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trv
ON SaUSCHIT A PARIS,
CHEZ P. DUPONT, LIBRAIRE,
EDITSUR DES OEUVRES COMPLETES DE VOLTAIRE ET DE RACINE,
EUE DU BOULOT, HOTEL DES FERMES, COUR DES MESSAGERIES.
ET CHEZ BOSSANGE PÈRE,
LIBRAIRE DE 8. A. 8. MOITSEIGNEUR LE DUC D^ORLEAlf S ,
HUS DE RICHELIEU, H^ 6o.
ŒUVRES
COMPLÈTES
DE J.J.ROUSSEAU,
MUlf DAVl UV VOmrZL OADES,
A. WG DSS VOnS HISTORIQUBS BT DIS BCX^IACUflMKjrTS ;
Pa» V. D. MUSSET-PATHAY.
CORRESPONDANCE.
TOME TROISIÈME.
PARIS,
CHEZ P; DUPONT, LIBRAIRE-ÉDITEUR.
»^^%^^^^^%»^%
i8a4.
I
UBIfÂRY OF THE
Ln/im STAUFORD JR. UmVERSltf.
MAR 23 1901
1
CORRESPONDANCE
TOME TROISIEME.
B. XX.
CORRESPONDANCE.
TROISIEME PARTIE,
DU 12 MAI 1763, AU 1^ JAlfVIBA 17^6,
Depuis soD abdication du droit de bourgeoisie ,
jusqu'à ton départ pour l'Angleterre.
LETTRE CDVII.
A MADAME LATOUR.
■
A Motiers, le i4 mai 1763.
Vous avez des peines, madame, qui ajoutent
aux miennes , etinoi l'on me fait vivre dans un tUf
multe continuel, qui ne rend peut-être que trop
excusable l'inexactitude que vous avez la bonté de *
me reprocher. Je vous remercierais des choses
vives que vous me dites là-dessus, si je n'y voyais
qu'en rendant justice à ma négligence vous ne la
rendçz pas âmes sentiments. Mon cœur vous venge
assez de mes torts avec vous pour vous épargner
le soin de m'en punir , et ces torts ont pour prin-
cipe un défaut, mais non pas un vice. Comment
pouvez-vous me ^upçonner de tiédeur au milieu
des adversités que j'éprouve? L'heureux ne sait
s'il est aimé , disait un ancien poète ; et moi j'a-
joute , L'heureux ne sait pas aimer.^ Jamais je n'eus
r.
4 CORRESPONPAJVCE.
le cœur si tendre pour mes amis que depuis que
mes malheurs m'en ontjsipeu laissé. Croyez-m'en,
madame, je vous supplie; je vous compte avec at-
tendrissement dans ce petit nombre , et dans les
convenances qui nous lient , j'en vois avec douleur
une de trop.
Je vous avoue que je ne relis pas vos lettres de-
puis assez long-temps : vous concluez de là qu'elles
me sont indifférentes, et c'est tout le contraire. Il
faudrait, pour me juger équitablement, vous faire
une idée de ma situation , et cela.yous est impos-
sible ; il faut la connaître pour la comprendre , je
ne dois pa^ même tenter de vous l'expliquer. Je
vous dirai seulement que, parmi des ballots de
lettres que jiÇ reçois continuellement, j'en mets à
part des liasses qui me sont chères, et dans les-
quelles les vôtres n'occupent sûrement pas le der-
nier rang; mais le tout reste mêlé et confondu jus-
qu'à ce que j'aie le loisir d'en faire le triage. Parmi
M: les qualités que vous avez, et qui me manquent,
l'esprit d'arraijigement est unç de celles dont la
privation me cause, sinon le plus grand préju-
dice , au moins le plus continuel. Tous mes papiers
sont pêle-mêle ; pour en trouver un , il faut les
feuilleter tous, et je passe ma vie et à chercher et
à brouiller davantage, sans qu'après millis résolu-
tions il m'ait jamais été possible de me corriger
là-dessus. Il s'agit donc de trier vos lettres , et pour
cela il faut tout renverser, tout fureter; pour
mettre tout en ordre il faut commencer par tout
mettre sens dessus dessous: cela demande un temps
* 4NNÉR fjSi, 'i
qu on ne me laisse pas à présent , et un domicile
assuré qiie je suis bien loin d'avoir en ce pays. Je
ne prévois pas de pouvoir feire cette revue avant
rhiver, temps où la mauvaise saison forcera les
importuns à me laisser quelque trêve , et on ma
situation sera probablement plu$ stable qu'elle ne
Test à présent. C'est un temps de plaisir que je me
ménage, que celui que je passerai à vous relire,
et à m'arrangcr pour pouvoir vous relire souvent.
Jusqu'à ce moment, qu'il ne dépend pas de moi
d'accélérer, usez, de grâce, avec moi d'indulgence,
et croyez que mon cœur n'est indifférent sur rien
de ce que vous m'écrivez , quoique je ne réponde
pas à tout , et même que j'en oublie quelque
chose.
Quoique je fiisse bien fâché de recevoir le mon-
sieur dans vos lettres, je voudrais bien , madame,
y trouver un titre, et il me semble que vous me
l'aviez promis : je vous avertis que ce n'est pas de
ces choses qu'il soit permis d'oublier. Il faut pour-
tant avouer que j'en ai oublié une , et que si vous
me jugez à la rigueur cet oubli me rend indigne
de la saVoir; c'est votre nom de baptême, que
vous m'avez dit dans une de vos lettres, et que je
rougis devant vous de ne pouvoir me rappeler. Je
n'ai que cet aveu pour ma justification ; mais vous
qui lisez si bien dans les cœurs , vous excuserez le
mien : quand un crime de cette espèce nous rend
vraiment coupable, on ne l'avoue jamais. De grâce,
le joli nom de baptême ; car notez que je me sou-
viens très-bien qu'il l'est. En vérité , vous êtes trop
6 CORRESPONDANCE.
ma dame pour que je vous appelle madame plus
long-temps.
Si je veux «^oir votre portrait! Ah! non-seule-
ment le voir, mais l'avoir s'il était possible. A la
vérité, je suis bien éloigné d'avoir du superflu;
mais si une copie de ce précieux portrait, faite
pourtant de bonne main , pouvait ne coûter que
huit à dix pistoles , ce ne serait pas les prendre sur
mon nécessaire, ce serait y pourvoir. Voyez ce qui
se peut faire , et ce que vous^ pouvez permettre
que je fasse. Un présent d'un prix inestimable sera
votre consentement; vous sentez que ma propo-
sition en exclut toute autre.
Je ne vous ai point envoyé, madame, d'explica-
tion ultérieure sur la terre en question ; d'abord ,
parce que je remis votre lettre à M. notre (châte-
lain , qui l'envoya à M. de Bioley son beau-frère ,
et celui-ci l'a gardée un temps infini. Ensuite, je
trouvai que les éclaircissements qui me furent
'^- donnés verbalement n'ajoutaient rien à ce que je
vous avais déjà écrit. On consent, et Ton avait
déjà consenti à toutes les consultations qui peuvent
vous être utiles; on vous prie seulement de n'en
parler qu'autant qu'il convient à vos intérêts.
Quant aux 'petites parties dont la recette est com-
posée, elles ne causent aucun embarras , puis-
qu'elles s'apportent toutes au château le jour mar-
qué , et qu'on peut affermer le tout, ou charger
un receveur de ce détail. Une autre raison encore
a un peu ralenti le zèle que j'avais de vous voir
acquérir des possessions en ce pays; mais cette
s-Jk
raison ne regardant absolument que moi , ne doit
rien changer à voé projets: ainsi nous en parlerons
plus à loisir.
Me voilà bien en train de babiller, et tant pis
pour vous, madame, car, quand je bavarde tant,
je ne sais plus ce que je dis: tant pis aussi pour
moi , peut-être ; j'ai peur, quand ma ferveur se ré-
chaufié , que la vôtre ne vienne à s'attiédir. N'au-
rait-elle point déjà commencé?
OBSsmvATioir. — Madame Latour était malheureuse avec
son mari 9 qui* avait mange une partie.de sa fortune. Pour sau-
ver le reste elle voulait acheter une terre , et sa passion pour
Rousseau la lui faisait diercher dans son vobinage.
LETTRE CDVIIL
A M. MARC CHAPPUIS.
MotierSyle si mai 1763.
Vous verrez , monsieur , je le présume, la lettre
que j'écris à M. le premier syndic. Plaignez-moi,
vous qui connaissez mon cœur, d'être forcé de faire
une démarche qui le déchire. Mais après les n/*-
fronts que j'ai reçus dans ma patrie, et qui ne sont
ni ne peuvent être réparés , m'en reconnaître en-
core membre serait consentir à mon déshonneur.
Je ne vous ai point écrit, moUKieur, durant mes
disgrâces : les malheureux doivent être discrets.
Maintenant que tout ce qui peut m'arriver de bien
et de mal est à peu près arrivé , je me fivre tout
8 CORRESPONDANCE.
entier aiix sentiments qui me plaisent et me con-
solent , et soyez persuadé, monsieur, je vous sup-
plie, que ceux qui m'attachent à vous ne s'affai-
bliront jamais.
LETTRE CDIX.
AU MÊME.
Motiers, le 26 mai 1763.
Je vois , monsieur , par la lettre dont vous m'a-
vez honoré le 1 8 de ce mois , que vous me jugez
bien légèrement dans mes disgrâces. U en coûte
si peu d'accabler les malheureux, qu'on est pres-
que toujours disposé à.leur ùire un crime de leur
malheur.
Vous dites que vous ne comprend rien à ma
démarche : elle est pourtant aussi claire que la
triste nécessité qui m'y a réduit. Flétri publique-
ment dans ma patrie sans que personne ait réclamé
contre cette flétrissure , après dix mois d'attente ,
j'ai dû prendre le seul parti propre à conserver
mon honneur si cruellement offensé. C'est avec la
pliis vive douleur que je m'y suis déterminé : mais
que pouvaîs-je faire ? Demeurer volontairement
membre de l'état après ce qui s'était passé, n'était-ce
pas consentir à mon déshonneur?
Je ne comprends point comment vous m'osez
demander ce que m'a fait la patrie. Un homme
aussi éclairé que vous ignore-t-il que toute dé-
ANNÉE 176'i. f)
marché publique Êiite par le magi^rat est censée
faite par tout l'état lorsqu aucun de ceux qui ont
droit de la désavouer ne la désavoue. Quand le
gouvernement parle et que tous les citoyens se
taisent , apprenez que la patrie a parlé.
Je ne d^s pas seulement compte de moi aux
Genevois , je le dois encore à moi-même, au pu-
blic , dont j'ai le malheur d'être connu , et à la pos-
térité, de qui je le serai peut-être. Si j'étais assez
sot pour vouloir persuader au reste de l'Europe
que les Genevois ont désapprouvé la procédure de
leurs magistrats, ne s'y moquerait- on pas de moi?
Ne savons-nous pas, me dirait-on, que la bour-
geoisie a droit de faire^ des représentations dans
toutes les occasions où elle croit les lois lésées et
où elle improuve la conduite des magistrats? Qu'a-
t-elle fait ici depuis près d'un an que vous avez at-
tendu? Si cinq oA sit bourgeois seulement eussent
protesté, l'on pourrait vous croire sur les senti-
ments que vous leur prêtez. Cette démarche était
facile , légitime ; elle ne troublait point Tordre pu-
blic: pourquoi donc ne l'a-t-on pas^faitc? Le si-
lence de tous ne dément-il pas vos assertions? Mon-
trez-nous les signes du désaveu que vous leur
prêtez. Voilà, monsieur, ce qu'on me dirait et
qu'on aurait raison de me dire. On ne juge point
les hommes par leurs pensées, on les juge sur
leurs actions.
Il y avait peut-être divers moyens de me venger
de l'outrage , mais il n'y en avait qu'un de le re-
pousser sans vengeance; et c'est celui que j'ai pris.
lO CORRESPOND AirCE.
Ce moyen, qui ne fait de mal qu'à moi, doit -il
m'attirer des reproches au lieu des consolations
que JQ devais espérer? * * '
Vous dites que je n'avais pas droit de demander
l'abdication de ma bourgeoisie ' : mais le dire n'est
pas le prouver. Nous sommes ^ien lôinr-de compte ;
car je n'ai point ptlé tendu demander cette abdica-
tion , mais la- donner. J'ai assez étudié mes droits
pour les connaître, quoique je ne les aie exercés
qu'une fois, et seulement poiflr les abdiquer. Ayant
pour moi l'usage de tousses peuples , l'autorité de
la raison , du droit naturel , de Grotius, de tous les
jurisconsultes, et même l'aveu du Conseil, je ne
suis pas obligé de me réglefr sur votre erreur. Cha-
cun sait que tcait' pacte dont un^ des parties en-
frein t les conditions devient nul pour l'autre. Quand
je devais tout à la patrie, ne me devait-elle rien?
J'ai payé ma dette, a-t-elle payé ta siennf^? On n'a
jamais droit de la déserter, J€? l'avoue :^ais, quand
elle nous i*ejette, on a toujours droit de la quitter;
on le peut dans les cas que j'ai spécifiés, et même
on le doit dans le mien. Le serment que j'ai fait
envers elle, elle l'a fait envers mpi. En violant ses
engagements, elle m'affranchit des miens; et, en
me les rendant ignominieux , elle me fait im devoir
d'y renoncer.
Vous dites que si des citoyens se présentaient
au Conseil pour demander pareille chose, vous ne
seriez pas surpris qu'on les incarcérât. Ni moi non
* On verra dans le volume du supplément l'opinion de M. Ëymar
à ce sujet. Elle est conforme à celle de M. Mouitou.
dk
« ANNIÉC 1763. I I
pltis , je n*en serais pas^mirpris , parce que rien d'in-
juste ne àott surprendre de ia part de quiconque
a la force ea main. Mais bien qu'une loi, qu'on
n'obserra jamais ;' défende au citoyes qui veut de-
meurcnr tel de'SDrtir sans congé du territoire ; comme
on na pas besoin de demander l'usage d'un droit
qu'on a, quand un Genevois veut quitter tout-à-
feiit sa patrie pour aller s'établir en pays étranger ,
personne ne songe à lui en faire un crime, et on
ne l'incarcère point pour cela. Il est vrai qu'ordi-
nairement cette renonciation n'est pas solennelle,
maïs c'est qu'ordinairement ceux qui la font ,
n'ayant pas reçu des affronts publics , n'ont pas
besoin de renoncer {Publiquement à la société qui
les leur a faits. ♦
IMfonsieur, j'ai attendu, j'ai médité, j'ai cherché
long-temps s'il y av^t quelque moyen d'éviter une
<lémarche qui m'a déchiré. Je vous avais confié mon
honneur yo Genevois! et j'étais tranquille ; mais vous
avez si mal gardé ce dépôt, que vous me forcez de
vous l'ôter.
Mes bons anciens compatriotes , que j'aimerai
toujours malgré votre ingratitude , de grâce , ne
me forcez pas , par vos propos durs et malhon-
nêtes, de faire publiquement mon apologie. Épar-
gnez-moi , dans ma misère , la douleur de me dé-
fendre à vos dépens.
Souvenez-vous , monsieur , que c'est malgré moi
que je suis réduit à vous répondre sur ce ton. Lrf
vérité , dans cette occasion , n'en a pas deux. Si
vous m'attaquiez moins durement , je ne cherche-
12 CORRESPONDANCE.
rais qu^à verser mes peines^ dans votre sein. Votre
amitié me sera toujours chère , je me ferai toujours
un devoir de la cultiver; mais je vous conjure , eh
m'écrivant , de ne pas me la rendre si cruelle , et
de mieux consulter votre bon coçiir. Je vous em-
brasse de^tout le mien.
LETTRE CDX.
A M. MOULTOU.
Mo tiers, le 4 juin 1768.
J'ai si peu de bons moments en ma vie, qu'à
peine espérais-je dîén retrouver dbussi doux que
ceux que vous m'avez donjiés. Grand merci, ther
ami : si vous avez été conten^t de moi, je l'ai été
encore plus de vous ; cette simple vérité vaut bien
vos éloges. Aimons -nous assez l'un l'autre pour
n'avoir plus à nous louer.
Vous me donnez pour mademoiselle C... une
commission dopt je m'acquitterai mal , précisé-
ment à cause de mon estime pour elle. Le refroi-
dissement de M. G.... ' me fait mal penser de lui ;
j'ai revu son livre, il y court après l'esprit; il s'y
guindé : M. G.... n'est point mon homme : je ne
puis croire qu'il soit celui de mademoiselle C... :
qui ne sent pas son prix n'est pas digne d'elle;
mais qui l'a pu sentir , et s'en détache , est un
* Cest du célèbre Gibbon qu'il est question, et de madame Necker;
nous le ferons voir dans Tobservation qui termine cette lettre.
ANNKK 1763. l3
liomme àiçépriser. Elle ne sixix cv qirello veut; cet
homme la sert mieux que son propre cœur. J'aime
cent fois mieux qu'il la laisse pauvre et libre au
milieu de vous, que de Temmener être malheu-
reuse et riche en Angleterre. En vérité, je souhaite
que M. G.... ne vienne pas. Je voudrais me dégiti*
ser, mais je ne saurais; je voudrais bien faire, et
je sens que Je gâterai tout.
Je tombe des nues au jugement de M. de Mon-
clar. Tous les hommes vulgaires, tous les petits
littérateurs sont faits pour ppier toujours au para-
doxe y pour me reprqcher d'être outré ; mais lui
que je croyais philosophe, et du moins logicien,
quoi ! c'est ainsi qu'il m'a ki ! c'est ainsi qu'il ine
jug%! Il ne m'a donc pas entendu. Si mes principes
sont vrai^ , tout est vrai ; s'il sont faux , tout est
faux ; car je n'ai tiré que des conséquences rigou-
reuses et nécessaires. Que veut-il donc dire ? je n'y
compBcndsrien^Je suii assurément comblé et ho-
noré de ses éloges, mais autant seulement que je
peux l'être de ceux d'un homme de mérite qui ne
n^'entend pas^ Du reste , usez de sa lettre comme
il vous plaira ; eHe ne peut que m'ètre honorable
dans le public. Mais , quoi qu'il dise , il sera tou-
jours clair entre vous et moi qu'il ne m'entend
point.
Je suis accablé de lettres de Genève. Vous ne
sauriez imaginer à la fois la bêtise et la hauteur
de ces lettres. Il n'y en a pas une où l'auteur ne
se porte pour mon juge, et ne me cite à son tri-
bunal pour lui rendre compte de ma conduite. Un
l6 CORRESPOND A JVCE.
LETTRE CDXI.
A. M. A. A.
• Motiers , le 5 juin 1763.
Voici , monsieur, la petite réponse que vous de-
mandez aux petites difficultés qui vous tourmen-
tent dans ma lettre à M. de Beaumont *.
i^Le christianisme n'est, que le judaïsme expli-
qué et accompli. Donc les apôtres ne transgres-
saient point les lois des Juifs quand ils leur ensei-
^aient FÉvangile : mais les Juifs les persécutèrent,
parce qu'ils ne les entendaient pas , ou qu'ils fei-
gnaient de ne les pas entendre : ce n'est pas la
seule fqis que le cas est arrivé.
a° J'ai distingué les cultes où la religion essen-
tielle se trouve , et ceux où elle ne .$e trouve pas.
Les premiers sont bons , les autres mauvais; j'ai dit
cela. On n'est obligé de se conformer à la religion
particulière de l'état, et il n'est même permis de
la suivre , que lorsque la religion essentielle s'y
trouve , comme elfe se trouve , par exemple , dans
diverses communions chrétiennes , dans le maho-
* Voici le passage objecté :
« Je crois qu'un homme de bien , dans quelque religiou qu'il
« vive de bonne foi , pest être sauvé. Mais je ne crois pas pour
« cela qu*on puisse légitimement introduire dans un pays des reli-
« gions étrangères sans la permission du souverain; car si ce n'est
« pas directement désobéir à Dieu, c'est désobéir aux lois, et qui
« désobéit aux lois désobéit à Dieu. »
( Lettre à M, de Beaumont. )
ANNÉE 1763. 17
métisme , dans le jiuLiïsnie ; Unais dans U; p.iganismo ,
c'était autre chose; comme très-évidemment la re-
ligion essentielle ne s'y trouvait pas, il était per-
mis aux apôtres de prêcher contre le paganisme ,
même parmi les païens, et même malgré eux.
3® Quand tout cela ne serait pas vrai, que s'en-
suivrait-il? Bien qu'il ne soit pas permis aux mem-
bres de l'état d'attaquer de leur chef la foi du pays,
il ne s'ensuit point que cela ne soit pas permis à
ceux à qui Dieu l'ordonne expressément. Le caté-
chisme vous apprend que c'est le cas de la prédi-
cation de rÉvangile. Parlant humainement, j'ai dit
le devoir commun des hommes ; mais je n'ai point
dit qu'ils ne dussent point obéir, quand Dieu a
parlé. Sa loi peut dispenser d'obéir aux lois hu-
maines ; c'est un principe de votre foi que je n'ai
point combattu. Donc en introduisant une religion
étrangère sans la permission du souverain , les apô-
tres n'étaient point coupables. Cette petite réponse
est , je pense , à votre portée , et je pense qu'elle
suffit.
TranquilUsez-vous donc, monsieur , je vous prie ,
et souvenez - vous qu'un bon chrétien , simple et
ignorant , tel que vous m'assurez être , devrait se
borner à servir Dieu dans la simplicité de son cœur,
sans s'inquiéter si fort des sentiments d'autnii.
H. XX.
l8 CORRESPOND A.NGE.
k-^«/%/«%^/^V^<^«/^'V«<«/^«/»/««%/«i^%^/^«/^'% »'«'^%^.^%/^^
LETTRE CDXII.
A M. THÉODORE ROUSSEAU.
■
Motîers, le 5 juin 1763.
Je VOUS aurais envoyé sur-le-champ , mon très-
cher cousin , la copie que vous me demandez , de
ma lettre à M. le premier syndic, si je n'eusse été
informé que cette lettre était publique à Genève,
peu de jours après sa réception , de sorte que je
iHî puis douter que vous n'en ayez eu commu-
nication peu de temps après l'envoi de la vôtre. Si
cependant cela n'était pas , demandez-en commu-
nication à M. Chappuis ou à M. Deluc ; ils ne vous
la refuseront sûrement pas. Tout le monde me de-
mande des copies de mes lettres , sans songer que
je n'ai point de secrétaire, et que quand je passe-
rais ma vie à faire des copies, je ne suffirais pas à
la curiosité du public. Votre cas, mon cher cousin,
est très - différent , et j'en fais bien la distinction :
aussi si je pouvais présumer que vous n'eussiez pas
déjà celle que vous me demandez, vous la ferais-je
à l'instant. Mais je suis assuré que ce serait un soin
superflu.
Il me semble que vous vous exprimez avec moi
en termes peu convenables sur la triste démarche
que j'ai été obligé de faire pour la défense de mon
honneur, chargé par le Conseil d'iuie flétrissure pu-
blique, contre laquelle personne n'a réclamé et à
-'--
laquelle ce serait consentir que de rester volontai-
rement membre de Tétai où je Tai reçue. \ ous de-
vez sentir et plaindre mon affliction dans une dé-
marche nécessaire qui me déchire : mais (juel
droit avez - vous de me supposer irrité lorsque je
ne fais du mal qu'à moi? Vous dites que c'est un
coup sanglant pour mes parents; et tout au con-
traire, c'est un soin cruel, mais indispensable que
je devais à ma personne , à mon nom , à ceux qui
le portent ainsi que moi. Si j'étais capable de
boire des affronts sans m'en défendre , c'est alors
que ma famille aurait droit de se plaindre de l'a-
vilissement qu'elle partagerait avec moi. J'attendais
de vous des remerciements pour n'avoir pas laissé
déshonorer votre fiom. J'espérais du moins que
vous me plaindriez dans mes malheurs. Dispen-
sez-Vous, je vous prie, à l'avenir de me faire des
reproches injustes et déi-aisonnables que je n'ai
sûrement pas mérités. Du reste , soyez persuadé ,
mon cher cousin, qu'en renonçant à ma j)atrie je
n'ai point renoncé à ma famille : elle me sera tou-
jours chère. Et mon cher cousin Théodore doit
être assuré de trouver toujours en moi un bon pa-
rent et ami qui ne l'oubliera jamais. Je vous em-
brasse de tout mon cœnr.
0BSEB.VATi02r. On voit que les parents de Rousseau blâmaient
rabdicatioD qu'il iivait faite du titre de citoyen. Plusieurs de ses
compatriotes lui ont adressé des reproches pareils ' .
' Dans le volume des pièces inédites qui sera publié après cette
édition, on trouvera une dissertation h ce sujet d'un admirateur du
Roussean.
20 COIlRESPONDA]VC£,
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LETTRE CDXIIL
A MADAME LATOUR.
A Motîers, le 17 juin 1763.
Quel silence! quel temps j'ai choisi pour le gar-
der ! O cette charmante Marianne ! Que penscra-
t-elle, que cUra-t-elle maintenant de celui qu'elle
a honoré du précieux nom d'ami , et qui, pour prix
de ce bienfait, se tait avec elle depuis aix semaines?
Quand je pense combien je suis coupable , la'plume
me tombe des mains , et je n'ai pas le front de con-
tinuer d'écrire. Il le faut cependant, pour ne pas
aggraver le crime par le repentir. Soyez donc aussi
clémente qu'ai^nable; acceptez ma contrition. Je.
ne mérite grâce qu'en un seul point, mais tel qu'il
suffira pour l'obtenir de vous , je l'espère : c'est
que je sens tout mon crime, et ne cherche point
à l'excuser.
En vérité , je suis bien heureux que vous soyez
si bonne ; car , si vous vouliez ne pas l'être , vous
auriez de terribles manières de tirer sur les gens.
Il îCy a pas jusqiCa V exactitude de Vadœsse qui ne
m'ait été jusqu'à Vame, C'est une bombe que cela,
douce Marianne, et je mi'en sens d'autant plus écrasé,
que je ne l'ai que trop attirée. Ce qu'il y a de plus
humiliant pour moi est qu'à présent même elle
m'échappe encore, cette adresse, qui m'est pour-
tant si chère , et qu'il £[iudra qu'avant d'envoyer
I
ANWIÉE 1763. 2 1
cette lettre j'aille passer trois heures à la rechercher
dans un plein coffre de papiers qui me sont tous
aussi importants , mais non pas aussi chers que vos
lettres. Malgré cela , si vous lisiez clans mon cœur ,
TOUS le verriez plein de sentiments pour vous, dont
Tefifet peut aller plus loin que de mettre exacte-
ment une adresse.
Vous ne voulez pas me laisser échapper sur la
petite chose que je disais me déplaire en vous. Il
fiint pourtant que vous me fassiez grâce encore^
$wr ce point ; car il m'est impossible de vous satis-
faire 9 et vous seriez bien étonnée si je vous en di-
sais la raison. Qu'il vous suffise, je vous supplie,
ffétre sûre conmie vous devez l'être , puisque c'est
la vérité , que cette petite chose , si jamais elle a
existé , n'existe plus ; que de toutes les choses que
je connais de vous , il y en a mille qui m'enchan-
tent, et pas une qui me déplaise, surtout depuis
qae vous n'exigez plus , dans notre commerce ,
Fexactitude qu'il m'est impossible d'y mettre ; mais
f avoue que si la vôtre se relâche, je me voudrai
bien du mal de n'oser vous rien reprocher.
Je ne l'aurai donc point , le portrait de cette
charmante Marianne ! elle l'a ainsi décidé. Je vous
avoue pourtant que la raison sur laquelle vous me
refusez la permission de le faire copier m'aurait
Êdt rire , si le refus m'eût moins fâché. Un pauvre
barbon malade et sec comme moi doit être bien
fier de n'être pas pour vous un homme sans con-
séquence : mais puisque j'en porte les charges ^
j'en devrais bien avoir aussi les droits.
22 CORRESPONDANCE.
Il est vrai , madame , que , selon la loi , les ca-
tholiques ne peuvent pas acquérir des terres dan^
le canton de Berne ; mais on m'assure que les,peiî-
missions ne sont pas difficiles à obtenir; et, en
effet , il y en a divers exemples , du moins à ce
qu'on me dit; car, pour moi, je n'en connais pas.
J'ai écrit dans le canton même pour avoir des éclair-
cissenaents plus sûrs ; mais je n'ai pas encore de
réponse. Pour moi , si c^tte acquisition ne peut se
faire, j'en serai bientôt consolé, puisque, si ma
santé me le permet , je suis déterminé à quitter ce
pays , et que si elle ne me le permet pas , je ne se-
rais pas en état d'y profiter de votre voisinage.
Milord Maréchal a pris tout de bon son parti , et
va en Ecosse, où je Tirai joindre sitôt que je serai
en état de supporter le voyage ; ce que malheureu-
sem«[>t je ne saurais à présent, sans quoi je serais
déjà parti pour la Hollande , où il m'a marqué qu'il
m'attendait quelques jours. Malgré mon dépéris-
sement je ne puis renoncer à la douce espérance
d'aller enfin passer le reste de ma vie en paix entre
George Keith et David Hume.
Bonjour , belle Marianne , je voudrais bien qu'au
lieu d'habiter le quartier du Palais-Royal , vous
habitassiez la ville d'Aberdeen ^ ; j'aurais du moins
quelque espoir de vous y voir un jour.
' Milord Maréchal pressait Rousseau de venir eu Ecosse avec
lui. Ses terres étaient près d*Aberdeen , ville maritime de ce pays.
ANNÉE 1763. a3
LETTRE CDXIV.
A M. MOULTOU. '
km
Motiers-Trayert, ce lundi 37 juin 1763.
Je suis en peine de vous , mon cher Moultou ;
seriea^vous malade ? Je le demande à tout le monde ,
et ne puis avoir de réponse. Vous qui étiez si
exact à m^écrire dans les autres temps , comment
vous taisez-vous dans la:>circonstance présente ? ce
silence a quelque chose d'alarmant.
Je viens de recevoii^iWie lettre de M. Marc Chap-
puis, dans lacpiélle il nie parle ainsi : « Vous avez
ff envoyé dans cette ville copie de la lettre que
« vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le %6 mai
«dernier... Cette copie, que je n'ai point vue, est
ff tronquée , à ce que m'a assuré M. Moultou , qui
« m'est venu demander lecture de l'original. »
Cet étrange passage demande explication. Je l'at-
tends de vous , mon cher Moultou ; et ce n'est
qu'après avoir reçu votre réponse que je ferai la
mienne à M. Chappuis. M. de Sautern vous fait mille
amitiés ; recevez les respects de mademoiselle Le
Vasseur et le^embrassements de votre ami.
24 CORRESPONDANCE.
LETTRE CDXV.
AU MÊME.
Motiers-Travers, ce 7 juillet 1763.
Votre avis est honnête et sage. J'y reconnais la
voix d'iiir ami : je vous remercie , et j'en profite.
Mais avec aussi peu de crédit à Genève , que puis-je
faire pour m'y faire écouter , surtout dans une af-
faire qui n'est pas tellement la mienne qu'elle ne
soit aussi celle de tous ? Renoncer , au moins pour
ma part, à l'intérêt que j'y puis avoir, en décla-
rant nettement, comme je le fais aujourd'hui, qu'à
quelque prix que ce soit je n'accepterai jamais la
restitution de ma bourgeoisie , et que je ne ren-
trerai jamais dans Genève. J'ai fait serment de l'un
et de l'autre : ainsi me voilà lié sans retour; et
tout ce qu'on peut faire pour me rappeler est par
conséquent inutile et vain. J'écris de plus à Deluc
une lettre très-forte , pour l'engager à se retirer ;
j'en écris autant à mon cousin Rousseau. Voilà
tout ce que- je puis faire; et je le fais de très-bon
cœur : rien de plus ne dépend de moi. L'interpré-
tation qu'on donne JL-ma lettre à Chappuis est aussi
raisonnable que si,' lorsque j'ai dit non^ l'on en
concluait que j'ai voulu dire oui. Voulez-vous que
je me défende devant des fourbes ou des stupides?
Je n'ai jamais rien su dire à ces gens-là, et je ne
veux pas commencer. Ma conduite est, ce me
semble , uniforme et claire ; pour l'interpréter il
ne faut que du bon sens et un cœur droit, \dieu,
cher Moultou. J'aurais bien quelque chose à vous
représenter sur ce que vous avez dit à Chappuis ,
que j'avais tronqué la copie de sa lettre ; car , quoi-
que cela ait été dit à bonne intention , il ne faut
pas déshonorer ses amis pour les servir '. Vous
m'avouez, à la vérité, que cette copie n'est point
tronquée; mais il croit , lui , qu'elle l'est; il le doit
croire , puisque vous le lui avez dit , et il part de
ià pour me croire et me dire un homme capable
de falsification. Il ne me paraît pas avoir si grand
tort , quoiqu'il se trompe.
Au reste , quoi que vous en puissiez dire , je ne
lui écrirai point comme à mon ami, puisque je
sais qu'il ne l'est pas. J'écris à M. de -Gauffecourt.
ce respectable Abauzit! je suis donc condamné
à ne le revoir jamais ! Ah! je me trompe; j'espère
le revoir dans le séjour des justes! En attendant
que cette commune patrie nous rassemble , adieu ,
mon ami.
Le pauvre baron est parti en me chargeant de
mille choses pour vous. Je suis resté seul, et dans
quel moment!
' U ne m'ayait pas compris» et vit bien que je savais aussi bien
foe lai cette maxime. •* \ Note de M* Moultou. )
l6 CORRESPONDANCE.
^ ' LETTRE CDXVI.
A M. DELUC.
Motiers, le 7 juillet 1763.
Je crains , mon cher ami , que votre zèle patrio-
tique n'aUle un peu trop loin dans cette occasion ,
et que votre amour pour Jies lois n'expose à quel-
que atteinte la plus importante de toutes , qui est
le salut de l'état^ J'apprends que vous et vos dignes
concitoyens méditez da nouvelles représentations ;
et la certitude de leur inutilité me fait craindre
qu'elles, ne compromettent enfin vis-à-vis les uns
des autres , ou la bourgeoisie , ou les magistrats. Je
ne prétaids pas me donner dans cette affaire une
importance qu'au surplus je ne tiendrais que de
mes malheurs : je sais que vous avez à redresser
des grièfe qui , bien que relatifs à de simples parti-
culiers 9 blessent la liberté publique. Mais, soit que
je considère cette démarche relativement à moi ,
ou relativement au corps de la bourgeoisie , je la
trouve également inutile et dangereuse ; et j'ajoute
même que la solidité de vos raisons tournera toute
à votre commun préjudice , en ce qu'ayant mis en
poudre les sophistnes de sa réponse , vous forcerez
le Conseil à ne pouvoir plus répliquer que par un
sec // n'y a lieu^ et par conséquent de rentrer , par
le fait, en possession de son prétendu droit néga-
tif*, qui réduirait à rien celui que vous avez de
Voyez ce que nous avons dit sur ce droit qu'avait ou que s'ar-
ANNÉE 1763. ^7
(aire des représentations. Que si, après cela , vous
vous obstinez à poursuivre le redresi^enient des
griefe (que très -certainement vous n'obtiendrez
point) , il ne vous reste plus qu'une seule voie lé-
gitime , dont TefFet n'est rien moins qu assuré , et
qui, donnant atteinte à votre souveraineté, établi-
rait une planche très-dangereuse, et serait un mal
beaucoup pire que celui que vous voulez réparer.
Je sais qu'une famille intrigante et rusée ' , s'é-
tayaat d'un grand crédit au-dehors, sape à grands
coups les fondements de la république , et que ses
membres , jongleurs adroits et gens à deux envers,
mènent le peuple par l'hypocrisie et les grands
par l'irréligion. Mais vous et vos concitoyens devez
considérer que c'est vous-mêmes qui l'avez établie ;
qu'il est trop tard pour tenter de l'abattre , et qu'en
supposant même un succès qui n'est pas à présu-
mer, vous pourriez vous nuire encore plus qu a
elle , et vous détruire en l'abaissant. Croyez-moi ,
mes amis , laissez-la faire ; elle touche à son terme ,
et je prédis que sa propre ambition la perdra, sans
que la bourgeoisie s'en mêle. Ainsi , par rapport à
la république , ce que vous voulez faire n'est pas
Utile en ce moment; le succès est impossible, ou*
serait funeste , et tout reprendra son cours natu-
rel avec le temps.
Par rapport à moi , vous connaissez ma manière
rogeait le Sénat ou petit G)Dseil, dans le tableau que nous avons
tracé en tête des Lettres de ta Montagne ( tome x de cette édition ) ,
de la conttitution de Genève à l'époque ou Rousseau écrivait.
* La famille Tronchin.
a8 COttftESPONDANCE.
dé penser , çt M. dlvernois , à qui j'ai ouvert mon
cœur à son passage ici, vous dira , comme je vous
l'ai écrit , et à tous mes amis , que , loin de désirer
en cette circonstance des représentations, j'aurais
voulu qu'elles n'eussent point été faites , et que je
désire encore plus qu'elles n'aient aucune suite. Il
est certain, comme je l'ai écrit à M. Chappuis,
qu'avant ma lettre à M. Favre , des représentations
de quelques membres de la bourgeoisie , suffisant
pour marquer qu'elle improuvait la procédure , et
mettant par conséquent mon honneur à couvert ,
eussent empêché une démarche que je n'ai faite
que par force , avec douleur , et quand je ne pou-
vais plus m'en dispenser sans consentir à mon dés-
honneur ; mais une fois faite , et mon parti pris ,
cette démarche ne me la^issant plus qu'un tendre
souvenir de mes anciens compatriotes , et un désir
sincère de les voir vivre en paix , toute démarche
subséquente, et relative à celle-là, m'a paru dé-
placée , inutile ; et je ne l'ai ni désirée ni approu-
vée. 3 'avoue toutefois que vos représentations
m'ont élérbonorables , en montrant que la procé-
dure fait^ contre moi était contraire aux lois , et
improuvée par la plus saine partie de l'état. Sous
ce point de vue, quoique je n'aie point acquiescé
à ces représentations, je ne puis en être fâché.
Mais tout ce que vous ferez de plus maintenant
n'est propre qu'à en détruire le bon effet ,• et à
faire triompher mes ennemis et les vôtres, en
criant que vous donnez à la vengeance ce que
vous ne donnez qu'au maintien des lois.
ANNÉE fjtyi. StQ
Je VOUS conjure donc , mon Vertueux «inii , par
votre amour pour la patrie et pour ta paix, de
laisser tomber cette affaire , ou même d'en aban-
donner ouvertement la poursuite,au moins pour ce
moà me regarde, afin que votre exemple entraine
ceux qui vous honorent de leur confiance , et que
les griefs d'un particulier qui n'est plus rien à l'état
n'en troublent point le repos. Ne soyez en peine,
ni du jugement qu'on portera de cette retraite,
ni du préjudice qu'en pourrait souffrir la liberté.
La réponse du Conseil, quoique tournée avec toute
l'adresse imaginable , prête le flanc de tant de côtés,
et vous donne de si grandes prises, qu'il n'y a
point d'homme un peu au fait qui ne sente le motif
de votre silence , et qui ne juge que vous vous taisez
pour avoir trop à dire. Et quant à la lésion des
lois, comme elle en deviendra d'autant plus grand(^
qu'on en ûura plus vivement poursuivi la réparation
sans l'obtenir, il vaut mieux fermer les yeux dans
une occasion où le manteau de l'hypocrisie couvre
les attentats contre la liberté , que de fournir aux
usurpateurs le moyen de consommer, au nom de
Dieu 9 l'ouvrage de leur tyrannie.
Pour moi, mon cher ami, quelque disposé que
je fusse à me prêter à tout ce qui pouvait complaire
à mes anciens concitoyens, et à reprendre avec
joie un titre qui me fut si cher , s'il m'eût été res-
titué de leur gré , d'un commun accord , et d'une
manière qui me l'eût pu rendre acceptable , vos
démarches, en cette occasion, et les maux qui peu-
vent en résidtiîr , me forcent à changer de résolu-
3t> CORRESPONDANCE.
lion sur ce point, et à en prendre une dont, quoi
qu'il arrive , rien ne me fera départir. Je vous dé-
clai'e donc, et j'en ai fait le serment, que de mes
jours je ne remettrai le pied dans vos murs, et que,
content de nourrir dans mon cœur les sentiment*
d'un vrai citoyen de Genève , je n'en reprendrai
jamais le titre : ainsi toute démarche qui pourrait
tendre à me le rendre est inutile et vaine. Après
avoir Bacrifié mes droits les plus chers à l'honneur,
je sacrifie aujourd'hui mes espérances à la paix. Il
ne me reste plus rien à faire. Adieu.
LETTRE CDXVII.
A M. DE GAUFFECOURT.
Motiers, le 7 juillet 1763.
J'apprends, cher papa, que vous êtes à Genève,
et cela redouble mon regret de ne pouvoir passer
dans cette ville, comme je comptais faire, après
toutes ces tracasseries , pour aller à Chambéri voir
mes anciens amis. Forcé de renoncer à ma bour-
geoisie , pour ne* pas consentir à mon déshonneur,
j'aurais passé comme un étranger; et avec quel
plaisir j'eusse oublié, dans les bras du cher Gauf-
fecourt, tous les maux qu'on rassemble sur ma tête!
Mais les démarches tardives et déplacées de la bour-
geoisie, et l'étrange réponse du Conseil, me for-
cent, dé peur d'attiser le feu par ma présence, à
nï'abstenir d'un voyage que je voulais faire en paix.
ANNÉK I7C3. 3l
\près sVtre tu quand il fallait parler , un parle
quand il faut se taire et que tout ce qu'on peut
(lire n'est plus bon à rien.
L'affection que j'aurai toujours pour ma patrie
me £ût désirer sincèrement que tout ceci, qui s'est
Eût contre mon gré , n'ait aucune suite , et je l'ai
écrit à mes amis. Mais ne ra'ayant ni défendu dans
mon malheur , ni consulté dan» leur démarche, au-
ront-ils plus d'égard à mes représentations, qu'ils
Q en eurent à mes intérêts lorsqu'ils n'étaient que
œux des lois et les leurs ? Dans le doute de mon
crédit sur leur esprit, j'ai pris le dernier parti que
je devais prendre , en leur déc^larant que , quoi qu'il
arrivât , et quoi qu'ils fissent , je ne reprendrais ja-
mais le titre de -leur citoyen*, et ne rentrerais ja-
mais dans leurs murs. C'est à quoi je suis aussi très-
déterrniné, et c'est le seul moyen qui me restait
d'assoupir toute cette^affaire , autant du moins que
mon intérêt y peut influer. Ce serait j'en conviens,
me donner une importance bien ridicule, si on ne
l'eût rendue nécessaire , et dont; je ne saurais d'ail-
leurs être fort vain , puisque je ne la dois qu'à mes
malheurs. Ainsi ^ rien né manque à mes sacrifices.
Puissent-ils être aussi utiles que je les fais de bon
cœur , quoique déchiré T
Ce qui m'afflige le plus dans cette résolution, est
l'impossibilité où elle^ne met d'embrasser jamais
mes amis à Genève, ni vous par conséquent qui
* de leur citoyen, Confornieau texte de réditioii donuée
par du Pe3'rou en 1790, où celte lettre a été imprimée pour la
première fois , et où, par erreur sans doute « on a mis citoyen pour
iOKcitoyen. '
32 CORRESPOND A.WCE.
êtes le pliis ancien de tous. Faut-il donc renoncer
pour toujours à cet espoir? Cher papa, j'espère que
votre santé raffermie ne votis rend plus 'les bains
d'Aix nécessaires ; mais jadis c'était pour vous un
voyage de plaisir plus que de besoin. S'il pouvait
l'être encore, quelle consolation ce serait pour moi
d'aller vous y voir! Je crois que je moin^rais de joie
en vous serrant danç mes bras. Je traverserais le
lac, le^Chablais, le Faucigny, pour vous aller join-
dre. L'amitié me donnerait des forces ; la peine ne
me coûterait rien.
On dit que les jongleurs ont acheté Marc Chap-
puis avec votre empkn. Je les trouve bien prodi-
gues dans leurs emplettes. Il est vrai que celle - là
se fait à vos dépeus, et c'est tout ce qui m'en fâche.
Assurément, si je n'ai pas une belle statue, ce ne
sera pas la faute des jongleurs ; ils se tourmentent
furieusement pour en élevei* le piédestal. Donnez-
moi de vos nouvelles. Je vous embrasse de tout
mon cœur.
LETTRE CDXVIII.
A M. ÛSTERI,
■ 1*
PROFESSEUR A ZURICH,
Sur le chapitre vm du dernier livre du Coittrat social.
Motiers, i5 juillet 1763.
Quelque excédé que je sois de disputes et d'ob-
jections, et quelque répugnance que j'aie d'em-
.'1&..Î
ANNÉE I7G3. 33
ployer à ces petites guerres le précieux commerce
(le l'amitié, je continue à répondre à vos difficultés,
puisque vous Fexigez ainsi. Je vous dirai donc^ avec
ma franchise ordinaire , que vous ne me paraissez
pas avoir bien saisi 1 état de la question. La grande
société, la société humaine en générai, est fondée
sur rhumanité , sur la bienfaisance universelle. Je
dis et j'ai toujours dit que le christianisme est fa-
vorable à celle-là.
Mais les sociétés particulières , les sociétés poli-
I tiques et civiles ont un tout autre principe; ce sont
desétablissementspurementhumains, dontpar con-
séquent le vrai christianisme nous détache comme
de tout ce qui n*est que terrestre. Il n'y a que les
vices des honunes qui rendent ces établissements
nécessaires , et il n'y a que les passions humaines
qui les conservent. Otez tous les vices à vos chré-
tiens, ils n'auront plus besoin de magistrats ni de
bis; otcz-ieur toutes les passions humaines, le lien
rivil perd à l'instant tout son ressort : plus d'ému-
lation, plus de gloire, plus d'ardeur pour les pré-
férences. L'intérêt particulier est détruit; et, faute
d'un soutien convenable, l'état politique tombe en
langueur.
Votre supposition d'une société politique et ri-
goureuse de chrétiens, tous parfaits à la rigueur, est
donc contradictoire; elle est encore outrée quand
vous n'y voulez pas admettre uu seul homme in-
juste , pas un seul usurpateur. Sera-t-elle plus par-
faite que celle des apôtres ? et cependant il s'y trouva
un Judas.... Sera-t-elle plus parfaite que celle des
R. XX. 3
34 corâespôjidAnce.
anges? et le diable ^ dit-on, en est sorti. Mon cher
ami, vous oubliez que vos chrétiens seront des
hommes, et que la perfection que je leur suppose
est celle que peut comporter Thumanité. Mon livre
n'est pas faiit pour les dieux.
Ce n'est pas tout. Vous donnez à vos citoyens ùii
tact moral ^ une finesse exquise : et pourquoi»? parce
qu'ils sont bons chrétiens. Comment! nul ne peut
être bon chrétien à votre compte sans être uii La
Rochefoucauld, un La Bruyère? A quoi pensait donc
notre maître, quand ÏI bénissait les pauvres en es^
prit? Cette assertion -là, premièrement, n'est pas
raisonnable , puisque la finesse du tact moral ne
s'acquiert qu'à force de comparaisons, el s'exerce
même infiniment mieux sur les vices que l'on cache
que sur les vertus qu'on ne cache point. Seconde^
ment, cette même «issertion est contraire à toute
expérience, et l'on voit constamment que c'est dan&
les plus grandes villes , chez les peuples les plus
corrompus qu'on apprend à mieux pénétrer dans
les coeurs, à mieux observer les hommes, à mieux
interpréter lexirs discours par leurs sentiments , à
mieux distinguer la réalité de l'apparence. Nierez-
vous qu'il n'y ait d'infiniment meilleurs observa-
teurs moraux à Parfs qu'en Suisse ? ou conclurez-
vous de là qu'on vit plus vertueusement à Paris
que chez vous?
Vous dites que vos citoyens seraient infiniment
choqués de la première injustice. Je le crois; mais,
quand ils la verraient , il ne serait plus temps d'y
pourvoir, et d'autant mieux qu'ils ne se pennet-
t^km.
ANNÉE 1703. 35
traient pas aisément de mal penser de leur pro-
chain , ni -de donner une mauvaise inteqirétation
à ce qui pourrait en avoir une bonne. Cela serait
trop contraire à la charité. Vous n'ignorez pas que
les ambitieux adrpitsse gardent Bien de commencer
par dés 'injustices; au tK)n traire, ils n'épargnent
rieç pour^gagner d'abord la confiance et l'estime
publique par la pratique extérieure de la vertu ;
ik ne je^nt,4e masque et ne frappent les grands
coups que qqand leur partie est bien liée, et qu'on
n'en peut plus revenir. Cromwell ne fut connu pour
im tyran qu^a^ès avoir passé quinze ans pour le
vengeur deë }#is et le défenseur de la religion.
Pour . conserver votre* république chrétienne,
vous rendes ses voisins aussi justes qu'elle : à la
bpnne hjeuf;e ; je conviens qu'eUe se défendra tou-
jours assç&<bîen 'pourvu qu'elle ne soit point atta-
quée. A l'égard du couhige que vous donnez à ses
soldats, parle simple amour de la conservation ,
c'est celui qin ne. manque à personne. Je lui ai
doimé un motif encore pkis puissant sur des chré-
tiej^ , savoir; l'amèùr du devoir. IJhdessus , je crois
pouvoir, pour toute réponse, vous renvoyer à
mon livre ,. où té point est biçn discuté. Comment
ne voyee^ous psK .qu'il n'y à qUe de grandes pas-
sions qui'Êissefft'de gran4es choses ? Qui n'a d'autre
passion que ceUe de son salut ne fera jamais rien
de grand dans le temjîorel. Si Mutins Scœvola n'eût
été qu'un saint , croyez-vous qu'il eût fait lever le
siège de Rome ? Vous me citerez peut-être la ma-
gnafiiqie Judith. Mais nos chrétiennes hypothé-
3.
36 . correspondancjî:.
tiques , moins barbarerrient coquettes , nUront pas,
je crois ôédiiire leurs ennemis, et .piiiS coucher
avec eu* pour les* massacrer durant leur sommeil.
Moucher ami , je-n'aspire pas à vous \îon vaincre.
Je sais qu'il n'y a pî^s -deux' têtes organisées de
même j et qu'apVès biei\ (jies disputes , bien des ob-
jections, bien des éc)airqis$6meixts, cliiâcun finit
toujours par rester dans soibsenCipFieitt comme au-
paravant. D'àlHeurs , quelque philosfDjifae que vous
puissiez être ^ je sens qii'il faut'toujoiws un peu te-^
nir à l'état. Encore une fois*, Je vou&..Réponds
parce que vous 'le \çfà\ez; mais jen^ vous en es-
timerai pas inoins ^pout ne pa^ panser conpiie
moi. J'ai dit mon avis» ait public ; «t j'ai cru le de-
voir dire , en choses importantes et qui- intéressent
l'humanité. Au reste ^ije pjjis ra'être tcompé tou-
jours ; et je me suis trompé^ souyoïlt sans doute. J'ai
dit mes raisons ; e'est au pid3lie ^ c'est à vous à les
peser , à les juger , à choisir. Pour jrioi , je n^cn sais
pas davantage , et je troiive** très-bon que ceux
qui ont d'autres afenfiments-W'^rdent, pourvu
qu'ils me laisoeilt en pais dans, le tnïén-
" ' ' '^^ ■•■ v"
A M. F. H. ROUSSEAU..
Juillet 1763.
Une absence de quelques jours m'a empêché,
mon très-cher cousin, de répondre pliis tôt à
ANNÉE 1763. 37
votre -lettre , et de vous marquer mon regret sur
la perte de mon cousin votre père. Il a vécu en
homme d'honneur , il a supporté la vieillesse avec
courage, et il est mort en chrétien. Une carrière
ainsi passée est digne d'envie : puissions - nous ,
monxher cousin , vivrq et mourir comme lui !
Quanta ce que vous me marquez des représen-
tations qui oû\ été faitips à mon sujet , et auxquelles
vous avez concouru , je reconnais , mon cher cou-
sin , dans cette démarche le zèle d'un bon parent
et d'mi digne' citoyen ; mais j'ajouterai qu'ayant
été faites à mop insu, et daijs un temps où elles
ne pouvaient plus produire aucun effet utile, il
eÛLpéut-être été mieux qu'elles n'eussent point été
faites , ou que mes amis et parents n'y eussent
point acquiescé. J'avoue que l'affront reçu par le
Conseil est pleinement réparé par le do^saveu au-
thentique de la phis Saine partie de l'état : 'mais
comme il p6ut naître de cette démarche des se-
n^nces de mésintelligence , ■ auxquelles , même
après ma retraite , je serais au désespoir d'avoir
donné lieu , je, vous prie, mon cher cousin , vous
et tous ceux qui daignent s'intéresser à moi, de
vouloir bien , du moins pour ce qui me regarde ,
reponoer à'.la poursuite de cette affaire , et vous
retirer du nombre, des re^jftésentants. Pour moi ,
content d'avoir fait en toute occasion mon devoir
envers ma patrie autant qu'il a dépendu de moi ,
j'y renonce pçur tpujours , avec douleur , mais
sans balancer ; et afin que le désir de mon réta-
blissement q'y trouble jamais la paix publique,
38 CORRESPOND AirCE.
je déclare que, quoi qu'il arrive, je ne reprendrai
de mes jours le titre de citoyeii de Genève , ni ne
]rentreraî dans ses murs. Cnôyez que mon attache-
ment pour mon pfiys n^tient ni' au^rdroits, m au
séjour, ni au titre^ mais à des nœudy que rienine
saurait briser ; croyez-aussi , mon très'-cher *cousin ,
qu'en cessant d'être votre qonfeitoTCn *, je 'n'en
reste pas moins pour Iç^ vie i^otre bofi- parent et
véritable ami.
LETTRE <ÎDXX.
- , *
A M. DUCLOS. .
Motiers, le 3io juillet ^763.
• %
Bien arrivé , mon cher philosophe. Je prévoyais
votre jugement sur TAngléterre. Pour des yeux
comme les vôtres, les hommes sont les mêmes
par tout pays; les nuances qui les distinguent sont
trop superficielles , le fond de l'étoffe domine tou-
jours. Tout comparé , vous vous décidez pour votre
pays : ce choix est naturel. Après y avoir passé les
plus belles années de xna vie j'en ferais de bon
cœur autant. Je crois pourtant, qu'en 'général j'ai-
merais mieux que mon ami fût 'Anglais que Fran-
çais. J'avais beaucoup d'amis en France ; mes dis-
grâces sont venues , et j'en ai conservé deux. En
Angleterre , j'en aurais eu moins peut-être , mais
je n'en aurais perdu aucun.
J'ai Éait pour mon pays ce que j'ai fait pour mes
4J!fNÉE 1763. 39
aipis. J'ai tendrement aimé ma patrie, tant que j'ai
cm en avoir une. A l'épreuve , j'ai trouvé que je
me trcmipais. En me détachant d'une chimère,
j'ai cessé d'être un hoimne à visions; voilà tout.
Vous voudriez que je fisse un manifeste ; c'est sftp-
poser que j'en ai besoin. Cela me parait bizarre
qu'il faille toujours me justifier de l'iniquité d'au-
trui, et que je sois toujours coupable , uniquement
parce que je suis persécuté. Je ne vis point dsuds
le inonde , je n'y ai nulle correspondance, je ne sais
rien de ce qui s'y dit. Mes ennemis y sont à leur
aise ; ils savent bien que leurs discours ne me par-
viennent pas. Me voilà donc , comme à l'inquisi-
tion, forcé de me défendre sans savoir de quoi je
suis accusé.
En parlant de la renonciation à ma bourgeoisie
vous dites que beaucoup de citoyens ont réclamé
fsn ma feveur; que j'avais donc des exceptions à
bire. Entendons-nous , tnon cher philosophe.: les
réclamations dont vous parlez n'ayant été faites
qu'après ma démarche , ne pouvaient pas me four-
nir un motif pour m'en abstenir. Cette démardie
n'a point été précipitée , elle n'a été faite qu'après
dix mois d'attente, durant lesquels personne n'a
dit un mot en public, si ce n'est contre moi. Alors
le consentement de tous étant présumé de leur
silence, rester volontairement membre d'un état
où j'avais été flétri, n'était-ce pas consentir moi-
même à mon déshonneur? Et me restait-il une voie
plus honnête , plus juste , plus modérée de protes-
ter contre cette injure , que de me retirer paisible-
4o CORRESPONDANCE.
ment de la société où elle m'avait été faite? Nos
lois les plus précises ayaiit été , de toutes manières,
foulées aux pieds à mqn égard, à quoi pouvais-je
rester engagé de moii d6té , lorsque les liens de la
patrie n'étaient plus rien envers inoi que ceux de
l'ignominie , de l'injustice et de la violence ?
Cette retraite fit ouvrir le§ yeux à la bourgeoisie :
ç}jbB sentit son tort, elle en eut honte; et, selon le
rétour ordinaire ^e l'amour-propre , pour s'en disr
culper , elle tâcha de me l'imputer. On m'écrivit
des lettres de reproches, En réponse , j'exposai mes
raisons : elles étaient sans réplique. On voulut trop
tard réparer la faute et revenir sur upe chose faite.
On n'avait rien dit quand il fs^lait parler; on parla
quand il ne restait qu'à se taire, et que tout ce
qu'on pouvait dire n'aboutissait plus à rien. La
bourgeoisie fit des représentations , le Conseil ICvS
éluda par des réponses dont l'adresse ne put sauver
le ridicule : mais il y a long-temps qu'on s'est mis
au-dessus des sifflets. La bourgeoisie voulut insis-
ter ; les esprits s'échauffaient , la mésintelligence
allait devenir brouillerie, et peut-être pis. Je vis
alors qu'il me restait quelque chose à faire. Mes
aipis savaient que , toujours attaché par le cœur à
mon pays , je reprendrais avec joie le titre auquel
j'avais été forcé de renoncer, lorsque d'un commun
accofd il mènerait convenablement rendu. Le désir
de pion rétablissement paraissait être le seul motii
de leur démarche ; il fallait leur ôter cette source
de discorde. Pour leur faire abandonner la pour-
suite d'une affaire qui pouvait les mener trop loin,
ANNÉK 1763. 41
je leur {|i doûc déclaré que jamais, quoi qu'il ar-
rivât je ne rentrerais dans leurs murs;^ne jamais
je ne reprendrais la qualité de leur concitoyen , et
qu^ayant confirmé par serment cette résolution ,
je n'étais plus le maître d'en changer. Gomme je
n'ai voulu conserver aucune correspondance suivie
à Genève, j'ignore absolument ce qui s^y est passé'
depuis ce temps-là .-mais voilà'ce que j'ai fait. Après
avoir sacrifié mes droits les plus chers à mon hon-
neur outragé , j'ai sacrifié à la paix mes dernières
espérances. Tels sont mes torts dans cette àfFaire ;
je ne m'en connais point d'autres.
Vous voudriez, dites- vous, *que je* fisse voir à
tout le monde comment, étant mal avec beaucoup
de gens , je devrais être bien avec tous : rAais je
serais fort embarrassé moi-<méme^de dire pourtfuoi
je suis mal avec quelqu'un ; car je défie qui que cr
soitaumonded'oserdirequejehii aie jamais fait ou
voulu le moindre mal. Ceux qui me persécutent no
me persécutent que pofir le seuT plaisir de nuire :
ceux qui me haïssent ne peuvent me haïr qu'à
cause du mal qu'ils m'ont fait. Us se complaisent
dans leur ouvrage; ils ne me pardonneront jamais
leur propre méchanceté. Or, qu'ils fassent donc
tout à leur aise; l>ientôt je pourrai les mettre au
pis. Cependant ils auront beau m'accàbler de maux ,
il leur en reste un poiir ma vengeance que je leiu-
défie de me faire éprouver ;* c'est le tourment de la
haine , avecieqiiel je les tjetos phis malheureux quo
moi. Voilà tout ce que je ptiis dire sur ce chapitre.
Au reste , j'ai pàs^é cinj^Uàntd 'ans de ma vie sans
4^ CO&B£âPO]fDA]fC£.
apprendre à faire mon apologie; il est trop tard
pour ponnnencer. ,
M. Ùrjuaer n'est point du Cgnseil. Il est le li-
braire « même l'anû de M. de Vtiltaire ; .et Ton sait
oé quf 8^pf les amis de Voltaire par rapport à moi ;
4u reste 9 je ne le oonnais point du toiit. Je sais
* a^u^ljBmenrt qu'en général tQus Iqs Genevois du grand
,jHbr. me 'haussent, ctais qti'ils savent se plier aux
"gùùïs xle ceuK qai leur parlent. Ils ont soin de ne
pas peràrê Imiins coups en l'air ; ils ne lés lâchent
que qiuuid ils portent.
lÀé vQiçi Au bout de mon papiçr et de mon ba-
virdage sans avetr pu vous parler de vous.
Une réflexion bien simple , moh cher philosophe ,
et jefiAis. JeVous^ tendrement aimé dans les jours
briHaïAs de>^da vie, et vous savez que l'adversité
Si'enduroit pa&te .cœur.' Je vous embrasse.
LE-TTJIE CDXXL
AU MÊME.
Motiers, le i^ aoû^
Depuis^ ma lettre écrite, ma situation physique
a tellement eînpiré et s'est tellement déterminée,
que mes douleurs, sans rel&che et sans ressource,
me mettent absoliu^ent dans le cas de l'exception
marquée par milord Edouard en répondant à Saint-
Preux*; Usque adeone mon miserum est? J'ignore
* Nouvelle IfélaûCf iroinèmè'pttme, lettre ixii.
^Al«Mi^CtfMtei
k^niE 1763. 43
encore quel parti je prendrai : si j'en prends un ,
ce sera «le plus tard qu'il me sera possible, et ce
sera sans iigpatience et sans désespoir, covnnie sans
scrupule et sans crainte. Si mes Csiutes m'effraient,
mon coeur me rassure. Je partirais avec défiance ,
si je connaissais un homme meilleur que moi ; mais
je les ai bien tus, je les ai bien éprouvés, et sou-
vent à mes dépens. Si le bonheur inaltérable Mt
£dt pour quelqu'un de mon espèce , je ne suis pas
en peine de moi: je ne vois qu'une alternative, et
elle me tranquillise ; n'être rien , ou être bien.
Adieu, mon cher philosophe: quoi qu'il arrive,
voici probablement la dernière fois que je vous
écrirai ; car mes souffrandes ne pouvant qu'aug-
menter incessaminent , me délivreront d'elles du
m'absorberont tout entier. Souvenez-vous quelque*
fois d'un homme qui vous aima tendrement et sin-
cèrement, et n'oubliez pas que dans les derniers
moments où sa tête et son cœur furent libres , il
les occdpa de vous.
P. S. Lorsque vous apprendrez que mon sort
sera décidé, ce que je ne puis prévoir moi-m^e,
priez de ma part M. Duchesne de vouloir bien tenir
à mademoiselle Le Vasseur ce qu'il m'a pronpiis pont*
moi. "Elle , de son côté , lui enverra le papier qu'il
m'a demandé.
Quelle ame que celle de cette bonne fille ! Quelle
fidélité, quelle affection,- quelle patience! Elle a
£ût toute ma consolation dans mes malheurs ; elle
me les a (ait bénir. Et maintenant, pour le prix .de
44 CÔRRESPOICDAKCE.
vingt ans d'attachement et de soins , je la laisse
seule et sans protection , dans un pays où çUe en
aurait si grand besoin ! J'espère que tous ceux qui
m'ont aimé lui transporteront les sentiments qu^ils
ont euà.pour ipoi: elle en est digne, c'est un cœur
tqut semblable au nûen*.
te%<mi«^%/%^%^^^%/m/^%'m^%^'><^%/^^%^^'^ ^«
I
LETTRE CDXXIL
A M. MARTINET,
j CHEZ LUI.
Vous ne,ip'aimez pgint, monsieur, je le sais ;
mai^ mm je vous estime ; je sais .que vous êtes un
lioÎEnme Juste et raisonnable : cela me suffit pour
lijuysfier en toute confiance mademoiselle Le Vasseur
soiï^ yolre protection. Elle en est digne ; elle est
cojoouie et bien voulue de ce qu'il y a de plus grand
en France : toiit le monde approuvera ce qiie vous
aurez fait pour elle , et Milord Maréchal , en parti-
culier ^^ vous en sajara gré. Voilà bien des raisons,
mA)tisiei|r^ qui me rassurent contre l'effet d'un peu
de fftsi^eur ei;^tre nous. Je vous fais remettre un
t;|BStament qui peut n'avoir pas toutes les formalités
r^uise^; iliiais s'il ne contient rien que de raison-
nable et de juste , pourquoi le casserait-on ? Je me •
fie bien e^core à votre intégrité . dans ce point.
^ Cette lettre , sans indication de Tannce , parait avoir été écrite
le lendemain de celle du 3o juillet qu*on vient de lire, mais n'avoir
pas été envoyée à son '^djresse. Celle qui suit doit avoir été écrite
dans le même temps, -v^^ « ( Note de du Peyrou. )
ABiNKE 1763. 4^
Adieu , monsieur ; je pars pour la patrie des âmes
justes. J'espère y trouver peu d'évèques et de gens
d'alise , mais beaucoup d'hommes comme vous et
moi. .Quand vous y viendrez à votre tour , vous ar-
riverez en pays de connaissance» Adieu donc de-
rechef, monsieur ; au revoir.
LETTRE CDXXIII.
A M. MOULTOU.
Motîcra, landi i^aoùt 1763.
Je voufe remercie, mon cher Moultou, du livre
de M. Vemes que vous m'avez envoyé : l'état où
je siiis ne me permet pas de le lire, encore moins
d'y..répondre ; et, quand je le pourrais, je ne le fe-
rais assurément pas. Je ne réponds jamais qu'à des
gens que j'estime.
Je suis persXiajdé qtie ce que M. Vemes me par-
donne le moÂl^ est d'avoir dttaqué le livre dUel-
vétkis, quoicjlie je l'aie fait Bfvéctîautê la décence
imaginij»le'; en passant ,-sans Icuosimèr, ni même
le €lé;^igner,^si ^ n'est en rendant*- honneur à son
hoii4}araiçtère. Dcms les- pagres 7 & et 7 a de M. Yeraes,
qiii-ine sont tombées sous leÀ yeux vil me feit uti
gran^ crime d'avoir emplo^^é ce qu'il i^pçUe le jar-
gdn de la métaphjÇsiquè ; et il suppose que j'ai eu
besoin de^^cç jargon pour étitblir la religion natu-
relle y au. lieft'* que je n'en ai .eu besoin que pour
attaquée Jernatérialisme. Le pri|af^p^ fondamental
46 CORRESPONDANCE.
du livre de V Esprit est (\ae juget est s^mtir ; d'où il
suit filaifement que tout n'est que corps. Ce prin-
cipe j étant établi par des raisonnements métaphy-
siques, ne pouvait être attaqué que par de.sem-
blablef raisonnements* C'est ce que M. Vemes ne
mè pardonne pas. La métaphysique ne l'édifie que
dans le livre dllelvétius ; elle le scandalise dans le
mien.
Je n'approuve pourtant pas que le public voie
l'article de ma lettre qui le regarde; j'exige même
que vous ne le montriez à personne , qu'à lui seul
si vous vouléar. Je n'eus jamais de penchant à la
haine ; et je crois qu'à ma place l'homme du monde
le plus haineux s'attiédirait fort sur la vengeance.
Mon ami , laissons tous ces gens - là triompher à
leur. aise; ils ne me fermeront pas la patrie des
âmes justes , dans laNijuelle j'espère parvenir dans
peu.
J'avoue que dans de certains moments j'aurais
grand besoin de quelque consolat^n. £n proie à
des doideuv6 sans relâche et sans ^ressource , je
suis dans te çâajdeir-exception faite par milord
Edouard, jsn népondant à Saint-Preux , ou jamais
homme «i% inomde, n'y fut. Toutefois je prends pa-
tience ^ mai» il est bientruél de n'avoir pas la main
d'un ami pour me fermer les yeux , taoïk qui ce
devoir n tant coûté ^ e]t qui l'ai rendu de si bon
cœur, n est bien ciruel de laisser ici , loin de son
pays, cette pauvre fifie sans amin, sans protection,
et de ne pouvoir pas même lui assurer la posses^
sion de mes guwiUes pour prix de vingt ans de
ANlffiE 1763. 4?
soins et il aUachanent. Elle a des défauts , cher
Moultou; mais c'est une belle ame. J'ai tort de me
plaindre de manquer de consolations; je les trouve
en elle; quand nous avons déploré mes malheurs
ensemble ^ ils sont presque tous oubliés : cepen*
dant leur sentiment revient et s'aggrave par la
continuité des maux, du corps.
Je voulais écrire au cher Gauftecourt : je n'en
ai pour aujourd'hui ni le tçmps ni la force ; dite»^
lui ^ je vous prie, que j'ai un extrême regret de 00
pouvoir l'accompagner; je le désirais trop pour
devoir l'espérer. Qu'il ne manque pas d'^ml^rasser
pour moi M. de Conzié y coiAte des Charmettes ,
et de lui témoigner combien j'étais disposé à me
rendre à son invitation ; mais
m Bfe anteit sibra neceisitaf ,
« Clavos trabalet «t coneot mann
« GestaiiA ahenâ. »
Mademoiselle Le Yasseur persiste à vous prier de
lai renvoyer sa robe, si vous ne l'avez pas vendue.
Bonjour.
r ' ^
LETTRE CDXXIV.
A MàDAIÉE LAtaUR.
31 août 1763.
J'ai reconnu , très - bon^ie Marianne , la sollici-
tude de votre amitié dans la lettre que madame
Prieur a écrite ici à madame Bo^-de-la-Tour ; vous
48 CORRlîSPOWDANCE.
et madame Prieur ignorez ôans doute que madame
Boy-de-la-Tour ne demeure pas ici ^ mais à Lyon.
Comme la lettre a été reçue par gens peu propres
à garder les secrets d'autrui ^ en me chargeant d'y
répondre, je me suis pressé de la retirer. Si j'étais
en meilleur état, que j'aurais de choses à vous dire
sur la dernière que vous m'avez écrite , et sur les
précieuses taches dont elle est enrichie ! Mais je
sou£fre^ chère Marianne, et mon corps fait taire
mon cœur. Si je croyais que cette paralysie dut du-
rer toujoupâ , je me regarderais comme déjà mort ;
mais si^mon él^t me laisse quelque relâche , je le
consacrerai à penser à vous, et je vous redevrai la
vie. Envoyez-moi votre portrait cependant; peut-
être sa vue ranimera-t*elle un sentiment qui s'at-
tiédit par mes sou£fr£»ices , mais qui ne s'éteindra
jamais pour vous.
Au reste , ne vous effrayez pas trop de ma si-
tuation actuelle ; elle était pire ces temps derniers ;
mais j'avais des^ moments de relâche, et mainte-
nant je n'en ai plus. Jlaimerais mieux de plus vives
douleurs et des intervalles; mais, souffrant conti-
nuellement , Je ne sui^ tout entier à rien , pas même
à vous. Ainsi, ne iaites plus honneur à ma sagesse
d'un détachement qui n'est que l'effet de mes
maux. Qu'ils me laissent un moment à moi-même,
et vous retrouverez bientôt votre ami.
ANNÉE 1763.
49
r.ETTRE CDXXV.
A M. D*IVERNOIS.
Motiers, le a a août 1763.
Recevez, monsieur, mes remerciements des at-
teations dont vous continuez de mlionorer , et des
peines que vous voulez bien prendre en ma £i-
veur. San]s M. Deluc et sans vous, j'ignorerais ab-
solumenj; Tétat des choses , ne conservant plus au-
cune relation dans Genève par laquelle j'en puisse
être informé. Je vois , par ce que vous avez la
bonté de me marquer, qu'après toutes ces démar-
ches les choses resteront, comme je l'avais prévu ,
dans le même état où elles étaient auparavant. Il
peut arriver cependant que tout cela rendra, du
moins, pour quelque temps , le Conseil un peu
moii^ violent dans ses entreprises ; mais je si|is
trompé si jamais il renonce à son système, et s'il
ne vient à bout de l'exécuter à la fin. Voilà, mon-
sieur , puisque vous le voulez, ce que je pense de
l'issue de cette affaire, à laquelle je ne prends plus,
quant à moi , d'autre intérêt que celui que mon
tendre attachement pour la bourgeoisie de Genève
m'inspire , et qui ne s'éteindra jamais dans mon
cœur. Permettez , monsieur , que je vous adresse
la lettre ci-jointe pour M. Deluc. Mademoiselle Le
Vasseur vous remercie de l'honneur que vous lui
faites, et vous assure de son respect. Toute votre
R. XX. 4
50 CORR£8PONDAirO£.
famille se porte bien , au.reapectstble docteur près,
qui décline de jour eii jour. Il &ut toute la force
de son ame pour lui faire supporter avec courage
le poids de la vie. Quelle leçon pour moi , qui
souffre moins et qui suis moins patient ! Je vous
embrasse , monsieur , et vous salue da tout mon
cœur.
LETTRE CDXXVL
 M. ***,
GUai D'AMBéaiSa EN BUGST '*'.
Motiers-Travers , le a 5 août 1763.
Vos bontés, monsieur , pour ma gouvernante et
pour moi sont sans cesse présentes à mon cœur et
au sien. A force d'y penser , nous voilà tentés d'en
user encore , et peut-être d'en abuser. U faut vous
communiquer notre idée , afin que vous voyiez si
elle ne vous sera point importune , et si vous vou-
drez bien porter l'humanité jusqu'à y acquiescer.
L'état de dépérissement où je suis ne peut durer;
et , à moins d'un changement bien imprévu , je
dois naturellement, avant la fin de l'hiver, trou-
ver un repos que les hommes ne pourront plus
troubler. Mon unique regret sera de laisser cette
bonne et honnête fiUe sans appui et sans amis , et
de ne pouvoir pas même lui assurer la possession
* Voyez la lettre du 3o doTembre 176a , et la note page 41 5 et
MiiTantes.
ANirÉE 1763. 5i
des guenilles que je puis laisser. Elle s'en tirera
comme elle pourra : il ne faut pas lutter inutile-
ment contre la nécessité. Mais, comme elle est
bonne catholique , elle ne veut pas rester dans un
pays d'une autre religion que la sienne , quand son
attachement pour moi ne ly retiendra plus. Elle
ne voudrait pas non plus retourner à Paris ; il y
fait trop cher vivre , et la vie bruyante de ce pays-
là^^'est pas de son goût. Elle voudrait trouver ,
dans quelque province reculée , où l'on vécût à
bon compte , un petit asile , soit dans une commu-
nauté de filles , soit en prenant son petit ménage
dans un village ou ailleurs, pourvu qu'elle y soit
tranquille.
J'ai pensé , monsieur , au pays que vous habitez,
lequel a, ce iné semble , les avantages qu'elle cher-
che , et n'est pas bien éloigné d'ici. Voudriez-vous
bien avoir la charité de lui accorder votre protec-
tion et vos conseils, devenir son patron, et lui tenir
lien de père ? Il ine semble que je ne serais plus en
peine d'elle en la laissant sous votre garde; et il
me semble avtesi qu'un pareil soin n'est pas moins
digne de votre bon cœur que de votre ministère.
C'est, je vous assure, ime bonne et honnête fille,
qui me sert depuis vingt ans avec l'attachement
d'une fille à son père, plutôt que d'un domestique
à son maître. Elle a des- défauts , sans doute ; c'est
le sort de l'humanité : mais elle a des vertus rares ,
un cœur excellent, une honnêteté de mœurs, une
fidélité et un désintéressement à toute épreuve.
Voilà de quoi je réponds après vingt ans d'expé-
4.
5a CURRESl•O^DANCl^
lience. D'ailleurs elle n'est plus jeune et ne vent
d'établissement d'aucune espèce. Je souhaite qn'eille
passe ses jours dans une honnête ipdépendance.et
qu'elle ne serve personne après riioi. Elle n'a pas
pour cela de grandes ressources, mais elle saura se
contenter de peu. Tout son' revenu se borne à une
pension viagère de trois cents francs, que lui a laite
mon libraire! Le peu d'argent que je pourrai lui
laisser servira pour son voyage et pour son p^t
emménagement. Voilà tout , monsieur : voyez si
cela pourra suffire à cette pauvre fille pour sub-
sister dans le pays où vous êtes , rt si , par la con-
naissance qKe vous avez du local , vous voudrez
bien lui en faciliter les moyens. Si vous consentez,
je ferai ce qu'il faut; et je n'aurai plus de souci
pour elle, si je puis me. 'flatter qu elle vivra sotïs
vos yeux. On mot de réponse , monsieur , je vou.-!
en supplie, afin que je prenne mes arrangements.
Je vous demande pardon du désordre de ma lettre ;
mais je souffre beaucoup; et, dans cet état^ ma
main ni ma tète ne sont pas aussi Ubres que je
voudrais bien.
Je me flatte, monsieur, que'cette lettre vous
atteste mes sentiriients pour vous; ainsi je n'y ajou-
terai rien davantage que les assurances de mon
respeOt.
P. S. Je suis obligé de vous préveniri monsieur,
que par la Suisse il font affranchir jusqu'à Pon-
tariier. (Juoique votre précédente lettre me .soit
parvenue, il serait fort douteux si j'atirais ce bon-
▲ NAiÉK 1763. 53
heur pne seconde fois. Je sens toute mon indis-
crétion; mais, ou je me trompe fort, ou vous
ne regretterez pas de payer le plaisir de faire du
bien.
■^'%'%i%^%<^^'^»»%'^^%^^%%»%>%^%<%^%»^^»^'<^»%%/^%'%,^%
LETTRE CDXXVII.
A M.
Motiers-Traven, le 11 Mptembre 1763.
Je ne sais , monsieur, si vous vous rappellerez un
homme autrefois connu de vous ; pour moi , qui
n'oublie point vos honnêtetés , je me suis rappelé
avec plaisir vos traits dans ceux de M. votre fils,
qui m'est venu voir il y a quelques jours. T^e récit
de ses malheurs m'a vivement touché ; la tendresse
et le respect avec lesquels il m'a parlé de vous ont
achevé de m'intéresser pour lui. Ce qui lui rend
ses maux plus aggravants est qu'ils lui viennent
d'une njiiLin si chère. J'ignore, monsieur, quelles
sont ses fautes, mais je vois son afidiction ; je sais
que vous étés père , et qu'un père n'est pas fait
pour être inexorable. Je crois vous donner un vrai
témoignage d'attachement en vous conjurant de
n'user plus envers lui d'une rigueur désespérante ,
et qui, le faisant errer de lieu en lieu sans ressource
et sans asile , n'honore ni le nom qu'il porte, ni le
père dont il le tient. Réfléchisses^ , monsieur, quel
serait son sort si , dans cet état , il avait le malheur
de vous perdre. Attendra-t41 des parents , des cot-
54 CORRESPONDANCE.
latéraux , une commisération que son père lui aura
refusée ? et si vous y comptez , comment pouvez^
vous laisser à d'autres le doin d'être plus humains
que vous envers votre fils !^ Je ne sais point com^
ment cette seule idée ne désarme pas votre bon
cœur. D'ailleurs de quoi s'agit -il ici? de faire ré-
voquer une malheureuse lettre de cachet qui n'au-
rait jamais dû être sollicitée. Votre fils ne vous
demande que sa liberté , et il n'en veut user que
pour répsprer ses torts s'il en a. Cette demande même
est un devoir qu'il vous rend 3 pouvez-vous ne pas
sentir le vôtre ? Ençqre une fois , pensez-y , mon-
sieur, je ne veux que cela; la raison vous dira le
reste^
Quoique M. de M. ne soit plus ici, je sais, si
vous m'honorez d'une réponse , où lui faire passer
vos ordres; ainsi vous pouvez les lui donner par
mon canal. Recevez, n^onsieur , mes salutations et
les assurances de mon respect.
LETTRE CDXXVUI.
A M. G.,
Septembre 1763.
Je crois, monsieur, que je serais fort aise de vous
connaître ; mais on me fouit faire tant de connais-
sances par force, que j'ai résolu de n'en plus faire
volontairement: votre franchise avec moi mérite
nnniE 1763. 55
bien que je vous la rende, et vous consentez de si
bonne grâce que je ne vous réponde pas , que je
ne puis trop tôt vous répondre ; car si jamais j'étais
tenté d'abuser de la liberté , ce serait moins de
celle cpi'on me laisse que de celle qu'on voudrait
m'oter. Vous êtes lieutenant -colonel, monsieur,
j'en suis fort aise ; mais fussiez - vous prince , et ,
qui plus est, laboureur, comme je n'ai qu'un ton
avec tout le monde , je n'en prendrai pas un autre
avec vous. Je vous salue, monsieur, de tout mon
cœur.
LETTRE CDXXIX.
A M. LE PRINCE LOUIS-EUGÈNE DE WIRTEMBERG.
MoUers,l0 19 septembre 1763.
Vous me faites , monsieur le duc, bien plus d'hon-
neur que je n'en mérite. Votre altesse sérénissime
aura pu voir dans le livre qu'elle daigne citer que
je n'ai jamais su comment il faut élever les princes ,
et la clameur publique me persuade que je ne sais
comment il faut élever personne. D'ailleurs les dis-
grâces et les maux m'ont affecté le cœur et affaibli
la tête. 11 ne me reste de vie que pour souffrir, je
n'en ai plus pour penser. A Dieu ne plaise toute-
fois que je me refuse aux vues que vous m'exposez
dans votre lettre. Elle me pénètre de respect et
d'admiration pour vous. Vous me paraissez plus
qu'un homme , puisque vous savez Tétre epfim&
56 CORR£SPOKl>ANC£.
dans votre rang. Disposez de moi , monsieur le duc,;
marquez -moi vos doutes, je vous dirai mes idées;
vous pourrez me convaincre aisément d'insufïi-
sance , mais jamais de mauvaise volonté":
Je supplie votre altesse sérénissime d'agréer les
assurances de mon profond respect.
LETTRE CDXXX.
A MADAME LATOUB.
A Motiers^ le s octobre 1768.
Vous n'avez pu, chère Mariapne, recevoir le a a
réponse à votre lettre du 1 5 que je n'ai reçue que
le îi6, et cela par plusieurs raisons. Premièrement,
vous mettez dans vos calculs plus de précision que
les postes dans leur service. Mes lettres me par-
viennent fidèlement, mais jamais régulièrement, et
je trouve presque toujours quelque retard sur les
dates. En second lieu, je fais des absences le plus
souvent que je puis, attendu que la marche est
très - nécessaire à mon état , et que les espions et
les importuns me rendent mon habitation insup-*
portable. J'étais donc absent quand votre lettre est
venue, et elle m'a attendu quelques jours chez
moi. Enfin, par des précautions, que les curieux
d'ici rendent nécessaires , ma correspondance , en
France , est assujettie à quelque retard. J'ai pris avec
le directeur de;3 postes de Pontarlier un arrange-
QlQj^ty par lequel il me fait tous les samedis un pa^^
ANNi£ 1703. 57
quet des lettres venues pendant la semaine , et moi
je lui en £sds un tous les dimauclies des réponses
que j'ai écrites dans ia semaine. Or, comme je les
date ordiiiaiiement du jour qu'elles doivent partir
d'ici , le relaltl des miennes n'est pas constaté par
les dates, au lieu que celles que je reçois , selon les
jours où elles sont écrites, en restent quelquefois
six ou sept à Pontarlier avant que de me parvenir.
Cet arrangement est sujet à inconvénient, j'en con-
viens, mais il est nécessaire. L'exactitude que vous
mettez, et que vous exigez dans le commerce, me
force à tous ces détails.
Me dire que vous comptez sur la promesse que
je vous ai Ésiite de vous renvoyer votre portrait,
c'est m'en faire souvenir; je crois que cela n'était
pas nécessaire. Il est vrai que si je pouvais manquer
à ma parole, et vous tromper, c'en serait Toccasion
la plus tentante et la plus excusable ; mais ma faute
serait plus pardonnable que votre crainte; vous
eussiez mieux fait d'en courir le risque de bonne
grâce.
Je ne doute pas que votre envoi ne me par-
vienne aussi sûrement que toutes mes lettres; ce-
pendant, pour surcroit de précaution, vous pouvez
me l'adresser sous enveloppe à l'adresse de M. /tf-
nety directeur des postes à Pontarlier. S'il arrive ici
durant mon absence , n'en soyez point en peine ;
j'ai une gouvernante aussi sûre et plus soigneuse
que moi. Quant à l'effet, je n'en puis parler d'a-
vance. Ce sera beaucoup s'il vous est avantageux.
Je crois que la peintresse ne vous a pas flattée ;
58 CORRESPOUDÀNGE.
mais je vous vois déjà dcf la main d'un autre peintre ^
duquel je n'en oserais dire autant.
Vous me donnez des leçons très-tendres et très-
sensées , dont je tâcherai de profiter Si mes en-
nemis ne faisaient cjfue me persécutef , cela serait
supportable ; mais ils m'obsèdent et m'ennuient ;
voilà conmie ils me feront mourir. Aimez -moi,
chère Marianne , écrivez-moi , consolez-moi ; voilà
mon meilleur remède.
Je reçois votre lettre du 27 septembre : elle me
ravit et me navre. Il est bi^i cruel que de toutes
les suppositions que mon silence vous fait faire, il
n'y en ait pas une qui l'excuse.
\
LETTRE CDXXXI.
A LA MÊME.
J
Le 16 octobre 1763.
Le voilà donc enfin , ce précieux portrait, si jus-
tement désiré ! Il m'arrive au moment où je suis
entouré d'importuns ejt d'étrangers, et ce n'est pas
la seule conformité qu'il me donne en cet instant
avec Saint -Preux*. Vous permettrez bien, belle
Marianne, que je prenne un peu de temps pour
Je considérer et lui rendre mes hommages. Pour
moins abuser, cependant, de votre complaisance,
et ne pas prolonger vos inquiétudes , je compte
* NûwelU Héioisep partie 11, lettre xxn.
ANlfiS 1763. 39
VOUS le renvoyer rordinaire prochain , c'est-à-dire
dans huit jours. En attendant , j'ai cru devoir vous
donner avis de sa réception , afin de vous tranquil-
liser là-dessus.
LETTRE CDXXXII.
A KL LE PBINCE L. E. DE WIRTEMBERG.
Motiers, le 17 octobre 1763.
l'attendais , monsieur le duc , pour répondre à
la lettre dont m'a honoré Y. A. S. le 4 octobre ,
d'avoir reçu celle où elle m'annonçait des ques-
tions que j'aurais tâché de résoudre. L'objet du
commerce que vous daignez me proposer m'a paru
trop intéressant pour devoir y mêler rien de su-
perflu; et je suis bien éloigné de croire que, hors
cet objet si digne de tous vos soins, mes lettres
par elles-mêmes puissent mériter votre attention.
Sur ce principe , j'ai cru, monsieur le duc, que
le respect le mieux entendu que je pouvais vous
témoigner était de m'en tenir exactement à l'exé-
cution de vos ordres , de répondre à vos questions
le plus précisément et le plus clairement qu'il me
serait possible, et d'en rester là, sans m'ingérer à
mêler du verbiage ou des louanges aux devoirs
que vous m'imposez. Je n'ai donc point répondu
d'abord à votre précédente lettre , parce que vous
ne me demandiez rien. Lorsque vous m'honorerei
de vos ordres vous serez content , sinon de mes
6o CORlLKSPUBrDAiVG£.
e£forts, au moins de mon zèle.' J'ai toujours cru
qu'obéir et se taire était la manière la plus conve-
nable de faire sa cour aux grands.
Je dois vous prévenir encore qu'une certaine
exactitude est désormais au-dessus de mes forces.
Les maux qui m'accablent, les importuns qui m'ex-
cèdent, m'ôtent la plus grande partie.de mon temps;
la nécessité de ma situation en absorbe une autre ;
enfin, le découragement me rejette insensiblement
dans toute l'indolence pour laquelle j'étais né. Je
ne vous promets donc point des réponses ponc-
tuelles ; c'est un engagement qui passe mes forces
et que je serais hors d'état de tenir. Mais je vous
promets bien, et mon cœur m'atteste que cette
promesse ne sera point vaine , de m'occuper beau-
coup du respectable objet de vos lettres, d'y ré-
fléchir, d'y méditer, et de ne vous répondre qu'a-
près avoir fait tous mes efforts pour ne pas me
tromper dans' mes vues. «Ainsi, lorsque je passerai
trois mois sans vous écrire , ne -présumez pas , je
vous supplie, que ces trois mois soient perdus
pour les soins que vous m'imposez. Ce que je ne
. dirai pas ne saurait nuire ,• mais je ne puis trop
penser à ce que je dirai.
Si cet arrangement vous convient, j'attends vos
ordres, et je m'en acquitterai de mon mieux; s'il
ne vous convient pas, je déplorerai mon impuis-
sance , et resterai pénétré toute ma vie de n'avoir
pu mieux répondre à la confiance dont vous aviez
daigné m'honorer.
Au reste , la lecture du papier que vous m'avez
A!VN^B 1763. 61
envoyé m'a mis dans une sociirifé luoii jiarfaite
sur le sort de cet henreux enfant. Sous les yeux
de M. Tissot, sous les vôtres, le plus difficile est
déjà fieût ; et pour achever votre ouvrage il suffit
de n*y rien gâter.
Agréez , monsieur le dtic , je vous supplie , les
assurances de mon profond respect.
LETTRE CDXXXIIL
A M. RE6NAULT,
A LTOH.
An sujet d'une «fire d'argent dont il était chargé de la jMirt d'un inronnn qui ,
ayant appris qne RAawian relerait d'nne maladie dangereuse , avait infipo^é
qne ce aecoors poarait loi être ntUe.
Motieriyle ai octobre 1763.
J'ignore , monsieur , sur quoi fondé rinconiui
dont vous me parlez se croit en droit de me faire
des présents; ce que je sais, c'est que, si jamais
j'en accepte , il faudi*a que je commence par bien
comisâtre celui qui /roira mériter la préférence ,
etpque je pense conmie lui sur ce point.
Je suis fort sensible aux offres obligeantes que
vous mlB'faites. N'étant pas , quant à présent , dans
le cas de m'en prévaloir, je vous en fiais mes re-
merciements, et vous saluie, monsieur, de tout
mon cœur.
GORRESPOITDANCE.
lettrî: cdxxxiv.
À MADAME LATOUR.
A'Motiers^le a3 octobre 1763.
Voilà votre portrait , chère Marianne ; j e paie tout
le plaisir qù'îf m'a fait par la peine que j'éprouve
à m'en détacher. Mais j'ai promis, et, comme Saint-
Preux , dussé-je en mourir y il faut mériter votre estimer'.
J'avoue que celui de vos deux portraits qui ne peut
me quitter ne ressemblait pas exactement à l'autre ,
et tant mieux; désormais pour moi vous êtes double ;
j'ai le plaisir de vous aimer soiis dei^x figures; c'est
comme avoir deux maîtresses à la fois , c'est passer
délicieusement de l'une à l'autre ^ c'est goûter les
plaisirs de l'inconstance, sans manquer de fidélité.
Il est affreux d'être obligé de finir au moment
qu'on a tant à dire ; radis tel est mon sort. Je sens
avec douleur qu'il est*impossible que Vous soyez
jamais contente de moi. Vous jouissez de tout votre
îoisir, et je vous devrais tout«le mien; mais* on ne
m'en laisse aucun. Cependant, tous me jugez sur
ce que je dois , et non sur ce que je puis ; en cela
vous n'êtes pas injuste , mais vous êtes désolante.
Adieu , chère Marianne, on ne me laisse pas écrire
un mot de plus.
* "Nouvelle Hélolte, partie x, lettre xlii.
AKirJÉB 1763.
63
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LETTRE CDXXXV.
A MADAME DE LUZE WARNEY.
Motieriy le 1 noYemUre 1763.
Pour me venger, madame , de vos présents , j*ai
de ne. vous en remercier que quand ils se-
raient ipangés.^ et , grâces aux hôtes qui me sont
venus ^ vengeance a été plus courte qu elle n'eût
du l'être. Vous avez cru qu ayant tant de droits
si|r moi vous deviez avoir aussi celui de me faire
des présents , même sans m'en prévenir ; à la bonne
heure : mais ces présents, que le messager qui les
apporta disait tenir d'une autre main , m'ont coûté
bien des tourme^ts avant de remonter à leur source,
et je les ai un peu achetés à force de recherches
et de lettres. Je vous en remercie enfin , madame,
et j'ai trouvé les raisins et les biscuits excellents ;
mais, comme je crains encore plus la peine que je
n'aime les bonn^ choses , je vous supplie cepen-
dant de ne pas m'euvoyer souvent des cadeaux au
xntfmp prix.
4gréez, madame, que je &sse mes salutations
à M. .de Luze, et que je vous assure de tout mon
respect.
64 COllBESPOPfDAWCE.
k«^^^^^^» «/•/«%■*/««>«
LETTRE CDXXXVI.
I
1
AU PRINCE L. E. DE WIRTEMBERG.
Biotiers, le lo novembre 176 S.
Si j'avais le majiheur d'être né prince , d'être en-
chaîné par les convenances de mon état, que. je
fusse contraint d'avoir un train , iUne suite , des
domestiques, c'est-à-dire des maîtres, et que pour-
tant j'eusse une ame assez élevée pour vouloir être
homme malgré mon rang, .pour vouloir remplir les
grands devoirs de père, ^e mari, de, citoyen de la
république humaine, je sentirais bientôt les dijG&-
cultés de concilier tout cela , celle «urtout d'élever
mes enfants pour l'état ou les plaça la nature , en
dépit de celui qu'ils ont parmi leurs égaux.
Je commencerais donc par me dire : Il ne faut
pas vouloir des choses. contradictoires; il ne faut
pas vouloir être et u'étre p^. La difficulté que je
veux vaincre est inhérente à la ejjiiose ; si l'état de
la chose ne peut cl^anger, il fi^ut que la difficulté
reste. Je dois sentir .que je n'obtiendrai pas tout
ce que je veux : mais n'importe, ne nous décou-
rageons point. De tout ce qui est bien je ferai tout
ce qui est possible; mon zèle et ma vertu m'en ré-
pondent : une partie de la sagesse est de porter le
joug de la nécessité : quand le sage fait le reste il
a tout fait. Voilà ce que je me dirais si j'étais prince.
Après cela j'irais en avant sans me rebutor , sans
ANNICK I7G3. G5
rien craindre; et quel que fût mon succès, ayant
fait ainsi*, je serais content de moi. Je ne crois pas
que j'eusse tort de Têtre.
Il faut , monsieur le duc , commencer par vous
bien mettre dans Fesprit qu'il n'y a point d'œil pa-
ternel que celui d'un père, ni d'oeil maternel que
celui d'une mère. Je voudrais employer vingt rames
de p/apier à vous répéter ces deux lignes, tant je
sois convainai que tout en dépend.
VouTs êtes prince, rarement pourrez -vous être
père; vous aurez trop d^autres soins à remplir : il
faudra donc que d'autres remplissent les vôtres.
MMame la duchesse sera dans le même cas à peu
près.
De là suit cette première règle. Faites en sorte
cfie votre enfant soit cher à quelqu'un.
Il convient que ce quelqu'un soit de son sexe.
L'âge est très-difficile à déterminer. Par d'impor-
tantes raisons il la Êiudrait jeuiie. Mais une jeime
personne a bien d'autres soins en tête que de veil-
ler jour et nuit sur un enfant. Ceci est un incon-
vénient inévitable et déterminant.
Ne la prenez donc pas jeune, ni belle par con-
sécjuent ; car ce serait encore pis : jeune , c'est elle
que «vous aurez à craindre ; belle , c'est tout ce qui
l'approchera.
Il vaut mieux qu'elle soit veuve que fille. Mais
si elle a des enfants , qu'aucun d'eux ne soit autour
d'elle , et que tous dépendent de vous.
Point de femmes à grands sentiments, encore
moins de bel esprit. Qu'elle ait assez d'esprit pour
R. XX. 5
66 CORRESPONDANCE.
VOUS bien entendre, non pour raffiner sur vos in-
structions. •
Il importe qu elle ne soit paslrop facile à vivre,
et il n'importe pas qu'elle soit libérale. Au con-
traire, il la faut rangée, attentive à ses intérêts. Il
est impossible de soumettre un prodigue à la règle ;
on tient les avares par leur propre défaut.
Point d'étourdie ni d'évaporée ; outre le mal de
la chose , il y a encore celui de l'humeur, car toutes
les folles en ont, et rien n'est plus à craindre que
l'humeur : par la même raison les gens vifs , quoi-
que plus aimables , me sont suspects , à cause de
l'emportement. Comme nous ne trouverons pas une
femme parfaite , il ne faut pas tout exiger : ici la
douceur est de précepte ; mais, pourvu que la rai-
son la donne, elle peut n'être pas dans le tempé-
rament. Je l'aime aussi mieux égale et froide qu'ac-
cueillante et capricieuse. En toutes choses préférez
un caractère sûr à un caractère brillant. Cette der-
nière qualité est même un inconvénient pour notre
objet; une personne faite pour être au-dessus des
autres peut être gâtée par le mérite de ceux qui
rélèvent. Elle en exige ensuite autant de tout le
monde, et cela la rend injuste avec ses inférieurs.
Du reste , ne cherchez dans son esprit aucune
culture; il se farde en étudiant, et c'est tout. Elle
se déguisera , si elle sait ; vous la connaîtrez bien
mieux, si elle est ignorante : dût-elle ne pas savoir
lire, tant mieux ; elle apprendra avec son élève. La
seule qualité d'esprit qu'il faut exiger, c'est un sens
droit.
ANNÉE 1763. G7
Je ne parle point ici des qualités du cœur ni des
mœurs , qui se supposent , parce qu'on se contre-
fait là-dessus. On n*est pas si en garde sur le reste
du caractère , et c'est par là que de bons yeux ju-
geât du tout. Tout ceci demanderait peut-être de
plus grands détails ; mais ce n'est pas maintenant
de quoi il s'agit.
Je dis, et c'est ma première règle, qu'il faut
que l'enfant soit cher à cette personne-là. Mais
commeilt faire ?
Vous ne lui ferez point aimer l'enfant en lui di-
sant de l'aimer, et avant que l'habitude ait fait
naître l'attachement : on s'amuse quelquefois avec
les autres enfants , mais on n'aime que les siens.
Elle pourrait l'aimer si elle aimait le père ou la
mère; mais dans votre rang on n'a point d'amis,
et jamais , dans quelque rang que ce puisse être ,
on n'a pour amis le^ gens qui dépendent de nous.
Or l'affection qui ne naît pas du sentiment, d'où
peut-elle naître si ce n'est de l'intérêt?
Ici vient une réflexion que le concours de mille
autre» confirme ; c'est que les difficultés»que vous
ne pouvez ôter de votre condition, vous ne les
éluderez qu'à force de dépense.
Mais n'allez pas croire , comme les autres , que
l'argent fait tout par lui-même, et que, pourvu
qu'on paie , on est servi. Ce n'est pas cela.
Je ne connais rien de si difficile quand on est
riche , que de faire usage de sa richesse pour aller
à ses fins. L'argent est un ressort dans la méca-
nique morale, mais il repousse toujours la main
5.
68 CORnESPOBfDATVCE.
qui le fait agir. Faisons quelques observations né-
cessaires pour notre objet.
Nous voulons que l'eniuit soit cher à sa gou-
vernante. Il faut pour cela que le sort de la gou-
vernante soit Hé à celui de l'enfant. Il ne faut pas
qu'elle dépende seulement des soins qu'elle lui
rendra, tant parce qu'on n'aime guère les gens
qu'on sert , que parce que les soins payés ne sont
qu'apparents : les soins réels se négligent , et nous
cherchons ici des soins réels.
Il faut qu'elle dépende non de ses soins , mais
de leur succès, et que sa fortune soit attachée k
l'effet de l'éducation qu'elle aura donnée. Alors
seulement elle se verra dans son élève et s'affec-
tionnera nécessairement à elle; elle ne lui rendra
pas un service de parade et de montre, mais im
service réel; ou plutôt^ en la servant, elle ne ser-
vira qu'elle-même, elle ne travaillera que pour soi.
Mais qui sera juge de ce succès? La foi d'un
père équitable , et dont la probité est bien établie ,
doit suffire : la probité est un instrument sûr dans
les affaire^, pourvu qu'il soit joint au discernement.
Le père peut mourir. Le jugement des femmes
n'est pas reconnu assez sûr , et l'amour maternel
^t aveugle. Si la mère était établie juge au défaut
du père , ou la gouvernante ne s'y fierait pas, ou
elle s'occuperait plus à plaire à la mère qu'à bien
élever l'enfant.
Je ne m'étendrai pas sur le choix des juges de
l'éducation ; il faudrait pour cela des connaissances
particulières relatives aux personnes. Ce qui im-
kSJIÉE 1763. 69
porteessentieUeinentyC'estquela gouvernante ait la
pl«s entière confiance dans l'intégrité du jugement,
qu'elle soit persuadée qu'on ne la privera point
du prix de ses soins si elle a réussi , et que , quoi
qu'elle puisse dire , elle ne l'obtiendra pas dans le
cas contraire. Il ne faut jamais qu'elle oublie que
ce n'est pas à sa peine que ce prix sera du , mais
au succès.'^
Je sais bien que , soit qu'elle ait fait son devoir
ou non , ce prix ne saurait lui manquer. Je ne suis
pas assez fou-^ moi qui connais les hommes , pour
m'imaginer que ces juges , quels qu'ils soient , iront
déclarer solennellement qu'une jeune princesse de
quinze à vingt ans a été mal élevée. Mais cette ré-
flexion que je fais là, la bonne ne la fera pas; quand
elle la ferait^ elle ne s'y fierait pas tellement qu'elle
en négligeât des devoirs dont dépend son sort , sa
fortune , son existence. Et ce qu'il importe ici n'est
pas que la récompense soit bien administrée , mais
l'éducation qui doit l'obtenir.
Comme la raison nue a peu de force, l'intérêt
seul n'en a pas tant qu'on croit. L'imagination seule
est active. C'est une passion que nous voulons don-
ner à la gouvernante ; et l'on n'excite les passions
que par l'imagination. Une récompense promise
en argent est très-puissante , mais la moitié de sa
force se perd dans le lointain de l'avenir. On com-
pare de sang froid l'intervalle et l'argent , on com-
pense le risque avec la fortune , et le cœur reste
tiède. Étendez pour ainsi dire l'avenir sous les sens ,
afin de lui doimer plus de prise ; présentez-le soua
•JO CORRESPOND ANC£.
des faces qui le rapprochent, qui flattent l'espoir ,
et séduisent l'esprit. On se perdrait dans la multi-
tude de suppositions qu'il faudrait parcourir, se-
lon les temps , les lieux , les caractères. Un exemple
est un cas dont on peut tirer l'induction pour
cent mille autres.
Ai-je affaire à un caractère paisible , aimant l'in-
dépendance et le repos ; je mène promener cette
personne dans une campagne : elle voit dans une
jolie situation une petite maison bien ornée , une
basse-cour , un jardin , des terres pour l'entretien
du maître, les agréments qui peuvent lui en faire
aimer le séjour. Je vois ma gouvernante enchantée :
on s'approprie toujours par la convoitise ce qui
convient à notre bonheur. Au fort de son enthou-
siasme, je la prends à part; je lui dis : Élevez ma
fille à ma fantaisie ; tout ce que vous voyez est à
vous. Et afin qu'elle ne prenne pas ceci pour un
mot en l'air , j'en passe l'acte conditionnel : elle
n'aura pas un dégoût dans ses fonctions sur lequel
son imagination n'applique cette maison pour
emplâtre.
Encore un coup , ceci n'est qu'un exemple.
Si la longueur du temps épuise et fatigue l'ima-
gination , l'on peut partager l'espace et la récom-
pense en plusieur termes , et même à plusieurs per-
sonnes : je ne vois ni difficulté ni inconvénient à
cela. Si dans six ans mon enfant est ainsi, vous au-
rez telle chose. Le terme venu , si la condition est
remplie on tient parole, et l'on est libre des deux
côtés.
AwrcÉK 1763. 71
Bien d'autres avantages découleront de Texpé-
dient que je propose ; mais je ne peux ni ne dois
tout dire. L'enfant aimera sa gouvernante, surtout
si elle est d'abord sévère et que l'enfant ne soit
pas encore gâté. L'effet de l'habitude est naturel
et sûr; jamais il n'a manqué que par la faute des
guides. D'ailleurs la justice a sa mesure et sa règle
exacte ; au lieu que la complaisance , qui n'en a
point, rend les enfants toujours exigeants et tou-
jours mécontents. L'enfant donc qui aime sa bonne
sait que le sort de cette bonne est dans le succès
de ses soins ; jugez de ce que fera l'enfant à me-
sure que son intelligence et son cœur se formeront.
Parvenu à certain âge , la petite fille est capri-
cieuse ou mutine. Supposons un moment critique ,
important, où elle ne veut rien entendre; ce mo-
ment viendra bien rarement, on sent pourquoi.
Dans ce moment fâcheux la bonne manque de res-
source f alors elle s'attendrit en regardant son élève,
et lui dit : Cen est donc f eût ^ tu m^otes le pain de
ma vieillesse!
Je suppose que la fille d'un tel père ne sera pas
un monstre : cela étant, l'effet de ce mot est sûr;
mais il ne faut pas qu'il soit dit deux fois.
On peut faire en sorte que la petite se le dise à
toute heure ; et voilà d'où naissent mille biens à
la fois. Quoi qu'il en soit, croyez -vous qu'une
femme qui pourra parler ainsi à son élève ne s'af-
fectionnera pas à elle ? On s'affectionne aux gens
sur là tête desquels on a mis des fonds; c'est le
mouvement de la nature, et un mouvement non
7 2 COERE3POJVDA1NCE.
moins naturel est de s'affectionner à son propre
ouvrage , surtout quand on en attend son bonheur.
Voilà donc notre première recette accomplie.
Seconde règle.
Il faut que la bonne ait sa conduite toute tracée
et une pleine confiance dans le succès.
Le mémoire instructif qu'il faut lui donner est
une pièce très-importante. Il feut qu'elle l'étudié
sans cesse; il faut qu'elle le sache par cœur , mieux
qu'un ambassadeur ne doit savoir ses instmctions.
Mais ce qui est plus important encore , c'est qu'elle
soit parfaitement convaincue qu'il n'y a point
d'autre route pour aller au but qu'on lui marque ,
et par conséquent au sien.
Il ne faut pas pour cela lui donner d'abord le
mémoire. Il faut lui dire premièrement ce que vous
voulez faire , lui montrer Fétat de corps et d'ame
où vous exigez qu'elle mette votre enfant. lii-des-
sus toute dispute ou objection de sa part est inu-
tile : vous n'avez point de raisons à lui rendre de
votre volonté. Mais il faut lui prouver que la chose
est faisable, et qu'elle ne l'est que par les moyens que
vous proposez : c'est sur cela qu'il faut beaucoup rai-
sonner avec elle : il faut lui dire vos raisons claire-
ment, simplement , au long , en termes à sa portée.
Il faut écouter ses réponses , ses sentiments , ses
objections , les discuter à loisir ensemble , non pas
tant pour ces objections mêmes, qui probablement
seront superficielles , que pour saisir l'occasion de
bien lire da^s son esprit , de la bien convaincre
que les moyens que vous indiquez sont les seuls
ANNÉE I7G3. 73
propres à réussir. Il faut s'assurer que de tout
point elle est convavpcue , non en paroles , mais in-
térieurement. Aiors seulement il faut lui donner le
mémoire, le lire avec elle, l'examiner, l'éclaircir,
le corriger peut-être, et s'assurer qu'elle l'entend
parfaitement.
Il surviendra souvent, durant l'éducation , des
circonstance^ imprévues : souvent les choses pres-
crites ne tourneront pas comme on avait cru : les
éléments nécessaires pour résoudre les problèmes
moraux sont en très^rand nombre , et im seul omis
rend la solution fausse. Cela demandera des con-^
férences fréquentes, des discussions, des éclaircis-
sanents auxquels il ne faut jamais se refuser , et
qu'il faut même rendre agréables à 1^ gouvernante
par le plaisir avec lequel on s'y prêtera. C'est en-
core un fort bon moyen de Tçtudier elle-même.
Ces détails me semblent plus particulièrement la
tache de la mère. Il faut qu'elle sache le mémoire
aussi bien que la gouvernante ; mais il hut qu'elle
le sache autrement. La gouvernante le saura par
les règles, la mère le saura par les principes; car
premièrement ayant reçu une éducation plus soi-
gnée , et ayant eu l'esprit plus exercé , elle doit
être plus en état de généraliser ses idées, et d'en
voir tous les rapports ; et de plus, prenant au suc-
cès un intérêt plus vif encore , elle doit plus s'oc-«
cuper des moyens d'y parvenir.
Troisième règle. La bonne doit avoir un pou-
voir absolu sur l'enfant.
Cette règle bien entendue se réduit à celle-ci ^
"74 CORRESPONDANCE.
que le mémoire seul doit tout gouverner; car,
quand chacun se réglera scrupuleusement sur le
mémoire , il s'ensuit que tout le monde agira tou-
jours de concert , sauf ce qui pourrait être ignoré
des uns ou des autres ; mais il est aisé de pourvoir
à cela.
Je n'ai pas perdu mon objet de vue , mais j'ai
été forcé de faire un bien grand détour. Voilà .déjà
la difficulté levée en grande partie ; car notre élève
aura peu à craiftdre des domestiques quand la se-
conde mère aura tant d'intérêt à Ja surveiller.
Parlons à présent de ceux-ci.
Il y a dans une maison, nombreuse des moyens
généraux pour tout faire , et sans lesquels on rie
parvient jamais à rien.
D'abord les mœurs, l'imposante image de la
vertu , devant laquelle tout fléchit , jusqu'au vice
même; ensuite l'ordre, la vigilance; enfin l'inté-
rêt, lé dernier de tous : j'ajouterais la vanité , mais
l'état servile est trop près de la misère; la vanité
n'a sa grande force que sur les gens qui ont du
pain.
Pour ne pas me répéter ici, permettez, mon-
sieur le duc, que je vous renvoie à la quatrième
partie de VHéloîse, lettre dixième. Vous y trouve-
rez un recueil de maximes qui me paraissent fon-
damentales pour donner dans une maison , grande
ou petite^ du ressort à l'autorité; du reste, je con-
viens de la difficulté de l'exécution , parce que , de
tous les ordres d'hommes imaginables, celui des
valets laisse le moins de prise pour le mener où
AWWÉE 1763. 75
Ton veut. Mais tous les nûsoiinements du monde
ne feront pas qu'une chose ne soit pas ce qu'elle
est, que ce qui n'y est pas s'y trouve, que des va-
lets ne soient pas des valets.
Le train d'un grand seigneur est susceptible de
plus et de moins, sans cesser d'être convenable,
le pars cLe là pour établir ma première maxime.
10 Réduisez votre suite au moindre nombre de
gens qu'il soit possible ; vous aurez moins d'enne*
mis, et vous en serez mieux servi. S'il y a dans
votre maison un seul homme qui n'y soit pas né-
cessaire 9 il y ^st nuisible , soyezrcn sûr.
a<* Mettez du choix dans ceux que vous garde-
rez, et préférez de beaucoup un service exact à
un service agréable. Ces gens qui aplanissent tout
devant leur maître sont tous des fripons. Surtout
point de dissipateur.
3® Soiunettez-les à la règle en toute chose,
même au travail , ce qu'ils feron* dût-il n'être bon
à rien.
4® Faites qu'ils aient un grand intérêt à rester
long-temps à votre service , qu'ils s'y attachent à
mesure qu'ils y restent, qu'ils craignent par con-
séquent d'autant plus d'en sortir, qu'ils y sont res-
tés plus long-temps. La raison et les moyens de
cela se trouvent dans le livre indiqué.
Ceci sont les données que je peux supposer,
parce que , bien qu'elles demandent beaucoup de
peine , enfin elles dépendent de vous. Cela posé :
Quelque temps avant que de leur parler, vous
avez quelquefois des entretiens à table sur l'édu-
76 CORRESPOKDÂNCE.
«catèoii de votre enfant, et sur ce que vous vous
proposez de faire , sur les difficultés que vous au-
rez k vaincre, et sur la ferme résolution où vous
«tes de n'épargner aucun soin pour réussir. Pro-
bablement vos gens n'auront pas manqué de cri-
tiquer entre etix la manière extraordinaire d'élever
l'enfant; ils y «uiront trouvé de la bizarrerie t il la
£siut justifier, mais simplement et en peu de mots
Du reste, il faut montrer votre objet beaucoup
plus du coté moral et pieux que du côté philoso-
phique. Madame la princesse, en ne consultant
que son cœur, peut y mélor des mots cliarmants.
M. Tissot peut ajouter quelques réflexions dignes
>de lui>
On est si peU accoutimié de voir les grands
avoir des entrailles, aimer la vertu, s'occuper de
leurs enfants, que ces conversations courtes et
bî^n ménagées ne peuvent manquer de produire
un grand effet. Mais surtout nulle ombre d'affec-
tation; point de longueur. Les domestiques ont
l'œil très-perçant : tout serait perdu s'ils soupçon-
naient seulement qu'il y eût eh cela rien de con-
certé ; et en effet rien ne doit l'être. Bon père ,
bonne mère , laissez parler vos cœurs avec simpli-
cité : ils trouveront des choses touchantes d'eux-
mêmes; je vois d'ici vos domestiques derrière vos
chaises se prosterner devant leur maître au fond
de leurs cœurs. Voilà les dispositions qu'il faut
faire naître, et dont il faut profiter pour les règles
que nous avons à leur prescrire.
Ces règles sont de deux espèces, selon le juge-
ANlfiE 1763. 77
ment qiie vous porterez vous-même âer l^tSLt de
votre maison et des mœurs de vos gens.
Si vous croyez pouvoir prendre en eux une*
confiainôe raisonnable et fondée sur leur întiérét^
il ne 8'âgira que d'un énoncé clair et bref de la ma-
niàre dont on doit se conduire toutes les fois qu*oa
approchera de votre en£Ent , pour ne point con-
trarier 00a éducation.
Que si 9 malgré toutes vos précautions, vous
croyez devoir vous défier de ce qu'ils pourront
dire ou faire en sa présence, la règle alors sera
j^us ^simple, et seréduivft-à n'en approcher jamais
sous quelque prétexte que ce soit.
Quel de ces deux partis que vous choisissiez, il
£aot qu'il soit sans exception , et le même pour vos
gens de tout étage ^ excepté ce que vous destinez
spécialement au ser;vice de l'enfant , et qui ne peut
être 4n trop petit nombre ni trop scrupuleusement
choisi.
Un jour doMc vous assemblez vos gehs , et , dans
on disoours grave et simple , vous leur direz que
vous croyez devoir en bon père apporter tous vos
soins à bien élever l'enfant que Dieu vous a dcmné :
« Sa mère et mot «entons tout ce qui nuisit à la
a nôtre. Nous l'en voulons préserver ; et , si Dieu
a bénit nos efforts , nous n'aurons point de compte
« à lui rendre des défauts ou des vices que notre
a enfant pourrait contracter. Nous avons pour cela
a de grandes précautions à prendre : voici celles qui
a vous rt^ardent, et auxquelles j'espère que vous*
d vous prêterez en honnêtes gêna, dont les pre-
•78 CORRESPONDANCE.
« niiers devoirs sont d'aider à remplir ceux de leurs
« maîtres. »
Après l'énoncé de la règle dont vous prescrivez
Tobs^rvation , vous ajoutez que ceux qui seront
exacts à la suivre peuvent compter sur votre bien-
veillance et même sur vos bienfaits: a Mais je vous
« déclare en même temps , poursuivez-vous d'une
« voix plus haute , que quiconque y aura matiqué
« une seule fois, et en quoi que ce puisse être,
« sera chassé sur-le-chamap et perdra ses gages,
a Comme c'est là la condition sous laquelle je vous
i< garde, et que je vous en préviens tous, ceux qui
« n'y veulent pas acquiescer peuvent sortir. »
• Des règles si peu gênantes ne feront sortir que
ceux qui seraient sortis sans cela : ainsi vous ne
perdez rien à leur mettre le mai*ché à la main , et
vous leur en imposez beaucoup. Peut-être au com-
mencement quelque étourdi en sera-t-il la victin^e,
et il faut qu'il le soit. Fût-ce le maître d'hôtel , s'il
n'est chassé comme un coquin , tout est manqué.
Mais s'ils voient une fois, que c'est tout de bon , et
qu'on les. surveille, on aura désormais peu besoin
de les surveiller.
Mille petits moyens relatifs naissent de ceux-là:
mais il ne faut pas tout dire, et ce mémoire est déjà
trop long. J'ajouterai seulement un avis très -im-
portant et propre à couper cours au mal qu'on
n'aura pu prévenir; c'est d'examiner toujours l'en-
fant avec le plus grand soin , et de suivre attenti-
vement les progrès de son corps et de son cœur.
S'il se fait quelque chose autour de lui contre la
xiivKÉK 17C3. 79
règle , l'impression s'en n)arquei*a dans Tenfant
même. Dès que vous y verrez un signe nouveau ,
cherchez-en la cause avec soin, voys la trouverez
infailliblement. A certain âge il y a toujours remède
au mal qu'on n'a pu prévenir, pourvu qu'on sache
le connaître et qu'on s'y prenne à temps pour le
guérir.
Tous ces expédients ne sont pas faciles , et je ne
réponds pas absolument de leui^s succès ; cepen-
dant je crois qu'on y peut prendre une confiance
raisonnable, et je ne vois rien d'équivalent dont
j'en puisse dire autant.
Dans luie route toute nouvelle il ne faut pas
chercher des chemins battus , et jamais entreprise
extraordinaire et di£Qci](^ ne s'exécute par des
moyens aisés et communs.
Du reste, ce ne sont peut-être ici que les délires
d'un fiévreux. La comparaison de ce qui est à ce
qui doit être m'a donné l'esprit romanesque et m'a
toujours jeté loin de tout ce qui se fait. Mais vous
ordonnez, monsieur le duc, j'obéis. Ce sont mes
idées que vous deipandez , les voilà. Je vous trom-
perais si je vous donnais la raison des autres pour
les folies qui sont à moi. En les faisant passer sous
les yeux d'un si bon juge^ je ne crains pas le mal
qu'elles peuvent causer.
M CORRESPONDANCE.
Voltaire; je vous dirai seulement que je n-ai point
reçu la lettre que vous lui avez adressée pour moi ,
et que je n'ai envoyé ni à vous ni à personne Tim-
primé intitulé, Sermon des cinquante y que je n'ai
même jamais vu. Du reste , il me paraît bizarre que ,
pour me foire parvenir une lettre, vous vous soyez
adressée au chef de mes persécuteurs.
A l'égard des doutes que vous pouvez avoir, ma-
dame, sur certains points de la religion, pouré[uoi
vous adressez -vous , pour les lever, à uti homme
qui n'en est pas exempt lui-même ? Si malheureu-
sement les vôtres tombent sur lés principes de vos
devoirs , je vqus plains ; mais s'ils n'y tombent pas ,
de quoi vous mettez-vous en peine ? Vous avez une
religion qui dispense de tout examen ; suivez-la en
simplicité de cœur. C'est le meilleur conseil que je
puis vous donner , et je le prends autant que je
peux pour moi-même.
Recevez , madame , mes salutations et mon res-
pect,
« rant votre adresse, j'envoyai ma lettre .bien cachetée à M. de Vol-
« taire ; avec l'assurance de cette probité commune à tous les bon-
« nétes gens , je le priai de vous VenVbyer, Mais quelle a été ma
« surprise lorsque, le 4 de qe mois, j'ai reçu en réponse un imprimé
« qui a pour titre. Sermon des cinquante. Serait-ce vous, monsieur,
« on M. de Voltaire , qui me Pavez entoyé ? Je n'ôBe penser que
« c'est TOUS, etc. » Note extraite de l'éditîofi de Genève, tome xxiv,
in-S*^, page 124*
Voyez ci-après la letti'e au prince de Wîrtemberg, du 11 mars
1764. ■
anicAb 1763. 83
j
LETTRE CDXXXIX.
■
A M
Motiers , 7 décembre 1 7 63 .
La Télitéqûa j'aime , monsieur, n'est pas tant
métaphysique que morale: j'aime la vérité, parce
que je h^ le mensonge; je ne puis être inconsé-
quent là-dessus que quand je serai de mauvaise foi.
J^aîmerais bimi aussi la vérité métaphysique si je
crqyais qu'elle fut à^ notre portée; mais je n'ai ja-
ufiiîs vu qu'elle fut da^s les livrer et , désespérant
de l'y .trouver , je dédaigne leur instruction , per*
auad^que la vérité qui nous est utile est plus près
de nous , et qu'il ^e &ut pas , pour l'acquérir , un
si granil appareil de science. Votre ouvrage , mon-'
sieur, peut donner cftte démonstration promise
^t manquée par tous les philosophes ; mais je ne
puis changer de principe sur des raisons que je
ne connais p%s. Cependant votre confiance m'en
iippose; vous promettez tant et si hautement, je
t^ouveUlidUtairs tant de justesse et de raison dans
votre manièse d'écrire , que je serais surpris qur'il
n'y en eût pas dans votre philosophie ; et je devrais
peu l^tre>âvec ma vue courte , que vous vissiez
où je n'avais pas cru qu'on pût voir. Or ce doute
me donne de4'inquiétude, parce que la vérité que
je coanais , ou ce que je prends pour elle , est très-
aimable , qu'il en résulte pour moi un état très-
6.
84 CORRESPOND AJVCE.
doux, et que je ne conçois pas comment j'en
pourrais changer sans y perdre. Si mes sentiments
étaient démontrés, je m'inquiéterais peu des vô-
tres ; mais , à parler sincèrement, je suis allé jusqu'à
la persuasion sans aller jusqu'à la conviction. Je
crois^ mais je ne sais pas; je ne sais pas même si
la science qui me manque me sera bonne quand je
l'aurai , et si peut^tre alors il ne faudra point que
je dise : Aito quœsmt cœlo lucenij ingemuitque re-
pertâ. , '
Voilà , monsieur, la solution ou du moins l'éclair-
cissement des inconséquences que vôiis m'avez re-
prochées. Cependant il me paiiaît bizarre que , potir
vous avoir dit man sentimeiC: quand vous me l'avez
demandé , je sois réduit à faire mon apologie. Je
n'ai pris la liberté de vous juger que pour vous com-
plaire; je puis m!être trompé, sans doute, mais se
tromper n'est pas avoir tort.
Vous me demandes poùn^nt encore^un conseil
sur un sujet très-grave, et je vais peut-être vous ré^
pondre encore tout de travers ; mais heureusement
ce conseil est de ceux que jamais auteur ne de-
mande que quand il a déjà pris son painii.
Je remarquerai d'abord qvté te sup|^ositlbn que
votre ouvrage renferme la découverte de la vérité
ne vous est pas particulière ; et si cette raison vous
engage à publier votre livre, elle doit* de même
engager tout philosophe à publier le sien. J'ajou-
terai qu'il ne suffit pas de considérer^e bieti qu'un
livre contient en lui-mên^e , mais le mal auquel il
peut donner lieu; il faut songer qu'il trouvera peu
ÂNNÉK J763. sa
de lecteurs judicieux bien disposés, et beaucoup
de mauvais cœurs, eocore plus de mauvaises têtes.
Il faut , avant de le publier , comparer le bien et le
mal qu'il peut faire , et les usages avec les abus.
Pesez bien votre livre sur cette règle, et tenez-
vous en garde contre la partialité ; c'est par celui
de ces d^ux effets qui doit l'emporter sur l'autre
qu'il est bon ou mauvais à publier.
Je ne.^ous connais point, monsieur; j'ignore
quel est votre scftt , votre état , votre âge ; "et cela
pourtant doit régler mon conseil par rapport à
voiis* Tout ce qtie £aîc un jeune homme a moins
de conséquence , et tout se répare ou s'efface avec
le temps. Mais si vous avez passé la maturité , ah !
penset'Y cent fois ayant de troubler la paix de
votre vie : vous ne savez pas quelles angoisses vous
vous préparez. Pendant quinze ans, j'ai ouï dire à
M. de Fontenielle que jamais livre n'avait donné
tant de plaisir que de chagrin à son auteur * : c'é-
tait l'heureux Fontenelle qui disait cela. Monsieur^
dans la question sur laquelle vous me consultez ,
je ne puis .vous parler que par mon exemple : jus-
qu'à quaittnte ans je fus sage; à quarante ans je
pris la plume; et je la pose avant cinquante , malgré
quelques vains succès, maudissan tatous les jours de
ma vie celui où mon sot orgueil me la fit prendre ,
où je vis mon bonheur, mon repos, ma santé s'en
aileron fumée , sans espoir de les recouvrer jamais.
Voilà l'homme à qui vous demandez conseil.
Je vous salue de tout mon cœur.
* . . . . tant déplaisir. Conforme au texte de l'édition de Genève,
86 CORRESPONDANCE.
LETTRE CDXL.
A M. DE CONZIÉ,
/ COMTE D£ GHARMSTTES.
A Môtiers-Trayers, 7 décembre 1768*
Je voudrais , mon cher comte , voir multiplier
encore le nombre de mes agresseurs , si chacun de
leurs ouvrages me valait, un témoignage de votre
souvenir. Je reçois avec plaisir et reconnaissance
celui que vous me donnez en m'envqyant l'écrit du
père Gerdil : quoique en effet cet écrit me paraisse
un peu froid , je le trouve assez gentil pour un
moine....
J'avais chargé monsieur daGauffecourt de vous
témoigner mon regret de ne pouvoir vous aller voir
cet été conmie je l'avais résolu. Le commencement
de l'hiver m'a jeté dana un état si triste. qu'il ne
me permet guèr« de faire des projets pour l'avenir.
Toutefois ^ si la belle saison me rend les forces que
le froid m'ôte , je me propose toujours de vous air
1er vcHr. S'il arrivait que vous vous rapprochassiez
du iChablais , cela me serait bien conmiode ; et ,
en ce cas , je vous prierais de m'en prévenir aussi ;
car , ne pouvant déterminer d'avance le temps de
mon voyage , il me siérait mal de l'avoir fait en
pure perte, et d'aller jusque-là sans vous y trouver.
deuxième supplémeM 1789 > et de Féditlon de du Peyrou donnée
en 1790.
kflUÉE 1763. 87
Soyez persuadé que rien ue peut ralentir l'ardent
désir que j'ai de vous voir et de vous embrasser.
U me semble qu'un moment si doux me rendra
tout le temps heureux que je regrette , et me fera
oublier ^us ceux qui m'en ont si tristement sé-
paré. Moi qui suis si désabusé, de la vie , et qui ne
forme plus^ de projets , je ne puis renoncer à celui-
là. Après avoir tout comparé, je ne trouve point
de meilleur peuple que le vôtre; je voudrais de
tout mon cœur passer dans son sein le reste de mes
jours , et me mettre de cette manière à portée de
contenter, au moins de temps à autre > le besoin
que moR cœur a de vous.
OBSBavATioir. -—L'autographe 4^ cette «lettre est déposé à
la bibliothèque de Chambéry. £Ue^ fut publiée pour la pre-
m^re fois il y a quelques années dans le journal de Savoie.
LETTRE CDXLI.
A M
U faut vous faire réponse , monsieur , puisque
vous la YQulez absolument, et que vous la deman-
dez en'termes si honnêtes. Il me semble pourtant
qu'à votre place je me serais moins obstiné à l'exi-
ger, le me serais dit : J'écris parce que j'ai du loi-
sir, et que cela m'amuse : l'homme à qui je m'adresse
peut n'être pas dans le même cas , et nul n'est tenu
à une correspondance qu'il n'a point acceptée :
j'offre mon amitié à un homme que je ne connais
88 CORRESPOND A.1VCE.
point, et qui me connaît encore moins ; je la lui
ofifre sans autre titre auprès de lui que les louanges
que je lui donne et que je lue donne , sans savoir
s'il n'a pas déjà plus d'amis qu'il n'en peut cultiver,
sans savoir si mille autres ne lui font pas la même
offre avec le même droit; comme si l'on pouvait
se lier ainsi de loin sans se connaître, .et devenir
insensiblement l'ami de toute la tei'i'ei L'idée d'é-
crire à un homme dont on lit les ouvragêis , et dont
on veut avoir une lettre à montrer j est-elle donc
si singulière qu'elle ne puisse être venue qu'à moi
. »eul ? Et si elle était venue à beaucoup de gens ,
faudrait-il que cet homme passà4; sa vie à faire ré*
ponse à des foules ^^unis inconnus , et qu'il né-
gligeât poyr eux ceyx qu'il s'est choisis? On dit
qu'il s'est retiré dans une solitude ; cela n'annonce
,pas un grand penchant à faire de nouvelles connais-
sances. On assure aussi qu*il n'a pour tout bien
que le fruit de son travail ; cela ne laisse pas un
grand loisir pour entretenir un commerce oiseux.
Si, par-dessus tout cela, peut-être il eût perdu la
santé, s'il était tourmenté d'une maladie cruelle
<5t douloureuse qui le laissât à peine eh étal; de Va-
quer aux soins indispensables , ce serait une tyran*-
nie bien injuste et bien cruelle de vouloir qu'il
passât sa vie à répondre à des foules de désœuvrés
qui, ne sachant que faire de leur temps , useraient
très-prodiguement du sien. Laissons donc ce pau-
vre homme en repos dans sa retraite; n'augmen-
tons pas le nombre des importuns qui la troublent
chaque jour sons discrétion , sans retenue , et
ANHEE 1763.- 89
tnéme sans humanité. Si ses #crits m'inspirent
pour lui de Jajblîenveiilance , et que je veuille cé-
der au penchant de la lui témoigner ^ je ne lut ven-
drai point eet Itonne^r en exigeant de lui des
ré|H>nses j et jcf lui donnerai sans trouble et sans
peine le plaisir d'apprehdne qu'il y a dans le monde
dTionnétes gens qui* pensent b^en de lui , et qui
n'en exigent ries/
'Voilà-^ monsieur, ce que je. me serais dit si j'a-
vais été à votre place'; chacun a sa aianière de
penser : je ne blâme point 1ft*vôtre , mats je crois
la mienne plus 'équitable. Peut-être si je vous con-
naissais me félicfterais-je bechtcoup de votre ami-
tié; mais, coMent des amis que* j'ai, je vous dé-
clare que je n'en veux point Usure de nouveaux ): et
quand je le voudrai»^ il ne serait pas raisonnable
que j'allasse choisir pour cela^djes inconnus si loin
de moi. Au reste je ne doute ni de votre esprit ni
de votre mérite. Cependant le ton militaire et ga-
lant dont vous parlez de conquérir mon cœur se-
rait , je crois , plus de mise auprès des femmes qu'il
ne le serait avec moi. »
LETTRE CDXLII.
A M. LE PIUNGË L. £. DE -^YIATEMBERG.
Motien, le i5 décembre 1768.
Vous m'avez tiré , monsieur le duc , d'une grande
inquiétude , en m'apprenant la résolution, où vous
go CORRESPOND A.NC£.
êtes d'élever vous -même votre enfant. Je vous
m
suggérais des moyens dont je sçn|ais moi-même
l'insHffîsance ; grâces au ciel ^ votre vertu les rend
superflus. Si vous persévéf^z , j^ ne «suis plus en
peine du succès :. tout ira bien, fSar cela seul qjie
vous y veillerez voiis-m4niél Msus j«avoue jque vous
«confondez fort toute$ mes idées : j'étais bien éloi-
gné de croire qu'il existâf dans ce siècle un hoipme
semblable 4 vous; et, quand j'aurais soupçonné
son^ existepce^ j'aucais été bien éloigité de le cher-
cher (]jm^ votre rang^^e n'ai pu lire sans émotion
votre d^rnièrç lettre. Est-il donc Vrai que j'ai pu
contribuer aux verKieiises résolutions que vous
avez prises ? J'^ besoin de le croira pour mettre
ui^pontreff^ds à mes afEUctions. Avoir fait quelque
bien sur la terre est une consi^lation qui manquait
k mon cœur ; je vpus félicite de me l'avoir donnée ^
et je me glorifie de la recevoir dev vous.
Vous voyez votre enfant pijëcoce; je n'en suis
pas étonné, vous êtes père. Il est vrai qu'un, père
que la philosophie a conseryé tel a bien d'autres
yeux que le vulgaire : d'ailleurs le témoignage de
M. Tissot légalise le vôtre ; et puis vous citez des
faits. De ces faits , il y en a que je conçois /d'autres
non. Les enfanfs distinguent de bonne heure les
odeurs comme différentes, comme faibles ou fortes,
mais non pas comme bonnes ou mauvaises : la sen-
sation vient de la nature; la préférence ou l'aver-
sion n'en vient pas. Cette observation , que j'ai
faite en particulier sur l'odorat , n'est pas applica-
ble aux autres sens : ainsi le jugement que la pe-
AffnÉB 1763. 91
tite porte sur cet article QSt déjà une chose ac-
quise» .
Elle a changé de voix pour témoigner sel désirs :
cela doit être. D'abord ses plaintes , ne marquant
que l'inquiétude du malaise , ressemblaient à dès
plemes. Maintenant l'expérience lui apprend qu'on
l'écoute et qu'on la soulage. Sa plainte est donc
devenue un langage ; au lieu de pleurer, elle parle
à sa manière.
De ce qu'elle voit avec le méfkîe plaisir les nou-
veaux venus el les vieilles connaissances , vous en
condnez qu'elle aura le caractère aimant. Ne vous
fiez pas trop à cette observation ; d'autres en tire-
raient peut-être uii 3igne.de coquetterie plutôt que
de sensibilité. Ponr moi , j'en tire un'fkidice diffé-
rent de tous les deux , et qui n'est pas ée mauvais
augure; c'est qu'elle aura du caractère: car le
signe le plus assuré d'un cœur £sdble est l'empire
que l'habitude a sur lui.
Si réellement votre enfant est précoce, il vous
donnera beaucoup plus de peine ; mais il vous en
dédommagera bien plus tôt : ainsi gardez cependant
de vous prévenir au point de lui appliquer avant
le temps une méthode qui ne lui serait pas conve-'
nable. Observez, examihez;, vérifiez, et ne gâtez
rien ; dans le doute ^ il vaut toujours mieux attendre.
Au reste , quoique vous fassiez , j'ai la plus
grande confiance dans votre ouvrage , et jçi suis
persuadé que tout ira bien. Quand vous vous
tromperiez , ce que je ne présufaie pas , ce ne se-
rait jamais en chose grave ; et les erreurs des pères
ga CORRESPONDANCE.
nuisent toujours moins que la négligence des in-
stituteurs. Il ne me reste qu'une seule inquiétude ,
c'est que vous n'ayez entrepris cette grande tâche
sans en prévoir toutes les difficultés, et qu'en s'of-
frant de jour en jour eHes ne vous rebutent. Dans
une première ferveur , rien ne coûte , mais un^soin
continuel accable à la fin; et les meilleures réso-
lutions, qui dépendent de la persévérance, sont
rarement à l'épreuve du temps. Je vous supplie
M. le, duc , de n)e pardonner ma fcanchise ; elle
vient de l'admiration que vous m'inspirez. Votre
eptreprise est trop belle pour ne pas éprouver des
obstacles , et il vaut mieux vous y préparer d'a-
vance que d'en rencontrer d'iipprévus.
Ce que you» me dites de la manière, dont vous
voulez acquérir des amis m'apprend combien vous
méritez d'en faire; mais où seront les hommes
dignes que vous soyez le leur ?
Je supplie V. A. S. d'agréermon profond respect.
LETTRE CDXLIII.
A M. M y
m
tU&B D'AMBBRUâ BIT BO^BT *.
Motiers-Travers , le 1 5 'décembre 1 7 63 .
i
Si je ne me faisais une peine de vous importu-
ner trop souvent , monsieur , d'une correspon-
dance dont vous seul faites tous les frais , je n'au-
* Voyez la lettre du 3o novembre 1761, et la^note, 11° SSg.
ANN-éE 1763. 93
rais pas tardé si long-temps à vous remercier de
la réponse favorable que votre charité vous a fait
faire à ma proposition au sujet de mademoiselle
Le Vasseur. Je ne prévois pas encore quand elle
se trouvera dans le cas de profiter de vos bontés.
J'ai été fort mal Tété dernier; mais l'automne m'a
donné du relâche au poiift de pouvoir faire , dans
ie pays , quelques voyages pédestres , très-utiles à
ma santé. Mais le retour de l'hiver a produit son
effet orfnaîre, en me remettant aussi bas que
j'étais au printemps. Si je puis atteindre la belle
saison, j'en espère |^ même soulagement qu'elle
m'a souvent^rocuré. Àf air si dans la vie ordinaire
on doit éompter smr si.paii de those , la mieane est
telle qn'on n'y peut compter sur rien. Dans cette
position, j!aiîifÀtruit mademoiselle Le Vasseur de
toutes vos I)phtés , dont elle est pénétrée s je lui ai
donné votre adresse afin qu'elle vous écrive en
cas d'accident. Tandis qu'elle serait occupée à re-
cueillir ici meS' guenilles, vous pourriez concerter
avec elle le moyen de faire son voyage avec le plus
d'économie eit le plus .commodément. Je pense
qu'ellé1|>ourraiJt prendre une voiture à Neuchâtel
pour ftenève^ et que lài vous pourriez lui en en-
voyer ifoc qui la éqpdnirait mieux que celle qu'elle
pourrait prendre à <îenève même. Qtioi qu'il en
soit, je suis trant{uillisé par vous, sur le sort' de
cette pauvre fille. Je n^sA-plus rien qui m'inquièle
sur le mien, et je vous dois en' grande partie la
paix dont je joui^ dans mon triste état.
Bonjour , monsieur ; je suis plein de vous et de
96 CORBESPONDAWCE.
pour répondi*e auiç lettres d'amitié : mais il y en
a un très-grand nombre d'autres où l'on daigne me
consulter sur des objets importants et pressés pour
ceux qui m'écrivent, et dont je ne puis différer les
réponses sans manquer à mon devoir; ces temps
derniers, en particulier, j'étais occupé à un mé-
moire pour M. le prince de Wirtemberg, qui m'a-
vait consulté sur l'éducation de sa fille; et je suis
maintenant occupé à un travail encore plus grave
pour quelqu'un qui en a bèioin , et qui par consé*
quent est en droit de l'exiger. Mon triste état, qui
empire toujours en cette saison, me réduit jour-
nellement à porter une sipnde plusieurs heures ,
durant lesquelles - toutç occupation m'est impos-
sible ; il faut ensuite que je fasse un exercice d'une
heure ou deux pour me &ire suer ; et , quaiid je
passe un seul jour sans employer ce remède , je
paie cruellement cette négligence durant la nuit ;
au milieu de tout cela , un honui^e qui a'a pas un
sol de trente ne vit pas de ^l'air ^ et il £atût quelques
soins ^ussi pour pcnirvoir au pain. Mais je ris de
ma simplicité "Se prétendre Êiire ^itendre raison
sur une situetion 'si différente à une femme de
Paris, oisive par ét^jt, et qui n'ayant pour toute
occupation que d'écrire et recevoir des lettres, en-
tend que.tous ses ami^ ne soient occupés non plus
que du même objet. '
Pour échapper à l'influence des importuns , et
pour me livrer à l'exercice qui m'est nécessaire, je
fais l'été , dans mes bons intervalles , des courses
dans le pays; dans une de ces absences M. Breguet
KffViE 1763. ^ 97
vint me voir à Motiers , tandis que j'étais à Yver-
dun : me voilà coupable encore pour n'avoir pas
deviné son voyage et n'avoir pas en conséquence
rompu le mien.
Vous êtes , madame , une femme très-aimable ;
je ne connais personne qui écrive des lettres mieux
que vous. Je vous crois le cœur aussi bon que vous
avez l'esprit agréable , et votre amitié m'est très-
précieuse ; mais , dans l'état où je suis , ma tran-
quillité me l'est encore plus ; et, puisque je ne puis
entretenir avec vous qu'une correspondance ora-
geuse, j'aime encore mieux n'en avoir plus du tout.
Au reste, je vpus déclare que c'est Ici ma dernière
apologie, et je vous préviens qu'il suffira désor-
mais que vous exigiez une prompte réponse pour
être flûre de n'en point recevoir du tout.
LETTRE CDXLVL
A MADAME LA COBITESSE DE BOUFFLERS.
Motiers, le a 8 décembre 176s*
Votre lettre , madame , m'a fait un plaisir d'au-
tant plu sensible que je m'y attendaii moins. Je
craignais , il est vrai , d'avoir perdu vdtre amitié ;
et , sans avoir à me reprocher cette perte , je la
mettais au nombre des malheurs qui m'accablent
et que je ne me suis pas attirés. Je suis charmé
pour moi, madame, et je suis bien aise aussi pour
vous qu'il n'en soit rien ; il ne tiendra sûrement
pas à moi cjue je ne me conserve toute ma vie un
B. XX. 7
■x
C)8 ^ CORKESPOWDANCE,
bien qui m'est si précieux. L'intérêt que je vous
ai vue prendre à nies disgrâces ne peut pas plus
sortir de mon cœur que n'en sortiront les senti-
ments qu'il avait conçus pour vous-même aupara-
vant. Je me réjouis de n'apprendre votre rougeole
et votre mélancolie qu'après votre guérison. Tâchez
d'être aussi bien quitte de Tune que de l'autre. Eh!
comment la mélancolie osait-elle se loger dans une
ame si belle , parée d'un habit qui lui va si bien ,
faite à tant d'égards pour foire adorer la vertu et
pour la rendre heureuse par elle ? Ne dussiez-vous
jouir que du bien que vous foites ^ je n'imagine pas
ce qui devrait manquer à votre bonheur.
Après vous avoir parlé de vous , comment oser
parler de moi ? Mon ame , surchargée , travaille à
soutenir ses disgrâces sans s'en laisser accabler; et
depuis l'entrée de l'hiver, il ne manque aux maux
que mon corps souffre que le degré nécessaire pour
s'en délivrer tout-à-fait. Dans cet état , vous me de-
mandez quels sont mes projets : grâce au ciel je
n'en fais plus, madame; ce n'est plus la peine d'en
faire ; ê'ést une inquiétude dont mes maux m'ont
enfin délivré. Le dernier , le plus chéri , celui» qui
ne peut, même à présent, sortir de mon cœur,
était de rejmndre Milord Maréchal ; de donner mes
derniers jours à mon ami , mon protecteur , mon
père , au seul homme qui m'ait tendu la main dans
ma misère , et qui m'en ait consolé. Mais cet espoir
m'était trop doux ; il m'écliappe encore : mon triste
état me l'ôte ; il ne m'en reste presque plus que le
désir , à moij|# que le reste de l'hiver ne m'épargne,
AlfBTÉE 1763. 99
et qiie le retour de la belle saison ne fasse un mi-
racle; je n'attends plus d'autre changement à mon
sort ici -bas, que sou terme; il ne me reste plus
qu à souffrir et mourir. Cela se peut faire ici tout
conune ailleurs ; et si je ne puis rejoindre Milord
Maréchal , je ne songe plus à changer de place : ce
dont j'ai besoin désormais se trouve partout.
Il y a long-temps que je n'ai eu de nouvelles de
Milord Maréchal ; je soupçonne que dans le long
trajet nos lettres s'égarent, car je suis parfaitement
sûr qu'il ne m'oubUe pas, et j'en ai la preuve par
ce qu'il vient de faire en ma faveur auprès de vous.
Ah! ce digne homme! Au bout de la terre il serait
mon bienÊdteur encore , et mon cœur irait l'y cher-
cher. Ayez la bonté , madame , de lui faire parve-
nir l'incluse : je le connais; je sais qu'il m'aime , et
vous lui ferez plaisir presque autant qu'à moi.
Vous voulez que je vous donne des nouvelles
de mademoiselle Le*yasseur : c'est une bonne et
honnête personne , digne de l'honneur que vous
lui fiaites. Chaque jour ajoute à mon estime pour
elle, et la seule chose qui me rend désormais l'ha-
bitation de ce pays déplaisante, est de l'y laisser
sans amis après moi qui la protègent contre l'ava-
rice des gens de loi qui dissiperont mes guenilles
et visiteront mes chiffons. Du reste, l'air de ce
pays lui eft phis favorable qu'à moi , et elle s'y
porte mieux qu'à Montmorency , quoiqu'elle s'y
plaise moins. Permettez-lui , madame, de vous faire
ici ses remerciements très-humbles , et de joindre
ses respects aux miens. %
7-
lOO CORRESPONDANCE,
LETTRE CDXLVII.
, A M. L'ABBÉ DE***.
Motlers, le 6 janvier 1764.
Quoi ! monsieur , vous avez renvoyé vos portraits
de fainHIe et vos titres ! vous vous êtes ^défait de
votre cacheft! voilà bien plus de prouesses que je
n'en aurais fait à votre place. J'aurais laissé les por-
traits où ils étaient; j'aurais gardé mon cachet parce
que je l'avais ; j'aurais laissé liioisir mes titres dans
leur coin , sans m'imaginer même que tout cela va-
lût la peine d'en faire un sacrifice : mais vous êtes
pour les grandes actions; je vous en félicite de
tout mon cœur.
A force de me parler de vos doutes , vous m'en
donnez d'inquiétants sur votre compte; vous me
faites douter s'il y a des choses dont vous ne dou-'
tiez pas : ces doutes mêmes , à mesure qu'ils crois-
sent , vous rendent tranquille ; vous vous y reposez
comme sur un oreiller de paresse. Tout cela m'ef-
fraierait beaucoup pour vous , si vos grands scru-
pules ne me rassuraient. Ces scrupules sont assu-
rément respectables comme fondés sur la vertu ;
mais l'obligation d'avoir de la vertu , sur quoi la
fondez -Vous? Il serait bon de savoir si vous êtes
bien décidé sur ce point : si vous l'êtes, je me
rassure. Je ne vous trouve plus si sceptique que
vous affectez de l'être ; et quapd on est bien dé-
ANNEE 1764. 101
cidé sur les principes de ses devoirs , le reste n'est
pas une si grande affaire. Mais , si vous ne Têtes
pas , vos inquiétudes me semblent peu raisonnées.
Quand on est si tranquille dans le doute de ses de-
voirs , pourquoi tant s*affecter du par^i qu'ils nous
imposent?
Votre délicatesse sur l'état ecclésiastique est su-
blime ou puérile, selon le degré de vertu que vous
avez atteint. Cette délicatesse est sans d<kite im
devoir pour quiconque remplit tous les autres; et
qui n'est hvoL ni menteur en rien dans ce monde
ne doit pas l'être même en cela. Mais je ne con-
nais que Socrate et vous à qui la raison pût passer
un tel scrupule ; car à nous autres hommes vul-
gaires il sersût impertinent et vain d'en oser avoir
un pareil. Il n'y a pas un de nous qui ne s'écarte
de la vérité cent fois le jour dans le conunerce des
hommes en choses claires, importantes , et souvent
préjudiciables ; et dans un point de piu*e spécula-
tion dans lequel nul ne voit ce qui est vrai ou faux ,
et qui n'importei ni à Dieu ni aux hommes , nous
nous ferions un crime de condescendre aux pré-
jugés de nos frères , et de dire oui où nul n'est en
droit de dire non ! Je vous avoue qu'un homme qui,
d'ailleurs n'étant pas un saint , s'aviserait tout de
bon d'un scrupule que l'abbé de Saint-Pierre et
Fénélon n'ont pas eu, me deviendrait par cela seul
très-suspect. Quoi! dirais-jé eu moi-même, cet
homme refuse d'embrasser le noble état d'officier
de morale , un état dans lequel il peut être le guide
et le bienfaiteur des hommes , dans lequel il peut
I02 CORRESPOND A NCli:.
les instruire, les soulager, les consoler, les proté-
ger , leur servir d'exemple , et cela pour quelques
énigqpies auxquelles ni lui ni nous n'entendons rien ,
et qu'il n'avait qu'à prendre et donner pour ce
qu'elles valent , e|i ramenant sans bruit le chris-
tianisme à son véritable objet! Non, conclurais- je ,
cet homme ment , il nous trompe , sa fausse vertu
n'est point active, elle n'est que de pure ostenta-
tion; il faut être un hypocrite soi-même pour oser
taxer d'hypocrisie détestable ce qui n'est au fond
qu'un formulaire indifférent en lui- même ^ mais
consacré par les lois. Sondez bien votre cœur,
monsieqr, je vous en conjure : si vous y trouvez
cette raison telle que; vous me la donnez , elle doit
vous déterminer , et je vous admire. Mais sou ve-
nez-yous biep qu'alors, si vous n'êtes le plu§ digne
||es hommes, vous aurez été le plus fou.
A la manière dont vous me demandez des pré-
ceptes de vertu, l'on dirait que vous la regardez
comme un métier. Non, monsieur, la vertu n'est
que la force de faire son devoir dans les occasions
difficiles; et la sagesse, au contraire, est d'écarter
la difficulté de nos devoirs. Heureux celui qui , se
contentant d'être hommq de bien, s'est mis dans
une position à n'avoir jamais besoin d'être ver-
tueux ! Si vous n'allez à la campagne que pour y
porter le faste de la vertu, restez à la ville. Si vous
voulez à toute force exercer les grandes vertus ,
l'état de prêtre vousl^ rendra souvent nécessaires;
niais si vous vous sentez les passions assçz modé-
rées, l'esprit assez doux, le cœur assez, sain pour
ANlfÉE 1764* Io3
VOUS accommoder d'une vie égaie , simple et labo-
rieuse , allez dans vos terres , faites-les valoir , tra-
vaillez vous-même , soyez le père de vos domes-
tiques , Tami de vos voisins , juste et bon envers
tout le mon4e : laissez là vos rêveries métaphy-
siques, et servez Dieu dans la simplicité de votre
cœur; vous serez assez vertueux.
Je^vous.salue, monsieur, de tout mon cœur.
Au reste, je vous dispense , monsieur , du secret
qu'il vous plaît de m'offrir , je ne sais pourquoi. Je
n'ai pas, ce me semblé, dans ma conduite, l'air
d'iin homme fort mystérieux.
LETTRE CDXLVIII.
■
A M. LE PRINCE L. E. DE WIRTEMBERG.
Motien, le ai janvier 1764.
Je m'attendais bien , monsieur le duc , que 1^
manière dont vous élevez votre enfant ne passe-
rait pas sans critique et sans opposition , et je vous
avoue qu&je sais quelque gré au révérend docteur
de celle qu'il vous a faite; car ces objections
étaient plus propres à vous réjouir qu'à vous ébran-
ler ; et moi j'ai profité de la gaieté qu'elles vous
ont donnée. On ne peut nep de plus, plajjsant que
l'exposé de ses raisons , et je crois qu'il serait dif-
ficile qu'il en fut plus content que moi : je crains
pourtant qu'il ne les trouve pas tout-à-fait péreiÉp-
toires; car s'il a pour^lui les chardopnerets , les
I.o4 CORRESPO«DANCE.
chenilles , les escargots , en revanche il a contre
lui les vers , les liinaçons , les grenouilles , et cela
doit l'intriguer furieusement.
Je ne suis pas fort surpris non plus des petits
désagréments qui peuvent rejaillir ,^ à cette occa-
sion , sur M. Tissot ; je crains même que Taccord
de nos principes sur ce point n'ajoute au chagrin
qu'on lui témoigne ; l'influence d'un certain voi-
sinage nourrit dans le canton de Berne une furieuse
animosité contre moi, que les . traitements qu'on
m'y a faits aigrissent encore.. On oublie quelque-
fois les offenses qu'on a reçues , mais jamais celles
qu'on a faites ; et ces messieurs ne me pardonnent
point le tort qu'ils ont avec moi : tels sont les
hommes. Ce, qui me rassure pour M. Tissot, c'est
qu'il leur est trop nécessaire pour qu'ils ne lui pas-
sent pas de mieux penser qu'eux- ; c'est aux rêveurs
purement spéculatifs qu'il n'est pas permis de dire
des vérités que rien ne rachète. Le bienfaiteur des
hommes peut-être vrai impunément , mais il n'en
faut pas moins, je l'avoue; et s'il était moins di-
rectement utile , il serait bientôt persécutée
Permettez que je supplie vôti'e altesse sérénis-
sime de vouloir bien lui remettre le barbouillage
ci-joint, roulant sur une métaphysique assez en-
nuyeuse, et dont, par cette raison, je ne vous
propose j)as la lecture , ni même à M. Tissot; mais
la bonté qu'il a eue de m'envoyer ses ouvrages
m'impose l'obligation de lui faire hommage des
miens. J'isii même été deux fois Tété dernier sur le
point d'employer à lui aller rendre sa visite un des
ANNÉE 1764* 10$:
pèlerinages que mes bons intervalles m'ont permis ;
mais quelque plaisir que ce devoir m'eut fait à rem-
plir , je m'en suis abstenu pour ne pas le compro-
mettre , et j'ai sacrifié mon désir à son repos.
Vous m'inspirez pour monsieur et madame dç
Gollowkin toute l'estime dont vous êtes pénétré
pour eux ; mais , flatté de l'approbation qu'ils don-
nent à mes maximes , je ne suis pas sans crainte
que leur enfant ne soit peut-être un jour la victime
de mes erreurs. Par bonheur je dois , sur le por-
trait que vous m'avez tracé , les supposer assez
éclairés pour discerner le vrai et né pratiquer que
ce qui est bien. Cependant il me reste toujours une
frayeur fondée sur l'extrême difficulté d'une telle
éducation ; c'est qu'elle n'est bonne que dans son
tout, qu'autant qu'oh y persévère, et que s'il vien-
nent à se relâcher ou à changer de système, tout
ce qu'ils auront £sut jusqu'alors gâtera tout ce qu'ils
voudront faire à l'avenir. Si l'on ne va jusqu'au
bout , c'est un grand mal d'avoir commencé.
J'ai relu plusieurs fois votre lettre, et je ne l'ai
point lue sans émotion. Les chagrins , les maux , les
ans ont beau vieillir ma pauvre machine, mon
cœur sera jeune jusqu'à la fin , et je sens que vous
lui rendez sa première -chaleur. Oserais -je vous
demander si nous ne nous sommes jamais vus?
N'est-ce point avec vous que j'ai eu l'honneur de
causer un quart d'heure , il y a huit ou dix ans , à
Passy, chez M. de La Poplinière? Je n'ai pas,
comme vous voyez, oublié cet entretien ; mais j'ar
voue qu il m'eût Eût une autre impression si j'a-
lo6 CORBESPOUDAWCE.
vais prévu la correspondance que nous avons
maintenant, et le sujet qui l'a fait naître.
Qu'ai-je fait pour mériter les bontés de madame
la princesse? Rien n'est si commun que des bar-
bouilleurs de papier : ee qui est si rare , c'est une
femme de son rang qui aime et remplit ses devoirs
de mère, et voilà ce qu'il faaxt admirer.
LETTRE CbXLIX.
■
A HiADAME LA BfARQUISE DE VERDELIN.
Motîers, le a 8 janvier 1764-
Vos regrets sont bien légitimes, madame; ce
que vous me marquez des derniers moments de
M. de Verdelin, prouve qu'il vous était sincère-
ment attaché. Et combien ne devait - il pas l'être !
Cependant , comme dans l'état où il était , il a plus
gagné que vous n'avez perdu , les sentiments qu'il
vous laisse doivent être plus relatifs à lui qu'à vous.
D'ailleurs moi qui sais combien vous êtes bonne
mère , et qu'en le perdant vous avez pour ainsi dire
acquis vos en£Btnts , tout ce que je puis faire en
cette circonstance , par respect pour votre bon
cœur et pour sa mémoire , est de ne vous pas fé-
liciter.
Il est vrai , madame , que , m'étant trouvé plus
mal cet été , j'ai écrit à un curé qui avait fait la route
avec mademoiselle Le Yasseur , pour la lui recom-
mander , sachant qu'elle ne se souciait pas de re-
▲iCNis 1764* 107
tourner à Paris , où elle ne romiquerait pas d'être
tyrannisée et dévalisée de nouveau par toute son
avide Êunille. Sur les attentions qu'il avait eues
pour elle , sur les discours qu'il lui avait tenus, j'ar
vais pris la plus grande opinion de cet honnête
homme, et je la lui recommandais, non pas pour
lui être à chaîne , comme il parait par ma lettre
même , puisqu'elle a , par la pension de mon li-
braire , de quoi vivre en province avec économie ,
mais seulement pour diriger sa conduite et ses pe-
tites a£GBÙres dans un pays qui lui est inconnu. Mais
le bon-homme est parti de là pour supposer que
j'implorais ses charités pour die, et pour £adre cour
rir ma lettre partout Paris , au point de proposer
à un libraire de l'imprimer. J'ai gagné par là d'être
instruit à temps et de pouvoir prendre d'autres
mesures. J'ai la plus grande confiance en vous ,
madame , et l'intérêt que vous daignez prendre à
elle et à moi fait la consolation de ma vie. Mais
connaissant ses façons de penser , son état , ses in-
clinations, ce qui convient à son bonheur, je ne
lui conseillerai jamais d'aller vivre à Paris ni dans
la maison d'autrui , bien convaincu , par ma propre
expérience , qu'on n'est jamais libre que chez soi.
Du reste, je compte si parfaitement sur votre sou-
venir, qu'en quelque Ueu qu'elle vive je ne doute
point que vous n'ayez la bonté de la recomman^
der , de la protéger, de vous intéresser à elle; et
j^avais si peu de doute là-dessus, que, sans ce que
vous m'en dites dans votre dernière lettre , je qe
me serais pas même avisé de vous en parler.
Io8 CORRESPONDANCE.
Garderez- VOUS Soisi, madame, ou vivrez -vous
toujours à Paris ? Lesquelles de vos filles prendrez-
vous auprès de vous ? Resterez-vous à l'hôtel d'Au-
beterre , ou prendrez- vous une maison à vous ? Le
voyage de Saihtonge , que vous méditez, sera , se-
lon moi., bien inutile ; quelque tendresse qu'ait
pour vous monsieur votre père , à son âge on
n'aime guère à se déplacer, réprouve bien cette
répugnance, moi que les infirmités ont déjà rendu
si vieux. Je suis ici l'hiver au milieu des glaces ,
Fêté en proie à mille importuns , très - chèrement
pour la vie ; en toute saison ma demeure a ses in-
commodités. Cependant je ne puis me résoudre à
me déplacer; le moindre embarras m'effraie, et je
crois que j'aurai moins de peine à déménager de
mon corps que de ma maison. Bonjour , madame.
■
LETTRE GDL.
A MADEMOISELLE JULIE BONDELL
"■■
■*
Motîert y le 9 8 janvier 1 764*
Vous savez bien , mademoiselle , que les corres-
pondants de votre ordre font toujours plaisir et
n'incommodent jamais; mais je ne suis pas assez
injuste pour exiger de vous une exactitude dont
je ne me sens pas capable , et la miîse est si peu
égale entre nous , que , quand vous répondriez à
dix de mes lettres par une des vôtres , vous seriez
quitte avec moi tout au moins.
Je trouve M. Schulthess bien payé de son goût
A.NNÉE 1764* I09
pour la vertu par Tintérét qu'il vous inspire ; et ,
si ce goût dégénère en passion près de vous , <e
pourrait bien être un peu la faute du maître. Quoi
qu'il en soit , je lui veux trop de bien pour le tirer
de votre direction en le prenant sous la mienne ;
et jamais, ni pour le bonheur, ni pour la vertu,
il n'aura regret à sa jeunesse , s'il la consacre à re-
cevoir vos instructions. Au reste , si , comme vous
le pensez , les passions sont la petite - vérole de
Famé , heureux qui , pouvant la prendre encot*e ,
irait s'inoculer à Kœnitz ! Le mal d'une opération
si douce serait le danger de n'en pas guérir. N'ai*»
lez pas vous fâcher de mes douceurs, je vous prie,
je ne les prodigue pas à toutes les femmes, et puis
on peut être un peu vaine.
Je ne puis , mademoiselle, répondre à votre ques-
tion sur les Lettres (Tun citoyen de Genève* ^ car cet
ouvrage m'est parfaitement inconnu , et je ne sais
que par vous qu'il existe. Il est vrai qu'en général
je suis peu curieux de ces sortes d'écrits; et, quand
ils seraient aussi obligeants qu'ils sont insultants
pour l'ordinaire , je n'irais pas plus à la cha^e des
éloges que des injures. Du reste, sitôt qu'il est
question de moi , tous les préjugés sont qu'en ef-
fet l'ouvrage est une-satire; mais les préjugés sont-
ils faits pour l'emporter sur vos jugements ? D'ail-
leurs 9 je ne vois pas que ce livre soit annoncé dans
la gazette de Berne ; grande preuve qu'il De m'est
pas injurieux. ^
*" Cett une misérable parodie de ia Noupelle HéloUe ^ qui partit
lans nom d*auteur en 1763. *
I lO CORRESPONDANCE.
Je n'ose vous parler de mon état, il contristerait
votre bon cœur. Je vous dirai seulement que je ne
puis me procurer dés nuits supportables qu'en fen-
dant du bois tout le jour, malgré ma fisdblesse , pour
me maintenir dans une transpiration continuelle ,
dont la moindre suspension me fait cruellement
souf&ir. Vous avez raison toutefois de prendre
quelque intérêt à mon existence : malgré tous mes
maux , elle m^est chère encore par les sentiments
d'eitiiiie et d'affection qui m'attachent au vrai mé-
rite ; et voilà , mademoiselle , ce qui ne doit pas
vous être indifférent.
Acceptez un barbouillage qui ne vaut pas la
pçine'd'en parler, et dont je n'ose vous proposer
la lecture que sous les auspices de l'ami Platon.
LETTRE CDU.
A M. D'ESCHERNY.
Motiers, le a février 1764.
Je ne sUiâ pas si pressé , monsieur , de juger , et
siirtout en mal , des personnes que je ne connais
peint ; et j'tfurais tort , plus que tout homme au
monde , de donner un si grand poids aux imputa-
tions du tiers et du quart. L'estime des gens de
Ihérite est toujours- honorable, et, comme on vous
a peint à moi comme tel, je ne puis que m'applau-
dir de la vôtre. Au reste , si notre goût commun
pour la retraite ne nous rapproche pas l'un de
A.NNÉE 1704- i II
l'autre, aye2-y peu de regret; j'y perds plus que
vous , peut * être : on dit votre commerce fort
agréable, et moi je suis un pauvre malade fort en-
nuyeux ; ainsi , pour Famour de vous , demeurons
comme nous sommes, et soyez persuadé, je vous
supplie , que je n'ai pas le moindre soupçon que
vous pensiez du mal de moi , ni par conséquent
que vous en vouliez dire.
Recevez , monsieur , je vous supplie, mes remer-
ciements de votre lettre obligeante , et mes salu-
tations.
LETTRE CDLII.
A MADAME LATOUR.
■«
5 février 1764.
Je suis fort en peine de vous , madame. Quoique
je n'aime pas à^me savoir dans votre disgrâce,
j'aime encore mieux regarder votre silence comme
une punition que vousrnl'imposez, que comme un
^ne que vous êtes malade. iJn mot , je vous sup-.
plie, sur la cause de ce silence, afin que si c'est-le
malheur de vous déplaire, je m'en afflige; mais que
je ne porte pas à la fois deux niaux pour un.
Je reçois à l'instant «votre lettre du 3o janvier ,
j'y vois que mes pressentiments n'étaient que trop
justes. J'espère qye vous êtes bien rétablie; tou-
tefois votre lettre ne me rassure pas assez. Un mot
sur votre état présent, je vous supplie. Je n'en puis
irsi CORBESPOVDANCE.
dire aujourd'hui davantage ; le paquet de France
ne m'arrive qu'au moment où je dois fermer le
mien.
LETTRE CDLIIJ.
A M. PANCKOUGKE.
MotierSy le la féyrîer 1764.
Je vois avec plaisir , monsieur , par votre lettre
du a 5 janvier, que vous ne m'avez point oublié,
et je vous prie de croire que , quant à moi , je me
souviendrai de vous toute ma vie avec amitié.
Je regarde votre établissement à Paris comme
un moyen presque assuré de parvenir prompte-
ment à votre bien-être du côté de la fortune , vu
le goût effréné de littérature qui règne en cette
grande ville , et qu'étant vous - même homme de
lettres , vous saurez*bien choisir vps entreprises.
Je ne refîise point , monsieur , le cadeaii que
vous voulez me faire de ce qtie vous avez imprimé ;
il me sera précieux comme un témoignage de votre
aniitié : mais si vous exigez de moi de tout Hre , ne
m'envoyez rien; car, dans l'état où je suis, je ne
puis plus supporter aucune lecture sérieuse , et
tout ouvrage de raisonnement m'ennuie à la mort.
Des romans et des voyages, voilà désormais tout
ce ^ue je puis souffrir, et je m'iràagine qu'un
homme grave comme vous n'imprime rien de tout
cela.
ANNKE 1764. I l3
k^''%^ %<^'^%^^%.^l^i%^^%»^% ^^ ^r%'^^^^^»%<%^^^%^^^
LETTRE CDLIV.
A M. F^ICTET.
Modcrsy le i^ mars 1764.
Je suis flatté, monsieur, que, sans un fréquent
comnaerce de lettres , vous rendiez justice à mes
sentiments pour vous : ils seront aussi durables
que l'estiraie sur laquelle ils sont fondés^et j'espère
que le retour dont vous m'honorez ne sera pas
moins à l'épreuve du temps et du silence. La seule
chose changée entre nous est l'espoir d'une cop-
naissance personnelle. Cette attente , monsieur ,
m'était douce ; mais il y faut renoncer , si je ne
puis la remplir que sur les terres de Genève ou
dans les environs. Là -dessus mon parti est pris
pour la vie; et je puis vous assurer que vous êtes
entré pour beaucoup dans ce qu'il m'en a coûté de
le -prendre. Du reste je sens avec surprise qu'il
m'en coûtera moins de le tenir que je ne m'étais
figuré. Je ne pense plus à mon ancienne patrie
qu'avec indifférence ; c'est même un aveu queje
vous fais sans honte , sachant bien que nos senti-
ments ne dépendent pas de nous; et cette indiffé-
rence était peut-être le seul qui pouvait rester pour
elle dans un cœur qui ne sut jamais haïr. Ce n'est
pas que je me croie quitte envers elle; on ne l'est
jamais qu'à la mort. J'ai le zèle du devoir encore,
mais j'ai perdu celui de Fattachement.
R. XX. 8
I l4 CORR£SÏ»ONDANC£.
Mais où est -elle , cette patrie? Existe -t-elle en-
core? Votre lettre décide cette question. Ce ne sont
ni les murs ni les liommes qui font la patrie ; ce
sont les lois , les moeurs , les coutumes , le gouver-
nement , la constitution , la manière d'être qui ré-
sulte de tout cela. La patrie es^t dans les relations
de Fétat à ses membres : quand ces relations chan-
gent ou s'anéantissent ^ là patrie s'évanouit. Ainsi ,
monsieur , pleurcms la nôtre; elle a péri, et son si-
fntÛMve qui reste encore ne sert plus qu'à la dés-
hôûdrer.
Je me mets , moûsieur , à votre place , et je com-
prends combien le spectacle que vous avez sous
tes yeujt doit vous déchirer le cœur. Sans contre-
dit on soufire moins loin de son pays que de le
voir dans un état si déplorable ; mais les affectiops ,
quand la patf ie n'est plus , se resserrent autour de
la famille, et un bon père se console avec ses én-
Êmts de ne plus vivre avec ses frères. Cela me fait
comprendre que des intérêts si chers , malgré les
objets qui nous affligent , ne vous permettront pas
de vous dépayser. Cependant , s'il arrivait que par
voyage ou par déplacement vous vous éloignassiez
de Genève , il mie serait très-doux de vous embras-
ser ; car, bien que noos n'ayons phis de commune
patrie , j'augure des sentiments qui nous animent
que nous ne cesserons point d'être concitoyens ;
et' les Kens de l'estime et de l'amitié demeurent
toujours quand même on a rompu tous les autres.
Je vôtts salue , monsieur , de tout mon ijoeur.
ANNÉE 1764. I l5
LETTRE CDLV.
A M. L'ABBÉ DE***.
Modersy le 4 mars 1764.
J'ai parcouru, monsieur, I9 longue lettre où vous
m'exposez vos sentiments sur la nature de l'ame et
sur l'existence de Dieu. Quoique j'eusse résolu de
a« plus rien lire sur ces matières , j'ai cru vous
devoir ude- exception pour la peine que vous avez
prise , et dont il ne m'est pas aisé de démêler le
but. Si c'est d'établir entre nous nn conomerce de
dispute ,Je ne saurais en cela vous complaire ; car
je ne dispute jamais , persuadé que chaque homme
a sa manière de raisonner qui lui est propre en
quelque chose , et qui n'est bonne en tout à nul
autre que lui. Si c'est de me guérir des erreurs où
vous me jugez être , je vous remercie de vos bonnes
intantions ; mais je n'en puis £ûre aucun usage ,
^éait pris depuis long - temps mon parti sur ces
dJÎMes-là. Ainsi , monsieur, votre zèle philosophique
est à pure perte avec moi , et je ne serai pas plus
votre proséljrte que votre missionnaire. Je ne con-
damne point vos façons de penser ; mais daignez
me laisser les miennes, car je vous déclare que je
n'en veux pas changer.
Je vous dois encore des remerciements du soin
que vous prenez dans la même lettre de m'ôter l'in-
quiétude que m'avaient données les premières sur
o.
I l6 CORRESPONDANCE.
les principes de la haute vertu dont vous faites
profession. Sitôt que ces principes vous paraissent
solides, le devoir qui en dérive doit avoir pour vous
la même force que s'ils l'étaient en effet: ainsi mes
doutes sur leur solidité n'ont rien d'offensant pour
vous; mais je vous avoue que, quant à moi, de
tels principes me paraîtraient frivoles ; et sitôt que
je n'en admettrais pas d'autres, je sei^s que dans
le secret de mon -cœur ceux-là me mettraient fort
à l'aise sur les vertus pénibles qu'ils paraîtraient
m'imposer: tant il est vrai que les mêmes raisons
ont rarement la même prise en diverse^ têtes , et
qu'il ne £siut jamais disputer de rien!
D'abord l'amour de l'ordre, en tant que cet ordre
est étrajoiger à moi , n'est poipt un sentiçaent qui
puisse balancer en moi celui de mon intérêt pro-
pre ; une vue purement spéculative ne saurait dans
le cœur humain l'emporter sur les passions ; ce se-
rait à ce qui est moi préférer ce qui m'est étranger :
ce sentiment n'est pas dans la nature. Quant à l'a-
mour de Tordre dont je fais partie, il ordonne tout
par rapport à moi, et comme alors je suis sçul le
centre de cet ordre , il serait absurde et contradic-
toire qu'il ne me fît pas rapporter toutes choses
à mon bien particulier. Or la vertu suppose un
combat contre nous-mêmes, et c'est la difficulté
de la victoire qui en fait le mérite; mais, dans la
supposition , pourquoi ce combat ? Toute raison ,
tout motif y manque. Ainsi point de vertu possible
par le seul amour de l'ordre-
Le sentiment intérieur est un motif très-puissant
ANNÉE 1764. I 17
sans doute ; mais les passions et l'orgueil l'altèrent
et TétouffeD^t de bonne heure dans presque tous les
cœurs. De tous les sentiments que nous donne une
conscience droite , les deux plus forts et les seuls
fondem^ts de tous les autres sont celui de la dis-
pesis^on d'une providendb et celui de l'immorta-
lité de l'ame: quand ces deux-l^sont détruits, je
ne vois plus ce qui peut rester. Tant que le senti-
ment intérieur me dirait quelque chose , il me dé-
fendrait, si j'avais le malheur d'être sceptique , d'a-
larmer ma propre mère des doutes que je pourrais
avoir.
L'amour de soi-même est le plus puissant, et,
selon moi , le seul motif qui fasse agir les hommes.
Mais comment la vertu , prise absolument et conune
un être métaphysique , se fonde-t-elle sur cet amour-
là? c'est ce qui me passe. Le crime , dites- vous, est
contraire à celui qui le commet; cela est toujours
vrai dans mes principes, et souvent très-faux dans
les vôtres. Il faut distinguer alors les tentations, les
positions , l'espérance plus ou moins grande qu'on
a qu'il reste inconnu ou impuni. Communément le
crime a pour motif d'éviter un grand mal ou d'ac-
quérir un grand bien ; souvent il parvient à son but.
Si ce sentiment n'est pas naturel , quel sentiment .
pourra l'être? Le crime adroit jouit dans cette vie
de tous les avantages de la fortune et même de la
gloire. La justice et les scrupules ne font ici- bas
que des dupes. Otez la justice étemelle et la pro-
longation de mon être après cette vie, je ne vois
plus dans la vertu qu'une folie à qui l'on donne ui)
I f 8 GORRESPOJN^DANCE.
beau nom. Pour un matérialiste l'amour de soi-
méme n'est que l'amour de son corps. Or quand
Bégulus allait /pour tenir sa foi, mourir dans les
tourments à Carthage, je ne vois point ce que l'a-
mour de son corps faisait à cela.
Une considération pltis forte encore confirftie les
précédentes ; c'esj que, dans votre système , le mot
même de v^rtu ne peut avoir aucun sens ; c'est un
son qui bat l'oreille, et rien de plus. Car enfin, se-
loB vous , tout est nécessaire : où tout est néces-
aair^^ il n'y a point de liberté; sans liberté, «-point
de moralité dans les actions; sans la moralité des
cotions, où est la vertu? Pour moi, je ne le vois
pés. £n parlant du sentiment intérieur je devais
mettre au premier rang celui du libre arbitre ; mais
il >u£Git de l'y renvoyer d'ici.
Ces raisons vous parai tront^très-faiibles ; je n'en
doute pas ; mais elles me paraissent fortes à moi ;
^1: cela suffît pour vous prouver que , si par hasard
je devenais votre disciple, vos leçons n'auraient
&it de moi qu'un fripon. Or un bomme vertueux
comme vous ne voudrait pas consacrer ses peines
à mettre im fripon de plus dans lé ihonde, car je
crpis qu'il y a bien autant de ces gens-là que d'hy-
pi^crites , et qu'il n'est pas plus à propos de les y
multiplier.
Au reste je dois avcnier que ma morale est bien
moins sublime que la vôtre , et je sens que ce sera
beaucoup même si elle me sauve de votre mépris.
Je . ne puis disconvenir que vos imputations d'hy*
pocrisie ne portent un peu sur moi. Il est très-vrai
ANNJÉfi 1764* 1 19
q^e s«ui^ étr^ ^n tout du.seotimeQt d^ mt% irèr^,
et saa^ déguiser le mieo d^to^ L'occ^on , j« WLàCr
cpiimK>de trè^biea du leur : d'accord avec em SMC
le3 principe de 1103 devpirs , je ne dispute point,
sur le reste , qui me paraît très-peu important. £a
attendant que nous sachions certainement qui d^
nous a raisQB , tant qu'ils me souffriront dans leur
communio9 je continuerai d'y vivre avec im véri-
table attachement. I«a vérité pour nous est couvertiii
d'un voile , mais la paix et l'union sont des bien$
certains.
II résulte de toutes ces réflexions que nos façons
de penser sont trop di£férentes pour que nous puis-
sions nous entendre , . et que par conséquent un
plus long commerce entre nous ne peut qu'être
sans fruit. Le temps est si court et nous en avons
besoin pour tant de choses , qu'il ne Êiut pas l'em-
ployer inutilement. Je vous souhaite , monsieur, un
bonheur solide , la paix de Tame , qu'il me semble
que vous n'avez pas 9 et je vous s^lu^ de tput mon
çowr.
f
LETTRE CI>LVI.
A MADAME LATQUIl.
A Motiersy le lo inar« 1764*
Quelque mécontente que vous soyez de wn^
obère Marianne , vous ne sauriez l'être plui^ que je
le suis inoi-men^e. Mais des regrel^si stériles ne me
laO CORRESPOND ANCI::.
rendront pas meilleur ; mes plis sont pris , et je sens
avec douleur qu'à mon âge et dans mon état on ne
il corrige plus de rien. J'aurais désiré, tel que je
suis, que vous ne m'eussiez pas tout -à -fait aban-
donné. Cependant, si vous ne me jugez plus digne
de vos lettres ni de votre souvenir, j'en aurai de
kl douleur , mais je n'en murmurerai pas. Quant à
moi , je ne vous oublierai de ma vie ; et, dusssiez-
vous ne plus me répëndre , je vous écrirai toujours
quelquefois, mais sans gène et sans règle, car je
n'en puis mettre à rien.
t.ETTRE CDLVII.
À* M. LE PRINCE L. E. DE WIRTEMBÊRG.
^ iiniarti764.
Qui , moi , des contes ? à mon âge et dans mon
état? Non , prince , je ne suis plus dans l'enfance ,
ou, plutôt je n'y suis pas encore, et malheureuse-
ment je ne suis pas si gai dans mes maux que
Scarron l'était dans les siei^s. Je dépéris tous les
jours; j'ai des comptes à rendre, et point de contes
à faire. Ceci m'a bien l'air d'un bruit préliminaire
répandu par quelqu'un qui veut m'honorer d'une
gentillesse de sa façon. Divers auteurs , non con-
tents d'attaquer mes sottises, se sont mis à m'im-
puter les leurs. Paris est inondé d'ouvrages qui
portent mon nom , et dont on a soin de faire des
▲ N9KB 1764* Itll
chefs-d'œuvre de bêtise , sans doute afin de mieilx
tromper les lecteurs. Vous n'imagineriez jamais
quels coups d^tourirés on porte à ma réputatioi^,
à mes moeurs^ à mes principes. En voici un qui
vous fera jtiger des autres.
Tous les amîs de M. de Voltaire répandent à Paris
qu'il s'intére^e tendrement-à mon sort (et il est
vrai qu'il s'y intéresse). Ils font entendre qu'il est
avec moi dans la plus intime fiaison. Sur ce bruit,
une femme qui ne me connaît point me demande
par écrit quelques éclaircissements sur la religionV
et envoie sa lettre à M. de Voltaire , le priant de
me la faife passer. M. de Voltaire garde la lettré
qui m'est adressée , et renvoie à cette dame, comme
en réponse, le Sermon des cinquante. Sufprise d'un
pareil envoi de ma part , cette femme m'écrit par
une autre voie; et voilà comment j 'apprends ce qui
s'est passé *.
Vous êtes surpris que ma Lettre sur la Provi-
dence n'ait pas empêché Candide de naître ? C'est
elle , au contraire , qui lui a donné naissance ; Can-
dide en est la réponse. L'auteur m'en fit une de
deux pages , dans laquelle il battait la campagne ,
et Candide parut dix mois après. Je voulais philo-
sopher avec lui; en réponse il m'a persiflé. Je lui
ai écrit une fois que je le haïssais , et je lui en ai
dit les raisons. Il ne m'a pas écrit la même chose ,
mais il me l'a vivement fait sentir. Je me venge en
profitant des excellentes leçons qui sont dans ses
* Voyez ci-deyant la lettre CDxxxYm à madame de B , décem*
bre 1763.
l2tÀ CORRESPOjyDANÇE.
ouviiage^, et je le fprce à continuer de me faire du
hwh malgré lui.
Tardon, prince : voilà trop 4^ jérémiades ; mais
C'est un peu votre faute si jie prends tont de plai^r
à m'épancher avec vous. Que fait madsime la pfin-
ce^se? Daignez me parler quelquefois de son état.
Quand aurous-nous cç précieux enfant de l'amour
qui ^ra l'élève de la vertu ? Que ne âeviendra-t^jl
f^ûnt sous de tels auspices ? De quelles fleurs char-
mantes , de qu^ls fruits délicieux ne couronnera-t-il
pointées liens de ses dignes parents? Mais cepen-
diiit quels nouveaux SQJins vous sont imposés! Vos
travau:i( vont redoubler ; y pourrez -voi» suffire?
aurez -vous- la force de per^vérer jusqu'à la fin?
Pardon, nioiisieùr le duc;' vos sentiments connus
ine sont garants dd vos succès. Aussi mon inquié-
tv4e né vient-elle pas de^défiance , n^ai^ du vif in-
térêt que j'y prends.
LETTRE CDLVm.
A MADAME DE LUZE.
llotiffra, le 17 maurA 1764.
U est dit , mad^ine , que j'aur^ toujours bespjn dç
vQtre indulgence , moi qui voudrais mériter toutes
vo^ boutés. $i je pouvais changer une réponse en
vi^te , vous n'wrie? pas k vousî plaindre dç mon
inexactitude, et vous me trouveriez peut-être aussi
importun qu'à présent vous me trouvez négligent.
▲ ICNÉ£ 1764. 1U3
Quand viendra ce temps précieux où je pourrai
aller au Biez réparer mes' fautes, où du moins en
implorer le pardon? Ce ne sera point, madame,
pour voir ma mince figure que je ferai ce voyage ;
j'aurai un motif d'empressement plus satisfaisant
et plus raisonnable. Mais permettez -moi de me
plaindre de ce qu'ayant bien voulu loger ma res-
semblance , Vous n'avez pas voulu me faire la faveur
tout entière en permettant qu'elle vous vint de
m<2i* Vous savez que c'est une vanité qui n'est pas
permise d'oser offrir son portrait; mais vous avez
craint peut-être que ce me fut une trop grande ù^
veur de le demander ; votre but était d'avoir use
image, et non d'<ennorgueillir l'original. Aussi pour
me croire chez vous il faut que j'y sois en pw-
sonne , et il faut tout l'accueil obligeant que vous
daignez m'y faire pour ne pas me rendre jaloux c|e
moi.
Permettez, madame, que je remercie ici madame
de Faugnes de l'honneur de son souvenir, et qiie
je l'assure de mon respect. Daignez agréer pour
vous la même assurance , et présenter mes salu|^
tions à M. de Luze. A^
1^4 CORRESPONDANCE.
LETTRE CDLIX.
A MILORD MARÉC*AL.
33 mars i764>
s
Enfin , Milord, j'ai reçu dans son temps, par
M. Rougemont , votré lettre dû a février , et c'est
de toutes les réponses dont vcKis me parlez la seule
qui me soit parvenue. J'y vois, par votre dégoût
de l'Écossie , par l'incertitude du choix de votre de-
meure , qu'une partie de nos châteaux en Espagne
est déjà détruite , et je fcrains bien que le progrès de
mon dépérissement, qui rend chaque jour mon
déplacement plus difficile , n'achève de renverser
l'autre. Que le cœur de l'homme est inquiet !
Quand j'étais près de vous, je soupirais, pour y
être plus à mon aise , après le séjour de l'Ecosse ;
et maintenant je donnerais tout au monde pour
vous voir eqcore ici gouverneur de Neuchâtel. Mes
▼ceux sont divers, mais leur objet est toujours le
]méme. Revenez à Colombier, Milord , cultiver
Vtrtre jardin, et faire du bien à des ingrats , même
malgré eux ; peut-on terminer plus dignement sa
carrière ? Cette exhortation de ma part est inté-
ressée, j'en conviens; mais, si elle offensait votre
gloire, le [cœur de votre enfant ne se. la permet-
trait jamais.
J'ai beau vouloir me flatter , je vois, Milord ,
qu'il faut renoncer à vivre auprès de vous ; et mal-
heureusement je n'en perdrai pas si facilement le
ANNEE I7G4. ia5
besoin que l'espoir: I^ circonstance où vous m'a-
vez accueilli m^a fait une impression que le&jours
passés avec vous ont rendue inef&çable : ..il me
semble que je n^puis plus être libre que sous voi
yeux, ni valoir mon prix que dans votre estiipe.
^imagination du moins me rapprocherait, si je
pouvais vous donner les bons moments qui me
restent : mais vous m'avez refusé des mémoires
sur votre illustre frère. Vous avez eu peur que je
ne fissfe le bel esprit , et que je ne gâtasse la su-
blime simplicité dix probus vixitjfortis obiit. Ah,
Milord! fiez-vous à mon cœur ; il 'saura trouver un
ton qui doit plaire au v^tre pour parler.de ce qui
vous appartiient. Oui , je donnerais tout au monde
{)Our que vous voulussiez me fournir • des mati-
ri^ujL pour m'occuper de vous y de votre famille,
pour 'pouvoir transmettre à là postérité quelque
témoignage de mon attachement pour vous et de
vos bontés pour moi. Si vous avez la complaisance
de m'ent^oyer quelques mémoires , soyez persuadé
que votro^confiapce ne sera point trompée; d'ail-
leUrs vous serez le juge de mon travail: et 'comme
je n'ai d'autre objet que de satisfaire un besoin
qui me tourmente , si j'y parviens j'aurai fait ce
que j'ai voulu. Vous déciderez du reste, et rien
ne sera publié que de votre aveu. Pensez à cela,
Milord, je vous conjure, et croyez que vous n'au-
rez pas peu fait pi^ur le bonheur de ma vie , si
vous me mettez à portée d'en consacrer le reste à
m'occuper de vous *.
* Celui dont Rousseau désirait écrire la vie était le firère cadet de
llàÔ OORKESPONBAITGE.
Je suis touch^dexè que vous avez écrit à M. le
eonsdkHer l^^g^aacmtl au sujet dç mon testament.
Je ^ollil||>te ^^i te meiremets un peu , l'aller voir cet
Aé à ^iint^A.iU)m p^ur éh, conférer avec lui. Je me
détourneïai'poul* passer à Colombier : j'y reverrai
du moins fie jar dîn , ces allées , ces bords du lac où,
se ^nt faites de si douces promenades et où vous
devriez ve»îr les ^recommencer , pour réparer du
moins , dans un qlimat qui votts était salutaire , l'al-
tération que celui d'Edimbourg a faite à votre santé.
:% Vous me promettez, Milord, de me donner de
vos nouvelles et de m'instniire de vo^ directions
itiiiéraires : ne l'oubliez g^s ,^*e vous en supplie.
Ad été cruellement tourmenté de ce loBg silence. Je
ne eraignais pas cfite vous nrèussiez oublié , mais je
craignais pour vous la rigueur de l'hiver. L'étéje
craindrai la mer, Ihs Fatigifes, les déplacements,
et de ne savoir plus où vous écrire.
Milord Maréchal , Jacques Keit, général célèbre qui, après avoir
glôTÎéasement comlMtttu pour la Russie dans ses guerres contre les
Tarot et les Sqiédoîiy passa au service du grand Fré^^c, qui fid-
sait le plus grand cas de ses talents militaires et de ses hautes qua-
lités. 11 se distingua surtout dans la guerre de sept ans , et périt au
éhamp d'honnear en 17^$. heprohus vixity fortis ohitt, est la ré^
pense que fit Milord Ifaréchal lui-même à Formey, qui lui témoi-
gnait le désir de fidre Pâoge de son frère. — H est à regretter qu'il
ii*ait pas donné suite à Toffire que lui fait Rousseau dans cette
lettre , et sur laquelle nous verrons celui-ci revenir encore plusieurs
Ibis.
\IfIfÉE 1764. 1^7
»-^^^/%^^^%<
•
LETTRE CDLX
A MADAME ROGUIN,
niEe bouquet.
A MotierSy.le 3i mars 1764.
Assurément, loadame, vo^s serez une bonne
mère , et avec le zèle que vou» me marquez pour ^
les devoirs attachés à ce lien , c'eût été grand dom-
mage que M. Roguin ne vous enV pas nûse dans
l'état de les remplir. Vous vous inquiétez déjà de
voWt epfant , du temps où vous pourrez commen-
cer à le baigner dans l'eau (roidé ^ de la fbanière de
parvenir graduellement à lui couvrir la tête , et il
n'est pas encore né. C'est là, madame, une sollî-
citude maternelle très-bien placée à certains égards ; *
à d'autres , un peu précoce ; mais très-louable en
tous sens et qui mérite que J'y réponde de mon
mieux.
En premier lieu , il importe fort peu que l'enfuit
soit dans un pàniet* d'osier ou dans autre chose.
Qu'il soit couché un peu mollement, un peu de
biais et souvent au grand air. S'il est en liberté,
il ne tardera pas d'acquérir la force nécessaire pour
se donner l'attitude qui lui convient. Et d'ailleurs ,
il ne sera pas toujours couché, puisqu'une aussi
bonne nourrice que vous voulez l'être daignera
bien le tenir quelquefois sur ses bras.
ia8 CORRESPONDANCE.
r
Vous désirez le baigner de très-bonne heure
dans l'eau froide. C'est très-bien fait, madame. Mon
avis est que, pour ne rien risquer, on commence
dès le jour de sa naissance. Le quart du monde
chrétien , c'est-à-dire tous les Russes et la plupart
des Grecs baptisent les enfants nouveau-nés, en
les plongeant trois fois de suite dans l'eau toute
froide et même glacée. Faites la même chose , ma-
dame, baptisez votre enfant par immersion deux
fois le jour, et n'ayez pas peur des rhumes.
. Vous songez de trop loin au temps de lui cou-
vrir la tête; mais je n'en vois pas bien la nécessité.
Cette nécessité ne viendra sûrement jamais , si c'est
un garçon. Si c'est une fille, vous pourrez y songer
lors de sa première conmiunion, et cela moins
pour pbéif à la raisOD qu'à saint Paul , qui veut que
les femmes aient la tête couverte dans l'église. A
la bonne heure donc, puisque saint Paul le veut
comme cela. Mais le reste du temps, qu'elle soit
toujours coiffée en cheveux jusqu'à l'âge de trente
ans, qu'une pareille coiffure devient indécente et
ridicule dans une femme. Comme un exemple dit
plus s^ir tout ceci que cent pages d'explication, je
joins ici, madame, l'extrait d'un mémoire où vous
pourrez voir en faits les solutions de vos difficul-
tés. Quoique les Sophies et les Émiles soient rares,
comme vous dites fort bien , il s'en élève pourtant
quelques-uns en Europe , même en Suisse , et même
à votre voisinage ; et le succès promet déjà à leurs
dignes pères et mères le prix de la tendresse qui
leur fait supporter les soins d'une éducation si pé-
nible, et du courage. qui leur fait bravef les cla*..
bauderies des sots, des gens d'église, et les rica-
ueries encore plus sottes des beaux esprits.
Si vous voulez , madame , faire par vous-même
les observations nécessaires , prenez la peine d'al-
ler près de Lausanne voir M. le prince de Wirtera-
borg. C'est sa fille unique qu'il élève de la manière
marquée dans le mémoire ; et s'il vous faut là-de^
sus de^ explications plus détaillées, vous pourrez
coMsulter l'illustre M. Tissot. Prenez ses avis , ma»
dame: c'est le meilleur que je puisse vous donner.
Agréez , je vous supJ)Ue , mes salutations et mon
respect.
LETTRE CDLXI.
aJmiilord Maréchal.
3i mars 1764.
Sur l'acquisition , Milorcl, que vous avez faite ,
et sur l'avis que vous m'en avez donné, la meil-
leure réponse que j'aie à vous faire est de vous
transcrire ici ce que j'écris sur ce sujet à la per-
sonne que je prie de donner cours à cette lettre,
eni lui parlant des acclamations de vos bons com-
patriotes.
« Tous -les plaisirs ont beau être pour les mé-
« chants, en voilà pourtant un que je leur défie
a de goûter. Il n'a rien eu de plus pressé que de
<c me «donner avis du changement de sa fortune :
R. XX. Q
i3q gorrespoptdance.
«c vous ddtinez aisément pourquoi^Félicitez-moi de
« tous in&, malheurs, madame; ils m'ont donné
« pour ami Milord Maréchal. »
Sur vo*';iQffres , qui regardent mademoiselle Le
Vasseur '€^liioi , je commencerai , Milord, par vous
dire que, loin de mettre de l'amour-propre à me
refuser. à vos dons, j'en mettrais un très-noble^ à
les recevoir. Ainsi là-dessus point de dispute ; les
preuves que vous vous intéressez à moi, de quelque
genre qu elles puissent être , sont plus propres à
m'enorgueillir qu'à m'humilier, et je ne m'y refu-
serai jamais ; soit dit une fois pour toutes.
Mais j'ai du pain quant à présent ; et , au moyen
des arrangements que je médite , j'en aurai pour
le reste de mes jours. Que tne servirait le surplus ?
Rien ne me manque, de ce que je désire, et qu'on
peut avoir avec de l'argent. Milord , il faut préfé-
rer ceux qui ont besoin à ceux qui n'ont pas be-
soin, et je suis dans ce dernier cas. D'ailleurs, je
n'aime point qu'on me parle de testaments. Je ne
voudrais pas être ^moije sachant , dans celui d'un
indifférent : jugez si je voiidrais me savoir dans le
vôtre.
Vous savez, Milord, que mademoiselle I^e Vas-
seur a uiie petite pension de mon libraire avec la-
quelle elle peut vivre quand elle ne m aura plus.
Cependant j'avoue que le bien que vous Voulez lui
£aire m'est plus précieux que s'il lùe regardait di-
rectement , et je suis extrêmement touché de ce
moyen trouvé par votre cœur de contenter la bien-
veillance dont vous m'honorez. Mais s'il se,pou-
^^.v_..
AVVÈh 1764. l3l
vait que vous lui assignassiez plutôt la rente de la
somme que la somme même , cela n/éviterait l'em-
barjras de chercher à la placer , sorte d'affaire oà
je n'entends rien.
J'espère , Milord , que vous aurez nèçft ma pré-
cédente lettre. M'accorderez -vous des mémoires?
Pourrai-je écfire l'histoire de votre maison ? Pour-
rai-je donner quelques éloges à ces bons Écossais
à qui vous êtes si cher , et quî^af là me sont chers
aussi?
LETTRE CDLXII.
Au MÊME.
ÀTril 1764.
J'ai répondu très-exactement, Milord, à chacune
de y os deux lettres du a février et du 6 mars , et j'es-
père que vous serez cQUtent de ma £|çon de pen-
ser sur les bontés dont vous m'honorez dan^ la
dernière. Je reçois à l'instant celle du 26 mars, et
jy vois que vous prenez le parti que j'ai ^ujo^rs
prévu que vous pTendrivE à la fin. En vous mena-
çant d'une descente , le roi Ta effectuée ; et , quel-
que redéutal>le qu'il soit , il vous a encore plus sû-
rement conqtiis par sa lettre * qu'il n'aurait fait par
* .Vcoei cette lettre .d'après la TersÎQp'qa'en a pnt>Iiée «FAlem^^y
dsms son éloge de Milord MarécliaL
« le disputerais bien avec les habitants d']|^diinboiir|[ l'aVantage
« de vous posséder : si fftvais des taisseam , je nédilérsds tûae dis-
9-
l3a CORRESPONDANCE.
ses armes. L'asile qu'il vous presse d'accepter est
le seul digne de vous. Allez , Milord ,. à votre des-
tination ; il vous convient de vivre auprès de Ef é-
déric comme il m'^ût cotivenu de vivre auprès de
George Keit. Il n'est ni dans J'olrdre de la justice
ni^dans celui de la fortune que mon bonheur soit
préféré au vôtre. D'ailleurs mes maux empirent et
deviennent presque insupportables : il ne me reste
qu'à souffrir et mourir sur la terre ; et en vérité
c'eut été dommage de n'aller vous joindre que
pour cela.
Voilà donc ma dernière espérance évanouie
Milord, puisque vous voilà devenu si riche et si ar-
dent à verser sur moi vos dons , il en est un que
j'ai souvent désiré , et qui malheureusement me
devient plus désirable encore lorsque je perds l'es-
poir de vous revoir. Je vous laisse expliquer cette
énigme ; le cœur d'un père est fait pour la deviner.
Il est vrai que le trajet que vous préférez vous
épargnera de 1^ fatigue ; mais si vous n'étiez pas
bien fait à la4a>fer elle pourrait vous éprouver beau-
coui> à votre âge , surtout s'il survenait du gros
temps. En ce cas le plus long trajet par terre me
paraîtrait préférable , même au risque d'un peu de
« <^Dte en Ecosse pour, eid0«^ mon cher Milord, et pour remine-
« ner,ici; maift nos barqtie^ de TElbe sont peu propres à une pa-
« reille expédition* U n'y a que tous sur qui je puisié compter. •
« J'étais ami de votre frère , je lui 'avais des obligations ; je suis le
« Vôtre de cœur et d*aiiie : voilà mes titres; voilà les droits que j'ai
« 3ur voask Vous vivrez ici*dans le sein de Tamitié , de la lib)erté et
• de la philosophie : il n'y a que cela dans H monde , mon cher
• Milord ; quand on a passé par toutes les métamorphoses des états,
« quand on a goûté de tCiut , on en revient Jà. »
AWHlÎE 1764- l33
fatigue de plus. Comme j'espère aussi que vous at-
tendrez pour vous embarquer que^ la saispn soit
moins rude , nrous voulez bien , Milord , que je
compte encore sur une de vos lettres avant votre
départ.
LETTRE CDLXIH.
A M. A.
«
Motiert-TraTerSy le 7 avril 1764.
L'état où l'étais , monsteur , au moment où votre
lettre me parvint, m'a empêché de vous en accuser
plus tôt la réception ; et de vous remercier commie
je fais aujourd'hui du plaisir que m'a fait ce témoi-
gnage de votf e souvenir. J'en suis plus touché que
surpris ; et j'ai toujours bien cru que l'amitié doM
vous m'honoriez dans mes jours pipspères ne se
refroidirait ni par mes disgrâces ni j^àr mon exil'.
De mon côté , sans avoii' avec vous des rdations
suivies^ je n'ai point cessé, monsieur, de prendre
intérêt aux changements agréables que vous avez
éprouvés depuis nos anciennes Uaisons. Je ne doute
point q^e vous ne soyez aussi bon mari et ausj(i
digne père de famille que vous étiez homme ai-
mable étant garçon, que vous ne vous appliquiez
à donner à vos enfants une éducation raisonnable
et vertueuse , et que vous ne fassiez le bonheur
d'une femme de mérite qui doit faire le vôtre.
l34 C0RR£SP01li>ANCE.
Toutes ces idées, frtiits de l'estime qui vous est
due, me rendent la vôtre plus précieuse.
Je voudrais vmis rendre compte de moi pour
répondre à l'intérêt que vous dai^ez y prendre :
mais que vous dirais -je? Je ne fus jamais bien
grand'chose; maintenant je ne suis plus rien; je
me regarde comme ne vivant déjà plus. Ma pauvre
machine délabrée me laissera jusqu'au bout , j'es-
pçre, une ame saine quant aux sentiments et à
la volonté ; mais , du côté de l'entendement et des
idées , je suis aussi malade de l'esprit que du corps.
Peut-être est-ce un avantage pour ma situation.
Mes maux me rendent mes malheurs peu sensibles.
Jje cœur se tourmente moins quand le eorps souffre,
et la nature 'me donne tant d'affaires que l'injus-^
tice des hommes ne me touche plus: Le remède
est cruel, je l'avoue ; mais enfin c'en est un pour
moi t car les plus vives douleurs me laissent tou-
jours quelque relâche , au liçu que les grandes af-
flictions ne m'en laissent point. Il est donc bon que
j^ souffre et que je dépérisse pour être moins at-
tristé; et j'aimerais mieux être Scarron malade que
Timon en santé. Mais si je suis désormais peu sen-
sible aux peines, je le suis encore aux consolaticms;
et c'en sera tot|JQ«r& une pour moi d'apprendre
que vous' vous'^p^rtez bien , que vous êtes heu-
reux , et que vous continuez de m'aimer. Je vous
S2(lue , monsieur , et vous embrasse de tout mon
cœur.
ANNÉE 1764. l35
LETTRE CDLXIV.
A M. LE PRINCE L. E. DE WIRTEMBERG.
Motiers , le 1 5 ayril 1 7 6 4>
Ne vous plaignez pas de vos disgrâces , prince.
Comme elles sont l'ouvrage de votre courage et de
vos vertus , elles sont aussi l'iilstmment de votre
gloire et<ie votre boilheur. Vaincre Frédéric eût
été beaucoup , sans doute ; mais vaincre dans son
propre cœur les préjugés et les passions qui sub-
juguent lesi^nquérants comme les autres homme«.
est plus erito^e. Et , dites la vérité , combien de ba-
tailles gagnées vous eussent donné dans l'opinion
des hommes ce que vous donne au fond de votre
cœur une heure de jouissance des plaisirs de l'a-
mour conjugal et paternel ? Quand vos succès eusr
sent fait aux hommes quelque vrai bien , ce qui'me
parait fort douteux; car qu'importe aux peuples
qui perde ou qui gagne ? vous auriez méconnu les
vrais biens pour vous-même ; et , séduit par les ac-
clamations publiques, vous n'eussiez plus mis votre
bonheur que dans les jngettttiMs d'autrui. Vous
avez appris à le trouver en^^n^Ais, à en être le
maître , et à en jouir malgré la reine et malgré les
jaloux. Vous l'avez conquis, pour ainsi dire; c'était
la meilleure conquête à faire.
La fumée de la gloire est enivrante dans mon
métier comme dans le vôtre. J'ign0re si cette fu-
l3^ CORAESPONDAiyCE.
mée m'a porté à la tête , mais elle m'a souvent fait
mal au cœur ; et il est bien difficile qu'au milieu
des triomphes un guerrier ne sente pas quelque-
fois la même atteinte.; car si les lauriers des héros
sont plus brillants , la culture en est aussi plus pé-
nible , plus dépendante, et souvent on la leur fait
payer bien cher.
La manièi^ de vivre isolé -et sans prétention que
j'ai choisie , et qui me rend à peu près nul sur la
terre , m'a mis à portée d'observer et comparer
toutes les conditions depuis les paysans jusqu'aux
grands. J'ai pu facilement écarter Tapparence ; car
j'ai été partout admis dans le conmierce et même
./lans la familiarité. Je me suis , pour ainsi dire , in-
corporé dans tous les états pour le».l)ien étudier.
•^4'ai vu leurs sentiments, leurs plaisirs, leurs dé-
sirs, leur manière interne d'être : j'ai toujours vu
que ceux qui savaient rendre leur situation , non la
plus éclatante, mais la plus indépendante, étaient
les'plus près de toute la félicité permise à l'homme;
que les sentiments libres qu'ils cultivaient, tels que
l'amour , l'amitié , étaient tout autrement délicieux
que ceux qui naissent des relations forcées que
donnent l'état et le rang ; que les affections enfin
qui tenaient aux personnes et qui étaient dVi choix
•du cœur étaient infiniment plus douces que celles
qui tenaient aux choses et que déterminait la for-
tune.
Sur ce principe il m'a semblé > dès les premières
lettres dont vous m'avez honoré , et toutes les sui-
vantes confiniient ce jugement ^ que vous aviez fait
ANNÉE 1764* J^%
le plus grand pas pour arriver au bonheur ; ^ue ,
de prince et de général, se faire père, mari 9 véri-
table homme , n'était point aller aux privations ,
mais aux jouissances ; que vos présentes occupa-
tions marquaient l'état de votre ame de la façon
la moins équivoque ; que votre respect pour le sn-
blime Klyiogg* montrait combien vous en méritiez
vous-même ; qu'enfin vous pouviez a:^oir des cha-:
grins , parce que tout homme en a ; mais que , si
quelqu'un dans le monde approchait par sa situa-
tion et par ses sentiments du vrai bonheur , ce .
devait être vous ; et que , sur la disgrâce qui vous
avait conduit à cet état .simple et désirable, vous
pouviez dire, comme Thémistocle : Nous périssions
si nous n'eussions péri. Voilà, prince, ma façon de
penser^ sur votre situation présente et passée. Si
je me trompe, ne me détrompez pas.
Une femme du pays de Vaud, qui se prétend
grosse , m'a écrit pour me dimander des conseils sur
l'éducation de son enfant. Sa lettre me paraît un
persiflage perpétuel sur mes chimériques idées.
J'ai pris la liberté de lui citer pour réponse votre
petite j^opbie et l^manière dont vous avez le cou-
rage de l'élever. J'espère n'avoir point commis> en
cela d^discrétion ** ; si je l'avais fait , je vous prie-
rais de me le dire afin que je fusse plus retenu
une autre fois.
Si vous approuviez que nos lettres finissent dé^
* Voyez ci-aprèi la lettre à M. Hirael, du 1 1 novembre 1764, et
la note qui s'y rapporte. /
** Il parle sans doute de la lettre à madame It^guin, du 3 1 mars.
Voyez ci-deyant lettre cDuc •
t38 CORRESPONDANCE.
sormaissans formule et sans signature y il me semble
que cela serait plus commode. Quand les senti-
ments sont connus 9 quëuid l'écriture est connue,
il ne reste à prendre sur cet article que des soins
qui me semblent superflus : en attendant que
Votre exemple m'autorise avec vous à cet usage ,
agréez , M. le duc , je vous supplie, les assurances
de mon profond respect.
LETTRE ÇDLXV.
A M. LE MARÉCHAL DE LUXEMBOURGr
.MotierSy le si ayril 1764*
Je suis alarmé, monsieur le maréchal, d'ap-
prendre à l'instant que vous n'êtes pasTallé ce prin-
temps à Montmorency. Je crains que la suite d'une
indisposition, qu'on m^vait décrite comme légère,
et dont je vous croyais rétabli , n'ait mis obstacle
à ce voyage. Permettez que je vous supplie de me
foire écrii-e un mot sur votre état présent. Je sais
qu'il fondrait toujours savoir se retirer avant que
d'être importun, et qu'on y est obligé, du moins
quand on sent qu'on Test devenu. Mais, monsieur
le maréchal , comme les sentiments que vous dai-
gnâtes cultiver ne peuvent sortir de mon cœur, je
ne puis perdre non plus les inquiétudes qui en sont
inséparables. Je serai discret désormais sur tout
autre article; mais je ne puis me résoudre à l'être,
quand je suis en peine de votre santé.
LETTRE CDLXVI.
A M. D'IVERNOIS.
MotlerSy le ai ayril 1764-
Je me réjouis, monsieur, de vous savoir heu-
reusement de retour de votre voyage ; et je me ré-
jouirais bien aussi de celui que vous avez la bopté
de me proposer, si j'étais en état de l'accepter;
mais c'est à quoi ma situation présente ne me per-
met pas de penser. D'ailleurs je vous avouerai fran-^
chement qu'il entre dans mes arrangements de ne
dépendre que de ma volonté dans mes courses,
de fi'ea Mre par conséquent qii*avec gens qui n'ont
point d'affaire , et qui n'ont une voiture ni devant
ni derrière eux. Mais si je ne puis, monsieur, avoir
le plaisir de vous suivre , j'attends du moins avec
empressement celui dei vous embrasser ; ce serait
un bien de plus dans ma vie d'en pouvoir jouir
plus souvent.
Oserai&je vous charger d'une petite commission ?
M. Deluc l'aîné a eu la bonté de m'epvoyer un ba-
ril de miel de Chamouni , comme je Ten avais prié.
Je lui ai écrit là-dessus sans recevoir de réponse.
Vous m'obligeriee beaucoup, monsieur, ii vous
vouliez bien solder avec lui cette petite a£kire, ea
y ajoutant quelques affranchissements de lettres
que je lui dois aussi , et je vous rembourserais ici
le tout à votre passage. Je voua conoais trop obli- *
l4o CORRÈSPOICDANCE.
géant pour croire avoir là-dessus d'excuse à vous
faire. Recevez les remerciements et respects de
mademoiselle Le'Yàsseur, et faites^, je vous sup-
plie , agréer les miens à madame dlvernois. Je vous
salue , monsieur , de tout mon cœur.
«>«>^>%^>*.%^»'^%>*^%^l««/%r^V«^%^
LETTRE CDLXVII,
A MADAME LATOUR.
AModers, le a 8 avril 1764.
I
. Tant que ma situation ne changera pas, j'au-
rai, chère Marianne, avec le chagrin de ne pou-
voir vous écrire que des lettres rares et .courtes ,
celui de sentir que Vous imputez toujours en vdus-
méme mon malheur à mauvaise volonté; car je
sais qu'il n'est pas dans le cœur humain de se
mettre à la place des autres dans les choses qu'on
exige d'etii. Au reste , un article de vos lettres ,
auquel je ne répondrais pas quand j'aurais le temps
et là santé qui me manquent , est celui des louanges.
Le silence est la seule bonne réponse que je sache
foire à cet artjcle-là. ,
Les pièces *de mes écrits que vous avez in-12,
et que vous me demandez in-8<>, ont, pour la plu-
part, été imprimées, dans ce dernier format, chez
Bissot, quai de Conti , à la descente du Pont-Neuf;
le Discours sur V économie politique a aussi été im-
primé in-S*' à Genève , chez Duvillard. Je n'ai au-
cune de ces pièces détachées de l'unique exem-
ANNÉE 1764* l^l
plaire que je me suis réservé de mes écrits , et je
n'ai plus aucune relation avec les libraires qui les
ont imprimées. Cej)endant, i^^ vous mettez pas en
quête de ces pièces de six semaines d'ici; car j'es-
père, avant ce terme, pouvoir vous les procurer
toutes d'une bonne édition, et cela sans embarras.
Voilà, chère Marianne, ce que j'ai quant à pré-
sent à vous répondre , sur Jes éclaircissements que
vous m'avez demandés^ J'attends maintenant la
question que vous avez à me faire ; j'espère qu'elle
n'a nul traijtà mon sincère attachement pour vous;
car, quelcpie mécontepte ^que vous soyez de ma
correspondance , je ne. vous pardonnerais pas de
rien mettre en doute qui • pût se. rapporter à cet
objet-là.
^^/m^^)%^^^/^^%^tmf%i^/m/%.^/%^i^/%f^^u^>^^^>/%^/%''%^%/^^^^^^%
LETTRE CDLXyiII.
#
A M. GUY.
A Motiërt, le 6 mai 1764'
Puisque vous voulez bien que je dispose de quel-
ques exemplaires du Recueil que vous vçnoz dâ
faire imprimer, je vous prie de vouloir bien en
faire porter un in-8° broché , chez madame deL. T. y
rue de 'Richelieu ^ entre la rue Neuve-St.^ Augustin et
les écuries de madame la duchei^ d'Orléans ; et , si
elie veut le payer , de défendre à celui qui le por-
tera de recevoir l'argent.
l4^ CORRESPONDANCE.
LETTRE CDLXIX.
A MADEMOISELLE D. M.
Le 7 mai 1764.
Je ne prends jpas le change , Henriette , sur l'ob-
jet de votre lettre , non plus que sur votre date
dé Paris *. Vous reoberches moins mon avis sur le
parti que vous avez à prendre que mon approbation
pour celui que vous BYf^ pris. Sur chacune de vos
lignes je vois ces mots écrits en gros caractères :
Foyons si vous aurez le front dé condamner a ne
plus penser ni lire quelqiCun qui pense et écrit ainsi.
Cette interprétation n'est assurément pas un re-
proche, et je ne puis que -vous savoir gré de me
mettre au nombre de ceux dont les jugements vous
importent. Mais en me flattant vous n'exigez pas , je
crois , que je vous flatte; et vous déguiser mon sen-
timent , quand il y va du bonheur de YOtrç vie , serait
mal répondre à l'honneur que vous m'avez fait.
Commençons par écarter les délibérations inu-
tiles. Il ne A'agit plus de ^ous réduire à coudre et
broder JEIenrîette y on ne quitte pas sa tête comme
* Il pensait que la lettre à laquelle il répondait, quoique datée
de Paris, était réallement écrite de Neuohàtel, et il l'atbribuait k
une dame qui alors habitait cette ville, et qu'il savait être une #a-
vante et un bel esprit en tUte; et c'est dans cette idée que sa réponse
est conçue. U reconnaît 9a méprise dans la lettre qu'on verra ci-
après à la date du 4 novembre même année, adressée à la méçie
demoiselle D. M. , véritable auteur de celle à laquelle celle-ci sert de
réponse.
ANNÉE 1764. 143
on bonnet^ et Ton ne revient pas plus-à la simpli-
cité qu'à l'enfance; l'esprit une fois en efferves-
cence y reste toujours, et quiconque a pensé pen-
sera toute sa vie. C'est là le plus grand malheur
de Tétat de- réflexion : plus on en sent les maux ,
plus on les augmente ; et tous nos efforts pour en
sortir ne font que nous y embourber plus profon-
dément.
Ne parlons donc pas de changer d*état , mais du
parti que vous pouvez tirer du vôtre. Cet état est
malheureux ,^1 doit toujours l'être. Vos maux sont
grands et sans remède; vous les sentez, vous eu
gémissez ; et , pour les rendre supportables , vous,
cherchez du moins un palliatif. N'est-ce pas là Tob-
jet que vous vous proposez dans vos plans d'é-
tudes et d'occupations?
Vos moyens peuvent être bons dans une autre
vue , mais c'est votre fin qui vous trompe , parce
que ne voyant pas la véritable source de vos maux,
vous en cherchez l'adoucissement dans la cai]^
qui les fit naître Vous les cherchez dans votre si-
tuation , tandis qu'ils sont votre ouvrage. Combien
de personnea.de mérité nées dans le bien-être , et
tombées dans l'indigence, l'ont supportée avec
moins de succès et d^ bonheur que vous , et tou-
tefois n'ont j)as ces réveil tristes et cruels dont
vous décrivez l'horreur a.yec tant d'énergie ? Pour-
quoi cela ? Sans, doute elles n^aùront pas , direz-
vous , une ame aussi sensible. Je n'ai mi personae
en ma vie qui n'en dît autant. Mais qu'est-ce en-
fin que cette senâbilité si vantée? Voulez-vous le
l44 CORRESPONDANCE.
savoir, Henriette? c'est en dernière analyse un
amour-propre qui se compare. J'ai mis le doigt
sur le siège du mal. '^
Toutes vos misères viennent et viendront de
vous être affichée. Par cette manière de chercher
le bonheur il est impossible qu'on le trouve. On
n'obtient jamais dans l'opinion des autres la place
qu'on y prétend. S'ils nous l'accordent à quelques
.égards y ils nous la ref«seàt à mille autres, et une
seule exclusion tourmente plus que ne flattent
cent préférences. C'est bien pis encore dans une
femme qui, voulant se faire homme, met d'abord
tout son sexe contre elle, et n'est jamais prise au
mot par lé nôtre; en sorte que son orgueil est
souvent aussi mortifié par les honneurs qu'on lui
rend que par ceux qu'on lui refuse. Elle n'a jamais
précisément ce qu'elle ^eut, parce qu'elle veut des
choses contradictoires ; et qu'usurpant les droits
d'un sexe sans ^vouloir renoncer à ceux de l'autre,
eliis n'en possède aucun pleinement.
Mais le grand malheur d'une fétnmè qui s'affiche
est-de n'attirer, ne voir que des gens qui font
comme elle, et d*écarter le mérite solide et mo-
deste , qui ne s's^che point, et qui ne court point
où s'assemble la foule. Personne ne jilge si mal et
si faussement des hommes que les gens à préten-
tions; car ils ne les jugent que d'après eux-mêmes
et ce qui leur ressemble ; et ce n'est certainement
pas voir le genre humain par son beau côté. Vous
êtes mécontente de toutes vos sociétés : je le
crois bien; celles où vous avez vécu étaient les
ANNÉE 1764. 145
moins propres à vous rendre heureuse ; vous n*y
trouviez personne en qui vous pussiez prendre
cette confiance qui soulage. Comment l'auriez-vous
trouvée parmi des gens tout occupés d'éttx séffb ,
à qui vous demandiez dans leur coeur la première
place, et qui n'en ont pas même une seconde à
donner? Vous vouliez briller, vous vouliez pri*-
mer; et ^roiisr vouliez être aimée: Cj^^ont des choses
incompatibles. Il faut opter. Il n y a point d'amitié
sans égalité, et il n'y a jamais d'égalité reconnue
entre gens à prétentions. Il ne suffît pas d'avoir
besoin d'un eaià pour en trouver, il faut encore
avoir de quoi fournir aux besoins d'un autre.
Parmi les provisions que vous avez faites , vous
avez oublié celle-là.
La marche par laquelle vous avez acquis des
connaissances n'en justifie ni l'objet ni l'usage.
Vous' avez voulu paraître philosophe ; c'était re-
noncer à rétre ; et il valait beaucoup mieux avoir
Fair d'une fille qui attend un mari, que d'im
çage-qui attend de l'encens. Loin de trouver le
bonheur dans «l'effet des soins que vous n'avez
donnés qu'à la seule apparence, vous n'y avez
trouvé que des biens apparents et des maux vé-
ritables. L'état de réflexion où vous vous êtes je-
t^e vous a fait faire incessamment des retours dou- ^
louf'eux sur vous-même; et vous voulez pourtant
bannir ces idées par le même genre d'occupation
qui vous les donna.
Vous voyez Terreur de la route que vous avez
prise, et, croyant en changer par votre projet,
R. XX. 10
;l46 CORRESPONDANCE.
VOUS allez encore au même but par un détour. Ce
n'est point pour vous que vous voulez revenir à
l'étude , c'est encore pour les autres. Vous voulez
£jûre des provisions de connaissances, pour sup-
pléer dans un -autre âge à la figure : vous voulez
substituer l'empire du savoir à celui des charmes.
Vous ne voulez pas devenir la complaisante
d'une autre fenmie, mai^ vous voulez avoir des
complaisants. Vous voulez avoir des amis, c'est-à-
' dire une cour : car les amis d'une femme jeune
ou vieille sont toujours ses courtisans; ils la ser-
vent ou la quittent, et vous prenez de loin des
làesures pour les retenir, afin d'être toujours le
centre d'une sphère, petite ou grande. Je crois
sans cela que les provisions que vous voulez foire
seraient la chose la plus inutile pour l'objet que
vous croyez bonnement vous proposer. Vous vou-
driez, dites-vous, vous mettre en état d'entendre
les autres. Ave;z-vous besoin d'un nouvel acquis
rpour cela? Je ne sais pas au vrai quelle opinion
vous avez de votre intelligence actuelle ; .mais ,
dussiez-vous avoir pour amis .des Œdipes , j'ai
^peiiie à croire que vous soyez fort curieuse de ja-
mais entendre les gens que vous ne pouvez en-
tendre aujourd'hui. Pourquoi donc tant de soins
pour obtenir ce que vous avez déjà? Non,. Hen-
riette , ce n'est pas cela ; mais , quand vous serez
wçke sibylle, vous voulez prononcer des oracles;
votre vrai projet n'est pas tant d'écouter les au-
tres que d'avoir vous-même des auditeurs. Sous
prétexte de travailler pour l'indépendance , vous
ANNÉE 1764. 147
travaillez encore pour la domination. C'est ainsi
que , loin d'alléger le poids de l'opinion qui vous
rend malheureuse^ vous voulez en aggraver le
joug. Ce n'est pas le moyen de vous procurer des
réveils plus sereins.
Vous croyez (jue le seul soulagement du senti-*
meat^pénible qui vous tbiirmentè est de vous éloi-
girçr de ▼otis. Moi/ tchif aii contraire , je crois que
c'est de' vous* en rapprocher.
Toute vofreiettre est pleine de preuves que
jusquHa Tunique but de toute votre conduite a
été'àv vous metfré avantageusement sous les
yeux d'autruii' Comment , ayant réussi dans le pu-
blic autant que personne , et en rapportant si peu
de sati^action intérieure ,' n'avez- vous pas senti
que ce n'était pas là le bonheur qu'il vous fallait,
et qu'il était temps de changer de plan ? Le vôtre
peut être bon .pour la gloire, mais il -est mauvais
pour la félicité. Il ne faut point chercher à s'éloi-
gner de soi , parce qtie cela n'est pas possible , et
qtier tout dous y ramène malgré que nous en ayons.
Vous-cojQvenez d'avoir passé des heures très-dou-
ces rfin m'écriyant et me parlaQt de vous. Il est
étonnant que «cette expérience ne vous mette pas
sur là voie , et ne vous apprenne pas où vous de-
ve2( chercher , sinon le bonheur, au moins la paix.
Cependant , quôique.mes idées en ceci diffèrent
beaucoup des vôtres , nous sommes à peu près
d'accord -sur ce que vous devez faire. L'étude est
désormais pour vous la lance d'Achille , qui doit
guérir la blessure qu'elle a faîte. Mais vous ne vous
10.
l48 CORRESPONDANCE.
lez qu'anéantir la douleur, et je voudrais oter la
cause du mal. Vous voulez vous distraire de vous
par la philosophie; moi, je voudrais qu'elle vous
détachât de tout, et vous rendît à vous-même.
Soyez sure que vous ne serez contente des autres
que quand voi^s n'aurez plus be^in d'eux , et que
la société ne peut vous devenir agréable qu'en
cessant de vous être nécessaire. N'ayant jamais, à
vous plaindre de ceux dont vous n'çxigei^z rien ,
c'est vous alors qui leui" serez nécessaire ; et , sen-
tant que vous vous suffisez à vous-m^me , ik vous
sauront gré du mérite que vous, voiriez bien naettre
en commun. Us ne croiront plus yovis faire grâce ;
ils la recevront toujours. Les agréments de la vie
vous rechercheront par cela seul que vous ne les
rechercherez pas; et c'est alors que, contente de
VOU3 sans pouvoir être mécontente des autres,
vous aurez un sommeil paisible et un réveil déli-
cieux.
Il est vrai qiie des études faites dans des vues
si contraires ne doivent pas beaucoup se ressem-
bler , et il y a bien de la différence entre la culture
qui orne l'esprit et celle qxA nourrit l'âme. Si vous
aviez le courage de goûter un projet dont l'exécu-
tion vous sera d'abord très-pénible , il faudrait
beaucoup changer vos directions. Cela demande-
rait d'y bien penser avant de se mettre à l'ouvrage.
Je suis malade, occupé, abattu, j'ai l'esprit lent;
il me faut des efforts pénibles pour sortir du po-
tjt cercle d'idées qui me sont familières , et rien
n'en est plus éloigné que votVe situat^ioq. Il n'est
L
AWBTÉE 1764. l40
pas juste que je me fatigue à pure perle ; car j*ai
peirfe à croire que vous vouliez entreprendre de
refondre , pour ainsi dire , toute votre constitution
morale. Vous ayez trop de philosophie pour ne
pas voir avec effroi cette entreprise. Je désespé-
rerais de vous , si vous vous y mettiez aisément.
N'allons donc pas plus loin quant à présent ; il
sii^t quPè votre principale question est résolue :
suivez la carrière dès lettres; il ne vous en reste
plus d'ai^tre à choisir. *
Ces lignes que je vous écris à la hâte , distrait et
souffrant , ne disent peut-être rien de ce qu'il faut
dire : mais les erreurs que ma précipitation peut
m'avoir fait faire ne sont pas irréparal>les. Ce qu'il
fallait , avant toute chose , était de vous faire sen-
tir combien vous m'intéressez ; et je crois que vous
n'en douterez pas en lisant cette lettre. Je ne vous
regardais jusqu'ici que comme une belle penseuse
qui, si elle avait reçu un caractère de la nature,
avait pris soin de l'étouffer , de l'anéantir sous l'ex-
térieur , comme un de ces chefs-d'œuvre jetés en
bronze, qu'on adi^irier par les dehors et dont le
dedans est vide. Mais si vous savez pleurer encore
sur votre état j il n'est pas sans ressource ; tant
qu'il reste au cœur un peu d'étoffe , il ne faut dé-
sespérer de rien.
i5o
CORRESPONDANCE.
LETTRE CDLXX.'
• ■ >
A MADAME DE VËRDCXIN.
Moders, le i3 mai 1764.
Quoique tout ce que vous m'écrivez , madafne ,
me soit intéressant , IVrtide le plus important de
votre dernière lettre -en mérite une tout entière,
et fera Tunique sujet de celle-ci. Je parlerdes pro-
positiona qui vous ont £sdt hâter votre retraite à la
campagne. La réponse négative que vous y avez
faite et le motif qui vous Va inspirée sont , comme
tout ce que vous faites, marqués au coin de la
sagesse et de la vertu; mais je vous avoue , mon
aimable voisine , que les jugements que vous por-
tez sur la conduite de la personne me paraissent
bien sévères ; et je ne puis vous dissimuler que ,
sachant combien sincèrement il vous était attaché ,
loin de voir dans son éloignement un signe de tié?
deur,j'y aibien plutôtvu les scrupules d'un cœur qui
croit avoir à se défier de lui-même ; et le genre de
vie qu'il choisit à sa retraite mpntre assez ce qui l'y
a déterminé. Si un amant quitté pour la dévotion
ne doit pas se croire oublié, l'indice est bien plus
fort dans les hommes; et, comme cette ressource
leur est moins ns^turelle , il faut qu'un besoin plus
puissant les force d'y recourir. Ce qui m'a confirmé
dans mon sentiment, c'est son empressement à
revenir du moment qu'il a cru pouvoir écouter
ANNÉE 1764. l5l
son penchant sans crime ; et cette démarche , dont
votre délicatesse me paraît oâensée, est à mes
yeiix une preuve de la sienne, qui doit lui mériter
toute, votre estime , de quelc[ue manière que vous
envisagiez d'aiâenrs son retour. .
Ceci , madame , ne diminue absolument rien de
la solidité de vos raisons quant à vos devoirs en*-
vers yps taifants. Ije parti que vous prenez est «ans
cpntrec^t le seul dont ils n'aient pas à se plaindre
et le plu^ digpe de vous ; mais ne gâtez pas un acte
de -vertu si grand et si pénible par un dépit dé-
ginsé, etpar un sentiment injuste envers un homme
aujssî digne de votre estime par sa conduite ^e
vous-même êtes par» la votre digne de l'estime de
tous les honnêtes gens. J'oserai dire phis : votre
motif ^ fondé sur vos devoirs de mère , est grand et
pressant, mais il peut n'être que secondaire. Vous
êtes trop jeune encore , vous ayez un cœur trop
tendre et plein d'une inclination trop ancienne
poiir n'être pas obtigée à compter avec vous-même
dans ce que vous devez sur ce point à vos enfants.
Pour bien remplir ses dfevoirs,il ne faut point s'en
imposer d'insupportables : rien de ce qui est juste
et honnête n'est illégitime ; quelque chers que vous
soient vos enfants, ce que vous leur devez sur cet
article n'est point ce que vous deviez à votre mari.
Pesez donc les choses en bonne mère , mais en per-
sonne libre. Consultez si bien votre cœur que vouS:
fassiez leur avantage , mais sans vous rendre mal-
heureuse, car vous ne leur devez pas jusque-là'.
Après cela, si vous persistez dans vos refus, je vous.
l5a CORRESPONDANCE.
en respecterai davantage ; mais si vous cédez , je ne
vous en. estimerai pas moins.
Je n'ai pu refuser à mon zèle de vous exposer mes
sentiments sur une matière si importante et dans le
moment où vous êtess à temps de délibérer. M. de***
ne m'a écrit ni fait écrire; je n'ai de ses nouvelles
ni directement ni indirectement ; et quoique nos
anciennes liaisons m'aient laissé de l'attachement
pour lui, je n'ai eu nul égard à son intérêt dans ce
que je viens de vous çUre. Mais moi que vous lais-
sâtes lire ^ans vptre cgeur , et qui en vis si bien la
tendresse et l'honnêteté ; moi qui quelquefois vis
couler vos larmes, je n'ai point oùblié-l'impression
qu'elles m'ont faite 9 et jçt ne s«is pas sans crainte
sur celles qu'elles ont pu vous laisser. Mériteraisrje
l'amitié dont vous m'honorez, si je négligeais en
cç moment les devoiçs qu'elle imposç.
.«p>««/«.^
LETTRE CDLXXI.
/
A MADEMOISELLE GALLËY,
En lui eavôyant un lacet.
14 mai iy64'
Ce présent , ma bonne amie , vous fut destiné du
moment que j'eus le bien de vous connaître, et,
quoi qu'en pût dire vptre modestie, j'étais sûr qu'il
aurait dans peu son emploi. La récompense suit do
près la bonne oeuvre. Vous étiez cet hiver garde-
n^al^de , et ce printemps Dieu vous donne un mari :
ANNÉE 1764. î53
VOUS lui serez charitable, et Dieu vous donnera des
enfants; vous Jm, élèverez en sage mère, et ils vous
rendront heiu'euse un jour. D'avance vous devez
rétre par les soins d'uii époux aimable et aimé,
qui saura vou9 rendre le bonheur qu'il attend de
vous. Tout ce qui pron^et un }fon choix m'est ga-
rant du vôtre ;*dês liens d'amitié formés dès l'en-
fance , éprouvés par le temps , fandés sur la con-
naissance des caractères^ l'union des coeurs que le
mariag^afipprmit, mais ne produit pas f l'accord des
esprits ow^die^^deux parts la boaté domine, et où
la gaieté de l'un,, la solidité jde l'autre , ^se tempé-
rant niu|a§|lem^ity Fendi:ant doilce et chère à tous
deux Vanstère loi cj/fti fait, s^coédeir aux 'jeux, de
l'adolescence- dès soins plus graves , mais plus tou-
chants. Sans parler d'autres convenances , voilà de
bonnes raisons de compter pour toute la vie sur
un bonheur commun daçs l'état où vous entrez,
et que vous honorerez par votre conduite. Voir
vérifiir im augure si bien fondé sera, chère Isa*
belle , une consolation très-douee pour votre ami.
Du reste , la connaissance que j'ai de vos principes,
et l'exemple de madame votre sœur , me dispen-
sent de faire avec vous des conditions. Si vous n'ai*
mez pas les enfants , vous aimerez vos devoirs. Cet
amour me répond de l'autre; et votre mari, dont
vous fixerez les goûts sur divers articles, saura bien
changer le vôtre sur celui-là.
£n prenant la pliune j'étais plein de ces idées.
Les voilà pour tout compliment. Vous attendiez
peut-être inie lettre faite pour être montrée ; mais
l54 CORRESPOlXDAJirCE.
auriez-vous dû me la pardonner^ et rccpnnaîtriez-
vous l'amitié que tous m'avez inspîtée , dans upe
épître où je songecais aa public en parlant à vous?
^%^^%/*^^^^t^^t^ti m ^m^m^^/mt^m^t^éf^>Ê ^ fm^^^^0^%^^^^^^ %
LETTRE CDLXXlI.
A M. D^ SÀUTTEfiSfi^I».
Mettez-vousà me placé , moil^ieur, et jâij^zrvous.
Quand , trop facile à céder à- vos avaiices , j'épan-
chais mon Qoeur avec vous^.vo^isme ttompiez. Qui
me répondra qù'aujour^^ùi tous ne me trompez
pas encore? Inquiet de votre long silence, je me
suis fait informer de vous à la cour de Vienne : votre
nom n'y est connu de personne. Ici votre honneur
est compromis, et , depuis votre départ, une salope,
appuyée de certaines gens, vous a chargé d'un en-
fant. Qu'êtes -vous allé faire à Paris? Qii'y ftites-
vous maintenant, logé précisément dans la rue qui
a le plus mauvais renom.? Que voulez-vous que je
pense? J'eus toigours du penchant à vous aimer;
mais je dois subordonner mes goûts à la raison,
et je rie veux pas être dupe. Je vous plains ; mais
je ne puis vous rendre ma confiance que je n'aie
des preuves que vous ne me troftipez plus.
Vous avez ici des effets dans deux malles dont
une est à moi. Disposez de. ces effets, je vous prie,
puisqu'ils vous doivent être utiles , et qu'ils m'em-
barrasseraient dans ie transport des miens si je
ANNÉE 1764. l55
quittais Motiers. Vous me paraissez être dans le
besoin ; je ne suis pas non plus trop à mon aise.
Cependant , si vos besoins sont pressants , et que
les dix louis que vous n'acceptâtes pas Tannée der-
nière puissent .y porter quelque remède , parlez-
moi clairement Si je connaissais mieux votre état,
je vous préviendrais ; mais je voudrais vous sou-
lager , non vous offenser.
Vous êtes dans un âge où Tame a d^jà pris son
pli , et où les retours à la vertu sont difficiles. Cck
pendant las malheurs sont de grandes leçons: puis-
siez-vpus en profiter pour rentrer en vous-même !
Il est céiiAin que vous étiez fait pour être un.
homme de mérite. Ce serait grand dommage que
vous trompassiez votre vocation. Quant à moi ^ je
n'oublierai jamais l'attachement que j'eus pour
vous ; et si j'achevais de vous en croijre indigne ,
je m'en consolerais difficilement.
LETTRE CDLXXIII.
A M. DK P.
a3 mai 1764.
Je sais , monsieur , que , depuis deux ans , Paris
fourmille d'écrits qui portent mon nom, mais dont
heureusement peu de gens sont les dupes. Je n'ai
ni écrit ni vu ma prétendue lettre à M. l'archevêque
d'Auch , et la date de Neuchâtel prouve que l'au-
teur n'est pas même instruit de ma demeure.
l56 CORRESPONDANCE.
Je n'avais pas attendu les exhortations des pro-
testants de France pour réclamer contre les mauvais
traitements qu'ils essuient. Ma lettre à M. Farche-
vêque de Paris porte un témoignage assez éclatant
du vif intérêt que je prends ^léiïfll' peines : il serait
difficile d'ajouter à la forcè^deà raisons que j'ap-
porte pour engager le gouvernement à les tolérer,
et j'ai même lieu de présumer qu'il y a fait quelque
attention. Quel gré m'en ont-ils su? On dirait que
cette lettre, qui a ramené tant de catholiques , n'a
fait qu'achever d'aliéner les protestants ; et com-
bien d'entre eux ont osé m'en faire un nouveau
crime! Comment voudriez- vous , monsieur, que je
prisse avec succès leur défense , lorsque j'ai moi-
même à me défendre de leurs outrages ? Opprimé ,
persécuté , poursuivi chez eux de toutes parts
comme un scélérat , je les ai vus tous réunis pour
achever de m'accabler ; et lorsqu'enfin la protec-
tion du roi a mis ma personne à couvert , ne pou-
vant plus autrement me nuire , ils n'ont cessé de
m'injurier. Ouvrez jusqu'à vos Mercures, et vous
verrez de quelle façon ces charitables chrétiens m'y
traitent : si je continuais à prendre leur cause , ne
me demanderait- on pas de quoi je me mêle? Ne
jugerait -on pas qu'apparemment je suis de ces
braves- qu'on mène au combat à coups de bâton?
« Vous avez bonne grâce de venir nous prêcher la
«tolérance, me dirait- on, tandis que vos gens se
« montrent plus intolérants que nous ! Votre propre
« histoire dément vos principes , et prbuve que les
« réformés , doux peut-être quand ils sont faibles ,
ANNÉE 1764. '5^
(c sont très -violents sitôt qu'ils sont les plus forts.
« Les uns vous décrètent , les autres vous bannis-
ce sent, les autres vous reçoivent en rechignant. Ce-
a pendant vous yoidez que nous les traitions sur
«des maximes -de douceur qu'ils n'ont pas eux-
a mêmes! Non: puisqu'ils persécutent, ils doivent
ce être persécutés ; c'est la loi de l'équité qui veut
ce qu'on fasse à chacun comme il fait aux autres.
(K Croyez-nous, ne vous mêlez plus deleurs affaires,
ce car ce ne sont point les vôtres. Ils ont grand soin
a 4e le déclarer tous les jôUrs en vous reniant pour
a leur frère, en protestant que votre religion n'est
ce pas là leur. »
, Si vous voyez , monsieur , ce que j'aurais de so-
lide à répondre à ce discours, ayez la bonté de me
le dire; quant à moi, je ne le vois pas. Et puis, que
sais-je encore? peut-être, en voulant les défendre,
avancerais- je par mégarde quelque hérésie, pour
laquelle on n\e ferait saintement brûler. Enfin , je
suisabattu, découragé, souffrant, et l'on me donne
tant d'affaires à moi-même, que je n'ai plus le temps
de me mêler de celles d'autrui.
Recevez mes salutation's,monsieur, je vous sup-
plie , et les assurances de mon respect.
"l58 CORRESPONDANCE.
^i'%'%'%^>^>^/'X%^'^<'%'%^/^<%^t'»»%^^>»%^t>^^/%^»%^^^%^K^^^n^%^M^%^'%»%^'%i%^^h^'^^>^<^^^<'»/^%/%<'W%^»^'^
LETTRE CBLXXIV.
A M. PANGKOUCKK
>
Motiers-TiinrerÀ^ le a 5 mai 1764.
Je lirai avec grand plaisir les écrits de M. Beau-
rieu, et, sur votre exhortation, j'ai déjà commencé
par VÉièçe de la nature. On ne peut pas, en effet,
penser avec plus d'esprit, ni dire plus agréable-
ment. Je lui conseille toutefois de s'attacher toujours
plus aux sujets qu'on peut traiter en descriptions
et en images, qu'à ceux de discussion et d'analyse,
et qu'en général aux matières de raisonnement. tTn
traité d'agriculture sera tout-à-fipt de son genre ;
et, s'il choisit bien ses matériaux, il peut à un livre
très-utile donner tout l'agrément des Géorgiques.
Je me fais bien du scrupule de toucher aux ou-
vrages de Richardson, surtout pour les abréger;
car je n'aimerais guère être abrégé moi-même, bien
que je sente le besoin qu'en juraient pli)$leûrs de
mes écrite; ceux de Richardson en ont besoin in-
contestablement. Ses entretiens de cercle sont sur-
tout insupportables; car, comme il n'-avsdt pas vu
le grand monde , il en ignorait entièrem^t le ton :
j'oserais tenter de faire ce que vous me proposez ;
mais n'exigez pas que je fasse vite; car , malade et
paresseux, occupé d'ailleurs à préparer l'édition gé-
nérale par laquelle je me propose d'achever ma
carrière littéraire, je n'aurai de long-temps, si je
ANN£K 1764. 159
vis , que très-peu de temps à donner à une compi-
lation: d'ailleurs, n entendant pas l'anglais, il me
faudrait toutes les traductions qui ont été faites,
pour les comparer et choisir ; et tout cela est em-
barrassant pour vo|}s , pour moi , ou plutôt pour
tous les deux. Si j'aÂève jamais ma grande édition ,
et que je lui survive , alors seulement je pourrai
m'occi^i* jimiquement de ces choses-là, et je me
ferai un plaisir d'entrer dflns tos vties autant que
ma situation, ma santé et mon esprit indolent me
le i^rmettpont.
J'oubliais de vous dire ^ue le recueil que vous
avez vu ne s'est point (ait sous mes yeux. C'est
M. l'abbé de Ij9l Porte qui l'a feit*; je n'ai su les
pièces qu'il contenait qu'à là f'éception des exem-
plaires qui m'ont été envoyés. J'en arpourtan t fourni
quelques-unes, mais non pas vôtre Prédiction **,
que je n'ai même jamais conmiimiquée à personne ,
non qne je ne m'en fasse honneur , mais parce que
je n'en aurais pas disposé sans votre permission.
Je vous suis obligé de faire assez de cas dé mes
écrits pour leur donner dans votre «cabinet une
place de prédilection. Je sersti fort niséquHls vous
fassent qtielquefois souvenir de leur auteur, qui
vous aime deptlis long- temps ^ et qui désire être
toujours aimé de vous.
* Voyez ci-devant la lettre à Vàbbé de I^ Porte, du 4 ayril 1768 y
et la note qui s'y rapporte.
** C'est k thre d'un petit édrit ■jioIog^tiq[ue publié par Pânc-
koncke*, et que Tabbé de La Porte a faity^m|irimer à la suite de
réditlon qa*il a donn^ dé U NoupeUe Héhîse, en 1764*
iGo CORRESPONDANCE.
LETTRE CDLXXV.
A M. LE PRINCE L. E. DE WIRTEMBERG.
Motîen, le a6 mal 1764.
Je reçois avec reconnaissance le li^e que vous
avez eu la bonté de irfenvoyer; et'lorsque je re-
lirai cet ouvrage, cfe qui, j'espère , m'arrimera quel-
quefois encore, ce sera toujours dans l'exemplaire
que je tiens de vous. Ces entretiens ne sont point
dé-Phociôiï, ils sont de l'abbé de Mably, frère de
Fabbé de Condillac , c^èbre par d'excellents livres
dfe métaphysique ,''et connu lui - même par divers
ouvrages de (!ioli tique, très -bons aussi dans leur
genre. Cependant on retrouve quelquefois dans
ceui-ci de ce» principes de la politique moderne ,
qu'il serait à désirer que tous les hommes de votre
rang blâmassent ainsi que vous. Aussi, quoique
l'abbé de 'Mably soit un honnête homme rempli
de vues très-saines , j'ai pourtant été surpris de le
vdip s'élever, dalls'ce dernier ouvrage, à une mo-
rale si pure et si sublime. Cest pour cela Isans doute
que ces entretiens, d'ailleurs très-bien faits, n'ont
eu qu'un succès médiocre en France; mais ils en
ont eu un très-grand en Suisse , où je vols avec plaisir
qu'ils ont été réimprimés.
J'ai le cœur plein de vos deux dernières^ lettres.
Je n'en reçois pas une qui n'augmente mon respect
et, si j'ose le dire, mon attachement pour vous.
ANNléS 1764. 161
L'homme vertueux, le grand homme élevé par les
disgrâces, me fait tout-à-fait oublier le prince et le
frère d'un souverain; et, vu l'antipathie pour cet
état qui m'est naturelle , ce n'est pas peu de m'avoir
amené là. Nous pourrions bien cependant n'être
pas toujours de méoofl^avis en toute chose ; et , par
exemple, je ne suis pas trop convaincu qu'il suffise,
pour iêtre heureux , de bien remplir les devoirs de
son emploi. Sûrement Turenne , en brûlant le Pa-
latinat par l'ordre de son prince , ne jouissait pas
du vrai bonheur; et je ne crois pas que les fer-
miers-généraux les plus appliqués autour de leur
tapis vert en jouissent davantage : mais si ce sevtl^
ment est une erreur, elle est plus belle en vous que
la vérité même ; elle est digne de qui sut se choisir
un état dont tous les devoirs sont des vertus.
Le cœur me bat à chaque ordinaire dans l'attente
du moment désiré qui doit tripler: votre être. Ten^-
dres époux , que vous êtes heureux ! Que vous allez
le devenir encore, en voyant multiplier des devoirs
si charmants à remplir ! Dans la disposition d'ame
où je vous vois tous les deux, non, je n'imagine
aucun bonheur paieil au vôtre. Hélas! quoi qu'on
en puisse dire, la vertu seule ne le donne pas, mais
elle seule nous le fait connaître , et nous apprend
à le goùlAr.
R. XX. I I
l6a CORllESPOSrDA.NCT:.
k<»^%<«^^
LETTRE CDLXXVI.
AM. ***.
BfotierSy le 38 mai 1764.
,. c'est rendre uq vrai service à un solitaire éloi-
gné de tout, que de l'avertir de ce qui se passe par
rapport à lui. Voilà, monsieur , ce que vous avez
très-obligeanunent fait en m'en voyant un exem-
j^i^e de ma prétendue lettre à M. l'archevêque
. Cette lettre , comme vous l'avez deviné , n'est
pas plus de moi que tous ces écrits pseudonymes
qui courent Pari» sous mon nom. Je n'ai point vu le
^oandement auquel elle répond , je n'en ai même
jJiBiais ouï parler, et il y a huit jours que j'ignorais
qu'il y eut un M. du Tillet au inonde. J'ai peine à
. croire que l'auteur de cette lettre ait voulu per-
suader sérieusement qu'elle était de moi. N'ai-je
pas assez des affaires qu'on me suscite , sans m'al-
1èr mêler de celles d'autrui ? Depuis quand m'a-t-on
vu devenir homme de parti ? Quel nouvel intérêt
m'aurait fait clianger si brusquement de maximes?
Les jésuites sont-ils en meilleur état que* quand je
refusais d'écrire contre eux dans leurs disgrâces ?
Quelqu'un me coni)^ît-il assez lâche, assez vil
pour insulter aux malheureux ? Eh!, si j'oubliais
les égards qui leur sont dus , de qui pourraient-
ils en attendre ? Que m'importe enfin le sort des
«u^artiA^
4NNÉE 1764* |63
jésuites , quel qu'il puisse être ? Leurs ennemis se
sont-ils montrés pour moi plus tolérants qu'eux?
Lia triste vérité délaissée est-elle plus chèr^ aux
uns qu'aux autres? et, soit qu'ils triomphent ou
qu'ib succombent, en serai-je moins persécuté?
D'ailleurs, pour peu qu'on lise attentivement cette
lettre , qui ne sentira pas comme vous que je 1^^
suis point l'auteur? Les maladresses y sont entas-
sées : elle est datée de Neucliâtel où je n'ai pas mis
le pied ; on y emploie la formule du très-humble ser-
viteur ^ dont je n'use avec personne ; on m'y bit
prendre le titre de citoyen de Genève auque}y}'ai
renoncé: tout en commençant on s'écliauffo|>our
M. de Voltaire , le plus ardent , le plus adroit 'de
mes persécuteurs, et qui se passe bien, je crois,
d'un défenseur tel que moi : on affecte quelques
imitations de mes phrases , et ces imitations sa
démentent l'instant après :* le style de la lettre
peut être meilleur que le mien , mais enfin ce
n'est pas le mien ; on m'y prête des expressions
basses ; on m'y fait dire des grossièretés qu'on
ne trouvera certainement dans aucun dé mes
écrits : on m'y fait dire vous à Dieu ; usage que je
ne blâme pas, mais qui n'est pas le nôtre. Pour
me supposer l'auteur de cette lettre , il faut sup-
poser aussi que j'ai voulu me déguiser. Il n'y fallait
donc pas mettre mon nom ; et alors on aurait pu
persuader aux sots qu'elle était de moi.
Telles sont , monsieur , les armes dignes de mes
adversaires dont ils achèvent de m'accabler. Non
contents de m'outrager dans mes., ouvrages , ils
II.
l64 CORRESPOITDANGE.
prennent le parti plus cruel encore de m'attribuer
les leurs. A' la vérité le public jusqu'ici n'a pas pris
le change^ tt: il faudrait yi'il fût bien aveuglé pour
l^rendre atgourd'hui. La justice que j'en attends
sur ce point est une consolation bien faible pour
Ifnt de maux. Vous savez la nouvelle affliction qui
ÉtfilMpable : la perte de Mr àe Luxembourg met le
ccill^le à toutes les autres; je la sentirai jusqu'au
tombeau. Il fut mon consolateur durant sa vie , il
sera mon protecteur après sa mort: sa chère et
honorable mémoire défefïidra la mienne des insultes
dediÉlës ennemi»; et quand ils voudront la souiller
jlijto^^)è^rs calomnies , on leur dira : Comment cela
pôurfait-il être? le plus honnête homme de France
fiit son ami. - *
Je vous remeiNste et vous salue, monsieur, de
umt mon cœur.
y^^/^^r»,'*,^^^t^0m/f%f^^t
LETTRE CDLXXVII.
A M. DELEYRE.
Motie», 3 juin 1764.
Tavaîs reçu toutes vos lettres, .cher Deleyre ,,et
j^ai aussi reçu celle que m'a fait passer en dernier
lieu M. Sabattiér. Je ne -crois pas vous avoir pro-
posé d'établir entre nous une correspondance sui-
vie ; non qu'elle ne me soit agréable , mais parce
que ma paresse naturelle , mon état languissant ,
les lettres dont je suis accablé , les survenants dont
. .'d.
ANNis 1764. l65
ma maison ne désemplit point, m'empêcheraient
de la suivre régulièrement. Mais , comme je vous
aime et que je désire que vous m'aimiez, je rece-
vrai toujours avec plaisir les détails que vous vou-
drez me faire de la situation de votre ame et de
vos affaires, des marques de votre confiance et ^
votre amitié. Je me ménagerai aussi par intervalles
le plaisir de vous écrire; et quand j'aurai le tenq^s
d'épancher mon cœur avec Vous , ce sera un sou-
lagement pour moi. Voilà ce que je puis vous pro-
mettre ; mais je ne vous promets point dans mes
réponses une exactitude, que je n'y sus jamais mettre.
On n'a que trop de devoirs à remplir dans la xk^
sans s'en imposer encore de nouveaux.
Vos deux dernières lettres me fourniraient
ample matière à disserter, tant sur vos disposi-
tions actuelles que sur votre manière d'envisager
l'histoire grecque et romaine : conmie si , commen-
çant cette étude , vous y eussiez cherché d'autres
êtres que des hommes , et que ce ne fut pas bien
assez d'y en trouver de meilleurs dans leurs étoffes
que ne sont nos contemporains. Mais , mon cher ,
l'accablement où me jettent les maux du corps et
de Famé , et tout récemment la perte de M. de
Luxembourg , qui m'a porté le dernier coup »
m'ôtent la force de penser et d'écrire* Vous fe
savez , j'avais pour amis tout ce qu'il y avait d'ilr
lustre parmi les gens de lettres: je les ai tous per-
dus pleins de vie; aucun, pas. même Duclos, ne
m'est resté dans mes disgrâces. J'en £ûs un parmi
les grands: c'est jcelui qui se trouve à l'épreuve,
l66 CORRESPONDANCE.
et la îtiort vient me l'ôter. Quel renversement d'i-
dées! Sur quels nouveaux principes faut-il donc
remonter ma raison ? Je suis trop vieux pour sup-
porter un tel bouleversement; je suis trop sensible
pour philosopher uniquement sur mes pertes. Ma
tite n'y est plus ; je ne sens plus que mes douleurs,
je ne vois plus qu'un chaos. Cher Deleyre, j'ai
trop vécu.
Avant de finir, reparlons de la manière de lier
notre correspondance, au moins telle que je puis
réhtretenir. Puisque vous avez reçu la lettre que
je vous ai écrite directement, et que j'ai reçu la
vôtre ^ nous ne sommes point fondés par notre
expérience à nous défier des postes d'Italie*. La
médiation de M. Sabattier , plus embarrassante , ne
fkit qu'augmenter la peine et la dépense, puisqu'il
faut multiplier les enveloppes, lui écrire à lui-
même, affranchir pour Turin comme pour Parme,
payer des ports plus forts encore. En tout ma peine
me coûte plus que mon argent. Ainsi- je suis d'avis
que nous revenions au plus simple , en nous écri-
vant directement. Si Ton ouvre nos lettres, que
nous importe ? nous ne tramons pas des conspira-
tidhs. Si nous trouvons qu'elles se perdent , il sera
teÉttps alors de prendre d'autres mesures. Quant à
pfésent, contentons-nous de les numéroter, comme
je fois celleKîi; ce sera le moyen de reconnaître si
Ton en a intercepté quelqu'une. Je ne croyais
vous écrire qu'un mot , et me voilà à ma troi-
* Deleyre était à cette époque bibliothécaire de l'Iufiint duc de
Parme, dont l'abbé de Coudifinc était précepteur.
ANNliE 1764- 167
sième page. I^ conséquence est iacHe à tirer. MoB
respect , je vous prie ^ madame Deleyre , et met
salutations à M. l'abbé de Condillac. Je vous em^
brasse de tout mon cœur.
LETTRE CDLXXVIII.
A MADAME LA MARÉCHALE DE LUXEMBOURG.
Motierty le 5 juin 1764. .
'y,
C'est en vain que je lutte contre moi-même poilr
vous épai^ner les importunités d'un malheureux ;
la douleur qui me déchire ne connaît plus de dis-
crétion. Ce n'est pas à vous que je m'adresseraiqi',
madame la maréchale , si je connaissais quelqu'un
qui eût été plus cher au digne ami>que j'ai perdu»
Mais avec qui puis-je mieux déplorer cette perte
^'avec la personne du monde qui la sent le plus ?
et comment ceiix qu'il aima peuvent- ils rester di-*
visés ? Leurs cœurs ne devraient-ils pas se réunir
pour le pleurer? Si le vôtre ne vous dit plus rien
pour moi, prenez du moins quelque intérêt k mes
misères par œlui que vous savez qu'il y preBa%
Mais c'est trop me flatter, sans doute : il aivait
cessé d'y en prendre ; à votre exemple il m'avait
oublié. Hélas ! qu'ai-je fait? Quel est âion crime, ai
ce n'est de vous avoir trop aimés l'un et l'autre, et
de m'étre apprêté ainsi les regrets dont je suis
consumé? lusqu'àu derèier instant vous avez joui
l68 CORRESPONDANCE.
de SSL plus tendre affection ; la mort^eule a pu
vous Fôter : mais moi, je vous ai perdus tous deux
pleins de vie ; je suis plus à plaindre que vous.
LETTRE CDLXXIX.
A LA MÊME.
Motiers y le 1 7 .jain 1764*
Que mon état est affreux! et que votre lettre
m'a soulagé ! Oui, madame la maréchale, la certi-
tude d'avoir été aimé de M. le maréchal^ sanâ me
consoler de sa perte , en adoucit l'amertume , et
fait succéder à mon désespoir des larmes pré-
cieuses et douces dont je ne cesserai d'honorer sa
mémoire tous les jours de ma vie. J'ose dire qu'il
me la devait cette amitié sincère que vouis m'assu-
rez qu'il eut toujours pour moi; car mon cœur
n'eut jamais d'attachement plus vrai, plus vif, plils
tendre , que celui qu'il m'avait inspiré. C'est encore
un de mes regrets que les tristes bienséances m'aient
souvent empêché de lui faire connaître jusqu'à
quel point il m'était cher. J'en puis dire autant à
votre égard, madame la maréchale, et j'en ai pour
preuve bien cruelle les déchirements que j'ai sentis
dans la persuasion d'être oublié de vous. Mon des^
sein n'ejst point d'entrer en explication sur le passé.
Vous dites m'avoir écrit la dernière: nous sommes
là-dessus bien loin de compte ; mais vos bontés me
sont si précieuses , que , pburvu qu'elles me soient
ANKÉ£ 1764. iGf)
l'Cndnes, je me charf-crai volôniLcrs d'un toit que
rmon cœur ii'eutjaranis. et qu'il saura bien vous faire
oublier. Je cousehs que vous ne m'acoortUez rien
qu'à titre de grâce. Mais, si je n'ai point mérité
votre amitié, songez, je vous supplie, que, de
votre propre aveu. M, le maréchal m'accordait ia
sienne. C'est en son nom, c'est au nom de sa mé-
moire qui nous est si chère à tous deux, que je
réclame de votre part les sentiments qu'il eut pour
moi, etr'que, de mon côté , je voue à la personne
qu'il iiima le plus tous ceux que j'avais pour lui.
Il est impossible de dire davantage. Je ne demandé
ni de fréquentes lettres , ni des réponses exactes. ;
mais quand vous sentirez que je dois être inquiet
(et, quand on aime les gens, cela se devine),
faites-moi dire un mot par M. de La Roche, et je
suis content.
LETTRE CBLXXX.
- '_ A M. DE SAUTTERSHEÎM.
H( Motiers, le 1 1 juin 1764.
' Je suis honteux d'avoir tardé si long -temps,
Vnonsieur, à vous répondre. Je sais^mieux que per-
sonne quels privilèges d'attention méritent les in-
fortunés; mais, à ce même titre, je mérite aussi
quelque indulgence, et je ne différais que ponr
pouvoir vous dire quelquÊe chose de positif sur les
l'JO CORRESPOND A «CE.
dix Innis dont vous crnignt'z de voiis prévaloir , de
peur lie n'être pas en état île me les rendre. Mais
soyez bien tranquille sur cet article, puisque ma
plus constante maxime, quand je prête (ce qui,
va ma situation, m'arrive rarement), est de ne
compter jamais sur la restitution, et même de ne
la pas exiger. Ce qui retarde à cet égard l'exécu-
tion de ma promesse est un événement malheu-
reux qui ne me laisse pas disposer dans le moment
d'un argent qui m'appartient. Sitôt que je le pour-^
rai je n'oublierai pas qii'une chose offerte est \ine^
chose due , quand il n'y a que l'impuissance dt
rendre qui empêche d'accepter,
3'ai du penchant à croire que pour le présent
vous me parlez sincèrement; mais à moins d'en,
être sûr , je ne puis continuer avec vous une cor-
re.spondance qiïî, aux termes on nous avons été,
ne pourrait qu'être désagréable à toiis deiue-sanS"
une Confiance réciproque. Malheurensemçut iflàC
sjuité est si mauvaise, mon état est si triste, et j*"*
tant d'embarras plus pressants, qne'je' ne puis va^
quer mainteilâï)t aux recherches nécessaires pouB,
vérifier votre liistoire et votre conduite^ ni donlw
rer avec vous en Haisons que cette vérîficatiairi»
soit feile ; ce qui emporte de votre côté la néces-
sité de disposer de ce que vous avez laissé chez
moi , et que je souhaite de ne pas garder plus long-
temps. Je voudrais donc, monsieur, vous faire ache-
ter une autre malle à la place de la mienne , dont
j'ai besoin, et que vous trouvassiez un autre dé-
positaire qui se charge'St 4e vos effe^,'ou que
i
ai
i
1
àUTNÉE 1764. 171
VOUS me marquassiez par quelle voie je dois vous
les envoyer.
Mon dessein n'est pas d'entrer en disaission sur
les explications de votre dernière lettre. Vous de-
mandez, par exemple, si la servante de la maison-
de- ville a des preuves que l'enfant qu'elle vous
donne est de vous : ordinairement on ne prend
pas des témoins dans ces sortes d'affaires. Mais elle
a Ëtit ses déclarations juridiques , et prêté serment
au momenfl^g l'accouchement, selon la forme pres-
crite en œ pays par la loi ; et cela fait foi , en jus-
tice et dans le- public , par défaut d'opposition dp-
Votre part.
Quelles qu'aient été vos mœurs jusqu'ici , vous
êtes à portée encore de rentrer en vous-même ; et
Fadversîté , qui achève de perdre ceux qui ont un
penchant décidé au mal , peut , si vous en faites
un lipâ usage, vous ramener au bien , pour lequel
il m*a toujours^ paru que vous étiez né. L'épreuve
est rude et pénible; mais quand le mal est grand
le remède y doit être proportionné. Adieu , mon-
sieur. Je comprends que votre situation demande-
rait de ma part autre chose que des discours; mais
la mienne me tient enchaîné pour le présent. Pre-
nez, s'il est possible, un peu de patience, et soyez
persuadé qu'au moment que je pourrai disposer
de la bagatelle en question , vous aurez de mes
nouvelles. Je vous salue , monsieur , de tout mon
cœur.
l'J^ GORRESPOITDANCE.
LETTRE CDLXXXÏ.
A M. DE CHAMFORT.
Le a4 ji^in 1764.
J'ai toujours désiré, monsieur, d'être oublié de
la tourbe insolente et vile qui né songe aux infor-
tunés que pour insulter à leur misèl^ mais Tes-
tée des hommes de mérite est un précieux dédom-
magement de ses outrages, et j e ne puis qu'être flatté
de rhonneur que vous m'avez fait en m'envoyant
votre pièce *. Quoique accueillie du public , efte doit
l'être des connaisseurs et des gens sensibles aux
vrais charmes de la'nature. L'effet le plus sûr de mes
maximes , qui est de m'attirer la haine des méchants
et l'affection des gens de bien , et qui se masque
autant par mes malheurs que par mes succès , m^ap-
prend, par l'approbation dont vous honorez mes
écrits, ce qu'on doit attendre des vôtres, et me fait
désirer , pour l'utilité publique ^ qu'ils tiennent tout
ce que promet votre début. Je vous salue , mon-
3^ur , de tout mon cœur.
* La jeune Indienne, comédie eu un acte, en vers,, représentée
en 176-4.
ANNÉE 1764. 173
LETTRE CDLXXXII.
A M. D'IVERNOIS.
Motîers, le 6 juillet 1764.
J'apprends, monsieur, avec grand plaisir votre
heureuse arrivée à Genève , et je vous remercie de
l'inquiétude que vous donne ma sciatique nais-
sante. Des personnes à qui je suis attaché, et cm
me marquent qu'elles me viennent voir, m'ôtént
la liberté de partir pour Aix. Je vous prie de^ne
pas envoyer la flanelle, dont je vous remercie,
mais dont il me serait impossible de fûre un usage
assez suivi pour m'en ressentir. Les soins qui gênent
et qui durent m'importunent plus que les maux ,
eijsa toute chose j'aime mieux souffrir qu'agir.
-La réponse du Ck>nseil aux dernières représen-
tatiQlis nid mitonne point ; mais ce qui m'étonne ,
c'est la perhévérance des citoyens et bourgeois à
£sdre des représentations.
La brochure que vous m^avez envoyée me pa-
raît d\in homme qui a trop d'étoffe dans la têti"
pour n'en avoir pas tm peu dans le cœur. Si ja-
mais il prend part à quelque affaire , il fera poids
dans le parti qu'il embrassera.
Celui à qui je me suis adressé pour les airs de
mandoline m'a marqué qu'il les ferait graver. Ainsi ,
il ne me reste qu'à vous remercier pour cela de la
peine que vous avez bien voulu prendre.
174 C0RR£SP01N]^â.NG£.
Mademoiselle Le Vasseur vous remercie de rhbn-
neur de votre souvenir, et vous assure de son res-
pect. Je vous prie d'assurer du mien madame d'Ivér-
nois. J'embrasse M. Deluc, et vous salue, monsieur,
de tout mon cœur.
Je reçois à l'instant la flanelle, et vous en re-
mercie , en attendant le plaisir de vous voir.
LETTRE CDLXXXItL
A. M. H. D. P. *.
Motiers, le 1 5 juillet 1764.
Si mes raisons , monsieur , contre la proposition
qui m'a été fiûte par le canal de M. P*** , vous pa-
raissent mauviEiises, celles que vous m'objectez ne
me semblent pas meilleures ; et dans ce qui re-
garda ma conduite, je ,crois pouvoir rester juge
des motifs qui doivent me déterminer.
Il ne s'agit pas, je le sais^ de ce que tel ou tel
peut SQi^riter par la loi du talion , mais il s'agit de
l^objection par laquelle les catholiques rue ferme-
liKi^ la bouche en m'accusant de combattre ma
|5rt>pre religion. Vous écrivez contre les persécu-
teurs , me diraient - ils , et vous vous dites protes-
tant! Vous avez donc tort; car les protestants sont
tout aussi persécuteurs que nous , et c'est pour
cela, que nous ne devons point les tolérer, bien
sùx^ que, s'ils devenaient les plus forts, ils ne nous
'^ Cette lettre parait fairt suite à la lettre cdlxxiix, du i3 mai
même année. *
pas lious-mémes. Vous npits trompez ,
ajouteraient - ils , ou vous vpus trompez en vous
mettant en contradiction avec les vôtres , et nous
prêchant d'autres maximes que les leurs. Ainsi ,
Tordre veut qu'avant d'attaquer les catholiques je
commence par atta||aer les protestants, et par leur
montrer qu'ils ne savent pas leur propre religion.
£st - ce là , monsieur , ce que vous m'ordonnez
de Êdre? Cette entreprise préliminaire rejetterait
l'autre encore loin ; et il me paraît que la grandeur
de la tache ne vous effraie guère, quand il n'est
question que de l'imposer.
Que si les arguments ad hominem qu'on m'ob-
jecterait vous paraissent peu embarrassants, ils mè
le paraissent beaucoup à moi ; et, dans ce cas, c'est
à celui qui sait les résoudre d'en prendre le soin.
Il y a encore , ce me semble , quelque chose de
dur et d'injuste de compter pour rien tout ce que
j'ai Ëdt , et de regarder ce qu'on me prescrit comme
un nouveau travail à faire.. Quand on a bien établi
une vérité par cent preuves invincibles , ce n'est
pas un si grand crime, à mon avis, de ne pas couh
rir après la cent et unième , surtout si elle n'ex^m,
pas. J'aime à dire des choses utiles , mais je n'aiob^
pas à les répéter ; et ceux qui veulent absolument
des redites n'ont qu'à prendre plusieurs exemplaires
du même écrit. Les protestants de Finance jouissent
maintenant d'un repos auquel je puis avoir contri-
bué , non par de vaines* déclamations comme tant
d'autres , mais par de fortes raisons pohtiques bien
exposées. Cependant voilà qu'ils me pre^nt d'é-
176 ,^ CORRKSPOSTDANCE.
crire en leur faveur : c'est faire trop de cas de ce
que je puis faire , ou trop peu de ce que j'ai fait.
Us avouent qu'ils sont tranquilles ; lûais ils veulent
être mieux que bien, et c'est après que je lés ai
servis de toutes mes forces qu'ils me reprochent de
ne les pas servir au-delà de mos forces.
Ce reproche, monsieur, me paraît peu recon-
naissant de leur part, et peu raisonné de la vôtre.
Quand un homme revient d'un long combat , hors
d'haleine et couvert de blessures , est-il temps de
l'exhQrter gravement à prendre les armes, tandis
qu'on se tient soi-même en repos? Eh! messieurs,
chacun son tour , je vous prie. Si vous êtes si cu-
rieux des coups , allez en chercher votre part :
quant à moi, j'en ai bien la mienne; il est temps
de songer à la retraite : mes cheveux gris m'aver-
tissent que je ne suis plus qu'un vétéran ; mes maux
et mes malheurs me prescrivent le repos, et je ne
sors point de la lice sans y avoir payé de. ma per-
sonne. Sat patriœ Priamoque datwn. Prenez mon
rang, jeunes gens, je vous le cède ; gardez-le seu-
lement comme j'ai fait^ et après cela ne vous tour-
mentez pas plu& des exhortations indiscrètes et des
reproches déplacés, que. je ne m'en tourmenterai
désormais.
Ainsi , monsieur, je confirme à loisir ce que vous
m'accusez d'avoir écrit à la hâte , et que vous jugez
n'être pas digne de moi ; jugement auquel j'éviterai
de répondre , faute de Feritendre suffisamment.
Recevez , monsieur , je vous supplie , les assu-
rances de tout mon respect.
ANN^E I764- 177
XETTRE CDLXXXIV.
A MADAME DE CRÉQUL ^ !^.^^
P^Hert-TrayerSy le 91 juillet 1764.
Vous ne m'auriez pas prévenu , madame , si ma
situation m'eût permis de vous Êiire souvenir de
moi ; iBâfe si dans la prospérité l'on doit aller au-
devant de ses amis, dans l'adversité il n'est permis
que d'attendre. Mes malheurs, l'absence et la mort,
qui ne cessent d^ m'en ôter , me rendept plus pré*
cieux ceux qui me restent. Je n'avais pas besoitf
d'un si triste motif pour foire valofl^otre lettre ;
mais j'avoue, madame, que la circoàtMance où elle
m'est venue ajoute encore au plaisir qu'en tout
autre temps j'aurais eu de la recevoir. Je reconnais
avec joie toutes vos anciennes bontés pour moi
dans les vœux que vous daignez foire ppur ma con«p
version. Mais, quoique je sois .trop bon chrétien
pour être jamais cathoUque , je ne m'en crois pus
moins de la même religion que vous : car la bonne
religion consiste beaucoup moins dans ce qu'oii
croit que dans çei qu'on foit. Ainsi, niadame, res«
tons comme nous sonunes ; et quoi que vous en
puissiez dire , nous nous reverrons bien plus pure^
ment dans l'autre mofide que dans celuirci. C'eût été
un très -grand honneur pour votre gouvernement
que J. J. Rousseau y vécût eE mourût tranquille ;
mais l'esprit étroit de vos petits parlementaires ne
R. XX. ist
1^8 CORRESPONDANCE.
leur a pas permis de voir jusque-là; et, quand ils
l'auraient vu, l'intérêt particulier ne leur eût pas
permis de chercher la gloire nationale au préjudice
de leur vengeance jésuitique et des petits moyens
qui tenaient à ce projet. Je connais trop leur por-
tée pour les eiLposer à faire une seconde sottise : la
* première a suffi pour me rendre sage. L'air de ce
lieu-ci me tuera, je le sais ; mais n'importe , j'aime
mieux mourir sous l'autorité des lois que de vivre
éternel jouet des petites passions des hommes. Ma-
dame , Paris ne me reverra jamais : voilà sur quoi
vous pouvez compter. Je suis bien fâché que cette
certitude m'ôte l'espoir de vous revoir jamais qu'en
esprit ; car je crois qu'avec toute votre dévotion
vous ne pen^ pas qu'on se revoie autrement dans
l'autre vie. Hfecevez , madame , mes salutations et
mon respect, et soyez bien persuadée, je vous sup-
plie, que , mort ou vif^ je ne vous oublierai jamais.
LETTRE CDLXXXV.
A M. SÉGUIER DE SAINT-BRISSON \
Motîerft, le ai juillet 1764.
Je crains , monsieur , que vous n'alliez un peu
vite en besogne dans vos projets; il faudrait , quand
rien ne vous presse , proportionner la maturité des
délibérations à l'importance des résolutions. Pour-
quoi quitter si brusquement l'état que vous aviez
* Voyez les Confessions, liyre xii.
.^^ÈàÊtÊÊÊÊM
ANNÉE 1764. 179
embrassé , tandis que vous pouviez à loisir vous
arranger pour en prendre un autre , si tant est
qu'on puissfe appeler un état le genre de vie que
vous vous êtes choisi, et dont vous sereoî peut-être
aussitôt rebuté que du premier? Que risquiez-vous
à mettre un peu moiiA' d'impétuosité dans vos dé-
marches, et à tirer parti de ce retard, pour vous
confirmer dans vos principes, et pour assurer vos
résolutions par une plus mûre étude de vous-même?
Vous voilà seul sur* la terre dans l'âge où l'homme
doit tenir à tout; je vous pkdns, et c'est pour cela
que je ne puis vous apptouver , puisque vous avez
voulu vous isoler vous-même au moment où cela
vous convenait le moins. Si vous croyez avoir suiti '
mes principes, vous vous trompez : vèôs avez suivi
l'impétuosité de votre âge ; une démarche d'un tel
éclat valait assurémeht la peine d'être bien pesée
avant d'en venir à l'exécution. C'est une chose
faite , je le sais : je veux seulement vous faire en-
tendre que la manière de la soutenir et d'en reve-
nir demande un peu plus d'examen que vous n'en
avez mis à la faire.
Voici pis. L'effet naturel de cette conduites été
de vous brouiller avec madame votre mère. Je vois ,
sans que vous me le montriez, le fil de tout cela;
et , quand H n'y aurait que ce que vous me dites ,
à quoi bon aller effaroucher la conscience tra»^
quille d'une mère , en lui montrant sans nécessité
des sentiments différents des siens? Il fallait, mon-
sieur , garder ces sentiments au - dedans de vous
pour la règle de votre conduite , et leur- premier
II.
j8u cobuespovdakce.
efiet devait être de vous fatire endurer av^c pa-
tience les tnieaitsenef de vos pràres , et de ne pas
changer ces tracasseries en persécutions, en toq-
lant secûUiBr hautement le joug de la religion où
vous éàez né« Je pense si peu camme vous sur oet
article, que iquoique le dei^gé prot^tant me ùtsse
une guerre ouverte^ et <|ae je sois fort éloigné de
penser ccMume lui sur tous les points, je n*en de-
meure pas moins sincèr^nent uni à la communion
de notre ÉgiUe, bien résolu dy vivre et dy mou-
rir s'il dépend de moi : car il est très -consolant
pour un croyant a£9igé de rester en communauté
de culte avec ses frères, et de servir Dieu conjoin-
tnnent avec eux. Je vous dirai plus , et je vous
déclare que fi j'étais né catholique, je demeurerais
catholique , sachant bien que votre Église met un
frein très^alutairé aux écarts 'de la raison humaine ,
qui ne trouve ni fond ni rive quand elle veut son-
der Tablme des choses; et je suis si convaincu de
Futilité de ce frein, que je m'en suis moi-même
imposé un semblable , en me prescrivant, pour le
reste de ma vie , des règles de foi dont je ne me
permets plus de sortir. Aussi je vous jure que je
ne su)s tranquille que depuis ce temps -là, bien
convaincu que, sans cette précaution, je ne Tau.
rais été de ma vie. Je vous parle , monsieur , avec
effusion de cœur , et comme un père parlerait -k
son enfant. Votre bvouillerie avec madame votre
mère me navre. J'avais dans mes malheurs la cpn-
solation de croire^ que mes écrits ne pouvaietpt
faire que du bien ; voulez-voud m'ôter encore cette
AlffVKE 1764. 181
consolation? Je sais que s^ls font du mal, ce n'est
que faute d'être entendus ; mais j'aurai toujours
le regret de n'avoir pu me &ke entendre. Cher
Saint-Brisson , un fils l^rouillé avec sa mère a tou-
jours tort : de tous tes sentiments naturels, le seul
demeuré parmi nqi» est l'affection maternelle. Le
droit des mères est le plus sacré que je connaisse ;
en aufatui cas on ne pùeut le violer sans crime :
racconHnodez-vou& donc avec la votre. Allez vous
jeter à ses pieds; à quelque prix que ce soit, apai-
sesB-là : soyez sur que soa cœur vou;» sera rouvert
si le vôtre vous ramène à ette. lite pouye^vous âans
ÊNisseté lui £sdre le sacrifice de quelquies opinioito
inutiles, ou du moins les dissimuler? Vous ne se-
rez jamais appelé à persécuter persoftie ; qiie vous
importe le reste ? Il n'y a pas deux indralès. Celle
du christianisme^ et celle de la pBtlosqpIiié sont la
même, l'une et Fautre vous imposent ici le même
devoir ; vous pouvez le reinplir , vous le devez ; la
raison, l'honneur, votre intérêt, tout le veut : moi , .
je l'exige poui; répondre aux sentiments dont vous
m'honorez. Si vous lé £sdtes , comptez sur mon ami-
tié , sur toute mon esthne , sur mes soins , si jamais
ils* vous sont bons à quelque chose. Si vous ne le
£sdtes pas , vous n'avez qu'une mauvaise tête ; ou ,
qui pis est, votre cœur vous conduit mal, et je ne
veux conserver de liaisons qu'avec à/^% gens dont
la tête et le cœur soient sains.
182 CORRESPONDANCE.
LETTRE CDLXXXVI.
A M. D'IVERNOIS.
Y Verdun, le mercredi 1®* août 176 4.
Le voyage , monsîeuf , qui doit me rapprocher
de vous est commencé ; mais je ne sais quand il
s'aohèvera , vu les pluies qui tombent actuellement,
et qui rendent les chemins désagréables pour un
piéton.. Toutefois supposant que la pluie cesse et
que le chemii^ se ressuie «passablement d'ici à de-
main après dîner, je me propose d'aller coucher
âfGoumoinsvâprès-demaiii à Morges, où j'attendrai
peut-être uii joiir ou deux. Comme j'en crois les ca-
barets mauvais et le séjour ennuyeux, je tacherai
de trouver un bateaii pour traverser à Thonon , où
je séjournerai quelques jours attendant de vos nou-
. yelles. Je vous marque ma marche un peu en dé-
tail , afin que , si vous vouliez me joindre à Morges ,
vous. puissiez savoir quand m'y trouver : mais en-
core une fois , ma manière de voyager fait que tous
mes arrangements déifendent du temps. Je serai
charmé de vous voir et nos amis, à condition que
je ne serai point gêné dans ma manière de vivre ,
et qu'on n'amènera point de femme , quelque plai-
sir que j'eusse en tout autre temps de faire con-
naissance avec madame d'Ivernois. Je lui présente
mbn respect, et vous salue, monsieur, de tout
mon cœur.
ANNÉE 1764. l83
LETTRE CDLXXXVII.
AU MÊME.
Modersy le ao août 1764.
En arrivant ici avant -hier, monsieur, en mé-
diocre état, je reçus avec des centaines de lettre*
la vôtre pour m'en consoler , mais à laquelle Tyi^-
portunité des autres m'empêche de répondre çn
détail aujourd'hui.
Je suis très- sensible à la grâce que veut mç'
faire M. Guyot ; ce serait en abuser que de prendre
toutes sest^ougies au prix auquel il veut bien me
les passer. D'ailleurs , il ne me paraît pas que ceHe
que vous m'avez envoyée soit exactement sem-
blable aux miennes; il faudrait, pour en faire l'es-
sai convenablement, et plus de loisir et un plus
grand nombre. A tout événement , si de ces cinq
douzaines M. Guyot voulait bien en céder deux ,
je pourrais, sur ces vingtKpiatre bougies, faire cet
hiver des essais qui i^e décideraient sur ce qui
pourrait lui en rester au |Mrîn temps; et, si pou^
ce nonabre il permet le choix , je les aimerais mieux
grisés Qu noires que rouges , et surtout des plus
longues qu'il ait, puisque je suis obligé de mettre
à toutes des allonges^ qui m'incommodent beau-^
coup , mais qui sont nécessaires pour que la bou-
gie pénètre jusqu'à l'obstacle. #•
Vous aurez la Nouvelle Héloisè ; mais, comme
l84 CORRESPOND AUrCE.
je suppose que vous n'êtes pas pressé, j'attendrai
que les tracas me laissent respirer. Du reste , ne
vous faites pas tant valoir pour m'avoir demandé
cette bagatelle; votre intention se pénètre aisé-
ment. Les autres donnent }M)ur recevoir; vous
faites tout le contraire 9 et même vous abusez de
ma facilité. Ne m'envoyez point de l'eau d'Auguste ?
parce qu'en vérité jef n'en saurais que faire, ne la
trouvant pas fort agréable, et n'ayant pas grand'foi
à ses vertus. Quant à la truite , l'assaisonnement
et la main qui l'a préparée doivent rendre excel-
lente une chose iiaturetlement aussi bonnç ; mab
mon état présent m'interdit Fusage de ces sortes
de mets^ Tbutefoiis ce présentt vient d'une part qui
n^'empéche de le refuser , et j'ai gmnd'peur que
lua gourmandise ne m'empêche de m'en abstenir.
Je dois vous avertir, par rappprt à l'eau d'Au-
guste > de ne plus vous servir d'une aiguille de
cuivre ^ qu de vqus abstenir d'en boire ; car la li-
queur dpit dissoudre assez de cuivre pour rendre
Cette boissou pernicieuse et pour en, faire mênae
un poisQQ. Ne uégligez ps^ cet avis.
J'aurais cent choses à voiis dire ; mais le temps
ine presse , il faut finîr : ce ne serait paà sans vous
faire tous les remerciements que je vpus dois , si
des paroles y ppuyaient suffire. Bien des respects à
madame, je vous supplie ; mille choses à nos amis ;
recevez les remerciements et les salutations de ma-
demoiselle Le Vaaseur, et d'un honmie dont le cœur
est plein de vous.
Je qe puis m'empêcher de vous réitérer que Ti-
dée d'adresser DkBest une chose excellente ; c'est
une mine d'or que cette idée autre des mains qui
sauront l'exploiter.
LETTRE CDLXXXVIII.
A MILORD MARÉCHAL.
Motiersy le ai août 1764*
Le pL lue m'a causé , Milord , la nouvelle de
votre heureuse arrivée à Berlin par votre lettre ém.
mois dernier, a été retardé par un voyage que j'a-
vais entrepris, et que la lassitude et le mauvais
temps m'ont fait abandonner à moitié chemin. Un
premier ressenlimejQt de sciatique , mal héréditaire
dans ma famille , m'effrayait avec raison. Car jugez
de ce que deviendrait, cloué dans sa chambre, un
pauvre malheureux qui n'a d'autre soulagement
ni d'autre plaisir dans la vie que la promenade, et
qui n'est plus qu'une machine ambulante! Je m'é-
tais donc mis en chemin pour Aix dans l'intention
d'y prendre la douche et aussi d'y voir mes bons
amis les Savoyards, le meilleur peuple, à mon aviâ,
qui soit sur la terre. J'ai Êiit la route jusqu'à Morges
pédestrement , à mon ordinaire , assez caressé par-
tout. En traversant le lac, et voyant de loin les do-
chers de Genève , je me suis surpris à soupirer aussi
lâchement que j'aurais fait jadis pour une perfide
maîtresse. Arrivé à Thonon , il a fallu rétrograder ,
malade et sous ime pluie continuelle. Enfin me voici
/
l86 CORRESPONDANCE.
de retour , non cocu à la vérité , mais battu , mais
content, puisque j'apprends votre heureux retour
auprès du rpi , et que mon protecteur e!t mon père
aime toujours son enfant.
Ce que vous m'apprenez de l'affranchissement
des payi^ans de Poméranie , joint à tous les autres
traits pareils que vous m'avez ci-devant rapportés ,
me montre partout deux choses également belles;
savoir, dans l'objet le génie de Frédéric, et dans
le choix le cœur, de George. On ferait une histoire
digne d'immortaliser le roi sans autres, mémoires
que vos lettres.
A propos dé mémoires, j'attends avec impatience
ceux que vous m'avez promis. J'abandonnerais vo-
lontiers la vie particulière de votre frère si vous
les rendiez assez amples pour en-pouvoir tirer l'his-
toire de votre maison. J*y pourrais parler au long
dé FÉcosse que vous aimez tant, et de votre il-
lustre frère et de son illustre frère , par lequel tout
cela m'est deVenu Xher, Tl est vrai que cette entre-
prise serait immense et fort au-dessus de mes forces,
surtout dans l'état où je suis ; mais il s'agit moins de
faire un ouvrage que de m'occuper de vous , et de
fixer mes indociles idées qui voudraient aller leur
train malgré moi. Si vous voulez que j'écrive la vie
de Fami dont vous me parlez, que votre volonté soit
faite ; la mienne y trouvera toujours son compte ,
puisqu'en vous obéissant je m'occuperai de vous.
Bonjour , Milord .
AWN^E 1764. 187
LETTRE CDLXXXIX.
A MADAME LA COMTESSE DE BOUPFLERS.
Modéra y le 16 août 1764*
Âpres les preuves touchantes , madame , que f ai
eues de votre amitié dans les plus cruels moments
de ma vie , il y aurait à moi de l'ingratitude de n'y
pas compter toujours ; mais il faut pardonner beau-
coup à mon état : la confiance abandonne les mal-
heureux, et je sens, au plaisir que m'at fait votre
lettre , que j'ai besoin d'être ainsi rassuré quelque*
fois. Cette consolation ne pouvait me venir phis
à propos : après tant dé pertes irréparables, et en
dernier Heu celle de M. de Luxembourg, il m'im-
porte de sentir qu'il me reste des biens assez pré-
cieux pour valoir la peine de vivre. Le moment
où j'eus le bonheur de le connsdtre ressemblait
beaucoup à celui où je l'ai perdu ; dans l'un et dass
l'autre, j'étais affligé, délaissé, malade: il me con-
sola de tout ; qui me consolera de lui ? Les amis
que j'avais avant de le perdre ; car mon cœur, usé
par les maux , et déjà durci par les ans , est fermé
désormais à tout nouvel attachement.
Je ne puis penser, madame, que dans les criti-
ques qui regardent l'éducation de M. votre fils,
vous compreniez ce que, sur le parti que vous avez
pris de l'envoyer à Leyde, j'ai écrit au chevalier*
* Sans doute le chevalier de Lorenzy. La lettre dont il s'agit ici
n'a point été publiée.
l88 GORRESPONDiLlICE.
de L***. Critiquer quelqu'un, c'est blâmer dans
le public sa conduite ; mais dire son sentiment
à un ami commun sur un pareil sujet, ne s'ap-
pellera jamais critiquer, à moins que l'amitfé n'im-
pose la loi de ne dire jamais ce qu'on pense,
même en choses où les gens du meilleur sens peu-
vent n'être pas du même avis. Après la manière
dont j'ai constamment pensé et parlé de vous , ma-^
dôme , je me décrierais, moi-même, si je m'avisais.
de vous critiquer. Je trouve à la vérité beaucoup
dfnconvénient à envoyeur les jeunes gekjis dans les.
uwversités ; n^s je trouve aussi que , selon les cir-
constances, il peut y en avoir davantage à ne pas
le lisLire, et l'on n'a pas toujours en ceci le choix
du plus grand bien, mais du moindre mal. D'ail-
leurs uiie £pis la nécessité de ce panti supposée, je
crob comme vous qu'il y a moins de danger en
Ik^nde que partout ailleurs.
Je suis ému de ce que vous m'avez marqué de
messieurs les comtes de B*^ : jugez, madame , si la
bienveiUance des hommes de ce mérite m'est pré-
cieuse , à moi , que celle même des gens que je
n'estime pas sid>jugue toujours. Je ne sais ce qu'on
e&t fait de moi par le$ caresses : heureusement on
ne s'est pas avisé de me gâter là-dessus. On a tra-
vaillé sans relâche à donner à mon cœur , et peut-
être à mon génie , le ressort que naturellement ils
^'avaient pas. J'étais né faible; les mauvais traite-
ments m'ont fortifié : à force de vouloir m'avilir ,
on m'a rendu fier.
Vous avez la bonté , madame , de vouloir des dé-
àNNÉE 1764. 189
tails sur ce qui me r^;arde. Qtie vous dirai*je ? rien
n'est plus uni que ma vie, rien n'est plus borné
que mes projets ; je vis au jour la journée sans
souci du lendemaini, ou plutôt j'achève de vivre
avec plus de lenteur que je n'avais compté. Je ne
m'en irai pas plus tôt qu'il ne plaît à la nature ;
mais ses longueurs ne laissent pas de m'embarras-
ser , car je n'ai plus rien à faire ici. Le dégoût de
toutes choses me livre toujours plus à l'indolence et
à l'oisiveté. Les maux physiques me donnent seuls
un peu d'activité. Le séjour que j'habite , quoique
assez sain pour les autres hommes , est pernicieux
pour mon état : ce qui £ût que , pour me dérober
aux injures de l'air et à l'importunité des désœu-
vrés , je vais errant par le pays durant la belle sai-
son; mais, aux approches de Thiver, qui est ici
très-rude et très - long , il faut revenir et sou£Grir .
Il y a long-temps que je cherche à déloger : mais
où aller ? comment m'arranger ? J'ai tout à la fois
l'embarras de l'indigence et celui des richesses :
touf e espèce de soin m'effraie ; le transport de mes
guenilles et de mes livres par ces montagnes est
pénible et coûteux : c'est bien la peine de déloger
de ma maison, dans l'attente de déloger bientôt de
mon corps! Au lieu que , restant où je suis , j'ai des
journées délicieuses, errant, sans souci 9 sans pro-
jet , sans affaires , de bois en bois et de rochers en
rochers , rêvant toujours et ne pensant point. Je
donnerais tout au monde pour savqir labotaj^que ;
c'est la véritable occupation d'up corps* andmlant
et d'un esprit paresseux : je ne répondrais pas que
igO CORRESPONDANCE.
je n'eusse la folie d'essayer de l'apprendre , si je sa-
vais par où commencer. Quant à ma situation du
coté des ressources , n'en soyez pas en peine ; le
nécessaire, même abondant , ne m'a point manqué
jusqu'ici , et probablement ne me manquera pas
si tôt. Loin de vous gronder de vos offres, madame,
je vous en remercie; mais vous conviendrez qu'elles
seraient mal placées si je m'en prévalais avant le
besoin.
Vous vouliez des détails ; vous devez être con-
tente. Je suis très-contéiit des vôtres, à cela près
que je n'ai jamais pu lire le nom du lieu que vous
habite^. Peut-être le connais-je ; et il me serait bien
doux de vous y suivre , du moins par l'imagination.
Au reste, je vous plains de n'en être encore qu'à
la philosophie. Je suis bien plus avancé que vous ,
m£^dame ; sauf mon devoir et mes amis , me voilà
revenu à rien.
Je ne trouve pas le chevalier si déraisonnable ,
puisqu'il vous divertit; s'il n'était que déraison-
nable, il n'y parviendrait sûrement pas. Il est bien
à plaindre dans les accès de sa goutte , car on souffre
cruellement; mais il a du moins l'avantage de souf-
frir sans risque. Des S!célérats ne l'assassineront pas,
et personne n'a intérêt à le tuer. Êtes-vous à por-
tée , madame , de voir souvent madame la maré-
chale? dans les tristes circonstances où elle se
trouve, elle a bien besoin de tous ses amis, et sur-
tout de vous.
ANDTEE 1764. 191
LETTRE CDXC
A M. LE PRINCE L. E. DE WIRTEMBERG.
Motien» le 3 septembre 1764.
J'apprends avec plus de chagrin que de sur-
prise l'accident qui vous a forcé d'ôter à votre se-
cond enfant sa nourrice naturelle. Ces refus de lait
sont assez communs; mais ils ne sont pas tous sur
le compte de la nature , les mères pour l'ordinaire
y ont bonne part. Cependant, en cette occasion,
mes soupçons tombent plus sur le père que sur la
mère. Vous me parl(^ de ce joli sein en époux ja-
loux de lui con&€||:/er toute sa fraîcheur , et qpui ,
au pis aller 9 aime mieux que le dégât qui peut s'y
faire soit de sa façon que dl^ celle de l'enfant : mais
les voluptés conjugales sont passagères, et les plai-
sirs de l'amant ne font le bonheur pi du père ni
de l'époux.
Rien de plus intéressant que les détails des pro-
grès de Sophie. Ces premiers actes d'autorité ont
été très-bien vus et très-bien réprimés. Ce qvi'il y
a de plus difficile dans l'éducation , est de ne don-
ner aux pleurs des enfants ni plus ni moins d'at-
tention qu'il n'est nécessaire. Il faut que l'enÊuit
demande , et non qu'il commande ; il faut que la
mère accorde souvent , mais qu'elle ne cède jamais.
Je vois que Sophie sera très-rusée; et tant mieux,
pourvu qu'elle ne soit ni capricieuse ni impérieuse ;
îg2 CORRESPONDANCE.
mais je vois qu'elle aura grand besoin de la vigi-
lance paternelle et maternelle , et de l'esprit de dis-
cernement c[ue vous y joignez. Je sens , au plaisir
et à l'inquiétude que me donnent toutes vos lettres ,
que le succès de l'éducation de cette chère enfant
m'intéresse presque autant que vous.
LETTRE CDXCI.
#■-■.
A MADAME {.ATOUR.
Aa Champ-da-Mouliii , le 9 septembre 1764*
J'ai reçu- toutes vos lettres , chère Marianne , je
sens tous mes torts ; pourtant rj'ai raison. Dans les
traSas où je suis , l'aversion d^^èrip^ des lettres i^-
tend jusqu'aux personnes à qui je suis forc^dties
adresser , et vous êtes , en pareil cas, une de <;elles
k qui je me sens Uik moins disposé d'écrire. Si ce
sont absolumeqit des lettres que vous voulez , rien
ne m'excuse ; mais si l'amitiç vous suffît , restez çn
repos .spir ce point. Au surplus,. daignez attendre,
je vous écrirai qi^and je pourrai.
Mille- choses , je vous suppliîe , .aii papa , s'il . est
encore auprès çje^ vous.
ANNÉE 1764. 193
LETTRE CDXCÏI.
A M. DU PEYROU.
la septembre 1764.
Je prends le parti, monsieur, suivant votre
idée y d'attendre ici votre passage : .s*il arrive que
vous alliez à Cressier, je pourrai prendre celui de
vous y suivre , et c'est de tous les arrangements
celui qui me plaira le plus. En ce cas-là j'irai seul,
c'est-à-dire , sans mademoiselle Le Va§seur, et je
restera} seulement dçux ou trois jours pour essai ,
ne poirvant guère m*éloigner eti ce momen|; plus
Idng-temps d'ici. Je comprends ; au temps que de-
mande la dame Guinchard pour ses préparatils,
qu'elle me prend jW>ur un Sybarite. Peut-être aussi
▼eut-ellcsoutenir la réputation du cabaret de Gros-
sier ; mais cela lui sera difficile , puisque les plats ,
quoique bcMis, n'en font pas la bonne chère, et
qu'on n'y remplace pas l'hôte par un cuisinier.
Vous aurez à Monlezi un autre hôte qui n'est pas
plus facile à remplacer, et deSi hôtesses qui le sont
encore moins. Monlezi doit êkre- une espèce de
mont Olympe pour tout ce qid l'habite en pareille
compagnie. Bonjour, monsieur : quand vous re-
viendrez parmi les mortels, n'oubliez pas, je vous
prie , celui de tous qui vous honore le plus , et qui
veut vous offrir , au lieu d'encens , des sentiments
qui le valent bien.
R. XX. i3
194 GORRKSPONDA.NCE.
LETTRE CDXCIII.
AU MÊME.
Ce dimanche matin , septembre 1764.
Mon état met encore plus d'obstacles que le
temps à mon départ. Ainsi j'abandonne, pour le
prési^nt, mon premier projet de voyage, qui ne
me permettrait pas d'être ici de retour à la fin du
mois, ce qu'il &ut absolument; mais, au lieu de
cela , je prendrai le partit de descendre à Neudiiâ-
tel , et d'y passer quelques jours avec vous ; ainsi ,
vous pouvez, si vous y descendez, me prendre
avec vous , ou nous descendrons séparément, tou-
jpurs en supposant que mpn état le permette.
Je ùàs mille salutations et respects à tous les
habitants et habitan1;es de Monlezi. Je ne dois en-
trer pour rien dans l'arrangemeiit de voyage d^
IJif. Cbaillet, parce que je ne prévois pas pouvoir
descendre aussitôt que lui. Madame Boy de La
Tour me charge de lui marquer, de même qu'à
madame , Tempressement qu'elle a de les voir ici.
Elle leur fait dire aussi , pour nouvelle , que ma-
dame de Froment est arrivée hier à Colombier.
Nous verrons votre besogne quand nous nous ver-
rons ; et c'est surtout pour en confère r ensemble que
je veux passer deux ou trois jours avec vous. J'écris
si à la hâte, que je ne sais ce que je dis, sinon
'.ut
€[uand je vous assune que Je vous aimé dé tout
mon coeur.
Le portmit eït iGjdt, et ob lé ttcÊLte asseî ré^
semblant ; mnis le peintre n'en est pas cohtent.
LETTRE CDX.CIV,
A M. D'IVERNOIS.
Alotiers, le (5-septieBibre 1764*
La difficulté , monsieur y de trouver un logement
qui me convienne me force à demeurer ici cet hi-
ver ; ainsi vous m'y trouverez à votre passage. Je
viens de recevoir , avec votre lettre du 1 1 , le mé-
moire que vousm'j annoncez :'jé n'ai point celui
de ^ à G, et je n'ai aucune nouvelle dfi C, ce qui
me confirme dans l'opinion où j'étais sur son sort.
Je suis charmé, rftais non iurpHs, de ce que
vous me marquée dé* la part dé 'M. Abauzit. Cet
faonmie vénér iadile est trop éclairé poutf* ne pas voir
me» intentions , et trop vertueux ][iour né pas Tes
approuver.
Je savais le* voyage de M. le duc dé iCandàn :
deux earrosisées d'officiers du régiiiheitt dû .Roi,
cjtti l'ont accompagné, et qui me hotxf Venus voir,
iti'^n ont dit lés détails. On leur avait éssufé à Ge-
nève que j'étais un Ifttip-gat^ii ifl[abofdâ9)le. Ik ne
sont pas édiÔéfii de ée (|u'6n leur a dît de moi dans
ce pays-là.
J'aurai soin dé nÉétjbre dtié wAHfàe distiiictiVé
i3.
JQ^ COHRESPONDANCK.
aux- papiers qui me viennent de vous , mais je vous
avertis que , si j'en dois foire usage , il foudra qu'ils
me restent très-long-temps, aussi-bien que tout ce
qui est entre mes mains et tout ce dont j'ai besoin
encore. Nous en causerons quand j'aurai le plaisir
de vous voir, moment que j'attends avec un véri-
td!>le empressement. Mes respects à madame dl-
vernois et mes salutations à nos amis. Je vous em-
brasse.
Je crois vous avoir marqué que j'avais ici la ha-
rangue de M. Chouet.
LETTRE CDXCV.
A M. DU PEYROU.
. - Le 17 septembre 1764.
Lé temps qu'il foit ni mon état' présent ne me
permettent pas, monsieur, de fixer le jour auquel
il me sera possible d'aller à Cressier. Mais s'il fai-
sait, beau et que je fusse mieux, je tâcherais, d'au-
jouttl'hui ou de demain en huit , d^'aller coucher à
Neuchâftel ; et de là, si votre carrosse était chez vous,
je pourrais, puisque vous le permettez , le prendre
pour aller à Cressier^ Mon désir d'aller passer quel-
ques jours près de vou^ est certain ; mais je suis
si accoutumé à voir coûtrarier mes projets , que
je n'ose presque plus eh foire ; toutefois voilà le
mien quant à présent, et, s'il arrive que j'y re-
nonce , j'aurai sûrement regret de n'avoir pu l'exé-
ANHÉE 1764. Iff]
cutôr. Mille remerciements , monsieur , et sduta-
tions de tout mon cœur.
Je ne comprends pas bien , monsieur , pourquoi
vous avez affranchi votre lettre. Comme je n'aime
pas pointiller , je n'affranchis pas la mienne. Quand
on s'écarte de l'usage , il faut avoir djes raisons ;
j'en aurais une,. et vous n'en aviez pcnnt que je
sache.
LETTRE CDXCVI.
A M. DANIEL ROGUIN. f
Motiers, le 3 a septembre 1764*
Je suis vivement touché, très-cher papa, de la
perte que nous venons de faire; car, outre que
nul événement dans votre famille ne m'est étran-
ger , j'ai pour ma part à regretter toutes les bontés
dont m'honorait M. le banneret. La tranquillité de
ses derniers moments nous montre bieA que l'hor^
reur qu'on y trouve est moins dans la chose que
dans la manière de l'envisager. Une vie intègre est
à tout événement un grand moyen de paix dans
ces moments-là, et la sérénité* avec Jaquelle vous
philosophez sur cette matière vient autant de votre
cœur que de votre. raison. Cher papa , nous n'abré-
gerons pas, comme le défunt, notre carrière à
force de vouloir la prolonger ; nous laisserons dis-
poser de nous à la nature et à son auteur, sans
troubler notre vie par l'effroi de la perdre. Quand
Iie& maux OU les an;» auront mûri ce fi^idiléjdaéwère,
nous le laisserons tomber sans murmure ; et tout
ç^ qu'il jjieut aniyer de pis en toute supposition est
que Bff>u&, ces8ero^s alors y moi d'aimer le bien , y4ms
4'w ftire-
LETTRE CDXCVII.
A M. DE GHAMFORT.
Motîers, le 6 0€U>bre 1764.
Je vous remercie , monsieur, de votre dernière
pièce * et du plaisir que m'a fait sa lecture. Elle dé-
cide le talent qu'annonçait la première, et déjà
Vauteur m'inspire as^e^ d'estime pour oser lui dire
40 mal de son oun^e. Je n'aime pas trop qu'à
voire âge vous fassiez le grand-père, que vous me
dpQOJy^z un intérêt si teadce pour Le petit-fils que
Mùosi n*jxvem point, Qt que » cbAs une épîtse où vous
àii§^ de si belles choses , je sente que ce n'est pas
^SWS qw parles. Évite? cette métaphysique à la
q6K>4b , qui depuis quelque temps obscurcit tellie-
iQûnt les. verst français, qu'on ne peut les Hre qu'ai-
vec cont^ation d'écrit. Les vôtres ne sont pas dans
ce cas encore ; mais ils y tomberaient si la difié-
r^Biçe qu'on sent entre votre première pièce et la
seconde allait ai augmentant. Votre épître abonde ,
npnr$w)emeni en grandi» sentiments, mais en pe»-
* Épure d'un père à son fils sur la naissance d'un petit-fils. Elle fait
pmMÛÊ^âf^ OBivnwf'de Chamfert.
KNISIÉE 1764. 199
sées philosophiques, auxquelles je reprocherais
quelquefois de Tétre trop« Par exemple, en louant
dans les jeunes gens la fot qu'ils ont et qu'on doit
k la vertu , croyez-vous que leur faire entendre qud
cette foi n'est qu'une erreur de leur â^ soit un bon
moyen de la leur conserver? Il ne faut pas, mon-
sieur , pour paraître au-dessus des préjugés , saper
les fondements de la morale. Quoiqu'il n'y ait au-
cune parfaite vertu sur la terre, il n'y a peut-être
aucun Jiomme qui ne surmonte ses penchants en
quelque chose , et qui par conséquent n'ait quel-
que vertu ; les uns en ont phis , les autres moins :
mais si la mesure est indéterminée, est-ce à dire
que la chose n'existe point? C'est ce qu'assurément
v^us ne croyez point, et que pourtant vous Eûtes
entendre. Je vous condamne , pour réparer cette
&ute , à faire une pièce où vous prouverez quel,
malgré les vices des hommes , il y a parmi eux des
vertus, et même de la vertu , et qu'il y en aura tou-
jours. Voilà, monsieur, de quoi s'ékrrer à la phis
haute philosophie. Il> y en a davantage à combattre
les préjugés philosophiques qui sont nuisibles qu'à
combattre les préjugés populaires qui sont utile».
Entreprenez hardiment cet ouvraEge ; et , si vous le
traitez comme vous le pouvez faire , un prix ne sau-
rait vous manquer *.
En vous parlant des gens qui m'accablent dans
mes malheurs et qui me portent leurs coups en
secret , j'étais bien éloigné, monsieur, de songer à
* Chamfort ayaît envoyé son épitre au concours- pour le prix de
poésie proposé par TAcadéniie française.
200 CORRJÎSPajyDAJSCE.
rieu qui eût le moindre rapport au parlement de
Paris. J'ai pour cet illustre corps les mêmes senti-
meiits qu'avant ma disgrâce , et je rends toujours la
même justice à 9es membres , quoiqu'ils me l'aient
si mal rendue. Je veux même penser qu'ils ont cru
fisdre envers moi leur devoir d'hommes publics ;
mais c'en était un pour eux de mieux l'apprendre.
Qn trouverait difficilement un fait où le droit des
gens fut violé de tant de manières : mais quoique
les. suites de cette affaire m'aient plongé àgns un
gouffre de malheurs d'où je ne sortirai de ma vie ,
je n'en sais nul mauvais gré à ces messieurs. Je
sais que leur but n'était point de me nuire , mais
seulement d'aller à leurs fins. Je sais qu'ils n'ont
pour moi ni amitié ni haine ^ que mon être et mon
sort est la chose du monde qui les intéresse le
moins. Je me suis trouvé sur leur passage comme
un caillou qu'on pousse avec le pied sans y regar-
der. Je connais, à peu près leur portée et leurs prin-
cipes. Ils^ ne doivent pas dire qu'ils ont &it leur de-
voir , mais qu'ils ont fait leur métier.
Lorsque vous voudrez m'honorer de quelque té-
mioignage à^e souvenir et me faire quelque part de
vos travaux littéraires, je les recevrai toujours avec
intérêt et reconnaissance. Je vous salue, monsieur ^
de tout mon coeur.
ANNÉE 1764* aO£
• :
1
LETTRE CDXCVIII.
A M. DU PEYROU.
Le 10 octobre 1764»
Traité historique des plantes quL croissent dans la
Lorraine et les Trois-Évêdies ; par M. P. J. Buchoz,
ai^ocat au parlement de Metz, docteur en méde-
cine, etc.
Cet ouvrage , dont deux volumes ont déjà paru ,
en aura vingt â^-S^ , avec des planches gravées.
J'en étais ici , monsieur , quand j'ai reçu votre
docte lettre; je suis charmé de vos progrès ; je vous
exhorte à continuer; vous- serez notre maître, et
vous aurez tout l'honneur de hotre futur savoir.
Je vous conseille pourtant de consulter M. Marais
sur les noms des plantes , plus que sur leur'étymo-
logie ; car asphodelos , et non pas asplhùdeUos , n'a
pour racine aucun mot qui signifie ni mort, ni
herbe, mais tout au plus un verbe ^ qui signifie yè
tue , parce que les pétales de l'asphodèle ont quel-
que ressemblance à des fers de piques. Au reste ,
j'ai connu des asphodèles qui avaient de longues
tiges, et des feuilles semblables à celles des lis.
Peut-être faut-il dire^ correctement : du genre des
asphodèles. La plante aquatique est bien nénuphar ,
autrement njmpliœa, comme je disais. Il faut re-
dresser ma faute sur le ealament , qui ne s'appelle
aOft CORRKSPO]!(J)A]fCE.
pas en latin calamentum, mais calamentha, comme
qui dirait belle menthe.
Le temps ni mon état présent ne m'en laissent
pas dire davantage. Puisque mon silence doit par-
ler pour moi, vous savez, monsieur , combien j'ai
à me taire.
LETTRE CDXCIX.
A M. MARTEAU.
Motiers, le 14 octobre 1764-
Via reçu , mcmsreuF , à« retour d^nne tommée
qoe j*ai faite dans nos montagnes , votre lettre du
i^spfttt et l'ouvrage que tous y avea joint, fy ai
trout^ des sentimenfs , dé Thofinétefé , du gottt; et
ii#^.l!appe1é avec plaisir nôtre anctehne connais-
siez. Je ne voHdràs pourtant pas qu'avec te ta-
lâM qqe vous pai^aasse^ avoir, vous err bbrnttssiez
Félnpk>i à de pareilles bagatelles.
Jié songez pas , monsieur , à v^nir ici avec une
fedtitae- ^ douze cents livres de rente viagère pour
tbvtfe fortune. La liberté mcft ici tout le ndonde à
sùÈf afee ; le commerce qu'on ne gêne point y fleu-
rie; on y a beaucoup d'argent et peu de denrées :
€» n'est pas le moyei!^ d'y vivre àr bon marché. Je
toas conseille aussi de bien tfdnger , avant d6 vous
marier, à ce que vous aHez foire. Une rente viar
gère u'ést pas une grantfe ressource pour une fti-
milfe. Je reïnarque d^aîUeurs que tous les jeunes
ANNÉE 1764. ao3
gens à marier trouvent des Sophies ; mais je n'en-
tends plus parler de Sophies aussitôt qu'ils sont
mariés.
Je vous salue , monsieur , de tout mon cœur.
LETTRE D.
A M. LALiâUDi
"NLoûen, le i4octobjr€ 1764
Voici , monsieur , celle des trois estampes que
vous m'avez envoyées qui , daM le Honore des
gens que j'ai consultés , a eu la pluralité, des voix.
Plusieurs cependant préfèrent celle* qcn es€ ^n fta-
bit français , et l'on peut balancer avec raiscua , puis^
que Fune et l'isratre ont été. gravées sur le même
portrait , peint par M. de La Tour. Quant à Ves-
tampe où le visage est de profil , elle n'a pai» la
moindre ressemblance : il paraît que celui (^ Ta
feite ne m'avait jamais m , et il s'est même trompé
sur mon âge.
Je voudrais , monsieur , être digne de Hionneur
que vous me fisiites. Mon portrait figure mal parmi
ceux des grands philosophes dont vous me parlez :
mais j'ose croire qu'il n'est pas déplacé parmi ceux
des amis de la justice et d'e* la vérité. Je vous salue ,
monsieur , de tout mdn cœur;
ao4 CORRESPONDANCE.
■• . i
LETTRE DL
A M. LE PRINCE L. E. DE WIRTEMBERG.
Motiers, le 14 octobre 1764.
C'est à regret, prince, que je me prévaux quel-
quefois des conditions que mon état et la nécessité,
plus que ma paresse , m'ont forcé de faire avec vous.
Je vous écris rarement; mais j'ai toujours le cœur
plein de vous et de tout ce qui vous est cher. Votre
constance à suivre le genre de vie si sage et si simple
que vous avez choisi , me feiit voir que vous avez
tout ce qu'il faut pour l'aimer toujours; et cela
m'kttàche et m'intéresse à vous , comme si j'étais
votre égaï^ ou plutôt comme si vous étiez le mien ;
car ce n'est que da^s les conditions privées que
l'on coônait l'amitié.
'■ Le sujet des deux épitaphes que vous m'avez en-
voyées est bien moral : la pensée en est fort belle ;
mais avpuez que les vers de l'une et de l'antre sont
bien mauvais. Des vers plats sur une plate pensée
font du moins .un tout assorti ; au lieu qu'à mal
dire>ûne belle chose on a le double tort de mal
dire et de la gâter.
Il me vient une idée en écrivant ceci : ne seriez-
voûs point l'auteur d'une de ces deux pièces? Cela
serait plaisant, et je le voudrais un peu. Que n'a-
vez -vous fait quatre mauvais vers, afin que je
pusse vous le dire , et que vous m'en aimassiez en-
core plus !
ANNKK 1764. 205
'*-<*^»»%^m'^'*i'%^^^^/%^^^<»l>»»^'a<*^^%^%<«^%<%^<%^'%<%^^
LETTRE DU.
A M. DE LATOUR.
t
Moders, le 14 <ictobre 1764.
Oui 9 monsieur , j'accepte encore mon second
portrait. Vous savez que j'ai £ait du premier un
usage aussi honorable à vous qu'à moi et bien pré-
cîeuiL à mon coeur. M. le maréchal de Luxembourg
daigna l'accepter : madame la maréchale a daigné
le recueillir. Ce monument de votre amitié, de
votre générosité , de vos rares talents , occupe une
place digne de la main dont il est sorti. J'en des-
tine au second une plus humble, mais dont le même
sentiment a fait choix. Il ne me quittera point, mon-
sieur, cet admirable portrait qui me rend en quel-
que façon l'original respectable; il sera sous mes
yeux chaque jour de ma vie ; il parlera sans cesse
à mon cœur ; il sera transmis après moi dans ma
famille : et ce qui me flatte le plus dans cette idée,
est qu'on s'y souviendra toujours de notre amitié.
Je vous prie instamment de vouloir bien donner
à M. Le Nieps vos directions pour l'emballage. Je
tremble que cet ouvrage , que je me réjouis 3e faire
admirer en Suisse, ne souffre quelque atteinte daiis
le transport.
ao6 GORRBSFONDANCK.
LETTRE DIII.
A M. LE MEPS.
Motiers, le 14 octobre 1764.
Puisque, malgré ce que je vous avais marqué
c5-devant , mon bon ami, vous avez jugé à propos
de recevoir pour moi mon second portrait de M. de
La Tour, je ne voU3 en dédirai pas. L'honneur qu'il
m'a fait , l'estime et l'amitié réciproque , la conso-
lation que je reçois de son souvenir dans mes mal-
heurs , ne me laissent pas écouter dans cette occa»
sion une délicatesse qui , vis-à-vis de lui, serait une
espèce d'ingratitude. J'accepte ce second présent,
et il ne m'est point pénible de joindre pour lui la
reconnaissance à l'attachement. Faites-moi le plai-
sir , cher ami ,de lui remettre l'incluse, et priez-le,
eomme je fais, de vous donner ses avis sur la ma-
nière d'^uballer et voiturer ce bel ouvrage , afin
qu'il ne s'endommage pas dans le transport. Em-
ployez quelqu'un d'entendu pour cet emballage , et
■prenez la peine aussi de prier MM. Rougemont de
Vous indiquer des voituriers de confiance à qui
l'on puisse remettre là caisse pour qu'elle me par-
vienne sûrement , et que ce qu'elle contiendra ne
spit point tourmenté. Comme il ne vient pas de
vcHturiers de Paris jusqu'ici , il faut l'adresser, par
lettre de voiture , à M. Junet , directeur des postes
à Pontjirlier , avec prière de me la faire parvenir.
AJSJiÉE 1764* 207
Vous ferez y s'il vous plait , une note exacte de vos
déboursés , et je vous' les ferai rembourser aussi-
tôt. Je suis impatient de m'honorer en ce pays du
travail d'un aussi illustre arti&te , et des dons d'un
homme aussi vertueux.
Le mauvais temps ne me permît pa» de suivre
cet été ma route jusqu'à Aix^ pour une misérable
sdatique dont les premières atteintes, jointes à mes
autres maux , m'ont fort effirayé. Je vis i Thonon
quelques Genevois, et entre autres celiii dont vous
parlez ; et en ce point vous avez été très-bien in-
focmé, mais non sur le reste, puisque nous nous
séparâmes tous fort contents les uns des autres.
M. D. a des défauts qui sont assez désagréables ;
mais c'est un honnête homme, bon citoyen, qui,
sans cagoterie , a de la religion , et des mœurs sans
âpreté. Je vous dirai qu'à mon voyage de Genève,
en 1 7 54 , il me parut désirer de se raccommoder
avec vous ; mais je n'osai vous en parler , voyant
l'éloignement que voua aviez pour lui : cependant
il me serait fort doux de voir tous ceux que j'ainoe
s'aimer entre eux.
Après avoir cherché dans tout le pays une habi-
tation qui me convînt mieujL que celle-ci , j'ai par-
tout trouvé des inconvénients qui m'ont rej;enu,
et svir lesquels je me suis enfin déterminé à rêve»
nir passer l'hiver ici. Bien sûr que je ne trouverai
la s^té nulle part , j'aime autant trouv.tir ici qu'ail-:
leurs la fin de mes mi^ièresu Les mauit , lés ennuis ,
les années qui s'accumulent mâ*ren,den^ moins
ardent dans mes désirs» et np^oins actif à les ntis"
faire ; puisque le bonheur n'est pas dans cette vie j
n'y nmltiplions .pas du moins les tracas.
Nous avons perdu le banneret Roguin, homme
de grand mérite , proche parent de notre ami , et
très-regretté de sa famille , de sa ville , et de tous les
gens/debie^. C'est encore, en mon particulier , un
aroide mcMns ; hélas! ils s'en vont tous, et moi je reste
peur survivre à tarit de pertes et pour les sentir.
U ne m'en demeure plus guère à faire , mais elles
me seraient bien cruelles. Cher ami , conservez-
vous.
LETTRE DIV.
A M. MOULTOU.
■
MotierSy le i5 octobre 17 64.
• Voici la lettre qiie vous m'avez envoyée. Je suis
peu surpris de ce qu'elle contient , mais vous pa-
l'àissiez avoir une si grande opinion de celui à qui
vohs vous adressiez , qu'il peut vous être bon d'a-
ittlir vu ce qu'il en était
; Vous songez à changer de pays; c'est fort bien
Eût, à mon avis; mais il eût été mieux encore de
tommencer par changer de robe, puisque celle
^e vous portez ne peut plus que vous déshono-
rer. Je vous aimerai toujours ; et je n'ai point
cessé de' vous intimer; mais je veux que mes amis
sentent ce qu'ils se doivent , et qu'ils fassent leur
ANIfiE 1764* 209
devoir pour eux-mêmes aussi bien qu'ils le fout pour
moi. Adieu , cher Moultou; je vous embrasse dç
tout mon cœur.
LETTRE DV.
A M. DELEYRE,
Motiersje 17 octobre 1764.
• J'ai le cœur surchargé de mes torts , cher De-*
leyre; je comprends par votre lettre qu'il m'est
échappé dans un moment d'humeur des expres-
sions désobligeantes , dont vous auriez raison d'être
offensé, s'il ne fallait pardonner beaucoup à mon
tempérament et à mçi situation. Je sens que je me
suis mis en colère sans sujet et dans une occasion
où vous méritiez d'être désabusé et non querellé.
Si j'ai plus fait et que je vous aie outragé, comme
il semble par vos reproches, j'ai fait dans un em-
portement ridiculô ce que dans nul autre temps je
n'aurais fait avec personne , et bien moins encore
avec vous. Je suis inexcusable , je l'avoue , mais je
vous ai offensé sans le vouloir. Voyez moins l'ac
tion que l'intention , je vous en supplie. Il est per-
mis aux autres hommes de n'étire que justes , mais
les amis doivent être cléments.
Je reviens de longues courses que j'ai &ites dans
nos montagnes , et même jusqu'en Savoie , où je
comptais aller prendre à Aix les bains pour une
sciatique naissante qui , par son progrès ^ m'ôtait
R. XX. 14
SkïO CORliESPOICDANGE.
le seul plaisir qui me reste dans la vie , savoir la
promenade. Il a fallu revenir sans avoir été jus-
que-là. Je trouve en rentrant chez moi des tas de
paquets et de lettres à faire tourner la tête. Il faut
absolument répondre au tiers de tout cela pour
le moins. Quelle tâche 1 Pour surcroît, je com-
mence à sentir cruellement les approches de l'hi-
ver , souffrant , occupé , surtout ennuyé : jugez
de ma situation ! N'attendez donc de moi , jusqu'à
ce qu'elle change , ni de fréquentes ni de longues
lettres; mais soyez bien convaincu que je. vous
aime , que je suis fâché de vous avoir offensé , et
que je ne puis être bien avec moi-même jusqu'à
ce que j'aie fait ma paix avec vous.
LETTRE DVL
A M. roULQUIER.
Att sujet da SliMOiRi de M. de 1 , suK les Mariages des ^Protestants.
Mptîers, le i^ octobre 1764.
Voici, monsieur, le mémoire que vous avez eu
la bonté de m'envoyer. Il m'a paru fort bien fait ; il
dit assez et ne dit rien de trop. Il y aurait seule-
ment quelques petites fautes de langue à corriger ,
si l'on voulait le donner au public : mais ce n'est
rien ; l'ouvrage est bon , et ne sent point trop son
théologien.
Il me parait que depuis quelque temps le gou-
vernement de France , éclairé par quelques bons
écrits , se rapproche assez d'une tolérance taéite
ANNEE 1764. 2ÎI
en faveur des protestants. Mais je pense aussi que
le moment de l'expulsion des jésuites le force à plus
de circonspection que dans un autre temps, de
peur que ces pères et leurs amis ne se prévalent
de cette indulgence pour confondre leur cause
avec celle de la religion. Cela étant, ce moment ne
serait pas le plus favorable pour agir à la cour ;
mais, en attendant qu'il vînt, on pourrait conti-
nuer d'instruire et d'intéresser le public par des
écrits sages et modérés, forts de raisons d'état
claires et précises , et dépouillées de toutes ces ai-
gres et puériles déclamations trop ordinaires aux
gens d'église. Je crois même qu'on doit éviter d'ir-
riter trop le clergé catholique : il faut dire le» Êdts
sans les charger de réflexions' offensantes. Conce-
vez , au contraire , un mémoire adressé aux éyê-
ques de France en termes décents et respectueux ,
et où , sur des principes qu'ils n'oseraient désa-
vouer , on interpellerait leur équité , leur charité ,
leur commisération, leur patriotisme, et même
leur christianisme. Ce mémoire , je le sais bien ,
ne changerait pas leur* volonté ; mais il leur fefait
honte de la montrer, et les empêcherait peut-
être de persécuter si ouvertement et si durement
nos malheureux frères. Je puis me tromper; voilà
ce que je pense. Pour moi je n'écrirai point, cela
ne m'est pas possible ; mais partout où mes soins
et mes conseils pourront être utiles, aux opprimés,
ils trouveront toujours en moi, dans leur mal-
heur, l'intérêt et le zèle que dans les miens je
n'ai trouvé chez personne.
14.
2131 CORRESrOJTDANCE.
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LETTRE DVII.
A M. LK COMTE CHARLES DE ZINZENUORF.
Mollers, le ao octobre 1764.
•
J'avais résolu , monsieur , de vous écrire. Je suis
fâché. que vous m'ayez prévenu; mais je n'ai pu
trouver jusqu'ici le temps de chercher dans des
tas de lettres la matière du mémoire dont vous vou-
lie^^bien vous charger. Tout ce que je me rappelle à
ce. sujet, est que l'homme en question s'appelle
M. de Sauttersheim, fils d'un bourgmestre de Bude ,
et qu'il a été employé durant deux ans dans une
des chambres dont sont composés à Vienne les
différents conseils . de la reine. C'est un homme
d'environ trente ans, d'une bonne taille, ayant
assez d'embonpoint pour son âge, brun, portant
ses cheveux , d'un visage assez agréable , ne man-
quant pas d'esprit. Je ne sais de lui que des choses
honnêtes , et qui ne sont point d'un aventurier.
J'étais bien sur , monsieur , que lorsque vous
auriez vu M. le prince de Wirtemberg f vous chan-
geriez de sentiment sur son compte, et je suis
bien sûr maintenant que vous n'en' changerez
plus. Il y a long-temps qu'à force de m'inspirer du
respect il m'a fait oublier sa naissance ; ou si je
m'en souviens quelquefois encore , c'est poiu* ho-
norer tant plus sa vertu.
Les Corses , par leur valeur , ayant acquis l'indé-
ANNÉE 1764. Îil3
pendance , osent aspirer encore à la liberté. Pour
l'établir, ils s'adressent au seul ami qu'ils lui con-
naissent. Puisse-t-il justifier l'honneur de leur choix.
Je recevrai toujours, monsieur, avec empres-
sement, des témoignages de votre souvenir, 91
j y répondrai de même. Ils ne peuvent que me rap-
peler la journée agréable que j'ai passée avec vous,
et nourrir le désir d'en avoir encore de pareilles.
Agréez, monsieur, mes salutations et mon respect.
Je suis bien aise que vous connaissiez M. Deluc;
c'est un digne citoyen. Il a été l'utile défenseur de
la liberté de sa patrie ; maintenant il voudrait cou-
rir encore aprèsi cette liberté qui li'est plus: il
perd son temps.
LETTRE DWUh
A MADAM£ XATOUR.
A Motlers^ 1« a i octobre 1764.
La fin de votre dernière lettre, chère Marianne,
m'a fait penser que j epourrais peut-être vous obliger,
en vous mettant à portée de me rendre un bon office.
Voici de quoi il s'agit : Mon portrait, peint en pastel
par M. de La Tour, qui m'en a fait présent, a été remis
par lui à M. Le Nieps , rue de Savoie , pour me le faire
parvenir. Comme je ne voudrais pas exposer ce bel
ouvrage à être gâté • dans la route par des rou-
liers, j^ai pensé que si votre bon papa était encore
à Paris, et qu'il pût, sans incommodité, mettre la
2l4 CORRESPOND A IVGK.
caisse sur sa voiture, il voudrait bien peut-être , en
votre faveur , se charger de cet embarras. Cepen-
dant , comme il se présentera dans peu quelque
autre occasion non moins favorable, je vous prie
de ne faire usage de celle-K^i qu'en toute discrétion.
Je rends justice à vos sentiments, chère Ma-
rianne; je vous prie de la rendre aux miens, malgré
mes torts; le premier effet des approches de l'hiver
sur ma pauvre machine délabrée , un surcroît d'oc-
cupations inopinément survenues, de nouveaux
inconnue qui m'écrivent , de nouveaux survenants
qui m'ârrivent, tout cela ne me permet pas d'es-
pérer de mieux f;giire à l'avenir , et cela même est
mon excuse. Si le tout venait de mon cœur , il fi-
nirait ; mais venant de ma situation , il faut qu'il
dure autant qu'elle. Au reste, à quelque chose mal-
heur est bon : vous écrire plus souvent me serait
sans doute une occupation bien douce , mais j'y
perdrais aussi le plaisir de voir avec quelle prodi-
gieuse variété de tours élégants vous savez me re-
procher la rareté de mes lettres , sans que jamais
les vôtres se ressemblent. Je n'en lis pas une sans
me voir coupable squs un nouveau point de vue.
En achevant de lire , je pense à vous , et je me
trouve innocent.
àNNSE 1764. ^l5
LETTRE DIX.
A MADAME P*"**.
MotlerSy 14 octobre 1.764.
J^ai reçu. V08 deux lettres, madame ; c'est avouer
tous mes torts: ils sont grands, mais iBvplontai'
res ; ils tiennent aux désagréments de mon état.
Tous le$ jours. je voulais vous répondre, et tous les
jours des réponses plus indispensables venaient
renvoyer celle4à; car enfin, ayec la meilleure vo-
lonté du monde , on ne saurait passer la vie à Sûre
des réponses du matin jusqu'au soir. D'sâlleurs jç
n'en connais point de meilleure aux sentiments
obligeants dont vous m'honorez, que de tâcher d^n
être digne, et de vous rendre ceux qui vous sont
dus. Quant aux opinions , sur lesquelles vous me
marquez que nous ne sommes pas d'accord , qu'au-
rais-je à dire, moi qui ne dispute jamais avec per-
sonne , qui trouve très-bon que chacun ait ses idées,
et qui ne veux pas plus qu'on se soumette aux
miennes que me soumettre à celles d'autrui ? Ce
qui me semble utile et vrai , j'ai cru de mon devoir
de le dire ; mais je n'eus jamais la manie de vouloir
le faire adopter , et je réclamé pour moi la liberté
que je laisse à tout le monde. Nous sommes d'ac-
cord , madame , sur les devoirs des gens de bien ,
je n'en doute point. Gardons, au reste, vous vos
ai6 GORBESPONDANGE.
sentiments , moi les miens , et vivons en paix. Voilà
mon avis. Je vous salue , madame avec respect et
de tout mon cœur.
LETTRE DX.
A MADAME DE LUZE.
MotierSy le 37 octobre 1764.
Vous me faites, ipadame, vous et ipademoiselle
Boadely , bien pU^ ci'|io9neur que je n'en mérite.
Uy a long-tçi3çips que nies maiu^ et ma barbe grise
m'avertissent que je n'ai plu^ le cfa-oit de braver la
n^e et les frixn^s ppur aller voir les dames. J'ho-
nore beaucoup mademoiselle Bondely , et je fais
gl^and cas de spn éloqueiice ; inais elle me persua-
dera 4iffîcUemapt que ^ parce qu'elle a toujours le
printQinps avec elle , l'hii^er ?t ses glaces ne sont
pas autpur de moi. lx>in de pouvoir en ce mondent
faire d^ visites , je ne suia paa même en état d'en
recevoir. Me yoilà coaune une marmotte, terré poiu*
sçpt mois au ny>ins. $i j'arriv^ au bout de ce temps,
ji'irai volontiers , madame ,. au milieu des fleurs et
de la verdure , me réveiller auprès de vous ; mais
maintenant je m'engourdis avec la nature .-jusqu'à
ce qu'elle renaisse , je ne vis plus.
à
ANfrK£ 1764. ^*7
LETTRE DXI.
A MILOR.D MARECHAL.
Motierâ-Traver^y le 39 octobre 1764-
Je .voudrais , Milord , pouvoir supposer que vous
n'avez point reçu mes lettres, je serais beaucoup
moins attristé ; mais outre qu'il n est pas pos&ible
qu'il ne vous en soit parvenu quelqu'iuie , si le cas
pouyait être , les bontés dont vous m'honoriez vous
auraient à vous-même inspiré quelque inquiétude;
vous vous serie;^ informé de moi i vous m'aviiôez
fait dire .au moins quelques mots par quelqu'un :
mais poi^t; mille ge^s en .ce pays ont de. vos nou-
velles, et je suis le seul oublié. Cela m'apprend mon
malheur; mais, qui, m'en apprendra la cause? Je
cesse de la chercher, n'en trouvant aucune qui soit
digne de vous.
Milord r^^ sentiments que je vous dois et que
je vous ai voué^ dureront toute ma vie; je nepea-
serai jamais à vous sans attendrissement; je vous
regarderai toujours commemon protecteur et mon
père. Mais cpmme je ne crains rien tant que d'être
importun, et que je ne sais pas nourrir seid mpie
correspondance, je cesserai de vous écrire jusqu'à
ce que vous m'ayez permis de continuer.
Daignez, Milord, je vous supplie, agréer mon
profond respect.
ai8 CORRESPONDANCE.
LETTRE DXII.
A M. THÉOI^ORE.ROUSSEAU.
A Motlers, le 3i octobre 1764.
Si j'avais, môAcher cousin, dh. mains, dix se-
crétaires, une santé robAste et beaucoup de loisirs,
je serais inexcusable envers vous , envers M. Chirol
etbeauéoup d'autres ;mais ne pouvant suffire à tous,
je -me borne aivc choses indispensables , et cjuant
aux simples lettrés de souvenir, je m'en dispense,
bieh sàr que mes parents et mes amis n^'ont pas
besoin de ce téifaoignage du mien. Si j'avais pu faire
ce que souhaitait M. Chirol, je l'aurais fait tout de
suite; mais il m^a paru peu nécessaire de lui mar-
quer que je ne le pouvais pas; je voudrais de tout
mon cœùlE^pouvoir contribuer à ses avantages, mais
je n'ai rieji à lui fournir pour imprimer. Quant à
vous, mbYi cher cousin, j'espère que vous voudrez
b}en' pardonner quelqiiè inexactitude dans mes
réponses , qui marque bien plus la confiance que
j'ai dans votre amitié,' que' l'âttiédisseinent de la
mienne. Jç salue avec respect ma cousine votre
mère , et vous embrasse , mon cher cousin , de tout
mon cœur.
ANNEE 1764* ^19
LETTRE DXUL
A MADEMOISELLE V. M.
Motiers, le 4 novembre 1764*
Si votre situation , mademoiselle , vous laisse à
peine le temps de m'écrire , vous devez concevoir
que la mienne m'en laisse encore moins pour vous
répondre. Vous n'êtes que dans la dépendance de
vos affaires et des gens à qui vom tenez ; et moi je
suis dans celle de toutes les afEaires et de tout le
monde, parce que chacun , me jugeant libi'é:^ veut
par droit de premier occupant disposer de moi.
D'ailleurs, toujours harcelé, toujours soiïfïrant,
accablé d'ennuis , et dans im état pire que le vôtre ,
j'emploie à respirer le peu de moments qu'on me
laisse ; je suis trop occupé pour n'être pas pares-
seux. Depuis un mois je cherche un moment pour
vous écrire à mon aise : ce moment ne vient point;
il faut donc vous écrire à la dérobée , car vous m'in-
téressez trop pour \ous laisser sans réponse. Je con-
nais pende gens qui m'attachent davantage, et per-
sonne qui m'étonne autant que vous.
Si vous avez trouvé dans ma lettre beaucoup de
choses qui ne cadraient pas à la vôtre , c'est qu'elle
était écrite pour une autre que vouSi II y a dans
votre situation des rapports si frappants avec celle
d'une autre personne, qui précisément était à Neu-
châtel quand je reçus votre lettre , que je ne doutai
aaQ CORRESPONDANCE.
point que cette lettre ne vînt d'elle ; et je pris
change dans l'idée qu'on cherchait à me le don
ner *. Je vous parlai donc moins sur ce que vous-^
me disiez de votre caractère, que sur ce qui m'était^i=
* connu du sien. Je crus trouver dans sa manie de
s'afficher, car c'est ujie savante et un bel esprit en
titre , la raison du malaise intérieur dont vous me
faisiez le détail : je commençai par attaquer cette
manie, comme si c'eût été la vôtre, et je ne doutai
poiiitqu'^ia VOU8 ramenant à vousrméme je ne w)us
rapprochasse du repos , dont rien n'est plua éloi-
gné , selon moi , que l'état d'une femme qui s'af-
fiche.
. Ui;ie lettre faite sur un pareil quiproquo doit
contenir bien des balourdises. Cependant il y avait
cela de bon daiis mon erreur , \]u'elle me donnait
la clef de l'état moral de celle à qui je pensais écrire ;
et, sur Cjet état supposé, je croyais entrevoir un pro-
jet à suivre pour vous tirer des angoisses' que vous
me décriviez, sans recourir aux distractions qui,
selon voifô, eii sont le seul remède, et qui, selon
moi , ne sont pas même un palliatif. Vous m'ap-
prenez que je me suis trompé, et que je n'ai rien
vu de ce que je croyais voir. Comment trouverais-je
un remède à votre état, puisque cet état m'est in-
concevable? Vous m'êtes une énigme affligeante et
humiliante. Je croyais connaître le cœur humain ,
* Voyez la lettre précédente à mademoiselle D. M. , du 7 mai
même ayodiéii. Qette méprise de Rousaeau vient de ce que la persomie
à laqueUe il aY»}t adressé sa lettre du 7 ra^ , et celle à laquelle il
répond ici, portaient toutes deux le même nom. Rien d'ailleurs n*a
pu nous fiûre connaître Tune on Tautre.
ANNKE 176/}. afti
et je ne colanais rien au vôtre. Vous sonffrez , et
je ne puis vous soulager.
Quoi ! parce que rien d'étranger à vous ne vous
contente , vous voulez vous fuir ; et , parce que vous
avez à vous plaindre des autres , parce que vous
les inéprisez , qu'ils vous en ont donné le droit ,
que vous sentez en vous une ame digne d'estime ,
vous ne voulez pas vous consoler avec elle du mé-
pris que voits inspirent celles qui ne lui ressem- ^
blent pas ? Non ^ je n'entends rien à cette bizarrerie ,
elle me passe.
Cette sensibilité qui vous rend mécontente de
tout ne deyait-elle pas se replier sur elle-même? ne
devait^Ue pas nourrir votre cœur d'un sentfanent
sublime et délicieux d'amour-propre? n'a-t-on pas
toujours en lui la ressource contre l'injustice et le
dédommagement de l'insensibilité? 11 est si rare,
^tes-vous, de rencontrer une ame. Il est vrai; mais
comâient peut-on en avoir vue et ne pas se com-
plaire avec elle? Si l'on sent, à la sonde, les autres
étroites e^ resserrées, on s'en rebute , on s'en dé-
tache ; mais après s'être si mal trouvé chez lés au-
tres 4 quel plaisir n'a* t- on pas de rentrer dans sa
maison ? Je sais combien le besoin d'attachement
rend affligeante aux cœurs sensibles l'impossibilité
d'en former; je sais combien cet état est triste : mais
je sais qu'il a pourtant des douceurs; il fait verser
des ruisseaux de larmes ; il donne une mélancolie
qui nous rend témoignage de nous-mêmes, et qu'on
ne voudrait pas ne pas avoir; il fait rechercher la
solitude comme le seul asile où l'on se retrouve avec
'^%% CORRESPONDANCE.
tout ce qu'on a raison d'aimer. Je ne puis trop vous le
redire , je ne connais ni bonheur ni repos dans Té-
loignement de soi-même : et , au contraire , je sens
mieux, de jour en jour-, qu'on ne peut être heu-
reux sur la terre qu'à proportion qu'on s'éloigne
des choses et qu'on se rapproche de soi. S'il y a
quelque sentiment plitis deux que l'estime de soi<^
même , s'il y a quelque occupation-plus aimable que
celle d'augmenter ce sentiment., je puis avoir tort ;
mais voilà comme je pense r jugez sur cel^ s'il m'est
possible d'entrer dans vos vues , et même de con-
cevoir votre état. .
Je ne puis m'empêcher d'espérer encore que vous
vous trompez siur le principe de votre malaise, et
qu'au Ueu de veiiir du sentiment qui réfléchit, sur
vous-même , il vientau contraire de celui qui vous
lie encore à votre insu aux choses dont vous* vous
croyez détachée, et dont peut-être vous désespérez
seulement de jouir. Je voudrais- que cela jfât, je
verrais une prise pour agir ; mais , si vous accusez
juste, je n'en. vois point. Si j'avais aotijieRœiéïit
sous les yeux votre première lettre , et plus de loi-
sït pour y réfléchir, peut-être parviendrais-je à vous
comprendre ^ et je n'y épargnerais pas ma peine , car
vous m'inquiétez véritablement ; mais cette lettre
est noyée . dans des tas de papiers ; il me faudrait
pour la retrouver plus de temps qu'on ne m'en
laisse ; je suis forcé de renvoyer cette recherche à
d'autres moments. Si l'inutilité de notre correspon-
dance ne vous rebutait pas de m'écrire , ce serait
vraisemblablement un moyen de vous entendre à
ANNEE 1764* 2^3
la fui. Mais jç ne puis.vpiis promettre p\ùs d'exac-^
ti tilde dans mes réponses que je ne suis en état d'y
en mettre ; ce que je vous promets et que je tien-
drai bien, c'est de m'occUpçr beaucoup de vous et
de ne vous oublier d^ ma .vie. V(jtre dernière lettre,
pleine de traits de .lumière et de sentiments pror
fonds p m'affecte encore plus que la précédente.
Quoi que vous en puissiez ^ixe ^ je croirai toujours
qu'il ne tient qu'à celle qui l'a écrite de se plaire
avec elle-même , et de se ^4édommagejr par là des
rigueurs de son sort.
%^%/^%'^/^^^/^^%«'%/^%^^^%<%/^%(^^%^^%iim/%i^^>^»^^^p%^^*
LETTRE DXLV.
, A M. pT**.
■ MotierSy le 4 novembre 1764.
Bien des remerciements , monsieur , dû Diction-
naire pliilosoplùque. Il est agréable à lire; il y règne
une bonne morale; il serait à souhaiter qu'elle fût
dans le cœur de l'autcfur et dé tous les hommes.
Mais ce même auteur est presque toujours de mau-
vaise foi dans les extraits de l'Ecriture ; il raisonne
souvent fort mal : et l'air de ridicule et de mépris
qu'il jette sur des sentiments respectés des hommes,
rejaillissant sur les hommes mêmes , me paraît un
outrage fait à la société. Voilà mon sentiment , et
peut-être mon erre.ur , que je me. crois permis de
dire , mais que je n'entends faire adopter à qui que
ce soit.
224 CORRESPOJVDANCK.
•, Je suis fort touché de ce xjue vous me marqtiez
lie la part de monsieur et madame de BufGoti. Je
suis biéii aise de vous avoir dit ce que je pensais
de cet homme illustre ^vant que son souTenir ré-
chaufFàt mes sentiçiénts pour Jui , afin d'avinr tout
rhonneur de la justice que j'aime à luittendre /sans
que mon ^pnour- propre s'en soit mêlé. -Se^s éçcits
m'instruiront et me plairont toute ma vie. Je Iqi
crois des égaux parmi ses contemporains en qua-
lité de penseur et de philosophe ; mais en qualité
d'écrivain je ne lui en connais point : c'est h plus
belle plume de son. siècle; je ne doute point que
ce ne soit là le jugement de la postérité. Un de mes
regrets est de Savoir pas été à portée de le voir da
vantage et de profiter de ses obligeantes invitations ;
je sens combien ma tête et mes écrits auraient ga-
gné dans son commerce. Je quittai Paris au moment
de son mariage ; ainsi je n'ai point eu le bonheur
de<;onnaitre madame de Buffon ; mais je sais qu'il
â trouvé dans sa personne et dans son mérite Fai-
mable et digne récompense du sien. Que Dieu les
bénisse l'un et l'autre de Vouloir bien s'intéresser
à ce pauvre proscrit ! lueurs bontés «ont une des
consolations de. ma vie : qu'ils sachent, je vous en
supplie , qiie je les honore et les aime de tout mon
cœur.
Je suis bien éloigné, monsieur, de renoncer
aux pèlerinages projetés. Si la ferveur de la bota-
nique vous dure encore , et que vous ne rebutiez
pas un élève à barbe grise , je compte plus que
jamais aller herboriser cet été sur vos pas; Mes
.*-.
.•'%..
ANf^ÉE 1764- '-2*^5
pauvres Corses ont. bien maintenant d'autres af-
Ëdres que d'aller jétablir l'Utopie au milieu d'eux.
Vous sayez la marche des troupes françaises : il
&ut voir ce qu'il en résultera. En attendant, il £siut
gémirriDUt bas et aller herbixriser.
YouÀ me rendez fier en .me marquant que ma«
demoiselle B*** n'ose me venir • voir à cause -des
bienséances de son sexe , et qu'elle a peur de moi
comme d'un circoncis. Il y a plus de quinze ans
que les. jolies femmes me faisaient en France l'af-
front de me traiter comme un bon- homme sans
conséquence , jusqu'à venir cUner avec moi tête-
à - tête dans la plus insultante familiarité , jus-
qu'à m'embrasser dédaigneusement devant tout le
monde, comme le grand -père de leur nourrice.
Grâces au ciel, me voilà bien rétabli dans ma di-
gnité, puisque les demoiselles me font l'honneur
de ne ra'oser venir voir.
LETTRE DXV.
A M. L'ABBÉ DE***.
Motiers-Travert , le 1 1 novembre 1764.
Vous voilà donc, monsieur, tout d'un coup de-
venu croyant.. Je vous félicite de ce miracle , car
c'en est sans doute un de la grâce, et la raison pour
l'ordinaire n'opère pas si subitement. Mais , ne me
£Edtes pas honneur de votre conversion , je vous
prie ; je sens que cet honneur * ne m'appartient
a. XX. j5
aa6 CORRESPONDANCE.
pcûnt. Un homme qui ne croit guère aux miracles
n'est pas fort propre k hn ûdrç ; un homme qui
ne dogmatise ni ne dispute n'est pas un :fort bon
convertisseur. Je dis quelquefois mon avis quand
on me le demande ^' .et que je crois que t'est à
bonne intention; mais je n'ai point la fplie d'en
vouloir £Eure une* loi pour d'autres, et quand ils
m'en veulent faire une du leur ^ je m'en défends
da mieux que je puis sans chercber à les con-
vaincre. Je n'ai rien fait de plus avec vous. : ainsi,
monsieur,. vous avez seul tout le mérite de votre
résipiscence ) et je ne songeais sûrement poinUà
vious catéchiser.
Mais voici maintenant les scrupules qui s'élèvent
lies vôtres m'inspirent du respect pour vos jseati-
nents sublimes, et je vous avoue ingénument que,
quant à moi, qpi marche un peu plus terre à terre,
j'en serais beaucoup moins tourmenté. Je me di-
rais d'abord que de confesser mes fautes est une
chose utile pour m'en corriger , parce que , me fei-
sant une loi de dire tout. et de dire vrai, je serais
souvent retenu d'en commettre par la honte de
les révéler.
Il est vrai qu'il pourrait y avoir quelque embar-
ras sur la foi robuste qu'on exige dans votre Église,
et que chacun n'e^t pas maître d'avoir comme il
lui plaîL Mais de quoi s'agit-il au fond dans cette
affoire? du sincère désir de croire, d'une soumis-
sion du cœur plus que de la raison : car enfin la
nûson ne dépend pas de nous, mais la volonté, en
dépend; et c'est par la seule volonté qu'on peut
ÂNN^B 1764* * ^97
être soumis ou rebelle à TÉglise. Je commencerais
donc par me choisir pour confesseur un bon prêtre,
un homme sage et sensé , tel qu'on en trouve par-
tout quand on les cherche. Je lui dirais : Je vois
l'océan de di£Scultés où nage l'esprit humain dans
ces matières; le mien ne cherche point à s'y noyer;
je cherche ce qui est vrai et bon ; je le cherche
sincèrement ; je sens que la docilité qu'exige l'É-
glise est un état désirable pour être en paix avec
soi : j'aime cet état, j'y veux vivre; mon esprit
murmure , il est vrai , mais mon cœur lui impose
silence , et mes sentiments sont tous contre mes
raisons. Je ne crois pas, mais je veux croire , et je
le veux de tout mon cœur. SotuHis à* la foi mal-
gré mes lumières, quel argument puis -je avoir à
craindre? Je suis plus fidèle que si j'étais convaincu.
Si mon confesseur n'est pas un sot, que voules-
vous qu'il me dise ? Voulez - vous qu'il exige bête-
ment de moi l'impossible ? qu'il m'ordonne de voir
du rouge où je vois du bleu? H'me dira , Soumet-
tez-vous. Je répondrai , C'est ce que je fais. Il priera
pour moi , et me donnera Tàbsolution sans balan-
cer ; car il la doit à celui (pxi croit de toute sa force ,
et qui suit la loi de tout son cœur.
Mais supposons qu'un scrupule mal entendu le
retienne , il se contentera de m'exhorter en secret
et de me pMndre ; il m'aimera même : je suis sur
que ma bonne foi lui gagnera le cœur. Vous sup-
posez qu'il m'ira dénoncer à Toffîcial ; et pourquoi?
qu'a-t-il à me reprocher? de quoi voulez-vous qu'il
m'accuse? d'avoir trop fidèlement r^npli mon de-
i5.
9a8 GORRESFOlfDàNCfi.
voir? Vous supposez un extravagant, un, fréné-
tique ; ce n'est pas l'homme» que j'ai choisi. Vous
supposez de plus un scélérat abominable que je
peux poursuivre, démentir, faire pendre peut-être ,
pour avoir sapé le sacrement par sa base , pour avoir
causé le plus dangereux scandale, pour avoir violé
sans nécessité, sans utilité, le plus saint de tous les
devoirs , quand j'étais si bien dans le mien , que je
n*ai mérité que des éloges. Cette supposition ^ je
ravoue^ une fois admise, parait avoir ses difficultés.
Je trouve en général que vous les pressez en
homme qui n'est pas fâché d'en faire ndtre. Si
tdut se réunit contre vous , si les prêtres vous pour,
suivent , si ïk peuple vous maudit , si la douleur fait
descendre vos parents au tombeau, voilà, je l'a-
voue , des inconvénients bien terribles pour n'avoir
a
pas voulu prendre en cérémonie un morceau de
pain. Mais que faire enfin ? me demandez-vous. Là-
dessus voici , monsieur , ce que j'ai à vous dire.
Tant qu'on peut être juste et vrai dans la société
des hommes, il est des devoirs difficiles sur les-
quels un ami désintéressé peut être utilement con-
sulté.
Mais quand une fois les institutions humaines
sont à tel point de dépravation qu'il n^est plus pos-
sible d'y vivre et d'y prendre un parti sans mal£aiire,
alors tm ne doit plus consulter personne ; il Êiut
n'écouter que son propre cœur , parce qu'il est in-
juste et malhonnête de forcer un honnête homme
à nous conseiller le mal. Tel est mon avis.
Je vous salue , monsieur, de tout mon cœur.
AHfViE 1764- 2129
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LETTRE DXVI.
A M. HIRZEL\
II noyembre 1764.
Je reçois , monsieur , avec reconnaissance , la se-
conde édition du Socrate rustique^ et les bontés dont
m'honore son digne historien. Quelque étonnant
que soit le héros de votre livre , l'auteur ne Test
pas moins à mes yeux. U y a plus de paysans res*
pectables que de savants qui les respectent et qui
l'osent dire. Heureux le pays où des Klyioggs cul-
tivent la terre , et où des Hirzels cultivent les let-
tres! l'abondance, y règne et les vertus y sont en
honneur.
Recevez-, monsieur , je vous supplie, mes remer-
ciements et mes salutations.
* Jean-Gaspard Hîrzely médecin à Zaïich, mort en iSo3, s'eti
acquis une juste oéLébrité dans sa patrie par des ooiinaîssances ra-
riées , par des établissements utiles , et par un zèle ardent pour to
bien public. Son goût pour l'agricultore, et le désir d'acquérir dans
cet art des connaissances positives, le conduisirent cbez un culti-
vateur des environs de Zurich, nommé Jacques Gujer, et conna
dans le paya sous le nom de Klpagg ( Petit- Jacques ), philosophe
praticien , et s*occupant d'économie rurale et domestique en. obser-
vateur aussi sage qu'éclairé. Rousseau avait déjà reçu, sur cet
homme respectable , des détails qui l'avaient vivement intéressé ,
comme on en peut juger par deux de ses lettres précédentes, à
M. Huber, a 4 décembre 1761 , et an prince de Wirtomberg, i5 avril
1764. Le spectacle qu'offrirent au médecin Hinel la fiimille, les
procédés et les travaux de Gujer, lui donna l'idée de son Socntie
rustique f ou Description de la conduite -économique et morale d'un
paysan philosophe^ livre qui a été trad^iit dans presque fontes les lan-^
a3o COAAEâPOKDAjyCË.
' LETTRE DXVIL
A M. DE MALESHERBES.
Motien'TraTers, par Pontarlier, le ii novembiift 1764*
J'use rarement, monsieur, de la permission que
•vous m'avez donnée de vous écrire; mais les mal-
heuwiix doivent être discrets. Mon cœur n'est pas
plus ëhangé que mon sort ; et , plongé dans un
abîme de maux dont je ne sortirai de ma vie,. j'ai
beoia sentir mesmisères, je senstoujouK vos bontés-
En apprenant votre retraite , monsieur, j'ai plaint
tes gens de lettres ; mais je vous ai félîçitê*. En ces-
sfl(ht d'être à leur tête par votre place ,*^vous y serez
toujours par vos talents; par eux , vous embellissez
votre atoe et Votre asile. Occupé* des charàiai lie
gaeê de rJEurope. La traduction firançaUe est de Frey Deslandres ,
officier Musse y 1763, in-ia, et a été plnsieura fois réimprimée. La
meillMirv édition de cette traduction est odie de Loasanne, 1777 »
*' MalotherbeSy premier président de la Cour des Aides, et qui
coMMTVS cette présidence jusqa*en 177 5 , ayait de plus lu direction
d« la librairie y et c'est de cette direction qu*il est question ici. Mais
dam l'intéressante Notice qu'a donnée M. Dubois sur Malesherbes ,
on lit (ptt^B 55 de la troisième édition) que ce fut au mois de dé"
cmmhm 17 69, qu'il cessa d'avoir cette direction. Or cette date, qui
d'aitlenra esc certaine , ne s'accorde pas arec la date de la lettre de
Ronusem i date qui n^est pas plus susceptible d'être contestée , puis-
^'il j {MOrle des Lettres de la montagne qu'il 'vient de /aire imprimer en
H&iUuÊdêj impression qui xéellem^t eut lieu en 1764. Il en résulte
que "RaoÊÊtOLU f féUeit<mt Malesherbes sur sa retraite comme directeur
de la librairie, n'en parle en cet instant que sur un ouï-dire , qui ne
liit confinné par l'événement que qwttre ans après»
▲KiriK 1764. a3i
la littérature , vous n'êtes plus forcé d'en yoir les
calamités : vous philosophez plus à votre aise , et
votre cœur a moins à soufirir. C'est un moyaii
d'émulation , selon moi , bien plus sûr , bien plot
digne , d'accueillir et distinguer le mérite à Malm-
herbes que de* le protéger à Paris.
Où est-il ^ où ést-il , ce château de Iftalesherbes ,
que j'ai tant désiré de voir ? les bois , les jardina ,
auraient maintenant un attrait de plus pour moi
dans le nouveau goût qui me gagne. Je suis tenté
d'essayer de la botanique , non comme vous , mton-
sieur , en grand et comme une branche de l'his-
toire naturelle, mais tout au plus en garçon apo-
thicaire, pour savoir £ûre ma tisane et mes bouillons.
C'est le véritable amusement d'un soUtaire qui se
promène et, qui ne veut penser à rien. Il ne me
vient jamais une idée vertueuse et utile, que je ne
voie À côté de moi la potence où l'échaÊiud: avec
un Linnaeus dans la poche et du foin dans la tété ,
j'espère qu'on ne me pendra pas. Je m'attends à
faire les progrès d'im écolier à barbe grise : mais
qu'importe ? Je ne veux pas savoir , mais étudier ;
et cette étude , si conforme à ma vie ambulante ,
m'amusera beaucoup et me sera salutaire : on n'é-
tudie pas toujours si utilement que cela.
Je viens , à la prière de mes anciens concitoyens ,
de faire imprimer en Hollande une espèce de ré-
futation des Lettres de la campagne, écrit que peut-
être vous aurez vu. Le mien n'a trait absolument
qu'à la procédure faite à Genève contre moi et à
ses suites : je n'y parle des Français qu'avec éloge ,
a3!l CORAESPOSTDANCE.
dé la médiation de la France qu'avec respect ; il
v^ a pas an mot contre les catholiques ni leur
dergé; les rieurs y sont toujours pour lui contre
né^ ministres. Enfin cet ouvrage aurait pu s'impri-
mer à Paris avec privilège du roi , et le gouverne-
ment aurait dû en être bien aise. M. de Sartine en
a défendu l'entrée. J'en suis fâché , parce que cette
défense me met hors d'état de faire passer sous vos
yeox cet écrit dans sa nouveauté, n'osant, sans votre
permission , vous le faire envoyer par la poste.
* i^réez , monsieur , je vous supplie , mon profond
respect
' On dit que la raison pour laquelle M. de Sartine
a défendu l'entrée de mon ouvrage , est que j'ofee
m'y justifier contre l'accusation d'à wir rejeté les
miracles. Ce M. de Sartine m'a bien l'air d'un
homme qui ne serait pas iaché de mb faire pendre ^
uniquement pour avoir prouvé que je ne méritais
pas d'être pendu. France, France, Vùus dédaignez
" trop dans votre gloire les hommes qui vous aiment
et qui savent écrire! (Quelque méprisables qu'ils
vous paraissent, ce serait toujours plus sagement
fait de ne pas les pousser à bout. <
▲ NNJÉE 1764* l33
p .1
LETTRE DXVIII.
A M. LE PRINCE t- £• DE WÀTEBIBERG
Motiers, le x$ noyemlire lyCri
Il est certain que vos vers ne sont pas bons , et
il est certain de plus ^ que, si vous vous piquiez
d'en faire de tels ou même de vous y trt>p bieo
connaître , il faudrait vous dire comme un musicien
disait à Philippe de Macédoine , qui critiquait ses
airs de flûte : A Dieu ne plaise , sire , que ^tu saches
ces choses-là mieux que moi ! Du reste , quand t>n
ne croit pas'feire de bons verCb, il est toujours
permis d'en^ iaire , pourvu qu'on ne les estime que
ce qu'ils valent , et qu'on neles montre qu'à ses
amis.
Il y a bien éa temps que je n'ai des nouvelles
de nos petites élèves , de leur digne précepteur , et
de leur aimable gouvernante. De grâce, une pe»
tite relation de l'état présent des choses. J'aime à
suivre les progrès de ces chers enfants dans tout
leur détail.
Il est vrai que les Corses m'ont feit proposer de
travailler à leur dresser un plan de gouvernement.
Si ce travail est au-dessus de mes forces , il n'est pas
au-dessus de mon zèle. Du reste , c'est une entre-
prise à méditer long-temps , qui demande bien des
préliminaires; et avant d'y songer il faut voir d'a-
bord ce que la France veut fajjre de ces pauvres
a34. GOUAESPONDANGE.
gens. £n attendant , je crois que le général Paoli
iriérite l'estime et le respect de toute la terre , puis-
qu'étant le maître il li'a pas craint de s'adresser à
quelqu'un qu'il sait bien , la guerre exceptée , ne
vouloir laisser personne au-dessus des lois. Je suis
prêt kf consacrer ma vie à leur service ; mais , pour
ne pas m'exposer à perdre mon temps, j'ai débuté
par , toucher l'endroit sensible. Nous verrons ce
que cela produira.
LETTRE DXIX.
A M. lyiVERNOIS.
MotierSy le a 9 noyembre 1764-
Je m'aperçois à l'instant, monsieur, <l'un qui-
piroquo que je viens de fiure, en prenant dans
vbtre lettre le 6 décembre pour le 6 janvier. Cela
me 'donne l'espoir de vous voir un mois pkis tôt
que je n'avais cru , et je prends le parti de vous
l'écrire, de peur que vous n'imaginiez peut-être
soi ma lettre d'aujourd'hui que je voudrais ren-
voyer aux Rois votre visite , de quoi je serais bien
fôché. M. de Payraube sort d'ici ,* et m'a apporté
votre lettre et vos nouveaux cadeaux. Nous avons
pour le présent beaucoup de comptes à faire , et
d'autres arrangements à prendre pour l'avenir,
{^aujourd'hui en huit donc, j'attends monsieur,
le plaisir de vous embrasser ; et en attendant je
vous souhaite un bon voyage et vous salue de
tout mon cœur.
MMAi
ANNÉE 1764. a35
LETTRE DXX. '
^ A M. DU PEYROU.
Motîers • le a 9 noyembre .1 76 4*
Le temps et mes tracas ne me permettent pas i
monsieur , de répondre à présent à votre dernière
lettre , dont plusieurs articles m'ont ému et
pénétré^ : je destine uniquement celle-ci à tous
consulter sur un article qui m'intéresse , et sur le^
quel je vous épargnerais cette importunité , si je
connaissais quelqu'un qui me parût plus digne
que vous de toute ma confiance.
Vous savez que je médite depuis long-temps de
prendre le dernier congé du public par une éditi<Mi
générale de mes écrits, pour passer dans la retraite
et le repos le reste des jours qu'il plaira à la Pro-
vidence de me départir. Cette entreprise doit m'as»
surer du pain , sans lequel il n'y a ni repos , ni liberté
parmi les hommes : le recueil sera d'ailleurs le ma*
nument sur lequel je compte obtenir de la posté-
rité le redressement des jugements iniques de
mes contemporains. Jugez par là si je dois regar*
der comme importante pour moi une entreprise
sur laquelle mon indépendance et ma réputation
sont fondées.
Le libraire Fauche , aidé 4^un associé , jugeant
que cette affaire lui peut être avantageuse , désire
de s'en charger; et, pressentant l'obstacle que la
a36 GORRESPOirDANCE.
pédanterie de vos ministraux peut mettre à son
exécution dans Neuchâtel , il projette , en suppo-
sant l'agrément du Conseil d'état, dont pourtant
je doute, d'établir son imprimerie à Motiers, ce
qui me serait très-commode; et il est certain qu'à
considérer la chose en homme d'état, tous les
membres du gouvernement doivent favoriser cette
entreprise qui versera peut-être cent mille écus
dans le pays.
Cet agrément donc supposé ( c'«st son affaire ) ,
il reste à savoir si ce sera la mienne de consentir
à. cette proposition , et de me lier par un traité en
forme. Voilà , monsieur , sur quoi je vous consulte.
Premièrement,- croyez-vous que ces gens-là puis-
sent être en état de consommer cette affaire avec
honneur , soit du côté de la dépense , soit du côté
de l'exécution ? car l'édition que je propose de
£Edre, étant destinée aux grandes bibliothèques,
doit être un chef-d'œuvre de* typographie , et je
n'épargnerai point ma peine pour que c'en soit un
de correction. En second Ueu, croyez-vous que les
engagements qu^ils prendront avec moi soient as-
sez sûrs pour que je puisse y compter, et n'avoir
plus de souci là-dessus le reste de ma vie ? En sup-
posant que oui , voudrez-vous bien m'aider de vos
soins et de vos conseils pour établir mes sûretés
sur un fondement soUde ? Vous sentez que mes
infirmités croissant, et la vieillesse avançant par-
dessus le marché , il ne faut pas que , hors d'état
de gagner mon pain , je m'expose au danger d'en
manquer. Voilà l'examen que je soumets à vos lu-
ANNÉE 1764. ^37
mières , et je voifs prie de vous en occuper par
amitié pour moi. Votre réponse, moi\sîetir, ré^
glera la mienne. J'ai promis de la donner dans
quinze jours. Marquez-moi , je vous prie , avant ce
temps-là , votre sentiment sur cette affîûre ,- afin
que je puisse me déterminer.
LETTRE DXXI.
A M. DUCLOS.
Motiers, le 3 décembae 1764.
Je crois , mon chet ami , qu'au point où nous en
sommes , la rareté des lettres est plus une marque
de confiance que de négligence : votre silence
peut ln'inquiéte^ sur votre santé, mais non sur
votre amitié, et j'ai lieu d'attendre de vous la
même sécurité sur la mienne. Je suis errant tout
l'été , malade tout l'hiver, et en tout temps si sur*
chargé de désœuvrés , qu'à peine ai-je un moment
de relâche pour écrire- à mes amis.
Le recueil fait par Duchesne est en efïet incom-
plet , et, qui pis est , très-fautif ; -mais il n'y manque
rien que vous ne connaissiez , excepté ma réponse
aux Lettres écrites de la campagne , qiii n'est pas
encore publique. J'espérais vous la faire remettre
aussitôt qu'elle setmt à Paris ; mids on m'apprend
que M. de Sartine en a défendu l'entrée , quoique
assurément il n'y ait pas un mot dans cet ouvrage
qui puisse déplaire à la France ni aux Français , et
!»38 GORRESPOUDANCE.
que le clergé catholique y ait à son tour les rieurs
au dépens du nôtre. Malheur aux opprimés! sur-
tout quand ils le sont injustement, car aloit^ ils
n'ont pas même le droit de se plaindre ; et je ne
serais pas étonné qu'on me fît pendre uniquement
pour avoir dit et prouvé que je ne méritais pas
d'êtife idécrété. Je pressens le contre-coup de cette
défense en ce pays. Je vois d'avance le parti qu'en
vont tirer mes implacables ennemis, et surtout
ipse dolifabricator Epeus.
J'ai toujours le projet de figure enfin moi-même
un recueil de mes écrits, dans lequel je pourrai
fidre entrer quelques chiffons qui sont encore en
manuscrits, et entre autres le petit conte ^ dont
'Vous parlez, puisque vou3 jugez qu'il en vaut la
peine. Mais outre que cette entreprise m'efifraie ,
surtout dans l'état où je suis^ je ne sais pas trop
où la faire. En France il n'y faut pas songer. La
Hollande est trop loin de moi. Les libraires <ie ce
pays n'ont pas d'assez vastes débouchés pour cette
entreprise, les profits en sçraientpeu de chose ,pt je
vous avoue que je n'y songe que pour me procurer
du pain durairtle reste de mes malheureux jourS', ne
me sentaAt plus en état d'en gagner. Quant aux
mémoires de ma vie, dont vous .pariez, ils sont
trop diffîdles à Badre.sflns compromettre personne ;
pour y song^ , il fiuit plus de tranquillité qu'on
ae m'en laisse, et que je n'en aurai probablement
jaipaôs : si je vis touteiPois, je n'y renonce pas. Vous
* Ia Beine fantaïqne.
éLWÉE 1764- ^39
avez toute ma confiance , mais vous sentez qu'il y
a des choses qui ne se disent pas de si loin. '
Mes courses dans nos montagnes , si riches en
plantes, m'ont donné du goût pour la botanique:
cette occupation convient fort à une machine am-
bulante à laquelle il est interdit de penser. Ne
pouvant laisser ma tête vide , je la veux empaillèp ;
c'est de foin qu'il &ut l'avoir pleine pôfir être
libre et vrai , sans crainte d'être décrété. J'ai l'avan*
tage de ne connaître encore que dix plantes , en
comptant l'hysope ; j'aurai long-temps du plaisir à
prendre avant d'en être aux arbres de nos forêts*
J'attends avec impatience votre nouvelle é(btion
des CansidercUions sur les mœurs. Puisque vous ave^
des facilités pour tout le royaume ^ adressez le. pa«'
quet à PontarUer , à moi directement , ce qui suffît ;
ou à M. Junet , directeur des postes ; il me le fera
parvenir. Vous pouvez aussi le remettre à Du-
chesne , qui me le fera passer avec d'autres envois.
Je vous demanderai même j sans façon , de £ûre re-.
lier l'exemplaire , ce que je ne puis &ire ici sang le
gâter; je le prendrai secrètem^it dans ma. poché
en allant herboriser ; et , quand je ûe verrai point
d'aroher^ autour de moi, j^'y jetterai les yeux à la
dérobée. Mon cher aini ^ comment £idtes-vous pour
penser , être honnête homme , et ne vous pas £ûre
pendre ? Cela me parait difficile , en vérité. |e yx>ua
embrasse de tout'mon coeur.
s4o CORRESPOND A.NGE.
LETTRE DXXII.
A MILORD MARÉC HAL.
8 décembre 1764.
• • • .
ISùr la dernière lettre, Milord, que vous avez
dû recevoir de mol , vous aurez pu juger du plai-
sir que m'a causé celle dont vous m*avez honoré
le a4 octobre. Vous m'avez fait sentir un peu cruel-
lement à quel point je vous suis attaché , et trois
mois^de sijence de votre part m'ont plus affecté
et navré que né fit le décret du Conseil de Genève.
Tant de malheurs ont rendu mon cœur inquiet ,
et je craies toujours de perdre ce que je désire si
ardemment de conserver. Vous étés mon seul prô-
teèteur, lé seul homme à qui j'aie* de véritables
obligations, le seul ami sur lequel je compte, le
éemier auquel je me sois attaché, et auquel il n'efl
succédera jamais d'autres. Jugez sur cela si. vos
bontés me sont chères , et si votre oubli m'est fa-
die à supporter.
Je suis faché que:,vous ne puissiez habiter votre
maison que danS' un an. Tant qu'on en est encofé
aux châteaux en Espagne, toute habitation nous
est ))onné en attendant ; mais "quand enfin l'expé-
rience et la raison nous ont appris qu'il n'y a dé
véritable jouissance que celle de soi-même, un
logement commode et un corps sain deviennent
lés seuls biens de la vie, et dont le prix se fait sen-
. 1 ■
ANNÉE 1764. a4l
tir de jour en jour, à mesure qu'on est détaché
du reste. Comme il n'a pas fallu si long-temps pour
faire votre jardin, j'espère que dès à présent il
vous amuse , et que vous en tirez déjà de quoi
fournir ces oilles si savoureuse^ , que, sans être
fort gourmand, je regrette tous les jours.
Que ne puis-je-m'instruire auprès de vouftCJAns
une culture plus utile, quoique plus ingrate! Que
mes bons et infortunés Corses ne peuvent-ils, par
mon entremise, profiter de vos longues et pro-
fondes observations sur les hommes et les gouver-
nements! mais je suis loin de vous. N'importe; sans
songer à l'impossibilité du succès , je m'occuperai
de ce3 pauvres gens comme si mes rêveries leur
pouvaient être utiles. Puisque je suis dévoué aux
chimères , je veux du moins m'en forger d'agréables.
En songeant à ce que les hommes pourraient être ,
je tacherai d'oublier ce qu'ils sont. Les Corses sont,
comme vous le dites fort bien , plus près de cet
état désirable qu'aucun autre peuple. Par exemple ,
je ne crois pas que la dissolubilité des mariage»,
très-utile dans le Brandebourg , le fût de long-temps
en Corse , où la simplicité des moeurs et la pau-
vreté générale rendent encore les grandes passions
inactives et les mariages paisibles et heureux. Les
femmes sont laborieuses et chastes; les hommes
n'ont de plaisirs que dans leur maison : dans cet
état , il n'est pas bon de leur faire envisager comme
possible une séparation qu'ils n'ont nulle occasion
de désirer.
Je n'ai point encore reçu la lettre avec la tra-
action de Fletcher que vous m'annoncez. Je l'at-
dndais pour vous écrire; mais, voyant que le
>aquet ne vient point, je ne puis différer plus
ong-temps. Milord , j'ai le cœur plein de vous sans
cesse. Songez quelquefois à votre fils le cadet.
LETTRE DXXIII.
A M. DU PEYROU.
Le 8 décembre 1764-
Quoique les af&ires et les visites dont je suis ac-
cablé ne me laissent presque aucun moment à
nioi , et que d'ailleurs celle qui m'occupe en ce mo-
ment me rc^nde nécessair^d'en délibérer avec vous,
monsieur, puisque vous y consentez , ne pouvant
me ménager du temps pour suffire à tout, je donne
la préférence au soin de vous tranquilliser sur ce
terrible B qui vous inquiète , et qui vous a para
suffisant pour effacer ou balancer le témoignage
de tous mes écrits et de ma vie entière , sur les sen-
timents que j'ai constamment professés et que je
professerai jusqu'à mon dernier soupir. Puisqu'une
seule lettre de l'alphabet a tant de puissance il faut
croire désormais aux vertus des talismans. Ce B
signifie Bon y cela est certain; mais comme vous
m'en demandez l'explication, sans me transcrire
les passages auxquels il se rapporte, et dont je
n'ai pas le moindre souvenir , je ne puis vous sa-
tisfaire que préalablement vous n'ayez eu la bonté
. ANNÉE 1764. 243
de m'envoyer ces passages , en y ajoutant le sens
que vous donnez au B qui vous inquiète; car il
est à présumer que ce sens n'est pas le mien.
Peut-être alors , en vous développant ma pensée ,
viendrai-je à bout lie vous édifier sur ce point.
Tout ce que je puis vous dire d'avance est que
non-seulement je ne suis pas matérialiste, mais
que je ne me souviens pas même d'avoir été un
seul moment de ma vie tenté de le devenir. Bien
est-il vrai que sur un grand nombre de proposi*
tions, je suis d'accord avec les matérialistes, et
celles où vous ayet vu des B sont apparemment de
ce nombre; mais il ne s'ensuit nullement que ma
méthode de déduction et la leur soient la même,
et me conduise aux mêmes conclusions. Je ne
puis, quant à présent^ vous en dire davantage, et
il faut savoir sur quoi roulent vos difficultés
avant de songer à les résoudre. En attendant,
j'ai des excuses à vous faire du souci que vous a
causé mon indiscrétion , et je vous promets que
si jamais je suis tenté de barbouiller des marges de
livres , je me souviendrai de cette leçon.
LETTRE DXXIV.
T
A M. LALIAUD.
Motiers, le 9 décembre 1764-
*
Je voudrais , monsieur , pour contenter votje
obligeante Ëmtaisie, pouvoir vous envoyer le prô-
16.
a44 CORBESPONDANCE.
fil que vous me demandez ; mais je ne suis pas en Ueu
à trouver aisément (idék{u'un qui le sache tfiftiber.
J'espérais me prévaloii^pour cela de la visite qu'un
graveur hollandais , qui va s'établir à Morat , avait
dessein de me faire ; mais il vient de me marquer
que des affaires indispensables ne lui en laissaient
pas le temps. Si M. Liotard fait un tour jusqu'ici ,
comme il paraît le désirer , c'est une autre occa-
sion dont je profiterai pour vous complaire , pour
peti que l'état cruel où je suis m'en laisse le :pou*
voir. Si cette seconde occasion me manque, je
n'en vois pas de prochaine qui puisse y suppléer.
Au Ireste , je prends peu d'intérêt à ma figure , j'en
prends peu-même à mes livres ; mais j'en prendsbeau-
coup à l'estime des honnêtes gens, dont les cœurs
ont lu dans le mien. C'est dans le vif amour du juste
et du vrai , c'est dans des penchants bons et hon-
nêtes , qui sans doute m'attacheraient à vous , que je
voudrais vous faire aimer ce qui est véritablement
moi, et vous laisser de mon effigie intérieure un
souvenir qui vous fut intéressant. Je vous salue ,
monsieur, de tout mon cœur.
LETTRE DXXV.
A M. ABAUZIT,
Kn loi envoyant les Littr£s de t.a moktagxk.
MotierSy le 9 décembre 1764.
^jtt^aignez, vénérable Abauzit, écouter mes justes
pKdntes. Combien j'ai gémi que le Conseil et les
\NKEE 1764- .î*45
ministres de Genève* m'aient mis en droit de leur
dire des vérités si dur^s! JÉSife puisque enfin je leur
dois ces vérités ^ je veux pq^er ma dette. Ils ont
rebuté mon respect, ils auront .désormais toute
ma franchise. Pesez mes rasons et prononcez. Ces
dieux de chair ont pu me punir si j'étais coupable ;
mais si Caton m'absout , ils n'ont pu que m'oppri-
mer.
LETTRE DXXVI.
. A M. DE MONTPEROUX,
RÉSIDENT T\X. ORANGE A GENiVE.
MôtîétSy le 9 décemBre 1764.
L'écrit, monsieur, qui vous est présenté de ma
part, contient mon apologie et celle de nombre
d'honnêtes gens offensés dans leurs droits par l'in-
fraction des miens. La place que vous remplissez ,
monsîieur , et vos anciennes bontés pour moi , m'en-
gagent également à mettre sous vos yeux cet écrit.»
Il peut devenir une des pièces d'un procès au ju-
gement duquel vous présiderez peut-être. D'ailr
leurs , aussi zélé sujet que bon patriote , vous ai-
merez me voir célébrer dans ces lettres * le plus
beau monument du règne de Louis xv , et rendre
aux Français , malgré mes n^alheurs , toute la justice
qui leur est due.
Je vous supplie , monsieur , d'agréer mon respe|^t.
' Les Lettres de la montage.
^46 CORRESPOND /lUrCE.
LE.TTftË DXXVII.
A M. DU PEYROU.
ta*
* Motlers, le i3 décembre 1764*
Je vous parlerai maintenant , monsieur , de mon
afSûre , puisque vous Voulez bien vous charger de
m€» intérêts. J'ai revu mes gens : leur société est
augmentée d'un libraire de France, homme en-
tendu, qui aufa l'inspection de la partie typogra-
phique. Ils sont en état de faire les fctnds néces^
saire& sans avoir besoin de souscription, et c'est
d'ailleurs ime voie à laquelle je.fieb consentirai ja-
mais par de très-bonnes raisons, trop longues à
détaiHer dans une lettre.
En <X)mbinant toutes les parties de Fentreprise,
et arupposant un plein succès , j'estime qu'elle doit
donner un profit net de cent mille francs* Poiïr
aller d'abord au rabais , réduisons-le à cinquante.
Je crois que, sans être déraisonnable, je puis por-
ter mes prétentions au -quart de cettç somme;
d'autant plus que cette entreprise demande de ma
part un travail assidu de trois ou quatre ans , qui
sans doute achèvera de m'épuiser , et me coûtera
plus de peine à préparer et revoir mes feuilles que
je n'en* eus aies composer.
Sur cette considération, et laissant à part celle
djGiL profit, pour ne songer qu'à mes besoins, je
vois que ma dépense ordinaire depuis vingt ans a
f AifnÉE 1764. ^47
été, Vuh dans l'autre, de soixante louis par an.
Cette dépense deviendra' aloindre lorsqu'absolu-
ment séquestré du public 'Je'be serai plus accablé
de ports de lettres et de visites , qui , par la loi dé
l'hospitalité^ me. forcent d'avoir une table p^ur
les survenants.
Je pars jde ce petit calcul pour fixer ce qui m'est
nécessaire pour vivre en paix le reste de mes jours ,
sans manger le pain de personne ; résolution for-
mée depuis long-temps, et dont, quoi qu'il arrive,
je ne me départirai jamais.
Je compte pour ma part sur un fonds de dix à
douze mille livres; et j'aime mieux ne pas faire l'en-
treprise s'il faut me réduire à moins, parce qu'il
n'y a que le repos du reste de mes jours que je
veuille acheter par quatre ans d'esclavage.
Si ces messieurs peuvent me faire cette somme,
mon dessein est de la placer en rentes viagères;
et, puisque vous voulez bien vous charger de cet
emploi , elle vous sera comptée , et tout est dit. Il
convient seulement, pour la sûreté de la chose,
que tout soit payé avant que l'on commence l'im-
pression du dernier volume , parce que je n'ai pas
le temps d'attendre le dfébit de l'édition pour as-
surer mon état.
Mais comme une telle somme en argent comptait
pourrait génêr les entrepreneurs, vu les grandes
avances qui leur sont nécessaires , ils aimeront
mieux me faire une rente viagère ; ce qui , vu mdli
âge et l'état de ma santé , leur doit probablement
tourner plus à compte. Ainsi , moyennant des su-
a4& CO&R£SPOni>AIfC£.
retés dont VOUS soyez content, j'accepterai la'r^ite
viagère , sauf une somme en argent comptant lors-
qu'on commencera l'édition ; et , pourvu que cette
somme ne soit pas moindre que cinquante ioui^,
je m'en contente, en déduction du capital dont
on me fera la rente.
Voilà , monsieur ^ les divers arrangements dont
je leur laisserais le choix si je traitais directement
avec eux : mais , comme il se peut que je me
trompe, ou que j'exige trop , ou qu'il y ait quelque
meilleur parti à prendre pour eux ou pour moi ,
je n'entends point vous donner en cela des règles
auxquelfôs vous deviez vous tenir dans cette négo-
ciation. Agissez pour moi comme un bon tuteur
pour son pupille ; mais ne chargez pas ces mes-
sieurs d'un traité qui leur soit onéreux. Cette-en-
treprise n'a de \eur part qu'un objet de profit,
il £giut qu'ils gagnent; de. ma part elle a un autre
objet, il suffît que je vive; et , toute réflexion faite,
je puis bien vivre à moins de ce que je vous ai
marqué. Ainsi n'abusons pas de la résolution où
ils paraissent être d'entreprendre cette affaire à
quelque prix que ce so^fc i;, comme tout le risque
demeure de leur, côté j'ISfâfoit être compensé par
les avantages. Faites l'accord dans cet esprit, et
soyez sur que de ma part il sera ratifié.
Je vous vois avec plaisir prendre cette peine :
voilà, monsieur, le seul compliment que je vous
ferai jamais.
AKJSFEK 1764^ ^49
LETTRE DXXVIII.
iLMADÀME LATOUR. .
A Motlertf, le i^ décembre 1764-
Je n'ai pas eu, chère Marianne, en recevant
mon portrait, que M. BregUet a eu la bonté dé
m'envoyer , le plaisir (jue vous m'annonciez de le
recevoir lui-même. îja fatigue, le mauvais temps
qu'il a eu durant son voyage ^ l'ont retienu malade
dans sa maison ; et moi, depuis deux mois etifermé
dans là mienne , je suis hors d'état d'aller le re-
mercier, et lui demander un peu en détail de vos
nouvelles, conune je n^e Vél^ proposé. Donnez-
m'en donc vou3-même, chère Marianne, en atten-
dant que je puisse voir votre bon papa , si digne
de l'éloge que vous en faites et de l'attachemenb
que vous avez pour lui. Quant à moi , je ne suis
qu'im ami peu démonstratif, quoique vrai ; réputé
négligent, parce- que ma situation me force à le
paraître, et trop heureujt.de recevoir de vous, à
titre de grâce , des sentii&lits que vous me devrez
quand les miens vous seront mieux connus. En at--
tendant, il vaut mieux que vous m'aimiez et que
vous me grondiez , que si vous paraissiez contente
sans l'être. Tant que vous exercerez sur moi l'au-
torité de l'amitié, je croirai qu'au fond vous ren-
dez justice à la mienne, et que c'est pour me lais-
ser moins voir ma misère , que vous vous en
aSo COR«ESt»ONDANCE.
prenez à ma volonté. Voilà du moins le seul sens
que devraient avoir vos reproches; si je pouvais
vous écrire et vous complaire autant que je le dé-
sire, et que vous fussiez équitable, le papa lui-
même ne vous serait pas plus cher^que moi.
J'apprendsr avec grafid plaisir qu'il est beaucoup
mieux.
LETTRE DXXIX.
. A M. D'IVERNOIS:
Motiers, le 17 décembre 1764*
Il est bpn ^ monsieur , que vous sachiez que,
depuis votre dépar^l'ici , je n'ai reçu aucune de
vos lettres , ni nouvelles d'aucune espèce par le
canal de personne , quoique vous m'eussiez pro-
mis de m'annoncer votre* heureuse arrivée à Ge-
nève, et de m'écrire même auparavant. Vous pouvez
concevoir mon« inquiétude. Je sais bien, que c'est
l'ordinaire qu'on iti'accâble de lettres inutiles', et
que tout se taise dans ^^Rttoments essentiels; je
m'étais flatté cependanf^lpl^il y aurait dans celui-ci
quelque exception en ma faveur : je me suis
trompé. Il faut prendre patience , et se résoudre
à attendre qu'il vous plaise de me donner des nou-
velles de votre santé, que je souhaite être bonne
de tout mon cœur.
Mes respects à madame , je vous supplie.
ANlféE 1764. Îi5l
LETTRE DXXX.
. A M. PANGKpUCKE.
Motiers y le 91 décembre 1764.
Je suis sensible aux bontés de M. de Buffon , à
proportion du respect et de l'estime que j'ai pour
lui ; sentiments que j'ai toujours hautement pro-
fessés , et dont TOUS avez été témoin vous-même.*
Il y a des amis dont la bienveillance mutuelle n'a
pas besoin d'une correspondance expresse pour
se nourrir, et j'ai osé me placer avec lui dans cette
classe-là. Si c'çist une illusion de ma part , elle est
bien pardonnable à la cause qui la produit. Je ne
le mets point dans une distribution d'exemplaires,
sachant bien qu'il me mettrait dans celle des siens;
et que , comme il n'y a point de proportion dans
ces choses-là, je n'aime point donner un œuf pour
avoir un bœuf.
Le quidam qui s'irrite si fort que j'aie mis une
devise à mon livre dal^lllâjri^îter bien plus que je
l'aie entourée d'une (Éisrbnne civique; et bien
plus encore que j'aie, dans ce même livre, justi-
fié la devise et mérité la couronne.
a5îl CORRESPONDANCE.
LETTRE DXXXI.
A M. DE MONTMOLLIN;
fol lui^enyoyant les Lettres écjrites de la montagne.
Le 23 décembre l'jè^.
Plaignez-moi, monsieur, d'aimer tant la paix , et
d'avoir toujours la guerre. Je n'ai pu refusera mes
anciens compatriotes de prendre leur défense
comme ils avaient pris la mienne. C'est ce que je
ne pouvais faire sans repousser les outrages dont ,
par la plus noire ingratitude, les ministl*es de Ge-
nève ont eu la' bassesse de m'accabler dans mes
mallieurs , et qu'ils Ont osé porter jusque dans la
chaire sacrée. Puisqu'ils aiment si fort la guerre ,
ils l'auront; et, après mille agressions de leur part,
voici mon premier acte d'hostilité, dans lequel
toutefois je défends une de leurs plus grandes
•prérogatives , qu'ils se laissent lâchement enlever ;
car , pour insulter à leur aise- au malheureux , ils
rampent volontiers sou» là tyrannie. La querelle ,
au reste, est tout-à-fait personnelle entre eux et
moi ; ou , si j'y fais entrer la religion protestante
pour quelque chose, c'est comme son défenseur
contre ceux qui veulent la renverser. Voyez mes
raisons , monsieur , et soyez persuadé que , plus on
me mettra dans la nécessité d'expliquer mes sen-
timents , plus il en résultera d'honneur pour votre
ANNÉE 1764. a53
conduite envers moi, et pour la justice que vous
m'avez rendue.
Recevez, monsieur, je vous prie, mes saluta-
tions et mon respect.
^%,>%fm^k/^mm^%/%%/m/^^^ir^%f^/^^0^>%m/%/^^/'*/^%^t^^%-'%/*i*i^/^^
LETTRE DXXXII.
A M. D'IVÊRNOIS.
Motîen, le 3*9 décembre 1764.
J'ai reçu , monsieur , toutes les lettres que vous
m'avez fait l'amitié de m'écrire, jusqu'à celle du a 5
inclusivement. J'ai aussi reçu les estampes que vous
avez eu la bonté de n>'envoyer; mais le messager
de Genève n'étant point encore de retour , je n'ai
pas reçu, par conséquent, les deux paquets que
vous lui avez remis , et je n'ai pas non plus entendu
parler encore du paquet que vous m'avez envoyé
par le voiturier. Je prierai M. le trésorier de s'en
faire informer à Neuchâtel , puisqu'il y doit être
de retour depuis plusieurs jours.
I^s vacherins que TJtfus m'envoyez seront dis-
tribués en votre nom dans votre famille. La caisse
de vin de Lavaux, que vous m'annoncez, ne sera
reçue qu'en payant le prix , sans quoi elle restera
chez M. d'Ivernois. Je croyais que vous feriez quel-
que attention à ce dont nous étions convenus ici :
puisque vous n'y voulez pas avoir égard , ce sera
désormais mon affaire ; et je vous avoue que je com-
a54 CORRESPONDANCE.
mence à craindre que le train que vous avez pris
ne produise entre nous une rupture qui m'afflige*
rait beaucoup. Ce qu'il y a de parfaitement sûr ,
c'est que personne au monde ne sera bien reçu à
vouloir me faire des présents par force ; les vôtres,
monsieur , sont si fréquents, et j'ose dire si obsti-
nés, que de la part de tout autre homme, en qui
je reconnaîtrais moins de franchise, je croirais qu'il
cache quelque vue secrète qui ne se découvrirait
qu'en temps et lieu.
Mon cher monsieur, wons bons amis, je vous
en supplie. Les soins que vous vous donnez pour
mes petites commissions me sont très-précieux. Si
vous voulez que je croie qu'il ne vous sont pas im-
portuns, feitesrmoi des comptes si exacts, qu'il n'y
soit pas même oublié le papier pour les paquets ,
ou la ficelle des emballages ; à cette condition j'ac-
cepte vos soins obligeants , et toute mon affection
ne vous est pas moins acquise que ma reconnais-
sance vous est due. Mais , de grâce , ne rendez pas
là-dessus une troisième explication nécessaire , car
elle serait la dernière bien sûrement.
Je suis et serai même plusieurs années hors d'é-
^t de m'occuper des objets relatifs à l'imprimé
qu'une personne vous a remis pour me le prêter ;
ainsi, s'il faut s'en servir promptement, je serai
contraint de le renvoyer sans en faire usage. Mon
intention était de rassembler des matériaux pour
le temps éloigné de mes loisirs, si jamais il vient,
de quoi je doute : ainsi ne m'envoyez rien là-des-
sus qui ne puisse rester entre mes mains , sans
autre condition que de l'y retrouver quand on
voudra.
Vous trouverez ci-jointe la copie de la lettre de
remerciement que M. C r m'a écrite. Comment
se peut-il qu'avec un cœur si aimant et si tendre ,
je ne trouve partout que haine et que malveil-
lants? je ne puis là-dessus me vaincre : l'idée d'un
seul en|^emi , quoique injuste , me fait sécher de
douleur. Genevois , Genevois , il faut que mon ami-
tié pour vous me coûte à la fin la vie.
Obligez-moi, mon cher monsieur, en m'en voyant
la note de l'argent que vous avez déboursé pcmr
toutes mes commissions , ou d'en tirer sur moi le
montant par lettre de change, ou de nie marquer
par qui je dois vous le faire tenir. N'omettez pas
ce qu'a fourni M. Deluc. Je vous embrasse de tout
mon cœur.
LETXȔ^ DlCXXIII.
A M.*DtJ PEYROU.
3i décembre 1764.
Votre lettre m'a touché jusqu'aux larmes. Je yojis
que je ne me suis pas trompé, et que vous ayeè
une ame hçnuéte. You §er,ez un hoimne précieux
à mon cœur. Lisez l'iqjiprifQé ci-JQint\ .Voilà , mon-
sieur , à quels ennemi». ^'aia(faire , yoUà les arme^
dont ils m'attaquent. Renvoyez -moi cette pièce
* Le liheUe imitalé) intimant Jm citoyens.
!l56 CORRESPONDANCE. Ja,<
quand vous l'aurez lue ; elle entrera dans les ïii^
numents de l'histoire de ma vie. Oh ! quand un
jour le voile sera déchiré , que la postérité m'ai-
mera! qu'elle bénira raa mémoire! Vous, ahnee-
moi maintenant, et croyez que je n'en suis pas
indigne. Je vous embrasse. ,*:''t
LETTRE DXXXIV,
^ A M. D'IVERNOIS.
Motiers, le 3i décembre 1764.
Je reçois, mon cher monsieur , votre lettre du 28
et les feuilles de la réponse ; vous recevrez aussi
bientôt la musique que vous demandez. J'ai reçu
par ce même courrier un imprimé intitulé , Senti-
ment des citoyens. J'ai d'abord reconnu le style pas-
toral de M. VeVnes, défenseur de la foi, de la vé-
*
rite, de la vertu, et de la charité chrétienne. Les
citoyens ne pouvaient choisir un plus digne or-
gane pour déclarer au public leurs sentiments. Il
est très à souhaiter que cette pièce se répande en
^^ope; elle achèvera ce que le décret a com-
mencé. '
Touf ce,qf,'on me. manqua de M^é' premier est
d'un magistrat bien sage. Si les autres Tétaient
autant, tout serait bientôt paeifié , et les choses
rentreraient dans l'état douteux où peut-être il se-
rait à désirer qu'elles fussent encore. Mais fiez-vous
ann4e 1764. îi57
aux sottises que ranimosité leur fera faire : ils vont
désormais travailler pour vous.
Les deux exemplaires que demande M*** sont
siins doutepour travailler dessus : mais n'importe;
je les lui enverrais avec grand plaisir, si j'en avais
Toccasion, si^tout s'il voulait prendre le ton de
M. Vernes. Si par hasard c'était en effet par goût
pour Touvragg , M*** serait un théologien bien
étonnant : mais laissez-les faire. La colère les trans-
porte : comme ils yont prêter le flanc! Oh! mon-
sieur, si tous ces gens -là, moins brutaux, moins
rognes , s'étaient avisés de mç prendre par des. ca-
resses ,j!é tais perdu , je senâ que jamais je n'aurais
pu résister; mais, par le côté qu'ils m'ont pris, Je.
suis à répreuve. Ils feront tant qu'ils me rendront
illustre et grand , au lieu que j'étais fait pour n'être
jamais qu'un petit garçon. Je vouS embraJ>se de tout
mon cœur.
LETTRE DXXXV.
A M. DUCHESNË,
LIBRAIBK À PABIS.
t
Motiers , le 6 janvier 1765. "^
3e vous envoie',. monsieur, une pièce imprimée
et publiée à Genève *, et que je vous prie d'impri-
mer et publier à Paris , pour mettre le public eti
* Le libelle intitulé , Sentiment des citoyens. Voyez les Confessions ,
livre XII.
R. XX. 17
258 CORllESPONDA^CF.
état d'entendre les deux parties, en attendant les
autres réponses plus foudroyantes qu'on prépare
à Genève contre moi. Celle-ci est de M. Vernes, si
toutefois je ne me trompe ; il ne faut qti'attendre
pour s'en éclaircir : car, s'il en est l'auteur ,41 ne
manquera pas de la reconnaître hautement , selon
le devoir d'un homme d'honneur et d'un bon chré-
tien ; s'il ne l'est pas, il la désavouera- de même , et
le piibUc saura bientôt à quoi s'en tenir.
Je vous connais trop , monsieur , pour croire
que vous voulussiez imprimer une pièce pareille ,
si elle vous venait d'une autre main ; mais puisque
c'est moi qui vous en prie , vous ne devez vous en
firire aucun scrupule.
•
N, B. Bn faisant lui-jnéme réimprimer ce libelle ii Paris,
Rousseau y a joint quelques notes que nous allons reproduire,
en les faisant précéder des passages du libelle auquel cTiacUne
d*elles se rapporte.
« Lorsqu'il mêla l'irréligion à ses romans , nos
a magistrats fîirent indispensablement obligés d'i-
« miter ceux de Paris et de Berne • , dont les uns
a le décrétèrent et les autres le chassèrent. »
" Je ue fus chassé du canton de Berne qu'un mois après le décret
de Genève.
a Figurvns ' nous , ajoute-l-il, une ame infernale
<c analysant ainsi VÉs^angile, Eh! qui l'a jamais ainsi
a analysé? où est cette ame infernale^?»,
^ Xi parait que 1 auteur de cette pièce pourrait mieux répondre
que personne à sa qupj^tion. Je prie le lecteur de ne pas manquer Je
consulter, dans l'endroit qu'il cite , ce qui précède et ce qui suit.
A NivÉR i'j6!i. aSg
« Considérons qui les traite ainsi ( nos pasteurs) :
« est-ce un savant.... est-ce un homme de bien...?
« Nous avouons avec douleur et en rougissant, que
« c'est un homme qui porte encore les marques fii-
« nés tes de ses débauches; et qui, déguisé en sal-»
« timbanque, traîne avec hii , de village en village ,
« la malheureuse dont il fit mourir la mère, et dont
« il a exposé fes enfants à la porte d'un hôpital , en
« rejetant les soins qu'une personne charitable voii-
« lait avoir d'eux , et en abjurant tous les sentiments
« de la nature , comme il dépouille ceux de Thon-ï
« neur et de la religion. " »
" Je yeux faire avec- simplicité la déclaration que semble exiger
de moi cet article. Jamais aucune maladie, de celles dont parle ici
l'auteur, ni petite, ni grande, n*a souillé mon corps. Celle dont je
suis afHigé n'y a pas le moindre rapport; elle est née avec moi,
comme le savent les personnes encore vivantes qui ont pris soin de
mon enfance. Cette maladie «st connue de MM. Malouin, Morand ^
Thiexy, Daran , et du frère Côme. S'il s'y trouve la moindre marque
de débauche, je les prie de «me. confondre et de me faire honte d^
ma devise. La personne sage et généralement estimée qui me soigne
dans mes maux et me console dans mes afflictions, n'est malheu-
reuse que parce qu'elle partage le sort d'un homme fort malheureux ;
sa mère est actuellement pleine de vie et en bonne santé , malgré sa
vieillesse. Je n'ai jamais exposé ni fait exposer aucpu enfant à la porte
d'aucun hôpital ni a^leùrs. Une personne qui aurait eu la cha-
rité dont on parle , aurait eu celle d'eu garder le secret ; et chacun
sent que ce n'est pas de Genève, où je n'ai point vécu , et d'où tant
d'animosité se répand contre moi, qu'on doit attendre des informa-
tions (idèles sur ma conduite. Je n'ajouterai rien sur ce passage, si-
non qu'au meurtre près, j'aimerais mieux avoir f^t ce dont so]|
auteur m*accase, que d'en avoir écrit un |)areil.
« C'est donc là celui qui parle des devoirs de la
« société ! Certes il ne remplit pas ce$ devoirs quand,
« dans le même libelle , trahissant la confiance d'un
'7-
a6o CORRESPONDANCE.
« ami " , il fait imprimer une de ses lettres , pour
(c brouiller ensemble trois, pasteurs. C'est ici qu'on
a peut dire de ce même écrivain, auteur d'an
ce roman d'éducation , que , pgur élever un jeu|ie
a homme , il faut commencer par avoir été Itién
« élevé »*. . , "
* Je crois drroir avertir le public que le théologien qui a écrit b
lettre doot j*ai donné un extrait , n'est ni ne fut jamais mon ami, que
je ne Tai tu qu*unc fois en nia yie, et qu'il n'a pas la moindre chose
à démétier, ni en bien ni en mal , avec les ministres de Genèye. Cçt
aTcrtitsement iti'a paru nécessaire pour (nrérenir les téfnéraires ap-
plications.
^ Tout le monde accordera, je pense, à l'auteur de cette pièce,
que lui et moi n'avons pas plus eu la méaie éducation , qne nous
n*avons la même religion.
« Pourquoi réveille-t-il nos anciennes querelles ?
« Veut-il que nous nous égorgions *" parce "qu'on a
« brûlé un mauvais livre à Paris et à Genève ? n
* On peut voir dans ma conduite les doujoureux sacrifices que j*ai
fiiits pour ne pas troubler la paix de ma,patpie^ et, dans moir ou-
Trage, avec quelle force j'exhorte les cllfeyens à ne la troubler jamais,
k quelque extrémité qu'on les réduise.
LETTRE DXXXVI.
■
A M. ***.
Au tajet d'an Memoirk tu faveur des Protestants, que l*bn devait
• adresser aux éréqu.çs de France.
1765.
La lettre , monsieur, et le.mémoire de M***, que
vous m'avez envoyés, confirment bien l'estime et
le respect que j'avais pour leur auteur. Il y a dans
ANNÉE 1765. a6l
ce mémoire des choses qui sont tout-à-fait bien ;
cependant il me paraît que le plan et rexécution
demanderaient une refonte conforme aux excel-
lentes .observations contenues dans votre lettre.
I/idée d'adresser un mémoire aux évêques n'a pas
tant pour but de les persuader eux-mêmes que de
persuader indirectement la cour et le clergé catho-
lique , qui seront plus portés à donner' au corps
épiscopaEl le tort dont on ne les chargera pas eux-
mêmes. D'où il doit larriver que les évêques au-
ront honte d'^ever des oppositions à la tolérance
des protestants, ou que, s'ils font ces oppositions^
ils attireront contre eux la clameur publique et
peut-être les rebufEaides de la cour.
Sur cette idée , il paraît qu'il ne s'agit pas tant ,
comme vous le dites très-bien , d'explications sur
la doctrine , qui sont assez connues et ont été don-
nées mille fois , que d'une exposition politique et
adroite de l'utilité dont les protestants sont à la
France ; à quoi l'on peut ajouter- la bonne remar-
que de M***, sur l'impossibilité reconnue de les
réunir à l'Église, et par conséquent sur l'inutilité
de les opprimer; oppressioi][ qui, ne pouvant les
détruire , ne peut servir qu'à les aliéner.
En prenant les évêques, qui, pour la plupart,
sont des plus grandes maisons du royaume, du
côté des avantages de leur naissance et de leurs
places , on peut leur montrer avec force combien
ils doivent être attachés au bien de l'état à pro-
portion du bien dont il les comble , et des privi-
lèges qu'il leur accorde ; combien il serait horrible
aÔa CORRESPONDANCK.
à eux de préférer leur intérêt et leur ambitioti par-
ticulière au bien général d'une société dont ils sont
Iqi principaux membres; on peut leur prouver que
leurs devoirs de citoyens , loin d'être opposera ceux
de leur ministère, en reçoivent de nouvelles forces;
que l'humanité, la religion, la patrie, leur pres-
crivent la même conduite et la même obligation de
pi^téger leurs nialheureux frères opprimés, plutôt
que de les poursuivre. Il y a mille choses vives et
saillantes à dire là -dessus, en leur faisant honte,
d'un côté , de leurs maximes barbares , sans pour^
tant les leur reprocher; et de l'autre, en excitant
contre eux l'indignation du ministère et des. autres
ordres du royaume. , saus pourtant paraître y tâ-
cher.
Je suis, monsieur, si pressé, si accablé, si sur-
chargé de lettres , que je ne puis vous jeter ici quel-
ques idées qu'avec la plus grande rapidité. Je vou-
drais pouvoir entreprendre ce mémoire , mais cela
m'est absolument inlpossible ^ et j'en aï bien du jre-
gret; car, outre le plaisir de bien faire, j'y trou-
verais un des plus beaux sujets qui puissent honorer
la plume d'un auteur. Cet ouvrage peut être un
chef-d'œuvre de politique et d'éloquence, pourvu
qu'on y mette le temps; mais je ne crois pas qu'il
puisse être bien traité par un théologien. Je vous
^Uie, monsieur, de tout mon cœur.
A KNÉE 1765. ^63
I
LETTRE DXXXVII.
A M. SÉGUIEE DE SAINT-BRISSON.
Motiers, janyier 1769.
■
J'ai reçu, monsieur, votre lettre du 27 décembre;
j'ai aussi lu Aristé et PhUopeiùs. Malgré le plaisir
que m'ont fait l'un etl'autre, jene me repens point
du mal que je vous ai dit du premier; et ne doutez
pas que je ue vous en eusse dit du second , si vous
m'eussiez consulté. Mon cher Saint-Brisson , je ne
vous dirai jamais.assez avec quelle douleur je vous
vois entrer dans une carrière couverte de flçurs et
semée d'abîmes , où l'on ne peut éyiter de se cor-
rompre ou de se perdre , où l'on devient malheu-
reux ou méchant à. mesure qu'on avance, et très-
souvent l'un et l'autre avant d'arriver. Le métier
d auteur n'est bon que pour qui yçut servir les pas-
sions des gens qui mènent Içs- autres; mais pour
qui veut sincèrement le bien de l'humanité , c'est
un piétier funeste. Aurez -vous plus -de zèle que
moi pour la justice, pour la vérité, pour tout ce
qui est honnête et bon ? aurez-vous des sentiments
plus désintéressés , une religion plus douce , plus
tolérante, plus pure, plus sensée ? àspirerez-vous à
moins de choses? suivrez-vous ime route plus so-
litaire? irez-vous sur le chemin de moins de gens?
choquerez-vous moins de rivaux et de concurrents ?
264 COftRESPONDANCE.
éviterez-vous avec plus de soin de croiser les inté-
rêts de personne? Et toutefois vous voyez; je ne
Âîs confient il exister dans ,1e monde un seul hon-
nête homme à qui mon exemple ne fasse pas tomber
la plume des mains. Faites du bien , mon cher Saint-
Brisson, mais non pas des livres; loin de corriger
lès méchants^ils ne font que les aigrir. Le meilliSMr
livre fait très^pëu de bien aux hommes et beaucc&p
de mal à son auteur. Je vous ai déjà vu aux champs
pour une brochure qui n'était pas ttiême fort .mal-
honnête; à quoi devez -vous vous attendre si Ces
choses vous blessent déjà? •
Comment pouvez - vous craif e que je veuille
passer en Corse, sachant que les troupes françaises
y sont? Jugez- vous que je n'aie "pas assez de mes
malheurs, sans en aller chercher d'autres? Non,
monsieur^ dans Taccableiiiênt où je suis* j'ai be-
soin de reprendre haleine ; j'ai besoin d'aller plus
loin de 6en'ève chercher quelcjues moments de re-
pps ; car on ne m'en laissera nulle ,part un long sur
la terre, je ne puis plus l'espérer que dans son
sein. J'igBore encore de quel côté j'irai: il ne m'en
reste plus guère à choisir. Je voudrais, chenlin fai-
sant, me chercher qiielque retraite fixe, pour m'y
transplanter tout-à-fait , où l'on eût l'humanité de
me recevoir, et de me laisser mourir en paix. Mais
où |â trouver parmi les chrétiens ? La Turquie est
trop loin d'ici.
Ne doutez pas , cher Saint-Brisson , qu'il ne me
fût fort doux de vous avoir pour compagnon de
voyage, pour consolateur , et pour garde-malade.
AlVlViE 1765. 265
mais j ai. contre ce niéiïie vcryagede grandes objec-
tions par rapport à vous. Premièrement, ôtez-vous
de l'esprit de me. consulter sur rien , jet é^ troiq^
dans mon entretien la moindre ressource contre
l'ennui. L'étourdissement où me jettent des agita-
tions sans relâche. lo^a rendo stupide; ma tête est
en léthargie , mon coeur même est mort , je ne sens
ni ne puînée plus. Il me. reste un séiÊl plaisir dans
la vie; j'aime encore àmarcher, mais en 'marchant
je ne rêve pas mémej j'ai .les sensations des objets
qui me frappent, et rien de pjus, je vpulais essayer
d'un peu de botanique pour m'amuser du moins à
réconnaître en chemin quelques plantes; mais nia
mémoire est absolument éteinte ; elle ne peut pas
mêiïie aller ju$que-là. Imaginez; le plaisir de voyager
avec un pareil autdmafe.
Cç n'est pas tout. J^ sens lé, mauvais effet que
votre voyage ici fera pour vous-même. Vous n'êtes
déjà pas trop bien auprès des dévots ; voulez-vous
achever de vous perdre ? Vos copipatriotes mêmei,
en général , ne vous pardonnent pas de me con-
naître , comment vous pardonnerdient-ils de m'ai-
mer ? Je SUIS très-fâché que vous m'ayez nommé à
la tête de votre triste: ne. faites plus pareille sot-
tise ^ où je me brouille avec vous tout de bon. Dites-
moi surtout de qUel œil votis croyez que votre
famille verra ce voyage : madame votre mère eh
frémira; je frémis moi-même à penser aux funestes
effets qu'il peut produire auprès de vos proches.
Et vous voulez que je vous laisse faire! C*eî?t vou-
loir que je sois le dernier des hommes. Non , mon-
a66 CORRESPONDANCE.
sieur, obtenez l'agrément de madame votre mère,
et venez. Je vous embrasse avec la plus grande
jffîl^ mais sans cela, n'en parlons plus.
» ».
LETTRE DXXXVIII.
A M. MOULTOU.
«
Motiers, le 7 janvier 1765.
11 était bien cruel, monsieur, que chacun de
nous désirant si fort conserver l'amitié de l'autre,,
crût également l'avoir perdue, Je me souviens très-
bien, qioi qui suis si peu exact à écrire-, de' vous
avoir écrit le dernier. Votre silence obstiné me
navra Tame , et me fit croire que ceux qui voulaient
vous détacher de moi avaient réussi; cependant,
même dans cette supposition, je plaignais votre
faiblesse sans accuser votre cœur ; et mes plaintes ,
peut-être indiscrètes, prouvaient, mieux que n'eût
fait mon silence^ l'amertume de ma douleur. Que
pouvait faire de plus un homme qui ne s'est jamais
départi de ces deux maximes, et ne s^en veut ja-
mais Répartir, l'une de ne jamais rechercher per-
sonne , l'autre de ne point courir après ceux qui
s'en vont ? Votre retraite m'a déchiré : si vous re-
venez sincèrement., votre retour me rendra la vie.
Malheureusement, je trouve dans votre lettre plus
d'éloges que de sentiments. Je n'ai que faire de vos
louanges, et je donnerais mon sang pour votre
amitié.
Quant à mon dernier écrit, loin de l'avoir fait
par animosité , je ne l'ai fait qu'avec la plus grande
répugnance , et vivement sollicité": c'est iTn devcUr^
que j'ai rempli sans m'y complaire : mais je n'ai
qu'im ton ; tant pis pour cetix qui me forcent de le
prendre , car je n'en changerai sûrement pas pour
eux. Du reste, ne craignez rien de l'effet de mon
livre; il ne fera du mal qu'à moi. Je connais mieux
que vous la bourgeoisie de Genève ; elle n'ira pas
plus loin qu'il ne faut, je vous en réponds.
« Hi motus anîmoruin atqne hsec certamina taDta
« Pulveris exigui jactu compressa quiescent. •
Moultou , je n*aime à vous voir ni ministre ni
citoyen de Genève. Dans l'état où sont les mœurs ,
les goûts ^ les esprits dans cette ville, vous n'êtes
pas fait pour l'habiter. Si cette déclaration vous
fachcencore, ne nous rèicconmiodons pas, car je
ne cesserai point de vous la faire. Le plus mauvais
parti qu'un homme de votre portée puisse prendre
est celui de se partager. Il faut être tout- à- fait
comme les autres , ou tout-à-fait comme soi. Pen-
sez-y. Je vous embrasse.
Saluez de ma part votre vénérable père.
a68 CORRESPONDANCE.
ï'*«
LETTRE DXXXIX.
A M. D'IVERNOIS.
Motiers , le 7 janvier 1765.
J'ai reçu, monsieur, Siveû vos dernières lettres,
comprise celle du 5 , la réponse aux ,Lettres écrites
de la campagne. Cet ouvrage est excellent, et doit
être en tout temps le manuel des citoyens. Voilà ,
monsieur, le ton respectueux, mais ferme et noble,
qu'il faut toujours prendre , au lieu du ton craintif
et rampant dont on n'osait sortir autrefois; mais
il ne .faut jamais passer au-delà. Vos magistrats n'é-
tant plus mes supérieurs, je puis, vis-à-vis d'eux,
prendre lui ton qu'il ne vous conviendrait pas d'i-
miter.
Je vous remercie derechef des soins sans nombre
que VOU5 avez bien voulu prendre pour mes petites
commissions , mais qui sont grandes par la peine
continuelle qu'elles vous donnent, car il semble, a
votre activité, que vous ne pouvez être occupé que
de tnoi. Vos soins obligeants , monsieur , peuvent
m'étre aussi utiles que votre amitié me sera pré-
cieuse; et, lorsque vous voudrez bien observer nos
conditions, une fois à mon aise de ce côté, bien
sûr de vos bontés, je n'épargnerai point vos peines.
Je n'ai point encore donné le louis de votre part
à ma pauvre voisine: premièrement, parce que, sa
santé étant passable à présent, elle n'est pas abso-
*■
lument sous la condition que vous y avez mise;
et , en second lieu , parce que vous exigez de n'être
pas nommé, condition quç je ne puis admettre^
parce que ce serait faire présumer à ces bonnes
gens que cette libéralité vient, de moi , et que je
me cache par modestie , idée à laquelle il ne me
convient pas de donner lieu.
Bien des remerciements ^ M. Deluc fils de sa
bonne volopté. Je ne vous cacherai pas que l'op-
tique me serait fort agréable ; mais, premièrement,
je ne consentirai point que M. Deluc , déjà si chargé
d'autres occupations, s'en donne la peine lui-même,
et je crains que cette fantaisie ne coûte plus d'ar-
gent que je n'y en puis mettre pour le présent. Mais
il m'a promis de me pourvoir d'un n^icroscope;
peut-être même en faudrait-il deux. Il en sait l'u-
sage, il décidera. Je serais bien aise aussi d'avoir,
en couleurs bien pures ; un peu d'outremer et de
carmin , du vert de vessie , et de la gomme ara-
bique.
Il est très à désirer que la fermentation causée par
les derniers écrits n'ait rien de tumultueux. Si les
Genevois sont sages , ils se réuniront , mais paisi-
blement; ils ne se livreront à aucune impétuosité,
et ne feront aucune démarche brusque. Il est vrai
que la longueur du temps est contre eux; car on
travaillera.fortement à les désunir, et tôt ou tard on
réussira. La combinaison des droits, des préjugés,
des circonstances , exige dans les démarches autant
de sagesse que de fermeté. Il est des moments qui
ne reviennent plus quand on les néglige ; mais il
H'JO CORRESPOM) \\Ci:.
Éaut autant de pénétration pour les connaître que
d'adresse à les saisir. N'y aurait -il pas moyen de
réveiller un peu le Deux-cents ? S'il ne voit pas ici
son intérêt, ses membres ne sont que des cruches.
Mais tenez-vous sûrs qu'on vous tendra des pièges,
et craignez les faux frères. Profitez du zèle appa-
rent de M. Ch. , mais ne vous y fiez pas, je vous le
répète. Ne comptez point non plus sur l'homme
dont vous m'avez envoyé une réponse. S'il faut agir,
que ce soit plus loin. Du reste, je commence à
penser que, si l'on se conduit bien, cette ressource
hasardeuse ne sera pas nécessaire.
Vous voulez une inscription sur votre exem-
plaire. Mes bons Saint-Ciervaisiens en ont mis une
qui se rapporte à l'ouvrage : en voici une aulre qui
se rapporte à l'auteur: u^lto quœsmt cœlo lucem^
ingemuitque repertd.
Je suis fâché de vous donner du latin ; mais le
français ne vaut rien pour ce genre; il est mou, il
est mort , il n'a pas plus de nerf que de vie.
Mille remerciements, je vous prie, à madame
d'Ivernois , pour la bonté qu'elle a eue de présider
à l'achat pour mademoiselle Le Vasseur. Son goût
se n^ontre dans ses emplettes comme son esprit
dans ses lettres. Te vous embrasse de tout mon
cœur.
Voici une lettre pour M. Moultou : la sienne m'a
fait le plus grand plaisir, et mon cœur en avait
besoin.
Je m'aperçois que l'inscription ci -dessus est
beaucoup trop longue jx)ur l'usage que vous en
ANNÉE 1760. 5171
voulez faire. En voici une de l'invention de M. Moul-
tou, qui dit à peu près la même chose en moins
de mots : Liiget et monet.
J'oubliais de vous dire que le premier de ce
mois messieurs de Couvet me. firent prier, par une
députation, de vouloir bien agréer la bourgeoisie
de leur commimauté; ce que je fis avec reconnais-
sance ; et, le lendemain , un des gouverneurs avec
le secrétaire m'apportèrent des lettres conçues en
termes très-obligeants et très-honorables , et dans
le cartouche desquelles, dessiné en miniature, ils
avaient eu l'attention de mettre ma devise. Je leur
dis, (îiar je ne veux rien vous taire, que je me te-
nais plus libre, sujet d'un roi juste , et plus honoré
d'être membre d'une communauté où régnait l'é-
galité et la concorde I que citoyen d'une république
où les lois n'étaient qu'un mot, et la liberté qu'un
leurre. H est dit dans les lettres que la délibéra-
tion a été unanime aux suffif^ges de cent vingt-cinq
voix.
Hier l'abbaye de l'arquebuse de Couvet me fit
offrir le même honneur , et je l'acceptai de même.
Vous savez que je suis déjà de celle de Motiers. Jç
vous avoue que je suis plus flatté de ces marques
de bienveillance, après un assez long séjour dans
le pays pour que ma conduite et mes mœurs y
fussent connues, que si elles m'eusst^nt été pro^
diguées d'abord eh y arrivant.
'2*J'2 CORRESPOND A IVCE.
LETTRE DXL.
A M. DE GAUFFFXOURT.
Motiers-Trayers , le la janvier 1765.
Je suis bien aise, mon.cher papa , que vous pui$-
siez envisager, dans la sérénité de votre paisible
^pat&e, les agitations et les traverses de ma vie , et
que vous ne laissiez pas de prendre aux soupirs
qu'elles m'arrachent un intérêt digne de notre an-
cienne amitié.
Je voudrais encore plus que vous que le moiparùi
moins dans les Lettres écrites de la montagne ; mais
sans le moi ces lettres n'auraient point existé.
Qufihd on fit expirer le malheureux Calas sur la
roue, il lui était difficile d'oublier qu'il était la.
Vous doutez qu on permette une réponse. Vous
vous trompez , ils répondront par des libelles dif-
famatoires : c'est ce que j'attends pour achever de
les écraser. Que je suis heureux qu'on ne se. soit
pas avisé de me prendre par des caresses! j'étais
perdu, je sens que je n'aurais jamais résisté. Grâce
au ciel , on ne m'a pas gâté de ce côté-là , et je me
sens inébranlable par celui qu'on a choisi. Ces
gens-là feront tant qu'ils me rendront grand et il-
lustre, au lieu que naturellement je ne devais
être qu'un petit garçon. Tout ceci n'est pas fini :
vous verrez la suite , et vous sentirez , je l'espère ^
que les outrages et les libelles n'auront pas avili
ANNÉE 1765. a-^J
votre ami. Mes salutations , je vous prie , à M. de
Quinsonas : les deux lignes qu'il a jointes à votre
lettre me sont précieuses; son amitié me paraît
désirable, et il serait bien doux de la former par
un médiateur tel que vous.
Je vous prie de faire dire à M. Boui^eois que
je n'oublie point sa lettre , mais que j'attends pour
y répondre d'avoir quelque chose de positif à lui
marquer. Je suis fâché de ne pas savoir son adresse.
Bonjour, bon papa; parlez- moi de temps en
temps de votre santé et de votre amitié. Je vous
embrasse de tout mon cœur.
P. S. Il paraît à Genève une espèce de désir de
se rapprocher de part et d'autre. Plût à Dieu que
ce désir fut sincère d'un côté, et que j'eusse la
joie de voir finir des divisions dont je suis la cause
innocente! Plût à Dieu que je pusse contribuer
moi-même à cette bonne œuvre par toutes les dé-
férences et satisfactions que l'honneur peut mç
permettre! Je n'aurais rien fait de ma vie d'aussi
bon cœur, et dès ce moment je me tairais pour
jamais.
LETTRE DXLL
A M. DUCLOS.
MotierSy le 1 3 jan'vier 1 765.
J'attendais , mon cher ami , pour vous remercier
de votre présent, que j'eusse. eu le plaisir de lire
R. XX. 18
a^4 CORAKSPONUANCt.
cette nouvelle édition, et de la comparer avec la
précédente; mais ta situation violente où me jette
la fiireur de mes ennemia ne me laisse pas un mo-
ment de relâche; et il faut renvoyer les plaisirs à
des moments plus heureux , s'il m'est encore per-
mis d'en attendre. Votre portrait n'avait pas be-
soin de la circonstance pour me causer de l'émo-
tion ; mais il est vrai qu'elle en a été plus vive par
la comparaison de mas misères présentes avec les
temps où j'avais le bonheur de vous voir tous les
jours. Je voudrais bien que vous me fissiez l'ami-
tié de m'en donner une seconde épreuve pour
mon porte feuille. Les vrais amis sont trop rares
pour qu'en effet la planche ne restât pas long-
temps neuve, si vous n'en donniez qu'une épreuve
à chacun des vôtres ; mais j'ose ici dire , au nom
de tous, qu'ils sont bien dignes que vous l'usiez
pour enx.
Quoique je sache que vous n'êtes point fait pour
en perdre, je suis peu surpris que vous ayez à
vous plaindre de ceux avec lesquels j'ai été forcé
die rompre. Je sens que quiconque est un faux
ami pour moi n'en peut être un vrai pour per-
sonne.
Ils travaillent beaucoup à me faciliter l'entre-
prise d'écrire ma vie , que vous m'exhortez de re-
prendre. Il vient de paraître à Genève un libelle
effroyable , pour lequel la dame d'Épinay a fourni
des mémoires à sa ijlanîère , lesquels me mettent
déjà fort à mon aise vis^à-vis d'elle et de ce qui
l'eatoure. Dieu me préserve toutefois de l'imiter.
ANNÉE 1765: 275
même en me défendant! Mais sans révéler les se-
crets qu'elle» m'a confiés, il m'en reste assez de
ceux que je ne tiens pas d'elle pour la faire con-
naître autant qu'il est nécessaire en ce qui se rap-
porte à moi. Elle ne me croit pas si bien instruit ;
mais, puisqu'elle m'y force, elle apprendra quel-
que jour combien j'ai été discret. Je vous avoue
cependant que j'ai peine^ encore à vaincre ma ré-
pugnance , et je prendrai du moins des mesures
pour que rien ne paraisse de mon vivant. Mais
j'ai beaucoup à dire, et je dirai tout; je n'omet-
trai pas une de mes fautes , pas même une de mes
mauvaises pensées. Je me peindrai tel que je suis :
le mal offusquera presque toujours le bien; et,
malgré cela, j'ai peine à croire qu'aucun de mes
lecteurs ose se dire : Je suis meilleur que ne fut
cet homme-là.
Cher ami, j'ai le cœur oppressé, j'ai les yeux
gonfiés de larmes ; jamais être humain n'éprouva
tant de maux à la fois. Je me tais , je souffre , et j'é-
touffe. Que ne suis* je auprès de vous! du moins
je respirerais. Je vous embrasse.
t^/%i>%^^%/^m/%f^'%/mi/^^Mi/^'%/mi/^mym/%^^t/%^^u^^/^/^^/^m4^^^^mj<Ê^%^^/^
LETTRE DXLIL
A M. D'IVERNOIS.
Motiers, 17 janvier 1765.
Votre lettre , monsieur , j|lu 9 de ce mois , ne
m'est parvenue qu'hi«r, et très-certainemeut elle
avait été ouverte. •
18.
276 COIWIESPONDANCE.
Il me semble que je ne serais pas de votre avis
sur la question de porter ou de ne pas porter au
conseil général les griefs de la bourgeoisie , puis-
qu'en supposantiie la part du petit conseil le refus
de la satisÊdre sur ses griefs , il n'y a nul autre
moyen de prouver qu'il y est obligé : car enfin de
ce que des particuliers se plaignent , il ne s'ensuit
pas qu'ils aient raison de se plaindre, et de ce
qu'ils disent que la loi a été violée , il ne s'ensuit
pas que cela soit vrai, surtout quand le conseil
n'en convient pas. Je vois ici deux parties; savoir,
les représentants et le petit conseil. Qui sera juge
entre les deux ?
D'ailleurs la grande affaire en cette occasion
est d'annuler le prétendu droit négatif dans sa par-
tie qui n'est pas légitime; et rien n'est plus impor-
tant pour constater cette nullité que l'appel au
conseil général. Le fait seul de cette assemblée
donnerait aux représentants gain de cause , quand
même leurs griefs n'y seraient pas adoptés.
Je conviens que par la diminution du nombre
cette souveraine assemblée perdra peu à peu son
autorité; mais cet inconvénient, peut-être inévi-
table , c^t encore éloigné , et il est bien plus grand
en renonçant dès à présent aux conseils généraux.
Il est certain que votre gouvernement tend rapi-
dement à l'aristocratie héréditaire; mais il ne s'en-
suit pas qu'on doive abandonner dès à présent un
bon remède, et surtout s'il est unique , seidement
parce qu'on prévoit qu'il perdra sa force un jour.
Mille incidents peuvent d'ailleurs retarder ce pro-
ANNl^E 1765. ^77
grès encore ; mais si le petit conseil demeure seul
juge de vos griefs, en tout état de cause vous êtes
perdus.
La question me paraît bien-^tablie dans ma
huitième lettre. On se plaint que la loi est trans-
gressée. Si le conseil convient de cette transgres-
sion et la répare , tout est dit , et vous n'avez riefn
à demander de plus ; mais s'il n'en convient pas ,
ou refuse de la réparer, que vous reste-t-il à de-
mander pour l'y contraindre? un conseil général.
L'idée de feire une déclaration sommaire des
griefs est excellente ; mais il faut éviter de la faire
d'une manière trop dure, qui mette le conseil
trop au pied du mur. Demander que le jugement
contre moi soit révoqué , c'est demander une chose
insupportable pour eux , et aussi parfaitement inu-
tile pour vous que pour moi. Il n'est pas même
sûr que l'affirmative fitesat au conseil général ; et
ce serait «m'exposer W%u nouvel affront encore
plus solennel. Mais demander si l'article 88 de
l'ordonnance ecclésiastique ne s'applique pas aux
auteurs des livres ainsi qu'à ceux qui dogmatisent
de vive voix , c'est exiger une décision très-raison-
nable , qui dans le droit aura la même force , en
supposant l'affirmative , que si la procédure était
annulée , mais qui sauve le conseil de l'affront de
l'annuler ouvertement. Sauvez à vos magistrats
des rétractations humiliantes, et prévenez les in-
terprétations arbitraires pour l'avenir. Il y a ce-
pendant des points sur lesquels on doit exiger les
déclaration.sJfSK plus expresses ; tels sont les tribu^
278 CORRESPONDANCE.
naux bans syndics, tels sont les emprisonnemeiits
fiiîts d'office , etc. Laissez là , messieurs , le petit
point d'honneur^ et allez au solide. Voilà mon
avis.
J'ai reçu les couleurs et le microscope ; mille re-
merciements , et à M. Deluc. N'oubliez pas, je
vous supplie^ de tenir ime note exacte de tout.
Dans celle que vous m'avez envoyée vous avez ou-
blié la flanelle ; je vous prie de réparer cette omis-
J'ai iait donner le louis à ma voisine. Digne
bomme , que les bénédictions du ciel sur vous et
Bur votre famille augmentent de jour en jour une
fortune dont vous faites lui si noble usage.
Le messager doit partir la semaine prochaine.
Je voudrais que vous attendissiez les occasions de
VQUS servir de lui plutôt que d'importuner incessam-
ment M. le trésorier pour tant de petits articles qui
ne pressent point du tout, et dont l'expédition
lui donne encore plus d'incommodité qu'à moi
d'avantage.
Ne faites rien mettre dans la gazette. Le gazetier ,
veodu à mes ennemis, altérerait infailliblement
votre article , ou l'empoisonnerait dans quelque
autre. D'ailleurs à quoi bon ? Que ne suis-je oublié
du genre humain ! que ne puis-jé , aux dépens de
cett^ petite gloriole , qui ne me flatta de ma vie ,
jouir du repos que j'idolâtre , de cette paix si chère
à mon cœur, et qu'on ne goûte que dans l'obscu-
rité! Oh ! si je puis faire une fois mes derniers
adieux au public!... Mais peut-être avant cet heur
ANIfÉE 1765. 279
reux moment faut-il le» foire à la vie, La volonlé
de Dieu soit £aite. Je vous embrasse tendrement.
Je vous prie de vouloir bien donner cours à
cette lettre pour Chambéry. Je ne puis foire la
procuration que vous demandez que dans la belle
saison , voulant qu'dle soit légalisée à Yverdun ou
à Neuchâtel , par dès raisons que je vous explique»
rai et qui n'ont ..wcun rapport à la chose.
LETTRE DXLIII.
A M. PICTET.
Motiers, le 19 janyier 1765.
Vous auriee toujours , monsieur , des réponses
bien promptes si ma diligence à les foire était pro-
portionnée au plaisir que je reçois de vos lettres:
mais il me sembla que , par égard pour ma triste
situation , vous m'avez promis sur cet article une
indulgence dont assurément mon cœur n'a pas
besoin , mais que les tracas des foux empressés, et
l'indolence de mon état me rendent chaque jour
plus nécessaire. Rappelez-vous donc quelquefois ,
je vous supplie, les sentiments que je vous ai
voués , et ne concluez rien de mon silence contre
mes déclarations.
»
Vous aur.ez pu comprendre aisément , monsieur ,
à la lecture des Lettres de la montagne , combien
elles ont été écrites à contre-cœur. Je n'ai jamais
remplji ,4^evoir avec plus de répugnance que celui
a8o CORRESPOND iLNGE.
qui m'imposait cette tâche; mais enfin c'en était un
tant envers moi qu'envers ceux qui s'étaient com-
promis en prenant ma défense. J'aurais pu , j'en
conviens , le remplir sur un autre ton ; mais je
n'en ai qu'un ; ceux qui ne l'aiment pas ne devaient
pas me forcer à le prendre. Puisqu'ils s'étudient
à iqrabliger de leur dire leur véi^té , il faut bien
user du droit qu'ils me donfl|Ç||};. Que je suis
heureux qu'ils ne se soient pas avisés de me gâter
par, des caresses! Je sens bien mon cœur; j'étais
perdu s'ils m'avaient pris de ce côté-là ; mais je
me crois à l'épreuve par celui qu'ils ont préféré.
• Ce que j'ai dit est si simple, que vous ne pou-
vez m'en savoir au|:un gré ; mais vous pouvez m'en
savoir im peu de ce que je n'ai pas osé dire , et
vous^'ignorez pas la raison qui m'a rendu discret.
Puisque vous avez cependant, monsieur, le cou-
rage d'avouer dans ces circonstances l'amitié dont
vous m'honorez, je m'en honora trop moi-même
pour ne pas vous prendre au mot. Jusqu'ici je n'ai
point indiscrètement parlé de notre correspon-
dance, et je n'ai laissé voir aucune de vos lettres;
mais par la permission que vous m'en donnez, j'ai
montré la dernière. Par les talents qu'elle annonce ,
elle mérite à son auteur la célébrité; mais elle la
lui mérite encore à meilleur titre par les vertus
qui s'y font sentir.
ANNÉE 1765. a8l
LETTRE DXLIV. *'
A M. DU PEYROU.
a,*^^
Motiers, le a 4 janvier 176^
A.
3e vous avoue,ig|iM^'je ne vois qu'avec effroi ren-
gagement* que je vais prendre avec la compagnie en
question si l'affaire se consomme ; ainsi quand elle
manquerait, j'en serais très-peu puni. Cependant^
comme j'y trouverais des avantages solides, et une
commodité très-grande pour l'exécution d'une en-
treprise que j'ai à cœur , que d'aitteurs je ne veux^
pas répondre malhonnêtement aux avances de ces
messieurs, je désire, si l'entreprise se roitopt, Ijile
ce ne soit pas par ma faute. Du reste , quoique je
trouve les demandes que vous avez faites en mon
nom un peu fortes , je suis fort d'avis , puisqu'elles-
sont faites , qu'il n'en soit rien rabattu.
Je vous reconnais bien, monsieur, dans l'arran-'
gement que vous me proppsez au défaut de celui-
là ; mais quoique j'en sois pénétré de reconnais-
sance, je me reconnsutrais peu moi-même si je
pouvais l'accepter sur ce pied-là: toutefois j'y vois
une ouverture pour sortir , avec votre aide , d'un
furieux embarras où je suis. Car, dans l'état pré-
caire où son t ma santé et ma vie, j e mourrais dans une
perplexité bien cruelle en songeant que je laisse mes
papiers, mes effets, et ma gouvernante , à la merci
* Pour une édition générale de ses ouvrages.
a3d CORRESPONDANCE.
d'un inconnu. Il y aura bien du malheur si l'inté-
rêt que vous voulez bien prendre à moi, et la con-
fiance que j'ai en vous ne nous amènent pas à
quelque arrangement qui contente votre cœur
sans faire souffrir le mien. Quand vous serez une
fois mon dépositaire universel, je serai tranquille;
et il me semble que le repos de mes jours m'en
sera plus doux quand je vous en serai redevable.
Je voudrais seulement qu'au préalable nous puis-
sions &Lre une connaissance encore plus intime.
J*ai des projets de voyage pour cet été. Ne pour-
rkms*-nous en faire quelqu'un ensemble? Votre
hâdment vous occupera-t-il si fort que vous ne
puissiez le quitter quelques semaines , même quel-
ques mois , si le cas y échoit ? Mon cher monsieur ,
il'£mt coifamencer par beaucoup se connaître pour
SAvoir bien ce qu'on fait quand on se lie. Je m'at-
tendris à penser qu'après une vie si malheureuse,
peut-être trouverai-je encore des jours sereins
près de vous , et que peut-être une chaîne de tra-
verses m'a-telle conduit à l'homme que la Provi-
dence appelle à me feriper les yeux. Au reste , je
vous parle de mes voyages , parce qu'à force d'ha-
bitude les déplacements sont devenus pour moi
des besoins. Durant toute la belle saison il m'est
impossible de rester plus de deux ou trois jours
en place sans me contraindre et sans touffrir.
awkéï; 1765. a83
LETTRE DXLV.
A M. LE COMTE DE B.
Motiers, le 36 janvier 1765.
Je suis pénétré , monsieur, des témoignages d'es-
time et de confiance dont vous m'honores: mais,
comme vous dites fort bien, laissons les complîr
ments, et s'il est possible , allons k l'utile.
Je ne crois paç que ce que vous désirée de moi
se puisse exécuter avec succès d'emblée dans uae
seule lettre , que madame la comtesse sentira d'à*
bord être votre ouvrage. Il vaut mieux, ce me
semble , puisque vous m'assurez qu'elle est portée
à bien penser de moi, que je fasse avec elle les
avances d'une correspondance qui fera naître aisé*
ment les siijets dont il s'agit, et sur lesquels je
pourrai lui présenter mes réflexions de moi-même
à mesure qu'elle m'en fournira Toccasion. Car il
arrivera de deux choses l'une : ou, m'accordant
quelque confiance, elle épanchera quelquefois son
honnête et vertueux cœur en m'écrivarit , et alors
la liberté que je prendrai de lui dire mon sentiment,
autorisée par elle-même, ne pourra lui déplaire;
ou elle restera dans une réserve qui doit me servir
de règle , et alors , n'ayant point l'honneur d'être
connu d'elle , de quel droit m'ingérer à lui donner
des leçons ? La lettre ci-jointe est écrite dans cètir
vue , et prépare les matières dont nous aurons à
!l84 CORRESPOND \NCK.
traiter si ce texte lui agrée. Disposez de cette lettre,
je vous supplie, pour la donner ou la supprimer ,
selon qu'il vous paraîtra plus convenable.
En vérité, monsieur, je suis enchanté de vous
et de votre digne épouse. Qu'aimable et 'tendre
doit être un mari qui peint sa femme sous des
traits si charmants ! Elle peut vous aimer trop pour
votre repos , mais jamais trop pour votre mérite ,
ni vous l'aimer jamais assez pour le sien. Je ne
ooimais rien de plus intéressant que le tableau de
votre union , et tracé par vous-même. Toutefois
voyez que , sans y songer, vous n'ayez donné peut-
être à sa délicatesse quelque raison particulière de
craindre votre éloignement. Monsieur, les cœurs
sensibles sont faciles à blesser; tout les alarme, et
ils sont d'un si grand prbc qu'ils valent bien les
peines ' qu'on prend à les contenter. Les soins
amoureux de nouveaux époux bientôt se relâchent;
les témoignages d'un attachement diirable fondé
sUr l'estime et sur la vertu sont moins frivoles et
font plus d'effet. Laissez à votre femme le plaisir
de sacrifier quelquefois ses goûts aux vôtres ; mais
qu'elle voie toujours que vous cherchez votre bon-
heur dans le sien , et que vous la distinguez des
autres femmes par des sentiments à l'épreuve du
temps. Quand une fois elle sera bien convaincue
de la solidité de votre attachement , elle n'aura pas
peur que vous lui soyez enlevé par des folles.
Pardon , monsieur : vous demandez des avis pour
madame la comtesse, et c'est à vous que j'ose en
donner. Mais vous m'inspirez un intérêt si vif
ANNÉE 1765. 285
pour votre union , qu'en vous parlaat de tout ce
qui me semble propre à l'affermir , je crois déjà
me mêler de mes affaires.
LETTRE DXLVI.
A MADAME LA COMTESSE DE B.
Motiers, le a 6 janyler 1765.
J'apprends , madafne , que vous êtes une femme
aussi vertueuse qu'aimable , que vous avez pour
votre mari autant de tendresse qu'il en a pomr vous ,
et que c'est à tous égards dire autant qu'il est possi-
ble. On ajoute que vous m'honorez de votre estime,
et que Vous m'en préparez même un témoignage
qui me donnerait l'honneur d'appartenir à votre
sang par des devoirs *. ^
En voilà plus qu'iV ne faut , ma'dame, pour m'at-
tacher par le plus vif intérêt au bonheur d'un $i
digne couple, et bien, assez, j'espère, pour m'au**
toriser à vous marquer ma reconnaissance pour la
part qui me vient de votis des bontés qu'a pour
moi M. le comte <ie ***.* J'ai pensé que l'heureux
événement qui s'approche pouvait, selon vos ar-
rangements, me mettre avec vous en correspon-
dance ; et pour un objet si respectable je sens du
plaisir à la prévenir.
Une autre idée me fait livrer à mon zèle avec
La comtesse de B/avait paru souhaiter que Rousseau voulût étrt
le parrain de l'enfant dont elle était sur le point d'accoucherl ' "'V '-
a86 CORRESPONDANCE.
confiance. Les devoir» de M. le comte de *** l'appel-
leront quelquefois loin de vous. Je rends trop de
justice à vos sentiments nobles pour douter que
si le charme de votre présence lui faisait oublier ces
devoirs , vous ne les lui rappelassiez vous-même
avec courage. Comme un amour fondé sur la vertu
peut sans danger braver l'absence , il n'a rien de
la mollesse du vice ; il se renforce par les sacrifices
qtfflui coûtent, et dont il s'honore à ses propres
yeux. Que vous êtes heureuse , madame , d'avoir
tm mérite qui vous met au-dessus des craintes, et
nh épotnc qui sait si bien en sentir le prix ! Plus
il aura de comparaisons à faire , plus il- s'applau-
dira de son bonheur.
Dons ces intervalles vous passerez un temps
très-doux à vous occuper de lui, des chers gages
de sa tendresse , à lui en parler dans vos lettres ,
à en parler à ceux qui prennent part à votre union.
Dans ce nombre *6serais-je , madame , me compter
auprès de vous pour quelque chose? J'en ai le
droit par mes sentiments : essayez si j'entends les
i"6tres , si je sens vos inquiétudes, si quelquefois
jappais les calmer. Je ne me flatte pas d'adoucir
vos peines ; mais c'est quelque chose que les par-
tager , et voilà ce que je ferai de tool mon cœur.
Recevex, madame , je vous supptie, les assurances
éei ïùùn respect.
àHNiE 1765. 287
LETTRE DXLVIT.
A MILORD MARÉCHAL.
a 6 janvier 1765.
J'espérais, Milord, finir ici mes jours en paix;
je sens que cela n'est pas possible. Quoique je vi4e
en toute sûreté dans ce pays sous la protection
du i^oi, je suis trop près de Genève et de Berne.,
qui ne me laisseront point en repos. Vous savez à
quel usage ils jugent à propos d'employer la reli-
gion : ils en font un gros torchon de paille enduit
de boue^ qu'ils me fourrent dans la bouche à toute
force pour me mettre en pièces tout st leur aise ,
sans que je puisse crier. Il faut donc fuir malgré
mes maux , malgré ma paresse ; il faut chercher
quelque endroit paisible eu je puisse respirer. Mais
où aller? Voilà, Milord, sur quoi je vous consulte.
Je ne voia que deux pays à choisir ; l'Angleterre
ou l'Italie. L'Angleterre serait bien plus selon mon
humeur; mais elle est moins convenable à ma
santé , et je ne sais pas la langue : grand inconvé-
nient quand on s'y transplante seul. D'ailleurs il y
fait si cher vivre qu'un homme qui manque de
grandes ressources n'y doit point aller , à moins
qu'il ne veuille s'intriguer pour s'en procurer,
chose que je ne ferai de ma vie ; cela est plus dé-
cidé que jamais.
Le climat de l'Italie me conviendrait fort, et mon
u88 CORrRESPONDAIfCE.
état, à tous égards, me le rend de beaucoup pré-
férable. Mais j'ai besoin de protection pour qu'on
m'y laisse tranquille : il faudrait que quelqu'un
des princes de ce pays-là fn'accordàt un asile dans
quelqu'une de ses maisons , afin que le clergé ne
pût me chercher querelle si par hasard la fantai-
sie lui en prenait; et cela ne me paraît ni bien-
séant à demander , ni facile à obtenir quand on ne
coniuut personne. J'aimerais assez le séjour de Ye-
tÔ0eyi[{ue je connais déjà; mais quoique Jésus ait
défendu la vengeance à ses apôtre*, Saint-Marc
ne se pique pas d'obéir sur ce point. J'ai pensé
que si le roi ne dédaignait pas de m'honorer de
quelque apparente conmiission, ou de quelque
titre sans fonctions conrnie sans appointements ,
et qui ne signifiât rien que l'honneur que j'aurais
d'être à lui , je pourrais sous cette sauvegarde , soit
à Venise, soit ailleurs, jouir en sûreté du respect
qu'on porte à tout ce qui lui appartient. Voyez,
Milord , si dans cette occurrence votre sollicitude
paternelle imaginerait quelque chose pour me pré-
sei:ver d'aller sous les plombs , ce qui serait finir
assez tristement une vie bien malheureuse *. C'est
' ■* Cette expression sous Us plombs a fort embarrassé les éditeurs
de Genève. £n yoici Texplication : Le palais de Saint-Marc, à Venise^
est couvert de grandes lames de plomb, et Ton croyait alors corn-
flàunémentque quand les Inquisiteurs d*état voulaient se débarrasser,
«ans forme de procès, d'un homme suspect, ib le faisaient renfermer
dans un des cabinets pratiqués immédiatement sous ces lames, qui,
devenant brûlantes par Tarideur du soleil, donnaient au malheureux
prisonnier une fièvre chaude dont il mourait en très-peu de temps.
On aime à douter d'une cruauté plus atroce encore que celle de Bn-
siris. Toujours est-il vrai qu*à Venise on ne parlait jamais de ces
plombs qu'avec effiroi. ,
ANN^E 1765. 289
une chose bien précieuse «à mon cœur que le re-
pos, mais qui me serait bien plus précieuse encore
si je la tenais de vous. Au reste, ceci n'est qu'une
idée qui me vient, et (fui peut-être est très-ridi-
cule. Un mot de votre part me décidera sur ce
qu'il en faut penser. ■
k-«^«/«^»«a/>'«'W» VV^>«^
LETTRE DXLVIII.
- #
f A M. BALLIÈRE.
Motiers, ie a8 janvier 1765,
Deux envois de M. Duchesiys , qui ont demeuré
très-long-temps en route , m'ont apporté, mon-
sieur , l'un votre lettre et l'autre votre livre * : voilà
ce qui m'a fait retarder si long^temps à vous re-
mercier de l'une et de l'autre. Que ne donnerais-je
pas pour avoir pu consulter votre ouvrage ou vos
lumières , il y a dix ou douze aiA , lorsque je tra-
vaillais à rassembler les articles mal digérés ■ que
j'avais faits pour l'Encyclopédie! Aujourd'hui que
cette collection est achevée , et que tout ce qui s'y
rapporte est entièrement effacé de mon esprit, il
n'est plus temps.de reprendre cette longue et en-
nuyeuse besogne, malgré les erreurs et les fautes
dont elle fourmille. Tai pourtant le plaisir de sen-
tir quelquefois que j'étais, poujr ainsi dire, à la
piste de vos découvertes , et qu'avec un peu plus
d'étude et de méditation j'aurais pu peut-être en
* Un exemplaire de la Thécïrie de -la musique.
R. ^X. IQ
2^0 CORRSSPONDAIMCE.
atteindre quelques \unçs. Car, par exemple, j'ai
très-bien vu que l'expérience qui sert de prindpe
à M* Rameau n'est qu'une partie de celle des ali-
quotes , et que c'est de cette dernière , prise dans
sa totalité, qu'il faut déduire le système de notre
harmonie; mais je n'ai eu du reste que des demi-
lueurs qui n'ont fait que m'égarer. Il est trop tard
pour revenir maintenant sur mes pas , et il faut que
mon ouvrage reste avec toute^i ses fautes , ou qu'il
soit refondu dans une seconde édition par une
meilleure main. Plût à Dieu y monsieur ^ que cette
main fut la vôtre! vous trouveriez peut-être assez
de bonnes recherches toutes faites pour vous épar-
gner le travail du manœuvre , et vous laisser seu-
lement celui de l'architecte et du théoricien.
Recevez, monsieur, je vous siippUe, mes très-
liii|[nble$ salutations.
LEtTRE DXLIX.
A M. DU PEYROU.
Motiers, le 3i janvier 1765.
Vpici , monsieur , deux exemplaires de 1^ pièce
qije vous avez déjà vue , et que j'ai fait imprinier
à Paris *. C'était la meilleure répoi;is.e qu'il i»e con-
venait d'y faire.
Voici aussi la procuration sur votre dernier
niodèle : je doute qu'elle puisse avoir son usage.
Le libelle intitulé , Sentiment des citoyens.
ANNiÊE 1765. agi
Pourvu >que ce ne «ok ni votre faïUe m ta mienne,
il impoi^te peu que l'affaire se rompe; naturelle-
menit je dois m'y^tttendre, et je m'y attends.
Voici enfin la lettre de M. de Buffon ,de laquelle
je suis extrêmement touché. Je veux lui écrire,
mais la crise horrible où je suis ne me le permet-
tra pas si tôt» Je vous avoue cependant que je n'en-
tends pas bien le conseil qu'il me donne de ne psas
me mettre à dos M. de Voltaire; c'est comme si
Ton conseillait à un passant, attaqué dai^i un grand
chemin, de ne pas se mettre à dos le brigabd
qui l'assassine. Qu'ai-je fait pour m'attirer les per-
sécutions de M. de Voltaire ? et qu'ai-je à craindre
de pire de sa part? M. de Bufifon veut-il que je flé-
chisse ce tigre altéré de mon sang? Il sait bien qaê
rien n'apaise ni ne fléchit jamais la fureur des tigres.
Si je rampais devant Voltaire , il en triomphenût
sans doute , mais il ne m'en égorgerait pas moins.
Des bassesses me déshonoreraient , et ne me sau-
veraient pas. Monsieur, je sais soufiirir; j'espère
apprendre à mourir; et qui sait cela n'a jamais be-
soin d'être lâche.
Il a fait jouer les pantins de Berne à l'aide de son
ame damnée le jésuite Bertrand : il joue à présent
le même jeu en Hollande. Toutes les puissances
plient sous l'ami des ministres tant poUtiques que
presbytérifens. A cela que puis-je faire? Je ne doute
presque pas du sort qui nl';ittend sur le canton
de Berne, si j'y mets les pieds; cependant j'en au-
rai le cœur net , et je. veux voir jusqu'où , dans ce
siècle aussi doux qu'éclairé , la philosophie et l'hu-
19-
aga CORRESPONDANCE.
nianité seront poussées. Quand l'inquisiteur Vol-
taire m'aura fait brûler , cela ne sera pas plaisant
pour moi , je l'avoue ; mais avouez aiissi que , pour
la chose , cela ne saurait l'être plus.
Je ne sais pas encore ce que je deviendrai cet
été. Je me sens ici trop près de Genève et de Berne
pour y goûter un moment de tranquillité. Mon
corps y est en sûreté , mais mon ame y est inces-
samment bouleversée. Je voudrais trouver quel-
que asile où je pusse au moins achever de vivre
e» paix. J'ai quelque envie d'aller chercher en Ita-
lie une inquisition plus douce , et un climat moins
rude^ J'y suis désiré , et je suis sûr d'y être accueilli.
Je ne me propose pourtant pas de me transplan-
ter brusquement, mais d'aller seulement recon-
naître les lieux , si mon état me le permet , et qu'on
me laisse les passages libres , de quoi je doute. Le
projet de ce voyage trop éloigné ne me permet
pas de songer à le faire avec vous , et je crains que
rpbjet qui me le faisait surtout désirer ne s'éloigîie.
Ce que j'avais besoin de connaître mieux* n'était
assurément pas la conformité de nos sentiments .
et de nos principes , mais celle de nos humeurs ,
dans la Supposition d'avoir à vivre ensemble comme
vous aviez eu l'honnêteté de me le proposer. Quel-
que parti que je prenne , vous connaîtrez , mon^
sieur, je m'en flatte, que vous n'avez pas mon es-
tînie et ma confiance à demi ; et , si vous pouvez
me prouver que certains arrangements ne vous
porteront pas un. notable préjudice, je vous re-»
mettrai , puisque vous le voulez bien , l'embarras
ANNÉE 1765. agS
de tout ce qui regardé ''tant la collection de mes
écrits que l'honneur de ma mémoire; et, perdant
toute autre idée que de me préparer au dernier
passage , je vous devrai avec joie le repos du reste
de mes jours.
J'ai l'esprit trop" agité maintenant pour prendre
un parti; mais, après y avoir mieux pensé, quel-
que parti que je prenne , ce ne sera point sans en
causer avec vous , 'et sans vous faire entrer pour
beaucoup dans mes résolutions dernières. Je vous
embrasse de tout mon cœur.
LETTRE DL.
A M. SAINT-BOURGËOIS.
Motiers, le a féTiiec X7&5i
J'ai reçu, monsieur,avec la lettre que vdus m'avez
fait l'honneur de m'écrire le 29 janvier, l'écrit que
vous avez pris la peine d'y joindre. Je vous remercie
de l'une et dé Tautre.
Vous m'assurez qu'un grand nombre de lecteurs
me traitent d'homme plein d'orgueil, de présomp-
tion, d'arrogance; vous avez soin d'ajouter que ce
sont là leurs propres expressions. Voilà, monsieur^
de fort vilains vices dont je dois tâcher de me cor-
riger. Mais sans doute ces messieurs, qui usent
si libéralement de ces termes, sont eux-mêmes si
remplis d'humilité,de douceur et de modestie, qu*il:
n'est pas aisé d'en avoir autant qu'eux.
394 CORRESPONDANCE.
Je Tois , moBsieur y que vous avez de la santé , do
loifir , et du goût pour la dispute : je vous en hàà
mùt^eomfiîment ; et pour moi , qiH n'ai rien de tout
celft^e vous salué, monsieur, de tout mon cœigr.
LETTRE DLL
A M. PAUL CHAPPUIS.
Jdoûers, le a février 17'^ 5.
J'ai lu, monsieur, avoc grand plaisir la lettre
dont vous m'avez honoré le 1 8 janvier. J'y trouve
tant de justesse , de sens , et une si honnête fran-
chise, que j'ai regret de~ne pouvoir vous suivre
dans les détails où voii»y êtes entré. Mais, de grâce ,
mettez - vous à ma place ; supposez - vous malade ,
accabîé de chagrins, d'affaires, de lettres, de vi-
sites, excédé d'importuns de tout» espèce qui, ne
sachant que faire de leur temps , absorberaienff inn»
pitoyablement le votre , et dont chacun voudrait
vous occuper de lui seul et de ses icfeées. Dans* cette
position , monsieur, car c'est la mienne , il me hta-
drait dix têtes , vingt mains, quatre secrétaires», et
d^ jours de quarante-huit heures pour répondre'
à tout; encore ne potfrrais-je contenter personne ^
parce que souvent deux lignes d'objectiofis deman*
dent vingt pages de solutions.
Monsieur, j'ai dit ce que je savais^et peutréfre
ce que je ne savais pas ; ce qu'il y a de sûr , c'
que je n'en s;Û5 pas davantage: wisi je ne
ANNÉE 1765. 29?
plus que bavarder ; il vaut mieux lue taure. Ja vois
que la plupart de ceux qui m'écrivent pensent
comme moi sur quelques points , et différemment
sur d'autres : tous les hommes en sont à peu près
là ; il ne faut point se tourmenter de ces différences
inévitables , surtout quand on est d*-accord sur l'es-
sentiel, comme il me paraît que nous le sonmies
vous et moi.
Je trouve les chefs auxquels yotSA réduisez les
éclaircissements à demander au conseil assez rai-
sonnables. Il n'y atjue le premier qu'il faut retran-
cher comme inutile, puisque, ne voulant jamais
rentrer dans Genève , il m'est parfeitement égal que
le jugement rendu contre moi soit ou ne soit pas
redressé. Ceux qui pensent que l'intérêt ou la pas-
sion m'a fait agir dans cette, affaire, lisent bien mal
le fond de mon ccôur. Ma conduite est une , et n'a
jamais varié sur ce point : si mes contemporains ne
me rendent pas justice en ceci, je m'en console en
me la rendant à moi - même, et je l'attends de la
postérité.
Bonjour, monsieur. Vous croyez que j'ai fait avec
vous en finissant ma lettre ; point du tout : ayant
oublié votre adresse , il faut maintenant la retourner
chercher dans votre première lettre , perdue dans
cinq cents autres , où il me faudra peut-être une
demi - journée pour la trouver. Ce qui achève de
m'étourdir eât que je manque d'ordre : itaais le dé-
couragement et la paresse m'absorbent, m'anéan-
tissent , et je suis ti^op vieux pour me corriger de
rien. Je vous salue âé tout mon cœur.
396 CORRESPOIN D\NC£.
LETTRE DLII,
* A MADAME LA MARQUISE DE VERDELIN.
:.'"■ *■ Motiers, le 3 février 1765.
4u milieu des soins que vous donne , madame ,
le zèle pour votre famille, et au premier moment
de votre convalescence , votis vous occupez de moi ;
vous pressentez les nouveaux (iongers où vont me
replonger les fureurs de mes ennemis, indignés
que j'aie osé montrer leur injustice. Vous ne vous
trompez pas, madame; on ne peut rien imaginer
de pareil à la rage qu'ont excitée les Lettres de la
montagne. Messieurs de Berne viennent de défendre
cetfQ^ivrage en termes très-insultants : je ne serais
pas surpri» qu'on me fit un mauvais parti sur leurs
terres, lorsque j y remettrai le pied. Il faut en ce
pays même 'toute la protection du roi pour m'y
laisser en sûreté. Le conseil de Genève, qui soufiQe
le feu tant ici qu'en Hollande, attend le moment
d'agir ouvertement à son tour, et d'achever" de
m'écraser, s'il lui est possible. De quelque côté que
je me tourne, je ne vois que griffes pour me dé-
chirer, et que gueules ouvertes pour m'engloutir.
J'espérais du moins plus d'humanité du côté de la
France : mais j'avais tort ; coupable du crime irré-
missible d'être injustement opprimé , je n'en dois
attendre que mon coup de grâce. Mon parti est
pris, madame; je laisserai tout faire, tout dira, et
AKNJÉE 1765. aCf'J
je me tairai : ce n'est pourtant pas £siute d'avoir k
parler. . .
Je sens qu'il est impossible qu'on me laisse resr
pirer en paix ici. Je suis trop près de Genève el de
Berne. La passion de cette heureuse tranquillité
m'agite et me travaille chaque jour davantage- Si
je n'espérais la trouver à la fin , je sens que ma con-
stance achèverait de m'abandonne!*. J'ai quelque
envie d'essayer de l'Italie, dont le climat et l'inqui-
sition me seront peut-être plus doux qu'en France
et qu'ici. Je tâcheçai cet été de me trsuner de ce
côté-là pour y chercher un gîte paisible ; et si je le
puis trouver, je vous promets bien qu'on n'en-
tendra plus parler de moi. Repos, repos, chère idole
de mon cœur, où te trouverai -je? Est -il possible
que personne n'en veuille laisser jouir un homnie
qui ne troubla jamais celui de personne? Je ne se-
rais pas surpris d'être à la fin forcé de me réfugier
chez les Turcs, et je ne doute point que je n'y fusse
accueilli avec plus d'hiunanité et d'équité que chez
les chrétiens.
On vous dit donc, madame, que M. de Voltaire
m'a écrit sous le nom du général Paoli, et que j'ai
donné dans le piège. Ceux qui disent cela ne font
guère plus d'honneur, ce me semble, à la probité
de M. de Voltaire qu'à mon discernement. Depuis
la réception de votre lettre , voici ce qui m'est ar-
rivé. Un chevalier de Malte , qui a beaucoup ba-
vardé dans Genève, et qui dit venir de l'Italie, est
venu me voir il y a quinze jours , de la part du gé-
néral Paoli, Êdsant beaucoup l'empressé des com-
agS CORRESPONDANCE.
iBÛflions dont il se disait chargé près de moi , mais
me disant au fond très-peu de chose , et m'étalant,
d^uH air important, d'assez chétives paperasses fort
pochetées. A chaque pièce qu'il me montrait, il
était tout étonné de me voir tirer d'un tiroir la
même pièce , et la lui montrer à mon tour. J'ai vu
qt|e cela le mortifiait d'autant plus , qu'ayant £siit
tons ses efforts pour savoir quelles relations je
pouvais avoir eues en Corse , il n'a pu là - dessus
ih'arracher un seul mot. Comme il né m'a point ap-
porté de lettres , et qu'il n'a voulu ni se nommer ,
ni me donner la moindre notion de lui , je l'ai re-
hiercié des visites qu'il voulait continuer de me
faire. Il n'a pas laissé de passer encore ici dix ou
douze jours sans me reveYiir voir. J'ignore ce qu'il
y a fait. On m'apprend qu'il est reparti d'hier.
Vous vous imaginez bien , madame , qu'il n'est
plus question pour moi de la Corse , tant à cause
de Tétat où je mé trouve , que par mille raisons
qu'il vous est aisé d'imaginer. Ces messieurs dont
vous me parlez* ont de la santé, du pain, du re-
pos ; ils ont la tête libre , et le cœur épanoui par
le bien-être; ils peuvent méditer et travailler à leùf
aise. Selon toute apparence les troupes françaises ,
s'ils vont dans le pays, ne maltraiteront point leurs
personnes; et, s'ils n'y vont pas, n'empêcheront
point leur travail. Je, désire passionnément voir
une législation de leur façon ; mais j'avoue que j'ai
peine à voir quel fondement ils pourraient lui don-
Helvétius et Diderot, auxquels les Corses, disait -ob , s'étaient
adi^éttés pour ayoir un plan de lë^slatîbn.
ANNÉE 1765. 29^
ner en Corse , car malheureunemeM fes feittûM^ de
ce pays - là sont très - laides , et très - chastes , qui
pis est.
Que mon ouvrage projeté n'aille pas, madame,
vous faire renoncer au vôtre. J'ea ai plus besoin que
jamais, et tout peut très -bien s'airanger, pourvu
que vous veniez au commencement ou à la fin dé
la belle saison. Je compté ne partir qu'à la fin 'dfe
mai , et revenir au mois de septembre.
LETTRE DLin.
A MADAME GtTYENET.
Motîers, le 6 février 1765.
Que j 'apprentie à tna bornie aime mes bonnes^
nouvelles. Le Thk janvier, on a brMé mon livre à
La Haye ; on doit aujqurd'htn- le brûler à Genève ;
on? le brûlera, j'espère, encore ailieufs. Voilà, pa^^
le froid qu'il fait , des gew bien brûlants. Qtoe dé
feux de joie brilteÀt à mon honneur (fans FEu-
rope! Qu'on"! donc foit mes autres écrits pottr n'éfré
pas srtissi bnité»? et qufe n'en ai- je à fiéfe brûler
encore !' Mai* j'ai fini pour ma vie ; il faut ^voir
mettre des bornes à son orgueil. Je n'en mets point
à mon attachement pour vous, et vous voyez qu'au
milieu de mes triomphes je n'oublie pas mes amis.
Augmentez-en bientôt le nombre , chère Isabelle ,
j'en attends l'heureuse nouvelle avec la plus Vive
300 CORRESPONDANCE.
impatience. Il ne manque plus rien à ma gloire ;
mais il manque à mon bonheur d'être grand-
papa^.
LETTRE DLIV.
A MADAME DE GHENONCEAUX.
Motiers, le 6 février 1765.
Je suis entraîné ,- madame , dans un torrent de
malheurs qui m'absorbe et m'ôte le temps de vous
écrire. Je me soutiens cependant assez bien. Je n'ai
plus de tête; niais mon cœur me reste encore.
Faites-moi l'amitié , madame ,,de faire tenir cette
lettre à M. l'abbé de Mably, et de me faire passer
sa réponse aussitôt qu'il se pourra. On fait circuler
sous son nom , dans Genève , une lettre avec laquelle
on achève de me traîner par les boues, et toujours
vers le bûcher. Je serais sûr que cette lettre n'est
pas de lui, par cela seul qu'elle est lourdement
écrite; j'-en su^^ encore plus sûr, parce qu'elle est
basse et malhonnête. Mais à Genève , où l'on se
connsdt aussi mal en style qu'en procédés , le pu-
blic s'y trompe. Je crois qu'il est bon qu'on le dé-
sabuse, autant pour l'honneur de M. l'abbé de
Mably que pour le mien.
r
* Madame Gayenet appelait Rousseau son papa.
A.NNÉE I7G5. 3oi
LETTRE DLV.
A M. L'ABBÉ DE MABLY.
Motiers, le 6 février 1765.
Voici , monsieur, une lettre qu'on vous attribue ,
et qui circule dans Genève à la faveur de votre nom.
Daignez me marquer , non ce que j'en dois croire,
mais ce que j'en dois dire , car je n'en puis parler
comme j'en pense que quand vous m'y aurez au-
torisé.
, Si mes malheurs ne vous ont point fait oubliei:
nos anciennes liaisons, et l'amitié dont vous m'ho-
norâtes , conservez-la , monsieur , à un homme qui
n'a point mérité de la perdre ^.et qui vous sera tou-
jours attaché*.
'^ A la suite de cette lettre, Ronsseau- a transcrit celle qui est attri-
buée à Tabbé de Mably. Elle est du j i janvier 1765, et l'extrait lui
en fut envoyé det^enève, le 4 février suivant, par un anonyme.
Voici cet extrait : •
« Une cbose qui me fâche beaacou{> , c'est la lecture que je viens
« de faire des Lettres de la montagne ; et voilà toutes mes idées bou-
m leversées sur le compte de Rousseau. Je le croyais bounéte homme ;
«je croyais que sa morale était sérieuse, qu'elle était dans* son
« cœur, et non pas ail bout de sa plume. Il me fait prendre malgré
« moi une autre façon de penser, et j'en suis affligé. S'il s'était
m borné à prétendre que son déisme est un bon christianisme , et
« qu'on a eu tort de brûler son Jdvre et de décréter sa personne,'
m on pourrait rire de ses sophismes, de ses paralogismes, et de ses
« paradoxes, et on aurait dit qu'il est filcheux que l'homme le plus
« éloquent de son. siècle n'ait pas le sens çpmmim. Mais cet homme
« finit par être une espèce de conjuré. Est-ce Érostrate qui yeut
« briller le temple d'Éphèse ? est-ce un Gracchns ? Je sais bien que
« les trois dernières lett^s, dans lesquelles Rousseau attaque votre
3oa
CORR£SPOJy,DAiyC£.
rf .«•*
%/•(%.«
►*'*y
LETTRE DLVI.
***
A M. D"\
Motiers, le 7 février 1765.
Je ne doute point , monsieur , qu'hier , jour de
Deux-cents, on n'ait brûlé mon livre à Genève ; du
moins toutes les mesures étaient prises pour cela.
Vous aurez su qu'il fut brûlé le aa à La Haye. Rey
memarque que l'inquisiteur * a écrit dans ce pays-là
beaucoup de lettres , et que le ministre Chais , de
Genève, s'est donné de grands mouvements. Au
•
« gouvernement , ne sont remplies que de déclamations et de man-
« Tais raisonnements; mais il est à craindre que tout cela ne paraisse
« très-juste , très-sage et très-raisonnable à des tètes échauffées p et
■ qui ne savent pas juger et goûter leur bonheur. Je croirais que
« Totre gouvernement est aussi bon qu'il peut l'être , eu égard à sa
« situation^ et, dans ce cas, c'est on crime que d'en troubler l'har-
« monie. J'espère que cette affaire n'aura aucune suite fâcheuse ;
« et l'excellente tète qui a fait les Lettres de la campagne a sans dou|p
« tout ce qu'il faut pour entretenir l'ordre au milieu de la fermen-
« tatiou , ouvrir les yeux du peuple , et lui fiûre connaître ses er-
« repirs , ou plutôt celles- de Rousseau. Que voulez -vous ! il n'est
« point de bonl^eur parfait pour les hommes, ni de gouvernement
« sans inconvénient. La liberté veut être achetée ; elle est expofiée
« à des moments d'agitation et d'inquiétude. Malgré cela, elle vaut
■ mieux que le despotisme. Je vous demanderais pardon, madame,
fi.de vous parler si gravement, si vous étiez Parisienne; mais vons
« /tes Genevoise , et des choses sérieuses vouft plaisent plus qœ nos
« colifichets. »
L'anonyme avait accompagné cet envoi du billet suivant :
■ G toi , le plus vertueux et le plus modeste de tous les hommes,
« surtout pour les statues et les médailles « juge à présent lequel les
w mérite le mieux de celui-ci ou de toi ! » (N^te de S^Peyrou,)
* Voltaire.
AJtwiE 1765. 3o3
surplus, on. laisse Rey fort .^tranquille. Tout cela
n'est-il pas plaisant? Cette affaire s'est tramée avec
beaucoup de secret et de diligence ; car le comtQ
de B***, qui m'écrivit peu de jours auparavant^
n'en savait rien. Vous me direz : Pourquoi ne l'a-t-il
pas empêché au moment de l'exécution ? Monsieur,
j'ai partout des amis puissants, illustres, et qui,
j'en suis très -sûr, m'aiment de tout leur cœur;
mais ce sont tous gens droits , bons , doux , pa-
cifiques, qui dédaignent toute voie oblique. Au
contraire , mes ennemis sont ardents , adroits , in-
trigants , rusés; infatigables pour nuire , et qui ma-
nœuvrent toujours sou^ terre, conime les taupe^.
Vous sentez que la partie n'est pas égale. L'inqui-
siteur est l'homme le plus actif que la terre ait
produit ; il gouverne en quelque £siçon toute l'Eu-
rope.
Tu dois régner; ce monde est fait pour les méchants.
Je suis très-sûr qu'à moins que je ne lui survive,
je serai persécuté jusqu'à la mort.
Je ne digère point que M. de Buffon suppose que
c'est moi qui m'attire sa haine. Ëh l qu'ai-je donc
fait pour cela? Si l'on parle trop de moi, ce n'est
pas ma faute; je me passerais d'une célébrité ac-
quise à ce prix. Marqj.iez à M. de Buffon tout ce
que votre amitié jpourmbi vous inspirera;, et, en
attendant que je sois en état de lui écrire ,, parlez-
lui, je vous supplie, de tous les sentiments dont
vous me savez pénétré poiu* lui.
M. Vernes désavoue hautement, et ^vec horreur,
3o4 correspon'dajVck.
le libelle où j'ai miâ son nom. Il m'a éorit là-dessus
une lettre 'Honnête , à laquelle j'ai répondu sur le
même ton, offrant de contribuer, autant qu'il me
serait possible , à répandre son désaveu. Malgré la
certitude où je croyais être que l'ouvrage était de
lui, certains faits récents me font soupçonner qu'il
pourrait bien être de quelqu'un qui se cache sous
son manteau.
Au reste , l'imprimé de Paris s'est très-prompte-
ment et très -singulièrement répandu à Genève.
Plusieurs particuliers en ont reçu par la poste des
exemplaires sous enveloppe , avec ces seuls mots ,
écrits d'une main de fename, Lisez y bon?ies gens!
Je donnerais tout au monde pour savoir qui est
cette aimable femme qui s'intéresse si vivement à
un pauvre opprimé , et qui sait marquer son in-
dignation en termes si brefs et si pleins d'énergie.
J'avais bien prévu, monsieur, que votre calcul
ne serait pas admissible, et qu'auprès d'un honmie
que vous aimez votre cœur ferait déraisonner votre
tête en matière d'intérêt. Nous causérqps de cela
plus à notre aise, en herborisant cet été;' car loin
de renoncer à nos caravanes, mêijie en supposant
le voyage d'Italie, je veux bien tâcher qu'il n'y nuise
pas. Au reste, je vous dirai que je sens en moi, de
puis quelques jours, une révolution qui m'étonne.
Cies derniers événements , qui devaient achever de
m'accabler, m'ont , je ne sais comment, rendu tran-
quille , et même assez gai: Il me semble que je don-
nais trop d'importance à des jeux d'enfonts. Il y a
dans toutes ces brûleries (Juelque chose de si niais
AÎVNÉE 1^65. 3o5
€t de si bête, qu'il faut être, plus enfant qu'eux
pour s'en émouvoir. Ma vie morale est finie. Est-ce
la peine de tant choisir la terre où je dois laisseï;
mon corps? La partie la plus précieuse de moi-
même est déjà morte : les hommes n'y peuvent plus
rien , et je ne regarde plus tous ces tas de magis-
trats si barbares que cbmnie autant de vers qui s'a-
musent à ronger mon cadavre.
La machine ambulante se montera donc cet été
pour aller herboriser ; ^t , si l'amitié peut la ré-
chauffer encore f vous serez le Prométhée qui me
rapportera le feu du ciel.. Bon jour, monsieur.,
a*
LETTRE DLVII.
A M. MOULTOU.
a
A Motiers, le 7 février 176S.
Cher ami, comptons donc désormais l'un sur
l'autre , et ^que notre confiance soit à l'épreuve de
l'éloignen/ent , du silence, et de la froideur d'une
lettre; car quoiqu'on ait toujours le même cœur,
on n'est pas toujours 4^. la même humeur. Votre
état me touche .vivement : qui doit mieux sentir vos
peines, que moi qui vous aime? et qui doit mieux
compatir aux maux de votre père, que moi qui en
sens si so]ivent de pareils ? , J'ai dàn» cç moment
une attaque qui n'est pas légère : jugez au milieu
de tout le reste!
Oui , je vous désire hors de Genève. Je dôuteque
R. XX. ao
3o6 CORRESPOND A.NCE.
la plus pure vertu pût s'y conserver toujours telle ,
surtout parmi Tordre de gens avec qui vous vivez.
Juges de leur parti par leurs manœuvres ; ils ont
toutes celles du crime ; ils ne travaillent que sous
terre ^ comme les taupes; leurs procédés sont- aussi
nofrs que leurs cœurs. J'ai reçu ayant -hier une
lettre anonyme, où l'on me faisait, d'un air de
triomphe, l'extrait d'une prétendue lettre de l'abbé
de Mably, que Tabbé de Mâbly n'a trèa-sûrement
jamais écrite. Cette lettre est lourde et maladroite;
elle sent le terroir , elle est malhanhête et basse à
la manière de ces messieurs. On y dit d'un ton de
sixième : Est-ce Érostrate qui veut brûler le temple
dïphèse? est-ce un Gracchus? etc. Cependant, au
nom de l'abbé de Mably , voilà, j'en suis sûr, tout
votre Deux-cents à genoux, tous vos'bourgeois pris
pour dupes. Ils ne résistent jamais à la fausse au-
torité des noms ; on a beau les tromper tous les
jours , ils ne voient jamais qu'on les trompe.
En faisant imprimer à Paris la lettre de M. Vernes,
j'ai bien eu soin de relever par une note l'endroit
qu'il prétendait vous regardei:.7e n'ai pas besoin
qu'on- me dise ces choses-là ; je 1^ sens d'avance.
Il m'a écrit une lettre honnête, je lui ai répondu
poliment. S'il désavoue la pièce en» termes conve-
nables , et qu'il s'en tienne là ^ je ne répliquerai
rien, car je suis las de querelles: mais s'il s'avise de
fidre^le mauvais, nous verrons. Il sem difficile de
ppoïiver juridiquement qu'il est autefUr de la pièce;
cependant je me crois en état de pousser les indices
si près de la preuve , q^e le public n'en dotitera
ANNÉE 1765. 307
pas plus que moi. Vous êtes très à portée de m'aider
dans ces recherches, et<îela bien secrètement. Ce-
pendant , si les perquisitions sur ce Doint sont dif-
ficiles , il n'en est pas de même sur l^propos qu'il
tenait pubHquement et sans mesure lorsque i'ôu*
vrage parut : là-dessus û vous est très-aisé d'avoir
des .£aits, des. discours articulés, avec les circcms-
tances des lieux, des temps, des personnes. Faites
ces recherches avec soin, je vous, en prie; ou si
vous partez, chargez de ce soin quelqu'un de vos
amis ou des miens ; quelqu'un sur qui vous puis-
siez compter, et qu'il n'est pas même nécessaire
que je.connaisse., puisqu'il peut m'envoyer, sans
signer, les faits qu'il aura ramassés; mais il faudrait
se servir d'une voie sûre , ou garder un double cje
ce qu'on m'envoie , pour me le renvoyer au besoin
par duplicata. Ces recherches peuvent m'être très-
importantes. J'espère cependant qu'elles seront su-
perflues ; car, encore un coup, je suis bien résolu
de n'en faire u^age'qu'à la dernière extrémité, et
s'il me pousse contre^le mur. Autrement, je resterai
en repos, cçla est sûr.
Écrivez -moi avant votre départ. J'espère que
vous m'écrirez aussi de Montpellier, et que vous
m'y donnerez VQtrè acbresse et des nouvelles de
votre digne père. Vous savez qu'on vient de brûler
mon livre,à La Haye ; c'est le n^uaistre. Chais et l'in-
quisiteur Voltaire qui ont vrangé cela; Rey me
le marque. iLajoute ^e' dans 4e pays tout fe monde
est -d'un étôHnëipeîit «ans 'égal de cette belle expé-
dition : pour moi; ceschosès4à lie m'étonnent phis,
30.
3o8 CORAESPONDANCK.
mais elles me font toujours rire. Jb parierais ma
tête qu'hier votre Deux-cents exx a fait autant.
Si vous pouvez m'envoyer un exemplaire du li-
belle, de riiq)ression de Genève, vous me fereàc
plaîair. Je n'ai plus le mien , l'ayant envoyé à Paris.
En ce moment, ce qu'on m'écrit de Yernes me
fait douter si peut - être Touvrage ne serait point
d'up autre ^ qui aurait pris toutes ses mesures pour
le lui faire attribuer. Que ne donnerais -je point
pour savoir la vérité !
Je sais des gens qui auraient grand besoin d'un^
plume, et je sais un homme bien digne de la leur
£^umir. Il le pourrait sans se çomprome|tre ; et
puisqu'il aime la vertu , jamais il n'en aurait £aiit
un plus bel acte.
LETTRE DLVIIL
À M. LE NJLEPS.
Motiters, le 8 février 1765.
Je commençais à être inquiet dé vous, cher ami ;
votre lettre vient .bien ^ propos me tirer de peine.
La violente crise où je. suis me force à ne vous
parlëi^^ dans celle-ci, que de moi. Vous aurez vu
qu'on a brvilé le a a mon livre à La Haye. Rey me
marque que le minij^tre Ch^is s'est donne t^eau-
Goup dç'mpuvements, et que Tiriquisiteur Voltaire
a écrit beaucoup de lettres .pour cette affisdre. Je
pense qu'avant-hier le peuxycents. en a &it autant
AICNJÉE 1765. 309
à Genève, du çioins tout était préparé pour cela.
Toutes ces brûleries sont si bétes, qu'elles ne font
plus que me faire rire. Je vous envoie ci*joint copie
d'une- lettre* qve j'écrivis avant -hier là -dessus à
une jeune femnie qui m'appelle son papa. Si la
lettre votis paraît bonne, vous pouvez la faire cou-
rir , pourvu qtie les copies soient exactes.
Prévoyant les chagrins, sans nombre que m'atti-
rerait -mon dernier ouvrage , je né le fis qu'avec ré-
pugnance, malgré moi, et vivement sollicité. Le
voili fait, publié, brûlé. Je m'en tiens -là. Non-
seulemeAt je t^e veux plus me mêler des affaires
de Gehève^ ni même en entendre parler; mais,
pour le coup, je quitte tout- à -fait la plume, et
soyez assuré que rien au monde ne me la fera re-
prendre. Si l'on m'eût laissé faire, il y 2^ long-tem
que j'aurais pris ce parti; mais il est pris si bi
que , quoi qu'il arrive , rien ne m'y fera renon
•Je ne demande au ciel que quelque intervalle de
paix jusqu'à ma dernière heure , et tous mes mal-
lueurs seront oubliés ; mais , dût-on me poursuivre
jusqu'au tombeau, je cessé de me défendre. Je ferai
comme les enfants et lés ivrognes , qui se laissent
tomber tout bonnencient quand on les pousse , et
ne se font aucun mal ; au lieu qu'un homme qui
veut se roidir n'en tombe pas moins, et se casse
une' jambe ou un bras par-dessus le marché.
On répand donc qiie c'est Tinquisiteur qui m*a
^crit au nom des Corses, et que j'ai donné dans
un piège si subtil. Ce qui me parait ici tout-à-fait
* Cc»t celle à madame GuyenM , du 6 février, n** ivliu.
3lO CORRESPONDANCE.
l)on est que Tinquisiteiir trouve plaisant Ad se (sire
passer pourfaussaireypoui^ju qu'il me fasse passer
pour dupe. Supposons que ma stupidité fut telle
que, sans autre information, j'ieusse pris celte pré-
tendue lettre pour argent comptant, est-il Çbnce-r
vable qu'une pareille négociation se ffit 'bornée i
cette unique lettre , sans instructiâtis , sans éclair-
cissements , sans mémoires , sans précis d'âùc^lme
espèce? ou bien M. de Voltaire aura-t-il pris la peine
de fid)riquer aussi tout cela? Je veux que ^' pro-
fonde érudition ait pu tromper, sur ce point f'^moli
ignorance ; tout cela n'a pu se faire au moù^ sans
avoir de ma part quelque réponse , ne fiitrce -que
pour savoir si j'acceptais la proposition. Il ne fk»u-
vadt même avoir que cette réponse en vue pour
ttester ma crédulité ; ainsi son premier soin à dû
de se la faire écrire : qu'il la montre , et tput
Oit,
Voyea comment ces pauvres gens accordent leurs
flûtes. Au premier bruit d'une lettre que j'avais
reçue, on y mit aussitôt pour emplâtre que mes-
sieurs Helvétius et Diderot en avaient reçu dfe^ pa-
reilles. Que sont m^n tenant devenues ces lettrés?
M. de Voltaire a-t-il aussi voulu se moquer d'eux ?
Je ris toujours de vos Parisiens, de ces esprits* si
subtils, de ces jolis faiseurs d'épigrammes, que leur
Voltaire inène incessamment avec des contes de
vieilles, qu'on ne ferait pas croire aux enfants. J'ose
dire que ce Voltaire lui-même, avec tout son es-
prit, n'est qu'une bête, un méchant très-maladroit.
Il me poursuit , il m'écrase , il me persécute , et
peut-être me £erà-t-il périr à la lin : grande mer-
veille, ay^ç cent mille livres de rente, tant d'amis
puissants à la cour , et tant dé si basses cajoleries
contre ^n pauvre homn^e ds^as mpnétat! J'cfse dire
que si Voltaire, dans une situation pareille à la
mienne, osait m'attaquer, et que je daigi\asse em-
ployer contre lui ses propres armes,ii; serait bientôt
terrassé. Vous allez juger de la finesse de ses pièges
par un fait qui peut-être a donné lieu au bruit qu'il
a répandu, comme s'il eût été sûr d'avance du succès
d'une ruse bien conduite.
Un chevalier de Malte , qui a beaucoup bavardé
dans Genève , et dit venir d'ïtalie, est venu lye voir,
il y a quinze jours, de la part du général Paoli , fiû-
sant beaucoup l'empressé des cpmmissions dopt il
se disait chargé près de moi; mais me disant au fpnd
très-peu de chose, et m'étalant d'un air important
d'assez chétives paperasses fort pochetées. A cha-
que pièce qu^îl me montrait, il était tout étonné
de me voir tirer d'un tiroir la même pièce, et la
lui montrer à mon tour. J'ai vu que cela le mor-
tifiait d'autant plus , qu'ayant £siit tous ses efforts
pour savoir quelles relations je pouvais avoir euçs
en Corse, il n'a pu là -dessus m'arracher un seul
mot. Coimne il ne m'a point apporté de lettres , et
qu'il n'a voulu ni se nonimer ni me donner la
moindre notion de lui, je l'ai remercié des visites
qu'il voulait continuer de me faijré. 11 n'a pas laissé
de passer encore ici dix pu douze jours sans me
revenir voir.
Tout cela peut être une chose fort simple. Peut-
3lI1 C0RR£SP0NDA.NCK.
étre^ ayant quelque envie de me voir, n'a-t-il cher-
ché qu'un prétexte pour s'introduire, et .peut-être
est-ce un galant homme , très-bien intentionné, et
qui n'a d'autre tort , dans ce fait , que d'avoir Êdt
un peu trop l'empressé pour rien. Mais coimne tant
de malheurs doivent m'avoir appris à me tenir sur
me» gardes, vous m'avouerez que si c'est un piège,
il n'est pas fin.
M. Vernes m'a écrit une lettre honnête pour dés-
avouer avec horreur le libelle. Je lui ai répondu
très-honnétement, et je me suis obligé de contri-
buer-, autant qu'il m'est possible, à répandre -son
désav^ , dans le doute que quelqu'un plus méchant
que lui ne se cache sous son manteau.
LETTRE DLIX.
A MADAME LATOUR:
A MQtierSy le lo féTrier 1765,
L'orage nouveau qui m'entraîne et me submerg[e
ne me laisse pas un moment de paix pour écrire à
l'aimable Marianne ; mais rien ne m'ôtera ceux que
î^ consacre à penser à elle, et à faire d'un Si doux
souvenir une des consolations de ma vie.
Prêt à faire partir ce mot , je reçois votre lettre ;
j^enavais besoin ;ij^étais en peine de vous. Puisque
vous voilà rétablie, j'aime mieux qu'il y ait eu de
Taltération dans votre corps que dans votre cœur;
Je mien^ quoique vous en disiez, est pour vous
àNNiE J765. 3i5
toujours le même; et si tant d'atteintes cruelles le
forcent à se concentrer plus en dedans, il y nourrft
toutes les' affections qui kii sont ahères. Vous avez
un ami bien malhedi'eux , mais-vous l'avez toujours.
»•.
I
. . . . . . Je ne cache point ma fàiblesâë en vous
écrivaht; vous sentez ce que cela veut dire.
»
\.»
LETTRE Dix,
r . ■ ■ . « _ • ■
. A MltOnD MARÉCHAL.
■'■.■. ' ^
motiers, le %i féyrier ijôi,.
Vous savez, Milord, une partie de ce qui m'âr-
rive, la brûlerie de La Haye, la défense de Berne,
ce qui ;se prépare à (ienève ; mais vous ne pou-
vez savoir tout. Des malheurs si constants , une
ahimosité si universelle , commençaient à m'acca-
bler tout-à-fait. Quoique les mauvaises nouvelles
se multiplient depuis la réception de votre lettre,
je suis 'plus tranquille, et même assez gai. Quand
ils m'auront fait tout le mal qu'ils peuvent, je
pourrai les mettre au pis. Grâces à la protection du
roi et à la vôtre , ma personne eàt en sûreté contre
leurs atteintes ; mais elle ne l'est pas contre leurs
tracasseries, et ils/nele font bien «éiitlr. Quoi qu'il
en soit , si ma tête s'affaiblit et s'altère, mon cœur me
reste en bon état. Je l'éprouve en lisant votre der-
nière lettre et le billet que vous avez écrit pour la
3l4 OORRE8PONDANCE.
'communauté de Couvet. Je crois que M. Meuron
:»!acquittera aÀiS|p<;àpli^isir de la commission que vous
lui donnez : je ji'en dirais pas autant de racljoînt
que vous lui associez pour cet effets malgré l'em-
pressement qu'il affecte. Un des totmnents de ma
vie est "d'avoir quelquefois à me plaindre dê§ gens
que vous aimez , et à çi^ Ipu^r de ceux que vous xi'ai-
mez pas. Combien tout çe.qui^vous est attaché m^
serait cher s'il voulait seulement ne pas*repousser
. môH zèle ! mais vos bontés pour moi font ici bien
des. jaloux; et, dans Toccsfsàioo ^*cas jaloux ne me
cachent pas trop leur haiqe, Puîsse-t-elle au^nen-
tér-sans cesse au laéme prix! Ma bonne sœur Éme-
tulla , conservez-moi soigneusement notre père : si
je le. perdais, je serais le plus malheureux des
êtres.:
Avez-vous pu croire que j'aie fait la nàoiôdre
démarche pour obtenir la permission d'in^primer
ici le recueil de mes écrits , ou pour empêcher que
cette permission . ne fût révoquée? Non, Milord-,
j'étais, si parfaitement là-dessus dans vos senti-
ments, sans les connaître, que dès le/cômnienee-
ment je parlai is^ur ce ton aux associés qui se pré-
sentèrent, et à Du Peyrou,- qui a bien vquIu se
charger de traiter avec eux. La proposition est
yepue d'eux , et je ne me suis point pressé d'y con-
sentir. Du reste, je n'ai rien demandé, je ne de-
mande rien, je ne demanderai rien ; et, quoi qu'il
arrive, on ne pourra pas se vanter de m'avoir fait
un refus, qui, après tout, me nuira moins qu'à
eux-mêmes , puisqu'il ne fera qu'ôter au pays cinq
AITNÉB 1765. 3l5
OU six cent mille francs qpe j'y aurais fait entrer
(le cette manière, et qu'oti ne retpwa peut-etr<;
pas si dédaigneusement aiUeurs. Mate s'il aprîvaît ,
contre toute attente, que' ku. permission fût accor-
dée ou ratifiée , j^LTOue • que j'en serais touché
comme sii personne rt'y. gagnait que naoi seul, et
que je m'attacherais au pays pour le reste de ma
vie. • * . . . *
Comme probablemeot irela n'arrirera pas, et
que le voisii)age de Genève me déidént det jour
en jour plus însup{k)rt$blé^ je. chercha à m'^n
éloigner à tout prix! Il ne me reste à chokûr ^e
deux asHes , PAngletçrre ou Htalie : mais l-Àn-
glèterre est trop éloignée ; il y fait trop cher vivre,
et mon corps ni ma bourse n'en supporteraient
pas le trajet. Reste Htalie, et surtout Venise,
dont le climat et nnquisition . sont plus doux
qu'en Suisse ; mais smnt Marc , quoique apôtre , ne
pardonne guère , et j'ai bien dit du maj de ses en-
fants. Toutefois je crois qu'à la fin j'en courrai les
risques; car j^aime encore mieux la prison et la
paix , que la liberté et la gueare. Le tumulte où je
suis ne me permet encore de rien résoudre ; je
vous en dirai davantage quand mes sens seront
plus rassis. Un peu de vos conseils me serait bien
nécessaire ; car je suis si malheureux quand j'agis
de moi-même , qu'après avoir bien Iraisohné , dété-
riora sequor.
3l6 CQRRÏSPONDAWCE.
LETTRE DLXI.
«
A M. DELEYRQ,
MotierSy le ii février 176 5.
• ■ ■
Je répondis, cher Deleyre, à votre lettre (n* 4)
par un gentilhomme écossais nommé 'M. Boswell ,
tpd , devant s'arrêter à Turin , n'arrivera .pëut-4tre
fê» à Parme aussitôt que cette lettre. Mais - une
bévue <{ue j'ai faite est d'avoir mis ma lettré ou-
verte dans celle que je lui écrivis en la lui adres-
jsiiat à Genève. 11 m'en a remercié comme d'uile
marque de confiance : il se trompe, ce n'est qu'une
marque d'étourderie. J'espère, au reste, que le
mal ne sera pas grand; car quoique je ne me sou-
vienne pas de ce que contenait ma lettre, je 3uis
sûr de n'avoir aucun secret qui craigne les yeux
d'an tiers.
Vous ne sauriez avoir d'idée de l'orage qu'excite
contre moi la publÂpation des Lettres écrites de la
montagne. C'est une défense que je devais âmes an-
ciens concitoyens, et que je me devais à moi-même :
mais comme j'aime encore mieux mon repos que
ina justification, ce sera mon dernier écrit, quoi
qu'il arrive. Si je puis faire le recueil général que
je projette, je finirai par là, et, graces'tiu ciel, le
public n'entendra plus parler de moi. Si M. Boswell
était parti d'ici huit jours plus tard, je lui aurais
remis pour vous un exemplaire de ce dernier écrit,
ANNÉE 1765. 317
qui, au reste, n'intéresse -que Genève et les Gene-
vois; mais je ne le reçus qu'après son départ.
Une amie de M. l'abbé de CondiUac et de moi
me marqua de Paris sa maladie et sa guérison
dans la même, lettre : c< qui me sauva l'inquiétude
d'apprendre la première nouvelle avant l'autre. Je
vois cependant , en reprenant votre lettre, que
vous m'aviez niarqué' cette première nouvelle , mais
dans le post-scriptum , si. séparé du reste, et en sî
petit caractère, qn'il m'avait .éohapfpé dans une
fort grande. lettre que je ne pus lire que très à la
hâte dans la circonstance où je la reçus. I^ même
amie me marque qu'il doit Tetourner en France
l'année prochaine, et que peut-être aurai-je Je
plaisir de le voir. Ainsi. soit-il.
Je savais déjà par les bruits publics ce que je
savais des triomphes du jongleur Tronchin dans
votre coar. La pierre renchérira s!il faut un bus.fe
à chaque inoculateur de la pBtitç-v.érole ; et je
trotive que l'abbé CondiUac méritait imeux ce
buste pour- l'avoir gagnée, que lui pour l'avqir
guérie. ,. . ' .
Donnez-moi de vos nouvelles , cher Deleyre , et
de celles de madame Deleyre. Vous m^ipprenez à.
connaître cette digne femme, et à vous: aimer au-
tant de votre attachement pour elle , que je .vous
en blâmais avant votre mariage , quand je ne la
connaissais pas. C'est une réparation. dont eHe doit
être contente , que celle que la vertu arrache à la
vérité. Je vous embrasse.
3i8
CORRESPONDANCE.
LETTRE DLXII.
A M. DU'RE¥ROU. . .
. . Motiers,lè i4féyrrer 1765.
■
Voici , monsieur, le projet tjue vous avez pVis
la peine de tae dresser :. sur quoi je ne vous dis
rîèn, par la raison que. vous savez. Je vous prie,
si cette àffiiire doit se conclure , de vouloir bien
décider de tout à votre volonté; je confiioiierai
tout, car pour moi j'ai maintenant Fespirit &
mille lieues de là; et, sans vous, je n'irais pas
plus loin , par le seul dégoût de parler d'a£Ekires.
Si ce que les associés disent dans leur réponse ^ ar-
Ijicle premier, de mon • Oui^rage sur la Masiquèy
s'enfeiid*du Dictionnaire y ]e m'eii rapporte là-des-
sus à là'Véponse verbale que je leur ai faite. J'ai
sur cette cpnipîlâtiôn* des -engagements antérieurs
qui ne me'pemiettent plus d'en dispdscfr ; et s'il arri-
vait que ,■ changeant de pensée, je le comprisse
viaps motfrecu'eil, ce que je ne promets nullement ,
ce né serait qu'après qu'il aurait été imprimé à
part par lé lîbmlre auquel je suis engagé. .
Vl?i}s q« devez point , s'il vous plaît, passer outre ,
que les- associés n'aient le consentement formel du
Conseil d'ifftat , que je doute fort qu'ils obtieRqe»!;.
(Juant à taf permission qu'ils ont demandée à la
cour, je doute encore plus qu'elle leur soit accoi*-
dée. IVÏilôrd Maréchal connaît là-dessus mes inten-
ANNÉE Ï765. 3ï9
lions; ii sait que non* seulement je ne demande
rien , mais que je suis très-déterminé à ne jamais
me prévaloir de son crédit à la cour, pour y ob-
tenir quoi que ce puisse être , relativement au
pays où je vis , qui n'ait pas . l'agrément du gou-
vernement particulier du pays même. Je n'en-
tends me mêler en aucune façon deces choses-là , ni
traiter qu'elles ne soient décidées.
Depuis hier que ma lettre est écrite, j'ai là
preuve de ce que je soupçonnais depuis quelques
jours, que l'écrit, de Vemes trouvait ici parmi les
femrnesdutant d'applaudissement qu'il a causé d'in-
dignation à Genève et à Paris , et^que^rois ans d'une
conduite irréprochable . sous, leurs yeux ménle^
ne pouvaient garantir la pauvre mademoiselle
Le Yasseur de l'effet d'un libelle venu d'un pays
où ni moi ni elle n'avons vécq. Peu surpris, que cei'
viles âmes ne se connaissent pas mieux en vertu
qu'en mérite, et se plaisent à insulter aux mal-
heureux , je prends enfin la ferme résolution dé
quitter ce pays, ou du. moins ce village, et d'aller
chercher une habitation où Ton juge les gens sur
leur conduite, et non sur les libelles de leurs
ennemis. Si quelque autre honnête étranger veut
connaître Motiers, qu'il y passe, s'il peut, trois
ans, comme j'ai fait, et puis qu'il en dise des
nouvelles.
Si je trouvais à Neuchâtel ou aux environs un
logement convenable , je serais homme à l'aller oc-
cuper en attendant.
3aO CORRESPOIVDANCE.
LETTRE DLXHI.
4. M. DASTIER.
■
>* ■ Motiers, le 17 février lySS,
2
Les malheureux jours que jç^ passe au. lailieu
des tempêtes m'empêchent, monsieur^ d'entre-
tenir avec vous une correspondance aii^i fré-
quente qu'il serait à désirer pour mon instruction
et. pour ma consolation. Les bruits publics, auront
peut-être porté jusqu'à vous l'idée des nouVeUes
^|3écu tions que m'attire l'ouvrage auquel vous avez
daigné vous intéresser. J'ai cherché tous les moyi^ns
de vous en Êdre parvenir un exemplaire; mais il
m*en est venu si peu de Holknde , si lei^ten^ent ,
avec tant d'embarras; j'en suis si peu le maître , et
les occasions pour aller jusqu'à vous sont si rares ^
«qu'apprenant qu'on a imprimé à Lyon cf.t . oij;
vrage*, je ne doute point qu'il ne vous parvienne
beaucoup, plus tôt par cette voie , qu'il ne m'est
pos^ble de vous le faire parvenir d'ici. Ainsi ma
destinée est d'être en tout prévenu par vos bontés ,
sans pouvoir remplir envers vous aucun des devoirs
qu'elles m'imposent. Acceptez le tribut des mal-
heureux et des faibles, la reconnaissance et l'inten-
tion.
Les éclaircissements que vous avez bien voulu
mie donner sur les affaires de Ck>rse m'ont abso-
huhent fait abandonner le projet d'aller dans ee
ANNIÉE 1705. 321
pays-là , d'autant plus que n'en recevant plus de
nouvelles, je dois juger, par les empressements
suspects de quelques inconnus, que je suis circon-
venu par des pièges dont je veux tâcher de me
garantir. Cependant on m'a fait parvenir quelque-s
pièces dont je puis tirer parti , ducmoins pour mon
amusement, dans la ferme, résolution où je suis
de me tenir en r^os pour le reste de ma vie , et
de ne plu^ occuper le public de moi. Dans cette
position:, monsieur, je souhaiterais fort que vous
voulussiez bien , dans vos plus grands loisirs , con-
tinuer à me communiquer vos observations et vos
idées , et m'indiquer les sources où je pourrais pui-
ser les instructions relatives à cet objet. Ne pensez^
vous pas que M. de Curzai doit avoir là-dessus
dç fort bons mémoires , et que , s'il voulait les
communiquer à un homme zélé , mais discret , ils
ne pourraient que, lui feire honneur , sans le com-
promettre, puisque rien ne resterait écrit de ma
part là-dessus que de son aveu, et qu'il ne serait
nommé qu'autant qii'il consentirait à l'être? Si
VOUS: approuvez cette idée, ne pourriez-vous ppint
m'aider à découvrir où est M. de Curzai , me pro-
curer exactement son^adresse^ et me mettre même
en correspondance avec lui?'
Me voici bientôt à la fin d'un hiver , passé un
peu moins cruellement que le précédent quant au
corps , mai^ beaucoup plus jquatht à l'ame. J'ignore
encore ce que je deviendrai cet été. Je suis ici trop
voisin de Genève pour y pouvoir jamais jouir d'un
vrai repos. Je suis bien tenté d'aller chercher du
R. XX. Il
Sua CORRESPONDANCE.
coté de Fltalie quelque asile où le climat et l'in-
quisition soient plus doux quici. D'ailleurs, mille
désoeuvrés me menacent de toutes parts de leurs
importunes visites , auxquelles je voudrais bien
échapper. Que ne suis-je plus à portée , monsieur,
de recevoir la vôtre , et que j'en aurais besoin !
mais , en vérité , l'on ne fait, point un si loiig tra-
jet par partie de plaisir; et moi, dans ma vie ora-
geuse , je* ne suis pas assez maître de l'avenir pour
pouvoir faire un plan fixe , sur l'exécution duquel
je puisse compter. Un de ceux qui me rient le
phis est d'aller passer quelques semaines avec un
gentilhomme savoyard , de mes très-anciens amis ,
dans une de ses terres. Serait-il impossible d'pxé-
Oiter de là l'ancien projet d'un rendez-vous à l|i
grande chartreuse ? Si cette idée vous plaisait , je
sens qu'elle aurait la préférence. Je n'ai point écrit
à madame de I^a Tour du Pin : le nombre et la
force de mes tracas absorbent tous mes bons.des-
seins. Si vous lui écrivez , qu'elle apprenne au
moins mes remords, je vous en supplie. Si ma
faute m'attirait sa disgrâce , je ne m'en console-
rais pas.
Vous ne me parlez point, monsieur, du peAit
compte de l'huile ef du café. Il n'est p^ permis
d'être aussi peu soigneux pour les comptes , qiiftnd
on l'est si fort pour les commissions. Je vaus sa-
lue, monsieur , et vous embrasse avec le plus véri-
table attachement.
ANNÉE 1765. 3a3
LETTRE 1>LX1V.
A. M. MOULTOU.
Motlers, lé 18 février 1765.
Ce qui arrive ne me surprend point ; je l'ai tou-
jours prévu, et j'ai toujours dit qu'en pareil cas
il fallait s'en tenir là. Au.lieu de Cèdre tout ce qu'on
peut, il suffit de faire tout c*e qu'on doit, et cela
est fait. On ne saurait aller plus 'loin sans exposer
la patrie et le repos public , ce 'que le sage ne doit
jamais. Quac^d'il n'y a plus de liberté commune,
il reste une ressource , c'est de «cultiver la liberté
particulière, c'est-à-dire la vertu. L'homme ver-
tueux est toujours libre; car, en faisant toiijours
son devoir, il ne fait jamais que ce qu'il veut. Si la
bourgeoisie de Genève stavait remonter ses prin-
cipes , épurer ses goûts , prendre «des moeurs plus
sévères , en livrant ces messieurs à l'avilissement
des leurs , elle leur deviendrait encore si respec-
table, qu'avec leur morgue apparente ils trem-
bleraient ilevant elle; et comme les. jongleurs dé
toute espèce et leurs amis ne vivront pas toujours ,
tel changement de circonstances étrangères pour-
rait les mettre à- portée de Éaire examiner enfin
par la justice ce que la sçule force décide aujour-
d'hui.
Je vous pf ie de vouloir bien saluer MM. Dchic
de ma part, et leur dire que jfe ne puis- leur écrire.
ai.
3a4 CORRESPONDANCE.
Comme cela n'est plus nécessaire ni utile , il n'est
pas raisonnable de l'exiger. On ne doit pas m'en-
vier le repos que je demande , et je crois l'avoir as-
sez payé.
Tâchez de m'envoyer, avant votre départ, ce
dont vous m'avez parlé , non pour en Éaire à pré-
sent aucun usage ; mais pour prendre d'avance
tous les arrangements nécessaires pour en faire
usage un jour. Taurais même autre chose , et d'un
genre plus agréable , à vous proposer ; mais nous
eo parlerons à loisir. Je vous embrasse.
t
LETTRE DLXV:-
r
*
A M. LE PRINCE L. E. DE WIRTEMBERG.
Motiersy ie i8 féyrîer 1766.
A l'arrivée de Si. de Schlieben et de Maltzan , je
les reçus pour vous , prince ; ensuite je les gardai
pour eux-mêmes, et j'achetai une journée agréable
à leurs dépens. J'en ai si rarement de telles , qu'il
^est. bien naturel que j'en profite; et, sur lesscïn-
timents d'hun^anité que je leur connais , i]^ doivent
être bien aises de me l'avoir donnée.
IlS'Sont attachés au vertueux prince Henri par
des 'sentiments qui les honorent: pleins de toUt
ce.quilsr venaient de voir auprès de vous, ils ont
versé dans mon cœur attristé un baume de vie et
de consolation. Leurs discours y portaient un peu
de ceTeu qui brille encore dans de grandes âmes;
ANNÉE 1765, 3a5
ef j'ai presque oublié mes misères en songeant de
qui j'avais l'honneur d'être aimé.
En tout autre temps, je ne craindrais pas une
brouillerie avec la princesse pour me ménager l'a-
vantage d'un racconmiodement ; mais , en vérité , je
suis aujourd'hui si maussade , que , n'ayant point
mérité la querelle, à peine osé-je espérer le par-
don. Dites-lui toutefois, je vous supplie , que Ta-
mour paternel n'est pas exclusif comme l'amour
conjugal-; qu'un cœur de père , sans se partager , se
multiplie , et qu'ordinairement les cadets n'ont fsk
la plus mauvaise part. Mon Isabelle est l'aînée , et
devait être la seule ; mais sa sœur est bien ingrate
d'oser me traiter de volage , elle qui d'abord m*a
forcé de l'être , et qui me force à présent de ne l'être
plus.
Si j'ai fait quelques vers dans ma jeunesse, comme
ils ne valaient pas mieux que les vôtres, j'ai pris
pour moi le coifseii que je vous ai donné. Ijes Ben--
jamUeSj ou fe Léi^Ue cTÉphinim , est une espèce de
petit poème, en prose, de sept à huit pages, qui
n'a de mérite que d'avoir été fait pour me distraire
quand je partis de Paris, et qui n'est digne en au-
cune manière de paraître aux yeux du héros qui
daigne en parler.
'i%6 CORKESPONPANCE.
LETTRE DLXVI.
A M. D'IYERNOIS.
Motiers, le à a février 1765,
•
du étes-vous, monsieur? que faites-vous? oom-
m§Ut vous portçz-vous? Votre absence et votre
lopg ûtenc^ me tiennent en peine. GW votre tour
4'étFç paressî^UY : "^ h bonne heure j pourvu que
j^ saçhç que vous vous porter bien, et que mft-
4$(me d'ivernois, que je supplie d'agréer mon res^
p^t p veuille bien m'en faire informuer par un bul-
liptV^ 4e deiiK lignes.
Le tour qu'ont pris vos affaires, messieurs, et
)^ n^iennes , la persuasion que la vérité, ni la jus-
ti<^ n'ont plU^ aucune autorité parmi le^-hommea,
l'strdent désir de me ménager quelques n»pnKimts
4e r^pps sur la fin de ma triste carrière , m'ont fait
prendre l'irrévocable résolution de re^OAçev dé-
WinpaAis à toul coiupaerce avec le public , à toute
correspondance hors de la plus absolue néçeswté ?
^tout à <lenève , et de me tnénager quetq^ies
douleurs de moins, en ignorant tout ce qui se
passe ; et à quoi je ne peux plus rien» Les bontés
dont vous m'avez comblé , et l'avantage que j'ai de
vous voir deux fois l'année, me feront pourtant
faire pour vous^ si vous l'agréez , une exception ,
au moyen, de laquelle j'aurai le plaisir d'avoir aussi ,
de temps en temps, des nouvelles de nos amis,
ANJVili J765. 327
auxquels je ne cesserai assurément point de m'in-
téresser.
Votre aimable parente, la jeune madame Guye-
net , après une couche assez heureuse , est si mal
depuis deux jours, qu'il est à craindre que je ne
la perde. Je dis moi y car sûrement, de tout ce qui
l'entoure , rien ne lui est plus véritablement atta-
ché que moi; et je le suis moins à cause de son es-
prit, qui me paraît pourtant d'autant plus agréable
qu'elle est moins pressée de le montrer , qu'à cause
de son bon cœur et de sa vertu; qualités rares
dans tous les pays du monde , et bien plus rares
encore dans celui-ci^
Pour moi , mon cher monsieur , je ne vous dis
rien de ma situation particulière ; vous pouvez l'i-
maginer. Cependant, depuis ma résolution , je me
sens lame beaucoup plus calme. Comme je m'at-
tends à tout dé la part dos hommes ,'et qu'ils m'ont
déjà fût à peu près du pis qu'ils pouvaient , je tache-
rai de ne plus m'affliger que des maux réels, c'est-à-
dire de ceux que ma volonté peut faire , ou de
ceux que mon corps. peut souffrir. Ces derniers
me retiennent actuellement dans des entraves que
je tiens de votre charité , mais qui ne laissent pas
d'être fort pénibles. J'attends avec empressement
de vos nouvelles, et vous embrasse, mon cher
monsieur, de tout mon coeur.
3a8 GOMLitSPOiyDANGE.
LETTRE DLXVII.
A MM. DELUC.
34 février 176$.
J*apprendà , messieUi*s , que vous êtes en peine
déà lettres que vous m'ateis écrites. Je les ai toutes
l'eçues jusqu'à celle du 1 5 février inclusivement.
Jbt fegarde votre sifuâtidli comme décidée. Vous
êtes trop gens de bien pouf pousser les choses à
Fextrême , et ne pas préférer la paix à la liberté.
Un peuple cess^ d'être libre quluid les lois ont
peltiu leur force ; mais la vertu ne perd jamais la
sienne , et Thomme vertueux demeure libre toii-
joUt^i Voilà désormais , messieurs , votre ressource :
elle est assesc grande , assez belle pour vous conso-
ler de tout ce que vous perdez comme citoyens.
Pour moi j je prends le seul parti qui me reste,
et je le prends irrévocablement. Puisque avec des
intentions aussi pures , puisque avec tant d'amour
pour la justice et pour la vérité , je n'ai fait que du
mal sur la terre, je n'en veux pluir^ faire ^ et je me
retire au-dedans de moi. Je ne veux plus entendre
parler de Genève , ni de ce qui s'y passe. Ici finit
notre correspondance. Je vous aimerai toute ma
vie , maïs je ne vous écrirai plus. Embrassez pour
moi votre père. Je vous embrasse, messieurs, de
tout mon cœur.
ANUÈE l'J^ 3^9
k%«<«/%«^«^
LETTRE DLXVML
A M. MEURON,
^ROCUBEUa-OiNiaAL.
i5 février 1765.
J'apprends, monsieur, avec quelle bonté de
cœur et avec quelle vigueur de courage vous avez
pris la, défense d'un pauvrç opprimé. Poursuivi
par la classe, et défendu par vous, je puis bieb
dire'ccrmme Pompée , Fictrix causa dus plç^cuk , sed
victa CatonL
Toutefois, je suis malheureux, maiis non pas
vaincu ; mes persécuteurs , au contraire , ont tout
fait pour ma gloire, puisque c'est par eu?c que j'ai
pour protecteur le plus grand des rois , pour père
le plus vertueux des hommes , et pour patron l'un
des plus éclairés magistrats.
LETTRE DLXIX.
. * <
^*^^À. M. DE P. *.
îi5*février 1765.
Votre lettre, monsieur*, m^a pénétré jusqu'aux
lâiTiies. Que la bienveillance est une douce chose!
«■
* Ces lettres initiales indiquent le colonel Pury ou de Pury , dont
il est question dans les Concessions , et qui demeurait à Con^et II
était beau- père de du Peyroa. •
33ô GOMLESPONDAJNCE.
et que ne donnerais je pas pour avoir-celle de tous
les honnêtes gens! Puissent mes nouveaux patrie-
tes^ m'accoidier la li^r à votre exemple! puisse
le lieu de mon refuge être aussi celui de mes atta-
chements! Mon cœur est bon; il est ouvert à tout
ce qui lui ressemble; il n'a besoin, j'en suis très-
sûr, que d'être connu pour être aimé. Il reste,
après la santé, trois biens qui rendent sa perte
plus supportable , la paix , la liberté , l'amitié. Tout
cela, monsieur , si je le trouve , me deviendra plus
4pux encore lorsque j'en pourrai jouir "près de
vous* . -
LETTRE DLXX.
A M. DE C, P. A. A.
Février 1 765.
J'attendais des réparations, monsieur, et vous
en exigez ; nous sommes fort loin de compte. Je
veux croire que vous n'avez point concouru , dans
les lieux où vous êtes , aux iniquités qui sont l'ou-
vrage de vos confrères ; mais il fallait , monsieur ,
vous élever contre une manœuvre si opposée à
l'esprit du christianisme, et si déshonorante pour
votre état. La lâcheté n'est pas moins répréhen-
sible que la violence dans le^ ministres du Sei-
gneur. Dans tous les pays du monde il est permis
* Mes noMv^fMx patriotes texte de l'éditioii de Genève ; c'est
sans doute compatriotes qu'il fraudrail lire.
AICNJÊE I76Â. 33l
à l'innocent de défendre son innocence : dans le
vôtre on l'en punit ; on fait plus , on ose employer
la religion à cet usage. Si voû» avez protesté contre
cette profanation, vous êteç excepté dans mon
livre , et je ne vous dois point de réparation : si
vous n'avez pas protesté, vous êtes coupable de
connivence , et je vous en dois encore moins.
Agréez, monsieur, je vous supplie, mes saluta-
tions et mon respect.
LETTRE DLXXL
A MADAME LA GÉNÉRALE SANDOZ.
Motiers, a 5 février 17.65.
L'admiration me tue, et surtout de votre part.
Ah ! madame , un peu d amitié , et , parmi tant d'af-
fronts, je serai le plus glorieux des êtres. Votre
patrie* est injuste, sans doute; mais avec le mal
elle a produit le reniède. Peut-elle me faire quel-
que injustice que votre estime ne puisse réparer?
La lettre que vous m'avez envoyée est d'un homme
d'église ; c'est tout dire , et peut-être trop , car il
paraît assçz modéré. IJIais , vu le traitement que je
viens d'essuyer à l'instigation de ses confrères,
j'attendais des réparations, et il en exige : vous
voyez que nous sommes loin de compte. Conser-
* La Hollande.
33a CORRESPONDANCE.
vez-moi vos bontés , madame ; elles me seront tou-
jours précieuses , et j'aspire au bonheur d'être à
portée de les cultiver.
LETTRE DLXXH.
A M. CLAIRAUT.
Moden-Trayers , le 3 mars 1 76$.
Le souvenir, monsieur, de vos anciennes bon-
tés pour moi vous cause une nouvelle importu-
nité de ma part. Il s'agirait de vouloir bien être,
pour la seconde fois, censeur d'un de mes ou-
vrages. C'est une très-mauvaise rapsodie que j'ai
compilée, il y a plusieurs années, sous le nom de
Dictionnaire de musique j et que je suis forcé de
donner aujourd'hui pour avoir du pain. Dans le
torrent de malheurs qui m'entraîne, je suis hors
d'état de revoir ce recueil. Je sais qu'il est plein
d'erreurs et de bévues. Si quelque intérêt pour le
sort du plus inalheureux des honunes vous portait à
voir son oi;vrage avec un peu plus d'attention que
celui d'un autre, je vous serais sensiblement obligé
de toutes les fautes que vous voudriez bien corri-
ger , chemin faisant. Les indiquer sans les corriger
ne serait rien faire , car je suis absolument hors
d'état d'y donner la moindre attention ; et si vous
daignez en user comme de votre bien , pour chan-
ger, ajouter, ou retrancher, vous eicercerez une
ANNiÉE i765i 333
charité très-utile, et dont je. serai très-reconnais-
sant. Recevez, monsieur, mes t^^^humbles ex-
cuses et mes salutations *.
é
LETTRE DLXXIII.
A M. DU PEYROU.
Le 4 mars 1765.
Je vous dois une réponse, monsieur, je le sais,.
L'horrible situation de corps et d'ame où je me'
trouve m'ôte la force et le courage d'écrire. J'at-
tendais de vous quelques mots de consolation;
mais je vois que vous comptez à la rigueur avec
les malheureux.Ce procédé n'est pas injuste , mais
il est un peu dur dans l'amitié.
LETTRE DLXXIV.
AU MÊME.
■ •
Motiersy le 7 mars 1765.
m
Bour Dieu, ne vous fâchez pas, et sachez par-
donner quelques torts à vos amis dans leur misère..
Je ^'ai qu'un ton , monsieur , et il est quelquefois
un peu dur : il ne jSaut pas me juger sur mes ex-
'*' Clairaut est mort dans le mois de mai de la même année, et
n'a pu répondre an dé^ que Rousseiiu lui témoigne dans cette
lettre. •
334 CORRESPOND ANCE.
pressions, mais sYir ma conduite. IBlle vous hotlore
quand mes teilftes ^^^s offensetllu Dftns le besoîn
que j'ai des^copiobtions de l'anûlK', je se As ^e
les vôtres me ioanquent, et je m'en plains : cela
est-il donc si.dé^jjlliKgeant ?
Si j'ai écrit à d'autres , comment n'avez-vous pas
senti l'absolue nécessité diei*épondre,etsurtout dans
la circonstance, à des personnes avec qui je n'ai
point de correspondance habituelle, et qui viennent
ay fort de mes malheurs y prendre le plus géné-
ril|ia iiitérét? Je croyais que, sur ces lettres^ mênies,
-'^'fcfds vous diriez, // rCapas le temps de nCèctttey et
qbev vous vous souviendriez de nos convéïrtioâs.
FaMit-il donc , dans une occasion si critique , ai>an-
donner tous mes intérêts, toutes mes affaires, mes
devoirs mêmes, de peur de manquer avec vatts à
l'exactitude d'uoa réponse dont vous m'aviez dis-
pensé? Vous vous. 'lieriez offensé de ma crainte, et
vous auriez eu raison. L'idée même, très-fausse
assurément, que vous aviez de m'avoir chagriné
pat votçe lettre-, n'était-elle pas', pour votre bon
cœur, un motif de réparer le riial^qûe vqus suppo-
siez' m'avoir fait ? Dieu vous préservé d'affliction !
mais^ en pareil cas, soyez sûr quo je ne compte-
rai pas VOS" réponses. En tout autre cas, tte coiAp-
tez jamais mes lettres, ou rompons tout de suite,
car ausfei-bien ne tarderions - nous pas à rompre.
Mon caractère vous est connu, je ne saufais*^
changer.
Toutes VOS autres raisons ne sont que trop
bonnes. Je vous plaÎRS dans vos tracas , et les âp-
ANNÉE 1765. . C)35
proches de votre 'goutte me chagrifient surtout
vivement, d'autant plus que, danA l'extrême be-
soin de me distraire^ je me promettais des prome-
nades délicieuses avec vous; Je seiis encore que
ce que je. vais vous dire peut éft'e bien déplacé
parmi vos affaires ; mais il faut vous rtiontrer si je
vous crois le cœur dur, et si je manque de con-
fiance eu votre amitié. Je ne fais pas des compli-
ments, mais je prouve.
Il faut quitter ce pays, je le sens; il est trop
près de Genève , on ne m'y laisserait jamais en re-
pos. Il .n'y a guère qu'un pays catholique qui me
convienne; et c'cfst de là, puisque vos ministres
veulent tant la guerre,, qu'on peut leur en donner
le pUusir tout leur soûl. Vous sentez , monsieur ,
que ce déménagement à ses* embarras. Voulez-
vous être 4êpositaire de mes effets' en attendant
que je me fixe ? vouleat-vous acheter mes livres, ou
m'aidep à les vendre? vçulez-vous. prendre quel-
que arrangement, quant à, mes ouvrages^ qui me
délivre de l'horreur d'y penser, et de m'en occu-
lter le resie <ie ina vie? Toute cette rumeur est»
trop vive et trop folle pour pouvoir durer. Au bout
de deux ou trois ans, toutes les difficultés pour
l'impression seront levées, surtout quand je n'y
serai plus. En tous cas , les autres lieux , même au
voisinage , ne manqueront pas. Il y a sur tout cela
des détails qu'il serait trop long d'écrire, et sur
lesquels , sans que vous' soyez marchand et sans
que vous me fassiez; l'^omône , cet arrangement
peutm'ètre utile, et ne vous pas être onéreux.
336 CORRESPOND VNGE.
■
Gela demande d'en conférer. Il faut voir seulement
si vos affaires présentes vous permettent de pen-
ser à celle-là.
Vous savez donc le triste état de la pauvre ma-
dame Guyenet , femme aimable , d'un vrai mérite ,
d'un esprit aussi fin que juste , et pour qui Li vertu
n'était pas un vain mot-: sa famille est dans la plus
grande désolation , son mari est au dése^K)îr , et
moi je suis déchiré. Voilà, monsieur, l'objet que
î'ai sous les yeux pour me consoler d'un tis^ti de
malheurs sans exemple.
^'ai des accès d'abattement, cela est assez natu-
rël dans l'état de maladie , et ces accès sont très-sen-
sibleç, parce qu'ils sont les moments où je cherche
le plus à m'épancher ; mais ils sont courts , ef. û'in-
fluent point sur ma conduite. Mon état habituel est
le courage; et vous le verrez peut<Ȑtre dans cette
afEûre , si l'on me pousse à bout 9<car je.me fai^. une
loi d'être patient jusqu'au moment où l'on ne peut
plus rétre sans lâcheté* Je ne sais quelle diable de
mouche a piqué vos messieurs ;. mais il y a bieu de
J'extravagance à tout ce vacarme; ilsjeri rougiront
sitôt qu'ils seront calmés.
Mais, que dites-vous, monsieur, de l'étouïderie
dé vos ministres , qui , vu leurs mœurs , leur crasse
ignorance , devraient trembler qu'on n'aperçût
qu'ils existent, et qui vont sottement payer pour
les autres dans une affaire qui ne les regarde pas ?
Je suis persuadé qu'ils s'imaginent que je vais res-
ter sur la défensive , et faire le pénitent et le sup-
pliant : le conseil de Genève le croyait aussi, je. l'ai
. ANNÉE 1765. 337
désabusé ; je me charge de les désabuser de même.
Soyez-moi témoin , monsieur , de mon amour pour
la paix, et du plaisir avec lequel j'avais posé les
armes : s'ils me forcent à le* reprendre , je les re-
prendrai , car je ne veux pas me laisser battre à
terre ; c'est un point tout résolu. Quelle prise ne
me donnent -ils pas? A trois ou quatre près, que
j'honore et que j'excepte , que sont les autres ? quels
mémoires n'aurai-je pas sur leur compte? Je suis
tenté de faire ma paix avec tous les autres clergés,
aux dépens du vôtre, d'en faire le bouc d'expiation
pour les péchés d'Israël, L'invention est bonne, et
son succès est certain. Ne serait-ce {jiâftfbien servir
l'état, d'abattre si bien leur morgue, de Ips avilir
à tel point, qu'ils ne pussent jamais plus ameuter
les peuples ? J'espère né pas me Uvrer à la ven-
geance ; mais si je les touche , comptez qu'ils sont
morts. Au reste , il faut premièrement attendre l'ex-
communication ; car, jusqu'à ce moment, ils me
tiennent ; ils sont mes pasteurs , et je leur dois du
respect. J'ai là-dessus des maximes dont je ne me
départirai jamais , et c'est pour cela même que je
les trouve bien peu sages de m'aimer mieux loup
que brebis. •
R. XX. a a
338 CORRESPOND ANGE.
LETTRE DLXXV.
j;
A M. MOULTOU.
9 mars 176S.
Vous ignorez , je le vois , ce qui se passe ici par
li|pport à moi. Par des manœuvres souterraiMB <{ue
jt|bare, les ministres, MontmoUin à leur tête , se
aeèit'tout-à-€Oup déchaînés contre moi, mais avec
me telle violence , que , malgré Milord Maréchal
et le roi mém^, je suis chassé d^ici sans savoir plus
où trouver d'asile sur la terre ; il ne m'en reste <|ue
dans son sein. Cher Moultou , voyez mon sort. Les
plus grands scélérats trouvent un refuge ; il n'y a
(|tte votre ami qui n'en trouve point. J'aurais en-
core l'Angleterre ; mais quel trajet: , quelle fatigue ,
quelle dépense ! Encore si j'étais squl... ! Que la na-
ture est lente à me tirer d'affaire! Je ne sais ce que
je deviendrai; mais , en quelque lieu que j'aille ter-
miner ma misère, souvenez-vous de votre ami.
Il n'est plus question de mon édition générale.
Selon toute apparence , je ne trouverai plus à ta
foire ; et , quand je le pourrais , je ne sais si je pour-
rais vaincre l'horrible aversion que j'ai conçue pour
ce travail. Je ne regarde aucun de mes livres sans
frémir , et tout ce que je désire au monde est un
coin de terre où je puisse mourir en paix , sans
toucher ni papier ni plume.
Je sens le prix de ce que vous avez fait pendant
ANNÉE 1765. 339
que nous ne noua écrivions plus. Je me plaignais
de vous , et vous vous occupiez de ma défense. On
ne remercie pas de ces chosf^-là , çfk les sent. On
ne fait point d'excuse, on se corrige.
Voici la lettre de M. Garcin : il vient bien no-
blement à moi au moment de mes plus cruels mal-
heurs. Du reste , ne m'instruisez plus de ce qu'on
pense ou de ce qu'on dit : succès, revers, discours
publies, tout m'est devenu de la plus grande in-
différence. Je n'aspira qu'à mourir en repos. Ma
répugnance à zae cacher est enfin vaincue, le suis
à peu près délerminé à changer de nom, et à diir
paraître de dessus la terre. Je sais déjà quel nooi
je prendrai; je pourrai le prendre sans scrupule;
je ne mentirai sûrement pas. Je vous embrasse.
£n finissant cette lettre , qui est écrite xiepuis
hier , j'étais dans le plus grand abattement où j'aie
été de ma vie. M. de MontmoUin entra, et, dans
cette €ntrev««, je retrouvai toute la vigueur que
je croyais m'avoir tout-à-fait abandonné. Yous ju-
gerez comment je m'en suis tiré par la relation que
j'en envoie à l'homme du roi, et dont je joinfi ici
copie, que vous pouvez montrer. L'assemblée est
indiquée pour la sanaine prochaine. Peut-être ma
contenance en imposera-t-elle. »Ce <iu'il y a de sûr,
c'est que je ne fléchirai pas. En attendant qu'on
sache quel parti ils «uront pris, ne montrez cette
lettre à personne. Bon voyage.
âa.
34o CORRESPONDANCE.
r
LETTRE DLXXVI.
A M. MTEURON.
OOmiIrLER D*iTAV BT PROGURSUA-GÉVBRAI. A VBUCBATBL,
Motiers , le 9 mars 1765.
Hier, monsieur, M. de Montmollin m'honora
d'iiae visite , dans laquelle nous eûmes une confé-
rMlor assez vive. Après m'avoir annoncé l'excom-
mnnication formelle comme inévitable , il me pro-
posa , pour prévenir le scandale , un tempérament
que je refusai net. Je lui dis que je ne voulais point
d'un état intermédiaire; que je voulais être dedans
où dehors , en paix ou en guerre , brebis ou loup.
11 me fit sur cette affaire plusieurs objectioiis que
je mis en poudre ; car, comme il n'y a ni raison ni
justice à tout ce qu'on fait contre moi, sitôt qu'on
entre en discussion je suis fort. Pour lui montrer
que ipa fermeté n'était point obstination , encore
moins insolence, j'offris, si la classe voulait rester
en repos , de m'engager avec lui de ne plus écrire
de ma vie sur aucun point de religion. Il répondit
qu'on se plaignait que j'avais déjà pris cet enga-
gement, et que j'y avais manqué. Je répliquai qu'on
avait tort; que je pouvais bien l'avoir résolu pour
moi, mais que je ne l'avais promis à personne. 11
protesta qu'il n'était pas le maître, qu'il craignait
que la classe n'eût déjà pris sa résolution. Je ré-
pondis que j'en étais fâché , mais que j'avais aussi
ANNÉE 1765. 341
pris la mienne. En sprtant , il me dit qu'il ferait
ce qu'il pourrait ; je lui dis qu'il ferait ce qu'il vou-
drait , et nous nous quittâmes. Ainsi , monsieiu* ,
jeudi prochain, ou vendredi au plus tard, je jet-
terai l'épée ou le fourreau dans la rivière.
Comme vous êtes mon bon défenseur et patron ,
j'ai cru vous devoir rendre compte de cette entre-
viie. Recevez , je vous supplie, mes salutations et
mon respect.
LETTRE DLXXVIL
A M. LE PROFESSEUR DE MONTMOLIIN.
Par déférence pour M. le professeur de Mont-
moUin , mon pasteur , et par respect pour la vénér
rable classe, j'offre, si oh l'agrée, de m'engager,
par un écrit signé de ma main, à ne jamais pubUer
aucun nouvel ouvrage sur aucune matière de re.
ligion , même de n'en jamais traiter incidemment
dans aucun nouvel ouvrage que je pourrais pu-
blier sur tout autre sujet; et de plus, je continue-
rai à témoigner, par mes sentiments et par ma con*
duite, tout le prix que je mets au bonlieur d'être
uni à l'Église, »
Je prie M. le professeur de communiquer cette
déclaration à la vénérable classe.
Fait à Motiers, le 10 mars 1765.
34^ CORRESPONDANCE.
LETTRE DLXXVIÏI.
A MADAME LATOUR.
MotierSyle lo mars 1765.
Tf^ai lu votre lettre avec la plus grande attention ,
j'^ rapproché tous les rapports qui pouvaient m'en
fidrè juger sainement : c'était pour mon cœur une
iiflfiÎFe importante.
Vous étiez flatteuse durant ma prospérité , vous
devenez franche dans mes misères : à quelque
chose itialheui: est bon.
Taime la vérité , sans doute ; mais si jamais j 'ai
le malheur d'avoir un ami dans l'état où je suis,
et que je rie trouve aucune vérité consolante à lui
dii*ë, jfe mentirai.^
Oh peut donner en tout temps à son ami le blâme
qu'on croit qu'il mérite ; mais , quand on choisit le
ritdiUetit de ses riialheurs , il fout s'assurer qn'oti a
Lorsque je disais , Il faut se taire , et ne pas imi-
ter le drhne de Cham , j'étais citoyen de Genève ;
je hé ddîs que la vérité à ceux par qui je ne le stiis
plus.*
Lorsque je disais , Il faut se taire , je n'avais que
ma cause à défendre , et je me taisais ; mais , quand
c'est un devoir de parler , il ne faut pas se taire :
voyez l'avertissement. Adieu , Marianne.
ANNÉE 1765. 343
LETTRE DLXXIX.
A M. LE P. DE FÉLICE.
Motierft, le 14 mars 1765.
Je n'ai point fait , monsieur , Touvrage intitulé
Des Princes ; je ne Tai point vu; je doute même
qu'il existe. Je comprends aisément de quelle £a-
brique vient cette invention , comme beaucoup
d'autres, et je trouve que mes ennemis se rendent
bien justice en.m'attaquant avec des armes si dignes
d'eux. Comme je n'ai jamais désavoué aucun ou-
vrage qui fut de moi , j'ai le droit d'en être cru sur
ceux que je déclare n'en pas être. Je vous prie,
monsieur , de recevoir et de publier cette déclara-
tion en faveur de la vérité , et d'un homme qui n'a
qu'elle pour sa défense. Recevez mes très-humbles
salutations.
LETTRE DLXXX.
A M. DU PEYROU.
Motiers, le 14 mars 1765.
Voici , monsieur , votre lettre. En la lisant j'étais
dans votre cœur : elle est désolante. Je vous déso-
lerai peut-être moi-même en vous avouant que
celle qui l'écrit me paraît avoir de bons yeux,
beaucoup d'esprit , et point d'ame. Vous devriez
344 GORHESPONDA.]!fG£.
en faire , non votrç amie , mais votre folle , comme
les princes avaient jadis des fous, c'est-à-dire d'heu-
reux étourdis, qui osaient leur dire la vérité. Nous
reparlerons de cette lettre dans un tête-à-tête. Cher
du Peyrou, croyez-moi, continuez d'être bon et d'ai-
mer les hommes; mais ne comptez jamais avec eux.
Premier acte d'ami véritable, non dans vos offres,
maïs dans vos conseils ; je les attendais de vous :
vous n'avez pas trompé. mon attente. Le désir de
me .venger de votre prêtraille était né dans le pre-
nuer mouvement ; c'était un effet de la colère; mais
je n!agis jamais dans le premier mouvement , et ma
colère est courte. Nous sommes de même avis ; ils
sont en sûreté, et je ne leur ferai sûrement pas
l'honneur d'écrire contre eux.
Non-seulement je n'ai pas dessein de quitter ce
pays durant l'orage , je ne veux pas même quitter
Motiers, à moins qu'on n'use de violence pour m'en
chasser , ou qu'on ne me montre un ordre du roi
sous l'immédiate protection duquel j'ai l'honneur
d'être. Je tiendrai dans cette affaire la contenance
que je dois à mon protecteur et à moi. Mais , de ma-
nière ou d'autre , il faudra que cette affaire finisse.
Si Ton me fait traîner dehors par des archers , il faut
bien que je m'en aille ; si l'on finit par me laisser
en repos , je veux alors m'en aller , c'est un point ré-
solu. Que voulez-vous que je fasse dans un pays où
Ton me traite plus mal qu'un malfaiteur ?Pourrai-je
jamcgis jeter sur ces gens-là un autre œil que celui
du mépris et de l'indignation ? Je m'avilirais aux
yeux de toute la terre si je restais au milieu d'eux.
ANNÉE 1765. 345
Je suis bien aise que vous ayez d'abord senti et
dit la vérité sur le prétendu livre Des Princes : mais
savez - vous qu'on a écrit de Berne à l'imprimeur
d'Yverdun de me demander ce livre et de l'impri-
mer , que ce serait une bonne affaire ? J'ai d'abord
senti les soins officieux de l'ami Bertrand; j'ai tout
de suite envoyé à M. Félice la lettre dont copie
ci-jointe , le faisant prier de l'imprimer et de la ré-
pandre. Comme il est livré à gens qui ne m'aiment
pas , j 'ai prié M. Roguin , en cas d'obstacle , de vous
en donner avis par la poste; et alors je vous serais
bien obligé si vous vouliez la donner tout de suite à
Fauche , et la lui faire imprimer bien correctem^it.
Il faut qu'il la verse, le plus promptement qu'il sera
possible , à Berne , à Genève , et dans le pays de
Vaud; mais avant qu'elle paraisse ayez la bonté de
la relire sur l'imprimé , de peur qu'il ne s'y glisse
quelque faute. Vous sentez qu'il ne s'agit pas ici
d'un petit scrupule d'auteur , mais de ma pureté et
de ma liberté peut-être pour le reste de ma vie. En
attendant l'impression vous pouvez donner et en-
voyer des copies.
Je ne serai peut - être en état de vous écrire de
long-temps. De grâce mettez-vous à ma place, et ne
soyez pas trop exigeant. Vous devriez sentir qu'on
ne me laisse pas du temps de reste; mais vous en
avez pour me donner de vos nouvelles , et même
des miennes : car vous savez ce qui se passe par
rapport à moi; pour moi je l'ignore parfaitement;
Je vous embrasse.
3'46 COR»ESPONJ>AîrCK.
LETTRE DLXXXI.
A M. MEURON,
P&OGU&BUB-GEIÎÉBAL A IfEUCHATEL.
• Motiers, le i3 mars 1765.
Je lie sais , monsieur, si je ne dois pas bénir mes
misères, tant elles sont accompagnées de consola-
tions. Votre lettre m'en a donné de bien douces,
et j'en ai trouvé de plus douces encore dans le pa-
quet qu'elle contenait. J'avais exposé à Milord Ma-
réchal les raisons qui me faisaient désirer" de quitter
ce pays pour chercher la tranquillité et pour l'y
laisser. Il approuve ces raisons, et il est, comme
moi, d'avis que j'en sorte : ainsi , monsieur, c'est un
parti pris , avec regret , je vous le jure , mais irré-
vocablement. Assurément tous ceux qui ont des
bontés pour moi ne peuvent désapprouver que,
dans le triste état où je suis, j'aille chercher une
terre de paix pour y déposer mes os. Avec plus de
vigueur et de santé je consentirais à faire face âmes
persécuteurs pour le bien public; mais accablé
d'iii£rmités et de malheurs sans exemple , je suis
peu propre à jouer un rôle, et il y aurait de Ja
cruauté à me l'imposer. Las de combats et de que-
relles, je n'en peux plus supporter. Qu'on me laisse
aller noourir en paix ailleurs , car ici cela n'est pas
possible , moins par la mauvaise humeur des habi-
tants, que par le trop grand voisinage de Genève;
KVUfiE 1765. 347
inconvénient qu'avec la meilleure volontédu nioude
il ne dépend pas d'eux de lever.
Ce parti, monsieur, étant celui auquel on voulait
me réduire , doit naturellement faire tomber toute
démarche ultérieure pour m'y forcer. Je ne suis
point encore en état de me transporter, et il me
faut quelque temps pour mettre ordre à mes affai-
res, durant lequel je puis raisonnablement espérer
qu'on ne me traitera pas plus mal qu'un Turc , un
Juif, un païen , un athée, et qu'on voudra bien me
laisser jouir, pour quelques semaines, de l'hospi-
talité qu'on ne refuse à aucun étranger. Ce n'est
pas, monsieur, que je veuille désormais me regarder
comme tel; au contraire, l'honneur d'être inscrit
parmi les citoyens du pays me sera toujours pré-
cieux par lui-même, encore plus par la main dont
il me vient, et je mettrai toujours au rang de mes
premiers devoirs le zèle et la fidélité que je dois
au roi , comn»e notre prince et comme mon pro-
tecteur. J'avoue que j'y laissé un bien très-regret-
table, ntiais dont je n'entends point du tout me des-
saisir. Ce sont les amis que j'y ai trouvés dans mes
disgrâces , et que j'espère y conserver malgré mon
éloignement.
Quant à messieurs les ministres, s'ib «trouvent
à propos d'aller toujours en avant avec leur con-
sistoire^ je me traînerai de mon mieux pour y com-
paraître , en quelque état que je sois, puisqu'ils le
veulent ainsi; et je crois qu'ils trouveront, pour
ce que j'ai à leur dire, qu'ils mraient pu se passer
de tant d'appareil. Du rasie wtKmt fort les maîtres
34^ CORRESPONDANCE.
dem'excommunier, si cela les amuse : être excom-
munié de la façon de M. de Voltaire m'amusera
fort aussi.
Permettez, monsieur, que cette lettre soit com-
mune aux deux messieurs qui ont eu la bonté de
m'écrire avec un intérêt si généreux. Vous sentez
que, dans les embarras où je me trouve, je n'ai
pas plus le temps que les termes pour exprimer
combien je suis touché de vos soins et des leurs.
Mille salutations et respects.
•&
LETTRE DLXXXIL
A MADAME D'IVERNOIS.
m
Motier9y le a 5 mars 1765.
Je suis comblé de vos bonfiés, madame , et coniîis
de mes torts : ils sont tous dans .ma situation , je
vous asstrre : aucun n'est dans mes sentiments. Vous
avez trop bien deviné , madame , le sort de notre
aimable et^infortunée amie. M. Tissôt m'a fait l'ami-
tié de venir la voir ; sous sa direction elle est déjà
beaucoup mieux. Je ne doute point qu'il n'achève
de rétablir son corps et sa tête , mais je crains que
son cœur ne soit plus long-temps malade, et que
l'amitié même ne puisse pas grand'chosa^ sur un
mal auquel la médecine ne peut rien.
Pourquoi , madame , n'avez-vous pas ouvert ma
lettre pour M. voti^mari? j'y avais compté; ime
médiatrice telle que vous ne peut que rendre notre
ANNEE 1765. 34{^
commerce encore plus agréable. Dites-lui, je vous
supplie y mille choses pour moi que je n'ai pas le
temps de lui dire ; j'ai le temps seulement de l'aimer
de tout mon cœur, et j'emploie bien ce temps-là :
pour l'employer mieux encore , je voudrais que
vous daignassiez en usurper une partie. Il faut
finir , madame. Mille Ihâlutations et respects.
Observation La malade dont il est question est madame
Guyenet, que les suites d'une couche laborieuse avaient réduite
à la dernière extrémité.
V,
• ■'r
LETTRE DLXXXIII.
AU CONSISTOIRE DE MOTIERS.
Motiers, le 39 mars 1765.
Messieurs, -^ *
Sur votre citation j'avais hier résolu, malgré mon
état, de comparaître aujourd'hui par-devant vous ;
mais sentant qu'il me serait impossible, malgré
toute ma bonne volonté , de soutenir une longue
séance; et sur la matière de foi qjii fait l'unique
objet de cette citation, réflçchissant que je p<Hivais
également m'expliquer par écrit, je n'ai point douté,
messieujQP^ que la douceur de la charité ne s'alliât
en vous au zèle de la foi , et que vous n'agréassiez
dans cette lettre la même réponse que j'aurais pu
faire de bouche aux questions d^ M. de Montmol-
lin , quelle^ qu'elles soient, w
.35o CORRESPOND ANC£.
U me paraît donc qu'à moins que la rigueur dont
la vénérable classe juge à propos d'user contre moi
ne soit fondée sur une loi positive-, qu'on. m'assure
ne pas exister dans cet état , rien n'est plus nou-
veau , plus irrégulier , plus attentatoire à la liberté
civile, et surtout plus contraire à l'esprit de la re-
ligion , qu'une pareille procédure en pure matière
de foi.
Car, messieurs, je vous supplie de considérer
que , vivant depuis long-temps dans le sein de l'É-
glise, et n'étant ni pasteur, ni professeur, ni chargé
d'aucune partie de l'instruction publique, je ne
dois être soumis, moi particulier, moi simple fidèle ,
à aucune interrogation ni inquisiticHi sur la foi ; de
telles inquisitions, inouïes daiis ce. pays, sapant tous
les fondements de la réformation , et blessant à la
fois la liberté évangélique, la charité chrétienne,
l'autorité du prince, et les droits des sujets, soit
comme membres de l'Église , soit comme citoyens
de l*état. Je dois toujours compte de mes actions
et de ma conduite aux lois et aux hommes ; mais
puisqu^ôn n'admet point parmi nous d'Église infail-
lible qui ait droit de prescrire à ses membres ce
qu'ils doivent croire , donc , une fois reçu dans
l^liâe, je ne dpis plus qu'à Dieu seul compte de
ma foi.
9'ajoute à cela que lorsqu'après la publkiitionjde
V Emile je fus admis à la communion dans cette pa-
roisse, il y a près de trois ans, par M. 4^. Mofit-
mollin , je lui ils pur écrit une déclaration dont il
fut 3i pleinement sinisfait, qi}e not^-s^^leaient il
ANNÉE 1765. 35l
n'exigea nulle autre explication sur le dogme, mais
qu'il me promit même de n'en point exiger. Je me
tiens exactement à sa promesse , et surtout à ma
déclaration. Et quelle conséquence, quelle absur-
dité , quel scandale ne serait-ce point de s'en être
contenté, après la publication d'un livre où le chris-
tianisme semblait si violemment attaqué , et de ne
s'en pas contenter maintenant, après la publica-
tion d'un autre livre où l'auteur peut errer, sans
doute , puisqu'il est homme , mais où du moins il
erre en chrétien , puisqu'il ne cesse de s'appuyer
pas à pas sur l'autorité de l'Évangile ? C'était alors
qu'on pouvait m'ôter la communion ; mais c'est à
présent qu'on devrait me la rendre. Si vous faites
le contraire , messieurs , pensez à vos consciences :
pour moi , quoi qu'il arrive , la mienne est en paix.
Je vous dois, messieurs^ et je v€ux vous rendre
toutes sortes de déférences , et je souhaite de tout
mon cœur qu'on n'oublie pas assez la protection
dont le roi m'honore pour me forcer d'implorer
celle du gouvernement.
Recevez, messieurs, je vous supplie , les assu-
rances de tout mon respect.
Je joins ici la copie de la déclaration sur laquelle
je fus admis à la communion en 1 76a , et que je
confirme aujourd'hui.
353 CORRESPONDANCE.
LETTRE DLXXXIV.
A M. DU PEYROU.
Le 6 avril 1765.
le souffre beaucoup depuis quelques jours , et
les tracas que je croyais finis, et que je vois se mul-
tiplier, ne contribuent pas à me tranquilliser le
ODrps ni l'ame. Voilà donc de nouvelles lettres d'é-
clat à écrire, de nouveaux engagements à prendre,
et qu'il faut jeter à la tête de tout le monde , jus-
qu'à ce que je trouve quelqu'un qui les daigne
agréer. Voilà, toute chose cessante, un déména-
gement à faire. Il faut me réfugier à Couvet, parce
que j'ai le malheur d'être dans la disgrâce du mi-
nistre de Motiers : il faut vite aller chercher un
•
autre ministre et un autre consistoire; car, sans
ministre et sans consistoire, il ne m'est plus permis
de respirer; et il faut errer de paroisse en paroisse,
jusqu'à ce que je trouve un ministre assezbéninpour
daigner me tolérer dans la sienne. CependantM. de
Pury appelle cela le pays le plus libre de la terre ;
à la bonne heure : mais cette liberté-là n'est pas de
mon gont. M. de Pury sait que je ne veux plus rien
avoir à faire avec les ministres; il me l'a conseillé
lui-même; il sait que naturellement je suis désor-
mais dans ce cas avec celui-ci ; il sait que le Ck>nseil
d'état m'a exempté de la juridiction de son consis-
toire : par quelle étrange maxime veut -il que je
ÀNJvÉÈ 1765. 353
m'aille refourrer tout exprès sous la juridiction
d'un autre consistoire dont le Conseil d'état ne m'a
point exempté, et sous celle d'un autre ministre
qui me tracassera plus poliment , sans doute , mais
qui me tracassera toujours; voudra poliment savoir
comme je pense, et que poliment j'enverrai pro-
mener? Si j'avais une habitation à choisir dans ce
pays , ce serait celle-ci , précisément par la raison
qu'on veut que j'en sorte. J'en sortirai donc puis-
qu'il le faut ; mais ce ne sera sûrement pas pour
aller à Couvet. •
Quant à la lettre que vous jugez à propos que
j'écrive pour promettre le silence pendant mon sé-
jour en Suisse, j'y consens; je désirerais seulement
que vous me fissiez l'amitié de m'envoyer le modèle'
de cette lettre , que je transcrirai exactement , et
de me marquer à qui je dois l'adresser. Garrottez-
moi si bien que je ne puisse plus remuer ni pied
ni pâte ; voilà mon cœur' et mes mains dans les
liens de l'amitié. Je suis très-déterminé à vivre en
repos , si je puis , et à ne plus rien écrire , quoi qu'il
arrive, si ce n'est ce que vous savez, et pour' la
Corse , s'il le faut absolument . et que je vive assez
pour cela. Ce qui me fâche , encore un coup , c'est
d'aller offrant cette promesse de porte en porte,
jusqu'à ce qu'il se trouve quelqu'un qui la daigne
agréer : je ne sache rien au monde de plus humi-
liant ; c'est donner à mon sileifcé une importance
que personile n'y voit que inoi seul.
Pardonnez , monsieur* ,lliumeur (Jùi me ronge ;
j'ai onze lettres sur la table, la plupart très-désa-
R. XX. 23
354 CORRESPONDANCE.'
gréables, çt qui veulent toutes la plus prompte
réponse. Mon . sang est calciné , la fièvre me con-
sume, je ne pisse plus du tout, et jamais rien ne
m'a /tant coûté de ma vie que cette promesse au-
thentique qu'il faut que je fasse d'une chose que
je suis bien déterminé à tenir , que je la promette
ou non. Mais, tout en grognant fort maussadement,
j'ai le cœur plein des sentiments les plus tendres
pour ceux qui s'intéressent si généreusement à
mon repos , et qui me donnent les meilleurs con-
seils pour l'assurer. Je sais qu'ils ne me conseillent
que pour mon bien , qu'ils ne prennent à tout cela
d'autre intérêt que le mien propre. Moi^ de. mon
côté, tout en murmurant , je veux leur complaire ,
sans songer à ce qui m'est bon. S'ils me deman-
daient pour eux ce qu'ils me demandeïit pour moi-
même, il ne me coûterait plus rien; mais connue
il est permis de faire en rechignant son propre
^antage, je veux leur obéir, les aimer, et les gron-
der. Je vous embrasse.
P. S. Tout bien pensé , je crois pourtant qu'a-
vaat le départ de M. Meuron je ferai ce qu'on dé-
sire. Ma paresse conimence toujours par se dépi-
ter, mais à la fin mon cœur cède.
Si, je restais , j'en reviendrais , en attendant que
votre maison fût faite, au projet de chercher
quelque jolie habitation près de Neuchàtel, et.de
m'abonner à quelque société où j'eusse à la fois
la liberté et le commerce des hommes. Je p'ai pas
besoin de société pour me garantir de l'ennui, au
d^É«HHii
ANNÉE 1766. 355
contraire; mais j'en ai besoin pour me détourner
de rêver et d'écrire. Tant que je vivrai seul , liia
tête ira malgré moi.
LETTRE DLXXXV.
A MILORD MARÉCHAL.
Le 6 avril 1765.
Il me paraît, Milord, que, grâces aux soins des
honnêtes gens qui vous sont attachés, les projets
des prédicants contre moi s'en iront en. fumée ; ou
aboutiront tout au plus à me garantir de l'ennui
de leurs lourds sermons. Je n'entrerai point dans
le détail de ce qui s'est passé , sachant qu'on vous
en a rendu un fidèle compte; mais il y aurait de
l'ingratitude à moi de qe vous* rien dire de la cha-
leur que M. Ghaillet a mise à toute cette affaire , e,t
de l'activité pleine à la fois de prudence et de vi-
gueur avec laquelle M. Meuron Ta conduite. A
portée , dans la place où vous l'avez mis , d'agir
et parler au nom du roi et au vôtre , il s'est pré-
valu de cet avantage avec tant de dextérité , que ,
sans indisposer personne , il a ramené tout le Con-
seil d'état à son avis, ce qui n'était pas peu de
chose , vu l'extrême fermentation qu'on avait trouvé
le moyeja d'exciter dans les esprits. La manière
dont il s'est tiré de cette affîûrjpr, prouve qu'il est
très-en état d'en manier de plus grandes.
Lorsque je reçus votre lettre du lo mars avec
a3.
356 CORRESPONDANCE.
les petits billets numérotés qui l'accompagnaient,
je me sentis le cœur si pénétré de ces tendres
soins de votre part, que je m'épanchai là-dessus
avec M. le prince Louis de Wirtemberg , homme
d'un mérite rare , épuré par les disgrâces , et qui
m'honore de sa correspondance et de son amitié.
Voici là-dessus sa réponse; je vous la transmets mot
à mot : « Je n'ai pas douté un moment que le roi
« de Prusse ne vous soutînt; mais vous me faites
<c chérir Milord Maréchal : veuillez lui témoigner
« toute la vivacité des sentiments que cet homme
« respectable m'inspire. Jamais personne avant
« lui ne s'est avisé de faire un journal si honorable
« pour l'humanité, y) .
Quoiqu'il me. paraisse à peu près, décidé que je
puis jouir en ce pays de toute la sûreté pos-
sible, sous la protection du roi, sous la^^yi^tre,
et grâces à vos précautions , comme suj^ t^^ l'é-
tat * , cependant il me parait toujours imfsi&issible
qu'on m'y laisse tranquille. Genève n'en est pas
plus loin qu'auparavant , et les brouillons de mi-
nistres me haussent encore plus à cause du mal
qu'ils n'ont pu me faire. On ne peut compter sur
rien de solide dans un pays où les têtes s'échauf-
fent tout d'un coup sans savoir pourquoi. Je per-
siste donc à vouloir suivre votre consdl et m'éloi-
gner d'ici. Mais comme il n'y a plus ëe dangcMP,
rien ne presse ; et je prendrai tout le temps de dé-
libérer et de bien peser mon choix , pour ne pas
faire une sottise , çt m^aller mettre dans de nouveaux
* Lord Maréclial Ud ATÛt obtenu des lettres de naturalisation.
ANNÉE 1765. 357
lacs. Toutes mes raisons contre l'Angleterre sub-
sistent; et il suffit qu'il y ait des ministres dans ce
pays -là pour me faire craindre d'en approcher.
Mon état et mon goût m'attirent également vers
l'Italie ; et si la lettre dont vous m'avez envoyé copie
obtient une réponse favorable, je penche extrême-
ment pour en profiter. Cette lettre , Milord , est un
chef-d'œuvre ; pas un mot de trop , si ce n'est des
louanges : pas une idée omise pour aller au but. Je
compte si bien sur son effet, que, sans autre sû-
reté qu'une pareille lettre, j'irais yolo^itiers me
livrer aux Vénitiens. Cepeadant, comme je. puis
attendre, et que la saison n'est pas bonne encore
pour passer les monts , j.e ne prendrai nul p^irti dé-
finitif sans en bien consulter avec vous.
Il est certain, Milord, que je n'ai pour \e mo-
ment nul besoin^ d'argent. Cependant je vous l'ai
dit y%t |îe vous le répète , loin de me défendre de
vos dbtis , je m'en tiens honoré. Je vous dois les
biens les plus précieux de la vie ; marchander sur
les autres serait de ma part une ingratitude. Si je
quitte ce pays, je n'oublierai pas qu'il y a dans les
mains de M. Meuron cinquante louis dont je puis
disposer au besoin.
Je n'oublierai pas non plus de remercier le roi
de ses grâces! C'a toujours été mon dessein si ja-
mais je quittais ses états. Je vois , Milord , avec une
grande joie, qu'en tout ce qui est convenable et
honnête nous nous entendotâ*«ans nous être com-
muniqué.
358 CORRESPONDANCE.
LETTRE DLXXXVI.
A M. D'ESCHERNY.
Motiers, le 6 i^vril 1765.
Je n'entends pas bien , monsieur , ce qu'après
sept ans de silence M. Diderot vient tout-à-coup
exiger de moi. Je ne lui demande rien. Je n'ai nul
désaveu à faire. Je suis bien éloigné de lui vouloir
du mal , encore plus de lui en faire ou d'en dire de
lui; je sais respecter jusqu'à la fin les droits de l'a-
mitié , même éteinte , mais je ne la rallume jamais ;
c'est ma plus inviolable maxime '.
J'ignore encore où m'entraînera ma destinée.
Ce que je sais, c'est que je ne quitterai qu'à re-
gret un pays où, parmi beaucoup de personnes
que j'estime , il y en a quelques*-unes que j'aime et
dont je suis aimé. Mais, monsieur, ce que j'aime
le plus au monde , et dont j'ai le plus de besoin ,
c'est la paix : je la chercherai jusqu'à ce que je la
trtîiuve ou que je meure à la peine. Voilà la seule
chose sur laquelle je suis bien décidé.
J'espérais toujours vous rapporter votre mu-
sique ; mais , malade et distrait , je n'ai pas le temps
d'y jeter les yeux. M. de Montmollin a jligé à pix)-
' M. d*Escherny, dans ses Mélanges, blâme avec raison le refus
de Rousseau. Mais cttte letlre sert à faire apprécier la sincérité
de Diderot, qui prétond avoir repoussé les avances que fit Jean-
Jacques pour se réconcilier avec lui. L*on peut juger de la nature de
ces avances.
ANNÉE 1763. 359
pos de m'occuper ici d'autres chansons bien moins
amusantes. Il a voulu me faire chanter ma gamme ,
et s'est fait un peu chanter la sienne; que Dicïu
nous préserve de pareille musique ! Ainsi soit-il. Je
vous salue , nfionsieur , de tout mon cœur.
LETTRE DLXXXVIL
A M. LALIAUD.
Motiera, le 7 avril 176a.
Puisque vous le voulez absolument, monsieur,
voici deux mauvaises esquisses que j'ai fait faire,
faute de mieux , par une manière de peintre qui a
passé par Neuchâtel. La grande est un profil à la
silhouette, où j'ai fait ajouter quelques traits en
crayon pour mieux détentiiner la position des
traits ; l'autre e$t un profil tiré à la vue. On . ne
trouve pas beaucoup de ressemblance à l'un ni à
l'autre : j'en suis fâché , mais je n'ai pu faire mieux;
je crois même que vous me sauriez quelque gré de
cette petite attention , si vous connaissiez la situa-
tion où j'étais quand je me suis ménagé le moment
de vous complaire.
Il y a un portrait de moi très-ressemblant dans
l'appartement de madame la maréchale de Luxem-
bourg. & M. Lemoine prenait la peine de s'y trans-
porter et de demander de ma part M. de La Roche ,
je ne doute pas qu'il n'eût la complaisance de le
lui montrer.
36o CORRESPOND 4NCE.
Je ne vous connais , monsieur , que par vos lettres ;
mais elles respirent la droiture et l'honnêteté ; elles
me donnent la plus grande opinion de votre ame ;
l'estime que vous m'y témoignez me flatte , et je
suis bien ^se que vous sachiez qu'elle fait une des
consolations de ma vie.
LETTRE DLXXXVIII.
A M. D'IVERNOIS.
Motiers, le 8 avril 1765.
Bien arrivé, mon cher monsieur; ma joie est
grs^ide, mais elle n'est pas complète , puisque vous
n'avez pas passé par ici. Il est vrai que vous y au-
rie:^ trpuvé une fermentation désagréable à votre
amitié pour moi. J'espère, quand vous viendrez, que
vous trouverez tout pacifié. Lçi chance commence à
tourner extrêmement. Le roi s'est si hautement dé-
claré; Milord Maréchal a si vivement écrit ; les gens
en crédit ont pris mon parti si chqudement, que le
Conseil d'état s'est unanimement déclaré pour nioi ,
et ip'a , par un arr^t , exempté de la juridiction du
consistoire, et. assuré la protection' du gouver-
nement. Les ministres sont généralement hués :
l'homme à qui vous avez écrit est consterné et fu-
rieux; il ne lui reste plus d'autres ressources que
d'ameuter la canaille, ce qu'il a fait jusqu'ici avec
assez de succès. Un des plus plaisants bruits qu'il
fait courir , est que j'ai dit dans mon dçrnjer livre
ANN^E 1765. 36l
que les femmes n'avaient point d'ame ; ce qui les
met dans une telle fureur par tout le Val-de-Tra-
vers , que pour être honoré du sort d'Orphée je n'ai
qu'à sortir de chez moi. C'est tout le contraire à
Neuchâtel , où toutes les dames sont déclarées en
ma faveur. Le sexe dévot y traîne les ministres
dans les boues. Une des plus aimables disait, il y
a quelques jours, en pleine assemblée, qu'il n'y
avait qu'une seule chose qui la scandalisât dans tous
mes écrits ; c'était l'éloge de M. de Montmollin. Les
suites de cette affaire m'occupent extrêmement.
M. Andrié m'est arrivé de Berlin de la part de Mi-
lord Maréchal. Il me survient de toutes parts des
multitudes de visites. Je songe à déménager de
cette maudite paroisse pour aller m'établir près de
Neuchâtel , où tout le monde a la bonté de me dé-
sirer. Par-dessus tous ces tracas, mon triste état
ne me laisse point de relâche , et voici le septième
mois que je ne suis sorti qu'une seule fois, dont
je me suis trouvé fort mal. Jugez d'après tout cela
si je suis en état de recevoir M. de Servan , quelque
désir que j'en eusse ; dans tout le cours de ma vie
il n'aurait pas pu choisir plus mal son temps pour
me venir voir. Dissuadez-l'en , je vous supplie , ou
qu'il ne s'en prenne pas à moi s^il perd ses pas.
Je ne crois pas avoir écrit à personne que peut-
être je serais dans le cas d'aller à Berlin. Il m'a t^nt
passé de choses par la tête que celle-là pourrait y
avoir passé aussi; mais je suis presque assuré de
n'en avoir rien dit à qui que ce soit. La mémoire ,
que je perds absolument, m'empêche de rien af-
36a CORRESPOlfDANCE.
firmer. Des motifs très-doux, très-pressants, très-
faoBorables , m'y attireraient sans doute ; mais le
dûnat me fiùt peur. Que je cherche au moins la
bénignité du soleil, puisque je n'en dois point at-
tendre des hommes. J'espère que celle de l'amitié
me suivra partout. Je connais la vôtre , et je m'en
prévaudrais au besoin ; mais ce n'est pas Taisent
qui me manque, et, si j'en avais besoin, cin-
quante louis sont à Neuchâtel à mes ordres , grâce
à la prévoyance de Milord Maréchal.
LETTRE DLXXXIX.
A M. DU PEYROU.
8 avril 1765.
. Je n'ai le temps, monsieur, que de vous écrire
un mot. Votre inquiétude m'en donne, une très-
grande. S'il est cruel d'avoir des peines, il l'est bien
plus encore de ne connaître pas un ami tendre,
pas un honnête homme dans le sein duquel on les
puisse épancher.
LETTRE DXC.
A MADEMOISELLE D'IVERNOIS.
Moûei^Sy le 9 avril 176S.
Au moins , mademoiselle , n'allez pas m'accuser
aussi de croire que les femmes n'ont point d'ame ;
ANN^E 176?. 363
car , ail contraire, je suis persuadé que toutes celles
qui vous ressemblenten ont^u moins deux à leur
disposition. Quel dommage que la vôtre vous suf-
fise! J'en connais une qui se plairait fort à. loger
en même lieu. Mille respects à la chère maman et
à toute la famille. Je vous prie, mademoiselle , d'a-
gréer les miens.
LETTRE DXCL
A W. MEURON,
PBocuREua-ciirÉaâi. ▲ vvocHAtMh.
m
MotierSy le 9 avril 1765.
•
Permettez , monsieur , qu'avant votre départ je
vous supplie de joindre à tant de soins obligeants
pour moi celui de faire agréer à messieurs du Con-
seil d'état mon profond respect et ma vive recon-
naissance. Il m'est extrêmement consplant de jouir,
sous l'agrément du gouvernement de cet état, de
la protection dont le roi m'honore , et des bontés
de Milord Maréchal ; de si précieux actes de bien-
veillance m'imposent de nouveaux devoirs que
mon cœur remplira toujours avec zèle, non-seule-
ment en fidèle sujet de l'état, mais en homme par-
ticulièrement obligé à l'illustre corps qui le gou-
verne. Je me flatte qu'on a vu jusqu'ici dans ma
conduite une simplicité sincère , et autant d'aver-
sion pour la dispute que d'amour pour la paix.
J'ose dire que jamais homme ne chercha moins
364 CORRESPONDANCE.
à répandre ses opinions, et ne fut moins auteur
dans la vie privée et sociale : si , dans la chaîne
de mes disgrâces , les sollicitations , le devoir ,
l'honneur même, m'ont forcé de prendre la plume
pour ma défense et pour celle d'autrui , je n'ai
rempli qu'à regret un devoir si triste, et j'ai re-
gardé cette cruelle nécessité comme un nouveau
malheur pour moi. Maintenant, monsieur, que,
grâces au ciel, j'en suis quitte, je m'impose la loi
de me taire, et, pour mon repos et pour celui de
l'état où j'ai le bonheur de vivre , je m'engage li-
brement, tant que j'aurai le' même avantage, à ne
plus traiter aucune matière qui puisse y déplaire ,
ni dans aucun des états voisins. Je ferai plus, je
rentre avec plaisir dans l'obscurité où j'aurais dû
toujours vivre, et j'espère sur aucun sujet ne plus
occuper le public de moi. Je voudrais de tout mon
cœur offrir à ma nouvelle patrie un tribut plus
digne d'elle : je lui sacrifie un bien très-peu regret-
table,. et je préfère infiniment au vain, bruit du
mon'de l'amitié de ses membres et la faveur de ses
chefs.
Recevez , monsieur , je vous supplie , mes très-
humbles salutations.
ANNÉE 1765. 365
LETTRE DXCII.
A M. DU PEYROU.
Vendredi, la avril 1765.
Plus j'étais touché de vos peines, plus j'étais fâ-
ché contre vous; et en cela j'avais tort; le com-
mencement de votre lettre me le prouve. Je ne
suis pas toujours raisonnable , mais j'aime toujours
qu'on me parle raison. Je voudrais connaître vos
peines pour les soulager, pour les partager, du
moins. Les vrais épanchements du cœur veulent
non-seulement l'amitié, mais la famiUarité, et la .
familiarité ne vient que par l'habitude de vivre
ensemble. Puisse un jour cette habitude si douce
donner, entre nous, à l'amitié tous ses charmes!
Je les sentirai trop bien pour ne pas vous les faire
sentir aussi.
La sentence de Cicéron que vous demandez est,
amicus PlatOy aniiçus ArisU)teles y sed magis arnica
Veritas, Mais vous pourrez la resserrer, en n'em-
ployant que les deux premiers mots et les trois
derniers , et souvenez-vous qu^elle emporte l'obli-
gation de me dire mes vérités. Au lieu de vous dire
précisément si vous devez employer le terme de
conclave inquisitorial ^ j'aime mieux vous exposer le
principe sur lequel je me détermine en pareil
doute. Qu'une expression soit ou ne soit pias ce
qu'on appelle française ou du bel usage , ce n'est
366. CORRESPONDANCE.
pas de cela qu'il s'agit : on ne parle et l'on n'écrit
que pour se faire entendre; pourvu qu'on soit in-
telligible, on va à son but; quand on est clair , on
y va encore mieux : parlez donc clairement pour
quiconque entend le français. Voilà la règle , et
soyez «sûr que, fissiez-vous au surplus cinq cents
barbarismes , vous n'en aurez pas moins bien écrit.
Je vais plus loin , et je soutiens qu'il faut quelque-
fois fiaûre des fautes de grammaire pour être plus
lumineux. C'est en cela, et non dans toutes les pé-
danteries du purisme, que consiste le vérita|;>le
art d'écrire. Ceci posé, j'examine, sur cette règle,
le conctaife inquisitorial , et je me demande si ces
deux mots réunis présentent à l'esprit une idée
. bien une et bien nette , et il me parait que non.
Le^mot conchwe en latin ne signifie qu'une cham-
bre retirée, mais en français il signifie l'assemblée
de» cardinaux pour l'élection du pape. Cette idée
n'a' nul rapport à la vôtre, et elle exclut- même
celle de l'inquisition. Voyez si , peut-être en chan-
geant le premier mot, et mettant, par exemple,
celai de synode inqidsitorial ^ vous n'iriez pas mieux
à votre but. IL semble même que le mot synode
pris pour une assemblée de ministres, contrastant
avec celui dLÙiquisitorial, ferait mieux sentir l'in-
conséquence de ces messieurs. L'union seule de
ces deux mots ferait, à mon sens, un argument
sans réplique ; et voilà en quoi consiste la finesse
de l'emploi des mots. Pardon, monsieur, de mes
longiyeries ; mais comme vous pouvez avoir quel-
quefois , dans rhonnêteté de votre antie , l'occasion
ANNJÈE 1765* 367
de parler au public pour le bien delà vérité, j'ai
cru que vous seriez peut-être bien aise de con-'
naître la règle géniale qui me paraît toujours
bonne à suivre dans le choix des mots.
Comme je suis très-persuadé que votre ouvrage
n'aura nul besoin de pia révision, je vous prie de
m'en dispenser à cause de la matière. H convient
que je puisse dire que je n'y ai aucune part et que
je ne l'ai pas vu. Il est même inutile de m'envoyer
aucune des . pièces que vous vous proposez d'y
mettre, puisqu'il me suffira de 1^ trouver toutes
dans l'imprimé.
Au train dont la neige tombe , nous en aurons
ce soir plus d'im pied ^ cela, et mon état encore
empiré , m'ôterà le plaisir de vous aller voir aussi^
tôt que je l'espérais. Sitôt que je le pourrai, comp*
tez que vous verrez celui qui vous aime.
LETTRE DXCIII.
AU MÊME.
i5 avril 1765.
Je prends acte du reproche que vous me faites
de trop de précipitation vis-à^vis de M. Vernes , et
je vous prédiis que dans trois mois d'ici vous me
reprocherez trop, da lenteur et de modération.
Je n'aime pas que les choses qui se sont passées
dans le téte-à-téte se publient; c'est pourquoi la
note , sur laquelle vous me consultez , est peu de
l
368 CORRESPONDANCE.
mon go^t. Je n'aime pas même trop , dans le texte , |
Tépilhète si doux y donnée aux éloges du profes-
seur. 11 y a de l'erreur dans nies éloges, mais je ne
crois pas qu'il y ait de la fadeur , et quand il y en
aurait, je ne voudrais pas que ce fut vous qui- la
relevassiez. Au reste, je n'exige rien, je dis mon
goût, suivez le vôtre.
Charité veut dire amour, ainsi l'on n'aime ja-
mais que par charité ; c'est par charité que je vous
aime et que je veux être aimé de vous. Mais ce
mot part d'une ame triste , et n'échappe pas à la
mienne. J'ai besoin d'être auprès de vous; mais
pjas un moment de relâche, ni dans le mauvais
temps, ni dans mon état : cela est bien cruel. Fi
du JÊùnsieur, je ne puis le souffrir. Je vous em-
brasse.
LETTRE DXCIV.
AU MÊME.
a 3 ayril 1765.
L'amitié est une chose si sainte, que le nom
n'en doit pas même être employé dans l'usage or-
dinaire : ainsi nous serons amis , et nous ne nous
dirons pas mon anii. J'eus un surnom jadis que je
crois mériter mieux que jamais; à Paris, on ne
m'appelait que le citoyen. A votre égard , prenez
un nom de société qui vous plaise et que je puisse
vous donner. Je me plais à songer que vous devez
ANNÉE 1765. 369
être un jour mon cher hôte', et j'aimerais à vous
en donner le titre d'avance; mais celui-là ou un
autre, prenez-en un qui soit de votre goût, et qui
supprime entre nous le maussade mot de monsieur^
que l'amitié et sa familiarité doivent proscrire.
Votre petite note est très-bien. Sur ce que j'ap-
prends , il me paraît important que vous preniez
vos mesures si justes et si sûres , que l'écrit pa-
raisse avant la générale de mai. J'ai eu le plaisir
de voir M. de Pury ; c'est un digne homme dont
je n'oublierai jamais Jes services. Je souffre tou-
jours beaucoup.
Je vous embrasse.
Examinez toujours le cachet de mes. lettres,
pour voir si elles n'ont point été ouvertes, et pour
cause : je me servirai toujours de la lyre.
LETTRE DXCV.
A M. D'IVERNOIS.
Modersy le a a avril 1763.
J'ai reçu , monsieur , tous vos envois , et ma sen-
sibilité à votre amitié augmente de jour en jour^
mais j^ai une grâce à vous demander; c'est de rie
me plus parler des affaires de Genève , et ne plus
m'envoyer aucune pièce qui s'y rapporte. Pourquoi
veut-on absolument par de si tristes images me
faire finir dans l'affliction le reste des malheureux
jours que la nature m'a comptés , et m'ôter un re-
R. XX. a 4
3*70 CORRESPOND A IV CK.
pos dont j'ai si grand besoin , et que j ai si chère-
ment acheté ? Quelque plaisir que me fasse votre
correspondance , si vous continuez d'y faire entrer
des objets dont je ne puis ni ne veux plus m'occu-
per, vous me forcerez d'y renoncer.
Parmi ce que m'a apporté le neveu de M. Vieus-
seux, il y avait une lettre de Venise, où celui qui
l'écrit a eu l'étourderie de ne pas marquer son
adresse. Si vous savez par quelle voie est venue
cette lettre, informez-vous de grâce si je ne pour-
rais pas me servir de la méipe voie pour faire par-
venir ma réponse.
Je vous remercie du vin de Lunel; mais, mon
cher monsieur, nous sommes convenus, ce me
semble, que vous ne m'enverriez plus rien de ce
qui ne vous coûte rien. Vous me paraissez n'avoir
pas pour cette convention la même mémoire qui
vous sert si bien dans mes commissions.
Je ne peux rien vous dire du chevalier de Malte;
il est encore à Neuchâtel. Il m'a apporté une lettre
de M. de Paoli qui n'est certainement pas suppo-
sée : cependant la conduite de cet homme-là est
en tout si extraordinaire que je ne puis prendre
sur moi de m'y fier ; et je lui ai remis pour M. Paoli
une réponse qui ne signifie rien, et qui le renvoie
à notre correspondance ordinaire , laquelle n'est
pas connue du chevalier. Tout ceci , je vous prie ,
entre nous.
Mon état empire au lieu de s'adoucir. Il me vient
du monde des quatre coins de l'Europe. Je prends
le parti de laisser à la poste les lettres que je ne
ANNÉE 1765. 371
connais pas , ne pouvant plus y suffire. Selon toute
apparence je ne pourrai guère jouir à ce voyage
du plaisir de vous voir tranquillement. Il faut es-
pérer qu'une autre fois je serai plus heureux.
La lieutenante est à Neuchâtel. Je ne veux ktf
faire votre commission que de bouche. Je crains
qu'elle ne pût vous aller voir seule , et que la com-
pagnie qu'elle serait forcée de se donner ne fut
pas trop du goût de madame dlvernois , à qui je
présente mon respàDt. J'embrasse tendrement son
cher mari. '
Bien des salutations aux amis et bonnes connais-
sances.
LETTRE DXCVI.
A M. COINDET.
i ■
A Motîers, le 27 avril ïyôS.
Je devrais , mon cher Coindet , vous écrire sou-
vent , ne fût-ce que pour vous ranercier. Mais ac-
ceptez, je vous prie, la bonne volonté pour l'effet ;
car , en ce moment , eussé-je dix mains et dix se-
crétaires, je ne suffirais pas à tout ce qu'on me
force d'écrire. Je dois aussi des remerciements à
M. Wateletet à M.Loiseau. Quand je ne leur en de-
vrais pas, je voudrais leur écrire. En attendant
que je puisse là-dessus me satisfaire , feites-leur les
plus tendres salutations de ma part.
Je comprends qu'on a pu vous marquer de Ge-
24.
37a CORRESPONDANCE.
nève que je quittais Motiers. Ou y a si bien tra-
vaillé pour cela, qu'on n'a pas clouté du succès.
Je ne sais pas encore si je prendrai le parti de
complaire à ces messieurs, mais jusqu'ici cela dé-
pend miiquement de ma volonté , et il est appa-
rent que cela n'en dépendra pas moins dans la
suite.
Vous aurez su que je portais autrefois l'hono-
rable surnom du citoyen par excellence , lorsque
je l'avais beaucoup moins mérité qu'aujourd-hui.
Vous pouvez voir, par la couronne civique dont
j'ai entouré ma devise , à la tête de mon dernier
ouvrage, quelle justice je sens m'étre due à cet
égard. Je souhaite qu'au moins mes amis me l'ac-
cordent, en me rendant ce nom de citoyen, qui
m'est si cher , et que j'ai payé si cher. Ce n'est point
pour moi un titre vain , puisqu'outre que, par une
élection unanime, j'ai ici une patrie qui m'a choisi,
s'il est sur la terre un état où règne la justice et
la liberté, je suis citoyen né de cet état-là. Conclu-
sion : je fus et je suis le citoyen. Quiconque m'aime
ne doit plus me donner d'autre nom.
A mesure que vous m'envoyez quelque chose,
vous ne m'en marquez point le prix. Cela fait que
je ne puis vous rendre vos déboursés. Vous pré-
tendez que je ne vous devais qu'un écu pour le
cadre de l'amitié : c'est une moquerie , mais soit ;
depuis lors le compte doit être augmenté. Donnez-
m'en la note , et je chargerai Duchesne de vous
rembourser. Car, pour vos soins, je ne puis les
payer qu'en reconnaissance, puisque c'est le seul
ANNÉE 1765. 373
prix que vous en voulez agréer. Le Corneille est
admirable , c'est dommage qu'il ait été un peu chif-
fonné dans le transport. J'ai reçu la charmante oi-
seleuse avec un nouveau plaisir, augmenté par les
bontés de l'aimable graveur. Il mérite un nouveau
remerciement pour celui dont il me dispense ; sans
m'acquitter, une lettre me coûte; c'est me faire
un second présent que de m'en exempter.
Je vois , par le préseift.que vous m'avez envoyé ,
de la part de M. Watéîfet , que madame Le Comte,
ni lui, n'ont pas voulu profaner, dans mes mains,
leurs propres ouvrages. Ils m'auraient pourtant
été beaucoup plus précieux que toute autre es-
tampe ; mais , du reste , on ne saurait refuser plus
magnifiquement.
Voici le huitième niois que je ne suis sorti de
la chambre. Plaignez-moi , mon cher Coindet, vous
qui savez que je n'ai plus d'autre plaisir que la
promenade , et que je ne suis qu'une machine am-
bulante. Encore ma prison me serait -elle moins
rude, si du moins j'y vivais tranquille, et qu'on
m'y laissât le temps d'écrire à mon aise à mes amis.
Je vous embrasse de tout mon cœur.
Pour trouver , s'il se peut , le repos après lequel
je soupire, je prends le parti de vider ma tête de
toute idée, et de l'empailler avec du foin. Je gagne-
rai à cela de mettre un nouvel intérêt à mes pro-
menades, par le plaisir d'herboriser. Je voudrais
trouver un recueil de plantes gravées , bien res-
semblantes , quand même il faudrait y mettre un
certain prix. Ne pourriez-vous point m'aider dans
374 CORRESPONDANCE.
cette recherche? Cela me procurerait encore le
plaisir de m'occuper l'hiver à les enluminer.
Obséevation. — Nous devons cette lettre à l'obligeance de
M. Coindet, neveu de celui à qui elle est adressée.
*i^i'*>*^^*/^fc%'%'^»>^>^V%/%»%/m>»^<m/mv^»^v^/^^^/%i^^'^%/»'»%/%.^^^/%im/mi^'
LETTRE DXCVII.
A M. DU PEYROU.
I
Ze 2g avril 1765.
Votre avis , mon cher hôte , de ne faire passer
aucun exemplaire par mes mains, est très-sage : c'est
une réflexion que j'avais faite moi-même , et que
je comptais vous communiquer.
J'ai reçu votre présent *; je vous en remercie:
il me fait grand plaisir , et je brûle d'être à portée
d'en faire usage. J'ai plus que jamais la passion
pour la botanique;. mais je vois avec confusion
que je ne connais pas encore assez de plantes em-
piriquement pour les étudier par système. Cepen-
dant je ne me rebuterai pas , et je me proposé d'al-
ler, dans la belle saison, passer une quinzaine de
jours près de M. Gagnebin pour me mettre en état
du moins de suivre Linnœus.
rai dans la tête que , si vous pouvez vous sou-
tenir jusqu'au temps de notre caravane , elle vous
garantira d'être arrêté durant le reste de l'année ,
vaque la goutte n'a point de plus grand ennemi
.\ i^es ouvrages de Linnœus.
ANNÉE 1765. 375
que l'exercice pédestre. Vou& devriez prendre la
botanique pour remède, quand vous ne la pre|]^driez
pas par goût. Au reste , je vous avertis que le charme
de cette science consiste surtout dans l'étude ana-
tomique des plantes. Je ne puis faire cette étude
à mon gré, faute des instruments nécessaires,
comme microscopes de diverses mesures de foyer ,
petites pinces bien menues , sem]3lables aux bru-
celles des joailliers , ciseaux très-fins à découper.
Vous devriez tâcher de vous pourvoir de tout cela
pour notre courte; et vous verriez que l'usage en
est très-agréable et très-instructif.
Vous me parlez du temps remis : il ne l'est assu-
rément pas ici ; j'ai fait quelques essais de sortie
qui m'ont réussi médiocrement , et jamais sans pluie.
Il me tarde d'aller vous embrasser, mais il faut
faire des visites , et cela m'épouvante un peu , sur-
tout vu mon état*
Notre archiprêtre continue ses ardentes philip-
piques ; il en a fait hier une , dans laquelle il s'est
tellement attendri sur les miracles, qu'il fondait
en larmes, et y faisait fondre ses pieux auditeurs.
Il paraît avoir pris le parti le plus sûr ; c'est de ne
point s'embarrasser du Conseil d'état ni de la classe ,
mais d'aller ici son train en ameutant la canaille.
Cependant tout s'est borné jusqu'à présent à quel-
ques insultes ; et comme je ne réponds rien du
tout , ils auront difficilement occasion d'aller plus
loin.
Quand verrez- vous la fin de ce vilain procès?
Je voudrais aussi voir déjà votre bâtiment fini pour
3^ CORRESPONDANCE.
y occuper ma cellule , et vous appeler tout de bon
mon cher hôte. Bonjour.
L'homme d'ici parait absolument forcené, et dé-
terminé à pousser lui seul les choses aussi loin
qu'elles peuvent aller. Il me . paraît toujours plai-
sant qu'un homme aussi généralement méprisé n'en
soit pas moins redoutable. S'il espère m'effrayer
au point de me faire fuir, il se trompe.
LETTRE DXCVIIL
AU MÊME..
a mai 1765,
Mon cher hôte , votre lettre à Milord Maréchal
est très-belle ; il n'y a pas une syllabe à ajouter ni à
retrancher, et je vous garantis qu'elle lui fera le
plus grand plaisir.
4e vois par le tour que prennent les choses que
l'archiprêtre sera bientôt forcé de me laisser en
repos : c'est alors que je veux sortir.de Mo tiers,
lorsqu'il sera bien établi qu'étant maître d'y rester
tranquille, ma retraite n'aura point l'air de fuite.
Je crois qu'en pareil cas je me déterminerai tout-
à-fait à être à Gressier l'hôte de mon hôte , au moins
si cela lui convient. Mais, quoique la maison soit
trop grande pour moi , il me la faudrait tout en-
tière, accommodée , meublée, bien ferfnée, et avec
le petit jardin. Voilà bien des choses, voyez si ce
n'est pas trop. Il y a plus : quoique au point où
ANNÉE 1765. 377
nous en sommes ce soit peut-être à moi une sorte
d'ingratitude de ne pas accepter ce logement gra-
tuitement, il faut, pour m'y fnettre tout-à-fait à
mon aise , que vous me louiez comme vous pour-
riez faire à tout autre, et que vous y compreniez
les frais pour le mettre en état. Cela posé, je pour-
rais bien m'y établir pour le reste de ma vie , sauf
à occuper près de vous un autrç appartement en '
ville , quand votre bâtiment sera fait. Voilà , mon
cher hôte, mes châteaux en Espagne; voyez s'il
vous convient de les réaliser.
On me mande de Berne que le sieur Bertrand a
demandé le 29 au sénat sa démission, et Ta ob-
tenue sans diffictdté;on ajoute qu'il quittera Berne.
Le voyage de.M. Chaillet n'aurait-il point contribué
à cela ?
Si le temps s'obstine à être mauvais, je suis bien
tenté d'accepter votre offre: en ce cas, vous pour-
riez expédier vos tracas les plus pressés le reste de
cette semaine, et m'enyoyer votre carrosse luntïi
ou mardi prochain. Je vous irais joindre à Neu-
châtel , et de là nous irions ensemble à Bienne , à
pied , s'il faisait beau , en carrosse s'il fai3ait jnau-
vais. Ce qui m'embarrasse est que je votfdrais aller
auparavant à Gorgier voir M. Andrié, et je ne sais
comment arranger ces diverses courses^, d'autant
moins qu'il faut absolument que je sois de retour
ici les' huit ou dix derniers jours du mois. Vous
pourriez , dimanche au soir , m'écrire votre senti-
ment; lundi au soir je vous ferais ma réponse; et
si le mauvais temps continuait, vous m'enverriez
I
378 CORAESPONDANCE.
votre carrosse pour me rendre mercredi près de
vous: mais, s'il fait beau, j'irai premièrement et
pédestrement à Gorgier. Voilà mes arrangements,
sauf les vôtres et sauf les obstacles tirés de mon
état , qui ne s'améliore point. Peut-être la vie sé-
dentaire et méditative , la désagréable^ occupation
d'écrire des, lettres, l'attitude d'être assis qui me
nuit et que je déteste , contribuent-elles à m'entre-
tenir dans ce mauvais état.
Je reviens aux tracasseries d'ici, qui ne me fâ-
chent pas tant par rapport à moi , que par rapport
à ces braves anciens qui méritent tant d'encoura-
gement, et que la canaille accable d'opprobres.
Tout ce qui s'est fait en leur faveur n'a pas été assez
solennel ; des arrêts secrets n'arrêtent point la po-
pulace qui les ignore. Un arrêt affiché , ou quelque
téiboignage public d'approbation , voilà ce qu'on
leur devrait pour l'utilité publique, et ce qui mor-
tifierait plus cruellement l'archiprêtre que toutes
les censures du Conseil d'état ou de la classe , faites
à huis clos. Je prédis qu'il n'y a qu'un expédient
de cette espèce qui puisse finir tout , et sur-le-
champ. Je vous embrasse.
A' vue de pays , je ne crois pas que la semaine
prochaine je sois encore en état de voyager, à moins
d'une révolution bien subite, que le temps ni mon
état ne me promettent pas.
ANNEE 1766. 379
LETTRE DXCIX.
AU MÊME.
Jeudi, a3 mai 1765.
J'espère, mon cher hôte, que cette vilaine goutte
n'aura fait que vous menacer. Dansez* et marchez
beaucoup; tourmentez-la si bien qu'elle nous laisse
en repos projeter et faire notfè course. On dit que
les pèlerins n'ont jaoïais la gouttç ; rien n'est donc
tel pour l'éviter que de se faire pèlerin.
Sultan m'a tenu quelques jours en peine : sur son
état présent je suis parfaitenàent rassuré ; ce qui
m'alarmait le plus était la promptitude avec laquelle
sa plaie s'était refermée ; il avait à la jambe un trou
fort profond; elle était enflée, il souffrait beaucoup
et ne pouvait * soutenir. En ciiîq ou six heures ,
avec une simple application dé thériaque; plus d'en-
flure, plus de douleur, plus de trou, à peine en
ai-je pu retrouver la place : il est gaillardement re-
venu de son pied à Mo tiers, et se porte à merveille
depuis ce temps-là. Comme vous avez des chiens,
j'ai cru qu'il était bon de voUs apprendre l'histoire
de mon spécifique; elle est aussi étonnante que
certaine. Il faut ajouter que je l'ai m^s au lait du-
rant quelques jours; Cr'estunê précaution qu'il faut
toujours prendre sitôt qu'un animal est blessé.
Il est singulier que depuis trois jours je ressens
les mêmes attaques que j'ai eues cet hiver : il est
38o CORRESPONDANCE.
constaté que ce séjour ne me vaut rien à aucun
égard. Ainsi, mon parti est pris; tirez-moi d'ici au
plus vile. Je vous embrasse.
x'Ti.
LETTRE DC.
AU MÊME.
a 3 mai 1765.
Dans la crainte que vous n'ayez besoin de votre
Mémoire, je vous le renvoie après l'avoir lu. Je l'ai
trouvé fort bien raisonné; il me paraît seulement
que vous assujettissez les sociétés en général à des
lois plus rigoureuses qu'elles ne sont établies par
fe droit public ; car , par exemple, selon vos prin-
cipes , A , étant allié de B , ne pourrait postérieu-
rement s'engager à fournir à C des troupes en cer-
taiiis cas contre B, engagement qui toutefois se
contracte et s'exécute fréquemment, sans qu'on
[irétende avoir enfreint l'alliance antérieure.
Vous aurez su le^ nouvelles tentatives et leur
mauvais succès, ce qui n'empêche pas que ce sé-
jour ne soit devenu pour moi absolument inhabi-
tablc : ainsi , j'accepte tous vos bons soins , soit
^MHir Suchio , soit pour Grossier ,, soit pour la Cou-
dre; je mVn rapporte entièrement k votre choix;
et * |>our moi , je ne vois qu'une raison de préfé-
i^nce* après ct^Ile do h\ger chez vous, c'est pour le
k^^K'nt qui sora le plus tôt prêt.
Il mo {Kirait que vous pouviez prendre votre parti
ANJVÉE 1765. 38l
sur la brochure; je pense même que cette affaire,
une fois éventée , en deviendra partout plus diffi-
cile à exécuter, et je vous conseille d'abandonner
cette entreprise: que si vous persistez, vous avez
de nouvelles pièces à joindre à votre recueil; et,
tandis que vous le compléterez, il faut travailler
d'avance à prendre si bien vos mesures que le ma-
nuscrit n'aille à sa destination qu'au moment qu'on
pourra l'exécuter, et après que toutes les difficultés
seront prévues et levées. La Hollande me paraît
désormais le seul endroit sur ; mais il faut compter
sur six mois d'attente.
Je suis bien éloigné d'avoir maintenant le loisir
de travailler à notre écrit. Comme ce n'est pas un
acte où le notaire doive mettre la main , et que
notre convention générale est faite , rien ne pressç
sur le reste ; c'est, ce que nous pourrons rédiger
ensemble à loisir. Il s'agit seulement de savoir quand
vous me permettrez d'en parler à mes amis ; car
rien de ce qui s'intéresse à moi ne doit ignor.er
que je vous devrai le repos de ma vie.
LETTRE DCI.
A M. PANCKOUCKE.
Motiers-Trayer s , 2 6 mai 1765.
Votre dernière lettre, monsieur, m'a non -seu-
lement désabusé, mais attendri. Oublions récipro-
quement nos torjs , sûrs que le cœur n'y a point
382 CORRESPONDANCE.
de part, et soyons amis comme auparavant, même
plus, s'il est possible ; c'est l'effet que doit produire
un vrai retour entre honnêtes gens.
Il est vrai que les fanatiques de ce pays , excités,
vous comprenez bien par qui , ont suscité contre
moi un violent orage, dont tout l'effet est retombé
sur eux : parce qu'ils m'avaient trouvé doux , ils ont
cru me trouver faible; ils se sont trompés. Tous
leurs efforts pour me nuire ou m'épouvanter ont
tourhé à leur confusion , et leur ont attirée les mor-
tifications les plus cruelles. J'ai fait plus que des
souverains n'osent faire , en triomphant d'eux. Bat-
tus dans toutes les formes légitimes , ils prennent
le parti d'ameuter la canaille , et de se faire chefs
de bandits. Cette voie est assez bonne avec les peu-
ples de ce vallon. Quoi qu'il en soit, je les mets
au pis.' Dans le zèle qui les dévore , ils pourront
me faire assassiner; mais très -sûrement ils ne me
feront jJas fuir. Il y a cependant long - temps que
j'ai résolu d'aller m'établir dans le bas parmi les
hommes ; mais j'attendrai que les loups enragés d'ici
aient achevé de hurler et de mordre. Après cela ,
s'ils me laissent vivre , je les quitterai. Qu'un autre
étranger y tienne, s'il peut, trois ans, comme j'ai
fait, et puis qu'il en dise des nouvelles.
ANNÉE 1765. 383
LETTRE DCII.
A M. D'IVERNOIS.
MotierSy le 3o mai 176$.
Je suis très-inquiet de vous , monsieur. Suivant
ce que vous m'aviez marqué, j'ai suspendu mes
courses «t mes affaires pour revenir vous attendre
ici dès le 20 ; cependant ni moi ni personne n'avons
entendu parler de vous. Je crains que vous ne soyez
malade ; faites-moi du moins écrire deux mots par
charité.
Il m'est impossible de vous attendre plus long-
temps que deux ou trois jours encore; njais je ne
serai jamais assez éloigné d'ici que , lorsque vous
y viendrez , nous ne puissions pas nous joindre. On
vous dira chez moi où je serai ; et selon vos arran-
gements de route , vous viendrez, ou Ton m'enverra
chercher.
Voici, monsieur, deux lettres pour Gènes, aux-
quelles je vous prie de donner cours en faisant
affranchir, s'il est nécessaire. J'attends de vos nou-
velles avec la plus grande impatience, et vous em-
brasse de tout mon cœur.
38/| CORRESPOND A NCK.
LETTRE DCIII.
A M. KLUPFFEL.
Motîers, mai 1763.
Ce n'est pas, mon cher ami, faute d'empresse-
ment à vous répondre que j'ai différé si long-temps;
mais les tracas dans lesquels je me suis trouvé , et
un voyage que j'ai fait à l'autre extrémité du pays,
m ont fait renvoyer ce plaisir à un moment plus
tranquille. Si j'avais fait le voyage de Berlin , j'au-
rais pensé que je passais près d'un ancien ami, et
je me serais détourné pour aller vous embrasser.
Un autre motif encore m'eût attiré dans votre ville,
c'eût été le désir d'être présenté par vous à ma-
dame la duchesse de Saxe -Gotha, et de voir de
près cette grande princesse , qui , fût-elle personne
privée , ferait admirer son esprit et son mérite. La
reconnaissance m'aurait fait même un devoir d'ac-
complir ce projet après la manière obligeante dont
il a plu à S. A. S. d'écrire sur mon compte à Milord
Maréchal ; et, au risque de lui faire dire , N'était-ce
que cela? j'aurais justifié par mon obéissance à ses
ordres mon empressement à lui faire ma cour. Mais,
mon cher ami, ma situation à tous égards ne me
permet plus d'entreprendre de grands voyages ; et
un homme qui huit mois de l'année ne peut sortir
de sa chambre n'est guère en état de faire des
voyages de deux cents lieues. Toutes les bontés
ANNÉE 1765. 385
dont Milord Maréchal m'honore , tous les. senti-
ments qui m'attachent à cet homme respectable,
me font désirer bien vivement de finir mes jours
près de lui : mais il sait que c'est un désir qu'il ni'est
impossible de satisfaire; et il ne me reste, poiâ*
nourrir cette espéraxkàBy que celle de le revoir
quelque jour en ce pays. Je voudrais , mon cher
ami, pouvoir nourrir'par rapport à'#ous la même
espérance: ce serait une grande consolation pour
moi de vous embrasser encore une fois en ma vie ,
et de retvcgiver en vous l'ami tejidre et vrai près
duquel j'ai pa^sé de si douces heures, et que je
n'ai jamais cessé de regretter. Je vous embrasse de
tout mon cœur. . •
LETTRE DCIV.
BILLET A M. DE VOLTAIRE.
Motiers, le 3i mai 176$.
Si M. de Voltaire a dit qu'au lieu d'avoir été se-
crétaire de l'ambassadeur de Francç à Venise j'ai
été son valet , M. de Voltaire en a menti comme un
impudent.
Si dans les années 1743 et 1744 j^ ï^'^i pas été
premier secrétaire de l'ambassadeur de France, si
je n'ai pas fait les fonctions de secrétaire d'ambas-
sade , si je n'en ai pas eu les honneurs au sénat de
Venise, j'en aurai menti moi-même.
R. XX. a 5
386 COHRKSPOICDA'NCE.
fc%<%»^%«i«'^%<^'^%^iwfc^^^<%^^%^i^H>^^ ^^^fc^^K^i^^x^^
LETTRE DCV.
A M. D'ESGUERNY.
*
Moden, le e^ jôiii 1765.
Je suis bien seifillile , monsieur f et à 19. bonté
que vous avez de ùëM^r à mon logement ^ et à celle
qu'ont les obligeants propriétaires de la maison de
Gomaux, de vouloir bien m'accorder MOf éférence
sur ceux qui se sont présentés pour rSabitor. Je
Vais ^ Yverdiin voir mon ami AT. Roguiii , et mon
amie madame Boy de La Tour , qui esl malade , et
qui croit que je lui peux être de quelque conso-
lation. J'espère que dans quelques jours J\f. du
Peyrou sera rétabli , et que , vous trouvant tous en
bonne santé, je pourrai consulter avec vous sur le
lieu où je dois planter le piquet. Cette manière de
chercher est si agréable , qu'il est naturel que je
ne sois pas pressé de trouver. Bien des salutations ,
monsieur, de tout mon coeur.
LETTRE DCVL
A M. DU PEYROU.
Mardi, ii juin 1765.
Si je reste un jour de pliis je suis pris : je pars
donc, mon cher hôte, poiir la Férrièrë,où je vous
A-NNÉE 1765. 387
attendrai àTec le plus grand empressement , maiâ
sans m'impatiènter. Ce qui achèye de me déter-
miner , est qu'on m'apprend que vous avez com-
mencé à sortir. Je vous recommande de né pas
oublier parmi vos provisions, café, sucre, caf9^
tière , briquet, et tout Fattirail poUr faire, quand
on veut, du café dans les bois. Prenez Unnœiij et
Saui^ages , quelque livré amwjiiit et Quelque jeu
pour s'amuser plusieurs , si r<Hi est arrêté dans
une maison par le mauvais temps. Il faut tout pré-
voir polir prévenir ïe désoeuvrement ei Teniiui.
Bonjour : je compte 'partir démain matin , sMl
lait beatl ,.pour airei" coucher aii Ix)cle, et dîner
ou coucher à la Pernère lé lendemain jeudi. Je
vous éjFiibrasse:- '
l.ET.TR^ ÙGVII.
■ AU, MÊME.
A la^'Çerrièi^e, le..'fc6 juin 176$^
- ■' ' ' *
t .
Mè vdid ^ ihoflf cher, hôte , à la Perrière j ou je
ne suis arrivée que pour y garder la chambre , avec
un rhume af&eux, une sts&êz grosse fièVré , él une
esquinancfe , maî a]tiquel j'étais très-sujet dans ma
jeunesse y mais «dotit 'j'espérais que'Tâge m'aui^t
exempté. Je me 'trompais; cette çittaquè a été vio-
lente , j'espère qu'elle sera édurte. La fièvre est di-
minuée , ma gorge se dégage , j'avale plus aisément ;
mais il m'ert encore impossible de p«rlar.
a5.
388 CORRESPONDANCE.
J'apprends , par deux lettres tpie je viens de re-
cevoir de M. de Pury, qu'il a pris la peiîie, allant,
oonitne je jpense , à Monlezi , de passer chez moi ;
j'étais dëjà parti : j'y ai regret pour bien des rai-
sons.; entré autres , parce que lious serions con-
Tienns du temps et de la manière de nous réunir.
n in'â{>prend que vous ne pourrez de long -temps
voufr mettre en campagne : cela me fait prendre le
parti de me rendre auprès de vous; car je ne -puis
me passer plus long-temps de vous voir. Ainsi vous
pouvez attendre votre hôte au plu^ tard sur la fin
de la semaine , à moins que d'ici à ce temps je n'aie
de vos nouvelles. Si vous pouviez venir à cheval
jusqu'ici , je ne doute pas que l'excellent air , la
beauté du paysage , et la tranquillité du pays , ne
vous fît toutes sortes de biens, et que vous ne
vous y rétablissiez plus promptement qu'où voiis
êtes.
Je n'écris point à M. le colotiél, parce que je ne
sais s'il est à Neuchâtel ou à sa montagne ; mais je
vous prie de vouloir bien lui dire ou lui marquer
que je ne connais pas assez M. Fischer pour le ju-
ger; que M. le comte de Dohna*, qui a vécu avec
lui plus que moi, doit en mieux juger; et qii'un
homtne ne se juge pas ainsi de la première vue.
Tout ce que je sais , c'est qu'il a des cotmaissahoes
et* de l'esprit ; il me paraît dHine hiuneur complai-
j9ante et dquce ; sa conversation est pleine de sens
et d'honnêteté ; j'ai même vu de lui des choses qui
me paraissent annoncer des moeurs et de la vertu.
Quand il n'est question que de voyager avec un
,. ^njKiE.i'jHi: 389
homme ^ et serait etrç difitpiU^e demander mieux
qweçeïvs *: " /
; Au peu que j'ai vu 3ur la botanique , je com-
prends que je jréparfirai- d'ici plus ignorant que je
n'y ,sVQiS arrivé, plùç convaincu du moins de mon
igpoiraiieé ^ puisqu^en vérifiant mes coipnaissances
sur les plantes, il se trouve qu^ plusieurs de celles
que je croyais connaître , JQjÛte k» eqnna^sais point.
Dieu soit loué ! c'est toujouj» apprendre quelque
chose que: d'apprendre qu'on ne sait rien. Le mes-
sager attend et me presse; il faut finir. Bonjour,
mon cher hôte ; je vous embrasse de tout mon
cœur.
« ■
LETTRE DCVIII.
AU MÊME.
Motiers, le 39 juin 1765.
Savez-vous , mon cher hôte , que vous me gâtez
si fort , qu'il m'est désormais fort pénible de vivre
éloigné de vous? Depuis lieux jours que je suis de
retour , il m'ennuie déjà de ne point vous voir. Je
songe, en conséquence , à redescendre dès demain ,
et voici un arrangement qui fait à présent mon châ-
teau en Espagne, et qui se réalisera ou se réfor-
mera selon que le temps , votre santé et votre vo-
lonté le permettront.
Si le temps se remet aujourd'hui, nous des-
■
3go coiLkESPoini^NC£'
cendrons demain , M. d9venk>is , maidwiiobelle Le
Vosseur, et moi; et, Cùtiime il n'e&t^queatioBt^que
dlulae nuU , pour ne pas non» séparier nous .cda-
cherons à l'auberge. Le lundi, j'irai avec M., dl-
y^mois faire une promenade , d'oQu non» iseçpns de
retour le lendemain. M. d'Ivemois çcMitinàèrà^n
vojnuge, et moi j'inai iKvec mademcûselle Le Vasseér
V4Nr la maison de Ck^sàîer. Nous pourrons y séjour-
aer un jour ou xfeux , si if ous trouvons des lits , poxir
avoir le temps d*fll)er voir l'ile ; puis nous revlien-
droBS. Mademoiselle Le Vasseur s'en retournera à
Afotiers^ et moi j'attendrai près de vous que nous
puissions faire la caravane du Creux du vent , apsès
quoi chacun s'en retournera à ses affaires.
Comme la petite course que je dois faire avec
M. d'Ivernois me rapproche du pont de Thielle , je
pourrais de là me rendre directement à Cressier ,
et mademoiselle Le Vasseur s'y rendre aussi,* de
son côté , si elle trouvait une voiture , ou que vous
pussiez lui en prêter une.
Tous ces arrangements un peu précipités sont
inévitables , sans quoi , restant ici quelques jours
eneope, je suis intercepfeé pour le reste de la belle
maison. Q faut même , etf supposant leur exécution
possible, que le secret en demeure entre nous, sans
quoi nous serons |K>ursuivis , où que nous soyons ,
fptr les. gens qui me viendront voir, et qui, ne nie
trouvant pas ici , me chercheront où que je sois.
ékmreste^ mon état est si sensiblement empiré de-
puis mon retour ici, que je crains beaucoup d'y
fiosser l'hiver , et que , malgré tous les embarras ,
ANirÉE 1765. 3ai
si Cressjer peut être jpfêt au commencement d'oc-
tobre , je suis déterminé à m'y transplanter.
Je vous écris à la hâte , mon tcès-cher hôte , ^P'
câblé de petits tracas qui m'excèdent. Comme mon
voyage dépend du temps ^ qui paraît se brouiller,
il n'est pas sûr que j'arrive demain à Neuchâtel. A
tout événement, vous pourriez envoyer demain au
soir à la Couronne , et , si j'jr':su£s arrivé , m'y faire
passer vos obsu^rvations siip lêl arrangements pro-
posés ; car, comme j'arriverai le. soir pour repartir
le matin jje ne veux pas même qu'on me voie dans
les rues. Je vous eçibrasse de tou^t mon cœur.
LETTRE DCIX.
AU MÊME.
A nie de la Mo^e, le 4 juillet 1765.
Je suis , mon cher hôte et mon ami , dans Hle ,
et je compte y rester quelque» jours , jusqu'à ce
que j'y reçoive de vos aovvelles. J'imagine qu'il ne
vous sera pas difiQcile ^/^'en donner par le canal
de M. le major Chambrî^. Au premier signe , je
vous rejoins : c'est à vous de voir en quel temps
vous aurez plus de loisir à me donner. Ne soyez
pointinquiet de me savoir ici seul. J'y attendrai de
vos nouvelles avec empressement , mais sans im-
patience. J'emploierai ce loisir à repasser un peu
les événements de ma vie et à préparer mes con-
3(^2 CORRESPOiyDÂ.NCi£.
fessions. Je souhaite de consommer un ouvrage où
îe. pourrai parler de mon cher hôte d'une manière
qhi contente mon cœur. Bonjour.
LETTRE DCX.
AU MÊME.
-.' ■
. A Brot, le lundi 1 5 juillet 1765.
Vos gens , mon cher hôte , ont été bien mouillés,
et le seront encore, de quoi je suis bien fâché : ainsi ,
trouvant ici un char-à-banc , je ne les mènerai pas
plus loin.
Je pars iè cœur plein de vous , et au§si empressé
de vous revoir que si nous ne nous étions vus de-
puis long-temps. Puissé-je apprendre à notre pre-
mière entrevue que tous vos tracas sont finis , et
que vous avez l'esprit aussi tranquille que votre
honnête cœur doit être content de lui-même et se-
vem dans tous les temps ! La cérémonie de ce ma-
tin met dans le mien la satisfaction la plus douce.
Voilà, mon cher hôte, les traits qui me peignent
au vrai Famé de Milord Maréchal , et me montrent
qu'il connaît la mienne. Je ne connais personne
plus fait pour vous aimer et pour être aimé de
vous. Comment ne verrais-je pas enfin réunis tous
cçux qui m'aiment? ils sont dignes de s'aimer tous.
Jetons embrasse.
Maden^oiselle Le Vasseur est pénétrée de vos
bontés, et veut absolument que je vous le dise.
ANNÉE 1765. . 3g3
■%.'v%i %/^i'^<.'V^ %/^/^'m/m/*r%i^/^%/^ ^^i'*/*^*/%i'*>'%f%r^^m/%r%/m/^%/^mi^/%/^%/^%»^^'w%/^'
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LETTRE DCXI.
A M. lyiVERNOIS.
MotierSy le ao juillet 176 S.
J'arrive il y a trois jours; jt»:j*Q|||^is vos lettres,
vos envois, M. Chappuis,etc.l|Ëll94*emerciements.
Je vous renvoie les deux lettres/ Tai l)ien les bil-
boquets , mais je ne puis m'en servir , parce que ,
outre que les cordons sont trop courts, je n'en ai
point pour changer et qu'ils s'usent très-prompte-
ment.
Je vous remercie aussi du livre de M. Clapa-*
rède *. Comme mes plantes et mon bilboquet me
laissent peu de temps à perdre, je n'ai lu ni ne li-
rai ce livre, que je crois fort beau. Mais ne m'en-
voyez plus de tous ces beaux livres ; car je vous
avoue qu'ils m'ennuient à là mort et que je n'aime
pas à m'ennuyer.
Mille salutations à M. Deluc et à sa famille. Je
le remercie du soin qu'il veut bien donner à l])pp-
tique. Je n'ai point d'estampes. Je le prie d'en faire
aussi l'emplette, et de les choisir belles et bien en-
luminées; car je n'aurai pas le temps de les enlu-
miner. Une douzaine me suffira quant à présent :
je souhaite que l'illusion soit parfaite, ou rien.
f
* Cétaît un professeur de théologie à Genève. U est auteur de
plusieurs ouvrages relatifs à cette science. Celui dont il 8*agit ici avait
pour titre, Considéraiions sur les Miracles ^ ty66 f'\nS°,
$94 COR^ESPONDAXCE.
Mademoiselle Le Vasseur a reçu votre envoi,
dont elle vous hit ses remerciements , et moi mes
reproches. Vous éte$ un donoeui* insupportable;
il n'y a pas moyen de vivre avec vous.
Tai passé huit ou dix jours charmants dans File
de Saint-Pierre, mais toujours obsédé d'importuns:
j'excepte de ce nombre M. de Graffenried, bailli
de Nidau , qui est ^enu diner avec moi ; c'est un
liqpme plein d'esprit et de connaissances , titré,
-IrS^-opulent, et qui, malgré cela, me paraît penser
très-bien et dire tout haut ce qu'il pense.
Je reçois à l'instant vos lettres et envois des i6
et 17. Je suis surchargé , accablé , écrasé de visites,
de lettres et d'affaires , malade par-dessus le mar-
dié ; et vous voulez que j'aille à Morges m'abou-
dier avec M. Yemes! Il n'y a ni possibilité ni rai-
son à cela. Laissez-lui faire ses perquisitions , qu'il
prouve , et il sera content de moi : mais en atten-
dant je ne veux nul commerce avec lui. Vpus ver-
res à votre premier voyage ce que j'ai £dt; vous
jugerez de mes preuves, et de. celles qui peuvent
les détruire. En attendant je n'ai rien pubUé ; je ne
publierai rien sans nouveau sujet de parler. Je par-
donne de tout mon coeur à M. Yemes, même en le
supposant coupable : je suis fac)ié de lui avoir nui;
je ne veux plus lui nuire, à moins que je n'y sois
•foreé. Je donnerais tout au monde pour le croire
innocent, afin qu'il connût mon cœur et .qu'il vit
comment je répare mes torts. Mais avant de le dé-
clarer innocent il faut que je le croie ; et je crois
si décidément le contraire, que je n'imagine pas
ANNÉE 1765. • 39a
même comment il pourra me dépersuader. Qu'il
prouve et je suis à ses pieds. Mais , pour Dieu, s'il
est coupable , co9seillez-lui de se taire ; c'est pour
lui le meilleur parti." Je vous embrasse.
Notre archiprêtre * fait imprimer à Yverdun une
réponse que le magistrat de Neuchâtel a refusé la
permission d'imprimer à cause des personnalités.
Je suis bien aise que toute ^ 4a fÉlrre connaisse la
frénésie du personnage.. Vous stiêfez que le colqiÈ^l
Pury a été fait conseiller d'état. Si notre homme
ne sent pas celui-là , if faut qu'il soit ladre comme
un vieux porc.
Ma lettre a, par oubli , retardé d'im ordinaire.
Tout bien pensé , j'abandonne l'optique pour la
botanique: et si votre ami était à portée de me
faire faire les petits outils' nécessaires pour la disf-
section des fleurs, je serais sûr que son intelli-
gence suppléerait avantageusement à celle des ou-
vriers. Ges outils consistent dans trois ou quatre
microscopes de différents foyers, de petites pinces
délicates et minces pour tenir les fleurs , de ci-
seaux très - fins , canifs «t lancettes , pour les dé-
couper. Je serais bien aise d'avoir le tout à double,
excepté les microscopes, ptrce qu'il y a ici quel-
qu'un qui a le naême goût que moi et qui a été
msd servi. -^
* Montmollin.
'^g/&^ CORRESPONDANCE.
^<'fc'»<%^/^%/v^^'^^«%/%<^»%/^^p^^^»^.^»^%/%/<»%»'^%/^-%i<
LETTRE DCXil.
AU MÊME.
i ''^,:
Motiers, le i^^ août 1765.
Si VOUS n'éte9|>oiiiJ|ii$ini^uyé, monsieur, de mé-
riter des remerciem^|jts«^oi je suis ..ennuyé d'en
£gure ; ainsi n'en parloik plus. Je suis , en vérité ,
fort embarrassé de l'emploi du présent de made-
moiselle votre fille. La bonté qu'elle a eue de ^'oc-
cuper de moi mérite que je m'en fasse honneur,
et je n'ose. Je suis à la fpis vain et sot : c'est trop ;
il faudmdt choisir. Je crois que je prendrai 1q parti
de tourner la chose en plaisanterie, et de dire
qu'une jeune demoiselle m'enchaîne par les poi-
gaets*.
Je suis indigné de l'insultante lettre du ministre :
il vous croit le cœur assez bas pour penser conmie
lui. Il est inutile que je vous envoie ce que je lui
écrirais à votre place ; vous ne ypus en serviriez
pas. Suivez vos propres mouvements ; vous trou-
verez assez ce qu'il fiiut lui dire , et vous le lui- di-
rez moins durement que moi.
M. Deluc est en vérité trop complaisant de se
prêter ainsi à toutes mes fantaisies ; mais je vous
avoue qu'il ne saurai^ me faire plus de plaisir que
de vouloir bien s'occuper de mes petits instru-
ments. Je raffole de la botanique; cela ne fait
* Elle avait envoyé à Rousseau une paire de manchetteS
ANKKE 1766: ^Jggr
qu'empirer tous les jours ; je n'ai plus que du foin
dans la tête : je vais di^venir plante moi-même un
de ces matins , étjg prends déjà racine à Mo tiers ,
en dépit de Jl!âF,€hîivétire qui continue d'ameuter
la canaille potir'ni'en chasser.
J'ai grande envie de voir M, de Conzié ; mais je
ne compté pas pouvoir aller à sa terre pour cette
année : j'ai regret aux ptalinK^ dont cela me prive;
mais il faut céder à la JMâi^
Les lettres de-l'archipretre sont , à ce qu'on dit j
imprimées : je ne sais pourquoi elles ne paraissent
pas. Il est étonnant que vous ayez cru que je lui
ferais l'honneur de lui répondre: serez -vous tou-
jours la dupe de ces bruits-là ?
' Mes respects à madame d'Ivernoî^. Reccf'rez ceux
de mademoiselle Le Vasseur , et les salutations de
celui qui vous aime.
^/mim/%/% -K -«/% «>%/« ^/^%^/^/%^<^^^M^^^/%<%^/m/%i
.LETTRE DCXIII.
A MADEMqÏsELLE D'IVERNOIS.
•'■•■• •.'"•■•■ • • •
Mptijers^ le i^ ^oût ryGS.
Vous .me i^emçFciez^ n^idçmoiselle; du présept
que vous ine faites; et moi je devrais vous le i^e-
prochér : car'si»j1er vôus,fai6 ain^er le travail, vous
me faites aimer te 'luxe: c'est rei^drç le mal pour
le bien. Je puiç, il est virai, vx>us remercier d'un
autr^ mirade aussi grand et plus utile ; c'est de
me rendi*e exact à répondre et dé me donner du
398 CORRESPONDANCE.
plaisir à l'être. J'en aurai toujours , mademcnselle,
à vous témoigner ma reconnai&sance^et à ninéiiiter
votre amitié. ^ ,*- ^ -^
Mes respects , je vous (me , ^4it'ik^j^4>qniie ma-
Hoan. \^ ^ :^
>'»%<%%<%<%^^^%^»^^«fc<^»% «<«i^%/«i>» «/^«%/«Mb<<
*«
A Mr DU PEYRÔOy
'4
■4
Motiers-T<:<aTer8 y le 8 août 1765.
Non , monsieur ; jamais , quoi (|ûe l'on en dise, je
ne me repentirai d'avoir loué M. de MontmolKh.
J'ai loué de lui ce que j'en conn^sais, sa conduite
vraiment pastorale envers moi : je n'ai jîîîiînt loué
* Dans cette iettre Rousseau n'appelle point du Peyrou mon cher
hôte, parce qu'elle est écrite ejqprès poiir être rendue publique.
Déjà , sans se nommer, et sous le titre de Lettré à M^*^^ du Peyroa
ayait, de concert ayec Rousseau et guidé par lui, conùne on Ta tb
par les lettres précédentes des la, i5 et a a avril ,^ publié dans le
même mois l'apologie de son ami, apologie à laquelle Montmollin
ayait répliqué longuement et avec violence, sous le titre dé Réfutation
dft libelle intitulé. Lettre a M**^. C'est de cet écrit de Montmollin
qu'il est question dans le cours de la présente lettre. Encouragé par
celle-ci) et décidé, d'après le conseil de Rousseau, à' ne plus 'f^iûtt
i'ajQonyme, du Peyrou publia^ dans le mois d'août suivant , jet sous
le litre de Lettre à mllord tomte de PP^emits,v^e seconde lettre à l'ap-
p«i de sa première; et, dans les pièces justï£icatives qn^|l y joignit,
il Bt entrer la lettre de Rousseau reproduite ici. £nân en .«é|iteiiibre
suivant , pevi de jours après la lapidation de Motiers, et sous le même
titre que celui de sa «iconde lettre , du Peyrou en a publié une troi-
jHème, dans laquelle .iliÎEiit le récit de cet événement. Ces trois lettres
de du. Peyrou, et la réfutation de Montmollin^ ont été réyni^ et ré*
ïttipriibéeB à Londres avec toutes leurs annexes (in-ia, 1760 ).
A.J!irif£E 1765. 39g
son caractère que je ne conn^iissais pas; je n'aî
point Ipué sa véracité, sa droiture. J'ayouerai méifte
que son extériefir, çii ne lui est pas Êivorable,
son ton , sonMflii^jlî^Dn regard sinistre, me repous-
saient iDalgrftsj||6i ; j'étais étonné de voir tant de
douceur, d'huyi^té^ de vertu, se cacher sous
une aussi son>bre physionomie; inais^'étoaCTais^ce
penchant injuste. FsQlaîtSiii juger d'un homme sûr
des signes trompeurs, qiM sa conduite^djémeïltsuit
si bien ? f^hït-î^épiér' malignement le principe se-
cret dHine tdlérancè péa.attendÛi^'Jè hais cef art
cruel d'empoisonnepMes boQn^ ftçtîoiïsi d'autn»^
et mon coeur ne.j^i(poitit trojaVer dé mauvais mor
ti& à ce qui est Bien. Plus jeseôtai^fell.moi..d'él()i-
gneIïlent pour Ai^de IVÏontihplliii , . plus je-*€hjet[^
chais à le combattre par la reconnaissance que je
lui devais. Supposons derechef possible le- même
cas, et tout 6e que j'ai fait je 'le referais encore.
Aujourd'hui M. d^ Montmollin lève le masque
et se montre vraiment tel qu'il est. Sa conduite pré-
sente explique la précédente. Il est clair que sa pré-
tendue tolérance , qui le quitte au moment qu'elle
eût été le plus juste, vient de la même source que
ce cruel zèle qui l'a pris subitement. Quel était
son objet, queV est-il à présent? je l'ignore ; je sais
seulement qu'il ne s£uirait être bon. Non -seule-
ment il m'admet avec empressement, avec hon-
neur à la communion,' mais il. me recherche, me
prône, me fête, quand'je parais avofar attaqué de
gaieté de coeur le christianise : et quand je prouve
qu'il est faux que je l'aie attaqué , qu'iL est faux du
400 CORR£SI»QJNDANC£.
moins que j'aie eu ce dessein ^ le voilà lui-même
attaquant brusquement ma sûreté, ma foi, ma
personne ; il veut m'excommunier , me proscrire ;
il ameute la paroisse après i)C)oi,'il me poursuit
avec un acharnement qui tient de^B, rageX^es dis-
parates sont-elles. dans son devoir? non ; la charité
n'e^t point inconstante, la yertujie se contredit
pCHut elle-même , et la conscience n'a pas deux3h)ix.
Après s'être montré si peu tolérant, il s'é;|ait avisé
trop tard de l'être ; cette affectation ,ne lui allait
point; et comme elle n'abusait personne , il a bien
&it de rentrer dans son état naturel. En: détruisant
sbn propre ouvrage, en me faisant plus de mal
qii'il ne m'avait fait de bien , il m'acquitte envers
hii de toute reconnaissance^ je ne lui dois plus
(|iie la .vérité , je ^e la dois à ino^même ;. et , puis-
qu'il me force à la dire , je la dirai.
, Vous voulez savoir au vrai ce qui s'est paasé
onlpe ..nous daps cette affaire. M. de MontmoUin a
Êdt ^u public sa relation en homme d'église , et
trempant sa plume dans ce miel empoisonné qui
tue , il s'est ménagé tous les avantages làe son -état.
yoiir. moi^ monsieur, je vous ferai la mienne du
:ton simple dçnt les gens d'honneur se parient entre
euxl Je n^ m'étendrai point en protestation d'être
sincère ;- je lai^s^e à votre esprit sain , à votre cœur
azûi de la vérité , le sqjin de la déiàéler entre lui et
moi. • V . .. , •
Je. ne. suis poîbt, graqçi^ au . ciel , de- ces gens
qu'Qu fête et que roû méprisé; j'ai l'honneur d être
de ceux qije l'op estime et qu'on chasse. Quand je
me réfugiai dans ce payff, je n'y apportai de re-
commandations pour personne , pas même pour
Milord Maréchal* Je n'ai qu'une recommsiidation
que je porte partout , et près de Milord Maréchal
il n en faut poîiit d'autre. Deux heures après mon
arrivée, écrivant à S. E. pour l'en informer et me
mettre sous sa protection, je vis entrer un homme
inconnu qtii, s'étant nommé le pasteur du lieu,
me fit des avances de toute espèce , e t qui , voyant
que j'écrivais à Milord Maréchal , m'offrit d'ajouter
de sa main quelques lignes pour me recommander.
Je n'acceptai point cette offre : ma lettre partit ,
et j'eus l'accueil que peut espérer l'innocence op-
primée partout où régnera la vertu.
Comme je ne m'attendais pas dans la circon-
stance à trouver un pasteur si liant , je contai dès le
même jour cette histoire à tout le monde, et entre
autres à M. le colonel Roguin , qui , plein pour
moi des bontés les plus tendres , avait bien voulu
m'accompagner jusqu'ici.
Les empressements de M. de MontmoUin conti-
nuèrent : je crus devoir en profiter; et, voyant
approcher la communion de septembre, je pris le
parti de lui écrire pour savoir si, malgré la rumeur
publique, je pouvais m'y présenter. Je préférai une
lettre à une visite pour éviter les explications ver-
bales qu'il aurait pu vouloir pousser trop loin. C'est
même sur quoi je tachai de le prévenir; car décla-
rer que je ne voulais ni désavouer ni défendre mou
livre, c'était dire assez que je ne voulais entrer sur
ce point dans aucune discussion. £t en effet ^ forcé
R. XX. 126
4o4 CORRESPONDANCE.
qu'il prêchait très-vivement contre rintolérance
des protestants , je fus très-effrayé de lui entendre
soutenir avec chaleur que l'Église réformée avait
grand besoin d'une réformation nouvelle , tant dans
la doctrine que dans les mœurs. Je n^imaginais
guère alors qu il fournirait dans peu lui-même une
si grande preuve de ce besoin.
Sa tolérance et l'honneur qu'elle lui faisait dans
le monde excitèrent la jalousie de plusieurs de ses
confrères , surtout à Genève. Ils ne cessèrent de le
harceler par des reproches , et de lui tendre des
pièges où il est à la fin tombé. J'en suis . fâché ,
mais ce n'est assurément pas ma faute. Si M. de
MontmoUin eût voulu soutenir une conduite si
pastorale par des moyens qui en fussent dignes,
s'il se fut contenté; pour sa défense, d'employer
avec courage j avec franchise , les seules armes du
christianisme et de la vérité, quel exemple ne don-
nait-il point à l'Église, à l'Europe entière! quel
triomphe ne s'assurait-il point! Il a préféré les
armes de son métier , et les sentant mollir contre la
vérité , pour sa défense , il a voulu les rendre offen-
sives en m'attaquant. Il s'est trompé; ces vieilles
armes, fortes contre qui les craint, faibles. contre
qui les brave, se sont brisées. Il s'était mal adfessé
pour réussir.
Quelques mois après mon admission ^ je vis en-
trer un soir M. de Montmollin dans ma chambre :
il avait l'air embarrassé ; it s'assit et garda long-
temps le silence ; il le rompit enfin par un de ces
longs exordes dont le fréquent besoin lui a fait
HTSlNiE 1765. 4^5
un talent. Venant ensuite à son sujet , il me dit
que le parti qu'il avait pris de m'admettre à la
communion lui avait '^attiré bien des chagrins et
le blâme de ses confrères, qu'il était réduit à se
justifier là-dessus d'une manière qui pût leur fer^
mer la bouche, et que si la bonne opinion qu'il
avait de mes sentiments lui avait fait supprimer les
explications qu'à sa place un autre aurait exigées ,
il ne pouvait , sans se compromettre , laisser croire
qu'il n'en avait eu aucune.
Là-dessus, tirant doucemeiiA un papier de sa
poche, il se mit à lire, dans un projet de lettre à
un ministre de Genève, des détails d'entretiens
qui n'avaient jamais existé, mais où il plaçait, à la
vérité fort heureusement, quelques motâ, par -ci
par-là , dits à la volée et sur un tout autre objet.
Jugez, monsieur*, de mon étonnement; il fut tel
que j'eus besoin de toute la longueur de cette lec-
ture pour lïie remettre en Técoutant. Dans les en-
droits où la fiction était la plus forte , il s'interrom-
pait en me disant : Fous sentez la nécessité... ma
situation... ma place... il /aut bien un peu se prêter.
Cette lettre, au rélste, était faite avec assez d'a-
dresse, et, à peu de chose près, il avait grand
soin de ne m'y faire dire que ce que j'aurais pu
dire en effet. En finissant il me demanda si j'ap-
prouvais cette lettre , et s'il pouvait l'envoyer telle
qu'elle était.
Je répondis que je le plaignais d'être réduit à
de pareilles ressources; que, quant à moi, je ne
pouvais rien dire de semblable; mais que, puis-
4o6 CORBKSPONDANCE.
que c'était lui qui se chargeait de le dire , c'était
son affaire et non pas la mienne ; que je n'y
voyais rien non plus que je fusse obligé de démen-
tir. Comme tout deci, reprit-il, ne peut nuire à
personne, et peut vous être utile ainsi vqu'à moi,
je passe aisément sur un petit struptile ^pii ne 4e-
i^t qu'empêcher le bien ; mais dites-moi , au sui^
plus, si vous êtes content de cette lettre, et si
vous n'y voyez rien à changer pour qu'eHe soit
mieuxr Je lui dis que je la trouvais bien pour la
fin qu'il s'y propo^t. Il me pressa tant , que , pour
lui complaire , je lui indiquai quelques légères cor-
rections qui ne signifiaient pas grand'chose. Or il
&ut- savoir que, de la manière dont nous étions
assis, l'écritoire était devant M. de Montmollin;
mais durant tout ce petit colloque , il la poussa
comme par hasard devant moi; et comme je te-
nais alors sa lett^e pour la relire , il me présenta
la plume pour faire les changements iïidiqués; ce
que je fis avec la simpUcité que je mets à toute
chose. Cela fait, il mit son papier dans sa poche,
et s'en alla. *
Pardonne2-moi ce long détail ; il était nécessaire.
Je vous épargnerai celui de mon dernier entretien
avec M. de Montmollin, qu'il est plus aisé d'ima-
giner. Vous comprenez ce qu'on peut 'répondre à
quelqu'un qui vient froidement vous dire : Mon-
sieur, j'ai ordre de vous casser la tête; mais si
vous voulez bien vous casser la jambe , peut-être
se contentera-t-oh de cela. M. de Montmollin doit
avoir eu quelquefois à traiter de mauvaises afi(aires;
ANUfÉE 1765. 4^7
cependant je ne vis de ma vie un homme aussi
embarras^ qu'il le fut vis-à-vis de moi dans celle-
là : rien n'est plus^génant en pareil cas que d'être
aux prises avec iun homme ouv-ert et franc , qui ,
.sans combattre avec vous de subtilités et de rudes,
vous rompt en visière à tout moment. M. de Mont-
moUin assure que je lui dis en ie quittant que, s'il
venait avec de bonnes nouvelles, je l'embrasserais ;
sinon que nous nous tournerions le dos. J'ai pu
dire des choses équivalentes , mais en termes plus
honnêtes ; et quant à ces dernières expressions, }e
suis trèfr-sûr de ne m'en ctre point servi. M.* -dé
MontmoUin peut reconnaître qa'il ne me fait pas
si aisément tourner le dos qull l'avait cru.
Quant au dévot pathos dont il use pour prouver
la nécessité de séVir , on sent pour quelle sorte de
gens il est fait , et ni vous ni moi n'avons rien à
leur dire. Laissant à part ce jargon d'inquisiteur ,
je vais examiner ses raisons vis-à-vis de moi , sans
entrer dans celles qu'il pouvait avoir avec d'autres.
Ennuyé du IMbte métier d'auteur, pour leqnel
j'étais si peu fait, j'anais deginis long-tefnps'Vésolu
d'y renoncer. Quand Y Emile parut, j'avais déclaré
à tous mes amis à Paris, à Genève, et ailleurs,
que c'était" mon dernier ouvrage, et qu'en l'ache-
vant je posais la plume pour ne la plus reprendre.
Beaucoup de lettres me restent où l'on cherchait
à me dissuader de ce dessein. En arrivant ici , j'a-
vais dit la même chose à tout le monde, à vous-
même ainsi qu'à M. de Montmollin. Il est le seul
qui se soit avisé de transformer ce propos en pro-
4o8 CORRESPONDANCE.
messe, et de prétendre que je m'étais engagé avec
lui de ne plus écrire , parce que je lui en avais
montré l'intention. Si je lui disais aujourd'htii qne
je compte aller demain à Neuchâtel , prendrait-il
acte de cette parole, et si j'y msâiqûais, m'en fe-
rait-il un procès? C'est la même chose aSdCflument,
etkje n'ai pas plus songé à faire une promesse &
M. de Montmollin qu'à vous , d'une résolution dont
j'informais simplement l'un et l'autre.
M. de Montmollin oserait-il dire qu'il ait entendu
la chose autrement? oserait-il affirmer, comme il
l'ose faire entendre , que c'est sur cet engagement
prétendu qu'il m'admit à la communion ? La preuve
du contraire est qu'à la publication de ma Lettre a
M. Varches^êque de Paris , M. de Montmollin , loin
de m'accuser de lui avoir manqué de parole, fiit
très-content de cet ouvrage , et qu'il en fit l'élc^e
à moi-même et à tout le monde, sans dire alors un
mot de cette fcibuleuse promesse qu'il m'accuse
aujourd'hui de lui avoir faite auparavant. Remar-
quez pourtant que cet écrit est BRn plus fort sur
les mystères et mén^ sur les miracles que celui
dont il fait maintenant tant de bruit; rémarquez
encore que j'y parle de même en mon nom ,*et non
plus au nom du vicaire. Peut-on chercher des su-
jets d'excommunication dans ce dernier , qui n'ont
pas même été des sujets de plainte dans l'autre ?
Quand j'aurais fait à M. de Montmollin cette pro-
messe, à laqnelle je ne songeai de ma vie , préten-
drait-il qu'elle fût si absolue quelle ne supportât pas
la ipoindre exception, pas même d'imprimer un
ANNÉE 176$. 4^9
mémoire pour ma défense , lorsque J'aurais un pro-
cès? Et quelle exception m'était mieux permise
que celle où , nie justifiant, je le justifiais lui-même ,
où je montrais qu'il était faux qu'il eût admis dans
son Église un aj^esseur de la religion ? Quelle pro-
messe pouvait m'acquitter de ce que je devais à
d'autres et à moi-même?. Comment pouvais-je siip-
primer un écrit défensif pour mon honneur , pour
celui de mes anciens compatriotes ; un écrit que
tant de grands motifs, rendaient nécessaire , et où
j'avais à remplir de si saints devoirs? A qui M. de
Montmollin fera- 1- il croire que je lui ai promis
d'endurer l'ignominie en silence AA'^Tésent mqme
que j'ai pris avec un corps respectable un engage-
ment formel, qui est-ce, dans ce corps , qui m'ac-
cuserait d'y manquer , si , forcé par les outrages
de M. de Montmollin , je prenais le parti de les
repousser aussi publiquement qu'il ose les faire?
Quelque promesse que fasse un honnête homme ,
on n'exigera jamais , on présumera bien moins en-
core , qu'elle ai^e jusqu'à se laisser déshonorer.
En publiant les Lettres écrites de la montagne^ je
fis mon devoir et je ne manquai point à M. de
MontipoUin.Il en jugea lui-même ainsi, puisque
après la publication de l'ouvrage ,'dont je lui avais
envoyé un exemplaire , il ne changea point avec 9ioi
de manière d'agir. Il le lut avec plaisir, m'en parla
avec éloge; pas un mot qui sentît l'objection. De-
puis lors il me vit long-temps encore , toujours de
la meilleure amitié ; jamais la moindre plainte sur
mon livre. On padait dans ce temps-là d'une édi-
4lO CORRESPONDANCE.
tien générale de mes écrits; non-seul^nent il ap-
pCQUvait cette entreprise, il désirait même s'y
intéresser : il me marqua ce désir, que je n'en-
courageai pas , sachant que la compagnie q«ii s'était
Jbrmée se trouvait déjà trop nombMuse, et en vou-
lait plus d'autre associé. Sur mon peu dVtepresse-
m^iit, qu'il remarqua trop, il néflédiit quelque
temps après que la bienséance de son état ne lui
peivnettait pas d'entrer dims cette entreprise. C'est
alors que la classe piit le parti de s'y opposer , et
•fit des ^représentations à la cour.
Pu reste, la bonne intelligence était si parfaite
eoGore entre nous, et mon dernier ouvrage y
mettait si peu d'obstacle , que , long-temps après
sa ^publication , M. de MontmoUin, causant avec
moi, me dit qu'il voulait demander à la cour, une
augmentation de prébçnde, et me proposa de
mettre quelques lignes dans la lettre qu'il écrirait
pour cet effet à Milord Maréchal. Cette ibrme de
recommandation me paraissant trop familière , je
lui demandai quinze jours poui^n écrire à Mi-
lord Maréchal auparavant. Il se tiit , et ne m'a plus
parlé de cette affaire. Dès-lors il commença dfe voir
d'un autre œil les Lettres de la montagne , ^uis ce-
pendant en improuver jamais un seul mot en ma
présence. Une fois seulement il me dit : Pour moi^
je crois aux miracles. J^'aurais pu lui répondre : J*j
crois tout autant que vous.
Puisque je suis sur mes torts avec M. de Mont-
moUin, je dois vous avouer, monsieur, que je m'en
reconnais d'autres encore. Pénétré pour lui de re-
ANNÉE 176.5. 4ïï
connaissance , j'ai cherché toutes les occasions de
la lui marquer ) tant en public qu'en particulier:
mais je n'ai point fait d^un sentiment si noble un
trafic d'intérêt ; l'exemple ne m'a point gagné, je ne
lui ai point fait de présents , je ne sais pas acheter
les choses saintes. M. de Montmollin voulait savoir
toutes mes affaires 9 connaître tous mes correspon-
dants ^ diriger, recevoir mon testament, gouverner
mon petit ménage : voilà ce que je n'ai point souf-
fert. M. de Montmollin aime à tenir table long^-^
temps : pour moi c'est uti vrai supplice. Rarement
il a mangé chez moi, jamais je n'ai mangé chez lui.
Enfin j'ai toujours repoussé avec tous les égards et
tout le respect possible l'iiitimité qu'il voulait éta-
blir entre nous. Elle n'est jamais un devoir dès
qu'elle ne convient pas à tous deux.
Voilà mes torts , je les confesse sans pouvoir m'en
repentir: ils sont grands si l'on veut, mais ils sont
les seuls, et j'atteste quiconque connaît un peu ces
contrées, si je ne m'y suis pas souvent rendu dé-
sagréable aux honnêtes gens par mon zèle à louer
dansM.deMontmollin ce que j'y trouvais delouabfe.
Le rôle qu'il avait joué précédemment le rendait
odieux^ et l'on n'aimait pas à me voir effacer par ma
propre histoire celle des maux dont il fat l'auteur.
Cependant, quelques mécontentements secrets
qu'il* eût contre moi , jamais il n'eut pris pour les
faire éclater un moment si mal choisi , si d'autres mo-
tifs ne l'eussent porté à ressaisir l'occasion fugitive
qu'il avait d'abord laissé échapper: il voyait trop
combien sa conduite allait être choquante et contra-
4l2 CORRESPONDANCE.
dictoire. Que de combats n'a-t-il pas dû sentir en
lui-même avant d'oser afficher une si claire préva-
rication! Car passons telle condamnation qu'on
voudra sur les Lettres de la montagne y en' diront-
elles , enfin , plus que V Emile , après lequel j'ai été,
non pas laissé , mais admis à la table sacrée ? plus
que la LetUv à M. de Beaumont , sur laquelle on
ne m'a dit un seul mot ? Qu'elles ne soient , si l'on
veut, qu'un tissu d'erreurs, que s'ensuivra -t- il?
qu'elles ne m'ont point justifié, et que l'auteur
^ Emile demeure inexcusable; mais jamais que celui
des Lettres écrites de la montagne doive en particu-
lier être condamné. Après avoir fait grâce à un
homme du crime dont on l'accuse, le punit -on
pour s'être mal défendu? Voilà pourtant ce que fait
ici M. de Montmollin ; et je le défie , lui et tous ses
confrères , de citer dans ce dernier ouvrage aucun
des sentiments qu'ils censurent, que je ne prouve
être plus fortement établi dans les précédents.
JVfais, excité sous main par d'autres gens, il saisit
le prétexte qu'on lui. présente, sûr qu'en criant à
tort et à travers à l'impie , on met toujours le peuple
en fureur ; il sonne après coup le tocsin de Mo tiers
sur un pauvre homme, pour s'être osé défendre
chez les Genevois; et, sentant bien que le succès
seul pouvait le sauver du blâme , il n'épargne rien
pour se l'assurer. Je vis à Motiers: je ne veux point
parler de ce qui s'y passe , vous le savez aussi bien
que moi ; personne à Neuphâtel ne l'ignore ; les
étrangers qui viennent le voient, gémissent, et moi
je me tais.
AJYNÉE 1765. 4*3
M. de Montmollin s'excuse sur les ordres de la
classe. Mais, supposons-les exécutés par des voies
légitimes; si ces ordres étaient justes, conunent
avait-il attendu si tard à le sentir? comment ne lés
prévenait-il point lui-même que cela regardait spé-
cialement Pconmient , après avoir lu et relu les Xe/-
tres de la montagne^ n'y avait-il jamais. trouvé un
mot à reprendre, ou pourquoi ne m'en avait-il rien
dit , à moi son paroissien , dans plusieurs visites qu'il
m'avait faites ? Qu'était devenu son zèle pastoral ?
Voudrait-il qu'on le prît pour un imbécile qui ne
sait voir dans un livide de son métier ce qui y est.
que quand on le lui montre ? Si ces ordres étaieïit '
in jus tes, pourquoi s'y soumettait-il ?.Un ministre de
l'Évangile , un pasteur, doit-il ()ersécuter par obéis-
sance un homme qu'il sait être innocent ? Ignorait-
il que paraître même en consistoire est une peine
ignominieuse, un affront cruel pour un homme de
mon âge , surtout dans un village où l'on ne con-
naît d'autres matières consistoriales que des admo-
nitions sur les mœurs? Il y a dix ans que je fus dis-
pensé à Genève de paraître en consistoire dans une
occasion beaucoup plus légitime ^ et , "ce que je me
reproche presque, contre le texte formel de la loi;
Mais il n'est pas étonnant que l'on connaisse à Ge-
nève des bienséances qjie Von ignore à Motiers.
Je ne sais pouB qui M. de Montmollin prend ses
lecteurs quand il leur ilit qu'il n'y avait point d'in-
quisition dans cette afiaire; i^'est comme s'il disait
qu'il n'y avait point de consistoire ; car c'est' la
même chose en cette occasion. Il fait entendre, il
4l4 CORRESPONDANCE.
assure même qu'elle ne devait point avoir de suite
temporelle : le contraire est connu de tous les.gens
au fait du projet; et qui ne sait qu'en surprenant
la religion du Conseil d'état, on l'avait déjà engagé
à faire des démarches qui tendaient à m'ôter la
protection du roi? Le pas nécessaire pour achever
était l'excommunication : après quoi de nouvelles
remontrances au Conseil d'état auraien t.fait le reste:
on s'y était engagé ; et voilà d'où vient la douleur
de n'avoir pu réussir. Car d'ailleurs qu'importe à
M. de Montmollin? Craint-il que je ne me présente
pour communier de sa main? Qu'il se rassure: je
nersuis pas aguerri aux communions, conune je vois
tant de gens l'être : j'admire ces estomacs dévots
toujours si prêts à digérer le pain sacré ; le mien
n'est pas si robuste.
Il dit qu'il n'avait qu'une question très-simple à
me faire de la part de la classe. Pourquoi donc , en
me citant, ne me fit-il pas signifier cette question?
Quelle est cette ruse d'user de surprise , et de forcer
les gens de répopdre à l'instant même, sans leur
donner un ïnoment pour réfléchir ? C'est qu'avec
cette question de la classe dont M. de Montmollin
parle , il m'^n réservait de son chef d'autres dont
il ne parle point, et sur lesquelles il ne voulait pas
que j'eusse le tenips dé me préparer^ On sait que
son projet était absolument de me prendre en faute ,
et de m'embarrasser par tant d'interrogaticHis cap-
tieuses qu'il en vînt à bout ; il savait combien j'étais
languissant<et faible. Je ne veux pas l'accuser d'a-
voir eu le dessein d'épuiser mes forces ;mais , quand
ANNÉE I76&. 4*5
je fus cité , l'étais malade , kors d'état de sortir , et
gardîoit la chambre depuis six mois : c'était l'hiver;
il faisait froid , et c'est , pour un pauvre infirme ,
un étrange spécifique qu'une séance de plusieurs
heures , debout , interrogé sans relâche , sur des
matières de théologie, devant des anciens dont les
plus instruits déclarent n'y riett entendre. N'im-
porte ; on ne s'informa pas même si je pouvais sortir
de mon lit, si j'avais la force d'ailer, s'il faudrait
me faire porter ; on ne s'embarrassait pas de cela :
la charité pastorale , occupée des choses de la foi ,
ne s'abaisse pas aux terrestres soins de cette vie.
Vous savez, monsieur, ce qui se passa dans le
consistoire en mon absence , comment s'y fit la lec-
ture de ma lettre , et les propos qu'on y tint pour
en empêcher l'effet; vos mémoires lànlessus vous
viennent de la bonne source. Concevez-vous qu'a-
près cela M. de MontmoUin change tout à coup
d'état et de titre, et .que s'étant fait commissaire
de la classe pour solUciter l'affaire , il redevienne
aussitôt pasteur pour la juger. J'agissais j dit- il ,
comme pasteur ^ comme chej da consistoire y et non
comme représentant delà vénérable déesse, C'étaitbien
tard changer de rôle, après en avoir fait jusqu'a-
lors un si différent. Craignons , monsieur , les gens?
qui font si volontiers deux personnages dans la
même aJEstire; il est- rare que ces deux en fassent
un bon.
Il appuie la nécessité de sévir sur le scatfdale
causé par mon livre. Voilà des scrupules-tout nou-
veaux , qu'il n'eut ftoint du temps dfe VÉmite. Le
4 1^6 CORRESPONDANCE.
scandale fut tout aussi^grand pour le moins , les
gens d'église et les gazetiers ne firent pas ttaoins
de bruit ; on brûlait , oa brayait , on m'insultait
par toute l'Europe. M. de Biontmollin trouve au-
jourd'hui des raisons de m'excommunier dans
celles qui ne l'empêchèrent pas alors de m'admettre.
Son zèle, suivant le précepte, prend toutes les
formes pour agir selon les temps et les Ueux.Abis
qui est-ce, je vous prie , qui excita .dans sa paroisse
le scandale dont il se plaint au sujet de mos dernier
livre ? Qui est-ce qui affectait d'en Mre un bruit
affreux, et par soi-même et par des^ens apostés?
Qui est-ce, parmi tout ce peuple si saintement for-
cené, qui aurait su que j'avais commis le crime
énorme de prouver que le conseil de Genève m'a-
vait condamné à tort, si l'on n'eût pris soin de le
leur dire, en leur peignant ce singulier crime avec
les couleurs que chacun sait? Qui d'entre eux est
même en état de lire mon livre et d'entendre ce
dont il s'agit? Exceptons, si l'on veut, l'ardent sa-
tellite de M. de MontmoUin, ce grand maréchal
qu'il cite si fièrement, ce grand clerc, le Boirude
de son église, qui se connaît si bien en fers de che-
vaux et en livres de théologie. Je veux le croire en
état de lire à jeun et sans épeler une ligne entière ;
quel autre des ameutés en peut faire autant ? En
entrevoyant sur mes pages les mots à^eucLftffUe et
de miracles jûs auraient cru lire un livre de dévo-
tion ; et me sachant bon-homme , ils auraient dit :
Que Dieu. le bénisse, il nous édifie. Mais on leur a
tant assuré que j'étais un homme abominable y im
impie, qui disait qu'il n'y avait point de Dieu, et
que lei femmes n'avaient point d'ame, que, sans
songer au langage si contraire qu'on leur tenait ci-
devant, ils ont à leur tour répété: Cest un impie,
un scélérat j c'est V Antéchrist; ilfautVeoccommunier,
le brûler. On leur a charitablement répondu: Sans
doute; mais criez , et laissez-nous faire, tout ira bien.
La marche ordinaire de niessieurs les gens d'é-
glise me parait admirable pour aller à leur but:
après avoir établi en principe leur compétence sur
tout scandale , ils excitent le scandale sur tel objet
qui leur plaît, et puis, en vertu de ce scandale qui
est leur ouvrage , ils s'emparent de l'affaire pour la
juger. Voilà de quoi se rendre maître de tous les
peuples, de toutes les lois, de tous les rois, et de
toute la terre , sans qu'on ait le moindre mot à leur
dire. Vous rappelez-vous le conte de ce chirurgien
dont la boutique donnait sur deux nies, et qui sor-
tant par une porte estropiait les passants, puis
rentrait subtilement , et pour les panser ressortait
par l'autre ? Voilà l'histoire de tous les clergés du
monde , excepté (pie le chirurgien guérissait du
moins ses blessés, et que ces messieurs , en traitant
les leurs , les achèvent^
N'entrons point, monsieur, dans les intrigues
secrètes qu'il ne faut pas mettre au grand jour. Mais
si M. de Montmollin n'eût voulu qu'exécuter l'ordre
de la classe, ou faire l'acquit de sa conscience,
pourquoi l'acharnement qu'il a mis à cette affaire?
pourquoi ce tumulte excité dans le pays? pourquoi
ces prédications violentes? pourquoi ces concilia-
R. XX. 11
4l.8 CORRESPONDANCE.
bules ? pourquoi tant de sots bruits répandus pour
tâcher de m'effrayer par les cris de la populs^?
Tout . cela n'est - il pas notoire au* public ? M. de
MontmoUin le nie ; et pourquoi non , puisqu'il a
bien nié d'avoir prétendu deux voix dans le con-
sistoire? Moi, j'en vois trois, si, je ne me trompe:
d'abord celle de son diacre, qui n'était là que comme
son représentant ; la sienne ensuite , qui formait
l'égalité ; et celle enfin qu'il voulait avoir pour dé-
partager les suffrages. Trois voix à lui seul , c'eût
été beaucoup , même pour absoudre ; il les voulait
pour condamner, et ne put les obtenir : où était le
mal ? M. de MontmoUin était trop heureux que son
consistoire, plus sage que lui, l'eût tir^ d'af&iire
avec la classe , avec ses coijifrères , avec ses corres-
pondants , avec lui-même. J'ai fait mon devoir, au-
rait-il dit; j'ai vivement poursuivi la chose ; mon
consistoire n'a pas jugé comme moi, il a absous
Rousseau contre mon avis. Ce n'est pas ma faute;
je me retire ; je n'en puis faire davantage sans blesser
les lois , sans désobéir au prince ^ sans troubler le
repos public; je suis trop bon dhrétien, trop bon
citoyen, trop bon pasteur pour rien tenter die sem-
blable. Après avoir échoué il pouvait encore, avec
un peu d'adresse, conserver sa digi^ité et recouvrer
sa réputation ; mais l'amour-propre irrité n'est pas si
sage ; on pardonne encore moins aux autres le mal
qu'on leur a voulu faire, que celui qu'on, leur a
fait en effet. Furieux de voir manquer à la,£gice .de
l'Europe ce grand crédit dont il aime à se vanter,
il ne peut quitter la partie^ il dit en classe <{u'il'
A]VNIiE 1765. 419
n'est pas sans espoir de la renouer; ille tente dans
un autre consistoire : mais, pour se montrer moins
à découvert, il rie la propose pas lui- même , il la
fait proposer par son maréchal, par cet instrumept
de ses menées, qu'il appelle à témoin qu'il n'en a
pas fait. Cela n'étaitril pas finement trouvé? Ce n'est
pas que M. de Montmollin ne spît fiyi ; mais un
homme que la colère aveugle ne fiait plus que des
sottises quand il se livre à sa passion.
Cette ressource lui manque encore. Vous croi-
riez qu'au moins alors ses efforts s'arrêtent là : point
du tout; dans l'assemblée stdvapte de la classe, il
propose un autre expédient , fondé sur l'impossi-
bilité d'éluder l'activité de TofiScier du prifice dans
sa paroisse; c'est d'attendre que j'aie passé dans
une autre , et là de recommencer les poursuites sur
nouveaux frais. En conséquence de ce bel expér
dient, les sermons emportés recommencent; on
met derechef le petiplè en rumeur, comptant, à
force de désagFément, n^e forcer enfin de quitter
la paroisse. En voilà frop, en yerité, pour un homme
aussi tolérantque M. de Montmollin prétend l'être ,
et qui n'î^it que par l'ordre de son' Corps.
Ma lettre s'-^longe beaucoup \ monsieur, niais il
le j&mt,' et pottrquoi la couperais^] e? serait-ce l'a-
bréger que d'fen tetiltiplierTés fofmules? Laissons
à M. de Moritoollin le plaisir dé dire dix fois de
suite : Dina:^akjk, >fra sœur^ Tiorntêt-vous ?
Je n'ai pôifttentainéla question de droit; je me
suis inteitlit cétt« matière. Je me suis lx)rné dans
la seconde partie de cette lettre à vous prouver cjue
4aO CORRESPONDANCE.
M. de MontmpUin , malgré le ton béat qu'il affecte,
n'a point été conduit dans cette affaire par le zèle
de la foi, ni par son devoir; mais qu'il a , selon Tu-
sage , fait servir Dieu d'instrument à ses passions.
Or jugez si pour de telles fins on emploie des moyens
qui soient honnêtes, et dispensez -moi d'entrer
dans des détails qui feraient gémir la vertu.
f)ans la première partie de ma lettre je rap-
porte des faits opposés à ceux qu'avance M. de
Montmollin. Il avait eu l'art de se ménager des in-
dices auxquels je n'ai pu répondre que par le ré-
cit fidèle de ce qui s'est passé. De ces assertions
contraires de sa part et de la mienne vous conclu-
rez que l'un des deux est un menteur; et j'avoue
que cette, conclusion me parait juste.
En voulant finir ma lettre et poser sa brochure ,
je la feuillette encore. Les observations se présen-
tent sans nombre, et il ne faut pas toujours re-
commencer. Cependant , comment passeï* ce que
j'ai dans cet instant sous les yeux? Que feront nos
ministres f se disait-on publiquement? défendront-
ils F Évangile attaqué siom^ertement par ses ennemis ?
C'est donc mpi qui suis l'ennemi de l'Évangile ,
parce que je m'indigne qu'on le défigure et qu'on
l'avilisse? Eh! que ses prétendus défenseur^ n'imi-
tent-ils l'usage que j'en voudrais faire! que n!en
preqnent-ilsjce qui les rendrait bons.e^ justes', que
n'en laissept-ils ce qui ne sert de rien à personne ,
et qu'ils n'entendjent pas plus que moil
Si wi citoyen de ce pajr^ aidait osé dira^oujés^rire
quelque chose d* approchant a ce qu'ai^ajice M. Rou^^
ann:ée 1765. 4^*
seau y ne sévirait-on pas contre lui ? Non assurément ;
j'ose le croire pour l'honneur de cet état. Peuples
dé Neuchâtel , quelles seraient donc vos franchises
si , pour quelque point qui fournirait matière de
chicane aux ministres, ils pouvaient poursuivre
au milieu de vous l'auteur d'un factum imprimé à
l'autre bout de l'Europe, pour sa défense en pays
étranger? M. deMontmollin m'a choisi pour vôusim-
poseren moi cenouveaujoug: mais serais-je digiie
d'avoir été reçu parmi vous , si j'y laissais ^par moYi
exemple , une servitude que je n'y ai point trouvée ?
M. Rousseau , nou^^eau citoyen , a-t-il donc plus
(le prii^iUges que tous les anciens citoyens ? Je ne
réclame pas même ici' les leurs; je ne réclame que
ceux que j'avais étant homme, et comme simple
étranger. Le correspondant que M. de Montmollin
fait parler, ce merveilleux correspondant qu'il ne
nomme point , et qui lui donne tant de louanges , est
un singulier raisonneur, ce me semble. Je veux
avoir, selon lui, plus de privilèges que tous les ci-
toyens , parce que je résiste à des vexations que n'en-
dura jamais aucun citoyen. Pour m'ôter le droit dç
défendre ma boui^se contre im voleur qui voudrait
me la prendre , il n'aïu'ait donc qu'à me dire :
Fous êtes plaisant de ne vouloir pas que je vous
vole? Je volerais bien i(n homme du pays s*il passait
au lieu de vous.
Remarquez qu'ici M. le professeur de Montmol-
lin est le seul souverain , le despote qui me con-
damne , et que la loi , le cpnsistoire , le magistrat ,
le gouvernement, le gouverneur, le roi même,
4rià Correspond AN GK.
qui me protègent, sont autant de rebtJles à Tauto-
rité suprême de M. le professeur de Montmollin.
Xi'anonyme de^nande si je ne me suis pas soumis
comme citcffen aux lois de Vétat et ausc usages y et de
l'affirmative , qu'assurément on ne lui contestera
pas, il conclut que je tue suis soumis à une loi qui
n'existe point, et à un usage qui n'eut jamais lieu.
M. de Montmollin dit à cela que cette loi existe
à Qenève , ejk que je me suis plaint moi-méine qu'on
l'a violée à mon préjudice. Ainsi donc la loi qui
existe à Grenève , et qui n'existe pas à Motiers , on
la viole à Genève pour me décréter, et on la suit
à Motiers pour m'excommunier; Convenez que me
voilà dans une agréable position ! C'était sans doute
dans un de ses inoments de gaieté que M. de Mont-
mollin fit ce rais0nnement-là;
Il plaisante à peu près sur le inéme ton dans
Une note sur l'offre * que je voulus bien faire à
la classe ^ à condition qu'on me laissât en repos ; il
dit que c'est se moquer , et qu'on ne fait pas ainisi
la loi à ses supérieurs.
Premièrement, il se tnoqué lui-même quand ii
prétend qu'offrir une satisfaction très-obséquieuse
et très-raisonnable à gens qui se plaignent^ quoi^
que à tort, c'est leur faire la loi.
Mais la plaisanterie est d'avoir appelé messieurs
de la claisse mes supérieurs, comme si j'étais
* Offre dont le âecret fut si bien gardé, que iiertoiinë n*eii sut
rien que quand je le publiai , et qui fut si malhonnêtement reçue ,
qu'on ne daigna pas y faire la moindre réponse : il fallut même que
je fisse redemander à M. de Montmollin ma déclaration, qu'il 8*ëtut
doticement appropriée;
komme d'église. Car qui ne sait que Ja classe,
ayant juridiction sur le clergé seulement, et n'ayant
au surplus rien à commander à^ui que ce soit,
ses membres ne sont comme tels les supérieurs
de personne '^ ? Or de me traiter en honmie d'é-^
glise est une plaisanterie fort déplacée à mon avis.
M. de MontmoUin sait très-bien que je ne suis
point homme d'église, et que j'ai même, grâces au
ciel , trèsrpeu de vocation pour le devenir.
Encore quelques mots sur la lettre que j'écrivis
^u consistoire , et j'ai fini. M. de MontmoUin pro-»
met peu de commentaires sur cette lettre. Je crois
qu'il fait très-bien, et qu'il eût mieux fait encore
de n'en point donner du tout. Permettez que je
passe -en revue ceux qui me regardent : l'ex^en
ne sera pas long.
Comment répondre y dit-il , à des questions qu^on
ignore? Comme j'ai fait, en prouvant d'avance
qu'on n'a point le droit de questionner.
Une foi dont on ne doit compte qu'à Dieu ne se
publie pas dans toute F Europe.
Et pourquoi une foi dont on ne doit compte qu'à
Dieu ne se publierait-elle pas dans toute l'Europe?
Remarquez l'étrange prétention d'empêcher u»
homme de dire son sentiment, quand on lui en
prête d'autres, de lui fermer la bouche et de le £siire
parler.
" Il faudrait croire que la tète tourne à M. de MontmoUin^ A
Ton lui supposait as^ez d'arrogance pour vouloir sérieusement don-
ner à messieurs de la classe quelque supériorité sur les autres sujets
du roi. Il n'y a pas cent ans que ces supérieurs prétendus ne signaient
qu'après tour lés autres corps.
4^4 CORHESPONDANCE.
Celui qui erre en chrétien redresse uoloniiers ses
erreurs. Plaisant sophisme!
Celui qui erre en chrétien ne sait pas qu'il erre.
S'il redressait ses erreurs sans les connaître, il
n'errerait pas moins, et de plus il mentirait. Ge
ne serait plus errer en chrétien.
Est-ce s'appuyer sur Vaatorité de V Évangile qm
de rendre douteux les miracles? Oui, quand c'est
par Tautiorité même de l'Évangile qu'on rend dou-
teux les miracles.
Et d^y jeter du ridicule? Pourquoi non, quand,
s'appuyant sur rÉvangile,on prouve que^e^Tidi-
cule n'est que dans les interprétations deâ théolo-
giens?
Je suis sur que M. de MontmoUin se félicitait
ici beaucoup de.son laconisme. Il est toujours aisé
de répondre à de bons raisonnements par des sen-
tences ii^ptes.
Quant a la note de Théodore de Bèze , il n'a pas
voulu dire autre cliose , sinon que lajbi du chrétien
n'est pas appuyée uniquement sur les miracles.
Prenez garde , monsieur le professeur ; ou vous
n'entendez pas le latin , ou vous êtes un homme
de mauvaise foi.
Ce passage, non satis tuiajîdes eorum qui iniraculis
nituntur^ ne signifie point du tout, comme vous le
prétendez , que lajbi du chrétien n'est pas appuyée
uniquement sur les miracles.
Au contraire , il signifie très-exactement que la
foi de quiconque s'appuie sur les miracles est peu sa-
lida. Ce sens se rapporte fort bien au passage de
ANNÉE 1765. = 4^5
saint Jean (ju'il commente , et qui dit de Jésus que
plusieurs crurent en lui, voyant ses miracles, mais
qu'il ne leur confiait point pour cela sa personne ,
parée qu*il les connaissait Bien, Pensez- vous qu'il
aurait aujourd'hui plus de confiance en ceux qui
font tant de bruit de la même foi ?
Ne croirait^ on pas entendre M. Rousseau dire^
dans sa Lettre à l'archevêqUe de Paris, qu'on de^
\frait lui dresser des statues pour son Emile ? Notez
que cela se dit au moment où , pressé par la com-
paraison à^ Emile et des Lettres de la montagne y
M. de^Montmollin ne sait comment s'échapper ; il
se tire d'affaire par une gambade.
S'il fallait suivre pied à pied ses écarts , s'il fallait
examiner le poids de ses affirmations, et analy-
ser les singuliers raisonnements dont il nous paie,
on ne finirait pas , et il faut finir. Au bout de tout
cela , fier de s'être nommé , il s'en vante. Jfe ne vois
pas trop là de quoi se vanter. Quand une fois on
a pris son parti sur certaine ch9se , on a peu de
niérite à se nommer.
Pour vous, moYisieur, qui gardiez par ména-
gement pour lui l'anonyme qu'il vous reproche ,
liommez-vous , puisqu'il te veut ; acceptez des hon-
nêtes gens l'éloge qui vous est du ; montrez - leur
le digne avocat de la cause juste , l'historien dé la
vérité, l'apologiste des droits de l'opprimé, de
ceux du prince , de l'état et des peuples , tous at-
taqués par lui dans ma personne. Mes défenseurs ,
mes protecteurs , sont connus ; qu'il montre à son
tour son anonyme et ses partisans dans cette af-
4^6 GOHR£SPONDANCJg:«
£EÛre : il en a déjà nommé deux ; qu'il achève. Il
m'a fait bien du mal : il Touliât m'en faire bien da-
vantage ; que tout le monde connaisse ses amis et
les miens; je ne veux point d'autre vengeance.
Recevez, monsieur ^ mes tendres salutations*
•
' LETTRE DCXV.
A MADAMÇ LATOÙR.
AMotîers, le ii août 17 65.
Chère Marianne , vous êtes affligée , et je suis
désarmé; je m'attendris en me représentant vos
beaux yeux en larmes. Vos larmes sécheront , mais
mes malheurs ^e finirofit qu'avec ma vie. Que cela
vous engage désormais à les respecter, et à ne
plus compter avec mes défauts, car vousïKauriez
trop à faire , et à mon âge on ne se corrige plus de
rien : les violents reproches m'indignent et ne me
subjuguent pas. J'avais rompu trop légèrement
avec vous , j 'avais tort ; mais en me peigii^ t co|pme
un monstre , vous ne m'auriez pas ramené ; je vou8
aurais laissée dire et je me serais tu^ car je savais
bien que je n'étais pas un monstre. Quand nos amis
nous manquent, il faut les gronder, m^ il ne
faut jamais leur mettre le marché à la main sur
l'estime qu'on leur doit, et qu'ils savent bien qu'on
ne peut leur ôter, quoi qu'il arrive. Pardon , chère
Marianne, j'avais le cœur encore ui^peu gros de
vos reproches, il fallait le dégonfler. A présent.
ANNEE I76S. 4^*?
iàcholis d'oublier nos en^ntillages; laissez-moi me
dire mon fait^sur le&^miens , je m^en acquitterai
mieux que vous. Après cela, pardonnez-moi ,. n'en
parlons plus , et aimons^nous bien tous trois. Ce
dernier mot servira de réponse à votre amie; j'es-
père qu'elle ne la trouvera pas trop courte; je ne
voudrais pas avoir dit ce mot -là même, si je la
soupçonnais de croire qu'on peut dire plus.
Je dois des ménagetnents à votre tristesse , et ne
veux point vous parler de mon état présent; mais,
si de long-temps je ne peux pas vous écrire , n'in-
terprétez pas Ce silence en mauvaise part. .
LETTRE DC\VI.
A M. D'IVèRNOaS,
Motiers, le l5 août 1765.
J'ai reçu toiis vos envois, monsieur, et je vous
iremercie des commissions ; elles sont fort bien , et
je vpus pri^ aussi d'en faire mes remerciements à
M. Deluc. A l'égard des ab^^icots , par respect poui*
madame d'Ivernois, je veux bien ne pas les ren-
voyer; mais j'ai là-dessus deux choses à vous dire^
et je vous les dis pour lu. dernière fois : l'une , qu'à
faire aux gens des cadeaux malgré eux, et à les
servir à notre mode et non pas à la leur, je vois
plus de vanité que d'amitié ; l'autre , que je suis
très - déterminé à secouer toute espèce de joug
qu on peut vouloir m'imposer malgijé moi , quel
4^8 CORRESPOND A l<r CE.
qu'il puisse être; que quand cela ne peut se faire
qu'en rompant, je romps, et que quand une fois
j'ai- rompu , je ne renoue jamais ; c'est pour la vie.
Votre amitié, monsieur , m'est trop précieuse pour
que je vous pardonnasse jamais de m'y avoir Eût
renoncer.
Les cadeaux sont un petit commerce d'amitié
fort agréable quand ils sont réciproques : mais ce
commerce demande de part et d'autre de la peine
et des soins*; et la peine et les soins sont le fléau
de ma vie ; j'aime mieux un quart d'heiire d'oisi-
veté que toutes les confitures de la terre. Voulez-
vous me faire des présents qui soient poui: mon
cœur d'un prix inestimable, procurez -moi des
loisirs, sauvez-moi des visites , fournissez-moi des
moyens de n'écrire à personne ; alors je vous de-
vrai le bonheur de ma vie , et je reconnaîtrai les
soins du véritable ami ; autrement non.
M. Marcuard est venu lui cinq ou sixième : je-
bds malade , je n'ai pu le voir ni lui ni sa compa-
gnie. Je suis bien aise de savoir que les visites que
vous me forcez de faire m'en attirent. Maintenant
que je suis averti , si j'y suis repris ce sera ma
faute.
Votre M. de Fournière, qui part de Bordeaux
pour me venir voir, ne s'embarrasse pas si cela
me convient ou non. Comme il fait tous ses petits
arrangements sans moi, il ne trouvera pas mau-
vais, je pense, que je prenne les miens sans lui.
Quant à M. Liotard, son voyage ayant un but
déterminé qui se rapporte plus à moi qu'à lui , il
ANNÉE J765. 4^9 •
mérite une exception, et il. l'aura. Les grands ta-,
lents exigent des égai^ds. Je ne réponds pas qu'il
me trouve en état de me laisser peindre , mais je
réponds qu'il aura lieu d'être content de la ré-
ception que je lui ferai. Au reste , avertissez-le que
pour être sûr de me trouver, et de me trouver
libre , il ne doit pas venir avant le 4 ou le 5 de
septembre.
Je suis étonné du front qu'a, eu le sieur Durey
de se présenter chez vous, sachant que vous m'ho-
norez de votre amitié. Je ne sais s'il a fait ce qu'il
vous a dit: mais je suis Ijii^n sûr qu'il ne vous a
pas dit tout ce qu'il a fait, C'est le dernier des mi-
sérables.
J'ai vu depuis quelque temps beaucoup d'An-,
glais ; mais M. Wilkes n'a pas paru, que je sache.
Je vous embrasse de tout mon c^eur.
LETTRE DCXVII.
A M. MOULTOU.
Motîers, le i5 août iy66r, '
J'ai tort , cher Moultou^^ dé .ne Vous avoir pas
accusé sur-lerchaxi^p la réception <Je l'aident et de
l'étoffe. Je n'ai que mon état pour excuse^ mais
cette excuse n'est que trop bonne malheureuse-
ment. Cet état e§t toujours le même , et ma seule
consolation est qu'il ne peut plus guère changer
en pis. Il n'y a plus aucune apparence au voyage
43o CORRESPOND ABTCE.
d'Ecosse. C'était là que j'aurais voulu vivre; mais
tout pays est bon pour mourir, excepté toutefois
celui-ci, quand on laisse quelque chose après soi.
Je crois que vous avez bien fait de vous détacher
de Yemes. Les gens faux sont plus dangereux,
amis qu'ennemis : d'ailleurs c'est une petite perte;
je lui ai toujours trouvé peu d'esprit avec beau-
coup de prétention : mais je l'aimais , le croyant
bon honmie. Jugez comment j'en dois penser au-
jourdTiui que je sais qu'il n'est qu'un mécl&nt
sot. Cher ami , ne me parlez plus de lui , je vous
prie ; ne joignons pas aux sentiments douloureux
des idées déplaisantes : la paix de Taitie est le seul
bien qui reste à ma portée , et le plus précieux
dont je puisse jouir ; je m'y tiens. J'espère qu'à ma
dernière heure le scrutateur des cœurs ne trou-
vera dans le mien que la justice et l'amitié.
Puisque vous n'avez pas voulu déduire ni me
marquer le prix de la laine, comme je vous eq
avais prié , j'exige au moins que vous ne vous mê-
liez plus des autres commissions de mademoiselle
Le Vasseur, qui me chaîne de vous présenter ses
remerciements et ses respects. Pour moi , dans l'é-
tat où je suis, à moins qu'il ne change, il ne me
^ùt phis d'autres prrovisions que celles qu'ôti. pciit
emporter avec soi! ÏKvnjour, fpiôli airii ; je vohs
pmbratsse;
• ft«
ANNÉE 1765. 4^1
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LETTRE DGXVIli: .
A M. D'ÏVERNOIS.
Motiers, le ^S août 1765.
Engagez, monsieur, je. vous en prie, M. Liotard
non - seulement à venir seul , à moins qu'il ne lui
soit extrêmement agréable de v^nir avec M. Wilkes ,
mais à différer son départ jusqu'au mois d'octobre :
car, en vérité, l'on ne me laisse plus respirer. Il
m'est absolument nécessaire de reprendre ha-
leine ; et lorsqu'une compagnie que j'attends à la
fin du mois sera repartie, je- serai forcé de partir
moi-même pour quelque temps , pour éviter quel-
ques-unes des bandes qui-me tombent, non plusi
par deux ou trois, comme autrefois, mais .par
sept ou huit à la fois, .
Vous ave^ eu bien tprt d'iiQagil^r que je vou-
lusse cesser de vous .écrira, ptristqtte l'exceptioii
est faite pour vous depuis long-temps^ Il est vrai
que je vo.udrajis que cdane devint une tâche oné-
reuse ni po^r voua ^i pour. moL Ecnyons à |iok*e
aise et quand noua ^^ aiu^cms Ja.çpininodité. Me^ift,
si vous Toulei^ 'm'afiservît^.réguifèreiiient à voi^i
écrir^.tl)ùs les huil eii .<|uiQacf* jmfrs^.je vous ,df^
clare une fois pour toutes que oal^fc ne iQ'^st pi^
possible; et, quand vous vous plaindrez de m'a-«
voir écrit tant de lettres sans réponse, vous vou-
43a CORRESPONDANCE.
drez bien vous tenir pour dît une fois pour toutes:
Pourquoi m'en écrivez^-vous tant?
Tout en vous querellant j'abuse de votre com-
plaisance. Voici une réponse pour Venise : vous
m'avez dit que vous pourriez la faire tenir ; ainsi
je vous l'envoie, sans savoir l'adresse. Ceux qui
ont remis la lettre à laquelle celle-ci répond y sup-
pléeront. Je vous embrasse de tout mon^cœur.
•
LETTRE DCXIX.
A M. DU PEYROU.
Motiers, le a^ août 1765.
J'espère que vous serez arrivé à Neuchâtel heu-
reusement. Donnez-moi de vos nouvelles , mais ne
vous servez plus de la poste. J'ai résolu de ne plus
écrire ni de recevoir aucune lettre par cette voie;
et je suis même forcé de prendre ce parti , puisque
personne , de ma part , ne peut approcher du bu-
reau sans y être insulté. Il faut , au lieu db cela ,
se servir de la messagerie , qui part d'ici tous les
mardis au soir, et de Neuchâtel tous les jeudis au
soir. Si vos gens sont embarrassés de trouver cette
fçmme, ils pourront déposer leurs lettres à la
Couronne y et mesdemoiselles Petitpierre voudront
bien se charger de l'en charger. Je vous eÀbràs?xï
de tout mon cœnr.
ANNÉE 1765. 433
K .
LETTRE DCXX. '
A M. D'IVERNOIS.
Neuchâtel,ce lundi 10 septembre 1765.
Les bruits publics vous apprendront , monsieur ,
ce qui s'est passé, et comment le pasteur de Mo-
tiers s'est fait ouvertement capitaine de coupe-jar-
rets. Votre amitié pour moi m'engage à me presser
de vous tranquilliser sur mon compte. Grâces au
ciel je suis en sûreté , et hors de Motiers , où je
compte ne retourner de ma vie : mais malheureu-
sement ma gouvernante et mon bagage y sont en-
core ; mais j-'espère que le gouvernement donnera
des ordres qui contiendront ces enragés et leur
digne chef. En attendant que vous soyez mieux
instruit de tout, je vous conseille de ne pas vous
fier à ce que vous écriront Vos parents, et je suis
forcé de vous déclarer qu'ils ont pris, dans cette
occasion, un parti qui les déshonore. Aimez -moi
toujours; je vous aime de tout mon cœur, et je,
vous embrasse.
Adressez tout simplement vos lettres à. M.. du
Peyrou à Neuchâtel ; et , pour éviter les enve-
loppes , mettez simplement une croix au-dessus de
l'adresse ; il saura ce que cela veut dire.
R. XX. a8
434 CO ARESPON DAN CE.
LETTRE DCXXI.
A J«. DU PEfilOU.
Ce dimanche k midi 1 5 septembre.
M. It major Chambrier vient , mon chfer hâ^ , de
m'envoyer, par un bateaïl exprès, les deû;^ tettrfô
que M. Jeannin^vait eu la bonté de me fyive pas-
ser, et qui auraient été assez tôt dans tm hI^Ià d'ici.
Si vous n'ayez pas la bonté de faire entendre &
M. le major qu'à moins de cas très -pressants il ne
feut pas envoyer des bateaux exprès, je ferai des
frais effix)yables en lettres inutiles, et d'autan!
plus onéreux, que je ne pourrai pas refuser mes
lettres , comme je le faîsslk par la poste. J'espérais
avoir , dans cette île , l'avantage que les lettres me
parviendraient difficilement, et au contraire j'en
suis accablé de toutes parts , avec cette difïérence
qu'il fout payer les bateliers qui les porteiit dix
fois plu^ que par la poste. Faites -moi Tsunitié, je
vous supplie , ou de reftiser net toutes celles qui
vous viendront, ou de les garder toute!» jusqu'à
quelque occasion moins coûteuse. Si je ne prends
pks quelque résolution désespérée , je serai, entiè-
rement écrasé ici paï^les lettres Bt par les visites.
Je ne sais ce que Vous ïèrez d^ la Fision; eDe
ne saurait paraître avec les trois fautes efSfroyables
que j'y tirouve. L'une, page 3, ligne 3, en remon-
tant , dessous , lisez , des sons ; la seconde , page o,
ANNÉE 1765. 435
ligne 4 y ^ remontant , amuseront , Ksez , ameute-
ront; et la troisième , page 1 5 , 4igne 1 1 , crisj lisei ,
coup.
J'aurais mille choii^s à vous dire ; le bateau est
arrivé au moment qu'on allait se metta^ à table ,
et je fais attendre tout le monde pour le dîner, ce
qui me désole.
Ijbrsque mademoiselle Le Vasseur ser^- venue
avec tout mon bagage , illFaut qu'elle attende à Neu-
chàteltte mes nouvelles, et je népuis m'arrangar
définitivement qu'après la réponse de Berne, ^^
j'aurai msurdi au soir tout au plus tôt. Mille choses
à tous ceux qui m'aiment, mais point de lettres sur
toutes choses, si ce n'est pour matières intéres-
santes. Je vous embrasse.
LETTRE DCXXIL
AU MÊME.
A riie de Sault-PierFQy le z8 septembre xjSS.
Enfin, mon cher hôte, me voici sur à peu près
de rester ici, mats avec de si grandes incommodités,
qu'il faut en vérité toute ma répugnance à m'ë^i-
gner de voils pour me les (aire endurer. H s'agit
maintenant cl'avoir ici mademoiselle lie Vasseur
avec mon bagage. Le receveur compte envoyer
lundi , ou le premier beau jour de la semaine pro-
chaine , un bateau chaîné de fruits à Neuchâtcll ;
et, pour l'amour de moi, il s'est offert d'y»aBer lui-
même: en conséquence, j'écris àmademmelle Le
a8.
436 CORRESPOllïDAlfCE.
Vasseur de se tenir prête pour profiter d'une si
tiSitine occasion, du moins pour le bagage; car,
quant à elle, j'aimerais autant qu'elle cherchât
quelque autre voiture , pour peu qu'il ne fit pas
très - beau , ou qu'elle eût quelque répugnance à
venir sur un bateau chargé. Ayez la ménie bonté
qui vous est ordinaire , de donner à tout cela le
coup d'œil de l'amitié. . .
Je suis si occupé de Aion petit établissement,
que je ne puis songer à autre chose , ni écrira à per-
sonne. Je dois cependant des multitudes de lettres,
surtout à MM. Meuron , Chaillet , Sturler,. Martinet.
Gomment donc faire? écrire du matin au soir .^ c'est
ce que je ne puis faire nulle part , surtout dans cette
île : ils pardonneront. Je vous enverrai la semaine
prochaine la lettre pour MM. de Couvet.
Ne comptiez -vous pas paraître cette semaine?
Donnez-moi des nouvelles de cela. M. de Vautra-
vers m'a amené hier des ministres dont je me serais
bien passé.
Je m'arrange sur ce que vous m'avez marqué de
la messagerie. Je puis envoyer à la Neuville tous
les samedis et même tous les mercredis , s'il était
nécessaire. On ira retirer mes lettres à la poste, et
Vqïï y portera les miennes ; cela sera plus simple et
évitera les cascades. Si vos tracas vous permettent
de me donner un peu au long de vos nouvelles,
tant mieux ; sinon, un bonjour , je me porte bien,
me suffit Mille choses auuc^nmiandant de la place
sous les ordras duquel j'ai fait service une nuit. Je
vous embrasse. . . .
ANNÉE 1765. 4^7
I
LETTRE DCXXIII.
AU MÊME.
Le S 9 septembre.
En vous envoyant , mon cher hôte , un petit bon-
jour avec les lettres ci-jointes, je n'ai cpie le temps
de vous marquer que mademoiselle Le Vasseur,
vos envois , et mon bagage , me soixt heureusement
arrivés. Jusqu'ici, aux arrivants près, qui ne ces-
sent pas , tout va bien de ce côté. Puîsse-t-il en être
de même du vôtre! Je vous embrasse de tout mon
cœur.
LETTRE DCXXIV.
AU MÊME.
Ce dimanche 6 octobre, à midi.
J'envoie , mon cher hôte , à madame la comman-
dante dix mesures de ponunes reinettes , que je la
supplie d'agréer, non comme un présent que je
prends la^ liberté de lui faire, mais en échange du
café qiie vous m'avez destiné.
Depuis ma lettre écrite et partie ce matin , j'ai
reçu votre paquet du 3. Je vois aved douleur le
procès qu'on vous prépare. Vous avez à faire au
plus déterminé des scélérats, et vous êtes un homme
438 CORRBSPOfrDA.NC£.
de bien : jugez des avantages qu'il aura sur vous.
Mensonges , cabales , fourberies , noirceurs ; faux
serments, faux témoins, subornatioi^ de juges;
quelles armes terribles dont vous êtes privé , et qu'il
emploiera contre vous ! J'avoue que si sa famille le
soutient, il faut qu'elle soit composée de membres
qui se donnent tout ouvertement pour gens de sac
et de corde; mais il faut s'attendre à tout de la part
des hommes, et je sois fâché de vous dire que vous
vivez dans un pays plein de gens d'esprit , mais qui
n'imaginent pas même qu'il existe quelque chose
qpx se puisse appeler justice et vertu. J'ai l'ame
navrée , et tout ceci met le comble à mes malheurs.
Vous pouvez, si vous voulez, m'envoyelr la petite
caisse par le retour du bateau qui vous portera les
pommes et qui la conduira à Cerlier, où je la ferai
prendre. Mon généreux ami, je vous embrasse le
cœur ému et les yeux en larmes.
LETTRE DCXXV.
AU MÊME.
Le 7 (M^lobre.
Voici, mon cher hôte, un troisième paquet.. de*
puis l'arrivée de mademoiselle Le Vasseur. Gomme
je vous sais fort occupé, qu'il a £Bdt fort nsiauvais,
et que votre ouvrage n'a peut-être poiat encore
paru, je ne suis point en peine de votre silence,
et J'espère que vous vous portez bien. Pour moi,
ANHÉE 1765. 439
je n'en puis pas dire autant, et c'est dommage. Il
ne me manque que de la santé pour être parfaite-*'
ment content dans cette île, dont je ne compte plus
sortir de Tannée. Je vous embrasse de tout mon
cœur.
Mille remerciements et très -humbles respects
de mademoiselle Le Vasseur.
LETTRE DCXXVI.
AU MÊME.
Ce vendredi i r octobre.
Je suppose , mon cher hôte , que vous aurez reçu
un mot de lettre où je vous accusais la réception
du dernier, p^tquet, contenant,^ entre autres, un
exemplaire de. votre réponse au sicaire de Motiers.
Deux heures après je reçus votre billet du samedi;
je n'ai mdntré la réponse à personne, et ne la mon-
trerai point. Je suis curieux d'apprendre ce que sa
famille aura obtenu de vous. A l'éloge que vous fai-
siez de ces gens-là, je croyais qu'ils allaient étouffer
ce monstre entre deux niatelas. Tant qu'il ne s'est
montré que demi - coquin , ils ont paru le désap-
prouver ; mais , depuis qu'il s'est fait ouvertement
chef de brigands , les voilà tous ses satellites. Que
Dieu vous délivre' d'eux et moi aussi ! Tirez -vous
de leurs mains comme vous pourrez, et tenons-^
nous désormais bien loin de pareille*^ gens.
44^ C.ORRESPONl>A.jrCE.
»^«^^^/^<'»m^^«^<»<%%<%^%^.%%»*«i«»
LETTRE DCXXVII.
AU MÊME.
Mardi soir, i5 octG^ire.
•
Voici , mon cher hôte , deux lettres auxquelles
je vous prie de vouloir bien donner cours. J*ai reçu,
avec la vôtre du 9, la petite caisse et le café, sur
lequel vous m'avez bien triché , puisque la quan-
tité en est bien plus forte que celle en échange è
laquelle j'envoyais les pommes.
J'apprends avec bien de la peine et tous vos tracas
et les maladies successives de tous vos gens , sur-
tout de M. Jeannin , qui vous est toujours fort utile
et qui mérité qu'on s'intéresse pour lui. Je vous
avoue , au reste , que je ne suis ps^f fâché que la
négociation en question se soit rompue , surtout
par la faute de ce sacripant; car j'étais presque sûr
d'avance de ce qu'il aurait édrit et dit à tout le
monde au sujet du juste désaveu que vous exigiez,
et qu'il n'aurait pas manqué de donner pour un
acte de sa complaisance envers sa famille , que vous
aviez intéressée pour vous tirer d'embarras. Je se-
rais assez curieux de savoir ce qui s'est fait dans le
conseil de samedi , fort inutilement au reste , puis-
que ces messieurs n'ont aucune force pour faire
valoir leur autorité, et que tout aboutit à des arrêts
presque clandestins , qu'on ignore ou dont on se
moque. i-'ifjy
>
ANNÉE 1765. 44^
J'ai vu ici M. l'intendant de Thôpital, à qui
M. Sturler avait eu la bonté d'écrire , et qui lui a
manifesté de meilleures intentions que celles que
je lui crois en effet. J'ai poussé jusqu'à la bassesse
des avances pour captiver sa bienveillance qui me
paraissent avoir fort mal réussi. Ce qui me console
est que mon séjour ici ne dépend pas de lui , et
qu'il n'osera peut-être pas témoigner la mauvaise
volonté qu'il peut avoir, voj^nt qu'en général, on
ne voit pas à Berne de mauvais œil mon séjour id,
et que M. le bailli de Nidau paraît aussi m'y voir
avec plaisir. Je ne sais s'il convient de faire cette
confidence à M. Chaillet , dont le zèle est quelque-
fois trop impétueux. Mais, si vous aviez occasion
d'en toucher quelque chose à M. Sturler , j'avoue
que je n'en serais pas fâché , quand ce ne serait
que pour savoir au juste les vrais sentiments de
leurs excellences à ce sujet; car enfin il serait dé-
sagréable d'avoir fait beaucoup de ' dépense pour
m'accommoder ici, et d'être obligé d'en partir au
printemps.
Je voudrais de tùvLt mon cœur complaire à M. d'Es-
cherny; mais convenez qu'il n'aurait guère pu
prendre plus mal son temps pour mettre en avant
cette affaire. D'ailleurs ce n'est point ici le moment
d'en parler , pour des raisons qui ne regardent ni
Milord, ni M. d'Escherhy , ni moi, et dont je vous
ferai confidence , quand nous nous verrons ", sous
le' sceau du secret. Ainsi je suis prêt à renvoyer à
M. d'Escherny ses papiers, s'il est pressé : s'il ne
l'est pas , ld(Sp|àips peut venir d'en faire usage , et
44'-^ CORRESPOND A.1VGE.
alors il doit éti'e sûr de ma bonne volonté; mais je
ne puis rien promettre au-delà.
En parcourant votre ouvrage, j'avais trouvé quel-
ques corrections à faire ; mais le relisant à la hâte,
je n'en ai su retrouver que trois marquées dans le
papier çi-joint.
Voici quelques notes de conmiissious . qui ne
pressent point , et dont vous ferez celles que vous
pourrez , lorsque vous viendrez ici , puisque vous
me flattez de venir bientôt.
i^ Les deux rasoirs que vous m'avez donnés sont
déjà gâtés, Boit par la maladresse de mes essais,
soit à cause de l'extrême rudbsssè dé ma barbe; il
m'en faudrait au moins encOï'e quatre , afin que je
n'eusse pas sans cessé recours à des expédients très-
incommodes dans ma position , pour les faire re-
passer. Mais peut-être les faudrait-il un peu moins
fÎBs poiu* une si forte barbe.
a® J^aurais besoin d'un cahier de papier doré
pour mes herbiers ; je préférerais du papier doré
en plein à celui qui a des ramages.
J'ai peine à me désaccoutumer tout d'un coup
délire la gazette , et à ne plus rien savoir des affaires
del'Europe. Comme vous prenez et gardez, je crois,
quelque gazette , si M. Jeannin voulait bien me les
envoyer suite après suite dans les occasions, je se-
rais très -attentif à n'en point égarer, et à les lui
renvoyer de même. Je ne me sçucie point de ga-
zettes récentes, ni d'avoir souvent des paquets; il
lée suffira seulement qu'il n'y ait point d'interrup-
tion, d^ns la suite ; du reste , le temfnijsky fait lîen.
ANWÉJR 1765. 443
J'ai cessé de les lire depuis le premier septembre.
Dans l'accord pour ma pension , il entre , entre
autres choses, une étr^nne annuelle pour madame
la receveuse. Ne pourriez-vous pas m'aider à trouver
quelque cadeau honnête à lui faire , et qui cepen-
dant ne passât pas trente à trente -six francs de
France? Je sais qu'elle a envie d'avoir une tabatière
de femme. Nous avons jusqu'à la fin de l'année ,
mais la rencontre peut venir plus tôt. Voilà tout
ce qui me vient à présent; mais je sens qu€ j'oublie .
bien des choses. Mille pardons et embrassements.
*
LETTRE DCXXVIIL
AU MÊME.
Ile de Saint -Pierre, le 17 octobre 176$.
On me chasse d'ici., mon cher hôte. Le climat
de Berlin est trop rude.pour moi; je me détermine
à passer en Angleterre , où j'aurais dû d'abord aller.
J'aurais grand besoin de tenir conseil avec vous;
mais je ne pms aller, à Neuchàtel : voyez si Vous
pourriez par charité vous dérober à vos a£hire$
pour faire un tour jusqu'ici. Je vous embrasse.
4^44 COAR£SP(»rDANC£.
LETTRE DCXXIX.
A M. DE GRAFFENRIED,
BAILLI A NIDAU.
■ Ile de Saint-Pierre y le 1 7 octobre 1765.
, - Monsieur,
J'obéirai à l'ordre de leurs excellences avec le
regret de sortir de votre gouvernement et de votre
voisinage, mais avec la consolation d'emporter votre
estime et celle des honnêtes gens. Nous entrons
dans une saison dure , surtout pour un pauvrfe in-
firme : je ne suis point préparé pour un long voyage,
et mes affaires demanderaient quelques prépara-
tions. J'aurais souhaité, monsieur, qu'il vpus eût
plu de me marquer si l'on m'ordonnait de partir
sur-le-champ, ou si l'on voulait bien m'accocder
quelques semaines pour prendre les arrangements
nécessaires à ma situation. En attendant qu'il vous
plaise de me prescrire un terme , que je m'eÉfor-
cerai même d'abréger, je supposerai qu'il m'est
permis de séjourner ici jusqu'à ce que j'aie mis
l'ordre le plus pressant à mes affaires. Ce qui me
rend te retard presque indispensable est que,
sur les indices que je croyais sûrs, je me suis ar-
rangée pour passer ici le ^:èste de ma vie avec l'a-
grément tacite du souverain. Je voudrais être sûr
ANITEE 1765. 44^
que ma visite ne vous déplairait pas ; quelque pré-
cieux que me soient les moments en cette occa-
sion, j'en déroberai de bien agréables pour aller
vous renouveler, monsieur , les assurances de mon
respect.
LETTRE DCXXX,
AU MÊME. .
Ile de Saint-Pierre, le 30 octobre 1765.
Monsieur,
Le triste état où je me trouve çt la confiance
que j'ai dans vos bontés me déterminent à vous
supplier de vouloir bien faire agréer à leurs.excel-
lences une proposition qui tend à me délivrer une
fois pour toutes des tourments d'une vie orageuse ,
et qui va mieux , ce me semble , au but de ceux
qui me poursuivent que ne fera mon éloignemeilt.
J'ai consulté ma situation , mon âge , mon humeur,
mes forces; rien de tout cela ne me permet d'en-
treprendre en ce moment, et sans préparation , de
longs et pénibles voyages , d'aller eï*rant dans des
pays froide , et de me fatiguer à chercher au loin
un asile , dans une saison où mes infirmités ne me
permettent pas même de sortir de la chambre. Après
ce qui s'est passé, je ne puis me résoudre à rentrer
dans le territoire d^ Neuchâtel^ où la protection
du prince et du gouvernement ne saturait iHe ga-
44^ CORBESPONDATCCE.
rantir des fureurs d'une populace excitée, qui ne
connaît aucun frein ; et vous comprenez , monsienr,
qu'aucun des états voisins ne voudra ou n'osera
donner retraite à un malheureux si durement chassé
de celui-ci.
Dans cette extrémité, je ne vois pour moi qu'une
seule ressource , et , quelque effrayante qu'elle pa-
raisse, je la prendrai non-seulanent sans répu-
gnance , mais avec empressement , si leurs excel-
lences veulent bien y 'consentir; c'est qu'il leur
plaise que je passe en prison le reste de mes jours
dans quelqu'un de leurs châteaux , ou tel autre lieu 1
de leurs états qu'il leur semblera bon de choisir.
J'y vivrai à mes dépens, et je donnerai sûreté de
n'être jamais à leur charge; je me soumets à n'a-
voir ni papier , ni plume , ni aucune communica-
♦ion au-dehors , si ce n'est pour l's^solue nécessité
et par le canal de ceux qui seront chargés de moi;
seulement qu'on me laisse , avec l'usage -de quel-
ques livres , la liberté de me promener quelqpiefois
dans un jardin , et je suis content.
Ne croyez point , monsieur , qu'iili expédient si
violent en apparence soit le fruit du désespoir;
j'ai l'esprit très - calme en ce moment : je me suis
^nné le temps d'y bien penser, et c'est d'après la
jpt'ofoiide considération de mon état que je na'y dé-
termine. Considérez, je vous supplie, -que si ce
paiti e^t extraordinaire, ma situation l'est encore
plus : mes malheurs sont sahs exemple ; la vie ora-
^eute q^^ J6 mène sans relâche, depuis plusieurs
es , serait terrible pour un homme e» santé ;
ANNÉE 1765. 447
jugez ce qu'elle doit être pour un pauvre infirme
épuisé de maux et d^ennuis , et qui n'aspire qu'à
mourir en paix. Toutes les passions sont éteintes
dans mon cœur ; il n'y reste que Tardent désir du
repos et de la retraite ; je les trouverais dans l'habi-
tation que je demande. Délivré des importuns, à
couvert de nouvelles catastrophes, j'attendrais
tranquillement la dernière, et, n'étant plus ins-
truit de ce qui se passe dans le monde, je ne se-
rais plus attristé de rien. J'aime la liberté, sans
doute , mais la mienne n'est point au pouvoir des
hommes , et ce ne seront ni des murs ni des clefs
qui me l'ôteront. Cette captivité, mpnfiieiu*, me
parait si peu terrible , je sens si bien que je joui-
rais de tout le bonheur que je puis encore espérer
dans cette vie, que c'est par là même quo, quoi-
qu'elle doive délivrer mes ennemis de toute inquié-
tude à mon égard, je n'ose espérer de l'obtenir;
mais je ne veux rien avoir à. me reprocher vis-à-vis
de moi, non plus cpie vis-à-vis d'autrui: je veux
pouvoir me rendre le Ij^oignage que j'ai tenté
tous les moyens praticablea et honnêtes ^ui pou-
vaient m'assurer le repps , et prévenir les nouveaux
orages qu'on me force d'aller chercher.
Je connais, monsieur, les ^enJtiments d'huma-
nité dont votre was^^énéreme est r^mpUe : y^ sens
tout ce qu'une grâce de cette espèce peut vous
coûter à demander ; mais quand vous aurez com-
pris que , vu ma situation , cette grâce en serait en
effet une très-grande pour moi, ces mêmes senti-
ments, qui font votre répugnance, me sont ga-
Utfi CORRESPONDANCE.
irants que vous saurez la surmonter. J^attends , pour
prendre définitivement mon parti , qu'il vous plaise
de m'honorer de quelque réponse.
Daignez, monsieur, je vous supplie, agréer mes
excuses et mon respect.
«
LETTRE DCXXXI.
AU MÊME.
Le a a octobre 1765.
• > >
Je puis-, monsieur, quitter samediprochain l'île
de Saint -Pierre, et je me conformerai en cela à
Tordre de leurs excellences ; mais , vu l'étendue de
leurs états et ma triste situation, il m'est absolu-
ment impossible de sortir le même jour de l'en-
ceinte de leur territoire. J'obéirai en tout ce qui
me sera possible. Si leurs excellences me veulent
• punir de ne l'avoir pas fait , elles peuvent disposer
à leur gré de ma personne* et de ma vie : j'ai ap-
pris à m'attendre à tout de la part des hommes;
ils ne prendront pas mon ame au dépourvu.
Recevez , homme juste et généreux , les assu-
rances de ma respectueuse reconnaissance, et d'un
souvenir qui ne sortira jafnais de mon cœur.
ANNÉE 1765. • /|4t^
LETTRE DCXXXII.
A M. DU PEYROU.
Vendredi matin , a 5 octobre.
Je vous prie de tâcher d'obtenir de quelqu'un
qui connaisse cette «route un itinéraire exact, avec
les noms des villes, bourgs, lieux, et bonnes au-
berges. Vous pourrez me l'envoyer à Baie ou à
Francfort, par une adresse que je demanderai k
M. de Luze. Je pars à l'instant. Je vous embrasse
mille fois.
LETTRE DCXXXIU.
A M. DE GRAFFENRIED.
Sienne y le a 5 octobre 1765.
Je reçois, monsieur , avec reconnaissance les nou«
velles marques de vos attentions et de vos bontés
pour moi; mais je n'en profiterai pas, pour le pré-
sent : les prévenances et sollicitations de MM. de
Bienne me déterminent à passer quelque temps
avec eux, et, ce qui me flatte, à votre voisinage.
Agréez, monsieur, je vous supplie, mes Remer-
ciements, mes salutations et mon respect.
R. XX. 29
45o GORRESPONOAlfCE.
LETTRE DCXXXIV.
A M. DU PEYROU.
Sienne » le a 7 octobre 1765.
J'ai cédé, mon cher hôte, aux caresses et aux
sollicitations; je reste à Bienne, résolu dy passer
ITiîver , et j'ai lieu de croire que je l'y passerai tran-
quillement. Cela fera quelque changement dans
nos arrangements , et mes effets pouvant me venir
joindre avec mademoiselle Le Vasseur, je pourrai,
pendant l'hiver, faire moi-même le catalogue de
mes livres. Ce qui me flatte dans tout ceci , est que
je reste votre voisin, avec l'espoir de vous voir
quelquefois dans vos moments de loisir. Donnez-
moi de vos nouvelles et de celles de nos amis. Je
vous embrasse de tout mon cœur.
LETTRE DCXXXV,
AU MÊME.
Bienne, lundi aS octobre 1765.
On m'a trompé , mon cher hôte , je pars demain
matin avant qu'on me chasse. Donnez-moi de vos
nouvelles à Baie. Je vous recommande ma pauvre
gouvernante. Je ne puis écrire à personne , quelque
désir que j'en aie; je n'ai pas même le temps de
respirer, ni la force. Je vous embrasse.
ANNÉE 1765. 45i
LETTRE DCXXXVI.
AU MÊME.
A Bàle, 3o octobre.
%
J'arrive malade , mais sans grand accident. M. de
Luze a eu soin de me pourvoir d'une chambre ,
sans quoi je n'en aurais point trouvé , vu la foire.
Je partirai pour Strasbourg le plus tôt qu'il me
sera possible, peut -être dès demain ; mais je suis
parÊdtement sûr maintenant qu'il m'est totalement
impossible de soutenir à présent le voyage de Ber-
lin. J'ignore absolument ce que je ferai ; je renvoie
à délibérer à Strasbourg. Je souhaite fort d'y rece-
voir de vos nouvelles. Je compte loger à V Esprit y
chez M. Weisse; cependant, n'étant encore bien
sûr de rien , ne m'écrivez à cette adresse que ce
qui peut se perdre sans inconvénient. Mon cher
hôte , aimez - moi toujours. Je vous aime et vous
embrasse de tout mon cœur.
«
LETTRE DCXXXVIL
A M. DE LUZE.
Strasbourg, le 4 QOTembre 176$.
J'arrive , monsieur, du plus détestable voyage , à
tous égards, que j'aie fait de ma vie. J'arrive ex-
45i CORRESPOND AN CE-
cédé , rendu ; mais enfin j'arrive, et , grâces à vous,
dans une maison où je puis me remettre et re-
prendre haleine à mon aise, car je ne puis songer
à reprendre de long-temps ma route ; et si j'en ai
encore une pareille à celle que je viens de faire, il
me sera totalement impossible de la soutenir. Je
ne me prévaux point si tôt de votre lettre pour
M. ZoUicoffer; car j'aime fort le plaisir de prince
de garder l'incognito le plus long - temps qu'on
peut. Que ne puis-je le garder le reçte de ma vie!
je serais encore un heureux mortel. Je ne sais au
reste comment m'accueilleront les Français ; mais
s'ils font tant que de me chasser, ils ne choisiront
pas le temps que je suis malade, et s'y prendront
moins brutalement que les Bernois. Je suis d'une
lassitude à ne pouvoir tenir- la plume. Le cocher
veut repartir dès aujourd'hui. Je n'écris donc
point à M. du Peyrou : veuillez suppléer à ce que
je ne puis faire ; je lui écrirai dans la semaine in-
failliblement. Il faut que je lui parle de vos atten-
tions et de vos bontés mieux que je ne peux faire
à vous-même. Ma manière d'en remercier est d'en
profiter ; et ,* sur ce pied , l'on ne peut être mieux
remercié que vous l'êtes: mais il est juste que je
lui parle de l'effet qu'a produit sa- recpmmanda-
tion. Bonjour, monsieur; bonne foire et bon
voyage. J'espère avoir le plaisir de vous embrasser
encore ici.
ANNÉE 1765. 453
«■■^^-«.^/VV^»^ %^«/%p«/lk"k%^/%>%<'»'«>«/«^»>«
LETTRE DCXXXVIM.
A M. DÛ PEYROU.
Strasbourg, le 5 novembre 1765.
Je suis arrivé , mon cher hôte , à Strasbourg sa-
medi , tout-à-fait horis d'état de continuer ma route ,
tant par l'effet de mon nïal et de la fatigue , que
par la fièvre et une chaleur d'entrailles qui s'y sont
jointes. Il m'est aussi imposi^le d'aller maintenant
à Potzdam qu'à la Chiiie , et je ne sais plus trop ce
que je vais devenir; car probablement on ne me
laissera pas long-temps ici. Quant on est une fois
au point où je suis , on n'a plus de projets à faire ;
il ne reste qu'à se résoudi'è à toutes choses , et plier
la tête sous le pesant joug dé la nécessité.
J'ai écrit à Milord Maréchal; je voudrais at-
tendre ici sa réponse. Si l'on me chasse, j'irai
chercher de l'autre côté du Rhin quelque huma-
nité , quelque hospitaËté ; si je n'en trouve plus
nulle part , il faudra bien chercher quelque moyen
de s'en passer. Bonjour, non plus mon hôte, mais
toujours mon ami. Greorge Reitt et vous m'atta-
chez encore à la yie ; de tels liens ne se rompent
pas aisément.
Je vous embrasse.
454 CORRESPONDANCE.
LETTRE DCXXXIX.
AU MÊME.
Strasbourg y le lo noTembre i76£l.
Rassurez-vous , mon cher bote , et rassurez nos
amis sur les dangers auxquels vous me croyez ex-
posé. Je ne reçois ici que dés marques de bienveil-
lance , et tout ce qui commande dans la ville et
dans la province paraît s'accorder à me Ëivoriser.
Sur ce que m'a dit M. lé maréchal, que je vis hier,
je dois me regarder comme aussi en sûreté à Stras-
bourg qu'à Berlin. M. Fischer m'a servi avec toute
la chaleur et tout le zèle d'un ami , et il a eu le plai-
sir de trouver tout le .monde aussi bien disposé
qu'il pouvait le désirer. On me fait apercevoir bien
agréablement que je ne suis plus en Suisse.
Je n'ai que le temps de vous marquer ce mot
pour vous rassurer sur mon compte.
Je vous embrasse de tout v^çn cœur.
LETTRE DCXL.
AU MÊM£.
Strasbourg, k 17 novembre 176$.
Je reçois , mon cher hôte, votre lettre n*^ 6. Vous
liurez vu par les miennes que je renonce absolu-
\NNEE 1765. 455
ment au voyage de Berlin , du moins pour cet hi-
ver, à moins que Milord Maréchal , à qui j'-ai écrit ,
ne fût d'un avis contraire. Mais je le connais ; il
veut mon repos sur toute chose , ou plutôt il ne
veut que cela. Selon toute apparence , je passerai
l'hiver ici. On ne peut rien ajouter aux marques de
bienveillance, d'estime, et même de respect, qu'on
m'y donne , depuis M. le maréchal et les chefs du
pays, jusqu'aux derniers du peuple. Ce qui vous
surprendra est que les gens d'église semblent vou-
loir renchérir encore sur les autres. Ils ont l'air de
me dire dans leurs manières : Distinguez - nous de
vos ministres; vous voyez que nous ne pensons pas
comme eux.
Je ne sais pas encore de quels livres j'aurai be-
soin ; cela dépendra beaucoup du choix de ma de-
meure ; mais, en quelque lieu, que ce soit, je suis
absolument déterminé à reprendre la botanique.
En conséquence , je vous prie de vouloir bien faire
trier d'avance tous les livres qui en traitent, fi-
gures et autres , et les bien encaisser. Je voudrais
aussi que mes herbiers et plantes sèches y fussent
joints; car, ne connaissant pas à beaucoup près
toutes les plantes qui y soBt , j'en peux tirer en-
core beaucoup d'instruction sur les plantes de la
Suisse , que je ne trouverai pas ailleurs. Sitôt que
je serai arrêté, je consacrerai le goût que j'ai pour
les herbiers à vous en faire un aussi complet qu'il
me sera possible, et dont je tâcherai que vous
soyez content.
Mon cher hôte , je ne donne pas ma confiance à
456 GORAESPOtfDANGE.
demi; visitez, arrangeas tous mes papiers, lisez et
feuilletez tout sans scrupule. Je vous plaitis de Fen-
Qui que vous donnera tout ce fatras sans choix, et
je vous remercie de l'ordre que vous y voudrez
mettre* Tâchez de ne pas changer les numéros des
paquets , afin qu'ils nous servent toujours d'indica-
tion pour les papiers dont je puis avoir besoin. Par
exemple, je suis dans le cas de désirer beaucoup
de faire usage ici de deux- pièces qui sont dans k
numéro i a ; l'une est PjrgmaUon , et l'autre YEn-
gagement téméraire. Le directeur du spectacle a
pour moi mille attentions ; il m'a donné pour mon
usage une petite loge grillée^ il m'a fait Êiire une
clef d'une petite porte pour entrer incognito ; il
fait jouer lés fûèces qu'il juge pouvoir ïne plaire.
Je voudrais tâcher de reconnaître ses honnêtetés,
et je crois que quelque barbouillage de ma façon,
bon ou mauvais, lui serait util^ par ]a bienveil-
lance que le public a pour nK>i , et qui s'est bien
marquée au Dei^in du village. Si j'osais espérer que
vous vous laissassiez tenter à la proposition de
M- de Luze , vous apporteriez ces pièces vous-
même , et noua nous amuserions à les Êiire répé-
ter. Mais comme il n'y* nulle copie de PjrgmaUon^
il en faudrait faire faire ujâé par précaution , sur-
tout si, ne venant pas vous-même, vous preniez
le parti d'envoyer le paquet par la poste à l'adresse
de M. ZoUicoffer, ou^par occasion. Si vous venez,
mandez-le-moi à l'avance , et donnez-moi le temps
de la réponse. Selon les réponses que j'attends,
je pourrais , si la chose ne vous était pas trop im-
AlfNiE 1765. 457
portune, vous prier de permettre que mademoi-
selle Le Vasseur vînt avec vous. Je vous embrasse.
Je reçois en ce moment le numéro 7. Écrivez
toujours par M. ZoUicofîer.
LETTRE DCXLI.
A M. D'IVERNOIS.
A Strasbourg, le a ]( novembre 17 65-
Ne soyez point en peine de moi , monsieur, grâces
au ciel , je ne suis plus en Suisse, je le sens tous les
jours à l'accueil dont on m'honore ici ; mais ma
santé est dans un délabrement facile à imaginer.
Mes papiers e% mes livres sont restés dans im dé-
sordre épouvantable ; la malle que vous savez a
été remise à M. Martinet, châtelain du Val-de-Tra-
vers ; vos papiers sont restés parmi les miens ; ri'eti'
soyez point en peine; ils se retrouveront, mais il
faut du temps. Vous^ pouvez m'écrire ici ou k Ta-,
dresse de M. du Peyrou à Neuçhâtel. Vous pouvez
aussi , et m«me je vous en prie , tirer sur moi à vue
pour l'argent que je vous dois et dont j'ignore la
somme. Je ne vous dis rien de vos parents ; mais ,
malgré ce que vous m'avez feit dire par M. De-
sarts^, je compte et compterai toujours sur votre
amitié, comme vous pouvez toujours compter sur
la mienne*. Je vous embrasse de tout mon cœur.
46o CORRESPONDANCE.
déterminé de manière ou d'autre , je vous le man-
derai. Je TOUS prie de me maintenir dans les bons
souvenirs de madame de Faugnes , et de lui dire
que Tempressement de la revoir , ainsi que M. de
Faugnes , et d'entrcrteAif <îhez etix tme connaissance
qui s'est faite chez >biiB, entre poui^ béâucoop
dans le désir que j'ai de passer par Paris. J*ajoate
de grand cœur, et j espère que vous A'en doutez
pas, que ma tentation d'aller en Angléfcerrt s'au-
gmente extrêmement par l'agrément de vous y
suivre , et de voyager avec vous. Voilà quant à pré-
sent tout ce que je puis dire sur cet article : je
ne tarderai pas à vous parler plus positivement;
mais jusqu'à présent cet arrangement est très-dou-
teux. Recevez mes plus tendres salutations , je voa*
embrasse, monsieur, de tout mon cœur.
Prêt à fermer ma lettre , je reçois la vôtre sans
date, qui contient les éclaircissements que Vous avez
eu la bonté de prendre avec Guy ^ ce qui lïie dé-
termine absolument à vous all^r joindre aussitôt
que je serai en état de souteûîr le voyage. Faites-
moi entrer dans vos arrangements pour celui de
Londres : je me réjouis beaucoup de lé faire avec
vous. Je ne joins pa^ ici ma lettre à M. de Graffen-
ried, sur ce que vous me marquez qu'elle court
Paris. Je marquerai à M. Guy lé temps précis de
mon départ ; ainsi ^ous en pourrez être informé
par lui. Qu'il ne m'envoie personne , je trouverai
îcr ce qu'il me faut. Rey m'a envoyé son commis,
pobr m'emmener en Hollande : il s'en retournera
comme il est venu.
ANNÉE 1765. 461
LETTRE DCXLIV.
A M. DU fJ^YV^y.
Strasbourg jl^ )d 'novembre 1765.
il
Tout bien pesé, je me détermine à passer en
A.ngleterre. Si j'étais en état, je partirais dès de-
main ; mais ma rétention me tourmente si cruelle-
ment , qu'il faut laisser calmer cette attaque , em-
ployant ma ressource ordinaire. Je compte éjre en
état de partir dans huit ou dix jours ; ainsi ne m'é-
crivez plus ici , votre lettre ne m'j trouverait pas ;
avertissez , je vous prie, mademoiselle Le Vasseur
ie la même chose : je compte m'arrêter à Paris
quinze jours ou trois semaines ; je vous enverrai
mon adresse avant de partir. Au reste , vous pou-
vez toujours m'écrire par M. de Luze, que je
compte joindre àParis pour faire avQc lui le voyage,
le. suis très- fâché de n'avoir pas encore écrit à ma-^
dame de Luze. Elle, me rend bien peu de.justice
Il ^lle est inquiète de mes sentiments ; ils sont tels
qu'elle les. mérite, ej c'est tout -dire. Je m'attache
lussi très-véritablement à son mari. Il a l'air froid
t\ le coeur chaud ; il ressemble en cela à mon cher
hôte : voilà les gens qu'il me faut.
J'apppouve très-fort d'user sobrement de la poste,
qui en Suisse est devenue im brigandage public :
elle est plus respectée en France., mais les ports y
sont exorbitants, et j'ai, depuis mon arrivée ici,
46a CORRESPOVOÀNGE.
plus de cent francs de ports de lettres. Retenez et
lisez les lettres qui vous viennent pour moi; ne
m'envoyez que celles qui l'exigent absolument; il
suffit d'un petit extrait des autres.
Je reçois en ce momràt votre paquet n^ i o. Vous
devez avoir reçu^-uH)^ de mes lettres où je vous
priais d'ouvrir toutes celles qui vous venaient a
mon adresse : ainsi vos scrupules sont fort nul
placés. Je ne sais si je vous écrirai encore avant
mon départ ; mais ne m'écrivez plus ici. Je voos
embrasse de la plus tendre amitié.
LETTRE DCXLV.
A M. D'IVERNOIS.
Strasbourg, le a décembre 176$.
Vous ne doutez pas , monsieur , du plaisir avec
lequel j'ai reçu vos deux lettres et celles de M. De-
luc. On s'attache à ce qu'on aime à proportion
des maux qu'il nous coûte. Jugez par là si mon
cdeur est toujours au milieu de vous.. Je suis arrivé
(jlans cette ville malade et rendu de fatigue. Je m'y
repose avec le plaisir qu'on a de se retrouver parmi
des humains , en sortant du milieu ,des bétes fé-
roces. J'ose dire que depuis le commandant de la
province jusqu'au dçrnier bourgeois de Strasbourg,
tout le monde désirerait de me voir passer ici mes
jours : mais telle n'est pas ma vocation. Hors d'é-
tat de soutenir la route de Berlin , je prends le
ANNÉE 1765. 463
partide passer en Angleterre. Je m'arrêterai quinze
jours ou trois semaines à Paris , et vous pouvez
m'y donner de vos nouvelles chez la veuve Du-
chesne , libraire , rue Saint-Jacques.
Je vous remercie de la^nlé que vous avez eue
de songer à mes commissions^^ d'autres prunes
à digérer; ainsi disposez detf^îrôtres. Quant aux
bilboquets et aux mouchoirs, je voudrais bien
que vous pussiez me les envoyer à Paris , car ils
me feraient grand plaisir; mais, à cause que les
mouchoirs sont neufs , j'ai peur que cela ne sfoît
difficile; Je suis maintenant très-en état d'acquit-
ter votre petit mémoire sansm'incommoder. Il n'en
sera pas de même lorsque, après les frais d'un
voyage long et coûteux , j'en serai à ceux de mon
premier établissement en Angleterre : ainsi, je
voudrais bien que vous voulussiez tirer sur moi
•à Paris à vue le montant du mémoire en question'.
Si vous voulez absolument remettre cette affairé
au temps où je serai plus tranquille, je vous prie v
au moins de me marquer à combien tous vos dé-
boursés se montent , et permettre que je vous en
fasse mon billet. Considérez , mon bon ami , que
vous avez une nombreuse famille à qui vous de-
vez compte de l'emploi de votre temps , et que le
partage de votre fortune , quelque grande qu'elle
puisse être, vous oblige à n'en rien laisser dissiper,
pour laisser tous vos enfants dans une aisance
honnête. Moi, de mon côté, je serai inquiet sur
cette petite dette , tant qu'elle ne sera pas. ou payée
ou réglée. Au reste , quoique cette violente expui-
l
464 CORRESPOND Air CE.
sion me dérange , après un peu d'embarras je me !
trouverai du pain et le nécessaire pour le reste de '
mes jours, par des arrangemftnts dont je dois vous !
avoir parlé ; et quant à présent rien ne me manque
J'ai tout l'argent qu'il me &ut pour mon voyage
et au-delà , et , avec uii peu d'économie , je compte
me retrouver bientôt au courant comme aupara-
vant. J'ai cru vous devoir ces détails pour tran-
quilliser votre honnête cœur sur le compte im
homme que vous aimez. Vous sentez que, dans le I
désordre et la précipitation d'un départ brusque,
je n'ai pu emmener mademoiselle Le Vasseur errer
avec moi dans cette saison , jusqu'à ce que j'eusse
un gîte; je l'ai laissée à l'île Saint-Pierre, où elle
est très-bien et avec de très-honnêtes gens. 1(
pense à la faire venir ce printemps , en Angleterre
par le bateau qui part dTfverdun tous les an^
Bonjour, monsieur; mille tendres salutations à
votre chère famille et à tous nos amis ; je vous
•embrasse de tout mon cœur.
LETTRE DCXLVI.
A M; D^iVID HUME.
Strasbourg, le 4 décembre 1765.
Vos bontés, monsieur, me pénètrent autant
qu'elles m'honorent. La plus digne réponse que je
puisse faire à vos offres, est de les accepter, et je
les accepte. Je partirai dans cinq ou six jours pour
r
ANNÉE 1765. 4^5
îïlter me jeter entre vos bras ; c'est le conseil de
milord Maréchal , mon ]>rotectear|, mon ami , mon
père ; c'est celui de madame de BouCQers , dont la
bienveillance éclairée me guide autant qu'elle me
console; enfin fose dire c'est celui de mon coeur,
qui se plaît à devoir beaucoup au plus illustre de
mes contemporains, dont la bonté surpasse la gloire.
Je soupire après une retraite solitaire et libre où
je puisse finir mes jours en paix. Si vos soins bien-
faisants me la procui^ent, je jouirai tout ensemble
et du seul bien que mon cœur désire , et du plai-
sir de le tenir de vous. Je vous salue , monsieur ,
de tout mon cœur.
LETTRE DCXLVIL
h M. DE LUZE.
Paris, le 16 décembre 1765.
J'arrive chez itiadame Duchesne plein du désir
de vous voir, de vous embrasser , et de concerter
avec vous le prompt voyage de Londres, «'il y a
moyen. Je suis ici dans la plus parfaite sûreté;
j'en ai en poche l'assurance la plus précise *. Ce-
pendant, pour éviter d'être accablé, je veux y res-
ter le moins qu'il me sera possible , et garder le
pluà parfait incognito , s'il se peut : ainsi ne me dé-
celez, je vous prie, à qui que ce soit. Je voudrais
vous aller voir; mais pour ne pas promener mon
Il avait un passeport du ministre bon pour trois mois.
R. XX. 3o
466 CORllESPONl>AIfCE.
bonnet dans les mets, je désire que vous puissin
venir vous-même le plus tôt qu'il se pourra. le m»
embrasse, monsieur, de tout mon cœur*.
LETTRE DCXLVIII.
A M. DU PEYROU.
Paris, le 17 décembre 1765.
J'arrive d'hier au soir , mon aimable hôte et ami
Je suis venu en poste , mais avec une bonne chaise,
et à petites journées. Cependant j'ai failli mourir
en route ; j'ai été forcé de m'arrêter à Épemay, et
j'y ai passé une telle nuit, que je n'espérais pla<
revoir le jour : toutefois me voici à Paris dans un
état assez passable. Je n'ai vu personne .encore,
pas même M. de Luze , mais je lui ai écrit en ar-
rivant. J'ai le plus grand besoin de repos; je
Cette intention si formelle de garder le plus parfait incognito, et
l'empressement que nous le verrons bientôt montrer de quitter ce
théâtre public (lettre ci-après du a 6 décembre), suffisent pour dé-
mentir ce qui est raconté à ce sujet dans la Correspondance de Grimm
( première partie , tome t, page i a 4 )•
« Rousseau est revenu à Paris le 17 décembre. Le lendemain ii
« s'est promené au Luxembourg en habit arménien Il s'est aussi
« promené tous les jours à une certaine heure sur le boulevard dans
« la partie la plus proche de son logement. Cette afTectation de se
« montrer au public sans nécessité , en dépit du décret de prise de
« corps , a choqué le ministre , qui avait cédé aux instances de ses
■ protecteurs , en lui accordant la permission de traverser le royaume
• pour se rendre en Angleterre. On lui a fait dire par la police de
• partir sans autre délai, s'il ne voulait être arrêté. En conséquence
« il quitta Paris le 4 janyier, accompagné de p. Hume. »
ANNÉE l'yÔS. 467
Mrtirai le moins que je pourrai. Je ne veux pas
' itf^xposer derechef aux dîners et aux fatigues de
.Strasbourg. Je ne sais si M. de Luze est toujours
d'humeur de passer à Londres; pour moi, je suis
déterminé à partir le plus tôt qu'il me sera pos-
sible, et tandis qu'il me reste encore des forces,
pour arriver enfin en lieu de repos.
Je viens en ce moment d'avoir la visite de M. de
Luze , qui m'a remis votre billet du 7 , daté de
Berne. J'ai écrit en effet la lettre à M. le bailli de
Nidau ; mais je ne voulus point vous en parler
pour ne point vou* affliger : ce sont , je crois, les
seules réticences que l'amitié permette.
Voici une lettre pour cette pauvre fille qui est à
nie : je vous prie de la lui faire passer le plus
promptement qu'il se pourra; elle sera utile à sa
tranquillité. Dites, je vous supplie, à madame'la
commandante * combien je suis touché de son sou-
venir, et de l'intérêt qu'elle veut bien prendre à
mon sort. J'aurais assurément passé des jours bien
doux près de vous et d'elle ; mais je n'étais pas ap-
pelé à tant de bien. Faute du bonheur que je ne
dois plus attendre , cherchons du moins la tran-
quillité. Je vous embrasse de tout mon cœur.
* C'était la mère de da Peyrou , veuve d'un commaudant de Su-
rinam.
3o.
468 CORRESPONDANCE.
>^^i^^^^%»%«i^>mi^^<^^%^%< * ^%.»t>w
LETTRE DCXLIX.
A M. D'IVEBMOIS.
*
Paris, k x8 décembre 1765.
Avant-hier au soir, monsieur, j^arrivai ici très-
fatigué, très -malade, ayant le phis gran^d besoin
de repos. Je n'y suis point incognito , et je n'ai pas
besoin d'y être: je ne me suis jamais caché, et je
ne veux pas commencer. Comme j'ai pris mon
parti sur les injustices des hommes , je les mets au
pis sur toutes choses , et je m'attends à tout de
leur part, même quelquefois à ce qui efet bien. J'ad
écrit en effet la lettre à M. le bailli de Nidau ; mais
la copie que vous m'avez envoyée est pleine de
contre -sens ridicules et de fautes épouvantables..
On voit de quelle boutique elle vient. Ce n'est pas
la première fabrication de cette espèce, et vous
pouvez croire que des gens si fiers de leurs iniqui*
tés np sont guère honteux de leurs falsifications.
Il court ici des copies plus fidèles de cette lettre,
qui viennent de Berne , et qui font assez d'effet.
M. le dauphin lui-même , à qui on l'a lue dans son
lit de mort , en a paru touché , et a dit là - dessus
des choses qui feraient bien rougir mes persécu-
teurs, s'ils les savaient, et qu'ils fussent gens à
rougir de quelque chose.
Vous pouvez m'écrire ouvertement chez nia-
dame Uuchesne où je suis toujours. Cepend.'\nt
ANNÉE 1765. 469
î^apprends à l'instant que M. le prince de Conti a
çgi la bonté de me faire préparer un logement au
Temple , et qu'il désire que je l'aille occuper^ Je
ne pourrai guère me dispenser d'accepter cet hon-
neur ; mais , malgré mon délogement , vos lettres
sous la même adresse me parviendront également.
LETTRE DCL.
AU MÊME.
Paris, le 30 décembre 1765.
Votre lettre , mon bpn ami, m'alarme plus qu'elle
ne m'instruit. Vous me parlez de Milord Maréchal
pour avoir la protection du roi ; mais de quel reii
entendez-vous parler? Je puis me faire fort de celle
du roi de Prusse ; mais de quoi vous servirait-elle
auprès de la médiation ? £t s'il est question du roi
de France , quel crédit Milord Maréchal a-t-il à sa
cour ? Employer cette voie serait vouloir tout gâter.
Mon bon ami , laissez faire vos amis , et soyez
tranquille. Je vous donne ma parole que si la mé-
diation a lieu , les misérables qui vous menacent
ne vous feront aucun mal par cette voie-là. Voilà
sur quoi vous pouvez compter. Cependant ne né-
gligez pas l'occasion de voir M. le résident , pour
parer aux préventions qu'on peut lui donner contre
vous : du reste , je vous le répète , soyez tranquille;
la médiation ne vous fera aucun mal.
Je déloge dans deux heures pour aller occuper au
47^ CORRESPOIVB A IVOE.
Temple Tappartement qui m'y est destiné. Vous !
pourrez m'écrire a V hôtel de Saint-Simon^ au Hm \
fie^ a Paris, Je vous embrasse de la plus tendre
amitié.
**>^**'%f^^^f^0^^,^^^^^^f^^, ^i^%i^fc»»^<V«*—
LETTRE DCLL
A M. DE LUZE.
aa décembre 1765.
L*affliction , monsieur, où la perte d'un père tefr
dremcnt aimé plonge en ce moment madame de
Verdelin, ne me permet pas de me livrer a des
amusements, tandis qu'elle est dans les larmes.
Ainsi nous n'aurons point de musique aujourd'hui.
Je serai cependant chez moi ce soir comme à l'or-
dinaire; et, s'il entre dans vos arrangements d'v
passer, ce changement ne m'ôtera pas le plaisir
de vous y voir. Mille salutations.
t^^i^<^%^ «/v*
LETTRE DCLIL
A MADAME LATOUR.
À Paris, le a 4 décembre 17J55.
J'ai reçu vos deux lettres , madame ; toujours de^
reproches! Comme, dans quelque situation que je
puisse être , je n'ai jamais autre chose de vous , je
me le tiens pour dit , et m'arrange un peu là-dessus.
L ÀNKÉE 1765. 47 ï
U ' ' Mon arrivée et mon séjour ici ne sont point un
î secret. Je ne vous ai point été voir parce que je
I ne vais voir personne, et qu'il ne me serait pas
possible , avec la meilleure santé et le plus grand
loisir, de suffire, dans un si court espace, à tous
les devoirs que j'aurais à remplir. C'en serait rem-
plir un bien doux d'aller vous rendre mes hom-
mages ; mais , outre que j'ignore si vous pardonne-
riez cette indiscrétion à un homme avec lequel
Vous ne voulez qu'une correspondance mysté-
rieuse, ce serait me brouiller avec tous mes an-
ciens amis de donner sur eux aux nouveaux la
jpréférence; et, comme je n'en ai pas trop, que
tous me sont chers, je n'en veux perdre aucun,
si je puis , par ma faute.
LETTRE DCLIII.
A M. DU PEYROU.
A Paris, le a 4 décembre 1765.
•
Je vous envoie, mon cher hôte, l'incluse ou-
verte , afin que vous voyiez de quoi il s'agit. Tout
le monde me conseille de faire venir tout de suite
mademoiselle Le Vasseur, et je compte sur votre
amitié et sur vos soins, pour lui procurer les
moyens de venir le plus promptement et le ^lus
cîommodément qu'il sera possible. Je voudrais
qu'elle vînt tout de suite , ou qu'elle attendît le
1
mois d'avril , parce que je crains pour elle les ap- •
proches de l'équînoxe où la mer est très-orageusa
Disposez de tout seloo yotre prudence , en f^àxù.,
pour Tamour de moi y grande attention à sa ohb- !
modité et à sa sûreté* |
Notre. voyage est arrangé pour le oommfSf^
men t de janvier ; M. de Luze aura pu vous en rendre
compte. J'ai l'honneur d'être , en attendant ^ l'bole
de M. ie prince de Conti. Il a voulu que je fusse
logé et servi avec une ir^agnificence qu'il saitJHev
n'être pas selon mon goût ; mais je coiopr^nds que.
dans la circonstance, il a voulu donner en celais
témoignage pid^lic de l'estime dont il m'honore. U
désirait beaucoup me retenir tout-à-fait , et m'éUh
blir dans un de ses châteaux à douze lieues d'ici:
mais il y avait à cela une condition nécessaire que
je n'ai pu me résoudre d'accepter, quoiqu'il ait
employé durant deux jours consécutifs toute son
éloquence , et il en a beaucoup , pour me persua-
der. L'inquiétude où il étsuJt sur mes ressources m'a
déterminé à hii exposer nos arrangements ; j'ai fait,
par la mqme raison ^ la même confidence à tous
mes amis devenus les vôtres, et qui, j*ose le dire,
ont conçu pour vous la vénération qui vous est
due. Cependant, une inquiétude déplacée sur tous
les hasards leur a lait exiger de ixipi une promesse
dont ii faut que je m'acquitte , très * persuadé que
c'est un soin bien superflu ; c'est de vous pri^r de
prendre les mesures convenables pour que , si j'a-
vais le malheur de vous perdre , je ne fusse p^ii ex-
posé à mourir de faim. Au reste, c'est un arrange*
ANNÉE fjSS. 47?
meut entre vous et vos héritiers , sur lequel il me
suffit de la parole que vous m'avez donnée.
On se fait une fête en Angleterre d'ouvrir une
souscription pour l'impression de mes ouvrages.
Si vous voulez en tirer parti , j'ose vous assurer
que le produit en peut être immense, et plus
grand de mon vivant qu'après ma mort. Si cette
idée pouvait vous déterminer à y faire un voyagç ,
je désirerais autant de la voir exécutée , que je le
craignais en toute autre occasion.
Je ne voudrais pas , mon cher hôte , séparer mes
livres ; il faut vendre tout ou m'envoyer tout. Je
pense que les livres , l'herbier et les estampes , le
tout bien emballé , peut m'être envoyé par la Hol-
lande , sans que les frais soient immenses, et je ne
doute pas que MM. Portalès , et surtout M. Paul ,
qui m'a fait des offres si obligeantes , ne veuille
bien se charger de ce soin. Toutefois, si vous trou-
vez l'occasion de vous défaire du tout, sauf les
livres de botanique dont j'ai absolument besoin ,
j'y consens. Je pense que vous ferez bien aussi d«
m'envoyer toutes les lettres et autres papiers re-
latifs à mes mémoires, parce que mon projet est
de rassembler et transcrire d'abord toutes mes
pièces justificatives ; après quoi je vous renverrai
les originaux à mesure que je les transcrirai. Vous
dev«z içn avoir déjà la première liasse ; j'attends ,
pour faire la seconde, une trentaine de lettres
de 1758, qui doivent être entre vps mains. Pj^-
malion ne m'est plus nécessaire, n'étant plus à
Strasbourg ; mais je ne serais pas fâché de pouvoir
474 CORIlESPOiri>A]VC£.
lire à mes amis le Léi^ite cfÉphraim, dont beau-
coup de gens me parlent avec curiosité.
Je vous écris avec beaucoup de distraction,
parce qu'il me vient du monde sans cesse , et que
je n*ai pas un moment à moi. Extérieurement, je
suis forcé d'être à tous les survenants ; intérieure-
ment , mon coeur est à vous, soyez-en sûr. Je vous
embrasse.
Si vous me répondez sur-le-chftmp , je pourrai
recevoir encore votre lettre , soit sous le pli de
M. de Luze, soit directement à V hôtel de Saini-S,'
mon y au Temple,
LETTRE DCLIV.
A M. DE LUZE.
a6 décembre 1765.
Je ne saurais, monsietir, durer plus long- temps
sur ce théâtre public. Pourriez-vous , par charité,
accélérer un peu notre départ ? M. Hunâe consent
à partir le jeudi 2 à midi pour aller coucher à Sen-
lis. Si vous pouvez vous prêter à cet arrangement,
vous me ferez le plus grand plaisir. Nous n'aurons
pas la berline à quatre ; ainsi vous prendrez votre
chaise de poste , M. Hume la sienne , et nous chan-
gerons de temps en temps. Voyez de grâce , si tout
cela vous convient, et si vous voulez m'envoyer
quelque chose à mettre dans ma malle. Mille ten-
dres salutations.
ANPriE 1765. 475
LETTRE DCLV.
A M. D'IVERNOIS.
Paris, le 3o décembre 176$.
Je reçois, mon bon ami, votre lettre du a3. Je
suis très-fâché que vous n'ayez pas été voir M. de
Voltaire. Avez-vous pu penser que cette démarche
me ferait de la peine? que vous connaissez mal
mon cœur ! Eh ! plût à Dieu qu'une heureuse ré-
conciliation entre vous, opérée par les soins de
cet homme illustre, me faisant oublier tous ses
torts, me livrât sans mélange à mon admiration
pour lui! Dans les temps où il m'a le plus cruelle-
ment traité, j'ai toujours eu beaucoup moins d'a-
version pour lui que d'amour pour mon pay§.
Quel que soit l'homme qui vous rendra la paix et
la liberté , il me sera toujours cher et respectable.
Si c'est Voltaire , il pourra du reste me faire tout
le mal qu'il voudra ; mes vœux constants , jusqu'à
mon dernier soupir, seront pour son bonheur et
pour sa gloire.
Laissez menacer les jongleurs ; telfiert qui ne tive
pas^. Votre sort est presque entre les mains de
M. de Voltaire; s'il est pour vous, les jongleurs
vous feront fort peu de mal. Je vous conseille et
vous exhorte, après que vous l'aurez suffisam-
' C'était la devise de la maison de Solar qu'il expliqua dans un
repas. Voyei Confessions ^ liv. m.
476 CORRESPONDANCE.
ment sondé , de lui donner votre coiiâance. 11 n'est
pas croyable que, pouvant être l'admiration de
Tunivers, il veuille en devenir Thorreur : il sent
trop bien l'avantage de sa position pour ne pas la
mettre à profit pour sa gloire. Je ne puis penser
qu'il veuille, en vous trahissant, se couvrir d'in-
famie. En im mot, il est votre tmique ressource:
ne vous Fôtez pas. S'il vous trahit, vous êtes perdu,
je l'avoue ; mais vous l'êtes également s'il ne se
mêle pas de vous. livrez - vous donc à lui ronck-
ment et franchement ; gagnez son coeur par cette
confiance ; prêtez - vous à tout accommodement
raisonnable. Assurez les lois et la liberté ; mais s^
crifiez l'amour -propre à la paix. Surtout aucune
mention de moi, pour ne pas aigrir ceux quimr
haïssent ; et si M. de Voltaire vous sert conune i
le doit, s'il entend sa gloire, comblez -le d'hon-
neurs, et consacrez à Apollon pacificateur, Phah
pacatorij la médaille que vous m'aviez destinée.
PIN DU TOME TROISIÈME DE LA CORRESPOMDAIVCE.
k^«l>%<«>«^/«^
TABLE ANALYTIQUE
DES
LETTRES CONTENUES DANS CE VOLUME.
Lbttre CD VII , à madame Latour. — Il se plaint de ses soupçons
et de ses reproches. Explications sur sa conduite dans leur com-
merce é|>iÂfolaire et sur une commission qu'elle lui avait don-
Bée. P^igc 3
O^ssRYATiov sur ccttc lettre. 7
Lbttric CD VIII , à M. Marc Chappuis. — Sur son abdication du
droit de bourgeoisie. Ibid.
Lbttre CDIX , au même. — Exposé des motifs qui Font fait re-
noncer an droit de bourgeoisie. Il lui reprocbe la dureté avec la-
quelle il le blâme. 8
LxTTRB CDX f à M. Moultou. — Il lui parie d'une conimîssion et
de personnages qui avaient besdin de rapprochements pour être
compris: des recherches les ont procurés. Il est question de Gib-
bon et de madame Necker. i a
Note explicative. 1 4
Lettre. CDXI , à M. A. A* — Eclaircissements sur quelques pus-
sages de sa lettre à Tarchevéque de Paris. 1 6
Lettre CDXII , à M. Théodore Rousseau. — Motifs qui l'ont fait
abdiquer le titre de citoyen. Sa fiimille l'en a blâmé. 1 8
Lettre CDXIII, à madame Latour. — U se fait des reproches pour
son inexactitude envers elle. ao
Lettre CDXTV , à M. Moultou. — Inquiétude sur son silence et
sur une copie de sa renonciation au droit de bourgeoisie , répan-
due à Genève. a 3
Lettre CDXV, au même. — Refus de se justifier vis-à-vis des Ge-
nevois. Défense précise de prendre son parti. a 4
Lettre CDXVI , à M. Deluc. — H blâme toute démarche en sa
faveAr. a 6
Lettre CDXVII, à M. de Gauffecourt — Regrets qu'il èprodve de
* ne pouvoir aller rèrhbrasser à Genève. 3o
Lettre CDXVIII, à M. Ustery. — Éclaircissements sur le huitième
chapitre du dernier livre du Contrat social. 3 a
Lettre CLXIX, à son cousin, M. F. H. Rousseau. — Prières de
ne pas dfnmer suite aux repi'ésentations fiiites à son sujet. U serait
• déscspéfeé à& âoKmer lieu ati moindre (rouble. ^^
478 TABLE ANALYTIQUE.
Lettre CDXX , à M. Duclos. — Circonstances qui l'ont forcé d'ab-
diquer le droit de bourgeoisie. . Page 38
Lettre CDXXI , au même. — Il est dégoûté de la vie et Teati'a |
délivrer. Il lui recommande Thérèse. ^i
Lettre CDXXII , à M. Martinet — Sur le même sujet. 11 Tcrt
partir pour la pairie dés âmes justes. Il le rend dépositaire de son
testament. ^
Lettre CDXXIII , à M. Moultou. -— Humeur contre un ooTiage
dé M. Vernes. Critique du livre de V Esprit. U souffre , et croit
pouvoir disposer de son sort. (i
Lettre CDXXI V, à madame Latour. — U lui fait part des donleon
qu'il éprouve. ^7
Lettre CDXXV, à M. d'Ivernois. — Remerciements sur rintéfÀ
qu'il prend à son affairé. Opinion qu'il en a. ^9
Lettre CDXXV I , a M. le curé d' Ambérier. —- U lui recommu^
Thérèse. So
Lettre CDXXVII , à M. *** — Il veut désarmer sa sévérité conlit
son fils. 53
Lettre CDXXVIII, à M. G*** — U repousse ses avances. ^
Lettre CDXXIX, à M. le prince L. E. de Wirtemberg. — U ca-
sent à entrer en discussion avec lui. &i
Lettre CDXXX , à madame Latour. — Il s'excuse de son ineu
titude. ' 5i
Lettre CDXXXI, à la même. — Sur le portrait qu'elle lui a es-
voyé. SI
Lettre CDXXXII , à M. le prince de Wirtemberg Marche qo'i
compte tenir dans sa correspondance. Il ne promet pas de l'eue*
titude. S^
Lettre CDXXXIII , à M. Regnault • — Refus d'argent. Jamais il
n'accepte de présents. 61
Lettre CDXXXIV, à madame Latour. — Sur son portrait qu'il lui
renvoie. 6s
Lettre CDXXXV, à madame Dduze-Warney. — RemerciemeDts
pour des cadeaux de fruits : mais il la prie de ne plus lui en en*
voyer. 63
Lettre CDXXXVI , à M. le prince de Wirtemberg. - — Observa-
tions sur ses devoirs comme prince. Règle à suivre dans l'éduca-
tion. Conseils instructifs sur ce sujet. , 64
Lettre CDXXXVll, à M. l'abbé de *** — Conseils remarquables
donnés à quelqu'un qui demandait a Rousseau ce qu'il fallait faire
pour vivre en gentilhomme. 80
Lettre CDXXXVIll , à madame de B ** — Escamotage de Vol-
taire. Doutes religieux. 81
ÉcjLAiacissEMEirTs sur cette lettre. Note. Ibid.
Lettre CDXXXIX, à M, ^ •— CoofeiU à un auteur «{ni k cou-
TA.BLE ANALYTIQUE. 479
tultait. La religion de Rousseau , fondée moins sur la conviction
que sur la persuasion. P^gc 83
Lbtxeb GDXL , à m. de Conzié. — Sur un ouvrage contre Rous-
seau. Sentiments touchants. 86
Lbtt&b GDXLI, à m. • — 'Il ne veut point faire de nouveaux amis,
et lui donne une leçon un peu sévère. 87
Lbttrs CDXLII , à m. le prince de Wirtemberg. — Il le félicite '
du projet qu'il a d'élever son enfant. 89
liKTT&E CDXLIII , à M. le curé d'Ambérier. — Il le remercie 9»
Lettre CDXLIV , à M. d'Ivernois. — Plaisanteries sur une que-
relle de ménage* 94
Lettre GDXLV, à madame Latour. — Sur Texigeance de cette
dame et sa propre inexactitude. 9$
Lettre CDXLVI, à madame la comtesse' de Boufflers. — Détails
sur leurs rapports mutuels. * 97.
Lettre CDXLVII, à M. l'abbé de ** — Rousseau le plaisante. Dis-
tinction entre la sagesse et la vertu. (Voy. lettre n** cdxxxvii.) 100
Lettre CDXLVIII, à M. le prince de Wirtemberg. — • Suite des
observations sur l'éducation. io3
Lettre CDXLIX , à madame la marquise de Verdelin. — Sur la
mort de son mari. Explication. 106
Lettre CDL , à mademoiselle Julie Bondeli. < — Éclaircissements
sur un ouvrage qu'on lui attribuait. 108
Lettre CDLI, à M. d'Escherny. — Il lui parle de sa manière de
juger: reçoit avec froideur ses avances. 1 10
Lettre CDLII, à madame Latour. — Il se plaint à son tour du si-
lence qu'elle observe avec lui. m
Lettre CDLIII , à M. Panckoucke. — Il approuve son projet de se
fixer à Paris ; accepte les livres de son imprimerie , à condition
qu'il ne s'obligera point à les lire. 1 1 a
Lettre CDLIV, à M. Pictet. — Sentiments touchants sur la patrie.
En quoi elle consiste. 1 13
Lettre CDLV, à M. l'abbé de ** — Définitions de l'amour de l'or-
dre, de l'amour de soi-même, seul motif qui fasse agir les hommes. Ils
diffèrent trop d'opinions pour continuer leur correspondance. 1 1 S
Lettre CDLVI , à madame Latour. — Il se plaint encore de son
silence. 119
Lettre CDLVII, à M. le prince de Wirtemberg. — 11 explique la
nature de ses rapports avec Voltaire. i ao
I^TTRE CDLVIII, à madame de Luze. — Il justifie sa négligence
dans son commerce épistolaire. t a a
Lettre GDLIX , à Milord Maréchal. — Expression des regrets
amers que lui cause leur séparation. Il voudrait écrire les mé-
moires de la famille de Milord. i a4
Note à ce sujet. laS
r
480 TABLE AWALYTIQïriî.
Lettre CDLX , à madame Rdguîn. — Préceptes à suhre dus la
première éducation de son enfant. Ptige nj
Lettbe CDLXI, à Milord MaréchaL — Ce serait le seul dootS
accepterait les dons , mais il Tenga^ à en faire à ceitx qui en ont
besoin. Il a du pain pour le moment. Expression de sa recoiuiaû-
sance. u^
LixTRE CDLXII , au même, — ^.11 l'engage à accoter Tasile qwU
offre Frédéric. Nouveaux regrets sur leur séparaticm. i3i
Lettre CDLXIII , à M. A ~ Il est sçnsUble à l'amitié qo'flln
témoigne. i33
Lettre CDLXIV, à M. le prince de Wirtembei^. -— Notions r-
marquables sur la gloire , sur l'indépendance. Progrès du prince
pour y arriver. i3)
Lettre CDLXV, à M. le maréchal de Luxemboorg. — Inquiétods
sur la santé du maréchal- i38 •
Lettre CDLX VI , à M. d'Ivemoîs. — Il vent être libre dans sa
C9urses. Commissions pour M. Deluc. 139
Lettre CDLXVII, à madame Latour. — Il lai donne quelques
détails sur ses ouvrages , sur le projet d'une édition générale. i|o
Lettre CDLXVIII, à M. Guy. — Il le prie d'envoyer à madine
Latour un exemplaire de l'édition de ses ouvrages <pi'il vient è 1
faire imprimer. i^i
Lettre CDLXIX, à mademoiselle D. M. — Réflexions sar lescoo-
naissances qu'elle a acquises, l'usage qu'elle en veut faire, etb
conduite qu'elle devrait tenir ; les inconvénients de la célâvie
pour une femme. i^i
Lettre CDLXX, à madame de Verdelin. — Sur son inclinationft
ses projets. IM
Lettre CDLXXI, à mademoiselle Galley. — Peinture chamaote
du bonheur qui l'attend dans le mariage. i5s
Lettre CDLXXII, à M. de Sauttersheira. — Il se plaint d'avoii
été trompé par lui. i54
Lettre CDLXXHI , à M. de P. — La lettre à l'archevéqne d'Audi
n'est pas de lui. Baisons pour lesquelles il ne peut écrire pour la
défense des protestants. i55
Lettre CDLXXIV, à M. Panckourke. — Critique de l'élève delà
nature. Éclaircissement sur une édition de ses œuvres. i58
Lettre CDLXXV, à M. le prince de Wiriemberg. — Il le remer»
cie des Entretiens de Phocîon que le prince lui envoie. 1 60
Lettre CDLXXVI , à M. *** — Il lui démontre que la lettre qu'on
lui attribue n'est pas de lui. Regrets sur la mort de 51. de Luxem-
bourg. Cette lettre est adressée à M. Duchesne. 161
Lettre CDLXXVII , à M. Deleyre. — Ses maux Tempéchent de
discuter avec lui sur l'histoire. Moyen d'entretenir leur corres-
pondance. 164
TA.BLE A^NALYTIQÙET. 48l
Lbttbb GDLXXVm, à madame de Luxembourg. — Éloge da ma-
réchal; regrets de sa perte. Page 167
Lbttbb GDLXXIX , à la même. — Nouvelle expression de ses re-
gi^ts. 168
Lbttre CDLXXX , à m. de Sauttersheîm. — Reproches sur son
inconduite. 169
Lettre CDLXXXI, à M. de Champfort. — Il le remercie de l'ou-
vrage qu'il lui a envoyé. 17a
Lettre CDLXXXII , à M. d'Ivernois. — Il est surpris de la persé-
vérance des citoyens à faire des représentations. 178
Lettre CDLXXXIII , à M. H. D. P. — Nouveaux motifs qui Fem-
péchent de prendre la plume en faveur des protestants. 174
Lettre CDLXXXIV, à madame de Créqui. — Sur la religion, qui
consiste moins dans ce qu^on croit que dans ce qu'on fait, 177
Lettre CDLXXXV, à M. Séguier de Saint-Brisson. — Il le blâme
de causer du chagrin à sa mère. Un fils a toujours tort, S*il ne va
pas se jeter aux genoux de la sienne il ne veut plus entendre par-
ler de lui. 178
Lettre CDLXXXVI, à M. d'Ivernois. — Il lui donne son itiné-
raire afin qu'ils se rejoignent dans leurs courses. i8a
Lettre CDLXXXVII, au même. — Il lui donne diverses com-
missions. i83
Lbttre CDLXXXVIII, à Milord Maréchal. — Il le remercie de son
souvenir, lui rend com])te d'un petit voyage qu'il vient de faire,
et attend les matériaux pour faire l'histoire de sa famille. i85
Lbttbb CDLXXXIX , à madame la comtesse de Bou£Qers. — Éloge
du maréchal de Luxembourg. Sur l'éducation qu'elle donne à son
fils. Situation de son ame. 187
Lbttbb CDXC, à M. le prince de Wirtemberg. — Intérêt qu'il
prend à l'éducation de la fille du prince. 1 90
Lettre CDXCI , à madame Latour. — Il ne peut répondre de son
exactitude à lui écrire. 193
Lbttbb CDXCII , à M. duPeyrou. — Arrangements pour une course
dans les montagnes. 198
Lettre CDXCIII , au même. — Sa santé le force à changer quel-
ques dispositions du voyage. 194
Lbttre CDXCIV, à M. d'Ivemois. — Il passera l'hiver à Motiers.
Visite du duc de Randan. 19$
Lbttbb CDXCVi à M. du Peyrou. — ^Projets pour un petit voyage. 196
Lettre CDXCVI , à M. Daniel Roguin. — Regrets sur la mort de
son parent. Manière de mourir en paix. 197
Lettre CDXCVII , à M. de Champfort. — Remerciements pour
l'ouvrage qu'il lui a envoyé. Réflexions sur la vertu. 198
Lbttbb GDXCVIII, à M. du Peyrou. — Éclaircissements sur les
. asphodèles. aox
R. XX. 3l
48si TABLE AHALTTIQUK.
Lbitiib CDXCIX, à M. Marteau. — Remei oeo i aiU et ^vMfi> p. m
Lbttbjb D , à m. Laliaod. — Snr les gr av oi rs de son poitnît ss}
Lkttbjb Dt» à m. le prince de Wirtembei^. — Sur deax^pîapki \
que le prince lui aTait adressées, et dont les Terv étaientlrè- I
maaraîs. m|
LnrmE DU , à M. de Latour. — Il acocpte le second portiakfrï
a fiût de lui. mJ
Lbttiib Din , à M. Le Nieps. — Il Ini enToie la lettre piceédafe
pour q«*il la remette à H. de Latonr. ss(
Lettre DIY, à M. Monltoa. — Conseils et réflexions. mS
Lettre DY , à M. Deleyre. — Il s'excuse de ses torts en^en faû. aM
Lettre DYI, à H. Foulquier. — Sur on mémoire poor le wi^
des protestants. ii»
Lettre DYII , à H. le comte Charles de Zinzcndorf. Sur Eè
Sautter^eim. Eloge du prince de Wirtemberg. m
Lettre D YIII , à madame Latour. — Gommiasian poor soo pu*
trait peint par Latour. si}
Lettre DIX, à M. V***. — Il ne yentpas pins qa*on se soamXt
à ses idées qu*il ne Veut se soumettre à odles d'antmi. si)
Lettre DX , à madame de Luze. — Il ne peat aller la Toir aïK
le printemps. ni
Lettre DXI, à Milord Maréchal. — Inquiet de son silence il liiiR>
nouvelle l'expression de sa gratitude. ii;
Lettre DXII , à M. Théodore Rousseau. — Obstacles qui leforccst
d'être inexact. sit
Lettre DXIII , à mademoiselle D. M. — Explicaitions mr «a f»
proquo. Sur la sensibilité. si^
Note sur cette méprise. iio
Lettre DXIY, à M. D^^ — Sur le Dictionnaire phUasophique. Éloge
de Buffon. 33}
Lettre D^V , à M. l'abbé de **. — Il le persifle. Réflexions w
sa foi, sa confession. 33S
Lettre DXYI, à M. Hirzel. — Remerciements poor le Socnk
rustique. as^
Note sur Hirzel et Gujer. RiiiL
Lettre DX YII , à M. de Malesherbes. — Il le félicite sur sa re-
traite. s3o
Note sur cette retraite. ftid.
Lettre DXVIII, à M. le P. de Wirtemberg. — Sur ses vers^qû
ne valent rien ; sur leurs petites élèves : il lui demande un plan
pour la Corse, a 33
Lettre DXIX , à M. d'Ivemois. — Il espère le voir bientôt. Comptes
à régler entre eux. a34
Lettre DXX , à M. du Peyrou. — Il le consulte pour une édition
générale de ses écrits. . s95
TABLE ANALYTIQUE. 4^3
f iuBTTBE DXXI , à M. DbcIos. — Sur le recueil incomplet de Du-
I chesne : la prohibition des Lettres de la montagne l'empêche de lui
I en envoyer un exemplaire. P^gc ^^'J
, Lbtthb DXXII , à Milord Maréchal. — > Il a le cœur plein de lui.
Détails sur les Corses. 340
Lettre DXXIII., à M. du Peyrou. — Il lui donnera sur sa doctrine
toutes les explications qu'il lui demandera» 343
Lbttrk DXXIV , à m. Laliaud. • — A la première occasion il lui
enverra son profil. 34^
Lettre DXXV , à M. Abauzit. — Envoi des Lettres de la montagne:
plaintes sur la nécessité où l'ont mis les Genevois. 344
Lettre -DXXVI, à M. de Montperoux. — Sur les Lettres de la
montagne. 34^
Lettre DXXVII , à M. du Peyrou. — Projet pour l'édition de ses
œuvres. 346
Lettre DXXYIIl , à madame Latour. — Il a reçu le portrait peint
parLatour. 349
Lettre DXXIX, à M. d*Iyemois. — Il n'a reçu aucune de ses
lettres. 3 5o
Lettre DXXX, à M. Panckoucke. — Élo^e de BufiTon. s5i
Lettre DXXISII , à M. de Montmollin. — Il n'a pu refuser de dé-
fendre ses compatriotes. 353
Lettre DXXXII, à M. D'Ivemois. — Débats au sujet de diverses
commissions. s 5 3
Lettre DXXXIII , à M. du Peyrou. — Il lui envoie un libelle contre
lui. 355
Lettre DXXXIV , à M. d'Ivernois. — Il croit M. Vemes auteur
du libelle. 3 56
Lettre DXXXV, à M. Duchesne. — Il lui envoie avec des notes le
libelle en question. 357
Lettre DXXXVI ^ à M. . — Plan qu'on doit suivre pour le
succès d'un mémoire en faveur des protestants. 360
Lettre DXXXVII, à M. Séguier de Saint- Brisson. — Il veut le
détourner du métier d'auteur. 3 63
Lettre DXXXVIII , à M. Moultou. — Motifs qui lui ont fait écrire
les Lettres de la montagne. 366
Lettre DXXXIX , à M. d'Ivernois. — Éloge d'une réponse aux
Lettres de la campagne. Vœux pour la tranquillité de Genève. 368
Lettre DXL, à M. de Gauffecourt. — Éclaircissements sur les
Lettres de la montagne. 373
Lettre DXLI , à M. Dùclos. — Il le remercie de ses Considérations
sur les mœurs. Sur le libelle contre lui ; sur le projet d'écrire ses
• confessions. 378
Lettre DXLU, à M. d'Ivernois. — Sur le gouvernement de Genève.
^ Il tend à l'aristocratie. 375
4^4 TABLE ANALTTIQtrS. f
ï
Lbttas DXLIU, i M. Pictet. — C'est par devoir qa'il a écrit Is
Lettres de la montagne, P||m 279
Lettre DXLIV, à M. du Peyrou. — Projet de rédhion de m |
œuvres. sli f
Lettre DXLV , à M. le comte de B. — Conditions sous lescpcOH i
il consent ik correspondre avec lui. it3
Lettre DXLV I » à madame la comtesse de B. — Il est flatté de l'flfit
qu'elle lui fait d'être parrain de son enfiint. il5
Lettre DXLVII , à Milord Maréchal. — Il le consulte pour u
asile, sentant qu'il sera forcé de sortir de la Suisse. il;
Note sur les plombs de f^enise, 1^
LEtTRB DXLVIII , à M. Ballière. — Sur la musique. il)
Lettre DXLIX , à M. du Peyrou. — Sur le libelle contre loi;b
conduite de Voltaire. Projet d'aller en Italie : agitation de w
esprit. ]Q0
Lettre DL, à M. Saint-Bourgeois. — U le traite arec ironie et sé-
cheresse pour la lettre impolie qu'il a reçue de lui. su)
Lettre DLI, à M. Paul Chappuis. — Motifs qui le forcent à se tût
sur Genève, ,a^
Lettre DLII , à madame la marquise de Verdelin Effets de
Lettres de la montagne. Sur .Voltaire , la Corse et Paolî. 196
Lettre DLIII , à madame Guyenet. — Plaisanterie sur la brdlun df
ses ouvrages. ^^
Lettre DLIV , à madame de Chenonceaux. — Envoi d'une lettit
à Tabbé de Mably. 3oo
Lettre DL V , à M. l'abbé de Mably. — Envoi d'une lettre qo'oi
lui attribuait et qui était contre Rousseau. 3oi
Note sur cette lettre. Ibii
Lettre DLVI , à M. D. ( du Peyrou ). — Sur le libelle contre
lui. 3oî
XiBTTRE DLVII , à M. Moultou. — 11 le prie de prendre des info^
mations sur le libelle. 3o5
Lettre DLVIII, à M. Le Nieps. — U ne veut plus se mêler de b
Corse. Mistification. 3o8
Lettre DLIX, à madame Latour. — Expression de ses senti-
ments. 3i3
Lettre DLX, à Milord Maréchal. — Tracasseries qu'il éprouve.
Projet de voyage. U le consulte. 3i3
Lettre DLXI, à M. Deleyre. — Sur lés Lettres de la montagne^
l'abbé de Condillac. 3i5
J^ETTRE DLXIIp à M. du Peyrou. — Sur une édition de ses ceuvres.
U veut quitter le pays. 3 18
Lettre DLXIII , à M. Dastier. ^» Sur les Lettres de la montagne.
Projets de voyage. 3^0
X-ÀBLE ANALYTIQUE. 4^5
I LiTTHB DLXIV , à M. Moultou. — Il l'exhorte à la modératioD.
On ne doit jamais exposer le repos public. Page 323
II LsTTAs DLXV, à M. le prince de Wirtemberg. — Accaeîl fait à deux
amis du prince. Sur ses mauvais vers ; sur le Lévite d*Éphraïm. 324
I Lettre DLXVI, à M. ^'Ivernois. — Résolution de renoncer à
tout commerce aûu d'ignorer ce qui se passe à Genève. 326
I LsTTRB DLXVII, à MM. Deluc. — Conseils pour préférer la paix
à la liberté. 32 8
Lettre DLXVIII , à M. Meuron. — Il le remercie d'avoir pris sa
défense. 329
Lettre DLXIX, à M. de P. — Remerciements pour sa bienveil-
•lance. Ibid.
Lettre DLXX, à M. de C. P. A. A. — Il le gourmande de sa
conduite. 33o
Lettre DLXXI , à madame la générale Sandoz. — Il préfère l'a-
mitié à l'admiration. 33 1
Lettre DLXXïI , à M. Clairault. — Prière de corriger son Diction^
naire de musique, 332
Lettre DLXXIII , à M. du Peyrou. — Il n'a pas le courage de lui
écrire. 333
Lettre DLXXIV , au même. — Éclaircissemeuts , marque de con-
fiance, situation de son ame. Ibid.
Lettre DLXXV , à M. Moultou. — M. de Montmollin et les mi-
nistres sont déchaînés contre lui. 338
Lettre DLXXVI , à M. Meuron. — Visite de M» de Mont-
mollin. 340
Lettre DLXXVU , à M. le professeur de Montmollin. — Dé-
claration de ne plus rien publier. 34 1
Lettre DLXXVIII, à madame Latour. — Reproches. 342
Lettre DLXXIX, à M. le P. de Félice. — Il nie avoir fait l'ouvrage
intitulé, Des Princes, 343
Lettre DLXXX, à M. du Peyrou. On doit aimer les hommes,
mais ne jamais compter avec eux. Ils ne quittent le pays qu'après
l'orage. Ibid.
Lettre DLXXXI , à M. Meuron. — Remerciements de son intérêt.
Il sortira du pays dès que sa santé le lui permettra. 346
Lettre DLXXXII , à madame d'Ivernois. — Sur madame Guye-
net. 348
Lettre DLXXXIII , au Consistoire de Motiers. — Irrégularité et
injustice dans la procédure faite contre lui. 349
Lettre DCXXXIV » à M. du Peyrou. — Il lui rend compte de ce
qui se passe à son sujet. 352
Lettre DLXXXV, à Milord Maréchal — Il le remercie de ses
offres d'argent. Ses projets. 355
4BG TABLE ANALTTIQUpC.
Lettre DLXXXVI, à M. d'Escherny. U npoosse 1« iraocadt
Diderot. Pigeîij
Lkttke DLXXXYII, à M. Laliaad Envoi de deux eiqiiuiaà
80U portrait. 35l \
Lettre DLXXXVIXI» à M. d'Ivernois. — -Sur ce qui s'est ïïmk
Refus d*argent. 3I1
Lettre DLXXXIX, à M. du Peyrou. — Il n*a pas le tempièb
écrire. 3(1
Lettre DXC, à mademoiselle d'Ivernois. Complliiients. M
Lettre DXCI , à M. Meurou. — Remerciements. 3fl
Lettre DXCU , à M. du Peyrou Remarques sur l'art 0-
crire. 3()
Lktthe DXCIII, au mâme. — Sur l'amour et la charité. 3('
Lettre DXCIV , au même. — Sur Famitié. 3ôî
Lettre DXCV, à M. d*lTemois. — Il le prie de ne plus luip»
1er de Genève. Embarras des visites. 35:
Lettre DXCVI, à M. Coindet Il s*excuse de «on inexactitaà
Sur son abdicatiou du titre de citoyen. Goût pour la bofr
nique. 3^^
Lettre DXCVII, à M. du Peyrou Il le remercie du cadâ
des œuvres de Linnce, et veut lui inspirer le goût de la boU-
nique. 3-^1
Lettre DXCVIII, au même. — Divers projets. S^t
Lettre DXGIX, au même. — Conseils pour se miérir des
goutte. 3-,
Lettre DG, au même. — Il lui renvoie un mémoire. 38«
Lettre DCI, à M. Pauckoucke. ~— Oubli de leurs torts réciproques
Sur les tracasseries qu'il éprouve. 3gi
Lettre CDU, à M. d*Ivernois. — U est inquiet de lui. 333
Lettre DCIII , à M. KlupfTcl. — Il lui rappelle leur an^^mte
liaison. 3gj
Lettre DCIV, Billet à M. de Voltaire. — Démenti formel. 385
Lettre DCV, à M. d'Escherny. — Remerciements. 38*
Lettre DCVI, à M. du Peyrou. — Précaution à prendre pour leur
lierborisatiou. , Hji
Lettre DCVII, au même. — Sur le même sujet. U est tombé ma-
lade en route. 3g-
Lettre DCVIII, au même. — Arrangements itinéraires. Projet d'aller
à rile de la Motte. 38^
Lettre DCIX, au même. — Son arrivée dans l'île. 3gi
Lettre DCX, au même. — 11 le quitte à regret. 3g j
Lettre DCXI , à M. d'Ivernois. — Les plantes l'occupent : il ne veut
plus lire: refus de s'aboucber avec M. Vernes. 3m3
Lettre DGXII , au même. — Engluement pour la botanique. 896
TABLE ANALYTIQUE. 487
* LxTTAB DCXin , à mademoiselle d'Ivernoîs. — Remerciements pour
nne marque de souvenir. Page 3 97
■ Lbttbb DCXrV, à M. du Peyrou. — Détails sur ce qui s'est passe
entre Jean- Jacques et M. de Montmollin. 898
( NoTB explicative. Ibid.
Lattre DCXV , à madame Latour. — Il s'excuse auprès d'elle. 4^^
•-' LxTTRE DCXVI, à M. d'Ivemois. — Remerciements ponr des com-
missions £sdtes , et refus de cadeaux. 4^7
■ LsTTRB DCXVII, à M. Moulton. — Sur M. Vernes. 439
Lbttre DCXVin , à M. d'Ivernois. — Il se plaint des visit^ indis-
I crêtes. * 43 1
Lxttre DCXIX , à M du Peyrou. — Moyen de correspondance. 433
I Lettre DCXX , h M. d'Ivernois. — Il lui annonce qu'il a quitté
Motiers. 433
I Lettre DCXXl, à M. du Peyrou. Il est dans l'île Saint-Pierre. Sur
la Vision . 434
t Lettre DCXXII , au même. — Disposition pour son établissement
dans nie. 435
Lettre DCXXIH , au même. — Arrivée de Thérèse. Visites impor-
tunes. 437
Lettre DCXXIV,au même. — Sur le procès de du Peyrou. Ibid.
Lettre DCXXV, Su même. — Commissions. 438
Lettre DCXXVI, au même. — Il a reçu sa réponse à M. de Mont-
mollin. 439
Lettre DGXXVII, au même. — Note de commissions. Il s'inquiète
des dispositions du gouvernement à son égard. 44^
Lettre DCXXVIII, au même. — Il lui annonce qu'on le cbasse
de l'île Saint- Pierre. 443
Lettre DCXXIX , à M. de Graffenried. — Demande des rensei-
gnements sur son départ. 444
Lettre DCXXX, au même. — Il demande d'être enfermé dans un
château. 44^
Lettre DCXXXI, au même. — Il partira de l'ile le jour indiqué. ^^9
Lettre DCXXXII , à M. du Peyrou. —Il lui demande un itinéraire
de sa route. 449
Lettre DCXXXIII, à M. de Graffenried. — Remerciements de ses
attentions. Il compte rester à Bienne. Ibid.
Lettre DCXXXIV , à M. du Peyrou. — Il lui annonce son inten-
tion àe séjourner à Bienne. 4^0
Lettre DCXXXV , au même. — Trompé sur les dispositions des
Biennois , il part avant qu'on le chasse. Ibid.
I^ETTRE DCXXXVI. — Son arrivée à Bâle. Il va partir pour Stras-
bourg. 45 1
Lettre DCXXXVII, à M. de Luze. — Son arrivée à Strasbourg. Il
y veut être incognito. Ibid.
/|88 TABLB AlfALTTIQIflJ^
LsTTHB DCXXXVIil 9 à M. du Peyroo. i— H est malade et ne «
plus quel parti prendre. PaM 4S3
Lkttbr DCXXXIX , au même. — Il est enchanté de raccoeil qa'oi
lui fait. ^jj
Lettkb DCXL, au même. — U renonce au voyage deBeilia.!
demande Pygmaiion. Hiij,
Lbtt&b DCXLI , à M. d*lTemoifl« — U la tranquillise , et seft
cite de Taccneil qji'il reçoit. ^i*
LxTTBE DCXLIl , à M. du Peyrou. — Il va dans le monde. Sa-
yeillance dont il est Tobjet. (51
Lbttrb DCXLIII , à M. de Luze. — Incertitude sur l'asile qil
choisira. ()|
Lettre DCXLIV à M. du Peyrou. — Il se décide à passer a
Angleterre , après un séjour à Paris. j$i
Lettre DGXLV, à M. d'Ivernois. — Il se repose' avec plaisir i
Strasbourg. Refus d'argent. (gi
Lbttbe DGXLVI, à M. David Hume. — U accepte ses offres et x
dispose à partir pour l'Angleterre. (t-
Lettre DCXLVII, à M. de Luze. — Annonce son arrivée àPaii
Le prie de le venir voir. (j)
Note sur cette lettre. («
Lettre DCXLVIII , à M. du Peyrou. — Il est tléterminé à partir
promptement. Ibii.
Lettre DCXLIX, à M. d'Ivernois. — Il ne veut pas se cacher. U
])rince de Conti lui fait préparer un appartement. 46)
Lettre DCL, à M. d'Ivernois, — U va loger au Temple. 465
Lettre DCLI, à M. de Luze. — L'affliction d'une de ses amies
l'empêche de faire de la musique. 4-0
Lettre DCLII , à madame Latour. -~ Se plaint de ses reprochât
ne peut voir personne. Ibii
Lettre DCLIII, à M. du Peyrou Il veut faire venir Thérèse.
Bienveillance du prince de Conti. 4-1
Lbttrb DCLIV, k M. de Luze. — Excédé de visites, il presse son
départ. 4;^
Lettre DCI-.V , à M. d'Ivernois. — Hommage à Voltaire. 4;i
Plir DE LA. TABI.E.
PARIS, IMP&DIE&m DE GAULTIER-LAGTJIONÏE.
BUE DE OBEBEXiLE tAnTr-BOlTOBB , JK9 55.
Stanford University Llbrary
Stanford, California
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please return it as soon as possible, but
not later tban the date due.
^'^^
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