'ai  tout  mis  aux  pieds,  non  du  pendu,  mais  de  Socrato. 
Ainsi,  qu'elle  ne  sache  jamais  ce  que  je  vous  avais  écrit  ^  pour  me  plaindre 
d'elle:  cela  me  ferait  de  nouvelles  tracasseries  que  je  veux  éviter. 


4209.    —  A    MADAME  LA   COMTESSE   D'ARGENTAL. 

Aux  Délices,  18  octobre. 

Je  prends  la  liberté,  madame,  de  faire  passer  par  vos  mains 
ma  réponse*  à  M"'  Clairon,  et  je  vous  supplie  instamment  de 
vous  joindre  à  moi  pour  empêcher  lavilissement  le  plus  odieux 
qui  puisse  déshonorer  la  scène  française  et  achever  notre  déca- 
dence. Que  M.  d'Argental  et  tous  ses  amis  emploient  leur  crédit 
pour  sauver  la  France  de  cet  opprobre  ! 

J'ai  encore  une  grâce  à  vous  demander,  qui  ne  regarde  que 
moi  :  c'est  de  dissiper  mes  continuelles  alarmes  sur  l'impression 
dont  on  me  menace.  Il  y  a  certainement  dans  Paris  des  exem- 
plaires de  Tancrède  conformes  à  la  leçon  des  comédiens.  Il  est 
certain  que,  pour  peu  qu'on  attende,  la  pièce  paraîtra  dans  toute 
sa  misère,  pendant  que  je  passe  le  jour  et  la  nuit  à  la  corriger 
d'un  bout  à  l'autre,  à  la  rendre  moins  indigne  de  vous  et  du 
public.  Vous  en  recevrez  incessamment  une  nouvelle  copie,  et  je 
pense  qu'il  sera  convenable,  de  toutes  façons,  de  la  reprendre  vers 
la  Saint-Martin.  On  sera  obligé  de  transcrire  de  nouveau  tous  les 
rôles.  Il  n'y  en  a  pas  un  seul  où  je  n'aie  fait  des  changements.  Si 
ces  changements  valent  quelque  chose,  c'est  à  vous  que  j'en  suis 
redevable,  c'est  à  votre  goût,  à  l'intérêt  que  vous  avez  pris  à 
l'ouvrage,  à  vos  réflexions,  aussi  solides  que  fines.  Si  je  me  suis 
un  peu  récrié  contre  quelques  vers  qu'on  a  été  forcé  de  substi- 

i.  Allusion  à  un  mot  de  Voltaire  dans  l'avant-dernier  alinéa  de  la  lettre  4143. 

2.  Les  plaisanteries  sur  l'esprit  des  Béotiens  ont  été  renouvelées  des  Grecs 
relativement  à  celui  des  Champenois. 

3.  Voyez,  entre  autres,  la  lettre  4110,  second  alinéa,  où  il  est  question  des  p 

honoraires,  h  propos  de  M"""  du  DeiTant. 

■4.  La  lettre  4297. 


ANNÉE    1760.  25 

tuer  à  la  Mte,  si  ces  vers  m'ont  paru  défectueux,  c'est  l'amour  de 
l'art,  et  non  l'amour-propre,  qui  s'est  révolté  en  moi.  Je  n'ai  pas 
senti  avec  moins  de  reconnaissance  la  nécessité  de  plusieurs 
changements,  je  n'en  ai  pas  moins  approuvé  vos  remarques,  et 
plusieurs  vers  mis  à  la  place  des  miens. 

M.  d'Argental  sera-t-il  encore  longtemps  à  la  campagne?  Il 
me  paraît  qu'en  son  absence  vous  commandez  l'armée  avec  bien 
du  succès.  Je  me  flatte  que  vos  troupes  préviendront  les  irrup- 
tions des  housards  libraires.  Quand  jouera-t-on  la  Belle  Péni- 
tente ^1  M''-^  Clairon  est-elle  cette  pénitente?  Elle  seule  peut  faire 
réussir  cette  détestable  pièce  anglaise  ;  mais  je  me  flatte  que 
l'auteur  qui  s'abaisse  à  chercher  des  modèles  chez  les  barbares 
se  sera  fort  éloigné  de  son  modèle.  Si  notre  scène  devient  an- 
glaise, nous  sommes  bien  avilis;  nous  ne  sommes  déjà  que  les 
traducteurs  de  leurs  romans.  IN'avons-nous  pas  déjà  baissé  assez 
pavillon  devant  l'Angleterre?  C'est  peu  d'être  vaincus,  faut-il  en- 
core être  copistes?  0  pauvre  nation!  Madame,  le  cœur  me  saigne, 
mais  il  est  à  vous. 

4300.  -  A  M.   THIERIOT. 

19  octobre. 

Voici,  mon  ami,  une  lettre  de  change  de  quatre  Pierre  ^  sur 
Robin-»iow/o/?.  Je  vous  prie  de  donner  un  exemplaire  de  ma  part 
au  ferme  et  aimable  Protagoras  '  ;  et  quand  il  aura  lu  mon  Pierre, 
vous  le  lui  ferez  relier  bien  proprement.  Faites  des  trois  autres 
exemplaires  ce  qu'il  vous  plaira,  et  tâchez  qu'aucun  ne  vous 
ennuie.  Quand  vous  voudrez  venir  dans  ma  chaumière,  nous 
vous  voiturerons,  puis  vous  hébergerons,  chaufferons,  blanchi- 
rons, raserons  et  égayerons. 

L'intendant  de  Bourgogne  vint  dans  mon  trou,  ces  jours  pas- 
sés, avec  le  fils  de  l'avocat  général,  qui  eu  a  usé  si  cordialement 
avec  nous;  il  avait  un  cortège  de  proconsul.  Le  duc  de  Villars 
était  chez  moi  ;  nous  allions  jouer  Fanime  ou  Mèdime  (le  nom  n'y 
fait  rien  ;  Fanime  est  plus  sonore,  à  cause  de  l'alpha).  Nous  n'en 
mîmes  pas  plus  grand  pot  au  feu;  nous  étions  cinquante-deux  à 


1.  Caliste,  tragédie  imitée,  par  Colardeau,  de  celle  que  Nicolas  Kowc,  mort 
en  1718,  donna. sous  le  titre  de  tiie  Fair  Pénitent.  La  pièce  franrais(\  dans  laquelle 
1^*=  Clairon  remplit  le  principal  rôle,  fut  représentée  le  12  novembre  1700,  et 
jouée  dix  fois. 

2.  Quatre  cxomplaires  du  premier  volume  de  l'Histoire  de  Pierre  le  Grand  ix 
prendre  chez  Hobiu,  libraire  au  Palais-Hoyal. 

3.  D'Alemb.ri. 


Î6  CORRESPONDANCE. 

table.  L'iiitoiulaiil  alla  coucher  à  Forney,  sa  troupe  ù  Toiirnay, 
la  inieniie  aii.v  Délices,  Je  reçus  fort  nol)leinent,  fort  dignement, 
le  fils  (le  l'avocat  fïénéral.  Son  oncle  me  dit  que,  dans  quelques 
années,  il  succéderait*  à  son  père.  «Souvenez-vous  alors,  lui 
dis-je,  que  vous  devez  être  l'avocat  de  la  nation.  »  Le  jeune 
lioinine  m'attendrit;  il  phMira  à  Fanime. 

Jo  no  Ir  punis  point  (les  fautes  de  son  père  *. 

Il  faut  que  Pompignan  m'envoie  son  fils  '\ 

J'ai  lu  deux  brochures''  :  l'une  est  de  La  Noue, 

/Erugo  mera;    ...     : 

(HoR.,  lib.  I,  sat.  iv,  v.  101.) 

l'autre,  d'une  bonne  âme  ;  mais  cette  âme  se  trompe,  sur  le  second 
acte  de  Tancrhle.  Il  est  vrai  que  les  comédiens  l'ont  induit  en 
erreur.  Tancrcde  est  tout  autre  chose  que  ce  que  vous  avez  vu  au 
théâtre.  J'espère  qu'à  la  reprise  ils  joueront  ma  pièce,  et  non  pas 
la  leur.  Ils  me  doivent  cette  petite  condescendance,  puisque  je 
leur  ai  donné  le  produit  des  représentations  et  de  l'impression. 
Mon  cher  ami,  il  serait  plus  doux  pour  moi  de  faire  pour  l'amitié 
ce  que  j'ai  fait  pour  les  talents.  Ce  que  vous  me  mandez  de  La 
Popelinière  passe  mes  conceptions.  Quelle  disparate  !  Les  fer- 
miers généraux  sont  cependant  les  seuls  qui  aient  de  l'argent  à 
Paris. 

Adieu.  Vous  intéressez-vous  beaucoup  au  Canada?  Quid  novi? 


4301,  —  A   M.   LE    CONSEILLER   TRONCHIN^. 

21  octobre. 

Voilà  donc   les  Autrichiens  et  les   Russes  qui  soupent  et 
couchent  dans  lîerlin  avec  les  Brandebourgeoises,  après  que  les 


1.  Omer-Louis-François  Joly  de  Fleury,  né  en  avril  1743,  fut  nommé  substitut 
du  procureur  général  en  17C2,  avocat  général  en  1767,  procureur  du  nouveau  par- 
lement créé  en  1771,  etc.  Quant  à  l'avocat  général  Omer  Joly  de  Fleury,  il  venait 
de  se  remarier,  tout  rabougri  qu'il  était,  à  une  jeune  femme  dont  il  devint  veuf 
en  1762.  (Cl.) 

2.  Vers  de  Mahomet,  acte  II,  scène  v;  voyez  tome  IV,  page  127. 

3.  M""=  de  Pompignan  accoucha,  le  8  décembre  1760,  d'un  fils  auquel  furent 
donnés  les  prénoms  de  ./ean-George-Louis-Marie. 

4.  Voyez  tome  V.  page  493. 

•).  Éditeurs,  de  Cayrol  et  François, 


ANNÉE    17  60.  27 

Prussiens  ont  soupe  et  couché  dans  Dresde  avec  des  Saxonnes. 
C'est  la  loi  du  talion.  Luc  méritait  d'être  puni.  C'est  un  vau- 
rien. Mais  j'ai  peur  qu'il  ne  soit  trop  puni ,  et  que  nous  ne 
soyons  un  jour  les  dupes  de  tout  ceci  sur  terre  comme  nous 
l'avons  été  sur  mer. 

Les  Russes  ont  pris  pour  eux:  à  Berlin  toutes  les  vieilles  : 
soixante-dix,  quatre-vingts,  quatre-vingt-dix,  nul  Age  ne  les  re- 
butait; tout  était  bon.  Ils  disaient  qu'il  fallait  laisser  les  jeunes 
aux  Autrichiens,  qui  ne  saut  pas  si  robustes  que  les  Russes.  Mon 
Dieu  !  que  je  suis  loin  d'être  Russe,  et  que  vous  en  êtes  près. 

Je  vous  embrasse  ex  toto  corde. 

4302.  —  A   M.   DUCLOS. 

A  Ferney,  22  octobre. 

Vous  êtes  ferme  et  actif,  vous  aimez  le  bien  public;  vous  êtes 
mon  homme,  et  je  vous  aime  de  tout  mon  cœur.  L'Académie  n'a 
jamais  eu  un  secrétaire  tel  que  vous. 

Venons  d'al)ord,  monsieur,  à  ce  Dictionnaire  que  l'Académie 
va  faire  imprimera 

Vous  aurez  votre  T^  dans  un  mois  ou  six  semaines.  Vous  n'at- 
tendez pas  après  le  T  quand  vous  êtes  à  VA. 

Non  vraiment,  je  ne  me  repose  point.  Robin-woî^/on,  vendeur 
de  brochures  au  Palais-Royal,  correspondant  de  Cramer,  et 
chargé  de  vous  présenter  un  Pierre,  a  dû  commencer  par  s'ac- 
quitter de  ce  devoir. 

Vous  êtes  très-louable  d'avoir  fait  sentir  au  vieux  Crébillon  sa 
faute  \  Je  ne  m'amuse  guère  à  lire  les  approbations  :  je  ne  savais 
pas  que  l'auteur  de  Rliadamiste  et  d'Èlectrc  eût  eu  l'indignité  d'ap- 
prouver une  pièce  qui  est  la  honte  de  la  littérature;  c'était  se 
joindre  aux  lâches  persécuteurs  des  véritables  gens  de  lettres. 
Mais  le  bonhomme  radote  depuis  longtemps. 

Puissiez-vous  réunir  et  venger  les  philosophes ,  qu'on  a  voulu 
désunir  et  accabler!  Est-il  possible  que  ceux  qui  pensent  soient 
avilis  ])ar  ceux  qui  ne  i)ensent  pas  !  Il  liiul  (pic  je  vous  conte  que 


1.  CeUe  quatrième  édition  du  Dictionnaire  de  l'Académie  franço\sz  parut  au 
commencement  de  1702.  (Cl.)  — La  première  édition  est  de  169i,  année  où  naquit 
Voltaire. 

2.  Ce  travail  de  Voitairea  été  joint  au  Piclionnaire  pliihsopliiquc,  à  la  lettre  T; 
voyez  tome  XX. 

3.  Comme  censeur,  il  avait  dunné  son  approbation  pour  riniprcssion  des  Phi- 
losophes; voyez  tome  V,  pajîeiflri;  et  XL,  382, 


28  CORFIHSI'ONDANCE. 

nous  allions  jouer  iiiio  pièce  nouvelle  aux  Délices;  M.  le  duc  de 
Villars,  notre  confrère,  y  était;  arrive  le  frère  d'Orner  de  Fleury, 
noire  intendant  de  lîour^^ogne,  avec  le  fils  d'Onier.  Il  fut  bien 
reçu,  on  lui  lit  fête,  on  lui  donna  la  comédie.  Jl  me  présenta 
le  fils  d'Oiner  comme  graine  d'avocat  général.  «  Monsieur,  dis-je 
au  jeune  liomme,  souvenez-vous  qu'il  faut  être  l'avocat  de  la 
nation,  et  non  des  Chaumeix.  »  D'ailleurs  tout  se  passa  à  mer- 
veille. 

Je  prends  acte  avec  vous  que  le  Tancrcde  que  vous  avez  vu 
n'est  pas  fout  à  fait  mon  TancrMe,  mais  celui  des  comédiens,  qui 
l'ont  ajusté  à  leur  fantaisie,  et  qui  l'ont  orné  d'une  soixantaine 
de  A'ers  de  leur  cru,  assez  aisés' à  reconnaître.  Ils  en  ont  usé 
comme  de  leur  bien,  parce  que  je  leur  ai  abandonné  le  profit  de 
la  représentation  et  de  l'édition.  J'ai  envoyé  une  petite  dédicace 
à  M""  de  Pompadour  et  à  M.  le  duc  de  Choiseul  ;  ils  l'ont  ap- 
prouvée. Je  lui  parle  (à  M""^  de  Pompadour),  dans  cette  Èpitre, 
du  bien  qu'elle  a  fait  aux  gens  de  lettres;  je  commence  par  citer 
Crébillon,  et  même  avec  quelque  éloge,  car  il  faut  être  poli; 
cela  rend  le  procédé  de  Crébillon  plus  indigne.  Je  ne  savais 
pas  alors  qu'il  se  fût  dégradé  au  point  d'être  le  receleur  de 
Palissot. 

Je  finis,  mon  respectable  confrère,  i)ar  me  féliciter  de  voir  à 
la  tête  de  nos  travaux  académiques  un  bomme  de  votre  trempe. 
Parlez,  agissez,  écrivez  hardiment;  le  temps  est  venu  où  le  bon 
sens  ne  doit  plus  être  opprimé  par  la  sottise.  Laissons  le  peuple 
recevoir  un  bât  des  bâtiers  qui  le  bâtent,  mais  ne  soyons  pas 
bâtés.  L'honnête  liberté  est  notre  partage. 

Comptez  sur  l'estime  infinie,  le  dévouement,  la  fidélité,  l'ami- 
tié du  Suisse  V. 

4303.   —   A  M.  LE  CONSEILLER   LE   BAULTi. 

Aux  Délices,  22  octobre  (1760). 

Monsieur,  les  maçons  et  les  charpentiers,  et  ejusdem  farinx  ho- 
mmes, m'ont  ruiné.  Il  est  dur  pour  un  voisin  de  la  Bourgogne 
de  dépenser  en  pierres  ce  qu'on  pourrait  mettre  en  vin.  Voilà 
pourquoi  j'ai  eu  l'indignité  de  préférer  un  tonneau  de  260  livres 
à  un  de  /j50.  J'ai  beaucoup  de  vin  assez  bon  pour  des  Genevois 
qui  se  portent  bien  ;  mais  à  moi  malade,  il  faut  un  restaurant 

I.  Éditeur,  Th.  Foissot. 


ANNÉE    1760.  29 

bouri;Liignon.  Voulez-vous  boire  à  nous  deux  votre  tonneau 
(le  hôO  ?  Envoyez-m'en  la  moitié,  et  pardonnez  à  ma  lésine.  L'an- 
née prochaine  je  serai  hardi  si  les  Anglais  ne  nous  prennent  pas 
Pondichéry,  et  si  on  ne  nous  impose  pas  un  quatrième  vingtième. 
Francliement,  tout  ceci  est  un  peu  dur. 

Alille  respects  à  madame.  C'est  avec  les  mêmes  sentiments 
(juc  j'aurai  toujours  l'honneur  d'être,  etc. 

4301.  —  A  .M.   DE   ClIENEVIÈRES  «. 

22  octobre. 

Mon  cher  ami,  la  meilleure  nouvelle  que  vous  nous  ayez  ja- 
mais apprise,  c'est  quand  vous  nous  annonçâtes  M"'  de  Bazin- 
court-  :  cela  vaut  mieux  pour  nous  que  les  prétendus  dix  millions 
de  sucre  et  de  café.  Je  vous  souhaite  ce  qui  s'en  faut,  et  je  vous 
souhaite  surtout  d'être  directeur  d'hôpitaux  militaires  qui  ne 
soient  pas  si  loin  de  chez  nous,  et  où  il  y  ait  moins  de  malades 
et  moins  de  blessés.  L'Allemagne  a  été  fort  malsaine  pour  les 
Français. 

On  prétend  que  Paris  rit  toujours  autant  qu'il  murmure;  que 
les  soupers  sont  aussi  gais  avec  de  la  vaisselle  de  terre  qu'avec 
celle  d'argent  ;  qu'on  va  vous  donner  des  pièces  nouvelles,  bonnes 
ou  mauvaises,  panem  et  circenses.  Il  ne  faut  que  cela  dans  votre 
bonne  ville.  J'ai  donné  circenses  dans  mes  terres  ;  pour  panem, 
j'en  mérite,  puisque  je  le  sème.  J'ai  aussi  du  vin,  je  voudrais 
que  vous  vinssiez  le  boire. 

4305.  —  A   M.  ***  3. 

S'il  y  a  des  esprits  de  travers  parmi  vous,  comme  il  y 
en  a  dans  toutes  les  communautés,  il  me  semble  que  les  bons 
n'en  doivent  pas  payer  pour  les  méchants,  ot  qu'on  n'en  doit 
pas  moins  estimer  un  IJourdalouc,  parce  qu'on  méprise  un 
Garasse. 

Ce  monde-ci  est  une  guerre  continuelle;  on  a  des  ennemis  et 
des  alliés.  Nous  voilà  alliés  contre  le  gazetier  janséniste,  et  je 


I.  Editeurs,  de  Cayrol  et  François. 

•J.  Elle  était  chez  Vollairc  depuis  plus  d'un  an. 

3.  Dans  les  éditions  de  Kehl,  cette  lettre  était  int\{ii\ôc  Frafimcut  d  tinjcsuilc, 
et  classée  à  la  lin  de  17.51).  La  tian.s|)ositioii  on  octobie  1700  e^5t  de  M.  Clo- 
gODtion.  (li.j 


30  CORUESPONDANCIî. 

souhaite  ({ik'  le  Juurnat  ilr  Trévoux  ne  me  lasse  pas  trinfidélités. 
11  ne  laiil  pas  rcsseniljicr  au  bon  David,  qui  pillait  égalcuicnl  les 
Juils  et  les  Philistins. 

Dans  cette  }i;uerre  interminable  d'auteurs  contre  auteurs,  de 
journaux  contre  journaux,  le  public  ne  prend  d'abord  aucun 
parti  (jue  celui  de  rire;  ensuite  il  en  prend  un  autre,  c'est  celui 
d'oublier  i\  jamais  tous  ces  combats  littéraires.  Le  gazetier  ecclé- 
siastique s'imagine  que  l'Europe  s'occupera  longtemps  de  ses 
feuilles  ;  mais  le  temps  vient  bientôt  où  l'on  nettoie  la  maison 
et  où  l'on  détruit  les  toiles  des  araignées.  Chaque  siècle  produit 
tout  au  plus  dix  ou  douze  bons  ouvrages;  le  reste  est  emporté 
par  le  torrent  du  fleuve  de  l'ouhli.  Eh  !  qui  se  souvient  aujour- 
d'hui des  querelles  du  Père  Bouhours  et  de  Ménage?  Et  si  Racine 
n'avait  pas  fait  ses  tragédies,  saurait-on  qu'il  écrivit  contre  Port- 
Koyal?  Presque  tout  ce  qui  n'est  que  personnel  est  perdu  pour  le 
reste  des  hommes. 

4306.  —   A  M.   DE   RUFFEY<. 

24  octobre,  à  Ferncy. 

Sans  une  demi-douzaine  de  tragédies,  une  centaine  d'hôtes, 
une  église  et  un  théâtre  à  bâtir,  je  vous  aurais  dit  plus  tôt,  mon 
cher  confrère,  combien  je  vous  ai  regretté.  MM.  deVarenne^ 
n'ont  vu  qu'une  petite  partie  de  nos  travaux  que  nous  appelons 
amusements.  Je  vous  assure  que  les  affaires  les  plus  sérieuses  ne 
prennent  pas  plus  de  temps.  Les  amusements  qui  n'en  prennent 
guère  sont  les  petites  corrections  qu'on  inflige  aux  Pompignan 
et  aux  autres  impertinents  qui,  étant  à  peine  gens  de  lettres, 
osent  vouloir  décrier  les  véritables  gens  de  lettres ,  calomnier 
leur  siècle  et  déshonorer  la  nation.  Il  faut  se  moquer  des  sots  et 
faire  trembler  les  méchants.  Je  ne  crois  pas  que  vous  ayez  sitôt 
Tancixdc^;  vous  ne  connaissez  probablement  cette  tragédie  que 
par  les  malsemaines  de  maître  Aliboron  dit  Fréron  :  comptez 
qu'elle  ne  ressemble  point  du  tout  à  ce  qu'en  dit  ce  polisson.  Je 
l'avais  faite  à  la  vérité  pour  moi,  pour  les  plaisirs  de  ma  cam- 
pagne. On  a  voulu  la  jouer  à  Paris.  J'en  ai  fait  présent  aux  comé- 


1.  Éditeur,  Th.  Foissct. 

2.  Jacques  Varcnne  père,  et  son  fils  aîné  Varcnno  de  Bcost,  tous  deux  secré- 
taires des  États  de  Bourjrogne.  Varcnne  ds  Béost  était  correspondant  de  PAca- 
demie  des  sciences,  et  frère  du  savant  agronome,  Vareune  de  Feuille.  (Note  du 
premier  éditeur.) 

'■\.  Joué  le  3  septembre  17(>0. 


ANNÉE    1760.  31 

diens.  Ils  y  ont  gagné  de  l'argent.  Ainsi,  hors  Fréron,  tout  le 
monde  est  content.  Je  le  serais  fort  si  \ous  pouviez  franciiir  les 
montagnes,  et  faire  ce  qu'ont  fait  MM.  de  Varenne.  Je  les  ai  trop 
peu  vus,  et  je  voudrais  vous  voir  beaucoup. 
Mille  respects  à  M""  de  Ruffcy. 

P.  S.  Il  y  a  un  homme  chez  vous  qui  m'envoie  de  vieilles 
nouvelles  ^  Je  lui  dois,  je  crois,  une  année.  Voudricz-vous  avoir 
la  bonté  de  lui  faire  payer  son  louis?  M.  Troncbin  de  Lyon  rem- 
bourse tout.  Je  ne  me  mêle  que  de  lire  et  de  barbouiller,  et  sur- 
tout de  vous  aimer. 

4307.  —  A  M.   JEAN   SCIIOU VALOW. 

A  Ferncy,  25  octobre. 

Je  reçois,  par  M.  de  Kaiserling,  la  lettre  dont  vous  m'avez 
honoré,  du  11  septembre-  {nouveau  style),  avec  les  Mémoires 
sur  le  commerce,  et  sur  les  campagnes  en  Perse.  Je  n'ai  point 
encore  entendu  parler  de  M.  Pousclikin,  et  du  paquet  qu'il 
devait  me  faire  parvenir  de  la  part  de  Votre  Excellence;  j'ai  tou- 
jours jugé  qu'il  s'arrêterait  à  Vienne,  pour  le  mariage  de  l'archi- 
duc'.  Vous  venez  de  donner  une  belle  fête  à  ce  prince;  vos 
troupes,  dans  Berlin,  font  un  plus  bel  effet  que  tous  les  opéras 
de  Metastasio.  C'est  moi,  monsieur,  qui  suis  inconsolable  de 
n'avoir  pu  faire  ma  cour  à  monsieur  votre  neveu;  jugez  avec 
quels  transports  j'aurais  reçu  un  homme  de  votre  nom,  et  digne 
d'en  être.  Je  vois  souvent  M.  de  Soltikof  ;  je  vous  assure  qu'il 
mérite  de  plus  en  plus  votre  bienveillance. 

Il  est  bien  dur  d'être  si  loin  de  vous.  J'ignore  encore  si  un 
ballot  envoyé,  il  y  a  un  an,  à  l'adresse  de  M.  de  Kaiserling  à 
Vienne,  est  parvenu  à  Votre  Excellence  ;  j'ignore  si  elle  a  reçu 
un  autre  ballot  envoyé  par  Hambourg;  celui-là  me  tient  moins 
au  cœur  ;  il  ne  contenait  qu'une  espèce  d'eau  des  Barbades*,  que 
je  prenais  la  liberté  de  vous  offrir. 

Vous  sentez,  monsieur,  que  je  ne  puis  bAtir  la  seconde  aile 
de  Tédifice,  si  je  n'ai  des  matériaux;  vous  avez  commencé,  vous 
achèverez.  On  est  content  du  i)reniier  volume;  le  libraire  en  a 


i.  Probabloniont  lo  Dullntin  de  Dijon. 

2.  On  fin  .'11  août.,  selon  Vancicn  style,  suivi  p.ir  Icîs  Husscs. 

3.  Josrpii-Benoll-Ansnstc  (Joscpli   II,  empereur  eu   17G5),  marié  à  Isabelle  di 
Parme  le  0  ortobiv  ITC.O.  (Ci..) 

i.  I.a  raissn  d'eau  de  Coltiidon.  dont  il  est  question  dans  lu  lettre  398;{. 


3:S  CORUKSPONDANCIi:. 

(I(''j;i  (l(''l)il(''  cinq  mille  exemplaires;  Pierre  le  Grand  et  vous,  vous 
laites  sa  Ibrliine  :  c'est  votre  destinée  h  tous  les  deux  de  faire  du 
bien.  Mais  comment  puis-je  continuer,  si  je  n'ai  pas  le  précis  des 
négociations  de  ce  grand  homme,  et  la  continuation  du  Journal? 
J'ajoute  que  j'ai  besoin  de  quelques  éclaircissements  sur  leczaro- 
\\i\/..  Je  suis  à  vos  ordres,  et  je  vous  réponds  que  je  ne  vous 
ferai  pas  attendre;  mais  aidez-moi;  ne  me  réduisez  pas  à  répéter 
les  mauvaises  histoires  du  sieur  Nestesuranoi  S  et  de  tant  d'autres. 
Jl  n'est  pas  dans  votre  caractère  d'abandonner  une  si  noble 
entreprise  ;  je  suis  persuadé  qu'elle  doit  plaire  à  la  digne  fille  de 
Pierre  le  Grand.  Disposez  de  votre  secrétaire,  de  votre  partisan 
le  plus  vif,  de  celui  qui  sera  toute  sa  vie,  avec  le  plus  tendre 
respect,  etc. 

J'ai  eu  l'impudence  de  porter  chez  M,  de  Soltikof  le  portrait 
de  votre  secrétaire. 

i308.   —   A  MADAME   LA  COMTESSE   D'ARGENTAL. 

A  Fcrney,  25  octobre. 

Je  me  mets  plus  que  jamais  aux  pieds  de  madame  Scaliger, 
Je  ne  sais  si  M.  le  Parmesan  est  encore  à  la  campagne  ;  je  prends 
le  parti  d'adresser  la  pièce  à  M.  de  Chauvelin  ;  il  y  a  plus  de  deux 
cents  vers  de  changés,  en  comparant  cette  leçon  à  celle  de  la 
première  représentation.  C'est  sur  cette  dernière  leçon  que  nous 
venons  de  la  jouer,  et  j'ose  assurer  que  vous  seriez  bien  étonnée 
des  acteurs  et  du  parterre.  Enfin,  madame,  je  recommande  à 
vos  bontés  cet  ouvrage,  qui  est  en  partie  le  vôtre.  Je  vous  dois, 
madame,  ce  que  j'ai  pu  y  faire  de  passable.  Il  est  bien  important 
qu'on  prévienne  les  détestables  éditions  dont  on  me  menace.  Je 
mérite  que  les  acteurs  aient  la  complaisance  de  jouer  ma  pièce 
telle  que  je  l'ai  laite,  et  que  M""^  Clairon  ne  m'immole  point  à  ses 
caprices  ;  et  vous  méritez  surtout  qu'on  fasse  ce  que  vous  voulez. 
Je  ne  demande  que  trois  ou  quatre  représentations  vers  la  Saint- 
Martin.  Il  sera  nécessaire  que  tous  les  acteurs  recopient  leurs 
rôles,  car  il  n'y  en  a  point  qui  ne  soit  cbangé.  J'aurai  l'honneur 
de  vous  envoyer  incessamment  la  dédicace  à  M""^  de  Pompadour; 
M.  de  Choiseul  prétend  que  la  dédicace  de  Choisy  *  ne  lui  a  pas 
fait  tant  de  plaisir. 

1.  Rousset  de  Missj'. 

'2.  Où  Louis  XV  avait  fait  construire  le  bâtiment  appelé  le  Petit-Château.  La 
chapelle  du  p-and  commua  avait  un  tableau  de  sainte  Clolilde  par  Carie  Vanloo. 
Le  pt'intre  avait  donm'i  à  la  sainte  la  fiyure  de  M"''  de  Pompadour. 


ANNKE    1700.  33 

Je  ne  mets  point  mon  nom  à  la  dédicace;  c'est  un  usage  que 
j'ai  banni  :  11  est  trop  ridicule  d'écrire  une  dissertation  comme 
on  écrit  une  lettre,  avec  un  très-obéissant  serviteur. 

Par  une  raison  à  peu  près  semblable,  c'est-à-dire  par  l'aver- 
sion que  j'ai  toujours  eue  pour  fourrer  mon  nom  à  la  tête  de 
mes  opuscules,  je  souhaite  que  Praiilt  le  supprime;  on  sait  assez 
que  j'ai  fait  Tancrhde.  Il  n'eût  pas  été  mal  que  ceux  qui  ont  le 
profit  de  l'édition  eussent  mis  quatre  lignes  d'avertissement; 
toutes  ces  petites  choses  peuvent  aisément  être  arrangées  par  vos 
ordres. 

Nous  venons  de  jouer  encore  Fanime  avec  des  applaudisse- 
ments bien  plus  forts  que  ceux  qu'on  avait  donnés  à  Tancri^dc; 
c'est  que  Fanime  a  été  jouée  mieux  qu'elle  ne  le  sera  jamais. 
Je  voudrais  que  vous  pussiez  voir  un  chevalier  Micault^,  frère 
du  garde  du  trésor  royal  ;  il  y  était.  Vous  aurez  cette  Fanime  sous 
votre  protection,  au  moment  que  vous  la  demanderez. 

Mais  une  chose  à  quoi  vous  ne  vous  attendez  pas,  c'est  que 
vous  aurez  Oreste;  j'ai  voulu  en  venir  à  mon  honneur; je  regarde 
Orcste  à  présent  comme  un  de  mes  enfants  les  moins  bossus  ;  vous 
en  jugerez. 

Je  n'aime  pas  assurément  un  échafaud  sur  le  théâtre,  mais 
j'y  verrais  volontiers  les  furies  ;  les  Athéniens  pensaient  ainsi. 

Je  suppose,  madame,  que  vous  avez  reçu,  il  y  a  quelques 
jours,  une  grande  lettre  de  moi,  et  une  pour  Clairon,  le  tout  à 
l'adresse  de  M.  de  Chauvelin-,  que  j'ai  aussi  chargé  de  Tancrhde. 
Vous  ai-je  dit  que  nous  avons  joué  devant  le  fils  d'Omer  de 
FIcury?  }\.  l'abbé  d'Espagnac  arriva  trop  tard  ;  il  eût  été  agréable 
d'avoir  un  grand-chambrier  pour  spectateur. 

0  chers  anges!  que  je  voudrais  vous  revoir!  Mais  je  hais 
Paris.  Je  ne  peux  travailler  que  dans  la  retraite;  je  travaillerai 
pour  vous  jusqu'à  la  fin  de  ma  vie.  Vive  le  tripol! 

i3U'J .  —  A    MAI)  \  M  !•:   D'ÉPI  .N  A I . 

25  octobre  17C.0, 

M.  Lefranc  de  Pompigiian,  historiographe  manqué  des  En- 
lanls  do  Franco,  a  riiomieur  d'envoyer  à  M""  d'Épinai  les  ré- 

lloxions  salutaires  (pio  lui  a  ;i(lr<'ss('cs  un  froi-e  de   la  charité  de 


1.  O-  militaire  est  nommo  dans  la  lettre  ti  M""  d'Arircutal,  du  "2  janvier  1703. 
Son  frire  se  nommait  Micaiilt  d'ilarvclai. 
'_'.  L'intendant  des  linaiices-. 

41.  —  ConnESPONDANCE.  IX.  3 


3i  C()l{Ui:Sl'()M)A.\CE. 

IJnyoïmo'.  Oiioi(iue  ces  réflexions  soient  très-judicieuses,  M.  Le- 
IVanc  (le  l'onipignan  est  déterminé  à  i^rivcv Vunivers  de  sesimmor- 
lels  écrits  si  ïniiiLurs  et  autres  continuent  à  les  trouver  plats, 
(lél('stal)ies,  et  exécral)les.  C'est  à  l'univers  à  voir  ce  qu'il  aime  le 
mieux,  il  n'y  a  point  de  milieu.  Moi,  je  sais  bien  ce  que  je  préfére- 
rais :  ce  serait  d'aller  présenter  à  M""-  d'Épinai  l'hommage  de  mon 
respect,  de  mon  admiration,  et  de  ma  reconnaissance.  Si  j'ai  le 
malheur  de  ne  pouvoir  lui  porter  ce  tribut  à  la  campagne,  je 
volerai  le  lui  ollVir  aussitôt  que  je  la  saurai  à  Paris. 

J'envoie  aussi  des  Car  à  notre  ami  de  Saint-Cloud  ;  il  faut 
bien  lo  dédommager  un  peu  de  son  ennui,  car  j'imagine  qu'il 
réside  toujours  auprès  des  grands. 


i310..  —  A  M.    LE K AIN. 

Aux  Délices,  26  octobre. 

Je  réponds,  mon  cher  ami,  à  votre  lettre  du  15  d'octobre.  J'ai 
envoyé  à  M.  d'Argeutal  la  tragédie  de  Tancrhic,  dans  laquelle 
vous  trouverez  une  différence  de  plus  de  deux  cents  vers;  je 
demande  instamment  qu'on  la  rejoue  suivant  cette  nouvelle 
leçon,  qui  me  paraît  remplir  l'intention  de  tous  mes  amis.  Il 
sera  nécessaire  que  chaque  acteur  fasse  recopier  son  rôle  ;  et  il 
n'est  pas  moins  nécessaire  de  donner  incessamment  au  public 
trois  ou  quatre  représentations  avant  que  vous  mettiez  la  pièce 
entre  les  mains  de  l'imprimeur.  Ne  doutez  pas  que,  si  vous  tar- 
dez, cette  tragédie  ne  soit  furtivement  imprimée  ;  il  en  court  des 
copies;  on  m'en  a  fait  tenir  une  horriblement  défigurée,  et  qui 
est  la  honte  de  la  scène  française.  Il  est  de  votre  intérêt  de  pré- 
venir une  contravention  qui  serait  très-désagréable  pour  vous  et 
pour  moi. 

Je  me  flatte  que  vous  n'êtes  pas  de  l'avis  de  M"*  Clairon,  qui 
demande  un  échafaud-  ;  cela  n'est  bon  qua  la  Grève,  ou  sur  le 
théâtre  anglais  ;  la  potence  et  des  valets  de  bourreau  ne  doivent 
pas  déshonorer  la  scène  de  Paris,  Puissions-nous  imiter  les 
Anglais  dans  leur  marine,  dans  leur  commerce,  dans  leur  phi- 
losophie, mais  jamais  dans  leurs  atrocités  dégoûtantes  !  M"'=  Clai- 
ron n'a  certainement  pas  besoin  de  cet  indigne  secours  pour 
toucher  et  pour  attendrir  les  cœurs. 

•1.  Probablement  la  satire  intitulée   la    Vanité,  par  ttn  frère  de  la  doctrine 
cliri'Lienne;  voyez  tome  X. 
2.  Voyez  la  lettre  4297. 


ANNEE    17(3  0.  33 

Je  TOUS  donnerai  quoique  jour  une  pièce  où  vous  pourrez  éta- 
ler un  appareil  plus  noble  et  plus  convenable,  .\ous  avons  joué 
ici  Fanime  avec  des  applaudissements  bien  singuliers  ;  M""'  Denis  y 
déploya  les  talents  les  plus  supérieurs,  elle  fit  pleurer  des  gens 
qui  n'avaient  jamais  connu  les  larmes;  enfin  elle  ne  fut  point 
indigne  de  jouer  le  rôle  de  Fanime,  qui  est  celui  de  M""  Clairon. 
Quand  vous  voudrez,  vous  aurez  cette  pièce  ;  mais  il  faut  com- 
mencer par  Tancrhde. 

Je  vous  prie  très-instamment  de  me  mander  quelle  pièce  vous 
comptez  mettre  sur  le  théâtre  vers  la  Saint-Martin  ;  mettez-moi 
un  peu  au  fait  de  votre  marche.  Vous  savez  combien  je  m'inté- 
resse à  vos  succès  et  à  vos  avantages;  comptez  sur  l'amitié  invio- 
lable de  votre  très-humble,  etc. 


4311.  —  A  -M.   ÏURGOT'. 

Aux  Délices,  près  de  Genève,  2(5  octobre. 

Vous  arrivez,  monsieur,  dans  ma  chapelle  de  village  quand 
la  messe  est  dite  ;  mais  nous  la  recommencerons  pour  vous. 
Cette  chapelle  est  un  théâtre  de  Polichinelle,  où  nous  jouons  des 
pièces  nouvelles  avant  qu'on  les  abandonne  au  bras  séculier  de 
Paris.  Vous  n'aurez  qu'à  commander  et  la  troupe  sera  à  vos 
ordres. 

Vous  venez,  monsieur,  par  un  vilain  temps  dans  un  pays 
qu'il  ne  faut  voir  que  dans  le  beau  temps;  son  seul  mérite  con- 
siste dans  des  vues  charmantes. 

Vous  voulez  voir  Genève  :  il  n'y  a  que  des  marchands  occu- 
pés de  gagner  trois  sous  sur  le  change,  des  prédicants  calvinistes 
durs  cl  ennuyeux,  mais  une  cinquantaine  de  gens  d'esprit  très- 
philosophes.  Il  n'y  vient  que  des  malades  pour  consulter  Tron- 
chin,  et  vous  vous  portez  bien.  Les  cabarets  y  sont  très-mauvais 
et  très-chers.  Les  portes  de  la  ville  se  ferment  à  cinq  heures,  et 
alors  un  étranger  est  embarrassé  de  sa  personne.  La  campagne 
est  très-agréabic;  mais  ce  n'est  pas  au  mois  de  novembre. 

Vous  voyez,  monsieur,  que  je  ne  veux  pas  vous  surftiire. 

Je  suis  dans  ma  chaumière  ;  on  la  nomme  les  Délices,  parce 
(jue  rien  n'est  plus  délicieux  que  d'y  être  libre  et  indépendant. 
Klle  est  située  sur  le  chemin  de  Lyon,  à  une  portée  de  canon  de 
l;i  \ill('  (le  (;;i!\in.  Vous  verrez  une  longue  mui-aille,  une  porte  à 

1.  Kdi leurs,  de  Cuvrol  et  François. 


;j„  CORRESPONDANCE. 

baireaux  verts,  un  grand  berceau  vert  sur  celte  muraille.  C'est 
là  mon  bonpfc.  Je  vous  conseille,  monsieur,  et  je  vous  supplie 
d'y  descendre, 

Alqiie  liumilt's  luiiiiUiio  Ciisiis. 

Vous  ne  serez  pas  l()p;é  magnifiquement;  il  s'en  i'aut  beau- 
coup. En  qualité  de  comédiens,  nous  n'avons  (jue  des  loges  ;  et, 
comme  reclus,  nous  n'avons  que  des  cellules.  Nous  logerons 
vos  équipages,  vos  gens;  personne  ne  sera  gêné.  Vous  aurez 
des  livres,  et,  si  vous  voulez,  même  des  manuscrits  que  vous  ne 
trouverez  point  ailleurs.  Si  vous  voulez  voir  Genève,  vous  verrez 
cette  ville  de  vos  fenêtres,  et  vous  irez  tant  qu'il  vous  plaira. 
Voilà,  monsieur,  ma  déclaration  et  mes  très-humbles  prières.  Je 
ne  puis  trop  vous  remercier  de  l'honneur  que  vous  daignez  me 
faire,  et  vous  savoir  assez  de  gré  de  votre  voyage  pliilosopbique. 
Vous  vous  accommoderez  de  notre  médiocrité  et  de  notre  liberté 
républicaine. 

Omilte  mirari  beatae 
[•"uiiiuai  et  opes  slrepilumque  Romae. 

Vous  verrez  un  vieux  rimailleur  philosophe,  enchanté  de 
rendre  tout  ce  qu'il  doit  à  un  homme  de  votre  mérite. 

Jail'bonneur  d'être,  avec  les  sentiments  les  plus  respectueux, 
votre  très-humble  et  très-obéissant  serviteur. 

P.  S.  Permettez  que  je  ])résente  mes  respects  à  M.  de  La  Micho- 
dière  '. 

i:n-2.   —  A  .UADA.^IE   LA  MARQUISE  DU   DEFFANT. 

Aux  Délices,  27  octobre. 

Ceci  n'est  point  une  lettre,  madame,  c'est  seulement  pour 
vous  demander  si  vous  avez  reçu  deux  volumes  de  l'ennuyeuse 
Histoire  de  Russie,  l'un  pour  vous,  l'autre  pour  le  président 
Hénault.  M.  Bouret  ou  M.  Le  Normand  doit  vous  avoir  fait 
remettre  ce  paquet.  J'ignore  pareillement  si  M.  d'Alembert  a  reçu 
le  sien.  Voulez-vous,  madame,  avoir  la  bonté  de  lui  demander 
s'il  lui  est  parvenu?  11  vous  fait  quelquefois  sa  cour,  et  je  vous 
ou  (Y'iicite  tous  deux  :  vous  ne  trouverez  assurément  personne 

1.  Iiitcndîint  d'Auvcr^îiC. 


ANNÉE    ^700.  37 

qui  ait  plus  d'esprit,  plus  d'iuui^niiatiou,  et  plus  de  connaissances 
que  lui. 

Je  vous  disais,  madame,  que  je  ne  vous  écrivais  point,  mais 
je  veux  vous  écrire.  J'ai  pourtant  bien  des  affaires  :  un  laboureur 
qui  hAtit  une  église  et  un  théAtre,  qui  fait  des  pièces  et  des 
acteurs,  et  qui  visite  ses  cliamps,  n'est  pas  un  homme  oisif, 
^'importe,  il  faut  que  je  vous  dise  que  je  viens  de  crier  vive  le 
roi!  en  apprenant  que  les  Français  ont  tué  quatre  mille  Anglais  * 
à  coups  de  baïonnette.  Cela  n'est  pas  humain,  mais  cela  était 
fort  nécessaire. 

Je  ne  sais  pas  si  le  roi  de  Prusse  aura  longtemps  la  vanité  de 
])ayer  régulièrement  la  pension  à  M.  d'Alembert;  ce  serait  aux 
Russes  à  la  payer,  sur  les  huit  millions  qu'ils  viennent  de  prendre 
à  Berlin.  Dieu  merci,  il  ne  s'est  pas  encore  passé  une  semaine 
sans  grandes  aventures,  depuis  que  j'ai  quitté  le  poète  Sans- 
Souci  :  j'ai  peur  de  lui  avoir  porté  malheur.  Je  souhaite  qu'il 
finisse  sa  vie  aussi  sagement  et  aussi  tranquillement  que  moi  ; 
mais  il  n'en  fera  rien. 

Je  n'ai  nulle  nouvelle  du  frère  Menoux,  ni  de  frère  Mala- 
grida,  ni  de  frère  Berthier,  ni  d'Omer  de  FIcury,  ni  de  Fréron. 
J'aurai  l'honneur  de  vous  envoyer  quelque  insolence  îe  plus  tôt  que 
je  pourrai. 

Prenez  toujours  la  vie  en  patience,  madame  ;  et  s'il  y  a  quelque 
bon  moment,  jouissez-en  gaiement.  Je  me  plains  îitout  le  monde 
(le  M""  Clairon,  qui  a  la  fantaisie  de  vouloir  qu'on  lui  mette  un 
échafaud  tendu  de  noir  sur  le  théûtre,  parce  qu'elle  est  soupçon- 
née d'avoir  fait  une  infidélité  à  son  fiancé.  Cette  imagination  abo- 
minable n'est  bonne  que  pour  le  théâtre  anglais.  Si  l'échafaud 
était  pour  Fréron,  encore  passe; mais  pour  Clairon,  je  ne  le  peux 
souffrir. 

.Ne  voilà-t-il  pas  une  belle  idée  de  vouloir  changer  la  scène 
française  en  place  de  Grève!  Je  sais  bien  que  la  plupart  de  nos 
tragédies  ne  sont  que  des  conversations  assez  insipides,  et  que 
nous  avons  manqué  jusqu'ici  d'action  et  d'appareil  ;  mais  quel 
appareil  pour  une  nation  polie  qii'iuie  potence  et  des  valets  de 
bourreau! 

Je  vous  adresse  mes  plaintes,  madame,  parce  que  vous  avez 
du  goût;  et  je  vous  prie  de  crier  à  pleine  tête  contre  cette  bar- 

1.  1,1' iii,-ii-f[iiis  (h',  flastrios  îivail  mis  en  l'iiiio.  le  It»  ocldljn-,  .■iu\  environs  de 
Woscl,  quinze  inillL-  Ilanovi'icns  cominîindi's  p;ir  Ir  prince  lu-réiliiain!  de  Hriins- 
wick,  Icjquol  servait,  sous  les  ordres  du  prime  rcrdinaiid,  son  oncle,  p'énéral  en 
chef  des  troupes  anjjlaises  et  hanovrienni.'s. 


38  CORRESPONDANCE. 

I)arie.  Voilà  ma  \o\lro  finie;  je  vais  voir  mes  greniers  el  mes 
granges. 

Je  vous  présente  mon  tendre  respect,  et  je  vous  aime  encore 
plus  que  mon  l)lé  et  mon  vin  ;  j'ai  fait  pourtant  d'assez  bon  vin, 
et  beaucoup.  Je  parie,  madame,  que  vous  ne  vous  en  souciez 
guère  ;  voilà  comme  l'on  est  à  Paris. 

•i313.  —  A   M.   TIIIERIOT. 

A  Fcrnc}-,  27  octobre. 

Je  vous  dis  et  redis,  mon  vieil  ami,  qu'il  me  faut  des  fréro- 
nades*  où  il  est  question  de  Taiwrhde  ;  il  y  a  une  bonne  àmc  qui 
se  charge  d'en  faire  un  assez  plaisant  usage. 

Avez-vous  des  Pierre?  Avez-vous  donné  un  Pierre  à  Protago- 
ras?  Que  faites-vous  chez  votre  médecin-?  Quid  novi  de  litteratis 
et  maleftciatis? 

Que  dites-vous  de  Clairon,  qui  voulait  un  échafaud  sur  le 
théâtre?  Mon  ami,  il  faut  battre  les  Anglais,  et  ne  pas  imiter  leur 
barbare  scène.  Qu'on  étudie  leur  philosophie;  qu'on  foule  aux 
pieds  comme  eux  les  infâmes  préjugés;  qu'on  chasse  les  jésuites^ 
et  les  loups;  qu'on  ne  combatte  sottement  ni  l'attraction,  ni  l'ino- 
culation ;  qu'on  apprenne  d'eux  à  cultiver  la  terre  ;  mais  qu'on 
se  garde  bien  d'imiter  leur  théâtre  sauvage. 

Vous  verrez  bientôt,  à  ce  que  j'espère,  Tancrcde  d^^s  son  cadre. 
M.  et  M"'^  d'Argental  m'ont  bien  servi  ;  ils  m'ont  fait  corriger  bien 
des  fautes  :  voilà  de  vrais  amis.  Les  comédiens  m'ont  tailladé  assez 
mal  à  propos  ;  mais  tout  sera  réparé  à  la  reprise.  Voyez  cette 
reprise;  je  suis  le  plus  trompé  du  monde,  ou  Tancr'cde  doit  faire 
pleurer  toutes  les  petites  filles  à  chaudes  larmes. 

J'ai  bien  peur  que  l'état  de  M.  le  duc  de  Bourgogne''  ne  soit 
fatal  aux  spectacles.  Le  roi  perd  bien  des  enfants;  il  soutient  de 
rudes  épreuves  de  toutes  façons.  On  ne  le  plaint  point  assez  ;  et 
quoiqu'on  l'aime,  on  ne  l'aime  point  assez.  Allez,  allez,  messieurs 
les  Parisiens,  Dieu  vous  le  conserve,  et  M""-  de  Pompadour! 
Elle  n'a  fait  que  du  bien,  et  vous  n'êtes  que  des  ingrats.  Yale, 
amice. 


1.  Les  articles  do  VAnm-e  littéraire;  voyez  tome  V,  page  493. 

2.  Baron. 

3.  La  première  attaque  eut  lieu  contre  eux  le  17  avril  17G1,  dans  un  Discours 
de  l'abbède  Chauvclin. 

i.  Ce  frère  aîné  de  Louis  XVI  mourut  le  22  mars  176i. 


ANNÉE    I7G0.  39 

4314.  —  A  M.   LE   COMTE   D'ARGENTAL. 

'27  octobiT. 

Mon  divin  ange,  j'apprends  que  tous  êtes  revenu  à  Paris  : 
vous  allez  donc  reprotéger  Tancrhle.  Vous  devez  avoir  la  nouvelle 
leçon  entre  les  mains  ;  je  l'ai  envoyée  à  M™'  Scaliger. 

J'attends  tout  de  mes  anges,  car  les  anges  de  ténèbres  me 
persécutent.  On  m'a  fait  tenir  une  copie  de  Tancrède  capable  de 
déshonorer  l'autour,  les  comédiens,  et  les  protecteurs,  et  de  faire 
renoncer  à  la  chevalerie  et  au  théâtre.  Il  est  sûr  que  bientôt  ce 
détestable  ouvrage  sera  imprimé,  comme  il  est  sûr  que  Pondi- 
chéry  sera  pris.  J'imagine,  mon  cher  ange,  que  vous  préviendrez 
l'une  de  ces  deux  turpitudes  ;  que  vous  ferez  jouer  Tancrhle, 
vienne  la  Saint-Martin;  et  alors  vous  aurez  la  dédicace,  que  je 
fortifierai  de  quelque  nouvelle  outrecuidance,  car  il  faut  montrer 
aux  sots  que  les  philosophes  ont  autant  d'appui  que  les  persécu- 
teurs des  philosophes,  et  de  meilleurs  appuis. 

Il  est  donc  arrivé  malheur  au  Pierre  des  Cramer.  Ils  l'avaient 
mis  sous  la  protection  de  M.  de  Malesherbes,  et  on  l'a  fait  moi- 
sir à  la  chambre  syndicale,  en  attendant  qu'on  l'eût  contrefait. 
On  assure  que  Moncrif  avait  été  nommé  pour  examinateur  de 
VWstoirc  de  Russie.  L'auteur  des  Chats^  n'est  pas  trop  fait  pour  juger 
Pierre  le  Grand;  il  y  a  loin  de  sa  gouttière  au  Volga  et  au  Jaïk. 
Ces  petites  aventures  ne  me  réconcilient  pas  avec  la  bonne 
ville. 

Adieu;  je  reviendrai  quand  ils  seront  changés  -. 

Je  ne  peux,  mon  cher  ange,  m'empêcher  de  vous  répéter  ce 
que  j'ai  dit  à  M""=  Scaliger  de  l'elTet  prodigieux  que  M'""  Denis  a 
fait  dans  Fanime.  Aota  bene  que  vous  aurez  cette  Fanimc  quand  il 
vous  [)laira.  Je  vous  supplierai  de  me  renvoyer  cette  dernière 
copie  avec  la  première,  la  plus  ancienne  de  toutes  :  car  il  faut 
confronter,  et  quand  il  n'y  aurait  qu'un  vers  heureux  à  se  voler 
à  soi-même,  il  ne  faut  rien  négliger  ;  les  vieillards  sont  un  peu 
avares. 

Ai-jc  dit  ;i  M d'Argenlal  que  nous  avionsjoué  Fanimc  devant 

le  fils  d'Onicr  de  Tleury?  ('.(.'la  nous  porta  malheur;  elle  fui  mal 
jouée  ce  juur-là  ;  cependant  elle  fit  assez  d'ell'et. 

1.  Allusion  à  V Histoire  des  chats,  qui  avait  valu  à  Moncrif  le  litre  d'historio- 

2.  Dernier  vers  du  Russe  à  Paris;  voyez  tome  X. 


40  CORRESPONDANCE. 

J'ai  f,M-nvcmeiit  recommandé  à  Orner  minor^  de  ne  pas  alta- 
(|ii(M-  oiiverlciiient  la  raison  quand  il  serait  avocat dudil  seigneur 
roi.. 

Mon  cher  ange,  que  dirons-nous  cVOreste?  Mettrons-nous  des 
furies  dans  ce  tripot  grec?  Je  les  aimerais  mieux  qu'une  potence 
dans  Tancrhle;  il  faut  que  Clairon  ait  perdu  l'esprit.  Opposez- 
vous  ù  cette  horreur,  et  n'ayons  rien  à  l'anglaise,  qu'une  marine, 
et  la  philosophie. 

l\e  va-t-on  pas  jouer  une  pièce  -  de  Lemierre  ?  Il  m'a  écrit,  ce 
Lemierrc  ;  mais  où  est  sa  demeure?  je  n'en  sais  rien.  Je  prends  la 
Jiherté  de  joindre  ici  ma  réponse,  et  de  vous  supplier  de  la  lui 
faire  tenir  par  la  poste  d'un  sou. 

La  correspondance  emporte  tout  le  temps,  sans  cela  vous 
auriez  une  pièce  nouvelle.  Mes  divins  anges,  courage.  Je  crois 
Luc  bien  mal  :  mais  je  suis  Russe. 

4315.   —  A  M.  HELVÉTIUS. 

27  octobre. 

Je  ne  sais  où  vous  prendre,  mon  cher  philosophe  ;  votre  lettre 
n'était  ni  datée,  ni  signée  d'un  //;  car  encore  faut-il  une  petite 
marque  dans  la  multiplicité  des  lettres  qu'on  reçoit.  Je  vous  ai 
reconnu  à  votre  esprit,  à  votre  goût,  à  l'amitié  que  vous  me  té- 
moignez. 

J'ai  été  très-touché  du  danger  où  vous  me  mandez  que  votre 
très-aimable  et  respectable  femme  a  été,  et  je  vous  supplie  de 
lui  dire  combien  je  m'intéresse  à  elle. 

Oh  bien  !  je  ne  suis  pas  comme  Fontenelle,  car  j'ai  le  cœur 
sensible,  et  je  ne  suis  point  jaloux,  et,  de  plus,  je  suis  hardi  et 
ferme  ;  et  si  l'insolent  frère  Le  Tellier  m'avait  persécuté  comme 
il  voulut  persécuter  ce  timide  philosophe,  j'aurais  traité  Le  Tel- 
lier comme  Borthier.  Croiriez-vous  que  le  fils  d'Omer  Fleury  est 
venu  coucher  chez  moi,  et  que  je  lui  ai  donné  la  comédie?  Il 
est  vrai  que  la  fête  n'était  pas  pour  lui  ;  mais  il  en  a  profité  aussi 
bien  que  son  oncle,  l'intendant  de  Bourgogne,  lequel  vaut 
mieux  qu'Omer.  J'ai  reçu  le  fils  de  notre  ennemi  avec  beaucoup 
de  dignité,  et  je  l'ai  exhorté  à  n'être  jamais  l'avocat  général  de 
Cliaumeix, 

Mon  cher  philosophe,  on  aura  beau  faire  :  quand  une  fois 
une  nation  se  met  à  penser,  il  est  impossible  de  l'en  empêcher. 

I.  Voyez  les  lettres  4300  et  430'2. 
-.  Tvréc,  tragédie  jouée  en  1701. 


ANNÉE    1700.  41 

Ce  siècle  commence  à  être  le  triomphe  de  la  raison  ;  les  jésuites, 
les  jansénistes,  les  hypocrites  de  robe,  les  hypocrites  de  cour, 
auront  beau  crier,  ils  ne  trouveront  dans  les  honnêtes  gens 
qu'horreur  et  mépris.  C'est  l'intérêt  du  roi  que  le  nombre  des 
])hilosophes  augmente,  et  que  celui  des  fanatiques  diminue. 
iXous  sommes  tranquilles,  et  tous  ces  gens-là  sont  dos  perturba- 
tours:  nous  sommes  citoyens,  et  ils  sont  séditieux;  nous  culti- 
vons la  raison  en  paix,  et  ils  la  persécutent  ;  ils  pourront  faire 
brûler  quelques  bons  livres,  mais  nous  les  écraserons  dans  la  so- 
ciété, nous  les  réduirons  à  être  sans  crédit  dans  la  bonne  com- 
pagnie; et  c'est  la  bonne  compagnie  seule  qui  gouverne  les  opi- 
nions des  hommes.  Frère  Elisée*  dirigera  quelques  badaudes, 
frère  Menoux  quelques  sottes  de  Nancy  ;  il  y  aura  encore  quelques 
convulsionnaircs  au  cinquième  étage  ;  mais  les  bons  serviteurs  de 
la  raison  et  du  roi  triompheront  à  Paris,  à  Voré-,  et  même  aux 
Délices. 

On  envoya  à  Paris,  il  y  a  deux  mois,  des  ballots  de  VHistoire 
(le  Pierre  le  Grand;  Robin  devait  avoir  l'honneur  de  vous  en  pré- 
senter un,  à  M.  Saurin  un  autre.  J'apprends  qu'on  a  soigneuse- 
mont  gardé  les  ballots  à  la  chambre  nommée  syndicale,  jusqu'à 
ce  qu'on  eût  contrefait  le  livre  à  Paris  :  grand  bien  leur  fasse! 
Je  vous  embrasse,  vous  aime,  vous  estime,  vous  exhorte  à  ras- 
sembler les  honnêtes  gens,  et  à  faire  trembler  les  sots. 

V.,  (jui  attend  II. 

431G.    —   A   M.   LE    COMTF.    D' A  11  H  K  XT  AI . 

28  octobre. 

Pardon  à  mes  divins  anges.  Jamais  le  prophète  Grimni  ne  met 
au  bas  de  ses  lettres  un  petit  signe  qui  les  fasse  reconnaître;  ja- 
mais il  ne  donne  son  adresse.  Je  prends  le  parti  devons  adresser 
ma  réponse^  Lekain  m'a  mandé  qu'il  avait  en  vain  combattu 
M""  Clairon  quand  elle  me  coupait  mes  membres,  quand  elle 
m'étriquait  le  second  acte  auquel  la  dernière  scène  est  absolu- 
mont  nécessaire,  quand  elle  écourlail  ses  fureurs,  etc.  J'ai  ré- 
pondu à  Lekain,  j'ai  écrit  à  Clairon,  j'ai  soumis  ma  lettre  aux 
anges,  j'ai  étalé  le  plus  noble  zèle  contro  la  (irèvo*. 


1.  J.-Fr.  Copel,  connu  sous  le  nom  do  I'.  i;ii><i;o,  nù  à  Hosannon  on  172<i. 

2.  Château  d'IIclvélius  (Orne), 

3.  Elle  n'a  pas  èti!;  recueillie.  (Ci. 

4.  Allusion  à  Véchafaud;  voyez  lettre  4207. 


42  CORRESPONDANCE. 

Après  avoir  totalement  perdu  de  vue  Tancrcde  pendant  liuit 
jours,  je  viens  de  le  relire...  Pièce  théâtrale,  pièce  touchante, 
sur  ma  parole;  pain  quotidien  pour  les  comédiens.  Je  demande 
la  reprise  h  la  Saint-Martin,  avec  toutes  les  entrailles  d'un  père. 
A  propos  de  père,  n'y  a-t-il  point  quelque  âme  charitable  qui 
puisse  avertir  Ih'harû-Arfjirc  d'être  moins  de  fn'rjidis'/ 

Kloignoz-voiis!  sorloz! 

Vous  nV^les  pins  ma  fillo  *,  clc. . . . 

Je  dis  cela  avec  des  sanglot^  mêlés  d'indignation;  je  versais 
des  larmes  en  disant  : 

Mais  elle  était  ma  fille...  et  voilà  son  époux. 

(Acte  II,  scène  m) 

Je  pleurais  avec  Tancrède  ;  je  frissonnais  quand  on  amenait 
ma  fdle  ;  je  me  rejetais  dans  les  bras  de  Tancrède  et  de  mes  sui- 
vants. On  s'intéressait  à  moi  comme  h  ma  fille.  Je  suis  faible, 
d'accord  ;  un  vieux  bonhomme  doit  l'être  :  c'est  la  nature  pure. 
Mohadar^  est  plus  beau,  j'en  conviens.  Autre  pain  quotidien  que 
cette  pièce  de  Fanime;yen  viendrai  à  mon  honneur,  grâce  à  mes 
anges.  Soyez  donc  juste,  madame  Scaliger; songez  qucdevingtcri- 
tiques  j'en  ai  adopté  dix-neuf.  Je  suis  pénétré  de  reconnaissance 
et  de  la  plus  profonde  estime  pour  votre  bonne  tête;  mais,  ma 
foi,  les  comédiens  n'y  entendent  rien.  Ils  m'avaient  gâté  mon 
Orphelin  chinois,  ils  cassaient  mes  magots.  Employez  donc  votre 
autorité  pour  que  le  hipot  de  Paris  joue  Tancrcde  comme  il  vient 
d'être  joué  au  tripot  de  Tournay. 

La  iMuse  limonadière  me  persécute^;  si  M""=  Scaliger,  qui  se 
connaît  à  tout,  voulait  lui  faire  une  petite  galanterie  de  trente- 
six  livres,  je  serais  quitte.  Permettez-vous  que  je  vous  prie  d'en- 
voyer la  lettre*  à  Thieriot  par  la  poste  d'un  sou?  Pardonnez-moi 
toutes  mes  insolences. 

1.  Voyez  tome  V,  page  56 i. 

2.  Le  porsoniiag-e  appelé  Mohadar  dans  la  pièce  quand  elle  était  intitulée 
Fanime  ou  Médime  est  nommé  Benassar  dans  Zidime. 

3.  M""  d'Ar.s-ental  avait  envoyé  à  M.  de  Voltaire  un  quatrain  à  sa  louange,  par 
M""'  Hourette.  (K.) 

—  Voyez  tome  XL,  page  537. 

i.  Probablement  celle  du  27  octobre,  n"  4313. 


ANNEE    17(30.  43 

4317.  —  DE    FRÉDÉRIC   II,   ROI    DK    PRUSSE. 

Le  31  octobre. 

Je  VOUS  suis  obligé  de  la  part  que  vous  prenez  à  quelques  bonnes  for- 
tunes passagères  que  j'ai  escroquées  au  hasard.  Depuis  ce  temps  les  Russes 
ont  fait  une  furalion^  dans  le  Brandebourg;  j'y  suis  accouru,  ils  se  sont 
sauvés  tout  de  suite,  et  je  me  suis  tourné  vers  la  Saxe,  où  les  affaires  de- 
mandaient ma  présence.  Nous  avons  encore  deux  grands  mois  de  campagne 
par  devers  nous;  celle-ci  a  été  la  plus  dure  et  la  plus  fatigante  de  toutes; 
mon  tempérament  s'en  ressent,  ma  santé  s'affaiblit,  et  mon  esprit  baisse  à 
proportion  que  son  étui  menace  ruine. 

Je  ne  sais  quelle  lettre  -  on  a  pu  intercepter,  que  j'écrivis  au  marquis 
d'Argens^;  il  se  peut  qu'elle  soit  de  moi;  peut-être  a-t-elle  été  fabriquée 
à  Vienne. 

Je  ne  connais  le  duc  de  Choiseul  ni  d'Eve  ni  d'Adam.  Peu  m'importe 
qu'il  ait  des  sentiments  pacifiques  ou  guerriers.  S'il  aime  la  paix,  pourquoi 
ne  la  fait-il  pas?  Je  suis  si  occupé  de  mes  affaires  que  je  n'ai  pas  le  temps 
de  penser  à  celles  des  autres.  Mais  laissons  là  tous  ces  illustres  scélérats, 
ces  fléaux  de  la  terre  et  de  l'humanité. 

Dites-moi,  je  vous  prie,  de  quoi  vous  avisez-vous  d'écrire  l'histoire  des 
loups  et  des  ours  de  la  Sibérie?  et  que  pourrez-vous  rapporter  du  czar,  qui 
ne  se  trouve  dans  la  Vie  de  Charles  XII?  Je  ne  lirai  point  l'Iiistoire  de  ces 
barbares;  je  voudrais  même  pouvoir  ignorer  qu'ils  habitent  notre  hémi- 
sphère. 

Votre  zèle  s'enflamme  contre  les  jésuites  et  contre  les  superstitions. 
Vous  faites  bien  de  combattre  contre  l'erreur;  mais  croyez-vous  (jua  le 
monde  changera?  L'esprit  humain  est  faible;  plus  des  trois  quarts  des 
hommes  sont  faits  pour  l'esclavage  du  plus  absurde  fanatisme.  La  crainte 
du  diable  et  de  l'enfer  leur  fascine  les  yeux,  et  ils  détestent  le  sage  qui  veut 
les  éclairer.  Le  gros  de  notre  espèce  est  sot  et  méchant.  J'y  recherche  en 
vain  cette  image  de  Dieu  dont  les  tliéologiens  assurent  qu'elle  porte  l'em- 
preinte. Tout  homme*  a  une  bèlc  féroce  en  soi;  peu  savent  l'enchaîner,  la 
plupart  lui  lâchent  le  frein  lorsque  la  terreur  des  lois  ne  les  retient  pas. 

\ous  me  trouverez  i)eut-ôlre  trop  misanthrope.  Je  suis  malade;  je  souffre; 
L't  j'ai  alfaire  ii  une  demi-douzaine  de  coquins'"  et  do  coquines  cpii  démon- 
teraient un  Socrate,  un  Anlonin  même.  Vous  êtes  heureux  de  suivre  le  con- 


1.  Frrdôric,  en  fabriquant  ce  mot,  le  faisait  sans  doute  dériver  du  verbe  latin 
furari,  par  allusion  aux  rapines  de  Tottlciien. 

2.  Citée  dans  le  septième  alinéa  de  la  lettre  i28i. 

3.  Le  27  août  1760. 

4.  On  no  voit  pas  que  Frédi'ric  fasse  ici  d'exception  en  faveur  des  rois;  et  les 
rois  sont  aussi  des  hommes.  (Ci..) 

.'i.  Frédéric  donnait  le  titre  de  cousin  à  quelques-uns  do  ces  coquins.  Quant 
aux  coquines,  c'étaient,  scion  lui,  la  l'ompadour,  ot  les  impératrices  Elisabeth  et 
Marie-Thérèse. 


44  CORRESPONDANCE. 

soil  (lo  Canditlo,  i-l  do  vous  borner  à  cultiver  votre  jardin.  Il  n'est  pas  don  né 
à  tout  le  monde  d'en  faire  autant.  11  faut  que  le  bœuf  trace  un  sillon,  que 
le  rossi,i,'nol  rlianle,  que  le  dauphin  nage,  et  que  je  fasse  la  guerre. 

IMus  je  fais  ce  métier,  et  plus  jo  me  persuade  que  la  fortune  y  a  la  plus 
grande  part.  Je  no  crois  pas  que  je  le  ferai  longtemps;  ma  santé  baisse  à 
vued'œil,  et  je  pourrais  bien  aller  bientôt  entretenir  Virgile  de  la  Ilenriac/e^ 
et  descendre  dans  ce  pays  où  nos  ciiagrins,  nos  plaisirs,  et  nos  espérances, 
ne  nous  suivent  plus;  où  votre  beau  génie  et  celui  d'un  goujat  sont  réduits 
à  la  môme  valeur,  où  enfin  on  se  retrouve  dans  l'étal  qui  précéda  la  nais- 
sance. 

l'eut-t^tre  dans  peu  vous  pourrez  vous  amuser  à  faire  mon  épilapiie.  Vous 
direz  que  j'aimai  les  bons  vers,  et  que  j'en  fis  de  mauvais;  que  je  ne  fus  pas 
assez  stupide  pour  ne  ])as  estimer  vos  talents;  enfin  vous  renJrez  de  moi  le 
compte  que  babour  rendit  de  Paris  au  génie  Ituriel  ^ 

\'oiciune  grande  lettre  pour  la  position  où  je  me  trouve.  Je  la  trouve  un 
peu  noire,  cependant  elle  partira  telle  qu'elle  est;  elle  ne  sera  point  inter- 
ceptée en  chemin,  et  demeurera  dans  le  profond  oubli  où  je  la  condamne. 

Adieu;  vivez  heureux,  et  dites  un  petit  henedicile  en  faveur  des  pauvres 
philosophes  qui  sont  en  purgatoire. 

P'É  DÉRIC. 


4318.   —  jDE  LORD  LYïTELTO^s. 

Sir,  I  hâve  received  tho  lionour  of  your  letter  dated  from  your  castle  at 
Tornex  in  Burgundy,  by  which  I  find  I  was  guilty  of  an  error  in  callingyour 


1.  Voyez  tome  XXI,  page  16. 

2.  Ainsi  que  la  lettre  de  Voltaire  (voyez  n"  425 i),  la  réponse  de  Lyttelton  est 
sans  date.  En  les  plaçant  à  plus  d'un  mois  d'intervalle,  je  ne  crois  pas  m'éloigner 
beaucoup  de  la  vérité.  Voici  la  traduction  de  la  réponse  de  Lyttelton  : 

«  Monsieur,  j'ai  reçu  l'honneur  de  votre  lettre  datée  de  votre  château  de 
Tournay  en  Bourgogne,  qui  m'apprend  que  j'ai  commis  une  erreur  en  appelant  votre 
retraite  un  exil.  Lorsqu'on  fera  une  nouvelle  édition  de  mes  Dialogues,  soit  en 
anglais,  soit  en  français,  j'aurai  soin  de  corriger  cette  faute.  J'ai  bien  du  regret  de 
n'en  avoir  pas  été  instruit  plus  tôt;  je  l'aurais  fait  disparaître  de  la  première  édi- 
tion de  la  traduction  française  qui  vient  d'être  publiée,  sous  mes  yeux,  à  Londres. 
Vous  rendre  justice  est  un  devoir  que  je  dois  à  la  vérité  et  à  moi-même;  et  vous 
y  avez  un  meilleur  titi-e  que  les  passe-ports  que  vous  me  dites  avoir  procurés  à 
des  seigneurs  anglais.  Vous  y  avez  droit,  monsieur,  par  les  sentiments  profonds 
de  respect  que  je  vous  porte,  et  qui  ne  naissent  point  des  privilèges  que  le  roi  de 
France  a  bien  voulu  accorder  à  vos  terres,  mais  des  rares  talents  que  vous  avez 
reçus  de  Dieu  même,  et  du  rang  élevé  que  vous  tenez  dans  la  république  des 
lettres,  ^otre  souverain  s'est  honoré  en  vous  accordant  des  grâces  qui  ont 
ajouté  peu  d'éclat  au  nom  de  Voltaire. 

i(  Je  pense  entièrement  comme  vous  que  Dieu  est  le  père  de  tous  les  hommes; 
et  je  croirais  blasphémer  sa  bonté  en  la  restreignant  à  une  seule  secte;  je  pense 
même  qu'aucun  de  nous  ne  peut  être  bon  aux  yeux  de  ce  père  commun  s'il  n'est 
bon  et  bienveillant  pour  tous  ses  semblables.  C'est  avec  plaisir  que  je  trouve  ces 


ANNEE    17(30.  4a 

retirement  «  an  exile  ».  When  anolher  éditions ïliallbemadeofmy  Dialogues, 
eitlier  in  English  or  in  French,  I  will  lake  caro  that  Itiis  enor  sliall  be  cor- 
rected;  and  I  ani  very  sorry  I  was  not  apprized  of  il  sooner,  tliat  I  might 
liave  correcled  it  in  Ihe  fiist  édition  of  a  French  translation,  just  published 
under  niy  inspection  in  London.  To  do  you  justice  is  a  duly  I  owe  to  Iruth 
and  rnvsflf;  and  you  liave  a  much  better  tille  to  it  tlian  froni  the  passporls 
you  ï-av  vou  liave  procured  for  Englisli  noblemen  :  you  are  enlilied  to  it, 
sir,  bv  tlie  liigb  sentiments  of  respect  I  hâve  for  you,  which  are  not  paid  to 
tlie  privilcfjes,  you  tell  nie,  your  king  bas  confirmed  to  your  lands,  but  to 
the  noble  lolenls  God  lias  given  you,  and  the  superior  rank  you  hold  in  the 
republic  of  letlers.  The  favours  done  you  by  your  sovereign  are  an  honour 
to  him,  but  add  litlle  lustre  to  the  name  of  Voltaire. 

1  entirelv  agrée  with  you,  c  Ihat  God  is  Ihe  fatlier  of  ail  nian  kind  »; 
and  should  think  it  blaspheniy  to  confine  his  goodness  to  a  sect;  nor  do  I 
believe  that  any  of  his  créatures  are  good  in  his  sight,  if  they  donotextend 
llieir  benevolence  to  ail  his  création.  'Jhese  opinions  1  rejoice  lo  see  in 
your  Works,  and  shall  be  very  happy  to  be  convinced  that  the  liberly  of 
your  thoughls  and  your  pen,  upon  subjects  of  philosophy  and  religion,  ne- 
ver  cxceeded  the  bounds  of  tliis  generous  principle,  which  is  authorized  by 
révélation  as  much  as  by  reason;  or  that  you  disapprove,  in  your  hours  of 
sobcr  reflection,  any  irregular  sallies  of  fancy,  which  cannot  be  junlijied, 
tliough  they  may  be  excused,  by  t!ie  vivacity  and  fire  of  a  great  genius. 

1  hâve  ttic  honour  to  be,  sir,  etc. 

4319.   —  A   M.   Tim:  l'.IOT  '. 

1"  novembre. 

Le  temps  presse:  je  n'ai  qu'un  mot  à  vous  dire,  mon  cher 
ami.  On  me  mande  qu'à  l'abbaye  Saint-Antoine  il  y  a  une  petite- 
fillo  du  grand  Corneille  qui  a  les  sentiments  des  héros  de  son 
p:rand-père,  et  qui  n'a  pas  la  fortune  que  les  libraires  de  Corneille 
ont  laite  en  imprimant  ses  œuvres.  Connaissez-vous  M.  Lebrun, 

mêmes  opinions  dans  vos  ouvrages;  et  je  serais  très-heureux  d'être  convaincu  que 
la  liberté  de  vos  pensées  et  de  votre  plume,  sur  les  matières  de  philosophie  et  de 
religion,  ne  vous  a  jamais  entraîné  hors  dos  bornes  de  ce  g:rnéroux  principe,  qui 
n'ust  pas  moins  fondé  sur  la  révélation  que  sur  la  raison;  ou  que  vous  désap- 
prouvez, d.Mis  CCS  heures  de  calme  et  de  réflexions,  les  saillies  irréiiulièrcs  d'ima- 
frina(ion  qui  ne  peuvent  être  justifiées  (quoiqu'elles  puissent  cire  excusées)  par  la 
vivacité  ei  le  feu  d'un  prand  i^prit. 

«  J'ai  l'honneur  d'ùlic,  monsieur,  etc.  » 

Fréron,  qui  donna  une  traduction  de  cette  réponse  dans  r.huii'i'  litti'rairc, 
I7G1,  tome  JII,  pa^e  28.'$.  no  reproduisit  pas  la  dernière  phrase  du  premier  alinéa, 
s'iit  (|ue  cette  suppression  vienne  de  la  censure,  soit  (ce  <iu'il  est  permis  de 
pcn'ior)  qu'elle  ait  été  faite  par  lo  traducteur.  (B.) 

1.  Éditeurs,  de  Cayrol  et  l'rançois. 


46  COUUKSPONDANCE. 

serr('t;iin'  de  M.  le  \)v\ncj'  de  Conli?  Ma  lottro  est  courte,  pardon; 
mais  on  ne  pt'Ul  i)as  faire  des  pièces,  les  jouer,  et  écrire  de  longues 
lettres. 

.W2t).  —  A    M.    r.K   COMTK   D' A  KG  K  MAL. 

Au\  Dt-lices,  K'  novembre. 

Je  reçois,  mon  respectable  et  chamnaut  ami,  votre  lettre  du 
27  d'octobre.  Jl  m'arrive  rarement  d'accuser  les  dates  avec  cette 
exactitude;  mais  ici  la  chose  est  très-importante  pour  le  tripot, 
et  le  tripot  ne  m'a  jamais  été  si  cher. 

Celui'  qui  grilïbnne  ma  lettre  (car  je  ne  peux  pas  grififonncr 
ce  matin,  et  je  vais  dire  pourquoi),  celui,  dis-je,  qui  grilTonne 
prétend  qu'il  fit  le  paquet  de  Tancrhle  le  24  d'octobre;  et  moi,  je 
crois  que  ce  paquet  fut  envoyé  le  21.  Il  est  toujours  très-sûr 
qu'il  fut  adressé  à  M.  de  Chauveiin,  avec  un  Pierre;  et  si  vous 
ne  l'avez  pas  reçAi,  voilà  une  de  ces  occasions  où  il  est  heu- 
reux que  M.  le  duc  de  Ghoiseul  ait  les  postes  dans  son  départe- 
ment. 

Je  m'imagine  que  M.  et  M""  d'Argental  ne  seront  pas  mécon- 
tents de  ma  docilité  et  de  mon  travail  ;  et  s'il  y  a  encore  quelque 
chose  à  faire,  ils  n'ont  qu'à  parler.  J'ai  écrit  une  grande  lettre - 
à  M'"«  d'Argental  sur  les  décorations  de  la  Grève;  je  me  flatte 
qu'elle  sera  entièrement  de  mon  avis,  et  que  nous  ne  serons  pas 
réduits  à  imiter  en  France  les  usages  abominables  de  l'Angle- 
terre. 

Voici  pourquoi  je  n'écris  pas  de  ma  main  :  c'est  que  je  suis 
dans  mon  lit,  après  avoir  joué  hier,  vendredi  au  soir,  le  bon- 
homme Mohadar  assez  pathétiquement;  mais  je  n'ai  pas  appro- 
ché du  sublime  de  M"'«  Denis.  J'aurais  donné  une  de  mes  métai- 
ries pour  que  M  Clairon  fût  là.  La  fortune,  qui  me  favorise 
depuis  quelque  temps,  malgré  maître  Aliboron  dit  Fréron,  m'a 
envoyé  parmi  les  voyageurs  qui  viennent  ici  un  Arabe  qui  a  sa 
maison  à  quelques  lieues  de  Saïd,  lieu  de  la  scène.  Figurez-vous 
quel  plaisir  de  jouer  devant  un  compatriote!  il  parle  français 
comme  nous.  11  paraît  que  notre  langue  s'étend  à  proportion  que 
notre  puissance  diminue. 

Je  vous  ai  demandé  de  vouloir  bien  me  faire  tenir  par  M.  de 
Courteilles  la  plus  ancienne  et  la  plus   nouvelle  copie  de  Fa- 


1.  Jean-Louis  Wagnièrc. 

2.  LeUre  4299. 


ANNÉE    17G0.  47 

nime  que  vous  ayez  ;  et  sur-le-cliamp  vous  aurez  mon  dernier 
mot. 

Voudriez-vous  avoir  la  charité  de  vous  informer  s'il  est  vrai 
qu'il  y  ait  une  M"^-  Corneille*,  petite-fille  du  grand  Corneille, 
âgée  de  seize  ans?  Elle  est,  dit-on,  depuis  quelques  mois  à  l'ab- 
baye de  Saint-Antoine.  Cette  abbaye  est  assez  riche  pour  entre- 
lonir  noblement  la  nièce  de  Chimène  et  d'Emilie;  cependant  on 
dit  qu'elle  est  comme  Lindane-,  qu'elle  manque  de  tout,  et  qu'elle 
n'eu  dit  mot.  Comment  pourrioz-vous  faire  pour  avoir  des  infor- 
mations de  ce  fait,  qui  doit  intéresser  tous  les  imitateurs  de  son 
grand-père,  bons  ou  mauvais? 

Je  suis  plus  fâché  que  vous  de  donner  Vllisioire  île  Pierre  le 
Grand  volume  à  volume,  comme  le  Paysan  parvenu^;  mais  ce 
n'est  pas  ma  faute,  c'est  celle  de  la  cour  de  Pétersbourg,  q_ui  ne 
m'envoie  pas  ses  archives  aussi  vite  que  je  les  mets  en  œuvre  ;  il 


1.  Fonlenelle,  mort  en  1757,  avait  partagé  sa  fortune  entre  quatre  légataires, 
dont  deux  (M"'"  de  Marsilly  et  de  Latour-du-Pin  de  Martainville)  étaient  petites- 
filles  de  Thomas  Corneille.  Ce  testament  fut  attaqué  par  Jean-François  Corneille 
et  ses  deux  sœurs,  qui  avaient  pour  aïeul  un  Pierre  Corneille,  avocat  à  Rouen,  et 
cousin  de  l'auteur  tragique,  et  qui  perdirent  leur  procès.  Leurs  adversaires  leur 
donnèrent  cependant  quelques  secours.  Jean-François  Corneille,  qui,  pendant  cinq 
ans,  n'eut  d'autre  ressource  pour  lui,  sa  femme,  et  leur  fille,  qu'une  place  de 
mouleur  eu  bois  à  2i  francs  par  mois,  se  retrouva  bientôt  dans  l'indigence.  Il  s'a- 
dressa, en  prenant  le  titre  de  neveu  du  grand  Corneille,  aux  comédiens  français, 
qui  donnèrent  à  son  profit,  le  10  mars  1760  (jour  de  la  réception  de  Lefranc  de 
Pompignan  à  l'Académie  française),  une  représentation  de  liodogune  et  des  Bour- 
geoises de  qualité.  Le  produit  fut  de  six  mille  livres,  avec  lesquelles  Jean-François 
(lorneille  éteignit  quelques  dettes,  et  paya  les  premiers  mois  de  pension  de  sa 
fil  le  à  l'abbaye  Saint-Antoine.  Voltaire  venait  probablement  de  recevoir  l'ode  de 
Le  Brun  (voyez  lettre  43'2i),  lorsqu'il  pria  d'Argental  de  prendre  des  informations 
sur  M"'=  Corneille.  Marie-Françoise  Corneille,  fille  de  Jean-François,  née  le  22  avril 
17V2,  avait  alors  dix-huit  ans.  Voltaire  se  chargea  de  son  sort,  la  fit  venir  chez 
lui,  où  elle  reçut  de  l'éducation,  lui  assura  une  rente,  la  dota  richement,  en  la 
mariant,  le  13  février  1763,  à  un  gentilhomme  de  sou  voisinage,  nommé  Dupuils. 
La  générosité  de  Voltaire  lui  attira  quelques  désagréments,  comme  on  le  verra. 
Les  descendants  de  Thomas  Corneille,  qui  avaient,  après  le  gain  de  leur  procès, 
fait  peu  de  chose  pour  leurs  parents,  ne  firent  rien  pour  leur  parente  en  1760; 
loin  de  là,  l'abbé  de  Latour-du-Pin  alla  jusqu'à  solliciter  une  lettre  de  cachet  pour 
faire  enlever  .VI"''  Corneille  de  chez  Voltaire  (voyez  la  lettre  à  Damilaville,  du 
1  i  mais  1761). 

Jean-François  Corneille  avait,  depuis  le  commencement  de  1760,  un  emploi  de 
VS  livres  par  mois.  Chamousset  lui  procura,  la  mémo  année,  une  commission 
dans  les  hôpitaux  de  l'armée,  et,  en  1761,  une  place  de  facteur  de  la  petite  poste 
de  Paris,  récemment  établie.  Plus  tard,  J.-F.  Corneille  eut  un  bureau  de  labac  à 
Évrenx.  Il  était  \enu  à  Fcrney  en  avril  1762.  (I$.) 

2.  l'ersonnage  de  l'Écossaise;  voyez  tome  \. 

:?.  La  |)ri-niière  édition  de  ce  roman  de  Marivaux  est  de  1731,  rinq  volume-; 
in-12. 


48 


COUIJI'SI'ONDAXCE. 


laiit  me  fdiiniir  (le  la  |)aill<',  si  on  vent  ([tie  je  cuise  des  briques  ^ 
La  |)r('race  lui  laite  dans  un  l('uii)s  où  j'étais  très-drôle;  le  sys- 
tème de  de  (luifîues  uia  ]»arii  du  ])lus  énorme  ridicule.  Je  con- 
seille à  l'abbé  BarlhéicuiN  -  de  tirer  sou  épingle  du  jeu;  je 
voudrais,  de  plus,  désliabitucr  le  monde  de  recourir  à  Sem, 
Cham,  et  Japhet,  et  à  la  tour  de  Babel.  Je  n'aime  pas  que  l'his- 
toire soit  traitée  comme  les  Mille  et  une  Nuits. 

Eu  vérité,  vous  devriez  bien  inspirer  à  M.  le  duc  de  Choiseul 
mon  goilt  pour  la  Louisiane.  Je  n'ai  jamais  conçu  comment  on 
a  pu  choisir  le  plus  détestable  pays  du  nord^  qu'on  ne  peut 
conserver  que  par  des  guerres  ruineuses,  et  qu'on  ait  aban- 
donné le  plus  beau  climat  de  la  terre,  dont  on  peut  tirer  du 
tabac,  de  la  soie,  de  l'indigo,  mille  denrées  utiles,  et  faire  encore 
un  commerce  plus  utile  avec  le  Mexique. 

Je  vous  déclare  que,  si  j'étais  jeune,  si  je  me  portais  bien,  si 
je  n'avais  pas  bAti  Ferney,  j'irais  m'établir  à  la  Louisiane. 

A  propos  de  Ferney,  j'ai  vu  M.  l'abbé  d'Espagnac.  Croiriez- 
vous  bien  que  M.  de  Fleury,  intendant  de  Bourgogne,  m'a  amené 
le  fils  de  mon  ennemi,  Omer  de  Fleury?  Je  l'ai  reçu  comme  si 
son  père  n'avait  jamais  fait  de  plats  réquisitoires. 

Mon  divin  ange,  et  vous,  madame  Scaliger,  autre  ange,  je  suis 
à  vos  pieds. 

^•î'ii.  —  DE   MADAME   LA   MARQUISE    DU   DEFFAiM'i. 

P''  novembre  1700. 

Oui,  monsieur,  j'ai  reçu  votre  beau  présent;  c'est  M.  Le  Normand  qui 
me  l'a  envoyé.  Je  donnai  le  môme  jour  au  président  son  exemplaire.  Vous 
avez  dû  recevoir,  il  y  a  déjà  longtemps,  son  remerciement.  D'Alembert  n'a 
eu  votre  livre  que  ces  jours-ci.  Ne  croyez  point,  je  vous  prie,  que  j'ai  tort 
si  vous  n'avez  pas  eu  de  mes  nouvelles;  mon  premier  soin  fut  de  lire  votre 
Préface  et  deux  ou  trois  chapitres.  Je  vous  écrivis  sur-le-champ,  de  ma 
propre  main,  une  lettre  de  huit  pages,  et  j'employai  à  cet  ouvrage  une  de 
mes  insomnies.  Au  réveil  de  mon  secrélaire,  je  le  lui  donnai  à  lire  :  il  n'en 
put  presque  rien  déchiffrer.  Je  ne  me  souvenais  plus  de  ce  que  j'avais  écrit. 
Je  fus  si  dépitée  que  je  résolus  d'attendre,  pour  vous  écrire,  que  j'eusse 
entièrement  fini  votre  livre.  Ce  qui  est  plaisant,  c'e^t  qu'hier,  en  finissant 
la  dernière  page,  j'ai  reru  votre  dernière  lettre.  C'est  immense,  monsieur, 

1.  Exode,  V.  7. 

2.  J.-J.  Barthélémy,  alors  membre  de  l'Académie  des  belles-lettres,  si  connu, 
plus  tard,  par  le  Voyage  du  jeune  Anacharsis. 

3.  Le  Canada. 

4.  Correspondance  complète,  édition  de  Lescurc,  18Co. 


ANNtE    17(30.  /.9 

co  que  j'ai  à  vous  dire;  d'abord  je  vous  déclare  que  vous  n'avez  ni  juge- 
ment ni  goût  si  vous  n'êtes  pas  content  de  votre  Ui&loire  :  la  préface  est 
charmante;  vous  traitez  messieurs  les  faiseurs  de  recherches  comme  ils  le 
méritent;  il  y  a  tant  de  manières  d'être  ennuyeux  qu'en  vérité  cela  crie 
vengeance  de  se  mettre  à  la  lorture  pour  en  chercher  de  nouvelles.  Je  ne 
pense  pas  absolument  comme  vous  sur  les  portraits  et  anecdotes,  mais  à 
l'explication  il  se  trouverait  peut-être  (jue  nous  pensons  de  même.  Les  por- 
traits imaginés,  et  les  anectotes  fausses  ou  falsiûées,  font  de  l'iiisloire  d'in- 
dignes romans. 

Vos  descriptions  de  l'empire  de  Russie,  les  établissements,  les  réformes, 
les  voyages  du  czar,  tout  cela  m'a  paru  admirable.  Ce  qui  regarde  la  guerre 
ne  m'a  pas  fait  autant  de  plaisir;  mais  c'est  que  vous  aviez  tout  dit  sur  cet 
article  dans  la  Vie  de  Charles  XII.  Je  l'ai  reçu  en  même  temps  que  le 
czar.  Je  ne  soulfre  pas  qu'on  dise  qu'il  y  ait  la  moindre  contradiction. 

Je  vois,  monsieur,  (|ue  vous  êtes  fort  au  fait  de  ce  que  je  fais  ;  je  vou- 
drais que  vous  le  fussiez  aussi  bien  de  tout  ce  que  je  pense;  vous  ne 
trouveriez  rien  à  redire,  et  vous  conviendriez  que  je  ne  suis  point  injuste 
dans  les  jugements  (jue  je  porte,  ni  déraisonnable  dans  u: a  conduite.  J'ai 
mis  beaucoup  d'impartialité  dans  la  guerre  des  philosophes;  je  ne  saurais 
adorer  leur  Encyclopédie,  qui  peut  être  est  adorable,  mais  dont  quelques 
articles  (jue  j'ai  lus  m'ont  ennuyée  à  la  mort.  Je  no  saurais  admettre  pour 
législateurs  des  gens  qui  n'ont  que  de  l'esprit,  peu  de  talent  et  point  de 
goût;  qui,  ([uoique  très-honnèles  gens,  écrivent  les  choses  les  plus  malsoa- 
nantes  sur  la  morale;  dont  tous  les  raisonnements  tont  des  sophismes,  des 
paradoxes.  On  vo.t  clairement  qu'ils  n'ont  d'autre  but  (jue  de  courir  après 
une  célébrité  où  ils  ne  parviendront  jamais;  ils  ne  jouiront  pas  même  de  la 
gloriole  des  Fontenelle  et  Lamolte,  qui  sont  oubliés  depuis  leur  mort;  mais 
eux,  ils  le  seront  de  leur  vivant;  j'en  excepte,  à  toutes  sortes  d'égards, 
M.  d'Alembert,  quoiqu'il  ait  été  mon  délateur  au[)rés  de  vous;  mais  c'est 
un  égarement  que  je  lui  pardonne,  et  dont  la  cause  mérite  quelque  indul- 
gence :  c'est  le  plus  hunnête  homme  du  monde,  qui  a  le  cœur  bon,  un 
excellent  esprit,  beaucoup  de  justesse,  du  goût  sur  bien  des  choses;  mais 
il  y  a  de  certains  articles  qui  sont  devenus  pour  lui  affaires  de  parti,  et  sur 
lesquels  je  ne  lui  trouve  pas  le  sens  comumn,  par  exemple  l'echafaud 
(le  .M"«  Clairon,  sur  lequel  je  n'ai  pas  attendu  vos  ordres  pour  me 
iransporler  de  colère.  J'ai  dit  mot  pour  mot  h'S  mêmes  choses  que  vous  me 
dites,  et  d'Alembert  sera  bien  surpris  quand  je  lui  donnerai  à  lire  votre 
letlre;  ce  sera  un  grani  triomphe.  .Mais,  monsieur,  iipprenez  ([u'il  n'y  a 
|)lus  rien  ii  faire;  tout  est  perdu  dans  ce  pays-ci,  tout  est  en  anarchie;  cha- 
cun se  croit  le  premier  dans  son  genre,  et  chacun  croit  posséder  tous  les 
gemos,  et  moi  je  dirai  ce  qu'un  refrain  di^  chanson  disait  d'un  premier 
ministre  de  Ferrie,  à  son  retour  d'un  exil  :  c  Lui  ii  l'écart,  tous  les  hommes 
étaient  égaux.  »  Vous  avez  actuellement  avec  \ous  un  homme  de  ma  con- 
naissance, .M.  Turgoi;  c'est  un  homme  d'esprit,  mais  (|ui  ne.-t  pas  absolu- 
ment de  votre  genre. 

Comment  s  appelle  cet  homme  ipu  a  fait  cent  cinquante  lieues  |)our  v0"-i? 

il.  —  Cor.ii  lisro.M)  A.NCK.    1\.  4 


r,o  CORRESPONDANCE. 

venir  trouver  ',  et  ([iii  est  depuis  six  mois  avec  vous?  Je  l'en  estime  et  l'en 
aimo  tant  que  je  serais  presque  tentée  clo  lui  en  faire  faire  des  compliments. 

N'oul)liez  pas  que  vous  me  promettez  des  insolences.  Au  nom  de 

tout  ce  fpie  voiLs  n'aimez  pas,  ayez  soin  do  mon  amusement,  et  soyez  bien 
persuadé  que,  hors  vous,  tout  me  parait  languissant,  fade  et  ennuyeux.  Je 
crains  hicn  ([uc  celle  lettre  n'ait  tous  ces  défauts. 

«■2-2.   —  A    M.    LI'    COMTE    D'ARGEMAL. 

3  novembre. 

Je  demande  pardon  d'écrire  si  souvent.  Il  est  vrai  qu'on  ne 
doit  pas  oublier  ses  anges,  raais  il  ne  faut  pas  non  plus  les 
importuner.  Je  voudrais  savoir  si  M'"«  d'Argental  est  guérie  de  sa 
fluxion  ;  j'en  ai  une  bonne,  et  c'est  ce  qui  fait  que  je  n'écris  point 
de  ma  main. 

J'ignore  encore  si  mes  anges  ont  reçu  la  nouvelle  copie  de 
Tannrdc,  par  la  voie  de  M.  de  Chauvelin  ;  il  y  a  aujourd'hui  plus 
de  huit  jours  que  mes  anges  devraient  l'avoir.  La  marche  de  la 
fin  du  second  acte,  ainsi  que  celle  du  premier,  me  paraît  de  la 
plus  grande  convenance  ;  mais  les  deux  derniers  vers  du  second 
acte  me  semblent  faibles,  et  ne  sont  pas  assez  attendrissants  ;  je 
demande  en  grAce  à  mes  anges  de  faire  mettre  à  la  place  : 

Peut-être  il  punira  ma  destinée  affreuse; 

Allons...  je  meurs  pour  lui,  je  meurs  moins  malheureuse-. 

Au  premier  acte,  dans  la  scène  du  père  et  de  la  ùWe,  Aménaïde 
répèle  trop  le  mot  peut-être. 

Cette  témérité 
Vous  offense  peut-être^  et  vous  semble  une  injure. 

Je  prie  qu'on  mette  à  la  place  : 

Cette  témérité 
Est  peu  respectueuse,  et  vous  semble  une  injure  ■'. 

Dans  la  même  scène  il  faut  absolument  changer  ces  vers  : 

Les  étrangers,  la  cour,  et  les  mœurs  de  Byzance, 
iront  il  jamais  pour  nous  des  objets  odieux. 


1.  D'Argencc  de  Dirac. 

2.  Voyez  tome  V,  page  3C6. 

3.  Voyez  tome  V,  page  563. 


AN^EE    17  60.  54 

La  raison  en  est  que  celui  qui  vient  combattre  pour  Aménaïde 
est  étranger;  je  prie  qu'on  mette  : 

Solamir,  et  Tancrède,  et  la  cour  de  Byzance, 
Sont  également  craints,  et  sont  tous  odieux  i. 

Lo  reste  me  semble  bien  exposé,  bien  filé.  Je  demande  instam- 
ment qu'on  n'ait  pas  la  barbarie  de  m  oter, 

Ainsi  l'ordonne,  hélas!  la  loi  de  riiyménée. 

(Acte  II,  scène  iv.) 

Il  faut  regarder  Aménaïde  comme  déjà  mariée  par  paroles  de 
présents,  selon  l'usage  de  l'antique  chevalerie.  En  effet,  son  père 
lui  dit,  au  premier  acte  : 

Ce  noble  chevalier  a  reçu  votre  foi; 

(Scène  m,  v.  4  et  5.) 

La  loi  ne  peut  plus  rompre  un  nœud  si  légitime. 

(Scène  iv.) 

Mais  il  faut  que  Lorédan  dise  à  Orbassan,  dans  la  quatrième 
scène  du  deuxième  acte  : 

Orbassan,  comme  vous  nous  sentons  votre  injure; 
Nous  allons  l'effacer  au  milieu  des  combats. 
Le  crime  rompt  l'hymen;  oubliez  la  parjure; 
Son  supplice  vous  venge,  et  ne  vous  flétrit  pas. 

Cela  rend,  à  mon  gré,  la  situation  de  tous  les  personnages  plus 
épineuse,  plus  touchante;  ce  que  dit  Orbassan  à  Aménaïde  est 
plus  convenable,  et  doit  faire  plus  d'effet.  J'ai  relu  hier  le  reste  avec 
Ix'aucoup  d'attention;  je  crois  que  je  ne  peux  plus  rien  faire  à 
cet  ouvrage.  Je  me  flatte  que  M.  et  M""  d'Argental  auront  la  bonté 
do  le  faire  jouer  tel  qu'il  est.  La  versification  n'en  est  pas 
pompeuse,  mais  le  style  m'en  paraît  assez  touchant.  Les  person- 
nages (lisent  ce  qu'ils  doivent  dire;  et  toutes  les  pierres  de  l'édi- 
lico  mo  paraissent  assez  bien  liées.  J'attends  avec  impatience  des 
nouvelles  de  M.  d'Argental. 

15()l)in-///o(//o;(  avait  ordre  de  lui  présenter  les  premiers  exem- 
plaires (lu  Cztir;  il  ost  bien  étrange  (pi'il  ne  l'ait  pas  fait.  Nous 
attendons  auj(jur(riiiij  M.  Tuigot,  mais  je  crois  (ju'il  ne  verra 


I.  \(iy(;z  tomf  V,  pages  Ml  et  M'.l. 


52  CORRESPONDANCE. 

poiul  notre  tripot.  Je  ne  peux  pas  jouer  la  comédie  avec  une 
fluxion.  Qu'est-ce  donc  que  cette  Belle  Pmilenle?  N'en  a-t-on  pas 
déjà  joué  une*?  Daignez  me  mander  si  c'est  M"''  Clairon  qui  est 
l)énitcntc.  Pour  moi,  je  suis  bien  pénitent  de  n'avoir  pu  faire  de 
Tancvcde  une  pièce  absolument  digne  de  vos  bontés  ;  mais, 
pourvu  qu'elle  en  mérite  une  partie,  c'est  assez  pour  un  ma- 
lingre; votre  indulgence  fera  le  reste.  Mille  tendres  respects. 


4323.  —  A  M.    DE   liASTIDE  2, 

Je  n'imagine  pas,  monsieur  le  Spectateur  du  monde,  que  vous 
projetiez  de  remplir  vos  feuilles  du  monde  physique.  Socrate, 
Épictète,  et  Marc-Aurèle,  laissaient  graviter  toutes  les  sphères  les 
unes  sur  les  autres,  pour  ne  s'occuper  qu'à  régler  les  mœurs. 
Est-ce  donc  le  monde  moral  que  vous  prenez  pour  objet  de  vos  spé- 
culations? Mais  que  lui  voulez-vous,  à  ce  monde  moral  que  les  pré- 
cepteurs des  nations  ont  déjà  tant  sermonné  avec  tant  d'utilité? 

Il  est  un  peu  fâcheux  pour  la  nature  humaine,  j'en  con- 
viens avec  vous,  que  l'or  fasse  tout,  et  le  mérite  presque  rien; 
que  les  vrais  travailleurs,  derrière  la  scène,  aient  à  peine  une 
subsistance  honnête,  tandis  que  des  personnages  en  titre  fleu- 
rissent sur  le  théâtre;  que  les  sots  soient  aux  nues,  et  les  génies 
dans  la  fange  ;  qu'un  père  déshérite  six  enfants  vertueux,  pour 
combler  de  biens  un  premier-né  qui  souvent  le  déshonore  ;  qu'un 
malheureux,  qui  fait  naufrage  ou  qui  périt  de  quelque  autre 
façon  dans  une  terre  étrangère,  laisse  au  hsc  de  cet  État  la  for- 
tune de  ses  héritiers. 

On  a  quelque  peine  à  voir,  je  l'avoue  encore,  ceux  qui 
labourent  dans  la  disette,  ceux  qui  ne  produisent  rien  dans  le 
luxe;  de  grands  propriétaires  qui  s'approprient  jusqu'à  l'oiseau 
qui  vole,  et  au  poisson  qui  nagc;  des  vassaux  tremblants  qui 
n'osent  délivrer  leurs  maisons  du  sanglier  qui  les  dévore;  des 
fanati(iues  qui  voidraient  brûler  tous  ceux  qui  ne  prient  pas 
Dieu  comme  eux;  des  violences  dans  le  pouvoir,  qui  enfantent 


\.  La  tragédie  représentée,  pour  la  première  fois,  le  27  avril!  750,  au  Théâtre- 
Français,  sous  le  titre  de  Caliste,  dix  ans  avant  celle  de  Colardeau,  est  attribuée 
à  différents  auteurs,  et,  entre  autres,  au  marquis  de  Thibouville.  Aucun  d'eux  n'a 
daigné  légitimer  cet  enfant  bâtard  et  mort-né.  (Cl.) 

2.  Jciin-Frjiiirois  de  nastide,  né  à  Marseille  en  1724,  mort  à  Milan  en  1798, 
après  avoir  publié  le  Xaiiveau  Sjicclatcur,  17.')8,  huit  volumes  in-12,  en  donna  une 
suite  qu'il  intitula  le  Monde  comme  il  est,  1700,  deux  volumes  in-12.  11  donna  une 
nouvelle  suite  sous  ce  titre  :  le  Monde,  1761,  deux  volumes  in-12.  (B.) 


ANNÉE    17  60.  53 

d'autres  violences  dans  le  peuple;  le  droit  du  plus  fort  faisant 
la  loi,  non-seulement  de  peuple  à  peuple,  mais  encore  de  citoyen  à 
citoyen. 

Cette  scène  du  monde,  presque  de  tous  les  temps  et  de  tous 
les  lieux,  vous  voudriez  la  changer  !  Voil;i  votre  folie,  h  vous 
autres  moralistes.  Montez  en  chaire  avec  Rourdalouc,  ou  prenez 
la  plume  avec  La  Bruyère,  temps  perdu  :  le  monde  ira  toujours 
comme  il  va.  Un  gouvernement  qui  pourrait  pourvoir  à  tout  en 
ferait  plus  en  un  an  que  tout  Tordre  des  frères  prêcheurs  n'en  a 
fait  depuis  son  institution. 

Lycurgue  en  fort  peu  de  temps  éleva  les  Spartiates  au-dessus 
de  l'humanité.  Les  ressorts  de  sagesse  que  Confucius  imagina,  il 
y  a  plus  de  deux  mille  ans,  ont  encore  leur  effet  à  la  Chine. 

Mais,  comme  ni  vous  ni  moi  ne  sommes  faits  pour  gouverner, 
si  vous  avez  de  si  grandes  démangeaisons  de  réforme,  réformez 
nos  vertus,  dont  les  excès  pourraient  à  la  fin  préjudicier  à  la 
prospérité  de  l'État.  Cette  réforme  est  plus  facile  que  celle  des 
vices.  La  liste  des  vertus  outrées  serait  longue  ;  j'en  indiquerai 
quelques-unes,  vous  devinerez  aisément  les  autres. 

On  s'aperçoit,  en  parcourant  nos  campagnes,  que  les  enfants 
de  la  terre  ne  mangent  que  fort  au-dessous  du  besoin  :  on  a  peine 
à  concevoir  cette  passion  immodérée  pour  l'abstinence.  On  croit 
même  qu'ils  se  sont  mis  dans  la  tête  qu'ils  seront  i)lus  saints  en 
faisant  jeûner  les  bestiaux. 

Qu'arrive-t-il?  Les  hommes  et  les  animaux  languissent,  leurs 
générations  sont  faibles,  les  travaux  sont  suspendus,  et  la  culture 
en  souffre. 

La  patience  est  encore  une  vertu  que  les  campagnes  outrent 
peut-être.  Si  les  exacteurs  des  tributs  s'en  tenaient  à  la  volonté 
du  prince,  patienter  serait  un  devoir;  mais  questionnez  ces 
bonnes  gens  qui  nous  donnent  du  pain,  ils  vous  diront  (jue  la 
façon  de  lever  les  impôts  est  cent  fois  plus  onéreuse  que  le  tribut 
même.  La  patience  les  ruine,  et  les  propriétaires  avec  eux, 

La  chaire  évangélique  a  cent  fois  reproché  aux  grands  et  aux 
rois  leur  dureté  envers  les  indigents.  Cette  capitale  s'est  corrigée 
h  toute  outrance  :  les  antichambres  regorgent  de  serviteurs  mieux 
nourris,  mieux  vêtus  que  les  seigneurs  des  paroisses  d'où  ils 
sortent.  Cet  excès  de  charité  (Me  des  soldats  à  la  patrie,  et  des 
cultivateurs  aux  terres. 

Il  ne  faut  pas,  monsieur  le  Spcctaleur  du  monde,  que  le  projet 
de  réformer  nos  vertus  vous  scandalise  :  les  fondateurs  des  ordres 
religieux  se  sont  réformés  les  uns  les  autres. 


54  CORRESPONDANCE. 

Une  aulro  raison  qui  doit  vous  encourager,  c'est  qu'il  est 
pcut-ôlrc  plus  facile  de  discerner  les  excès  du  bien  que  de  pro- 
noncer sur  la  nature  du  mal.  Croyez-moi,  monsieur  le  Spectateur, 
je  ne  saurais  trop  vous  le  dire,  attachez-vous  à  réformer  nos 
vertus;  les  hommes  tiennent  trop  à  leurs  vices. 

4324.   —  A   M.    LE   BRUN  «. 

A  Ferney,  5  novembre. 

Je  vous  ferais,  monsieur,  attendre  ma  réponse  quatre  mois 
au  moins,  si  je  prétendais  la  faire  en  aussi  beaux  vers  que  les 
vôtres.  Il  faut  me  borner  à  vous  dire  en  prose  combien  j'aime 
votre  Ode  et  votre  proposition.  Il  convient  assez  qu'un  vieux 
soldat  du  grand  Corneille  tâche  d'être  utile  à  la  petite-fille  de  son 
général.  Quand  on  bûtit  des  châteaux  et  des  églises,  et  qu'on  a 
des  parents  pauvres  à  soutenir,  il  ne  reste  guère  de  quoi  faire 
ce  qu'on  voudrait  pour  une  personne  qui  ne  doit  être  secourue 
que  par  les  plus  grands  du  royaume. 

Je  suis  vieux  ;  j'ai  une  nièce  qui  aime  tous  les  beaux-arts,  et 
qui  réussit  dans  quelques-uns  :  si  la  personne  dont  vous  me 
parlez,  et  que  vous  connaissez  sans  doute,  voulait  accepter  auprès 
de  ma  nièce  l'éducation  la  plus  honnête,  elle  en  aurait  soin 
comme  de  sa  fille,  je  chercherais  à  lui  servir  de  père  ;  le  sien 
n'aurait  absolument  rien  à  dépenser  pour  elle;  on  lui  payerait 
son  voyage  jusqu'à  Lyon.  Elle  serait  adressée,  à  Lyon,  à 
M.  Tronchin^  qui  lui  fournirait  une  voiture  jusqu'à  mon  châ- 
teau, ou  bien  une  femme  irait  la  prendre  dans  mon  équipage. 
Si  cela  convient,  je  suis  à  ses  ordres,  et  j'espère  avDir  à  vous 
remercier,  jusqu'au  dernier  jour  de  ma  vie,  de  m'avoir  procuré 


1.  Ponce-Denis  Écouchard  Le  Brun,  ne  à  Paris  en  1729,  mort  en  1807,  avait 
adressé  à  Voltaire  une  Ocle  en  faveur  de  la  famille  du  grand  Cûrneille.  La  per- 
sonne que  Le  Brun  recommandait  à  Voltaire  ne  descendait  pas  de  P.  Corneille, 
mais  d'un  de  ses  cousins  (voyez  la  note,  page  47).  Le  Brun  fit  imprimer  son  Ode 
avec  des  fragments  de  sa  lettre  d'envoi,  la  réponse  de  Voltaire,  que  voici,  et  une 
seconde  lettre  de  Le  Brun  (voyez  la  note,  tome  XXIV,  pag-e  159).  La  lettre  de 
Voltaire  y  est  datée  du  cinq  novembre;  cependant  elle  porte  la  date  du  cinq  octo- 
bre dans  l'édition  des  OEuvres  de  Le  Brun  donnée  par  Ginguené,  mais  mutilée 
par  la  censure  impériale,  1811,  quatre  volumes  in-S".  Il  se  peut  que  l'original 
porto  octobre;  mais  c'est  sans  doute  par  une  erreur  que  Voltaire  a  commise  quel- 
quefois (voyez,  entre  autres,  la  lettre  1733,  tome  XXXVI,  page  369),  et  que  Le  Brun 
aura  corrigée  à  l'impression.  La  réponse  de  Le  Brun  à  la  lettre  de  Voltaire  est 
du  12  novembre,  et,  comme  le  remarque  M.  Clogenson,  dut  être  prompte. 

2.  Tronchin,  banquier  à  Lyon. 


ANNÉE    17  00,  55 

l'honneur  de  faire  ce  que  devait  faire  M.  de  Fontenclle.  Une 
partie  de  l'éducation  de  cette  den»oisellc  serait  de  nous  voir 
jouer  quelquefois  les  pièces  de  son  grand-père,  et  nous  lui  ferions 
broder  les  sujets  de  Cinna  et  du  Cid. 

J'ai  riionneur  d'être,  avec  toute  l'estime  et  tous  les  sentiments 
que  je  vous  dois,  monsieur,  votre,  etc. 

Voltaire. 

4325.   —  A   M.   JlvAN    SCIIOUVALOW. 

7  novembre. 

Monsieur,  on  a  fait,  en  deux  mois,  trois  éditions  du  premier 
volume  de  VHistoire  de  Russie.  Les  ennemis  de  votre  empire  n'en 
sont  pas  trop  contents;  ils  sont  un  peu  fâchés  qu'on  leur  fasse 
voir  votre  grandeur,  et  surtout  votre  mérite.  Cependant  amis  et 
ennemis  demandent  le  second  volume  avec  empressement,  et  je 
suis  réduit  à  dire  que  les  matériaux  me  manquent  pour  élever 
la  seconde  aile  de  votre  édifice.  Il  n'est  pas  possible  d'y  travailler 
sans  avoir  des  notions  justes,  non-seulement  de  ce  que  Pierre  le 
Grand  a  fait  dans  ses  États,  mais  aussi  de  ce  qu'il  a  fait  avec 
les  autres  États,  de  ses  négociations  avec  Gorz  et  le  cardinal 
Albéroni,  avec  la  Pologne,  avec  la  Porte  ottomane,  etc.  Il  serait 
aussi  bien  nécessaire  d'avoir  quelques  éclaircissements  sur  la 
catastrophe  du  czarowitz.  Je  vous  dirai,  en  passant,  qu'il  est 
certain  qu'il  y  a  une  femme  qu'on  a  prise,  dans  quelques  pro- 
vinces de  l'Europe,  pour  la  veuve  du  czarowitz  même;  c'est  celle 
dont  j'ai  eu  l'honneur  de  vous  envoyer  la  petite  histoire ^  Elle 
n'est  pas  digne  d'être  mise  à  côté  des  faux  Démétrius. 

Je  reviens,  monsieur,  aux  deux  sujets  de  mes  afflictions,  qui 
sont  d'ignorer  si  Votre  Excellence  a  reçu  mes  ballots,  et  de  ne 
recevoir  aucunes  instructions. 

Je  vous  répète  que  je  n'ai  point  entendu  parler  du  gen- 
tilhomme- qui  est  à  Vienne,  et  que  vous  avez  bien  voulu  charger 
de  ([uehpies  paquets.  Je  ne  peux  finir  cette  lettre  sans  vous  dire 
combien  votre  nation  a  acquis  d'bonncur  i)ar  la  capitulation  de 
licrlin.  On  dit  (pie  vous  avez  donné  rexem|)le  de  la  plus  exacte 
discipline,   qu'il  n'y  a  eu  ni  meurtre  ni  pillage.  Le  [jcuple  de 

1.  Voyez  plus  liant  la  loUrc  4261.  —  Qiiiiml  la  (laine  irAubaii  niomtil  dans  le 
village  de  Vili-y,  à  une  lieue  do  l'aris,  en  février  1771,  on  consigna  dans  son  acte 
de.  décès  qu'elle  s'appelait,  non  pas  Cliarloltc  de  Bruuswick-Woifcubutlel,  mais 
Marie-Elixdln'lh  Ditinehon.  (Cl.) 

2.  Pouscbkin. 


56  CORRESPONDANCr:. 

Pierre  le  Grand  eut  autrefois  besoin  de  modèle,  et  aujourd'liui 
il  en  sert  aux  autres. 

Adieu,  monsieur;  employez  votre  secrétaire,  et  recevez  le 
sincère  et  tendre  respect  de  V. 

43-20.   —  A  M.   DE   S  AINT-LA  MBK  RT  '. 

Aux  Délices. 

Je  viens,  mon  très-aimable  Tibulle,  de  vous  écrire  une  lettre^ 
où  il  ne  s'agit  que  de  Cbarles  XII.  Je  suis  plus  à  mon  aise  en 
vous  parlant  de  vous,  en  vous  ouvrant  mon  cœur,  en  vous  disant 
combien  il  est  pénétré  du  bon  office  que  vous  me  rendez. 

Vraiment  je  vous  enverrai  toutes  les  Pucelles  que  vous  vou- 
drez, à  vous  et  à  M'""  de  Boufflers  ;  rien  n'est  plus  juste. 

J'ai  couru  comme  vous,  depuis  quelques  années,  qu'il  fallait 
faire  des  tragédies  tragiques,  et  arracber  le  cœur  au  lieu  de  l'ef- 
fleurer. Nous  n'avons  guère  été,  jusqu'à  présent,  que  de  beaux 
discoureurs;  il  viendra  quelqu'un  qui  rendra  le  poignard  de 
Melpomène  plus  trancbant^  mais...  je  serai  mort. 

Je  n"ai  point  l'bonneur  d'être  de  l'avis  deFolard  sur  Cbarles XII. 
Je  ne  suis  point  soldat,  je  n'entends  rien  à  la  baïonnette;  mais 
je  trouve,  suivant  toutes  les  règles  de  la  mètoposcopie,  que  c'était 
une  borrible  imprudence  d'attaquer  cinquante  ou  soixante  mille 
hommes,  dans  un  camp  retranclié  à  Narva,  avec  huit  mille  cinq 
cents  hommes  harassés,  et  dix  pièces  de  canon.  Le  succès  ne  jus- 
tifie point,  à  mes  yeux,  cette  témérité.  Si  les  Russes  ne  s'étaient 
pas  soulevés  contre  le  duc  de  Croï,  Charles  était  perdu  sans  res- 
source. Il  fallait  un  assemblage  de  circonstances  imprévues,  et 
un  aveuglement  inouï,  pour  que  les  Russes  perdissent  cette 
bataille. 

Une  faute  plus  impardonnable,  c'est  d'avoir  laissé  prendre 

i.  Charles-François  de  Saint-Lambert,  né  à  Vézelise  en  Lorraine  le  IG  décem- 
bre 1716,  mort  à  Paris  le  9  février  1803,  auteur  du  poème  des  Saisons,  public 
en  1769.  Ses  relations  avec  M"'«  du  Châtelet,  sur  lesquelles  on  peut  consulter  les 
Mémoires  de  Longcliamp,  causèrent  la  mort  de  cette  dame.  (B.) 

2.  Cette  lettre,  qui  devait  sans  doute  être  montrée  à  Stanislas,  est  citée  plus 
bas  dans  celle  qui  porte  le  n"  4331.  C'est  tout  ce  que  nous  en  connaissons. 

3.  Dans  le  chant  IV  (vers  177-178)  de  son  poëme  des  Saisons,  Saint-Lambert 
a  dit  do  Voltaire  : 

Vainqueur  des  deux  rivaux  qui  régnaient  sur  la  scèno, 
D'un  poignari  plus  tranchant  il  arma  Melpomèno. 

Saint-Lambert  a  donc  pris  de  Voltaire  l'expression  de  poignard  plus  tranchant. 


ANNÉE    17  GO.  57 

ringrie,  tandis  qu'il  s'amusait  à  humilier  Auguste,  Le  siège  de 
Pultava,  dans  l'hiver,  pendant  que  le  czar  marchait  à  lui,  me 
paraît,  comme  au  comte  Piper,  l'entreprise  d'un  desespéré  qui  ne 
raisonnait  point.  Le  reste  de  sa  conduite,  pendant  neuf  ans,  est 
de  don  Quichotte. 

Quand  le  maréclial  de  Saxe  admirerait  cet  enragé,  cela  ne  me 
ferait  rien  ;  et  je  répondrais  au  maréchal  de  Saxe  :  Vous  faites 
mieux  encore  que  vous  ne  dites. 

Mais  Apollon  me  tire  par  l'oreille,  et  me  dit  :  De  quoi  te 
mêles-tu  ?  Ainsi,  je  me  tais,  et  je  vous  demande  pardon. 

Je  reviens,  comme  don  Japhet,  à  ce  qui  est  de  ma  compé- 
tence. Vous  souvenez-vous  que  vous  vouliez  que  je  raccommo- 
dasse le  moule  d'Oreste,  et  que  je  lui  fisse  des  oreilles  *  ?  Je  vous 
ai  obéi  à  la  fin.  Il  y  a  du  pathos,  ou  je  suis  trompé.  \ous  le 
jouerons  l'année  prochaine  sur  un  petit  théâtre  de  polichinelles, 
si  je  suis  en  vie;  vous  devriez  bien  y  venir,  si  vos  nerfs  vous  le 
permettent.  Je  vous  jure  qu'il  vaut  mieux  aller  aux  Délices  qu'à 
Potsdam. 

Je  nie  doutais  bien  que  l'odorat  d'un  nez  comme  le  vôtre 
serait  un  peu  chatouillé  des  parfums  que  j'ai  brûlés  à  riionncur 
de  Lefranc  de  Pompignan.  Il  est  bon  de  corriger  quelquefois 
les  impertinents.  Il  y  a  quelques  messieurs  qui  allaient  répandre 
les  ténèbres,  et  souffler  la  persécution,  si  on  ne  les  avait  pas 
arrêtés  tout  court  par  le  ridicule. 

Si  vous  voyez  frère  Jean  des  Enlommrures  Menoux,  dites-lui,  je 
vous  prie,  que  j'ai  de  bon  vin  ;  mais  j'aimerais  encore  mieux  le 
boire  avec  vous  qu'avec  lui. 

Mes  respects,  je  vous  prie,  h  M'""  de  Boufllers  et  ù  madame  sa 
sœur-. 

Comment  faire  pour  vous  envoyer  un  gros  paquet? 

Je  vous  aime,  je  vous  remercie;  je  vous  aimerai  foute  ma  vie. 

Je  n'ai  point  de  lettres  de  monsieur  le  gouverneur  de  nitclic  '  : 
c'est  un  paresseux. 

1.  Allusion  au  conte  do  La  Fontaine,  intitulé  le  Faiseur  d'oreilles  et  le  liac- 
commodeur  de  moules. 

2.  M""  de  BassompiciTC,  à  laquelle  sont  adressés  six  vers  dans  les  Poésies 
mêlées,  tome  X. 

3.  ïressan;  vo^ez  lettre  -4208. 


58  CORRESPONDANCE. 

Vrll.   —   A   M.    T  R 0  N  C 1 1 1 N  ,   I) !•:    L  V  0 .\  ' . 

Délices,  8  novembre. 

Los  cfTcts  publics  se  soiitioiulronl  sans  doute,  puisque  voilà 
un  lieutenant  de  police  à  la  tête  de  la  marine-.  Je  crois  bien  que 
ce  n'est  pas  vous  qui  avez  fait  les  quatre  vers  pour  le  roi  de 
Prusse  ;  ce  n'est  pas  moi  non  plus.  Il  m'en  envoya  plus  de  deux 
cents  l'année  passée.  Mais  à  présent,  s'il  en  fait  ce  sont  des 
élégies. 

4328.  —   A    MADAME    BELOTS. 

10  novembre. 

Il  y  a  plus  de  quinze  jours  que  V.  a  envoyé  à  M'"'  la 
veuve  B.  l'histoire  du  C*  Plusieurs  de  ces  paquets,  quoique  pro- 
tégés par  des  intendants  des  postes,  n'ont  point  été  rendus  à  leur 
adresse.  Si  M""'  B.  a  quelque  autre  débouché,  elle  n'a  qu'à 
l'indiquer,  et  elle  aura  son  C.  sur-le-champ.  Elle  fait  fort  bien 
de  voir  M.  11.%  car  ce  M.  H.  a  du  génie,  de  l'esprit,  et  un  cœur 
charmant.  D'ailleurs  la  terre  de  Voré  est  un  plus  beau  séjour,  et 
plus  à  portée  d'elle  que  le  trou  des  Délices,  qui  n'est  qu'une 
chaumière  dans  une  très-belle  vue.  On  n'ose  pas  se  flatter  qu'elle 
daigne  venir  dans  cette  chaumière  ;  on  le  souhaite  seulement,  et 
on  s'en  reconnaît  indigne.  Quelques  philosophes  y  viennent  de 
temps  en  temps.  M""-  B.  me  paraît  aussi  philosophe  qu'eux  tous. 
Elle  sait  que  je  l'ai  prise  une  fois  pour  M""  de  Sévigné  àson  style  ; 
mais  je  n'aurais  jamais  pris  M'"«  de  Sévigné  pour  elle  :  car,  en 
fait  de  raison,  cette  M"'^  de  Sévigné  est  une  grande  caillette.  Je 
présente  à  M""^  B.  mes  très-humbles  et  très-sincères  compliments. 

4329.  —  A   M.   LE   COMTE   D'APxGEMAL. 

10  novembre. 

Vous  êtes  mes  anges  plus  que  jamais;  vous  persévérez  dans 
votre  ministère  de  gardiens.  Voici,  mon  cher  et  respectable  ami, 
ce  que  j'ai  pu  à  peu  près  répondre  à  votre  lettre  et  au  mémoire 

1.  Éditeurs,  de  Cayrol  et  François. 

2.  Berrycr. 

3.  Éditeurs  de  Cayrol  et  François. 

4.  Czar. 

:..  llelvétiu^. 


ANNÉE    17  00.  59 

de  AI™"  Scaliger.  Je  prévois  que  ma  réponse  sera  inutile,  puis- 
qu'elle n'arrivera  qu'après  que  Tancrède  aura  été  joué  à  Ver- 
sailles; mais  du  moins  j'aurai  la  consolation  d'avoir  fait  mon 
devoir.  Si  vous  avez  encore  quelques  petits  scrupules,  je  suis  h 
vos  ordres. 

Êles-vous  toujours  dans  l'idée  de  faire  imprimer  T>incrcdei>t{V 
provision  ?  En  ce  cas,  je  vous  supplie  de  faire  transcrire  sur  la 
pièce  les  changements  que  vous  trouverez  dans  mon  mémoire. 
Vos  bontés  ne  se  lassent  pas. 

Vous  imaginez  donc  que  je  suis  assez  mallial)ilepour  fourrer 
dans  la  dédicace  quelque  chose  que  la  marquise  n'ait  pas 
approuvé?  Je  ne  suis  pas  si  niais.  Voici  cette  dédicace  mot  pour 
mot,  telle  que  M.  le  duc  de  Choiseul  me  l'a  renvoyée,  munie  du 
grand  sceau  des  petits  appartements.  J'ai  plus  d'une  raison  de 
faire  cette  dédicace,  et  je  crois  que  vous  les  devinez  toutes. 

Et  vous,  madame  Scaliger,  vous  me  croyez  donc  assez  Suisse 
pour  ignorer  que  mon  intendant  de  Bourgogne  est  le  frère  de 
mon  cher  avocat  général?  Sachez  que  ce  frère  m'a  amené  son 
neveu,  propre  fils  de  son  frère.  J'ai  soupçonné  sa  mère'  d'avoir 
été  une  habile  femme,  car  le  jeune  candidat  est  d'une  taille  fine 
et  élancée,  et  son  père  est  tout  rabougri. 

Nous  avons  à  présent  M.  Turgot,  qui  vaut  mieux  que  tout  le 
parquet.  Celui-là  n'a  pas  besoin  de  mes  instructions,  il  m'en 
donnerait;  c'est  un  philosophe  très-aimable,  \ouslui  avons  joué 
Fanime  et  les  Ensorceli's-:  il  dit  qu'il  n'avait  pas  pleuré  à  Tancrède, 
et  je  l'ai  vu  pleurer  à  Fanime  ;  mais  c'est  que  M'"*  Denis  a  la  voix 
attendrissante,  et  quand  nous  jouons  ensemble  on  n'y  tient  pas.; 

George  III'  ne  changera  pas  la  face  de  l'Europe;  celle  de  Lue- 
change  tous  les  jours. 

Mille  tendres  respects  à  tous  les  anges. 

4330.    —  A   M.  DE   CHENE V1Î:RKS  '. 

Aux  Délices,  Jl  novembre. 

Vous  verrez  bientôt,  mon  ami.  M"'  de  Bazincourt'- ;  elle 
va  des  Délices  au  couvent,   de  la  comédie  à  vêpres,  de  chez 

1.  Madeleino-Gcnevfève-Mûlanie  Desvicux,  morte  an  cominenccnieiit  de  17  i7. 

2.  Farodii!  de  Topera  des  Surprises  de  l'Amour,  de  Bernard,  par  M""  l'avart, 
(Jnérin,  e(  Ilarni;  I7o7. 

3.  Gcorf,'c  II  était  mort  le  25  octobre  précédent. 

4.  Éditeurs,  de  Cayrol  et  Françofs. 

5.  Voyez  la  dernière  lettre  à  Clicnevières. 


CO  GORRESPONDANCn:. 

moi  riiez  rarcliovêqiic  de  Paris.  Elle  aura  eu  tous  les  lionnôtes 
plaisirs  mondains,  et  aura  celui  de  faire  son  salut.  Elle  doit 
d'abord  vous  embrasser  pour  elle,  comme  de  raison,  et  ensuite 
pour  moi.  Je  me  flatte  que  M,  Tarclievêquc  nous  la  renverra,  dès 
que  je  ferai  bAtir  une  éj^lise. 

Voici  les  deux  cartes  qui  manquaient  à  Pierre. 

Je  vous  embrasse. 

Voilà  donc  encore  le  roi  de  Prusse  devant  Dresde,  et  c'est  c'i 
recommencer  ! 

4331.  —  A   M.   LE   COMTE    DE   TRESSAN. 

A  l'erncj',  12  novembre. 

l{espectal)le  et  aimable  gouverneur  de  la  Lorraine  allemande 
et  de  mes  sentiments,  mon  cœur  a  bien  des  choses  à  vous  dire; 
mais  permettez  qu'une  autre  main  que  la  mieune  les  écrive, 
parce  que  je  suis  un  peu  malingre. 

Premièrement,  ne  convenez-vous  pas  qu'il  vaut  mieux  être 
gouverneur  de  Bitcbe  que  de  présider  à  une  académie  quel- 
conque? Ne  convenez-vous  pas  aussi  qu'il  vaut  mieux  être  hon- 
nête homme  et  aimable  qu'hypocrite  et  insolent?  Ensuite  n'êtes- 
vous  pas  de  l'avis  de  VEccUsiaste^,  qui  dit  que  tout  est  vanité, 
excepté  de  vivre  gaiement  avec  ce  qu'on  aime? 

Je  m'imagine,  pour  mon  bonheur,  que  vous  êtes  très-heureux, 
et  je  crois  que  vous  l'êtes  de  la  manière  dont  il  faut  l'être  dans 
ce  temps-ci,  loin  des  sots,  des  fripons,  et  des  cabales.  Vous  ne 
trouverez  peut-être  pas  cà  Bitcbe  beaucoup  de  philosophes;  vous 
n'y  aurez  point  de  spectacles,  vous  y  verrez  peu  de  chaises  de 
poste  en  cul  de  singe  ;  mais,  en  récompense,  vous  aurez  tout  le 
temps  de  cultiver  votre  beau  génie,  d'ajouter  quelques  connais- 
sances de  détail  à  vos  profondes  lumières;  vos  amis  viendront 
vous  voir  ;  vous  partagerez  votre  temps  entre  Lunéville,  Bitcbe,  et 
Toul,  Et  qui  vous  empêchera  de  faire  venir  auprès  de  vous  des 
artistes  et  des  gens  de  mérite  qui  contribueront  aux  agréments 
de  votre  vie?  Il  me  semble  que  vous  êtes  très-grand  seigneur; 
cinquante  mille  livres  de  rente  à  Bitcbe  sont  plus  que  cent  cin- 
quante mille  à  Paris.  Je  ne  vous  dirai  pas  que  votre  règne  vous 
advienne  -,  mais  que  les  gens  qui  pensent  viennent  dans  votre 

1.  I,  2;  et  III,  12. 

2.  «  Advcniat  rcginim  tuum.  »  (Matthieu,  chap.  vi,  vers.  10}  Luc,  chap.  .\i, 
vers.  2.) 


ANNÉE    1700.  61 

règne.  Si  je  n'étais  pas  aux  Délices,  je  crois  que  je  serais  à  Bitclie, 
malgré  iVère  Menoux. 

Frère  Saint-Lambert,  (jui  est  mon  véritable  frère  (car  Menoux 
n'est  que  Taux  frère),  frère  Saint-Lambert,  dis-je,  qui  écrit  en 
vers  et  en  prose  comme  vous,  m'a  mandé  que  le  roi  Stanislas 
n'était  pas  trop  content  que  je  préférasse  le  législateur  Pierre  au 
grand  soldat  Charles.  J'ai  fait  réponse  ^  qne  je  ne  pouvais  m'em- 
pêclier,  en  conscience,  de  préférer  celui  qui  bAtit  des  villes  à 
celui  qui  les  détruit;  et  que  ce  n'est  pas  ma  faute  si  Sa  Majesté 
polonaise  elle-même  a  fait  plus  de  bien  à  la  Lorraine  par  sa 
bienfaisance  que  Charles  \1I  n'a  fait  de  mal  à  la  Suède  par  son 
opiniâtreté.  Les  Russes  donnant  des  lois  dans  Berlin,  et  empê- 
chant que  les  Autrichiens  ne  fissent  du  désordre,  i)rouvent  ce 
que  valait  Pierre.  Ce  Pierre,  entre  nous,  vaut  bien  l'autre  Pierre- 
Simon  Harjone-. 

Vous  devez  actuellement  avoir  reçu  mon  Pierre:  il  me  fâche 
beaucoup  de  ne  vous  l'avoir  point  porté;  mais  il  a  fallu  jouer  le 
vieillard  sur  notre  petit  théâtre,  avec  notre  petite  troupe,  et  je 
l'ai  fait  d'après  nature.  Je  suis  enchaîné  d'ailleurs  au  char  de 
Gérés  comme  à  celui  d'Apollon  ;  je  suis  maçon,  laboureur,  vigne- 
ron,, jardinier.  Figurez-vous  que  je  n'ai  pas  un  moment  à  moi, 
et  je  ne  croirais  pas  vivre  si  je  vivais  autrement  :  ce  n'est  qu'en 
s'occupant  qu'on  existe. 

^oilà  en  partie  ce  (|ui  me  rend  grand  |)artisan  de  M.  le  maré- 
chal de  l]elle-Isle^;  il  travaille  pour  le  bien  public  du  soir  au 
matin,  comme  s'il  avait  sa  fortune  à  faire.  Tout  son  malheur  est 
que  le  succès  de  ses  travaux  ne  dépend  pas  de  lui.  Le  maréchal 
de  Daun  ne  me  paraît  pas  si  grand  travaiihnir. 

xMon  très-aimable  gouverneur,  vous  êtes  plus  heureux  que 
tous  ces  messieurs-là  ;  vous  êtes  le  maître  de  votre  temps,  et  moi, 
je  voudrais  bien  employer  tout  le  mien  auprès  de  vous, 

ht'cevez  le  tendre  et  respectueux  témoignage  de  tous  les  sen- 
tiniciils  ([ui  m'attachent  à  vous  pour  lotilc  ma   \i('. 

Le  Suisse  \ . 


1.  C(!tte  ré|)ot)9e  nous  est  inconnue;  voyez  pajjc  .M», 

2.  Voyez  tome  XX,  pages  2\'.i  et  h'.i2. 

3.  Ministre  de  la  {,'ue<Te  depuis  le  nmis  de  mars  17J8,  mort  le  20  janvier  17G1. 


62  CORRESF'ONDANCE. 

43^2.  —  A   M.    COLIiM. 

Aux  Délices,  12  novembre. 

Je  VOUS  écris,  mon  clior  Colini,  pour  vous  et  pour  M.  Ilarold  '. 
11  nie  mande  que  vous  avez  traduit  un  opéra,  et  que  bientôt  vous 
en  ferez;  je  viendrai  sûrement  les  entendre.  Ma  mauvaise  santé, 
mes  bûtiments,  m'ont  empêché,  cette  année,  de  l'aire  ma  cour 
à  Son  Excellence  électorale  ;  mais,  pour  peu  que  j'aie  assez  de 
force,  l'année  qui  vient,  pour  me  mettre  dans  un  carrosse,  soyez 
sûr  que  je  viendrai  vous  voir.  Je  fais  mille  tendres  compliments 
à  M.  Ilarold.  Je  ne  peux  pas  actuellement  écrire  de  ma  main  ;  je 
deviens  bien  vieux  et  bien  malade.  11  est  vrai  que  j'ai  joué  la 
comédie  ;  mais  je  n'ai  joué  que  des  rôles  de  vieillards  caco- 
chymes . 

Les  fers  sont  au  feu  pour  la  petite  affaire-  que  vous  savez; 
mais  on  ne  pourra  battre  ce  fer  que  quand  les  choses  qui  se 
décident  par  le  fer  auront  été  entièrement  jugées.  Je  vous  em- 
brasse de  tout  mon  cœur. 

4333.   —   A   M.   LE   COMTE    D'ARGENïAL. 

12  novembre  1700. 

Il  est  vrai;  mon  cher  ange,  que  Dieu  a  voulu  qu'il  grasseyât; 
mais  il  joue  tout  avec  vérité,  avec  chaleur  :  il  est  doux,  sociable, 
conciliant;  il  doublera  tout,  il  ne  se  refusera  à  rien.  Voyez  s'il 
mérite  votre  protection  par  son  talent  autant  que  par  ses  mœurs. 
Il  a  vu  Fanime.  Il  vous  dira  des  nouvelles  de  mon  tripot.  iMes 
respects  k  celui  de  Paris  ^. 

4334.  —  A  M.  JEAx\    SCHOUVALOW. 

Aux  Délices,  près  Genève,  15  novembre. 

Monsieur,  dans  les  dernières  lettres  que  j'ai  eu  l'honneur  de 
vous  écrire,  je  ne  me  suis  occupé  que  de  votre  admirable  entre- 

1.  Cet  Anglais,  ami  de  Colini,  étaitattaché  à  la  personne  de  l'électeur  Charles- 
Théodore.  L'opéra  traduit  de  l'italien  par  Colini  était  intitulé  Cajo  Fabrizio.  11 
avait  été  représenté  sur  le  théâtre  du  palais  de  Manheim. 

2.  Toujours  Taffaire  de  Francloit. 

3.  Cette  lettre,  imprimée,  en  1817,  dans  l'édition  en  douze  volumes  in-S", 
tome  X,  page  298,  y  est  accompagnée  de  cette  note,  qui  paraît  de  d'Argental  : 
Ai-purlt-e  ]iar  un  coinrdien  aiiiiiel  il  s'intrressait.  Le  comédien  doit  être  Bussy. 
Voyez  !a  lettre  a  d'Argental  du  •.'.■)  juillet  1700. 


ANNÉE    17  00  63 

prise  d'élever  un  monument  au  fondateur  de  votre  empire  et  de 
votre  gloire.  Je  vous  ai  témoigné  mon  zèle  ;  j'ai  insisté  sur  la 
nécessité  où  vous  êtes  aujourd'hui  d'achever  promptement  la 
seconde  aile  de  votre  édiûce. 

Je  ne  vous  ai  point  dit  comhien  les  ennemis  de  votre  nation 
sont  fùchés  contre  moi  :  c'est  encore  une  raison  de  plus  qui 
redouble  mon  zèle  pour  la  gloire  de  votre  pays,  et  qui  me  rend 
la  mémoire  de  Pierre  le  Grand  plus  précieuse.  Me  voilà  natura- 
lisé Russe,  et  votre  auguste  impératrice  sera  obligée,  en  con- 
science, de  m'envoyer  une  sauvegarde  contre  les  Prussiens. 

Je  voudrais  savoir  surtout  si  la  digne  fdle  de  Pierre  le  (Jraiid 
est  contente  de  la  statue  de  son  [)ère,  taillée  aux  Délices  par  un 
ciseau  que  vous  avez  conduit. 

Je  vous  fais  encore  mes  compliments  sur  l'exemple  de  Tordre, 
de  l'observation  du  droit  des  gens,  et  de  toutes  les  vertus  ci- 
viles et  militaires,  que  vos  compatriotes  ont  donné  à  la  prise  de 
Berlin. 

4335.  —  A   MADAME   LA  COMTESSE   D'ARGEXTAL. 

l.j  novembre. 

Je  reçois,  madame,  toutes  vos  bontés  du  7  novembre,  tous 
les  témoignages  de  votre  attention  angélique ,  de  votre  goût,  de 
votre  zèle  inaltérable  pour  Tancrèdc.  Je  n'ai  qu'un  moment  pour 
y  répondre;  il  est  une  heure  trois  quarts,  la  poste  part  à  deux 
heures.  Que  vais-je  devenir?  Prault  m'écrit  quon  imprime  par- 
tout Tancrcde  défiguré,  qu'il  va  le  défigurer  aussi.  Mes  anges 
peuvent-ils  parer  à  ce  coup  funeste?  Je  vais  être  déshonoré; 
M""' de  l*ompadour  croira  que  je  me  suis  moqué  d'elle.  Ae  me 
reste-t-il  qu'un  parti,  celui  de  faire  vite  imprimer  ù  Genève,  et 
d'envoyer  la  pièce  imprimée  par  la  poste,  en  désavouant  l'édi- 
tion de  Prault?  J'aurai  l'honneur  d'écrire'  le  17  à  mes  anges  ce 
(|U(' j'aurai  pensé  à  tête  reposée.  Mon  cœur,  qui  va  plus  vite  que 
ma  tête,  vous  écrit  lui  tout  seul  ;  il  est  pénétré  pour  vous  de  la 
plus  tendre  et  la  plus  respectueuse  reconnaissance. 


I.  Si  ccUc  lettre  lut  écrite,  elle  a  écliaijpé  au.v   reclicrclies  de  nos  prédéces- 
seurs. 


04  CORRESPONDANCE. 

4336.   —  A   I\I.    PnAULT    FILS'. 

Aux  Délices,  l.j  novembre. 

Je  VOUS  ai  écrit,  monsieur,  par  M.  d'Argental.  Apparemment 
(jue  vous  n'aviez  pas  encore  reçu  ma  lettre  à  la  date  de  la  vôtre 
(lu  j  novembre.  M.  d'Argental  était,  je  crois,  alors  à  la  campagne. 
Je  doute  fort  qu'on  ait  imprimé  Tancrhle  dans  les  provinces.  Ce 
qu'il  y  a  de  sûr,  c'est  qu'on  ne  peut  pas  imprimer  ma  tragédie, 
puisqu'elle  n'est  pas  achevée  et  que  je  la  corrige  encore  tous  les 
jours.  Je  ne  sais  pas  quand  les  comédiens  la  rejoueront.  11  y  a 
plus  de  cent  vers  dans  mon  manuscrit  dilFérents  de  la  pièce  qui 
a  été  jouée.  Comme  je  n'étais  pas  sur  les  lieux,  les  comédiens  ont 
pris  sur  eux  de  changer  mon  ouvrage  comme  ils  l'ont  voulu. 
Si  vous  l'imprimiez  telle  qu'elle  a  été  jouée,  vous  donneriez  une 
pièce  toute  défigurée,  dans  laquelle  on  a  été  obligé  de  mettre  à 
la  hâte  des  vers  qui  pèchent  contre  la  langue  et  contre  la  poésie. 
Cette  démarche  serait  très-désagréable  pour  vous  et  pour  moi. 

Je  serais  d'autant  plus  obligé  de  désavouer  la  pièce  qu'elle 
ne  doit  paraître  qu'avec  une  très-longue  dédicace  à  M"'"=  de  Pom- 
padour.  Cette  dédicace,  qui  sert  aussi  de  préface,  a  été  vue  par 
M""^  de  Pompadour  et  par  ses  amis.  Ce  serait  leur  manquer  à 
tous  que  de  leur  avoir  envoyé  cette  dédicace  sans  l'imprimer.  On 
serait,  avec  raison,  très-mécontent  de  votre  précipitation. 

Je  vous  conseille  d'engager  M"*"  Clairon  à  reprendre  sans  délai 
Tancvhdc,  afin  que  vous  puissiez  l'imprimer  sur-le-champ.  Je 
saisirai  toujours  avec  empressement  toutes  les  occasions  de  vous 
faire  plaisir. 

Votre  très-humble  et  très-obéissant  serviteur. 


1337.   —  A  31.    D'ALEMBERT. 


Mon  cher  maître,  mon  digne  philosophe,  je  suis  encore  tout 
plein  de  M.  Turgot.  Je  ne  savais  pas  qu'il  eût  fait  l'article  Exis- 
lencc;  il  vaut  encore  mieux  que  son  article.  Je  n'ai  guère  vu 
(rhomnie  i)lus  aimable  ni  plus  instruit;  et,  ce  qui  est  assez  rare 
chez  nos  métai)hysiciens,  il  a  le  goût  le  plus  fin  et  le  plus  sûr.  Si 
vous  avez  plusieurs  sages  de  cette  espèce  dans  votre  secte,  je 


J.  Éditeurs,  de  Cayrol  et  François. 


ANNÉE    17G0.  Go 

tremble  pour  V infâme;  elle  est  perdue  dans  la  bonne  compagnie. 
M.  Doleyre*  n'est  pas  encore  venu  cboz  les  fidèles  des  Délices; 
s'il  y  vient,  il  sera  reçu  comme  un  initié  chez  ses  frères.  Il  me 
paraît  que  Tinfant  parmesan  sera  bien  entouré.  Il  aura  un  Con- 
dillac  et  un  Dcleyre;  si,  avec  cela,  il  est  bigot,  il  faudra  que  la 
grùce  soit  forte. 

Vous  n'aurez  ni  échafaud  ni  potence  à  Tancrède,  mais  vous 
aurez  une  grande  bière  et  un  drap  mortuaire  à  la  Belle  Pénitente  -  : 
ainsi  consolez-vous. 

Si  vous  voyez  notre  diaconesse.  M'""  du  Dcfl'ant,  saluez-la 
pour  moi  en  Belzébuth  ;  dites-lui  que  je  ne  sais  plus  comment 
faire  pour  lui  envoyer  des  infamies.  Il  devient  plus  difficile  que 
jamais  de  confier  de  gros  paquets  à  la  poste.  J'aurai  l'honneur 
de  lui  écrire  incessamment.  Ce  qui  me  manque  le  plus  dans  ma 
retraite,  c'est  le  loisir.  Il  faut  que  je  plante,  et  le  czar  Pierre  me 
lutine:  je  ne  sais  comment  m'y  prendre  avec  monsieur  son  fils; 
je  ne  trouve  point  qu'un  prince  mérite  la  mort  pour  avoir  voyagé 
de  son  côté  quand  son  père  courait  du  sien,  et  pour  avoir  aimé 
une  fille  quand  son  père  avait  la  gonorrhée. 

Luc  me  mande'  qu'il  est  un  peu  scandalisé  que  j'aie  fait, 
dit-il,  l'histoire  des  loups  et  des  ours  :  cependant  ils  ont  été  à 
Berlin  des  ours  très-bien  élevés. 

Nous  attendons  demain  les  détails  de  la  bataille  entre  Luc  ol 
le  cunctateur.  On  dit  que  Fabius  a  tué  beaucoup  de  Prussiens, 
fait  trois  mille  prisonniers,  pris  trente  drapeaux.  Il  court  un 
bruit  que  Luc,  après  sa  défaite,  a  donné  le  lendemain  un  second 
combat,  et  qu'il  a  eu  l'avantage.  Tous  ces  illustres  massacres  ne 
sont  pas  tirés  au  clair;  mais  le  résultat  presque  infaillible  de 
cette  guerre  sera  que  les  philosophes  perdront  un  protecteur  de 
la  philosophie.  Ce  protecteur  est  un  peu  malin  et  dangereux, 
mais  enfin  c'était  un  bon  appui  pour  les  fidèles.  Travaillez,  mon 
cher  Paul,  à  la  vigne  du  Seigneur.  Un  homme  de  votre  trompe 
fait  plus  de  bien  que  cent  sots  ne  font  de  mal.  C'est  un  grand 
plaisir  de  voir  croître  son  petit  troupeau.  Vous  ne  serez  point 
mordu  des  loups,  vous  êtes  aussi  sage  qu'intrépide.  Vous  ne  vous 
commettez  point,  vous  ne  jetez  la  semence  que  dans  le  bon  ter- 
rain. Que  Dieu  répande  ses  saintes  bénédictions  sur  vous  et  les 


1.  Autour  de  riirticlc  Fanatisme  dans  i'I:ncyr[vpé(lie:\oyoz  ti-inc\IX.  page  73; 
et  aussi  XL,  40G. 

2.  Calisle,  tra^'édic  de  (lolardeau. 

3.  Le  tue  4317. 

-IL  — ConnespoNUANCK.  L\.  5 


66  CORRESPONDANCR. 

vôtres!  Mille  respects  ix  M"'^  du  Deiïaut.  Comptez  qu'il  y  a  peu 
de  femmes  qui  aient  autant  d'esprit  qu'elle.  Il  faut  qu'elle  aime 
les  frères  de  tout  son  cœur,  et  comme  je  vous  aime. 

4338.  —  A   M.  DUCLOS  K 

10  novembre. 

C'est  pour  vous  donner  avis,  mon  cher  et  illustre  confrère, 
que  je  vous  ai  adressé  un  paquet  et  une  lettre  sous  l'enveloppe 
de  M.  Jannel;  vous  m'aviez  mandé  que  je  pouvais  me  servir  de 
cette  voie.  Vous  croyez  bien  que  ce  n'est  pas  la  lettre  T  qui  est 
dans  le  paquet;  c'est  un  Czar.  Peut-être  n'avez-vous  pas  encore 
prévenu  M.  Jannel  de  l'envoi  que  je  devais  vous  faire,  et  ce  pa- 
quet pourrait  bien  rester  à  la  poste.  Je  vous  disais  dans  ma  lettre 
que  M.  Duvergier,  l'un  des  cent  bras  de  M.  de  Montmartel,  a 
ordre  de  payer  les  600  francs,  et  que  vous  n'avez  qu'à  faire  écrire 
le  nom  de  M.  Duvergier  sur  mon  billet. 

Aujourd'hui  je  vous  écris  sur  ce  qu'on  m'a  mandé  que  Fréron, 
dans  l'une  de  ses  feuilles ,  s'avise  de  dire  que,  dans  la  dernière 
assemblée  publique,  il  n'y  avait  que  douze  académiciens,  que 
les  autres  dédaignent  trop  le  corps  pour  paraître  au  nombre  de 
ses  membres.  Voilà  à  peu  près  le  sens  de  ce  qu'on  m'a  mandé.  Si 
cela  est,  souffrirez-vous  que  ce  misérable  insulte  impunément 
l'Académie?  J'ai  vu  un  temps  où  il  aurait  été  puni.  C'est  à  vous 
à  voir  ce  que  vous  devez  et  ce  que  vous  pouvez  faire.  Je  m'en 
rapporte  bien  à  vous. 

Je  suis  à  vos  ordres  avec  les  sentiments  que  je  vous  dois. 

4339.   —  A  M.   LE  DUCD'UZÈS. 

19  novembre. 

Monsieur  le  duc,  béni  soit  Dieu  de  ce  que  vous  êtes  un  peu 
malade  !  Car,  lorsque  les  personnes  de  votre  sorte  ont  de  la  santé, 
elles  en  abusent,  elles  éparpillent  leur  corps  et  leur  âme  de  tous 
les  côtés;  mais  la  mauvaise  santé  retient  un  être  pensant  chez 
soi,  et  ce  n'est  qu'en  méditant  beaucoup  qu'on  se  fait  dos  idées 
justes  sur  les  choses  de  ce  monde  et  de  l'autre  ;  on  devient  soi- 
même  son  médecin.  Rien  n'est  si  pauvre,  rien  n'est  si  misérable, 
que  de  demander  à  un  animal  en  bonnet  carré  ce  que  l'on  doit 
croire.  Il  y  a  longtemps  que  je  sais  que  vous  cherchez  la  vérité 

1.  Éditeurs,  do  Cajrol  et  François. 


ANNÉE    1760.  67 

dans  vous-même.  Ce  que  vous  me  fîtes  l'honneur  de  m'cnvoyer, 
il  y  a  quelques  années \  fait  voir  que  vous  avez  lame  plus  forte 
que  le  corps.  Si  vous  avez  perfectionné  cet  ouvrage,  il  sera  utile 
aux  autres  comme  à  vous-même. 

Les  plaisanteries  et  les  ouvrages  de  théâtre,  dont  vous  me 
parlez,  ne  sont  que  des  amusements,  des  bagatelles  difficiles; 
l'étude  principale  de  l'homme  est  celle  dont  on  s'occupe  le  moins. 
Presque  personne  ne  s'avise  d'examiner  d'où  il  vient,  où  il  est, 
pourquoi  il  est,  et  ce  qu'il  deviendra.  La  plupart  de  ceux  mêmes 
qui  passent  pour  avoir  le  sens  commun  ne  sont  pas  au-dessus 
des  enfants  qui  croient  les  contes  de  leurs  nourrices  ;  et  le  pis 
de  l'alTairc  est  que  souvent  ceux  qui  gouvernent  n'en  savent  pas 
plus  que  ceux  qui  sont  gouvernés  :  aussi,  quand  ils  deviennent 
vieux  et  qu'ils  sont  abandonnés  à  eux  seuls,  ils  traînent  une 
vieillesse  imbécile  et  méprisable;  le  doute,  la  crainte,  la  fai- 
blesse, empoisonnentleurs  derniersjours;  l'Ame  n'est  jamais  forte 
([ue  quand  elle  est  éclairée.  Regardez-vous  donc  comme  un  des 
hommes  les  plus  heureux  d'avoir  su  penser  de  bonne  heure; 
vous  vous  êtes  préparé  des  ressources  sûres  pour  tous  les  temps 
de  votre  vie.  Je  voudrais  bien  que  ma  mauvaise  santé  et  que  mon 
âge  avancé  me  permissent,  monsieur  le  duc,  de  venir  être  quel- 
quefois à  Uzès  le  témoin  des  progrès  de  votre  esprit;  je  voudrais 
m'éclairer  et  me  fortifier  auprès  de  vous;  mais,  dans  l'état  où  je 
suis,  je  ne  peux  plus  sortir  de  ma  retraite;  il  ne  me  reste  qu'à 
souhaiter  que  vous  vous  portiez  assez  bien  pour  venir  consulter 
M.  Tronchin.  Il  y  a  des  malades  qui  ont  la  force  de  faire  cent 
lieues  pour  se  faire  tAtcr  le  pouls  à  Genève,  et  qui  ensuite  se 
trouvent  assez  bien  pour  s'en  retourner.  Soyez  persuadé,  mon- 
sieur le  duc,  de  l'estime  infinie,  de  l'attachement,  et  du  profond 
respect  du  solitaire  à  qui  vous  avez  fait  l'honneur  d'écrire. 

43 iO.  —  A   M.    1) AM1LA\  ILLK. 

10  iiovcmbiv. 

Dieu  me  devait  un  homme  tel  que  vous,  monsieur.  Vous 
aimez  Ai)oll()n  et  Cérès,  cl  je  sacrifie  à  l'un  et  ;"i  l'autre;  vous  dé- 
testez le  fanatisme  et  l'hypocrisie,  je  les  ai  abhorrés  depuis  que 
j'ai  eu  l'ùge  de  raison  ;  vous  aimez  M.  Thieriot,  et  il  y  a  environ 
quarante  ans  que  je  le  chéris  comme  l'homme  de  Paris  (jiii  aime 
le  plus  sincèrement  la  littérature  et  qui  a  le  goût  le  plus  épuré; 

I.  En  nOT  ;  vojcz  la  leUro  IClliU. 


Gs  CORRESPONDANCE. 

VOUS  vous  êtes  lié  avec  M.  Diderot,  pour  qui  j'ai  une  estime  égale 
à  son  mérite  ;  la  lumière  qui  éclaire  son  esprit  écliauIFe  son  cœur. 
Je  ne  me  console  point  qu'un  si  beau  génie,  à  qui  la  nature  a 
donné  de  si  grandes  ailes,  les  voie  rognées  par  le  ciseau  des  ca- 
fards. Celui  d'Atropos  coupera  bientôt  les  miennes;  mais,  en 
attendant,  je  m'en  sers  avec  quelque  satisfaction  pour  tomber 
sur  les  cliats-buants  qui  veulent  nous  manger.  Ces  petits  amu- 
sements me  délassent  quand  j'ai  tenu  la  cliarrue  de  la  même 
main  qui  osa  crayonner  la  bonté  de  Henri  IV  et  le  fanatisme 
de  Mabomet. 

Je  vous  remercie,  moi  et  mon  petit  pays,  du  Mémoire^  sur  les 
blés.  Je  crois  que,  de  tous  les-  poètes,  je  suis  le  plus  utile  à  la 
France;  j'ai  défriclié  une  lieue  de  pays,  je  fais  vivre  deux  cents 
personnes  qui  mouraient  de  faim.  Ampbion  arrangeait  des 
pierres,  et  je  secours  des  bommes.  Voilà  les  droits,  monsieur, 
que  j'ai  à  votre  amitié.  J'ai  renoncé  au  tumulte  de  Paris;  on  y 
perd  son  temps,  et  ici  je  l'emploie.  Celui  que  je  crois  le  mieux 
employé  est  le  moment  où  je  lis  vos  lettres,  et  celui  auquel  je 
vous  assure  de  mon  estime  sincère  et  de  mon  altacbement  véri- 
table. 

Permettez  que  je  mette  dans  ce  paquet  une  lettre  pour  l'ami 
avec  lequel  vous  avez  transporté  la  sagesse  à  la  taverne. 

4341,    —  A    M.    THIERIOT. 

19  novembre. 

Mon  cber  et  ancien  ami,  vos  dernières  lettres  sont  cbar- 
mantes;  mais  vous  ne  disiez  pas  que  vous  aviez  gobelotté  au 
cabaret  avec  M.  Damilaville;  il  me  paraît  digne  de  boire  et  de 
penser  avec  vous. 

Embrassez  pour  moi  l'abbé  Mords-les;  c'est  un  grand  malheur 
que  deux  ou  trois  lignes-  échappées  à  sa  juste  indignation  aient 
arrêté  sa  plume  ;  il  était  en  beau  train.  Je  ne  connais  personne 
qui  soit  plus  capable  de  rendre  service  à  la  raison. 

Quoi  !  vous  ne  saviez  pas  qu'il  y  a,  dans  Vllistoirc  de  l'Aca- 
démie des  sciences,  un  Mémoire  de  M.  Le  Rond,  jeune  homme  de 


\.  Mémoire  contenait  le  détail  et  le  résultat  d'un  grand  nombre  d'expériences 
faites  l'année  dernière  par  un  laboureur  du  Vexin,  pour  parvenir  à  connaître  ce 
qui  produit  le  blé  noir,  et  les  remèdes  propres  à  détruire  celte  corruption  ;  Paris, 
Imprimerie  royale,  1760,  iii-i".  L'auteur  s'appelait  de  Goufreville,  et  était  fermier 
près  de  Vernon. 

2.  Voyez  tome  XL.  iKigc  4L2. 


ANNÉE     17(30.  fO 

quatorze  ans*  qui  promettait  beaucoup?  M.  Le  Rond  a  bien  tenu 
parole;  mais,  soit  Le  Hond,  soit  d'Alembert,  dites-lui  bien  qu'il 
est  l'espoir  de  notre  petit  troupeau  et  celui  dont  Israël  attend  le 
plus.  Il  est  liardi,  mais  il  n'est  point  téméraire  ;  il  est  né  pour  faire 
trembler  les  bypocrites,  sans  leur  donner  prise  sur  lui.  Qu'il 
marche  dans  la  voie  du  Seigneur,  et  qu'il  ne  craigne  rien. 

J'attends  avec  impatience  les  réilexions  de  A/',/oy;/i//r-Diderot"- 
sur  Tancnilc.  Tout  est  dans  la  sphère  d'activité  de  son  génie;  il 
passe  des  hauteurs  de  la  métaphysique  an  nv'tier  d'un  tisserand, 
et  de  là  il  Ta  au  théùtre.  Quel  dommage  qu'un  génie  tel  que  le 
sien  ait  de  si  sottes  entraves,  et  qu'une  troupe  de  coqs  d'Inde  soit 
venue  à  bout  d'enchaîner  un  aigle  ! 

J'ai  l'orgueil  d'espérer  que  ses  idées  se  rencontreront  avec  les 
miennes,  et  que  ma  pièce  est  comme  il  la  désire:  car  elle  est  fort 
différente  de  celle  qu'il  a  plu  aux  comédiens  de  charpenter  sur 
le  théâtre  ;  je  crois  vous  l'avoir  déjà  dit. 

Frère  Jean  des  Entommeures  3Ienoux  m'épouvanterait  à  table, 
mais  je  ne  le  crains  point  ailleurs;  et  ni  lui  ni  personne  ne  m'em- 
pêchera de  dire  la  vérité. 

Le  roi  est  content  de  VHistoirc  de  Pierre  le  Grand  ;  M™°  de 
Pompadour  pense  de  même.  M.  le  duc  de  Choiseul ,  en  digne 
ministre  des  affaires  étrangères,  en  fait  plus  de  cas  que  de  celle 
de  Charles  XII;  c'est  là  le  cas  de  dire  : 

Principibus  placuisse  viris  non  ullima  laus  est; 

(IIoR.,  lib.  I,  op.  XVII,  V.  35.) 

et  j'y  ajoute  : 

Jesuilis  placuisse  viris  non  maxima  laus  est. 

Ne  manquez  pas  de  m'envoyer  presto,  presto,  le  Mémoire  rai- 
sonné du  roi  de  Portugal  ^  contre  les  révérends  pères,  et  comptez 
que  cela  figurera  dans  la  Capilotade. 

1.  Dans  V Histoire  de  l'Académie  des  sciences,  in-l",  volume  imprimo  en  17  U, 
page  30,  un  court  îiriicle  fait  mention  de  M.  Le  linnd  d'Alciiilierl,  cinume  avant 
lionne,  en  17o'.),  à  l'Académie,  un  Mémoire  relatif  au  calcul  intégral  ;  mais  en 
1739  d'Alembert  avait  accompli  sa  vinirt  et  unième  année.  Au  reste  l'article  se 
termine  ainsi  :  «  On  a  trouvé  dans  M.  d'Alembert  beaucoup  de  capacité  et  d'exacti- 
tude. »  (Ci,.) 

'2.  Voyez  ci-après  la  lettre  de  Diderot,  du  28  novembre,  n"  i35l. 

3.  Manifeste  du  roi  de  l'orlufial,  contenant  les  erreurs  impies  et  séditieuses  que 
les  retiiiieux  de  la  compagnie  de  Jésus  ont  enseinnées  aux  criminels  qui  ont  été 
punis,  et  qu'ils  se  sont  efforcés  de  répandre  parmi  les  peuples  de  ce  royaume: 
Lisbonne  (17.">0),  iii-12  de  81  pages.  La  traduction  française  est  avant  le  tc\le  por- 
tugais. 


70  COURESPONDANCE. 

Voici  une  petite  lettre  de  cliange  pour  un  exemplaire  de  mes 
sottises;  je  vous  prie  de  les  envoyer  chercher  chez  lîohin-)»ou/o//, 
de  les  faire  relier  proprement  et  promptemeut,  et  de  les  donner 
à  P/rt/ox-Diderot. 

On  inc  mande  que  la  Corneille  en  question  descend  de 
Thomas,  et  non  de  Pierre';  en  ce  cas,  elle  aurait  moins  de 
droits  aux  empressements  du  public.  J'avais  imaginé  de  la  donner 
pour  compagne  à  M""'  Denis,  nous  aurions  joué  ensemble  le  Cid 
et  Ciuna,  et  nous  aurions  pourvu  à  son  éducation  comme  à  sa 
subsistance.  Mandez-moi  ce  que  vous  aurez  appris  d'elle,  et  je 
verrai,  comme  je  l'ai  mandé-  à  M.  Le  Brun,  ce  qu'un  pauvre 
soldat  peut  faire  pour  la  fille  de. son  général. 

Portez-vous  bien ,  mon  cher  ami  ;  j'entre  dans  ma  soixante 
et  septième  année ,  et  j'ai  encore  assez  de  feu  dans  les  inter- 
valles de  mes  souffrances,  que  je  supporte  assez  gaiement. 

Vivons  et  philosophons.  Je  vous  embrasse  de  tout  mon 
cœur. 

4342.  —  A  M.   DEVAUX. 

Je  ne  sais,  mon  cher  Panpan,  si  Alexandre  se  connaissait  en 
vers  aussi  bien  que  vous,  et  j'aime  bien  autant  votre  taudis  que 
ses  tentes.  A'os  petits  vers  sont  fort  jolis;  en  vous  remerciant. 
Mais,  à  propos,  Tihulle  de  Saint-Lambert  doit  avoir  reçu  un  gros 
paquet^  contre-signe  La  Reynière,  adressé  à  Nancy.  Je  crains 
quelque  méprise. 

Vous  voyez  donc  souvent  M""=  de  Boufflers*.  Que  vous  êtes 
heureux,  ô  Panpan  ! 

4343.  —   A   M.    PIERRE    ROUSSEAU  s. 

21  novembre  1760. 

La  personne  à  qui  vous  avez  écrit,  monsieur,  est  très-sen- 
sible à  vos  attentions  et  voudrait  les  mériter  ;  elle  ne  manquera 
pas  de  vous  envoyer,  sous  l'enveloppe  de  M.  Naudet,  les  paquets 
que  vous  paraissez  désirer,  dès  qu'elle  aura  retrouvé  les  papiers 


1.  Ce  n'était  ni  do  l'un  ni  de  l'autre  j  voyez  la  note  sur  la  lettre  i320. 

2.  Lettre  4324. 

3.  Il  est  question  de  ce  gros  paquet  à  la  fin  de  la  lettre  432G. 

4.  La  maîtresse  du  bon  roi  Stanislas. 

5.  Bibliothèque  royale  de  Belgique,   mst  n"  11583.  Communiquée  par  M.  ¥. 
Brunetière. 


ANNEE    17(3  0.  71 

qui  VOUS  seront  de  quelque  usage  :  on  ne  peut  mieux  les  placer 
qu'entre  vos  mains.  Les  deux  chants  dont  a  ous  parlez  furent  re- 
trouvés, il  y  a  quelques  années,  dans  le  cabinet  d'un  prince  qui 
seul  les  avait  possédés;  je  doute  qu'on  en  ait  à  Paris  des  copies 
fidèles;  je  peux  vous  assurer  que  personne  ne  connaît  le  véritable 
ouvrage,  composé  il  y  a  plus  de  trente  ans,  retouché  depuis  dix 
ou  douze,  et  ensuite  oublié  entièrement  par  son  auteur. 

A  l'égard  de  la  petite  pièce  fugitive  dont  vous  parlez,  vous  lui 
feriez  une  peine  extrême  de  la  rendre  publique.  Quelques  cu- 
rieux, il  est  vrai,  l'ont  dans  leurs  portefeuilles,  mais  elle  est  très- 
défectueuse,  et  d'ailleurs  le  sujet  qu'elle  traite  serait  très-désa- 
gréable à  rappeler;  vous  êtes  très-instamment  prié,  monsieur,  de 
ne  pas  souiller  un  journal  utile  par  une  telle  misère.  On  tâchera 
de  vous  dédommager  par  des  choses  nions  indignes  de  vous. 
Celui  qui  a  l'honneur  de  vous  écrire  vous  fait  ses  plus  sincères 
compliments. 

13 ii.    —  A   M.   LE   DR  UN. 

Aux  Di'-lices,  22  novembre. 

Sur  la  dernière  lettre  ^  que  vous  me  faites  l'honneur  de  m'é- 
crire,  monsieur,  sur  le  nom  de  Corneille,  sur  le  mérite  de  la 
personne  qui  descend  de  ce  grand  homme,  et  sur  la  lettre  que 
j'ai  reçue  d'elle,  je  me  détermine  avec  la  plus  grande  salisfaction 
à  faire  pour  elle  ce  que  je  pourrai.  Je  me  flatte  qu'elle  ne  sera 
point  effrayée  d'un  séjour  à  la  campagne,  où  elle  trouvera  quel- 
quefois des  gens  de  mérite,  qui  sentent  tout  celui  de  son  grand- 
oncle.  M.  Delaleu,  notaire  très-connu  à  Paris,  et  qui  demeure 
dans  votre  voisinage,  rue  Sainle-Croix-de-la-Bretonnerie,  vous 
remboursera  sur-le-champ,  et  à  l'inspection  de  cette  lettre,  ce 
<iue  vous  aurez  déboursé  pour  le  voyage  de  M"*^^  Corneille.  Elle 
n'a  aucun  préparatif  à  faire;  on  lui  fournira,  en  arrivant,  le 
linge  et  les  habits  convenables.  M.  Tronchin,  banquier  de  Lyon, 
sera  prévenu  de  son  arrivée,  et  prendra  le  soin  de  la  recevoir  à 
Lyon,  et  de  la  faire  conduire  dans  les  terres  que  j'habite.  Puisque 
vous  daignez,  monsieur,  entrer  dans  ces  petits  détails,  je  m'en 
rapporte  entièrement  à  votre  bonne  volonté,  et  à  l'intérêt  (pie  vous 
prenez  à  un  nom  qui  doit  être  si  cher  à  tous  les  gens  de  lettres. 

J'ai  l'honneur  d'être,  avec  l'estime  et  l'amitié  dont  vous  m'ho- 
norez, monsieur,  votre,  etc.,  etc. 

VOLTAIIIE, 
1.  Datée  (Jii  12  novcmlirj  l"()0,  clans  le  tomi.'  IV  ilos  OEnircs  df  Lo  Uinn. 


72  COU  H  lis  POND  ANC!-. 

4345.  —  A  MADEMOISELLE    CORNEILLE'. 

Aux  Délices,  22  novembre. 

Votre  nom,  mademoiselle,  votre  mérite,  et  la  lettre  -  dont  vous 
m'honorez,  augmentent  dans  M""  Denis  et  dans  moi  le  désir  de 
vous  recevoir,  et  de  mériter  la  préférence  que  vous  voulez  bien 
nous  donner.  Je  dois  vous  dire  que  nous  passons  plusieurs  mois 
de  l'année  dans  une  campagne  auprès  de  Genève  ;  mais  vous  y 
aurez  toutes  les  facilités  et  tous  les  secours  possibles  pour  tous 
les  devoirs  de  la  religion  ;  d'ailleurs  notre  principale  habitation 
est  en  France,  à  une  lieue  de  là,  dans  un  château  très-logeable 
que  je  viens  de  faire  bâtir,  et  où  vous  serez  beaucoup  plus  com- 
modément que  dans  la  maison  d'où  j'ai  l'honneur  de  vous  écrire. 
Vous  trouverez,  dans  l'une  et  dans  l'autre  habitation,  de  quoi  vous 
occuper,  tant  aux  petits  ouvrages  de  la  main  qui  pourront  vous 
plaire  qu'à  la  musique  et  à  la  lecture.  Si  votre  goût  est  de  vous 
instruire  de  la  géographie,  nous  ferons  venir  un  maître  qui  sera 
très-honoré  d'enseigner  quelque  chose  à  la  petite-fille  du  grand 
Corneille  ;  mais  je  le  serai  beaucoup  plus  que  lui  de  vous  voir 
habiter  chez  moi. 

J'ai  l'honneur  d'être  avec  respect,  mademoiselle,  votre,  etc. 

43i6.  —  A  M.    LE    COMTE   D'ARGENTAL. 

2.J  novembre. 

Rien  n'est  plus  importun,  mes  divins  anges,  qu'un  pauvre 
diable  d'auteur  qui  a  fait  une  pièce  à  la  hâte,  qui  ne  la  corrige 
pas  trop  à  loisir,  et  qui  est  imprimé  à  cent  heues.  Jugez  de  ma 
syndérèse  par  ma  lettre  à  Prault,  que  j'ai  l'honneur  de  vous  en- 
voyer. Je  vous  supplie  de  vouloir  bien  me  faire  tenir  les  feuilles 
imprimées,  sous  l'enveloppe  de  M.  de  Courteilles,  avant  qu'elles 
soient  tirées  :  car  vous  jugez  bien  qu'il  y  aura  toujours  quelques 
vers  à  changer,  et  peut-être  aussi  quelques  lignes  de  prose  dans  la 
dédicace.  L'Académie  m'a  chargé  de  travailler  à  quelques  feuilles 
de  son  dictionnaire;  cette  occupation  déroute  un  peu  de  la  poésie, 
et  il  y  a  bien  longtemps  que  je  suis  dérouté.  Les  bâtiments  et  les 
jardins,  et  tout  le  train  d«  la  campagne,  font  encore  plus  de  tort 
aux  vers  que  le  Dictionnaire  de  VAcadcmie. 

1,  Voyez  une  note  sur  la  lettre  4320. 

2,  La  lettre  de  Marie  Corneille  était  jointe  à  celle  de  Le  Brun,  du  12  novembre. 
Elle  n'est  point  imprimée.  (B.) 


ANNÉE    1760.  73 

A  propos  d'AcadémiG,  ne  voudrioz-vous  pas  avoir  la  bonté  de 
lui  donner  mon  portrait?  Qu'importe  qu'il  soit  mal  ou  bien?  je 
n'irai  pas  me  faire  peindre  à  soixante  et  sept  ans.  Il  s'agit  seule- 
ment que  Fréron  ne  soit  pas  en  droit  de  dire  qu'on  n'a  pas  voulu 
de  moi  à  l'Académie,  même  en  peinture.  A  propos  d'Académie 
encore,  il  y  a  M.  Lemierre,  grand  remporteur  de  prix,  et  auteur 
û'Hijpermneslre,  à  qui  je  devais  une  lettre.  J'ignorais  son  gîte.  Je 
pris  la  liberté  de  vous  adresser  ma  lettre.  Je  n"ai  p  int  lu  son 
Hypermnestre  sans i^laisir .  Voiir  le  Colardeau,  je  ne  le  connais  pas; 
on  dit  qu'il  fait  de  très-beaux  vers;  il  occupera  longtemps  31"*^  Clai- 
ron. Est-il  vrai  qu'elle  arrive,  sur  le  théAtre,  tv'o/t-e?  C'est  dom- 
mage que  cette  action  théùtrale  ne  se  soit  pas  passée  sur  la  scène  : 
cela  est  plus  plaisant  qu'un  écliafaud.  J'ai  donc  du  temps  pour 
me  raccommoder  avec  M''-^  Clairon  ;  elle  daignera  donc  ne  point 
écourter  mon  malbeureux  second  acte.  Elle  est  accoutumée  à 
couper  bras  et  jambes  aux  pièces  nouvelles,  pour  les  faire  aller 
plus  vite.  Bientôt  les  tragédies  consisteront  en  mines  et  en  pos- 
tures. 

Souvent  l'excès  d'un  mal  nous  conduit  dans  un  pire. 

(BoiLEAU,  l'An  pocl.,  ch.  I,  V.  61.) 

Et  Luc,  Luc,  quel  diable  d'homme  !  Voilà  donc  comme  je  serai 
trop  vengé. 

On  parle  encore  de  deux  ou  trois  petits  massacres,  mais  je 
n'en  veux  rien  croire. 

Mille  tendres  respects, 

i3i7.  —  A  M.   GADRIEL  CRAMKR'. 

Je  ne  crois  pas  qu'il  soit  convenable  d'imprimer  actuellement 
des  Tancrble  pour  Paris.  Comme  j'ai  fait  présent  du  privilège  de 
l'édition  parisienne  à  M"^  Clairon  et  à  Lekain,  leur  libraire  serait 
en  droit  de  crier.  Je  pense  donc  qu'il  faut  n'en  tirer  que  le 
nombre  d'exemplaires  que  M.  Cramer  peut  débiter  en  Suisse,  en 
Allemagne,  et  dans  la  province. 

Lorsqu'on  aura  débité  le  dix-huitième  volume  des  OEuvres 
complètes,  on  en  donnera  un  dix-neuvième  au  bout  de  six  mois. 
Ce  dix-neuvième  contiendra  Tancrhlc,  Zulime,  et  deux  autres 
pièces,  avec  quelques  petits  chapitres  assez  intéressants. 

Voilà,  mon  cher  ami,  quelle  est  ma  sage  résolution. 

1.  ):;Jiteur3,  Bavoux  el  François. 


74  CORRESPONDANCE. 

Vous  pourrez  (railleurs  réimprimer  rz/ts^o/Ve  ^cnnY//r  quand  il 
vous  plaira,  en  allendant  le  deuxième  volume  du  Czar,  qui  ne 
lardera  ])as  à  être  entre  vos  mains  dès  que  j'aurai  reçu  mes 
instructions.  Tant  qu'il  y  aura,  dans  mon  corps,  je  ne  sais  quoi 
qu'on  appelle  mon  àme,  je  planterai  des  arbres  ou  je  ferai  rou- 
ler Ja  presse,  et  même  quand  je  serai  damné  vous  aurez  de  quoi 
glaner. 

Je  ne  crois  point  du  tout  les  exagérations  que  l'on  débite  à 
Genève  sur  Lkc  et  le  Cunctatcur  ^  ;  j'attends  le  Boiteux, 

Gardez-vous  de  mettre  mon  nom  au  dix-buitième  volume^, 
et  envoyez-moi  deux  exemplaires  des  dernières  feuilles  pour 
compléter  les  deux  exemplaires  que  j'ai  ;  plus  trois  exemplaires 
complets.  Yak. 


«iS.  —  A  MADAME  LA   COMTESSE   D'ARGENTAL. 

20  novembre. 

Après  avoir  écrit  bier  au  soir,  à  la  bâte,  à  mes  anges,  je  me 
coucbai  avec  des  scrupules  sur  Tancrcde,  et  nommément  sur  l'en- 
vie que  j'aurais  de  prendre  des  libertés  anglaises  et  italiennes, 
en  retranchant  des  lettres  qui  m'incommodent.  A  mon  réveil,  je 
reçois  la  lettre  de  M.  d'Argenlal  et  de  U'""  Scaliger. 

Comment  ferez-vous,  mes  anges,  pour  vous  débarrasser  de 
moi?  Pourquoi  M.  d'Argental  a-t-il  mal  aux  yeux?  Comment 
M.  Fournier  3  trouve-t-il  cela?  pourquoi  le  souffre-t-il ?  Est-ce 
Calislc  qui  a  fait  trop  pleurer  mon  cber  ange?  est-ce  moi  qui  l'ai 
trop  fatigué  par  mes  paperasses? 

Crèbillon  mon  maUre.  Bonne  plaisanterie,  que  Fréron  prend 
pour  du  sérieux.  Il  faut  pourtant  ne  pas  trop  cbanger  ce  que 
madame  la  marquise  a  approuvé. 

Voulez-vous  que  f  ai  regardé  comme  mon  ?7i«?/;-c^?  Pobtesse  ne 
coûte  rien,  et  fait  toujours  un  bon  elfet. 

Voici  la  grande  question  :  Jouera-t-on  Fanime  cet  hiver  ?  Non, 
à  ce  que  je  présume.  Pourquoi?  parce  qu'il  y  a  au  troisième  acte 
un  embrouillamini  qui  me  déplaît,  et  au  cinq  il  y  a  deux  poi- 
gnards qui  me  font  delà  peine.  On  a  beaucoup  pleuré,  d'accord  ; 


1.  Le  général  autrichien  Daun. 

2.  De  ses  OEuvres  éditées  par  Cramer. 

3.  Médecin  du  duc  d'Orléans,  et  qui  était  aussi  celui  de  d'Argental. 

4.  Voyez  tome  V,  page  iOo. 


ANNÉE    17G0.  75 

mais  il  y  a  des  gens  bien  malins  à  Paris.  La  fin  de  Fanime,déc\\'i- 
rante,  tragique;  sou  përc  l'amadoue  : 

ô  mon  père  ! 

J'cn-suis  indigne  \ 

avec  un  éclat  de  voix  douloureux,  et  elle  se  tue.  Bravo.  Mais  le 
poignard  d'Énide  et  le  poignard  de  Fanime,  ces  deux  poignards 
me  tuent.  Que  faire  donc  ?  donner  Tancrcde  au  mois  de  décembre, 
l'imprimer  en  janvier,  et  rire  ;  ensuite  nous  verrous.  Vous  aurez 
de  mes  nouvelles  ;  vous  ne  mourrez  pas  de  faim. 

C'est  assez  parler  Voltaire,  parlons  Corneille.  Je  suis  bien  fûclié 
que  cette  demoiselle  ne  descende  pas  en  droite  ligne  du  père  de 
Cinna;  mais  son  nom  suffit,  et  la  chose  paraît  décente.  Vous  avez 
TU  cette  demoiselle,  mes  divins  anges;  c'est  à  vous  qu'on 
s'adresse  quand  Voltaire  est  sur  le  tapis.  Connaissez-vous  un  Le 
Brun,  un  secrétaire  de  M.  le  prince  de  Conti?  C'est  lui  qui  m'a 
encorneillé;  il  m'a  adressé  une  Ode  au  nom  de  Pierre.  C'est  à  lui 
que  j'ai  dit  :  Envoyez-la-moi;  qu'on  paye  son  voyage,  qu'on 
l'adresse  à  M,  Troncliin,  à  Lyon,  etc.  Mais  il  vaudrait  bien  mieux 
que  ce  fût  M"'"  d'Argental  qui  daignât  arranger  les  choses  :  cela 
serait  plus  honorable  pour  Pierre,  pour  M'''^  Corneille,  et  pour  moi  ; 
mais  je  n'ai  pas  le  front  d'abuser  à  ce  point  des  bontés  dont  on 
m'honore.  Cependant,  je  le  répète,  il  convient  que  M""-  d'Argental 
soit  la  protectrice.  Tout  ce  qu'elle  fera  sera  bien  fait.  Nul  trousseau 
pour  ce  mariage.  M""  Denis  lui  fera  faire  habits  et  linge.  Nous 
lui  donnerons  des  maîtres,  et  dans  six  mois  elle  jouera  Chimène. 

Je  suis  à  vos  pieds,  divins  anges. 

43i9.  —  A   M.   LE    MARQUIS   D'ARGENCK   DE   DIRAC. 

27  novembre. 

Monsieur,  le  philosophe  des  Alpes,  et  sa  nièce,  et  tout  ce  qui 
a  eu  riionneurdc  vous  voir,  vous  regrettent.  11  nous  est  venu  des 
philosophes  depuis  vous,  mais  aucun  ne  vous  fera  jamais  oublier. 
Jugez  combien  Lucrèce  est  beau  en  latin,  puisc^i'il  vous  fait  tant 
de  plaisir  dans  un  si  mauvais  franrais  ;  et  jugez  du  peu  que  nous 
valons,  nous  autres  modernes,  puiscpie  aucun  Franrais  n'a  osé 
dire  la  dixième  partie  de  ce  que  Lucrèce  disait  aux  Bomains  sans 
témérité  et  sans  crainte.  On  se  plaint  des  fermiers  généraux  et 

1.  Zulime,  acte  V,  scène  dernière. 


70  CORRESPONDANCE. 

dos  intciulants;  mais  combien  devrait-on  s'élever  contre  des  mi- 
sérables qui  mettent  des  impôts  sur  l'esprit,  et  qui  tyrannisent  la 
l)ensée!  L'ignorance  et  l'infùme  superstition  couvrent  la  terre  ; 
(|uelques  ])ersonnes  échappent  à  ce  fléau,  le  reste  est  au  rang 
des  bêtes  de  somme  ;  et  on  a  si  bien  fait  qu'il  faut  des  efforts  pour 
secouer  le  joug  infime  qu'on  a  mis  sur  nos  têtes.  Nous  sommes 
parvenus  à  regarder  comme  un  homme  hardi  celui  qui  pense 
que  deux  et  deux  font  quatre. 

Jouissez,  monsieur,  de  votre  raison,  dont  si  peu  d'hommes 
jouissent,  et  ajoutez-y  la  jouissance  de  la  vie  dans  votre  belle 
terre,  dans  le  sein  de  votre  famille,  et  dans  la  société  de  vos 
amis,  surtout  dans  celle  de  M,  de  La  Ramière,  à  qui  nous  faisons 
nos  très-humbles  compliments,  et  qui  me  paraît  bien  digne  de 
votre  amitié. 

Adieu,  monsieur  ;  si  le  plaisir  d'être  aimé  doit  être  compté 
pour  quelque  chose,  soyez  sûr  que  vous  le  serez  toujours  dans  la 
petite  retraite  que  vous  avez  daigné  habiter.  Votre  petite  chambre 
s'appelle  la  cellule  du  philosophe.  Recevez  mes  tendres  respects. 

4350.   —  A  M.   TRONCIIIX,  DE   LYON  i. 

28  novembre. 

Il  pourra  se  faire  que  dans  quelques  jours  une  demoiselle  de 
dix-huit  ans  vienne  se  présenter  à  vous  :  c'est  la  petite-fille  du 
grand  Corneille,  la  petite-nièce  de  Cinna  et  de  Chimène.  Il  est 
juste  que  je  prenne  quelque  soin  de  la  descendante  de  mon 
maître.  Les  vassaux  sont  obligés  de  nourrir  les  filles  de  leur  sei- 
gneur. Supposé  qu'elle  vienne,  nous  vous  demandons,  M"""  De- 
nis et  moi,  toutes  vos  bontés  pour  elle  ;  nous  supposons  que  ce 
sera  vers  le  temps  de  VEscalade.  Si  vers  ce  temps-là  quelque  dame 
de  Lyon  va  à  Genève,  ne  pourrait-on  pas  s'arranger  ?  Je  crois  que 
M'""  d'Argental  voudra  bien  se  charger  de  son  voyage  à  Lyon  ;  celui 
de  Genève  se  fera  comme  vous  le  jugerez  à  propos.  Vous  voyez 
que  nous  faisons  aller  et  venir  des  filles;  c'est  toujours  vous  qui 
favorisez  ce  beau  commerce,  et  vous  devez  assurément  prendre 
votre  droit  de  passage.  Cependant  rien  n'est  si  édifiant  que  nos 
filles  ;  nous  les  tirons  du  couvent,  et  nous  les  renvoyons  dévotes. 

Le  prince  Henri  est  très-malade  de  la  poitrine  ;  c'est  dom- 
mage, car  il  jouait  très-joliment  dans  mes  pièces  ^ 

1.  Éditeurs,  de  Cayrol  et  François. 

2.  A  Berlin,  en  IT.Hî. 


ANNÉE    17  60.  77 


4351.  —  DE   M.    DIDEROT. 

Paris,  28  novembre  17C0. 

Monsieur  et  cher  maître,  l'ami  Thieriot  aurait  bien  mieux  fait  de  vous 
entretenir  du  bel  enthousiasme  qui  nous  saisit  ici,  ii  l'hôtel  de  Clermont- 
Tonnerre,  lui,  l'ami  Daniila\  ille,  et  moi,  et  des  transports  d'admiration  et  de 
joie  auxquels  nous  nous  livrâmes,  deux  ou  trois  heures  de  suite,  en  causant 
de  vous  et  des  prodiges  que  vous  opérez  tous  les  jours,  que  de  vous  tracasser 
de  quelques  méchantes  observations  communes  que  je  hasardai  entre  nous  sur 
votre  dernière  pièce.  C'est  bien  à  regret  que  je  vous  les  communique;  mais 
puisque  vous  l'exigez,  les  voici. 

Rien  à  objecter  à  votre  premier  acte.  11  commence  avec  dignité,  marche 
de  même,  et  finit  en  nous  laissant  dans  la  plus  grande  attente. 

Mais  l'intérêt  ne  me  semble  pas  s'accroître  au  second,  à  proportion  des 
événements.  Pourquoi  cela?  Vous  le  savez  mieux  que  moi  :  c'est  que  les 
événements  ne  sont  presque  rien  en  eux-mêmes,  et  que  c'est  de  l'art  ma- 
gique du  poëte  qu'ils  empruntent  toute  leur  importance.  C'est  lui  qui  nous 
fait  des  terreurs,  etc. 

Tant  qu'Argire  ne  me  montrera  pas  la  dernière  répugnance  à  croire 
Aménaïde  coupable  de  trahison,  malgré  la  preuve  qu'il  pense  en  avoir;  tant 
que  la  tendresse  paternelle  ne  luttera  pas  contre  cette  preuve,  comme  elle 
le  doit;  tant  que  je  n'aurai  pas  vu  ce  malheureux  père  se  désoler,  appeler 
sa  fille,  embrasser  ses  genoux,  s'adresser  aux  chefs  de  l'État,  les  conjurer 
par  ses  cheveux  blancs,  chercher  à  les  fléchir  par  la  jeunesse  de  son  enfant, 
tout  tenter  pour  sauver  cette  enfant,  l'acte  n'aura  pas  son  effet.  Je  ne  pren- 
drai jamais  à  Aménaïde  plus  d'intérêt  que  je  n'en  verrai  prendre  à  son  père. 
Tâchez  donc  qu'Argire  soit  plus  père,  s'il  se  peut,  et  que  je  connaisse  da- 
vantage Aménaïde.  Ne  serait-ce  pas  une  belle  scène  que  celle  où  le  père  la 
presserait  de  s'ouvrir  à  lui,  où  Aménaïde  ne  pourrait  lui  répondre? 

Le  troisième  acte  est  de  toute  beauté.  Rien  à  lui  comparer  au  théâtre, 
ni  dans  Racine,  ni  dans  Corneille.  Ceux  qui  n'ont  pas  approuvé  qu'on  redit 
à  Tancrède  ce  qui  s'était  passé  avant  son  arrivée  sont  des  gens  qui  n'ont  ni 
le  goût  de  la  vérité,  ni  le  goût  de  la  simplicité;  à  force  de  faire  les  enten- 
dus, ils  montrent  qu'ils  ne  s'entendent  à  rien.  Dieu  veuille  que  je  n'encoure 
pas  la  même  censure  de  votre  part  ! 

Ali!  mon  cher  maître,  si  vous  voyiez  la  Clairon  traversant  la  scène,  à 
demi  renversée  sur  les  bourreaux  qui  l'environnent,  ses  genoux  se  dérobant 
sous  elle,  les  yeux  fermés,  les  bras  tombants,  comme  morte;  si  vous  en- 
tendiez le  cri  qu'elle  pousse  en  apercevant  Tancrède,  vous  resteriez  plus 
convaincu  que  jamais  que  le  silence  et  la  pantomime  ont  quelquefois  un  pa- 
thétique que  toutes  les  ressources  do  l'art  oratoire  n'atteignent  pas. 

J'ai  dans  la  tête  un  moment  de  théâtre  où  tout  est  muet,  et  où  le  spec- 
tateur reste  suspendu  dans  les  plus  terribles  alarmes. 

Ouvrez  vos  portefeuilles;  voyez  l'E^ther  du  Poussin  parais^^ant  devant 
Assuérus:  c'est  la  Clairon  allant  au  supplice.  .Mais  pourquoi. Xmenaïdo n'est- 


78  CORRESPONDANCE. 

elle  pas  soutenue  par  ses  femmes,  comme  l'Esther  du  Poussin?  Pourquoi  ne 
vois-jo  pas  sur  la  scène  le  môme  groupe? 

Après  ce  troisième  acte,  je  ne  vous  dissimulerai  pas  que  je  tremblai 
pour  le  quatrième;  mais  je  ne  lardai  pas  à  me  rassurer.  Beau,  beau. 

Le  cinquième  me  parait  traîner.  11  y  a  deux  récitatifs.  I!  faut,  je  crois, 
en  sacrifier  un  et  marclier  plus  vile.  Ils  vous  diront  tous  comme  moi  :  Sup- 
primez, supprimez,  et  l'acte  sera  parfait. 

Est-ce  là  tout?  Non,  voici  encore  un  point  sur  lequel  il  n'y  a  pas  d'appa- 
rence que  nous  soyons  d'accord.  ïancrède  doit-il  croire  Aménaïdo  cou- 
pable? et  s'il  la  croit  coupable,  a-l-elle  droit  de  s'en  offenser?  Il  arrive.  Il 
la  trouve  convaincue  de  trahison  par  une  lettre  écrite  de  sa  propre  main, 
abandonnée  de  son  père,  condamnée  à  mourir,  et  conduite  au  supplice  : 
quand  sera-t-il  permis  de  soupçonner  une  femme,  si  l'on  n'y  e?t  pas  autorisé 
par  tant  de  circonstances?  Vous  m'opposerez  les  mœurs  du  temps  el  la  belle 
confiance  que  tout  chevalier  devait  avoir  dans  la  constance  et  la  vertu  de 
sa  maîtresse.  Avec  tout  cela  il  mesemblerail  plus  naturel  qu'Aménaïde  re- 
connût que  les  apparences  les  plus  fortes  déposent  contre  elle;  qu'elle  en  ad- 
mirât d'autant  plus  la  générosité  de  son  amant;  que  leur  première  entrevue 
se  fît  en  présence  d'Argire  el  des  principaux  de  l'I'Llat;  qu'il  fût  impossible 
à  Aménaïde  de  s'exjiliquer  clairement;  que  Tancrède  lui  répondît  comme  il 
fait,  et  qu'Aménaïde,  dans  son  désespoir,  n'accusât  que  les  circonstances.  Il 
y  en  aurait  bien  assez  pour  la  rendre  malheureuse  et  intéressante. 

Et  lorsqu'elle  apprendrait  les  périls  auxquels  Tancrède  est  exposé,  et 
qu'elle  se  résoudrait  à  voler  au  milieu  des  combattants  et  à  périr  s'il  le  faut, 
pourvu  qu'en  expirant  elle  puisse  tendre  les  bras  à  Tancrède,  et  lui  crier  : 
Tancrède,  j'étais  innocente;  croyez-vous  alors  que  le  spectateur  le  trouverait 
étrange? 

Voilà,  monsieur  et  cher  maître,  les  puérilités  qu'il  a  fallu  vous  <;crire. 
Revenez  sur  votre  pièce;  laissez-la  comme  elle  est,  et  soyez  sûr,  quoi  que 
vous  fassiez,  que  cette  tragédie  passera  toujours  pour  originale,  et  dans  son 
sujet,  el  dans  la  manière  dont  il  est  traité. 

On  dit  que  M""  Clairon  demande  un  échafaud  dans  la  décoration  :  ne  le 
souffrez  pas,  mort-dieu!  C'est  peut-être  une  belle  chose  en  soi;  mais  si  le 
génie  élève  jamais  une  potence  sur  la  scène,  bientôt  les  imitateurs  y  accro- 
cheront le  pendu  en  personne. 

M.  Thieriot  m'a  envoyé  de  votre  part  un  exemplaire  complet  de  vos 
Œuvres.  Qui  est-ce  qui  le  méritait  mieux  que  celui  qui  a  su  penser  el  qui 
a  le  courage  d'avouer  depuis  dix  ans,  à  qui  le  veut  entendre,  qu'il  n'y  a 
aucun  auteur  français  qu'il  aimàl  mieux  être  que  vous? 

En  effet,  combien  de  couronnes  diverses  rassemblées  sur  votre  seule 
tête?  vous  avez  fait  la  moisson  de  tous  les  lauriers,  et  nous  allons  glanant 
sur  vos  pas,  et  ramassant,  par-ci  par-là,  quelques  méchantes  petites  feuilles 
que  vous  avez  négligées,  et  que  nous  nous  attachons  fièrement  sur  l'oreille, 
en  guise  de  cocarde,  pauvres  enrôlés  que  nous  sommes  ! 

Vous  vous  êtes  plaint,  à  ce  qu'on  m'a  dit,  que  vous  n'aviez  pas  entendu 
parler  de  moi  au  milieu  de  l'aventure  scandaleuse  qui  a  tant  avili  les  gans 


ANNÉE    17  00.  79 

de  lettres  et  tant  amusé  les  gens  du  monde.  C'est,  mon  cher  maître,  que 
j'ai  pensé  qu'il  me  convenait  de  me  tenir  tout  à  fait  à  l'écart;  c'est  que  ce 
parti  s'accordait  également  avec  la  décence  et  la  sécurité;  c'est  qu'en  pareil 
cas  il  faut  laisser  au  public  le  soin  de  la  vengeance;  c'est  que  je  ne  connais 
ni  mes  ennemis  ni  leurs  ouvrages;  c'est  que  je  n'ai  lu  ni  les  Petites  Lettres 
sur  les  grands  philosophes^,  ni  cette  satire  dramatique-  où  l'on  me  traduit 
comme  un  sot  et  comme  un  fripon;  ni  ces  préfaces  où  l'on  s'excuse  d'une 
infamie  qu'on  a  commise,  en  m'imputant  do  prétondues  méchancetés  que  je 
n'ai  point  faites,  et  des  sentiments  absurdes  que  je  n'eus  jamais. 

Tandis  que  toute  la  ville  était  en  rumeur,  retiré  paisibleiiicnt  dans  mon 
cabinet,  je  parcourais  votre  Histoire  universelle^.  Quel  ouvrage!  c'est  là 
(]u'on  vous  voit  élevé  au-dessus  du  globe  qui  tourne  sous  vos  pieds,  saisis- 
sant par  les  cheveux  tous  ces  scélérats  illustres  qui  ont  bouleversé  la  terre, 
à  mesure  qu'ils  se  présentent;  nous  les  montrant  dépouillés  et  nus,  les  mar- 
quant au  front  d'un  fer  chaud,  et  les  enfonrant  dans  la  fange  de  l'ignominie 
pour  y  rester  à  jamais. 

Les  autres  historiens  nous  racontent  des  faits  pour  nous  apprendre  des 
faits.  Vous,  c'est  pour  exciter  au  fond  do  nos  âmes  une  indignation  forte 
contre  le  mensonge,  l'ignorance,  l'hypocrisie,  la  superstition,  le  fanatisme, 
la  tyrannie;  et  cette  indignation  reste  lorsque  la  mémoire  des  faits  est  passée. 

Il  me  semble  que  ce  n'est  que  depuis  que  je  vous  ai  lu  que  je  sache  que 
de  tout  temps  le  nombre  des  méchants  a  été  le  plus  grand  et  le  plus  fort; 
celui  des  gens  de  bien,  petit  et  persécuté;  que  c'est  une  loi  générale  à  la- 
quelle il  faut  se  soumettre;  que  de  toutes  les  séductions  la  plus  grande  est 
celle  du  despotisme;  qu'il  est  rare  qu'un  être  passionné,  quelque  heureuse- 
ment qu'il  soit  né,  ne  fasse  pas  beaucoup  de  mal  quand  il  peut  tout;  que  la 
nature  humaine  est  perverse;  et  que,  comme  ce  n'est  pas  un  grand  bonheur 
de  vivre,  ce  n'est  pas  un  grand  malheur  que  de  mourir. 

J'ai  pourtant  lu  la  Vanité,  le  Pauvre  Diable,  et  le  Russe;  la  vraie  satire 
qu'Horace  avait  écrite,  et  que  Rousseau  et  Boileau  ne  connurent  point,  mon 
cher  maître,  la  voilii.  Toutes  ces  pièces  fugitives  sont  charmantes. 

Il  est  bon  que  ceux  d'entre  nous  qui  sont  tentés  de  faire  des  sottises 
sachent  qu'il  y  a,  sur  les  bords  du  lac  de  Genève,  un  homme  armé  d'un 
grand  fouet  dont  la  pointe  peut  les  atteindre  jusqu'ici. 

Mais  est-ce  que  je  finirai  cette  causerie  sans  vous  dire  un  mot  de  la 
grande  entreprise*?  Incessamment  le  manuscrit  sera  com[)lct,  les  planches 
gravées,  et  nous  jetterons  tout  ii  la  fois  onze  volumes  in-folio  sur  nos  enne- 
mis. 

Quand  il  en  sera  temps,  j'invoquerai  votre  secours. 

Adieu,  monsieur  et  clier  maître.  Pardonnez  à  ma  paresse.  Ayez  toujours 


1.  Ouvia;^o  de  Palissot;  voyez  tome  X.WIX,  pago  3Gj. 

2.  La  contK-ilic  des  Philosophes,  par  le  mùmo. 

3.  Intitulée  depuis  Essai  sur  les  Mœurs,  etc. 

4.  V Encyclopédie,  (\u\  avait  6t(i  suspendue  (voyez  la  note,  tome  XXIV,  pa^'C  iil'i), 
et  dont  les  di.\  derniers  volumes  do  texte  parurent  en  170j. 


80  CORRESPONDANCE. 

do  l'amiliù  pour  moi.  Conservez-vous;  songez  quelquefois  qu'il  n'y  a  aucun 
homme  au  monde  dont  la  vie  soit  plus  précieuse  à  l'univers  que   la  vôtre; 
et  l'oni})i(jnianos  semel  arrogantes  sublimi  tanrje  flagello. 
Je  suis,  etc. 

Diderot, 


•4352.   —  A  M.   LE   COMTE  ALGAUOTTI. 

A  Ferney,  28  novembre. 

Un  de  mes  chagrins,  monsieur,  ou  plutôt  mon  seul  chagrin, 
est  de  ne  pouvoir  vous  écrire  de  ma  main  combien  vous  êtes 
aimable.  Vous  parlez  d'Horace^  comme  un  homme  qui  aurait 
été  son  intime  ami,  coir.me  si  vous  aviez  vécu  de  son  temps.  11 
est  juste  qu'on  connaisse  à  fond  les  caractères  auxquels  on  res- 
semble. Pour  César,  j'imagine  que  vous  auriez  fait  un  voyage 
dans  nos  Gaules  avec  le  fils  de  Cicéron,  au  lieu  d'aller  à  Péters- 
bourg,  et  que  vous  l'auriez  empêché  de  se  brouiller  avec  Labié- 
nus,  Je  ne  sais  comment  vous  faites  votre  compte,  mais  on 
croirait  que  vous  avez  vécu  familièrement  avec  tous  ces  gens-là. 

Je  vous  fais  encore  de  très-sérieux  remerciements  sur  votre 
Voyage  de  Russie  -,  Il  y  a  toujours  quelque  cliose  à  apprendre  avec 
vous,  de  la  zone  tempérée  à  la  zone  glaciale. 

J'ai  eu  l'honneur  de  vous  envoyer  la  première  partie  de  r///6- 
toire  du  czar,  et  c'est  probablement  celle  que  vous  avez.  Vous 
me  permettrez,  s'il  vous  plaît,  de  vous  citer  dans  la  seconde  ; 
j'aime  à  me  faire  honneur  de  mes  garants  ;  il  y  a  plaisir  à  rendre 
justice  à  des  contemporains  tels  que  vous.  D'ailleurs  l'histoire 
d'un  fondateur  est  pour  les  sages  ;  et  V  Histoire  de  Charles  AY/pIai- 
rait  aux  amateurs  des  romans,  si  ce  don  Quichotte,  au  moins, 
avait  eu  une  Dulcinée.  On  n'a  aujourd'hui  à  écrire  que  des  mas- 
sacres en  Allemagne,  des  processions  à  Rome,  et  des  facéties  à 
Paris. 

L^L'tus  sum,  non  validus,  scd  tut  amantissimiis. 

43o3.  —  A  M.   LE   COMTE  D'ARGENT  AL. 

29  novembre. 

Telle  est  dans  nos  États  la  loi  de  l'hyraénée; 
C'est  la  rcli^'ion  lâchement  profanée, 

1.  L'Essai  sur  Horace  d'Algarotti  a  été  traduit  à  la  tête  des  Chefs-d'œuvre 
d'Horace;  Lyon,  1787,  deux  volumes  in-12. 

2.  Voyez  la  note  2,  tome  XL,  page  533. 


AXNKt:    '17(J0.  81 

C'est  la  patrie  enfin  que  nous  devons  venger. 
L'infidèle  en  nos  murs  appelle  l'étranger,  etc. 

(Tuntrède,  acte  II,  scène  iv.) 

II  faut  avouer,  mes  divins  anges,  que  je  suis  Tliomme  aux 
inadvertances.  On  change  un  vers,  et  on  oublie  d'envoyer  les 
corrections  devenues  nécessaires  aux  vers  suivants,  et  on  fatigue 
ses  anges  horriblement.  On  ne  sait  plus  où  Ton  est.  II  faut  reco- 
pier la  pièce,  tous  les  rôles  :  c'est  la  toile  de  Pénélope.  Je  suis  ù 
vos  genoux»  je  vous  demande  pardon,  je  meurs  de  honte.  II  y  a 
l)lus  de  cent  vers  corrigés  dans  cette  maudite  Chevalerie;  tout  cela 
est  épars  dans  mes  lettres.  Si  vous  pouvez  attendre,  je  crois  que 
le  meilleur  parti  est  de  vous  envoyer  la  pièce  bien  recopiée. 
Vous  êtes  les  maîtres  de  tout  ;  mais,  en  cas  que  vous  fassiez  im- 
primer, je  vous  demande  toujours  en  grâce  de  m'envoyer  les 
feuilles. 

J'apprends  que  messieurs  les  dévots  et  MM.  de  Pompignan  se 
sont  beaucoup  remués  sur  la  notivelle  que  j'étais  chez  Delaleu, 
à  Paris.  J'apprends  que  les  dévotes  sont  fAchées  de  voir  une 
Corneille  aller  dans  la  terre  de  réprobation,  et  qu'elles  veulent 
me  l'enlever.  A  la  bonne  heure;  elles  lui  feront  sans  doute  un 
sort  plus  brillant,  un  établissement  plus  solide  dans  ce  monde-ci 
et  dans  l'autre  ;  mais  je  n'aurai  eu  rien  à  me  reprocher.  ÎXous 
ve)'rons  qui  l'emportera  de  cette  cabale  ou  de  vous.  Vous  devez 
savoir  que  tout  cela  a  été  traité,  pour  et  contre,  au  lever  du  roi. 
Chacun  a  dit  son  mot.  Voilà  de  grandes  affaires  ;  mais  Pondichéry 
est  plus  important. 

(Jue  dites-vous  de  la  Didon,  de  M.  Lefranc  de  Pompignan, 
suivie  du  Fat punl^l  On  est  bien  drôle  à  Paris! 

Mille  tendres  respects. 

i3.ji.   —  A  M.  SHXAC  DE    AIEILHAN  ». 

.'JO  novoiiibrc. 

Je  sens  bien  vivement  vos  bontés,  monsieur;  je  vous  supplie 
de  ne  me  [)as  oublier  auprès  de  monsieur  votre  père.  Je  suis  bien 

1.  Le  y  novoinl)re  17tiO,  un  iJosai-lcurs  di;  la  (Comédie  IVaiirdise  ayant  annoncé 
roinme  cela  se  pratiquait  alors,  qu'ils  donneraient  le  jour  suivant  Didon  et  le  Fat 
puni,  le  parterre,  se  rappelant  aussitôt  les  Facéties  de  Voltaire,  avait  fait  un 
malin  rap|)roclicmcnt  entre  l'auteur  de  la  tra;,'édie  et  le  litre  de  la  comédie.  Cette 
iraietc  du  [«ublic  parisien  fut  cause  r[uo  l'on  donna  le  lendemain  une  autre  petite 
liiéce  que  te  Fat  puni,  qui  est  d(ï  l'ont-de-Veylc.  (Cl.) 

2.  Les  Autorjraplies...,  par  M.  de  Lcscure.  Paris,  Gay,  186j. 

41.    —    COIIIIKSI'O.NDANCK.    I  \.  fi 


82  CORRESPONDANCE. 

flaltô  de  son  ressouvenir,  et  je  serai  reconnaissant  toute  ma  vie 
de  son  digne  cl  noble  procédé.  J'aurai  à  lui  écrire  dans  quelques 
jours  pour  une  allaire  de  son  ministère,  et  qui  mérite  son  atten- 
tion. Il  y  a  presque  sous  les  fenêtres  de  mon  château,  au  pays 
de  Gex,  un  marais  qui  infecte  le  pays.  Le  village  où  ce  marais 
prend  naissance  est  désert;  il  n'y  reste  plus  qu'un  habitant.  Le 
reste  est  mort  de  la  contagion,  ou  s'est  réfugié  ailleurs.  Les 
bestiaux  qui  paissent  auprès  du  marais  meurent.  La  négligence 
amènera  la  peste.  J'ai  présenté  des  regrets  au  conseil,  j'ai  proposé 
de  dessécher  le  marais  à  mes  frais  ;  on  a  envoyé  un  commissaire 
sur  les  lieux.  Rien  ne  s'est  pu  faire.  J'enverrai  à  monsieur  votre 
père  les  certificats  des  magistrats  de  la  province.  Il  s'agit  du  bien 
public.  Il  faudra  bien  qu'il  s'en  mêle,  et  que  la  chose  réussisse. 
Les  faux  dévots  ne  me  trouveront-ils  pas  bien  impie  de  vouloir 
changer  le  cours  de  la  nature  et  de  prévenir  la  peste? 
Le  solitaire  est  tendrement  attaché  au  pèlerin,  V. 

435;).  —  A   M.   TRONGHIN,    DE    LYO^  *. 

l""'  décembre. 

Il  faut  que  vous  m'aidiez  à  faire  une  bonne  œuvre.  Mes  bâti- 
ments en  souifriront;  mais  il  faut  courir  au  plus  pressé  et  au 
plus  plaisant. 

Voici  ce  plaisant.  Les  jésuites  qui  demeurent  à  Ornex,  auprès 
de  Ferney,  ne  doivent  aimer  que  les  biens  célestes.  Ils  ne 
sont  là  que  pour  convertir  des  huguenots  ;  mais  pour  les  conver- 
tir, il  ne  faut  pas  s'emparer  de  leur  bien.  Deux  vieilles  damnées, 
nommées  M""  Baltazard,  possédaient  à  Ornex  un  bien  d'environ 
dix-huit  mille  livres  de  France.  Les  frères  jésuites  ont  acquis 
saintement  ce  domaine  en  achetant  à  vil  prix  les  dettes  des 
créanciers,  en  payant  six  cents  livres  pour  douze  cents,  et  le  reste 
en  messes.  J'ai  déterré  les  héritiers  véritables  2,  pauvres  gentils- 
hommes se  battant  très-bien  pour  le  roi,  et  n'ayant  pas  de  quoi 
chasser  les  jésuites  de  leur  héritage.  Ils  n'ont  que  de  la  poudre 
et  leur  épée;  cela  ne  suffit  pas  :  il  faut  de  l'argent;  c'est  moi  qui 
l'avance.  Je  crois  bien  que  je  déplairai  à  frère  Berthier  ;  mais  je 
crois  que  je  ne  vous  déplairai  pas,  et  que  tous  les  honnêtes  gens 
m'en  sauront  gré  ;  votre  ville  n'en  sera  pas  fâchée.  Que  faire 
donc,  mon  cher  ami  ?  L'impossible  pour  m'envoyer  sur-le-champ 

1.  Éditeurs,  de  Cayrol  et  François. 

2.  :\1M.  Dcsi)rez  de  Crassy. 


ANNEE    1700.  83 

dix-huit  mille  livres  en  or  pour  être  déposées  à  Gex.  Ils  no  por- 
teront de  longtemps  intérêt,  d'accord  ;  il  faudra  ne  travailler  de 
longtemps  aux  embellissements  de  Ferncy,  volontiers.  Il  est  si 
agréable  de  chasser  des  jésuites  qu'il  faut  tout  sacrifier  à  cette 
œuvre  pie. 

Ainsi  donc,  mon  cher  ami,  secret  et  argent.  Cette  petite  anec- 
dote figurera  un  jour  dans  l'histoire  de  la  compagnie  de  Jésus* 
et  dans  la  mienne. 

■i3of..  —  A  M.    JEAX  SCHOUVALOU'. 

Ferncy,  par  Genève,  2  décembre. 

Monsieur,  je  dois  confier  à  votre  prudence  et  à  votre  bonté 
pour  moi  que  le  roi  de  Prusse  m'a  su  très-mauvais  gré  d'avoir 
travaillé  à  l'Histoire  de  Pierre  le  Grand  et  à  la  gloire  de  votre  em- 
|)ire.  Il  m'en  écrit  dans  les  termes  les  plus  durs*,  et  sa  lettre 
ménage  aussi  peu  votre  nation  que  l'historien.  Je  ne  croyais  pas 
choquer  ce  prince  en  célébrant  un  grand  homme;  je  ne  m'at- 
tendais pas  à  l'injustice  que  j'essuie  ;  mais  je  me  flatte  que  votre 
auguste  impératrice,  que  la  digne  fille  de  Pierre  le  Grand  sera 
aussi  contente  du  monument  élevé  ù  son  père  que  le  roi  de  Prusse 
en  est  fâché.  V. 

43Ô7.  —  A  M.    TRO.NCIII.N,    DE  LYON  3. 

5  décembre. 

Ne  croyez  pas,  mon  cher  huguenot,  que  mon  zèle  pour  la 
maison  du  Seigneur  et  ma  tendre  aflection  pour  la  compagnie 
(le  Jésus  me  fassent  jeter  dix-huit  mille  livres  dans  le  lac.  Ils 
seront  déposés  au  greffe,  et  la  terre  me  répondra  de  mon  ar- 
gent. Figurez-vous  que  les  révérends  ont  eu  le  bien  de  M"»  lial- 
tazard  i)our  sept  à  huit  mille  livres,  et  qu'il  vaut  douze  cents 
livres  annuellement  avec  une  administration  médiocre. 

Je  vous  dirai,  pour  vous  réjouir,  que  ces  bonnes  gens  ont 
ollert  mille  écus  à  l'un  des  héritiers,  pour  l'engager  ù  leur  re- 
mettre les  titres  de  sa  famille  et  à  la  frustrer  de  ses  droits. 
Lliommc  auquel  ils  se  sont  adressés  est  un  officier  incapable 


1.  V(.yoz,  Ir.iii.-  WI,  hi  noit;  V  d.;  la  page  100;  et  lomc  WVII,  page  407 

2.  Voyez  plus  haut  la  lellrc  4317. 

3.  Éditeurs,  de  Cayrol  et  Fruiirois. 


84  CORRESPOiNDANCE. 

(l'une  action  si  lâche.  Il  a  été  outré  de  la  proposition,  et  la  tur- 
pitude des  saints  sera  bientôt  mise  au  grand  jour.  Je  ne  réponds 
j)as  qu'ils  ne  fassent  quelque  miracle  qui  leur  conserve  le  bien 
usurpé,  comme,  par  exemple,  quelque  faux  contrat,  quelque 
vieux  titre  de  donation  ;  en  ce  cas  je  n'en  serai  encore  que  pour 
(|iiatre  ou  cinq  cents  livres  que  j'aurai  avancées.  11  se  peut  encore 
(|u'ils  demandent  une  somme  plus  forte  que  celle  qui  sera  dépo- 
sée; ce  serait  alors  une  difficulté  embarrassante  :  il  s'agira  de 
savoir  si  les  héritiers  naturels  seront  tenus  de  donner  plus 
d'argent  qu'ils  n'en  avaient  reçu  quand  ils  mirent,  eux  ou  leurs 
auteurs,  cet  héritage  en  antichrèse.  C'est  une  matière  à  procès, 
sans  doute;  et  nous  verrons  alors  si,  en  donnant  encore  quel([ue 
surplus,  la  terre  vaudra  le  principal  que  nous  donnerons  ;  en  un 
mot,  je  ne  risque  rien,  et  tout  le  danger  que  je  cours  est  de 
donner  aux  jésuites  une  nouvelle  gloire  s'il  arrivait  quelque 
empêchement  dirimant,  ce  que  je  ne  prévois  pas.  Alors  les  dix- 
huit  mille  livres  passeraient  du  grefle  de  Gex  dans  la  bourse 
d'un  de  vos  auditeurs.  M,  des  Franches,  qui  demande  dix-huit 
mille  livres.  Il  est  fort  riche,  et  payera  bien.  Et  je  passerai  ce  qui 
me  reste  de  vie  à  faire  de  la  terre  le  fossé,  et  à  mettre  mes  chers 
voisins  les  jésuites  dans  la  voie  du  salut. 

Qu'est-ce  donc  que  ce  M.  de  JMably  qui  croit  avoir  fait  une 
comédie?  Est-ce  un  fils  de  l'abbé  de  Mably,  ci-devant  secrétaire 
du  cardinal  de  ïencin?  Que  n'apprend-il  plutôt  à  chiffrer.  Je 
renverrai  incessamment  à  monsieur  votre  frère  l'énorme  et  inli- 
siblo  paquet,  avec  une  lettre  honnête  pour  ce  pauvre  monsieur. 

4358.  —  A  M.  LE   CONSEILLER  LE   BAULT  '. 

Au  château  de  Ferney,  par  Genève,  5  décembre. 

Monsieur,  vous  ne  m'avez  rien  écrit  sur  vos  vignes  cette  an- 
née. Je  me  flatte  que  la  bénédiction  de  Jacob  est  tombée  sur  vous 
comme  sur  nos  cantons.  Nous  ne  sommes  pas  dignes,  nous  et 
notre  vin  de  Gex,  de  la  prodigieuse  quantité  que  nous  en  avons  ; 
mais  nous  faisons  plus  de  cas  de  deux  de  vos  tonneaux  que  de 
trente  des  nôtres.  Si  donc,  monsieur,  vous  avez  un  tonneau  de 
vin  ordinaire  et  un  d'excellent,  je  boirai  l'un  et  l'autre  à  votre 
santé,  en  cas  que  vous  vouliez  bien  me  le  permettre.  Permettez- 
moi  d'assurer  M""  LeBault  de  mon  respect;  c'est  avec  les  mêmes 
sentiments  ([uej'ai  l'honneur  d'être,  etc. 

1.  Éditeur,  de  Maudat-Graacey. 


ANNÉE    1760.  85 

4359.  —  A  M.  SKNACi. 

PREMIER       MÉDECIN"       Dl       ROI. 

Au.v  Délices,  6  décembre. 

Ma  partie  pensante,  monsieur,  sait  tout  ce  qu'elle  vous  doit  ; 
elle  vous  en  remercie,  elle  y  sera  sensible  jusqu'à  ce  qu'elle  no 
pense  plus.  Ma  partie  animale  vous  présente  les  papiers  ci-joints, 
concernant  la  peste  dont  nous  sommes  menacés.  Je  sais  qu'il  y  a 
peste  et  peste.  Je  ne  prétends  pas  que  celle  qui  dépeuple  nos 
liameaux,  dans  un  coin  des  Alpes,  ait  l'insolence  de  ressembler 
à  celle  de  Marseille-  ;  je  sais  qu'il  faut  se  tenir  h  sa  place,  mais 
enfin  si  on  néglige  l'objet  de  ma  requête,  la  chose  peut  aller  loin. 
Il  s'agit  de  quelques  malheureux;  mais  ces  malheureux,  ignorés 
et  délaissés,  sont  sujets  du  roi,  et  il  étend  ses  regards  sur  les 
derniers  de  ses  peuples.  L'affaire  dont  il  s'agit  me  paraît  du  res- 
sort de  votre  archiàtrie.  Si,  sans  vous  compromettre,  vous  pou- 
vez, monsieur,  appuyer  notre  Mémoire^,  vous  aurez  le  plaisir 
de  faire  du  bien.  Je  vous  prends  là  par  votre  faible.  Soyez 
très-sûr  que*  si  on  ne  remédie  pas  au  mal,  la  contagion  est  à 
craindre.  Nous  sommes  obligés  d'abandonner  le  château  de  Fer- 
ney  immédiatement  après  l'avoir  achevé,  et  de  nous  réfugier  on 
terre  huguenote.  Voyez,  monsieur,  ce  que  vous  pouvez  faire  pour 
nos  corps  et  pour  nos  âmes,  La  mienne  est  celle  de  votre  ancien 
partisan,  qui  a  l'honneur  d'être,  avec  tous  les  sentiments  qu'il 
vous  doit,  monsieur,  votre,   etc, 

4360.  —  A   M.   THIERIOT. 

8  décembre. 

Je  n'ai  pas  un  moment  à  moi,  mon  cher  ami;  je  suis,  depuis 
un  mois,  accablé  de  travail  et  d'affaires.  Plus  on  vieillit,  plus  il 
faut  s'occuper.  Il  vaut  mieux  mourir  que  de  traîner  dans  l'oisi- 
veté une  vieillesse  insipide  ;  travailler,  c'est  vivre. 

Quand  M""  Rodoyunc''  viendra,  elle  sera  bien  reçue.  M""  Denis 

1.  Voyez  tome  XL,  papre  ili. 

2.  La  peste  de  1720,  dont  on  ne  peut  rappeler  les  ravnpes  saD?>  soncrcr  à  1,< 
rliarité  t^-vanj^éliquc  de  iJelsunce.  ((^i.). 

3.  il  nous  est  inconnu,  ((^i..) 

i.  Voltaire,  en  appelant  ainsi  Marie  Corneille,  faisait  sans  doute  au^si  allusion 
à  la  représentation  de  Hodogune,  donnée  par  les  acteurs  de  la  Comédie  franraisc 
au  profit  de  François  Corneille;  voyez  une  note  sur  la  lettre  4120. 


80  CORUESPONDANClî. 

110  lui  a  point  ('crit  de  lettre,   mais  deux  lignes  au  bas  de  ma 
lellro. 

M.  Le  Brun  est  le  maître  de  son  Ode,  mais  il  ne  devait  pas,  je 
crois,  faire  imprimer  ma  prose'. 

Je  vous  prie  dedireà  M.  de  Bastide- que  si  je  trouve  quelques 
rogatons  qu'il  puisse  insérer  dans  son  Monde,  je  vous  les  adres- 
serai. Pardon  si  je  ne  lui  écris  pas.  Je  ne  sais  auquel  entendre. 
La  journée  n'a  que  vingt-quatre  heures. 

Votre  ouvrage'  thèologko-fudaïco-rabbinko -philosophique  est 
peut-être  fort  bon,  mais  j'aimerais  autant  qu'on  n'eût  pas  mis  le 
titre  de  Berne,  et  à  monsieur  VOracle  des  philosophes,  pour  faire 
croire  que  c'est  moi  qui  suis  le  rabbin.  Heureusement  on  ne  m'y 
reconnaîtra  pas. 

M"'^  la  première  présidente  Mole*  ferait  bien  mieux  de  me 
payer  soixante  mille  livres  que  son  frère,  le  banqueroutier 
frauduleux  Bernard,  m'a  volées,  à  moi  et  à  ma  nièce,  que  de 
gémir  sur  le  bien  que  je  fais  à  M""  Corneille,  et  qu'elle  ne  fait 
pas. 

Vous  me  dites  que  Lefranc  de  Pompignan  n'a  pas  voulu 
aller  à  l'Académie  ;  je  le  crois  :  il  y  serait  mal  accueilli.  Il  alla 
se  plaindre,  ces  jours  passés,  à  monsieur  le  dauphin,  qui  dit  tout 
haut  : 

Noire  ami  Pompignan  pense  ôtre  quelque  choses. 

Qui  est  l'auteur  de  VHomme  de  letlns^?  Il  y  a  du  bon. 


1.  Voyez  tome  XXIV,  page  159. 
■2.  Voyez  ci-dessus,  la  lettre  4323. 

3.  L'Oracle  des  anciens  fidèles,  pour  servir  de  suite  et  d'éclaircissement  à 
la  sainte  Bible;  Berne,  1760,  in-1'2.  Voltaire,  dans  sa  lettre  à  Damilaville  du 
12  juillet  1703,  attribue  cet  ouvrage  à  Bigex.  (B.) 

4.  Bonne-Félicité  Bernard,  mariée,  en  1733,  à  Matthieu-François  Mole,  nommé 
premier  président  du  parlement  le  12  novembre  1757. 

5.  Il  paraît  que  ce  fut  en  s'adressant  au  président  Ilénault  que  le  dauphin 
cita  ce  vers,  le  dernier  de  la  satire  de  Voltaire  intitulée  la  Vanité.  Voyez  les 
■Mémoires  de  M™"  du  Hausset,  page  129,  édition  de  1824. 

6.  VHomme  de  lettres,  traduit  de  l'italien  de  Bartoli,  p&v  le  Père  de  Livoy,  ne 
parut  qu'en  17G8,  en  deux  volumes  in-12.  Ce  fut  en  1774  que  Bignicourt  repro- 
duisit, sous  le  titre  de  l'Homme  du  monde  et  l'Homme  de  lettres,  ses  Pensées, 
publiées  en  1755.  Le  discours  en  vers  de  Chamfort,  intitulé  l'Homme  de  lettres, 
est  de  17C6.  Je  crois  donc  que  l'ouvrage  dont  Voltaire  veut  parler  est  celui  qui 
est  intitulé  Amusements  d'un  homme  de  lettres,  ou  Jugements  raisonnes  et  connus 
de  tous  les  livres  qui  ont  paru  pendant  l'année  1759;  Paris,  1700,  in-12;  qui  n'esi 
toutefois  autre  chose  (au  titre  près)  que  la  Semaine  littéraire,  publiée,  en  1759, 
pa-r  d'Aquin  de  Chàtcaulyon  et  de  Caux.  (B.) 


A.NXlîl-    -ITCiO.  87 

Qui  est  l'auteur  i\u  Savetier  ^  2  Apparemment  quelqu'un  delà 
profession.  Le  gaillard  savetier-  de  La  Fontaine  vaut  mieux. 

Je  m'intéresse  à  l'abbé  du  Resnel  ;  je  suis  de  son  âge.  Je 
m'intéresse  à  Ballot',  et  plus  à  vous.  Vous  avez  donc  soixante  et 
trois,  et  moi  soixante-sept.  Je  suis  quehiuefois  assez  gai  pour  mon 
àgC;  demandez  à  Lefranc. 

Vale,  vive,  scribe,  lœtare. 

Venez  ici,  vous  et  vos  nerfs. 

43GI.  —  A  M.    TIIONCHIN,   DE   LYON*. 

Délices,  8  décembre. 

L'affaire  des  frères  jésuites  commence  à  être  sourdement 
connue  dans  la  ville  de  cet  enragé  de  Calvin.  Notre  procureur 
général  n'en  est  pas  fâché.  D.  de  Ch,,  notre  secrétaire  d'État, 
qui  a  été  le  prête-nom  des  jésuites  pour  acheter  le  bien  des 
orphelins,  est  un  peu  honteux;  mais  il  se  range  ci  son  devoir. 
Il  se  pourra  faire  que  les  frères  jésuites  soient  forcés  à  offrir 
aux  héritiers  une  somme  de  2,000  écus  et  plus  pour  les  apaiser  ; 
il  se  pourra  que  les  héritiers  s'en  contentent.  En  ce  cas,  j'aurai 
dégraissé  les  enfants  d'Ignace,  j'aurai  vidé  leur  bourse  et  comblé 
leur  honte,  et  je  chanterai  alléluia  en  reprenant  mon  argent. 
Louez  Dieu  de  tout  cela.  J'avoue  que  les  jésuites  me  damneront  ; 
mais  Dieu,  qui  n'est  ni  jésuite,  ni  janséniste,  ni  calviniste,  ni 
anabaptiste,  ni  papiste,  me  sauvera. 

Dans  ce  moment  un  jésuite  sort  de  chez  moi;  il  s'est  venu 
soumettre,  ils  rendront  le  bien.  Je  vous  donnerai  le  détail  de 
cette  aventure.  11  faut  toujours  que  les  Tronchin  entrent  dans  les 
bonnes  affair^^s. 

Pour  M""  Chimène  et  Rodogune,  quand  elle  viendra,  je  la 
recommande  h  vos  bontés. 

Si  les  Délices  sont  bien  jolies,  Ferney  a  son  mérite.  Tout  est 
bientôt  dans  son  cadre,  et  le  cadre  est  cher.  Il  nous  en  coûtera 


1.  bus  ou  le  Savetier  du  coin,  Genôvo  (Paris),  1700,  polit  in-S»  de  "23  pages, 
est  un  pot'nie  satirique  ilo  (îroubcr  de  riroubcntliall,  mais  qu'on  attribuait  à 
Voltaire,  sans  doute  parce  qu'un  se  rappelait  les  vers  de  sou  premier  des  Discours 
sur  l'Homme;  voyez  tome  1\. 

2.  Livre  VIII,  fable  ii. 

3.  Voyez  tome  XXXIII,  page  50:>,  et  les  Mémoires  de  Marmontcl,  livre  IV. 
Voltaire  a  signé  dos  noms  de  Malllùcu  Ballot  une  do  ses  Pompionades  en  1700 
(voyez  les  On,  dans  les  l'oèsies  méli'es,  tome  .\). 

4.  Éditeurs,  de  Cayrol  et  François. 


88  COIUIESI'ONDANGE. 

100,000  francs  de  la  Saint-Jean  17G0  ù  la  Saint-Jean  1761.  En 
conscience,  je  ne  puis  faire  la  chose  ù  moins.  Que  voulez-vous, 
il  m'en  restera  assez.  Mes  nièces  sont  bien  pourvues;  nous  avons 
de  bonnes  maisons,  bien  meublées,  d'assez  grosses  rentes.  Nous 
naissons  tout  nus;  on  nous  enterre  avec  un  méchant  drap  qui  ne 
vaut  pas  quatre  sous  :  qu'avons-nous  de  mieux  à  faire  qu'à  nous 
réjouir  dans  nos  œuvres  pendant  les  deux  moments  que  nous 
rampons  sur  ce  globe  ou  globule?  Intérim  ride  et  vale. 

4362.   -    A   M.    LE   BRUN. 

Aux  Délices,  9  décembre. 

Les  dernières  lettres,  monsieur,  que  j'ai  eu  l'honneur  de  rece- 
voir de  vous  augmentent  la  satisfaction  que  j'ai  de  pouvoir  être 
utile  à  l'unique  héritière  du  grand  nom  de  Corneille.  J'ai  relu  avec 
un  nouveau  plaisir  votre  Ode,  que  vous  avez  fait  imprimer.  Ma 
Réponse  à  vos  Lettres  ne  méritait  certainement  pas  de  paraître  à 
la  suite  de  votre  Ode.  Les  lettres  qu'on  écrit  avec  simplicité,  qui 
partent  du  cœur,  et  auxquelles  l'ostentation  ne  peut  avoir  part, 
ne  sont  pas  faites  pour  le  public.  Ce  n'est  pas  pour  lui  qu'on  fait 
le  bien,  car  souvent  il  le  tourne  en  ridicule.  La  basse  littérature 
cherche  toujours  à  tout  empoisonner;  elle  ne  vit  que  de  ce 
métier.  Il  est  triste  que  votre  libraire  Duchêne  ait  mis  le  titre  de 
Genève  à  votre  Ode^,  à  votre  lettre,  et  à  ma  réponse;  il  semble- 
rait que  j'ai  eu  le  ridicule  de  faire  moi-même  imprimer  ma 
lettre.  Vous  savez  que  quand  la  main  droite  fait  quelque  bonne 
œuvre  -,  il  ne  faut  pas  qu'elle  le  dise  h  la  main  gauche. 

Je  vous  supplie  très-instamment  de  faire  ôter  ce  titre  de 
Genève.  Votre  Ode  doit  être  imprimée  hautement  à  Paris;  c'est 
dans  l'endroit  où  vous  avez  vaincu  que  vous  devez  chanter  le 
Te  Deum. 

On  n'imprime  que  trop  à  Paris  sous  le  titre  de  Genève.  On 
croit  que  j'habite  cette  ville,  on  se  trompe  beaucoup:  je  ne  dois 
d'ailleurs  habiter  que  mes  terres  ;  elles  sont  en  France,  et  le 
séjour  doit  m'en  être  d'autant  plus  agréable  que  le  roi  a  daigné 
les  gratifier  des  plus  grands  privilèges.  Ma  mauvaise  santé  m'a 
forcé  de  vivre  dans  le  voisinage  de  M.  Tronchin.  Mon  goût  et  mon 
tige  me  font  aimer  la  campagne  ;  et  ma  reconnaissance  pour  Sa 
Majesté,  qui  m'a  comblé  de  bienfaits,  me  rend  encore  plus  chère 

i.  Voyez  tome  WH',  page  lô9. 
2.  Matthieu,  vi,  3. 


ANNf.E    17G0.  89 

cette  campagne,  dans  laquelle  j'aurai  le  plaisir  de  parler  de  vous 
à  la  petite-fille  du  grand  Corneille. 

Comptez,  monsieur,  que  j'ose  me  croire  au  rang  de  vos  amis, 
indépendamment  de  la  formule  du  très-humble  et  très-obéissant 
ser\iteur. 

Voltaire. 


4363.  —  A  M.  LE  COMTE  D'ARGEMAL. 

9  décembre. 

REMONTHANCES     DE     VOLTAIRE    A    SES     A:tGES     GARDIENS. 

De  Dcliciis  clamavl  : 

\''  Mes  anges  ne  cesseront-ils  jamais  d'être  comme  Dieu,  qui 
commande  des  choses  impossibles? 

2'*  Mes  anges  me  croiront-ils  de  fer  quand  je  suis  d'argile,  et 
prendront-ils  zèle  pour  puissance  ? 

3°  Voudront-ils  de  suite  deux  pères  ^  condamnant  leurs  filles, 
et  s'en  repentant  ?  Ne  faut-il  pas  un  intervalle  entre  des  choses 
qui  ont  quelque  ressemblance? 

h"  i\e  vaut-il  pas  mieux  avoir  le  plaisir  de  donner  la  comédie 
du  sieur  Hurtaud,  jouir  de  l'incognito,  passer  du  tragique  au 
comique,  et  rire  sous  cape  de  toutes  les  sottises  du  public? 
Nota  benc  que  je  me  flatte  que  mes  anges  verront  que  le  Droit  du 
Seifjncur  ne  ressemble  en  aucune  manière  à  Nanine. 

5°  Ou  je  suis  une  bête,  ou  le  Droit  du  Seigneur  est  comique  et 
intéressant. 

6"  Je  crie  à  mes  anges  :  Trouvez  cela  comique  et  intéressant, 
vous  dis-je,  et  faites-le  jouer  adroitement. 

7°  Je  les  supplie  de  vouloir  bien  faire  envoyer  le  paquet  ci- 
joint  à  la  pauvre  aveugle  M""=  du  iJeffant.  Si  elle  a  perdu  les  yeux, 
elle  n'a  pas  perdu  sa  langue;  il  faut  consoler  les  affligés.  Je 
demande  pardon  de  la  liberté  grande-. 

8"  A  propos  de  la  liberté  grande, ci  ma  lettre^  à  M.  LcMuierrc? 

9"  Dans  peu  vous  aurez  nouvelle  offrande. 

10°  Pour  Dieu,  laissons  là  Fanime  pour  qurl(]U('  lenips. 

Il  faut  présenter  toujours  des  recjuétes  au  conseil.  Je  suis 
occupé  à  chasser  les  jésuites  d'un  terrain  qu'ils  avaient  usurpé 


i.  Aijjiro,  darT»  Tancrède,  ot  P.onassar,  dans  Fanime  (ou  Zulime) 

'_'.  Mi'moires  de  (iiammonl.  cliap.  m. 

.3    Voyez  l'avanl-dernior  alinéa  de  Ju  lettre  '»31V 


90  CORRESPONDANCIÎ. 

sur  des  orphelins  1  :  cela  est  plus  difficile  qu'une  tragédie,  mais 
j'en  viendrai  h  bout,  et  cela  sera  plaisant;  mais  il  n'y  a  pas 
moyen  de  combattre  les  jésuites,  et  de  rapetasser  Fanime;  il  faut 
choisir, 

11^  J'attends  les  feuilles^  de  Prault;  je  lui  taillerai  de  la 
besogne. 

\2°  J'attends  Bodogune^.  Je  n'avais  imploré  les  bontés  de 
M""  d'Argental,  dans  cette  affaire,  que  pour  lui  témoigner  mon 
respect,  et  pour  mettre  Bodogune  sous  une  protection  plus  hon- 
nête que  celle  de  M.  Le  Brun,  quoique  M.  Le  Brun  soit  fort  hon- 
nête. Je  remercie  tendrement  M.  comme  M""=  d'Argental  de  toutes 
leurs  bontés  pour  Bodogune, 

13°  Qui  est  l'auteur  du  Savetier  du  coin?  Il  pense  bien,  mais 
il  est  trop  savetier.  Qui  a  fait  l'Homme  de  lettres?  Il  écrit  mieux, 
mais  cela  n'est  pas  piquant. 

14°  Voici  le  gros  article.  Je  iraime  point  cette  ophthalmie; 
les  maux  des  yeux  sont  sérieux.  Soyez  bien  sage,  mon  cher  ange, 
que  j'aime  comme  mes  yeux  ;  rafraîchissez-vous,  couchez-vous 
de  bonne  heure;  ayez  peu  d'affaires;  tenez-vous  gai  surtout: 
c'est  le  remède  universel. 

Je  baise  le  bout  de  vos  ailes. 

43Gi.  —  A  MADAME   LA  MARQUISE  DU  DEFFANT. 

0  décembre. 

II  y  a  plus  de  six  semaines,  madame,  que  je  n'ai  pu  jouir 
d'un  moment  de  loisir  :  cela  est  ridicule,  et  n'en  est  pas  moins 
vrai.  Comme  vous  ne  vous  accommodez  pas  que  je  vous  écrive 
simplement  pour  écrire,  j'ai  l'honneur  de  vous  dépêcher  deux 
petits  manuscrits  qui  me  sont  tombés  entre  les  mains.  L'un  me 
paraît  merveilleusement  philosophique  et  moral  ;  il  doit  par 
conséquent  être  au  goût  de  peu  de  gens;  l'autre^  est  une  plai- 
sante découverte  que  j'ai  faite  dans  mon  ami  Ézéchiel. 


i.  MM.  de  Crassy. 

2.  Celles  de  la  tragédie  de  Tancrède,  que  Prault  imprimait. 

3.  M"---  Corneille;  voyez  la  lettre  4360. 

4.  Cet  autre  petit  manuscrit  était  très-probablement  celui  de  l'article  Ézéciiiei. 
du  Dictionnaire  philosophique.  Cet  article  parut,  en  l7Gi,  dans  la  première 
édition  du  même  ouvrage,  que  Voltaire  appelle  Dictionnaire  d'idées  dans  sa 
lettre  à  M'"'=  du  Dcflant  du  18  février  1760.  Le  déjeuner  d'Ézéchiel  ne  ragoùta 
guère  la  marquise;  voyez  à  ce  sujet  la  lettre  que  Voltaire  lui  écrivit  le  15  jan- 
vier 1761.  (Cl.) 


ANNÉE    1760.  91 

On  ne  lit  point  assez  Ézéchiel.  J'en  recommande  la  lecture 
tant  que  je  peux  ;  c'est  un  homme  inimitable.  Je  ne  demande  pas 
que  ces  rogatons  vous  divertissent  autant  que  moi,  mais  je  vou- 
drais qu'ils  vous  amusassent  un  quart  d'heure. 

J'ai  tenu  bon  contre  M.  d'Argental.  Il  aurait  beau  me  démon- 
trer la  beauté  d'un  échafaud,  j'aime  fort  le  spectacle,  l'appareil, 
toutes  les  pompes  du  démon  ;  mais  pour  la  potence,  je  suis  son 
serviteur.  Je  le  renvoie  à  Despréaux  : 

Mais  il  est  dos  objets  que  fart  judicieux 
Doit  offrir  à  l'oreille,  et  reculer  des  yeux'. 

D'ailleurs  je  suis  fâché  contre  les  Anglais.  Non-seulement  ils 
m'ont  pris  Pondichéry,  ci  ce  que  je  crois  ^  mais  ils  viennent 
d'imprimer  que  leur  Shakespeare,  madame,  est  infiniment  au- 
dessus  de  (jillcs. 

Figurez-vous,  madame,  que  la  tragédie  de  Richard  Ilf,  qu'ils 
comparent  à  China,  tient  neuf  années  pour  l'unité  de  temps,  une 
douzaine  de  villes  et  de  champs  de  bataille  pour  l'unité  de  lieu, 
et  trente-sept  événements  principaux  pour  unité  d'action  ;  mais 
c'est  une  bagatelle. 

Au  premier  acte,  Richard  dit  qu'il  est  bossu  et  puant,  et  que, 
pour  se  venger  de  la  nature,  il  va  se  mettre  à  être  un  liypocrite  et 
un  coquin.  En  disant  ces  belles  choses,  il  voit  passer  un  enterre- 
ment (  c'est  celui  du  roi  Henri  VI)  ;  il  arrête  la  bière  et  la  veuve  \ 
qui  conduit  le  convoi.  La  veuve  jette  les  hauts  cris;  elle  lui 
reproche  d'avoir  tué  son  mari.  Richard  lui  répond  qu'il  en  est 
fort  aise,  parce  qu'il  pourra  plus  commodément  coucher  avec 
elle.  La  reine  lui  crache  au  visage;  Richard  la  remercie,  et  pré- 
tend que  rien  n'est  si  doux  que  son  crachat.  La  reine  l'appelle 
crapaud  :  «  Vilain  crapaud,  je  voudrais  que  mon  crachat  fût  du 
poison.  —  Eh  bien!  madame,  tuez-moi  si  vous  voulez;  voilà  mon 
épée.  »  Elle  la  prend  :  «  Va,  je  n'ai  pas  le  courage  de  te  tuer  moi- 
même...  Non,  ne  te  tue  pas,  puisque  tu  m'as  trouvée  jolie.  »  Elle 
va  enterrer  son  mari,  et  les  deux  amants  ne  parlent  i)lus  que 
d'amour  dans  le  reste  de  la  pièce. 


1.  Ces  vers  du  chant  III  ilc  l'Ail  poeliqite  sont  citôs  plus  haut  dans  la  j-ttrc 
i2'J7. 

2.  Voltaire  avait  prédit  depuis  lonL,'teinps  la  i)risc  de  cette  ville,  rciuisc  aux 
Anglais  par  Lally,  le  IG  janvier  17(1!. 

3.  C'est  iady  Anne,  vcuvo  du  prince  Edouard,  fils  de  lluiiri  M. 


92  CORRESPONDANCE. 

N'cst-il  pas  vrai  que  si  nos  porteurs  d'eau  faisaient  des  pièces 
de  UiéAtre,  ils  les  feraient  plus  lionnêtes  ? 

Je  vous  conte  tout  cela,  madame,  parce  que  j'en  suis  plein. 
N'est-il  pas  triste  que  le  même  pays  qui  a  prodit  Newton  ait  pro- 
duit ces  monstres,  et  qu'il  les  admire? 

Portez -vous  bien,  madame;  tAchez  d'avoir  du  plaisir  :  la 
chose  n'est  pas  aisée,  mais  n'est  pas  impossible. 

Mille  respects  de  tout  mon  cœur. 

43G5.    —  A   M.    JOLY    DE    FLEUR  Y', 

INTENDANT     DE    BOURGOGNE. 

Aii.v  Délices,  près  de  Genève,  10  décembre  17C0. 

Monsieur,  j'ai  l'honneur  de  vous  envoyer  la  lettre  de  M.  de 
Courteilles,  et  ma  déclaration  en  forme  de  requête  en  consé- 
quence de  sa  lettre. 

Je  ne  puis  mieux  m'adresser,  monsieur,  pour  engager  M.  le 
président  de  Brosses  h  signer  au  bas  de  ma  requête  qu'il  se  désiste 
comme  moi  de  la  haute  justice  ci-devant  contestée.  C'est  à  vous, 
monsieur,  c'est  à  votre  équité  que  je  dois  la  justice  que  le  conseil 
m'a  rendue 2. 

Permettez  que  je  joigne  à  ce  paquet  une  autre  requête  plus 
importante. 

J'ai  l'honneur  d'être  avec  bien  du  respect  et  de  la  reconnais- 
sance ^  monsieur,  votre  très-humble  et  très-obéissant  serviteur. 

Voltaire. 

SoufTrirez-vous  que  M.  et  M'"*'  du  But  trouvent  ici  les  assu- 
rances de  mes  obéissances  très-humbles? 


436G.   —   AU  ROI,   EN  SON  CONSEIL  4. 

Sire,  François  de  Voltaire,  gentilhomme  ordinaire  de  votre 
chambre,  possesseur  actuel  des  terres  de  Tournay,  Prégny  et 


1.  Éditeur,  H.  Beaune. 

2.  On  voit  que  Voltaire  avait  en  partie  obtenu  grain  de  cause  au  conseil.  Un 
arrêt  de  cette  juridiction  avait  en  effet  enjoint  au  président  de  Brosses  de  justifier 
de  ses  droits  à  la  justice  de  la  Perrière. 

3.  Ce  dernier  mot  a  été  ajouté  sur  l'original  avec  une  autre  plume. 

4.  Éditeur,  H,  Beaune. 


ANNÉE    17  GO.  93 

Chambézy,  pays  de  Gex,  dans  votre  province  de  Bourgogne,  repré- 
sente très-humbleraent  à  Votre  Majesté  qu'une  rixe  étant  survenue 
au  lieu  nommé  la  Perrière,  près  de  Prégny,  au  mois  d'août  1758, 
un  nommé  Pancliaud  fut  condamné  par  la  justice  ordinaire  au 
bannissement  et  à  l'amende  de  cent  livres  envers  le  seigneur  de 
Tournay  et  Prégny,  comme  si  ce  lieu  de  la  Perrière  dépendait 
de  la  baute  justice  de  Prégny  ;  mais  ayant  été  prouvé  que  ce  lieu 
dépend  uniquement  de  N  otre  Majesté,  et  les  preuves  en  ayant  été 
administrées  à  votre  conseil,  ledit  François  de  Voltaire  déclare 
bumblement  qu'il  ne  doit  point  recevoir  l'amende  de  cent  livres 
adjugée  à  son  profit,  laquelle  appartient  à  Votre  Majesté. 

11  joint  à  sa  déclaration  sa  très-bumble  requête  (ju'ii  plaise 
à  Votre  Majesté  et  à  son  conseil  la  {sic)  décbarger  des  frais  du 
procès  fait  au  nommé  Pancliaud. 

Voltaire. 

4367,  —  A    M.    IIEROX. 

Au\  Délices,  10  décembre. 

Monsieur,  j'obéis  à  vos  ordres  avec  autant  de  reconnaissance 
que  de  joie.  J'ai  l'honneur  de  vous  envoyer  ma  requête  contenant 
ma  déclaration  que  je  renonce  à  la  baute  justice  de  la  Perrière, 
qu'elle  appartient  au  roi,  et  que  l'amende  prononcée  en  ma 
faveur  ne  m'appartient  pas. 

J'envoie  un  double  de  ma  roquêlc  à  monsieur  l'intendant  de 
Bourgogne,  et  je  le  supplie  de  vouloir  bien  exiger  que  M.  le  pré- 
sident de  Brosses  signe  ce  double,  comme  il  le  doit. 

Si  M.  de  Brosses  fait  qucl([ues  difticultés,  j'aurai  toujours 
rempli  mon  devoir.  Vous  avez  dû  recevoir,  monsieur,  mon  autre 
requête  contre  la  peste  ^  ;  je  vous  importune  bcaucouj).  Il  semble 
que  j'aie  des  affaires  exprès  pour  avoir  des  occasions  de  vous 
renouveler  les  marques  de  ma  reconnaissance,  et  du  respect 
avec  lequel  j'ai  riiuniieur  d'êlre,  monsieur,  etc. 

\  OLTAlllE. 

4308.   —   A   M.    nUPO.NT. 

10  décembre. 

Si  VOUS  aviez  été  cwichs,  mon  cliei-  ami,  vous  seriez  venu  dans 
mes  beaux  ermitages;  je  vous  y  aurais  possédé;  vous  auriez  eu 


1.  Voyez  plus  hauL  lu  lettre  lit.M 


yi  CORlUiSPONDANCK. 

la  comédie,  et  bien  jouée,  et  des  pièces  nouvelles  ;  vous  auriez 
chassé,  vous  auriez  vu  frère  Adam  S  qui  est  redevenu  tout  jésuite  ; 
mais  vous  êtes  sponsus  et  paterfamilias.  Je  ne  vous  plains  point, 
parce  que  vous  avez  une  femme  et  des  enfants  aimables  ;  mais  je 
me  plains,  moi,  d'être  toujours  loin  de  vous.  Nous  ne  vous  oublions 
ni  aux  Délices  ni  à  Ferney;  nous  faisons  souvent  commémo- 
ration de  vous,  M'"«  Denis  et  moi.  Savez-vous  Lien  que,  dans  mes 
retraites,  je  n'ai  pas  un  moment  de  loisir;  qu'il  a  fallu  toujours 
bùtir,  planter,  écrire,  faire  des  pièces,  des  théâtres,  des  acteurs? 
Tenez,  voilà  les  Facéties  pour  vous  amuser,  et  Pierre  le  Grand  pour 
vous  ennuyer.  Yak,  aniice. 

43GD.  —   A   M.   IIELVÉTIUS. 

12  décembre. 

Mon  cher  philosophe,  il  y  a  longtemps  que  je  voulais  vous 
écrire.  La  chose  qui  me  manque  le  plus,  c'est  le  loisir  ;  vous  sa- 
vez que  ce 

• La  Serre 

Volume  sur  volume  incessamment  desserre  -. 

J'ai  eu  beaucoup  de  hesogne.  Vous  êtes  un  grand  seigneur  qui 
aflermez  vos  terres  ;  moi,  je  lahoure  moi-même,  comme  Cincin- 
natus:  de  façon  que  j'ai  rarement  un  moment  à  moi. 

J'ai  lu  une  héroïde  d'un  disciple  de  Socrate  ^  dans  laquelle 
j'ai  vu  des  vers  admirables.  J'en  fais  mon  compliment  à  l'auteur, 
sans  le  nommer.  La  pièce  est  un  peu  raide.  Bernard  de  Fonte- 
nelle  n'eût  jamais  ni  osé  ni  pu  en  faire  autant.  Le  parti  des  sages 
ne  laisse  pas  d'être  considérahle  et  assez  fier.  Je  vous  le  répète, 
mes  frères,  si  vous  vous  tenez  tous  par  la  main,  vous  donnerez  la 
loi.  Rien  n'est  plus  méprisable  que  ceux  qui  vous  jugent  ;  vous 
ne  devez  voir  que  vos  disciples. 

Si  vous  avez  reçu  un  Pierre,  ce  n'est  pas  Simon  Barjone  ;  ce 
n'est  pas  non  plus  le  Pierre  russe  que  je  vous  avais  dépêché  par 
la  poste  ;  ce  doit  être  un  Pierre  en  feuilles  que  Rohin-mou^ou 
devait  vous  remettre.  Je  vous  en  ai  envoyé  deux  reliés,  un  pour 

1.  Voyez  la  note,  tome  XXVII,  page  408. 

2.  Ce  vers  est  le  vingtième  de  la  parodie  connue  sous  le  titre  de  Chapelain 
décoiffé,  attribuée  à  Boileau. 

3.  Un  disciple  de  Socrate  aux  Athéniens,  héroïde;  à  Athènes,  Olymp.  xcv, 
an  I,  in-S"  de  seize  pages.  On  a  attribué  cet  ouvrage  à  Voltaire.  Barbier  dit  qu'il 
est  de  Marmontci;  mais  il  n'est  dans  aucune  édition  de  ses  OEuvres.  (B.) 


ANNti:     I7G0.  93 

TOUS,  et  Tautro  i)our  M.  Saurin.  11  a  [)Ili  à  messieurs  les  inten- 
dants des  postes  de  se  départir  des  courtoisies  qu'ils  avaient  ci- 
devant  pour  moi;  ils  ont  prétendu  qu'on  ne  devait  envoyer 
aucun  livre  relié.  Douze  exemplaires  ont  été  perdus:  c'est  l'antre 
du  lion. 

De  quelles  tracasseries  me  parlez -vous?  Je  n'en  ai  essuyé  ni 
pu  essuyer  aucune.  Est-ce  de  frère  Menoux?  Ah!  rassurez-vous  ; 
les  jésuites  ne  peuvent  me  faire  de  mal  ;  c'est  moi  qui  ai  l'hon- 
neur de  leur  en  faire.  Je  m'occupe  actuellement  à  déposséder 
les  frères  jésuites  d'un  domaine  qu'ils  ont  acquis  auprès  de 
mon  château.  Ils  l'avaient  usurpé  sur  des  orphelins,  et  avaient 
obtenu  lettres  royaux  pour  avoir  permission  de  garder  la  vigne  de 
Naboth^  Je  les  fais  déguerpir,  mort-dieu  !  Je  leur  fais  rendre 
gorge,  et  la  Providence  me  bénit.  Je  n'ai  jamais  eu  un  plaisir 
plus  pur.  Je  suis  un  peu  le  maître  chez  moi,  par  parenthèse. 

Vous  ai-je  dit  que  le  frère  et  le  fils  d'Omer  sont  venus  chez 
moi,  et  comme  ils  ont  été  reçus?  Vous  ai-je  dit  que  j'ai  envoyé 
Pierre  au  roi,  et  qu'il  l'a  mieux  reçu*  que  le  Discours  et  le 
Mémoire  de  Lefranc  de  Pompignan?  Vous  ai-je  dit  que  M""=  de 
Pompadour  et  M.  le  duc  de  Choiseul  m'honorent  d'une  protec- 
tion très-marquée?  Croyez-moi,  mes  frères,  notre  petite  école  de 
l)hilosophes  n'est  pas  si  déchirée.  Il  est  vrai  que  nous  ne  sommes 
ni  jésuites  ni  convulsionnaires,  mais  nous  aimons  le  roi,  sans 
vouloir  être  ses  tuteurs  ^  et  l'État,  sans  vouloir  le  gouverner. 

Il  peut  savoir  qu'il  n'a  point  de  sujets  plus  fidèles  que  nous, 
ni  de  plus  capables  de  faire  sentir  le  ridicule  des  cuistres  qui 
voudraient  renouveler  les  temps  de  la  Fronde. 

K'avez-vous  pas  bien  ri  du  voyage  de  Pompignan  à  la  cour 
avec  Fréron  ?  et  de  l'apostrophe  de  monsieur  le  dauphin  : 

Kl  l'ami  l'ompignan  pense  ôtro  quoique  chose'  ? 

^  oilù  à  quoi  les  vers  sont  bons  quelquefois  ;  on  les  cite,  comme 
vous  voyez,  dans  les  grandes  occasions. 

J'ai  vu  un  Oracle^  des  anciens  fulclcs  ;  cela  est  hardi,  adroit,  et 
savant.  Je  soupçonne  l'abbé  Mords-les  d'avoir  rendu  ce  petit  ser- 
vice. 


1.  Les  liais,  liv.  III,  chap.  xxi. 

2.  Voyez  paj;*'  (>•'. 

3.  CV'tuil  la  protention  du  parlement. 
\.  Voyez  la  lettre  4360. 

0.  N'oyez  ibid. 


96  CORRliSPONDANCE. 

Dieu  VOUS  conserve  dans  la  sainte  union  avec  le  petit  nombre! 
Frappez,  et  ne  vous  commettez  pas.  Aimons  toujours  le  roi,  el 
délestons  les  fanatiques. 

4;370.  —  A  M.   DESPRKZ  DE   CRASSY,   L'AINÉ, 

A     CItASSY   '. 

Monsieur,  si  vous  avez  été  malade,  je  le  suis  encore  ;  mais 
la  ditrérence  de  vous  à  moi,  c'est  que  la  vieillesse  rend  mes 
maux  incurables;  ils  sont  bien  soulagés  parle  plaisir  que  me 
donne  le  gain  de  votre  procès.  Je  voudrais  être  en  état  de  vous 
donner  des  preuves  du  respectueux  attachement  avec  lequel  j'ai 
riionneur  d'être,  monsieur,  votre  très-humble  et  très-obéissant 
serviteur. 

Voltaire. 

437].  —  A   M.   LE   COMTE   D'ARGEiXTAL. 

15  décembre. 

Voilà  la  véritable  leçon,  mes  divins  anges.  Voyez  combien  il 
est  difficile  d'arriver  au  but;  combien  ce  maudit  art  desvers  est 
difficile;  quel  tort  irréparable  on  me  ferait  si  on  imprimait  Tan- 
cr'ede  sans  que  je  l'eusse  corrigé.  Mes  anges,  vous  m'avez  embar- 
qué; empêchez  que  je  ne  fasse  naufrage.  Commeutvont  les  deux 
yeux  démon  ange  gardien  ?  ont-ils  lu  Calisie?  Ah,  mésanges! 
j'ai  bien  peur  qu'on  ne  corrompe  entièrement  la  tragédie  par 
toutes  ces  pantomimes  de  M""  Clairon,  Croyez-moi,  une  chambre 
tapissée  de  noir  ne  vaut  pas  des  vers  bien  faits  et  bien  tendres. 
Il  n'y  a  que  les  convulsionnaires^  qui  se  roulent  par  terre.  J'ai 
crié  quarante  ans  pour  avoir  du  spectacle,  de  l'appareil,  de 
l'action  tragique  ;  mais  domandavo  acqua,  non  tcmpestà. 

El  puis,  comment  le  public  français  peut-il  adopter  la  barbarie 
anglaise,  le  viol  anglais  ^  la  confusion  anglaise,  la  marche  an- 
glaise d'une  pièce  anglaise  !  Pauvres  Français,  vous  êtes  dans  la 
fange  de  toutes  façons,  et  j'en  suis  fâché, 

0  mes  anges!  ramenez  donc  le  bon  goût. 

1.  Billet  inédit  communiqué  par  M.  Armand  Gasté,  maître  de  conférences  à  la 
Faculté  des  lettres  de  Caen.  La  signature  est  seule  autographe.  Le  billet  est  do 
la  main  d'un  secrétaire.  L'adiesse  est  à  monsieur  de  Prez  de  Crassier,  l'aîné,  à 
Crassier. 

2.  En  17.j9  et  en  1760,  les  convulsionnai/ es  se  crucifiaient  et  se  donnaient 
encore  des  coups  de  bûche.  La  Correspondance  littéraire  de  Grimm,  15  avril  1761, 
contient  des  renseignements  curieux  sur  leurs  miracles. 

3.  Voyez  plus  haut  le  second  alinéa  de  la  lettre  43i6. 


ANNEE    17  60.  97 

4372.   —  .V  M.   PRAULT   FIL.S'. 

Aux  Délices... 

Aa  reste,  je  n'ai  jamais  mis  mon  nom  à  aucun  de  mes 

ouvrages.  Je  ne  le  mets  pas  même  à  la  fin  de  mou  épître  à 
M""  de  Pompadour.  On  sait  assez  que  Tancrkle  est  de  moi. 

J'ajoute  encore  que  le  manuscrit  que  je  viens  deuvoyer  à 
M.  d'Argcntal  est  chargé  de  notes  marginales  instructives  qui 
contribueront  à  votre  débit. 


i:J73.   —  A  M.  TlIltniOT  2. 

l.j  décembre. 

Il  y  a  longtemps  que  l'ami  Tliicriot  voulait  avoir  un  des 
chants  ûclu  Puccllc,  ouvrage  que  personne  ne  connaît,  et  dont  il 
n'a  jamais  paru  que  dos  fragments  altérés.  Voici  un  chant  que 
j'ai  retrouvé  ;  c'est  le  dernier  :  ce  n'est  pas  le  plus  gai  ;  mais  j'en- 
voie ce  que  je  trouve  dans  mes  papej-asses.  Si  cela  peut  amuser 
M.  Damilaville  et  M.  Tliicriot,  l'auteur  joyeux  en  sera  plus  joyeux. 

L'ami  Thieriot  pourra  divertir  beaucoup  l'ami  Protagoras,  eu 
lui  disant  que  j'ai  chassé  les  jésuites  d'un  domaine  considérable 
qu'ils  avaient  près  de  mon  château.  Ils  l'avaient  usurpé  sur  de 
pauvres  gentilshommes,  mes  voisins,  dont  j'ai  pris  hautement  la 
cause  :  les  jésuites  se  sont  soumis;  cela  ne  leur  était  jamais  ar- 
rivé. La  province  me  bénit,  et  moi  je  bénis  Dieu. 

437 i.  —  A   M.   DE    liRE.NLES. 

Aux  Délices,  16  déoembre. 

Vous  souvenez-vous  de  moi  ?  Pour  moi,  je  vous  aimerai  tou- 
jours, quoiqiieje  ne  sois  plus  Suisse.  Voici,  mon  cher  monsieur, 
de  quoi  il  est  question.  Vous  savez  que  j'ai  acheté  des  terres  en 
France  pour  être  plus  libre  ;  une  descendante  du  grand  Corneille 
vient  dansces  terres;  vous  serez  peut-être  surpris  qu'une  nièce  de 
lîodogune  sache  à  peine  lire  et  écrire  ;  mais  son  père,  malheu- 
reusement réduit  à  l'état  le  plus  indigent,  et,  plus  malheureuse- 
ment encore,  al)andonné  de  Fonteiielle,  n'avait  pas  eu  de  quoi 
donner  à  sa  tille  les  comincnceiiienls  de  la  plus  mince  éduca- 

1.  Ivditcurs,  de  Cayrol  et  Fram.oi'S. 

2.  Éditeur-*,  de  Cayrol  et  François. 

VI.  —  ConnKbPo.NUANCi:.  IX.  7 


98  CORRESPONDANCE. 

tion.  On  m'a  recommandé  cette  infortunée  ;  j'ai  cru  qu'il  conve- 
nait h  un  soldai  de  nourrir  la  tille  de  son  général.  Elle  arrive 
chez  moi  ;  elle  a  appris  un  peu  à  lire  et  à  écrire  d'elle-même  ; 
on  la  dit  aimable  ;  je  me  ferai  un  plaisir  de  lui  servir  de  père, 
et  de  contribuer  à  son  éducation,  qu'elle  seule  a  commencée.  Si 
vous  connaissez  quelque  pauvre  lionmie  qui  sache  lire,  écrire, 
et  ([ui  puisse  même  avoir  une  teinture  de  géographie  et  d'his- 
toire, qui  soit  du  moins  capable  de  l'apprendre,  et  d'enseigner 
le  lendemain  ce  qu'il  aura  appris  la  veille,  nous  le  logerons, 
chauiïerons,  blanchirons,  nourrirons,  abreuverons,  et  payerons, 
mais  payerons  très-médiocrement,  car  je  me  suis  ruiné  à  bâtir 
des  châteaux,  des  églises,  et  des  théâtres.  Voyez,  avez-vous 
quelque  pauvre  ami?  vous  m'avez  déjà  donné  un  Corbo  dont  je 
suis  fort  content.  Ses  gages  sont  médiocres,  mais  il  est  très-bien 
dans  le  château  deTournay  ;  son  frère  n'est  pas  mieux  dans  celui 
de  Ferney.  Notre  savant  pourrait  avoir  les  mêmes  appointements. 
Décidez  ;  bonsoir  ;  mille  compliments  à  madame  votre  femme. 
Ètes-YOUS  enfin  un  père  heureux  ?  Valc,  amice.  V. 

4375.  —  A  M.  LE    COMTE  D'ARGEMAL. 

IG  décembre. 

Je  vous  excède  encore  ;  Rodogune*  est  à  Lyon,  chez  Tronchin, 
entre  quatre  garçons.  On  la  présentera  probablement  à  M""=  de 
Groléc^  qui  ne  manquera  pas  de  lui  manier  les  tétons,  selon  sa 
louable  coutume  :  c'est  un  honneur  qu'elle  fait  à  toutes  les  filles 
et  femmes  qu'on  lui  présente.  Est-il  vrai  que  l'abbé  de  Latour-du- 
Pin  '  avait  grande  envie  de  rompre  ce  voyage?  Il  m'est  très-im- 
portant de  savoir  ce  qui  en  est.  Dites-moi,  je  vous  prie,  madame, 
tout  ce  que  vous  savez  de  cette  aventure  de  roman. 

Je  reviens  au  roman  de  Tancrède.ie  vous  conjure,  mes  anges, 
encore  une  fois,  de  bien  recommander  à  Prault  de  suivre  exacte- 
ment la  leçon  que  je  lui  envoie,  et  de  n'y  pas  changer  une  vir- 
gule. C'est  le  placet  de  Caritidès;  on  n'en  peut  rien  retrancher  K 
Nous  venons  déjouer,  ma  nièce  et  moi,  la  scène  du  père  et  de  la 
lille,  au  second  acte  ; 


1.  M"^  Corneille. 

2.  Tante  de  d'Argental. 

3.  11  aoUicilait  une  lettre  de  cachet  pour  faire  enlever  M"'=  Corneille  de  Fer- 
ney ;  voyez  une  note  sur  la  lettre  4320. 

4.  Molière,  les  Fâcheux,  acte  III,  scène  ii. 


ANNtE    1760.  99 

Qu'entends-jo  ?  vous,  mon  pcrel 
—  Moi,  ton  père!...  est-ce  à  toi  de  prononcer  ce  nom? 

(Scùns  II.) 

Vous  pouvez  ^tre  convaincus  que  cela  jette  dans  l'acte  un  atten- 
drissement, un  intérêt  qui  manquait.  Cet  acte,  qui  paraissait 
froid,  doit  être  brûlant,  s'il  est  bien  joué. 

A  propos  de  froid,  c'est  un  secret  silr,  pour  faire  de  la  glace, 
que  de  placer  des  détails  liistoriques  au  milieu  de  la  passion,  à 
moins  que  ces  détails  ne  soient  récbaullés  par  quelques  inter- 
jections, par  des  retours  sur  soi-même,  par  des  figures  qui  ra- 
niment la  langueur  historique. 

Mais,  craignant  do  lui  nuire  en  cherchant  h  le  voir, 
Il  crut  que  m'avcrtir  était  son  seul  devoir  '. 

Ces  deux  vers  ralentissent.  Je  raisonne  poésie  avec  mes  anges, 
je  disserte  ;  ils  me  le  pardonnent. 

Non-seulement  ces  détails  sont  froids,  mais  le  spectateur  est 
en  droit  de  dire  :  En  quoi  donc  cet  esclave  craignait-il  de  nuire 
à  Tancrède?  pourquoi,  étant  dans  son  camp,  n'a-t-il  pas  cherché 
à  le  voir?  il  devait,  sans  doute,  tout  faire  pour  approcher  de 
Tancrède.  Il  serait  difficile  de  répondre  à  cette  critique. 

Ne  vaut-il  pas  mieux  supposer,  en  général,  que  mille  obstacles 
ont  empêché  l'esclave  d'aller  jusqu'à  Tancrède?  Aménaïde,  en  se 
plaignant  de  ces  obstacles  et  de  la  destinée  qui  lui  a  toujours 
été  contraire,  en  faisant  parler  ses  douleurs,  en  se  livrant  à  l'es- 
pérance, intéresse  bien  davantage;  tout  devient  plus  naturel  et 
plus  animé.  Enfin  je  resupplie,  je  reconjure  à  genoux  M.  et 
M'"*  d'Argental  de  s'en  tenir  à  mon  dernier  mot.  J'ose  espérer  que 
la  reprise  sera  favorable  ;  mais  que  mes  anges  se  niettent  à  la 
tête  du  parti  raisonnable,  qui  n'est  ni  pour  les  tragédies  à  ma- 
rionnettes ni  pour  les  tragédies  à  conversations  ;  qu'ils  sou- 
tiennent rigoureusement  le  grand  et  véritable  genre,  celui  du 
cinquième  acte  de  Roclogune,  iVAilialie,  et  peut-être  du  quatrième 
acte  de  Mahomet,  du  troisième  de  Tancrhle,  de  Scmiramis,  etc. 

Vous  devez  avoir  un  chant  de  la  Puccllc;  il  n'est  pas  correct 
malheureusement;  le  meilleur  y  nuuKiue.  Vous  avez  Acanthe*. 
Oh,  pardieu  1  que  manquc-l-il  à  Acanthe?  nous  sommes  fous 


1.  Voyez  tome  V,  pa^e  50  i, 

2.  C'est  le  nom  d'un  pcrbounagc  du  Droit  du  Seigneur. 


1(0  COUUESl'ONDANCE. 

d'AcantliC  ;  que  vous  êtes  à  plaindre,  si  Acanthe  ne  vous  plaît 
pas  ! 

l'ardon;  voici  une  réponse  pour  Lekain;  vous  m'enverrez 
l)ronK'ni'r. 

4310.  —  A   M.  LEKAIX. 

IG  décembre. 

Je  n'ai  voulu  vous  répondre,  mon  cher  Roscius,  que  quand 
j'aurais  vu  enfin  toute  celte  confusion  dans  les  rôles  de  Tancrhde 
un  peu  déhrouillée,  quand  vous  seriez  déharrassés  de  la  Belle 
Pcnitente,  et  quand  vous  seriez  prêts  à  reprendre  Tancrhde. 

Gn\ce  aux  bontés  de  M.  et  M""^  d'Argcntal,  tout  est  en  ordre; 
et  si  la  pièce  reste  au  théùtre,  ce  sera  uniquement  à  leur  bon  goût 
et  à  leurs  attentions  infatigables  qu'on  en  aura  l'obligation.  Je 
vous  prie  de  vouloir  bien  vous  conformer  entièrement,  dans  la 
représentation,  à  l'édition  de  Prauit.  Rien  n'est  plus  ridicule  que 
de  voir  jouer  d'une  façon  ce  qui  est  imprimé  d'une  autre.  Il  ne 
faut  jamais  sacrifier  l'élocution  et  le  style  à  l'appareil  et  aux 
attitudes.  L'intérêt  doit  être  dans  les  choses  qu'on  dit,  et  non  pas 
dans  de  vaines  décorations.  L'appareil,  la  pompe,  la  position  des 
acteurs,  le  jeu  muet,  sont  nécessaires;  mais  c'est  ([uand  il  en  ré- 
sulte quelque  beauté,  c'est  quand  toutes  ces  choses  ensemble 
redoublent  le  nœud  et  l'intérêt.  Un  tombeau,  une  chambre  ten- 
due de  noir,  une  potence,  une  échelle,  des  personnages  qui  se 
battent  sur  la  scène,  des  corps  morts  qu'on  enlève,  tout  cela  est 
fort  bon  à  montrer  sur  le  Pont-Neuf,  avec  la  rareté,  la  curiosité. 
Mais  quand  ces  sublimes  marionnettes  ne  sont  pas  essentielle- 
ment liées  au  sujet,  quand  on  les  fait  venir  hors  de  propos,  et 
uniquement  pour  divertir  les  garçons  perruquiers  qui  sont  dans 
le  parterre,  on  court  un  peu  de  risque  d'avilir  la  scène  française, 
et  de  ne  ressembler  aux  barbares  Anglais  que  par  leur  mauvais 
côté.  Ces  farces  monstrueuses  amuseront  pendant  quelque  temps, 
et  ne  feront  d'autre  effet  que  de  dégoûter  le  public  de  ces  nou- 
veaux spectacles  et  des  anciens. 

Je  vous  exhorte  donc,  mon  cher  ami,  de  ne  soufl'rir  d'appareil 
au  théâtre  que  celui  qui  est  noble,  décent,  nécessaire. 

Pour  ce  qui  est  de  Tancrcde,\Q  crois  que,  d'abord,  vos  cama- 
rades doivent  conformer  leur  rôle  à  l'imprimé  ;  qu'ensuite  ils 
doivent  en  faire  une  répétition,  parce  qu'il  y  a  environ  deux 
cents  vers  dilférentsde  ceux  qu'on  a  récités  aux  premières  repré- 
sentations. Je  crois  même  qu'il  y  en  a  beaucoup  plus  de  deux 
cents;  je  crois  encore  que  vous  devez  donner  deux  représenta- 


ANNKli:     I7(i0.  101 

lions  avant  que  Prault  mette  son  édition  en  vente.  Si  la  pièce 
réussit,  illa vendra  beaucoup  mieux  quand  ces  deux  représenta- 
tions l'auront  fait  valoir,  et  lui  auront  donné  un  nouveau  prix. 
Je  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur,  et  je  vous  prie  de  me 
donner  de  vos  nouvelles  et  des  miennes. 


4377.  —  A    M.    LE    COMTE    D'AUGE  MAL. 

16  décembre  au  soir. 

Je  reçois  le  paquet  de  mes  anges  à  six  heures  du  soir;  je  le 
renvoie  à  huit.  Il  partira  demain  avec  mes  remerciements,  qui 
doivent  être  fort  longs,  et  avec  ma  courte  honte  d'avoir  coûté 
tant  de  peines  à  ceux  à  qui  je  ne  peux  faire  beaucoup  de  plaisir. 
Vous  devez  être  regoulés  de  Tanaide;  il  n'y  a  que  votre  jjonté 
qui  vous  soutienne.  On  n'a  jamais  fait  pour  un  pauvre  diable 
d'auteur  ce  que  vous  avez  daigné  faire  pour  moi.  Je  crois  enfin 
cette  pièce  un  peu  mieux  arrondie  que  quand  je  la  fis  si  à  la 
hâte*  ;  je  la  crois  même  plus  touchante,  et  c'est  là  le  principal. 
Avec  des  vers  bien  faits,  bien  compassés,  on  ne  tient  rien  si  le 
cœur  n'est  ému. 

J'avais  bien  raison  de  vouloir  revoir  l'édition  de  Prault.  Dai- 
gnez jeter  les  yeux  sur  la  pièce,  et  vous  verrez  que  j'ai  fait  toutes 
les  corrections  indispensables.  Son  édition  était  ridicule  et  ab- 
surde. Prault  aura  un  peu  à  remanier,  c'est  le  terme  de  l'art; 
mais  c'est  une  peine  et  une  dépense  très-médiocres.  Il  a  très- 
grand  tort  de  craindre  que  l'édition  des  Cramer  ne  croise  la 
sienne.  Les  Cramer  n'ont  point  commencé  ;  ils  n'ont  point  l'ou- 
vrage, et  ils  ne  l'imprimeront  que  pour  les  pays  étrangers.  D'ail- 
leurs j'enverrai  incessamment  au  petit  Prault  un  ouvrage-  sur 
les  théâtres  que  je  crois  assez  neuf  et  assez  intéressant.  Le  zèle 
de  la  patrie  m'a  saisi  ;  j'ai  été  indigné  d'une  brochure  anglaise 
dans  laquelle  on  préfère  hautement  Shakespeare  à  Cornoiih'.  J'ai 
voulu  venger  l'oncle,  en  ayant  chez  moi  la  nièce.  J'amuserai 
d'abord  mes  anges  de  ce  petit  traité,  et  je  supplierai  très-instam- 
ment que  Prault  ne  sache  pas  qu'il  est  de  moi,  ou  du  moins  ([u'il 
mérite  les  petits  services  que  je  peux  lui  rendre,  en  feignant  de 
les  ignorer. 

Comme  je  n'ai  nul  goi"il  à  voir  mon  nom  à  la  tète  de  mes  sol- 


i.  En  moins  d'im  mois;  voyez  tomo  V,  pa;:c  iO-2. 

2.  Appel  à  toutes  les  ualions  de  l'Europe  ;  voyez  tome  XXIV,  pnso  191. 


102  COHHKSl'ONDANCIi. 

lises,  on  folles,  ou  sérieuses,  ou  tragiques,  ou  comiques,  permet- 
tez-moi, mes  chers  anges,  d'exiger  que  celui  des  comédiens  ne 
s'y  trouve  jias  plus  que  le  mien.  A  quoi  sert-il  de  savoir  qu'un 
nommé  IJrizard  a  joué  platement  mon  plat  père?  qu'est-ce  que 
cela  fait  aux  lecteurs?  J'ai  une  aversion  invincible  pour  cette  cou- 
tume nouvellement  introduite. 

Mes  anges,  je  commence  à  souhaiter  la  paix.  Il  est  vrai  que 
je  fais  chez  moi  la  guerre  aux  jésuites,  mais  elle  ne  coûte  rien  ; 
je  les  chasse,  et  je  triomphe.  Mais  la  guerre  contre  les  Anglais 
vous  ruine,  et  c'est  vous  qu'on  chasse.  J'attends  avec  impa- 
tience ce  qui  adviendra,  dans  votre  tripot,  de  la  convocation  des 
pairs. 

La  montagne  en  travail  enfante  une  souris. 

(La  Fontaine,  liv.  V,  fab.  x.) 

Daignez  me  mander  des  nouvelles  de  l'Écossaise,  et  des  roga- 
tons que  je  vous  ai  envoyés.  Je  souhaite  à  Tcrée  beaucoup  de 
prospérités,  et  que  les  vers  de  Pliilomèle  soient  le  chant  du 
rossignol.  Mais  M.  Lemierre  a-t-il  reçu  une  certaine  lettre*  que 
je  pris  la  liberté  d'adresser  à  M.  d'Argental,  ne  sachant  pas  la 
demeure  du  père  de  Térèe?  Pardon,  je  dois  vous  excéder. 

4378.  —  A  M.   PRAULT  FILS  «. 

M.  de  Voltaire  a  reçu  la  lettre  de  M.  Prault,  et  la  tragédie  de 
Tancrede  imprimée  avec  VÉpître.  Il  remercie  M.  Prault  de  l'atten- 
tion qu'il  a  eue  de  ne  point  faire  tirer  les  feuilles  imprimées; 
elles  sont  pleines  de  fautes,  d'omissions,  et  de  contre-sens;  cela 
ne  pouvait  être  autrement,  presque  chaque  acteur  s'étant  donné 
la  liberté  d'arranger  son  rôle  à  sa  fantaisie,  pour  faire  valoir  ses 
talents  particuliers  aux  dépens  de  la  pièce,  et  l'auteur  n'ayant 
plus  reconnu  son  ouvrage  lorsqu'on  lui  envoya  le  détestable 
manuscrit  qui  était  entre  les  mains  des  comédiens. 

Les  divers  changements  qu'il  envoya  pour  réparer  ce  désordre 
augmentèrent  encore  la  confusion;  on  joignit  ce  qu'on  devait 
séparer,  et  on  sépara  ce  qu'on  devait  joindre;  on  ôta  ce  qu'on 
devait  garder,  et  on  garda  ce  qu'on  devait  ôter.  M.  Prault  peut 


i.  Citée  dans  la  lettre  431i,  et  dans  quelques  autres. 

2.  Nous  croyons  que  cette  lettre  est  à  sa  place  plutôt  ici  qu'en  avant  de  la 
lettre  à  d'Argental  du  25  novembre,,  où  elle  est  ordinairement  placée.  (G.  A.) 


ANNÉE    17  60.  -103 

surtout  s'en  apercevoir  à  la  page  9  et  à  la  page  32,  dans  laquelle 
Orbassan  répète  à  la  fin  de  son  dernier  conidet,  en  très-mauvais 
vers,  tout  ce  qu'il  vient  de  dire  eu  vers  assez  passables.  M.  de 
Voltaire  a  corrigé,  avec  toute  l'attention  et  tout  le  soin  possibles, 
toutes  les  feuilles;  il  recommande  instamment  à  M.  Prault  de  se 
conformer  entièrement  à  la  copie  qu'on  lui  renvoie  par  M.  d'Ar- 
gental. 

Le  libraire  a  un  intérêt  sensible  à  ne  point  s'écarter  du  ma- 
nuscrit ;  on  peut  l'assurer  que  si  les  comédiens  ne  se  conforment 
dans  la  représentation  à  la  pièce  imprimée,  cela  fera  très-grand 
tort  au  libraire. 

M.  de  Voltaire  n'est  point  dans  l'usage  de  faire  imprimer  les 
noms  des  acteurs  ;  jamais  cela  ne  s'est  pratiqué  du  temps  de  Cor- 
neille et  Racine  ;  il  ne  met  point  son  nom  à  la  tête  de  son  propre 
ouvrage,  et,  par  cette  raison,  il  exige  absolument  qu'on  n'y  mette 
pas  le  nom  des  autres. 

Il  ne  conçoit  pas  la  crainte  que  M.  Prault  fait  paraître  de 
l'édition  prétendue  des  frères  Cramer:  ils  n'ont  point  la  pièce; 
ils  ne  commenceront  leur  édition  que  quand  M.  Prault  aura  mis 
la  sienne  en  vente.  Tout  Genevois  qu'ils  sont,  ils  trouvent  très- 
bon  et  très-juste  que  M.  de  Voltaire  favorise  un  libraire  de  Paris 
pour  un  ouvrage  joué  à  Paris.  M,  Prault  demande  quelque  chose 
pour  ajouter  à  Tancnde;  M""'  la  marquise  de  Pompadour  a  désiré 
qu'on  n'y  ajoutât  rien.  Pour  faire  plaisir  à  M.  Prault,  on  lui  fera 
tenir  incessamment  un  morceau  curieux  \  historique  et  litté- 
raire, servant  de  réponse  à  un  livre  anglais  dans  lequel  on  a  mis 
la  tragédie  de  Londres  infiniment  au-dessus  de  celle  de  Paris.  Le 
manuscrit  qui  sert  de  réponse  à  l'ouvrage  anglais  contient  une 
histoire  succincte  et  vraie  des  théâtres  de  la  Grèce,  de  l'Italie 
moderne,  de  Paris,  et  de  Londres  ;  l'auteur  a  été  obligé  de  citer 
des  sermons  latins  du  xv°  siècle  remplis  d'ordures.  Ces  citations, 
qui  sont  nécessaires  pour  faire  connaître  l'esprit  du  temps,  ne 
passeraient  point  à  la  censure,  mais  elles  passeront  certainement 
cl  la  lecture;  ainsi  M.  Prault  ne  doit  demander  permission  à  per- 
sonne, ni  l'imprimer  sous  son  nom,  et  il  doit  garder  le  secret  à 
celui  qui  lui  fait  ce  petit  présent.  M.  Prault  s'apercevra  bien  que 
l'ouvrage  est  d'un  savant;  ainsi  il  ne  peut  Otrc  de  M.  de  Voltaire, 
qui  se  donne  pour  un  ignorant. 

A  propos  de  censure,  M.  Prault  est  encore  prié  de  ne  point 
mettre  ù  la  fin  de  Tancnde  la  formule  impertinoiile  de  la  per- 

1.  VAppel  à  toutes  la  nalions;  Vnyc/.  tvmc  XXIV,  page  101. 


<04  COUUESPONDANCK. 

mission  de  |)olicc  et  du  privilèrjc;  cela  n'est  bon  qu'à  rester 
dans  les  grefles  pour  tenir  lieu  de  sûreté  aux  libraires;  mais  le 
public  n'a  que  faire  de  ces  pauvretés. 

Je  prie  instamment  AI.  Prault  de  vouloir  bien  se  conformer  à 
tout  ce  que  dessus,  et  d'être  sûr  de  mon  amitié. 

4379.  —  A  M.JEAN   S  C  H  0  U  V  A  L  O  W, 

Ferncy,  par  Genève,  20  décembre. 

Monsieur,  je  vous  souhaite  la  bonne  année  ;  votre  pauvre  se- 
crétaire n'a  plus  que  cela  à  faire:  Votre  Excellence  m'a  cassé  aux 
gages.  Il  y  a  un  siècle  que  je  n'ai  eu  de  vos  nouvelles,  et  je  suis 
toujours  dans  une  profonde  ignorance  touchant  les  paquets  que 
j'ai  eu  l'honneur  de  vous  envoyer.  Le  gentilhomme  qui  devait 
venir  de  Vienne  à  Genève  est  apparemment  amoureux  de  quelque 
Allemande.  Nuls  papiers,  nulle  instruction  pour  achever  votre 
Histoire  de  Pierre  le  Grand.  Enfin  ma  consolation,  monsieur,  est 
de  compter  toujours  sur  vos  bonnes  grâces,  sur  votre  zèle  pour 
la  mémoire  d'un  fondateur  et  d'un  grand  homme.  Vous  n'aban- 
donnerez pas  votre  ouvrage.  J'ai  toujours  le  bonheur  de  parler 
de  vous  à  M.  de  Soltikof.  Il  est  plus  digne  que  jamais  de  votre 
bienveillance.  Vous  le  verrez  un  jour  très-savant,  et  jamais  la 
science  n'aura  logé  dans  une  plus  belle  àme. 

Je  vous  réitère,  monsieur,  mes  souhaits  pour  votre  prospérité, 
et  pour  celle  de  votre  auguste  impératrice. 

Recevez  le  tendre  respect  de  votre,  etc.  V. 

4380.  —  A  M.  DES  HAUTERAIESi, 

A     PARIS, 

21  décembre. 

Monsieur,  j'avais  déjà  lu  vos  Doutes;  ils  m'avaient  paru  des 
convictions.  Je  suis  bien  flatté  de  les  tenir  de  la  main  de  l'auteur 
même.  Les  langues  que  vous  possédez  et  que  vous  enseignez 
sont  nécessaires  pour  connaître  l'antiquité  ;  et  cette  connais- 
sance de  l'antiquité  nous  montre  combien  on  nous  a  trompés  en 
tout. 

C'est  l'empereur  Kang-hi,  autant  qu'il  m'en  souvient,  qui 
montra  à  frère  Parennin,  jésuite  de  mérite  et  mandarin,  un  vieux 

I.  Voyez  la  note  2,  tome  XL,  page  i98. 


ANXKl-     ITdO.  105 

livre  de  géométrie  dans  lequel  il  est  dit  que  la  proposition  du 
carré  de  l'iiypothénuse  était  connue  du  temps  des  premiers  rois. 
Les  Indiens  revendiquent  cette  démonstration.  Ce  petit  procès 
littéraire  au  bout  du  monde  dure  depuis  quatre  ou  cinq  mille 
ans;  et  nous  autres,  qu'étions-nous  il  y  a  vingt  siècles?  des  bar- 
bares qui  ne  savions  pas  écrire,  mais  qui  égorgions  des  filles  et 
des  petits  garçons  à  l'honneur  de  Tentâtes,  comme  nous  en  avons 
égorgé,  en  1572,  à  l'honneur  de  saint  Barthélémy. 

Un  officier'  qui  commande  dans  un  fort  près  du  Gange,  et 
qui  est  l'ami  intime  d'un  des  principaux  bramins,  m'a  apporté 
une  copie  des  quatre  Ycidam,  qu'il  assure  être  très-fidèle.  11  est 
difficile  que  ce  livre  n'ait  au  moins  cinq  mille  ans  d'antiquité. 
C'est  bien  à  nous,  qui  ne  devons  notre  sacrement  de  baptême 
qu'aux  usages  des  anciens  Gangarides  qui  passèrent  chez  les 
Arabes,  et  que  notre  Seigneur  Jésus-Christ  a  sanctifiés  ;  c'est  bien 
à  nous,  vraiment,  à  combattre  l'antiquité  de  ceux  qui  nous  ont 
fourni  du  poivre  de  toute  anti([uité!  Le  monde  est  bien  vieux; 
les  habitants  de  la  Gaule  cisalpine  sont  bien  jeunes,  et  souvent 
bien  sots  ou  bien  fous. 

Si  quelqu'un  peut  les  rendre  plus  raisonnables,  c'est  vous, 
monsieur;  mais  on  dit  qu'il  y  a  des  aveugles  qui  donnent  des 
coups  de  pied  dans  le  ventre  ù  ceux  qui  veulent  leur  rendre  la 
lumière.  Je  suis,  etc. 

4381.  —  A   M.   DAQUI\s. 

Au  château  de  Ferney,  22  décembre. 

Vous  êtes  donc,  monsieur,  devenu  censeur  et  hebdomadaire. 
Comme  censeur,  vous  avez  pour  moi  de  l'indulgence,  et  je 
vous  prie,  comme  hebdomadaire,  de  me  faire  part  de  vos  Se- 
maines^. 

Je  viens  d'en  lire  un  morceau  où  vous  assurez  que  je  suis 
heureux.  Vous  ne  vous  trompez  pas.  Je  me  crois  le  plus  heureux 
des  hommes  ;  mais  il  ne  faut  pas  que  je  le  dise  :  cela  est  trop 
cruel  pour  les  autres. 

Vous  citez  .M.  de  Chamberlan,  auquel  vous  prétendez  que  j'ai 
écrit  que  tous  les  hommes  sont  nés  avec  une  égale  portion  d'in- 
telligence. Dieu  me  [)réserve  d'avoir  jamais  écrit  celte  fausseté  ! 


\.  Le  chevalier  do  Maudavo  ;  voyez  la  lettre  i2G7. 

2.  l^lditeiirs,  de  Cayrol  et  François. 

3.  La  Semaine  lillvraij'e. 


106  COUR  ES  POND  ANGE. 

J'ai,  (lès  l'Ago  do  douze  ans,  senti  et  pensé  tout  le  contraire.  Je 
devinai  dès  lors  le  nombre  prodi,t,Meux  de  choses  pour  lesquelles 
je  n'avais  aucun  talent.  J'ai  connu  que  mes  organes  n'étaient  pas 
disposés  à  aller  bien  loin  dans  les  mathématiques.  J'ai  éprouvé 
que  je  n'avais  nulle  disposition  pour  la  musique.  Dieu  a  dit  à 
chaque  homme  :  Tu  pourras  aller  jusque-là,  et  tu  n'iras  pas  plus 
loin.  J'avais  quelque  ouverture  pour  apprendre  les  langues  de 
l'Europe,  aucune  pour  les  orientales  :  non  omnia  possumus  onines. 
Dieu  a  donné  la  voix  aux  rossignols  et  l'odorat  aux  chiens  ;  en- 
core y  a-t-il  des  chiens  qui  n'en  ont  pas.  Quelle  extravagance 
d'imaginer  que  chaque  homme  aurait  pu  être  un  Newton!  Ah! 
monsieur!  vous  avez  été  autrefois  de  mes  amis,  ne  m'attribuez 
pas  la  plus  grande  des  impertinences. 

Quand  vous  aurez  quelque  Semaine  curieuse,  ayez  la  bonté 
de  me  la  faire  passer  par  M.  Thieriot,  mon  ami  ;  il  est,  je  crois, 
le  vôtre.  Comptez  toujours  sur  l'estime,  sur  l'amitié  d'un  vieux 
philosophe  qui  a  la  manie  à  la  vérité  de  se  croire  un  très-bon 
cultivateur,  mais  qui  n'a  pas  celle  de  croire  qu'on  ait  tous  les 
talents.  Je  prends  un  intérêt  très-vif  à  tout  ce  qui  vous  touche,  à 
vos  succès,  à  votre  bonheur,  soyez-en  bien  persuadé. 

4382.  —  A  M.   THIERIOT. 

22  décembre. 

Un  M.  Chamberlan,  dans  le  Censeur  hebdomadaire,  prétend 
que  je  lui  ai  écrit  que  la  divine  Providence  nous  accorde  à  tous 
une  partie  égale  d'intelligence.  Je  ne  crois  pas  avoir  jamais  écrit 
une  pareille  sottise  ;  mais  si  je  l'ai  écrite,  je  la  rétracte.  Je  n'ai 
jamais  prétendu  avoir  une  tête  organisée  comme  un  Newton, 
un  Rameau.  Je  n'aurais  jamais  trouvé  la  base  fondamentale  ni 
le  calcul  intégral.  Il  n'y  a  que  le  sage  du  stoïcien  qui  soit  tout, 
même  cordonnier',  comme  dit  Horace. 

Est-il  vrai  2  que  Frelon  vient  d'être  mis  au  For-l'Évêque  ? 

4383.  —  A  MADAME   LA  MARQUISE  DU  DEFFANT. 

A  Ferncy,  22  décembre. 

Il  y  a  eu,  madame,  de  la  réforme  dans  les  postes.  Les  gros 
paquets  ne  passent  plus.  Je  doute  fort  que  vous  ayez  reçu  ceux 


1.  Et  sutor  bonus.  (Lib.  I,  sat.  m,  v.  125.) 

2.  T^asp-Frèron  était  effectivement  en  prison,  mais  il  n'y  resta  pas  longtemps  j 


ANNÉE    1760.  <  07 

que  j'ai  eu  Thonneur  de  vous  adresser,  et  j'en  suis  très  en  peine. 
Je  vous  prie  très-instamment  de  me  tirer  de  cette  inquiétude.  Les 
rogatons'  que  j'avais  trouvés  sous  ma  main,  pour  vous  amuser 
ou  pour  vous  ennuyer  un  quart  d'heure,  sont  des  misères,  je 
le  sais  bien  ;  mais  je  serais  affligé  qu'elles  eussent  passé  dans 
d'autres  mains  que  les  vôtres. 

Comment  vous  amusez-vous,  madame?  que  faites-vous  de  ces 
journées  qui  paraissent  quelquefois  si  longues  dans  une  vie  si 
courte?  Comment  le  président-  s'accommode-t-il  d'être  septua- 
génaire? Pour  moi,  qui  touche  à  ce  bel  Age  de  la  maturité,  je  me 
trouve  très-bien  d'avoir  à  gouverner  les  dix-sept  ans  de  M"'^  Cor- 
neille. Elle  est  gaie,  vive,  et  douce,  l'esprit  tout  naturel  ;  c'est  ce 
qui  fait  apparemment  que  Fontenelle  l'a  si  mal  traitée. 

Je  lui  apprends  l'orthographe,  mais  je  n'en  ferai  point  une 
savante  ;  je  veux  qu'elle  apprenne  à  vivre  dans  le  monde,  et  à  y 
être  heureuse. 

Je  vous  souhaite  les  bonnes  fêtes,  madame,  comme  disent  les 
Italiens  mes  voisins.  Cependant  vous  ne  sauriez  croire  combien 
il  y  a  de  gens,  en  Italie  ^  qui  se  moquent  des  fêtes.  Mon  Dieu, 
que  le  monde  est  devenu  méchant!  C'est  la  faute  de  ces  maudits 
philosophes. 

4384.   —  A  M.  LE  COMTE   D'ARGENTAL. 

22  décembre. 

Comment  vont  les  yeux  de  mon  cher  et  respectable  ami,  de 
mon  divin  ange?  n'importuné-je  point  un  peu  trop  mes  deux 
chevaliers?  Plût  à  Dieu  que  les  chevaliers  de  Toncrcde  fussent 
aussi  preux  que  vous  !  Mais  il  faut  que  je  vous  dise  qu'on  a  joué 
à  Dijon,  à  la  Rochelle,  à  Bordeaux,  à  Marseille,  la  Femme  qui  a 
raison.  Si  l'ami  Fréron  m'a  ôté  les  suffrages  de  Paris,  je  suis  de- 
venu un  bon  poète  en  province.  Pourquoi,  après  tout,  ne  souf- 
frirait-on pas  la  Femme  qui  a  raison  dans  la  capitale?  n'y  aime-t-on 
pas  un  peu  à  se  réjouir?  n'y  veut-on  que  des  tombeaux,  des 
chambres  tendues  de  noir,  et  des  échafauds? 


dès  qu'il   fut  libre,  il  vomit  des  injures  contre  Le  Drun  et  Voltaire,  au  sujet  de 
M"«  Corneillo.  (Ci..) 

i.  Voyci  plus  liaut  le  second  alinéa  de  la  lettre  4305. 

2.  Hénault,  qui  était  alors  dans  sa  soixante-seizième  année. 

3.  Ceci  rappelle  le  proverbe  italien  : 

Roma  vcdut.i, 
Fedo  pcrduta. 


408  CORRESPONDANCE. 

En  tout  cas,  voici  Orcsk.  Poiinjuoi  tous  ceux  qui  aiment 
ranti(iuité  sont-ils  partisans  de  cet  ouvrage?  Pensez-vous  que 
M"^'  Clairon  ne  fît  pas  un  grand  effet  dans  le  rôle  d'Electre,  et 
M""  Diimesnil  dans  celui  de  Clytemneslre?  Croyez-vous  que  les 
cris  de  Clyteninestre  ne  fissent  pas  un  ellet  terrible? 

Vous  aurez,  mes  anges,  un  autre  petit  paquet  par  la  poste 
prochaine,  ou  je  suis  bien  trompé;  mais  ce  paquet  ne  sera  point 
Fanime  :  pourquoi?  parce  qu'on  ne  peut  faire  qu'une  chose  à  la 
fois,  parce  que  je  ne  suis  pas  encore  content,  parce  qu'il  ne  faut 
pas  voir  deux  fois  de  suite  un  père^  qui  dit  noblement  à  sa  fille 
qu'elle  est  une  catin. 

Je  vous  avoue  que  j'ai  grande  envie  de  savoir  si  la  pièce-  de 
Ilurlaud  vous  déplaît  autant  qu'elle  nous  a  plu;  si  d'autres  roga- 
tons vous  ont  amusés;  si  vous  n'attendez  pas  incessamment  M.  le 
uiaréchal  de  Richelieu.  Vous  me  direz  que  je  suis  un  grand  ques- 
tionneur; il  est  vrai,  mes  anges. 

Nous  sommes  très-contents  de  W^"  Rodogune;  nous  la  trou- 
vons naturelle,  gaie,  et  vraie.  Son  nez  ressemble  à  celui  de 
M""'  de  Ruffec';  elle  en  a  le  minois  de  doguin  ;  de  plus  beaux 
yeux,  une  plus  belle  peau,  une  grande  bouche  assez  appétis- 
sante, avec  deux  rangs  de  perles.  Si  quelqu'un  a  le  plaisir  d'ap- 
procher ses  dents  de  celles-là,  je  souhaite  que  ce  soit  plutôt  un 
catholique  qu'un  huguenot  ;  mais  ce  ne  sera  pas  moi,  sur  ma 
parole. 

Mes  divins  anges,  j'ai  soixante  et  sept  ans.  Comptez  que  le 
plus  beau  portrait  qu'on  puisse  faire  de  moi  est  celui  que  je  vous 
envoyai  il  y  a,  je  crois,  trois  ans^;  j'étais  bien  jeune  alors.  Mille 
tendres  respects. 

4385.  —  A  M.   DAMILAVILLE. 

22  décembre. 

Je  profite,  monsieur,  de  vos  bontés  \  J'ai  à  peine  le  temps 
d'écrire  un  mot  ;  mais  ce  mot  est  que  je  vous  suis  attaché  comme 

i.  Argirc  et  Bénassar. 

2.  Le  Droit  du  Seigneur. 

3.  La  duchesse  de  Ruffec,  veuve,  en  1731,  du  président  de  Maisons;  morte  en 
septembre  1761. 

4.  Vers  la  fin  d'avril  1758;  voyez  les  lettres  3603  et  3621. 

5.  Damilavillc  avait  le  droit,  comme  premier  commis  au  bureau  des  Vingtièmes, 
de  contre-signer  les  paquets  qui  en  sortaient.  Il  usa  souvent  de  ce  moyen  de  cor- 
respondre avec  Voltaire,  bien  moins  pour  épargner  la  bourse  de  ce  riche  philo- 
sophe que  pour  mettre  leurs  lettres  à  l'abri  des  infidélités  de  la  poste;  ce  qui 
cependant  ne  leur  réussit  pas  toujours.  (Cl.) 


AX.NIÎE    1760.  109 

si  j'avais  l'honneur  de  vivre  avec  vous.  Il  me  semble  que  vous 
êtes  mon  ancien  ami. 

4380.   —  A   M.    DIDEROT'. 

Décembre. 

Monsieur  et  mon  très-digne  maître,  jaurais  asssurément  bien 
mauvaise  grâce  de  me  plaindre  de  votre  silence,  puiscjue  vous 
avez  employé  votre  temps  à  préparer  neuf  volumes  de  l'Encyclo- 
pédie. Cela  est  incroyable.  Il  n'y  a  que  vous  au  monde  capable 
d'un  si  prodigieux  effort.  Vous  aurait-on  aidé  comme  vous  méri- 
tez qu'on  vous  aide?  Vous  savez  qu'on  s'est  plaint  des  déclama- 
tions, quand  on  attendait  dos  définitions  et  des  exemples  ;  mais 
il  y  a  tant  d'articles  admirables,  les  fleurs  et  les  fruits  sont  répan- 
dus avec  tant  de  profusion  qu'on  passera  aisément  par-dessus 
les  ronces.  L'infâme  persécution  ne  servira  qu'à  votre  gloire  ; 
puisse  votre  gloire  servir  à  votre  fortune,  et  puisse  votre  travail 
immense  ne  pas  nuire  à  votre  santé!  Je  vous  regarde  comme  un 
homme  nécessaire  au  monde,  né  pour  l'éclairer,  et  pour  écraser 
le  fanatisme  et  l'hypocrisie.  Avec  cette  multitude  de  connais- 
sances que  vous  possédez,  et  qui  devrait  dessécher  le  cœur,  le 
vôtre  est  sensible.  Vous  avez  grande  raison  sur  ce  déchirement 
que  les  spectateurs  devraient  éprouver,  et  qu'ils  n'éprouvent  pas, 
au  second  acte  de  Tancnde.  Mais  vous  saurez  que  je  venais  de 
traiter  et  d'épuiser  cette  situation  dans  une  tragédie-  qui  devait 
être  jouée  avant  Tancnde,  et  qu'on  n'a  reculée  que  parce  qu'il 
courait  cent  copies  infidèles  de  Tancrede  par  la  ville.  Je  n'ai  pas 
voulu  me  répéter.  Cependant  j'ai  corrigé;  j'ai  refondu  plus  de 
cent  cinquante  vers  dans  Tancrede,  depuis  qu'on  l'a  représenté 
presque  malgré  moi  ;  et,  parmi  ces  changements,  je  n'avais  pas 
oublié  le  père  d'.Vménaïde  au  second  acte.  Mais  où  trouver  des 
pères,  où  trouver  des  entrailles  et  des  yeux  qui  sachent  pleurer? 
Sera-ce  dans  un  métier  avili  par  un  cruel  préjugé,  et  parmi  des 
mercenaires  qui  même  sont  honteux  de  leur  profession?  11  n'y  a 
qu'une  Clairon  au  monde  ;  tous  les  grands  talents  sont  rares  ;  ils 
sont  presfpie  uniijiics.  Ce  qui  m'étonne,  c'est  que  M"'  Clai- 
ron ne  soit  pas  persécutée.  Vous  l'avez  été  bien  cruellement  : 
cela  est  à  sa  place  ;  mais  l'opprobre  restera  aux  persécuteurs.  Le 
iléquisitoire'  Joly  de  Kleury  sera  un  monument  de  ridicule  et  de 

1.  Ilcponsc  à  sa  lettre  du  28  n()veinl)re;  voyoz-lii  ci-dessus,  no  iUol. 

2.  l'anime,  qui  nelnit  (|ue  Ziiliiiie  reloiicliée  ;  voyez  tome  1\. 

3.  Contre  l'Lncijclupédiv. 


410  CORRIîSPONDANCn. 

honte.  Son  fils  et  son  frère  sont  venus  me  voir  ;  je  leur  ai  donné 
des  fêtes  ;  je  les  ai  fait  rougir  \ 

Les  dévots  et  les  dévotes  s'assemblèrent  chez  M"'«  la  pre- 
mière présidente  de  Mole*,  il  y  a  quelque  temps  ;  ils  déplorèrent 
le  sort  (le  M""  Corneille,  qui  allait  dans  une  maison  qui  n'est  ni 
janséniste  ni  moliniste.  Un  grand-ciuimbrier  qui  se  trouva  là 
leur  dit  :  a  Mesdames,  que  ne  faites-vous  pour  M""  Corneille  ce 
qu'on  fait  pour  elle?  »  Il  n'y  en  eut  pas  une  qui  offrît  dix  écus. 
Vous  noterez  que  M'""  de  Mole  a  eu  onze  millions  en  mariage, 
et  que  son  frère  Bernard,  le  surintendant  de  la  reine,  m'a 
fait  une  banqueroute  frauduleuse  de  vingt  mille  écus,  dont  la 
famille  ne  m'a  pas  payé  un  sou.  Voilà  les  dévots  ;  Bernard  le 
banqueroutier  affectait  de  l'être  au  milieu  des  lilles  de  l'Opéra. 

Oui,  sans  doute,  mon  cher  philosophe,  le  monde  n'est  sou- 
vent que  fausseté  et  qu'horreurs  ;  mais  il  y  a  de  belles  âmes.  La 
raison,  l'esprit  de  tolérance,  percent  dans  toutes  les  conditions. 
Les  jésuites  sont  dans  la  boue  ;  les  jansénistes  perdent  leur  crédit. 
Le  roi  est  très-instruit  de  leurs  manœuvres.  M""^  de  Pompadour 
protège  les  lettres.  M.  le  duc  de  Choiseul  a  une  âme  noble  et 
éclairée,  et  il  n'aurait  jamais  fait  de  mal  à  l'abbé  Morcllet,  sans 
deux  malheureuses  lignes  sur  une  femme  mourante.  Le  roi  n'a 
point  lurimperlinent  Mémoire  du  sieur  Lefranc  de  Pompignan. 
Tout  le  monde  s'en  moque  à  la  cour  comme  à  Paris.  Il  n'y  a  pas 
longtemps  qu'un  homme  dont  les  paroles  sont  quelque  chose  dii 
au  roi  qu'on  persécutait  en  France  les  seuls  hommes  qui  faisaient 
honneur  à  la  France.  Croyez  que  le  roi  sait  faire  dans  son  cœur 
la  distinction  qu'il  doit  faire  entre  les  philosophes  qui  aiment 
l'État,  et  les  séditieux  qui  le  troublent.  Vous  avez  pris  un  très- 
bon  parti  de  ne  rien  dire,  et  de  bien  travailler. 

Adieu  ;  je  vous  aime,  je  vous  révère,  je  vous  suis  dévoué 
pour  le  reste  de  ma  vie. 

4387.   —  A  M.    LE   MARQUIS  ALBERGATI   CAPACELLI. 

Au  château  de  Ferncy,  en  Bourgogne,  23  décembre. 

Monsieur,  nous  sommes  unis  par  les  mêmes  goûts,  nous  cul- 
tivons les  mêmes  arts,  et  ces  beaux  arts  ont  produit  l'amitié  dont 
vous  m'honorez.  Ce  sont  eux  quilientles  âmes  bien  nées,  quand 
tout  divise  le  reste  des  hommes. 


1.  Voyez  les  lettres  4300  et  4302. 

2.  Voyez  plus  haut  la  lettre  4360. 


ANNÉE    17G0.  4  11 

J'ai  SU  des  longtemps  que  les  principaux  seigneurs  do  vos 
belles  villes  d'Italie  se  rassemblent  souvent  pour  représenter,  sur 
des  tbéàtres  élevés  avec  goût,  tantôt  des  ouvrages  dramaticjues 
italiens,  tantôt  même  les  nôtres.  C'est  aussi  ce  qu'ont  fait  quel- 
quefois les  princes  des  maisons  les  plus  augustes  et  les  plus  puis- 
santes; c'est  ce  que  l'esprit  humain  a  jamais  inventé  de  plus 
noble  et  de  plus  utile  pour  former  les  mœurs  et  pour  les  polir  ; 
c'est  là  le  chef-d'œuvre  delà  société  :  car,  monsieur,  pondant  que 
le  commun  des  hommes  est  obligé  de  travailler  aux  arts  méca- 
niques, et  que  leur  temps  est  heureusement  occupé,  les  grands 
et  les  riches  ont  le  malheur  d'être  abandonnés  à  eux-mêmes,  à 
l'ennui  inséparable  de  l'oisiveté,  au  jeu,  plus  funeste  que  l'ennui, 
aux  petites  factions,  plus  dangereuses  que  le  jeu  et  que  l'oi- 
siveté. 

Vous  êtes,  monsieur,  un  de  ceux  qui  ont  rendu  le  plus  de 
services  à  l'esprit  humain  dans  votre  ville  de  Bologne,  cette  mère 
des  sciences.  Vous  avez  représenté  à  la  campagne,  sur  le  théâtre 
de  votre  palais,  plus  d'une  de  nos  pièces  françaises,  élégamment 
traduites  en  vers  italiens;  vous  daignez  traduire  actuellement  la 
tragédie  de  Ta/icm/c^;  et  moi,  qui  vous  imite  de  loin,  j'aurai 
bientôt  le  plaisir  de  voir  représenter  chez  moi  la  traduction  d'une 
pièce  de  votre  célèbre  Goldoni,  que  j'ai  nommé  et  que  je  nom- 
merai toujours  le  peintre  de  la  nature.  Digne  réformateur  de  la 
comédie  italienne,  il  en  a  banni  les  farces  insipides,  les  sottises 
grossières,  lorsque  nous  les  avions  adoptées  sur  quelques  théû- 
trcs  de  Paris.  Une  chose  m'a  frappé  surtout  dans  les  pièces  de 
ce  génie  fécond  :  c'est  qu'elles  finissent  toutes  par  une  moralité 
qui  rappelle  le  sujet  cl  l'intrigue  de  la  pièce,  et  qui  prouve  que 
ce  sujet  et  cette  intrigue  sont  faits  pour  rendre  les  hommes  plus 
sages  et  plus  gens  de  bien. 

Qu'est-ce  en  cflet  que  la  vraie  comédie?  C'est  l'art  d'enseigner 
la  vertu  et  les  bienséances  en  action  et  en  dialogues.  Que  l'élo- 
quence du  monologue  est  froide  en  comparaison!  A-t-on  jamais 
retenu  une  seule  phrase  de  trente  ou  (juarantc  mille  discours 
moraux?  et  ne  sait-on  pas  par  cœur  ces  sentences  admirables, 
placées  avec  art  dans  les  dialogues  intéressants  : 

Homo  sum  :  humani  niliil  a  mo  alionuin  puto  *. 


1.  Cette  tragédie  fut  traduite  cii  italien  pur  l'un  des  amis  d'Albcrgati,  le  comte 
Paradisi. 

2.  Tcrcncc,  Ilcaulonlunoruvicnoa. 


442  CORRESPONDANCE. 

Apprimc  in  vita  esse  utile,  ut  ne  (juid  niinis '. 
Natuia  lu  illi  pator  es,  consiliis  ego,  etc.  -. 

C'est  ce  qui  lait  un  des  grands  mérites  de  Térence;  c'est  celui 
de  nos  bonnes  tragédies,  de  nos  bonnes  comédies.  Elles  n'ont  pas 
])ro(Uiit  une  admiration  stérile;  elles  ont  souvent  corrigé  les 
hommes.  J'ai  vu  un  prince  pardonner  une  injure  après  une 
représentation  de  la  Clémence  ci  Auguste^.  Une  princesse,  qui  avait 
méprisé  sa  mère,  alla  se  jeter  à  ses  pieds  en  sortant  de  la  scène 
où  lUiodope  demande  pardon  à  sa  mère.  Un  homme  connu  se 
raccommoda  avec  sa  femme,  en  voyant  le  Prcjugé  à  la  mode.  J'ai 
vu  l'homme  du  monde  le  plus  fier  devenir  modeste  après  la 
comédie  du  Glorieux;  et  je  pourrais  citer  plus  de  six  fils  de  famille 
que  la  comédie  de  iEnfant  prodigue  a  corrigés.  Si  les  financiers 
ne  sont  plus  grossiers,  si  les  gens  de  cour  ne  sont  plus  de  vains 
petits-maîtres,  si  les  médecins  ont  abjuré  la  robe,  le  bonnet,  et  les 
consultations  en  latin;  si  quei([ues  pédants  sont  devenus  hommes, 
à  qui  en  a-t-on  l'obligation?  Au  théâtre,  au  seul  théâtre. 

Quelle  pitié  ne  doit-on  donc  pas  avoir  de  ceux  qui  s'élèvent 
contre  ce  premier  art  de  la  littérature,  qui  s'imaginent  qu'on  doit 
juger  du  théâtre  d'aujourd'hui  par  les  tréteaux  de  nos  siècles 
d'ignorance,  et  qui  confondent  les  Sophocle  et  les  Ménandre,  les 
Varius  et  les  Térence,  avec  les  Tabarin  et  les  Polichinelle  ! 

Mais  que  ceux-là  sont  encore  plus  à  plaindre,  qui  admettent 
les  Polichinelle  et  les  Tabarin,  et  qui  rejettent  les  Pohjeucte,  les 
Athalie,  les  Zaïre,  et  les  Alzire  !  Ce  sont  là  de  ces  contradictions 
où  l'esprit  humain  tombe  tous  les  jours. 

Pardonnons  aux  sourds  qui  parlent  contre  la  musique,  aux 
aveugles  qui  haïssent  la  beauté  :  ce  sont  moins  des  ennemis  de 
la  société,  conjurés  pour  en  détruire  la  consolation  et  le  charme, 
que  des  malheureux  à  qui  la  nature  a  refusé  des  organes. 

Nos  vero  dulces  leneanl  aiite  omnia  Musœ. 

(ViRG.,  Georfj.,  lib.  II,  v.  470.) 

J'ai  eu  le  plaisir  de  voir  chez  moi,  à  la  campagne,  représenter 
Alzire,  cette  tragédie  où  le  christianisme  et  les  droits  de  l'huma- 


1.  Térence,  Andrlenne. 

2.  Id.,  les  Addphcs. 

3.  Cinna.  —  Le  prince  dont  il  s'asit  ici  était  probablement  Frédéric  II  ;  mais 
quand  celui-ci  accorda  une  espèce  de  grâce  au  pauvre  Franc-Comtois  cité  par 
Voltaire  dans  ses  Mémoires,  ce  l'ut  après  uue  représentation  de  la  Cleinenza  di 
Tito,  opéra  de  Métastase.  (Cl.) 


ANNÉE    17C0.  413 

nitc  triomphent  également.  J'ai  vu,  dans  Mèrope,  l'amour  mater- 
nel faire  répandre  des  larmes,  sans  le  secours  de  l'amour  galant. 
Ces  sujets  remuent  Yàmc  la  plus  grossière  comme  la  plus  délicate  ; 
et  si  le  peuple  assistait  à  des  spectacles  honnêtes,  il  y  aurait  bien 
moins  d'àmes  grossières  et  dures.  C'est  ce  qui  ût  des  Athéniens 
une  nation  si  supérieure.  Les  ouvriers  n'allaient  point  porter  à 
des  farces  indécentes  l'argent  qui  devait  nourrir  leurs  familles; 
mais  les  magistrats  appelaient,  dans  des  fêtes  célèbres,  la  nation 
entière  à  des  représentations  qui  enseignaient  la  vertu  et  l'amour 
de  la  patrie.  Les  spectacles  que  nous  donnons  chez  nous  sont 
une  bien  faible  imitation  de  cette  magnificence;  mais  enfin  ils 
en  retracent  quelque  idée.  C'est  la  plus  belle  éducation  qu'on 
puisse  donner  à  la  jeunesse,  le  plus  noble  délassement  du  travail, 
la  meilleure  instruction  pour  tous  les  ordres  des  citoyens  ;  c'est 
presque  la  seule  manière  d'assembler  les  hommes  pour  les 
rendre  sociables. 

Emollit  mores,  nec  sinit  esse  feros. 

(OviD.,  II,  ex  Ponio,  ep.  ix,  v.  -IS.) 

Aussi  je  ne  me  lasserai  point  de  répéter  que,  parmi  vous,  le 
pape  Léon  X,  l'archevêque  Trissino\  le  cardinal  Bibiena,  et, 
parmi  nous,  les  cardinaux  Richelieu  et  Mazarin,  ressuscitèrent 
la  scène.  Ils  savaient  qu'il  vaut  mieux  voir  l'Œdipe  de  Sophocle 
que  de  perdre  au  jeu  la  nourriture  de  ses  enfants,  son  temps 
dans  un  café,  sa  raison  dans  un  cabaret,  sa  santé  dans  des  réduits 
de  débauche,  et  toute  la  douceur  de  sa  vie  dans  le  besoin  et  dans 
la  privation  des  plaisirs  de  l'esprit. 

11  serait  à  souhaiter,  monsieur,  que  les  spectacles  fussent,  dans 
les  grandes  villes,  ce  qu'ils  sont  dans  vos  terres  et  dans  les 
miennes,  et  dans  celles  de  tant  d'amateurs;  qu'ils  ne  fussent 
point  mercenaires  ;  que  ceux  qui  sont  à  la  tête  des  gouvernements 
lissent  ce  que  nous  faisons,  et  ce  qu'on  fait  dans  tant  de  villes. 
C'est  aux  édiles  à  donner  les  jeux  publics;  s'ils  deviennent  une 
marchandise,  ils  risquent  d'être  avilis.  Les  hommes  ne  s'accou- 
tument (juc  trop  à  mépriser  les  services  qu'ils  payent.  Alors  l'in- 
térêt, i)lus  fort  encore  que  la  jalousie,  enfante  les  cabales.  Les 
Claverct  cherchent  à  i)erdre  les  Corneille,  les  Pradon  veulent 
écraser  les  Itacine. 

C'est  une  guerre  toujours  renaissante,  dans  laquelle  la  méchan- 
ceté, le  ridicule,  et  la  bassesse,  sont  sans  cesse  sous  les  armes. 

1.  Voyez  la  nolt-,  tuiiic  IV,  im;,'o  lS8. 

11.    —  ConnF.SI'ONDANCK.   IX.  o 


114  CORRESPONDANCE. 

Un  entrepreneur  des  spectacles  de  la  Foire  tâche,  à  Paris,  de 
miner  les  Comédiens  qu'on  nomme  italiens  ;  ceux-ci  veulent 
anéantir  les  Comédiens  français  par  des  parodies  ;  les  Comédiens 
français  se  défendent  comme  ils  peuvent;  l'Opéra  est  jaloux  d'eux 
tous  ;  chaque  compositeur  a  pour  ennemis  tous  les  autres  com- 
positeurs, et  leurs  protecteurs,  et  les  maîtresses  des  protecteurs. 

Souvent,  pour  empêcher  une  pièce  nouvelle  de  paraître,  pour 
la  faire  tomber  au  théâtre,  et,  si  elle  réussit,  pour  la  décrier  à 
la  lecture,  et  pour  abîmer  l'auteur,  on  emploie  plus  d'intrigues 
que  les  whigs  n'en  ont  tramé  contre  les  torys,  les  guelfes  contre 
les  gibelins,  les  molinistes  contre  les  jansénistes,  les  coccéiens 
contre  les  voéticns,  etc.,  etc.,  etc.,  etc. 

Je  sais  de  science  certaine  qu'on  accusa  PlibJre  d'être  jansé- 
niste. Comment,  disaient  les  ennemis  de  l'auteur,  sera- 1 -il 
permis  de  débiter  à  une  nation  chrétienne  ces  maximes  diabo- 
liques : 

Vous  aimez.  On  ne  peut  vaincre  sa  destinée; 
l'ar  un  charme  fatal  vous  fûtes  entraînée. 

(  Racine,  Pliéihe,  acto  IV,  scène  vi.) 

N'est-ce  pas  là  évidemment  un  juste  à  qui  la  grâce  a  manqué? 
J'ai  entendu  tenir  ces  propos  dans  mon  enfance,  non  pas  une 
fois,  mais  trente.  On  a  vu  une  cal)ale  de  canailles  \  et  un  abbé 
Desfontaines  à  la  tête  de  celle  cabale,  au  sortir  de  Bicêtre,  forcer 
le  gouvernement  à  suspendre  les  représentations  de  Mahomet, 
joué  par  ordre  du  gouvernement.  Ils  avaient  pris  pour  prétexte 
que,  dans  celle  tragédie  de  Mahomet,  il  y  avait  plusieurs  traits 
contre  ce  faux  prophète  qui  pouvaient  rejaillir  sur  les  convul- 
sionnaircs;  ainsi  ils  eurent  l'insolence  d'empêcher,  pour  quelque 
temps,  les  représentations  d'un  ouvrage  dédié  à  un  pape,  approuvé 
par  un  pape. 

Si  31.  de  l'Empyrée-,  auteur  de  province,  est  jaloux  de  quel- 
ques autres  auteurs,  il  ne  manque  pas  d'assurer,  dans  un  long 
Discours  public,  que  messieurs  ses  rivaux  sont  tous  des  ennemis 
de  l'État  et  de  l'Église  gallicane.  Bientôt  Arlequin  accusera  Poli- 
chinelle d'être  janséniste,  moliniste,  calviniste,  athée,  déiste, 
collectivement. 

Je  ne  sais  quels  écrivains  subalternes  se  sont  avisés,  dit-on, 
de  faire  un  Journal  chrétien,  comme  si  les  autres  journaux  de 

1.  Voyez  tome  IV,  page  98. 

2.  Lefranc  de  Pompignan;  voyez  tome  XXIV.  page  462. 


ANNÉE    1760.  Ilo 

l'Europe  étaient  idolâtres.  M.  deSaint-Foix,  gentilhomme  breton, 
célèbre  par  la  charmante  comédie  de  l'Oracle,  avait  fait  un  livre' 
très-utile  et  très-agréable  sur  plusieurs  points  curieux  de  notre 
histoire  de  France.  La  plupart  de  ces  petits  dictionnaires  ne  sont 
que  des  extraits  des  savants  ouvrages  du  siècle  passé  :  celui-ci 
est  d'un  homme  d'esprit  qui  a  vu  et  pensé.  Mais  qu"est-il  arrivé? 
Sa  comédie  de  VOraclc  et  ses  recherches  sur  l'histoire  étaient  si 
bonnes  que  messieurs-  du  Journal  chritien  l'ont  accusé  de  n'être 
pas  chrétien.  Il  est  vrai  qu'ils  ont  essuyé  un  procès  criminel,  et 
qu'ils  ont  été  obligés  de  demander  pardon  ;  mais  rien  ne  rebute 
ces  honnêtes  gens, 

La  France  fournissait  à  l'Europe  un  Dictionnaire  encyclopcdique 
dont  l'utilité  était  reconnue.  Une  foule  d'articles  excellents  rache- 
taient bien  quelques  endroits  qui  n'étaient  pas  de  main  de  maître. 
On  le  traduisait  dans  votre  langue  ;  c'était  un  des  plus  grands 
monuments  des  progrès  de  l'esprit  humain.  Un  convulsionnaire^ 
s'avise  d'écrire  contre  ce  vaste  dépôt  des  sciences.  Vous  ignorez 
peut-être,  monsieur,  ce  que  c'est  qu'un  convulsionnaire:  c'est  un  de 
ces  éncrgumènes  de  la  lie  du  peuple,  qui,  pour  prouver  qu'une 
certaine  bulle  d'un  pape  est  erronée,  vont  faire  des  miracles  de 
grenier  en  grenier,  rôtissant  des  petites  filles  sans  leur  faire  de 
mal,  leur  donnant  des  coups  de  bûche  ''  et  de  fouet  pour  l'amour 
de  Dieu,  et  criant  contre  le  pape.  Ce  monsieur  convulsionnaire  se 
croit  prédestiné  parla  grâce  de  Dieu  h  détruire  VEncyclophlie  ;  il 
accuse,  selon  l'usage,  les  auteurs  de  n'être  pas  chrétiens;  il  fait 
un  inlisible  libelle^  en  forme  de  dénonciation  ;  il  attaque  à  tort 
et  à  travers  tout  ce  qu'il  est  incapable  d'entendre.  Ce  pauvre 
homme,  s'imaginant  que  l'article  Ame  de  ce  dictionnaire  n'a  pu 
être  composé  que  par  un  homme  d'esprit,  et  n'écoutant  que  sa 
juste  aversion  pour  les  gens  d'esprit,  se  persuade  que  cet  arlicle 
doit  absolument  prouver  le  matérialisme  de  son  âme;  il  dénonce 


1.  Voyez  tome  X\,  pago  3-23;  et  XXVI,  128. 

2.  Les  abbés  Dinouart,  Juannet,  et  Triiblct. 

3.  Aljraliam-Joscph  de  Chaunici.\,  d'abord  marcliand  de  vinaigre 

4.  Louis-Adrien  Le  Paijje,  mort  en  1802  à  Paris,  sa  ville  natale,  où  il  exerraii, 
la  profession  d'avocat,  donna  un  bon  nombre  de  coups  du  bùclic  à  sa  femme  en 
1700,  deux  ou  trois  jours  avant  qu'elle  accouchât.  Le  Père  Coltu  dit  que  cela  ne  lit 
aucun  mal  à  la  dame,  et  ([u'elle  accoucha  heureusement  ;  mais  il  est  vrai  aussi 
qu'elle  en    mourut    huit  jours  apiès.  (Ci,.) 

—  Voyez  la  Correspondance  littéraire  de  Grimni,  io  avril    1701.  Ce  Père 

r.ottu,  fils  d'un   fripier  des   Malles,   est   nommé  Coutu   dans    la   Itelation  Je  la 
maladie,  etc.,  du  jésuite  Uertliier;  voyez  tome  XXIV,  page  100. 

5.  Préjuyés  légitimes  contre  l'Encyclopédie;  17J8-I7J9,  quatre  volumes  in-12. 


IIG  CORRESPONDANCE. 

(Idiic  CCI  article  comme  impie,  comme  épicurien,  enfin  comme 
l'ouvrage  d'un  philosophe. 

Il  se  trouve  que  l'article,  loin  d'être  d'un  philosophe,  est  d'un 
docteur  en  théologies  qui  établit  l'immatérialité,  la  spiritualité, 
l'immortalité  de  l'Ame,  de  toutes  ses  forces.  Il  est  vrai  que  ce 
docteur  encyclopédiste  ajoutait  aux  bonnes  preuves  que  les  phi- 
losopiies  en  ont  apportées  de  très-mauvaises  qui  sont  de  lui; 
mais  enfin  la  cause  est  si  bonne  qu'il  ne  pouvait  l'afl'aiblir.  Il 
combat  le  matérialisme  tant  qu'il  peut;  il  attaciue  même  le  sys- 
tème de  Locke  ;  supposant  que  ce  système  peut  favoriser  le  maté- 
rialisme, il  n'entend  pas  un  mot  des  opinions  de  Locke;  cet 
(irticlc  enfin  est  l'ouvrage  d'un  écolier  orthodoxe,  dont  on  peut 
plaindre  l'ignorance,  mais  dont  on  doit  estimer  le  zèle  et  approu- 
ver la  saine  doctrine.  Notre  convulsionnaUx  défère  donc  cet  article 
de  Vàme,  et  probablement  sans  l'avoir  lu.  Un  magistrat^,  accablé 
d'aflaires  sérieuses,  et  trompé  par  ce  malheureux,  le  croit  sur  sa 
parole  ;  on  demande  la  suppression  du  livre,  on  l'obtient  :  c'est- 
à-dire  on  trompe  mille  souscripteurs  qui  ont  avancé  leur  argent, 
on  ruine  cinq  ou  six  libraires  considérables  qui  travaillaient  sur 
la  foi  d'un  privilège  du  roi,  on  détruit  un  objet  de  commerce  de 
trois  cent  mille  écus.  Et  d'où  est  venu  tout  ce  grand  bruit  et  cette 
persécution  ?  de  ce  qu'il  s'est  trouvé  un  homme  ignorant,  or- 
gueilleux, et  passionné. 

Voilà,  monsieur,  ce  qui  s'est  passé,  je  ne  dis  pas  aux  yeux  de 
Vunivcrs,  mais  au  moins  aux  yeux  de  tout  Paris.  Plusieurs  aven- 
tures pareilles,  que  nous  voyons  assez  souvent,  nous  rendraient 
les  plus  méprisables  de  tous  les  peuples  policés,  si  d'ailleurs  nous 
n'étions  pas  assez  aimables.  Et,  dans  ces  belles  querelles,  les 
partis  se  cantonnent,  les  factions  se  heurtent,  chaque  parti  a 
pour  lui  un  folliculaire'^.  Maître  Aliboron,  par  exemple,  est  le  fol- 
liculaire de  M.  de  l'Emjnjrèe;  ce  maître  Aliboron  ne  man([ue  pas 
de  décrier  tous  ses  camarades  folliculaires,  pour  mieux  débiter 
ses  feuilles.  L'un  gagne  à  ce  métier  cent  écus  par  an,  l'autre 
mille,  l'autre  deux  mille;  ainsi  l'on  combat  pro/bds.  «  Il  faut  bien 
que  je  vive,  »  disait  l'abbé  Desfontaines  à  un  ministre*  d'État;  le 
ministre  eut  beau  lui  dire  qu'il  n'en  voyait  pas  la  nécessité,  Des- 
fontaincs  vécut;  et  tant  qu'il  y  aura  une  pistole  à  gagner  dans 


1.  L'abbé  Yvon  ;  voyez  tome  XXVI,  page  i'28. 

2.  Omer  Joly  de  Flcury. 

3.  Faiseur  de  feuilles.  {No(e  de  Voltaire.) 

4.  Le  comte  d'Argenson. 


ANNÉE    1760  HT 

ce  métier,  il  y  aura  des  Frérons  qui  décrieront  les  beaux-arts  et 
les  bons  artistes. 

L'envie  veut  mordre,  l'iotérêt  veut  gagner  :  c'est  là  ce  qui 
excita  tant  d'orages  contre  le  Tasse,  contre  le  Guarini,  en  Italie; 
contre  Dryden  et  contre  Pope,  en  Angleterre;  contre  Corneille, 
Racine,  Molière,  Quinault,  en  France.  Que  n'a  point  essuyé,  de 
nos  jours,  votre  célèbre  Goldoni  !  Et,  si  vous  remontez  aux  Ro- 
mains et  aux  Grecs,  voyez  les  Prologues  de  Térence,  dans  les- 
quels il  apprend  à  la  postérité  que  les  hommes  de  son  temps 
étaient  faits  comme  ceux  du  nôtre;  tutto  7  mondo  v  fatlo  corne  la 
iiostra  famiglia.  Mais  remarquez,  monsieur,  pour  la  consolation 
des  grands  artistes,  que  les  persécuteurs  sont  assurés  du  mépris 
et  de  l'horreur  du  genre  humain,  et  que  les  bons  ouvrages  de- 
meurent. Où  sont  les  écrits  des  ennemis  de  Térence,  et  les  feuilles 
des  Ravins  qui  insultèrent  Virgile?  Où  sont  les  impertinences 
des  rivaux  du  Tasse  et  des  rivaux  de  Corneille  et  de  Molière? 

Qu'on  est  heureux,  monsieur,  de  ne  point  voir  toutes  ces 
misères,  toutes  ces  indignités,  et  de  cultiver  en  paix  les  arts 
dApollon,  loin  des  Marsyas  et  des  Midas!  Qu'il  est  doux  de  lire 
Virgile  et  Homère  en  foulant  à  ses  pieds  les  Ravins  et  les  Zoïle, 
et  de  se  nourrir  d'ambroisie,  quand  l'envie  mange  des  cou- 
leuvres! 

Despréaux  disait  autrefois,  en  parlant  de  la  rage  des  cabales  : 

Qui  méprise  Colin  n'estime  point  son  roi, 
Et  n'a,  selon  Cotin,  ni  Dieu,  ni  foi,  ni  loi. 

(Sat.   IX,  V.  305.) 

Le  grand  Corneille,  c'est-à-dire  le  premier  homme  par  qui  la 
France  littéraire  commença  à  être  estimée  en  Europe,  fut  obligé 
de  répondre  ains'  à  ses  ennemis  littéraires  (car  les  auteurs  n'en 
ont  point  d'autres)  :  «  Je  déclare  que  je  soumets  tous  mes 
écrits  au  jugement  de  l'Église;  je  doute  fort  qu'ils  en  fassent 
autant*.  » 

Je  prends  la  liberté  de  dire  ici  la  même  chose  que  le  grand 
Corneille,  cl  il  m'est  agréal)le  de  le  dire  à  un  sénateur  de  la  se- 
conde ville  de  l'État  du  sainl-père  ;  il  est  doux  encore  de  le  dire 
dans  des  terres  aussi  voisines  des  hérétiques  que  les  miennes. 
Plus  je  suis  rempli  de  cliarih'  pour  leurs  pcrsouuf^s  et  d'iiidul- 

1.  «  Jo  1110  rnnlciilorai  dt;  dire  tjiic  je  somiifts  (nul  co  qiio  j'ai  fuit  et  fiM'ai  à 
l'avenir  à  la  censure  dos  puissances  tant  ecclt^siastiqiios  que  séciilii  res,  etc..  .le 
ne  sais  s'ils  (les  ennemis  du  théâtre)  en  voudraient  faire  autant.  »  {Avis  au  lec- 
feur,  en  tùte  (.VAltila). 


118  CORRESPONDANCE. 

gence  pour  leurs  erreurs,  plus  je  suis  ferme  dans  ma  foi.  Mes 
ouvrages  sont  la  Ilenriade,  qui  peut-être  ne  déplairait  pas  au  roi 
qui  en  est  le  héros,  s'il  revenait  dans  le  monde,  et  qui  ne  déplaît 
pas  au  digne  héritier»  de  ce  hon  roi.  J'ai  donné  quelques  tragé- 
dies, médiocres  à  la  vérité,  mais  qui  toutes  sont  morales,  et  dont 
quelques-unes  sont  chrétiennes.  J'ai  écrit  Yllistoire  de  Louis  XIV, 
dans  laquelle  j'ai  célébré  ma  nation  sans  la  flatter;  j'ai  fait  un 
Essai  sur  l'histoire  générale,  dans  lequel  je  n'ai  eu  d'autre  intention 
que  de  rendre  une  exacte  justice  à  toutes  les  vertus  et  à  tous  les 
vices;  une  Histoire  de  Charles  XII,  une  de  Pierre  le  Grand,  fondées 
toutes  les  deux  sur  les  monuments  les  plus  authentiques  ;  ajoutez-y 
une  légère  explication  des  découvertes  de  Newton,  dans  un  temps - 
où  elles  étaient  très-peu  connues  en  France.  Ce  sont  là,  s'il  m'en 
souvient,  h  peu  près  tous  mes  véritables  ouvrages,  dont  le  seul 
mérite  consiste  dans  l'amour  de  la  vérité  et  de  l'humanité. 

Presque  tout  le  reste  est  un  recueil  de  bagatelles  que  les 
libraires  ont  souvent  imprimées  sans  ma  participation.  On  donne 
tous  les  jours  sous  mon  nom  des  choses  que  je  ne  connais  pas. 
Je  ne  réponds  de  rien.  Si  Chapelain  a  composé,  dans  le  siècle 
passé,  le  beau  poëme  de  la  Pucelle;  si,  dans  celui-ci,  une  société 
de  jeunes  gens  s'amusa,  il  y  a  trente  ans,  à  faire  une  autre  Pu- 
celle; si  je  fus  admis  dans  cette  société  ;  si  j'eus  peut-être  la  com- 
plaisance de  me  prêter  à  ce  badinage,  en  y  insérant  les  choses 
honnêtes  et  pudiques  qu'on  trouve  par-ci  par-là  dans  ce  rare  ou- 
vrage, dont  il  ne  me  souvient  plus  du  tout,  je  ne  réponds  en 
aucune  façon  d'aucune  Pucelle;  je  nie  d'avance  à  tout  délateur 
que  j'aie  jamais  vu  une  Pucelle.  On  en  a  imprimé  une  qui  a  été 
faite  apparemment  à  la  place  Maubert  ou  aux  Halles;  ce  sont  les 
aventures  et  le  langage  de  ce  pays-là.  Ceux  qui  ont  été  assez 
idiots  pour  s'imaginer  qu'ils  pouvaient  me  nuire,  en  publiant 
sous  mon  nom  cette  rapsodie,  devraient  savoir  que  quand  on 
veut  imiter  la  manière  d'un  peintre  de  l'école  du  Titien  et  du 
Corrége  il  ne  faut  pas  lui  attribuer  une  enseigne  de  cabaret  de 
village  '. 


1.  Voltaire,  en  parlant  ainsi,  avait  généreusement  oublié  ou  feignait  d'oublier 
que  Louis  XV,  plus  que  majeur  (la  majorité  des  rois  était  fixée  à  quatorze  ans), 
avait  refusé  la  dédicace  de  la  Henriade. 

2.  En  1728  et  1738;  voyez,  tome  XXII,  les  xiv%  xv°  et  xvi«  des  Lettres  philo- 
sophiques; et  les  Éléments  de  la  Philosophie  de  Newton. 

3.  Voici  des  vers  de  ce  prétendu  poëme  intitulé  ta  Pucelle  : 

Chandos,  suant  et  soufflant  comme  un  bœuf, 
Cherche  du  doigt  si  l'autre  est  une  fille  : 


ANNÉE    17  60.  119 

On  sait  assez  quel  est  le  malheureux  qui  a  voulu  gagner 
quelque  argent  en  imprimant,  sous  le  titre  de  la  Puccîle  d'Or- 
léans, un  ouvrage  abominable;  on  le  reconnaît  assez  aux  noms 
de  Luther  et  de  Calvin,  dont  il  parle  sans  cesse,  et  qui  certaine- 
ment ne  devaient  pas  être  placés  sous  le  règne  de  Charles  \II. 
On  sait  que  c'est  un  calviniste  ^  du  Languedoc,  qui  a  falsifié  les 
Leilrcs  de  M'"'  de  Maintenon;  qui  l'outrage  indignement  dans  sa 
rapsodie  de  la  Pucellc;  qui  a  inséré  dans  cette  infamie  des  vers 
contre  les  personnes  les  plus  respectables,  et  contre  le  roi  même; 
qui  a  été  deux  fois  en  prison  à  Paris  pour  de  pareilles  horreurs, 
et  qui  est  aujourd'hui  exilé.  Les  hommes  qui  se  distinguent  dans 
les  arts  n'ont  presque  jamais  que  de  tels  ennemis. 

Quant  à  quelques  messieurs  qui,  sans  être  chrétiens,  inondent 
le  public,  depuis  quelques  années,  de  satires  chrétiennes  ;  qui 
nuiraient,  s'il  était  possible,  à  notre  religion,  parles  ridicules 
appuis  qu'ils  osent  prêter  à  cet  édifice  inébranlable;  enfin,  qui 
la  déshonorent  par  leurs  impostures;  si  on  faisait  jamais  quelque 
attention  aux  libelles  de  ces  nouveaux  Garasses,  on  pourrait  leur 
faire  voir  qu'on  est  aussi  ignorant  qu'eux,  mais  beaucoup  meilleur 
chrétien  qu'eux. 

C'est  une  plaisante  idée  qui  a  passé  par  la  tête  do  quelques 
barbouilleurs  de  notre  siècle,  de  crier  sans  cesse  que  tous  ceux 
qui  ont  quelque  esprit ^  ne  sont  pas  chrétiens!  pensent-ils  rendre 
en  cela  un  grand  service  à  notre  religion?  Quoi  !  la  saine  doc- 
trine, c'est-à-dire  la  doctrine  apostolique  et  romaine,  ne  serait- 
elle,  selon  eux,  que  le  partage  des  sots?  Sans  penser  cire  quelque 
chose  ',  je  ne  pense  pas  être  un  sot  ;  mais  il  me  semble  que  si  je 


Au  diable  soit,  dit-il,  la  sotte  aiguille  I 
Bientôt  le  diablo  emporte  l'étui  neuf. 


En  co  moment,  on  un  seul  haut-le-corps, 
11  mot  à  bas  la  bulle  créature  ; 
Il  la  subjugue,  et,  d'un  rein  vigoureux, 
Jl  fait  jouer  lo  bélier  monstrueux. 


Il  y  a  mille  autres  vers  plus  infâmes,  et  plus  encore  dans  le  style  de  J.i 
plus  vile  canaille,  et  que  riionnCtclé  ne  permet  pas  de  rapporter.  C'est  là  ce  qu'un 
misérable  ose  imputer  ù  l'auteur  de  la  Henriadc,  de  Mcrope  et  d'Alzin.  (A'o/.' 
de  Vollairc.) 

\.  La  Bcaumolle.  (K.) 

2.  Jean-Georfro  Lefranc  do  Pompignan  avait  publié,  en  17Jl,  la  Drvotioii 
réconcilicc  avec  l'esprit;  mais  d'Alembort  l't  Voltaire,  convaincus  de  l'extrême  dif- 
férence qu'il  y  a  entre  la  dévotion  ot  la  religion,  disaient  que  c'était  la  Réconci- 
liation normande,  en  faisant  allusion  au  titre  d'une  comédi(>  de  Dufr.'uy.  (Cl.) 

:;.   \V,yfz  p.-iL'f  K". 


ItO  CORRESPONDANCK. 

me  trouvais  jamais  avec  l'abbé  Guyon*  dans  la  rue  (car  je  ne 
peux  le  rencontrer  que  là),  je  lui  dirais  :  Mon  ami,  de  quel  droit 
prétcnds-tu  être  meilleur  chrétien  que  moi  ?  est-ce  parce  que  tu 
affirmes,  dans  un  livre  aussi  plat  que  calomnieux,  que  je  t'ai  fait 
bonne  chère-,  quoique  tu  n'aies  jamais  dîné  chez  moi  ?  est-ce 
parce  que  tu  as  révélé  au  puhlic,  c'est-à-dire  à  quinze  ou  seize 
lecteurs  oisifs,  tout  ce  que  je  t'ai  dit  du  roi  de  Prusse,  quoique 
je  ne  t'aie  jamais  parlé  et  que  je  ne  t'aie  jamais  vu?  Ne  sais-tu 
pas  que  ceux  qui  mentent  sans  esprit,  ainsi  que  ceux  qui  mentent 
avec  esprit,  n'entreront  jamais  dans  le  royaume  des  cieux  ? 

Je  te  prie  d'exprimer  l'unité  de  l'Église  et  l'invocation  des 
saints  mieux  que  moi  : 

L'Église  toujours  une,  et  partout  étendue, 
Libre,  mais  sous  un  chef,  adorant  en  tout  lieu, 
Dans  le  bonheur  des  saints,  la  grandeur  de  son  Dieu. 

(ift  llenriade,  ch.  X,  v.  486.) 

Tu  me  feras  encore  plaisir  de  donner  une  idée  plus  juste  de 
la  transsuhstantiation  que  celle  que  j'en  ai  donnée  : 

Le  Clnùst,  de  nos  péchés  victime  renaissante, 

De  ses  élus  chéris  nourriture  vivante, 

Descend  sur  les  autels  à  ses  yeux  éperdus , 

Et  lui  découvre  un  Dieu  sous  un  pain  qui  n'est  plus. 

Um  llenriade,  oh.  X,  v.  489.) 

Crois-tu  définir  plus  clairement  la  Trinité  qu'elle  ne  l'est 
dans  ces  vers  : 

La  puissance,  l'amour,  avec  l'intelligence, 
Unis  et  divisés,  composent  son  essence. 

{La  llenriade,  ch.  X,  v.  425.) 

Je  t'exhorte,  toi  et  tes  semhlables,  non-seulement  à  croire  les 
dogmes  que  j'ai  chantés  en  vers,  mais  à  remplir  tous  les  devoirs 
que  j'ai  enseignés  en  prose,  à  ne  te  jamais  écarter  du  centre  de 
l'unité,  sans  quoi  il  n'y  a  plus  que  trouble,  confusion,  anarchie. 
Mais  ce  n'est  pas  assez  de  croire,  il  faut  faire;  il  faut  être  soumis 
dans  le  spirituel  à  son  évêque,  entendre  la  messe  de  son  curé, 


1.  Auteur   d'un   libelle    intitulé    l'Oracle   des   nouveaux    philosophes.   Voyez 
tome  XXVI,  page  1.57. 

2.  Voyez  la  lettre  4143.  cinquième  alinéa. 


ANNEE    i760.  421 

communier  à  sa  paroisse,  procurer  du  pain  aux  pauvres.  Sans 
vanité,  je  m'acquitte  mieux  que  toi  de  ces  devoirs,  et  je  conseille 
à  tous  les  polissons  qui  crient  d'être  chrétiens  et  de  ne  point 
crier.  Ce  n'est  pas  encore  assez  ;  je  suis  en  droit  de  te  citer  Cor- 
neille : 

Servez  bien  voire  Dieu,  servez  notre  monarque. 

{Poli/eucle,  acte  V,  scèno  vi.) 

11  faut,  pour  être  l)on  chrétien,  être  surtout  bon  sujet,  bon 
citoyen  :  or,  pour  être  tel,  il  faut  n'être  ni  janséniste,  ni  moli- 
niste,  ni  d'aucune  faction  ;  il  faut  respecter,  aimer,  servir  son 
prince  ;  il  faut,  quand  notre  patrie  est  en  guerre,  ou  aller  se 
battre  pour  elle,  ou  payer  ceux  qui  se  battent  pour  nous  :  il  n'y 
a  pas  de  milieu.  Je  ne  peux  pas  plus  m'aller  battre,  à  l'âge  de 
soixante  et  sept  ans,  qu'un  conseiller  de  grand'chambre  :  il  faut 
donc  que  je  paye,  sans  la  moindre  difficulté,  ceux  qui  vont  se 
faire  estropier  pour  le  service  de  mon  roi,  et  pour  ma  sûreté 
particulière. 

J'oubliais  vraiment  l'article  du  pardon  des  injures.  Les  injures 
les  plus  sensibles,  dit-on,  sont  les  railleries.  Je  pardonne  de  tout 
mon  cœur  à  tous  ceux  dont  je  me  suis  moqué. 

Voilà,  monsieur,  à  peu  près  ce  que  je  dirais  à  tous  ces  petits 
prophètes  du  coin,  qui  écrivent  contre  le  roi,  contre  le  pape,  et 
qui  daignent  quelquefois  écrire  contre  moi  et  contre  des  per- 
sonnes qui  valent  mieux  que  moi.  J'ai  le  malheur  de  ne  point 
regarder  du  tout  comme  des  Pères  de  l'Église  ceux  qui  prétendent 
qu'on  ne  peut  croire  en  Dieu  sans  croire  aux  convulsions,  et  qu'on 
ne  peut  gagner  le  ciel  qu'en  avalant  des  cendres  du  cimetière  de 
Saint-Médard,  en  se  faisant  donner  des  coups  de  bûche  dans  le 
ventre,  et  des  claques  sur  les  fesses  ^  Pour  moi,  je  crois  que  si 
on  gagne  le  ciel,  c'est  en  obéissant  aux  puissances  établies  de 
Dieu,  et  en  faisant  du  bien  à  son  prochain. 

Un  journaliste  a  remarqué  que  je  n'étais  pas  adroit,  piiis(]ue 
je  n'épousais  aucune  faction,  et  que  je  me  déclarais  également 
contre  tous  ceux  qui  veulent  former  des  partis.  Je  fais  gloire  de 
cette  maladresse;  ne  soyons  ni  à  Apollo  ni  à  Paul-,  nuiis  à  Dieu 
seul,  et  au  roi  que  Dieu  nous  a  donné.  Il  y  a  des  gens  (jui  entrent 
dans  un  parti  pour  être  quelque  chose;  il  y  en  a  d'antres  (|iii 
existent  sans  avoir  besoin  (r;iuciin  parti. 


1.  r,c  sont  les  mystères  des  jansénistes  royivulsionuaires.  (K.) 

2.  Voyez  la  première  Épltrc  de  saint  Paul  aux  Corinthiens,  chap.  i,  v.  12. 


122  CORRESPONDANCE. 

Adieu,  monsieur;  je  pensais  ne  vous  envoyer  qu'une  tragédie, 
et  je  vous  ai  envoyé  ma  profession  de  foi.  Je  vous  quitte  pour 
aller  à  la  messe  de  minuit  avec  ma  famille  et  la  pelitc-fille  du 
grand  Corneille.  Je  suis  fûché  d'avoir  chez  moi  quelques  Suisses 
qui  n'y  vont  pas;  je  travaille  h  les  ramener  au  giron;  et  si  Dieu 
veut  que  je  vive  encore  deux  ans,  j'espère  aller  baiser  les  pieds 
du  saint-père  avec  les  huguenots  que  j'aurai  convertis,  et  gagner 
les  indulgences. 

In  tanto  la  prego  di  gradire  gli  auguri  di  félicita  ch'  io  le 
reco,  nella  congiuntura  délie  prossime  santé  leste  natalizie. 

4388.  —  A  I\].   CORNEILLE  i. 

Fcrney,  25  décembre. 

Mademoiselle  votre  fille,  monsieur,  me  paraît  digne  de  son 
nom  parjSes  sentiments.  Ma  nièce,  M""^  Denis,  en  prend  soin 
comme  de  sa  fille.  Nous  lui  trouvons  de  très-bonnes  qualités,  et 
point  de  défauts.  C'est  une  grande  consolation  pour  moi,  dans 
ma  vieillesse,  de  pouvoir  un  peu  contribuer  à  son  éducation. 
Elle  remplit  tous  ses  devoirs  de  chrétienne.  Elle  témoigne  la  plus 
grande  envie  d'apprendre  tout  ce  qui  convient  au  nom  qu'elle 
porte.  Tous  ceux  qui  la  voient  en  sont  très-satisfaits.  Elle  est  gaie 
et  décente,  douce  et  laborieuse  ;  on  ne  peut  être  mieux  née.  Je 
vous  félicite,  monsieur,  de  l'avoir  pour  fille,  et  vous  remercie  de 
me  l'avoir  donnée.  Tous  ceux  qui  lui  sont  attachés  par  le  sang, 
et  qui  s'intéressent  à  sa  famille,  verront  que  si  elle  méritait  un 
meilleur  sort,  elle  n'aura  pas  à  se  plaindre  de  celui  qu'elle  aura 
eu  dans  ma  maison.  D'autres  auraient  pu  lui  procurer  une  des- 
tinée plus  brillante  ;  mais  personne  n'aurait  eu  plus  d'attention 
pour  elle,  plus  de  respect  pour  son  nom,  etpkis  de  considération 
pour  sa  personne.  Ma  nièce  se  joint  à  moi  pour  vous  assurer  de 
nos  sentiments  et  de  nos  soins. 

4389.   —  A  M.   DESPREZ    DE    CRASSY  2. 

A  Fcrney,  25  décembre  17C0. 

En  vous  remerciant  de  vos  perdrix,  mon  cher  monsieur.  Je 
vous  supplie  de  vouloir  bien  nous  faire  l'honneur  de  venir  les 


1.  Jean-François,  père  de  Marie-Françoise;  voyez  la  note,  page  47. 

2.  Éditeurs,  de  Cayrol  et  François. 


ANNÉE    1760.  123 

manger  avec  nous.  Nous  allons  travailler  à  force  à  finir  notre 
petit  clu\tcau  pour  vous  y  recevoir.  M""-  Denis  vous  fait  mille 
compliments.  Je  n'avais  d'abord  songé  qu'à  servir  six  gentils- 
hommes à  qui  on  faisait  injustice  ;  mais  depuis  que  j'ai  l'honneur 
de  vous  connaître,  c'est  mon  ami  que  je  sers. 

Recevez  les  tendres  et  respectueux  sentiments  de  V. 

439(1.    —  A   MADAME  D'KPIWI. 

A  l-i'iney,  26  décembre. 

Ma  belle  philosophe,  je  ne  sais  ce  qui  est  arrivé,  mais  il  faut 
que  M.  Bouret  fasse  une  bibliothèque  de  Czars;  il  a  retenu  tous 
ceux  que  je  lui  avais  adressés.  Il  y  a  heaucoup  de  mystères  où  je 
ne  comprends  rien  ;  celui-là  est  du  nombre.  Ne  regrettez  plus 
Genève,  elle  n'est  plus  digne  de  vous.  Les  mécréants  se  déclarent 
contre  les  spectacles.  Ils  trouvent  bon  qu'on  s'enivre,  qu'on  se 
tue,  qu'un  de  leurs  bourgeois,  frère  du  ministre  Vernes,  cocu  de 
la  façon  d'un  professeur  nommé  Nekre  S  tire  un  coup  de  pistolet 
au  galant  professeur,  etc.,  etc.  etc.  ;  mais  ils  croient  offenser 
Dieu  s'ils  souffrent  que  leurs  bourgeois  jouent  Polyeucle  et  Athalie. 
On  est  prêt  à  s'égorger  à  Neufchûtel,  pour  savoir  si  Dieu  rôtit  les 
damnés  pendant  l'éternité  ^  ou  pendant  quelques  années.  Ma 
belle  philosophe,  croyez  qu'il  y  a  encore  des  peuples  plus  sots 
que  nous. 

Quoi!  on  a  pris  sérieusement  l\hm  des  hommes ^l  quelle  pitié! 
Il  y  eut  un  prêtre  nommé  fJrown  *  qui  prouva,  il  y  a  trois  ans,  aux 
Anglais,  ses  cliers  compatriotes,  qu'ils  n'avaient  ni  argent,  ni 
marine,  ni  armées,  ni  vertu,  ni  courage:  ses  concitoyens  lui  ont 
répondu  en  soudoyant  le  roi  de  Prusse,  en  prenant  le  Canada,  en 


1.  Nccker,  —  C'était  probablement  le  frère  de  celui  qui  a  été  ministre  des 
finances.  M"'-"  Curchod  (M'"«  Neckcr)  nomme  lo  professeur  Nccker  dans  une  lettre 
adressée  en  1704,  la  veille  de  son  mariafcc,  à  M'""'  de  Brenles.  Voyez  les  Lettres 
(livertes  recueillies  en  Suisse  par  le  comte  I-Y-dor  Golowkin  (1S"21),  pa;;e  tiii.  (Cl.) 

—  M.  Necki-r,  nommé  dans  la  lettre  IlOKl,  était  sans  doute  le  pérc  de  ceux 
dont  il  s'agit  ici. 

2.  Vers  la  fin  de  1700,  lo  pasteur  Pctitpicrrc  (mort  le  14  février  17!'0),  ayant 
proche  contre  les  peines  éternelles  do  l'iMifer,  fut  chassé  par  ses  confrères  jjoh/- 
n'avoir  pas  voulu,  dit  J.-.J.  Housseau  dans  le  livre  XII  de  ses  Conrfs*''<"'S.  partie  ii. 
qu'ils  fussent  damnés  éternellement. 

.3.  Sur  les  instances  des  fermiers  pénéraux,  le  marquis  de  Mirabeau,  auteur 
de  l'Ami  des  hommes,  avait,  pour  la  Théorie  de  mpôt,  1700,  in-4",  été  conduit 
à  Vincennes  le  1.5  décembre;  il  en  sortit  In  'J5. 

4.  l'cut-Ctre  Arthur  Browne,  mort  en  1773. 


424  CORRESPONDANCH. 

nous  battant  clans  les  quatre  parties  du  monde.  Français,  répon- 
dez ainsi  à  ce  pauvre  Ami  des  hommes!  Je  suis  fâché  que  le  cher 
Fréron  soit  encagé,  il  n'y  aura  plus  moyen  de  se  moquer  de  lui; 
mais  il  nous  reste  Pompignan  pour  nos  menus  plaisirs  K 

Ma  chère  philosophe,  savez-vous  que  je  ramène  mes  voisins 
les  jésuites  ù  leur  vœu  de  pauvreté,  que  je  les  mets  dans  la  voie 
du  salut,  en  les  dépouillant  d'un  domaine  assez  considérable 
qu'ils  avaient  usurpé  sur  six  frères  gentilshommes-  du  pays, 
tous  au  service  du  roi?  Ils  avaient  obtenu  la  permission  da  roi 
d'acheter  à  vil  prix  l'héritage  de  ces  six  frères,  héritage  engagé, 
héritage  dans  lequel  ils  croyaient  que  ces  gentilshommes  ne 
pouvaient  rentrer,  parce  que,  disènt-ils  dans  un  de  leurs  Mémoires 
que  j'ai  entre  les  mains,  ces  officiers  sont  trop  pauvres  pour  être 
en  état  de  rembourser  la  somme  pour  laquelle  le  bien  de  leurs 
ancêtres  est  engagé. 

Les  six  frères  sont  venus  me  voir  ;  il  y  en  a  un  qui  a  douze 
ans,  et  quî  sert  le  roi  depuis  trois.  Cela  touche  une  âme  sen- 
sible; je  leur  ai  prêté  sur-le-champ  sans  intérêts  tout  ce  que 
j'avais,  et  j'ai  suspendu  les  travaux  de  Ferney  ;  ils  vont  rentrer 
dans  leur  bien.  Figurez-vous  que  les  frères  jésuites,  pour  faire 
leur  manœuvre,  s'étaient  liés  avec  un  conseiller  d'État  de  Genève, 
qui  leur  avait  servi  de  prête-nom.  Quand  il  s'agit  d'argent,  tout 
le  monde  est  de  la  même  religion.  Enfin  j'aurai  le  plaisir  de 
triompher  d'Ignace  et  de  Calvin  ;  les  jésuites  sont  forcés  de  se 
soumettre,  il  ne  s'agit  plus  que  de  quelques  florins  pour  le  Gene- 
vois. Cela  va  faire  un  beau  bruit  dans  quelques  mois.  Vous 
sentez  bien  que  frère  Kroust  dira  à  madame  la  dauphine  que 
je  suis  athée;  mais,  par  le  grand  Dieu  que  j'adore,  je  les  attra- 
perai bien,  eux  et  l'abbé  Guyon,  et  maître  Abraham  Chau- 
meix,  et  le  Journal  chrétien,  et  l'abbé  BrizeP,  etc.,  etc.  Non- 
seulement  je  mène  la  petite-fille  du  grand  Corneille  à  la  messe, 
mais  j'écris  une  lettre*  à  un  ami  du  feu  pape,  dans  laquelle  je 
prouve  (aussi  plaisamment  que  je  le  peux)  que  je  suis  meilleur 
chrétien  que  tous  ces  fiacres-là;  que  j'aime  Dieu,  mon  roi,  et  le 
pape  ;  que  j'ai  toujours  cru  la  transsubstantiation  ;  qu'il  faut 
d'ailleurs  payer  les  impôts,  ou  n'être  pas  citoyen.  Ma  chère  phi- 
losophe, communiquez  cela  au  Prophète/  voilà  comme  il  faut 

1.  Le  Méchant,  acte  II,  scène  i. 

2.  HIM.  Desprcz  de  Crassy. 

3.  C'est  ainsi  que  l'abbé  Grizel  était  appelé  dans  quelques  éditions  de  sa  Con- 
versation; voyez  tome  XXIV,  page  239. 

4.  Sans  doute  celle  qui  est  adressée  au  marquis  Albergati,  sous  le  n"  4387. 


ANXÉi;:    I7G0.  125 

répondre.  Ah!  ah!  tous  êtes  chrétiens,  à  ce  que  vous  dites,  et 
inoi  je  prouve  que  je  le  suis.  Il  est  vrai  qu'on  imprime  uno 
Pucelle  en  vingt  chants;  mais  que  m'importe?  Est-ce  moi  qui  ai 
fait  la  Pucelle?  C'est  un  ouvrage  de  société,  fait  il  y  a  trente  ans. 
Si  j'y  travaillai,  ce  ne  fut  qu'aux  endroits  honnêtes  et  pudiques. 
Ah  !  ah  !  maître  Orner,  je  ne  vous  crains  pas. 

Ma  belle  philosoj)lic,  j'embrasse  vos  amis  et  votre  fils. 

i.Wl.   —   A   M.   TIIIERIOTi. 

20  décembre. 

Bon!  bon!  voilà  un  excellent  renfort  pour  notre  Capilotade 
que  cet  abbé  Grizel!  Ne  manquez  pas,  je  vous  prie,  de  me  faire 
savoir  les  suites  de  cette  affaire  divine!  Comment!  cinquante 
mille  livres  volées  à  la  terre  pour  enrichir  le  ciel?  Cela  va  être 
incessamment  dans  son  cadre.  Il  est  bon  aussi  de  savoir  si  notre 
cher  Fréron  est  écroué  pour  12  m"  {mois);  en  ce  cas,  le  For- 
l'Évêque  sera  son  Parnasse.  Je  suis  très-affligé  de  petit  Ballot. 
Cinquante-sept  ans,  ce  n'est  pas  Voiture.  Nous  sommes  plus 
tenaces,  nous  autres.  Domestick  purges  procure  a  long  life,  dit 
Cheyne  le  docteur.  Entendez,  par  la  Lettre  à  l'Oracle-,  lettre  à 
Vauteur  de  ÏOracle;  c'était  brevitaiis  causa.  Les  étincelles  doivent 
sauter  au  visage  de  ceux  qui  ont  brûlé  cette  excellente  brochure. 

A^  B.  J'ai  dépossédé  les  frères  jésuites  d'un  bien  assez  consi- 
dérable qu'ils  avaient  usurpé  sur  six  frères,  tous  officiers  du  roi. 
Je  leur  ai  prêté  sans  intérêt  tout  l'argent  nécessaire  pour  ren- 
trer dans  leur  héritage.  Je  crois  vous  l'avoir  mandé.  Cela  est  bien 
pis  que  la  Maladie,  la  Mort  et  la  Vision  du  frère  Berthier.  Pour  me 
mettre  îi  l'abri  des  calomnies  de  frère  Kroust  et  autres,  j'écris 
à  un  sénateur  de  Bolonia  la  Grassa',  mon  ami,  très-bien  auprès 
du  pape,  grand  homme  de  lettres;  je  l'instruis  de  l'état  de  la 
littérature  en  Gaule;  je  finis  par  une  belle  profession  de  foi, 
nalurollcment  et  gaiement  amenée.  C'est  une  bonne  réponse  à 
tous  les  criailleurs,  de  leur  dire  :  Polissons,  sachez  que  je  suis 
meilleur  chrétien  que  vous  et  meilleur  serviteur  du  roi. 

C'est  alors  qu'on  est  le  maître  absolu  dans  ses  chàloaux. 

Il  y  a  une  lettre  de  monsieur  l'archevêque  de  Lyon  à  uiou- 

1.  I^lditcurs,  do.  Cayrol   et  François.  —  C'ost  à  lorl  ([u'ils  diit  cru  (jue  celte 
lettre  était  de  1770. 

2.  Il  s'apit  d(!  VOrarte  des  aud'^ns  fulèlcs,  réponse  à  VOracle  da  philosophes: 
voyez  la  lettre  à  Thieriot  du  8  déceiiibro. 

3    All)cr(.'!i(i. 


4  26  COIUU'SPONDANCE. 

sieur  rarclicvôquc  de  Paris  ;  cette  lettre  est  un  livre,  et  un  très- 
bon  livre  poux  ceux  qui  aiment  ces  matières,  et  j'aime  tout  :  tout 
m'amuse. 

Est-il  vrai  que  princes  et  pairs  ont  répondu  aux  gens  tenant 
la  cour  du  parlement  f[u'ils  iront  si  leur  santé  le  permet? 

Vos  nouvelles  de  paix  n'ont  aucun  fondement;  j'en  sais  plus 
que  vous  autres  Parisiens. 

Intérim  vale,  et  me  ama. 

4392.   —  A   M.   LE    COMTE   D'ARGENTAL. 

Fcrncy,  28  décembre. 

Et  les  yeux  de  mon  ange,  comment  vont-ils  en  1761  ?  Je  me 
souviens  de  1701  tout  comme  si  j'y  étais  ;  c'était  hier.  Ah  !  comme 
le  temps  vole!  les  hommes  vivent  trop  peu;  à  peine  a-t-on  fait 
deux  douzaines  de  pièces  de  théâtre  qu'il  faut  partir.  Mais  à 
quand  Tancrhle,  et  l'édition  du  petit-fils  S  franc  fleux  de  Paris? 

Je  fais  une  réflexion  :  c'est  qu'il  est  important,  mes  anges, 
que  l'épître  à  madame  la  marquise  soit  datée  de  Fcrney  en  Bour- 
gogne, 10  d'octobre  1759. 

Remarquez  toutes  mes  excellentes  raisons;  je  dis  Fcrney, 
parce  que  M'"^-  de  Pompadour  s'est  intéressée  aux  privilèges  de  cette 
terre  ;  je  dis  en  Bourgogne,  afin  que  les  sots  et  les  méchants,  dont 
il  est  grande  année,  n'aillent  pas  toujours  criant  que  je  suis  à 
Genève;  je  dis  10  d'octobre  1759,  parce  qu'elle  fut  écrite  en  ce 
temps-là  -,  et  surtout  parce  que  si  elle  n'est  point  datée,  elle  pa- 
raîtra une  insulte  au  pauvre  Ami  des  Jiommes'\  et  à  son  malheur. 
Vous  savez  que  j'ai  toujours  pensé  qu'il  faut  ou  se  battre  contre 
les  Anglais,  ou  payer  ceux  qui  se  battent  pour  nous;  que  je  n'ai 
jamais  cru  la  France  si  déchirée  qu'on  le  dit;  que  je  pense 
qu'il  y  a  de  grandes  ressources  après  nos  énormes  fauteo.  Ces 
sentiments,  que  j'ai  toujours  eus,  je  les  exprime  dans  ma 
lettre  à  M'"«  de  Pompadour;  mais  ils  deviennent  une  satire  du 
livre  ûes  Impôts,  livre  imprimé  après  ma  lettre  écrite.  Je  passerais 
pour  un  lâche  flatteur  qui  se  fait  de  fête,  et  qui  est  de  l'avis  des 
sous-maîtres,  pendant  qu'un  camarade  valet  est  in  ergastulo  pour 
les  avoir  contredits.  Mes  divins  anges,  ce  serait  là  un  triste  rôle; 
et  vous,  qui  vous  chargez  de  mes  iniquités,  vous  ne  voudrez  pas 

1.  Prault.  Voyez  la  lottro  4378. 

2.  Voyez  tome  \,  page  499. 

3.  Voyez  ci-dessus,  page  123. 


ANNÉIi    1760.  127 

que  celle-là  me  soit  imputée.  Il  ne  s'agit  donc  que  de  dater  mon 
épître  ;  je  m'en  rapporte  à  vos  attentions  tutélaires.  M'"  Chimcne 
prend  la  plume  ;  voyons  comment  elle  s'en  tirera. 

u  M.  de  Voltaire  appelle  Al.  et  M""  d'Argental  ses  anges.  Je  me 
suis  aperçue  qu'ils  étaient  aussi  les  miens  :  qu'ils  me  i)ermetlent 
de  leur  présenter  ma  tendre  reconnaissance. 

«  Corneille.  » 

Eh  Lien  !  il  me  semble  que  Cliimènc  commence  à  écrire  un 
peu  moins  en  diagonale. 

iMes  anges,  nous  baisons  le  bout  de  vos  ailes. 

Denis,  Corneille,  et  V. 


4303.   —  A   M.    COLIM. 
Au  château  de  Fernej',  par  Genève,  29  Jéccmbrc. 

Les  hivers  me  sont  toujours  un  peu  funestes,  mon  cher  Colini  ; 
vous  connaissez  ma  faible  santé  ;  je  ne  peux  vous  écrire  de  ma 
main.  J'attendrai  que  la  foule  des  compliments  du  jour  de  l'an 
soit  passée,  pour  importuner  d'une  lettre  Son  Altesse  électorale, 
et  pour  lui  présenter  mon  tendre  et  respectueux  attachement. 
J'ai  bien  peur  de  n'être  plus  en  état  de  venir  lui  faire  ma  cour. 
Je  mourrai  avec  le  regret  de  n'avoir  pu  finir  notre  afl'aire  de 
Francforts  Vous  savez  que  les  événements  s'y  sont  opposés  ;  on  est 
obligé  de  recommencer  sur  nouveaux  frais,  quand  on  croyait 
avoir  tout  fini  ;  ce  qui  ne  paraissait  pas  vraisemblable  est  arrivé. 
Soyez  bien  sûr  que  si  les  affaires  se  tournent  d'une  manière  plus 
favorable,  je  poursuivrai  celle  qui  vous  regarde  avec  la  plus 
grande  chaleur. 

Je  m'imagine  que  vous  aurez  de  beaux  opéras.  Les  hivers 
sont  d'ordinaire  fort  agréables  dans  les  cours  d'Allemagne.  Pour 
moi,  je  passerai  mon  hiver  dans  mes  campagnes.  Il  faut  que  je 
cultive  mon  petit  territoire  ;  j'ai  environ  deux  lieues  de  pays  h 
gouverner.  Les  choses  sont  bien  changées  de  ce  que  vous  les 
avez  vues;  je  n'ai  jamais  été  si  heureux  que  je  le  suis,  quoique 
malade  et  vieux.  Je  voudrais  que  vous  partageassiez  mou  bon- 
heur. 

1.  Voyez  tome  XL,  pa^'C  19. 


1S8  COIIRESPONDANCE. 

i39i.  —  A  M.  l'.ERTRAND. 

Au  cluîteau  de  Fcrnfïj-,  par  Genève,  29  décembre. 

Je  trouve,  mon  cher  inoiisiciir,  que  le  sieur  Panchaud  a  été 
bien  pressé  ;  je  lui  avais  fait  écrire  qu'il  devait  attendre  votre 
commodité  ^  Soyez  sûr  que  pour  moi  je  serai  toujours  à  vos 
ordres,  et  que  je  n'aurai  jamais  de  plus  grand  plaisir  que  celui 
de  vous  en  faire. 

J'ignore  assez  les  facéties  de  Genève  ;  j'ai  oui  dire  qu'il  y  avait 
des  cocus,  des  professeurs  galants,  des  marchands  qui  tirent  des 
coups  de  pistolet,  des  prêtres  qui  nient  la  divinité  de  Jésus- 
Christ,  et  qui,  avec  cela,  ne  veulent  pas  être  éternellement  dam- 
nés- ;  mais  je  ne  me  mêle  des  affaires  de  cette  ville  que  pour  me 
faire  payer  les  dîmes  par  les  citoyens  qui  sont  mes  vassaux.  J'ai 
pourtant  rendu  un  petit  service  au  pays,  en  chassant  les  jésuites 
d'un  domaine  assez  considérable  qu'ils  avaient  usurpé  sur  six 
frères  gentilshommes  suisses  de  votre  canton,  nommés  MM.  de 
Crassy.  Il  en  coûtera  malheureusement  quelque  chose  à  un  se- 
crétaire d'État  de  Genève,  qui  s'était  fait  le  prête-nom  des  jésuites. 
L'argent  réunit  toutes  les  religions  ;  je  suis  tombé  k  la  fois  sur 
Ignace  et  sur  Calvin.  Cela  ne  m'a  pas  empêché  d'envoyer  à 
Manheim  le  mémoire  de  votre  cabinet  ;  mais  ce  que  je  vous  ai  pré- 
dit est  arrivé  :  le  temps  n'est  pas  propre. 

Je  vous  souhaite  des  années  heureuses,  c'est-à-dire  tran- 
quilles: car  pour  des  plaisirs  vifs,  je  ne  crois  pas  qu'ils  soient  de 
la  compétence  du  mont  Jura.  Pourtant  un  de  mes  plaisirs  les 
plus  vifs  serait  de  pouvoir  assurer  encore  de  vive  voix  M,  et 
M'""  de  Freudenreich  de  mon  inviolable  et  tendre  reconnais- 
sance, et  d'embrasser  en  vous  un  des  plus  dignes  amis  que  j'aie 
jamais  eus.  V. 

•4395.  —  A  M.   LE  COMTE   D'ARGENTAL. 

A  Ferncy,  pays  de  Ge.\,  par  Genève,  31  décembre. 

Les  plus  aimables  et  les  plus  difficiles  de  tous  les  anges,  c'est 
vous,  monsieur  et  madame.  Si  vous  n'êtes  pas  contents  de  Ma- 
thurin  ^  qui  nous  paraît  assez  plaisant  et  tout  neuf;  si  vous  avez 


1.  Il  s'agit  ici  d'argent  prêté  par  Voltaire  à  son  ami. 

2.  Voyez  ci-dessus,  page  123. 
o.  Dans  le  Droit  du  Seigneur. 


ANNEE    17  GO.  429 

la  cruauté  de  l'appeler  vieux,  quoique  je  sois  prêt  à  lui  donner 
trente  ans  ;  si  vous  voulez  que  Colette  en  soit  amoureuse  (ce  que 
je  ne  voulais  pas);  si  vous  avez  l'injustice  de  soutenir  que  le 
marquis  et  Acanthe  ne  s'aimaient  pas  depuis  quatorze  mois,  quoi- 
qu'ils disent  formellement  le  contraire,  et  peut-être  assez  fine- 
ment ;  si  vous  n'êtes  pas  édifiés  de  voir  un  sage  qui  parie  de  ne 
pas  succomber,  et  qui  perd  la  gageure  ;  si  vous  n'aimez  pas  un 
débauché  qui  se  corrige  ;  si  vous  ne  trouvez  pas  le  caractère 
d'Acanthe  très-original,  je  peux  être  très-fiiché,  mais  je  ne  peux 
ni  être  de  votre  avis,  ni  vous  aimer  moins. 

Je  vous  supplie,  mes  cliers  anges,  de  me  renvoyer  les  deux 
copies,  c'est-à-dire  la  première,  qui  n'était  qu'un  avorton,  et  la 
seconde,  que  je  trouve  un  enfant  assez  bien  formé,  qui  vous  dé- 
plaît. 

M""^^  d'Argental  est  bien  bonne  de  daigner  se  charger  de  faire 
un  petit  présent  à  la  Muse  limonadicre  ^  ;  je  l'en  remercie  bien 
fort,  c'est  la  seule  façon  honnête  de  se  tirer  d'affaire  avec  cette 
muse. 

Je  suis  très-fiiché  que  Fréron  soit  au  For-1'Évêquc.  Toutes  les 
plaisanteries  vont  cesser;  il  n'y  aura  plus  moyen  de  se  moijiier 
de  lui. 

UAmi  des  hommes  est  donc  à  Vincennes-?  ses  ouvrages  sont 
donc  traités  sérieusement  ?  il  aurait  donc  quelquefois  raison?  Il 
m'a  paru  un  fou  qui  a  beaucoup  de  bons  moments. 

Il  court  parmi  vous  autres  de  singulières  nouvelles.  Est-il  vrai 
que  les  Anglais  ont  proposé  de  vous  réduire  à  n'avoir  jamais  que 
vingt  vaisseaux,  c'est-à-dire  à  en  construire  encore  dix  ou  douze? 
On  ajoute  une  paix  particulière  entre  Luc  et  Thérèse  ;  quand  je 
la  croirai,  je  croirai  celle  des  jansénistes  et  des  molinistes,  des 
parlements  et  des  intendants,  et  des  auteurs  avec  les  auteurs. 

J'apprends  que  Messieurs  de  parlement  brûlent  tout  ce  qu'ils 
rencontrent,  mandements  d'évôques.  Vieux  et  Nouveau  Testa- 
ments' de  frère  iJerruyer,  Ouvrages  dcSalomon*,  Défense ''de  la 
nou\ellc  morale  du  bon  Jésus  contre  la  murale  du  dur  Aloïse, 

1.  M""=  llourcllc. 

2.  Voyez  la  lettre  WM). 

3.  L'Ilislohe  du  peuple  de  Dieu,  dont  la  troisième  et  dernière  partie  avait 
paru  en  17.")S,  i^t  dimt  l.i  seconde  lui  supprimée  par  un  arrêt  du  parlement  do 
Paris  en  H.VJ.  —  NOyiz  la  lettre  .iHJl), 

4.  l'robablrmCHt  le  l'rècis  du  Cantique  des  canliques,  déjà  brûlé  tn  17ô9. 

l).  Cette  Défense,  dont  il  est  qnesdon  dans  le  cinquième  alinéa  de  la  lettre 
n°  VMJO,  est  mentionnée  sous  le  titre  û'Oraclc  des  anciens  lidùlcs  a  la  lin  de  celle 
n"  436'J. 

il.    —    {^OIlllESl'O.NUANtE.    I  .\.  0 


130  CORRESPONDANCE. 

c'cst-cVdire  la  Réponse  à  l'auteur  de  l'Oracle  des  philosophes.  Ils  brû- 
leront bientôt  les  édits  daclit  seigneur  roi;  mais  je  les  avertis  qu'ils 
n'auront  pour  eux  que  les  Halles,  et  point  du  tout  les  pairs  et 
les  princes.  Je  vois  toutes  ces  pauvretés  d'un  œil  bien  tranquille, 
aux  Délices  et  àFerney.  La  petite  Corneille  contribue  beaucoup  à 
la  douceur  de  notre  vie  ;  elle  plaît  à  tout  le  monde  ;  elle  se  forme, 
non  pas  d'un  jour  à  l'autre,  mais  d'un  moment  à  l'autre.  A'e  vous 
ai-je  pas  mandé  combien  son  petit  gentil  esprit  est  naturel,  et  que 
je  soupçonnais  que  c'était  la  raison  pour  laquelle  Fontenelle  l'avait 
désliéritée^  ?  Mes  cliers  anges,  permettez  que  jo  prenne  la  liberté 
devons  adresser  ma  réponse  -  à  la  lettre  que  son  père  m'a  écrite, 
ou  qu'on  lui  a  dictée. 

Prault  ne  m'envcrra-t-il  pas  son  Tancrhle  à  corriger?  Quand 
joucra-t-on  Tancrede?  Pourquoi  la  Femme  qui  a  raison  partout, 
hors  à  Paris?  est-ce  parce  que  Wasp  en  a  dit  du  mal?  Wasp  triom- 
pliera-t-il  ?  Comment  vont  les  yeux  de  mon  ange? 

Eh!  vraiment,  j'oubliais  la  meilleure  pièce  de  notre  sac, 
l'aventure  de  ce  bon  prêtre',  de  ce  bon  directeur,  de  ce  fameux 
janséniste,  jadis  laquais,  qui  a  volé  cinquante  mille  livres  à 
M""  d'Egmont. 

Maître  Omer  le  prendra-t-il  sous  sa  protection  ?  Requerra-t-il 
en  sa  faveur  ? 

4396.   —  A  M.   DUVERGER   DE   SAIM-ÉTIENNE, 

GENTILHOMME  DL  ROI  DE  POLOGNE  ^. 

Décembre  1760. 

Tout  malade  que  je  suis,  monsieur,  je  suis  très-honteux  de 
ne  répondre  qu'en  prose,  et  si  tard,  à  vos  très-jolis  vers.  Je  féli- 
cite le  roi  de  Pologne  d'avoir  auprès  de  lui  un  gentilhomme  qui 
pense  comme  vous  ^  Il  serait  bien  difficile  qu'on  pensât  autre- 
ment à  la  cour  d'un  prince  qui  pense  si  bien  lui-même,  et  qui  a 


1.  C'est  à  M™'^  du  Deffantque  Voltaire  l'avait  écrit;  voyez  la  lettre  4383. 

2.  Sans  doute  celle  qui  est  datée  plus  haut  du  25  décembre,  et  qui  pouvait 
être  restée  quelques  jours  sur  le  pupitre  du  philosophe. 

3.  L'abbé  Grizel.  Voltaire  a  reconnu  que  l'accusation  qu'il  porte  contre  cet 
abbé,  d'avoir  volé  M""  d'Egmont,  est  fausse.  Ce  n'est  point  cette  dame,  mais 
M.  de  Tournj-,  son  héritier,  que  Grizel  a  volé;  voyez  la  lettre  à  Thieriot  du 
11  janvier  1761.  (B.) 

4.  Il  avait  adressé  à  Voltaire,  sur  la  comédie  de  l'Écossaise,  une  épître  im- 
primée dans  le  Mercure,  tome  II  d'octobre  1760. 

5.  Je  donne  cette  lettre  telle   qu'elle  est  imprimée    dans  le    Mercure,  17C1, 


ANNEE    1761.  431 

fait  renaître,  dans  la  partie  da  monde  qu'il  gouverne,  les  beaux 
jours  du  siècle  d'Auguste,  l'amour  des  arts  et  des  vertus 

Lorsque  j'ai  demandé,  monsieur,  votre  adresse  à  M"""  la  mar- 
quise des  Ayvellesi,  à  qui  je  dois  sans  doute  vos  sentiments,  je 
me  flattais  de  vous  faire  de  plus  longs  remerciements.  Ma  mau- 
vaise santé  ne  me  permet  pas  une  plus  longue  lettre  ;  mais  elle 
ne  dérobe  rien  aux  sentiments  d'estime  et  de  reconnaissance-, 
monsieur,  de  votre  très-humble  et  très-obéissant  serviteur. 

Voltaire. 

4397.   —  A   MADAME   LA    DLCllESSE    DE    SAXE-GOTHA». 

Madame,  il  faut  donc  que  l'année  1761  recommence  avec  la 
guerre!  Il  faut  donc  que  toutes  vos  vertus,  et  toute  la  conciliation 
de  votre  esprit,  ne  puissent  détourner  ce  fléau  de  votre  voisinage 
et  même  de  vos  États  !  Voilà  donc  les  choses  à  peu  près  comme 
elles  étaient  dans  le  commencement  de  ces  funestes  troubles!  Il 
y  a  longtemps,  madame,  que  je  n'ai  pris  la  liberté  de  mêler  ma 
douleur  à  celle  que  Votre  Altesse  sérénissime  ressent  de  tant  de  dé- 
sastres. Les  larmes  qu'elle  verse  sur  les  malheurs  de  l'Allemagne 
sont  d'autant  plus  belles  que  les  désolations  qui  vous  environnent 
ne  vont  point  jusqu'à  vous.  Une  princesse  ne  soulfre  guère  per- 
sonnellement; mais  une  âme  comme  la  vôtre  souffre  des  peines 
d'autrui.  J'ignore  si  l'interruption  du  commerce,  attachée  au 
fléau  de  la  guerre,  n'a  point  empêché  le  petit  paquet  qui  conte- 
nait VHistoire  de  Pierre  1""  de  parvenir  jusqu'à  Votre  Altesse  séré- 
nissime. 


tome  I,  page  100.  Elle  y  est  sans  date.  Les  éditeurs  de  Kelil  l'ont  datée  du  1"^'  sep- 
tembre, et  leur  texte  est  ici  différent  : 

«  ...  comme  vous.  Cela  fait  presque  pardonner  la  protection  qu'il  a  prodiguée 
à  un  malheureux  tel  que  Fréron.  Ce  monarque  est  comme  le  soleil,  qui  luil 
également  pour  les  colombes  et  pour  les  vipères.  » 

Stanislas  avait,  eu  1757,  été  parrain  du  fils  de  Fréron,  qui  a  éié  membre  de 
la  Convention,  (li.) 

1.  Maric-lJéatri.v  du  Chàtelet,  mariée  à  Phil-Fr.  d'AmIily  des  Ayvelles,  en  1093. 
Voltaire  avait  sans  doute  connu,  en  Lorraine,  celte  parente  de  la  marquise  du 
Chàtelet.  (Cl.) 

2.  Dans  l'édition  de  Kehl  on  lit  : 

n  Avec  lesquels  j'ai  l'honneur  d'être,  etc. 

Vous  m'avez  atlondri,  votre  éiillro  est  charuiaiiti' ; 

En  pliilosopho  vous  ponscï  ; 
Lindane  est  dans  vos  vers  plus  belle  ot  plu'i  touchante, 

Et  c'eiit  TOUS  qui  rembellisscz.  i 

Voyez  dans  les  Puvsics  inélres,  tome  .\,  le  u"  '-J2J. 

3.  Éditeurs,  Uavoux  et  François. 


132  CORRESPONDANCE. 

Il  faut  au  moins  que  je  l'amuse  d'une  petite  aventure  de  nos 
climats  pacifiques.  J'ai  quelques  terres  dans  le  pays  de  Gex,  aux 
portes  de  (ienève;  les  jésuites  en  ont  aussi,  et  ce  sont  mes  voi- 
sins. Non  contents  du  royaume  du  ciel,  dont  ils  sont  sûrs,  ils 
avaient  usurpé  un  domaine  très-considérable  sur  six  pauvres 
gentilshommes,  tous  frères,  tous  mineurs,  tous  servant  dans  le 
régiment  de  Deux-Ponts.  J'ai  pris  le  parti  de  ces  messieurs.  Il 
fallait  quelque  argent  ;  je  l'ai  donné.  Calvin  ne  me  le  rendra  pas; 
mais  enfin  j'ai  arraché  le  bien  des  mains  des  jésuites,  et  je 
l'ai  fait  rendre  aux  propriétaires  :  voilà,  madame,  ma  bataille  de 
Lissa.  Je  sais  bien  que  saint  Ignace  ne  me  pardonnera  pas;  mais 
n'est-il  pas  vrai  que  je  trouverai  grâce  à  vos  yeux,  madame?  Il 
n'y  a  point  de  saint  dont  j'ambitionne  la  protection  comme  la 
vôtre.  Je  suis  sûr  que  la  grande  maîtresse  des  cœurs  rira  de  me 
voir  vainqueur  des  jésuites  ;  elle  aimera  les  guerres  qui  finissent 
par  rendre  à  chacun  ce  qui  lui  appartient. 

On  dit  Pondichéry  au  pouvoir  des  Anglais  :  j'y  perds  quelque 
chose;  mais  si  cela  donne  la  paix,  je  me  console. 

Je  me  mets  aux  pieds  de  Votre  Altesse  sérénissime  et  de  toute 
votre  auguste  famille,  avec  le  plus  tendre  respect. 

Le  Suisse  V. 

4398.  —  A  31.   HELVÉTIUS, 

A    PARIS. 

A  Ferney,  2  janvier  1761. 

Je  salue  les  frères,  en  1761,  au  nom  de  Dieu  et  de  la  raison, 
et  je  leur  dis  :  Mes  frères, 

Odi  profaiium  vulgus,  et  arceo. 

(HoK.,  lib.  III,  od.  I.) 

Je  ne  songe  qu'aux  frères,  qu'aux  initiés.  Vous  êtes  la  bonne  com- 
pagnie :  donc  c'est  à  vous  à  gouverner  le  public,  le  vrai  public 
devant  qui  toutes  les  petites  brochures,  tous  les  petits  journaux 
des  faux  chrétiens  disparaissent,  et  devant  qui  la  raison  reste. 
Vous  m'écrivîtes,  mon  cher  et  aimable  philosophe,  il  y  a  quelque 
temps,  que  j'avais  passé  le  Rubicon  ;  depuis  ce  temps  je  suis  de- 
vant Rome.  Vous  aurez  peut-être  ouï  dire  à  quelques  frères  que 
j'ai  des  jésuites  tout  auprès  de  ma  terre  de  Ferney  ;  qu'ils  avaient 
usurpé  le  bien  de  six  pauvres  gentilshommes,  de  six  frères,  tous 
officiers  dans  le  régiment  de  Deux-Ponts  ;  que  les  jésuites,  pen- 
dant la  minorité  de  ces  enfants,  avaient  obtenu  des  lettres  pa- 


ANNÉE    1761.  433 

tentes  pour  acquérir  à  vil  prix  le  domaine  de  ces  orphelins  ;  que 
je  les  ai  forcés  de  renoncer  à  leur  usurpation,  et  qu'ils  m'ont 
apporté  leur  désistement.  Voilà  une  bonne  victoire  de  philoso- 
phes. Je  sais  bien  que  frère  Kroust  cabalera,  que  frère  Berthier 
m'appellera  athée;  uiais  je  vous  répète  qu'il  ne  faut  pas  plus 
craindre  ces  renards  que  les  loups  de  jansénistes,  et  qu'il  faut 
hardiment  chasser  aux  bétes  puantes.  Ils  ont  beau  hurler  que 
nous  ne  sommes  pas  chrétiens,  je  leur  prouverai  bientôt  que 
nous  sommes  meilleurs  chrétiens  qu'eux.  Je  veux  les  battre  avec 
leurs  propres  armes, 


Mutemus  clypeos 

(ViRG.,  .En.,  II,  V.  389.) 

Laissez-moi  faire.  Je  leur  montrerai  ma  foi  par  mes  œuvres*, 
avant  qu'il  soit  peu.  Vivez  heureux,  mon  cher  philosophe,  dans 
le  sein  de  la  philosophie,  de  l'abondance,  et  de  l'amitié.  Soyons 
hardiment  bons  serviteurs  de  Dieu  et  du  roi,  et  foulons  aux  pieds 
les  fanatiques  et  les  hypocrites. 

Dites-moi,  je  vous  prie,  s'il  est  vrai  que  ce  cher  Fréron  soit 
sorti  de  son  fort.  On  l'avait  mis  là  pour  qu'il  n'eût  pas  la  douleur 
de  voir  encore  cette  malheureuse  Écossaise;  mais  on  se  méprit 
dans  l'ordre  :  on  mit  For-l'Évéquc  au  lieu  de  Bicêtre.  On  Jera 
probablement  un  errata  à  la  première  occasion. 

Je  le  répète,  il  y  a  des  choses  admirables  dans  VHéroïdc  du 
disciple  de  Socrate  -.  N'aimez-vous  pas  cet  ouvrage  ?  II  est  d'un  de 
nos  frères.  Je  lui  dis  :  Xaîps. 

4399.  —   A  M.  LE  BRUN. 

A  Ferney,  2  janvier. 

Vous  m'avez  accoutumé,  monsieur,  à  oser  joindre  mon  nom  à 
celui  de  Corneille;  mais  ce  n'est  que  quand  il  s'agit  de  sa  potite- 
lille.  Nous  espérons  beaucoup  d'elle,  ma  nièce  et  moi.  Nous  prenons 
soin  de  toutes  les  parties  de  son  éducation,  jusqu'à  ce  qu'il  nous 
arrive  un  maître  digne  de  l'instruire.  Elle  a|)prend  l'orthographe; 
nous  la  faisons  écrire.  Vous  voyez  qu'elle  forme  bien  ses  lettres  ^ 

1.  Saint  Jarriiifs,  ii,  IS. 

2.  Voyez  uno  note  de  lu  lettre  WC9. 

3.  En  tète  de  celte  lettre  était  (jcrit  co  peu  do  lignes  de  la  main  de  M""'  Cor- 
neille : 

«  J'ai  trop  éprouve  vos  bontés,  nicjn^^iciir,    pour  que  jt;  ne  vous  témoif^ne  pas 


134  CORRESPOXDA?sCE. 

et  que  ses  lignes  ne  sont  point  en  diagonale  comme  celles  de 
quelques-unes  de  nos  Parisiennes,  Elle  lit  avec  nous  à  des  heures 
réglées,  et  nous  ne  lui  laissons  jamais  ignorer  la  signification 
des  mots.  Après  la  lecture,  nous  parlons  de  ce  qu'elle  a  lu,  et 
nous  lui  apprenons  ainsi,  insensiblement,  un  peu  d'histoire.  Tout 
cela  se  fait  gaiement  et  sans  la  moindre  apparence  de  leçon. 

J'espère  que  l'ombre  du  grand  Corneille  ne  sera  pas  mécon- 
tente ;  vous  avez  si  bien  fait  parler  cette  ombre,  monsieur,  qu  e 
je  vous  dois  compte  de  tous  ces  petits  détails.  Si  M"'  Corneille 
remercie  M.  Titon,  et  tous  ceux  qui  ont  pris  intérêt  à  elle,  souf- 
frez que  je  les  remercie  aussi.  J'espère  que  je  leur  devrai  une 
des  grandes  consolations  de  ma  vieillesse,  celle  d'avoir  contribué  à 
l'éducation  de  la  cousine  de  Chimène,  de  Gornélic,  et  de  Camille. 

Il  faut  que  je  vous  dise  encore  qu'elle  remplit  exactement 
tous  les  devoirs  de  la  religion,  et  que  nos  curés  et  notre  évêque 
sont  très-contents  de  la  manière  dont  on  se  gouverne  dans  mes 
terres.  Les  Berthier,  les  Guyon,  les  Gauchat,  les  Chaumeix,  en 
seront  peut-être  fâchés  ;  mais  je  ne  peux  qu'y  faire.  Les  philo- 
sophes servent  Dieu  cl  le  roi,  quoi  que  ces  messieurs  en  disent. 
Nous  ne  sommes,  à  la  vérité,  ni  jansénistes,  ni  molinistes,  ni  fron- 
deurs; nous  nous  contentons  d'être  Français  et  catholiques  tout 
uniment.  Cela  doit  paraître  bien  horrible  à  l'auteur  des  Nouvelles 
ecclésiastiques  '-. 

Quant  à  ce  malheureux  Fréron,  dont  vous  daignez  me  parler, 
ce  n'est  qu'un  brigand  que  la  justice  a  mis  au  For-l'Évêque,  et  un 
Marsyas  qu'Apollon  doit  écorcher.  Je  vois  assez,  par  vos  vers  et 
par  votre  prose,  combien  vous  devez  mépriser  tous  ces  gredins 
qui  sont  l'opprobre  de  la  littérature.  Je  vous  estime  autant  que  je 
les  dédaigne. 

Votre  distinction  entre  le  vrai  public  et  le  vulgaire  est  bien 
d'un  homme  qui  mérite  les  suffrages  du  public  ;  daignez  y  joindre 
le  mien,  et  comptez  sur  la  plus  sincère  estime,  j'ose  dire  sur 
l'amitié  de  votre  obéissant  serviteur. 

Voltaire. 


ma  reconnaissance  au  commencement  de  l'année,  et  toutes  les  années  de  ma  vie. 
Je  vous  supplie,  monsieur,  d'ajouter  à  toutes  vos  bontés  celle  de  vouloir  bien 
présenter  mes  remerciements  à  M.  Titon,  à  M"°  Vilgenou,  à  M.  Dumolard,  et  à 
tous  ceux  qui  ont  bien  voulu  s'intéresser  à  mon  sort.  »  (Note  de  Gingucné,  édi- 
teur des  OEuvres  de  Le  Brun.) 

1.  Voyez  la  note,  tome  XXI,  page  419. 


ANNÉE    1701.  135 

4i00.    -   A    M.    FYOT  DF    L  \   MARCHE  '. 

(fii.s.) 

A  Ferney,  3  janvier  1701. 

Monsieur,  permettez  qu'au  commencement  de  cette  année  je 
vous  renouvelle  les  sentiments  de  la  reconnaissance  que  je  dois 
à  vos  bontés  et  à  toutes  celles  dont  monsieur  votre  père  m'a 
honoré  si  longtemps.  Permettez  en  même  temps  que  j'aie  re- 
cours à  vous,  dans  un  événement  qui  intéresse  toute  notre  petite 
province  de  Gex,  au  nom  de  laquelle  jai  l'honneur  de  vous 
parler. 

Le  fils  d'un  bourgeois  de  Sacconex,  au  pays  de  Gex,  a  été  assas- 
siné par  un  curé  d'un  village  nommé  Aloëns,  et  par  plusieurs 
paysans  complices  de  ce  curé-.  Le  crime  a  été  commis  le  28  dé- 
cembre ;  nous  sommes  au  3  janvier,  et  à  peine  y  a-t-il  une  faible 
procédure  commencée  par  la  justice  de  Gex.  J'ai  vu  le  fils  du 
sieur  Decroze  blessé,  je  l'ai  vu  dans  son  lit  n'attendant  que  la 
mort.  Le  père,  très-âgé  et  incapable  de  suivre  cette  cruelle 
afl'aire  par  son  âge  et  par  sa  douleur,  m'a  remis  un  mémoire  que 
j'ai  envoyé  à  monsieur  le  procureur  général.  Je  vous  supplie  in- 
stamment, monsieur,  de  vouloir  bien  vous  le  faire  représenter.  Les 
officiers  de  la  justice  de  Gex  furent  très-empressés  à  faire  une 
descente  sur  les  lieux,  il  y  a  deux  ans,  au  sujet  de  six  noix  volées 
sur  mes  terres,  et  d'un  coup  de  sabre  très-léger  donné  sur  le  bras 
du  voleur.  Ils  entendirent  cinquante-deux  témoins,  ils  firent  des 
informations  de  vie  et  de  mœurs,  croyant  que  je  payerais  tous 
leurs  frais  (en  quoi  ils  se  sont  trompés)  ;  aujourd'hui  qu'il  s'agit 
de  la  sûreté  publif|ue,  d'un  assassinat  avéré,  d'un  mourant  et  de 
deux  blessés,  je  crois  que  nous  avons  besoin  de  votre  autorité 
pour  encourager  les  officiers  de  Gex  à  faire  toutes  les  diligences 
que  mérite  un  cas  si  extraordinaire.  Nous  attendons  tout  de  votre 
bonté  et  de  votre  pouvoir.  Et  en  mon  particulier,  monsieur,  je 
vous  aurai  plus  d'obligation  qu'un  autre,  mes  terres  toucliant  de 
tous  les  côtés  au  lieu  où  le  crime  a  été  commis,  et  les  habitants 
de  ce  lieu  étant  d'une  férocité  qu'on  ne  peut  trop  craindre  et  trop 
ré|)rinier. 

Je  suis  avec  beaucoup  de  rcs[)ecl,  monsieur,  votre  très-humble 
et  très-obéissant  serviteui". 

\'0LTAIIIE. 

1.  Kdilour,  n.  IJcaunc. 

2.  On  |)cnt,  lire  les  (K'-lails  de  cdc  alTairc  dans  nnc  IcUic  do  Voltaire  au  pré- 
sident de  IJnjssen,  en  date  du  30  janvier  17(31. 


ne  CORRESPONDANCE. 

4401.   —  A    MADA:MK    I5EL0T'. 


1701. 


Voltaire  est  honteux  de  faire  coûter  des  ports  de  lettres  i\ 
M""  B.  V.  lui  a  envoyé  un  Pierre.  Messieurs  de  la  poste  retiennent 
tous  les  livres  reliés.  On  ne  sait  plus  comment  faire  ;  tout  com- 
merce périt.  V.  serait  fort  aise  que  M'"-  R.  se  partafi:ci\t  entre  le 
Perche  et  les  Alpes;  mais  le  Perche  est  voisin,  et  les  Alpes  sont 
bien  loin,  et  le  mont  Jura  est  un  rude  seigneur  avec  ses  neiges. 
Si  M""'  B.  voit  le  philosophe  très-aimable  II.  S  elle  est  suppliée 
de  lui  dire  que  son  frère  V.  est  son  plus  zélé  partisan,  plein  de 
la  plus  tendre  estime  pour  lui.  Il  avait  envoyé  au  philosophe  H. 
et  au  pliilosoplie  Spartacus'  un  Pierre;  tout  est  arrêté  à  la  poste. 
V.  gémit  de  loin  sur  Jérusalem. 

4i02.  —A   M.   DE   CHENEVliilRES  4. 

Fcrney,  4  janvier  s. 

Je  suis  honteux  ;  je  me  mettrais  dans  un  trou  de  souris,  mon 
cher  correspondant.  Je  ne  réponds  qu'en  vile  prose  et  qu'en  cou- 
rant à  vos  aimables  vers.  Voilà  comme  sont  faits  les  maçons  et 
les  laboureurs,  et  j'ai  l'honneur  de  l'être.  Voulez-vous  bien  pour- 
tant me  mander  s'il  est  vrai  qu'on  ait  joué  à  Versailles  cette 
Femme  qui  a  raison  qu'on  m'impute,  et  qui  est  détestablement 
imprimée?  Le  tiers  de  cet  ouvrage  est  à  peine  de  ma  façon.  Je 
soullVc  très-patiemment  qu'on  me  persécute,  mais  je  ne  souffre 
pas  qu'on  me  rende  ridicule. 

J'ai  envoyé  à  M.  Sénac  un  mémoire  qui  semble  concerner  son 
ministère  :  il  s'agit  d'un  marais  qui  met  la  peste  dans  mon  petit 
pays.  M.  Sénac  ne  se  soucie  pas  qu'on  meure  entre  le  mont  Jura 
et  les  Alpes;  il  ne  me  répond  pas. 

J'embrasse  mon  cher  correspondant. 


1.  Éditeurs,  Bavoux  et  François. 

2.  Helvétius. 

3.  Saurin. 

4.  Éditeurs,  de  Cayrol  et  François. 

5.  Cette  lettre  est  de  1761  et  non  de  1763.  (G.  A.) 


ANNÉE    1761.  137 


4403.   —    A   M.   PRAULT    FILS». 

4  janvier -. 

M.  Praiilt  doit  savoir  que  le  volume  à  lui  envoyé  par  les  frères 
Cramer  est  une  chose  très-délicate,  qu'il  ne  faut  ni  demander 
une  permission,  ni  mettre  mon  nom  à  la  tête  du  livre,  ni  la  pre- 
mière lettre  de  mon  nom;  que  le  libraire  risquerait  beaucoup; 
que  je  n'avoue  aucune  des  pièces  que  ce  livre  contient,  et  que  je 
les  désavoue  presque  toutes.  En  un  mot,  je  le  prie  très-instam- 
ment d'Oter  :  par  M.  de  V.,  qu'on  a  mis  très-imprudemment. 
M.  Prault  y  a  un  intérêt  sensible.  Il  n'y  a  qu'à  substituer  au  titre  : 
Nouveau  volume  pour  joindre  aux  autres,  et  rien  de  plus. 

J'attends  la  tragédie  de  Tancrède.  Comment  a-t-il  pu  s'ima- 
giner que  je  donne  Tancrède  à  d'autres,  en  même  temps  qu'à  lui? 

4i0i.  —  A   M.    DE   CIDEVILLE, 
ni'i;  SAINT-PI  EH  ni;,  piii:s  du  uempar  t,  a  paris. 

Au  cliàtcau  de  Fcrnoy,  i  janvier. 

Vous  vous  êtes  blessé  avec  vos  armes,  mon  cher  et  ancien 
ami  ;  il  n'y  a  qu'à  ne  vous  plus  battre,  et  vous  serez  guéri.  Dissi- 
pation, régime,  et  sagesse,  voilà  vos  remèdes.  Je  vous  proposerais 
ïroncbin,  si  je  me  flattais  que  vous  daignassiez  venir  dans  nos 
petits  royaumes;  mais  vous  préférez  les  bords  de  la  Seine  au  beau 
bassin  de  nos  Alpes,  Je  m'intéresse  beaucoup  terelibus  suris^  de 
notre  grand  abbé*.  Vous  êtes  de  jeunes  gens  en  comparaison  du 
vieillard  des  Alpes.  Il  ne  tient  qu'à  vous  de  vous  porter  mieux 
que  moi.  Je  suis  né  faible,  j'ai  vécu  languissant;  j'acquiers  dans 
mes  retraites  de  la  force,  et  même  un  peu  d'imagination.  On  ne 
meurt  point  ici.  Nous  avons  une  femme  d'esprit  =*  de  cent  trois 
ans,  que  j'aurais  mariée  à  Fontenelle  s'il  n'était  pas  mort  jeune. 

iNous  avons  aussi  l'héritière  du  nom  de  Corneille,  et  ses  dix- 
sept  ans.  Vous  savez  qu'elle  a  l'esprit  très-naturel ,  et  que  c'est 
pour  cela  que  Fontenelle  l'avait  déshéritée  ^  Vous  savez  toutes 
mes  marches.  Il  est  vrai  fjuc  j'ai  fait  rendre  le  bien  (\nc  les  jésuites 

1.  l^(litcll^s,  de  Cayrol  et  François. 

'J.  Cette  leUrc  est  de  1701,  et  non  de  1702.  (G.  A.) 

3.  On  lit  dans  Horace,  livre  II,  ode  iv,  vers  21  :  «  Teretcsquc  suras.  » 

■i.  L'abbé  du  ne.snel. 

r».  M""  Lullin. 

6.  Voyez  les  lettres  i:tS3  cl  WJ-j, 


I3S  CORRESPONDANCE. 

avaient  usurpé  sur  six  frères,  tous  au  service  du  roi  ;  mais  appre- 
nez que  je  ne  m'en  tiens  pas  là.  Je  suis  occupé  à  présent  k  pro- 
curer à  un  prêtre  ^  un  emploi  dans  les  galères.  Si  je  peux  faire 
pendre  un  prédicant  huguenot, 

Sublimi  feriani  sidéra  vcrlice 

(Iloii.,  lil).  I,  oci.  I,  V.  ■M.) 

Je  suis  comme  le  musicien  de  Dufresny  en  chantant  son  opéra  : 
il  fa  il  le  tout  en  badinant.  Mais  je  vous  aime  sérieusement;  autant 
en  fait  M""'  Denis.  Soyez  gai,  vous  dis-je,  et  vous  vous  porterez  à 
merveille. 

Je  vous  embrasse  ex  toio  corde.  V. 


4405.   —  A  M.   DESPREZ  DE  CRASSY^. 

Aux  Délices. 

Vous  m'avez  promis ,  monsieur,  vos  bons  offices  dans  l'occa- 
sion. Je  vous  en  demande  un  avec  instance,  c'est  de  faire  sentir 
à  l'insolent  curé  de  Versoix  qu'il  ne  lui  appartient  pas  de  vous 
empêcher  de  rendre  des  visites  à  une  fille.  Ces  drôlcs-là  se  mettent 
k  faire  la  police.  Il  faut  leur  apprendre  à  ne  se  mêler  que  de  dire 
la  messe;  je  vous  demande  cette  grâce  instamment.  Votre  très- 
humble  et  obéissant  serviteur. 


4406.  —  A   M.  LE    COMTE    D'ARGENTAL. 

Au  château  de  Fernej-,  6  janvier. 

Mon  cher  ange,  aidez-moi  à  venger  la  patrie  de  l'insolence 
anglicane.  Un  de  mes  amis,  ami  intime,  a  broché  ce  mémoire '\ 
Je  m'intéresse  à  la  gloire  de  Pierre  Corneille  plus  que  jamais, 
depuis  que  jai  chez  moi  sa  petite-fille.  Voyez  si  la  douce  réponse 
aux  Anglais  plaît  à  M""'  Scaliger.  En  ce  cas,  elle  pourrait  être  im- 
primée par  Prault  petit-fils,  sous  vos  auspices;  sinon  vous  auriez 
la  bonté  de  me  la  renvoyer,  car  je  n'ai  que  ce  seul  exemplaire. 
J'attends  aussi  ce  Droit  du  Seigneur  que  vous  n'aimez  point,  et 
que  j'ai  le  malheur  d'aimer.  Vous  m'abandonnez  du  haut  de 
votre  ciel,  ô  mes  anges!  Dites-moi  donc  ce  que  vous  avez  fait  de 

1.  Ancian,  curé  de  ÎMoëns. 

•2.  Éditeurs,  de  Cayrol  et  François. 

3.  L'Appel  à  toutes  les  nations,  etc.;  voyez  tome  XXIV,  pa8:e  i91. 


ANNfiE    17G1.  139 

Tancrcde,  et,  de  grâce,  un  petit  mot  iVOreste;  après  quoi  vous 
daignerez  m'apprendre  si  nous  aurons  la  guerre  ou  la  paix. 

A  propos  de  guerre,  permettez  que  je  vous  parle  de  peste. 
Nous  sommes  menacés  de  la  peste  dans  notre  petit  pays  de  Gex. 
J'ai  pris  la  liberté  de  présenter  requête  contre  elle  à  M.  de  Cour- 
teilles.  Je  vous  supplie  d'appuyer  mes  très-humbles  représenta- 
tions :  il  s'agit  d'un  marais  plein  de  serpents,  qu'apparemment 
Fréron,  Abraham  Chaumeix,  Guyon,  Gauchat,  et  les  auteurs  du 
Journal  chrétien,  ont  envoyés. 

Mais  que  deviennent  les  yeux  de  M.  d'Argental  ?  Je  suis  plus 
inquiet  d'eux  que  de  ma  peste. 

Est-il  vrai  qu'on  ait  joué  à  Versailles  la  Femme  qui  a  raison,  et 
que  la  reine  ait  été  de  l'avis  de  Fréron  ? 

Avez-vous  lu  l'ouvrage  ^  évangélique  adressé  à  mon  ami  Guyon , 
sur  l'Ancien  et  le  Nouveau  Testament  ?  Cela  est  poivré;  c'est  un 
petit  livre  excellent.  Est-il  vrai  que  le  théologien  de  VEncydo- 
pèdic,  Morellet  ou  Mords-les,  eu  soit  l'auteur?  Quel  qu'il  soit,  son 
livre  est  brûlé  et  bénit. 

Comment  suis-je  avec  M.  le  duc  de  Choiscul?  Quand  revient 
le  vainqueur  de  Mahon  ? 

Ayez  pitié  de  moi,  vous  dis-je,  auprès  de  M.  de  Courteilles.  Il 
est  dur  d'être  pestiféré  dans  un  château  qu'on  vient  de  bâtir. 

A  l'ombre  de  vos  ailes. 


4i07.   —    A    M.    DAMILAVILLE. 

G  janvier. 

Le  solitaire  des  Alpes  fait  mille  compliments  à  M.  Damilavillc 
et  à  M.  Thieriot.  Il  désire  fort  d'avoir  le  livre  sur  les  impôts  =, 
qui  a  envoyé  son  auteur  à  Vincenncs.  M.  Thieriot  ne  pourrait-il 
pas  adresser  ce  volume  à  M.  Tronchin,  à  Lyon,  par  la  diligence, 
en  cas  qu'il  soit  un  peu  gros?  Mes  lettres  sont  courtes,  monsieur, 
mais  mes  travaux  sont  longs.  S'ils  vous  amusent,  pardon  à  la 
brièveté  de  mon  style  éi)istolaire.  J'ose  vous  prier  de  vouloir  bien 
faire  rendre  l'incluse.  Je  ne  sais  nulle  nouvelle  de  la  littérature  : 
je  me  recommande  à  .M.  Thieriot  comme  à  vous.  .Mille  souhaits 
per  le  sanle  [este  dcl  divino  natale. 


1.  L'Oradc  des  amiens  fidèles:  voyez  la  lettrf  1300. 

2.  Théorie  de  l'impùl,   par  le  niuriiuis  de  Mirabeau. 


lio  correspondanciî:. 

4i08.   —  A   M.   D'ALEMBERT. 

A  Fcrncy,  G  janvier. 

Mon  cher  et  aimahlc  philosophe,  je  vous  salue,  vous  et  les 
frères.  La  patience  soit  avec  vous  !  Marchez  toujours  en  ricanant, 
mes  frères ,  dans  le  chemin  de  la  vérité.  Frère  nmo///ce-Thieriot 
saura  que  la  Capilotade^  est  achevée,  et  qu'elle  forme  un  chant 
de  Jeanne  par  voie  de  prophétie,  ou  à  peu  près.  Dieu  m'a  fait  la 
grAce  de  comprendre  que,  quand  on  veut  rendre  les  gens  ridi- 
cules et  méprisables  à  la  postérité,  il  faut  les  nicher  dans  quelque 
ouvrage  qui  aille  à  la  postérité.  Or  le  sujet  de  Jeanne  étant  cher 
à  la  nation,  et  l'auteur,  inspiré  de  Dieu,  ayant  retouché  et  achevé 
ce  saint  ouvrage  avec  un  zèle  pur,  il  se  flatte  que  nos  derniers 
neveux  siffleront  les  Fréron,  les  Hayer,  les  Caveyrac,  les  Chau- 
meix,  les  Gauchat,  et  tous  les  énergumènes ,  et  tous  les  fripons 
ennemis  des  frères.  Vous  savez  d'ailleurs  que  je  tâche  de  rendre 
service  au  genre  humain,  non  en  paroles,  mais  en  œuvres,  ayant 
forcé  les  frères  jésuites,  mes  voisins,  à  rendre  à  six  gentils- 
hommes ^  tous  frères,  tous  officiers,  tous  en  guenilles,  un  domaine 
considérable  que  saint  Ignace  avait  usurpé  sur  eux.  Sachez  en- 
core, pour  votre  édification,  que  je  m'occupe  à  faire  aller  un 
prêtre  aux  galères  '.  J'espère,  Dieu  aidant,  en  venir  à  bout.  Vous 
verrez  paraître  incessamment  une  petite  Lettre*  al  signore  mar- 
chese  Albcrgali  Capacdli,  senalore  dl  Bologna  la  Grassa.  Je  rends 
compte,  dans  cette  épître,  de  l'état  des  lettres  en  France,  et  sur- 
tout de  l'insolence  de  ceux  qui  prétendent  être  meilleurs  chré- 
tiens que  nous.  Je  leur  prouve  que  nous  sommes  incomparable- 
ment meilleurs  chrétiens  qu'eux.  Je  prie  M.  Albergati  Capacelli 
d'instruire  le  pape  que  je  ne  suis  ni  janséniste,  ni  moliniste,  ni 
d'aucune  classe  du  parlement,  mais  catholique  romain,  sujet  du 
roi,  attaché  au  roi,  et  détestant  tous  ceux  qui  cabalent  contre  le 
roi.  Je  me  fais  encenser  tous  les  dimanches  à  ma  paroisse; 
j'édifie  tout  le  clergé,  et  dans  peu  l'on  verra  bien  autre  chose. 
Levez  les  mains  au  ciel,  mes  frères.  Voilà  pour  les  faquins  de 
persécuteurs  de  l'Église  de  Paris  ;  venons  aux  faquins  de  Genève. 
Les  successeurs  du  Picard  qui  fit  brûler  Servet,  les  prédicants 


1.  Le  chant  XVIII  de  la  Pucclle. 

2.  MM.  de  Crassy. 

3.  Ancian,  curé  de  Moëns;  voyez   la  lettre  à    Arnoult,  du    îj  juin    1761;    et 
Mémoires  de  Wapnière,  I,  39. 

4.  Du  23  décembre  17G0,  n"  4387. 


ANNÉE    1761.  U4 

qui  sont  aujourd'hui  servétiens,  se  sont  avisés  de  faire  une  cabale 
très-forte  dans  le  couvent  de  Genève  appelé  ville,  contre  leurs 
concitoyens  qui  déshonoraient  la  religion  de  Calvin,  et  les  mœurs 
des  usuriers  et  des  contrebandiers  de  Genève,  au  point  de  venir 
quelquefois  jouer  Alzire  et  Méropc  dans  le  château  de  Tournay 
en  France  \  J.-J.  Rousseau,  homme  fort  sage  et  fort  conséquent, 
avait  écrit  plusieurs  lettres  contre  ce  scandale  à  des  diacres  de 
TÉglise  de  Genève,  à  mon  marchand  de  clous,  à  mon  cordon- 
nier. Enfin  on  a  fait  promettre  à  quelques  acteurs  qu'ils  re- 
nonceraient à  Satan  et  à  ses  pompes.  Je  vous  propose  pour 
problème  de  me  dire  si  on  est  plus  fou  et  plus  sot  à  Genève 
qu'à  Paris. 

Je  vous  ai  déjà  mandé-  que  voire  ami  Nccker  a  demandé 
pardon  au  consistoire,  et  a  été  privé  de  sa  professoreric  pour 
avoir  couché  avec  une  femme  qui  avait  le  croupion  pourri,  et 
que  le  cocu  qui  lui  a  tiré  un  coup  de  pistolet  a  été  condamné  à 
garder  sa  chambre  un  mois.  Sota  bene  qu'un  cocu  assassin  est 
impuni,  et  que  Servet  a  été  brillé  à  petit  feu  pour  Thypostase. 
Nota  bene  que  le  curé  que  je  poursuis  pour  avoir  assassiné  un  de 
mes  amis  chez  une  fille,  pendant  la  nuit,  dit  hardiment  la 
messe  ;  et  voyez  comme  va  le  monde. 

Je  vous  prie,  mon  cher  frère,  de  m'écrire  quelque  mot  d'édi- 
fication, de  me  mander  de  vos  nouvelles  et  de  celles  des  fidèles. 

Je  vous  embrasse. 

Urbis  amatorem  Fuscuin  salvere  jubcinus 
Ruiis  araalores^. 


4409.  —  A  M.  DA.MIL.VVILLE. 

9  janvier. 

Permettez-vous,  monsieur,  que  j'abuse  si  souvent  de  votre 
bonne  volonté?  Vous  verrez  au  moins  que  je  n'abuse  pas  de  votre 
confiance.  Je  vous  envoie  mes  lettres  ouvertes  :  il  me  semble 
que  tout  ce  que  j'écris  est  j)our  vous.  Nous  sommes  des  frères 
réunis  par  le  même  esprit  de  charité;  nous  sommes  \c  pusillus 


1.  Tournay  apparlienl  au  canton  de  (Jeiicvt;  depuis  le  '20  novembre  181  j. 

2.  CcUe  IcUn-  manque. 

3.  Horace,  livre  I,  épine  x,  vers  1-:!. 

4.  Luc,  XII,  3J. 


U2  CORllESPONDANCE. 

Si  VOUS  voyez  M.  Diderot,  diles-lui,  je  vous  en  prie,  qu'il  a  en 
moi  le  partisan  le  plus  constant  et  le  plus  fidèle. 

J'ignore,  monsieur,  si  vous  avez  reçu  deux  paquets  assez  gros 
et  très-édifiants  :  j'ai  ouï  dire  qu'on  était  devenu  très-difficile  à 
la  poste. 

iilO.  —  A   M.   JEAN   SCHOUVALOW. 

Ferney,  le  10  janvier. 

Monsieur,  je  n'ai  jamais  été  du  goût  de  mettre  des  vers  au 
bas  d'un  portrait;  cependant,  puisque  vous  voulez  en  avoir 
pour  l'estampe  de  Pierre  le  Grand ,  en  voici  quatre  que  vous 
me  demandez  : 

Ses  lois  et  ses  travaux  ont  instruit  les  mortels^; 
11  fit  tout  pour  son  [leuplo,  el  sa  fille  l'imite; 
Zoroastre,  Osiris,  vous  eûtes  des  autels, 
Et  c'est  lui  seul  qui  les  mérite. 

Le  seul  nom  de  Pierre  le  Grand,  monsieur,  vaut  mieux  que 
ces  quatre  vers;  mais,  puisqu'il  y  est  question  de  son  auguste 
fille,  je  demande  grâce  pour  eux. 

M.  de  Soltikof  m'a  dit  qu'il  n'avait  aucune  nouvelle  de 
M.  Pousclikin  ;  que  personne  n'en  avait  eu  depuis  son  départ  de 
Vienne.  Il  est  à  craindre  que,  dans  ce  voyage,  il  n'ait  été  pris  par 
les  Prussiens.  Quoi  qu'il  en  soit,  je  n'ai  aucuns  matériaux  pour 
le  second  volume.  J'ai  déjà  eu  l'honneur  de  mander  plusieurs 
fois  à  Votre  Excellence  qu'il  est  impossible  de  faire  une  histoire 
tolérable  sans  un  précis  des  négociations  et  des  guerres.  Mon 
âge  avance,  ma  santé  est  faible  ;  j'ai  bien  peur  de  mourir  sans 
avoir  achevé  votre  édifice.  Ce  qui  achèverait  de  me  faire  mourir 
avec  amertume,  ce  serait  d'ignorer  si  la  digne  fille  de  Pierre  le 
Grand  a  daigné  agréer  le  monument  que  j'ai  élevé  à  la  gloire 
de  son  père.  L'amour  qu'elle  a  pour  sa  mémoire  me  fait  espérer 
qu'elle  voudra  bien  descendre  un  moment  du  haut  rang  où  le 
ciel  l'a  placée,  pour  me  faire  assurer  par  Votre  Excellence 
qu'elle  n'est  pas  mécontente  de  mon  travail.  C'est  ainsi  que 
nos  rois  ont  la  bonté  d'en  user,  même  avec  leurs  propres  sujets. 

Les  lettres  du  roi  Stanislas,  que  vous  avez  eu  la  bonté  de 
m'cnvoyer,  monsieur,  sont  une  preuve  de  l'état  déplorable  où  il 


4.  Ce  quatrain  est  répété,  avec  quelques  différences,  dans  la  lettre  duoO  mar.- 
1761. 


ANNÉE    1761.  143 

était  alors.  Je  crois  que  les  réponses  de  l'empereur  Pierre  le 
Grand  seraient  encore  beaucoup  plus  curieuses.  C'est  sur  de 
pareilles  pièces  qu'il  est  agréable  d'écrire  l'bistoire,  mais  n'ayant 
presque  rien  depuis  la  bataille  et  la  paix  du  Prutb,  il  faut  que 
je  reste  les  bras  croisés.  Quand  il  plaira  à  Votre  Excellence  de 
me  mettre  la  plume  à  la  main,  je  suis  tout  prêt. 

Je  finis  par  vous  assurer  de  tous  les  vœux  que  je  fais 
pour  votre  bonbeur  particulier,  et  pour  la  ])rns|)érité  de  vos 
armes  ^ 

4ill.   —  A   M.    DE    CHENEVIKIIES  2. 

Aux  Délices,  11  janvier. 

La  paresseuse  M""'  Denis  et  son  paresseux  d'oncle  écrivent 
bien  rarement  ;  mais  ils  sentent  très-vivement,  et  sont  très-atta- 
chés à  monsieur  et  madame  de  Cbenevières.  Si  je  ne  bAtissais 
pas  deux  maisons,  je  vous  écrirais  aussi  des  vers.  Je  ne  biitis  pas 
comme  Ampbion,  au  son  de  la  lyre! 

Est-il  vrai  que  M""^de  Pompadoura  été  malade  sérieusement, 
et  qu'on  l'a  saignée  plusieurs  fois?  Je  dois  m'intéresser  à  sa 
santé,  je  lui  ai  obligation;  et  quoique  je  vive  au  milieu  des 
glaces  des  Alpes  et  du  mont  Jura,  je  n'ai  le  cœur  ni  froid  ni  en- 
durci. 

4412.  —  A  M.  DAMILAVILLE. 

11  janvier. 

Je  vous  envoie  toujours,  monsieur,  mes  lettres  ouvertes  :  tout 
doit  être  commun  entre  amis.  Celle  que  je  prends  la  liberté  de 
vous  envoyer  pour  M.  Bagieu  est  pourtant  cachetée  ;  mais  c'est 
qu'il  s'agit  de  vér....  Ce  n'est  pas  i)Our  moi.  Dieu  merci;  ce  n'est 
pas  non  plus  pour  ma  nièce,  ce  n'est  pas  pour  M"*"  Corneille,  que 
je  tiens  plus  pucelle  que  la  pucelle  d'Orléans,  et  qui  est  beaucoup 
plus  aimable  ;  c'est  pour  un  officier  de  mes  parents  dont  je 
prends  soin,  et  que  j'ai  laissé  aux  Délices,  injustement  soupçonné 
et  mourant, 

l'ardonnez  donc  la  liberté  que  je  pi-ends,  et  continufv-moi 
vos  bontés. 

I.  Dans  qochiucs  éditions,  on  trouve  ici  la  rcquôtc  à  M.  le  lieutenant  criminel 
(lu  pays  de  Gex  et  l'Addition,  qui  sont  tome  XXIV,  pages  101  à  l(5i. 
ii.   lliJilcurs,  de  Ca\rol  et  Franrni'^. 


CORRESPONDANCE. 


4U3.   —  A  M.   DAGIEU 


A  Ferncy,  11  janvier. 

M"'*  Denis  et  moi,  monsieur,  nous  sommes  des  cœurs  sen- 
sibles. Vous  savez  combien  votre  souvenir  nous  touche.  Nous 
avons  encore  avec  nous  un  cœur  de  dix-sept  ans  qui  se  forme  : 
c'est  l'héritière  du  nom  du  grand  Corneille.  C'est  avec  les  ou- 
vrages de  son  aïeul  que  nous  oublions  VAnnèe  littéraire  et  son 
digue  auteur.  Si  M.  Morand^  veut  aimer  les  gens  de  lettres,  il 
ne  faut  pas  qu'il  choisisse  les  pirates  des  lettres. 

Permettez-vous,  monsieur,  que  je  vous  consulte  sur  une  affaire 
plus  importante?  J'ai  auprès  de  moi  un  jeune  homme  de  mes 
parents';  il  fut  attaqué,  il  y  a  dix-huit  mois,  d'un  rhumatisme 
qui  ressemblait  à  une  sciatique.  Nous  l'envoyâmes  aux  bains 
d'Aix  ;  les  douleurs  augmentèrent.  M.  Tronchin  lui  ordonna 
encore  les  eaux,  il  y  a  six  mois;  il  en  revint  avec  une  tuuieur 
sur  le  fascia  la  ta,  et  toujours  souffrant  des  douleurs  d'élancement, 
se  sentant  comme  déchiré.  Il  se  ressouvint  alors,  ou  crut  se  res- 
souvenir, qu'il  était  tombé  à  la  chasse  il  y  avait  deux  ans.  On  lui 
appliqua  les  mouches  cantharides  avant  cet  aveu,  et  après  cet 
aveu  on  en  fut  lâché.  Les  douleurs  devinrent  plus  vives,  la  tumeur 
plus  forte.  On  jugea  que  le  coup  qu'il  prétendait  s'être  donné  à 
la  cuisse,  en  tombant  de  cheval,  avait  pu  causer  une  carie  dans 
le  fémur.  On  lui  fit  une  ouverture  de  six  grands  doigts  de  long, 
et  très-profonde.  On  sonda,  on  ne  put  pénétrer  assez  avant  ;  le 
pus  coula  d'abord  assez  blanc,  ensuite  plus  foncé,  enfin  d'une 
espèce  fétide  et  purulente.  Les  douleurs  furent  toujours  les 
mêmes,  depuis  la  tête  du  fémur  jusqu'au  genou.  Ces  élancements 
se  sont  fait  sentir  dans  l'autre  cuisse.  Celle  à  laquelle  on  avait 
fait  l'opération  s'est  très-enflée,  l'autre  s'est  absolument  dessé- 
chée. Le  pus  de  la  plaie  est  devenu  de  jour  en  jour  plus  fétide, 
tantôt  en  grande  abondance,  tantôt  en  petite  quantité;  très-sou- 
vent la  fièvre,  des  insomnies,  mais  toujours  un  peu  d'appétit. 
On  a  jugé  la  tête  du  fémur  cariée  et  déplacée.  Tronchin  l'a  jugé 
à  mort.  Le  chirurgien,  qui  est  assez  habile,  a  pensé  de  même. 
Il  se  fit  une  nouvelle  tumeur  au-dessous  de  la  plaie,  il  y  a 
quelques  jours;  il  en  coula  une  grande  quantité  de  sanie  puru- 

1.  Voyez  tomeXXXVII,  page  40i. 

2.  Chirurgien-major  de  l'Hôtel  des  Invalides,  nommé  dans  la  lettre  4228, 
Morand  était  lié  avec  Fréron. 

3.  Daumart}  voyez  la  lettre  4i79. 


ANNÉE    <TGI.  Uu 

Jente,  et  son  appétit  augmenta.  Ce  n'est  point  au  fascia  lata  que 
cette  tumeur  nouvelle  a  percé,  c'est  près  des  muscles  intérieurs. 
Le  chirurgien  alors  s'est  avisé  de  lui  demander  si,  quelque  temps 
avant  de  tomber  malade,  il  n'avait  pas  mérité  la  vér....  Il  a  ré- 
pondu qu'il  avait  eu  affaire  dans  Genève  à  quelipies  créatures 
qui  pouvaient  la  donner,  mais  nul  symptôme  avant-coureur  de 
celte  maladie.  Tout  se  réduit  à  cette  espèce  de  scialique.  Aucune 
dartre,  aucun  bubon,  aucune  tache,  nulle  enflure  aux  aines, 
sinon  l'enflure  présente,  qui  va  de  l'os  des  îles  au  pied.  La  chair 
de  ces  parties  n'a  plus  de  ressort,  le  doigt  y  laisse  un  creux  ;  le 
pus  coule  par  la  nouvelle  ouverture,  et  cependant  l'appétit  aug- 
mente. Il  faut  quatre  personnes  pour  le  porter  d'un  lit  à  l'autre. 
L'atrophie  n'est  point  sur  le  visage,  la  parole  est  libre  et  quelque- 
fois assez  ferme. 

Voilà  son  état  depuis  quatre  mois  entiers  que  l'opération  fut 
faite.  J'ajoute  encore  que  le  coccix  est  écorché,  mais  que  le  peu 
de  sanie  qui  en  sort  n'est  point  de  la  qualité  du  pus  fétide  de  la 
cuisse.  On  ne  sait  si  on  hasardera  le  grand  remède. 

Pardonnez,  monsieur,  ce  long  exposé  ;  daignez  me  communi- 
quer vos  lumières.  Que  pensez-vous  des  dragées  de  Kayser?  et 
croyez-vous  que  Colomb  nous  ait  rendu  un  grand  service  par  la 
découverte  de  l'Amérique? 

Je  suis  avec  toute  l'estime  qu'on  vous  doit,  et  j'ose  dire  avec 
amitié,  monsieur,  votre,  etc. 

441  i.  —  A   M.   TIIIERIOT. 

11  janvier. 

Reçu  le  Monde^  et  la  Lettre  du  primat-  des  Gaules  ;  il  y  a  plus 
de  deux  mois,  mon  cher  ami,  que  j'ai  chez  moi  cette  Lettre  in-/r 
marginée.  Sachez  qu'en  poursuivant  frère  Berthier,  je  suis  fori 
l)ien  auprès  de  mon  primat,  très-bien  avec  mon  évêque  ;  qu'in- 
cesscMiuuent  je  serai  le  favori  de  l'archevôque  de  Paris  ;  et,  si  \oiis 
me  fâchez,  \c.  le  serai  du  pape. 

Reçu  encore  la  Thinric  de  l'Impôt,  théorie  obscure,  tliéorio  (]iii 
me  paraît  absurde  ;  et  toutes  ces  théories  viennent  mal  à  propos 
pour  faire  accroire  aux  étrangers  que  nous  sommes  sans  res- 
source, et  qu'on  peut  nous  outrager  et  nous  attaquer  impuné- 
ment. Voilà  de  plaisants  citoyens  et  de  plaisants  a/?ui  des  Iwmmcs! 

1.  Oiivnifjf!  do  IJasliiio;  voy,;/,  lettre  4:123. 

2.  Lettre  de  M.  Varchevéqne  de  l.yun  (Moutazot;   à  M.  l'archcvt^iiHC  de  Paris 
(Chr.  (le  Beuiiiiiuûtj,  HliO,  ii.-i"  ot  iii-12. 

41.  —  CounESl'ONDANCE.    I\.  m 


146  COIIUESPONDANCE. 

Qu'ils  viennent  comme  moi  sur  la  frontière,  ils  changeront  bien 
d'avis; ils  verront  combien  il  est  nécessaire  de  faire  respecter  le 
roi  et  l'État.  Par  ma  foi,  on  voit  les  choses  tout  de  travers  à  Paris. 
Vous  verrez  bientôt  une  très-singulière  Épître^  à  Clairon.  Je 
la  loue  comme  elle  le  mérite;  je  fais  l'éloge  du  roi,  et  c'est  mon 
cœur  qui  le  fait;  je  me  moque  de  tout  le  reste,  et  même  assez 
violemment.  J'ai  souflerl  trop  longtemps  ;  je  deviens  Minos  dans 
ma  vieillesse,  je  punis  les  méchants. 

P.  S.  Je  suis  bien  content  de  l'acquisition  de  M""  Corneille  : 
elle  fait  jusqu'à  présent  l'agrément  de  notre  maison.  11  est  hon- 
teux pour  la  France  que  quelque  grande  dame  ne  l'ait  pas  prise 
auprès  d'elle. 

Nota  bene  que  le  saint  abbé  Grizel  -  n'a  point  volé  M""'  d'Egmont, 
mais  bien  M.  de  Tourny.  Gardez-vous  d'induire  les  commenta- 
teurs en  erreur. 

4415.  —  A   MADAME   LA   COMTESSE   DE  LUTZELBOURG. 

A  Ferney,  13  janvier. 

Pardon,  madame,  pardon  :  j'ai  eu  des  jésuites  à  chasser  d'un 
bien  qu'ils  avaient  usurpé  sur  des  gentilshommes  de  mon  voisi- 
nage ;  j'ai  eu  un  curé  à  faire  condamner.  Ces  •bonnes  œuvres 
ont  pris  mon  temps.  Je  commence  à  espérer  beaucoup  de  la 
France  sur  terre,  car  sur  mer  je  l'abandonne.  On  paye  les  rentes, 
on  éteint  quelques  dettes.  Il  y  a  de  l'ordre,  malgré  toutes  nos 
énormes  sottises.  J'ai  peine  à  croire  qu'on  ôte  le  commandement 
à  M.  le  maréchal  de  Broglie.  Il  me  semble  qu'il  s'est  très-bien 
conduit  en  conservant  Gœttingue. 

Avez-vous,  madame,  M.  le  comte  de  Lutzelbourg  auprès  de 
vous?  Comment  vous  trouvez-vous  du  vent  du  nord?  C'est,  je 
crois,  votre  seul  ennemi.  Songez,  madame,  que  l'hiver  de  la  vie, 
qui  est  si  dur,  si  désagréable  pour  tant  de  personnes,  et  auquel 
même  il  est  si  rare  d'arriver,  est  pour  vous  une  saison  qui  a  en- 
core des  fleurs.  Vous  avez  la  santé  du  corps  et  de  resprit.  Il  est 
vrai  que  vous  écrivez  comme  un  chat  ,■  mais  dans  vos  plus  beaux 
jours  vous  n'eûtes  jamais  une  plus  belle  main.  Voyez-vous  quel- 
quefois M.  de  Lucé'?  Seriez-vous  assez  bonne,  madame,  pour 
me  rappeler  à  son  souvenir? 

i.  VÉpîtreà  Daphné:  voyez  tome  X. 

2.  Voyez  l'avant-dernier  alinéa  de  la  lettre  4393. 

3.  Ministre  du  roi  de  France  auprès  de  Stanislas.  Le  comte  deLucê  fut  un  des 
membres  honoraires  de  l'Académie  de  Nancy. 


ANNÉE    i761.  U7 

Madame  la  marquise*  est  donc  impitoyable,  ou  tous?  Je  u'au- 
rai  donc  pas  copie  de  son  portrait? 

Vivez  heureuse  et  longtemps,  madame;  nous  vous  souhaitons, 
ma  nièce  et  moi,  ces  deux  petites  hagatelles  de  tout  notre  cœur. 

Mille  respects.  V. 


iilG.   —  A   MADAME   LA   COMTESSE   D'ARGEMAL. 

A  Ferncy,  1  i  janvier. 

Que  monsieur  et  madame  écrivent  h  eux  deux  des  lettres 
aimables!  Je  ne  peux  pas  croire  que  des  anges  qui  écrivent  si 
bien  aient  tort  sur  ce  Droit  du  Seigneur;  cependant  les  écailles  ne 
sont  pas  encore  tombées  de  mes  yeux^.  Mais  pourquoi  M.  d'Ar- 
gental  n'écrit-il  pas?  Quoi,  pas  un  mot!  aurait-il  toujours  son 
ophthalmie  ?  S'il  n'est  que  paresseux,  je  suis  consolé.  Il  a  un 
charmant  secrétaire.  Tenez,  petite  fille,  voilà  comme  les  dames 
écrivent  à  Paris.  Voyez  que  cela  est  droit  ;  et  ce  style,  qu'en 
dites-vous?  quand  écrirez-vous  de  même,  descendante  de  Cor- 
neille? Cela  donne  de  l'émulation  ;  elle  va  vite  m'écrire  un  petit 
billet  dans  sa  chambre  :  c'est,  je  vous  assure,  une  plaisante  édu- 
cation. 

Je  suis  à  vos  pieds,  madame,  moi  et  la  Muse  limonadière  ^ 
Comment,  du  cercle  de  mes  montagnes,  pouvoir  reconnaître  tant 
de  bontés? 

Voulez-vous  vous  amuser  h  lire  ce  chifl'on*?  voulez-vous  le 
lire  à  M"°  Clairon  ?  11  n'y  a  que  vous  et  M.  le  duc  de  Choiseul  qui 
en  ayez.  Vous  m'allez  dire  que  je  deviens  bien  hardi  et  un  peu 
méchant  sur  mes  vieux  jours.  —  Méchant  !  non,  je  deviens  Minos, 
je  juge  les  pervers.  —  Mais  prenez  garde  à  vous,  il  y  a  des  gens 
qui  ne  pardonnent  point.  —  Je  le  sais;  et  je  suis  comme  eux. 
J'ai  soixante-sept  ans  ;  je  vais  à  la  messe  de  ma  paroisse;  j'édifie 
mon  peuple  ;  je  bâtis  une  église  ;  j'y  communie,  et  je  m'y  ferai 
enterrer,  mort-dieu!  malgré  les  hypocrites.  Je  crois  en  Jésus- 
Christ  consubsiuniiol  à  Dieu,  en  la  vierge  Marie,  mère  de  Dieu. 
LAches  persécuteurs,  qu'avcz-vous  à  me  dire?— Mais  vous  avez 
fait  la  Pucelle.  —  Non,  je  ne  l'ai  pas  faite;  c'est  vous  qui  en  êtes 
l'auteur;  c'est  vous  qui  avez   mis  vos  oreilles  à  la  monture  de 


1.  La  marquise  de  Pompadour. 

2.  Actes  lies  apôtres,  n,  18. 

3.  M""  BoureUe. 

4.  L' ÈpUre  à  Daphné  (M"«Clairun)  ;  voyez  tome  X. 


148  CORRESPONDANCE. 

Jeanne.  Je  suis  bon  chrétien,  bon  serviteur  du  roi,  bon  seigneur 
de  paroisse,  bon  précepteur  de  fille,  je  fais  trembler  jésuites  et 
curés  ;  je  fais  ce  que  je  veux  de  ma  petite  province  grande  comme 
la  main,  excepté  quand  les  fermiers  généraux  s'en  mêlent  ;  je 
suis  homme  à  avoir  le  pape  dans  ma  manche  quand  je  voudrai. 
Eh  bien!  cuistres,  qu'avez-vous  à  dire? 

Voilà,  mes  chers  anges,  ce  que  je  répondrais  aux  Fantin, 
aux  Grizel,  aux  Guyon,  et  au  petit  singe  noir.  J'aime  d'ailleurs  les 
vengeances  qui  me  font  poulTer  de  rire.  Et  puis,  qui  est  ce 
singe  noir^2  C'est  peut-être  Berthier,  c'est  peut-être  Gauchat, 
Caveyrac.  Tous  ces  gens-là  sont  également  la  gloire  de  la 
France. 

J'ai  lu  la  Théorie  de  l'Impôt;  elle  me  parait  aussi  absurde  que 
ridiculement  écrite.  Je  n'aime  point  ces  amis  des  hommes  qui 
crient  sans  cesse  aux  ennemis  de  l'État  :  Nous  sommes  ruinés  ; 
venez,  il  y  fait  bon. 

A  vos  pieds. 

Pour  Dieu,  daignez  m'envoyer  ( paroles  ne  puent  point)  la 
feuille-  de  l'infâme  Fréron  contre  M.  Le  Brun.  J'avoue  que  VOde 
est  bien  longue,  qu'il  y  a  de  terribles  impropriétés  de  style  ; 
mais  il  y  a  de  fort  belles  strophes,  et  j'aime  M.  Le  Brun  :  il  m'a 
fait  faire  une  bonne  action,  dont  je  suis  plus  content  de  jour  en 
jour. 

4417.   —   A    M.   DUM0LARD3. 

A  Ferney,  15  janvier. 

Mon  cher  ami,  nous  ne  montrons  encore  que  le  français  à 
Gornélie  :  si  vous  étiez  ici,  vous  lui  apprendriez  le  grec.  Nous  ne 

1.  Voyez  la  lettre  à  dArgental,  du  30  janvier,  et  celle  à  d'Alembert,  du 
9  février. 

2.  Voici  le  passage  de  VAnnée  littéraire  dont  Thieriot  venait  d'écrire  un  mot 
à  Voltaire,  au  sujet  de  Marie  Corneille  :  «  Vous  ne  sauriez  croire,  monsieur,  le 
bruit  que  fait  dans  le  monde  cette  générosité  de  M.  de  Voltaire  On  en  a  parlé 
dans  les  gazettes,  dans  les  journaux,  dans  tous  les  papiers  publics,  et  je  suis  per- 
suadé que  ces  annonces  fastueuses  font  beaucoup  de  peine  à  ce  poëte  modeste, 
qui  sait  que  le  principal  mérite  des  actions  louables  est  d'être  tenues  secrètes. 
Il  semble  d'ailleurs,  par  cet  éclat,  que  M.  de  Voltaire  n'est  point  accoutumé  à 
donner  de  pareilles  preuves  de  son  bon  cœur,  et  que  c'est  la  chose  la  plus  extra- 
ordinaire que  de  le  voir  jeter  un  regard  de  sensibilité  sur  une  jeune  infortunée; 
mais  il  y  a  près  d'un  an  qu'il  fait  le  même  bien  au  sieur  L'Écluse,  ancien  acteur 
de  rOpéra-Comique,  qu'il  loge  chez  lui,  qu'il  nourrit,  en  un  mot  qu'il  traite  en 
frère.  Il  faut  avouer  que,  en  sortant  du  couvent,  M"''  Corneille  va  tomber  en  de 
bonnes  mains.  » 

3.  Voyez  tome  V,  page  1G7. 


ANNÉE    17G1.  149 

cessons  jusqu'à  présent  de  remercier  M.  Titon  et  M.  Le  Brun  de 
nous  avoir  procuré  le  trésor  que  nous  possédons.  Le  cœur  paraît 
excellent,  et  nous  avons  tout  sujet  d'espérer  que,  si  nous  n'en 
faisons  pas  une  savante,  elle  deviendra  une  personne  très-aimable, 
qui  aura  toutes  les  vertus,  les  grâces  et  le  naturel  qui  font  le 
charme  de  la  société. 

Ce  qui  me  plaît  surtout  en  elle,  c'est  son  attachement  pour 
son  père,  sa  reconnaissance  pour  M.  Titon,  pour  M,  Le  Brun,  et 
pour  toutes  les  personnes  dont  elle  doit  se  souvenir.  Elle  a  été 
un  peu  malade.  Vous  pouvez  juger  si  M""  Denis  en  a  pris  soin  ; 
elle  est  très-bien  servie;  on  lui  a  assigné  une  femme  de  chambre 
qui  est  enchantée  d'être  auprès  d'elle  ;  elle  est  aimée  de  tous  les 
domestiques  ;  chacun  se  dispute  Thonneur  de  faire  ses  petites 
volontés,  et  assurément  ses  volontés  ne  sont  pas  difficiles.  Nous 
avons  cessé  nos  lectures  depuis  qu'un  rhume  violent  l'a  réduite 
au  régime  et  à  la  cessation  de  tout  travail.  Elle  commence  à  être 
mieux.  Nous  allons  reprendre  nos  leçons  d'orthographe.  Le  pre- 
mier soin  doit  être  de  lui  faire  parler  sa  langue  avec  simplicité 
et  avec  noblesse.  Nous  la  faisons  écrire  tous  les  jours  :  elle  m'en- 
voie un  petit  billet,  et  je  le  corrige  ;  elle  me  rend  compte  de  ses 
lectures;  il  n'est  pas  encore  temps  de  lui  donner  des  maîtres  : 
elle  n'en  a  point  d'autres  que  ma  nièce  et  moi.  Nous  ne  lui  lais- 
sons passer  ni  mauvais  termes  ni  prononciations  vicieuses; 
l'usage  amène  tout.  Nous  n'oublions  pas  les  petits  ouvrages  de  la 
main.  Il  y  a  des  heures  pour  la  lecture,  des  heures  pour  les 
tapisseries  de  petit  point.  Je  vous  rends  un  compte  exact  de  tout. 
Je  ne  dois  point  omellre  que  je  la  conduis  moi-même  ù  la  messe 
de  paroisse.  Nous  devons  l'exemple,  et  nous  le  donnons.  Je  crois 
que  M.  Titon  et  M.  Le  Brun  ne  dédaigneront  point  ces  petits 
détails,  et  qu'ils  verront  avec  plaisir  que  leurs  soins  n'ont  pas  été 
infructueux.  Je  souhaite  à  M.  Titon  ce  qu'on  lui  a  sans  doute 
Uint  souhaité,  les  années  du  mari  del'Aurore.  Dites,  je  vous  prie, 
à  M.  Le  Brun  que  personne  ne  lui  est  plus  obligé  que  moi.  On 
dit  (pie  son  Ode  a  encore  un  nouveau  mérite  auprès  du  public 
par  les  impertinences  de  ce  malheureux  Fréron.  Il  est  pour- 
tant bien  honteux  qu'on  laisse  aboyer  ce  chien.  Il  me  semble 
(pi'en  bonne  police  on  devrait  étouffer  ceux  (pii  sont  alta(jués  de 
la  rage. 

Je  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur. 


150  CORRESPONDANCE. 

4iI8.   —   A  M.   LE   DOCTEUR   TRONCHIN '. 

Mon  cher  Esculape,  mon  petit  malade  -,  après  avoir  pris  sa 
seconde  dose  d'émétique  avant-liier,  fut  encore  bien  purgé  et 
rendit  un  paquet  de  vers,  parmi  lesquels  il  y  en  avait  un  de  six 
pouces  de  long.  Je  lui  donnai  une  décoction  de  rue,  de  petite 
centaurée,  de  menthe,  de  chicorée  sauvage,  et,  pour  adoucir  la 
vivacité  que  cette  tisane  pourrait  porter  dans  ce  sang  irrité  par 
la  fièvre,  je  lui  fais  prendre  de  demi-heure  en  demi-heure,  entre 
ces  potions,  une  émulsion  légère.  La  fièvre  subsiste  continue, 
avec  redoublement,  mais  moins  violente.  Il  a  dormi  un  peu.  La 
tête  n'est  point  embarrassée;  mais  il  y  a  toujours  mal.  Le  bout 
de  la  langue  est  du  rouge  le  plus  vif.  Il  s'en  faut  beaucoup  que 
l'œil  soit  net;  il  ne  l'est  guère,  je  crois,  dans  ces  maladies.  La 
peau  n'est  pas  ardente.  Ne  conviendrait-il  pas  de  lui  ôter  sa 
tisane  antivermineuse,  qui  peut  réchauffer,  et  continuer  à 
délayer  beaucoup  les  humeurs?  Il  a  toujours  la  bouche  ouverte, 
et  il  lui  est  difficile  de  la  fermer. 

J'entre  dans  tous  les  détails  ;  je  voudrais  sauver  ce  petit  gar- 
çon. Qu'ordonnez-vous? 

A  propos,  la  France  est  aussi  malade  que  lui.  Mademoiselle 
votre  fille  est-elle...  {illisible  )  ? 

Secreto.  Fils  d'Apollon,  la  petite  nièce  d'Apollon,  M"^  Corneille, 
fut  autrefois  nouée.  Son  esprit  se  dénoue  aujourd'hui,  et  son  corps 
se  dénoua  le  premier,  il  y  a  du  temps.  Elle  se  sent  quelquefois, 
du  reste,  de  cette  ancienne  conformation  :  faiblesse  et  douleur 
dans  la  hanche,  douleurs  rhumatisantes  et  vagues  du  côté  de  la 
hanche  affligée;  en  un  mot,  elle  boite  et  souffre.  Quid  illi  facere? 

Mes  compliments  à  M.  Tronchin,  le  procureur  général,  je 
voue  en  prie. 

Nous  vous  embrassons  tous. 

4419.  —  A  MADAME  LA  MARQUISE   DU   DEFFANT. 

A  Ferney,  15  janvier. 

Je  commence  d'abord  par  vous  excepter,  madame;  mais  si  je 
m'adressais  à  toutes  les  autres  dames  de  Paris,  je  leur  dirais  : 
C'est  bien  à  vous,  dans  votre  heureuse  oisiveté,  à  prétendre  que 


1.  Éditeurs,  de  Cayrol  et  François. 

2.  Le  petit  Pichon.  Voyez  la  lettre  du  29  juillet  1757,  à  Tronchin,  de  Lyon. 


ANNEE    I7GI.  loi 

VOUS  n'avez  pas  un  moment  de  libre!  Il  vous  appartient  bien 
de  parler  ainsi  à  un  pauvre  homme  qui  a  cent  ouvriers  et  cent 
bœufs  à  conduire,  occupé  du  devoir  de  tourner  eu  ridicule  les 
jésuites  et  les  jansénistes,  frappant  à  droite  et  h  gauche  sur  saint 
Ignace  et  sur  Calvin,  faisant  des  tragédies  bonnes  ou  mauvaises, 
débrouillant  le  chaos  des  archives  de  Pétersbourg,  soutenant 
des  procès,  accablé  d'une  correspondance  qui  s'étend  de  Pondi- 
chéry  jusqu'à  Rome  !  Voilà  ce  qui  s'appelle  n'avoir  pas  un  mo- 
ment de  libre.  Cependant,  madame,  j'ai  toujours  le  temps  de  vous 
écrire,  et  c'est  le  temps  le  plus  agréablement  employé  de  ma  vie, 
après  celui  de  lire  vos  lettres. 

Vous  méprisez  trop  Ézéchiel,  madame;  la  manière  légère 
dont  vous  parlez  de  ce  grand  homme  tient  trop  de  la  frivolité  de 
votre  pays.  Je  vous  passe  de  ne  point  déjeuner  comme  lui  :  il 
n'y  a  jamais  eu  que  Paparel  *  à  qui  cet  honneur  ait  été  réservé  ; 
mais  sachez  qu'Ézéchiel  fut  plus  considéré  de  son  temps  qu'Ar- 
nauld  et  Quesnel  du  leur.  Sachez  qu'il  fut  le  premier  qui  osa 
donner  un  démenti  à  Moïse;  qu'il  s'avisa  d'assurer  que  Dieu  no 
punissait  pas  les  enfants  des  iniquités  de  leurs  pères-,  et  que  cela 
fit  un  schisme  dans  la  nation.  Eh!  n'est-ce  rien,  s'il  vous  plaît, 
après  avoir  mangé  de  la  merde,  que  de  promettre  aux  Juifs,  de 
la  part  de  Dieu,  qu'ils  mangeront  delà  chair  d'homme  ^  tout  leur 
soûl? 

Vous  ne  vous  souciez  donc  pas,  madame,  de  connaître  les 
mœurs  des  nations?  Pour  peu  que  vous  eussiez  de  curiosité,  je 
vous  prouverais  qu'il  n'y  a  point  eu  de  peuples  qui  n'aient  mangé 
communément  de  petits  garçons  et  de  petites  filles  ;  et  vous 
m'avouerez  même  que  ce  n'est  pas  un  si  grand  mal  d'en  manger 
deux  ou  trois  que  d'en  égorger  des  milliers,  comme  nous  faisons 
poliment  en  Allemagne. 

-M.  de  Trudaine  '  ne  sait  ce  qu'il  dit,  madame,  quand  il  pré- 
tend que  je  me  porte  bien  ;  mais  c'est,  en  vérité,  la  seule  chose 
dans  lafiuelle  il  se  trompe  :  je  n'ai  jamais  connu  d'esprit  plus 
juste  et  plus  aimable.  Je  suis  enchanté  qu'il  soit  de  votre  cour, 
et  je  voudrais  qu'on  ne  vous  l'enlevât  (luc  pour  le  faire  mon 
intendant,  car  j'ai  grand  besoin  d'un  intendant  cpii  m'aime. 

1.  Chanoine  de  Vinccnnes. 

2.  Ézéchiel,  xviii,  20. 

3.  <i  Carnes  forlium  comcdelis,  et  sanguincm  principum  terrae  bibctis...  et 
comedclis  adipem  in  saturitatem,  et  bibctis  sanguincm  in  cbrietatcui,  etc.  »  — 
Ézéchiel,  cliap.  xxxix,  vers  18  et  19. 

4.  Daniel-Charles  Trudaine,  intendant  des  linanccs. 


452  CORRESPONDANGli:. 

J'aime  passionnément  à  être  le  maître  chez  moi;  les  inten- 
dants veulent  être  les  maîtres  partout,  et  ce  combat  d'opinions 
ne  laisse  pas  d'être  quelquefois  embarrassant. 

Je  ne  suis  point  du  tout  de  l'avis  de 

Go  bon  Régent  qui  gala  tout  en  France  ^. 

Il  prétendait,  dites-vous,  qu'il  n'y  avait  que  des  sots  ou  des 
fripons.  Le  nombre  en  est  grand,  et  je  crois  qu'au  Palais-Royal 
la  chose  était  ainsi  ;  mais  je  vous  nommerai,  quand  vous  voudrez, 
vingt  belles  âmes  qui  ne  sont  ni  sottes  ni  coquines,  h  commencer 
par  vous,  madame,  et  par  M.  le  président  Hénault.  Je  tiens  de 
plus  nos  philosophes  très-gens  de  bien;  je  crois  les  Diderot,  les 
d'Alembert,  aussi  vertueux  qu'éclairés.  Cette  idée  fait  un  contre- 
p'oids  dans  mon  esprit  à  toutes  les  horreurs  de  ce  monde. 

Vraiment,  madame,  ce  serait  un  beau  jour  pour  moi  que  le 
petit  souper  dont  vous  me  parlez,  avec  M.  le  maréchal  de  Richelieu 
et  M.  le  président  Hénault;  mais,  en  attendant  le  souper,  je  vous 
assure,  sans  vanité,  que  je  vous  ferais  des  contes  que  vous  pren- 
driez pour  des  31ille  et  une  Nuits,  et  qui  pourtant  sont  très-véri- 
tables. 

Oui,  madame,  j'aurais  du  plaisir,  et  le  plus  grand  plaisir  du 
monde,  à  vous  parler,  et  surtout  à  vous  entendre.  Cela  serait 
plaisant  de  nous  voir  arriver  à  Saint-Joseph  avec  M"'^  Denis  et 
cette  demoiselle  Corneille,  qui  sera,  je  vous  jure,  le  contre-pied 
du  pédantisme;  mais  je  vous  avertis  que  je  ne  pourrais  jamais 
passer  à  Paris  que  les  mois  de  janvier  et  de  février. 

Vous  ne  savez  pas,  madame,  ce  que  c'est  que  le  plaisir  de 
gouverner  des  terres  un  peu  étendues  ;  vous  ne  connaissez  pas  la 
vie  libre  et  patriarcale  :  c'est  une  espèce  d'existence  nouvelle. 
D'ailleurs  je  suis  si  insolent  dans  ma  manière  de  penser,  j'ai 
quelquefois  des  expressions  si  téméraires,  je  hais  si  fort  les 
pédants,  j'ai  tant  d'horreur  pour  les  hypocrites,  je  me  mets  si 
fort  en  colère  contre  les  fanatiques,  que  je  ne  pourrais  jamais 
tenir  à  Paris  plus  de  deux  mois. 

Vous  me  parlez,  madame,  de  ma  paix  particulière;  mais  vrai- 
ment je  la  tiens  toute  faite  :  je  crois  même  avoir  du  crédit,  si  vous 
me  fâchez  ;  mais  je  suis  discret,  et  je  mets  une  partie  du  souverain 
bien  à  ne  demander  rien  à  personne,  à  n'avoir  besoin  de  per- 
sonne, à  ne  courtiser  personne.  Il  y  a  des  vieillards  doucereux. 


1.  Vers  de  VÈpilre  sur  la  Calomnie,  à  M""  du  Châtelet,  1733;  voyez  tome  X. 


ANNÉE    MC\.  lo3 

circonspects,  pleins  de  ménagements,  comme  s'ils  avaient  leur 
fortune  à  faire.  Fontenelle,  par  exemple,  n'aurait  pas  dit  son 
avis,  à  Tàge  de  quatre-vingt-dix  ans,  sur  les  feuilles  de  Frt'ron. 
Ceux  qui  voudront  de  ces  vieillards-là  peuvent  s'adresser  à 
d'autres  qu'à  moi. 

Eh  bien!  madame,  ai-je  répondu  à  tous  les  articles  de  votre 
lettre?  Suis-je  un  homme  qui  ne  lise  pas  ce  qu'on  lui  écrit? Suis- 
je  un  homme  qui  écrive  à  contre-cœur?  et  aurez-vous  d'autres 
reproches  à  me  faire  que  celui  de  vous  ennuyer  par  mou  énorme 
bavarderie? 

Quand  vous  voudrez,  je  vous  enverrai  un  chant  *  de  la  Pucelle, 
qu'on  a  retrouvé  dans  la  bibliothèque  d'un  savant.  Ce  chant 
n'est  pas  fait,  je  l'avoue,  pour  être  lu  à  la  cour  par  l'abbé  Grizcl; 
mais  il  pourrait  édifier  des  personnes  tolérantes. 

A  propos,  madame,  si  vous  vous  imaginez  que  la  Pucelle  soit 
une  pure  plaisanterie,  vous  avez  raison.  C'est  trop  de  vingt 
chants  ;  mais  il  y  a  continuellement  du  merveilleux,  de  la  poésie, 
de  l'intérêt,  de  la  naïveté  surtout.  Vingt  chants  ne  suffisent  pas. 
L'Arioste,  qui  en  a  quarante-huit,  est  mon  Dieu.  Tous  les  poëmes 
m'ennuient,  hors  le  sien.  Je  ne  l'aimais  pas  assez  dans  ma  jeu- 
nesse; je  ne  savais  pas  assez  l'italien.  Le  Pentateuque  et  l'Ariosto 
font  aujourd'hui  le  charme  de  ma  vie.  Mais,  madame,  si  jamais 
je  fais  un  tour  à  Paris,  je  vous  préférerai  au  Pentateuque. 

Adieu,  madame;  il  faut  jouer  avec  la  vie  jusqu'au  dernier 
moment,  et  jusqu'au  dernier  moment  je  vous  serai  attaché  avec 
le  respect  le  plus  tendre. 

4i20.  —  A  M.   TIIIERIOT. 

15  janvier. 

Reçu  une  feuille  du  Censeur  hebdomadaire  *,  et  VHistoire  de  la 
Nièce  d'Eschyle^.  Je  voudrais  voir  de  quel  poison  se  sert  l'ami 
Frelon  pour  noircir  le  zèle,  VOde  et  les  soins  de  M.  Le  Brun. 
Comment  sait-il  que  L'Écluse  est  venu  dans  notre  maison?  et  que 
peut-il  dire  de  ce  L'Écluse?  Il  finira  par  s'attirer  de  méchantes 
afl'uires.  Vous  ne  pouvez  avoir  encore  le  chant  de  la  Capilotade. 
Il  faut  bien  constater  l'aventure  de  Grizel  avant  de  le  fourrer  là. 


1.  Lo  chant  WIII. 

2.  Cliîiuinfix  éiait  un  des  rédacteurs  de  ce  journal. 

3.  I.a  l'ctite  A'ièce  d'Eschyle,  histoire  alhcniennc,  tradiiilc  d'un  manuscrit 
grec;  1701,  iu-X".  —  Cette  petite  brochure  est  attribuée  par  Daibier  au  chevalier 
Neufville-Montador. 


454  CORRESPONDANCE. 

J'ai  voulu  avoir  le  Recueil  *  M,  parce  que  j'avais  les  précédents  : 
voilà  comme  on  s'enferre  souvent. 

Il  n'y  a  pas  moyen  de  vous  faire  tenir  encore  l'Épître  à 
M"°  Clairon.  Il  faut  attendre  qu'elle  se  porte  bien,  qu'elle  rejoue 
Tancrhk,  et  que  certaines  gens  approuvent  les  petites  hardiesses 
de  cette  Épître.  Je  suis  convaincu  que  l'acharnement  de  Fréron 
contre  un  homme  du  mérite  de  M.  Diderot  fera  grand  bien  au 
Père  de  famille:- 

Vous  demandez  des  détails  sur  mon  triomphe  de  gente  jesuitica  : 
ce  triomphe  n'est  qu'une  ovation  ;  nul  péril,  nul  sang  répandu. 
Les  jésuites  s'étaient  emparés  du  bien  de  MM.  de  Crassy  2,  parce 
qu'ils  croyaient  ces  gentilshommes  trop  pauvres  pour  rentrer 
dans  leurs  domaines.  Je  leur  ai  prêté  de  l'argent  sans  intérêt 
pour  y  rentrer;  les  jésuites  se  sont  soumis:  l'afTaire  est  faite.  S'il 
y  a  quelque  discussion,  on  fera  un  i^ciit  fa ctum  bien  propre  que 
vous  lirez  avec  édification.  Voih'i,  mon  ancien  ami,  tout  ce  que 
je  peux  vous  mander  pour  le  présent.  Intérim,  vale. 

4421.  —  A  M.   LE   PRÉSIDENT  DE   RUFFEY3. 

Au  château  de  Fcrnej',  paj's  de  Ge.\,  IC  janvier  1701, 

Ambroise  Decroze  vous  a  écrit,  monsieur,  ou  du  moins  vous 
a  envoyé  son  petit  mémoire  antisacerdotal  pour  vous  amuser; 
mais  il  faut  que  j'aie  aussi  l'honneur  de  vous  écrire.  Je  suis  en- 
chanté de  votre  souvenir;  j'ai  le  plaisir  d'être  rapproché  de  vous 
de  plus  d'une  bonne  lieue  :  c'est  toujours  cela  ;  mais  le  mont  Jura 
est  terrible.  Je  vous  demande  en  grâce  d'embrasser,  pour  moi, 
bien  tendrement  M,  de  La  Marche,  mon  contemporain,  que  j'ai- 
merai jusqu'au  dernier  moment  de  ma  vie.  Je  voudrais  qu'il  pût 
abandonner  pendant  quelques  jours  ses  campagnes  de  Lucullus 
pour  venir  dans  mes  chaumières.  Je  serais  bien  curieux  de  voir 
son  Histoire  des  impôts  ^  Le  livre  de  M.  Mirabeau  "'  me  paraît  d'un 
fou  qui  a  de  beaux  accès  de  raison.  Je  suis  bien  persuadé  que 


1.  C'est-à-dire  le  tome  huitième  du  recueil  A,  B,  C,  D;  Fontenoy  (Paris), 
1745-1762,  vingt-quatre  volumes  in-12,  dont  les  éditeurs  furent  Perau,  Mercier  de 
Saint-Léger,  etc.  (B.) 

2.  Voyez  la  lettre  4398. 

3.  Éditeur,  Th.  Foisset. 

4.  Manuscrit  conservé  au  château  de  La  Marche,  et  que  l'éditeur  de  ces  lettres 
a  parcouru.  {Note  du  premier  éditeur.) 

5.  Théorie  de  l'impôt,  Paris,  1760,  in-4''  et  in-12,  par  le  marquis  de  Mirabeau, 
auteur  de  Y  Ami  des  hommes.  C'était,  suivant  lui,  son  chef-d'œuvre. 


ANNÉE    170  I.  135 

M.  de  La  Marche  aura  mis  plus  de  vérité,  plus  de  profondeur 
dans  son  ouvrage,  et  moins  de  bavarderie.  Je  suis  très-désinté- 
ressé sur  cette  matière,  car  mes  terres  sont  libres  et  ne  payent 
rien  au  roi  ;  mais  je  n'en  gémis  pas  moins  sur  le  sort  de  notre 
petite  province  de  Gex.  Les  fermiers  généraux  ont  trouvé  un  beau 
secret  dans  ce  petit  pays-là  :  celui  de  réduire  à  huit  mille  habi- 
tants, seize  à  dix-sept  mille  que  le  pays  en  contenait  il  y  a  quatre- 
vingts  ans  ;  mais  en  récompense  ils  entretiennent  dans  ce  pays 
de  six  lieues  de  long  quatre-vingt-douze  commis  extrêmement 
utiles  à  l'État.  Que  voulez-vous,  monsieur?  Tl  faut  bien  qu'il  y  ait 
scandale  en  ce  monde-,  mais  malheur  î\  celui  par  qui  vient  scan- 
dale! 

Je  viens,  moi,  de  me  donner  un  petit  plaisir  qui  paraît  assez 
scandaleux  aux  jésuites.  Ils  avaient  usurpé  un  domaine  assez 
considérable  sur  six  gentilshommes,  tous  frères,  tous  officiers, 
tous  en  guenilles;  j'ai  obligé  les  révérends  pères  à  déguerpir  du 
patrimoine  d'autrui  malgré  des  lettres  patentes  du  roi,  entérinées 
au  parlement  de  Dijon.  Frère  Bcrthier  ne  manquera  pas  de  dire 
qu'on  voit  bien  que  j'ai  des  sentiments  très-dangereux,  et  que 
je  suis  un  très-mauvais  chrétien. 

Je  ne  sais  pas  ce  qu'est  devenu  M.  Le  Cault  :  il  avait  la  bonté 
de  me  vendre  de  fort  bon  vin  tous  les  ans,  et  il  m'abandonne  : 
mais  j'ai  pris  le  parti  d'en  faire  chez  moi  d'assez  passable. 

Mille  respects  à  M""  de  RufTey. 

4422.   —  A  yi.  da:\iil.\ville. 

10  janvier. 

Mille  tendres  remerciements  à  M.  Damilaville  pour  toutes  ses 
bontés.  Voici  une  petite  lettre  que  je  le  prie,  lui  ou  M.  Thieriol. 
de  vouloir  bien  faire  parvenir  à  M.  Dumolard,  par  cette  petite 
poste  si  utile  au  public,  et  que  l'ancien  ministère  avait  rebutée 
pendant  cinquante  ans. 

Ce  M.  Dumolard  est  un  homme  que  je  dois  beaucoup  aimer, 
car  c'est  lui  en  partie  qui  nous  a  procuré  M"'  Corneille.  M.  Dami- 
laville et  M.  Thieriol  peuvent  lire  ma  lettre  à  M.  Dumolard,  et  le 
petit  billet  de  M"'  Corneille.  Ils  verront  si  nous  savons  élever  les 
jeunes  filles. 

Je  fais  une  réflexion  :  M.  TJiicMiol  me  mande  ([ue  le  digne 
Fréron  a  fait  une  espèce  d'accolade  de  la  descendante  du  grand 
Corneille  et  df  L'Kduse,  excellent  dentiste  qui,  dans  sa  jeunesse, 
a  été  acteur  de  rOpéra-Comique.  Si  cela  est,  c'est  une  insolence 


456  CORRESPONDANCE. 

très-pnnissablc,  et  dont  les  parents  de  M"«  Corneille  devraient 
demander  justice.  L'Écluse  n'est  point  dans  mon  cliAteau  ;  il  est 
à  Genève,  et  y  est  très-nécessaire;  c'est  un  homme  d'ailleurs 
supérieur  dans  son  art,  très-lionnéte  homme,  et  très-estimé.  La 
licence  d'un  tel  barbouilleur  de  papier  mériterait  un  peu  de  cor- 
rection. 

4i23.   —  A  M.   F  Y  OT   DE   LA    MARCHE, 

PREMIER      PRÉSIDENT     DU      PARLEMENT     DE      BOl'RGOGNE. 

Au  château  de  Ferney,  pays  de  Gcx,  18  janvier. 

M.  de  Ruffey,  monsieur,  m'a  fait  verser  des  larmes  de  joie  en 
m'apprenant  que  vous  vouliez  bien  vous  ressouvenir  de  moi,  et  que 
vous  vous  rendiez  à  la  société,  dont  vous  avez  toujours  fait  le 
charme.  Mon  cœur  est  encore  tout  ému  en  vous  écrivant.  Songez- 
vous  bien  qu'il  y  a  près  de  soixante  ans  que  je  vous  suis  atta- 
ché !  Mes  cheveux  ont  blanchi,  mes  dents  sont  tombées;  mais 
mon  cœur  est  jeune  :  je  suis  tenté  de  franchir  les  monts  et  les 
neiges  qui  nous  séparent,  et  de  venir  vous  embrasser.  J'ai  honte 
de  vous  avouer  que  je  me  regarde  dans  mes  retraites  comme  un 
des  plus  heureux  hommes  du  monde  ;  mais  vous  méritez  de 
l'être  plus  que  moi,  et  je  vous  avertis  que  je  cesse  de  l'être  si 
vous  ne  l'êtes  pas.  Vous  êtes  honoré,  aimé  ;  je  vous  connais  une 
très-belle  âme,  une  âme  charmante,  juste,  éclairée,  sensible;  je 
peux  dire  de  vous  : 

Gratia,  fama,  valetudo,  contingif  abuade 

Quid  voveat  dulci  nutricula  majus  alumno? 

(HoK.,  lib.  I,  ep.  IV,  V.  8  et  10.) 

Mais  je  ne  vous  dirai  pas  : 

Me  pinguem  et  nitiduni  bene  curata  cute  vises. 

(Ibid.,  V.  15.) 

Je  suis  aussi  lévrier  qu'autrefois,  toujours  impatient,  obstiné, 
ayant  autant  de  défauts  que  vous  avez  de  vertus,  mais  aimant 
toujours  les  lettres  à  la  folie,  ayant  associé  aux  Muses  Cérès,  Po- 
mone,  et  Bacchus  même,  car  il  y  a  aussi  du  vin  dans  mon  petit 
territoire.  Joignant  à  tout  cela  un  peu  de  Yitruve,  j'ai  bâti,  j'ai 
planté  tard,  mais  je  jouis.  Le  roi  m'a  daigné  combler  de  bien- 
faits ;  il  m'a  conservé  la  place  de  son  gentilhomme  ordinaire.  Il  a 


ANNKt:    ITGl.  IviT 

accordé  à  mes  terres  des  privilèges  que  je  n'osais  demander.  Je 
ne  prends  la  liberté  de  vous  rendre  compte  de  ma  situation  que 
parce  que  vous  avez  daigné  toujours  vous  intéresser  un  peu  à 
moi.  Je  suis  si  plein  de  vous  que  j'imagine  que  vous  me  pardon- 
nerez de  vous  parler  un  peu  de  moi-même. 

Monsieur  le  procureur  général  * ,  monsieur,  me  mande  que 
vous  lui  avez  donné  Tancrède  à  lire.  Il  est  donc  aussi  Musarum 
cultor;  mais  quel  Tancrède,  s'il  vous  plaît?  Si  ce  n'est  pas  M'"-  de 
Courteilles- ou  M.  d'Argental  qui  vous  a  envoyé  cette  rapsodie, 
vous  ne  tenez  rien.  Il  y  a  une  copie  absurde  qui  court  le  monde  : 
si  c'est  cet  enfant  supposé  qu'on  vous  a  donné,  je  vous  demande 
en  grâce  de  le  renier  auprès  de  monsieur  le  procureur  général, 
car  jene  veux  pas  qu'il  ait  mauvaise  opinion  de  moi;  j'ai  envie 
de  lui  plaire. 

L'affaire  du  curé  de  Moëns,  pays  de  Gex,  est  bien  étrange. 
Quoil  les  complices  décrétés  de  prise  de  corps,  et  le  chef 
ajourné  ! 

Tantuni  relligio  potuit  suadere 

(LucKÈCE.  de  rerum  \at.,  lib    I,  v.  102.) 

Agréez  le  tendre  respect  et  l'attachement  jusqu'à  la  mort  de 
votre  vieux  camarade. 

Voltaire. 

4i-24.   —  A   M.    GABRIEL   CRAMER  3. 

Je  VOUS  remercie,  caro  Gabriele,  de  vos  bontés,  et  cela  bien 
tendrement. 

L'affaire  du  pauvre  Croze  est  incompréhensible  partout  ailleurs 
qu'en  France,  Un  prêtre!  un  assassinat  prémédité!  Un  billet  de 
garantie  donné  par  ce  prêtre  à  ses  complices.  Il  mérite  la  roue, 
et  il  est  encore  impuni. 

11  y  a  (quinze  jours  que  Decroze  est  entre  la  vie  et  la  mort, 
et  son  assassin  dit  la  messe  !  Le  décret  n'est  |)oint  mis  à  exécution  ; 
on  cherche  à  temporiser,  on  veut  s'accommoder  et  transigei' 
avec  la  partie  civile. 

Quf  Philibert  (Cramer)  aille  sur-le-cham[)  chez  M""  d'Albor- 


1.  Ouarré  de  Quintin. 

2.  Madeleine    Fyot   de   L;i  Marclie,   mariée,    en    17iO,   à  de  Courteilles,  alors 
ambassadeur  en  Suisse. 

3.  Éditeurs,  de  Cayrol  et  François. 


458  CORRESPONDANCE. 

tas;  qu'elle  fasse  dire  à  Croze  père*  que  s'il  est  assez  lùche  pour 
marchander  le  sang  de  son  fils,  il  deviendra  l'horreur  du  genre 
humain. 

Qu'on  aille  chez  lui,  qu'on  l'encourage,  qu'il  ne  rende  pas 
peines  inutiles.  Cette  affaire  m'en  donne  assez.  Que  le  géant  Pictct 
coure  à  Sacconex,  qu'il  ait  la  honte  de  parler  à  Croze.  Il  ne  faut 
pas  qu'il  épargne  l'argent.  Un  des  assassins  a  plus  de  dix  mille 
écus  de  hien  ;  le  curé  est  très-riche.  11  y  aura  des  dédommage- 
ments très-considérahlcs. 

Corpus  poetaruml...  Envoyez-le-moi  donc. 

Au  nom  du  hon  goût,  Allohroges  que  vous  êtes,  forme  moins 
large,  marge  plus  grande  pour  la  prose.  Que  ces  longues  lignes 
pressées  font  un  mauvais  effet  à  l'œil!  Ah!  harbares!  Quand  vous 
aurez  fini,  gardez-vous  hien  d'envoyer  au  roi  de  Prusse.  Laissez- 
moi  ce  petit  plaisir.  Tuus  V. 

Comment  vont  les  yeux  de  M""  Gabriel? 

4425.   —  A   M.  HELVÉTIUS. 

Aux  Délices,  19  janvier. 

Il  est  vrai,  mon  très-cher  philosophe  persécuté,  que  vous  m'avez 
un  peu  mis,  dans  votre  livret  in  communi  martyrum  ;  mais  vous 
ne  me  mettrez  jamais  in  commuiii  de  ceux  qui  vous  estiment  et 
qui  vous  aiment.  On  vous  avait  assuré,  dites-vous,  que  vous 
m'fliv'e-  déplu.  Ceux  qui  ont  pu  vous  dire  cette  chose  qui  n'est  pas, 
comme  s'exprime  notre  ami  Swift,  sont  enfants  du  diable.  Vous, 
me  déplaire!  Et  pourquoi  ?  et  en  quoi?  vous  en  qui  estgratia, 
fama  ^  ;  VOUS  qui  êtes  né  pour  plaire  ;  vous  que  j'ai  toujours  aimé, 
et  dans  qui  j'ai  chéri  toujours,  depuis  votre  enfance,  les  progrès 
de  votre  esprit.  On  avait  comme  cela  dit  à  Duclos  qu';7  m'avait 
déplu,  et  que  je  lui  avais  refusé  ma  voix  à  l'Académie.  Ce  sont  en 
partie  ces  tracasseries  de  messieurs  les  gens  de  lettres,  et  encore 
plus  les  persécutions,  les  calomnies,  les  interprétations  odieuses 
des  choses  les  plus  raisonnables,  la  petite  envie,  les  orages  con- 
tinuels attachés  à  la  littérature,  qui  m'ont  fait  quitter  la  France. 
On  vend  très-bien  des  terres  pendant  la  guerre,  vu  que  cette 
guerre  enrichit  et  messieurs  les  trésoriers  de  l'extraordinaire,  et 
messieurs  les  entrepreneurs  des  vivres,  fourrages,    hôpitaux, 

1.  Il  hésitait  à  signer  la  requête  du  10  janvier. 

2.  Voyez  la  note  2,  tome  XXXIX,  page  559. 
.3,  Horace,  livre  I,  épltre  iv,  vers  10. 


ANNÉE    I7GI.  159 

vaisseaux,  cordages,  bœuf  salé,  artillerie,  chevaux,  poudre,  et 
messieurs  leurs  commis,  et  messieurs  leurs  laquais,  et  mesdames 
leurs  catins.  J'ai  trois  terres  ici,  dont  une  jouit  de  toutes  fran- 
chises, comme  le  franc-alleu  le  plus  primier  ;  et  le  roi  m'ayanl 
conservé,  par  un  brevet,  la  charge  de  gentilhomme  ordinaire,  je 
jouis  de  tous  les  droits  les  plus  agréables.  J'ai  terre  aux  confins 
de  France,  terre  à  Genève,  maison  à  Lausanne;  tout  cela  dans 
un  pays  où  il  n'y  a  point  d'archevêque  qui  excommunie  les  livres 
qu'il  n'entend  pas.  Je  vous  offre  tout,  disposez-en. 

Cet  archevêques  dont  vous  me  parlez,  ferait  bien  mieux 
d'obéir  au  roi,  et  de  conserver  la  paix,  que  de  signer  des  torche- 
culs  de  mandements.  Le  parlement  a  très-bien  fait,  il  y  a  quelques 
années,  d'en  brûler  quelques-uns,  et  ferait  fort  mal  de  s'occuper 
d'un  livre  de  métaphysique,  portant  privilège  du  roi.  J'aimerais 
mieux  qu'il  me  fît  justice  de  la  banqueroute  du  fils-  de  Samuel 
Bernard,  juif,  fils  de  juif,  mort  surintendant  de  la  maison  de  la 
reine,  maître  des  requêtes,  riche  de  neuf  millions,  et  banque- 
routier. Vendez  votre  charge  de  maître  d'hôtel,  vende  omnia  quse 
habes,  et  sequere  me'.  Il  est  vrai  que  les  prêtres  de  Genève  et  de 
Lausanne  sont  des  hérétiques  qui  méprisent  saint  Athanase,  et 
qui  ne  croient  pas  Jésus-Christ  Dieu  ;  mais  on  peut  du  moins 
croire  ici  la  Trinité,  comme  je  fais,  sans  être  persécuté  ;  faites- 
en  autant.  Soyez  bon  catholique,  bon  sujet  du  roi,  comme  vous 
l'avez  toujours  été,  et  vous  serez  tranquille,  heureux,  aimé,  estimé, 
honoré  partout,  particulièrement  dans  cette  enceinte  charmante 
couronnée  par  les  Alpes,  arrosée  par  le  lac  et  par  le  Rhône,  cou- 
verte de  jardins  et  de  maisons  de  plaisance,  et  près  d'une  grande 
viJle  où  l'on  pense.  Je  mourrais  assez  heureux  si  vous  veniez 
vivre  ici.  Mille  respects  à  madame  votre  femme. 

Notre  nièce  est  très-sensible  à  l'honneur  de  votre  souvenir. 


4i-2G.  —    A  M.   LE   MARQUIS   D'ARGENCI::    DE   DIRAC. 

A  Ferncy,  20  janvier. 

Vous  connaissez  ma  vie,  monsieur;  mes  occupations  sont  fort 
augmentées.  Depuis  que  j'ai  eu  le  malheur  de  vous  perdre*,  je 
n'ai  pas  eu  un  moment  à  moi.  J'ai  voulu  vous  écrire  tous  les 


1.  (Christophe  do  Bcauinont. 

2.  IJcniard  de  (Coubcrl. 

3.  Saint  Maltliieii,  chap.  xiv,  vers  21. 

4.  D'Argcnce  avait  visité  Voltaire  en  septembre  précédent. 


460  CORRESPONDANCE. 

jours,  et  je  me  suis  contenté  de  penser  sans  cesse  à  vous.  Je  vois, 
par  les  lettres  dont  vous  m'honorez,  que  vous  êtes  heureux.  Il  n'y 
a  que  deux  sortes  de  bonheur  dans  ce  monde  :  celui  des  sots  qui 
s'enivrent  stupidement  de  leurs  illusions  fanatiques,  et  celui  des 
philosophes.  11  est  impossible  à  un  être  qui  pense  de  vouloir  tàter 
de  la  première  espèce  de  bonheur,  qui  tient  de  l'abrutissement. 
Plus  vous  vous  éclairez,  et  plus  vous  jouissez.  Rien  n'est  plus 
doux  que  de  rire  des  sottises  des  hommes,  et  de  rire  en  connais- 
sance de  cause.  Si  vous  daignez  vous  amuser,  monsieur,  à  recher- 
cher en  quel  temps  certaines  gens  s'avisèrent  de  dire  que  deux 
et  deux  font  cinq,  et  dans  quel  temps  d'autres  docteurs  assurèrent 
que  deux  et  deux  font  six,  il  vous  sera  aisé  de  voir  que  ni  le  sen- 
timent d'Arius  ni  celui  d'Athanase  n'étaient  nouveaux;  et  que, 
dès  le  iir  siècle,  les  théologiens,  étant  devenus  platoniciens,  se 
battirent  à  coups  d'écritoire  pour  savoir  si  l'œuf  est  formé  avant 
la  poule,  ou  la  poule  avant  l'œuf,  et  si  c'est  un  péché  mortel  de 
manger  des  œufs  à  la  coque  certains  jours  de  l'année. 

Pour  votre  pâté  de  perdrix',  il  nous  arrivera  heureusemeni 
avant  le  carême  ;  ainsi  nous  pourrons  en  manger  en  sûreté  de 
conscience,  car  vous  sentez  combien  Dieu  est  irrité,  et  qu'il  a 
va  de  la  damnation  éternelle,  quand  on  est  assez  pervers  pour 
manger  des  perdrix  à  la  un  de  février,  ou  au  commencement  de 
mars. 

J'ai  fait,  depuis  votre  départ,  une  terrible  action  d'impiété  : 
j'ai  contraint  les  jésuites  à  déguerpir  d'un  domaine  qu'ils  avaient 
usurpé  sur  six  gentilshommes  mes  voisins  -,  tous  frères,  tous 
officiers  du  roi,  tous  servant  dans  le  régiment  de  Deux-Ponts, 
tous  braves  gens,  tous  en  guenilles. 

Je  me  damne  de  plus  en  plus  ;  je  suis  actuellement  oc- 
cupé à  poursuivre  criminellement  un  curé'  de  nos  cantons, 
lequel  a  cru  qu'il  est  de  droit  divin  de  rosser  ses  paroissiens.  Il 
est  allé  pieusement,  à  onze  heures  du  soir,  chez  une  dame,  avec 
cinq  ou  six  paysans  armés  de  butons  ferrés,  pour  empêcher  qu'on 
ne  fît  l'amour  sans  sa  permission.  Son  zèle  a  été  jusqu'à  laisser 
sur  le  carreau  un  jeune  homme  de  famille,  baigné  dans  son  sang  ; 
et  s'il  ne  s'était  trouvé  un  impie  comme  moi,  ce  pauvre  garçon 
était  mort,  et  le  curé  impuni.  Le  curé  se  défend  tant  qu'il  peut  : 
il  dit  qu'il  ne  veut  point  aller  aux  galères,  et  que  je  serai  damné  ; 

1.  La  commune  de  Dirac  n'est  qu'à  deux  lieues  d'Angoulême,  et  les  pâtés  de 
perdrix  aux  truffes  qu'on  fait  dans  cette  ville  sont  encore  en  grand  renom.  (Gr..) 

2.  Voyez  la  lettre  4398. 

3.  Voyez  la  requête  contre  lui  ;  tome  XXIV,  pai^e  161. 


ANNEE    17GI.  ICI 

mais  heureusement  un  bon  prêtre' vient  de  prouvera  Neufcliàtcl 
que  l'enfer  n'est  point  du  tout  éternel  ;  qu'il  est  ridicule  de  penser 
que  Dieu  s'occupe,  pendant  une  infinité  de  siècles,  à  rôtir  un 
pauvre  diable.  C'est  dommage  que  ce  prêtre  soit  un  huguenot, 
sans  cela  ma  cause  était  bonne  :  je  n'aime  point  ces  maudits 
liuguenots.  Nous  avons  eu,  depuis  peu,  un  cocu  à  Genève.  Ce  cocu, 
comme  vous  savez,  tira  un  coup  de  pistolet  à  l'amant-  de  sa 
femme.  La  petite  Église  de  Calvin,  qui  fait  consister  la  vertu  dans 
l'usure  et  dans  l'austérité  des  mœurs,  s'est  imaginé  qu'il  n'y  avait 
de  cocus  dans  le  monde  que  parce  qu'on  jouait  la  comédie.  Ces 
maroufles  s'en  sont  pris  aux  jeunes  gens  de  leur  ville  qui  avaient 
joué  sur  mon  théâtre  deTournay,  et  ils  ont  eu  l'insolence  de  leur 
faire  promettre  de  ne  plus  jouer  avec  des  Français,  qui  pour- 
raient corrompre  les  mœurs  de  Genève  ^ 

Vous  voyez,  monsieur,  qu'on  est  aussi  sot  à  Genève  qu'on  est 
fou  à  Paris  ;  mais  je  pardonne  à  ces  barbares,  parce  qu'il  y  a  chez 
eux  dix  ou  douze  personnes  de  mérite  \  Dieu  n'en  trouva  pas 
cinq  dans  Sodome  :  je  ne  suis  pas  assez  puissant  pour  faire  pleu- 
voir le  feu  du  ciel  sur  Genève;  je  le  suis  du  moins  assez  pour 
avoir  beaucoup  de  plaisir  chez  moi,  au  nez  de  tous  ces  cagots. 
J'en  aurais  bien  davantage,  monsieur,  si  vous  étiez  encore  ici  : 
vous  y  verriez  la  descendante  du  grand  Corneille,  que  nous  avons 
adoptée  pour  fille,  M""^  Denis  et  moi.  Son  caractère  paraît  aussi 
aimable  que  le  génie  de  Corneille  est  respectable. 

Adieu,  monsieur;  nous  vous  regretterons  et  nous  vous  aime- 
rons toujours.  S'il  y  a  quelqu'un  qui  pense  dans  votre  pays,  faites- 
lui  mes  compliments.  M""  Denis  vous  fait  les  siens  bien  tendre- 
ment. 

ii-27.    —  A    M.   LE    MARQUIS   DE    CHALVELI.N. 

21  janvier. 

Voici,  pour  Votre  Excellence,  la  négociation  la  plus  imporlanto 
que  vous  ayez  jamais  fait  réussir.  Le  porteur,  avec  son  bara- 
goin,  est  à  la  tête  d'une  troupe  d'histrions;  il  a  le  privilège  dti 
gouverneur  de  Bourgogne;  il  veut  nous  donner  du  plaisir:  c'est 
donc  un  homme  nécessaire  à  la  société.  Une  autre  troupe  d'Iiis- 

1.  Ferdiit!in(l-01i\  iiT  l*('til|)ierr  , 

2.  Le  profossciir  Nrckcr. 

3.  Allusion  à  quchiucs  expressions    de  la  IcUrc    de  J.-).  Rousseau  à  VoRaii    . 
du  17  juin  17G0,  n"  W'y.i. 

4.  Genèse,  wiii,  ;(2. 

41.  —  Cou  Ri'.^r'()M)AN(  E.  I  \.  11 


462  CORRESPONDANCE. 

irions,  nommés  prédicants  calvinistes,  a  eu  l'insolence  de  trouver 
mauvais  que  les  Genevois  jouassent  Alzirc  en  France,  au  cliûtcau 
(le  Tournay.  Cette  ville  d'usuriers  corromprait  sans  doute,  en 
France,  la  pureté  de  ses  mœurs.  De  plus,  les  faquins  à  mono- 
logue sont  si  jaloux  des  gens  à  dialogue  ',  qu'ils  veulent  avoir  le 
privilège  exclusif  d'ennuyer  le  monde.  Le  porteur  a  une  troupe 
catholique  :  il  peut  donner  du  plaisir  sur  terre  de  France;  mais 
les  terres  de  Savoie  sont  plus  à  portée.  S'il  peut  s'établir  à  Ca- 
rouge,  petit  village'  aux  portes  de  Genève,  il  croit  nos  plaisirs 
assurés,  et  sa  fortune  faite.  Il  demande  donc  votre  protection. 

0  belle  ambassadrice!  actrice  charmante!  portez  nos  prières 
à  M.  de  Chauvelin  ;  favorisez  un  art  dans  lequel  vous  daignez 
exceller;  confondez  des  hérétiques  qui  prêchent  contre  la  divi- 
nité de  Jésus-Christ,  et  contre  Athalie  etPolyeucte.  La  descendante 
du  grand  Corneille,  qui  est  aux  Délices,  vous  conjure,  par  les 
mânes  de  Cinna  et  de  Chimène,  de  procurer  une  église  dans 
Carouge  au  sacristain  que  nous  vous  dépêchons. 

Monsieur  l'ambassadeur,  regardez  cette  affaire  comme  la  plus 
importante  de  votre  vie,  ou  du  moins  de  la  nôtre.  Les  Délices 
seront-elles  assez  heureuses  pour  vous  reposséder  au  mois  de 
mai? 

Respect  et  attachement  éternel.  Comment  se  portent  le  flls  et 
la  mère  ? 

4428.    —    A  M.   THIERIOT. 

A  Ferney,  21  janvier. 

Reçu  le  petit  livre  royal  De  Morihus  hrachmanorum.  Me  voilà 
plus  confirmé  que  jamais  dans  mon  opinion  que  les  livres  rares 
ne  sont  rares  que  parce  qu'ils  sont  mauvais  ;  j'en  excepte  seule- 
ment certains  livres  de  philosophie,  qui  sont  lus  des  seuls  sages, 
que  les  sots  n'entendraient  pas,  et  que  les  sots  persécutent. 

Je  reçois  aussi  la  Divine  Légation  de  Moïse  ^  de  l'évêque  War- 
burton,  dans  laquelle  cet  évêque  prouve  que  Moïse  était  inspiré 
de  Dieu,  parce  qu'il  n'enseignait  pas  l'immortalité  de  l'àme. 

Point  de  roman  de  Jean-Jacques*,  s'il  vous  plaît  ;  je  l'ai  lu  pour 


1.  Voyez  tome  XXIV,  page  215. 

2.  Carouge  est  aujourd'hui  une  jolie  ville  peuplée  de  plusieurs  milliers  d'habi- 
tants. 

3.  Voyez  la  note,  tome  XXV,  page  9. 

4.  La  Nouvelle  Hcloïse;  voyez,  tome  XXIV,  page  1G5,  les  Lettres  de  Voltaire  sur 
ce  roman  de  J.-J.  Rousseau. 


ANNÉE    17G1.  463 

mon  malheur  ;  et  c'eût  été  pour  le  sien,  si  j'avais  le  temps  de 
dire  ce  que  je  pense  de  cet  impertinent  ouvrage.  Mais  un  culti- 
vateur, un  maçon,  et  le  précepteur  de  M""  Corneille,  et  le  ven- 
geur d'une  famille  accablée  par  des  prêtres,  n'a  pas  le  temps  de 
parler  de  romans. 

Joue-t-on  Tancrcde?  joue-t-on  le  Pcre  de  famille?  0  mon  cher 
frère  Diderot!  je  vous  cède  la  place  de  tout  mon  cœur,  et  je  vou- 
drais vous  couronner  de  lauriers'. 

4i29.   —   A   MADAME   LA   DUCHESSE    DE  SAXE-GOTHA». 

Au  château  de  Feniey,  pays  de  Gex,  en  Bourgogne, 
par  Genève,  22  janvier. 

Madame,  moi,  n'avoir  point  écrit  à  Votre  Altesse  sérénissime  ! 
Moi,  coupable  d'ingratitude  !  Psou,  madame,  il  est  impossible 
d'être  ingrat  avec  vous  ;  il  y  a  trop  de  plaisir  à  sentir  et  à  expri- 
mer les  sentiments  qu'on  vous  doit.  Ce  n'est  qu'avec  les  en- 
nuyeux qu'on  est  ingrat;  on  ne  l'est  jamais  envers  les  vertus 
aimables. 

J'ai  eu  l'honneur  d'écrire  à  Votre  Altesse  sérénissime  tant  que 
j'ai  eu  un  souffle  de  vie  ;  et  l'état  de  faiblesse  où  je  suis  me  force 
aujourd'hui  de  vous  remercier  de  vos  Ijienfaits  par  une  main 
étrangère.  Je  reçois  le  paquet  de  M""'  de  Bassevitz.  Je  vais  la  re- 
mercier; mais  elle  permettra  que  je  commence  par  M"'"  la 
duchesse  de  Gotha, 

Je  m'étais  bien  donné  de  garde,  madame,  d'adresser  par  la 
l)Osteles  volumes  du  Czar  Pierre.  Le  port  immense  qu'ils  auraient 
coûté  eût  été  une  indiscrétion,  et  le  paquet  ne  valait  pas  cette 
dépense.  J'envoyai  le  petit  ballot  par  le  commissionnaire  Obous- 
sier,  de  Lausanne.  Il  m'a  plusieurs  fois  assuré  que  le  paquet  était 
arrivé  à  Francfort;  je  lui  écris  encore  aujourd'hui  pour  savoir 
le  nom  de  son  correspondant.  Le  peu  de  sûreté  des  voitures 
publi(iues  est,  à  la  vérité,  le  plus  petit  malheur  de  la  guerre; 
mais  il  ne  laisse  pas  d'en  être  un.  Quand  finira-t-elle  donc,  ma- 
dame, cette  guerre  funeste?  M"'-  de  Bassevitz  n'en  souffre-l-elle 
pas  beaucoup?  Son  pays  n'esl-il  pas  dévasté  et  rançonné? 

Oscrais-je,  madame,  prendre  la  liberté  de  vous  demander  où 
est  à  présent  monsieur  le  landgrave  de  liesse?  Serait-il  vrai  (juil 


\.  Les  deux  derniers  paragraphes  se  relrou\cul  dans  une  lettre  à  Thieriot,  du 
25  janvier.  Voyez  ci-après  n°  4W.i. 
2.  Éditeurs,  Bavoui  et  Franrois. 


464  CORRKSPONDANCE. 

fût  gardé  à  vue,  et  qu'on  ne  pût  lui  écrire  les  choses  les  plus 
simples  qu'en  courant  quelque  risque?  N'est-ce  pas  encore  là  un 
des  efTets  de  cette  guerre  maudite? 

Un  de  mesétonnements  est  que  le  roi  de  Prusse  ait  pu  envoyer 
un  détachement  de  son  armée  à  celle  dcscsalliés.  Depuis  Mithri- 
dato,  on  n'a  jamais  résisté  si  longtemps:  il  fut  vaincu  par  des 
Romains;  mais  le  Milhridatc  d'aujourd'hui  est  le  seul  Romain 
que  je  connaisse.  Son  poëme  sur  VAit  de  la  guerre  est  très-hion 
traduit  en  italien.  11  est  plus  aisé  de  traduire  ses  vers  que  d'imiter 
ses  exemples. 

Je  me  mets  aux  pieds  de  Votre  Altesse  sérénissime  et  à  ceux 
de  toute  votre  auguste  famille,  avec  le  plus  profond  et  le*  plus 
tendre  respect. 

Le  vieux  Suisse  V. 

P.  S.  La  grande  maîtresse  des  cœurs  m'a-t-elle  entièrement 
oublié?  Je  ne  doute  pas  que  Votre  Altesse  sérénissime  n'ait  un 
ministre  à  Paris;  mais  si  elle  n'en  avait  pas,  elle  me  permettra 
de  lui  recommander  un  Genevois  nommé  Cromelin,  dont  je  ré- 
ponds comme  de  moi-môme.  Elle  en  serait  quitte,  je  crois,  pour 
1,200  livres  de  France  par  an,  ou  à  peu  près,  et  elle  serait  fidèle- 
ment servie.  Son  Altesse  sérénissime  permet-elle  qu'on  insère 
ici  cette  lettre  pour  M""  de  Bassevitz? 

4430.    _  A  MADAME   LA  COMTESSE   DE    BASSEVITZ  i. 

Feniey,  22  janvier  1761. 

Une  Polonaise,  en  1722,  vint  à  Paris,  et  se  logea  à  quelques 
pas  de  la  maison  que  j'occupais.  Elle  avait  quelques  traits  de  res- 
semblance avec  l'épouse  du  czarowitz.  Un  officier  français,  nommé 
d'Aubant,  qui  avait  servi  en  Russie,  fut  étonné  de  la  ressemblance  : 
cette  méprise  donna  envie  à  la  dame  d'être  princesse  ;  elle  avoua 
ingénument  à  l'officier  qu'elle  était  la  veuve  de  l'héritier  de  la 

1.  Je  donne  ce  morceau,  quoique  ce  ne  soit  qu'un  fragment,  parce  que  le 
sujet  est  très-intéressant,  et  que  la  lettre  à  Scliouvalow,  du  21  septembre  17G0, 
rend  ce  fragment  précieux. 

Le  Journal  de  Paris,  du   19  juillet  1782,  d'où  je  l'ai  extrait,  dit  que  M™'  la 

comtesse  de  B vivait  encore  à  D***,  dans  le  Mecklembourg.  C'est  aussi  à 

M™*  de  Bassevitz  qu'est  adressée  une  lettre  du  25  déceinbre  1761.  (B.) 

—  Il  est  assez  longuement  question  de  M'"'=  d'Aubant  ou  d'Auban  dans  la 
Correspondance  litléraire  de  Grimm,  juin  et  novembre  1777.  Voyez  ci-dessus  les 
lettres  42G4  et  4325. 


ANNÉE    1761.  165 

Russie  ;  qu'elle  avait  fait  enterrer  une  bûche  à  sa  place,  pour  se 
sauver  de  son  mari.  D'Aubant  fut  amoureux  d'elle  et  de  sa  prin- 
cipauté ;  ils  se  marièrent.  D'Aubant,  nommé  gouverneur  dans 
une  partie  de  la  Louisiane,  mena  sa  princesse  en  Amérique.  Le 
lionhomme  est  mort  croyant  fermement  avoir  épousé  une  belle- 
sœur  d'un  empereur  d'Allemagne,  et  la  bru  d'un  empereur  de 
lîussie  ;  ses  enfants  le  croient  aussi,  et  ses  petits-enfants  n'en 
douteront  pas... 

4431.    —  .\   -M.   L'ABBÉ   D'OLIVET. 

Au  château  de  Fcrney,  22  janvier. 

Mon  cher  Cicéron,  qui  ne  vivez  pas  dans  le  siècle  des  Cicé- 
rons,  n'allez  pas  faire  comme  l'abbé  Sallier  et  l'abbé  de  Saint- 
Cyr'  ;  vivez,  pour  empêcher  que  la  langue  et  le  goût  ne  se  cor- 
rompent de  plus  en  plus  ;  vivez,  et  aimez-moi.  Je  vous  prie  d'avoir 
la  bonté  de  me  recommander  de  temps  en  temps  à  l'Académie, 
comme  un  membre  encore  plus  attaché  à  son  corps  qu'il  n'en 
est  éloigné  ;  dites-lui  que  je  respecterai  et  que  j'aimerai  jusqu'au 
dernier  moment  de  ma  vie  ce  corps  dont  la  gloire  m'intéresse. 
Tùchez,  mon  cher  maître,  de  nous  donner  un  véritable  académi- 
cien à  la  place  de  l'abbé  de  Saint-Cyr,  et  un  savant  à  la  place  de 
l'abbé  Sallier.  Pourquoi  n'aurions-nous  pas  cette  fois-ci  M.  Dide- 
rot? Vous  savez  qu'il  ne  faut  pas  que  l'Académie  soit  un  sémi- 
naire, et  qu'elle  ne  doit  pas  être  la  cour  des  pairs.  Quelques  or- 
nements dor  à  notre  lyre  sont  convenables;  mais  il  faut  que  les 
cordes  soient  à  boyau,  et  qu'elles  soient  sonores. 

On  m'a  mandé  que  vous  aviez  été  à  une  représentation  de 
Tancrède.  Vous  ne  dûtes  pas  y  reconnaître  ma  versification;  je 
ne  l'ai  pas  reconnue  non  plus.  Les  comédiens,  qui  en  savent  plus 
que  moi,  avaioiit  mis  beaucoup  de  vers  de  leur  façon  dans  la 
pièce;  ils  auront,  à  la  reprise,  la  modestie  de  jouer  la  tragédie 
telle  que  je  l'ai  faite. 

Je  ne  pciiv  m'empécher  de  vous  dire  ici  que  je  suis  saisi 
d'une  indignation  académique  quand  je  lis  nos  nouveaux  livres. 
J'y  vois  qu'une  chose  est  au  pnrfdlt,  pour  dire  qu'elle  est  bien 
faite.  J'y  vois  qu'on  a  des  intérêts  à  démêler  vis-n-cis  de  ses  voi- 
sins, au  lieu  d'avec  ses  voisins;  et  ce  mailicureuv  mot  de  cis-à- 
vis  employé';'!  tort,  à  travers. 

On  ni"cM\o\;i,  il  y  ;i  (luchpie  l(Mnps,  une  brochniT  dans  Ia(pi(Mle 

1.  L'abbé   Sallier  était    mort   le   0  janvier   I7(')l  ;   r;il>l)é  do  Saint-Cyr,  le  1  i. 


166  COHRESPONDANCE. 

iiiio  fille  élait  bien  éduquée.  au  Jicu  de  bien  élevée.  Je  parcours  un 
roman  du  citoyen  de  Genève  S  moitié  galant,  moitié  moral,  où 
il  n'y  a  ni  galanterie,  ni  vraie  morale,  ni  goût,  et  dans  lequel  il 
n'y  a  d'autre  mérite  que  celui  de  dire  des  injures  à  notre  nation. 
L'auteur  dit  qu'ù  la  Comédie  les  Parisiens  calquent  les  modes  fran- 
çaises sur  l'babit  romain.  Tout  le  livre  est  écrit  ainsi  ;  et,  à  la 
lionte  du  siècle,  il  réussira  peut-être. 

Mon  cber  doyen.  Je  siècle  passé  a  été  le  précepteur  de  celui-ci; 
mais  il  a  fait  des  écoliers  bien  ridicules.  Combattez  pour  le  bon 
goût;  mais  voudrez-vous  combattre  pour  les  morts? 

Adieu.  Je  voudrais  que  vous  fussiez  ici  ;  vous  m'aideriez  à 
rendre  M'"'  Corneille  digne  de  lire  les  trois  quarts  de  Cinna,  et 
presque  tout  ie  rôle  de  Chimène  et  de  Cornélie  :  je  dis  presque 
tout,  et  non  pas  tout,  car  je  ne  connais  aucun  grand  ouvrage 
parfait,  et  je  crois  même  que  la  chose  est  impossible. 

4i32.   —   A  M.  DEODATI  DE   TOVAZZI. 

Au  château  de  Fcrney,  en  Bourgogne,  24  janvier. 

Je  suis  très-sensible,  monsieur,  à  l'honneur  que  vous  me  faites 
de  m'envoyer  votre  livre  de  V Excellence  de  la  langue  italienne^; 
c'est  envoyer  à  un  amant  l'éloge  de  sa  maîtresse.  Permettez-moi 
cependant  quelques  réflexions  en  faveur  de  la  langue  fran- 
çaise, que  vous  paraissez  dépriser  un  peu  trop.  On  prend  sou- 
vent le  parti  de  sa  femme,  quand  la  maîtresse  ne  la  ménage  pas 
assez. 

Je  crois,  monsieur,  qu'il  n'y  a  aucune  langue  parfaite.  Il  en 
est  des  langues  comme  de  bien  d'autres  choses,  dans  lesquelles 
les  savants  ont  reçu  la  loi  des  ignorants.  C'est  le  peuple  ignorant 
qui  a  formé  les  langages  ;  les  ouvriers  ont  nommé  tous  leurs  in- 
struments. Les  peuplades,  à  peine  rassemblées,  ont  donné  des 
noms  à  tous  leurs  besoins  ;  et,  après  un  très-grand  nombre  de 
siècles,  les  hommes  de  génie  se  sont  servis,  comme  ils  ont  pu, 
des  termes  établis  au  hasard  par  le  peuple. 

Il  me  paraît  qu'il  n'y  a  dans  le  monde  que  deux  langues  véri- 
tablement harmonieuses,  la  grecque  et  la  latine.  Ce  sont  en  effet 


-!.  Julie. 

2.  La  Dissertation  sur  l'Excellence  de  la  langue  italienne,  par  Deodati  de 
Tovazzi,  parut  en  1761,  in-S"  de  iv  et  GO  pages.  On  ne  trouve  pas  à  la  suite  les 
deux  lettres  dont  Deodati  de  Tovazzi  parle  dans  son  certificat  rapporté  tome  XXV, 
page  581. 


ANNÉE    nci.  1G7 

les  seules  dout  les  vers  aient  une  vraie  mesure,  un  rhytlime  cer- 
tain, un  vrai  mélange  de  dactyles  et  de  spondées,  une  valeur 
réelle  dans  les  syllabes.  Les  ignorants  qui  formèrent  ces  deux 
langues  avaient  sans  doute  la  tête  plus  sonnante,  loreille  plus 
juste,  les  sens  plus  délicats  que  les  autres  nations. 

Vous  avez,  comme  vous  le  dites,  monsieur,  des  syllabes 
longues  et  brèves  dans  votre  belle  langue  italienne  :  nous  en 
avons  aussi;  mais  ni  vous,  ni  nous,  ni  aucun  peuple,  n'avons 
de  véritables  dactyles  et  de  véritables  spondées.  Nos  vers  sont 
caractérisés  par  le  nombre,  et  non  par  la  valeur  des  syllabes. 
La  bclla  lingua  toscana  c  la  figlia  primogenita  dcl  latino.  Mais  jouis- 
sez de  votre  droit  d'aînesse,  et  laissez  à  vos  cadettes  partager 
quelque  chose  de  la  succession. 

J'ai  toujours  respecté  les  Italiens  comme  nos  maîtres;  mais 
vous  avouerez  que  vous  avez  fait  de  fort  bons  disciples.  Presque 
toutes  les  langues  de  l'Europe  ont  des  beautés  et  des  défauts  qui 
se  compensent.  Vous  n'avez  point  les  mélodieuses  et  nobles  ter- 
minaisons des  mots  espagnols,  qu'un  heureux  concours  df 
voyelles  et  de  consonnes  rend  si  sonores  :  Los  rios.  los  Iwmbres, 
las  historiasjas  costitmbres.  Il  vous  manque  aussi  lesdiphthongues, 
qui,  dans  notre  langue,  font  un  effet  si  harmonieux  :  Les  rois, 
les  empereurs,  les  exploits,  les  histoires.  Vous  nous  reprochez  nos 
c  muets  comme  un  son  triste  et  sourd  qui  expire  dans  notre 
bouche;  mais  c'est  précisément  dans  ces  e  muets  que  consiste  la 
grande  harmonie  de  notre  prose  et  de  nos  vers.  Empire,  couronne, 
diadème,  flamme,  tendresse,  victoire;  toutes  ces  désinences  heu- 
reuses laissent  dans  l'oreille  un  son  qui  subsiste  encore  après  le 
mot  prononcé,  comme  un  clavecin  qui  résonne  quand  les  doigts 
ne  frappent  plus  les  touches. 

Avouez,  monsieur,  que  la  prodigieuse  variété  de  toutes  ces 
désinences  peut  avoir  quelque  avantage  sur  les  cinq  terminaisons 
de  tous  les  mots  de  votre  langue.  Encore,  de  ces  cinq  terminai- 
sons faut-il  retrancher  la  dernière,  car  vous  n'avez  que  sept  ou 
liuit  mots  qui  se  terminent  en  u;  reste  donc  quatre  sons,  a,  e,  i, 
0,  qui  finissent  tous  les  mots  italiens. 

l>eiisez-vous,  de  bonne  foi,  que  l'oreille  d'un  étranger  soit 
bien  flattée,  quand  il  lit,  pour  la  première  fois, 

c  '1  Ciipilano 

<;ii(.''l  i^ran  scpolcro  liJjtTÔ  di  Crislo; 

et 

MoUo  ("l;!!  opro  col  scnno  o  con  la  iiiano? 

(Le  Tasse,  Jems.  dcliv.,  di.  t,  -t 


16P.  CORRESPONDANCE. 

Croyez-vous  quo  tous  ces  o  soient  bien  agréables  à  une  oreille 
qui  n'y  est  pas  accoutumée?  Comparez  à  cette  triste  uniformité, 
si  fatigante  pour  un  étranger  ;  comparez  à  cette  sécheresse  ces 
deux  vers  simples  de  Corneille  : 

Le  destin  se  déclare,  et  nous  venons  d'entendre 
Ce  qu'il  a  résolu  du  beau-père  et  du  gendre. 

{La  Mort  de  Pompée,  acte  I,  scène  i.) 

Vous  voyez  que  chaque  mot  se  termine  différemment.  Pro- 
noncez à  présent  ces  deux  vers  d'Homère  : 

E^  ou  ^-/i  Ta  Trpcora  ^lacr/ir/iv   spiTav-cs 
A'^p£u^/î;   Te,    ava^   àvr^pcov,  x.al  8ïoç    Kyiklvjq. 

[Iliade,  liv.  I,  V.  6.) 

Qu'on  prononce  ces  vers  devant  une  jeune  personne,  soit 
anglaise  ou  allemande,  qui  aura  l'oreille  un  peu  délicate  :  elle 
donnera  la  préférence  au  grec,  elle  souffrira  le  français,  elle  sera 
un  peu  choquée  de  la  répétition  continuelle  des  désinences  ita- 
liennes. C'est  une  expérience  que  j'ai  faite  plusieurs  fois. 

^  Vos  poètes,  qui  ont  servi  à  former  votre  langue,  ont  si  bien 
senti  ce  vice  radical  de  la  terminaison  des  mots  italiens  qu'ils 
ont  retranché  les  lettres  e  et  o,  qui  finissaient  tous  les  mots  à  l'in- 
tinitif,  au  passé,  et  au  nominatif;  ils  disent  «war  pour  amare, 
iiocqueron  pour  nocquerono,  la  stagion  pour  la  stagione,  biion  pour 
huono,  malevol  pour  malevole.  Vous  avez  voulu  éviter  la  cacopho- 
nie ;  et  c'est  pour  cela  que  vous  finissez  très-souvent  vos  vers  par 
la  lettre  canine  r,  ce  que  les  Grecs  ne  firent  jamais. 

J'avoue  que  la  langue  latine  dut  longtemps  paraître  rude  et 
barbare  aux  Grecs,  par  la  fréquence  de  ses  ur,  de  ses  um,  qu'on 
prononçait  our  et  oum,  et  par  la  multitude  de  ses  noms  propres, 
terminés  tous  en  us  ou  plutôt  en  ous.  Nous  avons  brisé  plus  que 
\'ous  cette  uniformité.  Si  Rome  était  pleine  autrefois  de  sénateurs 
et  de  chevaliers  en  us,  on  n'y  voit  à  présent  que  des  cardinaux 
et  des  abbés  en  i. 

Vous  vantez,  monsieur,  et  avec  raison,  l'extrême  abondance 
•  le  votre  langue;  mais  permettez-nous  de  n'être  pas  dans  la 
disette.  Il  n'est,  à  la  vérité,  aucun  idiome  au  monde  qui  peigne 
toutes  les  nuances  des  choses.  Toutes  les  langues  sont  pauvres  à 

1.  Cet  alinéa  et  le  suivant  ne  sont  ni  dans  le  recueil  de  1766,  ni  dans  l'édition 
originale.  (B.) 


ANNÉE    1761.  169 

cet  égard  ;  aucune  ne  peut  exprimer,  par  exemple,  en  un  seul 
mot,  l'amour  fondé  sur  l'estime,  ou  sur  la  beauté  seule,  ou 
sur  la  convenance  des  caractères,  ou  sur  le  besoin  d'aimer. 
Il  en  est  ainsi  de  toutes  les  passions,  de  toutes  les  qualités  de 
notre  àme.  Ce  que  l'on  sent  le  mieux  est  souvent  ce  qui  manque 
de  terme. 

Mais,  monsieur,  ne  croyez  pas  que  nous  soyons  réduits  à 
l'extrême  indigence  que  vous  nous  reprochez  en  tout.  Vous  faites 
un  catalogue  en  deux  colonnes  de  votre  superflu  et  de  notre 
pauvreté  ;  vous  mettez  d'un  côté  orgoglio,  alterirjia,  superbia,  et  de 
l'autre,  orgueil  tout  seul.  Cependant,  monsieur,  nous  avons  or- 
gueil, superbe,  hauteur,  fierté,  morgue,  élévation,  dédain,  arrogance, 
insolence,  gloire,  gloriole,  présomption,  outrecuidance^.  Tous  ces 
mots  expriment  des  nuances  difl"érentes,  de  même  que  chez 
vous  orgoglio,  alterigia,  superbia,  ne  sont  pas  toujours  syno- 
nymes. 

Vous  nous  reprochez,  dans  votre  alphabet  de  nos  misères,  de 
n'avoir  qu'un  mot  pour  signifier  vaillant. 

Je  sais,  monsieur,  que  votre  nation  est  très-vaillante  quand 
elle  veut,  et  quand  on  le  veut  ;  l'Allemagne  et  la  France  ont  eu 
le  bonheur  d'avoir  à  leur  service  de  très-braves  et  de  très-grands 
officiers  italiens. 

L'  italico  valor  non  è  ancor  morto. 

Mais,  si  vous  avez  valente,prode,  animoso,  nous  avons  vaillant, 
valeureux,  preux,  courageux,  intrépide,  hardi,  animé,  audacieux, 
brave,  etc.  Ce  courage,  cette  bravoure,  ont  plusieurs  caractères 
(liiïérents,  qui  ont  chacun  leurs  termes  propres.  Nous  dirions 
hicn  que  nos  généraux  sont  vaillants,  courageux,  braves,  etc.  ; 
mais  nous  distinguerions  le  courage  vif  et  audacieux  du  général  - 
qui  emporta,  l'épée  à  la  main,  tous  les  ouvrages  de  Port-Mahon 
taillés  dans  le  roc  vif;  la  fermeté  constante,  réfléchie  et  adroite, 
avec  laquelle  un  de  nos  chefs ^  sauva  une  garnison  entière  d'une 
ruine  certaine,  et  fit  une  marche  de  trente  lieues  à  la  vue  d'une 
armée  ennemie  de  trente  mille  combattants. 


1.  Mol  Irès-rnerfiviue  et  trop  abandonné,  est-il  dit,  entre  deux  parontlièscs, 
duns  lo  Journal  Encyclopédique,  \"  fùvricr  1701.  Voltaire  se  servait  volontiers 
dc-s  mois  outrecuidance  et  outrecuidant,  surtout  en  écrivant  à  ses  amis.  Dcodati 
e-t  appelé  outrecuidant  auteur,  dans  la  lettre  iiJi. 

2.  Le  man^clial  de  Richelieu,  en  \lhCt. 

3.  Le  man-cha!  de  Bi'lle-Isle,  en  17  42.  —  Siècle  de  Louis  XV,  tome  XV. 


470  CORRESPONDANCE. 

Nous  exprimerions  encore  difleremment  rintrépidité  tran- 
quille que  les  connaisseurs  admirèrent  dans  le  petit-neveu'  du 
héros  de  la  Valteline-,  lorsque,  ayant  vu  son  armée  en  déroute 
par  une  terreur  panique  de  nos  alliés,  ce  général,  ayant  aperçu 
le  régiment  de  Dicsbach  et  un  autre,  qui  faisaient  ferme  contre 
une  armée  victorieuse,  quoiqu'ils  fussent  entamés  par  la  cavalerie; 
et  foudroyés  par  le  canon,  marcha  seul  îi  ces  régiments,  loua 
leur  valeur,  leur  courage,  leur  fermeté,  leur  intrépidité,  leur 
vaillance,  leur  patience,  leur  audace,  leur  animosité,  leur  bra- 
voure, leur  héroïsme,  etc.  Voyez,  monsieur,  que  de  termes  pour 
un  !  Ensuite  il  eut  le  courage  de  ramener  ces  deux  régiments  à 
petits  pas,  et  de  les  sauver  du  péril  où  leur  valeur  les  jetait  ;  les 
conduisit  en  bravant  les  ennemis  victorieux,  et  eut  encore  le 
courage  de  soutenir  les  reproches  d'une  multitude  toujours  mal 
instruite. 

Vous  pourrez  encore  voir,  monsieur,  que  le  courage,  la  va- 
leur, la  fermeté  de  celui'  qui  a  gardé  Cassel  etGœttingenS  malgré 
les  efforts  de  soixante  mille  ennemis  très-valeureux,  est  un  cou- 
rage composé  d'activité,  de  prévoyance,  et  d'audace.  C'est  aussi 
ce  qu'on  a  reconnu  dans  celui  ^  qui  a  sauvé  Vesel.  Croyez  donc, 
je  vous  prie,  monsieur,  que  nous  avons,  dans  notre  langue,  l'es- 
prit de  faire  sentir  ce  que  les  défenseurs  de  notre  patrie  ou  de 
notre  pays  ont  le  mérite  défaire. 

Vous  nous  insultez,  monsieur,  sur  le  mot  de  ragoût;  vous 
vous  imaginez  que  nous  n'avons  que  ce  terme  pour  exprimer 
nos  mets,  nos  plats,  nos  entrées  de  table,  et  nos  menus.  Plût  à 
Dieu  que  vous  eussiez  raison,  je  m'en  porterais  mieux!  mais 
malheureusement  nous  avons  un  dictionnaire  entier  de  cuisine. 

Vous  vous  vantez  de  deux  expressions  pour  signifier  gour- 
mand; mais  daignez  plaindre,  monsieur,  nos  gourmands,  nos 
goulus,  nos  friands,  nos  mangeurs,  nos  gloutons. 

Vous  ne  connaissez  que  le  mot  de  savant;  ajoutez-y,  s'il  vous 
plaît,  docte,  èrudil,  instruit,  éclaire,  habile,  lettré;  vous  trouverez 


1.  Le  prince  de  Soubise,  le  5  novembre  1757.  —  On  voit  dans  une  lettre  à 
d'Argental,  du  2  décembre  1757,  que  Voltaire  savait  à  quoi  s'en  tenir  sur  l'intré- 
pidité tranquille  de  Soubise  à  Rosbacb. 

2.  Ce  passage,  ainsi  que  d'autres,  fut  falsifié  dans  le  volume  intitulé  Lettres 
de  M.  de  Voltaire  à  ses  amis  du  Parnasse;  voyez  tome  XXV,  page  579,  et  ci- 
après,  la  lettre  à  Deodati  de  Tovazzi,  du  9  septembre  1766. 

3.  Le  maréchal  de  Broglie. 

4.  Le  comte  de  Vaux  commandait  à  Gœttingue. 

5.  Le  marquis  de  Schomberg  fut  chargé,  par  le  marquis  de  Castries,  de  faire 
lever  le  sicge  de  Vesel. 


ANNÉE    17  6  1.  171 

parmi  nous  le  nom  et  la  chose.  Croyez  qu'il  en  est  ainsi  de  tous 
les  reproches  que  vous  nous  faites.  Mous  n'avons  point  de  dimi- 
nutifs; nous  en  avions  autant  que  vous  du  temps  de  Marot,  et  de 
Rabelais,  et  de  Montaigne  ;  mais  cette  puérilité  nous  a  paru  in- 
digne d'une  langue  ennoblie  parles  Pascal,  les  lîossuet,  les  Féne- 
lon,  les  Pellisson,  les  Corneille,  les  Despréaux,  les  Racine,  les 
Massillon,  les  La  Fontaine,  les  La  Bruyère,  etc.;  nous  avons 
laissé  à  Ronsard,  à  Marot,  à  du  Bartas,  les  diminutifs  badins  en 
otte  et  en  ette,  et  nous  n'avons  guère  conservé  que  /Jeurette,  amou- 
rette, fillette,  grisette,  grandelette,  vieillotte,  nabote,  maisonnette, 
villotte;  encore  ne  les  employons-nous  que  dans  le  style  très- 
familier.  N'imitez  pas  le  Buonmattei  S  qui,  dans  sa  harangue  à 
l'Académie  de  la  Crusca,  fait  tant  valoir  l'avantage  exclusif  d'ex- 
primer corbello,  corbellino,  en  oubliant  que  nous  avons  des  cor- 
beilles et  des  corbillons. 

Vous  possédez,  monsieur,  des  avantages  bien  plus  réels,  celui 
des  inversions,  celui  de  faire  plus  facilement  cent  bons  vers  en 
italien  que  nous  n'en  pouvons  faire  dix  en  français,  La  raison 
de  cette  facilité,  c'est  que  vous  vous  permettez  ces  hiatus,  ces  bâil- 
lements de  syllabes  que  nous  proscrivons;  c'est  que  tous  vos 
mots,  finissant  en  a,  e,  i,  o,  vous  fournissent  au  moins  vingt  fois 
plus  de  rimes  que  nous  n'en  avons,  et  que,  par-dessus  cela,  vous 
pouvez  encore  vous  passer  de  rimes.  Vous  êtes  moins  asservis 
que  nous  à  l'hémistiche  et  à  la  césure  ;  vous  dansez  en  liberté, 
et  nous  dansons  avec  nos  chaînes. 

Mais,  croyez-moi,  monsieur,  ne  reprochez  à  notre  langue  ni 
la  rudesse,  ni  le  défaut  de  prosodie,  ni  l'obscurité,  ni  la  séche- 
resse. Vos  traductions  de  quelques  ouvrages  français  prouve- 
raient le  contraire.  Lisez  d'ailleurs  tout  ce  que  MM.  d'Olivet  et 
Dumarsais  ont  composé  sur  la  manière  de  bien  parler  notre 
langue  ;  lisez  M.  Duclos  ;  voyez  avec  combien  de  force,  de  clarté, 
d'énergie,  et  de  grâce,  s'expriment  MM.  d'Alemberl  et  Diderot. 
Quelles  expressions  pittoresques  emploient  souvent  M.  de  Hull'on 
et  AL  Helvétius,  dans  des  ouvrages  qui  n'(Mi  [)aiaissenl  pas  tou- 
jours susceptibles! 

Je  finis  cotte  lettre  trop  longue  par  une  seule  réflexion.  Si  le 
peuple  a  formé  les  langues,  les  grands  hommes  les  perfectionnent 
l)ar  les  bons  livres;  et  la  première  de  toutes  les  langues  est  celle 
qui  a  le  plus  d'excellents  ouvrages. 


I.  BonuU  IUioiimatt(;i,  né  en  lôSl  à  Floroiii-o,  mort  en  lGi7. 


472  CORRESPONDANCE, 

J'ai  riionnoiir  (rêtre,  monsieur,  avec  beaucoup  d'estime  pour 
vous  et  pour  la  langue  italienne,  etc. 


4'.33.   —  A    M.   THIERIOT'. 

Au  château  de  Tournay,  2o  janvier. 

iMille  tendres  remerciements  à  M.  Damilaville  et  à  M.  Thie- 
riol.  Point  de  roman  de  Jean-Jacques,  s'il  vous  plaît;  je  l'ai  lu 
pour  mon  malheur,  et  c'eût  été  pour  le  sien  si  j'avais  le  temps 
de  dire  ce  que  je  pense  de  cet  impertinent  ouvrage  ;  mais  un 
cultivateur,  un  maçon,  et  le  précepteur  de  M"*"  Corneille,  et  le 
vengeur  d'une  famille  accablée  par  des  prêtres,  na  pas  le  temps 
parler  de  romans. 

Voici  pourtant,  mes  amis,  une  petite  réponse  que  j'ai  eu  le 
temps  de  faire  à  M.  Deodati;  vous  me  rendrez  un  important  ser- 
vice en  la  faisant  imprimer,  en  la  donnant  à  tous  les  journaux. 
Ni  M.  de  Richelieu,  ni  le  prince  de  Soubise,  "ni  le  maréchal  de 
Rroglie,  ni  M.  Diderot,  n'en  seront  fâchés.  J'estime  qu'il  convien- 
drait assez  que  M.  Daquin^  imprimât  dans  son  Hebdomadaire 
cette  petite  réponse,  et  qu'il  en  envoyât  des  exemplaires  à  tous 
les  intéressés.  En  voici  deux  exemplaires,  l'un  pour  M.  Deodati, 
l'autre  pour  M.  Daquin. 

Mille  remerciements!  Encore  une  fois,  joue-t-on  Tancrede? 
joue-t-on  le  Père  de  famille?  0  mon  cher  frère  Diderot!  je  vous 
cède  la  place  de  tout  mon  cœur,  et  je  voudrais  vous  couronner 
de  lauriers. 

Mon  ancien  ami  Thieriot  saura  que  Daumart,  mon  parent  ^ 
n'a  point  la  maladie  qu'on  supposait.  J'ai  de  l'admiration  pour 
M.  Bagieu  ;  il  a  deviné  tout  ce  que  Tronchin  a  vu  et  tout  ce  qu'il 
a  dit. 

N'aurai-je  point  la  feuille'  contre  M.  Le  Brun,  contre  M"'  Cor- 
neille et  contre  moi  ? 

J'ai  renvoyé  à  M.  Jannel  la  Pallade''  du  roi  pour  M.  Capperon- 
nier,  bibliothécaire  ;  j'ai  écrit  à  l'un  et  à  l'autre. 

Ainsi  M.  Thieriot  peut  m'envoyer  le  roman  ^  Pouplinière,  qui 
me  fera  sans  doute  plus  de  plaisir  que  celui  de  Jean-Jacques. 

1.  Éditeurs,  de  Cayrol  et  François.  Voyez  la  note  1  de  la  page  163. 

2.  Rédacteur,  avec  de  Caux,  de  la  Semaine  littéraire. 

3.  De  Fréron. 

4.  Poëme  de  Frédéric. 

5.  Daira,  par  La  Popelinière. 


ANNÉE    17GI.  173 

ii34.  —DE   M.    LE   PRÉSIDENT  DE    BROSSES'. 

Janvier  1701  -. 

Agréez,  monsieur,  que  je  vous  demande  l'explication  dune  chose  tout  à 
fait  singulière  que  je  trouve  dans  le  compte  de  mes  affaires,  que  Ion  vient 
de  m'envoyer  du  pays  de  Gex,  pour  les  années  l7o9  et  1760.  C'est ii  l'article 
des  payements  qu'a  faits  le  nommé  Chariot  Baudy,  d'une  coupe  de  bois  que 
je  lui  avais  vendue  avant  notre  traité.  Il  me  porte  en  com[)teeten  payement 
«  quatorze  moules  de  bois  vendus  à  M.  de  Vollaiie,  à  trois  patagons  le 
moule  ».  Et  comme  il  pourrait  paraître  fort  extraordinaire  que  je  payasse 
le  bois  de  la  fourniture  de  votre  maison,  il  ajoute  pour  explication  qu'ayant 
été  vous  demander  le  payement  de  sa  livraison,  vous  l'aviez  refusé  en  alDr- 
mant  que  je  vous  avais  fait  don  de  ce  bois.  Je  vous  demande  excuse  si  je 
vous  répète  un  tel  propos  :  car  vous  sentez  bien  que  je  suis  fort  éloigné  de 
croire  que  vous  l'ayez  tenu,  et  je  n'y  ajoute  pas  la  moindre  foi.  Je  ne  prends 
ceci  que  pour  le  discours  d'un  homme  rustique  fait  pour  ignorer  les  usages 
du  monde  et  les  convenances;  qui  ne  sait  pas  qu'on  envoie  bien  à  son  ami 
et  son  voisin  un  panier  de  pèches  ou  une  demi-douzaine  de  gélinotes,  mais 
que  si  on  s'avisait  de  lui  faire  la  galanterie  de  quatorze  moules  de  bois  ou 
de  six  chars  de  foin,  il  le  prendrait  pour  une  absurdité  contraire  aux  bien- 
séances, et  il  le  trouverait  fort  mauvais. 

Le  fait,  dont  je  me  souviens  très-nettement,  est  que,  me  parlant  en  con- 
versation de  la  rareté  du  bois  dans  le  pays  et  de  la  peine  que  vous  aviez  ii 
en  avoir  pour  votre  ménage,  j'eus  l'honneur  do  vous  répondre  que  vous  en 
trouveriez  aisément  sur  place,  vers  Chariot,  de  Chambésv ,  qui  vendait 
actuellement  ceux  qu'il  avait  eus  de  ma  coupe,  et  que,  si  vous  vouliez,  je 
lui  dirais  de  vous  en  fournir;  à  quoi  vous  me  répliijuàtes  que  je  vous  ferais 
grand  plaisir.  Quelque  temps  après,  nous  rencontrâmes  cet  homme,  à  qui  je 
dis  de  vous  mener  les  bois  de  chauffage  dont  vous  aviez  besoin;  vous  lui 
ajoutâtes  même  de  vous  en  mener  deux  ou  trois  voitures  dès  le  lendemain, 
parce  que  vous  en  manquiez.  Voilà  toute  la  part  que  j'ai  à  ceci;  et  je  vous 
offenserais  sans  doute  si  je  m'avisais  d'y  avoir  celle  de  payer  la  commission. 
J'espère  que  vous  voudrez  faire  incontinent  payer  cette  bagatelle  à  Chariot, 
parce  que,  comme  je  me  ferai  certainement  payer  de  lui,  il  aurait  infailli- 
blement aussi  son  recours  contre  vous,  ce  qui  ferait  une  affaire  du  genre 
de  celles  qu'un  houuno  tel  (jue  vous  no  veut  point  avoir. 

J'ai  l'honneur  d'être,  avec  l'atlachoment  infini  ([uo  je  vous  ai  voué,  mon- 
sieur, etc. 


1.  Éditeur,  Th.  Foissct. 

'_'.  Il  paruU  qu'il  y  cul  une  interruption  de  six  mois  dans  la  correspondance, 
la  lettre  du  10  Juillet  1700  élunt  rcttéc  sans  réponse.  {Xole  du  premier  cditeur.) 


174  CORRESPONDANCE. 


4't3o.  —  A  M.   LE    COMTE   D'ARGENTAL. 

Au  château  de  Ferney,  26  janvier. 

Et  ces  yeux,  ces  yeux  que  vous  fermez  quand  vous  êtes  con- 
tent, se  portent-ils  mieux,  mon  clicr  ange? 

J'ai  un  besoin  très-grand  d'être  fortement  recommandé  à  M.  de 
Villeneuve  \  Est-il  possible  que  je  n'aie  besoin  de  personne  dans 
le  pays  étranger,  et  que  j'aie  besoin  d'un  intendant  en  France, 
avec  mes  terres  libres?  Je  ferai  une  belle  requête  pour  M.  le  duc 
de  Clioiseul  ;  mais  je  lui  ai  tant  demandé  de  choses  pour  les 
autres  que  je  n'ose  plus  lui  rien  demander  pour  moi. 

J'ai  de  terribles  affaires  sur  les  bras.  Je  chasse  les  jésuites 
d'un  domaine  usurpé  par  eux  ;  je  poursuis  criminellement  un 
curé  ;  je  convertis  une  huguenote;  et  ma  besogne  la  plus  difficile 
est  d'enseigner  la  grammaire  k  M'"  Corneille,  qui  n'a  aucune 
disposition  pour  cette  sublime  science. 

Est-il  vrai,  monsieur  et  madame,  mes  anges  tutélaires,  est-il 
vrai  qu'on  joue  Tancrède? 

Est-il  vrai  qu'on  joue  aux  Italiens  une  parade  intitulée  le  Comte 
de  Boursoufle-,  sous  mon  nom?  Justice!  justice!  Puissances  célestes, 
empêchez  cette  profanation  ;  ne  souffrez  pas  qu'un  nom  que  vous 
avez  toujours  daigné  aimer  soit  prostitué  dans  une  affiche  de  la 
Comédie  italienne.  J'imagine  qu'il  est  aisé  de  leur  défendre  d'im- 
puter, dans  les  carrefours  de  Paris,  à  un  pauvre  auteur,  une 
pièce  dont  il  n'est  pas  coupable. 

J'estime,  mes  anges,  qu'il  faut  retrancher  Lefranc  de  ce 
Panta-odui  ^  à  M"'  Clairon  ;  nous  le  retrouverons  bien  une  autre 
fois.  Il  ne  faut  pas  souiller  par  une  satire  les  louanges  de  Melpo- 
mène.  En  ôtant  Lefranc,  tout  va,  tout  se  lie. 

Et  le  roman  de  Jean-Jacques  !  A  mon  gré,  il  est  sot,  bourgeois, 
impudent,  ennuyeux;  mais  il  y  a  un  morceau  admirable  sur  le 
suicide*,  qui  donne  appétit  de  mourir. 

Avez-vous  vu  celui  de  La  Popelinière  ou  Pouplinière  ■  ? 

Est-ce  vous  qui  avez  envoyé  à  M.  de  La  Marche  notre 
Tancrcdc? 


1.  Dufour  de  Villeneuve,  nommé  intendant  de  Bourgogne  en  1760. 

2.  Voyez  tome  VU,  page  543. 

3.  Êpître  à  DapJiné;  voyez  tome  X.  Le  nom  de  Lefranc  y  est  resté. 

4.  La  Nouvelle  Héloïse,  partie  111,  lettre  xxi. 

5.  Voyez  la  lettre  4462. 


ANNÉE    17GI.  175 

Nous  avons  ici  Ximenès,  oui,  le  marquis  de  Ximenès  *.  Hélas  ! 
nous  ne  vous  aurons  pas.  Nous  baisons  le  bout  de  vos  ailes. 


■ii3G.   —  A   M.    MARMOMEL. 

A  Fenicy,  27  janvier. 

Après  avoir  été  tant  applaudi  en  vers-  à  l'Académie,  il  faut 
que  vous  y  soyez  applaudi  en  prose,  mon  cher  ami,  dans  un 
beau  discours  de  réception.  Vous  fûtes  d'abord  mon  disciple  ; 
vous  êtes  devenu  mon  maître;  il  faut  que  vous  soyez  mon  con- 
frère. Il  me  semble  que  cette  place  vous  est  due  à  plus  d'un 
égard  :  ce  sera  une  récompense  du  mérite,  et  une  consolation  de 
l'injustice  que  vous  avez  essuyée.  Je  ne  regretterai  Paris  que  le 
jour  où  je  voudrais  vous  entendre  et  vous  répondre.  Je  par- 
tagerai du  moins  tous  vos  succès,  du  fond  de  mes  retraites.  Si  ma 
plume  pouvait  suivre  mon  cœur,  je  vous  en  dirais  davantage  ; 
mais  ma  mauvaise  santé  me  force  d'être  court  quand  l'amitié 
voudrait  me  rendre  bien  long.  Nous  avons  ici  M.  de  Ximenès, 
votre  confrère  en  poésie.  Il  me  paraît  n'avoir  nulle  envie  d'être 
le  Rodrigue  de  la  Gliimène  que  nous  possédons.  Sur  le  nom  du 
père  de  Cliiinène,  mes  respects  à  votre  voisine  ^ 

4437.  —  A  M.    LE   CONSEILLER    LE   HAULT^. 

Au  château  de  Ferney,  pays  de  Gcx,  29  janvier  ITtJl. 

Monsieur,  M.  de  Ruffey  a  pris  le  département  d'Apollon,  et 
vous  de  Bacclius  avec  moi  ;  je  ne  m'étais  adressé  à  M.  de  Ruffey, 
pour  substituer  des  tonneaux  de  vin  à  l'ilippocrène,  que  parce 
que  vous  paraissiez  ni'abandonner  tout  à  fait.  Si  Tancndc  et 
l^ievre  vous  ont  amusé,  monsieur,  reprenez  donc  vos  nobles 
fonctions,  je  me  livre  à  vous  pour  toute  ma  vie;  je  fais  de  meil- 
leur vin  dans  la  terre  de  Tournay  que  M.  le  président  de  Rrosses 
ne  l'imagine;  mais  il  ne  vaut  pas  le  vôtre.  Daignez  donc,  mon- 


1.  D'Argcntal  savait  quels  motifs  graves  Voltaire  avait  de  se  plaindre  de 
Ximenès. 

2.  L'Académie  française,  en  l'iid,  iivail  cninonné  l'auteur  de  VKpUrc  aux 
poêles,  intitulée  ks  Charmes  de  l'Elntle.  C'eiiiii  le  troisième  trionipiie  de  .Mar- 
montcl  en  ce  genre,  et  Voltaire  le  lui  avait  prédit.  (Ci..) 

3.  Sans  doute  M"'  Clairon. 

4.  l'kliteur,  de  Mandat-Cranccy.  —  Dictée  à  un  secrétaire,  bij5'uée  seulement 
par  Voltaire,  sauf  riutercalation  signalée  plus  loin. 


i76  CORRESPONDANCE. 

sieur,  m'envoycr  tous  les  ans  deux  tonneaux,  l'un  de  vin  d'ordi- 
naire ,  l'autre  de  nectar,  qui  me  fasse  longtemps  jouir  de  la 
terre  de  Tournay;  sans  trop  déplaire  au  président,  je  les  ai- 
merais assez  en  doubles  futailles,  le  vin  se  conserve  sur  sa  lie 
et  s'abonnit. 

Le  curé  de  Moëns  aurait  dû  mettre  un  peu  plus  d'eau  dans 
son  vin  ;  je  ne  sais  quelle  prérogative  les  pasteurs  du  pays  de  Gex 
croient  avoir  de  donner  des  coups  de  Mton  à  leurs  ouailles. 
J'interrogeai  hier  un  paysan  qui  avait  reçu,  il  y  a  quelques 
années,  cent  coups  de  bâton  du  môme  curé  à  la  porte  de  l'église  ; 
il  me  dit  que  c'était  l'usage.  J'avoue,  monsieur,  que  chaque  pays 
a  ses  cérémonies.  Mais,  railleries  à  part,  la  nouvelle  aventure  de 
ce  prêtre  est  très-grave  et  très-punissable  :  c'est  un  assassinat  pré- 
médité dans  toutes  les  formes.  J'ai  vu  le  fils  de  Decroze  à  la 
mort  pendant  quinze  jours.  Le  curé  lui-même  alla  à  une  demi- 
lieue  de  chez  lui,  à  dix  heures  du  soir,  armer  les  assassins.  C'est 
un  homme  qui  fait  trembler  tout  le  pays  ;  il  est  malheureuse- 
ment l'intime  ami  du  substitut  de  monsieur  le  procureur  général, 
et  c'est  probablement  à  cette  tendre  amitié  qu'il  doit  l'indulgence 
dont  il  abuse  ;  il  n'a  été  qu'assigné  pour  être  ouï,  tandis  que  ses 
complices  ont  été  décrétés  de  prise  de  corps.  Il  remue  tout  le 
clergé,  il  court  à  Annecy  remontrer  àl'évêque  que  tout  est  perdu 
dans  l'Église  de  Dieu  si  les  curés  ne  sont  pas  maintenus  dans  le 
droit  de  donner  des  coups  de  bâton  à  qui  il  leur  plaît. 

Mais  voici  quelque  chose  d'un  peu  plus  grave  et  de  plus 
ecclésiastique.  Une  sœur  du  sieur  Decroze,  assassiné  par  le  curé 
de  Moëns,  voyant  son  frère  en  danger  de  mort,  s'est  avisée  de 
faire  une  neuvaine,  et  c'est  à  cela  sans  doute  qu'on  doit  la 
guérison  de  ce  pauvre  garçon  (qu'il  faudra  pourtant  faire  tré- 
paner peut-être  dans  quelque  temps)  ;  une  neuvaine  ne  vaut  rien 
si  on  ne  se  confesse  et  si  on  ne  communie.  Elle  se  confessa  donc. 
Mais  à  qui?  A  un  jésuite,  nommé  Jean  Fessy,  ami  du  curé  de 
Moëns.  Jean  Fessy  lui  dit  qu'elle  était  damnée  si  elle  n'abandon- 
nait pas  la  cause  de  son  frère,  et  si  elle  ne  forçait  pas  son  père  à 
se  désister  de  toute  poursuite  contre  le  curé,  et  à  trahir  le  sang 
de  son  fils.  Il  lui  refusa  l'absolution  *  !  La  pauvre  fille,  effrayée  et 
tout  en  larmes,  vint  apprendre  cette  nouvehe  à  son  père;  elle  fit 
serment  devant  moi  que  rien  n'était  plus  véritable.  Jugez  quel 
effet  cette  scène  fait  dans  Genève  et  dans  toute  la  Suisse. 


1.  Ces  mots  :  Il  lui  relusa  l'absolution  .'  sont  ajoutés  de  la  main   de  Voltaire, 
entre  deux  lignes. 


ANNÉE    17GI.  177 

Je  VOUS  supplie  de  vouloir  bien  me  mander,  monsieur,  si  le 
j)èrc  n'est  pas  en  droit  de  faire  jurer  sa  fille  en  justice,  et  si  le 
jrsuite  Jean  Fessy  ne  doit  pas  subir  interrogatoire;  il  me  semble 
qu'on  en  usa  ainsi  dans  l'affaire  du  bienheureux  Girard  et  de  la 
Cadière;  celle-ci  est  plus  affreuse,  parce  que  l'assassinat  y  est 
joint  au  sacrilège.  Ce  qu'on  appelle  la  justice  de  Gex  mériterait 
i)ienquela  véritable  justice  de  Bourgogne  daignAt  la  diriger.  Et, 
en  vérité,  on  aurait  besoin  que  quelques  conseillers  du  parlement 
vinssent  mettre  un  frein  au  brigandage  qui  règne  dans  cette 
malbeureuse  petite  province. 

J'ai  l'honneur  d'être  avec  tout  le  respect  possible,  monsieur, 
votre  très-humble  et  très-obéissant  serviteur. 

Voltaire. 

4438.  —  A  -M.   LE   COMTE  D' Ai;  CENT  AL. 

Ferncy,  30  janvior. 

Mon  divin  auge  et  ma  divine  ange,  amusez-vous  de  cet  im- 
primés et  voyez  comme  on  trouve  des  jésuites  partout;  mais 
aussi  ils  me  trouvent.  Je  leur  ai  ôté  la  vigne  de  Naboth.  Il  leur 
en  coûte  vingt-quatre  mille  livres  :  cela  apprendra  à  Berthier 
qu'il  y  a  des  gens  qu'on  doit  ménager.  Il  s'agit  à  présent  de  pour- 
suivre un  sacrilège  -,  Je  serai  aussi  terrible  dans  le  spirituel  que 
dans  le  temporel. 

Adorables  anges,  je  demande  grâce  pour  ce  beau  mot  : 

S'il  y  sert  Dieu,  c'est  qu'il  est  exilé  3; 

car  vous  savez  que  d'ordinaire  disgrAce  engendre  dévotion.  Oui, 
mort-dieu,  je  sers  Dieu,  car  j'ai  en  horreur  les  jésuites  et  les  jan- 
sénistes, car  j'aime  ma  patrie,  car  je  vais  à  la  messe  tous  les  di- 
manches, car  j'établis  des  écoles,  car  je  bâtis  des  églises,  car  je 
vais  établir  un  bùpital,  car  il  n'y  a  ])lus  de  pauvres  chez  moi,  en 
dépit  des  commis  des  gabelles.  Oui,  je  sers  Dieu,  je  crois  en 
Dieu,  et  je  veux  qu'on  le  sache. 

Vous  n'êtes  pas  contents  du  portrait  du  petit  singe?  Kh  bien  : 
en  voici  iin  antre  : 

Un  pelii  singe,  ignorant,  indocile, 
Au  sourcil  noir,  au  long  et  noir  iiabit, 

1.  Je  ne  suis  quel  peut,  Ctrc  cet  iinpriinô.  (B.) 

2.  Aririan. 

3.  Variantes  de  VKpUre  à  Daphnr-Clairon,  où  n'est  pas  épar'^'né  /c  pr''t  >'>,  • 
Ouicr  Joly  lie  Kleury.  (Cl.) 

41. —   Coiill  i:Sl'0\I)  ANCK.    l  \.  1.» 


478  CORUESPONDANCE. 

Plus  noir  encore  et  do  cœur  et  d'esprit, 
Hé[)an(l  sur  moi  ses  phrases  et  sa  bile. 
En  grimaçant  le  monstre  s'applauilil 
D'être  à  la  fois  et  Thersite  cl  Zoïlo  ; 
IMais,  grâce  au  ciel,  il  est  un  roi  puissant, 
Sage,  éclairé,  etc. 

Le  singe  se  reconnaîtra  s'il  veut  ;  je  ne  peux  faire  mieux  quant 
ù  présent.  Je  n'ai  que  trois  gardes  ;  si  j'en  avais  davantage,  je  vous 
réponds  que  tous  ces  drôles  s'en  trouveraient  mal.  Il  faut  verser 
son  sang  pour  servir  ses  amis  et  pour  se  venger  de  ses  ennemis, 
sans  quoi  on  n'est  pas  digne  d'être  homme.  Je  mourrai  en  bra- 
vant tous  ces  ennemis  du  sens  commun.  S'ils  ont  le  pouvoir  (ce 
que  je  ne  crois  pas)  de  me  persécuter  dans  l'enceinte  de  quatre- 
vingts  lieues  de  montagnes  qui  touchent  au  ciel,  j'ai.  Dieu  merci, 
quarante-cinq  mille  livres  de  rente  dans  les  pays  étrangers, 
et  j'ahandonnerai  volontiers  ce  qui  me  reste  en  France  pour 
aller  mépriser  ailleurs  à  mon  aise,  et  d'un  souverain  mépris, 
des  bourgeois  insolents  *  dont  le  roi  est  aussi  mécontent  que 
moi. 

Pardonnez,  mes  divins  anges,  à  cet  enthousiasme  :  il  est 
d'un  cœur  né  sensible  ;  et  qui  ne  sait  point  haïr  ne  sait  point 
aimer. 

Venons  k  présent  au  tripnt,  et  changeons  de  style. 

Vous  vous  plaignez  de  n'avoir  T^o'mt  Fanime.  Quoi  !  vous  voulez 
donner  tout  de  suite  deux  vieillards  radoteurs  qui  grondent  leurs 
filles  :  n'avez-vous  pas  de  honte  ?  Ne  sentez -vous  pas  quelle  pro- 
<ligieuse  difTérence  il  y  a  entre  la  fin  de  Tancrède  et  la  fin 
(le  Fanime?  Attendez,  vous  dis-je,  attendez  Pâques  fleuries.  Je 
vous  remercie  bien  humblement,  bien  tendrement,  de  toutes 
vos  bontés  charmantes,  et  de  votre  tasse  pour  la  Muse  limona- 
dière. 

Je  vois  d'ici  M""  Clairon  enchanter  tous  les  cœurs  ;  et  si  les 
sifflets  sont  pour  moi,  les  battements  de  mains  sont  pour  elle.  Je 
m'appelle  Pancrace-  ;  mais  je  ne  veux  de  ma  vie  gratter  la  porte 
d'aucun  cabinet  :  j'aimerais  mieux  gratter  la  terre.  Mon  seul 
malheur  dans  ce  monde,  c'est  de  n'être  pas  dans  votre  cabinet 
pour  manger  avec  vous  du  parmesan,  pour  boire,  car  j'aime  à 
boire,  comme  vous  savez.  Puissent  les  yeux  de  M.  d'Argental  ne 


1.  Les  membres  du  parlement,  qui,  le  10  janvier  17(31,  avaient  résolu  d'adresser 
au  roi  de  très-humliles  et  très-respectueuses  Remontrances. 

2.  Nom  donné  au  pauvre  auteur  dans  VÉpitre  à  Daphné ;  voyez  tome  X. 


ANNÉP:   1  761.  <79 

pleurer  qu'aux  tragédies  !  Les  miens  pleurent  d'une  absence 
qu'un  parti  triste,  mais  sagement  pris,  rend  éternelle. 

Une  autre  fois  je  vous  parlerai  du  Droit  du  Seùjneur;  je  ne 
peux  vous  parler  aujourd'hui  que  des  justes  droits  que  vous  avez 
sur  mon  àme. 

Je  suis  malingre  ;  j'ai  diclé,  et  peut-être  avec  mauvaise  hu- 
meur :  excusez  un  vieillard  v<'rt. 

4i3!).   —  A   M.   LK    liRUM. 

Au  château  de  Ferney,  pays  do  Ge.\  eu  Bouivofc'ne, 
par  Genève,  30  janvier. 

Permettez-moi,  monsieur,  d'être  aussi  en  colère  contre  vous 
que  je  me  sens  pour  vous  d'estime  et  d'amitié.  Vous  auriez  bien 
dû  m'envoyer  plus  tôt  la  lettre  insolente  de  ce  coquin  de  Fréron, 
depuis  la  [page  l/j5  jusqu'à  la  page  16/j.  Je  n'insisterai  point  ici 
sur  les  mauvaises  critiques  qu'il  fait  de  votre  Ode.  Parmi  ses  cen- 
sures de  mauvaise  foi,  il  y  en  a  quelques-unes  qui  pourraient 
éblouir,  et,  si  vous  réimprimez  votre  ode,  je  vous  demande  en 
grùce  de  consulter  quelque  ami  d'un  goût  sé\ère,  et  surtout  de 
ménager  l'impatience  des  lecteurs  français,  qui,  d'ordinaire,  ne 
peut  souffrir  dans  une  ode  que  quinze  ou  vingt  strophes  tout  au 
plus.  Le  sujet  est  si  beau,  et  il  y  a  dans  votre  ode  des  morceaux 
si  touchants,  que  vous  vous  êtes  vous-même  imposé  la  nécessité 
de  rendre  votre  ouvrage  parfait.  Un  des  grands  mojens  de  le  per- 
fectionner est  de  l'accuurcir,  et  de  sacrifier  quelques  expressions 
auxquelles  l'oreille  française  n'est  pas  accoutumée. 

Je  n'ai  jamais  fait  un  ouvrage  de  longue  haleine  sans  con- 
sulter mes  amis.  M.  d'Argental  m'a  fait  corriger  plus  de  deux 
cents  vers  dans  Tancrcde,  et  m'en  a  fait  retrancher  plus  de  cent  ; 
et  la  pièce  est  encore  très-loin  de  mériter  les  bontés  dont  il  l'a 
honorée. 

Croyez-moi,  monsieur,  il  faut  que  nos  ouvrages  appartienm'i;l 
ù  nos  amis  et  'i  nous. 

Vir  liomis  fl  piiidciis  versus  ri'|)ii'lioii(Ie(  iiioilos, 

Culpabil  duios 

(llou.,  de  An  juiii.,  V.  Mrj-ue.) 

Je  me  sens  vivement  intéressé  à  voire  gloiic,  et  je  crois  qu'il 
vous  sera  très-aisé  de  rendre  toute  voire  ode  digne  de  voire  gé- 
nie, de  la  noblesse  d'àme  qui  vous  Ta  inspirée,  et  du  bujel  iiilé- 
ressant  qui  en  est  l'objet. 


480  CORRESPONDANCE. 

Vous  nu>  pardonnerez  sans  doute  la  liberté  que  je  prends;  les 
soMis  que  nous  avons  pris  tous  deux  du  grand  nom  de  Corneille 
doivent  nous  lier  à  jamais.  Je  regarde  jusqu'à  présent  comme  un 
bienfait  Thonneur  et  le  plaisir  que  vous  avez  procurés  à  ma  vieil- 
lesse; W""  Corneille  paraît  mériter,  de  phis,  tous  les  soins  que 
vous  avez  pris  d'elle.  Ma  nièce  l'élève  et  la  traite  comme  sa  fille; 
mais  plus  le  nom  de  Corneille  est  respectable,  et  plus  vos  soins, 
ceux  de  M.  Titon,  et  ceux  de  ma  nièce,  ont  l'approbation  de  tous 
les  honnêtes  gens;  plus  l'outrage  que  Fréron  ose  faire  à  cette 
demoiselle  et  à  vos  bontés  est  punissable. 

Monsieur  le  chancelier  et  M.  de  Malesherbes  peuvent  lui  per- 
met tre  de  dire  son  avis  à  tort  et  à  travers  sur  des  vers  et  de  la  prose; 
mais  ils  ne  doi\ent  certainement  pas  souffrir  qu'il  insulte  per- 
sonnellement M""^  Denis,  M"'  Corneille,  et  vous-même,  monsieur, 
qui  nous  avez  procuré  l'honneur  que  nous  avons.  Le  nom  de  La- 
moignon  est  respectable,  mais  celui  de  Corneille  l'est  aussi  ;  et,  sans 
compter  deux  cents  ans  de  noblesse  qui  sont  dans  la  famille  des 
Corneille,  la  France  doit  aimer  assez  ce  nom  pour  demander  le 
châtiment  du  coquin  qui  ose  insulter  la  seule  personne  qui  le  porte. 

M""*  Denis  est  née  demoiselle,  et  est  veuve  d'un  gentilhomme 
mort  au  service  du  roi  :  elle  est  estimée  et  considérée;  toute  sa 
famille  est  dans  la  magistrature  et  dans  le  service.  Ces  mots  de 
Fréron^  :  <(  M"'^  Corneille  va  tomber  entre  bonnes  mains,  »  mé- 
ritent le  carcan. 

Le  sieur  L'Écluse,  qui  n'avait  certainement  que  faire  à  tout 
cela,  se  trouve  insulté  dans  la  même  page  ;  il  est  vrai  qu'étant 
jeune  il  monta  sur  le  théâtre;  mais  il  y  a  plus  de  vingt-cinq  ans 
qu'il  exerce  avec  honneur  la  profession  de  chirurgien-dentiste. 
Il  est  faux  qu'il  loge  chez  moi  ;  il  y  est  venu,  il  y  a  un  an,  pour 
avoir  soin  des  dents  de  ma  nièce-.  Je  le  traite,  dit-il,  comme  mon 
frère,  et  il  insinue  que  je  ne  fais  nulle  différence  entre  une  demoi- 
selle de  condition  du  nom  de  Corneille  et  un  acteur  de  la  Foire. 
J'ai  reçu  M.  de  L'Écluse  avec  amitié,  et  avec  la  distinction  que 
mérite  un  chirurgien  habile  et  un  homme  très-estimable  tel  que 
lui.  Il  y  a,  d'ailleurs,  quatre  mois  entiers  qu'il  n'est  plus  chez 
moi,  et  qu'il  exerce  sa  profession  à  Genève,  où  il  est  très-hono- 
rablement accueilli.  J'enverrai,  s'il  le  faut,  les  témoignages  des 
syndics  de  Genève,  qui  certifieront  tout  ce  que  j'ai  l'honneur  de 
vous  dire. 


i.  Voyez  une  noie  de  la  lettre  44 IG. 
2.  M""--  Denis. 


ANNÉE    17G1.  181 

Le  résultat  do  la  lettre  insolente  de  Fréron  est  que  vous 
m'avez  envoyé  une  fille  de  qualité  pour  être  élevée  par  une  dan- 
seuse de  corde.  C'est  outrager  aussi  M.  Tilon  ,  M"*  de  Vilgenou, 
madame  votre  femme,  et  tous  ceux  qui  se  sont  intéressés  à  lédu- 
cation  de  M"-^  Corneille.  Je  ne  doute  pas  que,  si  vous  présentez 
les  choses  sous  ce  point  de  vue  à  monseigneur  le  prince  de  Conti, 
il  ne  trouve  que  Fréron  mérite  punition.  On  devrait  en  parler 
aux  ministres,  et  je  crois  même  que  c'est  une  afTairc  du  ressort 
du  lieutenant  criminel  :  jamais  rien  n'a  été  plus  marqué  au  coin 
du  libelle  dift'amatoire  que  ses  quatre  lignes  de  la  page  16Z|.  Vous 
pourriez,  monsieur,  engager  son  père  à  signer  un  pouvoir  ù  un 
procureur.  Ma  nièce,  M.  de  L'Écluse,  et  moi,  nous  pourrions 
intervenir  au  procès.  Je  vous  supplie,  monsieur,  de  m'instruire 
au  plus  tôt  de  ce  que  vous  aurez  fait,  et  de  me  dire  ce  qu'on 
me  conseille  de  faire.  Nous  allons,  d'ailleurs,  envoyer  nos 
plaintes  h  monsieur  le  chancelier.  Voici  copie  de  la  lettre  de 
M""^  Denis. 

Je  vous  présente  mes  respects. 

Voltaire, 


N.  D.  Il  faut  mettre  la  page  16/i  entre  les  mains  de  mon 
procureur,  nommé  Pinon  du  Coudrai,  rue  de  Bièvre,  et  atta- 
quer Fréron  à  la  Tournelle;  c'est  le  droit  de  la  noblesse. 

iliO.    —    DK    M  AD  A. M  K    DENIS, 
A     MONSIEUR     LE     CHANCELIER     DE    FRANCE     '. 

Fcrney,  30  janvier. 

Je  me  joins  au  cri  de  la  nation  contre  un  homme  qui  la  déshonore.  Un 
nommé  Fréron  insulte  toutes  les  familles  :  il  m'outrage  personnellement, 
moi,  M"'  Corneille,  alliée  à  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  grand  en  France,  et  por- 
tant un  nom  plus  respectable  que  ses  alliances.  Je  suis  la  veuve  d'un  gen- 
tilhomme mort  au  service  du  roi;  je  prends  soin  de  la  vieillesse  de  mon 
oncle,  qui  a  l'honneur  d'être  connu  de  vous.  J'ai  recueilli  chez  moi  la  petite 
nièce  du  grand  Corneille,  et  je  me  suis  fait  un  honneur  de  présider  à  son 
éducation.  Ce  n'est  pas  au  nommé  Fréron,  dont  on  tolère  les  impertinentes 
feuilles  sur  des  points  de  littérature,  à  oser  entrer  dans  le  secret  des  familles, 
à  insulter  la  noblesse,  et  à  noircir  publitpiement  de  couleurs  abominables 
une  bonne  action  cju'il  est  fait  pour  ignorer.  Sa  page  1G4  est  un  libelle  dif- 


1.  Le  chancelier  était  Guillaumo  de  Lainoi^'non,  d<';  \o  G  mars  10S3,  mort  en 
1772,  père  de  Malcaherbos. 


18J  CORRESPONDANCE. 

famatoire:  nous  en  demandons  justice,  moi,  I\I""  Corneille,  mon  oncle,  et  un 
autre  citoyen,  tous  cgaleniont  outrairés. 

Si  cette  insolence  n'était  pas  ropi'imce,  il  n'y  aurait  plus  de  familles 
en  sûreté. 

J'i  i  riionncur  d'entre,  e'c. 

4441.  _  A    M.  LF',   PRÉSIDENT  DE   BROSSES'. 

Au  château  de  Fcrncy,  30  janvier  1701. 

Il  ne  s'agit  plus  ici,  monsieur,  de  Charles  Baudy,  et  de 
quatre  moules  de  bois;  il  est  question  du  bien  public,  de  la  ven- 
geance du  sang  répandu,  de  la  ruine  d'un  homme  que  vous 
protégez,  du  crime  d'un  curé  qui  est  le  fléau  de  la  province,  et 
du  sacrilège  joint  à  l'assassinat.  Le  procurer  de  cet  infortuné 
Decroze  est  à  Dijon  ;  Girod,  qui  conduit  l'aiTaire,  n'entend  point 
du  tout  la  procédure  criminelle.  Le  curé  de  Moëns  emploie  le 
sacré,  le  profane,  le  ciel  et  la  terre  pour  accabler  l'innocence, 
que  vous  protégez.  Il  est  inouï  qu'un  homme,  convaincu  d'avoir 
été  chercher  lui-même,  à  une  demi-lieue  de  chez  lui,  des  assas- 
sins dans  un  cabaret;  de  les  avoir  armés,  d'avoir  frappé  le  pre- 
mier, d'avoir  encouragé  les  autres  à  frapper,  n'ait  été  qu'assigné 
pour  être  ouï,  tandis  que  ses  complices,  cent  fois  moins  cou- 
pables, ont  été  décrétés  de  prise  de  corps. 

Il  est  beaucoup  plus  étrange  que  le  curé  de  Moëns  ait  obtenu 
une  attestation  de  vie  et  de  mœurs  du  conseil  de  la  ville  de 
Gex,  malgré  la  réclamation  du  notaire  conseiller  Vaillet,  au  fils 
duquel  ce  même  curé  de  Moëns  donna  un  soufflet  en  public, 
l'an  1758,  soufflet  pour  lequel  il  essuya  un  procès  criminel  dont 
la  minute  est  au  grelTe,  et  qu'il  accommoda  pour  cent  écus. 

J'ai  entre  les  mains  les  dépositions  de  cinq  personnes  qu'il  a 
rouées  de  coups;  il  est  essentiel  que  les  preuves  de  tous  ces 
excès  soient  jointes  au  procès,  pour  contrebalancer,  ou  plutôt 
pour  anéantir  l'indigne  certificat  que  cet  insolent  curé  a  arraché 
à  la  complaisance  des  conseillers  de  Gex.  Le  sieur  Girod  ne  veut 
pas  comprendre  de  quelle  importance  est  cette  réquisition,  et 
combien  elle  sert  à  détruire  les  défenses  du  curé,  qui  prétend 
n'être  sorti  de  chez  lui  à  dix  heures  du  soir,  et  n'avoir  armé 
cinq  hommes  de  bâtons  ferrés  que  dans  une  sainte  intention, 
que  pour  empêcher  le  scandale. 

Un  avocat  de  Paris,  que  j'ai  fait  venir,  est  d'une  opinion  bien 

i.  Éditeur,  Th.  Foisset. 


ANNÉE    17G1.  183 

différente  du  sieur  Girod  ;  il  prétend  que  cette  réquisition  est 
d'une  nécessité  indispensable.  Vous  savez  sans  doute  à  présent, 
monsieur,  que  le  sacrilège  est  joint  à  l'assassinat.  Le  jésuite  Jean 
Fessy,  aumônier  du  résident  à  Genève,  a  osé  refuser  l'absolution 
à  la  fille  Decroze,  jusqu'à  ce  qu'elle  eût  engagé  son  père  à  cesser 
toute  poursuite,  jusqu'à  ce  que  la  sœur  eût  trahi  le  sang  de  son 
frère,  et  le  père  le  sang  de  son  fils. 

Mon  avocat  assure  que,  dans  des  cas  pareils,  on  exige  le  ser- 
ment de  la  fille  et  le  serment  du  confesseur.  Ces  deux  serments, 
quand  ils  sont  contradictoires,  ne  décident  rien;  mais  les  juges 
voient  aisément  de  quel  côté  est  le  parjure.  Il  est  même  à  croire; 
que  Fessy  ne  se  parjurera  pas,  car  je  sais  qu'il  est  persuadé  par 
le  curé  de  Moèns,  et  qu'il  croit  qu'il  ne  s'était  rendu  le  28  dé- 
cembre au  logis  où  soupait  Decroze  que  pour  prêcher  la  morale 
à  coups  de  bâtons,  selon  ces  paroles  :  Contrains-les  d'entrer. 

Il  est  donc  indispensable  que  le  jésuite  Fessy  soit  mis  en 
cause;  et  pour  ne  vous  point  fatiguer,  monsieur,  je  vous  prie  de 
renvoyer  ma  lettre  à  M.  Girod,  avec  une  simple  apostille  do 
votre  main,  ou  dictée  par  vous. 

Tous  les  gentilshommes  du  pays  sont  dans  l'indignation  1;; 
plus  violente,  mais  aucun  ne  secourt  Decroze;  je  suis  son  seul 
appui;  je  lui  prête  de  l'argent,  comme  j'en  ai  prêté  à  MM.  de 
Crassy,  gentilshommes  au  service  du  roi,  pour  rentrer  dans  leui- 
bien  usurpé*  par  les  jésuites;  mais  je  serai  obligé  d'abandonner 
Decroze,  s'il  n'a  pas  de  courage,  et  s'il  ne  fait  pas  toutes  les 
poursuites  que  doit  faire  un  père  qui  a  son  fils  à  venger  d'un 
monstre. 

Au  reste,  monsieur,  vous  ne  pouvez  mieux  placer  votre  pro- 
tection et  votre  pitié  que  dans  cette  affaire,  qui  crie  vengeance 
à  Dieu  et  aux  hommes. 

J'ai  l'honneur  d'être,  avec  le  plus  respectueux  attachemciil, 
monsieur,  votre  très-humble,  etc. 

VOLTAIUE. 


1.  Lisez  arhelé;  voyez  la  Ii;Urc  à  ni;lvol,iiis  du  2  janvier  ITfil.  Ce  bien  avaii 
été  régulièrement  vendu  pendant  la  minorité  de  MM.  de  Crassy  pour  éteiniin» 
une  dette.  Ils  y  rentrèrent  sans  résistance,  en  vertu  du  retrait  li;;nagcr.  {Note  du 
premier  éditeur.) 


484  CORRESPONDAXCl- 


i42.   —  A   M.   LE   BRUN. 


A  Ferncy,  31  janvier. 

Il  est,  monsieur,  de  la  plus  grande  importance  de  venger  le 
nom  de  Corneille  et  le  public.  Voici  le  cerliiicat  ^  de  M""-  Denis 
et  la  procuration  du  sieur  L'Écluse.  Ce  cliiiurgien  a  droit  de 
demander  justice  d'un  outrage  qui  peut  le  décréditer  dans  l'exer- 
cice de  sa  profession.  Je  payerai  bien  volontiers  tous  les  frais  du 
procès.  Cet  infâme  Fréron  n'est  pas  digne  de  sentir  vos  beaux 
vers  :  qu'il  sente  la  force  de  votre  prose  et  le  bras  de  la  justice. 
Le  bon  bomme  Corneille,  conduit  par  vous,  écrasera  le  monstre. 

Je  vous  embrasse  avec  la  plus  tendre  amitié  et  la  plus  par- 
faite estime. 

Voltaire. 

4443.   —   A  M.   ÏHIERIOT. 

A  Ferney,  31  janvier. 

Je  reçois  des  lettres  bien  aimables  de  M.  Damilaville  et  de 
M.  Thieriot  :  j'en  avais  grand  besoin,  car  mes  contemporains 
meurent  de  tous  côtés,  et  je  me  porte  assez  mal.  Cependant 
VÉpître  à  M"*^  Clairon  sera  envoyée  à  mes  amis  probablement  par 
la  poste  procliaiue,  après  quoi  j'aurai  grand  soin  de  tout  ce 
qu'ils  me  recommandent  :  il  faut  mourir  au  lit  d"honneur. 

Je  suis  très-fâclié  que  les  impies  aient  rayé  de  ma  pancarte 
le  culte  et  les  exercices  de  religion  %  parce  que  je  remplis  tous  ces 
devoirs  avec  la  plus  grande  exactitude.  On  ne  devait  pas  non 
plus  mettre  dans  les  terres,  au  lieu  de  mes  terres,  parce  que  je  ne 
suis  pas  obligé  d'aller  à  la  messe  dans  les  terres  d'autrui,  mais 
suis  obligé  d'y  aller  dans  les  miennes.  Mes  amis  verront  la  preuve 
de  ce  que  je  prends  la  liberté  de  leur  représenter  dans  ma  lettre  ' 
à  M.  le  marquis  Albergati. 

La  nécessité  de  remplir  tous  les  devoirs  de  la  religion  chez 
moi  m'est  d'autant  plus  sévèrement  imposée  que  je  suis  comp- 
table de  l'éducation  que  je  donne  à  M""  Corneille.  J'ai  lu  malheu- 
reusement la  page  1G4  de  Fréron  \  dans  laquelle  il  dit  que  «  je 

1.  A  cette  lettre  étaient  joints  le  certificat  de  M'"^  Denis  et  la  procuration 
signée  L'Écluse  du  Tilloy,  donnant  pouvoir  de  poursuivre,  en  son  nom,  répa- 
ration, dommages  et  intérêts.  (Note  de  Ginguené,  éditeur  des  OEuvres  de  Le  Brun.) 

2.  Voyez  tome  XXIV,  page  159. 

3.  Lettre  4387. 

4.  Voyez  une  note  de  la  lettre  tU6. 


ANNÉE    1701.  485 

fais  élever  M"'  Corneille,  au  sortir  du  couvent,  par  un  bateleur 
de  la  Foire  que  je  traite  en  frire  depuis  un  an  ;  et  que  M"'  Cor- 
neille aura  une  plaisante  éducation  ». 

Ces  lignes  diflaniatoircs  sont  d'autant  plus  punissables  qu'elles 
outragent  personnellement  M""  Corneille,  et  surtout  M""  Denis,  ma 
nièce,  qui  l'élève  comme  sa  fille.  Mes  amis  et  le  public  sentiront 
aisément  que  M"°  Corneille,  étant  chez  moi,  ne  peut  jamais  trou- 
ver un  mari  que  par  la  conduite  la  plus  irréprochable.  Fréron 
la  perd  sans  ressource,  en  avançant  faussement  que  je  la  fais 
élever  par  L'Écluse.  Il  est  très-faux  que  L'Écluse  soit  chez  moi; 
il  y  a  environ  six  mois  qu'il  exerce  sa  profession  de  chirurgien- 
dentiste  à  Genève,  et  qu'il  n'est  sorti  de  celte  ville.  M""  Denis, 
qui  l'avait  mandé,  il  y  a  environ  huit  mois,  pour  lui  accommo- 
der les  dents,  ne  l'a  pas  revu  deux  fois  depuis  ce  temps-là  ;  il 
travaille  sans  relâche  à  Genève,  et  y  rend  de  très-grands  services. 

Il  est  très-permis  au  nommé  Fréron  de  critiquer  tant  qu'il 
voudra  des  vers  et  de  la  prose,  mais  il  ne  lui  est  permis  ni 
d'attaquer  une  dame,  veuve  d'un  gentilhomme  mort  au  service 
du  roi,  ni  une  demoiselle  alliée  aux  plus  grandes  maisons  du 
royaume,  et  qui  porte  un  nom  plus  grand  que  ses  alliances;  ni 
même  le  sieur  L'Écluse,  qui  peut  avoir  joué  autrefois  la  comédie, 
mais  qui  est  chirurgien  du  roi  de  Pologne,  et  auquel  le  reproche 
d'avoir  été  acteur  peut  faire  un  très-grand  tort  dans  sa  profession. 
Ces  trois  dilTamations  réunies  forment  un  corps  de  délit  dont  il 
est  nécessaire  de  demander  justice.  Le  père  de  M"*^  Corneille 
outragée  doit  agir  en  son  nom  sans  aucun  délai, 

La  poste  va  partir;  je  n'ai  que  le  temps  d'ajouter  à  ma  lettre 
que  je  persiste  toujours  dans  mon  opinion  sur  les  finances.  Il  y 
a  eu  beaucoup  de  dissipation  et  de  brigandage,  je  l'avoue;  mais 
quand  on  a  contre  les  Anglais  une  guerre  si  funeste,  il  faut,  ou 
que  toute  la  nation  combatte,  ou  que  la  moitié  de  la  nation 
s'épuise  à  payer  la  moitié  qui  verse  son  sang  pour  elle.  J'ai  une 
pension  du  roi,  je  rougirais  de  la  recevoir  tant  ([u'il  y  aura  des 
officiers  cpii  souffriront'. 

Je  suis  pénétré  de  la  plus  tondre  reconnaissance  pour  toutes 
les  bontés  assidues  de  M.  Daniilavillc  et  de  M.  Thieriot.  Plura 
alias. 

1.  Voyez  la  lettre  à  M"""  de  Lutzclbourg,  du  10  mars  17G1. 


486  CORRESPONDANCIL 

4444.  —  A   M.   L'ABBÉ    DE   LA   PORTE'. 

2  février. 

Je  réitère  c'i  M.  l'abbé  de  La  Porte  toutes  les  assurances  de 
mon  estime  pour  lui  et  de  ma  reconnaissance.  La  première 
feuille  de  l'année  17G1  m'a  paru  un  chef-d'œuvre  en  son  genre. 
J'ai  toujours  sur  le  cœur  que  messieurs  de  la  poste  n'aient  pas 
daigné  lui  faire  parvenir,  il  y  a  trois  mois,  mon  paquet  et  ma 
lettre.  Je  lui  fais  mes  sincères  remerciements. 

4415.   —  A  M.   LE    COMTE    D'ARGENTAL. 

A  Ferney,  2  février. 

Anges  de  paix,  mais  anges  de  justice,  voici  le  Panta-od&i  du 
sieur  Abraham  Chaumeix,  tel  qu'on  me  l'a  envoyé  de  Paris;  je 
l'ai  fait  copier  fidèlement.  Je  ne  connais  point 

Le  petit  singe  à  face  de  Tlicrsito-; 

mais  si  cet  homme  est  tel  qu'on  me  le  mande,  il  mérite  l'exécra- 
tion publique,  et  je  ne  connais  personne  qui  doive  craindre  de 
démasquer  un  personnage  si  ridicule  et  si  odieux.  Quand  on 
joint  les  mensonges  de  Sinon  au  style  de  Zoïle,  à  l'impudence 
de  Thersite,  et  à  la  figure  de  Ragotin,  on  doit  s'attendre  de  rece- 
voir en  public  le  châtiment  qu'on  mérite  ;  et  ceux  qui  n'ont  pas 
la  force  en  main  pour  se  venger  font  très-bien  de  payer  les  Ther- 
site et  les  Zoïle  dans  leur  propre  monnaie.  Se  reconnaîtra  qui 
voudra  dans  cette  fidèle  peinture.  On  n'en  craint  point  les  con- 
séquences, on  est  bien  aise  même  que  Thersite  sache  à  quel 
point  on  le  hait  et  on  le  méprise  ;  on  en  fera  profession  publique 


1.  Joseph  de  La  Porte,  né  à  Belfort  (Haut-Rhin),  en  1713,  mort  en  décembre 
1779.  Il  avait  d'abord  travaillé  à  quelques  ouvrages  périodiques,  en  société  avec 
Fréron,  et,  entre  autres,  à  V Année  lilléraire.  Brouillé  momentanément  avec  le 
principal  auteur  de  ce  journal,  l'abbé  de  La  Porte  commença,  en  1758,  à  publier 
l'Observateur  littéraire.  La  première  feuille  de  cet  écrit  périodique  pour  l'année 
1761,  dont  Voltaire  parle  ici  comme  d'un  chef-d'œuvre  en  son  genre,  contenait  un 
article  sur  l'année  littéraire,  journal  dans  lequel  l'abbé  de  La  Porte  voyait  «  un 
dessein  formé  de  censurer,  d'avilir,  de  décrier  des  chefs-d'œuvre,  et  nos  écri- 
vains les  plus  célèbres  placés  au-dessous  des  plus  obscurs  littérateurs  ».  (Cl.)  — 
Voyez  tome  XXIV,  page  188. 

2.  Voyez  la  lettre  à  d'Alembert,  du  9  février,  n*  4i56. 


ANNÉE    17G1.  187 

quand  il  le  faudra.  Le  chevalier  d'Aidie^  vient  de  mourir  en 
revenant  de  la  chasse;  on  mourra  volontiers  après  avoir  tiré  sur 
les  bêtes  puantes.  D'ailleurs  on  n'a  rien  à  perdre  en  France,  cl 
on  trouvera  partout  ailleurs  des  éta])lisscments  assez  avantageux 
pour  braver  avec  sécurité,  et  pour  confondre  avec  les  armes  de 
la  vérité,  les  délateurs  hypocrites  et  les  calomniateurs  impu- 
dents. Je  ne  connais  l'homme*  dont  il  est  question  qu'à  ces 
titres;  et  si  je  le  rencontrais,  je  le  lui  dirais  en  face,  s'il  a  une 
face. 

Pardonnez,  mes  divins  anges,  h  cette  petite  digression  un  peu 
aigrelette  ;  il  y  a  longtemps  que  je  couve  ce  fiel  dans  le  fond  de 
mon  cœur  :  voilà  ma  bile  purgée.  Je  me  rends  à  tous  les  charmes 
de  votre  commerce,  à  votre  douceur,  à  vos  grâces.  Je  suis  doux 
comme  vous,  quand  je  me  suis  vengé. 

Je  ne  crois  pas  que  l'auteur  du  Panta-otlai  doive  le  lâcher  si  tôt. 
Il  n'y  a  que  Thieriot,  je  crois,  qui  en  soit  en  possession.  Je  lui 
mande  d'attendre,  et  il  attendra.  Il  faut  tendre  actuellement 
(nutos  les  cordes  de  son  àme  pour  punir  Fréron  de  son  inso- 
lence, et  pour  lui  procurer  quelque  peine  afflictive  salutaire,  qui 
lui  apprenne  à  ne  plus  insulter  une  fille  de  condition,  et  le  nom 
de  Corneille,  dans  ses  infamies  littéraires.  L'Écluse,  qui  n'est 
point  celui  de  l'Opéra-Comique,  mais  chirurgien  du  roi  de  Polo- 
gne, a  donné  sa  procuration,  et  demande  justice.  M""  Denis  a  en- 
voyé son  certificat.  Le  nommé  Fréron  est  très-punissable,  et  le 
procès  criminel  ne  sera  pas  long.  Le  Brun  a  toutes  les  pièces;  il 
ne  manque  que  la  procuration  du  bonhomme  Corneille  :  je  mets 
le  tout  sous  votre  protection.  Vous  êtes  bon,  mais  vous  êtes  ferme; 
et  c'est  ici  qu'il  faut  l'être. 

Mon  contemporain  ',  le  président  de  La  Marche,  m'a  écrit  une 
lettre  pleine  d'esprit. 

Le  maréchal  de  Bclle-Isle  est-il  mort*?  M.  de  Choiseul  a-t-il  la 
guerre-'?  M.  de  Chauvclin,  le  ministère  de  paix? 

Pleurez-vous  toujours?  Je  pleure  votre  absence. 

t.  Rotiré  dans  ses  torrcs  en  Porigord  depuis  la  mort,  di>  M""-"  .\i<;sé,  sa  niaî- 
Ircssc,  il  mourut  en  17.">8,  après  avoir  marié  la  lillc  qu'il  eut  d'elle  à  un  gentil- 
homme de  ses  voisins.  (B.) 

2.  Ouier  Joly  de  Fleury,  avocat  giîné'ral. 

3.  Voltaire  était  l'alné,  de  quelques  mois  seulement,  du  président,  à  qui  isi 
adressée  plus  haut  la  lettre  ii'23,  et  les  premières  de  la  Correspoiulancc. 

4.  Oui,  le  26  janvier  1701. 

5.  Choiseul  remplaça  ISelIc-Ialc  au  ministère  de  la  guerre,  tout  en  restant 
chargé  des  affaires  étrangères. 


CORRESPONDANCE. 


iii6.   —A    M.    LE   PRÉSIDENT   DE   RUFFEY'. 

Vous  me  permettez,  monsieur,  de  vous  importuner  sur  la 
malheureuse  aflaire  du  sieur  Decroze.  Il  joint  à  la  douleur 
d'avoir  vu  son  fils  prêt-  {sic)  de  mourir  par  un  assassinat,  celle 
de  voir  l'assassin  triompher  de  son  affliction.  Il  est  soutenu  par 
une  cahale  puissante  contre  un  pauvre  homme  sans  secours', 
qui  n'a  ni  assez  d'intelligence,  ni  peut-être  assez  de  fortune  pour 
le  suivre  dans  les  détours  de  la  chicane  la  plus  odieuse  et  la  plus 
longue.  Ce  curé,  assez  connu  à  Dijon  par  une  foule  de  procès 
qu'il  y  est  venu  soutenir,  attend  que  les  cicatrices  des  plaies 
faites  au  jeune  Decroze  puissent  être  fermées,  afin  qu'il  paraisse 
que  les  blessures  n'ont  été  que  légères,  et  que  l'assassinat  passe 
pour  une  simple  querelle;  mais  je  peux  vous  assurer  que  le 
temps,  qui  est  le  seul  refuge  du  curé,  laissera  toujours  paraître 
les  preuves  de  son  attentat.  Le  crâne  a  été  ouvert,  et  le  lieute- 
nant criminel  lui-même  a  vu  le  malade  en  danger  de  mort.  Je 
l'ai  vu  moi-même  en  cet  état.  J'apprends  que  le  curé  a  appelé 
du  décret  d'ajournement  personnel  et  de  prise  de  corps  rendu 
à  Gex.  Il  fonde  ses  malheureuses  défenses  sur  une  méprise 
qu'on  dit  être  dans  les  dépositions.  On  a  déposé  en  efïet  que: 
ledit  curé  avait  été  Loire  chez  M"'"  Burdet  le  27,  veille  de  l'assas- 
sinat, et  il  se  trouve  que  ce  n'est  que  le  26  ;  mais  cette  erreur  de 
date  n'emporte  point  une  erreur  de  fait,  et  cette  petite  méprise 
est  aisément  corrigée  au  récolement  et  aux  confrontations. 

Il  se  fonde  encore  sur  la  mauvaise  réputation  de  la  dame  Bur- 
det, chez  laquelle  l'assassinat  s'est  commis,  et  qu'il  a  frappée 
lui-même.  Mais  si  la  dame  Burdet  est  une  femme  diffamée,  pour- 
quoi allait-il  boire  chez  elle?  Pourquoi  part-il  d'une  demi-lieue  de 
sa  maison  pour  aller  à  dix  heures  du  soir  chez  cette  femme  avec 
des  gens  armés?  Il  a  l'audace  de  dire  que  c'était  pour  arrêter  le 
scandale;  mais  est-ce  à  lui  à  exercer  la  police?  L'exerce-t-on  à 
coups  de  bâton  ?  Lui  est-il  permis  d'entrer  pendant  la  nuit  chez 
une  ancienne  bourgeoise  du  lieu,  très-bien  alliée,  qui  soupait 
paisiblement  avec  ses  amis  ?  Les  violences  précédentes  de  ce  curé, 
le  procès  qui  lui  fut  intenté  par  le  notaire  Vaillet  pour  avoir 


1.  Éditeur,  Th.  Foisset. 

2.  Voyez  la  note,  tome  XIV,  page  418. 

3.  Decroze  père  parait  avoir  été  ce  qu'on  nommait  alors  un  bourgeois  de 
campagne.  Voltaire  lui  avait  ouvert  sa  bourse,  et  le  président  de  Brosses  y  joi- 
gnait son  appui. 


ANNÉE    ITiil.  -189 

donné  des  coups  de  bûton  à  son  fils,  ses  querelles  continuelles, 
son  ivrognerie  qui  est  publique,  ne  sont-elles  pas  des  présomp- 
tions frappantes  qu'il  n'était  venu  cbez  la  dame  Burdet  que  dans 
le  dessein  qu'il  a  exécuté?  Une  irruption  faite  pendant  la  nuit, 
avec  des  hommes  armés,  dans  une  maison  paisible,  peut-elle 
être  regardée  comme  une  rixe  ordinaire?  Un  laïque  en  pareil 
cas  ne  serait-il  pas  dès  longtemps  dans  les  fers?  Cependant  ce 
prêtre,  aussi  artificieux  que  violent,  soulève  le  clergé  en  sa 
faveur.  L'évêque  de  Genève'  soutient  que  c'est  à  lui  seul  de  le 
juger;  qu'il  n'est  pas  permis  aux  juges  séculiers  de  connaître  des 
délits  des  prêtres,  et  qu'il  n'est  coupable  que  d'un  zèle  un  peu 
inconsidéré.  On  intimide  le  pauvre  Dccroze-,  on  emploie  le  pro- 
fane et  le  sacré  pour  lui  fermer  la  bouche;  et  enfin  le  jésuite 
Fessy  a  porté  l'abus  de  son  ministère  jusqu'à  refuser  l'absolu- 
tion à  la  sœur  de  l'assassiné,  jusqu'à  ce  qu'elle  portât  son  père  et 
son  frère  à  se  désister  de  leurs  justes  poursuites.  Ce  malheureux 
curé  du  village  de  Moëns,  s'imaginant  très-faussement  que  c'était 
moi  seul  qui  encourageais  un  père  malheureux  à  demander 
vengeance  du  sang  de  son  fils,  a  porté  les  habitants  de  son  vil- 
lage à  me  couper  la  communication  des  eaux,  et  m'a  fait  propo- 
ser de  me  donner  le  double  des  eaux  qu'on  voulait  m'ûter  si  je 
pouvais  obtenir  de  Dccroze  un  désistement.  L'évêque  m'a  mandé, 
on  propres  termes,  que  pour  quelques  gouttes  de  sang  il  ne  fal- 
lait pas  faire  tant  de  vacarme. 

Voilà  l'état  où  sont  les  choses;  et  sans  la  justice  du  parlement 
de  Bourgogne,  tout  le  pauvre  petit  pays  de  Gex  serait  dans  le 
plus  déplorable  bouleversement. 

J'ai  l'honneur  d'être  avec  beaucoup  de  respect,  monsieur, 
votre  très-humble  et  très-obéissant  serviteur. 

Voilà  ce  que  j'écris  à  des  magistrats  du  parlement.  Je  conjure 
\I.  le  président  de  Rufi'ey  de  |)arler  à  M,  de  La  Marche,  au  pre- 
mier président  de  la  Tournclle,  cl  de  ])i'otéger  les  inl'oi'tunés 
o[)primés. 

•4ii7.  —  A  M.   Li;    iii;i  N. 

-1  frvrier. 

J'ai  riioiinoiir,  moiisiour,  ilc  vous  cciirc  encore  au  sujet  de 
M"  Corncilli'  ;  vous  ne  laisserez  point  votre  bonne  œuvre  inipar- 

I.   lîiort,  ovùi[iii'  d'Aiiiiei'} .  à  iiui  est  udiesiùi;  la  li'Urc  3718. 


190  CORRESPONDAiNGE. 

faite,  et,  après  l'avoir  sauvée  de  la  pauvreté,  vous  la  sauverez  du 
déshonneur.  J'écris  à  M.  Dumolard  en  conformité  ^ 

Vous  avez  dil  recevoir  le  certificat  de  M"'"  Denis  ;  voici  celui 
du  résident  de  France.  J'ai  eu  l'honneur  de  vous  envoyer  la  pro- 
curation du  sieur  L'Écluse  du  ïilloy,  pour  se  joindre  à  la  plainte 
de  M.  Corneille.  Le  sieur  L'iîcluse  n'est  point  celui  qui  a  monté 
sur  lo  théâtre  de  la  Foire  *,  je  le  crois  son  cousin  ;  il  est  seigneur 
de  la  terre  du  Tilloy  en  GAtinais'. 

Je  vous  réitère,  monsieur,  qu'il  ne  s'agit  que  d'une  procuration 
de  M.  Corneille;  que  l'affaire  ne  fera  nulle  difficulté;  que  Fréron 
sera  condamné  à  une  peine  infamante  et  à  de  gros  dédommage- 
ments. Je  suis  bien  sûr  que  vous  saisirez  une  occasion  aussi  fa\()- 
rable,  et  que  M.  d'Argental  vous  aidera  de  tout  son  pouvoir.  Ce 
n'est  point  au  parlement  qu'il  faut  s'adresser,  comme  je  le 
croyais,  mais  au  lieutenant  criminel,  dont  le  nommé  Fréron  est 
naturellement  le  gibier. 

Je  vous  réitère  encore,  monsieur,  que  j'ai  été  indispensable- 
ment  obligé  d'envoyer  un  petit  avertissement  ",  pour  faire  savoir 
que  votre  libraire  a  eu  tort  de  mettre  l'édition  de  vos  lettres  et 
des  miennes  sous  le  nom  de  Genève.  C'est  une  chose  très-impor- 
tante pour  moi  ;  il  ne  faut  pas  qu'on  croie  dans  le  public  que  je 
fasse  imprimer  à  Genève  aucune  brochure.  En  effet,  on  n'en  im- 
prime aucune  dans  cette  ville,  dont  je  suis  éloigné  de  deux  lieues, 
et  il  est  nécessaire  qu'on  le  sache  :  vous  en  sentez  toutes  les  con- 
séquences. 

Je  vous  ai  rendu,  monsieur,  toute  la  justice  que  jeivous  dois 
dans  cet  avertissement,  et  je  me  suis  livré  à  tout  ce  que  mon  goût 
et  mon  cœur  m'ont  dicté.  Je  confie  à  votre  amitié  et  à  votre  pru- 
dence la  copie  de  la  lettre  que  j'écrivis  à  votre  sujet  ^  Soyez  per- 
suadé, monsieur,  que  je  vous  suis  attaché  comme  le  père 
de  M""^  Corneille  doit  vous  l'être. 

Je  présente  mes  respects  à  M""=  Le  Brun. 

Voltaire. 


1.  La  lettre  à  Dumolard  est  perdue. 

2.  Voltaire  dissimulait  ici  la  vérité,   dans  rintention  d'empêcher  Fréron   de 
nuire  à  Marie  Corneille.  (Cl.) 

3.  La    seigneurie    du   Tilloj-,    possédée    par  L'Écluse,   qui   débuta  à  l'Opéra- 
Comiqueen  1737;  elle  est  située  près  de  Montarg-is,  dans  le  Gàtinais  Orléanais. 

4.  Voj'ez  tome  XXIV,  page  159. 

y.  Cette  lettre  est  perdue,  si  ce  n'est  celle  à  Dumolard,  n°  4ii7. 


ANNÉE    I7GI.  191 

44 i8.   —   A  M.    SAURI.N. 

Fcrncy,  2  février. 

Toutes  les  fois  qu'un  frère  gratifie  le  public  de  quoique  bon 
ouvrage  auquel  on  applaudit  S  je  me  jette  à  genoux  dans  mon 
petit  oratoire  ;  je  remercie  Dieu,  et  je  m'écrie  :  0  Dieu  des  bons 
esprits!  Dieu  des  esprits  justes,  Dieu  des  esprits  aimables,  répands 
ta  miséricorde  sur  tous  nos  frères  ;  continue  à  confondre  les  sots, 
les  hypocrites  et  les  fanatiques!  Plus  nos  frères  feront  de  bons 
ouvrages,  en  quelque  genre  que  ce  puisse  être,  plus  la  gloire  de 
ion  saint  nom  sera  étendue.  Fais  toujours  réussir  les  sages,  fais 
siffler  les  impertinents.  Puissé-je  voir,  avant  de  mourir,  ton  fidèle 
serviteur  Helvélius  et  ton  serviteur  fidèle  Saurin  dans  le  nombre 
des  Quarante  I 

Ce  sont  les  vœux  les  plus  ardents  du  moine  Voltarius,  qui, 
du  fond  de  sa  cellule,  se  joint  à  la  communion  des  frères,  les 
salue,  et  les  bénit  dans  l'esprit  d'une  concorde  indissoluble.  Il  se 
flatte  surtout  quele  vénérable  frère  Helvélius  rassemblera,  autant 
qu'il  pourra,  les  fidèles  dispersés,  les  sauvera  du  venin  du  basilic, 
et  de  la  morsure  du  scorpion,  et  des  dents  des  Fréron  et  des 
Palissot.  Nous  recommandons  aussi  aux  combattants  du  Seigneur 
les  persécuteurs  fanatiques  qu'il  faut  dévouer  à  l'exécration 
publique. 

Pourquoi  l'auteur  des  Mœurs  du  lonps,  qui  peint  si  bien  son 
monde,  ne  peindrait-il  pas  un  Omer? 

Car  est  le  peintre  indigne  de  louange, 

Qui  ne  sait  peindre  aussi  bien  diable  qu'ange*. 

.l'embrasse  frère  Saurin  bien  tendrement. 

Frère  V. 

4ii9.   —   A   M.   UA.MlLAVlLLi:. 

i''einc3-,  '2  février. 

Je  réitère  ù  M.  Damilaville  et  à  M.  Tliieriot  mes  sincères 
remerciements  de  la  bonté  (ju'ils  ont  de  publier  ma  déclaration  ' 

1.  Les  Mœurs  du  leuips,  coiiicdic  en  uii  acte  et  en  |)ruso,  junéc.  le  2'2  décem- 
bre 1760. 

2.  .Maiiot,  Épllrc  à  ceux  qui,  après  l'Iipijrainuic  du  beau  Iclin,  en  firent 
d'autres. 

3.  C'csl  l'.liis  que  nous  avons  donné  lonie  WIV,  pa^je  ï'.àK 


492  CORRESPONDANCE. 

sur  mes  lettres  et  sur  celles  de  M'"*  Denis,  imprimées  à  Paris  sous 
le  nom  de  Genève.  Il  m'est  très-important  que  Genève,  qui  n'est 
qu'à  une  lieue  de  mon  séjour,  ne  passe  point  pour  un  magasin 
clandestin  d'éditions  furtives.  Je  leur  ai  très-grande  obligation 
de  vouloir  bien  détruire  ce  soupçon  injuste,  qui  n'est  déjà  que 
trop  répandu. 

Je  les  supplie  aussi  très-instamment  de  ne  rien  changer  à  ma 
déclaration.  L'article  du  culte  et  des  devoirs  de  \a.7-eligion  est  essen- 
tiel. Je  dois  parler  de  ces  devoirs,  parce  que  je  les  remplis  ;  et 
que  surtout  j'en  dois  l'exemple  à  M""  Corneille  que  j'élève.  11  ne 
faut  pas  qu'après  les  calomnies  punissables  de  Fréron  on  puisse 
soupçonner  que  M""'  Denis  et  moi  nous  ayons  fait  venir  l'héritière 
du  nom  de  Corneille  aux  portes  de  Genève»  pour  ne  pas  professer 
hautement  la  religion  du  roi  et  du  royaume.  On  a  substitué  à  cet 
article  nécessaire  que  je  iii'occupe  de  ce  qui  intéresse  mes  amis.  On 
doit  concevoir  combien  cela  est  déplacé,  pour  ne  rien  dire  de 
plus.  Je  ne  dois  point  compte  au  public  de  ce  qui  intéresse 
mes  amis,  mais  je  lui  dois  compte  de  la  religion  de  M'^"  Cor- 
neille. 

J'insiste,  avec  même  chaleur,  sur  le  changement  qu'on  veut 
faire  dans  ce  que  je  dis  de  VOde  de  M.  Le  Brun.  Je  dis  qu'il  y  a  dans 
son  ode  des  strophes  admirables,  et  cela  est  vrai.  Les  trois  dernières 
surtout  me  paraissent  aussi  sublimes  que  touchantes;  et  j'avoue 
qu'elles  me  déterminèrent  sur-le-champ  à  me  charger  de  M'^^  Cor- 
neille, et  à  l'élever  comme  ma  fille.  Ces  trois  dernières  strophes 
me  paraissent  admirables,  je  le  répète.  Vous  voulez  mettre  à  la 
place  sentiments  admirables;  mais  un  sentiment  de  compassion 
n'est  point  admirable  :  ce  sont  ces  strophes  qui  le  sont.  Je 
demande  en  grâce  qu'on  imprime  ce  que  j'ai  dit,  et  non  pas  ce 
qu'on  croit  que  j'ai  dû  dire.  Je  sais  bien  qu'il  y  a  des  longueurs 
dans  l'ode,  et  des  expressions  hasardées.  Le  partage  de  M.  Le 
Brun  est  de  rendre  son  ode  parfaite  en  la  corrigeant,  et  le  mien 
est  de  louer  ce  que  j'y  trouve  de  parfait. 

Observez,  je  vous  prie,  mes  chers  amis,  que  M.  Le  Brun  trou- 
verait très-mauvais  que  je  me  bornasse  à  faire  l'éloge  de  ses  sen- 
timents, quand  je  lui  dois  celui  des  beautés  réelles  qui  sont  dans 
son  ode. 

Je  renvoie  à  mes  deux  amis  VÉpîire  d'Abraham  Chaumeix  à 
M""  Clairon,  telle  que  l'ai  reçue  de  Paris,  M,  Thieriot  peut  se 
donner  le  plaisir  de  porter  ces  étrenncs  à  Melpomène,  Mon  cor- 

1.   Voyez  le  texte  et  la  note,  tome  XXIV,  pages  159- ICO. 


ANNÉE    1751.  -193 

respondant  de  Paris  a  mis  l'abbé  Guyou  en  note'  ;  d'autres  pré- 
tendent qu'il  fallait  un  autre  nom.  Valele. 

M.  ïhieriot  ne  se  dessaisira  pas  du  Pnnta-o'hi-. 


iiûO.    —  A    MADAME   LA   DUCHESSE    DE   SAXE-GOTHA». 

Aux  Délices,  5  fL\rier. 

Madame,  pardonnez  encore  à  un  pauvre  vieillard  malade,  prêt 
à  quitter  le  plus  misérable  des  mondes  possibles  pour  aller  voir 
s'il  est  digne  d'un  meilleur;  pardonnez-lui  s'il  n'écrit  pas  de  sa 
main  à  Votre  Altesse  sérénissime,  et  s'il  ose  lui  envoyer  un  pa- 
quet dont  le  port  serait  une  indiscrétion  avec  un  comte  de  l'em- 
pire. 

Mais  une  princesse  de  Saxe  ne  prendra  pas  garde  aux  frais;  je 
ne  trouve  que  cette  façon  de  lui  faire  parvenir  sûrement  mes 
hommages.  Elle  verra  par  cette  quatrième  lettre  du  commission- 
naire Oboussier  combien  la  voie  des  chariots  de  poste  est  infidèle. 
Si  elle  daigne  envoyer  à  M'"*  de  Bassevitz  un  des  deux  exem- 
plaires, elle  prendra  la  voie  la  plus  convenable  :  les  princes  font 
tout  ce  qu'ils  veulent,  et  surtout  les  princesses.  S'il  est  ainsi,  ma- 
dame, renvoyez  donc  les  huit  mille  hommes  que  Votre  Altesse 
sérénissime  nourrit,  à  moins  qu'ils  ne  vous  payent  régulièrement. 
Je  suppose  que,  dans  de  telles  circonstances,  elle  a  un  agent  à 
Paris,  et  si  elle  n'en  a  point,  j'ose  toujours  lui  proposer  le  Gene- 
vois Gromelin  à  très-bon  marché. 

Est-il  vrai,  madame,  que  le  roi  de  Prusse  soit  dangereusement 
malade?  Est-il  vrai  que  le  roi  de  Pologne  soit  mort?  Voudriez- 
vous  du  trône  de  Pologne,  madame?  Quel  pauvre  trône,  et  que 
tous  les  rois  de  la  terre  sont  à  plaindre!  Je  ne  connais  d'heureux 
([ue  le  roi  de  Danemark.  Je  suis  persuadé  que  la  grande  maî- 
iresse  des  cœurs  est  de  mon  avis.  Voyez  quelle  serait  votre  situa- 
tion, si  la  souveraineté  de  Dresde  était  restée  dans  votre  bianohe! 
Geux  à  qui  Gliarles-Quint  donna  votre  héritage  pensaient-ils  ([ue 
l'électorat  ferait  le  malheur  de  leurs  descendants?  Qu'on  est 
trompé  dans  tous  ses  projets,  et  que  la  grandeur  est  entourée  de 
|)récipices! 


1.  Voyez  cette  noti"  (tome  X)  :   flic  |ior(c  sur  le  vers  qui   commence  |par  liel 
esprit  faux. 

2.  C'était  le  picuiier  lilif   de   VLpilrc  a   Diipliné  (M"'  Clairon),,    du    l'"'  jjin- 
\if;il7«)l. 

3.  Éditeurs,  Baveux  et  Fran(;ois. 

'il.  — C.or.nrspoMj  wr.K.  I  X.  IH 


4  9i  CORRESPONDANCK 

On  prétend,  madame,  que  la  princesse  votre  fille  fera  le  bon- 
heurd'un  prince  d'Angleterre;  c'est  assurément  le  plus  beau  pré- 
sent qu'on  puisse  faire  à  cette  nation. 

Je  n'écris  plus  au  roi  de  Prusse;  je  renonce  à  lui.  Il  n'a  que 
de  l'esprit  et  de  l'ambition  ;  il  ne  m'aidera  ni  à  vivre,  ni  à  mou- 
rir. A  mon  âge,  on  ne  doit  s'attacher  qu'à  un  cœur  comme  le 
vôtre  :  je  trouve  en  vous  tout  ce  que  je  désire  en  lui  ;  s'il  eût  eu 
vos  vertus,  je  l'aurais  adoré. 

Je  ne  fatigue  point  cette  fois-ci  Votre  Altesse  sérénissime  d'uno 
lettre  pour  M'"^  de  Bassevitz  ;  je  ne  veux  d'autre  consolation  dans 
mes  souffrances  que  celle  de  vous  ouvrir  mon  cœur,  et  démettre 
aux  pieds  de  Votre  Altesse  sérénissime  mes  vœux  ardents  pour 
elle  et  pour  toute  votre  auguste  famille. 

Le  vieux  Suisse  V. 

4451.  —  A  M.    FABRY  i. 

Aux  Délices,  î)  février. 

Monsieur,  si  le  vent  est  moins  violent  dimanche,  je  vous  prii^ 
à  dîner  à  deux  heures  précises  ;  nous  viendrons  à  Ferney  exprès 
pour  vous.  Vous  ne  devez  pas  douter  de  mon  amitié,  et  je  compte 
sur  la  vôtre.  L'affaire  du  marais  sera  très-aisée  à  arranger.  Elle 
est  très -importante.  Mon  malheureux  parent-,  qui  est  paraly- 
tique depuis  un  an,  ne  l'est  que  pour  être  allé  à  la  chasse  au- 
près de  ce  marais  pernicieux.  On  a  enterré,  il  y  a  un  mois,  à 
Ferney,  un  jeune  homme  que  la  même  cause  avait  réduit  au 
même  état;  un  de  mes  gens  a  été  grièvement  malade  ;  tous  les 
bestiaux  qui  paisssent  auprès  de  ce  lieu  infecté  sont  d'une  mai- 
greur affreuse.  Vous  savez  que  le  village  de  Magny  est  désert  ;  ce 
marais  fait  tous  les  jours  des  progrès,  et  s'étend  jusque  dans  mes 
terres.  La  négligence  impardonnable  des  habitants  et  des  sei- 
gneurs des  environs  mettra  enfin  la  contagion  dans  une  province 
déjà  assez  malheureuse.  J'en  ai  rendu  compte  à  monsieur  le  con- 
trôleur général,  et  au  premier  médecin  du  roi,  qui  a  trouvé  la 
chose  très-sérieuse.  Je  vous  ai  demandé,  monsieur,  pour  com- 
missaire dans  cette  partie.  Je  suis  très-persuadé  que  vous  vous 
joindrez  à  nous  avec  tout  le  zèle  que  vous  avez  pour  le  bien  public. 
Quelque  parti  qu'on  prenne,  je  serai  très-content,  pourvu  que  le 
marais  soit  desséché  au  printemps.  Tout  doit  être  sacrifié  au 

i.  Éditeurs,  Bavoux  et  François. 
2.  Daumart. 


AXNÉK    17  01.  195 

bien  du  pays,  et  tout  le  sera  sans  doute,  puisque  vous  avez  la 
bonté  d'entrer  dans  cette  opération  absolument  nécessaire. 

Nous  vous  présentons,  M""'  Denis  et  moi,  nos  très-liumblos 
obéissances.  Soyez  persuadé,  monsieur,  que  c'est  avec  les  senti- 
ments les  plus  vrais,  et  l'attacliement  le  plus  sincère,  que  je  serai 
toute  ma  vie  votre  très-bumble  et  très-obéissant  serviteur. 


4452.   -    A   AI.   FVOT    DE    LA    MARCHE'. 

Aux  Délices,  G  février  1761. 

Soufl'rez  que  je  vous  remercie  de  votre  lettre,  je  la  regarde 
comme  un  bienfait.  Vous  y  peignez  la  plus  belle  àme  du  monde. 
Elle  mérite  bien  d'être  la  plus  beureuse.  Nous  sommes  sur  le  soir 
d'une  bien  courte  journée  ;  j'espère  que  cette  soirée  vous  sera 
très-agréable.  Si  vous  ne  daignez  pas  franchir  nos  montagnes  pour 
venir  voir  notre  délicieux  vallon  entouré  d'horreurs,  je  descen- 
drai sûrement  chez  vous  du  haut  du  mont  Jura,  pourvu  que  je 
puisse  jouir  de  vos  bontés  et  de  votre  charmant  commerce  dans 
une  de  vos  campagnes  :  car,  sans  haïr  les  hommes,  je  hais  les  villes. 
On  n'y  est  point  libre;  on  n'y  jouit  point  de  ses  amis  ni  de  soi- 
même.  C'est  vous,  et  non  Dijon,  que  je  veux  voir.  Je  suis  h  h\ 
porte  de  Genève,  et  je  n'y  entre  jamais. 

Vous  voyez  combien  je  suis  éloigné  en  tout  de  ce  très-bol 
esprit,  Fontenelle,  que  vous  voulez  que  je  prenne  pour  modèle  : 
donnez-moi  doncson  cœur  insensible,  donnez-moi  son  indilTérencc 
pour  tout  ce  qui  n'était  pas  l'art  de  montrer  de  l'esprit  et  de  le 
faire  valoir.  Faites-moi  renaître  Normand.  Je  suis  bien  loin  d'être 
dans  sa  position.  Jugez-en  par  le  petit  brimboi-ion  que  je  vous 
envoie.  Vous  verrez  qu'il  n'est  pas  ici  question  de  défendre  des 
Lettres  du  chevalier  d'Her...,,  ou  des  églogues,  ou  des  dialogues 
dans  lesquels  les  morts  font  des  pointes.  11  s'agit  des  plus  détes- 
tables calomnies;  il  s'agit  de  parer  des  coups  mortels.  Qui  dé- 
fend ses  vers  et  sa  prose  est  un  sot  ;  qui  ne  détruit  |)as  la  calom- 
nie est  un  lùche.  Il  était  réservé  au  siècle  où  nous  vivons  d'accu- 
ser d'irréligion  tous  les  auteurs  dont  on  est  jaloux.  Si  on  avait 
liiissé  faire  Lefranc,  si  on  ne  l'avait  j)as  couvert  de  ridicule, 
l'usage  se  serait  établi  de  n'être  reçu  à  l'Académie  qu'à  condition 
de  déclamer  contre  les  philosopbes,  H  s'élevait  une  cabal»' 
infâme  de  fanali(|ues  et  d'iispocrites.  Il  a   r;i||ii   Jes  faire  taire. 

I.  Édiluur,  Th.  l'ui-^bcl.  —  Vovcz  la  Icllrc  'tl.T. 


196  COHUE  SPOND  ANGE. 

C'est  un  service  que  j'ai  rendu  à  l'Académie  et  aux  lettres,  et  je 
vous  prie  de  croire  que  cela  ne  m'a  pas  beaucoup  coûté. 

J'ai  fait  partir  de  Saint-Claude  deux  petits  ballots  de  mes  rêve- 
ries, l'un  h  monsieur  le  premier  président,  l'autre  à  monsieur  le 
procureur  général.  Je  les  suppose  arrivés.  Je  vous  supplie,  mon- 
sieur, de  vouloir  bien  en  donner  avis  à  M.  de  Quintin  quand  vous 
le  verrez.  Je  ne  lui  écris  point.  Il  ne  faut  pas  lettres  inutiles  aux 
hommes  en  place.  Je  ne  demande  pas  que  monsieur  votre  fils 
m'honore  des  mômes  bontés  que  vous;  mais  je  me  flatte  qu'il  en 
aura  toujours  un  peu.  Je  sais  qu'il  est  digne  du  plus  respectable 
et  du  plus  aimable  des  pères.  Daignez  ne  me  pas  oublier  auprès 
de  M.  de  RulTcy  ;  il  m'a  paru  qu'il  a  un  cœur  fait  pour  vous. 

Mille  très-tendres  respects. 

Votre  contemporain  V. 

4io3.   —  A  M.   LE   BRUN. 

A  Ferney,  G  février. 

Mon  cher  correspondant  saura  que  le  lieutenant  de  police 
envoya  ordre  à  ce  nommé  Fréron,  il  y  a  un  mois,  de  venir  chez 
lui,  et  qu'il  lui  lava  sa  tête  d'âne,  au  sujet  de  M"'  Corneille.  C'est 
à  JVI""'  Sauvigny  1  que  nous  en  avons  l'obligation  ;  je  croyais  que 
M.  Le  Brun  en  était  instruit. 

J'attends  VAne  Uttcraire  -  avec  bien  de  l'impatience. 

ViQ?,  Anecdotes'^  sur  Fréron  sont  du  sieur  La  Harpe,  jadis  son 
associé,  et  friponne  par  lui.  Thieriot  m'a  envoyé  ces  Anecdotes 
écrites  de  la  main  de  La  Harpe. 

Voici  quelques  exemplaires  qui  me  restent.  On  m'assure  que 
tous  les  faits  sont  vrais. 

Le  d'Arnaud*  dont  vous  me  parlez,  monsieur,  a  été  nourri  et 
pensionné  par  moi,  à  Paris,  pendant  trois  ans.  C'était  l'abbé  Mous- 
sinot,  chanoine  de  Saint-Merrj,  qui  payait  la  rente-pension  que 
je  lui  faisais.  Je  le  fis  aller  à  la  cour  du  roi  de  Prusse  ;  dès  lors  il 
devint  ingrat  :  cela  est  dans  la  règle. 


1.  M""^  Berthier  de  Sauvigny,  femme  de  l'intendant  de  Paris,  sœur  de  Durey 
de  Morsan.  Voltaire  fut  en  correspondance  avec  elle. 

2.  L'Ane  littéraire,  ou  les  Aneries  de  M«  Aliboron,  dit  Fr.  (Fréron),  devait 
se  publier  tous  les  quinze  jours  par  cahier  de  72  pages  in-12.  Je  crois  que  la  col- 
lection se  compose  d'un  seul  volume  in-12  de  iv  et  129  pages,  que  j'ai  sous  les 
\  eux.  Le  Brun  en  était  l'auteur.  (B.) 

3.  Voyez  tome  XXIV,  paye  181. 

4.  Baculard  d'Arnaud. 


ANNÉE    1761.  197 

Je  suis  fôché  quo  l'avocat  '  de  M"'  Clairon  ait  fait  un  plat  livre, 
plus  fâché  qu'on  l'ait  brûlé,  et  plus  fùché  encore  que  notre  siècle 
soit  si  ridicule. 

Mille  tendres  amitiés. 

VOLT.MRE. 
4454.   —   A   M.    D  AMILA  VILLE. 


J'abuse  un  peu,  monsieur,  des  bontés  de  l'aimable  correspon- 
dant que  Dieu  m'a  donné  :  voici  encore  un  exemplaire  de  la 
lettre  al  signor  Albergati-,  avec  la  jolie  estampe  de  Gravelot, 

Voici  à  présent  tous  mes  besoins,  que  j'expose  à  votre  charité. 

Je  voudrais  que  .M.  de  Saint-Foix  pût  voir  la  lettre  à  M,  Alber- 
gati; c'est  une  petite  amende  honorable  qu'on  lui  doit.  Je  voudrais 
que  la  petite  vengeance  honnête  que  j'ai  prise  de  l'outrecuidant 
auteur  de  VExcellence  italienne^  fût  publique,  et- que  copie  colla- 
tionnée  fût  envoyée  aux  intéressés  dudit  mémoire.  Je  voudrais 
que  M.  Thieriot  n'atténuât  point  les  témoignages  d'estime  que  je 
dois  à  M.  Le  Brun*;  et  que  M.  Le  Brun  fît  punir  Martin  Fréron, 
non  pas  d'avoir  trouvé  son  ode  mauvaise,  mais  d'avoir  outragé 
personnellement  M.  Corneille,  sa  fille,  et  M'"^  Denis,  qui  daigne 
lui  donner  l'éducation  la  plus  respectable. 

Il  me  semble  que  tous  les  honnêtes  gens  devraient  se  liguer 
pour  obtenir  le  châtiment  de  Martin  :  car  enfin,  monsieur,  quelle 
famille  sera  en  sûreté  s'il  est  permis  à  un  folliculaire  d'entrer 
dans  le  secret  des  familles,  de  dire  qu'une  tille  de  condition  sort 
du  couvent  pour  être  élevée  par  un  bateleur,  d'insulter  au  mal- 
heur de  son  père,  de  dire  qu'il  vit  d'un  emploi  de  cinquante 
francs  par  niois^?  Si  l'on  abandonne  ainsi  l'honneur  des  familles 
à  l'insolence  d'un  gazctier,  il  faudra  se  faire  justice  soi-même. 

Je  prie  M.  Thieriot  de  vouloir  bien  m'envoyer  les  recueils  l.L*"'  : 
je  sais  bien  que  ces  petits  recueils  ne  sont  qu'un  artifice  d'éditeur 
pour  attraper  de  l'argent,  et  qu'il  est  même  fort  imporliiuMil  de 
vendre  en  détail,  en  des  in-i2,  ce  qui  se  trouve  dans  des  in-folio, 
mais  puis(iue  j'ai  H,  il  faut  bien  avoir  I. 


1.  Iluornc  de  La  Motlin.  Voyez  la  noto,  tome  WIV,  page  23'.». 

2.  Celle  da  23  décembre  1760.  n»  4387. 

3.  Doodali  de  Tovazzi.  Voyez  la  lettre  4i32. 

4.  Voyez  le  troisiùme  alinéa  do  la  lettre  ItiO. 
a.  Voyez  une  note  delà  lettre  '»3'20. 

0.  La  Buite  du  Recueil  A,  B,  C,  I),  etc.;  voyez  la  lettre  iiJC 


in  CORRESPONDANCE. 

J'ai  lu  le  roman  de  Houssoau,  mais  j'attends  avec  une  impa- 
tience extrême  celui  de  La  Popelinière^ 

Mille  tendres  amitiés  à  tous  les  frères;  je  les  prie  de  s'unir 
toujours  à  moi  dans  l'amour  de  Dieu  et  du  roi,  et  dans  la  haine 
des  hypocrites  et  des  fanatiques. 


4455.  —  A   M.  LE   COMTE   D'ARGEMAL 


De  profiindis  clamam.  J'ignore  tout  du  pied  de  mes  Alpes. 
Joue-t-on  Tancrhle?  Personne  ne  m'en  dit  mot.  Réussit-elle?  est- 
olle  tombée?  J'ai  vraiment  bien  pris  mon  temps  pour  écrire^  h 
M.  le  duc  de  Choiseul  ! 

C'était  bien  de  chansons  qu'alors  il  s'agissait! 

{La  Fontaine,  VII,  ix.) 

Le  voilà  donc  chargé  de  la  guerre  et  de  la  paix.  Deux  minis- 
tères à  la  fois!  Plus  de  plaisirs,  plus  de  soupers.  Il  est  mort,  s'il 
veut  allier  tout  cela.  Ce  qui  regarde  M""  Corneille  paraît-il  aussi 
important  à  mes  anges  qu'à  moi?  Ont-ils  le  temps  d'y  penser? 
N'ont-ils  pas  eux-mêmes  un  peu  d'affaires?  Je  ne  sais  par  quel 
oubli  je  n'ai  pas  répondu  à  Lekain.  Il  y  a  un  arrangement  pour 
Œdipe.  Eh  !  mon  cher  ange,  n'êtcs-vous  pas  le  maître  absolu  de 
tout?  à  quoi  sert  ma  voix?  Je  n'en  fais  usage  que  pour  vous 
regretter.  Oui,  tous  les  rôles  sont  bien  distribués;  oui,  tout  est 
bien.  Mais  M.  de  Richelieu  est-il  à  Versailles?  entrera-t-il  au  con- 
seil? et  maître  Omer,  que  fait-il  brûler?  quel  plat  et  calomnieux 
réquisitoire  fait-il  imprimer?  J'ai  cet  homme  en  tête.  J'aime  VEg- 
dcsiaste^;  le  roi  l'avait  lu  à  son  souper.  Il  fut  fait  pour  M""-  de 
Pompadour.  Et  un  Orner!...  Ah! 

Ce  petit  singe  à  face  de  Thersite  * 

doit  être  puni.  Que  je  hais  ces  monstres!  Plus  je  vais  en  avant, 
plus  le  sang  me  bout.  Le  roman  de  Jean-Jacques  excite  aussi  un 
peu  ma  mauvaise  humeur. 


1.  Voyez  lettre  4462. 

2.  Cette  lettre,  comme  tcant  d'autres  de  Voltaire  à  Choisciil,  est  restée  incon- 
nue. (Cl.) 

3.  Le  Précis  de  VEcclésiaste  ;  voyez  tome  IX. 

4.  Voyez  lettre  4i38. 


ANNÉE    1761.  199 

Ne  regrettez-vous  pas  le  chevalier  d'Aidie'?  Tous  nos  contem- 
porains s'en  vont.  Je  n'ai  que  deux  jours  à  vivre;  mais  je  les 
emploierai  à  rendre  les  ennemis  de  la  raison  ridicules. 

Je  baise  le  bout  de  vos  ailes  ;  mais  vos  yeux!  vos  yeux! 


UoG.  —   A   M.   D'ALEMBERT. 

A  Fcrncy,  9  février. 

Mon  cher  et  grand  philosophe,  vous  devenez  plus  nécessaire 
que  jamais  aux  fidèles,  aux  gens  de  lettres,  à  la  nation.  Gardez- 
vous  bien  d'aller  jamais  en  Prusse:  un  général  ne  doit  point 
quitter  son  armée.  J'ai  vu  un  extrait  de  votre  Discours-  à  l'Aca- 
démie :  en  vérité,  vous  faites  luire  un  nouveau  jour  aux  yeux 
des  gens  de  lettres.  Je  sais  avec  quelle  bonté  vous  avez  parlé  de 
moi;  j'y  suis  d'autant  plus  sensible  que  vous  me  couvrez  de 
votre  égide  contre  les  gueules  des  Cerbères  ;  mais  mon  intérêt 
n'entre  pour  rien  dans  mon  admiration.  Pouvez-vous  me  confier 
le  discours  entier?  Vous  savez  que  je  n'ai  pas  abusé  de  la  pre- 
mière faveur  '  ;  je  serai  aussi  discret  sur  la  seconde. 

M,  de  Maleshcrbes  insulte  la  nation  en  permettant  les  infùmes 
personnalités  de  Fréron  :  on  aurait  dû  lui  faire  déjà  un  procès 
criminel.  Ce  n'est  pas  de  M.  de  Malesherbes  que  je  parle.  De 
quel  droit  ce  malheureux  ose-t-il  insulter  M"-^  Corneille,  et  dire 
que  «  son  père,  qui  a  un  emploi  à  cinquante  francs  par  mois,  la 
tire  de  son  couvent  pour  la  faire  élever  chez  moi  par  un  bateleur 
de  la  Foire  »?  Lne  calomnie  si  odieuse  est  capable  d'empêcher 
cette  fille  de  se  marier.  Mon  cher  philosophe,  je  vous  jure  que 
nous  donnons  à  W'  Corneille  l'éducation  que  nous  donnerions  à 
une  -Montmorency  ou  à  une  Chùtillon,  si  on  nous  l'avait  confiée. 
Nous  y  mettons  nos  soins,  notre  honneur.  Si  ou  ne  punit  pas  ce 
Fréron,  on  est  bien  lâche.  J'espère  encore  dans  les  sentimculs 
^l'honneur  qui  animent  M.  Tilon  et  M.  Le  Brun.  Il  n'y  a  qu'à  faire 
signer  une  procuration  au  bonhomme  Corneille,  et  la  chose  ira 
d'elle-même. 

Vous  n'avez  pas  probablement  toute  l'Kpître*  d'Abraham  Chau- 

i.  V03CZ  une  note  de  la  leUie  iii5. 

2.  G(!  discours,  lu  à  l'Acadcrnic  française,  dans  une  séance  publique,  I»' 
19  janvier  1701,  est  intitulé  llcllcxiunx  sur  l'Histoire.  D'Alembort  y  faisait  un  plcgc 
indirect  et  délicat  de  Voltaire  arrachant  la  famille  du  (irand  Corneille  A  l  iiidi- 
fjence  où  elle  lanyuissail  ignorée.  (Ci,.) 

3.  Voyez  le  commencement  de  la  lettre  i  i2G. 
i.   L'LpUre  à  Daphné:  voyez  tome  X. 


200  COKKESPONDANCH. 

meix  à  M"-  Clairon.  Je  ne  crois  pas  qu'il  faille  la  publier  si  tôl  ; 
il  faut  attendre  du  moins  que  Ckiiron  soit  guérie,  et  Kréron 
châtié. 

Ne  mettrez-vous  point  Diderot  dans  l'Académie?  Personne  ne 
respecte  l'abbé  Le  Blanc  *  plus  que  moi;  mais  je  ne  crois  pas 
qu'avec  tout  son  mérite  il  doive  passer  devant  Diderot. 

Un  grand  homme  comme  lui  devrait  au  contraire  employer 
son  crédit  pour  procurer  à  M.  Diderot  cette  faible  consolation  de 
toutes  les  injustices  qu'il  a  essuyées.  Nous  remettons  tout  à  votre 
prudence  ;  vous  savez  agir  comme  écrire. 

Votre  Chaumeix  ne  s'appelle-t-il  pas  Sinon  dans  son  nom  de 
baptême?  N'cst-il  pas  détaché  par  quelque  Llysse,  et  Omer  n'est-il 
pas  dans  le  cheval  ? 

Il  y  a  des  gens  assez  malavisés  pour  dire  que 

Le  petit  singe  à  face  de  Thersite^ 

s'appelle  un  Omer  dans  le  pays  des  singes  :  voyez  la  méchanceté  ! 
Je  pense  que  voici  le  temps  de  faire  sentir  aux  pédants  en  rabat, 
en  soutane,  en  perruque,  en  cornette,  qu'on  les  brave  autant 
qu'on  les  méprise. 

Pour  moi,  qui  n'ai  que  deux  jours  à  vivre,  je  les  mettrai  à 
persécuter  les  persécuteurs  ;  mais  surtout  je  les  mettrai  à  vous 
aimer. 

44.57.  —  A  M.   LE  COMTE    D'ARGENTAL. 

9  février. 

Voici  la  plus  belle  occasion,  mon  cher  ange,  d'exercer  votre 
ministère  céleste.  Il  s'agit  du  meilleur  office  que  je  puisse  rece- 
voir de  vos  bontés. 

Je  vous  conjure,  mon  cher  et  respectable  ami,  d'employer 
tout  votre  crédit  auprès  de  M.  le  duc  de  Ghoiseul ,  auprès  de  ses 
amis;  s'il  le  faut,  auprès  de  sa  maîtresse,  etc.,  etc.  Et  pourquoi 
osé-je  vous  demander  tant  d'appui,  tant  de  zèle,  tant  de  vivacité, 
et  surtout  un  prompt  succès?  Pour  le  bien  du  service,  mon  cher 
ange;  pour  battre  le  duc  de  Brunswick.  M.  Gallatin,  officier  aux 
gardes  suisses,  qui  vous  présentera  ma  très-humble  requête,  est 
de  la  plus  ancienne  famille  de  Genève  ;  ils  se  font  tuer  pour 
nous,  de  père  en  fils,  depuis  Henri  IV.  L'oncle  de  celui-ci  a  été 


1.  Voyez  foine  \XXIV,  page  31. 

t.  Voyez  ]a  IrUre  a  d'Argeiilal,  du  30  janvier. 


ANNÉE   1761.  201 

tué  devant  Ostende  ;  son  frère  l'a  été  à  la  malheureuse  et  abomi- 
nable journée  de  Rosbacli,  à  ce  que  je  crois  ;  journée  où  les  réi^i- 
ments  suisses  firent  seuls  leur  devoir.  Si  ce  n'est  pas  à  Hosbacli. 
c'est  ailleurs;  le  fait  est  qu'il  a  été  tué.  Celui-ci  a  été  blessé:  il 
sert  depuis  dix  ans;  il  a  été  aide-major,  il  veut  l'être.  Il  faut  des 
aides-majors  qui  parlent  bien  allemand,  qui  soient  actifs,  intelli- 
gents: il  est  tout  cela.  Enfin  vous  saurez  de  lui  précisément  ce 
qu'il  lui  faut  ;  c'est  en  général  la  permission  d'aller  vite  chercher 
la  mort  à  votre  service.  Faites-lui  cette  grâce,  et  qu'il  ne  soit  point 
tué,  car  il  est  fort  aimable,  et  il  est  neveu  de  cette  M""  Calen- 
drin  »  que  vous  avez  vue  étant  enfant.  Madame  sa  mère  est  bien 
aussi  aimable  que  M""  Calendrin, 

4458.    —   A   M.    COLIM. 

Au  château  de  Ferncy.  9  février. 

Mon  cher  Colini,  vous  voilà  agrégé  au  nombre  des  bons  au- 
teurs*. Votre  livre  m'a  paru  très-bien  fait,  très-commode,  et  très- 
utile  :  je  vous  en  fais  mes  compliments  et  mes  remerciements. 
Je  donnerai  volontiers  les  mains  à  ce  que  vous  me  proposez  ^  cl 
à  tout  ce  qui  pourra  vous  être  agréable. 

Vous  m'avez  envoyé  une  traduction  d'opéra  *,  et  je  vous  envoie 
une  tragédie  ^  11  est  vrai  que  je  ne  prends  pas  souvent  la  liberté 
d'écrire  à  votre  adorable  maître  ;  mais  je  suis  vieux,  infirme,  et 
inutile  :  je  ne  dois  songer  qu'à  mourir  tout  doucement,  comme 
font  force  honnêtes  gens  qui  ne  sont  pas  plus  nécessaires  que  moi 
au  tripot  de  ce  monde.  Je  n'ai  guère  de  quoi  amuser  un  grand 
prince  du  fond  de  mes  retraites  entre  le  mont  Jura  et  les  Alpes  : 
mais  je  lui  serai  attaché  jusqu'au  tombeau,  et  je  vous  aimerai 
toujours. 


1.  Ou  Calandrini,  nommée  au  commencement  de  la  lettre  3580. 

2.  Colini  avait  envoyé  à  Voltaire  son  Discours  sur  l' Histoire  dWUemagti)'. 
1761. 

3.  Colini  avait  alors  l'intention  de  publier  une  ('-dition  des  OKu\tcs  ilo  Voltain^. 
Voyez  plus  Las  la  permission  que  celui-ci  lui  en  donna;  elle  est  imprimée  sous 
forme  de  lettre,  n"  'mJ2. 

i.  Voyez  lettre  4332. 
.').   Tancrède. 


a02  CORRESPONDANCE. 

ii59.  —  A  CHARLES-THÉODORE, 

KLECTEUR  PALATIN. 

P'crnc}-,  9  février. 

Ce  pauvre  vieillard  suisse,  cet  homme  si  trompé  dans  tous  les 
événements  qui  arrivent  depuis  quatre  ans,  ce  solitaire  si  attaché 
h  Votre  Altesse  électorale,  qui  voudrait  être  ù  vos  pieds,  et  qui  n'y 
est  pas;  cet  amateur  du  théâtre,  qui  aurait  pu  entendre  les 
heaux  opéras  représentés  dans  le  palais  de  Manheim,  et  qui  peut 
à  peine  représenter  le  rôle  du  vieillard  dans  Tancrède  chez  des 
Allohroges  calvinistes,  prend  la  liberté  de  mettre  aux  pieds  de 
Votre  Altesse  électorale  une  nouvelle  édition  de  ce  Tancrède,  dont 
il  eut  l'honneur  de  lui  envoyer  les  prémices.  La  tragédie  présente 
de  l'Europe  me  fait  verser  plus  de  larmes  que  Tancrède  n'en  a  fait 
répand  rc  à  Paris.  On  pleure  les  malheurs  publics  et  les  particuliers, 
et  voilà  à  quoi  l'on  passe  son  temps  dans  le  meilleur  des  mondes 
possibles.  La  Jérusalem  céleste,  où  j'aurai  l'honneur  d'aller  tenir 
mon  coin  incessamment,  nous  dédommagera  de  tout  cela,  et  ce 
sera  un  vrai  plaisir.  Ma  vraie  Jérusalem  serait  à  Schwetzingen. 

Je  me  mets  à  vos  pieds,  monseigneur,  avec  le  plus  profond 
respect. 

Le  petit  Suisse  V. 

4460.   —  DE  M.   LE   PRÉSIDENT   DE  BROSSES». 

Le  11  février  1761. 

Je  vois,  monsiour,  par  plus  d'une  preuve,  que  vous  vous  intéressez  très- 
vivement  au  sieur  Decroze,  et  aux  excès  et  mauvais  traitements  faits  à  son  flls 
par  le  sieur  Ancian,  curé  de  Moiins.  Je  ne  prends  pas  moins  d'intérêt  que  vous 
au  sieur  Decroze.  C'est  un  très-lionnôte  homme,  que  je  connais  et  que  j'aime 
depuis  fort  longtemps.  De  plus,  sa  plainte  est  juste,  et  le  curé  veut  en  vain 
couvrir  ses  violences,  si  extraordinaires,  du  prétexte  de  mettre  le  bon  ordre 
dans  sa  paroisse.  On  no  peut  assurément  plus  mal  s'y  prendre,  et  ce  n'est 
pas  à  des  remontrances  de  cette  espèce  que  le  fils  de  Decroze  devait  être 
exposé  de  la  part  du  curé,  s'il  se  trouvait  répréhensible  pour  être  allé  chez 
une  femme  de  mauvaise  vie,  chez  qui  d'ailleurs  il  ne  se  passait  en  ce  mo- 
ment ni  bruit  ni  scandale.  J'ai  pris  soin  de  me  faire  très-bien  informer  du 
fait  par  des  personnes  impartiales.  Je  vous  dirai  même  que  j'ai  vu  les  infor- 
mations qui  sont  les  seules  choses  que  les  juges  écoulent  en  pareille  matière; 
et  quoique  je  n'aie  pas  été  fâché  d'être  instruit  de  cette  manière  directe,  je 

1.  Éditeur,  Tli.  Foisset. 


ANNEE    17GI.  203 

n'ai  pas  laissé  que  de  beaucoup  gronder  celui  qui  était  en  état  de  les  mon- 
trer, car  en  cela  il  a  violé  la  règle,  dont  on  ne  doit  jamais  se  départir. 

Le  fait  me  paraît  clair  en  ce  qu'il  contient  :  il  est  grave,  et  peut-être  pré- 
médité; mais  vous  ne  devez  pas  douter  que,  lorsque  l'on  en  viendra  aux  con- 
frontations, les  accusés  ne  fassent  les  derniers  eflort-;  pour  faire  tomber  par 
des  reproches  les  principales  dépositions  des  témoins,  et  ompè.  lier  qu'elles 
ne  soient  lues  à  la  Tournello.  .le  vois  assez  d'avance  quels  sont  les  reproches 
bons  ou  mauvais  qu'ils  allégueront  contre  chacun.  Je  suis  très-fàché  do  la 
chaleur  et  de  la  cabale  que  j'apprends  qu'on  met  de  part  et  d'autre  dans  cette 
affaire.  Ceci  est  un  procès  criminel  comme  cent  mille  autres,  (jui  veut  être 
suivi  comme  tous  autres,  sans  déclamations  exlrajudicielles  qui  n'y  servent 
à  rien,  et  en  le  renfermant  dans  le  fait  même  et  dans  la  résolution  constante 
de  ne  pas  quitter  prise  que  l'on  n'ait  eu  justice  de  l'outrage. 

J'ai  appris  qu'il  y  avait  encore  plusieurs  témoins  qui  pouvaient  être  en- 
tendus dans  une  plus  ample  information,  et  que  vous  en  aviez  fait  venir 
quelques-uns  chez  vous,  où  ils  avaient  déclaré  ce  qu'ils  savaient.  J'en  suis 
fiiché,  et  je  ne  voudrais  pas  qu'on  pût  objecter  que  l'on  a  cherché  à  prati- 
quer d'avance  des  témoins,  qui  en  pareil  cas  doivent  être  d'une  impartialité 
complète  et  reconnue.  Trop  de  chaleur  nuit  souvent  aux  affaires,  et  ce 
serait  bien  fort  contre  votre  intention  si  celle  que  vous  montrez  pour  Decroze 
allait  par  malheur  procurer  cet  effet.  J'apprends  que  les  fugitifs,  sur  ce  (|u'ils 
ont  connu  sans  doute  que  le  bailliage  de  Gex  inclinait  fort  à  l'indulgence 
pour  le  curé,  étaient  venus  d'eux-mêmes  se  mettre  en  prison.  Leur  dé- 
claration, s'ils  étaient  fortement  pressés  par  le  juge,  comme  ils  devaient 
l'être,  et  comme  ils  le  seront  ici  à  la  Tournelle,  servirait  beaucoup  à  éclaircir 
s'il  y  a  eu  préméditation  et  complot  dans  cette  mauvaise  action,  comme  j'ai 
lieu  de  le  présumer  par  le  guet  que  Duby  faisait  à  la  porte  de  cette  fenuiio,  et 
par  une  autre  circonstance  de  fait  encore  plus  grave. 

L'affaire  va  bientôt  venir  à  la  Tournelle.  où  elle  fera  la  matière  d'une 
audience  pulilique.  C'est  Hi  qu'on  peut  donner  des  mémoires  et  dire  tout  ce 
qu'on  jugera  nécessaire  a  la  défense  de  la  cause.  Cette  audience  est  pour 
juger  préalablement  si  le  décret  d'ajournement  personnel  contre  le  curé 
répond  ou  non  aux  qualités  des  charges.  J'ai  vu  d'avance  sur  ceite  uffaire 
M.  le  président  de  Rochefort,  qui  est  le  chef  de  la  Tournelle.  Je  lui  ai  nette- 
ment exposé  le  fait  tel  rju'il  est,  et  je  lui  ai  remis  tous  les  mémoires  ma- 
nuscrits et  imprimés  que  j'avais  lii-dessns.  Le  sieur  Decroze  peut  être  certain 
que  je  suivrai  son  atfaire,  et  sans  relàciie. 

Vous  voudriez  que  Decroze  fit  assigner  le  père  jésuite  sur  le  refus  d'ab- 
solution fait  à  sa  fille.  Ci^tlo  démarche  |)Ourrail  i)lus  embarrasser  l'affaire 
quelle  n'y  servirait  peut-être.  La  matière  est  fort  délicate.  Quoique  la  con- 
duite.du  jésuite  soit  très-répréhensihle,  c'est  peut-être  ici  un  de  ces  cas  où 
il  devient  très-diflicile  d'y  mettre  ordre.  Je  serais  bien  en  peine  do  dire 
quelles  peines  1rs  lois  humaines  peuvent  infliger  ii  un  prêtre  qui  ne  veut  pas 
trouver  sa  pénitente  en  état  d'être  absoute.  La  malice  des  hommes  est  au- 
dessus  de  leur  sagesse,  et  il  y  a  bien  d'autres  cas  dunl  les  lois  ne  sauraient 
venir  a  bout. 


204  CORRESPONDANCE. 

Jo  no  vous  parle  plus  de  Charles  Baudy,  ni  des  quatre  moules  de  bois 
(lisez  quatorze;  c'est  un  chiffre  que  vous  avez  omis  :  nous  appelons  cela 
lapsus  linguœ).  J'ai  peut-Mre  m(^me  eu  tort  de  vous  en  parler,  car  il  est  vrai 
que  c'est  Charles  Baudy  qui  me  doit,  et  que  vous  ne  me  devez  rien,  mais  k 
lui,  de  qui  jo  me  ferai  payer,  et  qui  sans  doute  n'aura  nulle  peine  à  se  faire 
aussi  bien  payer  de  vous.  Si  je  vous  en  ai  parlé,  peut-ôtre  trop  au  long,  ce 
n'a  été  que  comme  ami  et  voisin,  en  qualité  d'homme  qui  vous  aime  et 
vous  honore,  n'ayant  pu  m'empôcher  de  vous  représenter  combien  cette 
contestation  allait  devenir  publiquement  indécente,  soit  que  vous  refusassiez 
à  un  paysan  le  payement  de  la  marchandise  que  vous  avez  prise  près  de  lui, 
soit  que  vous  prétendissiez  faire  payer  à  un  de  vos  voisins  une  commission 
que  vous  lui  aviez  donnée.  Je  ne  pense  pas  qu'on  ait  jamais  ouï  dire  qu'on 
ait  fait  à  personne  un  présent  de  quatorze  moules  de  bois,  si  ce  n'est  à  un 
couvent  do  capucins. 

J'ai  l'honneur  d'être,  avec  les  sentiments  les  plus  parfaits,  monsieur,  etc. 


—  A  M.   LE   COMTE   D'ARGENTAL. 


Voilà  le  cas  de  mourir;  tout  abandonne  Voltaire.  Voltaire  a 
écrit  deux  lettres  *  à  M.  le  duc  de  Ghoiseul  :  point  de  réponse. 
Je  lui  pardonne  ;  il  est  surchargé.  Petit-fils  Prault  n'a  pas  daigné 
ra'envoyer  un  Tancrède;  je  ne  lui  pardonne  pas.  Mais  que  mes 
anges  ne  m'instruisent  ni  delà  santé  de  M"''  Clairon,  ni  d'aucune 
particularité  du  tripot,  ni  du  retour  de  M.  de  Richelieu,  ni  de  la 
façon  dont  certaine  épître  dèdicatoire  ^  a  été  reçue,  ni  de  l'unique 
représentation  de  la  Chevalerie,  ni  du  Père  de  famille:  c'est  le 
comble  du  malheur.  A  quoi  dois-je  attribuer  ce  détestable  silence  ? 
Mon  cher  ange  a-t-il  toujours  mal  aux  yeux ,  comme  moi  à  tout 
mon  corps?  Le  secrétaire^  que  je  préfère  à  tous  les  secrétaires 
d'État  serait-il  malade  ou  serait-elle  malade?  Mes  anges  sont-ils 
absorbés  dans  la  lecture  du  roman  de  Jean-Jacques*,  ou  de  celui 
de  La  Popelinière ''?  Chacun  se  peint  dans  ses  romans.  Le  héros 
de  La  Popelinière  est  un  homme  auquel  il  faut  un  sérail  ;  celui 
de  Jean-Jacques  est  un  précepteur  qui  prend  le  pucelage  de  son 
écolière  pour  ses  gages.  Si  jamais  M.  d'Argental  fait  un  roman, 
il  prendra  pour  son  héros  un  homme  aimable  qui  saura  aimer, 


i.  Elles  sont  perdues. 

2.  Celle  de  Tancrède,  que  Voltaire  appelle  souvent  la  Chevalerie. 

3.  M'"»  d'Argental. 

4.  La  Nouvelle  Héloïse. 

5.  Voyez  la  lettre  suivante. 


ANNÉE    1701.  205 

mais  qui  laissera  languir  son  ancien  ami  dans  rattentc  dune 
de  ses  lettres. 

Hélas!  j'écris,  mais  avec  bien  de  la  peine;  ma  main  pèse 
deux  cents  livres,  ma  tête  aussi.  Je  ne  sais  ce  que  j'ai  ;  vrai- 
ment, je  suis  bien  loin  de  faire  une  tragédie.  La  vie  est  trop 
courte.  Puisse  la  viMrc  être  bien  longue,  ù  mes  divins  anges! 

4iG'2.   —  A   -M.    DE   LA   POPKLIM tlIlH  i. 

Au  château  de  Ferncj-,  pays  de  Gc.\,  lô  lévrier  17()l. 

J'aime  autant  les  romans  orientaux,  monsieur,  que  je  déleste 
les  romans  suisses*  :  recevez  mes  remerciements,  et  croyez  que 
mon  estime  pour  vous  est  égale  au  plaisir  que  vous  m'avez  fait. 
J'ai  dévoré  votre  Daïra^;  je  vais  la  faire  lire  à  W"  Corneille.  Je 
ne  peux  mieux  commencer  son  éducation.  On  dit  que  vous  avez 
eu  le  malbeur  d'être  loué  par  Fréron*.  Cela  est  triste;  mais  le 
suffrage  des  honnêtes  gens  doit  vous  consoler.  S'il  est  vrai, 
monsieur,  que  vous  ayez  fait  imprimer  vos  comédies,  je  vous 
prie  de  ne  me  point  oublier  dans  la  distribution  de  vos  grâces. 
Vous  devez  avoir  reçu  autant  de  compliments  que  vous  avez 
donné  de  Daïra.  Continuez,  monsieur,  à  cultiver  cette  aimable 
partie  de  la  littérature,  et  goûtez  longtemps  les  plaisirs  de  l'es- 
prit, après  avoir  goûté  tous  les  autres.  Vous  serez  connu  par  de 
beaux  ouvrages  et  de  belles  actions. 

J'ai  l'honneur  d'être,  avec  une  estime  et  un  attachement 
bien  véritables,  monsieur,  votre  très-humble  et  très-obéissant  ser- 
viteur. 

^  OLTAIRE. 
ii03.    —  A    M.    1J-:    IJHU.N. 

Au  château  de  Ferney,  ir>  février. 

11  y  a  longtemps,  monsieur,  que  je  ne  suis  surpris  de  rien; 
mais  je  suis  allligé  (ju'on  traite  si  légèrement  l'honneur  d'uni; 
famille  res|)ect;il)le.  8i  un  gentilhomme  en  ac,  arrivé  de  (lasrognc. 
voyait  sa  lille  insultée  dans  les  f<niilles  de  Fréron  ;  si  l'on  disait 

1.   Voyi-z  |;i  iiolc.'!,  loine  X.WIN,  iki-i;  i.t. 

-2.  1.(1  Nouvelle  lidoisc  di;  J.-J.  Il(.nss,ini. 

3.  Dairit,  liisloire  orieiUalc  en  tiualri'  parties,  17<)1,  deux  volumes  iii-1'2  :  on 
tira  virii:l-(inq  (ïxeinphiircs  in-8»  cl  deux  in-i".  Voltaire,  mal;,'ré  ce  (juMl  eu  écrit 
il  l'ttuteur,  n'en  faisait  aucun  cas;  voyez  la  tin  di'  la  lettre  il79. 

i.  Année  lUléraire,  17U1,  tome  I,  pagcB  1-iO. 


206  COllUliSl'OiNDANCE. 

d'elle  (fii'clle  est  élevée  par  un  bateleur  de  l'Opéra,  il  en  deman- 
derait vengeance  et  l'obtiendrait.  L'honneur  d'une  famille  n'a 
rien  de  commun  avec  de  mauvaises  critiques  littéraires.  Le  déni 
de  justice  dont  on  nous  menace  en  cette  occasion  n'est  qu'une 
suite  de  l'indigne  mépris  ([ue  la  nation  a  toujours  fait  des  belles- 
lettres  qui  font  sa  gloire.  Que  Fréron  dise  de  la  fille  d'un  con- 
seiller au  ChcUclet  ce  qu'il  a  dit  de  M"*^  Corneille,  il  sera  mis  au 
cachot,  sur  ma  parole;  mais  il  aura  outragé  la  descendante  du 
grand  Corneille  impunément,  parce  que  l'impertinence  française 
ne  considère  ici  que  la  parente  d'un  auteur  élevée  par  un  auteur. 
Telle  est,  monsieur,  la  manière  de  penser,  orgueilleuse  et  basse 
à  la  fois,  des  légers  citoyens  de  Paris. 

C'est  une  chose  honteuse  que  M.  de  Malesherbes  soutienne 
ce  monstre  de  Fréron,  et  que  le  Journal  des  Savants  ne  soit  payé 
que  du  produit  des  feuilles  scandaleuses  d'un  homme  couvert 
d'opprobre.  Mais  vous  m'ouvrez  une  voie  que  je  crois  qu'il  faut 
tenter,  c'est  celle  de  M.  le  comte  de  Saint-Florentin  :  il  hait  Fré- 
ron, il  protège  beaucoup  L'Écluse;  vous  avez  en  main,  monsieur, 
le  certificat  de  M""^  Denis,  celui  du  résident  de  France  à  Genève, 
la  procuration  de  L'Écluse  même.  Ne  pourriez-vous  pas  faire 
adresser  toutes  ces  pièces  à  M.  de  Saint-Florentin,  avec  une  lettre 
de  M.  Corneille,  qui  lui  représenterait  l'outrage  fait  à  lui  et  à  sa 
fille,  les  mots  :  de  belle  éducation  au  sortir  du  couvent  !  etc.  ;  mots 
qui  seuls  sont  capables  d'empêcher  cette  demoiselle  de  se  marier? 

Une  lettre  forte  et  touchante,  telle  que  vous  savez  les  écrire, 
ferait  peut-être  quelque  elTet,  Il  est  certain  que  si  cette  démarche 
est  sans  succès,  elle  n'est  pas  dangereuse  :  il  est  donc  clair  qu'on 
la  doit  faire. 

Le  pis  aller  après  cela,  monsieur,  serait  de  livrer  ce  coquin  ci 
l'indignation  du  public,  en  démontrant  sa  calomnie.  L'Écluse  est 
un  homme  de  cinquante  ans,  très-raisonnable,  et  qui  a  de  l'es- 
prit ;  mais  nous  sommes  éloignés  de  lui  confier  l'éducation  de 
M"*"  Corneille.  Je  vous  répète,  monsieur,  que  nous  avons  pour 
elle  les  soins  et  les  égards  que  nous  aurions  pour  une  Montmo- 
rency ;  que  nous  y  mettons  notre  gloire.  Non-seulement  M"''  Cor- 
neille est  devenue  notre  fille,  mais  nous  la  respectons.  Et  une 
preuve  de  nos  attentions,  c'est  qu'elle  ne  sait  rien  de  l'indigne 
outrage  que  le  dernier  des  hommes  a  osé  lui  faire. 

Je  ne  vous  écris  point  de  ma  main,  parce  que  j'ai  un  peu  de 
goutte. 

J'ajoute  seulement,  monsieur,  que  si  M.  de  Saint-Florentin 
ne  punit  pas  le  coquin,  si  vous  dédaignez  de  lui  donner  cent 


AN.NEt;    I7G1.  207 

coups  de  bâton  en  présence  de  M.  Corneille  le  père,  ce  sera  tou- 
jours au  moins  une  petite  consolation  de  démontrer  dans  tous 
les  journaux  qu'il  n'est  qu'un  lâche  calomniateur. 

Je  vois  bien  qui  sont  les  gens  dont  vous  me  parlez,  qui  se 
donnent  le  petit  plaisir  de  faire  aboyer  ce  misérable;  mais  les 
jésuites  ont  très-grand  tort  avec  moi  :  il  ne  tenait  ([u  a  eux  de 
faire  taire  leur  frère  licrthier;  les  rieurs  ne  sont  pas  pour  eux, 
et  je  fais  pis  que  de  me  moquer  d'eux,  puisque  je  viens  de  les 
chasser  d'un  domaine  qu'ils  avaient  usurpé  sur  des  orphelins. 
C'est  toujours  quelque  chose  d'avoir  fait  une  telle  blessure  à  une 
des  têtes  de  l'hydre.  Puissent  les  fanatiques  et  les  hypocrites 
être  écrasés  !  Mais  quand  on  ne  peut  les  exterminer,  il  faut  vivre 
loin  d'eux.  Cependant  il  est  dur  d'être  en  même  temps  loin  de 
vous. 

Votre  très-humble  et  très-obéissant  serviteur. 

VOLTAIliE. 
4464.  —  A    M.   DUPONT. 

Aux  Délices,  15  février. 

Mon  cher  Dupont,  je  vous  plains  bien  d'être  où  vous  êtes  : 
vous  avez  trop  d'esprit  pour  être  heureux  à  Colmar.  Que  n'êtes- 
vous  à  la  place  des  sots  dont  Paris  abonde!  Vous  nous  en  dé- 
feriez. 

Voici  deux  petits  rogatons^  pour  vous  amuser  :  c'est  tout  ce 
([u'on  m'a  envoyé  do  plus  nouveau. 

Adieu.  Croyez  bien  fermement  que  je  vous  aimerai  toute  ma 
vie.  \. 

iiOfi.   —   A    M.    LE    CO.NSLilLLEU    LIv    liAULT». 

Au\  Délices,  10  février  1701. 

Vous  me  permettrez,  monsieur,  de  vous  importuner  sur  la 
malheureuse  allaire  du  sieur  Decroze.  Il  joint  à  la  douleur 
d'avoir  vu  son  fils  prêt  de  mourir  par  un  assassinat,  celle  de  voir 


1.  Probablement  les  Lellrcs  sur  lu  iXuuvelle  llclutse  et  les  Anecdotes  sur 
Fréron  ;  voyez  tome  XXIV. 

2.  Kdileiir,  de  Mandat-Granccy.  —  Pareille  lettre,  dans  la  piiblicatiuii  de 
M.  Foissct  sur  Voltaire  et  le  président  de  Brosses,  est  adressée  à  M.  de  Ruffey. 
Aussi  cette  pièce  cst-clle  eu  entier  de  la  main  d'un  sccrétairo,  mais  si,:,'née.  puis 
datée  par  Voltaire  lui-mC'ine,  qui  l'a  certainement  relue.  {Sole  du  iircimer  édi- 
teur.) 


Î08  COHUE  S  POND  ANGE. 

l'assassiu  triompher  de  son  affliction  ;  il  est  soutenu  par  une 
cabale  puissante  contre  un  pauvre  homme  sans  secours,  qui  n'a 
ni  assez  d'intelligence,  ni  peut-être  assez  de  fortune  pour  le  suivre 
dans  les  détours  de  la  chicane  la  plus  odieuse  et  la  plus  longue. 
Ce  curé,  assez  connu  à  Dijon  par  une  foule  de  procès  qu'il  y  est 
venu  soutenir,  attend  que  les  cicatrices  des  plaies  faites  au  jeune 
Decrozc  puissent  être  fermées,  afin  qu'il  paraisse  que  les  bles- 
sures n'ont  été  que  légères,  et  que  l'assassinat  passe  pour  une 
simple  querelle.  Mais  je  peux  vous  assurer  que  le  temps,  qui  est 
le  seul  refuge  du  curé,  laissera  toujours  paraître  les  preuves  de 
son  attentat.  Le  crâne  a  été  ouvert,  et  le  lieutenant  criminel  lui- 
même  a  vu  le  malade  en  danger  de  mort  :  je  l'ai  vu  moi-même 
en  cet  état.  J'apprends  que  le  curé  a  ap])elé  du  décret  d'ajourne- 
ment personnel  et  de  prise  de  corps  rendu  à  C.ex.  Il  fonde  ses 
malheureuses  défenses  sur  une  méprise  qu'on  dit  être  dans  les 
dépositions.  On  a  déposé  en  effet  que  ledit  curé  avait  été  boire 
chez  M""^  Curdet,  le  27,  veille  de  l'assassinat,  et  il  se  trouve  que 
ce  n'est  que  le  26  ;  mais  cette  erreur  de  date  n'emporte  point  une 
erreur  de  fait,  et  cette  petite  méprise  est  aisément  corrigée  au 
récolement  et  aux  confrontations. 

Il  se  fonde  encore  sur  la  mauvaise  réputation  de  la  dame 
Burdet,  chez  laquelle  l'assassinat  s'est  commis,  et  qu'il  a  frappé 
lui-même.  Mais  si  la  dame  Burdet  est  une  femme  diffamée,  pour- 
quoi allait-il  boire  chez  elle?  Pourquoi  part-il  d'une  demi-lieue 
de  sa  maison  pour  aller  à  dix  heures  du  soir  chez  cette  femme 
avec  des  gens  armés?  Il  a  l'audace  de  dire  que  c'était  pour  arrê- 
ter le  scandale,  mais  est-ce  à  lui  d'exercer  la  police?  L'exerce-t-on 
à  coups  de  bâton  ?  Lui  est-il  permis  d'entrer  par  force  pendant 
la  nuit  chez  une  ancienne  bourgeoise  du  lieu,  très-bien  alliée, 
qui  soupait  paisiblement  avec  ses  amis?  Les  violences  précédentes 
de  ce  curé,  le  procès  qui  lui  fut  intenté  par  le  notaire  Vaillet, 
pour  avoir  donné  des  coups  de  bâton  à  son  fils,  ses  querelles  con- 
tinuelles, son  ivrognerie,  qui  est  publique,  ne  sont-elles  pas  des 
présomptions  frappantes  qu'il  n'était  venu  chez  la  dame  Burdet 
que  dans  le  dessein  qu'il  a  exécuté.  Une  irruption  faite  pendant 
la  nuit,  avec  des  hommes  armés,  dans  une  maison  paisible, 
peut-elle  être  regardée  comme  une  rixe  ordinaire?  Un  laïque, 
en  pareil  cas,  ne  serait-il  pas  dès  longtemps  dans  les  fers? 

Cependant  ce  prêtre,  aussi  artificieux  que  violent,  soulève  le 
clergé  en  sa  faveur.  L'évêque  de  Genève  soutient  que  c'est  à  lui 
seul  de  le  juger,  qu'il  n'est  pas  permis  aux  juges  séculiers  de 
connaître  des  délits  d'un  prêtre,  et  qu'il  n'est  coupable  que  d'un 


AXNEH    1761.  209 

zolc  un  ppu  inconsidéré  :  on  inliniide  le  pauvre  Dccroze  ;  on 
emploie  le  profane  et  le  sacré  pour  lui  l'ernier  la  bouche,  et  enfin 
le  jésuite  Fessy  a  porté  l'abus  de  son  ministère  jusqu'à  refuser 
l'absolution  à  la  sœur  de  l'assassiné  jusqu'à  ce  qu'elle  portât  son 
père  et  son  frère  à  se  désister  de  leurs  justes  poursuites.  Ce 
malheureux  curé  du  village  de  Moèns,  s'imaginant  très-fausse- 
ment que  c'était  moi  seul  qui  encourageais  un  père  malheureux 
à  demander  vengeance  du  sang  de  son  fils,  a  porté  les  habitants 
de  son  village  à  me  couper  la  communication  des  eaux,  et  m'a 
fait  proposer  de  me  donner  le  double  des  eaux  qu'on  voulait 
m'ôter  si  je  pouvais  obtenir  de  Decroze  un  désistement.  L'évéque 
m'a  chanté  en  propres  termes  que,  pour  quelques  gouttes  de 
sang,  il  ne  fallait  pas  faire  tant  de  vacarme.  Voilà  l'état  où  sont 
les  choses,  et  sans  la  justice  du  parlement  de  Bourgogne,  tout 
le  pauvre  petit  pays  de  Gex  serait  dans  le  plus  déplorable  boule- 
versement. 

J'ai  l'honneur  d'être,  avec  beaucoup  de  respect,   monsieur, 
votre  très-humble  et  très-obéissant  serviteur. 

Voltaire. 


4iGG.   —  A  M.   LE    COMTE    D'ARGENT  AL. 

1<>  février. 

Ce  n'est  pas  aux  yeux  que  j'ai  mal,  c'est  à  la  main  écrivante. 
On  dit  que  j'ai  la  goutte,  mes  divins  anges,  et  que  je  suis  le  plus 
maigre  des  goutteux.  Non,  ce  n'est  pas  moi  qui  ne  réponds  point 
aux  articles  des  lettres,  c'est  vous,  vous  qui  parlez.  Je  n'avais 
oublié  que  l'article  d'OE'^/iy^cetj'ai  réparé  bien  vite  celle  omission. 

Mais  vous,  avez-vous  répondu  à  mes  justes  plaintes  contre 
Prault  pelit-ûls,  qui  n'a  pas  seulement  daigné  m'envoyer  un 
exemplaire  de  sa  petite  drôlerie  de  Tancrcde?  M'avez-vous  dit  un 
mot  du  Père  de  famille^  Si  vous  aviez  daigné  m'instruire  de  la 
maladie  de  M.  de  Belle-Isle,  je  n'aurais  pas  pris  sottement  ce 
temps-là  pour  importuner  M.  le  dur,  de  Cliojscul  de  iiios  facéties. 
J'ai  si  bien  pris  mon  temps  ipril  ne  m'a  poini  fail  de  réponse; 
mais  n'allez  pas  l'imiler. 

Je  ne  suis  pas  excessivement  couiciit  de  \\"  d,.  Pompadodi-', 
mais  aussi  je  ne  suis  |)as  fàcln-  coiitn'  elle  ;  je  iroinc  sculcnicnl 
lu  Musc  litiioiuuliirc  i)lus  attentive  ipi  elle. 

I.  Oui  •,'arcJîiii  lu  '•il.MH-i:  sur  la  (l.'ulicaco  à  ollu  failc  de  Tancrètlc. 
4L  —  CoiiiiEsiM).\i)A\i;i:.  I\.  14 


"210  GOIUIESPONDANCI'. 

J'ip^norc  aussi  si  M.  le  duc  de  lîicliclieu  est  à  Versailles.  C'est 
encore  un  de  nos  liomnies  exacts,  qui  vous  écrivent  une  lettre  de 
huit  pages,  et  qui  vous  laissent  là  des  années  entières. 

Acharnement  pour  raiïaire  du  curé^?  non;  vivacité?  oui.  Et 
puis,  quand  j'ai  rendu  ce  service  à  l'Église,  je  fais  un  chant  de 
la  Pucelle. 

Je  n'ai  point  trouvé  d'autre  façon  de  ri-pondre  à  tous  les  fa- 
quins qui  m'accusent  de  n'être  pas  bon  chrétien,  que  de  leur 
dire  que  je  suis  meilleur  chrétien  qu'eux.  Je  fais  plus,  je  le 
prouve;  mais  mon  christianisme  ne  va  pas  jusqu'à  pardonner  à 
Orner.  Je  n'ai  point  de  fiel  contre  Fréron  ;  c'est  à  lui  à  me  détester, 
puisque  je  l'ai  rendu  ridicule-,  et  que  je  l'ai  fait  bafouer  de  Paris 
à  Vienne.  J'aurais  voulu,  il  est  vrai,  pour  mon  divertissement, 
qu'on  lui  eût  fait  dire  deux  mots  par  le  lieutenant  criminel,  au 
sujet  de  M""  Corneille  ;  si  cela  ne  se  peut,  il  faut  tâcher  de  prendre 
une  autre  route.  M.  Corneille  père  peut  se  plaindre  à  M.  de  Saint- 
Florentin  ;  j'en  écris  à  M.  Le  Brun.  Il  est  bon  de  tenter  toutes 
les  voies  :  car  ce  n'est  pas  assez  de  rendre  Fréron  ridicule  ;  l'écra- 
ser est  le  plaisir.  J'ai  quelque  maltalent  contre  M.  de  Malesherbes, 
qui  protège  les  feuilles  de  ce  monstre  ;  mais  toutes  ces  belles 
passions  s'anéantissent  devant  la  haine  cordiale  que  je  porte  à 
l'impudent  Orner.  Cependant  la  violence  de  cette  juste  haine 
peut  céder  à  la  raison  ;  et  puisque  je  ne  peux  lui  couper  la  main 
dont  il  a  écrit  son  infâme  réquisitoire',  qu'on  lui  a  dicté,  je  l'a- 
bandonne à  sa  pédanterie,  à  son  hypocrisie,  à  sa  méchanceté 
(le  singe,  et  à  toute  la  noirceur  de  son  noir  caractère.  Que  le 
Panta-odai'^  reste  un  ouvrage  de  société  entre  les  mains  de  trois 
ou  quatre  personnes  ;  que  M""  Clairon  n'en  ait  pas  même  d'exem- 
plaire, et  que  le  plus  profond  mépris  fasse  place  à  ma  juste 
colère,  colère  d'autant  plus  véhémente  que  je  l'ai  couvée  un  an 
entier. 

Mes  anges,  si  j'avais  cent  mille  hommes,  je  sais  bien  ce  que 
je  ferais  ;  mais  comme  je  ne  les  ai  pas,  je  communierai  à  Pâques, 
et  vous  m'appellerez  hypocrite  tant  que  vous  voudrez.  Oui, 
pardieu,  je  communierai  avec  M-^^  Denis  et  M'""  Corneille,  et, 
si  vous  me  fâchez,  je  mettrai  en  rimes  croisées  le  Tantuni  ergo^. 


1.  Voyez  tome  XXIV,  page  161. 

2.  Par  la  comédie  de  l'Ecossaise. 

3.  Contre  le  Précis  de  l'Ecclésiaste;  voyez  ci-dessus,  page  198. 

4.  L'Èpître  à  Daphné,  tome  X. 

5.  Premiers  mots   de  l'avant-dernier  verset  de  la  prose  du  Saint-Sacrement, 
par  lesquels  on  désigne  le  plus  souvent  cette  prose. 


ANNÉE    1701.  211 

Je  m'aperçois  que  cette  lettre  est  plus  brûlabie  que  VEcclé- 
siasle;  ainsi  je  vous  supplie  de  vous  souvenir  do  moi  au  coin  de 
votre  cheminée. 

A  propos,  qui  vous  a  dit  que  je  faisais  une  tragédie?  Je  suis 
fùché  de  vous  ôter  cette  douce  illusion.  Cette  lanterne  vient  de 
ce  que  M"'^  Denis,  qui  est  toujours  folle  du  DroU  du  Seigneur, 
avait  mandé  àsasœur  que  nous  jouerions  quelque  chose  de  nou- 
veau et  de  merveilleux,  mais  sans  lui  dire  de  quoi  il  était  ques- 
tion. Gardez-moi,  je  vous  prie,  un  éternel  secret,  mes  divins 
anges,  sur  ce  Droit  du  Seigneur,  qui  m'enchante. 

Pour  Fanime,  je  la  regarderai  toute  ma  vie  comme  un  ouvrage 
médiocre  ;  et  ce  beau-fils  qui  rend  Fanime  à  son  père,  pour  s'en 
débarrasser,  me  paraîtra  toujours  un  des  i)lus  plats  personnages 
qui  aient  jamais  existé.  Il  y  a  des  morceaux  touchants,  d'ac- 
cord :  on  y  pleure,  je  le  passe  ;  mais  je  ne  juge  point  d'un  visage 
par  un  nez  et  par  un  menton  :  je  veux  du  tout  ensemble.  Vive 
Tancrède!  cette  pièce  me  paraît  bien  faite,  neuve,  singulière. 
Cependant  nous  verrons  ce  que  je  pourrai  faire  pour  obéir  ù 
vos  ordres,  au  saint  temps  de  Pâques.  Et  la  dissertation  ^  contre 
ces  barbares  Anglais,  vous  n'en  parlez  pas?  Mes  divins  anges, 
je  vous  regarde  comme  la  consolation  et  l'honneur  de  ma  \ie. 

Je  suis  bien  faible  ;  mais  je  vous  aime  fortement. 

18  fcviier. 

Tenez,  mes  gloutons,  vous  demandiez  une  tragédie,  voila  un 
chant*  de  la  Puceile  :  c'est  envoyer  une  grive  à  des  gens  (pii 
veulent  manger  un  dindon  ;  mais  on  donne  ce  qu'on  a. 

Tenez,  voilù  encore  des  Lettres^  sur  le  roman  de  Jean-Jacques  : 
mandez -moi  qui  les  a  faites,  ô  mes  anges,  qui  avez  le  nez  lin  1  Et 
le  Pire  de  famille,  qu'est-il  devenu? 

iiOT.    —   A    M.    DAMILAN  ILIj;. 

JS  ffM-icr. 

Je  salue  tendrement  les  frères,  j'élève  mon  cœur  ii  eux,  et  je 
prie  Dieu  [)Our  le  succès  du  Perc  de  famille. 

J'envoie  aux  frères  une  petite  cargaison  conlenanl  un  cliaiil 
(le  la  Pucellc,  et  les  Lettres  sur  la  Aourclle  Jlrloisc  ou  Aluïsia  de 


1.  L'Appela  toutes  les  nations,  voyci  tume  \\1\,  pa-c  101. 

-.  I^c  XIX",  celui  do  JJorollit'i'. 

J.  Voyez  CCS  Lettres  sur  la  .\uuvclle  Ilcluisc,  luiiie  .\.\1V,  pugv  Kl."». 


212  CORRESPONDANCE. 

.Ican-JtuMiiics,  nuxquolles  M.  le  marquis  de  Ximcnès  n'a  faitimlle 
(liriiciillé  de  mettre  son  nom,  attendu  qu'il  ne  craint  pas  plus 
Joan-Jacques  que  Jean-Jacques  ne  semble  craindre  ses  lecteurs. 
La  Nouvelle  Hèloïse  et  Dah'a  m'ont  fait  relire  Zaytle  :  qu'on  fasse 
quelque  nouvelle  tragédie,  je  relirai  Racine. 

J'ai  demandé  à  M.  Thieriot  les  recueils  I,  K,  L,  M,  N^  ;  il  faut 
bien  que  j'aie  tout  l'alphabet.  Je  suis  très-fâché  qu'il  y  ait  une 
ville  en  France,  nommée  Paris,  où  il  soit  permis  h  un  Fréron 
d'insulter  l'héritière  du  nom  de  Corneille  ;  on  ne  m'écrit  sur  cela 
que  des  lanternes.  Si  Fréron  en  avait  dit  autant  de  la  petite-fille 
d'un  laquais  dont  le  père  fût  conseiller  du  parlement  ou  de  la 
cour  des  aides,  on  mettrait  Fréron  au  cachot.  Il  est  digne  de  ceux 
qui  laissaient  mourir  de  faim  la  cousine  de  Cinna  de  ne  la  pas 
venger  :  cela  redouble  mon  mépris  pour  les  bourgeois  qui  font 
le  gros  dos  parce  qu'ils  ont  un  ofiice. 

Je  prie  instamment  M.  Thieriot  de  mettre  au  cabinet  VÉpître 
d'Abraham  Chaumeix  à  M""  Clairon.  Ce  n'est  pas  qu'on  craigne 

Le  petit  singe  à  face  do  Tliersite-, 
Au  sourcil  noir, 

et  au  cœur  noir  ;  on  a  pour  lui  autant  d'horreur  que  pour  Fréron. 
C'est  dommage  qu'un  aussi  insolent  etaussi  absurde  persécuteur 
ne  soit  puni  que  par  des  vers  et  par  l'exécration  publique;  il  est 
bien  heureux  d'avoir  affaire  à  des  philosophes  qui  ne  peuvent  se 
venger  que  par  le  mépris.  Je  voudrais  l)ien  voir  un  de  ces  fa- 
quins, si  fiers  de  leurs  petites  charges,  voyager  dans  les  pays 
étrangers  :  il  ferait  une  plaisante  figure  à  côté  d'un  homme  de 
mérite. 

4468.  —  A  M.   LE    BRUA. 

Au  château  de  f'erney,  19  février. 

Plus  j'y  fais  réflexion,  plus  je  suis  sûr,  monsieur,  que  nous 
ne  trouverons  personne  à  Paris  qui  prenne  intérêt  à  M"^  Corneille 
et  à  son  nom  ;  vous  ne  trouverez  que  ceux  qui  ont  été  outragés 
par  Fréron  assez  justes  pour  le  poursuivre  ;  les  autres  en  rient. 
Dites  à  un  de  vos  amis  qu'on  vient  de  faire  un  libelle  contre 
vous,  la  première  idée  qui  lui  viendra  sera  de  vous  demander 
où  il  se  vend,  et  s'il  est  bien  salé. 


1.  Voyez  une  note  de  la  lettre  ii20. 

2.  Voyez  lettre  4438. 


ANNKE    17GI.  213 

Je  pense  que  ce  qu'il  y  aurait  de  plus  honnête,  de  plus  doux, 
et  de  plus  modéré  à  l'aire,  ce  serait  d'assommer  de  coups  de  bù- 
toD  le  nommé  Fréron  à  la  porte  de  M.  Corneille.  Le  second  parti 
est  celui  que  j'ai  eu  l'honneur  de  vous  proposer,  c'est  que  vous 
vouliez  bien  dicter  une  requête  à  xM.  Corneille  pour  le  lieutenant 
criminel.  .\'est-il  pas  en  droit  d'attendre  quelque  attention  pour 
son  nom?  n'esl-il  pas  en  droit  de  dire  qu'il  demande  ré[)aration 
de  l'insulte  faite  à  sa  fille  et  à  lui?  On  lui  reproche,  dans  des 
lignes  diffamatoires,  d'avoir  fait  sortir  sa  fille  du  couvent  pour 
la  faire  élever  par  un  l)ateleur  de  la  Foire.  Il  est  (aux  que  ce 
L'Écluse  ait  été  bateleur;  il  est,  depuis  vinj^t  ans,  chirurgien  du 
roi  de  Pologne;  il  est  faux  qu'elle  soit  élevée  par  lui  ;  il  est  faux 
qu'elle  soit  dans  la  maison  où  le  calomniateur  suppose  qu'il  est; 
il  est  faux  que  le  sieur  L'Écluse  soit  môme  venu  dans  cette  mai- 
son depuis  plus  de  cinq  mois.  M""  Corneille  est  dans  la  maison 
la  plus  honnête  et  la  plus  réglée,  auprès  d'un  vieillard  presque 
septuagénaire,  qui  lui  a  assuré  tout  d'un  coup  de  quoi  être  à 
l'abri  de  l'indigence  le  reste  de  sa  vie;  elle  est  auprès  d'une  dame 
de  cinquante  ans,  qui  lui  tient  lieu  de  mère,  et  qui  ne  la  perd 
pas  un  instant  de  vue.  Un  homme  très-estimable,  qui  a  servi  de 
précepteur  à  M""^  la  marquise  de  Tessé,  veut  bien  à  présent  lui 
donner  des  leçons.  Elle  mérite  tous  les  soins  qu'on  prend  d'elle  ; 
son  cœur  paraît  digne  de  l'esprit  de  son  grand-oncle,  et  je  vous 
assure  qu'on  ne  peut  avoir  une  conduite  plus  noble  et  plus 
décente  que  la  sienne. 

Voilà,  monsieur,  l'éducation  de  bateleur  qu'on  lui  donne.  Le 
père  du  grand  Corneille  était  noble;  M"'  Corneille  a  près  de  deux 
cents  ans  de  noblesse  ;  elle  est  alliée  aux  plus  grandes  maisons 
du  royaume,  et  on  la  laisse  outrager  impunément  dans  des 
lignes  diffamatoires  d'un  Fréron  ;  et  des  gens  ont  la  bêtise  de 
m'écrire  que  je  dois  mépriser  les  petits  traits  que  Fréron  a  la 
bonté  de  me  décocher,  comme  si  c'était  moi  dont  il  s'agît  dans 
cette  affaire,  comme  si  j'étais  une  jeune  demoiselle  à  marier! 

Ah!  monsieur,  croyez  que  dans  nos  affaires  les  hommes  nous 
conseillent  fort  mal,  parce  qu'ils  ne  se  mettent  jamais  à  notre 
place  :  il  ne  faut  prendre  de  conseil  que  de  soi-même,  et  des  cir- 
constances où  l'on  se  trouve, 

il  n'est  point  du  tout  hors  (ra|)|)arenc(' ipi'il  se  prc'senle  Itieii- 
tôt  un  parti  pour  Al"'  Corneille;  et  je  |)(mi\  \oiis  assurer  (|ue  les 
feuilles  de  Fréron,  ([u'on  lit  dans  les  |)ro\iiices.  lui  feront  grand 
tort,  et  |)()urronl  empêcher  son  élahlissemenl.  .le  ne  vous  avance 
rien  ici,  monsieur,  sans  de  très-jiisles  raisons.  Voyez  donc  s'il 


2U  CORRESPONDANCE. 

n'est  pns  ronvonabic  que  le  père,  qui  nous  a  confié  sa  fille,  re- 
pousse liaiitenient  les  bruits  qui  la  désbonorent? 

11  est  indubitable  que  le  lieutenant  de  police  fera  comparaître 
le  coquin,  et  cette  scène  produira  une  relation  de  vous  qu'on 
pourra  mettre  dans  tous  les  papiers  publics.  Elle  sera  vraie,  elle 
sera  foi'le  et  toucbanle,  parce  que  vous  l'aurez  faite.  Elle  con- 
vaincra Fréron  de  calomnie,  et  décréditera  ses  indignes  feuilles, 
indignement  soutenues  par  M.  de  Maleslierbes. 

Pardonnez,  monsieur,  si  je  dicte  toutes  mes  lettres:  mon  étal 
est  bien  languissant;  mais  je  me  sens  encore  de  la  chaleur  dans 
le  cœur,  et  surtout  pour  vous,  à  qui  je  dois  les  sentiments  de  la 
plus  tendre  estime. 

De  tout  mon  cœur,  votre  très-humble  et  très-obéissant  ser- 
viteur. 

Voltaire. 


4409.  —  A  MADAME   D'ÉPINAI. 

A  Fcincv,  le  19  février. 

Quoique  ma  belle  philosophe  n'écrive  qu'à  des  huguenots, 
cependant  un  bon  catholique  lui  envoie  ces  petites  Lettres^.  On 
suppose,  en  les  lui  envoyant,  qu'elle  est  très-engraissée  ;  si  cela 
n'est  pas,  elle  peut  passer  la  page  20,  où  l'on  reprend  un  peu 
vivement  l'ami  Jean-Jacques  d'avoir  trouvé  que  les  dames  de 
Paris  sont  maigres  ;  il  ajoute  qu'elles  sont  un  peu  bises,  mais 
comme  ma  belle  philosophe  nous  a  paru  très-blanche,  elle  pourra 
lire  cette  page  20  sans  se  démonter;  à  l'égard  des  autres  pages, 
elle  en  fera  ce  qu'elle  voudra. 

On  se  flatte  que  le  Père  de  famille  a  été  joué,  et  qu'il  l'a  été 
avec  succès  ;  ce  succès  est  bien  nécessaire  et  bien  important  :  il 
pourrait  contribuer  à  mettre  Diderot  de  l'Académie  ;  ce  serait  une 
espèce  de  sauvegarde,  contre  les  fanatiques  et  les  hypocrites  de 
la  ville  et  de  la  cour,  qui  blasphèment  la  philosophie  et  qui  in- 
sultent à  la  vertu.  Pour  Jean-Jacques,  ce  n'est  qu'un  misérable 
qui  a  abandonné  ses  amis,  et  qui  mérite  d'être  abandonné  de 
tout  le  monde.  Il  n'a  dans  son  cœur  que  la  vanité  de  se  montrer 
dans  les  débris  du  tonneau  de  Diogène,  et  d'ameuter  les  passants 
pour  leur  faire  contempler  son  orgueil  et  ses  haillons.  C'est 
dommage,  car  il  était  né  avec  quelques  demi-talents,  et  il  au- 

1.  Sur  la  Nouvelle  Iléloïse,  voj'cz  tome  XXIV,  page  165. 


AN.NKE     I7GI.  215 

rait  eu  pcut-C'tro  un  talent  tout  entier  s'il  avait  été  docile  et 
honnête. 

Je  fais  mes  compliments  à  toute  la  famille,  à  tous  les  amis  de 
ma  belle  philosophe  ;  je  tiens  qu'elle  vaut  beaucoup  mieux  que 
M""  de  Wolmar.  Prend-elle  son  café,  ou  le  café,  dans  l'entre-sol? 
Je  la  supplie  aussi  de  me  dire  si  les  jardins  de  la  Chevrette  ne 
sont  pas  plus  beaux  que  ceux  de  l'Étange'.  Qu'elle  sache,  au 
reste,  que  ceux  de  Ferney  ne  sont  pas  sans  mérite.  Si  elle  voulait 
faire  encore  un  petit  voyage  dans  le  pays,  non  de  Vaud,  mais  de 
Gex,  on  lui  donnerait  un  petit  chapitre  tous  les  matins  en  pre- 
nant le  chocolat,  ou  du  chocolat.  Je  prie  \g  proph'de  de  me  pro- 
phétiser quelque  chose  de  bon  sur  le  Pire  de  famille.  Mille  res- 
pects; et  si  la  belle  philosophe  est  paresseuse,  mille  injures. 

liTO.   —  A   M.    F  ADR  Y  ^ 

A  Ferney,  lundi  20. 

C'est  en  courant,  mon  cher  monsieur,  que  j'ai  l'honneur  do 
vous  avertir  que  votre  mémoire  sur  le  sieur  Sédillot  est  entre  les 
mains  de  M.  de  Montigny,  commissaire  nommé  par  le  conseil 
pour  examiner  les  sels  de  la  Franche-Comté.  Il  se  connaît  en  sels 
et  en  Sédillots.  Il  est  l'intime  ami  de  M.  de  Trudaine,  et  un  peu 
mon  parent.  Il  se  charge  de  votre  affaire.  Je  vous  réponds  qu'elle 
est  en  bonnes  mains. 

Je  suis  à  vos  ordres  pour  ma  vie.  Votre  très-humble  obéissant 
serviteur. 

4171.    —  A   MADAME   D'KPI.NAI. 

A  Ferney,  23  février. 

Monsieur  l'intendant  '  de  Lyon  me  mande  qu'on  a  représenté 
h  Lyon,  avec  le  i)Ius  grand  succès,  le  Phe  de  famille;  qu'il  y  a  été 
attendri  jusqu'aux  larmes,  etc.,  etc.,  etc.  Je  ne  doute  pas  (jue  cet 
ouvrage  n'ait  autant  de  succès  à  Paris.  Je  supplie  ma  belle  phi- 
losophe de  faire  parvenir  ce  petit  billet*  à  Platon.  La  réussite  de 
sa  pièce  me  paraît  une  affaire  très-iniporlanfe:  cela  réchaulfe  \o 
public,  cela  ou\re  la  porte  de  l'Acadi-niie,  cela  lait  taire  lesfana- 

1.  Voltaire  fait  sans  doute  allusion  ici  au  jardin  du  baron  d'Ftanpe,  jardin 
voisin  du  bosquet  où  un  baiser  de  Julie  brûla  Saint-Preux  jusqu'à  la  moelle.  (Cl.'i 

2.  Éditeurs,  Bavoux  et  François. 

3.  La  Micliodi.'rc,  à  qui  est  adressée  la  lettre  3422. 

4.  Il  est  perdu.  (B.) 


216  CORRESPONDANCE. 

tiques  ol  les  fripons.  Puissent  toutes  les  bénédictions  être  répau- 
dues  sur  nos  frères!  Puisse  la  lumière  éclairer  tous  les  yeux,  et 
l'humanité  pénétrer  tous  les  cœurs! 

ii72.  —  A   M.  SÉNAC, 

CONSKILLER    d'ÉTAT,    1' K  K  M  I  K  R    MÉDECIN    D  li     ROI,    A     VERSAILLES. 

Au  cliâlciui  (le  Fcrncy,  pays  de  Gcx,  24  février  17G1. 

Monsieur,  recevez  tous  mes  remerciements  et  ceux  de  toute 
la  petite  province  de  Gex,  de  la  bonté  que  vous  avez  eue  de  sou- 
tenir notre  bon  droit  contre  un  marais  empesté  qui  nous  désole 
et  qui  cause  la  mort  à  un  de  mes  parents,  lequel  lutte  en  vain 
depuis  cinq  mois  contre  la  carie  de  ses  os.  Je  suis  pénétré  de  vos 
bontés.  Permettez-moi  de  renouveler  les  assurances  de  mon  atta- 
chement à  messieurs  vos  fils. 

Je  serai  toute  ma  vie,  avec  la  plus  sincère  reconnaissance, 
monsieur,  votre  très-humble  et  très-obéissant  serviteur. 

Voltaire. 

4473.  —  A  M.   FABRY2. 

Aux  Délices,  21  février  1761. 

Monsieur,  j'ai  l'honneur  de  vous  envoyer  la  lettre  de  M.  de 
Montigny,  où  vous  verrez  ce  qu'on  pense  du  sieur  Sédillot;  j'y 
joins  une  lettre  de  M.  de  Villeneuve  à  monsieur  l'intendant  de 
Lyon.  J'écris  à  M.  de  Villeneuve  pour  le  remercier,  et  en  même 
temps  pour  lui  dire  combien  la  province  vous  a  d'obligations.  Je 
lui  fais  un  petit  tableau  des  malheurs  du  pays  de  Gex,  et  des  torts 
que  le  sieur  Sédillot  a  faits  à  ce  petit  coin  du  monde,  qui  sans 
vous  serait  accablé.  J'ai  écrit  en  conformité  à  M.  de  Courteilles 
et  à  M.  de  Trudaine. 

J'ai  vu  M.  Myrani,  que  vous  avez  eu  la  bonté  de  m'envoyer. 
Vous  me  rendez  cette  province  chère  ;  je  contribuerai,  autant  qu'il 
me  sera  possible,  au  dessèchement  que  vous  projetez  de  tous  les 
marais;  et  mon  principal  soin  sera  toujours  de  seconder,  autant 
qu'il  sera  en  moi,  vos  volontés  et  vos  vues  pour  le  bien  public. 

J'ai  l'honneur  d'être,  avec  tous  les  sentiments  qui  vous  sont 
dus,  monsieur,  votre  très-humble  et  très-obéissant  serviteur. 


1.  Les  Autographes,  par  M.  de  Lescure,  1865. 

2.  Éditeurs,  Bavoux  et  François. 


ANXF.E    170  1.  217 

4i7i.   —  A   M.    LE   MARQUIS   D'ARGENCE    DE    DIRAC. 

'2i  février. 

L'Évangile  a  raison  de  dire,  monsieur  :  Si  le  sel  s'évanouit, 
avec  quoi  salera-t-on  *  ?  Grâce  à  la  prudence  de  votre  cuisinier,  et 
à  quatre  doigts  de  lard  bien  placés  entre  les  perdrix  et  la  croûte, 
votre  pâté-  est  arrivé  frais  et  excellent,  et  il  y  a  huit  jours  que 
nous  en  mangeons.  Nous  avons  fait  grande  commémoration  de 
vous,  le  verre  à  la  main,  non  sans  regretter  le  temps  où  vous 
avez  bien  voulu  être  de  nos  frères,  dans  votre  petite  cellule  des 
fleurs. 

Je  ne  mérite  pas  tout  à  fait  les  compliments  dont  vous  m'ho- 
norez sur  l'expulsion  du  gros  frère  Fessy';  j'ai  bien  eu  l'avantage 
de  chasser  les  jésuites  de  cent  arpents  de  terre  qu'ils  avaient 
usurpés  sur  des  officiers  du  roi;  mais  je  ne  peux  leur  ôter  les 
terres  qu'ils  possédaient  auparavant,  et  qu'ils  avaient  obtenues 
par  la  confiscation  des  biens  d'un  gentilhomme  :  on  ne  peut  pas 
couper  toutes  les  têtes  de  l'hydre. 

Si  vous  êtes  curieux  de  nouvelles  de  philosophie,  je  vous  dirai 
qu'un  officier*,  commandant  d'un  petit  fort  sur  la  côte  de  Coro- 
mandel ,  m'a  apporté  de  l'Inde  l'évangile  des  anciens  brachmanes  ; 
c'est,  je  crois,  le  livre  le  plus  curieux  et  le  plus  ancien  que  nous 
ayons;  j'en  excepte  toujours  l'Ancien  Testament,  dont  vous  con- 
naissez la  sainteté,  la  vérité  et  l'ancienneté.  Une  chose  fort  plai- 
sante, c'est  que  tous  les  peuples  anciens  croyaient  l'immortalité 
de  l'ûme  quand  les  Juifs  n'en  croyaient  pas  un  mot. 

Si  vous  voulez  des  nouvelles  de  nos  armées,  le  régiment  de 
Champagne  s'est  battu  comme  un  lion,  et  a  été  battu  comme  un 
chien.  Si  vous  voulez  des  nouvelles  de  la  marine,  on  nous  prend 
nos  vaisseaux''  tous  les  jours.  Si  vous  aimez  mieux  des  nou\ elles 
de  finances,  nous  n'avons  pas  le  sou. 

Je  vous  aime,  et  je  vous  regrette  de  (oui  mon  cn'iir. 


1.  «  Quoil  si  sal  evanuerit,  in  quo  salictur?  »  (Matthieu,  chapitre  v,  verset  13. 

2.  Voyez  lultrc  44'20. 

3.  Fesse  était  le  vrai  nom  de  ce  siipcTieiir  de  Jésuites  d'Ornex,  lieu  où  demeu- 
rait le  l'iTC  Adam,  avant  la  tninslatiun  du  donilcile  de  ce  ilcriiier  à  Ferney.  (Ci..) 
—  Voyez  les  lettres  de  Voltaire  à  Bordes,  du  il)  avril  1773;  à  Maupi-ou,  do  mars  1771; 
a  Vasselier,  du  13  novembre  177.j. 

4.  Le  chevalier  de  Maudave. 

5.  Les  Anfriais,  au  mois  d'ffctohre  I7G0,  avaient  pris  ou  détruit,  vi  r>  l.i 
Jamaïque  ot  Cuiia,  plusieurs  frégates  françaises,  telles  que  la  Sirène,  la  Valiur, 
la  FUur-de-Lis,  etc.  (Cl.) 


2i8  CORRESPONDANCE. 


Ii75.  —  DU   PKRE  FESSY,    JÉSUITE,   A  M.  LE   BAULT". 

Genève,  2.")  février  17G1. 

Monsieur,  vous  avez  vu  sans  doute  un  m('moiro  imprimé,  qu'on  m'as- 
sure ôtre  Irès-n-pandu  à  Dijon;  il  est  date  du  30  janvier  1761,  et  signé 
Ambroise  Decrozc  père  et  Joseph  Decroze  fils,  Vachat  procureur,  de 
présent  à  Dijon.  Il  est  fait  à  l'occasion  du  procès  criminel  intenté  au  sieur 
Ancian,  curé  deMoons,  village  du  pays  de  Gex,  que  Decroze  accuse  d'avoir 
assassiné  son  fils,  le  Zi  décembre  17G0,  chez  la  veuve  Burdet,  à  3Iagny, 
hameau  de  la  paroisse  de  IMoiins. 

Je  me  flatle,  monsieur,  sur  ce  que  j'ai  éprouvé  de  vos  bontés  pour  moi, 
lors  de  l'enregistrement  de  lettres  patentes  que  je  poursuivais  à  Dijon,  en 
1758,  et  que  je  n'aurais  pas  obtenu  sans  vous,  je  me  flatte  que  vous  avez 
été  aussi  indigné  que  fâché  de  me  voir  figurer  pour  ma  part  dans  cet  odieux 
libelle.  Je  ne  doute  pas  que  vos  lumières  n'aient  aisément  percé  le  tissu 
d'horreurs  dans  lequel  on  s'efforce  de  m'y  envelopper. 

On  a  dans  ce  pays-ci  les  preuves  les  plus  convaincantes  que  l'auteur  du 
mémoire  est  M.  de  Voltaire,  et  il  ne  s'en  cache  pas.  Je  laisse  d'abord  à  part 
ce  qui  regarde  le  curé  de  Moëns  dans  ce  mémoire  :  le  procès  criminel  se 
poursuit,  et  on  prononcera  bientôt;  mais  souffrez  que  je  vous  dérobe  quel- 
ques moments  pour  vous  exposer  ce  qui  me  concerne. 

Cet  exposé,  la  réputation  que  vous  avez  si  bien  méritée,  et  le  crédit  que 
vous  avez  dans  votre  illustre  compagnie  et  dans  tout  Dijon,  sont  ce  que  je 
connais  de  plus  propre  à  dissiper  les  noires  impressions  que  le  mémoire 
pourrait  y  avoir  fait  naître  sur  ma  conduite.  D'autant  plus  que  le  procès 
du  curé  de  Moëns,  quel  que  puisse  être  le  jugement  du  bailliage  de  Gex, 
ne  manquera  pas  d'être  porté  à  Dijon,  et  qu'il  y  sera  sans  doute  fait  quelque 
mention  du  mémoire  qui  parle  de  moi. 

Ce  n'est  pas  que  je  ne  sache  bien  que,  malgré  la  violence  et  les  déclama- 
tions de  l'auteur,  par  lesquelles  il  veut  apparemment  s'acquitter  d'une  par- 
tie de  ce  qu'il  doit  au  Père  Berlhier,  l'auteur  du  Journal  de  Trévoux,  ma 
défense,  chez  tous  les  gens  raisonnables  et  tant  soi  peu  instruits  de  notre 
religion,  ne  soit  très-aisée,  très-courte  et  très-simple.  La  voici  :  la  fille  de 
Decroze  s'est  présentée  à  moi  au  confessionnal  ;  je  l'ai  écoutée,  je  lui  ai  dit 
ce  qu'exigeait  mon  ministère.  Je  ne  sais  rien  de  plus,  et  n'ai  plus  rien  à 
dire. 

Mais  outre  cette  défense  générale  et  de  droit,  je  vous  dois  à  vous,  mon- 
sieur, un  détail  plus  circonstancié  de  ce  qui  a  précédé  et  accompagné  le 
fait,  afin  que  vous  puissiez  connaître  et  embrasser  ma  cause  dans  toute  son 
étendue,  me  plaindre,  me  défendre,  m'honorer  de  vos  conseils. 

Indépendamment  des  motifs  anciens  et  généraux  de  la  haine  qu'a  pour 
les  jésuites  M.  de  Voltaire,  et  des  preuves  toutes  récentes  qu'il  vient  d'en 
donner  à  notre  maison  d'Ornex,  au  sujet  du  bien  BaUazard,  l'affaire  qu'il 

1.  Éditeur,  de  3Iandat-Granccy. 


ANNÉE    17G1.  219 

poursuit  actuellomont  à  toute  outrance  contre  le  curé  do  Moi^ns,  qu'il  sait 
que  nous  ne  condamnons  pas  comme  lui,  a  ranimé  sa  fureur  contre  nous  : 
il  a  cherché  tous  les  moyens  de  réunir  quelques  victimes  de  sa  haine,  pour 
les  frapper  du  môme  coup,  ou  les  uns  par  les  autres. 

On  m'avait  déjà  tendu  un  piège  le  lendemain  de  la  fête  des  Rois;  on 
m'attendit  ce  jour-là  sur  le  grand  chemin,  à  Sacconex,  village  où  Decroze, 
maître  horloger,  demeure;  on  voulait  me  prier  de  passer  chez  lui  à  mon 
retour  de  Genève,  dans  le  temps  qu'on  disait  Decroze  fils  mourant,  afin  de 
me  faire  ensuite  assigner  en  justice  pour  rendre  témoignage  de  l'état  pré- 
tendu désespéré  dans  lequel  le  jeune  homme  aurait  feint  de  se  trouver.  Ce 
projet  ne  réussit  pas  parce  que  je  fus  obligé  de  rester  à  Genève  ce  jour-là  et 
plusieurs  jours  de  suite,  et  qu'avant  que  je  pusse  repasser  par  Sacconex  le 
prétendu  assassiné  se  portait  à  merveille.  Il  fallut  donc  se  retourner  autre- 
ment, et,  comme  on  ne  voulait  pas  me  manquer,  voici  comment  on  s'y  prit. 

Vous  avez  pu  voir,  monsieur,  par  le  mémoire  même  du  30  janvier,  qu'il 
y  avait  eu  précédemment  une  première  pièce  imprimée,  en  forme  de  plainte, 
sur  le  prétendu  assassinat,  pièce  composée  également  par  M.  de  Voltaire, 
signée  par  Decroze  le  père,  et  datée  du  3  janvier.  Dans  cette  i)lainte,  dont 
on  m'assure  qu'il  y  aà  Dijon  quantité  d'exemplaires,  l'auteur  se  déchaîne  avec 
fureur  contre  le  curé  de  Moëns  et  y  répand  à  pleine  main  la  calomnie.  Les 
Genevois  eux-mêmes  en  ont  été  aussi  indignés  que  les  catholiques,  et  per- 
sonne n'a  craint  de  dire  tout  haut  ce  qu'il  en  pensait. 

Je  vais  tous  les  samedis  au  soir  d'Ornex  à  Genève  pour  y  aider  à  des- 
servir le  dimanche  la  chapelle  du  roi.  En  y  allant  je  passe  par  Sacconex,  où 
je  confesse  les  sœurs  grises,  qui  y  ont  un  établissement.  La  fîllo  aînée  de 
Decroze,  qui  selon  le  bruit  public  gouverne  tout  dans  la  maison  de  son 
père,  et  a  tout  crédit  sur  son  esprit,  cette  fille  qui,  de  sa  vie,  ne  s'était 
venue  confesser  à  moi,  y  vint  pour  la  première  fois  le  samedi  24  janvier;  je 
l'écoutai;  je  continuai  ensuite  ma  route,  et  me  rendis  à  Genève  à  nuit  tom- 
bante. 

Vous  allez  juger  si  c'est  à  tort  (jue  je  présume  (pie  la  démarche  de  cetîe 
fille  était  un  piège  qu'on  m'avait  tendu.  Dès  le  lendemain  dimanche  25  jan- 
vier, sur  le  récit  que  la  fille  fit  à  son  père,  comme  il  lui  plut,  de  ce  qui  s'était 
passé  entre  elle  et  moi  au  confessionnal,  et  sur  la  nouvelle  qu'en  donna,  le 
dimanche  matin,  Decroze  à  M.  de  Voltaire,  celui-ci,  au  comble  de  sa  joie, 
se  hâte  de  f.dre  faire  des  copies  du  billet  de  Decroze,  ou  plus  probablement 
en  fabrique  lui-même  un,  au  nom  de  Decroze,  dans  lequel  il  dépeint  tragi- 
quement la  douleur  du  père,  qui  se  |)laint  à  lui,  son  unicpie  protecteur, 
dans  l'amertume  do  son  cœur,  d'un  nouveau  trait  arrivé  la  veille,  en  faveur 
do  l'assassin  de  son  fils,  par  le  refus,  disait-il  entre  autres  choses,  (pie  le 
PèreFessy,  jésuite  d'Ornex,  avait  fait  de  l'absolution  à  sa  lille  jiiS(iu'à  ce 
qu'elle  eût  engagé  son  père  à  rétracter  la  plainte  qu'il  avait  fait  im[>rimer 
contre  le  curé  do  Muions. 

M.  do  Voltaire  fait  faire  i>ar  son  .secnHaire  et  par  d'autres  personnes  (jui 
se  trouvaient  ciiez  lui  une  foule  de  copies  do  ce  billet,  il  en  distribue  à  huit 
ou  dix  personnes  qui  dînaient  chez  lui,  et  à  (puilro  heures  après  midi  il  y 


220  CORUIiSPOND\NCE. 

on  aviiil  tlans  toutes  les  meilleures  maisons  do  Genève,  et  qui  avaient  été 
portées  par  ses  gens. 

Il  avait  mal  pris  son  champ  do  bataille;  les  Genevois  haussèrent  les 
épaules  sur  une  pareille  extravagance,  ils  opinèrent  aux  petites-maisons  pour 
le  protecteur  et  pour  le  protégé  ;  ils  savent  que  sur  ce  qui  regarde  soit 
directement  soit  indirectement  la  confession  un  piôtre  ne  peut  qu'être  muet. 

J'avais  craint  d'abord,  ce  qu'il  était  naturel  que  j'appréhendasse,  que  ces 
billets  ne  fussent  dans  Genève  une  occasion  de  décrier  nos  sacrements;  la 
façon  de  penser  des  Genevois  me  rassura,  et  mon  indignation  se  tourna  en 
mépris  pour  un  adversaire  qui,  pour  avoir  voulu  tirer  trop  fort  contre  moi, 
avait  manqué  son  but.  Je  m'attendais  bien  que  le  fiel  dont  cet  homme  se 
nourrit  fermenterait  plus  violemment  encore  après  avoir  été  inutilement 
répandu  dans  ces  billets;  mais  j'avoue  que  son  nouveau  mémoire  du  30  jan- 
vier a  surpassé  mon  attente.  Je  ne  le  connais  que  depuis  huit  ou  dix  jours; 
la  discrétion  et  l'amitié  s'étaient  jointes  à  la  vie  retirée  que  je  mène,  pour 
me  le  laisser  ignorer.  J'ai  été  véritablement  ému  à  la  lecture  que  j'en  ai 
faite,  moins  cependant  par  la  noirceur  des  traits  sous  lesquels  on  m'y  repré- 
sente que  par  la  licence  aussi  artificieuse  qu'effrénée  avec  laquelle  on  ose  y 
faire  servir  ce  qu'il  y  a  de  plus  auguste  et  de  plus  saint,  dans  une  religion 
qu'on  déchire  partout  ailleurs,  à  couvrir  les  imputations  les  plus  calom- 
nieuses et  les  plus  atroces. 

Je  ne  m'arrête  pas  à  vous  faire  remarquer  le  tour,  digne  du  plus  bas  far- 
ceur, par  lequel  il  substitue  à  mon  nom  de  baptême,  qui  est  Joseph,  le 
nom  de  Jean,  pour  faire  avec  celui  de  Fessy  un  composé  dans  le  goût 
sublime  du  théâtre  de  la  Foire,  ou  des  gentillesses  de  la  Pucelle. 

Mais  doit-on  laisser  impunies  l'audace  et  la  témérité  d'un  homme  qui 
compose,  qui  fait  imprimer  sous  le  nom  d'un  autre,  qui  répand  dans  tout  le 
royaume  des  libelles  aussi  diffamants  (jue  la  plainte  du  3  et  le  nouveau 
mémoire  du  30  janvier?  Je  dis,  imprimer  sous  le  nom  d'un  autre,  parce  que 
j'ai  plus  que  des  présomptions,  surtout  pour  le  mémoire  du  30,  qu'il  était 
déjà  imprimé,  et  publié  à  Dijon,  avant  que  M.  de  Voltaire  eût  arraché  la 
signature  de  Decroze  père  et  fds. 

Jetions  d'une  personne  très-digne  de  foi  que  quelqu'un,  qui  est  fort  lié 
avec  Decroze  père,  a  assuré  à  cette  personne  que,  dix  ou  douze  jours  au 
moins  avant  la  date  de  ce  mémoire,  Decroze,  qu'il  voyait  souvent,  lui  avait 
paru  dans  la  plus  vive  inquiétude,  et  que,  lui  .en  ayant  demandé  le  sujet, 
Decroze  lui  avait  répondu  qu'il  était  excédé  des  visiies  et  des  persécutions 
([u'il  avait  continuellement  à  essuyer  de  la  part  de  M.  de  Voltaire,  qui  vou- 
lait absolument  le  contraindre  à  signer  un  mémoire  extrêmement  violent  et 
dont  il  craignait  fort  que  la  signature  ne  le  perdît. 

Une  autre  personne,  très-digne  de  foi  aussi,  vient  de  m'assurer  qu'elle 
tient  de  Decroze  fils  que  ce  n'a  été  qu'à  son  corps  défendant  qu'il  a  signe 
ce  même  mémoire  chez  M.  de  Voltaire,  lequel,  ennuyé  du  refus  constant 
(ju'il  faisait  de  le  signer,  le  prit  au  collet,  le  fit  asseoir  de  force,  lui  mit  la 
plume  à  la  main,  et,  lui  tenant  sous  le  nez  le  mémoire  manuscrit,  le  contrai- 
gnit à  v  mettre  son  nom. 


ANNÉE    17G1.  224 

Voilà,  monsieur,  les  indignes  manœuvres  par  lesquelles  cet  homme,  plein 
de  fiel  et  de  venin,  exhale  dans  tout  le  pays  et  dans  toute  la  France  ses 
fureurs  contre  quiconque  lui  déplaît,  par  lesquelles  il  se  fait  redouter  de 
ceux  mOme  qui  devaient  peut-être  l'accabler  et  le  punir.  Le  grand  crime  du 
curé  de  Moëns  lui-même  n'est  pas  le  prétendu  assassinat  de  Decroze  fils, 
quoique  dans  cette  affaire  le  curé  ait  commis  par  zèle  une  très-grande  impru- 
dence. Son  crime  est  de  n'avoir  pas  pliedevantM.de  Voltaire,  dans  un  procès 
extrêmement  juste  qu'avait  ce  cure  avec  les  habitants  de  Ferney  pour  les 
pauvres  de  sa  paroisse,  et  qu'il  a  gagné  avec  dépens  au  parlement  de  Dijon; 
c'est  surtout  d'avoir  représenté  avec  force  à  M.  de  Voltaire,  qui  s'était 
emparé  d'un  chemin  nécessaire  aux  habitants  du  pays,  sans  en  avoir  fourni 
un  autre,  le  préjudice  qu'il  portait  aux  paroisses  voisines,  et  qu'il  n'avait 
pas  droit  de  leur  porter.  M.  de  Voltaire  a  été  obligé  de  rendre  le  chemin, 
et  ne  s'est  pas  caché  qu'il  fera  pendre  le  curé  s'il  peut,  dùt-il  (c'est  ce  qu'il 
a  ajouté;,  faute  d'argent  comptant,  retirer  les  quatorze  à  quinze  mille  livres 
qu'il  a  consignées  à  Gex  pour  ôter  aux  jésuites  d'Ornex  le  bien  Baltazard. 

Croiriez-vous,  monsieur,  que  cet  homme  vraiment  rare  dans  son  espèce 
a  eu  l'extravagance  de  s'afficher  plus  singulièrement  encore.  On  a,  ces  jours 
derniers,  recelé  et  confronté  à  Gex  les  témoins  dans  l'afTaire  du  curé  :  la 
veuve  Burdet,  témoin  principal  contre  lui,  et  dont  la  mauvaise  vie  est  publi- 
que, s'y  rendit  comme  les  autres;  mais  comment  pensez-vous  qu'elle  y  vint? 
Dans  un  carrosse  à  quatre  chevaux  de  M.  de  Voltaire;  elle  y  monta  à  Fer- 
ney, chez  lui,  se  rendit  à  Gex,  et  de  Gex  elle  revint  triomphalement  à  Fer- 
ney, c'est-à-dire  l'espace  de  trois  grandes  lieues.  Jugez  de  refret  ([u'a  dû 
produire  à  Gex  et  dans  tout  le  pays  cette  scène  singulière. 

Je  ne  vous  cacherai  pas  que,  pour  arrêter,  s'il  est  possible,  les  fureurs  de 
cet  homme,  et  nous  plaindre  de  ce  qu'il  ne  cesse  de  faire  contre  nous,  nous 
nous  sommes  adressés  au  ministre,  et  lui  avons  envoyé  un  exemplaire  du 
MKMnoire  du  30  janvier.  Nous  espéronsqu'onaura  quelque  égard  à  la  justice  de 
nos  plaintes.  L'on  assure  ici  que  M.  de  Voltaire  se  dispose  à  partir  au  plus  tôt 
pour  Dijon,  pour  poursuivre  l'affaire  qu'il  a  suscitée  à  M.  Dauphin  de  Cha- 
pciuirouge,  au  sujet  du  domaine  Baltazard  à  Ornex,  que  nous  n'avons  pas 
|iii  aciiuérir  encore,  qui  avait  été  cédé  en  anlichrèse  \yàY  les  auteurs  de 
M\L  Deprez  de  Crassy,  et  dans  lequel  M.  de  Voltaire  veut  bien  moins  faire 
r(Mitrer  ces  messieurs  qu'empêcher  les  jésuites  de  l'avoir.  Que  j'aurais  d'anec- 
dotes à  vous  raconter  là-dessus;  mais  il  y  a  trop  longtemps  (jne  j'abuse  de 
voli-e  patience,  je  les  réserve  pour  une  autre  fois,  au  cas  (pie  ma  prolixité 
d'aujourd'hui  ne  vous  ait  pas  tout  à  fait  rebuté. 

Me  |)ermellez-vons,  monsieur,  d'assurer  M'""  Le  Baull  do  mon  respect  et 
de  ma  reconnaissance,  et  de  la  prier  de  vouloir  bien  vous  aider  à  rabaltro 
les  coups  que  ce  vilain  mémoire  peut  m'avoir  portés  dans  votre  ville,  à  moi 
(d  aux  jésuites  en  général.  Un  chevalier  et  uni»  chevalière  comme  elle  et 
vous,  monsieur,  sont  très  ca|)ables  de  faire  valoir  une  cause  plus  désespérée 
que  la  nôtre. 

J'ai  l'honneur  d'être  avec  autant  do  reconnaissance  que  d(^  respect,  mon- 
sieur, votre  très-humblo  et  très-obéissant  serviteur. 

Flissv,  jésuite. 


222  CORRESPONDANCE. 

4470.  —  DE   M.    DIDEROT  '. 

A  Paris,  ce  2(1  février  1701. 

Ce  n'est  pas  moi  qui  l'ai  voulu,  mon  cher  maître,  co  sont  eux  qui  ont 
imaginé  que  l'ouvrai^'o  pourrait  réussir  au  théâtre;  et  puis  les  voila  qui  se 
saisissent  de  ce  triste  Père  de  famille^  et  qui  le  coupent,  le  taillent,  le  châ- 
trent, le  rognent  ii  leur  fantaisie.  Ils  se  sont  distribué  les  rôles  entre  eux,  et  ils 
ont  joué  sans  que  je  m'en  sois  mêlé.  Je  n'ai  vu  que  les  deux  dernières  répéti- 
tions, et  je  n'ai  encore  assisté  à  aucune  représentation.  J'ai  réussi  ii  la  pre- 
mière autant  qu'il  est  possible  quand  presque  aucun  des  acteurs  n'est  et  ne 
convient  à  son  rôle.  Je  vous  dirais  lii-dessus  des  choses  assez  plaisantes  si 
l'honnôleté  toute  particulière  dont  les  comédiens  ont  usé  avec  moi  ne  m'en 
empêchait.  Il  n'y  a  que  Brizard,  qui  faisait  le  Père  de  famille,  et  M'""  Pré- 
ville, qui  faisait  Cécile,  qui  s'en  soient  bien  tirés.  Ce  genre  d'ouvrage  leur 
était  si  étranger  que  la  plupart  m'ont  avoué  qu'ils  tremblaient  en  entrant  sur 
la  scène  comme  s'ils  avaient  été  à  la  première  fois.  31"'"  Préville  fera  bien- 
tôt une  excellente  actrice,  car  elle  a  de  la  sensibilité,  du  naturel,  de  la  finesse 
et  de  la  dignité.  On  m'a  dit,  car  je  n'y  étais  pas,  que  la  pièce  s'était  soutenue 
de  ses  propres  ailes  et  que  le  poète  avait  enlevé  les  suffrages  en  dépit  de 
l'acteur.  A  la  seconde  représentation,  ils  y  étaient  un  peu  plus  :  aussi  le 
succès  a-t-il  été  plus  soutenu  et  plus  général,  quoiqu'il  y  eût  une  cabale  for- 
midable. N'est-il  pas  incroyable,  mon  cher  maître,  que  des  hommes  à  qui 
on  arrache  des  larmes  fassent  au  même  moment  tout  leur  possible  pour 
nuire  à  celui  qui  les  attendrit?  L'àme  de  l'homme  est-elle  donc  une  caverne 
obscure  que  la  vertu  partage  avec  les  furies?  S'ils  pleurent,  ils  ne  sont  pas 
méchants;  mais  si,  tout  en  pleurant,  ils  souffrent,  ils  se  tordent  les  mains,  ils 
grincent  les  dents,  cOinment  imaginer  qu'ils  soient  bons?  Tandis  qu'on  me 
joue  pour  la  troisième  fois,  je  suis  à  la  table  de  mon  ami  Damilaville  et  je 
vous  écris  sous  sa  dictée  que  si  le  jeu  des  acteurs  eût  un  peu  plus  répondu 
au  caractère  de  la  pièce,  j'aurais  été  ce  qu'ils  appellent  aux  nues,  et  que, 
malgré  cela,  j'aurai  le  succès  qu'il  faut  pour  contrister  mes  ennemis.  Il  s'est 
■élevé  du  milieu  du  parterre  des,  voix  qui  ont  dit  :  «  Quelle  réplique  à  la 
satire  des  Philosophes  !  »  Voilà  le  mot  que  je  voulais  entendre.  Je  ne  sais 
quelle  opinion  le  public  prendra  de  mon  talent  dramatique,  et  je  ne  m'en 
soucie  guère;  mais  je  voulais  qu'on  vît  un  homme  qui  porte  au  fond  de  son 
cœur  l'image  de  la  vertu  et  le  sentiment  de  l'humanité  profondément  gra- 
vés, et  on  l'aura  vu.  Ainsi  Mo'ise  peut  cesser  de  tenir  les  mains  élevées  vers 
le  ciel.  On  a  osé  faire  à  la  reine  l'éloge  de  mon  ouvrage.  C'est  Brizard  qui 
m'a  apporté  cette  nouvelle  de  "Versailles.  Adieu,  mon  cher  maître,  je  sais 
combien  vous  avez  désiré  le  succès  de  votre  disciple,  et  j'en  suis  touché. 
Mon  attachement  et  mon  hommage  pour  toute  ma  vie. 

On  revient  de  la  troisième  représentation.  Succès,  malgré  la  rage  de  la 
cabale. 

1.  OEuvres  de  Diderot,  édition  Assézat  et  Tourneux. 


ANNÉE    4  76  1.  223 

ii77.  — A    M.    DAMILAVILLEi. 

27  février. 

Rcrii  K.  Cl  L -.  Enivré  du  succès  du  Pcre  de  famille,  je  crois 
qu'il  iaut  tout  tenter,  à  la  première  occasion,  pour  mettre  M.  Di- 
derot de  l'Académie:  c'est  toujours  une  espèce  de  rempart  contre 
les  fanatiques  et  les  fripons.  Si  je  peux  exécuter  quelques  ordres 
l)our  M.  Damilaville  auprès  de  M.  de  Courteilles,  je  suis  tout  prêt 
et  trop  heureux. 

Les  frères  ont-ils  reçu  un  chant  de  Dorothée*,  retrouvé  dans 
d'anciennes  paperasses,  et  des  lettres  du  marquis  de  Ximenès  sur 
le  roman  de  J.-J.*? 

J'assomme  les  frères  de  petites  dépenses  :  je  prie  M.  Thieriot 
de  mettre  tout  sur  son  agenda.  Il  y  a  longtemps  qu'il  ne  m'a 
écrit  :  il  ne  sait  pas  que  j'aime  passionnément  ses  lettres.  Mille 
tendres  amitiés. 

4i78.  —  A    M.    D'ALEMDERT. 

Au  château  de  Ferney,  pays  de  Gex,  27  février. 

Vous  êtes  un  franc  savant,  dans  votre  charmante  et  drôle  de 
lettre*;  vous  concluez  dans  votre  cœur  pervers  que  je  n'ai  point 
été  à  la  messe  de  minuit,  parce  que  mon  lil)raire  hérétique  a  mis 
le  23  pour  le  2'i  ".  Vous  triomphez  de  cette  erreur,  mon  cher  et 
grand  philosophe,  comme  un  Saumaise  ou  un  Scaliger;  mais 
vous  êtes  fort  plaisant,  ce  que  les  Scaliger  n'étaient  pas.  Sachez 
<[ue  vos  honnes  plaisanteries  ne  m'ôteront  point  ma  dévotion,  et 
qu'il  n'y  a  d'autre  parti  à  prendre  que  de  se  déclarer  meilleur 
chrétien  que  ceux  qui  nous  accusent  de  n'être  [)as  chrétiens.  J'ai 
un  évéque'  qui  est  un  sot,  et  qui  me  regarde  comme  un  persé- 
cuteur de  l'Église  de  Dieu  parce  que  je  poursuis  vivement  la 
condamnation  d'un  curé  grand  diseur  de  messes  et  assassin.  Je 
conjure  mon  évéque,  \n{v  les  entrailles  de  Jésus-Christ,  de  se 


1.  Dïins   les   éditions  de    Kciil,    cette   lettre    r.imiiieuce    |p.u-    nu  alinéa    dont, 
d'ajjrés  Griniui,  on  a  fait  une  leUrc;  voyez  n"  iil2. 

2.  hujdxueil  A,  H,  (',  i-tr.  Voyez  une  note  de  la  lettre  ii2(l. 

3.  C'est  le  chant  XVllI  de  la  Pucelle,  édition  de  I7tj2,  ei  le  MX""  des  éditions 
actuelles. 

4.  Voyez  tome  XXIV,  pa-e  1().">. 

5.  Celte  lettre  di;d'Aleniherl  nianque.  (Cl.) 

G.  On  ne  sait  dans  quel  ouvrage  se  trouve  cette  faute. 
7.  Biord  ou  Uiort. 


224  COIUIESPONDANGE. 

joindre  ;i  moi  ])oiir  ôtcr  le  scandale  de  la  maison  d'Israël;  les 
impies  diront  que  je  me  moque,  mais  je  ne  rougirais  point  de 
mon  père  céleste  devant  eux  :  quand  on  a  l'honneur  de  rendre 
le  pain  bénit  à  Pùques,  on  peut  aller  partout  la  tête  levée. 

Je  regarde  le  succès  du  Pure  de  fauilUr  comme  une  preuve 
évidente  de  la  bénédiction  de  Dieu  et  des  progrès  des  frères;  il 
est  clair  que  le  public  n'était  pas  mal  disposé  contre  cet  homme 
qu'on  a  voulu  rendre  si  odieux  ;  point  de  cabales,  point  de  mur- 
mures :  le  public  a  fait  taire  les  Palissot  et  les  Fréron  ;  le  public 
est  donc  pour  nous. 

Comptez,  mon  cher  et  vrai  pbilosophe,  que  je  suis  de  bon 
cœur  pour  la  langue  française.  J'avoue  qu'elle  est  bien  lâche  sous 
la  plume  de  nos  bavards  ;  mais  elle  est  bien  ferme  et  bien  éner- 
gique sous  la  vôtre. 

J'apprends  qu'il  y  a  vingt-cinq  candidats  pour  l'Académie  ; 
je  conseille  qu'on  fasse  l'abbé  Le  Blanc  portier;  je  vous  réponds 
qu'alors  personne  ne  voudra  plus  entrer.  M.  de  Malesherbes  avilit 
la  littérature,  j'en  conviens  ;  il  est  philosophe,  et  il  fait  tort  à  la 
philosophie,  d'accord  ;  il  aime  le  chamaillis  ;  il  fait  payer  le  Jour- 
nal des  savants,  qui  ne  se  vend  point,  par  le  produit  des  infamies 
de  Fréron,  qui  se  vendent  :  c'est  le  dernier  degré  de  l'opprobre. 
Mais  un  impudent  ^  Orner  qui  se  fait  en  plein  parlement  le  se- 
crétaire et  l'écolier  d'Abraham  Chaumeix ,  un  lâche  délateur 
public  qui  cite  faux  publiquement,  un  vil  ennemi  de  la  vertu  et 
du  sens  commun,  voilà  ce  qu'il  faudrait  faire  assommer  dans  la 
cour  du  Palais  par  les  laquais  des  philosophes. 

Envoyez-moi,  je  vous  prie,  pour  me  consoler,  votre  roide 
Discours  sur  l'histoire  ^  prononcé  avec  tant  d'applaudissements 
dans  l'Académie.  On  dit  que  cette  journée  fut  brillante  ;  j'ai  d'au- 
tant plus  besoin  de  votre  Discours  qu'on  réimprime^  actuelle- 
ment mes  insolences  sur  VHistoirc  gcnénde.  J'avais  trop  ménagé 
mon  monde;  mais. 

Qui  i)'a  plus  qu'un  moment  à  vivre 
N'a  plus  rien  à  dissimuler. 

(QuiNAULT,  Atijs,  acte  I,  scène  vi.) 


1.  Allusion  au  réquisitoire  du  23  février  17ô9  contre  V Encyclopédie. 

2.  Voyez  lettre  4456. 

3.  Les  sept  premiers  volumes  de  cette  édition  de  l'Essai  sur  l'Histoire  géné- 
rale, augmentée  et  très-corrigée,  parurent  à  Genève  sou*  la  date  de  1761  :  le  hui- 
tième ne  vit  le  jour  qu'en  1763. 


ANNÉE    17Gt.  -225 

Il  faut  peindre  les  choses  dans  toute  leur  vérité,  c'est-à-dire  dans 
toute  leur  horreur. 

Je  vous  embrasse,  vous  aime,  estime  et  révère. 


4479.   —  A  MADAME   DE    FONTAINE, 

A     110  II  \0  Y. 

A  Ferncy,  '27  février. 

Nos  montagnes  cou\ertcs  de  neige,  et  mes  cheveux,  devenus 
aussi  blancs  qu'elles,  m'ont  rendu  paresseux,  ma  chère  nièce; 
j'écris  trop  rarement.  J'en  suis  très-laché,  car  c'est  une  grande 
consolation  d'écrire  aux  gens  qu'on  aime  :  c'est  une  belle  in- 
vention que  de  se  parler,  de  cent  cin([uante  lieues,  pour  vingt 
sous, 

Avez-vous  lu  le  roman  de  Rousseau?  Si  vous  ne  l'avez  pas  lu. 
tant  mieux  ;  si  vous  l'avez  lu,  je  vous  enverrai  les  Lettres  du  mar- 
quis de  Ximenès  sur  ce  roman  suisse'. 

Nous  montrons  toujours  l'orthographe  à  la  cousine  issue  de 
germain  de  Pulijructe  et  de  Cinna.  Si  celle-là  fait  jamais  une  tra- 
gédie, je  serai  bien  attrapé;  elle  fait  du  moins  de  la  tapisserie.  Je 
crois  que  c'est  un  des  beaux-arts,  car  Minerve,  comme  vous  savez, 
était  la  première  tapissière  du  monde.  11  n'y  a  que  la  profession 
de  tailleur  qui  soit  au-dessus,  Dieu  ayant  été  lui-même  le  pre- 
mier tailleur,  et  ayant  fait  des  culottes  pour  Adam  ^  quand  il  le 
chassa  du  paradis  terrestre  à  coups  de  i)ied  au  cul. 

Votre  sœur  embellit  les  dedans  de  Ferney,  et  moi,  je  me  ruine 
dans  les  dehors.  C'est  une  terrible  affaire  que  la  création;  vous 
avez  très-bien  fait  de  vous  borner  à  rapetasser.  Je  vous  crois 
actuellement  bien  à  votre  aise  dans  votre  château  ;  mais  je  vous 
plains  de  n'avoir  ni  grand  jardin,  ni  grand  lac  :  ce  n'est  pas 
assez  d'avoir  trois  mille  gerbes  de  champart,  il  faut  que  la  vue 
soit  satisfaite. 

Le  grand  ècuijer  de  Cyrus^  aura  beau  faire,  il  ne  formera 
point  de  paysage  où  la  nature  n'en  a  pas  mis.  J'ai  |)cnr  ipia  la 
longue  le  terrain  no  vous  dégoillc.  Quand  vous  voudrez  voir 
quelque  chose  «le  Iml  au-dessus  des  Délices,  venez  chez  nous  à 
Ferney;  surtout  n'allez  jamais  à  Paris  :  ce  séjour  n'est  bon  (juc 
pour' les  gens  à  illusion,  ou  pour  les  fermiers  généraux.  Vive  la 

1.  Voyez  tome  XXIV,  [iJif^o  10."). 

2.  Ou  lit  dans  la  Genèse,  m,  '![  :  «  Fecil  qiioiim;  Domiiuis  Deus  AJœ  et  uxori 
cjus  tunicas  peliiceas.  » 

3.  Le  marquis  de  Florian,  rjiii  rpousa  M'""  do  Foulaiuc  eu  mai  J7G2. 
il.  —  (;oiiui:si'o.M)A\(;u.  I  .\.  15 


226  CORRESPONDANCE. 

caiiipagiic,  ma  chère  nièce  ;  vivent  les  terres,  et  surtout  les  terres 
libres,  où  l'on  est  chez  soi  maître  absolu,  et  où  l'on  n'a  point  de 
vingtièmes  à  payer!  C'est  beaucoup  d'être  indépendant,  mais 
d'avoir  trouvé  le  secret  de  l'être  en  France,  cela  vaut  mieux  que 
d'avoir  fait  la  Ilcnriadc. 

Nous  allons  avoir  une  troupe  de  bateleurs  auprès  des  Dé- 
lices ',  ce  qui  fait  deux  avec  la  nôtre.  En  attendant  que  nous 
ouvrions  notre  théâtre,  je  m'amuse  à  chasser  les  jésuites  d'un 
terrain  qu'ils  avaient  usurpé ,  et  à  tâcher  de  faire  envoyer  aux 
galères  un  curé  de  leurs  amis.  Ces  petits  amusements  sont  né- 
cessaires à  la  campagne  :  il  ne  faut  jamais  être  oisif. 

Votre  jurisconsulte-  est-il  à  Ilornoy  ou  à  Paris?  Votre  con- 
seiller-clerc ^  qui  écrit  de  si  jolies  lettres,  tous  les  jours  de  cour- 
rier, à  ses  parents,  est-il  allé  juger?  Le  grand  ècwjer  travaillc-t-il  en 
petits  points?  Montez-vous  à  cheval?  Daumarf'  est  au  lit  depuis 
cinq  mois,  sans  pouvoir  remuer.  Tronchin  vous  a  guérie,  parce 
qu'il  ne  vous  a  rien  fait  ;  mais,  pour  avoir  fait  quelque  chose  à 
Daumart,  ce  pauvre  garçon  en  mourra  ;  ou  sa  vie  sera  pire  que 
la  mort.  C'est  une  bien  malheureuse  créature  que  ce  Daumart  ; 
mais  son  père  était  encore  plus  sot  que  lui,  et  son  grand-père 
encore  plus.  Je  n'ai  pas  connu  le  bisaïeul,  mais  ce  devait  être  un 
rare  homme. 

J'ai  commencé  ma  lettre  par  le  roman  de  Rousseau,  je  veux 
finir  par  celui  de  La  Popclinière.  C'est,  je  vous  jure,  un  des  plus 
absurdes  ouvrages  qu'on  ait  jamais  écrit  :  pour  peu  qu'il  en  fasse 
encore  un  dans  ce  goût,  il  sera  de  l'Académie. 

Bonsoir  ;  portez-vous  bien.  Je  ne  vous  écris  pas  de  ma  main  : 
on  dit  que  j'ai  la  goutte,  mais  ce  sont  mes  ennemis  qui  font  cou- 
rir ce  bruit-là.  Je  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur. 

4480.  —  A  MADAME   BELOT^. 

Vous  savez,  madame,  combien  le  solitaire  des  Alpes  aime  vos 
charmantes  lettres;  mais,  tout  Suisse  qu'il  est,  il  n'aime  point  du 
tout  les  romans  suisses,  et  il  déteste  l'insolent  orgueil  d'un  valet 
de  Diogène  qui  insulte  notre  nation.  Il  est  enchanté  que  la  pièce 
de  M.  Diderot  ait  triomphé  de  la  cabale.  C'est  une  réparation 

1.  A  Car 0 lige. 

2.  Son  fils. 

3.  L'abbé  Mignot. 

4.  Vojez  letti-c  4413. 

5.  Éditeurs,  de  Cayrol  et  François. 


ANNEE    17(31.  227 

triionneur  que  le  public  lui  l'ail  d'avoir  écouté  la  prétendue  co- 
médie des  l'hilosojihrs. 

Le  solitaire  voit  avec  une  extrême  consolation  que  le  public  a 
des  égards  pour  les  gens  qui  pensent.  M""  Belot  doit  trouver  son 
compte  à  cette  disposition  des  esprits.  On  lui  réitère  du  fond  du 
cœur  les  assurances  de  la  plus  respectueuse  estime. 

4181.    —  A   M.  DAMILA  VILLE. 

A  Ferncj',  3  mars. 

Voici,  monsieur,  mon  ultimalian^  à  M.  Deodati.  Monsieur  le 
censeur  hebdomadaire  S  à  qui  je  fais  mes  compliments,  peut  insérer 
ce  traité  de  paix  dans  son  journal. 

Je  regarde  le  jour  du  succès  du  Père  de  farnille  comme  une 
victoire  que  la  vertu  a  remportée,  et  comme  une  amende  hono- 
rable que  le  public  a  faite  d'avoir  soulTert  Tinfàme  satire  intitulée 
la  Comédie  des  Philosophes. 

Je  remercie  tendrement  .Al.  Diderot  de  m'avoir  instruit  d'un 
succès  auquel  tous  les  honnêtes  gens  doivent  s'intéresser;  je  lui 
en  suis  d'autant  plus  obligé  que  je  sais  qu'il  n'aime  guère  à 
écrire.  Ce  n'est  que  par  excès  d'humanité  qu'il  a  oublié  sa  pa- 
resse avec  moi  ;  il  a  senti  le  plaisir  qu'il  me  faisait.  Je  doute 
qu'il  sache  à  quel  point  cette  réussite  était  nécessaire.  Les  affaires 
de  la  philosophie  ne  vont  point  mal;  les  monstres  qui  la  persé- 
cutaient seront  du  moins  humiliés. 

J'avais  demandé  à  M.  Thieriot  l'Intcrprèluliou  de  la  iXalure^;  il 
m'a  oublié. 

iMille  tendresses  à  tous  les  frères. 

4  i82.   —  A  .M.   D  '  A  L  K  .M  li  E  II  T. 

3  mars, 

A  quelijue  chose  près,  je  suis  de  votre  avis  en  tout,  mon  cher 
et  vrai  i)hilosoi)he.  J'ai  lu  avec  transport  votre  petite  drôlerie  * 
sur  l'hisloire,  et  j'en  conclus  ((ue  vous  êtes  seul  digne  d'être  histo- 
rien ;  mais  daignez  dire  ce  que  vous  enteiulez  par  la  défense  que 
vous  faites  d'écrire  l'histoire  de  son  siècle.  .Me  condamnez-vous  à 

1.  VoUaire  appcliiit  ainsi  ses  Stances  à  M.  Deodali  de  Tovaisi,  du  !"  février 
1701  ;  voyez  tome  VIII. 

2.  Journal  ilt'jii  citi';  dans  La  letlio  4120. 

3.  Voyez  la  ncile,  tunn;  Xf.,  page  424. 

4.  EApression  de  .Molière  dans  l'ourccawjnac,  acte  I,  scène  ii. 


228  CORRliSPOxNDANCE. 

ne  i)oinl  dire,  en  1761,  ce  que  Louis  XIV  faisait  de  bien  et  de  mal 
vu  1()G2?  Ave/  la  bonté  de  me  donner  le  commentaire  de  votre 
loi. 

Je  ne  sais  pas  encore  s'il  est  bon  de  prendre  les  clioses  à 
rebours  ^  Je  conçois  bien  qu'on  ne  court  pas  grand  risque  de  se 
tromper  quand  on  prend  à  rebours  les  louanges  que  des  fripons 
lâches  donnent  à  des  fripons  puissants;  mais  si  vous  voulez 
qu'on  commence  par  le  xvir  siècle  avant  de  connaître  le  xvi*  et 
le  xv%  je  vous  renverrai  au  conte  du  Bélier^,  qui  disait  à  son 
camarade  :  Commence  par  le  commencement. 

J'aime  à  savoir  comment  les  jésuites  se  sont  établis,  avant 
d'apprendre  comment  ils  ont  fait  assassiner  le  roi  de  Portugal  '. 
J'aime  à  connaître  l'empire  romain,  avant  de  le  voir  détruit  par 
des  Albouins  et  des  Odoacres  ;  ce  n'est  pas  que  je  désapprouve 
votre  idée,  mais  j'aime  la  mienne,  quoiqu'elle  soit  commune. 

J'ai  bien  de  la  peine  à  vous  dire  qui  l'emporte  chez  moi  du 
plaisir  que  m'a  fait  votre  dissertation,  ou  de  la  reconnaissance 
que  je  vous  dois  d'avoir  si  noblement  combattu  en  ma  faveur; 
cela  est  d'une  àme  supérieure.  Je  connais  bien  des  académiciens 
qui  n'auraient  pas  osé  en  faire  autant.  Il  y  a  des  gens  qui  ont 
leurs  raisons  pour  être  lâches  et  jaloux;  il  fallait  un  homme  de 
votre  trempe  pour  oser  dire  tout  ce  que  vous  dites.  Quelques 
personnes  vous  regardent  comme  un  novateur  ;  vous  l'êtes  sans 
doute  ;  vous  enseignez  aux  gens  de  lettres  à  penser  noblement. 
Si  on  vous  imite,  vous  serez  fondateur  ;  si  on  ne  vous  imite  pas, 
vous  serez  unique. 

Voulez-vous  me  permettre  d'envoyer  votre  discours  au  Jour- 
nal encyclopédique?  Il  faut  que  vous  permettiez  qu'on  publie  ce 
qui  doit  instruire  et  plaire;  je  vous  le  demande  en  grâce  pour 
mon  pauvre  siècle,  qui  en  a  besoin. 

Adieu,  être  raisonnable  et  libre;  je  vous  aime  autant  que  je 
vous  estime,  et  c'est  beaucoup  dire. 


1.  D'Alembert,  dans  ses  Réflexions  sur  r Histoire,  proposait  de  l'enseigner  â 
rebours;  «  en  commençant  par  les  temps  les  plus  proches  de  nous,  et  finissant 
par  les  plus  reculés  ». 

2.  Ouvrage  d'Hamilton;  voyez  tome  XIV,  page  78. 

3.  Joseph  I";  voyez  tome  XV,  pages  173  et  395. 


AXNÉK    170  1.  2:9 


4483.   -   A  MADAME   LA  MARQUISE    DU  DEFFAM. 
Au  cliâtcau  do  Ferney,  G  niar<. 

Vous  serez  étonnée,  madame,  de  recevoir  lettres  sur  lettres  * 
d'un  homme  que  vous  avez  traité  de  négligent.  Vous  me  mandez 
que  vous  vous  ennuyez  :  pour  peu  que  je  continue,  je  saurai 
bien  d'où  vient  cette  maladie.  Mais  si  mes  lettres  et  la  Pucd'.e 
entrent  pour  quelque  chose  dans  cette  léthargie,  je  crois  que  les 
six  tomes*  de  Jean-Jacques  sont  pour  le  moins  aussi  coupables 
que  moi.  Je  pense  que  voilà  le  cas  de  souhaiter  d'être  sourde, 
puisque  la  perte  de  vos  yeux  vous  laisse  encore  des  oreilles  pour 
entendre  toutes  nos  sottises. 

Je  sais  qu'il  y  a  des  personnes  assez  déterminées  pour  soute- 
nir ce  malheureux  fatras  intitulé  Roman  ;mi\ïs,  quelque  courage 
ou  quelques  bontés  qu'elles  aient,  elles  n'en  auront  jamais  assez 
pour  le  relire.  Je  voudrais  que  M'"''  de  La  Fayette  revînt  au  monde, 
et  qu'on  lui  montrât  un  roman  suisse. 

Franchement,  tout  est  de  même  parure,  depuis  les  remon- 
trances et  les  réquisitoires  jusqu'à  nos  romans  et  nos  comédies. 
Je  trouve  que  le  siècle  de  Louis  XIV  s'embellit  tous  les  jours.  11 
me  semble  que,  du  temps  de  Molière  et  de  Chapelle,  j'aurais  été 
fâché  d'être  dans  le  pays  de  Gex;  mais  actuellement  c'est  un  fort 
bon  parti. 

Vous  me  demandez,  madame,  ce  que  c'est  que  M"'  Corneille; 
ce  n'est  ni  Pierre  ni  Thomas  :  elle  joue  encore  avec  sa  poupée  ; 
mais  elle  est  très-heureusement  née,  douce  et  gaie,  bonne,  vraie, 
reconnaissante,  caressante  sans  dessein  et  par  goût.  Elle  aura  du 
bon  sens;  mais,  pour  le  bon  ton,  comme  nous  y  avons  renoncé, 
elle  le  prendra  où  elle  pourra.  Ce  ne  sera  pas  chez  M'"-  de  Wol- 
mar'.  Nous  n'avons  aucune  envie,  madame,  d'aller  à  Clarens  \ 
depuis  que  vous  avez  déclaré  qu'on  ne  vous  trouvait  pas  là.  Nous 
sentons  tous  qu'il  faudrait  aller  à  Saint-Joseph  ■■;  mais  les  trans- 
migrations sont  trop  diniciles.  J'ai  l'honneur  d'être  à  moitié 
Suisse,  indépendant,  heureux.  Les  mots  de  Paris  et  de  couvent 
m'ellrayent  autant  que  votre  société  charmante  m'attire. 


1.  Fv.i  (lorni.';rc  étan(  du  1.')  janvier,  il  doit  y  pu  avoir  de  perdues.  (B.) 

2.  C'est  le  nombre  de  volumes  qu'a  la  première  édition  de  la  Nouvelle  Iléloise. 

3.  Principal  pcrsonnaj^c  de  la  Nouvelle  llcloisc. 

i.  C.larens  ^on  prononce  Cl(iran),  que  Kousscaii  a  rendu  à  jamais  célèbre,  est 

villai:e  prés  de  Vévai,  sur  le  lac  Léman. 

b.  Communauté  où  demeurait  M""  du  Doffant. 


230  COKRESPONDANCn. 

Je  n'avais  point  d'idée  du  l)onlieur  réservé  ù  la  vieillesse  dans 
la  retraite.  Après  avoir  bien  réfléchi  à  soixante  ans  de  sottises  que 
j'ai  vues  et  que  j'ai  faites,  j'ai  cru  m'apercevoir  que  le  monde 
n'est  que  le  tliéûtre  d'une  petite  guerre  continuelle,  ou  cruelle, 
ou  ridicule,  et  un  rainas  de  vanité  à  faire  mal  au  cœur,  comme 
le  dit  très-bien  le  bon  déiste  de  Juif  qui  a  pris  le  nom  de  Salomon 
dans  l'Ecdmasle  *,  que  vous  ne  lisez  pas. 

Adieu,  madame;  consolez-vous  de  votre  existence,  et  poussez- 
la  cependant  aussi  loin  que  vous  pourrez.  J'ai  trouvé,  dans  le 
roman  de  Jean-Jacques,  une  lettre^  sur  le  suicide,  que  j'ai  trou- 
vée excellente,  quoique  ridiculem.ent  placée  ;  elle  ne  m'a  pourtant 
donné  aucune  envie  de  me  tuer,  et  je  sens  que  je  ne  me  serais 
jamais  donné  un  coup  de  pistolet  par  la  tète  pour  un  baiser  acre 
de  M""'  de  Wolmar. 

J'ai  eu  l'honneur  devons  envoyer  un  petit  chant  de  la  Pucelle, 
par  Versailles  ;  je  ne  sais  plus  comment  faire, 

iiSi.  —  A  M.   LE   CONSEILLER  LE    BAULT». 

Au  château  de  Ferncy,  8  mars  17GL 

Monsieur,  je  vous  prie  d'avoir  la  bonté  de  m'informer  par 
quelle  voie  vous  m'envoyez  de  votre  nectar  de  Bourgogne.  Cela 
m'est  important,  parce  que  je  crois  qu'il  y  a  des  droits  à  payer 
pour  la  sortie  de  France,  et  il  serait  triste  de  payer  comme  étran- 
ger quand  on  est  bon  Français  et  surtout  quand  on  est  Bour- 
guignon comme  j'ai  l'honneur  de  l'être.  Il  est  vrai  que  je  suis 
séparé  de  vous  par  d'abominables  montagnes,  et  je  crois  que 
votre  vin  fait  le  grand  tour,  et  arrive  par  Versoy.  Je  vous  serai 
très-obligé  de  vouloir  bien  me  mettre  au  fait  de  la  géographie  de 
mes  deux  tonneaux.  Cette  affaire  est  plus  agréable  que  celle  de  ce 
maudit  curé.  Je  sais  fort  bien,  monsieur,  que  votre  tribunal  n'a 
rien  à  démêler  avec  celui  de  la  confession,  et  qu'il  y  a  une  diffé- 
rence énorme  entre  la  justice  que  vous  rendez,  et  l'abus  que  les 
jésuites  font  quelquefois  de  ce  beau  sacrement  de  pénitence.  Je 
me  doute  bien  qu'on  ne  peut  que  les  tympaniser  et  non  les  action- 
ner; mais  je  ne  veux  point  prendre  parti  dans  cette  affaire, 
attendu  que  j'ai  été  assigné  en  témoignage,  et  qu'il  faut  qu'un 
témoin  ait  l'air  impartial.  Ce  beau  procès  ira  sans  doute  au  par- 

1.  Chapitre  i",  verset  3. 

2.  Lettre  XXI,  partie  m. 

3.  Éditeur,  de  Mandat-Grancey. 


ANNÉE    17GI.  231 

Icment.  Cela  apprendra  du  moins  aux  curés  du  petit  pays  deGex 
à  ne  point  aller  battre  les  femmes  chez  elles  pendant  la  nuit; 
Jésus-Christ  ne  les  battait  point;  je  me  llatle  que  le  parlement  de 
Bourgogne  ne  souffrira  chez  les  prêtres,  ni  les  billets  de  confes- 
sion, ni  les  coups  de  bAton  *. 

Cependant  buvons,  mille  respects  à  M""-  Le  Bault;  et  avec  les 
mêmes  sentiments,  monsieur,  votre  très-humble  et  très-obéis- 
sant serviteur. 

Voltaire. 

4485.  —  A   M.    LE  PnÉSIDKXT   DE  RUFFEY  ?. 

Au  château  de  Ferney,  pays  de  Gex,  8  mars  17G1. 

Nous  travaillons  à  force,  monsieur,  pour  vous  recevoir  dans 
notre  petit  ermitage  de  Bourgogne,  au  mois  d'août.  Ne  vous 
figurez  pas  de  trouver  une  maison  comme  la  vôtre,  ou  comme 
celle  de  M.  de  La  Marche.  Ce  que  mon  curé  appelle  chûteau 
n'est  qu'une  très-petite  maison,  bâtie  pour  un  philosophe  et  faite 
uniquement  pour  des  philosophes. 

Si  vous  venez  donc  avec  M.  le  président  de  La  Marche,  com- 
mencez par  oublier  toutes  vos  magnificences,  et  songez  que  vous 
allez  chez  Baucis  et  Philémon. 

La  grande  affaire  du  curé  de  Moëns  ne  tintera  pas  sitôt  aux 
oreilles  du  parlement  de  Dijon  ;  il  faut  auparavant  (|u'ellc  étour- 
disse longtemps  les  nôtres.  Tout  le  clergé  prend  part  à  ce  procès  ; 
les  curés  du  pays  prétendent  qu'ils  ont  le  droit  incontestable  de 
donner  des  coups  de  bâton  aux  laïques,  et  que  cela  leur  fut  ac- 
cordé par  le  premier  concile  de  Latran.  Ils  ajoutent  que  quiconque 
témoigne  contre  eux  est  excommunié  ipso  fado;  et  comme  nous 
sommes  dans  le  saint  temps  des  PAques,  il  se  pourra  bien  faire 
qu'on  refuse  la  communion  à  tous  les  mauvais  chrétiens  qui  ont 
prétendu  qu'il  n'était  pas  absolument  permis  h  un  curé  d'aller 
assassiner  un  jeune  homme  chez  une  femme  pendant  la  nuit. 

Je  vous  remercie  tendrement,  en  (pialité  de  laupie,  de  vos 
bontés  pour  le  pauvre  battu. 

J'ai  été  a|)|)elé  en  lémoigmi^e  sur  cette  belle  aiïaire.  J'a\ais 
vu-  le  crAne  du  jeune  luuuuie  eiilr'ouverl  ;  je  l'avais  vu  [(ciidaiit 


i.  Le  commcncnmont  de  la  letlro  jn<!qii'ii  Cependanl  piiralt  avoir  clO  écrit  par 
lin  secrétaire;  la  fin  est  de  la  main  de  Noliain;  lui-uiémc.  {Xule  du  premier  édi- 
teur.) 

2.  Éditeur,  Th.  Foisset. 


?32  CORRESPONDANCE. 

(liiinzc  jours  entre  la  vie  et  la  mort;  et  l'honnête  curé  qui  l'avait 
mis  en  cet  état  m'a  soutenu  que  c'était  un  érésypèlc  ;  je  ne  crois 
pas  qu'il  y  ait  dans  l'Église  un  plus  impudent  coquin  que  ce 
prêtre.  Aussi  l'évêque  savoyard  prend  vigoureusement  son  parti. 

Avez-vous  lu  le  roman  de  Rousseau  J.-J.i  ?  Cela  ne  me  paraît 
ni  dans  le  goût  de  TèUmaqiie,  ni  dans  celui  de  Za'ùle.  J'aurai 
l'honneur  de  vous  envoyer  par  la  poste  des  exemplaires  du 
rogaton  que  vous  me  demandez^  par  l'adresse  que  vous  m'in- 
diquez. 

Mille  respects  à  M'""  de  RufToy,  comme  à  vous. 

4186.—   A    M.   PIERRE   R0USSEAU3. 

Au  château  de  Ferney,  pays  de  Gcx,  10  mars  1761. 

La  personne  en  question  a  reçu  le  paquet  du  k  mars.  Il  faut 
qu'on  ait  envoyé  à  Bouillon  une  copie  défigurée.  Voici  ce  que 
porte  l'original  que  nous  avons  sous  les  yeux  : 

Au  camp  du  roi  les  prêtres  le  portèrent 

Et  de  leurs  pleurs  les  chemins  arrosèrent. 

Paul  Tirconel,  homme  en  tout  violent, 

Prenait  toujours  son  parti  promplement. 

Il  détesta  depuis  cette  aventure, 

Et  femme,  et  fille,  et  toute  la  nature. 

Il  monte  un  barbe,  et  courant,  sans  valets, 

L'œil  morne  et  sombre,  et  ne  parlant  jamais. 

Le  cœur  rongé,  va  dans  son  humeur  noire 

Droit  a  Paris,  loin  des  rives  de  Loire. 

En  peu  de  jours  il  arrive  à  Calais,  etc. 

Le  manuscrit  que  nous  avons  est  de  l'année  1740,  et  nous  le 
croyons  écrit  de  la  propre  main  de  l'auteur,  quel  qu'il  soit. 

On  a  vu  une  Ode  sur  la  guerre  dans  le  Recueil  III;  cette  ode 
est  quatre  fois  trop  longue,  et  pleine  de  fautes  contre  la  langue. 
Elle  est  d'un  étranger  qui  a  beaucoup  d'esprit. 

On  est  ici  entièrement  de  l'avis  de  l'auteur  du  Journal  encyclo- 
pédique sur  la  Nouvelle  Uéloïse.  On  la  regarde  comme  un  mélange 
monstrueux  de  débauche  et  de  lieux  communs  de  morale,  sans 


1.  La  Nouvelle  Hcloisc. 

2.  La  Lettre  à  un  sénateur  bolonais  (le  marquis  Albergati  CapacelH). 

3.  Bibliothèque  royale  de  Belgique,  mst  11583.  Communiquée  par  M.  F.  Bru- 
netière. 


ANNKE    1761.  233 

intrigue,  sans  évcnomcnts,  sans  génie,  sans  intérêt  ;  apparemment 
que  l'auteur  du  journal  n'a  publié  dans  son  journal  un  extrait 
contre  sa  propre  pensée  que  pour  mieux  se  donner  le  droit  de 
faire  sentir  toute  l'impertinence  de  ce  roman. 

On  fait  mille  compliments  à  M.  R.,  et  on  lui  est  très-dévoué. 
On  le  remercie  du  petit  imprimé,  il  n'était  pas  assurément  fait 
pour  souiller  le  Journal  encyclopédique;  cela  n'est  bon  que  pour 
Fréron. 

4487.  —  A  MADAME   LA  COMTESSE  DE  LITZE  LBO  L  RG. 

A  Ferncy,  10  mars. 

Pour  Dieu,  madame,  envoyez-moi  le  portrait  de  M""  de  Pom- 
padour;  j'aimerais  mieux  avoir  le  vôtre,  mais  vous  ne  voulez  pas 
vous  faire  peindre;  il  faut  faire  quelque  chose  pour  ses  amis, 
madame.  Si  vous  n'avez  pas  de  copiste  à  Strasbourg,  osez  me 
confier  l'original.  J'ai  de  la  probité,  je  suis  exact,  je  ne  le  garde- 
rai pas  quinze  jours.  Faites-moi  cette  petite  faveur,  je  vous  en 
conjure. 

Où  est  actuellement  monsieur  votre  fils?  Je  plains  ses  clievaux, 
quelque  part  qu'il  soit,  car  je  crois  les  retraites  promptes  et  les 
fourrages  rares.  Il  est  plaisant  d'avoir  dépensé  cinq  ou  six  cents 
millions  pour  quelques  voyages  dans  la  liesse  en  quatre  ans.  On 
aurait  fait  le  tour  du  monde  à  meilleur  marché.  Je  n'ai  d'autre 
nouvelle  dans  mon  enceinte  de  montagnes,  sinon  qu'on  ne  me 
paye  point  ;  mais  je  plains  beaucoup  plus  ceux  qu'on  égorge  que 
ceux  qu'on  ruine. 

Avez-vous  actuellement,  madame,  auprès  de  vous  votre  fidèle 
compagne*?  Vous  portez-vous  bien?  Êtes-vous  contente?  Je  ren- 
contrai hier  dans  mon  chemin  un  borgne,  et  je  me  réjouis 
d'avoir  encore  deux  yeux.  Je  rencontrai  ensuite  un  homme  qui 
n'avait  qu'une  jambe,  et  je  me  félicitai  d'en  avoir  deux,  toutes 
mauvaises  qu'elles  sont.  Quand  on  a  passé  un  certain  Age,  il  n'y  a 
guère  que  cette  faron-là  d'être  heureux  :  cela  n'est  pas  bien  bril- 
lant, mais  c'est  toujours  une  petite  consolation,  lu  beau  soleil 
est  encore  un  grand  plaisir  ;  mais  il  me  semble  que  vous  n'avez 
jamais  cbaud  survos  bords  du  Ithin.  N'avez-vous  pas  fait  embellir 
et  peigner  votre  jardin  ?  Autre  ressource  qui  n'est  pas  à  négliger. 
Je  vous  avertis,  madame,  cpie  j'ai  fait  les  plus  beaux  potagers  du 
royaume;  vous  ne  vous  en  souciez  guère,  Puisslez-vous  avoir  le 

1.  M""  de  Brumntli. 


234  CORRESPONDANCE. 

goiU  (le  cet  nninsemcnt!  Mais  on  ne  se  donne  rien.  Si  vous  n'êtes 
pas  née  jardinière,  vous  ne  le  serez  jamais. 

4488.    —  A  M.   DE    C  IIEN  E  VIÈRES  i. 

A  Fernej',  14  mars*. 

Je  ne  vous  ai  point  remercié,  mon  cher  ami,  de  toutes  vos 
attentions;  nous  avons  été  occupés  à  jouer  la  comédie;  il  a  fallu 
faire  le  théâtre,  la  pièce  et  les  acteurs.  J'en  excepte  M""'  Denis,  que 
sa  nature  a  faite  une  excellente  actrice.  M""  Corneille  l'est  deve- 
nue. Je  ne  m'étais  pas  attendu  qu'elle  développerait  un  talent  si 
marqué.  Elle  dit  des  vers  comme  son  oncle  les  faisait.  Nous 
avons  un  théâtre  digne  d'elle,  mieux  entendu,  mieux  orné,  plus 
éclairé  que  celui  de  Paris  ;  et,  ce  qui  est  fort  extraordinaire,  nous 
avons  un  auditoire  composé  de  très-bons  juges.  Il  y  a  beaucoup 
d'esprit  dans  l'enceinte  de  nos  montagnes,  et  point  de  cabales  ; 
on  ne  vient  à  notre  spectacle  que  pour  avoir  du  plaisir.  Que  ne 
pouvons-nous  jouir  de  celui  de  vous  y  voir  !  Je  vous  embrasse. 

4489.  —   A   M.    FARRY3. 

Je  suis  tout  prêt  sans  doute,  mon  cher  monsieur,  à  tirer  la 
commune  de  Fernex  ou  Ferney  du  bourbier  où  le  chicaneur  Bu- 
dée  de  Montréal  l'avait  plongée  ;  et,  quoiqu'il  me  reste  très-peu 
d'argent,  attendu  qu'on  me  pille  de  tous  côtés,  cependant  je 
payerai  volontiers  pour  ces  malheureux. 

J'ai  passé  l'acte  dans  cette  vue,  mais  suivant  le  bon  plaisir  de 
monsieur  l'intendant.  Il  faut  donc  qu'il  réforme  son  bon  plaisir;  il 
faut  donc  qu'ayant  ordonné  que  tout  le  village  se  cotise  il  ordonne 
à  présent  que  les  communiers  empruntent.  Je  laisse  h  vos  soins, 
à  votre  prudence  et  à  vos  bontés,  l'arrangement  de  cette  petite 
affaire.  Tout  ce  que  vous  déterminerez  sera  bien  fait.  Vous  êtes 
accoutumé  à  débrouiller  des  choses  plus  difficiles,  et  vous  mettez 
partout  de  la  facilité  et  de  la  justice.  Quand  vous  voudrez  me 
communiquer  vos  idées  et  vos  ordres  sur  le  très-inculte  et  très- 
misérable  pays  de  Gex,  je  tâcherai  de  marcher  à  votre  suite. 

J'ai  l'honneur  d'être,  avec  tous  les  sentiments  d'estime  et  de 
confiance  qu'on  vous  doit,  monsieur,  votre  très-humble  et  très- 
obéissant  serviteur. 

1.  Éditeurs,  de  Cayrol   et   François. 

2.  Cette  lettre  est   de    1761,  et  non  de  1763. 

3.  Éditeurs,  Bavoiix  et  François. 


ANNÉE    17  61.  235 

4490.  —  A  M.   LE    COMTE   D'ARGENTAL. 

A  Fernoy.  10  mars. 

C'est  pourtant  aiijourdlnii  le  jeudi  de  l'absoute,  mes  chers 
anges,  et  Lekain  n'est  point  arrivé.  J'ai  ouï  dire  des  choses  qui 
percent  le  cœur.  Est-il  donc  bien  vrai  que  Lekain  ait  été  en  prison 
pour  n'avoir  eu  un  congé  que  de  M.  le  duc  d'Aumont,  et  pour 
n'en  avoir  pas  pris  deux?  .M"-  Corneille  avait  appris  trois  rôles; 
notre  théâtre  était  tout  arrangé,  et  surtout  nous  nous  attendions 
à  voir  Lekain  muni  de  vos  lettres  et  de  vos  ordres.  Toutes  ces 
belles  espérances  ont  été  détruites  par  la  noble  sévérité  du  pre- 
mier gentilhomme  de  la  chambre. 

J'espérais  encore  que  Lekain  m'apporterait  une  édition  de  ce 
Tancrhle  qui  doit  tant  à  vos  bontés,  et  de  cette  petite  vengeance 
que  j'ai  tirée  de  Voutrecu iilance  tingWiSQ.  Le  Prault  petit-fils  est  un 
petit  drôle  :  il  va  criant  que  cette  justification  *  de  Corneille,  que 
ce  plaidoyer  contre  Shakespeare,  que  cette  préférence  donnée  à 
la  politesse  française  sur  la  barbarie  anglaise,  est  un  ouvrage  de 
votre  créature  des  Alpes. 

Ce  Prault  est  peu  discret 
D'avoir  dit  mon  secret*. 

Ce  Prault  a  joué  d'un  tour  i'i  Cramer.  Il  y  un  nouveau  tome* 
tout  garni  de  facéties  :  c'est  Candide,  Socmte,  l'Ecossaise,  et  choses 
hardies.  ((  Envoyez-moi  ce  tome  par  la  poste,  écrit  Prault  à  Cra- 
mer, afin  que  je  juge  de  son  mérite,  et  que  je  voie  si  je  peux  me 
charger  de  quinze  cents  de  vos  exemplaires.  »  Cramer  envoie 
son  tome  comme  un  sot  ;  Prault  l'imprime  en  deux  jours,  et  pro- 
bablement y  met  mon  nom  pour  me  faire  brûler  par  Orner.  Ah! 
mes  chers  anges,  que  ce  coquinet  ôte  mon  nom!  Il  no  faut  pas 
être  brûlé  tous  les  six  mois. 

.Mes  chers  anges,  il  est  vrai  que  j'ai  un  beau  sujets  ([ue  je 
pense  i)ouvoir  donner  un  peu  de  force  à  la  tragédie  française, 
((110  j'imagine  qu'il  y  a  encore  une  route,  que  je  ressemble  h 
ringf'iiieur  du  roi  de  Narzingue  %  qui  s'avisait  de  toutes  sortes  de 

1.  I,' Appel  à  tonl('s  les  nations  de  l'Europe;  voyez  tome  XXIV,  page  l'.U. 

2.  Quinaull,  Alceste,  acte  I,  scène  iv. 

.3.  Il  est  intitulé  Seconde  Suite  de%  Mi'lnnrjcs  de  litlcruture,   d'histoire,    et   de 
philosophie. 

4.  Cm  sujet  était  celui  de  Don  Vèdir. 
î>.  Voltaire  désigne  ainsi  Mauperluis. 


236  CORIllîSPONDANCE. 

sottises;  mais  attendons  le  moment  de  l'inspiration  pour  tra- 
vailler. Je  suis  à  présent  dans  les  horreurs  de  VHistoire  géné- 
rale qu'on  réimprime;  mais  que  de  changements!  le  tableau 
n'était  qu'en  miniature  ;  il  est  grand.  Mes  anges  verront  le 
genre  humain  dans  toute  sa  turpitude,  dans  toute  sa  démence. 
Omer  frémira-  je  m'en  moque  :  Orner  n'aura  jamais  ni  un  aussi 
joli  chûteau  que  moi,  ni  de  si  agréables  jardins.  Vous  saurez  que 
j'ai  fait  des  jardins  qui  sont  comme  la  tragédie  que  j'ai  en  tête; 
ils  ne  ressemblent  à  rien  du  tout.  Des  vignes  en  festons,  à  perte 
de  vue;  quatre  jardins  champêtres,  aux  quatre  points  cardinaux; 
la  maison  au  milieu;  presque  rien  de  régulier.  Dieu  merci!  ma 
tragédie  sera  plus  régulière,  mais  aussi  neuve.  Laissez-moi  faire; 
plus  je  vieillis,  plus  je  suis  hardi.  Mes  chers  anges,  soyez  aussi 
hardis;  faites  jouer  Oreste;  faites  une  brigue,  je  vous  en  prie; 
qu'on  entende  les  cris  de  Glytemnestre,  que  Clairon  et  Dumesnil 
joutent,  que  Lekain  fasse  frissonner  :  les  comédiens  me  doivent 
cette  complaisance.  Vous  m'allez  dire  :  Fanime,  Fanime;  eh  bien! 
il  est  vrai  que  Fanime,  Énide,  et  le  père,  sont  d'assez  beaux 
rôles;  mais  l'amant  est  benêt,  soyez-en  sûrs.  Il  faut  que  je  donne 
une  meilleure  éducation  à  ce  fat;  il  faut  du  temps.  J'ai  VHistoire 
générale  et  une  demi-lieue  de  pays  à  défricher,  et  des  marais  à 
dessécher,  et  un  curé  à  mettre  aux  galères  :  tout  cela  prend 
quelques  heures  d'un  pauvre  malade. 

Voici  une  Èpilre  sur  l'Agriculture  dont  vous  ne  vous  soucierez 
point;  vous  n'aimez  pas  la  chose  rustique,  et  j'en  suis  fou.  J'aime 
mes  bœufs,  je  les  caresse,  ils  me  font  des  mines.  Je  me  suis  fait 
faire  une  paire  de  sabots  ;  mais  si  vous  faites  jouer  Oreste,  je  les 
troquerai  contre  deux  cothurnes,  sous  l'ombrage  de  vos  ailes. 
Et  vos  yeux  ?  parlez-moi  donc  de  vos  yeux. 


4491.   —  A    M.   D'ALEMBERT. 

A  Feniey,  19  mars. 

Mon  très-digne  et  ferme  philosophe,  vrai  savant,  vrai  bel 
esprit,  homme  nécessaire  au  siècle,  voyez,  je  vous  prie,  dans 
mon  ÈpUre  à  M""'  Denise  une  partie  de  mes  réponses  à  votre 
énergique  lettre. 

Mon  cher  archidiacre  et  archi-ennuyeux  Trublet  est  donc  de 
l'Académie  !  Il  compilera  un  beau  discours  de  phrases  de  La- 

i.  Sur  l'Agriculture;  voyez  tome  X. 


AXNI^E    1761.  237 

inotle.  Je  voudrais  que  vous  lui  répondissiez,  cela  ferait  un  Ijeau 
contraste.  Je  crois  que  vous  accusez  à  tort  C/aru/i-d'Ulivet  ;  11 
n'est  pas  homme  à  donner  sa  voix  à  l'aumônier  d'Iloudard  et  do 
Fontenelle.  Imputez  tout  au  surintendant  de  la  reine  '. 

Ce  qu'il  y  a  de  désespérant  pour  la  nature  humaine,  c'est 
que  ce  ïrublet  est  athée  comme  le  cardinal  de  ïencin,  et  que  ce 
malheureux  a  travaillé  au  Journal  chrétien  pour  entrer  à  l'Aca- 
démie par  la  protection  de  la  reine.  Les  philosophes  sont  désu- 
nis; le  petit  troupeau  se  mange  réciproquement,  quand  les  loups 
viennent  à  le  dévorer.  C'est  contre  votre  Jean-Jacques  que  je  suis 
le  plus  en  colère.  Cetarchi-fou,  qui  aurait  pu  être  quel(|ue  chose 
s'il  s'était  laissé  conduire  par  vous,  s'avise  de  faire  bande  à  part; 
il  écrit  contre  les  spectacles,  après  avoir  fait  une  mauvaise  comé- 
die *  ;  il  écrit  contre  la  France,  qui  le  nourrit  ;  il  trouve  quatre 
ou  cinq  douves  pourries  du  tonneau  de  Diogène,  il  se  met  dedans 
pour  aboyer;  il  abandonne  ses  amis;  il  m'écrit,  à  moi,  la  plus 
impertinente  lettre  que  jamais  fanatique  ait  grilTonnée.  Il  me 
mande,  en  propres  mots  :  «  Vous  avez  corrompu  Genève,  pour 
prix  de  l'asile  qu'elle  vous  a  donné  '  ;  »  comme  si  je  me  sou- 
ciais d'adoucir  les  mœurs  de  Genève,  comme  si  j'avais  besoin 
d'un  asile,  comme  si  j'en  avais  pris  un  dans  cette  ville  de  prèdi- 
iwits  sociniens,  comme  si  j'avais  quelque  obligation  à  cette  ville. 
Je  n'ai  point  fait  de  réponse  à  sa  lettre  ;  M.  de  Ximenès  a  répondu 
pour  moi,  et  a  écrasé  son  misérable  roman  *.  Si  Rousseau  avait 
été  un  homme  raisonnable  à  qui  on  ne  pût  reprocher  qu'un 
mauvais  livre,  il  n'aurait  pas  été  traité  ainsi.  Venons  à  Pancmce- 
Colardeau.  C'est  un  courtisan  de  Pompignan  et  de  Fréron  ;  il 
n'est  pas  mal  de  plonger  le  museau  de  ces  gens-là  dans  le  bour- 
bier de  leurs  maîtres. 

Mon  digne  philosophe,  que  deviendra  la  vérité?  que  deviendra 
la  philosophie?  Si  les  sages  veulent  être  fermes,  s'ils  sont  hardis, 
s'ils  sont  liés,  je  me  dévoue  pour  eux;  mais  s'ils  sont  divisés, 
s'ils  abandoiment  la  cause  commune,  je  ne  songe  plus  (ju'à  ma 
charruo,  à  mes  bœufs,  et  à  mes  moutons.  Mais,  en  cultivant  la 
teri'e,  je  |)rierai  Dieu  (jue  vous  l'éclairiez  toujours,  et  vous  me 
tiendrez  lieu  de  public. 


1.  Le  présiilciit  llcnaull. 

2.  Narcisse,  ou  l'Amant  de  lui-même. 

3.  Voyez    les  eiprcssions   de   J.-J.    Rousseau   dans  la  lettre    UoJ,    tome  \L, 
page  i'-'3. 

4.  Ximenès  laissa  mcllrc   son   nom  aux  Lettres  sur  la  IS'uuvelle  llcloisc,  qui 
fconl  de  Voltaire;  voyci  lomo  XXIV,  pa{je  lOJ. 


238  CORUESPONDANCE. 

Que  dites-vous  du  bonnet  carrée  de  Midas-Omcv? 
Je  vous  embrasse  tendre nicnl. 


4492.   —   A   M.   L'ABBÉ    D'OLIVET. 

A  Fcrncy,  pays  de  Gcx,  19  mars. 

Vos  lettres  sont  venues  à  bon  port,  mon  très-cher  maître.  Les 
veredarii  sont  exacts,  parce  qu'il  leur  en  revient  quelque  chose. 
Il  est  vrai  que  j'ai  été  obligé  d'avertir  que  je  ne  recevais  point  de 
lettres  d'inconnus,  et  vous  trouverez  que  j'ai  eu  raison  quand 
vous  saurez  que  très-souvent  la  poste  m'apportait  pour  cent  francs 
de  paquets  de  gens  discrets  qui  m'envoyaient  leurs  manuscrits  à 
corriger  ou  à  admirer.  Le  nombre  des  fous  mes  confrères,  quos 
scribendi  cacoethes  tenet-,  est  immense.  Celui  des  autres  fous,  à 
lettres  anonymes,  n'est  pas  moins  considérable.  Mais  pour  vous, 
mon  cher  abbé,  qui  êtes  très-sage,  et  qui  m'aimez,  sachez  qu'une 
de  vos  lettres  est  un  de  mes  plus  grands  plaisirs,  et  serait  ma 
plus  chère  consolation,  si  j'avais  besoin  d'être  consolé. 

Vous  parlez  de  brochures  ;  il  y  a  autant  de  feuilles  dans  Paris 
qu'à  mes  arbres  ;  mais  aussi  la  chute  des  feuilles  est  fréquente. 
On  en  a  imprimé  une  de  moi  où  il  est  question  de  vous  ^  et  de 
la  langue  française,  à  laquelle  vous  avez  rendu  tant  de  services. 
C'est  une  réponse  que  j'avais  faite  à  M.  Deodati  Tovazzi,  qui 
disait  un  peu  trop  de  mal  de  notre  langue. 

Je  savais  que  l'archidiacre  ^  de  Fontenelleet  de  Lamottc  était 
admis  pour  compiler,  compiler  des  phrases  à  notre  tripot,  et 
qu'on  vous  accusait  d'avoir  molli  en  cette  occasion.  Je  crois,  mon 
cher  maître,  qu'on  vous  calomnie. 

L'abbé  Trublel  m'avait  pétrifié  ^. 

Mais  pourquoi  ne  serait-il  pas  de  l'Académie  ?  L'abbé  Cotin 
eji  était  bien  :  j'attends  l'abbé  Le  Blanc  avec  une  impatience 

t.  Allusion  à  ces  vers  de  VÉpitre  à  i/'»«  Denis  : 

Sous  son  bonnet  carré,  que  ma  main  jette  à  bas, 
Je  découvre  en  riant  la  tête  de  Midas. 

2.  Juvéïial,  satire  vu,  vers  51-52,  a  dit  : 

Tenet  iusanabilo  multos 

Scribendi  cacoethes. 

3.  Voyez,  page  171,  un  passage  de  la  lettre  4i32. 

4.  Trublet. 

5.  Vers  du  Pauvre  Diable;  voyez  tome  X. 


ANNÉE    <76l.  239 

extrême.  J'ai  une  querelle  avec  vous  sur  les  vers  croisés.  Je 
trouve  qu'ils  sauvent  l'uniformité  de  la  rime,  qu'on  peut  se  pas- 
ser avec  eux  de  frhrcs  luis,  et  qu'ils  sont  harmonieux. 

LiceiUia  sumpla  pudeiiter 

(II-i:.,  (le  Art.jwcl.,  V.  51.) 

n'est  pas  mal;  mais  je  vous  dirai  à  l'oreille  que  c'est  un  écueil. 
Il  y  a  dans  ce  genre  de  vers  un  rliytlime  caché  fort  difllcile  à 
attraper.  Si  quelqu'un  m'imite,  il  courra  des  risques.  J'aimerais 
passionnément  à  m'entretenir  avec  vous  de  littérature,  et  à  pleu- 
rer sur  la  notre.  Mais  vous  vous  moquez  de  moi  avec  votre  ban- 
lieue; il  faudrait  que  je  fusse  d'avance  imhécile  de  quitter  les 
deux  lieues  de  pays  que  je  possède,  et  où  je  suis  indépendant, 
pour  Arcueil  et  pour  Gentilly.  Tenez,  tenez,  voici  ma  réponse 
dans  ce  paquet  : 

Ad  urbe//i  non  desccndet  vates  tuus; 

(HOR.,  lib.  I,  ep.  vu,  v.  H.) 

Omilte  mirari  beata) 
Fumum,  et  opes,  strepitunKjue  Paris. 

(IL.R.,  Iir,  ud.  X\IX,  V.  II.) 

Je  n'ai  eu  l'idée  du  bonheur  que  depuis  que  je  suis  chez  moi 
dans  la  retraite.  Mais  quelle  retraite!  J'ai  quelquefois  cinquante 
personnes  à  table  ;  je  les  laisse  avec  M""=  Denis,  qui  fait  les  hon- 
neurs, et  je  m'enferme.  J'ai  bûti  ce  qu'en  Italie  on  appelle  un 
palazzo;  mais  je  n'en  aime  que  mon  cabinet  de  livres,  senectutcm 
(liant  K  Vivez,  mou  cher  abbé;  on  n'est  point  vieux  avec  de  la 
santé.  Je  veux,  avant  de  mourir,  vous  adresser  une  Épître  sur  le 
peu  d'usage  que  font  nos  littérateurs  de  vos  préceptes  et  de  vos 
exemples.  Quel  style  que  celui  d'aujourd'hui!  M  nombre,  ni  har- 
monie, ni  grâce,  ni  décence.  Chacun  cherche  à  faire  des  sauts 
périlleux.  Je  laisse  les  (iilles  sur  leur  corde  h\chc,  et  j(,'  cultive 
comme  je  peux  mes  champs  et  ma  raison. 

M.  de  Chimènc  vous  remercie  :  il  a  du  goût;  il  étudie  beau- 
coup; il  a  lu  vos  ouvrages;  il  aime  mieux  votre  préface  sur  de 
Xaturti  clcorum,  et  votre  Histoire  de  lu  l'hilosopltic,  (jue  les  tours  (k' 
force  de  Jean-Jac([ues,  lecpicl  Jean-Jacques  mérite  la  petite  cor- 
rection ((u'il  a  reeue.  Adieu  encore  une  fois. 

1.  Cici;ron,  diiiis  son  oraison  l'io  Aiclua  pueta,  caii.  vu,  ilil  :  «  Adolcsceutiaiii 
aluni,  scucctulcni  oblucluiil.  » 


240  COIUIESPONDANCE. 

4493.    —   A    M.    DAMILAVILLL;. 

A  Feniey,  10  mars. 

Je  suis  fâché  contre  M.  Tliieriot  le  paresseux  ;  je  suis  enchanté 
de  M.  Damilaville  le  diligent.  Je  reçois  nnlerprèlalion  de  la 
nature^,  livre  auquel  je  n'avais  pu  encore  parvenir,  non  plus 
qu'au  sujet  qu'il  traite.  Je  vais  le  lire,  et  je  suis  sûr  que  je  trou- 
verai cent  traits  de  lumière  dans  cet  abîme. 

Voilà  donc  Jean-Jacques  politique-  ;  nous  verrons  s'il  gouver- 
nera l'Europe  comme  il  a  gouverné  la  maison  deM""^  de  Wolmar. 
C'est  un  étrange  fou.  Il  m'écrivit,  il  y  a  un  an  '  :  Vous  avez  cor- 
rompu la  ville  de  Genlve,  pour  prix  de  l'asile  quelle  vous  a  donné.  Ce 
pauvre  bâtard  de  Diogène  voulait  alors  se  faire  valoir  parmi  ses 
compatriotes  en  décriant  les  spectacles  ;  et,  dans  son  faux  enthou- 
siasme, il  s'imaginait  que  je  vivais  à  Genève,  moi  qui  n'y  ai  pas 
couché  deux  nuits  depuis  cinq  ans.  Il  a  l'insolence  de  me  dire 
que  j'ai  un  asile  à  Genève,  à  moi  qui  ai  pour  vassaux  plusieurs 
des  magistrats  de  sa  république,  parmi  lesquels  il  n'y  en  a  pas 
un  qui  ne  le  regarde  comme  un  insensé.  Il  m'olTense  de  gaieté 
de  cœur,  moi  qui  lui  avais  offert  non  pas  un  asile,  mais  ma 
maison,  où  il  aurait  vécu  comme  mon  frère.  Je  fais  juge  M.  Dide- 
rot, M.  ïhieriot,  et  tous  nos  amis,  du  procédé  de  Jean-Jacques  ; 
et  je  leur  demande  si,  quand  un  détracteur  de  Corneille,  de 

Racine,  de  Molière,  fait  un  roman  dont  le  héros  va  au  b ,  et 

dont  l'héroïne  fait  un  enfant  avec  son  précepteur,  il  ne  mérite 
pas  bien  le  mépris  dont  M.  de  Ximenès  daigne  l'accablera 

L'abbé  Trublet  a  donc  la  place  du  maréchal  de  Belle-Isle? 
vous  verrez  qu'il  n'aura  que  celle  de  l'abbé  Cotin. 

Monsieur  Thieriot  le  paresseux,  un  petit  mot,  je  vous  prie. 
Quand  il  faudra  écrire  à  M.  de  Courteilles,  ordonnez. 

4i9i.  —  A  M.    MARMONTEL. 

A  Ferney,  21  mars. 

Consolons-nous,  mon  cher  ami,  vous  avec  l'espérance,  moi 
avec  ma  charrue.  L'abbé  Cotin  était  de  l'Académie;  mais  des 
hommes  de  mérite  en  furent  aussi,  et  vous  en  serez. 

i.  Voyez  la  note,  tome  XL,  page  42i. 

2.  J.-J.  Rousseau  venait  de  publier  son  Extrait  du  projet  de  paix  perpcluelle 
de  l'abbé  de  Saint- Pierre,  1761,  in-8?. 

3.  Voyez,  tome  XL,  page  423,  le  dernier  alinéa  do  sa  lettre  du  17  juin  1700. 

4.  Voyez  tome  XXI V,  page  103. 


ANNÉE    I7G1.  -241 


Inlerea  facit  indignatio  versum. 

(.JuvEN.,  sat.,  I,  lib.  I,  V.  "9.) 

Je  vous  envoie  mes  motifs  de  consolation.  Courage,  mon  cher 
élève;  le  public  vous  nomme,  et  il  siOle  l'abbé  Trublet*.  Vous 
avez  pour  vous  M"'"  de  Pompadour  et  vos  talents.  Puissiez-vous 
revenir  aux  Délices,  et  ne  jamais  souper  avec  M.  et  M'"'  de  Wolmar  ! 
Je  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur. 

4495.    —  A  M.   LE  K  AIN. 

Au  château  de  Ferney,  23  mars. 

Nous  comptions  sur  vous,  et  nous  ne  comptons  plus  sur  rien 
que  sur  notre  amitié  pour  vous  et  sur  vos  sentiments.  Mandez- 
nous,  mon  cher  Roscius,  ce  que  c'est  que  votre  triste  aventure, 
à  laquelle  nous  nous  intéressons  bien  vivement,  M"'<=  Denis  et 
moi.  Il  y  a  près  d'un  mois  que  je  n'ai  reçu  de  lettres  de  M.  d'Ar- 
gental.  Le  petit  Prault  ne  m'a  pas  seulement  envoyé  un  exem- 
plaire de  Tancrède.  Vous  voyez  que  je  suis  aussi  abandonné  que 
vous  êtes  persécuté.  Au  surplus,  prenez  tout  gaiement;  faites- 
vous  applaudir,  cela  console  de  tout. 

J'ignore  si  on  pourra  déterminer  M""  Dumesnil  à  jouer  Cly- 
temnestrc  ;  mais  je  sais  que  vous  ferez  bien  valoir  le  rùlc  d'Oreste. 
Je  suis  déterminé  à  ne  rien  donner  à  moins  qu'on  ne  joue  cette 
pièce;  vos  camarades  me  doivent  peut-être  cette  complaisance. 
Je  vous  prie  d'en  parler  à  M.  d'Argcntal,  et  de  me  répondre  sur 
tous  ces  articles;  celui  qui  vous  regarde  est  le  plus  intéressant 
pour  moi.  Je  vous  embrasse. 

4496.  —  A   MADAME   LA    DUCHESSE    DE     SAXE-GOTHA-'. 
A  Ferney,  pays  de  Gc.\,  par  Genève,  25  mars. 

Madame,  Votre  Altesse  sérénissime  daigne  bien  connaître 
mon  cœur  :  je  suis  attaché  ù  votre  grande  maîtresse,  et  pour 
elle-même,  et  pour  vous.  Votre  amitié  prouve  combien  elle  est 
digne  d'être  aimée.  Je  supplie  Votre  Altesse  sérénissime  de  vou- 
loir bien  me  permettre  «lue  j'insère  dans  ce  paquet  un  petit  mot 
qui  lui  fasse  connaître  (pie  je  lui  suis  attaché,  comme  je  l'étais 

1.  .Nomini';  à  l'Académie  française  à  la  place  de  I5elle-Isle,  il  y  fut  reçu  le 
13  avril  1701. 

2.  Éditeurs,  Bavoux  et  François. 

41.  —  Coiiii  i: '•iKM)  \.\c.E.  I\.  H) 


242  CORRESPONDANCE. 

quand  j'avais  le  bonheur  de  partager  avec  elle  l'honneur  d'être 
dans  votre  cour  \  Nous  sommes  tous  condamnés  à  cette  funeste 
séparation  qu'elle  vient  d'essuyer.  Tout  finit,  et  finit  bien  vite. 
Cette  réllexion,  que  l'on  fait  si  souvent,  devrait  bien  porter  les 
souverains  à  ne  pas  précipiter  la  fin  de  tant  de  milliers  d'hommes. 
Mais  il  est  dit  qu'ils  feront  des  malheureux  et  qu'ils  le  seront 
aussi  :  voilù  leur  destinée. 

Vous  êtes  donc  débarrassée  de  nous  2,  madame  ;  voilà,  je  crois, 
sept  ou  huit  mille  de  vos  courtisans  et  de  vos  admirateurs  hors 
de  vos  États.  Ils  doivent  peut-être  quelque  argent  à  Votre  Altesse 
sérénissiine,  et  l'on  paye  mieux  en  temps  de  paix  qu'en  temps 
de  guerre. 

Je  ne  sais  comment  elle  a  pu  trouver,  pendant  tout  ce  remue- 
ménage,  le  temps  de  lire  Tancrede.  Cette  pièce  vaut  mieux  à  la 
représentation  qu'à  la  lecture;  cela  faisait  un  beau  spectacle 
de  chevalerie.  Mais  à  mon  âge,  un  pauvre  malade  fait  des  vers 
qui  sont  aussi  faibles  que  lui.  11  y  a  une  épître  à  la  fin,  dans 
laquelle  Votre  Altesse  sérénissime  m'aura  trouvé  plaisamment 
dévot;  mais  c'est  qu'il  y  a  des  gens  qui  sont  bien  sottement 
hypocrites,  et  d'autres  furieusement  fanatiques.  Ce  monde-ci  est 
une  guerre  perpétuelle  de  prince  à  prince,  de  prêtre  à  prêtre,  de 
peuple  à  peuple,  de  barbouilleur  à  barbouilleur  de  papier.  Le 
seul  papier  que  j'emploie  bien  est  celui  où  je  présente  mon  pro- 
fond respect  à  Votre  Altesse  sérénissime. 

Le  Suisse  V. 

4497.   —  A  M.   DE    CIDEVILLE. 

Aux  Délices,  26  mars. 

Mon  cher  et  ancien  ami,  nous  sommes  tous  malades.  Nous  avons 
quitté  Ferney  pour  revenir  aux  Délices,  à  portée  des  Tronchin. 
M'"'  Denis  se  fait  saigner,  et  moi  je  cherche  à  faire  diversion  en 
vous  écrivant.  Si  on  saigne  aussi  la  petite-nièce  du  grand  Cor- 
neille, je  demanderai  que  l'on  mette  quelques  gouttes  de  son 
sang  dans  mes  veines,  si  faire  se  peut,  pour  la  première  tragédie 
que  je  ferai. 

M.  de  Chimène  est  le  seul  de  la  maison  qui  ait  résisté  à  l'épi- 
démie; il  s'était  purgé  par  les  Lettres  sur  Jean-Jacques.  Voici  un 
Rescrit  de  Vempereur  de  la  Chine  '  sur  la  Paix  perpétuelle  que  ce 

1.  En  1753. 

2.  De  Brog-lie  s'était  replié  sur  Hanau  et  Francfort. 

3.  N'oyez  tome  XXIV,  pai^e  231. 


ANNÉE    17  6.1.  243 

Jean-Jacques  va  nous  procurer.  Assurez-vous  de  cela,  en  atten- 
dant la  diète  européane.  Ce  petit  rogaton  n'enflera  pas  beau- 
coup le  paquet.  Je  voudrais  vous  envoyer  une  grande  diable 
tVÉpître  en  vers  à  M"^^  Denis,  sur  l'Agriculture,  que  nous  aimons 
tous  deux.  Si  vous  en  êtes  curieux,  demandez-la  à  M.  d'Argental 
ou  à  M,  Thieriot;  elle  ne  vaut  pas  le  port. 

Je  vous  suppose  à  Paris,  sanurn  et  hilarcm;  je  suis  hilaris,  mais 
non  sanus :  si  j'avais  de  la  santé,  on  verrait  beau  jeu... 

Adieu  ;  je  vous  embrasse  tendrement.  V. 

4498.    —   A  M.   DAMILAVILLE. 

20  mars. 

J'envoie  aux  amis  ce  rogaton;  cela  amuse  un  moment. 
J'ai   reçu  la  fade  imitation  *  de  la  Mort  et  de  l'Apparition  du 
révérend  Père  Berthier. 

0  imitatorcs,  servum  pecus  ! 

I(HOK.,   lib.    I.    op.    XIX.) 

L'épigramme-  sur  ce  pauvre  La  Coste,  associé  de  Fn-roii, 
vaut  mieux,  et  n'est  point  imitée. 

Je  fais  mes  compliments  à  mes  frères,  et  je  retourne  à  mes 
maçons. j 

Diruit,  îcdificat 

Insanire  putes,  etc. 

(HoR.,  lit).  I,  ep.  I.) 

4499.  —  A  M.  !LE  |BRUi\. 

Aux  Délices,  20  mars. 

Je  confie,  monsieur,  à  votre  probité,  à  votre  zèle,  et  à  votre 
prudence,  qu'un  gentilhomme  des  environs  de  Gcx,  nommé 
M.  de  Crassier',  capitaine  au  régiment  de  Deux  Ponts,  nous  a 
demandé  M"'  Corneille  en  mariage  pour  un  gentiihoMime  do  ses 
parents. 

Celui  (jui  avait  (•ctlc  alliance  en  vue  demaiidaii  une  tille 
noide,  bien  élevée,  et  dont  les  mœurs  convinssent  à  la  simj)li- 
cité  d'un  pays  qui  tient  beaucoup  de  la  Suisse.  Le  hasard  a  fait 

1.  Sans  doute  la  Relation  de  la  maladie,  de  la  confession,  et  tic  la  fin  de  M.  d' 
Voltaire;  Genève,  1701,  in-12;  facétie  anonyme  de  Sélis,  mort  en  1S02.  (Cl.) 

2.  Voyez  cette  épigranime,  tome  X,  dans  les  Poésies  mêlées,  auuco  1701. 

3.  Crassy,  que  Voltaire  écrit  quolrjuufois  Crassier. 


244  CORRESPONDANCE. 

que  la  feuille  de  Fréron,  dans  laquelle  M"-  Corneille  est  déshono- 
rée, a  été  lue  par  ce  gentilhomme;  il  y  a  lu  que  «  le  père  de  la 
demoiselle  est  une  espèce  de  petit  commis  de  la  poste  de  deux 
sous,  t\  50  livres  par  mois  de  gages,  et  que  sa  fille  a  quitté  son 
couvent  pour  venir  recevoir  chez  moi  son  éducation  d'un  bate- 
leur de  la  Foire  ».  Cette  insulte  a  fait  beaucoup  de  bruit  à  Genève, 
où  les  feuilles  du  nommé  Fréron  sont  lues.  On  a  les  yeux  sur 
notre  maison.  Le  scandale  a  circulé  dans  toute  la  province.  Le 
gentilhomme  qui  se  proposait  pour  M"'  Corneille  a  été  très- 
refroidi,  et  il  est  vraisemblable  que  cet  établissement  n'aura  pas 
lieu.  Enfin  M""  Corneille  a  été  instruite  des  lignes  diffamatoires 
de  Fréron.  Jugez  de  son  état  et  de  son  aflliction!  Elle  a  pris  le 
parti  d'envoyer  un  mémoire  de  dix  ou  douze  lignes  à  M.  le 
comte  de  Saint-Florentin;  à  M.  Seguier,  avocat  général;  et  à  mon- 
sieur le  lieutenant  de  police*.  Nous  lui  avons  conseillé  cette  dé- 
marche. Ce  mémoire  est  aussi  simple  que  court  ;  et,  pour  peu 
qu'il  y  ait  encore  de  justice  et  d'honneur  chez  les  hommes,  la 
plainte  de  M"''  Corneille  doit  faire  une  grande  impression.  Nous 
savons  bien  que  M.  Seguier  ne  se  mêlera  pas  directement  de 
cette  affaire;  mais,  étant  informé  qu'il  est  personnellement  outré 
contre  ce  monstre  de  Fréron,  nous  avons  cru  qu'il  était  bon  de 
lui  adresser  un  mémoire. 

Nous  pensons,  M'''-^  Denis  et  moi,  que  si  vous  voulez  bien,  mon- 
sieur, appuyer  les  justes  plaintes  d'une  demoiselle  qui  porte  le 
nom  de  Corneille,  qui  vous  a  déjà  tant  d'obligations,  et  qui  se 
trouve  publiquement  déshonorée  par  un  scélérat,  enfin  qui  est 
sur  le  point  de  perdre  un  établissement  avantageux,  vous  réus- 
sirez infailliblement  en  représentant  à  M.  de  Saint-Florentin,  et  à 
M.  de  Sartine,  déjà  instruit  de  l'atrocité  du  nommé  Fréron,  l'im- 
pudence avec  laquelle  il  diffame  en  six  lignes  une  famille  entière, 
le  tort  irréparable  qu'il  fait  à  une  demoiselle  d'un  nom  respec- 
table ;  vous  engagerez  aisément  M.  Seguier  à  protéger  cette  vic- 
time que  Fréron  immole  à  sa  méchanceté. 

Je  le  répète,  monsieur,  si  on  avait  fait  cet  outrage  à  la  fille 
d'un  procureur,  l'auteur  de  l'insulte  serait  puni. 

Vous  communiquerez  sans  doute  ma  lettre  à  M.  du  Tillet, 
qui  doit  ressentir  plus  vivement  que  personne  l'auront  et  le  tort 


i.  Antoine-Raymond-Jean-Gualbert-Gabrlel  de  Sartine,  né  à  Barcelone  en 
1729,  lieutenant  général  de  police  depuis  le  l'^'"  décembre  1759  jusqu'en  mai 
1774;  ministre  de  la  marine  la  même  année,  et  jusqu'en  1780;  mort  à  Tarragone 
en  1801.  (B.) 


ANNÉE    1761.  Î45 

faits  c\  M""  Corneille.  Il  me  semble  que  vous  pouvez  parler  forte- 
ment à  M.  de  Saint-Florentin  et  à  M.  de  Sartiue.  J'ose  même 
présumer  que  monseigneur  le  prince  de  Conti  accordera  sa  pro- 
tection à  la  vertu  et  à  la  noblesse  insultées;  je  ne  sais  par  quelle 
méprise  on  a  pu  confondre  la  diffamation  de  cette  demoiselle 
avec  des  critiques  de  vers.  Il  s'agit  ici  de  l'honneur.  Nous  atten- 
dons tout  de  vous,  et  de  l'auguste  maison  où  vous  êtes. 
Votre  très-humble  et  très-obéissant  serviteur. 

Voltaire, 

4500.  —  DE   CHARLES-THÉODORE  ', 

ÉI.ECTEIR     PALATIN'. 

Manheim,  ce  28  mars. 

Je  vous  suis  très-obligé,  monsieur,  de  la  belle  tragédie  de  Tnncrède, 
que  vous  m'avez  envoyée,  avec  la  très-édifianle  lettre-  qui  la  suit.  On  vous 
lit  toujours  avec  un  nouveau  plaisir.  Tout  le  monde  littéraire  vous  prie  de 
lui  donner  encore  beaucoup  de  vos  ouvrages  avant  d'aller  habiter  la  Jérusa- 
lem céleste.  Vous  êtes  si  admiré  sur  la  terre  !  restez-y  tant  que  vous  pour- 
rez; et,  s'il  vous  est  possible,  venez  bientôt  revoir  un  de  ceux  qui  vous  ad- 
mirent le  plus.  Si  j'ai  tardé  longtemps  à  vous  écrire,  c'est  que  je  n'ai  pu  le 
faire  plus  tôt.  J'ai  été  accablé  d'affaires,  sans  les  soins  que  l'électrice  me 
donne  dans  sa  grossesse.  Si  vous  venez  à  Schwetzingen,  ,vous  verrez  un 
papa  jouer  avec  un  enfant;  et  après  l'avoir  bercé,  s'entretenir  avec  plaisir 
avec  son  cher  Suisse,  pour  qui  j'aurai  toujours  une  vraie  estime. 

Charles-Théodore,  électeur. 

4501.  —  A  .MADAME   RELOT». 

Aux  Délices,  29  mars. 

Vous  avez  trouvé  le  secret 
De  philosopher  et  de  rire, 
Et  de  votre  charmante  lyre 
Vous  faites  un  joli  silllet 
Pour  silller  notre  ami  Trublet, 
Que  je  révère,  et  dont  j'admiro 
La  [)rofondeur  et  le  ca(iuel. 
Badinez,  tandis  (]u'il  compile; 
Égayez  souvent  par  vos  sons 
La  pesanteur  do  son  beau  style, 

1.  Rôponsc  à  la  Iciiro  iiô'.t.  Vo^-ez  ci-après,  n"  4525. 

2.  Sans  doute  lu  Icltn;  4432. 

3.  Éditeurs,  de  Cayrol  et  François. 


Î46  CORRESPONDANCE. 

Et  bafouez  dans  vos  chansons 
Son  journal^  et  son  évangile. 

A  présent,  venons  au  fait,  madame.  Vous  n'ôtes  pas  riche  ; 
voici  ce  que  j'ai  imaginé,  et  ce  que  vous  refuserez  si  la  pro- 
position offense  votre  honneur.  Un  jeune  magistrat^  de  Dijon 
a  fait  une  comédie,  et  il  veut  être  ignoré  à  cause  des  fleurs  de 
lis  et  de  la  grave  sottise  de  monsieur  son  père  le  président.  Vou- 
lez-vous, pouvcz-vous  garder  le  plus  profond  secret?  On  vous 
fera  tenir  la  pièce.  Vous  partagerez  les  honoraires  do  la  repré- 
sentation et  de  l'impression.  Je  crois  que  la  comédie  aura  du 
succès.  Elle  est  en  vers,  en  cinq  actes.  Vous  ferez  la  préface,  et 
la  pièce  s'en  débitera  mieux.  Si  cette  offre  vous  choque,  j'en  de- 
mande pardon  cà  vos  charmes  et  à  votre  esprit. 

Le  laboureur  V., 

secrétaire  de  l'empereur  de  la  Chine  3, 

P.  S.  Souvenez-vous  que  ce  malheureux  petit  .Jean-Jacques, 
le  transfuge,  m'écrivit  il  y  a  un  an  :  Vous  corrompez  ma  republique 
pour  prix  de  l'asile  qu^elle  vous  a  donné. 

4502.  —A   M.   LE   PRÉSIDENT   DE   RUFFEY. 

Au  château  de  Ferney,  29  mars. 

Le  pauvre  maçon  de  Ferney,  monsieur,  travaille  à  force  pour 
se  mettre  en  état  de  vous  recevoir  tant  bien  que  mal  dans  sa 
chaumière,  vous  et  M.  de  La  Marche.  Je  ne  compte  pas  trop  sur 
M.  de  Poiit-dc-Veyle,  lequel  ne  pense  pas  qu'il  y  ait  de  salut 
hors  de  Paris.  Pour  moi,  ce  n'est  pas  Paris  que  j'aime,  c'est 
Dijon;  et  si  je  n'étais  pas  maçon,  laboureur,  barbouilleur  de 
papier,  et  malade,  je  quitterais  mes  ateliers  et  mon  médecin  pour 
venir  jouir  de  la  société  charmante  que  je  trouverais  dans  votre 
ville.  Vous  verrez,  par  la  petite  ÉpUre^  ci-jointe,  si  je  suis  attaché 
à  la  campagne. 

C'est  c\  vous,  monsieur,  que  je  dois  des  remerciements  de  la 
place  dont  votre  Académie  ^  veut  bien  m'honorer.  Je  vous  supplie 

1.  Le  Journal  chrétien. 

2.  Voltaire  aitribue  ici  le  Droit  du  Seigneur  au  fils  du  président  Legouz  de 
Saint-Seine. 

3.  Voyez,  tome  XXIV,  page  231,  le  Bescrit  de  l'empereur  de  la  Chine. 

4.  IJÉpitre  sur  l'Agriculture  ;  voyez  tome  X. 

5.  Voltaire  fut  nommé  membre  honoraire  de  l'Académie  de  Dijon  le  3  avril  1761  ; 


ANNfiE    17  64.  247 

de  lui  faire  agréer  mes  profonds  respects  et  ma  sincère  recon- 
naissance. Ce  sera  une  raison  de  plus  pour  ni'engager  au  voyage 
de  Dijon,  s'il  peut  y  avoir  quelque  nouveau  motif  après  celui  de 
vous  embrasser,  vous  et  vos  amis.  J'espère  que  nous  raison- 
nerons de  tout  cela  au  mois  d'auguste,  dans  ma  chaumière  de 
Ferney. 

J'ai  l'honneur  d'être,  avec  l'attachement  le  plus  inviolable, 
monsieur,  etc. 

Voltaire. 


4503.  —  A  M.   LE   COMTE  D'ARGENTAL. 

Aux  Délices,  "29  mars. 

II  faut  que  j'aie  commis  quelque  grande  iniquité  dont  je  ne 
me  suis  pas  accusé  en  faisant  mes  pàques,  car  mes  anges  ont 
détourné  de  moi  leur  face^  et  leur  plume.  Je  leur  dirai  comme 
le  prophète  :  Je  vous  ai  joué  de  la  flûte,  et  vous  n'avez  point  dansé-; 
je  leur  ai  envoyé  vers  et  prose,  point  de  nouvelles,  nul  signe  de 
vie.  J'essuie  d'ailleurs  plus  d'une  tribulation.  Prault  a  imprimé 
Tancrhde.  Non-seulement  il  ne  l'a  point  imprimé  tel  que  je  l'ai 
fait,  mais  ni  Prault,  ni  Lekain,  ni  M""  Clairon,  qui  en  ont  eu  le 
profit,  n'ont  daigné  m'en  faire  tenir  un  exemplaire.  En  récom- 
pense, on  a  imprimé  Tancrède  entièrement  altéré,  et  d'une  ma- 
nière qui,  dit-on,  me  couvre  de  honte.  Prault  donne  au  public, 
sous  mon  nom,  l'Apologie'  de  Corneille  et  de  Racine,  malgré 
tout  ce  que  j'ai  exigé  de  lui.  II  faut  donc  m'armer  de  patience, 
et  me  résigner.  Mes  chers  anges,  ne  m'abandonnez  pas  dans  mes 
détresses.  J'ai  surtout  une  grûce  à  vous  demander  :  c'est  de  me 
garder  un  profond  secret  sur  le  Droit  du  Seigneur,  et  de  ne  pas 
empêcher  qu'une  personne  démérite'',  qui  est  dans  la  pauvreté, 
relire  quelque  éinolumont  de  ce  petit  ouvrage,  que  j'ai  retouché 
avec  le  plus  grand  soin.  C'est  une  chose  que  jai  infiniment  à 
cœur  ;  et  vous  êtes  trop  bons  pour  ne  pas  vous  prêter  à  mes  fai- 
blesses. 

Vous  ne  m'avez  point  écrit  depuis  le  roman  do  Joan-Jacques. 
Seriez-vous  do  ceux  qui  ont  pris  lo  parti  do  ce  petit  Diogène 
manqué?  Savez-vous  qu'il  y  a  dix-huit  mois  que  ce  fou  sérieux 

mais  M.  de  Iiiifr«:y  lui  avait  écrit  lo  21  mars  pour  lui  oITiir  et-  titre  au  nom  de  la 
conipaL'iiic. 

1.  Psaume  xxix,  verset  8. 

2.  Matlh.,  xr,  17;  Luc,  vu,  32. 

3.  L'Appel  à  toutes  (es  nations  de  l'Europe;  voyez  tome  XXIV,  paire  101. 

4.  M""  Belol;  voyez  la  lettre  4501. 


24S  CUHKESPONDANCE, 

lit  une  cabale,  tla  fond  de  son  village,  à  Genève,  pour  empêcher 
la  comédie,  et  qu'il  m'écrivit  à  moi  :  «Vous  corrompez  ma  répu- 
blique, pour  prix  de  l'asile  qu'elle  vous  a  donné  »? 

Ne  vous  l'ai-je  pas  mandé,  et  ne  trouvez-vous  pas  qu'il  est 
trop  doucement  puni? 

Ne  soyez  pas  fâché  contre  Fanime.  Tant  que  son  amant  ne 
sera  qu'un  sot,  elle  ne  sera  pas  digne  de  paraître. 

Dites-moi,  je  vous  en  conjure,  si  M.  le  duc  de  Choiseul  a  tou- 
jours de  la  bonté  pour  moi,  et  si  par  hasard  nous  pouvons  espé- 
rer la  paix.  Mais  surtout  instruisez-moi  comment  vont  les  yeux 
et  la  santé  de  mes  anges,  et  ne  mettez  pas  mon  cœur  au  déses- 
poir. 

450i.  —   A  M.   DE   CHAMPFLOUR  1. 

Toarnay,  pays  de  Gex,  30  mars. 

J'ai  lu,  monsieur,  dans  les  gazettes,  un  article  qui  m'a  fait 
frémir,  et  qui  vous  regarde.  Vous  savez  qu'il  y  a  longtemps  que 
je  m'intéresse  à  vous  ;  je  vous  prie  de  vouloir  bien  me  mander 
ce  qu'il  en  est.  Je  suis  retiré  du  monde,  dans  d'assez  belles  terres, 
sur  les  frontières  de  Genève  et  de  la  Suisse,  et  je  prends  d'ordi- 
naire fort  peu  de  part  à  toutes  les  nouvelles  ;  mais  celle-ci  vous 
a  rappelé  à  mon  souvenir,  et  j'ai  senti  réveiller  en  moi  tous  les 
sentiments  de  mon  ancienne  amitié. 

Je  ne  sais  si  monsieur  votre  père  est  encore  en  vie  ;  je  le 
plaindrais  bien  d'avoir  été  témoin  d'une  catastrophe  si  cruelle. 
Je  voudrais  savoir  si  madame  votre  femme  n'est  point  la  sœur  de 
M.  de  La  Porte,  trésorier  des  pays  conquis.  Il  est  fort  mon  ami, 
et  c'est  une  raison  de  plus  qui  m'attache  à  votre  famille.  Vous  me 
ferez  plaisir  de  me  tirer  de  l'inquiétude  où  cette  triste  nouvelle 
m'a  mis. 

J'ai  l'honneur,  etc. 

Voltaire, 

gentilhomme  ordinaire  du  roi, 
comte  de  Tournay. 


1.  Cette  lettre  (dont  l'original  autographe  porte  30  mars  pour  toute  date,  et 
est  adressée  à  M.  de  Champflour  fils,  à  Clermont-Ferrand)  appartient  peut-être  à 
l'année  1759.  Elle  semble,  dans  tous  les  cas,  antérieure  à  celle  du  30  juillet  1761, 
écrite  au  même.  (Cl.) 


ANNÉE    176  1.  249 

4505.  —    A    M.    JEAN    SCIIOU  VALO  W. 

Aux  Délices,  30  mars. 

Monsieur,  je  reçois  dans  ce  moment,  par  la  voie  de  Vienne, 
la  lettre  de  Votre  Excellence,  en  date  du  20  janvier,  la  lettre  pour 
M.  de  Soltikof,  et  le  mémoire  sur  le  Kamtscliatka,  dont  vous 
voulez  bien  m'honorer.  Vous  daignez  ajouter  à  vos  bontés  celle 
de  me  dire  que  vous  travaillez  à  me  fournir  le  canevas  du  second 
volume.  Je  suis  tout  prêt  ;  je  m'arrange  pour  mettre  en  œuvre 
tous  vos  matériaux,  malgré  celui  '  que  l'histoire  d'un  législateur, 
d'un  grand  homme,  irrite  si  furieusement.  Les  expressions  dont 
il  se  sert  contre  le  père  et  contre  son  auguste  fille  sont  si  hor- 
ribles qu'on  n'ose  les  répéter.  J'oublie  pour  jamais  ces  injures, 
et  celui  qui  en  est  coupable.  Elles  n "ont  servi  qu'à  redoubler 
mon  zèle  pour  la  gloire  de  Pierre  le  Grand,  et  pour  celle  de 
votre  valeureuse  nation,  que  Sa  Majesté  l'impératrice  rend  heu- 
reuse, et  que  Votre  Excellence  éclaire  et  encourage  par  les 
bienfaits  qu'elle  répand,  et  par  la  protection  qu'elle  donne  aux 
arts. 

Votre  Excellence  doit  avoir  reçu  la  petite  inscription  ^  qu'elle 
m'avait  fait  la  grâce  de  me  demander.  Je  la  fis  sur-le-champ  ; 
vos  ordres  m'inspirent.  Voici  à  peu  près  les  vers  tels  qu'il  m'en 
souvient  : 

Ses  lois  et  ses  travaux  ont  instruit  les  mortels  ; 
Il  les  rendil  heureux,  et  sa  fille  l'imite, 
Jupiter,  Osiris,  vous  eûtes  des  autels, 
Et  c'est  lui  seul  qui  les  mérite. 

Je  me  flatte,  monsieur,  qu'une  histoire  vraie  et  authentique 
fera  plus  d'effet  que  tous  ces  éloges,  qui  ne  sont  que  la  bordure 
du  tableau.  Ce  sont  les  grandes  actions  qui  louent  les  grands 
hommes.  Peut-être  le  paquet  dans  lequel  j'avais  inséré  cette  in- 
scription a-t-il  été  perdu.  La  plupart  de  nos  envois  réciproques 
n'ont  pas  été  si  heureux  que  vos  armes.  Je  vois  que  Votre  Excel- 
lence n'a  reçu  encore  ni  l'eau  des  I]arbadcs\  ni  les  ballots  envoyés 
ù  feu  M.  (Jolowkin,  ni  ceux  de  M.  le  duc  de  Chuiseul,  ni  ceux  de 
notre  ambassadeur  à  Vienne.  J'en  ressens  une  véritable  peine. 


1.  Le  rui  de  Piu^-o;  voyez  lettre  iitl' 

2.  Voyez  lettre  iHO. 
:!.  Voir  la  lettre  4307. 


îoO  CORRESPONDANCE. 

Je  regrette  surtout  les  papiers  dont  vous  aviez  chargé  M.  Pou- 
schkin.  Je  vois  par  votre  lettre,  monsieur,  que  vous  lui  aviez 
confié  un  présent  dont  je  sens  tout  le  prix,  et  dont  je  fais  les  plus 
tendres  remerciements  à  Votre  Excellence.  Elle  est  trop  bonne; 
mes  frais  sont  tro})  peu  de  chose,  mes  peines  trop  bien  employées. 
Un  simple  portrait  de  votre  auguste  impératrice,  un  de  vous, 
monsieur,  aurait  fait  ma  récompense  la  plus  chère.  Il  n'est  pas 
juste  qu'il  vous  en  coûte,  et  que  vous  payiez  les  accidents  qui 
peuvent  être  arrivés  à  M.  Pouschkin  et  à  mes  ballots.  Vous  ne 
savez  donc  pas  que  je  regarde  comme  un  des  plus  grands  bien- 
faits le  soin  dont  vous  avez  daigné  me  charger  ;  il  fait  le  charme  et 
l'honneur  de  ma  vieillesse.  Recevez  avec  votre  bonté  ordinaire  le 
tendre  et  inviolable  respect  de  Voltaire  pour  Votre  Excellence.  V. 


4506.  —AU  RKVÉREND   PÈRE   BETTINELLI', 

A    VÉRONE. 

Mars. 

Si  j'étais  moins  vieux,  et  si  j'avais  pu  me  contraindre,  j'aurais 
certainement  vu  Rome,  Venise,  et  votre  Vérone  ;  mais  la  liberté 
suisse  et  anglaise,  qui  a  toujours  fait  ma  passion,  ne  me  permet 
guère  d'aller  dans  votre  pays  voir  les  frères  inquisiteurs,  à  moins 
que  je  n'y  sois  le  plus  fort.  Et  comme  il  n'y  a  pas  d'apparence 
que  je  sois  jamais  ni  général  d'armée  ni  ambassadeur,  vous 
trouverez  bon  que  je  n'aille  point  dans  un  pays  où  l'on  saisit, 
aux  portes  des  villes,  les  livres  qu'un  pauvre  voyageur  a  dans  sa 
valise.  Je  ne  suis  point  du  tout  curieux  de  demander  à  un  domi- 
nicain permission  de  parler,  dépenser,  et  délire;  et  je  vous  dirai 
ingénument  que  ce  lâche  esclavage  de  l'Italie  me  fait  horreur.  Je 
crois  la  basilique  de  Saint-Pierre  de  Rome  fort  belle  ;  mais  j'aime 
mieux  un  bon  livre  anglais,  écrit  librement,  que  cent  mille  co- 
lonnes de  marbre.  Je  ne  sais  pas  de  quelle  liberté  vous  me  par- 
lez auprès  de  Monte-Baldo,  mais  j'aime  beaucoup  celle  dont 
parle  Horace  :  Fari  quse  sentiat^;  je  ne  connais  de  liberté  que 
celle  dont  on  jouit  à  Londres.  C'est  celle  où  je  suis  parvenu, 


1.  Xavier  Bcttinelli,  né  à  Mantoue  en  juillet  1718,  n'était  pas  frère  servite, 
comme  quelques  personnes  l'ont  pensé,  mais  jésuite.  Il  finit  sa  longue  et  labo- 
rieuse carrière  dans  sa  ville  natale,  le  13  septembre  1808.  Parmi  ses  tragédies  il 
s'en  trouve  une  qui  est  traduite  de  Voltaire,  c'est  Rome  sauvée.  —  On  lit  dans  les 
Mélanges  de  littérature  de  Suard,  tome  I,  pages  17  à  32  (1803),  un  article  intitulé 
De  Voltaire  et  du  poète  italien  Bettinelli.  (Cl.) 

2.  Horace,  livre  I,  épître  iv,  vers  9. 


ANNEE    1761.  îol 

après  l'avoir  cherchée  toute  ma  vie.  La  félicité  que  je  me  suis 
faite  redouble  par  votre  commerce.  Je  recevrai,  avec  la  plus 
tendre  reconnaissance,  les  instructions  que  vous  vouiez  bien  me 
promettre  sur  l'ancienne  littérature  italienne,  et  j'en  ferai  certai- 
nement usage  dans  la  nouvelle  édition  de  VHistoire  générale, 
histoire  de  l'esprit  humain  beaucoup  plus  que  des  horreurs  de 
la  guerre  et  des  fourberies  de  la  politique.  Je  parlerai  des  gens 
de  lettres  beaucoup  plus  au  long  que  dans  les  premières,  parce 
qu'après  tout  ce  sont  eux  qui  ont  civilisé  le  genre  humain  :  l'his- 
toire qu'on  appelle  civile  et  religieuse  est  trop  souvent  le  tableau 
des  sottises  et  des  crimes. 

Je  fais  grand  cas  du  courage  avec  lequel  vous  avez  osé  dire 
que  le  Dante  était  un  fou,  et  son  ouvrage  un  monstre.  J'aime 
encore  mieux  pourtant  dans  ce  monstre  une  cinquantaine  de  vers 
supérieurs  à  son  siècle  que  tous  les  vermisseaux  appelés  sonetti. 
qui  naissent  et  meurent  à  milliers  aujourd'hui  dans  l'Italie,  de 
Milan  jusqu'à  Ofrante. 

Algarotti  a  donc  abandonné  le  triumvirat ^  comme  Lépidus  : 
je  crois  que,  dans  le  fond,  il  pense  comme  vous  sur  le  Dante,  Il 
est  plaisant  que,  même  sur  ces  bagatelles,  un  homme  qui  pense 
n'ose  dire  son  sentiment  qu'à  l'oreille  de  son  ami.  Ce  monde-ci 
est  une  pauvre  mascarade.  Je  conçois  à  toute  force  comment  on 
peut  dissimuler  ses  opinions  pour  devenir  cardinal  ou  pape; 
mais  je  ne  conçois  guère  qu'on  se  déguise  sur  le  reste.  Ce  qui 
me  fait  aimer  l'Angleterre,  c'est  qu'il  n'y  a  d'hypocrite  en  aucun 
genre.  J'ai  transporté  l'Angleterre  chez  moi,  estimant  d'ailleurs 
infiniment  les  Italiens,  et  surtout  vous,  monsieur,  dont  le  génie 
et  le  caractère  sont  faits  pour  plaire  à  toutes  les  nations,  et  qui 
mériteriez  d'être  aussi  libre  que  moi. 

Pour  le  polisson  nommé  Marini,  qui  vient  de  ftiire  imprimer 
le  Dante  à  Paris,  dans  la  collection  des  poètes  italiens-,  c'est  un 


I.  Fruproni,  Bettinelli,  et  Alprarotii,  composaient  ce  triumvirat  littéraire,  en 
Italie;  mais,  dit  Ginpiiené  (fiioriraphie  universelle,  tome  IV,  paire  il2),  les  opi- 
nions soutoniics  clans  les  Lettres  de  Virgile  «  contre  les  deux  p:rande.s  lumières 
de  la  poésie  italienne,  et  surtout  contre  le  Dante,  brouillèrent  IJottinelli  avec 
Alirarolti  ». 

'i.  C'est  on  janvier  1708,  ou  peut-être  à  la  fin  de  l'année  17()7,  que  :\Iarcel 
Frault  proposa,  par  souscription,  une  Collection  des  meilleurs  auteurs  dans  la 
langue  italienne.  La  Divine  Comédie  eu  forme  les  deux  premiers  volumes,  dont  le 
frontispice  fçravé  porte  le  millésime  17G8.  Trenle-tmis  volumes  de  la  collection,  y 
compris  le  vocabulaire,  portent  la  même  date.  Il  est  diflicile  (pi'ils  aient  tous  été 
imprimés  la  mCme  année.  Peut-ôtrc  les  fronlisjiices  ont-ils  été  refaits  pour  quel- 
ques volumes.  Ce  qui  est  certain,  c'est  que  dans  cette  collection,  en  tète  du  prc- 


252  CORRESPONDANCE. 

marcliand  qui  vient  établir  sa  boutique,  et  qui  vante  sa  mar- 
chandise ;  il  dit  des  injures  à  Bayle  et  à  moi,  et  nous  reproche 
comme  un  crime  de  préférer  Virgile  à  son  Dante.  Ce  pauvre 
liomme  a  beau  dire,  le  Dante  pourra  entrer  dans  les  bibliothèques 
des  curieux,  mais  il  ne  sera  jamais  lu.  On  me  vole  toujours  un 
tome  dcl'Arioste,  on  ne  m'a  jamais  volé  un  Dante. 

Je  vous  prie  de  donner  au  diable  il  signor  Marini  et  tout  son 
enfer,  avec  la  panthère  que  le  Dante  rencontre  d'abord  dans  son 
chemin,  sa  lionne  et  sa  louve.  Demandez  bien  pardon  à  Virgile 
qu'un  poète  de  son  pays  l'ait  mis  en  si  mauvaise  compagnie. 
Ceux  qui  ont  quelque  étincelle  de  bon  sens  doivent  rougir  de  cet 
étrange  assemblage,  en  enfer,  du  Dante,  de  Virgile,  de  saint  Pierre, 
et  demadona  Béatrice.  On  trouve  chez  nous,  dans  le  xviii"  siècle, 
des  gens  qui  s'efforcent  d'admirer  des  imaginations  aussi  stupide- 
ment extravagantes  et  aussi  barbares  ;  on  a  la  brutalité  de  les 
opposer  aux  chefs-d'œuvre  de  génie,  de  sagesse  et  d'éloquence, 
que  nous  avons  dans  notre  langue,  etc.  0  temporal  o  judicium! 


4507.  —  A  MADAME  DE  FONTAINE  i. 

Puisque  vous  aimez  la  campagne,  ma  chère  nièce,  je  vous 
envoie  la  petite  Èpitre  adressée  à  votre  sœur  sur  l'ÂgricuUure.  Le 
droit  de  champart,  et  tous  les  droits  seigneuriaux  que  vous  avez, 
ne  sont  pas  si  favorables  à  la  poésie  que  la  charrue  et  les  mou- 
tons. Virgile  a  chanté  les  troupeaux  et  les  abeilles,  et  n'a  jamais 
parlé  du  droit  de  champart.  Je  vous  ferai  une  épître  pour  vous 
confirmer  dans  le  juste  mépris  que  vous  semblez  avoir  pour  le 
tumulte  et  les  inutilités  de  Paris,  et  dans  votre  heureux  goût  pour 
les  douceurs  de  la  retraite. 

Il  est  vrai  que  Ferney  est  devenu  un  des  séjours  les  plus 
riants  de  la  terre.  Je  joins  à  l'agrément  d'avoir  un  château  d'une 
johe  structure,  et  celui  d'avoir  planté  des  jardins  singuliers,  le 
plaisir  solide  d'être  utile  au  pays  que  j'ai  choisi  pour  ma  retraite. 
J'ai  obtenu  du  conseil  le  dessèchement  des  marais  qui  infectaient 
la  province,  et  qui  y  portaient  la  stérilité.  J'ai  fait  défricher  des 


mier  volume  du  Dante,  est  une  Vie  de  ce  poëte  par  l'abbé  Marini,  et  à  la  suite 
deux  lettres  de  Martinelli  au  comte  d'Oxford,  où  Voltaire  est  maltraité.  Si  mes 
conjectures  sur  les  nouveaux  titres  mis  aux  deux  volumes  du  Dante  étaient 
fausses,  la  lettre  de  Voltaire  ne  serait  pas  de  1761,  et  se  trouverait  avoir  été  mal 
placée  par  mes  prédécesseurs.  (B.) 

1.  Dans  toutes  les  éditions  de  Voltaire  cette  lettre  est  datée  du  1"'  février. 
C'est  une  erreur.  Elle  ne  peut  être  que  de  la  fin  de  mars.  (G.  A.) 


ANNÈL    1761.  253 

bruyères  immenses;  en  un  mot,  j'ai  mis  en  prati(iac  toute  la 
théorie  de  mon  Épître,  Si  vous  ne  venez  pas  voir  cette  terre,  qui 
doit  vous  appartenir  un  jour,  je  vous  avertis  que  je  viendrai 
bouleverser  llornoy,  y  planter,  et  y  bùtir:  car  il  l'aut  fine  je  me 
serve  de  la  truelle  ou  de  la  plume. 

Lekain  devait  venir  jouer  la  comédie  avec  nous  à  Pi^ques; 
mais  il  m'a  fallu  communier  sans  jouer.  J'ai  édifié  mes  parois- 
siens, au  lieu  de  les  amuser  ;  et  M.  de  Richelieu  s'est  avisé  de 
mettre  Lekain  en  pénitence  dans  ce  saint  temps. 

Je  veux  vous  donner  avis  de  tout.  L'impératrice  de  Russie 
m'avait  envoyé  son  portrait  avec  de  gros  diamants  :  le  paquet  a 
été  volé  sur  la  route.  J'ai  du  moins  une  souveraine  de  deux  mille 
lieues  de  pays  dans  mon  parti  :  cela  console  des  cris  des  polissons. 
Ma  chère  nièce,  je  fais  encore  plus  de  cas  de  votre  amitié. 

Adieu;  j'embrasse  tout  ce  que  vous  aimez ^ 

4508.  —  A   AI.   LE   COMTE   D'ARGENTAL. 

Aux  Délices,  l""  avril. 

A  peine  avais-je  fait  partir  mes  doléances  qu'une  lettre  de 
mes  anges,  du  25  de  mars,  est  venue  me  consoler  et  m'encou- 
rager  ;  sur-le-champ,  la  rage  du  tripot  m'a  repris.  J'ai  déniché 
un  vieil  Orcste;  et,  presto,  presto,  j'ai  fait  des  points  d'aiguille  à  la 
reconnaissance  d'Orestc  et  d'Éleclrc,  et  à  la  mort  de  Clylemnestre; 
puis,  étant  de  sang-froid,  j'ai  écrit  la  pancarte  du  privilège,  et 
la  requête  aux  comédiens  pour  les  rôles  ;  et  j'envoie  le  tout  à  mes 
chers  anges,  félicitant  mon  respectable  ami  de  la  guérison  de 
ses  deux  yeux,  qui  vont  mieux  que  mes  deux  oreilles. 

M.  d'Argenlal  voit,  et  moi  je  n'entends  guère.  Surdité  annonce 
décadence  ;  mais  la  main  va  et  grilfonne. 

Vous  saurez  que  M.  de  Lauraguais  a  fait  aussi  son  Oreste*,  et 
qu'il  est  juste  qu'il  soit  joué  sur  le  Ihéûtre  qu'il  a  embelli;  mais 
il  permet  que  je  passe  avant,  pour  lui  faire  bientôt  place.  Sa 
folie  d'être  rc|)résenté  n'est  pas  une  folie  nécessaire,  et  la  mienne 
l'est.  On  a  eu  l'injustice  de  me  reprocher  d'avoir  traité  le  même 
sujet  ([uo.  Cn'billon  mon  innîtrc^,  comme  si  Kuripide  n'avait  pas 

1.  On  avîiil  musii  ii  celle  Icitn;  ilcu.v  nlinéas  irune  aiitio  loUi'c  ([ui  est  du 
comm(;nct'mcnl  ilo  l'annéo  17(52,  où  on  les  retrouveia. 

2.  Sa  |)ièce  est  iniitulcc  Clytemncslrc,  trciijédic  en  cinq  actes  et  en  vers,  17GI, 
in-S".  Elle  est  dédiée  à  Voltaiic,  qui  lui  avait  dédié  l'Écossaise;  voyez  tome  V, 
page  405. 

3.  Voir  la  lettre  4318  à  d'Ai-'reiilal,  tioisièino  alinéa. 


254  CORRESPONDANCE. 

fait  son  Electre  adirés  celle  de  Sophocle;  mais  enfin  il  fut  joué; 
on  ne  lui  fit  pas  un  crime  d'avoir  travaillé  sur  le  même  sujet,  on 
ne  voulut  pas  le  perdre  auprès  de  M""'  de  Pompadour.  Mon  Pam- 
mèue  ne  vaut  pas  le  Palamède  de  Crébillon  ;  mais  peut-être  ma 
Clytemncstre  vaut  mieux  que  la  sienne  ;  et  c'est  quelque  chose 
d'avoir  fait  cinq  actes  sans  amour,  quand  on  est  Français.  Si 
M"'- Dumesnil  s'imagine  que  Clytemncstre  n'est  pas  le  premier 
rôle  ,  elle  se  trompe  ;  mais  il  faut  que  M'"'  Clairon  soit  persuadée 
que  le  premier  est  Electre.  Je  mets  le  tout  à  l'ombre  de  vos  ailes. 
Signalez  vos  bontés  et  votre  crédit. 

M.  le  duc  de  La  Vallière,  tout  grave  auteur  qu'il  est,  m'a  donc 
trompée  Voilà  de  la  pâture  pour  les  Fréron.  Heureusement,  je 
connais  des  sermons  tout  aussi  ridicules  que  le  Recueil  des  Facé- 
ties, et  j'en  ferai  usage  pour  l'édification  du  prochain.  Pour  l'a- 
mour de  Dieu,  dites-moi  ce  que  vous  pensez  de  la  paix.  Pour 
moi,  je  ne  l'attends  pas  si  tôt. 

Est-il  bien  vrai  que  l'abbé  Coyersoit  exilé*,  et  que  son  appro- 
bateur soit  en  prison?  Et  pourquoi?  qu'a-t-on  donc  vu  ou  voulu 
voir  dans  VHistoire  de  Sobieski'^  qui  puisse  mériter  cette  sévérité? 
S'agit-il  de  religion?  la  fureur  du  fanatisme  a-t-elle  pu  être  portée 
jusqu'à  trouver  partout  des  prétextes  de  persécution?  que  diront 
nos  pauvres  philosophes?  dans  quel  pays  des  singes  et  des  tigres 
êtes-vous  ?  Mes  chers  anges,  que  no  pouvez-vous  être  les  anges 
exterminateurs  des  sots! 

4509.  —  A  M.   FYOT  DE   LA  .MARCHE* 

(fils). 

Aux  Délices,  par  Genève,  l*^^""  avril  1761.        ^  ~-> 

Monsieur,  je  vous  demande  très-humblement  pardon  de  ne 
vous  point  écrire  de  ma  main,  mais  c'est  que  je  suis  très-malade; 
mais  j'ai  une  plus  grande  indulgence  à  vous  demander  pour  le 
fatras  que  j'ai  pris  la  liberté  de  vous  offrir.  J'aurais  bien  mieux 
fait,  monsieur,  de  venir  vous  faire  ma  cour,  à  vous  et  à  monsieur 
votre  père,  dans  le  temps  de  vos  vacances  :  car  il  me  paraît  que 


1.  Voyez  tome  XXIV,  page  191. 

2.  Coyer  (Gabriel-François),  né  à  Beaume-les-Dames  en  1707,  mort  en  1782, 
avait  reçu  l'ordre  de  quitter  Paris,  et  alla  voir  Voltaire  (voyez  lettre  4663).  Le 
censeur  ou  approbateur  de  son  livre  était  Coqueley,  à  qui  est  adressée  lu  lettre  du 
24  auguste  1767. 

3.  1761,  trois  volumes  in-12. 

4.  Éditeur,  H.  Beaune. 


ANNÉE    17G1.  255 

ce  n'est  guère  que  dans  ce  temps  que  les  gens  inutiles,  comme 
moi,  et  qui  sont  sans  affaires,  doivent  se  présenter  à  ceux  qui 
sont  à  la  tête  des  affaires  publiques.  J'ai  une  passion  extrême  de 
profiter  du  loisir  dont  jouit  monsieur  votre  père  ;  quand  je  songe 
quMl  y  a  près  de  cinquante  ans  qu'il  m'honore  d'une  bienveil- 
lance qui  ne  s'est  jamais  démentie,  je  me  regarde  comme  bien 
coupable  de  n'avoir  pas  encore  passé  le  mont  Jura  pour  venir 
lui  rendre  mes  très-tendres  hommages.  Vous  entrez,  monsieur, 
pour  beaucoup  dans  mes  remords. 

Je  prends  la  liberté,  monsieur,  de  vous  supplier  de  l'assurer 
qu'il  n'y  a  personne  au  monde  qui  ait  pour  lui  une  vénération 
plus  tendre  que  la  mienne.  Regardez-moi,  je  vous  en  prie,  comme 
une  créature  de  votre  maison,  comme  une  personne  attachée  à 
votre  nom,  et  au  mérite  du  père  et  du  fils  ;  je  vous  regarde 
comme  mes  patrons,  quoique  je  n'aie  de  procès  ni  avec  mes 
vassaux,  ni  avec  mes  voisins. 

J'ai  l'honneur  d'être  avec  le  plus  sincère  respect,  monsieur, 
votre  très-huml)le  et  très-obéissant  serviteur. 

Voltairf:. 

4510.  —  A  MADAME    D'ÉPLXAI. 


Ma  belle  philosophe,  amusez-vous  un  moment  de  ce  chiffon  ', 
cl  si  vous  voyez  M.  Diderot,  priez-le  de  faire  mes  compliments 
au  cher  abbé  Trublet.  J'aime  à  mettre  ces  deux  noms  ensemble. 
Les  contrastes  font  toujours  un  plaisant  effet,  quoi  que  le  monde 
en  dise. 

Amusez-vous  toujours  des  sottises  du  genre  humain  ;  il  faut 
en  profiter  ou  en  rire. 

Rousseau  Jean-Jacques,  que  j'aurais  pu  aimer  s'il  n'était  pas 
né  ingrat  ;  Jean-Jacques  qui  appelle  M.  (Irimm  un  Allemand  nommé 
Grimm^,  Jean-Jacques  qui  m'écrit"-  que  j'ai  corrompu  sa  ville  de 
Genève...,  c'est  un  fou,  vous  dis-je,  avec  sa  pai.v  perpétuelle;  il 
s'est  brouillé  avec  tous  ses  amis.  C'est  un  jx-iii  Diogène  (jui  ne 
mérite  pas  la  pitié  des  Aristippes. 

Adieu,  madame.  Je  suis  plusl'Acbé  ({iK^jauiais  (|ii'il  y  ;ii(  cent 

1.  Le  Ikscrit  de  l'empereur  de  la  Chine,  à  l'occasion  du  Piinji;T  di:  vm\  Ph.nPK- 
tlei.i.k;  vo\ez  tomo  XXIV,  paj^c  231. 

'2.  Voyez  la  Iciin'  du  J.-J.  Ilousseau,  du  17  juin  1700,  ci-dossus,  u"  4103, 
tome  XL,  pa;;c  i21. 

3.  Voyez  tome  XL,  pajjc  i'23. 


256  CORRESPONDANCE. 

lieues  cnlrc  la  Clicvrctte  et  Ferney.  Mais  il  y  a  bien  plus  loin 
encore  entre  vous  et  les  plats  personnages  de  ce  siècle. 

4511.—  A   M.    LE    COMTE    D'ARGIiNTAL. 

3  avril. 

Il  faut  apprendre  à  mes  ang^s  gardiens  que  la  feuille  de  Fré- 
ron  ^  qu'on  a  traitée  de  bagatelle,  a  eu  les  suites  les  plus  désa- 
gréables. Un  gentillàtre  bourguignon  voulait  l'épouser  (cette 
Corneille)  ;  il  a  vu  la  feuille;  il  a  vu  que  M"*'  Corneille  était  fille 
d'un  paysan  qui  subsistait  d'un  emploi  de  cinquante  livres  par  mois, 
à  la  poste  de  deux  sous.  Il  n'a  jamais  lu  le  Cid;  il  a  cru  qu'on  le 
trompait  quand  on  lui  disait  que  M""^  Corneille  avait  deux  cents 
ans  de  noblesse  :  le  mariage  a  été  rompu.  Il  est  bien  étrange 
qu'on  souffre  de  telles  personnalités,  uniquement  parce  qu'on 
croit  que  je  suis  compromis.  Nous  demandons  à  M.  de  Malesberbes 
qu'il  exige  au  moins  une  rétractation  formelle  du  coquin  ;  qu'il 
dise  «  qu'il  demande  pardon  au  public  d'avoir  outragé  un  nom 
respectable,  en  disant  que  M"'^^  Corneille  avait  quitté  le  couvent 
pour  aller  recevoir  une  nouvelle  éducation  du  sieur  L'Écluse, 
acteur  de  l'Opéra-Comique  ;  qu'il  avoue  qu'il  a  été  grossièrement 
trompé,  et  qu'il  se  repcnl  d'avoir  donné  ce  scandale  ». 

Mon  cher  ange,  prenez  le  sort  de  M"''  Corneille  à  cœur,  nous 
vous  en  conjurons.  Je  jure  bien  de  ne  jamais  travailler  pour  le 
théâtre  si  on  profane  ainsi  le  nom  de  notre  père. 

Voici  un  mémoire-  bien  bas;  mais  c'est  aussi  du  plus  bas 
des  hommes  dont  il  s'agit.  Je  le  tiens  de  Thieriot  :  cela  paraît 
avoir  un  air  de  grande  vérité.  Est-il  possible  qu'on  protège  un  tel 
misérable?  Si  M.  de  Malesherbes  savait  le  tort  qu'il  se  fait  en 
autorisant  Fréron,  il  cesserait  de  protéger  ses  turpitudes. 

Ayez  la  bonté  de  m'apprendre  ce  que  c'est  que  la  déconvenue 
de  cet  abbé  Coyer.  Je  m'y  intéresse  infiniment;  c'est  un  de  nos 
frères. 

La  littérature  est  trop  déshonorée  et  trop  persécutée  à  Paris; 
et  mon  aversion  pour  cette  ville  est  égale  à  mon  idolâtrie  pour 
mes  anges. 

Je  les  supplie  de  me  répondre  sur  Orcstc,  sur  la  pièce  d'Hur- 
taud  ^  sur  M.  de  Malesherbes.  De  la  paix,  je  ne  m'en  soucie 
guère  ;  je  sais  bien  qu'elle  ne  se  fera  pas. 

1.  Voyez  une  note  de  la  lettre  4416. 

2.  Les  Anecdotes  sur  Fréron:  voyez  tome  XXIV,  page  181. 

3.  Le  Droit  du  Sci'j'ieiir:  voyez  tome  VI,  page  1. 


ANNÉE    1761.  257 


A  M.   COLI.XI. 


Au  château  de  Ferney.  le  4  avril. 

Je  ne  peux  que  remercier  quiconque  veut  bien  se  donner  a 
peine  d'imprimer  mes  faibles  ouvrages  *,  pourvu  qu'on  n'y  insère 
rien  d'étranger,  rien  contre  la  religion  catlioliquc,  que  je  pro- 
fesse, rien  contre  l'état  dont  je  suis  membre,  ni  contre  les  mœurs, 
que  j'ai  toujours  respectées. 

Si  l'on  suit  la  dernière  édition  des  frères  Cramer-,  il  faut  en 
corriger  les  fautes,  que  tout  liommc  de  lettres  apercevra  aisé- 
ment. 

Mais  j'avertis  ceux  qui  veulent  se  charger  de  cette  édition 
que  les  frères  Cramer  réimpriment  actuellement  avec  célérité 
et  exactitude  VEssai  sur  VHistoirc  générale  depuis  Charlcmagne 
jusqu'à  nos  jours,  corrigée  et  augmentée  de  moitié.  J'avertis 
encore  qu'ils  préparent  une  nouvelle  édition  '  avec  de  très-belles 
estampes,  et  qu'il  vaudrait  mieux  s'entendre  avec  eux  que  de 
hasarder  un  partage  dangereux  pour  les  uns  et  pour  les  autres. 
Je  ne  tire  aucun  profit  de  mes  ouvrages,  je  n'en  ai  (juc  la  peine  : 
je  souhaite  seulement  que  les  libraires  ne  se  ruinent  pas  dans 
des  entreprises  qui  me  font  honneur. 

Voltaire, 
gentilhomme  ordinaire  de  la  cliamhre  du  roi. 

4513.   —  A  y\.   GEORGE  KEATE,   ESQ.  », 

.NAN'DOS    COFFEEUOUSE,    LO\DOi\. 


Au  château  de  Ferney,  pays  de  Gc,\,  en  Bourgogne, 
par  Genève,  4  avril  17G1. 

Monsieur,  il  est  bien  triste  de  ne  pas  vous  faire  de  ma  main 
les  sincères  et  tendres  remerciements  que  je  vous  dois,  et  il 
est  difficile  de  les  exprimer.  Votre  livre  m'a  paru  excellonl  en 
son  genre,  sage,  vrai,  et  écrit  précisément  du  slylc  dont  il  le 
fallait  écrire,  ce  qui  n'est  pas  une  chose  commune  ;  bien  pou  de 

1.  Colini  renonça  à  donner  une  édition  des  OEuvrcs  de  Voltaire. 

2.  L'édition  do  1750,  en  di.\-scpt  volumes  in-8". 

3.  L'édition  in-S",  dont  il  parut  treize  volumes  en  17Gi.  On  y  joignait  les  huit 
volumes  de  l'Kasaisur  Vllisloire  générale,  17GI  a  1763,  et  le  volume  de  la  Pucelle 
publié  en  17(32;  ce  qui  portait  la  collection  à  vingt-deux  volumes.  (B.) 

4.  Communiquée  à  Vlllustraled  Lxindun  News,  par  M.  llcnderson. 

41.   —   ConilKSI'O.NUANCE.    I  \.  17 


jf?8  CORRESPONDANCE. 

gons  savent  proportionner  leur  esprit  aux  sujets  qu'ils  traitent. 
Jugez,  monsieur,  combien  l'honneur  que  vous  m'avez  fait  m'est 
précieux.  J'ai  écrit  sur-le-champ  au  conseil  de  Genève  pour  le 
féliciter  de  la  gloire  qu'a  la  république  d'avoir  été  si  bien  célé- 
brée par  vous,  et  si  bien  encouragée  à  mériter  toujours  ce  que 
vous  dites  d'elle.  Je  n'ai  point  renoncé  à  mes  petites  Délices,  qui 
sont  dans  le  territoire  de  Genève,  elles  me  seront  toujours  chères, 
puisque  j'ai  eu  le  bonheur  de  vous  y  posséder  quelquefois;  mais 
je  donne  la  préférence  à  un  château  que  j'ai  fait  bâtir  dans  le 
pays  de  Gex,  en  Bourgogne.  J'ose  me  flatter  que  milord  Bour- 
lington  en  aurait  été  content  :  mes  jardins  ne  sont  point  à  la 
française;  je  les  ai  faits  les  plus  irréguliers  et  les  plus  cham- 
pêtres que  j'ai  pu.  J'ose  les  croire  tout  à  fait  à  l'anglaise,  car 
j'aime  la  liberté,  et  je  hais  la  symétrie.  Je  suis  les  leçons  de 
M.  Thull,  en  fait  d'agriculture  ;  et  je  fmis  ma  carrière  comme 
Virgile  avait  commencé  la  sienne,  en  cultivant  la  terre;  il  s'en- 
nuya du  lac  de  Mantoue,  et  je  ne  m'ennuie  point  de  celui  de 
Genève.  Si  je  regrette  quelque  chose  au  monde,  ce  sont  les  bords 
de  la  Tamise.  Si  jamais  quelque  jeune  Anglais  qui  vous  ressemble 
vient  à  Genève,  je  vous  supplie  de  me  l'adresser,  afin  que  j'aie 
souvent  le  plaisir  de  lui  parler  de  vous.  Adieu,  monsieur,  comp- 
tez que  je  serai  pénétré  toute  ma  vie  de  l'estime,  de  l'amitié  et 
de  la  reconnaissance  que  je  vous  dois. 

Voltaire. 


4514.    -  A  M.   LE   BRUN. 

Au  château  de  Fernc}^,  6  avril. 

Voici ,  monsieur,  une  seconde  édition  du  mémoire  que 
M.  Thieriot  m'avait  fait  tenir.  La  première  était  trop  pleine  de 
fautes.  Si  vous  voulez  encore  des  exemplaires,  vous  n'avez  qu'à 
parler.  Il  n'est  que  trop  vrai  que  le  libelle  diffamatoire  de  ce 
coquin  de  Fréron  a  eu  des  suites  désagréables  que  j'ai  confiées  à 
votre  discrétion.  Je  me  suis  fait  un  devoir  de  vous  donner  part 
de  tout  ce  qui  regarde  M"'=  Corneille.  C'est  à  vous  que  je  dois 
l'honneur  de  l'élever.  Encore  une  fois,  je  ne  peux  m'imaginer 
que  M.  de  Malesherbes  refuse  ce  qu'on  lui  demande.  Il  ne 
s'agit  que  d'un  désaveu  nécessaire  :  ce  désaveu,  à  la  vérité,  décré- 
ditera les  feuilles  de  Fréron;  mais  M.  de  Malesherbes  partagerait 
lui-même  l'infamie  de  Fréron,  s'il  hésitait  à  rendre  cette  légère 
justice.  En  cas  qu'il  soit  assez  mal  conseillé  pour  ne  pas  faire  ce 
qu'on  lui  propose  et  ce  qu'il  doit,  il  peut  savoir  qu'il  met  les 


AXXKE    nei.  259 

offensés  en  droit  do  se  plaindre  de  lui-même;  que  le  nom  de  Cor- 
neille vaut  bien  le  sien,  et  qu'il  se  trouvera  des  Ames  assez 
généreuses  pour  venger  l'honneur  de  M"'  Corneille  de  l'opprobre 
qu'un  protecteur  de  Fréron  ose  jeter  sur  elle.  Le  nom  de  Fréron 
est  sans  doute  celui  du  dernier  des  hommes,  mais  celui  de  son 
protecteur  serait  t'i  coup  sûr  l'avant-dernier. 

Vous  aurez  sans  doute,  monsieur,  la  gloire  de  terminer  cette 
affaire:  je  n'y  suis  pour  rien  personnellement  ;  je  pouvais  avoir 
chez  moi  L'Écluse,  sans  avoir  à  rendre  compte  à  personne;  mais 
il  n'est  pas  permis  d'imprimer  que  M"^  Corneille  est  élevée  par 
L'Écluse,  par  un  acteur  de  l'Opéra-Comique.  Mon  indignation 
contre  ceux  qui  tolèrent  cette  insolence  subsiste  toujours  dans 
toute  sa  force.  M"'  Corneille,  vivante,  vaut  mieux  sans  doute 
qu'un  Baqueville  mort,  et  mort  fou.  Cependant  on  a  mis  Fréron 
au  For-l'Évéque  pour  avoir  raillé  ce  fou,  qui  n'était  plus  ^  ;  et  on 
le  laisse  impuni  quand  il  outrage  indignement  W^'  Corneille. 
Vous  voyez,  monsieur,  que  ni  le  temps,  ni  l'injustice  des  liommes, 
n'affaiblissent  mes  sentiments.  Je  trouve  dans  votre  caractère  la 
même  constance  :  c'est  une  nouvelle  raison  qui  m'attache  à  vous. 
Elle  se  joint  à  tant  d'autres  que  je  me  sens  pour  vous  la  plus 
sincère  amitié;  elle  supplée  au  bonheur  qui  me  manque  de  vous 
avoir  vu.  Votre,  etc. 

VOLTAIUE. 

Permettez  que  je  vous  adresse  cette  petite  lettre  ^  pour  M.  Cor- 
neille, et  ayez  la  bonté  de  présenter  mes  respects  à  M.  Titon  et 
aux  dames  qui  sont  chez  lui. 

i.jl5.  —  A  -M.    DAM  IL  A  VILLE. 

0  avril. 

M.  Damilaville  me  pcrmettra-t-il  de  lui  adresser  ce  paquet 
pour  M.  Le  Brun,  que  je  le  supplie  de  vouloir  bien  lui  faire  tenir? 
Je  demande  encore  s'il  est  bien  vrai  que  l'abbé  Coyer  soit  exilé, 
et  pourquoi  ? 

Je  crois  qu'il  n'est  que  trop  vrai  que  AL  le  maréchal  de 
Richelieu  a  donné  à  Marmontel  une  exclusion,  sans  retour*, 
pour  l'Académie.  Les  gens  de  lettres  ne  paraissent  pas  fort  en 
faveur. 

1.  Anecdotes  sur  Ffi'ron:  voyez  tome  XXIV,  page  181. 

2.  (Jette  IcUrc  est  perdue. 

3.  Marmoutcl  fut  reçu  ù  l'Acadiimio  française  le  22  décembre  1703. 


260  CORRESI'ONDANCE. 

M.  Tliicriot  veut-il  bien  m'cnvoyer  un  certain  Almanacli 
d'église  où  l'on  trouve  la  succession  des  patriarches  de  Constan- 
tinople?  Cela  n'est  pas  bien  agréable;  mais  cela  peut  être  utile 
à  un  homme  qui  écrit  l'histoire  quand  il  ne  laboure  pas. 

On  m'a  envoyé  une  réponse*  à  la  Théorie  de  l'impôt.  Si  le  style 
de  la  réponse  est  aussi  inintelligible  que  celui  de  la  Théorie,  peu 
de  lecteurs  apprendront  à  gouverner  l'État. 

On  dit  que  Rameau  écrit  ^  contre  un  philosophe  sur  la  mu- 
sique; j'aimerais  mieux  qu'il  lit  un  opéra. 

4516.  —  A  M.    n.ELVÉTIUS». 

Avril  1761. 

Mademoiselle  protégeait  l'abbé  Cotin  ;  la  .reine  protège  l'abbé 
Trublet;  c'est  le  sort  des  grands  génies. 

Principibus  placiiisse  viris  non  ultima  laus  est. 

^Hou.,  ép.  VII,  liv.  I.) 

On  m'assure  cependant  que  M.  Saurin  entrera  cette  fois-ci*. 
Cela  est  juste;  quand  on  a  reçu  un  sot,  il  faut  avoir  un  homme 
d'esprit  pour  faire  le  contre-poids.  Vous  allez  sans  doute  à  Voré. 
Mes  respects  à  Midas  Omer  avant  votre  départ  ;  mais  mille  amitiés 
réelles  à  M.  Saurin. 

0  philosophes,  philosophes!  soyez  unis  contre  les  ennemis  de 
la  raison  humaine.  Écrasez  l'infâme  tout  doucement. 

4517.  —  A  M.   FABRY3. 

9  avril  1761,  à  Ferney. 

Monsieur,  je  ne  peux  plus  me  plaindre  de  la  fermière  en 
question,  puisque  vous  la  protégez.  C'est  la  faute  de  La  Croix  de 
n'avoir  pas  acquitté  les  droits  de  ses  planches,  et  tout  cela  n'est 
qu'un  malentendu. 

On  rendrait  sans  doute,  monsieur,  un  grand  service  au  pays 
en  faisant  saigner  tous  les  marais.  Je  ne  doute  pas  que  tous  les 

1.  Elle  est  de  Pesselier;  voyez  lettre  4522. 

2.  En  1761  Rameau  publia  un  in-4°  intitulé  Origine  des  sciences,  suivie  d'une 
controverse.  (B.) 

3.  Éditeurs,  Bavoux  et  François. 

4.  Il  fut  admis  en  effet 

5.  Éditeurs,  Bavoux  et  François. 


ANNÉE    1761.  561 

particuliers  no  concourent  à  donner,  chacun  sur  leur  terrain, 
l'écoulement  nécessaire  aux  eaux.  Ceux  qui  refuseraient  ce  ser- 
vice y  seront  sans  doute  forcés. 

M.  Vaillet  vous  a  parlé,  monsieur,  dun  règlement  pour  les 
•taupes,  que  vous  avez  paru  approuver;  je  le  crois  très-utile,  et  je 
pense  que  ce  sera  une  nouvelle  obligation  que  vous  aura  cette 
petite  province. 

J'ai  l'honneur  d'être,  avec  tous  les  sentiments  que  vous  me 
connaissez,  monsieur,  votre  très-humble  et  très-obéissant  ser- 
viteur. 

4518.  —  DE   M.   D'ALEMBERT. 

A  Paris,  ce  9  avril. 

Je  VOUS  remercie,  mon  cher  maître,  de  m'avoir  envoyé  votre  charmante 
Épilre  sur  l'  Agricullure,q\iïne  parle  guère  d'agriculture,  et  qui  n'en  vaut  que 
mieux.  C'est,  à  mon  avis,  un  des  plus  agréables  ouvrages  que  vous  ayez 
faits.  Des  gens  de  votre  connaissance,  qui  en  ont  pensé  comme  moi,  et  qu; 
ne  sont  pas  descendus  d'Ismaël,  car 

Ils  servent  et  Baal  et  le  Dieu  d'Israël', 

l'ont  trouvée  si  bonne  qu'ils  ont  voulu  la  lire  à  la  reine;  mais  il  y  avait  deux 
vers  malsonnants  et  offensant  les  oreilles  pieuses,  qu'il  a  fallu  corriger 
pour  mettre  votre  épUrc  en  habit  décent,  et  pour  la  rendre  propre  à  être 
portée  au  pied  du  trône;  et  croiricz-vous  que  c'est  moi  qui  ai  fait  cette 
correction?  J'ai  donc  mis  le  bon  mari  (CÈve  au  lieu  du  sol  jnari,  qui  était 
pourtant  la  vraie  épithète;  et,  au  lieu  de  inangerla  moitié  de  sa  pomme, 
qui  est  plaisant,  j'ai  mis  (jouter  de  la  fatale  pomme,  qui  est  bien  plat;  mais 
cela  est  encore  trop  bon  pour  Versailles. 

Riez,  si  vous  voulez,  de  cette  petite  anecdote;  mais, s'il  vous  plaît, riez- 
en  tout  seul,  et  n'allez  pas  en  écrire  à  Paris,  comme  vous  avez  fait  de  ce  que 
je  vous  ai  mandé  au  sujet^  des  parrains  de  l'archidiacre.  L'abbé  d'Olivet  me 
dit  l'autre  jour  à  l'Académie,  d'un  ton  cicéronien  :  «  Vous  Otes  un  fripon, 
vous  avez  écrit  à  Genève  que  j'avais  molli  dans  l'affaire  do  Trublet.  »  Je 
niai  le  fait,  à  la  vérité  assez  faiblement.  Il  me  répondit  qu'il  en  avait  la 
preuve  dans  sa  poche,  et  je  no  lui  demandai  point  à  la  voir;  je  craignais 
d'ôtre  trop  confondu.  Peu  m'importe  d'avoir  dos  tracasseries  avec  d'Olivet, 
et  m(>me  avec  d'autres;  mais  il  vaut  encore  mieux  n'en  pas  avoir.  C'est  pour- 
quoi, si  vous  voulez  savoir  les  nouvelles  de  l'école,  promettez-moi  que  vous 
no  me  vendrez  plus,  et  commencez  par  no  pas  parler  de  ceci,  mémo  ii 
d'Olivet. 

i.  Il  y  a  dans  Atlialie,  acte  III,  scène  ni  : 

Jo  ne  sers  ni  Baal  ni  le  Dieu  d'israôl. 
2.  Voyez  la  lettre  4i92. 


262  CORRESPONDANCE. 

Je  suis  sûr,  au  moins  autant  qu'on  le  pont  être,  que  le  surintendant^  do 
la  reine  a  nommé  Saurin  ;  mais  il  est  vrai  que  je  no  lui  ai  parlé  que  la 
veille  de  l'élection,  et  il  se  pourrait  bien  qu'avant  ce  temps-là  il  en  eût 
servi  un  autre  :  c'est  ce  que  je  ne  sais  pas  assez  positivement  pour  pouvoir 
vous  l'assurer.  Après  tout,  c'est  ce  qu'il  est  fort  peu  important  d'approfon- 
dir; par  malheur  le  vin  et  Trublel  sont  lires,  il  faul  les  boire. 

Nous  recevons  aujourd'hui  l'évCque  de  Limoges-,  qui  ne  sait  pas  lire,  et 
Batteux^,  qui  ne  sait  pas  écrire;  mais  on  revanche  nous  avons  un  directeur* 
qui  sait  lire  et  écrire,  qui  s'en  pique  du  moins.  Je  m'attends  à  un  grand 
déluge  d'esprit,  et  je  crois  qu'il  faudra  qu'on  me  tienne,  comme  à  Rémond 
do  Saint-Marc,  la  télé  bien  ferme.  A  lundi  prochain  la  réception  de  l'archi- 
diacre, qui  évoquera  sûrement  l'ombre  de  Fonlenelle,  et  à  qui  le  directeur 
fera  apparemment  compliment  sur  ses  bonnes  fortunes,  car  il  prétend  en 
avoir  eu  beaucoup  par  le  confessionnal  et  par  la  prédication. 

Nous  avons  encore  une  place  vacante  à  l'Académie;  mais  ce  ne  sera  pas, 
je  crois,  pour  Marmontel.  M.  le  duc  d'Aumont  fait  peur  à  ces  messieurs. 
Vous  devez  juger  par  là  qu'ils  ne  sont  pas  fort  braves.  Ainsi  nous  aurons  eu 
sept  places  vacantes  à  la  fois,  et  nous  n'aurons  pas  choisi  le  seul  homme 
qu'il  nous  convenait  de  prendre.  Je  ne  ferais  qu'en  rire  (car  il  n'y  a  que 
cela  de  bon),  tant  qu'ils  n'iront  pas  jusqu'à  l'avocat^  sans  causes,  auteur 
des  Cacouacs  :  car  pour  lors  cela  passerait  la  raillerie,  et  je  pourrais  bien  les 
prier  de  nommer  Chaumeix  ou  Omer  à  ma  place,  surtout  si  vous  vouliez  en 
même  temps  donner  la  vôtre  à  frère  Berthier- 

Je  viens  à  Jean-Jacques,  non  pas  à  Jean-Jacques  Lefranc  de  Pompi- 
gnan,  qui  pense  cire  quelque  chose  ^,  mais  à  Jean-Jacques  Rousseau,  qui 
pense  être  cynique,  et  qui  n'est  qu'inconséquent  et  ridicule.  Je  veux  qu'il 
vous  ait  écrit  une  lettre  impertinente,  je  veux  que  vous  et  vos  amis  vous 
ayez  à  vous  en  plaindre;  malgré  tout  cela,  je  n'approuve  pas  que  vous  vous 
déclariez  publiquement  contre  lui  comme  vous  faites,  et  je  n'aurai  sur  cela 
qu'à  vous  répéter  vos  propres  paroles  :  Que  deviendra  le  petit  troupeau,  s'î7 
est  désuni  et  dispersé'''?  Nous  ne  voyons  pas  que  ni  Platon,  ni  Aristote, 
ni  Sophocle,  ni  Euripide,  aient  écrit  contre  Diogène,  quoique  Diogène  leur 
ait  dit  à  tous  des  injures.  Jean-Jacques  est  un  malade  de  beaucoup  d'esprit, 
et  qui  n'a  d"osprit  que  quand  il  a  la  fièvre.  Il  ne  faut  ni  le  guérir,  ni  l'ou- 
trager. 

A  propos,  j'oubliais  de  vous  demander  si  vous  avez  reçu  un  mémoire  que 
j'ai  fait  sur  l'inoculation*,  et  dans  lequel  je  crois  avoir  prouvé,  non  que 


1.  Le  président  Ilénault. 

2.  Coetlosquet. 

3.  Charles  Battcux,  né  en  1713,  mort  en  1780,  avait  été  élu  à  l'Académie  fran- 
çaise à  la  place  de  Odet- Joseph  Devaux  de  Giry,  abbé  de  Saint-Cyr. 

4.  Le  duc  de  Nivernais. 
6.  Morcau. 

6.  Voyez  le  dernier  vers  de  la  satire  intitulée  la  Vanité,  tome  X. 

7.  C'est  en  effet  ce  que  dit  Voltaire,  en  d'autres  termes,  dans  sa  lettre  4491. 

8.  D'Alembert  venait  de  publier  les  deux  premiers  volumes  d'Opuscules  mathé- 


ANNEE    176t.  263 

l'inoculation  est  mauvaise,  mais  que  ses  partisans  ont  assez  mal  raisonné 
jusqu'ici,  et  ne  se  sont  pas  doutés  de  la  question.  Ce  mémoire,  très-clair,  à 
ce  que  je  crois,  et  très-impartial,  a  été  lu  il  y  a  six  mois  à  une  assemblée 
publique  de  l'Académie  des  sciences,  et  m'a  paru  avoir  fait  beaucoup  d'im- 
pression sur  les  auditeurs.  On  vient  d'imprimer  dans  une  gazette  (à  la  vérité 
assez  obscure)  qu'un  médecin  de  Ciermont  en  Auvergne  ayant  inoculé  son 
fils,  le  fils  est  mort  de  l'inoculation,  et  que  le  père  est  mort  de  chagrin.  Ce 
fait,  s'il  est  vrai,  serait  très-fàcheux  contre  l'inoculation,  quoique  au  fond  il 
ne  soit  pas  décisif.  Adieu,  mon  cher  confrère;  je  ne  vous  écrirai  pourtant 
plus  de  l'Académie  française;  je  crains  qu'il  ne  faille  dire  do  ce  titre-là  ce 
que  Jacques  Roastbeef  dit  du  nom  de  monsieur  :  Il  y  a  tant  de  faquins 
qui  le  portent^  !  Adieu. 


4519.  —  DE    M.    LE   DUC   DE    LA  VALLIÈUE  «. 

A  Montrouge,  ce  9  avril  1761. 

Je  VOUS  ai  mis  dans  l'erreur^,  mon  cher  ami,  et  j'en  suis  fâché.  Si  on 
vous  la  reproche,  nommez-moi;  je  le  trouverai  certainement  très-bon.  Je 
peux,  sans  rougir,  avouer  que  je  me  suis  trompé;  mais  je  ne  peux  avoir  la 
même  tranquillité  lorsque  je  sens  que  je  vous  ai  exposé  à  la  critique  des 
envieux.  Votre  amitié  pour  moi,  le  goût  que  vous  me  connaissez  pour  les 
livres  et  pour  feuilleter  souvent  ceux  que  j'ai,  vous  ont  persuadé  que  vous 
pouvioz  avec  sécurité  employer  une  citation  que  je  vous  envoyais;  je  vous  ai 
abusé,  j'en  suis  honteux,  et  je  l'avoue.  Cet  aveu  simple  et  de  bonne  foi  vous 
empêchera  sans  doute  de  m'en  savoir  mauvais  gré.  Si  j'en  avais  bien  envie 
cependant,  je  pourrais  prêter  quelque  apparence  à  ma  justification,  puisqu'il 
est  très-vrai  que  je  tiens  ce  passage  d'un  homme  Irès-éclairé  qui  me  l'ap- 
porta pour  le  faire  mettre  en  vers,  et  qui  me  dit  l'avoir  tiré  des  sermons  de 
Codrus;  mais  puisipie  je  voulais  vous  l'envoyer,  je  pouvais  auparavant  faire 
ce  que  j'ai  fait  depuis  que  je  l'ai  trouvé  dans  l'Appel  aux  nnlions,  consulter 
mon  exemplaire.  J'y  aurais  sans  doute  trouvé  ce  conte;  mais  j'aurais  vu  en 
môme  temps  qu'Urcous  Codrus,  loin  d'être  un  fameux  prédicateur,  était  au 
contraire  un  fameux  libertin;  qu'il  avait  fait  imprimer  ses  œuvres  sous  le 
titre  de  Sermones  feslivi,  etc.;  qu'elles  contiennent  quelques  discours  assez 
orduriers,  et  beaucoup  de  poésies  galantes;  (ju'il  n'a  jamais  songé  à  travail- 
ler pour  la  chaire.  La  première  édition  parut  en  1502,  in-lolio;  et  la  seconde, 
qui  est  celle  que  jo  vous  ai  citée,  est  en  effet  do  \o\'6,  in-4",  et  le  passage 
(|ui  commence;  par  Qnœdani  ruslici  uxur'^,  aie,  est  bien  à  la  |>age  Gl.  Sans 

mntxqnes,  ou  Mrnioirex  sur  difj'i'rcnts  sujets  de  f/('o»i('//v'c(vf)yi'/.  la  note  2,  tome  XL, 
pnUc  r)'^'));  le  (lixièini!  de  ces  Mémoires  émit  consacré  à  rcxamcii  du  calcul  des 
probabililûs,  cl,  par  occasion,  l'auteur  y  traitait  de  rinoculation.  (B.) 

1.  Le  Français  ù  Londres,  Aa  Boissy,  scène  viii. 

2.  Voyez  lelire  2K8(J,  tome  XXXVllI,  page  350. 

3.  Voyez  rAvertisscmenl  de  Beucbot  en  lùte  de  VAmnd  à  toutes  les  nations  de 
l'Europe,  toineXXI\'.  jia-c  I9L 

4.  Voyez  tome  XXIV,  page  21j. 


254  CORRESPONDANCE. 

entrer  dans  une  plus  longue  dissertation  sur  le  seigneur  Urceus  Codrus, 
qui  certainement  n'a  jamais  tant  fait  parler  do  lui,  je  vois  que  ma  faute  est 
d'avoir  traduit Sermones  comme  l'on  traduit  CoUegium,  ou  d'avoir  eu  trop 
de  confiance  en  celui  qui  m'api)orta  ce  fameux  passage.  Qu'on  en  pense  ce 
qu'on  voudra,  je  m'y  soumets;  mais  je  désire  qu'on  soit  bien  convaincu  que 
vous  n'avez  d'autre  tort  en  cette  occasion  que  de  vous  en  être  rapporté  à 
moi.  Faites  imprimer  ma  lettre*,  si  vous  le  jugez  à  propos.  Loin  d'en  être 
fâché,  je  le  désire  avec  ardeur,  puisque  ce  sera  une  occasion  de  vous  don- 
ner aulhentiquement  une  preuve  de  la  sincère  amitié  que  j'ai  toujours  eue 
pour  vous.  Que  ne  puis-je  trouver  celle  de  vous  en  donner  de  la  véritable 
admiration  que  m'inspire  la  supériorité  de  vos  talents  ! 

Le  duc  DE  La  VALLiiiHE. 


4520.  —  A   M.  DUCLOS. 

Fprnej',  10  avril 

Je  vous  assure,  monsieur,  que  vous  me  faites  grand  plaisir  en 
m'apprenant  que  l'Académie  va  rendre  à  la  France  et  à  l'Europe 
le  service  de  publier  un  recueil  de  nos  auteurs  classiques,  avec 
des  notes  qui  fixeront  la  langue  et  le  goût,  deux  choses  assez 
inconstantes  dans  ma  volage  patiie.  Il  me  semble  que  M"'-  Cor- 
neille aurait  droit  de  me  bouder,  si  je  ne  retenais  pas  le  grand 
Corneille  pour  ma  part.  Je  demande  donc  à  l'Académie  la  per- 
mission de  prendre  cette  tâche,  en  cas  que  personne  ne  s'en 
soit  emparé. 

Le  dessein  de  l'Académie  est-il  d'imprimer  tous  les  ouvrages 
de  chaque  auteur  classique?  Faudra-t-il  des  notes  sur  Agèsilas  et 
sur  Attila ,  comme  sur  Cinna  et  sur  Rodogiine?  Voulez-vous  avoir 
la  bonté  de  m'instruire  des  intentions  de  la  compagnie  ?  Exige- 
t-elle  une  critique  raisonnée?  Veut-elle  qu'on  fasse  sentir  le  bon, 
le  médiocre  et  le  mauvais?  qu'on  remarque  ce  qui  était  autrefois 
d'usage,  et  ce  qui  n'en  est  plus?  qu'on  distingue  les  licences  des 
fautes?  Et  ne  propose-t-elle  pas  un  petit  modèle  auquel  il  faudra 
se  conformer  ?  L'ouvrage  est-il  pressé?  Combien  de  temps  me  don- 
nez-vous ? 

Puisqu'on  veut  bien  placer  ma  maigre  figure  sous  le  visage 

i.  Elle  a  été  imprimée  dès  1761,  à  la  suite  de  la  Lettre  de  M.  de  Voltaire  à 
M.  le  duc  de  La  Vallière,  in-8°  de  ving:t-huit  pages,  contenant,  pages  1-20,  la 
lettre  au  duc  de  La  Vallière  (voyez  n°  4531);  pages  21-22,  une  traduction  de  la 
lettre  à  milord  Lyttelton  (voyez  n"  4254);  pages  23-24,  une  traduction  delà  réponse 
de  milord  Lyttelton  (voyez  n»  4318);  pages  2.5-2G,  la  réponse  à  Trublet  (voyez 
n"  4534);  le  dernier  feuillet,  paginé  1-2,  contient  la  lettre  du  duc,  qui  avait  paru 
dans  le  Journal  encyclopédique  du  15  mai  1761. 


ANNÉE    1761.  265 

rebondi  de  M.  le  cardinal  de  Bernis ,  j'aurai  l'honneur  de  vous 
envoyer  incessamment  ma  petite  tête  en  perruque  naissante. 
L'original  aurait  bien  voulu  venir  se  présenter  lui-même,  et 
renouveler  à  l'Académie  son  attachement  et  son  respect;  mais  les 
laboureurs,  les  vignerons  et  les  jardiniers,  me  font  la  loi  :  e  uitido 
fit  rusticus^.  Comptez  cependant  que,  dans  le  fond  de  mon  cœur, 
je  sais  très-bien  qu'il  vaut  mieux  vous  entendre  que  de  planter 
des  mûriers  blancs. 

4521.   —   A   M.   L'ABBÉ    D'OLIVKT. 
A  Ferney,  tout  près  de  votre  Franche-Comté,  10  avril. 

Mais,  mon  maître,  est-ce  que  vous  n'auriez  point  reçu  un  pa- 
quet que  je  fis  partir,  il  y  a  trois  semaines,  à  l'adresse  que  vous 
m'aviez  donnée  ?  ou  mou  paquet  ne  méritait-il  pas  un  mot  de 
vous?  ou  êtes-vous  malade?  ou  êtes-vous  paresseux? 

Eh  bien  !  voilà  votre  ancien  projet  de  donner  un  recueil  d'au- 
teurs classiques  qui  fait  fortune.  Rien  ne  sera  plus  glorieux  pour 
l'Académie,  ni  plus  utile  pour  les  Français  et  pour  les  étrangers. 
Il  est  temps  de  prévenir  (j'ai  presque  dit  d'arrêter)  la  décadence 
de  la  langue  et  du  goût.  Quel  grand  homme  prenez-vous  pour 
votre  part?  Pour  moi,  j'ai  l'impudence  de  demander  Pierre  Cor- 
neille. C'est  La  Rose  qui  veut  parler  des  campagnes  de  Turenne. 
Je  vous  dirai  :  Cornellum,  Olivetc,  relegi. 

Qui,  quid  ûi  magnum,  quid  lurpe,  quid  utile,  quid  non, 
Planius  ac  nielius  Rousseau  mullisque  docebal; 

(HOR  ,  lib.  I,  ep.  II,  3,  4.) 

et  j'ajouterai  : 

Quamscit  utcrquc,  libens,  censebo,  cxerceat  arlem. 

(IIOR.,  lib.  1,  cp.  XIV,   U.) 

La  tragédie  est  un  art  que  j'ai  peut-être  mal  cultivé  ;  mais  je 
suis  de  ces  barbouilleurs  qu'on  appelle  curieux  ,  et  qui,  étant  in 
peine  capables  d'égaler  Person -,  connaissent  très-bien  la  louche 
des  grands  maîtres.  En  un  mot,  si  personne  n'a  retenu  le  lot  de 
Corneille,  je  le  demande,  et  j'en  écris  à  M.  Dnclos.  Je  crois  que 


1.  Horace,  livre  I,  l'iiltro  vu,  vers  83. 

2.  Connu  par  l'épipramme  de  J.-U.  Ilousscau  (livre  II,  xwiii)  : 

O.icon,  rimailleur  sutialtorno, 
V;inlo  Person  lo  barbouiUuur. 


20(5  CORRESPONDANCE. 

VOUS  avez  fait  une  Irès-Lonnc  acquisition  dans  M.  Saurin.  Il  est 
littérateur  et  homme  de  génie.  Dites-moi  qui  se  charge  de  La 
Fontaine.  Je  l'avais  autrefois  commencé  sur  le  projet  que  vous 
aviez  ;  mais  je  ne  sais  ce  que  cela  est  devenu.  J'ai  perdu  dans 
mes  fréquentes  tournées  les  trois  quarts  de  mes  paperasses,  et  il 
m'en  reste  encore  trop.  Vive,  vale,  scribe,  Ciccroniane  Olivete. 

4522.   —  A  M.   DAMILAVILLE. 

II  avril. 

Je  salue  toujours  les  frères  et  les  fidèles  ;  je  m'unis  à  eux  dans 
l'esprit  de  vérité  et  de  charité.  Nous  avons  des  faux  frères  dans 
l'Église  :  Jean-Jacques,  qui  devait  être  apôtre,  est  devenu  apostat  ; 
sa  lettre,  de  laquelle  j'ai  rendu  compte  aux  frères,  et  dont  je  n'ai 
point  de  réponse,  était  le  comble  de  l'absurdité  et  de  l'insolence. 
Pourquoi  a-t-on  mis  (comme  on  le  dit)  à  la  Bastille  le  censeur 
de  Sobieski,  et  pourquoi  laisse-t-on  impuni  le  censeur  de  V Année 
littéraire,  qui  donne  son  infâme  approbation  à  des  lignes  infâmes 
contre  une  fille  respectable  ^  ? 

Pesselier  m'a  envoyé  son  ouvrage  contre  la  Théorie  de  l'impôt  -. 
Je  voudrais  qu'on  renvoyât  toutes  ces  théories  à  la  paix,  et  qu'on 
ne  parlât  point  du  gouvernement  dans  un  temps  où  il  faut  le 
plaindre,  et  où  tout  bon  citoyen  doit  s'unir  à  lui. 

Je  prie  M.  Thieriot  de  m'envoyer  Quand  parlera-t-elle^?  Il  faut 
bien  que  je  rie  comme  les  autres,  et  il  n'y  a  guère  de  critique 
dont  on  ne  puisse  profiter. 

Je  recommande  l'incluse  aux  frères,  et  les  remercie  tendre- 
ment de  leur  zèle, 

4523.  —  A  M.    LE    COMTE    D'ARGENTAL. 

Ferney,  11  avril. 

Personne  au  monde  n'a  jamais  adressé  plus  de  prières  que 
moi  à  ses  anges  gardiens.  Ce  Tancrlde  est,  dit-on,  rejoué  et  reçu 
avec  quelque  indulgence,  comme  une  pièce  à  laquelle  vos  bons 
avis  ont  ôté  quelques  défauts,  et  on  pardonne  à  ceux  qui  restent; 
mais  je  ne  reçois  ni  l'exemplaire  de  Tancrlde  ni  celui  de  V Apo- 
logie'' de  mes  maîtres  contre  les  Anglais.  Vous  m'avouerez,  mes 

1.  Voyez  une  note  de  la  lettre  4416. 

2.  Doutes  proposés  à  l'auteur  de  la  Théorie  de  l'inipôl,  1701,  in-12. 

3.  Voyez  tome  V,  page  493. 

4.  Appel  à  toutes  les  yialions  de  l'Europe;  voyez  tome  XXIV,  page  191. 


ANNÉE    1761.  267 

anges,  que  cela  n'est  pas  juste.  Souffrez  que  je  recommande  en- 
core Oresie  à  vos  bontés  :  voyez  si  ces  petits  cliangemcnts  que  je 
vous  envoie  sont  admissibles. 

J'ai  une  autre  supplique  à  présenter  :  le  petit  Prault,  qui  ne 
m'a  pas  envoyé  un  Tancrède,  n'a  pas  mieux  traité  M""'  de  Pom- 
padour  et  M.  le  duc  de  Choiseul,  malgré  toutes  ses  promesses.  Je 
soupçonne  qu'ils  n'en  sont  pas  trop  contents,  et  qu'ils  croient 
que  j'ai  manqué  à  mon  devoir.  Ils  ne  peuvent  savoir  que  je  ne 
me  suis  pas  mêlé  de  l'édition.  Il  eût  été  assez  placé  (jne  Lekain 
ou  M"^  Clairon  eût  présenté  l'ouvrage.  Tout  le  fruit  que  j'ai  re- 
cueilli de  mes  peines  aura  été,  peut-être,  de  déplaire  à  ceux  dont 
je  voulais  mériter  la  bienveillance,  et  d'être  immolé  à  une  paro- 
die :  tout  cela  est  l'état  du  métier.  Ne  vaut-il  pas  mieux  planter, 
semer,  et  bâtir? 

J'ai  écrit  en  dernier  lieu  à  M.  le  duc  de  Choiseul  une  lettre' 
dont  il  a  dû  être  content.  Je  crois  bien  que  le  fardeau  immense - 
dont  il  est  chargé  ne  lui  permet  pas  de  faire  réponse  à  des  gens 
aussi  inutiles  que  moi;  il  y  avait  pourtant  dans  ma  lettre  quelque 
chose  d'utile.  Enfin  je  demande  en  grâce  à  M.  d'x4rgcntal  de  m'ap- 
prendre  si  je  suis  en  grâce  auprès  de  son  ami. 

iMalgré  les  petits  désagréments  que  j'essuie  sur  Tancrède,  j'ai 
toujours  du  goût  pour  Oreste.  Ce  serait  une  action  digne  de  mes 
anges  de  faire  enfin  triompher  la  simplicité  de  Sophocle  des 
cabales  des  soldats  de  Corbulon  '. 

Mille  tendres  respects. 

4.u24.  —  A  M.   COL  INI. 

Fernc3',  le  li  avril  1701. 

Je  ressens  bien  vivement,  mon  cher  Colini,  l'extrême  bonté 
de  monseigneur  l'électeur,  qui  daigne  me  parler  de  son  bonheur  ', 
et  qui  fait  le  mien.  Je  ferai  l'impossible  pour  venir  prendre 
part  à  la  joie  publique  dans  Sclnvetzingen,  et  c'en  sera  une  bien 
grande  pour  moi  de  vous  y  voir,  et  de  pouvoir  vous  être  de 
quelque  utilité.  Je  vous  ai  envoyé  ce  (pic  vous  me  demandiez 
pour  l'édition  \ 

Je  'VOUS  embrasse  de  tout  mon  cœur. 


i.  Elle  manque.  (B.) 

2.  Le  ininislère  des  afTaircs  étrangères  et  celui  de  la  guerre,  qu'il  réunissait. 

'.\.  Voyez  la  note,  toiiu;  XXXMI,  pa^'e  'kW. 

4.  Voyez  la  lettre  45(10. 

5.  Voyez  la  lettre  4.'J12. 


268  CORRESPONDANCI". 

452").   —A    CHARLES-THÉODORE  1, 

ÉLECTEUR     PALATIN. 

A  Fcrney,  le  14  avril. 

Que  je  suis  touché  !  que  j'aspire 
A  voir  briller  cet  heureux  jour, 
Ce  jour  si  cher  à  votre  cour, 
A  vos  États,  à  tout  l'empire! 

Que  j'aurais  de  plaisir  à  dire, 
En  voyant  combler  votre  espoir  : 
J'ai  vu  l'enfant  que  je  désire, 
Et  mes  yeux  n'ont  plus  rien  à  voir! 

Je  ressemble  au  vieux  Siniéon  -, 
Chacun  de  nous  a  son  messie; 
J'ai  pour  vous  plus  de  passion 
Que  pour  Joseph  et  pour  Marie. 

Monseigneur,  que  Votre  Altesse  électorale  me  pardonne  mon 
petit  enthousiasme  un  peu  profane,  la  joie  le  rend  excusable.  Je 
ne  sais  ce  que  je  fais,  ma  lettre  manque  à  l'étiquette.  Du  temps 
de  la  naissance  du  duc  de  Bourgogne,  tous  les  polissons  se  mirent 
à  danser  dans  la  chambre  de  Louis  XIV.  Je  serais  un  grand  po- 
lisson dans  Schwetzingen  si  je  pouvais,  dans  le  mois  de  juillet, 
être  assez  heureux  pour  me  mettre  aux  pieds  du  père,  de  la 
mère,  et  de  l'enfant.  Un  fils  et  la  paix,  voilà  ce  que  mon  cœur 
souhaite  à  Vos  Altesses  électorales;  et  un  fils  sans  la  paix  est 
encore  une  bien  bonne  aventure.  Je  me  mets  à  vos  genoux, 
monseigneur;  je  les  embrasse  de  joie.  Agréez,  vous  et  ma- 
dame l'électrice,  ma  mauvaise  prose,  mes  mauvais  vers,  mou 
profond  respect,  mon  ivresse  de  cœur,  et  daignez  conserver  des 
bontés  à  votre  petit  Suisse,  etc. 

4526.  —  A  M.  LE    COMTE  D'ARGENTAL. 

A  Fernej',  17  avril. 

Plus  anges  que  jamais,  et  moi  plus  endiablé,  la  tête  me  tourne 
de  ma  création  de  Ferney.  Je  tiens  une  terre  à  gouverner  pire 

1.  Réponse  à  la  lettre  4500. 

2.  Saint  Luc,  Evangile,  chap.  ii,  verset  25. 


ANNÉE    1761.  269 

qu'un  royaume  :  car  un  ministre  n'a  qu'à  ordonner,  et  le  pauvre 
campagnard  des  Alpes  est  obligé  de  faire  tout  lui-même  ;  il  n'a 
jamais  de  loisir,  et  il  en  faut  pour  penser.  Ainsi  donc,  mésanges, 
TOUS  pardonnerez  à  ma  tête  épuisée. 

1°  Oresle  se  recommande  à  vos  divines  ailes. 

Ma  mère  en  fait  autant 

est  le  commencement  d'une  chanson  plutôt  que  d'un  vers  tra- 
gique^ 

Quelquefois  un  misérable  hémistiche  coûte. 

Il  a  montré  pour  nous  l'amitié  la  plus  tendre; 
11  révérait  mon  père,  il  pleurait  sur  sa  cendre. 


Et  ma  mère  l'invoquai  Ainsi  donc  les  mortels 
Se  baignent  dans  le  sang,  et  tremblent  aux  autels. 

(Acto  IV,  scène  m.) 

Voilà,  je  crois,  la  sottise  amendée. 

Il  est  plaisant  que  Bernard  m'ait  volé,  et  que  je  n'ose  pas  le 
dire-  ;  mais  un  riche  vaut  mieux ^  et  grâces  vous  soient  rendues. 
Le  produit  net  des  cent  soixante  et  treize  journaux  est  fort  plai- 
sant et  plus  honnête  ;  mais  savez-vous  bien  que  vous  faites  Jean- 
Jacques  un  très-grand  seigneur?  Vous  lui  donnez  là  cent  mille 
écus  de  rente.  La  compagnie  des  Indes,  sans  le  tabac,  ne  pour- 
rait en  donner  autant  à  ses  actionnaires.  Vous  êtes  généreux,  mes 
anges. 

J'ai  une  curiosité  extrême  de  savoir  si  M"""  de  Pompadour  et 
M.  le  duc  de  Choiseul  ont  reçu  leur  exemplaire*  de  Prault, 

Autre  curiosité,  de  savoir  si  on  joue  la  seconde  scène  du  second 
acte  de  Tancruk  comme  elle  est  imprimée  dans  l'édition  de  Cra- 
mer, et  comme  elle  ne  l'est  pas  dans  l'édition  de  ce  Prault.  Je 
vous  conjure  de  me  dire  la  vérité.  Je  trouve  la  façon  de  Cramer 


1.  Cet  hémistiche  a  été  conservé  acte  IV,  scène  m. 

2.  11  était  frère  de  la  première  présidente  Mole,  qui  ne  paya  point  ses  dettes, 
mais  qui  trouvait  fort  mauvais  qu'on  dit  f(u'il  avait  volé  ses  créanciers.  (K.) 

3.  Malj,'ré  le  consentemeut  que  parait  donner  ici  Voltaire,  on  n'a   pas    mis 

Qu'un  riche  t'ait  volu; 

le  nom  «le  Hcrnard  est  resté  dans  rbémislichc  ;   voyez,  tome  X,    ït'lpUrc    sur 
l'Agriculture. 

4.  De  la  tragédie  de  Tancrède. 


270  CORRESPONDANclî. 

plus  altnchantc,  plus  Ihéûtrale,  plus  favorable  à  de  bons  acteurs. 
Ai-jc  tort? 

Lekain  ne  m'a  point  écrit. 

Si  vous  étiez  des  anges  sans  préjugés,  vous  verriez  quele  Droit 
du  Seigneur  n'est  pas  à  dédaigner;  que  le  fonds  en  était  bon;  que 
la  forme  y  a  été  mise  à  la  fin  ;  qu'il  n'y  a  pas  une  de  vos  critiques 
dont  on  n'ait  profité  ;  que  la  pièce  est  tout  le  contraire  de  ce  que 
vous  avez  vu;  en  un  mot,  je  vous  conjure  de  la  laisser  passer 
sous  le  masque  en  son  temps. 

Il  faut  un  autre  amant  à  Fanime.  Je  lui  en  fournirai  un;  mais 
le  Czar  m'attend,  et  VIHstoire  générale  se  réimprime,  augmentée 
de  moitié,  et  la  journée  n'a  que  vingt-quatre  heures,  et  je  ne 
suis  pas  de  fer. 

Je  n'ai  point  la  nouvelle  reconnaissance  d'Oreste  et  d'Electre; 
daignez  me  l'envoyer,  ou  j'en  ferai  une  autre.  Je  suis  entouré  de 
vers,  de  prose,  de  comptes  d'ouvriers  ;  je  ne  peux  me  recon- 
naître. Il  est  très-vrai  qu'il  s'agit  d'un  mariage  pour  M""  Cor- 
neille, et  que  l'emploi  de  valet  de  poste  a  arrêté  le  soupirante 
Voilà  ce  qu'a  produit  Fréron  :  et  on  protège  cet  homme! 

Le  Brun  est  un  bavard.  Il  m'avait  insinué,  dans  ses  premières 
lettres,  que  je  ne  devais  pas  laisser  M'""  Corneille  dans  l'indigence 
après  ma  mort.  Je  lui  ai  mandé  que  j'avais  fait  là-dessus  mon 
devoir.  Il  l'a  dit,  et  il  a  tort. 

Que  voulez -vous  donc  de  plus  terrible,  de  plus  affreux,  à  la 
mort  de  Clytemnestre,  que  de  l'entendre  crier?  II  n'y  a  point  là 
de  ])eaux  vers  à  faire  :  c'est  le  spectacle  qui  parle  ;  et  ce  qu'on 
dit,  en  pareil  cas,  affaibht  ce  qu'on  fait. 

Mais  songez  que  Tcrèe^  et  Oreste  tout  de  suite,  voilà  bien 
du  grec,  voilà  bien  de  l'horreur  ;  il  faut  laisser  respirer.  Je  vou- 
drais une  petite  comédie  entre  ces  deux  atrocités,  pour  le  bien 
du  tripot. 

Daignerez-vous  répoudre  à  tous  mes  points?  Je  n'en  peux 
plus,  mais  je  vous  adore: 

Pour  Dieu,  dites-moi  si  vous  ne  trouvez  pas  le  mémoire  contre 
les  jésuites  hien  fort  et  bien  concluant?  Comment  s'en  tireront- 
ils?  Je  les  ai  fait  plier  tout  d'un  coup  sans  mémoire;  je  les  ai 
fait  sortir  d'un  domaine  qu'ils  usurpaient.  Ils  n'ont  pas  osé  plai- 
der contre  moi  ;  mais  il  ne  s'agissait  que  de  cent  soixante  mille 
livres. 


1.  Voyez  la  lettre  4511. 

2.  Térée,  tragédie  de  Lemierre,  fut  jouée  le  25  mai  1761. 


ANNÉE    I7G1.  271 

4527.  —  A   M.   D'ALEMBERT. 

A  Ferney,  '20  avril. 

Je  me  liàte  de  vous  répondre,  mon  grand  calculateur  de 
petite  vérole,  plein  d'esprit  et  de  génie,  et  antipode  des  calcula- 
teurs, que  ililigo  adhuc  Ciceronianum  Olivelum,  quia  oplimus  gram- 
malicus,  quia  il  fut  mon  maître,  et  qu'il  me  donnait  des  claques 
sur  le  cul  quand  j'avais  quatorze  ans.  Je  ne  dirai  pas  qu'il  en  a 
menti,  mais  il  a  dit  la  chose  qui  n'est  pas.  Qu'il  vous  montre 
ma  lettre,  s'il  l'ose.  Certainement  votre  nom  n'y  est  pas.  Il  peut 
avoir  quelque  finesse,  ayant  été  jésuite.  Il  a  voulu  se  jouer  de 
votre  vivacité  parisienne,  et  vous  arracher  votre  secret.  Vous 
avez  peut-être  donné  dans  le  panneau.  Soyez  très-sûr  que  je 
ne  vous  compromettrai  jamais,  et  que  vous  pouvez  donner 
l'essor  avec  moi  à  votre  très-plaisante  imagination  en  toute 
sûreté. 

Vous  me  paraissez  bien  honnête  de  dire  qu'un  homme  de 
trente  ans  peut  en  espérer  trente  autres.  La  vie  commune  ne  s'é- 
tend qu'à  vingt-deux  ans  sur  la  masse  totale.  Je  n'ai  pas  encore 
bien  examiné  votre  compte  ;  je  vais  vous  relire  :  à  Paris  on  ne 
relit  point.  Vive  la  campagne,  où  le  temps  est  à  nous!  En  géné- 
ral, je  vois  que  vous  en  savez  plus  que  votre  sourdaud^  Je  vous 
remercie  de  votre  bon  mari.  Il  faut  avouer  que  la  reine  est  bien 
bonne,  et  que  si  elle  était  la  maîtresse,  nous  aurions  un  siècle 
bien  éclairé.  Je  vous  donne  mon  blanc-seing  pour  ma  place  à 
l'Académie,  à  la  première  fantaisie  que  vous  aurez  de  résigner  : 
cela  sera  assez  plaisant,  et  c'est  une  facétie  qu'il  ne  faut  pas 
manquer.  Faites  la  lettre  de  remerciement,  et  je  vous  réponds 
de  la  signer.  A  l'égard  de  Jean-Jacques,  s'il  n'était  qu'un  incon- 
séquent, un  petit  bout  d'homme  pétri  de  vanité,  il  n'y  aurait  pas 
grand  mal  ;  mais  qu'il  ait  ajouté  à  l'impertinence  de  sa  lettre 
l'infamie  de  cabalcr  du  fond  de  son  village,  avec  des  pédants 
sociniens,  pour  m'empêcher  d'avoir  un  théàli-c  à  Tournay,   ou 

\.  La  Condaminc,   reçu  à  PAcadémie  française  le  12  janvier  1701,  avait  fait, 
sur  sa  réception,  ce  quatrain,  qu'il  lit  circuler  : 

Apollon  n'avait  plus  que  trontc-huit  apdtrcs; 
La  Cundamino  outre  uux  vient  s'asseoir  aujuuril'liui. 
Il  est  bion  sour.l,  tant  mieux  pour  lui  ; 
Mais  non  muel,  et  tant  pis  pour  les  autres. 

Piron  r/iduisit  cette  épigramme  on  quatre  vers  do  huit  syllabes;  et  l'on  a  souvent 
pris  la  version  do  Piron  pour  le  texte  do  La  Condamino.  (B.) 


272  CUUUliSPONDANGE. 

du  moins  pour  empêcher  ses  concitoyens,  qu'il  ne  connaît  pas, 
do  jouer  avec  moi  ;  qu'il  ait  voulu,  par  cette  indigne  manœuvre, 
se  préparer  un  retour  triomphant  dans  ses  rues  basses*  :  c'est 
l'action  d'un  coquin,  et  je  ne  lui  pardonnerai  jamais.  J'aurais 
tâché  de  me  venger  de  Platon  s'il  m'avait  joué  un  pareil  tour; 
à  plus  forte  raison  du  laquais  de  Diogèue.  Je  n'aime  ni  ses  ou- 
vrages ni  sa  personne,  et  son  procédé  est  haïssable.  L'auteur  de 
la  Nouvelle  Aloïsin  n'est  qu'un  polisson  malfaisant.  Que  les  philo- 
sophes véritables  fassent  une  confrérie  comme  les  francs-maçons, 
qu'ils  s'assemblent,  qu'ils  se  soutiennent,  qu'ils  soient  fidèles  à 
la  confrérie,  et  alors  je  me  fais  brûler  pour  eux.  Cette  académie 
secrète  vaudrait  mieux  que  l'académie  d'Athènes  et  toutes  celles 
de  Paris  ;  mais  chacun  ne  songe  qu'à  soi,  et  on  oublie  le  premier 
des  devoirs,  qui  est  d'anéantir  Vinf.... 

Je  vous  prie,  mon  grand  philosophe,  de  dire  à  M""=  du  Deffant 
combien  je  lui  suis  attaché.  Je  lui  écrirai  quelque  jour  une 
énorme  lettre.  J'aime  à  penser  avec  elle  ;  je  voudrais  y  souper  : 
je  l'aime  d'autant  plus  que  j'ai  les  sots  en  horreur.  Mes  compli- 
ments à  l'abbé  Trublet;  j'attends  sa  harangue  avec  l'impatience 
du  parterre  qui  a  des  sifflets  en  poche,  et  qui  ne  voit  pas  lever 
la  toile. 

A  propos,  haïssez-vous  toujours  M.  de  Chimène,  ouXimenès? 
Il  vient  d'acheter  une  maison,  des  prés,  des  vignes,  et  des  champs, 
dans  le  pays  de  Gex.  Voilà  le  fruit  apparemment  de  VÉpître  sur 
l'Agriculture.  Je  suis  devenu  un  malin  vieillard.  II  y  a  longtemps 
que  j'ai  fait  la  Capilotade  ^  ;  c'est  un  chant  qui  entre  dans  la  Pucelle  : 
il  y  aura  toujours  place  pour  les  personnes  que  vous  me  recom- 
manderez. J'ai  souffert  quarante  ans  les  outrages  des  bigots  et 
des  polissons.  J'ai  vu  qu'il  n'y  avait  rien  à  gagner  à  être  modéré, 
et  que  c'est  une  duperie  :  il  faut  faire  la  guerre,  et  mourir  noble- 
ment 

Sur  un  tas  de  bigots  immolés  à  mes  pieds. 

Riez  et  aimez-moi  ;  confondez  Vinf...  le  plus  que  vous  pourrez. 

N.  B.  J'ai  lu  le  Mémoire  contre  les  jésuites  banqueroutiers^. 

L'avocat  a  raison  :  aucun  jésuite  ne  peut  traiter  sans  engager 

1.  A  Genève. 

2.  Le  chant  XVIII  de  la  Pucelle. 

3.  Mémoire  à  consulter,  et  Consultation  pour  Jean  Lyoncy,  créancier  et  syndic 
de  la  masse  de  la  raison  de  commerce  établie  à  Marseille  sous  le  nom  de  Lyoncy 
frères  et  Gouffre,  contre  le  corps  et  société  des  pères  jésuites,  1761,  iQ-12,  signé 
Lalourcé,  avocat. 


ANNÉE    1761.  273 

ses  supérieurs.  Quand  je  les  ai  chassés  d'un  domaine  qu'ils 
avaient  usurpé,  il  a  fallu  que  le  provincial  signùt  le  désiste- 
ment; mais  je  les  ai  chassés  sans  hruit,  je  n'ai  eu  que  la  moitié 
du  plaisir. 

4528.  —  A  M.    DAMILAVILLE. 

A  Fcrney,  le  22  avril. 

Je  suis  le  partisan  de  M.  Diderot,  parce  qu'à  ses  profondes 
connaissances  il  joint  le  mérite  de  ne  vouloir  point  jouer  le  phi- 
losophe, et  qu'il  l'a  toujours  été  assez  pour  ne  i)as  sacrifier  à 
d'infùnies  préjugés  qui  déshonorent  la  raison.  Mais  qu'un  Jean- 
Jacques,  un  valet  de  Diogène,  crie,  du  fond  de  son  tonneau, 
contre  la  comédie,  après  avoir  fait  des  comédies  (et  même  dé- 
testables); que  ce  polisson  ait  l'insolence  dem'écrirei  que  je 
corromps  les  mœurs  de  sa  patrie  ;  qu'il  se  donne  l'air  d'aimer  sa 
patrie  (qui  se  moque  de  lui)  ;  qu'enfin,  après  avoir  changé  trois 
fois  de  religion,  ce  misérable  fasse  une  brigue  avec  des  prêtres 
sociniens  de  la  ville  de  Genève  pour  empêcher  le  peu  de  Gene- 
vois qui  ont  des  talents  de  venir  les  exercer  dans  ma  maison 
(laquelle  n'est  pas  dans  le  petit  territoire  de  Genève)  :  tous  ces 
traits  rassemblés  forment  le  portrait  du  fou  le  plus  méprisable 
que  j'aie  jamais  connu.  M.  le  marquis  de  Ximenès  a  daigné  s'a- 
baisser jusqu'à  couvrir  de  ridicule  son  ennuyeux  et  impertinent 
roman-.  Ce  roman  est  un  libelle  fort  plat  contre  la  nation  qui 
donne  à  l'auteur  de  quoi  vivre  ;  et  ceux  qui  ont  traité  les  quatre 
jolies  lettres  de  M.  de  Ximenès  de  libelles  ont  extravagué.  Un 
homme  de  condition  est  au  moins  en  droit  de  réprimer  l'inso- 
lence d'un  J.-J.,  qui  imprime  qu'il  y  a  vingt  contre  un  à  jmricr 
que  tout  gentilhomme  descend  d'un  fripon^. 

Voilà,  mon  cher  monsieur,  ce  que  je  pense  hautement,  et  ce 
que  je  vous  prie  de  dire  à  M.  Diderot.  Il  ne  doit  pas  être  à  se 
repentir  d'avoir  apostrophé  ce  "pauvre  homme  comme  grand 
homme,  et  de  s'être  écrié  :  0  Rousseau!  dans  un  dictionnaire*.  Il 
se  trouve,  à  la  fin  de  compte,  que  ô  nousseau!  ne  signifie  que 
ô  insensé!  Il  faut  connaître  ses  gens  avant  de  leur  prodiguer  des 
louanges.  J'écris  tout  ceci  pour  vous. 

•Prault  petit-fils  est  un  petit  sut  :  il    a  imprimé  ÏAppcl  aux 


1.  Voyez  la  lettre  <lu  17  juin  17ii(l,  ii"  il.i.;. 

2.  Voyez  tome  XXIV,  [mf^e  Ki."». 

3.  Nouvelle  Héloise,  proiniéro  p.irtie,  lettre  iai 

4.  Au  mot  K\CYC.i,oi'i':i)ii:. 

il.    —    Coiir.KSI'O.NDANCli.    IX, 


274  CORRESPONDANCE. 

nations  avec  autant  de  fautes  qu'il  y  a  de  lignes.  Que  M.  Thieriot 
ne  s'cxpliquait-il?  Je  lui  aurais  envoyé,  depuis  deux  ans,  de  quoi 
se  faire  un  honnête  pécule  en  rogatons. 

Vous  me  trouverez  un  peu  de  mauvaise  humeur  ;  mais  com- 
ment voulez-vous  que  je  ne  sois  pas  outré?  Je  bâtis  un  joli 
théâtre  à  Ferney,  et  il  se  trouve  un  Jean-Jacques,  dans  un  vil- 
lage de  France,  qui  se  ligue  avec  deux  coquins,  prêtres  calvi- 
nistes, pour  empêcher  un  bon  acteur^  de  jouer  chez  moi. 
Jean-Jacques  prétend  qu'il  ne  convient  pas  à  la  dignité  d'un 
horloger  de  Genève  déjouer  Cinna  chez  moi  avec  M"«  Corneille. 
Le  polisson!  le  polisson!  S'il  vient  au  pays,  je  le  ferai  mettre  dans 
un  tonneau,  avec  la  moitié  d'un  manteau  sur  son  vilain  petit 
corps  à  bonnes  fortunes. 

Pardonnez  à  ma  colère,  monsieur,  vous  qui  n'aimez  point  les 
enthousiastes  hypocrites. 

4529.   —  A  M.  DE   VARENNES^. 

Ferney,  22  avril. 

Vous  ne  pouvez  douter,  monsieur,  que  je  ne  reçoive  avec 
bien  du  plaisir  la  mainlevée  de  l'anathème  prononcé  contre  mes 
troupes  ^  Il  est  bien  difficile  d'excommunier  les  soldats  sans  que 
les  éclaboussures  des  foudres  sacrées  ne  frappent  un  peu  les 
officiers.  La  contradiction  ridicule  d'être  payé  par  le  roi,  et  de 
n'être  pas  enterré  par  son  curé,  est  d'ailleurs  une  de  ces  imper- 
tinences les  plus  dignes  de  nos  lois  et  de  nos  mœurs.  Si  l'on  par- 
vient à  nous  défaire  de  cette  barbarie,  on  rendra  service  à  la 
nation.  J'attends  le  livre'*  avec  impatience;  mais  je  doute  fort 
qu'il  produise  un  autre  effet  que  celui  de  nous  convaincre  de 
notre  sottise.  Rien  de  plus  commun  que  de  nous  prouver  que 
nous  avons  tort,  et  rien  de  plus  rare  que  de  nous  corriger. 

J'ai  l'honneur  d'être,  avec  l'estime  que  vous  m'avez  inspi- 
rée, etc. 


1.  Probablement  Aufresne,  dont  Voltaire  parle  plusieurs   fois;    voyez,  entre 
autres,  la  lettre  à  d'Argental  du  29  octobre  1764. 

2.  Probablement  Jacques   de  Varennes,  mort  vers  1780,   ancien  grelïier  des 
états  de  Bourgogne. 

3.  Les  comédiens. 

4.  De  Huerne  de  La  Mothe;  voyez  la  note,  tome  XXIV,  page  239. 


ANNÉE    1761.  275 

4530.  —  A  M.   TIIIERIOT. 

Fcrnc}',  -"2  avril. 

Mon  ancien  ami,  je  vous  croyais  opulent,  ou  du  moins 
arrondi.  AI.  Damilaville  me  mande  qu'il  y  a  quelque  brèche  à 
votre  rotondité.  Voici  une  idée  qui  m'est  venue.  Un  magistrat  de 
Dijon,  jeune  et  de  beaucoup  d'esprit,  a  fait  une  comédie  très- 
singulière  S  et  ne  voudrait  pour  rien  au  monde  être  connu.  Son 
idée  est  de  la  faire  jouer,  et  de  partager  les  honoraires  entre 
celui  qui  se  chargera  du  délit,  et  un  secrétaire  très-affectionné, 
vieux  serviteur  de  la  maison. 

Ils  auront  aussi  le  profit  de  l'édition.  Voyez  si  vous  pouvez 
vous  charger  de  cette  besogne.  Je  crois  que  ce  n'est  pas  une 
mauvaise  alfaire. 

L'auteur  exige  un  profond  secret  :  êtes-vous  en  état  de  faire 
lire  cette  comédie  au  tripot,  sans  vous  commettre  et  sans  com- 
mettre personne?  Je  remplis  la  mission  dont  l'amitié  me  charge. 
Mandez-moi  votre  résolution. 

J'ai  demandé  un  almanach  où  l'on  trouve  les  patriarches 
grecs.  J'en  ai  besoin,  non  pas  que  je  prenne  un  vif  intérêt  à 
l'Église  grecque,  mais  en  qualité  de  pédant. 

On  m'a  promis  un  livre-  contre  l'cxconmiunication  dos  comé- 
diens. L'auteur  doit  me  l'envoyer. 

Dumolard  m'a  demandé  une  trêve  de  la  part  de  l'abbé 
Trublet  ;  il  dit  qu'il  ne  compilera  plus.  Je  donne  donc  l'absolution 
à  l'archidiacre,  mon  confrère. 

4531.    —   A    M.    LE    DUC    DE    LA    VALLIÈRE, 

GUAND-FAUCOrVXIER     DE     FRANCE   '. 

Votre  procédé,  monsieur  le  duc,  est  de  l'ancienne  chevalerie  : 
vous  vous  exposez  pour  sauver  un  homme  qui  s'est  mis  en  péril 
'd  votre  suite;  mais  la  petite  erreur  dans  laquelle  vous  m'avez 

1.  Voyez  l'Avortisscmcnt  de  Bcuchot,  en  tûlo  du  Droit  du  Seiijiieur,  imnc  VI, 
pa^'C  3.  Le  ina^fistrat  était  Lcgouz  de  Gerland. 
•    2.  Celui  de  lluerne  de  La  Motlie. 

3.  Cette  lettre  est  une  réponse  au  n"  KjI'J.  Dans  les  éditions  de  Kelil  et  dans 
beaucoup  d'autres,  on  l'a  mise  dans  les  Mi-langes  littéraires;  on  l'a  (juoiquefois 
datée  du  juin  1701.  Elle  doit  ôtro  de  la  (in  d'avril,  puisque  le  8  mai  (vo^ez  lettre 
4.5il).  Vullttire  avait  déjà  nouvelle  de  la  manière  dont  elle  avait  été  accueillie  à  la 
cour.  Li'.  Journal  encydopùdi'tm  du  15  mai  1701  contient  la  lettre  de  La  Vulliôro 
du  9  avril  (voyez  n"  45l'J,^,  et  la  réponse  do  Voltaire.  (B.) 


276  CORRESPONDANCE. 

induit  sert  fi  déployer  votre  profonde  érudition  ;  peu  de  grands- 
fauconniers  auraient  déterré  les  Sermones  festivi,  imprimés  en 
1502.  Raillerie  à  part,  vous  faites  une  action  digne  de  votre  belle 
ûme,  en  vous  mettant  pour  moi  à  la  brèche. 

Vous  me  disiez  dans  votre  première  lettre  qu'Urccus  Codrus 
était  un  grand  prédicateur,  vous  m'apprenez  dans  votre  seconde 
que  c'était  un  grand  libertin,  mais  cependant  qu'il  n'était  pas 
cordelier.  Vous  demandez  pardon  ù  saint  François  d'Assise,  et  à 
tout  l'ordre  séraphique,  de  la  méprise  où  vous  m'avez  fait  tom- 
ber. Je  prends  sur  moi  la  pénitence  ;  mais  il  reste  toujours  i)our 
véritable  que  les  mystères  représentés  à  l'hôtel  de  Bourgogne 
étaient  beaucoup  plus  décents  que  la  plupart  des  sermons  du 
xvr  siècle.  C'est  sur  ce  point  que  roule  la  question. 

Mettons  qui  nous  voudrons  à  la  place  d'Urceus  Codrus,  et 
nous  aurons  raison.  Il  n'y  a  pas  un  mot  dans  les  mystères  qui 
alarme  la  pudeur  et  la  piété.  Quarante  associés,  qui  font  et  qui 
jouent  des  pièces  saintes  en  français,  ne  peuvent  s'accorder  à 
déshonorer  leurs  pièces  par  des  indécences  qui  révolteraient  le 
public,  et  qui  feraient  fermer  le  théâtre.  Mais  un  prédicateur 
ignorant,  qui  n'a  nul  usage  des  bienséances,  peut  mêler  dans 
son  sermon  quelques  sottises,  surtout  quand  il  les  prononce  en 
iatin. 

Tels  étaient,  par  exemple,  les  sermons  du  cordelier  Maillard, 
que  vous  avez  sans  doute  dans  votre  riche  et  immense  biblio- 
thèque; vous  verrez,  dans  son  sermon  du  jeudi  de  la  seconde 
semaine  du  carême,  qu'il  apostrophe  ainsi  les  femmes  des  avo- 
cats qui  portent  des  habits  garnis  d'or  ^  :  a  Vous  dites  que  vous 
êtes  vêtues  suivant  votre  état  :  à  tous  les  diables  votre  état  et 
vous-mêmes,  mesdemoiselles  !  Vous  me  direz  peut-être  :  Nos  maris 
ne  nous  donnent  point  de  si  belles  robes;  nous  les  gagnons  de  la 
peine  de  notre  corps  :  à  trente  mille  diables  la  peine  de  votre 
corps,  mesdemoiselles!  » 

Je  ne  vous  répète  que  ce  trait,  de  frère  Maillard,  pour  ménager 
votre  pudeur;  mais  si  vous  voulez  vous  donner  le  soin  d'en 
chercher  de  plus  forts  dans  le  même  auteur,  vous  en  trouverez 
de  dignes  d'Urceus  Codrus.  Frère  André  et  Menot  étaient  fort 
fameux  pour  les  turpitudes  :  la  chaire,  à  la  vérité,  ne  fut  pas 
toujours  souillée  par  des  obscénités  ;  mais  longtemps  les  sermons 
ne  valurent  pas  mieux  que  les  mystères  de  l'hôtel  de  Bourgogne. 

Il  faut  avouer  que  les  prétendus  réformés  de  France  furent 

1.  Quadragésime,  sermon  xw. 


ANNÉE    ITGI.  277 

les  premiers  qui  mirent  quelque  raison  dans  leurs  discours, 
parce  qu'on  est  obligé  de  raisonner  quand  on  veut  changer  les 
idées  des  hommes.  Cette  raison  était  encore  hien  loin  de  l'élo- 
quence. La  chaire,  le  harreau,  le  théâtre,  la  philosophie,  la  lit- 
térature, la  théologie,  tout  chez  nous  fut,  à  quelques  exceptions 
près,  fort  au-dessous  des  pièces  qu'on  joue  aujourd'hui  à  la  Foire. 

Le  hon  goût  en  tout  genre  n'étahlit  son  empire  que  dans  le 
siècle  de  Louis  XIV  :  c'est  là  ce  qui  me  détermina,  il  y  a  long- 
temps, à  donner  une  légère  esquisse  de  ce  temps  glorieux  ;  et 
vous  avez  remarqué  que,  dans  cette  histoire,  c'est  le  siècle  qui 
est  mon  héros  encore  plus  que  Louis  XIV  lui-même,  quelque 
respect  et  quelque  reconnaissance  que  nous  devions  à  sa  mémoire. 

Il  est  vrai  qu'en  général  nos  voisins  ne  valaient  guère  mieux 
que  nous.  Comment  s'est-il  pu  faire  que  l'on  prêchât  toujours, 
et  que  Ton  prêchât  si  mal?  Comment  les  Italiens,  qui  s'étaient  tirés 
depuis  si  longtemps  de  la  harharie  en  tant  de  genres,  n'étaient- 
ils  pour  la  plupart,  dans  la  chaire,  que  des  Arlequins  en  surplis; 
tandis  que  la  Jérusalem  du  Tasse  égalait  l'Iliade,  que  iOrlando 
furioso  surpassait  fOdyssée,  que  le  Paslor  fido  n'avait  point  de 
modèle  dans  l'antiquité,  et  que  les  Raphaël  et  les  Paul  Véronèse 
exécutaient  réellement  ce  qu'on  imagine  desZeuxis  et  des  Apelle? 

Il  n'est  pas  douteux,  monsieur  le  duc,  que  vous  n'ayez  lu  le 
concile  de  Trente;  il  n'y  a  point  de  duc  et  pair,  à  ce  que  je 
pense,  qui  n'en  lise  quelques  sessions  tous  les  matins.  Avez-vous 
remarqué  le  sermon  de  l'ouverture  de  ce  concile  par  l'évêque  de 
Bitonto? 

Il  prouve,  premièrement,  que  le  concile  est  nécessaire  parce 
que  plusieurs  conciles  ont  déposé  des  rois  et  des  emi)ereurs; 
secondement,  parce  que,  dans  l'Éniide,  Jupiter  assemhlc  le  concile 
des  dieux;  troisièmement,  parce  qu'à  la  création  de  l'homme 
et  à  l'aventure  de  la  tour  de  Bahel  Dieu  s'y  prit  en  forme  de 
concile.  Il  assure  ensuite  que  tous  les  prélats  doivent  se  rendre 
à  Trente,  comme  dans  le  cheval  de  Troie  :  enfln,  que  la  porte 
du  paradis  et  du  concile  est  la  même;  que  l'eau  vive  en  découle, 
et  que  les  Pères  doivent  en  arroser  leur  cœur  comme  dos  terres 
sèches  :  faute  de  quoi,  le  Saiiit-Ksprit  leur  ouvrira  la  houche 
comme  à  Halaam  et  à  Caïphe. 

Voilà  ce  qui  fut  prêché  devant  les  élals  généraux  (U^  la  chré- 
tienlé.  Quel  préjugé  divin  en  faveur  d'un  concile!  Le  sermon  de 
saint  Antoine  de  Padoue  aux  poissons  est  encore  plus  fameux  en 
Italie  (|U(;  celui  de  M.  de  IJilonto.  On  pourrait  donc  excuser  noire 
frère  André  et  notre  frère  Garasse,  et  tous  nos  Gilles  de  la  chaire 


278  CORRESPONDANCE. 

des  xvr  et  xvii"  siècles,  s'ils  n'ont  pas  mieux  valu  que  nos  maîtres 
les  Italiens. 

Mais  quelle  était  la  source  de  cette  grossièreté  absurde,  si 
universellement  répandue  en  Italie  du  temps  du  Tasse  ;  en  France, 
du  temps  de  Montaigne,  de  Charron,  et  du  chancelier  de  L'Hos- 
pital  ;  en  Angleterre,  dans  le  siècle  de  Bacon?  Comment  ces 
hommes  de  génie  ne  réformaient-ils  pas  leurs  siècles?  Prenez- 
vous-en  aux  collèges  qui  élevaient  la  jeunesse,  et  à  l'esprit  mona- 
cal et  théologal  qui  mettait  la  dernière  main  à  notre  barbarie, 
que  les  collèges  avaient  ébauchée.  Un  génie  tel  que  le  Tasse  lisait 
Virgile,  et  produisait  la  Jérusalem;  un  Machiavel  lisait  Térence, 
et  faisait  la  Mandragore  ;  mais  quel  moine,  quel  docteur  lisait 
Cicéron  et  Démosthène?  Un  malheureux  écolier,  devenu  imbé- 
cile pour  avoir  été  forcé  pendant  quatre  ans  d'apprendre  par 
cœur  Jean  Despautère,  et  ensuite  devenu  fou  pour  avoir  soutenu 
une  thèse  sur  l'universel  de  la  jjart  de  la  cJiose  et  de  la  pensée,  et 
sur  les  catégories,  recevait  en  public  son  bonnet  et  ses  lettres 
de  démence,  et  s'en  allait  prêcher  devant  un  auditoire  dont  les 
trois  quarts  étaient  plus  imbéciles  que  lui,  et  plus  mal  élevés. 

Le  peuple  écoutait  ces  farces  théologiques,  le  cou  tendu,  les 
yeux  fixes,  la  bouche  ouverte,  comme  les  enfants  écoutent  des 
contes  de  sorciers,  et  s'en  retournait  tout  contrit.  Le  même 
esprit  qui  le  conduisait  aux  facéties  de  la  Mère  sotte  le  conduisait 
à  ces  sermons  ;  et  on  y  était  d'autant  plus  assidu  qu'il  n'en  coû- 
tait rien.  Car  mettez  un  impôt  sur  les  messes,  comme  on  le  pro- 
posa dans  la  minorité  de  Louis  XIV,  personne  n'entendra  la  messe. 

Ce  ne  fut  guère  que  du  temps  de  Coeffeteau  et  de  Balzac  que 
quelques  prédicateurs  osèrent  parler  raisonnablement,  mais  en- 
nuyeusement  ;  et  enfin  Bourdaloue  fut  le  premier  en  Europe  qui 
eut  de  l'éloquence  en  chaire.  Je  rapporterai  encore  ici  le  témoi- 
gnage de  Burnet,  évêque  de  Salisbury,  qui  dit,  dans  ses  Mémoires, 
qu'en  voyageant  en  France  il  fut  étonné  de  ces  sermons,  et  que 
Bourdaloue  réforma  les  prédicateurs  d'Angleterre  comme  ceux 
de  France. 

Bourdaloue  fut  presque  le  Corneille  de  la  chaire,  comme 
Massillon  en  a  été  depuis  le  Bacine  :  non  que  j'égale  un  art  à 
moitié  profane  à  un  ministère  presque  saint,  non  que  j'égale 
non  plus  la  difficulté  médiocre  de  faire  un  bon  sermon  à  la  dif- 
ficulté prodigieuse  et  inexprimable  de  faire  une  bonne  tragédie  ; 
mais  je  dis  que  Bourdaloue  voulut  raisonner  comme  Corneille, 
et  que  Massillon  s'étudia  à  être  aussi  élégant  en  prose  que  Racine 
l'était  en  vers. 


ANNÉE    1761.  279 

Il  est  vrai  qu'on  reprocha  souvent  à  nourdaloue,  comme  à 
Corneille,  d'être  un  peu  trop  avocat,  de  vouloir  trop  prouver 
au  lieu  de  toucher,  et  de  donner  quelquefois  de  mauvaises 
preuves.  Massillon,  au  contraire,  crut  qu'il  valait  mieux  peindre 
et  émouvoir  :  il  imita  Racine,  autant  qu'on  peut  l'imiter  en  prose, 
en  prêchant  cependant  que  les  auteurs  dramatiques  sont  damnés  : 
car  il  faut  bien  que  chaque  apothicaire  vante  son  onguent,  et 
damne  celui  de  son  voisina  Son  style  est  pur,  ses  peintures  sont 
attendrissantes. 

Relisez  ce  morceau  sur  l'humanité  des  grands  : 

((  Hélas!  s'il  pouvait  être  quelquefois  permis  d'être  sombre, 
bizarre,  chagrin,  à  charge  aux  autres  et  à  soi-même,  ce  devrait 
être  à  ces  infortunés  que  la  faim,  la  misère,  les  calamités,  les 
nécessités  domestiques,  et  tous  les  plus  noirs  soucis  environnent. 
Ils  seraient  bien  plus  dignes  d'excuse  si,  portant  déjà  le  deuil, 
l'amertume,  le  désespoir  souvent  dans  le  cœur,  ils  en  laissaient 
échapper  quelques  traits  au  dehors.  Mais  que  les  grands,  que  les 
heureux  du  monde,  à  qui  tout  rit  et  que  les  joies  et  les  plaisirs 
accompagnent  partout,  prétendent  tirer  de  leur  félicité  même 
un  privilège  qui  excuse  leurs  chagrins  bizarres  et  leurs  caprices; 
qu'il  leur  soit  plus  permis  d'être  fâcheux,  inquiets,  inabordables, 
parce  qu'ils  sont  plus  heureux;  qu'ils  regardent  comme  un  droit 
acquis  à  la  prospérité  d'accabler  encore  du  poids  de  leur  hu- 
meur des  malheureux  qui  gémissent  déjà  sous  le  joug  de  leur 
autorité  et  de  leur  puissance  :  grand  Dieu!  serait-ce  donc  là  le 
privilège  des  grands?  » 

Souvenez-vous  ensuite  de  ce  morceau  de  Britannicus  : 

Tout  ce  que  vous  voyez  conspire  à  vos  désirs; 

Vos  jours,  toujours  sereins,  coulent  dans  les  plaisirs  : 

L'empire  en  est  pour  vous  l'inépuisable  source; 

Ou  si  quelque  chagrin  en  interrompt  la  course, 

Tout  l'univers,  soigneux  de  les  entretenir, 

S'empresse  à  l'efTacer  de  votre  souvenir. 

Britannicus  est  seul  :  quelque  ennui  (jui  lo  presse, 

Il  ne  voit  dans  son  sort  que  moi  qui  s'intéresse, 

El  n'a  pour  tout  plaisir,  seigneur,  que  quehpies  pleurs 

Qui  lui  font  quehjuefois  oublier  ses  maliiours. 

(Acto  II,  scî'no  III.) 

Je  crois  voir,  dans  la  comparaison  de  ces  deux  morceaux,  le 

1.  Le  monologue  fut  en  tout  temps  jaloux  du  dialogue,  a  dit  Voltaire  ;  voyez 
tome  XXIV,  page  215. 


280  CORRKSPONDANCE. 

disciple  qui  tàclic  de  luUer  coiilro  le  maître.  Je  vous  cnmoiilrc- 
rais  vingt  exemples,  si  je  ne  craignais  d'être  long. 

Wassillon  et  Cheminais  savaient  IJacine  par  cœur,  et  dégui- 
saient les  vers  de  ce  divin  poëte  dans  leur  prose  pieuse.  C'est 
ainsi  que  plusieurs  prédicateurs  venaient  apprendre  chez  Baron 
l'art  de  la  déclamation,  et  rectifiaient  ensuite  le  geste  du  comé- 
dien par  le  geste  de  l'orateur  sacré.  Rien  ne  prouve  mieux  que 
tous  les  arts  sont  frères,  quoique  les  artistes  soient  bien  loin  de 
l'être. 

Le  malheur  des  sermons,  c'est  que  ce  sont  des  déclamations 
dans  lesquelles  on  dit  trop  souvent  le  pour  et  le  contre.  Le  même 
homme  qui,  dimanche  dernier,  assurait  qu'il  n'y  a  point  de  féli- 
cité dans  la  grandeur;  que  les  couronnes  sont  des  épines  ;  que 
les  cours  ne  renferment  que  d'illustres  malheureux  ;  que  la  joie 
n'est  répandue  que  sur  le  front  du  pauvre,  prêche,  le  dimanche 
suivant,  que  le  peuple  est  condamné  à  l'affliction  et  aux  larmes, 
et  que  les  grands  de  la  terre  sont  plongés  dans  des  délices  dan- 
gereuses. 

Ils  disent,  dans  Pavent,  que  Dieu  est  sans  cesse  occupé  du 
soin  de  fournir  à  tous  nos  besoins  ;  et,  en  carême,  que  la  terre 
est  maudite.  Ces  lieux  communs  les  mènent  jusqu'au  bout  de 
l'année  par  des  phrases  fleuries  et  ennuyeuses. 

Les  prédicateurs,  en  Angleterre,  ont  pris  un  autre  tour  qui 
ne  nous  conviendrait  guère.  Le  livre  de  la  métaphysique  la  plus 
profonde  est  le  recueil  des  sermons  de  Clarke,  On  dirait  qu'il 
n'a  prêché  que  pour  les  philosophes.  Encore  ces  philosophes 
auraient  pu  lui  demander  à  chaque  période  un  long  éclaircisse- 
ment ;  et  le  Français  à  Londres,  à  qui  on  ne  prouve  rien\  aurait  bien- 
tôt laissé  là  le  prédicateur.  Son  recueil  fait  un  excellent  livre, 
que  très-peu  de  gens  sont  capables  d'entendre.  Quelle  différence 
entre  les  temps  et  entre  les  nations!  et  qu'il  y  a  loin  de  frère 
Garasse  et  de  frère  André  aux  Clarke  et  aux  Massillon! 

Dans  l'étude  que  j'ai  faite  de  l'histoire,  j'en  ai  toujours  tiré  ce 
fruit  que  le  temps  où  nous  vivons  est  de  tous  les  temps  le  plus 
éclairé,  malgré  nos  très-mauvais  livres,  et  malgré  la  foule  de 
tant  d'insipides  journaux  ;  comme  il  est  le  plus  heureux,  malgré 
nos  calamités  passagères.  Car  quel  est  l'homme  de  lettres  qui  ne 
sache  que  le  bon  goût  n'a  été  le  partage  de  la  France  qu'à  com- 
mencer au  temps  de  Cinna  et  des  Provinciales?  Et  quel  est  l'homme 


1.  «  Non,  monsieur,  on  ne  me  démontre  rien;  on  ne  me  persuade  pas  même. 
(Le  Français  à  Londres,  par  Boissy,  scène  xvi.) 


ANNÉE    1761.  28< 

un  peu  versé  dans  notre  histoire  qui  puisse  assigner  un  temps 
plus  heureux,  depuis  Clovis,  que  le  temps  qui  s'est  écoulé  depuis 
que  Louis  XIV  commença  à  régner  par  lui-même  jusqu'au  mo- 
ment où  j'ai  rhonneur  de  vous  parler?  Je  défie  l'homme  de  la 
plus  mauvaise  humeur  de  me  dire  quel  siècle  il  voudrait  préférer 
au  nuire. 

Il  faut  être  juste  :  il  faut  convenir,  par  exemple,  qn"un  géo- 
mètre de  vingt-quatre  ans  en  sait  beaucoup  plus  que  Descartes, 
qu'un  vicaire  de  paroisse  prêche  [)his  raisonnabloniont  que  le 
grand  aumônier  de  Louis  XII.  La  nation  est  plus  instruite,  le 
style  en  général  est  meilleur  :  par  conséquent  les  esprits  sont 
mieux  faits  aujourd'hui  qu'ils  ne  l'étaient  autrefois. 

Vous  me  direz  que  nous  sommes  à  présent  dans  la  décadence 
du  siècle,  et  qu'il  y  a  beaucoup  moins  de  génie  et  de  talents  que 
dans  les  beaux  jours  de  Louis  XIV  :  oui,  le  génie  baisse  et  bais- 
sera nécessairement;  mais  les  lumières  sont  multipliées  :  mille 
peintres  du  temps  de  Salvalor  lîosa  ne  valaient  pas  lîaphaël  et 
Michel-Ange;  mais  ces  mille  peintres  médiocres,  que  Raphaël  et 
Michel-Ange  avaient  formés,  composaient  une  école  infiniment 
supérieure  à  celle  que  ces  deux  grands  hommes  trouvèrent  éta- 
blie de  leur  temps.  Nous  n'avons  à  présent,  sur  la  fin  de  notre 
beau  siècle,  ni  de  Massillon,  ni  de  Bourdaloue,  ni  de  Bossuet, 
ni  de  Fénelon  ;  mais  îe  plus  ennuyeux  de  nos  prédicateurs  d'au- 
jourd'hui est  un  Démosthène  en  comparaison  de  tous  ceux  qui 
ont  prêché  depuis  saint  Rémi  jusqu'au  frère  Garasse. 

Il  y  a  plus  de  distance  de  la  moindre  de  nos  tragédies  aux 
pièces  de  Jodelle,  que  de  VAthalie  de  Racine  aux  Machabi'es  de  La- 
motte  et  au  Moïse  de  l'abbé  Xadal.  En  un  mot,  dans  tous  les  arts 
de  l'esprit,  nos  artistes  valent  bien  moins  qu'au  commencement 
du  grand  siècle  et  dans  ses  beaux  jours;  mais  la  nation  vaut 
mieux.  Nous  sommes  inondés,  ti  la  vérité,  de  pitoyables  bro- 
chures, et  les  miennes  se  mêlent  à  la  foule  :  c'est  une  multitude 
prodigieuse  de  moucherons  et  de  chenilles  qui  prouvent  l'abon- 
dance des  fruits  et  dos  (leurs  ;  vous  ne  voyez  pas  de  ces  insectes 
dans  une  terre  stérile  ;  et  remarquez  que,  dans  cette  foule  im- 
mense de  ces  petits  écrits,  tous  ell'acés  les  uns  par  les  autres,  et 
tous  précipités  au  bout  de  quelques  jours  dans  un  oubli  éternel, 
il  y  a  fiuclqiiefois  plus  de  goi1l  et  de  finesse  que  vous  n'en  trou- 
veriez dans  tous  les  livres  écrits  avant  les  Uilrcs  pivcincialcs. 

Voilà  l'état  de  nos  richesses  de  l'esprit  comparées  à  une  indi- 
gence de  [)lus  (]o,  douze  cents  années. 

Si  vous  examinez  à  présent  nos  mœurs,  nos  lois,  notre  gou- 


282  COUKI'SPONDANCE. 

yernemcnt,  notre  société,  vous  trouverez  que  mon  compte  est 
juste.  Je  date  depuis  le  moment  où  Louis  XIV  prit  en  main  les 
rênes  ;  et  je  demande  au  plus  acharné  frondeur,  au  plus  triste 
pané.ayristc  des  temps  passés,  s'il  osera  comparer  les  temps  où 
nous  vivons  à  celui  où  l'archevêque  de  Paris ^  portait  au  parle- 
ment un  poignard  dans  sa  poche.  Aimera-t-il  mieux  le  siècle 
précédent,  où  l'on  tuait  le  premier  ministre-  ù  coups  de  pistolet 
dans  la  cour  du  Louvre,  et  où  l'on  condamnait  sa  fcmme^  à  être 
brûlée  comme  sorcière?  Dix  ou  douze  années  du  grand  Henri  IV 
paraissent  heureuses,  après  quarante  ans  d'abominations  et 
d'horreurs  qui  font  dresser  les  cheveux;  mais,  pendant  ce  peu 
d'années  que  le  meilleur  des  princes  employait  à  guérir  nos  bles- 
sures, elles  saignaient  encore  de  tous  côtés  :  le  poison  de  la  Ligue 
infectait  encore  les  esprits;  les  familles  étaient  divisées;  les 
mœurs  étaient  dures  ;  le  fanatisme  régnait  partout,  hormis  à  la 
cour.  Le  commerce  commençait  à  naître,  mais  on  n'en  goûtait 
pas  encore  les  avantages;  la  société  était  sans  agréments;  les 
villes,  sans  police  ;  toutes  les  consolations  de  la  vie  manquaient 
en  général  aux  hommes.  Et,  pour  comble  de  malheur,  Henri  IV 
était  haï.  Ce  grand  homme  disait  au  duc  de  Sully  :  «  Ils  ne  me 
connaissent  pas  ;  ils  me  regretteront,  » 

Remontez  à  travers  cent  mille  assassinats  commis  au  nom 
de  Dieu  sur  les  débris  de  nos  villes  en  cendres  jusqu'au  temps 
de  François  I",  vous  voyez  l'Italie  teinte  de  notre  sang,  un  roi 
prisonnier  dans  Madrid ,  les  ennemis  au  milieu  de  nos  pro- 
vinces. 

Le  nom  de  Père  du  peuple  est  resté  à  Louis  XII  ;  mais  ce  père 
eut  des  enfants  bien  malheureux,  et  le  fut  lui-même  :  chassé  de 
l'Italie,  dupé  par  le  pape,  vaincu  par  Henri  VIII,  obligé  de  don- 
ner de  l'argent  à  sou  vainqueur  pour  épouser  sa  sœur^  il  fut 
bon  roi  d'un  peuple  grossier,  pauvre,  et  privé  d'arts  et  de  manu- 
factures. Sa  capitale  n'était  qu'un  amas  de  maisons  de  bois,  de 
paille,  et  de  plâtre,  presque  toutes  couvertes  de  chaume.  Il  vaut 
mieux,  sans  doute,  vivre  sous  un  bon  roi  d'un  peuple  éclairé  et 
opulent,  quoique  malin  et  raisonneur. 

Plus  vous  vous  enfoncez  dans  les  siècles  précédents,  plus  vous 
trouvez  tout  sauvage  ;  et  c'est  ce  qui  rend  notre  histoire  de  France 

1.  Le  cardinal  de  Retz;  il  n'était  encore  que  coadjuteur;  voyez  tome  XIV, 
page  191. 

2.  Le  maréchal  d'Ancre  ;  voyez  tome  XII,  page  576. 

3.  Voyez  ibid.,  page  077, 

4.  Marie  d'Angleterre  ;  voyez  tome  XII,  page  202. 


ANNÉE    17GI.  283 

si  dégoûtante,  qu'on  a  été  obligé  d'en  faire  des  Abrégés  chronolo- 
giques à  colonnes,  où  tout  le  nécessaire  se  trouve,  et  où  l'inutile 
seul  est  omis,  pour  sauver  l'ennui  d'une  lecture  insupportable  à 
ceux  de  nos  compatriotes  qui  veulent  savoir  en  quelle  année  la 
Sorhonne  fut  fondée;  et  aux  curieux  qui  doutent  si  la  statue 
équestre  qui  est  dans  la  calbédrale  gotbique  de  Paris  est  de  Phi- 
lippe de  Valois  ou  de  Philippe  le  Lel. 

Ne  dissimulons  point;  nous  n'existons  que  depuis  environ 
six  vingts  ans  :  lois,  police,  discipline  militaire,  commerce,  ma- 
rine, beaux-arts,  magnificence,  esprit,  goût,  tout  commence  à 
Louis  XIV,  et  plusieurs  avantages  se  perfectionnent  aujourd'hui. 
C'est  là  ce  que  j'ai  voulu  insinuer,  en  disant  que  tout  était 
bar])are  chez  nous  auparavant,  et  que  la  chaire  l'était  comme 
tout  le  reste.  L  reçus  Codrus  ne  valait  pas  trop  la  peine  que 
je  vous  parlasse  longtemps  de  lui  ;  mais  il  m'a  fourni  des 
réflexions  qui  pourront  être  utiles  si  vous  avez  la  bonté  de  les 
redresser. 

P.  S.  Dans  l'éloge  que  je  viens  de  faire  de  ce  siècle,  dont  je 
vois  la  fin,  je  ne  prétends  point  du  tout  comprendre  le  libraire 
qui  a  imprimé  VAppel  aux  nations^,  en  faveur  de  Corneille  et  de 
Racine,  contre  Shakespeare  et  Otway  ;  et  j'avouerai  sans  peine 
que  Piobert  Estienne  imprimait  plus  correctement  que  lui.  Il  a 
mis  des  ccrlitudes  pour  des  attitudes;  profanes  pour  anciennes;  votre 
sœur,  \)Ouv  ma  sœur,  et  quelques  autres  contre-sens  qui  défigurent 
un  peu  cette  importante  brochure.  Comme  c'est  un  procès  qui 
doit  être  jugé  à  Pétersbourg,  à  Berlin,  à  Vienne,  à  Paris,  et  à 
Rome,  par  les  gens  qui  n'ont  rien  à  faire,  il  est  bon  que  les 
pièces  ne  soient  point  altérées, 

4532.   —  A  M.    LE    PRÉSIDENT    DE    RUFFEY». 

Fcrncy,  le  2i  avril  1701. 

On  m'a  traité  comme  un  jxnit  enfant  :  on  m'a  envoyé  des 
confitures  de  Dijon  ;  mais  je  ne  sais  pas  (pii  m'a  fait  cette  galan- 
terie'. Je  soupçonne  M.  le  président  de  Huffey,  et  je  le  supplie 
de  vouloir  bien  me  dire  ce  qui  en  est  ou  ce  qu'il  en  sait. 

Je  vous  avais  répondu,  monsieur,  sur  une  proposition  que 

i.  Voyez  tome  XXIV,  page  191. 

2.  Éditeur,  Th.  Foissel. 

3.  C'ctail  iM.  Quiirn;  di;  Quint  in,  procureur  général  au  parlcmenl  do  Dijon,  à 
qui  Vollaire  avait  envoyé  ses  ouvrages. 


284  CORRESPONDANCE. 

VOUS  m'aviez  faites  Je  vous  adressai  un  assez  gros  paquet  sous 
l'cuveloppctlc  M.  de  Yarcnncs-.  Depuis  ce  temps,  nulle  nouvelle. 
On  a  sans  doute  changé  d'avis.  Je  n'en  changerai  jamais  sur 
votre  compte  ni  sur  la  hardiesse  que  j'ai  de  vous  attendre  au  mois 
d'août  dans  ma  chaumière  de  Ferney,  encore  ouverte  de  tous 
côtés.  Je  vous  emhrassc  de  tout  mon  cœur,  philosophiquement 
et  sans  cérémonie. 


4533.   —  A   M.   L'ABBÉ   D'OLIVET. 

Ferney,  27  avril. 

H  Per  Dcos  immortales,  libi  incumhit,  Ciceroniane  Olivete, 
officium  (aut  onus)  reddendi  meam  generoso  Truhleto  episto- 
lam.  »  Qui  a  transmis  la  lettre  doit  transmettre  la  réponse  ;  cela  est 
le  protocole  des  négociateurs.  Je  conçois  vos  peines,  cave  Olivele. 
Qui  magis  damât,  magis  sapit,  comme  dit  Rabelais.  Si  jamais  vous 
êtes  dégoûté  du  sanctuaire  des  Quarante,  venez  faire  un  petit 
tour  chez  mes  compatriotes.  Je  serais  enchanté  de  vous  revoir, 
et  M'"«  Denis  partagerait  ma  joie. 

Je  parle  naïvement  à  l'abbé  Trublet.  Vous  verrez  que  je  suis 
tout  aussi  simple  que  lui. 

Qu'est-ce  qu'une  consultation  de  M'"  Clairon  *  contre  les 
excommunications?  Quel  elTct  cela  fait-il?  Je  vous  le  deman- 
derais si  vous  aimiez  à  écrire;  mais  vous  êtes  un  paresseux... 
que  j'aime. 

453i.  —  A  M.   L'ABBÉ   TRUBLET*. 

Au  château  de  Ferney,  ce  27  avril. 

Votre  lettre  et  votre  procédé  généreux,  monsieur,  sont  des 
preuves  que  vous  n'êtes  pas  mon  ennemi,  et  votre  livre  vous  fai- 
sait soupçonner  de  l'être.  J'aime  bien  mieux  en  croire  votre  lettre 


1.  Celle  d'accepter  une  place  à  l'Académie  de  Dijon. 

2.  Ce  paquet  contenait  l'Épître  sur  V Agriculture,  etc. 

3.  Elle  est  en  tête  de  l'ouvrage  de  Huerne;  voyez  la  note,  tome  XXIV,  pag-e239. 

4.  Trublet  (voyez  tome  XXXIV,  page  491),  reçu  à  l'Académie  le  13  avril  1761, 
avait  envoyé  à  Voltaire  son  discours  de  réception.  Formey,  dans  ses  Souvenirs, 
II,  187,  date  cette  lettre  de  Voltaire  du  27  août.  C'est  une  erreur  évidente,  puis- 
que la  réponse  de  Trublet  est  du  10  mai  (voyez  lettre  4542).  Formey  croyait  iné- 
dite la  lettre  de  Voltaire,  qui  avait  été  imprimée  depuis  de  longues  années  dans 
les  Lettres  de  M.  de  Voltaire  à  ses  amis  du  Parnasse  (voyez  tome  XXV,  page  579); 
dans  M.  de  Voltaire  peint  par  lui-même,  17G8,  etc.;  dans  le  tome  VI  des  Pièces 
intéressantes  et  i)eu  connues,  publiées  par  de  La  Place.  (B.) 


ANNÉE    1761.  285 

que  votre  livre  :  vous  aviez  imprimé  que  je  vous  faisais  bâiller', 
et  moi  j'ai  laissé  imprimer  que  je  me  mettais  à  rire.  Il  résulte 
de  tout  cela  que  vous  êtes  difficile  à  amuser,  et  que  je  suis  mau- 
vais plaisaut  ;  mais  enfin,  en  bâillant  et  en  riant,  vous  voilà  mon 
confrère,  et  il  faut  tout  oublier  en  bons  cbrétiens  et  en  bons 
académiciens. 

Je  suis  fort  content,  monsieur,  de  votre  harangue,  et  très- 
reconnaissant  de  la  bonté  que  vous  avez  de  me  l'envoyer  ;  à  l'égard 
de  votre  lettre, 

Nardi  parvus  onyx  cliciet  cadum. 

(HoR.,  lib.  IV,  od.  XII,  V.  17.) 

Pardon  de  vous  citer  Horace,  que  vos  héros,  MM.  de  Fontenelle 
et  de  Lamotte-,  ne  citaient  guère.  Je  suis  obligé,  en  conscience, 
de  vous  dire  que  je  ne  suis  pas  né  plus  malin  que  vous,  et  que, 
dans  le  fond,  je  suis  bon  homme.  Il  est  vrai  qu'ayant  fait  ré- 
flexion, depuis  quelques  années,  qu'on  ne  gagnait  rien  à  l'être, 
je  me  suis  mis  à  être  un  peu  gai,  parce  qu'on  m'a  dit  que  cela 
est  bon  pour  la  santé.  D'ailleurs  je  ne  me  suis  pas  cru  assez  im- 
portant, assez  considérable,  pour  dédaigner  toujours  certains 
illustres  ennemis  qui  m'ont  attaqué  personnellement  pendant 
une  quarantaine  d'années,  et  qui,  les  uns  après  les  autres,  ont 
essayé  dem'accabler,  comme  si  je  leur  avais  disputé  un  évêché 
ou  une  place  de  fermier  général.  C'est  donc  par  pure  modestie 
que  je  leur  ai  donné  enfin  sur  les  doigts.  Je  me  suis  cru  précisé- 
ment à  leur  niveau  ;  et  in  arenam  ciim  œqualihus  dcscendi,  comme 
dit  Cicéron. 

Croyez,  monsieur,  que  je  fais  une  grande  dilfércnce  entre 
vous  et  eux  ;  mais  je  me  souviens  que  mes  rivaux  et  moi,  quand 
j'étais  à  Paris,  nous  étions  tous  fort  peu  de  chose,  de  pauvres 
écoliers  du  siècle  de  Louis  XIV,  les  uns  en  vers,  les  autres  en 
prose,  quelques-uns  moitié  prose,  moitié  vers,  du  nombre  des- 

1.  Dans  son  morceau  De  la  l'oésic  et  des  Poëtes,  au  touio  IV  ilo,  ses  Essais  de  lit- 
térature, rtilibi'i  Trublct  avait  imprimé  :  «  On  a  osé  dire  do  la  Ilenhade,  et  on  l'a 
dit  sans  malignité  : 

Je  no  sais  pas  pourquoi  jo  bilillo  ou  la  lisant. 

.  .  .  Ce  n'est  point  le  po(5tc  qui  ennuie  et  fait  hàillor  dans  la  llcnriade,  c'est 
la  poésie,  ou  phitùi  les  vers,  h 

2.  L'abbé  Trui)let  a  donné  dos  A/emo/rcs /)OMr  .vc;t'iV  à  l'hisloire  de  la  vie  et 
des  oiwraiies  de  Fontenelle,  17.')0.  in-12,  n<ll,  in-1'2.  On  avait  iiii|iiiiiié  à  la  suite 
VArticle  de  M.  île  Lamotte,  par  M.  l'abbé  Goujet,  revu  et  au<ime>ilé  par  M.  l'abbé 
Trublel,  et  tiré   du  Dictionnaire  de  Morcri,  édition  de  Paris,  17./J. 


286  CORRESPONDANCE. 

quels  j'avais  l'iionncur  d'être  ;  infatigables  auteurs  de  pièces  mé- 
diocres, grands  compositeurs  de  riens,  pesant  gravement  des 
œufs  de  mouche  dans  des  balances  de  toile  d'araignée.  Je  n'ai 
presque  vu  que  de  la  petite  charlataneric:  je  sens  parfaitement 
la  valeur  de  ce  néant;  mais  comme  je  sens  également  le  néant 
de  tout  le  reste,  j'imite  le  Vejanius  d'Horace  : 

Vejanius,  armis 

Herculis  ad  postem  fixis,  latet  abditus  agro. 

(Lib.  I,  ep.  I,  V.  '1-5.) 

C'est  de  cette  retraite  que  je  vous  dis  très-sincèrement  que  je 
trouve  des  choses  utiles  et  agréables  dans  tout  ce  que  vous  avez 
fait,  que  je  vous  pardonne  cordialement  de  m'avoir  pincé,  que 
je  suis  fâché  de  vous  avoir  donné  quelques  coups  d'épingle,  que 
votre  procédé  me  désarme  pour  jamais,  que  bonhomie  vaut 
mieux  que  raillerie,  et  que  je  suis,  monsieur  mon  cher  con- 
frère, de  tout  mon  cœur,  avec  une  véritable  estime  et  sans  com- 
pliment, comme  si  de  rien  n'était,  votre,  etc. 

4535.  —  A   M.    LE    COMTE   D'ARGENTAL. 

Fcrney,  par  Genève,  27  avril. 

J'envoie  à  mes  anges  un  morceau  scientifique ^  en  réponse  à 
la  généreuse  lettre  de  M.  le  duc  de  La  Vallière.  Je  crois  que 
Thieriot  fera  imprimer  tout  cela  pour  l'édification  du  prochain  ; 
mais  si  Thieriot  n'a  pas  assez  de  crédit,  je  me  mets  toujours  sous 
les  ailes  de  mes  anges.  Je  ne  suis  pas  fâché  de  faire  voir  tout 
doucement  que  le  théâtre  est  plus  ancien  que  la  chaire,  et  qu'il 
vaut  mieux. 

Je  ne  sais  qui  a  fait  la  Consultation  de  iW*  Clairon  à  un  avocat. 
Je  ne  connaissais  pas  l'anecdote  du  reposoir  et  des  mille  écus  ; 
je  vois  qu'on  ne  fait  rien  sur  la  terre,  en  enfer,  et  au  ciel,  que 
pour  de  l'argent  ;  une  religion  qui  veut  attacher  de  l'infamie  à 
Cimia  est  elle-même  ce  qu'il  y  a  de  plus  infâme.  Il  faut  pourtant 
ne  pas  se  mettre  en  colère  ;  mais  comment  lire,  sans  se  fâcher, 
le  détestable  style  du  détestable  avocat  qui  a  fait  un  mémoire  si 
inhsible? 

Ou  me  mande  qu'on  n'entend  pas  un  mot  de  ce  que  dit  Le- 
kain,  qu'il  étouffe  de  graisse,  et  que  les  autres  acteurs,  excepté 

i.  C'est  la  lettre  4531. 


ANNÉE    I7G1.  287 

M"*^  Clairon,  font  étouffer  d'ennui  :  cela  est-il  vrai?  J'en  serais 
fâché  pour  Orestc.  Daignez-vous  toujours  aimer  cet  Orcsie?  Con- 
servez au  moins  vos  bontés  pour  celui  qui  a  purgé  ce  beau  sujet 
des  amours  ridicules  qui  l'avaient  défiguré. 

J'ai  peur  que  le  congrès  ne  commence  tard,  et  que  la  guerre 
ne  dure  longtemps. 

M.  de  Ximcnès  achève  de  se  ruiner  à  faire  jouer  son  Don  Carlos 
à  Lyon,  et  moi,  à  bâtir  une  église.  Comme  le  monde  est  fait! 


453G.   —  A  M.  LE  MARQUIS   ALBERGATI   CAPACELLI. 

Fernej',  l""  mai. 

Monsieur,  ne  jugez  pas  de  mes  sentiments  par  mon  long 
silence  ;  je  suis  accablé  de  maladies  et  de  travaux.  Horace  pour- 
rait me  dire  : 

Tu  secanda  marmora 
Locas  sub  ipsuni  funus;  et,  sepulcri 
Immeinor,  struis  domos. 

(Lib.  ir,  od.  XVIII,  V.  17-10.) 

Figurez-vous  ce  que  c'est  que  d'avoir  à  défricher  des  déserts, 
et  à  faire  bâtir  des  maisons  à  l'italienne  par  des  Allobroges  ; 
d'avoir  à  finir  VHisloire  du  czar  Pierre;  et  d'ajuster  un  théâtre 
pour  des  gens  qui  se  portent  bien,  dans  le  temps  (^uon  n'en  peut 
plus. 

Je  crois  que  le  signor  Carlo  Goldoni  y  serait  lui-même  très- 
embarrassé,  et  qu'il  faudrait  lui  pardonner  s'il  était  un  peu  pa- 
resseux avec  ses  amis.  Je  reçois  dans  le  moment  son  nouveau 
théâtre.  Je  partage,  monsieur,  mes  remerciements  entre  vous  et 
lui.  Dès  que  j'aurai  un  moment  à  moi,  je  lirai  ses  nouvelles 
pièces,  et  je  crois  que  j'y  trouverai  toujours  cette  variété  et  ce  na- 
turel charmant  qui  font  son  caractère.  Je  vois  avec  peine,  en  ou- 
vrant le  livre,  qu'il  s'intitule  ;;oc7c  du  duc  de  Parme;  il  me  semble 
que  Téreuce  ne  s'appelait  point  le  poète  de  Scipion  :  on  ne  doit 
être  le  poète  de  personne,  surtout  (juand  on  est  celui  du  public. 
iJ  me  paraît  que  le  génie  n'est  point  une  charge  de  cour,  et  que 
les  beaux-arts  ne  sont  i)oint  faits  pour  être  dépendants. 

Je  présente  le  sentiment  de  la  plus  vive  reconnaissance  à 
M.  Paradisi.  Je  me  Halle  ([u'il  aura  un  peu  de  pitié  de  mon  état, 
et  qu'il  trouvera  bon  que  je  le  joigne  ici  avec  vous,  monsieur, 
au  lieu  de  lui  écrire  en  droiture.  Je  ne  lui  manderais  pas  des 


288  CORRESPONDANCE. 

choses  diiïérciites  de  celles  que  je  vous  dis.  Je  lui  dirais  combien 
je  l'estime,  et  à  quel  point  je  suis  pénétré  de  l'honneur  qu'il  me 
fait.  Vous  voyez,  monsieur,  que  je  suis  obligé  de  dicter  mes 
lettres.  Je  n'ai  plus  la  force  d'écrire  ;  j'ai  toutes  les  infirmités  de 
la  vieillesse,  mais  dans  le  fond  du  cœur  tous  les  goûts  de  la  jeu- 
nesse. Je  crois  que  c'est  ce  qui  me  fait  vivre.  Comptez,  monsieur, 
que  tant  que  je  vivrai  je  serai  fâché  que  les  truites  du  lac  de 
Genève  soient  si  loin  des  saucissons  de  Bologne,  et  que  je  serai 
toujours,  avec  tous  les  sentiments  que  je  vous  dois,  voire  servi- 
teur. Di  cuore. 

VOLTAIIIE. 
4537.  —  A  M.   DUC  LOS, 

A  Ferney,  l'"'  mai. 

Après  le  Dictionnaire  de  l'Académie,  ouvrage  d'autant  plus  utile 
que  la  langue  commence  à  se  corrompre,  je  ne  connais  point 
d'entreprise  plus  digne  de  l'Académie,  et  plus  honorable  pour  la 
littérature,  que  celle  de  donner  nos  auteurs  classiques  avec  des 
notes  instructives. 

Voici,  monsieur,  les  propositions  que  j'ose  faire  à  l'Académie, 
avec  autant  de  défiance  de  moi-môme  que  de  soumission  à  ses 
décisions.  Je  pense  qu'on  doit  commencer  par  Pierre  Corneille, 
puisque  c'est  lui  qui  commença  à  rendre  notre  langue  respec- 
table chez  les  étrangers.  Ce  qu'il  y  a  de  beau  chez  lui  est  si  su- 
blime qu'il  rend  précieux  tout  ce  qui  est  moins  digne  de  son 
génie:  il  me  semble  que  nous  devons  le  regarder  du  même  œil 
que  les  Grecs  voyaient  Homère,  le  premier  en  son  genre,  et  l'u- 
nique, même  avec  ses  défauts.  C'est  un  si  grand  mérite  d'avoir 
ouvert  la  carrière,  les  inventeurs  sont  si  au-dessus  des  autres 
hommes,  que  la  postérité  pardonne  leurs  plus  grandes  fautes. 
C'est  donc  en  rendant  justice  à  ce  grand  homme,  et  en  même 
temps  en  marquant  les  vices  de  langage  où  il  peut  être  tombé, 
et  même  les  fautes  contre  son  art,  que  je  me  propose  de  faire 
une  édition  in-4°  de  ses  ouvrages. 

J'ose  croire,  monsieur,  que  l'Académie  ne  me  désavouera 
pas,  si  je  propose  de  faire  celte  édition  pour  l'avantage  du  seul 
homme  qui  porte  aujourd'hui  le  nom  de  Corneille,  et  pour  celui 
de  sa  fille. 

Je  ne  peux  laisser  à  M""  Corneille  qu'un  bien  assez  médiocre; 
ce  que  je  dois  à  ma  famille  ne  me  permet  pas  d'autres  arrange- 
ments. Nous  tâchons,  M""=  Denis  et  moi,  de  lui  donner  une  édu- 


ANNKl^    17GI.  289 

cation  cligne  de  sa  naissance.  II  me  paraît  de  mon  devoir  d'in- 
struire rAcadémie  des  calomnies  que  le  nommé  Fréron  a  répan- 
dues au  sujet  de  cette  éducation.  Il  dit,  dans  une  des  feuilles  de 
cette  année*,  que  cette  demoiselle,  aussi  respectable  par  son 
infortune  et  par  ses  mœurs  que  par  son  nom,  est  élevée  chez 
moi  par  un  bateleur  de  la  Foire,  que  je  loge  et  que  je  traite 
comme  mon  frère. 

Je  peux  assurer  l'Académie,  qui  s'intéresse  au  nom  de  Cor- 
neille, et  à  qui  je  crois  devoir  compte  de  mes  démarches,  que 
cette  calomnie  absurde  n'a  aucun  fondement;  que  ce  prétendu 
acteur  de  la  Foire  est  un  chirurgien-dentiste  du  roi  de  Pologne, 
qui  n'a  jamais  babité  au  chftteau  de  Ferney,  et  qui  n'y  est  venu 
exercer  son  art  qu'une  seule  fois.  Je  ne  conçois  pas  comment  le 
censeur  des  feuilles  du  nommé  Fréron  a  pu  laisser  passer  un 
mensonge  si  personnel,  si  insolent,  et  si  grossier,  contre  la  nièce 
du  grand  Corneille. 

J'assure  l'Académie  que  celte  jeune  personne,  qui  remplit 
tous  les  devoirs  de  la  religion  et  de  la  société,  mérite  tout  l'in- 
térêt que  j'espère  qu'on  voudra  bien  prendre  à  elle.  Mon  idée  est 
que  l'on  ouvre  une  simple  souscription,  sans  rien  payer  d'a- 
vance. 

Je  ne  doute  pas  que  les  plus  grands  seigneurs  du  royaume, 
dont  plusieurs  sont  nos  confrères,  ne  s'empressent  à  souscrire 
pour  quelques  exemplaires.  Je  suis  persuadé  même  que  toute  la 
famille  royale  donnera  l'exemple. 

Pendant  que  quelques  personnes  zélées  prendront  sur  elles 
le  soin  généreux  de  recueillir  ces  souscriptions,  c'est-à-dire  seu- 
lement le  nom  des  souscripteurs,  et  devront  les  remettre  à  vous, 
monsieur,  ou  à  celui  qui  s'en  chargera,  les  meilleurs  graveurs 
de  Paris  entreprendront  les  vignettes  et  les  estampes  à  un  prix 
d'autant  plus  raisonnable  qu'il  s'agit  de  l'honneur  des  arts  et  de 
la  nation.  Les  planches  seront  remises  ou  à  l'imprimeur  de  l'A- 
cadémie, ou  à  la  personne  que  vous  indiquerez.  L'imprimeur 
m'enverra  des  caractères  qu'il  aura  fait  fondre  par  le  meilleur 
fondeur  de  Paris  :  il  me  fera  venir  aussi  le  meilleur  papier  de 
France  ;  il  m'enverra  un  habile  compositeur  et  un  habile  ouvrier. 
Ainsi  tout  se  fera  par  des  Français,  et  chez  des  Français.  Ce 
libraire  n'aura  aucune  avance  à  faire;  les  deniers  de  ceux  qui 
acquerront  l'ouvrage  imprimé  seront  remis  ii  une  pei*sonne 
nommée  par  l'Acadéinic,  et  le  prolil  sera  [)artagé  entre  l'héritier 

1.  Vdyt-z  une  noie  di-  la  lettre  iH(i. 
41.  —  (ionnisi'OM)  ANCK.   1\.  19 


S90  CORRKSPONDAXGE. 

(lu  nom  (lo  Corneille  et  voire  libraire,  sous  le  nom  (lu(|uel  les 
œuvres  tic  Corneille  seront  imprimées;  la  plus  i^rosse  part, 
comme  de  raison,  pour  M.  Corneille. 

Je  supplie  l'Académie  de  daigner  en  accepter  la  dédicace. 
Chaque  amateur  souscrira  pour  tel  nombre  d'exemplaires  qu'il 
voudra. 

Je  crois  que  chaque  exem[)lairc  pourra  revenir  à  cinquante 
livres. 

Les  sieurs  Cramer  se  feront  un  plaisir  et  un  honneur  de  pré- 
sider sous  mes  yeux  à  cet  ouvrage  ;  on  leur  donnera  pour  leurs 
honoraires  un  certain  nombre  d'exemplaires  pour  les  pays  étran- 
gers. 

Je  prendrai  la  liberté  de  consulter  quelquefois  l'Académie 
dans  le  cours  de  l'impression.  Je  la  supplie  d'observer  que  je  no 
peux  me  charger  de  ce  travail,  à  moins  que  tout  ne  se  fasse 
sous  mes  yeux  ;  ma  méthode  étant  de  travailler  toujours  sur  les 
épreuves  des  feuilles,  attendu  que  l'esprit  semble  plus  éclairé 
quand  les  yeux  sont  satisfaits.  D'ailleurs  il  m'est  impossible  de 
me  transplanter,  et  de  quitter  un  moment  un  pays  que  je  dé- 
friche. 

Je  peux  répondre  que  l'édition  une  fois  commencée  sera 
faite  au  bout  de  six  mois.  Telles  sont,  monsieur,  mes  proposi- 
tions, sur  lesquelles  j'attends  les  ordres  de  mes  respectables  con- 
frères. 

Il  me  paraît  que  cette  entreprise  fera  quelque  honneur  à 
notre  siècle  et  à  notre  patrie  ;  on  verra  que  nos  gens  de  lettres 
ne  méritaient  pas  l'outrage  qu'on  leur  a  fait,  quand  on  a  osé 
leur  imputer  des  sentiments  peu  patriotiques,  une  philosophie 
dangereuse,  et  même  de  l'indifférence  pour  l'honneur  des  arts 
qu'ils  cultivent. 

J'espère  que  plusieurs  académiciens  voudront  bien  se  charger 
des  autres  auteurs  classiques.  M.  le  cardinal  de  Bernis  et  monsieur 
l'archevêque  de  Lyon*  feraient  une  chose  digne  de  leur  esprit 
et  de  leurs  places  de  présider  à  une  édition  des  Oraisons  funèbres 
et  des  Sermons  des  illustres  Bossuet  et  Massillon.  Les  Fables  de  La 
Fontaine  ont  besoin  de  notes,  surtout  pour  l'instruction  des  étran- 
gers. Plus  d'un  académicien  s'offrira  à  remplir  cette  tâche,  qui 
paraîtra  aussi  agréable  qu'utile. 

Pour  moi,  j'imagine  qu'il  me  convient  d'oser  être  le  commen- 
tateur du  grand  Corneille,  non-seulement  parce  qu'il  est  mon 

i.  Montazct. 


ANNEE    17  61.  291 

maîtro,  mais  parce  que  riiérilier  do  son  nom  est  un  'nouveau 
motif  qui  niattachcà  la  gloire  de  ce  grand  homme. 

Je  vous  supplie  donc,  monsieur,  de  vouloir  bien  faire  convo- 
quer une  assemblée  assez  nombreuse  pour  que  mes  offres  soient 
examinées  et  rectifiées,  et  que  je  me  conforme  en  tout  aux  ordres 
que  l'Académie  voudra  bien  me  faire  parvenir  i)ar  vous,  etc. 

4538.   —   A   M.    r-E   COMTE    D'ARGENTAL. 

l""  mai. 

Permettez,  mes  anges,  que  je  fasse  passer  par  vos  mains  cette 
lettre  à  M.  Duclos,  ou  plutôt  à  l'Académie,  en  réponse  à  la  pro- 
position que  notre  secrétaire  m'a  faite  de  travailler  à  donner  au 
public  nos  auteurs  classiques.  Il  est  vrai  que  j'ai  un  peu  d'occu- 
pation :  car,  excepté  de  fendre  du  bois,  il  n'y  a  sorte  do  métier 
que  je  ne  fasse. 

Cependant  mettez-vous  Orrstr  à  l'ombre  de  vos  ailes? 

Pardon,  encore  une  fois;  mais  je  n'ai  pu  m'empêcher  de  don- 
ner beaucoup  de  temps  k  cette  pièce  du  temps  de  François  I"*. 
Ce  sujet  m'a  tourné  la  tête.  Vous  dites  que  c'est  à  peu  près  ce 
que  j"ai  fait  de  plus  mauvais  en  ce  genre  ;  M-"  Denis  soutient  que 
c'est  ce  que  j'ai  fait  de  mieux. 

Je  vous  demande  pardon  ;  mais  je  donne  la  préférence  cotte 
fois-ci  à  M""-  Denis.  Pour  W^  Corneille,  elle  n'est  pas  encore  dans 
le  secret.  Nous  lui  apprenons  toujours  k  lire,  à  écrire,  à  chif- 
frer, et,  dans  un  an,  nous  lui  ferons  lire  le  Cid.  Elle  n'a  pas 
le  nez  tourné  au  tragique.  M.  de  Ximenès  n'est  pas  non  plus 
dans  la  confidence  :  il  fait  jouer  cette  semaine  Don  Carlos  à 
Lyon,  ot  est  trop  occupé  do  sa  gloire  |)our  f[u'on  lui  confie 
des  bagatelles. 

Mes  anges,  je  suis  accablé  de  tant  de  riens,  si  surchargé  de 
billevesées,  et  si  faible,  que  vous  me  pardonnerez  le  laconisme 
de  ma  lettre. 

\(tifi  hriif  pourtant  ([iie  j'jii  |)i'is  la  liberté  de  vous  adresser, 
p;ii-  M.  Troiichin,  ma  triste  (igure  pour  l'Académie,  (jui  la  de- 
mande; n'allez  i)as  faire  le  diflicile  comme  sur  la  pièce  d'Hur- 
taud.  Ayez  la  bonté  de  souffrir  cette  enseigne  à  bière;  je  la  mets 
sous  votre  protection,  et  Ifurtaud  aussi,  qui  brigue,  je  crois,  une 
place  d'Arlequin. 

1.  Voyez  tome  VI,  page  (i. 


292  CORUESI'ONDANGE. 

4539.  —  A  M.    LE   COMTE    D'ARGENTAL. 


Les  divins  anges  auront  de  VOrcslc  tant  qu'ils  voudront.  J'ai 
relu  les  fureurs  :  je  n'aime  pas  ces  fureurs  étudiées,  ces  décla- 
mations; je  ne  les  aime  pas,  môme  dans  Amlromaqm.  Je  ne  sais 
ce  qui  m'est  arrivé,  mais  je  ne  suis  content  ni  de  ce  que  je  fais, 
ni  de  ce  que  je  lis.  11  y  a  surtout  une  consultation  d'avocat,  pour 
M""  Clairon,  qui  est  du  style  des  charniers  Saints-Innocents. 
J'ai  pardonné  à  l'archidiacre  ^  ;  j'oublie  Fréron  ;  mais  Omer  me 
le  payera. 

Les  jésuites  sont  bien  impudents  d'oser  dire  que  frère  La 
Valette  ne  faisait  pas  le  commerce,  et  qu'il  ne  vendait  que  les 
denrées  du  cru.  Je  connais  un  homme  d'honneur,  un  brave 
corsaire,  qui  l'a  vu,  déguisé  en  matelot,  courir  les  colonies 
anglaises  et  hollandaises,  et  qui  l'a  accompagné  dans  un  voyage 
à  Amsterdam. 

Je  suis  encore  plus  indigné  de  tout  ce  que  je  vois  que  de  tout 
ce  que  je  lis.  Je  regrette  fort  le  chevalier  d'Aidie-,  car  il  était 
bien  fâché  contre  le  genre  humain.  Je  crois  que  je  n'aime  que 
mes  anges  et  Ferney. 

M.  le  duc  de  Choiseul  m'a  écrit  une  fort  jolie  lettre;  mais  il 
est  si  grand  seigneur  que  je  n'ose  l'aimer. 

Le  cardinal  de  Bernis  est  à  Lyon.  Je  ne  l'ai  pas  prié  de  ve- 
nir dans  mon  job  séjour.  Je  ne  suis  pas  arrangé  encore,  et  il  est 
cardinal. 

Je  vous  demanderai  encore  en  grâce  de  lire  le  Droit  du  Sei- 
gneur, ou  l'Écueil  du  Sage.  Je  vous  dis  qu'il  faut  que  vous  ayez 
des  âmes  de  bronze,  si  vous  n'en  êtes  pas  contents.  11  est  vrai 
que  c'est  tout  autre  chose  que  ce  que  vous  avez  vu  ;  mais  son- 
geons à  Oreste.  J'y  travaille  dans  l'instant. 

4540.  —   A  M.  D'ALEMBERT. 

7  ou  8  de  mai. 

Monsieur  le  Protée,  monsieur  le  multiforme,  je  crois  que 
votre  Discours  sur  V étude  '  est  celui  de  vos  ouvrages  qui  m'a  l'ait 

1.  Tniblet;  voyez  la  lettre  4534. 

1.  \'oyez  une  note  de  la  lettre  4445. 

3.  Apologie  de  Vétude,  lue  à  l'Académie  française  le  13  avril  1761. 


A.NXLE    1761.  293 

le  plus  (le  plaisir,  soit  parce  que  c'est  le  deriiicr,  soit  parce  que 
je  m'y  retrouve.  Somme  totale,  vous  êtes  grand  penseur  et  grand 
metteur  en  œuvre  ;  mais  ce  n'est  pas  assez  de  montrer  qu'on  a 
plus  d'esprit  que  les  autres.  Allons  donc,  rendez  quelque  service 
au  genre  humain;  écrasez  le  fanatisme,  sans  pourtant  risquer 
de  tomber,  comme  Samson,  sous  les  ruines  du  temple  qu'il  dé- 
molit; faites  sentir  à  notre  siècle  toute  sa  petitesse  et  tout  son 
ridicule;  renversez  ses  idoles.  Qui  sont  ces  polissons  qui  ont  fait 
brûler  cette  consultation  de  ce  polisson  qui  a  répondu  à  M"'  Clairon 
par  du  galimatias  1?  A-t-on  jamais  rien  vu  de  plus  sot  que  le 
livre  de  cet  avocat,  et  de  plus  impertinent  que  l'arrêt  qui  le  con- 
damne? La  séance  contre  VEncycIopèdic,  et  le  réquisitoire  aussi 
insolent  qu'absurde  de  maître  Aliboron-Omer,  ne  sont-ils  pas  du 
xiv^  siècle? Faut-il  qu'une  troupe  de  convulsionnaires  soit  toute- 
puissante?  et  ne  doit-on  pas  rougir,  quand  on  est  homme,  de  ne 
pas  sonner  le  tocsin  contre  ces  ennemis  de  l'humanité?  Ne  dé- 
truisit-on pas  dans  Athènes  la  tyrannie  des  trente,  et  n'est-ce  pas 
par  le  ridicule  qu'il  faut  détruire  dans  Paris  la  tyrannie  des  cent 
quatre-vingts?  On  se  plaignait  autrefois  des  jésuites;  mais  saint 
Médard  devient  plus  à  craindre  que  saint  Ignace.  Si  on  ne  peut 
étrangler  le  dernier  molinistc  avec  les  boyaux  du  dernier  jansé- 
niste, rendons  ces  perturbateurs  du  repos  public  ridicules  aux 
yeux  des  honnêtes  gens.  Qu'ils  n'aient  plus  pour  eux  que  le  fau- 
bourg Saint-Marceau  et  les  Halles.  Mon  cher  philosophe,  vous 
vous  déclarez  l'ennemi  des  grands  et  de  leurs  flatteurs,  et  vous 
avez  raison  ;  mais  ces  grands  protègent  dans  l'occasion,  ils  peuvent 
faire  du  bien;  ils  méprisent  l'infùme  :  ils  ne  persécuteront  jamais 
les  philosophes,  pour  peu  que  les  philosophes  daignent  s'huma- 
niser avec  eux.  .Mais  pour  vos  pédants  de  Paris,  qui  ont  acheté 
un  office  ;  pour  ces  insolents  bourgeois,  moitié  fanatiques,  moitié 
imbéciles,  ils  ne  peuvent  faire  que  du  mal. 

iNotrc  f Acad('iiiie   a   donné  pour  sujet  de  son  prix   les 

louanges  d'un  chancelier  janséniste,  persécuteur  de  toute  vérité, 
mauvais  cartésien,  ennemi  de  Newton,  faux  savant  et  faux  hon- 
nête homme*.  Passe  pour  le  maréchal  de  Saxe,  (pii  aimait  les 
filles,  et  tpii  ne  |)ersécutail  personne.  Je  suis  indigné  de  ce  qui 
m'est  revenu  de  Paris.  .le  ne  connais  que  vous  qui  jjuissiez  ven- 
ger la  raison.  Dites  liaidiiuent  et  foi'iement  tout  ce  (|ue  vous  avez 
sur  le  (•()'\iv.  i-'rappez,  et  cache/  voire  iii.iiii.  Ou  vous  recoiinalti"a; 


1.  Vojoz  lîi  noie,  tonn;  XXIV,  pa.'e  2'M). 

2.  L('  cliaiicclior  (l'.\i,'ii('s8i'!iii.  Lf  prix  fut  nMn|ior;r  pnr  Tli  mia^' 


294  CORRESPONDANCE. 

je  veux  Lieu  croire  qu'on  en  ait  l'esprit,  qu'on  ait  le  nez  assez 
bon  ;  mais  on  ne  pourra  vous  convaincre,  et  vous  aurez  détruit 
l'empire  des  cuistres  dans  la  bonne  compagnie  :  en  un  mot,  je 
vous  recommande  l'infâme;  faites-moi  ce  plaisir  avant  que  je 
meure;  c'est  le  point  essentiel.  UOracle  des  fidèles^  devrait  faire 
une  prodigieuse  sensation  ;  mais  la  nation  est  trop  frivole  pour 
un  livre  qui  demande  de  l'attention. 

A  propos,  je  n'ai  pas  ici  mes  calculs  de  la  vie  humaine  ;  mais 
il  est  clair  que  nous  autres  animaux  à  deux  pieds  nous  n'avons 
que  vingt-deux  ans  dans  le  ventre,  l'un  portant  l'autre.  Expliijuoz- 
moi  comment,  à  trente  ans,  on  doit  espérer  soixante?  J'en  ai 
soixante-sept,  et  je  suis  bien  malingre.  Je  voudrais  vous  voir 
avant  de  rendre  mon  corps  et  mon  âme  aux  quatre  éléments. 

Dites,  je  vous  prie,  à  M"'^  du  Deffant  combien  je  lui  suis 
attaché.  Elle  pense  et  parle,  et  il  y  en  a  de  par  le  monde  qui  ne 
savent  pas  même  parler. 

4541.   —  A  M.   DAMILAVILLE. 


J'envoie  aux  philosophes  le  seul  exemplaire  que  j'aie  du 
Procès  du  Théâtre  anglais^,  seul  procès  que  nous  puissions  gagner 
aujourd'hui  contre  messieurs  d'Albion.  M.  Damilaville,  ou  M.  Thie- 
riol,  doit  avoir  la  lettre  de  M.  le  duc  deLa  Yallière,  et  la  réponse. 
M.  le  duc  de  La  Vallière  a  lu  cette  réponse  à  M""^  de  Pompadour, 
à  M.  le  duc  de  Choiseul  ;  ils  en  ont  été  très-contents,  et  il  me 
mande  qu'il  faut  sur-le-champ  l'imprimer. 

Les  Anglais  nous  font  bien  du  mal  au  dehors,  et  la  superstition 
au  dedans.  Ne  mettra-t-on  point  ordre  à  tout  cela?  Les  échos  de 
nos  montagnes  nous  disent  que  Celle-Isle  est  pris  ^  :  c'est  le  der- 
nier coup  porté  à  notre  commerce  maritim'e.  Il  faut  songera  cul- 
tiver la  terre. 

Voici  une  lettre  pour  Protagoras^ 

On  n'a  d'autre  exemplaire  de  VÉpUre  sur  VAgricullure  que 
celui  qu'on  a  reçu,  à  ce  qu'on  croit,  par  la  voie  des  philosophes  : 
on  le  renverra  purgé  des  fautes  typographiques  dont  il  four- 
mille, avec  VAppel  aux  nations,  qui  est  aussi  plein  de  fautes  à 


1.  Voyez  une  note  de  la  lettre  4360. 

2.  VAppel  à  toutes  les  nations  de  l'Europe;  voyez  tome  XXIV,  page  191. 

3.  Belle-Isle  ne  fut  pris  que  le  7  juin. 

4.  D'Alembert;  c'est  la  lettre  précédente. 


ANNÉE    1701.  295 

chaque  page;  et  il  y  aura  corrections  et  additions  tant  qu'on  en 
pourra  faire. 

Il  est  fort  triste  qu'on  ait  imprimé  VÉpUre  à  la  demoiselle 
Clairon'  :  le  public  se  soucie  fort  peu  qu'on  dise  en  vers  à  une 
actrice  qu'elle  joue  bien;  mais  il  aime  fort  à  voir  un  pédant, 
ignorant,  et  malhonnête  homme,  démasqué  et  trahie  dans  la 
fange  où  sa  famille  aurait  dil  croupir;  un  persécuteur  de  la  phi- 
losophie et  de  la  littérature,  bourgeois  insolent,  fier  de  sa  petite 
charge,  un  délateur  absurde  de  la  raison,  traité  comme  il  le 
mérite.  C'est  précisément  le  portrait  de  ce  faquin  qu'on  a  re- 
tranché; le  reste  ne  valait  pas  la  peine  d'être  dit. 

On  embrasse  les  philosophes,  et  on  les  prie  d'inspirer  i)our 
Vinf...  toute  l'horreur  qu'on  lui  doit. 

A-t-on  joué  Tèrèe-?  8i  l'auteur  est  philosophe,  je  lui  souhaite 
prospérité.  Qu'on  lie  J.-J.  ;  que  tous  les  frères  soient  unis. 

4512.   —   DE    .^1.   L'ABBÉ   TRLBLET. 

Paris,  ce  10  mai. 

Mille  grâces,  monsieur  et  très-illustre  confrère,  de  la  réponse  dont  vous 
m'avez  lionoré.  Elle  est  aussi  ingénieuse  qu'obligeante,  et,  ce  qui  vaut  bien 
mieux  encore,  elle  est  Irès-gaie.  C'est  la  preuve  de  votre  bonne  santé,  la  seule 
chose  qui  vous  reste  à  prouver.  Puissiez-vous  la  conserver  longtemps,  et 
avec  elle  tous  les  agréments  et  tout  le  feu  de  votre  génie!  C'est  le  vœu  de 
vos  ennemis  mômes;  et  s'ils  n'aiment  pas  votre  personne,  ils  aiment  vos 
ouvrages;  il  n'y  a  point  d'exception  là-dessus;  et  malheur  à  ceux  iju'il  fau- 
drait excepter! 

Pour  moi,  j'aime  tout,  les  écrits  et  l'auteur,  et  je  suis,  avec  autant  d'at- 
tachement que  d'estime,  monsieur  et  très-illustre  confrère,  votre  très- 
humble  et  très-obéissant  .^^erviteur. 

Trublkt. 


A   M.   III-LVÉTILS. 


•le  su|)pose,  mon  cher  pliiloso])he,  ((ue  vous  jouisse/,  à  i)résent 
des  douceurs  de  la  retraite  à  la  «-ampagne.  Plilt  à  Dieu  ([ue  vous 
y  goûtassiez  les  douceurs  |)lus  nécessaires  d'une  entière  indé|)en- 
dance,  et  que  vous  pussiez  vous  livrer  à  ce  noble  amour  de  la 
vérité,  sans  craindre  ses  indignes  ennemis!  Klle  est  donc  plus 

1.  Eptlre  li  Daphné  ou  Paiita-odat  ;  viiyez  tome  X. 
'2.  Trugédic  lie  Lemiorrc,  jouùc  on  1701. 


296  CORRESPONDANCE. 

perséculéc  que  jamais?  Voilà  un  pauvre  l)avardi  rayé  du  tableau 
des  bavards,  et  la  consultation  de  M"e  Clairon  incendiée.  Une 
pauvre  fille  demande  à  être  clirétienne,  et  on  ne  veut  pas  qu'elle 
le  soit.  Eh!  messieurs  les  inquisiteurs,  accordez-vous  donc!  Vous 
condamnez  ceux  que  vous  soupçonnez  de  n'être  pas  chrétiens  ; 
vous  brûlez  les  requêtes  des  filles  qui  veulent  communier  :  on 
ne  sait  plus  commcntfaire  avec  vous.  Les  jansénistes,  les  convul- 
sionnaires,  gouvernent  donc  Paris!  C'est  bien  pis  que  le  règne 
des  jésuites;  il  y  avait  des  accommodements  avec  le  cicP,  du 
temps  qu'ils  avaient  du  crédit  ;  mais  les  jansénistes  sont  impi- 
toyables. Est-ce  que  la  proposition  honnête  et  modeste  d'étran- 
gler le  dernier  jésuite  avec  les  boyaux  du  dernier  janséniste'  ne 
pourrait  amener  les  choses  ù  quelque  conciliation? 

Je  suis  bien  consolé  de  voir  Saurin  de  l'Académie.  Si  Lefranc 
de  Pompignan  avait  eu  dans  notre  troupe  l'autorité  qu'il  y  pré- 
tendait, j'aurais  prié  qu'on  me  rayât  du  tableau,  comme  on  a 
exclu  Ilaerne  de  la  matricule  des  avocats. 

Je  trouve  que  notre  philosophe  Saurin  a  parlé  bien  ferme  ;  il 
y  a  même  un  trait^  qui  semble  vous  regarder,  et  désigner  vos 
persécuteurs  :  cela  est  d'une  âme  vigoureuse.  Saurin  a  du  cou- 
rage dans  l'amitié,  et  Orner  ne  le  fait  pas  trembler.  Il  me  revient 
que  cet  Omcr  est  fort  méprisé  de  tous  les  gens  qui  pensent.  Le 
nombre  est  petit,  je  l'avoue;  mais  il  sera  toujours  respectable  : 
c'est  ce  petit  nombre  qui  fait  le  public,  le  reste  est  le  vulgaire. 
Travaillez  donc  pour  ce  petit  public,  sans  vous  exposer  à  la 
démence  du  grand  nombre.  On  n'a  point  su  quel  est  l'auteur  de 
VOracle  des  fidèles  ;  il  n'y  a  point  de  réponse  à  ce  livre.  Je  tiens 
toujours  qu'il  doit  avoir  fait  un  grand  effet  sur  ceux  qui  l'ont  lu 
avec  attention.  Il  manque  à  cet  ouvrage  de  l'agrément  et  de 
l'éloquence  ;  ce  sont  là  vos  armes,  daignez  vous  en  servir.  Le 
Nil,  disait-on,  cachait  sa  tête,  et  répandait  ses  eaux  bienfai- 
santes; faites-en  autant,  vous  jouirez  en  paix  et  en  secret  de 
votre  triomphe.  Hélas!  vous  seriez  de  notre  Académie  avec 
M.  Saurin,  sans  le  malheureux  conseil  qu'on  vous  donna  de 
demander  un  privilège;  je  ne  m'en  consolerai  jamais.  Enfin, 
mon  cher  philosophe,  si  vous  n'êtes  pas  mon  confrère  dans  une 


1.  Huerne  de  La  Mothe  ;  voyez  tome  XXIV,  page  230. 

2.  Voyez  le  Tartuffe,  acte  IV,  scène  v. 

3.  Voyez  page  293. 

4.  Voltaire  veut  sans  doute  parler  de  l'alinéa  où  il  est  question  de  vils  ora- 
teurs, et  qui  commence  par  :  Les  hommes  qui  portent  envie,  etc. 


ANNÉE    176i.  297 

compagnie  qui  avait  besoin  de  vous,  soyez  mon  confrère  dans  le 
petit  nombre  des  élus  qui  marchent  sur  le  serpent  et  sur  le 
basilic.  Je  vous  recommande  Vinf....  Adieu  ;  l'amitié  est  la  conso- 
lation de  ceux  qui  se  trouvent  accablés  par  les  sots  et  par  les 
méchants. 

45ii.   -  A   M.   DLCLOS  «. 

Aux  Délices,  13  mai. 

Je  compte,  monsieur,  dans  une  entreprise  qui  regarde  l'hon- 
neur de  la  nation,  consulter  l'Académie,  et  je  dois  d'autant  plus 
recourir  à  sa  décision,  pour  cette  petite  préface  que  je  mets  au 
devant  du  Cid,  qu'il  s'agit  ici  de  l'Académie  même  et  de  son  fon- 
dateur. C'est  à  elle  à  m'apprendre  si  j'ai  concilié  ce  que  je  dois 
au  public,  à  Corneille,  au  cardinal  de  Richelieu,  à  elle,  et  sur- 
tout à  la  vérité. 

J'ose  croire,  monsieur,  qu'il  ne  serait  pas  mal  à  propos  qu'on 
indiquât  une  assemblée  extraordinaire.  Je  vous  préviens  d'abord 
que  je  tiens  de  M.  de  Vendôme  l'anecdote  dont  je  parle'.  Vous 
sentez  combien  elle  est  vraisemblable,  et  que  je  n'oserais  la  rap- 
porter si  elle  n'était  très-vraie. 

Il  me  paraît  qu'il  ne  sera  pas  indifTérent  qu'on  sache  que 
l'Académie  daigne  s'intéresser  à  mon  projet.  Le  roi,  notre  pro- 
tecteur, est  le  premier  à  donner  l'exemple.  Sa  générosité  charme 
tous  les  gens  de  lettres.  Corneille  sera  plus  honoré  cent  ans  après 
sa  mort  qu'il  ne  le  fut  de  son  vivant  ;  c'est  à  moi  de  ne  pas  flétrir 
ses  lauriers  en  y  touchant. 

Je  vous  enverrai  VHoracc  de  Corneille  avec  les  notes,  dès  que 
vous  m'assurerez  qu'on  voudra  bien  les  examiner. 

4545.  —  A  M.  LE   COMTE   DE   KAYSERLING, 

A     VIEWK. 

Aux  Délices,  prés  Genève,  li  mai. 

Monsieur,  voici  un  essai  de  ce  que  vous  m'avez  demandé;  je 
vous  prie  de  le  lire,  et  de  l'envoyer  à  M,  Schouvalow.  Vous  vous 
apercevez  que  j'ai  travaillé  sur  des  mémoires  que  je  me  suis 
procurés.  C'est  à  M.  de  Schouvalow  à  décider  si  ces  mémoires 
de  ministres  oculaires,  qui  sont  très-véridiques,  doivent  être 

1.   l-lditoiiis,  de  Ciiyrol  et  François. 

"1.  L'anecdote  sur  la  ('omrdic  di's  Tuileries  :  voyez  t<imc  XWl,  paire  -05. 


298  COIlKESl'ONDANCE. 

employés  ou  non.  Comme  je  ne  suis  dans  mon  travail  que  le 
secrétaire  de  M.  de  Scliouvalow,  je  ne  veux  rien  dire  qui  ne  soit 
conforme  à  ses  vues  et  au  juste  ménagement  qu'il  doit  garder. 

Si  j'avais  plus  de  santé  et  moins  d'afïfiires,  je  le  servirais 
mieux  ;  mais  je  lui  donne  du  moins  les  témoignages  du  zèle  le 
])lus  empressé,  et  de  la  plus  grande  envie  de  lui  plaire.  Regardez- 
moi  comme  un  ami  pénétré  de  votre  mérite,  qui  vous  chérit  et 

qui  vous  respecte. 

Voltaire. 


'KiiO.  —  A  M.   FYOT    DE   LA  MARCHE  i. 

A    Eerney  en  Bourgogne,  '20  mai  17()l. 

En  qualité  de  bon  Bourguignon,  monsieur,  et  presque  de 
Franc-Comtois,  je  dois  joindre  mon  petit  tribut  de  joie  et  d'ac- 
clamations et  de  compliments,  qui  ne  sont  pas  du  bout  de  la 
plume,  mais  du  cœur,  à  tous  ceux  qui  sont  adressés  de  toutes 
parts  à  votre  aimable  et  respectable  famille.  Vous  voilà  trois  pre- 
miers présidents-;  je  suis  fâché  de  n'avoir  point  encore  de 
procès  :  je  n'en  ai  qu'avec  l'air,  qui  est  toujours  troublé  du  vent 
du  nord  ;  avec  la  terre,  qui  ne  répond  pas  à  mes  travaux;  avec 
l'eau,  que  la  sécheresse  a  tarie;  et  pour  compléter  les  quatre 
éléments,  je  n'ai  plus  de  l'eu  dans  les  veines. 

J'ai  imaginé,  pour  me  réchaufïer,  d'imprimer  les  œuvres  du 
grand  Corneille,  avec  des  notes  pour  l'instruction  des  amateurs 
et  des  auteurs  et  des  étrangers.  L'Académie  française  a  envie  de 
donner  à  l'Europe  des  auteurs  classiques.  Je  commence  par 
celui  qui  a  commencé  à  rendre  notre  langue  respectable.  J'ai 
proposé  que  le  profit  de  l'édition  fût  pour  l'héritier  de  ce  grand 
homme  qui  est  dans  la  misère.  L'idée  a  été  reçue  avec  accla- 
mations par  l'Académie  et  par  tout  Paris.  L'édition  aura  l'hon- 
neur d'être  faite  dans  votre  ressort.  Je  me  flatte  que  cette  entre- 
prise aura  votre  approbation  et  celle  de  M.  de  Ruffey.  Je  serais 
trop  flatté  de  mettre  la  première  pierre  à  cet  édifice  en  votre  pré- 
sence et  sous  vos  auspices.  M.  de  RufTey  m'a  fait  entrevoir,  mon- 


1.  Editeur,  ïh.  Foisset. 

2.  M.  Fyot  de  Neuilly  (Jacques-Philippe),  frère  de  l'ancien  premier  président 
de  La  Marche,  venait  d'être  nommé  premier  président  du  parlement  de  Besançon  ; 
mais  il  n'accepta  point.  Les  deux  autres  premiers  présidents  étaient  Claude-Phi- 
lippe, alors  premier  président  honoraire  du  parlement  de  Bourgogne,  et  son  fils 
Jean-Philippe,  premier  président  titulaire  du  même  parlement.  {Note  du  premier 
éditeur.) 


ANNÉE    1761.  299 

sieur,  un  bonlieur  que  je  dOm-Q  plus  que  je  ne  l'espère  ;  il  disait 
(]u"au  mois  d'août  je  pourrais  répéter  après  Virgile  : 

Amal  bonus  olia  Daplmis; 

Ipsi  l.Ttilia  voces  ad  sidéra  lollunl 
Intonsi  montes. 

Ma  chaumière  n'est  pas  digne  de  yous  recevoir;  mais  mon 
cœur  est  digne  de  vous  rendre  ses  hommages.  Je  vous  les  renou- 
velle de  trop  loin  avec  le  plus  tendre  res[)ect. 

Voi.TAiiu:. 

Permettez-moi  de  présenter  mes  respects  à  monsieur  votre 
fils. 

45i7.   —  A  M.   DE   CIDKVILLE. 

Aii.\  Dolices,  le  20  mai. 

Mon  cher  et  ancien  ami,  nos  ermitages  entendent  souvent 
prononcer  votre  nom.  A'ous  disons  plus  d'une  fois  :  Que  n'cst-il 
ici!  il  ferait  des  vers  galants  pour  la  nièce  du  grand  Corneille, 
nous  parlerions  ensemble  de  Cinna,  et  nous  conviendrions 
qn'Athalie,  qui  est  le  chef-d'œuvre  de  la  belle  poésie,  n'en  est 
pas  moins  le  chef-d'œuvre  du  fanatisme. 

Il  me  semble  que  Grégoire  VII  et  Innocent  IV  ressemblent  à 
Joad  comme  lîavaillac  ressemble  à  Damiens. 

Il  me  souvient  d'un  poème  intitulé  la  Ihicclk,  que,  par  paren- 
thèse, personne  ne  connaît.  Il  y  a  dans  ce  poème  une  petite  liste 
des  assassins  sacrés,  pas  si  petite  pourtant;  elle  finit  ainsi  : 

Et  .Méiol)a(],  assassin  d'Ilobad, 
El  Henadad,  et  la  reine  Allialic 
Si  méchamment  mise  à  inurl  par  ,h)Ai)'. 

\'ous  voyez,  mou  cbci'  ami,  (|ii('  V(jus  vous  êtes  i-cncdMlrc  avec 
cet  auteur. 

Je  pardonne  doue  à  tous  ceux  doul  je  me  suis  moqué,  t't  no- 
lamment  à  larchidiacrc  Trubicl,  et  même  à  frère  Hertliier,  à  con- 
dition (|ue  les  j('suites,  (|ue  j'ai  déposséib's  d'un  bientpi'ils  avaient 
usur|)é  à  ma  porte,  payeront  h-ur  contingent  de  la  souiuie  à  ([uoi 
tous  les  frères  sont  condamnés  solidairement. 


1.  Cliaiit  \\I,  vers   l't'i.  Le  tuile  est  un  peu  iliirereuL  de  la  ciUUi 


300  CORRESPONDANCE. 

J'ai  un  beau  procès  contre  un  promoteur '.  Ainsi  je  finis,  mon 
ancien  ami,  en  vous  envoyant  une  petite  réponse  faite  à  la  hâte 
pour  votre  très-aimable  dame*.  Je  la  fais  courte,  pour  ne  pas 
enfler  le  paquet;  c'est  la  troisième  d'aujourd'hui  dans  ce  goût, 
et  le  Czar  m'appelle.  Vale.    V. 

4548.  —  A   M.   IMBERT  5. 

20  mai. 

Il  y  a  longtemps,  monsieur,  que  j'aurais  dû  vous  remercier 
de  votre  lettre  et  de  vos  ofTres  également  obligeantes.  Pardonnez 
à  un  malade,  à  un  maçon,  à  un  agriculteur  accablé  de  petits 
maux  et  de  petits  détails,  si  je  n'ai  pas  eu  l'honneur  de  vous  ré- 
pondre plus  tôt. 

La  bienveillance  que  vous  témoignez  pour  les  talents  et  pour 
le  mérite  de  l'excellent  acteur*  que  je  regarde  comme  mon  ami 
exige  ma  reconnaissance.  Je  doute  fort  que  vos  occupations' 
vous  laissent  le  temps  d'aller  aux  spectacles.  C'est  pourtant  un 
délassement  fort  honnête,  quoi  qu'en  dise  le  bâtonnier  "^  des 
avocats  de  Paris  ;  et  ceux  qui  sont  à  la  tête  de  la  police  savent 
assez  combien  les  spectacles  sont  utiles.  Je  suis  fâché  que,  dans 
un  siècle  aussi  éclairé  que  le  nôtre,  il  se  trouve  encore  des  per- 
sonnes qui  veulent  flétrir  un  art  qui  fait  l'honneur  de  la  France. 
Il  me  paraît,  par  votre  lettre,  qu'il  a  encore  de  zélés  partisans. 

J'ai  l'honneur  d'être  votre  très-humble  et  très-obéissant  ser- 
viteur, 

45i9.   —  A  M.   LE    COMTE   D'APiGENTAL. 

21  mai. 

Mes  anges,  mon  noble  courroux  contre  maître  Le  Dain  et 
consorts  commence  à  s'apaiser  un  peu,  puisque  maître  Loyola 
a  eu  sur  les  doigts;  mais  cette  noble  colère  renaît  contre  tout 
prêtre,  à  l'occasion  d'un  beau  procès  qu'on  me  fait  pour  des 
murs  de  cimetière.  Je  bâtissais  une  jolie  église  dans  un  désert; 


1.  Voyez  ci-après  une  note  sur  la  lettre  4ol)G, 

2.  M""'  Élie  de  Beaumont.  Voyez  tome  X,  l'épître  qui  commence  par  ce  vers  : 

S'il  est  au  nionds  une  beauté,  oie. 

3.  Éditeurs,  de  Cayrol  et  François. 

4.  Lckain. 

5.  Cet  Imbcrt  était  receveur  général  de^  domaines. 

6.  Dains,  dénonciateur  de  Huerne. 


ANNÉE  1761.  301 

je  n'essuie  que  des  chicanes  affreuses  pour  prix  de  mes  bienfaits. 
Ce  qu'il  y  a  de  pis,  c'est  que  cet  aijoniinablc  procès  me  fait 
perdre  mon  temps,  trésor  plus  précieux  que  l'argent  qu'il  me 
coûte.  Adieu  le  Czar,  adieu  ÏHistoire  (jènèrale,  et  tragédie,  et  comé- 
die, et  amusements  de  la  campagne,  et  défrichements,  11  faut 
combattre,  et  je  suis  très-malade  :  voilà  mon  état. 

Je  vous  enverrai  pourtant,  mes  divins  auges,  ce  Droit  du  Sei- 
gneur, ou  l'Écucil  du  Sage;  mais  voici  ce  qui  m'est  arrivé.  J'en 
avais  deux  copies;  on  a  fait  partir  deux  seconds  actes,  au  lieu 
du  premier  et  du  second,  dans  le  paquet  destiné  à  celui  qui  doit 
faire  présenter  cet  anonyme.  Dès  que  la  méprise  sera  réparée, 
et  qu'un  de  mes  seconds  actes  sera  revenu,  vous  aurez  les  cinq. 
Mais,  hélas!  à  présent  je  ne  suis  ni  plaisant  ni  touchant,  je  ne 
suis  que  M.  Cliicaneau  :  voilà  une  triste  fin.  11  valait  mieux  mou- 
rir d'une  tragédie  que  d'un  procès. 

Priez  Dieu,  mes  anges  gardiens,  que  j'aie  assez  de  tête  pour 
soutenir  tout  cela.  Il  me  semble  qu'il  faut  de  la  santé  pour  avoir 
l'esprit  courageux.  Mou  cœur  ne  se  ressent  point  de  mon  état  ; 
il  est  plus  à  vous  que  jamais. 

4550.   —  A   M.   FABRY  1. 

Ferncv,  22  mai. 

Il  est  bien  doux,  mon  cher  monsieur,  d'être  servi  si  à  point 
nommé  par  un  ami  aussi  bienfaisant  et  aussi  éclairé  que  vous 

l'êtes.  Vos  bons  offices  sont  plus  cliers  à  M Denis  et  à  moi  que 

le  procédé  d'un  promoteur  très-ignorant  n'est  odieux.  Il  s'est 
conduit  d'une  manière  qui  mérite  d'être  réprimée  par  le  parle- 
ment :  il  a  osé  défendre,  au  nom  de  ré\êque,  aux  habitants  de 
Ferney,  de  s'assembler  et  de  délibérer,  selon  l'usage,  au  sujet  de 
leur  église. 

Tous  les  hai)itants  sont  venus  aujourd'hui  nous  trouver  d'un 
commun  accord.  La  convocation  s'est  faite  en  règle.  Ils  ont 
dressé  par-devant  notaire  un  acte  par  lecjuel  ils  ratifient  la  con- 
vention de  leur  syndic  et  du  curé  avec  M""  Denis  et  moi.  Ils 
désavouent  tout  ce  <[m  s'est  pu  faire  et  dire  contre  le  dessein  le 
plus  noble  et  le  plus  généreux;  ils  appi()u\(Mil  loul,  el  nous 
remercient  de  nos  bontés. 

Ils  ont  déposé  de  l'insolence  du  promoteur,  (jui  a  pris  sur  lui 
de  leur  défendre  de  s'assembler.  Le  cuié  s'est  joint  à  nous  par  un 

1.  Éditeurs,  Bavoux  et  François. 


302  COUHIiSl'ONDANCE. 

acte  pailiciilici'.  ^lallct  de  (lonèvc,  qui  est  un  très-iiircliaiit 
honinic,  est  runique  cause  de  cette  levée  de  boucliers.  C'est  lui 
qui  avait  excité  deux  ou  trois  séditieux  du  village  à  s'aller  plaindre 
au  promoteur,  et  ù  se  soulever  contre  leur  syndic,  contre  leur 
curé  et  contre  nous.  Ces  séditieux,  pour  couvrir  leur  délit,  ont 
signé  aujourd'hui  l'acte  d'approbation  comme  les  autres.  Nous 
envoyons  toutes  ces  pièces  au  parlement,  et  nous  nous  mettons 
le  curé,  la  communauté,  et  le  seigneur  et  dame  de  Ferney,  sous 
la  protection  de  la  cour,  contre  les  entreprises  du  promoteur 
d'un  évoque  savoyard  S  qui  n'est  pas  roi  de  France.  Nous  requé- 
rons dépens,  dommages  et  intérêts,  contre  ceux  qui  nous  ont 
troublés  dans  la  fabrique  de  notre  église,  ou  plutôt  dans  la  répa- 
ration d'icelle,  et  qui  nous  coûtent  plus  de  mille  écus. 

Nous  nous  flattons  d'apprendre  aux  prêtres  qu'ils  ne  sont  pas 
les  maîtres  du  royaume. 

Je  rends  compte  à  M.  le  duc  de  Choiseul  de  cet  attentat  des 
officiers  d'un  évêque  étranger. 

Nous  vous  réitérons,  monsieur,  ma  nièce  et  moi,  nos  très- 
humbles  et  très-tendres  remerciements;  nous  comptons  sur 
votre  amitié,  comme  sur  votre  zèle  pour  les  droits  des  citoyens, 
et  nous  nous  souviendrons  toute  notre  vie  du  service  que  vous 
voulez  bien  nous  rendre. 

J'ai  l'honneur  d'être,  monsieur,  avec  l'attachement  le  plus 
Inviolable,  votre  très-humble  et  très-obéissant  serviteur. 


4551.  —  A  M.   LE    CONSEILLER    LE    BAULT  \ 

A  Ferney,  pays  de  Gex,  23  mai. 

JMonsieur,  il  ne  s'agit  pas  toujours  de  vin  de  Bourgogne;  on  a 
quelquefois  du  vin  d'absinthe  à  avaler.  Je  vous  supplie  de  perdre 
un  quart  d'heure  à  lire  ces  pièces,  de  les  communiquer  à*  mon- 
sieur le  procureur  général,  à  qui  je  ne  prends  pas  la  liberté 
d'écrire,  mais  dont  j'implore  la  protection  avec  la  vôtres 

Quand  ces  pièces  auront  été  lues,  je  vous  supplie,  monsieur. 


ï.  Biort,  évêque  d'Annecy. 

2.  Éditeur,  Th.  Foisset. 

3.  Il  s'agissait  du  procès  fait  par  Voltaire  à  l'officialité  de  Gex,  au  sujet  de 
l'église  bâtie  par  le  philosophe  à  Ferney.  L'officialité  avait,  je  crois,  interdit  cette 
église  pour  diverses  irrégularités  canoniques  commises  à  l'occasion  de  sa  construc- 
tion. Voltaire  appelait  comme  d'abus  de  la  sentence  de  l'official  devant  le  parle- 
ment de  Dijon.  {Kote  du  premier  éditeur). 


ANNÉE    1701.  303 

de  les  faire  donner  à  AI.  l'avocat  Ariioult,  afin  qu'il  fasse  au 
nom  de  M""  Denis,  dame  de  Ferne\ ,  du  curé  de  Fernex ,  et  de  la 
commune,  tout  ce  qui  sera  de  droit. 

Nous  nous  mettons  tous  sous  la  protection  de  la  cour. 

J'ai  l'honneur,  etc. 


45ÔJ.   —  A  M.    DAM  I  LA  VILLE. 

Le  2i  mai. 

On  est  accablé  d'afTaircs  et  de  travaux.  Il  faut  défricher  une 
lieue  de  l)ruyères  et  l'Histoire  de  Pierre  /"'',  faire  réimprimer 
VHistoire  (jènèrale,  où  le  genre  humain  sera  point  trait  pour  trait, 
et  ne  le  sera  pas  en  beau. 

On  demande  le  plus  profond  secret  sur  la  pièce'  du  conseiller 
de  Dijon. 

On  n'a  plus  la  petite  épître  à  M"'  Clairon  :  ce  sont  des  baga- 
telles qu'on  a  faites  en  déjeunant,  et  dont  on  ne  se  souvient 
plus. 

Le  nom  du  vengeur  de  Corneille  contre  les  Anglais  ne  doit 
point  être  mis  à  cette  brochure  ^  Jamais  de  nom  :  à  quoi  bon? 
Si  on  trouve  quelque  ■  rogaton,  on  l'enverra  ;  mais  les  rogatons 
sont  aux  Délices. 

M"'  Corneille  a  l'âme  aussi  sublime  que  son  grand-oncle  ;  elle 
mérite  tout  ce  que  je  fais  pour  son  nom.  J'ai  relu  le  Cid;  Pierre, 
je  vous  adore  ! 

Le  Dain  '  est  un  grand  fat,  et  l'avocat  condamné  un  pauvre 
homme.  Paris  est  bien  fou. 

Quand  M.  ïhieriot  aura  fait  jouer  la  pièce  bourguignonne*, 
qu'il  vienne  à  Ferney  et  aux  Délices, 

La  lettre  à  l'Académie^  n'est  qu'un  détail  de  librairie;  et 
d'ailleurs  on  ne  doit  point  l'imprimer  sans  son  ordre.  Valete. 

N.  B.  Je  serais  bien  surpris  si  ce  pédant  d'Agucsseau,  si  ce 
plat  janséniste,  ennemi  des  gens  de  lettres,  avait  fait  (pielque 
chose  de  passable  sur  l'art  du  théâtre.  Il  aurait  bien  mieux  fait 
d'aller  voir  C//)/!a  et  Plùdre.  C'était  un  homme  très-médiocre,  un 
demi-savant  orgueilleux;  et  si  j'avais  ét(''  à  rVcadémie... 

1.  /.(■  Droit  du  Seiyneur  ;  voyez  tome  VI,  page  :L 

2.  IJAppel  à  toutes  les  nations  de  l'Europe  fut  iinpriin.'  sans  nom  (raiitiiii . 
'.\.  Voyez  la  note  loine  XXIV,  pagc^  'J:{9. 

4.  Le  Droit  du  Seiyneur. 

5.  La  lettre  à  Duclos,  du  1"  mai,  n"  4537. 


304  CORRESPONDANCE. 

4553.  —  A   M.  BERTRAND. 

Ferney,  2i  mai. 

M.  de  Voltaire  et  M""  Denis  seront  enchantés  de  revoir  M.  Ber- 
trand. Ils  lui  enverraient  un  carrosse  s'ils  avaient  actuellement 
des  chevaux  à  leur  disposition.  Sitôt  que  les  chevaux  seront 
revenus,  on  sera  aux  ordres  de  M.  Bertrand.    V. 

4554.  —  A    M.  JEAN  SGHOUVALOW. 

Ferney,  par  Genève,  2i  mai. 

Monsieur,  j'ai  reçu  par  M'"'  la  comtesse  de  Bentinck,  digne 
d'être  connue  de  vous  et  d'être  votre  amie,  la  lettre  dont  vous 
m'avez  honoré  en  date  du  11-22  avril.  Je  savais  déjà,  monsieur, 
que  vous  aviez  reçu  sept  lettres  à  la  fois  de  M.  de  Soltikof, 
écrites  en  divers  temps.  Je  vous  en  ai  écrit  plus  de  douze  depuis 
le  commencement  de  l'année'.  Il  y  a  longtemps  que  Votre  Excel- 
lence m'a  fait  l'honneur  de  m'écrire  que  les  infidèles  dans  les 
postes  et  dans  les  voitures  publiques  sont  une  suite  des  fléaux 
de  la  guerre;  je  m'en  suis  apeçu  plus  d'une  fois  avec  douleur. 
La  triste  aventure  de  M.  Pouschkin  a  été  encore  un  nouvel 
obstacle  à  notre  correspondance,  et  à  la  continuation  des  tra- 
vaux auxquels  je  me  suis  voué  avec  tant  de  zèle.  J'ai  tout  aban- 
donné ^  pour  m'occuper  uniquement  du  second  tome  de  V Histoire 
de  Pierre  le  Grand.  J'ai  été  assez  heureux  pour  trouver  à  acheter 
les  manuscrits  d'un  homme  qui  avait  demeuré  très-lontemps  en 
Russie.  Je  me  suis  procuré  encore  la  plupart  des  négociations 
du  comte  de  Bassevitz.  Aidé  de  ces  matériaux,  j'en  ai  supprimé 
tout  ce  qui  pourrait  être  défavorable,  et  j'en  ai  tiré  ce  qui  pour- 
rait relever  la  gloire  de  votre  patrie.  Je  vais  porter  quelques 
nouveaux  cahiers  à  M.  de  Soltikof.  Je  vous  jure  que  si  j'avais 
eu  de  la  santé,  je  vous  aurais  épargné,  et  à  moi-même,  tant  de 
peines  et  tant  d'inquiétudes;  j'auraisfait  le  voyage  dePétersbourg, 
soit  avec  M.  le  marquis  de  L'Hospital,  soit  avec  M.  le  baron  de 
Breteuil  ;  mais  puisque  la  consolation  de  vous  faire  ma  cour,  de 
recevoir  vos  ordres  de  bouche,  et  de  travailler  sous  vos  yeux, 
m'est  refusée,  je  tâcherai  d'y  suppléer  de  loin,  en  vous  sei'vant 
autant  que  je  le  pourrai. 

1.  On  n'en  a  que  deux;  voyez  lettres  4il0  et  4505. 

2.  11  avait  interrompu  son  travail  sur  les  tragédies  de  P.  Corneille. 


ANNÉE    176).  305 

M.  de  Soltikof  me  tient  quelquefois  lieu  de  vous,  monsieur; 
il  me  semble  que  j'ai  Tlionneur  de  vous  voir  et  de  vous  entendre 
quand  il  me  parle  de  vous,  quand  il  me  fait  le  portrait  de  votre 
belle  àme,  de  votre  caractère  généreux  et  bienfaisant,  de  votre 
amour  pour  les  arts,  et  de  la  protection  que  vous  donnez  au 
mérite  en  tout  genre.  Soyez  bien  sûr  que  de  tous  ces  mérites  que 
vous  encouragez ,  celui  de  M.  de  Soltikof  répond  le  mieux  à  vos 
intentions.  Il  passe  des  journées  entières  à  s'instruire,  et  les 
moments  qu'il  veut  bien  me  donner  sont  employés  à  me  parler 
de  vous  avec  la  plus  tendre  reconnaissance.  Son  cœur  est  digne 
de  son  esprit;  il  écliaulïerait  mon  zèle,  si  ce  zèle  pouvait  avoir 
besoin  d'être  excité. 

Je  crois  pouvoir  ajouter  à  cette  lettre  que,  depuis  les  reproches 
cruels  que  m'a  faits  un  certain  homme*  d'écrire  Vhistoire  des  ours 
et  des  loups,  je  n'ai  plus  aucun  commerce  avec  lui.  Je  sais  très- 
bien  qui  sont  ces  loups  ;  et  si  je  pouvais  me  flatter  que  la  plus 
auguste  des  bergères,  qui  conduit  avec  douceur  de  beaux  trou- 
peaux, daigne  être  contente  de  ce  que  je  fais  pour  son  père,  je 
serais  bien  dédommagé  de  la  perte  que  je  fais  de  la  protection 
d'un  des  gros  loups  de  ce  monde. 

J'ai  l'honneur  d'être  avec  l'attachement  le  plus  inviolable  et 
le  plus  tendre  respect,  monsieur,  de  Votre  Excellence  le  très- 
humble,  etc. 

Le  vieux  Mouton  broutant  au  pied  des  Alpes. 


4555.  —  A  MA  DAM  K    DE    FONTAINE, 


31  mai. 


Ma  chère  nièce,  à  présent  que  vous  avez  passé  huit  jours 
avec  M.  de  Silhouette,  vous  devez  savoir  l'histoire  de  la  finance 
sur  le  bout  de  votre  doigt.  Je  crois  (ju'il  pense  comme  l'Ami  des 
hommes',  qu'il  n'est  pas  l'ami  d'un  las  de  fripons  qui  ont  su  se 
faire  respecter  ot  se  rendre  nécessaires,  en  s'a|)propriant  l'argent 
comptant  de  la  nation;  mnis  je  crois  que  M.  de  Silhouette  est  un 
médecin  qui  a  voulu  donner  trop  tôt  réniéli(iue  à  son  malade. 
Le  duc  de  Sully  ne  put  remettre  l'ordre  dans  les  finances  que 
pendant  la  i)ai\-.  Je  sais  rpu'  les  déprédations  sont  horribles,  et 
je  sais  aussi  que  ceux  (|ui  oui  été  assez  juiissanls  [)our  les  faire  le 

1.  Frédéric  II;  voyez  paj,'o  i'î. 

'2.  Titre  d'un  oiivruj,'.!  du  iii;in[iiiH  de-  Mirabeau;  voyez  tome  \\.  pai^c  21'.). 
il.    —   'ioiinKSI'ONDANC,  !..    '\.  ■.>() 


306  CORRESPONDANCE. 

sont  assez  pour  n'être  pas  punis.  Ma  chère  nièce,  tout  ceci  est 
un  naufrage;  sauve  qui  peut!  est  la  devise  de  chaque  pauvre  par- 
ticulier. Cultivons  donc  notre  jardin  comme  Candide  :  Cérès, 
Pomone,  et  Flore,  sont  de  grandes  saintes,  mais  il  faut  fêter 
aussi  les  Muses. 

J'aurai  peut-être  fait  encore  une  tragédie  avant  que  la  petite 
Corneille  ait  lu  le  Cid.  11  me  semble  que  je  fais  plus  qu'elle  pour 
la  gloire  de  son  nom  :  j'entreprends  une  édition  de  Corneille, 
avec  des  remarques  qui  peuvent  être  instructives  pour  les  étran- 
gers, et  même  pour  les  gens  de  mon  pays.  L'Académie  doit  faire 
imprimer  nos  meilleurs  auteurs  du  siècle  de  Louis  XIV  dans  ce 
goût;  du  moins  elle  en  a  le  projet,  et  j'en  commence  l'exécution. 
Cette  édition  de  Corneille  sera  magnifique,  et  le  produit  sera 
pour  l'enfant  qui  porte  ce  nom,  et  pour  son  pauvre  père,  qui  ne 
savait  pas,  il  y  a  quatre  ans,  qu'il  y  eût  jamais  eu  un  Pierre 
Corneille  au  monde. 

Le  parlement  prend  mal  son  temps  pour  se  déclarer  contre 
les  spectacles,  et  pour  faire  brûler,  par  l'exécuteur  des  hautes 
œuvres,  l'œuvre  d'un  pauvre  avocat  ^  qui  vient  de  donner  une 
très-ennuyeuse  mais  très-sage  consultation  sur  l'excommuni- 
cation des  comédiens.  Les  jansénistes  et  les  convulsionnaires 
triomphent  au  parlement;  mais  ils  n'empêcheront  pas  M"*^^  Clairon 
de  faire  verser  des  larmes  à  ceux  qui  sont  dignes  de  pleurer  ;  et 
les  pédants,  ennemis  des  plaisirs  honnêtes,  perdront  toujours 
leur  cause  au  parlement  du  parterre  et  des  loges. 

Je  crois  que  la  petite  brochure^  de  M.  Dardelle  pourra  vous 
divertir  :  je  vous  l'envoie,  en  vous  embrassant,  vous  et  les  vôtres, 
de  tout  mon  cœur. 

4o56.  —   A   MADAME    D'ÉPINAI. 

Mai. 

Je  renvoie  à  M.  Dardelle,  sous  les  auspices  de  ma  belle  philo- 
sophe, les  exemplaires  qu'il  m'avait  fait  tenir,  et  dont  on  ne  peut 
faire  aucun  usage  dans  nos  cantons.  Si  d'ailleurs  il  y  a  dans  cet 
écrit  quelque  chose  contre  les  mœurs,  usages,  église,  coutumes 
du  pays  de  M.  Dardelle,  je  le  condamne  de  cœur  et  de  bouche. 
Je  suis  très-fâché  d'avance  que  l'ouvrage  m'ait  été  communiqué, 
et  je  serais  au  désespoir  que  l'infâme  eût  sur  moi  la  moindre 

1.  Huei-ne  de  La  Molhe;  voyez  la  note,  tome  XXIV,  page  239. 

2.  La  Conversation  de  monsieur  l'Intendant  des  Menus  (voyez  tome  XXIV, 
page  239),  que  Voltaire  disait  être  d'un  M.  Dardelle. 


ANNÉE    176  1.  307 

prise.  Je  m'en  remets  à  la  bonté,  à  la  sagesse,  à  la  discrétion,  et 
à  la  piété  de  ma  belle  philosophe.  V. 


4057.   —  A  M.   DAM ILA VILLE. 

Mai. 

Pourrait-on  déterrer  dans  Paris  quehiae  pauvre  diable  d'avo- 
cat, non  pas  dans  le  goût  de  Le  Dain,  mais  un  de  ces  gens  qui, 
étant  gradués  et  mourant  de  faim,  pourraient  être  juges  de 
village?  Si  je  pouvais  rencontrer  un  animal  de  cette  espèce,  je 
le  ferais  juge  de  mes  petites  terres  de  Tournay  et  Ferney  :  il 
serait  chauflé,  rasé,  alimenté  S  porté,  payé. 

J'ai  un  besoin  pressant  du  malheureux  Droit  ecclésiastique, 
qui  ne  devrait  pas  être  un  droit.  J'ai  un  procès  pour  un  cime- 
tière. Il  faut  défendre  les  vivants  et  les  morts  contre  les  gens 
d'église.  Mille  pardons  de  mes  importunités,  mes  chers  philo- 
sophes. 

Mes  compliments  de  condoléance  à  frère  Berthier  et  à  frère 
La  Valette;  mille  louanges  à  maître  Le  Dain,  qui  traite  Corneille 
d'infâme  ;  mais  il  ne  faut  montrer  la  Conversation  de  Vahhè  Grizel 
et  de  l'intendant  des  Menus  qu'au  petit  nombre  des  élus  dont  la 
conversation  vaut  mieux  que  celle  de  maître  Le  Dain.  Ou  supphe 
les  philosophes  de  ne  montrer  le  cher  Grizel  qu'aux  gens  dignes 
d'eux,  c'est-à-dire  à  peu  de  personnes. 

Je  souhaite  que  M.  Lcmierre  soit  bien  damné,  bien  excom- 
munié, et  que  sa  pièce  réussisse  beaucoup:  car  on  dit  que  c'est 
un  homme  de  mérite,  et  qui  est  du  bon  parti.  Je  prie  les  frères 
de  vouloir  bien  m'envoyer  des  nouvelles  de  Tcrée-. 

Courez  tous  sus  à  Vinf...  habilement.  Ce  qui  m'intéresse, 
c'est  la  propagation  de  la  foi,  de  la  vérité,  le  progrès  de  la  philo- 
sophie, et  l'avilissement  de  Vin/'.... 

Je  vous  donne  ma  bénédiction  du  fond  de  mon  cabinet  et  de 
mon  cœur, 

io.-.S.   _    A    M.   LH   COMTK    D'AIST,  K  NTAL. 

Mai. 

Ce  n'est  pas  ma  faute,  ô  chers  anges!  si  M.  Dardelle  a  fait  la 
sottise  ci-jointe.  Je  la  condamne  comme  outrecuidante;  mais  je 

I-  Aliraont(^,  rasé,  dùsaltoré,  porK"', 

est  un  vers  du  Joueur  de  Ho(,'nard,  acte  III,  scùiiu  m. 


2.  Trugtjdie  de  Leiiiierre. 


308  CORRESPONDANCE. 

pardonne  à  ce  pauvre  Dardelle,  qui  a  fait,  je  crois,  quelques 
comédies,  cl  qui  ne  peut  souffrir  qu'on  l'appelle  inf;\me.  Ce 
monde  est  une  guerre:  ce  Dardelle  est  un  vieux  soldat  qui  pro- 
Lablemcnt  mourra  les  armes  à  la  main. 

Pour  moi,  mes  divins  anges,  je  travaillerai  pour  le  tripot, 
malgré  ce  beau  titre  d'infâme  que  ce  maraud  de  Le  Dain  nous 
donne  si  libéralement.  Et  vous  autres,  protecteurs  du  tripot, 
n'avez -vous  pas  aussi  votre  dose  d'infamie  ? 

Eh  bien  !  que  fait  Tèrée?  Que  fera  Oreste? 

Pièce  nouvelle  a  remotis. 

La  czarine  impératrice  de  toutes  les  Russics  veut  la  moitié  de 
son  Czar,  qui  lui  manque  K 

Ah!  si  vous  saviez  combien  j'ai  de  fardeaux  à  porter,  et  com- 
bien je  suis  faible,  vous  me  plaindriez. 

N.  B.  Si  Corneille  n'était  pas  né  en  France,  j'aurais  en  hor- 
reur un  pays  qui  a  fait  naître  Le  Dain  et  Omer. 

4559.  —  A  M.  LE   COMTE   D'ARGENTAL. 

Mai. 

Fi,  les  vilains  hommes  qui  boivent  de  ça  !  Donnez-m'en  encore 
pour  trois  sous,  disait  une  brave  Allemande. 

Vous  en  voulez  donc  encore,  mes  divins  anges?  En  voici,  et 
grand  bien  vous  fasse  !  Toute  la  cargaison  est  pour  le  petit  trou- 
peau des  honnêtes  gens;  les  libraires  n'en  doivent  point  tâter,  et 
le  pain  des  forts  ne  doit  pas  être  jeté  aux  chiens  2. 

Laissez  là  vos  procès  ;  donnez-nous  des  tragédies.  Cela  est 
bientôt  dit.  Voici,  mes  divins  anges,  le  commentaire  de  votre 
texte  :  Vous  faites  des  dépenses  considérables  pour  rebâtir  une 
église;  des  prêtres  vous  font  un  procès  criminel  pour  des  os  de 
morts  dérangés  dans  un  cimetière,  et  ils  veulent  que  vous  soyez 
puni  de  vos  bienfaits;  vous  êtes  uni  avec  vos  vassaux  et  avec 
votre  curé;  vous  avez  une  procuration  d'eux  tous  pour  appeler 
comme  d'abus  au  parlement;  les  entrepreneurs  restent  les  bras 
croisés,  et  demandent  des  dommages  :  abandonnez  les  entrepre- 

1.  Voltaire  n'avait  encore  public  que  la  première  partie  de  l'Histoire  de  Pierre 
le  Grand. 

2.  Dans  la  strophe  21  de  la  prose  de  la  fête  du  Saint-Sacrement  {Lauda,  Siony 
Salvatorem),  on  lit  : 

Ecce  panis  angelorum 


Non  miUendus  cauibus. 


ANNÉE    nci.  309 

neurs,  votre  curé,  vos  vassaux  ;  laissez  là  les  intérêts  du  corps 
delà  noblesse,  qu'elle  vous  a  fait  l'honneur  de  vous  confier; 
voyez  périr  une  malheureuse  petite  province  que  vous  commen- 
ciez à  tirer  de  la  plus  horrible  misère  ;  laissez  là  les  défriche- 
ments, les  dessèchements  des  marais  ;  le  tout  pour  nous  faire 
vite  une  mauvaise  tragédie  qui  ne  pourra  certainement  être  que 
détestable  au  milieu  de  tous  ces  tracas. 

0  anges!  que  me  demandez-vous?  Pour  Dieu,  laissez-moi 
achever  mes  alfaires.  Je  me  suis  fait  une  patrie  et  des  devoirs  ; 
qui  m'exhortera  mieux  que  vous  à  les  remplir?  Il  faut  avoir 
l'esprit  net  pour  faire  une  tragédie  ;  laissez-moi  nettoyer  ma 
tête. 

A  propos  de  scandale  du  texte,  en  avez-vous  jamais  vu  un 
qui  approche  de  celui  d'Oolla  et  d'Ooliba,  dans  la  Lettre^  de  ce 
cher  M.  Eralou  à  ce  cher  M.  Clocpitre? 

On  dit  qu'il  y  a  trois  jeunes  gens  qui  s'élèvent  :  un  Eratou, 
un  Clocpitre,  et  un  Dardelle,  et  qu'ils  promettent  beaucoup. 

Quoi,  Tcrèe  honni!  PhilomHe  sïiWéo  au  printemps!  Cela  n'est 
pas  juste. 

Faire  payer  le  magasin  de  Vesel  à  M.  de  Prusse,  voilà  ce  qui 
me  paraît  juste,  ou  du  moins  très-bien  fait. 

Mais  ce  pauvre  Lekain!  Ah!  quand  il  serait  beau  comme  le 
jour,  il  n'aurait  rien  eu-. 

Et  l'ami  Pompignan  qui  fait  la  Vie  du  feu  duc  de  Bourgogne,  et 
qui  1  prononcé  un  beau  discours  sur  l'amour  de  Dieu  ! 

Dieu  conserve  longtemps  le  roi  ! 

i:m.   —   A   M.    LE   BRUN. 

Mai  17Gi. 

M"'"  Denis,  M'""  Corneille,  et  moi,  monsieur,  nous  sommes 
infiniment  sensibles  à  votre  souvenir.  M"'-  Corneille  est  plus 
aimalilc  que  jamais;  tout  le  monde  aime  son  caractère  gai,  doux, 
et  égal  ;  clic  joue  très-joliment  la  comédie.  Sa  i)clitc  fortune  est 
déjà  en  bon  train.  Elle  a  environ  1,500  livres  de  rente.  Dans  les 
rentes  viagères  que  le  roi  vient  de  créer,  les  souscriptions  lui 


1.  Vdjez  cette  Lettre  on   tûto  ilii  l'ircis  du  Canli'iue  des   cuntiiucs,  tome  IX. 

'2.  On  lui  refusait  la  part  entière.  (K.)  —  Lekain  avait  part  entière  de  socié- 
taire de  la  (ioinédie  française  depuis  l7.jS.  11  faut  donc  ou  que  l'explication 
donnée  par  li;s  éditeurs  de  Kelil  soit  fausse,  ou  que  cette  phrase  soit  bien  anté- 
rieure à  1761. 


310  COHRI'SI'ONDANCE. 

feront  un  l'oiuls  considérable.  Vous  verrez  qu'elle  finira  par  tenir 
une  bonne  maison. 

Je  suis  fAcbé  de  ne  pas  voir  le  nom  de  monseigneur  le  prince 
de  Conti  dans  la  liste  de  ses  souscripteurs. 

Voici  ce  qu'on  m'écrit  de  Marseille.  L'abbé  de  La  Coste  est 
mort  à  Toulon  S  et  laisse  une  place  vacante.  On  ajoute  : 

La  Costc  est  mort.  Il  vatiue  dans  Toulon, 
Par  celte  porte,  un  emploi  d'importance. 
Le  honéfice  exige  résidence. 
Et  tout  I*aris  vient  d'y  nommer  Fréron. 

Permettez  que  je  vous  embrasse  sans  cérémonie. 

Voltaire. 

4561.   —  A   M.  DE   C  HENE  VIÈRE  S  «. 

l"juin. 

On  m'a  dit,  mon  cber  ami,  que  M'"''  de  Paulmy-'  mérite  les 
jolis  vers  que  vous  avez  faits  pour  elle.  Je  ne  crois  pas  qu'elle  en 
reçoive  de  pareils  des  palatins  et  des  starostes. 

Il  y  a  bien  longtemps  que  je  ne  vous  ai  donné  signe  de  vie  ; 
mais  c'est  que  je  ne  suis  pas  en  vie.  J'ai  été  accablé  de  mille 
petites  affaires  qui  font  mourir  en  détail  :  les  procès  inévitables 
quand  on  a  des  terres,  des  défrichements,  des  dessèchements  de 
marais. 

Est-il  bien  vrai  que  M.  de  Bussy  est  parti  pour  l'Angleterre^? 
Nous  aurons  donc  la  paix,  et  nous  en  aurons  l'obligation  à  M.  le 
duc  de  Choiseul.  Que  de  fêtes  et  que  de  mauvais  vers  il  essuiera, 
du  moins  de  ma  part  ! 


1.  Emmanuel-Jean  de  La  Coste,  moine  célestin,  quitta  son  couvent.  Revenu 
en  France,  et  y  vivant  d'industrie,  il  imagina  une  loterie  établie  chez  l'étranger, 
fit  des  dupes,  et  fut,  le  28  août  1760,  condamné  par  le  lieutenant  général  de 
police  au  carcan  pendant  trois  jours,  à  la  marque,  et  aux  galères  à  perpétuité.  Il 
mourut  avant  d'y  arriver.  J'ai  sous  les  yeux  une  gravure  du  temps,  qui  le  repré- 
sente debout,  attaché  au  carcan.  (B.) 

2.  Éditeurs,  de  Cayrol  et  François. 

3.  Femme  du  marquis  de  Paulmy,  ambassadeur  en  Pologne,  et  fille  du  prési- 
dent Fyot  de  La  Marche. 

4.  Bussy,  premier  commis  aux  afTaires  étrangères,  venait,  en  eff"et,  de  partir. 
Le  même  jour  23  mai,  qu'il  s'embarquait  à  Calais,  l'envoyé  anglais  Stanley  s'em- 
barquait à  Douvres  pour  Versailles.  (G.  A.) 


ANNÉE   1761.  311 


.io62.   —  A   M.   LEK.AIN. 


Aux  Déliros.  2  juin  '. 

Mon  cher  Roscius,  vous  n'êtes  pas  licureux,  et  à  vous  rien. 
Et  ce  privilège-?  est-ce  moins  que  rien?  Ne  le  lùcliez  point  pour- 
tant sans  que  Prault  petit-fils  vous  paye.  Ma  santé  est  bien  faible, 
et  il  y  a  grande  apparence  que  je  ne  serai  plus  excommunié  ; 
mais,  à  ma  place,  vous  aurez  force  jeunes  gens  qui  se  damneront 
volontiers  avec  vous.  Mes  respects  à  maître  Le  Dain,  quand  vous 
le  verrez  ;  pour  le  sieur  Dardelle,  c'est  un  mécréant  avec  lequel 
je  ne  veux  avoir  aucun  commerce.  Je  vous  embrasse  de  tout 
mon  cœur,  et  vous  exhorte  à  faire  votre  salut  le  plus  tôt  que  vous 
pourrez.  V. 

im3.   —  A  M.   ARXOULT, 

AVOCAT,    DOYEN     DE      1,'t  M  VK  n  S  ITÉ  ,     A     DIJON. 

A  Ferney,  le  -"i  juin. 

J'ai  peur,  monsieur,  de  vous  avoir  fait  envisager  l'aventure 
de  mon  église  comme  une  affaire  plus  considérable  qu'elle  ne 
l'est  en  effet.  Je  pense  que  nous  ne  serions  réduits,  le  curé,  les 
paroissiens,  et  moi,  à  en  appeler  comme  d'abus  qu'en  cas 
que  notre  officiai  de  village  nous  fît  signifier  quelque  grimoire, 
conî.ine  je  le  craignais  dans  les  premiers  mouvements  de  cette 
sottise. 

J'ai  fait  venir  de  Paris  le  seul  livre  qui  traite,  dit-on,  de  ces 
besognes  :  c'est  la  Pratique  de  la  juridiction  ecclésiastique  de  Du- 
casse,  grand  vicaire  en  son  vivant.  Ce  livre,  assez  mauvais,  ne 
m'a  donné  aucune  lumière  ;  et  c'est  ce  qui  arrive  presque  tou- 
jours en  affaire.  Le  bruit  public,  dans  le  petit  pays  sauvage  de 
Gex,  est  qu'on  se  repent  de  cette  équipée  ;  mais  qui  ])ayora  les 
frais  de  leur  procédure?  On  ne  m'a  rien  fait  signifier  ;  mais  je 
présume  que  je  n'ai  d'autre  chose  ;'i  faire  qu'à  continuer  mon 
bAtimont.  Onand  j'aurai  aciievé  mon  église,  il  faudra  bien  qu'on 
la  bénisse;  ol  je  ne  vois  i)as,  quand  je  suis  d'accord  avec  tous 
les  paroissions,  qu'on  i)uisse  me  faire  de  chicane.  Je  sens  bien 
qu'il  est  désagréable  d'avoir  été  si  mal  payé  de  mes  bienfaits; 


1.  C'est  à  Inrt  f(iM!  nnicliiii  ;i  mis  cette  lettre  à  l'aiinre  17(12;  elle  est  de  1701. 

(G.  A.; 

2.  Sans  doute  celui  de  Tancrède. 


3<2  CORHnSPONDANCE. 

mais  je  ne  crois  pas  que  je  doive  faire  un  procès  à  mes  chevaux 
s'ils  ruent  dans  l'écurie  que  je  leur  ai  fait  bûtir. 

Pour  l'aflairc  du  curé  de  Moëns\  la  sentence  de  Gex  me 
parait  ridicule.  Je  ne  sais  si  vous  êtes  chargé  de  celte  affaire  :  je 
le  souhaite  au  moins,  pour  apprendre  aux  curés  de  ce  canton 
barbare  à  ne  pas  employer  leur  temps  à  distribuer  des  coups  de 
bâton  aux  hommes,  aux  femmes,  et  aux  petits  garçons;  le  zèle 
de  la  maison  du  Seigneur  ne  doit  pas  aller  jusqu'à  assommer  les 
gens. 

J'ai  l'honneur  d'être,  etc. 


45Ci.   —   A  M.   JEAA    SCIIOUVALOW. 

A  Ferncy,  8  juin. 

Monsieur,  votre  très-aimable  M.  Soltikof  vient  de  me  régaler 
d'un  gros  paquet  dont  Votre  Excellence  m'honore.  Il  contient  les 
estampes  d'un  grand  homme,  quelques  lettres  de  lui,  et  une  de 
vous,  monsieur,  qui  m'est  aussi  précieuse,  pour  le  moins,  que 
tout  le  reste.  Mon  premier  devoir  est  de  vous  faire  mes  remer- 
ciements, et  de  vous  assurer  que  je  me  conformerai  à  toutes 
vos  intentions.  Je  bâtis  pour  vous  la  maison  dont  vous  m'avez 
fourni  les  matériaux;  il  est  juste  que  vous  soyez  logé  à  votre 
aise. 

Je  crois  avoir  déjà  rempli  une  partie  de  vos  vues,  en  décla- 
rant que  je  ne  prétendais  pas  faire  l'histoire  secrète  de  Pierre  le 
Grand,  et  en  trompant  ainsi  la  malignité  de  ceux  qui  haïssent  sa 
gloire  et  celle  de  votre  empire.  Je  sais  bien  que,  dans  les  com- 
mencements, je  ne  pouvais  pas  faire  taire  l'envie  ;  mais  si  l'ou- 
vrage est  écrit  de  manière  à  intéresser  les  lecteurs,  le  livre  reste, 
et  les  critiques  s'évanouissent.  C'est  ce  qui  est  arrivé  à  VHistoire 
de  Charles  XII,  longtemps  combattue,  et  enfin  reconnue  pour  vé- 
ritable. Le  certificat  du  roi  Stanislas-  ne  porte  que  sur  les  faits 
militaires  et  politiques;  ce  certificat  est  déjà  une  grande  pré- 
somption en  faveur  de  la  vérité  avec  laquelle  j'écris  l'histoire  de 
votre  législateur;  et  des  preuves  plus  fortes  se  tireront  des  mé- 
moires que  Votre  Excellence  daignera  me  communiquer.  Je  n'ai 
pris,  dans  les  mémoires  de  M.  de  Bassevitz,  et  dans  ceux  que  je 
me  suis  procurés,  que  ce  qui  peut  contribuer  à  la  gloire  de  votre 


1.  Voyez  tome  XXIV,  page  161. 

2.  Voyez  tome  XVI,  pages  142-143. 


ANNÉE    17(i1.  313 

patrie  et  à  celle  de  Pierre  I-""  ;  j'abaiuloiiiio  le  reste  à  la  malignité 
de  vos  ennemis  et  des  miens,  M.  le  duc  de  Clioiseul  et  tons  nos 
meilleurs  juges  ont  trouvé  (jue  j'ai  fait  voir  assez  heureusement, 
dans  ma  préface,  qu'il  ne  faut  écrire  que  ce  qui  est  digne  de  la 
postérité,  et  qu'il  faut  laisser  les  petits  détails  aux  petits  faiseurs 
d'anecdotes.  Ce  sera  à  vous,  monsieur,  à  me  prescrire  l'usage 
que  je  devrai  faire  des  particularités  que  les  mémoires  manuscrits 
de  M.  deBassevitz  m'ont  fournies.  Encore  une  fois,  je  ne  suis  que 
votre  secrétaire.  Il  est  bien  vrai  que  vous  avez  choisi  un  secré- 
taire trop  vieux  et  trop  malade  ;  mais  il  vous  consacre  avec  joie 
le  peu  de  temps  qui  lui  reste  à  vivre.  J'admirais  Pierre  l"  eu 
bien  des  choses,  et  vous  me  l'avez  fait  aimer.  Le  bien  que  vous 
faites  aux  lettres  dans  votre  patrie  me  la  rend  chère.  Quelqu'un 
a  fait  le  Russe  à  Paris^  ;  je  me  regarde  comme  un  Français  en 
Russie.  Disposez  d'un  homme  qui  sera,  tant  qu'il  respirera,  avec 
l'attachement  le  plus  vrai,  et  les  sentiments  les  plus  remplis  de 
respect  et  d'estime,  etc. 

4565,   —  A  M.  ARNOULT, 


J'ai  fait  usage  sur-le-champ,  monsieur,  de  vos  bons  avis  et  de 
votre  modèle  de  sommation  auprès  du  pauvre  promoteur  sa- 
voyard, et  du  malin  procureur  du  roi  de  la  caverne  de  Gex.  Je 
n'ai  pu  parler  de  ma  nef,  qui,  n'étant  point  encore  abattue  quand 
je  vous  envoyai  mes  paperasses,  rendait  mon  église  très-idoine 
à  dire  et  entendre  messe;  car,  selon  Ducasse-  et  selon  le  droit 
ecclésiastique,  on  peut  dire  messe  quand  la  majeure  partie  de 
l'église  n'est  point  entamée  ;  mais  ayant  depuis  lait  jeter  la  nef 
par  terre  avec  partie  du  chœur,  et  ayant  rebùti  à  mesure,  il  n'y 
avait  plus  moyen  de  se  |)Iaindre  qu'on  allût  célébrer  ailleurs.  Je 
ne  prétends  point  toucher  à  l'encensoir;  mais  (juand  j'aniai 
achevé  mon  église,  ce  sera  à  l'évéque  d'Annecy  à  voir  s'il  la  vciil 
rebénir  ou  non,  et  m'excommunier  comme  je  le  mérite,  ])Our 
m'élre  ruiné  à  faire  des  pilastres  d'une  pierre  aussi  chère  et 
aussi  belle  (juc  le  marbre.  Je  suis  le  martyr  de  mon  zèle  et  de 
nia  piété  :  une  bonne  àme  trouve  ses  consolations  dans  sa  con- 
science. 


1.  Voyez  code  satire,  toirn;  X. 

2.  Voyez  lettre  4563. 


3U  CORRESPONDANCE. 

En  qiKilité  de  possesseur  de  terres  et  de  Mtisscur  d'églises, 
j'ai  des  procès  sacrés  et  profanes  ;  les  prêtres  et  les  huguenots 
sont  conjurés  contre  moi.  Un  Mallet  vous  a  consulté,  monsieur, 
pour  avoir  un  chemin  à  travers  mes  jardins  ;  je  vous  supplie  de 
ne  point  aider  ce  mécréant  contre  moi,  et  d'être  l'avocat  des 
fidèles.  Je  me  fais  votre  client,  et  je  crois  que  je  vais  finir  ma 
vie  comme  M.  Chicaneau,  à  cela  près  que  je  voudrais  me  loger 
auprès  de  mon  avocat  S  comme  il  se  logeait  près  de  son  juge; 
et  que  je  n'en  peux  venir  à  hout,  étant  obligé  de  faire  ici  mon 
métier  de  maçon  et  de  laboureur,  qui  va  devant  celui  de  plai- 
deur. 

J'ai  l'honneur  d'être,  etc. 

4566.  —  A  M.  LE   PRÉSIDENT    DE    RUFFEY. 

Ferney,  9  juin. 

Quoique  je  sente  parfaitement,  mon  cher  président,  que  ce 
n'est  qu'à  vous  que  je  dois  l'honneur  d'être  Bourguignon,  cepen- 
dant je  crois  de  mon  devoir  de  remercier  l'Académie,  et  encore 
plus  de  mon  devoir  de  faire  passer  le  remerciement  par  vos 
mains.  Vous  avez,  je  crois,  un  confrère  infiniment  aimable,  c'est 
M.  de  Quintin^  :  non-seulement  il  m'écrit  des  lettres  charmantes, 
mais  je  lui  ai  obligation.  Il  mérite  bien  mes  remerciements  au- 
tant que  l'Académie.  Vous  voilà  chargé  de  ma  reconnaissance, 
j'en  aurai  bien  davantage  si  vous  venez  dans  mes  cabanes;  M.  de 
La  Marche  me  le  fait  espérer.  Je  suis  bien  malingre,  mais  je 
tâcherai  de  vivre  jusqu'au  mois  de  septembre  pour  vous  rece- 
voir; vous  savez  peut-être  que  j'ai  des  procès  pour  le  sacré  et 
pour  le  profane ^  Puisque  je  suis  en  train  de  m'adresser  à  vos 

1.  C'était  près  de  son  juge  que  Chicaneau  s'était  venu  loger;  voyez  les  Plai- 
deurs, acte  I,  scène  v. 

2.  Louis  Quarré  de  Quintin,  nommé  procureur  général  au  parlement  de  Bour- 
gogne en  survivance  de  son  père,  le  18  avril  17'2i,  l'un  des  directeurs  de  l'Aca- 
démie de  Dijon  le  31  juillet  '1762,  procureur  général  démissionnaire  en  1765, 
mort  à  Dijon  le  4  juillet  1768.  C'est  un  des  correspondants  auxquels  le  président 
de  Brosses  adressa  ses  Lettres  sur  l'Italie.  Girault,  dans  une  note  répétée  par 
Beuchot,  confond  ce  magistrat  avec  François  Quarré  de  Quintin  son  père,  reçu 
avocat  général  le  2  janvier  1698,  et  procureur  général  le  18  mars  1709.  (Th.  F.) 

3.  Le  procès  pour  le  sacré  avait  trait  aux  irrégularités  canoniques  repro- 
chées à  Voltaire  à  l'occasion  de  la  reconstruction  d'une  église  à  Ferney.  Celui 
pour  le  profane  était  tout  à  fait  étranger  au  président  de  Brosses,  quoi  qu'en  ait 
dit  Girault,  copié  à  tort  ici  par  Beuchot.  Il  était  relatif  à  un  droit  de  passage 
prétendu  par  un  sieur  Mallet  à  travers  les  jardins  de  Voltaire  à  Ferney.  (Th.  F.)  — 
Voir  sur  ces  deux  points  la  lettre  de  Voltaire  à  l'avocat  Arnoult  du  9  juin  1761. 


ANNÉE    ^TGI.  315 

bontés,  souffrez  encore  que  je  mette  dans  ce  paquet  une  lettre 
pour  mon  avocat,  M.  Arnoult*,  qui  me  paraît  homme  d'esprit. 
Mille  pardons,  et  mille  remerciements.  V. 


4567.  —  A    CIIARLES-TIIKODOUE, 

ÉLECTECR     PALATIX. 


A  Ferney,  le  9  juin. 

Est-ce  une  fille,  est-ce  un  i^^argon?? 
Je  n'en  sais  rien  ;  la  Providence 
Ne  dit  point  son  secret  d'avance, 
Et  ne  nous  rend  jamais  raison. 

Grands,  petits,  riches,  gueux,  fous,  sages, 
Tous  aveugles  dans  leurs  efforts. 
Tous  à  tâtons  font  des  ouvrages 
Dont  ils  ignorent  les  ressorts. 

C'est  bien  là  que  l'homme  est  machine; 
Mais  le  machiniste  est  là-haut. 
Qui  fait  tout  de  sa  main  divine 
Comme  il  lui  plaît,  et  comme  il  faut. 

Je  bénis  ses  dons  invisibles, 
Car  vous  savez  que  tout  est  bien. 
On  ne  peut  se  plaindre  de  rien 
Au  meilleur  des  mondes  possibles. 

S'il  vous  donne  un  prince,  tant  mieux 
Pour  tout  l'État  et  pour  son  père; 
Et  s'il  a  votre  caractère, 
C'est  le  plus  beau  présent  dos  cieux. 

Si  d'une  fille  il  vous  régale. 
Tant  mieux  encor  ;  c'est  un  bonheur  : 
En  grâce,  en  beautés,  en  douceur, 
Je  la  vois  à  sa  mère  égale. 

0  couple  auguste  !  heureux  époux  t 
L'esprit  prophétique  m'enq)orlo  : 
Fille  ou  garçon,  il  no  m'importe, 
L'enfant  sera  digne  do  vous. 

1.  C'oM  la  IntUc  4"»rM. 

("était  un  (garçon,  qui  ne  vécut  que  quelques  instants  ;  voyez  les  lettres  iOOO 
1 


et  4611 


346  CORRESPONDANCE. 

Monseigneur,  il  m'importe  cependant;  et  je  partirais  en  poste 
pour  savoir  ce  qui  en  est  si  cette  Providence,  qui  lait  tout  pour 
le  mieux,  ne  me  traitait  pas  misérablement.  Elle  maltraite  fort 
votre  petit  vieillard  suisse,  et  m'a  fait  l'individu  le  plus  ratatiné 
et  le  plus  souffrant  de  ce  meilleur  des  mondes.  Je  ferais  vraiment 
une  belle  figure  au  milieu  des  fêtes  de  Vos  Altesses  électorales! 
Ce  n'était  que  dans  l'ancienne  Egypte  qu'on  plaçait  des  sque- 
lettes dans  les  festins.  Monseigneur,  je  n'en  peux  plus.  Je  ris 
encore  quelquefois;  mais  j'avoue  que  la  douleur  est  un  mal.  Je 
suis  consolé  si  Votre  Altesse  électorale  est  heureuse.  Je  suis  plus 
fait  pour  les  extrêmes-onctions  que  pour  les  baptêmes. 

Puisse  la  paix  servir  d'époque  à  la  naissance  du  prince  que 
j'attends!  Puisse  son  auguste  père  conserver  ses  bontés  au 
malingre,  et  agréer  les  tendres  et  profonds  respects  du  petit 
Suisse  !  etc. 

45G8.    —   A   M.    JEAN    SCIIOUVALOW". 

A  Fernej',  11  juin. 

Monsieur,  vous  vous  êtes  imposé  vous-même  le  fardeau  de 
l'importunité  que  mes  lettres,  peut-être  trop  fréquentes,  doivent 
vous  faire  éprouver:  voilà  ce  que  c'est  que  de  m'avoir  inspiré  de 
la  passion  pour  Pierre  le  Grand  et  pour  vous  :  les  passions  sont 
un  peu  babillardes. 

Votre  Excellence  a  dû  recevoir  plusieurs  cahiers  qui  ne  sont 
que  de  très-faibles  esquisses  ;  j'attendrai  que  vous  fassiez  mettre 
en  marge  quelques  mots  qui  me  serviront  à  faire  un  vrai  tableau; 
ils  ont  été  écrits  à  la  hâte.  Vous  distinguerez  aisément  les  fautes 
du  copiste  et  celles  de  l'auteur,  et  tout  sera  ensuite  exactement 
rectifié  :  j'ai  voulu  seulement  pressentir  votre  goût. 

Dès  que  j'ai  pu  avoir  un  moment  de  loisir,  j'ai  lu  les  re- 
marques- sur  le  premier  tome,  envoyées  par  duplicata,  des- 
quelles je  n'ai  reçu  qu'un  seul  exemplaire,  l'autre  ayant  été 
perdu,  apparemment  avec  les  autres  papiers  confiés  à  M.  Pou- 
schkin. 

Je  vous  prierai  en  général,  vous,  monsieur,  et  ceux  qui  ont 
fait  ces  remarques,  de  vouloir  bien  considérer  que  votre  secré- 
taire des  Délices  écrit  pour  les  peuples  du  Midi,  qui  ne  pro- 
noncent point  les  noms  propres  comme  les  peuples  du  Nord. 

1.  Nous  avons  cité  cette  lettre  tome  XVI,  pages  391  et  419. 

2.  Elles  étaient  de  J.-F.  Muller,  à  qui  est  adressée  la  lettre  1834  (tome  XXXVI, 
page  456. 


ANNÉE    1761.  3t7 

J'ai  déjà  eu  l'honneiir  de  remarquer  avec  vous'  qu'il  n'y  cul 
jamais  de  roi  de  Perse  appelé  Darius,  ni  de  roi  des  Indes  appelé 
Porus;  que  l'Euphrate,  le  Tigre,  l'Inde,  elle  Gange,  ne  furent 
jamais  nommés  ainsi  parles  nationaux,  et  que  les  Grecs  ont  tout 
grécisé. 

Graiis  dédit  ore  rotundo 

Musa   loqui 

(HoK.,  de  Art.  poct.,  .3-23-24.) 

Pierre  le  Grand  ne  s'appelle  point  Pierre  chez  vous;  permettez 
cependant  que  l'on  continue  à  l'appeler  Pierre;  à  nommer  Mos- 
cow,  Moscou  ;  et  la  Moskowa,  la  Moska,  etc. 

J'ai  dit  que  les  caravanes  pourraient,  en  prenant  un  détour 
par  la  Tartarie  indépendante,  rencontrer  à  peine  une  montagne 
de  Pétersbourg  à  Pékin,  et  cela  est  très-vrai  :  en  passant  par  les 
terres  des  Éluths,  par  les  déserts  des  Kalmouks-Kotkos,  et  par  le 
pays  des  Tartares  de  Kokonor,  il  y  a  des  montagnes  à  droite  et 
à  gauche;  mais  on  pourrait  certainement  aller  à  la  Chine  sans 
en  franchir  presque  aucune;  de  môme  qu'on  pourrait  aller  par 
terre,  et  très-aisément,  de  Pétersbourg  au  fond  de  la  France, 
presque  toujours  par  des  plaines.  C'est  une  observation  physique 
assez  importante,  et  qui  sert  de  réponse  au  système,  aussi  faux 
que  célèbre,  que  le  courant  des  mers  a  produit  les  montagnes 
qui  couvrent  la  terre.  Ayez  la  bonté  de  remarquer,  monsieur, 
que  je  ne  dis  pas  qu'on  ne  trouve  point  de  montagnes  de  Péters- 
bourg à  la  Chine  ;  mais  je  dis  qu'on  pourrait  les  éviter  en  pre- 
nant des  détours. 

Je  ne  conçois  pas  comment  on  peut  me  dire  quon  ne  connaît 
point  la  Hussie  noire.  Qu'on  ouvre  seulement  le  dictionnaire  de 
La  Martinière  au  mot  Russie,  et  presque  tous  les  géographes,  on 
trouvera  ces  mots  :  Russie  noire,  entre  la  Volhinie  et  la  Podolic,  etc. 

Je  suis  encore  très-étonné  qu'on  me  dise  que  la  ville  que  vous 
appelez  kiow  ou  Kioff  ne  s'appelait  point  autrefois  kiovio,  La 
Martinière  est  do  mon  avis  :  et  si  on  a  détruit  les  inscriptions 
grecques,  cela  n'enq)êclie  pas  qu'elles  n'aient  existé. 

J'ignore  si  celui  qui  transcrivit  les  mémoires  à  moi  envoyés 
par  vous,  monsieur,  est  un  Allemand  :  il  écrit  JwanWassiliewitscii, 
et  moi  j'écris  Ivan  Basilovilz  ;  cela  donne  lieu  à  ({uelques  mé- 
prises dans  les  remanjues. 

Il  y  en  a  une  bien  étrange  à  propos  du  quartier  de  Moscou 

1.  Si  c'est  daus  une  IcUro,  cllo  imraU  pcrdui.'.  (15.) 


318  CORRESPONDANCE. 

appelé  la  Ville  chinoise.  L'observateur  dit  que  «  ce  quartier  por- 
tait ce  nom  avant  qu'on  eût  la  moindre  connaissance  des  Chinois 
et  de  leurs  marchandises  ».  J'en  appelle  à  Votre  Excellence  : 
comment  peut-on  appeler  quelque  chose  chinois,  sans  savoir  que 
la  Chine  existe?  Dirait-on  la  valeur  russe,  s'il  n'y  avait  pas  une 
Russie  ? 

Est-il  possible  qu'on  ait  pu  faire  de  telles  observations?  Je 
serais  bien  heureux,  monsieur,  si  vos  importantes  occupations 
vous  avaient  permis  de  jeter  les  yeux  sur  ces  manuscrits  que 
vous  daignez  me  faire  parvenir.  L'écrivain  prodigue  les  5,  c,  k,  h, 
allemands.  La  rivière  que  nous  appelons  Ycronise,  nom  très-doux 
i\  prononcer,  est  appelée,  dans  les  mémoires,  Woronestch;  et, 
dans  les  observations,  on  me  dit  que  vous  prononcez  Voronége  : 
comment  voulez-vous  que  je  me  reconnaisse  au  milieu  de  toutes 
ces  contrariétés?  J'écris  en  français;  ne  dois-je  pas  me  conformer 
à  la  douceur  de  la  prononciation  française? 

Pourquoi,  lorsqu'en  suivant  exactement  vos  mémoires,  ayant 
distingué  les  serfs  des  évêques  et  les  serfs  des  couvents,  et  ayant 
mis  pour  les  serfs  des  couvents  le  nombre  de  721,500,  ne  daigne- 
t-on  pas  s'apercevoir  qu'on  a  oublié  un  zéro  en  répétant  ce 
nombre  à  la  page  59 1,  et  que  cette  erreur  vient  uniquement  du 
libraire,  qui  a  mal  mis  le  chiffre  en  toutes  lettres  ? 

Pourquoi  s'obstine-t-on  à  renouveler  la  fable  honteuse  et 
barbare  du  czar  Ivan  Basilovitz,  qui  voulut  faire,  dit-on,  clouer 
le  chapeau  d'un  prétendu  ambassadeur  d'Angleterre,  nommé 
Bèze,  sur  la  tête  de  ce  pauvre  ambassadeur?  Par  quelle  rage  ce 
czar  voulait-il  que  les  ambassadeurs  orientaux  lui  parlassent 
nu-tête?  L'observateur  ignore- t-il  que,  dans  tout  l'Orient,  c'est 
un  manque  de  respect  que  de  se  découvrir  la  tête?  Interrogez, 
monsieur,  le  ministre  d'Angleterre,  et  il  vous  certifiera  qu'il  n'y 
a  jamais  eu  de  Bèze  ambassadeur  ;  le  premier  ambassadeur  fut 
M.  de  Carhsle. 

Pourquoi  me  dit-on  qu'au  vi*  siècle  on  écrivait  à  Kiovie  sur 
du  papier,  lequel  n'a  été  inventé  qu'au  xii^  siècle^  ? 

L'observation  la  plus  juste  que  j'aie  trouvée  est  celle  qui  con- 
cerne le  patriarche  Photius.  Il  est  certain  que  Photius  était  mort 
longtemps  avant  la  princesse  Olha  ;  on  devait  écrire  Polyeucte 
au  lieu  de  Photius  :  Polyeucte  était  patriarche  de  Constautinople 


1.  La  faute  est  corrigée  depuis  longtemps;  voyez  la  note,  tome  XVI,  page  419. 

2.  On  croit  que  le  papier  de  linge  est  du  xii«  siècle,  et  le  papier  de  coton  du 
neuvième.  (B.) 


ANNEE    1761.  319 

au  temps  de  la  princesse  Ollia.  C'est  une  erreur  de  copiste  que 
j'aurais  dû  corriger  en  relisant  les  feuilles  imprimées' :  je  suis 
coupable  de  cette  inadvertance,  que  tout  homme  qui  sera  de 
bonne  foi  rectifiera  aisément. 

Est-il  possible,  monsieur,  qu'on  me  dise,  dans  les  observa- 
tions, que  le  patriarchat  dc,Constantinople  était  le  plus  ancien  ? 
C'était  celui  d'Alexandrie;  et  il  y  avait  eu  vingt  évéques  de  Jéru- 
salem avant  qu'il  y  en  eût  un  à  Byzance. 

Il  importe  bien  vraiment  qu'un  médecin  hollandais  se  nomme 
Vangad  ou  Vangardt!  Vos  mémoires,  monsieur,  l'appellent  Vangad, 
et  votre  observateur  me  reproche  de  n'avoir  pas  bien  épelé  le 
nom  de  ce  grand  personnage.  Il  semble  qu'on  ait  cherché  à  me 
mortifier,  à  me  dégoûter,  et  à  trouver,  dans  l'ouvrage  fait  sous 
vos  auspices,  des  fautes  qui  n'y  sont  pas. 

J'ai  reçu  aussi,  monsieur,  un  mémoire  intitulé  Abrégé  des 
recherches  de  l'antiquité  des  Russes,  tire  de  l'Histoire  étendue  à  la- 
quelle on  travaille. 

On  commence  par  dire,  dans  cet  étrange  mémoire,  «  que 
l'antiquité  des  Slaves  s'étend  jusqu'à  la  guerre  de  Troie,  et  que 
leur  roi  Polimène  alla  avec  Anténor  au  bout  de  la  mer  Adria- 
tique, etc.  »  C'est  ainsi  que  nous  écrivions  l'histoire  il  y  a  mille 
ans;  c'est  ainsi  qu'on  nous  faisait  descendre  de  Francus  par 
Hector,  et  c'est  apparemment  pour  cela  qu'on  veut  s'élever  contre 
ma  préfaces  dans  hKjueile  je  remarque  ce  qu'on  doit  penser  de 
ces  misérables  fables,  \oiis  avez,  monsieur,  trop  de  goût,  trop 
d'esprit,  trop  de  lumières,  pour  soulTrir  qu'on  étale  un  tel  ridi- 
cule dans  un  siècle  aussi  éclairé. 

Je  soupçonne'  le  même  Allemand  d'être  l'auteur  de  ce  mé- 
moire, car  je  vois  Juanovitz,  Basilovitz,  orthographiés  ainsi  :  Wa- 
novitsch,  Wassiliewitsch.  Je  souhaite  à  cet  homme  plus  d'esprit 
et  moins  de  consonnes. 

Croyez-moi,  monsieur,  tenez-vous-en  à  Pierre  le  (jrand  ;  je 
vous  al)andonne  nos  Chilpéric,  Childéric,  Sigebert,  Caribert,  et 
je  m'en  tiens  à  Louis  \1V. 

Si  Votre  Excellence  pense  comme  moi,  je  la  supplie  de  m'en 
instruire.  J'attends  l'honneur  de  votre  réponse,  avec  le  zèle  et 
l'envie  de  vous  plaire  (juc  vous  me  couiuiissez  ;  et  je  croirai  tou- 
jours avoir  très-bien  employé  mon  temps,  si  je  vous  ai  convaincu 


1.  Le  passage  a  été  changé;  voyez  loine  \V1,  page  iîJJ. 

2.  Voyez  tome  XVI,  page  :i82.  ' 

3.  Les  soupçons  étaient  justes. 


320  CORRESPONDANCE. 

des  sontimoiits  pleins  de  vénération  et  d'attachement  avec  les- 
quels je  serai  toute  ma  vie,  monsieur,  de  Votre  Excellence,  etc. 

4560.  —   A  M.    FABRY  K 

Fcrney,  14  juin. 

Monsieur,  il  y  a  plusieurs  articles  sur  lesquels  il  faut  que 
j'aie  l'honneur  de  vous  écrire.  Premièrement,  je  dois  vous  re- 
nouveler mes  remerciements.  Je  crois  que  vous  savez  combien 
on  a  été  indigné  à  Dijon  de  la  malhonnêteté  et  de  l'insolence 
absurde  avec  laquelle  on  s'est  conduit  au  sujet  de  l'église  de 
Ferney;  j'ai  bien  voulu  continuer  à  la  faire  bâtir,  quoique  je 
dusse  attendre  qu'on  eût  eu  avec  moi  les  procédés  qu'on  me 
devait. 

Il  serait  à  souhaiter  que  M.  de  Villeneuve  voulût  bien  venir 
à  Ferney  au  mois  de  septembre  ou  d'octobre.  Il  y  trouverait 
M.  de  Montigny,  le  commissaire  du  roi  pour  les  sels,  et  on 
pourrait,  je  crois,  finir  alors  l'affaire  du  baron  Sédillot.  Nous 
aurons  dans  ce  temps  M.  le  premier  président  de  La  Marche, 
qui  n'aime  point  du  tout  les  friponneries  des  regrattiers  :  il 
est  fort  lié  avec  monsieur  l'intendant,  et  il  l'encouragerait  à 
terminer. 

Je  vous  propose  actuellement,  monsieur,  de  sauver  les  tètes, 
les  bras  et  les  jambes  à  une  centaine  de. personnes.  On  bâtit  ac- 
tuellement un  théâtre  à  Châtelaine  ;  il  a  la  réputation  de  n'être 
point  du  tout  solide.  Les  curieux  qui  l'ont  été  voir  disent  que  les 
poutres  ont  déjà  fléchi,  et  sont  sorties  de  leurs  mortaises.  On  ne 
veut  point  aller  à  ce  spectacle,  à  moins  que  vous  n'ayez  la 
bonté  d'envoyer  deux  charpentiers  experts  pour  visiter  la  salle 
et  faire  le  rapport.  Si  vous  vouliez  m'envoyer  un  ordre  pour 
Jacques  Gaudet,  charpentier  de  Moëns,  et  pour  François-Louis 
Landry,  qui  travaillent  tous  deux  chez  moi  à  Ferney,  j'irais  avec 
eux,  et  je  vous  enverrais  leur  rapport  signé  d'eux. 

Je  vous  recommande,  monsieur,  les  bras  et  les  jambes  de 
ceux  qui  aiment  la  comédie  ;  pour  mon  cœur,  il  est  à  vous,  et 
je  serai  toute  ma  vie,  monsieur,  votre  très-humble  et  très-obéis- 
sant serviteur. 

1.  Éditeurs,  Bavoux  et  François. 


ANNÉE    1761.  321 


4570.  —   A  M.  ARNOULT, 

A     DIJON. 

A  Fcrney,  le  lo  juin. 

J'eus  l'honneur,  monsieur,  de  vous  mander,  il  y  a  quelques 
jours*,  que  j'avais  fait  ce  que  vous  m'aviez  prescrit  pour  arrêter 
le  cours  des  procédures  odieuses  et  téméraires  qu'on  faisait  au 
sujet  de  l'église  que  je  fais  bâtir  à  Dieu.  J'ai  découvert  depuis 
qu'il  y  a  une  ordonnance  du  roi,  de  1627,  qui  défend,  à  l'ar- 
ticle XIV,  à  tout  curé  d'être  promoteur  ou  officiai. 

Or,  monsieur,  l'official  et  le  promoteur  qui  ont  fait  les  procé- 
dures ridicules  dont  je  me  plains  sont  tous  deux  curés  dans  le 
pays.  Je  crois  être  en  droit  d'exiger  qu'ils  soient  condamnés  soli- 
dairement à  me  rembourser  tous  les  dommages,  etc.,  qu'ils 
m'ont  causés  en  elTarouchant  et  dispersant  tous  mes  ouvriers 
par  leur  descente  illégale,  etc. 

La  justice  séculière  a  discontinué  ses  procédures  absurdes; 
mais  la  prétendue  justice  cléricale  a  continué  les  siennes. 

Non  missura  cutein,  nisi  plena  cruoris,  liirudo. 

aïoK.,  de  An  poil.,  V.  476.) 

Elle  a  encore  interrogé  mes  vassaux  séculiers  et  mes  ou- 
vriers, malgré  la  signification  que  j'ai  faite  suivant  votre  déli- 
béré. Ces  démarches,  illégales  et  insolentes  autant  qu'insolites, 
rebutent  ceux  qui  travaillent  pour  moi. 

Votre  nouveau  client  vous  importunera  souvent,  monsieur. 
Le  sieur  Dccroze  est  aussi  le  vôtre  dans  son  aifaire  contre  le 
curé  Aucian*,  au  sujet  de  l'assassinat  de  son  fils.  II  est  certain 
que  ce  malheureux  a  été  amoureux  de  la  dame  Burdet,  bour- 
geoise de  Magny,  et  de  très-bonne  famille,  qu'il  n'a  jamais  ap- 
pelée que  la  prusliluée.  Il  est  prouvé  d'ailleurs  que  cet  abomi- 
nable prêtre  a  passé  sa  vie  à  donner  et  à  recevoir  des  coups  de 
bâton.  Vous  avez  les  pièces  entre  les  mains  :  je  vous  demande  en 
grâce  de  i)resser  cette  affaire;  j'aurai  très-soin  (jue  vous  ne  per- 
diez, pas  vos  peines.  Vous  me  paraissez  l'ennemi  des  usurpations 
et  des  violences  ecclésiastiques;  vous  signalerez  également  votre 
équité,  votre  savoir,  et  votre  élofjuence. 

Je  vous  soumets  cette  pancarte  :  vous  y  veirez,    monsieur, 

1.  Lo  !t  juin;  voyez  Icltre  i'.A)'.>. 

2.  Voyez  Ioiik;  .\X1V,  page  Kil. 

•il.  —  (lonnKsi'ONnANCK.  I  \.  2! 


322  CORRESPONDANCE. 

que  l'on  nie  poursuit  avec  l'inp^ralilude  la  pins  furieuse,  tandis 
que  je  me  ruine  à  faire  du  bien.  Il  me  paraît  que  c'est  là  le  cas 
d'un  appel  comme  d'abus.  La  loi  qui  défend  aux  curés  d'exercer 
le  ministère  d'official  et  de  promoteur  doit  exister  :  car  il  n'est 
pas  naturel  que  le  juge  des  curés  soit  curé  lui-même  ;  celte  loi 
ne  serait  pas  rapportée  dans  un  livre  qui  sert  de  code  aux  prê- 
tres, si  elle  n'avait  pas  été  portée,  et  si  elle  n'était  pas  en  vigueur. 
Elle  est  fondée  sur  les  mêmes  raisons  qui  ne  soufl'rent  pas  qu'un 
officiai  et  un  promoteur  soient  pénitenciers. 

De  tout  mon  cœur,  monsieur,  et  sans  compliment,  votre,  etc. 


4571.  —  A    M.   LE   COMTE    D'ARGENTAL. 

l.^juin. 

Divins  anges,  ne  m'avez-vous  pas  pris  pour  un  hâbleur  qui 
vous  faisait  un  portrait  exagéré  de  ses  fardeaux  et  tribulations? 
Je  ne  vous  en  ai  pas  dit  la  moitié  ;  voici  le  comble.  J'abandonne 
ma  tragédie*;  le  cinquième  acte  ne  pouvait  être  décliirant,  et, 
sans  grand  cinquième  acte,  point  de  salut.  J'ai  tourné  et  retourné 
le  tout  dans  ma  chétive  tête;  froid  cinquième  acte,  vous  dis-je. 
Vous  médirez  que  ce  sont  mes  procès  qui  m'appauvrissent  l'ima- 
gination :  au  contraire,  ils  me  mettent  en  colère,  et  cela  excite  ; 
mais  mon  cinquième  acte  n'en  est  pas  moins  insipide.  Je  ne  sais 
plus  comment  m'y  prendre  pour  trouver  des  sujets  nouveaux  : 
j'ai  été  en  Amérique  et  à  la  Chine  ;  il  ne  me  reste  que  d'aller 
dans  la  lune.  J'en  suis  malade  ;  me  voilà  comme  une  femme  qui 
a  fait  une  fausse  couche.  Est-il  vrai  qu'on  a  représenté  Athalie 
avec  magnificence  2,  et  que  le  public  s'est  enfin  aperçu  que  Joad 
avait  tort,  et  qu'Athalie  avait  raison  ? 

Protégez-vous  la  petite  Durancy?  protégez-vous  Crispin-Hur- 
taud'?  Mais  est-il  bien  vrai  qu'on  ne  prendra  point  Bellc-Isle? 
N'allez  pas  me  laisser  là,  s'il  vous  plaît,  si  je  ne  trouve  pas  un 
beau  sujet  ;  il  ne  faut  pas  chasser  un  vieux  serviteur,  parce  qu'il 
n'est  plus  bon  à  rien  ;  il  faut  le  plaindre  et  l'encourager. 


1.  Zulhne,  Médime  ou  Fanime  sont  trois  titres  différents  donnés  à  la  même 
pièce;  elle  n'a  été  imprimée  que  sous  le  titre  de  Zulime;  voyez  tome  IV. 

2.  Le  4  mai  1761,  on  avait  joué  Athalie,  et  les  comédiens  avaient  fait  de 
grandes  dépenses;  mais  l'affluence  et  l'empressement  du  public  ne  répondirent 
pas  à  leurs  espérances.  (B.) 

3.  Nom  sous  lequel  Voltaire  donnait  le  Droit  du  Seigneur. 


ANNÉE    17(1.  323 

Avez- VOUS  les  Trois  SuUanes^?  On  dit  que  cela  est  charmant; 
point  d'intrigue,  mais  beaucoup  d'esprit  et  de  gaieté. 

Enûn,  mes  chers  anges,  vous  avez  donc  fait  grAce  au  Droit 
du  Seigneur;  vous  avez  comblé  de  joie  M'"'  Denis  :  elle  était  folle 
de  cette  bagatelle.  Je  ne  sais  si  Thieriot  sera  bien  adroit,  ni 
comment  il  s'y  prend. 

Mille  tendres  respects. 

ir,rl.  —A    M.    L'ABBK    D'OLIVKT. 

A  Ferney,  15  juin  *. 

Mon  cher  maître,  j'avais  prié  frère  Cramer  de  vous  demander 
vos  conseils  sur  cette  édition  de  Pierre  Corneille,  qui  ne  me  don- 
nera que  bien  de  la  peine,  mais  qui  pourra  être  utile  aux  jeunes 
gens,  et  surtout  au  petit-neveu  et  à  la  petite-nièce,  qui  ne  la 
liront  point  :  du  moins  M"^'  Corneille  ne  la  lira  de  longtemps. 
Son  petit  nez  retroussé  n'est  pas  tourné  au  tragique.  Il  me  fau- 
dra pour  le  moins  encore  un  an  avant  que  je  la  mette  au  Cid,  et 
je  lui  en  donne  deux  pour  Héraclius. 

Je  vois  avec  douleur,  mon  cher  maître,  que  le  secrétaire  per- 
pétuel n'a  pas  eu  pour  vous  toutes  les  attentions  qu'on  vous  doit. 
Mais  je  crois  que  vous  n'en  adoptez  pas  moins  un  projet  que 
vous  avez  eu  il  y  a  longtemps,  et  que  vous  m'avez  inspiré.  Je 
n'attends  que  la  réponse  à  ma  lettre,  que  M.  de  Nivernais  a  com- 
muniquée à  l'Académie,  pour  entreprendre  cet  ouvrage.  II  sera 
la  consolation  de  ma  vieillesse.  Je  m'instruirai  moi-même  en 
clierclianl  à  instruire  les  autres.  J'aurai  le  bonheur  d'être  utile  à 
une  famille  respectable  ;  je  ne  peux  mieux  prendre  congé.  Ayez 
donc  la  bonté  de  me  guider.  Conseillez,  pressez  ces  éditions  de 
nos  auteurs  classiques. 

Un  iml)écilequi  avait  autrefois  le  département  de  la  librairie 
fit  faire  par  un  malheureux  La  Serre  les  préfaces  des  pièces  de 
Molière'*.  Il  faut  effacer  cette  honte. 

Au  reste,  mon  cher  sous-doyen,  vivons  ;  vous  avez  d(''jà  vécu 
environ  (jiiinzeans  de  plus  cpie  Cicéron,  et  moi  i)liis  que  Lamotfe. 


1.  SoUnuin  II,  ou  les  Trois  Sultanes,  coinodio  de  Favart,  jnu'C  sur  le  Tlicilro 
Italien  le  0  avril  ITtil. 

'2.  C'est  à  tort  que  nos  prédécesseurs  ont  classé  cette  lettre  à  l'unnce  17G2: 
elle  est  de  1761.  (G.  A.) 

3.  Diiclos. 

4.  Voyez,  tome  XXIII,  page  87. 


324  CORRESPONDANCE. 

Aclicvoiis  à  la  Fontcnelle.  C'est  la  seule  chose  que  je  vous  con- 
seille d'imiter  do  lui. 

457:1.   —  A  M.   L'ABBÉ   AUBERT, 

Ql'I  LUI  AVAIT  ADRESSÉ  LA  SECONDE  ÉDITION  DE  SES  FABLES. 

Au  château  de  Ferncy,  15  juin. 

Vous  VOUS  êtes  mis,  monsieur,  à  côté  de  La  Fontajne,  et  je  ne 
sais  s'il  a  jamais  écrit  une  meilleure  lettre  en  vers  que  celle  dont 
vous  m'honorez.  Tous  les  lecteurs  vous  sauront  gré  de  vos  fahles, 
et  j'ai  par-dessus  eux  une  obligation  personnelle  envers  vous. 
Je  dois  joindre  la  reconnaissance  à  l'estime,  et  je  vous  assure 
que  je  remplis  bien  ces  deux  devoirs.  Il  y  en  a  un  troisième  dont 
je  devrais  m'acquitter,  ce  serait  de  répondre  en  vers  à  vos  vers 
cliarmants;  mais  vous  me  prenez  trop  à  votre  avantage.  Vous 
êtes  jeune,  vous  vous  portez  bien  ;  je  suis  vieux  et  malade.  Mon 
malheur  veut  encore  que  je  sois  surchargé  d'occupations  qui 
sont  bien  opposées  aux  charmes  de  la  poésie.  Je  peux  encore 
sentir  tout  ce  que  vous  valez  ;  mais  je  ne  peux  vous  payer  en 
même  monnaie.  Faites-moi  donc  grâce,  en  me  rendant  la  justice 
d'être  bien  persuadé  que  personne  ne  vous  en  rend  plus  que 
moi.  J'ai  honte  de  vous  témoigner  si  faiblement,  monsieur,  les 
sentiments  véritables  avec  lesquelsj'ai  l'honneur  d'être,  votre,  etc. 

4574.  —  A  M.   DAMILAVILLE. 

15  juin. 

Il  ne  faut  pas  rire  ;  rien  n'est  plus  certain  que  c'est  un  homme 
de  l'Académie  de  Dijon ^  qui  a  fait  cette  drôlerie-.  Il  est  fort 
connu  de  M™'  Denis;  et  cette  M""  Denis,  quoique  fort  douce, 
mangerait  les  yeux  de  quiconque  voudrait  supprimer  la  tirade 
des  romans,  surtout  dans  un  second  acte'. 

J'ai  trouvé,  moi  qui  suis  très-pudibond,  que  les  jeunes  demoi- 
selles que  leurs  prudentes  mères  mènent  à  la  Comédie  pourraient 
rougir  d'entendre  un  bailli  qui  interroge  Colette,  et  qui  lui 
demande  si  elle  est  grosse.  Je  prierai  mon  Dijonnais  d'adoucir 
l'interrogatoire. 

Je  remercie  infiniment  M.  Diderot  de  m'envoyer  un  bailli  qui 


1.  Voltaire  y  avait  été  élu  le  3  avril  1761. 

2.  11  s'agit  toujours  du  Droit  du  Seignciu- 

3.  Voyez  tome  VI,  page  28. 


ANNÉE   i761.  325 

sans  doute  vaudra  mieux  que  celui  de  la  pièce.  Je  crois  qu'il 
faut  qu'il  soit  avocat,  ou  du  moins  qu'il  soit  en  état  d'être  reçu 
au  parlement  de  Dijon  ;  en  ce  cas,  je  l'adresserais  à  mon  con- 
seiller, qui  me  doit  au  moins  le  service  de  protéger  mon  bailli. 
Sûrement  un  homme  envoyé  par  M.  Diderot  est  un  philosophe 
et  un  homme  aimable.  Il  pourrait  aisément  être  juge  de  sept  ou 
huit  terres  dans  le  pays,  ce  qui  serait  un  petit  établissement. 

Je  ne  sais  pas  trop  comment  frère  Thieriot  s'ajuste  avec  les 
excommuniés  du  sieur  Le  Dain^;  frère  Thieriot  ne  doit  pas 
paraître  :  je  m'en  rapporte  à  lui,  il  est  sage. 

J'ai  mis  mes  prêtres  à  la  raison,  évêque,  officiai,  promoteur, 
jésuite;  je  les  ai  tous  battus,  et  je  bâtis  mon  église  comme  je  le 
veux,  et  non  comme  ils  le  voulaient.  Quand  j'aurai  mon  bailli 
philosophe,  je  les  rangerai  tous.  Je  suis  bienfaiteur  de  l'Église  ; 
je  veux  m'en  faire  craindre  et  aimer. 

Je  lève  les  mains  au  ciel  pour  le  salut  des  frères. 

J'ai  eu  aujourd'hui  à  dîner  un  M.  Poinsinet  revenant  d'Italie. 
Fratres,  qui  est  ce  M.  Poinsinet-?  Il  m'a  récité  d'assez  passables 
vers.  Valete,  fralrcs.  Frère  Thieriot  a-t-il  le  diable  au  corps  de 
vouloir  qu'on  imprime  la  Conversation  du  cher  Grizel? 

Je  plains  ce  pauvre  Tèrée^;  il  est  triste  que  Philonûle  soit  mal 
reçue  au  mois  de  mai.  On  disait  que  ce  M.  Lemierre  était  un 
bon  ennemi  de  Vinf...  ;  courage!  qu'il  ne  se  rebute  pas,  et  confu- 
sion aux  fanatiques,  ennemis  de  la  raison  et  de  l'État! 

4575.   —   A   M.    F  ABU  Y  K 

17  juin  1701,  à  Fcrney. 

Je  vous  réitère,  monsieur,  mes  sincères  remerciements.  On 
voit  évidemment  que  toute  cette  persécution  odieuse  n'est  que  la 
suite  de  l'aventure  du  curé  Ancian.  Si  les  interrogés  ne  m'ont 
point  trompé,  il  n'y  a  que  le  nommé  Brochu  (jui  ait  fait  la  dépo- 
sition dont  vous  m'avez  parlé,  sans  pourtant  oser  se  servir  du 
mot  que  le  sieur  Castin  allègue.  Il  est  clair  que  ce  IJrochn,  ([ui 
avaitaccompagné  Ancian  dans  l'assassitjat  dont  ils  ont  été  accusés, 
n'est  ({u'uii  faux  t(Miioin  conqjlicc  ilu  curt''  Ancian,   et  (iiic  son 


\.  Les  comédiens;  voyez  tome  \XIV,  page  '239. 

'J.  Antoine-AleAandre-llenri,  né  à  Fontainebleau  en  1735,  mort  en  1700,  auteur 
de  la  comédie  du  Cercle. 

3.  Cette  tragédie  de  Ixtmiene  n'avait  pa-^  réussi. 

4.  Éditeurs.  ISavoux  et  Friimois. 


326  CORRESPONDANCE. 

témoignage  n'était  pas  même  recevable  par  le  sieur  Castin.  Tous 
les  autres  protestent  et  jurent  qu'ils  n'ont  pas  dit  un  mot  de  ce 
qu'on  leur  fait  dire,  et  que  s'ils  avaient  lait  la  déposition  qu'on 
leur  impute,  ils  seraient  infiniment  coupables  K 

Je  vous  supplie,  monsieur,  de  vouloir  bien  m'éclaircir  de  ce 
mystère  d'iniquités.  Le  sieur  Castin  joue  un  rôle  infûme,  et  celui 
qui  le  lui  fait  jouer  est  encore  plus  méprisable,  Oes  gens  qui  se 
portent  pour  juges,  et  qui  disent  qu'ils  écriront  à  M.  de  Saint- 
Florentin,  ne  sont  que  de  malheureux  délateurs  que  je  couvrirai 
d'opprobre,  et  leurs  lâches  calomnies  ne  me  font  aucune  peur. 
On  sera  assez  instruit  qu'ils  cherchent  à  se  venger,  de  la  manière 
la  plus  lâche,  de  la  protection  que  j'ai  pu  donner  à  Decroze, 
mais  je  n'ai  rempli  en  cela  que  mon  devoir,  puisque  Decroze 
est  mon  vassal  ;  nous  verrons  alors  qui  l'emportera',  d'un  seigneur 
qui  a  vu  son  vassal  blessé  et  le  crâne  entr'ouvert,  qui  a  déposé 
de  ce  crime,  et  qui  n'a  à  se  reprocher  que  de  dépenser  douze 
mille  francs  pour  rebâtir  une  jolie  église,  ou  d'un  curé  accusé 
d'un  assassinat  et  déjà  convaincu  de  mille  violences,  qui  fait 
agir  secrètement  ses  confrères  en  sa  faveur.  Il  faudra  voir  de 
plus  si,  en  effet,  ses  confrères  sont  en  droit  de  faire  les  fonctions 
d'official  et  de  promoteur,  malgré  les  lois  du  royaume,  et  si  un 
évtîque  étranger,  sous  prétexte  qu'il  n'est  pas  riche,  peut  contre- 
venir à  ces  lois.  Il  n'y  a  que  votre  esprit  de  conciliation,  mon- 
sieur, qui  puisse  mettre  ces  messieurs  à  la  raison.  Je  suis  aussi 
touché  de  la  noblesse  de  vos  procédés  qu'indigné  de  la  bassesse 
des  leurs. 

J'ai  l'honneur  d'être  avec  la  plus  tendre  reconnaissance,  mon- 
sieur, votre  très-humble  et  très-obéissant  serviteur. 

4576.   —  A  M.   FABRY2. 

Ferney,  ce  18  juin. 

Monsieur,  il  m'est  extrêmement  important,  pour  maintenir 
le  bon  ordre  dans  la  terre  de  Ferney,  de  savoir  qui  sont  ceux  qui 
ont  osé  déposer  la  calomnie  en  question  le  9  juin  dernier,  devant 
le  sieur  Castin,  qui  se  dit  officiai  de  Gex.  Je  sais  bien  qu'il  a  fait 
une  procédure  très-illégale  et  très-répréhensible,  en  procédant 
contre  des  séculiers,  sans  intervention  de  la  justice  du  roi;  je 
sais  encore  qu'il  a  manqué  aux  lois,  en  faisant  comparaître  un 

t.  Voyez  la  lettre  à  Arnoult  du  G  juillet. 
2.  Editeurs,  Bavoux  et  François. 


ANNÉE    17G1.  327 

nommé  Brocliu,  qui  était  décrété  de  prise  de  corps;  je  sais  de 
plus  (ju'ii  n'est  nullement  en  droit  d'exercer  la  charge  d'official, 
attendu  qu'il  est  curé.  Ce  n'est  pas  de  toutes  ces  procédures 
méprisables  et  punissables  que  je  suis  inquiet;  mais  je  le  suis 
beaucoup  de  savoir  qu'il  y  a  dans  mes  terres  des  malheureux 
assez  lAcheset  assez  ingrats  pour  déposer  des  calomnies  absurdes 
contre  leur  bienfaiteur.  Ils  sont  coupables  même  d'avoir  comparu, 
car  aucun  séculier  ne  doit  répondre  en  pareil  cas  à  aucun  juge 
d'église.  Je  vous  aurais,  monsieur,  la  plus  sensible  obligation  si 
vous  vouliez  bien  m'apprcndre  leurs  noms;  il  faut,  dans  une 
terre,  connaître  le  caractère  de  ses  vassaux. 

Si  vous  voulez,  monsieur,  joindre  à  cette  bonté  celle  de  me 
renvoyer  les  plans  que  vous  avez  bien  voulu  permettre  que  je 
misse  entre  vos  mains,  et  dont  j'ai  besoin  pour  mes  ouvriers, 
vous  me  ferez  un  sensible  plaisir.  Je  vous  renouvelle  mes  remer- 
ciements et  mon  attachement. 

J'ai  l'honneur  d'être  dans  ces  sentiments,  monsieur,  votre 
très-humble  et  très-obéissant  serviteur. 

4577.  —  A  M.   L'ABBÉ   DELILLE  '. 

A  Fcincy,  19  juin. 

On  est  bien  loin,  monsieur,  d'être  inconnu,  comme  vous  le 
dites,  quand  on  a  lait  d'aussi  beaux  vers^  que  vous,  et  surtout 
quand  on  y  répand  d'aussi  nobles  vérités,  et  des  sentiments  si 
vertueux.  Vous  pensez  en  excellent  citoyen,  et  vous  vous  exprimez 
en  grand  poète.  Je  m'intéresse  d'autant  plus  à  la  gloire  que  vous 
assurez  à  M.  Laurent  que  je  m'avise  de  l'imiter  en  petit  dans  une 
de  ses  opérations.  Je  dessèche  actuellement  des  marais  ;  mais 
j'av(3ue  que  je  ne  fais  point  de  bras.  Cependant  vous  avez 
daigné  parler  de  moi  dans  votre  épître  à  cet  étonnant  artiste. 
J'a\ais  déjà    hi   votre  ouvnigc  (pii    a   concouru  pour   le  |)rix  de 

1.  Jacques,  fils  naturel  d'Antoirif  Mciitaiiii  r,  avocat,  et  de  M.uii- lliéionymo 
l'.éranl,  né  le  22  juin  1738,  prit  le  nom  ilo  Delilli',  et  l'st  cnuuu  sous  le 
nom  d'abbé  Delille.  Quoique  sous-diacre  et  grand  ennemi  des  idées  nouvelles,  il 
se  maria,  pendant  la  Hévolution,  en  pays  étranjrer,  et  mourut  à  Paris  le  1"'  mai 
18l.'5.  Sa  veuve  est  mort(!  à  l'aiis  eu  novembre  ISiJI.  (B.) 

-'.  Iipitre  à  M.  Laurent,  chevalier  de  l'onlrc  de  Suint-Michel,  à  l'ocrusiun  du 
liras  artificiel  iiit'il  a  fait  pour  un  soldat  invalide;  Londres  (Paris,  Lottin),  1701. 
L'abbé  Uelille  y  dit  : 

Vullain»,  tour  ;\  loiir  sublime  ot  gracieux, 
Puul  clianler  les  liûrus,  les  bellus,  v\  k'S  dieux. 


328  CORRnSPONDANCE. 

l'Académie*  ;  je  ne  savais  pas  que  je  dusse  joindre  le  sentiment 
delà  reconnaissance  à  celui  de  l'estime  que  vous  m'inspiriez.  Je 
vous  félicite,  monsieur,  d'être  en  relations  avec  M.  Duverney. 
Il  forme  un  séminaire  de  gens-  dont  quelques-uns  demande- 
ront probablement  un  jour  à  M.  Laurent  des  bras  et  des  jambes, 
La  noblesse  française  aime  fort  à  se  les  faire  casser  pour  son 
maître. 

Je  fais  aussi  mon  compliment  à  M,  Duverney  d'aimer  un 
homme  de  votre  mérite.  11  en  a  trop  pour  ne  pas  distinguer  le 
vôtre.  Je  me  vante  aussi,  monsieur,  d'avoir  celui  de  sentir  tout 
ce  que  vous  valez.  Recevez  mes  remerciements,  non-seulement 
de  ce  que  vous  avez  bien  voulu  m'envoyer  vos  ouvrages,  mais  de 
ce  que  vous  en  faites  de  si  bons. 

J'ai  l'honneur  d'être,  etc. 


1578.   —  A   M.   DAMILAVILLE. 

Le  19  juin. 

En  voyant  la  mine  de  ce  pauvre  abbé  du  Resnel  ^  je  n'ai  pu 
m'empêcher  de  dire  : 

Quoiqu'il  eût  cette  mine,  il  fit  pourtant  des  vers; 

11  fut  prêtre,  mais  philosoplie  ; 
Pliilosophe  pour  lui,  se  cachant  des  pervers. 

Que  n'ai-je  été  de  cette  étoffe! 

Frère  Thieriot  n'aura  pas  autre  chose  de  moi.  Il  n'y  a  pas 
moyen  de  faire  une  inscription,  à  moins  qu'elle  ne  soit  un  peu 
piquante,  et  je  ne  trouve  rien  de  piquant  à  dire  sur  l'abbé  du 
Resnel.  C'était  un  homme  aimable  dans  la  société  ;  je  le  regrette  de 
tout  mon  cœur,  je  le  suivrai  bientôt,  et  puis  c'est  tout. 

J'ai  pris  la  liberté  d'envoyer  sous  votre  enveloppe  une  lettre* 
pour  M.  Héron,  dans  laquelle  je  lui  demande  une  grâce  qui 
m'est  très-nécessaire  :  c'est  de  vouloir  bien  me  faire  parvenir  une 
ordonnance  du  roi  qui  défend  aux  archevêques  et  aux  évêques 
de  prendre  des  curés  pour  leurs  promoteurs  ou  officiaux.  Cette 
loi,  qui  est  de  1627,  me  paraît  fort  sage  :  c'est  ce  qui  fait  qu'elle 


\.  Épître  sur  l'utilité  de  la  retraite  pour  hs'gcns  de  lettres. 

2.  L'École  militaire. 

3.  Mort  le  25  février  1761. 

4.  Elle  manque.  (B.) 


ANNÉE    17G1.  329 

n'est  point  exécutée.  Comme  j'aime  un  peu  le  remue-ménage, 
j'ai  envie  de  faire  quelques  niches  aux  prêtres  de  mon  canton. 
Rien  n'est  plus  amusant  dans  la  vieillesse. 

Je  me  recommande  à  tous  les  frères,  en  corps  et  en  àme. 


iô79.  —   A   M.   LE    BARON   DE   BIELIHLI)i. 

Aux  Délices.  20  juin. 

Je  crois,  monsieur,  que  votre  lettre  m'a  guéri,  car  le  plaisir 
est  un  souverain  remède,  et  j'ai  senti  un  plaisir  bien  vif  en 
voyant  que  vous  vous  souvenez  de  moi.  Je  ne  songe  plus  qu'à  m'a- 
muser  et  à  finir  gaiement  ma  carrière  ;  mais  je  m'intéresse  beau- 
coup aux  ouvrages  sérieux  que  vous  donnez  au  public.  J'attends 
avec  impatience  celui  que  vous  m'annoncez.  Apprenez  aux  princes 
à  être  justes  :  c'est  toujours  une  consolation  pour  ceux  qui 
souffrent  de  leur  ambition,  de  leurs  caprices,  de  leurs  injustices, 
de  leurs  méchancetés.  Les  hommes  aiment  à  entendre  parler  du 
droit  des  gens  ;  ce  sont  des  malades  à  qui  on  parle  du  remède 
universel.  N'avez-vous  pas  dit  aussi  quelque  petit  mot  sur  la 
liberté?  Je  m'imagine  que  vous  la  goûtez  à  votre  aise  dans  Ham- 
bourg; pour  moi,  j'en  jouis,  et  je  suis  depuis  six  ans  dans 
l'ivresse  de  la  jouissance,  étant  assez  heureux  pour  posséder  des 
terres  libres  sur  la  frontière  de  France,  et  me  trouvant  dans  une 
indépendance  entière.  Vous  souvient-il  du  temps  où  il  ne  vous 
était  pas  permis  d'aller  dans  vos  terres?  C'est  bien  cela  qui  est 
contre  le  droit  des  gens. 

Je  souhaite  la  paix  à  votre  Allemagne;  mais  je  ne  peux  exalter 
mon  j\me  au  point  de  deviner  le  temps  où  toutes  ces  horreurs 
cesseront.  Le  secret  de  prévoir  l'avenir  s'est  perdu  avec  le  modeste 
président-. 

Je  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur,  sans  cérémonie;  il  n'eu 
faut  point  entre  les  philosophes.  C'est  assez  de  dater  sa  lettre, 
et  de  signer  la  première  lettre  de  son  nom.  V. 

\oli-('  li'tlic  (lu  mois  (h;  l'cMicr  ne  m'.-i  [vas  été  rendue  par  des 
gens  pressés  de  s'acciuiltcr  de  leur  coininissiun. 

1.  Jacqucs-Frùdliric,  né  à  Hambourg,'  eu  1710,  mort  le  f»  avril  1770,  avait  coui- 
posé,  pour  le  prince  de  Prusse  Au-ruste-Ferdinand,  dont  il  était  précC|)teur  eu 
1745,  des  Institutions  de  polili(iue  en  trois  parties.  Les  deux  premières  parurent  a 
la  Haye,  1700,  deux  volumes  in- 4°. 

2.  Maupcrluis. 


330  CORRESPONDANCE. 

•4580.   —  A    M.    LE    COMTK   D'AROK MAL. 

21  juin. 

Mes  divins  an^es,  lisez  mes  rcmontraDces  avec  attention  et 
bénignité. 

Considérez  d'abord  que  le  plan  d'un  cerveau  n'a  pas  six 
pouces  de  large,  et  que  j'ai  pour  cent  toises  au  moins  de  tribu- 
lations et  de  travaux.  Le  loisir  fut  certainement  le  père  des 
Muses;  les  a/Taires  en  sont  les  ennemies,  et  l'embarras  les  tue.  On 
peut  bien  à  la  vérité  faire  une  tragédie,  une  comédie,  ou  deux 
ou  trois  cbants  d'un  poëme,  dans  une  semaine  d'biver  ;  mais  vous 
m'avouerez  que  cela  est  impossible  dans  le  temps  de  la  fenaison 
et  des  moissons,  des  défrichements  et  des  dessèchements-,  et 
quand  à  ces  travaux  de  campagne  il  se  joint  des  procès,  le 
tripot  de  Thémis  l'emporte  sur  celui  de  Melpomène.  Je  vous  ai 
caché  une  partie  de  mes  douleurs;  mais  enfin  il  faut  que  vous 
sachiez  que  j'ai  la  guerre  contre  le  clergé.  Je  bâtis  une  église 
assez  jolie,  dont  le  frontispice  est  d'une  pierre  aussi  chère  que  le 
marbre;  je  fonde  une  école,  et,  pour  prix  de  mes  bienfaits,  un 
curé  d'un  village  voisin,  qui  se  dit  promoteur,  et  un  autre  curé 
qui  se  dit  officiai,  m'ont  intenté  un  procès  criminel^  pour  un 
pied  et  demi  de  cimetière,  et  pour  deux  côtelettes  de  mouton 
qu'on  a  prises  pour  des  os  de  morts  déterrés. 

On  m'a  voulu  excommunier  pour  avoir  voulu  déranger  une 
croix  de  bois,  et  pour  avoir  abattu  insolemment  une  partie  d'une 
grange  qu'on  appelait  paroisse. 

Comme  j'aime  passionnément  à  être  le  maître,  j'ai  jeté  par 
terre  toute  l'église,  pour  répondre  aux  plaintes  d'en  avoir  abattu 
la  moitié.  J'ai  pris  les  cloches,  l'autel,  les  confessionnaux,  les 
fonts  baptismaux  ;  j'ai  envoyé  mes  paroissiens  entendre  la  messe 
à  une  lieue. 

Le  lieutenant  criminel,  le  procureur  du  roi,  sont  venus  instru- 
menter; j'ai  envoyé  promener  tout  le  monde;  je  leur  ai  signifié 
qu'ils  étaient  des  ânes,  comme  de  fait  ils  le  sont.  J'avais  pris  des 
mesures  de  façon  que  monsieur  le  procureur  général  du  parle- 
ment de  Dijon  leur  a  confirmé  cette  vérité.  Je  suis  à  présent  sur 
le  point  d'avoir  l'honneur  d'appeler  comme  d'abus,  et  ce  ne  sera 
pas  maître  Le  Dain  -  qui  sera  mon  avocat.  Je  crois  que  je  fera] 


1.  Voyez  une  noie  de  la  lettre  4506. 

2.  Voyez  la  note,  tome  XXIV,  page  239. 


ANNÉE    1764.  331 

mourir  de  douleur  uion  évèque  ',  sil  ne  meurt  pas  auparavant 
de  gras  fondu. 

Vous  noterez,  s'il  vous  plaît,  qu'en  même  temps  je  m'adresse 
au  pape  en  droiture.  Ma  destinée  est  de  bafouer  Rome,  et  de  la 
faire  servir  à  mes  petites  volontés.  L'aventure  ûo  Maltomet  m'en- 
courage. Je  fais  donc  une  belle  requête  au  saint-père  :  je  demande 
des  reliques  pour  mon  église,  un  domaine  absolu  sur  mon  cime- 
tière, une  indulgence  in  articulo  rnortis,  et,  pendant  ma  vie,  une 
belle  bulle  pour  moi  tout  seul,  portant  permission  de  cultiver  la 
terre  les  jours  de  fête  sans  être  damné.  Mon  évêque  est  un  sot 
qui  n'a  pas  voulu  donner  au  mallieureuv  petit  pays  de  Ge\  la 
permission  que  je  demande  ;  et  cette  abominable  coutume  de 
s'enivrer  en  Tliouneur  des  saints,  au  lieu  de  labourer,  subsiste 
encore  dans  bien  des  diocèses.  Le  roi  devrait,  je  ne  dis  pas  per- 
mettre les  travaux  cbampêtres  ces  jours-là,  mais  les  ordonner. 
C'est  un  reste  de  notre  ancienne  barbarie  de  laisser  cette  grande 
partie  de  l'économie  de  l'État  entre  les  mains  des  prêtres. 

M.  de  Courtcilles  vient  de  faire  une  belle  action  en  faisant 
rendre  un  arrêt  du  conseil  pour  les  dessèchements  des  marais.  Il 
devrait  bien  en  rendre  un  qui  ordonnât  aux  sujets  du  roi  de 
faire  croître  du  blé  le  jour  de  Saint-Simon  et  dxî  Saint- Jude-, 
tout  comme  un  autre  jour.  Aous  sommes  la  fable  et  la  risée  des 
nations  étrangères,  sur  terre  et  sur  mer;  les  paysans  du  canton 
de  Berne,  mes  voisins,  se  moquent  de  moi,  qui  ne  puis  labourer 
mon  champ  que  trois  fois,  tandis  qu'ils  labourent  quatre  fois  le 
leur.  Je  rougis  de  m'adressera  un  évê<[ue  de  lîome,  et  non  pas  à 
un  ministre  de  France,  pour  faire  le  bien  de  l'Ktat. 

Si  ma  supplique  au  pape  et  ma  lettre  '  au  cardinal  Passionei 
sont  prêtes  au  départ  de  la  poste,  je  les  mettrai  sous  les  ailes  de 
mes  anges,  qui  auraient  la  bonté  de  faire  passer  mon  paquet  à 
M,  le  duc  de  Choiseul  :  car  je  veux  qu'il  en  rie  et  qu'il  m'appuie. 
Celte  négociation  sera  plus  aisée  à  terminer  honorablement  que 
celle  de  la  paix. 

Je  passe  du  tripot  de  l'Église  à  celui  de  la  Comédie,  Je 
croyais  que  frère  Damilaville  et  frère  ïhieriot  s'étaient  adressés 
à  mes  anges  pour  cette  pièce  qu'on  prétend  être  d'après  Jodelle, 
et  (jui  est  certainement  d'un  académicien  de  Dijon*.  Ils  ont  été 
si  discrets  ((u'ils  n'ont  |)as,  jusqu'à  présent,  osé  vous  en  parler; 

1.  liionl  ou    l'.ioit. 

2.  Le  28  octobre. 

'.i.  La  sup[ili(|iic  et  la  leUrc  inanf|uriit.  JL) 
l.  Vojoz  lii  litiro  4."»7l. 


332  CORRESPONDANCE. 

il  faudra  pourtant  qu'ils  s'adressent  à  vous,  et  que  vous  les 
protégiez  très-discrètement,  sous  main,  sans  vous  cacher  visi- 
blement. 

Je  ne  saurais  finir  de  dicter  cette  longue  lettre  sans  vous  dire 
à  quel  point  je  suis  révolté  de  l'insolence  absurde  et  avilissante 
avec  laquelle  on  afTecte  encore  de  ne  pas  distinguer  le  théâtre 
de  la  Foire  du  théâtre  de  Corneille,  et  Gilles  de  Baron  ;  cela  jette 
un  opprobre  odieux  sur  le  seul  art  qui  puisse  mettre  la  France 
au-dessus  des  autres  nations,  sur  un  art  que  j'ai  cultivé  toute  ma 
vie  aux  dépens  de  ma  fortune  et  de  mon  avancement.  Cela  doit 
redoubler  l'horreur  de  tout  honnête  homme  pour  la  superstition 
et  la  pédanterie.  J'aimerais  mieux  voir  les  Français  imbéciles  et 
barbares,  comme  ils  l'ont  été  douze  cents  ans,  que  de  les  voir  à 
demi  éclairés.  Mou  aversion  pour  Paris  est  un  peu  fondée  sur  ce 
dégoût.  Je  me  souviens  avec  horreur  qu'il  n'y  a  pas  une  de  mes 
tragédies  qui  ne  m'ait  suscité  les  plus  violents  chagrins;  il  fallait 
tout  l'empire  que  vous  avez  sur  moi  pour  me  faire  rentrer  dans 
cette  détestable  carrière.  Je  n'ai  jamais  mis  mon  nom  à  rien, 
parce  (jue  mettre  son  nom  à  la  tête  d'un  ouvrage  est  ridicule,  et 
on  s'obstine  à  mettre  mon  nom  à  tout  :  c'est  encore  une  de  mes 
peines. 

J'ajouterai  que  je  hais  si  furieusement  maître  Omer  que  je 
ne  veux  pas  me  trouver  dans  la  même  ville  où  ce  crapaud  noir 
coasse.  Voilà  mon  cœur  ouvert  à  mes  anges  ;  il  est  peut-être  un 
peu  rongé  de  quelques  gouttes  de  fiel,  mais  vos  bontés  y  versent 
mille  douceurs. 

Encore  un  mot  ;  cela  ne  finira  pas  si  tôt.  Permettez  que  je 
TOUS  adresse  ma  réponse  à  une  lettre  de  M.  le  duc  de  Nivernais*. 
L'embarras  d'avoir  les  noms  des  souscripteurs  pour  les  OEuvres 
de  l'excommunié  et  infâme  P.  Corneille  ne  sera  pas  une  de  nos 
moindres  difficultés.  Il  y  en  a  à  tout  :  ce  monde-ci  n'est  qu'un 
fagot  d'épines. 

Vous  n'aurez  pas  aujourd'hui  ma  lettre  au  pape,  mes  divins 
anges;  on  ne  peut  pas  tout  faire. 

Je  vous  conjure  d'accabler  de  louanges  M.  de  Courteilles, 
pour  la  bonne  action  qu'il  a  faite  de  faire  rendre  un  arrêt  qui 
desséchera  nos  vilains  marais. 

Voilà  une  lettre  qui  doit  terriblement  vous  ennuyer;  mais  j'ai 
voulu  vous  dire  tout. 

M"'*  Denis  et  la  pupille  se  joignent  à  moi. 

•1.  Voyez  la  lettre  suivante. 


ANNÉE    1761.  333 


A   M.   Li:   DUC   DE   NIVERNAIS  <. 


Aux  Délices,  21  juin. 

Vous  devenez,  monseigneur  le  duc,  tout  jeune  que  vous  êtes, 
le  père  de  l'Académie,  et  vos  discours  vous  ont  rendu  cher  au 
public.  La  protection  que  vous  donnez  aux  descendants  de  Cor- 
neille augmente  encore,  s'il  est  possible,  la  vénc'ration  qu'on  a 
pour  vous. 

Tous  mes  soins  deviendront  infructueux,  s'il  ne  se  trouve 
quelques  âmes  aussi  sensibles  et  aussi  nobles  que  la  vôtre.  Je  me 
flatte  que  votre  nom,  imprimé  à  la  tête  des  souscripteurs,  enga- 
gera plusieurs  personnes  à  donner  le  leur.  On  portera  sans  doute 
le  roi  à  permettre,  en  qualité  de  protecteur,  qu'il  soit  regardé 
comme  le  premier  bienfaiteur  de  la  famille  du  grand  Corneille. 
Je  suis  bien  sûr  que,  dans  l'occasion,  vous  voudrez  bien  appuyer 
mes  propositions  de  votre  crédit  et  de  vos  conseils.  Je  vous  en 
fais  mes  très-humbles  remerciements  :  M"*  Corneille  y  joindrait 
déjà  les  siens  si  les  ménagements  qu'on  doit  aux  infortunés 
m'avaient  permis  de  l'instruire  de  ce  qu'on  fait  pour  elle. 

J'ajouterai  que  je  crois  convenable  que  chaque  académicien, 
non-seulement  donne  son  nom,  mais  qu'il  nous  procure  des 
souscripteurs  :  car,  lorsque  les  sieurs  Cramer  seront  à  Cenève, 
comment  pourront-ils  en  avoir  à  Paris? 

Je  vous  demanderais  pardon,  monseigneur,  de  tous  ces  dé- 
tails, si  vous  aviez  moins  de  générosité;  j'ai  seulement  peur 
de  n'avoir  pas  assez  de  santé  pour  conduire  cette  entreprise  à 
sa  fin. 

J'attends  votre  discours  avec  impatience,  et  serai  toute  ma 
vie,  monseigneur,  avec  autant  d'estime  que  de  respect,  etc. 

iô8-2.   —   A   M.   DE   LA  PLACE, 

A  l  T  E  L  II     DU     M  E  n  C  l  R  E  -. 

•23  juin  17G1. 

Sic  vos,  noti  vobis.  Dans  le  n()Mil)ro  immense  de  tragédies,  co- 
médies, opéras-comi(iues,  discoiiis  moiaiixel  facéties,  au  nombre 

1.  Éditeurs,  de  Cayrol  cl  François. 

2.  Cette  lettrea  été  imprimée  dans  le  Merciirr  dr  17(11,  jnillci,  Unnc  II,  past?  SI. 
Les  éditeurs  de  Kohi  l'avaient  placée  dans  les  Mélaïujcs  littéraires,  après  on 
avoir  impiiiné  la  plus  grande  partie  en  tète  de  la  tragédie  de  Zuliinc  :  ce  double 
emploi  se  ntrouve  dans  beaucoup  d'éditions.  Au  reste,  cette  lettre  est  imprimée 
sans  adresse  dans  le  Mercure,  et  pourrait  fort  bien  Cire  rello  ([ue,  ii;ins  le  n"  i.^SJ, 
Voltaire  dit  adressée  à  Nicodèmc  Tbieriot. 


334  COURI-SPONDANCR. 

d'environ  cinq  cent  mille,  qui  font  j'honnenr  éternel  de  la  France, 
on  vient  d'imprimer  une  tragédie  sous  mon  nom,  intitulée 
Zulimr;  la  scène  est  en  Afri(iue  :  il  est  bien  vrai  qu'autrefois» 
ayant  été  avec  Alzire  en  Amérique,  je  fis  un  petit  tour  en  Afrique 
avec  Zulime,  avant  d'aller  voir  Jddmc  à  la  Chine  ;  mais  mon  voyage 
d'Afrique  ne  me  réussit  point.  Presque  personne  dans  le  parterre 
ne  connaissait  la  ville  d'Arsénié,  qui  était  le  lieu  de  la  scène; 
c'est  pourtant  une  colonie  romaine  nommée  Arsinaria  ;  et  c'est 
encore  par  cette  raison-là  qu'on  ne  la  connaissait  pas. 

Trémizène  est  un  nom  bien  sonore,  c'est  un  joli  petit  royaume  ; 
mais  on  n'en  avait  aucune  idée  :  la  pièce  ne  donna  nulle  envie 
de  s'informer  du  gisement  de  ces  côtes.  Je  retirai  prudemment 
ma  Hotte. 

Kt  qujG 

Desperat  tractata  iiitescere  posse  reliiiquit*. 

Des  corsaires  se  sont  enfin  saisis  de  la  pièce,  et  l'ont  fait  im- 
primer ;  mais,  par  droit  de  conquête,  ils  ont  supprimé  deux 
ou  trois  cents  vers  de  ma  façon,  et  en  ont  mis  autant  de  la  leur: 
je  crois  qu'ils  ont  très-bien  fait  ;  je  ne  veux  point  leur  voler  leur 
gloire,  comme  ils  m'ont  volé  mon  ouvrage.  J'avoue  que  le  dé- 
noûment  leur  appartient,  et  qu'il  est  aussi  mauvais  que  l'était  le 
mien  :  les  rieurs  auront  beau  jeu  ;  au  lieu  d'avoir  une  pièce  à 
siffler,  ils  en  auront  deux. 

Il  est  vrai  que  les  rieurs  seront  en  petit  nombre,  car  peu  de 
gens  pourraient  lire  les  deux  pièces  :  je  suis  de  ce  nombre  ;  et  de 
tous  ceux  qui  prisent  ces  bagatelles  ce  qu'elles  valent,  je  suis 
peut-être  celui  qui  y  met  le  plus  bas  prix.  Enchanté  des  chefs- 
d'œuvre  du  siècle  passé,  autant  que  dégoûté  du  fatras  prodigieux 
de  nos  médiocrités,  je  vais  expier  les  miennes  en  me  faisant  le 
commentateur  de  Pierre  Corneille.  L'Académie  a  agréé  ce  travail  ; 
je  me  flatte  que  le  public  le  secondera,  en  faveur  des  héritiers 
de  ce  grand  nom. 

Il  vaut  mieux  commenter  Héracllus  que  de  faire  Tancrcde,  on 
risque  bien  moins.  Le  premier  jour  que  l'on  joua  ce  Tancrcde, 
beaucoup  de  spectateurs  étaient  venus  armés  d'un  manuscrit  qui 
courait  le  monde,  et  qu'on  assurait  être  mon  ouvrage  :  il  ressem- 
blait à  cette  Zulime. 

C'est  ainsi  qu'un  honnête  libraire,  nommé  Grange,  s'avisa 
d'imprimer  une  Histoire  générale  qu'il  assurait  être  de  moi,  et  il 

1.  Horace,  de  Acte  poetica,  150-151. 


A  N  N  I-:  1-:    I  7  ij  1 .  335 

me  le  soutenait  à  moi-nit*me  ;  il  n'y  a  pas  grand  mal  à  tout  cela. 
Quand  on  vexe  un  pauvre  auteur,  les  dix-neuf  vingtièmes  du 
monde  l'ignorent,  le  reste  en  rit,  et  moi  aussi.  Il  y  a  trente  à 
quarante  ans  que  je  prenais  sérieusement  la  chose.  J'étais  bien 
sot! 

Adieu,  je  vous  embrasse. 

4583.  —  A  M.   LE   COMTE   D'ARGEMAL. 

Aux  Délices.  i'A  juin. 

0  mes  anges  I  le  coup  est  violent,  le  trait  est  noir,  l'embarras 
est  grand. 

Zulime,  soit  :  la  voilà  baptisée,  la  voilà  Africaine;  elle  a  affaire 
à  un  Espagnol,  il  n'y  a  i)lus  moyen  de  s'en  dédire.  Voici  une 
petite  lettre  à  Nicodème  ïhieriot^  qu'il  ne  serait  pas  mal  de 
faire  courir.  Allons  donc;  je  vais  songer  à  cette  Zulime;  la  tête 
me  bout.  Serai-je  toujours  comme  Arlequin,  qui  voulait  faire 
vingt-deux  métiers  à  la  fois  ?  Patience. 

Mille  respects,  je  vous  en  conjure,  à  M.  le  comte  de  Choiseul  ; 
comment  va  sa  santé? 

Ayez  la  charité  d'envoyer  à  M.  le  duc  de  Choiseul  le  présont 
paquet 2,  après  en  avoir  ri. 

Qui  est  ambassadeur  à  PiOme?Jen'en  sais  rien. Qiiohpril  soit, 
il  faut  qu'il  fasse  mon  affaire  au  plus  vite.  Monsieur  le  comte  de 
Choiseul,  protégez-moi  prodigieusement  ;  je  veux  que  Rezzonico  ' 
m'accorde  tout  ce  que  je  demande.  Quand  le  seigneur,  le  curé, 
et  toute  une  paroisse,  présentent  une  supplique  au  pape,  et  que 
cette  paroisse  est  auprès  de  Genève,  et  que  c'est  à  moi  qu'elle 
appartient,  le  pape  est  un  benêt  s'il  nous  refuse. 

J'espère  bien  que  tous  les  Choiseul  me  permettront  de  mettre 
leur  nom  en  gros  caractères  parmi  les  souscripteurs  de  Corneille  ; 
je  vais  d'abord  tàter  le  roi. 

Mes  anges,  si  vous  avez  deux  ou  trois  âmes  à  me  prêter,  en- 
voyez-les-moi par  la  poste,  car  je  n'ai  pas  assez  de  la  mienne  : 
toute  chétive  qu'elle  est,  elle  vous  adore. 

Avez-vous  reçu  la  cargaison  de  (Irizel*?  Kt  les  yeux? 


1.  Peul-rtre  le  no  iô82. 

2.  Celui  qui  contcnail  la  supplif[uo  au  pnpo  et  la  lettre  au  cardinal  Passion» 
dont  il  est  parlé  dans  la  iotlre  V.tW. 

3.  Clément  XIII. 

4.  La  Conversation,  iinprinn'c  tome  WIV,  pa;;e  23'.». 


336  CORRESPONDANM.il. 

•ir,8 \.    —    A    -M.    [) E    C  !I  V.  N  V.  V I È  1",  E  S  ». 

Vos  vers  sont  charmants,  mon  cher  ami  ;  vous  n'en  avez  ja- 
mais fait  de  si  jolis.  Je  ne  m'occupe  plus  à  présent  que  des  vers 
des  autres.  Me  voici  enfoncé  dans  ceux  de  Corneille  :  j'entre- 
prends, avez  l'agrément  de  l'Académie,  une  magnifique  édition 
de  ses  pièces  de  théAtre,  avec  des  remarques  sur  la  langue  et  sur 
l'art  qu'il  a  créé.  Je  fais  établir  une  souscription  :  le  produit  sera 
pour  M.  Corneille  et  pour  sa  fille,  qui  n'ont  d'autre  bien  que  le 
nom  de  Corneille.  Le  prix  de  chaque  exemplaire,  orné  de  trois 
belles  vignettes,  ne  sera  que  dé  quarante  livres,  et  on  ne  payera 
qu'en  recevant  le  livre.  Je  souscris  moi-même  pour  six  exem- 
plaires. Presque  tous  les  académiciens  en  font  autant.  Nous  nous 
flattons  que  le  roi  permettra  que  son  nom  soit  à  la  tête  des 
souscripteurs. 

Ne  pourriez-vous  me  dire,  vous  qui  êtes  du  pays,  comment 
on  s'y  prend  auprès  de  M.  de  La  Vauguyon,  pour  obtenir  de 
monsieur  le  dauphin  une  action  généreuse?  Je  crois  la  chose 
très-aisée;  mais  je  suis  absolument  inconnu  à  M.  de  La  Vau- 
guyon. Si  vous  connaissez  quelque  belle  âme  qui  veuille  pour 
quarante  livres,  et  môme  pour  quatre-vingts,  se  mettre  au  rang 
des  bienfaiteurs  du  sang  de  Corneille,  et  voir  son  nom  imprimé 
avec  celui  du  roi,  comme  lorsqu'on  a  vendu  sa  vaisselle,  nom- 
mez-moi ce  noble  personnage. 

4585.    —    A   M.    LE    PRÉSIDENT    DE   RUFFEY*. 

Aux  Délices,  2i  juin. 

J'ai  reçu,  mon  cher  président,  votre  belle  épîtrc  morale.  Je 
vous  dirai  d'abord  qu'il  n'est  point  vrai  que  l'abbé  d'Olivet  ait 
quitté  l'Académie  française,  ni  qu'on  l'ait  appelé  maraud  ^.  Ce 
mot  entre  bien  dans  notre  dictionnaire,  mais  non  pas  dans  nos 
séances. 

L'affaire  de  mon  église  de  Ferney  est  plus  sérieuse,  car  elle 
me  ruine.  Je  me  suis  avisé  de  faire  un  portail  d'une  pierre  aussi 

1.  Éditeurs,  de  Cayrol  et  François.  —  C'est  à  tort  qu'ils  avaient  daté  ce  billet 
de  février.  (G.  A.) 

2.  Éditeur,  Th.  Foisset. 

3.  Sur  la  foi  de  Micliault  le  bibliographe,  M.  de  Ruffey  avait  mandé  à  Vol- 
taire que  Duclos  avait  traité  de  maraud  l'abbé  d'Olivet  en  pleine  Académie.  {Note 
du  premier  éditeur.) 


ANNÉE    1761.  337 

chère  que  le  marbre,  et  plus  difficile  à  tailler.  L'olTicial  et  le  pro- 
moteur sont  encore  plus  durs  que  cette  pierre.  Au  lieu  de  me 
remercier  et  de  m'encourager,  ils  ont  commencé  un  procès  avec 
autant  d'ingratitude  que  d'impertinence.  J'ai  même  des  preuves 
ou  du  moins  des  semi-preuves  qu'ils  ont  suborné  des  témoins. 
Mais  je  n'ai  certainement  rien  à  craindre,  puisqu'un  homme  tel 
que  M.  de  Quintin  est  procureur  général  de  lîourgogne. 

1°  Je  n'ai  rien  fait  que  de  concert  avec  mon  curé  et  les  hiibi- 
tants,  ayant  préahiblement  l'agrément  de  l'évêque,  il  y  a  plus 
d'un  an. 

2°  Si  on  avait  manqué  à  quelques  formalités  (ce  que  je  ne 
crois  pas),  c'était  au  promoteur  et  à  l'official  à  en  avertir  amia- 
blement.  Ils  ont  manqué  au  devoir  de  l'honnêteté  et  au  devoir 
de  leur  place. 

3°  Le  prétendu  officiai  a  instrumenté  sans  l'intervention  du 
juge  séculier,  ce  qui  est  un  attentat  contre  les  lois. 

h°  Il  n'est  pas  plus  officiai,  et  le  promoteur  n'est  pas  plus 
promoteur,  que  vous  et  moi.  Il  est  défendu  par  les  canons  et  par 
l'ordonnance  du  roi,  de  1627,  art.  Ik,  qu'un  curé  fasse  les  fonc- 
tions d' officiai  ou  de  fromoleur.  La  raison  en  est  bien  sensible  :  il 
serait  alors  le  juge  de  lui-même.  Tout  est  donc  irrégulier  et  ré- 
préhensible  dans  les  procédés  et  procédures  de  ces  Allobroges. 

5"  Toute  cette  alïaire  n'est  que  la  suite  des  animosités  qui  ont 
divisé  la  province  au  sujet  de  l'assassinat  dont  un  curé  du  pays 
a  été  accusé.  Je  crois  qu'à  la  fin  le  parlement  sera  forcé  d'en- 
voyer des  commissaires  dans  nos  montagnes,  au  fin  fond  de  la 
barbarie. 

Venez  me  voir  avec  M.  de  La  Marche;  il  y  aura  toujours  une 
messe  pour  lui,  soit  que  mon  église  soit  bâtie  ou  non.  Mes  res- 
pects à  M'"^'  de  Ruffey.  Nous  aurons  de  quoi  la  loger  si  elle  veut 
être  du  voyage. 

Je  vous  parlerai'  dans  quelque  tciups  d'une  entreprise  où  il 
s'agit  de  l'honneur  de  la  nation',  et  point  du  tout  tics  baihares 
du  pays  de  Gex.  Vule.  V. 

J'ai  jtris  l;i  libellé  d'envoyer  des  pa(|uels  sous  l'en\eloi)pe  de 
M.  de  Varennes:  le  {)ermel-il  ? 


1.  (l(;t  nlim'a  et  le  suivant  sont  seuls  do  la  iii;iin  de  Voltaire;  le  surplus  île  la 
lettre  n'esi,  ix.jni  auto;:raplic.  {Xote  du  premier  cUilcur.) 

2.  L'iditiuii  de  Curneillo. 


IIESI'ONDA.M  E.    I  .\  . 


338  CORRESPONDANCE. 

4580.   —  A  IM.   L'AUBÉ   D'OLIVET. 


24  juin. 


Farimdissimc  et  arrissimc  Olivcte,  lisez  le  programme  simple  et 
court  à  l'Académie.  Si  on  l'approuve,  je  l'envoie  à  M.  le  duc  de 
Choiseul,  à  M"'"  de  Pompadour.  Je  veux  que  le  roi  souscrive; 
je  veux  que  le  président  Hénault  fasse  souscrire  la  reine.  Je  me 
charge  des  princes  d'Allemagne  et  du  parlement  d'Angleterre.  Je 
veux  la  gloire  de  la  France  et  de  l'Académie. 

Je  crois  que  je  pourrai  hardiment,  dans  un  programme  im- 
primé, donner  les  noms  de  tous  les  académiciens,  que  je  mettrai 
immédiatement  après  les  princes,  attendu  qu'ils  sont  les  con- 
frères de  Corneille. 

Renvoyez-moi,  s'il  vous  plaît,  mon  programme  approuvé.  Ncc 
patres  conscripti  concidant  nec  deficiant. 

Il  serait  convenable  que  chacun  signât  mon  programme. 
M.  le  duc  de  Nivernais  a  déjà  souscrit  pour  dix  exemplaires.  Qui 
sera  le  hrave  académicien  qui  se  chargera  de  la  souscription  de 
ses  frères  à  croix  d'or,  à  cordons  bleus,  etc.  ?  Ciccronis  amator, 
Cornelium  tuere. 

4587.   —  A  M.    D'ALEMBERT. 

Aux  Délices,  25  de  juin. 

Mon  cher  philosophe,  vous  n'avez  peut-être  pas  beaucoup  de 
temps,  ni  moi  non  plus;  cependant  il  faut  donner  signe  de  vie. 
Dites-moi  en  conscience  à  quelle  distance  vous  croyez  que  nous 
sommes  éloignés  du  soleil  depuis  le  passage  de  Vénus,  et  si  vous 
pensez  que  cette  Vénus  ait  un  laquais  S  comme  on  le  prétend. 
Pour  moi,  je  suis  occupé  actuellement  de  lAf-^  Corneille,  et  je 
vous  prie  de  faire  beau  bruit  à  l'Académie  pour  l'édition  des 
ouvrages  de  ce  grand  homme. 

M.  l'abbé  Grizel  -  me  charge  de  vous  faire  ses  compliments. 
Omitte  res  cœlesies,  et  envoyez  un  petit  mot  à  votre  vieil  ami  V., 
chez  M.  Damilaville, 


1.  Voyez  la  lettre  4003. 

2.  Principal  personnage  de  la  Conversation,  tome  XXIV,  page  239. 


ANNÉE    1761.  339 

4588.  —  A  M.   LE   MARQUIS   D'ARGENCE   DE    DIRAC 

Aux  Délices,  25  juin. 

J'ai  toujours  l"air  du  plus  grand  paresseux  du  monde,  mon- 
sieur, et  vous  savez  que  je  ne  le  suis  pas.  Je  n'ai  pas  réellement 
le  temps  d'écrire  une  lettre.  Je  suis  surtout  occupé  actuellement 
à  une  édition  des  tragédies  du  grand  Corneille,  avec  des  remar- 
ques instructives  sur  la  langue  et  sur  l'art  du  théâtre  ;  c'est  un 
surcroît  de  fardeau  à  tous  ceux  que  je  porte;  mais  c'est  un  far- 
deau qui  m'est  cher.  L'édition  sera  magnifique;  elle  se  fait  par 
souscriptions,  et  le  produit  sera  pour  M"'^  Corneille  et  pour  son 
père,  seuls  descendants  de  ce  grand  homme,  qui  n'ont  que  son 
nom  pour  héritage.  On  ne  payera  rien  d'avance.  L'Académie  fran- 
çaise prend  un  grand  intérêt  à  cet  ouvrage.  Le  roi  sera  probable- 
ment à  la  tête  des  souscripteurs,  et  je  me  flatte  que  vous  me 
permettrez  de  mettre  votre  nom  dans  la  liste.  Il  n'en  coûtera  que 
quarante  livres  pour  chaque  exemplaire.  Prenez-vous-en  à  Cinna 
et  à  Rodogune,  et  à  une  nouvelle  histoire  très-longue  des  hor- 
reurs et  des  superstitions  du  genre  humain,  si,  après  un  si  long 
silence,  je  vous  écris  une  si  courte  lettre.  Je  suis  d'un  mauvais 
commerce;  mais  je  vous  suis  tendrement  attaché  pour  la  vie. 

4589.  —  A   M.    LE    PRÉSIDENT    HÉNAULT.     . 

25  juin. 

Mon  clier  et  respectable  confrère,  je  crois  qu'il  s'agit  de 
riionneur  de  l'Académie  et  de  la  France.  Il  faut  fixer  la  langue, 
que  vingt  mille  brochures  corrompent;  il  faut  imprimer,  avec 
des  notes  utiles,  les  grands  auteurs  du  siècle  de  Louis  \IV,  et 
qu'on  sache  à  Pétersbourg  et  en  Ukraine  en  quoi  Corneille  est 
grand,  et  en  quoi  il  est  défectueux.  Vous  encouragez  cette  en- 
treprise, qui  ne  réussira  pas  si  vous  ne  permettez  que  je  vous 
consulte  souvent.  Je  pense  qu'il  sera  honorable  pour  la  France 
(le  relever  le  nom  de  Corneille  dans  ses  descendants.  J'étais  à 
Londres  quand  on  apprit  (]uil  y  avait  une  fille  de  Milton  aveugle, 
vieille,  et  pauvre;  en  un  quart  d'heure  elle  fut  riche.  La  petite- 
lille  d'un  homme  lrès-supéri(uir  à  Milton  n'est,  à  la  vérité,  ni 
vieille  ni  aveugle,  elle  a  même  de  très-beaux  yeux,  et  ce  ne  sera 

1.  Éditeurs,  de  (layrol  et  François. 


340  CORRESPONDANCE. 

pas  une  raison  pour  que  les  Français  l'abandonnent.  Il  est  vrai 
qu'elle  est  à  présent  au-dessus  de  la  pauvreté;  mais  à  qui  mieux 
qu'elle  appartiendrait  le  produit  des  OEuvres  de  son  aïeul?  Les 
frères  Cramer  sont  assez  généreux  pour  lui  céder  le  profit  de 
cette  édition,  qui  ne  sera  faite  que  pour  les  souscripteurs. 

Nous  travaillons  donc  pour  le  nom  de  Corneille,  pour  l'Aca- 
démie, pour  la  France.  C'est  par  là  que  je  veux  finir  ma  carrière. 
Il  en  coûtera  si  peu  pour  faire  réussir  cette  entreprise!  Quarante 
francs,  chaque  exemplaire,  sont  un  objet  si  mince  pour  les  pre- 
miers de  la  nation  qu'on  sera  problablement  empressé  à  voir 
son  nom  dans  la  liste  des  protecteurs  de  Cinna  et  du  sang  de 
Corneille, 

Je  me  flatte  que  le  roi,  protecteur  de  l'Académie,  permettra 
que  son  nom  soit  à  la  tête  des  souscripteurs.  Je  charge  votre  ca- 
ractère aussi  bienfaisant  qu'aimable  de  nous  donner  la  reine. 
Qu'elle  ne  considère  pas  que  c'est  un  profane  qui  entreprend  ce 
travail  ;  qu'elle  considère  la  nation  dont  elle  est  reine. 

Qui  sont  les  noms  de  vos  amis  que  je  ferai  imprimer?  Pour 
combien  d'exemplaires  souscriront  nos  académiciens  de  la 
cour?  Comptez  que  les  Cramer  ne  tireront  que  le  nombre  des 
exemplaires  souscrits,  et  que  ce  livre  restera  un  monument  de 
la  générosité  des  souscripteurs,  qui  ne  sera  jamais  vendu  au 
public.  Fera  des  petites  éditions  qui  voudra,  mais  notre  grande 
sera  unique.  Vous  pouvez  plus  que  personne  ;  et  il  sera  digne  de 
celui  qui  à  si  bien  fait  connaître  la  France  de  protéger  le  grand 
Corneille,  quand  il  n'y  a  pas  un  seul  acteur  digne  de  jouer  Cinna, 
et  qu'il  y  a  si  peu  de  gens  dignes  de  le  lire. 

Il  me  semble  que  j'ouvre  une  porte  d'or  pour  sortir  du  laby- 
rinthe des  colifichets  où  la  foule  se  promène. 

Recevez  les  tendres  et  respectueux  sentiments,  etc. 

Mille  pardons  à  M""'  du  Deflant.  Cette  entreprise  ne  me  laisse 
pas  un  moment,  et  j'ai  des  ouvrages  immenses,  des  moutons,  et 
des  procès,  à  conduire. 

•4590.    -  A  M.  FYOT  DE   LA  MARCHE  i. 

Au  château  de  Ferney,  par  Genève,  26  juin  1761. 

Il  faut,  monsieur,  que  je  vous  serve  suivant  votre  goût;  il 
faut  que  je  prenne  la  liberté  de  vous  mettre  à  la  tête  d'une 
bonne  action  qui  se  fera  dans  votre  Bourgogne. 

1.  Éditeur,  Th.  Foisset. 


ANNKE     I7GI.  341 

J'étais  à  Londres  quand  on  apprit  qu'il  y  avait  une  fille  de 
Milton  qui  était  dans  la  dernière  pauvreté,  et  incontinent  elle 
fut  riche.  J'ai  mis  dans  ma  tête  de  faire  voir  aux  Anglais  que 
nous  savons  comme  eux  honorer  les  beaux-arts  et  le  sang  des 
grands  hommes,  Jai  imaginé  de  faire  une  niagniticjue  édition  des 
tragédies  de  Pierre  Corneille,  avec  des  notes  qui  seront  peut-être 
utiles  aux  étrangers,  et  même  aux  Français.  Je  finirai  ma  car- 
rière en  élevant  un  monument  à  mon  maître,  et  en  procurant 
un  établissement  à  sa  petitc-flllo.  Le  profit  de  l'édition  sera  pour 
elle  et  pour  son  père.  Je  n'ai  pas  beaucoup  de  bien  libre;  mon 
malheureux  château  et  mon  église  me  ruinent,  et  Dieu  seul  me 
saura  gré  de  cette  église,  car  l'évêque  allobroge  ne  m'en  sait 
aucun.  J'espère  que  la  nation  sera  un  peu  plus  contente  de  Tédi- 
tion  de  Corneille,  C'est  presque  le  seul  moyen  de  laisser  à  sa 
descendante  une  fortune  digne  d'elle.  Toute  l'Académie  con- 
court à  cette  entreprise,  et  je  me  flatte  que  le  roi  sera  à  la  tête 
des  souscripteurs.  Je  souscris  pour  six  exemplaires  ;  plusieurs 
académiciens  en  font  autant,  d'autres  suivront.  L'édition  sera 
uniquement  pour  ceux  qui  auront  souscrit  ;  on  ne  payera  rien 
d'avance.  Ce  sera  un  monument  qui  restera  dans  la  famille  de 
chaque  souscripteur.  Ils  permettront  qu'on  imprime  leurs  noms, 
parce  que  ces  noms,  qui  seront  les  premiers  du  royaume,  en- 
courageront les  autres.  Je  demande  le  vôtre  et  celui  de  mon- 
sieur votre  fils;  M.  de  riun"ey  donnera  le  sien.  Je  taxe  M.  de 
Brosses  à  deux  exemplaires,  à  quarante  livres  pièce.  C'est 
marché  donné  pour  une  terre  qu'il  m'a  vendue  un  peu  chère- 
ment. .Nos  confrères  les  académiciens  de  Paris,  qui  ont  à  expier 
leur  asservissement  au  cardinal  de  Richelieu  et  leur  censure  du 
Ciel,  doivent  prendre  plus  d'exemplaires  que  les  autres.  J(^  ne 
demande  pas  que  Messieurs  de  Dijon,  qui  ne  sont  point  coupa- 
bles, retiennent  un  aussi  grand  nombre  d'exemplaires.  11  suffira 
d'un  ou  deux  pour  chacun.  Je  voudrais  que  l'évêciue  fût  du 
nombre  ;  l'auteur  de  Polycucte  le  mérite. 

Je  vous  recommande  Corneille  et  son  sang;  je  finis,  car 
Cinna  et  Cornélie  m'appellent:  il  faut  faire  oublier  toutes  nos 
médiocrités  de  ce  siècle  en  rendant  justice  aux  chefs-d'œuvre  du 
siècle  de  Louis  XIV. 

Permotlez-moi  l;i  lihcrlr  (\e  vous  embrasser  et  de  vous  as- 
surer de  mon  Ircs-lcndic  i-cspcct. 

Voltaire. 


34*  CORRESPONDANCE. 

4591.   —  A   M.    LE    COMTE    D'AUGENTAL. 

Fernoy,  2(5  juin. 

Je  n'ai  guère  la  force  d'écrire,  parce  que,  depuis  quelque 
temps,  j'écris  jour  et  nuit.  Mes  anges  sauront  que  je  rends  grâce 
au  corsaire  qui  a  fait  imprimer  Zulime.  L'impression  m'a  fait 
apercevoir  d'un  défaut  capital  qui  régnait  dans  cette  pièce  : 
c'était  l'uniformité  des  sentiments  de  l'héroïne,  qui  disait  tou- 
jours J'aime;  c'est  un  beau  mot,  mais  il  ne  faut  pas  le  répéter 
trop  souvent;  il  faut  quelquefois  dire  Je  hais. 

Je  commence  à  être  moins  mécontent  de  cet  ouvrage  que  je 
ne  l'étais,  et  je  me  flatte  enfin  qu'il  ne  sera  pas  tout  à  fait  indigne 
des  bontés  dont  mes  anges  l'honorent.  Il  sera  prêt  quand  ils  l'or- 
donneront. Je  n'abandonnerai  pourtant  ni  les  moissons,  ni  mon 
église,  ni  ma  petite  négociation  avec  le  pape. 

Je  relis  cet  infâme  et  excommunié  Corneille  avec  une  grande 
attention.  Je  l'admire  plus  que  jamais  en  voyant  d'où  il  est  parti. 
C'est  un  créateur  ;  il  n'y  a  de  gloire  que  pour  ces  gens-là  ;  nous 
ne  sommes  aujourd'hui  que  de  petits  écoliers.  Je  suis  persuadé 
que  mes  notes  au  bas  des  pages  des  bonnes  pièces  de  Corneille 
ne  seront  pas  sans  utilité  et  sans  agrément  ;  elles  pourront  for- 
mer une  poétique  complète,  sans  avoir  l'insolence  et  l'ennui  du 
ton  dogmatique. 

Je  suis  résolu  à  ne  faire  imprimer  que  le  nombre  des  exem- 
plaires pour  lesquels  on  aura  souscrit.  Les  petites  éditions  seront 
au  profit  des  hbraires  ;  et  s'il  y  a,  comme  je  le  crois,  quelque 
amour  de  la  véritable  gloire  dans  la  nation,  la  grande  édition 
assurera  quelque  fortune  aux  héritiers  du  nom  du  grand  Cor- 
neille. Je  finirai  ainsi  ma  carrière  d'une  manière  honorable,  et 
qui  ne  sera  pas  indigne  de  l'ancienne  amitié  dont  mes  anges 
m'honorent. 

Je  les  supplie  de  vouloir  bien  me  procurer  sans  délai  le  nom 
de  M.  le  duc  d'Orléans  par  M.  de  Foncemagne,  afin  que  je  l'im- 
prime dans  le  programme. 

Je  voudrais  avoir  celui  de  monsieur  le  premier  président  ^r 
il  me  le  doit  en  dédommagement  de  la  banqueroute  que  son 
beau-frère  2  m'a  faite.  Jamais  mon  entreprise  ne  vaudra  au  sang 
de  Corneille  la  moitié  de  ce  que  Bernard  m'a  volé.  Je  crois  avoir 


1.  Molé. 

2.  Bernard  de  Coubcrt. 


AN-NÉI-:    17  61.  343 

déjà  prévenu  M.  le  comte  de  Choiseul,  l'ambassadeur,  que  je  ne 
doutais  pas  qu'il  n'honorât  ma  liste  de  son  nom,  et  j'attends  ses 
ordres.  Je  demande  la  même  grâce  à  M.  de  Coiirteilles,  à  M.  de 
Maleslier])es,  à  madame  sa  sœur,  et  tous  les  amis  de  mes  anges. 

Je  désirerais  passionnément  la  souscription  du  président  de 
Meynières,  et  de  quelques  membres  du  parlement,  pour  expier 
les  sottises  de  maître  Le  Dain  et  de  maître  Orner. 

Je  n'ai  point  encore  écrit  à  M.  le  duc  de  Choiseul  sur  cette 
petite  afTaire.  Je  siipphe  monsieur  le  comte  l'ambassadeur  d'avoir 
la  bonté  de  lui  en  parler  :  ils  sont  aussi  tous  deux  mes  anges. 
Je  vous  baise  à  tous  le  bout  des  ailes,  et  je  recommande  à  vos 
bontés  Cinna,  Horace,  Sévère,  Cornélie,  et  la  cousine  issue  de 
germain  de  Cornélie.  Si  on  me  seconde  avec  quelque  vivacité, 
cette  édition  ne  sera  qu'une  aflairc  de  six  mois. 

Nièce,  et  Cornélie-chiffon,  et  V.,  vous  disent  tout  ce  qu'il  y  a 
de  plus  tendre. 

459-2.  —  A    MADAME   LA  DUCHESSE    DE   SAXE-GOTHA'. 
Au  château  de  Fcrney,  par  Genève,  20  juin  1761. 

Madame,  mon  silence  doit  avoir  dit  à  Votre  Altesse  sérénis- 
sime  que  je  n'étais  pas  en  état  d'écrire.  J'avais  presque  perdu  la 
vue,  en  conservant  la  plus  forte  envie  de  revoir  Gotha  et  sa  sou- 
veraine. J'occupe  ma  vieillesse,  et  je  trompe  mes  maux  par  un 
travail  très-agréable  pour  lequel  je  demande  votre  protection. 

L'Académie  française  agrée  que  je  fasse  une  édition  des 
bonnes  tragédies  du  grand  Corneille,  avec  des  notes  sur  la  langue 
et  sur  l'art  qu'elle  a  créés.  Cet  ouvrage  sera  principalement  utile 
aux  étrangers.  Il  se  fait  par  souscription,  et  l'édition  sera  magni- 
fique. Le  produit  de  cette  entreprise  est  pour  tirer  de  la  misère 
les  restes  de  la  famille  du  grand  Corneille,  famille  noble,  et  ((ui 
languit  dans  la  pauvreté.  Nous  imprimons  les  noms  des  souscrip- 
teurs :  je  supplie  Votre  Altesse  sérénissimc  de  permettre  que  son 
nom  honore  cotte  liste.  Chaquo  académicien  souscrit  pour  six 
exemplaires.  Ce  livre  sera  du  moins  un  monument  de  générosité, 
si  de  ma  part  ce  n'est  pas  un  monument  do  science  et  de  goût. 
Puisse  la  paix  donner  à  l'Europe  le  loisir  de  cultiver  les  arts  de 
toute  espèce!  Ce  long  (léau  détruit  tout.  Ilélas!  au  premier  coup 
de  canon,  je  dis  :  «  Kn  voilà  pour  sept  ans!  »  Puissé-jo  me  trom- 
per au  moins  d'une  année! 

1.  I-lditeurs,  Itavoux  cl  François. 


344  CORRESPONDANCE. 

M.  Stanley*  est  ù  Paris  ;  il  est  assidu  à  nos  spectacles;  il  voit 
nos  p^éomctres.  Il  ne  parle  point  de  paix;  c'est  apparemment  par 
politesse  qu'il  ne  nous  parle  point  de  nos  besoins. 

Je  me  mets  à  vos  pieds,  madame,  et  à  ceux  de  toute  votre 
auguste  famille.  Grande  maîtresse  des  cœurs,  recevez  mes  hom- 
mages, et  présentez -les  à  la  divine  Dorothée. 

Le  Suisse  V. 

4593.   —  A  M.   LE    BRUN. 

Au  château  de  Ferncy,  par  Genève,  2S  juin. 

Si  vous  faites  justice,  monsieur,  de  l'âne  ^  qui  étourdit  à  force 
de  hraire,  n'oubliez  pas  l'àne  qui  rue  ;  vous  vengerez  sans  doute 
le  sang  du  grand  Corneille  de  l'insolence  calomnieuse  avec 
laquelle  il  a  voulu  flétrir  son  éducation.  Ce  sera  le  sujet  d'une 
feuille,  et  ce  sujet,  manié  par  vous  d'une  manière  intéressante, 
peut  rendre  ce  malheureux  exécrable  à  ceux  qui  le  protègent. 
Il  n'a  en  effet  que  trop  de  protecteurs,  et  c'est  assez  qu'il  soit 
méchant  pour  qu'il  en  ait.  Il  faut  espérer  qu'en  faisant  connaître 
ses  infamies  comme  ses  ridicules ,  vous  lui  ôterez  le  peu  de 
vogue  qu'il  avait,  et  qui  déshonorait  la  nation. 

J'ose  espérer  que  celte  nation  sera  assez  touchée  de  la  véri- 
tal)1e  gloire,  pour  contribuer  à  l'édition  du  grand  Corneille,  et  à 
l'avantage  des  seuls  héritiers  de  son  nom.  C'est  vous,  monsieur, 
qui  avez  le  premier  ouvert  cette  carrière  ;  vous  en  avez  l'honneur. 
Je  ne  doute  pas  que  le  nom  de  Conti  et  de  La  Marche  ne  se 
trouve  à  la  tête  de  l'entreprise.  S'il  arrivait  que  cette  idée  ne 
réussît  point,  j'avoue  qu'il  faudrait  compter  la  France  pour  la 
dernière  des  nations  ;  mais  je  veux  écarter  une  crainte  si  hon- 
teuse, et  je  veux  croire  que  le  grand  Corneille  a  appris  à  mes 
compatriotes  à  penser  noblement. 

Je  vous  supplie  de  vouloir  bien  toujours  m'écrire  sous  un 
contre-seing,  attendu  la  multiplicité  des  lettres  que  Corneille  et 
Fréron  exigeront. 

Mille  respects  à  toute  la  maison  du  Tillet.  Je  crois  qu'on  y 
approuvera  mon  entreprise. 

Voltaire. 


1.  Chargé  par   le   cahinet  de  Saint-James  de  conférer  avec  le  cabinet  de  Ver- 
sailles. 

2.  Le  Brun  publiait  VAne  littéraire:  voyez  la  lettre  44.53. 


ANNÉE   I  TOI.  345 

4594.  —   A    M.    LE    COMTE    D  ARGENTAL. 

Au  château  de  Ferncy,  -0  juin. 

Mais  vraiment,  mon  cher  ange,  j'ai  mal  aux  yeux  aussi;  je 
soupçonne  que  c'est  en  qualité  d'ivrogne.  Je  bois  quel<iuefois 
demi-setier,  je  crois  mC'me  avoir  été  jus(iu'à  cliopine  ;  et  quand 
c'est  du  vin  de  Bourgogne,  je  sens  qu'il  porte  un  peu  aux  yeux, 
surtout  après  avoir  écrit  dix  ou  douze  lettres  de  ma  main  par 
jour.  N'en  auriez-vous  point  fait  à  peu  près  autant?  L'eau  fraîche 
me  soulage.  Qu'ont  de  commun  les  pilules  de  Béloste  avec  les 
yeux?  quel  rapport  d'une  pilule  avec  les  glandes  lacrymales?  Je 
sais  bien  qu'il  faut  se  purger  quelquefois,  surtout  si  l'on  est 
gourmand.  Mais  savez-vous  de  quoi  les  pilules  de  Béloste  sont 
composées?  Toute  pilule  échauffe,  ou  jje  suis  fort  trompé;  c'est 
le  propre  de  tout  ce  qui  purge  en  petit  volume;  j'en  excepte  les 
divins  minoratifs,  casse  et  manne,  remèdes  que  nous  devons  à 
nos  chers  mahométans.  Je  dis  chers  mahométans,  parce  que  je 
dicte  à  présent  Zulime,  que  je  vous  enverrai  incessamment;  et  je 
suis  persuadé  que  Zulime  ne  se  purgeait  jamais  qu'avec  de  la 
casse. 

A  l'égard  de  l'autre  sujet  dont  vous  me  parlez,  et  auquel  je 
pense  avoir  renoncé,  il  est  moitié  français  et  moitié  espagnol  K 
On  y  voyait  un  Bertrand  du  (uiesclin  entre  don  Pèdre  le  Cruel 
et  Henri  de  Transtamare,  Marie  de  Padille,  sous  un  nom  plus 
noble  et  plus  théâtral,  est  amoureuse  comme  une  folle  de  ce  don 
Pèdre,  violent,  emporté,  moins  cruel  qu'on  ne  le  dit,  amoureux 
à  l'excès,  jaloux  de  même,  ayant  à  combattre  ses  sujets,  qui  lui 
reprochent  son  amour.  Sa  maîtresse  connaît  tous  ses  défauts,  et 
ne  l'en  aime  que  davantage. 

Henri  de  Transtamare  est  son  rival;  il  lui  dispute  le  troue  et 
Marie  de  Padille.  Bertrand  du  Guesclin,  envoyé  par  le  roi  de 
France  pour  accommoder  les  deux  frères,  et  pour  soutenir  Henri 
en  cas  de  guerre,  fait  assembler  les  états  généraux  :  lus  corlis  de 
Casiille  (les  députés  des  états)  jjeuvent  faire  un  bel  effet  sur  le 
lliéàlre,  depuis  qu'il  n'y  a  plus  de  petits-maîtres.  Don  Pédre  ne 
l)('iit  souffrir  ni  las  cortès,  ni  du  Guesclin,  ni  son  bAtard  de  frère 
Ifciiri;  il  se  croit  trahi  de  tout  le  monde,  et  même  de  sa  maî- 
tresse, dont  il  est  adoré. 

Bertrand  est  enfin  obligé  (h;  faire  avancer  les  troupes  fran- 

1.  La  tragédie  de  Don  Pèdre,  qui  ne  fut  iiuiiriuiée  (juc  (juinze  ans  après.  (K.) 


346  CORllESPONDANCK. 

(■aisos;  il  fait  à  la  fois  le  rôle  de  protecteur  de  Henri,  d'admoni- 
teiir  de  don  Pèdre,  d'ambassadeur  de  France,  et  de  général. 

Henri,  vainqueur,  se  propose  h  Marie  de  Padille,  les  mains 
teintes  du  sang  de  son  frère  ;  et  Padille,  plutôt  que  d'accepter  la 
main  du  meurtrier  de  son  amant,  se  tue  sur  le  corps  de  don 
Pèdre.  Bertrand  les  pleure  tous  deux,  donne  en  quatre  mots 
quelques  conseils  h  Henri,  et  retourne  en  France  jouir  de  sa 
gloire. 

Voilà  en  gros  quel  était  mon  sujet.  Mes  anges  verront  mieux 
que  moi  si  on  en  peut  tirer  parti.  Je  me  dégoûte  un  peu  de 
travailler,  en  relisant  les  belles  scènes  de  Corneille.  Ce  n'est  pas 
à  mon  âge  que  je  pourrai  marcher  sur  les  traces  de  ce  grand 
homme;  il  me  paraît  plus  honnête  et  plus  sûr  de  chercher  à  le 
commenter  qu'à  le  suivre,  et  j'aime  mieux  trouver  des  souscrip- 
tions pour  M""  Corneille  que  des  sifflets  pour  moi. 

Mes  anges  daigneront  encore  observer  que  l'Histoire  générale 
et  le  Czar  prennent  un  peu  de  temps,  et  que  les  détails  de  l'his- 
toire nuisent  un  peu  à  l'enthousiasme  tragique.  Une  église  et  des 
procès  sont  encore  de  terribles  étcignoirs;  mais  s'il  me  reste 
encore  quelque  feu  caché  sous  la  cendre,  mes  anges  souffleront, 
et  il  se  ranimera. 

Je  suppose  qu'ils  ont  reçu  mon  paquet  ^  pour  le  saint-père, 
qu'ils  ont  ri;  que  M.  le  duc  de  Choiseul  a  ri,  que  le  cardinal 
Passionei  rira  ;  pour  le  sieur  Rezzonico  -,  il  ne  rit  point.  On  dit 
que  mon  ami  Benoît  ^  valait  hien  mieux. 

Je  suppose  encore  que  l'affaire  des  souscriptions  corné- 
liennes réussira  en  France;  et  s'il  arrivait  (ce  que  je  ne  crois 
pas)  que  les  Français  n'eussent  pas  de  l'empressement  pour  des 
propositions  si  honnêtes,  j'avertis  que  les  Anglais  sont  tout  prêts 
à  faire  ce  que  les  Français  auraient  refusé.  Ce  serait  une  négo- 
ciation plus  aisée  à  terminer  que  celle  de  M.  de  Bussy*. 

Respect  et  tendresse. 

4595.   —  A  M.  JEAN   SCHOUVALOW. 

A  Fernej',  30  juin. 

Monsieur,  en  attendant  que  je  puisse  arranger  le  terrible 
événement  de  la  mort  du  czarovitz,  qui  m'arrête,  et  que  j'achève 

1.  Voyez  la  lettre  4580. 

2.  Clément  XIII. 

3.  Benoît  XIV,  qui  avait  accepté  la  dédicace  de  Mahomet. 

4.  Bussy,  ministre  du  roi  à  Londres,  était  chargé  de  négocier  la  paix  entre  la 
France  et  l'Angleterre. 


ANNÉE     47GI.  347 

les  autres  chapitres  du  second  volume,  j'ai  entrejjris  un  autre 
ouvrage  qui  ne  déroi)era  point  mon  temps,  et  qui  me  laissera 
toujours  prêt  à  vous  servir  sur-le-chanq)  :  c'est  une  édition  des 
tragédies  tle  Pierre  Corneille,  avec  des  remarques  sur  la  langue 
et  sur  le  goût,  lesquelles  seront  d'autant  plus  utiles  aux  étrangers 
et  aux  Français  mêmes  qu'elles  seront  revues  par  l'Académie 
française,  qui  préside  à  cette  entreprise.  Ce  Corneille  est  parmi 
nous,  dans  la  littérature,  ce  que  Pierre  le  Grand  est  chez  vous  en 
tout  genre:  c'est  un  créateur,  c'est  un  homme  qui  a  débrouillé 
le  chaos,  et  ce  n'est  qu'à  de  tels  génies  qu'appartient  la  gloire  ; 
les  autres  n'ont  que  de  la  réputation. 

Le  produit  de  cette  édition,  qui  sera  magnifique,  est  pour  les 
descendants  de  Pierre  Corneille,  famille  noble  tombée  dans  la 
pauvreté.  J'ai  le  plaisir  de  servir  à  la  fois  ma  patrie  et  le  sang 
d'un  grand  homme.  L'édition,  ornée  des  plus  belles  gravures, 
se  fait  par  souscription,  et  on  ne  paye  rien  d'avance.  Elle  coû- 
tera environ  quatre  ducats  l'exemplaire.  Plusieurs  princes  donnent 
leur  nom.  11  serait  bien  honorable  pour  nous,  et  bien  digne  de 
votre  magnificence,  que  le  nom  de  Sa  Majesté  l'impératrice 
parût  à  la  tête.  Pour  le  vôtre,  monsieur,  et  pour  ceux  de  quelques- 
uns  de  vos  compatriotes  touchés  de  vos  exemples,  j'ose  y  compter. 
Nous  imprimons  la  liste  des  souscripteurs;  je  serais  bien  décou- 
ragé si  je  n'obtenais  pas  ce  que  je  demande. 

Cette  édition  de  Corneille,  avec  des  estampes,  me  fait  penser 
qu'il  serait  beau  d'orner  de  gravures  chaque  chapitre  de  Vllistoirc 
de  Pierre  le  Grand;  ce  serait  un  monument  digne  de  vous.  Le 
premier  chapitre  aurait  une  estampe  qui  représenterait  des 
nations  différentes  aux  pieds  du  législateur  du  Nord.  La  victoire 
de  Lesna,  celle  de  Pultava,  une  bataille  navale;  les  voyages  du 
héros,  les  arts  qu'il  appelle  dans  son  pays,  les  triomphes  dans 
Moscou  et  dans  Pétersbourg  ;  enfin  cha([ue  chapitre  serait  un  sujet 
heureux,  et  vous  auriez  érigé,  monsieur,  le  plus  beau  monument 
dont  l'imprimerie  pût  jamais  se  vanter.  Je  soumets  cette  idée  à 
vos  lumières  et  à  votre  attachement  pour  la  mémoire  de  Pierre 
le  (irand,  iv  votre  esprit  patriotique,  (jiie  vous  m'avez  communi- 
qué. Disposez  de  moi  tant  (jiieje  serai  en  vie.  Les  étincelles  (,1e 
\{)\v('  beau  Uwv  vont  jus([u'à  moi. 

(jue  Votre  E.xcellence  agrée  les  respects  et  le  tendre  attache- 
ment, etc. 


348  CORRESPONDANCE. 

4596.   —    DE    M.   AL15ERGATI    CAPACELLI. 

A  Bologne,  30  juin  1761. 

Monsieur,  l'amitié  est  un  doux  senlimenL  qui  naît  môme  parmi  les  per- 
sonnes qui  ne  se  sont  jamais  vues,  s'accroît  par  des  services  que  l'on  se 
rend  mutuellement,  et  se  nourrit  par  un  commerce  de  lettres,  agréable 
moyen  de  réunir  les  esprits  do  ceux  qui  sont  forcés  à  vivre  séparés.  L'es- 
time est  un  sentiment  plus  solide  et  plus  réfléchi,  dans  lequel  la  sympathie, 
la  reconnaissance  et  le  hasard,  ne  doivent  entrer  pour  rien. 

Ce  fut  quand  je  vis  paraître  sur  le  Théâtre  Italien  votre  admirable  Se?;n'- 
ramis  que  j'osai  vous  écrire  pour  la  première  fois,  pour  avoir  certaines 
instructions  que  je  crus  nécessaires  à  la  justesse  de  la  représentation  ^  La 
politesse  de  votre  réponse  m'encouragea  à  continuer  le  commerce  entre- 
pris. Aux  expressions  simplement  polies  et  cérémonieuses  succédèrent  les 
aimables  et  badines;  et  enfin,  à  quelques  mauvais  écrits  de  mon  cru,  que 
je  vous  envoyai,  vous  répondîtes  par  le  don  de  quelques-unes  de  vos  pro- 
ductions qui  n'étaient  pas  encore  répandues,  et  de  plusieurs  livres  anglais 
fort  rares  et  fort  estimables.  Je  comple  donc  le  grand  Voltaire  pour  mon 
ami,  et  je  m'applaudis  de  ma  conquête.  Applaudissoz-vous  de  votre  géné- 
rosité, (jui  vous  a  rendu  si  affectionné  envers  moi. 

Le  titre  que  vous  donnez  à  notre  union  est  trop  pompeux  pour  que  j'ose 
l'accepter.  Je  ne  fais  qu'aimer  et  admirer  les  arts  que  vous  possédez  en 
maître.  Je  suis  à  peine  initié  dans  ce  goût  qui  forme  la  vivacité  de  vos  pen- 
sées et  de  vos  expressions. 

Vous  vous  êtes  plaint  à  moi  fort  souvent  des  petits-maîtres  qui  s'érigent 
en  juges,  et  parlent  décisivement  de  toutes  choses.  Mais  la  France  n'est  pas 
le  seul  pays  qui  en  soit  infecté.  Hélas!  l'Italie  en  fourmille;  ma  patrie  en 
regorge.  Imaginez-vous  ce  que  peut  être  la  copie  d'un  misérable  original. 
Plusieurs  de  nos  jeunes  gens  se  transplantent  avec  leur  fantaisie  dans  votre 
pays,  et  se  croient  y  être  sufTisamment  naturalisés  dès  que  leur  figure  est 
parée  d'une  façon  extraordinaire,  dès  qu'ils  ont  le  courage  de  franchir  toutes 
les  bornes  de  la  bienséance  et  de  la  retenue,  et  dès  qu'ils  ont  acquis  un 
certain  fonds  d'impertinence  et  d'effronterie  qui  les  met  au-dessus  de  tous 
les  égards.  Le  bon  goût  pour  le  théâtre,  grâce  à  ces  messieurs-là,  ne  bat 
que  d'une  aile,  et  est  prêt  à  tomber.  La  musique,  la  danse,  en  ont  exilé  la 
brillante  comédie  et  la  tragédie  passionnée.  Bien  loin  de  mettre  le  temps 
à  profit,  on  aime  à  le  tuer.  Dans  les  loges,  dans  le  parterre,  ce  sont  les 
spectateurs  qui  veulent  fixer  l'attention  et  se  faire  remarquer  par  leur  bruit. 
Les  acteurs  doivent  être  contents  de  l'argent  qu'ils  gagnent.  Quel  dommage 
ne  serait-ce  en  effet  si  les  amateurs  des  spectacles  devaient  se  tenir  muets 
dans  leurs  places,  et  entendre  patiemment  parler  les  Voltaire,  les  Racine,  les 
Molière,  les  Goldoni!  L'on  n'a   qu'à  faire  le  tour  des  loges,  et  après  des- 

1.  C'est  en  réponse  à  cette  première  lettre  d'Albergati  Capacelli  que  Voltaire 
lui  adressa  celle  du  4  décembre  1758. 


AN-NEE    1761.  349 

cendre  au  partoiTC.  pour  être  extasié  des  traits  d'esprit,  des  saillies,  des 
bons  mots,  et  de  l'iniportanco  des  discours  qui  y  régnent,  et  empêchent 
qu'on  ne  s'endorme  aux  fadaises  de  vous  autres  auteurs.  En  vérité,  mon 
ami,  quel(|ues-uns  de  nos  théâtres  vous  consoleraient  Lien  de  la  peine  que 
vous  font  les  spectateurs  français. 

Le  bon  sens  étant  proscrit,  il  n'est  pas  étonnant  si  les  opéras  et  la  danse 
exercent  leur  despotisme  :  car  ce  sont  les  spectacles  les  mieux  goûtés  par 
ces  compagnies  d'étourdis  que  l'oisiveté  rassemble,  que  la  médisance 
anime,  et  (jue  la  lubricité  soutient.  Les  eunuques  et  les  danseurs,  dont  nous 
sommes  véritablement  inondés,  sont  pour  l'art  comique  et  tragique  autant 
de  Goths,  d'ilérules,  et  de  Vandales,  qui  dans  les  théâtres  ont  apporté  ou 
secondé  l'ignorance  et  le  mauvais  goût.  L'extravagance  des  opéras  sérieux, 
les  grimaces  des  burlesques,  et  le  mimique  des  ballets,  sont  restés  maîtres 
de  la  place. 

LecéU'bre  Goldoni,  (jui  a  mérité  vos  éloges,  a  fait  connaître  que  l'on  peut 
rire  sans  honle,  s'instruire  sans  s'ennuyer,  et  s'amuser  avec  profit.  Mais  quel 
essaim  de  babillards  et  de  censeurs  indiscrets  s'éleva  contre  lui  !  Par  ceux 
que  je  connais  personnellement,  je  les  divise  en  deux  classes  :  la  première 
comprend  une  espèce  de  savants  vétilleux  que  nous  appelons  parolai,  juo-es 
et  connaisseurs  des  mots,  qui  prétendent  que  tout  est  gâté  dos  qu'une 
phrase  n'est  pas  tout  à  fait  cruscanle,  dès  qu'une  parole  est  tant  soi  peu 
déplacée,  ou  que  l'expression  n"est  pas  assez  noble  et  sublime.  Je  crois 
qu'il  y  aurait  à  contester  longtemps  sur  ces  imputations  ;  mais  laissons  à  part 
tout  débat.  La  réponse  est  facile  ;  c'est  Horace  qui  la  donne  : 

Ubi  plura  nitent  in  carminé,  non  ego  paucls 
OfTendar  maculis,  quas  aut  incuria  fudit, 
Aut  humana  paruni  cavit  natura  '. 

Et  Dryden  ajoute  fort  censément  : 

Krrors,  like  straws,  upon  the  surface  flow, 

Ile,  who  would  scarch  for  pearl,  must  divur  bclow'- 

L'autre  classe,  qui  est  la  plus  fière,  est  un  corps  respectable  de  plusieurs 
nobles  des  deux  sexes,  qui  crient  vengeance  contre  M.  Goldoni,  parce  qu'il 
ose  exposer  sur  la  sccno  le  comte,  le  marquis,  et  la  dame,  avec  des  caractères 
ridicules  et  vicieux,  qui  no  sont  pas  parmi  nous,  ou  (jui  ne  doivent  pas  être 
corrigés.  Le  crime  vraiment  est  énorme,  et  le  criminel  mérite  un  rigoureux 
châtiment.  11  a  eu  tort  de  s'en  tenir  au  sentiment  de  Despréaux  : 

I,a  noblesse,  I)aiif,'eau,  n'est  pas  une  cbinière, 
Quand,  sous  l'étroite  loi  d'une  vertu  sévère, 
Un  bonune  issu  d'un  saii},'  fécond  en  demi-dieux 


1.  Horace,  de  Arte  poetica,  ;!rj|-3.'t3. 

2.  (I  Les    fautca  surnagent  comme   de  la  paille;  celui  qui  veut  des  perles  doit 
plonger  au  fond.  » 


350  CORRESPONDANCE. 

Suit  comme  toi  la  trace  où  marchaient  ses  aïeux. 
Mais  je  ne  puis  souflVir  qu'un  fat,  dont  la  mollesse 
N'a  rien  pour  s'appuyer  qu'une  vaine  noblesse, 
Se  pare  insolemment  du  mérite  d'autrui, 
Et  me  vante  un  honneur  ([ui  ne  vient  pas  de  lui. 

Goldoni  devait  respecter  mômo  les  travers  des  gens  de  condition,  et  se 
borner  à  un  rang  obscur  et  indifférent,  qui  lui  aurait  fourni  d'insipides 
matières  pour  ses  comédies. 

Les  Athéniens  punissaient  rigoureusement  tout  auteur  comique  dont  la 
raillerie  était  générale  et  indiscrète.  Ils  voulaient  qu'on  nommât  les  person- 
nes, quel  que  fût  leur  rang,  et  jugeaient  inutile  la  correction  que  la  comédie 
a  pour  but,  dès  qu'elle  ne  décelait  la  personne  ridicule  ou  vicieuse  par  son 
propre  nom.  Quel  embarras  ne  serait  pas  pour  Aristophane,  pour  Ménandre, 
la  délicatesse  de  nos  jours? 

Ridendo  dicere  verum 
Quid  vetati? 

M.  Goldoni  a  répété  tout  cela  plusieurs  fois  pour  obtenir  son  pardon  ;  mais 
on  ne  l'en  a  pas  jugé  digne.  Je  me  trouvai  à  la  première  représentation  del 
Cavalière  e  la  Dama,  qui  est  une  de  ses  meilleures  pièces;  vous  en  con- 
naissez le  prix,  nous  en  connaissons  tous  la  vérité;  et  ce  fut  justement  la 
vérité  de  l'action  et  des  caractères  qui  souleva  contre  l'auteur  ses  premiers 
ennemis  dans  notre  ville.  On  lui  reprocha  de  s'être  faufilé  trop  librement 
dans  le  sanctuaire  de  la  galanterie,  et  d'en  avoir  dévoilé  les  mystères  aux 
yeux  profanes  de  la  populace.  Les  chevaliers  errants  se  piquèrent  de  défen- 
dre leurs  belles  :  celles-ci  les  excitèrent  à  la  vengeance  par  certaine  rougeur 
de  commande,  fille  apparente  de  la  modestie,  mais  qui  l'est  réellement  de 
la  rage  et  du  dépit. 

Enfin,  monsieur,  on  pourra  jouer  sur  la  scène,  dans  Pyrrhus,  l'amour 
d'un  roi  qui  manque  à  sa  parole;  dans  Sémiramis^  l'impiété  d'une  reine 
qui  se  porte  à  verser  le  sang  de  son  époux  pour  régner  à  sa  place  ;  dans 
C/tmene,  les  amoureux  transports  d'une  princesse  pour  le  meurtrier  de  son 
père;  et  tant  d'autres  monarques  empoisonneurs,  traîtres,  tyrans,  sans  qu'il 
soit  permis  d'y  exposer  nos  faiblesses. 

Voilà  le  pi'ocès  que  l'on  fait  à  Goldoni;  imaginez-vous  quels  en  peuvent 
être  les  accusateurs.  11  a  fait  le  sourd;  il  a  continué  son  train;  et  par  là  il 
a  obtenu  la  réputation  d'auteur  admirable  et  de  peintre  de  la  nature,  titres 
que  vous-même  lui  avez  confirmés.  Mais  revenons. 

Je  vous  remercie  de  tout  mon  cœur  des  compliments  que  vous  me  faites 
sur  mon  penchant  pour  le  théâtre,  et  sur  le  gotît  que  j'ai  pour  la  représen- 
tation; mais  cela  a  encore  ses  épines. 

Je  ris  des  discours  de  ces  aristarques  qui,  d'un  ton  caustique  et  sévère, 
passent  la  journée  à  ne  rien  faire,  et  médisent  cliaritablement  de  ce  que  les 
autres  font.  Le  chant  des  cigales  est  ennuyeux  ;  mais  il  faudrait  être  bien 

1.  Horace,  livre  I,  satire  i,  vers  24-25. 


ANNÉE    ^761.  351 

fou,  nous  dit  le  cclèl)re  I^ocalini,  pour  se  doniior  la  j)eine  de  les  tuer.  Avant 
<jue  le  soleil  se  couche,  elles  crèveront  toutes  d'elles-mùmes. 

Ce  serait  vous  ennuyer  mortellement  que  de  vous  faire  un  détail  de  toutes 
les  contradictions  que  j'ai  soutenues  et  des  oppositions  (juc  jai  rencon- 
iréos  dans  mes  amusements  de  théâtre.  11  n'en  a  pas  fallu  davantage  pour 
faire  que  ce  qui  était  en  moi  un  simple  goût  devînt  ma  passion  prédomi- 
nante. 

C'est  l'eflet  que  sur  moi  lit  toujours  la  menace. 

Le  jeu,  la  table,  la  chasse,  et  la  danse,  seront  des  passe-temps  applaudis, 
et  c'est  par  là  que  la  jeunesse  de  notre  rang  brille  dans  le  monde;  tandis  que 
la  représentation  théâtrale  sera  blâmée,  et  que  l'on  tournera  en  ridicule  ceux 
qui  s'y  amusent  :  c'est  estimer  plus  les  hommes  qui  végètent  que  ceux  qui 
vivent.  Je  ne  dis  pas  qu'on  doive  ranger  au  nombre  des  occupations  sérieuses 
et  importantes  le  jeu  tliéâtral.  Je  no  le  conseillerais  à  un  jeune  homme 
que  pour  un  délassement  utile,  et  |)our  un  moyen  de  donner  un  plein  essor 
à  cette  vivacité  fougueuse  et  bouillante  qui  pourrait  se  porter  à  des  jeux 
moins  innocents.  Les  personnes  toujours  oisives  ou  nalurellement  slupides 
n'ont  que  faire  de  ces  exercices,  et  leurs  talents  n'y  suffiraient  pas. 

Ne  croyez  pas  que  je  veuille  faire  rejaillir  sur  moi  l'éloge  que  je  fais  de 
l'art  théâtral.  Je  l'aime  passionnément,  je  vous  l'avoue,  mais  je  m'y  connais 
à  peine  dans  la  médiocrité,  et  j'en  use  avec  toute  la  modération;  non  que 
j'en  craigne  les  critiques,  mais  pour  n'en  pas  émousser  en  moi  le  goût  qui 
m'y  entraîne;  le  papillon  revenant  sans  cesse  sur  les  mêmes  fleurs,  parce 
qu'il  ne  fait  que  les  effleurer  légèrement. 

Il  ne  peut  y  avoir  d'apologie  plus  sensée  et  plus  éloquente  en  faveur  de 
l'art  théâtral  que  ce  que  vous  en  dites  vous-même  dans  la  lettre  que  vous 
m'avez  fait  l'honneur  de  m'adresser.  Mais  vos  belles  pièces  en  sont  un  éloge 
encore  plus  complet. 

Votre  Tancréde  a  reçu  jusqu'à  présent  tout  le  lustre  qui  pouvait  conve- 
nir à  un  excellent  ouvrage.  Composé  par  M.  de  Voltaire,  traduit  en  vers 
Lianes  par  M.  Augustin  Paradisi,  l'un  de  nos  meilleurs  poètes,  dédié  à 
JVI"'"  de  Pompadour,  cette  aimable  Aspasic  do  notre  siècle;  on  ne  peut  rieu 
ajouter  ii  sa  gloire. 

La  traduction  en  est  admirable  :  vous  connaissez  les  laloiils  du  traduc- 
teur, et  vous  seriez  bien  aise  de  le  connaître  aussi  personnellement.  Vous 
verriez  un  jeune  homme  qui  joint  aux  grâces  de  la  plus  brillante  jeunesse 
la  maturité  d'un  véritable  savant,  sans  cet  air  do  pédanterie  qui  décrie  la 
sagesse  mémo.  Ce  n'est  pas  l'amitié  que  je  proteste  à  co  digne  cavalier  (jui 
me  fait  parler,  mais  plutôt  c'est  elle  qui  me  fait  taire,  crainte  do  blesser  sa 
modestie  par  mes  louanges.  Jo  vais  l'avoir  avec  moi  à  ma  maison  do  cam- 
pagne, où  d'ici  ÏKiuelques  jours  jo  jouerai  Tancrcdc.  J'aimerais  bien  (]U0  la 
respectable  dame  ipii  en  protège  l'impression  en  protégeât  aussi  la  reprc'- 
senlalion  et  les  acteurs.  Que  ne  puis-jo  l'en  voir  spectatrice!  ([ue  no  puis-je 
vous  y  voir  auprès  d'elle!  Jo  me  vanterais  alors  d'avoir  rassemblé  chez  moi 
les  trois  Grâces,  non  pas  feintes  cl  idéales,  mais  véritables  ol  réelles. 


3S2  CORRESPONDANCE. 

A  la  roprc'sentation  do  votre  rancrè^/e,  je  joindrai  la  Pliêih'e  ûe  Racine, 
que  j'ai  traduite  en  vers  blancs  moi-même,  n'en  déplaise  aux  mânes  du 
célèbre  écrivain. 

Les  troubles  littéraires  qui  inquiètent  en  France  la  république  des 
savants  ne  seraient  point  à  blâmer  s'ils  étaient  les  effets  d'une  noble  ému- 
lation; mais  qu'ils  seraient  honteux  si  c'était  l'envie  et  la  cabale  qui  les  fît 
naître!  Je  n'ose  entrer  dans  cet  examen,  faute  de  connaissances;  et  quand 
même  celles-ci  ne  manqueraient  pas,  il  faudrait  garder  trop  de  réserve. 

A  l'égard  de  la  religion,  le  pays  où  vous  vivez  achève  votre  apologie. 
La  religion  y  est  libre,  et  vous  y  pourriez  sans  masque  faire  paraître  au 
grand  jour  votre  manière  de  penser.  C'est  pourquoi  je  ne  saurais  révoquer 
en  doute  la  vénération  que  vous  protestez  hautement  îi  notre  saint  pontife, 
et  l'entière  déférence  à  son  infaillible  autorité. 

Je  me  réjouis  avec  vous  des  persécutions  que  forment  contre  vous,  mon- 
sieur, vos  calomniateurs.  Censure,  dit  très-bien  le  docteur  Swift,  is  lltc  lax 
a  man  pays  lo  the  public  foi'  being  eminent^.  Il  n'y  a  pas  de  pays  litté- 
raire qui  n'ait  ses  Fréron;  mais  il  n'y  a  que  la  France  qui  puisse  se  glori- 
fier d'un  Voltaire  ;  et  si  vous  êtes  en  butte  aux  critiques  et  aux  impostures, 
c'est  que  votre  nom  excite  l'envie  aussi  bien  que  l'admiration. 

Il  est  dommage  pourtant  que  l'art  satirique  soit  devenu  le  partage  de 
l'ignorance  et  de  la  malignité. 

On  peut  à  Dcsprcaux  pardonner  la  satire  *, 
Il  joignit  l'art  de  plaire  au  malheur  de  médire  : 
Le  miel  que  cette  abeille  avait  tiré  des  fleurs 
Pouvait  de  sa  piqûre  adoucir  les  douleurs. 
Mais  pour  un  lourd  frelon  méchamment  imbécile, 
Qui  vit  du  mal  qu'il  fait,  et  nuit  sans  être  utile, 
On  écrase  à  plaisir  cet  insecte  orgueilleux, 
Qui  fatigue  l'oreille,  et  qui  choque  les  yeux. 

Quelquefois  des  zélateurs  sincères  sont  censeurs  indirects;  et  alors  il 
leur  faut  dire  avec  Cicéron  :  Istos  homines  sine  contamelia  dimillamus; 
sunt  eyiim  boni  viri,  et  quo7iiam  ila  ipsi  sibi  videnlur  beuli.  Mais  il  est 
fort  rare  et  presque  impossible  que  le  zèle  sincère  produise  jamais  la  médi- 
sance. 

J'ai  lu  VOracle  des  nouveaux  philosophes,  la  Lettre  du  diable,  et  d'au- 
tres pièces  détestables,  où  l'on  vomit  contre  vous  mille  injures  et  invec- 
tives. J'y  entrevois  la  rage  qui  les  dicte,  et  point  la  raison  ni  la  vérité.  Ce 
même  acharnement  vous  donne  gain  de  cause,  et  rend  plus  facile  la  décision 
entre  vous  et  vos  adversaires.  Voici  ce  que  dit  Loibnitz  dans  une  lettre  à  la 
comtesse  de  Kilmansegg  :  «  Un  cordonnier  à  Leyde,  quand  on  disputait  des 
thèses  à  l'université,  ne  manquait  jamais  de  se  trouver  à  la  dispute  publi- 
que. Quelqu'un  qui  le  connaissait  lui  demandait  s'il  entendait  le  latin?  «  Non, 

1.  «  La  critique  est  la  taxe  qu'un  homme  paye  au  public  pour  être  éminent.  » 

2.  Ces  vers  sont  de  Voltaire,  troisième  Discours  sur  l'Homme;  voyez  tome  L\. 


ANNÉE    1761.  353 

«  dit-il,  et  je  ne  veux  pas  ini^me  me  donner  la  peihe  de  l'entendre.  —  Pour- 
«  quoi  venez-vous  donc  si  souvent  dans  cet  auditoire  ?  —  C'est  que  je  prends 
«  plaisir  à  juger  des  coups.  —  Et  comment  en  jugez-vous,  sans  savoir  ce 
«  qu'on  dit?  —  C'est  que  j'ai  un  autre  moyen  de  juger  qui  a  raison.  —  Et 
«  comment?  —  C'est  que  quand  je  vois  à  la  mine  d'un  qucNju'un  qu'il  se 
«  fâche,  et  qu'il  se  met  en  colère,  je  juge  que  les  raisons  lui  manquent,  et 
«  qu'il  a  tort.  » 

11  me  semble  que  cet  artisan  raisonnait  juste,  et  je  m'en  tiens  à  son  rai- 
sonnement dans  plusieurs  occasions.  En  faisant  de  môme,  vous  répondrez 
par  mille  remerciements  à  tous  vos  persécuteurs.  Le  temps  viendra  que  tout 
le  monde  pourra  s'écrier  sur  votre  compte  : 

Envy  itself  is  dumb,  in  wonder  lost, 

And  factions  strive  who  shall  applaud  himmost'. 

Je  vais  dans  peu  de  jours  me  tranquilliser  à  la  campagne.  Le  recueil  de 
vos  ouvrages  est  l'ami  le  plus  ûdèle,  le  plus  gai,  et  le  plus  utile  qui  m'ac- 
compagne. En  vous  lisant,  je  répète  sans  cesse  d'après  M.  Algarotti  : 

Felice  te  !  che  la  robusta  prosa 
Guidi  del  pari,  e  il  numéro  sonante  ; 
Gui  dcir  attico  mel  nudrii-  le  Muse, 
E  ingagliardir  d'  alto  saper  Minerva 
Non  mai  di  te  minor,  Roscio  d' ogni  artc. 

Je  VOUS  souhaite  de  tout  mon  cœur  long  lifc,  good  heallh,  ininlerrap- 
led  peace,  une  longue  vie,  une  bonne  santé,  et  une  paix  non  interrompue. 

Albergati   Capacelli. 


4597.   —  A  M.   L'ABDK   D'OLIVET. 

A  Fcrney,  en  Bourgogne,  par  Genève,  30  juin*. 

Mon  entreprise,  mon  cher  maître,  m'attache  de  plus  en  plus 
au  grand  Corneille.  Je  l'aime  autant  que  vous  aimez  Cicéron  ;  et 
pliU  à  Dieu  qu'il  eût  toujours  parlé  sa  langue  aussi  purement, 
aussi  noblement  que  Cicéron  parlait  la  sienne  !  Vous  avez  un 
grand  avantage  sur  moi  :  Cicéron  n'a  point  lait  de  mauvais  ou- 
vrages, Corneille  en  a  trop  lait,  je  ne  dis  pas  d'indignes  de  lui, 
je  dis  absolument  indignes  du  lliéAlre.  Je  suivrai  donc  votre 
sage  conseil,  je  ne  commenterai  aucune  de  ses  comédies,  excepté 
le  Menteur,  m  aucune  des  tragédies  qui  n'ont  pu  rester  au  (liéàlre. 

1.  M  L'Envie  inèine  ùionnéc  dcviont  muette;  et  les  difTéronts  partis  se  dclicul 
à  qui  vous  applaudira  plus  hautcuicul.  » 

1.  C.i-Alc  lettre,  riassi'e  jmr  Blmu-IioI  à  l'année  1702,  est  de  1701. 

41.    —   ConilKSl'O.NUANCH.    l.\.  23 


3oi  COUHESrONDANCIi. 

Ses  l)('an\  ouvrages  en  seront  pcnt-êlre  plus  ])r('cicux,  quand  ils  ne 
])araîlr()nt  point  avec  ceux  qui  pourraient  l'aire  tort  à  sa  gloire. 

Vous,  mon  cher  maître,  qui  partagez  avec  l'éloquent  Pellisson 
rhonneur  d'avoir  fait  l'Histoire  de  l'Académie  avec  autant  de 
sagesse  que  de  vérité,  vous  êtes  plus  à  portée  que  personne  de 
m'instruire  si  Chapelain  n'a  pas  eu  la  plus  grande  part  au  juge- 
ment sur  le  Cid,  jugement  très-équitable  à  mon  avis  en  plusieurs 
endroits,  mais  qui,  dans  d'autres,  me  paraît,  comme  au  public, 
un  peu  trop  sévère.  Si  vous  avez  quelque  anecdote  sur  le  fameux 
procès,  je  vous  prie  de  me  la  communiquer. 

Je  vous  prie  surtout  d'assurer  l'Académie  que  si  elle  se  plaint 
de  mon  insuffisance  dans  mes  notes  sur  le  grand  Corneille, 
elle  n'accusera  pas  mon  orgueil.  Je  fuirai  ce  ton  décisif  que 
prennent  nos  jeunes  auteurs,  et  qui  ne  me  convient  pas  plus 
qu'à  eux. 

Où  pourrai-je  trouver  la  lettre  d'un  nommé  Claveret,  qui  dit 
tant  de  mal  du  Cid,  et  celle  de  Balzac,  qui  lui  rend  tant  de 
justice?  Ne  pourriez-vous  point  demander  à  M.  l'abbé  Cappe- 
ronnier  tout  ce  qu'il  a  dans  la  Bibliothèque  du  roi?  Je  le  rendrai 
fidèlement.  On  a  déjà  daigné  m'envoyer  des  livres  qui  ne  se 
trouvent  que  là,  et  je  les  ai  rendus  aussi  bien  conditionnés  qu'on 
me  les  avait  prêtés.  J'aurai  l'honneur  d'en  écrire  à  M.  Capperon- 
nieri  ;  mais  je  me  flatte  qu'étant  prévenu  par  vous  il  en  sera  plus 
disposé  à  m'accorder  ses  secours. 

M.  de  Chammcville  doit  aimer  les  lettres,  puisqu'il  permet 
que  vos  paquets  passent  sous  son  contre-seing.  Je  ne  doute  pas 
qu'il  ne  trouve  bon  que  son  nom  soit  imprimé  dans  la  liste  des 
souscripteurs  qui  serviront  à  encourager  les  autres. 

On  rejouera  bientôt  Oreste.  Je  vous  prierai  de  me  dire  si  cette 
pièce  sapil  antiquilalem,  et  ce  que  j'y  dois  corriger  pour  l'impres- 
sion. Je  ne  ferai  point  tort  à  VÈlcclre  de  M.  Crébillon,  et  je  me 
ferai  un  grand  honneur  de  marcher  après  lui. 

Ama  me,  et  Corncliiim  tiierc  et  Corncliam. 

4o98.    -A   M.  ARNOULT, 

A    DIJOA. 

Fernej',  le  0  juillet. 

Je  vous  suis  obligé,  monsieur,  des  éclaircissements  que  vous 
me  donnez.  Je  pensais  qu'il  n'était  pas  permis  à  un  officiai  de 

Voyez  au  13  juillet. 


ANXl-1-     176  1.  3û5 

citer  des  séculiers  sans  riiitcrventioii  de  la  justice  du  roi;  et  il 
est  clair  que  cet  imbécile  de  Pontas  *  rapporte  tort  mal  l'ordon- 
nance de  1G27.  L'official  de  Gex  est  dilment  oliicial  ;  mais  je  crois 
qu'il  a  très-indûment  instrumenté  le  8  juin.  Deux  témoins  sont 
prêts  à  déclarer  qu'il  les  a  voulu  induire  à  déposer  contre  moi. 
Et  de  quoi  s'agit-il,  pour  l'aire  tant  de  vacarme?  d'une  croix  de 
bois  qui  ne  peut  subsister  devant  un  portail  assez  beau  que  je 
lais  faire,  et  qui  en  déroberait  aux  yeux  toute  l'arcbitecture.  Il  a 
fait  dire  ù  un  malbeureux  f|ue  j'ai  appelé  cette  croix  figure;  à 
un  autre,  que  je  l'ai  appelée  poteau:  il  prétend  que  six  ouvriers 
qu'il  a  interrogés  déposent  que  je  leur  ai  dit,  en  parlant  de  cette 
croix  de  bois  qu'il  fallait  transplanter  :  Olez-mol  celte  potence.  Or 
de  ces  six  ouvriers  quatre  m'ont  fait  serment,  en  présence  de 
témoins,  qu'ils  n'avaient  jamais  proféré  une  pareille  imposture, 
et  qu'ils  avaient  répondu  tout  le  contraire.  Des  deux  témoins  qui 
restent,  et  que  je  n'ai  pu  rejoindre,  il  y  en  a  un  qui  est  décrété 
de  prise  de  corps  depuis  quatre  mois,  et  l'autre  est  convaincu 
de  vol. 

Au  reste,  monsieur,  je  suis  bien  aise  de  vous  dire  que  cette 
croix  de  bois,  qui  sert  de  prétexte  aux  petits  tyrans  noirs  de  ce 
petit  pays  de  Gex,  se  trouvait  placée  tout  juste  vis-à-vis  le  por- 
tail de  l'église  que  je  fais  bâtir,  de  façon  que  la  tige  et  les  deux 
bras  l'olfusquaient  entièrement,  et  qu'un  de  ces  bras,  étendu 
juste  vis-îi-vis  le  frontispice  de  mon  cliùteau,  figurait  réellement 
une  potence,  comme  le  disaient  les  cbarpentiers.  On  appelle 
potence,  en  terme  de  l'art,  tout  ce  qui  soutient  des  clievrons  sail- 
lants; les  chevrons  qui  soutiennent  un  toit  avancé  s'appellent 
potence;  et  quand  j'aurais  appelé  cette  ligure  potence,  je  n'aurais 
parlé  qu'en  bon  architecte. 

J'ai  de  plus  passé  un  acte  authentique  par-dcnant  notaire 
avec  h's  habitants,  par  lequel  nous  sommes  convenus  que  cette 
croix  (le  vilhige  serait  placée  comme  je  le  veux.  Vous  remar- 
([iicrez  encore  (lu'oii  iic  la  ([('rangea  (ju'avec  le  consciilcuu'iit  du 
curé. 

Ainsi  vous  voyez,  monsieur,  (jue  voilà  le  plus  imperlinent 
|)rétcxte  que  jamais  les  ennemis  de  la  justice  du  roi  et  des  sei- 
gneurs puissent  picndre  pour  in(|uiéler  un  bienfaiteur  assez  sot 
pour  se  ruiiu-r  à  bâtir  une  belle  église,  dans  un  pays  où  Dieu 
n'est  servi  (jue  dans  des  écui'ies.  Ceux  (jiii  me  l'onl  ce  procès  de- 


1.  Joaii    I'<»iitas,  casuislp,   né  dans   le  diocùsu  d'Avraiiclics  eu    lOll 
171X. 


356  COURES  TON  DANCE. 

vraicnt  6trc  plutôt  à  une  mangeoire  qu'à  un  autel.  Ils  n'ont  rien 
fait  (le|)uis  le  8  de  juin,  mais  ils  menacent  toujours  de  faire,  et 
ils  mo  paraissent  aussi  insolents  que  menteurs. 

Vous  aurez  sans  doute  vu,  monsieur,  par  l'afTaire  d'Ancian, 
que  parmi  ces  animau\-là  il  y  en  a  qui  ruent.  Si  ce  curé  Ancian 
est  brutal  comme  un  cheval,  il  est  malin  comme  un  mulet,  et 
rusé  comme  un  renard  ;  mais,  malgré  ses  ruses,  je  crois  que 
vous  le  prendrez  au  gîte.  Je  puis  vous  assurer  que  lui  et  ses  con- 
frères ont  employé  toutes  les  friponneries  profanes  et  sacrées 
pour  avoir  de  faux  témoins  ;  ils  se  sont  servis  de  la  confession, 
qui  met  les  sots  dans  la  dépendance  des  prêtres.  Je  n'ai  point 
vu  les  procédures,  mais  je  puis  vous  assurer,  sur  mon  honneur 
et  sur  ma  vie,  que  ce  curé  Ancian  est  un  scélérat  des  plus  punis- 
sables que  nous  ayons  dans  l'Église  de  Dieu.  Il  ne  peut  empêcher, 
malgré  tous  ses  artifices  et  tous  ceux  de  ses  confrères,  que 
Decroze  n'ait  eu  le  crâne  fendu  dans  la  maison  où  ce  curé  alla 
faire  le  train  au  milieu  de  la  nuit  la  plus  noire,  avec  quatre 
coupe-jarrets.  Je  ne  veux  que  ce  fait  :  tout  le  reste  me  paraît  peu 
de  chose.  Le  père  Decroze  peut  envoyer  aux  juges  trois  serviettes 
qu'il  conserve  teintes  du  sang  de  son  fils  ;  elles  devraient  servir 
à  étrangler  le  curé  de  Moèns,  pourvu  que  préalablement  il  fût 
bien  confessé  K 

Je  suppose,  monsieur,  que  vous  avez  envoyé  votre  mémoire 
à  M.  de  Greilly  :  c'est  encore  un  curé  à  relancer.  Je  vous  ai 
envoyé  à  la  chasse  aux  prêtres  :  si  vous  voulez  venir  reconnaître 
votre  gibier  au  mois  de  septembre,  comme  vous  me  l'avez  fait 
espérer,  je  compte  bien  que  le  rendez -vous  de  chasse  sera  chez 
moi. 

Je  viens  d'écrire  au  bureau  des  postes  de  Genève,  pour  savoir 
si  ce  n'est  point  quelque  prêtre-commis  des  postes  qui  a  fait  la 
friponnerie  de  faire  payer  deux  fois  le  port. 

Nota  benc  que  je  ne  mets  point  mon  curé  au  nombre  des  bêtes 
puantes  que  vous  devez  chasser  ;  je  suis  d'accord  avec  lui  en  tout. 
11  est  très-reconnaissant,  du  moins  quant  à  présent;  et  il  peut 
servir  de  piqueur  dans  la  chasse  aux  renards  que  nous  méditons. 

J'ai  l'honneur  d'être,   en  bon  laïque,  monsieur,  votre,  etc. 


1 .  Il  a  été  condamné  aux  galères,  par  arrêt  du  parlement  de  Bourgogne,  pour 
cet  assassinat  prémédité.  (K.)  —  Malgré  des  recherches  persévérantes,  aucun 
document  n'est  venu  jusqu'ici  confirmer  cette  assertion  des  éditeurs  de  Kehl.  Voyez 
Desnoiresterres,  Voltaire  et  J.-J.  Rousseau,  page  56. 


ANNÉE    1761.  357 

4599.  —  A   M.   LE   COMTE   D'ARGENTAL. 

G  juillet. 
Quoi!  dit  Alix,  cet  homme-ci  s'endort 
Après  trois  fois!  Ali,  chien,  lu  n'es  pas  carme  M 

On  me  dira  :  Tu  n'es  pas  Sophocle. 

Ceci,  mes  adorables  anges,  est  en  réponse  de  la  lettre  du 
30  de  juin,  dans  laquelle  vous  me  reprochez  ma  glace.  Vraiment 
il  n'est  que  trop  vrai  que  TAge,  les  maladies,  les  bâtiments,  les 
procès,  peuvent  geler  un  pauvre  homme.  J'étais  peut-être  trés- 
froid  quand  j'ai  radoubé  Orcste,  mais  je  suis  très-vif  quand  vous 
avez  la  bonté  de  le  faire  jouer;  et  cette  vivacité,  mes  chers  anges, 
est  toute  en  reconnaissance,  et  non  en  amour-propre  d'auteur. 
Cependant,  comme  cet  amour-propre  se  glisse  partout,  je  vous 
prierai  de  faire  jouer  Oresie  une  quatrième  l'ois,  après  l'avoir 
annoncé  pour  trois  ;  mais  en  cas  qu'elle  réussisse,  en  cas  que  le 
public  soit  pour  la  quatrième  représentation,  et  qu'elle  soit 
comme  accordée  à  ses  désirs.  Il  se  i)Ourra  qu'en  été  trois  fois 
lassent  le  parterre  ;  alors  je  me  retirerai  avec  ma  courte  honte. 

J'insiste  beaucoup  plus  sur  ce  Pantalon  de  Hezzopico-  ;  c'est 
un  bœuf  qui  ne  sait  pas  un  mot  de  français,  et  qui  est  assez  épais 
pour  ne  me  pas  connaître;  mais  ce  n'est  pas  à  lui  que  j'écris, 
c'est  au  cardinal  Passionei,  homme  de  beaucoup  d'esprit,  homme 
de  lettres,  et  qui  fait  de  Rezzonico  le  cas  qu'il  doit.  Il  y  a  long- 
temps qu'il  m'honore  de  ses  bontés.  Je  ne  demande  à  M.  le  duc 
de  Choiseul  rien  autre  chose,  sinon  qu'il  ait  la  bonté  de  faire 
donner  cours  à  mon  paquet.  La  grAcc  est  légère  ;  mais  je  la 
demande  très-instamment.  Monsieur  le  comte  de  Choiseul,  pro- 
tégez-moi dans  cette  importante  négociation. 

Je  demande  trois  ridicules  à  Rezzonico  :  qu'il  m'en  accorde 
un,  cela  me  suffira,  et  s'il  me  refuse,  il  n'y  a  rien  de  perdu,  pas 
mémo  mon  crédit  eu  cour  de  Rome. 

1.  Voici  les  premiers  vers  do  cette  pièce  : 

Masqué  du  froc  d'un  enfant  d'Elysée, 

Damon  pressait  s<i-ur  Alix  ;  ot  d'abord 

Par  cet  habit  la  belle  humanisi^o, 

Avec  Damun  fut  ai»<^nient  d'accord. 

Lui,  pour  rhonneur  du  froc,  fil  maint  effort; 

Mais  trois  exploits  mirent  bas  le  gendarme. 

Quoi,  dit  Alix... 

Au  lieu  de  trois  on  lit  xlx  dans  les  impressions  de  cette  cpi;^raiiime.  (T..) 

2.  Voyez  la  fin  de  la  lettre  4594. 


3{:>8  CORRESPONDANCE. 

Comment,  mes  procès  terminés!  Dieu  m'en  préserve!  Jl  faut 
que  M""^  Denis  vous  ait  parlé  de  quelques  anciens  procès.  Mais, 
pour  peu  que  dans  ce  monde  on  ait  un  champ  et  un  pré,  ou 
qu'on  fasse  Mtir  une  église,  ou  qu'on  fasse  une  ode  comme 
M.  Le  Brun,  on  est  en  guerre.  Mais  je  ne  sais  point  de  plus  sotte 
guerre  que  celle  qu'on  a  faite  aux  Anglais  sans  avoir  cent  vais- 
seaux de  ligne  et  quarante  mille  hommes  de  marine. 

Divins  anges,  si  l'abbé  Coyer  parle  comme  il  écrit,  il  doit  être 
fort  aimahle^.  Mais  ma  mère,  qui  avait  vu  Despréaux,  disait  que 
c'était  un  bon  livre  et  un  sot  homme. 

La  nièce,  la  pupille,  et  l'oncle,  baisent  le  bout  de  vos  ailes. 

Pour  Dieu,  que  mon  paquet  parte;  c'est  tout  ce  que  je  veux, 
et  point  de  recommandation.  Je  veux  bien  être  ridicule,  mais  je 
ne  veux  pas  que  mes  protecteurs  le  soient.  Priez  M.  le  comte  de 
Choiseul  de  faire  mettre  mon  paquet  romain  à  la  poste  par  un 
de  ses  laquais.  C'est  assez  pour  P.ezzonico  et  pour  moi. 

4600.  —  A  M.   COLIiM. 

Fcrney,  7  juillet. 

J'avais  écrit  à  Son  Altesse  électorale,  mon  cher  Colini,  et  je 
venais  encore  de  l'importuner  tout  récemment  par  une  lettre 
que  je  vous  ai  adressée,  lorsque  j'ai  reçu  la  vôtre  du  29  juin,  qui 
m'apprend  que  le  baptême  s'est  changé  en  enterrement,  et  les 
fêtes  en  tristesse*.  J'en  suis  pénétré  de  douleur.  Mes  lettres  auront 
paru  autant  de  contre-temps,  et  celle  que  je  prends  encore  la 
liberté  de  lui  écrire  ne  sera  qu'un  surcroît  de  désagrément  pour 
monseigneur  l'électeur. 

La  dernière  que  je  lui  ai  écrite^  regardait  une  souscription 
qu'on  fait  pour  les  OEuvres  de  Corneille.  On  les  imprime  avec 
des  notes  instructives,  on  les  orne  de  belles  estampes.  Cette  en- 
treprise est  au  profit  de  M""  Corneille,  seule  héritière  de  ce  grand 
nom,  et  nous  espérons  que  celui  de  Sou  Altesse  électorale  ornera 
notre  liste  des  souscripteurs. 


1.  L'abbé  Coyer  avait  fait  un  Discours  sur  la  satire  contre   les  2^hilosophes, 
ITGO,  in-12.  De  là  sans  doute  les  bonnes  dispositions  de  Voltaire. 

2.  Voyez  lettre  4507. 

3.  Elle  est  perdue. 


.\NM:E    1761.  359 

4G01.  —  A  M.   LE    MARQUIS  ALIîEP.GATI   CAPACELLI. 

A  Fcruej',  le  8  j  ni  Ilot. 

Monsieur,  depuis  longtemps  je  suis  réduit  à  dicter  ;  je  perds 
la  vue  avec  la  santé;  tout  cela  n'est  point  plaisant.  Je  vois  tou- 
jours que  tutto  il  mondo  c  fatlo  corne  la  noslra  famiglia.  Par  tout 
pays  on  trouve  des  esprits  très-mal  faits,  et  i)ar  tout  pays  il  faut 
se  moquer  d'eux.  On  serait  vraiment  bien  à  plaindre  si  un  faisait 
dépendre  son  plaisir  du  jugement  des  hommes. 

Tancrcdc  vous  a  bien  de  l'obligation,  monsieur;  Phhlre  vous 
en  aura  davantage  ^  Je  me  mets  aux  pieds  de  M.  Paradisi.  Si 
jamais  j'ai  un  moment  à  moi,  je  lui  adresserai  une  longue 
épître;  mais  le  peu  de  temps  dont  je  peux  disposer  est  consacré 
à  dicter  des  notes  sur  les  pièces  du  grand  Corneille  qui  sont 
restées  au  théâtre.  Cet  ouvrage,  encouragé  par  l'Académie  fran- 
çaise-, pourra  être  de  quelque  usage  aux  étrangers  qui  daignent 
apprendre  notre  langue  ])ar  les  règles,  et  aux  légers  Français 
qui  l'ajjprenuent  par  routine.  Le  produit  de  l'édition  sera  pour 
l'héritière  de  Corneille,  que  j'ai  l'honneur  d'avoir  chez  moi,  et 
qui  n'a  que  ce  grand  nom  pour  héritage,  i\'est-il  pas  vrai  que 
vous  prendriez  chez  vous  la  petite-ûUe  du  Tasse,  s'il  y  en  avait 
une?  Elle  mangerait  de  vos  mortadelles,  et  boirait  de  votre  vin 
noir.  La  i)etite-fille  de  Corneille  en  boira  à  votre  santé  dans  un 
petit  chûteau  très-joli,  en  vérité»  etqui  serait  plus  joli  si  je  l'avais 
bâti  près  de  Bologne. 

Vous  avez  bien  raison,  monsieur,  de  vanter  ma  religion,  car 
je  construis  une  église  qui  me  ruine.  Autrefois,  qui  bâtissait  une 
église  était  sûr  d'être  canonisé,  et  moi  je  risque  d'être  excommunié 
en  me  partageant  entre  l'autel  et  le  théâtre.  C'est  apparemment 
ce  qui  fait  que  je  reçois  quelquefois  des  lettres  du  diable ';  mais 
je  ne  sais  pourquoi  le  diable  écrit  si  mal  et  a  si  peu  d'esprit.  Il 
me  semble  que,  du  temps  du  Dante  et  du  Tasse,  on  faisait  des 
meilleurs  vers  en  enfer. 

J'espère  que,  dans  ce  monde-ci,  la  lettre  dont  vous  m'avez 
honoré  inspirera  le  bon  goût,  et  fermera  la  bouche  aux  parolai^. 
Soyez  sûr  (jue,  du  fond  de  ma  retraite,  je  vous  appl.iudirai  loii- 

1 .  Voyez  page  351 . 

2.  Voyez  les  lettres  à  Duclos,  des  !'J  juillft  et  i:J  ;i..rit  ITlil. 

3.  Il  avilit  paru  une  Epître  du  diable  n  M.  dr  V.  (p;ii-  Ciiijnul,  iiK'dt.'iitO,  17(iO, 
in-8". 

i.  Voyez  lettre  4.VJG. 


360  CORRESPONDANCE. 

jours  ;  que  jo  m'intrrosscrai  à  tous  vos  succès,  à  tous  vos  plaisirs. 
Je  me  regarde  comme  votre  véritable  ami,  et  je  vous  serai  invio- 
lablemeiit  attaché  jusqu'au  dernier  moment  de  ma  vie. 

4C02.   —A  M.   LE   COMTE    D'ARGENTAL. 

Fcrncy,  8  juillet. 

Vraiment  je  prenais  bien  mon  temps  pour  écrire  au  cardinal 
Passionei.  11  est  mort,  ou  autant  vaut;  et,  à  moins  qu'il  ne  m'en- 
voie de  ses  reliques,  je  n'en  aurai  point.  J'ai  peur  à  présent  que 
mon  paquet^  ne  soit  parti  :  je  m'abandonne  à  la  Providence. 

Pour  me  dépiquer,  mes  chers  anges,  je  vous  enverrai  inces- 
samment Zulime.  Je  me  suis  raccommodé  avec  elle,  comme  vous 
savez,  mais  je  suis  toujours  brouillé  avec  Pierre  le  Cruel-. 

C'est  avec  un  plaisir  extrême  que  je  commente  Corneille.  Je 
ne  donnerai  de  notes  que  sur  les  pièces  qui  restent  de  lui  au 
théâtre,  et  j'ose  croire  que  ces  notes  ne  seront  pas  inutiles.  En 
vérité,  cet  homme-là  me  fera  faire  encore  une  tragédie.  Il  me 
semble  que  je  commence  à  connaître  l'art,  en  étudiant  mon 
maître  à  fond. 

Je  ne  sais  comment  iront  les  souscriptions  ;  mais  je  travaille 
à  bon  compte.  Pourriez-vous  avoir  la  bonté  de  me  dire  si  Duclos 
est  revenu  ?  Je  lui  crois  un  zèle  actif  ({ui  me  va  comme  de  cire. 

Et  Oresle,  que  devient-il?  est-il  fondu  par  les  chaleurs?  M.  le 
comte  de  Lauraguais  me  dédie  le  sien 3,  et  il  est  encore  plus 
grec,  encore  plus  déclamatcur  que  le  mien. 

Orner  est  un  grand  cuistre  ;  mais  Corneille  est  un  grand 
homme. 

Oncle,  nièce,  et  pupille,  hommage  aux  anges. 

4603.   —  DE  M.   D'ALEMBERT. 

A  Pontoise,  le  9  juillet. 

J'ai  reçu,  mon  cher  philosophe,  votre  petit  billet  en  parlant  pour  la 
campagne.  11  est  vrai  que  je  suis  un  peu  en  retard  avec  vous;  prenez-vous- 
en  à  un  gros  livre  de  géométrie*  tout  plein  de  calculs,  que  je  fais  impri- 
mer actuellement,  et  dont  j'espère  être  bientôt  débarrassé.  Je  ne  sais  pas 


1.  Voyez  la  lettre  -iSSO. 

2.  La  tragédie  de  Don  Pèdre. 

3.  La  tragédie  de  Lauraguais  est  intitulée  Clytemnestre;  1761,  in-S". 

4.  Voyez  la  lettre  4242. 


ANNEE     176  1.  361 

de  la  part  de  qui  vous  m'avez  envoyé  le  GrizeP;  ce  Grizel  est  un  drôle  de 
corps.  Si  M*"  Iluerneî  avait  aussi  bien  plaidé,  les  rieurs  auraient  été  pour 
lui;  mais  ni  M"  Huerne,  ni  M"  Le  Dain,  ni  M"  Orner,  ne  sont  faits  pour 
avoir  les  rieurs  de  leur  côté.  Les  jésuites  m»}mes  ne  les  ont  plus  depuis 
qu'ils  se  sont  brouillés  avec  la  philosophie  ;  ils  sont  à  présent  aux  prises 
avec  les  pédants  du  parlement,  qui  trouvent  que  la  Société  de  Jésus  est 
contraire  à  la  société  humaine,  comme  la  Société  de  Jésus  trouve  de  son 
côté  que  Y  ordre  du  parlement  n'est  pas  de  Tordre  de  ceux  qui  ont  le  sens 
commun  ;  et  la  pliilosophie  jugerait  que  la  Société  de  Jésus  et  l'ordre  du 
parlement  ont  tous  deux  raison. 

Je  ne  sais  ce  qui  arrivera  du  laquais  de  Vénus':  j'ai  bien  peur  que  ce 
ne  soit  un  laquais  de  louage  qui  ne  lui  restera  pas  longtemps,  d'autant  que 
ledit  laquais  n'a  pas  suivi  sa  maîtresse  dans  son  passage  sur  le  soleil.  Si 
Fontenelle  n'était  pas  mort,  il  vous  dirait  Hi-dessus  les  plus  jolies  choses  du 
monde;  par  exemple  que  Vénus  a  trop  de  satellites  sur  la  terre  pour  en 
avoir  besoin  dans  le  ciel;  et  que  les  vieux  galants  qui  ne  peuvent  plus  lui 
faire  leur  cour  regretteront  le  temps  où  Vénus  se  promenait  toute  seule  dans 
le  ciel, 

Sans  laquais,  sans  ajustement, 

De  ses  seules  grâces  ornée,  etc.  '*. 

Son  chancelier  Trublet  vous  en  dira  davantage,  pour  peu  que  vous  vouliez 
savoir  le  reste.  Je  vous  dirai,  moi,  plus  sérieusement,  que  nous  attendons 
les  observations  faites  aux  Indes  et  en  Sibérie  pour  savoir,  par  la  comparai- 
son avec  celles  de  France,  ii  combien  de  postes  nous  sommes  du  soleil,  et 
s'il  nous  faut  quelques  jours  de  plus  oa  do  moins  {)Our  y  arriver  que  nous 
ne  lavons  cru  jusqu'ici. 

Je  n'aurai  pas  besoin  d'ameuter  l'Académie  française  sur  l'édition  de 
Pierre  (Corneille;  il  n'y  a  aucun  de  nous  qui  ne  se  fas-e  un  plaisir  et  un 
devoir  de  souscrire,  et  quelques-uns  même  pour  plusieurs  exemplaires. 
Cette  entreprise  fera  beaucoup  d'honneur  à  l'entrepreneur,  à  l'Académie,  et  à 
la  nation;  et  je  me  (latte  qu'elle  avertira  enfin  l'Académie  de  ce  qu'elle  doit 
faire,  de  donner  des  éditions  grammaticales  des  auteurs  classiques. 

Adieu,  mon  cher  maître;  que  le  ciel  vous  tienne  toujours  en  joie!  N'ou- 
bliez pas  vos  amis  et  vos  admirateurs;  je  me  flatte  que  vous  me  comptez 
parmi  les  premiers,  et  je  prends  la  liberté  de  me  mettre  parmi  les  seconds. 
Je  no  sais  s'il  en  est  de  même  du  professeur  Formey,  et  s'il  prendra  cotte 
qualité  dans  ses  lettres  aux  journalistes,  et  dans  sa  BiblioLhèque  partiale, 
tout  i/tipartiah'  (|u'olli;  prétend  être.  Vide  ilerum. 

1.  Principal  personnapre  delà  Convcrsalioii,  tome  \X1V,  pap:e  239. 

2.  Vojez  tome  XXIV,  page  239. 

3.  Jaitques  Leibax,  ancien  doi-trinain;  connu  sous  le  nom  de  Montaijrnc,  né  à 
N'arbonno  le  0  septembre  I71G,  croyait  avoir  découvert  un  satellite  de  Vénus.  Ce 
fut  le  sujet  de  quelques  mémoires;  on  finit  par  reconnaître  que  c'était  une  illu- 
Bion. 

4.  Vers  de  Voltaire  dans  aon  épitre  des  Tu  et  des  Vous;  voyez  tome  X. 


362  CORRESPONDANCE. 

iGOi.   —  A   M.   LI-:   15IUJA;i. 

11  juillet. 

Il  y  a  des  choses  bien  bonnes  et  bien  vraies  dans  les  trois 
brochures  que  j'ai  reçues-.  J'aurais  peut-être  voulu  qu'on  y 
marquât  moins  un  intérêt  personnel.  Le  grand  art  de  cette 
guerre  est  de  ne  paraître  jamais  défendre  son  terrain,  et  de 
ravager  seulement  celui  de  son  ennemi,  de  l'accaldcr  gaiement; 
mais  après  tout  je  ne  suis  pas  fAché  de  voir  relever  des  critiques 
très-injustes  d'une  ode  dont  j'ai  admiré  les  beautés,  et  à  laquelle 
je  dois  non-seulement  M"''  Corneille,  mais  l'honneur  de  com- 
menter à  présent  le  grand  homme  auquel  elle  appartient. 

Les  oreilles  d'àne  sont  attachées  pour  jamais  au  chef  de  ce 
malheureux  Fréron.  Ou  a  prouvé  ses  ûueries,  et  il  y  a  dans  les 
trois  brochures  un  grand  mélange  d'agréable  et  d'utile. 

Je  ne  savais  pas  que  ce  Baculard  fut  un  croupier  de  Fréron. 
J'ai  eu  soin  autrefois  de  ce  Baculard,  qu'on  appelait  d'Arnaud, 
comme  j'ai  soin  de  M""  Corneille.  J'ai  été  payé  d'une  ingratitude 
dont  je  crois  le  cœur  de  M""  Corneille  incapable. 

Adieu,  monsieur  ;  je  me  flatte  que  le  nom  de  monseigneur  le 
prince  de  Conti  décorera  la  liste  de  ceux  qui  souscrivent  pour  la 
gloire  du  grand  Corneille  et  pour  l'avantage  de  sa  famille.  Je 
serai  toute  ma  vie  pénétré  d'estime  et  d'attachement  pour  vous. 

Voltaire. 

4G0o.  —  A   M.  THIERIOT. 

Ferney,  11  juillet. 

A  qui  en  a  donc  Protagoms?  Je  l'avais  prié  de  m'écrire,  et  il 
n'en  fait  rien.  Les  philosophes  sont  bien  tièdes.  Allez  chez  lui,  je 
vous  prie,  et  faites-lui  honte  ;  dites-lui  vergogne. 

Envoyez-moi,  mon  cher  ami,  sur-le-champ  la  Poétique  d'Aris- 
tote  par  la  poste,  avec  contre-seing.  J'en  ai  besoin  pour  Pierre. 
J'ai  déjà  commenté  toute  la  tragédie  d'Horace,  la  Vie  de  Corneille, 
par  Fontenelle  ;  j'ai  commencé  le  Cid,  Médée,  et  Cinna.  J'aurai 
fait  avant  que  le  caractère,  le  papier,  et  les  souscriptions  soient 
venus.  Je  ne  perds  point  de  temps,  à  cause  du  ptou  ay.pa^ 


1.  Sur  l'adresse  de  cette  lettre  sont  écrits  ces  mots:  «  M.  Damilaville  est  venu 
pour  avoir  l'honneur  de  voir  M.  Le  Brun,  et  lui  remettre  cette  lettre.  »  {Note  de 
■Gingiiené,  éditeur  des  OEuvres  de  Le  Brun.) 

2.  C'est  sans  doute  la  Wasjnie,  et  les  deux  premiers  numéros  de  VAne  litté- 
raire. {Note  de  Ginguené.) 

3.  Le  terme  de  la  vie . 


AN-NÉE    17GI.  363 

Il  faudra  annoncer  le  Droit  ihi  Seigneur,  ou  l'Écueil  du  Sage, 
in  tempore  opportuno.  Per  Dio!  écrivez-moi  donc,  ^0lls  êtes  plus 
négligent  que  Protagoras. 

460'^   —  A   M.  nUCLOS. 

Au  château  de  Fernoy,  12  juillet. 

J'apprends,  monsieur,  i)ar  votre  signature  que  vous  êtes  à 
Paris.  Le  projet  que  vous  avez  approuvé  trouve  bien  delà  faveur. 
Le  roi  daigne  permettre  que  son  nom  soit  à  la  tête  des  souscrip- 
teurs pour  deux  cents  exemplaires  ;  plusieurs  personnes  ont 
souscrit  pour  dix,  pour  douze,  pour  quinze.  Je  ne  ferai  imprimer 
le  programme  que  quand  j'aurai  un  assez  grand  noral3re  de 
noms  illustres.  .Ne  pourriez-vous  pas,  vous,  monsieur,  qui  êtes 
le  premier  moteur  de  cette  bonne  œuvre,  honorable  pour  la 
nation,  et  peut-être  utile,  me  faire  savoir  pour  combien  souscri- 
ront nos  académiciens,  de  rore  cœli  et  pinguedinc  Icrrx^l 

L'ouvrage  peut  devenir  nécessaire  aux  étrangers  qui  appren- 
nent notre  langue  par  règles,  et  aux  Français  qui  ne  la  savent 
que  par  routine.  J'ai  déjà  ébauché  Mtdte,  le  Cid,  Cinna  ;  j'ai  com- 
menté entièrement /es  Iloraces.  Je  m'instruis  en  relisant  ces  chefs- 
d'œuvre,  mais  je  m'instruis  trop  tard. 

}tlon  commentarium  pcrpctuum  est  attaché  sur  de  petits  papiers, 
■avec  ce  qu'on  appelle  mal  à  propos  ;ja/'»  enchanté-,  à  la  fin  de 
chaque  page.  Je  me  suis  servi  du  seul  tome  que  j'ai  recouvré 
dans  ce  pays  barbare,  d'une  petite  édition'  que  fit  faire  Cor- 
neille, dans  laquelle  il  inséra  toutes  ses  imitations  de  Guillain  de 
Castro,  de  Lucain,  et  de  Sénèque.  Si  l'Académie  l'agrée,  si  cela 
vous  amuse,  je  vous  enverrai  le  commentaire  des  Hoi'accs,  tout 
griffonné  qu'il  est.  L'Académie  décidera  de  mes  réllexions,  et 
vous  aurez  la  bonté  de  me  renvoyer  au  plus  tôt  cet  exemplaire» 
unique. 

.Ma  nièce,  celle  de  Corneille,  et  moi,  nous  vous  remercions 
de  l'intérêt  que  vous  prenez  à  celle  affaire,  et  de  tous  vos  soins 
généreux.  V. 


1.  denèse,  xxvii,  2R. 

'J.  \(jvez  lu  note,  iDUie  X.X,  pa^rc  i7l. 

:{.  n'est  une  lîtlilifin  de  10i4,  dont  il  parle  dans  son  Avertissement  en  t^te  du 
Menteur,  cl  qu'il  demanda  à  omiuninter  à  la  Bibliotiièquc  du  roi  (voyez  ieltro  -4008); 
mais  cette  édition  n'y  était  pas.  (IJ.j 


364  CORRESPONDANCE. 

4G07.   —  A  M.   LE   DUC  DE   CHOISEULi. 

13  juillet. 

Monseigneur,  vous  savez  qu'au  sortir  du  grand  conseil  tenu 
pour  le  testament  du  roi  d'Espagne,  Louis  XIV  rencontra  quatre 
de  ses  filles  qui  jouaient,  et  leur  dit  :  «  Eh  bien  !  quel  parti  pren- 
driez-vous  à  ma  place?  »  Ces  jeunes  princesses  dirent  leur  avis  au 
hasard.  Le  roi  leur  répliqua  :  «  De  quelque  avis  que  je  sois,  j'au- 
rai des  censeurs.  » 

Vous  daignez  en  user  avec  moi,  vieux  radoteur,  comme 
Louis  XIV  avec  ses  enfants.  Vous  voulez  que  je  bavarde,  bavarde, 
et  que  je  compile,  compile.  Vos  bontés,  et  ma  façon  d'être,  qui 
est  sans  conséquence,  me  donnent  toujours  le  droit  que  Gros- 
Jean  prenait  avec  son  curé. 

D'abord  je  crois  fermement  que  tous  les  hommes  ont  été, 
sont,  et  seront  menés  par  les  événements.  Je  respecte  fort  le  car- 
dinal de  Richelieu  ;  mais  il  ne  s'engagea  avec  Gustave-Adolphe 
que  quand  Gustave  eut  débarqué  en  Poméranie  sans  le  consulter; 
il  protita  de  la  circonstance.  Le  cardinal  Mazarin  profita  de  la 
mort  du  duc  de  Veymar;  il  obtint  l'Alsace  pour  la  France,  et  le 
duché  de  Rethel  pour  lui. 

Louis  XIV  ne  s'attendait  point,  en  faisant  la  paix  de  Ryswick, 
que  son  petit-fils ^  aurait,  trois  ans  après,  la  succession  de 
Charles-Quint.  Il  s'attendait  encore  moins  que  l'arrière-petit- 
fils*  abandonnerait  les  Français  pendant  quatre  ans  aux  dépré- 
dations de  l'Angleterre,  maîtresse  de  Gibraltar.  Vous  savez  quel 
hasard  fit  la  paix  avec  l'Angleterre,  signée  par  ce  beau  lord 
Bolingbroke  sur  les  belles  fesses  de  M'"'^  Pulteney.  Vous  ferez 
comme  tous  les  grands  hommes  de  cette  espèce,  qui  ont  mis  à 
profit  les  circonstances  où  ils  se  sont  trouvés. 

Vous  avez  eu  la  Prusse  pour  alliée,  vous  l'avez  pour  ennemie  ; 
l'Autriche  a  changé  de  système,  et  vous  aussi.  La  Russie  ne  met- 
tait, il  y  a  vingt  ans,  aucun  poids  dans  la  balance  de  l'Europe,  et 
elle  en  met  un  considérable.  La  Suède  a  joué  un  grand  rôle,  et 
en  joue  un  très-petit.  Tout  a  changé  et  changera  ;  mais,  comme 
vous  l'avez  dit,  la  France  restera  toujours  un  beau  royaume,  et 
redoutable  h  ses  voisins,  à  moins  que  les  classes  des  parlements 
n'y  mettent  la  main. 

1.  Etienne-François,  né  en  1719,  mort  en  1785. 

2.  Philippe  V. 

3.  Ferdinand  VI. 


ANNÉE    I7GI.  305 

Vous  savez  que  les  alliés  sont  comme  les  amis  qu'on  appelait 
de  mon  temps  au  quadrille  :  on  changeait  d'amis  à  chaque 
coup. 

11  me  semble  d'ailleurs  que  Tamitié  de  messieurs  do  Drande- 
bourg  a  toujours  été  fatale  à  la  France.  Ils  nous  abandonnèrent 
au  siège  de  Metz,  fait  par  Charles-Quint.  Ils  prirent  beaucoup 
d'argent  de  Louis  XIV,  et  lui  firent  la  guerre.  Vous  savez  que 
Luc  vous  trahit  deux  fois^  dans  la  guerre  de  17/tl,  et  sûrement 
vous  ne  le  mettrez  pas  en  état  de  vous  trahir  une  troisième.  Sa 
puissance  n'était  alors  qu'une  puissance  d'accident,  fondée  sur 
l'avarice  de  son  père  et  sur  l'exercice  à  la  prussienne.  L'argent 
amassé  a  disparu  ;  il  est  battu  avec  son  exercice.  Je  ne  crois  pas 
qu'il  reste  quarante  familles  à  présent  dans  son  beau  royaume 
de  Prusse.  La  Poméranie  est  dévastée  ;  le  Brandebourg,  misé- 
rable ;  personne  n'y  mange  de  pain  blanc  ;  on  n'y  voit  que  de  la 
fausse  monnaie,  et  encore  très-peu.  Ses  États  de  Clèves  sont 
séquestrés  ;  les  Autrichiens  sont  vainqueurs  en  Silésie.  Il  serait 
plus  difficile  à  présentdele  soutenir  que  de  l'écraser.  Les  Anglais 
se  ruinent  à  lui  donner  des  secours  indiscrets  vers  la  liesse,  et, 
grâce  au  ciel,  vous  rendez  ces  secours  inutiles.  Voilà  l'état  des 
choses. 

Maintenant,  si  on  voulait  parier,  il  faudrait,  dans  la  règle  des 
probabilités,  parier  trois  contre  un  que  Luc  sera  perdu  avec  ses 
vers,  et  ses  plaisanteries,  et  ses  injures,  et  sa  politique,  tout  cela 
étant  également  mauvais. 

Cette  afiaire  finie,  supposé  qu'un  coup  de  désespoir  ne  réta- 
blisse pas  ses  affaires,  et  ne  ruine  pas  les  vôtres,  tout  finit  en 
Allemagne.  Vous  avez  un  beau  congrès,  dans  lequel  vous  êtes 
toujours  garant  du  traité  de  Vestphalie,  et  j'en  reviens  toujours 
à  dire  que  tous  les  princes  d'Allemagne  diront  :  Luc  est  tombé 
parce  qu'il  s'est  brouillé  avec  la  France;  c'est  à  nous  d'avoir  tou- 
jours la  France  pour  protectrice.  Certainement,  après  la  chute 
de  Luc,  la  reine  de  Hongrie  ne  viendra  pas  vous  redemander  ni 
Strasbourg,  ni  Lille,  ni  votre  Lorraine.  Elle  attendra  au  moins 
dix  ans,  et  alors  vous  lui  lâcherez  le  Turc  et  le  Suédois  pour  de 
l'argent,  si  vous  en  avez. 

Le  grand  point  est  d'avoir  beaucoup  d'argent.  Henri  IV  se 
i)réi)ara  à  se  rendre  l'arbitre  de  l'Europe  en  faisant  faire  des 
balances  d'or  par  le  duc  de  Sully.  Les  Anglais  ne  réussissent 
qu'avec  des  guinées  cl  un  crédit  ([ui  les  décuple.  Luc  n'a  fait 

I.  Kii  juin  Hi'i,  et  cil  dcccnibrc  17  ir». 


3G6  C  0  U  K  li  S 1»  ()  N  JJ  A  N  C  E. 

Iromhlor  quelque  temps  l'Allemague  que  parce  que  sou  père 
avait  plus  de  sacs  que  de  bouteilles  daus  ses  caves  de  Ueiiiu. 
Nous  ne  sommes  plus  au  teuips  de  Fabricius.  C'est  le  plus  riclic 
(|ni  l'emporte,  comme,  parmi  nous,  c'est  le  plus  riclie  qui  acliète 
une  charge  de  maître  des  requêtes,  et  qui  ensuite  gouverne  l'État. 
Cela  n'est  pas  noble,  mais  cela  est  vrai. 

Les  Russes  m'embarrassent  ;  mais  jamais  l'Autriche  n'aura  de 
(juoi  les  soudoyer  deux  ans  contre  vous. 

L'Espagne  m'embarrasse,  car  elle  n'a  pas  grand'chose  à 
gagner  à  vous  débarrasser  des  Anglais;  mais  au  moins  est-il 
sûr  qu'elle  aura  plus  de  haine  pour  l'Angleterre  que  pour  vous. 

L'Angleterre  m'embarrasse,  car  elle  voudra  toujours  vous 
chasser  de*  l'Amérique  septentrionale  ;  et  vous  aurez  beau  avoir 
des  armateurs,  vos  armateurs  seront  tous  pris  au  bout  de  quatre 
ou  cinq  ans,  comme  on  l'a  vu  dans  toutes  les  guerres. 

Ah!  monseigneur,  monseigneur,  il  faut  vivre  au  jour  la 
journée  quand  on  a  affaire  à  des  voisins.  On  peut  suivre  un  plan 
chez  soi,  encore  n'en  suit-on  guère.  Mais  quand  on  joue  contre 
les  autres,  on  écarte  suivant  le  jeu  qu'on  a.  Un  système,  grand 
Dieu!  celui  de  Descartes  est  tombé;  l'empire  romain  n'est  plus; 
Pompignan  même  perd  son  crédit  :  tout  se  détruit,  tout  passe. 
J'ai  bien  peur  que  dans  les  grandes  affaires  il  n'en  soit  comme 
dans  la  physique  :  on  fait  des  expériences,  et  on  n'a  point  de 
système. 

J'admire  les  gens  qui  disent  :  La  maison  d'Autriche  va  être 
bien  puissante,  la  France  ne  pourra  résister.  —  Eh  !  messieurs,  un 
archiduc  vous  a  pris  Amiens,  Charles-Quint  a  été  à  Compiègne, 
Henri  V  d'Angleterre  a  été  couronné  à  Paris.  Allez,  allez,  on  re- 
vient de  loin  ;  et  vous  n'avez  pas  à  craindre  la  subversion  de  la 
France,  quelque  sottise  qu'elle  fasse. 

Quoi!  point  de  système!  Je  n'en  connais  qu'un,  c'est  d'être 
bien  chez  soi  ;  alors  tout  le  monde  vous  respecte. 

Le  ministre  des  affaires  étrangères  dépend  de  la  guerre  et  de 
la  finance;  ayez  de  l'argent  et  des  victoires,  alors  le  ministre  fait 
tout  ce  qu'il  veut. 


ANXÉK    1761.  367 

4008.   —  A   M.   CAri'ERONMEr.  I. 
Au  château  de  Fernej-,  en  Bourgogne,  par  Genève,  13  juillet  1701. 

Monsieur,  je  compte  dans  quelques  mois  avoir  l'honneur  do 
vous  envoyer,  pour  la  Bibliothèque  du  roi,  un  manuscrit  unique 
et  curieux.  C'est  VÈzov.v-Veidam,  commentaire  du  Vculam,  loque! 
est,  chez  les  Indiens,  ce  qu'est  le  Saddcr  chez  les  (iuèbres-. 

Cet  Ézour-Veidam  est  traduit  de  la  langue  du  hanscrit  [)ar  un 
l)rame  de  beaucoup  d'esprit  ^  qui  est  correspondant  de  notre 
compagnie  dos  Indos,  et  qui  a  très-bien  appris  le  français.  Il  l'a 
donné  à  M.  de  Maudave,  commandant  pour  le  roi  dans  un  petit 
fort  de  la  côte  do  Coromandcl.  Ce  livre  est  fait  vraisemblable- 
ment avant  rexpédition  d'Alexandre. 

Ce  que  je  vous  dis  l;i,  monsieur,  n'est  pas  un  artifice  pour 
obtenir  de  vous  quelques  livres  dont  j'ai  besoin.  Je  vous  les  de- 
manderais hardiment  quand  il  n'y  aurait  point  û'Ézour-Vcidamciu 
monde,  tant  je  compte  sur  vos  bontés. 

Je  fais  imprimer  les  tragédies  de  Pierre  Corneille  avec  un 
commentaire  perpétuel,  historique  et  critique,  qui  sera  peut-être 
utile  aux  étrangers  qui  apprennent  notre  langue  par  règle,  et  à 
quelques  Français  qui  la  parlent  par  routine.  L'édition  sera  ornée 
des  plus  belles  gravures,  et  faite  avec  beaucoup  de  soin.  Nous  la 
faisons  à  l'anglaise,  c'est-à-dire  par  souscription,  pour  le  béné- 
fice des  seules  personnes  qui  restent  du  grand  nom  de  Corneille. 
Le  roi  a  la  bonté  de  souscrire  pour  deux  cents  exemplaires;  M.  le 
duc  de  Choiseul  pour  vingt.  Je  me  flatte  que  .AI.  le  baron  de  Thiers 
voudra  bien  que  son  nom  soit  dans  la  liste. 

Mais  vous  me  rendriez,  monsieur,  un  plus  grand  service  si 
vous  vouliez  bien  me  prêter  une  édition  de  Corneille  qui  doit 
être  à  la  Bibliothèque  du  roi,  dans  laquelle  on  trouve  toutes  les 
imitations  de  Guillain  de  Castro,  de  Lucain,  de  Sénèque  et  de 
Tile-Live,  Corneille  donna  lui-même  celte  édition  '•.  Je  n'ai  ([uo 
le  tome  du  Cid;  il  y  mancinc  la  première  page,  (jui  conhMiait  le 

1.  J'imprime  cette  lettre  stir  roripiiiul  inédii  qiio  je  possède,  mais  sans  l'envc- 
lo])i)e  >ur  la(iuelle  était  l'adresse.  Jean  Oapperonnier,  né  en  1710,  mnri  en  177."»^ 
i^viiil  été  nommé  bibliolhéraire  de  la  15iblioihé([ue  du  roi,  rue  de  liiciielieii,  à  la 
place  de  l'abbé  .Sallicr,  mort  le  9  janvier  1701.  (15.) 

-'.  Vojez  sur  ce  manuscrit  la  noie  de  M.  Ileinaud,  tome  XXVI,  paire  .'t'.t'i.  Le 
manuscrit  était  envoyé  le  10  septembre;  voyez  la  lettre  à  1M'"«  du  UetTant,  n<"»077. 

3.  Voltaire  le  nomme  ChunKinlou  et  Shumonlou;  voyez  tome  M,  pnfjc  l'J'2  ;  et 
XXVI,  IVXL 

i.  Cette  édition  est  celle  de  JOii. 


368  CORRESPONDANCE. 

litre  ot  la  date.  Il  y  a  d'ailleurs  beaucoup  de  pièces  fu?;itives  sur 
la  Mèdècjcs  Horaccs,  le  Cid,  et  Cinna.  Je  vous  renverrai  fidèlement, 
monsieur,  et  promptemcnt,  ce  que  vous  aurez  l)ien  voulu  me 
communiquer.  Vous  rendrez  service  aux  belles-lettres;  la  famille 
de  Corneille  et  moi  nous  vous  serons  également  obligés;  vous 
favoriserez  une  cntrepi-ise  qui  n'est  pas  indigne  de  vos  secours; 
et  le  nom  du  grand  Corneille  justifie  la  liberté  que  je  prends. 

J'ai  l'honneur  d'être,  avec  tous  les  sentiments  que  je  vous 
dois,  etc. 

N.  B.  Je  reçois  en  ce  moment  une  lettre  de  M.  Cramer,  qui 
me  dit  que  vos  bontés  ont  prévenu  mes  demandes.  Soutirez  seu- 
lement, monsieur,  que  j'ajoute  à  mes  remerciements  la  requête 
pour  cette  édition  de  Corneille  dont  j'ai  l'honneur  de  vous  parler 
dans  ma  lettre. 

4609.  —  A  M.   LE   COMTE  D'ARGENTAL. 

li  juillet. 

Ce  paquet,  mes  divins  anges,  contient  prose  et  vers  :  c'est 
d'abord  votre  pauvre  Zulime,  ensuite  c'est  la  préface  d'un  ou- 
vrage dont  douze  vers  valent  mieux  que  douze  cents  de  Zulime; 
c'est  la  préface  du  Cid  que  je  soumets  à  votre  jugement  avant  de 
la  faire  lire  à  l'Académie.  On  dit  qu'Oreste  n'a  pas  été  mal  reçu; 
c'est  une  nouvelle  obligation  que  je  vous  ai. 

Ries  moissons  sont  belles.  J'ai  heureusement  terminé  tous  mes 
procès;  il  ne  me  reste  plus  qu'à  bâtir  un  temple  à  Corneille  en 
bâtissant  mon  église.  Mais  sera-t-on  aussi  généreux  que  le  roi? 
la  nation  entrera-t-elle  dans  mon  projet?  mes  anges  ne  procure- 
ront-ils pas  quelques  noms  à  notre  liste  ? 

Auront-ils  la  bonté  d'envoyer  l'incluse  ^  à  M.  Duclos? 

Bon  !  en  voilà  encore  une  pour  l'abbé  Olivetus  Ciceronianm. 

Pardon  mille  fois. 

4610.   —  A   M.  L'ABBÉ    D'OLIVET. 

Aux  Délices,  14  juillet. 

Je  viens  de  relire,  care  Olivefe,  votre  belle  Histoire  de  l' Aca- 
démie; je  tombe  sur  la  page  72  -,  où  vous  invitez  les  académiciens 

i.  Celle  du  12  juillet;  voyez  lettre  4606. 
2.  De  l'édition  de  1743. 


ANNÉE    1 76!.  369 

à  ne  se  point  refuser  les  secours  d'une  critique  faite  par  leurs 
confrères.  Ne  me  les  refusez  donc  pas,  et  ayez  la  boulé  de  lire 
avec  attention  la  préface  du  Cid,  que  j'envoie  à  M.  Duclos,  notre 
secrétaire,  en  attendant  les  remarques  sur  toute  la  tragédie  des 
Horaces. 

Quelque  occupé  que  je  sois  d'ailleurs,  j'aurai  fini  avant  que 
les  libraires  puissent  commencer.  La  gloire  de  la  France  et  de 
l'Académie,  que  je  crois  intéressée  à  cette  entreprise,  me  don- 
nera des  forces,  et  me  fera  oublier  ma  faible  santé. 

Je  ne  suis  pas  en  peine  de  souscriptions,  puisque  le  roi  donne 
l'exemple.  Mais  je  voudrais  pouvoir  imprimer  dans  le  programme 
les  noms  des  académiciens  qui  favoriseront  le  nom  de  Corneille, 
et  les  mettre  à  la  tête  de  la  nation,  qui  doit  encourager  ce  travail. 

Le  prix  sera  très-modique,  il  ne  passera  pas  quarante  livres; 
et  si  quelque  particulier  oublie  qu'il  a  souscrit,  les  princes  s'en 
souviendront  aussi  bien  que  tous  ceux  qui,  sans  être  princes, 
sont  soigneux  de  leur  honneur. 

M""'  de  Pompadour  souscrit  pour  cinquante  exemplaires,  M.  le 
duc  de  Choiscul  pour  vingt,  d'autres  pour  quinze,  pour  douze. 
Enfin  je  me  flatte  que  la  nation  fera  voir  qu'elle  sait  honorer 
le  nom  d'un  graïul  homme  dans  les  temps  les  plus  difficiles. 
Corneille  m'appelle  :  je  vous  quitte  en  vous  le  recommandant. 

4011.    —    DE   CIlARLES-ÏHÉODOnE, 

ÉLECTE  LR      PAI.ATl  \. 

Schwclzingcn,  ce  lô  juillet. 

Je  n'ai  fait  qu'un  beau  rôve,  mon  clier  malade,  qui,  je  crois,  m'a  causé 
plus  de  douleur  que  toutes  vos  infirmités  ne  vous  en  font  ressentir.  C'est 
une  affaire  faite,  il  faut  se  soumettre  à  la  Providence.  Je  ne  vous  suis  pas 
moins  obli.^é  de  vos  charmantes  lettres,  et  de  l'intérêt  que  vous  prenez  à 
ce  qui  me  regarde  '.  Je  serai  très-aise  de  contribuera  l'édition  (k  Corneille; 
j'y  souscrirai  pour  dix  exemplaires. 

Votre  Henriade  va  bientôt  paraître  en  beaux  vers  allemands.  J'y  fais 
travailler  un  nommé  Schwartz,  Irès-médiocre  conseiller  que  j'ai,  mais  très- 
bon  poëte,  et  ([ui  a  déjà  traduit  toute  V Enéide  en  vers,  à  la  parfaite  salis- 
faction  des  amateurs  do  la  poésie  allemande.  S'il  réussit  également  dans  la 
Henriade,  il  pourra  se  vanter  d'avoir  enrichi  la  lilératuro  allemande  dos 
deux  meilleurs  puiMues  épiques  ijui  existent.  Soyez  persuadé  do  l'estimo 
particulière  que  j'aurai  toujours  pour  vous. 

CiiARi. lis  -  TiiiloiJoiu; ,  olccti'ur. 

1.  V()3i'z  une  note  do  hi  lettre  'tht'tl. 
il.  —  CiinrtKSPoMiANCE.  IX.  24 


370  COUKliSl'UNDANGIi. 


4612.  —   A   M.   DI'    MOM.MARTEL. 

Au  château  de  Ferncy,  par  Genève,  IG  juillet. 

Je  ne  peux  m'cmpôcher,  monsieur,  de  vous  remeixier,  et  de 
vous  féliciter  de  favoriser  le  nom  et  le  sang  du  grand  Corneille. 
Le  roi  a  suivi  votre  exemple,  et  j'ose  vous  assurer  que  cette 
petite  entreprise  fera  honneur  à  la  France  dans  les  pays  étran- 
gers. 

Je  suis  enchanté  que  la  première  fois  qu'on  verra  le  nom  de 
M.  de  Brunoy  S  on  reconnaisse  en  lui  la  générosité  de  son  père. 
Je  présente  mes  respects  k  madame  sa  mère,  et  vous  supplie, 
monsieur,  de  ne  me  pas  oublier  auprès  de  monsieur  votre  frères 

Il  ne  faut  pas  écrire  de  longues  lettres  à  un  homme  comme 
vous,  occupé  continuellement  à  servir  le  roi  et  l'État, 

J'ai  l'honneur  d'être  avec  le  plus  tendre  attachement  et  tous 
les  sentiments  que  je  vous  dois,  monsieur,  etc. 

4613.  —   A  M.    PITT3. 
Au  château  de  Fcrney,  près  de  Genève,  19  juillet  1761. 

Monsieur,  Avhile  you  weigli  the  interests  of  England  and 
France,  your  great  mind  may  at  one  time  reconcile  Corneille 
with  Shakespeare.  Your  name  at  the  liead  of  subscribers  shall 
be  the  greatest  honour  the  letters  can  receive  :  fis  worthy  of 
the  greatest  ministers  to  protect  the  greatest  writers.  I  dare  not 
ask  the  name  of  the  king  ;  but  I  am  assuming  enough  to  désire 
carnestly  so  great  a  favour*. 


1.  Fils  de  Pâris-Montmartel. 

2.  Pàris-Duverney. 

3.  Cette  lettre  a  été  insérée  par  M.  Spiers,  dans  son  Recueil  de  littérature 
anglaise  (Étude  des  prosateurs  ançilais)  avec  cette  note  :  «  On  donne  ici  cette  lettre 
exactement  comme  elle  a  été  publiée,  d'après  le  manuscrit  original,  dans  la  Cor- 
respondance  of  William  Pitt,  earl  of  Chatham.  » 

4.  Traduction  :  Monsieur,  pendant  que  vous  pesez  dans  vos  mains  les  intérêts 
de  l'Angleterre  et  de  la  France*,  votre  esprit  supérieur  peut  en  même  temps 
■concilier  Corneille  et  Shakespeare.  Votre  nom  à  la  tête  des  souscripteurs  sera 
le  plus  éclatant  honneur  que  les  lettres  puissent  recevoir  ;  il  est  digne  des 
grands  ministres  de  protéger  les  grands  écrivains.  Je  n'ose  pas  demander 
le  nom  du  roi;  mais  je  suis  assez  hardi  pour  désirer  vivement  une  si  haute 
faveur. 

*  Pitt  (lord  Chatham)  était  alors  ministre  des  affaires  étrangères  en  Angleterre,  et  l'on 
cherchait  à  laire  la  paix. 


ANNÉE    17  61.  ^S7^ 

Je  suis  avec  un  respect  infini  pour  votre  personne  et  pour  vos 
grandes  actions,  monsieur,  votre  très-luuuble  et  très-obéissant 
serviteur. 

Voltaire, 

gentilliomme  ordinaire  de  la  chambre  du  roi. 

4G14.  —A  M.  D.AMIL.WILLE. 

20  juillet. 

Il  y  a  plaisir  à  donner  des  Orcsle  aux  frères  :  les  frères  sont 
toujours  indulgents.  Je  ne  sais  plus  comment  la  nation  est  faite  : 
elle  soutire  une  Electre  *  de  quarante  ans  qui  ne  fait  point 
l'amour  et  qui  remplit  son  caractère;  elle  ne  siffle  pas  une  pièce 
où  il  n'y  a  point  de  partie  carrée  :  il  s'est  donc  fait  dans  les 
esprits  un  prodigieux  changement  ! 

Frère  Y a  bien  mal  aux  yeux;  mais  il  les  a  perdus  avec 

Corneille,  et  cela  console.  11  a  été  obligé  de  travailler  sur  une 
petite  édition  en  pieds  de  mouche.  Heureusement,  l'en  voilà 
quitte.  Il  a  commenté  31édce,  le  Ciel,  Cinna,  Pompée,  Horace, 
Polyeucte,  Rodogune,  Héraclius.  11  reste  peu  de  chose  à  faire,  car 
ni  les  comédies,  ni  les  Agèsilas,  ni  les  Attila,  ni  les  Surctw,  etc., 
ne  méritent  l'honneur  du  commentaire. 

S'il  avait  des  yeux,  il  pleurerait  nos  désastres,  qui  se  mulli- 
plient  cruellement  tous  les  jours.  Il  demande  si  l'on  se  réjouit 
■encore  à  Paris,  si  on  ose  aller  au  spectacle.  Il  croit  ce  temps-ci 
bien  peu  favorable  pour  le  Droit  du  Seigneur  ou  pour  rÉcueil  du 
Sage.  Il  a  écrit  au  jeune  auteur,  lequel  est  tout  abasourdi  de  la 
prise  de  Pondichéry -,  qui  lui  coûte  juste  le  quart  de  son  bien. 
Il  n'a  pas  envie  de  rire.  Je  n'ai  pu  tirer  de  lui  que  ces  petites 
bagatelles  qu'il  m'envoie,  et  que  je  fais  tenir  aux  frères. 

Je  lui  ai  fait  part  de  la  juste  douleur  de  la  demoiselle  Dange- 
ville,  qui  ne  joue  pas  le  premier  rôle.  Il  y  a  paru  très-sensible: 
mais  il  ne  peut  qu'y  faire.  M"'  Dangeville  embellit  tout  ce  (]iii  lui 
])asse  par  les  mains.  Kn  un  mot,  voilà  tout  ce  que  je  peux  tirer 
de  mon  petit  Dijonnais'.  11  est  très-fàché;  il  dit  qu'il  veut  faire 
une  tragédie  :1e  premier  actesera  Hosbach,  le  dernier  Pondichéry, 
cl  des  vessies  de  cochon  pour  inlermède.  Celui  (jiii  écrit  '•  en  ril. 


1.  Voyez  page  3HS. 

2.  Cette  prise  est  du  1*)  janvier. 

3.  11  donnait  le  Droit  du  Seiyncur  comme  l'ouvrage  d'un  académicien  de  Dijon  ; 
•voyez  tome  VI,  page  3. 

4.  Wagnière,  aucrctaire  de  Voltaire. 


572  CORRESPONDANGIÏ. 

pniTo  qu'il  est  né  à  Lausanne;  mais  moi,  qui  suis  Français,  j'en 
pousse  (le  gros  soupirs. 

Votre  très-humble  frère  vous  salue  toujours  en  Protagoras, 
en  Lucrèce,  en  Épicure,  en  Épictète,  en  Marc-Antonin,  et  s'unit 
avec  vous  dans  l'horreur  que  les  petits  faquins  d'Omer  doivent 
inspirer.  Que  les  misérables  Français  considèrent  qu'il  n'y  avait 
aucun  janséniste  ni  moliniste  dans  les  flottes  anglaises  qui  nous 
ont  battus  dans  les  quatre  parties  du  monde  ;  que  les  polissons 
de  Paris  sachent  que  M.  Pitt  n'aurait  jamais  arrêté  l'impression 
de  VEncyclopcdic;  qu'ils  sachent  que  notre  nation  devient  de  jour 
en  jour  l'opprobre  du  genre  humain. 

Adieu,  mes  cliers  frères. 

J'ai  reçu  la  Poétique  d'Aristote  :  je  la  renverrai  incessamment. 
Avec  ce  livre-ià,  il  est  bien  aisé  de  faire  une  tragédie  détestable. 

4615.   —  A  M.    HELVÉTIUS. 

22  juillet. 

Mon  cher  philosophe,  l'ombre  et  le  sang  de  Corneille  vous 
remercient  de  votre  noble  zèle.  Le  roi  a  daigné  permettre  que 
son  nom  fût  à  la  tête  des  souscripteurs  pour  deux  cents  exem- 
plaires. Ni  maître  Le  Dain,  ni  maître  Omer,  ne  suivront  ni 
l'exemple  du  roi,  ni  le  vôtre.  Il  y  a  l'infini  entre  les  pédants 
orgueilleux  et  les  cœurs  nobles,  entre  des  convulsionnaires  et 
des  esprits  bien  faits.  Il  y  a  des  gens  qui  sont  faits  pour  honorer 
la  nation,  et  d'autres  pour  l'avilir.  Que  pensera  la  postérité  quand 
elle  verra  d'un  côté  les  belles  scènes  de  Cinna,  et  de  l'autre 
le  discours  de  maître  Le  Dain,  jyrononcè  du  côté  du  greffe^?  Je 
crois  que  les  Français  descendent  des  centaures,  qui  étaient 
moitié  hommes  et  moitié  chevaux  de  bat  :  ces  deux  moitiés  se 
sont  séparées;  il  est  resté  des  hommes,  comme  vous,  par  exemple, 
et  quelques  autres  ;  et  il  est  resté  des  chevaux  qui  ont  acheté  des 
charges  de  conseiller,  ou  qui  se  sont  faits  docteurs  de  Sorbonne. 

Rien  ne  presse  pour  les  souscriptions  de  Corneille;  on  donne 
son  nom,  et  rien  de  plus  ;  et  ceux  qui  auront  dit  :  Je  veux  le  livre, 
l'auront.  On  ne  recevra  pas  une  seule  souscription  d'un  bigot; 
qu'ils  aillent  souscrire  pour  les  Méditations  du  révérend  père  Croizet  -. 

•1.  Voyez  tome  XXIV,  page  239. 

2.  C'est  ainsi  qu'on  désigne  quelquefois  un  ouvrage  de  J.  Croiset  (né  vers  le 
milieu  du  xvu'=  siècle,  mort  en  1738),  dont  le  vrai  titre  est  :  Retraite  spirituelle 
pour  un  jour  de  chaque  mois,  avec  des  réflexions  clirétiennes  sur  divers  sujets  de 
morale,  1710,  quatre  volumes  iu-12,  souvent  réimprimés. 


ANNÉE    176  1.  373 

Peut-être  que  les  remarques  que  l'on  mettra  au  bas  de  chaque 
page  seront  une  petite  poétique,  mais  non  pas  comme  Lamotte  en 
faisait  à  l'occasion  de  mon  Romulus,  à  l'occasion  de  mes  Macchabées  *. 
Ah!  mon  ami,  défiez-vous  des  charlatans,  qui  ont  usur[)é  en  leur 
temps  une  réputation  de  passade. 

Je  vous  embrasse  en  Épicure,  en  Lucrèce,  Cicéron,  Platon, 
e  tutti  (luanti. 

4016.   —   A    MADAME    LA    MAUQUISK    DU   DEFFANT. 

22  juillet. 

M.  le  président  Ilénault,  madame,  m'instruit  de  votre  beau 
zèle  pour  Pierre  Corneille.  Je  quitte  Pierre  pour  vous  remercier, 
et  je  vous  supplie  aussi  de  présenter  mes  remerciements  à  M""=  de 
Luxembourg.  Je  romps  un  long  silence  ;  il  faut  le  pardonner  au 
plus  fort  laboureur  qui  soit  à  vingt  lieues  à  la  ronde,  ù  un  vieil- 
lard ridicule  qui  dessèche  des  marais,  défriche  des  bruyères, 
bAtit  une  église,  et  se  trouve  entre  deux  Pierre  le  Grand  :  savoir, 
Pierre  Corneille,  créateur  de  la  tragédie,  et  l'autre,  créateur  de 
la  Russie. 

Ce  qu'il  y  a  de  bon,  c'est  que  M"'  Corneille  n'a  nulle  part  à 
ce  que  je  fais  pour  son  grand-oncle.  Elle  n'a  pas  encore  lu  une 
scène  de  Chimène;  mais  cela  viendra  dans  quelques  années,  et 
alors  elle  verra  que  j'ai  eu  raison.  Maître  Le  Dain  et  maître 
Omer  auront  beau  dire  et  beau  faire,  Pierre  est  un  grand  homme 
et  le  sera  toujours,  et  nous  sommes  des  polissons.  Qu'on  me 
montre  un  homme  qui  soutienne  la  gloire  de  la  nation;  (ju'on 
me  le  montre,  et  je  promets  de  l'aimer. 

Il  faut  en  revenir,  madame,  au  siècle  de  Louis  XIV  en  tous 
genres  :  cela  me  perce  le  cœur  au  pied  des  Alpes;  et,  de  dépit, 
je  fais  faire  un  baldaquin,  et  je  lis  assidûment  l'Écriture  sainic, 
quoique  j'aime  encore  mieux  Cinna. 

Je  joue  avec  la  vie,  madame  ;  elle  n'est  bonne  qu'à  cela.  Il 
faut  que  chaque  enfant,  vieux  ou  jeune,  fasse  ses  bouteilles  de 
savon.  La  Butte-Saint-Rocb,  et  mes  montagnes  qui  fendent  les 
nues,  les  riens  de  Paris,  et  les  riens  de  la  retraite  :  tout  cela  est 
si  égal  que  je  ne  conseillerais  ni  à  une  Parisienne  d'aller  dans 
les  Alpes,  ni  à  une  citoyenne  de  nos  rochers  d'aller  à  Paris. 


1.  La  AloUe  a  donné  un  Discuurs  sur  la  tranédie  à  l'occasion  de  Romulus,  et 
Discours  sur  la  tragédie  à  l'occasion  des  Macchabées,  qui  sont  imprimés  avec  ces 
tragédies. 


374  CORRESPONDANCE. 

Je  vous  regrette  pourtant,  madame,  et  beaucoup  ;  M"'  Clairon, 
un  poil;  et  la  plupart  de  mes  chers  concitoyens,  point  du  tout.  Je 
n'ai  guère  plus  de  santé  que  vous  ne  m'en  avez  connu;  je  vis,  et 
je  ne  sais  comment,  et  au  jour  la  journée,  tout  comme  les  autres. 

Je  m'imagine  que  vous  prenez  la  vie  en  patience,  ainsi  que 
moi  ;  je  vous  y  exhorte  de  tout  mon  cœur,  car  il  est  si  sûr  que 
nous  serons  très-heureux  quand  nous  ne  sentirons  plus  rien 
qu'il  n'y  a  point  de  philosophe  qui  n'embrasse  cette  belle  idée 
si  consolante  et  si  démontrée.  En  attendant,  madame,  vivez 
le  plus  heureusement  que  vous  pourrez,  jouissez  comme  vous 
pourrez,  et  moquez-vous  de  tout  comme  vous  voudrez. 

Je  vous  écris  rarement,  parce  que  je  n'aurais  jamais  que  la 
même  chose  à  vous  mander;  et  quand  je  vous  aurai  bien  répété 
que  la  vie  est  un  enfant  qu'il  faut  bercer  jusqu'à  ce  qu'il  s'en- 
dorme, j'aurai  dit  tout  ce  que  je  sais. 

Un  bourgmestre  de  Middelbourg^,  que  je  ne  connais  point, 
m'écrivit,  il  y  a  quelque  temps,  pour  me  demander  en  ami  s'il  y 
a  un  dieu  ;  si,  en  cas  qu'il  y  en  ait  un,  il  se  soucie  de  nous;  si  la 
matière  est  éternelle;  si  elle  peut  penser;  si  l'âme  est  immortelle  ; 
et  me  pria  de  lui  faire  réponse  sitôt  la  présente  reçue. 

Je  reçois  de  pareilles  lettres  tous  les  huit  jours;  je  mène  une 
plaisante  vie. 

Adieu,  madame;  je  vous  aimerai  et  je  vous  respecterai  jusqu'à 
ce  que  je  rende  mon  corps  aux  quatre  éléments. 

4017.  —   A  MADEMOISELLE  CLAIRON. 

A  Ferney,  232. 

Si  j'avais  pu,  mademoiselle,  recevoir  votre  réponse  avant  de 
vous  avoir  écrit  mon  ÈpUre  ^  cette  épître  vaudrait  bien  mieux  : 
car  j'ai  oublié  cette  louange  qui  vous  est  due  d'avoir  appris  le 
costume  aux  Français.  J'ai  très-grand  tort  d'avoir  omis  cet  article 
dans  le  nombre  de  vos  talents;  je  vous  en  demande  bien  pardon, 
et  je  vous  promets  que  ce  péché  d'omission  sera  réparé.  Ménagez 
votre  santé,  qui  est  encore  plus  précieuse  que  la  perfection  de 
votre  art.  J'aurais  bien  voulu  que  vous  eussiez  pu  passer  quelques 
mois  auprès  d'Esculape-ïronchin;  je  me  flatte  qu'il  vous  aurait 

1.  Voyez  la  lettre  4621. 

2.  Beuchot  date  cette  lettre  du  23  juillet  176.Î,  mais  c'est  le  23  juillet  1761  qu'elle 
a  dû  être  écrite. 

3.  VÉpître  à  Daphné. 


ANNr-IÎ     17(31.  373 

mise  en  état  d'orner  longtemps  la  scène  française,  à  laquelle  vous 
êtes  si  nécessaire.  Quand  on  pousse  Tart  aussi  loin  que  vous,  il 
devient  respectable,  même  à  ceux  qui  ont  la  grossièreté  barbare 
de  le  condamner.  Je  ne  prononce  pas  votre  nom,  je  ne  lis  pas 
un  morceau  de  Corneille  ou  une  pièce  de  Hacine,  sans  une  véhé- 
mente indignation  contre  les  fripons  et  contre  les  fanatiques  qui 
ont  l'insolence  de  proscrire  un  art  qu'ils  devraient  du  moins 
étudier,  pour  mériter,  s'il  se  peut,  d'être  entendus  quand  ils 
osent  parler.  Il  y  a  tantôt  soixante  ans  que  cette  infâme  supersti- 
tion me  met  en  colère.  Ces  animaux-là  entendent  bien  peu  leurs 
intérêts  de  révolter  contre  eux  ceux  qui  savent  penser,  parler  et 
écrire,  et  de  les  mettre  dans  la  nécessité  do  les  traiter  comme  les 
derniers  des  hommes.  L'odieuse  contradiction  de  nos  Français, 
chez  qui  on  flétrit  ce  qu'on  admire,  doit  vous  déplaire  autant 
({u'à  moi  et  vous  donner  de  violents  dégoûts.  Plut  à  Dieu  que 
vous  fussiez  assez  riche  pour  ([uitter  le  théâtre  de  Paris  et  jouer 
chez  vous  avec  vos  amis,  comme  nous  faisons  dans  un  coin  du 
monde,  où  nous  nous  moquons  terriblement  des  sottises  et  des 
sots! 

J'ai  bien  résolu  de  n'en  pas  sortir.  Mon  unique  souhait  est  que 
Tronchin  soit  le  seul  homme  au  monde  qui  puisse  vous  guérir, 
et  que  vous  soyez  forcée  de  venir  chez  nous. 

Adieu,  mademoiselle;  soyez  aussi  heureuse  que  vous  méritez 
de  l'être;  croyez  que  je  vous  admire  autant  que  je  méprise  les 
ennemis  de  la  raison  et  des  arts,  et  que  je  vous  aime  autant  que 
je  les  déteste.  Conservez-moi  vos  bontés  ;  je  sens  tout  ce  que  vous 
valez  :  c'est  beaucoup  dire. 

l(5ls.   —A    M.  LE    COMTE    D'ARGENTAL. 


Les  divins  anges  sauront  que  je  reçus  avant-hier  leur  der- 
nière lettre,  datée  de  je  ne  sais  plus  quand.  J'étais  auv  Délices; 
je  les  ai  cédées  à  M.  le  duc  de  Villars,  (\\ii  s'y  établit  avec  tout 
son  train.  J'ai  laissé  la  lettre  de  mes  anges  aux  Délices;  mais  je 
me  souviens  des  principaux  articles.  Il  était  question  vraiment 
(le  (pi('I(|ues  vers,  qu'ils  aiment  mieux  comme  ils  étaient  autre- 
lois  dans  l'ancienne  Ziidiiic.  Mes  anges  ont  raison. 

Je  me  jette  à  leurs  pieds  pour  (pie  Zidime  se  tue  :  car  il  ne 
faut  pas  (pic  tragi'die  finisse  comme  conu'die,  et,  autant  (pi'on 
peut,  il  faut  laisser  le  poignard  dans  le  cœur  des  jissistants.  Si 
vous  goûtez  cette  nouvelle  façon  de  se  tuer  que  je  vous  envoie, 


376  COIUlESPONDAXCIi 

vous  me  ferez  grand  plaisir.  Ne  me  dites  pas  que  ce  pauvre  bon- 
honiiue  de  père  sera  arfligé;  il  est  juste  que  sa  fille  coupable 
passe  le  pas,  et  que  le  bonhomme  de  père,  qui  l'a  fort  mal  élevée, 
soit  un  peu  affligé  pour  sa  peine. 

Venons  à  un  plus  grand  objet,  à  Pierre  Corneille.  On  ne 
pourra  rien  faire,  rien  commencer,  rien  même  projeter,  si  l'on 
n'a  pas  d'abord  les  noms  de  ceux  qui  veulent  bien  souscrire.  Il  y 
a  une  petite  anicroche.  Les  Œuvres  du  ihtàtrc  de  Corneille  conilen- 
dront  cinq  volumes  in-i".  Ces  cinq  volumes,  avec  des  estampes, 
reviendraient  à  dix  louis  d'or,  et  les  souscriptions  ne  seront 
que  de  deux  :  on  ne  pourra  donc  point  donner  ces  inutiles  es- 
tampes, et  on  se  contentera  des  remarques  utiles.  L'ouvrage  est 
moitié  trop  bon  marché,  j'en  conviens;  mais,  avec  les  bontés  du 
roi,  et  les  secours  des  premiers  de  la  nation,  les  Cramer  pour- 
ront être  honorablement  payés  de  leurs  peines,  et  il  y  aura  en- 
core assez  d'avantages  pour  M.  et  M'""  Corneille.  Quand  il  devrait 
un  peu  m'en  coûter,  je  ne  reculerai  pas.  J'ai  déjà  commenté  à 
peu  près  le  Cid,  les  Horaces,  Cinna,  Pompée,  Polyeucte,  Rodogune, 
Héraclius.  Il  me  paraît  que  ce  travail  sera  principalement  utile 
aux  étrangers  qui  apprennent  notre  langue;  chaque  page  est 
chargée  de  notes  ;  je  suis  un  vrai  Scaliger.  Madame  Scaliger, 
prenez-moi  sous  votre  protection. 

Quant  à  la  drôlerie  du  petit  HurtaudS  il  en  sera  tout  ce  qui 
plaira  à  Dieu.  Je  suis  résigné  à  tout  depuis  la  mort  du  cardinal 
Passionei,  et  depuis  notre  petite  défaite  auprès  de  Ham.  J'espérais 
que  le  cardinal  Passionei  me  ferait  avoir  d'admirables  privilèges 
pour  mon  église  savoyarde.  J'ai  peur  d'échouer  dans  le  sacré 
et  dans  le  profane.  Je  me  disais  :  On  va  signer  la  paix  dans 
Hanovre,  tout  le  monde  sera  gai  et  content,  on  ne  songera 
plus  qu'à  aller  à  la  comédie,  ou  souscrira  en  foule  pour  Pierre 
Corneille,  tous  les  billets  royaux  seront  payés  à  l'échéance, 
tout  le  monde  se  prendra  par  la  main  pour  danser,  depuis  Col- 
iioure  jusqu'à  Dunkerque.  Voilà  mon  rêve  fini;  et  le  réveil  est 
triste. 

La  divine  et  superbe  Clairon  augmentera-t-elle  ma  douleur, 
et  sera-t-elle  fâchée  contre  moi  parce  que  j'ai  été  poli  avec  M.  le 
comte  de  Lauraguais^?  Mon  cher  ange  lui  fera  entendre  raison; 
il  me  l'a  fait  entendre  si  souvent  à  moi,  qui  suis  plus  capricieux 
qu'une  actrice! 


1.  Voyez  tome  VI,  page  3. 

2.  Voyez  la  lettre  4629. 


ANNÉE    1761.  317 

Je  voudrais  bien  vous  envoyer  une  partie  de  mon  Commentaire; 
mais  tout  cela  est  sur  de  petits  papiers  comme  les  feuilles  de  la 
sibylle  ;  et  d'ailleurs  rien  n'est  en  vérité  moins  amusant. 

Respects  à  tous  anges. 

Le  mallieur  est  sur  les  yeux;  les  miens  sont  affligés  aussi, 
mais  je  songe  aux  vôtres, 

461'.».  —  A  MADEMOISELLE    FEL«. 

Au  château  de  Ferney,  par  Genève,  29  juillet. 

Il  me  semble,  mademoiselle,  que  je  vous  dois  des  remer- 
ciements, toutes  les  années,  d'avoir  bien  voulu  venir  dans  ma 
petite  retraite  ;  mais  il  faut  que  je  vous  remercie  d'une  autre 
sorte  de  plaisir  que  vous  m'avez  fait,  et  que  vous  ne  savez  peut- 
être  pas. 

Vous  me  dites  aux  Délices  qu'il  y  avait  à  Paris  un  liomme 
plein  d'esprit  et  de  générosité,  dont  le  plus  grand  plaisir  était 
celui  d'obliger,  et  que  c'était  M,  de  La  Borde-.  Je  m'en  suis 
souvenu,  quand  il  a  été  question  d'imprimer  un  Corneille  avec 
des  commentaires,  et  d'en  faire  une  édition  magnifique,  au 
profit  de  la  famille  infortunée  de  ce  grand  bomme.  J'ai  répété 
mot  pour  mot  à  M.  de  La  Borde,  très-indiscrètement,  tout  ce  que 
vous  m'aviez  dit  de  lui.  Je  vous  assure  qu'il  n'a  pas  démenti  vos 
éloges  :  il  favorise  cette  entreprise  avec  tout  le  zèle  d'un  excel- 
lent citoyen,  et  il  m'a  écrit  une  lettre  qui  fait  bien  voir  ({u'il 
a  autant  d'esprit  que  de  noblesse  d'àme.  Je  suis  si  pénétré  de 
tout  ce  qu'il  daigne  faire  que  je  ne  puis  m'en  taire  avec  vous. 

Vous  qui  avez  des  talents  si  supérieurs,  mademoiselle,  vous 
sentez  bien  mieux  que  personne  combien  il  sera  beau  à  notre 
nation  de  protéger  les  talents  du  grand  Corneille  cent  ans  après 
sa  mort,  et  vous  devez  être  flattée  que  ce  soit  votre  ami,  M.  de 
La  Borde,  qui  ait  fait  les  premières  démarches.  Pardonnez  donc 
à  mon  enthousiasme,  et  comptez  que  nous  en  avons  toujours 
beaucoup  pour  vous  au  pied  des  Alpes,  M Denis  et  moi. 

Recevez,  avec  votre  bonté  ordinaire,  les  sentiments  respec- 
tueux du  vieux 

VoLTAiriE, 


1.  Éiliteurs,  de  Cayrol  cl  Franrois. 

2.  Banquier  de  la  cour. 


378  CUHKI'Sl'ONDANGK. 

4020.  —  A  M.  DE   CHAMPFLOUR, 

ANCIEN    LIEl'TENANT    PAIITICULIER,    A    CLERMO\T    EN    AUVERGNE. 

Au  chûtoiui  de  Ferncy,  par  Genève,  30  juillet. 

Ayant  quitté,  monsieur,  ma  maison  des  Délices,  près  de  Ge- 
nève, que  j'ai  cédée  à  M.  le  duc  de  VillarsS  j'y  ai  laissé  votre 
lettre  ;  mais  quoique  je  no  l'aie  pas  sous  les  yeux,  elle  est  dans 
mon  cœur.  Je  me  suis  attendri  au  souvenir  de  monsieur  votre 
père,  et  je  vous  prie  de  ne  pas  douter  que  je  ne  prenne  toujours 
un  vif  intérêt  à  tout  ce  qui  vous  regarde.  Vous  êtes  père  de 
Camille  depuis  longtemps;  vous  êtes  heureux  par  votre  femme 
et  par  vos  enfants;  vous  l'êtes  par  votre  manière  de  penser:  ce 
sont  pour  moi  autant  de  sujets  de  joie;  elle  n'est  affaiblie  que 
par  le  grand  intervalle  qui  nous  sépare.  Je  finis  ma  carrière 
dans  un  séjour  assez  riant,  et  dans  des  terres  qui  ont  de  beaux 
privilèges;  il  ne  me  manque  que  de  pouvoir  vous  assurer  de 
vive  voix  des  sentiments  inviolables  avec  lesquels  j'ai  l'honneur 
d'être,  monsieur,  votre  très-humble  et  très-obéissant  serviteur. 

Voltaire. 

4G2I.  —  A  M.  *"  2. 
Au  château  de  Ferncy  en  Bourgogne,  par  Genève,  30  juillet. 

Dans  une  petite  transmigration,  monsieur,  d'une  maison  à 
une  autre,  la  lettre  dont  vous  m'honorâtes  en  date  du  l"juin 
s'était  égarée.  M"'"  du  Perron  m'ayant  appris  à  qui  je  devais  cette 
lettre,  j'ai  été  fort  honteux;  j'ai  cherché  longtemps,  et  j'ai  enfin 
trouvé;  mais  ce  que  je  ne  trouverai  pas,  c'estia  solution  de  votre 
problème.  Quand  on  demanda  à  Panurge  lequel  il  aimait  le 
mieux  d'avoir  le  nez  aussi  long  que  la  vue,  ou  la  vue  aussi  longue 
que  le  nez,  il  répondit  qu'il  aimait  mieux  hoire. 

Vous  me  demandez  lequel  est  le  plus  plaisant  de  savoir  tout 
ce  qui  s'est  fait  ou  tout  ce  qui  se  fera  :  c'est  une  question  à  faire 
aux  prophètes;  ces  messieurs,  qui  connaissaient  l'avenir  si  par- 
faitement, étaient  sans  doute  instruits  également  du   passé.  Il 


1.  Honoré-Armand,  duc  de  Villars,  né  le  i  octobre  1702,  reçu  en  1734  à  l'Aca- 
démie Irançaisc,  à  la  place  du  maréchal  de  Villars  son  père  ;  mort  au  mois  de 
mai  1770. 

2.  Cette  lettre  est  peut-être  adressée  au  bourgmestre  de  MidJelbourg  dont  il 
est  question  dans  la  lettre  4610,  si  ce  n'est  pas  un  personnage  supposé. 


ANNÉE    17G1.  379 

faut  être  inspiré  de  Dieu  pour  savoir  bien  parfaitement  son  pré- 
térit, son  futur,  et  même  son  présent.  Notre  espèce  est  fort  cu- 
rieuse et  fort  ignorante.  Celui  qui  saurait  l'avenir  saurait  proba- 
blement de  fort  sottes  et  de  fort  tristes  choses,  et  entre  autres 
l'heure  de  sa  mort  :  ce  qui  n'est  pas  extrêmement  plaisant  à  con- 
templer. J'aime  mieux  au  fond  de  la  boîte  de  Pandore  l'espérance 
que  la  science,  et  je  suis  de  l'avis  d'Horace  : 

Piudens  futuri  temporis  exitum 
Calii:ino?a  iiocle  premit  Deus. 

(Lib.  III,  od.  XXIX.) 

Ce  que  je  sais  le  mieux,  c'est  que  j'ai  l'honneur  d'être  avec 
tous  les  sentiments  que  je  vous  dois,  monsieur,  votre,  etc. 

IG'22.  —  A  M.   L'ABP.É    D'OLIVET. 

Ce  vendredi,  juillet. 

Vous  avez  très-bien  fait,  mon  cher  directeur,  de  venir  chez 
la  protectrice  desarts^.  Elle  a  été  flattée  de  l'hommage  du  direc- 
teur, et,  en  vérité,  vous  lui  deviez  plus  que  des  hommages.  Nous 
devons  être  pénétrés  de  reconnaissance.  Ce  que  je  craignais  est 
arrivé  ;  la  personne  qui  ne  devait  rien  savoir  sait  tout.  Mais  cet 
inconvénient  ne  sert  qu'à  rendre  plus  inébranlable  une  belle 
âme  née  pour  faire  du  bien.  Plus  notre  idée  sera  sue,  plus  il  la 
faut  suivre  ;  et  je  vous  réponds  qu'elle  sera  suivie.  Elle  est  dans 
les  meilleures  mains  du  monde,  comme  dans  les  plus  belles.  Ceux 
de  nos  confrères  qui  ne  se  sont  point  prêtés  à  un  dessein  si  hono- 
rable et  si  utile  ne  sentiront  qu'un  noble  et  heureux  repentir 
quand  ils  verront  qu'une  personne  qu'on  ne  prendrait  que  pour 
Hébé  ou  pour  Flore  devient  notre  Minerve,  et  encourage  le  pro- 
jet qu'ils  n'ont  pas  secondé-. 

Tout  ce  que  je  souhaite,  c'est  que  cette  époque  de  la  gloire  de 
l'Académie  soit  jointe  à  celle  de  votre  directorat  ;  mais  le  temps 
est  bien  court. 

bonsoir;  je  vous  embrasse  toiidrcniciit.  Nous  pouvez  ilirc  har- 
diment (pic  je  ne  viens  point  lire  noire  ode,  parce  que  je  suis 
plus  utilement  occupé.  L'alTaire  mo  parait  sùvc.  Bonsoir  encore 
une  fois. 

1.  M™'  do  Pompadour. 

2.  Lo  projet  de  commentaire  sur  les  classiques  français. 


380  CORRESPONDANCE. 

4023.   —  A  M.  LE  DUC  DE   BOUILLON'. 

Lo.'il  juillet. 

Vous  voilà,  monsoignciir,  commo  lo  marquis  de  La  Farc,  qui 
commença  i\  sentir  son  talent  à  peu  près  à  votre  Age,  quand 
certains  talents  plus  précieux  étaient  sur  le  point  de  baisser  un 
peu,  et  de  l'avertir  qu'il  y  avait  encore  d'autres  plaisirs. 

Ses  premiers  vers  furent  pour  l'amour;  les  seconds,  pour  l'abbé 
de  Ghaulieu,  Vos  premiers  sont  pour  moi,  cela  n'était  pas  juste; 
mais  je  vous  en  dois  plus  de  reconnaissance.  Vous  me  dites  que 
j'ai  triomphé  de  mes  ennemis  :  c'est  vous  qui  faites  mon  triomphe. 

Au  pied  (le  mes  rochers,  au  creux  de  mes  vallons, 
Pourrais-je  regretter  les  rives  do  la  Seine? 
La  fille  de  Corneille  écoute  mes  leçons; 

Je  suis  chanté  par  un....  [Turenne]  : 

J'ai  pour  moi  deux  grandes  maisons 

Chez  Bellone  et  chez  Melpomène. 

A  l'abri  de  ces  deux  beaux  noms, 

On  peut  mépriser  les  Frelons  : 
A  contempler  gaîment  leur  sottise  et  leur  haine 

C'est  quelque  chose  d'être  heureux; 
Mais  c'est  un  grand  plai<ir  de  le  dire  à  l'Envie, 
De  l'abattre  à  nos  pieds,  et  d'en  rire  à  ses  yeux. 

Qu'un  souper  est  délicieux 
Quand  on  brave,  en  mangeant,  les  griffes  de  harpie! 
Que  des  frères  Berthier  les  cris  injurieux 

Sont  plaisante  cérémonie! 
Que  c'est  pour  un  amant  un  passe-temps  bien  doux 
D'embrasser  la  beauté  qui  subjugue  son  âme, 
Et  d'affubler  encor  du  sel  d'une  épigramme 

Un  rival  factieux  et  jaloux! 
Cela  n'est  pas  chrétien,  j'en  conviens  avec  vous; 
Mais  ces  gens,  le  sont-ils  ?  Ce  monde  est  une  guerre  ; 
On  a  des  ennemis  en  tout  genre,  en  tous  lieux  : 

Tout  mortel  combat  sur  la  terre; 
Le  diable  avec  Michel  combattit  dans  les  cieux; 
On  cabale  à  la  cour,  à  l'église,  à  l'armée; 
Au  Parnasse  on  se  bat  pour  un  peu  de  fumée. 
Pour  un  nom,  pour  du  vent,  et  je  conclus  au  bout 
Qu'il  faut  jouir  en  paix,  et  se  moquer  de  tout. 

1.  Conforme  à  roritiinal,  qui  est  à  la  Bibliothèque   de  l'Arsenal,  mss,  belles- 
lettres  françaises,  n"  13'2,  in-f°,  tome  II,  page  240. 


A  -N  N  i:  E     t  7  G  1 .  38 1 

Cependant,  monseigneur,  tout  en  riant  on  peut  faire  du 
bien.  Votre  Altesse  en  veut  l'aire  à  M"-  Corneille;  vous  voulez 
que  je  vous  taxe  pour  le  nombre  des  exemplaires  :  si  je  ne  con- 
sultais que  votre  cœur,  je  vous  traiterais  comme  le  roi;  vous  en 
seriez  pour  la  valeur  de  deux  cents.  Mais  comme  je  sais  que 
vous  allez  partout  semant  votre  argent,  et  que  souvent  il  ne  vous 
en  reste  guère,  je  me  réduis  à  six,  et  j'augmenterai  le  nombre 
si  j'apprends  que  vous  êtes  devenu  économe. 

Je  supplie  Votre  Altesse  d'agréer  mon  profond  respect,  et  de 
me  conserver  vos  bontés  en  Suisse. 

Voltaire. 

4624.   —   A  MADAME  LA  DUCHESSE   DE   SAXE-GOTHA  i. 

Au  château  de  Ferney  en  Bourgogne,  par  Genève,  31  juillet  1761. 

Madame,  j'ai  deux  ressemblances  avec  la  grande  maîtresse 
des  cœurs  :  celles  des  yeux  etdel'àme.  Mes  yeux  ne  voient  presque 
plus;  mais  mon  Ame  voit  toujours,  madame,  et  je  suis  en  idée 
aux  pieds  de  Votre  Altesse  sérénissime. 

Elle  daigne  donc  s'intéresser  à  la  race  de  notre  grand  Cor- 
neille! Je  n'en  suis  pas  surpris,  puisque  ses  ouvrages  respirent  la 
grandeur  et  la  vertu,  et  que  sa  race  est  raallieureuse. 

11  me  semble  que  ce  Corneille  n'a  jamais  peint  dos  désastres 
plus  grands  que  ceux  qu'on  éprouve  depuis  Cassel  jus({u"au  fond 
de  la  Silésie.  Cela  finira  quand  il  plaira  à  Dieu,  et  non  pas  quand 
il  plaira  aux  bommes.  On  dit  que  le  pbilosopbe  Pangloss  va 
partir  de  Turquie,  et  qu'il  fera  un  tour  à  Genève.  Je  l'interrogerai 
sur  les  causes  secondes  et  sur  la  cause  première.  Mais  surtout, 
madame,  je  voudrais  l'amener  à  Gotba  :  c'est  alors  qu'il  verrait 
le  meilleur  des  cbàteaux  possibles,  et  certainement  la  meilleure 
des  princesses  possibles;  mais  je  ne  voudrais  point  passer  au 
milieu  de  ces  belles  armées,  qui  ne  sont  point  du  tout  de  mon 
goût.  Je  n'aime  les  béros  que  dans  Ibistoire  et  dans  la  tragédie. 

Je  n'ai  point  encore  aclievé  l'bistoire  de  ce  béros  russe  nommé 
Pierre  le  Grand,  attendu  que  la  cour  de  Pétersbourg  me  traite 
à  peu  près  comme  Pbaraon  traitait  les  Juifs  :  il  leur  demandait 
de  la  bri(iue  et  ne  leur  donnait  point  de  paille.  On  me  demande 
une  bistoire,  et  l'on  ne  me  donne  point  de  matériaux.  Il  me 
semble  que  monseigneur  le  prince  de  Brunswick  tiendra  son 
coin  dans  l'bistoire;  il  s'est  couvert  de  gloire   dans  tontes  ses 

1.  tiliicur.s,  nav(^u\  et  l'rani.oU. 


382  CORKESPONDANCi:. 

caini)ayQes.  A  quoi  tout  ce  Tracas  al)Outira-l-il?  Les  choses  res- 
teront dans  le  continent  à  peu  près  comme  elles  étaient.  La 
guerre  de  César  et  de  Pompée  coûta  beaucoup  moins  de  sang, 
mais  il  en  résulta  l'empire  du  monde.  C'est  peut-être  une  per- 
fection de  l'art  militaire  de  ne  faire  presque  rien  avec  les  plus 
grandes  armées.  Les  forces  étant  toujours  balancées,  il  n'en  i-ésulte 
que  la  misère  des  peuples  :  il  y  a  seulement,  de  part  et  d'autre, 
cinq  ou  six  cents  personnes  qui  font  des  fortunes  immenses  à 
fournir  le  nécessaire  et  le  superflu  aux  meurtriers  enrégimentés. 
Je  suis  fâché,  madame,  de  n'avoir  plus  de  papier;  il  faut 
quitter  les  réflexions  pour  présenter  mon  profond  respect  et  mon 
inviolable  attachement  à   Votre  Altesse  sérénissime. 

Le  vieux  Suisse  V. 

4625.    —  A  M.   SÉNAC  DE   MEILHAN. 

Élève  du  jeune  Apollon, 

Et  non  pas  de  ce  vieux  Voltaire; 

Élève  heureux  de  la  raison, 
Et  d'un  dieu  plus  charmant  qui  t'instruisit  à  plaire, 
J'ai  lu  tes  vers  brillants,  et  ceux  de  ta  bergère, 
Ouvrages  de  l'esprit,  embellis  par  l'amour  : 

J'ai  cru  voir  la  belle  Glycère 

Qui  chantait  Horace  à  son  tour. 
Que  son  esprit  me  plaît!  que  sa  beauté  te  touchai 
Elle  a  tout  mon  suffrage,  elle  a  tous  tes  désirs. 
Elle  a  chanté  pour  toi;  je  vois  que  sur  sa  bouche 

Tu  dois  trouver  tous  les  plaisirs. 

Je  réponds  bien  mal,  monsieur,  aux  choses  charmantes  que 
vous  m'envoyez  ;  mais,  à  mon  âge,  on  a  la  voix  un  peu  rauque. 
Lupi  Mœrbn  videre  priores ;  vox  quoque  Mœrim  déficit^. 

Présentez,  je  vous  prie,  mes  obéissances  à  celui  qui  a  soin  de 
la  santé  du  roi^  au  père  de  ce  qu'il  y  a  de  plus  aimable. 

4026.  —  A  M.  DE  BURIG.NY. 

Au  château  de  Ferncy,  juillet. 

Tout  ce  que  je  peux  vous  dire,  monsieur,  c'est  que  feu  M.  Se- 
cousse m'écrivit,  il  y  a  quelques  années,  à  Berlin,  que  son  oncle 

1-  Vox  quoquo  Mœrim 

Jam  fugit  ipsa  :  lupi  MaTim  videre  priores. 

(ViRG.,  ccl.  i.x,  V.  53,54.) 
2.  Sénac  père  était  médecin  du  roi. 


A.NNÉi-     I7GI.  383 

avait  réglé  les  droits  et  les  reprises  de  M"'  Desvieux,  fondés  sur 
son  contrat  avec  M.  Bossuet  K  C'est  une  chose  que  je  vous  assure 
sur  mon  honneur.  Au  reste,  c'est  à  vous  à  voir  si  vous  croyez 
qu'un  homme  aussi  éclairé  que  lui  ait  toujours  été  de  honue  loi, 
surtout  en  accusant  M.  de  Fénelon  d'une  hérésie  dangereuse, 
tandis  qu'on  ne  devait  l'accuser  que  de  trop  de  délicatesse  et  de 
beaucoup  de  galimatias.  Je  serais  très-affligé  si  le  panégyriste 
de  Porphyre  et  de  l'ancienne  philosophie  donnait  la  préférence 
à  certaines  opinions  sur  cette  philosophie.  M.  de  Meaux:  était  un 
homme  éloquent;  mais  la  raison  est  préférable  à  l'éloquence. 
Vous  me  ferez  beaucoup  d'honneur  et  de  plaisir  de  m'envoyer 
votre  ouvrage-  ;  mais  vous  me  foriez  un  très-grand  tort  si  vous 
m'accusiez  d'avoir  dit  que  l'éloquent  Bossuet  ne  croyait  pas  ce 
•qu'il  disait.  J'ai  rapporté  seulement  qu'on  prétendait  qu'il  avait 
des  sentiments  dilïérents  de  la  théologie'  ;  comme  un  sage  ma- 
gistrat qui  s'élèverait  quelquefois  au-dessus  de  la  lettre  de  la 
loi  par  la  force  de  son  génie.  Il  me  paraît  qu'il  est  de  l'intérêt 
de  tous  les  gens  sensés  que  Bossuet  ait  été  dans  le  fond  plus  in- 
dulgent qu'il  ne  le  paraissait. 

Je  me  recommande  à  vous,  monsieur,  comme  à  un  homme 
<le  lettres  et  un  i)liilosophe  pour  qui  j'ai  toujours  eu  autant  d'es- 
time que  d'attachement  pour  votre  famille.  Si  vous  voulez  bien 
me  faire  parvenir  votre  ouvrage  par  M.  Janel  ou  M.  Bouret,  ce 
sera  la  voie  la  plus  prompte,  et  j'aurai  plus  tôt  le  plaisir  de 
m'instruire. 

Je  vous  présente  mes  remerciements,  et  tous  les  sentiments 
respectueux  avec  lesquels  je  serai  toujours,  monsieur,  votre,  etc. 

40J7.  —  A  M.   LL  COMTE  D'AIIGEMAL. 

2  iiiiguste. 

Votre  grand-chainhricr  (rilrricouil  vient  de  mourir,  mon 
cher  ange,  après  s'être  lavé  les  jambes  dans  notre  lac,  pour  son 
plaisir.  Tronchin  dit  que  c'est  ])our  s'être  lavé  les  jamhes.  Le  fait 
est  qu'il  est  mort,  ('((jne  je  le  regrette,  parce  (ju'ii  n'était  ni  I'hiki- 
tique  ni  fripon. 

Enfin  donc  ce  «lue  j'ai  prédit  depuis  deux  ans  est  arrivé  ;  je 
criais  toujours  :  Pondichéry  ou  Ponlichéry  !  et,  dans  toutes  mes 

1.  Voyez  loiiK!  XI\',  page  W. 

2.  Vie  de  Hussuet,  evêquc  ik  Miuux,  17G1,  iii-1'1'. 

3.  Voyez  tome  \1V,  page  4J. 


384  CORRESPOND.\NC[i. 

lettres,  je  disais  :  Prenez  .nardc  à  Poiulicliéry  !  Ceux  qui  avaient 
partie  de  leur  fortune  sur  la  ronipaj^nie  des  Indes  n'ont  qu'à  se 
recommander  aux  directeurs  de  riiù[)ital.  On  a  bien  raison  d'ap- 
peler son  bien  forlune,  car  un  moment  le  donne,  un  moment 
l'ôte.  Vous  devez  avoir  eu  une  semaine  brillante  à  Paris  ;  il  me 
semble  qu'en  huit  jours  vous  avez  eu  un  lit  de  justice*,  la  nou- 
velle d'une  bataille  perdue-,  la  nouvelle  de  Pondichérj^  celle 
des  llcs-sous-le-vent*,  celle  de  la  flotte  anglaise  arrivée  devant 
Oléron^  et  une  comédie  de  Saint-Foix^. 

Il  n'y  a  pas  de  quoi  rire  l\  tout  cela.  J'ai  le  cœur  navré.  Nous 
ne  pouvons  avoir  de  ressource  que  dans  la  paix  la  plus  honteuse 
et  la  plus  prompte.  Je  m'imagine  toujours,  quand  il  arrive  quel- 
que grand  désastre,  que  les  Français  seront  sérieux  pendant  six 
semaines.  Je  n'ai  pu  encore  me  corriger  de  cette  idée.  Je  crois 
voir  tout  le  monde  morne  et  sans  argent,  et  de  là  j'infère  qu'il 
ne  faut  pas  précipiter  les  représentations  de  la  pièce  du  petit 
Hurtaud,  que,  par  parenthèse,  les  comédiens  attribuent  à  Saurin 
et  à  Diderot.  Préville,  qui  a  le  nez  plus  fin,  soutient  qu'elle  est 
de  votre  marmotte  des  Alpes.  Dieu  veuille  lui  ôter  de  la  tête  cette 
opinion!  M"'  Dangeville  est  fâchée  que  son  rôle  de  Colette  ne  soit 
pas  le  premier  rôle  :  on  aura  de  la  peine  à  l'apaiser. 

M.  le  duc  de  Choiseul  a  bien  voulu  me  mander  que  les  sou- 
scriptions cornéliennes  vont  à  merveille.  Il  y  a  donc  quelque 
chose  qui  va  bien  à  Paris.  On  parle,  dans  nos  rochers,  de  cer- 
taines petites  brouilleries  qui  ont  retenti  jusqu'aux  Alpes.  Je 
crains  que  M.  le  duc  de  Choiseul  ne  se  dégoûte,  et  qu'il  ne 
quitte  un  poste  fatigant,  comme  un  médecin,  appelé  trop  tard, 
abandonne  son  malade  ;  j'en  serais  inconsolable. 

Aimons  le  théâtre  ;  c'est  la  seule  gloire  qui  nous  reste.  J'en 
suis  à  Htradius  :  je  commence  à  l'entendre.  En  vérité,  il  n'y  a  de 
beau  dans  cette  pièce  que  quatre  vers''  traduits  de  l'espagnol- 
Quand  on  examine  de  près  les  pièces  et  les  hommes,  on  rabat 
un  peu  de  l'estime.  Il  n'y  a  que  mes  anges  qui  gagnent  à  être 
vus  tous  les  jours.  Mais  comment  vont  les  yeux? 


I.    21   jilillrt. 

'1.  La  bataille  de  Kirch-Dinker,  gagnée  le    IG  juillet,  par  le  prince   Ferdinand 
sur  les  maréchaux  de  Broglie  et  de  Soubise. 

3.  Pris  le  15  janvier. 

4.  La  Dominique,  l'une  des  Antilles,  avait  été  prise  par  les  Anglais  le  6  juin. 

5.  Les  Anglais  étaient  maîtres  de  Belle-Isle  depuis  le  7  juin. 

6.  Le  Financier,  joué  le  20  juillet. 

7.  Voyez  ces  vers,  tome  XVII,  page  396. 


ANNÉE    1761.  385 

Voici  un  gros  paquet  pour  notre  Académie.  Jugez,  mes  anges  ; 
j'ai  autant  de  foi,  pour  le  moins,  à  vous  qu'à  elle. 

4G-28.   —  A   MADAME   D'ÉPINAI. 

A  Ferncy,  5  auguste. 

J'aurai  mon  corps-saint,  madame,  malgré  toutes  vos  bonnes 
plaisanteries;  et  si  je  n"ai  pas  un  corps  entier,  j'aurai  du  moins 
pied  ou  aile.  Je  trouve  cette  affaire  si  comique  que  je  la  pour- 
suis très-sérieusement  ;  et  j'aurai  traité  avec  le  ciel  avant  que 
vous  vous  soyez  accommodée  avec  l'Angleterre. 

Puisque  vous  avez,  madame,  frère  Saurin  à  la  Chevrette,  je 
vous  prie  de  vouloir  bien  vous  charger  d'une  négociation  auprès 
de  lui.  Vous  savez  que  malgré  les  calamités  du  temps  il  y  a  quel- 
ques souscriptions  en  faveur  de  la  race  de  Corneille.  Je  ne  sais 
pas  encore  si  nos  malheurs  ne  refroidiront  pas  bien  des  gens; 
mais  je  travaille  toujours  à  bon  compte.  J'ai  commenté  le  Cid, 
Cinna,  3Jédée,  Horace,  Pompée,  Polyeucte,  Hèraclius,  Rodogune; 
beautés,  défauts,  fautes  de  langage,  imitation  des  étrangers,  tout 
est  remarqué  au  bas  des  pages  pour  l'instruction  de  l'ami  lec- 
teur. J'ai  envoyé  à  notre  secrétaire  perpétuel  de  l'Académie  une 
préface  sur  le  Cid,  et  toutes  les  notes  sur  les  Horaces.  Je  voudrais 
bien  que  M.  Saurin,  mon  confrère,  voulût  aller  à  l'Académie,  et 
examiner  un  peu  ma  besogne  ;  personne  n'est  plus  en  état  que 
lui  de  juger  de  cet  ouvrage,  et  il  est  bon  qu'il  ait  la  sanction  de 
l'Académie,  à  laquelle  il  sera  dédié. 

Quelque  chose  qui  arrive  à  notre  pauvre  patrie,  Corneille 
sera  toujours  respectable  aux  autres  nations,  et  j'espère  que  mon 
petit  commentaire  sera  utile  aux  étrangers  qui  apprennent  notre 
langue,  et  à  bien  des  Français  qui  croient  la  savoir.  Je  m'unis 
toujours  aux  saintes  prières  de  tous  les  frères,  M.  le  duc  de  Vil- 
lars  a  pris  possession  de  mes  petites  Délices  ;  j'espère  qu'il  no  lui 
arrivera  pas  ce  qui  vient  d'arriver  à  un  beau-frère  de  M.  de  La 
Poi)elinière,  et  ii  un  abbé  d'IIéricourt,  conseiller  de  grand'cham- 
bre,  qui  se  sont  avisés  de  venir  mourir  à  Genève  pour  faire 
pièce  au  docteur  Tronchin.  L'abbé  d'IIéricourt  est  une  perte, 
car  il  était  prêtre  et  conseiller,  et  malgré  cela  il  n'était  ni  fana- 
tique ni  fripon. 

J'ai  dans  l'idée,  madame,  que  nous  n'aurions  point  perdu 
Pondichéry  si  M.  Dupleix  y  était  resté;  il  avait  des  ressources, 
nous  n'aurions  point  man(iiié  de  vivres.  Cette  belle  aventure  me 
coûte  le  (juarl  de  mon  bien. 

41.    —   CoURESJ'ONDA.NCli.     I  \.  25 


386  CORRESPONDANCE. 

Adieu,  madame;  je  désespère  de  vous  revoir,  mais  je  vous 
sci'ai  toujours  bien  respectueusement  attaché. 

Une  grosse  fluxion  sur  les  deux  yeux  me  prive  de  l'honneur 
de  vous  écrire  de  ma  main. 


4029.    —  A    MADEMOISELLE    CLAIUO.X. 

A  l'crney,  7  auguste. 

Je  crois,  mademoiselle,  que  votre  zèle  pour  l'art  tragique  est 
égal  à  vos  grands  talents.  J'ai  beaucoup  de  choses  à  vous  dire 
sur  ce  zèle,  qui  est  aussi  noble  que  votre  jeu. 

J'ai  été  très-aûligé  que  vos  amis  aient  souffert  qu'on  ait  fait 
un  si  pitoyable  ouvrage  en  faveur  du  théâtre.  Si  on  s'était 
adressé  à  moi,  j'avais  en  main  des  pièces  un  peu  plus  décisives 
que  tous  les  différents  ordres  dont  l'ordre^  des  avocats,  des  fana- 
tiques, et  des  sots,  a  tant  abusé  contre  ce  pauvre  lluerne.  J'ai  en 
main  la  décision  du  confesseur  du  pape  Clément  XII,  décision 
fondée  sur  des  témoignages  plus  authentiques  que  ceux  qui  ont 
été  allégués  dans  ce  malheureux  mémoire.  Cette  décision  du 
confesseur  du  pape  me  fut  envoyée  il  y  a  plus  de  vingt  ans  ;  je 
l'ai  heureusement  conservée,  et  j'en  ferai  usage  dans  l'édition 
que  j'entreprends  de  Corneille^-.  Elle  sera  chargée,  à  chaque  page, 
de  remarques  utiles  sur  l'art  en  général,  sur  la  langue,  sur  la 
décence  de  notre  spectacle,  sur  la  déclamation,  et  je  n'oublierai 
pas  M"'  Clairon  en  parlant  de  Cornélie. 

Vous  avez  été  effarouchée  d'une  lettre  •'  que  j'ai  écrite  au  sujet 
û'Élcctre.  J'ai  dû  récrire  dans  la  situation  où  j'étais,  et  ne  prendre 
rien  sur  moi  ;  et  je  me  flatte  que  vous  avez  pardonné  à  mon  em- 
barras. 

Vous  voulez  jouer  Zulimc.  J'ai  envoyé  la  pièce,  après  avoir 
consumé  un  temps  très-précieux  à  la  travailler  avec  le  plus 
grand  soin.  Je  vous  prie  très-instamment  de  la  jouer  comme  je 
î'ai  faite,  et  d'empêcher  qu'on  ne  gâte  mon  ouvrage.  Les  acteurs 
sont  intéressés  à  cette  complaisance. 

1.  Le  Discours  de  Dains  (voyez  tome  XXIV,  pages  239-240)  commence  ainsi  : 
.(  Lu  discipline  de  notre  ordre,  »  et  finit  par  ces  mots  :  u  Ainsi,  messieurs,  c'est 
pour  remplir  le  vœu  de  l'ordre  des  avocats  que  j'ai  l'honneur  de  dénoncer  à  la 
cour  le  livre  intitulé  Libertés  de  la  France  contre  le  pouvoir  arbitraire  de  l'excom- 
munication, n 

2.  C'est  ce  qu'il  a  fait;  voyez  tome  XXXI,  page  519. 

3.  Celle  lettre,  qui  parait  avoir  été  adressée  au  comte  de  Lauraguais  (voyez 
la  lettre  iG18),  n'est  pas  encore  imprimée.  (B.) 


ANNÉE    176  1.  387 

Vous  vous  apercevrez  aisément,  mademoiselle,  de  l'excès  du 
ridicule  de  l'édition  de  Tancndc  faite  à  Paris.  Vous  verrez  qu'on 
a  tâché  de  faire  tomber  la  pièce  en  l'imprimant,  cl  que  si  on  la 
joue  suivant  cette  leçon  absurde,  il  est  impossible  qu'à  la  longue 
elle  soit  soufferte,  malgré  toute  la  supériorité  de  vos  talents. 

Vous  voyez  d'un  coup  d'œil  quelle  sottise  fait  Orbassan,  en 
répétant,  en  quatre  mauvais  vers  (page  32),  ce  qu'il  a  déjà  dit, 
et  en  le  répétant,  pour  comble  de  ridicule,  sur  les  mêmes  rimes 
déjà  employées  au  commencement  de  ce  couplet. 

Si  vous  récitez  ce  mauvais  vers'  : 

On  croit  qu'à  Solamir  mou  cœur  se  sacrifie, 

VOUS  gâtez  toute  la  pièce.  Il  ne  faut  [)as  que  vous  imaginiez  que 
Solamir  ait  part  à  votre  condamnation.  D'où  pouvez-vous  savoir 
qu'on  croit  vous  immoler  à  Solamir?  que  veut  dire  mon  cœur  se 
sacrifie?  Il  s'agit  bien  ici  de  cœurîW  s'agit  d'être  exécutée  à  mort. 
Vous  craignez  qu'on  n'impute  à  Tancrède  la  trahison  pour  la- 
quelle vous  êtes  arrêtée,  et  c'est  pour  cela  que,  lorsqu'au  troi- 
sième acte  vous  êtes  prête  d'avouer  tout,  croyant  Tancrède  à 
.Messine,  vous  n'osez  plus  prononcer  son  nom  dès  que  vous  le 
voyez  à  Syracuse  ;  mais  vous  ne  devez  pas  penser  à  Solamir.  On 
a  fait  un  tort  irréparable  à  la  pièce  en  la  donnant  de  la  manière 
dont  elle  est  si  ridiculement  im|)rimée. 

La  seconde  scène  du  second  acte  est  tronquée,  et  d'une  sé- 
cheresse insupportable.  Si  votre  père  ne  vous  parle  que  pour 
vous  condamner,  s'il  n'est  pas  désespéré,  qui  pourra  être  touché? 
qui  pourra  vous  plaindre,  quand  un  père  ne  vous  plaint  pas?  Sa 
(loiilciii-,  la  v(jtre,  ses  doutes,  vos  réponses  entrecoupées,  ce  père 
inrorliiné  qui  vous  tend  les  bras,  votre  reproche  sur  sa  faiblesse, 
votre  aveu  noble  que  vous  avez  écrit  une  lettre,  et  que  vous  avez 
dû  l'écrire:  tout  cela  est  théâtral  et  louchant;  il  y  a  plus,  cela 
justilie  les  chevaliers  (jui  vous  condamnent.  Si  on  ne  joue  pas 
ainsi  la  |)ièce,  elle  est  perdue,  elle  est  au  rang  de  tout<'s  les  mau- 
vaises pièces  que  l'on  a  données  depuis  (juatre-vingts  ;iiis,  (|n«^  le 
jeu  des  acteurs  fait  supporter  quelqnolois  nii  lliéAlrc,  cl  (jue  tons 

les  connaisseurs  méprisent  à  la  lecliiiv.  lin  un  i,  rcdiliou  do 

Prault  est  ridicule,  et  me  couvre  de  ridicule.  Je  serai  obligé  de 
la  désavouer,  puis([u'elle  a  été  faite  malgré  mes  instructions  pré- 
cises. Je  vous  prie  très-instamment,   mademoiselle,  de  garder 

1.  Voyez  les  variantes  et  la  remarque  tome  V,  paf^o  50G. 


3,sS  CORRESPONDANCE. 

celte  lettre,  et  de  la  montrer  aux  acteurs  quand  on  jouera  Tan- 
crcde. 

Je  vous  fais  mon  compliment  sur  la  manière  dont  vous  avez 
joué  Electre.  Vous  avez  rendu  à  l'Europe  le  théâtre  d'Athènes. 
Vous  avez  fait  voir  qu'on  peut  porter  la  terreur  et  la  pitié  dans 
l'i'ime  des  Français,  sans  le  secours  d'un  amour  impertinent  et 
d'une  galanterie  de  ruelle,  aussi  déplacés  dans  Éleclre  qu'ils  le 
seraient  dans  Cornélie.  Introduire  dans  la  pièce  de  Sophocle 
une  partie  carrée ^  d'amants  transis  est  une  sottise  que  tous  les 
gens  sensés  de  l'Europe  nous  reprochent  assez.  Tout  amour  qui 
n'est  pas  une  passion  furieuse  et  tragique  doit  être  hanni  du 
théâtre  ;  et  un  amour,  quel  qu'il  soit,  serait  aussi  mal  dans 
Electre  que  dans  AtJialie.  Vous  avez  réformé  la  déclamation,  il  est 
temps  de  réformer  la  tragédie,  et  de  la  purger  des  amours  insi- 
pides, comme  on  a  purgé  le  théâtre  des  petits-maîtres. 

On  m'a  flatté  que  vous  pourriez  venir  dans  nos  retraites  :  on 
dit  que  votre  santé  a  besoin  de  M.  Tronchin.  Vous  seriez  reçue 
comme  vous  méritez  de  l'être,  et  vous  verriez  chez  moi  un  assez 
joli  théâtre,  que  peut-être  vous  honoreriez  de  vos  talents  sublimes, 
en  faveur  de  l'admiration  et  de  tous  les  sentiments  que  ma  nièce 
et  moi  nous  conservons  pour  vous.  M""  Corneille  ne  dit  pas  mal 
des  vers.  Ce  serait  un  beau  jour  pour  moi  que  celui  où  je  ver- 
rais la  petite-fille  du  grand  Corneille  confidente  de  l'illustre 
M"'  Clairon. 

4630.  —  A  M.  DUCL0S2. 


Si  vous  avez  quelquefois  du  loisir  à  l'Académie,  monsieur, 
je  lui  fournirai  de  l'occupation.  Voilà  toujours,  à  bon  compte, 
ma  dédicace.  Je  vous  prie  d'y  trouver  des  choses  curieuses,  et 
que  l'Académie  l'approuve. 

J'aurai  l'honneur  d'envoyer  le  programme  quand  j'aurai 
consulté  mes  respectables  confrères  sur  quelques  commen- 
taires. Celui  de  Ciima  ne  tardera  pas.  Je  me  flatte  que  je  serai 
instruit  par  leurs  décisions,  et  encouragé  par  le  zèle  qu'ils  mon- 
trent pour  la  mémoire  de  Corneille  et  pour  l'unique  rejeton  de 
cette  famille. 


1.  C'est  ce  qu'on  voit  dans  l'Electre  de  Crébillon. 

2.  Éditeurs,  de  Cayrol  et  François. 


ANNEE    176  1.  389 


A  M.    Ll-KAIN. 


Au  château  de  Fcrnc}-,  8  auguste. 


Mon  cher  Rosciiis,  je  vous  écris  rarement;  la  poste  est  trop 
chère  pour  vous  faire  payer  des  lettres  inutiles.  Je  sollicite 
M.  d'Argental  pour  le  jeune  débarqué  et  dégoûté  de  Prusse.  Vous 
pouvez  lui  dire  que  j'ai  mieux  aimé  m'adressera  celui  qui  tire 
mes  amis  de  prison  qu'à  celui  qui  les  y  fait  mettre. 

J'ai  lu  le  mémoire  de  votre  avocat  contre  les  excommuniants  : 
il  y  a  des  choses  dont  il  est  à  souhaiter  qu'il  eût  été  mieux 
informé.  J'avais  écrit,  il  y  a  quelques  années,  au  confesseur  du 
pape,  à  uu  théologien  pantalon  de  Venise,  à  un  prétre-buggerone 
de  Florence,  et  à  un  autre  de  Rome,  pour  avoir  des  autorités  sur 
cette  matière  ;  je  crois  avoir  remis  les  réponses  entre  les  mains 
de  M,  d'Argental. 

Cette  excommunication  est  un  reste  de  la  barbarie  absurde 
dans  laquelle  nous  avons  croupi  :  cela  fait  détester  ceux  qu'on 
appelle  rigoristes  ;  ce  sont  des  monstres  ennemis  de  la  société. 
On  accable  les  jésuites,  et  on  fait  bien  ;  mais  on  laisse  dormir 
les  jansénistes,  et  on  fait  mal  :  il  faudrait,  pour  saisir  un  juste 
milieu,  et  pour  prendre  un  parti  modéré  et  honnête,  étrangler 
l'auteur  des  Nouvelles  ecclésiastiques  avec  les  boyaux  de  frère  Ber- 
thier. 

Sur  ce,  je  vous  embrasse. 

Ui:i-2.   —  A  .M .  L  E  C  0  M  T  E   D  '  A  l\  G  E  \  T  A I. . 


Ose-t-on  [)arler  encore  de  vers  et  de  prose  à  Paris,  mes 
divins  anges?  Les  chaleurs  et  les  malheurs  ne  font-ils  pas  un  tort 
horrible  au  triput? 

Je  travaille  le  jour  ii  Corneille,  et  la  nuit  à  Don  P'alrcK 

Nos  souscriptions  pourraient  bien  se  ralentir.  Sans  la  prise  de 
Pondicbéry,  je  ferais  tout  à  mes  dépens. 

Je  vous  ai  envoyé  les  remarques  sur  les  Uoraccs.  Voici  la  pré- 
face en  forme  d'éjjître  dédicatoirc  à  l'Acadr-mie.  Je  la  mets  sous 
vos  ailes,  et  vous  daignerez  la  recommander  à  Duclos,  quand 
vous  l'aurez  lue.  11  est  bon  que  tout  ait  la  sanction  de  quarante 
personnes;  mais  j'aurai  plus  tùt  achevé  tout  l'ouvrage  que  l'Aca- 

1.  Voyez  tùinc  Vil,  page  239. 


300  r.ORUKSrONDANCE. 

demie  irauia  lu  trente  de  mes  remarques.  In  membre  va  vite, 
les  corps  ont  peine  h  se  remuer. 

Dites-moi  net,  je  vous  prie,  coml)ien  vos  amis  retiennent 
d'exemplaires.  Tout  Corneille  commenté  en  cinq  ou  six  volumes 
in-/i",  c'est  marché  donné  pour  deux  louis. 

Sans  le  roi  et  quelques  princes,  on  ne  pourrait  donner  les 
exemplaires  à  ce  prix. 

J'ai  un  autre  placet  contre  Lambert  à  vous  présenter.  Je  n'a- 
vais pas  encore  eu  le  temps  de  lire  son  Tancrhilc;  il  s'est  plu  à 
me  rendre  ridicule  :  jugez-en  par  cet  échantillon  *...  Que  faire? 
cela  est  dur  ;  mais  Pondichéry  est  pis  ou  pire. 

Mes  divins  anges,  que  la  campagne  est  belle!  Vous  ne  con- 
naissez pas  ce  plaisir-là.  Et  les  yeux?  J'écris,  moi  ;  et  vous? 


4G33.  —  À    M.  LE   MARQUIS    ALBERGATI  CAPACELLP. 
Au  château  de  Ferncj-,  par  Genève,  11  auguste. 

Vous  verrez,  mon  cher  monsieur,  l'état  où  je  suis  par  ma  let- 
tre à  M.  Paradisi',  que  je  vous  envoie  tout  ouverte.  Si  jamais 
je  retrouve  des  yeux  et  de  la  santé,  j'en  ferai  bien  usage  pour 
cultiver  votre  commerce  charmant.  La  belle  lettre  que  vous  me 
fîtes  l'honneur  de  m'écrire,  il  y  a  quelque  temps,  a  été  reçue 
en  France  avec  un  applaudissement  universel.  On  n'a  pas  été 
surpris  que  vous  pensiez  bien  ;  mais  on  l'a  été  que  vous  écriviez 
en  notre  langue  avec  tant  de  pureté  et  d'énergie. 

Dans  le  temps  que  je  pouvais  lire,  j'ai  lu  avec  un  plaisir 
extrême  les  tragédies  de  M.  Varano^,  et  quand  j'aurai  des  yeux 
je  les  relirai  encore.  Oserai-je  vous  supplier  de  faire  mes  excuses 
à  M.  Algarotti,  auquel  je  voudrais  écrire,  et  auquel  je  n'écris 
point?  Non-seulement  il  faut  qu'il  me  pardonne,  mais  qu'il  me 
plaigne. 

Adieu,  monsieur,  aveugle  ou  borgne,  je  prends  la  liberté  de 
vous  aimer  autant  que  je  vous  estime.  Votre  obéissant  servi- 
teur. 


1.  Voltaire  donnait  sans  doute  ici  le  relevé  de  quelques  mauvais  textes  ou  fautes 
■de  l'édition  de  Tancrède  faite  par  Lambert.  (B.) 

2.  Éditeurs,  de  Cayrol  et  François. 

3.  On  n'a  pas  cette  lettre. 

4.  Né  à  Fcrrare  en  1705,  mort  en  1788. 


ANNÉE    I7G1.  391 

4G3i.  —  A  M.  DU  CL  OS. 
Au  château  de  Fcrney,  par  Genève,  13  auguste. 

Je  TOUS  supplie,  monsieur,  vous  et  l'Académie,  de  prendre 
bien  à  cœur  Pierre  Corneille  et  Marie  Corneille.  Il  sera  peut-être 
bien  ennuyeux  de  lire  mes  noies  sur  les  Ilnrucrs;  mais,  avec  un 
Corneille  à  la  main,  le  plaisir  de  lire  le  texte  l'emportera  sur  lo 
dégoût  des  notes.  Ne  faites  aucune  attention  à  rortliographo; 
songez  que  nous  sommes  Suisses.  On  écrit  comme  on  peut,  et  on 
corrigera  le  tout  à  l'impression.  Trois  ou  quatre  séances  pour- 
ront amuser  l'Académie,  et  m'éclaireront  beaucoup.  Si  vous  avez 
le  courage  d'examiner  mon  travail,  je  vous  enverrai  tous  mes 
commentaires  les  uns  après  les  autres. 

11  me  paraît  que  dans  l'Europe  on  approuve  assez  mon  entre- 
prise. Il  faut  bien  que  nous  ayons  quelque  gloire.  Pierre  nous 
en  donnera,  si  l'Académie  veut  bien  donner  sa  sanction  aux 
remarques.  Elles  sont  faites  pour  les  étrangers,  et  peut-être  pour 
beaucoup  de  Français. 

Je  vous  demande  en  grûce  de  me  renvoyer  la  Préface  sur  le 
Ciel  et  les  Notes  sur  Hemice,  avec  un  petit  mot  au  bas  qui  marque 
le  sentiment  de  l'Académie.  Dès  que  vous  aurez  eu  la  bonté, 
monsieur,  de  me  renvoyer  ces  cabiers,  je  vous  dépêcherai  le 
Cid. 

A  l'égard  des  souscriptions,  elles  iront  comme  elles  pourront. 
Je  travaillerai  à  bon  compte,  et,  s'il  le  faut,  je  ferai  imprimera 
mes  dépens.  Je  crois  travailler  pour  riionncur  de  la  littérature 
française;  j'attends  de  l'Académie  des  lumières  et  de  la  protec- 
tion. 

Adieu,  monsieur;  je  compte  sur  votre  zèle  et  sur  votre  bonté 
plus  que  sur  tout  le  reste. 

Volt  MUE. 

'.03.).  —    A  M .  D  i:   L  A  T  O  U  R  A 1  L  L  V.  i . 

Au  rliàioau  de  Fcinoy,  par  ("lenève,  Il  auguste. 

Si  jf  n't'tais  i)ris  tonilti-  malade,  nioiisicur,  et  si  je  n'étais  pas 
même  menacé  de  perdie  la  vue,  j'aurais  déjà  remercié  Son 
Altesse  sérénissimc  de  la  bonté  «{u'elle  a  eue  et  de  riionneiir 
qu'elle  m'a   fait.  L'ouvrage  que  j'entreprends   demanderait    de 

1.  fùlitcur<,  de  Ca\rol  et  François. 


392  CORRESPONDANCE. 

meilleurs  yeux  et  une  santé  plus  robuste.  J'espère  pourtant  que 
nous  viendrons  à  bout  de  tout,  avec  la  protection  du  petit  nom- 
bre d'hommes  qui  suivra  l'exemple  généreux  de  M.  le  prince  de 
Condé. 

L'ouvrage  sera  beaucoup  plus  considérable  que  je  ne  croyais; 
il  contiendra  cinq  ou  six  volumes  m-h°.  J'ai  déjà  commenté  le 
Ciel,  Horace,  Ciniia,  Pampre,  Polyeucle,  Rodogune,  et  HéracUus,  et  si 
je  peux  me  rétablir,  le  reste  suivra  bientôt.  Les  libraires  m'ont 
fait  apercevoir  qu'il  sera  impossible  d'orner  ces  ouvrages  d'es- 
tampes ;  que  chaque  exemplaire  coûterait  alors  six  louis  d'or  au 
lieu  de  deux.  Quoi  qu'il  arrive,  je  donnerai  mon  temps  et  mon 
argent  pour  le  succès  d'une  entreprise  que  je  crois  honorable  et 
utile  à  la  nation.  Le  désintéressement  des  frères  Cramer,  qui 
entreprennent  l'édition  sous  mes  yeux,  leur  fait  un  honneur  qui 
est  assez  rare  dans  cette  profession.  J'espère  que  tout  se  passera 
d'une  manière  qui  ne  déplaira  pas  au  public. 

Permettez-moi,  monsieur,  de  vous  marquer  ma  surprise  sur 
ce  que  vous  me  mandez  au  sujet  de  la  lettre  de  M.  le  prince  de 
Condé.  Il  faut  qu'il  y  ait  quelque  méprise,  et  qu'il  s'agisse  appa- 
remment de  quelque  autre  lettre  que  Son  Altesse  sérénissime 
aura  écrite  à  quelque  étranger  sur  des  o])jets  importants  :  car  il 
n'y  a  pas  d'apparence  qu'un  Français  ait  jamais  pul)lié  une  lettre 
d'un  prince  tel  que  lui,  sur  quelque  objet  que  ce  puisse  être,  sans 
lui  en  demander  la  permission  ;  et  ce  sont  même  des  permissions 
que  les  hommes  qui  connaissent  leur  devoir  se  gardent  bien  de 
demander.  Je  vous  supplie,  monsieur,  de  lui  présenter  mon  pro- 
fond respect  et  mes  vœux  sincères  pour  des  succès  dignes  de  son 
nom  et  de  son  courage. 

Vous  ne  doutez  pas,  monsieur,  des  sentiments  avec  lesquels 
j'ai  l'honneur  d'être  votre  très-humble  et  très-obéissant  serviteur. 

4630.  —  A  31.  DAMILAVILLE. 

Le  15  auguste. 

Que  les  frères  m'accusent  de  paresse,  s'ils  l'osent.  J'ai  tout 
Corneille  sur  les  bras,  VHistoire  générale  des  Mœurs,  le  Czar, 
Jeanne,  etc.,  etc.,  et  vingt  lettres  par  jour  à  répondre.  Il  faut 
écrire  à  M.  de  La  FargueS  et  je  ne  sais  où  le  prendre.  Il  me 
semble  que  frère  Thicriot  sait  sa  demeure  ;  il  s'agit  de  ses  vers, 
cela  est  important.  Comment  va  VEncyclopédie?  cela  est  un  peu 
plus  important. 

1.  Voyez  lettre  4041, 


ANNÉE    1761.  393 

Oui,  volontiers,  que  les  sadducéons  périssent,  mais  que  les 
pharisiens  ne  soient  pas  épargnés.  On  nous  défait  des  chats, 
mais  on  nous  laisse  dévorer  par  des  chiens. 

On  a  eu  grand'peinc  à  trouver  le  Grizel^  que  demandent  les 
frères.  C'est  grand  dommage  que,  pour  notre  édiOcation,  nous 
ne  puissions  pas  recouvrer  cet  ouvrage  rare,  d'autant  plus  utile 
à  la  bonne  cause  qu'il  rend  la  mauvaise  extrêmement  ridi- 
cule. 

Frère  Thieriot  est  devenu  bien  paresseux.  Un  véritable  frère 
no  devrait-il  pas  avoir  déjà  envoyé  les  nccherchcs  sur  le  Tlu'âtre-? 
Il  faut  le  mettre  en  pénitence.  On  ne  doit  pas  être  tiède  sur  les 
ouvrages  et  sur  le  sang  du  grand  Corneille,  Frère  Thieriot,  je 
vous  l'ai  toujours  dit,  vous  êtes  un  indolent  ;  vous  n'écrivez  que 
par  ])Outade.  Point  de  nouvelles  depuis  un  mois.  Vous  retardez 
l'édition  de  Corneille  :  vous  êtes  coupable.  Je  ne  sais  pas  trop 
comment  ira  cette  entreprise.  Pour  moi,  je  ne  réponds  que  de 
mon  travail  et  de  mon  zèle  tant  que  je  respirerai.  J'ai  déjà  com- 
menté six'  tragédies.  Je  m'instruis  par  ce  travail  ;  j'espère  que 
j'en  instruirai  d'autres,  et  que  le  théâtre  y  gagnera.  Si,  comme 
auteur,  je  n'ai  pu  servir  ma  nation,  je  la  servirai  du  moins 
comme  commentateur. 

J'emi)rassc  les  frères,  et  j'abhorre  pi  us  que  jamais  les  ennemis 
de  la  raison  et  des  lettres. 

4037.  —  A  M.    LE   COMTE   D'ArxGENTAL. 


Je  reçois  une  loftre  de  mes  anges,  du  5  auguste,  en  revenant 
d'une  représentation  de  Tancrcdc,  que  des  comédiens  de  province 
nous  ont  donnée  avec  assez  d'appareil.  Je  ne  dis  pas  qu'ils  aient 
tous  joué  comme  M""  Clairon  ;  mais  nous  avions  un  père  qui  fai- 
sait pleurer,  et  c'est  ce  que  votre  Brizard  ne  fera  jamais.  Il  faut 
pourtant  qu'il  y  ait  quelque  chose  de  bon  dans  cette  i)i('('e,  car 
les  hommes,  les  femmes,  et  les  petits  garçons,  fondaient  en 
larmes.  On  l'a  jouée,  Dieu  merci,  comme  je  l'ai  faite,  et  elle 
n'en  a  pas  été  plus  mauvaise.  Les  Anglais  mémos  pleuraient  : 
nous  ne  devons  plus  songer  ([u'à  les  atlciidrir;  mais  le  petit 
Bussy*  n'est  point  du  tout  attendrissant. 

\.  La  Conversation  de  l'inlcndniil  ilrs  Mrnnu  ;  xir.cz  tomo  XXIV.  paire  239. 

2.  Par  IJeaiicliainiis,  MX,,  un  voliiinc  in-l"  mi  trois  volimios  ])Ciil  in-S". 

3.  11  parle  de  huit  duns  la  lettre  à  M"""  d'I^lpinai  du  .'i  ntuit. 

4.  Chargé  de  négocier  la  paix  entre  la  France  et  l'An^lelerrc. 


394  CORRESPONDANCE. 

0  mos  anges!  je  vous  prédis  que  Zalimc  fera  pleurer  aussi, 
mali>ré  ce  grand  Jjenêl  de  liamirc  à  qui,  je  voudrais  donner  des 
Hasardes. 

11  faut  que  ce  soit  Fréron  qui  ait  conservé  ce  vers  : 

J'abjure  un  hiclie  amour  qui  me  lient  sous  sa  loi. 
M'""  Denis  a  toujours  récité  : 

J'abjure  un  làclie  amour  qui  vous  ravit  ma  foi. 

(Acte  V,  scL'iic  lit.) 

Pierre,  que  vous  autres  Français  nommez  le  Cruels  d'après 
les  Italiens,  n'était  pas  plus  cruel  qu'un  autre.  On  lui  donna  ce 
sobriquet  pour  avoir  fait  pendre  quelques  prêtres  qui  le  méri- 
taient bien  ;  on  l'accusa  ensuite  d'avoir  empoisonné  sa  femme, 
qui  était  une  grande  catin.  C'était  un  jeune  bomme  fier,  cou- 
rageux, violent,  passionné,  actif,  laborieux,  un  homme  tel 
qu'il  en  faut  au  théâtre.  Donnez-vous  du  temps,  mes  anges, 
pour  cette  pièce;  faites-moi  vivre  encore  deux  ans,  et  vouS 
l'aurez. 

Je  vous  remercie  de  tout  mon  cœur  du  Cid.  Les  comédiens 
sont  des  balourds  de  commencer  la  pièce  par  la  querelle  du 
comte  et  de  don  Diègue  ;  ils  méritent  le  soufflet  qu'on  donne  au 
vieux  bonhomme,  et  il  faut  que  ce  soit  à  tour  de  bras.  Comment 
ont-ils  pu  retrancher  la  première  scène  de  Chimène  et  d'Elvire^, 
sans  laquelle  il  est  impossible  qu'on  s'intéresse  à  un  amour  dont 
on  n'aura  point  entendu  parler? 

Vous  parlez  quelquefois  de  fondements,  mes  anges,  et  même, 
permettez-moi  de  vous  le  dire,  de  fondements  dont  on  peut  très- 
bien  se  passer,  et  qui  servent  plus  à  refroidir  qu'à  préparer; 
mais  qu'y  a-t-il  de  plus  nécessaire  que  de  préparer  les  regrets  et 
les  larmes  par  l'exposition  du  plus  tendre  amour  et  des  plus 
douces  espérances,  qui  sont  détruites  tout  d'un  coup  par  cette 
querelle  des  deux  pères? 

Je  viens  aux  souscriptions.  Je  reçois,  dans  ce  moment,  un 
billet  d'un  conseiller  du  roi,  contrôleur  des  rentes,  ainsi  couché 
par  écrit  : 

«  Je  retiens  deux  exemplaires,  et  payerai  le  prix  qui  sera  fixé. 
Signé  Bazard  ;  8  d'auguste  1761.  » 

1.  Voyez  tome  VII,  page  252;  et  XII,  29. 

2.  Voyez  tome  XXXI,  pages  21  i  et  216. 


ANNKE    1761.  395 

Voilà  ce  qui  s'appelle  enleiulre  une  aflaire.  Tout  le  monde  doit 
en  atïir  comme  le  sieur  Bazard.  Les  Cramer  verront  comment  ils 
arrangeront  l'édition  :  ce  qui  est  très-sûr,  c'est  qu'ils  on  useront 
avec  noblesse.  Ce  n'est  point  ici  une  souscription,  c'est  un  avis 
que  cliaque  particulier  donne  aux  Cramer  qu'il  retient  un  exem- 
plaire, s'il  en  a  envie.  Mon  lot,  à  moi,  c'est  de  bien  travailler  pour 
la  gloire  de  Corneille  et  de  ma  nation. 

Les  particuliers  auront  rexcm|)laire,  soitin-/|°,  soitin-8\  pour 
la  moitié  moins  qu'ils  le  payeraient  chez  quelque  libraire  de 
l'Europe  que  ce  pût  être.  Le  bénéfice,  pour  M"»  Corneille,  ne 
viendra  que  de  la  générosité  du  roi,  des  princes,  et  des  premières 
personnes  de  l'État,  qui  voudront  favoriser  une  si  noble  entre- 
prise. M"'  Corneille  a  l'obligation  à  M'"-  de  Pompadour  et  à  M.  le 
duc  de  Choiseul  des  quatre  cents  louis  que  le  roi  veut  bien  don- 
ner ;  mais  elle  doit  être  fort  mécontente  de  monsieur  le  contrôleur 
général,  à  qui  j'ai  donné  de  fort  bons  dîners  aux  Délices,  et  qui 
ne  m'a  point  fait  de  réponse  sur  les  quatre  cents  louis  d'or.  Je  ne 
<lemande  pas  qu'on  les  paye  d'avance  ;  mais  j'écris  à  M.  de  Mont- 
martel  ^  pour  lui  demander  quatre  billets  de  cent  louis  chacun, 
payables  à  la  réception  du  premier  volume  :  je  ne  m'embar- 
querai pas  sans  cette  assurance.  Je  donne  mon  temps,  mon  tra- 
vail et  mon  argent;  il  est  juste  qu'on  me  seconde,  sans  quoi  il 
n'y  a  rien  de  fait.  Je  veux  accoutumer  ma  nation  à  être  du  moins 
aussi  noble  que  la  nation  anglaise,  si  elle  n'est  pas  aussi  brillante 
dans  les  quatre  parties  du  monde.  Surtout,  avant  de  rien  entre- 
prendre, il  me  faut  la  sanction  de  l'Académie.  Je  vous  envoie 
donc  Cinna,  mes  chers  anges,  et  je  vous  prie  de  le  recommander 
à  M.  Duclos.  Quand  on  m'aura  renvoyé  l'épître  dédicatoire  et 
les  observations  sur  Cinna  et  les  //nraccs-,  j'enverrai  le  reste.  Je 
souhaite  qu'on  aille  aussi  vite  que  moi  ;  mais  les  Français  parlent 
vite  et  agissent  lentement  :  leur  vivacité  est  dans  les  propositions, 
otnon  dans  l'action.  Témoin  cent  projets  (juc  j'ai  vus  commencés 
avec  chaleur,  et  abandonnés  avec  dégoût. 

0  mes  anges!  vous  ne  me  parlez  point  de  l'arrêt  contre  les 
jésuites-;  je  l'ai  eu  sur-le-champ,  cet  arrêt,  et  sans  vous.  Vous  me 
dites  un  mot  du  petit  llurtaud,  et  rien  de  Poudichéry.  J'avoue 
que  le  tripot  est  la  plus  belle  chose  du  monde;  mais  Poudichéry 
et  les  jésuites  sont  (juclcjuc  chose.  Vous  me  i)arl(v,  de  IKnfant 
prodigue,  que  les  co)nédiens  ont  gAl(''  absolument ,  et  de  ycuiinc, 


1.  Cciio  Icilrc  inaïKino, 
'l.  L'nrrùt  du  G  .-inùt  I7GI. 


396  COUHliSPONDANCE. 

qu'ils  n'ont  pu  gfttcr  parce  ([uc  j'y  étais.  Donnons  vite  bien  des 
comédies  nouvelles,  car,  lorsque  les  jansénistes  seront  les  maî- 
tres, ils  feront  fermer  les  théâtres,  ^ous  allons  tomber  de  Cha- 
rybde  en  Scylla.  0  le  pauvre  royaume!  ô  la  pauvre  nation  !  J'écris 
trop,  et  je  n'ai  pas  le  temps  d'écrire. 

Mes  anges,  je  baise  le  bout  de  vos  ailes. 

4038.   —  A   M.   DE   MAIRAN. 

A  Forne}^,  16  auguste. 

Votre  lettre  du  2  auguste,  monsieur,  me  flatte  autant  qu'elle 
m'instruit.  Vous  m'avez  donné  un  peu  de  vanité  toute  ma  vie, 
car  il  me  semble  que  j'ai  été  de  votre  avis  sur  tout.  J'ai  pensé 
invariablement  comme  vous  sur  l'estimation  des  forces,  malgré 
la  mauvaise  foi  de  Maupertuis,  et  môme  de  Bernouilli,  et  de 
Musschenbroeck;  et  comme  les  vieillards  aiment  à  conter,  je 
vous  dirai  qu'en  passant  à  Leyde  le  frère  Musschenbroeck,  qui 
était  un  bon  machiniste  et  un  bonhomme,  me  dit  :  «  Monsieur, 
les  partisans  des  carrés  de  la  vitesse  sont  des  fripons;  mais  je 
n'ose  pas  le  dire.  » 

J'ai  été  entièrement  de  votre  opinion  sur  l'aurore  boréale,  et 
je  souscris  à  tout  ce  que  vous  dites  sur  le  mont  Olympe,  d'autant 
plus  que  vous  citez  Homère.  J'ai  toujours  été  persuadé  que  les 
phénomènes  célestes  ont  été  en  grande  partie  la  source  des  fables. 
Il  a  tonné  sur  une  montagne  dont  le  sommet  est  inaccessible: 
donc  il  y  a  des  dieux  qui  habitent  sur  cette  montagne,  et  qui 
lancent  le  tonnerre;  le  soleil  paraît  courir  d'orient  en  occident  : 
donc  il  a  de  bons  chevaux  ;  la  lune  parcourt  un  moins  grand 
espace:  donc,  si  le  soleil  a  quatre  chevaux,  la  lune  doit  n'en 
avoir  que  deux;  il  ne  pleut  point  sur  la  tête  de  celui  qui  voit 
un  arc-en-ciel  :  donc  l'arc-en-ciel  est  un  signe  qu'il  n'y  aura 
jamais  de  déluge,  etc.,  etc. 

Je  n'ai  jamais  osé  vous  braver,  monsieur,  que  sur  les  Égyp- 
tiens; et  je  croirai  que  ce  peuple  est  très-nouveau  jusqu'à  ce 
que  vous  m'ayez  prouvé  qu'un  pays  inondé  tous  les  ans,  et  par 
conséquent  inhabitable  sans  le  secours  des  plus  grands  travaux, 
a  été  pourtant  habité  avant  les  belles  plaines  de  l'Asie. 

Tous  vos  doutes  et  toutes  vos  sages  réflexions  envoyées  au 
jésuite  Parennin^  sont  d'un  philosophe;  mais  Parennin  était  sur 

1.  Lettres  de  M.  de  Mairan  au  Père  Parennin,  contenant  diverses  questions 
sur  la  Chine,  1759,  in-12,  réimprimées  en  1770.  in-S". 


ANNÉE    1761.  397 

les  lieux,  et  vous  savez  que  ni  lui  ni  personne  n'ont  pensé  que 
les  adorateurs  d'un  chien  et  d'un  bœuf  aient  instruit  le  gouver- 
nement chinois,  adorateur  d'un  seul  Dieu  depuis  environ  cinq 
mille  ans.  Pour  nous  autres  barbares  qui  existons  d'hier,  et  qui 
devons  notre  religion  à  un  petit  peuple  abominables  rogneur 
d'espèces  et  marchand  de  vieilles  culottes,  je  ne  vous  en  parle 
pas:  car  nous  n'avons  été  que  des  polissons  en  tout  genre  jusqu'à 
l'établissement  de  l'Académie  et  au  phénomène  du  Ci<L 

Je  suis  persuadé,  monsieur,  que  vous  vous  intéressez  à  la 
gloire  du  grand  Corneille.  Pressez  l'Académie,  je  vous  en  sup- 
plie, de  vouloir  bien  me  renvoyer  incessamment  l'épître  dédica- 
toirc  que  je  lui  adresse,  la  préface  du  Cul,  les  notes  sur  le  Ciel,  les 
Homccs,  et  Cinna,  afin  que  je  commence  à  élever  le  monument 
que  je  destine  à  la  gloire  de  la  nation.  Il  me  faut  la  sanction  de 
l'Académie.  Je  corrigerai  sur-le-champ  tout  ce  que  vous  aurez 
trouvé  défectueux:  car  je  corrige  encore  plus  vite  et  plus  volon- 
tiers que  je  ne  compose. 

Je  crois ,  monsieur,  que  vous  voyez  quelquefois  M""-  Geoffrin  ; 
je  vous  supplie  de  lui  dire  combien  M"«  Corneille  et  moi  nous 
sommes  touchés  de  son  procédé  généreux.  Elle  a  souscrit  pour 
la  valeur  de  six  exemplaires  :  elle  ne  pouvait  répondre  plus  no- 
blement aux  impertinences  d'un  factum  ridicule,  dont  assuré- 
ment M""  Corneille  n'est  point  complice.  Cette  jeune  personne 
a  autant  de  naïveté  que  Pierre  Corneille  avait  de  grandeur.  On 
lui  lisait  Cinna  ces  jours  passés  ;  quand  elle  entendit  ce  vers  : 

Je  vous  aime,  Emilie,  elle  ciel  me  foudroie,  etc. 

(Acte  III,  scène  iv.) 

((  Fi  donc,  dit-elle,  ne  prononcez  ])as  ces  vilains  mots-là.  — 
C'est  de  votre  oncle,  lui  répondit-on.  —  Tant  pis,  dit-elle;  est-ce 
qu'on  parle  ainsi  à  sa  maîtresse?  » 

Adieu,  monsieur  ;  je  recommande  l'oncle  et  la  nièce  à  votre 
zèle,  à  votre  diligence,  à  votre  bon  goût,  à  vos  bontés.  Je  vous 
félicite  d'une  vieillesse  plus  saine  que  la  mienne;  vivez  aussi 
longtemps  que  le  secrétaire  votre  prédécesseur*,  dont  vous  avez 
le  mérite,  l'érudition  et  les  grâces. 

Le  Suisse  V. 


1.  Lt;  peuple  juif. 

li.  l'ciiitenellc,    mort  k  cent  ans  moins   un  mois  et  dcu.\  jours,  dit  Voltaire, 
tome  XI V,  page  7i. 


398  CORUESl'ONDANCli. 

4G30.  —   A   M.    L'ABBÉ   D'OLIVET. 

A  Ferney,  IG  auguste. 

Nous  sommes  vieux  Tuu  et  Fautre,  mon  cher  Cicéron  ;  par 
conséquent  il  faut  se  presser.  J'ai  envoyé  à  monsieur  le  secrétaire 
perpétuel  de  l'Académie*  l'épître  dédicatoire  adressée  à  la  com- 
paf>nie,  le  commentaire  sur  les  Horaccs  et  sur  Cinna,  et  la  préface 
du  Cid.  Je  vous  envoie  les  remarques  sur  le  Ciel;  et  je  vous  sup- 
plie, vous  qui  êtes  si  au  fait  de  l'histoire  littéraire  de  ce  temps-là, 
de  m'aider  de  vos  lumières.  J'attends  de  votre  ancienne  amitié 
que  vous  voudrez  hien  presser  un  peu  l'ouvrage.  Nous  n'atten- 
dons, pour  commencer  l'impression,  que  l'approhation  du  corps 
auquel  je  dédie  ce  monument,  qui  me  paraît  assez  honorable 
pour  notre  nation. 

Presque  tous  les  amateurs  s'accordent  à  désirer  un  commen- 
taire perpétuel  sur  toutes  les  tragédies  de  Pierre  Corneille.  Cet 
ouvrage  n'est  ni  aussi  long  ni  aussi  difilcile  qu'on  le  pense  pour 
un  homme  qui  depuis  longtemps  a  fait  une  lecture  assidue  et 
réfléchie  de  tontes  ces  pièces  :  il  n'en  est  point  qui  n'ait  de 
beaux  endroits.  Les  remarques  sur  les  fautes  pourront  être 
utiles,  et  les  remarques  historiques  pourront  être  intéressantes. 

Je  ne  m'embarrasse  point  de  la  manière  dont  les  Cramer  im- 
primeront l'ouvrage  :  c'est  leur  affaire.  Il  y  aura  probablement 
six  ou  sept  volumes  in-4°  ;  et  à  deux  louis  d'or  l'exemplaire  il  y 
aurait  beaucoup  de  perte,  sans  la  protection  que  le  roi  et  les 
premiers  du  royaume  accordent  à  cette  entreprise.  J'aurai  peut- 
être  l'honneur  d'y  contril)uer  autant  que  le  roi  même,  car  il 
faudra  que  je  fasse  toutes  ies  avances,  et  que  je  supplée  toutes 
les  non-valeurs  ;  mais  il  n'y  a  rien  qu'on  ne  fasse  pour  satisfaire 
ses  pass'ions,  et  la  mienne  est  d'élever  avant  ma  mort  un  monu- 
ment dont  la  nation  me  sache  quelque  gré.  Vous  voyez  que  j'ai 
puisé  un  peu  de  vanité  dans  la  lecture  de  votre  Cicéron  ;  mais 
je  vous  avertis  qu'il  n'y  a  rien  de  fait  si  l'Académie  ne  me 
seconde  pas. 

Je  supplie  monsieur  le  secrétaire  de  marquer  en  marge  tout 
ce  qu'il  faudra  que  je  corrige,  et  je  le  corrigerai  sur-le-champ  ; 
je  ne  fatiguerai  pas  l'Académie  de  mes  observations  sur  Pcrlha- 
rile,  Agèsilas,  Surèna,  Attila,  Andromède,  la  Toison  d'or,  Pidchèric, 
en  un  mot  sur  les  pièces  qu'on  ne  joue  jamais,  et  dont  le  com- 
mentaire sera  très-court  ;  mais  je  prendrai  la  liberté  de  la  con- 

1.  Duclos. 


ANNi^E    170  1  399 

sultcr  sur  tous  mes  doutes.  Vous  sentez  qu'il  est  important 
qu'un  tel  ouvrage  ait  la  sanction  du  corps,  et  qu'on  puisse  faire 
un  livre  classique  qui  sera  l'instruction  des  étrangers  et  des 
Français. 

Couronnez  votre  carrière,  mon  cher  ami,  en  donnant  tous 
vos  soins  au  succès  de  notre  entreprise. 

Je  suis  obligé  de  dicter  tout  ce  que  j'écris,  attendu  qu'il  ne 
me  reste  plus  guère  que  la  parole,  et  que  je  dicte  en  me  levant, 
on  me  couchant,  en  mangeant,  et  en  soullVant. 

Vide,  care  Olivctc. 

iOiO.   —  A   M.   LE    BRUN. 

Fcrney,  10  au!;uste'. 

.Je  fais  mon  compliment  à  Tyrtée,  et  je  me  flatte  que  sa  trom- 
pette héroïque  animera  les  courages. 

On  vous  a  trompé,  monsieur,  si  l'on  vous  a  dit  que  la  rente 
(|iie  j'ai  mise  sur  la  tête  de  M"''  Corneille  est  pour  son  père,  ou 
bien  vous  avez  mis  M.  Corneille  pour  mademoiselle  dans  votre 
lettre.  Elle  a  beaucoup  de  talents  et  un  très-aimable  caractère. 
J'en  suis  tous  les  jours  i)lus  content,  et  je  ne  fais  que  mon 
devoir  en  m'occupant  de  sa  fortune  et  de  la  gloire  de  son  oncle. 

J'aurais  souhaité  que  le  nom  de  M.  le  prince  de  Conti  eût 
honoré  la  liste  de  ceux  qui  ont  souscrit  pour  l'oncle  et  pour  la 
nièce. 

Agréez,  monsieur,  mes  sincères  remerciements  de  votre  ode. 
Les  sullVages  du  public,  et  les  aboiements  de  Fréron,  contribue- 
ront également  à  votre  gloire. 

Nous  ne  doutez  pas  des  sentiments  de  votre  obéissant  servi- 
teur. 

Voltaire. 

i(3il.  —  A    M.    DK    LA   FAllC.  LIK  s. 

l'rrncy,  10  auguste. 

Aloins  je  MK'iilo  vos  beaux  vers,  monsieur,  et  |)lus  j'en  suis 
toiiclK'.  Les  belles  re<;oi\enl  froidenieiil  les  cajoleries;  mais  les 


1.  C'est  il  loit,  que  Bcucliot  a  dalù  cette  lettre  du  10  avril  1701.  elle  est  liu 
lOatif^iiste  17(;i  on  du  10  avril  l'O'J.  (('..  A.) 

2.  Etienne  de  La  Farpue,  avocat  au  parlement  de  l'au,  né  à  Dax  en  1728,  mort 
en  1795,  est  auteur  de  quelques  ouvrapes,  presque  tous  réunis  sous  le  titre  do 
OEuvrt's  mêlées,  seconde  édition,  1780,  deux  volumes  ia-8". 


400  CORRESPONDANCE. 

laides  y  sont  fort  sensibles.  Je  vous  répondrais  en  vers,  si  je 
n'étais  pas  entièrement  occupé  de  ceux  de  Corneille.  Chaque 
moment  que  je  dérobe  au  Commentaire  que  j'ai  promis  sur  les 
ouvrages  de  ce  grand  homme  est  un  larcin  que  je  lui  lais; 
mais  je  ne  puis  me  refuser  au  plaisir  de  vous  remercier,  et  de 
vous  dire  avec  combien  d'estime  j'ai  l'honneur  d'être,  monsieur, 
votre,  etc. 

4G42.  —   A  M.   LE   PRÉSIDENT  DE   RUFFEY  ». 

Août  17G1. 

Venez,  messieurs^,  humiles  habitare  casas.  Vous  connaissez  la 
Faucille.  Dès  qu'on  la  descend,  on  voit  ma  chaumière  de  Ferney; 
c'est  là  que  je  vous  attends  avec  le  lait  de  mes  vaches  et  les  pou- 
lets de  ma  basse-cour. 

Coricium  videte  senem,  cui  pauca  beati 
Jugera  sunt. 

Venez  ;  si  vous  aimez  tant  les  jésuites,  il  y  en  a  six  à  ma  porte. 
Pour  des  jansénistes,  nous  n'en  avons  point;  nous  n'avons  que 
des  pauvres.  Nous  n'en  avons  pas  même  assez,  car  nous  man- 
quons d'hommes. 

Je  vous  attends  avec  la  plus  tendre  impatience  ^. 

1.  Éditeur,  Th.  Foisset. 

2.  MM.  l'ancien  premier  président  de  La  Marche  (Claude-Philippe  Fyot),  con- 
disciple de  Voltaire,  et  le  président  de  Ruffey. 

3.  MM.  de  La  Marche  et  de  Ruiïey  arrivèrent  à  Ferney  dans  les  premiers  jours 
de  septembre  (lettre  à  d'Argental  du  5  de  ce  mois). 

C'est  dans  ce  voyage  que  M.  de  La  Marche  décida  Voltaire  à  ne  pas  donner  sa 
pièce  du  Droit  du  Seigneur  sous  le  nom  de  Legouz,  non  qu'il  y  eût  à  Dijon  un 
maître  des  comptes  de  ce  nom,  comme  paraît  le  croire  Beuchot,  mais  parce  qu'une 
pareille  liberté  pouvait  fort  bien  déplaire  à  Legouz  de  Gerland  et  au  président 
Legouz  de  Saint-Seine,  dont  M.  de  La  Marche  était  proche  parent  (lettre  à  d'Ar- 
gental du  7  septembre). 

C'est  également  dans  ce  voyage  que  le  président  de  Ruffey  s'endormit  à  une 
lecture  de  Zulime  (lettre  à  d'Argental,  14  septembre). 

Enfin,  c'est  pendant  ce  même  séjour  du  président  de  RuiTey  que  fut  écrite  la 
lettre  de  Voltaire  à  d'Olivet  (n"  4666)  que  Beuchot  a  placée  à  tort  à  la  fin  de 
septembre. 

Cette  lettre  en  effet  se  termine  par  ces  mots  :  «  Le  président  de  Ruffey,  qui  est 
chez  moi,  vous  fait  ses  compliments.  »  Or,  le  30  septembre,  M.  de  Ruffey  n'était 
plus  à  Ferney,  puisqu'on  trouve  sous  cette  date  une  lettre  que  Voltaire  lui  adres- 
sait à  Dijon.  {Note  du  premier  éditeur.) 


AxNNÉE    17G1.  404 

4643.  —  A   MADAME    LA  MARQUISE   DU   DEFFAXT. 

A  Ferncj-,  18  auguste. 

J'ai  connu  des  gens,  madame,  qui  se  plaignaient  de  vivre 
avec  des  sots,  et  vous  vous  plaignez  de  vivre  avec  des  gens  d'es- 
prit. Si  vous  avez  imaginé  que  vous  retrouveriez  la  politesse  et 
les  agréments  des  La  Farc  et  des  Saint-Aulairc,  l'imagination  des 
Chaulieu,  le  brillant  d'un  duc  de  La  Fcuillade,  et  tout  le  mérite 
du  président  Ilénault,  dans  nos  littérateurs  d'aujourd'hui,  je  vous 
conseille  de  décompter. 

Vous  ne  sauriez,  dites-vous,  vous  intéresser  à  la  chose  publique. 
C'est  assurément  le  meilleur  parti  qu'on  puisse  prendre;  mais 
si  vous  étiez  comme  moi  exposée  ù  donner  à  dîner  tous  les  jours 
à  des  Russes,  à  des  Anglais,  à  des  Allemands,  vous  seriez  un  peu 
embarrassée  d'être  Française. 

Je  m'occupe  du  temps  passé  pour  me  dépiquer  du  temps  pré- 
sent. Je  crois  qu'il  vaut  mieux  commenter  Corneille  que  de  hre 
ce  qu'on  fait  aujourd'hui.  Toutes  les  nouvelles  afiligent,  et 
presque  tous  les  nouveaux  livres  impatientent. 

Mon  Commentaire  impatientera  aussi,  car  il  sera  fort  long. 
C'est  une  entreprise  terrible  que  de  discuter  Cinna  et  Agcsilas, 
Rodogune  et  Attila^  le  Ciel  et  Pcrtharite.  Je  ne  crois  pas  que, 
depuis  Scaliger,  il  y  ait  eu  un  plus  grand  pédant  que  moi. 
L'ouvrage  contiendra  sept  ou  huit  gros  volumes  ;  cela  fait  trem- 
bler. 

Vous  devez,  madame,  avoir  actuellement  M.  le  président 
Hénault  :  il  faut  que  vous  me  protégiez  auprès  de  lui.  J'ai  en- 
voyé à  l'Académie  l'épître  dédicatoire,  que  je  crois  curieuse;  la 
préface  sur  le  Cid,  dans  laquelle  il  y  a  aussi  quelques  anecdotes 
qui  pourront  vous  amuser;  les  notes  sur  le  Cid,  sur  les  Iloraccs, 
sur  Cinna,  Pompée,  Hèraclius,  Rodogune.  qui  ne  vous  amuseront 
point,  parce  qu'il  faut  avoir  le  texte  sous  les  yeux. 

Je  vouflrais  bien  que  M.  le  président  Ilénault  prît  tout  cela 
chez  monsieur  le  secrétaire,  et  qu'il  en  dit  son  avis  avec  M.  de 
Nivernais.  Je  crois  qu'il  conviendrait  qu'ils  allassent  tous  deux 
^i  l'Académie,  et  qu'ils  méjugeassent  :  car  il  me  faut  la  sanction 
de  la  compagnie,  cl  que  l'ouvrage,  qui  lui  est  dédié,  ne  se  fasse 
que  de  concert  avec  elle.  Je  ne  suis  point  du  tout  jaloux  de  mes 
opinions;  mais  je  le  suis  de  pouvoir  être  utile,  et  je  ne  peux 
l'être  qu'avec  l'approbation  de  l'Académie.  C'est  une  négociation 

41.  —  ConBiiSi'ONUANCi:.  IX.  20 


402  COKUESPONDAiNCIÎ. 

que  je  mets  entre  vos  mains,  madame-,  celle  de  M.  de  Biissy  sera 
plus  difficile. 

Vous  vous  plaignez  de  n'avoir  rien  qui  vous  occupe  :  occupez- 
Tous  de  Pierre  Corneille,  il  en  vaut  la  peine  par  son  sublime  et 
par  l'excès  de  ses  misères. 

Je  vous  sais  bon  gré,  madame,  de  lire  Vllistoirc  cV Angleterre 
par  Thoiras  ;  vous  la  trouverez  plus  exacte,  plus  profonde,  et  plus 
intéressante  que  celle  de  notre  insipide  Daniel.  Je  ne  pardonne- 
rai jamais  à  ce  jésuite  d'avoir  plus  parlé  de  frère  Cotton  que  de 
Henri  IV,  et  de  laisser  à  peine  entrevoir  que  ce  Henri  IV  soit  un 
grand  homme. 

Si  vous  aimez  l'histoire,  je  vous  en  enverrai  une  dans  quel- 
ques mois*,  qui  est  fort  insolente,  et  que  je  crois  vraie  d'un  bout 
à  l'autre  ;  mais  actuellement  laissez-moi  avec  le  grand  Corneille. 

Je  vous  réitère,  madame,  les  remerciements  de  ma  petite 
élève,  qui  porte  un  si  beau  nom,  et  qui  ne  s'en  doute  pas.  Je  me 
mets  aux  pieds  de  M"'«  la  duchesse  de  Luxembourg. 

Adieu,  madame;  vivez  aussi  heureuse  qu'il  est  possible  ;  tolé- 
rez la  vie  :  vous  savez  que  peu  de  personnes  en  jouissent.  Vous 
vous  êtes  accoutumée  à  vos  privations  ;  vous  avez  des  amis, 
TOUS  êtes  sûre  que  quand  on  vient  vous  voir,  c'est  pour  vous- 
même.  Je  regretterai  toujours  de  n'avoir  point  cet  honneur,  et  je 
vous  serai  attaché  bien  véritablement  jusqu'au  dernier  moment 
de  ma  vie. 

4644.  —  A  M.   DUCLOS. 

18  auguste. 

J'ai  toujours  oublié,  monsieur,  de  vous  parler  de  la  personne 
qui  prétendait  vous  apporter  des  papiers  de  ma  part.  Je  n'ai  eu 
l'honneur  de  vous  en  adresser  que  par  M.  d'Argental.  Vous  avez 
dû  recevoir  l'épitre  dédicatoire  à  la  compagnie,  la  préface  sur 
le  Cid,  les  notes  sur  le  Cid,  les  Horaces  et  Cinna.  Je  vous  prie  de 
communiquer  le  tout  à  M.  le  duc  de  Nivernais  et  à  M.  le  prési- 
dent Hénault  ;  mais  il  serait  plus  convenable  encore  que  le  tout 
lût  examiné  à  l'Académie  ;  vos  observations  feraient  ma  loi.  Les 
autres  pièces  suivront  immédiatement,  et  les  Cramer  commence- 
ront à  imprimer  sans  aucun  délai. 

Les  souscriptions  que  nous  avons  suffiront  pour  entamer 
l'entreprise,  en  cas  que  nous  puissions  compter  sur  le  payement 

1.  La  nouvelle  édition  de  VEssai  sur  VHistoire  générale. 


ANNÉE    176  1.  403 

des  quatre  cents  louis  que  le  roi  dai,2:nc  accorder.  Nous  comptons 
môme  être  en  état  de  prier  les  gens  de  lettres  qui  ne  sont  pas 
riches  de  vouloir  bien  accepter  un  exemplaire  comme  un  hom- 
mage que  nous  devons  à  leurs  lumières,  sans  recevoir  d'eux  un 
payement  qui  ne  doit  être  fait  que  par  ceux  que  la  fortune  met 
en  état  de  favoriser  les  arts.  Il  me  paraît  qu'une  condition  essen- 
tielle pour  cet  ouvrage,  assez  important  et  dédié  à  l'Académie, 
est  que  les  noms  des  académiciens  se  trouvent  dans  la  liste  des 
souscripteurs. 

M.    le  duc  de  Nivernais  a  commencé  par 

souscrire  pour 12  exemplaires. 

M.  le  cardinal  de  Bcrnis 12  — 

M.  le  duc  de  lîichelieu 12  — 

M.  le  duc  de  Villars G  — 

M.  le  comte  de  Clermont 0  — 

M.  le  président  Hénault 2  — 

Je  prends  la  liberté,  en  qualité  d'entrepreneur  de  cette  affaire, 
et  de  père  de  M""  Corneille,  de  souscrire  pour  cent.  Ce  n'est 
point  par  vanité,  c'est  par  nécessité,  parce  que,  si  l'on  se  sert 
de  grand  papier,  et  s'il  y  a  huit  volumes,  comme  le  prétendent 
MM.  Cramer,  les  frais  iront  à  cinquante  mille  livres. 

J'avais  écrit  à  monsieur  le  coadjuteur*,  en  le  remerciant  de 
la  bonté  qu'il  a  eue  de  m'envoycr  son  discours,  et  à  M.  Watelet^ 
connu  par  son  goût  pour  les  arts,  et  par  ses  talents  :  je  n'en  ai 
point  eu  de  réponse.  Je  vous  avouerai  qu'il  serait  honteux  pour 
l'Académie,  dont  tant  de  grands  seigneurs  sont  membres,  que 
des  fermiers  généraux  fissent  puisqu'elle  en  cette  occasion  :  cela 
jetterait  même  sur  notre  compagnie  un  ridicule  dont  les  Frérons 
n'abuseraient  que  trop.  M.  l'archevêque  de  Lyon  ^  souscrira 
comme  le  cardinal  do  Hernis  ;  mais  pour  imprimer  son  nom  dans 
la  liste,  il  convient  qu'il  soit  appuyé  de  celui  du  coadjuteur  de 
Strasbourg,  et  du  précepteur  de  M.  le  duc  de  Bourgogne*.  C'est 
ce  que  vous  pouvez  proposer,  monsieur,  avec  plus  de  bienséance 
que  personne,  dans  la  place  où  vous  êtes. 

Sera-t-il  dit  que  nos  grands  seigneurs  ne  viendront  à  l'Aca- 
démie que  le  jour  de  leur  réception,  (ju'ils  se  contenteront  de 
faire  un  discours,  et  qu'ils  dédaigneront  d'entrer  dans  un  des- 

1.  I.oiiis-Hi'n^-l-ldoiianl  do  Rohan,  roadjutcur  do  Strasbourb',  reçu  lo  11  Juin 
17UI  ;  no  en  173i,  mort  en  180;».  La  lettre  est  perdue.  (B.) 

2.  (Iclte  lettre  manque  aussi. 

3.  Montazcl. 

4.  Coeliosquct. 


404  COIUIESPONDANCE. 

sein  honorable  pour  l'Académie  et  pour  la  France?  Je  compte 
sur  vous,  monsieur,  comme  sur  le  protecteur  le  plus  vif  de  cette 
entreprise  digne  de  vous.  Je  vous  prie  de  m'éclairer  et  de  me 
soutenir  dans  toutes  les  difficultés  attachées  à  tout  ce  qui  est 
nouveau  et  estimable. 

Je  prévois  que  MM.  Cramer  persisteront  dans  la  résolution  de 
donner  l'édition  ïn-h"  tome  à  tome,  de  trois  en  trois  mois,  sans 
aucunes  estampes,  et  que  l'ouvrage,  qui  coûterait  au  moins  trois 
louis  d'or  chez  les  libraires,  n'en  coûtera  que  deux.  Il  y  aurait 
une  très-grande  perte  sans  les  bontés  du  roi  et  de  plusieurs 
princes  de  l'Europe,  sans  la  générosité  de  M.  le  duc  de  Choiseul 
et  de  M"'*  de  Pompadour. 

Ce  ne  sont  point  proprement  des  souscriptions  qu'on  demande; 
il  n'y  a  point  de  conditions  à  faire  avec  ceux  qui  donnent  leur 
temps,  leur  argent,  et  leur  travail,  pour  l'honneur  delà  nation. 
Nous  ne  demandons  que  le  nom  de  quiconque  voudra  avoir  un 
livre  utile  à  bon  marché,  alin  que  les  libraires  proportionnent 
le  nombre  des  exemplaires  au  nombre  des  demandeurs,  et  que 
ceux  qui  auront  eu  la  bassesse  de  craindre  de  donner  deux 
louis  pour  s'instruire  ne  puissent  jamais  avoir  un  livre  qu'ils 
seraient  indignes  de  posséder.  Pardon  de  ma  noble  colère. 

Je  compte  absolument  sur  vous,  au  nom  de  Pierre  et  de 
Marie  Corneille. 

4045.  —  A  M.   L'ABBÉ   D'OLIVETi. 

Au  château  de  Ferney,  20  auguste  2. 

Vous  m'aviez  donné,  mon  cher  chancelier  ^  le  conseil  de  ne 
commenter  que   les   pièces  de  Corneille   qui  sont  restées  au 

1.  Cette  lettre,  imprimée  dans  le  Journal  encyclopédique  du  1*''  octobre  1761, 
pages  116-126,  fut  réimprimée  séparément  en  un  cahier  de  quinze  pages  in-12. 
C'est  ce  dernier  texte  que  j'ai  suivi;  mais  j'y  ajoute  les  variantes  du  Journal  en- 
cyclopédique: cela  donnera  la  clef  d'une  phrase  de  la  lettre  de  d'Alembert,  du 
31  octobre.  En  me  conformant  aux  éditions  dont  j'ai  parlé,  la  lettre  à  d'Olivet  se 
trouve  plus  ample  d'un  tiers  environ  que  dans  les  éditions  de  Kehl,  où  elle  était 
placée  dans  les  Mélanges  littéraires.  La  suppression  date  de  1765,  année  où  parut 
le  troisième  volume  des  Nouveaux  Mélanges,  qui  contient  cette  lettre  à  d'Olivet. 

Ce  n'est  pas  tout,  j'ai  ajouté  en  note  un  long  fragment  d'une  lettre  à  l'abbé 
d'Olivet,  relatif  à  Corneille,  et  qui  pourrait  bien  avoir  fait  partie  de  la  lettre  du 
20  auguste,  ou  d'un  de  ses  projets  (voyez  n"  4678).  (B.) 

2.  Les  éditions  portent  août;  car  c'est  ainsi  que  Voltaire  écrivait;  mais  depuis 
la  lettre  à  Thieriot  du  il  août  1700  (n»  4224)  j'ai  mis  auguste.  Je  ne  suis  pas  plus  témé- 

3.  Au  lieu  de  «  Mon  cher  chancelier  »,  le  Journal  encyclopédique  dit  «  Mon 
cher  maître  ». 


ANNEE    1761.  405 

théâtre.  Vous  vouliez  me  soulager  ainsi  d'une  partie  de  mon  far- 
deau, et  j'y  avais  consenti,  moins  par  paresse  que  par  le  désir 
de  satisfaire  plus  lot  le  public  ;  mais  j'ai  vu  que  dans  la  retraite 
j'avais  plus  de  temps  qu'on  ne  pense,  et  ayant  déjà  commenté 
toutes  les  pièces  de  Corneille  qu'on  représente,  je  me  vois  en  état 
de  faire  quelques  notes  utiles  sur  les  autres. 

Il  y  a  plusieurs  anecdotes  curieuses  qu'il  est  agréable  de 
savoir.  Il  y  a  plus  d'une  remarque  à  faire  sur  la  langue.  Je 
trouve,  par  exemple,  plusieurs  mots  qui  ont  vieilli  parmi  nous, 
qui  sont  même  entièrement  oubliés,  et  dont  nos  voisins  les 
Anglais  se  servent  heureusement.  Ils  ont  un  terme  pour  signifier 
cette  plaisanterie,  ce  vrai  comique,  cette  gaieté,  cette  urbanité, 
ces  saillies  qui  échappent  à  un  homme  sans  qu'il  s'en  doute;  et 
ils  rendent  cette  idée  par  le  mot  humeur,  humour,  qu'ils  pro- 
noncent yumor;  et  ils  croient  qu'ils  ont  seuls  cette  humeur;  que 
les  autres  nations  n'ont  point  de  terme  pour  exprimer  ce  carac- 
tère d'esprit.  Cependant  c'est  un  ancien  mot  de  notre  langue, 
employé  en  ce  sens  dans  plusieurs  comédies  de  Corneille.  Au 
reste,  quand  je  dis  que  cette  humeur  est  une  espèce  d'urbanité, 
je  parle  à  un  homme  instruit  qui  sait  que  nous  avons  appliqué 
mal  à  propos  le  mot  d'urbanité  à  la  politesse,  et  qu'urbauiias 
signifiait  à  Rome  précisément  ce  qu'humour  signifie  chez  les 
Anglais.  C'est  en  ce  sens  qu'Horace  dit  *  :  Frontis  ad  urbanx  dcs- 
cendi  prœmia,  et  jamais  ce  mot  n'est  employé  autrement  dans 
cette  satire  que  nous  avons  sous  le  nom  de  Pétrone,  et  que  tant 
d'hommes  sans  goilt  ont  prise  pour  l'ouvrage  d'un  consul  Pétro- 
nius  *. 

Le  mot  partie  se  trouve  encore  dans  les  comédies  de  Corneille 
pour  esprit.  Cet  homme  a  des  parties.  C'est  ce  que  les  Anglais 
appellent  parts.  Ce  terme  était  excellent  :  car  c'est  le  propre  de 
l'homme  de  n'avoir  que  des  parties  ;  on  a  une  sorte  d'esprit,  une 
sorte  de  talent,  mais  on  ne  les  a  pas  tous.  Le  mot  esprit  est  trop 
vague;  et  quand  on  vous  dit  :  Cet  homme  a  de  l'esprit,  vous  avez 
raison  de  demander  du  quel. 

Que  d'expressions  nous  manquent  aujounlliiii.  (jui  cljiiciit 
énergiques  du  temps  de  Corneille!  et  que  de  pertes  nous  avons 
faites,  soit  par  pure  négligence,  soit  par  trop  de  délicatesse!  On 

raiiequc  mes  prcilôcessours,  qui,  on  imprinifiiit  l:i  Cune<<p(niil(ince,  ont  substitué 
les  a  aux  0  que  portent  les  aulogruplies.  L'hahitudc  ou,  si  l'on  veut,  la  routine  l'em- 
portait sur  les  raisonnements  allégués  par  Voltaire.  (B.) 

i.  Livre  I,  épitre  i\,  vers  11. 

2.  Voyez  tome  XXVII,  page  261. 


406  CORUESI'ONDANCE. 

assignait,  on  appointait  un  temps,  un  rendez-vous  ;  celui  qui, 
dans  le  moment  marqué,  arrivait  au  lieu  convenu,  et  qui  n'y 
trouvait  pas  son  prometteur,  était  desappointe.  Nous  n'avons  aucun 
mot  pour  exprimer  aujourd'hui  cette  situation  d'un  homme  qui 
tient  sa  parole,  et  à  qui  on  en  manque. 

1  Qu'on  arrive  aux  portes  d'une  ville  fermée,  on  est,  quoi? 
Nous  n'avons  plus  de  mot  pour  exprimer  cette  situation  :  nous 
disions  autrefois  forclos;  ce  mot,  très-expressif,  n'est  demeuré 
qu'au  barreau.  Les  affres  de  la  mort,  les  angoisses  d'un  cœur 
navré,  n'ont  point  été  remplacées. 

Nous  avons  renoncé  à  des  expressions  absolument  nécessaires, 
dont  les  Anglais  se  sont  heureusement  enrichis.  Une  rue,  un 
chemin  sans  issue,  s'exprimait  si  bien  par  non-passe,  impasse, 
que  les  Anglais  ont  imité!  et  nous  sommes  réduits  au  mot  bas  et 
impertinent  de  cul-de-sac,  qui  revient  si  souvent,  et  qui  désho- 
nore la  langue  française. 

Je  ne  finirais  point  sur  cet  article,  si  je  voulais  surtout  entrer 
^ci  dans  le  détail  des  phrases  heureuses  que  nous  avions  prises 
des  Italiens,  et  que  nous  avons  abandonnées.  Ce  n'est  pas 
d'ailleurs  que  notre  langue  ne  soit  abondante  et  énergique;  mais 
elle  pourrait  l'être  bien  davantage.  Ce  qui  nous  a  ôté  une  partie 
de  nos  richesses,  c'est  cette  multitude  de  livres  frivoles  dans  les- 
quels on  ne  trouve  que  le  style  de  la  conversation,  et  un  vain 
ramas  de  phrases  usées  et  d'expressions  impropres.  C'est  cette 
malheureuse  abondance  qui  nous  appauvrit. 

Je  passe  à  un  article  plus  important,  qui  me  détermine  à 
commenter  jusqu'à  Pertharite.  C'est  que  dans  ces  ruines  on 
trouve  des  trésors  cachés.  Qui  croirait,  par  exemple,  que  le 
germe  de  Pyrrhus  et  d'Andromaque  est  dans  Pertharite?  qui  croi- 
rait que  Racine  en  ait  pris  les  sentiments,  les  vers  même?  Rien 
n'est  pourtant  plus  vrai,  rien  n'est  plus  palpable.  Un  Grimoald, 
dans  Corneille,  menace  une  Rodelinde  de  faire  périr  son  fils  au 
berceau  si  elle  ne  l'épouse. 

Son  sort  est  en  vos  mains  :  aimer  ou  dédaigner 
Le  va  faire  périr,  ou  le  faire  régner  2, 

Pyrrhus  dit  précisément,  dans  la  même  situation  : 


1.  Cet  alinéa  n'était  pas  dans  les  deux  impressions  de  1761,  dont  j'ai  parlé 
dans  la  première  de  mes  notes  sur  cette  lettre;  mais  il  est  dans  l'impression  de 
1765.  (B.) 

2.  Ces  vers  sont  prononcés  par  Garibalde  dans  Pertharite,  acte  liï,  scène  i. 


ANXKE    17  61.  407 

Je  vous  le  dis,  il  faut  ou  périr  ou  régner*. 

Grimoald,  dans  Corneille,  veut  punir 

sur  ce  fils  innocent 

La  dureté  d'un  cœur  si  peu  reconnaissant*. 

Pyrrhus  dit,  dans  Racine  : 

Le  fils  me  répondra  des  mépris  de  la  mère'. 

Rodclinde  dit  à  Grimoald  : 

Comte,  pensos-y  bien,  et,  pour  m'avoir  aimée, 
N'imprime  point  de  tache  à  tant  de  renommée; 
Ne  crois  que  ta  vertu,  laisse-la  seule  agir, 
De  peur  qu'un  tel  efîort  no  te  donne  à  rougir. 
On  i)ul)lierait  de  toi  que  le  cœur  d'une  femme, 
Plus  que  ta  propre  gloire,  aurait  touché  ton  âme; 
On  dirait  qu'un  héros  si  grand,  si  renommé, 
Ne  serait  qu'un  tyran,  s'il  n'avait  point  aimé*. 

Andromaque  dit  à  Pyrrhus  : 

Seigneur,  (juc  faites- vous,  et  que  dira  la  Grèce? 
Faut-il  qu'un  si  grand  cœur  montre  tant  de  faiblesse, 
Et  qu'un  dessein  si  beau,  si  grand,  si  généreux, 
Passe  pour  le  transport  d'un  esprit  amoureux? 

Non,  non,  d'un  ennemi  respecter  la  misère, 
Sauver  des  malheureux,  rendre  un  fils  à  sa  mère, 
De  cent  peuples  pour  lui  combattre  la  rigueur 
Sans  lui  faire  payer  son  salut  de  mon  cœur, 
Malgré  moi,  s'il  le  faut,  lui  donner  un  asile: 
Seigneur,  voilà  des  soins  dignes  du  fils  d'Achille''. 

i;iinil;iti()ii  est  visible;  la  ressemblance  est  eiilière,  II  y  a  bien 
plus,  cl  je  vais  vous  étonner  :  tout  le  fond  des  scènes  d'OresIc  et 
<rHermione  est  pris  d'un  (iaribalde  et  d'un  Kdurige,  personnag., 
inconnus  de  cette  malheureuse  pièce  inconnue.   (Juaiul  il  n"\ 


es 


1.  Andromaque,  acte  III,  scène  vu. 

2.  C'est  encore  Garibalde  qui  prononce  ces  vers   dans  Pcrtharitc,  acte  III 
«cène  I. 

3.  Andromaque,  aric  I,  sci'nciv. 

4.  Perthanle,  acte  II,  scùnc  v. 

5.  Andromaque,  acte  I,  Bcèno  iv. 


408  CORRESPONDANCE. 

aurait  que  ces  noms  barbares,  ils  eussent  suffi  pour  faire  tomber 
Pertharitc;  et  c'est  à  quoi  Coileau  fait  allusion  quand  il  dit  : 

Oui  de  tant  de  héros  va  choisir  Childebrand^ 

Mais  Garibalde,  tout  Garibalde  qu'il  est,  ne  laisse  pas  de  jouer 
avec  son  Éduige  absolument  le  même  rôle  qu'Oreste  avec  Her- 
mione.  Éduige  aime  encore  Grimoald,  comme  Ilermione  aime 
Pyrrhus  :  elle  veut  que  Garibalde  la  venge  d'un  traître  qui  la 
quitte  pour  Rodelindc.  Ilermione  veut  qu'Oreste  la  venge  de 
Pyrrhus,  qui  la  quitte  pour  Andromaque. 

ÉDUIGE. 

Pour  gagner  mon  amour  il  faut  servir  ma  haine  *. 

HERMIONE. 

Vengez-moi,  je  crois  tout  '. 

GARIBALDE. 

Lo  pounez-vous,  madame?  et  savez-vous  vos  forces? 
Savez-vous  de  l'amour  quelles  senties  amorces? 
Savez-vous  ce  qu'il  peut?  et  qu'un  visage  aimé 
Est  toujours  trop  aimable  à  ce  qu'il  a  charmé? 
Non,  vous  vous  abusez,  votre  cœur  vous  abuse*,  etc. 

ORESTE. 

Et  vous  le  haïssez!  Avouez-le,  madame, 

L'amour  n'est  pas  un  feu  qu'on  renferme  en  une  âme; 

Tout  nous  traliit,  la  voix,  le  silence,  les  yeux; 

Et  les  feux  mal  couverts  n'en  éclatent  que  mieux ^. 

Ces  idées,  que  le  génie  de  Corneille  avait  jetées  au  hasard, 
sans  en  profiter,  le  goût  de  Racine  les  a  recueillies  et  les  a  mises 
en  œuvre  ;  il  a  tiré  de  l'or,  en  cette  occasion,  de  stcrcorc  Ennii^. 


1.  Art  poétique,  III,  2i2. 

2.  Pertharite,  acte  II  scène  i . 

3.  Andromaque,  acte  IV,  scène  m. 

4.  Pertharite,  acte  II,  scène  i. 

5.  Andromaque,  acte  II,  scène  ii. 

G.  Parmi  les  divers  morceaux  qui  sont  à  la  suite  des  Lettres  chinoises,  etc. 
(premières  éditions;  voj-ez  tome  XXIX,  page  451),  est  un  Fragment  d'une  lettre 
à  M.  Vabhé  d'Olivet  :  ce  très-long  Fragment  est  sans  date.  Je  ne  l'ai,  sauf  erreur, 
vu  dans  aucune  édition  des  OEuvres  de  Voltaire.  J'ai  pensé  que  je  pouvais  le  pla- 
cer ici. 

«  Les  raisonneurs  sans  génie,  et  qui  dissertent  aujourd'hui  sur  le  siècle  du 


ANNÉE    1761.  409 

Corneille  ne  consultait  personne,  et  Racine  consultait  Roi- 
leau:  ainsi  l'un  tomba  toujours  depuis  Hiraclius,  et  l'autre  s'éleva 
continuellement. 

On  croit  assez  communément  que  Racine  amollit  et  avilit 


génie,  répètent  souvent  cette  antithèse  de  La  Bruyèn?,  que  Racine  a  peint  les 
hommes  tels  qu'ils  sont,  et  Corneille  tels  qu'ils  devraient  être.  Ils  répètent  une 
insigne  fausseté,  car  jamais  ni  Bajazet,  ni  Xipharès,  ni  Britannicus,  ni  Hippolyte, 
ne  firent  l'amour  comme  ils  le  font  galamment  dans  les  tragédies  de  Racine;  et 
jamais  César  n'a  dû  dire  dans  le  Pompée  de  Corneille,  à  Cléopàtre,  qu'il  n'avait 
combattu  à  Pharsale  que  pour  mériter  son  amour  avant  de  l'avoir  vue.  Il  n*a 
jamais  dû  lui  dire  que  son  glorieux  litre  de  premier  du  monde,  à  présent  effectif, 
est  anobli  par  celui  de  captif  de  la  petite  Cléopàtre  âgée  de  quinze  ans,  qu'on  lui 
amena  dans  un  paquet  de  linge  longtemps  après  Pharsale. 

«  Ni  Cinna  ni  i"\Ia.\ime  n'ont  dû  être  tels  que  Corneille  les  a  peints.  Le  devoir 
de  Cinna  ne  pouvait  être  d'assassiner  Auguste  pour  plaire  à  une  fille  qui  n'exis- 
tait point.  Le  devoir  do  Maxime  n'était  pas  d'être  sottement  amoureux  de  cette 
même  fille,  et  de  trahir  à  la  fois  Auguste,  Cinna,  et  sa  maîtresse.  Ce  n'était  pas 
là  ce  Maxime  à  qui  Ovide  écrivait  qu'il  était  digne  de  son  nom  : 

Maxime,  qui  tanti  mensuram  nominis  impies. 

a  Le  devoir  de  Félix  dans  Polyeucte  n'était  pas  d'être  un  lâche  barbare  qui 
faisait  couper  le  cou  à  son  gendre, 

Pour  acquérir  par  là  de  plus  puissants  appuis, 

Qui  me  mettraient  plus  haut  cent  fois  que  je  ne  suis. 

M  On  a  beaucoup  et  trop  écrit  depuis  Aristote  sur  la  tragédie.  Les  deux  grandes 
règles  sont  que  les  personnages  intéressent  et  que  les  vers  soient  bons;  j'entends 
d'une  bonté  propre  au  sujet.  Écrire  en  vers  pour  les  faire  mauvais  est  la  plus 
haute  de  toutes  les  sottises. 

«  On  m'a  vingt  fois  rebattu  les  oreilles  de  ce  prétendu  discours  de  Pierre 
Corneille  :  Ma  pièce  est  finie,  je  n'ai  plus  que  les  vers  à  faire.  Ce  propos  fut  tenu 
par  Ménandre  plus  de  deux  mille  ans  avant  Corneille,  si  nous  en  crojons  Plu- 
tarque  dans  sa  question  :  Si  les  Athéniens  ont  plus  excellé  dans  les  armes  que  dans 
les  lettres.  Ménandre  pouvait  à  toute  force  s'exprimer  ainsi,  parce  que  des  vers  de 
comédie  ne  sont  pas  les  plus  difficiles;  mais  dans  l'art  tragique  la  difficulté  est 
presque  insurmontable,  du  moins  chez  nous. 

M  Dans  le  siècle  passé,  il  n'y  eut  que  le  seul  Racine  qui  écrivit  des  tragédies 
avec  une  pureté  et  une  élégance  presque  continue  ;  le  charme  de  cette  élégance  a 
été  si  puissant  que  les  gens  do  lettres  et  de  goût  lui  ont  pardonné  la  monotonie 
de  ses  déclarations  d'amour,  et  la  faiblesse  de  quelques  caractères,  en  faveur  de 
sa  diction  enchanteresse. 

«  Je  vois  dans  l'homme  illustre  qui  le  précéda  des  scènes  sublimes,  dont  ni 
Lope  de  Voga,  ni  Calduron,  ni  Shakespeare,  n'avaient  pas  même  pu  concevoir  la 
moindre  idée,  et  qui  sont  très-.supérieurcs  à  ce  qu'on  admira  dans  Soi)hoclo  et 
dans  Euripide.  .Mais  aussi  j'y  vois  dos  t^is  de  l)arbarismes  et  de  solécismcs  qui 
révoltent,  et  do  froids  raisonnements  alambiquès  qui  irlacent.  J'y  vois  enfin  vingt 
pièces  entières,  dans  lesquelles  à  peine  y  a-t-il  un  morceau  qui  demande  grùce 
pour  le  reste. 

i(  La  [ircuvc  incontestable  de  cette  vérité  est,  par  exemple,  dans  les  deux  Béré- 
nice du  Racine  et  de  Corneille.  Le  plan  de  ces  deux  pièces  est  également  mauvais, 


410  COllRESPONDANCi:. 

mi-inc  le  ihéùtre  par  ces  déclarations  d'amour  qui  ne  sont  que 
trop  on  possession  de  notre  scène.  Mais  la  vérité  me  force 
d'avouer  que  Corneille  en  usait  ainsi  avant  lui,  et  que  Rotron  n'y 
manquait  pas  avant  Corneille. 

également  indienne  du  Ihéàtre  tragique.  Ce  défaut  même  va  jusqu'au  ridicule. 
Mais  par  quelle  raison  est-il  impossible  de  lire  la  Bérénice  de  Corneille?  Par 
quelle  raison  est-elle  au-dessous  des  pièces  de  Pradon,  de  Riupéroux,  de  Danchet, 
de  Pécliantré,  de  Pellegrin?  Et  d'où  vient  que  la  Bérénice  de  Racine  se  fait  lire 
avec  tant  de  plaisir,  à  quelques  fadeurs  près?  d'où  vient  qu'elle  arrache  des 
larmes?  C'est  que  les  vers  sont  bons.  Ce  mot  comprend  tout,  sentiment,  vérité, 
décence,  naturel,  pureté  de  diction,  noblesse  ,  force,  liarmonie,  élégance,  idées 
profondes,  idées  fines,  surtout  idées  claires,  images  touchantes,  images  terribles. 
Otcz  ce  mérite  à  la  divine  tragédie  d'Athalie,  il  ne  lui  restera  rien  ;  ôtez  ce  mérite 
au  quatrième  livre  de  VÈnéide  et  au  discours  de  Priam  à  Achille  dans  Homère, 
ils  seront  insipides.  L'abbé  Dubos  a  très-grande  raison;  la  poésie  ne  charme  que 
par  les  beaux  détails. 

«  Si  tant  d'amateurs  savent  par  cœur  des  morceaux  admirables  des  Horaces, 
de  Cinna,  de  Pompée,  de  Polyeucte,  de  Bodogune,  c'est  que  ces  vers  sont  très- 
bien  faits.  Et  si  on  ne  peut  lire  ni  Théodore,  ni  Pertharite,  ni  Don  Sanche  d'A- 
ragon, ni  Attila,  ni  Agésilas,  ni  Pulchérie,  ni  la  Toison  d'or,  ni  Surénn,  etc., 
etc.,  etc.,  c'est  que  presque  tous  les  vers  en  sont  détestables.  H  faut  être  de  bien 
mauvaise  foi  pour  s'efforcer  de  les  excuser  contre  sa  conscience. 

«  Quelquefois  môme  de  misérables  écrivains  ont  osé  donner  des  éloges  à  cette 
foule  de  pièces  aussi  plates  que  barbares,  parce  qu'ils  sentaient  bien  que  les  leurs 
étaient  écrites  dans  ce  goût  :  ils  demandaient  grâce  pour  eux-mêmes. 

«  Ce  qui  m'a  le  plus  révolté  dans  Corneille,  c'est  cette  profusion  de  maximes 
atroces  qui  a  fait  dire  à  des  sots  que  Corneille  devait  être  du  conseil  d'Etat.  On 
me  dit  qu'il  a  pris  ces  sentences  dans  Lucain;  et  moi,  je  dis  que  ces  sentences 
sont  encore  plus  condamnables  dans  Lucain  que  dans  lui.  L'auteur  de  la  Pharsale 
tombe  d'abord  dans  une  contradiction  que  l'auteur  de  la  tragédie  de  Pompée  ne 
s'est  point  permise  :  c'est  de  dire  que  Ptolémée  est  un  enfant  plein  d'innocence 
{puer  est,  innocua  est  œtas),  et  de  dire,  quelques  vers  après,  que  Photin  conseilla 
l'assassinat  de  Pompée  en  homme  qui  savait  flatter  les  pervers  et  qui  connaissait 
les  tyrans. 

At  mclior  suadere  malis,  et  nosse  tyrannos, 
Ausus  Pompeium  letho  damnare  Potliinus. 

«  Mais  j'ai  toujours  vu  avec  chagrin,  et  je  l'ai  dit  hardiment,  que  le  Photin 
de  Corneille  débite  plus  de  maximes  fades  et  horribles  de  scélératesse  que  le  Pho- 
tin de  Lucain;  maximes  d'ailleurs  cent  fois  plus  dangereuses  quand  elles  sont 
récitées  devant  des  princes,  avec  toute  la  pompe  et  l'illusion  du  théâtre,  que  lors- 
qu'une lecture  froide  laisse  à  l'esprit  la  liberté  d'en  sentir  l'atrocité. 

«  Je  ne  m'en  dédis  point  :  je  ne  connais  rien  de  si  alTreux  que  ces  vers  : 

Le  droit  dos  rois  consiste  à  ne  rien  épargner; 

La  timide  équité  détruit  l'art  do  réfjnor; 

Quand  on  craint  d'être  injuste  on  a  toujours  à  craindre, 

Et  qui  veut  tout  pouvoir  doit  oser  tout  enfreindre, 

Fuir  comme  un  déshonneur  la  vertu  qui  le  perd, 

Et  voler  sans  scrupule  au  crime  qui  le  sert. 

M  Vous  avez  vu  très-judicieusement,  monsieur,  que  non-seulement  ces  maximes 
sont  exécrables,  et  ne  doivent  être  prononcées  en   aucun  lieu  du  monde,  mais 


ANNEE    1761.  411 

Il  n'y  a  aucune  de  leurs  pièces  qui  ne  soit  fondoe  en  partie 
sur  cette  passion  ;  la  seule  différence  est  qu'ils  ne  l'ont  jamais 
bien  traitée,  qu'ils  n'ont  jamais  parlé  au  cœur,  qu'ils  n'ont  jamais 
attendri  :  l'amour  n'a  été  touchant  que  dans  les  scènes  du  Ciel. 
imitées  de  Gnillain  de  Castro;  et  Corneille  a  mis  de  l'amour 
jusque  dans  le  sujet  terrible  iVŒdipe. 

Vous  savez  que  j'osai  traiter  ce  sujet  il  y  a  quarante-sept  ans. 
J'ai  encore  la  lettre  de  M.  Dacier,  à  qui  je  montrai  le  troisième 
acte,  imité  de  Soi)boclo.  11  m'exhorte,  dans  cette  lettre  de  171/|  \ 
à  introduire  les  chœurs,  et  à  ne  point  parler  d'amour  dans  un 
sujet  où  cette  passion  est  si  impertinente.  Je  suivis  son  conseil, 
je  lus  l'esquisse  de  la  pièce  aux  comédiens.  Ils  me  forcèrent  à 
retrancher  une  partie  des  chœurs,  et  à  mettre  au  moins  quelque 
souvenir  d'amour  dans  Philoctètc,  afin,  disaient-ils,  qu'on  par- 
donnât l'insipidité  de  Jocaste  et  d'OEdipe  en  faveur  des  sentiments 
de  Philoctète. 

Le  peu  de  chœurs  même  que  je  laissai  ne  furent  i)oint  exé- 


qu'ellcs  sont  absurdes  dans  la  circonstance  où  elles  sont  placées.  Il  ne  s'agit  pas 
du  droit  des  rois;  il  est  question  de  savoir  si  on  recevra  Pompée  ou  si  on  le 
livrera  à  César.  11  faut  plaire  au  \ainqueur  ;  ce  n'est  pas  là  un  droit  des  rois.  Pto- 
lémée  est  un  vassal  qui  craint  d'offenser  César  son  maître.  J'ai  exprimé  sans  mé- 
nagement mon  horreur  pour  tous  ces  lieux  communs  de  barbarie  qui  font  frémir 
l'honnêteté  et  le  sens  commun.  J'ai  dit  et  j'ai  du  dire  combien  sont  horribles  à  la 
fois  et  ridicules  ces  autres  vers  que  nous  avons  entendu  réciter  au  tliéàtre  : 

Chacun  a  ses  vertus,  ainsi  qu'il  a  ses  dieux... 

Le  sceptre  absout  toujours  la  main  la  plus  coupable... 

Le  crime  n'est  forfait  que  pour  les  malheureux... 

Oui,  lorsque  de  nos  soins  la  justice  est  l'objet, 

Elle  y  doit  emprunter  le  secours  du  forfait,  etc... 

M  On  ne  peut  dire  plus  mal  des  choses  plus  infûmes  et  plus  sottes.  Cependant  il 
y  a  des  gens  d'assez  mauvaise  foi  pour  oser  excuser  ces  horreurs  ineptes.  Point 
de  mauvaise  cause  qui  ne  trouve  un  défenseur,  et  point  de  bonne  cause  qui  n'ait 
un  adversaire;  mais  à  la  longue  le  vrai  l'emporte,  surtout  quand  il  est  soutenu 
par  des  esprits  tels  que  le  vôtre. 

«  Si  rien  n'est  plus  odieux  aux  honnêtes  gens  que  ces  scélérats  de  comédies  qui 
parlent  toujours  de  crime,  qui  crient  que  le  crime  est  héroïque,  que  la  vengeance 
est  divine,  qu'on  s'iuiniortalise  par  des  crimes,  rien  n'est  plus  fade  aussi  que  ce» 
héroïnes  qui  nous  rabattent  les  oreilhïs  de  leur  vertu.  C'est  un  grand  art  dans 
Racine  que  Néron  ne  dise  jamais  qu'il  aime  le  crime,  et  ([ue  Junio  ne  se  vante 
point  d'être  vertueuse. 

«  Je  vous  demande  bien  pardon,  monsieur,  de  vous  dire  des  choses  que  vous 
saviz  mieux  que  moi.  » 

Tout  en  croyant  que  ce  morceau  a  fait  partie  d'une  des  rédactions  de  la  lettre 
à  d'Olivcl,  du  20  auguste,  je  suis  loin  de  garantir  (jiic  c'était  précisément  ici  qu'il 
était.  (H.) 

1.  Dans  le  Commentaire  Iiistoririuc,  on  donne  à  la  lettre  de  Dacier  la  date  de 
17i;}. 


4i8  CORRRSPONDANCK. 

Cillés.  Tel  était  le  détestable  goût  de  ce  temps-là.  On  représenta 
quelque  temps  après  Athalie,  ce  chef-d'œuvre  du  théùtre.  La 
nation  dut  apprendre  que  la  scène  pouvait  se  passer  d'un  genre 
qui  dégénère  quelquefois  en  idylle  et  en  églogue.  Mais  comme 
Athalie  était  soutenue  par  le  pathétique  de  la  religion,  on  s'ima- 
gina qu'il  fallait  toujours  de  l'amour  dans  les  sujets  profanes. 

Enfin  Mérope,  et  en  dernier  lieu  Orcste,  ont  ouvert  les  yeux  du 
public.  Je  suis  persuadé  que  l'auteur  iVÊlcctre  ^  pense  comme 
moi,  et  que  jamais  il  n'eût  mis  deux  intrigues  d'amour  dans  le 
plus  sublime  et  le  plus  effrayant  sujet  de  l'antiquité,  s'il  n'y  avait 
été  forcé  par  la  malheureuse  habitude  qu'on  s'était  faite  de  tout 
défigurer  par  ces  intrigues  puériles,  étrangères  au  sujet  :  on  en 
sentait  le  ridicule,  et  on  l'exigeait  des  autres. 

Les  étrangers  se  moquaient  de  nous  ;  mais  nous  n'en  savions 
rien.  Nous  pensions  qu'une  femme  ne  pouvait  paraître  sur  la 
scène  sans  dire  faime  en  cent  façons,  et  en  vers  chargés  d'épi- 
thètes  et  de  chevilles.  On  n'entendait  que  mn  flamme,  et  mon  âme; 
mes  feux,  et  mes  vœux;  mon  cœur,  et  mon  vainqueur.  Je  reviens  à 
Corneille,  qui  s'est  élevé  au-dessus  de  ces  petitesses  dans  ses 
belles  scènes  des  Horaces,  de  Cinna,  de  Pompée,  etc.  Je  reviens  à 
vous  dire  que  toutes  ses  pièces  pourront  fournir  quelques  anec- 
dotes et  quelques  réflexions  intéressautes. 

Ne  vous  effrayez  pas  si  tous  ces  commentaires  produisent 
autant  de  volumes  que  votre  Gicéron.  Engagez  l'Académie  à  me 
continuer  ses  bontés,  ses  leçons,  et  surtout  donnez-lui  l'exemple^. 
Les  libraires  de  Genève  qui  entreprennent  cette  édition,  avec  le 
consentement  de  la  compagnie,  disent  que  jamais  livre  n'aura 
été  donné  à  si  bas  prix.  Il  faut  que  cela  soit  ainsi,  afin  que  ceux 
dont  la  fortune  n'égale  pas  le  goût  et  les  lumières  puissent  jouir 
commodément  de  ce  petit  avantage.  On  compte  môme  le  pré- 
senter aux  gens  de  lettres  qui  ne  seraient  pas  en  état  de  l'ac- 
quérir. G'est  d'ordinaire  aux  grands  seigneurs,  aux  hommes 
puissants  et  riches,  qu'on  donne  son  ouvrage;  on  doit  faire  pré- 
cisément le  contraire  :  c'est  à  eux  à  le  payer  noblement,  et  c'est 
aussi  le  parti  que  prennent,  dans  cette  entreprise,  les  premiers 
de  la  nation,  et  ceux  qui  ont  des  places  considérables  ;  ils  se 
sont  fait  un  honneur  de  rendre  ce  qu'on  doit  au  grand  Gorneille 
près  de  cent  ans  après  sa  mort,  et  dans  les  temps  les  plus  diffi- 
ciles. 


1.  Crébillon. 

2.  C'était  ici  que  se  terminait  cette  lettre  dans  les  éditions  depuis  1765.  (B.) 


ANNÉE    17G1.  m 

Je  crois  même  qu'il  n'y  a  point  d'exemple,  dans  l'histoire  de 
notre  littérature,  de  ce  qui  vient  d'arriver.  Figurez-vous  que 
deux  personnes  que  je  n'ai  jamais  eu  l'honneur  de  voir,  à  qui  je 
n'avais  même  jamais  écrit,  et  que  je  n'avais  point  fait  solliciter, 
ont  seules  commencé  cette  entreprise,  avec  un  zèle  sans  lequel 
elle  n'aurait  jamais  réussi. 

L'une  est  M'""  la  duchesse  de  Grammont,  qui  l'a  protégée,  l'a 
recommandée,  a  fait  souscrire  un  nombre  considérable  d'étran- 
gers, et  qui  enfin,  n'écoutant  que  sa  générosité  et  sa  grandeur 
d'ùme,  a  fait  pour  M"'^  Corneille  tout  ce  qu'elle  aurait  fait  si  cette 
jeune  héritière  d'un  si  beau  nom  avait  eu  le  bonheur  d'être  con- 
nue d'elle. 

Je  vous  avoue,  mon  cher  confrère,  que  les  pièces  du  grand 
Corneille  ne  m'ont  pas  plus  touché  que  cet  événement.  xNotre 
autre  bienfaiteur  (le  croiricz-vous?)  est  le  banquier  delà  cour, 
M.  de  La  Borde,  qui,  sans  me  connaître,  sans  m'en  prévenir,  a 
procuré  plus  de  cent  souscriptions;  et  c'est  une  chose  que  nous 
n'avons  apprise  ici  que  quand  elle  a  été  faite. 

Pendant  qu'on  favorisait  ainsi  notre  entreprise  avec  tant  de 
générosité  sans  que  je  le  susse,  je  prenais  la  liberté  de  faire  sup- 
plier le  roi,  notre  protecteur,  de  permettre  que  son  nom  fût  à 
la  tête  de  nos  souscripteurs.  Je  proposais  qu'il  voulût  bien  nous 
encourager  pour  la  valeur  de  cinquante  exemplaires  ;  il  en  prenait 
deux  cents.  J'en  demandais  une  douzaine  à  Son  Altesse  royale 
monseigneur  l'infant  duc  de  Parme,  il  a  souscrit  pour  trente. 
Nos  princes  du  sang  ont  presque  tous  souscrit,  M.  le  duc  de  Ghoi- 
seul  s'est  fait  inscrire  pour  vingt.  M""'  la  marquise  de  Pompadour, 
à  qui  je  n'en  avais  pas  même  écrit,  en  a  pris  cinquante. 

Monsieur  son  frère,  douze. 

Parmi  nos  académiciens  S  M.  le  comte  de  Clermont,  M.  le 
cardinal  de  Demis,  iM,  le  maréchal  de  Richelieu,  M.  le  duc  de 
Nivernais,  se  sont  signalés  les  premiers. 


i.  Voici  ce  qu'on  lisait  dans  le  Journal  encyclopédique  : 

B  Parmi  nos  académiciens,  monseigneur  le  comte  de  Clcrnioiit,  M.  le  cardinal 
du  Bernis,  M.  le  maréchal  do  Ilicliolieu,  M,  le  duc  de  Mvcniais,  M.  Duclos, 
M.  d'Alcmljcrt,  M.  Walelct,  se  sont  signalés  les  premiers. 

«  Plusieurs  particuliers  ont  suivi  ci'  noble  <'.\emji!e.  lùilin  ([uo  direz-vous,  etc.  » 

Ce  passage  e.xplifiue  les  remerciements  contenus  dans  la  lettre  de  d'Alembert, 
du  31  octobre.  Voltaire,  dans  sa  lettre  à  d'Olivel  de  la  lin  d'octobre,  dit  d'ajouter 
aux  noms  des  académiciens  souscripteurs  ceux  de  «  M,  le  duc  do  Villars,  M.  l'ar- 
cbevùquc  de  Lyon,  M.  l'ancien  évé(jue  do  Limo;;c8  ».  L'addition  devait  se  faire  à 
rimjjrcssion,  qui  devait  être  dans  le  Mercure;  mais  la  lettre  à  d'Ulivct  n'y  fut  pas 
imprimée.  (B.) 


414  COUUKSl'ONbANCK. 

Non-seulement  M.  Watelet  prend  cinq  exemplaires,  mais  il  a 
la  bonté  de  dessiner  et  de  graver  le  frontispice.  Il  nous  aide  de 
SCS  talents  et  de  son  argent. 

Enthi  que  direz-vous  quand  je  vous  apprendrai  que  M.  Bou- 
ret,  qui  méconnaît  à  peine,  a  souscrit  pour  vingt-quatre  exem- 
plaires? 

Tout  cela  s'est  fait  avant  qu'il  y  eût  la  moindre  annonce 
imprimée,  avant  qu'on  sût  de  quel  prix  serait  le  livre. 

La  compagnie  des  fermes  générales  a  souscrit  pour  soixante. 

Plusieurs  autres  compagnies. ont  suivi  cet  exemple. 

Cette  noble  émulation  devient  générale.  A  peine  le  premier 
bruit  de  cette  édition  projetée  s'est  répandu  en  Allemagne  que 
monseigneur  l'Électeur  palatin,  M""-"  la  duchesse  de  Saxe-Gotha, 
se  sont  empressés  de  la  favoriser. 

A  Londres,  nous  avons  eu  milord  Chestcrlield,  milord  Lyttel- 
ton,  M.  Fox  le  secrétaire  d'État,  M.  le  duc  de  Gordon,  M.  Crawford, 
et  plusieurs  autres. 

Vous  voyez,  mon  cher  confrères  que  tandis  que  la  politique 
divise  les  nations,  et  que  le  fanatisme  divise  les  citoyens,  les 
belles-lettres  les  réunissent.  Quel  plus  bel  éloge  des  arts,  et  quel 
éloge  plus  vrai!  Autant  on  a  de  mépris  pour  des  misérables  qui 
déshonorent  la  littérature  par  leurs  infamies  périodiques,  et 
pour  d'autres  misérables  qui  la  persécutent,  autant  on  a  de  res- 
pect pour  Corneille  dans  toute  l'Europe. 

Les  libraires  de  Genève  -  qui  entreprennent  cette  édition 
entrent  généreusement  dans  toutes  nos  vues;  ils  sont  d'une 
famille  qui  depuis  longtemps  est  dans  les  conseils;  l'un  d'eux 
en  est  membre.  Us  pensent  comme  on  doit  penser;  nul  intérêt, 
tout  pour  l'honneur. 

Ils  ne  recevront  d'argent  de  personne  avant  d'avoir  donné  le 
premier  volume.  Ils  livreront  pour  deux  louis  d'or  douze  ou 
treize  tomes  in-S"  avec  trente-trois  belles  estampes.  Il  y  a  certai- 
nement beaucoup  de  perte.  Ce  n'est  donc  point  par  vanité  que 
j'ai  osé  souscrire  pour  cent  exemplaires,  c'était  une  nécessité 
absolue  ;  et  sans  les  bienfaits  du  roi,  sans  les  générosités  qui 
viennent  à  notre  secours,  l'entreprise  était  au  rang  de  tant  de 
projets  approuvés  et  évanouis. 
.   Je  vous  demande  pardon  d'une  si  longue  lettre  :  vous  savez 


\.  Dana  le  Journal  encyclopédique,  on  lit  :  «  Mon  cher  commentateur  de  Cicé- 
ron.  » 

2.  Les  Cramer. 


ANXKE    1761.  415 

que  les  commentateurs  ne  iiiiis.sont  point,  et^  souvent  ne  disent 
que  ce  qui  est  inutile. 

Si  vous  voulez  que  je  dise  de  bonnes  choses,  écrivez-moi,  etc. 

Voltaire. 

4040.    —  A   iM.   LE    DR  UN. 

20  auguste. 

Je  suis  affligé,  monsieur,  pour  monseigneur  le  prince  de 
Conti  et  pour  tous,  qu'il  soit  le  seul  de  tous  les  princes  qui 
refuse  de  voir  son  nom  parmi  ceux  qui  favorisent  le  sang  du 
grand  Corneille.  Je  serais  encore  plus  fâché  si  ce  refus  était  la 
suite  de  la  malheureuse  querelle  avec  Tinfûme  Fréron.  Vous 
m'aviez  écrit  que  je  pouvais  compter  sur  Son  vVltessesérénissime; 
il  est  dur  d'être  détrompé.  L'ouvrage  mérite  par  lui-même  la 
protection  de  tous  ceux  qui  sont  à  la  tête  de  la  nation  ;  M"'  Cor- 
neille la  mérite  encore  plus.  Je  saurai  bienvenir  à  bout  de  cette 
entn^prise  honorable  sans  le  secours  de  personne;  mais  j'aurais 
voulu,  pour  l'honneur  de  mon  pays,  être  plus  encouragé,  d'au- 
tant plus  que  c'est  presque  le  seul  honneur  ([ui  nous  reste.  L'in- 
famie dont  les  Fréron  et  quelques  autres  couvrent  la  littérature 
exige  que  tout  concoure  à  relever  ce  qu'ils  déshonorent.  Secon- 
dez-moi, au  nom  des  Horaccs  et  de  Cinna. 

Votre  très-humble  et  très-obéissant  serviteur. 

Voltaire. 

4047.  —  A   M.   DU  CLOS  2. 

"1  aujjustc. 

J'ai  eu  l'honneur,  monsieur,  de  vous  adresser  l'épître  dédica- 
toire  à  la  compagnie,  la  préface  sur  le  Cid,  le  commentaire  per- 
pétuel sur  Cinna  et  les  Horaccs  :  voici  le  commentaire  sur  le  Cid, 
.M.  d'Olivet  en  a  un  (pii  est  un  peu  plus  ample  ;  mais  il  sera  aisé 
de  rendre  les  deux  exemplaires  conformes,  (|uaiul  on  aura  eu  la 
bonté  de  me  les  renvoyer.  M'AL  Cramer  n'attendent  plus  (|ue  la 
sanction  de  l'Académie  pour  commencer  l'impression.  Mon  [)arti 
est  pris  de  coniincntci'  toutes  les  tragédies  ;  il  y  aura  six  ou  sept 
gros  volumes,  ou  liuil  in-/|\  Comme  j'ai  fixé  le  prix  à  deux  louis 
d'or,  il  y  aurait  beaucoup  de  perte,  au  lieu  de  bénéfice  pour 
.M"'  Cnnieille,  sans  le  secours  que  le  roi  nous  donne  et  sans  la 
géïKNositiJ  des  piciniers  de  la  n;ili(jn. 

i.  Dans  le  Journal  cncyclupcdinuc  il  y  a  :  »  cl  ([u'ils  ne  tliscut  (jue,  etc.  » 
2.  Éditeurs,  do  Cayrol  et  François. 


416  CORIIESPONDANCE. 

Je  ne  memClerai  en  aucune  façon  de  ce  qu'on  appelle  impro- 
prement soHscriplions.  Quiconque  voudra  avoir  le  livre  n'aura 
qu'à  envoyer  son  nom  au  libraire  de  l'Académie,  ou  au  portier 
de  l'Académie,  ou  écrire  directement  à  MM.  Cramer,  Je  donnerai 
mon  temps,  mon  travail  et  mon  argent,  pour  cette  entreprise  ; 
et,  dès  que  les  Cramer  auront  commencé,  le  public  aura  un 
volume  tous  les  trois  mois.  Je  vous  demande  en  grâce  de  secon- 
der mou  zèle. 

Ne  pourriez-vous  pas  nommer  des  commissaires  pour  exa- 
miner chacun  de  mes  commentaires?  Il  me  semble  que  M.  Sau- 
rin  pourrait  nous  rendre  de  grands  services.  Mais  il  n'y  a  pas  un 
moment  à  perdre  :  songez  que  j'ai  soixante-huit  ans,  que  je  n'ai 
qu'un  souflle  de  vie,  et  que  si  je  mourais  inler  opus,  l'ouvrage 
irait  comme  moi  à  tous  les  diables. 

Je  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur. 

4648.  —  A  M.   DAMILAVILLE. 

Le  24  auguste. 

M.  Lcgouz  \  maître  des  comptes,  à  Dijon,  jeune  homme  qui 
aime  les  arts  et  les  Cacouacs,  veut  bien  qu'on  sache  que  le  Droit 
du  Seigneur,  alias  l'Écueil  du  sage,  est  de  lui.  Il  m'envoie  cette 
petite  addition  et  correction,  que  les  frères  jugeront  absolument 
nécessaire.  Je  crois  que  la  pièce  de  M.  Legouz  restera  au  théâ- 
tre, et  qu'ainsi  le  nom  de  philosophe  y  restera  en  honneur.  Je 
m'imagine  que  frère  Platon  ne  sera  pas  fâché. 

Il  est  absolument  nécessaire  que  M.  Legouz  soit  reconnu.  Il 
compte  enjoliver  cette  petite  drôlerie  par  une  préface  en  l'hon- 
neur des  Cacouacs,  qui  sera  un  peu  ferme,  et  qui  parviendra  en 
cour,  comme  dit  le  peuple.  Il  y  aura  aussi  une  épître  dédica- 
toire  qui  ira  en  cour.  Mais  si  un  gros  fin  de  Préville  s'obstine  à 

dire  qu'il  croit  l'ouvrage  d'un  certain  V ,  tout  est  manqué, 

tout  est  perdu. 

Il  est  absolument  nécessaire  qu'on  ne  me  soupçonne  pas  de 
ce  que  je  n'ai  pas  fait.  On  doit  faire  entendre  aux  comédiens 
qu'ils  se  font  grand  tort  à  eux-mêmes  s'ils  s'opiniàtrent  à  me 
charger  de  cette  iniquité.  C'est  M.  Legouz,  vous  dis-je,  qui  a 
fait  cette  coïonnerie. 


1.  Voyez  la  noie,  tome  VI,  page  3;  Voltaire  renonça  à  prendre  ce  nom  par 
égard  pour  le  président  Fyot  de  La  Marche,  dont  Legouz  était  le  parent.  Voyez 
la  lettre  à  d'Argental,  du  7  septembre,  n"  4664. 


ANNÉE    1761.  417 

J'ai  reçu  de  mes  frères  les  Recherches  sur  les  Théâtres  de  ce 
Bcaucliamps',  et  il  n'y  a  pas  grand  profita  faire.  C'est  le  sort  de 
la  plupart  des  livres.  Il  faudra  tâcher  que  les  Commentaires  de 
Corneille  ne  méritent  pas  qu'on  en  dise  autant.  C'est  une  terrible 
entreprise  que  ce  Commentaire;  j'y  perds  mon  temps  et  les  yeux. 

Comment  se  porte  frère  Tliieriot?  Il  est  bien  heureux  de  ne 
rien  commenter;  s'il  lui  fallait  faire  des  notes  sur  Ayrsilus  et 
Attila,  il  serait  aussi  embarrassé  que  moi. 

Voici  une  petite  lettre  pour  frère  d'Alembert*  ;  dirons-nous 
aussi  frère  Dumolard?  Ce  sera  comme  vous  voudrez. 

iGiO.  —  A  -M.    SÉ.XAC   DE   MEILHANS. 

CHEZ  M.  SÉNAC,  PREMIER  MÉDECIN  DL  ROI,  A  VERSAILLES. 

Au  château  de  Fernoy,  par  Genève,  2i  auguste  1761. 

Je  me  hâte,  monsieur,  de  vous  remercier  au  nom  de 
M"-^^  Corneille  et  au  mien  :  j'espère  que  nous  commencerons  inces- 
samment l'édition  projetée,  dès  que  l'Académie  m'aura  envoyé 
les  notes  qu'elle  a  entre  les  mains  sur  les  principales  pièces.  Je 
ne  propose  que  des  doutes,  et  c'est  à  l'Académie  à  décider,  afin 
que  cet  ouvrage  puisse  être  un  livre  classique  utile  aux  étran- 
gers qui  apprennent  notre  langue  par  principes,  et  aux  Fran- 
çais qui  ne  la  savent  que  par  l'usage.  Les  remarques  sur  l'art 
dramatique  ne  seront  pas  inutiles  aux  amateurs.  Il  me  semble 
que  je  ne  pouvais  mieux  finir  ma  carrière  qu'en  tâchant  d'élever 
un  monument  à  l'honneur  des  arts  et  de  la  nation.  Je  suis 
enchanté  que  vous  vouliez  bien  y  contribuer.  Vous  agissez  comme 
bon  citoyen  et  comme  un  homme  qui  m'honore  de  sou  amitié  : 
ces  deux  motifs  me  sont  bien  sensibles. 

La  petite  anecdote  dont  on  vous  a  régalé  sur  M""  Corneille 
est  tout  juste  le  contraire  de  ses  sentiments  et  de  sa  conduite. 
Nous  sommes,  M""^  Denis  et  moi,  également  contents  de  celte 
enfant.  Elle  fait  la  consolation  de  notre  vie. 

Pour  l'anecdote  de  frère  Menou,  j'ignore  enroro  si  elle  est 
vraie;  je  ne  conçois  pas  trop  comment  on  peut  coiulamner  aux 
galères  dans  un  pays  où  il  n'y  a  point  de  port  de  mer  :  c'est  peut- 


\.  Voy(;z  la  noti-,  pa^re  3'.)3. 

2.  CcUe  lettre  est  perdue,  à  moins  que  ce  ne  soit  celle  qui  est  ci-après,  à  la 
date  du  31,  et  qui,  en  effet,  est  petite;  mais  je  n'ose  sur  cela  seul  faire  la  trans- 
position. (B.) 

3.  Les  Autographes,  par  M.  de  Loscure,  1860. 

41.  —  ConnF.si'o.NDA.NCK,  1,\.  27 


418  COIUIESPONDANCI-:. 

Ctre  un  miracle  de  saint  Ignace.  Adieu,  monsieur,  je  vous  quitte 
pour  le  grand  Corneille. 

Nous  aurons  huit  ou  neuf  volumes  in-Zt".  Ils  ne  coûteront  que 
deux  louis  d'or.  On  ne  peut  avoir  du  sublime  à  meilleur  mar- 
ché. Permettez-moi  de  faire  mille  compliments  à  monsieur  votre 
père  et  à  monsieur  votre  frère. 

Votre  obéissant  serviteur.  V. 

4GoO.   —  A  MADAME   D'ÉPI.NAI. 

24  auguste. 

Ma  belle  philosophe,  je  ne  suis  pas  comme  vous  ;  je  suis  très- 
aise  que  frère  Saurin  soit  marié  :  il  fera  de  !)ons  cacouacs,  nous 
en  avons  besoin;  c'est  aux  philosophes  qu'il  appartient  de  faire 
des  enfants.  11  faudrait  que  tous  les  petits  couteaux  qu'on  ven- 
dait pour  châtrer  les  Montsoreau  servissent  aux  Omer,  aux  Joly 
de  Fleury,  et  empêchassent  cette  graine  de  pulluler.  Si  je  me 
mariais,  je  prierais  frère  Saurin  de  faire  des  enfants  à  ma 
femme. 

Je  voudrais  bien,  madame,  vous  voir  avec  vos  sahots,  je  vous 
montrerais  les  miens  ;  vous  me  diriez  s'ils  sont  du  bon  faiseur. 
J'en  ai  réellement  à  Ferney.  J'ai  cédé  les  Délices  au  duc  de 
Villars,  qui  a  toujours  des  souliers  fort  mignons;  mais  malheu- 
reusement il  n'a  point  de  jambes,  et  il  est  venu  prier  Tronchin 
de  lui  en  donner. 

Je  crois  que  j'ai  porté-  malheur  aux  jésuites  ;  vous  savez  que 
je  les  ai  chassés  d'un  petit  domaine  qu'ils  avaient  usurpé  ;  le  par- 
lement n'a  fait  que  m'imiter.  On  me  mande  que  le  parlement 
de  Nancy  a  condamné  frère  Menou  aux  galères  ;  je  crois  l'arrêt 
fort  juste,  car  le  moyen  qu'un  parlement  puisse  avoir  tort!  Frère 
Menou  aurait  bonne  grâce  à  ramer  avec  l'abbé  de  La  Coste; 
mais  le  parlement  de  Nancy  n'est  pas  français,  et  il  n'y  a  point  de 
port  de  mer  en  Lorraine.  Adieu,  madame  ;  Corneille  m'appelle. 
Permettez-moi  mille  compliments  à  tout  ce  qui  vous  environne. 

4G51.  —  A   M.   LE   COMTE   D'ARGENTAL. 

24  auguste. 

Qu'est-ce  que  c'est  donc  que  cette  humeur  qui  persécute  mon 
ange  sur  son  visage  et  sur  sa  main?  Pourquoi  mon  ange  ne  vient- 
il  pas  à  Genève?  Il  y  a  plus  de  six  mois  qu'il  doit  être  entre  les 
mains  des  médecins  de  Paris;  ne  doit-il  pas  savoir  à  quoi  s'en 


ANiNÉE    17G1.  449 

tenir?  Tronchin  est  le  premier  liomme  du  monde  pour  ces 
maux-là.  Le  duc  de  Villars  est  venu  porter  sa  misère  aux 
Délices  :  on  disait  qu'il  y  mourrait  ;  il  se  porte  bien  au  bout  de 
quinze  jours.  L'abbé  d'Héricourt,  gourmand  do  la  grand'cliam- 
bre,  s'est  tué  pour  s'être  baigné  les  jambes  dans  le  lac,  avec  une 
indigestion  ;  mais  les  gens  sages  vivent. 

Je  prévois  que  vous  viendrez  aux  Délices,  et  que  je  serai  le 
plus  beureux  des  hommes  ;  oui,  mes  anges,  vous  y  viendrez. 

Vous  devez  à  présent  savoir  à  quoi  vous  en  tenir  sur  Pierre 
et  Marie  Corneille.  Je  me  donnerai  bien  de  garde  de  faire  im- 
primer un  programme  avant  d'avoir  fait  ma  recrue  de  têtes  cou- 
ronnées; et  quant  aux  particuliers,  c'est  à  prendre  ou  à  laisser. 
Je  ne  me  mêlerai  que  de  bien  travailler. 

Ceux  qui  chipotent  et  qui  s'en  vont  disant  :  «  L'aurous-nous 
in-Zi°,  l'aurons-nous  in-8»?  aurons-nous  pour  deux  louis  huit 
ou  dix  volumes  (avec  trente-trois  estampes)  qui  coûteraient  dix 
louis,  et  (Jui  ne  pourraient  paraître  que  dans  trois  ans?  »  sont  de 
plaisantes  gens  ;  mais  c'est  l'affaire  des  Cramer,  et  non  la  mienne  : 
je  ne  me  charge  que  de  me  tuer  de  travail,  et  de  souscrire. 

J'ai  découvert  enfin  qui  est  l'auteur  du  Droit  du  Seigneur,  ou 
l'Kcueil  du  Sage;  c'est  M.  Legouz^  jeune  maître  des  comptes  de 
Dijon,  et  de  plus  académicien  de  Dijon.  Il  est  bon  de  fixer  le 
public  par  un  nom,  de  peur  que  le  mien  ne  vienne  sur  la  langue. 
Vous  êtes  charmant,  continuez  la  mascarade. 

Divins  anges,  tout  ce  que  vous  me  dites  de  la  Compagnie  in- 
dienne est  bol  et  bon  ;  mais  il  est  dur  de  vendre  sept  cents  francs 
ce  qu'on  a  acheté  quatorze  cents.  Voilà  le  nœud,  voilà  le  mal,  et 
ce  mal  n'est  i)as  le  soûl. 

Comme  j'ai  aujourd'hui  quinze  lettres ^  à  écrire,  et  Pcriharilc 
à  achever,  je  m'arrache  au  doux  plaisir  d'écrire  à  mes  anges,  et 
je  finis  en  remerciant  M.  le  comte  de  Choiseul  pour  la  dame  du 
Fresnoy,  qui  est  grosse  comme  la  tonne  d'ifeidolborg. 

Est-il  vrai  que  frère  Menou  soit  condamné  aux  galères  i)ar  le 
parlement  de  Nancy?  Cela  serait  curieux;  mais  il  y  a  p(Mi  de 
ports  de  mer  en  Lorraine. 

Voilà  donc  monsieur  l'abbé'  coadjulour  grand-cliambrier. 
Les  jésuites  lui  doivent  un  compliment. 

Mille  Icndies  respects. 

1.  Voyez  pufc'c  410. 

2.  Do  CCS  quinze  IcUrcs  on  n'en  a  (ino  qualre  ou  ciii((,  en  y  comptanl  colle  à 
d'AIcmbcrt,  dont  il  a  été  pariô  i>vl'^q  417. 

3.  De  Cliauvelin. 


420  CORKESI'0^"DANCE. 

4G52.  —  A   M.   JACOB  VERBES, 

PASTEUR     A     S  lÎLlGNY. 

Ferne}',  25  auguste  1761. 

Je  suis  Irès-fAché,  monsieur,  que  vous  soyez  si  éloigné  de 
moi.  Vous  devriez  bien  venir  coucher  à  Ferney,  quand  vous  ne 
prêchez  pas;  il  ne  faut  pas  être  toujours  avec  son  troupeau;  on 
peut  venir  voir  quelquefois  les  bergers  du  voisinage. 

Je  n'ai  point  lu  l'Aine  de  M.  Charles  Bonnet'  ;  il  fautqu'il  y  ait 
une  furieuse  tête  sous  ce  bonnet-là,  si  l'ouvrage  est  aussi  bon 
que  vous  le  dites.  Je  serai  fort  aise  qu'il  ait  trouvé  quelques  nou- 
veaux mémoires  sur  l'àme  :  le  troisième  chant  de  Lucrèce  me  pa- 
raissait avoir  tout  épuisé.  Je  n'ai  pas  trop  actuellement  le  temps 
de  lire  des  livres  nouveaux. 

A  l'égard  de  messieurs  les  traducteurs  anglais,  ils  se  pressent 
trop.  Ils  voulaient  commencer  par  VHlstoire  ghùrale  ;  on  leur  a 
mandé  de  n'en  rien  faire,  attendu  que  Gabriel  Cramer  et  Phili- 
bert Cramer  vont  en  donner  une  nouvelle  édition  un  peu  plus 
curieuse  que  la  première.  On  n'avait  donné  que  quelques  souf- 
flets au  genre  humain,  dans  ces  archives  de  nos  sottises;  nous  y 
ajouterons  force  coups  de  pied  dans  le  derrière  :  il  faut  finir 
par  dire  la  vérité  dans  toute  son  étendue.  Si  vous  veniez  chez 
moi,  je  vous  ferais  voir  un  petit  manuscrit  indien-  de  trois  mille 
ans  qui  vous  rendrait  très-ébahi  ', 

Je  vous  embrasse  en  Bco  solo. 


1.  Essai  analytique  sur  les  facultés  de  l'âme.  (K.) 

2.  C'est  celui  dont  il  est  question  dans  la  note  de  M.  Reinaud,  tome  XXVl, 
page  392. 

3.  Les  éditeurs  de  Kehl  et  Bouchot  donnent  iii  un  fragment  qui  n'est  pas  dans 
l'original,  communiqué  à  M.  II.  Beaune  par  M.  Théodore  Vernes,  petit-fils  du  cor- 
respondant de  Voltaire.  Voici  ce  fragment  : 

«  Venez  voir  mon  église  ;  elle  n'est  pas  encore  bénite,  et  on  ne  sait  encore 
si  elle  est  calviniste  ou  papiste.  En  attendant,  j'ai  mis  sur  le  frontispice  :  Deo 
soli*.  Voyez  si  vos  damnés  de  camarades  ne  devraient  pas  avoir  plus  de  tendresse 
pour  moi  qu'ils  n'en  ont.  Votre  plaisant  Arabe**  m'a  abandonné  tout  net,  depuis 
qu'il  est  de  la  barbare  compagnie  :  il  suffit  d'entrer  là  pour  avoir  l'âme  coriace. 
j\e  vous  avisez  jamais  d'endurcir  votre  joli  petit  caractère  quand  vous  serez  de  la 
vénérable. 

«  Mes  compliments  à  M"'"  de  Wolmar,  et  à  son  faux  germe  ***.  » 

•  Dans  sa  lettre  à  d'Argental  du  14  septembre,  Voltaire  donne  autrement  cette  inscrip- 
tion. 

**  Probablement  Abauzit. 

*"  Nouvelle  Uclohc,  première  partie,  lettre  lxiii. 


ANNEE    176  1.  421 


4053.  —  A  M.   COLIM. 


Forncy,  25  auguste. 

Mes  yeux  nie  refusent  encore  le  service.  Je  vous  envoie,  mon 
cher  Florentin,  une  lettre  pour  monseigneur  l'électeur  que  je 
n'ai  pu  écrire  moi-même'.  Nous  n'avons  pas  encore  commencé 
notre  Corneille;  il  n'y  a  que  moi  de  prêt.  S'il  restait  encore  quel- 
que argent  aux  Français  pour  faire  des  souscriptions,  ils  de- 
vraient en  faire  pour  reprendre  Pondichéry;  mais  il  est  plus 
aisé  d'imprimer  Corneille  que  d'avoir  des  flottes.  Nous  voilà  à  peu 
près  comme  les  Italiens,  nous  n'avons  que  la  gloire  des  beaux- 
arts,  et  encore  ne  l'avons-nous  guère.  Adieu  ;  je  voudrais  bien 
vous  revoir  avant  de  mourir,  et  je  l'espère  encore. 

4G5 i.  —  A  -M .  JE  A .\  S C  H  0  U  V A  L 0  W. 

Fernej^  26  auguste. 

Monsieur,  ce  sera  pour  moi  un  honneur  infini,  un  grand  en- 
couragement pour  les  arts,  que  vous  protégez,  et  pour  la  jeune 
héritière  du  nom  de  Corneille,  qu'on  puisse  voir  à  la  tête  des 
souscriptions  le  nom  de  votre  auguste  souveraine,  et  le  vôtre.  Je 
crois  vous  avoir  déjà  mandé  que  le  roi  de  France  souscrit  pour 
la  valeur  de  deux  cents  exemplaires,  et  plusieurs  princes  à  pro- 
portion. Je  me  fais  une  joie  extrême  de  voir  cette  entreprise  ho- 
norable secondée  par  le  Mécène  de  la  Russie. 

Ce  travail  ne  m'empêchera  pas  d'amasser  toujours  des  ma- 
tériaux pour  votre  monument.  Je  ne  rebuterai  rien,  dans  l'espé- 
rance de  trouver  quelque  chose  d'utile  dans  le  fatras  des  plus 
grandes  inutilités.  Je  suis  trompé  quelquefois  dans  mon  calcul  : 
j'acquiers  quchiuefois  de  gros  paquets  de  manuscrits  où  je  ne 
trouve  rien  du  tout,  d'autres  qui  ne  sont  remplis  que  de  satires 
et  d'anecdotes  scandaleuses  que  je  ne  manque  pas  de  jeter  au 
feu,  de  peur  qu'après  moi  quelque  libraire  n'en  fasse  usage. 
Heureusement  toutes  ces  satires  n'étaient  (jue  manuscrites;  et 
s'il  en  est  qu('l(|ues-unes  qui  aient  échappé  à  mes  reclierclies, 
elles  ne  feront  pas  fortune. 

Ma  santé  ne  me  pernicl  |)res(iue  |)lus  de  sortir  de  chez  moi  : 
la  consolation  de  mes  dernières  années  sera  uniquement  de  tra- 

1.  Celte  lettre  manque.  (B.) 


42->  CORRESPONDANCE. 

va  il  loi-  pour  vous,  car  je  compte  que  Corneille  ne  me  coûtera  pas 
plus  de  quatre  à  cinq  mois;  disposez  de  tout  le  reste  de  mes  mo- 
ments. Nous  ne  tarissons  point  sur  le  compte  de  Votre  Excellence, 
M.  de  Soltikof  et  moi;  nous  ne  parlons  de  vous  qu'avec  enthou- 
siasme. Le  cardinal  Passionei  était  le  seul  homme  en  Europe  qui 
vous  ressemblât  :  nous  venons  de  le  perdre  ^  Il  ne  reste  que  vous 
en  Europe  qui  donniez  aux  arts  une  protection  distinguée,  cons- 
tante, et  éclairée;  et  je  vous  regarde,  après  Pierre  le  Grand, 
comme  l'homme  qui  fait  le  plus  de  bien  à  votre  nation. 
J'ai  l'honneur  d'être,  etc. 

4055.   —  A  MADExMOISELLE   CLAIRON. 


Je  me  hâte  de  vous  répliquer,  mademoiselle.  Je  m'intéresse 
autant  que  vous  à  l'honneur  de  votre  art,  et  si  quelque  chose 
m'a  fait  haïr  Paris  et  détester  les  fanatiques,  c'est  l'insolence  de 
ceux  qui  veulent  flétrir  les  talents.  Lorsque  le  curé  de  Saint- 
Sulpice,  Languet,  le  plus  faux  et  le  plus  vain  de  tous  les  hommes, 
refusa  la  sépulture  à  M"'^  Lecouvreur^,  qui  avait  légué  mille 
francs  à  son  église,  je  dis  à  tous  vos  camarades  assemblés  qu'ils 
n'avaient  qu'à  déclarer  qu'ils  n'exerceraient  plus  leur  profession 
jusqu'à  ce  qu'on  eût  traité  les  pensionnaires  du  roi  comme  les 
autres  citoyens  qui  n'ont  pas  l'honneur  d'appartenir  au  roi.  Ils 
me  le  promirent,  et  n'en  tirent  rien.  Ils  préférèrent  l'opprobre 
avec  un  peu  d'argent  à  un  honneur  qui  leur  eût  valu  davantage. 

Ce  pauvre  Iluerne^  vous  a  porté  un  coup  terrible  en  voulant 
vous  servir;  mais  il  sera  très-aisé  aux  premiers  gentilshommes 
de  la  chambre  de  guérir  cette  blessure.  Il  y  a  une  ordonnance 
du  roi,  de  16/jl,  concernant  la  police  des  spectacles,  par  laquelle 
il  est  dit  expressément  :  «  Nous  voulons  que  l'exercice  des  comé- 
diens, qui  peut  divertir  innocemment  nos  peuples  (c'est-à-dire 
détourner  nos  peuples  de  diverses  occupations  mauvaises),  ne 
puisse  leur  être  imputé  à  blâme,  ni  préjudicier  à  leur  réputation 
dans  le  commerce  public.  » 

Et,  dans  un  autre  endroit  de  la  déclaration,  il  est  dit  que, 
s'ils  choquent  les  bonnes  mœurs  sur  le  théâtre,  ils  seront  notés 
d'infamie. 

1.  Voyez  tome  XXXVI,  page  42i. 

2.  Voyez  tome  XXII,  page  G9;  et,  tome  IX,  la  pièce  intitulée  la  Mort  de 
ili"<^  Lecoiivreur. 

3.  Voyez  la  note,  tome  XXIV,  page  239. 


ANNÉE    17GI.  423 

Or,  comme  un  prêtre  serait  noté  d'infamie  s'il  choquait  les 
bonnes  mœurs  dans  l'église,  et  qu'un  prêtre  n'est  point  infâme 
en  remplissant  les  fonctions  de  son  état,  il  est  évident  que  les 
comédiens  ne  sont  point  infimes  par  leur  état,  mais  qu'ils  sont, 
comme  les  prêtres,  des  citoyens  payés  par  les  autres  citoyens 
pour  parler  en  public  bien  ou  mal. 

Vous  remarquerez  que  cette  déclaration  du  roi  fut  enret^istrée 
au  parlement. 

Il  ne  s'agit  donc  que  de  la  faire  renouveler.  Le  roi  peut 
déclarer  que,  sur  le  compte  à  lui  rendu  par  les  quatre  premiers 
gentilshommes  de  sa  chambre,  et  sur  sa  proi)re  expérience,  que 
jamais  ses  comédiens  n'ont  contrevenu  à  la  déclaration  de  16/il, 
il  les  maintient  dans  tous  les  droits  de  la  société,  et  dans  toutes 
les  prérogatives  des  citoyens  attachés  particulièrement  à  son 
service  :  ordonnant  à  tous  ses  sujets,  de  quelque  état  et  condi- 
tion qu'ils  soient,  de  les  faire  jouir  de  tous  leurs  droits  naturels 
et  acquis,  en  tant  que  besoin  sera.  Le  roi  peut  aisément  rendre 
cette  ordonnance,  sans  entrer  dans  aucun  des  détails  qui  se- 
raient trop  délicats. 

Après  cette  déclaration,  il  serait  fort  aisé  de  donner  ce  qu'on 
appelle  les  honneurs  de  la  sépulture,  malgré  la  prêtraille,  au 
premier  comédien  qui  décéderait.  Au  reste,  je  compte  faire 
usage  des  décisions  de  monsignor  Cerati,  confesseur  de  Clé- 
ment XII,  dans  mes  notes  sur  Corneille^ 

Venons  maintenant  aux  pièces  que  vous  jouerez  cet  aul(unne. 
Vous  faites  très-bien  de  commencer  par  celle  de  M.  Cordier-  :  il 
ne  faut  pas  lasser  le  public  en  le  bourrant  continuellement  des 
pièces  du  même  homme.  Ce  public  aime  passionnément  à  siffler 
le  même  rimailleur  qu'il  a  applaudi  ;  et  tout  l'art  de  M""  Clairon 
n'ôtera  jamais  au  parterre  cette  bonne  volonté  attachée  à  l'es- 
pèce humaine. 

Pour  le  Tancrctle  de  Praiilt,  il  est  imperlinenl  d'un  bout  à 
l'autre.  Pour  ce  vers  barbare  '  : 

Clici-  Tiincrodo,  ô  toi  seul  qui  incMitas  ma  foi! 

quel  est  rignoiaiil  (|iii  a  fait  ce  vers  abominable?  quoi  est  l'Allo- 
brogf  (jiii  a  Ici'iiiIim'  im   ii('iiiisticli(>  par  le  tenue  sml  .sui\i  d'un 


1.  Voyez  tomo  XXXI,  paf,'!»  519. 

2.  Zaruicma,  Inicrdio,  par  l'ubbé  Edmond  Cordiii-  de  Saini-Fiimiii  (né  ii  Oi 
léans  vers  1730,  mort  vers  1X10),  ne  fut  jouée  que  le  17  mars  \',(\1. 

3.  Voyez  tome  V,  page  500. 


424  CORRIÎSI'ONDANCE. 

qui?  Il  faut  ignorer  les  premières  règles  tic  la  versification  pour 
écrire  ainsi.  Les  gens  instruits  remarquent  ces  sottises,  et  une 
bouche  comme  la  vôtre  ne  doit  pas  les  prononcer.  Cela  res- 
semble à  ce  vers  : 

La  belle  Phyllis,  qui  brûla  pour  Corydon. 

J'ai  maintenant  une  grûce  à  vous  demander  :  on  m'écrit 
qu'on  vous  a  lu  une  comédie  intitulée  l'Écueil  du  Sage,  et  que 
quelques-uns  de  vos  camarades  font  courir  le  bruit  que  cette 
pièce  est  de  moi.  Vous  sentez  bien  qu'étant  occupé  à  des  ouvrages 
qui  ont  besoin  de  vos  grands  talents,  je  n'ai  pas  le  temps  de  tra- 
vailler pour  d'autres.  Je  serais  trcs-mortifié  que  ce  bruit  s'accré- 
ditât, et  je  crois  qu'il  est  de  votre  intérêt  de  le  détruire.  Votre 
comédie  peut  tomber;  et  si  la  malice  m'impute  cet  ouvrage, 
cela  peut  faire  grand  tort  à  la  tragédie  à  laquelle  je  travaille. 
Parlez-en  sérieusement,  je  vous  en  prie,  à  vos  camarades;  je 
suis  très-résolu  à  ne  leur  donner  jamais  rien  si  on  m'impute  ce 
que  je  n'ai  pas  fait.  Ce  qu'on  peut  hardiment  m'attribuer,  c'est 
la  plus  sincère  admiration  et  le  plus  grand  attachement  pour 
vous. 

4656.    —    A   MADAME    BELOTi. 

Au  château  de  Fcrney,  par  Genève,  27  auguste. 

Je  suis  fâché,  madame,  de  m'intéresser  si  inutilement  k  vous  ; 
mais  je  crois  que  vous  faites  fort  bien  de  prendre  le  parti  qu'on 
vous  conseille.  Les  typographes  de  Paris  sont  bien  plus  en  état 
de  faire  un  bon  parti  que  les  typographes  de  Genève,  attendu 
que  les  frais  sont  moins  considérables  à  Paris,  et  que  ceux 
du  transport  sont  immenses. 

D'ailleurs,  vous  jouirez  bien  plus  tôt  de  votre  réputation  et 
du  petit  avantage  qui  peut  la  suivre  en  faisant  travailler  à  Paris. 
Votre  ouvrage^  paraîtra  deux  jours  après  l'impression;  et  dans 
votre  premier  plan  il  paraîtrait  six  mois  après.  Ainsi,  à  marché 
égal,  vous  y  gagneriez  encore  beaucoup.  Je  pense  qu'il  n'y  a  pas 
à  balancer. 

Je  suis  très-flatté  que  M.  de  Valori  veuille  bien  se  souvenir  de 
moi.  Si  vous  le  voyez,  madame,  je  vous  serai  très-obligé  de  lui 
présenter  mes  très-humbles  obéissances. 

1.  Éditeurs,  de  Cayrol  et  François. 

2.  Une  traduction  de  Hume,  qu'elle  voulait  faire  imprimer  à  Genève.  (A.  F.) 


ANNÉE    176  1.  425 

Il  me  semble  que  les  nouvelles  sont  de  jour  en  jour  plus  affli- 
geantes. Ce  temps-ci  n'est  guère  favorable  aux  lettres,  et  je  doute 
qu'il  en  vienne  un  plus  heureux.  Il  y  a  bien  des  gens  qui  n'achè- 
tent point  de  livres,  parce  qu'ils  n'ont  point  de  quoi  acheter  un 
habit.  Ce  n'est  plus  le  temps  où  l'on  avait  vingt  aunes  de  drap 
sur  un  billet  signé  GermanicusK  Je  plains  le  siècle;  il  est  aussi 
infortune  que  ridicule. 

Vous  me  parlez,  madame,  de  M.  Forbonnais*;  il  ne  sait  pas 
les  obligations  que  je  lui  ai  :  c'est  l'homme  du  monde  avec  le- 
quel je  me  suis  le  plus  instruit, 

4657.  —  A   M.   LE    COMTE    D'AP.GENTAL. 

Ferney,  28  auguste. 

Mes  anges  verront  que  je  ne  suis  pas  paresseux  ;  ils  s'amuse- 
ront de  Pohjeucle.  Quand  ils  s'en  seront  amusés,  ils  pourront  le 
donner  à  monsieur  le  secrétaire  perpétuel,  à  condition  que  mon- 
sieur le  secrétaire  rendra  à  mes  divins  anges  l'épîtrc  dédicatoire, 
le  Cid,  Horace,  et  Ciima.  Mais  vous  verrez  que  l'Académie  mettra 
beaucoup  plus  de  temps  à  éplucher  mes  remarques  que  je  n'eu 
ai  mis  à  les  faire. 

Je  crois  malheureusement  que  l'entreprise  ira  à  dix  volumes; 
cela  me  fait  trembler  :  le  temps  devient  tous  les  jours  moins  fa- 
vorable, mais  je  n'en  travaillerai  pas  moins.  M.  de  Montmartcl 
me  mande  que  c'est  une  opération  de  finance  fort  difficile.  Il  ne 
veut  pas  même  s'engager  h  donner  des  billets  payables  dans 
neuf  mois.  Voilà  ce  que  c'est  que  d'être  battu  dans  les  quatre 
parties  du  monde  :  cela  serre  les  cœurs  et  les  bourses.  Le  public 
fait  trop  de  commentaires  sur  la  perte  du  Canada  et  dos  Indos 
orientales,  et  sur  les  trois  vingtièmes,  pour  se  soucier  beaucoup 
des  Comyncnlaires  sur  Corneille.  Il  me  semble  que  tout  va  ûc  tra- 
vers, hors  ce  qui  dépend  uniquement  de  moi  ;  cela  n'est  pas  mo- 
deste, mais  cela  est  vrai.  Je  commence  même  à  croire  ([u'un 
certain  drame  ébauché^  fera  un  assez  passable  ell'et  au  théâtre, 
si  Dieu  me  prête  vie. 

Vous  lri(»Mi|)boz,  nous  m'avez  l'cuiis  tout  oiilicr  nu  /;//*(»/,  que 
j'avais  abandonné;  mais  je  suis  toujours  éixnnanté  (ju'on  ail  le 


i.  C'est  la  proposition  que  Prailon,  autour  de  Gcnminicu.i,  fit  à  un  drapier. 

2.  Célt'-ijre  économiste. 

3.  Don  l'èdre;  voyez  tome  VII,  p;i|^c  "237. 


426  COUIIKSPONDANCE. 

front  de  s'amuser  à  Paris,  et  d'aller  au  spectacle,  comme  si  nous 
venions  de  faire  la  paix  de  Nimèguc. 

Est-il  vrai  qu'on  va  jouer  une  comédie  moitié  bouffonne, 
moitié  intéressante,  comme  je  les  aime?  est-il  vrai  qu'elle  est  de 
M.  Legouz  \  auditeur  des  comptes  de  Dijon?  est-il  vrai  qu'il  y  a 
un  rôle  d'Acanthe  que  vous  aimez  autant  que  Nanine?  Qui  joue 
ce  rôle  d'Acanthe?  est-ce  M"°  Gaussin?  est-ce  M''"  lins? 

Que  devient  votre  humeur?  levons  connais  une  humeur  fort 
douce  ;  mais  celle  qui  attaque  les  yeux  est  fort  aigre.  TAcliez 
donc  d'être  assez  malade  pour  venir  vous  faire  guérir  par  Tron- 
chin  ;  cela  serait  bien  agréable. 

Je  baise,  en  attendant,  le  bout  des  ailes  de  mes  anges. 


4658.  —  A   M.    LE    COMTE   D'ARGEMAL. 

Ferney,  •>!  aug-uste. 

On  est  un  peu  importun  ;  on  présente  Pompée  aux  anges, 
accompagné  d'une  lettre  à  monsieur  le  secrétaire  perpétuel, 
lequel  a  renvoyé  les  Homces  avec  quelques  notes  académiques. 
Mes  anges  sont  suppliés  de  donner  Pompée  avant  Pohjcucte.  Je  traite 
Corneille  tantôt  comme  un  dieu,  tantôt  comme  un  cheval  de 
carrosse;  mais  j'adoucirai  ma  dureté  en  revoyant  mon  ouvrage. 
Mon  grand  objet,  mon  premier  objet  est  que  l'Académie  veuille 
bien  lire  toutes  mes  observations,  comme  elle  a  lu  celles  des 
Horaces  :  cela  seul  peut  donner  à  l'ouvrage  une  autorité  qui  en 
fera  un  ouvrage  classique.  Les  étrangers  le  regardent  comme 
une  école  de  grammaire  et  de  poésie. 

Mes  anges  rendront  un  vrai  service  à  la  littérature  et  à  la 
nation  s'ils  engagent  tous  leurs  amis  de  l'Académie,  et  les  amis 
de  leurs  amis,  à  prendre  mon  entrei)rise  extrêmement  à  cœur. 
Il  faut  tâcher  que  tout  le  monde  en  soit  aussi  enthousiasmé  que 
moi.  PJen  ne  se  fait  sans  un  peu  d'enthousiasme. 

Quand  joue-t-on  le  Droit  du  Seujneur,  et  qui  joue? 

Tout  va-t-il  de  travers  comme  de  coutume  ? 

4659.  —  A  M.   DU  CL  os. 

31  auguste. 

J'ai  reçu,  monsieur,  l'épître  dédicatoire,  la  préface  sur  le  Cid, 
et  les  remarques  sur  les  Horaces.  Je  crois  que  l'Académie  rend  un 


1.  Voyez  la  note,  page  416. 


ANNÉE    4761.  427 

très-grand  service  à  la  littérature  et  à  la  nation,  en  dai,G:nant 
examiner  un  ouvrage  qui  a  pour  but  l'honneur  de  la  France  et 
de  Corneille.  Voilà  la  véritable  sanction  que  je  demande;  elle 
consiste  à  nVinstruire.  Il  faut  toujours  avoir  raison,  et  un  parti- 
culier ne  peut  jamais  s'en  flatter.  Je  trouve  toutes  les  notes  sur 
mes  observations  très-judicieuses.  Il  n'en  coûte  qu'un  mot  dans 
vos  assemblées;  et,  sur  ce  mot,  je  me  corrige  sans  difficulté  et 
sans  peine  :  c'est  la  seule  façon  de  venir  à  bout  de  mon  entre- 
prise. Je  remercie  infiniment  la  compagnie,  et  je  la  conjure  de 
continuer.  Je  lui  envoie  des  choses  un  peu  indigestes;  mais,  sur 
ses  avis,  tout  sera  arrangé,  soigné  pour  le  fond  et  pour  la  forme; 
et  je  ne  ferai  rien  annoncer  au  public  que  quand  j'aurai  soumis 
au  jugement  de  l'Académie  les  observations  sur  les  principales 
pièces  de  Corneille.  Plus  cet  ouvrage  est  attendu  de  tous  les 
gens  de  lettres  de  l'Europe,  plus  je  crois  devoir  me  conduire  avec 
précaution.  Je  ne  prétends  point  avoir  d'opinion  à  moi;  je  dois 
être  le  secrétaire  de  ceux  qui  ont  des  lumières  et  du  goût.  Rien 
n'est  ])lus  capable  de  fixer  notre  langue,  qui  se  parle  à  la  vérité 
dans  l'Europe,  mais  qui  s'y  corrompt.  Le  nom  de  Corneille  et  les 
bontés  de  l'Académie  opéreront  ce  que  je  désire. 

Quant  aux  honneurs  qu'on  rendait  à  ce  grand  homme  S  je 
sais  bien  qu'on  battait  des  mains  quelquefois  quand  il  rci)arais- 
sait  après  une  absence  ;  mais  on  en  a  fait  autant  à  M""  Camargo  -. 
Je  peux  vous  assurer  que  jamais  il  n'eut  la  considération  qu'il 
devait  avoir.  J'ai  vu,  dans  mon  enfance,  beaucoup  de  vieillards 
qui  avaient  vécu  avec  lui  :  mon  père,  dans  sa  jeunesse,  avait  fré- 
quenté tous  les  gens  de  lettres  de  ce  temps;  plusieurs  venaient 
encore  chez  lui.  Le  bonhomme  Marcassus^  fils  de  l'auteur  de 
VHistoire  grecque,  avait  été  l'ami  de  Corneille.  Il  mourut  chez  mon 
père,  à  l'Age  de  quatre-vingt-quatre  ans.  Je  me  souviens  de  tout 
ce  (ju'il  nous  contait,  comme  si  je  l'avais  entendu  hier.  Soyez  sûr 
que  Corneille  fut  négligé  de  tout  le  monde,  dans  les  dernières 
vingt  années  de  sa  vie.  Il  me  semble  que  j'entends  encore  ces 
bons  vieillards  Marcassus,  Réminiac,  Tauvières,  Régnier,  gens 
aujourd'hui  très-inconnus,  en  i)nrler  avec  indignation.  Eh  !  ne 
reconnaissez-vous  pas  là,  messieurs,  la  nature  liuiuaine?  Le  con- 
traire serait  un  jjrodige. 


i.  Vojcz  ci-apn'-s  la  Icttiv  à  rabln;  d'Olivot,  n"  .'»r.(')ri. 

2.  Danseuse  célèbre. 

3.  Dont   Voltaire  parle  tome   XXIII,   paçrc  1(18,  et  qui  était  fils  de  Ticrre   di 
Marcassus,  m';  en  158i,  mort  on  ICOi. 


428  CORRESPONDANCE. 

C'est  une  raison  de  plus  pour  vous  intéresser  au  monument 
que  j'élève  à  sa  gloire.  Présentez,  je  vous  prie,  monsieur,  mes 
remerciements  et  mes  respects  à  la  compagnie,  etc. 

4GC0.  -     A   M.   D  '  A L E  .M  V,  E  l\  T. 

31  auguste. 

Messieurs  de  l'Académie  françoise  ou  française,  prenez  bien 
cl  cœur  mon  entreprise,  je  vous  en  prie;  ne  manquez  pas  les 
jours  des  assemblées;  soyez  bien  assidus.  Y  a-t-il  rien  de  plus 
amusant,  s'il  vous  plaît,  que  d'avoir  un  Corneille  à  la  main,  de  se 
faire  lire  mes  observations,  mes  anecdotes,  mes  rêveries,  d'en 
dire  son  avis  en  deux  mots,  de  me  critiquer,  de  me  faire  faire 
un  ouvrage  utile,  tout  en  badinant?  J'attends  tout  de  vous,  mon 
cher  confrère. 

Il  me  paraît  que  M.  Duclos  s'intéresse  à  la  chose.  Je  me  flatte 
que  vous  vous  en  amuserez,  et  que  je  verrai  quelquefois  de  vos 
notes  sur  mes  marges.  Encouragez-moi  beaucoup,  car  je  suis 
docile  comme  un  enfant;  je  ne  veux  que  le  bien  de  la  chose; 
j'aime  mieux  Corneille  que  mes  opinions;  j'écris  vite,  et  je  cor- 
rige de  même  ;  secondez-moi,  éclairez-moi,  et  aimez-moi. 

4661.   —  DK    M.   WILLIAM   PITT '. 

Saint-James's  square,  septembre  4,  1761. 

The  pressure  of  business  is  but  a  feeble  reason  for  having  deferred 
answering  the  lionour  of  a  lelter  from  M.  de  Voltaire,  and  on  so  interesting 
a  subjecl.  For  who  so  insensible  to  the  true  spirit  of  poetry,  as  not  to  ad- 
mire the  Works  and  respect  Iho  poslerity  of  the  great  Corneille?  Or  what 
more  flattering  than  to  second,  in  any  manner,  those  pious  cares  oiïered  to 
the  mânes  of  the  founder  of  French  tragedy  by  the  genius  wiio  was  reser- 
ved  to  perfect  it? 

1  feel  the  high  value  of  the  favourable  sentiments  you  are  so  good  as  to 
express  on  my  suliject,  and  am  happy  in  this  occasion  of  assuring  you  of 
the  distinguishcd  considération  witli  which  I  hâve  the  honour  (o  bs^,  etc. 

W.    PiTT. 

1.  Môme  source  que  la  lettre  4613. 

2.  Traduction  :  L'embarras  des  affaires  n'est  qu'un  faible  motif  pour  avoir  dif- 
féré de  répondre  à  l'honneur  d'une  lettre  de  M.  de  Voltaire,  et  sur  un  sujet  aussi 
intéressant.  Qui  peut  être,  en  effet,  assez  insensible  aux  charmes  de  la  poésie 
pour  ne  pas  admirer  les  ouvrages  et  respecter  les  descendants  du  grand  Corneille? 
Est-il  rien  de  plus  honorable  que  de  seconder,  de  toutes  les  manières  possibles, 
les  pieux  hommages  rendus  à  la  mémoire  du  fondateur  de  la  tragédie  française 
par  le  génie  à  qui  il  était  réservé  de  la  perfectionner? 

Je  sens  tout  le  prix  des  sentiments  flatteurs  que  vous  voulez  bien  m'adresser, 


ANNEE    17  6  1.  4î9 


4662.  —  A   M.    LE    CO.MTE   D'ARGENTAL. 

5  septembre. 

Mes  divius  anges,  quand  vous  voudrez  des  commentaires  cor- 
néliens, vous  n'avez  qu'à  tinter.  M.  de  La  Marclic,  qui  arrive,  ne 
m'empêchera  pas  de  travailler.  Je  l'ai  trouvé  en  très-bonne  santé. 
Il  est  gai,  il  ne  paraît  pas  qu'il  ait  jamais  soufl'ert.  Aous  avons 
commencé  par  parler  de  vous;  et  j'interromps  le  torrent  de  nos 
paroles  pour  vous  le  mander.  Est-il  possible  que  vous  ne  m'ayez 
pas  mandé  le  ministère  de  M.  le  comte  de  Cboiseul,  et  que  je 
l'apprenne  par  le  public?  Ah  !  mes  anges,  que  je  suis  fâché  contre 
vous  ! 

Toute  votre  cour  de  Parme  souscrit  pour  notre  Corneille; 
votre  prince  S  pour  trente  exemplaires.  M.  du  Tillot,  M.  le  comte 
de  Rochechouart,  souscrivent.  La  liste  sera  belle.  Je  voudrais 
savoir  comment  vous  avez  trouvé  la  lettre  à  mou  cicéronien 
Olivet  '-. 

Vous  doutiez-vous  que  le  germe  à' Andromaqm  fût  dans  Pcr- 
thorite?  il  y  a  des  choses  curieuses  à  dire  sur  les  pièces  les  plus 
délaissées.  L'ouvrage  devient  immense;  mais,  malgré  cela,  j'es- 
père qu'il  sera  très-ulile.  11  fera  dix  volumes  in-/i°,  ou  treize  in-S'^  ^ 
^'importe,  je  travaillerai  toujours,  et  les  Cramer  s'arrangeront 
comme  ils  pourront  et  comme  ils  voudront. 

Y  a-t-il  quelque  nouvelle  du  Droit  du  Seigneur?  M.  Legouz '' 
vous  enverra  une  plaisante  préface". 

Mes  anges,  je  baise  le  bout  de  vos  ailes. 

4603.   —  A   M.   DAM  IL  A  VILLE. 

Le  7  septembre. 

Comment,  morbleu!  frère  Damilaville,  (jui  est  à  la  lélo  do 
trente  bureaux,  se  donne  de  la  peine  pour  \v,s  frères,  se  tré- 
mousse, écrit  ;  et  frère  Thieriot,  (jui  n'a  rieu  à  faire,  ne  nous 

cl  je  saisis  avec  bnnlicur  coUc  occasion  de  vous  assurer  de  la  considération  très- 
dislinguùe  avec  laquelle  j'ai  l'honneur  d'ùtre,  etc. 

1.  Don  l'liilii)|)e,  duc  de  Panne,  né  le  15  mars  1720,  mort  le  18  juillet  1705. 

2.  La  lettre  du  20  auguste;  voye/,  n"  iliij. 

3.  L'édition  forma  douze  volumes  in-S". 

4.  Voyez  pa;,'c  410. 

.5.  Cette  Préface,  dont  Vnliaire  reparle  encore  dans  sa  lettre  du  7  septembre, 
110  nous  est  pas  parvenue,  {li.) 


430  CORRKSPONDANCE. 

lionne  pas  la  moindre  nouvelle!...  il  écrit  une  foison  un  mois!... 
Quel  paresseux  nous  avons  là!  Vive  frère  Damilaville! 

Un  de  nos  frères  m'a  régalé  d'un  !,n-os  paquet  qui  contient  un 
gros  poème  en  cinq  gros  chants,  intitulé  la  Religion  d'accord  avec 
la  Raison.  Je  ne  doute  en  aucune  manière  de  cet  accord;  mais 
les  frères  me  condamnent-ils  à  lire  tant  de  vers  sur  une  chose 
dont  je  suis  si  persuadé?  Je  n'ai  pas  un  moment  à  moi,  et  ma 
faible  santé  ne  me  permet  pas  une  correspondance  bien  étendue. 
L'auteur,  nommé  M.  Duplessis  de  La  Hauterive,  est  sans  doute 
connu  de  mes  frères.  Je  les  supplie  de  me  plaindre  et  de  m'ex- 
cuser  auprès  de  M.  de  La  Hauterive;  je  mets  cela  sur  leur  con- 
science. 

Frère  Thieriot  ne  me  mande  point  comment  on  a  distribué 
les  rôles  de  la  pièce  de  M.  Legouz.  Ce  n'est  pas  que  je  m'en  sou- 
cie; mais  ce  M.  Legouz  est  un  homme  très-vif  et  très-impatient. 
J'ai  souvent  des  disputes  avec  lui.  Il  veut  bien  qu'une  comédie 
intéresse,  mais  il  prétend  qu'il  doit  toujours  y  avoir  du  plaisant. 
Il  m'a  presque  converti  sur  cet  article,  et  je  commence  à  croire 
qu'on  a  besoin  de  rire. 

Je  me  plains  de  Thieriot;  mais  mon  académicien  de  Dijon  se 
plaindra  bien  davantage  si  les  comédiens  ajoutent  la  moindre 
chose  au  Droit  du  Seigneur.  Ils  le  gâteraient  infailliblement,  comme 
ils  gâtèrent  l'Enfant  prodigue.  Je  serai  plus  inflexible  pour  les 
ouvrages  de  mes  amis  que  je  ne  l'ai  été  pour  les  miens.  On  a  fait 
tout  ce  qu'on  a  pu,  dans  Tancrède,  pour  me  rendre  ridicule;  je 
ne  souffrirai  pas  qu'on  en  use  ainsi  avec  mon  petit  académicien. 

J'ai  chez  moi  l'abbé  Goyer.  Je  suis  encore  à  concevoir  les  rai- 
sons pour  lesquelles  on  l'a  fait  voyager  quelque  temps  ^  ;  il  faut 
que  j'aie  l'esprit  bien  bouché. 

Je  m'unis  toujours  aux  prières  des  frères,  et  je  salue  avec  eux 
l'Être  des  êtres. 

4G64.  —  A  M.  LE   COMjTE  D'ARGENTAL. 

7  septembre. 

Mes  divins  anges,  la  nouvelle  du  ministère  de  M.  le  comte  de 
Choiseul  n'est  donc  pas  vraie ,  puisque  vous  ne  m'en  parlez  pas 
dans  votre  lettre  terrible  du  21  auguste?  Je  lui  ai  fait  mon  com- 
pliment sur  la  foi  des  gazettes.  Si  la  nouvelle  est  fausse,  mon 

i.  La  publication  dcVIJistoirc  de  Sobieski;  voyez  la  lettre  4508. 


ANNÉE     176  1.  431 

compliment  subsiste  toujours,  comme  tlit  Dacier  :  Ma  remarque, 
dit-il,  peut  être  trouvée  mauvaise,  mais  elle  restera. 

Mes  cliers  anges,  il  est  vrai  qu'il  y  a  un  Legouz  à  Dijon, 
parent  de  M.  de  La  Marche'.  Faisons  donc  comme  Xollet,  qui 
avait  imaginé  une  M""'  Truchot,  avec  laquelle  il  couchait  régu- 
lièrement; quand  il  l'eut  vue,  il  lui  dit,  pour  s'excuser,  qu'il  n'y 
coucherait  plus.  J'ai  demandé  à  M.  de  La  Marche  le  nom  de 
quelques  académiciens  de  Dijon,  mes  confrères  ;  il  ma  nommé 
un  Picardet.  Picardet  me  paraît  mon  affaire.  Je  veux  que  Picardet 
soit  l'auteur  du  Droit  du  Seigneur.  Picardet  est  mon  homme.  Voici 
donc  la  préface  de  Picardet"-  ;  puisse-t-clle  amuser  mes  anges! 

Je  vous  dis,  moi,  qu'il  y  a  plus  de  trente  fautes  dans  l'édition 
de  Prault;  que  Prault  fils  est  un  franc  fieux.  Et,  s'il  vous  plaît, 
pourquoi  prenez-vous  son  parti  ?  que  vous  importe?  en  quoi,  mes 
anges,  les  négligences  de  Prault  peuvent-elles  retomber  sur  vous? 
qu'a  de  commun  Prault  avec  mes  anges? 

C'est,  ce  me  semble,  M"'  Quinault  qui  me  retrancha  de  VEn- 
fant  prodigue  des  vers  que  M""^  de  Pompadour  voulut  absolument 
dire  quand  elle  le  joua,  et  que  tout  le  monde  comique  veut  réci- 
ter. Qu'est-ce  que  cela  vous  fait?  Pour  Dieu,  laissez-moi  crier  sur 
mes  vers  : 

Paris  est  au  roi, 

Mes  vers  sont  à  moi  ; 

Je  veux  m'en  réjouir, 

Selon  mon  plaisir^. 

Vous  me  mandez  douze,  Parme  dit  trente;  voici  le  nœud: 
c'est,  à  ce  que  je  présume,  qu'on  avait  d'abord  dit  douze,  et  qu'en- 
suite on  a  eu  la  noble  vanité  des  trente.  Puisse  mon  Commentaire 
ne  pas  aller  à  trente  volumes!  Mais  je  vois  qu'il  sera  prolixe.  Les 
Cramer  feront  tout  comme  ils  voudront  :  les  détails  me  pilent, 
comme  dit  Montaigne'*. 

Songez  que  j'ai  trente-deux  pièces^  ù  commenter,  dont  dix- 

1.  Voyez  page  ilG. 

2.  On  n'a  point  trouvé  cette  préface.  (K.)  —  Voyez  tome  VI,  page  3. 
:{.  Parodie  de  la  ciianson  populain-,  sur  l'air  do  la  Cauiargo  : 

Paris  est  au  roi, 

Mon  .  .  ost  à  moi,  etc.  (B.) 

•i.  Montaigne  parle  de  la  mort,  et  dit  :  «  Je  la  gouniiaiide  en  bloc  :  par  le  menu 
elle  me  pille.  »  (Livre  Ml,  cliap.  iv,  dixiè.me  alinéa.) 

5.  Dans  son  Siècle  de  Louis  XIV  (voyez  tome  XIV,  page  ô7),  Voltaire  dit  que 
P.  Corneille  a  composé  trente-trois  pièces.  S'il  n'en  compte  ici  que  trente-deux, 
c'est  qu'il  ne  compte  pas  Psyché,  que  Corneille  lit  avec  Molière,  cl  qu'on  a  lou- 


432  COKRESPONDANCE. 

huit  inlisiblcs;  plaignez-moi,  encouragez-moi,  ne  me  grondez 
pas,  et  aimez  votre  créature,  qui  baise  le  bout  de  vos  ailes. 

4CG5.  —  A  MADAMK   LA    DUCIIESSK  DE   SAXE-GOTHA». 

A  Ferncy,  7  septembre*. 

Madame,  j'ai  aujourd'hui  deux  yeux.  Je  m'en  suis  servi  bien 
heureusement  pour  lire  la  lettre  dont  Votre  Altesse  sérénissime 
m'honore,  et  ils  conduisent  ma  main,  que  mou  cœur  conduit 
toujours  quand  j'ai  l'honneur  de  vous  écrire.  Je  me  hùte  de  pro- 
fiter de  la  grâce  que  me  fait  la  nature  de  me  rendre  des  yeux, 
car  peut-être  me  les  ôtera-t-elle  demain. 

On  ne  s'attendait  \)i\s,  ce  me  semble,  madame,  que  le  roi 
d'Angleterre  envoyât  chercher  si  loin  une  femme  ^  ;  il  en  aurait 
trouvé  de  bien  aimables  et  de  bien  élevées  sur  la  route.  Rien 
n'arrive  de  ce  qui  est  vraisemblable.  La  plus  belle  chose  qu'on 
ait  jamais  vue  contre  la  vraisemblance,  c'est  un  prince*  de  l'em- 
pire qui  s'est  défendu  seul  pendant  six  ans  contre  les  trois  quarts 
de  l'Europe  ;  mais  ce  que  tout  le  monde  devait  bien  prévoir,  c'est 
le  rôle  pitoyable  que  nous  avons  joué  sur  mer,  la  perte  de  nos 
colonies  et  la  perte  de  notre  argent. 

Je  me  console  avec  Corneille  de  nos  désastres  :  nous  com- 
mencerons incessamment  l'impression  des  tragédies  et  du  com- 
mentaire; tout  est  examiné  auparavant  par  l'Académie  française. 
Il  faut  que  cet  ouvrage  serve  à  fixer  la  langue,  et  qu'il  ait  une 
authenticité  qui  serve  à  jamais  d'instruction  et  de  règle.  L'Aca- 
démie seule  pouvait  donner  une  telle  autorité  à  mes  doutes,  et 
c'est  elle  qui  décide.  Votre  protection,  madame,  est  mon  plus 
grand  encouragement.  Llouvrage  sera  donné  tome  à  tome,  et  eu 
contiendra  plus  de  dix. 

Le  papier  me  manque  pour  dire  à  Votre  Altesse  sérénissime 
combien  je  suis  pénétré  de  ses  bontés,  et  pour  me  mettre  à  ses 
pieds. 


jours  mise  dans  les  œuvres  de  ce  dernier,  et  rarement  dans   celles   du  père  du 
théâtre  français. 

Voltaire  n'a  pas  compris  Psyché    dans  son  édition  de  Corneille.  11  a  parlé   de 
cette  pièce  dans  sa  Vie  de  Molière;  voyez  tome  XXllI,  page  123. 

1.  Éditeurs,  Bavoux  et  François. 

2.  Cette  lettre  est  de  17GI,  et  non  do  1763. 

3.  ^'oyez  la  lettre  à  la  même,  du  0  novembre. 

4.  Frédéric  II. 


ANNEE    1761.  433 

iGCG.   —  A   M.   L'ABBÉ   D'OLIVET. 

Septembre*. 

Je  vous  jure,  mon  cher  Cicéron,  que  le  chanoine  de  Reiras  a 
très-mal  vu.  Les  princes  du  sang  se  sont  mis  en  possession  de 
venir  prendre  la  première  place  sur  les  hancs  du  théâtre,  quand 
il  y  avait  des  hancs,  et  il  fallait  hien  qu'on  se  levât  pour  leur  faire 
place;  mais  assurément  Corneille  ne  venait  pas  déranger  tout 
un  hanc,  et  faire  sortir  la  personne  qui  occupait  la  première 
place  sur  ce  hanc.  S'il  arrivait  tard,  il  était  debout;  s'il  arrivait 
de  honne  heure,  il  était  assis.  Il  se  peut  faire  qu'ayant  paru  à  la 
représentation  de  quelqu'une  de  ses  honncs  pièces,  on  se  soit  levé 
pour  le  regarder,  qu'on  lui  ait  hattu  des  mains.  Hélas!  à  qui  cela 
n'arrive-t-il  pas?  Mais  qu'il  ait  eu  des  distinctions  réelles,  qu'on 
lui  ait  rendu  des  honneurs  marqués,  que  ces  honneurs  aient 
passé  en  usage  pour  lui,  c'est  ce  qui  n'est  ni  vrai,  ni  vraisem- 
hlable,  ni  même  possible,  attendu  la  tournure  de  nos  esprits  fran- 
çais. Croyez-moi,  le  pauvre  liomme  était  négUgé  comme  tout  grand 
homme  doit  l'être  parmi  nous.  Il  n'avait  nulle  considération,  on 
se  moquait  de  lui  ;  il  allait  à  pied ,  il  arrivait  crotté  de  chez  son 
lihraire  à  la  comédie  ;  on  siffla  ses  douze  dernières  pièces  :  à  peine 
trouva-t-il  des  comédiens  qui  daignassent  les  jouer.  Oubliez- 
vous  que  j'ai  été  élevé  dans  la  cour  du  Palais  par  des  personnes 
qui  avaient  vu  longtemps  Corneille?  Ce  qu'on  nous  dit  dans  notre 
enfance  nous  fait  une  impression  durable,  et  j'étais  destiné  à  ne 
rien  oublier  de  ce  qu'on  disait  des  pauvres  poètes  mes  confrères. 
Mon  père  avait  bu  avec  Corneille  :  il  me  disait  que  ce  grand 
homme  était  le  plus  ennuyeux  mortel  qu'il  eût  jamais  vu,  et 
l'homme  qui  avait  la  conversation  la  plus  basse.  L'histoire  du 
lutin  est  fort  connue,  et  malheureusement  sou  lutin  l'a  totale- 
ment abandonné  dans  plus  de  vingt  pièces  de  théâtre.  Cepen- 
dant on  veut  des  commentaires  sur  ces  ouvrages  qui  ne  devraient 
jamais  avoir  vu  le  jour  :  à  la  bonne  heure,  on  aura  des  commen- 
taires; je  ne  ])lains  pas  mes  peines. 

Tout  ce  que  je  demande  à  l'Académie,  mon  cher  maître,  c'est 
qu'elle  daigne  lire  mes  observations  aux  asseml»lées,  quand  elle 
n'aura  point  d'occupations  i)his  pressantes.  Je  profiterai  de  ces 
criti(iues.  Il  est  important  (ju'on  sache  que  j'ai  eu  l'honneur  de 
la  consulter,  et  (inc  j'ai  souvent  jjrofilé  de  ses  avis.  C'est  là  ce  (jui 

1.  C'est  à  tort  fjuc  Deiicliot  a  classé  cette  lettre  ù  la  lia  de  septembre. 
41.  —  ConnEsrONDANCE.  IX.  28 


434  COHlU'SrONDA.XCI". 

donnera  à  mon  ouvrage  un  poids  et  une  autorité  qu'il  n'aurait 
jamais,  si  je  ne  m'en  rajjportais  qu'à  mes  faibles  lumières.  Je 
n'aurais  jamais  entrepris  un  ouvrage  si  épineux,  si  je  n'avais 
compté  sur  les  instructions  de  mes  confrères. 

Venons  à  ma  lettre  du  20  auguste;  elle  était  pour  vous  seul  : 
je  la  dictai  fort  vite;  mais  si  vous  trouvez  qu'elle  puisse  être  de 
([uelquc  utilité,  et  qu'elle  soit  capable  de  disposer  les  esprits  en 
faveur  de  mon  entreprise,  je  vous  prie  de  la  donner  à  frère 
Thieriot.  J'ai  peur  qu'il  n'y  ait  quelques  fautes  de  langage.  On 
pardonne  les  négligences,  mais  non  pas  les  solécismes;  et  il  s'en 
glisse  toujours  quelques-uns  quand  on  dicte  rapidement.  Je  me 
mets  entre  vos  mains  à  la  suite  de  Pierre,  et  je  recommande  l'un 
et  l'autre  à  vos  bons  offices,  ù  vos  lumières,  et  à  vos  bontés. 

Adieu,  mon  cher  maître;  votre  vieillesse  est  bien  respectable  : 
plût  à  Dieu  que  la  mienne  en  approchât  !  Vous  écrivez  comme  à 
trente  ans.  Je  sens  combien  je  dois  vous  estimer  et  vous  aimer. 

Le  président  de  Ruffey,  qui  est  chez  moi,  vous  fait  ses  com- 
pliments. 

4G67.  —  DE  M.   D'ALEMBERT. 

A  Paris,  ce  8  septembre. 

Je  ne  sais,  mon  clicr  maître,  si  vous  avez  reçu  une  lettre  que  je  vous 
écrivis,  il  y  a  quelque  temps,  de  Pontoise.  Je  vous  y  parlais,  ce  me  semble,  de 
votre  édition  de  Corneille^  et  de  Tintérêt  que  j'y  prenais  comme  homme  de 
lettres,  comme  Français,  comme  académicien,  et,  encore  plus,  comme  votre 
confrère,  votre  disciple  et  votre  ami.  Depuis  ce  temps,  nous  avons  reçu  à 
l'Académie  vos  remarques  sur  les  Horaces,  sur  Cinnu,  et  sur  le  Cid,  la 
préface  du  Ciel,  et  l'épître  dédicatoire.  Tout  cela  a  été  lu  avec  soin  dans  les 
assemblées,  et  Duclos  nous  dit  hier  que  vous  aviez  reçu  nos  remarques,  et 
que  vous  en  paraissiez  content.  N'oubliez  pas  d'insister  plus  que  vous  ne 
faites  dans  votre  épître  sur  la  protection  qu'on  accordait  aux  persécuteurs 
de  Corneille,  et  sur  l'oubli  profond  où  sont  tombées  toutes  les  infamies  qu'on 
imprimait  contre  lui,  et  qui  vraisemblablement  lui  causaient  beaucoup  de 
chagrin.  A^ous  pouvez  mieux  dire,  et  avec  plus  de  droit  que  personne,  à 
tous  les  gens  de  lettres  et  à  tous  les  protecteurs,  des  choses  fort  utiles  aux 
uns  et  aux  autres,  que  cette  occasion  vous  fournira  naturellemept. 

Nous  avons  été  très-contents  de  vos  remarques  sur  les  IJoraces;  beau- 
coup moins  de  celles  sur  Cinna,  qui  nous  ont  paru  faites  à  la  hâte.  Les 
remarques  sur  le  Cid  sont  meilleures,  mais  ont  encore  besoin  d'être  revues. 
Il  nous  a  semblé  que  vous  n'insistiez  pas  toujours  assez  sur  les  beautés  de 
l'auteur,  et  quelquefois  trop  sur  des  fautes  qui  peuvent  n'en  pas  paraître  à 
tout  le  monde.  Dans  les  endroits  où  vous  critiquez  Corneille,  il  faut  que  vous 
iiyez  si  évidemment  raison  que  personne  ne  puisse  être  d'un  avis  contraire; 


ANNÉE    1761.  435 

dans  les  autres,  il  faul  ou  ne  rien  dire,  ou  ne  parler  qu'en  doutant.  Excusez 
ma  franchise;  vous  me  l'avez  permise,  vous  l'avez  exigt^e;  cl  il  est  de  la 
plus  grande  importance  pour  vous,  pour  Corneille,  pour  l'Académie,  et  pour 
l'honneur  de  la  littérature  française,  que  vos  remarques  soient  à  l'abri  même 
des  mauvaises  critiques.  Enfin,  mon  cher  confrère,  vous  ne  sauriez  appor- 
ter dans  cet  ouvrage  trop  de  soin,  d'exactitude,  et  mùme  de  minutie.  Il  faut 
que  ce  monument  que  vous  élevez  à  Corneille  en  soit  aussi  un  pour  vous-,  et 
il  ne  tient  qu'à  vous  qu'il  le  soit. 

Je  souscris,  si  vous  le  trouvez  bon,  pour  deux  exemplaires,  pour  l'un 
comme  votre  ami,  et  pour  l'autre  comme  homme  de  lettres  et  comme  Fran- 
çais. Si  les  gens  de  lettres  de  cette  frivole  et  moutonnière  nation  qui  les 
persécute  en  riant  ne  soutiennent  pas  l'honneur  de  la  chère  pairie,  comme 
disent  les  Allemands,  hélas!  que  deviendra  ce  malheureux  honneur?  Vous 
voyez  le  beau  rôle  que  nous  jouons 

sur  la  terre  et  sur  l'onde  '  ; 

et  ce  qu'il  y  a  de  plus  fâcheux,  c'est  que  nous  avons  l'air  de  le  jouer  encore 
quelque  temps,  car  la  paix  ne  paraît  pas  prochaine.  Cependant  le  parlement 
se  bat  à  outrance  avec  les  jésuites,  et  Paris  en  est  encore  plus  occupé  ipie 
de  la  guerre  d'Allemagne;  et  moi,  qui  n'aime  ni  les  fanatiques  parlemen- 
taires ni  les  fanatiques  de  saint  Ignace,  tout  ce  que  je  leur  souhaite,  c'est  de 
se  détruire  les  uns  par  les  autres,  fort  tranquille  d'ailleurs  sur  l'événement, 
t'I  bien  certain  de  me  moquer  de  quelqu'un,  quoi  qu'il  arrive.  Quand  je  vois 
cet  imbécile  parlement,  plus  intolérant  que  les  capucins,  aux  prises  avec 
d'autres  ignorants  imbéciles  et  intolérants  comme  lui,  je  suis  tenté  de  lui 
«lire  ce  (pie  disait  Timon  le  .Misanthrope  à  Alcibiade  :  «  Jeune  écerveié,  que 
je  suis  content  de  te  voir  à  la  tète  des  affaires!  Tu  me  feras  raison  de  ces 
marauds  d'Athéniens-.  »  La  philosophie  touche  peut-être  au  moment  où  elle 
va  être  vengée  des  jésuites;  mais  qui  la  vengera  des  Omer  et  compagnie? 
Pouvons-nous  nous  flatter  que  la  destruction  de  la  canaille  jésuitiijue  en- 
traînera après  elle  l'abolition  delà  canaille  jansénienne  et  de  la  canaille  into- 
lérante? Prions  Dieu,  mon  cher  confrère,  que  la  raison  obtienne  de  nos  jours 
ce  triomphe  sur  l'imbécillité.  En  attendant,  portez-vous  bien,  commentez 
(Corneille,  et  aimez-moi. 

40G8.  —  I)i:  M.  III-NM.N». 

Varsovie,  10  septunibre  ITGi. 

Monsieur,  on  me  dit  que  vous  ne  rocovcz  [>his  ile  lettres  sans  .sivoir  do 
tpii  elles  sont:  c'est  vous  épargner  bien  d('  l'ennui;  mais  au.->si  tous  les  hon- 
inHes  gens  (pii  vous  sont  attacliès  ne  peuvent  pas  se  donner  les  airs  de  contre- 
signer. Il  peut  mémo  s'en  trouver  (pii  achètent  leurs  cachets  tout  faits  sur 

1.  Ilcmisliclic  tic  Corneilli;  diitis  Ciiind,  acte  IF,  scène  r,  vers  3. 

2.  IMutiirquc,  Vie  d'Alcihiade,  iiarafiraphc  \ix. 

3.  Correspondance  inédite  avec  P. -M.  Hennin,  1825. 


436  CORRKSPONDANCH. 

les  quais.  Quoi  qu'il  en  soit,  vous  permettez  sans  doute  à  ceux  que  vous 
avez  eu  la  bonté  de  recevoir  et  d'inviter  chez  vous  de  se  faire  écrire  quel- 
quefois à  votre  porte;  je  suis  donc  rassuré  sur  le  sort  de  ma  lettre. 

Je  ne  sais,  monsieur,  comment  j'ai  laissé  passer  un  an  sans  avoir  l'hon- 
neur de  vous  écrire,  tout  contribuant  à  me  rappeler  le  peu  de  jours  que  j'ai 
eu  l'avantage  de  passer  avec  vous,  et  les  marques  d'amitié  dont  vous  m'aviez 
comblé.  Je  vis  ici  avec  des  personnes  qui  s'occupent  beaucoup  de  vos 
ouvrages  et  de  vos  délassements,  et  nous  vous  devons  le  rire  le  plus  vrai 
qui  nous  échappe  depuis  quelque  temps. 

QueUpie  idée  que  les  Allemands  aient  tâché  de  vous  donner  des  Polo- 
nais, je  puis  vous  assurer  que  cette  najLion  est  beaucoup  plus  susceptible  de 
sentiments  agréables  que  la  tudesque.  Il  ne  manque  ici  que  des  encourage- 
ments. Varsovie  est  déjà  une  grande  ville;  elle  augmente  tous  les  jours,  et 
se  rapproche  à  beaucoup  d'égards  des  autres  capitales.  Dans  le  reste  du  pays, 
les  mœurs  et  les  usages  tiennent  encore  beaucoup  du  Sarinate,  et  si  le  gou- 
vernement ne  change,  tout  doit  y  rester  longtemps  dans  le  môme  état.  Les 
grands  seigneurs  sont  forcés  d'errer  à  la  manière  des  princes  arabes  pour 
aller  manger  les  denrées  de  leurs  terres,  qui,  sans  cela,  ne  seraient  d'aucun 
produit.  L'expérience  leur  a  appris  à  suppléer,  dans  ces  voyages,  à  toutes 
les  commodités  sédentaires.  Aussi  font-ils  souvent  vingt  ou  trente  lieues 
pour  aller  rendre  une  visite  et  dîner  avec  un  ami. 

Je  suis  fâché,  monsieur,  que  les  circonstances  ne  vous  aient  pas  porté  du 
côté  de  la  Pologne.  Il  me  semble  que  rien  n'aurait  été  plus  intéressant  pour 
un  historien  philosophe  que  d'approfondir  les  causes  de  l'atTaiblissement 
extrême  de  cette  nation,  d'examiner  comment  une  anarchie  peut  subsister 
sans  des  malheurs  éclatants,  et  de  prévoir  comment,  quand,  et  par  qui,  un 
peuple  qui  n'a  plus  ni  lois  stables,  ni  puissance,  sera  anéanti  ou  rétabli  dans 
son  ancien  lustre. 

Vous  seul,  monsieur,  auriez  pu  trouver  la  solution  de  ces  problèmes  dans 
les  annales  du  monde  qui  vous  sont  si  familières,  et  dans  la  connaissance 
parfaite  du  cœur  humain.  Vous  eussiez  porté  la  certitude  de  lévidence  oîi 
j'ose  à  peine  hasarder  des  conjectures  probables  ;  mais  vous  faites  mieux, 
vous  jouissez  paisiblement  de  vos  travaux  et  de  votre  gloire,  vous  laissez 
les  politiques  se  tourmenter  de  l'avenir,  et  ne  songez  qu'à  rire  du  présent. 
Grâce  à  nos  chers  compatriotes,  dussiez-vous  égaler  l'âge  des  patriarches, 
vous  ne  manquerez  jamais  de  fonds  pour  une  aussi  douce  occupation. 

Que  de  plaisir  n'aurais-je  pas,  monsieur,  si  le  sort,  qui  me  ballotte  d'un 
bout  de  l'Europe  à  l'autre,  me  conduisait  encore  dans  vos  belles  contrées. 
D'Urfé^  les  avait  rendues  célèbres;  mais  il  n'a  peint  que  l'amour,  j'y  rever- 
rais le  peintre  de  toute  la  nature.  Je  lui  dirais  de  bon  cœur  :  Or,  baille-moi 
ta  joyeuse  recette^  et  après  l'avoir  écoulé  quelque  temps,  j'irais  prendre  la 
bêche  de  Candide,  car  il  eut  raison. 
J'ai  riionneur,  etc. 


1.  .\ulcur  de  VAstrée. 


ANNÉE    17G1.  437 


4G69.   —  A   M.   DE    BLRIG.XY. 


A  Fcrney,  12  septembre. 

J'ai  reçu  fort  tard  le  Bénigne  Cossiiot^  dont  vous  m'avez  ho- 
noré; je  vous  en  fais  mon  très-sincère  remerciement  le  plus  tôt 
que  je  peux.  J'aime  fort  les  Pères  de  l'Église,  et  surtout  celui-lù, 
parce  qu'il  est  Bourguignon,  et  que  j'ai  à  présent  Ihonneur  de 
l'être;  de  plus,  il  est  très-éloquent.  Ses  Oraisons  funèbres  sont  de 
belles  déclamations.  Je  suis  seulement  fàclié  qu'il  ait  tant  loué  le 
chancelier  Le  ïellier,  qui  était  un  si  grand  fripon.  Son  Hisloire 
particulière  de  trois  ou  quatre  nations ,  qu'il  appelle  universelle, 
est  d'un  génie  plein  d'imagination.  11  a  fait  ce  qu'il  a  pu  pour 
donner  quelque  éclat  à  ce  malheureux  petit  peuple  juif,  le  plus 
sot  et  le  plus  misérable  de  tous  les  peuples. 

Vous  avouez  que  ce  Père  de  l'Kglise  a  été  un  peu  maulèoniste-, 
et  cela  suffit.  Si  d'ailleurs  vous  croyez  qu'il  ait  ressemblé  à  quel- 
ques médecins  qui  croient  à  la  médecine,  je  vous  trouve  bien 
bon  et  bien  honnête.  Sa  conduite  avec  M.  de  Fénelon  n'est  pas 
d'un  homme  aisé  à  vivre  ;  et  il  faut  avoir  le  diable  au  corps  pour 
tant  crier  contre  l'aimable  auteur  du  Tèlémaque,  qui  s'imaginait 
qu'on  pouvait  aimer  Dieu  pour  lui-même'. 

Au  reste,  je  fais  plus  de  cas  de  Porphyre,  et  je  vous  remercie 
en  particulier  d'avoir  traduit  sou  livre''  contre  les  gourmands; 
j'espère  qu'il  me  corrigera. 

J'.ii  riioiineui-  d'être  de  tout  mon  cœur,  etc. 

4070.   —  A   M.   DE   CIIi:  M:  VI  f;  RE  S  ». 

Aux  Délices,  12  septembre. 

Quand  ^1""=  Denis  écrit,  c'est  comme  si  j'écrivais;  et  quand  je 
tiens  la  plume,  c'est  elle  qui  parle.  Les  femmes  sont  paresseuses; 
elles  sont  plus  longtemps  à  leur  toilette  qu'à  leur  secrétaire.  Je 
suis  aussi  un  peu  paresseux,  mon  cher  monsieur.  Nous  autres 
Suisses,  nous  nous  mettons  m  niouNcnient  a\ec  (liriiciilti'' ;  mais 


1.  Vie  de  Dosauet,  par  Buriçny;  voyez  la  lettre  iG2G. 

2.  Voyez  tome  \IV,  page  13;  et  ci-dessus,  la  lettre  4G2G. 

3.  Voyez  l'article  Aiiotii  dk  Diku,  tome  XVIl,  page  17."». 

4.  Buri^ny  a  traduit  de  Porphyre,  écrivain  fjrec  du  troisième  sit'clc,  le  Traité 
sur  Vahstinence  de  la  chair  des  a»i)nau.r,  1717,  iii-12. 

b.  Éditeurs,  de  Cayrol  et  l'raiiçois. 


438  CORRKSPONDANCE. 

nous  .soninios])onnes  sc"s,  nous  aimons  tendrement  nos  amis,  et 
nous  vous  supplions  do  vouloir  bien  nous  continuer  les  nouvelles. 
Nous  attendons  avec  impatience  le  papier  dont  vous  parlez,  et  je 
me  flallc  que  messieurs  des  postes  ne  trouveront  pas  le  contre- 
seing suspect. 

Voulez-vous  bien  faire  remettre  ce  petit  billet  à  la  poste 
sous  contre-seing?  Cela  épargnera  toujours  le  port  d'une  lettre  à 
l'ami  ïliieriot. 

4071.  —  A  M.   LE   COMTE   D'ARGENT  AL. 

li  septembre. 

Dès  que  je  sus  que  mes  anges  avaient  fait  consulter  M.  Troii- 
cbin,  je  fus  un  peu  alarmé.  J'écrivis;  voici  sa  réponse  :  elle  est 
bonne  à  montrer  au  docteur  Fournier  ;  il  n'en  sera  pas  mécon- 
tent. Que  mes  anges  ne  soient  pas  surpris  de  l'étrange  adresse. 
Viro  immortali  veut  dire  qu'on  vit  longtemps  quand  on  suit  ses 
conseils,  et  Deo  immortali  est  une  allusion  à  l'inscription  que  j'ai 
mise  sur  le  fronton  de  mon  église  :  dco  crexit  Voltaire.  Ma  prière 
est  Vivat  d'Argent  al. 

Vous  êtes  bien  bon  d'envoyer  votre  billet  aux  Cramer.  Ont-ils 
besoin  de  votre  billet? 

Et  moi,  bien  bon  d'avoir  cru  AI.  le  comte  de  Clioiseul  ministre 
d'État,  quand  vous  ne  m'en  disiez  rien.  Je  m'en  réjouissais  ;  je  ne 
veux  plus  rien  croire,  si  cela  n'est  pas  vrai. 

Si  M"'^^  Gaussin  a  encore  un  visage.  Acanthe  ^  est  fort  bien 
entre  ses  mains,  et  tout  est  fort  bien  distribué.  M.  Picardet  sera 
fort  bien  joué.  Que  dites-vous  de  la  préface  du  sieur  Picardet? 
ne  l'enverrez-vous  pas  à  frère  Damilaville?  Il  a  un  excellent  ser- 
mon ^  qu'il  montrera  à  mes  anges  pour  les  réjouir.  M.  de  La 
Marche  a  été  d'une  humeur  charmante;  il  n'y  paraît  plus.  C'est, 
de  plus,  une  belle  âme;  c'est  dommage  qu'il  ait  certains  petits 
préjugés  de  bonne  femme. 

Daignez,  mes  anges,  envoyer  l'incluse  au  secrétaire  perpétuel, 
après  l'avoir  lue.  Zarukma  !  quel  nom  !  d'où  vient-il?  Le  père  de 
Zarukma  n'cst-il  pas  M.  Cordier^?  Il  est  vrai  que  Zarukma  ne 
rime  pas  à  sifflet,  mais  il  peut  les  attirer.  Zulime  au  moins  est 
plus  doux  à  l'oreille.  Nous  nous  mîmes  quatre  à  lire  Zulime  à 

1.  Personnaso  du  Droit  du  Selipieur;  voyez  tome  \T,  page  6. 

2.  Sans  doute  le  Sennuii  des  Cinquanle. 

3.  Voyez  page  it^. 


ANNtE    1761.  439 

M.  de  La  Marche.  II  avait  un  président'  avec  lui  qui  dormit  pen- 
dant toute  la  pièce,  comme  s'il  avait  été  au  sermon  ou  à  l'au- 
dience; ainsi  il  ne  critiqua  point.  M.  de  La  Marche  fut  ému, 
attendri,  pleura  ;  et  quand  M""  Denis  s'écria  en  pleurant  :  J'en 
suis  indigne,  il  n'y  put  pas  tenir.  Je  fus  touché  aussi;  je  dis: 
Ziilimc  consolera  Clairon  de  Zarukma. 

Je  vous  avais  dit  que  j'étais  content  de  M.  de  Montmartel. 
Point;  j'en  suis  mécontent  :  il  ne  veut  pas  avancer  trois  cents 
louis.  Le  contrôleur  général  propose  des  effets  royaux,  des  feuilles 
de  chêne  ;  nous  aurons  du  hruit, 

La  paix  !  il  n'y  aura  point  de  paix.  C'est  un  labyrinthe  dont  on 
ne  peut  se  tirer.  Ah!  pauvres  Français!  réjouissez-vous,  car  vous 
n'avez  pas  le  sens  d'une  oie. 

Divins  anges,  je  baise  le  bout  de  vos  ailes. 

4672.   —  A   M.   DLCLOS. 

li  septembre. 

Je  commence  par  remercier  ceux  qui  ont  eu  la  bonté  de 
mettre  en  marge  des  notes  sur  mes  notes.  Je  n'ai  l'édition  in-folio 
de  166/j-  que  depuis  huit  jours. 

J'ai  commencé  toutes  mes  observations  sur  l'édition  très-rare 
de  lG/|/(,  dans  laquelle  Corneille  inséra  tous  les  passages  imités 
des  Latins  et  des  Espagnols. 

Ces  observations,  écrites  assez  mal  de  ma  main  au  bas  des 
pages,  ont  été  transcrites  encore  plus  mal  sur  les  cahiers  envoyés 
à  l'Académie. 

Il  n'est  pas  douteux  que  je  ne  suive  dorénavant  l'édition 
de  1604.  Cette  petite  édition  de  16/i4  ne  contient  que  Mèdèe ,  le 
Cid,  Pompée,  et  le  Menteur,  avec  la  Suite  du  Menteur. 

A-t-on  pu  douter  si  j'imprimerais  les  Sentiments  de  l'Acadhnie 
sur  le  Cid  ^  ? 

....  Ella  rnisma  requiriô  al  rr\j  (jue  se  le  diesse  por  mnrido.  Kl  nous 
dites  qu'il  n'y  a  pas  là  d'aUcrnalivc  !  Vous  avez  raison  :  mais  lisez 
ce  qui  suit  : 

....  E(t  cslava  muy  prcndada  de  sus  partes.  Voilà  nos  i)arties. 

....  If  le  castifjasse  conforme  ii  las  leyes;  et  voilà  votre  alternative. 

Comptez  que  je  serai  exact. 

Je  suis  bien  aise  d'avoir  envoyé  et  soumis  à  l'examen  mes 

1.  Le  président  de  RuITty. 

2.  I(j0:}-0i,  deux  volumes  in-folio. 

3.  Voyez  tome  XX.M,  page  206. 


410  COUKIÎSPONDANCli. 

observations,  tout  informes  qu'elles  sont  :  1°  parce  que  vos  ré- 
flexions m'en  feront  faire  de  nouvelles;  2"  parce  que  le  temps 
presse,  et  que  si  j'avais  voulu  limer,  polir,  achever  avant  d'avoir 
consulté,  j'aurais  attendu  un  an,  et  je  n'aurais  été  sûr  de  rien  ; 
mais  en  envoyant  mes  esquisses,  et  en  en  recevant  les  critiques 
de  l'Académie,  je  vois  la  manière  dont  on  pense,  je  m'y  conforme, 
je  marche  d'un  pas  plus  sftr. 

Il  y  avait  dans  mes  petits  papiers  :  «  L'abbé  d'Aubi^nac,  savant 
sans  génie,  et  Lamotte ,  homme  d'esprit  sans  érudition ,  ont 
voulu  faire  des  tragédies  en  prose.  »  Un  jeune  homme  du  mé- 
tier, qui  a  copié  cela,  s'est  diverti  à  ôter  le  génie  à  Lamotte,  et 
je  ne  m'en  suis  aperçu  que  quand  on  m'a  renvoyé  mon  cahier  ^ 

II  y  a  souvent  des  notes  trop  dures;  je  me  suis  laissé  emporter 
à  trop  d'indignation  contre  les  fadeurs  de  César  et  de  Cléopâtre 
dans  Pompée,  et  contre  le  rôle  de  Félix  dans  Polijeucte.  Il  faut  être 
juste,  mais  il  faut  être  poli,  et  dire  la  vérité  avec  douceur. 

N.  B.  Je  suis  à  Ferney,  à  deux  lieues  de  Genève.  Les  Cramer 
préparent  tout  pour  l'édition,  et  je  travaille  autant  que  ma  santé 
peut  me  le  permettre. 

Us  ne  donneront  leur  programme  que  loi-squ'ils  commence- 
ront à  imprimer;  ils  n'imprimeront  que  quand  les  estampes  se- 
ront assez  avancées  pour  que  rien  ne  languisse. 

J'ai  peur  qu'il  n'y  ait  quatorze  volumes  in-8°,  avec  trente-trois 
estampes.  Deux  louis,  c'est  trop  peu  ;  mais  les  Cramer  n'en  pren- 
dront jamais  davantage  ;  le  bénéfice  ne  peut  venir  que  du  roi,  de 
la  czarine,  du  duc  de  Parme,  de  nos  princes,  etc.,  comme  je  l'ai 
déjà  mandé  -,  Si  mes  respectables  et  bons  confrères  veulent  con- 
tinuer à  me  marginer,  tout  ira  bien.  Respects  et  remerciements. 

4673.   —  A    M.    FYOT    DE    LA   MARCHE^. 

A  Ferney,  li  septembre  *. 

J"ai  ouvert,  monsieur,  l'incluse  que  je  vous  renvoie  ;  vous  qui 
êtes  la  main  de  justice,  vous  pardonnerez  à  ma  main  indiscrète: 

1.  Ce  passage  n'est  pas  dans  le  Commentaire  sur  Corneille;  dans  ses  remar- 
ques sur  OEdipe,  Voltaire  nomme  deux  fois  d'Aubignac  (voyez  tome  XXXII, 
pages  158  et  16i).  Lamotte  ayant  fait  un  OEdipe  en  prose,  c'est  peut-être  dans 
l'une  des  remarques  sur  VOEdipe  de  Corneille  que  venait  la  phrase  sur  d'Aubi- 
gnac et  Lamotte.  Voltaire  a  parlé  depuis  de  ces  deux  auteurs  dans  l'article  Rime 
de  ses  Questions  sur  V Encyclopédie;  voyez  tome  XX,  page  373. 

2.  Voyez  la  lettre  4G14. 

3.  Éditeur,  Th.  Foisset. 

4.  Cette  date    est  fixée    par  celle  du   voyage  de  M.  de  La  Jlarche  à   Ferney, 


\ 


ANNICK    1761.  441 

ce  mot  de  seigneur  de  Fcrney  aurait  trompé  un  homme  plus  at- 
tentif. 

Cependant,  quand  j'ai  vu  votre  nom,  je  me  suis  dit  :  L'écri- 
vain a  raison  ;  oui,  assurément,  M.  de  La  Marche  est  seigneur  de 
Ferney,  et  il  demeure  bien  peu  de  temps  dans  sa  terre  ^  Je  suis 
son  vassal,  et  je  regrette  mon  seigneur;  j'irai  assurément  lui 
prêter  foi  et  hommage  dans  son  royaume  de  la  Marche; 
M""  Denis  et  Cornélie-ChifTon^  m'ôteront  mes  éperons  et  me 
tiendront  les  mains  jointes. 

Si  vous  êtes  dans  votre  royaume  à  la  réception  de  ma  lettre, 
voulez-vous  employer  votre  graveur^*  pour  Corneille?  Les  Cramer 
lui  payeront  quatre  louis  pour  chaque  planche  /»-<9^Il  n'aurait  qu'à 
commencer  par  ces  deux-ci,  en  les  rectifiant.  Voilà  les  sujets, 
vous  guideriez  son  talent.  Il  y  aura  dix  estampes  à  graver.  Notre 
Bourgogne  aura  l'honneur  de  toute  l'entreprise  de  l'édition  de 
Corneille.  Vous  ne  sauriez  croire  combien  vous  me  rendez  cette 
idée  chère.  J'ai  été  sur  le  point  d'aller  faire  imprimer  notre  Cor- 
neille au  Louvre;  mais  je  ne  veux  pas  quitter  ma  retraite,  et  ce 
mot  de  Louvre  m'effraye,  quoiqu'il  appartienne  à  un  roi  qui 
rassure.  Je  suis  si  bien  dans  ma  solitude  que  ma  constance  est 
sans  mérite,  et  je  n'en  sortirai  que  pour  vous.  Paul  viendra 
voir  Antoine,  et  apprendre  de  lui  à  se  passer  du  reste  des 
liommes. 

Je  suppose  que  M.  Tronchin  est  venu  recevoir  vos  ordres  à 
Lyon.  Allez  embellir  la  Marche,  allez  faire  à  Paris  le  bonheur  de 
votre  famille  et  de  vos  amis,  et  revenez  ensuite  faire  le  votre 
dans  votre  respectable  retraite. 

Negloctt-c  doiiiimis  spleiulidior  rci. 

Nous  compterons  toujours.  M'""  Denis  et  moi ,  parmi  nos  plus 
heureux  moments  ceux  que  nous  avons  eu  rbonneur  de  i)asser 
avec  vous.  Nous  en  disons  autant  à  M.  le  président  de  Ruffey;  je 


auquel    Vultairo    fora    tout  à   l'Iicurc    allu-^ion.    VAW   (IciiM-iiiiiu'   l\''poquo    où   de 

Vosges  père  comnienni  a  travailler  pour  réditioii  do  Cdmeillc.  (Ao/i;  du  premier 

éditeur.) 

I.  Arrivù  à  Fernoy  le  r>  septembre,  il  en  était  reparti  li;  l.'<.  (/(/.) 

'J.  C'était  le  nom  que  Voltaire  donnait  à    M""  Corneille,  «[u'il  maria    ]ilus  tard 

il  M.  Dupuits,  cornette  de  dra^rons. 

3.  Le  graveur  de  M.  de  La  Marche  était  Louis-Gabriel  Monnier,  né  à  Besançon 

le  11  ortobre    17.J3,   mort  à  Dijon  le  8   ventùsc   an   Xll.  Mais  Voltaire  entendait 

parler  ici  do  de  Vosrch  père  (François),  né  à  (iray  le  'J.">  janvier  \7.V1,  mm  i  à  Dijon 

je  22  décembre  1811.  (Note  du  premier  éditeur.) 


442  COIUlKSrONDANCK. 

jo  supplie  de  daigner  se  souvenir  de  i'avocat  Arnould,  et  je  de- 
mande |)ardon  de  toutes  mes  libertés. 

Adieu,  monsieur,  agréez  les  très-tendres  respects  de  V. 


iGTi.   —  A    M.   L'Ali  15  É    D'OLIVET. 

Fcrncy,  14  sci)tcmbrc. 

Je  fais  réflexion,  mon  cher  maître,  que  si  l'on  imprime  la 
lettre  en  question  S  il  y  faut  ajouter  des  choses  essentielles  à  notre 
entreprise;  que  cela  peut  tenir  lieu  d'un  programme  dont  je 
n'aime  point  l'étalage;  que  c'est  une  occasion  de  rendre  adroite- 
ment justice  à  ceux  qui  les  premiers  ont  favorisé  un  i)rojet  hono- 
rable à  la  nation;  que  vous  vous  signaleriez  vous-même  en  m'é- 
crivant  en  réponse  une  petite  lettre,  laquelle  ferait  encore  plus 
d'eiïet  que  la  mienne  et  compagnie. 

C'est  une  nouvelle  occasion  pour  vous  de  donner  un  modèle 
de  l'éloquence  convenable  aux  gens  de  lettres  qui  s'écrivent  avec 
une  familiarité  noble  sur  les  matières  de  leur  ressort.  Je  vais 
écrire  en  conformité  à  frère  Tliieriot,  qui  supprimera  ma  lettre 
jusqu'à  nouvel  ordre,  en  cas  que  vous  la  lui  ayez  déjà  donnée;  et 
si  elle  n'est  pas  sortie  de  vos  mains,  il  faut  qu'elle  y  reste  jusqu'à 
ce  qu'elle  soit  digne  de  vous  et  du  publics 

4675.  —  A  M.   THIEÎUOT. 

14  septembre. 

Je  crois  que  Père  d'Olivet  a  communiqué  à  frère  Thieriot  une 
grande  lettre  de  frère  Voltaire  ^  sur  notre  père  commun  Pierre 
Corneille.  Je  ne  crois  point  qu'elle  soit  encore  digne  de  voir  le 
jour  :  il  y  faut  ajouter  des  choses  très-importantes  ;  supprimons- 
la,  je  vous  en  supplie,  jusqu'à  nouvel  ordre.  Je  mande  la  môme 
chose  Ciceroniano  Olivcto. 

On  ne  croit  pas  ce  soit  M.  Legouz  qui  soit  l'auteur  du  Droit 
du  Seigneur;  on  dit  que  c'est  un  nommé  Picardet,  de  l'Académie 
de  Dijon,  jeune  homme  qui  a  beaucoup  de  talent.  Le  fait  est 
qu'elle  est  réellement  d'un  académicien  honoraire  de  Dijon, 


1.  Celle  du  20  auguste;  voyez  n"  4645. 

2.  Au  bas  de  cette  lettre  on  trouve  ces  deux  lignes  écrites  par  Thieriot  : 

«  N'imprimez  donc  point.  Je  vous  dirai   ce  qui  rend  impossible,  quant  à  pré- 
sent, ce  que  notre  ami  voudrait  de  moi,  et  ce  que  j'en  voudrais  moi-même,  u 

3.  Celle  du  20  auguste,  n»  4645. 


ANNKK    176».  443 

et  qu'en  cela  on  ne  tronii)c  personne,  ce  qui  est  un  grand 
point. 

Je  fais  mes  compliments  à  Charles  Gouju*;  c'est,  dans  le 
fond,  un  fort  bon  homme,  et  je  voudrais  que  tout  le  monde 
pensât  comme  lui. 

M"'  Gaussin-  pousse  bien  loin  sa  jeunesse.  Si,  à  son  âge, 
elle  joue  des  rùles  de  petites  liiles,  on  peut  faire  des  comédies 
au  mien. 

Que  Dieu  ait  tous  les  frères  en  sa  sainte  et  digne  garde! 

4G7G.   —  A  M.  D'ALEMBERT. 

15  sepienil)re. 

Vos  très-plaisantes  lettres,  mon  cher  plùlosophe,  égayeraient 
Socrate  tenant  en  main  son  gobelet  de  ciguë,  et  Servet  sur  ses 
fagots  verts.  Vous  demandez  qui  nous  défera  des  Oméritcs;  ce  sera 
vous,  pardieu,  en  vous  moquant  d'eux  tant  que  vous  pourrez,  et 
en  les  couvrant  de  ridicule  par  vos  l)ons  mots. 

Notre  nation  ne  mérite  pas  que  vous  daigniez  raisonner  l)eau- 
coup  avec  elle;  mais  c'est  la  première  nation  du  monde  pour 
saisir  une  bonne  plaisanterie,  et  ce  qu'assurément  vous  ne  trou- 
verez pas  à  Berlin,  souvenez-vous-en. 

Je  vous  remercie  de  toute  mon  àme  de  lattention  (pie  vous 
donnez  à  Pierre.  Songez,  s'il  vous  plaît,  que  je  n'avais  point  son 
édition  de  166/i^  quand  j'ai  commencé  mon  Commentaire.  Soyez 
sûr  que  tout  sera  très-exact.  Je  n'oublierai  pas  surtout  les  pe- 
tits persécuteurs  de  la  littérature,  quand  je  pourrai  tomber  sur 
eux. 

J'ai  déjà  mandé  à  M.  Duclos  (pie  je  n'envoyais  que  dos 
esquisses*;  mon  uiiifjue  but  est  d'aNoii-  le  sentiment  de  l'Aca- 
démie, après  (pioi  je  marche  à  mon  aise  et  d'un  pas  sûr. 

Je  n'jii  pas  été  assez  poli,  je  le  sais  bien  :  les  conq)liinen(s  ne 
me  coûteront  rien  ;  mais,  en  attendant,  il  faut  IAcIum"  d'avoir 
raison.  Ou  mon  cM'iir  est  un  fou,  ou  jai  la  plus  grande  l'aison 
<juand  je  dis  ([uc  les  remords  de  Cinna  Nirnncnl  Irop  lard;f(ue 
son  rôle  serait  altcndrissanl,  admii'ablc,  si  le  discours  d'  \iiguste, 
au  s(;cond    adc,   le   toufliail   loul   d'un   coup  du  nolilc  repentir 


1.  Voyez  tome  XXIV,  pago  T.>1). 

2.  Ello  avait  riiujiiiinto  uns. 

3.  1()()3-G4,  deux  volumes  in-folio. 

4.  Voyez  paj^e  440. 


444  CORRESPOXDANCl'. 

qu'il  doit  avoir.  J'étais  révolté,  à  l'ûge  de  quinze  ans,  de  voir 
Cinua  persister  avec  Maxime  dans  son  crime,  et  joindre  la  plus 
lâche  fourberie  à  la  plus  horrible  ingratitude.  Les  remords  qu'il 
a  ensuite  ne  paraissent  point  naturels,  ils  ne  sont  plus  fondés,  ils 
sont  contradictoires  avec  cette  atrocité  réfléchie  qu'il  a  étalée 
devant  Maxime;  c'est  un  défaut  capital  que  Metastasio  a  soigneu- 
sement évité  dans  sa  Clémence  de  Titus.  II  ne  s'agit  pas  seulement 
de  louer  Corneille,  il  faut  dire  la  vérité.  Je  la  dirai  à  genoux,  et 
l'encensoir  à  la  main. 

Il  est  vrai  que,  dans  l'examen  de  Polyeucte ,  je  me  suis  armé 
quelquefois  de  vessies  de  cochon  au  lieu  d'encensoir.  Laissez 
faire,  ne  songez  qu'au  fond  des  choses  ;  la  forme  sera  tout  autre. 
Ce  n'est  pas  une  petite  besogne  d'examiner  trente-deux  ^  pièces 
de  théâtre,  et  de  faire  un  Commentaire  qui  soit  à  la  fois  une  gram- 
maire et  une  poétique.  Ainsi  donc,  messieurs,  quand  vous  vous 
amuserez  à  parcourir  mes  esquisses,  examinez-les  comme  s'il 
n'était  pas  question  de  Corneille  ;  souvenez-vous  que  les  étrangers 
doivent  apprendre  la  langue  française  dans  ce  livre.  Quand  j'au- 
rai oublié  une  faute  de  langage,  ne  l'oubliez  pas  :  c'est  là  l'objet 
principal.  On  apprend  notre  langue  à  Moscou,  à  Copenhague,  à 
Bude,  et  à  Lisbonne.  On  n'y  fera  point  de  tragédies  françaises  ; 
mais  il  est  essentiel  qu'on  n'y  prenne  point  des  solécismes  pour 
des  beautés  :  vous  instruirez  l'Europe  en  vous  amusant. 

Vous  serez,  mon  cher  ami,  colloque  pour  deux  ;  mais  si  le  roi, 
les  princes  et  les  fermiers  généraux,  qui  ont  souscrit,  payent  les 
Cramer,  vous  nous  permettrez  de  présenter  humblement  le  livre 
à  tous  les  gens  de  lettres  qui  ne  sont  ni  fermiers  généraux  ni 
rois.  Vous  verrez  ce  que  j'écris  sur  cela,  in  mea  epistola  ad  Olivetum 
Ciceronianum-.  Adieu.  Je  suis  absolument  touché  de  l'intérêt  que 
vous  prenez  à  notre  petite  drôlerie. 

Je  suis  harassé  de  fatigue  ;  je  bâtis,  je  commente,  je  suis  ma- 
lade ;  je  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur. 

iG77.  —   A  MADAME    LA   MARQUISE   DU   DEFFANT3. 

Ferney,  16  septembre. 

Puisque  vous  aimez  l'histoire,  madame,  je  vous  envoie  cinq 
cahiers  de  la  nouvelle  édition  de  VEssai  sur  les  Mœurs,  etc.  Vous 

1.  Voyez  la  note,  page  431. 

2.  La  lettre  du  20  auguste;  voyez  n"  4045. 

3.  Celte  lettre  n'est  pas  entière,  si  Voltaire  ne  se  trompe  pas  dans  les  mots 
qu'il  en  cite  (lettre  à  d'Argental  du  26  octobre).  (B.) 


ANNEE    I7GI.  445 

y  verrez  des  choses  bien  singulières,  et,  entre  autres,  l'extrait 
d'un  livre  indien  qui  est  peut-être  le  plus  ancien  livre  qui  soit 
au  monde.  J'ai  envoyé  le  manuscrit  à  la  Bibliothèque  du  roi'; 
je  ne  crois  pas  qu'il  y  ait  un  monument  plus  curieux.  Quand 
vous  m'aurez  rendu  mes  cinq  cahiers,  je  vous  en  choisirai 
d'autres.  Cette  nouvelle  édition  ne  m'empêche  pas  de  travailler 
à  Pierre  Corneille.  J'espère,  en  consuhant  l'Académie,  faire  un 
ouvrage  utile.  Je  me  sens  déjà  toute  la  pesanteur  d'un  commen- 
tateur. 

Ce  n'est  i)as  seulement,  madame,  parce  que  je  possède  le 
don  d'ennuyer,  comme  tous  ces  messieurs,  que  je  vous  écris  une 
si  courte  lettre,  mais  c'est  réellement  parce  que  je  n'ai  pas  un 
moment  de  loisir.  Comptez  qu'il  n'y  a  que  la  retraite  qui  soit  le 
séjour  de  l'occupation.  Si  mes  travaux  pouvaient  contribuer  à 
vous  délasser  quelques  moments,  je  serais  encore  plus  pédant 
que  je  ne  suis. 

Vous  me  demandez  ce  que  sera  le  Commentaire  de  Corneille: 
il  sera  une  bibliothèque  de  douze  à  treize  volumes  avec  des 
estampes;  il  ne  coûtera  que  deux  louis,  parce  que  je  veux 
que  les  pauvres  connaisseurs  le  lisent,  et  que  les  rois  le  payent. 

Adieu,  madame,  supportez  la  vie  et  le  siècle.  Quand  vous 
vous  faites  lire,  ayez  soin  qu'on  vous  lise  d'abord  les  notes  mar- 
ginales qui  indiquent  les  matières;  vous  choisissez  alors  ce  qu'il 
vous  plaît,  et  vous  évitez  l'ennui. 

Je  vous  demande  un  peu   d'attention   pour  l'Ézour-Vcidam. 

Mille  tendres  respects. 

4078.  —  A  M.   PIERRE   ROUSSEAU, 

A     IJOLILLON. 

Château  de  Ferney,  en  Bourgogne,  par  Genève,  10  septembre. 

Je  ne  connais  pas  plus,  monsieur,  la  Icltrodc  M.  de  Kormey- 
que  VOde  sur  la  (jucrre'K  Cette  ode  me  paraît  d'un  homme  de 
génie  ;  mais  il  y  a  trop  de  fautes  contre  la  langue.  Klle  commence 
l);ir  des  idées  très-fortes,  peut-être  trop  fortes,  mais  elle  ne  .s(> 
soutient  i)as.  Elle  est  d'un  étranger  qui  a  beaucoup  d'esi)ri(.  Noici 

I .  Voyez  la  lettre  iO()8. 

'J.  Sans  doute  celle  qui  est  imprimée  tome  XXIV,  page  433,  et  qui  est  bien  de 
Voltaire.  Cette  lettre  serait,  en  ce  cas,  de   1701  et  non  de  1702. 

3.  Cette  ode  est  de  Horde.  Le  Journal  cncyclopt'diqtie  du  l"  août  1701,  dans 
lequel  on  trouve  celte  ode,  dit  qu'elle  a  été  attribuée  ù  un  tllnslre  auteur,  (pii  la 
désavoue. 


446  COUUESPONDANCR. 

un  autre  objet  qui  m'intéresse  véritablement.  M.  l'abbé  d'Olivct 
me  mande  que  cette  lettres  que  je  vous  envoie,  doit  être  pu- 
blique; j'y  consens  très-volontiers.  Elle  tiendra  lieu  d'un  pro- 
gramme en  forme,  dont  je  n'aime  pas  trop  l'étalage.  Vous  ver- 
rez par  cette  lettre  de  quoi  il  est  question,  et  je  crois  qu'elle 
fera  un  très-bon  effet  dans  votre  Journal.  Vous  avez  un  beau 
champ  pour  rendre  justice  à  notre  nation,  qui  encourage  avec 
tant  de  zèle  une  entreprise  honorable  et  utile.  J'ai  l'honneur 
d'être,  etc. 

4679.  —  A   M.   LE   COMTE    D'ARGENTAL. 

10  septembre. 

11  n"y  a  point  de  poste  par  laquelle  je  n'envoie  quelque  tribut 
à  mes  anges. 

Voici  j\iédcc.  Vous  êtes  suppliés  de  vouloir  bien  l'envoyer  à 
notre  secrétaire  perpétuel,  quand  elle  vous  aura  bien  ennuyés. 

J'ose  encore  vous  supplier  de  vouloir  bien  faire  donner  le 
paquet  ci-joint  à  M""^  du  Deffant. 

Je  suis  bien  aise  que  M"°  Gaussin  joue,  à  son  âge,  un  rôle  de 
jeune  fille;  cela  me  fait  croire  qu'il  est  permis  de  faire  des  sot- 
tises au  mien.  Ne  joue-t-on  pas  à  présent  la  nouvelle  sottise  du 
Droit  du  Seigneur?  est-il  sifflé?  Il  est  sûrement  critiqué,  et  il  faut 
qu'il  le  soit.  Malheur  aux  hommes  publics  et  aux  ouvrages 
dont  on  ne  dit  mot!  L'oncle  elles  deux  nièces  baisent  le  bout  de 
vos  ailes. 

Qu'est  donc  devenue  l'affaire  de  MM.  Tithon  père  et  fils-? 
Vous  ne  me  dites  jamais  rien,  et  je  m'intéresse  à  tout. 

4G80.  —  A  M.   L'ABBÉ   D'OLIVET. 

Ferney,  16  septembre. 

Je  vous  envoie,  mon  très-cher  maître,  ma  lettre  du  20  au- 
guste, à  laquelle  j'ai  ajouté  des  détails  nécessaires,  qui  tiendront 
lieu  d'un  programme,  que  je  n'aime  point.  Envoyez-moi  quatre 
lignes  en  réponse,  et  faites  imprimer  le  tout  par  le  moyen  de 
frère  Thieriot. 

Je  vous  réitère  ce  que  j'ai  déjà  mandé  à  notre  secrétaire 

1.  C'est  le  n»  4645. 

2,  Le  13  février  1762  ils  furent,  à  la  pluralité  de  quarante-neuf  voix,  déchargés 
de  l'accusation  portée  contre  eux  par  le  nommé  Philippart  et  ses  compagnons; 
voyez  le  Journal  encyclopédique  du  15  mars  1762,  page  157. 


ANNEE    17G1.  447 

porpétiiGl,  que  je  tous  envoie  mes  ébauches,  et  que  je  tra- 
vaillerai à  tête  reposée  sur  les  observations  que  rAcadémie  veut 
bien  mettre  en  marge.  Je  donne  quelquefois  des  coups  de  pied 
dans  le  ventre  à  Corneille,  l'encensoir  à  la  main;  mais  je  serai 
plus  poli. 

Vous  souvenez-vous  de  Cinna?  C'est  le  chef-d'œuvre  de  l'es- 
prit humain  ;  mais  je  persiste  toujours  non-seulement  à  croire, 
mais  à  sentir  vivement,  qu'il  fallait  que  Cinna  eût  des  remords 
immédiatement  après  la  belle  délibération  d'Auguste  '.  .r*'l;iis 
indigné,  dès  l'Age  de  vingt  ans,  de  voir  Cinna  confier  à  Al.ixiino 
qu'il  avait  conseillé  à  Auguste  de  retenir  l'enqjire  pour  avoir 
une  raison  de  plus  de  l'assassiner.  Non,  il  n'est  pas  dans  le  cœur 
humain  qu'on  ait  des  remords  après  s'être  affermi  dans  cette 
horrible  hypocrisie.  Non,  vous  dis-je,  je  ne  puis  approuver  que 
Cinna  soit  à  la  fois  infùme  et  en  contradiction  avec  lui-même. 
Ou"en  pense  M.  Duclos?  Moi,  je  dis  tout  ce  que  je  pense,  sauf 
à  me  corriger.  Valc. 

4G81.   —  A    M,   L'AIJBl':   D'OLIVET. 

Ferney,  19  septembre. 

.levons  demande  deux  grâces,  mon  cher  maître  :  la  première, 
de  convenir  que  les  remords  de  Cinna  auraient  fait  un  cifct  ad- 
mirable s'il  les  avait  éprouvés  dans  le  temps  qu'Auguste  lui  dit  : 
((  Je  partagerai  l'empire  avec  vous,  et  je  vous  donne  Emilie.  » 
Une  fourberie  lùche  et  abominable,  dans  laquelle  Cinna  persiste, 
ôte  à  ses  remords  tardifs  toute  la  beauté,  tout  le  pathétique, 
toute  la  vérité  même  qu'ils  devraient  avoir-,  et  c'est  sans  doute 
une  des  raisons  qui  font  que  la  pièce  est  aussi  froide  qu'elle  est 
belle. 

M.  le  duc  de  Villars  vient  d'en  raisonner  avec  moi  :  il  cnn- 
ii.iîl  le  IhéAtre  mieux  que  personne  ;  il  no  conçoit  pas  coiiiinciil 
un  peut  être  d'un  autre  avis.  Helisez,  je  vous  en  i)rie,  mes  obser- 
vations sur  Cinna,  que  je  renvoie  à  M.  Duclos.  Je  vous  dirai, 
comme  à  lui,  qu'il  l'aiil  de  l'encens  à  Corneille  el  des  véritésjui 
public. 

i/lmix'ralrice  de  lînssie  souscrit,  comme  le  roi,  jjour  deux 
cents  eveuiplaires.  L'empressement  pour  cet  ouvrage  est  sans 
e\em[)le. 

1.  Acte  H,  scène  i;  voyez  lome  XWI,  [mye  .(37. 


448  COURI^SPONDANGE. 

La  seconde  grûce  que  je  vous  demande  est  de  vouloir  bien 
mellre  M.  Walclel^  dans  la  liste  de  nos  académiciens  qui  encou- 
ragent les  souscriptions  pour  M""  Corneille.  Non-seulement 
M.  Watelet  prend  cinq  exemplaires,  mais  il  a  la  bonté  de  des- 
siner et  de  graver  le  frontispice;  il  nous  aide  de  ses  talents  et  de 
son  argent;  gardez  donc  que  Tami  Tliieriotne  l'oublie.  Ces  petits 
soins  peuvent  vous  amuser  dans  votre  heureux  loisir.  Je  porte 
un  fardeau  immense,  et  j'en  suis  charmé.  Aidez-moi,  instruisez- 
moi,  écrivez-moi. 

4682.  —  A  M.   DUC  LOS. 

Fcrney,  19  septembre. 

Je  vous  demande  en  grâce,  monsieur,  de  vouloir  bien  enga- 
ger nos  confrères  à  daigner  lire  les  corrections,  les  explications, 
les  nouveaux  doutes  que  vous  trouverez  dans  le  Commentaire 
de  Cinna.  Vous  vous  intéressez  à  cet  ouvrage  :  je  sais  combien  il 
est  important  que  je  ne  hasarde  rien  sans  vos  avis.  M.  le  duc  de 
Villars  est  chez  moi.  Je  ne  connais  personne  qui  ait  fait  une 
étude  plus  réfléchie  du  théâtre  que  lui.  Il  sent,  comme  moi, 
combien  ces  remords  sont  peu  naturels,  et  par  conséquent  peu 
touchants,  après  que  Cinna  s'est  affermi  dans  son  crime,  et  dans 
une  fourberie  aussi  réfléchie  que  lâche,  qui  exclut  tout  remords. 
Il  est  persuadé,  avec  moi,  que  ces  remords  auraient  produit  un 
effet  admirable,  s'il  les  avait  eus  quand  il  doit  les  avoir,  quand 
Auguste  lui  dit  qu'il  partagera  l'empire  avec  lui,  et  qu'il  lui 
donne  Emilie.  Ah!  si  dans  ce  moment-là  même  Cinna  avait  paru 
troublé  devant  Auguste  ;  si  Auguste  ensuite,  se  souvenant  de  cet 
embarras,  en  eût  tiré  un  des  indices  de  la  conspiration,  que  de 
beautés  vraies,  que  de  belles  situations  un  sentiment  si  naturel 
eût  fait  naître  ! 

Nous  devons  de  l'encens  à  Corneille,  et  assurément  je  lui  en 
donne  ;  mais  nous  devons  au  public  des  vérités  et  des  instructions. 
Je  vous  demande  en  grâce  de  m'aider;  le  fardeau  est  immense, 
je  ne  peux  le  porter  sans  secours.  Je  vous  importune  beaucoup; 
je  vous  importunerai  encore  davantage.  Je  vous  demande  la  plus 
grande  patience  et  les  plus  grandes  bontés.  L'Europe  attend  cet 
ouvrage.  On  souscrit  en  Allemagne  et  en  Angleterre;  l'impéra- 
trice de  Russie  pour  deux  cents  exemplaires,  comme  le  roi.  Je 
vous  conjure  de  me  mettre  en  état  de  répondre  à  des  cmpresse- 

1.  Voyez  tome  VJI,  page  244. 


ANNÉE    i76l.  449 

ments  si  honorables.  Présentez  à  l'Académie  mes  respects,  ma 
reconnaissance,  et  ma  soumission,  et  renvoyez-moi  ce  manuscrit; 
c'cslla  seule  pièce  que  jaie. 


4683.  —  A  .M.   JEAN   SCHOUVALOW. 

Ferney,  19  septembre. 

Monsieur,  les  mânes  de  Corneille,  sa  petitc-fille,  et  moi,  nous 
vous  présentons  les  mêmes  remerciements,  et  nous  nous  met- 
Ions  tous  aux  pieds  de  votre  auguste  impératrice.  Voici  les  der- 
niers temps  de  ma  vie  consacrés  à  deux  Pierre  qui  ont  tous  deux 
le  nom  de  grand.  J'avoue  qu'il  y  en  a  un  bien  préférable  à 
l'autre.  Cinq  ou  six  pièces  de  théâtre,  remplies  de  beautés  avec 
des  défauts,  n'approchent  certainement  pas  de  mihe  lieues  de 
pays  policées,  éclairées,  et  enrichies. 

Je  suis  très-obligé  à  Votre  Excellence  de  m'avoir  épargné  des 
batailles  avec  des  Allemands  ^  J'emploierai  à  servir  sous  vos 
étendards  le  temps  que  j'aurais  perdu  dans  une  guerre  particu- 
lière. Vous  pouvez  compter  que  je  mettrai  toute  l'attention  dont 
je  suis  capable  dans  l'emploi  des  matériaux  que  vous  m'avez 
envoyés,  et  que  les  deux  volumes  seront  absolument  conformes 
à  vos  intentions.  Plus  je  vois  aujourd'hui  de  campagnes  dévastées, 
de  pays  dépeuplés,  et  de  citoyens  rendus  malheureux  par  une 
guerre  qu'on  pouvait  éviter,  plus  j'admire  un  homme  qui,  au 
milieu  de  la  guerre  même,  a  été  fondateur  et  législateur,  et  qui 
a  fait  la  plus  honorable  et  la  plus  utile  paix.  Si  Corneille  vivait, 
il  aurait  mieux  célébré  que  moi  Pierre  le  Grand,  il  eût  plus  fait 
admirer  ses  vertus  ;  mais  il  ne  les  aurait  pas  senties  davantage. 
Je  suis  plus  que  jamais  convaincu  que  toutes  les  petites  faiblesses 
de  l'humanité,  et  les  défautsqui  sontle  fruit  nécessaire  du  temps 
où  l'on  est  né,  et  de  l'éducation  qu'on  a  reçue,  doivent  être 
éclipsés  et  anéantis  devant  les  grandesvertus  que  Pierre  le  drand 
ne  devait  qu'à  lui-même,  et  devant  les  travaux  héroïques  (|ue  ses 
vertus  ont  opérés.  On  ne  demande  point,  en  voyant  un  tableau 
de  IJaphaël  ou  une  statue  de  Pbidias,  si  Phidias  et  llapbaël  ont 
eu  des  faiblesses  ;  on  admire  leurs  ouvrages,  et  on  s'en  lient  là. 
11  doit  en  être  ainsi  des  l)elles  actions  des  héros. 

Je  ne  m'occupe  du  Cumnicnluirc  sur  Curneillc  avec  plaisii-  (jnc 
dans  l'espérance  cpTil  rendra  la  langue  IVaiuaise  plus  commune 

1.  Vi^yez  la  IcUre  du  11  juin,  u"  i.jliS. 

41.  —  ConiiKSi'ONDANCi;.   1\.  29 


450  COUKESPONDANCE. 

en  Europe,  et  que  la  Vie  de  Pierre  le  Grand  trouvera  plus  de  lec- 
teurs. Mon  espérance  est  fondée  sur  l'attention  scrupuleuse  avec 
laquelle  l'Académie  française  revoit  mon  ouvrage.  C'est  un 
moyen  sûr  de  fixer  la  langue,  et  d'éclaircir  tous  les  doutes  des 
étrangers,  (3n  parlera  le  français  plus  facilement,  grûce  aux  soins 
de  l'Académie  ;  et  la  langue  dans  laquelle  Pierre  le  Grand  sera 
célébré  comme  il  le  mérite  en  sera  plus  agréable  à  toutes  les 
nations.  Je  me  hûte  de  dépêcher  le  Cid  et  China,  afin  d'être  tout 
entier  à  Pultava  et  à  Pétersbourg.  Je  ne  demande  que  trois  mois 
pour  achever  le  Corneille,  après  quoi  tout  le  reste  de  ma  vie  est 
k  Pierre  le  Grand  et  ta  vous, 

4084.  —  A  M.    TROi\Cnii\,    DE    LYON  ». 

19  septembre  17G1. 

J'ai  donc  chez  moi  M"''  Chimène  et  Rodogune.  L'emploi  des 
coupons  et  d'une  somme  d'argent  égale  sera  un  bien  petit  objet, 
et  je  n'oserais  pas  mettre  si  peu  de  chose  sur  la  tête  de  la  parente 
de  Corneille.  Mais  puisque  vous  croyez  la  chose  convenable,  ou 
peut  toujours  lui  faire  ce  léger  avantage.  Ainsi  les  faiseurs  join- 
dront le  nom  de  Corneille  à  celui  de  Voltaire.  Mais  j'ai  entrepris 
autre  chose.  Je  veux  faire  une  édition  de  Pierre  Corneille  en 
faveur  de  sa  petite-fille.  C'est  une  entreprise  qui  ne  laisse  pas 
d'être  une  affaire  de  finance  un  peu  délicate.  Il  faudra  que  je 
fasse  les  avances  de  l'édition.  Cela  ira  à  40,000  livres.  Les  vers 
sont  un  objet  de  commerce  plus  gros  qu'on  ne  pense.  J'espère 
en  venir  à  bout  avec  le  secours  des  bontés  du  roi,  qui  daigne 
donner  10,000  livres,  soit  la  valeur  de  deux  cents  exemplaires. 
Tous  les  princes  ont  suivi  cet  exemple.  M.  de  Richelieu  en  prend 
vingt  ;  M.  le  duc  de  Choiseul,  vingt,  etc.,  etc.  M.  Berlin,  contrô- 
leur général,  est  le  seul  à  la  cour  qui  ne  s'intéresse  pas  aux 
souscriptions  que  je  fais  faire.  Il  ne  m'a  pas  seulement  répondu. 
Mais  il  faudra  bien  que  ce  contrôleur-là  paye  les  souscriptions 
royales,  et  le  temps  n'est  pas  des  plus  favorables.  Si  Dieu  nous 
donnait  la  paix,  celte  édition  de  Corneille  serait  une  fortune 
pour  M"^  Corneille  ;  mais  elle  me  paraît  bien  éloignée.  Ils  ont 
dit  :  La 'paix!  la  paix!  et  il  n'y  a  point  de  paix.  Et  ce  fou  de  Dio- 
gène  Rousseau  propose  la  paix  ixîrpétuelle.  Nous  ne  pouvons 
faire  que  la  paix  la  plus  humiliante  ou  la  guerre  la  plus  ruineuse. 
Mille  familles  sont  ruinées.  Il  est  vrai  que  je  bâtis,  que  je  fais  des 

l.  lievuc  suisse,  18."ju,  page  6G1. 


ANNÉE    176  1.  451 

jardins,  que  je  joue  la  comédie.  Mais  je  suis  saj^^e,  j'eiilainerai  les 
fonds  le  moins  que  je  pourrai.  Lesclu\teaux  et  les  comédies  sont 
cliers.  M""=  Denis  veut  un  théâtre,  et  moi,  une  belle  église.  Xous 
irons  tous  à  riiùpital  entre  Jésus-Christ  et  Corneille. 

4080.  —  D  i:   M  A IJ  A  .M  1-    L  A    M  A  H  Q  L"  I S  E    D  U    D  K  F  J' A  .N  T  i . 

20  septembre  17G1. 

Je  vous  écrivis  l'autre  jour  quiitie  mots  :  je  satisfaisais  mon  impatience 
en  me  liàlant  de  vous  in(]i(|uer  un  moyen  de  m'envoyer  ce  que  je  désirais. 
Jai  Ijien  peur  que  vous  n'ayez  pas  reru  ma  lettre  avant  le  départ  de  .M.  de 
Jaucourl.  Je  ne  suis  heureuse  en  rien,  et  vous  êtes  accoutumé  à  me  tout 
refuser  ;  mais  de  tous  vos  refus,  celui  qui  me  surprend  le  plus,  c'est  le 
compliment  au  président  sur  la  mort  de  Al.  d'Argenson.  Je  vous  mandais 
qu'il  en  recevait  de  tout  le  monde;  que  le  défunt  lui  avait  fait  un  legs; 
enfin,  vous  n'ignorez  pas  quelle  était  la  liaison  et  l'ancienneté  de  leur  con- 
naissance. Qu'importe  que  vous  eussiez  dû  des  compliments  ii  M.  d'Argen- 
son en  pareil  cas?...  vous  n'étiez  pas  autant  de  ses  amis  que  vous  l'êtes  du 
président;  et  puis  vous  lui  eussiez  dû  un  compliment,  n'eut  été  que  pour 
honorer  la  mémoire  du  président,  lui  donner  des  témoignages  de  regret, 
d'estime  et  d'amitié.  C'est  avec  répugnance  que  je  me  prête  à  une  i)aroille 
supposition.  Mais,  monsieur,  vous  m'adligez  par  la  conduite  que  vous  avez 
avec  mon  meilleur  ami,  et  qui,  en  vérité,  devrait  être  le  vôtre.  11  n'y  a 
point  de  marque  de  considération  et  d'estime  que  vous  n'ayez  reçu  de  lui. 
Nous  ne  cessons  l'un  et  l'autre  de  parler  de  vous,  et  nous  ne  trouvons  per- 
sonne qui  sente  aussi  bien  (jue  nous  le  mérite  et  l'agrément  de  tout  ce  (|ue 
vous  avez  fait.  J'évite  actuellement  de  lui  parler  de  vous;  je  détourne  la 
conversation  qui  pourrait  y  amener,  pour  éviter  l'embarras  oij  je  serais  de 
vous  excuser.  Je  crois,  mais  je  n'en  ^uis  jtas  siire,  qu'il  vous  a  envoyé  son 
estampe.  Je  lui  en  ai  vu  l'intention;  mais  apparemment  vous  ne  l'avez  pas 
encore  rerue;  je  le  détournerai  de  vous  l'envoyer,  je  vous  assure,  si  vous 
ne  réparez  pas  vos  torts. 

Kx[)li(iuez-moi  votre  conduite,  et,  croyez-moi,  ne  perdez  pas  volontaire- 
ment l'amitié  du  plus  ancien,  du  plus  aimable  et  du  plus  sincère  de  vos 
amis. 

Vous  n'aurez  que  cela  de  moi  aiijourd'luii;  un  auire  jour  nous  jihiloso- 
pheions. 

I.  Conexpond/ince  complète  de  .M""  du  Dc/J'ant,  etc.,  publiée  par  M.  le  mar- 
quis (le  Saiiil-llilaire.  Édiliou  1877. 


452  COllKESl'ONDANCE. 


4G8G.   —  A  M.   JACOn    VERNESi. 

Mon  cher  confrère  en  poésie,  la  tragédie  n'est  pas  finie. 
Pierre  le  Grand,  mes  foins  et  mes  charrues,  retardent  un  peu 
cette  besogne. 

Il  y  a  longtemps  (pie  UM.  les  Joualliers  qui  m'ont  fait  parve- 
nir du  vin  muscat  doivent  être  remboursés.  Ce  n'est  i)as  assez  de 
faire  des  tragédies,  il  faut  payer  ses  dettes. 

M3n  me  mande  qu'on  a  enfin  brûlé  trois  jésuites  à  Lisbonne. 
Ce  sont  là  des  nouvelles  bien  consolantes,  mais  c'est  un  janséniste 
qui  les  mande.  V. 

4687.   —  A  M.   L'ABBÉ  PERNETTI. 

A  Ferney,  21  septembre. 

Vous  devriez,  mon  cher  abbé,  venir  avec  le  sculpteur,  et 
bénir  mon  église.  Je  serais  charmé  de  servir  votre  messe,  quoi- 
que je  ne  puisse  plus  dire  :  Qui  Ixtificat  juventutem  meam^. 

Je  doute  qu'il  y  ait  un  programme  pour  l'édition  de  Corneille. 
Cet  étalage  est  peut-être  inutile,  puisqu'on  ne  reçoit  point  d'ar- 
gent, et  qu'on  ne  fait  point  de  conditions.  Les  frères  Cramer  don- 
neront pour  deux  louis  d'or  douze,  treize,  ou  quatorze  volumes 
in-8%  avec  des  estampes.  Ceux  qui  voudront  retenir  des  exem- 
plaires, et  avoir  pour  deux  louis  un  ouvrage  qui  devrait  en 
coûter  quatre,  n'ont  qu'à  retenir  chez  les  Cramer  les  exemplaires 
qu'ils  voudront  avoir,  ou  chez  les  libraires  correspondants  des 
Cramer,  ou  s'adresser  à  mes  amis,  qui  m'enverront  leurs  noms; 
et  tout  sera  dit.  Tout  n'est  pas  dit  pour  vous,  mon  cher  confrère, 
car  j'ai  toujours  à  vous  répéter  que  je  vous  aime  de  tout  mon 
cœur. 

4088.  —  A   MADEMOISELLE   CLAIRON. 

Ferney,  21  septembre*. 

J'ai  l'honneur  d'envoyer  à  M"''  Clairon  un  petit  avant-goût  du 
commentaire  queje  fais  sur  les  pièces  du  grand  Corneille. La  note 

1.  Éditeur,  H.  Beaune. 

2.  Ce  dernier  paragraphe  est  imprimé  dans  l'édition  de  Kehl  et  dans  celle  de 
Beuchot,  à  la  suite  d'une  lettre  adressée  à  M.  Vernes  et  datée  du  1*^»'  octobre  17G1. 
(Note  du  premier  éditeur.) 

3.  Psaume  xi-ii,  verset  4. 

4.  C'est  à  tort  que  les  éditeurs  de  cette  lettre,  MM.  de  Cayrol  et  François,  Tout 
l'année  17G3;  elle  est  de  1761.  (G.  A.) 


ANXÉK    176  1.  453 

ci-jointe  cstsurles  dernières  lignes  de  la  préface  de  Théodore.  Elle 
passera,  s'il  lui  plaît,  les  citations  latines  du  confesseur  du  pape 
Clt'ment  XII.  Je  crois  qu'elle  pourrait  lire  cette  note  à  l'assemblée, 
qu'on  pourrait  même  la  déposer  dans  les  arcliives,  et  en  donner 
une  copie  à  messieurs  les  premiers  gentilshommes  de  la  cham- 
bre. Je  crois  qu'il  serait  très-aisé  d'obtenir  de  Sa  Majesté  une 
déclaration  qui  confirmerait  celle  de  16/jl,  et  qui  maintiendrait 
ses  comédiens  dans  la  jouissance  entière  de  tous  les  droits  qui 
appartiennent  à  des  citoyens.  Ce  mot  entière  dirait  tout  sans 
entrer  dans  aucun  détail,  et  on  en  ferait  usage  dans  l'occasion  ^ 
J'ai  reçu  une  lettre  de  M.  Iluerne-.  Je  supplie  M"'=  Clairon  de 
vouloir  bien  lui  envoyer  ma  réponse ^  après  l'avoir  lue  et 
cachetée.  Klle  pardonnera,  s'il  lui  plaît,  le  peu  de  cérémonie  de 
ce  petit  billet,  attendu  que  le  pauvre  diable  qui  lui  écrit  n'est 
point  du  tout  à  son  aise. 

4689.  —   A  M.   DE  CI  DE  VILLE. 

A  Fcrney,  23  septembre. 

Mon  ancien  camarade,  mon  cher  ami,  nous  recevrons  tou- 
jours à  bras  ouverts  quiconque  viendra  de  votre  part.  11  est  vrai 


1.  Corneille  dit,  dans  l'épître  qui  est  au  devant  de  Théodore,  vierçie  et  mar- 
tyre :  «  Ce  n'est  pas  contre  des  comédies  pareilles  au\  nôtres  que  déclame  saint 
Augustin;  et  ceux  que  le  scrupule,  ou  le  caprice,  ou  le  zèle  en  rend  opiniâtres 
ennemis  n'ont  pas  grande  raison  de  s'appuyer  de  son  autorité.  Il  est  juste  que 
pour  peine  de  la  trop  facile  croyance  qu'ils  donnent  à  des  invectives  mal  fondées, 
ils  demeurent  privés  du  plus  agréable  et  du  plus  utile  des  divertissements  dont 
l'esprit  humain  soit  capable.  » 

Voici  la  décision  que  Cerati,  confesseur  du  pape,  rendit  sur  cette  question  en 
1742  :  «  Les  conciles  et  le  pape,  qui  ont  condamne  la  comédie,  entendaient  les 
représentations  obscènes,  môlécs  de  sacré  et  de  profane,  la  dérision  des  choses 
ecclésiastiques,  etc.  L'art  des  comédiens  qui  se  contiennent  dans  les  bornes  n'est 
point  condamnable,  mais  permis.  On  ne  trouve  aucune  bulle  ni  aucun  décret  qui 
les  condamnent.  » 

La  déclaration  de  Louis  XllI,  du  10  avril  1041,  enregistrée  au  parlement, 
porte  :  «  Nous  voulons  que  l'exercice  des  comédiens,  qui  peut  innocemment 
détourner  nos  sujets  de  diverses  occupations  mauvaises,  ne  puisse  leur  être  imputé 
à  Llàme,  ni  préjudicier  à  leur  réputation  dans  le  commerce  ijublic.  » 

En  vertu  de  cette  déclaration,  Louis  XIV  maintint  Eloridur,  sieur  de  Soûlas, 
dann  la  po'ssessitn  de  sa  noblesse,  par  arrêt  du  conseil  du  10  septembre  lOtiS. 

L(!s  documents  indiqués  par  Voltaire  et  sa  note  ont  été  déposés  aux  archives 
du  ThéAtre-Franrais,  avec  un  procès-verbal  où  sont  exprimés  aussi  les  remercie- 
ments des  comédiens.  [Noie  îles  premiers  éditeurs.) 

2.  Iluerne  de  la  Mothe,  avocat,  auteur  d'une  consultation  sur  l'eAComniunii-a- 
tion  des  comédiens;  voyez  tome  XXIV,  page  231). 

3.  On  n'a  pas  cette  réponse. 


4o4  COURESPONDANCE. 

que  nous  aimerions  bien  mieux  vous  voir  que  vos  ambassadeurs; 
mais  ma  faible  santé  me  retient  dans  la  retraite  que  j'ai  cboisie. 
Je  viens  de  l)Atir  une  église  où  j'aurai  le  ridicule  de  me  faire 
enterrer;  mais  j'aime  bien  mieux  le  monument  que  j'érige  à 
Corneille,  votre  compatriote.  Je  suis  Jnen  aise  que  l'indifférent 
Fontenelle  m'ait  laissé  le  soin  de  Pierre  et  de  sa  nièce  ;  l'un  et 
l'autre  amusent  beaucoup  ma  vieillesse.  Je  vous  exborte  à  lire 
Pcrtharite  avec  attention.  Lisez  du  moins  le  second  acte  et  quel- 
que cbose  du  troisième.  Vous  serez  tout  étonné  de  trouver  le 
germe  entier  de  la  tragédie  (VAndromaque^,  les  mêmes  sentiments, 
les  mêmes  situations,  les  mêmes  discours.  Vous  verrez  un  Gri- 
moald  jouer  le  rôle  de  Pyrrhus,  avec  une  Rodelinde  dont  il  a 
vaincu  le  mari,  qu'on  croit  mort.  Il  quitte  son  Éduige,  pour 
Rodelinde,  comme  Pyrrhus  abandonne  son  Ilermione  pour 
Andromaque.  Il  menace  de  tuer  le  fils  de  sa  Rodelinde,  comme 
Pyrrhus  menace  Astyanax.  Il  est  violent,  et  Pyrrhus  aussi.  Il 
passe  de  Rodelinde  à  Éduige,  comme  Pyrrhus  d'Andromaque  à 
Hermione.  Il  promet  de  rendre  le  trône  au  petit  Rodelinde  : 
Pyrrhus  on  fait  autant,  pourvu  qu'il  soit  aimé.  Rodelinde  dit  à 
Grimoald  : 

iS'iinprime  point  de  tache  à  tant  do  renommée,  etc. 

(Acte  II,  scène  v.) 

Andromaque  dit  à  Pyrrhus  : 

Faut-il  qu'un  si  grand  cœur  montre  tant  de  faiblesse, 
Et  qu'un  dessein  si  beau,  si  grand,  si  généreux, 
fasse  pour  le  transport  d'un  esprit  amoureux? 

(.Vcte  I,  scùne  iv.) 

Ce  n'est  pas  tout  ;  Éduige  a  son  Oreste.  Enfin  Racine  a  tiré 
tout  son  or  du  fumier  de  Perthnrite,  et  personne  ne  s'en  était 
douté,  pas  même  Rernard  de  Fontenelle,  qui  aurait  été  bien 
charmé  de  donner  quelques  légers  coups  de  patte  à  Racine. 

Vous  voyez,  mon  cher  ami,  qu'il  y  a  des  choses  curieuses 
jusque  dans  la  garde-robe  de  Pierre.  La  comparaison  que  je 
pourrai  faire  de  lui  et  des  Anglais  ou  des  Espagnols,  qui  auront 
traité  les  mêmes  sujets,  sera  peut-être  agréable.  A  l'égard  des 
bonnes  pièces,  je  ne  fais  aucune  remarque  sur  laquelle  je  ne 
consulte  l'Académie.  Je  lui  ai  envoyé  toutes  mes  notes  sur  le 

1.  Voyez  la  lettre  à  d'Olivet,  du  20  auguste  17G0,  n"  4645. 


ANNÉE    1701.  4o:i 

Cid,  les  Horaccs,  Pompre,  Pohjcucte,  Cinna,  etc.  Ainsi  mon  Commen- 
taire pourra  être  à  la  fois  un  art  poétique  et  une  grammaire. 

Il  n'est  question  que  du  théùtre.  Je  laisse  là  Vlmitation  de  Jèsus- 
Ch)ist\  et  je  m'en  tiens  à  l'imitation  de  Sophocle.  Vous  me  ferez 
pourtant  plaisir  de  m'envoyer  la  description  du  presbytère 
d'Énouville.  Je  ne  crois  pas  que  je  chante  jamais  les  presbytères 
de  mes  curés  ;  je  leur  conseille  de  s'adresser  à  leurs  grenouilles  ; 
mais  je  pourrais  bien  chanter  une  jolie  église  que  je  viens  de 
bîitir,  et  un  théâtre  que  j'achève.  Je  vous  prie,  mon  cher  ami,  si 
vous  m'envoyez  ce  presbytère,  de  me  l'adresser  à  Versailles,  chez 
M.  de  Chenevières,  premier  commis  de  la  guerre,  qui  me  le  feia 
tenir  avec  sûreté. 

On  va  reprendre  encore  Oreste  à  la  Comédie  française.  Il  est 
vrai  que  j'ai  bien  fortifié  cette  pièce,  et  qu'elle  en  avait  besoin. 
Mais  enfin  j'aime  à  voir  la  nation  redemander  une  tragédie 
grecque,  sans  amour,  dans  laquelle  il  n'y  a  point  de  partie 
carrée  ni  de  roman. 

Adieu  ;  je  vous  embrasse.  Pourriez-vous  me  dire  quel  est  un 
monsieur  P.  T.  A.  G.-,  à  qui  Corneille  dédie  sa  Médée  ^ 

4C90.  —  A  M.   JEAN   SCHOUVALOW. 

25  septembre. 

Monsieur,  j'ai  reçu,  par  M.  de  Soltikof,  les  manuscrits  que 
Votre  Excellence  a  bien  voulu  m'envoyer  ;  et  les  sieurs  Cramer, 
libraires  de  Genève,  qui  vont  imprimeries  Œiavw  et  les  Commen- 
taires de  Pierre  Corneille,  ont  reçu  la  souscription  dont  Sa  Majesté 
impériale  daigne  honorer  cette  entreprise.  Ainsi  chacun  a  reçu 
ce  qui  est  à  son  usage  :  moi,  des  instructions  ;  et  les  libraires, 
des  secours. 

Je  vous  remercie,  monsieur,  des  uns  et  des  autres,  et  je  recon  - 
nais  votre  cœur  bienfaisant  et  votre  esprit  éclairé  dans  ces  deux 
genres  de  bienfaits. 

J'ai  déjà  eu  l'honneur  de  vous  écrire  par  la  voie  de  Strasbourg, 
et  j'adresse  cette  lettre  par  M.  de  Soltikof,  qui  ne  manquera  pas 
de  vous  la  faire  rendre.  Ce  sera,  monsieur,  une  chose  éternelle- 
ment honorable  pour  la  ijiémoire  de  Pierre  Corneille  et  pour  son 
héritière  que  votre  auguste  impératrice  ait  protégé  cette  édilion 
autant  (pie  le  roi  de  France.  Celte  magniûcence,  égale  des  deux 


1.  Mise  en  vers  français  par  P.  (Corneille. 

2.  Personne  encore  n'a  pu  le  découvrir. 


456  CORRESPONDANCE. 

côtc'S,  sera  iino  raison  de  plus  pour  nous  faire  tous  compafriotos. 
Pour  moi,  je  me  crois  de  votre  pays,  depuis  que  Votre  Excellence 
veut  ])ien  entretenir  avec  moi  un  commerce  de  lettres.  Vous 
savez  que  je  me  partage  entre  les  deux  Pierre  qui  ont  tous  deux 
le  nom  de  grand  ;  et  si  je  donne  à  présent  la  préférence  au  Cid 
et  à  Cinnn,  je  reviendrai  bientôt  à  celui  qui  fonda  les  beaux-arts 
dans  votre  patrie. 

J'avoue  queles  vers  de  Corneille  sont  un  peu  plus  sonores  que 
la  prose  de  votre  Allemand  S  dont  vous  voulez  bien  me  faire 
part;  peut-être  même  est-il  plus  doux  de  relire  le  rôle  de  Cor- 
nélic  que  d'examiner  avec  votre  profond  savant  si  Jean  Gutman- 
seths  était  médecin  ou  apothicaire,  si  son  confrère  Van  Cad  était 
effectivement  Hollandais,  comme  ce  mot  van  le  fait  présumer, 
ou  s'il  était  né  près  de  la  Hollande.  Je  m'en  rapporte  à  l'érudition 
du  critique,  et  je  le  supplierai,  en  temps  et  lieu,  de  vouloir  bien 
éclaircir  à  fond  si  c'était  un  crapaud  ou  une  écrevisse  qu'on 
trouva  suspendu  au  plafond  de  la  chambre  de  ce  médecin, 
quand  lesstrélitz  l'assassinèrent. 

Je  ne  doute  pas  que  l'auteur  de  ces  remarques  intéressantes, 
et  qui  sont  absolument  nécessaires  pour  VHistoirc  de  Pierre  le 
Grand,  ne  soit  lui-même  un  historien  très-agréable,  car  voilà  pré- 
cisément les  détails  dans  lesquels  entrait  Quinte-Curce  quand  il 
écrivait  VHistoire  d'Alexandre.  Je  soupçonne  ce  savant  Allemand 
d'avoir  été  élevé  par  le  chapelain  Nordberg,  qui  a  écrit  VHistoirc 
de  ClunicsXII  dans  le  goût  de  Tacite,  et  qui  apprend  à  la  dernière 
postérité  qu'il  y  avait  des  bancs  couverts  de  drap  bleu  au  cou- 
ronnement de  Charles  XII.  La  vérité  est  si  belle,  et  les  hommes 
d'État  s'occupent  si  profondément  de  ces  connaissances  utiles, 
qu'il  n'en  faut  épargner  aucune  au  lecteur.  A  parler  sérieusement, 
monsieur,  j'attends  de  vous  de  véritables  mémoires  sur  lesquels 
je  puisse  travailler.  Je  ne  me  consolerai  point  de  n'avoir  pas  fait 
le  voyage  de  Pétersbourg  il  y  a  quelques  années.  J'aurais  plus 
appris  de  vous,  dans  quelques  heures  de  conversation,  que  tous 
les  compilateurs  ne  m'en  apprendront  jamais.  Je  prévois  que  je 
ne  laisserai  pas  d'être  un  peu  embarrassé.  Les  rédacteurs  des 
mémoires  qu'on  m'a  envoyés  se  contredisent  plus  d'une  fois,  et 
il  est  aussi  difficile  de  les  concilier  que  d'accorder  des  théolo- 
giens. Je  ne  sais  si  vous  pensez  comme  moi  ;  mais  je  m'imagine 
que  le  mieux  sera  d'éviter,  autant  qu'il  sera  possible,  la  discus- 
sion ennuyeuse  de  toutes  les  petites  circonstances  qui  entrent 

1.  Voyez  la  lettre  du  11  juin,  n"  4568. 


ANNÉE    1761.  457 

dans  les  grands  événements,  surtout  quand  ces  circonstances  ne 
sont  pas  essentielles.  Il  me  paraît  que  les  Romains  ne  se  sont 
pas  souciés  de  faire  aux  Scaliger  et  aux  Saumaise  le  plaisir  de 
leur  dire  combien  de  centurions  furent  blessés  aux  batailles  de 
Pharsale  et  de  Pbilippes. 

Notre  boussole  sur  cette  mer  que  vous  me  faites  courir  est, 
si  je  ne  me  trompe,  la  gloire  de  Pierre  le  Grand.  Nous  lui  dres- 
sons une  statue  ;  mais  cette  statue  forait-elle  un  bel  effet  si  elle 
portait  dans  une  main  une  dissertation  sur  les  annales  de  \ovo- 
gorod,  et  dans  l'autre  un  commentaire  sur  les  habitants  de  Cras- 
noyark?  Il  en  est  de  l'histoire  comme  des  affaires,  il  faut  sacri- 
fier le  petit  au  grand.  J'attends  tout,  monsieur,  de  vos  lumières 
et  de  votre  bonté  ;  vous  m'avez  engagé  dans  une  grande  passion, 
et  vous  ne  vous  en  tiendrez  pas  à  m'inspirer  des  désirs.  Songez 
combien  je  suis  fâché  de  ne  pouvoir  vous  faire  ma  cour,  et  que 
je  ne  puis  être  consolé  que  par  vos  lettres  et  par  vos  ordres. 

4G91.   —  A  M.   FYOT  DE   LA   MARCHE*. 

(fils.) 
A  Ferney,  par  Genève,  28  septembre  1701. 

Monsieur,  je  crois  rendre  ce  que  je  dois  à  votre  probité,  et  on 
même  temps  montrer  mon  respect  pour  vous  et  pour  le  parle- 
ment, en  vous  instruisant  du  procès  et  du  procédé  de  M.  le  pré- 
sident de  Brosses'.  Je  ne  sais  quel  fétiche  le  possède'.  Mais  j'ose 
vous  supplier,  monsieur,  de  lire  ma  réponse  à  l'assignation  qu'il 
m'a  donnée.  Je  prends  une  plus  grande  liberté.  Je  me  soumets 
à  votre  arbitrage.  Monsieur  votre  père,  qui  m'a  fait  l'honneur  de 
passer  quelques  jours  dans  ma  cabaneS  est  instruit  de  toute  cette 
affaire.  Elle  est  exactement  telle  que  le  mémoire  ci-joint  la  pré- 
sente. Je  n'ai  altéré  aucune  circonstance.  Jugez  s'il  est  conve- 
nable à  un  homme  qui  a  l'honneur  d'être  de  votre  respectable 
corps  de  s'exposera  de  telles  vérités.  Sa  conduite  me  fait  autant 
de  peine  pour  lui  que  pour  moi-même,  et  je  demande  votre  pitié 

1.  l^;dileur,  I[.  Bcaunc. 

2.  Le  président  de  Brosses  avait  assigné  Raudy  le  2  juin  17GI,  en  payement 
du  bois  livré  par  celui-ci  à  Voltaire,  et  IJaudy  avait  appelé  ce  dernier  en  garantie. 
L'affaire  fut  portée  le  2i  septembre  au  bailliage  de  Gcx,  et  reuvoj'ée  à  une  époque 
indéterminée.  (Note  du  premier  éditeur.) 

3.  On  sait  que  le  président  était  auteur  d'un  Traité  sur  les  dieux  fétiches, 
jn-12.  s.  1.  nco. 

4.  M.  do  La  Marche  père  avait  séjourné  à  Ferncy  du  5  au  13  septembre. 


458  CORUESPONDANCIÎ. 

|)oiir  lui  cl  pour  moi.  Il  est  dur  do  plaider  contre  lui,  ot  il  est 
irlsU'  (|ii"il  plaide.  11  ne  doit  qu'apaiser  les  différends,  el  non 
en  avoir.  Celui-ci  est  d'une  nature  Lien  étrange;  je  crois  lui 
rendre  un  très-grand  service  en  prenant  la  liberté  de  m'adresser 
à  vous.  Et  s'il  veut  s'en  remettre  à  votre  jugement,  je  m'y  soumels 
comme  je  le  dois. 

Je  suis  avec  beaucoup  de  respect,  monsieur,  votre  très-hum- 
ble et  très-obéissant  serviteur. 

Voltaire. 

i092.  —  A   M.   LE    COMTE    D'ARGENT  AL. 

28  septembre. 

0  mes  anges!  tout  ce  que  j'ai  prédit  est  arrivé.  Au  premier 
coup  de  fusil  qui  fut  tiré,  je  dis  :  En  voilà  pour  sept  ans^  Quand 
le  petit  Bussy  alla  à  Londres  S  j'osai  écrire  à  M.  le  duc  de  Ghoi- 
seul  qu'on  se  moquait  du  monde,  et  que  toutes  ces  idées  de  paix 
ne  serviraient  qu'à  amuser  le  peuple.  J'ai  prédit  la  perte  de 
Pondicliéry,  et  enfin  j'ai  prédit  que  le  droit  du  Seigneur  de  M.  Pi- 
cardet  réussirait.  Mes  divins  anges,  c'est  parce  que  je  ne  suis 
plus  dans  mon  pays  que  je  suis  prophète.  Je  vous  prédis  encore 
que  tout  ira  de  travers,  et  que  nous  serons  dans  la  décadence 
encore  quelques  années,  et  décadence  en  tout  genre;  et  j'en  suis 
bien  fâché. 

On  m'envoie  des  Gouju;  je  vous  en  fais  part. 

Je  crois  avec  vous  qu'il  y  a  dos  moines  fanatiques,  et  même 
des  théologiens  imbéciles;  maisje  maintiens  que,  dans  le  nombre 
prodigieux  des  théologiens  fripons,  il  n'y  en  a  jamais  eu  un  seul 
qui  ait  demandé  pardon  à  Dieu  en  mourant,  à  commencer  par 
le  pape  Jean  XII,  et  à  finir  par  le  jésuite  LeTellier  et  consorts.  Il 
me  paraît  que  Gouju  écrit  contre  les  théologiens  fripons  qui  se 
confirment  dans  le  crime  en  disant  :  La  religion  chrétienne  est 
fausse:  donc  il  n'y  a  point  de  Dieu.  Gouju  rendrait  service  au 
genre  humain  s'il  confondait  les  coquins  qui  font  ce  mauvais 
raisonnement. 

Mais  vraiment  oui  ; 

Dieu,  qui  savez  punir,  qu'Atide  me  haïsse^  1 

1.  Voltaire  écrivait  le  8  novembre  1750,  à  M""=  de  Lutzelbourg  :  «  Cette  belle 
affaire  n'est  pas  prête  à  finir.  » 

2.  Afin  de  négocier  la  paix  entre  la  France  et  l'Angleterre. 

3.  Voyez,  tome  IV,  les  variantes  de  Zulime,  acte  III,  scène  v. 


A.\.\i:r     17(11.  459 

€st  une  assez  jolie  prière  à  Jésus-Christ  ;  mais  je  ne  me  souviens 
plus  des  vers  qui  précèdent;  je  les  chercherai  quand  je  retour- 
nerai aux  Délices. 

Je  travaille  sur  Pierre,  je  commente,  je  suis  lourd.  C'est 
une  terrihle  entreprise  de  commenter  trente-deux  pièces,  dont 
vingt-deux  ne  sont  pas  supportables,  et  ne  méritent  pas  d'être 
lues. 

Les  estampes  étaient  commencées.  Les  Cramer  les  vouhMit.  Je 
ne  me  mêlerai  que  de  commenter,  et  d'avoir  raison  si  jo  peux. 
Dieu  me  garde  seulement  de  permettre  qu'ils  donnent  une  an- 
nonce avant  qu'on  puisse  imprimer!  Je  veux  qu'on  ne  promette 
rien  au  public,  et  qu'on  lui  donne  beaucoup  à  la  fois.  Mes  anges, 
j'ai  le  cœur  serré  du  triste  état  où  je  vois  la  France;  je  ne  ierai 
jamais  de  tragédie  si  plate  que  notre  situation  :  je  me  console 
comme  je  peux.  Qu'importe  un  Picardet  ou  Rigardet?  Il  faut 
que  je  rie,  pour  me  distraire  du  chagrin  que  me  donnent  les  sot- 
tises de  ma  patrie.  Je  vous  aime,  mes  divins  anges,  et  c'est  là  ma 
plus  chère  consolation.  Je  baise  le  bout  de  vos  ailes. 

.V.  B.  Qu'importe  que  M.  le  duc  de  Cboiseul  ait  la  marine  ou 
la  politique?  Melin  de  Saint-Gelais\  auteur  du  Droit  du  Seigneur» 
ne  peut-il  pas  dédier  sa  pièce  à  ([ui  il  veut-  ? 

4093.   —   A    M.    LK    IJAULT  s, 

CONSEILLER      D  K     C  II  A  \  D 'c  II  A  M  UI!  K  ,     A     DIJON. 

A  roriii'\ .  par  (Joiirvo,  .'iO  septembre  1701. 

Motisicur,  pour  vous  amuser  pendant  les  vendanges,  souffrez 
<[ue  je  vous  prenne  pour  arbitre  conjointement  avec  monsieur 
le  premier  président  et  monsieur  le  procureur  général.  Le  procédé 
de  M.  le  pr(''.sidciit  de  iîi'osses  \uus  siir[)i'en(li'a  [)eut-êli'e  *,  mais  il 


1.  Voyez  tome  VI,  pa^e  3. 

2.  Une  lettre  de  Titoii  du  Tillet  (Kverard,  railleur  du  l'anuisxc  François)  à  Vol- 
taire est  signaléi;,  ii  la  datf;  du  '2S  septemhrc  1701,  dans  un  calaloirue  d'autoirra- 
plics  avec  la  mention  suivante  :  «  Superbe  lettre  où  il  mande  (|u'il  vient  de  rece- 
voir des  prci.sents  du  roi  de  Danemark,  et  où  il  félicite  \  ollaire  de  ce  i|ii'ii  a  fait 
j)Our  M""  Corneille.  » 

:<.  I^ldileur,  Th.  Foissel. 

i.  L'assi{,'nati(in  de  M.  de  Hrosscs  à  Haudy  est  du  2  juin  17C1  (vinRt-ncuf  mois 
apri'-s  la  livraison  du  bois);  celle  de  Haudy  à  Voltaire  est  du  31  juillet  suivant. 
L'affaire  fut  appelée!  à  l'audience  du  bailliage  de  Ge\,  le  2i  septembre,  et  ren- 
voyée, après  jonction,  sans  ajournement  fixe.  {DJole  du  premier  éditeur.) 


460  COfîUHSPONDANCIÎ. 

ne  surprond  ici  poiieoiinc.  J'en  .siiisfAché  pour  lui  plus  que  pour 
moi. 

J'ai  l'honneur  d'être  avec  bien  du  respect,  monsieur,  votre 
très-humble,  etc. 

Voltaire. 

4G9i.   —  A  M.    DE   RUFFEY', 

PRÉSIDENT   HONORAIRE    DE     LA     CHAMBRE    DES    COMPTES    DE    DIJON. 

A  Fcrney,  par  Genève,  30  septembre. 

Ceci,  monsieur,  n'est  pas  académique,  c'est  chicane;  mais  le 
tout  pourra  vous  amuser.  Je  prends  pour  arbitres  monsieur  le 
premier  président*,  monsieur  le  procureur  généraP  et  M.  Le 
Bault.  Le  Fétiche  en  veut-il  faire  autant? 

Je  consens  à  lui  rendre  Tournay  et  à  lui  donner  Ferney,  si 
dans  toute  la  province  de  Bourgogne  il  se  trouve  un  seul  homme 
qui  approuve  son  procédé. 

Je  vous  quitte  pour  Corneille.  Quand  vous  voudrez  nous 
venir  voir  avec  M""^  de  Ruffey,  nous  vous  donnerons  la  comédie. 

Je  vous  embrasse  très-tendrement  et  sans  compliment.  V. 


*  Quand  M.  le  présidentde  Brosses  vendit  la  terre  de  Tournay 
à  vie  à  François  de  Voltaire,  gentilhomme  ordinaire  de  la  chambre 
du  roi,  âgé  alors  de  soixante  et  six  ans  ^  l'acquéreur,  qui  ne  con- 
naissait point  cette  terre,  s'en  remit  entièrement  à  la  probité  et  à 
la  noblesse  des  sentiments  de  M.  le  président  de  Brosses. 

Monsieur  le  président  avait  fait  ci-devant  un  bail  de  trois  mille 
livres  par  année  de  cette  môme  terre  avec  le  sieur  Choiiet,  fils  du 
premier  syndic  de  Genève,  qui  était  son  fermier;  mais  le  sieur 
Choûet  y  avait  perdu,  de  notoriété  publique,  vingt-deux  mille 
francs,  et  la  terre  ne  rapporte  pas  douze  cents  livres  dans  les 
meilleures  années.  Monsieur  le  président  exigea  de  l'acquéreur  à 


1.  Éditeur,  Th.  Foisset. 

2.  Le  second  premier  président  de  La  Marche  (Jean-Philippe),  fils  de  celui  que 
Voltaire  appelait  mon  contemporain. 

3.  Louis  Quarré  de  Quintin,  homme  d'un  esprit  fort  cultivé,  avec  lequel  Vol- 
taire était  en  très-bons  termes. 

4.  L'exposé  qui  suit  se  trouve  également  joint  à  la  lettre  précédente,  adressée 
à  M.  Le  Bault. 

5.  Lisez  64.  Voltaire  était  né  en  1694,  et  il  acheta  Tournay  en  1758. 


ANNKE     1701.  464 

vie,  âgé  de  soixante-six  ans,  trente-cinq  mille  six  cents  livres,  ar- 
gent comptant,  et  douze  mille  francs  en  réparations  à  faire  au 
château  et  à  la  terre  en  trois  années  de  temps;  l'acquéreur  fit, 
en  trois  mois,  pour  dix-huit  mille  livres  de  réparations,  dont  il  a 
les  quittances. 

Il  y  a  dans  cette  petite  terre  do  Tournay  un  hois  que  monsieur 
le  président  lui  donna  pour  un  bois  de  cent  arpents  dans  restima- 
tion  de  la  terre.  Les  ingénieurs  qui  sont  venus  mesurer  par  ordre 
du  roi  toutes  les  terres  de  France  ont  trouvé  que  ce  bois,  mesuré 
géométriquement,  ne  contient  pas  quarante  arpents,  et  rac(iué- 
reur  a  entre  les  mains  le  plan  des  ingénieurs  du  roi. 

.\on-seulement  l'acquéreur  essuya  ces  pertes  considérables, 
qui  ruinent  sa  fortune,  mais  monsieur  le  président  lui  persuada, 
avant  de  lui  faire  signer  le  contrat,  qu'il  avait  vendu  en  dernier 
lieu  à  un  négociant  de  Genève  une  partie  de  sa  forêt  qui  était 
abattue,  et  qu'il  ne  pouvait  rompre  ce  marché.  11  fut  stipulé  dans 
le  contrat,  passé  au  mois  de  novembre  1758,  que  M.  de  Voltaire 
aurait  la  jouissance  entière  de  la  terre  de  ïournay,  et  des  bois 
qui  sont  sur  pied  et  non  vendus.  L'acquéreur  ne  pouvant  pas 
douter,  sur  la  parole  de  monsieur  le  président,  qu'il  n'y  eût  une 
vente  véritable,  signa  le  contrat  de  sa  ruine. 

Ayant  bientôt  vu  à  quel  excès  il  était  lésé  dans  son  marché,  il 
s'en  plaignit  modestement  à  monsieur  le  président,  et  lui  demanda 
par  ses  lettres  pourquoi  il  avait  vendu  ces  bois,  qui  devaient  appar- 
tenir à  l'acquéreur;  monsieurleprésident  lui  répondit,  par  sa  lettre 
du  12  janvier  1759  :  «  Il  est  vrai  qu'on  a  mis  un  certain  nombre 
de  chênes  au  niveau  des  herbes  pour  certaines  raisons  à  moi 
connues  ;  mais  à  quoi  la  faim  de  l'or  ne  contraint-elle  pas  les 
poitrines  mortelles  ^  » 

L'acquéreur  fut  bien  surpris,  quelque  temps  après,  quand  toute 
la  province  lui  apprit  que  monsieur  le  président  n'avait  point  du 
tout  vendu  ces  bois.  Il  les  faisait  vendre,  exploiter  en  détail,  pour 
son  compte  i)ar  un  paysan  du  village  de  Chambésy,  nommé 
Charles  IJaiidy,  lequel  Charles  Jîaudy,  son  commissionnaire, 
com|)te  avec  lui  de  clerc  à  maître. 


1.  Celte  lettre  est  perdue,  mais  la  date  est  remarquable.  C'était  un  mois  seu- 
l(,'iiii!iit  après  la  vente  ù  vie  de  Touniay:  ce  qui  exclut  maniresteuient  tout  si)up(;ou 
d'une  vcute  de  bois  inventée  après  coup  eu  17(J1.  D'ailleurs  les  termes  cités  par 
Voltaire  prouvent  que  nou-seulenu-nl  la  vente,  mais  la  cou|)e,  étaient  choses  con- 
sommées au  1"-  janvier  17.j'.t.  Or  on  avait  vendu  à  \oltaire  les  bois  qui  étaient 
sur  pied  et  non  les  bois  uhallus.  11  en  conveiiail  lui  luèmc  tout  à  l'heure.  [JS'ulc 
du  premier  édileur.) 


462  COKKESl'ONDAxNCli:. 

Il  est  triste  d'être  obligé  de  dire  que  l'acquéreur,  manquant 
de  bois  de  cbaullage  lorsqu'il  acbeta  la  terre  de  Tournay,  eut,  on 
présence  de  toute  sa  famille,  parole  de  monsieur  le  président  qu'il 
lui  serait  loisible  de  prendre  douze  moules  de  ces  bois  prétendus 
vendus,  pour  se  cbaufl'er  :  il  en  prit  quatre  ou  cinq  tout  au  plus. 

Enfin,  au  bout  de  trois  années,  monsieur  le  président  lui  in- 
tente un  procès  au  bailliage  de  Gex,  sous  le  nom  de  Charles  Baudy, 
son  commissionnaire,  pour  payement  de  deux  cent  «luatre-vingt 
et  une  livres  de  bois  ;  et  voici  comme  il  s'y  prend. 

11  assigne  Charles  Baudy,  son  commissionnaire,  qu'il  l'ait 
passer  pour  son  marchand,  et  il  dit,  dans  celte  assignation  du 
2  juin,  que  Charles  Caudy  lui  retient  281 'livres  parce  qu'il  a 
fourni  h  M,  de  Voltaire  pour  281  livres  de  bois;  et  Charles  Caudy, 
au  bas  de  cet  exploit,  assigne  François  de  Voltaire, 

l.e  défendeur  ne  veut,  pour  preuve  de  l'injustice  qu'il  essuie, 
que  l'exploit  même  de  monsieur  le  président.  Il  est  clair,  par  l'as- 
signation donnée  par  lui  à  Charles  Baudy,  que  ce  Charles  Caudy 
compte  avec  lui  de  clerc  à  maître,  comme  toute  la  province  le  sait. 
Monsieur  le  président  dit,  dans  son  exploit,  que  Charles  Caudy  et 
lui  firent  un  marché  ensemble  en  l'année  175G.  Est-ce  ainsi  qu'on 
s'explique  sur  un  marché  véritable?  i\'exprime-t-on  pas  la  date 
et  le  prix  du  marché  ?  Ladite  assignation  porte  en  général  une  cer- 
taine quantité  d'arbres.  Ae  devait-on  passpécilîer  cette  quantité^? 
Ladite  assignation  porte  que  ces  bois  furent  marqués.  Mais  s'ils 
avaient  été  marqués  juridiquement,  n'en  saurait- on  pas  le 
nombre?  ?s''est-ce  pas  un  garde-marteau  qui  devrait  avoir  mar- 
qué ces  bois  ?  Peut-on  les  avoir  marqués  sans  la  permission  du 
grand-maître  des  eaux  et  forêts?  On  ne  produit  ni  permission,  ni 
marque  de  bois,  ni  acte  passé  avec  ledit  Caudy  -. 

Il  est  donc  clair  comme  le  jour  que  monsieur  le  président  n'a 
point  fait  de  vente  réelle,  que  par  conséquent  tous  lesdits  bois,  in- 
justement distraits  du  forestal  sous  prétexte  d'une  vente  simulée, 
appartiennent  légitimement  à  rac([uéreur  de  la  terre. 

Baudy  en  a  vendu  pour  4,800  livres  :  partant,  François  de  Vol- 


1.  Non,  car  cela  ne  touchait  eu  rien  le  procès  fait,  à  Voltaire.  Avait-il  ou  non 
brûlé  quatorze  moules  de  bois  livrés  par  Baudy?  C'était  toute  la  question.  (Note 
du  premier  éditeur.) 

2.  Pour  donner  juridiquement  copie  de  la  vente  de  bois  faite  à  Baudy,  il  eût 
fallu  la  faire  contrôler,  et  par  suite  payer  au  fisc  un  double  droit.  Baudy  certes 
n'y  était  nullement  obligé.  11  suffisait  que  la  vente  fût  tenue  pour  constante  par 
le  vendeur  et  l'acheteur.  Voltaire,  étranger  à  cette  convention,  n'avait  rien  à  y 
voir  assurément.  {Id.) 


AN.NKK    1701.  463 

taire  est  bien  fondé  à  demander  la  restitution  de  la  valeur  de 
Z|,700  livres  de  bois'  ; 

Plus,  l'indemnisation  des  dommages  causés  par  l'enlèvement 
de  ces  bois  au  mois  de  mai  1750,  contre  les  ordonnances,  comme 
il  est  même  spécifié  dans  l'exploit  de  monsieur  le  président,  qui 
porte  que  Baudy  exploita  et  tira  ces  bois  de  lalbrét  jusqu'au  mois 
de  mai  1759; 

Le  défendeur  se  réservant  ses  autres  droits  sur  la  lésion  do 
plus  de  moitié,  qu'il  a  essuyée  quand  m'onsieur  le  président  lui  a 
vendu  quarante  arpents  pour  cent  arpents. 

4G95.   —   A   MADA.MK    LA   COMTESSE  DE   LLTZELBOUnC. 
Au  château  de  Ferney,  30  septembre. 

Vous  écrivez  de  votre  main,  madame,  et  je  ne  puis  en  faire 
autant.  Comment  n'avez-vous  pas  un  petit  secrétaire,  pas  plus 
gros  que  rien,  qui  vous  amuserait,  et  qui  me  donnerait  souvent 
de  vos  nouvelles?  Il  ne  faut  se  refuser  aucune  dos  petites  conso- 
lations qui  peuvent  rendre  la  vie  plus  douce  à  notre  âge. 

Vous  ne  me  mandez  point  si  vous  aviez  votre  amie-  avec  vous. 
Elle  aura  dû  être  bien  ellrayée  du  sacrement  dont  vous  me  par- 
lez. Je  vous  crois  de  la  pâte  du  cardinal  de  Fleury  et  de  celle  do 
Fontenelle.  Nous  avons  à  Genève  une  femme  de  cent  trois  ans^ 
([ui  est  de  la  meilleure  compagnie  du  monde,  et  le  conseil  de 
toute  sa  famille.  Voilà  de  jolis  exemples  à  suivre.  Je  vous  \ 
exhorte  avec  le  plus  grand  empressement. 

Je  vous  remercie  de  tout  mou  cœur,  madame,  du  portrait  de 
M'"^  de  Pompadourque  vous  voulez  bien  m'envoyer.  Je  lui  ai  les 
plus  grandes  obligations  depuis  (luolque  temps;  elle  a  fait  des 
choses  charmantes  pour  M"'  Corneille. 

Je  ne  suis  point  acluolloment  aux  Délices.  Figurez-vous  que 
M.  le  duc  de  Villars  occupe  cette  petite  maisonnette  avec  tout 
son  train.  Je  la  lui  ai  prêtée  i)0iir  être  plus  à  portée  du  docteur 


I.  A  force  d'être  incroyable,  cette  prétention  n'est-elle  pas  comique?  Baudy, 
on  IT.V),  bien  avant  que  Voltaire  sonfreàt  à  Tournay,  avait  acheté  la  supciiicio 
d'une  partie  des  bois  do  cette  terre.  Ces  bois  étaient  abattus  quand  le  poëtc 
acquit  Tournay,  deux  ans  après.  Nulle  nécessité  dès  lors  de  lus  excepter  de  cette 
acquisition,  et  pourtant,  pour  pluh  de  clarté,  ils  en  sont  formellement  exclus 
(vo}ez  l'acte  du  11  décembre  175Hi.  A  quel  litre  pouvaient-ils  donc  étro  revendi- 
qués par  Voltaire?  {Nute  du  premier  éditeur.) 

-.  M""  de  Hrumalii. 

3.  M"'«  Lullin. 


464  CORUESPONDANCE. 

Troncllin,  qui  donne  une  santé  vigoureuse  à  tout  le  monde, 
excepté  à  moi. 

M.  le  duc  de  Bouillon  ne  vous  écrit-il  pas  quelquefois?  11  a 
fait  des  vers  pour  moi,  mais  je  le  lui  ai  bien  rendu  '. 

Recevez-vous  des  nouvelles  de  M.  le  prince  de  Beaufremont? 
Je  voudrais  bien  le  rencontrer  quelquefois  chez  vous.  Il  me  paraît 
d'une  singularité  beaucoup  plus  aimable  que  celle  de  monsieur 
son  père.  Mais,  madame,  avec  une  détestable  santé,  et  plus  d'af- 
faires qu'un  commis  de  ministre,  il  faut  que  je  renonce  pour 
deux  ans  au  moins  à  vous  faire  ma  cour.  Et  si  je  ne  vous  vois 
pas  dans  trois  ans,  ce  sera  dans  quatre;  je  ne  veux  pour  rien  au 
monde  renoncer  à  cette  espérance.  J'ai  actuellement  chez  moi  le 
plus  grand  chimiste  de  France,  qui  sans  doute  me  rajeunira  : 
c'est  M.  le  comte  de  Lauraguais.  C'est  un  jeune  homme  qui  a 
tous  les  talents  et  toutes  les  singularités  possibles,  avec  plus 
d'esprit  et  de  connaissances  qu'aucun  homme  de  sa  sorte. 

Adieu,  madame  ;  plus  je  vois  de  gens  aimables,  plus  je  vous 
regrette.  Mille  tendres  respects. 

4096.    —  A  M.  VERiXES, 

A     SÉLIGNY. 

A  Ferney,  1"  octobre. 

J'ai  été  malade  et,  de  plus,  très-occupé,  mon  cher  prêtre. 
Pardon  si  je  vous  réponds  si  tard  sur  le  manuscrit  indien  2.  Ce 
sera  le  seul  trésor  qui  nous  restera  de  notre  compagnie  des 
Indes. 

M.  de  La  Persilière  n'a  aucune  part  à  cet  ouvrage  :  il  a  été 
réellement  traduit  à  Bénarès  par  un  brame  correspondant  de 
notre  pauvre  compagnie,  et  qui  entend  assez  bien  le  français. 

M.  de  Maudave  ^,  commandant  pour  le  roi  sur  la  côte  de 
Coromandel,  qui  vint  me  voir  il  y  a  quelques  années,  me  fit 
présent  de  ce  manuscrit.  Il  est  assurément  très-authentique,  et 
doit  avoir  été  fait  longtemps  avant  l'expédition  d'Alexandre,  car 
aucun  nom  de  fleuve,  de  montagne,  ni  de  ville,  ne  ressemble 
aux  noms  grecs  que  les  compagnons  d'Alexandre  donnèrent  à 
ces  pays.  Il  faut  un  commentaire  perpétuel  pour  savoir  où  l'on 
est,  et  à  qui  l'on  a  affaire. 

Le  manuscrit  est  intitulé  Ézour-Veidam,  c'est-à-dire  Commen- 

1.  Voyez  la  lettre  4623. 

2.  Voyez  tome  XXVI,  page  392. 

3.  Voyez  tome  XL,  page  547. 


ANNEE    I7GI.  465 

taire  du  Veidam.  Il  est  d'autant  plus  ancien  qu'on  y  combat  les 
commencements  de  ridolàtrie.  Je  le  crois  de  plusieurs  siècles 
antérieur  à  Pythagore.  Je  l'ai  envoyé  à  la  Ijibliothèque  du  roi,  et 
on  l'y  regarde  comme  le  monument  le  plus  précieux  qu'elle  pos- 
sède. J'en  ai  une  copie  très-informe,  faite  à  la  hâte  ;  elle  est  aux 
Délices';  et  vous  savez  peut-être  que  j'ai  prêté  les  Délices  à  M.  le 
duc  de  Villars. 

Vous  seriez  bien  étonné  de  trouver  dans  ce  manuscrit  quel- 
ques-unes de  vos  opinions  ;  mais  vous  verriez  que  les  anciens 
brachmanes,  qui  pensaient  comme  vous  et  vos  amis,  avaient 
plus  de  courage  que  vous. 

Il  est  bien  ridicule  que  vous  ne  puissiez  consacrer  mon  église, 
et  peut-être  plus  ridicule  encore  que  je  ne  puisse  la  consacrer 
moi-même. 

Je  vous  embrasse  au  nom  de  Dieu  seul  *. 

4G97.  —   A  M.   DU  CLOS  2. 


Je  vous  réitère,  monsieur,  mes  remerciements  aussi  bien 
qu'à  l'Académie,  et  je  la  conjure  de  ne  se  point  lasser  de  m'ho- 
norer  de  ses  avis.  C'est  un  fardeau  désagréable  peut-être  de 
relire  deux  fois  la  même  chose  ;  mais  c'est,  je  crois,  le  seul  moyeu 
de  rendre  le  Commentaire  sur  Corneille  digne  de  l'Académie,  qui 
veut  bien  encourager  cet  ouvrage.  Il  ne  s'agit  d'ailleurs  que  de 
relire  les  endroits  sur  lesquels  l'Académie  a  bien  voulu  faire  des 
remarques,  et  de  voir  si  je  me  suis  conformé  à  ses  idées. 

J'ai  donc  l'honneur  de  vous  renvoyer  le  commentaire  sur 
Pompée,  corrigé  et  augmenté,  avec  les  observations  de  l'Académie 
en  marge,  et  des  X.  B.  h  tous  les  endroits  nouveaux  ;  ce  sera  l'af- 
faire d'une  séance. 

Vous  avez  dû  recevoir  le  commentaire  sur  Cinna,  revu  et  cor- 
rigé, avec  l'esquisse  du  commentaire  sur  Polyeucte.  Il  n'y  en  aura 
aucun  que  je  ne  corrige  d'après  les  observations  que  l'Académie 
voudra  bien  faire.  Dès  que  vous  aurez  eu  la  bonté  de  me  ren- 
voyer Cinna,  Pomjiie  et  Polyeucte,  vous  aurez  incontinent  les  pièces 
suivantes.  Je  suis  bien  malade  ;  mais  je  ne  ménagerai  ni  mon 
temps  ni  mes  peines. 

Je  vous  prie  de  présenter  mes  respects  à  la  compagnie. 

1.  Les  précédents  éililcurs  avaient  ajouté  à  C(;ltc  lettre  le  paragraphe  qui 
termine  la  lettre  i680    (voyez  il.  Hcaune,   VuUairc  au  collrije,  page  811). 

2.  Éditeurs,  de  Cuyrol  et  Franrois. 

41.   —    CORIIESI'O.NDANCP..    IX.  30 


466  CORRESPONDANCE. 

4698. —  A   M.    LE    COMTE    D'ARGENTAL. 

3  octobre. 

Permettez-moi,  mes  anges,  de  vous  demander  si  vous  avez 
donné  Polijcucle  à  M.  Duclos.  J'ai  renvoyé  deux  fois  China  et 
Pompée.  L'Académie  met  ses  observations  en  marge.  Je  rectifie  en 
conséquence,  ou  je  dispute;  et  chaque  pièce  sera  examinée 
deux  fois  avant  de  commencer  l'édition.  C'est  le  seul  moyen  de 
faire  un  ouvrage  utile.  Ce  sera  une  grammaire  et  une  poétique 
au  bas  des  pages  de  Corneille,  mais  il  faut  que  l'Académie 
m'aide,  et  qu'elle  prenne  la  chose  à  cœur.  Je  fatigue  peut-être 
sa  bonté  ;  mais  n'est-ce  pas  un  amusement  pour  elle  de  juger 
Corneille  de  petit  commissaire^  sur  mon  rapport?  Si  vous  voyez 
quelque  académicien,  mettez-lui  le  cœur  au  ventre.  Je  serai 
quitte  de  la  grosse  besogne  avant  qu'il  soit  un  mois. 

J'appelle  grosse  besogne  le  fond  de  mes  observations  ;  ensuite 
il  faudra  non-seulement  être  poli,  mais  polir  son  style,  et  tâcher 
de  répandre  quelques  poignées  de  Heurs  sur  la  sécheresse  du 
commentaire. 

M.  de  Lauraguais,  qui  est  ici,  me  paraît  un  grand  serviteur 
des  Grecs  ;  il  veut  surtout  de  l'action,  de  l'appareil.  Vous  voyez 
qu'il  court  après  son  argent,  et  qu'il  ne  veut  pas  avoir  agrandi 
le  théâtre  pour  qu'il  ne  s'y  passe  rien.  Il  dit  qu'à  présent  Sèmi- 
ramis  et  Mahomet  font  un  effet  prodigieux.  Dieu  soit  loué  !  On  se 
défera  enfin  des  conversations  d'amour,  des  petites  déclarations 
d'amour;  les  passions  seront  tragiques,  et  auront  des  effets  ter- 
ribles ;  mais  tout  dépend  d'un  acteur  et  d'une  actrice.  C'est  là  le 
grand  mal;  cet  art  est  trop  avili. 

Peut-on  ne  pas  avoir  en  horreur  le  fanatisme  insolent  qui 
attache  de  l'infamie  au  cinquième  acte  de  Rodogune?  Ah,  bar- 
bares! ah,  chiens  de  chrétiens!  (chiens  de  chrétiens  veut  dire 
chiens  qui  faites  les  chrétiens)  que  je  vous  déteste!  que  mon 
mépris  et  ma  haine  pour  vous  augmentent  continuellement! 

M'"*^  de  Sauvigny  dit  que  Clairon  viendra  me  voir  :  qu'elle  y 
vienne,  mon  théâtre  est  fait  ;  il  est  très-beau,  et  il  n'y  en  a  point 

1.  Regnard  a  dit  dans  le  Légataire,  acte  I,  scène  i  : 

Nous  jugions  à  huis  clos  de  petits  commissaires. 

Juger,  travailler  de  petits  commissaires,  se  disait  lorsque  c'était  chez  le  prési- 
dent que  les  conseillers  jugeaient,  travaillaient. 


ANNÉE    17GI.  407 

de  plus  commode.  Nous  commençons  par  l'Écossaise;  nous  atten- 
dons qu'on  joue  à  Paris  le  Droit  du  Seigtieur  pour  nous  on  em- 
parer. 

Je  suis  bien  vieux  ;  pourrai-je  faire  encore  une  tragédie? 
qu'en  ,pensez-vous?  Pour  moi,  je  tremble.  Vous  m'avez  furieuse- 
ment remis  au  tripot,  ayez  pitié  de  moi. 

4099.   —  A    M.    ABEILLE!. 

A  Ferney,  7  octobre. 

Ne  jugez  pas,  monsieur,  de  ma  reconnaissance  par  le  délai 
de  mes  rcmerrioments.  Des  spectacles  qu'il  a  fallu  donner  cliez 
moi,  par  complaisance  autant  que  par  goût,  m'ont,  pendant 
quoique  temps,  détourné  de  l'agriculture  ; 

Poslliabui  tamen  illoruiii  mea  séria  ludo*. 

Je  profite  des  premiers  moments  d'un  loisir  nécessaire  à  mon 
âge  et  à  ma  mauvaise  santé,  pour  vous  dire  que  je  n'ai  pas  seu- 
lement lu  avec  plaisir,  mais  avec  fruit,  le  livre  dont  vous  avez 
bien  voulu  m'iionorer.  Ce  sera  à  vous,  monsieur,  que  je  devrai 
des  prés  artificiels.  Je  les  fais  tous  labourer  et  fumer.  Je  sème 
du  trèfle  dans  les  uns,  et  du  fromentel  dans  les  autres.  Tout 
vieux  que  je  suis,  je  me  regarde  comme  votre  disciple.  On  dé- 
fricbo,  dit-on,  une  partie  des  landes  do  P>ordeaux,  et  on  doute 
du  succès.  Je  ne  doute  pas  des  vôtres  en  Bretagne.  Les  états  se 
signalent  par  des  encouragements  plus  utiles  que  dos  batailles. 
Vous  partagez  cotte  gloire.  Soyez  persuadé,  monsieur,  de  la  re- 
connaissance respectueuse  avec  laquelle  j'ai  bien  sincèrement 
l'honneur  d'être  votre  très-humble  et  très-obéissant  serviteur. 

4700.   _  A   .M.   LE   PRÉSIDENT   DE    RUFEKY^ 

7  ocloliif. 

Mon  cher  président,  vous  avez  une  hollo  Amo,  vous  n'êtes 
point  fétiche.  Je  suis  pénétré  do  vos  bontés,  et  je  compte  sur 
votre  amitié  pour  le  reste  de  ma  vie.  J'envoie  à  M.  de  Blancey  et 

1.  Louis-Piml  Abeille,  n6  à  Toulon  lo  2  juin  1719,  mort  le  >2S  juillet  1807,  avait 
pultlii-  l.î  Coriix  d'observations  de  la  Societi-  d'a'jricullure.  de  commerce  et  des  arts, 
établie  par  les  étals  de  Uretagne,  1701,  in-S". 

2.  Virgile,  eclog.  vu,  17. 

3.  Éditeur,  Th.  Foisset. 


468  CORRESPONDANCE. 

à  M.  de  Varennes'  mes  réponses  à  l'assignation  du  Fétiche,  Cor- 
neille me  reproche  de  le  quitter  pour  des  fagots.  Son  ombre  en 
murmure.  11  est  cruel  de  passer  de  Cinna  et  de  Rodogune  à  une 
assignation  ;  mais  que  faire?  Le  misérable  m'accable  d'exploits-  : 
il  faut  répondre. 

Je  vous  supplie  de  hre  dans  le  mémoire  envoyé  à  M.  de 
Blancey  un  petit  trait  oublié  dans  le  vôtre.  Le  Fétiche  demande 
de  l'argent  de  ses  moules  et  de  ses  fagots.  Il  dit  dans  son  ex- 
ploit que  Baudy  lui  rend  12  livres  du  moule.  Baudy  dans  son 
exploit  me  demande  12  livres  du  moule. 

Il  est  évident  que  si  le  Fétiche  avait  vendu  réellement  à  Baudy 
des  bois  à  12  livres  le  moule,  ledit  Baudy,  marchand,  les  ven- 
drait davantage.  Il  est  clair  qu'il  compte  avec  le  Fétiche  de  clerc 
à  maître,  et  que  le  Fétiche  lui  donne  quelque  chose  pour  ses 
peines. 

Il  est  démontré,  comme  je  le  dis,  que  le  président  a  fait  une 
vente  simulée,  qu'il  m'a  trompé  grossièrement  dans  le  temps 
qu'il  me  vendait  sa  terre.  Et  si  je  vous  disais  que  je  soup- 
çonnai cette  bassesse  il  y  a  trois  ans,  et  que  je  déclarai  que  je  ne 
laisserais  point  sortir  les  bois,  à  moins  qu'on  ne  me  montrât 
un  acte  réel  de  vente,  et  que  le  président  m'en  fit  présenter  un 
faux  par  Baudy  :  que  diriez-vous,  vous,  homme  vertueux  ?  Son- 
gez qu'il  faisait  cette  infamie  dans  le  temps  qu'il  recevait  de  moi 
47,000  livres!  Vous  ne  direz  plus  qu'il  est  bon  homme  quand 
il  a  de  l'argent. 

Qu'il  tremble!  Il  ne  s'agit  pas  de  le  rendre  ridicule  :  il  s'agit 
de  le  déshonorer. 

Cela  m'afflige.  Mais  il  payera  cher  la  bassesse  d'un  procédé  si 
coupable  et  si  lâche. 

Je  vous  embrasse.  Vous  me  consolez. 


4701.  —  A  M.  LE  CARDINAL   DE   BERMS. 

A  Ferney   le  7  octobre. 

Monseigneur,  béni  soit  Dieu  de  ce  qu'il  vous  fait  aimer  tou- 
jours les  lettres!  Avec  ce  goût-là,  un  estomac  qui  digère,  deux 
cent  mille  livres  de  rente,  et  un  chapeau  rouge,  on  est  au-dessus 
de  tous  les  souverains.  Mettez  la  main  sur  la  conscience  :  quoique 

1.  Tous  deux  secrétaires  des  états  de  Bourgogne. 

2.  Lisez  d'un  exploit  :  il   n'}'  en  eut  pas  deux  dans  cette  affaire.   (Note  du 
premier  éditeur.) 


ANNEE    17  (il.  469 

TOUS  portiez  un  beau  nom,  et  que  vous  soyez  né  avec  une  éléva- 
tion d'esprit  digne  de  votre  naissance,  c'est  aux  lettres  que  vous 
devez  votre  fortune;  ce  sont  elles  qui  ont  fait  connaître  votre 
mérite^  ;  elles  feront  toujours  la  douceur  de  votre  vie.  Je  m'ima- 
gine quelquefois,  dans  mes  rêves,  que  vous  pourriez  avoir  des 
indigestions,  que  vous  pourriez  faire  comme  M.  le  duc  de  Villars, 
M°"-  la  comtesse  d'Harcourt,  M"'"  la  marquise  de  Muy,  etc.,  etc., 
qui  sont  venus  voir  Tronchin  comme  on  allait  autrefois  à  Kpi- 
daure.  J'ai  aux  portes  de  Genève  un  ermitage  intitulé  les  Délices. 
M.  le  duc  de  Villars  a  trouvé  le  secret  d'y  être  logé  in  fwcchi. 
Enfin  toute  mon  ambition  est  que  Votre  Éminence  ait  des  indi- 
gestions; cela  serait  plaisant  :  pourquoi  non?  Permettez-moi  de 
rêver. 

Votre  réflexion,  monseigneur,  sur  la  dédicace  de  l'Académie 
est  très-juste  ;  mais  figurez-vous  que  l'Académie,  loin  de  vouloir 
que  j'adoucisse  le  tableau  des  injustices  qu'essuya  Pierre,  veut 
que  je  le  cliarge,  et  celte  injonction  est  en  marge  du  manuscrit  ; 
on  est  indigné  d'une  certaine  protection  qu'on  a  donnée  à  cer- 
taines injures,  etc. 

Permettez-vous  que  j'aie  l'bonneur  de  vous  envoyer  les  com- 
mentaires sur  les  pièces  principales?  Vous  avez  sans  doute  votre 
bréviaire  de  saint  Pierre  Corneille;  vous  me  jugeriez,  et  cela 
vous  amuserait.  Mais  comment  me  renverriez-vous  mon  paquet? 
Vous  pourriez  ordonner  qu'on  le  revêtît  d'une  toile  cirée,  et  il 
pourrait  être  remis  en  ballot  à  Tronchin,  de  Lyon,  ci-devant 
confesseur  et  banquier  de  M.  le  cardinal  de  Tencin,  et  aujour- 
d'hui le  mien.  Ce  travail  est  assez  considérable,  et  transcrire  est 
bien  long.  En  attendant,  je  demande  à  Votre  Éminence  la  conti- 
nuation de  vos  bontés,  mais  surtout  la  continuation  de  votre 
philosophie,  qui  seule  fait  le  bonheur. 

Ne  bàtissez-vous  point?  ne  plantez-vous  point?  avez-vous  une 
Èinlre  de  moi  sur  l'Afj  ri  culture?  Bâtissez,  monseigneur,  i)laiitez, 
et  vous  goûterez  les  joies  du  paradis. 

Mille  tendres  et  j)r()funds  respects. 


I .  F.a  prcini"  re  «'•dilion  ili-s  Olùivres  diverses  <lc  poésie  et  de  prose,  par  M.  L.  D.  U. 
(M.  V&hUC-  (!.•  Beiiiis),  est  do  1745  (fin  ll't't],  in-l'J. 


470  CORRESPONDANCE. 

4702.  —  A   M.   DU  CLOS'. 

Ferney,  7  octobre. 

L'Acad(:'miG  me  pardonnera  sans  doute  l'em])arras  que  je  lui 
donne  :  vous  voyez  de  quelle  importance  il  est  (lue  nous  ayons 
raison  sur  tout  ce  que  nous  disons  du  Cid  et  des  Homccs,  de  Pompée, 
de  China  et  de  Polycuctc.  L'on  peut  impunément  se  tromper  sur 
la  Galerie  du  Palais  et  sur  Af/èsilas;  mais  je  ne  hasarderai  rien  sur 
les  pièces  que  l'admiration  publique  a  consacrées,  sans  avoir 
demandé  plusieurs  fois  des  instructions. 

Je  ne  veux  point  rendre  l'Académie  responsable  de  mon  com- 
mentaire ;  je  veux  seulement  profiter  de  ses  lumières,  qu'on  sache 
que  j'en  ai  profité,  et  que,  sans  ses  bontés  et  ses  soins,  le  com- 
mentaire serait  bien  moins  utile. 

Presque  tout  ce  que  j'ai  envoyé  n'est  qu'un  recueil  de  doutes. 
En  voici  encore  de  nouveaux  sur  Cinna.  Je  supplie  l'Académie  de 
les  lire  et  de  les  résoudre. 

Vous  devez  avoir  entre  les  mains  Cinna  et  Pohjeucte.  Vous  me 
permettrez,  quand  vous  m'aurez  renvoyé  le  canevas  du  commen- 
taire sur  Pohjeucte,  marginé,  de  vous  le  renvoyer  une  seconde 
fois.  Je  compte  embellir  un  peu  cet  ouvrage,  qui  est  sec  par  lui- 
même. 

Je  fais  venir  beaucoup  de  tragédies  espagnoles,  anglaises  et 
italiennes,  dont  la  comparaison  avec  celles  de  Corneille  ne  ser- 
vira pas  peu  à  faire  voir  la  supériorité  de  la  scène  française  sur 
celles  des  autres  nations,  supériorité  dont  nous  avons  l'obligation 
à  ce  grand  homme,  et  qui  a  contribué  principalement  à  faire  de 
notre  langue  la  langue  universelle-. 

Les  Cramer  ne  comptent  donner  une  annonce  que  quand  ils 
seront  sûrs  des  graveurs  et  du  temps  auquel  ils  auront  fini.  Je 
tâcherai  de  rendre  service,  dans  cette  alîaire,  au  libraire  de 


1.  Editeurs,  de  Cayrol  et  François. 

2.  On  a  remarqué  sans  doute  avec  quelle  respectueuse  admiration  Voltaire 
parle  toujours  de  Corneille  dans  la  liberté  d'une  correspondance  intime.  Ce  lan- 
gage semble  démentir  les  accusations  de  dénigrement  systématique,  et  même 
d'envie,  qu'on  lui  a  souvent  adressées.  Ne  serait-il  pas  plus  vrai  d'attribuer  les 
sévérités,  parfois  excessives,  les  injustices  même  de  son  commentaire,  à  la  fatigue 
d'un  long  travail,  à  l'ennui  d'un  examen  nécessairement  minutieux?  En  effet,  c'est 
à  la  fin,  c'est  aux  derniers  ouvrages  de  Corneille  que  se  trouvent  surtout  ces  cri- 
tiques trop  vives  et  souvent  irréfléchies.  Il  faut  aussi  avoir  le  courage  d'avouer 
que  Corneille,  tout  grand  qu'il  est,  ce  créateur  de  la  langue,  comme  l'appelle  son 
envieux  éditeur,  n'a  pu  tout  réformer,  le  style,  la  prosodie,  la  scène.  Il  a  con- 


ANNI'-E     17  01.  471 

l'Académie.  Il  n'y  a,  ce  me  semble,  qu'une  veuve  qui  paraisse  ; 
mais  n'y  a-t-il  pas  un  enfant  de  dix  à  douze  ans?  La  mère 
pourrait  me  l'envoyer,  je  le  ferais  travailler  chez  les  Cramer; 
il  apprendrait  son  art,  et  ce  voyage  lui  serait  très-utile.  Si  vous 
le  protégez  et  si  vous  approuvez  mon  idée,  il  n'y  a  qu'à  me  l'en- 
voyer. 

Je  compte  sur  vous  plus  que  sur  personne  ;  continuez-moi  votre 
bonne  volonté,  et  aidez-moi  de  vos  avis. 


4703.  —  A   M.   FYOT   DE   LA  MARCHE  i. 

Fcrney,  8  octobre. 

Mon  cher  oracle  de  Thémis  et  des  Muses,  votre  lettre  du 
27  septembre  m'a  fait  un  plaisir  presque  aussi  vif  que  votre  appa- 
rition à  Ferney  ou  à  Voltaire-,  Oui,  sans  doute,  j'irai  à  la  Marche, 
je  verrai  votre  labyrinthe,  et  je  voudrais  ne  point  trouver  de  lil 
pour  en  sortir. 

Comptez  que  c'est  un  bienfait  essentiel  de  permettre  que  votre 
graveur  travaille  pour  notre  Corneille.  Il  n'y  a  point  d'artiste  à 
Genève  dans  ce  genre-là.  On  est  obligé  de  dépendre  des  graveurs 
de  Paris,  qui  sont  surchargés  d'ouvrage.  Je  mourrais  de  vieillesse 
et  de  dépit  avant  qu'ils  eussent  fini.  Permettez  donc  que  votre 
protégé  nous  aide  de  dix  estampes  ^  et  surtout  ne  l'empêchez 
pas  de  recevoir  des  Cramer  un  petit  honoraire.  C'est  une  alïaire 
d'environ  cinquante  louis  :  il  n'est  pas  possible  d'en  user  autre- 
ment, je  vous  conjure  de  le  souffrir. 

Je  renvoie,  comme  vous  l'ordonnez,  tous  ses  dessins,  dont  je 


serve  quelques  défauts  de  son  temps.  Voltaire  les  a  relevés;  il  le  devait.  Il  ne 
pouvait  approuver  ces  rudesses  de  notre  poésie  primitive,  ces  incorrections,  ces 
fautes  de  langage,  quoique  étrangères  à  Corneille. 

Mais  de  nos  jours  il  s'est  formé  une  autre  classe  de  vengeurs  do  Corneille,  qui 
admirent  tout,  particulièrement  ses  défauts  comme  la  jusiitication  ilc  leur  propre 
style.  Ceux-là  trouvent  doublement  leur  compte  en  attaquant  rillu>trc  commen- 
tateur. Ils  rabaissent  le  génie  d'un  de  nos  plus  grands  écrivains  cl  travaillent 
à  leur  gloire  personnelle.  (Xote  des  premiers  éditeurs.) 

1.  Éditeur,  Th.  Foissct. 

2.  Allusion  à  celte  plaisanterie  de  Marot  à  François  !"■  : 

C.-ir  depuis  peu  j'ai  basti  à  Clément 
lit  à  .Marut,  cjui  est  un  pou  plus  luiiig. 

3.  Voltaire  en  indique  douze  dans  sa  lettre  à  de  Vosge  (n"  i*.V2j).  Il  parli! 
également  de  douze  dans  les  lettres  ci-après. 


472  CORRESPONDANCE. 

suis  tros-contcnt,  avec  un  petit  mot  de  remerciement  et  d'in- 
struction pour  lui  ^ 

Je  vous  avoue  que,  dans  ces  ornements,  je  demande  célérité 
plutôt  que  perfection  ;  je  n'ai  jamais  trop  aimé  les  estampes  dans 
les  livres  ;  que  m'importe  une  taille-douce  quand  je  lis  le  second 
livre  de  Virgile,  et  quel  burin  ajoutera  quelque  chose  à  la  des- 
cription de  la  ruine  de  Troie  ?  Mais  les  souscripteurs  aiment  ces 
pompons,  et  il  faut  les  contenter. 

Je  plains  votre  jeune  homme  s'il  est  obligé  de  lire  les  pièces 
dont  il  gravera  le  sujet.  Cinna  et  les  belles  scènes  du  Cid,  de  Pom- 
pée, d'Horace  et  de  Polyeucte,  sont  au-dessus  de  toute  gravure,  et 
les  autres  pièces  n'en  méritent  pas.  Les  premiers  sujets  sont  déjà 
distribués.  Il  est  triste,  j'en  conviens,  de  travailler  sur  Agésilas  et 
sur  Attila;  mais  je  vous  en  aurai  plus  d'obligation,  et  je  regarderai 
votre  condescendance  comme  une  de  vos  plus  grandes  bontés. 

J'aurais  bien  voulu  vous  montrer  quelques-uns  de  mes  com- 
mentaires. L'entreprise  est  épineuse;  il  faut  avoir  raison  sur 
trente-deux  pièces.  Je  consulte  l'Académie,  mais  cela  ne  me  suffit 
pas  ;  je  suis  le  contraire  des  commentateurs,  je  me  déûe  toujours 
de  mes  jugements.  Qu'il  serait  agréable  de  relire  Corneille  dans 
votre  beau  château,  avec  vous  et  quelque  adepte  !  Le  commen- 
taire serait  le  résultat  de  nos  conférences.  Mille  tendres  res- 
pects.   V. 

4704.   —  A    M.   BRET2. 

A  Ferney,  10  octobre. 

J'ai  parlé  aux  frères  Cramer,  monsieur,  plus  d'une  fois,  en 
conformité  de  ce  que  vous  m'avez  fait  l'honneur  de  m'écrire.  Ils 
me  paraissent  surchargés  d'entreprises;  et  je  m'aperçois  depuis 
longtemps  que  rien  n'est  si  rare  que  de  faire  ce  que  l'on  veut. 
Je  suis  très-fâché  que  votre  Dayle^  ne  soit  pas  encore  imprimé. 
On  craint  peut-être  que  ce  livre,  autrefois  si  recherché,  ne  le 
soit  moins  aujourd'hui  :  ce  qui  paraissait  hardi  ne  l'est  plus.  On 
avait  crié,  par  exemple,  contre  l'article  David,  et  cet  article  est 
infiniment  modéré  en  comparaison  de  ce  qu'on  vient  d'écrire  en 
Angleterre  \  Un  ministre  a  prétendu  prouver  qu'il  n'y  a  pas  une 

1.  Probablement  la  lettre  4925  qui,  dans  l'édition  de  Beuchot,  est  faussement 
datée  de  juin.  —  L'autographe  en  fait  foi.  (Tu.  F.) 

2.  Antoine  Bret,  né  à  Dijon  en  1717,  est  mort  en  1792. 

3.  Cette  édition  de  Baj'le,  projetée  par  Bret,  n'a  pas  été  exécutée. 

4.  David,  ou  l'Homme  selon  te  cœur  de  Dieu:  voyez  tome  V,  page  573;  et 
XVIII,  page  310. 


ANNÉE    17GI.  473 

seule  action  de  David  qui  ne  soit  d'un  scélérat  digne  du  dernier 
supplice;  qu'il  n'a  point  fait  les  Psaumes,  et  que  d'ailleurs  ces 
odes  hébraïques,  qui  ne  respirent  que  le  sang  et  le  carnage,  ne 
devraient  faire  naître  que  des  sentiments  d'horreur  dans  ceux 
qui  croient  y  trouver  de  l'édification. 

M.  l'évéque  Warburton  nous  a  donné  un  livre  '  dans  lequel 
il  démontre  que  jamais  les  Juifs  ne  connurent  l'immortalité  de 
l'ùme,  elles  peines  et  les  récompenses  après  la  mort,  jusqu'au 
temps  de  leur  esclavage  dans  la  Chaldée.  M.  Hume  -  a  été  encore 
plus  loin  que  Bayle  et  Warburton.  Le  Dictionnaire  encyclopcdiqve 
ne  prend  pas  à  la  vérité  de  telles  hardiesses,  mais  il  traite  toutes 
les  matières  que  Bayle  a  traitées.  J'ai  peur  que  toutes  ces  raisons 
n'aient  retenu  nos  libraires.  Il  en  est  de  cette  profession  comme 
de  celle  de  marchande  de  modes  :  le  goût  change  pour  les  livres 
comme  pour  les  coiffures. 

Au  reste,  soyez  persuadé  qu'il  n'y  a  rien  que  je  ne  fasse  pour 
TOUS  témoigner  mon  estime  et  l'envie  extrême  que  j'ai  de  vous 
servir. 

.V.  B.  Un  gentilhoniuie  de  lîiniini,  dans  les  États  du  pape,  a 
prononcé,  devant  l'Académie  de  himini,  un  discours  éloquent  en 
faveur  de  la  comédie  et  des  comédiens.  Il  est  parlé,  dans  ce  dis- 
cours, d'un  fameux  acteur  qui  a  une  pension  du  pape  d'aujour- 
d'hui, pour  lui  et  pour  sa  femme.  Ayant  perdu  son  épouse,  il  a 
été  ordonné  prêtre  à  Rome:  ce  qu'on  n'aurait  jamais  fait,  s'il  y 
avait  la  moindre  tache  d'ignominie  répandue  sur  sa  profession. 
Ou  appelle,  dans  ce  discours,  la  manière  dont  M"'  Lecouvreur  a 
été  traitée  une  barbarie  indigne  des  Français. 


4705.   —  DE  M.  D'ALEMBI- RT. 

A  Paris,  ce  10  octobre. 

Je  ne  sais  pas,  mon  cher  et  illustre  mailie,  si  mes  lettres  sont  aussi 
plaisantes  que  vous  le  prétendez,  mais  je  sais  que  tout  ce  qui  se  passe  y 
fournit  bien  matière;  et  s'il  est  vrai,  comme  vous  le  dites,  qu'il  est  bon  de 
rire  un  peu  pour  la  santé,  jamais  saison  n'a  été  si  favorable  pour  se  bien 
porter.  Voici,  par  exemple,  Paul  Lefranc  de  Pompijjnan  (je  no  sais  si  c'est 
Paul  l'apotre  ou  Paul  le  simple)  (jui  vient  encore  de  fournir  aux  rieurs  de 
quoi   rire  par  son  lUoge   historique  du  duc  de  liourijoijnc\  J'imaL;ine 


1.  Tlie  Divine  l.eiialion  of  Maxen. 

2.  Dans  son  Kssai  sur  le  .tuicidc  et  Ciinmortalilè  de  Cdnit'. 

3.  Voyez  tome  XXIV,  pa|,'C  200. 


474  CORRESPONDANCE. 

qu'on  vous  aura  envoyé  celle  pièce,  et  (lu'en  la  lisant  vous  aurez  dit  comme 
l'Ermite  de  La  Fontaine  : 

Voici  de  quoi  :  si  tu  sais  quelque  tour, 
Il  te  le  faut  employer,  frère  Luce. 

(Nouvelle  tirée  de  Boccace,  41,  42.) 

Je  sais  que  la  matière  est  un  peu  délicate,  et  qu'en  donnant  des  cro- 
quignoles  au  vivant,  il  faut  prendre  garde  d'égratigner  le  mort;  mais 

A  vaincre  sans  péril  on  triomphe  sans  gloire*. 

On  prétend  que  l'ompignan  sollicite  pour  récompense  de  son  bel  ouvrage 
une  place  d'historiographe  des  Enfants  de  France;  je  voudrais  qu'on  la  lui 
donnât,  avec  la  permission  de  commencer  dès  le  ventre  de  la  mère,  et  la 
défense  d'aller  au  delà  de  sept  ans.  Je  ne  sais  si  cette  impertinence  vous 
paraîtra  aussi  plaisante  qu'à  moi;  mais  il  est  sûr  que 

....  si  Dieu  m'avait  fait  naître 
Propre  à  tirer  marrons  du  feu, 
Certes  Lefranc  verrait  beau  jeu  5. 

Me  voilà  presque  aussi  en  train  de  vous  citer  des  vers  que  M.  le  théolo- 
gien Martin  Kahle,  qui  vous  en  citait  tant-'  de  mauvais,  pour  vous  prouver 
que  ce  monde  ridicule  était  le  meilleur  des  mondes  possibles.  Laissons  là 
et  Martin  Kahle  et  Pompignan,  et  parlons  de  Corneille. 

Nous  avons  relu  vos  remarques  sur  Ciivia,  et  vous  avez  dû  recevoir  la 
réponse  de  l'Académie  sur  vos  nouvelles  critiques.  Voulez-vous  que  je  vous 
parle  net  comme  le  Misanthrope*,  et  sur  la  pièce,  et  sur  vos  remanjues? 
Je  vous  avouerai  d'abord  que  la  pièce  me  parait  d'un  bout  à  l'autre  froide 
et  sans  intérêt;  que  c'est  une  conversation  en  cinq  actes,  et  en  style  tantôt 
sublime,  tantôt  bourgeois,  tantôt  suranné;  que  cette  froideur  est  le  grand 
défaut,  selon  moi,  de  presque  toutes  nos  pièces  de  théâtre,  et  qu'à  l'excep- 
tion de  quelques  scènes  du  Cid,  du  cinquième  acte  de  Rodogane,  et  du 
quatrième  d'Héraclias.ie  ne  vois  rien  (dans  Corneille  en  particulier)  de  cette 
terreur  et  de  cette  pitié  qui  fait  l'àme  de  la  tragédie.  Si  je  suis  si  difficile, 
prenez-vous-en  à  vos  pièces,  qui  m'ont  accoutumé  à  chercher  sur  le  théâtre 
tragique  de  l'intérêt,  des  situations  et  du  mouvement.  Si  je  suivais  donc 
mon  penchant,  je  dirais  que  presque  toutes  ces  pièces  sont  meilleures  à  lire 
qu'à  jouer;  et  cela  est  si  vrai  qu'il  n'y  a  presque  personne  aux  pièces  de 
Corneille,  et  médiocrement  à  celles  de  Racine  ;  mais  ce  n'est  pas  le  tout 
d'avoir  raison,  il  faut  être  poli  :  il  faut  donc  de  grands  ménagements  pour 
avertir  les  gens  qu'ils  s'ennuient,  et  qu'ils  n'osent  le  dire. 


1.  Vers  de  Corneille,  dans  le  Cid,  acte  II,  scène  n. 

2.  La  Fontaine,  Fables,  IX,  xvii. 

3.  Voyez  tome  XXXVI,  page  30J. 

4.  Acte  II,  scène  i. 


ANNFÎE    1761.  475 

A  l'égard  de  vos  raisonnements  et  des  nôtres  sur  les  remords  de  Cinna, 
qui,  selon  vous,  viennent  trop  tard,  et  qui,  selon  nous,  viennent  assez  tôt, 
ce  sont  là,  ce  me  semble,  des  questions  sur  lesquelles  on  peut  dire  le  pour  et 
le  contre  sans  se  convaincre  réciproquement.  Je  voudrais  donc,  sans  pré- 
tendre que  vous  ayez  tort  (car  le  diable  m'emporte  si  j'en  sais  rien  ,  je 
voudrais  que  vous  ne  fissiez  aucune  critique  qui  fût  sujette  à  contradiction, 
et  que  vous  vous  bornassiez  aux  fautes  évidentes  contre  le  théâtre  ou  la 
grammaire;  vous  aurez  encore  assez  de  besogne.  Croyez-moi,  ne  donnez 
point  de  prise  sur  vous  aux  sots  et  aux  malintentionnés,  et  songez  qu'un 
vivant  qui  critique  un  mort  en  possession  de  l'estime  publique  doit  avoir 
raison  et  demie  pour  parler,  et  se  taire  quand  il  n'a  que  raison.  Voyez 
comme  on  a  reçu  les  pauvres  gens  qui  ont  relevé  les  sottises  d'Homère;  ils 
avaient  pourtant  au  moins  raison  et  demie,  ces  pauvres  diables-lii;  et  le 
grand  tort  de  Lamolte  n'a  pas  été  de  critiquer  l'Uiade,  mais  d'en  faire 
une. 

Réservez  donc^  mon  cher  maître,  les  vessies  de  cochon  au  lieu  d'encen- 
soir pour  lesPompignan  et  consorts;  pour  ceux-là,  on  ne  demande  qu'à  rire 
à  leurs  dépens  ;  et  vous  aurez  le  double  plaisir  de  faire  rire  et  d'avoir  raison. 
11  est  vrai  que  si  la  guerre  continue,  je  crois  que  Pompignan  môme  ne  fera 
plus  rire  personne.  Pour  moi,  je  rirai  le  plus  longtemps  que  je  pourrai,  et 
vous  aimerai  plus  longtemps  encore.  Adieu,  mon  cher  philosopiie. 

470G.  —  A   M.   DE    C  HE.N  E  VI  KRE  S '. 

Ferney,  10  octobre. 

Les  ermites  de  Ferney  présentent  leurs  hommages  aux  liôpi- 
taux  de  Versailles.  Nous  n'avons  jamais  si  bien  mérité  le  nom 
d'ermites.  J'ai  cédé  depuis  deux  mois  les  Délices  à  .M.  le  duc  de 
Villars.  J'ai  eu  ([uelque  temps  M.  le  comte  de  Lauraguais-, 
et  à  présent  je  suis  tout  à  Corneille.  L'entreprise  est  délicate;  il 
s'agit  d'avoir  raison  sur  trente-deux  pièces  :  aussi  je  consulte 
l'Académie  toutes  les  postes,  et  je  soumets  toujours  mon  opinion 
à  la  sienne.  J'espère  qu'avec  cette  précaution  l'ouvrage  sera  utile 
aux  Français  et  aux  étrangers.  11  faut  se  donner  le  plus  d'occu- 
pation que  l'on  peut  pour  se  rendre  la  vie  supportable  dans  ce 
monde.  Oue  deviendrait-on  si  on  perd  son  lenips  à  dire  :  Nous 
avons  perdu  l'ondicliéry,  les  billets  royaux  perdent  soixante  pour 
cent,  les  particuliers  ne  payent  i)oint,  les  jésuites  font  baiHjue- 
roule?  \(jiis  m'avouerez  (jue  ces  discours  seraient  foil  tristes.  Je 


1.  I*;ditcur8,  de  Cayrol  et  Fraurois. 

2.  C'est  le  généreux  amateur  de  l'art  (lr;iiii;ii.i(|uc.  (jui  (jnnn.'i  Jd.OOO  francs 
aux  comédiens  pour  débarrasser  la  scène  des  spectateurs  qui  l'encombraient  cl 
détruisaient  l'illusion.  {Note  des  premiers  éditeurs.) 


476  COKRESPONDANCE. 

prends  donc  mon  parti  de  planter,  de  l)Atir,  de  commenter 
Corneille,  et  de  tâcher  de  l'imiter  de  loin,  le  tout  pour  éviter 
l'oisiveté. 

Vous  souvenez-vous,  mon  cher  ami,  que  j'eus,  il  y  a  quelques 
années,  une  petite  discussion  avec  MM.  les  intendants  des  postes 
au  sujet  d'un  assez  gros  paquet  que  vous  m'aviez  envoyé?  J'ai 
peur  qu'ils  ne  m'aient  joué  à  peu  près  cette  année  le  même  tour 
dont  je  me  plaignis  alors.  Je  vous  envoyai  deux  paquets,  il  y  a 
quelques  mois,  pour  M""'  de  Fontaine;  vous  m'accusâtes  la  récep- 
tion de  l'un,  vous  ne  m'avez  jamais  parlé  de  l'autre,  et  il  estvrai- 
semhlahle  que  M""^  de  Fontaine  n'a  reçu  aucun  des  deux.  En  tout 
cas,  il  n'y  a  pas  grand  mal,  car  ce  n'étaient  que  des  rogatons. 

Adieu  ;  nous  vous  emhrassons.  Si  vous  rencontrez  quelques 
dévots  dans  votre  chemin,  dites-leur  que  j'ai  achevé  mon  église, 
et  que  le  pape  m'a  envoyé  des  reliques  ;  et  si  vous  rencontrez  des 
gens  aimables,  dites-leur  que  j'ai  achevé  mon  théâtre. 

47U7.  —  A    MADAME    LA    COMTESSE    DE    LUTZELBOURG. 

Feriie},  11  octobre. 

Je  reçois,  madame,  le  portrait  de  M"'"  de  Pompadour.  Il  me 
manque  des  yeux  pour  le  voir;  mais  j'en  trouve  encore  pour 
conduire  ma  plume  et  pour  vous  remercier.  Je  perds  la  vue, 
madame;  je  ne  vois  pas  ce  que  je  vous  écris.  Songez  que  vous 
avez  des  yeux  et  un  estomac.  Conservez-les.  Souvenez-vous  de 
ma  Genevoise  qui  a  cent  trois  ans  ',  et  qui  vient  de  se  tirer  d'une 
hydropisie.  Imitez-la.  Priez  pour  moi  quelque  saint,  afin  que  je 
puisse  venir  vous  faire  ma  cour  et  vous  embrasser  l'année  pro- 
chaine. J'ai  reçu  le  même  jour  des  reliques  de  Rome  pour  une 
église  que  je  fais  bâtir,  et  le  portrait  de  M""^  de  Pompadour.  Me 
voilà  très-bien  pour  ce  monde-ci  et  pour  l'autre. 

Adieu,  madame;  je  vous  suis  attaché  avec  le  plus  tendre  res- 
pect jusqu'au  dernier  moment. 

4708.   —  A  M.  DAMILAVILLE. 

Le  11  octobre. 

Eh  bien  !  frère  Thieriot  m'a  donc  caché  ma  turpitude  et  celle 
de  Jolyot  de  Crébillon  !  Certes,  ce  Crébillon  n'est  pas  philosophe. 

1.  Alexandrine  Fatio,  veuve  de  Pierre  Lullin,  morte  le  li  octobre  1762. 


ANNÉE    1761.  477 

Le  pauvre  vieux  fou  a  cru  que  j'étais  l'auteur  du  Droit  du  Sei- 
gneur; et,  sur  ce  principe,  il  a  voulu  se  venger  de  l'insolence 
d'Oreste,  qui  a  osé  marcher  à  côté  d'Electre.  Il  a  fait,  avec  le  Droit 
du  Seigneur,  la  même  petite  infamie  qu'avec  Mahomet  \  Il  prétexta 
la  religion  pour  empêcher  que  Mahomet  fût  joué;  et  aujourd'hui 
il  prétexte  les  mœurs.  Ilélas  !  le  pauvre  homme  n'a  jamais  su  ce 
que  c'est  que  tout  cela.  Il  faut,  pour  son  seul  châtiment,  qu'on 
sache  son  procédé. 

Le  meilleur  de  l'alTaire,  c'est  que,  pouvant  à  toute  force  faire 
accroire  qu'il  y  avait  quelques  libertés  dans  le  second  acte,  il  ne 
s'est  jeté  que  sur  le  troisième  et  le  quatrième,  qu'on  regarde 
comme  des  modèles  de  décence  et  d'honnêteté,  et  où  le  marquis 
fait  éclater  la  vertu  la  plus  pure.  Le  mauvais  procédé  de  ce 
poète,  aussi  méprisable  dans  sa  conduite-  que  barbare  dans  ses 
ouvrages,  ne  peut  faire  que  beaucoup  de  bien.  Le  pui)lic  n'aime 
pas  que  la  mauvaise  humeur  d'un  examinateur  de  police  le  prive 
de  son  plaisir. 

Qu'en  pensent  les  frères?  Pour  moi,  je  me  console  avec  Pierre. 

Le  plat  ouvrage  que  le  Testament  de  Belle-Islc\ 

On  prétend  qu'on  aura  bientôt  une  nouvelle  édition  des  Car'' 
et  des  Ah!  ah  ^  !  En  attendant,  on  chante  Moïse-Aai'on. 


4709.  —  A    M.    LE    COMTE   D'A  IIGEMTAL. 

11  octobre. 

Je  m'arrache,  pour  vous  écrire,  à  quelque  chose  "^  de  bien  sin- 
gulier que  je  fais  pour  vous  plaire. 

0  mes  anges!  je  réponds  donc  à  votre  lettre  du  5  octobre. 
Que  ne  puis-je  en  même  temi)s  travailler  et  vous  écrire!  Allons 
vite! 

D'abord  vous  saurez  que  je  ne  suis  point  le  I5onneau  du  Ber- 
lin des  parties  casuellcs;  que  je  n'ai  nulle  part  à  la  tuméfaction 


1.  En  qualité  de  censeur,  il  avait  refuse  de  l'approuver.  Voyez  tome  IV,  page  9ô. 

2.  Ce  fut  en  faveur  de  Crébiilon  que  fut  rendu  l'arrêt  du  conseil  du  '21  mars 
1759,  ([ue  Colle  appelle  au  dcslionneur  (tes  ye/is  de  lettres,  qui  ju^'c  que  les  pro- 
durtions  de  l'esprit  ne  sont  point  au  raii^r  des  effets  saisissables.  Parmi  les  créan- 
ciers de  Crébiilon  était  le  maître  de  pension  de  son  (ils.  (15.) 

3.  Le  Testament  du  maréchal  de  Uelk-lsle,  1701,  in-l.',  est  de  Clievrier. 

4.  Voyez  tome;  XMV,  pai^'e  '201. 
'6.  Voyez  tome  XXIV,  page  '20;i. 

0.  Probablement  la  tragédie  d'Olymiiie. 


478  CORRESPONDANCE. 

du  ventre  de  M"''  IIus^  ;  que  je  ne  lui  ai  jamais  rien  fait  ni  rien 
fait  faire,  ni  rôle  ni  enfant;  qu'Atide  ne  lui  fut  jamais  destinée; 
que  je  souhaite  passionnément  qu'Atide  soit  jouée  par  la  fille  à 
Dubois,  laquelle  Dubois  a,  dit-on,  des  talents.  Ainsi  ne  me  menacez 
point,  et  ne  prêchez  plus  les  saints. 

Quant  au  Droit  du  Seigneur,  je  n'ai  jamais  pris  Ximenès  pour 
mon  confident.  Quiconque  l'a  instruit  a  mal  fait;  mais  Crébillon 
fait  encore  plus  mal.  Le  pauvre  vieux  fou  a  encore  les  passions 
vives;  il  est  désespéré  du  succès  d'Oreste,  et  on  lui  a  fait  accroire 
que  son  Electre  est  bonne.  Il  se  venge  comme  un  sot.  S'il  avait  le 
nez  fin,  il  verrait  qu'il  y  aurait  quelque  prétexte  dans  le  second 
acte;  mais  il  a  choisi  pour  les  objets  de  ses  refus  le  troisième  et 
le  quatrième,  qui  sont  pleins  de  la  morale  la  plus  sévère  et  la 
plus  touchante.  Voici  mon  avis,  que  je  soumets  au  vôtre. 

Je  n'avoue  point  le  Droit  du  Seigneur;  mais  il  est  bon  qu'on 
sache  que  Crébillon  l'a  refusé  parce  qu'il  l'a  cru  de  moi.  Il 
renouvelle  son  indigne  manœuvre  de  Mahomet,  par  laquelle  il 
déplut  beaucoup  à  M""  de  Pompadour,  Il  est  sûr  qu'il  déplaira 
beaucoup  plus  au  public,  et  qu'il  fera  grand  bien  à  la  pièce. 
C'est  d'ailleurs  vous  insulter  que  de  refuser,  sous  prétexte  de 
mauvaises  mœurs,  un  ouvrage  auquel  il  croit  que  vous  vous 
intéressez.  Vous  avez  sans  doute  assez  de  crédit  pour  faire  jouer 
malgré  lui  cette  pièce. 

Venons  à  l'Académie  ;  elle  a  beau  dire  -,  je  ne  peux  aller  contre 
mon  cœur;  mon  cœur  me  dit  qu'il  s'intéresse  beaucoup  à  Cinna 
dans  le  premier  acte,  et  qu'ensuite  il  s'indigne  contre  lui.  Je 
trouve  abominable  et  contradictoire  que  ce  perfide  dise  : 

Qu'une  àme  généreuse  a  de  peine  à  faillir  ! 

(Acte  m,  scène  m.) 

Ah!  lâche!  si  tu  avais  été  généreux,  aurais-tu  parlé  comme  tu 
fais  à  Maxime,  au  second  acte? 

L'Académie  dit  qu'on  s'intéresse  à  Auguste,  c'est-à-dire  que 
l'intérêt  change  ;  et,  sauf  respect,  c'est  ce  qui  fait  que  la  pièce  est 
froide.  Mais  laissez-moi  faire,  je  serai  modeste,  respectueux,  et 
pas  maladroit. 

Tout  viendra  en  son  temps.  Je  ne  suis  pas  pressé  de  pro- 
gramme; j'accouche,  j'accouche  :  tenez,  voilà  des  Gouju  ^ 

1.  Cette  actrice  du  Thùàtre-Franrais  était  entretenue  par  Berlin,  trésorier  des 
parties  casuelles. 

2.  Voyez  page  47  i. 

3.  Lettre  de  Charles  Gouju;  voyez  tome  XXIV,  page  255. 


ANNÉE    17  CI.  479 

Eh  bien,  rien  de  décidé  sur  l'amiral  lîorryor?  Et  le  roi  d'Es- 
pagne, épouse-t-il  i  ?  traite-t-il-? 

M.  le  duc  de  Clioiseul  m'a  envoyé  des  reliques  de  Rome. 
Si  je  ne  réussis  pas  dans  ce  monde,  mon  affaire  est  sûre  dans 
l'autre. 

Je  reçus  le  même  jour  les  reliques  et  le  portrait  de  M""  de 
Pompadour,  qui  m'est  venu  par  bricole. 

Voilà  bien  des  bénédictions  ;  mais  j'aime  mieux  celles  de  mes 
anges. 

M"'  Corneille  joue  vendredi  Isménie  dans  Mèropc.  N'est-ce  pas 
une  honte  que  nos  histrions  fassent  jouer  ce  rôle  par  un  homme  ', 
et  qu'ils  suppriment  les  chœurs  dans  Œdipe?  Les  barbares  ! 

4710.   —  DU    CARDINAL  DE   BERMS. 

A  Saint-Marcel,  13  d'octobre. 

Je  lie  suis  point  ingrat,  mon  clier  confrère;  j'ai  toujours  senti  et  avoué 
que  les  lettres  m'avaient  été  plus  utiles  que  les  hasards  les  plus  heureux  de 
la  vie.  Dans  ma  plus  grande  jeunesse,  elles  m'ont  ouvert  une  porte  agréable 
dans  le  monde;  elles  m'ont  consolé  de  la  longue  disgrâce  du  cardinal  de 
Fleury  et  de  l'inflexible  dureté  de  l'évèque  de  Mirepoix*.  Quand  les  cir- 
constances m'ont  poussé  comme  malgré  moi  sur  le  grand  théâtre,  les  lettres 
ont  fait  dire  à  tout  le  monde  :  Au  moins  celui-là  sait  lire  et  écrire.  Je  les 
ai  quittées  pour  les  atTaires,  sans  les  avoir  ouljJiées,  et  je  les  retrouve  avec 
plaisir. 

Vous  me  souliaitez  des  indigestions;  cola  n'est  guère  possible  au- 
jourd'hui :  il  y  a  douze  ans  que  je  suis  fort  sobre;  mais  j'ai  une  humeur 
goutteuse  dans  le  corps,  qui  n'est  pas  encore  bien  fixée  aux  extrémités,  et 
qui  pourrait  bien  m'obligor  d'aller  consulter  l'oracle  de  Genève.  Dans  cette 
consultation,  il  entrerait  autant  de  désir  de  vous  revoir  que  d'envie  de  gué- 
rir. Envoyez-moi  votre  Épîlre  sur  l'Agriculture.  Je  ne  bâtis  point,  mais  je 
répare  mon  vieux  château  do  Vic-sur-Aisne;  je  plante  mon  jardin  et  les  bords 
de  mes  prés  :  voilà  toutes  les  dépenses  que  l'état  de  mes  revenus  me  per- 
met. Au  lieu  de  deux  cent  mille  livres  de  revenu  que  vous  me  donnez,  j'en 


•1.  Oliarles  IIJ,  votif  depuis  le  27  .scploiiihre  17()(),  no  se  n'inaria  pas. 

2.  Le  parte  de  famille  du  1;>  août  avait  été  ratifié  le  S  ^eplemlire,  mais  n'était 
pas  cncfirc  publié. 

3.  Voyez  tome  IV,  pape  17(5. 

4.  (^î  pri'-lat,  nommé  Boyer,  qui  a  été  si  ridiculisé  par  Voltaire,  av  ii(  ce  (jue 
l'on  appelait  la  feuille  des  biiiiéficcs,  c'est-à-dire  la  présentation  pour  li;s  abba\es 
et  autres  revenus  ecclésiastiques.  Ce  n'est  pas  lui,  mais  le  cardinal  de  Fleury  qui, 
aux  sollicitations  do  l'abbé  de  Bcrnis,  répondit  :  «  Non.  monsieur  l'abbé,  vous 
n'aurez  rien  tant  que  je  vivrai;  »  à  quoi  Borais  répliijua  :  <i  Kh  bien,  monsei - 
faneur,  j'attendrai.  »  (B.) 


480  COURESPOiNDANCE. 

ai  à  peine  quatre-vingt  mille;  mais  les  premiers  diacres  de  l'Église  romaine 
n'en  avaient  pas  tant,  et  je  ne  suis  pas  fàclié  d'ôtre  le  plus  pauvre  des  car- 
dinaux fran(.'ais,  parce  que  personne  n'ignore  qu'il  n'a  tenu  qu'à  moi  d'ôtre 
le  plus  riche.  Je  suis  content,  mon  cher  confrère,  parce  que  j'ai  beaucoup 
réfléchi  et  comparé,  et  que  lors(iu'à  la  première  dignité  de  son  état  on  joint 
le  nécessaire,  une  santé  passable,  et  une  àme  douce  et  courageuse,  on  n'a 
plus  (pie  dos  grâces  à  rendre  à  la  Providence.  Je  serai  à  la  fin  du  mois  à 
Montélimart.  oiî  je  compte  passer  l'hiver.  Votre  banquier  de  Lyon  pourrait 
remettre  le  paquet  au  sieur  Henri  Gonzebas,  qui  fait  mes  commissions  dans 
cette  ville  :  c'est  un  bon  Suisse  fort  exact,  qui  me  ferait  tenir  cette  paco- 
tille- elle  vous  reviendrait  par  la  môme  voie  sans  aucun  inconvénient. 
Pierre  Corneille  et  François  de  Voltaire  me  suivent  dans  tous  mes  voyages. 
Adressez  désormais  toutes  vos  lettres  à  Montélimart;  elles  me  font  le  plus 
"rand  plaisir  du  monde.  Je  vois  que  vous  êtes  gai;  cela  prouve  que  vous 
êtes  sage,  que  vous  voyez  et  sentez  comme  il  faut  voir  et  sentir  les  choses 
de  ce  pauvre  monde.  Adieu,  mon  cher  confrère,  je  vous  suis  fidèlement  et 
tendrement  attaché. 

471i.   —  A  M.   LE   PRÉSIDENT  DE   BROSSES  i. 

Du  20  octobre. 

Vous  n'êtes  donc  venu  chez  moi,  monsieur,  vous  ne  m'avez 
offert  votre  amitié,  que  pour  empoisonner  par  des  procès  la  fin 
de  ma  vie.  Votre  agent,  le  sieur  Girod,  dit,  il  y  a  quelque  temps, 
à  ma  nièce,  que  si  je  n'achetais  pas  cinquante  mille  écus,  pour 
toujours,  la  terre  que  vous  m'avez  vendue  à  vie,  vous  la  ruineriez 
après  ma  mort;  et  il  n'est  que  trop  évident  que  vous  vous  préparez 
à  accahler  du  poids  de  votre  crédit  une  femme  que  vous  croyez 
sans  appui,  puisque  vous  avez  déjà  commencé  des  procédures 
que  vous  comptez  de  faire  valoir  quand  je  ne  serai  plus. 

J'achetai  votre  petite  terre  de  Tournay  à  vie,  à  l'âge  de  soixante 
et  six  ans-,  sur  le  pied  que  vous  voulûtes.  Je  m'en  remis  à 
votre  honneur,  à  votre  probité.  Vous  dictâtes  le  contrat  ;  je  signai 
aveuglément.  J'ignorais  que  ce  chétif  domaine  ne  vaut  pas  douze 
cents  livres  ■'  dans  les  meilleures  années;  j'ignorais  que  le  sieur 
Chouet,  votre  fermier,  qui  vous  en  rendait  trois  mille  livres,  y 


1.  Cette  lettre,  imprimée  par  Beuchot,  a  été  republice  par  M.  Foisset,  dans 
la  Correspondance  de  Voltaire  et  du  président  de  Drosses,  page  149;  par  M.  de 
Mandat-Grance}',  dans  les  Lettres  de  Voltaire  à  M.  le  conseiller  Le  Bault,  page  31  ; 
et  par  31.  II.  Beaune,  dans  Voltaire  au  collège,  page  86  :  ces  deux  derniers  l'ont 
réimprimée  d'après  les  copies  faites  pour  MM.  Le  Bault  et  Fyot  de  La  Marche. 

2.  Soixante-quatre  ans. 

3.  Je  viens  de  l'affermer  douze  cents  livres,  trois  quarterons  de  paille,  et  un 
char  de  foin.  (Note  de  Voltaire.) 


ANNÉE    1761.  481 

en  avait  perdu  vingt-deux  mille.  Vous  exigeâtes  de  moi  trente- 
cinq  mille  livres  :  je  les  payai  comptant;  vous  voulûtes  que  je 
fisse,  les  trois  premières  années,  pour  douze  mille  francs  de  répa- 
rations :  j'en  ai  fait  pour  dix-huit  mille  en  trois  mois,  et  j'en  ai 
les  quittances. 

J'ai  rendu  très-logeable  une  masure  inhabitable.  J'ai  tout  amé- 
lioré et  tout  embelli,  comme  si  j'avais  travaillé  pour  mon  fils,  et  la 
province  en  est  témoin  ;  elle  est  témoin  aussi  que  votre  prétendue 
forêt,  que  vous  me  donnâtes  dans  vos  mémoires  pour  cent  ar- 
pents, n'en  contient  pas  quarante.  Je  ne  me  plains  pas  de  tant  de 
lésions,  parce  qu'il  est  au-dessous  de  moi  de  me  plaindre. 

Mais  je  ne  peux  souffrir,  et  je  vous  l'ai  mandé,  monsieur,  que 
vous  me  fassiez  un  procès  pour  deux  cents  francs,  après  avoir  reçu 
de  moi  plus  d'argent  que  votre  terre  ne  vaut.  Est-il  possible  que, 
dans  la  place  où  vous  êtes,  vous  vouliez  nous  dégrader  l'un  et 
l'autre  au  point  de  voir  les  tribunaux  retentir  de  votre  nom  et 
du  mien  pour  un  objet  si  mé])risable? 

Mais  vous  m'attaquez,  il  faut  me  défendre  ;  j'y  suis  forcé.  Vous 
me  dîtes,  en  me  vendant  votre  terre  au  mois  de  décembre  1758, 
que  vous  vouliez  que  je  laissasse  sortir  des  bois  de  ce  que  vous 
appelez  la  forêt;  que  ces  bois  étaient  vendus  à  un  gros  marchand 
de  Genève*  qui  ne  voulait  pas  rompre  son  marché.  Je  vous  crus 
sur  votre  parole  :  je  vous  demandai  seulement  quelques  moules 
de  bois  de  chauffage,  et  vous  me  les  donnâtes  en  présence  de  ma 
famille. 

Je  n'en  ai  jamais  pris  que  six,  et  c'est  pour  six  voies  de  bois 
que  vous  me  faites  un  procès!  Vous  faites  monter  ces  six  voies  à 
douze,  comme  si  l'objet  devenait  moins  vil  ! 

Mais  il  se  trouve,  monsieur,  que  ces  moules  de  bois  m'ap- 
partiennent, et  non-seulement  ces  moules,  mais  tous  les  bois 
que  vous  avez  enlevés  de  ma  forêt  depuis  le  jour  que  j'eus  le 
malheur  de  signer  avec  vous. 

Vous  me  faites  un  procès  dont  les  suites  ne  peuvent  tomber 
que  sur  vous,  quand  même  vous  le  gagneriez.  Vous  me  faites 
assigner  au  nom  d'un  paysan  de  cette  terre,  à  qui  vous  dites  à 
présent  avoir  vendu  ces  bois  en  question.  Voilà  donc  ce  gros 
marchand  de  Genève  avec  qui  vous  aviez  contracté!  Il  est  de  no- 
toriété pubiitiue  (|ue  jamais  vous  n'aviez  vendu  vos  bois  à  ce 
paysan;  que  vous  les  avez  fait  exploiter  et  vendre  par  lui  à  Genève 
pour  votre  compte  :  tout  Genève  le  sait;  vous  lui  doniiic/.  dcuv 

1.  L'aclc  dit  :  à  un  tonnelier. 

il.   —  Cou  IIKSI'ONUA.NCK.    IX.  31 


4S2  COnUESPONDANCE. 

pièces  de  vinpft  et  un  sous  par  jour  pour  faire  l'exploitation,  avec 
un  droit  sur  chaque  moule  de  bois,  dont  il  vous  rendait  com])tc; 
il  a  toujours  compté  avec  vous  de  clerc  à  maître.  Je  crus  le  sieur 
Girod,  votre  agent,  quand  il  me  dit  que  vous  aviez  fait  une  vente 
réelle.  Il  n'y  en  a  point,  monsieur  :  le  sieur  Girod  a  fait  vendre 
eu  détail,  pour  votre  compte,  mes  propres  Lois,  dont  vous  me 
redemandez  aujourd'hui  douze  moules. 

Si  vous  avez  fait  une  vente  réelle  à  votre  paysan,  qui  ne  sait 
ni  lire  ni  écrire,  montrez-moi  l'acte  par  lequel  vous  avez  vendu, 
et  je  suis  prêt  à  payer. 

Quoi  !  vous  me  faites  assigner  par  un  paysan  au  bas  de  l'exploit 
même  que  vous  lui  envoyez,  et  vous  dites  dans  votre  exploit  que 
vous  fîtes  avec  lui  une  convention  verbale!  Cela  est-il  permis,  mon- 
sieur? Les  conventions  verbales  ne  sont-elles  pas  défendues  par 
l'ordonnance  de  1667  pour  tout  ce  qui  passe  la  valeur  de  cent 
livres  ? 

Quoi,  vous  auriez  voulu,  en  me  vendant  si  chèrement  votre 
terre,  me  dépouiller  du  peu  de  bois  qui  peut  y  être!  Vous  en 
aviez  vendu  un  tiers  il  y  a  quelques  années;  votre  paysan  a 
abattu  l'autre  tiers  pour  votre  compte.  Votre  exploit  porte  qu'il 
me  vend  le  moule  douze  francs,  et  qu'il  vous  en  rend  douze  francs 
(en  déduisant  sans  doute  sa  rétribution)  :  n'est-ce  pas  là  une 
preuve  convaincante  qu'il  vous  rend  compte  de  la  recette  et  de 
la  dépense,  que  votre  vente  prétendue  n'a  jamais  existé,  et  que  je 
dois  répéter  tous  les  bois  que  vous  fîtes  enlever  de  ma  terre? 
Vous  en  avez  fait  débiter  pour  deux  cents  louis  ;  et  ces  deux 
cents  louis  m'appartiennent.  C'est  en  vain  que  vous  fîtes  mettre 
dans  notre  contrat  que  vous  me  vendiez  à  vie  le  petit  bois 
nommé  forêt,  excepté  les  bois  vendus.  Oui,  monsieur,  si  vous  les 
aviez  vendus  en  effet,  je  ne  disputerais  pas  ;  mais,  encore  une 
fois,  il  est  faux  qu'ils  fussent  vendus,  et  si  votre  agent^  (votre 
agent,  c'est-à-dire  vous)  s'est  trompé,  c'est  à  vous  à  rectifier 
cette  erreur. 

J'ai  supplié  monsieur  le  premier  président,  monsieur  le  pro- 
cureur général-,  M.  le  conseiller  Le  Bault,  de  vouloir  bien  être 
nos  arbitres.  Vous  n'avez  pas  voulu  de  leur  arbitrage  ;  vous  avez 
dit  que  votre  vente  au  paysan  était  réelle  :  vous  avez  cru  m'ac- 
cabler  au  bailliage  de  Ge.x  ;  mais,  monsieur,  quoique  monsieur 


1.  Pardieu!  l'agent  n'est  là  que  par  politesse.  {Note  de  Voltaire  sur  la  copie 
envoyée  au  conseiller  Le  Bault.) 

2.  Quarré  de  Quintin. 


ANNÉE    1761.  483 

votre  frère  soit  bailli  du  pays,  et  quelque  autorité  que  vous  puis- 
siez avoir,  vous  n'aurez  pas  celle  de  changer  les  faits  :  il  sera 
toujours  constant  qu'il  n'y  a  point  eu  de  vente  véritable. 

Vous  dites,  dans  votre  exploit  signifié  à  ce  paysan,  que  vous 
lui  vendîtes  une  certaine  quantité  de  bois.  Quelle  quantité,  s'il 
vous  plaît?  Vous  dites  que  vous  les  fîtes  marquer.  Par  qui  ?  Avez- 
vous  un  garde-marteau?  aviez-vous  la  permission  du  grand- 
maître  des  eaux  et  forêts?  En  un  mot,  monsieur,  la  justice  de 
Gcx  est  obligée  de  juger  contre  vous,  si  vous  avez  tort;  elle  juge- 
rait contre  le  roi,  si  un  particulier  plaidait  avec  raison  contre  le 
domaine  du  roi.  Le  sieur  (lirod  prétend  qu'il  fait  trembler  en 
votre  nom  les  juges  de  Gex  :  il  se  trompe  encore  sur  col  article 
comme  sur  les  autres. 

S'il  faut  que  monsieur  le  chancelier,  et  les  ministres,  et  tout 
Paris,  soient  instruits  de  votre  procédé,  ils  le  seront  ;  et  s'il  se 
trouve  dans  votre  compagnie  respectable  une  personne  qui  vous 
approuve,  je  me  condamne. 

Vous  m'avez  réduit,  monsieur,  à  n'être  qu'avec  douleur 
votre,  etc. 

4712.   —  A  M.  1' YOT   DE   LA  MARCHE  >. 
(l'ancien    premier    président.) 

A  Fcrncy,  20  octobre  1701. 

Votre  charmante  lettre  du  5  octobre  m'a  trouvé,  mon  très- 
respectable  ami,  dans  un  moment  d'enthousiasme  et  l'a  redou- 
blé ;  vous  avez  été  le  génie  qui  m'a  conduit  ;  vous  devez  savoir, 
en  qualité  de  génie,  que  le  sujet  d'une  tragédie  me  passait  par 
la  tête.  Je  ne  voulais  ni  de  froide  politique,  ni  de  froide  rhéto- 
rique, ni  de  froides  amours.  J'ai  trouvé  tout  ce  que  les  |)lus 
grands  noms  ont  de  plus  imposant,  tout  ce  que  la  religion 
secrète  des  anciens,  si  sottement  calomniée  par  nous,  avait  de 
plus  auguste,  de  plus  terrible  et  de  plus  consolant,  tout  ce  que 
les  i)assions  ont  de  i)lus  déchirant,  les  grandeurs  de  ce  monde 
de  plus  vain  et  de  plus  misérable,  et  les  infortunes  humaines  de 
plus  allreux.  Ce  sujet  s'est  emparé  de  moi  avec  tant  de  \iolence 
que  j'ai  fait  la  i)ièce-  en  six  jours,  en  comptant  un  peu  les  nuits. 
Ensuite  il  a  fallu  corriger,  voih'i  poun|uui  je  vous  remercie  si 
tard  do  toutes  Irs  bontés  dont  vous  m'hoiioi'cz. 


1.  f;clilcijr,  Th.  Foissut. 

2.  Olympie. 


484  CORRESPONDANCE. 

Jo  suppose  qu'enfin  vous  avez  des  nouvelles  de  M de  Paulmy  \ 

cl  pcut-C'trc  est-elle  chez  vous.  Permettez  que  je  vous  en  félicite 
et  que  je  lui  présente  mon  respect.  Je  suis  ému  plus  qu'un  autre 
des  sentiments  de  la  nature,  car  c'est  ce  qui  domine  dans  la 
pièce  dont  je  vous  parle.  C'est  ce  qui  me  faisait  verser  des  larmes 
en  écrivant  cet  ouvrage  avec  la  rapidité  des  passions. 

Vous  avez  dû,  cher  et  illustre  bienfaiteur  des  arts,  recevoir 
par  M.  de  Varennes,  secrétaire  de  la  noblesse  de  Bourgogne,  un 
paquet  où  étaient  les  dessins  de  votre  graveur.  Je  vous  ai  con- 
juré de  permettre  qu'il  travailhU  pour  Pierre,  et  que  les  Cra- 
mer lui  donnassent  un  petit  honoraire.  Je  persiste  dans  ma 
prière. 

Je  vous  rends  grâce  de  l'arbitrage  de  monsieur  votre  frère-, 
que  vous  daignez  me  proposer.  Il  eût  été  bien  doux  et  bien  hono- 
rable pour  moi  d'avoir  toute  votre  famille  pour  arbitre.  Mais 
M.  de  Brosses  n'en  veut  point  ="  ;  il  veut  plaider,  parce  qu'il  croit 
que  ce  qu'on  appelle  la  justice  de  Gex  n'osera  le  condamner,  et 
que  je  n'oserai  en  appeler  au  parlement.  C'est  en  quoi  il  se 
trompe.  Je  respecte  trop  votre  auguste  compagnie  pour  la 
craindre.  Je  lui  ai  écrit  à  lui-même  une  lettre  très-ample,  dans 
laquelle  je  lui  remets  devant  les  yeux  tousses  procédés  ^  et  je 
finis  par  lui  dire  que,  s'il  y  a  un  seul  homme  dans  Dijon  qui 
l'approuve,  je  me  condamne.  J'aurai  l'honneur  de  vous  envoyer 
copie  de  ma  lettre  ;  elle  répond  à  tout  ce  que  vous  me  faites  l'hon- 
neur de  me  dire  ;  tout  y  est  expliqué  :  c'est  un  factum  adressé  à 
lui-même  ;  vous  me  jugerez.  J'aimerais  mieux  vous  envoyer  ma 
tragédie,  mais  venez  la  voir  jouer  sur  mon  théâtre,  il  est  joli. 
Nous  y  avons  représenté  Mcrope,  nous  avons  fait  pleurer  jusqu'à 
des  Anglais.  Oh!  que  le  cher  Ruffey^  aurait  dormi  !  Vous  ne 
pouvez  savoir  à  quel  point  je  vous  respecte  et  je  vous  aime.    V. 


1.  Suzanne,  fille  puînée  de  l'ancien  premier  président  de  La  Marche,  mariée  à 
Antoine-René  de  Voyer  d'Argenson,  marquis  de  Paulmy,  né  le  22  novembre  1722, 
mort  le  13  août  1787.  Leur  fille  unique  épousa  le  duc  de  Luxembourg. 

Le  marquis  de  Paulmy  avait  été  ambassadeur  à  Venise,  membre  des  trois  Aca- 
démies, et  créateur  de  l'immense  bibliothèque  de  l'Arsenal.  C'est  lui  qui  a  publié 
les  40  premiers  volumes  de  la  Bibliothèque  des  roinans.  {Noie  du  premier  éditeur.) 

2.  M.  Fyot  de  Neuilly. 

3.  C'étaient  précisément  les  arbitres  invoqués  par  le  poëte  qui  avaient  décline 
l'arbitrage.  Il  était  même  de  règle  en  Bourgogne  qu'un  membre  du  parlement  ne 
pouvait  être  arbitre,  sinon  dans  une  affaire  de  famille.  (Arrêt  du  25  novembre  1571, 
cité  dans  le  Répertoire  de  jurisprudence,  au  mot  Arbitrage.) 

4.  La  lettre  du  20  octobre  17G1. 

.').  Voyez  la  lettre  à  d'Argental,  du  14  septembre  17C1. 


ANNEE    17GI.  485 

4'J3.    —  A  M.    FYOT   DE   LA   MARCHE'. 

(KILS.) 

A  Fernc}^,  20  octobre  17C1. 

Monsieur,  j'ose  à  la  fois  vous  remercier  de  l'arbitrage  que 
vous  avez  daigné  accepter,  et  plaindre  M.  de  Brosses  de  ne  s'y 
être  pas  soumis.  Je  prends  la  liberté  de  vous  envoyer  la  lettre 
que  je  lui  écris.  Je  suis  réduit  à  n'en  faire  juge  que  votre  bon- 
neur,  sans  avoir  la  consolation  de  voir  ce  procès  terminé  par 
votre  boucbe.  Vous  me  jugerez  en  secret,  et  ce  sera  tant  pis 
pour  celui  qui  n'a  pas  voulu  votre  jugement  définitif.  Cette  alîaire 
est  plus  grave  qu'il  ne  pense.  Il  est  triste  d'être  condamné  una- 
nimement par  tous  les  gentilsbommes  de  la  province,  et  plus 
triste  encore  de  l'être  dans  votre  cœur.  Je  ne  vois  pas  ce  qu'il 
peut  répondre.  Il  ne  peut  que  me  répéter  son  aurl  sacra  famés. 
Mais  l'or  du  pays  des  féticbes  ne  vaut  pas  assurément  votre 
estime,  et  c'est  là  ce  que  j'ambitionne.  Je  suis  avec  un  profond 
respect,  monsieur,  votre  très-bumble  et  très-obéissant  serviteur. 

Voltaire. 

471i.  —  A    M.  D'ALEMBERT. 

20  octobre. 

A  quoi  pensez-vous,  mon  très-cber  pbilosopbe,  de  ne  vouloir 
que  rire  de  l'bistoriograpbe  Lefranc  de  Pompignan?  Ne  savez- 
vous  pas  qu'il  compte  être  à  la  tête  de  l'éducation  de  M.  le  duc 
de  Berry2  avec  son  fou  de  frère  ;  que  ce  sont  tous  deux  des  per- 
sécuteurs, que  les  gens  de  lettres  n'auront  jamais  de  plus  cruels 
ennemis?  Il  me  paraît  qu'il  est  d'une  conséquence  extrême  de 
faire  sentir  à  la  famille  royale  elle-même  ce  que  c'est  que  ce 
malheureux.  Il  faut  se  mettre  à  genoux  devant  monsieur  le  dau- 
phin, en  fessant  son  historiographe. 

Voici  ce  qu'une  bonne  ùme  m'envoie  de  Monlauhan '.  Si 
vous  étiez  une  bonne  Ame  de  Paris,  cela  vaudrait  bien  mieux; 
mais,  maître  Bertrand,  vous  vous  servez  de  la  patte  de  lîaton. 

Il  est  sûr  que  ce  détestable  ennemi  de  la  littérature  a  ca- 
lomnié tous  les  gens  de  lettres,  quand  il  a  eu  riiouncur  de 
parler  à  monsieur  le  daiipliiii.  Sou  épîlrc  dcdicatoiic  '  est  pire 

i.  Éditeur,  II.  Henime. 

2.  Depuiii  Louis  XVL 

3.  Les  Car;  voyez  tome  XXIV,  pnpc  2(11. 

4.  Do  Hon  lîloye  liisturique  de  monseigneur  le  duc  de  Bourgogne.  La  dédicaco 
est  adressée  au  dauphin  et  à  la  dauphine,  père  et  mère  du  prince. 


486  CORRESPONDANCE. 

que  son  discours  à  l'Académio;  ce  sont  là  de  ces  coups  qu'il  faut 
parer.  Il  ne  faut  pas  seulement  le  rendre  ridicule,  il  faut  qu'il 
soit  odieux.  Mettons-le  hors  d'état  de  nuire  en  faisant  voir  com- 
bien il  veut  nuire. 

Vraiment  vous  avez  mis  le  doigt  dessus  en  disant  que  Cor- 
neille est  froid,  du  moins  Cinna  n'est  pas  fort  chaud  ;  mais  d'où 
vient  en  partie  cette  glace?  de  la  note  de  l'Académie.  Elle  me  dit 
dans  sa  note  (et  c'est  vous  qui  l'avez  écrite  ')  qu'on  s'intéresse  à 
Auguste.  Eh  !  messieurs,  c'est  à  Cinna  qu'on  s'intéresse  dans  le 
premier  acte  :  car  vous  savez  qu'on  aime  tous  les  conspirateurs. 
Cinna  est  conjuré,  il  est  amant,  il  fait  un  tableau  terrii)lc  des 
proscriptions,  il  rend  Auguste  exécrable;  et  puis,  messieurs,  on 
s'intéresse,  dites-vous,  à  Auguste  !  on  change  donc  d'intérêt,  il 
n'y  en  a  donc  point;  et  voilà  ce  qui  fait  que  votre  fille  est  muette-. 
Proposez  ce  petit  argument  quand  vous  irez  là  ;  mais  ce  n'est  pas 
assez  de  savoir  la  langue,  il  faut  connaître  le  théâtre.  Ah!  mon 
cher  philosophe,  il  n'est  que  trop  vrai  que  notre  théâtre  est  à  la 
glace.  Ah  !  si  j'avais  su  ce  que  je  sais!  si  on  avait  plus  tôt  purgé 
le  théâtre  de  petits-maîtres^  !  si  j'étais  jeune  !  Mais,  tout  vieux  que 
je  suis,  je  viens  de  faire  un  tour  de  force,  une  espièglerie  de 
jeune  homme.  J'ai  fait  une  tragédie  en  six  jours '';  mais  il  y  a 
tant  de  spectacle,  tant  de  religion,  tant  de  malheur,  tant  de  na- 
ture, que  j'ai  peur  que  cela  ne  soit  ridicule.  L'œuvre  des  six  jours 
est  sujette  à  rencontrer  des  railleurs. 

J'ai  actuellement  le  plus  joli  théâtre  de  France.  Nous  avons 
joué  Mérope;  M"'  Corneille  a  été  applaudie  ;  M"'*"  Denis  a  fait  pleurer 
des  Anglaises.  Les  prêtres  de  Genève  ont  une  faction  horrible 
contre  la  comédie;  je  ferai  tirer  sur  le  premier  prêtre  socinien 
qui  passera  sur  mon  territoire. 

Jean-Jacques  est  un  jean-f ,  qui  écrit  tous  les  quinze  jours 

à  ces  prêtres  pour  les  échauffer  contre  les  spectacles.  Il  faut 
pendre  les  déserteurs  qui  combattent  contre  leur  patrie.  Aimez- 
moi  beaucoup,  je  vous  en  prie  :  car  je  vous  aime,  car  je  vous 
estime  prodigieusement;  car  tous  les  êtres  pensants  doivent  être 
tendrement  unis  contre  les  êtres  non  pensants,  contre  les  fana- 
tiques et  les  hypocrites,  également  persécuteurs. 


i.  Voyez  la  lettre  4705. 

2.  Molière,  Médecin  malr/ré  lui,  acte  II,  scène  vi. 

3.  La  suppression  des  banquettes  sur  la  scène  est  de  1759. 

4.  Olympie. 


ANNÉE    1761.  487 

i7l5.    —   A  M.   LE   COMTE    D'ARGENTAL. 

20  octobre. 

0  anges!  ô  anges!  nous  répétions  Mlrmpc,  que  nous  avons 
jouée  sur  notre  très-joli  thcAtre,  et  où  Marie  Corneille  s'est  attiré 
beaucoup  d'applaudissements  dans  le  récit  d'Isniénie,  que  font  à 
Paris  de  vilaifis  hommes  •;  elle  était  charmante. 

En  répétant  Mlrope,  je  disais  :  Voilà  qui  est  intéressant;  ce  ne 
sont  pas  là  de  froids  raisonnements,  de  l'ampoulé  et  du  bour- 
geois; ne  pourrais-tu  pas,  disais-je  tout  bas  à  V faire  quelque 

pièce  qui  tînt  de  ce  genre  vraiment  tragique?  Ton  Dnii  Pldre  sera 
glaçant  avec  tes  états  généraux  et  ta  Marie  de  Padille.  Le  diable 
alors  entra  dans  mon  corps.  Le  diable?  non  pas  :  c'était  un  ange 
de  lumière,  c'était  vous.  L'enthousiasme  me  saisit.  Esdras  n'a  ja- 
mais dicté  si  vite-.  Enfin,  en  six  jours  de  temps,  j'ai  fait  ce  que 
je  vous  envoie.  Lisez,  jugez;  mais  pleurez. 

Vous  me  direz  peut-être  que  l'ouvrage  des  six  jours  est  sou- 
vent bafoué,  d'accord  ;  mais  lisez  le  mien.  Il  y  a  deux  ans  que  je 
cherchais  un  sujet;  je  crois  l'avoir  trouvé  \  Mais,  dira  M°"-  d'Ar- 
gental,  c'est  un  couvent,  c'est  une  religieuse,  c'est  une  confession, 
c'est  une  communion.  Oui,  madame,  et  c'est  par  cela  môme  que 
les  cœurs  sont  déchirés.  Il  faut  se  retrouver  à  la  tragédie  pour 
être  attendri.  La  veuve  du  maître  du  monde  aux  Carmélites, 
retrouvant  sa  fille  épouse  de  son  meurtrier;  tout  ce  que  l'an- 
cienne religion  a  de  plus  auguste,  ce  que  les  plus  grands  noms 
ont  d'imposant,  l'amour  le  plus  malheureux,  les  crimes,  les 
remords,  les  passions,  les  plus  horribles  infortunes,  en  est-ce 
assez  ?  J'ai  imaginé  comme  un  éclair,  et  j'ai  écrit  avec  la  rapidité 
de  la  foudre.  Je  tomberai  peut-être  comme  la  grêle.  Lisez,  vous 
dis-je,  divins  anges,  et  décidez. 

Voici  peut-être  de  quoi  terminer  les  tracasseries  de  la  Comé- 
die. Fi!  Zulimrl  cela  est  commun  et  sans  génie.  Donnez  la 
veuve  d'Alexandre '•  à  Dumesnil,  la  fille  d'Alexandro  ■'  à  Clairon, 
et  allez. 

M"'  lins  m'a  écrit;  elle  atteste  les  dieux  contre  vous.  Qu'elle 


1.  Voyez  tome  IV,  page  176. 

2.  Suivant  quelques   Pères,  Esdras  dicta  do  mémo  ire  les  livres  de  l'Ancien 
Testament  qui  i-taient  perdus. 

3.  La  tra>:cdie  d'Olympie. 
i.  Statira. 

5.  Olympie. 


488  CORRESPONDANCE. 

accouche  ;  j'ai  bien  accouché,  moi,  et  je  n'ai  été  que  six  jours 
en  travail.  Que  dites-vous  de  M"'  Arnould  et  du  roi  d'Espagne? 

0  charmants  anges!  je  l)aise  le  l)out  de  vos  ailes.  V ,  le 

vieux  V ,  Agé  de  soixante  et  huit  ans  commencés^ 

i71G.   —  A   M.   LE   COMTE   D'ARGENTAL. 

2i  octobre. 

Il  était  impossible,  mes  cliers  anges,  qu'il  n'y  eût  des  bêtises 
dans  le  petit  manuscrit-  dont  je  vous  ai  régalés.  La  rapidité 
d'Esdras  ne  lui  a  pas  permis  d'éviter  les  contradictions,  ni  à  moi 
non  plus. 

Il  y  a  un  Cassandre  pour  un  Antigone  à  la  fin  du  quatrième 
acte.  Voici  la  correction  toute  musquée  ;  il  n'y  a  qu'à  la  coller 
avec  quatre  petits  pains  rouges.  Je  supplie  mes  anges  de  m'aver- 
tir  des  autres  bêtises.  J'ai  lu  cette  pièce  de  couvent  à  M.  le  duc 
de  Villars  et  à  des  hérétiques.  Oh,  dame!  c'est  qu'on  fondait  en 
larmes  à  tous  les  actes;  et  si  cela  est  joué,  bien  joué,  joué,  vous 
m'entendez,  avec  ces  sanglots  étouffés,  ces  larmes  involontaires, 
ces  silences  terribles,  cet  accablement  de  la  douleur,  cette  mol- 
lesse, ce  sentiment,  cette  douceur,  cette  fureur,  qui  passent  des 
mouvements  des  actrices  dans  l'àme  des  écoutants,  comptez 
qu'on  fera  des  signes  de  croix.  Cependant,  si  on  ne  joue  pas  le 
Droit  (lu  Seigneur,  je  renonce  au  tripot.  Je  crois.  Dieu  me  par- 
donne ,  que  j'aime  Mathurin  autant  qu'Olympie.  Je  ne  suis 
pas  fâché  qu'on  ait  brûlé  frère  Malagrida  ;  mais  je  plains  fort 
une  demi -douzaine  de  Juifs  qui  ont  été  grillés.  Encore  des 
auto-da-fé  dans  ce  siècle  !  et  que  dira  Candide  ?  Abominables 
chrétiens!  les  nègres,  que  vous  achetez  douze  cents  francs, 
valent  douze  cents  fois  mieux  que  vous  !  Ne  haïssez-vous  pas  bien 
ces  monstres  ? 

Et  l'Espagne?  pour  Dieu,  un  petit  mot  de  l'Espagne. 

4717.   —  A   M.   JEAN   SCHOUVALOW. 

Ferney,  par  Genève,  24  octobre. 

Monsieur,  ne  nous  impatientons  ni  l'un  ni  l'autre;  nous  avons 
tous  deux  la  même  passion,  nous  viendrons  à  bout  de  la  satis- 
faire. Jusqu'à  ce  que  Votre  Excellence  ait  rejeté  mon  idée,  je 

1.  Voltaire  allait  avoir  67  ans  le  21  novembre. 

2.  Le  manuscrit  d'Olympie. 


ANNÉE    17f.  I.  489 

persisterai  dans  le  dessein  de  faire  un  volume  'm-k°  de  Pierre  le 
Grand,  et  voici  comme  je  compte  procéder  :  j'aurai  l'honneur  de 
vous  envoyer  ce  qui  a  déjà  été  imprimé,  corrigé  à  la  main,  sui- 
vant vos  instructions,  avec  toute  la  suite,  écrite  à  demi-page;  et 
ensuite,  me  conformant  îi  vos  observations  pour  cette  seconde 
partie  comme  pour  la  première,  je  vous  déj)éc]îerai,  sans  perte 
de  temps,  le  même  volume  entièrement  corrigé  suivant  vos  ordres. 
Trouvez-vous  cet  arrangement  de  votre  goût?  Soyez  sûr  que  vous 
serez  obéi  très-ponctuellement.  Le  Commentaire  sur  Corneille  est  un 
ouvrage  immense,  et  je  suis  bien  faible  et  bien  vieux;  mais  je 
trouverai  des  forces  quand  il  s'agira  de  Pierre  le  Grand  et  de 
vous.  Les  vraies  passions  donnent  des  forces,  en  donnant  du 
courage.  Votre  Excellence  a  dû  recevoir  mes  tendres  et  respec- 
tueux remerciements  pour  M""^^  Corneille  ;  elle  joue  la  comédie 
comme  son  grand-père  en  faisait  :  les  filles  des  grands  hommes 
en  sont  dignes.  Si  vous  avez  pris  Colberg^,  comme  on  le  dit, 
permettez  que  je  vous  fasse  mon  compliment. 
Recevez  les  tendres  respects  de  votre,  etc. 

4718.   —  A   M.    LE    MARQUIS    DE   CIIAL  VELIN. 

A  Ferney,  23  octobre. 

Votre  Marseillais,  monsieur,  est  très-aimable,  et  M.  Guastaldi 
encore  plus.  Mais  il  me  traduit  d'un  style  si  facile,  si  naturel,  si 
élégant,  qu'on  croira  quelque  jour  que  c'est  lui  qui  a  fait  Alzirc, 
et  que  c'est  moi  qui  suis  son  traducteur.  Je  le  remercie  tant  que 
je  peux.  Je  ne  prends  pas  la  liberté  d'envoyer  la  lettre-  à  Votre 
Excellence,  parce  que  j'y  prends  celle  de  parler  de  vous,  et 
qu'après  tout  il  n'est  pas  honnête  de  dire  des  vérités  en  face. 

Est-il  vrai  que  la  belle,  la  vertueuse  Ilormenestrc  repassera 
les  montagnes  au  printemps?  Vous  souviendrez-vous  de  lîaucis 
et  de  l'hilémon?  Notre  cabane  ne  s'est  pas  encore  changée  en 
temple,  mais  elle  l'est  en  théâtre.  Nous  en  avons  un  à  Ferney 
digne  de  madame  l'ambassadrice;  elle  aura  aussi  le  jjlaisir  d'en- 
tendre la  messe  dans  une  église  toute  neuve,  que  je  viens  de  l'aire 
bAtir  exprès  j)our  vous.  Le  dernier  acte  de  ministre  des  affaires 
étrangères  (ju'a  fait  M.  le  duc  de  Choiseul  a  été  de  m'envoyer  des 
reliques^  de  la  part  du  pape.  Ainsi  vous  aurez  chez  moi  le  pro- 

1.  CoUjctr  ne  fut  pris  par  les  Russes  que  le  10  décembre. 
'2.  Elle  manque.  (H.) 
3.  Voyez  page  471). 


490  COHUIiSPONDANCIL 

fane  et  le  sacré  à  choisir,  et  nous  vous  donnerons  de  plus  une 
pièce  nouvelle  très-édifiante. 

Si  je  n'étais  pas  guédé  de  vers,  je  crois  que  j'en  ferais  pour 
M.  de  Laudon.  La  prise  de  Schweidnitz  '  me  paraît  la  plus  belle 
action  de  toute  la  guerre,  et  celle  que  l'on  fait  aux  jésuites  me 
paraît  vive. 

Il  me  vint  ces  jours  passés  un  jésuite  portugais  qui  me  dit 
qu'il  sortait  de  l'Italie,  parce  qu'ils  y  étaient  trop  mal  venus.  Il 
me  demanda  de  l'emploi  dans  ma  maison  :  cela  me  fit  souvenir 
de  l'aumônier  Poussatin-.  Je  lui  proposai  d'être  laquais,  il  accepta  ; 
et  sans  M'""  Denis,  qui  n'en  voulut  point,  il  aurait  eu  l'honneur 
de  vous  servir  à  hoire  à  votre  passage.  C'est  dommage  que  cette 
affaire  soit  manquée. 

Je  vous  présente  mon  très-tendre  respect, 

iTlO.   —    A   M.  LE    MARÉCHAL   DUC   DE   RICHELIEU. 

A  Ferney,  25  octobre. 

Vous  dites,  monseigneur  le  maréchal,  que  mes  lettres  ne  sont 
point  gaies.  M.  le  duc  de  Villars  m'en  a  averti  ;  mais  il  se  porte 
bien,  il  digère,  il  s'en  retourne  gros  et  gras.  Ce  n'est  guère  qu'à 
ces  conditions  qu'on  est  de  bonne  humeur.  D'ailleurs  il  n'a  rien 
à  faire,  et  moi,  je  compile,  compile.  Je  veux  laisser  un  petit 
monument  des  sottises  humaines,  à  commencer  par  notre  guerre, 
et  à  finir  par  Malagrida.  Si  je  ne  vous  écris  point,  j'écris  au 
moins  quelques  pages  sur  votre  compte.  Vous  clorez,  s'il  vous 
plaît,  le  siècle  de  Louis  XIV,  car  vous  êtes  né  sous  lui  ;  vous  êtes 
du  bon  temps.  Songez  donc  qu'un  homme  qui  vit  dans  les  Alpes, 
qui  fait  de  l'histoire  et  des  tragédies,  doit  être  un  homme  un  peu 
sérieux.  Je  ne  vous  ennuie  point  de  mes  rêveries,  car  vous,  qui 
êtes  très-gai,  vous  affubleriez  votre  serviteur  de  quelque  bonne 
plaisanterie  qui  dérangerait  ma  gravité. 

On  dit  qu'il  ne  faut  pas  pendre  le  prédicant  de  Caussade^ 
parce  que  c'en  serait  trop  de  griller  des  jésuites  à  Lisbonne,  et 
de  pendre  des  pasteurs  évangéliques  en  France.  Je  m'en  remets 
sur  cela  à  votre  conscience. 

1.  Prise  par  les  Autrichiens  en  1757,  reprise  par  le  roi  de  Prusse  en  1758, 
emportée  de  surprise  et  d'assaut  par  Laudon,  le  l'^'"  octobre  1761. 

2.  Mémoires  de  Gramont,  chap.  viii . 

3.  Il  fut  pendu  :  voye?.  le  Récit  pdèle  de  la  mort  édifiante  de  M.  Rochette,  mi- 
nistre en  France,  exécuté  à  Toulouse  le  18  février  1762,  pour  causes  de  religion. 
La  Haye,  1762,  in-S". 


ANNÉH    17  Cl.  494 

Rosalie^  m'intt'resse  davantage,  si  elle  est  bonne  actrice: 
mais  des  acteurs!  des  acteurs!  donnez-nous-en  donc.  Nous  ne 
sommes  pas  dans  le  siècle  brillant  des  bommes.  M""  Clairon  et 
M'"'  Ducbapt-  soutiennent  la  gloire  de  la  France;  mais  ce  n'est 
pas  assez  :  nous  dégringolons  furieusement.  Jouissez  de  votre 
gloire,  de  votre  considération,  et  des  plaisirs  présents,  et  des 
plaisirs  passés.  Plus  j'y  pense,  plus  je  me  confirme  dans  l'idée 
que,  de  tous  les  Français  qui  existent,  c'est  vous  qui  avez  reçu  le 
meilleur  lot.  Cela  me  flatte,  cela  m'enorgueillit  au  i)icd  de  mes 
montagnes  :  car  je  vous  serai  toujours  attacbé  avec  le  plus  tendre 
respect,  sain  ou  malade,  triste  ou  gai,  lionoré  de  vos  lettres  ou 
négligé. 

M""  Denis  se  joint  à  moi. 

4720.    —    A   M.   LE    CARDINAL    DE    BERXLS, 

EN     Ll  I    E\  VOYANT    l'<(É  PITRE     SIR     L 'a  G  R  I  C  l  LT  C  R  E  »  . 

A  Ferney,  2G  octobre. 

Tenez,  monseigneur,  lisez,  et  labourez;  mais  les  cardinaux 
ne  sont  pas  comme  les  consuls  romains,  ils  ne  tiennent  pas  la 
cbarrue.  Si  Votre  Éminence  est  à  Monlélimart,  vous  y  verrez 
M.  de  Villars,  qui  n'est  pas  plus  agriculteur  que  vous.  Il  n'a  pas 
seulement  vu  mon  semoir;  mais  en  récompense  il  a  vu  une  tra- 
gédie que  j'ai  faite  en  six  jours.  La  rage  s'empara  de  moi  un 
dimancbe,  et  ne  me  quitta  que  le  samedi  suivant.  J'allai  toujours 
rimant,  toujours  barbouillant;  le  sujet  me  portait  à  pleines 
voiles;  je  volais  comme  le  bateau  des  deux  cbevaliers  danois, 
conduits  par  la  vieille'.  Je  sais  bien  que  l'ouvrage  de  six  jours'' 
trouve  des  contradicteurs  dans  ce  siècle  pervers,  et  que  mon 
démon  trouvera  aussi  des  siffleurs;  mais,  en  vérité,  deux  cent 
cinquante  mauvais  vers  par  jour,  quand  on  est  possédé,  est-ce 
trop  ?  Cette  pièce  est  toute  faite  pour  vous  :  ce  n'est  pas  que  vous 
soyez  possédé  aussi,  car  vous  ne  faites  plus  de  vers;  ce  n'est 
pas  non  plus  de  votre  goût  dont  j'entends  parler,  vous  en  avez 

\.  Rosalie  avait  débuté  le  19  octobre  par  le  rùle  d'I-llectrc  dans  la  tragédie  de 
ce  nom. 

2.  Marchande  de  modes.  (K.) 

3.  Feu  Hourpoinfr,  éditeur  de  la  Correspondance  de  Voltaire  avec  le  cardinal 
de  Bernis,  remarque  que  Voltaire  se  trompe  en  appelant  virille  la  batelière  qui, 
dans  la  Jrruxalem  dclirrée,  chant  X\',  conduit  le-»  di.-ux  chevaliers  danois,  Charles 
et  Ubalde.  C'était  un  Dieux  magicien  qui  les  lui  avait  i)résentés.  (B.) 

4.  Olympie:  voyez  tome  XXIV,  page  218. 


492  CORRESPONDANCE. 

autant  que  d'esprit  et  de  grâces;  nous  le  savons  bien.  Je  veux 
dire  que  la  pièce  est  toute  faite  pour  un  cardinal.  La  scène  est 
dans  une  église,  il  y  a  une  absolution  générale,  une  confession, 
une  rechute,  une  religieuse,  un  évéque.  Vous  allez  croire  que 
j'ai  encore  le  diable  au  corps  en  vous  écrivant  tout  cela  ;  point 
du  tout,  je  suis  dans  mon  bon  sens.  Figurez-vous  que  ce  sont  les 
mystères  de  la  bonne  déesse,  la  veuve  et  la  fille  d'Alexandre  reti- 
rées dans  le  temple;  tout  ce  que  l'ancienne  religion  a  de  plus 
auguste,  tout  ce  que  les  plus  grands  malheurs  ont  de  touchant, 
les  grands  crimes  de  funeste,  les  passions  de  déchirant,  et  la 
peinture  de  la  vie  humaine  de  plus  vrai.  Demandez  plutôt  à  votre 
confrère  le  duc  de  Yillars.  Je  prendrai  donc  la  liberté  de  vous 
envoyer  ma  petite  drôlerie,  quand  je  l'aurai  fait  copier.  Vous  êtes 
honnête  homme,  vous  n'en  prendrez  point  de  copie,  vous  me  la 
renverrez  fidèlement.  Mais  ce  n'est  pas  assez  d'être  honnête 
homme  ;  c'est  à  vos  lumières,  à  vos  bontés,  à  vos  critiques,  que 
j'ai  recours.  Que  le  cardinal  me  bénisse  et  que  l'académicien 
m'éclaire,  je  vous  en  conjure. 

Permettez-moi  de  vous  parler  de  vous ,  qui  valez  mieux  que 
ma  pièce.  Pourquoi  rapetasser  ce  Vic^?  ce  Vie  est-il  un  si  beau 
lieu?  Ce  qui  me  désespère,  c'est  qu'il  est  trop  éloigné  de  mes 
déserts  charmants.  Soyez  malade,  je  vous  en  prie  ;  faites  comme 
M.  le  duc  de  Villars,  vous  n'en  serez  pas  mécontent.  Le  chemin 
est  frayé;  ducs,  princes,  prêtres,  femmes  dévotes,  tout  vient  au 
temple  d'Épidaure.  Venez-y,  je  mourrai  de  joie.  Les  Délices  sont 
à  la  portée  du  docteur  ;  elles  sont  à  vous,  et  mériteront  leur  nom. 
Quatre-vingt  mille  livres  de  rente  étaient  assez  pour  saint  Lin-, 
mais  ce  n'est  pas  assez  en  1761  ;  sans  doute  que  vous  êtes  réduit 
à  cette  portion  congrue  de  cardinal  par  des  arrangements  pas- 
sagers. Pardon,  mais  j'aime  passionnément  à  oser  vous  parler  de 
ce  qui  vous  regarde;  je  m'y  intéresse  sensiblement.  Piecevez  mon 
tendre  et  profond  respect,  c'est  mon  cœur  qui  vous  parle. 

4721.  —  A  M.   LE   MARQUIS   D'ARGENCE   DE   DIRAC. 

26  octobre. 

Vous  pardonnez  sans  doute,  monsieur,  mon  peu  d'exactitude 
en  faveur  de  mes  sentiments,  que  vous  connaissez,  et  en  faveur 

1.  Le  château  de  Vic-sur-Aisne,  à  quatre  lieues  de  Soissons,  que  le  cardinal  de 
Bernis  habitait  une  partie  de  l'année. 

2.  Voltaire  ne  croyait  pas  à  l'existence  de  ce  prétendu  successeur  de  saint 
Pierre;  voyez  tome  XI,  page  225;  et  XVII,  325. 


ANNEE    17G1.  493 

de  ma  mauvaise  santé,  que  vous  ne  connaissez  pas  moins.  Il  me 
semble,  mon  clier  monsieur,  que  les  philosophes  ont  actuelle- 
ment assez  beau  jeu.  Les  ennemis  de  la  raison  ont  combattu  pour 
nous  :  les  convulsionnaires  et  les  jésuites  ont  montré  toute  leur 
turpitude  et  toute  leur  horreur.  Il  est  certain  que  la  fureur  et 
l'atrocité  janséniste  ont  dirigé  la  cervelle  et  la  main  de  ce  monstre 
de  Damiens^  Les  jésuites  ont  assassiné  le  roi  de  Portugal*.  Ban- 
queroutiers et  condamnés  en  France^,  parricides  et  brûlés  à  Lis- 
bonne, voilà  nos  maîtres,  voilà  les  gens  devant  qui  des  bégueules 
se  prosternent  ;  les  billets  de  confession  d'un  côté,  les  miracles  de 
saint  Paris  de  l'autre,  sont  la  farce  de  cette  abominable  pièce.  Il 
vient  de  se  passer  chez  moi  une  farce  plus  réjouissante.  Un 
jésuite  portugais  '  est  venu  d'Italie  se  présenter  à  moi  pour  être 
mon  secrétaire  :  cela  me  fait  souvenir  de  l'aumônier  Poussatin, 
que  le  comte  de  Gramont  prenait  pour  son  coureur. 

J'ai  proposé  au  jésuite  d'être  mon  laquais;  il  l'a  accepté  :  sans 
M""  Denis,  qui  n'entend  point  le  jargon  portugais,  un  jésuite  nous 
servait  à  boire.  Peut-être  a-t-elle  craint  d'être  empoisonnée.  Je  vous 
avoue  que  je  ne  me  console  point  d'avoir  manqué  ce  laquais-là. 

Nous  avons  eu  un  monde  prodigieux.  J'ai  cédé  les  Délices, 
pendant  trois  mois,  à  M.  le  duc  de  Villars.  M.  de  Lauraguais, 
M.  de  Ximenès,  sont  venus  philosopher  avec  nous.  M.  le  comte 
d'IIarcourt  a  amené  madame  sa  femme  à  Tronchin  ;  mais  celle-là 
est  dévote,  cela  ne  nous  regarde  pas.  J'ai  bâti  une  église  et  un 
théâtre  ;  mais  j'ai  déjà  célébré  mes  mystères  sur  le  théâtre,  et  je 
n'ai  pas  encore  entendu  la  messe  dans  mon  église.  J'ai  reçu  le 
même  jour*  des  reliques  du  pape,  et  le  portrait  de  M""  de  Pom- 
padour;  les  reliques  sont  le  cilice  de  saint  François.  Si  le  saint- 
père  avait  daigné  m'envoyer  le  cordon  au  lieu  du  cilice,  il  m'au- 
rait fort  obligé. 

Adieu,  monsieur;  goûtez,  dans  le  sein  de  voire  famille  et  de 
vos  amis,  tout  le  bonheur  que  vous  méritez  et  que  je  vous 
souhaite.  M""  Denis  joint  ses  sentiments  aux  miens.  Je  vous 
serai  lendrenienl  attaché  toute  ma  vie. 

1 .  Voyez  torac  XVI,  page  92. 

2.  Voyez  tome  XV,  page  395. 
■i.  Voyez  tome  XVI,  pajre  100. 

i.  Voltaire  en  a  déjà  parlé  dans  sa  lettre  à  Clifiuvclin,  du  20  octobre;  voyez 
pape  iilO. 

b.  N'oyez  ci-des8iis,  jiage  iVJ. 


494  CORRESPONDANGIi. 

47-22.  —   A  M.  DU  CLOS. 

A  Fcrncy,  26  octobre. 

Je  vous  supplie,  monsieur,  d'engager  l'Académie  à  me  conti- 
nuer ses  bontés.  Il  est  impossible  que  mon  sentiment  s'accorde 
toujours  avec  le  sien,  avant  que  je  sache  comme  elle  pense;  et 
quand  je  le  sais,  je  m'y  conforme,  après  avoir  un  peu  disputé  ; 
et  si  je  ne  m'y  conforme  pas  entièrement,  je  tire  au  moins  cet 
avantage  de  ses  observations  que  je  rapporte  comme  très-dou- 
teuse l'opinion  contraire  à  ses  sentiments  ;  et  ce  dernier  cas  arri- 
vera très-rarement. 

Presque  tous  les  commentaires  sont  faits  dans  le  goût  des 
précédents;  ce  sont  des  mémoires  à  consulter.  M.  d'Argental  doit 
vous  avoir  remis  Mèdèe  et  Pohjeuctc.  Il  ne  s'agit  donc  que  de  vou- 
loir bien  faire,  sur  les  deux  commentaires  de  ces  pièces,  ce  qu'on 
a  eu  la  bonté  de  faire  sur  les  autres,  c'est-à-dire  de  mettre  en 
marge  ce  qu'on  pense.  Je  suis  un  peu  liardi  sur  Polycuctc,  je  le 
sais  bien;  mais  c'est  une  raison  de  plus  pour  engager  l'Académie 
à  rectifier,  par  un  mot  en  marge,  ce  qui  peut  m'être  échappé  de 
trop  fort  et  de  trop  sévère  :  en  un  mot,  il  faut  que  l'ouvrage 
serve  de  grammaire  et  de  poétique,  et  je  ne  peux  parvenir  à  ce 
but  qu'en  consultant  l'Académie, 

Les  libraires  ne  peuvent  commencer  à  imprimer^  qu'au  mois 
de  janvier,  et  ne  donneront  leur  programme  que  dans  ce 
temps-là. 

J'aurai  l'honneur  de  vous  envoyer  la  dédicace  et  la  préface. 
L'une  et  l'autre  seront  conformes  aux  intentions  de  l'Académie. 

4723.  —  A  M.    HENNIN. 

Au  château  de  Ferney  en  Bourgogne,  par  Genève, 
26  octobre. 

Pardon,  monsieur,  de  vous  remercier  si  tard  du  souvenir 
dont  vous  m'honorez,  et  de  ne  vous  pas  répondre  de  ma  main. 
Mes  yeux  souffrent  beaucoup,  et  mon  corps  bien  davantage.  Je 
ne  ressemble  point  du  tout  à  vos  seigneurs  polonais  qui  vont 
dmer  à  trente  lieues  de  chez  eux.  Il  y  a  bien  longtemps  que  je 
ne  suis  sorti  d'un  petit  château  que  j'ai  fait  bâtir  à  une  lieue  des 

1.  Le  Théâtre  de  P.  Corneille  avec  des  commentaires  ;  voyez  l'Avertissement 
de  Beuchot,  tome  XXXI,  page  173. 


ANNÉE    176  1.  495 

Délices.  J'y  achève  tout  doucement  ma  carrière;  et  parmi  les 
espérances  qui  nous  bercent  toujours,  je  me  flatte  (te  celle  de 
vous  revoir  à  votre  retour  de  Pologne:  car  j'imagine  que  vous 
ne  resterez  pas  là  toujours.  Ni  M.  le  marquis  de  Paulmy,  ni  vous, 
n'avez  l'air  d'un  Sarmate.  L'abbé  de  CliAteauneuf,  qui  était  trois 
l'ois  gros  comme  vous  deux  ensemble,  disait  qu'il  avait  été  en- 
voyé de  Pologne  pour  boire.  Je  ne  pense  pas  que  vous  soyez  des 
négociateurs  de  ce  genre-là. 

Quand  M.  de  Paulmy  voudra  tourner  ses  pas  vers  le  midi,  je 
lui  conseillerai  de  l'aire  comme  monsieur  son  beau-père*,  qui  a 
eu  la  bonté  de  venir  passer  quelques  jours  dans  mon  ermitage. 
Je  présenterai  requête  à  son  gendre  pour  obtenir  la  même  faveur. 
Nous  lui  donnerons  la  comédie  sur  un  théâtre  que  j'ai  fait  bâtir, 
et  nous  lui  ferons  entendre  la  messe  dans  une  église  que  j'achève, 
et  pour  laquelle  le  saint-père  m'a  envoyé  des  reliques.  Vous 
voyez  que  rien  ne  vous  manquera,  ni  pour  le  sacré  ni  pour  le 
profane. 

Je  vous  avoue  que  j'aimerais  mieux  que  vous  fussiez  à  Berne 
qu'à  Varsovie  ;  mais  M.  le  marquis  de  Paulmy  a  eu  la  rage  de  se 
faire  slavon  :  il  faut  lui  pardonner  cotte  petite  mièvreté. 

Vous  avez  sans  doute  lu,  monsieur,  le  Mémoire  historique  de 
la  négociation  avec  l'Angleterre-,  imprimé  au  Louvre.  Quelque 
honorable  que  soit  cette  négociation  pour  notre  cour,  j'aimerais 
mieux  un  mémoire  imprimé  de  cent,  vaisseaux  de  ligne,  garnis 
de  canons,  et  arrivés  à  Boston  ou  à  Madras.  Vos  Polonais  ne  sont 
pas  du  moins  dans  le  cas  d'avoir  perdu  leur  marine.  Il  est  vrai 
qu'ils  sont  un  peu  les  très-humbles  et  très-obéissants  serviteurs 
des  Busses  ;  mais  ils  ont  leur  libcrum  veto  et  du  vin  de  Tockai. 
Je  suis  facile  pour  la  liberté,  que  j'aime  de  tout  mon  cœur,  que 
cette  liberté  même  empêche  la  Pologne  d'être  puissante.  Toutes 
les  nations  se  forment  tard  ;  je  donne  encore  cinq  cents  ans  aux 
Polonais  i)0ur  faire  des  étofles  de  Lyon  et  de  la  i)orcelaine  de 
Sèvres. 

Adieu,  monsieur  ;  conservez-moi  vos  bontés;  faites  souvenir 
de  moi  votre  gros  ambassadeur,  et  soyez  persuadé  du  tendre  et 
respectueux  attachement  avec  lequel  je  serai  toute  ma  vie,  mon- 
sieur, votre  très-humble  et  très-obéissant  serviteur. 


I.   \.'-  |iiv>i.l.iiL  (11-  Lu  .Marcliu. 

'_'.  Noyez  une  noie  «ur  la  lettre  4721. 


496  COURESPOxXDANCE. 


47-24.   —  A  M.   LE  COMTE  D'ARGENïAL. 

20  octobre. 

Mes  anges  ont  terriblement  affaire  avec  leur  créature.  Je  pris 
la  liberté  de  leur  envoyer,  il  y  a  quelque  temps,  un  paquet  pour 
M""'  du  DefFant.  Il  y  avait  dans  ce  paquet  une  lettre,  et,  dans 
cette  lettre,  je  lui  disais  :  Rendez  le  paquet  aux  anges  quand  vous 
l'aurez  lu,  afin  qu'ils  s'en  amusent i.  Je  n'ai  point  entendu  par- 
ler depuis  de  mon  paquet. 

Le  Droit  du  Seigneur  vaut  mieux  que  Zulime;el  cependant  vous 
faites  jouer  Zulime. 

Olympie  ou  Cassandre  vaut  mieux  que  k  Droit  du  Seigneur  ;  qu'en 
faites-vous  ? 

Nota  bene  qu'au  commencement  du  troisième  acte  le  curé 
d'Éplièse  dit  : 

Pi'uplo,  secondez-moi"-. 

Je  n'aime  pas  qu'on  accoutume  les  prêtres  à  parler  ainsi  :  cela 
sent  la  sédition  ;  cela  ressemble  trop  à  Malagrida  et  à  ce  bou- 
cher de  Joad.  Mes  prêtres,  chez  moi,  doivent  prier  Dieu,  et  ne 
point  se  battre.  Je  vous  supplie  de  vouloir  bien  faire  mettre  à  la 
place  : 

Dieu  vous  parle  par  moi. 

Un  petit  mot  de  Malagrida  et  de  l'Espagne,  je  vous  en  prie. 

J'ignore  l'auteur  des  Car'^  ;  mais  Lefranc  de  Pompignan  mé- 
rite correction  ;  il  serait  un  persécuteur  s'il  était  en  place.  Il  faut 
l'écarter  à  force  de  ridicules.  Ah  !  s'il  s'agissait  d'un  autre  que 
d'un  fils  de  France,  quel  beau  champ  !  quel  plaisir  !  Marie  Ala- 
coque*  n'était  pas  un  plus  heureux  sujet.  Mais  apparemment 
l'auteur  des  Car  est  un  homme  sage,  qui  a  craint  de  souffleter 
Lefranc  sur  la  joue  respectable  d'un  prince  dont  la  mémoire 
est  aussi  chère  que  la  plume  de  son  historien  est  impertinente. 

Dites-moi  donc  quelque  chose  de  l'Espagne,  en  revenant  d'É- 
phèse. 

1.  Cette  phrase  n'est  pas  dans  la  lettre  à  M™^  du  Deffant  du  10  septembre 
(n°  4077),  qui  paraît  pourtant  être  celle  dont  Voltaire  parle  ici. 

2.  Cette  première  version  n'a  pas  été  conservée,  non  plus  que  celle  que  donne 
ici  Voltaire.  Elle  était  sans  doute  dans  le  dernier  couplet  de  la  scène  première  du 
troisième  acte. 

3.  Voyez  tome  XXIV,  page  201. 

4.  Voyez  la  note,  tome  XVII,  page  7. 


ANNÉE    1761.  497 

J'ai  lu  le  Mémoire  historique^  :  u  il  m'a  donné  un  soufflet, 
mais  je  lui  ai  bien  dit  son  fait-  .  »  Je  crois  que  ce  mémoire 
échauflera  tous  les  honnêtes  gens,  tous  les  bons  citoyens. 

L'île  Miquelon  et  un  commissaire  anglais^  sont  quelque 
chose  de  si  humiliant,  qu'il  faut  donner  la  moitié  de  son  bien 
pour  courir  après  l'autre,  et  pour  faire  la  paix  sur  les  cendres 
de  Magdebourg  :  c'est  mon  avis.  0  Espagne  1  secours-nous  donc; 
nous  t'avons  tant  secourue  ! 

Pardon,  ô  anges! 

4725.  —  A  M.  DE  VAUX. 

Au  château  de  Ferney,  pays  de  Gex, 
par  Genève,  26  octobre. 

Vous  serez  toujours  mon  cher  Panpan,  eussicz-vous  quarante 
ans  et  plus  ;  jamais  je  n'oublierai  ce  nom.  Il  me  semble,  mon- 
sieur, que  je  vous  vois  encore  pour  la  première  fois  avec  M"'«  de 
Graffigny.  Comme  tout  cela  passe  rapidement!  comme  on  voit 
tout  disparaître  en  un  clin  d'œil!  Heureusement  le  roi  de  Po- 
logne se  porte  bien.  Vous  êtes  donc  son  lecteur?  Je  voudrais 
aussi  que  vous  fussiez  celui  de  toutes  les  diètes  de  Pologne,  et 
que  vous  y  lussiez  la  Voix  du  Citoyen'^.  S'il  y  a  un  livre  dans  le 
monde  qui  pût  faire  le  bonheur  d'une  nation,  c'est  assurément 
celui-là. 

J'ai  vu  dans  mon  ermitage  jusqu'à  des  palatins  qui  trouvent 
que  ce  livre  devrait  être  le  seul  code  de  la  nation  polonaise.  Ah  ! 
mon  cher  Panpan,  que  n'êtes-vous  venu  aussi  dans  mes  petites 
retraites  !  Que  n'ai-je  eu  le  bonheur  d'y  recevoir  M.  l'abbé  de 
BoufflersM  J'entends  parler  de  lui  comme  d'un  des  esprits  des 


1.  Mémoire  historique  sur  les  ncijociatiuns  de  la  France  et  de  l'Angleterre 
depuis  le  20  mars  1701  jusqu'au  20  septembre  de  la  même  année,  avec  les  pièces 
justiflcalives  (au  nomljie  de  trente  et  une),  1701,  in-S"  et  in-12.  Voltaire,  dans  sa 
lettre  à  Uaniilaville  du  11  novembre,  dit  que  GlioiAeuI  avait  composé  ce  Mémoire 
en  trente-si.x  heures. 

2.  Mdlière,  M.  de  Pourceaugnac,  acte  I,  scène  vi. 

3.  Dans  la  réponse  à  l'ultimatum  de  la  cour  de  France,  rAnglcterro  offrait  de 
rèder  l'ile  Saint-l'iene  dans  le  j:olfe  Saint-Laurent,  mais  se  réservait  l'ilo  .Mique- 
lon ou  Michelon,  au  nord  de  la  première,  avec  le  droit  de  résidence  d'un  conimis- 
siiire  anf,'lais  à  l'ilc  Saint-Pierre,  et,  en  outre,  le  droit  de  visite  de  la  part  du 
commandant  de  l'escadre  britannique.  (II.) 

4.  Voliaire  désigne  ainsi  lu  Voix  libre  du  citoyen,  ou  Observations  sur  le  gou- 
vernement de  Pologne  (par  le  roi  Slaiiislas),  17."):$,  deux  parties  in-12. 

i).  Plus  connu  sous  le  nom  do  chcvalii-r  de  lîoufilers.  Il  est  mort  en  1810,  avec 
lo  titre  de  marquis.  11  était  né  en  I7:!7.  Il  y  u  i>lusieurs  éditions  do  ses  OEuvrcs, 
41.  —  ConnESfoNDA.NCE.  IX.  32 


198 


CORRESPONDANCE. 


plus  aimables  et  des  plus  éclairés  que  nous  ayons.  Je  n'ai  point 
vu  sa  Iiei)ie  de  Golcondc,  mais  j'ai  vu  de  lui  des  vers  charmants. 
Il  ne  sera  peut-être  pas  évêque;  il  faut  vite  le  faire  chanoine  de 
Strasbourf,^  primat  de  Lorraine,  cardinal,  et  qu'il  n'ait  point 
charge  d'âmes.  11  me  paraît  que  sa  charge  est  de  faire  aux  unies 
beaucoup  de  plaisir. 

N'est-il  pas  fils  de  M""^^  la  marquise  de  Boufflers,  notre  reine? 
C'est  une  raison  de  plus  pour  plaire.  Mettez-moi  aux  pieds  de  la 
mère  et  du  fils.  Je  suis  très-touché  de  la  mort  de  M'""  de  La  Ga- 
laisière'.  J'aurai  l'honneur  démarquera  monsieur  le  chancelier 
toute  ma  sensibilité. 

Je  n'ai  point  vu  le  musicien  dont  vous  me  parlez,  je  le  crois 
actuellement  à  Berne  avec  sa  troupe,  qui  n'est  pas  mauvaise,  et 
qui  gagnera  de  l'argent  dans  cette  ville,  où  il  y  a  beaucoup  plus 
d'esprit  qu'on  ne  croit.  Cette  partie  de  la  Suisse  est  très-instruite; 
ce  n'est  plus  le  temps  où  l'on  disait  qu'il  était  plus  aisé  de  battre 
les  Suisses  que  de  leur  faire  entendre  raison.  Ils  entendent  rai- 
son à  merveille,  et  on  ne  les  bat  point.  Je  suis  plus  content  que 
jamais  de  leur  voisinage.  J'y  vois  les  orages  de  ce  monde  d'un 
œil  assez  tranquille;  il  n'y  a  que  ce  pauvre  frère  Malagrida  qui 
me  fait  un  peu  de  peine.  J'en  suis  fâché  pour  frère  Menou  ;  mais 
j'espère  qu'il  n'en  perdra  pas  l'appétit.  Il  est  né  gourmand  et  gai; 
avec  cela  on  peut  se  consoler  de  tout. 

Pardon  si  je  ne  vous  écris  pas  de  ma  main,  mais  c'est  que  je 
n'en  peux  plus. 

Votre  très-sincère  ami  et  serviteur. 

Voltaire, 

472G.    —    DE    M.    D'ALEMBERT. 

A  Paris,  ce  31  octobre. 

Je  suis,  mon  cher  et  ilhistre  maître,  un  peu  inquiet  de  votre  santé;  il 
faut  qu'elle  ne  soit  pas  si  bonne  que  l'année  passée.  11  y  a  un  an  que  vous 
vouliez,  disiez-vous-,  ne  faire  que  rire  do  tout  pour  vous  bien  porter; 
aujourd'hui  vous  voulez  vous  fâcher,  et  c'est  contre  Moïse  de  3Ionlauban  ! 
Voilà  un  plaisant  objet  pour  vous  échauffer  la  bile!  Eh!  pardieu,  laissez-le 


aucune  n'est  complète.  Sa  Reine  de  Golconde  fut  le  premier  ouvrage  qu'il  publia 
en  17G1.  (B.) 

1.  Louise-Elisabeth  Orry,  épouse  de  La  Galaisière,  chancelier  du  roi  Stanis- 
las, morte  à  Lunéville  le  15  septembre  17G1,  à  cinquante-deux  ans. 

2.  C'est  probablement  dans  la  lettre  déjà  citée  ci-dessus^  page  8,  et  qui  parait 
perdue. 


A  N  N  i:  E    I  7  0  1 .  499 

devenir  historiographe,  instituteur,  correcteur,  éberneur  des  Enfants  de 
France,  et  tout  ce  quil  voudra;  et  soyez,  vous,  mais  toujours  en  riant, 
l'histoiiograpiie  de  ses  sottises,  l'instituteur  de  votre  nation,  et  le  correcteur 
des  fanatiques. 

Je  vous  remercie  de  ce  que  vous  m'envoyez  de  la  put  de  la  bonne  âme 
do  Monlauban;  je  l'ai  lu  avec  plaisir,  et  j'en  ferai  part  aux  bonnes  âmes  de 
Paris.  Je  crois  cependant  que  cela  aurait  encore  été  plus  utile  si  la  i)onne 
âme  de  .Montauban  n'avait  voulu  que  rire,  et  n'avait  point  voulu  se  fâcher. 
Vous  voyez,  mon  cher  philosophe,  combien  j'ai  profite  de  vos  leçons  : 
autrefois  tout  me  donnait  de  l'humeur,  depuis  la  comédie  des  Philosophes 
jus  ju'au  Mémoire  de  Pompignan  ,  aujourd'hui  je  verrais  Moïse  de  Monlauban 
premier  ministre,  et  Aaron  grand-aumônier^,  que  je  crois  que  j'en  rirais 
encore.  Je  me  fierais  à  la  Providence,  qui,  à  la  vérité,  ne  gouverne  pas  trop 
bien  ce  meilleur  des  mondes  possibles,  mais  qui  pourtant  fait  parfois  des 
actes  de  justice.  Qui  aurait  dit,  par  exemple,  il  y  dix  ans,  aux  jésuites, 
que  ces  bons  pères,  qui  aiment  tant  à  brûler  les  autres,  verraient  bientôt 
venir  leur  tour,  et  que  ce  serait  le  Portugal,  c'est-à-dire  le  pays  le  plus 
fanatique  et  le  plus  ignorant  de  l'Kurope,  qui  jetterait  le  premier  jésuite  au 
feu  ?  Ce  qu'il  y  a  de  très-plaisant,  c'est  que  cette  aventure  commence  à 
réconcilier  les  jansénistes  avec  l'Inquisition,  qu'ils  haïssaient  jusqu'ici  mor- 
tellement: «  En  vérité,  disent-ils,  cet  établissement  a  du  bon;  les  affaires 
y  sont  jugées  avec  beaucoup  plus  de  maturité  et  de  justice  qu'on  ne  croit 
en  France,  et  il  faut  avouer  que  ce  tribunal-là  fait  fort  bien  en  Portugal.  » 
Ils  ont  imprimé  (pie  .Malagrida  se  souvenait  encore,  dans  l'oisiveté  do  la 
prison,  de  son  ancien  métier  de  jésuite;  qu'on  l'a  surpris  quatre  fois  s'amu- 
Sant  tout  seul,  pour  donner,  disait-il,  du  soulagement  à  son  corps.  Notez 
qu'il  a  soixante  et  treize  ans;  cela  serait  en  vérité  fort  beau  à  cet  à"e-là; 
mais  je  crois  que  les  jansénistes  n'en  parlent  que  [lar  envie. 

Laissons  brûler  Malagrida,  et  venons  à  Corneille,  qui,  selon  vous  et 
selon  moi,  n'est  pas  si  chaud.  Si  c'est  moi  qui  ai  écrit  qu'on  s'intéresse  à 
Auguste,  je  n'ai  écrit  en  cela  que  l'avis  de  l'Académie,  et  point  du  tout  le 
mien;  je  ne  crois  ni  avec  elle  qu'on  s'intéresse  à  Auguste,  ni  avec  vous 
qu'on  s'intéresse  à  Cinna  :  je  crois  qu'on  ne  s'intéresse  à  personne,  qu'on  ne 
se  soucie  pas  plus  d'Auguste,  d'Emilie,  et  de  Cinna,  {jue  de  Maxime  et 
d'Huphorbe,  et  (pie  cet  ouvrage  est  meilleur  à  lire  (pi'ii  voir  jouer.  Aussi  n'y 
va-t-il  p(M  sonne. 

Oui,  en  vérité,  mon  cher  maître,  notre  théâtre  est  à  la  glace.  Il  n'y  a, 
dans  la  plupart  do  nos  tragédies,  ni  vérité,  ni  chaleur,  ni  action,  ni  dialo- 
gue. Donnez-nous  vite  votre  œuvre  de  six  jours;  mais  ne  faites  pas  comme 
Dieu,  et  no  vous  reposez  pas  le  soplièmo.  Ce  n'est  point  un  plat  com|iliment 
(pie  jo  prétends  vous  faire;  mais  je  ne  vous  dis  ((uo  ce  (pie  j';ii  ik'jà  dit 
c(;nl  lois  à  d'autres.  Vos  |)ièces  seules  ont  du  mouvement  et  do  l'intérêt;  et. 
ce  qui  vaut  bien  cela,  de  la  pliihjsophie,  non  p;is  de  la  philosopliio  froide  et 
juirlinr,  mais  de  la  piiihisopliie  en  action.  Je  ne  \ous  dcniando  plus  d'écha- 

1.  Vu3ez  loinc  ,\.\l\ .  i>:igc  '2(il. 


500  CORRESPONDANCE. 

faud*;  jo  sais  et  je  respecte  toute  la  répugnance  que  vous  y  avez,  quoique 
depuis  ftlalagrida  les  échafauds  aient  leur  mérite;  mais  je  vous  demande  de 
nous  faire  voir,  ce  qui  ne  tient  qu'il  vous,  qu'en  fait  de  tragédie  nous  ne 
sommes  encore  que  des  enfants  bien  élevés;  et  les  autres  peuples,  de  vieux 
enfants.  Votre  réputation  vous  permet  de  risquer  tout;  vous  êtes  à  cent 
lieues  de  l'envie;  osez,  et  nous  pleurerons,  et  nous  frémirons,  et  nous 
dirons:  Voilà  la  tragédie,  voilà  la  nature.  Corneille  disserte.  Racine  con- 
verse, et  vous  nous  remuerez. 

A  propos,  vraiment  j'oubliais  de  vous  remercier  de  la  mention  honorable 
que  vous  avez  faite  de  moi  dans  voire  lettre  à  l'abbé  d'Olivet,  telle  que 
vous  l'avez  envoyée  au  Journal  encyclopédique  -  :  car  il  est  bon  de  vous 
dire  que  mon  nom  ni  celui  de  DuClos  ne  se  trouvent  point  dans  l'imprimé 
de  Paris,  malgré  ce  que  vous  aviez  recommandé  à  ce  sujet,  comme  je  le 
sais  de  science  certaine  ;  c'est  votre  ancien  instituteur,  Josepluis  Olivetus, 
qui  a  fait,  en  tout  bien  et  tout  honneur,  cette  petite  suppression,  dont  j'aurai 
le  plaisir  de  le  remercier  à  la  première  occasion  favorable,  mais  toujours  en 
riant,  parce  que  cela  est  bon  pour  la  santé. 

Oui  vraiment,  les  prêtres  de  Genève  sont  comme  des  diables  contre  la 
comédie;  mais  on  dit  aussi  que  vous  en  êtes  un  peu  la  cause.  Vous  vous  êtes 
un  peu  trop  moqué  de  ces  sociniens  iionteux;  vous  avez  fait  rire  à  leurs 
dépens;  et,  pour  s'en  venger,  ils  voudraient  bien  que  vous  ne  fissiez  pleu- 
rer personne.  Il  faut  que  les  comédiens  de  l'église  et  ceux  du  théâtre  se 
ménagent  réciproquement.  A  l'égard  de  Rousseau,  j'avoue  que  c'est  un 
déserteur  qui  combat  contre  sa  patrie;  mais  c'est  un  déserteur  qui  n'est  plus 
guère  en  état  de  servir,  ni  par  conséquent  de  faire  du  mal;  sa  vessie  le 
fait  souffrir,  et  il  s'en  prend  à  qui  il  peut.  Prions  Dieu  qu'il  conserve  la 
nôtre. 

On  dit  que  les  jésuites  font  courir  dans  les  maisons  trois  mémoires 
manuscrits  pour  leur  justification.  C'est  beaucoup  que  trois,  car  je  crois  qu'ils 
auraient  de  la  peine  à  en  faire  lire  un  seul,  tant  l'animosité  publique  est 
grande.  On  dit  qu'ils  prouvent  dans  un  de  ces  mémoires  que  le  parlement  a 
falsifié  et  tronqué  les  passages  de  leurs  constitutions.  Cela  pourrait  bien  être, 
puisque  Omer-Anytus,  dans  son  beau  réquisitoire^,  a  bien  falsifié  et  tron- 
qué, d'après  Abraham  Chaumeix,   les  passages  de  Y  Encyclopédie. 

Adieu,  mon  cher  philosophe;  faites  des  tragédies,  moquez-vous  de  tout, 
et  portez-vous  bien. 


1 .  Voyez  la  note,  page  20. 

2.  Voyez  cette  lettre  du  20  août,  n"  46i5.  La  phrase  est  dans  la  variante. 

3.  Le  réquisitoire  d'Omer  Joly  de  Fleury  contre  l'Encyclopédie  est  du  23  jan- 
vier 1759. 


ANNÉE    1TGI.  oOI 

47-27.   —   A    M.    SAURIN. 

A  Ferney,  octobre. 

Dieu  soit  loué,  mon  cher  confrère,  de  votre  sacrement  de 
mariage  M  Si  Moïse-  Lefranc  de  Pompignan  fait  une  famille 
d'hypocrites,  il  faut  que  vous  en  fassiez  une  de  philosophes.  Tra- 
vaillez tant  que  vous  pourrez  à  cette  œuvre  divine.  Je  présente 
mes  respects  à  madame  la  philosophe.  Il  y  a  beaucoup  de  jolies 
sottes,  beaucoup  de  jolies  friponnes  :  vous  avez  épousé  beauté, 
bonté,  et  esprit;  vous  n'êtes  pas  c'i  plaindre.  Tâchez  de  joindre  à 
tout  cela  un  peu  de  fortune;  mais  il  est  quelquefois  plus  difficile 
d'avoir  de  la  richesse  qu'une  femme  aimable. 

Mes  compliments,  je  vous  prie,  à  frère  Helvétius  et  h  tout 
frère  initié.  Il  faut  que  les  frères  réunis  écrasent  les  coquins  ; 
j'en  viens  toujours  là  :  Delenda  est  Carthago^. 

Ne  soyez  pas  en  peine  de  Pierre  Corneille.  Je  suis  bien  aise 
de  recueillir  d'abord  les  sentiments  de  l'Académie;  après  quoi  je 
dirai  hardiment,  mais  modestement,  la  vérité.  Je  l'ai  dite  sur 
Louis  XIV,  je  ne  la  tairai  pas  sur  Corneille.  La  vérité  triomphe 
de  tout.  J'admirerai  le  beau,  je  distinguerai  le  médiocre,  je  note- 
rai le  mauvais.  Il  faudrait  être  un  lâche  ou  un  sot  pour  écrire 
autrement.  Les  notes  que  j'envoie  à  l'Académie  sont  des  sujets  de 
dissertations  qui  doivent  amuser  les  séances,  et  les  notes  de  l'Aca- 
démie m'instruisent.  Je  suis  comme  La  Flèche  '',  je  fais  mon 
profit  de  tout. 

Adieu,  mon  cher  philosophe;  je  vis  libre,  je  mourrai  libre;  je 
vous  aimerai  jusqu'à  ce  qu'on  me  porte  dans  la  chienne  de  jolie 
église  que  je  viens  de  bâtir,  et  où  je  \ais  placer  des  reliques 
envoyées  par  le  saint-père. 

47-28.  —  DE   M.    Li:    P  II  K  S I D  !•:  N  r    D  K    R 11 0  S  S  E  S  s. 

Souvenez-vous,  monsiour,  des  avis  prudents  (juo  je  vous  ai  ci-devant 
donnés  en  conversation,  lorsqu'on  me  racontant  les  traverses  de  votre  vie 
vous  ajoutâtes  que  vous  étiez  d'un  caractère  nalurellenient  insolent.  Je  vous 
ai  donné  mon  amitié;  une  martiue  (jue  je  ne  l'ai  pas  retirée,  c'est  l'avertis- 


1.  Saiirin,    dans  sa   cinquantc-sixiùmc  année,  avait  épous/-,    le  l'2  aoùl  1701, 
Mario-Anno-Jonnnc  Sandras,  néo  le  31  mars  \TM. 

2.  Voyez  tome  XXIV,  page  201. 

3.  C'était  par  f<!s  mois  rpic  Oalon  le  CcnHCur  li'rniinait  ses  harançrucs. 

4.  L'Avnre,  acte  I,  scène  m. 

5.  Éditeur,  Th.  Foissot. 


502  COHilf:SPONDANCE. 

somont  que  je  vous  donne  encore  de  ne  jamais  écrire  dans  vos  moments 
d'aliénation  d'esp'-it,  pour  n'avoir  pas  à  rougir  dans  voire  bon  sens  de  ce 
que  vous  avez  fait  pendant  le  délire. 

J'ai  mis  mes  aiï.tires  avec  vous  dans  la  règle  ordinaire  et  romniune.  Je 
n'en  suis  venu  là,  malgré  l'abus  que  vous  faisiez  du  j)Ouvoir  (pie  je  vous  ai 
laissé  par  le  bail,  qu'après  que  vous  avez  clierclié  à  me  jouer  par  un  second 
marché  illusoire  et  sans  bonne  foi  de  votre  part.  Quoique  j'aie  en  main  de 
quoi  vous  mener  fort  loin  à  la  Table  de  marbre',  je  ne  l'ai  pas  fait  jusciu'à 
présent,  mon  dessein  ayant  été  seulement  de  vous  contenir. 

Quoique  après  deux  années  de  jouissance  vous  m'ayez  persécuté  pour 
acheter  ma  terre,  quoique  j'aie  en  mes  mains  l'offre  de  cent  quarante-cinq 
mille  livres,  écrite  de  la  vôtre,  et  à  laquelle  j'avais  enfin  consenti  (ofTre  sur 
laquelle  vous  m'avez  par  bonheur  manqué  de  parole,  car  je  ne  m'en  défaisais 
qu'à  regret);  il  n'est  pas  vrai,  et  il  ne  peut  l'être,  que  le  sieur  Girod  vous 
ait  dit  que  je  ruinerais  M™^  Denis  si  vous  ne  la  payiez  cinquante  mille  écus. 
11  a  pu  vous  représenter  pour  lors  que  vous  exposiez  vos  héritiers  par  les 
dégradations  illicites  que  vous  faisiez  dans  mon  bois;  ce  qui  est  vrai.  Mais 
il  sait  aujourd'hui  que  pour  ce  prix,  ni  pour  aucun  autre,  je  ne  vendrais  ma 
terre,  ne  voulant  rien  avoir  de  plus  à  démêler  avec  un  homme  admirable, 
à  la  vérité,  par  i'éminence  de  ses  talents,  mais  turbulent,  injuste,  et  artifi- 
cieux en  affaires  s;ins  les  entendre. 

Quant  à  M""=  DiMiis,  je  l'honore  et  l'estime.  C'est  un  tribut  que  tout  le 
monde  rend  à  sa  justesse  de  cœur  et  d'esprit,  dans  un  pays  où,  sans  cette 
malheureuse  effervescence  à  laquelle  vous  vous  livrez,  vous  auriez  pu  vous- 
même  trouver  une  retraite  paisible  et  jouir  tranquillement  de  votre  célé- 
brité. Comme  elle  est  équitable  et  modérée,  je  suis  très-persuadé  que  ma 
famille  n'aura  aucun  démêlé  avec  elle-.  Si,  comme  vous  le  dites,  j'avais  quel- 
que crédit,  il  ne  serait  jamais  employé  qu'à  la  servir. 

II  faut  être  prophèle  pour  savoir  si  un  marché  à  vie  est  bon  ou  mauvais. 
Ceci  dépend  de  l'événement^.  Je  désire,  en  vérité  de  irès-bon  cœur,  que  votre 
jouissance  soit  longue,  et  que  vous  puissiez  continuer  encore  trente  ans  à 
illustrer  votre  siècle  :  car,  malgré  vos  faiblesses,  vous  resterez  toujours  un 

très-grand  homme dans  vos  écrits.  Je   voudrais  seulement  que  vous 

missiez  dans  votre  cœur  le  demi-quart  de  la  morale  et  de  la  philosophie 
qu'ils  contiennent. 

Quand  vous  m'avez  pressé  de  venir  chez  vous  pour  entrer  en  pourpar- 
lers (ce  que  j'ai  fait  très-volontiers,  puisque  votre  santé  ne  vous  permettait 
pas  de  me  venir  trouver)  ;  quand  je  vous  ai  ensuite  remis  ma  terre  de 

1.  La  Table  de  marbre  était  un  tribunal  spécial,  institué  pour  statuer  en  der- 
nier ressort  sur  tous  délits  et  abus  coniiiiis  dans  les  bols,  même  ceux  des  parti- 
culiers. 

2.  Après  la  mort  de  Voltaire,  M'""  Denis  offrit  40,000  livres  de  dommages- 
intérêts  pour  les  dégradations  faites  à  Tournay.  Il  n'y  eut  pas  de  procès;  les  offres 
furent  acceptées.  (Transaction  de  1781.) 

3.  L'événement  ne  fut  point  contre  Voltaire  ;  il  survécut  d'une  année  au  pré- 
sident de  Brosses. 


ANNÉE    1761.  503 

ïouniay;  vous,  qui  étiez  sur  place,  la  coiinais-;icz  beaucoup  mieux  que  moi, 
qui  n'y  ai  qua-îi  jamais  été.  Vous  l'aviez  d'avance  bien  visitée  et  parcourue: 
ce  qu'il  était  très-raisonnable  à  vous  de  faire.  Je  vous  l'ai  remise  dans  ce 
qu'elle  contenait  dans  votre  vu  et  su,  telle  qu'en  jouissait  le  sieur  Cliouet 
alors  fermier.  J'ai  toujours  ouï  dire  que  la  forêt  contenait  environ  80  poses: 
c'est  la  mesure  habituelle  du  pays,  dont  je  suis  si  peu  au  fait  que  j'en 
ignore  encore  la  valeur*.  Je  vous  ai  remis  le  bail  du  sieur  Chouet,  montant 
à  3,000  livres,  avec  progression  pour  les  années  suivantes  à  3,200  et  à 
3,300  livres;  il  ne  tenait  qu'il  vous  d'entretenir  ce  bail.  Vous  avez  exigé 
qu'il  fût  résilié;  et  le  fermier,  k  son  tour,  a  exigé  de  moi  un  dédommage- 
ment :  ce  qui  était  juste. 

Vous  dites  à  cela  que  le  bail  était  trop  cher,  et  que  Chouet  y  a  perdu 
'22,000  livres.  Ici  l'esprit  de  calcul  vous  a  manqué.  C'est  une  chose  bien 
adroite  que  de  perdre  22,000  livres  en  quatre  ou  cinq  ans  sur  un  bail  de 
mille  écus.  Ce  (ju'il  y  a  de  plus  curieux  encore,  c'est  qu'au  vu  et  su  de  tout 
le  monde  et  de  voire  propre  connaissance,  le  sieur  Chouet  n'avait  pas  un 
sol  quand  il  est  venu  de  Livourne  prendre  ma  ferme.  Cependant  il  y  a 
vécu  et  m'a  bien  payé  :  ce  qui  n'est  pas  une  petite  merveille  dans  un 
homme  de  si  peu  de  conduite. 

Vous  allez  sans  cesse  répétant  à  tout  le  monde  qu'au  lieu  de  12,000  livres 
que  vous  devez  mettre  en  constructions  et  réparations  au  château  d^  Tour- 
nay,  vous  y  en  avez  déjà  mis  pour  18,000  livres,  et  môme  quelquefois  pour 
40,000  livres.  Je  désire  fort  que  cela  soit  ainsi.  .Mais,  n'ayant  connaissance 
d'aucun  autre  changement  que  de  quelques  croisées  et  d'un  pont  de  bois 
qui  va  au  jardin,  j'ai  peine  à  les  porter  à  ce  prix.  Au  reste,  je  n'ai  rien  à 
vous  dire  là-dessus  :  vous  êtes  le  maître  du  temps  ;  ce  que  vous  n'avez  pas 
fait,  vous  le  ferez  -. 

Venons  au  fait,  car  tout  ce  que  vous  dites  là  n'y  va  point.  La  mémoire 
est  nécessaire  quand  on  veut  citer  des  faits.  Elle  vous  manque  sans  doute 
lorsque  vous  affectez  de  confondre  notre  marché  avec  la  commission  de 
vous  procurer  du  bois  de  chauffage.  Ce  sont  deux  choses  très-isolées,  et  qui 
ne  furent  pas  faites  ensemble.  Notre  marché  fut  fait  à  Ferney,  dans  votre 
cabinet.  C'est  dans  un  autre  temps,  qu'en  nous  promenant  dans  la  campagne, 
à  Tournay,  vous  me  dites  (\\ie  vous  manquiez  actuellement  de  bois  de  chauf- 
fage; à  quoi  je  vous  répli([uai  que  vous  on  trouveriez  facilement  de  ceux  de 
ma  forêt  vers  Charles  Baudy.  Vous  me  priâtes  de  lui  en  parler,  ce  que  je  fis 
même  en  votre  présence,  autant  que  je  m'en  souviens,  mais  certainement 
d'une  manière  illimitée;  ce  qu'on  ne  fait  pas  quand  il  s'agit  d'un  présent. 
Je  laisse  à  part  la  vilité  d'un  présent  de  cette  espèce,  qui  ne  se  fait  qu'aux 


1.  La  pose  équivaut  à  27  ares. 

2.  LVditoup  de  cns  lettres  a  visité  Tournay  en  I83i;  il  a  interrogé  l'anrien 
fermier  de  la  terre,  aujourd'hui  propriétaire  du  cli;\teau  ;  cl  par  ses  yeux  comme 
par  le  témoi),'nap;e  du  vieillard  dont  le  i)ère  avait  été  longtemps  fermier  de  la  terre 
de  Tournay,  il  s'est  ronvaiucu  que  Voltaire  s'en  était  tenu  au.v  démolitions  et 
à  queliiucs  dislriljulioMs  insi^'iiidantes,  (.Yo/e  (/«  premier  cditcur.)  , 


504  CORRESPONDANCE. 

pauvres  de  la  Miséricorde  ou  à  un  couvent  de  capucins.  Je  vous  aurais  à 
coup  sur  donné  comme  présent  quelques  voies  de  bois  de  chauffage  si  vous 
me  les  aviez  demandées  comme  telles.  Mais  j'aurais  cru  vous  insulter  par 
une  offre  de  cette  espèce.  Mais  enfin,  puisque  vous  ne  le  dédaignez  pas,  je 
vous  le  donne,  et  j'en  tiendrai  compte  à  Raudy,  on  par  vous  m'cnvoyanl  la 
reconnaissance  suivante  : 

Je  soussigné  François-Marie  Arouet  de  Voltaire,  chevalier,  seigneur  de  Ferney, 
gcntilliomme  ordinaire  de  la  chambre  du  roi,  reconnais  que  M.  de  Brosses,  pré- 
sident du  parlement,  m'a  fait  présent  de voies  de  bois  de  moule,  pour  mon 

chauffage,  en  valeur  de  281  francs,  dont  je  le  remercie. 

A ,  ce 

A  cela  près,  je  n'ai  aucune  affaire  avec  vous.  Je  vous  ai  seulement  pré- 
venu que  je  me  ferais  infailliblement  payer  de  Baudy,  qui  se  ferait  infailli- 
blement payer  de  vous.  Je  l'ai  fait  assigner,  il  vous  a  fait  assigner  à  son  tour. 
Voilà  l'ordre  et  voilà  tout.  De  vous  à  moi  il  n'y  a  rien,  et  faute  d'affaires 
point  d'arbitrage.  C'est  le  sentiment  de  monsieur  le  premier  président,  de 
M.  de  Ruffey,  et  de  nos  autres  amis  communs  que  vous  citez,  et  qui  ne 
peuvent  s'empêcher  de  lever  les  épaules  en  voyant  un  homme  si  riche  et  si 
illustre  se  tourmenter  à  tel  excès  pour  ne  pas  payer  à  un  paysan  280  livres 
pour  du  bois  de  chauffage  qu'il  a  fourni.  Voulez-vous  faire  ici  le  second 
tome  de  l'histoire  de  M.  de  Gauffecourt.  à  qui  vous  ne  vouliez  pas  payer  une 
chaise  de  poste  que  vous  aviez  achetée  de  lui?  En  vérité,  je  gémis  pour 
l'humanité  de  voir  un  si  grand  génie  avec  un  cœur  si  petit,  sans  cesse 
tiraillé  par  des  misères  de  jalousie  ou  de  lésine.  C'est  vous-même  qui  em- 
poisonnez une  vie  si  bien  faite  d'ailleurs  pour  être  heureuse.  Lisez  souvent 
la  lettre  de  M.  Ilaller  i,  elle  est  très-sage. 

Votre  grand  cheval  de  bataille,  à  ce  qu'il  me  paraît,  est  que  Baudy  n'est 
pas  acheteur  des  bois,  mais  facteur  rendant  compte.  Quand  cela  serait,  que 
vous  importe?  Et  qu'avez-vous  à  voir  aux  conventions  entre  lui  et  moi? 
Lui  devez-vous  moins  la  livraison  comme  acheteur  ou  comme  facteur? 
Démêlez-vous  avec  lui  du  prix  et  de  la  quantité  :  car  ce  sont  des  choses 
que  j'ignore  parfaitement.  Je  sais  seulement,  et  je  vous  dis,  moi,  qu'il  y  a  eu 
un  marché  de  vente.  Je  ne  l'ai  pas  vu  depuis,  et  ne  sais  pas  trop  ce  qu'il 
contient.  Il  est  resté  là-bas  entre  leurs  mains,  soit  de  Girod,  soit  de  Baudy. 
J'ai  autre  chose  à  faire  que  de  me  mêler  de  ces  détails.  Je  ne  sais  comment 
ils  l'exécutent  entre  eux.  Que  ce  soit  par  vente  en  bloc  ou  par  factorerie  à 
tant  par  moule,  rien  ne  vous  est  plus  indifférent.  Je  ne  connais,  ni  de  nom, 
ni  de  fait,  un  seul  des  gens  à  qui  Baudy  a  livré  pour  des  sommes  considérables  : 
j'aurais  beaucoup  à  faire  d'aller  les  rechercher  l'un  après  l'autre.  Je  ne  con- 
nais, qu'à  la  vue  du  compte  qu'on  me  rend,  la  quantité  vendue  et  l'argent 
auquel  il  monte. 

S'il  ne  s'y  trouve  pas,  Baudy  va  le  chercher  près  de  ceux  qui  le  lui 
doivent  pour  parfaire  son  compte.  Rien  de  plus  simple.  11  ne  faut  point  de 

i.  Lettre  3782, 


ANNÉE    1761.  oOa 

loi  pour  entendre  ceci  :  et  je  voudrais  que  vous  connussiez  mieux  l'iippli- 
calion  de  l'ordonnance  de  1667,  avant  que  de  la  citer. 

Mais  je  m'iiperrois  que  votre  prétention  ne  se  borne  pas  là,  et  que  vous 
voulez  avoir  tous  les  bois  coupés  qui  restaient  en  moules  dans  la  forôt  lors 
de  notre  marché,  sous  le  prétexte  qu'ils  n'étaient  pas  réellement  vendusàun 
marchand  de  Genève  comme  je  vous  l'ai  dit  alors.  Tâchez  d'avoir  meilleure 
mémoire.  Je  vous  dis  alors  que  j'exceptais  de  la  remise  les  bois  coupés  et 
ci-devant  exploités,  et  huit  pieds  d'arbres  encore  sur  pied,  que  j'avais  ven- 
dus depuis  peu  à  un  marchand  de  Genève.  Lisez  l'acte  où  cela  est  ainsi 
expliqué  :  ;)/.  de  Voltaire  aura  la  pleine  jouissance  de  la  foret  de  Tour- 

nay  et  des  bois  qui  sont  sur  pied  et  non  vendus Ledit  seigneur  de 

Brosses  s'engage  à  ne  faire  couper  aucun  arbre  dans  ladite  forêt,  à  la 
réserve  de  huit  chênes  vendus  à  un  tonnelier  de  Genève,  qui  sont  encore 
sur  pied.  Vous  voyez  donc  que  l'acte  contient  réserve  des  bois  exploités 
qui  n'étaient  plus  sur  pied  (ce  sont  ceux  de  Baudy),  et  réserve  de  huit 
chênes  non  encore  exploités,  qui  sont  ceux  de  l'autre  marchand.  Un  enfant 
entend  bien  que  les  bois  qui  sont  à  vous  sont  ceux  qui  réunissent  les  deux 
conditions  d'être  sur  pied  et  d'être  non  vendus.  A  cet  égard  vous  a-t-on  fait 
quelque  toit,  dites-le  moi  :  je  vous  ferai  rendre  justice  sur-le-champ.  Com- 
ment ne  sentez-vous  pas  que  vous  faites  pitié  quand  vous  me  menacez  d'en 
parlera  la  cour,  et  peut-être  même  au  roi,  qui  ne  songe  point  à  cela,  comme 
vous  l'avez  très-bien  dit  ailleurs^. 

Au  reste,  si,  aux  termes  de  notre  marché,  vous  pouvez  vous  faire  adju- 
ger les  bois  exploités  avant  le  marché,  je  vous  le  conseille  fort.  Je  laisserai 
prononcer  les  juges;  c'est  leur  affaire.  C'est  très-hors  de  propos  que  vous 
insistez  sur  le  crédit  que  vous  dites  que  j'ai  dans  les  tribunaux.  Je  ne  sais 
ce  que  c'est  que  de  crédit  en  pareil  cas,  et  encore  moins  ce  que  c'est  que 
d'en  faire  usage.  Il  ne  convient  pas  de  parler  ainsi  :  soyez  assez  sage  à 
l'avenir  pour  ne  rien  dire  de  pareil  à  un  magistrat. 

Vous  voyez,  monsieur,  que  je  suis  encore  assez  de  vos  amis  pour  faire, 
en  marge  de  votre  lettre,  une  réponse  longue  et  détaillée  à  une  lettre  qui 
n'en  méritait  point.  Tenez-vous  pour  dit  de  ne  m'écrire  plus  ni  sur  cette 
matière,  ni  surtout  de  ce  ton. 

Je  vous  fais,  monsieur,  le  souliait  do  Perso  :  Mens  sa?ia  in  corpore 
sa  no. 

.17-29.   —   DE  M.    LE   PRr:SIDE.NT   DE   RUFFEVî. 

Oclol.r.'  nOI. 

Je  prends  une  part  infinie,  monsieur,  à  tout  ce  qui  vous  regarde,  et  suis 
véi  ilablement  fâché  de  voir  votre  repos  troublé  par  une  bagatelle.  Los  petites 

1.  Va,  lo  roi  n'a  point  lu  ton  discours  ennuyeux  : 

Il  a  trop  pi'u  de  temps  et  trop  do  soins  à  prendre! 

(La  Vanitô,  satire  de  Voltaire  contre  Pompigttan.) 

2.  Éditeur,  Tli.  Foisset. 


506  COHUE  S  POND  ANGE. 

choses  no  sont  pas  faites  pour  iiffocler  le^  grands  hommes.  Quoi!  quelques 
onces  d'un  métal  que  vous  possédez  abnndammont,  demandées  peut-iMre 
mal  à  propos,  pourraient-elles  altérer  votre  philosophie?  Vous  craignez  d'être 
dupe;  c'est  cependant  le  beau  rôle  à  jouer:  votre  tranquillité  en  dépend. 
Songez  que,  miMiie  en  vous  défendant,  vous  prostituez  à  la  chicane  la  plus 
belle  plume  de  l'univers. 

Vous  n'avez  jamais  eu  de  procès;  ils  vont  [)lus  loin  (pi'on  ne  pense,  et 
sont  ruineux,  même  à  gagner. 

Rappeloz-vous  l'huître  de  La  Fontaine  et  la  scène  v  de  l'acte  II  du  Sca- 
pin  de  Molière.  Outre  les  mauvaises  plaisanteries  des  avocats,  vous  avez  à 
craindre  celles  de  la  canaille  littéraire,  qui  sera  charmée  d'avoir  prise  sur 
\ous. 

L'enchanteur  qui  écrit  votre  vie  ap|)rendra-t-il  à  la  postérité  que  vous 
avez  plaidé  pour  des  moules  de  bois?  Vous  êtes  mécontent  du  président, 
vous  savez  de  quel  bois  il  se  chauffe;  payez-le,  et  ne  vous  chauffez  plus  à  son 
feu.  il  ne  paraît  pas  dans  le  j^rocès  et  vous  oppose  un  homme  de  paille,  ce 
qui  le  met  en  droit  de  publier  partout  qu'il  ne  vous  demande  rien  et  que 
vous  vous  plaignez  injustement  de  lui.  C'est  l'intérêt  sincère  que  je  prends  à 
votre  gloire  et  à  votre  repos  qui  me  fait  vous  tenir  ce  langage,  dicté  par 
l'amitié;  ne  m'en  sachez  pas  mauvais  gré. 

Adieu,  monsieur,  je  vous  souhaite  tout  le  bonheur  que  vous  méritez; 
évitez  tout  ce  qui  peut  l'altérer;  vivez  pour  vous  et  pour  vos  amis;  et  pour 
me  servir  de  vos  termes,  daignez  prendre  votre  repos  en  patience. 

Je  suis,  etc. 


4730.   —  A  M.   L'ABBÉ    D'OLIVET. 

Octobre. 

Au  Mercure  !  au  Mercure  !  Mais,  Marcc  TiiUi,  mcmor  sis  pictoris 
Watelet.  Mettez  sou  uom  daus  la  liste  des  bieufaiteui's  cornélieus  \ 
Je  vous  ti'ouve  bien  timide  ;  c'est  à  nos  Ages  qu'il  faut  être  hardi  : 
nous  n'avons  rien  à  risquer,  aussi  je  m'en  donne. 

Je  vous  avertis,  mon  maître,  que  j'ai  commenté  déjà  presque 
tout  Corneille  avant  que  Gabriel  Cramer  ait  encore  fait  venir  le 
caractère  de  Paris.  Si  les  vieillards  doivent  être  hardis,  ils  doivent 
être  non  moins  actifs,  non  moins  prompts;  c'est  le  bel  âge  pour 
dépêcher  de  la  besogne. 

Je  vous  supplie  de  dire  à  l'Académie  que  je  compte  lui  envoyer 
tout  le  Commentaire  pièce  à  pièce,  selon  l'ordre  des  temps.  Il  faut 
qu'on  pardonne  à  mon  premier  canevas.  Je  jette  sur  le  papier 
tout  ce  que  je  pense;  au  moment  où  l'Académie  juge,  je  rectifie; 
je  renvoie  le  manuscrit  en  mettant  des  N.  B.  en  marge  aux 

1.  Il  avait  souscrit  pour  cinq  exemplaires. 


A.XXKK     ITGI.  507 

endroits  corrigés  et  aux  nouveaux;  rAcadémie  juge  en  dernier 
ressort;  alors  je  me  conforme  à  sa  décision,  je  polis  le  style;  je 
jette  quelijues  poignées  de  fleurs  sur  nos  commentaires,  comme 
le  voulait  le  cardinal  de  Hichclieu. 

L'Académie  dira  peut-être  :  Vous  abusez  de  notre  patience. 
Non,  messieurs,  j'en  use  pour  rendre  service  à  la  nation  :  vous 
fixez  la  langue  française;  les  commentaires  deviendront,  grâce 
<i  vos  bontés,  une  grammaire  et  une  poétique  au  bas  des  pages 
de  Corneille.  On  attend  l'ouvrage  à  Pétersbourg,  à  Moscou,  à 
Yassy,  à  Kaminieck.  L'impératrice  de  toutes  les  Russies  a  souscrit 
pour  8,000  livres,  et  les  a  fait  compter  à  Cabriel  Cramer,  qui  a 
déjà  payé  les  graveurs. 

Si  l'Académie  se  lassait  de  revoir  mon  Commentaire,  je  serais 
très-embarrassé.  Je  ne  dois  pas  m'en  croire.  Je  peux  avoir  mille 
préventions;  il  faut  qu'on  me  guide.  Un  mot  en  marge  me  suflit, 
cela  me  met  dans  le  bon  cbemin.  Marcc  Tulli,  ménagez-moi  les 
bontés  et  la  patience  de  l'Académie,  Inkrim,  vive  et  valc.  Votre,  etc. 

.V.  B.  Ajoutez,  je  vous  supplie,  à  l'endroit  où  je  parle  de  nos 
académiciens,  M.  le  duc  de  Villars,  monsieur  l'arcbevêque  de 
Lyon  S  monsieur  l'ancien  évoque  de  Limoges*.  Cela  ne  coûtera 
que  la  peine  d'insérer  une  ligne  dans  la  copie  pour  le  Mercure. 

4731.   _  A  M.  JEAN   SCHOUVALOW. 

A  Ferney,  l"  novembre. 

Monsieur,  je  reçois,  par  Vienne,  votre  paquet  du  17  de  sep- 
tembre, que  M.  de  Czernicbef  me  fait  parvenir.  Vos  bontés 
redoublent  toujours  mon  zèle,  et  j'en  attends  la  continuation.  Le 
mémoire  sur  le  czarovitz  n'est  pas  rempli,  comme  le  sait  Votre 
Excellence,  d'anecdotes  qui  jettent  un  grand  jour  sur  cette  triste 
et  mémorable  aventure.  Vous  savez,  monsieur,  que  l'bistoire 
|)aile  à  toutes  les  nations,  et  qu'il  y  a  plus  d'-iin  peuple  consi- 
dérable qui  n'approuve  pas  l'extrême  sévérité  dont  on  usa  envers 
ce  prince.  Plusieurs  auteurs  anglais  très-estimés  se  sont  élevés 
liautemcnt  contre  le  jugement  qui  le  condamna  à  la  mort.  On  ne 
trouve  |)oint  ce  qu'on  appelle  un  corjis  de  délit  dans  le  procès  cri- 
minol  :  on  n'y  voit  qu'un  jeune  jirince  qui  voyage  dans  un  pays 
où  son  père  ne  veut  pas  qu'il  aille,  (jui  revient  au  premier  ordre 


1.  Morit;i7.ot. 

2.  Co(itlus(|il(t. 


508  r  OR  H  KS  POND  ANGE. 

ûc  son  souverain,  qui  n'a  poinl  conspiré,  qui  n'a  point  formé  de 
faction,  qui  seulement  a  dit  qu'un  jour  le  peuple  pourrait  se  sou- 
venir de  lui.  Qu'aurait-on  fait  de  plus  s'il  avait  levé  une  armée 
contre  son  père?  Je  n'ai  que  trop  lu,  monsieur,  le  prétendu  Nes- 
tesuranoy  1  et  Lamberti -,  et  je  vous  avoue  mes  peines  avec  la 
sincérité  que  vous  me  pardonnez,  et  que  je  regarde  même  comme 
un  devoir.  Ce  pas  est  très-délicat.  Je  tAcherai,  à  l'aide  de  vos 
instructions,  de  m'en  tirer  d'une  manière  qui  ne  puisse  blesser 
en  rien  la  mémoire  de  Pierre  le  Grand.  Si  nous  avons  contre 
nous  les  Anglais,  nous  aurons  pour  nous  les  anciens  Romains,  les 
Manlius  et  les  Crutus.  Il  est  évident  que  si  le  czarovitz  eût  régné, 
il  eût  détruit  l'ouvrage  immense  de  son  père,  et  que  le  bien  d'une 
nation  entière  est  préférable  à  un  seul  homme.  C'est  là,  ce  me 
semble,  ce  qui  rend  Pierre  le  Grand  respectable  dans  ce  malheur  ; 
et  on  peut,  sans  altérer  la  vérité,  forcer  le  lecteur  à  révérer  le 
monarque  qui  juge,  et  à  plaindre  le  père  qui  condamne  son  fds. 
Enfin,  monsieur,  j'aurai  l'honneur  de  vous  envoyer  d'ici  à  Pâques 
tous  les  nouveaux  cahiers,  avec  les  anciens,  corrigés  et  augmen- 
tés, comme  j'ai  eu  l'honneur  de  le  mander  à  Votre  Excellence  dans 
mes  précédentes  lettres.  Je  vous  ai  marqué  que  j'attendais  vos 
ordres  pour  savoir  s'il  n'est  pas  plus  convenable  de  mettre  le  tout 
en  un  seul  volume  qu'en  deux.  Je  me  conformerai  à  vos  inten- 
tions sur  cette  forme  comme  sur  le  reste;  mais  nous  n'en  sommes 
pas  encore  là.  Il  faut  commencer  par  mettre  sous  vos  yeux  l'ou- 
vrage entier,  et  profiter  de  vos  lumières.  Il  est  triste  que  j'aie 
trouvé  si  peu  de  mémoires  sur  les  négociations  du  baron  de 
Gortz '.  C'est  un  point  d'histoire  très-intéressant;  et  c'est  à  de 
tels  événements  que  tous  les  lecteurs  s'attachent,  beaucoup  plus 
qu'à  tous  les  détails  militaires,  qui  se  ressemblent  presque  tous, 
et  dont  les  lecteurs  sont  aussi  fatigués  que  l'Europe  l'est  de  la 
guerre  présente. 

J'ai  déjà  eu  l'honneur  de  vous  remercier,  monsieur,  au  nom 
de  M""  Corneille  et  au  mien,  de  la  souscription  pour  les  Œuvres 
de  Corneille.  J'y  suis  plus  sensible  que  si  c'était  pour  moi-même. 
Je  reconnais  bien  là  votre  belle  âme;  personne  en  Europe  ne 
pense  plus  dignement  que  vous.  Tout  augmente  ma  vénération 
pour  votre  personne,  et  les  respectueux  sentiments  que  conser- 
vera toute  sa  vie  pour  Votre  Excellence  son  très,  etc. 

i.  Nom  mis  par  Rousset  de  Missy  à  ses  Mémoires  du  règne  de  Pierre  le  Grand, 
1725-20,  quatre  volumes  in-12. 

2.  Voyez  tome  XVI,  page  588. 

3.  Voyez  tome  XVI,  page  337. 


ANNÉE    1761.  509 

4732.   —   DK    MADAME    DENIS   A   M.   DE    RUFFEY». 

Fcrnc}',  i  novembre. 

Si  mon  onclo  pouvait  soupçonner,  monsieur,  que  j'eusse  pavé  trente 
pi^toles  à  son  insu  au  président  de  Brosses,  je  ne  doute  pas  qu'il  n'en  eût  été 
offensé.  Non-seulement  je  n'ai  pas  voulu  le  risquer,  mais  je  lui  ai  montré 
votre  lettre  ;  il  sont  le  motif  ([ui  vous  l'a  fait  écrire,  et  en  est  aussi  reconnais- 
sant que  moi. 

Mais  ce  n'est  point  mon  oncle  qui  fait  un  procès  au  président  de  Brosses, 
c'est  le  président  qui  lui  fait  ce  procès  pour  douze  moules  de  bois. 

Je  n'entre  point  ici  dans  le  fond  de  l'affaire.  Je  sais  seulement  que  mon 
oncle,  après  avoir  éié  assigné,  lui  a  offert  de  ne  point  plaider  et  de  prendre 
pour  arbitres  monsieur  le  premier  président,  monsieur  le  procureur  général  et 
M.  Le  Oault,  conseiller  :  ce  que  le  président  de  Brosses  a  refusé.  Il  me  semble 
cependant  que  des  arbitres  de  cette  importance  méritaient  bien  la  conflance 
de  M.  le  président  de  Brosses,  pour  une  affaire  de  20  ou  30  pistoles.  Mon 
oncle  lui  dit  :  Si  vous  avez  vendu  votre  bois  avant  la  signature  du  contrat 
de  l'acquisition  de  Tournay,  montrez-moi  cet  acte  de  vente,  et  je  vous  paye 
celui  que  j'ai  pris.  S'il  n'y  a  point  d'acte  do  vente,  tout  le  bois  de  la  forêt 
m'appartient  du  jour  que  j'ai  acquis,  par  les  conventions  du  contrat.  Que 
peut-on  répondre  ii  cela?  Je  l'ignore.  Je  déteste  les  procès,  et  je  souhaiterais 
fort  que  le  président  do  Brosses  fût  plus  traitable.  Tout  le  monde  ne  pense 
pas  comme  vous,  monsieur,  et  personne  n'a  l'honneur  de  vous  être  plus 
inviolablement  attaché  que  votre  très-humble  et  très-obéissante  servante. 

Denis. 

Permettez-moi  de  faire  mille  tendres  compliiiionts  ii  M""=  la  présidente 
do  Ruffey. 

{P.  S.  de  la  main  de  Voltaire.) 

J'ajoute  mes  remerciements  à  ceux  de  iM""^  Denis.  Je  ne  crains 
point  les  Fétiches.  Et  les  Fétiches  doivent  me  craindre.  Il  est  clair 
que  le  Féticiie  en  question  a  fait  une  vente  simulée.  Et  un  ma- 
gistrat m'a  dit  qu'un  homme  coupable  de  cette  infamie  ne  reste- 
rait pas  dans  le  corps  dont  est  ce  maj^istrat.  Je  ne  présume  pas 
que  le  parlement  de  Dijon  pense  autrement. 

Y  a-t-il  rien  de  plus  sim[)lc  (jue  mon  procédé?  Si  \ous  avez 
fait  une  vente  réelle,  je  i)aye;si  vous  avez  lait  une  vcnlc  sinmiée, 
soyez  couvert  d'opprohres.     V, 

Adieu,  monsieur.  Noire  Ix'llcàine  doit  éire  iiidi^iK'O,  la  niicniic 
est  à  vous  pour  jamais. 

y.  II.  Il  n'y  a  <iii'une  \oi\  sur  le  l'clirlic. 

1.  Écliti;ur,  Tli.  Foissut. 


510  C01lRESP0XDx\NCE. 


i733.  —  A  M.   LE   CONSEILLER   LE   BAULï '. 

A  Ferne)',  pays  de  Gcx,  par  Genève,  4  novembre  17G1. 

Monsieur,  j'ai  l'honneur  de  vous  demander  trois  tonneaux  de 
vin  (deux  de  bon  vin  ordinaire  et  un  d'excellent),  le  tout  en 
bouteilles;  bien  potable,  bien  gardable,  et  surtout  très-peu  cher, 
attendu  que  M.  le  président  de  Drosses  m'a  ruiné,  et  qu'il  faut 
que  le  premier  conseiller  du  i)arlement  répare  les  torts  d'un 
président. 

Ayez  la  bonté  de  lire  ma  lettre  à  M.  de  Brosses,  et  jugez  sur 
votre  honneur  et  sur  votre  conscience. 

C'est  en  honneur  et  en  conscience  que  je  serai  toute  ma  vie, 
monsieur,  avec  les  sentiments  les  plus  respectueux,  votre  très- 
humble  et  très-obéissant  serviteur. 

Voltaire-. 


473i.  —    DE  FRÉDÉRIC    II,    ROI    DE    PRUSSE. 

Strchlen,  novembre. 

Le  solitaire  dos  Délices  ne  se  rira-t-il  pas  de  moi  cl  de  tous  les  envois 
que  je  lui  fais?  Voici  une  pièce-'  que  j'ai  faite  pour  Calt;  elle  n'est  pas  dans- 
le  goût  de  mes  élégies,  que  vous  avez  la  bonté  de  caresser.  Ce  bon  enfant, 
me  voyant  toujours  avec  mes  sloïciens,  me  soutint,  il  y  a  quelques  jours, 
que  ces  beaux  messieurs  n'aidaient  point  dans  l'infortune;  que  Gresset,  le 
Lutrin  de  Coileau,  Chaulieu,  vos  ouvrages,  convenaient  mieux  à  ma  triste 
situation  que  pes  bavards  philosophes  dont  on  pourrait  se  passer,  surtout 
lorsqu'on  avait  soi-même  cette  force  d'âme  qu'ils  ne  donnent  et  ne  peuvent 
pas  donner.  Je  lui  fis  mes  humbles  représentations.  Il  tint  bon;  et,  quelques 
jours  après  notre  belle  conversation,  je  lui  décochai  cette  épître.  Comme  il 
me  fallait  une  satisfaction  du  mal  qu'il  avait  dit  de  mes  sto'iciens,  je  l'ai 
badiné  sur  quelques  belles  dames  auxquelles  il  avait  fait  violemment  tourner 
la  tête.  Les  poètes  se  permettent  des  exagérations,  et  ne  s'en  font  aucun 
scrupule;  aussi  l'ai-je  dépeint  courant  de  conquêtes  en  conquêtes,  ce  qui, 
au  fond,  n'est  pas  trop  dans  son  caractère  et  dans  la  trempe  de  son  âme.  Ne 
direz-vous  pas,  mon  cher  ermite,  que  je  suis  un  vieux  fou  de  m'occuper, 
dans  les  circonstances  oi!i  je  me  trouve,  do  choses  aussi  frivoles?  Mais  j'en- 
dors ainsi  mes  soucis  et  mes  peines.  Je  gagne  quelques  instants;  et  ces 


1.  Editeur,  Th.  Foisset. 

5.  A  cette  lettre  était  annexée  copie  de  celle  de  Voltaire  à  M.  de  Brosses,  en 
date  du  20  octobre  1761. 

3.  Cette  pièce,  intitulée  ÉpHre  à  Calt  sur  le  tableau  de  la  vie,  fait  partie  des 
OEuvrcs  poslhumcs  de  Frédéric  II. 


ANNÉE    1764.  oll 

instants,  hélas  !  passés  si  vite,  le  diable  reprend  tous  ses  droits.  Je  me 
prépare  à  partir  pour  Breslau  ^  et  pour  y  faire  mes  arrangements  sur  les 
héroïques  boucheries  de  l'année  prochaine.  Priez  pour  un  don  Quichotte  qui 
doit  guerroyer  sans  cesse,  et  qui  n'a  aucun  repos  à  espérer  tant  que  l'achar- 
nement de  ses  ennemis  le  persécutera.  Je  souhaite  à  l'auteur  d'.l/c/re  et  de 
Mérope  celte    tranquillité  dont  me  prive  ma  malheureuse   étoile.    Vide. 

Vu.  DKRIC. 

4735.   —  A    y\.   L'ABBÉ   D'OLIVKT. 

4  novembre  ^. 

Mon  cher  Cicéron,  je  vous  remercie  de  votre  anecdote  de 
Théodore  de  Bèze,  et,  sans  vanité,  je  sais  hon  gré  à  Bèze  d'avoir 
pensé  comme  moi '.  Je  n'aurais  pas  soupçonné  ce  Bèze,  ce  plat 
traducteur  de  David,  d'avoir  eu  de  l'oreille.  Peu  de  gens  en  ont, 
peu  ont  du  goilt,  hien  peu  connaissent  le  théAtrc.  Je  me  suis 
pressé  d'obtenir  des  instructions  de  l'Académie;  mais  je  ne  me 
presserai  pas  d'en  donner.au  public.  Je  travaillerai  à  loisir,  et  je 
dirai  la  vérité  avec  tout  le  respect  qu'on  doit  à  Corneille,  avec  toute 
l'estime  que  j'ai  pour  lui;  mais,  n'ayant  jamais  llatté  les  souverains, 
je  ne  flatterai  pas  même  l'auteur  que  je  commente.  Les  Cramer 
ne  diront  leur  dernier  mot  que  cet  hiver;  il  faut  que  j'achève 
Pierre  le  Grand  avant  d'achever  le  grand  Corneille.  Je  peux  mal 
employer  mon  temps  ;  mais  je  ne  suis  pas  oisif.  Je  m'aperçois  tous 
les  jours,  mon  cher  maître,  que  le  travail  est  la  vie  de  l'homme. 
La  société  amuse  et  dissipe;  le  travail  ramasse  les  forces  de 
l'àme,  et  rend  heureux.  Vivez,  vous  qui  avez  utilement  travaillé: 
car  vous  commencez  à  entrer  dans  la  vieillesse.  Moi,  qui  suis 
jeune,  et  qui  n'ai  que  soixante-huit  ans,  je  dois  travailler  pour 
mériter  un  jour  de  me  reposer.  J'ai  quelquefois  du  chagrin  de  ne 
vous  point  voir.  Il  faut  que,  dans  quelques  années,  l'un  de  nous 
deux  fasse  le  voyage.  Venez  à  Ferney  dans  dix  ans,  ou  je  vais  i\ 
Paris. 

i7;j(;.  —  A  .M.  i)H  (:iii;.m;\  ii:bi;s  *. 

Ferney,  i  ncivemlne. 

Que  je  suis  honteux,  mon  clier  monsieur!  je  vous  remercie 
toujours  très-tard  de  votre  prose  aimable  et  de  vos  jolis  vers.  On 

I.  l'n'dérir  y  arriva  le  9  tli-cfinlire. 

'J.  C'rsl  à  tort,  croyons-nous,  quo  l5cucliol  a  classé  cette  lettre  Ji  l'année  i7G'2; 
ell.'  estde  I7(il. 

;{.  Voyez  VEssai  sur  les  Mœurs,  chap.  lxxi. 
i.  Éditeurs,  de  Cayrol  et  François. 


l^M  CORRESPONDANCE. 

a  beau  Cire  tout  entier  aux  grands  vers  alexandrins  de  Corneille, 
on  doit  de  l'attention  aux  vôtres,  quoiqu'ils  aient  deux  pieds  de 
moins.  Mais  quand  en  lerez-vous  sur  la  paix?  Ce  ne  sera  pas,  je 
crois,  sitôt. 

J'ai  lu  le  Mémoire  historique^  de  M.  le  duc  de  Clioiseul  avec  les 
yeux  d'un  citoyen,  Mon  avis  est  qu'on  donne  la  moitié  de  son 
bien  pour  conserver  l'autre,  et  pour  mériter  l'estime  des  Anglais, 

L'oncle  et  la  nièce  vous  embrassent. 


4737.   —  A  M.   DUCL0S2. 

Ferney,  5  novembre. 

Je  ne  peux,  monsieur,  que  vous  renouveler  mes  remercie- 
ments, et  vous  supplier  de  présenter  à  l'Académie  ma  respectueuse 
reconnaissance.  Je  la  consulte  sur  toutes  les  difficultés  que  j'ai 
eues,  en  lisant  Corneille,  sur  la  grammaire,  sur  le  style,  sur  le 
goût,  sur  les  règles  du  théâtre  ;  et  je  vous  répète  que  je  ne  tra- 
vaillerai au  commentaire  en  forme  que  quand  j'aurai  une  assez 
ample  provision  en  tout  genre.  Je  répèle  encore  que  mes  impor- 
tunités  ne  doivent  pas  lasser  la  patience  de  mes  confrères,  que 
c'est  un  amusement  pour  eux  dans  les  séances  ;  que  deux  mots 
en  marge  m'instruisent,  non-seulement  pour  la  pièce  qu'on  exa- 
mine, mais  pour  les  autres;  que  je  dois  me  conformer  aux  senti- 
ments réunis  des  personnes  éclairées,  et  qu'enfin  mon  ouvrage 
ne  peut  être  utile  qu'après  avoir  passé  par  vos  mains. 

Je  parle  souvent,  dans  le  commentaire  que  j'envoie,  comme 
si  j'étais  dans  une  de  vos  séances,  disant  librement  mon  avis.  Je 
parlerai  au  public  comme  un  homme  qui  aura  réfléchi  sur  vos 
instructions  ;  c'est  ce  que  je  vous  prie  de  vouloir  bien  dire  à 
l'Académie. 

On  a  imprimé  une  lettre  que  j'avais  écrite  au  mois  d'août; 
il  y  a  plusieurs  de  nos  bienfaiteurs  cornéliens  omis,  et  particu- 
lièrement vous,  monsieur  ;  ce  n'est  pas  assurément  ma  faute. 

Les  Cramer,  en  donnant  leur  annonce  au  mois  de  janvier, 
ne  manqueront  pas  d'imprimer  la  liste  de  ceux  qui  ont  favorisé 
l'entreprise, 

1,  Voyez  la  noie  1  de  la  page  497. 

2.  Éditeurs,  de  Cayrol  et  François. 


ANNÉE    1761.  513 

4738.   —  A   M.   FABRY. 

Au  château  de  Ferney,  G  novembre. 

Ma  fniiiillo  et  moi,  monsieur,  nous  ressentons  quelque  peine,  et 
nous  sommes  dans  un  assez  grand  eml)arras  en  ne  recevant  point 
de  réponse  à  la  lettre  que  j'ai  eu  l'honneur  de  vous  écrire.  Nous 
ne  pouvons  retourner  aux  Délices  sans  y  faire  transporter  nos 
grains.  Nous  attendons  les  passe-ports  que  nous  avons  toujours 
eus,  et  nous  vous  prions  de  vouloir  bien  ne  nous  pas  laisser  dans 
l'incertitude  où  nous  sommes.  Je  suis  fâché  de  l'importunité  que 
je  vous  cause.  Je  vous  supplie,  monsieur,  d'être  persuadé  de  tous 
les  sentiments  avec  lesquels  j'ai  l'honneur  d'être,  monsieur,  votre 
très-humble  et  très-obéissant  serviteur. 

Voltaire  , 

gentilhomme  ordinaire  du  roi. 
4739.    —  .NOTE   POUR   M.    FYOT  DE    LA  MARCHE  i 


Jo  me  souviens  très-bien  qu'environ  le  douzième  décembre  de  1758, 
M.  le  président  de  Brosses  ayant  vendu  sa  terre  de  Tournay  à  mon  oncle, 
il  dîna  avec  nous  aux  Déhces  ;  notre  provision  de  bois  n'était  pas  encore 
faite;  mon  oncle  nous  dit  à  table  :  «  Remercions  M.  le  président  do  Brosses 
de  douze  moules  de  bois  qu'il  nous  donne  pour  le  vin  du  marché;  »  M.  le 
président  répondit  :  «  C'est  une  bagatelle  qui  ne  vaut  pas  un  remerciement.  » 

A  Ferney,  8  novembre  1701. 

Denis. 

Je  certifie  la  môme  chose;  et  tous  les  domestiques  savent  que  quand  on 
envoya  cliercher  cinq  ou  six  moules  de  bois  dans  la  forôt  de  Tournay,  on 
ne  s'adressa  jamais  ii  Charles  Baudy,  que  nous  ne  connaissions  point. 

Wa  g  n  1  i:  r  k  . 

(J)r  la  îiuiin  de  VuUtnrc  :) 

M""  de  Fontaine  et  M.  de  Florian  ceriifieront  la  même  chose, 
et  cela  est  public  dans  tout  le  pays. 

Je  demande  pourquoi  M.  le  président  de  Brosses,  non  coulent 
de  m'avoir  vendu  sur  sa  i)arole  d'honneur  pour  cent  arpents  de 
bois  un  bouquet  de  bois  tout  dévasté,  qui  ne  contient  i)as  en  tout 
quarante  arpents;  non  content  (h;  m'avoii"  vendu,  sur  le  pied  de 

i.  Éditeur,  II.  IJcaune. 
41.  —  ConnESPONDANCK.  IX.  33 


514  CORRIiSPONDANGE. 

3,500  livros  i\o  rente,  une  cliétivc  terre  qu'il  appelle  comté,  que  je 
viens  d'aU'ernier  douze  cents  livres  et  trois  quarterons  de  i)aille, 
avec  bien  de  la  peine;  non  content  d'avoir  fait  mettre  dans  le  con- 
trat que  ma  vaisselle  d'argent  et  mes  cliemises,  qui  seraient  à  Tonr- 
nay  à  ma  mort,  lui  appartiendraient;  non  content  de  m'avoir 
envoyé  des  exploits  pour  qnelques  chênes  employés  au  bâtiment 
de  Tournay;  non  content  de  m'avoir  fait  assigner,  moi  et  mes 
vaches,  qui  mangeaient  de  l'herbe,  dit-il,  dans  sa  prétendue 
forêt;  non  content,  dis-je,  de  tous  ces  procédés,  y  ajoute  celui  de 
vouloir  me  faire  payer  aujourd'hui  mon  propre  bois  de  chauf- 
fage, qui  non-seulement  m'avait  été  cédé  par  lai  en  présence  de 
douze  personnes,  mais  qui  m'appartient  indépendamment  de  cette 
cession. 

Je  demande  pourquoi  il  suppose  une  vente  de  ces  bois  à  un 
nommé  Charles  Caudy,  tandis  qu'il  est  connu,  prouvé,  démontré, 
que  cette  vente  est  simulée,  et  que  Charles  Candy  était  son  com- 
missionnaire. 

Je  demande  pourquoi  il  me  fait,  sous  le  nom  de  ce  Charles 
Baudy,  un  procès  pour  ikh  livres,  qu'il  fait  monter  à  300  livres, 
après  m'avoir  lésé  de  plus  de  25,000  livres. 

Il  répondra  ce  qu'il  m'a  déjà  répondu  :  Àuri  sacra  famés.  Mais 
moi,  je  lui  répondrai  que  cette  réponse  est  d'un  fétiche,  et  non 
pas  d'an  président. 

Je  répondrai  qu'un  président  de  Toulouse  qui  vint,  il  y  a 
quelque  temps,  aux  Délices  avec  M.  le  duc  de  Villars  fut  eflVayé 
à  la  vue  de  l'exploit  de  M.  le  président  de  Brosses;  qu'il  trouva  la 
preuve  de  la  vente  simulée  dans  cet  exploit  même  ;  je  ne  répé- 
terai pas  ce  que  ce  magistrat  dit  de  fort  et  d'accablant  sur  cette 
affaire.  Mais  je  répéterai  qu'il  me  dit  :  ce  Implo>r.z  l'équité  etl'autorUé 
de  monsieur  le  premier  président  de  Dijon  ;  il  empêchera  certai- 
nement un  homme  de  sa  compagnie  de  faire  éclater  une  action 
qui...  »  Je  supprime  par  respect  le  nom  qu'il  donna  à  cette  action. 

Et  je  supplie  monsieur  le  premier  président  de  juger  dans  le 
fond  de  son  cœur. 

4740.  —  A  31.   JEAN   SCHOUVALOW. 

A  Fenicy,  9  novembre. 

Monsieur,  quoique  je  ne  vous  aie  promis  qu'à  Pâques  de  nou- 
veaux cahiers  de  l'Histoire  de  Pierre  le  Grand,  le  désir  de  vous 
satisfaire  m'a  fait  prévenir  d'assez  loin  le  temps  où  je  comptais 
travailler.  Mon  attachement  pour  Votre  Excellence,  et  mon  goût 


ANNÉE    1761.  515 

pour  rouvragc  entrepris  sous  vos  auspices  l'ont  emporté  sur  des 
devoirs  assez  pressants  qui  m'occupent.  J'ai  remis  entre  les  mains 
de  Votre  Excellence  une  copie  de  ce  que  je  viens  de  hasarder, 
uniquement  pour  vous,  sur  ce  sujet  si  terrible  et  si  délicat  de  la 
condamnation  à  mort  du  czarovitz.  J'ai  été  bien  étonné  du 
mémoire  qui  était  joint  à  votre  dernier  paquet  ;  ce  mémoire  n'est 
qu'une  copie,  presque  mot  pour  mot,  de  ce  qu'on  trouve  dans  le 
prétendu  Nestesuranoy*.  Il  semble  que  ce  soit  cet  Allemand - 
dont  j'ai  déjà  reçu  des  mémoires  qui  ait  envoyé  celui-là.  Il  doit 
savoir  que  ce  n'est  point  ainsi  que  l'on  écrit  l'histoire;  qu'on  est 
comptable  de  la  vérité  à  toute  l'Europe;  qu'il  faut  un  ménage- 
ment et  un  art  bien  difficile  pour  détruire  des  préjugés  répandus 
partout;  qu'on  n'en  croit  pas  un  historien  sur  sa  parole;  qu'on 
ne  peut  attaquer  de  front  l'opinion  publique  qu'avec  des  monu- 
ments authentiques;  que  tout  ce  qui  n'aurait  même  que  la  sanc- 
tion d'une  cour  intéressée  à  la  mémoire  de  Pierre  le  Grand  serait 
suspect;  et  qu'enfin  l'histoire  que  je  compose  ne  serait  qu'un 
fade  panégyrique,  qu'une  apologie  qui  révolterait  les  esprits  au 
lieu  de  les  persuader.  Ce  n'est  pas  assez  d'écrire  et  de  flatter  le 
pays  où  l'on  est,  il  faut  songer  aux  hommes  de  tous  les  pays. 
Vous  savez  mieux  que  moi,  monsieur,  tout  ce  que  j'ai  l'honneur 
de  vous  représenter,  et  vos  sentiments  ont  sans  doute  prévenu 
mes  réflexions  dans  le  fond  de  votre  cœur. 

J'ai  eu,  par  un  heureux  hasard,  des  mémoires  de  ministres 
accrédités  qui  ont  suppléé  aux  matériaux  ([ui  me  manquaient; 
et,  sans  ce  secours,  à  quoi  aurais-je  été  réduit?  J'ai  ramassé  dans 
toute  l'Europe  des  manuscrits,  j'ai  été  plus  aidé  que  je  n'osais 
iespérer.  Je  ne  cacherai  point  à  Votre  Excellence  que  parmi  ces 
manuscrits,  parmi  ces  lettres  de  ministres,  il  y  en  a  de  plus 
atroces  que  les  anecdotes  de  Lamberti.  Je  crois  réfuter  Lamberti 
assez  heureusement,  à  l'aide  des  manuscrits  qui  nous  sont  favo- 
rables, et  j'abandonne  ceux  qui  nous  sont  contraires.  Lamberti 
mérite  une  très-grande  attention  par  la  réputation  qu'il  a  d'être 
exact,  de  ne  rien  hasarder,  et  de  rapporter  des  pièces  originales; 
et  comme  il  n'est  pas,  à  beaucoup  près,  le  seul  qui  ait  rapporté 
les  anecdotes  alfreuses  répandues  dans  toute  l'Europe,  il  me 
paraît  qu'il  faut  une  réfutation  comi)lèto  de  ces  bruits  odieux. 
J'ai  i)ensé  aussi  que  je  ne  devais  pas  trop  rbarger  le  czarovitz; 
que  je  passerais  pour  nu  liislorien  lâchement  partial,  qui  sacri- 


1.  Voyez  la  note,  page  508. 
'2.  Mullcr. 


5i6  CORRESPONDANCE. 

fierait  tout  à  la  l)ranclic  établie  sur  le  trùnc  dont  ce  malheureux 
prince  fut  privé.  Il  est  clair  que  le  terme  de  parricide,  dont  on 
s'est  servi  dans  le  jugement  de  ce  prince,  a  dû  révolter  tous  les 
lecteurs,  parce  que,  dans  aucun  pays  de  l'Europe,  on  ne  donne 
le  nom  de  parricide  qu'à  celui  qui  a  exécuté  ou  préparé  effective- 
ment le  meurtre  de  son  père.  Nous  ne  donnons  même  le  nom  de 
révolté  qua  celui  qui  est  en  armes  contre  son  souverain,  et  nous 
appelons  la  conduite  du  czarovitz  désobéissance  punissable,  opi- 
niâtreté scandaleuse,  espérance  chimérique  dans  quelques  mécon- 
tents secrets  qui  pouvaient  éclater  un  jour,  volonté  funeste  de 
remettre  les  choses  sur  l'ancien  pied  quand  il  en  serait  le  maître. 
On  force,  après  quatre  mois  d'un  procès  criminel,  ce  malheu 
reux  prince  à  écrire  que  «  s'il  y  avait  eu  des  révoltés  puissants 
qui  se  fussent  soulevés,  et  qu'ils  l'eussent  appelé,  il  se  serait  mis 
à  leur  tête  ». 

Qui  jamais  a  regardé  une  telle  déclaration  comme  vala])le, 
comme  une  pièce  réelle  d'un  procès?  qui  jamais  a  jugé  une  pen- 
sée, une  hypothèse,  une  supposition  d'un  cas  qui  n'est  point 
arrivé  ?  où  sont  ces  rebelles  ?  qui  a  pris  les  armes?  qui  a  proposé 
à  ce  prince  de  se  mettre  un  jour  à  la  tête  des  rebelles?  à  qui  en 
a-t-il  parlé?  à  qui  a-t-il  été  confronté  sur  ce  point  important? 
Voilà,  monsieur,  ce  que  tout  le  monde  dit,  et  ce  que  vous  ne 
pouvez  vous  empêcher  de  vous  dire  à  vous-même.  Je  m'en  rap- 
porte à  votre  probité  et  à  vos  lumières.  Ce  que  j'ai  l'honneur  de 
vous  écrire  est  entre  vous  et  moi  :  c'est  à  vous  seul  que  je  demande 
comment  je  dois  me  conduire  dans  un  pas  si  délicat.  Encore  une 
fois,  ne  nous  faisons  point  illusion.  Je  vais  comparaître  devant 
l'Europe  en  donnant  cette  histoire.  Soyez  très-convaincu,  mon- 
sieur, qu'il  n'y  a  pas  un  seul  homme  en  Europe  qui  pense  que  le 
czarovitz  soit  mort  naturellement.  On  lève  les  épaules  quand  on 
entend  dire  qu'un  prince  de  vingt-trois  ans  est  mort  d'apoplexie 
à  la  lecture  d'un  arrêt  qu'il  devait  espérer  qu'on  n'exécuterait 
pas.  Aussi  s'est-on  bien  donné  de  garde  de  m'envoyer  aucun 
mémoire  de  Pétersbourg  sur  cette  fatale  aventure  :  on  me  ren- 
voie au  méprisable  ouvrage  d'un  prétendu  Nestesuranoy;  encore 
cet  écrivain,  aussi  mercenaire  que  sot  et  grossier,  ne  peut  dissi- 
muler que  toute  l'Europe  a  cru  Alexis  empoisonné.  Voyez  donc, 
monsieur  ;  examinez  avec  votre  prudence  ordinaire  et  votre  bonté 
pour  moi,  et  avec  le  sentiment  de  ce  qu'on  doit  à  la  vérité  et  aux 
bienséances,  si  j'ai  marché  avec  quelque  sûreté  sur  ces  charbons 
ardents.  Ce  que  j'ai  eu  l'honneur  de  vous  envoyer  n'est  qu'une 
consultation,  un  mémoire  de  mes  doutes,  que  je  vous  supplie  de 


ANNÈK    I  76  1.  ^1' 

résoudre.  C'est  pour  vous  que  je  travaille,  monsieur  ;  c'est  à  vous 
à  m'éclairer  et  à  me  conduire  :  un  mot  en  marge  me  suffira,  ou 
une  simple  lettre  avec  quelques  instructions  sur  les  endroits  qui 
me  font  peine.  Vous  daignez  sans  doute  compatir  à  mon  extrême 
embarras;  mais  comptez  sur  tous  mes  elTorts,  sur  l'envie  extrême 
que  j'ai  de  vous  satisfaire,  sur  les  sentiments  de  respect  et  de 
tendresse  que  vous  m'avez  inspirés.  Reconnaissez  à  ma  franchise 
mon  extrême  attachement  pour  Votre  Excellence,  et  soyez  bien 
sûr  que  c'est  du  fond  de  mon  cœur  que  je  serai  toute  ma  vie,  de 
Votre  Excellence,  le  très,  etc. 

iîil.  —   A   MADAME   LA   DUCHESSE  DE   SAXE-GOTIIA  i. 

Au  château  de  Ferney,  le  9  novembre. 

Madame,  tant  que  je  serai  encore  au  nombre  des  vivants,  je 
serai  dans  celui  des  adorateurs  de  vos  vertus  et  des  cœurs  recon- 
naissants, remplis  de  vos  bontés.  J'arrache  rarement  à  mon  état 
de  malade  quelques  moments  où  je  puisse  écrire,  car  je  suis 
presque  toujours  réduit  à  me  faire  lire  et  à  dicter;  mais  que 
puis-je  dicter  que  des  lamentations  de  Jérémie  sur  ma  pauvre 
patrie,  qui  était  si  florissante  il  y  a  quelques  années,  et  qui  est  ù 
présent  un  objet  de  pitié?  J'ai  dicté  pourtant  une  tragédie,  bonne 
ou  mauvaise,  que  je  compte  avoir  l'honneur  d'envoyer  dans 
quelques  semaines  à  Votre  Altesse  sérénissime.  Que  ne  puis-je 
avoir  du  moins  la  consolation  de  l'amuser  quelques  moments, 
puisque  celle  d'être  à  ses  pieds  à  Gotha  m'est  refusée  ! 

Il  me  paraît,  madame,  que  le  roi  d'Angleterre-,  en  faisant  un 
choix,  n'a  pas  donné  la  pomme  à  la  plus  belle,  car,  quoique  toutes 
les  reines  soient  toujours,  sans  contredit,  des  prodiges  de  beauté, 
cependant  je  connais  une  princesse  qui,  autant  que  je  m'en  sou- 
viens, doit  l'emporter  sur  les  reines  mariées  et  à  marier.  J'ai  peur 
que  le  roi  d'Angleterre  n'ait  pas  été  aussi  bien  servi  dans  ses 
amours  qu'à  la  guerre. 

Je  suis  entouré  de  lUisscs  qui  discul  (pi'ils  itrciuironl  Collterg, 
et  d'Allemands  qui  assurent  que  le  siège  est  levé.  Je  suis  comme 
celui  qui  disait  :  "  Les  uns  croient  le  cardinal-vicaire  mort;  les 
autres  le  croient  vivant  ;  et  moi,  je  ne  crois  ni  l'un  ni  l'autre!  >> 

Il  y  a  une  ode  d'un  Suisse  de  Berne  contre  tous  les  rois  qui 

1.  I^ldileurs,  de  Cayrol  et  Trarirois. 

2.  C, -^'f.  ni  venait  d'épuuser,  le  «  septembre,  Sopliic-Charlottc  de  Mecklem- 

bourg-Slrélitz. 


518  CORRESPONDANCE. 

sont  en  guer'-e;  il  les  traite  tous  de  brigands  et  de  pertiirljateurs 
du  repos  public.  Il  y  a  dans  cet  ouvrage  des  morceaux  terribles. 
Cela  ne  nous  regarde  pas,  nous  autres  pauvres  Français,  car  nous 
n'avons  pas  fait  grand  mal.  Que  Votre  Altesse  séréuissime  daigne 
agréer  le  profond  respect  du  Suisse  V. 

4742.  —  DE    M.   LE   PRl'SIDEAT   DE    BROSSES  i, 
A    M.    DE     FARG!:S-,    MAITRE    DES    REQUETES  '. 

Montfalcon,  le  10  novembic  1701. 

En  colère  contre  moi,  vous  a-t-on  dit  :  plaisante  expression!  Que  serait 
donc  la  mienne  contre  lui,  si  je  daignais  en  avoir  contre  un  impudent  et  un 
fol?  Ma  réponse  était  ce  qu'il  méritait. 

Pour{[uoi  voulez-vous  que  j'aie  un  procès  avec  cet  homme-là?  Je  n'en  ai 
point.  Tenez  pour  certain,  sur  mon  honneur:  ]°  qu'il  ne  s'agit  d'autre  fait 
que  de  quatorze  voies  de  bois  que  mon  homme  lui  a  livrées  et  qu'il  no 
veut  pas  lui  payer;  2°  que,  dans  notre  traité,  il  n'y  a  aucune  contenue  de 
fond  spécifiée  ni  garantie.  Je  vous  ferai  voir  l'acte.  Il  connaissait  tout  cela 
d'avance;  il  l'avait  tant  et  tant  visité,  étant  sur  place.  Mais  il  ne  fait  que 
mentir. 

L'acte  est  un  simple  bail  à  ferme  à  vie,  mais  pour  en  jouir  comme  en 
jouissait  le  précédent  fermier.  Notre  convention  a  toujours  été  qu'il  n'y  aurait 
point  de  vente  de  ma  part  (parce  qu'en  vendant,  même  à  vie,  je  courais 
risque,  par  la  clause  du  dénombrement,  de  perdre  les  privilèges  d'immu- 
nité); mais  que,  de  sa  part,  il  se  qualiderait  comme  il  voudrait.  Quant  aux 
bois,  vous  avez  dans  ma  lettre  tout  ce  qui  les  concerne,  rapporté  mot  à  mot, 
sauf  que  l'acte  porte  de  plus  qu'il  sera  tenu  d'en  jouir  en  bon  père  de  fa- 
mille, de  laisser  soixante  pieds  des  arbres  extant  par  poses  (c'est  la  mesure 
du  pays),  l'une  portant  l'autre,  et  de  le  tenir  en  défense  du  bétail  pour  que 
les  coupes  puissent  croître  en  revenue.  Mais  encore  un  coup,  ce  n'est  pas  là 
notre  diiiiculté. 

Vous  êtes  décidé  à  lui  jeter  ces  quatorze  voies  de  bûches  à  la  tète,  parce 
qu'il  ne  me  convient  pas  d'avoir  un  procès  pour  un  objet  si  mince.  C'est 
donc  à  dire  qu'il  faut  les  lui  donner  parce  qu'il  est  un  impertinent.  Ce 
serait  pourtant  la  raison  du  contraire.  Quoi!  si  votre  marchand  ou  votre 
homme  d'affaires  lui  avait  livré  pour  30  pistoles  de  vos  vins,  il  fimdrait  donc 
les  lui  donner  parce  qu'il  ne  voudrait  pas  les  payer!  A  ce  prix,  je  vous  jure 
qu'il  n'y  aurait  rien  dont  il  ne  se  fournît  :  il  n'est  pas  délicat!  je  lui  aurais 
donné  sans  hésiter,  s'il  me  les  eût  demandées  comme  présent,  ftlais  on 
n'imagine  pas  une  chose  si  basse.  S'il  a  eu  assez  peu  de  cœur  pour  l'enten- 


1.  Editeur,  Th.  Foisset. 

2.  Vojez  sur  lui  la  note  2  de  la  page  536. 

3.  11  était  alors  à  Ferney. 


ANNEE    17GI.  519 

dre  ainsi,  il  s'est  trompé,  et  tant  pis  pour  lui.  Je  les  aurais  encore  pas- 
sées en  quittance  à  Chariot  Baudy,  sans  lui  en  parler  à  lui,  si  je  l'eusse  vu 
s'affectionner  à  ma  terre,  y  faire  ce  qu'il  est  tenu  d'y  faire,  ne  pas  mentir 
sur  cet  article  comme  sur  les  autres  (car  je  sais  qu'il  l'abandonne  tout  à  fait), 
et  surtout  s'il  n'eût  pas  cherché  à  me  fourber  pondant  six  mois  sur  un  autre 
article  que  vous  savez. 

Comme  il  sent  qu'il  n'a  rien  de  bon  à  dire,  il  se  jette  à  quartier,  selon 
son  artifice  ordinaire;  outre  qu'il  n'a  pas  le  sens  commun  en  affaires,  tout 
regardant  de  près,  tout  intéressé  et  chicaneur  qu'il  est.  Il  a  dit  d'abord  que 
ce  n'était  pas  une  commission,  mais  un  présent.  Il  me  l'a  ensuite  demandé 
à  genoux.  Je  vous  montrerai  sa  lettre,  qui  est  pitoyable.  Elle  me  fit  tant  de 
pitié  que  je  lui  donnais  tout  de  suite,  sans  Ximcnès,  qui  de  hasard  se  trouva 
chez  moi  en  ce  nioineiit^  11  me  dit:  «  Vous  seriez  bien  fol  de  donner  douze 
louis  à  ce  drôle-là,  qui  a  cent  mille  livres  de  rente,  et  qui,  pour  reconnais- 
sance, dira  tout  haut  que  c'est  que  vous  ne  pouviez  faire  autrement.  » 
Ensuite  il  a  prétendu  que  c'était  une  des  conventions  de  notre  marché,  ce 
qui  est  faux,  et  très-faux.  11  faut  qu'il  soit  bien  hardi  pour  avancer  pareille 
chose,  outre  que  l'acte  le  dément!  Les  bois  sur  pied  sont  à  lui  (en  laissant 
60  arbres  par  pose),  ce  qui  exclut  nettement  ceux  qui  étaient  coupes  avant 
le  traité.  On  a  bien  eu  attention  do  spécifier  dans  l'acte  huit  pieds  d'arbres 
sur  pied  comme  étant  exceptés,  parce  qu'ils  étaient  déjà  vendus  aupara- 
vant; comment  n'aurait-on  pas  excepté  aussi  les  quatorze  voies  du  bois 
coupé,  si  elles  eussent  été  ù  lui  par  convention? 

Finalement,  le  voici  qui  dit  qu'il  a  acheté  trop  cher,  et  que  le  bois  n'est 
pas  assez  grand,  comme  sil  s'agissait  de  cela!  S'il  a  acheté  cher,  tant  pis 
pour  lui,  j'en  voudrais  tenir  le  double.  Cela  ne  l'a  pas  empéclié,  après 
deux  ans  de  jouissance,  do  m'en  offrir  145,000  livres.  Pour  la  contenue,  au 
diable  soit  si  je  connais  ma  terre  I  Je  ne  sais  que  le  cadastre  (jui  en  a  été 
fait  publiquement  par  ordre  du  roi,  sans  ma  participation  et  on  mon  absence. 
Il  a  l'acte  entre  ses  mains  tout  comme  moi-. 


1.  Le  marquis  de  Ximcnès. 

2.  Ce  qu'on  vient  do  liic  était  sous  presse  lorsque  s'est  rctrmnée  une  lettre  de 
>L  du  Brosses  à  Voltaire,  de  juillet  1700.  Un  seul  passage  de  cette  lettre  a  trait 
aux  plaintes  du  philosophe  sur  la  contenance  du  bois  de  Tournay.  Le  voici  : 

L'article  dos  moules  do  bois  quo  vous  a  vendus  Cliarlot  n'a  rien  de  commun  avec  l'ar- 
pentago  fait  par  les  gi'îoxraplies.  J'ai  toujours  oui  dire  que  la  forêt  contenait  environ  90  cou- 
pées ou  poses.  (Jo  no  sais  pas  trop  lequel,  ol  no  sais  pas  mieux  la  valeur  do  ces  mesures  loca- 
les.) L'erreur  de  là  à  vingt  est  si  grande  qu'elle  en  devient  peu  probable.  Quoi  qu'il  en  soit, 
vous  saviez  l>eaucoup  mieux  quo  moi  ce  qu'il  y  avait,  puisque  vous  i'tes  sur  iilace  et  quo 
vous  aviez,  comme  du  raison,  exactement  et  plus  d'une  fois  visité  le  terrain  avant  de  faire  le- 
marclx!!.  Il  n'a  jamais  6U'  question  entre  nous  do  dismensurations  géométriques,  mais  devons 
remettre  les  fon<ls  ti-ls  qu'ils  étaient,  tels  que  vous  les  connaissiez,  tels  <iuo  jo  los  avais  ot 
qu'on  on  avait  joui  ci-dovant.  » 

.Sans  relever  l'hyperbole  du  poOte,  qui  n'accusait  d'abord  que  vingt  poses,  on 
peut  noter  que  43  arpents  cl  demi  équivalent  à  23  hectares  21  ares  51  centiares, 
et  qui-  20  poses  donneraient  2i  hectares  30  centiares.  La  dilTiTcnce  ne  serait  donc 
que  d'un  liect&rc    c'est-à-dirc  d'un   vingt-quatrième;  et  il  csl    de  principe  que. 


520  CORRESPONDANCE. 

Quant  à  ce  rabâchage,  que  Baudy  n'est  qu'un  fadeur  rendant  compte, 
que  je  n'ai  pu  vendre  avant  notre  traité  sans  la  permission  du  grand-maître  ; 
de  quoi  se  mêlo-t-il  ?  Je  vois  bien  pourquoi  ils  ne  veulent  pas  là-bas  pro- 
duire la  vente  :  c'est  pour  ne  pas  la  faire  contrôler.  Ils  ont  raison,  ce  n'est 
pas  l'affaire  de  cet  homme-là. 

Si  la  contestation  n'était  pas  engagée  et  devenue  publique  par  s^  fré- 
nésie ;  si  je  pouvais  aujourd'hui  céder  la  chose  contestée  sans  paraître  avoir 
eu  tort  vers  les  gens  mal  informés,  je  me  garderais  bien  de  la  lui  donner,  à 
lui,  i)Our  prix  de  son  insolente  lettre;  mais  je  vous  sacrifierais,  à  vous,  des 
choses  bien  plus  considérables.  Puis  les  égards  que  je  me  fais  pour  M"'"  Denis, 
qui  mérite  toute  sorte  de  considération,  me  porteraient  sur-le-champ  à  lui 
donner,  non  quatorze  voies  do  bois  (fi  donc!),  mais  mon  ressentiment  de 
la  sottise  de  son  oncle,  et  ce  qui  l'a  causé,  quel  qu'il  soit.  Vous  sentez  trop 
bien  vous-même  qu'il  m'a  mis  dans  le  cas  de  ne  plus  faire  ce  que  vous  me 
demandez,  à  moins  qu'il  n'en  donne  un  reçu,  tout  tel  que  le  porte  ma 
lettre.  En  ce  cas,  je  lui  donne  tout  de  suite.  Il  n'en  fera  pas  de  dilTiculté  : 
bien  loin  de  là  !  C'est  ce  qu'il  demande.  Toute  sa  prétention  est  de  l'avoir 
comme  donné.  Ainsi  il  reconnaîtra  de  l'avoir  reçu  comme  donné. 

Là-dessus  on  dit  :  C'est  un  homme  dangereux.  Et  à  cause  de  cela,  faut- 
il  donc  le  laisser  être  méchant  impunément  ?  Ce  sont  au  contraire  ces  sortes 
de  gens-là  qu'il  faut  châtier.  Je  ne  le  crains  pas.  Je  n'ai  pas  fait  le  Pompi- 
gnan.  On  l'admire,  parce  qu'il  fait  d'excellents  vers.  Sans  doute  il  les  fait 
excellents.  Mais  ce  sont  ses  vers  qu'il  faut  admirer.  Je  les  admire  aussi, 
mais  je  mépriserai  sa  personne  s'il  la  rend  méprisable.  Il  y  a  un  pro- 
verbe qui  dit  :  On  peut  être  honnête  homme  et  faire  mal  des  vers.  Et  vice 
versa. 

Écoutez:  il  me  vient  en  ce  moment  une  idée.  C'est  la  seule  honnêtement 
admissible  pour  moi,  et  tout  sera  fini.  Qu'en  votre  présence  il  envoie  les 
281  livres  au  curé  de  Tournay  ou  à  M™"  Galatin,  pour  être  distribués  aux 
pauvres  habitants  delà  paroisse  (je  dis  à  ceux  de  ma  terre,  ou  de  la  sienne, 
s'il  lui  plaît  de  l'appeler  ainsi,  et  non  à  ceux  d'une  autre  terre  )  :  alors  tout 
sera  dit.  De  mon  côté,  je  passerai  en  quittance  les  281  livres  à  Charles  Baudy 
dans  son  compte;  et  voilà  le  procès  terminé  au  profit  des  pauvres.  Cela  est 
bien  court  et  bien  aisé  ^. 

même  en  cas  d'ùnonciation  formelle  de  la  contenance  vendue,  la  garantie  n'en  est 
due  qu'à  un  vingtième  près.  A  fortiori,  quand  la  vente  a  été  faite  sans  indication 
de  contenance.  (Voj'ez  l'acte  du  11  décembre  1758.) 

D'ailleurs  le  défaut  de  contenance  d'un  vingtième  s'entend  de  l'universalité  des 
fonds  vendus,  et  non  d'un  corps  d'héritage  spécial.  Ainsi  Voltaire  n'aurait  pu  se 
plaindre  qu'autant  qu'il  lui  eût  manqué  plus  d'un  vingtième  de  la  contenance 
totale  assignée  à  la  terre  de  Tournay,  quand  bien  même  cette  contenance  eût  été 
indiquée  dans  l'acte,  ce  qui  n'est  pas.  —  On  vient  de  voir  qu'il  ne  lui  manquait  pas 
même  un  vingtième  du  bois  dit  la  forêt.  {Note  du  premier  éditeur.) 

1.  Il  y  a  lieu  de  croire  que  ce  inezzo  termine  fut  accepté  par  Voltaire,  et  qup 
l'affaire  se  termina  de  la  sorte.  Aussi,  à  la  réception  de  cette  lettre,  écrivit-il  à 
M.  de  La  Marche  (21  novembre)  :  Je  crois  qu'à  la  fin  cette  ridicule  affaire  sera 
abandonnée  (voir  lettre  4757  ci-après).  On  conçoit  qu'il  convint  à  Voltaire  de  pré- 


ANNÉE   1761.  521 

4743.  —   A  M.   LE    COMTE   D'ARGE  .\  T  AL. 

10  novembre. 

Le  vieux  ministre  de  Statira,  ci-dovant  épouse  d'Alexandre, 
ayant  reçu  très-tard  la  déduction  du  comité,  ne  peut  aujourd'lmi 
que  remercier  Leurs  Excellences,  et  leur  faire  les  plus  sincères 
protestations  de  la  reconnaissance  qu'il  leur  doit.  !\lais,  n'ayant 
pu  consulter  encore  sa  cour,  il  est  très-fàclié  de  ne  pas  apporter 
un  aussi  prompt  redressement  qu'il  le  voudrait  aux  griefs  de 
Leurs  Excellences.  Son  auguste  souveraine  Statira  a  pris  le  mé- 
moire ad  rcferendum ;  mais  comme  elle  est  malade  d'une  sulfoca- 
tion  qui  la  fera  mourir  au  quatrième  acte,  son  conseil  aura 
l'honneur  d'envoyer  incessamment  à  votre  cour  les  dernières 
volontés  de  cette  auguste  autocratrice. 

J'aurai  l'honneur  de  vous  donner  part  que  j'envoyai,  il  y  a 
onze  jours,  la  feuille  importante  concernant  les  intérêts  de  la 
demoiselle  Dangeville,  attachée  à  la  cour  de  France,  et  pour  la- 
quelle nous  aurons  tous  les  égards  à  elle  dus  ;  que  cette  pièce 
importante  était  adressée  à  M.  Damilaville,  avec  un  gros  paquet 
de  Grizel'-,  de  Car^,  de  Ah!  Ah!^,  et  de  chansons  intitulées 
Moïse- Aaron  '*. 

Nous  craignons  que,  malgré  la  honne  harmonie  et  corres- 
pondance des  deux  cours,  on  n'ait  saisi  notre  paquet  comme 
trop  gros,  et  qu'on  ne  l'ait  porté  à  Sa  Majesté  très-clirétiennc, 
qui  sans  doute  en  aura  ri,  et  auquel  nous  souhaitons  toutes 
sortes  de  prospérités. 

Nous  avons  aussi  dépéché  k  Vos  Excellences  copies  desdits 
mémorials  intitulés  Grizcl,  Gouju'%  Car,  Ah!  Ah!,  Moïsc-Aaron;  et 
nous  sommes  en  peine  de  tous  nos  paquets,  pour  lesquels  nous 
réclamons  lo  droit  dos  gens. 

Et,  i)()ur  n'a\oii-  l'icii  ;'i  nous  roproclici'.  noii-sciilcmciit  nous 
vous  expédions,  [)ar  le  i)résent  coui'rier,  les  lettres  |)al(Mites  [)oi.ir 
le  cinquième  acte  de  la  demoiselle  Dangeville,  mais  encore  la 


simiUm-  le  moyen  do  conciliatinn  propusû  rninmo  une  victoire.  An  moins  cst-il 
ccriaiii  ([tif  l'alHiire  ne  rcpiiriit  plus  au  bailliage  de  Gcx.  {Noie  ilu  premier  rdi- 
ïcur.) 

1.  Voyez  tome  XXIV,  paRC  230. 

2.  Voyrz  ihiil.,  pace  2(JI. 

3.  Voyez  ibiJ.,  pa|,n!  2(13. 

•4.  Vo3(!z  reitc  chanson  dans  les  Poésies  mi'lces,  tome  X. 
b.  Voyez  tomo  XXIV,  page  25.j. 


622  CORRESPONDANCE. 

seule  copie  qui  nous  reste  des  Grizrl,  Gonju,  Car,  Ah!  Ah!,  et 
HIoïse-Aaro)).  Nous  adressons  aussi  copie  de  la  scène  de  ladite 
demoiselle  Dangcville  au  confident  Damilaville,  recommandant 
expressément  que  le  tout  soit  intitulé  le  Droit  du  Seigneur. 

Nous  vous  ramentcvons  ici  qu"il  y  a  six  semaines  en  çà  que 
nous  prîmes  la  liberté  de  vous  adresser  un  paquet  énorme  pour 
W  du  Déliant  \  duquel  paquet  et  de  laquelle  dame  nous  n'avons 
depuis  entendu  parler. 

Nous  laissons  le  tout  à  considérer  à  votre  haute  prudence,  et 
nous  vous  renouvelons  les  assurances  de  notre  sincère  et  respec- 
tueux attachement. 

Donné  à  Éphèse ,  dans  la  cellule  de  sœur  Slatira,  le  10  de 
novembre,  au  soir. 


4744.  —  A  M.   DAMILAVILLE. 


11  novembre. 


Mes  frères,  je  renvoie  fidèlement  les  Ah!  Ali!  et  les  Car, 
qu'on  m'a  confiés  :  car  je  suis  homme  de  parole,  car  je  vous 
aime. 

Ah!  ah!  quand  vous  n'écrivez  point,  frère,  c'est  pure 
malice. 

Ah!  ah!  vieux  fou  de  Crébillon,  vous  ne  voulez  pas  lâcher 
votre  scène  :  c'est  bien  dommage,  vous  l'échappez  belle.  L'avocat 
Moreau  n'a  nulle  part  au  Mémoire  historique^-;  M.  le  duc  de  Choi- 
seul  l'a  fait  en  trente-six  heures. 

Y  a-t-il  une  relation  de  l'auto-da-fé  de  Lisbonne  ^  ? 

Il  n'y  a  pas  quatre  pages  de  vérité  et  de  bon  sens  dans  le 
nouveau  Testament^.  L'auteur  est  un  ex-capucin,  ci-devant 
nommé  Maubert^  fugitif,  escroc,  espion ,  ivrogne,  Normand, 
de  présent  à  Paris,  et  qui  mérite  de  faire  le  voyage  de  xMar- 
seille^ 

Vous  aurez  dans  quelque  temps  l'ouvrage  des  six  jours  :  ce 
n'est  pas  celui  de  l'abbé  d'Asfeld  \  ah  !  ah! 


1.  Voyez  page  496. 

2.  Voyez  la  noie,  page  497. 

3.  Elle  a  même  été  traduite  en  français;  voyez  tome  XXIV,  page  278. 

4.  Testament  politique  du  maréchal  de  Belle-lsle,  1761,  in-12  de  vj  et  226  pages. 

5.  Voyez  la  note,  tome  XXXA'III,  page  417;  mais  le  Testament  politique  de 
Belle-lsle  est  de  Chevrier,  et  non  de  Maubert.  (B.) 

6.  C'est-à-dire  d'être  envoyé  aux  galères. 

7.  Voyez  la  note,  tome  XXIV,  page  2i8. 


ANNÉE    I7G1.  o23 

4745.   —  A   M.    LL:   CONSKILLLP.   LE    RALLTi. 

A  Ferney,  12  novembre  I7G1. 

Je  ne  vous  demande  du  vin,  monsieur,  qu'en  cas  que  vous 
en  ayez  de  semblable  à  celui  que  vous  m'avez  envoyé  les  pre- 
mières années.  A  mon  Age,  le  bon  vin  vaut  mieux  que  M.  Tron- 
chin.  Il  y  a  près  de  deux  ans  que  je  bois  du  vinaigre,  et  le  pré- 
sident de  Brosses  n'y  met  pas  de  sucre.  Je  suis  devenu  délicat, 
mais  pauvre.  Je  me  recommande,  monsieur,  à  votre  goût  et  à 
votre  compassion. 

Je  vous  demande  en  grâce  de  vouloir  bien  me  procurer  deux 
mille  barbues  (c'est  le  mot,  je  crois)  de  ceps  bourguignons.  Le 
tout  m'arriverait  par  les  mêmes  voitures. 

Tout  ce  que  je  reçois  de  Bourgogne  me  fait  grand  plaisir, 
excepté  les  exploits  du  président  de  Brosses-.  Il  veut  vendre 
cher  ses  fagots.  Tâchez,  monsieur,  de  me  vendre  bon  marché 
votre  vin ,  dont  je  fais  plus  de  cas  qne  de  cette  grande  forêt  de 
quarante  arpents  de  la  magnifique  terre  du  président.  Je  sais 
qu'il  y  a  vin  et  vin,  comme  il  y  a  fagots  et  fagots.  C'est  du  bon 
que  je  demande.  Il  serait  doux  d'avoir  l'honneur  de  le  boire  avec 
vous,  et  que  ce  terrible  président  n'y  mît  point  d'absinthe,  il 
fait  d'étranges  hypothèses.  11  suppose  des  ventes,  et  il  argumente 
a  falso  supponcntc. 

Vous  ne  m'avez  pas  répondu,  monsieur,  sur  l'arbitrage  que  je 
proposais.  Aussi  je  n'en  demande  plus,  et  je  le  tiens  condamné 
dans  le  cœur  de  tous  ses  confrères  :  quod  erat  demonstramlum. 

J'ai  l'honneur  d'être,  etc. 

Voltaire. 

47 40.   —  A   M.   L  !•:   C  0  M  T  E   D 'A  R  G  K  N  T  A  L  ». 

1-2  iKiveniljie  17GI. 

()  (li\iiis  anges!  voici  la  réponse  de  noire  comité  à  \otre  co- 
iuit('.  Mais  ne  nous  égorgeons  i)oint.  .le  \oiis  supplie  iW  vouloir 
bien  m'obtenir  une  réponse  sur  mon  T;dle\ran(l  dllvcideuil. 


1.  Éditeur,  Tli.  Foissft. 

-1.  VulUiire  uvail  rcru  de  liiuidy,  et  imu  du  prrsidrni,  un  seul  c.xploil,  comme 
on  l'ii  vu  plus  luiul.  .Mais  il  \oiil;iiL  (iu'dm  lo  crût  l)oiiii)aidé  de  procédures.  {Sole 
du  premier  éditeur.) 

'.',.  ^i^sîlrd,  .Mémoires  il  Correspomlanccs  poliliqucs  et  littéraires;  l'aris,  lSr)8, 
pa^e  107. 


524  CORRESPONDANCE. 

Puisque  vous  ne  répondez  point  sur  l'Espagne,  j'espère. 

Mais  répondez  donc  sur  le  paquet  de  M""  du  DefTant. 

Mais  un  mot  sur  le  Droit  du  Seigneur,  sur  Zulimc,  sur  M,  le 
maréchal  de  Fronsac. 

Je  veux  vous  envoyer  ma  lettre  au  président  de  Brosses  en 
forme  de  factum.  Il  m'a  volé  :  d'accord  ;  mais  il  est  honni  dans 
son  parlement  de  Bourgogne,  car  je  l'ai  berné,  car  je  suis  ber- 
neur,  car  il  est  bernable,  car  l'ancien  premier  président  de  La 
Marche  vous  en  dira  bientôt  des  nouvelles. 

Intérim,  je  baise  le  bout  de  vos  ailes.  V. 

47i7.   —'MÉMOIRE    A  TOUS  LES   ANGES, 

M.     LE     COMTE     DE     CltOISElJL    ÉTANT    E  SSE  NT  [  E  LLE  ME  N  T    COMPTÉ 
POUR     UN      d'iCEUX. 

Ferney,  12  novembre. 

Notre  comité,  qui  vaut  bien  le  vôtre,  sauf  respect,  vu  qu'il 
est  composé  de  gens  du  tripot  et  de  très-bons  acteurs,  est  obligé 
de  vous  déclarer  qu'il  ne  peut  être  de  votre  avis  sur  la  plupart  de 
vos  objections. 

Nous  frémissons  d'indignation  quand  vous  nous  proposez  de 
mettre  notre  pièce  à  la  glace,  par  une  confidence  froide  et  inu- 
tile d'Olympie  à  sa  suivante,  et  d'affadir  le  tout  par  une  scène 
inutile  d'amour  au  commencement  du  premier  acte.  Cela  serait 
très-bien  inventé  pour  ôter  tout  l'effet  du  coup  de  théâtre  que 
produit  le  mariage  de  Gassandre  et  d'Olympie,  et  pour  rendre 
ridicules  les  remords  de  Gassandre,  et  pour  ôter  toute  la  force  à 
la  scène  vigoureuse  où  l'on  justifie  la  mort  d'Alexandre  :  car, 
messieurs  et  mesdames,  la  terreur  des  remords  et  les  réflexions 
sur  la  mort  d'Alexandre  seraient  très-mal  placées  après  des 
scènes  amoureuses.  Ge  n'est  pas  là  la  marche  du  cœur.  Vous  me 
citez  Zaïre;  mais  songez-vous  que  le  piquant  des  premières 
scènes  de  Zdire  consiste  dans  l'amour  d'un  Turc  et  d'une  chré- 
tienne, sans  quoi  cela  serait  aussi  froid  que  la  déclaration  de 
Xipharèsi? 

Nous  pensons^  que  vous  vous  méprenez  infiniment,  sauf 
respect,  quand  vous  croyez  qu'Olympie  est  le  premier  rôle  ;  il 


!.  Dans  Mithridate,  acte  I,  scène  ii. 

2.  Cet  alinéa  est  répété  presque  tout  entier  dans  la  lettre  du  27  novembre, 

4762. 


ANNÉE    1761.  u25 

ne  l'est  que  quand  Statira  est  morte.  Quoi!  vous  croyez  qu'OIjm- 
pie  est  faite  pour  M"-^^  Clairon?  Ah!  tout  comme  Zaïre.  C'est 
Statira  qui  est  le  grand  rôle.  Ah!  comme  nous  pleurions  à  ces 
vers  : 

J'ai  perdu  Darius,  Ale.xandre,  et  ma  fille  ; 
Dieu  seul  me  reste'. 

C'est  que  'SI""  Denis  déclame  du  cœur,  et  que  chez  vous  on  dé- 
clame de  la  bouche. 

Nous  sommes  respectueusement  et  sincèrement  do  l'avis  du 
comité  sur  une  certaine  prière  que  faisait  Cassandre,  et  non  pas 
Cassandcr,  à  une  certaine  Antigone;  il  y  a  d'autres  détails  que 
nous  avons  corrigés  sur-le-champ,  selon  les  vues  très-justes  du 
comité. 

Nous  vous  envoyons  une  petite  esquisse  de  nos  corrections, 
qui,  jointe  à  celles  que  vous  avez  déjà,  est  capable  de  bouclier 
les  trous  des  sifflets;  mais,  pour  mieux  faire,  envoyez-nous  la 
pièce,  et  nous  vous  la  rendrons  mise  au  net. 

Délibéré  dans  la  troupe  de  Ferney,  le  12  novembre  de  l'an  de 
grâce  17G1. 

47i8.   —   A   M.  UAMILAVILLE. 

Le  13  novembre. 

Je  fis  partir,  il  y  a  onze  jours,  mes  chers  frères,  la  scène 
que  les  comédiens  ordinaires  du  roi  demandaient.  Elle  fut 
faite  le  même  jour  que  je  reçus  votre  avis  ;  je  le  trouvai  excel- 
lent, et  la  scène  partit  le  lendemain,  accompagnée  des  roga- 
tons que  je  renvoyais  à  M.  Carré,  comme  Grizcl,  Car,  Ah  !  Alt!  et 

GOKJU. 

Je  renvoie  fidèlement  tout  ce  qu'on  me  confie.  IVut-étre 
trouva-t-on  le  paquet  trop  gros  à  la  poste  de  Paris;  peut-être 
M.  Janel-  en  a  fait  rire  le  roi.  Je  souhaiterais  bien  que  Sa  Majesté 
vît  toutes  mes  lettres,  et  les  i)aquets  que  je  reçois  :  il  serait  bien 
convaincu  qu'il  n'a  point  de  plus  zélés  et,  j'ose  le  dire,  de  plus 
tendres  serviteurs  que  ceux  qui  sont  appelés  philosophes  par  des 
séditieux  fanati(iues,  ennemis  du  roi  et  de  la  patrie.  J'exhorte 
tous  mes  amis  à  payer  gaiement  la  moitié  de  leur  bien,  s'il  le 
faut,  pour  servir  le  roi  contre  ses  injustes  ennemis. 


i.  Olympie.  aclc  II,  scène  ii. 

2.  Cliart'6  de  l'adniini.ilnition  des  postes. 


526  CORRESPONDANCE. 

Après  cela,  on  peut  saisir  des  Grizeî,  etc.  On  verra  que  les 
amateurs  des  lettres  sont  plus  amateurs  delà  patrie  que  les  con- 
vulsionnaires  et  les  ennemis  des  arts.  Je  signe  hardiment  cette 
lettre  ;  votre  véritable  ami 

Voltaire. 

47i9.  —  A  M.   JEAN   SCHOUVALOW. 

A  Ferney,  li  novembre. 

Vous  voyez  que  je  suis  plus  diligent  que  je  ne  l'avais  cru. 
Mon  âge,  mes  infirmités,  me  font  toujours  craindre  de  ne  pas 
achever  l'histoire  à  laquelle  je  me  suis  dévoué  ;  ainsi  je  me  hûte, 
sur  la  fin  de  ma  carrière,  de  remplir  celle  où  vous  me  faites 
marcher,  et  l'envie  de  vous  plaire  presse  ma  course.  Votre  Excel- 
lence a  dû  recevoir  le  paquet  contenant  la  fin  tragique  du  cza- 
rovitz,  avec  une  lettre^  dans  laquelle  je  vous  exposais  mon  em- 
barras et  mes  scrupules  avec  la  franchise  que  votre  caractère 
vertueux  autorise,  et  que  vos  bontés  m'inspirent.  Je  vous  répète 
que  j'ai  cru  nécessaire  de  relever  ce  chapitre  funeste  par  quelques 
autres  qui  missent  dans  un  jour  éclatant  tout  ce  que  le  czar  a 
fait  d'utile  pour  sa  nation,  afin  que  les  grands  services  du  légis- 
lateur fissent  tout  d'un  coup  oublier  la  sévérité  du  père,  ou  môme 
la  fissent  approuver.  Permettez,  monsieur,  que  je  vous  dise  en- 
core que  nous  parlons  à  l'Europe  entière;  que  nous  ne  devons  ni 
vous  ni  moi  arrêter  notre  vue  sur  les  clochers  de  Pétersbourg, 
mais  qu'il  faut  voir  ceux  des  autres  nations,  et  jusqu'aux  mina- 
rets des  Turcs.  Ce  qu'on  dit  dans  une  cour,  ce  qu'on  y  croit,  ou 
ce  qu'on  fait  semblant  d'y  croire,  n'est  pas  une  loi  pour  les  autres 
pays  ;  et  nous  ne  pouvons  amener  les  lecteurs  à  notre  façon  de 
penser  qu'avec  d'extrêmes  ménagements.  Je  suis  persuadé,  mon- 
sieur, que  c'est  là  votre  sentiment,  et  que  Votre  Excellence  sait 
combien  j'ambitionne  l'honneur  de  me  conformer  à  vos  idées. 
Vous  pensez  aussi,  sans  doute,  qu'il  ne  faut  jamais  s'appesantir 
sur  les  petits  détails,  qui  ôtent  aux  grands  événements  tout  ce 
qu'ils  ont  d'important  et  d'auguste.  Ce  qui  serait  convenable  dans 
un  traité  de  jurisprudence,  de  police  et  de  marine,  n'est  point 
du  tout  convenable  dans  une  grande  histoire.  Les  mémoires,  les 
dupliques  et  les  répliques,  sont  des  monuments  à  conserver  dans 


1.  Celle  du  9  novembre,  n"  4740. 


ANNÉE    4  761.  527 

des  archives  OU  dans  les  recueils  des  Laml)erti^  des  Dumont^ 
ou  même  des  Roussel';  mais  rien  n'est  plus  insipide  dans  une 
histoire.  On  peut  renvoyer  le  lecteur  à  ces  documents;  mais  ni 
Polybe,  ni  Tite-Live,  ni  Tacite,  n'ont  défiguré  leurs  histoires  par 
ces  pièces;  elles  sont  l'échafaud  avec  lequel  on  bâtit,  maisl'écha- 
faud  ne  doit  plus  paraître  quand  on  a  construit  l'édifice.  Enfin  le 
grand  art  est  d'arranger  et  de  présenter  les  événements  d'une 
manière  intéressante  :  c'est  un  art  très-difficile,  et  qu'aucun  Alle- 
mand n'a  connu.  Autre  chose  est  un  historien,  autre  chose  est 
un  compilateur. 

Je  finis,  monsieur,  par  l'article  le  plus  essentiel  :  c'est  de 
forcer  les  lecteurs  à  voir  Pierre  le  Grand,  à  le  voir  toujours  fon- 
dateur et  créateur  au  milieu  dos  guerres  les  plus  difficiles,  se 
sacrifiant  et  sacrifiant  tout  pour  le  bien  de  son  empire.  Qu'un 
homme''  trop  intéressé  à  rabaisser  votre  gloire  dise  tant  qu'il 
voudra  que  Pierre  le  Grand  n'était  qu'un  barbare  qui  aimait  à 
manier  la  hache,  tantôt  pour  couper  du  bois  et  tantôt  pour  cou- 
per des  têtes,  et  qu'il  trancha  lui-même  celle  de  sou  fils  innocent; 
qu'il  voulait  faire  ])érir  sa  seconde  femme,  et  qu'il  fut  prévenu 
]);ir  elle  ;  que  ce  même  homme  dise  et  écrive  les  choses  les  i)lus 
oiïensantes  contre  votre  nation  ;  qu'enfin  il  me  marque  le  mécon- 
tentement le  plus  vif,  et  qu'il  me  traite  avec  indignité,  parce  que 
j'écris  l'histoire  d'un  règne  admirable  ;  je  n'en  suis  ni  surpris  ni 
fâché '%  et  j'espère  qu'il  sera  obligé  de  convenir  lui-même  de  la 
supériorité  que  votre  nation  obtient  en  tout  genre  depuis  Pierre 
le  Grand.  Ce  travail,  que  vous  m'avez  bien  voulu  confier,  mon- 
sieur, me  devient  tous  les  jours  plus  cher  par  l'honneur  de  votre 
correspondance.  M.  de  Sollikof  m'a  dit  que  Votre  Excellence  ne 
serait  pas  fâchée  que  je  vous  dédiasse  quel([ue  autre  ouvrage,  et 
que  mon  nom  s'appuyât  du  vôtre.  J'ai  fait  depuis  peu  une  tra- 
gédie d'un  genre  assez  singulier''  :  si  vous  me  le  permettez,  je 
vous  la  dédierai;  et  ma  dédicace  sera  un  discours  sur  l'art  dra- 


1.  Voyez  tome  XVI,  pape  588. 

2.  Le  Corps  universel  diplomalutue  du  droit  des  <jcns,  \'i'i,  liiiiL  volumes  in- 
folio. 

.'J.  Supplément  au  Corps  diplomatique,  1739,  trois  volumes  in-folio. 

4.  Fréd«';ric  le  Grand,  roi  de  Prusse;  voyez  tome  XXXIV,  pap:e  M'.i. 

.').  Dans  son  Epitre  à  .1/""'  du  CluUeUt  sur  sa  liaison  avec  Muiipertnis,  Vol- 
taire avait  dit  (voyez  tome  X)  : 

Jo  n'en  suis  dicM;  m  surpris. 

G.  Ohjmpie;  mais,  malgré  ce  que  dit  ici  Voltaire,  elle  est  sans  dédicace;  voyez 
tome  \  I. 


528  CORRESPONDANCE. 

nialique,  dans  Jcqucl  j'essayerai  de  présenter  quelques  idées 
neuves.  Ce  sera  pour  moi  un  plaisir  Lien  llalteur  de  vous  dire 
publiquement  tout  ce  que  je  pense  de  vous,  des  beaux-arts,  et  du 
bien  que  vous  leur  faites.  C'est  encore  un  des  prodiges  de  Pierre 
le  Grand,  qu'il  se  soit  formé  un  Mécène  dans  ces  marécages  où 
il  n'y  avait  pas  une  seule  maison  dans  mon  enfance,  et  où  il  s'est 
élevé  une  ville  impériale  qui  fait  l'admiration  de  l'Europe.  C'est 
une  chose  dont  je  suis  bien  vivement  frappé. 

Adieu,  monsieur;  voilà  une  lettre  fort  longue;  pardonnez  si 
je  cherche  à  me  dédommager,  en  vous  écrivant,  de  la  perte  que 
je  fais  en  ne  pouvant  être  auprès  de  vous. 

Vous  ne  doutez  pas  des  tendres  et  respectueux  sentiments 
avec  lesquels  j'ai  l'honneur  d'être,  etc. 


4750.  —  A  M.  FABRY. 

Ferney,  14  novembre. 

Je  suis  très-étonné,  monsieur,  de  ne  point  recevoir  de  ré- 
ponse de  vous  au  sujet  de  mes  passe-ports  ;  ma  santé  me  force 
de  quitter  le  climat  froid  de  Gex,  et  de  me  rapproclier  de  M.  ïron- 
chin  ;  j'ai  déjà  eu  l'honneur  de  vous  mander  que  je  ne  peux 
vivre  aux  Délices  sans  pain,  et  qu'il  est  juste  que  je  mange  le  blé 
que  j'ai  semé  ;  ayez  au  moins  la  bonté  de  me  répondre  pourquoi 
vous  ne  me  répondez  pas.  J'ai  l'honneur  d'être,  monsieur,  votre, 
très-humble  et  obéissant  serviteur. 

VOLTAIUE. 

4751.   —  DU    CARDINAL   DE  BERMS. 

De  Montélinmrt,  le  17  novembre. 

J'attends  avec  la  plus  grande  impatience,  mon  cher  confrère,  cette  tra- 
gédie faite  en  six  jours,  et  que  vous  trouvez  si  digne  du  sacré  collège.  Je 
répondrais  du  succès  de  cet  ouvrage,  précisément  parce  qu'il  a  été  achevé 
aussitôt  que  projeté.  Cela  prouve  que  le  sujet  est  heureux  et  l)ien  choisi  : 
cet  avantage  supplée  souvent  à  tous,  et  n'est  suppléé  par  rien.  D'ailleurs,  on- 
sait  qu'il  vous  faut  moins  de  temps  qu'à  un  autre  pour  bien  faire.  J'ai  lu  avec 
grand  plaisir  votre  Épîlre  sur  l'Agricallure;  mais  dans  ces  sortes  d'ouvrages 
il  est  bon  d'imiter  Montaigne,  qui  laisse  aller  son  imagination  sans  se  sou- 
cier du  titre  que  porte  le  chapitre  qu'il  traite.  Malgré  les  beaux  exemples 
que  vous  me  citez,  je  n'irai  point  au  temple  d'Épidaure.  Je  le  regretterai 
moins  que  les  Délices,  car  j'ai  plus  besoin  de  la  conversation  d'un  homme 
d'esprit  que  des  conseils  du  meilleur  médecin  de  l'Europe.  Vos  ducs,  princes. 


ANNÉE    1761.  529 

et  femmes  dévotes,  ont  encore  moins  de  ménagements  à  garder  qu'un 
ancien  minisire.  Le  duc  de  Villars  s'est  embarqué  sur  le  Rhône,  et  n'a  point 
passé  à  Montélimart.  J'admire  la  fécondité  et  la  jeunesse  de  votre  esprit: 
cela  prouve,  outre  le  grand  talent,  une  bonne  santé.  Lorsque  le  corps 
souffre,  l'esprit  est  bien  malade.  Conservez  longtemps  votre  gaieté,  votre 
santé  en  sera  plus  ferme,  et  vos  ouvrages  en  seront  plus  piquants  et  plus 
aimables.  Il  est  inutile  que  je  vous  assure  que  je  ne  prendrai  ni  ne  laisserai 
prendre  de  copie  de  votre  tragédie.  Adieu,  mon  cher  confrère;  je  vous  aime 
presque  autant  que  je  vous  admire. 


4752.   —  A  MADAME   LA   MARQUISE   DU  DEFFANT. 

A  Fcrncy,  18  novembre. 

Vous  m'affligez,  madame  ;  je  voudrais  vous  voir  heureuse  dans 
ce  plus  sot  des  mondes  possibles,  mais  comment  faire  ?  C'est  déjà 
beaucoup  de  n'être  pas  du  nombre  des  imbéciles  et  des  fana- 
tiques qui  peuplent  la  terre;  c'est  beaucoup  d'avoir  des  amis  : 
voilà  deux  consolations  que  vous  devez  sentir  à  tous  les  mo- 
ments. Si,  avec  cela,  vous  digérez,  votre  état  sera  tolérable. 

Je  crois,  toutes  réflexions  faites,  qu'il  ne  faut  jamais  penser  à 
la  mort  :  cette  pensée  n'est  bonne  qu'à  empoisonner  la  vie.  La 
grande  affaire  est  de  ne  point  souffrir,  car,  pour  la  mort,  on  ne 
sent  pas  plus  cet  instant  que  celui  du  sommeil.  Les  gens  qui 
l'annoncent  en  cérémonie  sont  les  ennemis  du  genre  humain  ; 
il  faut  défendre  qu'ils  n'approchent  jamais  de  nous,  La  mort 
n'est  rien  du  tout;  l'idée  seule  en  est  triste.  N'y  songeons  donc 
jamais,  et  vivons  au  jour  la  journée.  Levons-nous  en  disant  : 
Que  ferai-je  aujourd'hui  pour  me  procurer  de  la  sauté  et  de 
l'amusement?  C'est  à  quoi  tout  se  réduit  à  l'Age  où  nous 
sommes. 

J'avoue  qu'il  y  a  des  situations  intolérables,  et  c'est  alors  que 
les  Anglais  ont  raison  ;  mais  ces  cas  sont  assez  rares  :  on  a 
presque  toujours  quelques  consolations  ou  quelques  espérances 
qui  soutiennent.  Knfin,  madame,  je  vous  exhorte  à  être  toute  la 
vie  la  plus  heureuse  que  vous  pourrez. 

Votre  lettre  m'a  fait  tant  d'impression  que  je  vous  écris  sur- 
le-champ,  moi  (pii  n'écris  guère.  J'ai  une  douzaine  de  fardeaux 
à  porter;  je  me  suis  imposé  tous  ces  travaux  pour  n'avoir  pas  un 
instant  désd-uvré  et  triste;  je  crois  que  c'est  un  secret  infaillible. 

Je  ferai  mettre  dansia  liste  de  ceux(iui  retiennent  un  Corneille 
commcnlù  les  personnes  dont  vous  mo.  faites  l'honneur  de  me 
parler.  J'aime  passionnément  à  commenler  Corneille,  car  il  a 

41.  —    ConilKSI'O.NDANCH.    U\.  34 


530  COIUIESPONDANGE. 

fait  l'honneur  de  la  France  dans  le  seul  art  peut-être  qni  met  la 
France  au-dessus  des  autres  nations.  De  plus,  je  suis  si  indigné 
de  voir  des  hypocrites  et  des  énergumènes  qui  se  déclarent 
contre  nos  spectacles  que  je  veux  les  accabler  d'un  grand  nom. 

Je  n'ai  point  encore  la  Reine  de  Gulconde;  mais  j'ai  vu  de  très- 
jolis  vers  de  M.  l'abbé  de  Boufflers  :  il  faut  en  faire  un  abbé  de 
Chaulieu,  avec  cinquante  mille  livres  de  rentes  en  bénéfices  ; 
cela  vaut  cinquante  mille  fois  mieux  que  de  s'ennuyer  en  pro- 
vince avec  une  croix  d'or. 

Avez-vous  lu  la  Conversalion  de  l'abbé  Grizelet  d'un  intendant  des 
Menus  ^2  Si  vous  ne  la  connaissez  pas,  je  vous  céderai  l'exem- 
plaire qu'on  m'a  envoyé. 

Recevez  les  tendres  respects  du  Suisse  V. 

4753.  —  A  M.   DE   COURTEILLES  «, 

CONSEILLER     D'ÉTAT. 

A  Forncy,  18  novembre. 

Monsieur,  si  M.  le  président  de  Brosses  est  roi  de  France, 
ou  au  moins  de  la  Bourgogne  cisjurane,  je  suis  prêt  à  lui  prêter 
serment  de  fidélité.  Il  n'a  voulu  recevoir  ni  d'un  huissier  ni  de 
personne  l'arrêt  du  conseil  à  lui  envoyé,  par  lequel  il  devait 
présenter  au  conseil  du  roi  les  raisons  qu'il  prétend  avoir  pour 
s'emparer  de  la  justice  de  la  Perrière,  qui  appartient  à  Sa 
Majesté  3. 


1.  Voyez  tome  XXIV,  page  239. 

2.  Barbarie  de  Courteilles,  gendre  du  président  Fyot  de  La  Marche. 

3.  Une  lettre  du  président  de  Brosses  à  Voltaire,  tardivement  retrouvée,  réta- 
blit dans  son  vrai  jour  sa  manière  d'agir  au  sujet  de  cette  interminable  contesta- 
tion de  la  Perrière.  Voici  cette  nouvelle  lettre,  qui  est  de  mai  1760. 

M  On  m'a  envoyé  de  Paris,  monsieur,  des  extraits  de  pièces  et  mémoires  que 
vous  avez  envoyés  au  conseil  pour  établir  que  l'endroit  de  la  Perrière  où  s'est 
commis  le  délit  de  Panchaud  est  de  la  justice  et  juridiction  de  Genève,  non  de 
celle  de  Tournay,  et  que  la  république  ayant  cédé  ce  droit  au  roi,  parle  traité  du 
mois  d'août  1749,  ce  n'est  ni  au  seigneur  de  Tournay,  ni  à  monseigneur  le  comte 
de  La  Marche,  seigneur  engagiste  de  Gex,  à  faire  les  frais  de  la  pi-océdure,  mais 
au  roi  lui-même. 

«  Je  souhaite  fort  que  cet  article  de  frais,  dont  l'honneur  n'est  nullement  dési- 
rable, puisse  regarder  Sa  Majesté.  J'ai  fait  ce  que  j'ai  pu  pour  faire  entrer  dans 
cetteidéemonsieur  le  procureur  général,  qui,  de  son  coté,  avait  bonne  envie  d'y  être; 
et  j'ai  eu  l'honneur  de  vous  envoyer  la  note  de  ce  que  j'avais  d'enseignements  là- 
dessus,  qui  n'étaient  pas  trop  favorables.  Je  désire  de  tout  mon  cœur  que  vous 
en  ayez  trouvé  qui  le  soient  davantage. 

«  Pour  moi,  je  n'ai  jamais  rien  ouï  dire  de  pareil.  Je  n'ai  pas  su  que  la  repu- 


ANNEE    17G1.  o3l 

Il  me  persécute  d'ailleurs  pour  celte  bagatelle  S  comme  s'il 
s'agissait  d'une  province.  Vous  en  jugerez,  monsieur,  par  la 
lettre  ci-jointe-  que  j"ai  été  forcé  de  lui  écrire,  et  dont  j'ai  en- 
voyé copie  à  Dijon  à  tous  ses  confrères,  qui  lèvent  les  épaules. 

Au  reste,  monsieur,  je  ferai  tout  ce  que  vous  voudrez  jjien 
me  prescrire,  et  je  vous  obéirais  avec  plaisir  quand  même  je 
serais  roi  de  la  Bourgogne  cisjuranc,  ainsi  que  M.  le  président 
de  Brosses.  J'ose  imaginer,  monsieur,  que  le  roi  peut  à  toute 
force  conserver  la  justice  de  la  Perrière,  malgré  la  déclaration 
de  guerre  de  monsieur  le  président. 

J'ai  l'bonneur  d'être  avec  beaucoup  de  respect,  monsieur, 
votre  Irès-humble,  etc. 

47J4.  —  A  M.  JEAN  SCIIOUVALOW. 

Ferney,  par  Genève,  18  novembre. 

Monsieur,  j'ai  l'honneur  de  vous  envoyer  encore  l'essai  d'un 
chapitre  sur  la  guerre  de  Perse.  Votre  Excellence  doit  avoir  entre 
les  mains  les  essais  concernant  la  catastrophe  du  czarovitz,  les 
lois,  le  commerce,  l'Église,  la  paix  glorieuse  avec  la  Suède.  Il  me 
semble  qu'il  n'en  faudrait  qu'un  sur  les  allaires  intérieures  jus- 
qu'à la  mort  de  Pierre  le  Grand.  Je  suivrai  exactement  vos 
instructions,  tant  pour  le  second  volume  que  pour  le  premier; 
et  dès  que  j'aurai  reçu  vos  réflexions  et  vos  ordres  sur  les  nou- 
veaux chapitres,  je  les  travaillerai  avec  d'autant  plus  de  soin 
que  je  serai  plus  sûr  de  ne  point  errer.  Il  est  étrange  combien  de 
matériaux  j'avais  rassemblés  pour  ne  m'en  point  servir.  Ouel 
amas  de  détails  inutiles,  quelle  foule  de  mémoires  de  particuliers 
qui  ne  parlent  que  d'eux-mêmes  au  lieu  de  parler  de  Pierre  le 
Grand  ;  et  enfin  quelle  foule  d'erreurs  et  de  calomnies  m'est 
tombée  entre  les  mains!  J'espère  avant  qu'il  soit  peu  compléter 

bliquc  do,  Gcncve  ail  jamais  prétendu  ni  exercé  aucune  juridiction  sur  ce  canton, 
qui  est  du  territoire  do  la  France,  mais  au  contraire  qu'elle  y  a  été  exercée  par 
le  juge  de  Tournay. 

M  Mais  conuno,  d'une  part,  je  souhaite  de  tout  mon  cœur  que  vous  puissiez 
Ctrc  déchargé  d<;  cotte  épave  désagréable,  et  que,  d'autre  part,  il  ne  serait  pas  na- 
turel que  je  me  misse  moi-même  de  la  partie  contre  les  droits  do  ma  terre,  je 
resterai  neutre  sur  ceci,  sauf  à  revenir  un  jour  à  dire  mes  raisons,  si  elles  sont 
bonnes,  dans  un  temps  où  vos  intérêts  ne  seront  pas  compromis.  »  (Note  de 
M.  Th.  l'oissel.) 

1.  C'est-à-dire  à  cause  de  cette  bagatelle,  en  haine  de  mon  bon  droit  eu  celte 
bagatelle.  (A'o/e  de  VoUaire.) 

2.  La  lettre  du  '20  octobre  17G1. 


532  CORRESPONDANCE. 

l'ouvrage,  et  qu'avant  Pâques  tout  sera  conforme  à  vos  désirs. 
J'ai  donné  la  préférence  au  plus  grand  des  Pierre  sur  notre 
grand  Pierre  Corneille,  et  je  vous  la  donne  dans  mon  cœur  sur 
tous  les  Mécènes  de  l'Europe. 

J"ai  riionneur  d'être  avec  le  plus  tendre  respect,  etc. 


4755.  —  A  M.   BOURET. 

A  Fcnic}',  près  Genève,  20  novembre. 

Vous  êtes  une  belle  âme,  monsieur,  tout  le  monde  le  sait, 
j'en  ai  des  preuves,  et  je  vous  dois  de  la  reconnaissance.  Mon- 
sieur votre  frère  est  une  belle  âme  aussi  ;  il  veut  le  Ijien  public 
et  celui  du  roi,  qui  sont  les  mêmes. 

S'il  avait  vu  le  petit  pays  de  Gex  que  j'ai  choisi  pour  finir  mes 
jours  doucement,  il  n'en  croirait  pas  les  faux  mémoires  qu'on 
lui  a  donnés. 

1°  Les  ennemis  de  notre  pauvre  petite  province  en  imposent 
à  messieurs  les  fermiers  généraux,  en  disant  que  ce  pays  est 
peuplé  et  riche,  et  que  les  fonds  s'y  vendent  au  denier  soixante. 

Je  suis  la  cause  malheureuse  des  louanges  cruelles  qu'on 
nous  donne.  Je  suis  le  seul  qui,  depuis  trente  ans,  ai  acheté  des 
terres  dans  cette  province  :  je  les  ai  achetées  trois  fois  plus  cher 
qu'elles  ne  valent  ;  mais  de  ce  que  je  suis  une  dupe,  il  ne  s'en- 
suit pas  que  le  terrain  soit  fertile. 

Je  certifie  que,  dans  toute  l'étendue  de  la  province,  la  terre 
ne  rend  pas  plus  de  trois  pour  un  :  ainsi  elle  ne  vaut  pas  la  cul- 
turc.  Le  paysage  est  charmant,  je  l'avoue,  mais  le  sol  est  détes- 
table. 

Sur  mon  honneur,  nous  sommes  tous  gueux  ;  et  j'ai  l'hon- 
neur de  le  devenir  comme  les  autres  pour  avoir  acheté,  bâti,  et 
défriché  très-chèrement. 

2°  Nous  manquons  d'habitants  et  de  secours.  Le  pays,  qui 
possédait,  il  y  a  soixante  ans,  seize  mille  habitants  et  seize  mille 
bêtes  à  corne,  n'en  a  plus  guère  que  la  moitié.  Nous  sommes 
tous  obligés  de  faire  cultiver  nos  terres  par  des  Suisses  et  par 
des  Savoyards,  qui  emportent  tout  l'argent  du  pays.  Donnez- 
nous  quelque  facilité,  le  pays  se  repeuplera,  et  les  fermes  du 
roi  y  gagneront. 

3°  Je  peux  vous  assurer,  monsieur,  vous  et  messieurs  vos 
confrères,  que  trois  Genevois  étaient  déjà  prêts  à  acheter  des 
domaines  dans  le  pays,  sur  la  nouvelle  que  le  conseil  de  Sa 


ANNÉE   1761.  533 

Majesté  allait  retirer  les  Ijrigades  des  employés,  et  qu'il  daignait 
faire  pour  nous  un  arrangement  utile. 

i\ous  avons  compté  sur  cet  arrangement  fait  par  les  mem- 
bres du  conseil  les  plus  expérimentés  et  les  plus  instruits  :  jugez 
combien  il  serait  cruel  de  nous  priver  d'un  bien  que  leur  équité 
nous  avait  promis! 

[i°  Pour  peu  qu'on  jette  les  yeux  sur  la  carte  de  la  province, 
on  verra  clairement  que  vos  brigades,  répandues  dans  le  plat 
pays,  ne  servent  à  rien  du  tout  qu'à  vous  coûter  beaucoup  de 
frais  ;  placez-les  dans  les  gorges  des  montagnes,  quatre  liommes 
y  arrêteraient  une  armée  de  contrebandiers  ;  mais  dans  le  plat 
pays,  les  contrebandiers  suisses,  savoyards,  et  autres,  ont  mille 
routes. 

Pour  nos  paysans,  ils  ne  font  d'autre  contrebande  que  de 
mettre  dans  leurs  cliausses  une  livre  de  sel  et  une  once  de  tabac 
pour  leur  usage,  quand  ils  vont  à  Genève. 

A  l'égard  de  la  grande  contrebande,  toute  la  noblesse  du  pays 
la  regarde  comme  un  crime  honteux,  et  nous  vous  offrons  notre 
secours  contre  tous  ceux  qui  voudraient  forcer  les  passages. 

5"  On  allègue  que,  depuis  quelques  mois,  les  bandes  armées 
se  sont  multipliées.  Oui,  elles  ont  été  une  fois  dans  le  plat  pays*. 
Ne  divisez  plus  vos  forces,  et  il  ne  passera  pas  un  contreban- 
dier. 

G"  On  allègue  que  si  on  retirait  les  brigades  du  plat  pays,  si 
on  s'abonnait  avec  nous,  si  on  suivait  le  règlement  proposé,  nous 
nous  vêtirions  d'étoffes  étrangères,  au  préjudice  des  manufac- 
tures du  royaume. 

Nous  prions  instamment  messieurs  les  fermiers  généraux 
d'observer  que  la  capitale  de  notre  opulente  province  n'a  pas 
un  marchand,  pas  un  artisan  tolérable;  et  que  quand  on  a 
besoin  d'un  habit,  d'un  chapeau,  d'une  livre  de  bougie  et  de 
chandelle,  il  faut  aller  ù  Genève. 

Que  le  conseil  nous  accorde  cet  abonnement  utile  à  jamais 
pour  les  fermes  du  roi  et  maintenant  pour  nous  (abonnement 
proposé  par  i)lusieurs  de  vos  confrères),  nous  deviendrons  les 
rivaux  de  Genève,  au  lieu  d'être  ses  tributaires. 

7°  On  nous  oppose  que  le  port  franc  de  Marseille  n'a  pas  les 


1.  C'cst-à-diro  que  quatre  paysans  étrangers,  voulant  passer  avec  du  tabac, 
tuèrent  un  guide,  il  y  a  près  de  deux  ans  :  prouve  évidente  que  ces  gardes  dis- 
persés dans  le  plat  pays  no  servent  à  rien.  La  dixième  partie,  placée  dans  les 
gorges  des  montagnes,  formerait  une  barrière  impénétrable.   {Note  de  Voltaire.) 


834  CORRESPONDANCE. 

privil('\^os  que  nous  demandons.  Mais,  monsieur,  peut-on  com- 
par(M-  nos  Imit  h  neuf  mille  pauvres  habitants  à  la  ville  de  Mar- 
seille, qui  n'a  nul  besoin  d'un"  pareil  abonnement? 

D'autres  provinces,  dit-on,  seraient  aussi  en  droit  que  nous 
de  demander  ces  privilèges. 

Considérez,  je  vous  prie,  que  nulle  province  n'est  située 
comme  la  nôtre.  Elle  est  entièrement  séparée  de  la  France  par 
une  chaîne  de  montagnes  inaccessibles,  dans  lesquelles  il  n'y  a 
que  trois  passages  à  peine  praticables.  Nous  n'avons  de  commu- 
nication et  de  commerce  qu'avec  Genève.  Traitez-nous  comme 
notre  situation  le  demande  et  comme  la  nature  l'indique.  Si 
vous  mettez  à  grands  frais  des  barrières  (d'ailleurs  inutiles) 
entre  Genève  et  nous,  vous  nous  gênez,  vous  nous  découra- 
gez, vous  nous  faites  déserter  notre  patrie,  et  vous  n'y  gagnez 
rien. 

8"  Enfin,  monsieur,  c'est  sur  un  Mémoire  de  plusieurs  de  vos 
confrères  mêmes  que  M.  de  Trudaine  arrangea  notre  abonne- 
ment du  sel  forcé,  et  qu'il  écrivit  à  monsieur  l'intendant  de 
Bourgogne.  Nous  acceptâmes  l'arrangement.  Faut-il  qu'aujour- 
d'hui, sur  les  calomnies  de  quelques  reg-rattiers  de  sel  intéressés 
à  nous  nuire,  on  révoque,  on  désavoue  le  plan  le  plus  sage,  le 
plus  utile  pour  tout  le  monde,  dressé  par  M.  de  Trudaine  lui- 
même  ! 

9''  Je  vous  supplie,  monsieur,  de  faire  remarquer  à  messieurs 
les  fermiers,  vos  confrères,  les  expressions  de  la  lettre  de  M.  de 
Trudaine  à  monsieur  l'intendant  de  Bourgogne,  du  16  août  1761  : 
«  Je  vous  prie  de  faire  goûter  ces  bonnes  raisons  à  ceux  qui  sont 
h  la  tête  de  l'administration  du  pays.  Je  ferai  expédier,  sans  re- 
tardement, l'arrêt  et  les  lettres  patentes.  » 

Il  est  évident  qu'on  avait  discuté  le  pour  et  le  contre  de  cet 
abonnement,  qu'on  avait  consulté  messieurs  des  fermes,  qu'on 
attendait  de  nous  l'acceptation  de  leurs  bonnes  raisons  :  nous  les 
avons  acceptées  ;  nous  avons  regardé  la  lettre  de  M.  de  Trudaine 
comme  une  loi  ;  nous  avons  compté  sur  la  convention  faite  avec 
vous. 

Qu'est-il  donc  arrivé  depuis,  et  qui  a  pu  changer  une  réso- 
lution prise  avec  tant  de  maturité? 

Quelque  préposé  au  sel  a  craint  de  perdre  un  petit  profit  ;  il 
a  voulu  surprendre  l'équité  de  monsieur  votre  frère  ;  il  a  voulu 
immoler  le  pays  à  ce  petit  intérêt. 

Toute  la  province  vous  conjure,  monsieur,  d'examiner  nos 
remontrances  avec  monsieur  votre  frère,  en  présence  de  M.  de 


ANNÉE    1761.  53o 

Trudainc,  et  de  finir  ce  qui  était  si  bien  commencé  ;  elle  vous 
aura  autant  d'obligations  ({uc  vous  en  a  la  Provence'. 

En  mon  particulier,  je  sentirai  votre  bonté  plus  que  per- 
sonne. 

J'ai  riionneur  d'être,  etc. 

47ÔG.   —  A  M.   DF    TRU DAINES 

Ferncy,  par  Genève,  20  novembre  1761. 

Monsieur,  en  attendant  que  nos  syndics  aient  l'honneur  de 
vous  envoyer  notre  mémoire  en  forme,  permettez  que  je  vous 
supplie  de  lire  la  lettre  que  j'écris  à  M.  Bouret,  mon  ami,  frère 
de  M.  d'Hévigny,  notre  ennemi, 

11  est  avéré,  monsieur,  que  ce  sont  deux  ou  trois  regrattiers 
qui,  craignant  de  perdre  leurs  emplois,  soulèvent  quelques  fer- 
miers généraux  contre  votre  arrangement  et  contre  vos  ordres. 
Je  peux  vous  assurer,  monsieur,  qu'il  n'y  a  pas  un  mot  de  vrai 
dans  le  mémoire  de  M.  d'Hévigny,  adressé  à  monsieur  le  con- 
trôleur général,  sinon  que  tous  nos  paysans  font  et  feront  tou- 
jours la  contrebande  du  sel  et  du  tabac.  Trois  cents  gardes  ne 
l'empêcheraient  pas,  attendu  que  toutes  les  femmes  qui  vont  à 
Genève  mettent  du  sel  et  du  tabac  dans  leur  chemise,  et  qu'il 
n'y  a  pas  encore  de  loi  qui  ordonne  expressément  de  trousser 
les  femmes  dans  les  bureaux  des  fermes. 

C'est  donc  pour  prévenir  cette  contrebande,  c'est  pour  épar- 
gner aux  fermiers  généraux  des  frais  immenses  et  inutiles,  et, 
en  même  temps,  pour  favoriser  notre  petit  pays,  que  vous  avez, 
monsieur,  ordonné  très-sagement  le  sel  forcé,  sur  les  représen- 
tations mêmes  des  fermiers  généraux. 

Vous  verrez,  monsieur,  en  jetant  un  coup  d'oeil  sur  ma  lettre 
h  M.  Bouret,  quels  prétextes  frivoles  on  emploie  pour  dt'savouer 
vos  volontés. 

Je  suis  persuadé  que,  indépendamment  de  votre  autorité, 
vous  pourrez  aisément  faire  entendre  raison  à  M.  Bouret  d'Hé- 
vigny. Il  verra  (pi'on  l'a  trompé,  et  il  se  rendra  à  vos  raisons. 

J'ignore,  monsieur,  si  c'est  vous  ou  monsieur  votre  (ils  qui 
traitez  cette  affaire.  Je  jjrésente  mon  respect  et  ma  reciuête  à 
l'un  et  à  l'autre. 

Je  crois  fjue  c'est  ici  une  aiïairc  (U\  concilialioii  ;  l'objet  n'est 


1.  Voyez  la  note,  tome  XXIII,  paprc  303. 

2.  Éditeur,  G.  Avcnol  ;  Nouveau  Supplément. 


530  CORRESPONDANCE. 

presque  rien  pour  les  fermes  du  roi,  et  est  pour  nous  d'une  ex- 
trOnie  importance.  Je  sens  bien  que  nous  sommes  perdus  si  les 
fermiers  généraux  s'obstinent  à  vouloir  se  tromper  ;  mais  si  vous 
daignez  nous  protéger  et  parler,  nous  sommes  sauvés. 

J'ai  l'honneur  d'être  avec  beaucoup  de  respect  et  d'attache- 
ment, monsieur,  votre  très-humble  et  très-obéissant  serviteur. 

Voltaire. 

4757.   —  A  M.   FYOT  DE    LA   MARCHE  i. 

Ferney,  21  (novembre). 

Depuis  l'apparition  que  vous  avez  daigné  faire  dans  nos  dé- 
serts, nous  avons  eu  beaucoup  de  conseillers  de  Paris  et  quel- 
ques membres  du  conseil,  mais  rien  qui  approche  de  vous. 

J'ai  chez  moi  un  parent  du  Fétiche,  encore  plus  petit  que 
lui.  C'est  M.  Fargès,  maître  des  requêtes-.  Je  crois  qu'il  n'ap- 
prouve pas  son  Fétiche,  et  qu'à  la  fin  cette  ridicule  allaire  sera 
abandonnée. 

Adieu,  monsieur;  M"'"  Denis  et  M"'^  Corneille  sont  remplies  de 
sensil)ilité  pour  vous.  M'"  Corneille  vous  regarde  comme  un  de 
ses  plus  grands  bienfaiteurs,  et  moi,  je  suis  pénétré  pour  vous  du 

plus  tendre  respect. 

Voltaire. 

4758.  —  A  M.  LE   3IARQUIS  DE  THIBOUVILLE. 

23  novembre. 

Vous  êtes  donc  du  comité,  monsieur;  vous  êtes  un  des  anges; 
vous  avez  vu  l'œuvre  des  six  jours.  Je  ne  m'en  suis  pas  repenti  : 
je  ne  veux  pas  le  noyer,  comme  on  le  dit  d'un  grand  auteur^  ; 
mais  je  veux  le  corriger,  sans  me  mettre  en  colère  comme  lui. 

Je  vous  dirai  d'abord  ce  que  j'ai  déjà  dit  au  comité,  que  votre 
idée  de  Clairon-Olympie*  vous  a  trompé.  Ce  rôle  n'est  point  du 
tout  dans  son  caractère.  Olympie  est  une  fille  de  quinze  ans, 
simple,  tendre,  effrayée,  qui  prend  à  la  fin  un  parti  affreux, 
parce  que  son  ingénuité  a  causé  la  mort  de  sa  mère,  et  qui  n'élève 
la  voix  qu'au  dernier  vers,  quand  elle  se  jette  dans  le  bûcher. 

1.  Éditeur,  Th.  Foisset. 

2.  François  Fargès,  depuis  intendant  des  finances,  et  conseiller  d'État,  mort 
en  1791,  était  le  frère  de  la  marquise  de  Saint-Pierre-Crèvecœur,  et  partant  l'oncle 
germain  de  M"'«  de  Brosses. 

3.  Pœnituit,  dit  la  Genèse,  chapitre  vi,  v.  6. 

4.  Voyez  page  487. 


ANNÉIi    1761.  o37 

Ce  n'est  pourtant  point  Zaïre  ;  cl  il  serait  très-insipide  de  la  faire 
parler  d'amour  avant  le  moment  de  son  mariai,'e,  qui  est  un 
coup  de  théâtre  très-neuf,  dont  tous  ces  froids  préliminaires 
feraient  perdre  le  mérite. 

Ce  n'est  point  Chimène,  car  elle  révolterait  au  lieu  d'attendrir, 
si  elle  avouait  d'abord  sa  passion  pour  l'empoisonneur  de  son 
père  et  pour  l'assassin  de  sa  mère.  Chimène  peut  avec  bien- 
séance aimer  encore  celui  qui  vient  de  se  battre  honorablement 
contre  son  brutal  de  père  ;  mais  si  Olympie,  en  voulant  ridi- 
culement imiter  Chimène,  disait  qu'elle  veut  adorer  et  pour- 
suivre un  empoisonneur  et  un  assassin,  on  lui  jetterait  des 
pierres. 

Il  est  beau,  il  est  neuf  qu'Olympie  n'ait  de  confidente  que  sa 
mère  ;  elle  doit  attendrir,  quand  elle  avoue  enfin  à  cette  mère 
qu'elle  aime  à  la  vérité  celui  qu'elle  regarde  comme  son  mari, 
mais  qu'elle  renonce  à  lui.  On  doit  la  plaindre  ;  mais  on  plaint 
encore  plus  Statira,  et  c'est  cette  Statira  qui  est  le  grand  rôle. 

Vieillissez,  mademoiselle  Clairon;  rajeunissez,  mademoiselle 
Gaussin  :  et  la  pièce  sera  bien  jouée.  D'ailleurs,  que  de  choses  à 
changer,  à  fortifier,  i\  embellir!  Donnez-moi  du  temps,  sept  ou 
huit  jours,  par  exemple. 

Je  suis  absolument  de  l'avis  des  anges  sur  un  morceau  de 
Cassandre  ;  je  crois,  comme  eux,  qu'il  priait  trop  son  rival  après 
avoir  tant  prié  les  dieux.  C'est  trop  prier  :  et  quand  on  s'abaisse 
à  implorer  le  même  homme  qu'on  a  voulu  tuer  le  moment  d'au- 
paravant, il  faut  un  excès  d'égarement  et  de  douleur  qui  excuse 
cette  disparate,  et  qui  en  fasse  même  une  beauté.  Ce  n'est  pas 
assez  de  dire  :  Tu  vois  combien  je  suis  égaré,  il  faut  ne  le  pas  dire, 
et  l'être.  J'envoie  une  petite  esquisse  de  ce  que  Cassandre  pour- 
rait dire  on  cette  occasion.  L'objet  le  plus  essentiel  est  qu'un 
empoisonneur  et  un  assassin  puisse  intéresser  en  sa  faveur.  Si 
on  réussit  dans  cette  entreprise  délicate,  tout  est  sauvé;  les 
autres  rôles  vont  d'eux-mêmes. 

Mais,  encore  une  fois,  ne  nous  trompons  point  sur  Olympie. 
Vouloir  fortifier  ce  rôle,  c'est  le  gùter.  Le  mérite  do  ce  rôle  con- 
siste dans  la  réticence  ;  elle  ne  doit  dire  son  secret  qu'au  dernier 
vers.  Si  vous  changez  quelque  chose  à  cet  édifice,  vous  le  dé- 
truirez :  c'est  dans  cet  esprit  que  j'ai  fait  la  pièce,  et  je  ne  peux 
pas  la  refaire  dans  un  autre. 

Pardon,  monsieur,  de  tant  de  paroles  oiseuses.  M'""  Denis 
vous  écrira  moins  et  mieux. 


538  CORRESPONDANCE. 


47.VJ.   —  A  M.   LE    CARDINAL  DE   BERNIS, 

EN     LUI     ENVOYANT     LA     TRAGKDIE      DE      CASSANDRE     (OLYMPIE), 
FAITE     EN     SIX    JOCRS. 

Aux  Délices,  23  novembre. 

Monseigneur,  c'est  à  vous  à  m'apprend re  si,  après  avoir  passé 
six  jours  à  créer,  je  dois  dire  pœnituit  fecisacK  A  qui  m'adresse- 
rai-je,  sinon  à  vous?  Vous  pouvez  avoir  perdu  le  goût  de  vous 
amuser  à  faire  les  vers  du  monde  les  plus  agréables;  mais  sûre- 
ment vous  n'avez  pas  perdu  ce  goût  fin  que  je  vous  ai  connu, 
qui  vous  en  faisait  si  bien  juger.  Votre  Éminence  aime  toujours 
nos  arts,  qui  font  le  charme  de  ma  vie.  Daignez  donc  me  dire 
ce  que  vous  pensez  de  l'esquisse  que  j'ai  l'honneur  de  vous  en- 
voyer. Le  brouillon  n'est  pas  trop  net  ;  mais  s'il  y  a  quelques  vers 
d'estropiés,  vous  les  redresserez  ;  s'il  yen  a  d'omis,  vous  les  ferez. 
Je  crois  que  pendant  que  vous  étiez  dans  le  ministère,  vous  n'avez 
jamais  reçu  de  projet  de  nos  têtes  chimériques  plus  extraordi- 
naire que  le  plan  de  cette  tragédie.  Vous  verrez  que  je  ne  vous 
ai  pas  trompé  quand  je  vous  ai  dit  que  vous  y  trouverez  une 
religieuse,  un  confesseur,  un  pénitent. 

Que  je  suis  fâché  que  vous  n'ayez  point  de  terres  vers  le 
pays  de  Gex  !  Nous  jouerions  devant  Votre  Éminence.  J'ai  un 
théâtre  charmant,  et  une  jolie  église;  vous  présideriez  à  tout 
cela  ;  vous  donneriez  votre  bénédiction  cà  nos  plaisirs  honnêtes. 

Serez-vous  assez  bon  pour  marquer  sur  de  petits  papiers  atta- 
chés avec  de  petits  pains  :  «  Ceci  est  mal  fait,  cela  est  mal  dit; 
ce  sentiment  est  exagéré,  cet  autre  est  trop  faible  ;  cette  situation 
n'est  pas  assez  préparée,  ou  elle  l'est  trop,  etc.  »  ? 

Vir  bonus  et  prudens  versus  reprehendet  inertes, 
Culpubit  duros,  etc. 

(HoR.,  de  Art.  jwH-.v.  415.) 

Puissiez-vous  vous  amuser  autant  à  m'instruire  que  je  me 
suis  amusé  à  faire  cet  ouvrage,  et  avoir  autant  de  bonté  pour 
moi  que  j'ai  envie  de  vous  plaire  et  de  mériter  votre  suffrage! 
Ah!  que  de  gens  font  et  jugent,  et  que  peu  font  bien  et  jugent 
bien!  Le  cardinal  de  Richelieu  n'avait  point  de  goût;  mais, 
mon  Dieu,  était-il  un  aussi  grand  homme  qu'on  le  dit?  J'ai 
peut-être  dans  le  fond  de  mon  cœur  l'insolence  de....  ;  mais  je 

1.  GenèsCf  chapitre  vi,  v.  6. 


ANNÉE    1761.  539 

n'ose  pas...;  je  suis  piciu  de  respect  et  d'estime  pour  vous,   et 
si...  ;  mais... 

Voltaire. 

47G0.  —  A  M.  LE   COMTE    D'ARGENTAL. 

23  novembre. 

0  anges!  1"  L'incluse  est  pour  votre  tribunal  aussi  bien  que 
pour  M.  de  Thibouville. 

2°  Que  voulez-vous  que  je  rapetasse  encore  au  Droit  du  Sei- 
gnmr?  Qu'importe  qu'on  marie  Dorimèue  demain  ou  aujour- 
d'hui? 

3°  Voulez-vous  me  renvoyer  Cassandre,  et  vous  l'aurez  avec 
des  cartons  huit  jours  après? 

k°  Faites-vous  montrer,  je  vous  prie,  la  lettre  que  j'ai  eu 
l'honneur  d'écrire  à  M.  de  CourteillesS  au  sujet  de  M.  le  prési- 
dent de  Brosses  ;  quoique  vous  soyez  conseiller  d'honneur,  vous 
trouverez  le  procédé  de  M.  de  Brosses  comique. 

5°  Quand  on  jouera  Cassandre,  mon  avis  est  que  Clairon  ou 
Dumesnil  soitStatira,  et  que  quelque  jeune  actrice  bien  montrée 
soit  Olympie. 

6°  Quelle  nouvelle  de  ZuHmc? 

1°  On  dit  que  votre  traité  avec  l'Espagne  est  signé  2. 

8°  J'oubliais  ma  pancarte  pour  Marie  Corneille.  Je  crois  que 
tout  privilège  de  Corneille  étant  expiré,  c'est  un  bien  de  famille 
qui  doit  revenir  à  Marie. 

9°  Je  viens  de  faire  une  allée  de  quinze  cents  toises  ;  mais 
j'aime  encore  mieux  Cassandre. 

4701.   —  A    M.   FYOT  DE  LA  MARCHE  3 

(fils). 

A  Ferncy,  20  novcml)ic  170L 

Monsieur,  qui?  moi,  n'en  pas  passer  par  ce  que  vous  dai- 
gneriez ordonner!  Ah!  mon  blanc-seing  est  ma  réponse.  Je  suis 
confus  et  reconnaissant,  mais  je  ne  suis  i)oint  étonné.  Je  ne  le 
suis,  monsieur,  (pie  des  procédés  de  M.  de  Brosses,  (hmt  je  n'avais 
vu  d'cxomple  ni  dans  les  t(M-res  australes,  ni  chez  les  fétiches. 
Tout  cela  me  paraissait  anti-président  cl  anti-littéraire.  M.  Far- 

1.  Voyez  la  lellro  Vi'.ù). 

2.  C'est  le  parte  de  familln  du  K)  août  1701. 

3.  Éditeur,  H.  lîcaune. 


540  CORRESPONDANCE. 

gès  OU  Fargcsse,  le  maître  des  requêtes,  qui  est  à  peu  près  son 
oncle  et  qui  a  passé  chez  moi,  a  paru  très-émerveillé  de  cette 
affaire,  et  a  bien  promis  d'interposer  son  autorité  d'oncle,  attendu 
qu'il  est  d'une  ligne  plus  liaut  que  son  neveu.  Mais,  monsieur, 
je  compte  encore  plus  sur  l'autorité  de  votre  raison  et  de  votre 
vertu. 

Que  M.  de  Brosses  me  permette  de  me  laisser  vivre  et  mou- 
rir gaiement,  c'est  tout  ce  que  je  lui  demande.  Il  m'a  fait  cent 
anicroches.  Il  s'est  brouillé  avec  le  conseil,  pour  un  demi-arpent 
dont  la  justice  appartient  évidemment  au  roi,  et  qu'il  a  voulu 
avoir  à  mes  dépens.  Ce  n'est  pas  de  cette  façon  qu'il  sera  pre- 
mier président  de  Besançon.  Enfin  qu'il  oublie  toutes  ces  mi- 
sères, indignes  de  sa  place.  Il  m'a  vendu  cher  ses  coquilles.  C'est 
bien  assez.  Il  a  mon  argent,  et  je  lui  demande  son  amitié  pour  le 
vin  du  marché. 

J'ai  bien  peur,  après  l'œuvre  des  six  jours,  de  dire  aussi  pœni- 
tuitfecisse.  Mais  si  j'avais  votre  suffrage,  je  ne  me  repentirais  assu- 
rément pas. 

Je  suis  avec  un  profond  respect  et  une  vive  reconnaissance, 
monsieur,  votre  très-humble  et  très-obéissant  serviteur. 

Voltaire. 


4762.   —  A  M.   LE   COMTE   D'ARGENTAL. 

Ferney,  27  novembre. 

0  anges  !  croyez-moi,  voilà  comme  il  faut  commencer  à  peu 
près  le  rôle  d'Olympie  ;  ensuite  nous  le  fortifions  dans  quelques 
endroits.  Mais  commencer  dans  le  goût  de  Zaïre;  mais  rendre 
froid  dans  Ohjmpie  ce  qui,  dans  Zaïre,  est  piquant  par  sa  première 
éducation  dans  le  christianisme  ;  mais  disloquer  le  premier  acte 
et  donner  le  change  au  spectateur  en  discutant  la  mémoire 
d'Alexandre,  après  avoir  parlé  d'amour  ;  mais  enfin  détruire  tout 
l'effet  d'un  coup  de  théâtre  entièrement  nouveau,  se  priver  de  la 
surprise  que  cause  le  mariage  d'Olympie  :  ah,  mes  anges  !  reje- 
tez bien  loin  cette  abominable  idée,  et  laissez-moi  faire.  Oubliez 
la  pièce  ;  renvoyez-la-moi,  je  vous  la  redépêcherai  sur-le-champ; 
et,  si  vous  n'êtes  pas  contents,  dites  mal  de  moi. 

^  Nous  pensons  que  vous  vous  méprenez,  sauf  respect,  quand 
vous  croyez  qu'Olympie  est  le  premier  rôle  ;  il  ne  Test  que  quand 

1.  Cet  alinéa  est  déjà  dans  la  lettre  4747. 


ANNÉE    1761.  o4l 

Statira  est  morte  :  c'est  Statira  qui  est  le  grand  rôle.  Ah  !  comme 
nous  pleurions  à  ce  vers  : 

J'ai  perdu  Darius,  Alexandre,  et  ma  fille; 
Dieu  seul  me  reste. 

C'est  que  M""^  Denis  déclame  du  cœur,  et  que  chez  vous  on  dé- 
clame de  la  bouche, 

iXous  avons  été  plus  sévères  que  vous  sur  quelques  articles  ; 
mais  nous  sommes  diamétralement  opposés  sur  Olympie.  Son- 
gez qu'elle  est  bien  résolue  à  ne  point  épouser  Cassandre  ; 
mais  qu'elle  ne  peut  s'empêcher  de  l'aimer,  et  qu'elle  ne  lui 
dit  qu'elle  l'aime  qu'en  s'élançant  dans  le  bûcher.  Si  vous  ne 
trouvez  pas  cela  honnêtement  beau,  par  ma  foi,  vous  êtes  diffi- 
ciles. 

Cette  œuvre  de  six  jours  prouve  que  le  sujet  portait  son 
homme  ;  qu'il  volait  sur  les  ailes  de  l'enthousiasme.  Si  le  sujet 
n'eût  pas  été  théâtral,  je  n'aurais  pas  achevé  la  pièce  en  six 
ans.  Tout  dépend  du  sujet  :  voyez  le  Ciel  et  Pcrthariic,  Cinna  et 
Suréna,  etc. 

Avez-vous  lu  le  Testament  politique  du  maréchal  de  Bclle-hlc^l 
C'est  un  ex-capucin  de  Rouen,  nommé  jadis  .Alaubert,  fripon, 
espion,  escroc,  menteur,  et  ivrogne,  ayant  tous  les  talents  de 
moinerie,  qui  a  composé  cet  impertinent  ouvrage.  Il  est  juste 
qu'un  pareil  maraud  soit  à  Paris,  et  que  j'en  sois  absent. 

L'Académie  ne  veut  pas  paraître  philosophe.  Quelles  pauvres 
observations  que  ces  observations  sur  mes  remarques  concernant 
Polijcuctc!  Patience,  je  suis  un  déterminé;  j'ai  peu  de  temps  à 
vivre  ;  je  dirai  la  vérité. 

Intérim,  je  vous  adore. 

/'.  S.  Le  roi  de  France  prend  .     .     .  200  exemplaires. 

L'empereur 100  — 

L'impératrice 100  — 

L'im[)éralrice  russe     ....  200  — 

Le  roi  Stanislas 1''  — 


1.  Voyez  la  note,  page  ô22. 

ti.  M.  (le  Voltaire,  jui,'eaiit  du  iiuiuvais  cfTet  que  ce  contraster  fi-iait  dans  la  liste 
imprimée  des  souscri|)tcurs,  Ht  iiisiimcr  au  roi  Stanislas  qu'il  l'iait  de  sa  dij;riilé 
de  souscrire  pour  un  certain  nombre  d'e.xenipiaires.  Le  roi  alors  Ht  souscrire  pour 
viiifjTt-rinq  exemplaires,  et  après  les  avoir  payés  n'en  retira  (|ue  quelques-uns,  et 
fit  présent  de  tous  les  autres  à  la  petite-nièce  de  Corneille.  {I\'otc  de  Decroix.) 


542  CORRESPONDANCE. 

47G3.   —  A   M.   Li:   MARÉCHAL   DUC  DE    RICHELIEU. 

A  Ferney,  27  novembre. 

Vous  donnez,  monseigneur,  quatre-vingt-deux  ans  à  Mala- 
grida  aussi  noblement  que  je  faisais  Cerati  confesseur  d'un  pape  K 
Malagrida  n'avait  que  soixante  et  quatorze  ans  ;  il  ne  commit 
point  tout  à  fait  le  péché  d'Onan,  mais  Dieu  lui  donnait  la  grùce 
de  l'érection,  et  c'est  la  première  fois  qu'on  a  fait  brûler  un 
homme  pour  avoir  eu  ce  talent.  On  l'a  accusé  de  parricide,  et 
son  procès  porte  qu'il  a  cru  qu'Anne,  mère  de  Marie,  était  née 
impollue,  et  qu'il  prétendait  que  Marie  avait  reçu  plus  d'une 
visite  de  Gabriel.  Tout  cela  fait  pitié  et  fait  horreur.  L'Inqui- 
sition a  trouvé  le  secret  d'inspirer  de  la  compassion  pour  les 
jésuites.  J'aimerais  mieux  être  né  Nègre  que  Portugais. 

Eh,  misérables!  si  Malagrida  a  trempé  dans  l'assassinat  du 
roi,  pourquoi  n'avez-vous  pas  osé  l'interroger,  le  confronter,  le 
juger,  le  condamner?  Si  vous  êtes  assez  lâches,  assez  imbé- 
ciles pour  n'oser  juger  un  parricide,  pourquoi  vous  désho- 
norez-vous en  le  faisant  condamner  par  l'Inquisition  pour  des 
fariboles  ? 

On  m'a  dit,  monseigneur,  que  vous  aviez  favorisé  les  jésuites 
à  Bordeaux.  Tâchez  d'ùter  tout  crédit  aux  jansénistes  et  aux 
jésuites,  et  Dieu  vous  bénira. 

Mais  surtout  persistez  dans  la  généreuse  résolution  de  déli- 
vrer les  comédiens,  qui  sont  sous  vos  ordres,  d'un  joug  et  d'un 
opprobre  qui  rejaillit  sur  tous  ceux  qui  les  emploient,  Otez-nous 
ce  reste  de  barbarie,  malgré  maître  Le  Dain,  et  malgré  son  dis- 
cours prononcé  du  côté  du  greffe  -. 

Le  polisson  qui  a  fait  le  Testament  du  maréchal  de  Belle-Isle  mé- 
riterait un  bonnet  d'une.  Quelles  omissions  avez-vous  donc  faites 
dans  la  convention  de  Closter-Seven'?  On  n'en  fit  qu'une,  ce  fut 
de  ne  la  pas  ratifier  sur-le-champ. 

Ce  n'est  pas  que  je  sois  fâché  contre  le  faiseur  de  testament, 
qui  prétend  que  j'aurais  été  mauvais  ministre.  A  la  façon  dont 
les  choses  se  sont  passées  quelquefois,  on  aurait  pu  croire  que 
j'avais  grande  part  aux  affaires. 

Qu'on  pende  le  prédicant  Rochette'*,  ou  qu'on  lui  donne  une 

1.  Voyez  tome  XXXI,  pag-e  519;  et  XXXVI,  391. 

2.  Voyez  la  note  tome  XXIV,  pages  239-240. 

3.  En  1757. 

4.  Voyez  la  note,  page  490. 


ANNÉE    U61.  543 

abbaye,  cela  est  fort  indiflerent  pour  la  prospérité  du  royaume 
des  Francs;  mais  j'estime  qu'il  faut  que  le  parlement  le  con- 
damne à  être  pendu,  et  que  le  roi  lui  fasse  grùce.  Cette  hu- 
manité le  fera  aimer  de  plus  en  plus  ;  et  si  c'est  vous,  mon- 
seigneur, qui  obtenez  cette  grùce  du  roi,  vous  serez  l'idole  de 
ces  faquins  de  huguenots.  Il  est  toujours  bon  d'avoir  pour  soi 
tout  un  parti. 

Je  joins  au  chiffon  que  j'ai  l'honneur  de  vous  écrire  le 
chilTon  de  Grizel.  Il  faut  qu'un  premier  gentilhomme  de  la 
chambre  ait  toujours  un  Grizel  en  poche,  pour  l'inciter  douce- 
ment à  protéger  notre  tripot  dans  ce  monde-ci  et  dans  l'autre. 

Agréez  toujours  mon  profond  respect. 

47G4.   —  A   M.   D'ESPRÉMÉMLi. 

Au  château  de  Fernej',  29  novembre  1761. 

Je  vous  prie  de  pardonner,  monsieur,  à  mon  âge,  à  mes  mala- 
dies et  (à  mes  occupations,  si  je  n'ai  pas  répondu  plus  tôt  à  la 
lettre  que  vous  m'avez  fait  Ihonncur  de  m'écrire.  Elle  m'a  fait 
naître  beaucoup  d'estime  pour  vous,  et  je  n'ai  jamais  senti  si  vive- 
ment l'état  où  me  réduisent  mes  maladies  que  lorsqu'elles  m'em- 
pêchaient de  répondre,  comme  je  voudrais,  aux  prévenances  d'un 
homme  de  votre  mérite.  J'ai  à  peine  un  moment  à  moi  ;  mais  je 
tiendrais  tous  mes  moments  bien  employés  à  vous  prouver  com- 
bien j'ai  l'honneur  d'être,  monsieur,  votre  très-humble  et  très- 
obéissant  serviteur. 


ilQb.  —  A   M.   LE   COMTE   D'ARGEXTAL. 

29  novembre. 

Divins  anges,  lisez,  jugez,  mais  sans  préjugés.  Pour  l'amour 
de  Dieu,  n'imaginez  pas  qu'une  Olympie  doive  clabauder  d'abord 
contre  son  amour  pour  Cassandre.  Klle  ne  doit  pas  soupronner 
seulement  qu'elle  l'aime  encore,  dans  le  moment  qu'elle  recon- 
naît sa  mère.  Ensuite  elle  doit  faire  soupçonner  qu'elle  i)ourrait 
bien  l'aimer,  et  ce  n'est  qu'au  dernier  vers  (ju'elle  doit  avouer 
qu'elle  l'adore:  si  nous  sortons  de  ces  limites,  nous  sommes 
perdus, 

\'ous  m'avez  mis  des  points  sui*  des  i;  vous  in'a\oz  rabâché 

i.  Éditeurs,  do  Cayrol  et  François. 


544  CORRESPONDANCE. 

des  empoisonneurs.  Faut-il  donc  tant  insister  sur  un  mot  corrigé 
en  un  moment?  Quelle  rage  avez -vous,  mes  anges? 


■i7GG.   —  DE   M.  DE   TRUDAINE». 

Paris,  du  2  décembre  1761. 

Je  désire  autant  que  vous,  monsieur,  do  voir  terminer  l'arrangement 
projeté  pour  le  pays  de  Gex,  parce  que  je  crois  qu'il  y  sera  fort  utile.  Il  y 
a  cependant  des  oppositions,  non-seulement  de  la  part  des  fermiers  géné- 
raux, mais  aussi  de  celle  de  plusieurs  habitants.  J'ai  envoyé  le  tout  à  M.  de 
Villeneuve,  dont  j'attends  l'avis.  Votre  témoignage  est  pour  moi  un  nou- 
veau motif  de  croire  l'arrangement  projeté  utile  à  un  pays  que  vous  voyez 
de  plus  près  que  ceux  qui  en  viennent  ici.  Soyez  persuadé  du  plaisir  que 
j'aurai  à  vous  donner  cette  satisfaction. 

Ce  sont  des  sentiments  que  mon  fils  partage  avec  moi,  ainsi  que  les  fonc- 
tions qui  nous  sont  confiées  également  à  l'un  et  à  l'autre,  et  sans  partage. 

Je  suis,  avec  un  sincère  attachement 


4767.  —  A   M.   LE    COMTE   D'ARGENTAL. 

2  décembre. 

Divins  anges,  si  vous  êtes  si  difficiles,  je  le  suis  aussi.  Voyez, 
s'il  vous  plaît,  combien  il  est  malaisé  de  faire  un  ouvrage  par- 
fait. Si  ces  notes  sur  Hèraclius  ne  vous  ennuient  point,  lisez-les,  et 
vous  verrez  que  j'ai  passé  sous  silence  plus  de  deux  cents  fautes. 
M""^  du  Cliâtelct  avait  de  l'esprit,  et  l'esprit  juste  :  je  lui  lus  un 
jour  cet  Hcraclius;  elle  y  trouva  quatre  vers  dignes  de  Corneille, 
et  crut  que  le  reste  était  de  l'abbé  Pellegrin,  avant  que  cet  abbé 
fût  venu  à  Paris  ^.  Voulez-vous  ensuite  avoir  la  bonté  de  donner 
mes  remarques  à  Duclos?  Je  suis  bien  aise  de  voir  comment 
l'Académie  pense  ou  feint  de  penser.  Je  sais  bien  que  c'est  avec 
une  extrême  circonspection  que  je  dois  dire  la  vérité;  mais  enfin 
je  serai  obligé  de  la  dire.  Je  serai  poli;  c'est,  je  crois,  tout  ce 
qu'on  peut  exiger. 

Vous  avez  sans  doute  plus  de  droit  sur  moi,  mes  anges, 
que  je  n'en  ai  sur  Corneille.  Il  ne  peut  plus  profiter  de  mes  cri- 
tiques, et  je  peux  tirer  un  grand  avantage  des  vôtres. 

Plus  je  rêve  à  Olympie,  plus  il  m'est  imi)0ssible  de  lui  donner 


1.  Editeur,  G.  Avenel;  Nouveau  Supplément. 

2.  Un  jugement  tout    contraire  est  exprimé,  ainsi  que  nous  l'avons  déjà  dit 
(tome  XXXII,  page  68,  note  3),  dans  les  lettres  de  M""'  du  Cliâtelct. 


ANNÉE    476^.  545 

un  autre  caractère.  Elle  n'a  pas  quinze  ans;  il  ne  faut  pas  la  faire 
parler  comme  sa  mère.  Elle  me  paraît,  au  cinquième  acte,  fort 
au-dessus  de  son  âge. 

Ces  initiés,  ces  expiations,  cette  religieuse,  ces  combats,  ce 
bûcher;  en  vérité,  il  y  a  là  du  neuf.  Vous  ne  vouJez  pas  jouer 
Cassandre,  eli  bien  !  nous  allons  le  jouer,  nous. 

i\ous  baisons  le  bout  de  vos  ailes. 

47G8.  —  A  M.   L'ABI5É   IRAILH». 

A  Ferney,  le  4  décembre. 

Vous  serez  étonné,  monsieur,  de  recevoir,  par  la  petite  poste 
de  Paris,  les  remerciements  d'un  homme  qui  demeure  au  pied  des 
Alpes;  mais  j'ai  éprouvé  tant  de  contre-temps  et  d'embarras  par 
la  poste  ordinaire  que  je  suis  obligé  de  prendre  ce  parti. 

Vous  vous  occupez  paisiblement,  monsieur,  des  querelles  des 
gens  de  lettres,  pendant  que  les  querelles  des  rois  font  un  peu 
plus  de  tort  à  nos  campagnes  que  toutes  les  disputes  littéraires 
n'en  ont  fait  au  Parnasse.  Il  faut  être  continuellement  en  guerre, 
dans  quelque  état  qu'on  se  trouve. 

Je  combats  aujourd'hui  contre  les  fermiers  généraux,  au  nom 
de  notre  petite  province  ;  il  ne  tiendra  qu'à  vous  d'ajouter  mes 
Mémoires  sur  le  blé,  le  tabac  et  le  sel,  à  toutes  mes  autres  sot- 
tises. 

Je  me  suis  avisé  de  devenir  citoyen,  après  avoir  été  longtemps 
rimailleur  et  mauvais  plaisant.  J'ennuie  le  conseil  de  Sa  Majesté, 
au  lieu  d'ennuyer  le  public. 

Il  me  semble  que  vous  dites  un  petit  mot  du  roi  de  Prusse 
dans  VHistoire  des  Querelles.  J'avais  remis  mes  intérêts  à  trois  ou 
quatre  cent  mille  hommes  qui  ne  m'ont  pas  si  bien  servi  (pie 
vous  ;  les  Russes  même  m'ont  manqué  de  parole  au  siège  de  Col- 
berg^  Je  dois  vous  regarder  comme  un  de  mes  alliés  les  plus 
fidèles. 

M""  Denis  et  moi,  nous  vous  prions,  monsieur,  de  faire  irjllo 
compliments  à  toute  notre  famille  :  nous  ne  savons  point  encore 

1.  Irailli  (Aufrusiiii-Sitiioii),  né  en  171'.),  nK.rt  cii  ITDi,  avait  été  iiricur-ciiro  de 
Sainl-Viiici;nt  datis  le  diocèse  de  Caiiors.  11  t-sl  auteur  des  Querelles  littéraires,  au 
Mémoires  pour  servir  à  l'Histoire  des  révolutions  de  lu  republviue  des  lettres, 
depuis  Homère  jusqu'à  nos  jours,  1701,  (|uatro  voluinos  iri-1'2.  Grand  admirateur 
de  Voltaire,  il  parle  avec  ménagement  de  ses  ennemis.  (IJ.; 

2.  Colberg,  défendue  par  le  colonel  Ileydcn,  no  se  rendit  à  Uuinanzow,  yéuérul 
russe,  (jue  le  10  décembre  17")l. 

41.  —  Conn#!>i>ONDA\ci!.  I  \.  35 


646  CORRESPONDANCE 

les  marclics  de  M"''^  de  Fontaine  et  de  M.  d'Hornoy,  nous  nous 
flatlons  d'en  être  instruits  quand  elle  sera  à  Paris,  en  bonne  santé. 
J'ai  l'honneur  d'être,  etc. 


47G9.  —  A  M.   LE   CONSEILLER  LE  BAULTi. 

AFerney,  5  décembre  17(11. 

Puisqu'il  faut  vous  dire  la  vérité,  monsieur,  l'un  de  vos  ton- 
neaux a  tourné  entièrement;  je  garde  l'autre,  et  j'attends  le  mois 
de  mai  pour  le  boire.  J'accepte  avec  foi  et  espérance  le  vin  du 
cru  de  M"'"  Le  lîault  ;  il  doit  être  agréable,  sans  fadeur,  fort  sans  trop 
de  vivacité,  bien  coloré  sans  être  trop  foncé  ni  trop  clair.  Il  doit 
plaire  à  tous  les  goûts,  du  moins  c'est  ce  que  j'imagine,  pour  peu 
qu'il  tienne  de  la  propriétaire  ;  il  est  vrai  que  je  suis  bien  pauvre  : 
l'^  grâce  à  la  guerre  ;  2"  grâce  à  une  église  que  j'ai  fait  bâtir  et  pour 
laquelle  on  voulait  me  pendre  ;  3"  grâce  à  un  théâtre  où  je  joue 
passablement  les  vieillards,  mais  qui  est  trop  beau  pour  le  pays  de 
Gex  ;  k°  grâce  à  M.  de  Brosses,  qui  me  coûte  près  de  soixante  mille 
livres  pour  un  trou  à  vie  que  j'afferme  douze  cents  livres.  J'avoue 
qu'après  avoir  ainsi  perdu  60,000  francs,  je  me  suis  révolté  contre 
lui  pour  deux  cents  francs.  Son  procédé  m'a  choqué,  parce  que  j'y 
ai  entrevu  trop  de  mépris  pour  ma  faiblesse.  Je  veux  bien  qu'on  me 
ruine,  mais  je  ne  veux  pas  qu'on  se  moque  de  moi,  et  si  M.  le  pré- 
sident de  Brosses  m'avait  donné  son  amitié  pour  mon  argent,  je 
ne  me  serais  pas  tant  plaint  du  marché.  Je  vous  avais  fait  très- 
sérieusement,  monsieur,  juge  du  procédé  et  du  procès.  Il  n'a 
point  voulu  d'arbitres,  et  je  commence  à  croire  qu'il  ne  voudra 
point  de  juges,  et  qu'il  abandonnera  noblement  cette  importante 
affaire,  où  il  s'agit  du  foin  que  peut  manger  une  poule  en  un  jour. 

Vous  faites  très-bien ,  monsieur,  d'hériter  de  bons  vignobles, 
et  de  ne  point  acheter  comme  moi,  très-chèrement,  des  terres 
qui  ne  donnent  que  du  vin  de  Brie  ;  vous  faites  encore  très-bien 
de  tailler  en  automne,  vous  en  ferez  plus  tôt  vendange.  Je  pré- 
sente mes  respects  à  M"'^  Le  Bault  en  attendant  son  vin.  Je  vous 
supplie  de  me  conserver  vos  bontés  et  celles  de  monsieur  le  pre- 
mier président  et  de  monsieur  le  procureur  général,  vos  coar- 
bitres  dans  la  grande  affaire  des  fagots  de  Tournay. 

J'ai  l'honneur  d'être  sérieusement  et  avec  respect,  monsieur, 
votre  très-humble  et  très-obéissant  serviteur. 

Voltaire. 

1.  Éditeur,  do  Mandat-Grancey.  —  En  entier  de  la  main  de  Voltaire. 


ANNÉE    17  61.  547 

4770.  —  A    M.   D  AMI  LA  VILLE. 

Le  6  décembre. 

Je  souhaite  la  bonne  année  1762  aux  frères  :  je  m'y  prends  de 
bonne  heure,  car  j'ai  li;\te. 

Que  font  les  frères? 

Quelle  nouvelle  du  Parnasse  et  du  théâtre,  et  même  des  affaires 
profanes  ? 

La  raison  gai^ne-t-clle  un  peu  ?  Si  les  jésuites  sont  fessés,  les 
jansénistes  ne  sont-ils  pas  trop  fiers?  Gens  de  bien,  oi)poscz-vous 
aux  uns  et  aux  autres  ;  soyez  hardis  et  fermes. 

Frère  Helvétius  est-il  revenu  à  Paris? 

Frère  Thieriot  augmentera-t-il  de  paresse? 

A  quand  V Encyclopédie?  laurons-nous  en  1762? 

Que  dit-on  de  la  santé  de  Clairon  et  de  la  vive  Dangeville? 

Le  Journal  de  Trévoux  contiuue-t-il  toujours? 

P>erthieri  est-il  ressuscité? 

Crévier*  est-il  mort? 

Qu'est-ce  donc  que  ce  livre  De  la  Natui^e^?  Est-ce  un  abrégé  de 
Lucrèce?  est-ce  du  vieux?  est-ce  du  nouveau?  est-ce  du  bon? 
S'il  y  a  mica  salis  ^,  envoyez-le  à  votre  frère  du  désert. 

Est-il  vrai  que  le  gouvernement  emprunte  quarante  millions? 
et  à  qui,  bon  Dieu?  où  trouvcra-t-on  ces  quarante  millions?  Il  y 
a  des  gens  qui  les  ont  gagnés;  mais  ceux-là  ne  les  prêteront  pas. 
Intérim,  valete,  fralres. 

Voici  une  lettre*  pour  l'abbé  Irailh,  auteur  des  belles  Que- 
relles. Mais  où  demeure-t-il,  ce  M.  Blin  de  Sainmore  qui  a  fait  de 
très-jolis  vers  pour  moi,  et  qui  a  tant  fait  parler®  la  belle 
Gabriclle? 


1.  Allusion  à  la  Relation  de  la  maladie,  etc.,  du  jésuite  Derthier,  tome  XXIV, 
pafjc  95. 

2.  J.-B. -Louis  Crcvier,  conliuuateur  de  Rollin,  ne  mourut  qu'en  17G5;  il  était 
né  en  UVJ'i. 

3.  De  la  .Sature,  17G1,  in-i",  17G6-17G8,  cinq  volumes  in-S".  L'auteur  est  Ro- 
binet, dunl  il  a  été  parié  tome  XXV,  pai,'c  579,  et  XXVI,  135. 

4.  .Martial,  livre  VII,  épigrammc  xxiv,  vers  3. 

5.  Lu  lettre  4768. 

6.  Dans  ses  stances  à  Blin  de  Sainmoro  (voyez  tome  VIII),  Voltaire  dit  : 

Pour  Gabriclle,  en  son  apoplexie, 
D'autres  diront  (qu'elle  parle  luugtcmps. 


548  CORRESPONDANCE. 

4771.  —   A   M.   LE   MARQUIS   DE    CHAUVELIN. 

A  Fcrney,  le  0  dùcembrc  (pdrtira  quand  pourra). 

Disposez,  ordonnez  ;  je  pars  avec  douleur  de  Ferney,  où  j'ai 
bâti  un  très-joli  théâtre,  pour  aller  sur  le  territoire  damné  de 
Genève,  qui  a  déclaré  la  guerre  aux  théâtres.  Ne  trouvez-vous  pas 
qu'il  faudrait  brûler  cette  ville?  En  attendant  que  Dieu  fasse  jus- 
tice de  ces  hérétiques,  ennemis  de  Corneille  et  du  pape,  je  ferai 
transcrire  l'œuvre  des  six  jours*  tel  qu'il  est;  je  n'y  veux  rien 
changer.  Je  veux  devoir  les  changements  à  vos  conseils,  et  sur- 
tout à  l'impression  que  cela  fera  sur  le  cœur  de  M"'^  de  Chauve- 
lin  :  car,  soit  dit  sans  vous  déplaire,  tous  les  raisonnements  des 
hommes  ne  valent  pas  un  sentiment  d'une  femme.  Je  ne  dis  pas 
cela  pour  vous  dénigrer  ;  mais  je  prétends  que  si  vous  approuvez, 
«t  que  si  M""=  de  Chauvelin  est  émue ,  la  pièce  est  bonne ,  ou  du 
moins  touchante,  ce  qui  est  encore  mieux.  En  un  mot,  vous  l'au- 
rez, et  je  vous  remercie  de  me  l'avoir  demandée. 

Je  me  mets  aux  pieds  de  votre  belle  actrice  2. 

Quand  verrai-je  le  jour  où  elle  jouera  la  fille,  et  M""'  Denis  la 
mère,  et  moi  le  bonhomme?  Je  persiste  fermement  dans  l'opi- 
nion où  je  suis  que  Dieu  nous  a  créés  et  mis  au  monde  pour 
nous  amuser  ;  que  tout  le  reste  est  plat  ou  horrible. 

Je  supplie  Votre  Excellence  de  vouloir  bien  dire  cà  M.  (iuas- 
taldi  combien  je  l'estime,  j'ose  même  dire  combien  je  l'aime. 

Recevez  mes  tendres  respects. 

4772.  —  A  M.   LE   MARQUIS   DE   CHAUVELIN. 

Le  même  jour  (6  décembre). 

Tout  ce  qui  me  fâche  à  présent  dans  ce  monde,  je  l'avoue  à 
Vos  aimables  Excellences,  c'est  qu'il  y  ait  deux  rôles  de  femmes 
dans  la  plupart  des  pièces  :  car  où  trouver  le  pendant  de  M'"'  de 
Chauvelin?  Je  sais  quel  est  son  singulier  talent;  mais  si  elle 
daigne  jouer  Andromaque,  que  devient  Hermione?  et  si  elle  fait 
Hcrmione,  il  faut  jeter  Andromaque  par  la  fenêtre.  Elle  est  comme 
l'Ariosto  :  Se  sto,  chi  va?  se  vo,  chi  sta? 

Vous  me  paraissez  si  honnête  homme,  monsieur,  que  je  me 
confierais  à  vous,  quoique  vous  autres  ministres,  en  général,  ne 

1.  Olympie. 
:     2,  M"*  de  Chauvelin. 


ANNÉE    1761.  549 

valiez  pas  grand'chose.  Un  certain  Tancrhdc  fut  confié  à  M.  le  duc 
de  Ciioiseul,  et  ce  Tancrhde,  encore  tout  en  maillot,  courut  Ver- 
sailles, Paris,  et  l'armée.  Vous  voulez  mon  œuvre  de  six  jours  : 
je  pourrai  bien  me  repentir  de  mon  œuvre,  comme  Dieu  *-,  mais  je 
ne  me  repentirai  pas  de  l'avoir  soumis  ou  soumise  à  vos  lumières 
et  à  vos  bontés.  Reste  à  savoir  comment  je  vous  le  dépêcherai,  et 
comment  vous  me  le  redépécherez.  N'y  a-t-il  pas  un  courrier  de 
Rome  qui  passe  toutes  les  semaines  par  Lyon  et  par  Turin?  Ne 
pourriez-vous  pas  faire  écrire  à  M.  Tabareau,  directeur  de  la 
poste  de  Lyon,  de  vous  faire  tenir  un  paquet  cacheté  qui  viendra 
de  Genève,  contenant  environ  seize  cents  vers  qui  ne  valent  pas 
le  port? 

4773.   —  DU  CARDINAL   DE   BERMS. 

De  Montélimart,  le  10  décembre. 

Je  vous  envoie,  mon  cher  confrère,  votre  ouvrage  de  six  jours;  je 
crois  que  quand  vous  en  aurez  employé  six  autres  à  soigner  un  peu  le 
style  de  cette  pièce;  à  mettre,  à  la  place  des  premières  expressions 
qui  se  sont  présentées  dans  le  feu  de  la  composition,  des  expressions 
plus  propres  ou  moins  générales,  cet  ouvrage  sera  digne  de  vous  et 
de  l'amour  que  vous  avez  pour  lui.  J'avoue  que  je  crains  un  peu  pour 
l'impression  que  fera  au  théâtre  le  rôle  de  Cassandre.  Empoisonneur  et  assas- 
sin, il  est  encore  superstitieux,  et  ses  remords  n'intéressent  guère,  parce 
qu'ils  ne  partent  que  de  ses  craintes  et  de  la  faiblesse  de  son  âme.  Aucune 
grande  action  ne  fait  le  contre-poids  de  ses  crimes.  Son  ambition  même  est 
subordonnée  à  son  amour.  Antigone,  aussi  criminel  que  Cassandre,  a  un 
caractère  plus  décidé  et  qui  fait  grand  tort  à  l'autre.  L'amour  d'Olympie 
peut  manquer  son  effet  par  le  peu  d'intérêt  qu'on  prendra  peut-être  à 
son  amant.  Il  y  a  aussi  quelque  chose  d'embarrassé  dans  la  cérémonie  du 
serment  de  Cassandre  et  d'Olympie;  elle  a  l'air  d'un  véritable  mariage.  Jo 
comprends  les  raisons  que  vous  avez  eues;  mais  je  voudrais  quehiuc  chose 
de  plus  net.  Il  suffit  qu'Oiympie  ait  i)romis  sa  main  par  serment  au  [tied  des 
autels  à  Cassandre,  pour  qu'elle  soit  liée,  et  qu'il  résulte  de  là  tout  le  jeu 
des  passions  contraires,  (|uo  vous  avez  si  bien  mises  en  œuvre.  Je  ne  vou- 
drais pas  non  plus  que  Cassandre,  se  poignardant,  jetiit  le  poignard  à  son 
rival  :  celte  action  est  bien  délicate  devant  un  parterre  français.  Si  Antigone 
no  ramasse  pas  le  poignard,  cola  rend  l'action  do  Cas-andro  ridicule;  s'il  le 
ramasse  et  veut  s'en  frapper,  on  se  demande  pourquoi  un  homme  ambitieux 
se  tue  parce  que  son  rival  expire,  et  l()rs(|u'en  perdant  une  femme  qu'il  no 
voulait  épouser  que  par  ambition  il  acrjuiert  tous  les  droits  qu'elle  réunis- 
sait à  la  succession  d'Alexandre.  Jo  ne  sais  aussi  si  le  culte  do  Vesta,  que 
vous  établissez  au  temple  d'KpIiôse,    no  vous  forait  pas  qui'lqne  afTaire  avec 

i.  Genèse,  chapilro  vi,  verset  G. 


550  CORRESPONDANCE. 

nos  voisins  de  l'Académie  des  inscriptions.  Il  me  semble  que  Vesta  était 
adorée  par  les  Grecs  sous  le  nom  de  Cybèle,  et  sous  celui  de  Vesta  par  les 
seuls  Romains.  Au  surplus,  je  vous  déclare  qu'il  y  a  longtemps  que  je  n'ai 
lu  de  mytliologistes.  Voilà  en  gros  ce  que  j'avais  à  vous  dire  sur  votre  tra- 
gédie, dont  le  succès  dépendra  beaucoup  du  spectacle  et  des  acteurs.  Le 
dernier  coup  do  théâtre  peut  beaucoup  frapper,  si  la  machine  sert  bien  le 
talent  de  l'actrice.  Cette  pièce  m'est  arrivée  quand  je  commençais  à  être 
atta(|ué  d'un  gros  rhume  de  poitrine,  auquel  la  goutte  s'est  jointe.  Je  soufTre 
moins  aujourd'hui,  et  je  profite  de  ce  relâche  pour  vous  écrire.  On  est  bien 
sévère  quand  on  est  malade.  Je  vous  dois  cependant  trois  heures  délicieuses, 
que  la  lecture  de  votre  pièce  m'a  procurées.  J'ai  senti  que  les  vieilles  fables 
avaient  du  fondement,  et  que  les  beaux  vers  ont  réellement  le  droit  de  sus- 
pendre pour  quelques  moments  la  douleur.  Je  serais  entré  dans  un  plus 
grand  détail  si  ma  santé  me  l'avait  permis;  mais  je  n'ai  pas  voulu  garder 
plus  longtemps  votre  manuscrit.  Adieu,  mon  cher  confrère;  je  vous  aime, 
et  j'adore  vos  talents  et  votre  gaieté. 


4774.  —  A  M.  LE  COMTE  D'ARGENTAL. 

Aux  Délices,  12  décembre. 

0  anges  !  voici  une  réponse  à  une  lettre  de  M.  de  Tliibou- 
ville,  que  je  crois  écrite  sous  vos  influences. 

Renvoyez-moi  Cassancb-e  cartonné,  et  je  vous  le  renverrai  sur- 
le-champ  recartonné. 

Ah!  mes  anges,  cela  vaudra  mieux  que  ce  henêt  de  Ramire, 
qui  ne  sera  jamais  qu'un  beau  fils,  un  fadasse,  un  blanc-bec. 

Je  suis  obligé  de  confesser  à  mes  anges  que  je  serai  probable" 
ment  forcé  d'imprimer  Cassandre  dans  trois  mois  au  plus  tard, 
pour  des  raisons  essentielles,  et  que  c'est  une  chose  dont  je  ne 
serai  pas  le  maître. 

J'estime  donc  que,  pour  verser  un  peu  d'eau  des  Barbades 
dans  la  carafe  d'orgeat  de  Ramire,  il  conviendra  de  donner  Cas- 
sandre  tout  chaud. 

Je  prends  la  liberté  de  demander  dos  nouvelles  du  prince  de 
Chalais,  marquis  d'ExcideuiP,  comte  de  ïalleyrand,  ambassadeur 
en  Russie  en  163/i,  avec  un  marchand  nommé  Roussel.  J'ai  be- 
soin et  intérêt  de  tirer  cette  fable  au  clair.  Vous  avez  un  dépôt 
des  affaires  étrangères  depuis  1601.  M.  le  comte  de  Choiseul 
daignera-t-il  m'aider? 

J'attends  l'Espagne,  je  ne  rêve  qu'à  l'Espagne.  Je  baise  les 
ailes  aux  anges. 

1.  Voyez  tome  XVI,  page  420. 


ANNÉE    1761.  551 


4775.   —  A  MONSEIGNEUR  LE   DUC   DE   CIIOISEULi, 

MINISTRE   DES    AFFAIRES    ÉTRANGÈRES. 

C'est  en  l'an  1635  et  1G3G  que  les  Russes  prétontlent  que 
Louis  XIII  envoya  le  prince  de  Chalais,  comte  de  ïiilleyrand, 
marquis  d'Excideuil,  ambassadeur  à  Moscou  et  à  la  Porte,  con- 
jointement avec  un  nommé  Roussel.  Ils  prétendent  que  le  czar 
relégua  l'ambassadeur  de  France,  prince  de  Chalais,  en  Sibérie. 

Il  est  aisé  de  vérifier  l'absurdité  de  cette  impertinence  au 
dépôt  des  afîaires  étrangères. 

4770.   —  A  M.   LE   CARDINAL   DE    BERNIS. 

Aux  Dclices,  le  15  décembre. 

Vous  avez  raison,  monseigneur,  vous  avez  raison;  il  faut 
absolument  que  Cassandre  soit  innocent  de  l'empoisonnement 
d'Alexandre,  et  qu'il  soit  bien  évident  qu'il  na  frappé  Slatira 
que  pour  défendre  son  père:  il  doit  intéresser,  et  il  n'intéresse- 
rait pas  s'il  était  coupable  de  ces  crimes  qui  inspirent  l'horreur 
et  le  mépris.  Je  suis  de  votre  avis  dans  tout  ce  que  vous  dites, 
excepté  dans  la  critique  du  poignard  qu'on  jette  au  nez  d'Anti- 
gone  :  ce  drôle-là  ne  le  ramassera  pas,  quelque  sot  qu'il  soit.  Ce 
n'est  pas  un  homme  à  se  tuer  pour  des  filles;  et  d'ailleurs  tant 
de  prêtres,  tant  de  religieuses  et  d'initiés  se  mettront  entre  eux, 
que  je  le  défierais  de  se  tuer.  Je  remercie  vivement,  tendrement, 
A  otre  Éminence.  Savez-vous  bien  que  j'ai  passé  la  nuit  à  faire 
usage  de  toutes  vos  remarques?  Il  me  paraît  que  vous  ne  vous 
souciez  guère  des  grands  mystères  et  des  initiations.  Cela  n'est 
pas  bien.  Statira  religieuse,  Cassandre  qui  se  confesse,  tout  cela 
me  paraît  fait  pour  la  multitude.  Le  spectacle  est  auguste,  et 
fournit  des  idées  neuves  :  tout  cela  nous  amusera  sur  notre 
petit  théâtre.  Je  voudrais  jouer  devant  Votre  Éminence,  rccreatus 
jjrxsentia.  Que  vous  êtes  aimable  de  vous  amuser  des  arts!  vous 
devez  au  moins  les  juger,  après  avoir  fait  de  si  jolies  choses 
quand  vous  n'aviez  rien  à  faire.  Je  vois  par  vos  remarques 
que  vous  ne  nous  avez  pas  tout  à  fait  abandonnés.  Mon  avis 
est  que  vous  vous  mettiez  tout  de  bon  à  cultiver  vos  grands 
talents.  Le  cardinal  Passionei  disait  qu'il  n'y  avait  que  lui  (jui 

1.  Ch.  Msard,  Mcmoires  cl  Correspondances  liisloriqucs  et  littéraires;  Paris, 
1858,  page  31. 


552  CORRESPONDANCE. 

eût  de  l'esprit  dans  le  sacré  collé?;e.  Vous  n'aviez  pas  encore  le 
chapeau  dans  ce  temps-là.  Je  tiens  que  Votre  Kmincnce  a  i)lus 
d'esprit  et  de  talent  que  lui,  sans  aucune  comparaison.  Je  vou- 
drais savoir  si  vous  faites  quelque  chose,  ou  si  vous  continuez  de 
lire.  Je  ne  demande  pas  indiscrètement  ce  que  vous  faites,  mais 
si  vous  faites.  Le  cardinal  de  Richelieu  faisait  de  la  théologie  à 
Luçon,  Dieu  vous  préservera  de  cette  helle  occupation.  Je  vou- 
drais encore  savoir  si  vous  êtes  heureux,  car  je  veux  qu'on  le 
soit  malgré  les  gens.  Votre  Éminencedira  :  «  Voilà  un  bavard  bien 
curieux;  »  mais  ce  n'est  pas  curiosité,  cela  m'importe;  je  veux 
absolument  qu'on  soit  heureux  dans  la  retraite. 

Vous  m'avez  permis  de  vous  envoyer  dans  quelque  temps  des 
remarques  sur  Corneille;  vous  en  aurez,  et  je  suis  persuadé  que 
ce  sera  un  amusement  pour  vous  de  corriger,  retrancher,  ajouter. 
Vous  rendriez^un  très-grand  service  aux  lettres.  Eh!  mon  Dieul 
qu'a-t-on  de  mieux  à  faire,  et  quelles  sottises  de  toutes  les  es- 
pèces on  fait  à  Paris!  Je  ne  reverrai  jamais  ce  Paris;  on  y  perd 
son  temps,  l'esprit  s'y  dissipe,  les  idées  s'y  dispersent  ;  on  n'y  est 
point  à  soi.  J«  ne  suis  heureux  que  depuis  que  je  suis  à  moi- 
même  ;  mais  je  le  serais  encore  davantage  si  je  pouvais  vous 
faire  ma  cour.  Cependant  je  suis  bien  vieux.  Vale.  Monseigneur, 
au  pied  de  la  lettre, 

Gratia,  fama,  valetudo 

(HoK.,lib.  I,  ep.iv,  V.  10.) 

On  m'a  envoyé  les  Chevaux  et  les  Anes  ^  :  voulez-vous  que  je 
les  envoie  à  Votre  Éminence? 

4777.  —  A  M.    LE    COMTE   D'ARGENTAL. 

17  décembre. 

Ils  diront,  ces  anges  :  «  Il  n'y  a  pas  de  patience  d'ange  qui 
puisse  y  tenir  ;  nous  avons  là  un  dévot  insupportable.  »  Ren- 
voyez-moi donc  votre  exemplaire,  et  prenez  celui-là.  Je  ne  sais 
plus  qu'y  faire,  mes  tutélaires  ;  je  suis  à  bout,  excédé,  rebuté  sur 
l'ouvrage  ;  mais,  croyez-moi,  le  succès  est  dans  le  fond  du  sujet. 
S'il  est  intéressant,  il  ne  peut  pas  l'être  médiocrement  ;  s'il  n'y  a 
point  d'intérêt,  rien  ne  peut  l'embellir. 

1.  Voyez  cette  pièce,  tome  X. 


ANNÉE    I7GI.  ob3 

La  tête  me  fend  ;  et  si  Cassandrc  ne  vous  plaît  pas,  vous  me 
fendez  le  cœur. 

L'imagination  n'a  pas  encore  dit  son  dernier  mot  sur  cette 
pièce  ;  la  bonne  femme  est  capricieuse,  et  ne  répond  jamais  de 
ce  qui  lui  passera  par  la  tête.  Si  quelque  embellissement  se  pré- 
sente à  elle,  elle  ne  le  manquera  pas.  Mes  anges  aiment  Zif //me,- 
je  ne  saurais  m'en  fâcher  contre  eux;  mais  assurément  ils  doi- 
vent aimer  mieux  Cassandre. 

Mais  que  dirons-nous  de  notre  philosophe  de  vingt-quatre 
ans*?  comment  fera-t-il  avec  une  personne  dont  il  faudra  finir 
l'éducation?  comment  s'accommodera-t-il  d'être  mari,  précep- 
teur, et  solitaire?  On  se  charge  quelquefois  de  fardeaux  diffi- 
ciles à  porter;  c'est  son  affaire:  il  aura  Cornélie-Chilfon  quand 
il  voudra. 

Nous  venons  de  répéter  le  Droit  du  Seigneur:  Cornélie-ChilTon 
jouera  Colette  comme  si  elle  était  élève  de  M"""  Dangeville. 

Le  petit  Mémoire  touchant  Tambassadeur  prétendu  de  France - 
à  la  Porte  russe  est  précisément  ce  qu'il  me  fallait  ;  je  n'en  de- 
mande pas  davantage,  et  j'en  remercie  mes  anges  bien  tendre- 
ment. Ils  sont  exacts,  ils  sont  attentifs,  ils  veillent  de  loin  sur 
leur  créature.  Je  renvoie  leur  Mémoire  ou  apostille,  ou  com- 
battu, ou  victorieux,  selon  que  mon  humeur  m'y  a  forcé. 

Sur  ce,  je  baise  leurs  ailes  avec  les  plus  saints  transports. 

4778.   —  A  -M.    FVOT    DE   LA   M  ARC  II H  3. 

Aux  Délices,  19  décembre. 

Je  prends  le  parti  d'adresser  ma  lettre  chez  M.dePont-de-Veyle, 
car  c'est  chez  l'amitié  qu'on  doit  trouver  M.  de  La  Marche \ 
L'amitié  a  toujours  été  à  la  tête  de  vos  vertus  ;  je  ne  me  trouve 
pas  mal  de  ce  beau  penchant  que  vous  avez  dans  votre  cœur; 
vous  daignez  faire  tomjjer  sur  moi  un  peu  de  vos  faveurs,  vous 
savez  combien  j'en  sens  le  prix.  Vous  m'avez  bien  échauH'é  l'ùme 


1.  Colmont  de  Vaup:rcnant,  fils  du  commissaire  des  ;,'iierres  à  Clu\Ion-sur- 
Saônc,  se  préscntail  pipur  épouser  M""  Corneille.  Il  est  appelé  Vaugronanl  dans  la 
lettre  à  d'Argenlal,  du  Ki  décembre  I7t)2  ;  cl  Corniont,  dans  celles  des  10  et  14 
janvier  1703,  celte  dernière  adressée  au  président  do  Hulîey. 

2.  Voyez  la  lettre  du  VI  décembre,  n"  4774,  page  5ûU, 

3.  Éditeur,  ïii.  Foissct. 

4.  M.  de  La  Marche  avait  en  effet  conservé  une  liaison  intime  avec  Pont-dc- 
Veyle,  son  condiscii>lo.  On  dit  même  qu'il  no  fut  pas  étranger  à  la  composition  du 
Fat  puni  et  du  Coinplaisant.  (Xute  du  premier  éditeur.) 


554  CORRESPONDANCE. 

par  votre  apparition  à  Ferney,  et  puis  vous  voilà  de  moitié  avec 
moi  dans  le  monument  que  j'élève  à  Corneille  ^  Vous  ne  sauriez 
croire  à  quel  point  je  suis  enchanté  de  tant  de  bontés  ;  quand 
vous  aurez  fini  toutes  les  affaires  qu'on  a  toujours  à  Paris,  rempli 
bien  des  devoirs,  fait  et  reçu  bien  des  visites,  quand  vous  serez 
oisif,  n'cst-il  pas  vrai  que  vous  lirez  mon  œuvre  des  six  jours'? 
Vous  ne  serez  pas  fâché  d'y  trouver  un  peu  de  religion;  il  est 
vrai  qu'elle  n'est  pas  chrétienne,  mais  elle  a  son  mérite,  et,  comme 
disait  feu  l'empereur  de  la  Cliine  au  jésuite  Parennin,  toutes  les 
religions  tendent  au  même  but,  qui  est  de  suivre  la  raison  uni- 
verselle, et  de  n'avoir  point  à  se  reprocher  en  mourant  d'avoir 
insulté  et  obscurci  cette  raison.  Voilà  de  belles  paroles  pour  un 
Chinois  qui  renvoyait  nos  missionnaires.  Je  me  flatte  que  vous 
ne  trouverez  pas  dans  mon  œuvre  des  six  jours  une  autre  morale, 
et  qu'il  y  a  une  religieuse  qui  vous  attendrira. 

Si  je  ne  peux  avoir  l'honneur  de  vous  faire  ma  cour  cet 
hiver,  du  moins  mes  enfants  la  feront.  J'ai  dans  l'idée  que  vous 
pourriez  bien  passer  dorénavant  vos  hivers  à  Paris  et  vos  étés 
à  la  Marche.  Me  trompé-je?  Je  suis  bien  homme  à  vous  rendre 
mes  hommages  les  étés,  mais  je  ne  prévois  pas  que  je  puisse 
jouir  de  ce  bonheur  longtemps.  Je  pourrai  tout  au  plus  m'é- 
chapper  quelques  jours.  Ce  ne  seront  point  mes  travaux  cham- 
pêtres, mon  église  et  mon  théâtre,  qui  me  retiendront;  ce  sera 
Corneille  :  nous  allons  commencer  l'édition,  et  il  n'y  aura  pas 
moyen  de  quitter.  Je  vous  remercie  encore  une  fois  de  la  bonté 
que  vous  avez  de  permettre  que  vos  protégés  embellissent  cette 
édition.  Je  voudrais  être  bientôt  quitte  de  tant  de  vers  pour 
venir  entendre  et  lire  votre  prose.  Il  me  semble  que  vous  élè- 
veriez et  que  vous  échaufferiez  mon  âme.  Elle  est  remplie  pour 
vous  du  respect  le  plus  tendre  depuis  environ  cinquante  ans.  V. 


4779.   —  A  M.    DE   CIDEVILLE. 

Aux  Délices,  20  décembre. 

J'ai  peur,  mon  ancien  ami,  de  ne  vous  avoir  pas  remercié  de 
la   description   du  presbytère ^  Je  crois  que  Corneille  aurait 


1.  En  laissant  travailler  pour  les  estampes  de  son  édition  de  Vosge  père  et 
Monnicr,  qui  étaient  alors  au  château  de  la  Marche. 

2.  Olympie. 

3.  D'Énouville,  voyez  la  lettre  4089. 


l 


ANNI-E    1761.  !jo5 

mieux  réussi  s'il  avait  eu  votre  Launay  à  peiiidrc;  il  lui  fallait 
de  beaux  sujets.  Cinna  inspirait  mieux  que  Perlharite. 

Ce  Corneille  m'a  coûté  tant  de  soins,  il  a  fallu  écrire  tant  de 
lettres,  envoyer  tant  de  paquets  à  l'Académie,  que  je  ne  sais  plus 
où  j'en  suis;  la  correspondance  a  pris  tout  mon  temps.  Il  se 
pourrait  très-bien  que  je  ne  vous  eusse  point  écrit  :  si  jai  fait 
cette  faute,  pardonnez-la-moi. 

^■ous  allons  poser  bientôt  les  fondements  du  i)ctit  mausolée 
que  nous  élevons  à  la  gloire  de  votre  concitoyen,  du  père  de 
notre  théâtre,  de  ce  théâtre  que  maître  Le  Dain  et  maître  Fleury 
veulent  absolument  excommunier;  de  ce  théâtre  qui  peut-être 
est  la  seule  chose  qui  distingue  la  France  des  autres  nations; 
de  ce  théâtre  dont  on  adore  les  actrices,  qu'ensuite  on  jette  â  la 
voirie,  etc.,  etc. 

Enfin  M"'-  Corneille  a  lu  le  Ciel;  c'est  déjà  quelque  cliose.  Vous 
savez  que  nous  l'avons  prise  au  berceau.  Nous  comptons  qu'elle 
jouera  ce  printemps  Chimène  sur  notre  théâtre  de  Ferney  ;  elle 
se  tire  déjà  très-bien  du  comique.  Il  y  a  de  quoi  en  faire  une 
Dangeville.  Elle  joue  dos  endroits  à  faire  mourir  de  rire,  et 
malgré  cela  elle  ne  déparera  pas  le  tragique.  Sa  voix  est  flexible, 
harmonieuse,  et  tendre;  il  est  juste  qu'il  y  ait  une  actric(;  dans 
la  maison  de  Corneille. 

Pour  M""  Denis,  c'est  bien  dommage  qu'elle  n'exerce  pas  ce 
talent  plus  souvent:  elle  est  admirable  dans  quelques  rôles  ;  mais 
il  est  plus  aisé  de  bâtir  un  théâtre  que  de  trouver  des  acteurs. 
J'aimerais  mieux  avoir  un  procès  à  solliciter  que  des  acteurs  à 
rassembler.  C'est  beaucoup  d'avoir  trouvé  quelquefois  au  pied 
des  Alpes  de  quoi  composer  une  assez  bonne  troupe.  J'ai  pris  le 
parti  de  me  bien  amuser  sur  la  fin  de  ma  vie,  de  faire  â  la  fois 
les  pièces,  le  théâtre,  et  les  acteurs;  cela  fait  une  vie  pleine,  pas 
un  moment  de  perdu. 

Dieu  a  eu  pitié  de  moi,  mon  cher  et  ancien  ami.  lîéjonissez- 
vous  tant  que  vous  pourrez  ;  tout  ce  qui  n'est  pas  plaisir  est 
pitoyable. 

Étes-vous  à  Paris?  êlos-vous  à  Launay?  Kii  (|n('l([iie  endroit 
qu(;  vous  soyez,  je  vous  aime  do  lout  mon  cd'iir.  \ . 


556  CORRESPONDANCE. 

4780.  —  A  M.   FYOT  DE   LA  MARCHE  i. 

Aux  Délices,  23  décembre  1761. 

Vraiment,  c'est  un  pot-dc-vin  du  marclié.  Nous  venons  d'en 
boire  aussitôt  qu'il  est  arrivé  aux  Délices,  et  nous  avons  répété 
le  vers  de  votre  fontaine,  qui,  pour  jouer  sur  le  mot,  est  digne  de 
La  Fontaine  : 

Là,  sans  crainte  des  loups,  l'agneau  se  désaltère. 

Jugez  comme  vous  avez  été  fêté,  loué,  célébré  par  M""^  Denis  et 
par  nos  convives.  Vraiment  ce  n'est  pas  de  belle  eau  claire  que 
vous  faites  boire  à  vos  agneaux  des  Délices;  vous  vous  êtes  sou- 
venu que  vos  agneaux  sont  Bourguignons;  le  président  Fétiche 
ne  nous  aurait  jamais  fait  boire  que  du  vinaigre  ou  de  l'eau 
bourbeuse. 

Je  suis  enchanté  de  vos  estampes,  mon  digne  et  grand 
magistrat!  Vous  n'avez  cru  graver  que  votre  reconnaissance,  et 
vous  avez  gravé  votre  gloire.  Votre  inscription  pour  M.  de  Ber- 
bisey2  est  simple,  noble,  précise,  affectueuse  et  modeste.  C'est  le 
cœur  qui  parle  avec  l'esprit  sans  chercher  l'esprit.  J'ai  le  malheur 
jusqu'à  présent  de  n'avoir  pu  être  que  le  bienfaiteur  de  l'Église. 
J'ai  fait  bénir  la  mienne  en  grande  cérémonie  ^  Mon  grand 
Christ  attire  tous  les  curieux.  Quelle  piété  !  dit-on.  Je  l'avais 
toujours  prévu  que  ce  vieux  mauvais  plaisant  finirait  par  être 
dévot.  Voilà  ce  que  disent  les  bonnes  âmes,  et  on  assure  que 
tous  les  mondains  finissent  par  là  :  c'est  la  mode  de  tous  les 
temps. 

Inde  Acherusia  fit  stullorum  denique  vita. 

Je  ferais  une  œuvre  bien  plus  méritoire  si  je  pouvais  arra- 
cher mon  petit  pays  de  Gex  à  la  tyrannie  des  fermiers  généraux; 
mais  il  est  plus  aisé  de  s'accommoder  avec  Dieu  qu'avec  eux: 
aussi  sont-ils  maudits  par  saint  Matthieu,  qui  les  connaissait  bien 


1.  Éditeur,  Th.  Foisset. 

2.  Jean  de  Berbisey,  qui  avait  résigné  la  première  présidence  du  parlement  de 
Bourgogne  en  faveur  de  M.  le  président  de  La  Marche  en  1745,  était  mort  en 
1756,  âgé  de  93  ans.  (Note  du  premier  éditeur.)  —  Voltaire  a  écrit  Derbisi. 

3.  Ce  n'est  point  l'église  actuelle  de  Ferney,  mais  la  construction  qu'on  laisse 
sur  sa  gauche  en  arrivant  au  château  de  Voltaire,  et  qu'on  prendrait,  si  elle  était 
moins  négligée,  pour  une  grange  ou  pour  la  loge  du  portier.  (Note  du  premier 
éditeur.) 


ANNÉE    1764.  557 

pour  avoir  été  leur  commis.  Puisque  je  suis  en  train  sur  ces 
belles  matières,  je  prends  la  liberté  de  vous  envoyer  un  petit 
sermon  ^  qu'on  ma  fait  tenir  ces  jours  passés,  et  que  vous  ne 
montrerez  pas  à  l'ambassadeur  de  PortugaP.  Le  rabbin  Akib  me 
parait  un  bon  diable;  vous  pensez  sans  doute  comme  lui,  au 
judaïsme  près;  personne  n'a  moins  l'air  d'un  juif  que  vous. 

Nous  vous  adorons  à  Ferney  et  aux  Délices  du  culte  de  dulie, 
et  de  la  plus  tendre  dulie.  V. 

4781.   —   A  M.    LE   COMTE  D'ARGENÏAL. 

23  décembre. 

C'est  pour  le  coup  que  nous  rirons  aux  anges.  Qu'il  arrive  de 
plaisantes  choses  dans  la  vie  !  comme  tout  roule  !  comme  tout 
s'arrange!  Mes  divins  anges,  si  c'est  un  honnête  homme', 
comme  il  l'est  sans  doute,  puisqu'il  s'est  adressé  à  vous,  il  n'a 
qu'à  venir,  son  affaire  est  faite;  il  se  trouvera  que  son  marché 
sera  meilleur  qu'il  ne  croit.  Cornélie-Chiffon  aura  au  moins 
quarante  à  cinquante  mille  livres  de  l'édition  de  Pierre;  je  lui 
en  assure  vingt  mille  ;  je  lui  ai  déjà  donné  une  petite  rente  ;  le 
tout  fera  un  très-honnéte  mariage  de  province,  et  le  futur  aura 
la  meilleure  enfant  du  monde,  toujours  gaie,  toujours  douce,  et 
qui  saura,  si  je  ne  me  trompe,  gouverner  une  maison  avec 
noblesse  et  économie.  Nous  ne  pourrions  nous  en  séparer 
M"'"  Denis  et  moi,  qu'avec  une  extrême  douleur;  mais  je  me 
flatte  que  le  mari  fera  sa  maison  de  la  nôtre. 

Malgré  tout  cela,  il  m'est  impossible  d'aimer  Hiraclius,  je 
vous  l'avoue.  Je  crois  vous  avoir  cité  M'""^  du  Chàtelet*,  qui  ne 
pouvait  soufl"rir  cette  pièce,  dans  laquelle  il  n'y  a  pas  un  senti- 
ment qui  soit  vrai,  et  pas  douze  vers  qui  soient  bons,  et  pas  un 
événement  qui  ne  soit  forcé.  J'ai  ce  genre-là  en  horreur;  les 
Français  n'ont  point  de  goût.  Est-il  possible  qu'on  applaudisse 
Hcraclius  quand  on  a  lu,  par  exemple,  le  rôle  de  Phèdre?  est-ce 
que  les  beaux  vers  ne  devraient  pas  dégoûter  des  mauvais?  et 
puis,  s'il  vous  plaît,  qu'est-ce  qu'une  tragédie  ipii  ne  fait  pas 
pleurer?  Mais  je  commente  Corneille  :  oui,  qu'il  en  remercie  sa 
nièce. 


1.  Le  Sermon  du  rabbin  Akib;  voyez  tomo  XXIV,  page  277. 

2.  Fyoi  de  .Ncuilly,  dont  il  avait  clc  quesliou  pour  l'ambassade  de  Portugal. 
'.i.  Col  mont  de  Vaub'rcuanl. 

4.  Lettre  4707. 


558  CORRESPONDANCE. 

Au  reste,  le  futur  doit  ôtre  convaincu  que  jamais  la  future 
ne  fera //c'/'ac/ius,  ni  même  ne  l'entendra  ;  elle  en  est  extrême- 
ment loin  :  c'est  une  bonne  enfant.  Le  futur  n'a  qu'à  venir. 
Notre  embarras  sera  de  bien  lo^^er  notre  nouveau  ménage,  car 
j'ai  fait  bâtir  un  petit  château  où  une  jeune  fille  est  fort  à  son 
aise,  et  où  monsieur  et  madame  seront  un  peu  à  l'étroit.  Userait 
plaisant  que  ce  capitaine  de  chevaux  fût  un  philosophe  de 
vingt-quatre  ans,  qui  vînt  vivre  avec  nous,  et  qui  sût  rester  dans 
sa  chambre!  Enfin  j'espère  que  Dieu  bénira  cette  plaisanterie. 

Divins  anges,  nous  serons  quatre  qui  baiserons  le  bout  de 
vos  ailes. 

Et  le  roi  d'Espagne?  le  roi  d'Espagne*? 

4782.   —  A  M.    JEAN    SCHOUVALOW. 

Aux  Délices,  23  décembre. 

Monsieur,  je  dépêche  à  M.  le  comte  de  Kaunitz  un  gros 
paquet,  à  votre  adresse.  Il  contient  un  volume  de  l'Histoire  de 
Pierre  le  Grand,  imprimé  avec  les  corrections  au  bas  des  pages, 
et  les  réponses  à  des  critiques.  Votre  Excellence  jugera  aisément 
des  unes  et  des  autres.  J'en  garde  un  double  par  devers  moi. 
Quand  vous  aurez  examiné  à  votre  loisir  ces  remarques,  qui  sont 
très-lisibles,  vous  me  donnerez  vos  derniers  ordres,  et  ils  seront 
exactement  suivis.  J'ai  réformé,  avec  la  plus  scrupuleuse  exacti- 
tude, les  nouveaux  chapitres  qui  doivent  entrer  dans  le  second 
volume,  et  je  me  suis  conformé  à  vos  remarques  sur  ces  premiers 
chapitres,  en  attendant  vos  ordres  sur  ceux  qui  commencent 
par  le  procès  du  czarovitz,  et  qui  finissent  à  la  guerre  de  Perse. 
Il  restera  alors  très-peu  de  chose  à  faire  pour  achever  tout  l'ou- 
vrage, et  pour  le  rendre  moins  indigne  de  paraître  sous  vos 
auspices.  Je  suis  persuadé  que  vous  ne  voulez  pas  que  j'entre 
dans  les  petits  détails  qui  conviennent  peu  à  la  dignité  de  l'his- 
toire, et  que  votre  intention  a  été  toujours  d'avoir  un  grand 
tableau  qui  présentât  l'empereur  Pierre  dans  un  jour  toujours 
lumineux.  L'auteur  d'une  histoire  particulière  de  la  marine 
peut  dire  comment  on  a  construit  des  chaloupes,  et  compter 
les  cordages  ;  l'auteur  d'une  histoire  des  finances  peut  dire  ce 
que  valait  un  altin^  en  1600,  et  ce  qu'il  vaut  aujourd'hui;  mais 

1.  Le  pacte  de  famille  du  15  août  n'était  pas  encore  publié. 

2.  Monnaie  de  Russie  ;  cent  altins  valent  un  rouble ,  qui  vaut  environ 
cinq  francs.  (B.) 


ANNÉE    1701.  ooO 

celui  qui  présente  un  héros  aux  nations  étrangères  doit  le  pré- 
senter en  grand,  et  le  rendre  intéressant  pour  tous  les  peuples; 
il  doit  éviter  le  ton  de  la  gazette  et  le  ton  du  panégyrique.  Je 
suis  convaincu  que  vous  ne  pouvez  penser  autrement.  J'ai  eu 
l'honneur,  monsieur,  de  vous  écrire  plusieurs  lettres;  je  me 
flatte  que  vous  les  avez  reçues,  et  que  vous  avez  accepté  l'hom- 
mage que  je  vous  ofTre  d'une  tragédie  nouvelle  ^  que  nous 
représenterons  en  société,  le  printemps  prochain,  dans  mon 
petit  château  de  Ferney.  J'aurai  la  consolation  de  dire  au  public 
tout  ce  que  je  pense  de  votre  personne.  Je  vous  souhaite 
d'heureuses  et  de  nombreuses  années;  je  serai,  pendant  celles 
où  je  vivrai,  avec  le  plus  tendre  et  le  plus  respectueux  attache- 
ment, etc. 

4783.   —  DU  CARDINAL  DE   BERMS. 

De  Montélimart,  le  23  décembre. 

Je  ne  comprends  pas,  mon  clier  confrère,  pourquoi  vous  ôlcs  si  attaché 
à  ce  poignard  jelé  au  nez  d'Antigone-.  Vous  conviendrez  que  si  cette  action 
n'est  pas  ridicule,  elle  est  au  moins  inutile,  et  que  toute  action  inutile  doit 
être  rejetée  du  théâtre,  surtout  dans  un  dénoùment.  Au  reste,  comme  per- 
sonne ne  sait  mieux  que  vous  ce  qui  peut  et  doit  réussir,  je  ne  disputenii 
pas  plus  longtemps  contre  votre  expérience  et  vos  lumières.  Vous  êtes 
curieux  de  savoir  si  je  fais  quelque  chose,  et  si  je  cultive  encore  les  lettres. 
J'ai  abandonné  totalement  la  poésie  depuis  onze  ans  ;  je  savais  que  mon 
petit  talent  me  nuisait  dans  mon  état  et  à  la  cour  ;  je  cessai  de  l'exercer 
sans  peine,  parce  que  je  n'en  faisais  pas  un  certain  cas,  et  que  je  n'ai  jamais 
aimé  ce  qui  était  médiocre  ;  je  ne  fais  donc  plus  de  vers,  et  je  n'en  lis 
guère,  à  moins  que  comme  les  vôtres  ils  ne  soient  pleins  d'âme,  de  force, 
et  d'harmonie  ;  j'aime  l'histoire.  Je  lis  ou  me  fais  lire  quatre  heures  par 
jour,  j'écris  ou  je  dicte  deux  heures  ;  voilà  six  heures  de  la  journée  bien 
remplies  :  le  reste  est  employé  à  mes  devoirs,  à  la  promenade,  et  à  l'arran- 
gement de  mes  afTaires.  Je  n'ai  point  abandonné  Horace  ni  Virgile;  je  re- 
viens toujours  à  eux  avec  plaisir.  Vous  dites  que  le  cardinal  de  I{iclielieu 
faisait  de  la  théologie  à  Lu(;on.  Je  suis  tenté  bien  souvent  de  la  ri-duire  ii 
ses  véritables  bornes,  c'est-à-dire  do  la  dépouiller  de  toutes  les  (luostions 
étrangères  au  dogme,  et  d'enseigner  par  cette  méthode  l'art  d'éteindre 
toutes  ces  disputes  d'école  qui  ont  été  et  .'^cront  la  source  des  plus  grands 
troubles  et  des  [)lus  grands  crimes. 

Vous  me  demandez  si  je  suis  heureux  :  oui,  tant  (pic  riiiinicur  iW  hi 
goulle  ne  me  tracasse  pas.  Les  grandes  places  m'avaient  ivntlu  malheureux, 


1.  Olympie. 

2.  Voltaire  s'est  rendu  à  ces  nouvelles  ol)^(•rv.•lti(lns;  et  le  jet  du  poiijnard  aélî 
supprimé.  (A'o/c  de  Uouiijoittij,  éditeur  de  la  Currcspundaiicc  do  IJeruis.) 


560  CORRESPONDANCE. 

parce  que  je  sentais  que  je  no  pouvais  y  acquérir  la  réputation  que  mon 
âiuo  ambitionnait,  ni  y  faire  le  bien  de  ma  patrie.  J'étais  trop  sensible  aux 
maux  publics,  quand  le  public  avait  droit  de  m'en  demander  la  guérison  ; 
mes  devoirs  faisaient  la  mesure  de  ma  sensibilité.  Plus  ils  ont  été  multipliés, 
moins  j'ai  été  heureux.  Aujourd'hui,  rien  ne  m'agite,  parce  (jue  mes  obliga- 
tions sont  plus  aisées  à  remplir. 

Adieu,  mon  cher  confrère,  je  vous  souhaite  les  bonnes  fêtes  et  la  bonne 
année.  Envoyez-moi  les  Anes  et  les  Chevaux,  s'il  est  convenable  de  me 
les  envoyer. 

4784.  —  A  M.  TRONGIIIN,  DE   LYOxN'. 

23  décembre. 

M.  lo  cardinal  de  Bcrnis  et  monsieur  l'archevêque  de  Lyon  ne 
dépensent  pas  par  année  autant  que  j'ai  dépensé,  depuis  que 
j'ai  choisi  ce  riche  pays  de  Gex  pour  ma  retraite.  Il  est  vrai 
qu'on  ne  bâtit  pas  des  châteaux,  des  églises  et  des  théâtres  pour 
rien.  Je  prévois  que  je  resterai  avec  mes  rentes  et  environ  cent 
mille  francs.  Mais  aussi,  quand  je  serai  réduit  là,  je  ne  toucherai 
certainement  point  au  magot.  Il  faut  ne  pas  mourir  tout  juste  et 
laisser  quelque  chose  aux  siens.  Il  y  aura  du  moins  terres, 
meubles  et  le  magot.  Je  laisserai  beaucoup  plus  que  je  n'ai 
reçu,  et  de  plus  nous  aurons  vécu  gaiement  et  splendidement. 

Je  vais  faire  un  arrangement  de  finance  avec  M""=  Denis 
au  moyen  duquel  tout  sera  en  règle,  et  je  saurai  à  quoi  m'en 
tenir  par  année.  Je  prends  la  liberté  d'entrer  avec  vous  dans 
ce  petit  détail  ;  j'y  suis  autorisé  par  l'intérêt  que  vous  daignez 
prendre  à  notre  petite  colonie. 

Je  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur. 

4785.   —  A  MADAME   LA  MARQUISE   DE   BOUFFLERS  «. 

Aux  Délices,  par  Genève,  24  décembre. 

Vous  m'avez  permis,  madame,  d'avoir  l'honneur  de  vous 
écrire  quelquefois.  Je  profite  de  cette  liberté  pour  vous  dire  que, 
le  roi  ayant  daigné  souscrire  pour  la  valeur  de  deux  cents  exem- 
plaires delà  nouvelle  édition  de  Corneille,  l'empereur  pour  cent, 
l'impératrice  pour  cent,  l'impératrice  de  Russie  pour  deux  cents. 
Sa  Majesté  le  roi  de  Pologne  a  souscrit  pour  un  ^  Nous  allons 


1.  Éditeurs,  de  Cayrol  et  François. 

2.  Éditeurs,  de  Cayrol  et  François. 

3.  Ou  lit  à  la  marge  de  la  lettre  :  «  M.  de  Voltaire  a  été  trompé;  car  le  roi  de 


ANNÉE    1761.  o61 

imprimer  les  noms  des  souscripteurs.  Je  crains  qu'il  y  ait  une 
méprise  dans  cette  unité  du  roi  de  Pologne.  Il  me  semble  que  cette 
unité  ferait  un  trop  grand  contraste  avec  les  zéros  qu'on  trouve 
dans  la  souscription  de  tant  d'autres  souverains.  Je  crains  de  lui 
déplaire,  et  c'est  le  but  de  ma  lettre.  M""^  Corneille  ne  demande 
point  une  libéralité  trop  forte  et  qui  puisse  être  à  charge;  mais 
j'ai  peur  qu'il  ne  convienne  pas  à  la  dignité  du  roi  de  Pologne 
que  son  nom  paraisse  pour  un  seul  exemplaire. 

J'ai  cru  que  je  ne  pouvais  mieux  m'adresscr  qu'à  vous, 
madame,  pour  savoir  ce  qui  convient,  et  quelle  est  l'intention  de 
Sa  Majesté.  Pardonnez-moi  cette  importunité;  elle  me  procure 
l'honneur  de  me  rappeler  à  votre  souvenir. 

Il  est  vrai  que  M""  Corneille  n'est  pas  Lorraine;  mais  elle  est 
la  nièce  du  grand  Corneille.  Le  roi  de  Pologne  est  devenu  Fran- 
çais, il  écrit  en  français;  il  s'appelle  le  Bienfaisant. 

J'ai  l'honneur  d'être,  avec  bien  du  respect,  madame,  votre 
très-humble  et  très-obéissant  serviteur. 

4786.  —  A   MADAME    LA   DUCHESSE   DE   SAXE-GOTHA'. 
Aux  Délices,  2i  décembre  1761. 

Madame,  la  grande  maîtresse  des  cœurs  dira  peut-être  à  Votre 
Altesse  sérénissime  que  les  yeux  ne  se  trouvent  point  bien  du 
tout  des  vents  du  nord  et  de  la  neige.  Elle  demandera  grâce 
pour  moi,  si  je  ne  vous  écris  pas  de  ma  main. 

Votre  Altesse  sérénissime  passe  donc  continuellement  en 
revue  des  Prussiens  et  des  Français.  Votre  palais  ressemble  à  la 
maison  de  Polémon,  du  roman  de  Cassandre^,  dans  laquelle  les 
héros  des  deux  partis  se  trouvent  tous  sans  savoir  pourquoi. 
S'ils  y  venaient  uniquement  pour  vous  faire  leur  cour,  et  pour 
apprendre  ce  (luc  c'est  que  la  raison  ornée  des  grâces,  je  n'au- 
rais pas  de  reproches  à  leur  faire. 

J'ai  mille  grâces  à  rendre  à  Votre  Altesse  sérénissime  du 
paquet  de  madame  de  Bassevitz.  Je  voudrais  que  cette  dame 
s'amusât  à  faire  des  mémoires  de  tout  ce  qu'elle  a  vu  et  de  tout 
ce  ({u'elle  voit  :  car  il  me  paraît  qu'elle  voit  tout  très-bien,  et 
qu'elle  écrit  de  même.  Il  faut  qu'elle  aime  bien  son  chûleaui)our 

Polopne  a  souscrit  pour  cinquante,  qui  lui  ont  été  remis,  u  Celte  note  parait  Être 
du  chevalier  de  Houfflers,  lila  de  la  marquise.  (A.  ï.) 

1.  Éditeurs,  IJavoux  et  François. 

'.'.  I';ir  I.Ji  (jilprcnède,  10  vol.  in-12. 

41.   —   COUBESPONDA.NCB.    IX.  35 


563  CORRESPONDANCE. 

y  rester  exposée  aux  visites  des  Prussiens,  des  Hanovriens  et 
des  Russes.  Si  les  choses  de  ce  monde  allaient  d'une  manière  un 
peu  plus  lionnêle,  nous  devrions  être  à  vos  pieds,  M'""  de  Bassc- 
vitz  et  moi.  Ce  n'est  pas  que  je  me  plaigne  de  ma  position,  elle 
est  assurément  très-agréable;  mais  elle  est  trop  éloignée  de  la 
belle  forêt  de  Thuringe. 

Si  vous  aimez  les  sermons,  madame,  en  voici  un^  qu'on  vient 
de  m'envoyer  de  Smyrne,  et  qui  pourra  vous  édifier.  Si  vous 
étiez  reine  de  Portugal,  je  ne  prendrais  pas  cette  liberté;  mais 
une  duchesse  de  Saxe  philosophe  peut  très-bien  lire  le  Sermon 
d'un  rabbin,  sans  scandale. 

Je  me  mets  aux  pieds  de  Vos  Altesses  sérénissimes  avec  le 
plus  profond  respect. 

Le  Suisse  V. 

4787.  —  A  MADAME   LA   COMTESSE   DE   BASSEVITZ. 

Aux  Délices,  25  décembre. 

Madame,  vous  m'inspirez  autant  d'étonnemeut  que  de 
reconnaissance.  Non-seulement  vous  écrivez  des  lettres  char- 
mantes à  la  barbe  des  housards  noirs,  mais  vous  écrivez  des 
Mémoires  qui  méritent  d'être  imprimés;  et  tout  cela  dans  une 
langue  qui  n'est  point  la  vôtre,  avec  l'exactitude  d'un  savant,  et 
avec  les  grâces  de  nos  dames  de  la  cour  de  Louis  XIV  :  car  nous 
n'avons  point  aujourd'hui  de  dames  que  je  vous  compare. 

Je  n'ai  reçu,  madame,  aucune  des  lettres  dont  vous  me  faites 
l'honneur  de  me  parler.  Quand  il  n'y  aurait  que  ce  malheur 
attaché  à  la  guerre,  je  la  détesterais;  c'est  être  véritablement 
pillé  que  de  perdre  les  lettres  dont  vous  m'honorez. 

Je  n'ai  point  changé  de  demeure,  je  conserve  toujours  mes 
Délices  auprès  de  Genève;  elles  me  seront  toujours  chères,  puis- 
qu'un fils  de  notre  adorable  M""^  la  duchesse  de  Gotha  a  daigné 
les  habiter.  Mais  comme  j'ai  des  terres  en  France  dans  le  voisi- 
nage, et  que  par  les  circonstances  les  plus  singulières  et  les  plus 
heureuses  ces  terres  sont  libres,  j'y  ai  fait  bâtir  un  château  assez 
joli.  Si  je  n'étais  que  Genevois,  je  dépendrais  trop  de  Genève  ;  si 
je  n'étais  que  Français,  je  dépendrais  trop  de  la  France.  Je  me 
suis  fait  une  destinée  à  moi  tout  seul,  et  j'ai  acquis  cette  pré- 
cieuse liberté  après  laquelle  j'ai  soupiré  toute  ma  vie,  et  sans 
laquelle  je  ne  crois  pas  qu'un  être  pensant  puisse  être  heureux. 

\.  Le  Sermon  du  rabbin  Akib. 


ANNÉE    1761.  hU 

Je  suis  pénétré  de  vos  bontés,  madame;  j'ai  le  règlement 
ecclésiastique  de  ce  Pierre  le  Grand  qui  savait  si  bien  contenir 
les  prêtres.  J'ai  son  oraison  funèbre  ;  et  toute  oraison  funèbre 
est  suspecte.  Les  matériaux  ne  me  mamiuent  point;  mais  rien 
n'approche  de  vos  Mémoires.  L'aventure  de  la  glace  cassée',  et 
la  réponse  de  Catherine,  sont  des  anecdotes  bien  précieuses.  On 
voit  l)ien  tout  ce  que  cela  signilie,  mais  il  n'est  pas  encore  temps 
de  le  dire;  les  vérités  sont  des  fruits  (jui  ne  doivent  être  cueillis 
que  bien  mûrs.  Je  n'avais  jamais  entendu  parler,  madame,  des 
Mémoires  du  baron  de  Wissen,  qui  avait  élevé  cet  infortuné  cza- 
rovitz  ;  ils  doivent  être  fort  curieux.  Je  vous  avoue  que  je  vous 
aurais  la  plus  grande  obligation  de  vouloir  bien  me  les  faire 
parvenir  ;  j'implore  la  protection  de  M"'«  la  duchesse  de  Gotha 
pour  obtenir  cette  grùce;  vous  ne  refuserez  rien  à  ce  nom.  Je 
souhaite  que  ce  baron  Wissen  ait  dit  la  vérité  :  il  devait  bien 
connaître  son  élève;  mais  la  vérité  qu'il  peut  dire  est  bien  déli- 
cate. On  m'ouvre  en  Russie  à  deux  battants  les  portes  de  l'ami- 
rauté, des  arsenaux,  des  forteresses,  et  des  ports  ;  mais  on  ne 
communique  guère  la  clef  du  cabinet  et  de  la  chambre  à 
coucher. 

Quand  j'ai  un  peu  de  sauté,  madame,  il  me  prend  une  forte 
envie  de  faire  un  tour  d'Allemagne,  d'aller  surtout  à  Gotha,  puis 
à  Hambourg,  puis  à  Rostock,  et  de  me  présenter  en  chevalier 
errant  à  la  porte  de  Dalwitz  ;  mais,  après  ce  beau  rêve,  quand  je 
considère  que  j'ai  bientôt  soixante-dix  ans,  et  que  je  deviens 
borgne,  je  reste  à  ma  cheminée  et  entre  deux  poêles,  tout  plein 
de  la  respectueuse  et  tendre  reconnaissance  avec  hujuelle  j'ai 
l'honneur  d"être,  madame,  votre,  etc. 

4788.   —  A  M.   DUC  LOS. 

Au,\  Délices,  25  décembre. 

Je  présente  à  l'Académie  ma  respectueuse  reconnaissance  de 
la  bonté  ([u'elle  a  eue  d'examiner  mon  Commentaire  sur  les 
tragédies  du  grand  Corneille,  et  de  me  dunnor  plusieurs  avis 
dont  je  profite. 

Nous  allons  commeniMM'  ince-ssamniciil  l^'dilioii.  J,(^s  fi-èi'cs 
Cramer  vont  donner  leur  annonce  .m  piihlic;  les  imms  des 
souscripteurs  s(;r()nt  imprimés  dans  celle  annonce  :  on  y  veiia 
l'empereur,   rimpi'ralrice-reine,  et  riiii[)ératrice  de  Russie,  <|iii 

1.  Voyez  loiiie  XVI,  i);i;,'0  Ot.L 


5G4  CORRESPONDANCE. 

onl  souscrit  pour  autant  d'exemplaires  que  le  roi  notre  protcc 
leur'.  Cette  entreprise  est  regardée  par  toute  l'Europe  comme 
très-honorable  à  notre  nation  et  à  l'Académie,  et  comme  très- 
utile  aux  belles-lettres. 

Le  nom  de  Corneille,  et  l'attente  où  sont  tous  les  étrangers 
de  savoir  ce  qu'ils  doivent  admirer  ou  reprendre  dans  lui,  ser- 
viront encore  à  étendre  la  langue  française  dans  l'Europe. 

L'Académie  a  paru  confirmer  tous  mes  jugements  sur  ce  qui 
concerne  la  langue,  et  me  laisse  une  liberté  entière  sur  tout 
ce  qui  concerne  le  goût  :  c'est  une  liberté  dont  je  ne  dois  user 
qu'en  me  conformant  à  ses  sentiments,  autant  que  je  pourrai 
les  bien  connaître.  Il  est  difficile  de  s'expliquer  entièrement  de 
si  loin,  et  en  si  peu  de  temps. 

Dans  les  premières  esquisses  que  j'eus  l'honneur  d'envoyer, 
je  remarque,  dans  la  Mèdèe  de  Corneille,  les  enchantements 
qu'elle  emploie  sur  le  théâtre  ;  et  comme  mon  Commentaire  est 
historique  aussi  bien  que  critique,  et  que  je  compare  les  autres 
théâtres  avec  le  nôtre,  je  dis^  que  «  dans  la  tragédie  de  Macbeth, 
qu'on  regarde  comme  un  chef-d'œuvre  de  Shakespeare,  trois  sor- 
cières font  leurs  enchantements  sur  le  théâtre,  etc.  » 

Ces  trois  sorcières  arrivent,  au  milieu  des  éclairs  et  du  ton- 
nerre, avec  un  grand  chaudron  dans  lequel  elles  font  bouillir 
des  herbes.  Le  chat  a  miaulé,  trois  fois,  disent-elles,  il  est  temps,  il 
est  temps;  elles  jettent  un  crapaud  dans  le  chaudron,  et  apo- 
strophent le  crapaud  en  criant  en  refrain  :  «  Double,  double, 
chaudron  trouble!  que  le  feu  brûle,  que  l'eau  bouille,  double, 
double  !  »  Cela  vaut  bien  les  serpents  qui  sont  venus  d'Afrique 
en  un  moment,  et  ces  herbes  que  Médée  a  cueillies,  le  pied  nu, 
en  faisant  pâlir  la  lune,  et  ce  plumage  noir  d'une  harpie,  etc. 

C'est  à  l'Opéra  ^  c'est  à  ce  spectacle  consacré  aux  fables,  que 
ces  enchantements  conviennent,  et  c'est  là  qu'ils  ont  été  le  mieux 
traités. 

Voyez  dans  Quinault*,  supérieur  en  ce  genre  : 

Esprits  malheureux  et  jaloux, 
Qui  ne  pouvez  souffrir  la  vertu  qu'avec  peine; 
Vous,  dont  la  fureur  inhumaine 


1.  Louis  XV,  protecteur  de  l'Académie  française;  voj^ez  page  54. 

2.  Voyez  tome  XXXI,  page  197. 

3.  Cet  alinéa  et  quelques-uns  des  suivants  sont  dans  le  Commentaire  sur  Cor- 
ne.ille,  tome  XXXI,  pages  197-198. 

i.  Amadis,  acte  11,  scène  m. 


ANNÉE    1761.  565 

Dans  les  raau\  qu'elle  fait  trouve  un  plaisir  si  doux, 
Démons,  préparez-vous  à  seconder  ma  haine; 

Démons,  préparez-vous 

A  servir  mon  courroux. 

Voyez,  en  un  autre  endroit,  ce  morceau  encore  plus  fort  que 
clianle  Médée  : 

Sortez,  ombres,  sortez  do  la  nuit  éternelle; 

Voyez  le  jour  pour  le  troubler  : 
Que  l'affreux  Désespoir,  que  la  Rage  cruelle. 

Prennent  soin  de  vous  rassembler. 

Avancez,  malheureux  coupables. 

Soyez  aujourd'hui  déchaînés; 
Goûtez  l'unique  bien  des  cœurs  infortunés, 

Ne  soyez  pas  seuls  misérables. 
Ma  rivale  m'expose  à  des  maux  effroyables  : 
Qu'elle  ait  part  aux  tourments  qui  vous  sont  destinés. 

Non,  les  enfers  impitoyables 
No  pourront  inventer  des  horreurs  comparables 

Aux  tourments  qu'elle  m'a  donnés. 
Goûtons  l'unique  bien  des  cœurs  infortunés. 

Ne  soyons  pas  seuls  misérables  ^. 

Ce  seul  couplet  est  peut-être  un  chef-d'œuvre;  il  est  fort  et 
naturel,  harmonieux  et  sublime.  Observons  que  c'est  là  ce 
Quinault  que  Boileau  affectait  de  mépriser,  et  apprenons  à  Otre 
justes. 

J'ai  l'attention  de  présenter  ainsi  aux  yeux  du  lecteur  des  ob- 
jets de  comparaison,  et  je  présume  que  rien  n'est  plus  instruclif. 
Par  exemple,  Maxime  dit-  : 

Vous  n'aviez  point  tantôt  ces  agitations. 
Vous  paraissiez  plus  ferme  en  vos  intentions. 
Vous  no  sentiez  au  cœur  ni  remords  ni  reproches. 


On  ne  les  sent  aussi  que  (juand  le  coup  approche, 
El  l'on  ne  reconnaît  do  semblables  forfaits 
Que  quand  la  main  s'apprùto  à  venir  aux  effets. 
L'âme,  de  son  dessein  jusqu'alors  |)ossédéo,  etc. 

(Acto  III,  8cèna  ii.) 

i.  Thésée,  acte  III,  scène  vu.  Mais  la  citation  n'est  pas  exacte  :  voyez  le  texte, 
tome  XXXI,  page1î)7. 

'_'.  Cinna,  acte  III,  sct;no  ii.  Vo^ez  tome  XXXI,  page  3i5. 


566  CORRESPONDANCE. 

Shakespeare,  soixante  ans  auparavant,  avait  dit  la  môme  chose 
dans  les  mêmes  circonstances;  Brutus,  sur  le  point  d'assassiner 
César,  parle  ainsi  : 

«  Entre  le  dessein  et  l'exécution  d'une  chose  si  terrible,  tout 
rintervalle  n'est  qu'un  rêve  affreux.  Le  génie  de  Rome  et  les  in- 
struments mortels  de  sa  ruine  semblent  tenir  conseil  dans  notre 
âme  bouleversée.  Cet  état  funeste  de  l'àmc  tient  de  l'horreur  de 
nos  guerres  civiles.  » 

Je  mets  sous  les  yeux  ces  objets  de  comparaison,  et  je  laisse 
au  lecteur  à  juger. 

J'avais  oublié  d'insérer,  dans  mes  remarques  envoyées  à 
l'Académie,  une  anecdote  qui  me  paraît  curieuse.  Le  dernier 
maréchal  de  La  Feuillade,  homme  qui  avait  dans  l'esprit  les 
saillies  les  plus  lumineuses,  étant  dans  l'orchestre^  à  une  repré- 
sentation de  Cinua,  ne  put  souffrir  ces  vers  d'Auguste  : 

Mais  tu  ferais  pitié,  même  à  ceux  que  j'irrite, 
Si  je  t'abandonnais  à  ton  peu  de  mérite. 
Ose  me  démentir,  dis-moi  ce  que  tu  vaux, 
Conte- moi  tes  vertus,  tes  glorieux  travaux, 
Les  rares  qualités  par  où  tu  m'as  su  plaire,  etc. 

(Acto  V,  scène  i.) 

«  Ail!  dit-il,  voilà  qui  me  gâte  toute  la  beauté  du  Soyons  amis. 
China.  Comment  peut-on  dire  soyons  amis  à  un  homme  qu'on 
accable  d'un  si  profond  mépris?  On  peut  lui  pardonner  pour  se 
donner  la  réputation  de  clémence,  mais  on  ne  peut  l'appeler 
ami;  il  fallait  que  Cinna  eût  du  mérite,  même  aux  yeux  d'Au- 
guste. » 

Cette  réflexion  me  parut  aussi  juste  que  fine,  et  j'en  fais  juge 
l'Académie. 

Cette  considération  sur  le  personnage  de  Cinna  me  ramène 
ici  à  l'examen  de  son  caractère.  Je  pense,  avec  l'Académie,  que 
c'est  à  Auguste  qu'on  s'intéresse  pendant  les  deux  derniers  actes; 
mais  certainement,  dans  les  premiers,  Cinna  et  Emilie  s'em- 
parent de  tout  l'intérêt;  et  dans  la  belle  scène  de  Cinna  et  d'Emi- 
lie, où  Auguste  est  rendu  exécrable,  tous  les  spectateurs  de- 
viennent autant  de  conjurés  au  récit  des  proscriptions.  Il  est  donc 
évident  que  l'intérêt  change  dans  cette  pièce,  et  c'est  probable- 


1.  Ce  fut  étant  s!<r  le   théâtre,    dit  Voltaire,  tome    XXXI,  page  302,  que  La 
l'euillade  apostropha  Auguste. 


ANNÉE   1761.  567 

mont  par  cette  raison  qu'elle  occupe  plus  l'esprit  qu'elle  ne 
touche  le  cœur. 

Xota  bene.  C'est  presque  le  seul  endroit  où  je  nie  sois  écarté 
du  sentiment  de  l'Académie,  et  j  ai  pour  moi  quelques  académi- 
ciens que  j  "ai  consultés. 

Les  remords  tardifs  de  Cinna  me  font  toujours  beaucoup  de 
peine  ;  je  sens  toujours  que  ces  remords  me  toucheraient  bien 
davantage  si,  dans  la  conférence  avec  Auguste,  Cinna  n'avait 
pas  donné  des  conseils  perfides,  s'il  ne  s'était  pas  afffM-mi  ensuite 
dans  cette  même  perfidie.  J'aime  des  remords  après  un  crime 
conçu  par  enthousiasme  :  cela  me  paraît  dans  la  nature,  et  dans 
la  belle  nature  ;  mais  je  ne  puis  souffrir  des  remords  après  la 
plus  lâche  fourberie  :  ils  ne  me  paraissent  alors  qu'une  contra- 
diction. 

Je  ne  parle  ici  que  pour  la  perfection  de  l'art,  c'est  le  but  de 
tous  mes  commentaires;  la  gloire  de  Corneille  est  en  sûreté.  Je 
regarde  Cinna  comme  un  chef-d'œuvre,  quoiqu'il  ne  soit  pas  de 
ce  tragique  qui  transporte  l'ûme  et  qui  la  déchire  ;  il  l'occupe,  il 
l'élève.  La  pièce  a  des  morceaux  sublimes,  elle  est  régulière  ;  c'en 
est  bien  assez. 

J'ai  été  un  peu  sévère  sur  Héraclius,  mais  j'envoie  h  l'Aca- 
démie mes  premières  pensées,  afin  de  les  rectifier.  M.  Mayans  y 
Siscar,  éditeur  de  Don  Quichotte  et  de  la  Vie  de  Cervantes,  prétend 
que  l'Héradius  espagnol  est  bien  antérieur  à  VUéraclim  français; 
et  cela  est  bien  vraisemblable,  puisque  les  Espagnols  n'ont 
daigné  rien  prendre  de  nous,  et  que  nous  avons  beaucoup  puisé 
chez  eux  :  Corneille  leur  a  pris  k  Menteur,  la  Suite  du  Menteur, 
Don  Sanche. 

Je  deniandf  permission  à  l'Académie  d'être  quel([uef()is  d'un 
avis  dillérent  de  nos  prédécesseurs  qui  donnèrent  leur  sentiment 
sur  le  Cid.  Elle  m'approuvera  sans  doute  quand  je  dis  que  fuir 
est  d'une  seule  syllabe,  quoiqu'on  ait  décidé  autrefois  qu'il  était 
de  deux.  J'excuse  ce  vers  : 

Le  [niiiiiitT  dont  ma  raco  ait  vu  rougir  son  front. 

(Aclo  I,  scùuo  VII.) 

Je  trouve  ce  vers  beau;  la  race  y  est  personnifiée,  et  en  ce  cas 
son  front  i)eul  rougir. 
J'approuve  ce  vers  : 

Mon  àmo  est  satisfaite, 
Et  mes  yeux  à  ma  main  reprochent  ta  défaite. 

(Acto  I,  Rcàno  IV.) 


568  CORRESPONDANCE. 

L'Académie  y  trouve  une  contradiction  ;  mais  il  me  paraît  que 
CCS  deux  vers  veulent  dire  :  Je  suis  satisfait,  je  sais  vengé ,  mais  je 
l'ai  été  trop  aisément;  et  je  demande  alors  où  est  la  contradiction. 
On  a  condamné  instruisez-le  d'exemple;  je  trouve  cette  hardiesse 
très-heureuse.  Instruisez-le  par  exemple  serait  lanj^uissant  ;  c'est 
ce  qu'on  appelle  une  expression  trouvée,  comme  dit  Despréaux. 
J'ai  osé  imiter  cette  expression  dans  la  Ilenriadc  : 

Il  m'instruisait  d'oxomple  au  grand  art  des  héros; 

(Ch.  II,  V.  115.) 

et  cela  n'a  révolté  personne. 

Je  prends  aussi  la  liberté  d'avoir  quelquefois  un  avis  particu- 
lier sur  l'économie  de  la  pièce.  Ceux  qui  rédigèrent  le  jugement 
de  l'Académie  disent  qu'il  y  aurait  eu,  sans  comparaison,  moins 
d'inconvénient  dans  la  disposition  du  Cid  de  feindre,  contre  la 
vérité,  que  le  comte  ne  fût  pas  trouvé  à  la  fin  véritable  père  de 
Chimène;  ou  que,  contre  l'opinion  de  tout  le  monde,  il  ne  fût 
pas  mort  de  sa  blessure. 

Je  suis  très-sûr  que  ces  inventions,  d'ailleurs  communes  et 
peu  heureuses,  auraient  produit  un  mauvais  roman  sans  intérêt. 
Je  souscris  à  une  autre  proposition  :  c'est  que  le  salut  de  l'État 
eût  dépendu  absolument  du  mariage  de  Chimène  et  de  Rodrigue. 
Je  trouve  cette  idée  fort  belle;  mais  j'ajoute  qu'en  ce  cas  il  eût 
fallu  changer  la  constitution  du  poëme. 

En  rendant  ainsi  compte  à  l'Académie  de  mon  travail,  j'ajou- 
terai que  je  suis  souvent  de  l'avis  de  l'auteur  de  TéUmaque,  qui, 
dans  sa  Lettre  a  l'Académie  sur  t'Éloqucnce,  prétend  que  Corneille  a 
donné  souvent  aux  Romains  une  enflure  et  une  emphase  qui  est 
précisément  l'opposé  du  caractère  de  ce  peuple-roi.  Les  Romains 
disaient  des  choses  simples,  et  en  faisaient  de  grandes.  Je  con- 
viens que  le  théâtre  veut  une  dignité  et  une  grandeur  au-dessus 
de  la  vérité  de  l'histoire  ;  mais  il  me  semble  qu'on  a  passé  quel- 
quefois ces  bornes. 

Il  ne  s'agit  pas  ici  de  faire  un  commentaire  qui  soit  un  simple 
panégyrique  ;  cet  ouvrage  doit  être  à  la  fois  une  histoire  des  pro- 
grès de  l'esprit  humain,  une  grammaire,  et  une  poétique. 

Je  n'atteindrai  pas  à  ce  but;  je  suis  trop  éloigné  de  mes  maîtres, 
que  je  voudrais  consulter  tous  les  jours  ;  mais  l'envie  de  mériter 
leurs  suffrages,  en  me  rendant  plus  laborieux  et  plus  circonspect, 
rendra  peut-être  mon  entreprise  de  quelque  utilité. 

Nota  bcne  que  je  ne  puis  me  servir  dans  le  Cid  de  l'édition  de 


AXXf:E    17GI.  569 

166i*,  parce  qu'il  faut  absolumont  que  je  mette  sous  les  yeux 
celle  que  l'Académie  jugea  quand  elle  prononça  entre  Corneille 
et  Scudéri. 

J'ajoute  que  si  l'Académie  voulait  bien  encore  avoir  la  bonté 
d'examiner  le  commentaire  sur  Cinna,  que  j'ai  beaucoup  réformé 
et  augmenté,  suivant  ses  avis,  elle  rendrait  un  grand  service  aux 
lettres.  Cinna  est  de  toutes  les  pièces  de  Corneille  celle  que  les 
hommes  en  place  liront  le  plus  dans  toute  l'Europe,  et  par  con- 
séquent celle  qui  exige  l'examen  le  plus  approfondi. 

Je  supplie  l'Académie  d'agréer  mes  respects. 

4789.   —  A  M.   LE   CARDINAL  DE   BERMS. 

Aux  Délices,  28  décembre. 

Monseigneur,  les  Chevaux  et  les  Anes*  étaient  une  petite  plai- 
santerie ;  je  n'en  avais  que  deux  exemplaires,  on  s'est  jeté  dessus, 
car  nous  avons  des  virtuoses.  Si  je  les  retrouve.  Votre  Éminence 
s'en  amusera  un  moment;  ce  qui  m'en  plaisait  surtout,  c'est  que 
le  théatin  Boyer  était  au  rang  des  ânes. 

Voyez,  je  vous  prie,  si  je  suis  un  âne  dans  l'examen  de  Bodo- 
gune.  Vous  me  trouverez  bien  sévère,  mais  je  vous  renvoie  à  la 
petite  apologie  que  je  fais  de  cette  sévérité  à  la  fin  de  l'examen. 
Ma  vocation  est  de  dire  ce  que  je  pense,  fari  qux  sentiani^;  et  le 
théâtre  n'est  pas  de  ces  sujets  sur  lesquels  il  faille  ménager  la 
faiblesse,  les  préjugés  et  l'autorité.  Je  vous  demande  en  grâce 
de  consacrer  deux  ou  trois  heures  à  voir  en  quoi  j'ai  raison  et  en 
quoi  j'ai  tort.  Rendez  ce  service  aux  lettres,  et  accordez-moi  cette 
grâce.  Dictez  il  vostro  parère  à  votre  secrétaire.  Vous  lirez  au  coin 
du  feu,  et  vous  dicterez  sans  peine  des  jugements  auxquels  je  me 
conformerai. 

Bene  si  potria  dir,  fiiito,  tu  v;ii 

L'allrui  mostrando,  o  non  vcdi  il  tiio  fallo  ; 

et  puis  vous  me  parlerez  de  poutres  et  de  pailles  dans  WvW  ;  â 
quoi  je  répondrai  que  je  travaille  jour  cl  nuit  ;i  rapetasser  mon 
Cassandrr;  et  que  je  pourrai  même  vous  saciilicr  ce  poignard 
qu'on  jotte  au  nez  des  gens,  etc.,  etc.,  etc. 

1.  L'édition  de  Corneille  de  lG(Ji  a  doux  volumes  in-folio. 

2.  Voyez  rctlc  pièce,  tome  X. 

3.  Horace,  livre  I,  èpltrc  iv,  vers  9,  dit  : 

.     .     .     Fari  possit  qum  scnlint 


570  CORRESPONDANCE. 

Quoi!  sérieusement,  vous  voulez  rendre  la  théologie  raison- 
nable? Mais  il  n'y  a  que  le  Diable  de  La  Fontaine  à  qui  cet 
ouvrage  convienne.  C'est /a  chose  impossible^. 

Laissez  là  saint  Thomas  s'accorder  avec  Scot  -.  J'ai  lu  ce  Tho- 
mas, je  l'ai  chez  moi  ;  j'ai  deux  cents  volumes  sur  cette  matière» 
et,  qui  pis  est,  je  les  ai  lus.  C'est  faire  un  cours  de  petites-maisons. 
Riez,  et  profitez  de  la  folie  et  de  l'imbécillité  des  hommes.  Voilà, 
je  crois,  l'Europe  en  guerre  pour  dix  ou  douze  ans.  C'est  vous, 
par  parenthèse,  qui  avez  attaché  le  grelots  Vous  me  fîtes  alors 
un  plaisir  infini.  Je  ne  croyais  point  que  le  sanglier  que  vous 
mettiez  à  la  broche  fût  d'une  si  dure  digestion.  C'est,  je  crois,  la 
faute  de  vos  marmitons.  Une  chose  me  console,  avant  que  je 
meure  :  c'est  que  je  n'ai  pas  peu  contribué,  tout  chétif  atome  que 
je  suis,  à  rendre  irréconciliables  certain  chasseur*  et  votre  san- 
glier. J'en  ris  dans  ma  barbe  :  car,  quand  je  ne  souffre  pas,  je  ris 
beaucoup,  et  je  tiens  qu'il  faut  rire  tant  qu'on  peut.  Riez  donc, 
monseigneur,  car,  au  bout  du  compte,  vous  aurez  toujours  de 
quoi  rire.  Je  me  sens  pour  vous  le  goût  le  plus  tendre  et  le  plus 
respectueux.  Je  me  souviens  toujours  de  vos  grâces,  de  votre  belle 
physionomie,  de  votre  esprit;  vive  felix.  Daignez  m'aimer  un  peu, 
vous  me  ferez  un  plaisir  extrême. 

4790.   —  A  M.   LE   COMTE  D'ARGENTAL. 

28  décembre. 

Est-il  donc  bien  vrai,  mes  anges,  que  l'Espagne  a  enfin  exaucé 
mes  vœux?  Puis-je  en  faire  mon  compliment? 

Me  permettrez-vous  de  vous  envoyer  ce  petit  Mémoire  à  l'Aca- 
démie ^  que  je  vous  supplie  de  faire  passer  à  monsieur  le  secré- 
taire ? 

M.  le  comte  de  Choiseul  a  eu  tant  de  bonté,  que  j'en  abuse. 
Il  s'agit  de  bien  autre  chose  que  de  M.  d'Excideuil  ®.  Il  est  question 

1.  C'est  le  titre  d'un  conte  de  La  Fontaine. 

2.  Laissez  là  saint  Thomas  s'accorder  avec  Scot. 

(BoiL.,  sat.  vm,  v.  229.) 

3.  C'était  l'opinion  générale,  ainsi  que  le  prouvent  l'épigramme  de  Turgot  et 
les  Mémoires  de  Voltaire.  Bcrnis  dit  le  contraire  (voj-cz  sa  lettre,  n°  4820),  et  c'est 
aussi  l'opinion  de  Duclos  dans  ses  Mémoires  secrets  (chapitre  de  VHistoire  des 
causes  de  la  guerre  de  1756).  (B.) 

4.  Le  chasseur  est  Choiseul;  le  sanglier,  Frédéric  II,  roi  de  Prusse. 

5.  La  lettre  du  25  décembre  :  voyez  n"  4788. 

6.  Voyez  tome  XVI,  page  420,  et  ci-Jessus,  la  lettre  ài  12  décembre,  n"  4774. 


ANNÉE     1761.  571 

de  savoir  s'il  est  vrai  qiio  la  cour  de  France  ait  amusé  pendant 
deux  ans  la  cour  russe  d'un  mariage  du  roi  avec  mon  impéra- 
trice Elisabeth,  alors  pauvre  princesse,  et  qui  vient  d'envoyer 
huit  mille  livres  pour  l'édition  de  iM"*'  Corneille.  Il  est  très-certain 
que  M.  Campredon  en  parla  très-souvent  à  mon  i)ère.  Si  cette  re- 
cherche vous  amuse,  je  vous  conjure  devons  informer  de  la  vérité. 

Cassandre  ne  va  pas  mal,  il  se  débarbouille.  Mille  tendres  res- 
pects. 

Nota  bine  qu'il  y  a  deux  ans  que  je  dis  :  L'Espagne  tombera 
sur  le  Portugal  K 

47U1.    —  A   M.   LI-    DUC  DE   CIIOISELL?, 

MINISTRE    SECRÉTAIRR      d'ÉTAT      DES      AFFAIRES     ÉTRANGÈRES. 

Aux  Délices,  28  décembre  1761. 

Monseigneur,  vous  donnez  la  bonne  année  à  la  France  en  lui 
donnant  l'Espagne.  Cela  vaut,  ma  foi,  mieux  que  le  Droit  du  Sei- 
gneur. 

Je  vous  recommande  Luc. 

Agréez  les  tendres  respects  d'un  vieux  radoteur  du  pays  des 
Alpes.  V. 

1.  Ici  Beuchot  mentionne  une  lettre  à  Le  Suirc.  Il  la  considère  comme  fabri- 
quée par  Le  Suire  lui-même.  Voici  cette  lettre  de  Voltaire  à  Le  Suire  : 

«  Je  vous  plains  beaucoup,  monsieur,  car  vous  avez  un  jrrand  talent,  du  goût, 
do  la  facilité,  de  l'abondance,  de  l'imagination.  Vous  serez  probablement  l'orne- 
ment du  siècle  que  je  vais  bientôt  quitter  ;  il  y  a  la  de  quoi  être  très-malheureu.\. 
Vous  perdrez  le  chemin  de  la  fortune,  et  vous  trouverez  l'envie,  la  calomnie,  l'hy- 
pocrisie  sur  le  chemin  de  fleurs  où  vous  marchez.  Si  vous  aviez  choisi  un  sujet 
plus  digne  de  vous,  vos  vers  seraient  encore  meilleurs.  Vous  avez  le  don  de  penser 
et  de  vous  exprimer  :  ce  don  est  très-rare.  Permettez-moi  de  vous  dire  seulement 
que  plus  les  sentiments  que  vous  m'exprimez  me  sont  favorables,  plus  vous  devez 
leur  donner  de  bornes.  Le  public  ne  pardonne  jamais  les  longs  éloges,  ei  le  moins 
de  vers  qu'on  peut  est  toujours  le  meilleur.  Votre  belle  èpiirc  mérite  d'ùtre  per- 
fectionnée. Vous  paraissez  écrire  si  facilement  que  je  suis  sur  qu'il  vous  en  coû- 
tera peu  pour  donner  la  dernière  main  à  votre  ouvrage.  Rendez-le  court  et  cor- 
rect, il  sera  charmant.  Si  je  n'étais  pas  accablé  de  soins  et  de  maladies,  je  vous 
répondrais  autrement  qu'en  prose;  et  si  je  pouvais  vous  être  utile,  je  serais 
charmé  de  vous  marquer  avec  combien  de  reconnaissance  j'ai  Thonneur  d'ôlre,etc.  » 
—  La  pièce  de  Le  Suire  dont  il  est  question  dans  la  lettre  est  inlilulèc  EpHrc 
à  M.  de  Vollaire,  1761,  in-8".  Ce  pauvre  et  fécond  écrivain,  mort  le  18  avril  181."», 
à  soixanlr-quiiize  ans,  avait  fait  de  mémo  pour  une  lettre  de  J.-J.  llou>^8cau,  du 
7  avril  1767,  dont  M.  do  Mussct-Pathay  a  fait  justice  en  la  retranchant  des  Œuvres 
du  philosophe  de  Genève.  (IJ.) 

2.  Ch.  Nisard,  .1/t7Hoirt'5  e(  Currespondauccs  historiques  cl  lilléraircs  :  Paris» 
1808,   page  29. 


572  CORRESPONDANCE. 


4792.  —  A  MADAME   DE   CHAMPBO.NIN. 

De  Ferney. 

Gros  chat,  je  vous  ai  toujours  répondu;  et  si  vous  vous  plai- 
gnez, ce  doit  être  de  mon  mauvais  style,  et  non  de  mon  oubli. 
II  faut  que  je  vous  aie  écrit  dans  le  goût  de  La  Beaumelle,  ou  de 
Fréron,  ou  de  quelque  auteur  de  cette  espèce,  pour  que  vous 
soyez  mécontente  de  moi.  J'aimerai  toujours  gros  chat.  On 
croirait,  à  votre  lettre,  que  M'"*  la  marquise  des  Ayvelles*  est 
rentrée  dans  sa  terre  au  nom  de  ses  enfants,  et  que  le  comte  de 
Contenau  en  est  chassé.  Elle  est  donc  de  ces  meunières  qui  ont 
vendu  leur  son  plus  cher  que  leur  farine.  Won  cher  gros  chat, 
je  ne  me  console  point  de  notre  séparation  et  de  notre  éloigne- 
ment  ;  je  vous  amuserais,  si  vous  étiez  ma  voisine  ;  j'ai  un  des 
jolis  théâtres  qui  soient  en  France  ;  nous  y  jouons  quelquefois 
des  pièces  nouvelles;  il  nous  vient  de  temps  en  temps  très-bonne 
compagnie  de  Paris;  et  dans  mon  château  bâti  cà  l'italienne,  dans 
ma  terre  libre,  vivant  plus  libre  que  personne,  je  me  moque  à 
mon  aise  de  frère  Berthier  et  des  billets  de  confession,  et  de 
toutes  les  sottises  de  ce  monde.  Je  ne  me  tiens  pas  tout  à  fait 
heureux,  parce  que  je  ne  partage  pas  mon  bonheur  avec  vous. 
Je  ne  peux  que  vous  exhorter  à  tirer  de  la  vie  le  meilleur  parti 
que  vous  pourrez.  Je  voudrais  pouvoir  vous  envoyer  des  livres  : 
on  ne  sait  comment  faire;  la  poste  ne  veut  pas  s'en  charger.  Les 
formalités  sont  le  poison  de  la  société  :  il  faut  passer  par  cent 
mains  avant  d'arriver  à  sa  destination,  et  puis  on  n'y  arrive  point. 
Il  semble  que,  d'une  province  à  une  autre,  on  soit  en  pays 
ennemi  :  cela  serre  le  cœur. 

Voyez-vous  quelquefois  M.  le  marquis  du  Chàtelet?  Monsieur 
son  fils  m'a  écrit  de  Vienne.  Il  s'est  donné  de  bonne  heure  une 
très-grande  considération  :  cela  doit  prolonger  les  jours  de  mon- 
sieur son  père.  Si  vous  le  voyez,  ne  m'oubliez  pas  auprès  de  lui. 
Adieu,  mon  gros  chat!  Mes  compliments  à  vos  compagnes,  dont 
vous  faites  le  bonheur,  et  qui  contribuent  au  vôtre. 

Je  vous  embrasse  bien  tendrement. 

i.  Voyez  la  note,  page  131. 


ANNÉE    1761.  57J 

4793.   —  A  M.  LE   DOCTEUR   DIA.NCIII  ', 

A     n  1  M  I  M  . 

Vous  avez  prononcé,  monsieur,  l'éloge  de  l'art  dramatique,  et 
je  suis  tenté  de  prononcer  le  vôtre.  Je  regardai  cet  art,  dès  mon 
enfance,  comme  le  premier  de  tous  ceux  à  qui  le  mot  de  beau 
est  attaché.  On  me  dira  :  Vous  êtes  orfèvre,  monsieur  Jossc-;  mais 
je  répondrai  que  c'est  Sophocle  qui  m'a  donné  mes  lettres  de 
maîtrise,  et  que  j'ai  commencé  par  admirer  avant  de  travailler. 

Je  vois  avec  plaisir  que  dans  l'Italie,  cette  mère  de  tous  les 
beaux-arts,  plusieurs  personnes  de  la  première  considération 
non-seulement  font  des  tragédies  et  des  comédies,  mais  les  repré- 
sentent. I\I.  le  marquis  Albergati  Capacelli  a  fait  des  imitateurs. 
Ni  vous,  ni  lui,  ni  moi,  monsieur,  ne  prétendons  qu'on  fasse  de 
l'Europe  la  patrie  des  Abdérites;  mais  quel  plus  noble  amuse- 
ment les  hommes  bien  élevés  peuvent-ils  imaginer?  De  bonne 
foi,  vaut-il  mieux  mêler  des  cartes,  ou  ponter  un  pharaon  ?  C'est 
Toccupation  de  ceux  qui  n'ont  point  d'àme  ;  ceux  qui  en  ont  doivent 
se  donner  des  plaisirs  dignes  d'eux,  Y  a-t-il  une  meilleure  éduca- 
tion que  de  faire  jouer  Auguste  à  un  jeune  prince,  et  Emilie  à 
une  jeune  princesse?  On  apprend  en  même  temps  à  bien  pronon- 
cer sa  langue,  et  h  la  bien  parler;  l'esprit  acquiert  des  lumières 
et  du  goût,  le  corps  acquiert  des  grAces  :  on  a  du  plaisir,  et  on 
en  donne  très-honnêtement.  Si  j'ai  fait  bâtir  un  théâtre  chez  moi, 
c'est  pour  l'éducation  de  M"*  Corneille;  c'est  un  devoir  dont  je 
m'acquitte  envers  la  mémoire  du  grand  homme  dont  elle  porte 
le  nom. 

Ce  qu'il  y  avait  de  mieux  au  collège  des  jésuites  de  Paris,  où 
j'ai  été  élevé,  c'était  l'usage  de  faire  représenter  des  pièces  par 
les  pensionnaires,  en  présence  de  leurs  parents.  Plût  à  Dieu 
qu'on  n'eût  eu  que  cette  récréation  à  reprocher  aux  jésuites!  Les 
jansénistes  ont  tant  fait  qu'ils  ont  fermé  leurs  théAfres.  On  dit 
qu'ils  fermeront  bientôt  leurs  écoles.  Ce  n'est  pas  mon  avis;  je 
crois  qu'il  faut  les  soutenir  et  les  contenir':  leur  faire  payer 
leurs  dettes  quand  ils  sont  baïKiiierouticrs;  les  pendre  même 


1.  Cette  lettre  a  été  jusqu'ici  placée  en  17G3;  je  la  mets  à  la  (in  de  1761. 
parce  quVllc  me  parait  antérieure  à  la  Balance  èyale,  qui  est  de  février  1702.  (U.) 
—  Vo_ve7.  tome  XMV,  paj,'e  3J7. 

2.  L'Amour  médecin,  acte  I,  scène  i. 

3.  C'est  à  cause  de  cette  phrase,  rappcléi;  dans  la  Balance  égale  (voyez 
tome  XXJV,  page  338),  que  j'ai  mis  cette  lettre  a  lu  lia  de  17G1.  (B.) 


Ijli 


COIIKESPONDANGK. 


quand  ils  enseignent  le  parricide  ;  se  moquer  d'eux  quand  ils  sont 
d'aussi  mauvais  critiques  que  frère  Berlliier.  Mais  je  ne  crois  pas 
qu'il  faille  livrer  notre  jeunesse  aux  jansénistes,  attendu  que 
celte  secte  n'aime  que  le  Traite  de  la  Grâce,  de  saint  Prosper,  et 
se  soucie  peu  de  Sophocle,  d'Euripide,  et  de  Térence,  quoique, 
par  une  de  ces  contradictions  si  ordinaires  aux  hommes,  Térence 
ait  été  traduit  par  les  jansénistes  de  Port-Royal.  Faites  aimer 
l'art  de  ces  grands  hommes  (je  ne  parle  pas  des  jansénistes,  je 
parle  des  Sophocle).  Malheur  aux  harbares  jaloux  à  qui  Dieu  a 
refusé  un  cœur  et  des  oreilles  !  malheur  aux  autres  barbares  qui 
disent  :  On  ne  doit  enseigner  la  vertu  qu'en  monologue  ;  le  dia- 
logue est  pernicieux!  Eh!  mes  amis,  si  l'on  peut  parler  de  morale 
tout  seul,  pourquoi  pas  deux  ou  trois?  Pour  moi,  j'ai  envie  de 
faire  afficher  :  «  On  vous  donnera  un  Sermon  en  dialogue,  com- 
posé par  le  R.  P.  Goldoni.  » 

N'êtes-vous  pas  indigné,  comme  moi,  de  voir  des  gens  qui  se 
disent  gravement  :  Passons  notre  vie  à  gagner  de  l'argent  ;  caba- 
lons,  enivrons-nous  quelquefois  ;  mais  gardons-nous  d'aller  en- 
tendre Polycuclc,  etc. 


TABLE 

DES  MATIÈRES  CONTENUES  DANS  LE  NEUVIÈME  VOLUME 

DE   LA    CORRESPONDANCE. 


LETTRES 


1760 


1282.  La  comtesse  d'Argental.  1"  octobre  17(30.  —  «  Chat-manie  madame 

Scaliger,  la  lettre.  » B. 

■4283.  M.  Fabry.  Délices,  8  octobre.  —  »  Puisque  M.  de  Fleury  veut  gar- 
der l'incognito,  i B.  et  F.  {App.  1863.) 

428i.  Le  marquis  de  Chauvclin.  Délices,  3  octobre.  —  «  Le  baron  germa- 
nique qui  se  charge.  » B. 

4285.  Le  docteur  Troncliin.  —  «  Vuici,  mua   cher  Esculape,    le  volume 

dont  vous  voulez.  » C.  et  F.  (Suppl.) 

428G.  Le  marquis  Albergati  Capacelli.  Délices,  3  octobre.  —  «  Signor  mio 

amabile,  caro  protettorc.  » C.  et  F. 

4287.  Le  comte  d'Argental.  Délices,  4  octobre.  —  «  Eh  '.  mon  Dieu,  mes 

anges,  vous  voilà  fâchés.  » B. 

4288.  Palissot.  Octobre.  —  <i  J'ai  reçu,  monsieur,  votre  lettre  du  13.  »     .      B. 

4289.  D'Alcmbert.  8  octobre.  —  «  J'ai  eu  votre  discours.  » B. 

4290.  Thicriot.  8  octobre.  —  «  Je  vous  dois  bien  des  réponses.  »...       B. 

4291.  Damilaville.  8  oct.  —  «  M.  Thieriot  m'apprend  toutes  vos  bontés.  ».      B. 

4292.  Le  comte  d'Argental.  8  octobre.  —  a  O  divins  anges!  Jugez  si  je 

suis  fidèle.  > B. 

4293.  La  marrpiisc  du  DelTanl.    10  octobre.  —  «  Si  vous  n'éies  point  un 

yraitd  enfant.  » B. 

4294.  Le  conseiller  Le  liauli.  D.  lires,  \1  i,ct,<\ni'.  —  ..  (ju'fsi  devenu  le 

gros  tonneau?  » lu.  K. 

4295.  La  comtesse  d'Argental.  13  octobre.  —  «  Madame  Scali^;er,  sa\e/.- 

voiis  bien.  Il 15. 


JiTG  TABLE    DES    MATIfiRES. 

4'29C.  M""  Clairon.  14  octobre.  —  «  Je  ne  conçois  pas  comment.  ».     .     .  C.  et  F. 
4297.  M"*-'  Clairon.  -16   oct.  —  «  Belle  Mclpomène,   ma  main  ne  répon- 
dra pas.  » B. 

/t2Q8.  De  d'Alembcrt.   18  octobre. —  «  Je  m'attendais  bien.  » B. 

4299.  La  comtesse  d'Arg-ental.  Délices,  18  oct.  —  «  Je  prends  la  liberté.  »  B. 

4300.  Thieriot.  19  octobre.  —  «  Voici  une  lettre  de  change,  »  .     .     .     .  B. 

4301.  Le   conseiller    ïronchin.    21   octobre.  —  «   Voilà   donc   les   Autri- 

chiens. ). C.  et  F.  (Suppl.) 

4302.  Duclos.  Ferney,  22  octobre.  —  «  Vous  êtes  ferme  et  actif.  ».     ,     .       B. 

4303.  Le  conseiller  Le  Baull.  Dùliccs,  22  octobre.  —  «  Les  maçons  et  les 

charpentiers.  » Th.  F. 

4304.  Chenevières.  22  octobre.  —  «  La  meilleure  nouvelle  que  vous  nous 

aj'oz  jamais  apprise.  » C.  et  F. 

4305.  M"*.  —  «  S'il  y  a  des  esprits  de  travers.  » B. 

4306.  Le  président  de  Ruffey.  24  octobre,  à  Ferney.  —  »  Sans  une  demi- 

douzaine  de  tragédies.  » Th.  F> 

4307.  Jean  Schouvalow.  Ferney,  25  octobre.  —  «  Je  reçois,  par  i^I.  de 

Kayserling.  » B. 

4308.  La  comtesse  d'Argental.  Ferney,  25  octobre.  —  «  Je  me  mets  plus 

que  jamais.  » B. 

4309.  M""'  d'Épinai.  25  octobre.  —  «    M.   Lefranc  de  Pompignan,   histo- 

riographe manqué.  » B. 

4310.  Lekaiu.  Délices,  26  octobre.  —  «  Je  réponds  à  votre  lettre  du  15.  »  B. 

4311.  Turgot.  Délices,  26  octobre.  —  «  Vous  arrivez  dans  ma  chapelle.  »  C.  et  F» 

4312.  La  marquise  du  Deffant.  Délices,  27  octobre.  —  «  Ceci  n'est  i)oint 

une  lettre.  » B. 

4313.  Thieriot.  Ferney,  27  octobre.  —  «  Je  vous  dis  et  redis.  »  .     .     .     .      B. 

4314.  Le  comte  d'Argental.   27  octobre.  —  «  J'apprends   que  vous  êtes 

revenu  à  Paris.  » B» 

4315.  Helvétius.  27  octobre.  —  «  Je  ne  sais  où  vous  prendre.  > B. 

4316.  Le  comte  d'Argental.  28  octobre.  —  «  Pardon  à  mes  divins  anges.  »  B. 

4317.  De  Frédéric  11,  roi  de  Prusse.  31  octobre.  —  «  Je  vous  suis  obligé 

de  la  part  que  vous  prenez.  » Pr> 

4318.  De  lord  Lyttelton.  —  «  I  hâve  received  the  honour.  i B. 

4319.  Thieriot.  1"  novembre  1700.  —  «  Le  temps  presse.  > C.  et  F. 

4320.  Le  comte  d'Argental.   Délices,   l""""  novembre.  —  «  Je  reçois  votre 

lettre  du  27  d'octobre.  » B. 

4321.  De  la  marquise  du  Defj'ant.  l"  novembre.  —  «  Oui,  j'ai  reçu  votre 

beau  présent.  ». LesC- 

4322.  Le  comte  d'Argental.  3  nov.  —  «  Je  demande  pardon  d'écrire.  ».     .  B. 

4323.  M.  de  Bastide.  —  «  Je  n'imagine  pas,  monsieur  le  Spectateur.  ».  B. 

4324.  Le  Brun.  A  Ferney,  5  novembre.  —  «  Je  vous  ferais  attendre.  »    .  B. 

4325.  Jean  Schouvalow.  7  novembre.  —  «  On  a  fait,  en  deux  mois.  ».  .  B. 
4320.  Saint-Lambert.  Délices.  —  «  Je  viens,  mon  très-aimable  TibuUe.  »  B. 
4327.  Tronchin,  de  Lyon.  Délices,  8  novembre.  —  «  Les  effets  publics  se 

soutiendront.  » C.  et  F.  (Suppl.) 


TABLK    DES    MATIÈRES.  577 

4328.  M"*^  Belot.  10  novembre.  —  m  II  y  a  plus  de  quinze  jours.  »  C.  et  F.  (Suppl.) 

4329.  Le  comte  d'Argental.  10  novembre.  —  «  Vous  êtes  mes  anges  plus 

que  jamais.  » B. 

4330.  Chenevières.  Délices,  11  novembre. —  «  Vous  verrez  bientôt  .M"«  de 

Bazincourt.  » G.  et  F. 

4331.  Le  comte  de  Tressan.  Ferney,  12  novembre.  —  «  Respectable  et 

aimable  gouverneur.  » B. 

4332.  Colini.  Délices,  12  novembre.  —  «  Je  vous  écris,  pour  vous  et  pour 

M.  Harold. B. 

4333.  Le  comte  d'Argental.  12  nov.  —  «  Il  est  vrai  que  Dieu  a  voulu.  ».      B. 

4334.  Jean  Schouvalow.  Délices,  15  novembre.  —  «  Dans  les  dernières 

lettres  que  j'ai  eu  l'honneur.  > B. 

4335.  La  comtesse  d'Argental.  15  nov.  —  «  Je  reçois  toutes  vos  bontés.  »  B. 

4336.  Prault  fils.  Délices,  15  novembre.  —  «  Je  vous  ai  écrit.  ».     .     .    .  C.  et  F. 

4337.  D'Alembert.  17  nov.  —  «Mon  cher  maître,  mon  digne  philosophe.  ».  1!. 

4338.  Duclos.  19  novembre.  —  «  C'est  pour  vous  donner  avis.  »     .     .     .  C.  et  F. 

4339.  Le  duc  d'Uzès.  19  novembre. —  «  Monsieur  le  duc,  béni  soit  Dieu.  »  B. 

4340.  Damilaville.  19  novembre.  —  «Dieu  me  devait  un  homme.  »     .     .  B. 

4341.  Thieriot.  19  novembre.  —  «  Vos  dernières  lettres  sont  charmantes.  »  B. 

4342.  M.  Devaux.  —  «  Je  ne  sais  si  mon  cher  Panpan. B. 

4343.  Pierre  Rousseau.  21  nov.  —  «  La  personne  à  qui  vous  avez  écrit.  »  Ined. 

4344.  Le  Brun.  Délices,  22  novembre.  —  «  Sur  la  dernière  lettre.  ».    .     .  B. 

4345.  M"*^  Corneille.  Délices,  22  novembre.  —  «  Votre  nom,  votre  mérite, 

et  la  lettre.  » B. 

4346.  Le  comte  d'Argental.  25  novembre. —  «Rien  n'est  plus  importun.»      B. 

4347.  Gabriel  Cramer.  —  «  Je  ne  crois  pas  qu'il  soit  convenable.  »     .     .  B.  cl  F. 
43*8.  La  comtesse  d'Argental.  20  novembre.  —  «  Après  avoir  écrit  hier 

au  soir.  » B. 

4349.  Le  marquis  d'Argence  de  Dirac.  27  novembre.  —  «  Le  philosophe 

des  Alpes  et  sa  nièce.  » B. 

4350.  Tronchin,  de  Lyon.  28  novembre.  —  «  Il  se  pourra  faire  que  dans 

quelques  jours.  » C.  *^t  F. 

4351.  De  Diderot. '2S  novembre. —  «  L'ami  Thieriotaurait  bien  mieuxfait.  »      B. 

4352.  A  Algarotti.  Ferney,  28  novembre.  —  «  Un  de  mes  chagrins.  »  .    .       B. 

4353.  Le  comte  d'Argental.  29  novembre.  —  «  Telle  est  dans  nos  États.  »       B. 

4354.  Sénac  de  Meilhan.  30  nov. —  «Je  sens  bien  vivement  vos  bontés.  »     Lesc. 

4355.  Tronchin,  de  Lyon,  l'^'  décembre  176(t.  —  «  Il  faut  que  vous  m'ai- 

diez. » C.  et  F.  (Suppl.) 

4356.  Jean  Schouvalow.  Ferney,  2  décembre.  —  «  Je  dois  confier  à  votre 

prudence.  » B. 

4357.  Tronchin,  de  Lyon.  5  décciubre.  —  «  Nu  croyez   pas,   num  cher 

hugufnoi.  M C.  et  F.  (^Suppl.j 

4358.  Le   consi;iller  Le    Baull.  Ferney,  5  décembre.  —  «  Vous  ne  m'avez 

rien  écrit  sur  vos  vignes,  i Maxd.-Gii. 

4359.  Sénac,  premier  médecin  du  voi.  Délices,  G  décembre.  —  »  .Ma  par- 

tic  pensante  sait  tout  ce  (ju'elle  vous  doit.  » li. 

41.   —  CORRKSI'ONUANCH.    IX.  37 


578  TABLK    DES   MATlÈRliS. 

43C0.  Thicriot.  8  décembre.  —  «Je  n'ai  pas  un  moment  à  moi B. 

4301.  Tronchin,  de  Lyon.  Délices,  8  décembre.  —  «  L'affaire  des  frères 

jésuites.  » C.  et  F.  (Siippl. 

4302.  Le  Brun.  Délices,  9  décembre.  —  «  Les  dernières  lettres  que  j'ai 

eu  l'honneur  de  recevoir.  » B. 

4363.  Le  comte  d'Argental.  9  décembre.  —  «  Remontrances  de  Voltaire  à 

ses  anges  gardiens.  De  Deliciis  clamavi.  » B. 

4304.  La  marquise  du  DcIVant.  9  décembre.  —  «  Il  y  a  plus  de  six  se- 
maines. » B. 

4365.  Joly  do  Fleury,  intendant  de  Bourgogne.  Délices,  10  décembre.   — 

«  J'ai  l'honneur  de  vous  envoyer.  » H.  B. 

4360.  Au   roi   en    son   conseil.  —  «   Sire,    François  de  Voltaire,    pentil- 

hoinme.  » H.  B. 

4307.  M.  Héron.  Délices,  10  décembre.  —  «  J'obéis  à  vos  ordres.  »     .     .      B. 

4368.  M.  Dupont.  10  décembre.  —  «  Si  vous  aviez  été  cœlebs.  »...      B. 

4369.  Helvétius.  12  décembre.  —  «  Il  y  a  longtemps  que  je  voulais.  ».     .      B. 

4370.  M.  Desprez  de  Crassy.  —  «  Si  vous  avez  été  malade.  » Inéd. 

4371.  Le  comte  d'Argental.  15  décembre.  —  «  Voilà  la  véritable  leçon.  »      B. 

4372.  Prault  fils.  Aux  Délices.  —  «...  Au  reste,  je  n'ai  jamais  mis.  »    .  C.  et  F. 

4373.  Thieriot.  15  décembre.  —  «  Il  y  a  longtemps  que  l'ami  Thieriot.  ».  C.  et  F. 

4374.  M.  de  Brenles.  Délices,  16  déc.  —  «  Vous  souvenez-vous  de  moi?»      B. 

4375.  Le  comte  d'Argental.  16  décembre.  —  «  Je  vous  e.xcède  encore.  ».      B. 
4370.  Lekain.  16  décembre.  —  «  Je  n'ai  voulu  vous  répondre.  ».     .     .     .      B. 

4377.  Le  comte  d'Argental.  16  décembre  au  soir.  —  «  Je  reçois  le  paquet.  »      B. 

4378.  Prault  fils.  —  «  M.  de  Voltaire  a  reçu  la  lettre.  » B. 

4379.  Jean  Schouvalow.  Ferney,  20  décembre.  —  «  Je  vous  souhaite  la 

bonne  année.  » B. 

4380.  M.  des  Hauteraies.  2  décembre.  —  «  J'avais  déjà  lu  vos  Doutes.  ».      B. 

4381.  M.  Daquin.  Ferney,  22  décembre.  —   «  Vous  êtes  donc  devenu 

censeur.» C.  et  F.  (2=  suppl.). 

4382.  Thieriot.  22  décembre.  —  «  Un  M.  Chamberlan,  dans  le  Censeur 

hebdomadaire,  i B. 

4383.  La  marquise  du  Deffant.  Ferney,  22  décembre.  —  «  Il  y  a  eu  de 

la  réforme  dans  les  postes.  » B. 

4384.  Le  comte  d'Argental.  22  décembre.  —  «  Comment  vont  les  yeux?  »       B. 

4385.  Damilaville.  22  décembre.  —  «  Je  profite  de  vos  bontés.  ».     .     .     .      B. 

4386.  Diderot.  Décembre. —  «  Monsieur  et  mon  très-digne  maître,  j'au- 

rais assurément. B. 

4387.  Le  marquis  Albergati  Capacelli.  Ferney,  23  décembre.  —  «  Nous 

sommes  unis  par  les  mêmes  goûts.  » B. 

4388.  M.  Corneille.   Ferney,  25  décembre.  —  «  Mademoiselle  votre  fille 

me  paraît  digne.  » B. 

4389.  Desprez  de  Crassy.  Ferney,  25  décembre.  —  «  En  vous  remerciant 

de  vos  perdrix.  > G.  et  F. 

4390.  M""^  d'Épinai.  Ferney,  26  décembre.  —  «  Ma  belle  philosophe,  je 

ne  sais  ce  qui  est  arrivé.  » B. 


TABLE    DES    MATIERES.  579 

4391.  Thieriot.  26  décembre.  —  «  Bon!  bon!  voilà  un  excellent  renfort.  «  C.  et  F. 

4392.  Le  comte  d'Argenlal.   Ferney,   28  décembre.  —  «  Et  les  yeux  de 

mes  anges?  i B. 

4393.  Colini.   Ferney,  20  décembre.  —  «  Les  hivers  me  sont  toujours  un 

peu  funestes.  » B. 

4394.  Bertrand.  Ferney,  29  déc  —  «  Je  trouve  que  le  sieur  Panchaud.  »  .      B. 

4395.  Le  comte  d'Arsental.  Ferney,  31  décembre.  —  «  Les  plus  aimnbles 

et  les  plus  dinicilcs.  » B. 

4396.  Duvergier  de  Saint-Ktienne,  gentiliiomme  du  roi  de  Tologne.  Dé- 

cembre.—  M  Tout  malade  que  je  suis.  » B. 


1761 


4397.  La  duchesse  de  Saxe-Gotha.  —  «  Il  faut  donc  que  l'année  1701.  ».  lî.  et 

4398.  Helvétius.  Ferney,  2  janvier  17G1.  —  «    Je    salue  les    frères   en 

1761.  » B. 

4399.  Le  Brun.  Ferney,  2  janvier.  —  «  Vous  m'avez  accoutumé.  »...      B. 

4400.  Fjot  do  La  Marche  (fils).  Ferney,  3  janvier.  —   «  Permettez   qu'au 

commencement  de  cette   année.  » H.  B. 

4401.  M"'*  Belot.  —  «  Voltaire  est  honteux.  » B.  ctF. 

4402.  Chencvières.   Ferney,   4  janvier.  —  «  Je  suis  linntenx;  je  inc  met- 

trais. » C.  et  F. 

4403.  Prault  fils.  4  janvier.  —  «    M.  Praull  doit  savoir.  » C.  et  F. 

4i0i.  Cideville.  Ferney,  4  janvier.  —  «Vous  vous  êtes  blessé.  ».    .     .     .      B. 
440D.  Desprez   de  Crassy.   Délices.   —  «   Vous  m'avez  promis  vos  bons 

offices.  >i C.  et  F. 

4406.  Le  comte  d'Argental.  Ferney,  6  janvier.  —    «  Aidez-mai  à  vcnircr 

la  patrie.  » B. 

4407.  Damilaville.  G  janvier.  —  m  Le  solitaire  des  Alpes  fait  mille  com- 

pliments. » B, 

4408.  D'Alembert.   Ferney,  C  janvier.   —    «  Je  vous  salue,  vous   et  les 

frères.  » B. 

4409.  Damilaville.  9  janvier. —  «  Permettez-vous  que  j'abuse  si  souvent,  m       B. 

4410.  Jean  Schouvalow.  Ferney,  10  jaiivii.r.   —  «  Je  n'ai  jamais  été  du 

goût.  » B. 

4411.  Chcnevières.  Délices,  11  janvier.  —  «  La  paressiu^o  M'""  Denis.  ».  C.  et  F. 

4412.  Damilaville.  11  janvier.  — «  Je  vous  envoie  toujours.  » B. 

4113.  M.    Bairieu.    Ferney,    11    janvier.    —    u   Al"":  Denis  et   moi  nous      B. 

somm(is. B^ 

4ili.  Thieriùt.  11  janvier.  —  «  Heru  \c  Monde  et  la  li-tin-.   •>....       B. 

tilT).  La  comtesse  de  Lutzclbourg.  Ferney,  13  janvier.  —  <<  Pardon,  ma- 
dame, pardon.  » \\ 

4ilG.  La  comtesse  d'.\rgcnlal.  F*'erney,   Il  janvier.  —  «  Que  monsieur  et 

madame  écrivent. Ij_ 

4117.  DuiMolard.  Ferney,  IJ  janvier.  —  m  .N'nus  ne  montrons  cncnre.  »    .       H. 


5S0  TAHLlî    DES    MATIKUHS. 

4ilS.  Lo  docteur  Tronchin.  —  «  .'\Ion  cher  Ksculape,  mon  petit  ma- 
lade. ) C.  et  F.  (Siippl.) 

4119.  La  marquise  du  Déliant.  Ferney,    l.j  janvier.  —  «  Je    commence 

d'abord  par  vous  excepter,  h 15. 

4i20.  Thicriot.  15  janvier.  —  Reçu  une  feuille  du  C'ensciir /lek/omadai're.  »       U. 

4421.  Le  président  de  Ruffey.  Ferney,  16  janvier.  —  «  Ambroisc  Decroze 

vous  a  écrit.  » Tu.  F. 

4422.  Damilaville.  16  janvier.  —  «  Mille  tendres  remerciements.  »     .     .       15. 

4423.  Fyot  de  La  Marche.  Ferney,  18  janvier.  —  «  M.  de  RufTey  m'a  fait 

verser  des  larmes.  » 15. 

442 i.  Gabriel  Cramer.  —  «  Je  vous  remercie  de  vos  bontés.  »  .  C.  et  F.  (Suppi.) 

4425.  Helvétius.  Délices,  19  janvier.  —  «  Il  est  vrai,  mon  très-cher  phi- 

losophe persécuté.  » B. 

4426.  Le  marquis  d'Argence  de  Dirac.  Ferney,  20  janvier.  —  «  Vous  con- 

naissez ma  vie.  » B. 

4427.  Le  marquis  de  Chauvelin.  21  janvier.  —  «  Voici,  pour  Votre  Excel- 

lence. ) .      B. 

4428.  Thieriot.  Ferney,  21  janvier.  —  «  Reçu  le  petit  livre  royal.  »     .     .      B. 

4429.  La  duchesse  de  Saxe-Gotha.  Ferney,  22  janvier.  —  «  Moi,  n'avoir 

point  écrit  à  Votre  Altesse.  > B.  et  F. 

4430.  La  comtesse  de   Bessevitz.   Ferney,  22  janvier.  —  «  ...  Une  Polo- 

naise, en  1722,  vint  à  Paris.  » B. 

4431.  L'abbé  d'Olivet.  Ferney,  22  janvier.  —  «  Mon  cher  Cicéron,  qui  ne 

vivez  pas.  » B. 

4432.  Deodati  de  Tovazzi.  Ferney,  24  janvier.  —  «  Je  suis  très-sensible 

à  l'honneur.  » B. 

•4433.  Thieriot.  Tournay,  25  janvier.  —  «  Mille  tendres  remerciements  à 

M.  Damilaville.  » C.  et  F. 

4434.  Du  2)t'ésident  de   Brosses.  Janvier.  —  «  Agréez    que  je,  vous  de- 

mande. » Th.  F. 

4435.  Le  comte  d'Argental.  Ferney,  26  janvier.  —  «    Et  ces  yeux,  ces 


yeux. 


B. 


4436.  MarmoQtel.  Ferney,  27  janvier.  —  «  Après  avoir  été  tant  applaudi.  »      B. 

4437.  Le  conseiller  Le  Bault.  Ferney,  29  janvier.  —  «  M.  de  Ruffey  a 

pris  le  département  d'Apollon.  » Mand.-Gr. 

4438.  Le  comte  d'Argental.  Ferney,  30  janvier.  —  «  Amusez-vous  de  cet 

imprimé.  » •     •     •      B. 

4439.  Le  Brun.  Ferney,  30  janvier.  —  «  Permettez-moi,  monsieur,  d'être 

aussi  en  colère.  » B. 

4440.  De  M"^^  Denis  au  chancelier  de  France.  Ferney,  30  janvier.  —  «  Je 

me  joins  au  cri  de  la  nation.  » B. 

4441.  Le  président  de  Brosses.  Ferney,  30  janvier.  —  «  11  ne  s'agit  plus 

ici. Tu.  F. 

4442.  Le  Brun.  Ferney,  31  janvier.  —  «  Il  est  de  la  plus  grande  impor- 

tance. » ^'• 

4443.  Thieriot.  Ferney,  31  janvier.  —  «  Je  reçois  des  lettres.   »...      B. 


TABLE    DES    MATIÈRES.  531 

4444.  L'abbé  de  La  Porte.  2  février  17GI.  —  «  Je  réitère  à  M.  l'abbé  de 

La  Porte.  > B. 

44 io.  Le  comte  d'Argental.  Ferney,  2  février.  —  «  Ang-es  de  paix,  mais 

ancres  de  justice.  » B. 

4440.  Le  président  de  Ruffey.  —  «  Vous  me  permettez  de  vous  impor- 
tuner. » Tu.  F. 

44i7.  Le  Brun.  2  février.  —  «  J'ai  l'honneur  de  vous  écrire.  »    .     .     .     .       i;. 

4418.  Saurin.  Ferney,  2  février.  —  «  Toutes  les  fois  qu'un  frère.  ».     .     .      lî. 

4449.  Damilaville.  Ferney,  2  février.  —  «  Je  réitère  à  M.  Damilaville.  »  .      15, 

4450.  La   duchesse  de  Sa\e-Gotha.  Délices.   5  février.-—   «  Pardonnez 

encore  à  un  pauvre  vieillard.  » i;.  et  F. 

4451.  M.  Fabry.  Délices,  5  février.  —  «  Si  le  vent  est  moins  violent.  »  .  B.  et  F. 
44.52.  M.  Fyot  de  La  Marche.  Délices,  6  février.  —  «  Souffrez  que  je  vous 

remercie.  » Ti.  F. 

4i.53.  Le  Brun.  Ferney,  G  février.  —  «  ^lon  cher  correspondant  saura.  ».  H. 
4i54.  Damilaville.  6  février.  —  «  J'abuse  un  peu  des  bontés.  »  .  .  .  .  B. 
4455.  Le  comte  d'Arsrental.  7  février.  —  «  De  profundis  cîamavi.  »...  B. 
44.56.  D'Alcmbert.  Fernev,  9  février.  —  «  Vous  devenez  plus  nécessaire 


que  jamais. 


n. 


4i57.  Le  comte  d'Argental.  9  février.  —  «  Voici  la  plus  belle  occasion.  »       B. 

4458.  Colini.  Ferney,  9  février.  —  «  Vous  voilà  agrégé.  » B. 

44.59.  Charles-Théodore,  électeur  palatin.  Ferney,  9  février.  —  «  Le  pauvre 

vieillard  suisse.  » B. 

44G0.  Du  préaident  de  Drosses.   11   février.  —  «  Je  vois  par  plus  d'une 


pn 


Tri.  F. 


4i01.  Le  comte  d'Argental.  11  février.  —  «  Voilà  le  cas  de  mourir.  »  .     .       B. 

4iG2.  La  Popelinière.  Ferney,  15  février.  —  «  J'aime  autant  les  romans 

orientaux.  » B. 

4i63.  Le  Brun.  Ferney,  15  février.  —  «  Il  y  a  longtemps  que  je  ne  suis 

surpris  de  rien.  » B- 

44Gi.  M.  Dupont.  Délices,  15  février.  —  «  Je  vous  plains  bien  d'être  où 

vous  êtes.  » B. 

44G5.  Le  conseiller  Le  Bault.  Délices,  16  février.  —  «  Vous  me  permet- 
trez de  vous  importuner.  » Mwd.-Gr. 

4iG6.  Le  comte  d'Argental.  16  février.  —  «  Ce  n'est  pas  au\  yeux.  »    .     .       B. 

4467.  Damilaville.  18  février.  —  «  Je  salue  tendrement  les  frères.  »    .     .       B. 

44G8.  Le  Brun.  Ferney,  19  février.  —  «  Plus  j'y  fais  réflexion.  »...       B. 

44(J9.  M""  d'Kpinai.  Ferney,  19  février.  —  «  Quoiiiue  ma  belle  philosophe 

n'écrive. B. 

4470.   M.  Fiihrv.  Fernev,  lundi  'JU.  —  «  (i'est  en  courant  que  j'ai  l'hon- 


neur. 


1!.  et  F. 


4471.  M""-  d'I^lpinni.  Ferney.  2:1  février.  —  «  Monsieur  l'inlindant  d.-  Lyon 

me  mande.  » B. 

447-2.  M.  Sénac,  conseiller  (rj^:tal.  premier  médecin   du  n>i,  à  Versailles. 

Ferney,  24  février.  —  «  Becevcz  tous  mes  rcmorcicmcnts.  ■.     .     [.ksc. 

447:?.  M.  Fahrv.  Délices,  24  février.  —  «  J'ai  l'Iinniieiir  de  v..us  envoyer.  »  l'.-  et  F. 


o«2  TAItLE    DES    MATIERES. 

4i7l.  Le  maniais  d'Argence  de  Dirac.  2i  février.  —  «  L'Évanuile  a  rai- 
son de  dire.  » B. 

4475.  Du  Père  Fessy  à  M.  Le  BauU.  '2b  février.  —  «  Vous  avez  vu  sans 

doute  un  mémoire.  ) Mand.-Gr. 

4470.  De  Diderot.  20  février.  —  «  Ce  n'est  pas  mui  qui  l'ai  voulu.  ».     .     Asskzat. 

4477.  Damilaville.  27  février.  —  «  Reçu  K  et  L.  » B. 

4i78.  D'Alembcrt.  Fcrncy,  27   février.  —  «  Vous  êtes  un  franc  savant.  «       B. 

4479.  M'""  de  Fontaine.  Ferney,  27  février.  —  «  Nos  montagnes  couvertes 

de  neige.  » B. 

4480.  M"'<=  Belot.  —  <i  Vous  savez  combien  le  solitaire  des  Alpes.  »     .     .  C.  et  F. 

4481.  Damilaville.   Ferney,  3  mars  1701.  —  «  Voici  mon  ulti'yiatum  à 

M.  Deodati.  » ' B. 

4i82.  D'Alembert.  3  mars.  —  «  A  quoique  chose  près.  » B. 

4i83.  La  marquise  du  DefTant.  Ferney,  G  mars.  —  «  Vous  serez  étonnée 

de  recevoir.  » B. 

4484.  Le  conseiller  Le  Bault.  Ferney,  8  mars.  —  «  Je  vous  prie  d'avoir 

la  bonté,  w Mand.-Gr. 

4485.  Le  président  de  Ruffey.  Ferney,   8  mars.  —  «  Isous  travaillons  à 

force.  » Tu.  F. 

4180.  Pierre  Rousseau.  Ferney,  10  mars.  —  «  La  personne  eu  question  a 

reçu  le  paquet.  » Inéd. 

4187.  La  comtesse  de  Lutzelbourg.   Ferney,  10  mars.  —  «  J*uur  Dieu, 

envoyez-moi  le  portrait.  » B. 

4i88.  Chenevières.  Ferney,  14  mars.  —  «  Je  ne  vous  ai  point  remercié.  »  C  et  F. 

4489.  Fabry.  —  «  Je  suis  tout  prêt  sans  doute,  i B.  et  F. 

4490.  Le  comte  d'Argental.  Ferney,  19  mars.  —  «  C'est  pourtant  aujour- 

d'hui le  jeudi  de  l'absoute.  » B. 

4491.  D'Alembert.  Ferney,  19  mars.  —  «  Mon  très-digne  et  ferme  philo- 

sophe, vrai  savant.  > B. 

4i92.  L'abbé  d'Olivet.  Ferney,  19  mars.  —  «  Vos  lettres  sont  venues  à 

bon  port.  » B. 

4493.  Damilaville.  Ferney,    19  mars.  —  «  Je  suis  fâché  contre  M.  Thie- 

riot.  » B. 

4494.  3Iarmontcl.  Ferney,  21  mars.  —  «  Consolons-nous,  mon  cher  ami.  »  B. 
4i95.  Lekain.  Ferney,  23  mars.  —  «  Nous  comptions  sur  vous.  »...  B. 
4490.  La  duchesse  de  Saxe-Gotha.  Ferney,  25  mars.  —  «  Votre  Altesse 

sérénissime  daigne  bien  connaître  mon  cœur.  » B.  et  F. 

4497.  Cideville.  Délices,  20  mars.  —  u  Nous  sommes  tous  malades.  ».     .      B. 

4498.  Damilaville.  20  mars.  —  «  J'envoie  aux  amis  ce  rogaton.  »...      B. 

4499.  Le  Brun.  Délices,  20  mars.  —  «  Je  confie  à  votre  probité.  ».     .     .      B. 

4500.  De  Charles-Théodore,  électeur  palatin.  28  mars.  —  «  Je  vous  suis 

très-obligé.  » B. 

4501.  M""'  Belot.   Délices,    29   mars.   —   «    Vous    avez    trouvé    le   se- 

cret. » C.  et  F.  (Suppl.) 

4502.  Le  président  de  Ruffey.  Ferney,  29  mars.  —  «  Le  pauvre  maçon  de 

Ferney.  » B- 


TABLE    DES    MATIERES.  5S3 

4503.  Le  comte  d'Argental.  Délices,  29  mars.  —  «  Il  faut  que  j'aie  com- 

mis. » B. 

4504.  M.   de  Champflour.  Tournay,  30  mars.  —  «  J"ai  lu  dans  les  ;:;!- 

zettes.  » B. 

4505.  Jean  Schouvalow.  Délices,  30  mars.  —  «  Je  rerois  dans  ce  momeni.  >  H. 

4506.  Père  Bettinelli.  Mar«.  —  «  Si  j'étais  moins  vieux.  » U. 

4507.  M"*  de  Fontaine.  —  «  Puisque  vous  aimez  la  campagne.  »...  B. 

4508.  Le  comte  d'Argental.  Délices,  i"  avril  1701.  —  «  A  peine  avais-je 

fait  partir.  » B. 

4509.  M.  Fyot  de  La  Marche  (fils).  Délices,  1"  avril.  —  «  Je  vous  demande 

très-humblement  pardon.  » II.  B. 

4510.  M""*  d'Épinai.  Avril.  —  «  Amusez-vous  un  moment.  » B. 

4511.  Le  comte  d'Argental.  3  avril.  —  «  Il  faut  apprendre  à  mes  anges 

gardiens.  » B. 

4512.  Colini.  Ferney,  4  avril.  —  «  Je  ne  peux  que  remercier.  ».     .     .     .  B. 

4513.  M.  George  Keate.  Ferney,  4  avril.  —  «  Il  est  bien  triste  de  ne  pas 

vous  faire  de  ma  main.  »....• ///.  Lond.  Neivs. 

4514.  Le  Brun.  Ferney,  6  avril.  —  «  Voici  une  seconde  édition,  »...  B. 

4515.  Damilaville.  G  avril.  —  «  M.  Damilaville  me  permettra-t-il.  »    .     .  B. 
45IG.  Helvétius.  Avril.— «  Mademoiselle  protégeait  l'abbé  Cotin.»  B.  etF.  {App.  186.5) 

4517.  M.  Fabry.  Ferney,  9  avril.  —  «  Je  ne  peux  plus  me  plairidre.  ».     .  B.  et  F. 

4518.  De  d'Alembert.  9  avril.  —  «  Je  vous  remercie,  mon  cher  maître.  ».  B. 

4519.  Du  duc  de  La  Vallière.  9  avril.  —  «  Je  vous  ai  mis  dans  l'erreur.  »  .  B. 

4520.  Duclos.  Ferney,  10  avril.  —  a  Je  vous  assure  que  vous  me  faites 

grand  plaisir.  » B. 

4521.  L'abbé  d'Olivct.  Ferney,    10  avril.  —   «  Mai<,  mon  maître,  osl-ce 

que  vous  n'auriez  point  reçu?  » B. 

4522.  Damilaville.  11  avril.  —  «  Je  salue  toujours  les  frères  et  les  fidèles.  »  B. 

4523.  Le  comte  d'Argental.  Ferney,  11  avril.  —  «  Personne  au  moiulo 

n'a  jamais  adressé.  » B. 

4524.  Colini.  Ferney,  14  avril.  —  «  Je  ressens  bien  vivement,  n     .     .     .  B. 

4525.  Charles-Théodore,  électeur  palatin.  Ferney,  li  avril.  —  «  Que  je 

suis  touché!  » B. 

4526.  Le  comte  d'.\rgcntal.  Ferney,  17  avril.  —  «  Plus  anges  que  jamais, 

et  moi  plus  endiablé.  » B. 

4.527.  D'AIcmbert.  Ferney,  20  avril.  —  «  Je  rac  hâte  de  vous  répondre.  »  15. 

4528.  Damilaville.  Ferney,  22  avril.  —  a  Je  suis  le  partisan  de  M.  Diderot.  >•  15. 

4529.  M.  de  Varenncs.  Ferney,  22  avril.  —  a  Vous  ne  pouvez  douter.  »  .  V>. 

4530.  Tliieriot.  Ferney,  22  avril.  —  «  Je  vous  croyais  opulent.  »   .     .  B. 

4531.  Le  duc  de  La  Vallière.  —  «  Votre  procédé  est  de  l'ancienne  rlieva- 

lerie.  » B. 

4532.  Le  président  de  Ruiïey.  Ferney,  2i  avril.  —  u  On  m'a  traité  comme 

un  pftit  enfant.  » Tu.  F. 

4533.  L'abbé  d'Olivct.  Ferney,  27  avril.  —  h  Per  Dcos  immortales!  «    .  B. 

4534.  L'abbé  Trublet.  Fernoy,  27  avril.  —  «  Votre  lettre  et  votre  procédé 

généreux,  i B. 


584  TABLE    DES    MATIERES. 

4535.  Le  comte  d'Arj^ontal.  Fcrncy,  27  avril.  —  «  J'envoie  à  mes  anges.  »  13. 
■^530.  Le  marquis  Albergati  Capacelli.  Ferncy,  \"  mai  17G1.  —  «  Ne  jugez 

pas  do  mes  sentiments.  » B. 

4537.  Duclos.  Ferncy,  l"^""  mai.  —  «  Après  le  Dictionnaire  de  l'Académie.  »  B. 

4538.  Le  comte  d'Argental.  l''"'  mai.  —  «  Permettez  que  je  fasse  passer.  »  B. 

4539.  Le  comte  d'Argental.  4  mai.  —   «  Les   divins   anges  auront  de 

VOresfe   » B. 

4540.  D'Alembert.  7  ou  8  de  mai.  —  «  Monsieur  le  Prêtée,  monsieur  le 

multiforme.  > D. 

■4541.  Damilaville.  8  mai.  —  «  J'envoie  aux  philosophes   le  seul  exem- 
plaire. » B. 

4542.  De   Vabbé  Trublet.  10  mai.  —  «  Mille  grâces,  monsieur  et  très- 

illustre  confrère.  » B. 

4543.  Helvètius.  11  mai.  —  «  Je  suppose  que  vous  jouissez  à  présent.  »      B. 
454i.  Duclos.  Délices,  13  mai.  —  «  Je  compte,  dans  une  entreprise.  ».     .  C.  et  F. 

4545.  Le  comte  de  Kayserling.  Délices,  14  mai.  —  «  Voici  un  essai  de  ce 

que  vous  m'avez  demandé.  » B. 

4546.  M.  Fyot  de  La  Marche  (père).  Ferney,  20  mai. —  «  En  qualité  de  bon 

Bourguignon.  »> Th.  F. 

4547.  Cideville.  Délices,  20  mai.  —  h  Nos  ermitages  entendent  souvent.  »      B. 

4548.  Imbert.  20  mai.  —  «  Il  y  a  longtemps  que  j'aurais  dû.   > C.  et  F. 

4549.  Le  comte  d'Argental.  21  mai.  —   «   IVlon   noble  courroux  contre 

maître  Le  Dain  et  consorts.  » B. 

4550.  Fabry.  Ferney,  22  mai.  —  «  Il  est  bien  doux  d'être  servi.  )>  .     .     .  B.  et  F. 

4531.  Le  conseiller  Le  Bault.  A  Ferney,  23  mai.  —  «  Il  ne  s'agit  pas  tou- 

jours de  vin  de  Bourgogne.  » Tu.  F. 

4532.  Damilaville.  24  mai.  —  «  On  est  accablé  d'affaires  et  de  travaux.  »      B. 

4533.  Bertrand.  Ferney,  24  mai.  —  «  M.  de  Voltaire  et  M'""  Denis  seront 

enchantés.  » B. 

4334.  Jean  Schouvalow.  Ferney,  24  mai.  —  «  J'ai  reçu  par  M""'  la  com- 
tesse de  Bentinck.  » B. 

4555.  M'"'  de  Fontaine.  31  mai.  —  «  A  présent  que  vous  avez  passé  huit 

jours.  1) B. 

4556.  M'""  d'Épinai.  Mai.  —  «  Je  renvoie  à  M.  Dardelle,  sous  les  auspices 

de  ma  belle  philosophe.  » , B. 

4557.  Damilaville.  Mai.  —  «  Pourrait-on  déterrer  dans  Paris.  ».     .     .     .      B. 

4558.  Le  comte  d'Argental.  Mai.  —  «   Ce  n'est   pas  ma  faute,  ô  chers 


4559.  Le  comte  d'Argental.  Mai.  —  «Fi!  les  vilains  hommes  qui  boivent 

de  ça  !  » B. 

4560.  Le  Brun.  Mai.  —  «  M™'  Denis,  M""  Corneille  et  moi,  nous  sommes.  »      B. 

4561.  Chenevières.  l*'  juin  1761.  —  «  On  m'a  dit  que  M™"  de  Paulmy.  »  C.  et  F. 

4562.  Lekain.  Délices,  2  juin.  —  «  Mon  cher  Roscius,  vous  n'êtes  pas  heu- 

reux. » B. 

4563.  Arnoult,  doyen  de  l'Université,  à  Dijon.  Ferney,  le  5  juin.  —  «  J'ai 

peur  de  vous  avoir  fait  envisager.  » B. 


TABLE    DES    MATIÈRES.  585 

45G4.  Jean  Schouvalow.  Ferney,  8  juin.  —  «  Votre  très-aimable  M.  Sol- 

tikof.  » B. 

4565.  Arnoult.  Le  9  juin.  —  «  Jai  fait  usage  sur-le-champ.  »    .     .     .     .       B. 

4500.  Le  président  de  Ruffcy.  Ferney,  9  juin.  —  «  Quoique  je  sente  par- 
faitement. » B. 

4.507.  Charles-Théodore,  électeur  palatin.  Ferney,  9  juin.  — «  F»l-ce  une 

fille?  est-ce  un  garçon?  » B. 

4508.  Jean  Schouvalow.  Ferney,  1!  juin,  —  «  Vous  vous  êtes  imposé  vous- 
même.  » B. 

4569.  M.  Fabry.  Ferney,  14  juin.  —  o  II  y  a  plusieurs  articles.  ».     .     .  B.  et  F. 

4570.  M.  Arnoult.  Ferney,  15  juin.  —  «  J'eus  l'honneur  de  vous  mander.  i>      B. 

4571.  Le  comte  d'Areental.  15  juin.  —  «  Ne  m'avez-vous  pas  pris  pour 

un  hâbleur.  » B. 

4572.  L'abbé  d'Olivet.  Ferney,  15  juin.  —  «J'avais  prié  ûvre  Cramer.  »       B. 

4573.  L'abbé  Aubert,  qui  lui  avait  adressé  la  seconde  édition  de  ses  Fables. 

Ferney,  15  juin.  —  «  Vous  vous  êtes  mis  à  côté  de  La  Fontaine.  »      B. 

4574    Damilaville.  15  juin.  —  «  Il  ne  faut  pas  rire.  » B. 

4575.  M.  Fabry.  Ferney,  17  juin.  —  «  Je  vous  réitère  mes  sincères  re- 
merciements. » B.  et  F. 

4570.  M.  Fabry.   Ferney,    18  juin.   —  «  II  m'est  e.\trèmement   irap  >r- 

tant.  « B.  et  F. 

4577.  L'abbé  Deiille.  Fernc-y,  19  juin.  —  «  On  est  bien  loin  d'être  in- 

connu. » B. 

4578.  Damilaville,  19  juin.  —  «  En  voyant  la  mine  de  ce  pauvre  abbé.  »       B. 

4579.  Le  baron  de  Biclfeld.  Délices,  20  juin.  —  «  Je  crois  que  votre  lettre 

m'a  guéri.  « B. 

4580.  Le  comte  d'Argental.  21  juin.  —  «  Lisez  mes  remontrances.  »     .      B. 

4581.  Le  duc  de  Nivernais.  Délices,  21  juin.  —  «  Vous  devenez,  tout  jeune 

que  vous  êtes.  » C.  et  F. 

4582.  M.  de  La  Place,   auteur  du  Mercure.  23  juin.  —  «  Sic  vos  non 

vobis.  » B. 

4583.  Le  comte  d'Argental.  Délices,  23  juin.  —  «  0  mes  anges!  le  coup 

est  violent,  i B. 

4584.  Chenevières.  —  «  Vos  vers  sont  charmants.  » C.  et  F. 

4585.  Le  président  de  Ruffey.  Délices,  24  juin.  —  «  J'ai  reçu  vutre  bell-' 

épltre  morale.  » l».  !•'• 

4.586.  L'abbé  d'Olivet.  24  juin.  —  «  Facundissiine  et  carissime  Olivcte.  »      B. 

4587.  D'Alembert.  Délices,  25  juin.  —  «  Vous  n'avez  peut-être  pas  beau- 

coup de  temps.  » B. 

4588.  Le  marquis  d'Argencc  de  Dirac.  Délices,  25  juin.  —  «  J'ai  toujours 

l'air  du  plus  grand  paresseux.  » ('.et  F. 

i5S9.  Le  président  Ilénault.  25  juin.  —  «  M. m  cher  et  respectable  con- 
frère, je  crois  qu'il  s'agit.  » !'•• 

4590.  Fyot  de  U  Marche.  Ferney,  20  juin.  —  «  Il  faut  que  je  vous  serve.  »  Tu.  F. 

4591.  Le  comlc  d'Argental.  Ferney,  20  juin.  —  «  Je  n'ai  guère  la  force 

d'écrire.  > B. 


58G  TABLE    DUS    I\I  ATI  ERES. 

4592.  La  liuchossc  de  Saxc-Gotha.  Ferncy,  20  juin.  —  «  Mon  silence  doit 

avoir  dit.  » U.  et  F. 

4593.  Le  Brun.  Ferncy,  28  juin.  —  «  Si  vous  faites  justice.  » 15. 

4594.  Le  comte  d'ArgentaL  Fcrney,  29  juin.  —  «  Mais  vraiment,  j'ai  mal 

au\  j'eux  aussi.  » B. 

4595.  Jean  Schouvalow.  Ferncy,  30  juin.  —  «  En  attendant  ([ue  je  puisse 

arran.ser.  » B. 

4r)9G.  Du  marquis  Albergati  CapacdU.  30  juin.  —  «  L'amitié  est  un  doux 

sentiment.  » B. 

4.597.  L'abbé  d'Olivet.  Ferney,  30  juin.  —  «  Mon  entreprise  m'attache  de 

plus  en  plus  au  grand  Corneille.  » B. 

459(S.  M.  Arnoult.  Fcrney,  G  juillet  1761;  —  <i  Je  vous  suis  obligé  des 

éclaircissements.  » B. 

4599.  Le  comte  d'Argental.  G  juillet.  —  «  Quoi!  dit  Alix,  cet  homme-ci 

s'endort.  » B. 

4G00.  Colini.  Ferney,  7  juillet.  —  «  J'avais  écrit  à  Son  Altesse  électorale.  >»  B. 
4G01.  Le   marquis  Albergati  Capacelli.  Ferney,   8  juillet.  —  «  Depuis 

longtemps  je  suis  réduit.  » B. 

4G02.  Le  comte  d'Argental.  Ferney,  8  juillet.  —  «  Vraiment,  je  prenais 

bien  mon  temps.  » B. 

4603.  De  d'Alemhert.  9  juillet.  —  «  J'ai  reçu  votre  petit  billet.  »...      B. 

4604.  Le  Brun.  11  juillet.  —  «  11  y  a  des  choses  bien  bonnes.  ».     .     .     .      B. 

4605.  Thieriot.  Fcrney,  11  juillet.  —  «  A  qui  en  a  donc  Protagoras?  ».  .  B. 
4806.  Duclos.  Ferney,  12  juillet.  —  «  J'apprends  par  votre  signature.  »  B. 
4G07.  Le  duc  de   Choiseul.  13  juillet.  —  «  Vous  savez  qu'au  sortir  du 

grand  conseil.  » B. 

4308.  M.  Capperonnier.  Ferney,  13  juillet.  —  «  Je  compte  dans  quelques 

mois.  » B. 

4609.  Le  comte  d'Argental.  14  juillet.  —  «  Ce  paquet  contient  prose  et 

vers.  » B. 

4610.  L'abbé  d'Olivet.  Délices,  14  juillet.  —  «  Je  viens  de  relire,  care 

Olivcte.  » B. 

4611.  De  Charles-Théodore,  électeur  palatin.  15  juillet.  —  «  Je  n'ai  fait 

qu'un  beau  rêve.  » B. 

4G12.  l\lontmartel.  Ferney,  16  juillet.  —  «  Je  ne  peux  m'empccher  de 

vous  i-emercicr.  » B. 

461 3.  M.  Pitt.  Ferney,  19  juillet.  —  «  I\Ionsieur,  while  you  vveigh  the 

interests.  » Sp. 

4614.  Damilaville.  20  juillet.  —  «  Il  y  a  plaisir  à  donner  des  Oreste.  »  .  B. 

4615.  Ilelvétius.  22  juillet.  —  «  L'ombre  et  le  sang  de  Corneille.  »...  B. 

4616.  La  marquise  du  Deffant.  22  juillet.  —  «  M.  le  président  Hénault 

m'instruit.  » B. 

4617.  M""'  Clairon.  Ferncy,  23.  —  «  Si  j'avais  pu  recevoir  votre  réponse.  »       B. 

4618.  Le  comte  d'Argental.  28  juillet.  —  «  Les  divins  anges  sauront  que 

je  reçus.  » B. 

4G19.  M""=  Fel.  Ferncy,  29  juillet.  —  «  Il  me  semble  que  je  vous  dois.  »  .  C.  et  F. 


TA  ni.  H    DES    MATH- RE  S.  587 

4620.  M.  de  Champllom-,  ancien  lieutenant  particulier.  Ferney,  30  juillet. 

—  «  Ayant  quitté  ma  maison  des  Délices.  » B. 

4621.  M*".  Ferney,  30  juillet. —  «  Dans  une  petite  transmigration.  ».     .      15. 

4622.  L'abbé  d'Olivet.  Vendredi,  juillet.  —  «  Vous  avez  très-bien  fait  de 

venir  chez  la  protectrice  des  arts.  > B. 

4023.  Le  duc  de  Bouillon.  Ferney,  31  juillet.  —  «  Vous  voilà  comme  le 

marquis  de  La  Fare.  i B. 

4C24.  La  duchesse  de  Saxe-Gotha.  Ferney,  31  juillet.  —  <i  J'ai  deux  res- 
semblances avec  la  grande  maîtresse  des  cœurs.  » B. 

4625.  Sénac  de  Meilhan. —  «  Élève  du  jeune  Apollon.  > B. 

4626.  M.  de  Burigny.  Ferney,  juillet.  —  «  Tout  ce  que  je  peux  vou- 

dire.  » B. 

4627.  Le  comte  d'Argental.  2  auguste  (1701).  —  «  Votre  grand  chambrier 

d'Héricourt.  » B. 

4628.  M™*  d'Kpinai.  Ferney,  5  auguste.  —  «  J'aurai  mon  coi-ps  saint.  <>  .      B. 

4629.  M""  Clairon.  Ferney,  7  auguste.  —  «  Je  crois  que  votre  zèle.  »  .     .      B. 

4630.  Duclos.  8  auguste.  —  «  Si  vous  avez  quelquefois  du  loisir.  »     .     .  C.  et  F. 

4631.  Lekain.  Ferney,  8  auguste.  -  -  «  Mon  cher  Roscius,  je  vous  écris 

rarement.  » B. 

4032.  Le  comte  d'Argental.  9  auguste.  —  «  Ose-t-on  parler  encore.  »  .      B. 

4033.  Le  marquis  Albergati  Capacelli.  Ferney,  11  auguste.  —  «  Vous  ver- 

rez rét;it  où  je  suis.  »  C.  et  F. 

4034.  Duclos.  Ferney,  13  auguste.  —  «  Je  vous  supplie,  vous  et  l'Aca- 

démie. » B. 

4035.  M.  de  La  Touraille.  Ferney,  14  auguste. —  «  Si  je  n'étais  pas  tombé 

malade.  » C.  et  F. 

4036.  Damilaviltc.  15  auguste. —  «  Que  les  frères  m'accusent  de  paresse.  »       B. 

4037.  Le  comte  d'Argental.  15  auguste.  —  «  Je  reçois  une  lettre.  »     .     .      B. 

4038.  M.  de  iMairan.  Ferney,  16  auguste.—  «  Votre  lettre  du  2  auguste.  »      B. 
4639.  L'abbé  d'Olivet.  Ferney,  10  auguste.  —  «  Nous  sommes  vieux  l'un 

et  l'autre,  i B. 

4040.  Le  Brun.  Ferney,  10  auguste.  —  «  Je  fais  mes  compliments.  »  .    .      B. 

4041.  M.  de  La  Fargue.  Ferney,  10  auguste.  —  «  Moins  je  mérite  vos 

beaux  vers.  » B. 

4012.  Le  président  de  Buffey.  Août  1701.  —  «  Venez,  messieurs,  liumiles 

Itabitare  casas.  » Tu.  F. 

4043.  La  marquise  du  DefTant.  Ferney,  18  auguste.  —  «  J'ai  connu  des 

gens.  > B. 

46i4.  Duclos.  18  auguste.  —  «  J'ai  toujours  oublié.  » lî. 

4045.  L'abbè  d'Olivet.  Ferney,  20  auguste.  —  «  Vous  m'aviez  dtuiné,  mon 

cher  chancelier.  > B. 

40iO.  Le  Brun.  20  auguste.  —  «  Je  suis  affligé,  n B. 

4047.  Duclos.  21  auguste.  —  m  J'ai  eu  l'honneur  de  vous  adresser.  ».     .  ('■■  <i  F. 

4048.  Daniilaville.  2i  auguste.  —  «  M.  Lcgouz,  nialtro  des  comptes.  »    .       !'•. 
404'J.  Sénac  de  Meilhan.  Ferney,  24  auguste.  —  «  Je  me  liAie  de  vous  re- 
mercier. I) I.iisc. 


588  TAnLli    DES    MATIÈRES. 

4C50.  M"""  d'Épinai.  2i  auguste.  —  «  Ma  belle  philosophe,  je  ne  suis  pas.  »  B. 
4651.  Le  comte  d'Argental.  24  auguste.  —  «  Qu'est-ce  que  c'est  donc  que 

cette  humeur.  » jî. 

4G52.  Jacob  Vernes.  Ferncy,  25  auguste.  —  «  Je  suis  très-fàchô.  »...  B. 

4653.  Colini.  Ferney,  25  auguste.  —  «.  Mes  yeux  me  refusent.  ».  .  .  .  li. 
465 i.  Jean  Schouvalow.  Ferney,  26  auguste.  —  «  Ce  sera  pour  moi  un 

honneur  infini.  » B. 

4655.  M"«  Clairon.  27  auguste.  —  «  Je  me  hâte  de  vous  répliquer.  »  .     .  B, 

4656.  M"""  Bclot.  Ferney,  27  auguste.  —  «  Je  suis  fâché  de  m'intéres- 

ser.  ). C.  et  F.  (Suppl.) 

4657.  Le  comte  d'Argental.  Ferney,  28  auguste.  —  «  Mes  anges  verront 

que  je  ne  suis  pas.  » B. 

4058.  Le  comte  d'Argental.  Ferney,  31  auguste.  —  «  On  est  un  peu  im- 
portun. )! B. 

4659.  Duclos.  31  auguste.  —  «  J'ai  reçu  l'epître  dédicatoirc.  »    .     .     .     .      B. 

4660.  D'Alembcrt.  31  auguste.  —  «  Messieurs  de  l'Académie  françoise  ou 

française.  » B. 

4661.  De  William  Pitt.  4  septembre  1761.  —  «  The  pressure  of  business 

is  but  a  feeble  reason.  » Sp. 

4662.  Le  comte  d'Argental.  5  septembre.  —  «  Quand  vous  voudrez  des 

commentaires.  » B. 

4603,  Damilaville.   7  septembre.  —  «  Comment,  morbleu  !  frère  Damila- 

ville.  » B. 

406i.  Le  comte  d'Argental.  7  septembre.  —  «  La  nouvelle  du  ministère 

de  M.  le  comte  de  Choiseul B. 

4605.  La  duchesse  de  Saxe-Gotha.  Ferney,  7  septembre.  —  «  J'ai  aujour- 
d'hui deux  yeux.  » B.  et  F. 

4666.  L'abbé  d'Olivet.  Septembre.  —  «  Je  vous  jure,  mon  cher  Cicéron.  »  B. 

4667.  De  d'Alembert.  8  septembre.  —  «  Je  ne  sais,  mon  cher  maître.  »  .  B. 

4608.  De  P. -M.  Hennin.  10  septembre.  —  «  On  me  dit  que  vous  ne  rece- 

vez plus.  I) Corresp.  iftéd.  1825. 

4609.  M.  de  Burigny.  Ferney,  12  septembre.  —  «  J'ai  reçu  fort  tard  le 

Bénigne  Bossttet.  » B. 

4670.  Chenevières.  Délices,  12  septembre.  —  «  Quand  M""' Denis  écrit.  ».  C.  et  F. 

4671.  Le  comte  d'Argental.  14  septembre.  —  «  Dès  que  je  sus  que  mes 

anges.  » B. 

4672.  Duclos.  14  septembre.  —  «  Je  commence  par  remercier.  »...      B. 

4673.  M.  Fyot  de  La  Marche(père).  Ferney,  14  septembre.  —  «  J'ai  ouvert 

l'incluse.  » Th.  F. 

467 i.  L'abbé  d'Olivet.  Ferney,  14  septembre.  —  «  Je  fais  réflexion,  mon 

cher  maître.  » B. 

4675.  Thieriot.  14  septembre.  —  «  Je  crois  que  le  Père  d'Olivet.  ».     .     .      B. 

4676.  D'Alembert.  15  septembre.  —  «  Vos  très-plaisantes  lettres.  »     .     .      B. 

4677.  La  marquise  du  Deffant.  Ferney,  16  septembre.  —  «  Puisque  vous 

aimez  l'histoire.  » B. 

4678.  M.  P.  llouiscau.  Ferney,  16  septembre. —  «  Je  ne  connais  pas  plus.  »      B- 


TAIÎLK    OES    M  AT  If.  RE  S.  589 

4679.  Le  comte  d'Argental.  16  septembre.  —  «  Il  n'y  a  point  de  poste.  »      B. 

4680.  L'abbé  d'Olivei.  Ferney,   16  septembre.  —  «  Je  vous   envoie  ma 

lettre  du  20  auguste,  i B. 

4681.  L'abbé  d'Olivet.  Ferney,  19  septembre.  —  «  Je  vous  demande  deux 

^'ràces.  w p,. 

4682.  Duclos.  Ferney,  19  septembre.  —  «  Je  vous  demande  en  grâce.  »  .       15. 

4683.  Jean  Schouvalow.  Ferney,  19  septembre.  —  «  Les  mânes  de  Cor- 

neille, sa  petite-fille  et  moi.  » jj. 

4684.  Troncbin,  de  Lyon.  19  septembre.  —  «  J'ai  donc  chez  moi  M"''  Chi- 

mène  et  Rodo^'une.  i Hev.  suisse. 

4685.  De  la  marquise  du  Deffant.  20  septembre.  —  «  Je  vous   écrivis 

l'autre  jour  quatre  mots,  i .'Jt-Hil. 

4686.  Jacob  Vcrnes.  —  «  Mon  cher  confrère  en  poésie,  la  trairédie   n'est 

pas  finie.  » 11.  13. 

4687.  L'abbé  Pernetti.  Ferney,    21    soptembrc.  —  «  Vous  devriez  venir 

avec  le  sculpteur.  » B. 

4688.  M"«  Clairon.  Ferney,  21  septembre.  —  «  J'ai  l'honneur  d'envoyer.  »  C.  et  F. 

4689.  Cideville.  Ferney,  23  septembre.  —  «  Mon  ancien  camarade,  mon 

cher  ami.  » B. 

4690.  Jean  Schouvalow.  25  septembre.  —  «  J'ai  reçu  par  M.  de  Soltikof.  »       B. 

4691.  M.  Fyot  de  La  Marche  (fils).  Ferney,    28  septembre.  —  «  Je   crois 

rendre  ce  que  je  dois. II.  B. 

4692.  Le  comte  d'Argental.  28  septeml)re.  —  «  Tout  ce  que  j'ai  prédit 

est  arrivé.  » B. 

4693.  Le  conseiller  Le  Bault.  Ferney,  30  septembre.  —  «  Pour  vous  amu- 

ser pendant  les  vendanges,  u Tu.  1'. 

4694.  Le  président  de  Ruffey.  Ferney,  30  septembre.  —  «  Ceci  n'est  pas 

académique.  » Tu.  F. 

4695.  La  comtesse  de  Lutzelbourg.  Ferney,  30  septembre.  —  «  Vous  écri- 

vez de  votre  main.  » L. 

4696.  Jacob  Vernes.  Ferney,  1"  octobre  1761.  —  «  J'ai  été  malade.  ».      B. 

4697.  Duclos.  1"  octobre.  —  «  Je  vous  réitère  mes  remerciements.  ».     .  C.  et  F. 

4698.  Le  comte  d'Argental.  3  octobre.  —  «(  Permettez-moi,  mes  anges.  »      B. 

4699.  M.  Abeille.  Ferney,  7  octobre.  —  «  Ne  jugez  pas  de  ma  reconnais- 

sance.         B. 

4700.  Le  président  de  Iluffey.  7  octobre.  —  «  Vous  avez  une  belle  âme.  »  Tu.  F. 

4701.  Le  cardinal  de  Bcrnis.  Ferney,  7  octobre.  —  «  Monseiu'nour,  béni 

soit  Dieu.  » B. 

4702.  Diiilus.  Ferney,  7  octobre.  —  «  L'.Vcadémie  me  pardonnera.  ».     .  C.  et  F. 

4703.  .M.  Fyot  de   La  Marche   (père).  Ferney,  8   octobre.  —  «  Mun   clier 

oracle  de  Théinis  et  des  Muscs.  » Tu.  F. 

4704.  Bret.  Ferney,  10  octobre.  —  «  J'ai  parlé  aux  frères  Cramer.  »    .     .       B. 

4705.  De  d'Alembcrt.  10  octobre.  —  «  Je  iw.  sais  pas,  mon  cher  et  illustre 

niallre.  » B. 

4700.  Chenrvjires.   Fi-rney,  10  nctol)ro.  —  u  Les  ermites  do   Ferney  pré- 

bcnliiii.  u C.  et  F. 


.590  TABLE    DES    MATIÈRES. 

4707.  La  comtesse  de  Luizelbourg.  Ferney,  11  octobre.  —  «  Je  reçois  le 

portrait.  ) B. 

•iTOS'.  Daniilavillc.  1 1  ocl(ii)re.  —  «  KIi  bien  !  frère  Thieriot  iji'a  donc  ca- 

cb,-.  ,. B. 

4709.  Le  comte  d'Arjiciital.   1 1    octobre.  —  «  Je  m'arracbo,  pour  vous 

écrire.  » B. 

i710.  Du  cardinal  de  liernis.  13  octobre.  —  «  Je  ne  suis  point  ingrat.  »  .      B. 

4711.  Le  président  de  Brosses.   20  octobre.  —  «  Vous  n'êtes  donc  venu 

cbez  moi.  » B. 

i712.  I\I.  Fyot  de  La  Marche  (l'ancien  premier  président).  Ferney,  20  oc- 
tobre. —  »  Votre  charmante  lettre  du  5  octobre.  » Th.  F. 

i713.  -AI.  Fyot  de  La  Marche  (fils).  Ferney;  20  octobre.  — «  J'ose  à  la  fois 

vous  remercier.   » H.  B. 

4714.  D'Alembert.  20  octobre.  —  «  A  quoi  pensez- vous?  > B. 

4715.  Le  comte  d'Argental.  20  octobre.  —  «  Nous  répétions  Mérope.  ».  .      B. 

4716.  Le  comte  d'Argental.  24  octobre.  —  «  Il  était  impossible.  »...      B. 

4717.  Jean  Schouvalow.  Ferney,  24  octobre.  —  «  Ne  nous  impatientons 

ni  l'un  ni  l'autre.  » B. 

i718.  Le  marquis  de  Chauvelin.  Ferney,  2.5  octobre.  —  «  Votre  Marseil- 
lais est  très-aimable.  » B. 

4719.  Le  maréchal  duc  de  Richelieu.  Ferney,  2.">  octobre. —  «  Vous  dites, 

monseigneur  le  maréchal.  » B. 

4720.  Le  cardinal  de  Bernis,  en  envoyant  1'  m  Épître  sur  l'Auriculture  ». 

Ferney,  26  octobre.  —  «  Tenez,  lisez,  et  labourez.  » B. 

4721.  Le  marquis  d'Argcnce  de  Dirac.  26  octobre.  —    «  Vous  pardonnez 

sans  doute.  » B. 

4722.  Duclos.  Ferney,  26  octobre.  —  «  Je  vous  supplie  d'engager.  »  .    .  B. 

4723.  Hennin.  Ferney,  26  octobre.  —  «  Pardon  de  vous  remercier  si  tard.  »  B. 

4724.  Le  comte  d'Argental.  26  octobre.  —  «  Mes  anges  ont  terriblement 

affaire.  » B. 

4725.  Devaux.  Ferney,  26  octobre.  —  «    Vous  serez  toujours  mon  cher 

Panpan.  » B. 

4726.  De  d'J/emterJ.  31  octobre. —«  Je  suis  un  peu  inquiet.  ».     ...      B. 

4727.  Saurin.  Ferney,  octobre.  —  «  Dieu  soit  loué,  mon  cher  confrère.  »      B. 

4728.  Du  président  de  Brosses.  —  »  Souvenez-vous  des  avis  prudents.  »  .  Th.  F. 

4729.  De  M.  de  RufJ'ey.  Octobre.  —  «  Je  prends  une  part  infinie.  »     .     .  Th.  F. 

4730.  L'abbé  d'Olivet.  Octobre.  —  «  Au  Mercure!  au  Mercure!  »...      B. 

4731.  Jean  Schouvalovi'.  Ferney,   l"  novembre  1761.  —  «  Je  reçois,  par 

Vienne,  votre  paquet  du  17  de  septembre.  » B. 

4732.  De  3i"'«  Denis  à  M.  de  RuIJ'ey.  Ferney,  4  novembre.  —  «  Si  mon 

oncle  pouvait  soupçonner.  » 
P.  S.  de  la  main  de  Voltaire  :  «  J'ajoute  mes  remerciements.  »  .     .  Th.  F. 

4733.  Le  conseiller  Le  Bault.  Ferney,4novembre.  — «  J'ai  l'honneur  de  vous 

demander.  » Th.  F. 

4734.  De  Frédéric  II,  roi  de  Prusse.  Novembre.  —  «  Le  solitaire  des  Dé- 

lices ne  se  rira-l-il.  » Pft. 


TABLIî    DES    MATIERES.  591 

4735.  L'abbé  d'Olivef.  4  nov.  —  «  Mon  cherCicéron,  j'î  vous  remercie.  »      B. 

4736.  Chenevièies.  Ferney,  4  novembre.  —  «  Que  je  suis  honteux.  ».    .  C.  et  F. 

4737.  Duclos.  Ferney,  5  novembre.  —  «  Je  ne  peux  que  vous  renouveler.  »  C.  et  F. 

4738.  M.  Fabry.   Ferney,  6  novembre.  —  «    Ma  famille  et    moi,   nous 

ressentons  quelque  peine.  » y;. 

4739.  lYo^epoK;- J/.  Fi/ot  Je  La  3/arc/ie  (/î /s).  — «Je  me  souviens  très-bien.  »     H.  B. 

4740.  Jean  Schouvalow.  Ferney,  9  novembre.  —  «  Quoique  je  ne  vous  aie 

promis.  » g 

4741.  La  duchesse  de  Saxe-Gotha.  Ferney,  9  novembre.  —  «  Tant  que  je 

serai  encore  au  nombre  des  vivants.  » C.  et  F. 

4742.  De  M.  de  Brosses  à  M.  de  Fargès.  10  noveml)re.  —  «  En  coU'-re 

contre  moi  !» Tu    p' 

4743.  Le  comte  d'Argental.  10  nov.  —  «  Le  vieux  ministre  de  Statira.  ».       B. 

4744.  Damilaville.  11  novembre.  —  «  Mes  frères,  je  renvoie  fidèlement.  »      B, 

4745.  Le  conseiller  Le  Bault.  Ferney,  12  novembre.  —  «  Je  ne  vous  de- 

mande du  vin.  Il -pjj   p_ 

4746.  Le  comte  d'Argental.  12  nov.  —  «  Voici  la  réponse  de  notre  comité.  »  Cii.  Nis. 

4747.  Mémoire  à  tous  les  ang-es,  M.  le  comte  de  Choiseul  étant  essentiel- 

lement compté  pour  un  d'iceux.  Ferney,  12  novembre.  —  «  Notre 

comité  qui  vaut  bien  le  vôtre,  i I>. 

4748.  Damilaville.  13  novembre.  —  «  Je  fis  partir  il  y  a  onze  jours B. 

4749.  Jean  Schouvalow.  Ferney,  14  nov.  —  u  Vous  voyez  que  je  suis.  ».  B. 

4750.  M.  Fabry.  Ferney,  14  novembre.  —  «  Je  suis  très-étonné B. 

4751.  Du  ca)-dinal  de  Demis.  17  novembre.  —  «  J'attends  avec  la  plus 

grande  impatience.  > B_ 

4752.  La  marquise  du  Deffant.  Ferney,  18  novembre.  —  «Vous  m'aflliîrcz, 

madame.  » g 

4753.  M.  de  Courteilles,  conseiller  d'État.  Ferney,  18  novembre.  —  <(  Si 

M.  le  président  de  Brosses  est  roi.  » B^ 

4754.  Jean  Schouvalow.  Ferney,  18  novembre.  —  «  J'ai  Ihonneur  do  vous 

envoyer.  ) ^ 

4755.  M.  Bouret.  Ferney,  20  novembre.  —  «  Vous  êtes  une  belle  ânu-.  »      B. 
47.56.  Trudaine.  Ferney,  20  nov.  —  «  En  attendant  que  nos  syndics.  »     .      Av. 

4757.  M.  Fyot  do  La  Marche  (père).  2!.—  «  Depuis  l'apparition  que  vous 

avez  daigné  faire.  » ■]•„    j- 

4758.  Le  marquis  de  Thihouville.  23  nov — «  Vous  êtes  donc  du  comité.  »      B. 

4759.  Le  cardinal  do  Bernis,  en  lui  envoyant  la  tragédie  de  Cassandrc 

{Olympie),  faite  en  six  jours.  Délices,  23  novembre.  —  «  C'est  i\ 

vous  à  m'apprcndrc.  » jj 

i7f)0.  Le  comte  d'Argental.  23  novembre.  —  «  0  anges!  1"  L'incluse.  »  .      B. 
4701.  .M.  Fyot  de  La  Marche  (fils).  Fornoy,  25  novembre.  —  «  Qui?  mni? 

n'en  pas  [jasser.  » IL  B 

i762.  Le  comte  d'Argental.  Ferney,  27  novembre.  —  «  Croyez-moi,  voilà 

comme  il  faut.  » p 

4763.  Le  duc  de  Richelieu.  Ferney,  27  nnimbre.  —  «  Vim^  doii 


ure- 


vingt-deiu  ans.  » p 


592  TA15LIÎ    DES    .M  ATI  EilliS. 

476i.  M.  d'Esprémônil.  Forncy,  29  novembre,  —  «  Jo  vous  prie  do  par- 
donner. » C.  et  F. 

47G5.  Le  comte  d'Argental.  29  novembre.  —  «  Divins  anges,  lisez,  jugez,  m  15. 

'h6G.  De  M.  de  Trudaine.  2  déc.  1701.  —  «  Je  désire  autant  que  vous.  »  Av. 

•i767.  Le  comte  d'Argental.  2  décembre.  —  «  Si  vous  êtes  si  ditïïciles.  »  B. 

4768.  L'abbé  Irailh,  Ferney,  4  décembre.  —  «  Vous  serez  étonné.  »    .     .  B. 

4769.  Le  conseiller  Le  Bault.  Ferney,  .5  décembre.  —  «  Puis(}u'il  faut 

vous  dire  la  vérité.  > ."\IA^D.-Gn. 

4770.  Damilaville.  6  décembre.  —  «  Je  souhaite  la  bonne  année.  »    .     .      B. 

4771.  Le  marquis  de   Chauvelin.    Ferney,  6  décembre   {partira  quand 

poiirra).  —  «  Disposez,  ordonnez. B. 

4772.  Marquis  de  Chauvelin.  Le  môme  jour  {déc).  —  «  Tout  ce  qui  me 

fâche  à  présent.  » R. 

4773.  Du  cardinal  de  Bcrnis.    10  décembre.  —   «  Je  vous  envoie,  mon 

cher  confrère. B. 

4774.  Le  comte  d'Argental.  Délices,  12  décembre.  —  «  Voici  une  réponse 

à  une  lettre.  » B. 

4775.  A  monseigneur  le  duc  de  Choiseul,  ministre   des  affaires  étran- 

gères. —  t(  C'est  en  l'an  1635.  » Cii.  Nis. 

4776.  Le  cardinal  de  Bernis.  Délices,  15  décembre. —  «  Vous  avez  raison, 

monseigneur.  » B. 

4777.  Le  comte  d'Argental.  17  décembre.  —  «  Ils  diront,  ces  anges.  ».     .      B. 

4778.  Fyot  de  La  Marche.  Délices,  19  décembre.  —  «  Je  prends  le  parti 

d'adresser.  » Tu.  F. 

4779.  Cideville.  Délices,  20  déc.  —  «  J'ai  peur  de  ne  vous  avoir  pas.  ».       B. 

4780.  M.  Fyot  de  La  Marche  (père).  Délices,  23  décembre.  —  «  Vraiment, 

c'est  un  pot-de-vin  du  marché.  > Tu.  F. 

4781.  Le  comte  d'Argental.  23  décembre.  —  «  C'est  pour  le  coup  que  nous 

rirons  aux  anges.  » B. 

4782.  Jean  Schouvalow.  Délices,  23  décembre.  —  «  Je  dépèche  à  M.  le 

comte  de  Kaunitz.  > B. 

4783.  Du  cardinal  de  Bernis.  23  décembre.  —  «  Je  ne  comprends  pas.  »     .      B. 

4784.  Tronchin,  de  Lyon.  23  décembre.  —  «  M.  le  cardinal  de  Bernis  et 

M.  l'archevêque  de  Lyon.  » C.  et  F.  (Suppl.) 

4785.  La  marquise  de   Bouftlcrs.  Délices,    24    déc.   —  «    Vous    m'avez 


permis. 


C.  et  F. 


4780.  La  duchesse  de  Saxe-Gotha.  Délices,  24  décembre.  —  «  La  grande 

maîtresse  des  cœurs  dira.  » B.  et  F. 

4787.  La  comtesse  de  Bassevitz.  Délices,  25  décembre.  —  «  Vous  m'inspi- 

rez autant  d'étonnement.  » B. 

4788.  Duclos.  Délices,  25  décembre.  —  «  Je  présente  à  l'Académie.  »  .     .      B. 

4789.  Le  cardinal  de  Bernis.  Délices,  28  décembre.  —  «  Les  Chevaux  et 

les  Anes  étaient  une  petite  plaisanterie.  > B. 

4790.  Le  comte  d'Argental.  28  décembre.  —  «  Est-il  donc  bien  vrai...?  »      B. 

4791.  A  M.  le  duc  de  Choiseul.  Délices,  28  décembre.  —  «  Vous  donnez 

la  bujinc  année  u  la  France.  » Cu.  Nis. 


TABLE    DES    MATIERES.  593 

4792.  M""=  de  Champbonin.  De  Fcrney.  —  «  Gro<  chat,  je  vous  ai  tou- 
jours répondu.  » B. 

479^.  Le  docteur  Blanchi.  —  »  Vous  avez  prononcé  l'éloge.  » B. 


PERSONNAGES 

AUKQUEr.S     SONT     ADRESSÉES    LES    LETTRES     DE    LA    COU  R  E  S  PON  D  A  NC  E  . 


Abeille  (Louis-Paul).  Lettre  4699. 

Albergati  Capacelli  (le  marquis).  Lettres  428G,  4387,  4536,  4601,  4033. 

Alembert  (d').  Lettres  4289,  4337,  4i08,  4406,  4478,  4482,  4i91,  4527,  45i0,  4587 
4660,  4676,  4714. 

Algarotti  (le  comte).  Lettres  4352,  4781. 

Anonymes.  Lettres  4305,  4021. 

Argence  de  Dirac  (le  marquis  d').  Lettres  4349,  4i20,  4174,  4588,  4721. 

Argental  (le  comte  d').  Lettres  4287,  4292,  4314,  4316,  4320,  4322,  4329,  4333, 
4346,  4353,  4363,  4371,  4375,  4377,  4384,  4392,  4395,  4i06,  4435,  4438,  4445, 
4i55,  4457,  4i61,  4i66,  4490,  4503,  4508,  4511,  4523,  4.526,  4535,  4538,  4539, 
4549,  4558,  4559,  4571,  4580,  4583,  4591,  459i,  4599,  4602,  4609,  4618,  4027, 
4032,4037,  4051,  4657,  46.58,  4002,  406i,  4071,  4079,  4692,  4098,  4709,  4715, 
4710,  4724,  4743,  4746,  4747,  4700,  4702,  4705,  4707,  4774,  4777,  4790. 

Argental  (M""=  la  comtesse  d').  Lettres  4282,  4295,  4299,  4308,  4335,  4348,  4410. 

Arnoult,  avocat,  doyen  de  l'Université,  à  Dijon.  Lettres  4503,  4565,  4570,  4598. 

AuBERT  (l'abbé).  Lettre  4573. 

Bagieu.  Lettre  4il3. 

Basskvitz  (M""=  la  comtesse  de).  Lettres  4i30,  4787. 

Bastide  (Jean-François  de).  Lettre  4323. 

Bëlot  (M'"«).  Lettres  4328,  4401,  4i80,  4501,  46.56. 

Bernis  (le  cardinal  de).  Lettres  4701,  4720,  4759,  4770,  4789. 

Bertrand.  Lettres  439i,  4553. 

Dettlnelli  (le  Père),  jésuite.  Lettre  4506. 

Bianciii  (le  docteur),  à  Rimini.  Lettre  4793. 

BiELFELD  (le  baron  de).  Lettre  4579. 

BouKi'LERS  (M'""  la  marquise  do).  Lettre  4785. 

Bouillon  (le  duc  de).  Lettre  4623. 

Bot  ret  (le  ft;riiiier  général).  Lettre  4755. 

Brkm.hs  (de).  Lettre  ÏMi. 

Brkt  (Antoine).  Lettre  470i. 

Brosses  (le  président  de).  Lettres  4ill,  4711. 

BiJiKiNY  (du).  Lellics  4626,  4609. 

Gai'I'i  i;ii^Mi  n  (Jean),  le  bibliothécaire.  Lettre  4008. 

il.    —  C.ORRKSPO.NUANCR.    IX.  38 


594  TABLE     DES   MATIERES. 

CiiAMPnoMN  (M'"»  de).  Lettre  4792, 

CiiA.MPii.otn  (M.  de).  Lettres  450 i,  4G20. 

Charles-Thi'.odore,  électeur  palatin.  Lettres  4459,  4525,  4567. 

CiiAUVELiN  (le  marquis  de).  Lettres  4284,  4i27,  4718,  4771,  4772. 

CuENEViiiRES  (de).  Lcttres  4304,   i:}30,  4i02,  4411,   4i88,  4:.01,   i58i,  ifl70,  4706, 

4730. 
CiioiSErL  (Ktienne-Franrois,  duc  de),   ministre  des   affaires  étrangères.   Lettres 

4607,  4775,  4791. 
CnouvALOW.  —  Voyez  Schouvalow  (Jean). 
CiDEViLLE.  Lettres  4404,  4497,  4547,  4689,  4779. 
Clairon  (M'"^).  Lettres  4296,  4297,  4617,  4629,  4655,  4688. 
CouM.  Lettres  4332,  4393,  4458,  4512,  4524,  4600,  4653. 
Corneille  (I\L).  Lettre  4388. 
Corneille  (M""  Marie).  Lettre  4345. 
CouRTEiLLES  (Barberie  de),  conseiller  d'État.  Lettre  4753. 
Cramer  (Gabriel).  Lettres  4347,  4424. 
Crassy  (Desprez  de).  Lettres  4370,  4389,  4i05. 
Damilaville.  Lettres  4291,  4340,  4385,  4407,  4409,  4412,  4422,  4449,  4454,  4467, 

4477,  4481,  4493,  4498,  4515,  4522,  4528,  4541,  4552,  4557,  4574,  4578,  4614, 

4636,  4648,  4663,  4708,  4744,  4748,  4770. 
Daqui.n.  Lettre  4381. 
Deffant  (M""=  la  marquise  du).  Lettres  4293,  4312,  4364,  4383,  4419,  4483,  4616, 

4643,  4677,  4752. 
Deltlle  (l'abbé  Jacques).  Lettre  4577. 
Deodati  de  Tovazzi.  Lettre  4432. 
Deval'x,  dit  Panpan.  Lettres  4342,  4725. 
Diderot.  Lettre  4386. 
Duclos,  secrétaire  perpétuel  de  l'Académie  française.  Lettres  4302,   4338,  4520 

4537,  4544,  4600,  4630,  463 i,  4644,  4647,  4659,  4672,  4682,  4697,  4702,  4722, 

4737,  4788. 
DuMOLARD.  Lettre  4417. 
DcpoNT,  avocat.  Lettres  4368,  4i6i. 

Diverger  de  Saint-Étienne,  gentilhomme  du  roi  de  Pologne.  Lettre  4396. 
ÉpiNAi  (M'"^  d').  Lettres  4309,  4390,  4469,  4471,  4510,  4.556,  4628,  4650. 
EspRÉMÉNiL  (d').  Lettre  4764. 
Fabry,  maire  de  Gex.  Lettres  4283,  4451,  4470,  4473,  4489,  4517,  4550,  4569,  4575, 

4576,  4738,  4750. 
Fel  (M"").  Lettre  4619. 

Flelry  (Joly  de),  intendant  de  Bourgogne.  Lettre  4365. 
Fontaine  (M™«  de).  Lettres  4479,  4507,  4555. 
IIautesraies  (des).  Lettre  4380. 

Helvétius.  Lettres  4315,  4369,  4398,  4425,  4516,  45i3,  4615. 
Hénault  (le  président).  Lettre  4589. 
Hennin  (P.-M.).  Lettre  4723. 
HÉRON.  Lettre  4367. 
Imbert  (M.).  Lettre  4548. 


TABLE    DES    MATIÈRES.  595 

ÎRAiLH  (l'abbé  Augustin-Simon).  Lettre  47()8. 

Kayserling  (le  comte  de),  à  Vienne.  Lettre  iolo. 

Keate  (George),  à  Londres.  Lettre  4513. 

La  Farcie  (Etienne  de),  avocat  au  parlement  de  Pau.  Lettre  46il. 

La  Marche  (Fïot  de),  père.  Lettres  4i23,  4432,  4.5i6,  4390,  4673.  4703,  4712,  4737, 

4778,  47 SO. 
La  Marche  (Fyot  de),  fils.  Lettres  4i00,  4300.  4091,  4713,  4739,  47G1. 
La  Place  (de),  auteur  du  Mercure.  Lettre  4.382. 
La  Popelimêre.  Lettre  4402. 
La  Porte  (l'abbé  de).  Lettre  4444. 
La  Tocraille  (de).  Lettre  4633. 
La  Valuère  (le  duc  de).  Lettre  4531. 
Le  Ballt  (le  conseiller).  Lettres  4294,  4303,  4358,  4437.  4i65,  4i84,  4331,  4693, 

4733,  4743,  4769. 
Le  Brcn  (Ponce-Denis  Écolchard).   Lettres  4324,   434i,  4302,  4399,  4i39,  4i42, 

4447,  4i33,  4i63,  4i68,  4499,  4514,  4360,  4593,  4604,  46i0,  40i6. 
Lekai\.  Lettres  4310,  4376,  4i93,  4562,  4631. 
LoLis  XV.  Requête  n»  4366. 

Lltzelbourg  (M"'°  la  comtesse  de).  Lettres  4415,  4i87,  4693,  4707. 
Mairan  (de).  Lettre  4638. 
Marmontel.  Lettres  4436,  4494. 

Mkymères  (M'""  la  présidente  de).  —  Voyez  Delot  (M™'). 
Mo.ntmartel  (Paris  de).  Lettre  4612. 
Nivernais  (le  duc  de).  Lettre  4.381. 
Olivet   (l'abbé  d').  Lettres  4431,  4492,  4321,  4333,  4572,  4386,  4597,  4610,  1622, 

4639,  46i5,  4666,  4674,  4680,  4681,  4730,  4735. 
Palissot.  Lettre  4288. 
Pernetti  (l'abbé).  Lettre  4687. 
PiTT  (William),  depuis  lord  Chatham.  Lettre  4613. 
Prailt  fils.  Lettres  4336,  4372,  4378,  4i03. 
Richelieu  (le  maréchal  duc  de).  Lettres  4719,  4763. 
Rousseau  (Pierre).  Lettres  43 i3,  4486,  4678. 
Rcffey  (le  président  de).  Lettres  4306,  4i21,  4il6,  4183,  4302,   1532,  4560,  i383. 

4642,  4G9i,  i700,  4732. 
Saint-Lambert.  Lettre  4326. 
Saurin.  Lettres  4il8,  4727. 
.Saxe-Gotha  (M™"  la  duchesse  de).  Lettres  4397,  4i29,  45.30,  4i90,  4592,  402 i,  4665, 

47 il,  4786. 
ScHouvAi.ow  (Jean).  Lettres  4307,  4325,  433i,  4350,  4379,  4U0,  4505,  i35l,  4504, 

4568,  V595,  4634,  4683,  4600,  'ûll,  4731,  4740,  4749,  4734,  4782. 
Sénac,  premier  médecin  du  roi.  Lettres  43.30,  4472. 
SÉNAC  DE  Mkilhan.  Lcttrcs  4334,  4025,  4649. 
TiiiBou VILLE  (le  nianjuis  de).  Lettre  4758. 
TiiiKRior.  Lrltr.-s  420rt,  4300,  4313,  4319,  4341,  4360,  4373,  4382,  4391,  4414,  4  420. 

4428,  4433,  4443,  4530,  4605,  4675. 
Tressan  (le  coinlo  do).  Lettre  4331. 


596  TABLE    DES    MATIÈRES. 

TnoNCiii\,  de  Lyon.  Lettres  4327,  4350,  4355,  4357,  1301,  408i,  478i 

TnoNCiirN  (le  docteur).  Lettres  4285,  4418. 

Tno.\ciuN  (le  conseiller).  Lettre  430L 

TiuBLET  (l'abbé).  Lettre  4534. 

TnuDAiNE  (de).  Lettre  475G. 

TuRGOT.  Lettre  4311. 

UzÈs  (le  duc  d').  Lettre  4339. 

Varennes  (Jacques  de),  greffier  des  états  de  Bourgogne.  Lettre  4529. 

ViiRMîS  (Jacob).  Lettres  4052,  408(5,  4090. 


PERSONNAGES 

QUI     ONT     ADHESSÉ     DES    LETTRES     A    VOLTAIRE. 

Aldergati  Capacelli  (le  marquis).  Lettre  4590. 

Alembert  (d').  Lettres  4298,  4518,  4003,  4007,  4705,  4720. 

Pernis  (le  cardinal  de).  Lettres  4710,  4751,  4773,  4783. 

Brosses  (le  président  de).  Lettres  4434,  4400,  4728. 

Charles-Théodore,  électeur  palatin.  Lettres  4500,  4011. 

Deffant  (M'"^  la  marquise  du).  Lettres  4321,  4085. 

Diderot.  Lettres  4351,  4476. 

Frédéric  II,  roi  de  Prusse.  Lettres  4317,  4734. 

Henmn  (P.-M.).  Lettre  4668. 

La  VALLiiiRE  (le  duc  de).  Lettre  4519. 

Lyttelton  (lord).  Lettre  4318. 

PiTT  (William),  depuis  lord  Chatiiam.  Lettre  4001. 

RuFFEY  (le  président  de).  Lettre  4729. 

Trublet  (l'abbé).  Lettre  4542. 

Trldaine  (de).  Lettre  4700. 

PERSONNAGES 

QUI-  ONT  ÉCRIT  DES  LETTRES   C  ON  C  !i  R  N  A  N  T  VOLTAIRE. 

Brosses  (le  président  de).  Lettre  à  M.  de  Fargés,  n"  4742. 

Demis  (1VI""=).  Lettre  à  Guillaume  de  Lamoignon,  chancelier  de  France,  n"  4440.  — 

Lettre  au  président  de  Ruffey,  n°  4732.  —  Note  pour  M.  Fyot  de  La  Marche,. 

n"  4739. 
Fessy  (le  Père),  jésuite.  Lettre  à  M.  Le  Bault,  n"  4475. 

FIN    DE    LU    TABLE     DU    TOME    XLI. 


l'ARlb.—  luipr.J.tLAÏE.  —  A.  yUAMls  et  C-,  rue  Si-lJouoU.     [2075]  ^ 


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