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Full text of "Oeuvres complètes de J. J. Rousseau: mises dans un nouvel ordre, avec des notes historiques et ..."

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trv 



ON SaUSCHIT A PARIS, 
CHEZ P. DUPONT, LIBRAIRE, 

EDITSUR DES OEUVRES COMPLETES DE VOLTAIRE ET DE RACINE, 
EUE DU BOULOT, HOTEL DES FERMES, COUR DES MESSAGERIES. 

ET CHEZ BOSSANGE PÈRE, 

LIBRAIRE DE 8. A. 8. MOITSEIGNEUR LE DUC D^ORLEAlf S , 
HUS DE RICHELIEU, H^ 6o. 



ŒUVRES 



COMPLÈTES 



DE J.J.ROUSSEAU, 

MUlf DAVl UV VOmrZL OADES, 
A. WG DSS VOnS HISTORIQUBS BT DIS BCX^IACUflMKjrTS ; 

Pa» V. D. MUSSET-PATHAY. 



CORRESPONDANCE. 



TOME TROISIÈME. 







PARIS, 

CHEZ P; DUPONT, LIBRAIRE-ÉDITEUR. 



»^^%^^^^^%»^% 



i8a4. 



I 



UBIfÂRY OF THE 

Ln/im STAUFORD JR. UmVERSltf. 

MAR 23 1901 



1 



CORRESPONDANCE 



TOME TROISIEME. 



B. XX. 



CORRESPONDANCE. 



TROISIEME PARTIE, 

DU 12 MAI 1763, AU 1^ JAlfVIBA 17^6, 

Depuis soD abdication du droit de bourgeoisie , 
jusqu'à ton départ pour l'Angleterre. 






LETTRE CDVII. 

A MADAME LATOUR. 

■ 

A Motiers, le i4 mai 1763. 

Vous avez des peines, madame, qui ajoutent 
aux miennes , etinoi l'on me fait vivre dans un tUf 
multe continuel, qui ne rend peut-être que trop 
excusable l'inexactitude que vous avez la bonté de * 
me reprocher. Je vous remercierais des choses 
vives que vous me dites là-dessus, si je n'y voyais 
qu'en rendant justice à ma négligence vous ne la 
rendçz pas âmes sentiments. Mon cœur vous venge 
assez de mes torts avec vous pour vous épargner 
le soin de m'en punir , et ces torts ont pour prin- 
cipe un défaut, mais non pas un vice. Comment 
pouvez-vous me ^upçonner de tiédeur au milieu 
des adversités que j'éprouve? L'heureux ne sait 
s'il est aimé , disait un ancien poète ; et moi j'a- 
joute , L'heureux ne sait pas aimer.^ Jamais je n'eus 

r. 



4 CORRESPONPAJVCE. 

le cœur si tendre pour mes amis que depuis que 
mes malheurs m'en ontjsipeu laissé. Croyez-m'en, 
madame, je vous supplie; je vous compte avec at- 
tendrissement dans ce petit nombre , et dans les 
convenances qui nous lient , j'en vois avec douleur 
une de trop. 

Je vous avoue que je ne relis pas vos lettres de- 
puis assez long-temps : vous concluez de là qu'elles 
me sont indifférentes, et c'est tout le contraire. Il 
faudrait, pour me juger équitablement, vous faire 
une idée de ma situation , et cela.yous est impos- 
sible ; il faut la connaître pour la comprendre , je 
ne dois pa^ même tenter de vous l'expliquer. Je 
vous dirai seulement que, parmi des ballots de 
lettres que jiÇ reçois continuellement, j'en mets à 
part des liasses qui me sont chères, et dans les- 
quelles les vôtres n'occupent sûrement pas le der- 
nier rang; mais le tout reste mêlé et confondu jus- 
qu'à ce que j'aie le loisir d'en faire le triage. Parmi 
M: les qualités que vous avez, et qui me manquent, 
l'esprit d'arraijigement est unç de celles dont la 
privation me cause, sinon le plus grand préju- 
dice , au moins le plus continuel. Tous mes papiers 
sont pêle-mêle ; pour en trouver un , il faut les 
feuilleter tous, et je passe ma vie et à chercher et 
à brouiller davantage, sans qu'après millis résolu- 
tions il m'ait jamais été possible de me corriger 
là-dessus. Il s'agit donc de trier vos lettres , et pour 
cela il faut tout renverser, tout fureter; pour 
mettre tout en ordre il faut commencer par tout 
mettre sens dessus dessous: cela demande un temps 



* 4NNÉR fjSi, 'i 

qu on ne me laisse pas à présent , et un domicile 
assuré qiie je suis bien loin d'avoir en ce pays. Je 
ne prévois pas de pouvoir feire cette revue avant 
rhiver, temps où la mauvaise saison forcera les 
importuns à me laisser quelque trêve , et on ma 
situation sera probablement plu$ stable qu'elle ne 
Test à présent. C'est un temps de plaisir que je me 
ménage, que celui que je passerai à vous relire, 
et à m'arrangcr pour pouvoir vous relire souvent. 
Jusqu'à ce moment, qu'il ne dépend pas de moi 
d'accélérer, usez, de grâce, avec moi d'indulgence, 
et croyez que mon cœur n'est indifférent sur rien 
de ce que vous m'écrivez , quoique je ne réponde 
pas à tout , et même que j'en oublie quelque 
chose. 

Quoique je fiisse bien fâché de recevoir le mon- 
sieur dans vos lettres, je voudrais bien , madame, 
y trouver un titre, et il me semble que vous me 
l'aviez promis : je vous avertis que ce n'est pas de 
ces choses qu'il soit permis d'oublier. Il faut pour- 
tant avouer que j'en ai oublié une , et que si vous 
me jugez à la rigueur cet oubli me rend indigne 
de la saVoir; c'est votre nom de baptême, que 
vous m'avez dit dans une de vos lettres, et que je 
rougis devant vous de ne pouvoir me rappeler. Je 
n'ai que cet aveu pour ma justification ; mais vous 
qui lisez si bien dans les cœurs , vous excuserez le 
mien : quand un crime de cette espèce nous rend 
vraiment coupable, on ne l'avoue jamais. De grâce, 
le joli nom de baptême ; car notez que je me sou- 
viens très-bien qu'il l'est. En vérité , vous êtes trop 



6 CORRESPONDANCE. 

ma dame pour que je vous appelle madame plus 
long-temps. 

Si je veux «^oir votre portrait! Ah! non-seule- 
ment le voir, mais l'avoir s'il était possible. A la 
vérité, je suis bien éloigné d'avoir du superflu; 
mais si une copie de ce précieux portrait, faite 
pourtant de bonne main , pouvait ne coûter que 
huit à dix pistoles , ce ne serait pas les prendre sur 
mon nécessaire, ce serait y pourvoir. Voyez ce qui 
se peut faire , et ce que vous^ pouvez permettre 
que je fasse. Un présent d'un prix inestimable sera 
votre consentement; vous sentez que ma propo- 
sition en exclut toute autre. 

Je ne vous ai point envoyé, madame, d'explica- 
tion ultérieure sur la terre en question ; d'abord , 
parce que je remis votre lettre à M. notre (châte- 
lain , qui l'envoya à M. de Bioley son beau-frère , 
et celui-ci l'a gardée un temps infini. Ensuite, je 
trouvai que les éclaircissements qui me furent 
'^- donnés verbalement n'ajoutaient rien à ce que je 
vous avais déjà écrit. On consent, et Ton avait 
déjà consenti à toutes les consultations qui peuvent 
vous être utiles; on vous prie seulement de n'en 
parler qu'autant qu'il convient à vos intérêts. 
Quant aux 'petites parties dont la recette est com- 
posée, elles ne causent aucun embarras , puis- 
qu'elles s'apportent toutes au château le jour mar- 
qué , et qu'on peut affermer le tout, ou charger 
un receveur de ce détail. Une autre raison encore 
a un peu ralenti le zèle que j'avais de vous voir 
acquérir des possessions en ce pays; mais cette 



s-Jk 



raison ne regardant absolument que moi , ne doit 
rien changer à voé projets: ainsi nous en parlerons 
plus à loisir. 

Me voilà bien en train de babiller, et tant pis 
pour vous, madame, car, quand je bavarde tant, 
je ne sais plus ce que je dis: tant pis aussi pour 
moi , peut-être ; j'ai peur, quand ma ferveur se ré- 
chaufié , que la vôtre ne vienne à s'attiédir. N'au- 
rait-elle point déjà commencé? 

OBSsmvATioir. — Madame Latour était malheureuse avec 
son mari 9 qui* avait mange une partie.de sa fortune. Pour sau- 
ver le reste elle voulait acheter une terre , et sa passion pour 
Rousseau la lui faisait diercher dans son vobinage. 

LETTRE CDVIIL 

A M. MARC CHAPPUIS. 

MotierSyle si mai 1763. 

Vous verrez , monsieur , je le présume, la lettre 
que j'écris à M. le premier syndic. Plaignez-moi, 
vous qui connaissez mon cœur, d'être forcé de faire 
une démarche qui le déchire. Mais après les n/*- 
fronts que j'ai reçus dans ma patrie, et qui ne sont 
ni ne peuvent être réparés , m'en reconnaître en- 
core membre serait consentir à mon déshonneur. 
Je ne vous ai point écrit, moUKieur, durant mes 
disgrâces : les malheureux doivent être discrets. 
Maintenant que tout ce qui peut m'arriver de bien 
et de mal est à peu près arrivé , je me fivre tout 



8 CORRESPONDANCE. 

entier aiix sentiments qui me plaisent et me con- 
solent , et soyez persuadé, monsieur, je vous sup- 
plie, que ceux qui m'attachent à vous ne s'affai- 
bliront jamais. 



LETTRE CDIX. 

AU MÊME. 

Motiers, le 26 mai 1763. 

Je vois , monsieur , par la lettre dont vous m'a- 
vez honoré le 1 8 de ce mois , que vous me jugez 
bien légèrement dans mes disgrâces. U en coûte 
si peu d'accabler les malheureux, qu'on est pres- 
que toujours disposé à.leur ùire un crime de leur 
malheur. 

Vous dites que vous ne comprend rien à ma 
démarche : elle est pourtant aussi claire que la 
triste nécessité qui m'y a réduit. Flétri publique- 
ment dans ma patrie sans que personne ait réclamé 
contre cette flétrissure , après dix mois d'attente , 
j'ai dû prendre le seul parti propre à conserver 
mon honneur si cruellement offensé. C'est avec la 
pliis vive douleur que je m'y suis déterminé : mais 
que pouvaîs-je faire ? Demeurer volontairement 
membre de l'état après ce qui s'était passé, n'était-ce 
pas consentir à mon déshonneur? 

Je ne comprends point comment vous m'osez 
demander ce que m'a fait la patrie. Un homme 
aussi éclairé que vous ignore-t-il que toute dé- 



ANNÉE 176'i. f) 

marché publique Êiite par le magi^rat est censée 
faite par tout l'état lorsqu aucun de ceux qui ont 
droit de la désavouer ne la désavoue. Quand le 
gouvernement parle et que tous les citoyens se 
taisent , apprenez que la patrie a parlé. 

Je ne d^s pas seulement compte de moi aux 
Genevois , je le dois encore à moi-même, au pu- 
blic , dont j'ai le malheur d'être connu , et à la pos- 
térité, de qui je le serai peut-être. Si j'étais assez 
sot pour vouloir persuader au reste de l'Europe 
que les Genevois ont désapprouvé la procédure de 
leurs magistrats, ne s'y moquerait- on pas de moi? 
Ne savons-nous pas, me dirait-on, que la bour- 
geoisie a droit de faire^ des représentations dans 
toutes les occasions où elle croit les lois lésées et 
où elle improuve la conduite des magistrats? Qu'a- 
t-elle fait ici depuis près d'un an que vous avez at- 
tendu? Si cinq oA sit bourgeois seulement eussent 
protesté, l'on pourrait vous croire sur les senti- 
ments que vous leur prêtez. Cette démarche était 
facile , légitime ; elle ne troublait point Tordre pu- 
blic: pourquoi donc ne l'a-t-on pas^faitc? Le si- 
lence de tous ne dément-il pas vos assertions? Mon- 
trez-nous les signes du désaveu que vous leur 
prêtez. Voilà, monsieur, ce qu'on me dirait et 
qu'on aurait raison de me dire. On ne juge point 
les hommes par leurs pensées, on les juge sur 
leurs actions. 

Il y avait peut-être divers moyens de me venger 
de l'outrage , mais il n'y en avait qu'un de le re- 
pousser sans vengeance; et c'est celui que j'ai pris. 



lO CORRESPOND AirCE. 

Ce moyen, qui ne fait de mal qu'à moi, doit -il 
m'attirer des reproches au lieu des consolations 
que JQ devais espérer? * * ' 

Vous dites que je n'avais pas droit de demander 
l'abdication de ma bourgeoisie ' : mais le dire n'est 
pas le prouver. Nous sommes ^ien lôinr-de compte ; 
car je n'ai point ptlé tendu demander cette abdica- 
tion , mais la- donner. J'ai assez étudié mes droits 
pour les connaître, quoique je ne les aie exercés 
qu'une fois, et seulement poiflr les abdiquer. Ayant 
pour moi l'usage de tousses peuples , l'autorité de 
la raison , du droit naturel , de Grotius, de tous les 
jurisconsultes, et même l'aveu du Conseil, je ne 
suis pas obligé de me réglefr sur votre erreur. Cha- 
cun sait que tcait' pacte dont un^ des parties en- 
frein t les conditions devient nul pour l'autre. Quand 
je devais tout à la patrie, ne me devait-elle rien? 
J'ai payé ma dette, a-t-elle payé ta siennf^? On n'a 
jamais droit de la déserter, J€? l'avoue :^ais, quand 
elle nous i*ejette, on a toujours droit de la quitter; 
on le peut dans les cas que j'ai spécifiés, et même 
on le doit dans le mien. Le serment que j'ai fait 
envers elle, elle l'a fait envers mpi. En violant ses 
engagements, elle m'affranchit des miens; et, en 
me les rendant ignominieux , elle me fait im devoir 
d'y renoncer. 

Vous dites que si des citoyens se présentaient 
au Conseil pour demander pareille chose, vous ne 
seriez pas surpris qu'on les incarcérât. Ni moi non 

* On verra dans le volume du supplément l'opinion de M. Ëymar 
à ce sujet. Elle est conforme à celle de M. Mouitou. 



dk 



« ANNIÉC 1763. I I 

pltis , je n*en serais pas^mirpris , parce que rien d'in- 
juste ne àott surprendre de ia part de quiconque 
a la force ea main. Mais bien qu'une loi, qu'on 
n'obserra jamais ;' défende au citoyes qui veut de- 
meurcnr tel de'SDrtir sans congé du territoire ; comme 
on na pas besoin de demander l'usage d'un droit 
qu'on a, quand un Genevois veut quitter tout-à- 
feiit sa patrie pour aller s'établir en pays étranger , 
personne ne songe à lui en faire un crime, et on 
ne l'incarcère point pour cela. Il est vrai qu'ordi- 
nairement cette renonciation n'est pas solennelle, 
maïs c'est qu'ordinairement ceux qui la font , 
n'ayant pas reçu des affronts publics , n'ont pas 
besoin de renoncer {Publiquement à la société qui 
les leur a faits. ♦ 

IMfonsieur, j'ai attendu, j'ai médité, j'ai cherché 
long-temps s'il y av^t quelque moyen d'éviter une 
<lémarche qui m'a déchiré. Je vous avais confié mon 
honneur yo Genevois! et j'étais tranquille ; mais vous 
avez si mal gardé ce dépôt, que vous me forcez de 
vous l'ôter. 

Mes bons anciens compatriotes , que j'aimerai 
toujours malgré votre ingratitude , de grâce , ne 
me forcez pas , par vos propos durs et malhon- 
nêtes, de faire publiquement mon apologie. Épar- 
gnez-moi , dans ma misère , la douleur de me dé- 
fendre à vos dépens. 

Souvenez-vous , monsieur , que c'est malgré moi 
que je suis réduit à vous répondre sur ce ton. Lrf 
vérité , dans cette occasion , n'en a pas deux. Si 
vous m'attaquiez moins durement , je ne cherche- 



12 CORRESPONDANCE. 

rais qu^à verser mes peines^ dans votre sein. Votre 
amitié me sera toujours chère , je me ferai toujours 
un devoir de la cultiver; mais je vous conjure , eh 
m'écrivant , de ne pas me la rendre si cruelle , et 
de mieux consulter votre bon coçiir. Je vous em- 
brasse de^tout le mien. 



LETTRE CDX. 

A M. MOULTOU. 

Mo tiers, le 4 juin 1768. 

J'ai si peu de bons moments en ma vie, qu'à 
peine espérais-je dîén retrouver dbussi doux que 
ceux que vous m'avez donjiés. Grand merci, ther 
ami : si vous avez été conten^t de moi, je l'ai été 
encore plus de vous ; cette simple vérité vaut bien 
vos éloges. Aimons -nous assez l'un l'autre pour 
n'avoir plus à nous louer. 

Vous me donnez pour mademoiselle C... une 
commission dopt je m'acquitterai mal , précisé- 
ment à cause de mon estime pour elle. Le refroi- 
dissement de M. G.... ' me fait mal penser de lui ; 
j'ai revu son livre, il y court après l'esprit; il s'y 
guindé : M. G.... n'est point mon homme : je ne 
puis croire qu'il soit celui de mademoiselle C... : 
qui ne sent pas son prix n'est pas digne d'elle; 
mais qui l'a pu sentir , et s'en détache , est un 

* Cest du célèbre Gibbon qu'il est question, et de madame Necker; 
nous le ferons voir dans Tobservation qui termine cette lettre. 



ANNKK 1763. l3 

liomme àiçépriser. Elle ne sixix cv qirello veut; cet 
homme la sert mieux que son propre cœur. J'aime 
cent fois mieux qu'il la laisse pauvre et libre au 
milieu de vous, que de Temmener être malheu- 
reuse et riche en Angleterre. En vérité, je souhaite 
que M. G.... ne vienne pas. Je voudrais me dégiti* 
ser, mais je ne saurais; je voudrais bien faire, et 
je sens que Je gâterai tout. 

Je tombe des nues au jugement de M. de Mon- 
clar. Tous les hommes vulgaires, tous les petits 
littérateurs sont faits pour ppier toujours au para- 
doxe y pour me reprqcher d'être outré ; mais lui 
que je croyais philosophe, et du moins logicien, 
quoi ! c'est ainsi qu'il m'a ki ! c'est ainsi qu'il ine 
jug%! Il ne m'a donc pas entendu. Si mes principes 
sont vrai^ , tout est vrai ; s'il sont faux , tout est 
faux ; car je n'ai tiré que des conséquences rigou- 
reuses et nécessaires. Que veut-il donc dire ? je n'y 
compBcndsrien^Je suii assurément comblé et ho- 
noré de ses éloges, mais autant seulement que je 
peux l'être de ceux d'un homme de mérite qui ne 
n^'entend pas^ Du reste , usez de sa lettre comme 
il vous plaira ; eHe ne peut que m'ètre honorable 
dans le public. Mais , quoi qu'il dise , il sera tou- 
jours clair entre vous et moi qu'il ne m'entend 
point. 

Je suis accablé de lettres de Genève. Vous ne 
sauriez imaginer à la fois la bêtise et la hauteur 
de ces lettres. Il n'y en a pas une où l'auteur ne 
se porte pour mon juge, et ne me cite à son tri- 
bunal pour lui rendre compte de ma conduite. Un 



l6 CORRESPOND A JVCE. 



LETTRE CDXI. 

A. M. A. A. 
• Motiers , le 5 juin 1763. 

Voici , monsieur, la petite réponse que vous de- 
mandez aux petites difficultés qui vous tourmen- 
tent dans ma lettre à M. de Beaumont *. 

i^Le christianisme n'est, que le judaïsme expli- 
qué et accompli. Donc les apôtres ne transgres- 
saient point les lois des Juifs quand ils leur ensei- 
^aient FÉvangile : mais les Juifs les persécutèrent, 
parce qu'ils ne les entendaient pas , ou qu'ils fei- 
gnaient de ne les pas entendre : ce n'est pas la 
seule fqis que le cas est arrivé. 

a° J'ai distingué les cultes où la religion essen- 
tielle se trouve , et ceux où elle ne .$e trouve pas. 
Les premiers sont bons , les autres mauvais; j'ai dit 
cela. On n'est obligé de se conformer à la religion 
particulière de l'état, et il n'est même permis de 
la suivre , que lorsque la religion essentielle s'y 
trouve , comme elfe se trouve , par exemple , dans 
diverses communions chrétiennes , dans le maho- 

* Voici le passage objecté : 

« Je crois qu'un homme de bien , dans quelque religiou qu'il 
« vive de bonne foi , pest être sauvé. Mais je ne crois pas pour 
« cela qu*on puisse légitimement introduire dans un pays des reli- 
« gions étrangères sans la permission du souverain; car si ce n'est 
« pas directement désobéir à Dieu, c'est désobéir aux lois, et qui 
« désobéit aux lois désobéit à Dieu. » 

( Lettre à M, de Beaumont. ) 



ANNÉE 1763. 17 

métisme , dans le jiuLiïsnie ; Unais dans U; p.iganismo , 
c'était autre chose; comme très-évidemment la re- 
ligion essentielle ne s'y trouvait pas, il était per- 
mis aux apôtres de prêcher contre le paganisme , 
même parmi les païens, et même malgré eux. 

3® Quand tout cela ne serait pas vrai, que s'en- 
suivrait-il? Bien qu'il ne soit pas permis aux mem- 
bres de l'état d'attaquer de leur chef la foi du pays, 
il ne s'ensuit point que cela ne soit pas permis à 
ceux à qui Dieu l'ordonne expressément. Le caté- 
chisme vous apprend que c'est le cas de la prédi- 
cation de rÉvangile. Parlant humainement, j'ai dit 
le devoir commun des hommes ; mais je n'ai point 
dit qu'ils ne dussent point obéir, quand Dieu a 
parlé. Sa loi peut dispenser d'obéir aux lois hu- 
maines ; c'est un principe de votre foi que je n'ai 
point combattu. Donc en introduisant une religion 
étrangère sans la permission du souverain , les apô- 
tres n'étaient point coupables. Cette petite réponse 
est , je pense , à votre portée , et je pense qu'elle 
suffit. 

TranquilUsez-vous donc, monsieur , je vous prie , 
et souvenez - vous qu'un bon chrétien , simple et 
ignorant , tel que vous m'assurez être , devrait se 
borner à servir Dieu dans la simplicité de son cœur, 
sans s'inquiéter si fort des sentiments d'autnii. 



H. XX. 



l8 CORRESPOND A.NGE. 



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LETTRE CDXII. 

A M. THÉODORE ROUSSEAU. 

■ 

Motîers, le 5 juin 1763. 

Je VOUS aurais envoyé sur-le-champ , mon très- 
cher cousin , la copie que vous me demandez , de 
ma lettre à M. le premier syndic, si je n'eusse été 
informé que cette lettre était publique à Genève, 
peu de jours après sa réception , de sorte que je 
iHî puis douter que vous n'en ayez eu commu- 
nication peu de temps après l'envoi de la vôtre. Si 
cependant cela n'était pas , demandez-en commu- 
nication à M. Chappuis ou à M. Deluc ; ils ne vous 
la refuseront sûrement pas. Tout le monde me de- 
mande des copies de mes lettres , sans songer que 
je n'ai point de secrétaire, et que quand je passe- 
rais ma vie à faire des copies, je ne suffirais pas à 
la curiosité du public. Votre cas, mon cher cousin, 
est très - différent , et j'en fais bien la distinction : 
aussi si je pouvais présumer que vous n'eussiez pas 
déjà celle que vous me demandez, vous la ferais-je 
à l'instant. Mais je suis assuré que ce serait un soin 
superflu. 

Il me semble que vous vous exprimez avec moi 
en termes peu convenables sur la triste démarche 
que j'ai été obligé de faire pour la défense de mon 
honneur, chargé par le Conseil d'iuie flétrissure pu- 
blique, contre laquelle personne n'a réclamé et à 



-'-- 



laquelle ce serait consentir que de rester volontai- 
rement membre de Tétai où je Tai reçue. \ ous de- 
vez sentir et plaindre mon affliction dans une dé- 
marche nécessaire qui me déchire : mais (juel 
droit avez - vous de me supposer irrité lorsque je 
ne fais du mal qu'à moi? Vous dites que c'est un 
coup sanglant pour mes parents; et tout au con- 
traire, c'est un soin cruel, mais indispensable que 
je devais à ma personne , à mon nom , à ceux qui 
le portent ainsi que moi. Si j'étais capable de 
boire des affronts sans m'en défendre , c'est alors 
que ma famille aurait droit de se plaindre de l'a- 
vilissement qu'elle partagerait avec moi. J'attendais 
de vous des remerciements pour n'avoir pas laissé 
déshonorer votre fiom. J'espérais du moins que 
vous me plaindriez dans mes malheurs. Dispen- 
sez-Vous, je vous prie, à l'avenir de me faire des 
reproches injustes et déi-aisonnables que je n'ai 
sûrement pas mérités. Du reste , soyez persuadé , 
mon cher cousin, qu'en renonçant à ma j)atrie je 
n'ai point renoncé à ma famille : elle me sera tou- 
jours chère. Et mon cher cousin Théodore doit 
être assuré de trouver toujours en moi un bon pa- 
rent et ami qui ne l'oubliera jamais. Je vous em- 
brasse de tout mon cœnr. 

0BSEB.VATi02r. On voit que les parents de Rousseau blâmaient 
rabdicatioD qu'il iivait faite du titre de citoyen. Plusieurs de ses 
compatriotes lui ont adressé des reproches pareils ' . 

' Dans le volume des pièces inédites qui sera publié après cette 
édition, on trouvera une dissertation h ce sujet d'un admirateur du 
Roussean. 



20 COIlRESPONDA]VC£, 



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LETTRE CDXIIL 

A MADAME LATOUR. 

A Motîers, le 17 juin 1763. 

Quel silence! quel temps j'ai choisi pour le gar- 
der ! O cette charmante Marianne ! Que penscra- 
t-elle, que cUra-t-elle maintenant de celui qu'elle 
a honoré du précieux nom d'ami , et qui, pour prix 
de ce bienfait, se tait avec elle depuis aix semaines? 
Quand je pense combien je suis coupable , la'plume 
me tombe des mains , et je n'ai pas le front de con- 
tinuer d'écrire. Il le faut cependant, pour ne pas 
aggraver le crime par le repentir. Soyez donc aussi 
clémente qu'ai^nable; acceptez ma contrition. Je. 
ne mérite grâce qu'en un seul point, mais tel qu'il 
suffira pour l'obtenir de vous , je l'espère : c'est 
que je sens tout mon crime, et ne cherche point 
à l'excuser. 

En vérité , je suis bien heureux que vous soyez 
si bonne ; car , si vous vouliez ne pas l'être , vous 
auriez de terribles manières de tirer sur les gens. 
Il îCy a pas jusqiCa V exactitude de Vadœsse qui ne 
m'ait été jusqu'à Vame, C'est une bombe que cela, 
douce Marianne, et je mi'en sens d'autant plus écrasé, 
que je ne l'ai que trop attirée. Ce qu'il y a de plus 
humiliant pour moi est qu'à présent même elle 
m'échappe encore, cette adresse, qui m'est pour- 
tant si chère , et qu'il £[iudra qu'avant d'envoyer 

I 



ANWIÉE 1763. 2 1 

cette lettre j'aille passer trois heures à la rechercher 
dans un plein coffre de papiers qui me sont tous 
aussi importants , mais non pas aussi chers que vos 
lettres. Malgré cela , si vous lisiez clans mon cœur , 
TOUS le verriez plein de sentiments pour vous, dont 
Tefifet peut aller plus loin que de mettre exacte- 
ment une adresse. 

Vous ne voulez pas me laisser échapper sur la 
petite chose que je disais me déplaire en vous. Il 
fiint pourtant que vous me fassiez grâce encore^ 
$wr ce point ; car il m'est impossible de vous satis- 
faire 9 et vous seriez bien étonnée si je vous en di- 
sais la raison. Qu'il vous suffise, je vous supplie, 
ffétre sûre conmie vous devez l'être , puisque c'est 
la vérité , que cette petite chose , si jamais elle a 
existé , n'existe plus ; que de toutes les choses que 
je connais de vous , il y en a mille qui m'enchan- 
tent, et pas une qui me déplaise, surtout depuis 
qae vous n'exigez plus , dans notre commerce , 
Fexactitude qu'il m'est impossible d'y mettre ; mais 
f avoue que si la vôtre se relâche, je me voudrai 
bien du mal de n'oser vous rien reprocher. 

Je ne l'aurai donc point , le portrait de cette 
charmante Marianne ! elle l'a ainsi décidé. Je vous 
avoue pourtant que la raison sur laquelle vous me 
refusez la permission de le faire copier m'aurait 
Êdt rire , si le refus m'eût moins fâché. Un pauvre 
barbon malade et sec comme moi doit être bien 
fier de n'être pas pour vous un homme sans con- 
séquence : mais puisque j'en porte les charges ^ 
j'en devrais bien avoir aussi les droits. 



22 CORRESPONDANCE. 

Il est vrai , madame , que , selon la loi , les ca- 
tholiques ne peuvent pas acquérir des terres dan^ 
le canton de Berne ; mais on m'assure que les,peiî- 
missions ne sont pas difficiles à obtenir; et, en 
effet , il y en a divers exemples , du moins à ce 
qu'on me dit; car, pour moi, je n'en connais pas. 
J'ai écrit dans le canton même pour avoir des éclair- 
cissenaents plus sûrs ; mais je n'ai pas encore de 
réponse. Pour moi , si c^tte acquisition ne peut se 
faire, j'en serai bientôt consolé, puisque, si ma 
santé me le permet , je suis déterminé à quitter ce 
pays , et que si elle ne me le permet pas , je ne se- 
rais pas en état d'y profiter de votre voisinage. 
Milord Maréchal a pris tout de bon son parti , et 
va en Ecosse, où je Tirai joindre sitôt que je serai 
en état de supporter le voyage ; ce que malheureu- 
sem«[>t je ne saurais à présent, sans quoi je serais 
déjà parti pour la Hollande , où il m'a marqué qu'il 
m'attendait quelques jours. Malgré mon dépéris- 
sement je ne puis renoncer à la douce espérance 
d'aller enfin passer le reste de ma vie en paix entre 
George Keith et David Hume. 

Bonjour , belle Marianne , je voudrais bien qu'au 
lieu d'habiter le quartier du Palais-Royal , vous 
habitassiez la ville d'Aberdeen ^ ; j'aurais du moins 
quelque espoir de vous y voir un jour. 

' Milord Maréchal pressait Rousseau de venir eu Ecosse avec 
lui. Ses terres étaient près d*Aberdeen , ville maritime de ce pays. 



ANNÉE 1763. a3 



LETTRE CDXIV. 

A M. MOULTOU. ' 

km 

Motiers-Trayert, ce lundi 37 juin 1763. 

Je suis en peine de vous , mon cher Moultou ; 
seriea^vous malade ? Je le demande à tout le monde , 
et ne puis avoir de réponse. Vous qui étiez si 
exact à m^écrire dans les autres temps , comment 
vous taisez-vous dans la:>circonstance présente ? ce 
silence a quelque chose d'alarmant. 

Je viens de recevoii^iWie lettre de M. Marc Chap- 
puis, dans lacpiélle il nie parle ainsi : « Vous avez 
ff envoyé dans cette ville copie de la lettre que 
« vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le %6 mai 
«dernier... Cette copie, que je n'ai point vue, est 
ff tronquée , à ce que m'a assuré M. Moultou , qui 
« m'est venu demander lecture de l'original. » 

Cet étrange passage demande explication. Je l'at- 
tends de vous , mon cher Moultou ; et ce n'est 
qu'après avoir reçu votre réponse que je ferai la 
mienne à M. Chappuis. M. de Sautern vous fait mille 
amitiés ; recevez les respects de mademoiselle Le 
Vasseur et le^embrassements de votre ami. 



24 CORRESPONDANCE. 

LETTRE CDXV. 

AU MÊME. 
Motiers-Travers, ce 7 juillet 1763. 

Votre avis est honnête et sage. J'y reconnais la 
voix d'iiir ami : je vous remercie , et j'en profite. 
Mais avec aussi peu de crédit à Genève , que puis-je 
faire pour m'y faire écouter , surtout dans une af- 
faire qui n'est pas tellement la mienne qu'elle ne 
soit aussi celle de tous ? Renoncer , au moins pour 
ma part, à l'intérêt que j'y puis avoir, en décla- 
rant nettement, comme je le fais aujourd'hui, qu'à 
quelque prix que ce soit je n'accepterai jamais la 
restitution de ma bourgeoisie , et que je ne ren- 
trerai jamais dans Genève. J'ai fait serment de l'un 
et de l'autre : ainsi me voilà lié sans retour; et 
tout ce qu'on peut faire pour me rappeler est par 
conséquent inutile et vain. J'écris de plus à Deluc 
une lettre très-forte , pour l'engager à se retirer ; 
j'en écris autant à mon cousin Rousseau. Voilà 
tout ce que- je puis faire; et je le fais de très-bon 
cœur : rien de plus ne dépend de moi. L'interpré- 
tation qu'on donne JL-ma lettre à Chappuis est aussi 
raisonnable que si,' lorsque j'ai dit non^ l'on en 
concluait que j'ai voulu dire oui. Voulez-vous que 
je me défende devant des fourbes ou des stupides? 
Je n'ai jamais rien su dire à ces gens-là, et je ne 
veux pas commencer. Ma conduite est, ce me 



semble , uniforme et claire ; pour l'interpréter il 
ne faut que du bon sens et un cœur droit, \dieu, 
cher Moultou. J'aurais bien quelque chose à vous 
représenter sur ce que vous avez dit à Chappuis , 
que j'avais tronqué la copie de sa lettre ; car , quoi- 
que cela ait été dit à bonne intention , il ne faut 
pas déshonorer ses amis pour les servir '. Vous 
m'avouez, à la vérité, que cette copie n'est point 
tronquée; mais il croit , lui , qu'elle l'est; il le doit 
croire , puisque vous le lui avez dit , et il part de 
ià pour me croire et me dire un homme capable 
de falsification. Il ne me paraît pas avoir si grand 
tort , quoiqu'il se trompe. 

Au reste , quoi que vous en puissiez dire , je ne 
lui écrirai point comme à mon ami, puisque je 
sais qu'il ne l'est pas. J'écris à M. de -Gauffecourt. 
ce respectable Abauzit! je suis donc condamné 
à ne le revoir jamais ! Ah! je me trompe; j'espère 
le revoir dans le séjour des justes! En attendant 
que cette commune patrie nous rassemble , adieu , 
mon ami. 

Le pauvre baron est parti en me chargeant de 
mille choses pour vous. Je suis resté seul, et dans 
quel moment! 

' U ne m'ayait pas compris» et vit bien que je savais aussi bien 
foe lai cette maxime. •* \ Note de M* Moultou. ) 



l6 CORRESPONDANCE. 



^ ' LETTRE CDXVI. 

A M. DELUC. 

Motiers, le 7 juillet 1763. 

Je crains , mon cher ami , que votre zèle patrio- 
tique n'aUle un peu trop loin dans cette occasion , 
et que votre amour pour Jies lois n'expose à quel- 
que atteinte la plus importante de toutes , qui est 
le salut de l'état^ J'apprends que vous et vos dignes 
concitoyens méditez da nouvelles représentations ; 
et la certitude de leur inutilité me fait craindre 
qu'elles, ne compromettent enfin vis-à-vis les uns 
des autres , ou la bourgeoisie , ou les magistrats. Je 
ne prétaids pas me donner dans cette affaire une 
importance qu'au surplus je ne tiendrais que de 
mes malheurs : je sais que vous avez à redresser 
des grièfe qui , bien que relatifs à de simples parti- 
culiers 9 blessent la liberté publique. Mais, soit que 
je considère cette démarche relativement à moi , 
ou relativement au corps de la bourgeoisie , je la 
trouve également inutile et dangereuse ; et j'ajoute 
même que la solidité de vos raisons tournera toute 
à votre commun préjudice , en ce qu'ayant mis en 
poudre les sophistnes de sa réponse , vous forcerez 
le Conseil à ne pouvoir plus répliquer que par un 
sec // n'y a lieu^ et par conséquent de rentrer , par 
le fait, en possession de son prétendu droit néga- 
tif*, qui réduirait à rien celui que vous avez de 

Voyez ce que nous avons dit sur ce droit qu'avait ou que s'ar- 



ANNÉE 1763. ^7 

(aire des représentations. Que si, après cela , vous 
vous obstinez à poursuivre le redresi^enient des 
griefe (que très -certainement vous n'obtiendrez 
point) , il ne vous reste plus qu'une seule voie lé- 
gitime , dont TefFet n'est rien moins qu assuré , et 
qui, donnant atteinte à votre souveraineté, établi- 
rait une planche très-dangereuse, et serait un mal 
beaucoup pire que celui que vous voulez réparer. 

Je sais qu'une famille intrigante et rusée ' , s'é- 
tayaat d'un grand crédit au-dehors, sape à grands 
coups les fondements de la république , et que ses 
membres , jongleurs adroits et gens à deux envers, 
mènent le peuple par l'hypocrisie et les grands 
par l'irréligion. Mais vous et vos concitoyens devez 
considérer que c'est vous-mêmes qui l'avez établie ; 
qu'il est trop tard pour tenter de l'abattre , et qu'en 
supposant même un succès qui n'est pas à présu- 
mer, vous pourriez vous nuire encore plus qu a 
elle , et vous détruire en l'abaissant. Croyez-moi , 
mes amis , laissez-la faire ; elle touche à son terme , 
et je prédis que sa propre ambition la perdra, sans 
que la bourgeoisie s'en mêle. Ainsi , par rapport à 
la république , ce que vous voulez faire n'est pas 
Utile en ce moment; le succès est impossible, ou* 
serait funeste , et tout reprendra son cours natu- 
rel avec le temps. 

Par rapport à moi , vous connaissez ma manière 

rogeait le Sénat ou petit G)Dseil, dans le tableau que nous avons 
tracé en tête des Lettres de ta Montagne ( tome x de cette édition ) , 
de la conttitution de Genève à l'époque ou Rousseau écrivait. 

* La famille Tronchin. 



a8 COttftESPONDANCE. 

dé penser , çt M. dlvernois , à qui j'ai ouvert mon 
cœur à son passage ici, vous dira , comme je vous 
l'ai écrit , et à tous mes amis , que , loin de désirer 
en cette circonstance des représentations, j'aurais 
voulu qu'elles n'eussent point été faites , et que je 
désire encore plus qu'elles n'aient aucune suite. Il 
est certain, comme je l'ai écrit à M. Chappuis, 
qu'avant ma lettre à M. Favre , des représentations 
de quelques membres de la bourgeoisie , suffisant 
pour marquer qu'elle improuvait la procédure , et 
mettant par conséquent mon honneur à couvert , 
eussent empêché une démarche que je n'ai faite 
que par force , avec douleur , et quand je ne pou- 
vais plus m'en dispenser sans consentir à mon dés- 
honneur ; mais une fois faite , et mon parti pris , 
cette démarche ne me la^issant plus qu'un tendre 
souvenir de mes anciens compatriotes , et un désir 
sincère de les voir vivre en paix , toute démarche 
subséquente, et relative à celle-là, m'a paru dé- 
placée , inutile ; et je ne l'ai ni désirée ni approu- 
vée. 3 'avoue toutefois que vos représentations 
m'ont élérbonorables , en montrant que la procé- 
dure fait^ contre moi était contraire aux lois , et 
improuvée par la plus saine partie de l'état. Sous 
ce point de vue, quoique je n'aie point acquiescé 
à ces représentations, je ne puis en être fâché. 
Mais tout ce que vous ferez de plus maintenant 
n'est propre qu'à en détruire le bon effet ,• et à 
faire triompher mes ennemis et les vôtres, en 
criant que vous donnez à la vengeance ce que 
vous ne donnez qu'au maintien des lois. 



ANNÉE fjtyi. StQ 

Je VOUS conjure donc , mon Vertueux «inii , par 
votre amour pour la patrie et pour ta paix, de 
laisser tomber cette affaire , ou même d'en aban- 
donner ouvertement la poursuite,au moins pour ce 
moà me regarde, afin que votre exemple entraine 
ceux qui vous honorent de leur confiance , et que 
les griefs d'un particulier qui n'est plus rien à l'état 
n'en troublent point le repos. Ne soyez en peine, 
ni du jugement qu'on portera de cette retraite, 
ni du préjudice qu'en pourrait souffrir la liberté. 
La réponse du Conseil, quoique tournée avec toute 
l'adresse imaginable , prête le flanc de tant de côtés, 
et vous donne de si grandes prises, qu'il n'y a 
point d'homme un peu au fait qui ne sente le motif 
de votre silence , et qui ne juge que vous vous taisez 
pour avoir trop à dire. Et quant à la lésion des 
lois, comme elle en deviendra d'autant plus grand(^ 
qu'on en ûura plus vivement poursuivi la réparation 
sans l'obtenir, il vaut mieux fermer les yeux dans 
une occasion où le manteau de l'hypocrisie couvre 
les attentats contre la liberté , que de fournir aux 
usurpateurs le moyen de consommer, au nom de 
Dieu 9 l'ouvrage de leur tyrannie. 

Pour moi, mon cher ami, quelque disposé que 
je fusse à me prêter à tout ce qui pouvait complaire 
à mes anciens concitoyens, et à reprendre avec 
joie un titre qui me fut si cher , s'il m'eût été res- 
titué de leur gré , d'un commun accord , et d'une 
manière qui me l'eût pu rendre acceptable , vos 
démarches, en cette occasion, et les maux qui peu- 
vent en résidtiîr , me forcent à changer de résolu- 



3t> CORRESPONDANCE. 

lion sur ce point, et à en prendre une dont, quoi 
qu'il arrive , rien ne me fera départir. Je vous dé- 
clai'e donc, et j'en ai fait le serment, que de mes 
jours je ne remettrai le pied dans vos murs, et que, 
content de nourrir dans mon cœur les sentiment* 
d'un vrai citoyen de Genève , je n'en reprendrai 
jamais le titre : ainsi toute démarche qui pourrait 
tendre à me le rendre est inutile et vaine. Après 
avoir Bacrifié mes droits les plus chers à l'honneur, 
je sacrifie aujourd'hui mes espérances à la paix. Il 
ne me reste plus rien à faire. Adieu. 



LETTRE CDXVII. 

A M. DE GAUFFECOURT. 

Motiers, le 7 juillet 1763. 

J'apprends, cher papa, que vous êtes à Genève, 
et cela redouble mon regret de ne pouvoir passer 
dans cette ville, comme je comptais faire, après 
toutes ces tracasseries , pour aller à Chambéri voir 
mes anciens amis. Forcé de renoncer à ma bour- 
geoisie , pour ne* pas consentir à mon déshonneur, 
j'aurais passé comme un étranger; et avec quel 
plaisir j'eusse oublié, dans les bras du cher Gauf- 
fecourt, tous les maux qu'on rassemble sur ma tête! 
Mais les démarches tardives et déplacées de la bour- 
geoisie, et l'étrange réponse du Conseil, me for- 
cent, dé peur d'attiser le feu par ma présence, à 
nï'abstenir d'un voyage que je voulais faire en paix. 



ANNÉK I7C3. 3l 

\près sVtre tu quand il fallait parler , un parle 
quand il faut se taire et que tout ce qu'on peut 
(lire n'est plus bon à rien. 

L'affection que j'aurai toujours pour ma patrie 
me £ût désirer sincèrement que tout ceci, qui s'est 
Eût contre mon gré , n'ait aucune suite , et je l'ai 
écrit à mes amis. Mais ne ra'ayant ni défendu dans 
mon malheur , ni consulté dan» leur démarche, au- 
ront-ils plus d'égard à mes représentations, qu'ils 
Q en eurent à mes intérêts lorsqu'ils n'étaient que 
œux des lois et les leurs ? Dans le doute de mon 
crédit sur leur esprit, j'ai pris le dernier parti que 
je devais prendre , en leur déc^larant que , quoi qu'il 
arrivât , et quoi qu'ils fissent , je ne reprendrais ja- 
mais le titre de -leur citoyen*, et ne rentrerais ja- 
mais dans leurs murs. C'est à quoi je suis aussi très- 
déterrniné, et c'est le seul moyen qui me restait 
d'assoupir toute cette^affaire , autant du moins que 
mon intérêt y peut influer. Ce serait j'en conviens, 
me donner une importance bien ridicule, si on ne 
l'eût rendue nécessaire , et dont; je ne saurais d'ail- 
leurs être fort vain , puisque je ne la dois qu'à mes 
malheurs. Ainsi ^ rien né manque à mes sacrifices. 
Puissent-ils être aussi utiles que je les fais de bon 
cœur , quoique déchiré T 

Ce qui m'afflige le plus dans cette résolution, est 
l'impossibilité où elle^ne met d'embrasser jamais 
mes amis à Genève, ni vous par conséquent qui 

* de leur citoyen, Confornieau texte de réditioii donuée 

par du Pe3'rou en 1790, où celte lettre a été imprimée pour la 
première fois , et où, par erreur sans doute « on a mis citoyen pour 
iOKcitoyen. ' 



32 CORRESPOND A.WCE. 

êtes le pliis ancien de tous. Faut-il donc renoncer 
pour toujours à cet espoir? Cher papa, j'espère que 
votre santé raffermie ne votis rend plus 'les bains 
d'Aix nécessaires ; mais jadis c'était pour vous un 
voyage de plaisir plus que de besoin. S'il pouvait 
l'être encore, quelle consolation ce serait pour moi 
d'aller vous y voir! Je crois que je moin^rais de joie 
en vous serrant danç mes bras. Je traverserais le 
lac, le^Chablais, le Faucigny, pour vous aller join- 
dre. L'amitié me donnerait des forces ; la peine ne 
me coûterait rien. 

On dit que les jongleurs ont acheté Marc Chap- 
puis avec votre empkn. Je les trouve bien prodi- 
gues dans leurs emplettes. Il est vrai que celle - là 
se fait à vos dépeus, et c'est tout ce qui m'en fâche. 
Assurément, si je n'ai pas une belle statue, ce ne 
sera pas la faute des jongleurs ; ils se tourmentent 
furieusement pour en élevei* le piédestal. Donnez- 
moi de vos nouvelles. Je vous embrasse de tout 
mon cœur. 

LETTRE CDXVIII. 

A M. ÛSTERI, 

■ 1* 

PROFESSEUR A ZURICH, 
Sur le chapitre vm du dernier livre du Coittrat social. 

Motiers, i5 juillet 1763. 

Quelque excédé que je sois de disputes et d'ob- 
jections, et quelque répugnance que j'aie d'em- 



.'1&..Î 



ANNÉE I7G3. 33 

ployer à ces petites guerres le précieux commerce 
(le l'amitié, je continue à répondre à vos difficultés, 
puisque vous Fexigez ainsi. Je vous dirai donc^ avec 
ma franchise ordinaire , que vous ne me paraissez 
pas avoir bien saisi 1 état de la question. La grande 
société, la société humaine en générai, est fondée 
sur rhumanité , sur la bienfaisance universelle. Je 
dis et j'ai toujours dit que le christianisme est fa- 
vorable à celle-là. 
Mais les sociétés particulières , les sociétés poli- 

I tiques et civiles ont un tout autre principe; ce sont 
desétablissementspurementhumains, dontpar con- 
séquent le vrai christianisme nous détache comme 
de tout ce qui n*est que terrestre. Il n'y a que les 
vices des honunes qui rendent ces établissements 
nécessaires , et il n'y a que les passions humaines 
qui les conservent. Otez tous les vices à vos chré- 
tiens, ils n'auront plus besoin de magistrats ni de 
bis; otcz-ieur toutes les passions humaines, le lien 
rivil perd à l'instant tout son ressort : plus d'ému- 
lation, plus de gloire, plus d'ardeur pour les pré- 
férences. L'intérêt particulier est détruit; et, faute 
d'un soutien convenable, l'état politique tombe en 
langueur. 

Votre supposition d'une société politique et ri- 
goureuse de chrétiens, tous parfaits à la rigueur, est 
donc contradictoire; elle est encore outrée quand 
vous n'y voulez pas admettre uu seul homme in- 
juste , pas un seul usurpateur. Sera-t-elle plus par- 
faite que celle des apôtres ? et cependant il s'y trouva 
un Judas.... Sera-t-elle plus parfaite que celle des 

R. XX. 3 



34 corâespôjidAnce. 

anges? et le diable ^ dit-on, en est sorti. Mon cher 
ami, vous oubliez que vos chrétiens seront des 
hommes, et que la perfection que je leur suppose 
est celle que peut comporter Thumanité. Mon livre 
n'est pas faiit pour les dieux. 

Ce n'est pas tout. Vous donnez à vos citoyens ùii 
tact moral ^ une finesse exquise : et pourquoi»? parce 
qu'ils sont bons chrétiens. Comment! nul ne peut 
être bon chrétien à votre compte sans être uii La 
Rochefoucauld, un La Bruyère? A quoi pensait donc 
notre maître, quand ÏI bénissait les pauvres en es^ 
prit? Cette assertion -là, premièrement, n'est pas 
raisonnable , puisque la finesse du tact moral ne 
s'acquiert qu'à force de comparaisons, el s'exerce 
même infiniment mieux sur les vices que l'on cache 
que sur les vertus qu'on ne cache point. Seconde^ 
ment, cette même «issertion est contraire à toute 
expérience, et l'on voit constamment que c'est dan& 
les plus grandes villes , chez les peuples les plus 
corrompus qu'on apprend à mieux pénétrer dans 
les coeurs, à mieux observer les hommes, à mieux 
interpréter lexirs discours par leurs sentiments , à 
mieux distinguer la réalité de l'apparence. Nierez- 
vous qu'il n'y ait d'infiniment meilleurs observa- 
teurs moraux à Parfs qu'en Suisse ? ou conclurez- 
vous de là qu'on vit plus vertueusement à Paris 
que chez vous? 

Vous dites que vos citoyens seraient infiniment 
choqués de la première injustice. Je le crois; mais, 
quand ils la verraient , il ne serait plus temps d'y 
pourvoir, et d'autant mieux qu'ils ne se pennet- 



t^km. 



ANNÉE 1703. 35 

traient pas aisément de mal penser de leur pro- 
chain , ni -de donner une mauvaise inteqirétation 
à ce qui pourrait en avoir une bonne. Cela serait 
trop contraire à la charité. Vous n'ignorez pas que 
les ambitieux adrpitsse gardent Bien de commencer 
par dés 'injustices; au tK)n traire, ils n'épargnent 
rieç pour^gagner d'abord la confiance et l'estime 
publique par la pratique extérieure de la vertu ; 
ik ne je^nt,4e masque et ne frappent les grands 
coups que qqand leur partie est bien liée, et qu'on 
n'en peut plus revenir. Cromwell ne fut connu pour 
im tyran qu^a^ès avoir passé quinze ans pour le 
vengeur deë }#is et le défenseur de la religion. 

Pour . conserver votre* république chrétienne, 
vous rendes ses voisins aussi justes qu'elle : à la 
bpnne hjeuf;e ; je conviens qu'eUe se défendra tou- 
jours assç&<bîen 'pourvu qu'elle ne soit point atta- 
quée. A l'égard du couhige que vous donnez à ses 
soldats, parle simple amour de la conservation , 
c'est celui qin ne. manque à personne. Je lui ai 
doimé un motif encore pkis puissant sur des chré- 
tiej^ , savoir; l'amèùr du devoir. IJhdessus , je crois 
pouvoir, pour toute réponse, vous renvoyer à 
mon livre ,. où té point est biçn discuté. Comment 
ne voyee^ous psK .qu'il n'y à qUe de grandes pas- 
sions qui'Êissefft'de gran4es choses ? Qui n'a d'autre 
passion que ceUe de son salut ne fera jamais rien 
de grand dans le temjîorel. Si Mutins Scœvola n'eût 
été qu'un saint , croyez-vous qu'il eût fait lever le 
siège de Rome ? Vous me citerez peut-être la ma- 
gnafiiqie Judith. Mais nos chrétiennes hypothé- 

3. 



36 . correspondancjî:. 

tiques , moins barbarerrient coquettes , nUront pas, 
je crois ôédiiire leurs ennemis, et .piiiS coucher 
avec eu* pour les* massacrer durant leur sommeil. 
Moucher ami , je-n'aspire pas à vous \îon vaincre. 
Je sais qu'il n'y a pî^s -deux' têtes organisées de 
même j et qu'apVès biei\ (jies disputes , bien des ob- 
jections, bien des éc)airqis$6meixts, cliiâcun finit 
toujours par rester dans soibsenCipFieitt comme au- 
paravant. D'àlHeurs , quelque philosfDjifae que vous 
puissiez être ^ je sens qii'il faut'toujoiws un peu te-^ 
nir à l'état. Encore une fois*, Je vou&..Réponds 
parce que vous 'le \çfà\ez; mais jen^ vous en es- 
timerai pas inoins ^pout ne pa^ panser conpiie 
moi. J'ai dit mon avis» ait public ; «t j'ai cru le de- 
voir dire , en choses importantes et qui- intéressent 
l'humanité. Au reste ^ije pjjis ra'être tcompé tou- 
jours ; et je me suis trompé^ souyoïlt sans doute. J'ai 
dit mes raisons ; e'est au pid3lie ^ c'est à vous à les 
peser , à les juger , à choisir. Pour jrioi , je n^cn sais 
pas davantage , et je troiive** très-bon que ceux 
qui ont d'autres afenfiments-W'^rdent, pourvu 
qu'ils me laisoeilt en pais dans, le tnïén- 

" ' ' '^^ ■•■ v" 

A M. F. H. ROUSSEAU.. 

Juillet 1763. 

Une absence de quelques jours m'a empêché, 
mon très-cher cousin, de répondre pliis tôt à 



ANNÉE 1763. 37 

votre -lettre , et de vous marquer mon regret sur 
la perte de mon cousin votre père. Il a vécu en 
homme d'honneur , il a supporté la vieillesse avec 
courage, et il est mort en chrétien. Une carrière 
ainsi passée est digne d'envie : puissions - nous , 
monxher cousin , vivrq et mourir comme lui ! 

Quanta ce que vous me marquez des représen- 
tations qui oû\ été faitips à mon sujet , et auxquelles 
vous avez concouru , je reconnais , mon cher cou- 
sin , dans cette démarche le zèle d'un bon parent 
et d'mi digne' citoyen ; mais j'ajouterai qu'ayant 
été faites à mop insu, et daijs un temps où elles 
ne pouvaient plus produire aucun effet utile, il 
eÛLpéut-être été mieux qu'elles n'eussent point été 
faites , ou que mes amis et parents n'y eussent 
point acquiescé. J'avoue que l'affront reçu par le 
Conseil est pleinement réparé par le do^saveu au- 
thentique de la phis Saine partie de l'état : 'mais 
comme il p6ut naître de cette démarche des se- 
n^nces de mésintelligence , ■ auxquelles , même 
après ma retraite , je serais au désespoir d'avoir 
donné lieu , je, vous prie, mon cher cousin , vous 
et tous ceux qui daignent s'intéresser à moi, de 
vouloir bien , du moins pour ce qui me regarde , 
reponoer à'.la poursuite de cette affaire , et vous 
retirer du nombre, des re^jftésentants. Pour moi , 
content d'avoir fait en toute occasion mon devoir 
envers ma patrie autant qu'il a dépendu de moi , 
j'y renonce pçur tpujours , avec douleur , mais 
sans balancer ; et afin que le désir de mon réta- 
blissement q'y trouble jamais la paix publique, 



38 CORRESPOND AirCE. 

je déclare que, quoi qu'il arrive, je ne reprendrai 
de mes jours le titre de citoyeii de Genève , ni ne 
]rentreraî dans ses murs. Cnôyez que mon attache- 
ment pour mon pfiys n^tient ni' au^rdroits, m au 
séjour, ni au titre^ mais à des nœudy que rienine 
saurait briser ; croyez-aussi , mon très'-cher *cousin , 
qu'en cessant d'être votre qonfeitoTCn *, je 'n'en 
reste pas moins pour Iç^ vie i^otre bofi- parent et 
véritable ami. 



LETTRE <ÎDXX. 

- , * 

A M. DUCLOS. . 

Motiers, le 3io juillet ^763. 



• % 



Bien arrivé , mon cher philosophe. Je prévoyais 
votre jugement sur TAngléterre. Pour des yeux 
comme les vôtres, les hommes sont les mêmes 
par tout pays; les nuances qui les distinguent sont 
trop superficielles , le fond de l'étoffe domine tou- 
jours. Tout comparé , vous vous décidez pour votre 
pays : ce choix est naturel. Après y avoir passé les 
plus belles années de xna vie j'en ferais de bon 
cœur autant. Je crois pourtant, qu'en 'général j'ai- 
merais mieux que mon ami fût 'Anglais que Fran- 
çais. J'avais beaucoup d'amis en France ; mes dis- 
grâces sont venues , et j'en ai conservé deux. En 
Angleterre , j'en aurais eu moins peut-être , mais 
je n'en aurais perdu aucun. 

J'ai Éait pour mon pays ce que j'ai fait pour mes 



4J!fNÉE 1763. 39 

aipis. J'ai tendrement aimé ma patrie, tant que j'ai 
cm en avoir une. A l'épreuve , j'ai trouvé que je 
me trcmipais. En me détachant d'une chimère, 
j'ai cessé d'être un hoimne à visions; voilà tout. 
Vous voudriez que je fisse un manifeste ; c'est sftp- 
poser que j'en ai besoin. Cela me parait bizarre 
qu'il faille toujours me justifier de l'iniquité d'au- 
trui, et que je sois toujours coupable , uniquement 
parce que je suis persécuté. Je ne vis point dsuds 
le inonde , je n'y ai nulle correspondance, je ne sais 
rien de ce qui s'y dit. Mes ennemis y sont à leur 
aise ; ils savent bien que leurs discours ne me par- 
viennent pas. Me voilà donc , comme à l'inquisi- 
tion, forcé de me défendre sans savoir de quoi je 
suis accusé. 

En parlant de la renonciation à ma bourgeoisie 
vous dites que beaucoup de citoyens ont réclamé 
fsn ma feveur; que j'avais donc des exceptions à 
bire. Entendons-nous , tnon cher philosophe.: les 
réclamations dont vous parlez n'ayant été faites 
qu'après ma démarche , ne pouvaient pas me four- 
nir un motif pour m'en abstenir. Cette démardie 
n'a point été précipitée , elle n'a été faite qu'après 
dix mois d'attente, durant lesquels personne n'a 
dit un mot en public, si ce n'est contre moi. Alors 
le consentement de tous étant présumé de leur 
silence, rester volontairement membre d'un état 
où j'avais été flétri, n'était-ce pas consentir moi- 
même à mon déshonneur? Et me restait-il une voie 
plus honnête , plus juste , plus modérée de protes- 
ter contre cette injure , que de me retirer paisible- 



4o CORRESPONDANCE. 

ment de la société où elle m'avait été faite? Nos 
lois les plus précises ayaiit été , de toutes manières, 
foulées aux pieds à mqn égard, à quoi pouvais-je 
rester engagé de moii d6té , lorsque les liens de la 
patrie n'étaient plus rien envers inoi que ceux de 
l'ignominie , de l'injustice et de la violence ? 

Cette retraite fit ouvrir le§ yeux à la bourgeoisie : 
ç}jbB sentit son tort, elle en eut honte; et, selon le 
rétour ordinaire ^e l'amour-propre , pour s'en disr 
culper , elle tâcha de me l'imputer. On m'écrivit 
des lettres de reproches, En réponse , j'exposai mes 
raisons : elles étaient sans réplique. On voulut trop 
tard réparer la faute et revenir sur upe chose faite. 
On n'avait rien dit quand il fs^lait parler; on parla 
quand il ne restait qu'à se taire, et que tout ce 
qu'on pouvait dire n'aboutissait plus à rien. La 
bourgeoisie fit des représentations , le Conseil ICvS 
éluda par des réponses dont l'adresse ne put sauver 
le ridicule : mais il y a long-temps qu'on s'est mis 
au-dessus des sifflets. La bourgeoisie voulut insis- 
ter ; les esprits s'échauffaient , la mésintelligence 
allait devenir brouillerie, et peut-être pis. Je vis 
alors qu'il me restait quelque chose à faire. Mes 
aipis savaient que , toujours attaché par le cœur à 
mon pays , je reprendrais avec joie le titre auquel 
j'avais été forcé de renoncer, lorsque d'un commun 
accofd il mènerait convenablement rendu. Le désir 
de pion rétablissement paraissait être le seul motii 
de leur démarche ; il fallait leur ôter cette source 
de discorde. Pour leur faire abandonner la pour- 
suite d'une affaire qui pouvait les mener trop loin, 



ANNÉK 1763. 41 

je leur {|i doûc déclaré que jamais, quoi qu'il ar- 
rivât je ne rentrerais dans leurs murs;^ne jamais 
je ne reprendrais la qualité de leur concitoyen , et 
qu^ayant confirmé par serment cette résolution , 
je n'étais plus le maître d'en changer. Gomme je 
n'ai voulu conserver aucune correspondance suivie 
à Genève, j'ignore absolument ce qui s^y est passé' 
depuis ce temps-là .-mais voilà'ce que j'ai fait. Après 
avoir sacrifié mes droits les plus chers à mon hon- 
neur outragé , j'ai sacrifié à la paix mes dernières 
espérances. Tels sont mes torts dans cette àfFaire ; 
je ne m'en connais point d'autres. 

Vous voudriez, dites- vous, *que je* fisse voir à 
tout le monde comment, étant mal avec beaucoup 
de gens , je devrais être bien avec tous : rAais je 
serais fort embarrassé moi-<méme^de dire pourtfuoi 
je suis mal avec quelqu'un ; car je défie qui que cr 
soitaumonded'oserdirequejehii aie jamais fait ou 
voulu le moindre mal. Ceux qui me persécutent no 
me persécutent que pofir le seuT plaisir de nuire : 
ceux qui me haïssent ne peuvent me haïr qu'à 
cause du mal qu'ils m'ont fait. Us se complaisent 
dans leur ouvrage; ils ne me pardonneront jamais 
leur propre méchanceté. Or, qu'ils fassent donc 
tout à leur aise; l>ientôt je pourrai les mettre au 
pis. Cependant ils auront beau m'accàbler de maux , 
il leur en reste un poiir ma vengeance que je leiu- 
défie de me faire éprouver ;* c'est le tourment de la 
haine , avecieqiiel je les tjetos phis malheureux quo 
moi. Voilà tout ce que je ptiis dire sur ce chapitre. 
Au reste , j'ai pàs^é cinj^Uàntd 'ans de ma vie sans 



4^ CO&B£âPO]fDA]fC£. 

apprendre à faire mon apologie; il est trop tard 
pour ponnnencer. , 

M. Ùrjuaer n'est point du Cgnseil. Il est le li- 
braire « même l'anû de M. de Vtiltaire ; .et Ton sait 
oé quf 8^pf les amis de Voltaire par rapport à moi ; 
4u reste 9 je ne le oonnais point du toiit. Je sais 
* a^u^ljBmenrt qu'en général tQus Iqs Genevois du grand 
,jHbr. me 'haussent, ctais qti'ils savent se plier aux 
"gùùïs xle ceuK qai leur parlent. Ils ont soin de ne 
pas peràrê Imiins coups en l'air ; ils ne lés lâchent 
que qiuuid ils portent. 

lÀé vQiçi Au bout de mon papiçr et de mon ba- 
virdage sans avetr pu vous parler de vous. 

Une réflexion bien simple , moh cher philosophe , 
et jefiAis. JeVous^ tendrement aimé dans les jours 
briHaïAs de>^da vie, et vous savez que l'adversité 
Si'enduroit pa&te .cœur.' Je vous embrasse. 



LE-TTJIE CDXXL 

AU MÊME. 

Motiers, le i^ aoû^ 

Depuis^ ma lettre écrite, ma situation physique 
a tellement eînpiré et s'est tellement déterminée, 
que mes douleurs, sans rel&che et sans ressource, 
me mettent absoliu^ent dans le cas de l'exception 
marquée par milord Edouard en répondant à Saint- 
Preux*; Usque adeone mon miserum est? J'ignore 

* Nouvelle IfélaûCf iroinèmè'pttme, lettre ixii. 



^Al«Mi^CtfMtei 



k^niE 1763. 43 

encore quel parti je prendrai : si j'en prends un , 
ce sera «le plus tard qu'il me sera possible, et ce 
sera sans iigpatience et sans désespoir, covnnie sans 
scrupule et sans crainte. Si mes Csiutes m'effraient, 
mon coeur me rassure. Je partirais avec défiance , 
si je connaissais un homme meilleur que moi ; mais 
je les ai bien tus, je les ai bien éprouvés, et sou- 
vent à mes dépens. Si le bonheur inaltérable Mt 
£dt pour quelqu'un de mon espèce , je ne suis pas 
en peine de moi: je ne vois qu'une alternative, et 
elle me tranquillise ; n'être rien , ou être bien. 

Adieu, mon cher philosophe: quoi qu'il arrive, 
voici probablement la dernière fois que je vous 
écrirai ; car mes souffrandes ne pouvant qu'aug- 
menter incessaminent , me délivreront d'elles du 
m'absorberont tout entier. Souvenez-vous quelque* 
fois d'un homme qui vous aima tendrement et sin- 
cèrement, et n'oubliez pas que dans les derniers 
moments où sa tête et son cœur furent libres , il 
les occdpa de vous. 

P. S. Lorsque vous apprendrez que mon sort 
sera décidé, ce que je ne puis prévoir moi-m^e, 
priez de ma part M. Duchesne de vouloir bien tenir 
à mademoiselle Le Vasseur ce qu'il m'a pronpiis pont* 
moi. "Elle , de son côté , lui enverra le papier qu'il 
m'a demandé. 

Quelle ame que celle de cette bonne fille ! Quelle 
fidélité, quelle affection,- quelle patience! Elle a 
£ût toute ma consolation dans mes malheurs ; elle 
me les a (ait bénir. Et maintenant, pour le prix .de 



44 CÔRRESPOICDAKCE. 

vingt ans d'attachement et de soins , je la laisse 
seule et sans protection , dans un pays où çUe en 
aurait si grand besoin ! J'espère que tous ceux qui 
m'ont aimé lui transporteront les sentiments qu^ils 
ont euà.pour ipoi: elle en est digne, c'est un cœur 
tqut semblable au nûen*. 



te%<mi«^%/%^%^^^%/m/^%'m^%^'><^%/^^%^^'^ ^« 



I 



LETTRE CDXXIL 

A M. MARTINET, 

j CHEZ LUI. 



Vous ne,ip'aimez pgint, monsieur, je le sais ; 
mai^ mm je vous estime ; je sais .que vous êtes un 
lioÎEnme Juste et raisonnable : cela me suffit pour 
lijuysfier en toute confiance mademoiselle Le Vasseur 
soiï^ yolre protection. Elle en est digne ; elle est 
cojoouie et bien voulue de ce qu'il y a de plus grand 
en France : toiit le monde approuvera ce qiie vous 
aurez fait pour elle , et Milord Maréchal , en parti- 
culier ^^ vous en sajara gré. Voilà bien des raisons, 
mA)tisiei|r^ qui me rassurent contre l'effet d'un peu 
de fftsi^eur ei;^tre nous. Je vous fais remettre un 
t;|BStament qui peut n'avoir pas toutes les formalités 
r^uise^; iliiais s'il ne contient rien que de raison- 
nable et de juste , pourquoi le casserait-on ? Je me • 
fie bien e^core à votre intégrité . dans ce point. 

^ Cette lettre , sans indication de Tannce , parait avoir été écrite 
le lendemain de celle du 3o juillet qu*on vient de lire, mais n'avoir 
pas été envoyée à son '^djresse. Celle qui suit doit avoir été écrite 
dans le même temps, -v^^ « ( Note de du Peyrou. ) 



ABiNKE 1763. 4^ 

Adieu , monsieur ; je pars pour la patrie des âmes 
justes. J'espère y trouver peu d'évèques et de gens 
d'alise , mais beaucoup d'hommes comme vous et 
moi. .Quand vous y viendrez à votre tour , vous ar- 
riverez en pays de connaissance» Adieu donc de- 
rechef, monsieur ; au revoir. 



LETTRE CDXXIII. 

A M. MOULTOU. 

Motîcra, landi i^aoùt 1763. 

Je voufe remercie, mon cher Moultou, du livre 
de M. Vemes que vous m'avez envoyé : l'état où 
je siiis ne me permet pas de le lire, encore moins 
d'y..répondre ; et, quand je le pourrais, je ne le fe- 
rais assurément pas. Je ne réponds jamais qu'à des 
gens que j'estime. 

Je suis persXiajdé qtie ce que M. Vemes me par- 
donne le moÂl^ est d'avoir dttaqué le livre dUel- 
vétkis, quoicjlie je l'aie fait Bfvéctîautê la décence 
imaginij»le'; en passant ,-sans Icuosimèr, ni même 
le €lé;^igner,^si ^ n'est en rendant*- honneur à son 
hoii4}araiçtère. Dcms les- pagres 7 & et 7 a de M. Yeraes, 
qiii-ine sont tombées sous leÀ yeux vil me feit uti 
gran^ crime d'avoir emplo^^é ce qu'il i^pçUe le jar- 
gdn de la métaphjÇsiquè ; et il suppose que j'ai eu 
besoin de^^cç jargon pour étitblir la religion natu- 
relle y au. lieft'* que je n'en ai .eu besoin que pour 
attaquée Jernatérialisme. Le pri|af^p^ fondamental 



46 CORRESPONDANCE. 

du livre de V Esprit est (\ae juget est s^mtir ; d'où il 
suit filaifement que tout n'est que corps. Ce prin- 
cipe j étant établi par des raisonnements métaphy- 
siques, ne pouvait être attaqué que par de.sem- 
blablef raisonnements* C'est ce que M. Vemes ne 
mè pardonne pas. La métaphysique ne l'édifie que 
dans le livre dllelvétius ; elle le scandalise dans le 
mien. 

Je n'approuve pourtant pas que le public voie 
l'article de ma lettre qui le regarde; j'exige même 
que vous ne le montriez à personne , qu'à lui seul 
si vous vouléar. Je n'eus jamais de penchant à la 
haine ; et je crois qu'à ma place l'homme du monde 
le plus haineux s'attiédirait fort sur la vengeance. 
Mon ami , laissons tous ces gens - là triompher à 
leur. aise; ils ne me fermeront pas la patrie des 
âmes justes , dans laNijuelle j'espère parvenir dans 
peu. 

J'avoue que dans de certains moments j'aurais 
grand besoin de quelque consolat^n. £n proie à 
des doideuv6 sans relâche et sans ^ressource , je 
suis dans te çâajdeir-exception faite par milord 
Edouard, jsn népondant à Saint-Preux , ou jamais 
homme «i% inomde, n'y fut. Toutefois je prends pa- 
tience ^ mai» il est bientruél de n'avoir pas la main 
d'un ami pour me fermer les yeux , taoïk qui ce 
devoir n tant coûté ^ e]t qui l'ai rendu de si bon 
cœur, n est bien ciruel de laisser ici , loin de son 
pays, cette pauvre fifie sans amin, sans protection, 
et de ne pouvoir pas même lui assurer la posses^ 
sion de mes guwiUes pour prix de vingt ans de 



ANlffiE 1763. 4? 

soins et il aUachanent. Elle a des défauts , cher 
Moultou; mais c'est une belle ame. J'ai tort de me 
plaindre de manquer de consolations; je les trouve 
en elle; quand nous avons déploré mes malheurs 
ensemble ^ ils sont presque tous oubliés : cepen* 
dant leur sentiment revient et s'aggrave par la 
continuité des maux, du corps. 

Je voulais écrire au cher Gauftecourt : je n'en 
ai pour aujourd'hui ni le tçmps ni la force ; dite»^ 
lui ^ je vous prie, que j'ai un extrême regret de 00 
pouvoir l'accompagner; je le désirais trop pour 
devoir l'espérer. Qu'il ne manque pas d'^ml^rasser 
pour moi M. de Conzié y coiAte des Charmettes , 
et de lui témoigner combien j'étais disposé à me 
rendre à son invitation ; mais 

m Bfe anteit sibra neceisitaf , 
« Clavos trabalet «t coneot mann 
« GestaiiA ahenâ. » 

Mademoiselle Le Yasseur persiste à vous prier de 
lai renvoyer sa robe, si vous ne l'avez pas vendue. 
Bonjour. 

r ' ^ 

LETTRE CDXXIV. 

A MàDAIÉE LAtaUR. 

31 août 1763. 

J'ai reconnu , très - bon^ie Marianne , la sollici- 
tude de votre amitié dans la lettre que madame 
Prieur a écrite ici à madame Bo^-de-la-Tour ; vous 



48 CORRlîSPOWDANCE. 

et madame Prieur ignorez ôans doute que madame 
Boy-de-la-Tour ne demeure pas ici ^ mais à Lyon. 
Comme la lettre a été reçue par gens peu propres 
à garder les secrets d'autrui ^ en me chargeant d'y 
répondre, je me suis pressé de la retirer. Si j'étais 
en meilleur état, que j'aurais de choses à vous dire 
sur la dernière que vous m'avez écrite , et sur les 
précieuses taches dont elle est enrichie ! Mais je 
sou£fre^ chère Marianne, et mon corps fait taire 
mon cœur. Si je croyais que cette paralysie dut du- 
rer toujoupâ , je me regarderais comme déjà mort ; 
mais si^mon él^t me laisse quelque relâche , je le 
consacrerai à penser à vous, et je vous redevrai la 
vie. Envoyez-moi votre portrait cependant; peut- 
être sa vue ranimera-t*elle un sentiment qui s'at- 
tiédit par mes sou£fr£»ices , mais qui ne s'éteindra 
jamais pour vous. 

Au reste , ne vous effrayez pas trop de ma si- 
tuation actuelle ; elle était pire ces temps derniers ; 
mais j'avais des^ moments de relâche, et mainte- 
nant je n'en ai plus. Jlaimerais mieux de plus vives 
douleurs et des intervalles; mais, souffrant conti- 
nuellement , Je ne sui^ tout entier à rien , pas même 
à vous. Ainsi, ne iaites plus honneur à ma sagesse 
d'un détachement qui n'est que l'effet de mes 
maux. Qu'ils me laissent un moment à moi-même, 
et vous retrouverez bientôt votre ami. 



ANNÉE 1763. 



49 



r.ETTRE CDXXV. 



A M. D*IVERNOIS. 



Motiers, le a a août 1763. 

Recevez, monsieur, mes remerciements des at- 
teations dont vous continuez de mlionorer , et des 
peines que vous voulez bien prendre en ma £i- 
veur. San]s M. Deluc et sans vous, j'ignorerais ab- 
solumenj; Tétat des choses , ne conservant plus au- 
cune relation dans Genève par laquelle j'en puisse 
être informé. Je vois , par ce que vous avez la 
bonté de me marquer, qu'après toutes ces démar- 
ches les choses resteront, comme je l'avais prévu , 
dans le même état où elles étaient auparavant. Il 
peut arriver cependant que tout cela rendra, du 
moins, pour quelque temps , le Conseil un peu 
moii^ violent dans ses entreprises ; mais je si|is 
trompé si jamais il renonce à son système, et s'il 
ne vient à bout de l'exécuter à la fin. Voilà, mon- 
sieur , puisque vous le voulez, ce que je pense de 
l'issue de cette affaire, à laquelle je ne prends plus, 
quant à moi , d'autre intérêt que celui que mon 
tendre attachement pour la bourgeoisie de Genève 
m'inspire , et qui ne s'éteindra jamais dans mon 
cœur. Permettez , monsieur , que je vous adresse 
la lettre ci-jointe pour M. Deluc. Mademoiselle Le 
Vasseur vous remercie de l'honneur que vous lui 
faites, et vous assure de son respect. Toute votre 

R. XX. 4 



50 CORR£8PONDAirO£. 

famille se porte bien , au.reapectstble docteur près, 
qui décline de jour eii jour. Il &ut toute la force 
de son ame pour lui faire supporter avec courage 
le poids de la vie. Quelle leçon pour moi , qui 
souffre moins et qui suis moins patient ! Je vous 
embrasse , monsieur , et vous salue da tout mon 
cœur. 



LETTRE CDXXVL 

 M. ***, 

GUai D'AMBéaiSa EN BUGST '*'. 

Motiers-Travers , le a 5 août 1763. 

Vos bontés, monsieur , pour ma gouvernante et 
pour moi sont sans cesse présentes à mon cœur et 
au sien. A force d'y penser , nous voilà tentés d'en 
user encore , et peut-être d'en abuser. U faut vous 
communiquer notre idée , afin que vous voyiez si 
elle ne vous sera point importune , et si vous vou- 
drez bien porter l'humanité jusqu'à y acquiescer. 

L'état de dépérissement où je suis ne peut durer; 
et , à moins d'un changement bien imprévu , je 
dois naturellement, avant la fin de l'hiver, trou- 
ver un repos que les hommes ne pourront plus 
troubler. Mon unique regret sera de laisser cette 
bonne et honnête fiUe sans appui et sans amis , et 
de ne pouvoir pas même lui assurer la possession 

* Voyez la lettre du 3o doTembre 176a , et la note page 41 5 et 
MiiTantes. 



ANirÉE 1763. 5i 

des guenilles que je puis laisser. Elle s'en tirera 
comme elle pourra : il ne faut pas lutter inutile- 
ment contre la nécessité. Mais, comme elle est 
bonne catholique , elle ne veut pas rester dans un 
pays d'une autre religion que la sienne , quand son 
attachement pour moi ne ly retiendra plus. Elle 
ne voudrait pas non plus retourner à Paris ; il y 
fait trop cher vivre , et la vie bruyante de ce pays- 
là^^'est pas de son goût. Elle voudrait trouver , 
dans quelque province reculée , où l'on vécût à 
bon compte , un petit asile , soit dans une commu- 
nauté de filles , soit en prenant son petit ménage 
dans un village ou ailleurs, pourvu qu'elle y soit 
tranquille. 

J'ai pensé , monsieur , au pays que vous habitez, 
lequel a, ce iné semble , les avantages qu'elle cher- 
che , et n'est pas bien éloigné d'ici. Voudriez-vous 
bien avoir la charité de lui accorder votre protec- 
tion et vos conseils, devenir son patron, et lui tenir 
lien de père ? Il ine semble que je ne serais plus en 
peine d'elle en la laissant sous votre garde; et il 
me semble avtesi qu'un pareil soin n'est pas moins 
digne de votre bon cœur que de votre ministère. 
C'est, je vous assure, ime bonne et honnête fille, 
qui me sert depuis vingt ans avec l'attachement 
d'une fille à son père, plutôt que d'un domestique 
à son maître. Elle a des- défauts , sans doute ; c'est 
le sort de l'humanité : mais elle a des vertus rares , 
un cœur excellent, une honnêteté de mœurs, une 
fidélité et un désintéressement à toute épreuve. 
Voilà de quoi je réponds après vingt ans d'expé- 

4. 



5a CURRESl•O^DANCl^ 

lience. D'ailleurs elle n'est plus jeune et ne vent 
d'établissement d'aucune espèce. Je souhaite qn'eille 
passe ses jours dans une honnête ipdépendance.et 
qu'elle ne serve personne après riioi. Elle n'a pas 
pour cela de grandes ressources, mais elle saura se 
contenter de peu. Tout son' revenu se borne à une 
pension viagère de trois cents francs, que lui a laite 
mon libraire! Le peu d'argent que je pourrai lui 
laisser servira pour son voyage et pour son p^t 
emménagement. Voilà tout , monsieur : voyez si 
cela pourra suffire à cette pauvre fille pour sub- 
sister dans le pays où vous êtes , rt si , par la con- 
naissance qKe vous avez du local , vous voudrez 
bien lui en faciliter les moyens. Si vous consentez, 
je ferai ce qu'il faut; et je n'aurai plus de souci 
pour elle, si je puis me. 'flatter qu elle vivra sotïs 
vos yeux. On mot de réponse , monsieur , je vou.-! 
en supplie, afin que je prenne mes arrangements. 
Je vous demande pardon du désordre de ma lettre ; 
mais je souffre beaucoup; et, dans cet état^ ma 
main ni ma tète ne sont pas aussi Ubres que je 
voudrais bien. 

Je me flatte, monsieur, que'cette lettre vous 
atteste mes sentiriients pour vous; ainsi je n'y ajou- 
terai rien davantage que les assurances de mon 
respeOt. 

P. S. Je suis obligé de vous préveniri monsieur, 
que par la Suisse il font affranchir jusqu'à Pon- 
tariier. (Juoique votre précédente lettre me .soit 
parvenue, il serait fort douteux si j'atirais ce bon- 



▲ NAiÉK 1763. 53 

heur pne seconde fois. Je sens toute mon indis- 
crétion; mais, ou je me trompe fort, ou vous 
ne regretterez pas de payer le plaisir de faire du 
bien. 



■^'%'%i%^%<^^'^»»%'^^%^^%%»%>%^%<%^%»^^»^'<^»%%/^%'%,^% 



LETTRE CDXXVII. 

A M. 
Motiers-Traven, le 11 Mptembre 1763. 

Je ne sais , monsieur, si vous vous rappellerez un 
homme autrefois connu de vous ; pour moi , qui 
n'oublie point vos honnêtetés , je me suis rappelé 
avec plaisir vos traits dans ceux de M. votre fils, 
qui m'est venu voir il y a quelques jours. T^e récit 
de ses malheurs m'a vivement touché ; la tendresse 
et le respect avec lesquels il m'a parlé de vous ont 
achevé de m'intéresser pour lui. Ce qui lui rend 
ses maux plus aggravants est qu'ils lui viennent 
d'une njiiLin si chère. J'ignore, monsieur, quelles 
sont ses fautes, mais je vois son afidiction ; je sais 
que vous étés père , et qu'un père n'est pas fait 
pour être inexorable. Je crois vous donner un vrai 
témoignage d'attachement en vous conjurant de 
n'user plus envers lui d'une rigueur désespérante , 
et qui, le faisant errer de lieu en lieu sans ressource 
et sans asile , n'honore ni le nom qu'il porte, ni le 
père dont il le tient. Réfléchisses^ , monsieur, quel 
serait son sort si , dans cet état , il avait le malheur 
de vous perdre. Attendra-t41 des parents , des cot- 



54 CORRESPONDANCE. 

latéraux , une commisération que son père lui aura 
refusée ? et si vous y comptez , comment pouvez^ 
vous laisser à d'autres le doin d'être plus humains 
que vous envers votre fils !^ Je ne sais point com^ 
ment cette seule idée ne désarme pas votre bon 
cœur. D'ailleurs de quoi s'agit -il ici? de faire ré- 
voquer une malheureuse lettre de cachet qui n'au- 
rait jamais dû être sollicitée. Votre fils ne vous 
demande que sa liberté , et il n'en veut user que 
pour répsprer ses torts s'il en a. Cette demande même 
est un devoir qu'il vous rend 3 pouvez-vous ne pas 
sentir le vôtre ? Ençqre une fois , pensez-y , mon- 
sieur, je ne veux que cela; la raison vous dira le 
reste^ 

Quoique M. de M. ne soit plus ici, je sais, si 
vous m'honorez d'une réponse , où lui faire passer 
vos ordres; ainsi vous pouvez les lui donner par 
mon canal. Recevez, n^onsieur , mes salutations et 
les assurances de mon respect. 

LETTRE CDXXVUI. 

A M. G., 

Septembre 1763. 

Je crois, monsieur, que je serais fort aise de vous 
connaître ; mais on me fouit faire tant de connais- 
sances par force, que j'ai résolu de n'en plus faire 
volontairement: votre franchise avec moi mérite 



nnniE 1763. 55 

bien que je vous la rende, et vous consentez de si 
bonne grâce que je ne vous réponde pas , que je 
ne puis trop tôt vous répondre ; car si jamais j'étais 
tenté d'abuser de la liberté , ce serait moins de 
celle cpi'on me laisse que de celle qu'on voudrait 
m'oter. Vous êtes lieutenant -colonel, monsieur, 
j'en suis fort aise ; mais fussiez - vous prince , et , 
qui plus est, laboureur, comme je n'ai qu'un ton 
avec tout le monde , je n'en prendrai pas un autre 
avec vous. Je vous salue, monsieur, de tout mon 
cœur. 

LETTRE CDXXIX. 

A M. LE PRINCE LOUIS-EUGÈNE DE WIRTEMBERG. 

MoUers,l0 19 septembre 1763. 

Vous me faites , monsieur le duc, bien plus d'hon- 
neur que je n'en mérite. Votre altesse sérénissime 
aura pu voir dans le livre qu'elle daigne citer que 
je n'ai jamais su comment il faut élever les princes , 
et la clameur publique me persuade que je ne sais 
comment il faut élever personne. D'ailleurs les dis- 
grâces et les maux m'ont affecté le cœur et affaibli 
la tête. 11 ne me reste de vie que pour souffrir, je 
n'en ai plus pour penser. A Dieu ne plaise toute- 
fois que je me refuse aux vues que vous m'exposez 
dans votre lettre. Elle me pénètre de respect et 
d'admiration pour vous. Vous me paraissez plus 
qu'un homme , puisque vous savez Tétre epfim& 



56 CORR£SPOKl>ANC£. 

dans votre rang. Disposez de moi , monsieur le duc,; 
marquez -moi vos doutes, je vous dirai mes idées; 
vous pourrez me convaincre aisément d'insufïi- 
sance , mais jamais de mauvaise volonté": 

Je supplie votre altesse sérénissime d'agréer les 
assurances de mon profond respect. 



LETTRE CDXXX. 

A MADAME LATOUB. 

A Motiers^ le s octobre 1768. 

Vous n'avez pu, chère Mariapne, recevoir le a a 
réponse à votre lettre du 1 5 que je n'ai reçue que 
le îi6, et cela par plusieurs raisons. Premièrement, 
vous mettez dans vos calculs plus de précision que 
les postes dans leur service. Mes lettres me par- 
viennent fidèlement, mais jamais régulièrement, et 
je trouve presque toujours quelque retard sur les 
dates. En second lieu, je fais des absences le plus 
souvent que je puis, attendu que la marche est 
très - nécessaire à mon état , et que les espions et 
les importuns me rendent mon habitation insup-* 
portable. J'étais donc absent quand votre lettre est 
venue, et elle m'a attendu quelques jours chez 
moi. Enfin, par des précautions, que les curieux 
d'ici rendent nécessaires , ma correspondance , en 
France , est assujettie à quelque retard. J'ai pris avec 
le directeur de;3 postes de Pontarlier un arrange- 
QlQj^ty par lequel il me fait tous les samedis un pa^^ 



ANNi£ 1703. 57 

quet des lettres venues pendant la semaine , et moi 
je lui en £sds un tous les dimauclies des réponses 
que j'ai écrites dans ia semaine. Or, comme je les 
date ordiiiaiiement du jour qu'elles doivent partir 
d'ici , le relaltl des miennes n'est pas constaté par 
les dates, au lieu que celles que je reçois , selon les 
jours où elles sont écrites, en restent quelquefois 
six ou sept à Pontarlier avant que de me parvenir. 
Cet arrangement est sujet à inconvénient, j'en con- 
viens, mais il est nécessaire. L'exactitude que vous 
mettez, et que vous exigez dans le commerce, me 
force à tous ces détails. 

Me dire que vous comptez sur la promesse que 
je vous ai Ésiite de vous renvoyer votre portrait, 
c'est m'en faire souvenir; je crois que cela n'était 
pas nécessaire. Il est vrai que si je pouvais manquer 
à ma parole, et vous tromper, c'en serait Toccasion 
la plus tentante et la plus excusable ; mais ma faute 
serait plus pardonnable que votre crainte; vous 
eussiez mieux fait d'en courir le risque de bonne 
grâce. 

Je ne doute pas que votre envoi ne me par- 
vienne aussi sûrement que toutes mes lettres; ce- 
pendant, pour surcroit de précaution, vous pouvez 
me l'adresser sous enveloppe à l'adresse de M. /tf- 
nety directeur des postes à Pontarlier. S'il arrive ici 
durant mon absence , n'en soyez point en peine ; 
j'ai une gouvernante aussi sûre et plus soigneuse 
que moi. Quant à l'effet, je n'en puis parler d'a- 
vance. Ce sera beaucoup s'il vous est avantageux. 
Je crois que la peintresse ne vous a pas flattée ; 



58 CORRESPOUDÀNGE. 

mais je vous vois déjà dcf la main d'un autre peintre ^ 
duquel je n'en oserais dire autant. 

Vous me donnez des leçons très-tendres et très- 
sensées , dont je tâcherai de profiter Si mes en- 
nemis ne faisaient cjfue me persécutef , cela serait 
supportable ; mais ils m'obsèdent et m'ennuient ; 
voilà conmie ils me feront mourir. Aimez -moi, 
chère Marianne , écrivez-moi , consolez-moi ; voilà 
mon meilleur remède. 

Je reçois votre lettre du 27 septembre : elle me 
ravit et me navre. Il est bi^i cruel que de toutes 
les suppositions que mon silence vous fait faire, il 
n'y en ait pas une qui l'excuse. 

\ 

LETTRE CDXXXI. 

A LA MÊME. 

J 

Le 16 octobre 1763. 

Le voilà donc enfin , ce précieux portrait, si jus- 
tement désiré ! Il m'arrive au moment où je suis 
entouré d'importuns ejt d'étrangers, et ce n'est pas 
la seule conformité qu'il me donne en cet instant 
avec Saint -Preux*. Vous permettrez bien, belle 
Marianne, que je prenne un peu de temps pour 
Je considérer et lui rendre mes hommages. Pour 
moins abuser, cependant, de votre complaisance, 
et ne pas prolonger vos inquiétudes , je compte 

* NûwelU Héioisep partie 11, lettre xxn. 



ANlfiS 1763. 39 

VOUS le renvoyer rordinaire prochain , c'est-à-dire 
dans huit jours. En attendant , j'ai cru devoir vous 
donner avis de sa réception , afin de vous tranquil- 
liser là-dessus. 

LETTRE CDXXXII. 

A KL LE PBINCE L. E. DE WIRTEMBERG. 

Motiers, le 17 octobre 1763. 

l'attendais , monsieur le duc , pour répondre à 
la lettre dont m'a honoré Y. A. S. le 4 octobre , 
d'avoir reçu celle où elle m'annonçait des ques- 
tions que j'aurais tâché de résoudre. L'objet du 
commerce que vous daignez me proposer m'a paru 
trop intéressant pour devoir y mêler rien de su- 
perflu; et je suis bien éloigné de croire que, hors 
cet objet si digne de tous vos soins, mes lettres 
par elles-mêmes puissent mériter votre attention. 

Sur ce principe , j'ai cru, monsieur le duc, que 
le respect le mieux entendu que je pouvais vous 
témoigner était de m'en tenir exactement à l'exé- 
cution de vos ordres , de répondre à vos questions 
le plus précisément et le plus clairement qu'il me 
serait possible, et d'en rester là, sans m'ingérer à 
mêler du verbiage ou des louanges aux devoirs 
que vous m'imposez. Je n'ai donc point répondu 
d'abord à votre précédente lettre , parce que vous 
ne me demandiez rien. Lorsque vous m'honorerei 
de vos ordres vous serez content , sinon de mes 



6o CORlLKSPUBrDAiVG£. 

e£forts, au moins de mon zèle.' J'ai toujours cru 
qu'obéir et se taire était la manière la plus conve- 
nable de faire sa cour aux grands. 

Je dois vous prévenir encore qu'une certaine 
exactitude est désormais au-dessus de mes forces. 
Les maux qui m'accablent, les importuns qui m'ex- 
cèdent, m'ôtent la plus grande partie.de mon temps; 
la nécessité de ma situation en absorbe une autre ; 
enfin, le découragement me rejette insensiblement 
dans toute l'indolence pour laquelle j'étais né. Je 
ne vous promets donc point des réponses ponc- 
tuelles ; c'est un engagement qui passe mes forces 
et que je serais hors d'état de tenir. Mais je vous 
promets bien, et mon cœur m'atteste que cette 
promesse ne sera point vaine , de m'occuper beau- 
coup du respectable objet de vos lettres, d'y ré- 
fléchir, d'y méditer, et de ne vous répondre qu'a- 
près avoir fait tous mes efforts pour ne pas me 
tromper dans' mes vues. «Ainsi, lorsque je passerai 
trois mois sans vous écrire , ne -présumez pas , je 
vous supplie, que ces trois mois soient perdus 
pour les soins que vous m'imposez. Ce que je ne 
. dirai pas ne saurait nuire ,• mais je ne puis trop 
penser à ce que je dirai. 

Si cet arrangement vous convient, j'attends vos 
ordres, et je m'en acquitterai de mon mieux; s'il 
ne vous convient pas, je déplorerai mon impuis- 
sance , et resterai pénétré toute ma vie de n'avoir 
pu mieux répondre à la confiance dont vous aviez 
daigné m'honorer. 

Au reste , la lecture du papier que vous m'avez 



A!VN^B 1763. 61 

envoyé m'a mis dans une sociirifé luoii jiarfaite 
sur le sort de cet henreux enfant. Sous les yeux 
de M. Tissot, sous les vôtres, le plus difficile est 
déjà fieût ; et pour achever votre ouvrage il suffit 
de n*y rien gâter. 

Agréez , monsieur le dtic , je vous supplie , les 
assurances de mon profond respect. 






LETTRE CDXXXIIL 

A M. RE6NAULT, 



A LTOH. 



An sujet d'une «fire d'argent dont il était chargé de la jMirt d'un inronnn qui , 
ayant appris qne RAawian relerait d'nne maladie dangereuse , avait infipo^é 
qne ce aecoors poarait loi être ntUe. 

Motieriyle ai octobre 1763. 

J'ignore , monsieur , sur quoi fondé rinconiui 
dont vous me parlez se croit en droit de me faire 
des présents; ce que je sais, c'est que, si jamais 
j'en accepte , il faudi*a que je commence par bien 
comisâtre celui qui /roira mériter la préférence , 
etpque je pense conmie lui sur ce point. 

Je suis fort sensible aux offres obligeantes que 
vous mlB'faites. N'étant pas , quant à présent , dans 
le cas de m'en prévaloir, je vous en fiais mes re- 
merciements, et vous saluie, monsieur, de tout 
mon cœur. 



GORRESPOITDANCE. 



lettrî: cdxxxiv. 

À MADAME LATOUR. 

A'Motiers^le a3 octobre 1763. 

Voilà votre portrait , chère Marianne ; j e paie tout 
le plaisir qù'îf m'a fait par la peine que j'éprouve 
à m'en détacher. Mais j'ai promis, et, comme Saint- 
Preux , dussé-je en mourir y il faut mériter votre estimer'. 
J'avoue que celui de vos deux portraits qui ne peut 
me quitter ne ressemblait pas exactement à l'autre , 
et tant mieux; désormais pour moi vous êtes double ; 
j'ai le plaisir de vous aimer soiis dei^x figures; c'est 
comme avoir deux maîtresses à la fois , c'est passer 
délicieusement de l'une à l'autre ^ c'est goûter les 
plaisirs de l'inconstance, sans manquer de fidélité. 

Il est affreux d'être obligé de finir au moment 
qu'on a tant à dire ; radis tel est mon sort. Je sens 
avec douleur qu'il est*impossible que Vous soyez 
jamais contente de moi. Vous jouissez de tout votre 
îoisir, et je vous devrais tout«le mien; mais* on ne 
m'en laisse aucun. Cependant, tous me jugez sur 
ce que je dois , et non sur ce que je puis ; en cela 
vous n'êtes pas injuste , mais vous êtes désolante. 
Adieu , chère Marianne, on ne me laisse pas écrire 
un mot de plus. 

* "Nouvelle Hélolte, partie x, lettre xlii. 



AKirJÉB 1763. 



63 



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LETTRE CDXXXV. 

A MADAME DE LUZE WARNEY. 

Motieriy le 1 noYemUre 1763. 

Pour me venger, madame , de vos présents , j*ai 
de ne. vous en remercier que quand ils se- 
raient ipangés.^ et , grâces aux hôtes qui me sont 
venus ^ vengeance a été plus courte qu elle n'eût 
du l'être. Vous avez cru qu ayant tant de droits 
si|r moi vous deviez avoir aussi celui de me faire 
des présents , même sans m'en prévenir ; à la bonne 
heure : mais ces présents, que le messager qui les 
apporta disait tenir d'une autre main , m'ont coûté 
bien des tourme^ts avant de remonter à leur source, 
et je les ai un peu achetés à force de recherches 
et de lettres. Je vous en remercie enfin , madame, 
et j'ai trouvé les raisins et les biscuits excellents ; 
mais, comme je crains encore plus la peine que je 
n'aime les bonn^ choses , je vous supplie cepen- 
dant de ne pas m'euvoyer souvent des cadeaux au 
xntfmp prix. 

4gréez, madame, que je &sse mes salutations 
à M. .de Luze, et que je vous assure de tout mon 
respect. 



64 COllBESPOPfDAWCE. 



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LETTRE CDXXXVI. 

I 

1 

AU PRINCE L. E. DE WIRTEMBERG. 

Biotiers, le lo novembre 176 S. 

Si j'avais le majiheur d'être né prince , d'être en- 
chaîné par les convenances de mon état, que. je 
fusse contraint d'avoir un train , iUne suite , des 
domestiques, c'est-à-dire des maîtres, et que pour- 
tant j'eusse une ame assez élevée pour vouloir être 
homme malgré mon rang, .pour vouloir remplir les 
grands devoirs de père, ^e mari, de, citoyen de la 
république humaine, je sentirais bientôt les dijG&- 
cultés de concilier tout cela , celle «urtout d'élever 
mes enfants pour l'état ou les plaça la nature , en 
dépit de celui qu'ils ont parmi leurs égaux. 

Je commencerais donc par me dire : Il ne faut 
pas vouloir des choses. contradictoires; il ne faut 
pas vouloir être et u'étre p^. La difficulté que je 
veux vaincre est inhérente à la ejjiiose ; si l'état de 
la chose ne peut cl^anger, il fi^ut que la difficulté 
reste. Je dois sentir .que je n'obtiendrai pas tout 
ce que je veux : mais n'importe, ne nous décou- 
rageons point. De tout ce qui est bien je ferai tout 
ce qui est possible; mon zèle et ma vertu m'en ré- 
pondent : une partie de la sagesse est de porter le 
joug de la nécessité : quand le sage fait le reste il 
a tout fait. Voilà ce que je me dirais si j'étais prince. 
Après cela j'irais en avant sans me rebutor , sans 



ANNICK I7G3. G5 

rien craindre; et quel que fût mon succès, ayant 
fait ainsi*, je serais content de moi. Je ne crois pas 
que j'eusse tort de Têtre. 

Il faut , monsieur le duc , commencer par vous 
bien mettre dans Fesprit qu'il n'y a point d'œil pa- 
ternel que celui d'un père, ni d'oeil maternel que 
celui d'une mère. Je voudrais employer vingt rames 
de p/apier à vous répéter ces deux lignes, tant je 
sois convainai que tout en dépend. 

VouTs êtes prince, rarement pourrez -vous être 
père; vous aurez trop d^autres soins à remplir : il 
faudra donc que d'autres remplissent les vôtres. 
MMame la duchesse sera dans le même cas à peu 
près. 

De là suit cette première règle. Faites en sorte 
cfie votre enfant soit cher à quelqu'un. 

Il convient que ce quelqu'un soit de son sexe. 
L'âge est très-difficile à déterminer. Par d'impor- 
tantes raisons il la Êiudrait jeuiie. Mais une jeime 
personne a bien d'autres soins en tête que de veil- 
ler jour et nuit sur un enfant. Ceci est un incon- 
vénient inévitable et déterminant. 

Ne la prenez donc pas jeune, ni belle par con- 
sécjuent ; car ce serait encore pis : jeune , c'est elle 
que «vous aurez à craindre ; belle , c'est tout ce qui 
l'approchera. 

Il vaut mieux qu'elle soit veuve que fille. Mais 
si elle a des enfants , qu'aucun d'eux ne soit autour 
d'elle , et que tous dépendent de vous. 

Point de femmes à grands sentiments, encore 
moins de bel esprit. Qu'elle ait assez d'esprit pour 

R. XX. 5 



66 CORRESPONDANCE. 

VOUS bien entendre, non pour raffiner sur vos in- 
structions. • 

Il importe qu elle ne soit paslrop facile à vivre, 
et il n'importe pas qu'elle soit libérale. Au con- 
traire, il la faut rangée, attentive à ses intérêts. Il 
est impossible de soumettre un prodigue à la règle ; 
on tient les avares par leur propre défaut. 

Point d'étourdie ni d'évaporée ; outre le mal de 
la chose , il y a encore celui de l'humeur, car toutes 
les folles en ont, et rien n'est plus à craindre que 
l'humeur : par la même raison les gens vifs , quoi- 
que plus aimables , me sont suspects , à cause de 
l'emportement. Comme nous ne trouverons pas une 
femme parfaite , il ne faut pas tout exiger : ici la 
douceur est de précepte ; mais, pourvu que la rai- 
son la donne, elle peut n'être pas dans le tempé- 
rament. Je l'aime aussi mieux égale et froide qu'ac- 
cueillante et capricieuse. En toutes choses préférez 
un caractère sûr à un caractère brillant. Cette der- 
nière qualité est même un inconvénient pour notre 
objet; une personne faite pour être au-dessus des 
autres peut être gâtée par le mérite de ceux qui 
rélèvent. Elle en exige ensuite autant de tout le 
monde, et cela la rend injuste avec ses inférieurs. 

Du reste , ne cherchez dans son esprit aucune 
culture; il se farde en étudiant, et c'est tout. Elle 
se déguisera , si elle sait ; vous la connaîtrez bien 
mieux, si elle est ignorante : dût-elle ne pas savoir 
lire, tant mieux ; elle apprendra avec son élève. La 
seule qualité d'esprit qu'il faut exiger, c'est un sens 
droit. 



ANNÉE 1763. G7 

Je ne parle point ici des qualités du cœur ni des 
mœurs , qui se supposent , parce qu'on se contre- 
fait là-dessus. On n*est pas si en garde sur le reste 
du caractère , et c'est par là que de bons yeux ju- 
geât du tout. Tout ceci demanderait peut-être de 
plus grands détails ; mais ce n'est pas maintenant 
de quoi il s'agit. 

Je dis, et c'est ma première règle, qu'il faut 
que l'enfant soit cher à cette personne-là. Mais 
commeilt faire ? 

Vous ne lui ferez point aimer l'enfant en lui di- 
sant de l'aimer, et avant que l'habitude ait fait 
naître l'attachement : on s'amuse quelquefois avec 
les autres enfants , mais on n'aime que les siens. 
Elle pourrait l'aimer si elle aimait le père ou la 
mère; mais dans votre rang on n'a point d'amis, 
et jamais , dans quelque rang que ce puisse être , 
on n'a pour amis le^ gens qui dépendent de nous. 
Or l'affection qui ne naît pas du sentiment, d'où 
peut-elle naître si ce n'est de l'intérêt? 

Ici vient une réflexion que le concours de mille 
autre» confirme ; c'est que les difficultés»que vous 
ne pouvez ôter de votre condition, vous ne les 
éluderez qu'à force de dépense. 

Mais n'allez pas croire , comme les autres , que 
l'argent fait tout par lui-même, et que, pourvu 
qu'on paie , on est servi. Ce n'est pas cela. 

Je ne connais rien de si difficile quand on est 
riche , que de faire usage de sa richesse pour aller 
à ses fins. L'argent est un ressort dans la méca- 
nique morale, mais il repousse toujours la main 

5. 



68 CORnESPOBfDATVCE. 

qui le fait agir. Faisons quelques observations né- 
cessaires pour notre objet. 

Nous voulons que l'eniuit soit cher à sa gou- 
vernante. Il faut pour cela que le sort de la gou- 
vernante soit Hé à celui de l'enfant. Il ne faut pas 
qu'elle dépende seulement des soins qu'elle lui 
rendra, tant parce qu'on n'aime guère les gens 
qu'on sert , que parce que les soins payés ne sont 
qu'apparents : les soins réels se négligent , et nous 
cherchons ici des soins réels. 

Il faut qu'elle dépende non de ses soins , mais 
de leur succès, et que sa fortune soit attachée k 
l'effet de l'éducation qu'elle aura donnée. Alors 
seulement elle se verra dans son élève et s'affec- 
tionnera nécessairement à elle; elle ne lui rendra 
pas un service de parade et de montre, mais im 
service réel; ou plutôt^ en la servant, elle ne ser- 
vira qu'elle-même, elle ne travaillera que pour soi. 

Mais qui sera juge de ce succès? La foi d'un 
père équitable , et dont la probité est bien établie , 
doit suffire : la probité est un instrument sûr dans 
les affaire^, pourvu qu'il soit joint au discernement. 

Le père peut mourir. Le jugement des femmes 
n'est pas reconnu assez sûr , et l'amour maternel 
^t aveugle. Si la mère était établie juge au défaut 
du père , ou la gouvernante ne s'y fierait pas, ou 
elle s'occuperait plus à plaire à la mère qu'à bien 
élever l'enfant. 

Je ne m'étendrai pas sur le choix des juges de 
l'éducation ; il faudrait pour cela des connaissances 
particulières relatives aux personnes. Ce qui im- 



kSJIÉE 1763. 69 

porteessentieUeinentyC'estquela gouvernante ait la 
pl«s entière confiance dans l'intégrité du jugement, 
qu'elle soit persuadée qu'on ne la privera point 
du prix de ses soins si elle a réussi , et que , quoi 
qu'elle puisse dire , elle ne l'obtiendra pas dans le 
cas contraire. Il ne faut jamais qu'elle oublie que 
ce n'est pas à sa peine que ce prix sera du , mais 
au succès.'^ 

Je sais bien que , soit qu'elle ait fait son devoir 
ou non , ce prix ne saurait lui manquer. Je ne suis 
pas assez fou-^ moi qui connais les hommes , pour 
m'imaginer que ces juges , quels qu'ils soient , iront 
déclarer solennellement qu'une jeune princesse de 
quinze à vingt ans a été mal élevée. Mais cette ré- 
flexion que je fais là, la bonne ne la fera pas; quand 
elle la ferait^ elle ne s'y fierait pas tellement qu'elle 
en négligeât des devoirs dont dépend son sort , sa 
fortune , son existence. Et ce qu'il importe ici n'est 
pas que la récompense soit bien administrée , mais 
l'éducation qui doit l'obtenir. 

Comme la raison nue a peu de force, l'intérêt 
seul n'en a pas tant qu'on croit. L'imagination seule 
est active. C'est une passion que nous voulons don- 
ner à la gouvernante ; et l'on n'excite les passions 
que par l'imagination. Une récompense promise 
en argent est très-puissante , mais la moitié de sa 
force se perd dans le lointain de l'avenir. On com- 
pare de sang froid l'intervalle et l'argent , on com- 
pense le risque avec la fortune , et le cœur reste 
tiède. Étendez pour ainsi dire l'avenir sous les sens , 
afin de lui doimer plus de prise ; présentez-le soua 



•JO CORRESPOND ANC£. 

des faces qui le rapprochent, qui flattent l'espoir , 
et séduisent l'esprit. On se perdrait dans la multi- 
tude de suppositions qu'il faudrait parcourir, se- 
lon les temps , les lieux , les caractères. Un exemple 
est un cas dont on peut tirer l'induction pour 
cent mille autres. 

Ai-je affaire à un caractère paisible , aimant l'in- 
dépendance et le repos ; je mène promener cette 
personne dans une campagne : elle voit dans une 
jolie situation une petite maison bien ornée , une 
basse-cour , un jardin , des terres pour l'entretien 
du maître, les agréments qui peuvent lui en faire 
aimer le séjour. Je vois ma gouvernante enchantée : 
on s'approprie toujours par la convoitise ce qui 
convient à notre bonheur. Au fort de son enthou- 
siasme, je la prends à part; je lui dis : Élevez ma 
fille à ma fantaisie ; tout ce que vous voyez est à 
vous. Et afin qu'elle ne prenne pas ceci pour un 
mot en l'air , j'en passe l'acte conditionnel : elle 
n'aura pas un dégoût dans ses fonctions sur lequel 
son imagination n'applique cette maison pour 
emplâtre. 

Encore un coup , ceci n'est qu'un exemple. 

Si la longueur du temps épuise et fatigue l'ima- 
gination , l'on peut partager l'espace et la récom- 
pense en plusieur termes , et même à plusieurs per- 
sonnes : je ne vois ni difficulté ni inconvénient à 
cela. Si dans six ans mon enfant est ainsi, vous au- 
rez telle chose. Le terme venu , si la condition est 
remplie on tient parole, et l'on est libre des deux 
côtés. 



AwrcÉK 1763. 71 

Bien d'autres avantages découleront de Texpé- 
dient que je propose ; mais je ne peux ni ne dois 
tout dire. L'enfant aimera sa gouvernante, surtout 
si elle est d'abord sévère et que l'enfant ne soit 
pas encore gâté. L'effet de l'habitude est naturel 
et sûr; jamais il n'a manqué que par la faute des 
guides. D'ailleurs la justice a sa mesure et sa règle 
exacte ; au lieu que la complaisance , qui n'en a 
point, rend les enfants toujours exigeants et tou- 
jours mécontents. L'enfant donc qui aime sa bonne 
sait que le sort de cette bonne est dans le succès 
de ses soins ; jugez de ce que fera l'enfant à me- 
sure que son intelligence et son cœur se formeront. 

Parvenu à certain âge , la petite fille est capri- 
cieuse ou mutine. Supposons un moment critique , 
important, où elle ne veut rien entendre; ce mo- 
ment viendra bien rarement, on sent pourquoi. 
Dans ce moment fâcheux la bonne manque de res- 
source f alors elle s'attendrit en regardant son élève, 
et lui dit : Cen est donc f eût ^ tu m^otes le pain de 
ma vieillesse! 

Je suppose que la fille d'un tel père ne sera pas 
un monstre : cela étant, l'effet de ce mot est sûr; 
mais il ne faut pas qu'il soit dit deux fois. 

On peut faire en sorte que la petite se le dise à 
toute heure ; et voilà d'où naissent mille biens à 
la fois. Quoi qu'il en soit, croyez -vous qu'une 
femme qui pourra parler ainsi à son élève ne s'af- 
fectionnera pas à elle ? On s'affectionne aux gens 
sur là tête desquels on a mis des fonds; c'est le 
mouvement de la nature, et un mouvement non 






7 2 COERE3POJVDA1NCE. 

moins naturel est de s'affectionner à son propre 
ouvrage , surtout quand on en attend son bonheur. 
Voilà donc notre première recette accomplie. 

Seconde règle. 

Il faut que la bonne ait sa conduite toute tracée 
et une pleine confiance dans le succès. 

Le mémoire instructif qu'il faut lui donner est 
une pièce très-importante. Il feut qu'elle l'étudié 
sans cesse; il faut qu'elle le sache par cœur , mieux 
qu'un ambassadeur ne doit savoir ses instmctions. 
Mais ce qui est plus important encore , c'est qu'elle 
soit parfaitement convaincue qu'il n'y a point 
d'autre route pour aller au but qu'on lui marque , 
et par conséquent au sien. 

Il ne faut pas pour cela lui donner d'abord le 
mémoire. Il faut lui dire premièrement ce que vous 
voulez faire , lui montrer Fétat de corps et d'ame 
où vous exigez qu'elle mette votre enfant. lii-des- 
sus toute dispute ou objection de sa part est inu- 
tile : vous n'avez point de raisons à lui rendre de 
votre volonté. Mais il faut lui prouver que la chose 
est faisable, et qu'elle ne l'est que par les moyens que 
vous proposez : c'est sur cela qu'il faut beaucoup rai- 
sonner avec elle : il faut lui dire vos raisons claire- 
ment, simplement , au long , en termes à sa portée. 
Il faut écouter ses réponses , ses sentiments , ses 
objections , les discuter à loisir ensemble , non pas 
tant pour ces objections mêmes, qui probablement 
seront superficielles , que pour saisir l'occasion de 
bien lire da^s son esprit , de la bien convaincre 
que les moyens que vous indiquez sont les seuls 



ANNÉE I7G3. 73 

propres à réussir. Il faut s'assurer que de tout 
point elle est convavpcue , non en paroles , mais in- 
térieurement. Aiors seulement il faut lui donner le 
mémoire, le lire avec elle, l'examiner, l'éclaircir, 
le corriger peut-être, et s'assurer qu'elle l'entend 
parfaitement. 

Il surviendra souvent, durant l'éducation , des 
circonstance^ imprévues : souvent les choses pres- 
crites ne tourneront pas comme on avait cru : les 
éléments nécessaires pour résoudre les problèmes 
moraux sont en très^rand nombre , et im seul omis 
rend la solution fausse. Cela demandera des con-^ 
férences fréquentes, des discussions, des éclaircis- 
sanents auxquels il ne faut jamais se refuser , et 
qu'il faut même rendre agréables à 1^ gouvernante 
par le plaisir avec lequel on s'y prêtera. C'est en- 
core un fort bon moyen de Tçtudier elle-même. 

Ces détails me semblent plus particulièrement la 
tache de la mère. Il faut qu'elle sache le mémoire 
aussi bien que la gouvernante ; mais il hut qu'elle 
le sache autrement. La gouvernante le saura par 
les règles, la mère le saura par les principes; car 
premièrement ayant reçu une éducation plus soi- 
gnée , et ayant eu l'esprit plus exercé , elle doit 
être plus en état de généraliser ses idées, et d'en 
voir tous les rapports ; et de plus, prenant au suc- 
cès un intérêt plus vif encore , elle doit plus s'oc-« 
cuper des moyens d'y parvenir. 

Troisième règle. La bonne doit avoir un pou- 
voir absolu sur l'enfant. 

Cette règle bien entendue se réduit à celle-ci ^ 



"74 CORRESPONDANCE. 

que le mémoire seul doit tout gouverner; car, 
quand chacun se réglera scrupuleusement sur le 
mémoire , il s'ensuit que tout le monde agira tou- 
jours de concert , sauf ce qui pourrait être ignoré 
des uns ou des autres ; mais il est aisé de pourvoir 
à cela. 

Je n'ai pas perdu mon objet de vue , mais j'ai 
été forcé de faire un bien grand détour. Voilà .déjà 
la difficulté levée en grande partie ; car notre élève 
aura peu à craiftdre des domestiques quand la se- 
conde mère aura tant d'intérêt à Ja surveiller. 
Parlons à présent de ceux-ci. 

Il y a dans une maison, nombreuse des moyens 
généraux pour tout faire , et sans lesquels on rie 
parvient jamais à rien. 

D'abord les mœurs, l'imposante image de la 
vertu , devant laquelle tout fléchit , jusqu'au vice 
même; ensuite l'ordre, la vigilance; enfin l'inté- 
rêt, lé dernier de tous : j'ajouterais la vanité , mais 
l'état servile est trop près de la misère; la vanité 
n'a sa grande force que sur les gens qui ont du 
pain. 

Pour ne pas me répéter ici, permettez, mon- 
sieur le duc, que je vous renvoie à la quatrième 
partie de VHéloîse, lettre dixième. Vous y trouve- 
rez un recueil de maximes qui me paraissent fon- 
damentales pour donner dans une maison , grande 
ou petite^ du ressort à l'autorité; du reste, je con- 
viens de la difficulté de l'exécution , parce que , de 
tous les ordres d'hommes imaginables, celui des 
valets laisse le moins de prise pour le mener où 



AWWÉE 1763. 75 

Ton veut. Mais tous les nûsoiinements du monde 
ne feront pas qu'une chose ne soit pas ce qu'elle 
est, que ce qui n'y est pas s'y trouve, que des va- 
lets ne soient pas des valets. 

Le train d'un grand seigneur est susceptible de 
plus et de moins, sans cesser d'être convenable, 
le pars cLe là pour établir ma première maxime. 
10 Réduisez votre suite au moindre nombre de 
gens qu'il soit possible ; vous aurez moins d'enne* 
mis, et vous en serez mieux servi. S'il y a dans 
votre maison un seul homme qui n'y soit pas né- 
cessaire 9 il y ^st nuisible , soyezrcn sûr. 

a<* Mettez du choix dans ceux que vous garde- 
rez, et préférez de beaucoup un service exact à 
un service agréable. Ces gens qui aplanissent tout 
devant leur maître sont tous des fripons. Surtout 
point de dissipateur. 

3® Soiunettez-les à la règle en toute chose, 
même au travail , ce qu'ils feron* dût-il n'être bon 
à rien. 

4® Faites qu'ils aient un grand intérêt à rester 
long-temps à votre service , qu'ils s'y attachent à 
mesure qu'ils y restent, qu'ils craignent par con- 
séquent d'autant plus d'en sortir, qu'ils y sont res- 
tés plus long-temps. La raison et les moyens de 
cela se trouvent dans le livre indiqué. 

Ceci sont les données que je peux supposer, 

parce que , bien qu'elles demandent beaucoup de 

peine , enfin elles dépendent de vous. Cela posé : 

Quelque temps avant que de leur parler, vous 

avez quelquefois des entretiens à table sur l'édu- 



76 CORRESPOKDÂNCE. 

«catèoii de votre enfant, et sur ce que vous vous 
proposez de faire , sur les difficultés que vous au- 
rez k vaincre, et sur la ferme résolution où vous 
«tes de n'épargner aucun soin pour réussir. Pro- 
bablement vos gens n'auront pas manqué de cri- 
tiquer entre etix la manière extraordinaire d'élever 
l'enfant; ils y «uiront trouvé de la bizarrerie t il la 
£siut justifier, mais simplement et en peu de mots 
Du reste, il faut montrer votre objet beaucoup 
plus du coté moral et pieux que du côté philoso- 
phique. Madame la princesse, en ne consultant 
que son cœur, peut y mélor des mots cliarmants. 
M. Tissot peut ajouter quelques réflexions dignes 
>de lui> 

On est si peU accoutimié de voir les grands 
avoir des entrailles, aimer la vertu, s'occuper de 
leurs enfants, que ces conversations courtes et 
bî^n ménagées ne peuvent manquer de produire 
un grand effet. Mais surtout nulle ombre d'affec- 
tation; point de longueur. Les domestiques ont 
l'œil très-perçant : tout serait perdu s'ils soupçon- 
naient seulement qu'il y eût eh cela rien de con- 
certé ; et en effet rien ne doit l'être. Bon père , 
bonne mère , laissez parler vos cœurs avec simpli- 
cité : ils trouveront des choses touchantes d'eux- 
mêmes; je vois d'ici vos domestiques derrière vos 
chaises se prosterner devant leur maître au fond 
de leurs cœurs. Voilà les dispositions qu'il faut 
faire naître, et dont il faut profiter pour les règles 
que nous avons à leur prescrire. 

Ces règles sont de deux espèces, selon le juge- 



ANlfiE 1763. 77 

ment qiie vous porterez vous-même âer l^tSLt de 
votre maison et des mœurs de vos gens. 

Si vous croyez pouvoir prendre en eux une* 
confiainôe raisonnable et fondée sur leur întiérét^ 
il ne 8'âgira que d'un énoncé clair et bref de la ma- 
niàre dont on doit se conduire toutes les fois qu*oa 
approchera de votre en£Ent , pour ne point con- 
trarier 00a éducation. 

Que si 9 malgré toutes vos précautions, vous 
croyez devoir vous défier de ce qu'ils pourront 
dire ou faire en sa présence, la règle alors sera 
j^us ^simple, et seréduivft-à n'en approcher jamais 
sous quelque prétexte que ce soit. 

Quel de ces deux partis que vous choisissiez, il 
£aot qu'il soit sans exception , et le même pour vos 
gens de tout étage ^ excepté ce que vous destinez 
spécialement au ser;vice de l'enfant , et qui ne peut 
être 4n trop petit nombre ni trop scrupuleusement 
choisi. 

Un jour doMc vous assemblez vos gehs , et , dans 
on disoours grave et simple , vous leur direz que 
vous croyez devoir en bon père apporter tous vos 
soins à bien élever l'enfant que Dieu vous a dcmné : 
« Sa mère et mot «entons tout ce qui nuisit à la 
a nôtre. Nous l'en voulons préserver ; et , si Dieu 
a bénit nos efforts , nous n'aurons point de compte 
« à lui rendre des défauts ou des vices que notre 
a enfant pourrait contracter. Nous avons pour cela 
a de grandes précautions à prendre : voici celles qui 
a vous rt^ardent, et auxquelles j'espère que vous* 
d vous prêterez en honnêtes gêna, dont les pre- 



•78 CORRESPONDANCE. 

« niiers devoirs sont d'aider à remplir ceux de leurs 
« maîtres. » 

Après l'énoncé de la règle dont vous prescrivez 
Tobs^rvation , vous ajoutez que ceux qui seront 
exacts à la suivre peuvent compter sur votre bien- 
veillance et même sur vos bienfaits: a Mais je vous 
« déclare en même temps , poursuivez-vous d'une 
« voix plus haute , que quiconque y aura matiqué 
« une seule fois, et en quoi que ce puisse être, 
« sera chassé sur-le-chamap et perdra ses gages, 
a Comme c'est là la condition sous laquelle je vous 
i< garde, et que je vous en préviens tous, ceux qui 
« n'y veulent pas acquiescer peuvent sortir. » 

• Des règles si peu gênantes ne feront sortir que 
ceux qui seraient sortis sans cela : ainsi vous ne 
perdez rien à leur mettre le mai*ché à la main , et 
vous leur en imposez beaucoup. Peut-être au com- 
mencement quelque étourdi en sera-t-il la victin^e, 
et il faut qu'il le soit. Fût-ce le maître d'hôtel , s'il 
n'est chassé comme un coquin , tout est manqué. 
Mais s'ils voient une fois, que c'est tout de bon , et 
qu'on les. surveille, on aura désormais peu besoin 
de les surveiller. 

Mille petits moyens relatifs naissent de ceux-là: 
mais il ne faut pas tout dire, et ce mémoire est déjà 
trop long. J'ajouterai seulement un avis très -im- 
portant et propre à couper cours au mal qu'on 
n'aura pu prévenir; c'est d'examiner toujours l'en- 
fant avec le plus grand soin , et de suivre attenti- 
vement les progrès de son corps et de son cœur. 
S'il se fait quelque chose autour de lui contre la 



xiivKÉK 17C3. 79 

règle , l'impression s'en n)arquei*a dans Tenfant 
même. Dès que vous y verrez un signe nouveau , 
cherchez-en la cause avec soin, voys la trouverez 
infailliblement. A certain âge il y a toujours remède 
au mal qu'on n'a pu prévenir, pourvu qu'on sache 
le connaître et qu'on s'y prenne à temps pour le 
guérir. 

Tous ces expédients ne sont pas faciles , et je ne 
réponds pas absolument de leui^s succès ; cepen- 
dant je crois qu'on y peut prendre une confiance 
raisonnable, et je ne vois rien d'équivalent dont 
j'en puisse dire autant. 

Dans luie route toute nouvelle il ne faut pas 
chercher des chemins battus , et jamais entreprise 
extraordinaire et di£Qci](^ ne s'exécute par des 
moyens aisés et communs. 

Du reste, ce ne sont peut-être ici que les délires 
d'un fiévreux. La comparaison de ce qui est à ce 
qui doit être m'a donné l'esprit romanesque et m'a 
toujours jeté loin de tout ce qui se fait. Mais vous 
ordonnez, monsieur le duc, j'obéis. Ce sont mes 
idées que vous deipandez , les voilà. Je vous trom- 
perais si je vous donnais la raison des autres pour 
les folies qui sont à moi. En les faisant passer sous 
les yeux d'un si bon juge^ je ne crains pas le mal 
qu'elles peuvent causer. 



M CORRESPONDANCE. 

Voltaire; je vous dirai seulement que je n-ai point 
reçu la lettre que vous lui avez adressée pour moi , 
et que je n'ai envoyé ni à vous ni à personne Tim- 
primé intitulé, Sermon des cinquante y que je n'ai 
même jamais vu. Du reste , il me paraît bizarre que , 
pour me foire parvenir une lettre, vous vous soyez 
adressée au chef de mes persécuteurs. 

A l'égard des doutes que vous pouvez avoir, ma- 
dame, sur certains points de la religion, pouré[uoi 
vous adressez -vous , pour les lever, à uti homme 
qui n'en est pas exempt lui-même ? Si malheureu- 
sement les vôtres tombent sur lés principes de vos 
devoirs , je vqus plains ; mais s'ils n'y tombent pas , 
de quoi vous mettez-vous en peine ? Vous avez une 
religion qui dispense de tout examen ; suivez-la en 
simplicité de cœur. C'est le meilleur conseil que je 
puis vous donner , et je le prends autant que je 
peux pour moi-même. 

Recevez , madame , mes salutations et mon res- 
pect, 

« rant votre adresse, j'envoyai ma lettre .bien cachetée à M. de Vol- 
« taire ; avec l'assurance de cette probité commune à tous les bon- 
« nétes gens , je le priai de vous VenVbyer, Mais quelle a été ma 
« surprise lorsque, le 4 de qe mois, j'ai reçu en réponse un imprimé 
« qui a pour titre. Sermon des cinquante. Serait-ce vous, monsieur, 
« on M. de Voltaire , qui me Pavez entoyé ? Je n'ôBe penser que 
« c'est TOUS, etc. » Note extraite de l'éditîofi de Genève, tome xxiv, 
in-S*^, page 124* 

Voyez ci-après la letti'e au prince de Wîrtemberg, du 11 mars 
1764. ■ 



anicAb 1763. 83 

j 

LETTRE CDXXXIX. 

■ 

A M 

Motiers , 7 décembre 1 7 63 . 

La Télitéqûa j'aime , monsieur, n'est pas tant 
métaphysique que morale: j'aime la vérité, parce 
que je h^ le mensonge; je ne puis être inconsé- 
quent là-dessus que quand je serai de mauvaise foi. 
J^aîmerais bimi aussi la vérité métaphysique si je 
crqyais qu'elle fut à^ notre portée; mais je n'ai ja- 
ufiiîs vu qu'elle fut da^s les livrer et , désespérant 
de l'y .trouver , je dédaigne leur instruction , per* 
auad^que la vérité qui nous est utile est plus près 
de nous , et qu'il ^e &ut pas , pour l'acquérir , un 
si granil appareil de science. Votre ouvrage , mon-' 
sieur, peut donner cftte démonstration promise 
^t manquée par tous les philosophes ; mais je ne 
puis changer de principe sur des raisons que je 
ne connais p%s. Cependant votre confiance m'en 
iippose; vous promettez tant et si hautement, je 
t^ouveUlidUtairs tant de justesse et de raison dans 
votre manièse d'écrire , que je serais surpris qur'il 
n'y en eût pas dans votre philosophie ; et je devrais 
peu l^tre>âvec ma vue courte , que vous vissiez 
où je n'avais pas cru qu'on pût voir. Or ce doute 
me donne de4'inquiétude, parce que la vérité que 
je coanais , ou ce que je prends pour elle , est très- 
aimable , qu'il en résulte pour moi un état très- 

6. 



84 CORRESPOND AJVCE. 

doux, et que je ne conçois pas comment j'en 
pourrais changer sans y perdre. Si mes sentiments 
étaient démontrés, je m'inquiéterais peu des vô- 
tres ; mais , à parler sincèrement, je suis allé jusqu'à 
la persuasion sans aller jusqu'à la conviction. Je 
crois^ mais je ne sais pas; je ne sais pas même si 
la science qui me manque me sera bonne quand je 
l'aurai , et si peut^tre alors il ne faudra point que 
je dise : Aito quœsmt cœlo lucenij ingemuitque re- 
pertâ. , ' 

Voilà , monsieur, la solution ou du moins l'éclair- 
cissement des inconséquences que vôiis m'avez re- 
prochées. Cependant il me paiiaît bizarre que , potir 
vous avoir dit man sentimeiC: quand vous me l'avez 
demandé , je sois réduit à faire mon apologie. Je 
n'ai pris la liberté de vous juger que pour vous com- 
plaire; je puis m!être trompé, sans doute, mais se 
tromper n'est pas avoir tort. 

Vous me demandes poùn^nt encore^un conseil 
sur un sujet très-grave, et je vais peut-être vous ré^ 
pondre encore tout de travers ; mais heureusement 
ce conseil est de ceux que jamais auteur ne de- 
mande que quand il a déjà pris son painii. 

Je remarquerai d'abord qvté te sup|^ositlbn que 
votre ouvrage renferme la découverte de la vérité 
ne vous est pas particulière ; et si cette raison vous 
engage à publier votre livre, elle doit* de même 
engager tout philosophe à publier le sien. J'ajou- 
terai qu'il ne suffit pas de considérer^e bieti qu'un 
livre contient en lui-mên^e , mais le mal auquel il 
peut donner lieu; il faut songer qu'il trouvera peu 



ÂNNÉK J763. sa 

de lecteurs judicieux bien disposés, et beaucoup 
de mauvais cœurs, eocore plus de mauvaises têtes. 
Il faut , avant de le publier , comparer le bien et le 
mal qu'il peut faire , et les usages avec les abus. 
Pesez bien votre livre sur cette règle, et tenez- 
vous en garde contre la partialité ; c'est par celui 
de ces d^ux effets qui doit l'emporter sur l'autre 
qu'il est bon ou mauvais à publier. 

Je ne.^ous connais point, monsieur; j'ignore 
quel est votre scftt , votre état , votre âge ; "et cela 
pourtant doit régler mon conseil par rapport à 
voiis* Tout ce qtie £aîc un jeune homme a moins 
de conséquence , et tout se répare ou s'efface avec 
le temps. Mais si vous avez passé la maturité , ah ! 
penset'Y cent fois ayant de troubler la paix de 
votre vie : vous ne savez pas quelles angoisses vous 
vous préparez. Pendant quinze ans, j'ai ouï dire à 
M. de Fontenielle que jamais livre n'avait donné 
tant de plaisir que de chagrin à son auteur * : c'é- 
tait l'heureux Fontenelle qui disait cela. Monsieur^ 
dans la question sur laquelle vous me consultez , 
je ne puis .vous parler que par mon exemple : jus- 
qu'à quaittnte ans je fus sage; à quarante ans je 
pris la plume; et je la pose avant cinquante , malgré 
quelques vains succès, maudissan tatous les jours de 
ma vie celui où mon sot orgueil me la fit prendre , 
où je vis mon bonheur, mon repos, ma santé s'en 
aileron fumée , sans espoir de les recouvrer jamais. 
Voilà l'homme à qui vous demandez conseil. 

Je vous salue de tout mon cœur. 

* . . . . tant déplaisir. Conforme au texte de l'édition de Genève, 



86 CORRESPONDANCE. 



LETTRE CDXL. 

A M. DE CONZIÉ, 

/ COMTE D£ GHARMSTTES. 

A Môtiers-Trayers, 7 décembre 1768* 

Je voudrais , mon cher comte , voir multiplier 
encore le nombre de mes agresseurs , si chacun de 
leurs ouvrages me valait, un témoignage de votre 
souvenir. Je reçois avec plaisir et reconnaissance 
celui que vous me donnez en m'envqyant l'écrit du 
père Gerdil : quoique en effet cet écrit me paraisse 
un peu froid , je le trouve assez gentil pour un 
moine.... 

J'avais chargé monsieur daGauffecourt de vous 
témoigner mon regret de ne pouvoir vous aller voir 
cet été conmie je l'avais résolu. Le commencement 
de l'hiver m'a jeté dana un état si triste. qu'il ne 
me permet guèr« de faire des projets pour l'avenir. 
Toutefois ^ si la belle saison me rend les forces que 
le froid m'ôte , je me propose toujours de vous air 
1er vcHr. S'il arrivait que vous vous rapprochassiez 
du iChablais , cela me serait bien conmiode ; et , 
en ce cas , je vous prierais de m'en prévenir aussi ; 
car , ne pouvant déterminer d'avance le temps de 
mon voyage , il me siérait mal de l'avoir fait en 
pure perte, et d'aller jusque-là sans vous y trouver. 

deuxième supplémeM 1789 > et de Féditlon de du Peyrou donnée 
en 1790. 



kflUÉE 1763. 87 

Soyez persuadé que rien ue peut ralentir l'ardent 
désir que j'ai de vous voir et de vous embrasser. 
U me semble qu'un moment si doux me rendra 
tout le temps heureux que je regrette , et me fera 
oublier ^us ceux qui m'en ont si tristement sé- 
paré. Moi qui suis si désabusé, de la vie , et qui ne 
forme plus^ de projets , je ne puis renoncer à celui- 
là. Après avoir tout comparé, je ne trouve point 
de meilleur peuple que le vôtre; je voudrais de 
tout mon cœur passer dans son sein le reste de mes 
jours , et me mettre de cette manière à portée de 
contenter, au moins de temps à autre > le besoin 
que moR cœur a de vous. 

OBSBavATioir. -—L'autographe 4^ cette «lettre est déposé à 
la bibliothèque de Chambéry. £Ue^ fut publiée pour la pre- 
m^re fois il y a quelques années dans le journal de Savoie. 

LETTRE CDXLI. 

A M 

U faut vous faire réponse , monsieur , puisque 
vous la YQulez absolument, et que vous la deman- 
dez en'termes si honnêtes. Il me semble pourtant 
qu'à votre place je me serais moins obstiné à l'exi- 
ger, le me serais dit : J'écris parce que j'ai du loi- 
sir, et que cela m'amuse : l'homme à qui je m'adresse 
peut n'être pas dans le même cas , et nul n'est tenu 
à une correspondance qu'il n'a point acceptée : 
j'offre mon amitié à un homme que je ne connais 






88 CORRESPOND A.1VCE. 

point, et qui me connaît encore moins ; je la lui 
ofifre sans autre titre auprès de lui que les louanges 
que je lui donne et que je lue donne , sans savoir 
s'il n'a pas déjà plus d'amis qu'il n'en peut cultiver, 
sans savoir si mille autres ne lui font pas la même 
offre avec le même droit; comme si l'on pouvait 
se lier ainsi de loin sans se connaître, .et devenir 
insensiblement l'ami de toute la tei'i'ei L'idée d'é- 
crire à un homme dont on lit les ouvragêis , et dont 
on veut avoir une lettre à montrer j est-elle donc 
si singulière qu'elle ne puisse être venue qu'à moi 
. »eul ? Et si elle était venue à beaucoup de gens , 
faudrait-il que cet homme passà4; sa vie à faire ré* 
ponse à des foules ^^unis inconnus , et qu'il né- 
gligeât poyr eux ceyx qu'il s'est choisis? On dit 
qu'il s'est retiré dans une solitude ; cela n'annonce 
,pas un grand penchant à faire de nouvelles connais- 
sances. On assure aussi qu*il n'a pour tout bien 
que le fruit de son travail ; cela ne laisse pas un 
grand loisir pour entretenir un commerce oiseux. 
Si, par-dessus tout cela, peut-être il eût perdu la 
santé, s'il était tourmenté d'une maladie cruelle 
<5t douloureuse qui le laissât à peine eh étal; de Va- 
quer aux soins indispensables , ce serait une tyran*- 
nie bien injuste et bien cruelle de vouloir qu'il 
passât sa vie à répondre à des foules de désœuvrés 
qui, ne sachant que faire de leur temps , useraient 
très-prodiguement du sien. Laissons donc ce pau- 
vre homme en repos dans sa retraite; n'augmen- 
tons pas le nombre des importuns qui la troublent 
chaque jour sons discrétion , sans retenue , et 



ANHEE 1763.- 89 

tnéme sans humanité. Si ses #crits m'inspirent 
pour lui de Jajblîenveiilance , et que je veuille cé- 
der au penchant de la lui témoigner ^ je ne lut ven- 
drai point eet Itonne^r en exigeant de lui des 
ré|H>nses j et jcf lui donnerai sans trouble et sans 
peine le plaisir d'apprehdne qu'il y a dans le monde 
dTionnétes gens qui* pensent b^en de lui , et qui 
n'en exigent ries/ 

'Voilà-^ monsieur, ce que je. me serais dit si j'a- 
vais été à votre place'; chacun a sa aianière de 
penser : je ne blâme point 1ft*vôtre , mats je crois 
la mienne plus 'équitable. Peut-être si je vous con- 
naissais me félicfterais-je bechtcoup de votre ami- 
tié; mais, coMent des amis que* j'ai, je vous dé- 
clare que je n'en veux point Usure de nouveaux ): et 
quand je le voudrai»^ il ne serait pas raisonnable 
que j'allasse choisir pour cela^djes inconnus si loin 
de moi. Au reste je ne doute ni de votre esprit ni 
de votre mérite. Cependant le ton militaire et ga- 
lant dont vous parlez de conquérir mon cœur se- 
rait , je crois , plus de mise auprès des femmes qu'il 
ne le serait avec moi. » 



LETTRE CDXLII. 

A M. LE PIUNGË L. £. DE -^YIATEMBERG. 

Motien, le i5 décembre 1768. 

Vous m'avez tiré , monsieur le duc , d'une grande 
inquiétude , en m'apprenant la résolution, où vous 



go CORRESPOND A.NC£. 

êtes d'élever vous -même votre enfant. Je vous 

m 

suggérais des moyens dont je sçn|ais moi-même 
l'insHffîsance ; grâces au ciel ^ votre vertu les rend 
superflus. Si vous persévéf^z , j^ ne «suis plus en 
peine du succès :. tout ira bien, fSar cela seul qjie 
vous y veillerez voiis-m4niél Msus j«avoue jque vous 
«confondez fort toute$ mes idées : j'étais bien éloi- 
gné de croire qu'il existâf dans ce siècle un hoipme 
semblable 4 vous; et, quand j'aurais soupçonné 
son^ existepce^ j'aucais été bien éloigité de le cher- 
cher (]jm^ votre rang^^e n'ai pu lire sans émotion 
votre d^rnièrç lettre. Est-il donc Vrai que j'ai pu 
contribuer aux verKieiises résolutions que vous 
avez prises ? J'^ besoin de le croira pour mettre 
ui^pontreff^ds à mes afEUctions. Avoir fait quelque 
bien sur la terre est une consi^lation qui manquait 
k mon cœur ; je vpus félicite de me l'avoir donnée ^ 
et je me glorifie de la recevoir dev vous. 

Vous voyez votre enfant pijëcoce; je n'en suis 
pas étonné, vous êtes père. Il est vrai qu'un, père 
que la philosophie a conseryé tel a bien d'autres 
yeux que le vulgaire : d'ailleurs le témoignage de 
M. Tissot légalise le vôtre ; et puis vous citez des 
faits. De ces faits , il y en a que je conçois /d'autres 
non. Les enfanfs distinguent de bonne heure les 
odeurs comme différentes, comme faibles ou fortes, 
mais non pas comme bonnes ou mauvaises : la sen- 
sation vient de la nature; la préférence ou l'aver- 
sion n'en vient pas. Cette observation , que j'ai 
faite en particulier sur l'odorat , n'est pas applica- 
ble aux autres sens : ainsi le jugement que la pe- 



AffnÉB 1763. 91 

tite porte sur cet article QSt déjà une chose ac- 
quise» . 

Elle a changé de voix pour témoigner sel désirs : 
cela doit être. D'abord ses plaintes , ne marquant 
que l'inquiétude du malaise , ressemblaient à dès 
plemes. Maintenant l'expérience lui apprend qu'on 
l'écoute et qu'on la soulage. Sa plainte est donc 
devenue un langage ; au lieu de pleurer, elle parle 
à sa manière. 

De ce qu'elle voit avec le méfkîe plaisir les nou- 
veaux venus el les vieilles connaissances , vous en 
condnez qu'elle aura le caractère aimant. Ne vous 
fiez pas trop à cette observation ; d'autres en tire- 
raient peut-être uii 3igne.de coquetterie plutôt que 
de sensibilité. Ponr moi , j'en tire un'fkidice diffé- 
rent de tous les deux , et qui n'est pas ée mauvais 
augure; c'est qu'elle aura du caractère: car le 
signe le plus assuré d'un cœur £sdble est l'empire 
que l'habitude a sur lui. 

Si réellement votre enfant est précoce, il vous 
donnera beaucoup plus de peine ; mais il vous en 
dédommagera bien plus tôt : ainsi gardez cependant 
de vous prévenir au point de lui appliquer avant 
le temps une méthode qui ne lui serait pas conve-' 
nable. Observez, examihez;, vérifiez, et ne gâtez 
rien ; dans le doute ^ il vaut toujours mieux attendre. 

Au reste , quoique vous fassiez , j'ai la plus 
grande confiance dans votre ouvrage , et jçi suis 
persuadé que tout ira bien. Quand vous vous 
tromperiez , ce que je ne présufaie pas , ce ne se- 
rait jamais en chose grave ; et les erreurs des pères 



ga CORRESPONDANCE. 

nuisent toujours moins que la négligence des in- 
stituteurs. Il ne me reste qu'une seule inquiétude , 
c'est que vous n'ayez entrepris cette grande tâche 
sans en prévoir toutes les difficultés, et qu'en s'of- 
frant de jour en jour eHes ne vous rebutent. Dans 
une première ferveur , rien ne coûte , mais un^soin 
continuel accable à la fin; et les meilleures réso- 
lutions, qui dépendent de la persévérance, sont 
rarement à l'épreuve du temps. Je vous supplie 
M. le, duc , de n)e pardonner ma fcanchise ; elle 
vient de l'admiration que vous m'inspirez. Votre 
eptreprise est trop belle pour ne pas éprouver des 
obstacles , et il vaut mieux vous y préparer d'a- 
vance que d'en rencontrer d'iipprévus. 

Ce que you» me dites de la manière, dont vous 
voulez acquérir des amis m'apprend combien vous 
méritez d'en faire; mais où seront les hommes 
dignes que vous soyez le leur ? 

Je supplie V. A. S. d'agréermon profond respect. 



LETTRE CDXLIII. 

A M. M y 

m 

tU&B D'AMBBRUâ BIT BO^BT *. 

Motiers-Travers , le 1 5 'décembre 1 7 63 . 

i 

Si je ne me faisais une peine de vous importu- 
ner trop souvent , monsieur , d'une correspon- 
dance dont vous seul faites tous les frais , je n'au- 

* Voyez la lettre du 3o novembre 1761, et la^note, 11° SSg. 



ANN-éE 1763. 93 

rais pas tardé si long-temps à vous remercier de 
la réponse favorable que votre charité vous a fait 
faire à ma proposition au sujet de mademoiselle 
Le Vasseur. Je ne prévois pas encore quand elle 
se trouvera dans le cas de profiter de vos bontés. 
J'ai été fort mal Tété dernier; mais l'automne m'a 
donné du relâche au poiift de pouvoir faire , dans 
ie pays , quelques voyages pédestres , très-utiles à 
ma santé. Mais le retour de l'hiver a produit son 
effet orfnaîre, en me remettant aussi bas que 
j'étais au printemps. Si je puis atteindre la belle 
saison, j'en espère |^ même soulagement qu'elle 
m'a souvent^rocuré. Àf air si dans la vie ordinaire 
on doit éompter smr si.paii de those , la mieane est 
telle qn'on n'y peut compter sur rien. Dans cette 
position, j!aiîifÀtruit mademoiselle Le Vasseur de 
toutes vos I)phtés , dont elle est pénétrée s je lui ai 
donné votre adresse afin qu'elle vous écrive en 
cas d'accident. Tandis qu'elle serait occupée à re- 
cueillir ici meS' guenilles, vous pourriez concerter 
avec elle le moyen de faire son voyage avec le plus 
d'économie eit le plus .commodément. Je pense 
qu'ellé1|>ourraiJt prendre une voiture à Neuchâtel 
pour ftenève^ et que lài vous pourriez lui en en- 
voyer ifoc qui la éqpdnirait mieux que celle qu'elle 
pourrait prendre à <îenève même. Qtioi qu'il en 
soit, je suis trant{uillisé par vous, sur le sort' de 
cette pauvre fille. Je n^sA-plus rien qui m'inquièle 
sur le mien, et je vous dois en' grande partie la 
paix dont je joui^ dans mon triste état. 

Bonjour , monsieur ; je suis plein de vous et de 



96 CORBESPONDAWCE. 

pour répondi*e auiç lettres d'amitié : mais il y en 
a un très-grand nombre d'autres où l'on daigne me 
consulter sur des objets importants et pressés pour 
ceux qui m'écrivent, et dont je ne puis différer les 
réponses sans manquer à mon devoir; ces temps 
derniers, en particulier, j'étais occupé à un mé- 
moire pour M. le prince de Wirtemberg, qui m'a- 
vait consulté sur l'éducation de sa fille; et je suis 
maintenant occupé à un travail encore plus grave 
pour quelqu'un qui en a bèioin , et qui par consé* 
quent est en droit de l'exiger. Mon triste état, qui 
empire toujours en cette saison, me réduit jour- 
nellement à porter une sipnde plusieurs heures , 
durant lesquelles - toutç occupation m'est impos- 
sible ; il faut ensuite que je fasse un exercice d'une 
heure ou deux pour me &ire suer ; et , quaiid je 
passe un seul jour sans employer ce remède , je 
paie cruellement cette négligence durant la nuit ; 
au milieu de tout cela , un honui^e qui a'a pas un 
sol de trente ne vit pas de ^l'air ^ et il £atût quelques 
soins ^ussi pour pcnirvoir au pain. Mais je ris de 
ma simplicité "Se prétendre Êiire ^itendre raison 
sur une situetion 'si différente à une femme de 
Paris, oisive par ét^jt, et qui n'ayant pour toute 
occupation que d'écrire et recevoir des lettres, en- 
tend que.tous ses ami^ ne soient occupés non plus 
que du même objet. ' 

Pour échapper à l'influence des importuns , et 
pour me livrer à l'exercice qui m'est nécessaire, je 
fais l'été , dans mes bons intervalles , des courses 
dans le pays; dans une de ces absences M. Breguet 



KffViE 1763. ^ 97 

vint me voir à Motiers , tandis que j'étais à Yver- 
dun : me voilà coupable encore pour n'avoir pas 
deviné son voyage et n'avoir pas en conséquence 
rompu le mien. 

Vous êtes , madame , une femme très-aimable ; 
je ne connais personne qui écrive des lettres mieux 
que vous. Je vous crois le cœur aussi bon que vous 
avez l'esprit agréable , et votre amitié m'est très- 
précieuse ; mais , dans l'état où je suis , ma tran- 
quillité me l'est encore plus ; et, puisque je ne puis 
entretenir avec vous qu'une correspondance ora- 
geuse, j'aime encore mieux n'en avoir plus du tout. 
Au reste, je vpus déclare que c'est Ici ma dernière 
apologie, et je vous préviens qu'il suffira désor- 
mais que vous exigiez une prompte réponse pour 
être flûre de n'en point recevoir du tout. 

LETTRE CDXLVL 

A MADAME LA COBITESSE DE BOUFFLERS. 

Motiers, le a 8 décembre 176s* 

Votre lettre , madame , m'a fait un plaisir d'au- 
tant plu sensible que je m'y attendaii moins. Je 
craignais , il est vrai , d'avoir perdu vdtre amitié ; 
et , sans avoir à me reprocher cette perte , je la 
mettais au nombre des malheurs qui m'accablent 
et que je ne me suis pas attirés. Je suis charmé 
pour moi, madame, et je suis bien aise aussi pour 
vous qu'il n'en soit rien ; il ne tiendra sûrement 
pas à moi cjue je ne me conserve toute ma vie un 
B. XX. 7 



■x 



C)8 ^ CORKESPOWDANCE, 

bien qui m'est si précieux. L'intérêt que je vous 
ai vue prendre à nies disgrâces ne peut pas plus 
sortir de mon cœur que n'en sortiront les senti- 
ments qu'il avait conçus pour vous-même aupara- 
vant. Je me réjouis de n'apprendre votre rougeole 
et votre mélancolie qu'après votre guérison. Tâchez 
d'être aussi bien quitte de Tune que de l'autre. Eh! 
comment la mélancolie osait-elle se loger dans une 
ame si belle , parée d'un habit qui lui va si bien , 
faite à tant d'égards pour foire adorer la vertu et 
pour la rendre heureuse par elle ? Ne dussiez-vous 
jouir que du bien que vous foites ^ je n'imagine pas 
ce qui devrait manquer à votre bonheur. 

Après vous avoir parlé de vous , comment oser 
parler de moi ? Mon ame , surchargée , travaille à 
soutenir ses disgrâces sans s'en laisser accabler; et 
depuis l'entrée de l'hiver, il ne manque aux maux 
que mon corps souffre que le degré nécessaire pour 
s'en délivrer tout-à-fait. Dans cet état , vous me de- 
mandez quels sont mes projets : grâce au ciel je 
n'en fais plus, madame; ce n'est plus la peine d'en 
faire ; ê'ést une inquiétude dont mes maux m'ont 
enfin délivré. Le dernier , le plus chéri , celui» qui 
ne peut, même à présent, sortir de mon cœur, 
était de rejmndre Milord Maréchal ; de donner mes 
derniers jours à mon ami , mon protecteur , mon 
père , au seul homme qui m'ait tendu la main dans 
ma misère , et qui m'en ait consolé. Mais cet espoir 
m'était trop doux ; il m'écliappe encore : mon triste 
état me l'ôte ; il ne m'en reste presque plus que le 
désir , à moij|# que le reste de l'hiver ne m'épargne, 



AlfBTÉE 1763. 99 

et qiie le retour de la belle saison ne fasse un mi- 
racle; je n'attends plus d'autre changement à mon 
sort ici -bas, que sou terme; il ne me reste plus 
qu à souffrir et mourir. Cela se peut faire ici tout 
conune ailleurs ; et si je ne puis rejoindre Milord 
Maréchal , je ne songe plus à changer de place : ce 
dont j'ai besoin désormais se trouve partout. 

Il y a long-temps que je n'ai eu de nouvelles de 
Milord Maréchal ; je soupçonne que dans le long 
trajet nos lettres s'égarent, car je suis parfaitement 
sûr qu'il ne m'oubUe pas, et j'en ai la preuve par 
ce qu'il vient de faire en ma faveur auprès de vous. 
Ah! ce digne homme! Au bout de la terre il serait 
mon bienÊdteur encore , et mon cœur irait l'y cher- 
cher. Ayez la bonté , madame , de lui faire parve- 
nir l'incluse : je le connais; je sais qu'il m'aime , et 
vous lui ferez plaisir presque autant qu'à moi. 

Vous voulez que je vous donne des nouvelles 
de mademoiselle Le*yasseur : c'est une bonne et 
honnête personne , digne de l'honneur que vous 
lui fiaites. Chaque jour ajoute à mon estime pour 
elle, et la seule chose qui me rend désormais l'ha- 
bitation de ce pays déplaisante, est de l'y laisser 
sans amis après moi qui la protègent contre l'ava- 
rice des gens de loi qui dissiperont mes guenilles 
et visiteront mes chiffons. Du reste, l'air de ce 
pays lui eft phis favorable qu'à moi , et elle s'y 
porte mieux qu'à Montmorency , quoiqu'elle s'y 
plaise moins. Permettez-lui , madame, de vous faire 
ici ses remerciements très-humbles , et de joindre 
ses respects aux miens. % 

7- 



lOO CORRESPONDANCE, 



LETTRE CDXLVII. 

, A M. L'ABBÉ DE***. 

Motlers, le 6 janvier 1764. 

Quoi ! monsieur , vous avez renvoyé vos portraits 
de fainHIe et vos titres ! vous vous êtes ^défait de 
votre cacheft! voilà bien plus de prouesses que je 
n'en aurais fait à votre place. J'aurais laissé les por- 
traits où ils étaient; j'aurais gardé mon cachet parce 
que je l'avais ; j'aurais laissé liioisir mes titres dans 
leur coin , sans m'imaginer même que tout cela va- 
lût la peine d'en faire un sacrifice : mais vous êtes 
pour les grandes actions; je vous en félicite de 
tout mon cœur. 

A force de me parler de vos doutes , vous m'en 
donnez d'inquiétants sur votre compte; vous me 
faites douter s'il y a des choses dont vous ne dou-' 
tiez pas : ces doutes mêmes , à mesure qu'ils crois- 
sent , vous rendent tranquille ; vous vous y reposez 
comme sur un oreiller de paresse. Tout cela m'ef- 
fraierait beaucoup pour vous , si vos grands scru- 
pules ne me rassuraient. Ces scrupules sont assu- 
rément respectables comme fondés sur la vertu ; 
mais l'obligation d'avoir de la vertu , sur quoi la 
fondez -Vous? Il serait bon de savoir si vous êtes 
bien décidé sur ce point : si vous l'êtes, je me 
rassure. Je ne vous trouve plus si sceptique que 
vous affectez de l'être ; et quapd on est bien dé- 



ANNEE 1764. 101 

cidé sur les principes de ses devoirs , le reste n'est 
pas une si grande affaire. Mais , si vous ne Têtes 
pas , vos inquiétudes me semblent peu raisonnées. 
Quand on est si tranquille dans le doute de ses de- 
voirs , pourquoi tant s*affecter du par^i qu'ils nous 
imposent? 

Votre délicatesse sur l'état ecclésiastique est su- 
blime ou puérile, selon le degré de vertu que vous 
avez atteint. Cette délicatesse est sans d<kite im 
devoir pour quiconque remplit tous les autres; et 
qui n'est hvoL ni menteur en rien dans ce monde 
ne doit pas l'être même en cela. Mais je ne con- 
nais que Socrate et vous à qui la raison pût passer 
un tel scrupule ; car à nous autres hommes vul- 
gaires il sersût impertinent et vain d'en oser avoir 
un pareil. Il n'y a pas un de nous qui ne s'écarte 
de la vérité cent fois le jour dans le conunerce des 
hommes en choses claires, importantes , et souvent 
préjudiciables ; et dans un point de piu*e spécula- 
tion dans lequel nul ne voit ce qui est vrai ou faux , 
et qui n'importei ni à Dieu ni aux hommes , nous 
nous ferions un crime de condescendre aux pré- 
jugés de nos frères , et de dire oui où nul n'est en 
droit de dire non ! Je vous avoue qu'un homme qui, 
d'ailleurs n'étant pas un saint , s'aviserait tout de 
bon d'un scrupule que l'abbé de Saint-Pierre et 
Fénélon n'ont pas eu, me deviendrait par cela seul 
très-suspect. Quoi! dirais-jé eu moi-même, cet 
homme refuse d'embrasser le noble état d'officier 
de morale , un état dans lequel il peut être le guide 
et le bienfaiteur des hommes , dans lequel il peut 



I02 CORRESPOND A NCli:. 

les instruire, les soulager, les consoler, les proté- 
ger , leur servir d'exemple , et cela pour quelques 
énigqpies auxquelles ni lui ni nous n'entendons rien , 
et qu'il n'avait qu'à prendre et donner pour ce 
qu'elles valent , e|i ramenant sans bruit le chris- 
tianisme à son véritable objet! Non, conclurais- je , 
cet homme ment , il nous trompe , sa fausse vertu 
n'est point active, elle n'est que de pure ostenta- 
tion; il faut être un hypocrite soi-même pour oser 
taxer d'hypocrisie détestable ce qui n'est au fond 
qu'un formulaire indifférent en lui- même ^ mais 
consacré par les lois. Sondez bien votre cœur, 
monsieqr, je vous en conjure : si vous y trouvez 
cette raison telle que; vous me la donnez , elle doit 
vous déterminer , et je vous admire. Mais sou ve- 
nez-yous biep qu'alors, si vous n'êtes le plu§ digne 
||es hommes, vous aurez été le plus fou. 

A la manière dont vous me demandez des pré- 
ceptes de vertu, l'on dirait que vous la regardez 
comme un métier. Non, monsieur, la vertu n'est 
que la force de faire son devoir dans les occasions 
difficiles; et la sagesse, au contraire, est d'écarter 
la difficulté de nos devoirs. Heureux celui qui , se 
contentant d'être hommq de bien, s'est mis dans 
une position à n'avoir jamais besoin d'être ver- 
tueux ! Si vous n'allez à la campagne que pour y 
porter le faste de la vertu, restez à la ville. Si vous 
voulez à toute force exercer les grandes vertus , 
l'état de prêtre vousl^ rendra souvent nécessaires; 
niais si vous vous sentez les passions assçz modé- 
rées, l'esprit assez doux, le cœur assez, sain pour 



ANlfÉE 1764* Io3 

VOUS accommoder d'une vie égaie , simple et labo- 
rieuse , allez dans vos terres , faites-les valoir , tra- 
vaillez vous-même , soyez le père de vos domes- 
tiques , Tami de vos voisins , juste et bon envers 
tout le mon4e : laissez là vos rêveries métaphy- 
siques, et servez Dieu dans la simplicité de votre 
cœur; vous serez assez vertueux. 

Je^vous.salue, monsieur, de tout mon cœur. 

Au reste, je vous dispense , monsieur , du secret 
qu'il vous plaît de m'offrir , je ne sais pourquoi. Je 
n'ai pas, ce me semblé, dans ma conduite, l'air 
d'iin homme fort mystérieux. 



LETTRE CDXLVIII. 

■ 

A M. LE PRINCE L. E. DE WIRTEMBERG. 

Motien, le ai janvier 1764. 

Je m'attendais bien , monsieur le duc , que 1^ 
manière dont vous élevez votre enfant ne passe- 
rait pas sans critique et sans opposition , et je vous 
avoue qu&je sais quelque gré au révérend docteur 
de celle qu'il vous a faite; car ces objections 
étaient plus propres à vous réjouir qu'à vous ébran- 
ler ; et moi j'ai profité de la gaieté qu'elles vous 
ont donnée. On ne peut nep de plus, plajjsant que 
l'exposé de ses raisons , et je crois qu'il serait dif- 
ficile qu'il en fut plus content que moi : je crains 
pourtant qu'il ne les trouve pas tout-à-fait péreiÉp- 
toires; car s'il a pour^lui les chardopnerets , les 



I.o4 CORRESPO«DANCE. 

chenilles , les escargots , en revanche il a contre 
lui les vers , les liinaçons , les grenouilles , et cela 
doit l'intriguer furieusement. 

Je ne suis pas fort surpris non plus des petits 
désagréments qui peuvent rejaillir ,^ à cette occa- 
sion , sur M. Tissot ; je crains même que Taccord 
de nos principes sur ce point n'ajoute au chagrin 
qu'on lui témoigne ; l'influence d'un certain voi- 
sinage nourrit dans le canton de Berne une furieuse 
animosité contre moi, que les . traitements qu'on 
m'y a faits aigrissent encore.. On oublie quelque- 
fois les offenses qu'on a reçues , mais jamais celles 
qu'on a faites ; et ces messieurs ne me pardonnent 
point le tort qu'ils ont avec moi : tels sont les 
hommes. Ce, qui me rassure pour M. Tissot, c'est 
qu'il leur est trop nécessaire pour qu'ils ne lui pas- 
sent pas de mieux penser qu'eux- ; c'est aux rêveurs 
purement spéculatifs qu'il n'est pas permis de dire 
des vérités que rien ne rachète. Le bienfaiteur des 
hommes peut-être vrai impunément , mais il n'en 
faut pas moins, je l'avoue; et s'il était moins di- 
rectement utile , il serait bientôt persécutée 

Permettez que je supplie vôti'e altesse sérénis- 
sime de vouloir bien lui remettre le barbouillage 
ci-joint, roulant sur une métaphysique assez en- 
nuyeuse, et dont, par cette raison, je ne vous 
propose j)as la lecture , ni même à M. Tissot; mais 
la bonté qu'il a eue de m'envoyer ses ouvrages 
m'impose l'obligation de lui faire hommage des 
miens. J'isii même été deux fois Tété dernier sur le 
point d'employer à lui aller rendre sa visite un des 



ANNÉE 1764* 10$: 

pèlerinages que mes bons intervalles m'ont permis ; 
mais quelque plaisir que ce devoir m'eut fait à rem- 
plir , je m'en suis abstenu pour ne pas le compro- 
mettre , et j'ai sacrifié mon désir à son repos. 

Vous m'inspirez pour monsieur et madame dç 
Gollowkin toute l'estime dont vous êtes pénétré 
pour eux ; mais , flatté de l'approbation qu'ils don- 
nent à mes maximes , je ne suis pas sans crainte 
que leur enfant ne soit peut-être un jour la victime 
de mes erreurs. Par bonheur je dois , sur le por- 
trait que vous m'avez tracé , les supposer assez 
éclairés pour discerner le vrai et né pratiquer que 
ce qui est bien. Cependant il me reste toujours une 
frayeur fondée sur l'extrême difficulté d'une telle 
éducation ; c'est qu'elle n'est bonne que dans son 
tout, qu'autant qu'oh y persévère, et que s'il vien- 
nent à se relâcher ou à changer de système, tout 
ce qu'ils auront £sut jusqu'alors gâtera tout ce qu'ils 
voudront faire à l'avenir. Si l'on ne va jusqu'au 
bout , c'est un grand mal d'avoir commencé. 

J'ai relu plusieurs fois votre lettre, et je ne l'ai 
point lue sans émotion. Les chagrins , les maux , les 
ans ont beau vieillir ma pauvre machine, mon 
cœur sera jeune jusqu'à la fin , et je sens que vous 
lui rendez sa première -chaleur. Oserais -je vous 
demander si nous ne nous sommes jamais vus? 
N'est-ce point avec vous que j'ai eu l'honneur de 
causer un quart d'heure , il y a huit ou dix ans , à 
Passy, chez M. de La Poplinière? Je n'ai pas, 
comme vous voyez, oublié cet entretien ; mais j'ar 
voue qu il m'eût Eût une autre impression si j'a- 



lo6 CORBESPOUDAWCE. 

vais prévu la correspondance que nous avons 
maintenant, et le sujet qui l'a fait naître. 

Qu'ai-je fait pour mériter les bontés de madame 
la princesse? Rien n'est si commun que des bar- 
bouilleurs de papier : ee qui est si rare , c'est une 
femme de son rang qui aime et remplit ses devoirs 
de mère, et voilà ce qu'il faaxt admirer. 



LETTRE CbXLIX. 

■ 

A HiADAME LA BfARQUISE DE VERDELIN. 

Motîers, le a 8 janvier 1764- 

Vos regrets sont bien légitimes, madame; ce 
que vous me marquez des derniers moments de 
M. de Verdelin, prouve qu'il vous était sincère- 
ment attaché. Et combien ne devait - il pas l'être ! 
Cependant , comme dans l'état où il était , il a plus 
gagné que vous n'avez perdu , les sentiments qu'il 
vous laisse doivent être plus relatifs à lui qu'à vous. 
D'ailleurs moi qui sais combien vous êtes bonne 
mère , et qu'en le perdant vous avez pour ainsi dire 
acquis vos en£Btnts , tout ce que je puis faire en 
cette circonstance , par respect pour votre bon 
cœur et pour sa mémoire , est de ne vous pas fé- 
liciter. 

Il est vrai , madame , que , m'étant trouvé plus 
mal cet été , j'ai écrit à un curé qui avait fait la route 
avec mademoiselle Le Yasseur , pour la lui recom- 
mander , sachant qu'elle ne se souciait pas de re- 



▲iCNis 1764* 107 

tourner à Paris , où elle ne romiquerait pas d'être 
tyrannisée et dévalisée de nouveau par toute son 
avide Êunille. Sur les attentions qu'il avait eues 
pour elle , sur les discours qu'il lui avait tenus, j'ar 
vais pris la plus grande opinion de cet honnête 
homme, et je la lui recommandais, non pas pour 
lui être à chaîne , comme il parait par ma lettre 
même , puisqu'elle a , par la pension de mon li- 
braire , de quoi vivre en province avec économie , 
mais seulement pour diriger sa conduite et ses pe- 
tites a£GBÙres dans un pays qui lui est inconnu. Mais 
le bon-homme est parti de là pour supposer que 
j'implorais ses charités pour die, et pour £adre cour 
rir ma lettre partout Paris , au point de proposer 
à un libraire de l'imprimer. J'ai gagné par là d'être 
instruit à temps et de pouvoir prendre d'autres 
mesures. J'ai la plus grande confiance en vous , 
madame , et l'intérêt que vous daignez prendre à 
elle et à moi fait la consolation de ma vie. Mais 
connaissant ses façons de penser , son état , ses in- 
clinations, ce qui convient à son bonheur, je ne 
lui conseillerai jamais d'aller vivre à Paris ni dans 
la maison d'autrui , bien convaincu , par ma propre 
expérience , qu'on n'est jamais libre que chez soi. 
Du reste, je compte si parfaitement sur votre sou- 
venir, qu'en quelque Ueu qu'elle vive je ne doute 
point que vous n'ayez la bonté de la recomman^ 
der , de la protéger, de vous intéresser à elle; et 
j^avais si peu de doute là-dessus, que, sans ce que 
vous m'en dites dans votre dernière lettre , je qe 
me serais pas même avisé de vous en parler. 



Io8 CORRESPONDANCE. 

Garderez- VOUS Soisi, madame, ou vivrez -vous 
toujours à Paris ? Lesquelles de vos filles prendrez- 
vous auprès de vous ? Resterez-vous à l'hôtel d'Au- 
beterre , ou prendrez- vous une maison à vous ? Le 
voyage de Saihtonge , que vous méditez, sera , se- 
lon moi., bien inutile ; quelque tendresse qu'ait 
pour vous monsieur votre père , à son âge on 
n'aime guère à se déplacer, réprouve bien cette 
répugnance, moi que les infirmités ont déjà rendu 
si vieux. Je suis ici l'hiver au milieu des glaces , 
Fêté en proie à mille importuns , très - chèrement 
pour la vie ; en toute saison ma demeure a ses in- 
commodités. Cependant je ne puis me résoudre à 
me déplacer; le moindre embarras m'effraie, et je 
crois que j'aurai moins de peine à déménager de 
mon corps que de ma maison. Bonjour , madame. 

■ 

LETTRE GDL. 

A MADEMOISELLE JULIE BONDELL 

"■■ 
■* 

Motîert y le 9 8 janvier 1 764* 

Vous savez bien , mademoiselle , que les corres- 
pondants de votre ordre font toujours plaisir et 
n'incommodent jamais; mais je ne suis pas assez 
injuste pour exiger de vous une exactitude dont 
je ne me sens pas capable , et la miîse est si peu 
égale entre nous , que , quand vous répondriez à 
dix de mes lettres par une des vôtres , vous seriez 
quitte avec moi tout au moins. 

Je trouve M. Schulthess bien payé de son goût 



A.NNÉE 1764* I09 

pour la vertu par Tintérét qu'il vous inspire ; et , 
si ce goût dégénère en passion près de vous , <e 
pourrait bien être un peu la faute du maître. Quoi 
qu'il en soit , je lui veux trop de bien pour le tirer 
de votre direction en le prenant sous la mienne ; 
et jamais, ni pour le bonheur, ni pour la vertu, 
il n'aura regret à sa jeunesse , s'il la consacre à re- 
cevoir vos instructions. Au reste , si , comme vous 
le pensez , les passions sont la petite - vérole de 
Famé , heureux qui , pouvant la prendre encot*e , 
irait s'inoculer à Kœnitz ! Le mal d'une opération 
si douce serait le danger de n'en pas guérir. N'ai*» 
lez pas vous fâcher de mes douceurs, je vous prie, 
je ne les prodigue pas à toutes les femmes, et puis 
on peut être un peu vaine. 

Je ne puis , mademoiselle, répondre à votre ques- 
tion sur les Lettres (Tun citoyen de Genève* ^ car cet 
ouvrage m'est parfaitement inconnu , et je ne sais 
que par vous qu'il existe. Il est vrai qu'en général 
je suis peu curieux de ces sortes d'écrits; et, quand 
ils seraient aussi obligeants qu'ils sont insultants 
pour l'ordinaire , je n'irais pas plus à la cha^e des 
éloges que des injures. Du reste, sitôt qu'il est 
question de moi , tous les préjugés sont qu'en ef- 
fet l'ouvrage est une-satire; mais les préjugés sont- 
ils faits pour l'emporter sur vos jugements ? D'ail- 
leurs 9 je ne vois pas que ce livre soit annoncé dans 
la gazette de Berne ; grande preuve qu'il De m'est 
pas injurieux. ^ 

*" Cett une misérable parodie de ia Noupelle HéloUe ^ qui partit 
lans nom d*auteur en 1763. * 



I lO CORRESPONDANCE. 

Je n'ose vous parler de mon état, il contristerait 
votre bon cœur. Je vous dirai seulement que je ne 
puis me procurer dés nuits supportables qu'en fen- 
dant du bois tout le jour, malgré ma fisdblesse , pour 
me maintenir dans une transpiration continuelle , 
dont la moindre suspension me fait cruellement 
souf&ir. Vous avez raison toutefois de prendre 
quelque intérêt à mon existence : malgré tous mes 
maux , elle m^est chère encore par les sentiments 
d'eitiiiie et d'affection qui m'attachent au vrai mé- 
rite ; et voilà , mademoiselle , ce qui ne doit pas 
vous être indifférent. 

Acceptez un barbouillage qui ne vaut pas la 
pçine'd'en parler, et dont je n'ose vous proposer 
la lecture que sous les auspices de l'ami Platon. 



LETTRE CDU. 

A M. D'ESCHERNY. 

Motiers, le a février 1764. 

Je ne sUiâ pas si pressé , monsieur , de juger , et 
siirtout en mal , des personnes que je ne connais 
peint ; et j'tfurais tort , plus que tout homme au 
monde , de donner un si grand poids aux imputa- 
tions du tiers et du quart. L'estime des gens de 
Ihérite est toujours- honorable, et, comme on vous 
a peint à moi comme tel, je ne puis que m'applau- 
dir de la vôtre. Au reste , si notre goût commun 
pour la retraite ne nous rapproche pas l'un de 



A.NNÉE 1704- i II 

l'autre, aye2-y peu de regret; j'y perds plus que 
vous , peut * être : on dit votre commerce fort 
agréable, et moi je suis un pauvre malade fort en- 
nuyeux ; ainsi , pour Famour de vous , demeurons 
comme nous sommes, et soyez persuadé, je vous 
supplie , que je n'ai pas le moindre soupçon que 
vous pensiez du mal de moi , ni par conséquent 
que vous en vouliez dire. 

Recevez , monsieur , je vous supplie, mes remer- 
ciements de votre lettre obligeante , et mes salu- 
tations. 

LETTRE CDLII. 

A MADAME LATOUR. 

■« 

5 février 1764. 

Je suis fort en peine de vous , madame. Quoique 
je n'aime pas à^me savoir dans votre disgrâce, 
j'aime encore mieux regarder votre silence comme 
une punition que vousrnl'imposez, que comme un 
^ne que vous êtes malade. iJn mot , je vous sup-. 
plie, sur la cause de ce silence, afin que si c'est-le 
malheur de vous déplaire, je m'en afflige; mais que 
je ne porte pas à la fois deux niaux pour un. 

Je reçois à l'instant «votre lettre du 3o janvier , 
j'y vois que mes pressentiments n'étaient que trop 
justes. J'espère qye vous êtes bien rétablie; tou- 
tefois votre lettre ne me rassure pas assez. Un mot 
sur votre état présent, je vous supplie. Je n'en puis 



irsi CORBESPOVDANCE. 

dire aujourd'hui davantage ; le paquet de France 
ne m'arrive qu'au moment où je dois fermer le 
mien. 



LETTRE CDLIIJ. 

A M. PANCKOUGKE. 

MotierSy le la féyrîer 1764. 

Je vois avec plaisir , monsieur , par votre lettre 
du a 5 janvier, que vous ne m'avez point oublié, 
et je vous prie de croire que , quant à moi , je me 
souviendrai de vous toute ma vie avec amitié. 

Je regarde votre établissement à Paris comme 
un moyen presque assuré de parvenir prompte- 
ment à votre bien-être du côté de la fortune , vu 
le goût effréné de littérature qui règne en cette 
grande ville , et qu'étant vous - même homme de 
lettres , vous saurez*bien choisir vps entreprises. 

Je ne refîise point , monsieur , le cadeaii que 
vous voulez me faire de ce qtie vous avez imprimé ; 
il me sera précieux comme un témoignage de votre 
aniitié : mais si vous exigez de moi de tout Hre , ne 
m'envoyez rien; car, dans l'état où je suis, je ne 
puis plus supporter aucune lecture sérieuse , et 
tout ouvrage de raisonnement m'ennuie à la mort. 
Des romans et des voyages, voilà désormais tout 
ce ^ue je puis souffrir, et je m'iràagine qu'un 
homme grave comme vous n'imprime rien de tout 
cela. 



ANNKE 1764. I l3 



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LETTRE CDLIV. 

A M. F^ICTET. 

Modcrsy le i^ mars 1764. 

Je suis flatté, monsieur, que, sans un fréquent 
comnaerce de lettres , vous rendiez justice à mes 
sentiments pour vous : ils seront aussi durables 
que l'estiraie sur laquelle ils sont fondés^et j'espère 
que le retour dont vous m'honorez ne sera pas 
moins à l'épreuve du temps et du silence. La seule 
chose changée entre nous est l'espoir d'une cop- 
naissance personnelle. Cette attente , monsieur , 
m'était douce ; mais il y faut renoncer , si je ne 
puis la remplir que sur les terres de Genève ou 
dans les environs. Là -dessus mon parti est pris 
pour la vie; et je puis vous assurer que vous êtes 
entré pour beaucoup dans ce qu'il m'en a coûté de 
le -prendre. Du reste je sens avec surprise qu'il 
m'en coûtera moins de le tenir que je ne m'étais 
figuré. Je ne pense plus à mon ancienne patrie 
qu'avec indifférence ; c'est même un aveu queje 
vous fais sans honte , sachant bien que nos senti- 
ments ne dépendent pas de nous; et cette indiffé- 
rence était peut-être le seul qui pouvait rester pour 
elle dans un cœur qui ne sut jamais haïr. Ce n'est 
pas que je me croie quitte envers elle; on ne l'est 
jamais qu'à la mort. J'ai le zèle du devoir encore, 
mais j'ai perdu celui de Fattachement. 

R. XX. 8 



I l4 CORR£SÏ»ONDANC£. 

Mais où est -elle , cette patrie? Existe -t-elle en- 
core? Votre lettre décide cette question. Ce ne sont 
ni les murs ni les liommes qui font la patrie ; ce 
sont les lois , les moeurs , les coutumes , le gouver- 
nement , la constitution , la manière d'être qui ré- 
sulte de tout cela. La patrie es^t dans les relations 
de Fétat à ses membres : quand ces relations chan- 
gent ou s'anéantissent ^ là patrie s'évanouit. Ainsi , 
monsieur , pleurcms la nôtre; elle a péri, et son si- 
fntÛMve qui reste encore ne sert plus qu'à la dés- 
hôûdrer. 

Je me mets , moûsieur , à votre place , et je com- 
prends combien le spectacle que vous avez sous 
tes yeujt doit vous déchirer le cœur. Sans contre- 
dit on soufire moins loin de son pays que de le 
voir dans un état si déplorable ; mais les affectiops , 
quand la patf ie n'est plus , se resserrent autour de 
la famille, et un bon père se console avec ses én- 
Êmts de ne plus vivre avec ses frères. Cela me fait 
comprendre que des intérêts si chers , malgré les 
objets qui nous affligent , ne vous permettront pas 
de vous dépayser. Cependant , s'il arrivait que par 
voyage ou par déplacement vous vous éloignassiez 
de Genève , il mie serait très-doux de vous embras- 
ser ; car, bien que noos n'ayons phis de commune 
patrie , j'augure des sentiments qui nous animent 
que nous ne cesserons point d'être concitoyens ; 
et' les Kens de l'estime et de l'amitié demeurent 
toujours quand même on a rompu tous les autres. 
Je vôtts salue , monsieur , de tout mon ijoeur. 



ANNÉE 1764. I l5 

LETTRE CDLV. 

A M. L'ABBÉ DE***. 

Modersy le 4 mars 1764. 

J'ai parcouru, monsieur, I9 longue lettre où vous 
m'exposez vos sentiments sur la nature de l'ame et 
sur l'existence de Dieu. Quoique j'eusse résolu de 
a« plus rien lire sur ces matières , j'ai cru vous 
devoir ude- exception pour la peine que vous avez 
prise , et dont il ne m'est pas aisé de démêler le 
but. Si c'est d'établir entre nous nn conomerce de 
dispute ,Je ne saurais en cela vous complaire ; car 
je ne dispute jamais , persuadé que chaque homme 
a sa manière de raisonner qui lui est propre en 
quelque chose , et qui n'est bonne en tout à nul 
autre que lui. Si c'est de me guérir des erreurs où 
vous me jugez être , je vous remercie de vos bonnes 
intantions ; mais je n'en puis £ûre aucun usage , 
^éait pris depuis long - temps mon parti sur ces 
dJÎMes-là. Ainsi , monsieur, votre zèle philosophique 
est à pure perte avec moi , et je ne serai pas plus 
votre proséljrte que votre missionnaire. Je ne con- 
damne point vos façons de penser ; mais daignez 
me laisser les miennes, car je vous déclare que je 
n'en veux pas changer. 

Je vous dois encore des remerciements du soin 
que vous prenez dans la même lettre de m'ôter l'in- 
quiétude que m'avaient données les premières sur 

o. 



I l6 CORRESPONDANCE. 

les principes de la haute vertu dont vous faites 
profession. Sitôt que ces principes vous paraissent 
solides, le devoir qui en dérive doit avoir pour vous 
la même force que s'ils l'étaient en effet: ainsi mes 
doutes sur leur solidité n'ont rien d'offensant pour 
vous; mais je vous avoue que, quant à moi, de 
tels principes me paraîtraient frivoles ; et sitôt que 
je n'en admettrais pas d'autres, je sei^s que dans 
le secret de mon -cœur ceux-là me mettraient fort 
à l'aise sur les vertus pénibles qu'ils paraîtraient 
m'imposer: tant il est vrai que les mêmes raisons 
ont rarement la même prise en diverse^ têtes , et 
qu'il ne £siut jamais disputer de rien! 

D'abord l'amour de l'ordre, en tant que cet ordre 
est étrajoiger à moi , n'est poipt un sentiçaent qui 
puisse balancer en moi celui de mon intérêt pro- 
pre ; une vue purement spéculative ne saurait dans 
le cœur humain l'emporter sur les passions ; ce se- 
rait à ce qui est moi préférer ce qui m'est étranger : 
ce sentiment n'est pas dans la nature. Quant à l'a- 
mour de Tordre dont je fais partie, il ordonne tout 
par rapport à moi, et comme alors je suis sçul le 
centre de cet ordre , il serait absurde et contradic- 
toire qu'il ne me fît pas rapporter toutes choses 
à mon bien particulier. Or la vertu suppose un 
combat contre nous-mêmes, et c'est la difficulté 
de la victoire qui en fait le mérite; mais, dans la 
supposition , pourquoi ce combat ? Toute raison , 
tout motif y manque. Ainsi point de vertu possible 
par le seul amour de l'ordre- 

Le sentiment intérieur est un motif très-puissant 



ANNÉE 1764. I 17 

sans doute ; mais les passions et l'orgueil l'altèrent 
et TétouffeD^t de bonne heure dans presque tous les 
cœurs. De tous les sentiments que nous donne une 
conscience droite , les deux plus forts et les seuls 
fondem^ts de tous les autres sont celui de la dis- 
pesis^on d'une providendb et celui de l'immorta- 
lité de l'ame: quand ces deux-l^sont détruits, je 
ne vois plus ce qui peut rester. Tant que le senti- 
ment intérieur me dirait quelque chose , il me dé- 
fendrait, si j'avais le malheur d'être sceptique , d'a- 
larmer ma propre mère des doutes que je pourrais 
avoir. 

L'amour de soi-même est le plus puissant, et, 
selon moi , le seul motif qui fasse agir les hommes. 
Mais comment la vertu , prise absolument et conune 
un être métaphysique , se fonde-t-elle sur cet amour- 
là? c'est ce qui me passe. Le crime , dites- vous, est 
contraire à celui qui le commet; cela est toujours 
vrai dans mes principes, et souvent très-faux dans 
les vôtres. Il faut distinguer alors les tentations, les 
positions , l'espérance plus ou moins grande qu'on 
a qu'il reste inconnu ou impuni. Communément le 
crime a pour motif d'éviter un grand mal ou d'ac- 
quérir un grand bien ; souvent il parvient à son but. 
Si ce sentiment n'est pas naturel , quel sentiment . 
pourra l'être? Le crime adroit jouit dans cette vie 
de tous les avantages de la fortune et même de la 
gloire. La justice et les scrupules ne font ici- bas 
que des dupes. Otez la justice étemelle et la pro- 
longation de mon être après cette vie, je ne vois 
plus dans la vertu qu'une folie à qui l'on donne ui) 



I f 8 GORRESPOJN^DANCE. 

beau nom. Pour un matérialiste l'amour de soi- 
méme n'est que l'amour de son corps. Or quand 
Bégulus allait /pour tenir sa foi, mourir dans les 
tourments à Carthage, je ne vois point ce que l'a- 
mour de son corps faisait à cela. 

Une considération pltis forte encore confirftie les 
précédentes ; c'esj que, dans votre système , le mot 
même de v^rtu ne peut avoir aucun sens ; c'est un 
son qui bat l'oreille, et rien de plus. Car enfin, se- 
loB vous , tout est nécessaire : où tout est néces- 
aair^^ il n'y a point de liberté; sans liberté, «-point 
de moralité dans les actions; sans la moralité des 
cotions, où est la vertu? Pour moi, je ne le vois 
pés. £n parlant du sentiment intérieur je devais 
mettre au premier rang celui du libre arbitre ; mais 
il >u£Git de l'y renvoyer d'ici. 

Ces raisons vous parai tront^très-faiibles ; je n'en 
doute pas ; mais elles me paraissent fortes à moi ; 
^1: cela suffît pour vous prouver que , si par hasard 
je devenais votre disciple, vos leçons n'auraient 
&it de moi qu'un fripon. Or un bomme vertueux 
comme vous ne voudrait pas consacrer ses peines 
à mettre im fripon de plus dans lé ihonde, car je 
crpis qu'il y a bien autant de ces gens-là que d'hy- 
pi^crites , et qu'il n'est pas plus à propos de les y 
multiplier. 

Au reste je dois avcnier que ma morale est bien 
moins sublime que la vôtre , et je sens que ce sera 
beaucoup même si elle me sauve de votre mépris. 
Je . ne puis disconvenir que vos imputations d'hy* 
pocrisie ne portent un peu sur moi. Il est très-vrai 



ANNJÉfi 1764* 1 19 

q^e s«ui^ étr^ ^n tout du.seotimeQt d^ mt% irèr^, 
et saa^ déguiser le mieo d^to^ L'occ^on , j« WLàCr 
cpiimK>de trè^biea du leur : d'accord avec em SMC 
le3 principe de 1103 devpirs , je ne dispute point, 
sur le reste , qui me paraît très-peu important. £a 
attendant que nous sachions certainement qui d^ 
nous a raisQB , tant qu'ils me souffriront dans leur 
communio9 je continuerai d'y vivre avec im véri- 
table attachement. I«a vérité pour nous est couvertiii 
d'un voile , mais la paix et l'union sont des bien$ 
certains. 

II résulte de toutes ces réflexions que nos façons 
de penser sont trop di£férentes pour que nous puis- 
sions nous entendre , . et que par conséquent un 
plus long commerce entre nous ne peut qu'être 
sans fruit. Le temps est si court et nous en avons 
besoin pour tant de choses , qu'il ne Êiut pas l'em- 
ployer inutilement. Je vous souhaite , monsieur, un 
bonheur solide , la paix de Tame , qu'il me semble 
que vous n'avez pas 9 et je vous s^lu^ de tput mon 
çowr. 

f 

LETTRE CI>LVI. 

A MADAME LATQUIl. 

A Motiersy le lo inar« 1764* 

Quelque mécontente que vous soyez de wn^ 
obère Marianne , vous ne sauriez l'être plui^ que je 
le suis inoi-men^e. Mais des regrel^si stériles ne me 



laO CORRESPOND ANCI::. 

rendront pas meilleur ; mes plis sont pris , et je sens 
avec douleur qu'à mon âge et dans mon état on ne 
il corrige plus de rien. J'aurais désiré, tel que je 
suis, que vous ne m'eussiez pas tout -à -fait aban- 
donné. Cependant, si vous ne me jugez plus digne 
de vos lettres ni de votre souvenir, j'en aurai de 
kl douleur , mais je n'en murmurerai pas. Quant à 
moi , je ne vous oublierai de ma vie ; et, dusssiez- 
vous ne plus me répëndre , je vous écrirai toujours 
quelquefois, mais sans gène et sans règle, car je 
n'en puis mettre à rien. 

t.ETTRE CDLVII. 

À* M. LE PRINCE L. E. DE WIRTEMBÊRG. 
^ iiniarti764. 

Qui , moi , des contes ? à mon âge et dans mon 
état? Non , prince , je ne suis plus dans l'enfance , 
ou, plutôt je n'y suis pas encore, et malheureuse- 
ment je ne suis pas si gai dans mes maux que 
Scarron l'était dans les siei^s. Je dépéris tous les 
jours; j'ai des comptes à rendre, et point de contes 
à faire. Ceci m'a bien l'air d'un bruit préliminaire 
répandu par quelqu'un qui veut m'honorer d'une 
gentillesse de sa façon. Divers auteurs , non con- 
tents d'attaquer mes sottises, se sont mis à m'im- 
puter les leurs. Paris est inondé d'ouvrages qui 
portent mon nom , et dont on a soin de faire des 



▲ N9KB 1764* Itll 

chefs-d'œuvre de bêtise , sans doute afin de mieilx 
tromper les lecteurs. Vous n'imagineriez jamais 
quels coups d^tourirés on porte à ma réputatioi^, 
à mes moeurs^ à mes principes. En voici un qui 
vous fera jtiger des autres. 

Tous les amîs de M. de Voltaire répandent à Paris 
qu'il s'intére^e tendrement-à mon sort (et il est 
vrai qu'il s'y intéresse). Ils font entendre qu'il est 
avec moi dans la plus intime fiaison. Sur ce bruit, 
une femme qui ne me connaît point me demande 
par écrit quelques éclaircissements sur la religionV 
et envoie sa lettre à M. de Voltaire , le priant de 
me la faife passer. M. de Voltaire garde la lettré 
qui m'est adressée , et renvoie à cette dame, comme 
en réponse, le Sermon des cinquante. Sufprise d'un 
pareil envoi de ma part , cette femme m'écrit par 
une autre voie; et voilà comment j 'apprends ce qui 
s'est passé *. 

Vous êtes surpris que ma Lettre sur la Provi- 
dence n'ait pas empêché Candide de naître ? C'est 
elle , au contraire , qui lui a donné naissance ; Can- 
dide en est la réponse. L'auteur m'en fit une de 
deux pages , dans laquelle il battait la campagne , 
et Candide parut dix mois après. Je voulais philo- 
sopher avec lui; en réponse il m'a persiflé. Je lui 
ai écrit une fois que je le haïssais , et je lui en ai 
dit les raisons. Il ne m'a pas écrit la même chose , 
mais il me l'a vivement fait sentir. Je me venge en 
profitant des excellentes leçons qui sont dans ses 

* Voyez ci-deyant la lettre CDxxxYm à madame de B , décem* 
bre 1763. 



l2tÀ CORRESPOjyDANÇE. 

ouviiage^, et je le fprce à continuer de me faire du 
hwh malgré lui. 

Tardon, prince : voilà trop 4^ jérémiades ; mais 
C'est un peu votre faute si jie prends tont de plai^r 
à m'épancher avec vous. Que fait madsime la pfin- 
ce^se? Daignez me parler quelquefois de son état. 
Quand aurous-nous cç précieux enfant de l'amour 
qui ^ra l'élève de la vertu ? Que ne âeviendra-t^jl 
f^ûnt sous de tels auspices ? De quelles fleurs char- 
mantes , de qu^ls fruits délicieux ne couronnera-t-il 
pointées liens de ses dignes parents? Mais cepen- 
diiit quels nouveaux SQJins vous sont imposés! Vos 
travau:i( vont redoubler ; y pourrez -voi» suffire? 
aurez -vous- la force de per^vérer jusqu'à la fin? 
Pardon, nioiisieùr le duc;' vos sentiments connus 
ine sont garants dd vos succès. Aussi mon inquié- 
tv4e né vient-elle pas de^défiance , n^ai^ du vif in- 
térêt que j'y prends. 




LETTRE CDLVm. 

A MADAME DE LUZE. 



llotiffra, le 17 maurA 1764. 

U est dit , mad^ine , que j'aur^ toujours bespjn dç 
vQtre indulgence , moi qui voudrais mériter toutes 
vo^ boutés. $i je pouvais changer une réponse en 
vi^te , vous n'wrie? pas k vousî plaindre dç mon 

inexactitude, et vous me trouveriez peut-être aussi 
importun qu'à présent vous me trouvez négligent. 



▲ ICNÉ£ 1764. 1U3 

Quand viendra ce temps précieux où je pourrai 
aller au Biez réparer mes' fautes, où du moins en 
implorer le pardon? Ce ne sera point, madame, 
pour voir ma mince figure que je ferai ce voyage ; 
j'aurai un motif d'empressement plus satisfaisant 
et plus raisonnable. Mais permettez -moi de me 
plaindre de ce qu'ayant bien voulu loger ma res- 
semblance , Vous n'avez pas voulu me faire la faveur 
tout entière en permettant qu'elle vous vint de 
m<2i* Vous savez que c'est une vanité qui n'est pas 
permise d'oser offrir son portrait; mais vous avez 
craint peut-être que ce me fut une trop grande ù^ 
veur de le demander ; votre but était d'avoir use 
image, et non d'<ennorgueillir l'original. Aussi pour 
me croire chez vous il faut que j'y sois en pw- 
sonne , et il faut tout l'accueil obligeant que vous 
daignez m'y faire pour ne pas me rendre jaloux c|e 
moi. 

Permettez, madame, que je remercie ici madame 
de Faugnes de l'honneur de son souvenir, et qiie 
je l'assure de mon respect. Daignez agréer pour 
vous la même assurance , et présenter mes salu|^ 
tions à M. de Luze. A^ 



1^4 CORRESPONDANCE. 





LETTRE CDLIX. 

A MILORD MARÉC*AL. 

33 mars i764> 

s 

Enfin , Milord, j'ai reçu dans son temps, par 
M. Rougemont , votré lettre dû a février , et c'est 
de toutes les réponses dont vcKis me parlez la seule 
qui me soit parvenue. J'y vois, par votre dégoût 
de l'Écossie , par l'incertitude du choix de votre de- 
meure , qu'une partie de nos châteaux en Espagne 
est déjà détruite , et je fcrains bien que le progrès de 
mon dépérissement, qui rend chaque jour mon 
déplacement plus difficile , n'achève de renverser 
l'autre. Que le cœur de l'homme est inquiet ! 
Quand j'étais près de vous, je soupirais, pour y 
être plus à mon aise , après le séjour de l'Ecosse ; 
et maintenant je donnerais tout au monde pour 
vous voir eqcore ici gouverneur de Neuchâtel. Mes 
▼ceux sont divers, mais leur objet est toujours le 
]méme. Revenez à Colombier, Milord , cultiver 
Vtrtre jardin, et faire du bien à des ingrats , même 
malgré eux ; peut-on terminer plus dignement sa 
carrière ? Cette exhortation de ma part est inté- 
ressée, j'en conviens; mais, si elle offensait votre 
gloire, le [cœur de votre enfant ne se. la permet- 
trait jamais. 

J'ai beau vouloir me flatter , je vois, Milord , 
qu'il faut renoncer à vivre auprès de vous ; et mal- 
heureusement je n'en perdrai pas si facilement le 



ANNEE I7G4. ia5 

besoin que l'espoir: I^ circonstance où vous m'a- 
vez accueilli m^a fait une impression que le&jours 
passés avec vous ont rendue inef&çable : ..il me 
semble que je n^puis plus être libre que sous voi 
yeux, ni valoir mon prix que dans votre estiipe. 
^imagination du moins me rapprocherait, si je 
pouvais vous donner les bons moments qui me 
restent : mais vous m'avez refusé des mémoires 
sur votre illustre frère. Vous avez eu peur que je 
ne fissfe le bel esprit , et que je ne gâtasse la su- 
blime simplicité dix probus vixitjfortis obiit. Ah, 
Milord! fiez-vous à mon cœur ; il 'saura trouver un 
ton qui doit plaire au v^tre pour parler.de ce qui 
vous appartiient. Oui , je donnerais tout au monde 
{)Our que vous voulussiez me fournir • des mati- 
ri^ujL pour m'occuper de vous y de votre famille, 
pour 'pouvoir transmettre à là postérité quelque 
témoignage de mon attachement pour vous et de 
vos bontés pour moi. Si vous avez la complaisance 
de m'ent^oyer quelques mémoires , soyez persuadé 
que votro^confiapce ne sera point trompée; d'ail- 
leUrs vous serez le juge de mon travail: et 'comme 
je n'ai d'autre objet que de satisfaire un besoin 
qui me tourmente , si j'y parviens j'aurai fait ce 
que j'ai voulu. Vous déciderez du reste, et rien 
ne sera publié que de votre aveu. Pensez à cela, 
Milord, je vous conjure, et croyez que vous n'au- 
rez pas peu fait pi^ur le bonheur de ma vie , si 
vous me mettez à portée d'en consacrer le reste à 
m'occuper de vous *. 

* Celui dont Rousseau désirait écrire la vie était le firère cadet de 



llàÔ OORKESPONBAITGE. 

Je suis touch^dexè que vous avez écrit à M. le 
eonsdkHer l^^g^aacmtl au sujet dç mon testament. 
Je ^ollil||>te ^^i te meiremets un peu , l'aller voir cet 
Aé à ^iint^A.iU)m p^ur éh, conférer avec lui. Je me 
détourneïai'poul* passer à Colombier : j'y reverrai 
du moins fie jar dîn , ces allées , ces bords du lac où, 
se ^nt faites de si douces promenades et où vous 
devriez ve»îr les ^recommencer , pour réparer du 
moins , dans un qlimat qui votts était salutaire , l'al- 
tération que celui d'Edimbourg a faite à votre santé. 
:% Vous me promettez, Milord, de me donner de 
vos nouvelles et de m'instniire de vo^ directions 
itiiiéraires : ne l'oubliez g^s ,^*e vous en supplie. 
Ad été cruellement tourmenté de ce loBg silence. Je 
ne eraignais pas cfite vous nrèussiez oublié , mais je 
craignais pour vous la rigueur de l'hiver. L'étéje 
craindrai la mer, Ihs Fatigifes, les déplacements, 
et de ne savoir plus où vous écrire. 

Milord Maréchal , Jacques Keit, général célèbre qui, après avoir 
glôTÎéasement comlMtttu pour la Russie dans ses guerres contre les 
Tarot et les Sqiédoîiy passa au service du grand Fré^^c, qui fid- 
sait le plus grand cas de ses talents militaires et de ses hautes qua- 
lités. 11 se distingua surtout dans la guerre de sept ans , et périt au 
éhamp d'honnear en 17^$. heprohus vixity fortis ohitt, est la ré^ 
pense que fit Milord Ifaréchal lui-même à Formey, qui lui témoi- 
gnait le désir de fidre Pâoge de son frère. — H est à regretter qu'il 
ii*ait pas donné suite à Toffire que lui fait Rousseau dans cette 
lettre , et sur laquelle nous verrons celui-ci revenir encore plusieurs 
Ibis. 



\IfIfÉE 1764. 1^7 



»-^^^/%^^^%< 






• 



LETTRE CDLX 

A MADAME ROGUIN, 
niEe bouquet. 



A MotierSy.le 3i mars 1764. 

Assurément, loadame, vo^s serez une bonne 
mère , et avec le zèle que vou» me marquez pour ^ 
les devoirs attachés à ce lien , c'eût été grand dom- 
mage que M. Roguin ne vous enV pas nûse dans 
l'état de les remplir. Vous vous inquiétez déjà de 
voWt epfant , du temps où vous pourrez commen- 
cer à le baigner dans l'eau (roidé ^ de la fbanière de 
parvenir graduellement à lui couvrir la tête , et il 
n'est pas encore né. C'est là, madame, une sollî- 
citude maternelle très-bien placée à certains égards ; * 
à d'autres , un peu précoce ; mais très-louable en 
tous sens et qui mérite que J'y réponde de mon 
mieux. 

En premier lieu , il importe fort peu que l'enfuit 
soit dans un pàniet* d'osier ou dans autre chose. 
Qu'il soit couché un peu mollement, un peu de 
biais et souvent au grand air. S'il est en liberté, 
il ne tardera pas d'acquérir la force nécessaire pour 
se donner l'attitude qui lui convient. Et d'ailleurs , 
il ne sera pas toujours couché, puisqu'une aussi 
bonne nourrice que vous voulez l'être daignera 
bien le tenir quelquefois sur ses bras. 



ia8 CORRESPONDANCE. 

r 

Vous désirez le baigner de très-bonne heure 
dans l'eau froide. C'est très-bien fait, madame. Mon 
avis est que, pour ne rien risquer, on commence 
dès le jour de sa naissance. Le quart du monde 
chrétien , c'est-à-dire tous les Russes et la plupart 
des Grecs baptisent les enfants nouveau-nés, en 
les plongeant trois fois de suite dans l'eau toute 
froide et même glacée. Faites la même chose , ma- 
dame, baptisez votre enfant par immersion deux 
fois le jour, et n'ayez pas peur des rhumes. 
. Vous songez de trop loin au temps de lui cou- 
vrir la tête; mais je n'en vois pas bien la nécessité. 
Cette nécessité ne viendra sûrement jamais , si c'est 
un garçon. Si c'est une fille, vous pourrez y songer 
lors de sa première conmiunion, et cela moins 
pour pbéif à la raisOD qu'à saint Paul , qui veut que 
les femmes aient la tête couverte dans l'église. A 
la bonne heure donc, puisque saint Paul le veut 
comme cela. Mais le reste du temps, qu'elle soit 
toujours coiffée en cheveux jusqu'à l'âge de trente 
ans, qu'une pareille coiffure devient indécente et 
ridicule dans une femme. Comme un exemple dit 
plus s^ir tout ceci que cent pages d'explication, je 
joins ici, madame, l'extrait d'un mémoire où vous 
pourrez voir en faits les solutions de vos difficul- 
tés. Quoique les Sophies et les Émiles soient rares, 
comme vous dites fort bien , il s'en élève pourtant 
quelques-uns en Europe , même en Suisse , et même 
à votre voisinage ; et le succès promet déjà à leurs 
dignes pères et mères le prix de la tendresse qui 
leur fait supporter les soins d'une éducation si pé- 



nible, et du courage. qui leur fait bravef les cla*.. 
bauderies des sots, des gens d'église, et les rica- 
ueries encore plus sottes des beaux esprits. 

Si vous voulez , madame , faire par vous-même 
les observations nécessaires , prenez la peine d'al- 
ler près de Lausanne voir M. le prince de Wirtera- 
borg. C'est sa fille unique qu'il élève de la manière 
marquée dans le mémoire ; et s'il vous faut là-de^ 
sus de^ explications plus détaillées, vous pourrez 
coMsulter l'illustre M. Tissot. Prenez ses avis , ma» 
dame: c'est le meilleur que je puisse vous donner. 
Agréez , je vous supJ)Ue , mes salutations et mon 
respect. 



LETTRE CDLXI. 

aJmiilord Maréchal. 

3i mars 1764. 

Sur l'acquisition , Milorcl, que vous avez faite , 
et sur l'avis que vous m'en avez donné, la meil- 
leure réponse que j'aie à vous faire est de vous 
transcrire ici ce que j'écris sur ce sujet à la per- 
sonne que je prie de donner cours à cette lettre, 
eni lui parlant des acclamations de vos bons com- 
patriotes. 

« Tous -les plaisirs ont beau être pour les mé- 
« chants, en voilà pourtant un que je leur défie 
a de goûter. Il n'a rien eu de plus pressé que de 
<c me «donner avis du changement de sa fortune : 

R. XX. Q 



i3q gorrespoptdance. 

«c vous ddtinez aisément pourquoi^Félicitez-moi de 
« tous in&, malheurs, madame; ils m'ont donné 
« pour ami Milord Maréchal. » 

Sur vo*';iQffres , qui regardent mademoiselle Le 
Vasseur '€^liioi , je commencerai , Milord, par vous 
dire que, loin de mettre de l'amour-propre à me 
refuser. à vos dons, j'en mettrais un très-noble^ à 
les recevoir. Ainsi là-dessus point de dispute ; les 
preuves que vous vous intéressez à moi, de quelque 
genre qu elles puissent être , sont plus propres à 
m'enorgueillir qu'à m'humilier, et je ne m'y refu- 
serai jamais ; soit dit une fois pour toutes. 

Mais j'ai du pain quant à présent ; et , au moyen 
des arrangements que je médite , j'en aurai pour 
le reste de mes jours. Que tne servirait le surplus ? 
Rien ne me manque, de ce que je désire, et qu'on 
peut avoir avec de l'argent. Milord , il faut préfé- 
rer ceux qui ont besoin à ceux qui n'ont pas be- 
soin, et je suis dans ce dernier cas. D'ailleurs, je 
n'aime point qu'on me parle de testaments. Je ne 
voudrais pas être ^moije sachant , dans celui d'un 
indifférent : jugez si je voiidrais me savoir dans le 
vôtre. 

Vous savez, Milord, que mademoiselle I^e Vas- 
seur a uiie petite pension de mon libraire avec la- 
quelle elle peut vivre quand elle ne m aura plus. 
Cependant j'avoue que le bien que vous Voulez lui 
£aire m'est plus précieux que s'il lùe regardait di- 
rectement , et je suis extrêmement touché de ce 
moyen trouvé par votre cœur de contenter la bien- 
veillance dont vous m'honorez. Mais s'il se,pou- 



^^.v_.. 



AVVÈh 1764. l3l 

vait que vous lui assignassiez plutôt la rente de la 
somme que la somme même , cela n/éviterait l'em- 
barjras de chercher à la placer , sorte d'affaire oà 
je n'entends rien. 

J'espère , Milord , que vous aurez nèçft ma pré- 
cédente lettre. M'accorderez -vous des mémoires? 
Pourrai-je écfire l'histoire de votre maison ? Pour- 
rai-je donner quelques éloges à ces bons Écossais 
à qui vous êtes si cher , et quî^af là me sont chers 
aussi? 



LETTRE CDLXII. 

Au MÊME. 

ÀTril 1764. 

J'ai répondu très-exactement, Milord, à chacune 
de y os deux lettres du a février et du 6 mars , et j'es- 
père que vous serez cQUtent de ma £|çon de pen- 
ser sur les bontés dont vous m'honorez dan^ la 
dernière. Je reçois à l'instant celle du 26 mars, et 
jy vois que vous prenez le parti que j'ai ^ujo^rs 
prévu que vous pTendrivE à la fin. En vous mena- 
çant d'une descente , le roi Ta effectuée ; et , quel- 
que redéutal>le qu'il soit , il vous a encore plus sû- 
rement conqtiis par sa lettre * qu'il n'aurait fait par 

* .Vcoei cette lettre .d'après la TersÎQp'qa'en a pnt>Iiée «FAlem^^y 
dsms son éloge de Milord MarécliaL 

« le disputerais bien avec les habitants d']|^diinboiir|[ l'aVantage 
« de vous posséder : si fftvais des taisseam , je nédilérsds tûae dis- 

9- 



l3a CORRESPONDANCE. 

ses armes. L'asile qu'il vous presse d'accepter est 
le seul digne de vous. Allez , Milord ,. à votre des- 
tination ; il vous convient de vivre auprès de Ef é- 
déric comme il m'^ût cotivenu de vivre auprès de 
George Keit. Il n'est ni dans J'olrdre de la justice 
ni^dans celui de la fortune que mon bonheur soit 
préféré au vôtre. D'ailleurs mes maux empirent et 
deviennent presque insupportables : il ne me reste 
qu'à souffrir et mourir sur la terre ; et en vérité 
c'eut été dommage de n'aller vous joindre que 
pour cela. 

Voilà donc ma dernière espérance évanouie 

Milord, puisque vous voilà devenu si riche et si ar- 
dent à verser sur moi vos dons , il en est un que 
j'ai souvent désiré , et qui malheureusement me 
devient plus désirable encore lorsque je perds l'es- 
poir de vous revoir. Je vous laisse expliquer cette 
énigme ; le cœur d'un père est fait pour la deviner. 

Il est vrai que le trajet que vous préférez vous 
épargnera de 1^ fatigue ; mais si vous n'étiez pas 
bien fait à la4a>fer elle pourrait vous éprouver beau- 
coui> à votre âge , surtout s'il survenait du gros 
temps. En ce cas le plus long trajet par terre me 
paraîtrait préférable , même au risque d'un peu de 

« <^Dte en Ecosse pour, eid0«^ mon cher Milord, et pour remine- 
« ner,ici; maift nos barqtie^ de TElbe sont peu propres à une pa- 
« reille expédition* U n'y a que tous sur qui je puisié compter. • 
« J'étais ami de votre frère , je lui 'avais des obligations ; je suis le 
« Vôtre de cœur et d*aiiie : voilà mes titres; voilà les droits que j'ai 
« 3ur voask Vous vivrez ici*dans le sein de Tamitié , de la lib)erté et 

• de la philosophie : il n'y a que cela dans H monde , mon cher 

• Milord ; quand on a passé par toutes les métamorphoses des états, 
« quand on a goûté de tCiut , on en revient Jà. » 



AWHlÎE 1764- l33 

fatigue de plus. Comme j'espère aussi que vous at- 
tendrez pour vous embarquer que^ la saispn soit 
moins rude , nrous voulez bien , Milord , que je 
compte encore sur une de vos lettres avant votre 
départ. 






LETTRE CDLXIH. 

A M. A. 

« 

Motiert-TraTerSy le 7 avril 1764. 

L'état où l'étais , monsteur , au moment où votre 
lettre me parvint, m'a empêché de vous en accuser 
plus tôt la réception ; et de vous remercier commie 
je fais aujourd'hui du plaisir que m'a fait ce témoi- 
gnage de votf e souvenir. J'en suis plus touché que 
surpris ; et j'ai toujours bien cru que l'amitié doM 
vous m'honoriez dans mes jours pipspères ne se 
refroidirait ni par mes disgrâces ni j^àr mon exil'. 
De mon côté , sans avoii' avec vous des rdations 
suivies^ je n'ai point cessé, monsieur, de prendre 
intérêt aux changements agréables que vous avez 
éprouvés depuis nos anciennes Uaisons. Je ne doute 
point q^e vous ne soyez aussi bon mari et ausj(i 
digne père de famille que vous étiez homme ai- 
mable étant garçon, que vous ne vous appliquiez 
à donner à vos enfants une éducation raisonnable 
et vertueuse , et que vous ne fassiez le bonheur 
d'une femme de mérite qui doit faire le vôtre. 



l34 C0RR£SP01li>ANCE. 

Toutes ces idées, frtiits de l'estime qui vous est 
due, me rendent la vôtre plus précieuse. 

Je voudrais vmis rendre compte de moi pour 
répondre à l'intérêt que vous dai^ez y prendre : 
mais que vous dirais -je? Je ne fus jamais bien 
grand'chose; maintenant je ne suis plus rien; je 
me regarde comme ne vivant déjà plus. Ma pauvre 
machine délabrée me laissera jusqu'au bout , j'es- 
pçre, une ame saine quant aux sentiments et à 
la volonté ; mais , du côté de l'entendement et des 
idées , je suis aussi malade de l'esprit que du corps. 
Peut-être est-ce un avantage pour ma situation. 
Mes maux me rendent mes malheurs peu sensibles. 
Jje cœur se tourmente moins quand le eorps souffre, 
et la nature 'me donne tant d'affaires que l'injus-^ 
tice des hommes ne me touche plus: Le remède 
est cruel, je l'avoue ; mais enfin c'en est un pour 
moi t car les plus vives douleurs me laissent tou- 
jours quelque relâche , au liçu que les grandes af- 
flictions ne m'en laissent point. Il est donc bon que 
j^ souffre et que je dépérisse pour être moins at- 
tristé; et j'aimerais mieux être Scarron malade que 
Timon en santé. Mais si je suis désormais peu sen- 
sible aux peines, je le suis encore aux consolaticms; 
et c'en sera tot|JQ«r& une pour moi d'apprendre 
que vous' vous'^p^rtez bien , que vous êtes heu- 
reux , et que vous continuez de m'aimer. Je vous 
S2(lue , monsieur , et vous embrasse de tout mon 
cœur. 



ANNÉE 1764. l35 



LETTRE CDLXIV. 

A M. LE PRINCE L. E. DE WIRTEMBERG. 

Motiers , le 1 5 ayril 1 7 6 4> 

Ne vous plaignez pas de vos disgrâces , prince. 
Comme elles sont l'ouvrage de votre courage et de 
vos vertus , elles sont aussi l'iilstmment de votre 
gloire et<ie votre boilheur. Vaincre Frédéric eût 
été beaucoup , sans doute ; mais vaincre dans son 
propre cœur les préjugés et les passions qui sub- 
juguent lesi^nquérants comme les autres homme«. 
est plus erito^e. Et , dites la vérité , combien de ba- 
tailles gagnées vous eussent donné dans l'opinion 
des hommes ce que vous donne au fond de votre 
cœur une heure de jouissance des plaisirs de l'a- 
mour conjugal et paternel ? Quand vos succès eusr 
sent fait aux hommes quelque vrai bien , ce qui'me 
parait fort douteux; car qu'importe aux peuples 
qui perde ou qui gagne ? vous auriez méconnu les 
vrais biens pour vous-même ; et , séduit par les ac- 
clamations publiques, vous n'eussiez plus mis votre 
bonheur que dans les jngettttiMs d'autrui. Vous 
avez appris à le trouver en^^n^Ais, à en être le 
maître , et à en jouir malgré la reine et malgré les 
jaloux. Vous l'avez conquis, pour ainsi dire; c'était 
la meilleure conquête à faire. 

La fumée de la gloire est enivrante dans mon 
métier comme dans le vôtre. J'ign0re si cette fu- 



l3^ CORAESPONDAiyCE. 

mée m'a porté à la tête , mais elle m'a souvent fait 
mal au cœur ; et il est bien difficile qu'au milieu 
des triomphes un guerrier ne sente pas quelque- 
fois la même atteinte.; car si les lauriers des héros 
sont plus brillants , la culture en est aussi plus pé- 
nible , plus dépendante, et souvent on la leur fait 
payer bien cher. 

La manièi^ de vivre isolé -et sans prétention que 
j'ai choisie , et qui me rend à peu près nul sur la 
terre , m'a mis à portée d'observer et comparer 
toutes les conditions depuis les paysans jusqu'aux 
grands. J'ai pu facilement écarter Tapparence ; car 
j'ai été partout admis dans le conmierce et même 
./lans la familiarité. Je me suis , pour ainsi dire , in- 
corporé dans tous les états pour le».l)ien étudier. 
•^4'ai vu leurs sentiments, leurs plaisirs, leurs dé- 
sirs, leur manière interne d'être : j'ai toujours vu 
que ceux qui savaient rendre leur situation , non la 
plus éclatante, mais la plus indépendante, étaient 
les'plus près de toute la félicité permise à l'homme; 
que les sentiments libres qu'ils cultivaient, tels que 
l'amour , l'amitié , étaient tout autrement délicieux 
que ceux qui naissent des relations forcées que 
donnent l'état et le rang ; que les affections enfin 
qui tenaient aux personnes et qui étaient dVi choix 
•du cœur étaient infiniment plus douces que celles 
qui tenaient aux choses et que déterminait la for- 
tune. 

Sur ce principe il m'a semblé > dès les premières 
lettres dont vous m'avez honoré , et toutes les sui- 
vantes confiniient ce jugement ^ que vous aviez fait 



ANNÉE 1764* J^% 

le plus grand pas pour arriver au bonheur ; ^ue , 
de prince et de général, se faire père, mari 9 véri- 
table homme , n'était point aller aux privations , 
mais aux jouissances ; que vos présentes occupa- 
tions marquaient l'état de votre ame de la façon 
la moins équivoque ; que votre respect pour le sn- 
blime Klyiogg* montrait combien vous en méritiez 
vous-même ; qu'enfin vous pouviez a:^oir des cha-: 
grins , parce que tout homme en a ; mais que , si 
quelqu'un dans le monde approchait par sa situa- 
tion et par ses sentiments du vrai bonheur , ce . 
devait être vous ; et que , sur la disgrâce qui vous 
avait conduit à cet état .simple et désirable, vous 
pouviez dire, comme Thémistocle : Nous périssions 
si nous n'eussions péri. Voilà, prince, ma façon de 
penser^ sur votre situation présente et passée. Si 
je me trompe, ne me détrompez pas. 

Une femme du pays de Vaud, qui se prétend 
grosse , m'a écrit pour me dimander des conseils sur 
l'éducation de son enfant. Sa lettre me paraît un 
persiflage perpétuel sur mes chimériques idées. 
J'ai pris la liberté de lui citer pour réponse votre 
petite j^opbie et l^manière dont vous avez le cou- 
rage de l'élever. J'espère n'avoir point commis> en 
cela d^discrétion ** ; si je l'avais fait , je vous prie- 
rais de me le dire afin que je fusse plus retenu 
une autre fois. 

Si vous approuviez que nos lettres finissent dé^ 

* Voyez ci-aprèi la lettre à M. Hirael, du 1 1 novembre 1764, et 
la note qui s'y rapporte. / 

** Il parle sans doute de la lettre à madame It^guin, du 3 1 mars. 
Voyez ci-deyant lettre cDuc • 



t38 CORRESPONDANCE. 

sormaissans formule et sans signature y il me semble 
que cela serait plus commode. Quand les senti- 
ments sont connus 9 quëuid l'écriture est connue, 
il ne reste à prendre sur cet article que des soins 
qui me semblent superflus : en attendant que 
Votre exemple m'autorise avec vous à cet usage , 
agréez , M. le duc , je vous supplie, les assurances 
de mon profond respect. 



LETTRE ÇDLXV. 

A M. LE MARÉCHAL DE LUXEMBOURGr 

.MotierSy le si ayril 1764* 

Je suis alarmé, monsieur le maréchal, d'ap- 
prendre à l'instant que vous n'êtes pasTallé ce prin- 
temps à Montmorency. Je crains que la suite d'une 
indisposition, qu'on m^vait décrite comme légère, 
et dont je vous croyais rétabli , n'ait mis obstacle 
à ce voyage. Permettez que je vous supplie de me 
foire écrii-e un mot sur votre état présent. Je sais 
qu'il fondrait toujours savoir se retirer avant que 
d'être importun, et qu'on y est obligé, du moins 
quand on sent qu'on Test devenu. Mais, monsieur 
le maréchal , comme les sentiments que vous dai- 
gnâtes cultiver ne peuvent sortir de mon cœur, je 
ne puis perdre non plus les inquiétudes qui en sont 
inséparables. Je serai discret désormais sur tout 
autre article; mais je ne puis me résoudre à l'être, 
quand je suis en peine de votre santé. 



LETTRE CDLXVI. 

A M. D'IVERNOIS. 

MotlerSy le ai ayril 1764- 

Je me réjouis, monsieur, de vous savoir heu- 
reusement de retour de votre voyage ; et je me ré- 
jouirais bien aussi de celui que vous avez la bopté 
de me proposer, si j'étais en état de l'accepter; 
mais c'est à quoi ma situation présente ne me per- 
met pas de penser. D'ailleurs je vous avouerai fran-^ 
chement qu'il entre dans mes arrangements de ne 
dépendre que de ma volonté dans mes courses, 
de fi'ea Mre par conséquent qii*avec gens qui n'ont 
point d'affaire , et qui n'ont une voiture ni devant 
ni derrière eux. Mais si je ne puis, monsieur, avoir 
le plaisir de vous suivre , j'attends du moins avec 
empressement celui dei vous embrasser ; ce serait 
un bien de plus dans ma vie d'en pouvoir jouir 
plus souvent. 

Oserai&je vous charger d'une petite commission ? 
M. Deluc l'aîné a eu la bonté de m'epvoyer un ba- 
ril de miel de Chamouni , comme je Ten avais prié. 
Je lui ai écrit là-dessus sans recevoir de réponse. 
Vous m'obligeriee beaucoup, monsieur, ii vous 
vouliez bien solder avec lui cette petite a£kire, ea 
y ajoutant quelques affranchissements de lettres 
que je lui dois aussi , et je vous rembourserais ici 
le tout à votre passage. Je voua conoais trop obli- * 



l4o CORRÈSPOICDANCE. 

géant pour croire avoir là-dessus d'excuse à vous 
faire. Recevez les remerciements et respects de 
mademoiselle Le'Yàsseur, et faites^, je vous sup- 
plie , agréer les miens à madame dlvernois. Je vous 
salue , monsieur , de tout mon cœur. 



«>«>^>%^>*.%^»'^%>*^%^l««/%r^V«^%^ 



LETTRE CDLXVII, 

A MADAME LATOUR. 

AModers, le a 8 avril 1764. 

I 

. Tant que ma situation ne changera pas, j'au- 
rai, chère Marianne, avec le chagrin de ne pou- 
voir vous écrire que des lettres rares et .courtes , 
celui de sentir que Vous imputez toujours en vdus- 
méme mon malheur à mauvaise volonté; car je 
sais qu'il n'est pas dans le cœur humain de se 
mettre à la place des autres dans les choses qu'on 
exige d'etii. Au reste , un article de vos lettres , 
auquel je ne répondrais pas quand j'aurais le temps 
et là santé qui me manquent , est celui des louanges. 
Le silence est la seule bonne réponse que je sache 
foire à cet artjcle-là. , 

Les pièces *de mes écrits que vous avez in-12, 
et que vous me demandez in-8<>, ont, pour la plu- 
part, été imprimées, dans ce dernier format, chez 
Bissot, quai de Conti , à la descente du Pont-Neuf; 
le Discours sur V économie politique a aussi été im- 
primé in-S*' à Genève , chez Duvillard. Je n'ai au- 
cune de ces pièces détachées de l'unique exem- 



ANNÉE 1764* l^l 

plaire que je me suis réservé de mes écrits , et je 
n'ai plus aucune relation avec les libraires qui les 
ont imprimées. Cej)endant, i^^ vous mettez pas en 
quête de ces pièces de six semaines d'ici; car j'es- 
père, avant ce terme, pouvoir vous les procurer 
toutes d'une bonne édition, et cela sans embarras. 
Voilà, chère Marianne, ce que j'ai quant à pré- 
sent à vous répondre , sur Jes éclaircissements que 
vous m'avez demandés^ J'attends maintenant la 
question que vous avez à me faire ; j'espère qu'elle 
n'a nul traijtà mon sincère attachement pour vous; 
car, quelcpie mécontepte ^que vous soyez de ma 
correspondance , je ne. vous pardonnerais pas de 
rien mettre en doute qui • pût se. rapporter à cet 
objet-là. 



^^/m^^)%^^^/^^%^tmf%i^/m/%.^/%^i^/%f^^u^>^^^>/%^/%''%^%/^^^^^^% 



LETTRE CDLXyiII. 

# 

A M. GUY. 

A Motiërt, le 6 mai 1764' 

Puisque vous voulez bien que je dispose de quel- 
ques exemplaires du Recueil que vous vçnoz dâ 
faire imprimer, je vous prie de vouloir bien en 
faire porter un in-8° broché , chez madame deL. T. y 
rue de 'Richelieu ^ entre la rue Neuve-St.^ Augustin et 
les écuries de madame la duchei^ d'Orléans ; et , si 
elie veut le payer , de défendre à celui qui le por- 
tera de recevoir l'argent. 



l4^ CORRESPONDANCE. 



LETTRE CDLXIX. 

A MADEMOISELLE D. M. 

Le 7 mai 1764. 

Je ne prends jpas le change , Henriette , sur l'ob- 
jet de votre lettre , non plus que sur votre date 
dé Paris *. Vous reoberches moins mon avis sur le 
parti que vous avez à prendre que mon approbation 
pour celui que vous BYf^ pris. Sur chacune de vos 
lignes je vois ces mots écrits en gros caractères : 
Foyons si vous aurez le front dé condamner a ne 
plus penser ni lire quelqiCun qui pense et écrit ainsi. 
Cette interprétation n'est assurément pas un re- 
proche, et je ne puis que -vous savoir gré de me 
mettre au nombre de ceux dont les jugements vous 
importent. Mais en me flattant vous n'exigez pas , je 
crois , que je vous flatte; et vous déguiser mon sen- 
timent , quand il y va du bonheur de YOtrç vie , serait 
mal répondre à l'honneur que vous m'avez fait. 

Commençons par écarter les délibérations inu- 
tiles. Il ne A'agit plus de ^ous réduire à coudre et 
broder JEIenrîette y on ne quitte pas sa tête comme 

* Il pensait que la lettre à laquelle il répondait, quoique datée 
de Paris, était réallement écrite de Neuohàtel, et il l'atbribuait k 
une dame qui alors habitait cette ville, et qu'il savait être une #a- 
vante et un bel esprit en tUte; et c'est dans cette idée que sa réponse 
est conçue. U reconnaît 9a méprise dans la lettre qu'on verra ci- 
après à la date du 4 novembre même année, adressée à la méçie 
demoiselle D. M. , véritable auteur de celle à laquelle celle-ci sert de 
réponse. 



ANNÉE 1764. 143 

on bonnet^ et Ton ne revient pas plus-à la simpli- 
cité qu'à l'enfance; l'esprit une fois en efferves- 
cence y reste toujours, et quiconque a pensé pen- 
sera toute sa vie. C'est là le plus grand malheur 
de Tétat de- réflexion : plus on en sent les maux , 
plus on les augmente ; et tous nos efforts pour en 
sortir ne font que nous y embourber plus profon- 
dément. 

Ne parlons donc pas de changer d*état , mais du 
parti que vous pouvez tirer du vôtre. Cet état est 
malheureux ,^1 doit toujours l'être. Vos maux sont 
grands et sans remède; vous les sentez, vous eu 
gémissez ; et , pour les rendre supportables , vous, 
cherchez du moins un palliatif. N'est-ce pas là Tob- 
jet que vous vous proposez dans vos plans d'é- 
tudes et d'occupations? 

Vos moyens peuvent être bons dans une autre 
vue , mais c'est votre fin qui vous trompe , parce 
que ne voyant pas la véritable source de vos maux, 
vous en cherchez l'adoucissement dans la cai]^ 
qui les fit naître Vous les cherchez dans votre si- 
tuation , tandis qu'ils sont votre ouvrage. Combien 
de personnea.de mérité nées dans le bien-être , et 
tombées dans l'indigence, l'ont supportée avec 
moins de succès et d^ bonheur que vous , et tou- 
tefois n'ont j)as ces réveil tristes et cruels dont 
vous décrivez l'horreur a.yec tant d'énergie ? Pour- 
quoi cela ? Sans, doute elles n^aùront pas , direz- 
vous , une ame aussi sensible. Je n'ai mi personae 
en ma vie qui n'en dît autant. Mais qu'est-ce en- 
fin que cette senâbilité si vantée? Voulez-vous le 



l44 CORRESPONDANCE. 

savoir, Henriette? c'est en dernière analyse un 
amour-propre qui se compare. J'ai mis le doigt 
sur le siège du mal. '^ 

Toutes vos misères viennent et viendront de 
vous être affichée. Par cette manière de chercher 
le bonheur il est impossible qu'on le trouve. On 
n'obtient jamais dans l'opinion des autres la place 
qu'on y prétend. S'ils nous l'accordent à quelques 
.égards y ils nous la ref«seàt à mille autres, et une 
seule exclusion tourmente plus que ne flattent 
cent préférences. C'est bien pis encore dans une 
femme qui, voulant se faire homme, met d'abord 
tout son sexe contre elle, et n'est jamais prise au 
mot par lé nôtre; en sorte que son orgueil est 
souvent aussi mortifié par les honneurs qu'on lui 
rend que par ceux qu'on lui refuse. Elle n'a jamais 
précisément ce qu'elle ^eut, parce qu'elle veut des 
choses contradictoires ; et qu'usurpant les droits 
d'un sexe sans ^vouloir renoncer à ceux de l'autre, 
eliis n'en possède aucun pleinement. 

Mais le grand malheur d'une fétnmè qui s'affiche 
est-de n'attirer, ne voir que des gens qui font 
comme elle, et d*écarter le mérite solide et mo- 
deste , qui ne s's^che point, et qui ne court point 
où s'assemble la foule. Personne ne jilge si mal et 
si faussement des hommes que les gens à préten- 
tions; car ils ne les jugent que d'après eux-mêmes 
et ce qui leur ressemble ; et ce n'est certainement 
pas voir le genre humain par son beau côté. Vous 
êtes mécontente de toutes vos sociétés : je le 
crois bien; celles où vous avez vécu étaient les 



ANNÉE 1764. 145 

moins propres à vous rendre heureuse ; vous n*y 
trouviez personne en qui vous pussiez prendre 
cette confiance qui soulage. Comment l'auriez-vous 
trouvée parmi des gens tout occupés d'éttx séffb , 
à qui vous demandiez dans leur coeur la première 
place, et qui n'en ont pas même une seconde à 
donner? Vous vouliez briller, vous vouliez pri*- 
mer; et ^roiisr vouliez être aimée: Cj^^ont des choses 
incompatibles. Il faut opter. Il n y a point d'amitié 
sans égalité, et il n'y a jamais d'égalité reconnue 
entre gens à prétentions. Il ne suffît pas d'avoir 
besoin d'un eaià pour en trouver, il faut encore 
avoir de quoi fournir aux besoins d'un autre. 
Parmi les provisions que vous avez faites , vous 
avez oublié celle-là. 

La marche par laquelle vous avez acquis des 
connaissances n'en justifie ni l'objet ni l'usage. 
Vous' avez voulu paraître philosophe ; c'était re- 
noncer à rétre ; et il valait beaucoup mieux avoir 
Fair d'une fille qui attend un mari, que d'im 
çage-qui attend de l'encens. Loin de trouver le 
bonheur dans «l'effet des soins que vous n'avez 
donnés qu'à la seule apparence, vous n'y avez 
trouvé que des biens apparents et des maux vé- 
ritables. L'état de réflexion où vous vous êtes je- 
t^e vous a fait faire incessamment des retours dou- ^ 
louf'eux sur vous-même; et vous voulez pourtant 
bannir ces idées par le même genre d'occupation 
qui vous les donna. 

Vous voyez Terreur de la route que vous avez 
prise, et, croyant en changer par votre projet, 
R. XX. 10 



;l46 CORRESPONDANCE. 

VOUS allez encore au même but par un détour. Ce 
n'est point pour vous que vous voulez revenir à 
l'étude , c'est encore pour les autres. Vous voulez 
£jûre des provisions de connaissances, pour sup- 
pléer dans un -autre âge à la figure : vous voulez 
substituer l'empire du savoir à celui des charmes. 
Vous ne voulez pas devenir la complaisante 
d'une autre fenmie, mai^ vous voulez avoir des 
complaisants. Vous voulez avoir des amis, c'est-à- 
' dire une cour : car les amis d'une femme jeune 
ou vieille sont toujours ses courtisans; ils la ser- 
vent ou la quittent, et vous prenez de loin des 
làesures pour les retenir, afin d'être toujours le 
centre d'une sphère, petite ou grande. Je crois 
sans cela que les provisions que vous voulez foire 
seraient la chose la plus inutile pour l'objet que 
vous croyez bonnement vous proposer. Vous vou- 
driez, dites-vous, vous mettre en état d'entendre 
les autres. Ave;z-vous besoin d'un nouvel acquis 
rpour cela? Je ne sais pas au vrai quelle opinion 
vous avez de votre intelligence actuelle ; .mais , 
dussiez-vous avoir pour amis .des Œdipes , j'ai 
^peiiie à croire que vous soyez fort curieuse de ja- 
mais entendre les gens que vous ne pouvez en- 
tendre aujourd'hui. Pourquoi donc tant de soins 
pour obtenir ce que vous avez déjà? Non,. Hen- 
riette , ce n'est pas cela ; mais , quand vous serez 
wçke sibylle, vous voulez prononcer des oracles; 
votre vrai projet n'est pas tant d'écouter les au- 
tres que d'avoir vous-même des auditeurs. Sous 
prétexte de travailler pour l'indépendance , vous 



ANNÉE 1764. 147 

travaillez encore pour la domination. C'est ainsi 
que , loin d'alléger le poids de l'opinion qui vous 
rend malheureuse^ vous voulez en aggraver le 
joug. Ce n'est pas le moyen de vous procurer des 
réveils plus sereins. 

Vous croyez (jue le seul soulagement du senti-* 
meat^pénible qui vous tbiirmentè est de vous éloi- 
girçr de ▼otis. Moi/ tchif aii contraire , je crois que 
c'est de' vous* en rapprocher. 

Toute vofreiettre est pleine de preuves que 
jusquHa Tunique but de toute votre conduite a 
été'àv vous metfré avantageusement sous les 
yeux d'autruii' Comment , ayant réussi dans le pu- 
blic autant que personne , et en rapportant si peu 
de sati^action intérieure ,' n'avez- vous pas senti 
que ce n'était pas là le bonheur qu'il vous fallait, 
et qu'il était temps de changer de plan ? Le vôtre 
peut être bon .pour la gloire, mais il -est mauvais 
pour la félicité. Il ne faut point chercher à s'éloi- 
gner de soi , parce qtie cela n'est pas possible , et 
qtier tout dous y ramène malgré que nous en ayons. 
Vous-cojQvenez d'avoir passé des heures très-dou- 
ces rfin m'écriyant et me parlaQt de vous. Il est 
étonnant que «cette expérience ne vous mette pas 
sur là voie , et ne vous apprenne pas où vous de- 
ve2( chercher , sinon le bonheur, au moins la paix. 

Cependant , quôique.mes idées en ceci diffèrent 
beaucoup des vôtres , nous sommes à peu près 
d'accord -sur ce que vous devez faire. L'étude est 
désormais pour vous la lance d'Achille , qui doit 
guérir la blessure qu'elle a faîte. Mais vous ne vous 

10. 



l48 CORRESPONDANCE. 

lez qu'anéantir la douleur, et je voudrais oter la 
cause du mal. Vous voulez vous distraire de vous 
par la philosophie; moi, je voudrais qu'elle vous 
détachât de tout, et vous rendît à vous-même. 
Soyez sure que vous ne serez contente des autres 
que quand voi^s n'aurez plus be^in d'eux , et que 
la société ne peut vous devenir agréable qu'en 
cessant de vous être nécessaire. N'ayant jamais, à 
vous plaindre de ceux dont vous n'çxigei^z rien , 
c'est vous alors qui leui" serez nécessaire ; et , sen- 
tant que vous vous suffisez à vous-m^me , ik vous 
sauront gré du mérite que vous, voiriez bien naettre 
en commun. Us ne croiront plus yovis faire grâce ; 
ils la recevront toujours. Les agréments de la vie 
vous rechercheront par cela seul que vous ne les 
rechercherez pas; et c'est alors que, contente de 
VOU3 sans pouvoir être mécontente des autres, 
vous aurez un sommeil paisible et un réveil déli- 
cieux. 

Il est vrai qiie des études faites dans des vues 
si contraires ne doivent pas beaucoup se ressem- 
bler , et il y a bien de la différence entre la culture 
qui orne l'esprit et celle qxA nourrit l'âme. Si vous 
aviez le courage de goûter un projet dont l'exécu- 
tion vous sera d'abord très-pénible , il faudrait 
beaucoup changer vos directions. Cela demande- 
rait d'y bien penser avant de se mettre à l'ouvrage. 
Je suis malade, occupé, abattu, j'ai l'esprit lent; 
il me faut des efforts pénibles pour sortir du po- 
tjt cercle d'idées qui me sont familières , et rien 
n'en est plus éloigné que votVe situat^ioq. Il n'est 



L 



AWBTÉE 1764. l40 

pas juste que je me fatigue à pure perle ; car j*ai 
peirfe à croire que vous vouliez entreprendre de 
refondre , pour ainsi dire , toute votre constitution 
morale. Vous ayez trop de philosophie pour ne 
pas voir avec effroi cette entreprise. Je désespé- 
rerais de vous , si vous vous y mettiez aisément. 
N'allons donc pas plus loin quant à présent ; il 
sii^t quPè votre principale question est résolue : 
suivez la carrière dès lettres; il ne vous en reste 
plus d'ai^tre à choisir. * 

Ces lignes que je vous écris à la hâte , distrait et 
souffrant , ne disent peut-être rien de ce qu'il faut 
dire : mais les erreurs que ma précipitation peut 
m'avoir fait faire ne sont pas irréparal>les. Ce qu'il 
fallait , avant toute chose , était de vous faire sen- 
tir combien vous m'intéressez ; et je crois que vous 
n'en douterez pas en lisant cette lettre. Je ne vous 
regardais jusqu'ici que comme une belle penseuse 
qui, si elle avait reçu un caractère de la nature, 
avait pris soin de l'étouffer , de l'anéantir sous l'ex- 
térieur , comme un de ces chefs-d'œuvre jetés en 
bronze, qu'on adi^irier par les dehors et dont le 
dedans est vide. Mais si vous savez pleurer encore 
sur votre état j il n'est pas sans ressource ; tant 
qu'il reste au cœur un peu d'étoffe , il ne faut dé- 
sespérer de rien. 



i5o 



CORRESPONDANCE. 



LETTRE CDLXX.' 

• ■ > 

A MADAME DE VËRDCXIN. 

Moders, le i3 mai 1764. 

Quoique tout ce que vous m'écrivez , madafne , 
me soit intéressant , IVrtide le plus important de 
votre dernière lettre -en mérite une tout entière, 
et fera Tunique sujet de celle-ci. Je parlerdes pro- 
positiona qui vous ont £sdt hâter votre retraite à la 
campagne. La réponse négative que vous y avez 
faite et le motif qui vous Va inspirée sont , comme 
tout ce que vous faites, marqués au coin de la 
sagesse et de la vertu; mais je vous avoue , mon 
aimable voisine , que les jugements que vous por- 
tez sur la conduite de la personne me paraissent 
bien sévères ; et je ne puis vous dissimuler que , 
sachant combien sincèrement il vous était attaché , 
loin de voir dans son éloignement un signe de tié? 
deur,j'y aibien plutôtvu les scrupules d'un cœur qui 
croit avoir à se défier de lui-même ; et le genre de 
vie qu'il choisit à sa retraite mpntre assez ce qui l'y 
a déterminé. Si un amant quitté pour la dévotion 
ne doit pas se croire oublié, l'indice est bien plus 
fort dans les hommes; et, comme cette ressource 
leur est moins ns^turelle , il faut qu'un besoin plus 
puissant les force d'y recourir. Ce qui m'a confirmé 
dans mon sentiment, c'est son empressement à 
revenir du moment qu'il a cru pouvoir écouter 



ANNÉE 1764. l5l 

son penchant sans crime ; et cette démarche , dont 
votre délicatesse me paraît oâensée, est à mes 
yeiix une preuve de la sienne, qui doit lui mériter 
toute, votre estime , de quelc[ue manière que vous 
envisagiez d'aiâenrs son retour. . 

Ceci , madame , ne diminue absolument rien de 
la solidité de vos raisons quant à vos devoirs en*- 
vers yps taifants. Ije parti que vous prenez est «ans 
cpntrec^t le seul dont ils n'aient pas à se plaindre 
et le plu^ digpe de vous ; mais ne gâtez pas un acte 
de -vertu si grand et si pénible par un dépit dé- 
ginsé, etpar un sentiment injuste envers un homme 
aujssî digne de votre estime par sa conduite ^e 
vous-même êtes par» la votre digne de l'estime de 
tous les honnêtes gens. J'oserai dire phis : votre 
motif ^ fondé sur vos devoirs de mère , est grand et 
pressant, mais il peut n'être que secondaire. Vous 
êtes trop jeune encore , vous ayez un cœur trop 
tendre et plein d'une inclination trop ancienne 
poiir n'être pas obtigée à compter avec vous-même 
dans ce que vous devez sur ce point à vos enfants. 
Pour bien remplir ses dfevoirs,il ne faut point s'en 
imposer d'insupportables : rien de ce qui est juste 
et honnête n'est illégitime ; quelque chers que vous 
soient vos enfants, ce que vous leur devez sur cet 
article n'est point ce que vous deviez à votre mari. 
Pesez donc les choses en bonne mère , mais en per- 
sonne libre. Consultez si bien votre cœur que vouS: 
fassiez leur avantage , mais sans vous rendre mal- 
heureuse, car vous ne leur devez pas jusque-là'. 
Après cela, si vous persistez dans vos refus, je vous. 



l5a CORRESPONDANCE. 

en respecterai davantage ; mais si vous cédez , je ne 
vous en. estimerai pas moins. 

Je n'ai pu refuser à mon zèle de vous exposer mes 
sentiments sur une matière si importante et dans le 
moment où vous êtess à temps de délibérer. M. de*** 
ne m'a écrit ni fait écrire; je n'ai de ses nouvelles 
ni directement ni indirectement ; et quoique nos 
anciennes liaisons m'aient laissé de l'attachement 
pour lui, je n'ai eu nul égard à son intérêt dans ce 
que je viens de vous çUre. Mais moi que vous lais- 
sâtes lire ^ans vptre cgeur , et qui en vis si bien la 
tendresse et l'honnêteté ; moi qui quelquefois vis 
couler vos larmes, je n'ai point oùblié-l'impression 
qu'elles m'ont faite 9 et jçt ne s«is pas sans crainte 
sur celles qu'elles ont pu vous laisser. Mériteraisrje 
l'amitié dont vous m'honorez, si je négligeais en 
cç moment les devoiçs qu'elle imposç. 



.«p>««/«.^ 



LETTRE CDLXXI. 

/ 

A MADEMOISELLE GALLËY, 

En lui eavôyant un lacet. 

14 mai iy64' 

Ce présent , ma bonne amie , vous fut destiné du 
moment que j'eus le bien de vous connaître, et, 
quoi qu'en pût dire vptre modestie, j'étais sûr qu'il 
aurait dans peu son emploi. La récompense suit do 
près la bonne oeuvre. Vous étiez cet hiver garde- 
n^al^de , et ce printemps Dieu vous donne un mari : 



ANNÉE 1764. î53 

VOUS lui serez charitable, et Dieu vous donnera des 
enfants; vous Jm, élèverez en sage mère, et ils vous 
rendront heiu'euse un jour. D'avance vous devez 
rétre par les soins d'uii époux aimable et aimé, 
qui saura vou9 rendre le bonheur qu'il attend de 
vous. Tout ce qui pron^et un }fon choix m'est ga- 
rant du vôtre ;*dês liens d'amitié formés dès l'en- 
fance , éprouvés par le temps , fandés sur la con- 
naissance des caractères^ l'union des coeurs que le 
mariag^afipprmit, mais ne produit pas f l'accord des 
esprits ow^die^^deux parts la boaté domine, et où 
la gaieté de l'un,, la solidité jde l'autre , ^se tempé- 
rant niu|a§|lem^ity Fendi:ant doilce et chère à tous 
deux Vanstère loi cj/fti fait, s^coédeir aux 'jeux, de 
l'adolescence- dès soins plus graves , mais plus tou- 
chants. Sans parler d'autres convenances , voilà de 
bonnes raisons de compter pour toute la vie sur 
un bonheur commun daçs l'état où vous entrez, 
et que vous honorerez par votre conduite. Voir 
vérifiir im augure si bien fondé sera, chère Isa* 
belle , une consolation très-douee pour votre ami. 
Du reste , la connaissance que j'ai de vos principes, 
et l'exemple de madame votre sœur , me dispen- 
sent de faire avec vous des conditions. Si vous n'ai* 
mez pas les enfants , vous aimerez vos devoirs. Cet 
amour me répond de l'autre; et votre mari, dont 
vous fixerez les goûts sur divers articles, saura bien 
changer le vôtre sur celui-là. 

£n prenant la pliune j'étais plein de ces idées. 
Les voilà pour tout compliment. Vous attendiez 
peut-être inie lettre faite pour être montrée ; mais 



l54 CORRESPOlXDAJirCE. 

auriez-vous dû me la pardonner^ et rccpnnaîtriez- 
vous l'amitié que tous m'avez inspîtée , dans upe 
épître où je songecais aa public en parlant à vous? 



^%^^%/*^^^^t^^t^ti m ^m^m^^/mt^m^t^éf^>Ê ^ fm^^^^0^%^^^^^^ % 



LETTRE CDLXXlI. 

A M. D^ SÀUTTEfiSfi^I». 

Mettez-vousà me placé , moil^ieur, et jâij^zrvous. 
Quand , trop facile à céder à- vos avaiices , j'épan- 
chais mon Qoeur avec vous^.vo^isme ttompiez. Qui 
me répondra qù'aujour^^ùi tous ne me trompez 
pas encore? Inquiet de votre long silence, je me 
suis fait informer de vous à la cour de Vienne : votre 
nom n'y est connu de personne. Ici votre honneur 
est compromis, et , depuis votre départ, une salope, 
appuyée de certaines gens, vous a chargé d'un en- 
fant. Qu'êtes -vous allé faire à Paris? Qii'y ftites- 
vous maintenant, logé précisément dans la rue qui 
a le plus mauvais renom.? Que voulez-vous que je 
pense? J'eus toigours du penchant à vous aimer; 
mais je dois subordonner mes goûts à la raison, 
et je rie veux pas être dupe. Je vous plains ; mais 
je ne puis vous rendre ma confiance que je n'aie 
des preuves que vous ne me troftipez plus. 

Vous avez ici des effets dans deux malles dont 
une est à moi. Disposez de. ces effets, je vous prie, 
puisqu'ils vous doivent être utiles , et qu'ils m'em- 
barrasseraient dans ie transport des miens si je 



ANNÉE 1764. l55 

quittais Motiers. Vous me paraissez être dans le 
besoin ; je ne suis pas non plus trop à mon aise. 
Cependant , si vos besoins sont pressants , et que 
les dix louis que vous n'acceptâtes pas Tannée der- 
nière puissent .y porter quelque remède , parlez- 
moi clairement Si je connaissais mieux votre état, 
je vous préviendrais ; mais je voudrais vous sou- 
lager , non vous offenser. 

Vous êtes dans un âge où Tame a d^jà pris son 
pli , et où les retours à la vertu sont difficiles. Cck 
pendant las malheurs sont de grandes leçons: puis- 
siez-vpus en profiter pour rentrer en vous-même ! 
Il est céiiAin que vous étiez fait pour être un. 
homme de mérite. Ce serait grand dommage que 
vous trompassiez votre vocation. Quant à moi ^ je 
n'oublierai jamais l'attachement que j'eus pour 
vous ; et si j'achevais de vous en croijre indigne , 
je m'en consolerais difficilement. 

LETTRE CDLXXIII. 

A M. DK P. 

a3 mai 1764. 

Je sais , monsieur , que , depuis deux ans , Paris 
fourmille d'écrits qui portent mon nom, mais dont 
heureusement peu de gens sont les dupes. Je n'ai 
ni écrit ni vu ma prétendue lettre à M. l'archevêque 
d'Auch , et la date de Neuchâtel prouve que l'au- 
teur n'est pas même instruit de ma demeure. 



l56 CORRESPONDANCE. 

Je n'avais pas attendu les exhortations des pro- 
testants de France pour réclamer contre les mauvais 
traitements qu'ils essuient. Ma lettre à M. Farche- 
vêque de Paris porte un témoignage assez éclatant 
du vif intérêt que je prends ^léiïfll' peines : il serait 
difficile d'ajouter à la forcè^deà raisons que j'ap- 
porte pour engager le gouvernement à les tolérer, 
et j'ai même lieu de présumer qu'il y a fait quelque 
attention. Quel gré m'en ont-ils su? On dirait que 
cette lettre, qui a ramené tant de catholiques , n'a 
fait qu'achever d'aliéner les protestants ; et com- 
bien d'entre eux ont osé m'en faire un nouveau 
crime! Comment voudriez- vous , monsieur, que je 
prisse avec succès leur défense , lorsque j'ai moi- 
même à me défendre de leurs outrages ? Opprimé , 
persécuté , poursuivi chez eux de toutes parts 
comme un scélérat , je les ai vus tous réunis pour 
achever de m'accabler ; et lorsqu'enfin la protec- 
tion du roi a mis ma personne à couvert , ne pou- 
vant plus autrement me nuire , ils n'ont cessé de 
m'injurier. Ouvrez jusqu'à vos Mercures, et vous 
verrez de quelle façon ces charitables chrétiens m'y 
traitent : si je continuais à prendre leur cause , ne 
me demanderait- on pas de quoi je me mêle? Ne 
jugerait -on pas qu'apparemment je suis de ces 
braves- qu'on mène au combat à coups de bâton? 
« Vous avez bonne grâce de venir nous prêcher la 
«tolérance, me dirait- on, tandis que vos gens se 
« montrent plus intolérants que nous ! Votre propre 
« histoire dément vos principes , et prbuve que les 
« réformés , doux peut-être quand ils sont faibles , 



ANNÉE 1764. '5^ 

(c sont très -violents sitôt qu'ils sont les plus forts. 
« Les uns vous décrètent , les autres vous bannis- 
ce sent, les autres vous reçoivent en rechignant. Ce- 
a pendant vous yoidez que nous les traitions sur 
«des maximes -de douceur qu'ils n'ont pas eux- 
a mêmes! Non: puisqu'ils persécutent, ils doivent 
ce être persécutés ; c'est la loi de l'équité qui veut 
ce qu'on fasse à chacun comme il fait aux autres. 
(K Croyez-nous, ne vous mêlez plus deleurs affaires, 
ce car ce ne sont point les vôtres. Ils ont grand soin 
a 4e le déclarer tous les jôUrs en vous reniant pour 
a leur frère, en protestant que votre religion n'est 
ce pas là leur. » 

, Si vous voyez , monsieur , ce que j'aurais de so- 
lide à répondre à ce discours, ayez la bonté de me 
le dire; quant à moi, je ne le vois pas. Et puis, que 
sais-je encore? peut-être, en voulant les défendre, 
avancerais- je par mégarde quelque hérésie, pour 
laquelle on n\e ferait saintement brûler. Enfin , je 
suisabattu, découragé, souffrant, et l'on me donne 
tant d'affaires à moi-même, que je n'ai plus le temps 
de me mêler de celles d'autrui. 

Recevez mes salutation's,monsieur, je vous sup- 
plie , et les assurances de mon respect. 



"l58 CORRESPONDANCE. 



^i'%'%'%^>^>^/'X%^'^<'%'%^/^<%^t'»»%^^>»%^t>^^/%^»%^^^%^K^^^n^%^M^%^'%»%^'%i%^^h^'^^>^<^^^<'»/^%/%<'W%^»^'^ 



LETTRE CBLXXIV. 



A M. PANGKOUCKK 



> 



Motiers-TiinrerÀ^ le a 5 mai 1764. 

Je lirai avec grand plaisir les écrits de M. Beau- 
rieu, et, sur votre exhortation, j'ai déjà commencé 
par VÉièçe de la nature. On ne peut pas, en effet, 
penser avec plus d'esprit, ni dire plus agréable- 
ment. Je lui conseille toutefois de s'attacher toujours 
plus aux sujets qu'on peut traiter en descriptions 
et en images, qu'à ceux de discussion et d'analyse, 
et qu'en général aux matières de raisonnement. tTn 
traité d'agriculture sera tout-à-fipt de son genre ; 
et, s'il choisit bien ses matériaux, il peut à un livre 
très-utile donner tout l'agrément des Géorgiques. 

Je me fais bien du scrupule de toucher aux ou- 
vrages de Richardson, surtout pour les abréger; 
car je n'aimerais guère être abrégé moi-même, bien 
que je sente le besoin qu'en juraient pli)$leûrs de 
mes écrite; ceux de Richardson en ont besoin in- 
contestablement. Ses entretiens de cercle sont sur- 
tout insupportables; car, comme il n'-avsdt pas vu 
le grand monde , il en ignorait entièrem^t le ton : 
j'oserais tenter de faire ce que vous me proposez ; 
mais n'exigez pas que je fasse vite; car , malade et 
paresseux, occupé d'ailleurs à préparer l'édition gé- 
nérale par laquelle je me propose d'achever ma 
carrière littéraire, je n'aurai de long-temps, si je 



ANN£K 1764. 159 

vis , que très-peu de temps à donner à une compi- 
lation: d'ailleurs, n entendant pas l'anglais, il me 
faudrait toutes les traductions qui ont été faites, 
pour les comparer et choisir ; et tout cela est em- 
barrassant pour vo|}s , pour moi , ou plutôt pour 
tous les deux. Si j'aÂève jamais ma grande édition , 
et que je lui survive , alors seulement je pourrai 
m'occi^i* jimiquement de ces choses-là, et je me 
ferai un plaisir d'entrer dflns tos vties autant que 
ma situation, ma santé et mon esprit indolent me 
le i^rmettpont. 

J'oubliais de vous dire ^ue le recueil que vous 
avez vu ne s'est point (ait sous mes yeux. C'est 
M. l'abbé de Ij9l Porte qui l'a feit*; je n'ai su les 
pièces qu'il contenait qu'à là f'éception des exem- 
plaires qui m'ont été envoyés. J'en arpourtan t fourni 
quelques-unes, mais non pas vôtre Prédiction **, 
que je n'ai même jamais conmiimiquée à personne , 
non qne je ne m'en fasse honneur , mais parce que 
je n'en aurais pas disposé sans votre permission. 

Je vous suis obligé de faire assez de cas dé mes 
écrits pour leur donner dans votre «cabinet une 
place de prédilection. Je sersti fort niséquHls vous 
fassent qtielquefois souvenir de leur auteur, qui 
vous aime deptlis long- temps ^ et qui désire être 
toujours aimé de vous. 

* Voyez ci-devant la lettre à Vàbbé de I^ Porte, du 4 ayril 1768 y 
et la note qui s'y rapporte. 

** C'est k thre d'un petit édrit ■jioIog^tiq[ue publié par Pânc- 
koncke*, et que Tabbé de La Porte a faity^m|irimer à la suite de 
réditlon qa*il a donn^ dé U NoupeUe Héhîse, en 1764* 



iGo CORRESPONDANCE. 



LETTRE CDLXXV. 

A M. LE PRINCE L. E. DE WIRTEMBERG. 

Motîen, le a6 mal 1764. 

Je reçois avec reconnaissance le li^e que vous 
avez eu la bonté de irfenvoyer; et'lorsque je re- 
lirai cet ouvrage, cfe qui, j'espère , m'arrimera quel- 
quefois encore, ce sera toujours dans l'exemplaire 
que je tiens de vous. Ces entretiens ne sont point 
dé-Phociôiï, ils sont de l'abbé de Mably, frère de 
Fabbé de Condillac , c^èbre par d'excellents livres 
dfe métaphysique ,''et connu lui - même par divers 
ouvrages de (!ioli tique, très -bons aussi dans leur 
genre. Cependant on retrouve quelquefois dans 
ceui-ci de ce» principes de la politique moderne , 
qu'il serait à désirer que tous les hommes de votre 
rang blâmassent ainsi que vous. Aussi, quoique 
l'abbé de 'Mably soit un honnête homme rempli 
de vues très-saines , j'ai pourtant été surpris de le 
vdip s'élever, dalls'ce dernier ouvrage, à une mo- 
rale si pure et si sublime. Cest pour cela Isans doute 
que ces entretiens, d'ailleurs très-bien faits, n'ont 
eu qu'un succès médiocre en France; mais ils en 
ont eu un très-grand en Suisse , où je vols avec plaisir 
qu'ils ont été réimprimés. 

J'ai le cœur plein de vos deux dernières^ lettres. 
Je n'en reçois pas une qui n'augmente mon respect 
et, si j'ose le dire, mon attachement pour vous. 



ANNléS 1764. 161 

L'homme vertueux, le grand homme élevé par les 
disgrâces, me fait tout-à-fait oublier le prince et le 
frère d'un souverain; et, vu l'antipathie pour cet 
état qui m'est naturelle , ce n'est pas peu de m'avoir 
amené là. Nous pourrions bien cependant n'être 
pas toujours de méoofl^avis en toute chose ; et , par 
exemple, je ne suis pas trop convaincu qu'il suffise, 
pour iêtre heureux , de bien remplir les devoirs de 
son emploi. Sûrement Turenne , en brûlant le Pa- 
latinat par l'ordre de son prince , ne jouissait pas 
du vrai bonheur; et je ne crois pas que les fer- 
miers-généraux les plus appliqués autour de leur 
tapis vert en jouissent davantage : mais si ce sevtl^ 
ment est une erreur, elle est plus belle en vous que 
la vérité même ; elle est digne de qui sut se choisir 
un état dont tous les devoirs sont des vertus. 

Le cœur me bat à chaque ordinaire dans l'attente 
du moment désiré qui doit tripler: votre être. Ten^- 
dres époux , que vous êtes heureux ! Que vous allez 
le devenir encore, en voyant multiplier des devoirs 
si charmants à remplir ! Dans la disposition d'ame 
où je vous vois tous les deux, non, je n'imagine 
aucun bonheur paieil au vôtre. Hélas! quoi qu'on 
en puisse dire, la vertu seule ne le donne pas, mais 
elle seule nous le fait connaître , et nous apprend 
à le goùlAr. 



R. XX. I I 



l6a CORllESPOSrDA.NCT:. 



k<»^%<«^^ 



LETTRE CDLXXVI. 

AM. ***. 

BfotierSy le 38 mai 1764. 

,. c'est rendre uq vrai service à un solitaire éloi- 
gné de tout, que de l'avertir de ce qui se passe par 
rapport à lui. Voilà, monsieur , ce que vous avez 
très-obligeanunent fait en m'en voyant un exem- 
j^i^e de ma prétendue lettre à M. l'archevêque 

. Cette lettre , comme vous l'avez deviné , n'est 
pas plus de moi que tous ces écrits pseudonymes 
qui courent Pari» sous mon nom. Je n'ai point vu le 
^oandement auquel elle répond , je n'en ai même 
jJiBiais ouï parler, et il y a huit jours que j'ignorais 
qu'il y eut un M. du Tillet au inonde. J'ai peine à 
. croire que l'auteur de cette lettre ait voulu per- 
suader sérieusement qu'elle était de moi. N'ai-je 
pas assez des affaires qu'on me suscite , sans m'al- 
1èr mêler de celles d'autrui ? Depuis quand m'a-t-on 
vu devenir homme de parti ? Quel nouvel intérêt 
m'aurait fait clianger si brusquement de maximes? 
Les jésuites sont-ils en meilleur état que* quand je 
refusais d'écrire contre eux dans leurs disgrâces ? 
Quelqu'un me coni)^ît-il assez lâche, assez vil 
pour insulter aux malheureux ? Eh!, si j'oubliais 
les égards qui leur sont dus , de qui pourraient- 
ils en attendre ? Que m'importe enfin le sort des 



«u^artiA^ 



4NNÉE 1764* |63 

jésuites , quel qu'il puisse être ? Leurs ennemis se 
sont-ils montrés pour moi plus tolérants qu'eux? 
Lia triste vérité délaissée est-elle plus chèr^ aux 
uns qu'aux autres? et, soit qu'ils triomphent ou 
qu'ib succombent, en serai-je moins persécuté? 
D'ailleurs, pour peu qu'on lise attentivement cette 
lettre , qui ne sentira pas comme vous que je 1^^ 
suis point l'auteur? Les maladresses y sont entas- 
sées : elle est datée de Neucliâtel où je n'ai pas mis 
le pied ; on y emploie la formule du très-humble ser- 
viteur ^ dont je n'use avec personne ; on m'y bit 
prendre le titre de citoyen de Genève auque}y}'ai 
renoncé: tout en commençant on s'écliauffo|>our 
M. de Voltaire , le plus ardent , le plus adroit 'de 
mes persécuteurs, et qui se passe bien, je crois, 
d'un défenseur tel que moi : on affecte quelques 
imitations de mes phrases , et ces imitations sa 
démentent l'instant après :* le style de la lettre 
peut être meilleur que le mien , mais enfin ce 
n'est pas le mien ; on m'y prête des expressions 
basses ; on m'y fait dire des grossièretés qu'on 
ne trouvera certainement dans aucun dé mes 
écrits : on m'y fait dire vous à Dieu ; usage que je 
ne blâme pas, mais qui n'est pas le nôtre. Pour 
me supposer l'auteur de cette lettre , il faut sup- 
poser aussi que j'ai voulu me déguiser. Il n'y fallait 
donc pas mettre mon nom ; et alors on aurait pu 
persuader aux sots qu'elle était de moi. 

Telles sont , monsieur , les armes dignes de mes 
adversaires dont ils achèvent de m'accabler. Non 
contents de m'outrager dans mes., ouvrages , ils 

II. 



l64 CORRESPOITDANGE. 

prennent le parti plus cruel encore de m'attribuer 
les leurs. A' la vérité le public jusqu'ici n'a pas pris 
le change^ tt: il faudrait yi'il fût bien aveuglé pour 
l^rendre atgourd'hui. La justice que j'en attends 
sur ce point est une consolation bien faible pour 
Ifnt de maux. Vous savez la nouvelle affliction qui 
ÉtfilMpable : la perte de Mr àe Luxembourg met le 
ccill^le à toutes les autres; je la sentirai jusqu'au 
tombeau. Il fut mon consolateur durant sa vie , il 
sera mon protecteur après sa mort: sa chère et 
honorable mémoire défefïidra la mienne des insultes 
dediÉlës ennemi»; et quand ils voudront la souiller 
jlijto^^)è^rs calomnies , on leur dira : Comment cela 
pôurfait-il être? le plus honnête homme de France 
fiit son ami. - * 

Je vous remeiNste et vous salue, monsieur, de 
umt mon cœur. 



y^^/^^r»,'*,^^^t^0m/f%f^^t 



LETTRE CDLXXVII. 

A M. DELEYRE. 

Motie», 3 juin 1764. 

Tavaîs reçu toutes vos lettres, .cher Deleyre ,,et 
j^ai aussi reçu celle que m'a fait passer en dernier 
lieu M. Sabattiér. Je ne -crois pas vous avoir pro- 
posé d'établir entre nous une correspondance sui- 
vie ; non qu'elle ne me soit agréable , mais parce 
que ma paresse naturelle , mon état languissant , 
les lettres dont je suis accablé , les survenants dont 



. .'d. 



ANNis 1764. l65 

ma maison ne désemplit point, m'empêcheraient 
de la suivre régulièrement. Mais , comme je vous 
aime et que je désire que vous m'aimiez, je rece- 
vrai toujours avec plaisir les détails que vous vou- 
drez me faire de la situation de votre ame et de 
vos affaires, des marques de votre confiance et ^ 
votre amitié. Je me ménagerai aussi par intervalles 
le plaisir de vous écrire; et quand j'aurai le tenq^s 
d'épancher mon cœur avec Vous , ce sera un sou- 
lagement pour moi. Voilà ce que je puis vous pro- 
mettre ; mais je ne vous promets point dans mes 
réponses une exactitude, que je n'y sus jamais mettre. 
On n'a que trop de devoirs à remplir dans la xk^ 
sans s'en imposer encore de nouveaux. 

Vos deux dernières lettres me fourniraient 
ample matière à disserter, tant sur vos disposi- 
tions actuelles que sur votre manière d'envisager 
l'histoire grecque et romaine : conmie si , commen- 
çant cette étude , vous y eussiez cherché d'autres 
êtres que des hommes , et que ce ne fut pas bien 
assez d'y en trouver de meilleurs dans leurs étoffes 
que ne sont nos contemporains. Mais , mon cher , 
l'accablement où me jettent les maux du corps et 
de Famé , et tout récemment la perte de M. de 
Luxembourg , qui m'a porté le dernier coup » 
m'ôtent la force de penser et d'écrire* Vous fe 
savez , j'avais pour amis tout ce qu'il y avait d'ilr 
lustre parmi les gens de lettres: je les ai tous per- 
dus pleins de vie; aucun, pas. même Duclos, ne 
m'est resté dans mes disgrâces. J'en £ûs un parmi 
les grands: c'est jcelui qui se trouve à l'épreuve, 



l66 CORRESPONDANCE. 

et la îtiort vient me l'ôter. Quel renversement d'i- 
dées! Sur quels nouveaux principes faut-il donc 
remonter ma raison ? Je suis trop vieux pour sup- 
porter un tel bouleversement; je suis trop sensible 
pour philosopher uniquement sur mes pertes. Ma 
tite n'y est plus ; je ne sens plus que mes douleurs, 
je ne vois plus qu'un chaos. Cher Deleyre, j'ai 
trop vécu. 

Avant de finir, reparlons de la manière de lier 
notre correspondance, au moins telle que je puis 
réhtretenir. Puisque vous avez reçu la lettre que 
je vous ai écrite directement, et que j'ai reçu la 
vôtre ^ nous ne sommes point fondés par notre 
expérience à nous défier des postes d'Italie*. La 
médiation de M. Sabattier , plus embarrassante , ne 
fkit qu'augmenter la peine et la dépense, puisqu'il 
faut multiplier les enveloppes, lui écrire à lui- 
même, affranchir pour Turin comme pour Parme, 
payer des ports plus forts encore. En tout ma peine 
me coûte plus que mon argent. Ainsi- je suis d'avis 
que nous revenions au plus simple , en nous écri- 
vant directement. Si Ton ouvre nos lettres, que 
nous importe ? nous ne tramons pas des conspira- 
tidhs. Si nous trouvons qu'elles se perdent , il sera 
teÉttps alors de prendre d'autres mesures. Quant à 
pfésent, contentons-nous de les numéroter, comme 
je fois celleKîi; ce sera le moyen de reconnaître si 
Ton en a intercepté quelqu'une. Je ne croyais 
vous écrire qu'un mot , et me voilà à ma troi- 

* Deleyre était à cette époque bibliothécaire de l'Iufiint duc de 
Parme, dont l'abbé de Coudifinc était précepteur. 



ANNliE 1764- 167 

sième page. I^ conséquence est iacHe à tirer. MoB 
respect , je vous prie ^ madame Deleyre , et met 
salutations à M. l'abbé de Condillac. Je vous em^ 
brasse de tout mon cœur. 

LETTRE CDLXXVIII. 

A MADAME LA MARÉCHALE DE LUXEMBOURG. 

Motierty le 5 juin 1764. . 

'y, 

C'est en vain que je lutte contre moi-même poilr 
vous épai^ner les importunités d'un malheureux ; 
la douleur qui me déchire ne connaît plus de dis- 
crétion. Ce n'est pas à vous que je m'adresseraiqi', 
madame la maréchale , si je connaissais quelqu'un 
qui eût été plus cher au digne ami>que j'ai perdu» 
Mais avec qui puis-je mieux déplorer cette perte 
^'avec la personne du monde qui la sent le plus ? 
et comment ceiix qu'il aima peuvent- ils rester di-* 
visés ? Leurs cœurs ne devraient-ils pas se réunir 
pour le pleurer? Si le vôtre ne vous dit plus rien 
pour moi, prenez du moins quelque intérêt k mes 
misères par œlui que vous savez qu'il y preBa% 

Mais c'est trop me flatter, sans doute : il aivait 
cessé d'y en prendre ; à votre exemple il m'avait 
oublié. Hélas ! qu'ai-je fait? Quel est âion crime, ai 
ce n'est de vous avoir trop aimés l'un et l'autre, et 
de m'étre apprêté ainsi les regrets dont je suis 
consumé? lusqu'àu derèier instant vous avez joui 



l68 CORRESPONDANCE. 

de SSL plus tendre affection ; la mort^eule a pu 
vous Fôter : mais moi, je vous ai perdus tous deux 
pleins de vie ; je suis plus à plaindre que vous. 

LETTRE CDLXXIX. 

A LA MÊME. 

Motiers y le 1 7 .jain 1764* 

Que mon état est affreux! et que votre lettre 
m'a soulagé ! Oui, madame la maréchale, la certi- 
tude d'avoir été aimé de M. le maréchal^ sanâ me 
consoler de sa perte , en adoucit l'amertume , et 
fait succéder à mon désespoir des larmes pré- 
cieuses et douces dont je ne cesserai d'honorer sa 
mémoire tous les jours de ma vie. J'ose dire qu'il 
me la devait cette amitié sincère que vouis m'assu- 
rez qu'il eut toujours pour moi; car mon cœur 
n'eut jamais d'attachement plus vrai, plus vif, plils 
tendre , que celui qu'il m'avait inspiré. C'est encore 
un de mes regrets que les tristes bienséances m'aient 
souvent empêché de lui faire connaître jusqu'à 
quel point il m'était cher. J'en puis dire autant à 
votre égard, madame la maréchale, et j'en ai pour 
preuve bien cruelle les déchirements que j'ai sentis 
dans la persuasion d'être oublié de vous. Mon des^ 
sein n'ejst point d'entrer en explication sur le passé. 
Vous dites m'avoir écrit la dernière: nous sommes 
là-dessus bien loin de compte ; mais vos bontés me 
sont si précieuses , que , pburvu qu'elles me soient 



ANKÉ£ 1764. iGf) 

l'Cndnes, je me charf-crai volôniLcrs d'un toit que 
rmon cœur ii'eutjaranis. et qu'il saura bien vous faire 
oublier. Je cousehs que vous ne m'acoortUez rien 
qu'à titre de grâce. Mais, si je n'ai point mérité 
votre amitié, songez, je vous supplie, que, de 
votre propre aveu. M, le maréchal m'accordait ia 
sienne. C'est en son nom, c'est au nom de sa mé- 
moire qui nous est si chère à tous deux, que je 
réclame de votre part les sentiments qu'il eut pour 
moi, etr'que, de mon côté , je voue à la personne 
qu'il iiima le plus tous ceux que j'avais pour lui. 
Il est impossible de dire davantage. Je ne demandé 
ni de fréquentes lettres , ni des réponses exactes. ; 
mais quand vous sentirez que je dois être inquiet 
(et, quand on aime les gens, cela se devine), 
faites-moi dire un mot par M. de La Roche, et je 
suis content. 



LETTRE CBLXXX. 

- '_ A M. DE SAUTTERSHEÎM. 

H( Motiers, le 1 1 juin 1764. 

' Je suis honteux d'avoir tardé si long -temps, 
Vnonsieur, à vous répondre. Je sais^mieux que per- 
sonne quels privilèges d'attention méritent les in- 
fortunés; mais, à ce même titre, je mérite aussi 
quelque indulgence, et je ne différais que ponr 
pouvoir vous dire quelquÊe chose de positif sur les 



l'JO CORRESPOND A «CE. 

dix Innis dont vous crnignt'z de voiis prévaloir , de 
peur lie n'être pas en état île me les rendre. Mais 
soyez bien tranquille sur cet article, puisque ma 
plus constante maxime, quand je prête (ce qui, 
va ma situation, m'arrive rarement), est de ne 
compter jamais sur la restitution, et même de ne 
la pas exiger. Ce qui retarde à cet égard l'exécu- 
tion de ma promesse est un événement malheu- 
reux qui ne me laisse pas disposer dans le moment 
d'un argent qui m'appartient. Sitôt que je le pour-^ 
rai je n'oublierai pas qii'une chose offerte est \ine^ 
chose due , quand il n'y a que l'impuissance dt 
rendre qui empêche d'accepter, 

3'ai du penchant à croire que pour le présent 
vous me parlez sincèrement; mais à moins d'en, 
être sûr , je ne puis continuer avec vous une cor- 
re.spondance qiïî, aux termes on nous avons été, 
ne pourrait qu'être désagréable à toiis deiue-sanS" 
une Confiance réciproque. Malheurensemçut iflàC 
sjuité est si mauvaise, mon état est si triste, et j*"* 
tant d'embarras plus pressants, qne'je' ne puis va^ 
quer mainteilâï)t aux recherches nécessaires pouB, 
vérifier votre liistoire et votre conduite^ ni donlw 
rer avec vous en Haisons que cette vérîficatiairi» 
soit feile ; ce qui emporte de votre côté la néces- 
sité de disposer de ce que vous avez laissé chez 
moi , et que je souhaite de ne pas garder plus long- 
temps. Je voudrais donc, monsieur, vous faire ache- 
ter une autre malle à la place de la mienne , dont 
j'ai besoin, et que vous trouvassiez un autre dé- 
positaire qui se charge'St 4e vos effe^,'ou que 



i 



ai 

i 




1 



àUTNÉE 1764. 171 

VOUS me marquassiez par quelle voie je dois vous 
les envoyer. 

Mon dessein n'est pas d'entrer en disaission sur 
les explications de votre dernière lettre. Vous de- 
mandez, par exemple, si la servante de la maison- 
de- ville a des preuves que l'enfant qu'elle vous 
donne est de vous : ordinairement on ne prend 
pas des témoins dans ces sortes d'affaires. Mais elle 
a Ëtit ses déclarations juridiques , et prêté serment 
au momenfl^g l'accouchement, selon la forme pres- 
crite en œ pays par la loi ; et cela fait foi , en jus- 
tice et dans le- public , par défaut d'opposition dp- 
Votre part. 

Quelles qu'aient été vos mœurs jusqu'ici , vous 
êtes à portée encore de rentrer en vous-même ; et 
Fadversîté , qui achève de perdre ceux qui ont un 
penchant décidé au mal , peut , si vous en faites 
un lipâ usage, vous ramener au bien , pour lequel 
il m*a toujours^ paru que vous étiez né. L'épreuve 
est rude et pénible; mais quand le mal est grand 
le remède y doit être proportionné. Adieu , mon- 
sieur. Je comprends que votre situation demande- 
rait de ma part autre chose que des discours; mais 
la mienne me tient enchaîné pour le présent. Pre- 
nez, s'il est possible, un peu de patience, et soyez 
persuadé qu'au moment que je pourrai disposer 
de la bagatelle en question , vous aurez de mes 
nouvelles. Je vous salue , monsieur , de tout mon 
cœur. 



l'J^ GORRESPOITDANCE. 



LETTRE CDLXXXÏ. 

A M. DE CHAMFORT. 

Le a4 ji^in 1764. 

J'ai toujours désiré, monsieur, d'être oublié de 
la tourbe insolente et vile qui né songe aux infor- 
tunés que pour insulter à leur misèl^ mais Tes- 
tée des hommes de mérite est un précieux dédom- 
magement de ses outrages, et j e ne puis qu'être flatté 
de rhonneur que vous m'avez fait en m'envoyant 
votre pièce *. Quoique accueillie du public , efte doit 
l'être des connaisseurs et des gens sensibles aux 
vrais charmes de la'nature. L'effet le plus sûr de mes 
maximes , qui est de m'attirer la haine des méchants 
et l'affection des gens de bien , et qui se masque 
autant par mes malheurs que par mes succès , m^ap- 
prend, par l'approbation dont vous honorez mes 
écrits, ce qu'on doit attendre des vôtres, et me fait 
désirer , pour l'utilité publique ^ qu'ils tiennent tout 
ce que promet votre début. Je vous salue , mon- 
3^ur , de tout mon cœur. 

* La jeune Indienne, comédie eu un acte, en vers,, représentée 
en 176-4. 



ANNÉE 1764. 173 



LETTRE CDLXXXII. 

A M. D'IVERNOIS. 

Motîers, le 6 juillet 1764. 

J'apprends, monsieur, avec grand plaisir votre 
heureuse arrivée à Genève , et je vous remercie de 
l'inquiétude que vous donne ma sciatique nais- 
sante. Des personnes à qui je suis attaché, et cm 
me marquent qu'elles me viennent voir, m'ôtént 
la liberté de partir pour Aix. Je vous prie de^ne 
pas envoyer la flanelle, dont je vous remercie, 
mais dont il me serait impossible de fûre un usage 
assez suivi pour m'en ressentir. Les soins qui gênent 
et qui durent m'importunent plus que les maux , 
eijsa toute chose j'aime mieux souffrir qu'agir. 

-La réponse du Ck>nseil aux dernières représen- 
tatiQlis nid mitonne point ; mais ce qui m'étonne , 
c'est la perhévérance des citoyens et bourgeois à 
£sdre des représentations. 

La brochure que vous m^avez envoyée me pa- 
raît d\in homme qui a trop d'étoffe dans la têti" 
pour n'en avoir pas tm peu dans le cœur. Si ja- 
mais il prend part à quelque affaire , il fera poids 
dans le parti qu'il embrassera. 

Celui à qui je me suis adressé pour les airs de 
mandoline m'a marqué qu'il les ferait graver. Ainsi , 
il ne me reste qu'à vous remercier pour cela de la 
peine que vous avez bien voulu prendre. 



174 C0RR£SP01N]^â.NG£. 

Mademoiselle Le Vasseur vous remercie de rhbn- 
neur de votre souvenir, et vous assure de son res- 
pect. Je vous prie d'assurer du mien madame d'Ivér- 
nois. J'embrasse M. Deluc, et vous salue, monsieur, 
de tout mon cœur. 

Je reçois à l'instant la flanelle, et vous en re- 
mercie , en attendant le plaisir de vous voir. 

LETTRE CDLXXXItL 

A. M. H. D. P. *. 

Motiers, le 1 5 juillet 1764. 

Si mes raisons , monsieur , contre la proposition 
qui m'a été fiûte par le canal de M. P*** , vous pa- 
raissent mauviEiises, celles que vous m'objectez ne 
me semblent pas meilleures ; et dans ce qui re- 
garda ma conduite, je ,crois pouvoir rester juge 
des motifs qui doivent me déterminer. 

Il ne s'agit pas, je le sais^ de ce que tel ou tel 
peut SQi^riter par la loi du talion , mais il s'agit de 
l^objection par laquelle les catholiques rue ferme- 
liKi^ la bouche en m'accusant de combattre ma 
|5rt>pre religion. Vous écrivez contre les persécu- 
teurs , me diraient - ils , et vous vous dites protes- 
tant! Vous avez donc tort; car les protestants sont 
tout aussi persécuteurs que nous , et c'est pour 
cela, que nous ne devons point les tolérer, bien 
sùx^ que, s'ils devenaient les plus forts, ils ne nous 

'^ Cette lettre parait fairt suite à la lettre cdlxxiix, du i3 mai 
même année. * 



pas lious-mémes. Vous npits trompez , 
ajouteraient - ils , ou vous vpus trompez en vous 
mettant en contradiction avec les vôtres , et nous 
prêchant d'autres maximes que les leurs. Ainsi , 
Tordre veut qu'avant d'attaquer les catholiques je 
commence par atta||aer les protestants, et par leur 
montrer qu'ils ne savent pas leur propre religion. 
£st - ce là , monsieur , ce que vous m'ordonnez 
de Êdre? Cette entreprise préliminaire rejetterait 
l'autre encore loin ; et il me paraît que la grandeur 
de la tache ne vous effraie guère, quand il n'est 
question que de l'imposer. 

Que si les arguments ad hominem qu'on m'ob- 
jecterait vous paraissent peu embarrassants, ils mè 
le paraissent beaucoup à moi ; et, dans ce cas, c'est 
à celui qui sait les résoudre d'en prendre le soin. 

Il y a encore , ce me semble , quelque chose de 
dur et d'injuste de compter pour rien tout ce que 
j'ai Ëdt , et de regarder ce qu'on me prescrit comme 
un nouveau travail à faire.. Quand on a bien établi 
une vérité par cent preuves invincibles , ce n'est 
pas un si grand crime, à mon avis, de ne pas couh 
rir après la cent et unième , surtout si elle n'ex^m, 
pas. J'aime à dire des choses utiles , mais je n'aiob^ 
pas à les répéter ; et ceux qui veulent absolument 
des redites n'ont qu'à prendre plusieurs exemplaires 
du même écrit. Les protestants de Finance jouissent 
maintenant d'un repos auquel je puis avoir contri- 
bué , non par de vaines* déclamations comme tant 
d'autres , mais par de fortes raisons pohtiques bien 
exposées. Cependant voilà qu'ils me pre^nt d'é- 



176 ,^ CORRKSPOSTDANCE. 

crire en leur faveur : c'est faire trop de cas de ce 
que je puis faire , ou trop peu de ce que j'ai fait. 
Us avouent qu'ils sont tranquilles ; lûais ils veulent 
être mieux que bien, et c'est après que je lés ai 
servis de toutes mes forces qu'ils me reprochent de 
ne les pas servir au-delà de mos forces. 

Ce reproche, monsieur, me paraît peu recon- 
naissant de leur part, et peu raisonné de la vôtre. 
Quand un homme revient d'un long combat , hors 
d'haleine et couvert de blessures , est-il temps de 
l'exhQrter gravement à prendre les armes, tandis 
qu'on se tient soi-même en repos? Eh! messieurs, 
chacun son tour , je vous prie. Si vous êtes si cu- 
rieux des coups , allez en chercher votre part : 
quant à moi, j'en ai bien la mienne; il est temps 
de songer à la retraite : mes cheveux gris m'aver- 
tissent que je ne suis plus qu'un vétéran ; mes maux 
et mes malheurs me prescrivent le repos, et je ne 
sors point de la lice sans y avoir payé de. ma per- 
sonne. Sat patriœ Priamoque datwn. Prenez mon 
rang, jeunes gens, je vous le cède ; gardez-le seu- 
lement comme j'ai fait^ et après cela ne vous tour- 
mentez pas plu& des exhortations indiscrètes et des 
reproches déplacés, que. je ne m'en tourmenterai 
désormais. 

Ainsi , monsieur, je confirme à loisir ce que vous 
m'accusez d'avoir écrit à la hâte , et que vous jugez 
n'être pas digne de moi ; jugement auquel j'éviterai 
de répondre , faute de Feritendre suffisamment. 

Recevez , monsieur , je vous supplie , les assu- 
rances de tout mon respect. 



ANN^E I764- 177 



XETTRE CDLXXXIV. 

A MADAME DE CRÉQUL ^ !^.^^ 

P^Hert-TrayerSy le 91 juillet 1764. 

Vous ne m'auriez pas prévenu , madame , si ma 
situation m'eût permis de vous Êiire souvenir de 
moi ; iBâfe si dans la prospérité l'on doit aller au- 
devant de ses amis, dans l'adversité il n'est permis 
que d'attendre. Mes malheurs, l'absence et la mort, 
qui ne cessent d^ m'en ôter , me rendept plus pré* 
cieux ceux qui me restent. Je n'avais pas besoitf 
d'un si triste motif pour foire valofl^otre lettre ; 
mais j'avoue, madame, que la circoàtMance où elle 
m'est venue ajoute encore au plaisir qu'en tout 
autre temps j'aurais eu de la recevoir. Je reconnais 
avec joie toutes vos anciennes bontés pour moi 
dans les vœux que vous daignez foire ppur ma con«p 
version. Mais, quoique je sois .trop bon chrétien 
pour être jamais cathoUque , je ne m'en crois pus 
moins de la même religion que vous : car la bonne 
religion consiste beaucoup moins dans ce qu'oii 
croit que dans çei qu'on foit. Ainsi, niadame, res« 
tons comme nous sonunes ; et quoi que vous en 
puissiez dire , nous nous reverrons bien plus pure^ 
ment dans l'autre mofide que dans celuirci. C'eût été 
un très -grand honneur pour votre gouvernement 
que J. J. Rousseau y vécût eE mourût tranquille ; 
mais l'esprit étroit de vos petits parlementaires ne 

R. XX. ist 



1^8 CORRESPONDANCE. 

leur a pas permis de voir jusque-là; et, quand ils 
l'auraient vu, l'intérêt particulier ne leur eût pas 
permis de chercher la gloire nationale au préjudice 
de leur vengeance jésuitique et des petits moyens 
qui tenaient à ce projet. Je connais trop leur por- 
tée pour les eiLposer à faire une seconde sottise : la 
* première a suffi pour me rendre sage. L'air de ce 
lieu-ci me tuera, je le sais ; mais n'importe , j'aime 
mieux mourir sous l'autorité des lois que de vivre 
éternel jouet des petites passions des hommes. Ma- 
dame , Paris ne me reverra jamais : voilà sur quoi 
vous pouvez compter. Je suis bien fâché que cette 
certitude m'ôte l'espoir de vous revoir jamais qu'en 
esprit ; car je crois qu'avec toute votre dévotion 
vous ne pen^ pas qu'on se revoie autrement dans 
l'autre vie. Hfecevez , madame , mes salutations et 
mon respect, et soyez bien persuadée, je vous sup- 
plie, que , mort ou vif^ je ne vous oublierai jamais. 

LETTRE CDLXXXV. 

A M. SÉGUIER DE SAINT-BRISSON \ 

Motîerft, le ai juillet 1764. 

Je crains , monsieur , que vous n'alliez un peu 
vite en besogne dans vos projets; il faudrait , quand 
rien ne vous presse , proportionner la maturité des 
délibérations à l'importance des résolutions. Pour- 
quoi quitter si brusquement l'état que vous aviez 

* Voyez les Confessions, liyre xii. 



.^^ÈàÊtÊÊÊÊM 



ANNÉE 1764. 179 

embrassé , tandis que vous pouviez à loisir vous 
arranger pour en prendre un autre , si tant est 
qu'on puissfe appeler un état le genre de vie que 
vous vous êtes choisi, et dont vous sereoî peut-être 
aussitôt rebuté que du premier? Que risquiez-vous 
à mettre un peu moiiA' d'impétuosité dans vos dé- 
marches, et à tirer parti de ce retard, pour vous 
confirmer dans vos principes, et pour assurer vos 
résolutions par une plus mûre étude de vous-même? 
Vous voilà seul sur* la terre dans l'âge où l'homme 
doit tenir à tout; je vous pkdns, et c'est pour cela 
que je ne puis vous apptouver , puisque vous avez 
voulu vous isoler vous-même au moment où cela 
vous convenait le moins. Si vous croyez avoir suiti ' 
mes principes, vous vous trompez : vèôs avez suivi 
l'impétuosité de votre âge ; une démarche d'un tel 
éclat valait assurémeht la peine d'être bien pesée 
avant d'en venir à l'exécution. C'est une chose 
faite , je le sais : je veux seulement vous faire en- 
tendre que la manière de la soutenir et d'en reve- 
nir demande un peu plus d'examen que vous n'en 
avez mis à la faire. 

Voici pis. L'effet naturel de cette conduites été 
de vous brouiller avec madame votre mère. Je vois , 
sans que vous me le montriez, le fil de tout cela; 
et , quand H n'y aurait que ce que vous me dites , 
à quoi bon aller effaroucher la conscience tra»^ 
quille d'une mère , en lui montrant sans nécessité 
des sentiments différents des siens? Il fallait, mon- 
sieur , garder ces sentiments au - dedans de vous 
pour la règle de votre conduite , et leur- premier 

II. 



j8u cobuespovdakce. 

efiet devait être de vous fatire endurer av^c pa- 
tience les tnieaitsenef de vos pràres , et de ne pas 
changer ces tracasseries en persécutions, en toq- 
lant secûUiBr hautement le joug de la religion où 
vous éàez né« Je pense si peu camme vous sur oet 
article, que iquoique le dei^gé prot^tant me ùtsse 
une guerre ouverte^ et <|ae je sois fort éloigné de 
penser ccMume lui sur tous les points, je n*en de- 
meure pas moins sincèr^nent uni à la communion 
de notre ÉgiUe, bien résolu dy vivre et dy mou- 
rir s'il dépend de moi : car il est très -consolant 
pour un croyant a£9igé de rester en communauté 
de culte avec ses frères, et de servir Dieu conjoin- 
tnnent avec eux. Je vous dirai plus , et je vous 
déclare que fi j'étais né catholique, je demeurerais 
catholique , sachant bien que votre Église met un 
frein très^alutairé aux écarts 'de la raison humaine , 
qui ne trouve ni fond ni rive quand elle veut son- 
der Tablme des choses; et je suis si convaincu de 
Futilité de ce frein, que je m'en suis moi-même 
imposé un semblable , en me prescrivant, pour le 
reste de ma vie , des règles de foi dont je ne me 
permets plus de sortir. Aussi je vous jure que je 
ne su)s tranquille que depuis ce temps -là, bien 
convaincu que, sans cette précaution, je ne Tau. 
rais été de ma vie. Je vous parle , monsieur , avec 
effusion de cœur , et comme un père parlerait -k 
son enfant. Votre bvouillerie avec madame votre 
mère me navre. J'avais dans mes malheurs la cpn- 
solation de croire^ que mes écrits ne pouvaietpt 
faire que du bien ; voulez-voud m'ôter encore cette 



AlffVKE 1764. 181 

consolation? Je sais que s^ls font du mal, ce n'est 
que faute d'être entendus ; mais j'aurai toujours 
le regret de n'avoir pu me &ke entendre. Cher 
Saint-Brisson , un fils l^rouillé avec sa mère a tou- 
jours tort : de tous tes sentiments naturels, le seul 
demeuré parmi nqi» est l'affection maternelle. Le 
droit des mères est le plus sacré que je connaisse ; 
en aufatui cas on ne pùeut le violer sans crime : 
racconHnodez-vou& donc avec la votre. Allez vous 
jeter à ses pieds; à quelque prix que ce soit, apai- 
sesB-là : soyez sur que soa cœur vou;» sera rouvert 
si le vôtre vous ramène à ette. lite pouye^vous âans 
ÊNisseté lui £sdre le sacrifice de quelquies opinioito 
inutiles, ou du moins les dissimuler? Vous ne se- 
rez jamais appelé à persécuter persoftie ; qiie vous 
importe le reste ? Il n'y a pas deux indralès. Celle 
du christianisme^ et celle de la pBtlosqpIiié sont la 
même, l'une et Fautre vous imposent ici le même 
devoir ; vous pouvez le reinplir , vous le devez ; la 
raison, l'honneur, votre intérêt, tout le veut : moi , . 
je l'exige poui; répondre aux sentiments dont vous 
m'honorez. Si vous lé £sdtes , comptez sur mon ami- 
tié , sur toute mon esthne , sur mes soins , si jamais 
ils* vous sont bons à quelque chose. Si vous ne le 
£sdtes pas , vous n'avez qu'une mauvaise tête ; ou , 
qui pis est, votre cœur vous conduit mal, et je ne 
veux conserver de liaisons qu'avec à/^% gens dont 
la tête et le cœur soient sains. 



182 CORRESPONDANCE. 



LETTRE CDLXXXVI. 

A M. D'IVERNOIS. 

Y Verdun, le mercredi 1®* août 176 4. 

Le voyage , monsîeuf , qui doit me rapprocher 
de vous est commencé ; mais je ne sais quand il 
s'aohèvera , vu les pluies qui tombent actuellement, 
et qui rendent les chemins désagréables pour un 
piéton.. Toutefois supposant que la pluie cesse et 
que le chemii^ se ressuie «passablement d'ici à de- 
main après dîner, je me propose d'aller coucher 
âfGoumoinsvâprès-demaiii à Morges, où j'attendrai 
peut-être uii joiir ou deux. Comme j'en crois les ca- 
barets mauvais et le séjour ennuyeux, je tacherai 
de trouver un bateaii pour traverser à Thonon , où 
je séjournerai quelques jours attendant de vos nou- 
. yelles. Je vous marque ma marche un peu en dé- 
tail , afin que , si vous vouliez me joindre à Morges , 
vous. puissiez savoir quand m'y trouver : mais en- 
core une fois , ma manière de voyager fait que tous 
mes arrangements déifendent du temps. Je serai 
charmé de vous voir et nos amis, à condition que 
je ne serai point gêné dans ma manière de vivre , 
et qu'on n'amènera point de femme , quelque plai- 
sir que j'eusse en tout autre temps de faire con- 
naissance avec madame d'Ivernois. Je lui présente 
mbn respect, et vous salue, monsieur, de tout 
mon cœur. 



ANNÉE 1764. l83 

LETTRE CDLXXXVII. 

AU MÊME. 

Modersy le ao août 1764. 

En arrivant ici avant -hier, monsieur, en mé- 
diocre état, je reçus avec des centaines de lettre* 
la vôtre pour m'en consoler , mais à laquelle Tyi^- 
portunité des autres m'empêche de répondre çn 
détail aujourd'hui. 

Je suis très- sensible à la grâce que veut mç' 
faire M. Guyot ; ce serait en abuser que de prendre 
toutes sest^ougies au prix auquel il veut bien me 
les passer. D'ailleurs , il ne me paraît pas que ceHe 
que vous m'avez envoyée soit exactement sem- 
blable aux miennes; il faudrait, pour en faire l'es- 
sai convenablement, et plus de loisir et un plus 
grand nombre. A tout événement , si de ces cinq 
douzaines M. Guyot voulait bien en céder deux , 
je pourrais, sur ces vingtKpiatre bougies, faire cet 
hiver des essais qui i^e décideraient sur ce qui 
pourrait lui en rester au |Mrîn temps; et, si pou^ 
ce nonabre il permet le choix , je les aimerais mieux 
grisés Qu noires que rouges , et surtout des plus 
longues qu'il ait, puisque je suis obligé de mettre 
à toutes des allonges^ qui m'incommodent beau-^ 
coup , mais qui sont nécessaires pour que la bou- 
gie pénètre jusqu'à l'obstacle. #• 

Vous aurez la Nouvelle Héloisè ; mais, comme 



l84 CORRESPOND AUrCE. 

je suppose que vous n'êtes pas pressé, j'attendrai 
que les tracas me laissent respirer. Du reste , ne 
vous faites pas tant valoir pour m'avoir demandé 
cette bagatelle; votre intention se pénètre aisé- 
ment. Les autres donnent }M)ur recevoir; vous 
faites tout le contraire 9 et même vous abusez de 
ma facilité. Ne m'envoyez point de l'eau d'Auguste ? 
parce qu'en vérité jef n'en saurais que faire, ne la 
trouvant pas fort agréable, et n'ayant pas grand'foi 
à ses vertus. Quant à la truite , l'assaisonnement 
et la main qui l'a préparée doivent rendre excel- 
lente une chose iiaturetlement aussi bonnç ; mab 
mon état présent m'interdit Fusage de ces sortes 
de mets^ Tbutefoiis ce présentt vient d'une part qui 
n^'empéche de le refuser , et j'ai gmnd'peur que 
lua gourmandise ne m'empêche de m'en abstenir. 

Je dois vous avertir, par rappprt à l'eau d'Au- 
guste > de ne plus vous servir d'une aiguille de 
cuivre ^ qu de vqus abstenir d'en boire ; car la li- 
queur dpit dissoudre assez de cuivre pour rendre 
Cette boissou pernicieuse et pour en, faire mênae 
un poisQQ. Ne uégligez ps^ cet avis. 

J'aurais cent choses à voiis dire ; mais le temps 
ine presse , il faut finîr : ce ne serait paà sans vous 
faire tous les remerciements que je vpus dois , si 
des paroles y ppuyaient suffire. Bien des respects à 
madame, je vous supplie ; mille choses à nos amis ; 
recevez les remerciements et les salutations de ma- 
demoiselle Le Vaaseur, et d'un honmie dont le cœur 
est plein de vous. 

Je qe puis m'empêcher de vous réitérer que Ti- 



dée d'adresser DkBest une chose excellente ; c'est 
une mine d'or que cette idée autre des mains qui 
sauront l'exploiter. 

LETTRE CDLXXXVIII. 

A MILORD MARÉCHAL. 

Motiersy le ai août 1764* 

Le pL lue m'a causé , Milord , la nouvelle de 
votre heureuse arrivée à Berlin par votre lettre ém. 
mois dernier, a été retardé par un voyage que j'a- 
vais entrepris, et que la lassitude et le mauvais 
temps m'ont fait abandonner à moitié chemin. Un 
premier ressenlimejQt de sciatique , mal héréditaire 
dans ma famille , m'effrayait avec raison. Car jugez 
de ce que deviendrait, cloué dans sa chambre, un 
pauvre malheureux qui n'a d'autre soulagement 
ni d'autre plaisir dans la vie que la promenade, et 
qui n'est plus qu'une machine ambulante! Je m'é- 
tais donc mis en chemin pour Aix dans l'intention 
d'y prendre la douche et aussi d'y voir mes bons 
amis les Savoyards, le meilleur peuple, à mon aviâ, 
qui soit sur la terre. J'ai Êiit la route jusqu'à Morges 
pédestrement , à mon ordinaire , assez caressé par- 
tout. En traversant le lac, et voyant de loin les do- 
chers de Genève , je me suis surpris à soupirer aussi 
lâchement que j'aurais fait jadis pour une perfide 
maîtresse. Arrivé à Thonon , il a fallu rétrograder , 
malade et sous ime pluie continuelle. Enfin me voici 



/ 



l86 CORRESPONDANCE. 

de retour , non cocu à la vérité , mais battu , mais 
content, puisque j'apprends votre heureux retour 
auprès du rpi , et que mon protecteur e!t mon père 
aime toujours son enfant. 

Ce que vous m'apprenez de l'affranchissement 
des payi^ans de Poméranie , joint à tous les autres 
traits pareils que vous m'avez ci-devant rapportés , 
me montre partout deux choses également belles; 
savoir, dans l'objet le génie de Frédéric, et dans 
le choix le cœur, de George. On ferait une histoire 
digne d'immortaliser le roi sans autres, mémoires 
que vos lettres. 

A propos dé mémoires, j'attends avec impatience 
ceux que vous m'avez promis. J'abandonnerais vo- 
lontiers la vie particulière de votre frère si vous 
les rendiez assez amples pour en-pouvoir tirer l'his- 
toire de votre maison. J*y pourrais parler au long 
dé FÉcosse que vous aimez tant, et de votre il- 
lustre frère et de son illustre frère , par lequel tout 
cela m'est deVenu Xher, Tl est vrai que cette entre- 
prise serait immense et fort au-dessus de mes forces, 
surtout dans l'état où je suis ; mais il s'agit moins de 
faire un ouvrage que de m'occuper de vous , et de 
fixer mes indociles idées qui voudraient aller leur 
train malgré moi. Si vous voulez que j'écrive la vie 
de Fami dont vous me parlez, que votre volonté soit 
faite ; la mienne y trouvera toujours son compte , 
puisqu'en vous obéissant je m'occuperai de vous. 
Bonjour , Milord . 



AWN^E 1764. 187 



LETTRE CDLXXXIX. 

A MADAME LA COMTESSE DE BOUPFLERS. 

Modéra y le 16 août 1764* 

Âpres les preuves touchantes , madame , que f ai 
eues de votre amitié dans les plus cruels moments 
de ma vie , il y aurait à moi de l'ingratitude de n'y 
pas compter toujours ; mais il faut pardonner beau- 
coup à mon état : la confiance abandonne les mal- 
heureux, et je sens, au plaisir que m'at fait votre 
lettre , que j'ai besoin d'être ainsi rassuré quelque* 
fois. Cette consolation ne pouvait me venir phis 
à propos : après tant dé pertes irréparables, et en 
dernier Heu celle de M. de Luxembourg, il m'im- 
porte de sentir qu'il me reste des biens assez pré- 
cieux pour valoir la peine de vivre. Le moment 
où j'eus le bonheur de le connsdtre ressemblait 
beaucoup à celui où je l'ai perdu ; dans l'un et dass 
l'autre, j'étais affligé, délaissé, malade: il me con- 
sola de tout ; qui me consolera de lui ? Les amis 
que j'avais avant de le perdre ; car mon cœur, usé 
par les maux , et déjà durci par les ans , est fermé 
désormais à tout nouvel attachement. 

Je ne puis penser, madame, que dans les criti- 
ques qui regardent l'éducation de M. votre fils, 
vous compreniez ce que, sur le parti que vous avez 
pris de l'envoyer à Leyde, j'ai écrit au chevalier* 

* Sans doute le chevalier de Lorenzy. La lettre dont il s'agit ici 
n'a point été publiée. 



l88 GORRESPONDiLlICE. 

de L***. Critiquer quelqu'un, c'est blâmer dans 
le public sa conduite ; mais dire son sentiment 
à un ami commun sur un pareil sujet, ne s'ap- 
pellera jamais critiquer, à moins que l'amitfé n'im- 
pose la loi de ne dire jamais ce qu'on pense, 
même en choses où les gens du meilleur sens peu- 
vent n'être pas du même avis. Après la manière 
dont j'ai constamment pensé et parlé de vous , ma-^ 
dôme , je me décrierais, moi-même, si je m'avisais. 
de vous critiquer. Je trouve à la vérité beaucoup 
dfnconvénient à envoyeur les jeunes gekjis dans les. 
uwversités ; n^s je trouve aussi que , selon les cir- 
constances, il peut y en avoir davantage à ne pas 
le lisLire, et l'on n'a pas toujours en ceci le choix 
du plus grand bien, mais du moindre mal. D'ail- 
leurs uiie £pis la nécessité de ce panti supposée, je 
crob comme vous qu'il y a moins de danger en 
Ik^nde que partout ailleurs. 

Je suis ému de ce que vous m'avez marqué de 
messieurs les comtes de B*^ : jugez, madame , si la 
bienveiUance des hommes de ce mérite m'est pré- 
cieuse , à moi , que celle même des gens que je 
n'estime pas sid>jugue toujours. Je ne sais ce qu'on 
e&t fait de moi par le$ caresses : heureusement on 
ne s'est pas avisé de me gâter là-dessus. On a tra- 
vaillé sans relâche à donner à mon cœur , et peut- 
être à mon génie , le ressort que naturellement ils 
^'avaient pas. J'étais né faible; les mauvais traite- 
ments m'ont fortifié : à force de vouloir m'avilir , 
on m'a rendu fier. 

Vous avez la bonté , madame , de vouloir des dé- 



àNNÉE 1764. 189 

tails sur ce qui me r^;arde. Qtie vous dirai*je ? rien 
n'est plus uni que ma vie, rien n'est plus borné 
que mes projets ; je vis au jour la journée sans 
souci du lendemaini, ou plutôt j'achève de vivre 
avec plus de lenteur que je n'avais compté. Je ne 
m'en irai pas plus tôt qu'il ne plaît à la nature ; 
mais ses longueurs ne laissent pas de m'embarras- 
ser , car je n'ai plus rien à faire ici. Le dégoût de 
toutes choses me livre toujours plus à l'indolence et 
à l'oisiveté. Les maux physiques me donnent seuls 
un peu d'activité. Le séjour que j'habite , quoique 
assez sain pour les autres hommes , est pernicieux 
pour mon état : ce qui £ût que , pour me dérober 
aux injures de l'air et à l'importunité des désœu- 
vrés , je vais errant par le pays durant la belle sai- 
son; mais, aux approches de Thiver, qui est ici 
très-rude et très - long , il faut revenir et sou£Grir . 
Il y a long-temps que je cherche à déloger : mais 
où aller ? comment m'arranger ? J'ai tout à la fois 
l'embarras de l'indigence et celui des richesses : 
touf e espèce de soin m'effraie ; le transport de mes 
guenilles et de mes livres par ces montagnes est 
pénible et coûteux : c'est bien la peine de déloger 
de ma maison, dans l'attente de déloger bientôt de 
mon corps! Au lieu que , restant où je suis , j'ai des 
journées délicieuses, errant, sans souci 9 sans pro- 
jet , sans affaires , de bois en bois et de rochers en 
rochers , rêvant toujours et ne pensant point. Je 
donnerais tout au monde pour savqir labotaj^que ; 
c'est la véritable occupation d'up corps* andmlant 
et d'un esprit paresseux : je ne répondrais pas que 



igO CORRESPONDANCE. 

je n'eusse la folie d'essayer de l'apprendre , si je sa- 
vais par où commencer. Quant à ma situation du 
coté des ressources , n'en soyez pas en peine ; le 
nécessaire, même abondant , ne m'a point manqué 
jusqu'ici , et probablement ne me manquera pas 
si tôt. Loin de vous gronder de vos offres, madame, 
je vous en remercie; mais vous conviendrez qu'elles 
seraient mal placées si je m'en prévalais avant le 
besoin. 

Vous vouliez des détails ; vous devez être con- 
tente. Je suis très-contéiit des vôtres, à cela près 
que je n'ai jamais pu lire le nom du lieu que vous 
habite^. Peut-être le connais-je ; et il me serait bien 
doux de vous y suivre , du moins par l'imagination. 
Au reste, je vous plains de n'en être encore qu'à 
la philosophie. Je suis bien plus avancé que vous , 
m£^dame ; sauf mon devoir et mes amis , me voilà 
revenu à rien. 

Je ne trouve pas le chevalier si déraisonnable , 
puisqu'il vous divertit; s'il n'était que déraison- 
nable, il n'y parviendrait sûrement pas. Il est bien 
à plaindre dans les accès de sa goutte , car on souffre 
cruellement; mais il a du moins l'avantage de souf- 
frir sans risque. Des S!célérats ne l'assassineront pas, 
et personne n'a intérêt à le tuer. Êtes-vous à por- 
tée , madame , de voir souvent madame la maré- 
chale? dans les tristes circonstances où elle se 
trouve, elle a bien besoin de tous ses amis, et sur- 
tout de vous. 



ANDTEE 1764. 191 



LETTRE CDXC 

A M. LE PRINCE L. E. DE WIRTEMBERG. 

Motien» le 3 septembre 1764. 

J'apprends avec plus de chagrin que de sur- 
prise l'accident qui vous a forcé d'ôter à votre se- 
cond enfant sa nourrice naturelle. Ces refus de lait 
sont assez communs; mais ils ne sont pas tous sur 
le compte de la nature , les mères pour l'ordinaire 
y ont bonne part. Cependant, en cette occasion, 
mes soupçons tombent plus sur le père que sur la 
mère. Vous me parl(^ de ce joli sein en époux ja- 
loux de lui con&€||:/er toute sa fraîcheur , et qpui , 
au pis aller 9 aime mieux que le dégât qui peut s'y 
faire soit de sa façon que dl^ celle de l'enfant : mais 
les voluptés conjugales sont passagères, et les plai- 
sirs de l'amant ne font le bonheur pi du père ni 
de l'époux. 

Rien de plus intéressant que les détails des pro- 
grès de Sophie. Ces premiers actes d'autorité ont 
été très-bien vus et très-bien réprimés. Ce qvi'il y 
a de plus difficile dans l'éducation , est de ne don- 
ner aux pleurs des enfants ni plus ni moins d'at- 
tention qu'il n'est nécessaire. Il faut que l'enÊuit 
demande , et non qu'il commande ; il faut que la 
mère accorde souvent , mais qu'elle ne cède jamais. 
Je vois que Sophie sera très-rusée; et tant mieux, 
pourvu qu'elle ne soit ni capricieuse ni impérieuse ; 



îg2 CORRESPONDANCE. 

mais je vois qu'elle aura grand besoin de la vigi- 
lance paternelle et maternelle , et de l'esprit de dis- 
cernement c[ue vous y joignez. Je sens , au plaisir 
et à l'inquiétude que me donnent toutes vos lettres , 
que le succès de l'éducation de cette chère enfant 
m'intéresse presque autant que vous. 

LETTRE CDXCI. 

#■-■. 

A MADAME {.ATOUR. 
Aa Champ-da-Mouliii , le 9 septembre 1764* 

J'ai reçu- toutes vos lettres , chère Marianne , je 
sens tous mes torts ; pourtant rj'ai raison. Dans les 
traSas où je suis , l'aversion d^^èrip^ des lettres i^- 
tend jusqu'aux personnes à qui je suis forc^dties 
adresser , et vous êtes , en pareil cas, une de <;elles 
k qui je me sens Uik moins disposé d'écrire. Si ce 
sont absolumeqit des lettres que vous voulez , rien 
ne m'excuse ; mais si l'amitiç vous suffît , restez çn 
repos .spir ce point. Au surplus,. daignez attendre, 
je vous écrirai qi^and je pourrai. 

Mille- choses , je vous suppliîe , .aii papa , s'il . est 
encore auprès çje^ vous. 



ANNÉE 1764. 193 



LETTRE CDXCÏI. 

A M. DU PEYROU. 

la septembre 1764. 

Je prends le parti, monsieur, suivant votre 
idée y d'attendre ici votre passage : .s*il arrive que 
vous alliez à Cressier, je pourrai prendre celui de 
vous y suivre , et c'est de tous les arrangements 
celui qui me plaira le plus. En ce cas-là j'irai seul, 
c'est-à-dire , sans mademoiselle Le Va§seur, et je 
restera} seulement dçux ou trois jours pour essai , 
ne poirvant guère m*éloigner eti ce momen|; plus 
Idng-temps d'ici. Je comprends ; au temps que de- 
mande la dame Guinchard pour ses préparatils, 
qu'elle me prend jW>ur un Sybarite. Peut-être aussi 
▼eut-ellcsoutenir la réputation du cabaret de Gros- 
sier ; mais cela lui sera difficile , puisque les plats , 
quoique bcMis, n'en font pas la bonne chère, et 
qu'on n'y remplace pas l'hôte par un cuisinier. 
Vous aurez à Monlezi un autre hôte qui n'est pas 
plus facile à remplacer, et deSi hôtesses qui le sont 
encore moins. Monlezi doit êkre- une espèce de 
mont Olympe pour tout ce qid l'habite en pareille 
compagnie. Bonjour, monsieur : quand vous re- 
viendrez parmi les mortels, n'oubliez pas, je vous 
prie , celui de tous qui vous honore le plus , et qui 
veut vous offrir , au lieu d'encens , des sentiments 
qui le valent bien. 

R. XX. i3 



194 GORRKSPONDA.NCE. 



LETTRE CDXCIII. 

AU MÊME. 
Ce dimanche matin , septembre 1764. 

Mon état met encore plus d'obstacles que le 
temps à mon départ. Ainsi j'abandonne, pour le 
prési^nt, mon premier projet de voyage, qui ne 
me permettrait pas d'être ici de retour à la fin du 
mois, ce qu'il &ut absolument; mais, au lieu de 
cela , je prendrai le partit de descendre à Neudiiâ- 
tel , et d'y passer quelques jours avec vous ; ainsi , 
vous pouvez, si vous y descendez, me prendre 
avec vous , ou nous descendrons séparément, tou- 
jpurs en supposant que mpn état le permette. 

Je ùàs mille salutations et respects à tous les 
habitants et habitan1;es de Monlezi. Je ne dois en- 
trer pour rien dans l'arrangemeiit de voyage d^ 
IJif. Cbaillet, parce que je ne prévois pas pouvoir 
descendre aussitôt que lui. Madame Boy de La 
Tour me charge de lui marquer, de même qu'à 
madame , Tempressement qu'elle a de les voir ici. 
Elle leur fait dire aussi , pour nouvelle , que ma- 
dame de Froment est arrivée hier à Colombier. 
Nous verrons votre besogne quand nous nous ver- 
rons ; et c'est surtout pour en confère r ensemble que 
je veux passer deux ou trois jours avec vous. J'écris 
si à la hâte, que je ne sais ce que je dis, sinon 



'.ut 



€[uand je vous assune que Je vous aimé dé tout 
mon coeur. 

Le portmit eït iGjdt, et ob lé ttcÊLte asseî ré^ 
semblant ; mnis le peintre n'en est pas cohtent. 



LETTRE CDX.CIV, 

A M. D'IVERNOIS. 

Alotiers, le (5-septieBibre 1764* 

La difficulté , monsieur y de trouver un logement 
qui me convienne me force à demeurer ici cet hi- 
ver ; ainsi vous m'y trouverez à votre passage. Je 
viens de recevoir , avec votre lettre du 1 1 , le mé- 
moire que vousm'j annoncez :'jé n'ai point celui 
de ^ à G, et je n'ai aucune nouvelle dfi C, ce qui 
me confirme dans l'opinion où j'étais sur son sort. 

Je suis charmé, rftais non iurpHs, de ce que 
vous me marquée dé* la part dé 'M. Abauzit. Cet 
faonmie vénér iadile est trop éclairé poutf* ne pas voir 
me» intentions , et trop vertueux ][iour né pas Tes 
approuver. 

Je savais le* voyage de M. le duc dé iCandàn : 
deux earrosisées d'officiers du régiiiheitt dû .Roi, 
cjtti l'ont accompagné, et qui me hotxf Venus voir, 
iti'^n ont dit lés détails. On leur avait éssufé à Ge- 
nève que j'étais un Ifttip-gat^ii ifl[abofdâ9)le. Ik ne 
sont pas édiÔéfii de ée (|u'6n leur a dît de moi dans 
ce pays-là. 

J'aurai soin dé nÉétjbre dtié wAHfàe distiiictiVé 

i3. 



JQ^ COHRESPONDANCK. 

aux- papiers qui me viennent de vous , mais je vous 
avertis que , si j'en dois foire usage , il foudra qu'ils 
me restent très-long-temps, aussi-bien que tout ce 
qui est entre mes mains et tout ce dont j'ai besoin 
encore. Nous en causerons quand j'aurai le plaisir 
de vous voir, moment que j'attends avec un véri- 
td!>le empressement. Mes respects à madame dl- 
vernois et mes salutations à nos amis. Je vous em- 
brasse. 

Je crois vous avoir marqué que j'avais ici la ha- 
rangue de M. Chouet. 



LETTRE CDXCV. 

A M. DU PEYROU. 
. - Le 17 septembre 1764. 

Lé temps qu'il foit ni mon état' présent ne me 
permettent pas, monsieur, de fixer le jour auquel 
il me sera possible d'aller à Cressier. Mais s'il fai- 
sait, beau et que je fusse mieux, je tâcherais, d'au- 
jouttl'hui ou de demain en huit , d^'aller coucher à 
Neuchâftel ; et de là, si votre carrosse était chez vous, 
je pourrais, puisque vous le permettez , le prendre 
pour aller à Cressier^ Mon désir d'aller passer quel- 
ques jours près de vou^ est certain ; mais je suis 
si accoutumé à voir coûtrarier mes projets , que 
je n'ose presque plus eh foire ; toutefois voilà le 
mien quant à présent, et, s'il arrive que j'y re- 
nonce , j'aurai sûrement regret de n'avoir pu l'exé- 



ANHÉE 1764. Iff] 

cutôr. Mille remerciements , monsieur , et sduta- 
tions de tout mon cœur. 

Je ne comprends pas bien , monsieur , pourquoi 
vous avez affranchi votre lettre. Comme je n'aime 
pas pointiller , je n'affranchis pas la mienne. Quand 
on s'écarte de l'usage , il faut avoir djes raisons ; 
j'en aurais une,. et vous n'en aviez pcnnt que je 
sache. 



LETTRE CDXCVI. 

A M. DANIEL ROGUIN. f 

Motiers, le 3 a septembre 1764* 

Je suis vivement touché, très-cher papa, de la 
perte que nous venons de faire; car, outre que 
nul événement dans votre famille ne m'est étran- 
ger , j'ai pour ma part à regretter toutes les bontés 
dont m'honorait M. le banneret. La tranquillité de 
ses derniers moments nous montre bieA que l'hor^ 
reur qu'on y trouve est moins dans la chose que 
dans la manière de l'envisager. Une vie intègre est 
à tout événement un grand moyen de paix dans 
ces moments-là, et la sérénité* avec Jaquelle vous 
philosophez sur cette matière vient autant de votre 
cœur que de votre. raison. Cher papa , nous n'abré- 
gerons pas, comme le défunt, notre carrière à 
force de vouloir la prolonger ; nous laisserons dis- 
poser de nous à la nature et à son auteur, sans 
troubler notre vie par l'effroi de la perdre. Quand 



Iie& maux OU les an;» auront mûri ce fi^idiléjdaéwère, 
nous le laisserons tomber sans murmure ; et tout 
ç^ qu'il jjieut aniyer de pis en toute supposition est 
que Bff>u&, ces8ero^s alors y moi d'aimer le bien , y4ms 
4'w ftire- 

LETTRE CDXCVII. 

A M. DE GHAMFORT. 

Motîers, le 6 0€U>bre 1764. 

Je vous remercie , monsieur, de votre dernière 
pièce * et du plaisir que m'a fait sa lecture. Elle dé- 
cide le talent qu'annonçait la première, et déjà 
Vauteur m'inspire as^e^ d'estime pour oser lui dire 
40 mal de son oun^e. Je n'aime pas trop qu'à 
voire âge vous fassiez le grand-père, que vous me 
dpQOJy^z un intérêt si teadce pour Le petit-fils que 
Mùosi n*jxvem point, Qt que » cbAs une épîtse où vous 
àii§^ de si belles choses , je sente que ce n'est pas 
^SWS qw parles. Évite? cette métaphysique à la 
q6K>4b , qui depuis quelque temps obscurcit tellie- 
iQûnt les. verst français, qu'on ne peut les Hre qu'ai- 
vec cont^ation d'écrit. Les vôtres ne sont pas dans 
ce cas encore ; mais ils y tomberaient si la difié- 
r^Biçe qu'on sent entre votre première pièce et la 
seconde allait ai augmentant. Votre épître abonde , 
npnr$w)emeni en grandi» sentiments, mais en pe»- 

* Épure d'un père à son fils sur la naissance d'un petit-fils. Elle fait 
pmMÛÊ^âf^ OBivnwf'de Chamfert. 



KNISIÉE 1764. 199 

sées philosophiques, auxquelles je reprocherais 
quelquefois de Tétre trop« Par exemple, en louant 
dans les jeunes gens la fot qu'ils ont et qu'on doit 
k la vertu , croyez-vous que leur faire entendre qud 
cette foi n'est qu'une erreur de leur â^ soit un bon 
moyen de la leur conserver? Il ne faut pas, mon- 
sieur , pour paraître au-dessus des préjugés , saper 
les fondements de la morale. Quoiqu'il n'y ait au- 
cune parfaite vertu sur la terre, il n'y a peut-être 
aucun Jiomme qui ne surmonte ses penchants en 
quelque chose , et qui par conséquent n'ait quel- 
que vertu ; les uns en ont phis , les autres moins : 
mais si la mesure est indéterminée, est-ce à dire 
que la chose n'existe point? C'est ce qu'assurément 
v^us ne croyez point, et que pourtant vous Eûtes 
entendre. Je vous condamne , pour réparer cette 
&ute , à faire une pièce où vous prouverez quel, 
malgré les vices des hommes , il y a parmi eux des 
vertus, et même de la vertu , et qu'il y en aura tou- 
jours. Voilà, monsieur, de quoi s'ékrrer à la phis 
haute philosophie. Il> y en a davantage à combattre 
les préjugés philosophiques qui sont nuisibles qu'à 
combattre les préjugés populaires qui sont utile». 
Entreprenez hardiment cet ouvraEge ; et , si vous le 
traitez comme vous le pouvez faire , un prix ne sau- 
rait vous manquer *. 

En vous parlant des gens qui m'accablent dans 
mes malheurs et qui me portent leurs coups en 
secret , j'étais bien éloigné, monsieur, de songer à 

* Chamfort ayaît envoyé son épitre au concours- pour le prix de 
poésie proposé par TAcadéniie française. 



200 CORRJÎSPajyDAJSCE. 

rieu qui eût le moindre rapport au parlement de 
Paris. J'ai pour cet illustre corps les mêmes senti- 
meiits qu'avant ma disgrâce , et je rends toujours la 
même justice à 9es membres , quoiqu'ils me l'aient 
si mal rendue. Je veux même penser qu'ils ont cru 
fisdre envers moi leur devoir d'hommes publics ; 
mais c'en était un pour eux de mieux l'apprendre. 
Qn trouverait difficilement un fait où le droit des 
gens fut violé de tant de manières : mais quoique 
les. suites de cette affaire m'aient plongé àgns un 
gouffre de malheurs d'où je ne sortirai de ma vie , 
je n'en sais nul mauvais gré à ces messieurs. Je 
sais que leur but n'était point de me nuire , mais 
seulement d'aller à leurs fins. Je sais qu'ils n'ont 
pour moi ni amitié ni haine ^ que mon être et mon 
sort est la chose du monde qui les intéresse le 
moins. Je me suis trouvé sur leur passage comme 
un caillou qu'on pousse avec le pied sans y regar- 
der. Je connais, à peu près leur portée et leurs prin- 
cipes. Ils^ ne doivent pas dire qu'ils ont &it leur de- 
voir , mais qu'ils ont fait leur métier. 

Lorsque vous voudrez m'honorer de quelque té- 
mioignage à^e souvenir et me faire quelque part de 
vos travaux littéraires, je les recevrai toujours avec 
intérêt et reconnaissance. Je vous salue, monsieur ^ 
de tout mon coeur. 



ANNÉE 1764* aO£ 

• : 

1 

LETTRE CDXCVIII. 

A M. DU PEYROU. 

Le 10 octobre 1764» 

Traité historique des plantes quL croissent dans la 
Lorraine et les Trois-Évêdies ; par M. P. J. Buchoz, 
ai^ocat au parlement de Metz, docteur en méde- 
cine, etc. 

Cet ouvrage , dont deux volumes ont déjà paru , 
en aura vingt â^-S^ , avec des planches gravées. 

J'en étais ici , monsieur , quand j'ai reçu votre 
docte lettre; je suis charmé de vos progrès ; je vous 
exhorte à continuer; vous- serez notre maître, et 
vous aurez tout l'honneur de hotre futur savoir. 
Je vous conseille pourtant de consulter M. Marais 
sur les noms des plantes , plus que sur leur'étymo- 
logie ; car asphodelos , et non pas asplhùdeUos , n'a 
pour racine aucun mot qui signifie ni mort, ni 
herbe, mais tout au plus un verbe ^ qui signifie yè 
tue , parce que les pétales de l'asphodèle ont quel- 
que ressemblance à des fers de piques. Au reste , 
j'ai connu des asphodèles qui avaient de longues 
tiges, et des feuilles semblables à celles des lis. 
Peut-être faut-il dire^ correctement : du genre des 
asphodèles. La plante aquatique est bien nénuphar , 
autrement njmpliœa, comme je disais. Il faut re- 
dresser ma faute sur le ealament , qui ne s'appelle 



aOft CORRKSPO]!(J)A]fCE. 

pas en latin calamentum, mais calamentha, comme 
qui dirait belle menthe. 

Le temps ni mon état présent ne m'en laissent 
pas dire davantage. Puisque mon silence doit par- 
ler pour moi, vous savez, monsieur , combien j'ai 
à me taire. 



LETTRE CDXCIX. 

A M. MARTEAU. 

Motiers, le 14 octobre 1764- 

Via reçu , mcmsreuF , à« retour d^nne tommée 
qoe j*ai faite dans nos montagnes , votre lettre du 
i^spfttt et l'ouvrage que tous y avea joint, fy ai 
trout^ des sentimenfs , dé Thofinétefé , du gottt; et 
ii#^.l!appe1é avec plaisir nôtre anctehne connais- 
siez. Je ne voHdràs pourtant pas qu'avec te ta- 
lâM qqe vous pai^aasse^ avoir, vous err bbrnttssiez 
Félnpk>i à de pareilles bagatelles. 

Jié songez pas , monsieur , à v^nir ici avec une 
fedtitae- ^ douze cents livres de rente viagère pour 
tbvtfe fortune. La liberté mcft ici tout le ndonde à 
sùÈf afee ; le commerce qu'on ne gêne point y fleu- 
rie; on y a beaucoup d'argent et peu de denrées : 
€» n'est pas le moyei!^ d'y vivre àr bon marché. Je 
toas conseille aussi de bien tfdnger , avant d6 vous 
marier, à ce que vous aHez foire. Une rente viar 
gère u'ést pas une grantfe ressource pour une fti- 
milfe. Je reïnarque d^aîUeurs que tous les jeunes 



ANNÉE 1764. ao3 

gens à marier trouvent des Sophies ; mais je n'en- 
tends plus parler de Sophies aussitôt qu'ils sont 
mariés. 

Je vous salue , monsieur , de tout mon cœur. 

LETTRE D. 

A M. LALiâUDi 

"NLoûen, le i4octobjr€ 1764 

Voici , monsieur , celle des trois estampes que 
vous m'avez envoyées qui , daM le Honore des 
gens que j'ai consultés , a eu la pluralité, des voix. 
Plusieurs cependant préfèrent celle* qcn es€ ^n fta- 
bit français , et l'on peut balancer avec raiscua , puis^ 
que Fune et l'isratre ont été. gravées sur le même 
portrait , peint par M. de La Tour. Quant à Ves- 
tampe où le visage est de profil , elle n'a pai» la 
moindre ressemblance : il paraît que celui (^ Ta 
feite ne m'avait jamais m , et il s'est même trompé 
sur mon âge. 

Je voudrais , monsieur , être digne de Hionneur 
que vous me fisiites. Mon portrait figure mal parmi 
ceux des grands philosophes dont vous me parlez : 
mais j'ose croire qu'il n'est pas déplacé parmi ceux 
des amis de la justice et d'e* la vérité. Je vous salue , 
monsieur , de tout mdn cœur; 



ao4 CORRESPONDANCE. 

■• . i 

LETTRE DL 

A M. LE PRINCE L. E. DE WIRTEMBERG. 

Motiers, le 14 octobre 1764. 

C'est à regret, prince, que je me prévaux quel- 
quefois des conditions que mon état et la nécessité, 
plus que ma paresse , m'ont forcé de faire avec vous. 
Je vous écris rarement; mais j'ai toujours le cœur 
plein de vous et de tout ce qui vous est cher. Votre 
constance à suivre le genre de vie si sage et si simple 
que vous avez choisi , me feiit voir que vous avez 
tout ce qu'il faut pour l'aimer toujours; et cela 
m'kttàche et m'intéresse à vous , comme si j'étais 
votre égaï^ ou plutôt comme si vous étiez le mien ; 
car ce n'est que da^s les conditions privées que 
l'on coônait l'amitié. 

'■ Le sujet des deux épitaphes que vous m'avez en- 
voyées est bien moral : la pensée en est fort belle ; 
mais avpuez que les vers de l'une et de l'antre sont 
bien mauvais. Des vers plats sur une plate pensée 
font du moins .un tout assorti ; au lieu qu'à mal 
dire>ûne belle chose on a le double tort de mal 
dire et de la gâter. 

Il me vient une idée en écrivant ceci : ne seriez- 
voûs point l'auteur d'une de ces deux pièces? Cela 
serait plaisant, et je le voudrais un peu. Que n'a- 
vez -vous fait quatre mauvais vers, afin que je 
pusse vous le dire , et que vous m'en aimassiez en- 
core plus ! 



ANNKK 1764. 205 



'*-<*^»»%^m'^'*i'%^^^^/%^^^<»l>»»^'a<*^^%^%<«^%<%^<%^'%<%^^ 



LETTRE DU. 

A M. DE LATOUR. 

t 

Moders, le 14 <ictobre 1764. 

Oui 9 monsieur , j'accepte encore mon second 
portrait. Vous savez que j'ai £ait du premier un 
usage aussi honorable à vous qu'à moi et bien pré- 
cîeuiL à mon coeur. M. le maréchal de Luxembourg 
daigna l'accepter : madame la maréchale a daigné 
le recueillir. Ce monument de votre amitié, de 
votre générosité , de vos rares talents , occupe une 
place digne de la main dont il est sorti. J'en des- 
tine au second une plus humble, mais dont le même 
sentiment a fait choix. Il ne me quittera point, mon- 
sieur, cet admirable portrait qui me rend en quel- 
que façon l'original respectable; il sera sous mes 
yeux chaque jour de ma vie ; il parlera sans cesse 
à mon cœur ; il sera transmis après moi dans ma 
famille : et ce qui me flatte le plus dans cette idée, 
est qu'on s'y souviendra toujours de notre amitié. 
Je vous prie instamment de vouloir bien donner 
à M. Le Nieps vos directions pour l'emballage. Je 
tremble que cet ouvrage , que je me réjouis 3e faire 
admirer en Suisse, ne souffre quelque atteinte daiis 
le transport. 



ao6 GORRBSFONDANCK. 



LETTRE DIII. 

A M. LE MEPS. 

Motiers, le 14 octobre 1764. 

Puisque, malgré ce que je vous avais marqué 
c5-devant , mon bon ami, vous avez jugé à propos 
de recevoir pour moi mon second portrait de M. de 
La Tour, je ne voU3 en dédirai pas. L'honneur qu'il 
m'a fait , l'estime et l'amitié réciproque , la conso- 
lation que je reçois de son souvenir dans mes mal- 
heurs , ne me laissent pas écouter dans cette occa» 
sion une délicatesse qui , vis-à-vis de lui, serait une 
espèce d'ingratitude. J'accepte ce second présent, 
et il ne m'est point pénible de joindre pour lui la 
reconnaissance à l'attachement. Faites-moi le plai- 
sir , cher ami ,de lui remettre l'incluse, et priez-le, 
eomme je fais, de vous donner ses avis sur la ma- 
nière d'^uballer et voiturer ce bel ouvrage , afin 
qu'il ne s'endommage pas dans le transport. Em- 
ployez quelqu'un d'entendu pour cet emballage , et 
■prenez la peine aussi de prier MM. Rougemont de 
Vous indiquer des voituriers de confiance à qui 
l'on puisse remettre là caisse pour qu'elle me par- 
vienne sûrement , et que ce qu'elle contiendra ne 
spit point tourmenté. Comme il ne vient pas de 
vcHturiers de Paris jusqu'ici , il faut l'adresser, par 
lettre de voiture , à M. Junet , directeur des postes 
à Pontjirlier , avec prière de me la faire parvenir. 



AJSJiÉE 1764* 207 

Vous ferez y s'il vous plait , une note exacte de vos 
déboursés , et je vous' les ferai rembourser aussi- 
tôt. Je suis impatient de m'honorer en ce pays du 
travail d'un aussi illustre arti&te , et des dons d'un 
homme aussi vertueux. 

Le mauvais temps ne me permît pa» de suivre 
cet été ma route jusqu'à Aix^ pour une misérable 
sdatique dont les premières atteintes, jointes à mes 
autres maux , m'ont fort effirayé. Je vis i Thonon 
quelques Genevois, et entre autres celiii dont vous 
parlez ; et en ce point vous avez été très-bien in- 
focmé, mais non sur le reste, puisque nous nous 
séparâmes tous fort contents les uns des autres. 
M. D. a des défauts qui sont assez désagréables ; 
mais c'est un honnête homme, bon citoyen, qui, 
sans cagoterie , a de la religion , et des mœurs sans 
âpreté. Je vous dirai qu'à mon voyage de Genève, 
en 1 7 54 , il me parut désirer de se raccommoder 
avec vous ; mais je n'osai vous en parler , voyant 
l'éloignement que voua aviez pour lui : cependant 
il me serait fort doux de voir tous ceux que j'ainoe 
s'aimer entre eux. 

Après avoir cherché dans tout le pays une habi- 
tation qui me convînt mieujL que celle-ci , j'ai par- 
tout trouvé des inconvénients qui m'ont rej;enu, 
et svir lesquels je me suis enfin déterminé à rêve» 
nir passer l'hiver ici. Bien sûr que je ne trouverai 
la s^té nulle part , j'aime autant trouv.tir ici qu'ail-: 
leurs la fin de mes mi^ièresu Les mauit , lés ennuis , 
les années qui s'accumulent mâ*ren,den^ moins 

ardent dans mes désirs» et np^oins actif à les ntis" 



faire ; puisque le bonheur n'est pas dans cette vie j 
n'y nmltiplions .pas du moins les tracas. 

Nous avons perdu le banneret Roguin, homme 
de grand mérite , proche parent de notre ami , et 
très-regretté de sa famille , de sa ville , et de tous les 
gens/debie^. C'est encore, en mon particulier , un 
aroide mcMns ; hélas! ils s'en vont tous, et moi je reste 
peur survivre à tarit de pertes et pour les sentir. 
U ne m'en demeure plus guère à faire , mais elles 
me seraient bien cruelles. Cher ami , conservez- 
vous. 

LETTRE DIV. 

A M. MOULTOU. 

■ 

MotierSy le i5 octobre 17 64. 

• Voici la lettre qiie vous m'avez envoyée. Je suis 
peu surpris de ce qu'elle contient , mais vous pa- 
l'àissiez avoir une si grande opinion de celui à qui 
vohs vous adressiez , qu'il peut vous être bon d'a- 
ittlir vu ce qu'il en était 

; Vous songez à changer de pays; c'est fort bien 
Eût, à mon avis; mais il eût été mieux encore de 
tommencer par changer de robe, puisque celle 
^e vous portez ne peut plus que vous déshono- 
rer. Je vous aimerai toujours ; et je n'ai point 
cessé de' vous intimer; mais je veux que mes amis 
sentent ce qu'ils se doivent , et qu'ils fassent leur 



ANIfiE 1764* 209 

devoir pour eux-mêmes aussi bien qu'ils le fout pour 
moi. Adieu , cher Moultou; je vous embrasse dç 
tout mon cœur. 



LETTRE DV. 

A M. DELEYRE, 

Motiersje 17 octobre 1764. 

• J'ai le cœur surchargé de mes torts , cher De-* 
leyre; je comprends par votre lettre qu'il m'est 
échappé dans un moment d'humeur des expres- 
sions désobligeantes , dont vous auriez raison d'être 
offensé, s'il ne fallait pardonner beaucoup à mon 
tempérament et à mçi situation. Je sens que je me 
suis mis en colère sans sujet et dans une occasion 
où vous méritiez d'être désabusé et non querellé. 
Si j'ai plus fait et que je vous aie outragé, comme 
il semble par vos reproches, j'ai fait dans un em- 
portement ridiculô ce que dans nul autre temps je 
n'aurais fait avec personne , et bien moins encore 
avec vous. Je suis inexcusable , je l'avoue , mais je 
vous ai offensé sans le vouloir. Voyez moins l'ac 
tion que l'intention , je vous en supplie. Il est per- 
mis aux autres hommes de n'étire que justes , mais 
les amis doivent être cléments. 

Je reviens de longues courses que j'ai &ites dans 

nos montagnes , et même jusqu'en Savoie , où je 

comptais aller prendre à Aix les bains pour une 

sciatique naissante qui , par son progrès ^ m'ôtait 

R. XX. 14 



SkïO CORliESPOICDANGE. 

le seul plaisir qui me reste dans la vie , savoir la 
promenade. Il a fallu revenir sans avoir été jus- 
que-là. Je trouve en rentrant chez moi des tas de 
paquets et de lettres à faire tourner la tête. Il faut 
absolument répondre au tiers de tout cela pour 
le moins. Quelle tâche 1 Pour surcroît, je com- 
mence à sentir cruellement les approches de l'hi- 
ver , souffrant , occupé , surtout ennuyé : jugez 
de ma situation ! N'attendez donc de moi , jusqu'à 
ce qu'elle change , ni de fréquentes ni de longues 
lettres; mais soyez bien convaincu que je. vous 
aime , que je suis fâché de vous avoir offensé , et 
que je ne puis être bien avec moi-même jusqu'à 
ce que j'aie fait ma paix avec vous. 



LETTRE DVL 

A M. roULQUIER. 

Att sujet da SliMOiRi de M. de 1 , suK les Mariages des ^Protestants. 

Mptîers, le i^ octobre 1764. 

Voici, monsieur, le mémoire que vous avez eu 
la bonté de m'envoyer. Il m'a paru fort bien fait ; il 
dit assez et ne dit rien de trop. Il y aurait seule- 
ment quelques petites fautes de langue à corriger , 
si l'on voulait le donner au public : mais ce n'est 
rien ; l'ouvrage est bon , et ne sent point trop son 
théologien. 

Il me parait que depuis quelque temps le gou- 
vernement de France , éclairé par quelques bons 
écrits , se rapproche assez d'une tolérance taéite 



ANNEE 1764. 2ÎI 

en faveur des protestants. Mais je pense aussi que 
le moment de l'expulsion des jésuites le force à plus 
de circonspection que dans un autre temps, de 
peur que ces pères et leurs amis ne se prévalent 
de cette indulgence pour confondre leur cause 
avec celle de la religion. Cela étant, ce moment ne 
serait pas le plus favorable pour agir à la cour ; 
mais, en attendant qu'il vînt, on pourrait conti- 
nuer d'instruire et d'intéresser le public par des 
écrits sages et modérés, forts de raisons d'état 
claires et précises , et dépouillées de toutes ces ai- 
gres et puériles déclamations trop ordinaires aux 
gens d'église. Je crois même qu'on doit éviter d'ir- 
riter trop le clergé catholique : il faut dire le» Êdts 
sans les charger de réflexions' offensantes. Conce- 
vez , au contraire , un mémoire adressé aux éyê- 
ques de France en termes décents et respectueux , 
et où , sur des principes qu'ils n'oseraient désa- 
vouer , on interpellerait leur équité , leur charité , 
leur commisération, leur patriotisme, et même 
leur christianisme. Ce mémoire , je le sais bien , 
ne changerait pas leur* volonté ; mais il leur fefait 
honte de la montrer, et les empêcherait peut- 
être de persécuter si ouvertement et si durement 
nos malheureux frères. Je puis me tromper; voilà 
ce que je pense. Pour moi je n'écrirai point, cela 
ne m'est pas possible ; mais partout où mes soins 
et mes conseils pourront être utiles, aux opprimés, 
ils trouveront toujours en moi, dans leur mal- 
heur, l'intérêt et le zèle que dans les miens je 
n'ai trouvé chez personne. 

14. 



2131 CORRESrOJTDANCE. 



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LETTRE DVII. 

A M. LK COMTE CHARLES DE ZINZENUORF. 

Mollers, le ao octobre 1764. 

• 

J'avais résolu , monsieur , de vous écrire. Je suis 
fâché. que vous m'ayez prévenu; mais je n'ai pu 
trouver jusqu'ici le temps de chercher dans des 
tas de lettres la matière du mémoire dont vous vou- 
lie^^bien vous charger. Tout ce que je me rappelle à 
ce. sujet, est que l'homme en question s'appelle 
M. de Sauttersheim, fils d'un bourgmestre de Bude , 
et qu'il a été employé durant deux ans dans une 
des chambres dont sont composés à Vienne les 
différents conseils . de la reine. C'est un homme 
d'environ trente ans, d'une bonne taille, ayant 
assez d'embonpoint pour son âge, brun, portant 
ses cheveux , d'un visage assez agréable , ne man- 
quant pas d'esprit. Je ne sais de lui que des choses 
honnêtes , et qui ne sont point d'un aventurier. 

J'étais bien sur , monsieur , que lorsque vous 
auriez vu M. le prince de Wirtemberg f vous chan- 
geriez de sentiment sur son compte, et je suis 
bien sûr maintenant que vous n'en' changerez 
plus. Il y a long-temps qu'à force de m'inspirer du 
respect il m'a fait oublier sa naissance ; ou si je 
m'en souviens quelquefois encore , c'est poiu* ho- 
norer tant plus sa vertu. 

Les Corses , par leur valeur , ayant acquis l'indé- 



ANNÉE 1764. Îil3 

pendance , osent aspirer encore à la liberté. Pour 
l'établir, ils s'adressent au seul ami qu'ils lui con- 
naissent. Puisse-t-il justifier l'honneur de leur choix. 

Je recevrai toujours, monsieur, avec empres- 
sement, des témoignages de votre souvenir, 91 
j y répondrai de même. Ils ne peuvent que me rap- 
peler la journée agréable que j'ai passée avec vous, 
et nourrir le désir d'en avoir encore de pareilles. 
Agréez, monsieur, mes salutations et mon respect. 

Je suis bien aise que vous connaissiez M. Deluc; 
c'est un digne citoyen. Il a été l'utile défenseur de 
la liberté de sa patrie ; maintenant il voudrait cou- 
rir encore aprèsi cette liberté qui li'est plus: il 
perd son temps. 



LETTRE DWUh 

A MADAM£ XATOUR. 

A Motlers^ 1« a i octobre 1764. 

La fin de votre dernière lettre, chère Marianne, 
m'a fait penser que j epourrais peut-être vous obliger, 
en vous mettant à portée de me rendre un bon office. 
Voici de quoi il s'agit : Mon portrait, peint en pastel 
par M. de La Tour, qui m'en a fait présent, a été remis 
par lui à M. Le Nieps , rue de Savoie , pour me le faire 
parvenir. Comme je ne voudrais pas exposer ce bel 
ouvrage à être gâté • dans la route par des rou- 
liers, j^ai pensé que si votre bon papa était encore 
à Paris, et qu'il pût, sans incommodité, mettre la 



2l4 CORRESPOND A IVGK. 

caisse sur sa voiture, il voudrait bien peut-être , en 
votre faveur , se charger de cet embarras. Cepen- 
dant , comme il se présentera dans peu quelque 
autre occasion non moins favorable, je vous prie 
de ne faire usage de celle-K^i qu'en toute discrétion. 
Je rends justice à vos sentiments, chère Ma- 
rianne; je vous prie de la rendre aux miens, malgré 
mes torts; le premier effet des approches de l'hiver 
sur ma pauvre machine délabrée , un surcroît d'oc- 
cupations inopinément survenues, de nouveaux 
inconnue qui m'écrivent , de nouveaux survenants 
qui m'ârrivent, tout cela ne me permet pas d'es- 
pérer de mieux f;giire à l'avenir , et cela même est 
mon excuse. Si le tout venait de mon cœur , il fi- 
nirait ; mais venant de ma situation , il faut qu'il 
dure autant qu'elle. Au reste, à quelque chose mal- 
heur est bon : vous écrire plus souvent me serait 
sans doute une occupation bien douce , mais j'y 
perdrais aussi le plaisir de voir avec quelle prodi- 
gieuse variété de tours élégants vous savez me re- 
procher la rareté de mes lettres , sans que jamais 
les vôtres se ressemblent. Je n'en lis pas une sans 
me voir coupable squs un nouveau point de vue. 
En achevant de lire , je pense à vous , et je me 
trouve innocent. 



àNNSE 1764. ^l5 



LETTRE DIX. 

A MADAME P*"**. 

MotlerSy 14 octobre 1.764. 

J^ai reçu. V08 deux lettres, madame ; c'est avouer 
tous mes torts: ils sont grands, mais iBvplontai' 
res ; ils tiennent aux désagréments de mon état. 
Tous le$ jours. je voulais vous répondre, et tous les 
jours des réponses plus indispensables venaient 
renvoyer celle4à; car enfin, ayec la meilleure vo- 
lonté du monde , on ne saurait passer la vie à Sûre 
des réponses du matin jusqu'au soir. D'sâlleurs jç 
n'en connais point de meilleure aux sentiments 
obligeants dont vous m'honorez, que de tâcher d^n 
être digne, et de vous rendre ceux qui vous sont 
dus. Quant aux opinions , sur lesquelles vous me 
marquez que nous ne sommes pas d'accord , qu'au- 
rais-je à dire, moi qui ne dispute jamais avec per- 
sonne , qui trouve très-bon que chacun ait ses idées, 
et qui ne veux pas plus qu'on se soumette aux 
miennes que me soumettre à celles d'autrui ? Ce 
qui me semble utile et vrai , j'ai cru de mon devoir 
de le dire ; mais je n'eus jamais la manie de vouloir 
le faire adopter , et je réclamé pour moi la liberté 
que je laisse à tout le monde. Nous sommes d'ac- 
cord , madame , sur les devoirs des gens de bien , 
je n'en doute point. Gardons, au reste, vous vos 



ai6 GORBESPONDANGE. 

sentiments , moi les miens , et vivons en paix. Voilà 
mon avis. Je vous salue , madame avec respect et 
de tout mon cœur. 



LETTRE DX. 

A MADAME DE LUZE. 

MotierSy le 37 octobre 1764. 



Vous me faites, ipadame, vous et ipademoiselle 
Boadely , bien pU^ ci'|io9neur que je n'en mérite. 
Uy a long-tçi3çips que nies maiu^ et ma barbe grise 
m'avertissent que je n'ai plu^ le cfa-oit de braver la 
n^e et les frixn^s ppur aller voir les dames. J'ho- 
nore beaucoup mademoiselle Bondely , et je fais 
gl^and cas de spn éloqueiice ; inais elle me persua- 
dera 4iffîcUemapt que ^ parce qu'elle a toujours le 
printQinps avec elle , l'hii^er ?t ses glaces ne sont 
pas autpur de moi. lx>in de pouvoir en ce mondent 
faire d^ visites , je ne suia paa même en état d'en 
recevoir. Me yoilà coaune une marmotte, terré poiu* 
sçpt mois au ny>ins. $i j'arriv^ au bout de ce temps, 
ji'irai volontiers , madame ,. au milieu des fleurs et 
de la verdure , me réveiller auprès de vous ; mais 
maintenant je m'engourdis avec la nature .-jusqu'à 

ce qu'elle renaisse , je ne vis plus. 

à 



ANfrK£ 1764. ^*7 

LETTRE DXI. 

A MILOR.D MARECHAL. 

Motierâ-Traver^y le 39 octobre 1764- 

Je .voudrais , Milord , pouvoir supposer que vous 
n'avez point reçu mes lettres, je serais beaucoup 
moins attristé ; mais outre qu'il n est pas pos&ible 
qu'il ne vous en soit parvenu quelqu'iuie , si le cas 
pouyait être , les bontés dont vous m'honoriez vous 
auraient à vous-même inspiré quelque inquiétude; 
vous vous serie;^ informé de moi i vous m'aviiôez 
fait dire .au moins quelques mots par quelqu'un : 
mais poi^t; mille ge^s en .ce pays ont de. vos nou- 
velles, et je suis le seul oublié. Cela m'apprend mon 
malheur; mais, qui, m'en apprendra la cause? Je 
cesse de la chercher, n'en trouvant aucune qui soit 
digne de vous. 

Milord r^^ sentiments que je vous dois et que 
je vous ai voué^ dureront toute ma vie; je nepea- 
serai jamais à vous sans attendrissement; je vous 
regarderai toujours commemon protecteur et mon 
père. Mais cpmme je ne crains rien tant que d'être 
importun, et que je ne sais pas nourrir seid mpie 
correspondance, je cesserai de vous écrire jusqu'à 
ce que vous m'ayez permis de continuer. 

Daignez, Milord, je vous supplie, agréer mon 
profond respect. 



ai8 CORRESPONDANCE. 



LETTRE DXII. 

A M. THÉOI^ORE.ROUSSEAU. 

A Motlers, le 3i octobre 1764. 

Si j'avais, môAcher cousin, dh. mains, dix se- 
crétaires, une santé robAste et beaucoup de loisirs, 
je serais inexcusable envers vous , envers M. Chirol 
etbeauéoup d'autres ;mais ne pouvant suffire à tous, 
je -me borne aivc choses indispensables , et cjuant 
aux simples lettrés de souvenir, je m'en dispense, 
bieh sàr que mes parents et mes amis n^'ont pas 
besoin de ce téifaoignage du mien. Si j'avais pu faire 
ce que souhaitait M. Chirol, je l'aurais fait tout de 
suite; mais il m^a paru peu nécessaire de lui mar- 
quer que je ne le pouvais pas; je voudrais de tout 
mon cœùlE^pouvoir contribuer à ses avantages, mais 
je n'ai rieji à lui fournir pour imprimer. Quant à 
vous, mbYi cher cousin, j'espère que vous voudrez 
b}en' pardonner quelqiiè inexactitude dans mes 
réponses , qui marque bien plus la confiance que 
j'ai dans votre amitié,' que' l'âttiédisseinent de la 
mienne. Jç salue avec respect ma cousine votre 
mère , et vous embrasse , mon cher cousin , de tout 
mon cœur. 



ANNEE 1764* ^19 



LETTRE DXUL 

A MADEMOISELLE V. M. 

Motiers, le 4 novembre 1764* 

Si votre situation , mademoiselle , vous laisse à 
peine le temps de m'écrire , vous devez concevoir 
que la mienne m'en laisse encore moins pour vous 
répondre. Vous n'êtes que dans la dépendance de 
vos affaires et des gens à qui vom tenez ; et moi je 
suis dans celle de toutes les afEaires et de tout le 
monde, parce que chacun , me jugeant libi'é:^ veut 
par droit de premier occupant disposer de moi. 
D'ailleurs, toujours harcelé, toujours soiïfïrant, 
accablé d'ennuis , et dans im état pire que le vôtre , 
j'emploie à respirer le peu de moments qu'on me 
laisse ; je suis trop occupé pour n'être pas pares- 
seux. Depuis un mois je cherche un moment pour 
vous écrire à mon aise : ce moment ne vient point; 
il faut donc vous écrire à la dérobée , car vous m'in- 
téressez trop pour \ous laisser sans réponse. Je con- 
nais pende gens qui m'attachent davantage, et per- 
sonne qui m'étonne autant que vous. 

Si vous avez trouvé dans ma lettre beaucoup de 
choses qui ne cadraient pas à la vôtre , c'est qu'elle 
était écrite pour une autre que vouSi II y a dans 
votre situation des rapports si frappants avec celle 
d'une autre personne, qui précisément était à Neu- 
châtel quand je reçus votre lettre , que je ne doutai 



aaQ CORRESPONDANCE. 

point que cette lettre ne vînt d'elle ; et je pris 

change dans l'idée qu'on cherchait à me le don 

ner *. Je vous parlai donc moins sur ce que vous-^ 
me disiez de votre caractère, que sur ce qui m'était^i= 
* connu du sien. Je crus trouver dans sa manie de 
s'afficher, car c'est ujie savante et un bel esprit en 
titre , la raison du malaise intérieur dont vous me 
faisiez le détail : je commençai par attaquer cette 
manie, comme si c'eût été la vôtre, et je ne doutai 
poiiitqu'^ia VOU8 ramenant à vousrméme je ne w)us 
rapprochasse du repos , dont rien n'est plua éloi- 
gné , selon moi , que l'état d'une femme qui s'af- 
fiche. 

. Ui;ie lettre faite sur un pareil quiproquo doit 
contenir bien des balourdises. Cependant il y avait 
cela de bon daiis mon erreur , \]u'elle me donnait 
la clef de l'état moral de celle à qui je pensais écrire ; 
et, sur Cjet état supposé, je croyais entrevoir un pro- 
jet à suivre pour vous tirer des angoisses' que vous 
me décriviez, sans recourir aux distractions qui, 
selon voifô, eii sont le seul remède, et qui, selon 
moi , ne sont pas même un palliatif. Vous m'ap- 
prenez que je me suis trompé, et que je n'ai rien 
vu de ce que je croyais voir. Comment trouverais-je 
un remède à votre état, puisque cet état m'est in- 
concevable? Vous m'êtes une énigme affligeante et 
humiliante. Je croyais connaître le cœur humain , 

* Voyez la lettre précédente à mademoiselle D. M. , du 7 mai 
même ayodiéii. Qette méprise de Rousaeau vient de ce que la persomie 
à laqueUe il aY»}t adressé sa lettre du 7 ra^ , et celle à laquelle il 
répond ici, portaient toutes deux le même nom. Rien d'ailleurs n*a 
pu nous fiûre connaître Tune on Tautre. 



ANNKE 176/}. afti 

et je ne colanais rien au vôtre. Vous sonffrez , et 
je ne puis vous soulager. 

Quoi ! parce que rien d'étranger à vous ne vous 
contente , vous voulez vous fuir ; et , parce que vous 
avez à vous plaindre des autres , parce que vous 
les inéprisez , qu'ils vous en ont donné le droit , 
que vous sentez en vous une ame digne d'estime , 
vous ne voulez pas vous consoler avec elle du mé- 
pris que voits inspirent celles qui ne lui ressem- ^ 
blent pas ? Non ^ je n'entends rien à cette bizarrerie , 
elle me passe. 

Cette sensibilité qui vous rend mécontente de 
tout ne deyait-elle pas se replier sur elle-même? ne 
devait^Ue pas nourrir votre cœur d'un sentfanent 
sublime et délicieux d'amour-propre? n'a-t-on pas 
toujours en lui la ressource contre l'injustice et le 
dédommagement de l'insensibilité? 11 est si rare, 
^tes-vous, de rencontrer une ame. Il est vrai; mais 
comâient peut-on en avoir vue et ne pas se com- 
plaire avec elle? Si l'on sent, à la sonde, les autres 
étroites e^ resserrées, on s'en rebute , on s'en dé- 
tache ; mais après s'être si mal trouvé chez lés au- 
tres 4 quel plaisir n'a* t- on pas de rentrer dans sa 
maison ? Je sais combien le besoin d'attachement 
rend affligeante aux cœurs sensibles l'impossibilité 
d'en former; je sais combien cet état est triste : mais 
je sais qu'il a pourtant des douceurs; il fait verser 
des ruisseaux de larmes ; il donne une mélancolie 
qui nous rend témoignage de nous-mêmes, et qu'on 
ne voudrait pas ne pas avoir; il fait rechercher la 
solitude comme le seul asile où l'on se retrouve avec 



'^%% CORRESPONDANCE. 

tout ce qu'on a raison d'aimer. Je ne puis trop vous le 
redire , je ne connais ni bonheur ni repos dans Té- 
loignement de soi-même : et , au contraire , je sens 
mieux, de jour en jour-, qu'on ne peut être heu- 
reux sur la terre qu'à proportion qu'on s'éloigne 
des choses et qu'on se rapproche de soi. S'il y a 
quelque sentiment plitis deux que l'estime de soi<^ 
même , s'il y a quelque occupation-plus aimable que 
celle d'augmenter ce sentiment., je puis avoir tort ; 
mais voilà comme je pense r jugez sur cel^ s'il m'est 
possible d'entrer dans vos vues , et même de con- 
cevoir votre état. . 

Je ne puis m'empêcher d'espérer encore que vous 
vous trompez siur le principe de votre malaise, et 
qu'au Ueu de veiiir du sentiment qui réfléchit, sur 
vous-même , il vientau contraire de celui qui vous 
lie encore à votre insu aux choses dont vous* vous 
croyez détachée, et dont peut-être vous désespérez 
seulement de jouir. Je voudrais- que cela jfât, je 
verrais une prise pour agir ; mais , si vous accusez 
juste, je n'en. vois point. Si j'avais aotijieRœiéïit 
sous les yeux votre première lettre , et plus de loi- 
sït pour y réfléchir, peut-être parviendrais-je à vous 
comprendre ^ et je n'y épargnerais pas ma peine , car 
vous m'inquiétez véritablement ; mais cette lettre 
est noyée . dans des tas de papiers ; il me faudrait 
pour la retrouver plus de temps qu'on ne m'en 
laisse ; je suis forcé de renvoyer cette recherche à 
d'autres moments. Si l'inutilité de notre correspon- 
dance ne vous rebutait pas de m'écrire , ce serait 
vraisemblablement un moyen de vous entendre à 



ANNEE 1764* 2^3 

la fui. Mais jç ne puis.vpiis promettre p\ùs d'exac-^ 
ti tilde dans mes réponses que je ne suis en état d'y 
en mettre ; ce que je vous promets et que je tien- 
drai bien, c'est de m'occUpçr beaucoup de vous et 
de ne vous oublier d^ ma .vie. V(jtre dernière lettre, 
pleine de traits de .lumière et de sentiments pror 
fonds p m'affecte encore plus que la précédente. 
Quoi que vous en puissiez ^ixe ^ je croirai toujours 
qu'il ne tient qu'à celle qui l'a écrite de se plaire 
avec elle-même , et de se ^4édommagejr par là des 
rigueurs de son sort. 



%^%/^%'^/^^^/^^%«'%/^%^^^%<%/^%(^^%^^%iim/%i^^>^»^^^p%^^* 



LETTRE DXLV. 

, A M. pT**. 

■ MotierSy le 4 novembre 1764. 

Bien des remerciements , monsieur , dû Diction- 
naire pliilosoplùque. Il est agréable à lire; il y règne 
une bonne morale; il serait à souhaiter qu'elle fût 
dans le cœur de l'autcfur et dé tous les hommes. 
Mais ce même auteur est presque toujours de mau- 
vaise foi dans les extraits de l'Ecriture ; il raisonne 
souvent fort mal : et l'air de ridicule et de mépris 
qu'il jette sur des sentiments respectés des hommes, 
rejaillissant sur les hommes mêmes , me paraît un 
outrage fait à la société. Voilà mon sentiment , et 
peut-être mon erre.ur , que je me. crois permis de 
dire , mais que je n'entends faire adopter à qui que 
ce soit. 



224 CORRESPOJVDANCK. 

•, Je suis fort touché de ce xjue vous me marqtiez 
lie la part de monsieur et madame de BufGoti. Je 
suis biéii aise de vous avoir dit ce que je pensais 
de cet homme illustre ^vant que son souTenir ré- 
chaufFàt mes sentiçiénts pour Jui , afin d'avinr tout 
rhonneur de la justice que j'aime à luittendre /sans 
que mon ^pnour- propre s'en soit mêlé. -Se^s éçcits 
m'instruiront et me plairont toute ma vie. Je Iqi 
crois des égaux parmi ses contemporains en qua- 
lité de penseur et de philosophe ; mais en qualité 
d'écrivain je ne lui en connais point : c'est h plus 
belle plume de son. siècle; je ne doute point que 
ce ne soit là le jugement de la postérité. Un de mes 
regrets est de Savoir pas été à portée de le voir da 
vantage et de profiter de ses obligeantes invitations ; 
je sens combien ma tête et mes écrits auraient ga- 
gné dans son commerce. Je quittai Paris au moment 
de son mariage ; ainsi je n'ai point eu le bonheur 
de<;onnaitre madame de Buffon ; mais je sais qu'il 
â trouvé dans sa personne et dans son mérite Fai- 
mable et digne récompense du sien. Que Dieu les 
bénisse l'un et l'autre de Vouloir bien s'intéresser 
à ce pauvre proscrit ! lueurs bontés «ont une des 
consolations de. ma vie : qu'ils sachent, je vous en 
supplie , qiie je les honore et les aime de tout mon 
cœur. 

Je suis bien éloigné, monsieur, de renoncer 
aux pèlerinages projetés. Si la ferveur de la bota- 
nique vous dure encore , et que vous ne rebutiez 
pas un élève à barbe grise , je compte plus que 
jamais aller herboriser cet été sur vos pas; Mes 



.*-. 
.•'%.. 



ANf^ÉE 1764- '-2*^5 

pauvres Corses ont. bien maintenant d'autres af- 
Ëdres que d'aller jétablir l'Utopie au milieu d'eux. 
Vous sayez la marche des troupes françaises : il 
&ut voir ce qu'il en résultera. En attendant, il £siut 
gémirriDUt bas et aller herbixriser. 

YouÀ me rendez fier en .me marquant que ma« 
demoiselle B*** n'ose me venir • voir à cause -des 
bienséances de son sexe , et qu'elle a peur de moi 
comme d'un circoncis. Il y a plus de quinze ans 
que les. jolies femmes me faisaient en France l'af- 
front de me traiter comme un bon- homme sans 
conséquence , jusqu'à venir cUner avec moi tête- 
à - tête dans la plus insultante familiarité , jus- 
qu'à m'embrasser dédaigneusement devant tout le 
monde, comme le grand -père de leur nourrice. 
Grâces au ciel, me voilà bien rétabli dans ma di- 
gnité, puisque les demoiselles me font l'honneur 
de ne ra'oser venir voir. 

LETTRE DXV. 

A M. L'ABBÉ DE***. 
Motiers-Travert , le 1 1 novembre 1764. 

Vous voilà donc, monsieur, tout d'un coup de- 
venu croyant.. Je vous félicite de ce miracle , car 
c'en est sans doute un de la grâce, et la raison pour 
l'ordinaire n'opère pas si subitement. Mais , ne me 
£Edtes pas honneur de votre conversion , je vous 
prie ; je sens que cet honneur * ne m'appartient 
a. XX. j5 



aa6 CORRESPONDANCE. 

pcûnt. Un homme qui ne croit guère aux miracles 
n'est pas fort propre k hn ûdrç ; un homme qui 
ne dogmatise ni ne dispute n'est pas un :fort bon 
convertisseur. Je dis quelquefois mon avis quand 
on me le demande ^' .et que je crois que t'est à 
bonne intention; mais je n'ai point la fplie d'en 
vouloir £Eure une* loi pour d'autres, et quand ils 
m'en veulent faire une du leur ^ je m'en défends 
da mieux que je puis sans chercber à les con- 
vaincre. Je n'ai rien fait de plus avec vous. : ainsi, 
monsieur,. vous avez seul tout le mérite de votre 
résipiscence ) et je ne songeais sûrement poinUà 
vious catéchiser. 

Mais voici maintenant les scrupules qui s'élèvent 
lies vôtres m'inspirent du respect pour vos jseati- 
nents sublimes, et je vous avoue ingénument que, 
quant à moi, qpi marche un peu plus terre à terre, 
j'en serais beaucoup moins tourmenté. Je me di- 
rais d'abord que de confesser mes fautes est une 
chose utile pour m'en corriger , parce que , me fei- 
sant une loi de dire tout. et de dire vrai, je serais 
souvent retenu d'en commettre par la honte de 
les révéler. 

Il est vrai qu'il pourrait y avoir quelque embar- 
ras sur la foi robuste qu'on exige dans votre Église, 
et que chacun n'e^t pas maître d'avoir comme il 
lui plaîL Mais de quoi s'agit-il au fond dans cette 
affoire? du sincère désir de croire, d'une soumis- 
sion du cœur plus que de la raison : car enfin la 
nûson ne dépend pas de nous, mais la volonté, en 
dépend; et c'est par la seule volonté qu'on peut 



ÂNN^B 1764* * ^97 

être soumis ou rebelle à TÉglise. Je commencerais 
donc par me choisir pour confesseur un bon prêtre, 
un homme sage et sensé , tel qu'on en trouve par- 
tout quand on les cherche. Je lui dirais : Je vois 
l'océan de di£Scultés où nage l'esprit humain dans 
ces matières; le mien ne cherche point à s'y noyer; 
je cherche ce qui est vrai et bon ; je le cherche 
sincèrement ; je sens que la docilité qu'exige l'É- 
glise est un état désirable pour être en paix avec 
soi : j'aime cet état, j'y veux vivre; mon esprit 
murmure , il est vrai , mais mon cœur lui impose 
silence , et mes sentiments sont tous contre mes 
raisons. Je ne crois pas, mais je veux croire , et je 
le veux de tout mon cœur. SotuHis à* la foi mal- 
gré mes lumières, quel argument puis -je avoir à 
craindre? Je suis plus fidèle que si j'étais convaincu. 

Si mon confesseur n'est pas un sot, que voules- 
vous qu'il me dise ? Voulez - vous qu'il exige bête- 
ment de moi l'impossible ? qu'il m'ordonne de voir 
du rouge où je vois du bleu? H'me dira , Soumet- 
tez-vous. Je répondrai , C'est ce que je fais. Il priera 
pour moi , et me donnera Tàbsolution sans balan- 
cer ; car il la doit à celui (pxi croit de toute sa force , 
et qui suit la loi de tout son cœur. 

Mais supposons qu'un scrupule mal entendu le 
retienne , il se contentera de m'exhorter en secret 
et de me pMndre ; il m'aimera même : je suis sur 
que ma bonne foi lui gagnera le cœur. Vous sup- 
posez qu'il m'ira dénoncer à Toffîcial ; et pourquoi? 
qu'a-t-il à me reprocher? de quoi voulez-vous qu'il 
m'accuse? d'avoir trop fidèlement r^npli mon de- 

i5. 



9a8 GORRESFOlfDàNCfi. 

voir? Vous supposez un extravagant, un, fréné- 
tique ; ce n'est pas l'homme» que j'ai choisi. Vous 
supposez de plus un scélérat abominable que je 
peux poursuivre, démentir, faire pendre peut-être , 
pour avoir sapé le sacrement par sa base , pour avoir 
causé le plus dangereux scandale, pour avoir violé 
sans nécessité, sans utilité, le plus saint de tous les 
devoirs , quand j'étais si bien dans le mien , que je 
n*ai mérité que des éloges. Cette supposition ^ je 
ravoue^ une fois admise, parait avoir ses difficultés. 
Je trouve en général que vous les pressez en 
homme qui n'est pas fâché d'en faire ndtre. Si 
tdut se réunit contre vous , si les prêtres vous pour, 
suivent , si ïk peuple vous maudit , si la douleur fait 
descendre vos parents au tombeau, voilà, je l'a- 
voue , des inconvénients bien terribles pour n'avoir 

a 

pas voulu prendre en cérémonie un morceau de 
pain. Mais que faire enfin ? me demandez-vous. Là- 
dessus voici , monsieur , ce que j'ai à vous dire. 

Tant qu'on peut être juste et vrai dans la société 
des hommes, il est des devoirs difficiles sur les- 
quels un ami désintéressé peut être utilement con- 
sulté. 

Mais quand une fois les institutions humaines 
sont à tel point de dépravation qu'il n^est plus pos- 
sible d'y vivre et d'y prendre un parti sans mal£aiire, 
alors tm ne doit plus consulter personne ; il Êiut 
n'écouter que son propre cœur , parce qu'il est in- 
juste et malhonnête de forcer un honnête homme 
à nous conseiller le mal. Tel est mon avis. 
Je vous salue , monsieur, de tout mon cœur. 



AHfViE 1764- 2129 



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LETTRE DXVI. 

A M. HIRZEL\ 

II noyembre 1764. 

Je reçois , monsieur , avec reconnaissance , la se- 
conde édition du Socrate rustique^ et les bontés dont 
m'honore son digne historien. Quelque étonnant 
que soit le héros de votre livre , l'auteur ne Test 
pas moins à mes yeux. U y a plus de paysans res* 
pectables que de savants qui les respectent et qui 
l'osent dire. Heureux le pays où des Klyioggs cul- 
tivent la terre , et où des Hirzels cultivent les let- 
tres! l'abondance, y règne et les vertus y sont en 
honneur. 

Recevez-, monsieur , je vous supplie, mes remer- 
ciements et mes salutations. 

* Jean-Gaspard Hîrzely médecin à Zaïich, mort en iSo3, s'eti 
acquis une juste oéLébrité dans sa patrie par des ooiinaîssances ra- 
riées , par des établissements utiles , et par un zèle ardent pour to 
bien public. Son goût pour l'agricultore, et le désir d'acquérir dans 
cet art des connaissances positives, le conduisirent cbez un culti- 
vateur des environs de Zurich, nommé Jacques Gujer, et conna 
dans le paya sous le nom de Klpagg ( Petit- Jacques ), philosophe 
praticien , et s*occupant d'économie rurale et domestique en. obser- 
vateur aussi sage qu'éclairé. Rousseau avait déjà reçu, sur cet 
homme respectable , des détails qui l'avaient vivement intéressé , 
comme on en peut juger par deux de ses lettres précédentes, à 
M. Huber, a 4 décembre 1761 , et an prince de Wirtomberg, i5 avril 
1764. Le spectacle qu'offrirent au médecin Hinel la fiimille, les 
procédés et les travaux de Gujer, lui donna l'idée de son Socntie 
rustique f ou Description de la conduite -économique et morale d'un 
paysan philosophe^ livre qui a été trad^iit dans presque fontes les lan-^ 



a3o COAAEâPOKDAjyCË. 



' LETTRE DXVIL 

A M. DE MALESHERBES. 
Motien'TraTers, par Pontarlier, le ii novembiift 1764* 

J'use rarement, monsieur, de la permission que 
•vous m'avez donnée de vous écrire; mais les mal- 
heuwiix doivent être discrets. Mon cœur n'est pas 
plus ëhangé que mon sort ; et , plongé dans un 
abîme de maux dont je ne sortirai de ma vie,. j'ai 
beoia sentir mesmisères, je senstoujouK vos bontés- 

En apprenant votre retraite , monsieur, j'ai plaint 
tes gens de lettres ; mais je vous ai félîçitê*. En ces- 
sfl(ht d'être à leur tête par votre place ,*^vous y serez 
toujours par vos talents; par eux , vous embellissez 
votre atoe et Votre asile. Occupé* des charàiai lie 

gaeê de rJEurope. La traduction firançaUe est de Frey Deslandres , 
officier Musse y 1763, in-ia, et a été plnsieura fois réimprimée. La 
meillMirv édition de cette traduction est odie de Loasanne, 1777 » 

*' MalotherbeSy premier président de la Cour des Aides, et qui 
coMMTVS cette présidence jusqa*en 177 5 , ayait de plus lu direction 
d« la librairie y et c'est de cette direction qu*il est question ici. Mais 
dam l'intéressante Notice qu'a donnée M. Dubois sur Malesherbes , 
on lit (ptt^B 55 de la troisième édition) que ce fut au mois de dé" 
cmmhm 17 69, qu'il cessa d'avoir cette direction. Or cette date, qui 
d'aitlenra esc certaine , ne s'accorde pas arec la date de la lettre de 
Ronusem i date qui n^est pas plus susceptible d'être contestée , puis- 
^'il j {MOrle des Lettres de la montagne qu'il 'vient de /aire imprimer en 
H&iUuÊdêj impression qui xéellem^t eut lieu en 1764. Il en résulte 
que "RaoÊÊtOLU f féUeit<mt Malesherbes sur sa retraite comme directeur 
de la librairie, n'en parle en cet instant que sur un ouï-dire , qui ne 
liit confinné par l'événement que qwttre ans après» 



▲KiriK 1764. a3i 

la littérature , vous n'êtes plus forcé d'en yoir les 
calamités : vous philosophez plus à votre aise , et 
votre cœur a moins à soufirir. C'est un moyaii 
d'émulation , selon moi , bien plus sûr , bien plot 
digne , d'accueillir et distinguer le mérite à Malm- 
herbes que de* le protéger à Paris. 

Où est-il ^ où ést-il , ce château de Iftalesherbes , 
que j'ai tant désiré de voir ? les bois , les jardina , 
auraient maintenant un attrait de plus pour moi 
dans le nouveau goût qui me gagne. Je suis tenté 
d'essayer de la botanique , non comme vous , mton- 
sieur , en grand et comme une branche de l'his- 
toire naturelle, mais tout au plus en garçon apo- 
thicaire, pour savoir £ûre ma tisane et mes bouillons. 
C'est le véritable amusement d'un soUtaire qui se 
promène et, qui ne veut penser à rien. Il ne me 
vient jamais une idée vertueuse et utile, que je ne 
voie À côté de moi la potence où l'échaÊiud: avec 
un Linnaeus dans la poche et du foin dans la tété , 
j'espère qu'on ne me pendra pas. Je m'attends à 
faire les progrès d'im écolier à barbe grise : mais 
qu'importe ? Je ne veux pas savoir , mais étudier ; 
et cette étude , si conforme à ma vie ambulante , 
m'amusera beaucoup et me sera salutaire : on n'é- 
tudie pas toujours si utilement que cela. 

Je viens , à la prière de mes anciens concitoyens , 
de faire imprimer en Hollande une espèce de ré- 
futation des Lettres de la campagne, écrit que peut- 
être vous aurez vu. Le mien n'a trait absolument 
qu'à la procédure faite à Genève contre moi et à 
ses suites : je n'y parle des Français qu'avec éloge , 



a3!l CORAESPOSTDANCE. 

dé la médiation de la France qu'avec respect ; il 
v^ a pas an mot contre les catholiques ni leur 
dergé; les rieurs y sont toujours pour lui contre 
né^ ministres. Enfin cet ouvrage aurait pu s'impri- 
mer à Paris avec privilège du roi , et le gouverne- 
ment aurait dû en être bien aise. M. de Sartine en 
a défendu l'entrée. J'en suis fâché , parce que cette 
défense me met hors d'état de faire passer sous vos 
yeox cet écrit dans sa nouveauté, n'osant, sans votre 
permission , vous le faire envoyer par la poste. 
* i^réez , monsieur , je vous supplie , mon profond 
respect 

' On dit que la raison pour laquelle M. de Sartine 
a défendu l'entrée de mon ouvrage , est que j'ofee 
m'y justifier contre l'accusation d'à wir rejeté les 
miracles. Ce M. de Sartine m'a bien l'air d'un 
homme qui ne serait pas iaché de mb faire pendre ^ 
uniquement pour avoir prouvé que je ne méritais 
pas d'être pendu. France, France, Vùus dédaignez 
" trop dans votre gloire les hommes qui vous aiment 
et qui savent écrire! (Quelque méprisables qu'ils 
vous paraissent, ce serait toujours plus sagement 
fait de ne pas les pousser à bout. < 






▲ NNJÉE 1764* l33 

p .1 

LETTRE DXVIII. 

A M. LE PRINCE t- £• DE WÀTEBIBERG 

Motiers, le x$ noyemlire lyCri 

Il est certain que vos vers ne sont pas bons , et 
il est certain de plus ^ que, si vous vous piquiez 
d'en faire de tels ou même de vous y trt>p bieo 
connaître , il faudrait vous dire comme un musicien 
disait à Philippe de Macédoine , qui critiquait ses 
airs de flûte : A Dieu ne plaise , sire , que ^tu saches 
ces choses-là mieux que moi ! Du reste , quand t>n 
ne croit pas'feire de bons verCb, il est toujours 
permis d'en^ iaire , pourvu qu'on ne les estime que 
ce qu'ils valent , et qu'on neles montre qu'à ses 
amis. 

Il y a bien éa temps que je n'ai des nouvelles 
de nos petites élèves , de leur digne précepteur , et 
de leur aimable gouvernante. De grâce, une pe» 
tite relation de l'état présent des choses. J'aime à 
suivre les progrès de ces chers enfants dans tout 
leur détail. 

Il est vrai que les Corses m'ont feit proposer de 
travailler à leur dresser un plan de gouvernement. 
Si ce travail est au-dessus de mes forces , il n'est pas 
au-dessus de mon zèle. Du reste , c'est une entre- 
prise à méditer long-temps , qui demande bien des 
préliminaires; et avant d'y songer il faut voir d'a- 
bord ce que la France veut fajjre de ces pauvres 



a34. GOUAESPONDANGE. 

gens. £n attendant , je crois que le général Paoli 
iriérite l'estime et le respect de toute la terre , puis- 
qu'étant le maître il li'a pas craint de s'adresser à 
quelqu'un qu'il sait bien , la guerre exceptée , ne 
vouloir laisser personne au-dessus des lois. Je suis 
prêt kf consacrer ma vie à leur service ; mais , pour 
ne pas m'exposer à perdre mon temps, j'ai débuté 
par , toucher l'endroit sensible. Nous verrons ce 
que cela produira. 



LETTRE DXIX. 

A M. lyiVERNOIS. 

MotierSy le a 9 noyembre 1764- 

Je m'aperçois à l'instant, monsieur, <l'un qui- 
piroquo que je viens de fiure, en prenant dans 
vbtre lettre le 6 décembre pour le 6 janvier. Cela 
me 'donne l'espoir de vous voir un mois pkis tôt 
que je n'avais cru , et je prends le parti de vous 
l'écrire, de peur que vous n'imaginiez peut-être 
soi ma lettre d'aujourd'hui que je voudrais ren- 
voyer aux Rois votre visite , de quoi je serais bien 
fôché. M. de Payraube sort d'ici ,* et m'a apporté 
votre lettre et vos nouveaux cadeaux. Nous avons 
pour le présent beaucoup de comptes à faire , et 
d'autres arrangements à prendre pour l'avenir, 
{^aujourd'hui en huit donc, j'attends monsieur, 
le plaisir de vous embrasser ; et en attendant je 
vous souhaite un bon voyage et vous salue de 
tout mon cœur. 



MMAi 



ANNÉE 1764. a35 



LETTRE DXX. ' 

^ A M. DU PEYROU. 

Motîers • le a 9 noyembre .1 76 4* 

Le temps et mes tracas ne me permettent pas i 
monsieur , de répondre à présent à votre dernière 
lettre , dont plusieurs articles m'ont ému et 
pénétré^ : je destine uniquement celle-ci à tous 
consulter sur un article qui m'intéresse , et sur le^ 
quel je vous épargnerais cette importunité , si je 
connaissais quelqu'un qui me parût plus digne 
que vous de toute ma confiance. 

Vous savez que je médite depuis long-temps de 
prendre le dernier congé du public par une éditi<Mi 
générale de mes écrits, pour passer dans la retraite 
et le repos le reste des jours qu'il plaira à la Pro- 
vidence de me départir. Cette entreprise doit m'as» 
surer du pain , sans lequel il n'y a ni repos , ni liberté 
parmi les hommes : le recueil sera d'ailleurs le ma* 
nument sur lequel je compte obtenir de la posté- 
rité le redressement des jugements iniques de 
mes contemporains. Jugez par là si je dois regar* 
der comme importante pour moi une entreprise 
sur laquelle mon indépendance et ma réputation 
sont fondées. 

Le libraire Fauche , aidé 4^un associé , jugeant 
que cette affaire lui peut être avantageuse , désire 
de s'en charger; et, pressentant l'obstacle que la 



a36 GORRESPOirDANCE. 

pédanterie de vos ministraux peut mettre à son 
exécution dans Neuchâtel , il projette , en suppo- 
sant l'agrément du Conseil d'état, dont pourtant 
je doute, d'établir son imprimerie à Motiers, ce 
qui me serait très-commode; et il est certain qu'à 
considérer la chose en homme d'état, tous les 
membres du gouvernement doivent favoriser cette 
entreprise qui versera peut-être cent mille écus 
dans le pays. 

Cet agrément donc supposé ( c'«st son affaire ) , 
il reste à savoir si ce sera la mienne de consentir 
à. cette proposition , et de me lier par un traité en 
forme. Voilà , monsieur , sur quoi je vous consulte. 
Premièrement,- croyez-vous que ces gens-là puis- 
sent être en état de consommer cette affaire avec 
honneur , soit du côté de la dépense , soit du côté 
de l'exécution ? car l'édition que je propose de 
£Edre, étant destinée aux grandes bibliothèques, 
doit être un chef-d'œuvre de* typographie , et je 
n'épargnerai point ma peine pour que c'en soit un 
de correction. En second Ueu, croyez-vous que les 
engagements qu^ils prendront avec moi soient as- 
sez sûrs pour que je puisse y compter, et n'avoir 
plus de souci là-dessus le reste de ma vie ? En sup- 
posant que oui , voudrez-vous bien m'aider de vos 
soins et de vos conseils pour établir mes sûretés 
sur un fondement soUde ? Vous sentez que mes 
infirmités croissant, et la vieillesse avançant par- 
dessus le marché , il ne faut pas que , hors d'état 
de gagner mon pain , je m'expose au danger d'en 
manquer. Voilà l'examen que je soumets à vos lu- 



ANNÉE 1764. ^37 

mières , et je voifs prie de vous en occuper par 
amitié pour moi. Votre réponse, moi\sîetir, ré^ 
glera la mienne. J'ai promis de la donner dans 
quinze jours. Marquez-moi , je vous prie , avant ce 
temps-là , votre sentiment sur cette affîûre ,- afin 
que je puisse me déterminer. 



LETTRE DXXI. 

A M. DUCLOS. 

Motiers, le 3 décembae 1764. 

Je crois , mon chet ami , qu'au point où nous en 
sommes , la rareté des lettres est plus une marque 
de confiance que de négligence : votre silence 
peut ln'inquiéte^ sur votre santé, mais non sur 
votre amitié, et j'ai lieu d'attendre de vous la 
même sécurité sur la mienne. Je suis errant tout 
l'été , malade tout l'hiver, et en tout temps si sur* 
chargé de désœuvrés , qu'à peine ai-je un moment 
de relâche pour écrire- à mes amis. 

Le recueil fait par Duchesne est en efïet incom- 
plet , et, qui pis est , très-fautif ; -mais il n'y manque 
rien que vous ne connaissiez , excepté ma réponse 
aux Lettres écrites de la campagne , qiii n'est pas 
encore publique. J'espérais vous la faire remettre 
aussitôt qu'elle setmt à Paris ; mids on m'apprend 
que M. de Sartine en a défendu l'entrée , quoique 
assurément il n'y ait pas un mot dans cet ouvrage 
qui puisse déplaire à la France ni aux Français , et 



!»38 GORRESPOUDANCE. 

que le clergé catholique y ait à son tour les rieurs 
au dépens du nôtre. Malheur aux opprimés! sur- 
tout quand ils le sont injustement, car aloit^ ils 
n'ont pas même le droit de se plaindre ; et je ne 
serais pas étonné qu'on me fît pendre uniquement 
pour avoir dit et prouvé que je ne méritais pas 
d'êtife idécrété. Je pressens le contre-coup de cette 
défense en ce pays. Je vois d'avance le parti qu'en 
vont tirer mes implacables ennemis, et surtout 
ipse dolifabricator Epeus. 

J'ai toujours le projet de figure enfin moi-même 
un recueil de mes écrits, dans lequel je pourrai 
fidre entrer quelques chiffons qui sont encore en 
manuscrits, et entre autres le petit conte ^ dont 
'Vous parlez, puisque vou3 jugez qu'il en vaut la 
peine. Mais outre que cette entreprise m'efifraie , 
surtout dans l'état où je suis^ je ne sais pas trop 
où la faire. En France il n'y faut pas songer. La 
Hollande est trop loin de moi. Les libraires <ie ce 
pays n'ont pas d'assez vastes débouchés pour cette 
entreprise, les profits en sçraientpeu de chose ,pt je 
vous avoue que je n'y songe que pour me procurer 
du pain durairtle reste de mes malheureux jourS', ne 
me sentaAt plus en état d'en gagner. Quant aux 
mémoires de ma vie, dont vous .pariez, ils sont 
trop diffîdles à Badre.sflns compromettre personne ; 
pour y song^ , il fiuit plus de tranquillité qu'on 
ae m'en laisse, et que je n'en aurai probablement 
jaipaôs : si je vis touteiPois, je n'y renonce pas. Vous 

* Ia Beine fantaïqne. 



éLWÉE 1764- ^39 

avez toute ma confiance , mais vous sentez qu'il y 
a des choses qui ne se disent pas de si loin. ' 

Mes courses dans nos montagnes , si riches en 
plantes, m'ont donné du goût pour la botanique: 
cette occupation convient fort à une machine am- 
bulante à laquelle il est interdit de penser. Ne 
pouvant laisser ma tête vide , je la veux empaillèp ; 
c'est de foin qu'il &ut l'avoir pleine pôfir être 
libre et vrai , sans crainte d'être décrété. J'ai l'avan* 
tage de ne connaître encore que dix plantes , en 
comptant l'hysope ; j'aurai long-temps du plaisir à 
prendre avant d'en être aux arbres de nos forêts* 

J'attends avec impatience votre nouvelle é(btion 
des CansidercUions sur les mœurs. Puisque vous ave^ 
des facilités pour tout le royaume ^ adressez le. pa«' 
quet à PontarUer , à moi directement , ce qui suffît ; 
ou à M. Junet , directeur des postes ; il me le fera 
parvenir. Vous pouvez aussi le remettre à Du- 
chesne , qui me le fera passer avec d'autres envois. 
Je vous demanderai même j sans façon , de £ûre re-. 
lier l'exemplaire , ce que je ne puis &ire ici sang le 
gâter; je le prendrai secrètem^it dans ma. poché 
en allant herboriser ; et , quand je ûe verrai point 
d'aroher^ autour de moi, j^'y jetterai les yeux à la 
dérobée. Mon cher aini ^ comment £idtes-vous pour 
penser , être honnête homme , et ne vous pas £ûre 
pendre ? Cela me parait difficile , en vérité. |e yx>ua 
embrasse de tout'mon coeur. 



s4o CORRESPOND A.NGE. 



LETTRE DXXII. 

A MILORD MARÉC HAL. 

8 décembre 1764. 

• • • . 

ISùr la dernière lettre, Milord, que vous avez 
dû recevoir de mol , vous aurez pu juger du plai- 
sir que m'a causé celle dont vous m*avez honoré 
le a4 octobre. Vous m'avez fait sentir un peu cruel- 
lement à quel point je vous suis attaché , et trois 
mois^de sijence de votre part m'ont plus affecté 
et navré que né fit le décret du Conseil de Genève. 
Tant de malheurs ont rendu mon cœur inquiet , 
et je craies toujours de perdre ce que je désire si 
ardemment de conserver. Vous étés mon seul prô- 
teèteur, lé seul homme à qui j'aie* de véritables 
obligations, le seul ami sur lequel je compte, le 
éemier auquel je me sois attaché, et auquel il n'efl 
succédera jamais d'autres. Jugez sur cela si. vos 
bontés me sont chères , et si votre oubli m'est fa- 
die à supporter. 

Je suis faché que:,vous ne puissiez habiter votre 
maison que danS' un an. Tant qu'on en est encofé 
aux châteaux en Espagne, toute habitation nous 
est ))onné en attendant ; mais "quand enfin l'expé- 
rience et la raison nous ont appris qu'il n'y a dé 
véritable jouissance que celle de soi-même, un 
logement commode et un corps sain deviennent 
lés seuls biens de la vie, et dont le prix se fait sen- 



. 1 ■ 



ANNÉE 1764. a4l 

tir de jour en jour, à mesure qu'on est détaché 
du reste. Comme il n'a pas fallu si long-temps pour 
faire votre jardin, j'espère que dès à présent il 
vous amuse , et que vous en tirez déjà de quoi 
fournir ces oilles si savoureuse^ , que, sans être 
fort gourmand, je regrette tous les jours. 

Que ne puis-je-m'instruire auprès de vouftCJAns 
une culture plus utile, quoique plus ingrate! Que 
mes bons et infortunés Corses ne peuvent-ils, par 
mon entremise, profiter de vos longues et pro- 
fondes observations sur les hommes et les gouver- 
nements! mais je suis loin de vous. N'importe; sans 
songer à l'impossibilité du succès , je m'occuperai 
de ce3 pauvres gens comme si mes rêveries leur 
pouvaient être utiles. Puisque je suis dévoué aux 
chimères , je veux du moins m'en forger d'agréables. 
En songeant à ce que les hommes pourraient être , 
je tacherai d'oublier ce qu'ils sont. Les Corses sont, 
comme vous le dites fort bien , plus près de cet 
état désirable qu'aucun autre peuple. Par exemple , 
je ne crois pas que la dissolubilité des mariage», 
très-utile dans le Brandebourg , le fût de long-temps 
en Corse , où la simplicité des moeurs et la pau- 
vreté générale rendent encore les grandes passions 
inactives et les mariages paisibles et heureux. Les 
femmes sont laborieuses et chastes; les hommes 
n'ont de plaisirs que dans leur maison : dans cet 
état , il n'est pas bon de leur faire envisager comme 
possible une séparation qu'ils n'ont nulle occasion 
de désirer. 

Je n'ai point encore reçu la lettre avec la tra- 



action de Fletcher que vous m'annoncez. Je l'at- 

dndais pour vous écrire; mais, voyant que le 

>aquet ne vient point, je ne puis différer plus 

ong-temps. Milord , j'ai le cœur plein de vous sans 

cesse. Songez quelquefois à votre fils le cadet. 

LETTRE DXXIII. 

A M. DU PEYROU. 

Le 8 décembre 1764- 

Quoique les af&ires et les visites dont je suis ac- 
cablé ne me laissent presque aucun moment à 
nioi , et que d'ailleurs celle qui m'occupe en ce mo- 
ment me rc^nde nécessair^d'en délibérer avec vous, 
monsieur, puisque vous y consentez , ne pouvant 
me ménager du temps pour suffire à tout, je donne 
la préférence au soin de vous tranquilliser sur ce 
terrible B qui vous inquiète , et qui vous a para 
suffisant pour effacer ou balancer le témoignage 
de tous mes écrits et de ma vie entière , sur les sen- 
timents que j'ai constamment professés et que je 
professerai jusqu'à mon dernier soupir. Puisqu'une 
seule lettre de l'alphabet a tant de puissance il faut 
croire désormais aux vertus des talismans. Ce B 
signifie Bon y cela est certain; mais comme vous 
m'en demandez l'explication, sans me transcrire 
les passages auxquels il se rapporte, et dont je 
n'ai pas le moindre souvenir , je ne puis vous sa- 
tisfaire que préalablement vous n'ayez eu la bonté 



. ANNÉE 1764. 243 

de m'envoyer ces passages , en y ajoutant le sens 
que vous donnez au B qui vous inquiète; car il 
est à présumer que ce sens n'est pas le mien. 
Peut-être alors , en vous développant ma pensée , 
viendrai-je à bout lie vous édifier sur ce point. 
Tout ce que je puis vous dire d'avance est que 
non-seulement je ne suis pas matérialiste, mais 
que je ne me souviens pas même d'avoir été un 
seul moment de ma vie tenté de le devenir. Bien 
est-il vrai que sur un grand nombre de proposi* 
tions, je suis d'accord avec les matérialistes, et 
celles où vous ayet vu des B sont apparemment de 
ce nombre; mais il ne s'ensuit nullement que ma 
méthode de déduction et la leur soient la même, 
et me conduise aux mêmes conclusions. Je ne 
puis, quant à présent^ vous en dire davantage, et 
il faut savoir sur quoi roulent vos difficultés 
avant de songer à les résoudre. En attendant, 
j'ai des excuses à vous faire du souci que vous a 
causé mon indiscrétion , et je vous promets que 
si jamais je suis tenté de barbouiller des marges de 
livres , je me souviendrai de cette leçon. 



LETTRE DXXIV. 

T 

A M. LALIAUD. 

Motiers, le 9 décembre 1764- 

* 

Je voudrais , monsieur , pour contenter votje 
obligeante Ëmtaisie, pouvoir vous envoyer le prô- 

16. 



a44 CORBESPONDANCE. 

fil que vous me demandez ; mais je ne suis pas en Ueu 
à trouver aisément (idék{u'un qui le sache tfiftiber. 
J'espérais me prévaloii^pour cela de la visite qu'un 
graveur hollandais , qui va s'établir à Morat , avait 
dessein de me faire ; mais il vient de me marquer 
que des affaires indispensables ne lui en laissaient 
pas le temps. Si M. Liotard fait un tour jusqu'ici , 
comme il paraît le désirer , c'est une autre occa- 
sion dont je profiterai pour vous complaire , pour 
peti que l'état cruel où je suis m'en laisse le :pou* 
voir. Si cette seconde occasion me manque, je 
n'en vois pas de prochaine qui puisse y suppléer. 
Au Ireste , je prends peu d'intérêt à ma figure , j'en 
prends peu-même à mes livres ; mais j'en prendsbeau- 
coup à l'estime des honnêtes gens, dont les cœurs 
ont lu dans le mien. C'est dans le vif amour du juste 
et du vrai , c'est dans des penchants bons et hon- 
nêtes , qui sans doute m'attacheraient à vous , que je 
voudrais vous faire aimer ce qui est véritablement 
moi, et vous laisser de mon effigie intérieure un 
souvenir qui vous fut intéressant. Je vous salue , 
monsieur, de tout mon cœur. 



LETTRE DXXV. 

A M. ABAUZIT, 

Kn loi envoyant les Littr£s de t.a moktagxk. 

MotierSy le 9 décembre 1764. 

^jtt^aignez, vénérable Abauzit, écouter mes justes 
pKdntes. Combien j'ai gémi que le Conseil et les 



\NKEE 1764- .î*45 

ministres de Genève* m'aient mis en droit de leur 
dire des vérités si dur^s! JÉSife puisque enfin je leur 
dois ces vérités ^ je veux pq^er ma dette. Ils ont 
rebuté mon respect, ils auront .désormais toute 
ma franchise. Pesez mes rasons et prononcez. Ces 
dieux de chair ont pu me punir si j'étais coupable ; 
mais si Caton m'absout , ils n'ont pu que m'oppri- 
mer. 



LETTRE DXXVI. 

. A M. DE MONTPEROUX, 

RÉSIDENT T\X. ORANGE A GENiVE. 

MôtîétSy le 9 décemBre 1764. 

L'écrit, monsieur, qui vous est présenté de ma 
part, contient mon apologie et celle de nombre 
d'honnêtes gens offensés dans leurs droits par l'in- 
fraction des miens. La place que vous remplissez , 
monsîieur , et vos anciennes bontés pour moi , m'en- 
gagent également à mettre sous vos yeux cet écrit.» 
Il peut devenir une des pièces d'un procès au ju- 
gement duquel vous présiderez peut-être. D'ailr 
leurs , aussi zélé sujet que bon patriote , vous ai- 
merez me voir célébrer dans ces lettres * le plus 
beau monument du règne de Louis xv , et rendre 
aux Français , malgré mes n^alheurs , toute la justice 
qui leur est due. 

Je vous supplie , monsieur , d'agréer mon respe|^t. 

' Les Lettres de la montage. 



^46 CORRESPOND /lUrCE. 




LE.TTftË DXXVII. 

A M. DU PEYROU. 

ta* 

* Motlers, le i3 décembre 1764* 

Je vous parlerai maintenant , monsieur , de mon 
afSûre , puisque vous Voulez bien vous charger de 
m€» intérêts. J'ai revu mes gens : leur société est 
augmentée d'un libraire de France, homme en- 
tendu, qui aufa l'inspection de la partie typogra- 
phique. Ils sont en état de faire les fctnds néces^ 
saire& sans avoir besoin de souscription, et c'est 
d'ailleurs ime voie à laquelle je.fieb consentirai ja- 
mais par de très-bonnes raisons, trop longues à 
détaiHer dans une lettre. 

En <X)mbinant toutes les parties de Fentreprise, 
et arupposant un plein succès , j'estime qu'elle doit 
donner un profit net de cent mille francs* Poiïr 
aller d'abord au rabais , réduisons-le à cinquante. 
Je crois que, sans être déraisonnable, je puis por- 
ter mes prétentions au -quart de cettç somme; 
d'autant plus que cette entreprise demande de ma 
part un travail assidu de trois ou quatre ans , qui 
sans doute achèvera de m'épuiser , et me coûtera 
plus de peine à préparer et revoir mes feuilles que 
je n'en* eus aies composer. 

Sur cette considération, et laissant à part celle 
djGiL profit, pour ne songer qu'à mes besoins, je 
vois que ma dépense ordinaire depuis vingt ans a 



f AifnÉE 1764. ^47 

été, Vuh dans l'autre, de soixante louis par an. 
Cette dépense deviendra' aloindre lorsqu'absolu- 
ment séquestré du public 'Je'be serai plus accablé 
de ports de lettres et de visites , qui , par la loi dé 
l'hospitalité^ me. forcent d'avoir une table p^ur 
les survenants. 

Je pars jde ce petit calcul pour fixer ce qui m'est 
nécessaire pour vivre en paix le reste de mes jours , 
sans manger le pain de personne ; résolution for- 
mée depuis long-temps, et dont, quoi qu'il arrive, 
je ne me départirai jamais. 

Je compte pour ma part sur un fonds de dix à 
douze mille livres; et j'aime mieux ne pas faire l'en- 
treprise s'il faut me réduire à moins, parce qu'il 
n'y a que le repos du reste de mes jours que je 
veuille acheter par quatre ans d'esclavage. 

Si ces messieurs peuvent me faire cette somme, 
mon dessein est de la placer en rentes viagères; 
et, puisque vous voulez bien vous charger de cet 
emploi , elle vous sera comptée , et tout est dit. Il 
convient seulement, pour la sûreté de la chose, 
que tout soit payé avant que l'on commence l'im- 
pression du dernier volume , parce que je n'ai pas 
le temps d'attendre le dfébit de l'édition pour as- 
surer mon état. 

Mais comme une telle somme en argent comptait 
pourrait génêr les entrepreneurs, vu les grandes 
avances qui leur sont nécessaires , ils aimeront 
mieux me faire une rente viagère ; ce qui , vu mdli 
âge et l'état de ma santé , leur doit probablement 
tourner plus à compte. Ainsi , moyennant des su- 



a4& CO&R£SPOni>AIfC£. 

retés dont VOUS soyez content, j'accepterai la'r^ite 
viagère , sauf une somme en argent comptant lors- 
qu'on commencera l'édition ; et , pourvu que cette 
somme ne soit pas moindre que cinquante ioui^, 
je m'en contente, en déduction du capital dont 
on me fera la rente. 

Voilà , monsieur ^ les divers arrangements dont 
je leur laisserais le choix si je traitais directement 
avec eux : mais , comme il se peut que je me 
trompe, ou que j'exige trop , ou qu'il y ait quelque 
meilleur parti à prendre pour eux ou pour moi , 
je n'entends point vous donner en cela des règles 
auxquelfôs vous deviez vous tenir dans cette négo- 
ciation. Agissez pour moi comme un bon tuteur 
pour son pupille ; mais ne chargez pas ces mes- 
sieurs d'un traité qui leur soit onéreux. Cette-en- 
treprise n'a de \eur part qu'un objet de profit, 
il £giut qu'ils gagnent; de. ma part elle a un autre 
objet, il suffît que je vive; et , toute réflexion faite, 
je puis bien vivre à moins de ce que je vous ai 
marqué. Ainsi n'abusons pas de la résolution où 
ils paraissent être d'entreprendre cette affaire à 
quelque prix que ce so^fc i;, comme tout le risque 
demeure de leur, côté j'ISfâfoit être compensé par 
les avantages. Faites l'accord dans cet esprit, et 
soyez sur que de ma part il sera ratifié. 

Je vous vois avec plaisir prendre cette peine : 
voilà, monsieur, le seul compliment que je vous 
ferai jamais. 



AKJSFEK 1764^ ^49 

LETTRE DXXVIII. 

iLMADÀME LATOUR. . 

A Motlertf, le i^ décembre 1764- 

Je n'ai pas eu, chère Marianne, en recevant 
mon portrait, que M. BregUet a eu la bonté dé 
m'envoyer , le plaisir (jue vous m'annonciez de le 
recevoir lui-même. îja fatigue, le mauvais temps 
qu'il a eu durant son voyage ^ l'ont retienu malade 
dans sa maison ; et moi, depuis deux mois etifermé 
dans là mienne , je suis hors d'état d'aller le re- 
mercier, et lui demander un peu en détail de vos 
nouvelles, conune je n^e Vél^ proposé. Donnez- 
m'en donc vou3-même, chère Marianne, en atten- 
dant que je puisse voir votre bon papa , si digne 
de l'éloge que vous en faites et de l'attachemenb 
que vous avez pour lui. Quant à moi , je ne suis 
qu'im ami peu démonstratif, quoique vrai ; réputé 
négligent, parce- que ma situation me force à le 
paraître, et trop heureujt.de recevoir de vous, à 
titre de grâce , des sentii&lits que vous me devrez 
quand les miens vous seront mieux connus. En at-- 
tendant, il vaut mieux que vous m'aimiez et que 
vous me grondiez , que si vous paraissiez contente 
sans l'être. Tant que vous exercerez sur moi l'au- 
torité de l'amitié, je croirai qu'au fond vous ren- 
dez justice à la mienne, et que c'est pour me lais- 
ser moins voir ma misère , que vous vous en 



aSo COR«ESt»ONDANCE. 

prenez à ma volonté. Voilà du moins le seul sens 
que devraient avoir vos reproches; si je pouvais 
vous écrire et vous complaire autant que je le dé- 
sire, et que vous fussiez équitable, le papa lui- 
même ne vous serait pas plus cher^que moi. 

J'apprendsr avec grafid plaisir qu'il est beaucoup 
mieux. 



LETTRE DXXIX. 

. A M. D'IVERNOIS: 

Motiers, le 17 décembre 1764* 

Il est bpn ^ monsieur , que vous sachiez que, 
depuis votre dépar^l'ici , je n'ai reçu aucune de 
vos lettres , ni nouvelles d'aucune espèce par le 
canal de personne , quoique vous m'eussiez pro- 
mis de m'annoncer votre* heureuse arrivée à Ge- 
nève, et de m'écrire même auparavant. Vous pouvez 
concevoir mon« inquiétude. Je sais bien, que c'est 
l'ordinaire qu'on iti'accâble de lettres inutiles', et 
que tout se taise dans ^^Rttoments essentiels; je 
m'étais flatté cependanf^lpl^il y aurait dans celui-ci 
quelque exception en ma faveur : je me suis 
trompé. Il faut prendre patience , et se résoudre 
à attendre qu'il vous plaise de me donner des nou- 
velles de votre santé, que je souhaite être bonne 
de tout mon cœur. 

Mes respects à madame , je vous supplie. 



ANlféE 1764. Îi5l 



LETTRE DXXX. 

. A M. PANGKpUCKE. 

Motiers y le 91 décembre 1764. 

Je suis sensible aux bontés de M. de Buffon , à 
proportion du respect et de l'estime que j'ai pour 
lui ; sentiments que j'ai toujours hautement pro- 
fessés , et dont TOUS avez été témoin vous-même.* 
Il y a des amis dont la bienveillance mutuelle n'a 
pas besoin d'une correspondance expresse pour 
se nourrir, et j'ai osé me placer avec lui dans cette 
classe-là. Si c'çist une illusion de ma part , elle est 
bien pardonnable à la cause qui la produit. Je ne 
le mets point dans une distribution d'exemplaires, 
sachant bien qu'il me mettrait dans celle des siens; 
et que , comme il n'y a point de proportion dans 
ces choses-là, je n'aime point donner un œuf pour 
avoir un bœuf. 

Le quidam qui s'irrite si fort que j'aie mis une 
devise à mon livre dal^lllâjri^îter bien plus que je 
l'aie entourée d'une (Éisrbnne civique; et bien 
plus encore que j'aie, dans ce même livre, justi- 
fié la devise et mérité la couronne. 



a5îl CORRESPONDANCE. 



LETTRE DXXXI. 

A M. DE MONTMOLLIN; 
fol lui^enyoyant les Lettres écjrites de la montagne. 

Le 23 décembre l'jè^. 

Plaignez-moi, monsieur, d'aimer tant la paix , et 
d'avoir toujours la guerre. Je n'ai pu refusera mes 
anciens compatriotes de prendre leur défense 
comme ils avaient pris la mienne. C'est ce que je 
ne pouvais faire sans repousser les outrages dont , 
par la plus noire ingratitude, les ministl*es de Ge- 
nève ont eu la' bassesse de m'accabler dans mes 
mallieurs , et qu'ils Ont osé porter jusque dans la 
chaire sacrée. Puisqu'ils aiment si fort la guerre , 
ils l'auront; et, après mille agressions de leur part, 
voici mon premier acte d'hostilité, dans lequel 
toutefois je défends une de leurs plus grandes 
•prérogatives , qu'ils se laissent lâchement enlever ; 
car , pour insulter à leur aise- au malheureux , ils 
rampent volontiers sou» là tyrannie. La querelle , 
au reste, est tout-à-fait personnelle entre eux et 
moi ; ou , si j'y fais entrer la religion protestante 
pour quelque chose, c'est comme son défenseur 
contre ceux qui veulent la renverser. Voyez mes 
raisons , monsieur , et soyez persuadé que , plus on 
me mettra dans la nécessité d'expliquer mes sen- 
timents , plus il en résultera d'honneur pour votre 



ANNÉE 1764. a53 

conduite envers moi, et pour la justice que vous 
m'avez rendue. 

Recevez, monsieur, je vous prie, mes saluta- 
tions et mon respect. 



^%,>%fm^k/^mm^%/%%/m/^^^ir^%f^/^^0^>%m/%/^^/'*/^%^t^^%-'%/*i*i^/^^ 



LETTRE DXXXII. 

A M. D'IVÊRNOIS. 

Motîen, le 3*9 décembre 1764. 

J'ai reçu , monsieur , toutes les lettres que vous 
m'avez fait l'amitié de m'écrire, jusqu'à celle du a 5 
inclusivement. J'ai aussi reçu les estampes que vous 
avez eu la bonté de n>'envoyer; mais le messager 
de Genève n'étant point encore de retour , je n'ai 
pas reçu, par conséquent, les deux paquets que 
vous lui avez remis , et je n'ai pas non plus entendu 
parler encore du paquet que vous m'avez envoyé 
par le voiturier. Je prierai M. le trésorier de s'en 
faire informer à Neuchâtel , puisqu'il y doit être 
de retour depuis plusieurs jours. 

I^s vacherins que TJtfus m'envoyez seront dis- 
tribués en votre nom dans votre famille. La caisse 
de vin de Lavaux, que vous m'annoncez, ne sera 
reçue qu'en payant le prix , sans quoi elle restera 
chez M. d'Ivernois. Je croyais que vous feriez quel- 
que attention à ce dont nous étions convenus ici : 
puisque vous n'y voulez pas avoir égard , ce sera 
désormais mon affaire ; et je vous avoue que je com- 



a54 CORRESPONDANCE. 

mence à craindre que le train que vous avez pris 
ne produise entre nous une rupture qui m'afflige* 
rait beaucoup. Ce qu'il y a de parfaitement sûr , 
c'est que personne au monde ne sera bien reçu à 
vouloir me faire des présents par force ; les vôtres, 
monsieur , sont si fréquents, et j'ose dire si obsti- 
nés, que de la part de tout autre homme, en qui 
je reconnaîtrais moins de franchise, je croirais qu'il 
cache quelque vue secrète qui ne se découvrirait 
qu'en temps et lieu. 

Mon cher monsieur, wons bons amis, je vous 
en supplie. Les soins que vous vous donnez pour 
mes petites commissions me sont très-précieux. Si 
vous voulez que je croie qu'il ne vous sont pas im- 
portuns, feitesrmoi des comptes si exacts, qu'il n'y 
soit pas même oublié le papier pour les paquets , 
ou la ficelle des emballages ; à cette condition j'ac- 
cepte vos soins obligeants , et toute mon affection 
ne vous est pas moins acquise que ma reconnais- 
sance vous est due. Mais , de grâce , ne rendez pas 
là-dessus une troisième explication nécessaire , car 
elle serait la dernière bien sûrement. 

Je suis et serai même plusieurs années hors d'é- 
^t de m'occuper des objets relatifs à l'imprimé 
qu'une personne vous a remis pour me le prêter ; 
ainsi, s'il faut s'en servir promptement, je serai 
contraint de le renvoyer sans en faire usage. Mon 
intention était de rassembler des matériaux pour 
le temps éloigné de mes loisirs, si jamais il vient, 
de quoi je doute : ainsi ne m'envoyez rien là-des- 
sus qui ne puisse rester entre mes mains , sans 



autre condition que de l'y retrouver quand on 
voudra. 

Vous trouverez ci-jointe la copie de la lettre de 

remerciement que M. C r m'a écrite. Comment 

se peut-il qu'avec un cœur si aimant et si tendre , 
je ne trouve partout que haine et que malveil- 
lants? je ne puis là-dessus me vaincre : l'idée d'un 
seul en|^emi , quoique injuste , me fait sécher de 
douleur. Genevois , Genevois , il faut que mon ami- 
tié pour vous me coûte à la fin la vie. 

Obligez-moi, mon cher monsieur, en m'en voyant 
la note de l'argent que vous avez déboursé pcmr 
toutes mes commissions , ou d'en tirer sur moi le 
montant par lettre de change, ou de nie marquer 
par qui je dois vous le faire tenir. N'omettez pas 
ce qu'a fourni M. Deluc. Je vous embrasse de tout 
mon cœur. 



LETXȔ^ DlCXXIII. 

A M.*DtJ PEYROU. 



3i décembre 1764. 



Votre lettre m'a touché jusqu'aux larmes. Je yojis 
que je ne me suis pas trompé, et que vous ayeè 
une ame hçnuéte. You §er,ez un hoimne précieux 
à mon cœur. Lisez l'iqjiprifQé ci-JQint\ .Voilà , mon- 
sieur , à quels ennemi». ^'aia(faire , yoUà les arme^ 
dont ils m'attaquent. Renvoyez -moi cette pièce 

* Le liheUe imitalé) intimant Jm citoyens. 



!l56 CORRESPONDANCE. Ja,< 

quand vous l'aurez lue ; elle entrera dans les ïii^ 
numents de l'histoire de ma vie. Oh ! quand un 
jour le voile sera déchiré , que la postérité m'ai- 
mera! qu'elle bénira raa mémoire! Vous, ahnee- 
moi maintenant, et croyez que je n'en suis pas 
indigne. Je vous embrasse. ,*:''t 



LETTRE DXXXIV, 

^ A M. D'IVERNOIS. 

Motiers, le 3i décembre 1764. 

Je reçois, mon cher monsieur , votre lettre du 28 
et les feuilles de la réponse ; vous recevrez aussi 
bientôt la musique que vous demandez. J'ai reçu 
par ce même courrier un imprimé intitulé , Senti- 
ment des citoyens. J'ai d'abord reconnu le style pas- 
toral de M. VeVnes, défenseur de la foi, de la vé- 

* 

rite, de la vertu, et de la charité chrétienne. Les 
citoyens ne pouvaient choisir un plus digne or- 
gane pour déclarer au public leurs sentiments. Il 
est très à souhaiter que cette pièce se répande en 
^^ope; elle achèvera ce que le décret a com- 
mencé. ' 

Touf ce,qf,'on me. manqua de M^é' premier est 
d'un magistrat bien sage. Si les autres Tétaient 
autant, tout serait bientôt paeifié , et les choses 
rentreraient dans l'état douteux où peut-être il se- 
rait à désirer qu'elles fussent encore. Mais fiez-vous 



ann4e 1764. îi57 

aux sottises que ranimosité leur fera faire : ils vont 
désormais travailler pour vous. 

Les deux exemplaires que demande M*** sont 
siins doutepour travailler dessus : mais n'importe; 
je les lui enverrais avec grand plaisir, si j'en avais 
Toccasion, si^tout s'il voulait prendre le ton de 
M. Vernes. Si par hasard c'était en effet par goût 
pour Touvragg , M*** serait un théologien bien 
étonnant : mais laissez-les faire. La colère les trans- 
porte : comme ils yont prêter le flanc! Oh! mon- 
sieur, si tous ces gens -là, moins brutaux, moins 
rognes , s'étaient avisés de mç prendre par des. ca- 
resses ,j!é tais perdu , je senâ que jamais je n'aurais 
pu résister; mais, par le côté qu'ils m'ont pris, Je. 
suis à répreuve. Ils feront tant qu'ils me rendront 
illustre et grand , au lieu que j'étais fait pour n'être 
jamais qu'un petit garçon. Je vouS embraJ>se de tout 
mon cœur. 



LETTRE DXXXV. 

A M. DUCHESNË, 

LIBRAIBK À PABIS. 

t 

Motiers , le 6 janvier 1765. "^ 

3e vous envoie',. monsieur, une pièce imprimée 
et publiée à Genève *, et que je vous prie d'impri- 
mer et publier à Paris , pour mettre le public eti 

* Le libelle intitulé , Sentiment des citoyens. Voyez les Confessions , 
livre XII. 

R. XX. 17 



258 CORllESPONDA^CF. 

état d'entendre les deux parties, en attendant les 
autres réponses plus foudroyantes qu'on prépare 
à Genève contre moi. Celle-ci est de M. Vernes, si 
toutefois je ne me trompe ; il ne faut qti'attendre 
pour s'en éclaircir : car, s'il en est l'auteur ,41 ne 
manquera pas de la reconnaître hautement , selon 
le devoir d'un homme d'honneur et d'un bon chré- 
tien ; s'il ne l'est pas, il la désavouera- de même , et 
le piibUc saura bientôt à quoi s'en tenir. 

Je vous connais trop , monsieur , pour croire 
que vous voulussiez imprimer une pièce pareille , 
si elle vous venait d'une autre main ; mais puisque 
c'est moi qui vous en prie , vous ne devez vous en 
firire aucun scrupule. 

• 

N, B. Bn faisant lui-jnéme réimprimer ce libelle ii Paris, 
Rousseau y a joint quelques notes que nous allons reproduire, 
en les faisant précéder des passages du libelle auquel cTiacUne 
d*elles se rapporte. 

« Lorsqu'il mêla l'irréligion à ses romans , nos 
a magistrats fîirent indispensablement obligés d'i- 
« miter ceux de Paris et de Berne • , dont les uns 
a le décrétèrent et les autres le chassèrent. » 

" Je ue fus chassé du canton de Berne qu'un mois après le décret 
de Genève. 

a Figurvns ' nous , ajoute-l-il, une ame infernale 
<c analysant ainsi VÉs^angile, Eh! qui l'a jamais ainsi 
a analysé? où est cette ame infernale^?», 

^ Xi parait que 1 auteur de cette pièce pourrait mieux répondre 
que personne à sa qupj^tion. Je prie le lecteur de ne pas manquer Je 
consulter, dans l'endroit qu'il cite , ce qui précède et ce qui suit. 



A NivÉR i'j6!i. aSg 

« Considérons qui les traite ainsi ( nos pasteurs) : 
« est-ce un savant.... est-ce un homme de bien...? 
« Nous avouons avec douleur et en rougissant, que 
« c'est un homme qui porte encore les marques fii- 
« nés tes de ses débauches; et qui, déguisé en sal-» 
« timbanque, traîne avec hii , de village en village , 
« la malheureuse dont il fit mourir la mère, et dont 
« il a exposé fes enfants à la porte d'un hôpital , en 
« rejetant les soins qu'une personne charitable voii- 
« lait avoir d'eux , et en abjurant tous les sentiments 
« de la nature , comme il dépouille ceux de Thon-ï 
« neur et de la religion. " » 

" Je yeux faire avec- simplicité la déclaration que semble exiger 
de moi cet article. Jamais aucune maladie, de celles dont parle ici 
l'auteur, ni petite, ni grande, n*a souillé mon corps. Celle dont je 
suis afHigé n'y a pas le moindre rapport; elle est née avec moi, 
comme le savent les personnes encore vivantes qui ont pris soin de 
mon enfance. Cette maladie «st connue de MM. Malouin, Morand ^ 
Thiexy, Daran , et du frère Côme. S'il s'y trouve la moindre marque 
de débauche, je les prie de «me. confondre et de me faire honte d^ 
ma devise. La personne sage et généralement estimée qui me soigne 
dans mes maux et me console dans mes afflictions, n'est malheu- 
reuse que parce qu'elle partage le sort d'un homme fort malheureux ; 
sa mère est actuellement pleine de vie et en bonne santé , malgré sa 
vieillesse. Je n'ai jamais exposé ni fait exposer aucpu enfant à la porte 
d'aucun hôpital ni a^leùrs. Une personne qui aurait eu la cha- 
rité dont on parle , aurait eu celle d'eu garder le secret ; et chacun 
sent que ce n'est pas de Genève, où je n'ai point vécu , et d'où tant 
d'animosité se répand contre moi, qu'on doit attendre des informa- 
tions (idèles sur ma conduite. Je n'ajouterai rien sur ce passage, si- 
non qu'au meurtre près, j'aimerais mieux avoir f^t ce dont so]| 
auteur m*accase, que d'en avoir écrit un |)areil. 

« C'est donc là celui qui parle des devoirs de la 
« société ! Certes il ne remplit pas ce$ devoirs quand, 
« dans le même libelle , trahissant la confiance d'un 

'7- 



a6o CORRESPONDANCE. 

« ami " , il fait imprimer une de ses lettres , pour 
(c brouiller ensemble trois, pasteurs. C'est ici qu'on 

a peut dire de ce même écrivain, auteur d'an 

ce roman d'éducation , que , pgur élever un jeu|ie 
a homme , il faut commencer par avoir été Itién 
« élevé »*. . , " 

* Je crois drroir avertir le public que le théologien qui a écrit b 
lettre doot j*ai donné un extrait , n'est ni ne fut jamais mon ami, que 
je ne Tai tu qu*unc fois en nia yie, et qu'il n'a pas la moindre chose 
à démétier, ni en bien ni en mal , avec les ministres de Genèye. Cçt 
aTcrtitsement iti'a paru nécessaire pour (nrérenir les téfnéraires ap- 
plications. 

^ Tout le monde accordera, je pense, à l'auteur de cette pièce, 
que lui et moi n'avons pas plus eu la méaie éducation , qne nous 
n*avons la même religion. 

« Pourquoi réveille-t-il nos anciennes querelles ? 
« Veut-il que nous nous égorgions *" parce "qu'on a 
« brûlé un mauvais livre à Paris et à Genève ? n 

* On peut voir dans ma conduite les doujoureux sacrifices que j*ai 
fiiits pour ne pas troubler la paix de ma,patpie^ et, dans moir ou- 
Trage, avec quelle force j'exhorte les cllfeyens à ne la troubler jamais, 
k quelque extrémité qu'on les réduise. 



LETTRE DXXXVI. 

■ 

A M. ***. 

Au tajet d'an Memoirk tu faveur des Protestants, que l*bn devait 
• adresser aux éréqu.çs de France. 

1765. 

La lettre , monsieur, et le.mémoire de M***, que 
vous m'avez envoyés, confirment bien l'estime et 
le respect que j'avais pour leur auteur. Il y a dans 



ANNÉE 1765. a6l 

ce mémoire des choses qui sont tout-à-fait bien ; 
cependant il me paraît que le plan et rexécution 
demanderaient une refonte conforme aux excel- 
lentes .observations contenues dans votre lettre. 
I/idée d'adresser un mémoire aux évêques n'a pas 
tant pour but de les persuader eux-mêmes que de 
persuader indirectement la cour et le clergé catho- 
lique , qui seront plus portés à donner' au corps 
épiscopaEl le tort dont on ne les chargera pas eux- 
mêmes. D'où il doit larriver que les évêques au- 
ront honte d'^ever des oppositions à la tolérance 
des protestants, ou que, s'ils font ces oppositions^ 
ils attireront contre eux la clameur publique et 
peut-être les rebufEaides de la cour. 

Sur cette idée , il paraît qu'il ne s'agit pas tant , 
comme vous le dites très-bien , d'explications sur 
la doctrine , qui sont assez connues et ont été don- 
nées mille fois , que d'une exposition politique et 
adroite de l'utilité dont les protestants sont à la 
France ; à quoi l'on peut ajouter- la bonne remar- 
que de M***, sur l'impossibilité reconnue de les 
réunir à l'Église, et par conséquent sur l'inutilité 
de les opprimer; oppressioi][ qui, ne pouvant les 
détruire , ne peut servir qu'à les aliéner. 

En prenant les évêques, qui, pour la plupart, 
sont des plus grandes maisons du royaume, du 
côté des avantages de leur naissance et de leurs 
places , on peut leur montrer avec force combien 
ils doivent être attachés au bien de l'état à pro- 
portion du bien dont il les comble , et des privi- 
lèges qu'il leur accorde ; combien il serait horrible 



aÔa CORRESPONDANCK. 

à eux de préférer leur intérêt et leur ambitioti par- 
ticulière au bien général d'une société dont ils sont 
Iqi principaux membres; on peut leur prouver que 
leurs devoirs de citoyens , loin d'être opposera ceux 
de leur ministère, en reçoivent de nouvelles forces; 
que l'humanité, la religion, la patrie, leur pres- 
crivent la même conduite et la même obligation de 
pi^téger leurs nialheureux frères opprimés, plutôt 
que de les poursuivre. Il y a mille choses vives et 
saillantes à dire là -dessus, en leur faisant honte, 
d'un côté , de leurs maximes barbares , sans pour^ 
tant les leur reprocher; et de l'autre, en excitant 
contre eux l'indignation du ministère et des. autres 
ordres du royaume. , saus pourtant paraître y tâ- 
cher. 

Je suis, monsieur, si pressé, si accablé, si sur- 
chargé de lettres , que je ne puis vous jeter ici quel- 
ques idées qu'avec la plus grande rapidité. Je vou- 
drais pouvoir entreprendre ce mémoire , mais cela 
m'est absolument inlpossible ^ et j'en aï bien du jre- 
gret; car, outre le plaisir de bien faire, j'y trou- 
verais un des plus beaux sujets qui puissent honorer 
la plume d'un auteur. Cet ouvrage peut être un 
chef-d'œuvre de politique et d'éloquence, pourvu 
qu'on y mette le temps; mais je ne crois pas qu'il 
puisse être bien traité par un théologien. Je vous 
^Uie, monsieur, de tout mon cœur. 



A KNÉE 1765. ^63 



I 

LETTRE DXXXVII. 

A M. SÉGUIEE DE SAINT-BRISSON. 

Motiers, janyier 1769. 

■ 

J'ai reçu, monsieur, votre lettre du 27 décembre; 
j'ai aussi lu Aristé et PhUopeiùs. Malgré le plaisir 
que m'ont fait l'un etl'autre, jene me repens point 
du mal que je vous ai dit du premier; et ne doutez 
pas que je ue vous en eusse dit du second , si vous 
m'eussiez consulté. Mon cher Saint-Brisson , je ne 
vous dirai jamais.assez avec quelle douleur je vous 
vois entrer dans une carrière couverte de flçurs et 
semée d'abîmes , où l'on ne peut éyiter de se cor- 
rompre ou de se perdre , où l'on devient malheu- 
reux ou méchant à. mesure qu'on avance, et très- 
souvent l'un et l'autre avant d'arriver. Le métier 
d auteur n'est bon que pour qui yçut servir les pas- 
sions des gens qui mènent Içs- autres; mais pour 
qui veut sincèrement le bien de l'humanité , c'est 
un piétier funeste. Aurez -vous plus -de zèle que 
moi pour la justice, pour la vérité, pour tout ce 
qui est honnête et bon ? aurez-vous des sentiments 
plus désintéressés , une religion plus douce , plus 
tolérante, plus pure, plus sensée ? àspirerez-vous à 
moins de choses? suivrez-vous ime route plus so- 
litaire? irez-vous sur le chemin de moins de gens? 
choquerez-vous moins de rivaux et de concurrents ? 



264 COftRESPONDANCE. 

éviterez-vous avec plus de soin de croiser les inté- 
rêts de personne? Et toutefois vous voyez; je ne 
Âîs confient il exister dans ,1e monde un seul hon- 
nête homme à qui mon exemple ne fasse pas tomber 
la plume des mains. Faites du bien , mon cher Saint- 
Brisson, mais non pas des livres; loin de corriger 
lès méchants^ils ne font que les aigrir. Le meilliSMr 
livre fait très^pëu de bien aux hommes et beaucc&p 
de mal à son auteur. Je vous ai déjà vu aux champs 
pour une brochure qui n'était pas ttiême fort .mal- 
honnête; à quoi devez -vous vous attendre si Ces 
choses vous blessent déjà? • 

Comment pouvez - vous craif e que je veuille 
passer en Corse, sachant que les troupes françaises 
y sont? Jugez- vous que je n'aie "pas assez de mes 
malheurs, sans en aller chercher d'autres? Non, 
monsieur^ dans Taccableiiiênt où je suis* j'ai be- 
soin de reprendre haleine ; j'ai besoin d'aller plus 
loin de 6en'ève chercher quelcjues moments de re- 
pps ; car on ne m'en laissera nulle ,part un long sur 
la terre, je ne puis plus l'espérer que dans son 
sein. J'igBore encore de quel côté j'irai: il ne m'en 
reste plus guère à choisir. Je voudrais, chenlin fai- 
sant, me chercher qiielque retraite fixe, pour m'y 
transplanter tout-à-fait , où l'on eût l'humanité de 
me recevoir, et de me laisser mourir en paix. Mais 
où |â trouver parmi les chrétiens ? La Turquie est 
trop loin d'ici. 

Ne doutez pas , cher Saint-Brisson , qu'il ne me 
fût fort doux de vous avoir pour compagnon de 
voyage, pour consolateur , et pour garde-malade. 



AlVlViE 1765. 265 

mais j ai. contre ce niéiïie vcryagede grandes objec- 
tions par rapport à vous. Premièrement, ôtez-vous 
de l'esprit de me. consulter sur rien , jet é^ troiq^ 
dans mon entretien la moindre ressource contre 
l'ennui. L'étourdissement où me jettent des agita- 
tions sans relâche. lo^a rendo stupide; ma tête est 
en léthargie , mon coeur même est mort , je ne sens 
ni ne puînée plus. Il me. reste un séiÊl plaisir dans 
la vie; j'aime encore àmarcher, mais en 'marchant 
je ne rêve pas mémej j'ai .les sensations des objets 
qui me frappent, et rien de pjus, je vpulais essayer 
d'un peu de botanique pour m'amuser du moins à 
réconnaître en chemin quelques plantes; mais nia 
mémoire est absolument éteinte ; elle ne peut pas 
mêiïie aller ju$que-là. Imaginez; le plaisir de voyager 
avec un pareil autdmafe. 

Cç n'est pas tout. J^ sens lé, mauvais effet que 
votre voyage ici fera pour vous-même. Vous n'êtes 
déjà pas trop bien auprès des dévots ; voulez-vous 
achever de vous perdre ? Vos copipatriotes mêmei, 
en général , ne vous pardonnent pas de me con- 
naître , comment vous pardonnerdient-ils de m'ai- 
mer ? Je SUIS très-fâché que vous m'ayez nommé à 
la tête de votre triste: ne. faites plus pareille sot- 
tise ^ où je me brouille avec vous tout de bon. Dites- 
moi surtout de qUel œil votis croyez que votre 
famille verra ce voyage : madame votre mère eh 
frémira; je frémis moi-même à penser aux funestes 
effets qu'il peut produire auprès de vos proches. 
Et vous voulez que je vous laisse faire! C*eî?t vou- 
loir que je sois le dernier des hommes. Non , mon- 



a66 CORRESPONDANCE. 

sieur, obtenez l'agrément de madame votre mère, 
et venez. Je vous embrasse avec la plus grande 
jffîl^ mais sans cela, n'en parlons plus. 

» ». 

LETTRE DXXXVIII. 

A M. MOULTOU. 



« 



Motiers, le 7 janvier 1765. 

11 était bien cruel, monsieur, que chacun de 
nous désirant si fort conserver l'amitié de l'autre,, 
crût également l'avoir perdue, Je me souviens très- 
bien, qioi qui suis si peu exact à écrire-, de' vous 
avoir écrit le dernier. Votre silence obstiné me 
navra Tame , et me fit croire que ceux qui voulaient 
vous détacher de moi avaient réussi; cependant, 
même dans cette supposition, je plaignais votre 
faiblesse sans accuser votre cœur ; et mes plaintes , 
peut-être indiscrètes, prouvaient, mieux que n'eût 
fait mon silence^ l'amertume de ma douleur. Que 
pouvait faire de plus un homme qui ne s'est jamais 
départi de ces deux maximes, et ne s^en veut ja- 
mais Répartir, l'une de ne jamais rechercher per- 
sonne , l'autre de ne point courir après ceux qui 
s'en vont ? Votre retraite m'a déchiré : si vous re- 
venez sincèrement., votre retour me rendra la vie. 
Malheureusement, je trouve dans votre lettre plus 
d'éloges que de sentiments. Je n'ai que faire de vos 
louanges, et je donnerais mon sang pour votre 
amitié. 



Quant à mon dernier écrit, loin de l'avoir fait 
par animosité , je ne l'ai fait qu'avec la plus grande 
répugnance , et vivement sollicité": c'est iTn devcUr^ 
que j'ai rempli sans m'y complaire : mais je n'ai 
qu'im ton ; tant pis pour cetix qui me forcent de le 
prendre , car je n'en changerai sûrement pas pour 
eux. Du reste, ne craignez rien de l'effet de mon 
livre; il ne fera du mal qu'à moi. Je connais mieux 
que vous la bourgeoisie de Genève ; elle n'ira pas 
plus loin qu'il ne faut, je vous en réponds. 

« Hi motus anîmoruin atqne hsec certamina taDta 
« Pulveris exigui jactu compressa quiescent. • 

Moultou , je n*aime à vous voir ni ministre ni 
citoyen de Genève. Dans l'état où sont les mœurs , 
les goûts ^ les esprits dans cette ville, vous n'êtes 
pas fait pour l'habiter. Si cette déclaration vous 
fachcencore, ne nous rèicconmiodons pas, car je 
ne cesserai point de vous la faire. Le plus mauvais 
parti qu'un homme de votre portée puisse prendre 
est celui de se partager. Il faut être tout- à- fait 
comme les autres , ou tout-à-fait comme soi. Pen- 
sez-y. Je vous embrasse. 

Saluez de ma part votre vénérable père. 



a68 CORRESPONDANCE. 



ï'*« 



LETTRE DXXXIX. 

A M. D'IVERNOIS. 

Motiers , le 7 janvier 1765. 

J'ai reçu, monsieur, Siveû vos dernières lettres, 
comprise celle du 5 , la réponse aux ,Lettres écrites 
de la campagne. Cet ouvrage est excellent, et doit 
être en tout temps le manuel des citoyens. Voilà , 
monsieur, le ton respectueux, mais ferme et noble, 
qu'il faut toujours prendre , au lieu du ton craintif 
et rampant dont on n'osait sortir autrefois; mais 
il ne .faut jamais passer au-delà. Vos magistrats n'é- 
tant plus mes supérieurs, je puis, vis-à-vis d'eux, 
prendre lui ton qu'il ne vous conviendrait pas d'i- 
miter. 

Je vous remercie derechef des soins sans nombre 
que VOU5 avez bien voulu prendre pour mes petites 
commissions , mais qui sont grandes par la peine 
continuelle qu'elles vous donnent, car il semble, a 
votre activité, que vous ne pouvez être occupé que 
de tnoi. Vos soins obligeants , monsieur , peuvent 
m'étre aussi utiles que votre amitié me sera pré- 
cieuse; et, lorsque vous voudrez bien observer nos 
conditions, une fois à mon aise de ce côté, bien 
sûr de vos bontés, je n'épargnerai point vos peines. 

Je n'ai point encore donné le louis de votre part 
à ma pauvre voisine: premièrement, parce que, sa 
santé étant passable à présent, elle n'est pas abso- 



*■ 



lument sous la condition que vous y avez mise; 
et , en second lieu , parce que vous exigez de n'être 
pas nommé, condition quç je ne puis admettre^ 
parce que ce serait faire présumer à ces bonnes 
gens que cette libéralité vient, de moi , et que je 
me cache par modestie , idée à laquelle il ne me 
convient pas de donner lieu. 

Bien des remerciements ^ M. Deluc fils de sa 
bonne volopté. Je ne vous cacherai pas que l'op- 
tique me serait fort agréable ; mais, premièrement, 
je ne consentirai point que M. Deluc , déjà si chargé 
d'autres occupations, s'en donne la peine lui-même, 
et je crains que cette fantaisie ne coûte plus d'ar- 
gent que je n'y en puis mettre pour le présent. Mais 
il m'a promis de me pourvoir d'un n^icroscope; 
peut-être même en faudrait-il deux. Il en sait l'u- 
sage, il décidera. Je serais bien aise aussi d'avoir, 
en couleurs bien pures ; un peu d'outremer et de 
carmin , du vert de vessie , et de la gomme ara- 
bique. 

Il est très à désirer que la fermentation causée par 
les derniers écrits n'ait rien de tumultueux. Si les 
Genevois sont sages , ils se réuniront , mais paisi- 
blement; ils ne se livreront à aucune impétuosité, 
et ne feront aucune démarche brusque. Il est vrai 
que la longueur du temps est contre eux; car on 
travaillera.fortement à les désunir, et tôt ou tard on 
réussira. La combinaison des droits, des préjugés, 
des circonstances , exige dans les démarches autant 
de sagesse que de fermeté. Il est des moments qui 
ne reviennent plus quand on les néglige ; mais il 



H'JO CORRESPOM) \\Ci:. 

Éaut autant de pénétration pour les connaître que 
d'adresse à les saisir. N'y aurait -il pas moyen de 
réveiller un peu le Deux-cents ? S'il ne voit pas ici 
son intérêt, ses membres ne sont que des cruches. 
Mais tenez-vous sûrs qu'on vous tendra des pièges, 
et craignez les faux frères. Profitez du zèle appa- 
rent de M. Ch. , mais ne vous y fiez pas, je vous le 
répète. Ne comptez point non plus sur l'homme 
dont vous m'avez envoyé une réponse. S'il faut agir, 
que ce soit plus loin. Du reste, je commence à 
penser que, si l'on se conduit bien, cette ressource 
hasardeuse ne sera pas nécessaire. 

Vous voulez une inscription sur votre exem- 
plaire. Mes bons Saint-Ciervaisiens en ont mis une 
qui se rapporte à l'ouvrage : en voici une aulre qui 
se rapporte à l'auteur: u^lto quœsmt cœlo lucem^ 
ingemuitque repertd. 

Je suis fâché de vous donner du latin ; mais le 
français ne vaut rien pour ce genre; il est mou, il 
est mort , il n'a pas plus de nerf que de vie. 

Mille remerciements, je vous prie, à madame 
d'Ivernois , pour la bonté qu'elle a eue de présider 
à l'achat pour mademoiselle Le Vasseur. Son goût 
se n^ontre dans ses emplettes comme son esprit 
dans ses lettres. Te vous embrasse de tout mon 
cœur. 

Voici une lettre pour M. Moultou : la sienne m'a 
fait le plus grand plaisir, et mon cœur en avait 
besoin. 

Je m'aperçois que l'inscription ci -dessus est 
beaucoup trop longue jx)ur l'usage que vous en 



ANNÉE 1760. 5171 

voulez faire. En voici une de l'invention de M. Moul- 
tou, qui dit à peu près la même chose en moins 
de mots : Liiget et monet. 

J'oubliais de vous dire que le premier de ce 
mois messieurs de Couvet me. firent prier, par une 
députation, de vouloir bien agréer la bourgeoisie 
de leur commimauté; ce que je fis avec reconnais- 
sance ; et, le lendemain , un des gouverneurs avec 
le secrétaire m'apportèrent des lettres conçues en 
termes très-obligeants et très-honorables , et dans 
le cartouche desquelles, dessiné en miniature, ils 
avaient eu l'attention de mettre ma devise. Je leur 
dis, (îiar je ne veux rien vous taire, que je me te- 
nais plus libre, sujet d'un roi juste , et plus honoré 
d'être membre d'une communauté où régnait l'é- 
galité et la concorde I que citoyen d'une république 
où les lois n'étaient qu'un mot, et la liberté qu'un 
leurre. H est dit dans les lettres que la délibéra- 
tion a été unanime aux suffif^ges de cent vingt-cinq 
voix. 

Hier l'abbaye de l'arquebuse de Couvet me fit 
offrir le même honneur , et je l'acceptai de même. 
Vous savez que je suis déjà de celle de Motiers. Jç 
vous avoue que je suis plus flatté de ces marques 
de bienveillance, après un assez long séjour dans 
le pays pour que ma conduite et mes mœurs y 
fussent connues, que si elles m'eusst^nt été pro^ 
diguées d'abord eh y arrivant. 



'2*J'2 CORRESPOND A IVCE. 

LETTRE DXL. 

A M. DE GAUFFFXOURT. 

Motiers-Trayers , le la janvier 1765. 

Je suis bien aise, mon.cher papa , que vous pui$- 
siez envisager, dans la sérénité de votre paisible 
^pat&e, les agitations et les traverses de ma vie , et 
que vous ne laissiez pas de prendre aux soupirs 
qu'elles m'arrachent un intérêt digne de notre an- 
cienne amitié. 

Je voudrais encore plus que vous que le moiparùi 
moins dans les Lettres écrites de la montagne ; mais 
sans le moi ces lettres n'auraient point existé. 
Qufihd on fit expirer le malheureux Calas sur la 
roue, il lui était difficile d'oublier qu'il était la. 

Vous doutez qu on permette une réponse. Vous 
vous trompez , ils répondront par des libelles dif- 
famatoires : c'est ce que j'attends pour achever de 
les écraser. Que je suis heureux qu'on ne se. soit 
pas avisé de me prendre par des caresses! j'étais 
perdu, je sens que je n'aurais jamais résisté. Grâce 
au ciel , on ne m'a pas gâté de ce côté-là , et je me 
sens inébranlable par celui qu'on a choisi. Ces 
gens-là feront tant qu'ils me rendront grand et il- 
lustre, au lieu que naturellement je ne devais 
être qu'un petit garçon. Tout ceci n'est pas fini : 
vous verrez la suite , et vous sentirez , je l'espère ^ 
que les outrages et les libelles n'auront pas avili 



ANNÉE 1765. a-^J 

votre ami. Mes salutations , je vous prie , à M. de 
Quinsonas : les deux lignes qu'il a jointes à votre 
lettre me sont précieuses; son amitié me paraît 
désirable, et il serait bien doux de la former par 
un médiateur tel que vous. 

Je vous prie de faire dire à M. Boui^eois que 
je n'oublie point sa lettre , mais que j'attends pour 
y répondre d'avoir quelque chose de positif à lui 
marquer. Je suis fâché de ne pas savoir son adresse. 

Bonjour, bon papa; parlez- moi de temps en 
temps de votre santé et de votre amitié. Je vous 
embrasse de tout mon cœur. 

P. S. Il paraît à Genève une espèce de désir de 
se rapprocher de part et d'autre. Plût à Dieu que 
ce désir fut sincère d'un côté, et que j'eusse la 
joie de voir finir des divisions dont je suis la cause 
innocente! Plût à Dieu que je pusse contribuer 
moi-même à cette bonne œuvre par toutes les dé- 
férences et satisfactions que l'honneur peut mç 
permettre! Je n'aurais rien fait de ma vie d'aussi 
bon cœur, et dès ce moment je me tairais pour 
jamais. 



LETTRE DXLL 

A M. DUCLOS. 

MotierSy le 1 3 jan'vier 1 765. 

J'attendais , mon cher ami , pour vous remercier 
de votre présent, que j'eusse. eu le plaisir de lire 
R. XX. 18 



a^4 CORAKSPONUANCt. 

cette nouvelle édition, et de la comparer avec la 
précédente; mais ta situation violente où me jette 
la fiireur de mes ennemia ne me laisse pas un mo- 
ment de relâche; et il faut renvoyer les plaisirs à 
des moments plus heureux , s'il m'est encore per- 
mis d'en attendre. Votre portrait n'avait pas be- 
soin de la circonstance pour me causer de l'émo- 
tion ; mais il est vrai qu'elle en a été plus vive par 
la comparaison de mas misères présentes avec les 
temps où j'avais le bonheur de vous voir tous les 
jours. Je voudrais bien que vous me fissiez l'ami- 
tié de m'en donner une seconde épreuve pour 
mon porte feuille. Les vrais amis sont trop rares 
pour qu'en effet la planche ne restât pas long- 
temps neuve, si vous n'en donniez qu'une épreuve 
à chacun des vôtres ; mais j'ose ici dire , au nom 
de tous, qu'ils sont bien dignes que vous l'usiez 
pour enx. 

Quoique je sache que vous n'êtes point fait pour 
en perdre, je suis peu surpris que vous ayez à 
vous plaindre de ceux avec lesquels j'ai été forcé 
die rompre. Je sens que quiconque est un faux 
ami pour moi n'en peut être un vrai pour per- 
sonne. 

Ils travaillent beaucoup à me faciliter l'entre- 
prise d'écrire ma vie , que vous m'exhortez de re- 
prendre. Il vient de paraître à Genève un libelle 
effroyable , pour lequel la dame d'Épinay a fourni 
des mémoires à sa ijlanîère , lesquels me mettent 
déjà fort à mon aise vis^à-vis d'elle et de ce qui 
l'eatoure. Dieu me préserve toutefois de l'imiter. 



ANNÉE 1765: 275 

même en me défendant! Mais sans révéler les se- 
crets qu'elle» m'a confiés, il m'en reste assez de 
ceux que je ne tiens pas d'elle pour la faire con- 
naître autant qu'il est nécessaire en ce qui se rap- 
porte à moi. Elle ne me croit pas si bien instruit ; 
mais, puisqu'elle m'y force, elle apprendra quel- 
que jour combien j'ai été discret. Je vous avoue 
cependant que j'ai peine^ encore à vaincre ma ré- 
pugnance , et je prendrai du moins des mesures 
pour que rien ne paraisse de mon vivant. Mais 
j'ai beaucoup à dire, et je dirai tout; je n'omet- 
trai pas une de mes fautes , pas même une de mes 
mauvaises pensées. Je me peindrai tel que je suis : 
le mal offusquera presque toujours le bien; et, 
malgré cela, j'ai peine à croire qu'aucun de mes 
lecteurs ose se dire : Je suis meilleur que ne fut 
cet homme-là. 

Cher ami, j'ai le cœur oppressé, j'ai les yeux 
gonfiés de larmes ; jamais être humain n'éprouva 
tant de maux à la fois. Je me tais , je souffre , et j'é- 
touffe. Que ne suis* je auprès de vous! du moins 
je respirerais. Je vous embrasse. 



t^/%i>%^^%/^m/%f^'%/mi/^^Mi/^'%/mi/^mym/%^^t/%^^u^^/^/^^/^m4^^^^mj<Ê^%^^/^ 



LETTRE DXLIL 

A M. D'IVERNOIS. 

Motiers, 17 janvier 1765. 

Votre lettre , monsieur , j|lu 9 de ce mois , ne 
m'est parvenue qu'hi«r, et très-certainemeut elle 
avait été ouverte. • 

18. 



276 COIWIESPONDANCE. 

Il me semble que je ne serais pas de votre avis 
sur la question de porter ou de ne pas porter au 
conseil général les griefs de la bourgeoisie , puis- 
qu'en supposantiie la part du petit conseil le refus 
de la satisÊdre sur ses griefs , il n'y a nul autre 
moyen de prouver qu'il y est obligé : car enfin de 
ce que des particuliers se plaignent , il ne s'ensuit 
pas qu'ils aient raison de se plaindre, et de ce 
qu'ils disent que la loi a été violée , il ne s'ensuit 
pas que cela soit vrai, surtout quand le conseil 
n'en convient pas. Je vois ici deux parties; savoir, 
les représentants et le petit conseil. Qui sera juge 
entre les deux ? 

D'ailleurs la grande affaire en cette occasion 
est d'annuler le prétendu droit négatif dans sa par- 
tie qui n'est pas légitime; et rien n'est plus impor- 
tant pour constater cette nullité que l'appel au 
conseil général. Le fait seul de cette assemblée 
donnerait aux représentants gain de cause , quand 
même leurs griefs n'y seraient pas adoptés. 

Je conviens que par la diminution du nombre 
cette souveraine assemblée perdra peu à peu son 
autorité; mais cet inconvénient, peut-être inévi- 
table , c^t encore éloigné , et il est bien plus grand 
en renonçant dès à présent aux conseils généraux. 
Il est certain que votre gouvernement tend rapi- 
dement à l'aristocratie héréditaire; mais il ne s'en- 
suit pas qu'on doive abandonner dès à présent un 
bon remède, et surtout s'il est unique , seidement 
parce qu'on prévoit qu'il perdra sa force un jour. 
Mille incidents peuvent d'ailleurs retarder ce pro- 



ANNl^E 1765. ^77 

grès encore ; mais si le petit conseil demeure seul 
juge de vos griefs, en tout état de cause vous êtes 
perdus. 

La question me paraît bien-^tablie dans ma 
huitième lettre. On se plaint que la loi est trans- 
gressée. Si le conseil convient de cette transgres- 
sion et la répare , tout est dit , et vous n'avez riefn 
à demander de plus ; mais s'il n'en convient pas , 
ou refuse de la réparer, que vous reste-t-il à de- 
mander pour l'y contraindre? un conseil général. 

L'idée de feire une déclaration sommaire des 
griefs est excellente ; mais il faut éviter de la faire 
d'une manière trop dure, qui mette le conseil 
trop au pied du mur. Demander que le jugement 
contre moi soit révoqué , c'est demander une chose 
insupportable pour eux , et aussi parfaitement inu- 
tile pour vous que pour moi. Il n'est pas même 
sûr que l'affirmative fitesat au conseil général ; et 
ce serait «m'exposer W%u nouvel affront encore 
plus solennel. Mais demander si l'article 88 de 
l'ordonnance ecclésiastique ne s'applique pas aux 
auteurs des livres ainsi qu'à ceux qui dogmatisent 
de vive voix , c'est exiger une décision très-raison- 
nable , qui dans le droit aura la même force , en 
supposant l'affirmative , que si la procédure était 
annulée , mais qui sauve le conseil de l'affront de 
l'annuler ouvertement. Sauvez à vos magistrats 
des rétractations humiliantes, et prévenez les in- 
terprétations arbitraires pour l'avenir. Il y a ce- 
pendant des points sur lesquels on doit exiger les 
déclaration.sJfSK plus expresses ; tels sont les tribu^ 



278 CORRESPONDANCE. 

naux bans syndics, tels sont les emprisonnemeiits 
fiiîts d'office , etc. Laissez là , messieurs , le petit 
point d'honneur^ et allez au solide. Voilà mon 
avis. 

J'ai reçu les couleurs et le microscope ; mille re- 
merciements , et à M. Deluc. N'oubliez pas, je 
vous supplie^ de tenir ime note exacte de tout. 
Dans celle que vous m'avez envoyée vous avez ou- 
blié la flanelle ; je vous prie de réparer cette omis- 

J'ai iait donner le louis à ma voisine. Digne 
bomme , que les bénédictions du ciel sur vous et 
Bur votre famille augmentent de jour en jour une 
fortune dont vous faites lui si noble usage. 

Le messager doit partir la semaine prochaine. 
Je voudrais que vous attendissiez les occasions de 
VQUS servir de lui plutôt que d'importuner incessam- 
ment M. le trésorier pour tant de petits articles qui 
ne pressent point du tout, et dont l'expédition 
lui donne encore plus d'incommodité qu'à moi 
d'avantage. 

Ne faites rien mettre dans la gazette. Le gazetier , 
veodu à mes ennemis, altérerait infailliblement 
votre article , ou l'empoisonnerait dans quelque 
autre. D'ailleurs à quoi bon ? Que ne suis-je oublié 
du genre humain ! que ne puis-jé , aux dépens de 
cett^ petite gloriole , qui ne me flatta de ma vie , 
jouir du repos que j'idolâtre , de cette paix si chère 
à mon cœur, et qu'on ne goûte que dans l'obscu- 
rité! Oh ! si je puis faire une fois mes derniers 
adieux au public!... Mais peut-être avant cet heur 



ANIfÉE 1765. 279 

reux moment faut-il le» foire à la vie, La volonlé 
de Dieu soit £aite. Je vous embrasse tendrement. 

Je vous prie de vouloir bien donner cours à 
cette lettre pour Chambéry. Je ne puis foire la 
procuration que vous demandez que dans la belle 
saison , voulant qu'dle soit légalisée à Yverdun ou 
à Neuchâtel , par dès raisons que je vous explique» 
rai et qui n'ont ..wcun rapport à la chose. 

LETTRE DXLIII. 

A M. PICTET. 

Motiers, le 19 janyier 1765. 

Vous auriee toujours , monsieur , des réponses 
bien promptes si ma diligence à les foire était pro- 
portionnée au plaisir que je reçois de vos lettres: 
mais il me sembla que , par égard pour ma triste 
situation , vous m'avez promis sur cet article une 
indulgence dont assurément mon cœur n'a pas 
besoin , mais que les tracas des foux empressés, et 
l'indolence de mon état me rendent chaque jour 
plus nécessaire. Rappelez-vous donc quelquefois , 
je vous supplie, les sentiments que je vous ai 
voués , et ne concluez rien de mon silence contre 

mes déclarations. 

» 

Vous aur.ez pu comprendre aisément , monsieur , 
à la lecture des Lettres de la montagne , combien 
elles ont été écrites à contre-cœur. Je n'ai jamais 
remplji ,4^evoir avec plus de répugnance que celui 



a8o CORRESPOND iLNGE. 

qui m'imposait cette tâche; mais enfin c'en était un 
tant envers moi qu'envers ceux qui s'étaient com- 
promis en prenant ma défense. J'aurais pu , j'en 
conviens , le remplir sur un autre ton ; mais je 
n'en ai qu'un ; ceux qui ne l'aiment pas ne devaient 
pas me forcer à le prendre. Puisqu'ils s'étudient 
à iqrabliger de leur dire leur véi^té , il faut bien 
user du droit qu'ils me donfl|Ç||};. Que je suis 
heureux qu'ils ne se soient pas avisés de me gâter 
par, des caresses! Je sens bien mon cœur; j'étais 
perdu s'ils m'avaient pris de ce côté-là ; mais je 
me crois à l'épreuve par celui qu'ils ont préféré. 
• Ce que j'ai dit est si simple, que vous ne pou- 
vez m'en savoir au|:un gré ; mais vous pouvez m'en 
savoir im peu de ce que je n'ai pas osé dire , et 
vous^'ignorez pas la raison qui m'a rendu discret. 
Puisque vous avez cependant, monsieur, le cou- 
rage d'avouer dans ces circonstances l'amitié dont 
vous m'honorez, je m'en honora trop moi-même 
pour ne pas vous prendre au mot. Jusqu'ici je n'ai 
point indiscrètement parlé de notre correspon- 
dance, et je n'ai laissé voir aucune de vos lettres; 
mais par la permission que vous m'en donnez, j'ai 
montré la dernière. Par les talents qu'elle annonce , 
elle mérite à son auteur la célébrité; mais elle la 
lui mérite encore à meilleur titre par les vertus 
qui s'y font sentir. 



ANNÉE 1765. a8l 



LETTRE DXLIV. *' 

A M. DU PEYROU. 



a,*^^ 



Motiers, le a 4 janvier 176^ 

A. 

3e vous avoue,ig|iM^'je ne vois qu'avec effroi ren- 
gagement* que je vais prendre avec la compagnie en 
question si l'affaire se consomme ; ainsi quand elle 
manquerait, j'en serais très-peu puni. Cependant^ 
comme j'y trouverais des avantages solides, et une 
commodité très-grande pour l'exécution d'une en- 
treprise que j'ai à cœur , que d'aitteurs je ne veux^ 
pas répondre malhonnêtement aux avances de ces 
messieurs, je désire, si l'entreprise se roitopt, Ijile 
ce ne soit pas par ma faute. Du reste , quoique je 
trouve les demandes que vous avez faites en mon 
nom un peu fortes , je suis fort d'avis , puisqu'elles- 
sont faites , qu'il n'en soit rien rabattu. 

Je vous reconnais bien, monsieur, dans l'arran-' 
gement que vous me proppsez au défaut de celui- 
là ; mais quoique j'en sois pénétré de reconnais- 
sance, je me reconnsutrais peu moi-même si je 
pouvais l'accepter sur ce pied-là: toutefois j'y vois 
une ouverture pour sortir , avec votre aide , d'un 
furieux embarras où je suis. Car, dans l'état pré- 
caire où son t ma santé et ma vie, j e mourrais dans une 
perplexité bien cruelle en songeant que je laisse mes 
papiers, mes effets, et ma gouvernante , à la merci 

* Pour une édition générale de ses ouvrages. 



a3d CORRESPONDANCE. 

d'un inconnu. Il y aura bien du malheur si l'inté- 
rêt que vous voulez bien prendre à moi, et la con- 
fiance que j'ai en vous ne nous amènent pas à 
quelque arrangement qui contente votre cœur 
sans faire souffrir le mien. Quand vous serez une 
fois mon dépositaire universel, je serai tranquille; 
et il me semble que le repos de mes jours m'en 
sera plus doux quand je vous en serai redevable. 
Je voudrais seulement qu'au préalable nous puis- 
sions &Lre une connaissance encore plus intime. 
J*ai des projets de voyage pour cet été. Ne pour- 
rkms*-nous en faire quelqu'un ensemble? Votre 
hâdment vous occupera-t-il si fort que vous ne 
puissiez le quitter quelques semaines , même quel- 
ques mois , si le cas y échoit ? Mon cher monsieur , 
il'£mt coifamencer par beaucoup se connaître pour 
SAvoir bien ce qu'on fait quand on se lie. Je m'at- 
tendris à penser qu'après une vie si malheureuse, 
peut-être trouverai-je encore des jours sereins 
près de vous , et que peut-être une chaîne de tra- 
verses m'a-telle conduit à l'homme que la Provi- 
dence appelle à me feriper les yeux. Au reste , je 
vous parle de mes voyages , parce qu'à force d'ha- 
bitude les déplacements sont devenus pour moi 
des besoins. Durant toute la belle saison il m'est 
impossible de rester plus de deux ou trois jours 
en place sans me contraindre et sans touffrir. 



awkéï; 1765. a83 

LETTRE DXLV. 

A M. LE COMTE DE B. 

Motiers, le 36 janvier 1765. 

Je suis pénétré , monsieur, des témoignages d'es- 
time et de confiance dont vous m'honores: mais, 
comme vous dites fort bien, laissons les complîr 
ments, et s'il est possible , allons k l'utile. 

Je ne crois paç que ce que vous désirée de moi 
se puisse exécuter avec succès d'emblée dans uae 
seule lettre , que madame la comtesse sentira d'à* 
bord être votre ouvrage. Il vaut mieux, ce me 
semble , puisque vous m'assurez qu'elle est portée 
à bien penser de moi, que je fasse avec elle les 
avances d'une correspondance qui fera naître aisé* 
ment les siijets dont il s'agit, et sur lesquels je 
pourrai lui présenter mes réflexions de moi-même 
à mesure qu'elle m'en fournira Toccasion. Car il 
arrivera de deux choses l'une : ou, m'accordant 
quelque confiance, elle épanchera quelquefois son 
honnête et vertueux cœur en m'écrivarit , et alors 
la liberté que je prendrai de lui dire mon sentiment, 
autorisée par elle-même, ne pourra lui déplaire; 
ou elle restera dans une réserve qui doit me servir 
de règle , et alors , n'ayant point l'honneur d'être 
connu d'elle , de quel droit m'ingérer à lui donner 
des leçons ? La lettre ci-jointe est écrite dans cètir 
vue , et prépare les matières dont nous aurons à 



!l84 CORRESPOND \NCK. 

traiter si ce texte lui agrée. Disposez de cette lettre, 
je vous supplie, pour la donner ou la supprimer , 
selon qu'il vous paraîtra plus convenable. 

En vérité, monsieur, je suis enchanté de vous 
et de votre digne épouse. Qu'aimable et 'tendre 
doit être un mari qui peint sa femme sous des 
traits si charmants ! Elle peut vous aimer trop pour 
votre repos , mais jamais trop pour votre mérite , 
ni vous l'aimer jamais assez pour le sien. Je ne 
ooimais rien de plus intéressant que le tableau de 
votre union , et tracé par vous-même. Toutefois 
voyez que , sans y songer, vous n'ayez donné peut- 
être à sa délicatesse quelque raison particulière de 
craindre votre éloignement. Monsieur, les cœurs 
sensibles sont faciles à blesser; tout les alarme, et 
ils sont d'un si grand prbc qu'ils valent bien les 
peines ' qu'on prend à les contenter. Les soins 
amoureux de nouveaux époux bientôt se relâchent; 
les témoignages d'un attachement diirable fondé 
sUr l'estime et sur la vertu sont moins frivoles et 
font plus d'effet. Laissez à votre femme le plaisir 
de sacrifier quelquefois ses goûts aux vôtres ; mais 
qu'elle voie toujours que vous cherchez votre bon- 
heur dans le sien , et que vous la distinguez des 
autres femmes par des sentiments à l'épreuve du 
temps. Quand une fois elle sera bien convaincue 
de la solidité de votre attachement , elle n'aura pas 
peur que vous lui soyez enlevé par des folles. 
Pardon , monsieur : vous demandez des avis pour 
madame la comtesse, et c'est à vous que j'ose en 
donner. Mais vous m'inspirez un intérêt si vif 



ANNÉE 1765. 285 

pour votre union , qu'en vous parlaat de tout ce 
qui me semble propre à l'affermir , je crois déjà 
me mêler de mes affaires. 

LETTRE DXLVI. 

A MADAME LA COMTESSE DE B. 

Motiers, le a 6 janyler 1765. 

J'apprends , madafne , que vous êtes une femme 
aussi vertueuse qu'aimable , que vous avez pour 
votre mari autant de tendresse qu'il en a pomr vous , 
et que c'est à tous égards dire autant qu'il est possi- 
ble. On ajoute que vous m'honorez de votre estime, 
et que Vous m'en préparez même un témoignage 
qui me donnerait l'honneur d'appartenir à votre 
sang par des devoirs *. ^ 

En voilà plus qu'iV ne faut , ma'dame, pour m'at- 
tacher par le plus vif intérêt au bonheur d'un $i 
digne couple, et bien, assez, j'espère, pour m'au** 
toriser à vous marquer ma reconnaissance pour la 
part qui me vient de votis des bontés qu'a pour 
moi M. le comte <ie ***.* J'ai pensé que l'heureux 
événement qui s'approche pouvait, selon vos ar- 
rangements, me mettre avec vous en correspon- 
dance ; et pour un objet si respectable je sens du 
plaisir à la prévenir. 

Une autre idée me fait livrer à mon zèle avec 

La comtesse de B/avait paru souhaiter que Rousseau voulût étrt 
le parrain de l'enfant dont elle était sur le point d'accoucherl ' "'V '- 



a86 CORRESPONDANCE. 

confiance. Les devoir» de M. le comte de *** l'appel- 
leront quelquefois loin de vous. Je rends trop de 
justice à vos sentiments nobles pour douter que 
si le charme de votre présence lui faisait oublier ces 
devoirs , vous ne les lui rappelassiez vous-même 
avec courage. Comme un amour fondé sur la vertu 
peut sans danger braver l'absence , il n'a rien de 
la mollesse du vice ; il se renforce par les sacrifices 
qtfflui coûtent, et dont il s'honore à ses propres 
yeux. Que vous êtes heureuse , madame , d'avoir 
tm mérite qui vous met au-dessus des craintes, et 
nh épotnc qui sait si bien en sentir le prix ! Plus 
il aura de comparaisons à faire , plus il- s'applau- 
dira de son bonheur. 

Dons ces intervalles vous passerez un temps 
très-doux à vous occuper de lui, des chers gages 
de sa tendresse , à lui en parler dans vos lettres , 
à en parler à ceux qui prennent part à votre union. 
Dans ce nombre *6serais-je , madame , me compter 
auprès de vous pour quelque chose? J'en ai le 
droit par mes sentiments : essayez si j'entends les 
i"6tres , si je sens vos inquiétudes, si quelquefois 
jappais les calmer. Je ne me flatte pas d'adoucir 
vos peines ; mais c'est quelque chose que les par- 
tager , et voilà ce que je ferai de tool mon cœur. 
Recevex, madame , je vous supptie, les assurances 
éei ïùùn respect. 



àHNiE 1765. 287 

LETTRE DXLVIT. 

A MILORD MARÉCHAL. 

a 6 janvier 1765. 

J'espérais, Milord, finir ici mes jours en paix; 
je sens que cela n'est pas possible. Quoique je vi4e 
en toute sûreté dans ce pays sous la protection 
du i^oi, je suis trop près de Genève et de Berne., 
qui ne me laisseront point en repos. Vous savez à 
quel usage ils jugent à propos d'employer la reli- 
gion : ils en font un gros torchon de paille enduit 
de boue^ qu'ils me fourrent dans la bouche à toute 
force pour me mettre en pièces tout st leur aise , 
sans que je puisse crier. Il faut donc fuir malgré 
mes maux , malgré ma paresse ; il faut chercher 
quelque endroit paisible eu je puisse respirer. Mais 
où aller? Voilà, Milord, sur quoi je vous consulte. 

Je ne voia que deux pays à choisir ; l'Angleterre 
ou l'Italie. L'Angleterre serait bien plus selon mon 
humeur; mais elle est moins convenable à ma 
santé , et je ne sais pas la langue : grand inconvé- 
nient quand on s'y transplante seul. D'ailleurs il y 
fait si cher vivre qu'un homme qui manque de 
grandes ressources n'y doit point aller , à moins 
qu'il ne veuille s'intriguer pour s'en procurer, 
chose que je ne ferai de ma vie ; cela est plus dé- 
cidé que jamais. 

Le climat de l'Italie me conviendrait fort, et mon 



u88 CORrRESPONDAIfCE. 

état, à tous égards, me le rend de beaucoup pré- 
férable. Mais j'ai besoin de protection pour qu'on 
m'y laisse tranquille : il faudrait que quelqu'un 
des princes de ce pays-là fn'accordàt un asile dans 
quelqu'une de ses maisons , afin que le clergé ne 
pût me chercher querelle si par hasard la fantai- 
sie lui en prenait; et cela ne me paraît ni bien- 
séant à demander , ni facile à obtenir quand on ne 
coniuut personne. J'aimerais assez le séjour de Ye- 
tÔ0eyi[{ue je connais déjà; mais quoique Jésus ait 
défendu la vengeance à ses apôtre*, Saint-Marc 
ne se pique pas d'obéir sur ce point. J'ai pensé 
que si le roi ne dédaignait pas de m'honorer de 
quelque apparente conmiission, ou de quelque 
titre sans fonctions conrnie sans appointements , 
et qui ne signifiât rien que l'honneur que j'aurais 
d'être à lui , je pourrais sous cette sauvegarde , soit 
à Venise, soit ailleurs, jouir en sûreté du respect 
qu'on porte à tout ce qui lui appartient. Voyez, 
Milord , si dans cette occurrence votre sollicitude 
paternelle imaginerait quelque chose pour me pré- 
sei:ver d'aller sous les plombs , ce qui serait finir 
assez tristement une vie bien malheureuse *. C'est 

' ■* Cette expression sous Us plombs a fort embarrassé les éditeurs 
de Genève. £n yoici Texplication : Le palais de Saint-Marc, à Venise^ 
est couvert de grandes lames de plomb, et Ton croyait alors corn- 
flàunémentque quand les Inquisiteurs d*état voulaient se débarrasser, 
«ans forme de procès, d'un homme suspect, ib le faisaient renfermer 
dans un des cabinets pratiqués immédiatement sous ces lames, qui, 
devenant brûlantes par Tarideur du soleil, donnaient au malheureux 
prisonnier une fièvre chaude dont il mourait en très-peu de temps. 
On aime à douter d'une cruauté plus atroce encore que celle de Bn- 
siris. Toujours est-il vrai qu*à Venise on ne parlait jamais de ces 
plombs qu'avec effiroi. , 



ANN^E 1765. 289 

une chose bien précieuse «à mon cœur que le re- 
pos, mais qui me serait bien plus précieuse encore 
si je la tenais de vous. Au reste, ceci n'est qu'une 
idée qui me vient, et (fui peut-être est très-ridi- 
cule. Un mot de votre part me décidera sur ce 
qu'il en faut penser. ■ 



k-«^«/«^»«a/>'«'W» VV^>«^ 



LETTRE DXLVIII. 

- # 
f A M. BALLIÈRE. 

Motiers, ie a8 janvier 1765, 

Deux envois de M. Duchesiys , qui ont demeuré 
très-long-temps en route , m'ont apporté, mon- 
sieur , l'un votre lettre et l'autre votre livre * : voilà 
ce qui m'a fait retarder si long^temps à vous re- 
mercier de l'une et de l'autre. Que ne donnerais-je 
pas pour avoir pu consulter votre ouvrage ou vos 
lumières , il y a dix ou douze aiA , lorsque je tra- 
vaillais à rassembler les articles mal digérés ■ que 
j'avais faits pour l'Encyclopédie! Aujourd'hui que 
cette collection est achevée , et que tout ce qui s'y 
rapporte est entièrement effacé de mon esprit, il 
n'est plus temps.de reprendre cette longue et en- 
nuyeuse besogne, malgré les erreurs et les fautes 
dont elle fourmille. Tai pourtant le plaisir de sen- 
tir quelquefois que j'étais, poujr ainsi dire, à la 
piste de vos découvertes , et qu'avec un peu plus 
d'étude et de méditation j'aurais pu peut-être en 

* Un exemplaire de la Thécïrie de -la musique. 

R. ^X. IQ 



2^0 CORRSSPONDAIMCE. 

atteindre quelques \unçs. Car, par exemple, j'ai 
très-bien vu que l'expérience qui sert de prindpe 
à M* Rameau n'est qu'une partie de celle des ali- 
quotes , et que c'est de cette dernière , prise dans 
sa totalité, qu'il faut déduire le système de notre 
harmonie; mais je n'ai eu du reste que des demi- 
lueurs qui n'ont fait que m'égarer. Il est trop tard 
pour revenir maintenant sur mes pas , et il faut que 
mon ouvrage reste avec toute^i ses fautes , ou qu'il 
soit refondu dans une seconde édition par une 
meilleure main. Plût à Dieu y monsieur ^ que cette 
main fut la vôtre! vous trouveriez peut-être assez 
de bonnes recherches toutes faites pour vous épar- 
gner le travail du manœuvre , et vous laisser seu- 
lement celui de l'architecte et du théoricien. 

Recevez, monsieur, je vous siippUe, mes très- 
liii|[nble$ salutations. 



LEtTRE DXLIX. 

A M. DU PEYROU. 

Motiers, le 3i janvier 1765. 

Vpici , monsieur , deux exemplaires de 1^ pièce 
qije vous avez déjà vue , et que j'ai fait imprinier 
à Paris *. C'était la meilleure répoi;is.e qu'il i»e con- 
venait d'y faire. 

Voici aussi la procuration sur votre dernier 
niodèle : je doute qu'elle puisse avoir son usage. 

Le libelle intitulé , Sentiment des citoyens. 



ANNiÊE 1765. agi 

Pourvu >que ce ne «ok ni votre faïUe m ta mienne, 
il impoi^te peu que l'affaire se rompe; naturelle- 
menit je dois m'y^tttendre, et je m'y attends. 

Voici enfin la lettre de M. de Buffon ,de laquelle 
je suis extrêmement touché. Je veux lui écrire, 
mais la crise horrible où je suis ne me le permet- 
tra pas si tôt» Je vous avoue cependant que je n'en- 
tends pas bien le conseil qu'il me donne de ne psas 
me mettre à dos M. de Voltaire; c'est comme si 
Ton conseillait à un passant, attaqué dai^i un grand 
chemin, de ne pas se mettre à dos le brigabd 
qui l'assassine. Qu'ai-je fait pour m'attirer les per- 
sécutions de M. de Voltaire ? et qu'ai-je à craindre 
de pire de sa part? M. de Bufifon veut-il que je flé- 
chisse ce tigre altéré de mon sang? Il sait bien qaê 
rien n'apaise ni ne fléchit jamais la fureur des tigres. 
Si je rampais devant Voltaire , il en triomphenût 
sans doute , mais il ne m'en égorgerait pas moins. 
Des bassesses me déshonoreraient , et ne me sau- 
veraient pas. Monsieur, je sais soufiirir; j'espère 
apprendre à mourir; et qui sait cela n'a jamais be- 
soin d'être lâche. 

Il a fait jouer les pantins de Berne à l'aide de son 
ame damnée le jésuite Bertrand : il joue à présent 
le même jeu en Hollande. Toutes les puissances 
plient sous l'ami des ministres tant poUtiques que 
presbytérifens. A cela que puis-je faire? Je ne doute 
presque pas du sort qui nl';ittend sur le canton 
de Berne, si j'y mets les pieds; cependant j'en au- 
rai le cœur net , et je. veux voir jusqu'où , dans ce 
siècle aussi doux qu'éclairé , la philosophie et l'hu- 

19- 



aga CORRESPONDANCE. 

nianité seront poussées. Quand l'inquisiteur Vol- 
taire m'aura fait brûler , cela ne sera pas plaisant 
pour moi , je l'avoue ; mais avouez aiissi que , pour 
la chose , cela ne saurait l'être plus. 

Je ne sais pas encore ce que je deviendrai cet 
été. Je me sens ici trop près de Genève et de Berne 
pour y goûter un moment de tranquillité. Mon 
corps y est en sûreté , mais mon ame y est inces- 
samment bouleversée. Je voudrais trouver quel- 
que asile où je pusse au moins achever de vivre 
e» paix. J'ai quelque envie d'aller chercher en Ita- 
lie une inquisition plus douce , et un climat moins 
rude^ J'y suis désiré , et je suis sûr d'y être accueilli. 
Je ne me propose pourtant pas de me transplan- 
ter brusquement, mais d'aller seulement recon- 
naître les lieux , si mon état me le permet , et qu'on 
me laisse les passages libres , de quoi je doute. Le 
projet de ce voyage trop éloigné ne me permet 
pas de songer à le faire avec vous , et je crains que 
rpbjet qui me le faisait surtout désirer ne s'éloigîie. 
Ce que j'avais besoin de connaître mieux* n'était 
assurément pas la conformité de nos sentiments . 
et de nos principes , mais celle de nos humeurs , 
dans la Supposition d'avoir à vivre ensemble comme 
vous aviez eu l'honnêteté de me le proposer. Quel- 
que parti que je prenne , vous connaîtrez , mon^ 
sieur, je m'en flatte, que vous n'avez pas mon es- 
tînie et ma confiance à demi ; et , si vous pouvez 
me prouver que certains arrangements ne vous 
porteront pas un. notable préjudice, je vous re-» 
mettrai , puisque vous le voulez bien , l'embarras 



ANNÉE 1765. agS 

de tout ce qui regardé ''tant la collection de mes 
écrits que l'honneur de ma mémoire; et, perdant 
toute autre idée que de me préparer au dernier 
passage , je vous devrai avec joie le repos du reste 
de mes jours. 

J'ai l'esprit trop" agité maintenant pour prendre 
un parti; mais, après y avoir mieux pensé, quel- 
que parti que je prenne , ce ne sera point sans en 
causer avec vous , 'et sans vous faire entrer pour 
beaucoup dans mes résolutions dernières. Je vous 
embrasse de tout mon cœur. 



LETTRE DL. 

A M. SAINT-BOURGËOIS. 

Motiers, le a féTiiec X7&5i 

J'ai reçu, monsieur,avec la lettre que vdus m'avez 
fait l'honneur de m'écrire le 29 janvier, l'écrit que 
vous avez pris la peine d'y joindre. Je vous remercie 
de l'une et dé Tautre. 

Vous m'assurez qu'un grand nombre de lecteurs 
me traitent d'homme plein d'orgueil, de présomp- 
tion, d'arrogance; vous avez soin d'ajouter que ce 
sont là leurs propres expressions. Voilà, monsieur^ 
de fort vilains vices dont je dois tâcher de me cor- 
riger. Mais sans doute ces messieurs, qui usent 
si libéralement de ces termes, sont eux-mêmes si 
remplis d'humilité,de douceur et de modestie, qu*il: 
n'est pas aisé d'en avoir autant qu'eux. 



394 CORRESPONDANCE. 

Je Tois , moBsieur y que vous avez de la santé , do 
loifir , et du goût pour la dispute : je vous en hàà 
mùt^eomfiîment ; et pour moi , qiH n'ai rien de tout 
celft^e vous salué, monsieur, de tout mon cœigr. 



LETTRE DLL 

A M. PAUL CHAPPUIS. 

Jdoûers, le a février 17'^ 5. 

J'ai lu, monsieur, avoc grand plaisir la lettre 
dont vous m'avez honoré le 1 8 janvier. J'y trouve 
tant de justesse , de sens , et une si honnête fran- 
chise, que j'ai regret de~ne pouvoir vous suivre 
dans les détails où voii»y êtes entré. Mais, de grâce , 
mettez - vous à ma place ; supposez - vous malade , 
accabîé de chagrins, d'affaires, de lettres, de vi- 
sites, excédé d'importuns de tout» espèce qui, ne 
sachant que faire de leur temps , absorberaienff inn» 
pitoyablement le votre , et dont chacun voudrait 
vous occuper de lui seul et de ses icfeées. Dans* cette 
position , monsieur, car c'est la mienne , il me hta- 
drait dix têtes , vingt mains, quatre secrétaires», et 
d^ jours de quarante-huit heures pour répondre' 
à tout; encore ne potfrrais-je contenter personne ^ 
parce que souvent deux lignes d'objectiofis deman* 
dent vingt pages de solutions. 

Monsieur, j'ai dit ce que je savais^et peutréfre 
ce que je ne savais pas ; ce qu'il y a de sûr , c' 
que je n'en s;Û5 pas davantage: wisi je ne 



ANNÉE 1765. 29? 

plus que bavarder ; il vaut mieux lue taure. Ja vois 
que la plupart de ceux qui m'écrivent pensent 
comme moi sur quelques points , et différemment 
sur d'autres : tous les hommes en sont à peu près 
là ; il ne faut point se tourmenter de ces différences 
inévitables , surtout quand on est d*-accord sur l'es- 
sentiel, comme il me paraît que nous le sonmies 
vous et moi. 

Je trouve les chefs auxquels yotSA réduisez les 
éclaircissements à demander au conseil assez rai- 
sonnables. Il n'y atjue le premier qu'il faut retran- 
cher comme inutile, puisque, ne voulant jamais 
rentrer dans Genève , il m'est parfeitement égal que 
le jugement rendu contre moi soit ou ne soit pas 
redressé. Ceux qui pensent que l'intérêt ou la pas- 
sion m'a fait agir dans cette, affaire, lisent bien mal 
le fond de mon ccôur. Ma conduite est une , et n'a 
jamais varié sur ce point : si mes contemporains ne 
me rendent pas justice en ceci, je m'en console en 
me la rendant à moi - même, et je l'attends de la 
postérité. 

Bonjour, monsieur. Vous croyez que j'ai fait avec 
vous en finissant ma lettre ; point du tout : ayant 
oublié votre adresse , il faut maintenant la retourner 
chercher dans votre première lettre , perdue dans 
cinq cents autres , où il me faudra peut-être une 
demi - journée pour la trouver. Ce qui achève de 
m'étourdir eât que je manque d'ordre : itaais le dé- 
couragement et la paresse m'absorbent, m'anéan- 
tissent , et je suis ti^op vieux pour me corriger de 
rien. Je vous salue âé tout mon cœur. 



396 CORRESPOIN D\NC£. 



LETTRE DLII, 

* A MADAME LA MARQUISE DE VERDELIN. 



:.'"■ *■ Motiers, le 3 février 1765. 

4u milieu des soins que vous donne , madame , 
le zèle pour votre famille, et au premier moment 
de votre convalescence , votis vous occupez de moi ; 
vous pressentez les nouveaux (iongers où vont me 
replonger les fureurs de mes ennemis, indignés 
que j'aie osé montrer leur injustice. Vous ne vous 
trompez pas, madame; on ne peut rien imaginer 
de pareil à la rage qu'ont excitée les Lettres de la 
montagne. Messieurs de Berne viennent de défendre 
cetfQ^ivrage en termes très-insultants : je ne serais 
pas surpri» qu'on me fit un mauvais parti sur leurs 
terres, lorsque j y remettrai le pied. Il faut en ce 
pays même 'toute la protection du roi pour m'y 
laisser en sûreté. Le conseil de Genève, qui soufiQe 
le feu tant ici qu'en Hollande, attend le moment 
d'agir ouvertement à son tour, et d'achever" de 
m'écraser, s'il lui est possible. De quelque côté que 
je me tourne, je ne vois que griffes pour me dé- 
chirer, et que gueules ouvertes pour m'engloutir. 
J'espérais du moins plus d'humanité du côté de la 
France : mais j'avais tort ; coupable du crime irré- 
missible d'être injustement opprimé , je n'en dois 
attendre que mon coup de grâce. Mon parti est 
pris, madame; je laisserai tout faire, tout dira, et 



AKNJÉE 1765. aCf'J 

je me tairai : ce n'est pourtant pas £siute d'avoir k 
parler. . . 

Je sens qu'il est impossible qu'on me laisse resr 
pirer en paix ici. Je suis trop près de Genève el de 
Berne. La passion de cette heureuse tranquillité 
m'agite et me travaille chaque jour davantage- Si 
je n'espérais la trouver à la fin , je sens que ma con- 
stance achèverait de m'abandonne!*. J'ai quelque 
envie d'essayer de l'Italie, dont le climat et l'inqui- 
sition me seront peut-être plus doux qu'en France 
et qu'ici. Je tâcheçai cet été de me trsuner de ce 
côté-là pour y chercher un gîte paisible ; et si je le 
puis trouver, je vous promets bien qu'on n'en- 
tendra plus parler de moi. Repos, repos, chère idole 
de mon cœur, où te trouverai -je? Est -il possible 
que personne n'en veuille laisser jouir un homnie 
qui ne troubla jamais celui de personne? Je ne se- 
rais pas surpris d'être à la fin forcé de me réfugier 
chez les Turcs, et je ne doute point que je n'y fusse 
accueilli avec plus d'hiunanité et d'équité que chez 
les chrétiens. 

On vous dit donc, madame, que M. de Voltaire 
m'a écrit sous le nom du général Paoli, et que j'ai 
donné dans le piège. Ceux qui disent cela ne font 
guère plus d'honneur, ce me semble, à la probité 
de M. de Voltaire qu'à mon discernement. Depuis 
la réception de votre lettre , voici ce qui m'est ar- 
rivé. Un chevalier de Malte , qui a beaucoup ba- 
vardé dans Genève, et qui dit venir de l'Italie, est 
venu me voir il y a quinze jours , de la part du gé- 
néral Paoli, Êdsant beaucoup l'empressé des com- 



agS CORRESPONDANCE. 

iBÛflions dont il se disait chargé près de moi , mais 
me disant au fond très-peu de chose , et m'étalant, 
d^uH air important, d'assez chétives paperasses fort 
pochetées. A chaque pièce qu'il me montrait, il 
était tout étonné de me voir tirer d'un tiroir la 
même pièce , et la lui montrer à mon tour. J'ai vu 
qt|e cela le mortifiait d'autant plus , qu'ayant £siit 
tons ses efforts pour savoir quelles relations je 
pouvais avoir eues en Corse , il n'a pu là - dessus 
ih'arracher un seul mot. Comme il né m'a point ap- 
porté de lettres , et qu'il n'a voulu ni se nommer , 
ni me donner la moindre notion de lui , je l'ai re- 
hiercié des visites qu'il voulait continuer de me 
faire. Il n'a pas laissé de passer encore ici dix ou 
douze jours sans me reveYiir voir. J'ignore ce qu'il 
y a fait. On m'apprend qu'il est reparti d'hier. 

Vous vous imaginez bien , madame , qu'il n'est 
plus question pour moi de la Corse , tant à cause 
de Tétat où je mé trouve , que par mille raisons 
qu'il vous est aisé d'imaginer. Ces messieurs dont 
vous me parlez* ont de la santé, du pain, du re- 
pos ; ils ont la tête libre , et le cœur épanoui par 
le bien-être; ils peuvent méditer et travailler à leùf 
aise. Selon toute apparence les troupes françaises , 
s'ils vont dans le pays, ne maltraiteront point leurs 
personnes; et, s'ils n'y vont pas, n'empêcheront 
point leur travail. Je, désire passionnément voir 
une législation de leur façon ; mais j'avoue que j'ai 
peine à voir quel fondement ils pourraient lui don- 

Helvétius et Diderot, auxquels les Corses, disait -ob , s'étaient 
adi^éttés pour ayoir un plan de lë^slatîbn. 



ANNÉE 1765. 29^ 

ner en Corse , car malheureunemeM fes feittûM^ de 
ce pays - là sont très - laides , et très - chastes , qui 
pis est. 

Que mon ouvrage projeté n'aille pas, madame, 
vous faire renoncer au vôtre. J'ea ai plus besoin que 
jamais, et tout peut très -bien s'airanger, pourvu 
que vous veniez au commencement ou à la fin dé 
la belle saison. Je compté ne partir qu'à la fin 'dfe 
mai , et revenir au mois de septembre. 

LETTRE DLin. 

A MADAME GtTYENET. 

Motîers, le 6 février 1765. 

Que j 'apprentie à tna bornie aime mes bonnes^ 
nouvelles. Le Thk janvier, on a brMé mon livre à 
La Haye ; on doit aujqurd'htn- le brûler à Genève ; 
on? le brûlera, j'espère, encore ailieufs. Voilà, pa^^ 
le froid qu'il fait , des gew bien brûlants. Qtoe dé 
feux de joie brilteÀt à mon honneur (fans FEu- 
rope! Qu'on"! donc foit mes autres écrits pottr n'éfré 
pas srtissi bnité»? et qufe n'en ai- je à fiéfe brûler 
encore !' Mai* j'ai fini pour ma vie ; il faut ^voir 
mettre des bornes à son orgueil. Je n'en mets point 
à mon attachement pour vous, et vous voyez qu'au 
milieu de mes triomphes je n'oublie pas mes amis. 
Augmentez-en bientôt le nombre , chère Isabelle , 
j'en attends l'heureuse nouvelle avec la plus Vive 



300 CORRESPONDANCE. 

impatience. Il ne manque plus rien à ma gloire ; 
mais il manque à mon bonheur d'être grand- 
papa^. 



LETTRE DLIV. 

A MADAME DE GHENONCEAUX. 

Motiers, le 6 février 1765. 

Je suis entraîné ,- madame , dans un torrent de 
malheurs qui m'absorbe et m'ôte le temps de vous 
écrire. Je me soutiens cependant assez bien. Je n'ai 
plus de tête; niais mon cœur me reste encore. 

Faites-moi l'amitié , madame ,,de faire tenir cette 
lettre à M. l'abbé de Mably, et de me faire passer 
sa réponse aussitôt qu'il se pourra. On fait circuler 
sous son nom , dans Genève , une lettre avec laquelle 
on achève de me traîner par les boues, et toujours 
vers le bûcher. Je serais sûr que cette lettre n'est 
pas de lui, par cela seul qu'elle est lourdement 
écrite; j'-en su^^ encore plus sûr, parce qu'elle est 
basse et malhonnête. Mais à Genève , où l'on se 
connsdt aussi mal en style qu'en procédés , le pu- 
blic s'y trompe. Je crois qu'il est bon qu'on le dé- 
sabuse, autant pour l'honneur de M. l'abbé de 
Mably que pour le mien. 

r 

* Madame Gayenet appelait Rousseau son papa. 



A.NNÉE I7G5. 3oi 



LETTRE DLV. 

A M. L'ABBÉ DE MABLY. 

Motiers, le 6 février 1765. 

Voici , monsieur, une lettre qu'on vous attribue , 
et qui circule dans Genève à la faveur de votre nom. 
Daignez me marquer , non ce que j'en dois croire, 
mais ce que j'en dois dire , car je n'en puis parler 
comme j'en pense que quand vous m'y aurez au- 
torisé. 

, Si mes malheurs ne vous ont point fait oubliei: 
nos anciennes liaisons, et l'amitié dont vous m'ho- 
norâtes , conservez-la , monsieur , à un homme qui 
n'a point mérité de la perdre ^.et qui vous sera tou- 
jours attaché*. 

'^ A la suite de cette lettre, Ronsseau- a transcrit celle qui est attri- 
buée à Tabbé de Mably. Elle est du j i janvier 1765, et l'extrait lui 
en fut envoyé det^enève, le 4 février suivant, par un anonyme. 
Voici cet extrait : • 

« Une cbose qui me fâche beaacou{> , c'est la lecture que je viens 
« de faire des Lettres de la montagne ; et voilà toutes mes idées bou- 
m leversées sur le compte de Rousseau. Je le croyais bounéte homme ; 
«je croyais que sa morale était sérieuse, qu'elle était dans* son 
« cœur, et non pas ail bout de sa plume. Il me fait prendre malgré 
« moi une autre façon de penser, et j'en suis affligé. S'il s'était 
m borné à prétendre que son déisme est un bon christianisme , et 
« qu'on a eu tort de brûler son Jdvre et de décréter sa personne,' 
m on pourrait rire de ses sophismes, de ses paralogismes, et de ses 
« paradoxes, et on aurait dit qu'il est filcheux que l'homme le plus 
« éloquent de son. siècle n'ait pas le sens çpmmim. Mais cet homme 
« finit par être une espèce de conjuré. Est-ce Érostrate qui yeut 
« briller le temple d'Éphèse ? est-ce un Gracchns ? Je sais bien que 
« les trois dernières lett^s, dans lesquelles Rousseau attaque votre 



3oa 



CORR£SPOJy,DAiyC£. 



rf .«•* 



%/•(%.« 



►*'*y 



LETTRE DLVI. 



*** 



A M. D"\ 



Motiers, le 7 février 1765. 






Je ne doute point , monsieur , qu'hier , jour de 
Deux-cents, on n'ait brûlé mon livre à Genève ; du 
moins toutes les mesures étaient prises pour cela. 
Vous aurez su qu'il fut brûlé le aa à La Haye. Rey 
memarque que l'inquisiteur * a écrit dans ce pays-là 
beaucoup de lettres , et que le ministre Chais , de 
Genève, s'est donné de grands mouvements. Au 

• 

« gouvernement , ne sont remplies que de déclamations et de man- 
« Tais raisonnements; mais il est à craindre que tout cela ne paraisse 
« très-juste , très-sage et très-raisonnable à des tètes échauffées p et 

■ qui ne savent pas juger et goûter leur bonheur. Je croirais que 
« Totre gouvernement est aussi bon qu'il peut l'être , eu égard à sa 
« situation^ et, dans ce cas, c'est on crime que d'en troubler l'har- 
« monie. J'espère que cette affaire n'aura aucune suite fâcheuse ; 
« et l'excellente tète qui a fait les Lettres de la campagne a sans dou|p 
« tout ce qu'il faut pour entretenir l'ordre au milieu de la fermen- 
« tatiou , ouvrir les yeux du peuple , et lui fiûre connaître ses er- 
« repirs , ou plutôt celles- de Rousseau. Que voulez -vous ! il n'est 
« point de bonl^eur parfait pour les hommes, ni de gouvernement 
« sans inconvénient. La liberté veut être achetée ; elle est expofiée 
« à des moments d'agitation et d'inquiétude. Malgré cela, elle vaut 

■ mieux que le despotisme. Je vous demanderais pardon, madame, 
fi.de vous parler si gravement, si vous étiez Parisienne; mais vons 
« /tes Genevoise , et des choses sérieuses vouft plaisent plus qœ nos 
« colifichets. » 

L'anonyme avait accompagné cet envoi du billet suivant : 
■ G toi , le plus vertueux et le plus modeste de tous les hommes, 
« surtout pour les statues et les médailles « juge à présent lequel les 
w mérite le mieux de celui-ci ou de toi ! » (N^te de S^Peyrou,) 

* Voltaire. 



AJtwiE 1765. 3o3 

surplus, on. laisse Rey fort .^tranquille. Tout cela 
n'est-il pas plaisant? Cette affaire s'est tramée avec 
beaucoup de secret et de diligence ; car le comtQ 
de B***, qui m'écrivit peu de jours auparavant^ 
n'en savait rien. Vous me direz : Pourquoi ne l'a-t-il 
pas empêché au moment de l'exécution ? Monsieur, 
j'ai partout des amis puissants, illustres, et qui, 
j'en suis très -sûr, m'aiment de tout leur cœur; 
mais ce sont tous gens droits , bons , doux , pa- 
cifiques, qui dédaignent toute voie oblique. Au 
contraire , mes ennemis sont ardents , adroits , in- 
trigants , rusés; infatigables pour nuire , et qui ma- 
nœuvrent toujours sou^ terre, conime les taupe^. 
Vous sentez que la partie n'est pas égale. L'inqui- 
siteur est l'homme le plus actif que la terre ait 
produit ; il gouverne en quelque £siçon toute l'Eu- 
rope. 

Tu dois régner; ce monde est fait pour les méchants. 

Je suis très-sûr qu'à moins que je ne lui survive, 
je serai persécuté jusqu'à la mort. 

Je ne digère point que M. de Buffon suppose que 
c'est moi qui m'attire sa haine. Ëh l qu'ai-je donc 
fait pour cela? Si l'on parle trop de moi, ce n'est 
pas ma faute; je me passerais d'une célébrité ac- 
quise à ce prix. Marqj.iez à M. de Buffon tout ce 
que votre amitié jpourmbi vous inspirera;, et, en 
attendant que je sois en état de lui écrire ,, parlez- 
lui, je vous supplie, de tous les sentiments dont 
vous me savez pénétré poiu* lui. 

M. Vernes désavoue hautement, et ^vec horreur, 



3o4 correspon'dajVck. 

le libelle où j'ai miâ son nom. Il m'a éorit là-dessus 
une lettre 'Honnête , à laquelle j'ai répondu sur le 
même ton, offrant de contribuer, autant qu'il me 
serait possible , à répandre son désaveu. Malgré la 
certitude où je croyais être que l'ouvrage était de 
lui, certains faits récents me font soupçonner qu'il 
pourrait bien être de quelqu'un qui se cache sous 
son manteau. 

Au reste , l'imprimé de Paris s'est très-prompte- 
ment et très -singulièrement répandu à Genève. 
Plusieurs particuliers en ont reçu par la poste des 
exemplaires sous enveloppe , avec ces seuls mots , 
écrits d'une main de fename, Lisez y bon?ies gens! 
Je donnerais tout au monde pour savoir qui est 
cette aimable femme qui s'intéresse si vivement à 
un pauvre opprimé , et qui sait marquer son in- 
dignation en termes si brefs et si pleins d'énergie. 

J'avais bien prévu, monsieur, que votre calcul 
ne serait pas admissible, et qu'auprès d'un honmie 
que vous aimez votre cœur ferait déraisonner votre 
tête en matière d'intérêt. Nous causérqps de cela 
plus à notre aise, en herborisant cet été;' car loin 
de renoncer à nos caravanes, mêijie en supposant 
le voyage d'Italie, je veux bien tâcher qu'il n'y nuise 
pas. Au reste, je vous dirai que je sens en moi, de 
puis quelques jours, une révolution qui m'étonne. 
Cies derniers événements , qui devaient achever de 
m'accabler, m'ont , je ne sais comment, rendu tran- 
quille , et même assez gai: Il me semble que je don- 
nais trop d'importance à des jeux d'enfonts. Il y a 
dans toutes ces brûleries (Juelque chose de si niais 



AÎVNÉE 1^65. 3o5 

€t de si bête, qu'il faut être, plus enfant qu'eux 
pour s'en émouvoir. Ma vie morale est finie. Est-ce 
la peine de tant choisir la terre où je dois laisseï; 
mon corps? La partie la plus précieuse de moi- 
même est déjà morte : les hommes n'y peuvent plus 
rien , et je ne regarde plus tous ces tas de magis- 
trats si barbares que cbmnie autant de vers qui s'a- 
musent à ronger mon cadavre. 

La machine ambulante se montera donc cet été 
pour aller herboriser ; ^t , si l'amitié peut la ré- 
chauffer encore f vous serez le Prométhée qui me 
rapportera le feu du ciel.. Bon jour, monsieur., 

a* 



LETTRE DLVII. 

A M. MOULTOU. 

a 

A Motiers, le 7 février 176S. 

Cher ami, comptons donc désormais l'un sur 
l'autre , et ^que notre confiance soit à l'épreuve de 
l'éloignen/ent , du silence, et de la froideur d'une 
lettre; car quoiqu'on ait toujours le même cœur, 
on n'est pas toujours 4^. la même humeur. Votre 
état me touche .vivement : qui doit mieux sentir vos 
peines, que moi qui vous aime? et qui doit mieux 
compatir aux maux de votre père, que moi qui en 
sens si so]ivent de pareils ? , J'ai dàn» cç moment 
une attaque qui n'est pas légère : jugez au milieu 
de tout le reste! 

Oui , je vous désire hors de Genève. Je dôuteque 
R. XX. ao 



3o6 CORRESPOND A.NCE. 

la plus pure vertu pût s'y conserver toujours telle , 
surtout parmi Tordre de gens avec qui vous vivez. 
Juges de leur parti par leurs manœuvres ; ils ont 
toutes celles du crime ; ils ne travaillent que sous 
terre ^ comme les taupes; leurs procédés sont- aussi 
nofrs que leurs cœurs. J'ai reçu ayant -hier une 
lettre anonyme, où l'on me faisait, d'un air de 
triomphe, l'extrait d'une prétendue lettre de l'abbé 
de Mably, que Tabbé de Mâbly n'a trèa-sûrement 
jamais écrite. Cette lettre est lourde et maladroite; 
elle sent le terroir , elle est malhanhête et basse à 
la manière de ces messieurs. On y dit d'un ton de 
sixième : Est-ce Érostrate qui veut brûler le temple 
dïphèse? est-ce un Gracchus? etc. Cependant, au 
nom de l'abbé de Mably , voilà, j'en suis sûr, tout 
votre Deux-cents à genoux, tous vos'bourgeois pris 
pour dupes. Ils ne résistent jamais à la fausse au- 
torité des noms ; on a beau les tromper tous les 
jours , ils ne voient jamais qu'on les trompe. 

En faisant imprimer à Paris la lettre de M. Vernes, 
j'ai bien eu soin de relever par une note l'endroit 
qu'il prétendait vous regardei:.7e n'ai pas besoin 
qu'on- me dise ces choses-là ; je 1^ sens d'avance. 
Il m'a écrit une lettre honnête, je lui ai répondu 
poliment. S'il désavoue la pièce en» termes conve- 
nables , et qu'il s'en tienne là ^ je ne répliquerai 
rien, car je suis las de querelles: mais s'il s'avise de 
fidre^le mauvais, nous verrons. Il sem difficile de 
ppoïiver juridiquement qu'il est autefUr de la pièce; 
cependant je me crois en état de pousser les indices 
si près de la preuve , q^e le public n'en dotitera 



ANNÉE 1765. 307 

pas plus que moi. Vous êtes très à portée de m'aider 
dans ces recherches, et<îela bien secrètement. Ce- 
pendant , si les perquisitions sur ce Doint sont dif- 
ficiles , il n'en est pas de même sur l^propos qu'il 
tenait pubHquement et sans mesure lorsque i'ôu* 
vrage parut : là-dessus û vous est très-aisé d'avoir 
des .£aits, des. discours articulés, avec les circcms- 
tances des lieux, des temps, des personnes. Faites 
ces recherches avec soin, je vous, en prie; ou si 
vous partez, chargez de ce soin quelqu'un de vos 
amis ou des miens ; quelqu'un sur qui vous puis- 
siez compter, et qu'il n'est pas même nécessaire 
que je.connaisse., puisqu'il peut m'envoyer, sans 
signer, les faits qu'il aura ramassés; mais il faudrait 
se servir d'une voie sûre , ou garder un double cje 
ce qu'on m'envoie , pour me le renvoyer au besoin 
par duplicata. Ces recherches peuvent m'être très- 
importantes. J'espère cependant qu'elles seront su- 
perflues ; car, encore un coup, je suis bien résolu 
de n'en faire u^age'qu'à la dernière extrémité, et 
s'il me pousse contre^le mur. Autrement, je resterai 
en repos, cçla est sûr. 

Écrivez -moi avant votre départ. J'espère que 
vous m'écrirez aussi de Montpellier, et que vous 
m'y donnerez VQtrè acbresse et des nouvelles de 
votre digne père. Vous savez qu'on vient de brûler 
mon livre,à La Haye ; c'est le n^uaistre. Chais et l'in- 
quisiteur Voltaire qui ont vrangé cela; Rey me 
le marque. iLajoute ^e' dans 4e pays tout fe monde 
est -d'un étôHnëipeîit «ans 'égal de cette belle expé- 
dition : pour moi; ceschosès4à lie m'étonnent phis, 

30. 



3o8 CORAESPONDANCK. 

mais elles me font toujours rire. Jb parierais ma 
tête qu'hier votre Deux-cents exx a fait autant. 

Si vous pouvez m'envoyer un exemplaire du li- 
belle, de riiq)ression de Genève, vous me fereàc 
plaîair. Je n'ai plus le mien , l'ayant envoyé à Paris. 

En ce moment, ce qu'on m'écrit de Yernes me 
fait douter si peut - être Touvrage ne serait point 
d'up autre ^ qui aurait pris toutes ses mesures pour 
le lui faire attribuer. Que ne donnerais -je point 
pour savoir la vérité ! 

Je sais des gens qui auraient grand besoin d'un^ 
plume, et je sais un homme bien digne de la leur 
£^umir. Il le pourrait sans se çomprome|tre ; et 
puisqu'il aime la vertu , jamais il n'en aurait £aiit 
un plus bel acte. 



LETTRE DLVIIL 

À M. LE NJLEPS. 

Motiters, le 8 février 1765. 

Je commençais à être inquiet dé vous, cher ami ; 
votre lettre vient .bien ^ propos me tirer de peine. 
La violente crise où je. suis me force à ne vous 
parlëi^^ dans celle-ci, que de moi. Vous aurez vu 
qu'on a brvilé le a a mon livre à La Haye. Rey me 
marque que le minij^tre Ch^is s'est donne t^eau- 
Goup dç'mpuvements, et que Tiriquisiteur Voltaire 
a écrit beaucoup de lettres .pour cette affisdre. Je 
pense qu'avant-hier le peuxycents. en a &it autant 



AICNJÉE 1765. 309 

à Genève, du çioins tout était préparé pour cela. 
Toutes ces brûleries sont si bétes, qu'elles ne font 
plus que me faire rire. Je vous envoie ci*joint copie 
d'une- lettre* qve j'écrivis avant -hier là -dessus à 
une jeune femnie qui m'appelle son papa. Si la 
lettre votis paraît bonne, vous pouvez la faire cou- 
rir , pourvu qtie les copies soient exactes. 

Prévoyant les chagrins, sans nombre que m'atti- 
rerait -mon dernier ouvrage , je né le fis qu'avec ré- 
pugnance, malgré moi, et vivement sollicité. Le 
voili fait, publié, brûlé. Je m'en tiens -là. Non- 
seulemeAt je t^e veux plus me mêler des affaires 
de Gehève^ ni même en entendre parler; mais, 
pour le coup, je quitte tout- à -fait la plume, et 
soyez assuré que rien au monde ne me la fera re- 
prendre. Si l'on m'eût laissé faire, il y 2^ long-tem 
que j'aurais pris ce parti; mais il est pris si bi 
que , quoi qu'il arrive , rien ne m'y fera renon 
•Je ne demande au ciel que quelque intervalle de 
paix jusqu'à ma dernière heure , et tous mes mal- 
lueurs seront oubliés ; mais , dût-on me poursuivre 
jusqu'au tombeau, je cessé de me défendre. Je ferai 
comme les enfants et lés ivrognes , qui se laissent 
tomber tout bonnencient quand on les pousse , et 
ne se font aucun mal ; au lieu qu'un homme qui 
veut se roidir n'en tombe pas moins, et se casse 
une' jambe ou un bras par-dessus le marché. 

On répand donc qiie c'est Tinquisiteur qui m*a 
^crit au nom des Corses, et que j'ai donné dans 
un piège si subtil. Ce qui me parait ici tout-à-fait 

* Cc»t celle à madame GuyenM , du 6 février, n** ivliu. 




3lO CORRESPONDANCE. 

l)on est que Tinquisiteiir trouve plaisant Ad se (sire 
passer pourfaussaireypoui^ju qu'il me fasse passer 
pour dupe. Supposons que ma stupidité fut telle 
que, sans autre information, j'ieusse pris celte pré- 
tendue lettre pour argent comptant, est-il Çbnce-r 
vable qu'une pareille négociation se ffit 'bornée i 
cette unique lettre , sans instructiâtis , sans éclair- 
cissements , sans mémoires , sans précis d'âùc^lme 
espèce? ou bien M. de Voltaire aura-t-il pris la peine 
de fid)riquer aussi tout cela? Je veux que ^' pro- 
fonde érudition ait pu tromper, sur ce point f'^moli 
ignorance ; tout cela n'a pu se faire au moù^ sans 
avoir de ma part quelque réponse , ne fiitrce -que 
pour savoir si j'acceptais la proposition. Il ne fk»u- 
vadt même avoir que cette réponse en vue pour 
ttester ma crédulité ; ainsi son premier soin à dû 
de se la faire écrire : qu'il la montre , et tput 

Oit, 

Voyea comment ces pauvres gens accordent leurs 
flûtes. Au premier bruit d'une lettre que j'avais 
reçue, on y mit aussitôt pour emplâtre que mes- 
sieurs Helvétius et Diderot en avaient reçu dfe^ pa- 
reilles. Que sont m^n tenant devenues ces lettrés? 
M. de Voltaire a-t-il aussi voulu se moquer d'eux ? 
Je ris toujours de vos Parisiens, de ces esprits* si 
subtils, de ces jolis faiseurs d'épigrammes, que leur 
Voltaire inène incessamment avec des contes de 
vieilles, qu'on ne ferait pas croire aux enfants. J'ose 
dire que ce Voltaire lui-même, avec tout son es- 
prit, n'est qu'une bête, un méchant très-maladroit. 
Il me poursuit , il m'écrase , il me persécute , et 




peut-être me £erà-t-il périr à la lin : grande mer- 
veille, ay^ç cent mille livres de rente, tant d'amis 
puissants à la cour , et tant dé si basses cajoleries 
contre ^n pauvre homn^e ds^as mpnétat! J'cfse dire 
que si Voltaire, dans une situation pareille à la 
mienne, osait m'attaquer, et que je daigi\asse em- 
ployer contre lui ses propres armes,ii; serait bientôt 
terrassé. Vous allez juger de la finesse de ses pièges 
par un fait qui peut-être a donné lieu au bruit qu'il 
a répandu, comme s'il eût été sûr d'avance du succès 
d'une ruse bien conduite. 

Un chevalier de Malte , qui a beaucoup bavardé 
dans Genève , et dit venir d'ïtalie, est venu lye voir, 
il y a quinze jours, de la part du général Paoli , fiû- 
sant beaucoup l'empressé des cpmmissions dopt il 
se disait chargé près de moi; mais me disant au fpnd 
très-peu de chose, et m'étalant d'un air important 
d'assez chétives paperasses fort pochetées. A cha- 
que pièce qu^îl me montrait, il était tout étonné 
de me voir tirer d'un tiroir la même pièce, et la 
lui montrer à mon tour. J'ai vu que cela le mor- 
tifiait d'autant plus , qu'ayant £siit tous ses efforts 
pour savoir quelles relations je pouvais avoir euçs 
en Corse, il n'a pu là -dessus m'arracher un seul 
mot. Coimne il ne m'a point apporté de lettres , et 
qu'il n'a voulu ni se nonimer ni me donner la 
moindre notion de lui, je l'ai remercié des visites 
qu'il voulait continuer de me faijré. 11 n'a pas laissé 
de passer encore ici dix pu douze jours sans me 
revenir voir. 

Tout cela peut être une chose fort simple. Peut- 



3lI1 C0RR£SP0NDA.NCK. 

étre^ ayant quelque envie de me voir, n'a-t-il cher- 
ché qu'un prétexte pour s'introduire, et .peut-être 
est-ce un galant homme , très-bien intentionné, et 
qui n'a d'autre tort , dans ce fait , que d'avoir Êdt 
un peu trop l'empressé pour rien. Mais coimne tant 
de malheurs doivent m'avoir appris à me tenir sur 
me» gardes, vous m'avouerez que si c'est un piège, 
il n'est pas fin. 

M. Vernes m'a écrit une lettre honnête pour dés- 
avouer avec horreur le libelle. Je lui ai répondu 
très-honnétement, et je me suis obligé de contri- 
buer-, autant qu'il m'est possible, à répandre -son 
désav^ , dans le doute que quelqu'un plus méchant 
que lui ne se cache sous son manteau. 



LETTRE DLIX. 

A MADAME LATOUR: 



A MQtierSy le lo féTrier 1765, 



L'orage nouveau qui m'entraîne et me submerg[e 
ne me laisse pas un moment de paix pour écrire à 
l'aimable Marianne ; mais rien ne m'ôtera ceux que 
î^ consacre à penser à elle, et à faire d'un Si doux 
souvenir une des consolations de ma vie. 

Prêt à faire partir ce mot , je reçois votre lettre ; 
j^enavais besoin ;ij^étais en peine de vous. Puisque 
vous voilà rétablie, j'aime mieux qu'il y ait eu de 
Taltération dans votre corps que dans votre cœur; 
Je mien^ quoique vous en disiez, est pour vous 



àNNiE J765. 3i5 

toujours le même; et si tant d'atteintes cruelles le 
forcent à se concentrer plus en dedans, il y nourrft 
toutes les' affections qui kii sont ahères. Vous avez 
un ami bien malhedi'eux , mais-vous l'avez toujours. 



»•. 



I 



. . . . . . Je ne cache point ma fàiblesâë en vous 

écrivaht; vous sentez ce que cela veut dire. 



» 



\.» 



LETTRE Dix, 

r . ■ ■ . « _ • ■ 

. A MltOnD MARÉCHAL. 

■'■.■. ' ^ 

motiers, le %i féyrier ijôi,. 

Vous savez, Milord, une partie de ce qui m'âr- 
rive, la brûlerie de La Haye, la défense de Berne, 
ce qui ;se prépare à (ienève ; mais vous ne pou- 
vez savoir tout. Des malheurs si constants , une 
ahimosité si universelle , commençaient à m'acca- 
bler tout-à-fait. Quoique les mauvaises nouvelles 
se multiplient depuis la réception de votre lettre, 
je suis 'plus tranquille, et même assez gai. Quand 
ils m'auront fait tout le mal qu'ils peuvent, je 
pourrai les mettre au pis. Grâces à la protection du 
roi et à la vôtre , ma personne eàt en sûreté contre 
leurs atteintes ; mais elle ne l'est pas contre leurs 
tracasseries, et ils/nele font bien «éiitlr. Quoi qu'il 
en soit , si ma tête s'affaiblit et s'altère, mon cœur me 
reste en bon état. Je l'éprouve en lisant votre der- 
nière lettre et le billet que vous avez écrit pour la 



3l4 OORRE8PONDANCE. 

'communauté de Couvet. Je crois que M. Meuron 
:»!acquittera aÀiS|p<;àpli^isir de la commission que vous 
lui donnez : je ji'en dirais pas autant de racljoînt 
que vous lui associez pour cet effets malgré l'em- 
pressement qu'il affecte. Un des totmnents de ma 
vie est "d'avoir quelquefois à me plaindre dê§ gens 
que vous aimez , et à çi^ Ipu^r de ceux que vous xi'ai- 
mez pas. Combien tout çe.qui^vous est attaché m^ 
serait cher s'il voulait seulement ne pas*repousser 
. môH zèle ! mais vos bontés pour moi font ici bien 
des. jaloux; et, dans Toccsfsàioo ^*cas jaloux ne me 
cachent pas trop leur haiqe, Puîsse-t-elle au^nen- 
tér-sans cesse au laéme prix! Ma bonne sœur Éme- 
tulla , conservez-moi soigneusement notre père : si 
je le. perdais, je serais le plus malheureux des 
êtres.: 

Avez-vous pu croire que j'aie fait la nàoiôdre 
démarche pour obtenir la permission d'in^primer 
ici le recueil de mes écrits , ou pour empêcher que 
cette permission . ne fût révoquée? Non, Milord-, 
j'étais, si parfaitement là-dessus dans vos senti- 
ments, sans les connaître, que dès le/cômnienee- 
ment je parlai is^ur ce ton aux associés qui se pré- 
sentèrent, et à Du Peyrou,- qui a bien vquIu se 
charger de traiter avec eux. La proposition est 
yepue d'eux , et je ne me suis point pressé d'y con- 
sentir. Du reste, je n'ai rien demandé, je ne de- 
mande rien, je ne demanderai rien ; et, quoi qu'il 
arrive, on ne pourra pas se vanter de m'avoir fait 
un refus, qui, après tout, me nuira moins qu'à 
eux-mêmes , puisqu'il ne fera qu'ôter au pays cinq 



AITNÉB 1765. 3l5 

OU six cent mille francs qpe j'y aurais fait entrer 
(le cette manière, et qu'oti ne retpwa peut-etr<; 
pas si dédaigneusement aiUeurs. Mate s'il aprîvaît , 
contre toute attente, que' ku. permission fût accor- 
dée ou ratifiée , j^LTOue • que j'en serais touché 
comme sii personne rt'y. gagnait que naoi seul, et 
que je m'attacherais au pays pour le reste de ma 
vie. • * . . . * 

Comme probablemeot irela n'arrirera pas, et 
que le voisii)age de Genève me déidént det jour 
en jour plus însup{k)rt$blé^ je. chercha à m'^n 
éloigner à tout prix! Il ne me reste à chokûr ^e 
deux asHes , PAngletçrre ou Htalie : mais l-Àn- 
glèterre est trop éloignée ; il y fait trop cher vivre, 
et mon corps ni ma bourse n'en supporteraient 
pas le trajet. Reste Htalie, et surtout Venise, 
dont le climat et nnquisition . sont plus doux 
qu'en Suisse ; mais smnt Marc , quoique apôtre , ne 
pardonne guère , et j'ai bien dit du maj de ses en- 
fants. Toutefois je crois qu'à la fin j'en courrai les 
risques; car j^aime encore mieux la prison et la 
paix , que la liberté et la gueare. Le tumulte où je 
suis ne me permet encore de rien résoudre ; je 
vous en dirai davantage quand mes sens seront 
plus rassis. Un peu de vos conseils me serait bien 
nécessaire ; car je suis si malheureux quand j'agis 
de moi-même , qu'après avoir bien Iraisohné , dété- 
riora sequor. 



3l6 CQRRÏSPONDAWCE. 






LETTRE DLXI. 

« 

A M. DELEYRQ, 

MotierSy le ii février 176 5. 

• ■ ■ 

Je répondis, cher Deleyre, à votre lettre (n* 4) 
par un gentilhomme écossais nommé 'M. Boswell , 
tpd , devant s'arrêter à Turin , n'arrivera .pëut-4tre 
fê» à Parme aussitôt que cette lettre. Mais - une 
bévue <{ue j'ai faite est d'avoir mis ma lettré ou- 
verte dans celle que je lui écrivis en la lui adres- 
jsiiat à Genève. 11 m'en a remercié comme d'uile 
marque de confiance : il se trompe, ce n'est qu'une 
marque d'étourderie. J'espère, au reste, que le 
mal ne sera pas grand; car quoique je ne me sou- 
vienne pas de ce que contenait ma lettre, je 3uis 
sûr de n'avoir aucun secret qui craigne les yeux 
d'an tiers. 

Vous ne sauriez avoir d'idée de l'orage qu'excite 
contre moi la publÂpation des Lettres écrites de la 
montagne. C'est une défense que je devais âmes an- 
ciens concitoyens, et que je me devais à moi-même : 
mais comme j'aime encore mieux mon repos que 
ina justification, ce sera mon dernier écrit, quoi 
qu'il arrive. Si je puis faire le recueil général que 
je projette, je finirai par là, et, graces'tiu ciel, le 
public n'entendra plus parler de moi. Si M. Boswell 
était parti d'ici huit jours plus tard, je lui aurais 
remis pour vous un exemplaire de ce dernier écrit, 



ANNÉE 1765. 317 

qui, au reste, n'intéresse -que Genève et les Gene- 
vois; mais je ne le reçus qu'après son départ. 

Une amie de M. l'abbé de CondiUac et de moi 
me marqua de Paris sa maladie et sa guérison 
dans la même, lettre : c< qui me sauva l'inquiétude 
d'apprendre la première nouvelle avant l'autre. Je 
vois cependant , en reprenant votre lettre, que 
vous m'aviez niarqué' cette première nouvelle , mais 
dans le post-scriptum , si. séparé du reste, et en sî 
petit caractère, qn'il m'avait .éohapfpé dans une 
fort grande. lettre que je ne pus lire que très à la 
hâte dans la circonstance où je la reçus. I^ même 
amie me marque qu'il doit Tetourner en France 
l'année prochaine, et que peut-être aurai-je Je 
plaisir de le voir. Ainsi. soit-il. 

Je savais déjà par les bruits publics ce que je 
savais des triomphes du jongleur Tronchin dans 
votre coar. La pierre renchérira s!il faut un bus.fe 
à chaque inoculateur de la pBtitç-v.érole ; et je 
trotive que l'abbé CondiUac méritait imeux ce 
buste pour- l'avoir gagnée, que lui pour l'avqir 
guérie. ,. . ' . 

Donnez-moi de vos nouvelles , cher Deleyre , et 
de celles de madame Deleyre. Vous m^ipprenez à. 
connaître cette digne femme, et à vous: aimer au- 
tant de votre attachement pour elle , que je .vous 
en blâmais avant votre mariage , quand je ne la 
connaissais pas. C'est une réparation. dont eHe doit 
être contente , que celle que la vertu arrache à la 
vérité. Je vous embrasse. 



3i8 



CORRESPONDANCE. 






LETTRE DLXII. 

A M. DU'RE¥ROU. . . 

. . Motiers,lè i4féyrrer 1765. 

■ 

Voici , monsieur, le projet tjue vous avez pVis 
la peine de tae dresser :. sur quoi je ne vous dis 
rîèn, par la raison que. vous savez. Je vous prie, 
si cette àffiiire doit se conclure , de vouloir bien 
décider de tout à votre volonté; je confiioiierai 
tout, car pour moi j'ai maintenant Fespirit & 
mille lieues de là; et, sans vous, je n'irais pas 
plus loin , par le seul dégoût de parler d'a£Ekires. 
Si ce que les associés disent dans leur réponse ^ ar- 
Ijicle premier, de mon • Oui^rage sur la Masiquèy 
s'enfeiid*du Dictionnaire y ]e m'eii rapporte là-des- 
sus à là'Véponse verbale que je leur ai faite. J'ai 
sur cette cpnipîlâtiôn* des -engagements antérieurs 
qui ne me'pemiettent plus d'en dispdscfr ; et s'il arri- 
vait que ,■ changeant de pensée, je le comprisse 
viaps motfrecu'eil, ce que je ne promets nullement , 
ce né serait qu'après qu'il aurait été imprimé à 
part par lé lîbmlre auquel je suis engagé. . 

Vl?i}s q« devez point , s'il vous plaît, passer outre , 
que les- associés n'aient le consentement formel du 
Conseil d'ifftat , que je doute fort qu'ils obtieRqe»!;. 
(Juant à taf permission qu'ils ont demandée à la 
cour, je doute encore plus qu'elle leur soit accoi*- 
dée. IVÏilôrd Maréchal connaît là-dessus mes inten- 



ANNÉE Ï765. 3ï9 

lions; ii sait que non* seulement je ne demande 
rien , mais que je suis très-déterminé à ne jamais 
me prévaloir de son crédit à la cour, pour y ob- 
tenir quoi que ce puisse être , relativement au 
pays où je vis , qui n'ait pas . l'agrément du gou- 
vernement particulier du pays même. Je n'en- 
tends me mêler en aucune façon deces choses-là , ni 
traiter qu'elles ne soient décidées. 

Depuis hier que ma lettre est écrite, j'ai là 
preuve de ce que je soupçonnais depuis quelques 
jours, que l'écrit, de Vemes trouvait ici parmi les 
femrnesdutant d'applaudissement qu'il a causé d'in- 
dignation à Genève et à Paris , et^que^rois ans d'une 
conduite irréprochable . sous, leurs yeux ménle^ 
ne pouvaient garantir la pauvre mademoiselle 
Le Yasseur de l'effet d'un libelle venu d'un pays 
où ni moi ni elle n'avons vécq. Peu surpris, que cei' 
viles âmes ne se connaissent pas mieux en vertu 
qu'en mérite, et se plaisent à insulter aux mal- 
heureux , je prends enfin la ferme résolution dé 
quitter ce pays, ou du. moins ce village, et d'aller 
chercher une habitation où Ton juge les gens sur 
leur conduite, et non sur les libelles de leurs 
ennemis. Si quelque autre honnête étranger veut 
connaître Motiers, qu'il y passe, s'il peut, trois 
ans, comme j'ai fait, et puis qu'il en dise des 
nouvelles. 

Si je trouvais à Neuchâtel ou aux environs un 
logement convenable , je serais homme à l'aller oc- 
cuper en attendant. 



3aO CORRESPOIVDANCE. 



LETTRE DLXHI. 

4. M. DASTIER. 

■ 

>* ■ Motiers, le 17 février lySS, 



2 



Les malheureux jours que jç^ passe au. lailieu 
des tempêtes m'empêchent, monsieur^ d'entre- 
tenir avec vous une correspondance aii^i fré- 
quente qu'il serait à désirer pour mon instruction 
et. pour ma consolation. Les bruits publics, auront 
peut-être porté jusqu'à vous l'idée des nouVeUes 
^|3écu tions que m'attire l'ouvrage auquel vous avez 
daigné vous intéresser. J'ai cherché tous les moyi^ns 
de vous en Êdre parvenir un exemplaire; mais il 
m*en est venu si peu de Holknde , si lei^ten^ent , 
avec tant d'embarras; j'en suis si peu le maître , et 
les occasions pour aller jusqu'à vous sont si rares ^ 
«qu'apprenant qu'on a imprimé à Lyon cf.t . oij; 
vrage*, je ne doute point qu'il ne vous parvienne 
beaucoup, plus tôt par cette voie , qu'il ne m'est 
pos^ble de vous le faire parvenir d'ici. Ainsi ma 
destinée est d'être en tout prévenu par vos bontés , 
sans pouvoir remplir envers vous aucun des devoirs 
qu'elles m'imposent. Acceptez le tribut des mal- 
heureux et des faibles, la reconnaissance et l'inten- 
tion. 

Les éclaircissements que vous avez bien voulu 
mie donner sur les affaires de Ck>rse m'ont abso- 
huhent fait abandonner le projet d'aller dans ee 



ANNIÉE 1705. 321 

pays-là , d'autant plus que n'en recevant plus de 
nouvelles, je dois juger, par les empressements 
suspects de quelques inconnus, que je suis circon- 
venu par des pièges dont je veux tâcher de me 
garantir. Cependant on m'a fait parvenir quelque-s 
pièces dont je puis tirer parti , ducmoins pour mon 
amusement, dans la ferme, résolution où je suis 
de me tenir en r^os pour le reste de ma vie , et 
de ne plu^ occuper le public de moi. Dans cette 
position:, monsieur, je souhaiterais fort que vous 
voulussiez bien , dans vos plus grands loisirs , con- 
tinuer à me communiquer vos observations et vos 
idées , et m'indiquer les sources où je pourrais pui- 
ser les instructions relatives à cet objet. Ne pensez^ 
vous pas que M. de Curzai doit avoir là-dessus 
dç fort bons mémoires , et que , s'il voulait les 
communiquer à un homme zélé , mais discret , ils 
ne pourraient que, lui feire honneur , sans le com- 
promettre, puisque rien ne resterait écrit de ma 
part là-dessus que de son aveu, et qu'il ne serait 
nommé qu'autant qii'il consentirait à l'être? Si 
VOUS: approuvez cette idée, ne pourriez-vous ppint 
m'aider à découvrir où est M. de Curzai , me pro- 
curer exactement son^adresse^ et me mettre même 
en correspondance avec lui?' 

Me voici bientôt à la fin d'un hiver , passé un 
peu moins cruellement que le précédent quant au 
corps , mai^ beaucoup plus jquatht à l'ame. J'ignore 
encore ce que je deviendrai cet été. Je suis ici trop 
voisin de Genève pour y pouvoir jamais jouir d'un 
vrai repos. Je suis bien tenté d'aller chercher du 

R. XX. Il 



Sua CORRESPONDANCE. 

coté de Fltalie quelque asile où le climat et l'in- 
quisition soient plus doux quici. D'ailleurs, mille 
désoeuvrés me menacent de toutes parts de leurs 
importunes visites , auxquelles je voudrais bien 
échapper. Que ne suis-je plus à portée , monsieur, 
de recevoir la vôtre , et que j'en aurais besoin ! 
mais , en vérité , l'on ne fait, point un si loiig tra- 
jet par partie de plaisir; et moi, dans ma vie ora- 
geuse , je* ne suis pas assez maître de l'avenir pour 
pouvoir faire un plan fixe , sur l'exécution duquel 
je puisse compter. Un de ceux qui me rient le 
phis est d'aller passer quelques semaines avec un 
gentilhomme savoyard , de mes très-anciens amis , 
dans une de ses terres. Serait-il impossible d'pxé- 
Oiter de là l'ancien projet d'un rendez-vous à l|i 
grande chartreuse ? Si cette idée vous plaisait , je 
sens qu'elle aurait la préférence. Je n'ai point écrit 
à madame de I^a Tour du Pin : le nombre et la 
force de mes tracas absorbent tous mes bons.des- 
seins. Si vous lui écrivez , qu'elle apprenne au 
moins mes remords, je vous en supplie. Si ma 
faute m'attirait sa disgrâce , je ne m'en console- 
rais pas. 

Vous ne me parlez point, monsieur, du peAit 
compte de l'huile ef du café. Il n'est p^ permis 
d'être aussi peu soigneux pour les comptes , qiiftnd 
on l'est si fort pour les commissions. Je vaus sa- 
lue, monsieur , et vous embrasse avec le plus véri- 
table attachement. 



ANNÉE 1765. 3a3 



LETTRE 1>LX1V. 

A. M. MOULTOU. 

Motlers, lé 18 février 1765. 

Ce qui arrive ne me surprend point ; je l'ai tou- 
jours prévu, et j'ai toujours dit qu'en pareil cas 
il fallait s'en tenir là. Au.lieu de Cèdre tout ce qu'on 
peut, il suffit de faire tout c*e qu'on doit, et cela 
est fait. On ne saurait aller plus 'loin sans exposer 
la patrie et le repos public , ce 'que le sage ne doit 
jamais. Quac^d'il n'y a plus de liberté commune, 
il reste une ressource , c'est de «cultiver la liberté 
particulière, c'est-à-dire la vertu. L'homme ver- 
tueux est toujours libre; car, en faisant toiijours 
son devoir, il ne fait jamais que ce qu'il veut. Si la 
bourgeoisie de Genève stavait remonter ses prin- 
cipes , épurer ses goûts , prendre «des moeurs plus 
sévères , en livrant ces messieurs à l'avilissement 
des leurs , elle leur deviendrait encore si respec- 
table, qu'avec leur morgue apparente ils trem- 
bleraient ilevant elle; et comme les. jongleurs dé 
toute espèce et leurs amis ne vivront pas toujours , 
tel changement de circonstances étrangères pour- 
rait les mettre à- portée de Éaire examiner enfin 
par la justice ce que la sçule force décide aujour- 
d'hui. 

Je vous pf ie de vouloir bien saluer MM. Dchic 
de ma part, et leur dire que jfe ne puis- leur écrire. 

ai. 



3a4 CORRESPONDANCE. 

Comme cela n'est plus nécessaire ni utile , il n'est 
pas raisonnable de l'exiger. On ne doit pas m'en- 
vier le repos que je demande , et je crois l'avoir as- 
sez payé. 

Tâchez de m'envoyer, avant votre départ, ce 
dont vous m'avez parlé , non pour en Éaire à pré- 
sent aucun usage ; mais pour prendre d'avance 
tous les arrangements nécessaires pour en faire 
usage un jour. Taurais même autre chose , et d'un 
genre plus agréable , à vous proposer ; mais nous 
eo parlerons à loisir. Je vous embrasse. 



t 



LETTRE DLXV:- 

r 

* 

A M. LE PRINCE L. E. DE WIRTEMBERG. 

Motiersy ie i8 féyrîer 1766. 



A l'arrivée de Si. de Schlieben et de Maltzan , je 
les reçus pour vous , prince ; ensuite je les gardai 
pour eux-mêmes, et j'achetai une journée agréable 
à leurs dépens. J'en ai si rarement de telles , qu'il 
^est. bien naturel que j'en profite; et, sur lesscïn- 
timents d'hun^anité que je leur connais , i]^ doivent 
être bien aises de me l'avoir donnée. 

IlS'Sont attachés au vertueux prince Henri par 
des 'sentiments qui les honorent: pleins de toUt 
ce.quilsr venaient de voir auprès de vous, ils ont 
versé dans mon cœur attristé un baume de vie et 
de consolation. Leurs discours y portaient un peu 
de ceTeu qui brille encore dans de grandes âmes; 



ANNÉE 1765, 3a5 

ef j'ai presque oublié mes misères en songeant de 
qui j'avais l'honneur d'être aimé. 

En tout autre temps, je ne craindrais pas une 
brouillerie avec la princesse pour me ménager l'a- 
vantage d'un racconmiodement ; mais , en vérité , je 
suis aujourd'hui si maussade , que , n'ayant point 
mérité la querelle, à peine osé-je espérer le par- 
don. Dites-lui toutefois, je vous supplie , que Ta- 
mour paternel n'est pas exclusif comme l'amour 
conjugal-; qu'un cœur de père , sans se partager , se 
multiplie , et qu'ordinairement les cadets n'ont fsk 
la plus mauvaise part. Mon Isabelle est l'aînée , et 
devait être la seule ; mais sa sœur est bien ingrate 
d'oser me traiter de volage , elle qui d'abord m*a 
forcé de l'être , et qui me force à présent de ne l'être 
plus. 

Si j'ai fait quelques vers dans ma jeunesse, comme 
ils ne valaient pas mieux que les vôtres, j'ai pris 
pour moi le coifseii que je vous ai donné. Ijes Ben-- 
jamUeSj ou fe Léi^Ue cTÉphinim , est une espèce de 
petit poème, en prose, de sept à huit pages, qui 
n'a de mérite que d'avoir été fait pour me distraire 
quand je partis de Paris, et qui n'est digne en au- 
cune manière de paraître aux yeux du héros qui 
daigne en parler. 



'i%6 CORKESPONPANCE. 



LETTRE DLXVI. 

A M. D'IYERNOIS. 

Motiers, le à a février 1765, 

• 

du étes-vous, monsieur? que faites-vous? oom- 
m§Ut vous portçz-vous? Votre absence et votre 
lopg ûtenc^ me tiennent en peine. GW votre tour 
4'étFç paressî^UY : "^ h bonne heure j pourvu que 
j^ saçhç que vous vous porter bien, et que mft- 
4$(me d'ivernois, que je supplie d'agréer mon res^ 
p^t p veuille bien m'en faire informuer par un bul- 
liptV^ 4e deiiK lignes. 

Le tour qu'ont pris vos affaires, messieurs, et 
)^ n^iennes , la persuasion que la vérité, ni la jus- 
ti<^ n'ont plU^ aucune autorité parmi le^-hommea, 
l'strdent désir de me ménager quelques n»pnKimts 
4e r^pps sur la fin de ma triste carrière , m'ont fait 
prendre l'irrévocable résolution de re^OAçev dé- 
WinpaAis à toul coiupaerce avec le public , à toute 
correspondance hors de la plus absolue néçeswté ? 
^tout à <lenève , et de me tnénager quetq^ies 
douleurs de moins, en ignorant tout ce qui se 
passe ; et à quoi je ne peux plus rien» Les bontés 
dont vous m'avez comblé , et l'avantage que j'ai de 
vous voir deux fois l'année, me feront pourtant 
faire pour vous^ si vous l'agréez , une exception , 
au moyen, de laquelle j'aurai le plaisir d'avoir aussi , 
de temps en temps, des nouvelles de nos amis, 



ANJVili J765. 327 

auxquels je ne cesserai assurément point de m'in- 
téresser. 

Votre aimable parente, la jeune madame Guye- 
net , après une couche assez heureuse , est si mal 
depuis deux jours, qu'il est à craindre que je ne 
la perde. Je dis moi y car sûrement, de tout ce qui 
l'entoure , rien ne lui est plus véritablement atta- 
ché que moi; et je le suis moins à cause de son es- 
prit, qui me paraît pourtant d'autant plus agréable 
qu'elle est moins pressée de le montrer , qu'à cause 
de son bon cœur et de sa vertu; qualités rares 
dans tous les pays du monde , et bien plus rares 
encore dans celui-ci^ 

Pour moi , mon cher monsieur , je ne vous dis 
rien de ma situation particulière ; vous pouvez l'i- 
maginer. Cependant, depuis ma résolution , je me 
sens lame beaucoup plus calme. Comme je m'at- 
tends à tout dé la part dos hommes ,'et qu'ils m'ont 
déjà fût à peu près du pis qu'ils pouvaient , je tache- 
rai de ne plus m'affliger que des maux réels, c'est-à- 
dire de ceux que ma volonté peut faire , ou de 
ceux que mon corps. peut souffrir. Ces derniers 
me retiennent actuellement dans des entraves que 
je tiens de votre charité , mais qui ne laissent pas 
d'être fort pénibles. J'attends avec empressement 

de vos nouvelles, et vous embrasse, mon cher 

monsieur, de tout mon coeur. 



3a8 GOMLitSPOiyDANGE. 



LETTRE DLXVII. 

A MM. DELUC. 

34 février 176$. 

J*apprendà , messieUi*s , que vous êtes en peine 
déà lettres que vous m'ateis écrites. Je les ai toutes 
l'eçues jusqu'à celle du 1 5 février inclusivement. 
Jbt fegarde votre sifuâtidli comme décidée. Vous 
êtes trop gens de bien pouf pousser les choses à 
Fextrême , et ne pas préférer la paix à la liberté. 
Un peuple cess^ d'être libre quluid les lois ont 
peltiu leur force ; mais la vertu ne perd jamais la 
sienne , et Thomme vertueux demeure libre toii- 
joUt^i Voilà désormais , messieurs , votre ressource : 
elle est assesc grande , assez belle pour vous conso- 
ler de tout ce que vous perdez comme citoyens. 

Pour moi j je prends le seul parti qui me reste, 
et je le prends irrévocablement. Puisque avec des 
intentions aussi pures , puisque avec tant d'amour 
pour la justice et pour la vérité , je n'ai fait que du 
mal sur la terre, je n'en veux pluir^ faire ^ et je me 
retire au-dedans de moi. Je ne veux plus entendre 
parler de Genève , ni de ce qui s'y passe. Ici finit 
notre correspondance. Je vous aimerai toute ma 
vie , maïs je ne vous écrirai plus. Embrassez pour 
moi votre père. Je vous embrasse, messieurs, de 
tout mon cœur. 



ANUÈE l'J^ 3^9 



k%«<«/%«^«^ 



LETTRE DLXVML 

A M. MEURON, 

^ROCUBEUa-OiNiaAL. 

i5 février 1765. 

J'apprends, monsieur, avec quelle bonté de 
cœur et avec quelle vigueur de courage vous avez 
pris la, défense d'un pauvrç opprimé. Poursuivi 
par la classe, et défendu par vous, je puis bieb 
dire'ccrmme Pompée , Fictrix causa dus plç^cuk , sed 
victa CatonL 

Toutefois, je suis malheureux, maiis non pas 
vaincu ; mes persécuteurs , au contraire , ont tout 
fait pour ma gloire, puisque c'est par eu?c que j'ai 
pour protecteur le plus grand des rois , pour père 
le plus vertueux des hommes , et pour patron l'un 
des plus éclairés magistrats. 

LETTRE DLXIX. 



. * < 



^*^^À. M. DE P. *. 



îi5*février 1765. 



Votre lettre, monsieur*, m^a pénétré jusqu'aux 

lâiTiies. Que la bienveillance est une douce chose! 

«■ 

* Ces lettres initiales indiquent le colonel Pury ou de Pury , dont 
il est question dans les Concessions , et qui demeurait à Con^et II 
était beau- père de du Peyroa. • 



33ô GOMLESPONDAJNCE. 

et que ne donnerais je pas pour avoir-celle de tous 
les honnêtes gens! Puissent mes nouveaux patrie- 
tes^ m'accoidier la li^r à votre exemple! puisse 
le lieu de mon refuge être aussi celui de mes atta- 
chements! Mon cœur est bon; il est ouvert à tout 
ce qui lui ressemble; il n'a besoin, j'en suis très- 
sûr, que d'être connu pour être aimé. Il reste, 
après la santé, trois biens qui rendent sa perte 
plus supportable , la paix , la liberté , l'amitié. Tout 
cela, monsieur , si je le trouve , me deviendra plus 
4pux encore lorsque j'en pourrai jouir "près de 
vous* . - 



LETTRE DLXX. 

A M. DE C, P. A. A. 

Février 1 765. 

J'attendais des réparations, monsieur, et vous 
en exigez ; nous sommes fort loin de compte. Je 
veux croire que vous n'avez point concouru , dans 
les lieux où vous êtes , aux iniquités qui sont l'ou- 
vrage de vos confrères ; mais il fallait , monsieur , 
vous élever contre une manœuvre si opposée à 
l'esprit du christianisme, et si déshonorante pour 
votre état. La lâcheté n'est pas moins répréhen- 
sible que la violence dans le^ ministres du Sei- 
gneur. Dans tous les pays du monde il est permis 

* Mes noMv^fMx patriotes texte de l'éditioii de Genève ; c'est 

sans doute compatriotes qu'il fraudrail lire. 



AICNJÊE I76Â. 33l 

à l'innocent de défendre son innocence : dans le 
vôtre on l'en punit ; on fait plus , on ose employer 
la religion à cet usage. Si voû» avez protesté contre 
cette profanation, vous êteç excepté dans mon 
livre , et je ne vous dois point de réparation : si 
vous n'avez pas protesté, vous êtes coupable de 
connivence , et je vous en dois encore moins. 

Agréez, monsieur, je vous supplie, mes saluta- 
tions et mon respect. 

LETTRE DLXXL 

A MADAME LA GÉNÉRALE SANDOZ. 

Motiers, a 5 février 17.65. 

L'admiration me tue, et surtout de votre part. 
Ah ! madame , un peu d amitié , et , parmi tant d'af- 
fronts, je serai le plus glorieux des êtres. Votre 
patrie* est injuste, sans doute; mais avec le mal 
elle a produit le reniède. Peut-elle me faire quel- 
que injustice que votre estime ne puisse réparer? 
La lettre que vous m'avez envoyée est d'un homme 
d'église ; c'est tout dire , et peut-être trop , car il 
paraît assçz modéré. IJIais , vu le traitement que je 
viens d'essuyer à l'instigation de ses confrères, 
j'attendais des réparations, et il en exige : vous 
voyez que nous sommes loin de compte. Conser- 

* La Hollande. 



33a CORRESPONDANCE. 

vez-moi vos bontés , madame ; elles me seront tou- 
jours précieuses , et j'aspire au bonheur d'être à 
portée de les cultiver. 



LETTRE DLXXH. 

A M. CLAIRAUT. 

Moden-Trayers , le 3 mars 1 76$. 

Le souvenir, monsieur, de vos anciennes bon- 
tés pour moi vous cause une nouvelle importu- 
nité de ma part. Il s'agirait de vouloir bien être, 
pour la seconde fois, censeur d'un de mes ou- 
vrages. C'est une très-mauvaise rapsodie que j'ai 
compilée, il y a plusieurs années, sous le nom de 
Dictionnaire de musique j et que je suis forcé de 
donner aujourd'hui pour avoir du pain. Dans le 
torrent de malheurs qui m'entraîne, je suis hors 
d'état de revoir ce recueil. Je sais qu'il est plein 
d'erreurs et de bévues. Si quelque intérêt pour le 
sort du plus inalheureux des honunes vous portait à 
voir son oi;vrage avec un peu plus d'attention que 
celui d'un autre, je vous serais sensiblement obligé 
de toutes les fautes que vous voudriez bien corri- 
ger , chemin faisant. Les indiquer sans les corriger 
ne serait rien faire , car je suis absolument hors 
d'état d'y donner la moindre attention ; et si vous 
daignez en user comme de votre bien , pour chan- 
ger, ajouter, ou retrancher, vous eicercerez une 



ANNiÉE i765i 333 

charité très-utile, et dont je. serai très-reconnais- 
sant. Recevez, monsieur, mes t^^^humbles ex- 
cuses et mes salutations *. 

é 

LETTRE DLXXIII. 

A M. DU PEYROU. 

Le 4 mars 1765. 

Je vous dois une réponse, monsieur, je le sais,. 
L'horrible situation de corps et d'ame où je me' 
trouve m'ôte la force et le courage d'écrire. J'at- 
tendais de vous quelques mots de consolation; 
mais je vois que vous comptez à la rigueur avec 
les malheureux.Ce procédé n'est pas injuste , mais 
il est un peu dur dans l'amitié. 



LETTRE DLXXIV. 

AU MÊME. 

■ • 

Motiersy le 7 mars 1765. 

m 

Bour Dieu, ne vous fâchez pas, et sachez par- 
donner quelques torts à vos amis dans leur misère.. 
Je ^'ai qu'un ton , monsieur , et il est quelquefois 
un peu dur : il ne jSaut pas me juger sur mes ex- 

'*' Clairaut est mort dans le mois de mai de la même année, et 
n'a pu répondre an dé^ que Rousseiiu lui témoigne dans cette 
lettre. • 



334 CORRESPOND ANCE. 

pressions, mais sYir ma conduite. IBlle vous hotlore 
quand mes teilftes ^^^s offensetllu Dftns le besoîn 
que j'ai des^copiobtions de l'anûlK', je se As ^e 
les vôtres me ioanquent, et je m'en plains : cela 
est-il donc si.dé^jjlliKgeant ? 

Si j'ai écrit à d'autres , comment n'avez-vous pas 
senti l'absolue nécessité diei*épondre,etsurtout dans 
la circonstance, à des personnes avec qui je n'ai 
point de correspondance habituelle, et qui viennent 
ay fort de mes malheurs y prendre le plus géné- 
ril|ia iiitérét? Je croyais que, sur ces lettres^ mênies, 
-'^'fcfds vous diriez, // rCapas le temps de nCèctttey et 
qbev vous vous souviendriez de nos convéïrtioâs. 
FaMit-il donc , dans une occasion si critique , ai>an- 
donner tous mes intérêts, toutes mes affaires, mes 
devoirs mêmes, de peur de manquer avec vatts à 
l'exactitude d'uoa réponse dont vous m'aviez dis- 
pensé? Vous vous. 'lieriez offensé de ma crainte, et 
vous auriez eu raison. L'idée même, très-fausse 
assurément, que vous aviez de m'avoir chagriné 
pat votçe lettre-, n'était-elle pas', pour votre bon 
cœur, un motif de réparer le riial^qûe vqus suppo- 
siez' m'avoir fait ? Dieu vous préservé d'affliction ! 
mais^ en pareil cas, soyez sûr quo je ne compte- 
rai pas VOS" réponses. En tout autre cas, tte coiAp- 
tez jamais mes lettres, ou rompons tout de suite, 
car ausfei-bien ne tarderions - nous pas à rompre. 
Mon caractère vous est connu, je ne saufais*^ 
changer. 

Toutes VOS autres raisons ne sont que trop 
bonnes. Je vous plaÎRS dans vos tracas , et les âp- 



ANNÉE 1765. . C)35 

proches de votre 'goutte me chagrifient surtout 
vivement, d'autant plus que, danA l'extrême be- 
soin de me distraire^ je me promettais des prome- 
nades délicieuses avec vous; Je seiis encore que 
ce que je. vais vous dire peut éft'e bien déplacé 
parmi vos affaires ; mais il faut vous rtiontrer si je 
vous crois le cœur dur, et si je manque de con- 
fiance eu votre amitié. Je ne fais pas des compli- 
ments, mais je prouve. 

Il faut quitter ce pays, je le sens; il est trop 
près de Genève , on ne m'y laisserait jamais en re- 
pos. Il .n'y a guère qu'un pays catholique qui me 
convienne; et c'cfst de là, puisque vos ministres 
veulent tant la guerre,, qu'on peut leur en donner 
le pUusir tout leur soûl. Vous sentez , monsieur , 
que ce déménagement à ses* embarras. Voulez- 
vous être 4êpositaire de mes effets' en attendant 
que je me fixe ? vouleat-vous acheter mes livres, ou 
m'aidep à les vendre? vçulez-vous. prendre quel- 
que arrangement, quant à, mes ouvrages^ qui me 
délivre de l'horreur d'y penser, et de m'en occu- 
lter le resie <ie ina vie? Toute cette rumeur est» 
trop vive et trop folle pour pouvoir durer. Au bout 
de deux ou trois ans, toutes les difficultés pour 
l'impression seront levées, surtout quand je n'y 
serai plus. En tous cas , les autres lieux , même au 
voisinage , ne manqueront pas. Il y a sur tout cela 
des détails qu'il serait trop long d'écrire, et sur 
lesquels , sans que vous' soyez marchand et sans 
que vous me fassiez; l'^omône , cet arrangement 
peutm'ètre utile, et ne vous pas être onéreux. 



336 CORRESPOND VNGE. 

■ 

Gela demande d'en conférer. Il faut voir seulement 
si vos affaires présentes vous permettent de pen- 
ser à celle-là. 

Vous savez donc le triste état de la pauvre ma- 
dame Guyenet , femme aimable , d'un vrai mérite , 
d'un esprit aussi fin que juste , et pour qui Li vertu 
n'était pas un vain mot-: sa famille est dans la plus 
grande désolation , son mari est au dése^K)îr , et 
moi je suis déchiré. Voilà, monsieur, l'objet que 
î'ai sous les yeux pour me consoler d'un tis^ti de 
malheurs sans exemple. 

^'ai des accès d'abattement, cela est assez natu- 
rël dans l'état de maladie , et ces accès sont très-sen- 
sibleç, parce qu'ils sont les moments où je cherche 
le plus à m'épancher ; mais ils sont courts , ef. û'in- 
fluent point sur ma conduite. Mon état habituel est 
le courage; et vous le verrez peut<Ȑtre dans cette 
afEûre , si l'on me pousse à bout 9<car je.me fai^. une 
loi d'être patient jusqu'au moment où l'on ne peut 
plus rétre sans lâcheté* Je ne sais quelle diable de 
mouche a piqué vos messieurs ;. mais il y a bieu de 
J'extravagance à tout ce vacarme; ilsjeri rougiront 
sitôt qu'ils seront calmés. 

Mais, que dites-vous, monsieur, de l'étouïderie 
dé vos ministres , qui , vu leurs mœurs , leur crasse 
ignorance , devraient trembler qu'on n'aperçût 
qu'ils existent, et qui vont sottement payer pour 
les autres dans une affaire qui ne les regarde pas ? 
Je suis persuadé qu'ils s'imaginent que je vais res- 
ter sur la défensive , et faire le pénitent et le sup- 
pliant : le conseil de Genève le croyait aussi, je. l'ai 



. ANNÉE 1765. 337 

désabusé ; je me charge de les désabuser de même. 
Soyez-moi témoin , monsieur , de mon amour pour 
la paix, et du plaisir avec lequel j'avais posé les 
armes : s'ils me forcent à le* reprendre , je les re- 
prendrai , car je ne veux pas me laisser battre à 
terre ; c'est un point tout résolu. Quelle prise ne 
me donnent -ils pas? A trois ou quatre près, que 
j'honore et que j'excepte , que sont les autres ? quels 
mémoires n'aurai-je pas sur leur compte? Je suis 
tenté de faire ma paix avec tous les autres clergés, 
aux dépens du vôtre, d'en faire le bouc d'expiation 
pour les péchés d'Israël, L'invention est bonne, et 
son succès est certain. Ne serait-ce {jiâftfbien servir 
l'état, d'abattre si bien leur morgue, de Ips avilir 
à tel point, qu'ils ne pussent jamais plus ameuter 
les peuples ? J'espère né pas me Uvrer à la ven- 
geance ; mais si je les touche , comptez qu'ils sont 
morts. Au reste , il faut premièrement attendre l'ex- 
communication ; car, jusqu'à ce moment, ils me 
tiennent ; ils sont mes pasteurs , et je leur dois du 
respect. J'ai là-dessus des maximes dont je ne me 
départirai jamais , et c'est pour cela même que je 
les trouve bien peu sages de m'aimer mieux loup 
que brebis. • 



R. XX. a a 



338 CORRESPOND ANGE. 



LETTRE DLXXV. 

j; 

A M. MOULTOU. 

9 mars 176S. 

Vous ignorez , je le vois , ce qui se passe ici par 
li|pport à moi. Par des manœuvres souterraiMB <{ue 
jt|bare, les ministres, MontmoUin à leur tête , se 
aeèit'tout-à-€Oup déchaînés contre moi, mais avec 
me telle violence , que , malgré Milord Maréchal 
et le roi mém^, je suis chassé d^ici sans savoir plus 
où trouver d'asile sur la terre ; il ne m'en reste <|ue 
dans son sein. Cher Moultou , voyez mon sort. Les 
plus grands scélérats trouvent un refuge ; il n'y a 
(|tte votre ami qui n'en trouve point. J'aurais en- 
core l'Angleterre ; mais quel trajet: , quelle fatigue , 
quelle dépense ! Encore si j'étais squl... ! Que la na- 
ture est lente à me tirer d'affaire! Je ne sais ce que 
je deviendrai; mais , en quelque lieu que j'aille ter- 
miner ma misère, souvenez-vous de votre ami. 

Il n'est plus question de mon édition générale. 
Selon toute apparence , je ne trouverai plus à ta 
foire ; et , quand je le pourrais , je ne sais si je pour- 
rais vaincre l'horrible aversion que j'ai conçue pour 
ce travail. Je ne regarde aucun de mes livres sans 
frémir , et tout ce que je désire au monde est un 
coin de terre où je puisse mourir en paix , sans 
toucher ni papier ni plume. 

Je sens le prix de ce que vous avez fait pendant 



ANNÉE 1765. 339 

que nous ne noua écrivions plus. Je me plaignais 
de vous , et vous vous occupiez de ma défense. On 
ne remercie pas de ces chosf^-là , çfk les sent. On 
ne fait point d'excuse, on se corrige. 

Voici la lettre de M. Garcin : il vient bien no- 
blement à moi au moment de mes plus cruels mal- 
heurs. Du reste , ne m'instruisez plus de ce qu'on 
pense ou de ce qu'on dit : succès, revers, discours 
publies, tout m'est devenu de la plus grande in- 
différence. Je n'aspira qu'à mourir en repos. Ma 
répugnance à zae cacher est enfin vaincue, le suis 
à peu près délerminé à changer de nom, et à diir 
paraître de dessus la terre. Je sais déjà quel nooi 
je prendrai; je pourrai le prendre sans scrupule; 
je ne mentirai sûrement pas. Je vous embrasse. 

£n finissant cette lettre , qui est écrite xiepuis 
hier , j'étais dans le plus grand abattement où j'aie 
été de ma vie. M. de MontmoUin entra, et, dans 
cette €ntrev««, je retrouvai toute la vigueur que 
je croyais m'avoir tout-à-fait abandonné. Yous ju- 
gerez comment je m'en suis tiré par la relation que 
j'en envoie à l'homme du roi, et dont je joinfi ici 
copie, que vous pouvez montrer. L'assemblée est 
indiquée pour la sanaine prochaine. Peut-être ma 
contenance en imposera-t-elle. »Ce <iu'il y a de sûr, 
c'est que je ne fléchirai pas. En attendant qu'on 
sache quel parti ils «uront pris, ne montrez cette 
lettre à personne. Bon voyage. 



âa. 



34o CORRESPONDANCE. 

r 

LETTRE DLXXVI. 

A M. MTEURON. 

OOmiIrLER D*iTAV BT PROGURSUA-GÉVBRAI. A VBUCBATBL, 

Motiers , le 9 mars 1765. 

Hier, monsieur, M. de Montmollin m'honora 
d'iiae visite , dans laquelle nous eûmes une confé- 
rMlor assez vive. Après m'avoir annoncé l'excom- 
mnnication formelle comme inévitable , il me pro- 
posa , pour prévenir le scandale , un tempérament 
que je refusai net. Je lui dis que je ne voulais point 
d'un état intermédiaire; que je voulais être dedans 
où dehors , en paix ou en guerre , brebis ou loup. 
11 me fit sur cette affaire plusieurs objectioiis que 
je mis en poudre ; car, comme il n'y a ni raison ni 
justice à tout ce qu'on fait contre moi, sitôt qu'on 
entre en discussion je suis fort. Pour lui montrer 
que ipa fermeté n'était point obstination , encore 
moins insolence, j'offris, si la classe voulait rester 
en repos , de m'engager avec lui de ne plus écrire 
de ma vie sur aucun point de religion. Il répondit 
qu'on se plaignait que j'avais déjà pris cet enga- 
gement, et que j'y avais manqué. Je répliquai qu'on 
avait tort; que je pouvais bien l'avoir résolu pour 
moi, mais que je ne l'avais promis à personne. 11 
protesta qu'il n'était pas le maître, qu'il craignait 
que la classe n'eût déjà pris sa résolution. Je ré- 
pondis que j'en étais fâché , mais que j'avais aussi 



ANNÉE 1765. 341 

pris la mienne. En sprtant , il me dit qu'il ferait 
ce qu'il pourrait ; je lui dis qu'il ferait ce qu'il vou- 
drait , et nous nous quittâmes. Ainsi , monsieiu* , 
jeudi prochain, ou vendredi au plus tard, je jet- 
terai l'épée ou le fourreau dans la rivière. 

Comme vous êtes mon bon défenseur et patron , 
j'ai cru vous devoir rendre compte de cette entre- 
viie. Recevez , je vous supplie, mes salutations et 
mon respect. 



LETTRE DLXXVIL 

A M. LE PROFESSEUR DE MONTMOLIIN. 



Par déférence pour M. le professeur de Mont- 
moUin , mon pasteur , et par respect pour la vénér 
rable classe, j'offre, si oh l'agrée, de m'engager, 
par un écrit signé de ma main, à ne jamais pubUer 
aucun nouvel ouvrage sur aucune matière de re. 
ligion , même de n'en jamais traiter incidemment 
dans aucun nouvel ouvrage que je pourrais pu- 
blier sur tout autre sujet; et de plus, je continue- 
rai à témoigner, par mes sentiments et par ma con* 
duite, tout le prix que je mets au bonlieur d'être 
uni à l'Église, » 

Je prie M. le professeur de communiquer cette 
déclaration à la vénérable classe. 

Fait à Motiers, le 10 mars 1765. 



34^ CORRESPONDANCE. 



LETTRE DLXXVIÏI. 

A MADAME LATOUR. 

MotierSyle lo mars 1765. 

Tf^ai lu votre lettre avec la plus grande attention , 
j'^ rapproché tous les rapports qui pouvaient m'en 
fidrè juger sainement : c'était pour mon cœur une 
iiflfiÎFe importante. 

Vous étiez flatteuse durant ma prospérité , vous 
devenez franche dans mes misères : à quelque 
chose itialheui: est bon. 

Taime la vérité , sans doute ; mais si jamais j 'ai 
le malheur d'avoir un ami dans l'état où je suis, 
et que je rie trouve aucune vérité consolante à lui 
dii*ë, jfe mentirai.^ 

Oh peut donner en tout temps à son ami le blâme 
qu'on croit qu'il mérite ; mais , quand on choisit le 
ritdiUetit de ses riialheurs , il fout s'assurer qn'oti a 

Lorsque je disais , Il faut se taire , et ne pas imi- 
ter le drhne de Cham , j'étais citoyen de Genève ; 
je hé ddîs que la vérité à ceux par qui je ne le stiis 
plus.* 

Lorsque je disais , Il faut se taire , je n'avais que 
ma cause à défendre , et je me taisais ; mais , quand 
c'est un devoir de parler , il ne faut pas se taire : 
voyez l'avertissement. Adieu , Marianne. 



ANNÉE 1765. 343 



LETTRE DLXXIX. 

A M. LE P. DE FÉLICE. 

Motierft, le 14 mars 1765. 

Je n'ai point fait , monsieur , Touvrage intitulé 
Des Princes ; je ne Tai point vu; je doute même 
qu'il existe. Je comprends aisément de quelle £a- 
brique vient cette invention , comme beaucoup 
d'autres, et je trouve que mes ennemis se rendent 
bien justice en.m'attaquant avec des armes si dignes 
d'eux. Comme je n'ai jamais désavoué aucun ou- 
vrage qui fut de moi , j'ai le droit d'en être cru sur 
ceux que je déclare n'en pas être. Je vous prie, 
monsieur , de recevoir et de publier cette déclara- 
tion en faveur de la vérité , et d'un homme qui n'a 
qu'elle pour sa défense. Recevez mes très-humbles 
salutations. 



LETTRE DLXXX. 

A M. DU PEYROU. 

Motiers, le 14 mars 1765. 

Voici , monsieur , votre lettre. En la lisant j'étais 
dans votre cœur : elle est désolante. Je vous déso- 
lerai peut-être moi-même en vous avouant que 
celle qui l'écrit me paraît avoir de bons yeux, 
beaucoup d'esprit , et point d'ame. Vous devriez 



344 GORHESPONDA.]!fG£. 

en faire , non votrç amie , mais votre folle , comme 
les princes avaient jadis des fous, c'est-à-dire d'heu- 
reux étourdis, qui osaient leur dire la vérité. Nous 
reparlerons de cette lettre dans un tête-à-tête. Cher 
du Peyrou, croyez-moi, continuez d'être bon et d'ai- 
mer les hommes; mais ne comptez jamais avec eux. 

Premier acte d'ami véritable, non dans vos offres, 
maïs dans vos conseils ; je les attendais de vous : 
vous n'avez pas trompé. mon attente. Le désir de 
me .venger de votre prêtraille était né dans le pre- 
nuer mouvement ; c'était un effet de la colère; mais 
je n!agis jamais dans le premier mouvement , et ma 
colère est courte. Nous sommes de même avis ; ils 
sont en sûreté, et je ne leur ferai sûrement pas 
l'honneur d'écrire contre eux. 

Non-seulement je n'ai pas dessein de quitter ce 
pays durant l'orage , je ne veux pas même quitter 
Motiers, à moins qu'on n'use de violence pour m'en 
chasser , ou qu'on ne me montre un ordre du roi 
sous l'immédiate protection duquel j'ai l'honneur 
d'être. Je tiendrai dans cette affaire la contenance 
que je dois à mon protecteur et à moi. Mais , de ma- 
nière ou d'autre , il faudra que cette affaire finisse. 
Si Ton me fait traîner dehors par des archers , il faut 
bien que je m'en aille ; si l'on finit par me laisser 
en repos , je veux alors m'en aller , c'est un point ré- 
solu. Que voulez-vous que je fasse dans un pays où 
Ton me traite plus mal qu'un malfaiteur ?Pourrai-je 
jamcgis jeter sur ces gens-là un autre œil que celui 
du mépris et de l'indignation ? Je m'avilirais aux 
yeux de toute la terre si je restais au milieu d'eux. 



ANNÉE 1765. 345 

Je suis bien aise que vous ayez d'abord senti et 
dit la vérité sur le prétendu livre Des Princes : mais 
savez - vous qu'on a écrit de Berne à l'imprimeur 
d'Yverdun de me demander ce livre et de l'impri- 
mer , que ce serait une bonne affaire ? J'ai d'abord 
senti les soins officieux de l'ami Bertrand; j'ai tout 
de suite envoyé à M. Félice la lettre dont copie 
ci-jointe , le faisant prier de l'imprimer et de la ré- 
pandre. Comme il est livré à gens qui ne m'aiment 
pas , j 'ai prié M. Roguin , en cas d'obstacle , de vous 
en donner avis par la poste; et alors je vous serais 
bien obligé si vous vouliez la donner tout de suite à 
Fauche , et la lui faire imprimer bien correctem^it. 
Il faut qu'il la verse, le plus promptement qu'il sera 
possible , à Berne , à Genève , et dans le pays de 
Vaud; mais avant qu'elle paraisse ayez la bonté de 
la relire sur l'imprimé , de peur qu'il ne s'y glisse 
quelque faute. Vous sentez qu'il ne s'agit pas ici 
d'un petit scrupule d'auteur , mais de ma pureté et 
de ma liberté peut-être pour le reste de ma vie. En 
attendant l'impression vous pouvez donner et en- 
voyer des copies. 

Je ne serai peut - être en état de vous écrire de 
long-temps. De grâce mettez-vous à ma place, et ne 
soyez pas trop exigeant. Vous devriez sentir qu'on 
ne me laisse pas du temps de reste; mais vous en 
avez pour me donner de vos nouvelles , et même 
des miennes : car vous savez ce qui se passe par 
rapport à moi; pour moi je l'ignore parfaitement; 

Je vous embrasse. 



3'46 COR»ESPONJ>AîrCK. 



LETTRE DLXXXI. 

A M. MEURON, 

P&OGU&BUB-GEIÎÉBAL A IfEUCHATEL. 

• Motiers, le i3 mars 1765. 

Je lie sais , monsieur, si je ne dois pas bénir mes 
misères, tant elles sont accompagnées de consola- 
tions. Votre lettre m'en a donné de bien douces, 
et j'en ai trouvé de plus douces encore dans le pa- 
quet qu'elle contenait. J'avais exposé à Milord Ma- 
réchal les raisons qui me faisaient désirer" de quitter 
ce pays pour chercher la tranquillité et pour l'y 
laisser. Il approuve ces raisons, et il est, comme 
moi, d'avis que j'en sorte : ainsi , monsieur, c'est un 
parti pris , avec regret , je vous le jure , mais irré- 
vocablement. Assurément tous ceux qui ont des 
bontés pour moi ne peuvent désapprouver que, 
dans le triste état où je suis, j'aille chercher une 
terre de paix pour y déposer mes os. Avec plus de 
vigueur et de santé je consentirais à faire face âmes 
persécuteurs pour le bien public; mais accablé 
d'iii£rmités et de malheurs sans exemple , je suis 
peu propre à jouer un rôle, et il y aurait de Ja 
cruauté à me l'imposer. Las de combats et de que- 
relles, je n'en peux plus supporter. Qu'on me laisse 
aller noourir en paix ailleurs , car ici cela n'est pas 
possible , moins par la mauvaise humeur des habi- 
tants, que par le trop grand voisinage de Genève; 



KVUfiE 1765. 347 

inconvénient qu'avec la meilleure volontédu nioude 
il ne dépend pas d'eux de lever. 

Ce parti, monsieur, étant celui auquel on voulait 
me réduire , doit naturellement faire tomber toute 
démarche ultérieure pour m'y forcer. Je ne suis 
point encore en état de me transporter, et il me 
faut quelque temps pour mettre ordre à mes affai- 
res, durant lequel je puis raisonnablement espérer 
qu'on ne me traitera pas plus mal qu'un Turc , un 
Juif, un païen , un athée, et qu'on voudra bien me 
laisser jouir, pour quelques semaines, de l'hospi- 
talité qu'on ne refuse à aucun étranger. Ce n'est 
pas, monsieur, que je veuille désormais me regarder 
comme tel; au contraire, l'honneur d'être inscrit 
parmi les citoyens du pays me sera toujours pré- 
cieux par lui-même, encore plus par la main dont 
il me vient, et je mettrai toujours au rang de mes 
premiers devoirs le zèle et la fidélité que je dois 
au roi , comn»e notre prince et comme mon pro- 
tecteur. J'avoue que j'y laissé un bien très-regret- 
table, ntiais dont je n'entends point du tout me des- 
saisir. Ce sont les amis que j'y ai trouvés dans mes 
disgrâces , et que j'espère y conserver malgré mon 
éloignement. 

Quant à messieurs les ministres, s'ib «trouvent 
à propos d'aller toujours en avant avec leur con- 
sistoire^ je me traînerai de mon mieux pour y com- 
paraître , en quelque état que je sois, puisqu'ils le 
veulent ainsi; et je crois qu'ils trouveront, pour 
ce que j'ai à leur dire, qu'ils mraient pu se passer 
de tant d'appareil. Du rasie wtKmt fort les maîtres 



34^ CORRESPONDANCE. 

dem'excommunier, si cela les amuse : être excom- 
munié de la façon de M. de Voltaire m'amusera 
fort aussi. 

Permettez, monsieur, que cette lettre soit com- 
mune aux deux messieurs qui ont eu la bonté de 
m'écrire avec un intérêt si généreux. Vous sentez 
que, dans les embarras où je me trouve, je n'ai 
pas plus le temps que les termes pour exprimer 
combien je suis touché de vos soins et des leurs. 
Mille salutations et respects. 



•& 



LETTRE DLXXXIL 

A MADAME D'IVERNOIS. 

m 

Motier9y le a 5 mars 1765. 

Je suis comblé de vos bonfiés, madame , et coniîis 
de mes torts : ils sont tous dans .ma situation , je 
vous asstrre : aucun n'est dans mes sentiments. Vous 
avez trop bien deviné , madame , le sort de notre 
aimable et^infortunée amie. M. Tissôt m'a fait l'ami- 
tié de venir la voir ; sous sa direction elle est déjà 
beaucoup mieux. Je ne doute point qu'il n'achève 
de rétablir son corps et sa tête , mais je crains que 
son cœur ne soit plus long-temps malade, et que 
l'amitié même ne puisse pas grand'chosa^ sur un 
mal auquel la médecine ne peut rien. 

Pourquoi , madame , n'avez-vous pas ouvert ma 
lettre pour M. voti^mari? j'y avais compté; ime 
médiatrice telle que vous ne peut que rendre notre 



ANNEE 1765. 34{^ 

commerce encore plus agréable. Dites-lui, je vous 
supplie y mille choses pour moi que je n'ai pas le 
temps de lui dire ; j'ai le temps seulement de l'aimer 
de tout mon cœur, et j'emploie bien ce temps-là : 
pour l'employer mieux encore , je voudrais que 
vous daignassiez en usurper une partie. Il faut 
finir , madame. Mille Ihâlutations et respects. 

Observation La malade dont il est question est madame 

Guyenet, que les suites d'une couche laborieuse avaient réduite 
à la dernière extrémité. 



V, 



• ■'r 



LETTRE DLXXXIII. 

AU CONSISTOIRE DE MOTIERS. 

Motiers, le 39 mars 1765. 

Messieurs, -^ * 

Sur votre citation j'avais hier résolu, malgré mon 
état, de comparaître aujourd'hui par-devant vous ; 
mais sentant qu'il me serait impossible, malgré 
toute ma bonne volonté , de soutenir une longue 
séance; et sur la matière de foi qjii fait l'unique 
objet de cette citation, réflçchissant que je p<Hivais 
également m'expliquer par écrit, je n'ai point douté, 
messieujQP^ que la douceur de la charité ne s'alliât 
en vous au zèle de la foi , et que vous n'agréassiez 
dans cette lettre la même réponse que j'aurais pu 
faire de bouche aux questions d^ M. de Montmol- 
lin , quelle^ qu'elles soient, w 



.35o CORRESPOND ANC£. 

U me paraît donc qu'à moins que la rigueur dont 
la vénérable classe juge à propos d'user contre moi 
ne soit fondée sur une loi positive-, qu'on. m'assure 
ne pas exister dans cet état , rien n'est plus nou- 
veau , plus irrégulier , plus attentatoire à la liberté 
civile, et surtout plus contraire à l'esprit de la re- 
ligion , qu'une pareille procédure en pure matière 
de foi. 

Car, messieurs, je vous supplie de considérer 
que , vivant depuis long-temps dans le sein de l'É- 
glise, et n'étant ni pasteur, ni professeur, ni chargé 
d'aucune partie de l'instruction publique, je ne 
dois être soumis, moi particulier, moi simple fidèle , 
à aucune interrogation ni inquisiticHi sur la foi ; de 
telles inquisitions, inouïes daiis ce. pays, sapant tous 
les fondements de la réformation , et blessant à la 
fois la liberté évangélique, la charité chrétienne, 
l'autorité du prince, et les droits des sujets, soit 
comme membres de l'Église , soit comme citoyens 
de l*état. Je dois toujours compte de mes actions 
et de ma conduite aux lois et aux hommes ; mais 
puisqu^ôn n'admet point parmi nous d'Église infail- 
lible qui ait droit de prescrire à ses membres ce 
qu'ils doivent croire , donc , une fois reçu dans 
l^liâe, je ne dpis plus qu'à Dieu seul compte de 
ma foi. 

9'ajoute à cela que lorsqu'après la publkiitionjde 
V Emile je fus admis à la communion dans cette pa- 
roisse, il y a près de trois ans, par M. 4^. Mofit- 
mollin , je lui ils pur écrit une déclaration dont il 
fut 3i pleinement sinisfait, qi}e not^-s^^leaient il 



ANNÉE 1765. 35l 

n'exigea nulle autre explication sur le dogme, mais 
qu'il me promit même de n'en point exiger. Je me 
tiens exactement à sa promesse , et surtout à ma 
déclaration. Et quelle conséquence, quelle absur- 
dité , quel scandale ne serait-ce point de s'en être 
contenté, après la publication d'un livre où le chris- 
tianisme semblait si violemment attaqué , et de ne 
s'en pas contenter maintenant, après la publica- 
tion d'un autre livre où l'auteur peut errer, sans 
doute , puisqu'il est homme , mais où du moins il 
erre en chrétien , puisqu'il ne cesse de s'appuyer 
pas à pas sur l'autorité de l'Évangile ? C'était alors 
qu'on pouvait m'ôter la communion ; mais c'est à 
présent qu'on devrait me la rendre. Si vous faites 
le contraire , messieurs , pensez à vos consciences : 
pour moi , quoi qu'il arrive , la mienne est en paix. 

Je vous dois, messieurs^ et je v€ux vous rendre 
toutes sortes de déférences , et je souhaite de tout 
mon cœur qu'on n'oublie pas assez la protection 
dont le roi m'honore pour me forcer d'implorer 
celle du gouvernement. 

Recevez, messieurs, je vous supplie , les assu- 
rances de tout mon respect. 

Je joins ici la copie de la déclaration sur laquelle 
je fus admis à la communion en 1 76a , et que je 
confirme aujourd'hui. 






353 CORRESPONDANCE. 



LETTRE DLXXXIV. 

A M. DU PEYROU. 

Le 6 avril 1765. 

le souffre beaucoup depuis quelques jours , et 
les tracas que je croyais finis, et que je vois se mul- 
tiplier, ne contribuent pas à me tranquilliser le 
ODrps ni l'ame. Voilà donc de nouvelles lettres d'é- 
clat à écrire, de nouveaux engagements à prendre, 
et qu'il faut jeter à la tête de tout le monde , jus- 
qu'à ce que je trouve quelqu'un qui les daigne 
agréer. Voilà, toute chose cessante, un déména- 
gement à faire. Il faut me réfugier à Couvet, parce 
que j'ai le malheur d'être dans la disgrâce du mi- 
nistre de Motiers : il faut vite aller chercher un 

• 

autre ministre et un autre consistoire; car, sans 
ministre et sans consistoire, il ne m'est plus permis 
de respirer; et il faut errer de paroisse en paroisse, 
jusqu'à ce que je trouve un ministre assezbéninpour 
daigner me tolérer dans la sienne. CependantM. de 
Pury appelle cela le pays le plus libre de la terre ; 
à la bonne heure : mais cette liberté-là n'est pas de 
mon gont. M. de Pury sait que je ne veux plus rien 
avoir à faire avec les ministres; il me l'a conseillé 
lui-même; il sait que naturellement je suis désor- 
mais dans ce cas avec celui-ci ; il sait que le Ck>nseil 
d'état m'a exempté de la juridiction de son consis- 
toire : par quelle étrange maxime veut -il que je 



ÀNJvÉÈ 1765. 353 

m'aille refourrer tout exprès sous la juridiction 
d'un autre consistoire dont le Conseil d'état ne m'a 
point exempté, et sous celle d'un autre ministre 
qui me tracassera plus poliment , sans doute , mais 
qui me tracassera toujours; voudra poliment savoir 
comme je pense, et que poliment j'enverrai pro- 
mener? Si j'avais une habitation à choisir dans ce 
pays , ce serait celle-ci , précisément par la raison 
qu'on veut que j'en sorte. J'en sortirai donc puis- 
qu'il le faut ; mais ce ne sera sûrement pas pour 
aller à Couvet. • 

Quant à la lettre que vous jugez à propos que 
j'écrive pour promettre le silence pendant mon sé- 
jour en Suisse, j'y consens; je désirerais seulement 
que vous me fissiez l'amitié de m'envoyer le modèle' 
de cette lettre , que je transcrirai exactement , et 
de me marquer à qui je dois l'adresser. Garrottez- 
moi si bien que je ne puisse plus remuer ni pied 
ni pâte ; voilà mon cœur' et mes mains dans les 
liens de l'amitié. Je suis très-déterminé à vivre en 
repos , si je puis , et à ne plus rien écrire , quoi qu'il 
arrive, si ce n'est ce que vous savez, et pour' la 
Corse , s'il le faut absolument . et que je vive assez 
pour cela. Ce qui me fâche , encore un coup , c'est 
d'aller offrant cette promesse de porte en porte, 
jusqu'à ce qu'il se trouve quelqu'un qui la daigne 
agréer : je ne sache rien au monde de plus humi- 
liant ; c'est donner à mon sileifcé une importance 
que personile n'y voit que inoi seul. 

Pardonnez , monsieur* ,lliumeur (Jùi me ronge ; 
j'ai onze lettres sur la table, la plupart très-désa- 

R. XX. 23 



354 CORRESPONDANCE.' 

gréables, çt qui veulent toutes la plus prompte 
réponse. Mon . sang est calciné , la fièvre me con- 
sume, je ne pisse plus du tout, et jamais rien ne 
m'a /tant coûté de ma vie que cette promesse au- 
thentique qu'il faut que je fasse d'une chose que 
je suis bien déterminé à tenir , que je la promette 
ou non. Mais, tout en grognant fort maussadement, 
j'ai le cœur plein des sentiments les plus tendres 
pour ceux qui s'intéressent si généreusement à 
mon repos , et qui me donnent les meilleurs con- 
seils pour l'assurer. Je sais qu'ils ne me conseillent 
que pour mon bien , qu'ils ne prennent à tout cela 
d'autre intérêt que le mien propre. Moi^ de. mon 
côté, tout en murmurant , je veux leur complaire , 
sans songer à ce qui m'est bon. S'ils me deman- 
daient pour eux ce qu'ils me demandeïit pour moi- 
même, il ne me coûterait plus rien; mais connue 
il est permis de faire en rechignant son propre 
^antage, je veux leur obéir, les aimer, et les gron- 
der. Je vous embrasse. 

P. S. Tout bien pensé , je crois pourtant qu'a- 
vaat le départ de M. Meuron je ferai ce qu'on dé- 
sire. Ma paresse conimence toujours par se dépi- 
ter, mais à la fin mon cœur cède. 

Si, je restais , j'en reviendrais , en attendant que 
votre maison fût faite, au projet de chercher 
quelque jolie habitation près de Neuchàtel, et.de 
m'abonner à quelque société où j'eusse à la fois 
la liberté et le commerce des hommes. Je p'ai pas 
besoin de société pour me garantir de l'ennui, au 



d^É«HHii 



ANNÉE 1766. 355 

contraire; mais j'en ai besoin pour me détourner 
de rêver et d'écrire. Tant que je vivrai seul , liia 
tête ira malgré moi. 



LETTRE DLXXXV. 

A MILORD MARÉCHAL. 

Le 6 avril 1765. 

Il me paraît, Milord, que, grâces aux soins des 
honnêtes gens qui vous sont attachés, les projets 
des prédicants contre moi s'en iront en. fumée ; ou 
aboutiront tout au plus à me garantir de l'ennui 
de leurs lourds sermons. Je n'entrerai point dans 
le détail de ce qui s'est passé , sachant qu'on vous 
en a rendu un fidèle compte; mais il y aurait de 
l'ingratitude à moi de qe vous* rien dire de la cha- 
leur que M. Ghaillet a mise à toute cette affaire , e,t 
de l'activité pleine à la fois de prudence et de vi- 
gueur avec laquelle M. Meuron Ta conduite. A 
portée , dans la place où vous l'avez mis , d'agir 
et parler au nom du roi et au vôtre , il s'est pré- 
valu de cet avantage avec tant de dextérité , que , 
sans indisposer personne , il a ramené tout le Con- 
seil d'état à son avis, ce qui n'était pas peu de 
chose , vu l'extrême fermentation qu'on avait trouvé 
le moyeja d'exciter dans les esprits. La manière 
dont il s'est tiré de cette affîûrjpr, prouve qu'il est 
très-en état d'en manier de plus grandes. 

Lorsque je reçus votre lettre du lo mars avec 

a3. 



356 CORRESPONDANCE. 

les petits billets numérotés qui l'accompagnaient, 
je me sentis le cœur si pénétré de ces tendres 
soins de votre part, que je m'épanchai là-dessus 
avec M. le prince Louis de Wirtemberg , homme 
d'un mérite rare , épuré par les disgrâces , et qui 
m'honore de sa correspondance et de son amitié. 
Voici là-dessus sa réponse; je vous la transmets mot 
à mot : « Je n'ai pas douté un moment que le roi 
« de Prusse ne vous soutînt; mais vous me faites 
<c chérir Milord Maréchal : veuillez lui témoigner 
« toute la vivacité des sentiments que cet homme 
« respectable m'inspire. Jamais personne avant 
« lui ne s'est avisé de faire un journal si honorable 
« pour l'humanité, y) . 

Quoiqu'il me. paraisse à peu près, décidé que je 
puis jouir en ce pays de toute la sûreté pos- 
sible, sous la protection du roi, sous la^^yi^tre, 
et grâces à vos précautions , comme suj^ t^^ l'é- 
tat * , cependant il me parait toujours imfsi&issible 
qu'on m'y laisse tranquille. Genève n'en est pas 
plus loin qu'auparavant , et les brouillons de mi- 
nistres me haussent encore plus à cause du mal 
qu'ils n'ont pu me faire. On ne peut compter sur 
rien de solide dans un pays où les têtes s'échauf- 
fent tout d'un coup sans savoir pourquoi. Je per- 
siste donc à vouloir suivre votre consdl et m'éloi- 
gner d'ici. Mais comme il n'y a plus ëe dangcMP, 
rien ne presse ; et je prendrai tout le temps de dé- 
libérer et de bien peser mon choix , pour ne pas 
faire une sottise , çt m^aller mettre dans de nouveaux 

* Lord Maréclial Ud ATÛt obtenu des lettres de naturalisation. 



ANNÉE 1765. 357 

lacs. Toutes mes raisons contre l'Angleterre sub- 
sistent; et il suffit qu'il y ait des ministres dans ce 
pays -là pour me faire craindre d'en approcher. 
Mon état et mon goût m'attirent également vers 
l'Italie ; et si la lettre dont vous m'avez envoyé copie 
obtient une réponse favorable, je penche extrême- 
ment pour en profiter. Cette lettre , Milord , est un 
chef-d'œuvre ; pas un mot de trop , si ce n'est des 
louanges : pas une idée omise pour aller au but. Je 
compte si bien sur son effet, que, sans autre sû- 
reté qu'une pareille lettre, j'irais yolo^itiers me 
livrer aux Vénitiens. Cepeadant, comme je. puis 
attendre, et que la saison n'est pas bonne encore 
pour passer les monts , j.e ne prendrai nul p^irti dé- 
finitif sans en bien consulter avec vous. 

Il est certain, Milord, que je n'ai pour \e mo- 
ment nul besoin^ d'argent. Cependant je vous l'ai 
dit y%t |îe vous le répète , loin de me défendre de 
vos dbtis , je m'en tiens honoré. Je vous dois les 
biens les plus précieux de la vie ; marchander sur 
les autres serait de ma part une ingratitude. Si je 
quitte ce pays, je n'oublierai pas qu'il y a dans les 
mains de M. Meuron cinquante louis dont je puis 
disposer au besoin. 

Je n'oublierai pas non plus de remercier le roi 
de ses grâces! C'a toujours été mon dessein si ja- 
mais je quittais ses états. Je vois , Milord , avec une 
grande joie, qu'en tout ce qui est convenable et 
honnête nous nous entendotâ*«ans nous être com- 
muniqué. 






358 CORRESPONDANCE. 



LETTRE DLXXXVI. 

A M. D'ESCHERNY. 

Motiers, le 6 i^vril 1765. 

Je n'entends pas bien , monsieur , ce qu'après 
sept ans de silence M. Diderot vient tout-à-coup 
exiger de moi. Je ne lui demande rien. Je n'ai nul 
désaveu à faire. Je suis bien éloigné de lui vouloir 
du mal , encore plus de lui en faire ou d'en dire de 
lui; je sais respecter jusqu'à la fin les droits de l'a- 
mitié , même éteinte , mais je ne la rallume jamais ; 
c'est ma plus inviolable maxime '. 

J'ignore encore où m'entraînera ma destinée. 
Ce que je sais, c'est que je ne quitterai qu'à re- 
gret un pays où, parmi beaucoup de personnes 
que j'estime , il y en a quelques*-unes que j'aime et 
dont je suis aimé. Mais, monsieur, ce que j'aime 
le plus au monde , et dont j'ai le plus de besoin , 
c'est la paix : je la chercherai jusqu'à ce que je la 
trtîiuve ou que je meure à la peine. Voilà la seule 
chose sur laquelle je suis bien décidé. 

J'espérais toujours vous rapporter votre mu- 
sique ; mais , malade et distrait , je n'ai pas le temps 
d'y jeter les yeux. M. de Montmollin a jligé à pix)- 

' M. d*Escherny, dans ses Mélanges, blâme avec raison le refus 
de Rousseau. Mais cttte letlre sert à faire apprécier la sincérité 
de Diderot, qui prétond avoir repoussé les avances que fit Jean- 
Jacques pour se réconcilier avec lui. L*on peut juger de la nature de 
ces avances. 



ANNÉE 1763. 359 

pos de m'occuper ici d'autres chansons bien moins 
amusantes. Il a voulu me faire chanter ma gamme , 
et s'est fait un peu chanter la sienne; que Dicïu 
nous préserve de pareille musique ! Ainsi soit-il. Je 
vous salue , nfionsieur , de tout mon cœur. 

LETTRE DLXXXVIL 

A M. LALIAUD. 

Motiera, le 7 avril 176a. 

Puisque vous le voulez absolument, monsieur, 
voici deux mauvaises esquisses que j'ai fait faire, 
faute de mieux , par une manière de peintre qui a 
passé par Neuchâtel. La grande est un profil à la 
silhouette, où j'ai fait ajouter quelques traits en 
crayon pour mieux détentiiner la position des 
traits ; l'autre e$t un profil tiré à la vue. On . ne 
trouve pas beaucoup de ressemblance à l'un ni à 
l'autre : j'en suis fâché , mais je n'ai pu faire mieux; 
je crois même que vous me sauriez quelque gré de 
cette petite attention , si vous connaissiez la situa- 
tion où j'étais quand je me suis ménagé le moment 
de vous complaire. 

Il y a un portrait de moi très-ressemblant dans 
l'appartement de madame la maréchale de Luxem- 
bourg. & M. Lemoine prenait la peine de s'y trans- 
porter et de demander de ma part M. de La Roche , 
je ne doute pas qu'il n'eût la complaisance de le 
lui montrer. 



36o CORRESPOND 4NCE. 

Je ne vous connais , monsieur , que par vos lettres ; 
mais elles respirent la droiture et l'honnêteté ; elles 
me donnent la plus grande opinion de votre ame ; 
l'estime que vous m'y témoignez me flatte , et je 
suis bien ^se que vous sachiez qu'elle fait une des 
consolations de ma vie. 



LETTRE DLXXXVIII. 

A M. D'IVERNOIS. 

Motiers, le 8 avril 1765. 

Bien arrivé, mon cher monsieur; ma joie est 
grs^ide, mais elle n'est pas complète , puisque vous 
n'avez pas passé par ici. Il est vrai que vous y au- 
rie:^ trpuvé une fermentation désagréable à votre 
amitié pour moi. J'espère, quand vous viendrez, que 
vous trouverez tout pacifié. Lçi chance commence à 
tourner extrêmement. Le roi s'est si hautement dé- 
claré; Milord Maréchal a si vivement écrit ; les gens 
en crédit ont pris mon parti si chqudement, que le 
Conseil d'état s'est unanimement déclaré pour nioi , 
et ip'a , par un arr^t , exempté de la juridiction du 
consistoire, et. assuré la protection' du gouver- 
nement. Les ministres sont généralement hués : 
l'homme à qui vous avez écrit est consterné et fu- 
rieux; il ne lui reste plus d'autres ressources que 
d'ameuter la canaille, ce qu'il a fait jusqu'ici avec 
assez de succès. Un des plus plaisants bruits qu'il 
fait courir , est que j'ai dit dans mon dçrnjer livre 






ANN^E 1765. 36l 

que les femmes n'avaient point d'ame ; ce qui les 
met dans une telle fureur par tout le Val-de-Tra- 
vers , que pour être honoré du sort d'Orphée je n'ai 
qu'à sortir de chez moi. C'est tout le contraire à 
Neuchâtel , où toutes les dames sont déclarées en 
ma faveur. Le sexe dévot y traîne les ministres 
dans les boues. Une des plus aimables disait, il y 
a quelques jours, en pleine assemblée, qu'il n'y 
avait qu'une seule chose qui la scandalisât dans tous 
mes écrits ; c'était l'éloge de M. de Montmollin. Les 
suites de cette affaire m'occupent extrêmement. 
M. Andrié m'est arrivé de Berlin de la part de Mi- 
lord Maréchal. Il me survient de toutes parts des 
multitudes de visites. Je songe à déménager de 
cette maudite paroisse pour aller m'établir près de 
Neuchâtel , où tout le monde a la bonté de me dé- 
sirer. Par-dessus tous ces tracas, mon triste état 
ne me laisse point de relâche , et voici le septième 
mois que je ne suis sorti qu'une seule fois, dont 
je me suis trouvé fort mal. Jugez d'après tout cela 
si je suis en état de recevoir M. de Servan , quelque 
désir que j'en eusse ; dans tout le cours de ma vie 
il n'aurait pas pu choisir plus mal son temps pour 
me venir voir. Dissuadez-l'en , je vous supplie , ou 
qu'il ne s'en prenne pas à moi s^il perd ses pas. 

Je ne crois pas avoir écrit à personne que peut- 
être je serais dans le cas d'aller à Berlin. Il m'a t^nt 
passé de choses par la tête que celle-là pourrait y 
avoir passé aussi; mais je suis presque assuré de 
n'en avoir rien dit à qui que ce soit. La mémoire , 
que je perds absolument, m'empêche de rien af- 



36a CORRESPOlfDANCE. 

firmer. Des motifs très-doux, très-pressants, très- 
faoBorables , m'y attireraient sans doute ; mais le 
dûnat me fiùt peur. Que je cherche au moins la 
bénignité du soleil, puisque je n'en dois point at- 
tendre des hommes. J'espère que celle de l'amitié 
me suivra partout. Je connais la vôtre , et je m'en 
prévaudrais au besoin ; mais ce n'est pas Taisent 
qui me manque, et, si j'en avais besoin, cin- 
quante louis sont à Neuchâtel à mes ordres , grâce 
à la prévoyance de Milord Maréchal. 

LETTRE DLXXXIX. 

A M. DU PEYROU. 

8 avril 1765. 

. Je n'ai le temps, monsieur, que de vous écrire 
un mot. Votre inquiétude m'en donne, une très- 
grande. S'il est cruel d'avoir des peines, il l'est bien 
plus encore de ne connaître pas un ami tendre, 
pas un honnête homme dans le sein duquel on les 
puisse épancher. 

LETTRE DXC. 

A MADEMOISELLE D'IVERNOIS. 

Moûei^Sy le 9 avril 176S. 

Au moins , mademoiselle , n'allez pas m'accuser 
aussi de croire que les femmes n'ont point d'ame ; 



ANN^E 176?. 363 

car , ail contraire, je suis persuadé que toutes celles 
qui vous ressemblenten ont^u moins deux à leur 
disposition. Quel dommage que la vôtre vous suf- 
fise! J'en connais une qui se plairait fort à. loger 
en même lieu. Mille respects à la chère maman et 
à toute la famille. Je vous prie, mademoiselle , d'a- 
gréer les miens. 



LETTRE DXCL 

A W. MEURON, 
PBocuREua-ciirÉaâi. ▲ vvocHAtMh. 

m 

MotierSy le 9 avril 1765. 

• 

Permettez , monsieur , qu'avant votre départ je 
vous supplie de joindre à tant de soins obligeants 
pour moi celui de faire agréer à messieurs du Con- 
seil d'état mon profond respect et ma vive recon- 
naissance. Il m'est extrêmement consplant de jouir, 
sous l'agrément du gouvernement de cet état, de 
la protection dont le roi m'honore , et des bontés 
de Milord Maréchal ; de si précieux actes de bien- 
veillance m'imposent de nouveaux devoirs que 
mon cœur remplira toujours avec zèle, non-seule- 
ment en fidèle sujet de l'état, mais en homme par- 
ticulièrement obligé à l'illustre corps qui le gou- 
verne. Je me flatte qu'on a vu jusqu'ici dans ma 
conduite une simplicité sincère , et autant d'aver- 
sion pour la dispute que d'amour pour la paix. 
J'ose dire que jamais homme ne chercha moins 



364 CORRESPONDANCE. 

à répandre ses opinions, et ne fut moins auteur 
dans la vie privée et sociale : si , dans la chaîne 
de mes disgrâces , les sollicitations , le devoir , 
l'honneur même, m'ont forcé de prendre la plume 
pour ma défense et pour celle d'autrui , je n'ai 
rempli qu'à regret un devoir si triste, et j'ai re- 
gardé cette cruelle nécessité comme un nouveau 
malheur pour moi. Maintenant, monsieur, que, 
grâces au ciel, j'en suis quitte, je m'impose la loi 
de me taire, et, pour mon repos et pour celui de 
l'état où j'ai le bonheur de vivre , je m'engage li- 
brement, tant que j'aurai le' même avantage, à ne 
plus traiter aucune matière qui puisse y déplaire , 
ni dans aucun des états voisins. Je ferai plus, je 
rentre avec plaisir dans l'obscurité où j'aurais dû 
toujours vivre, et j'espère sur aucun sujet ne plus 
occuper le public de moi. Je voudrais de tout mon 
cœur offrir à ma nouvelle patrie un tribut plus 
digne d'elle : je lui sacrifie un bien très-peu regret- 
table,. et je préfère infiniment au vain, bruit du 
mon'de l'amitié de ses membres et la faveur de ses 
chefs. 

Recevez , monsieur , je vous supplie , mes très- 
humbles salutations. 



ANNÉE 1765. 365 

LETTRE DXCII. 

A M. DU PEYROU. 

Vendredi, la avril 1765. 

Plus j'étais touché de vos peines, plus j'étais fâ- 
ché contre vous; et en cela j'avais tort; le com- 
mencement de votre lettre me le prouve. Je ne 
suis pas toujours raisonnable , mais j'aime toujours 
qu'on me parle raison. Je voudrais connaître vos 
peines pour les soulager, pour les partager, du 
moins. Les vrais épanchements du cœur veulent 
non-seulement l'amitié, mais la famiUarité, et la . 
familiarité ne vient que par l'habitude de vivre 
ensemble. Puisse un jour cette habitude si douce 
donner, entre nous, à l'amitié tous ses charmes! 
Je les sentirai trop bien pour ne pas vous les faire 
sentir aussi. 

La sentence de Cicéron que vous demandez est, 
amicus PlatOy aniiçus ArisU)teles y sed magis arnica 
Veritas, Mais vous pourrez la resserrer, en n'em- 
ployant que les deux premiers mots et les trois 
derniers , et souvenez-vous qu^elle emporte l'obli- 
gation de me dire mes vérités. Au lieu de vous dire 
précisément si vous devez employer le terme de 
conclave inquisitorial ^ j'aime mieux vous exposer le 
principe sur lequel je me détermine en pareil 
doute. Qu'une expression soit ou ne soit pias ce 
qu'on appelle française ou du bel usage , ce n'est 



366. CORRESPONDANCE. 

pas de cela qu'il s'agit : on ne parle et l'on n'écrit 
que pour se faire entendre; pourvu qu'on soit in- 
telligible, on va à son but; quand on est clair , on 
y va encore mieux : parlez donc clairement pour 
quiconque entend le français. Voilà la règle , et 
soyez «sûr que, fissiez-vous au surplus cinq cents 
barbarismes , vous n'en aurez pas moins bien écrit. 
Je vais plus loin , et je soutiens qu'il faut quelque- 
fois fiaûre des fautes de grammaire pour être plus 
lumineux. C'est en cela, et non dans toutes les pé- 
danteries du purisme, que consiste le vérita|;>le 
art d'écrire. Ceci posé, j'examine, sur cette règle, 
le conctaife inquisitorial , et je me demande si ces 
deux mots réunis présentent à l'esprit une idée 
. bien une et bien nette , et il me parait que non. 
Le^mot conchwe en latin ne signifie qu'une cham- 
bre retirée, mais en français il signifie l'assemblée 
de» cardinaux pour l'élection du pape. Cette idée 
n'a' nul rapport à la vôtre, et elle exclut- même 
celle de l'inquisition. Voyez si , peut-être en chan- 
geant le premier mot, et mettant, par exemple, 
celai de synode inqidsitorial ^ vous n'iriez pas mieux 
à votre but. IL semble même que le mot synode 
pris pour une assemblée de ministres, contrastant 
avec celui dLÙiquisitorial, ferait mieux sentir l'in- 
conséquence de ces messieurs. L'union seule de 
ces deux mots ferait, à mon sens, un argument 
sans réplique ; et voilà en quoi consiste la finesse 
de l'emploi des mots. Pardon, monsieur, de mes 
longiyeries ; mais comme vous pouvez avoir quel- 
quefois , dans rhonnêteté de votre antie , l'occasion 



ANNJÈE 1765* 367 

de parler au public pour le bien delà vérité, j'ai 
cru que vous seriez peut-être bien aise de con-' 
naître la règle géniale qui me paraît toujours 
bonne à suivre dans le choix des mots. 

Comme je suis très-persuadé que votre ouvrage 
n'aura nul besoin de pia révision, je vous prie de 
m'en dispenser à cause de la matière. H convient 
que je puisse dire que je n'y ai aucune part et que 
je ne l'ai pas vu. Il est même inutile de m'envoyer 
aucune des . pièces que vous vous proposez d'y 
mettre, puisqu'il me suffira de 1^ trouver toutes 
dans l'imprimé. 

Au train dont la neige tombe , nous en aurons 
ce soir plus d'im pied ^ cela, et mon état encore 
empiré , m'ôterà le plaisir de vous aller voir aussi^ 
tôt que je l'espérais. Sitôt que je le pourrai, comp* 
tez que vous verrez celui qui vous aime. 

LETTRE DXCIII. 

AU MÊME. 

i5 avril 1765. 

Je prends acte du reproche que vous me faites 
de trop de précipitation vis-à^vis de M. Vernes , et 
je vous prédiis que dans trois mois d'ici vous me 
reprocherez trop, da lenteur et de modération. 

Je n'aime pas que les choses qui se sont passées 
dans le téte-à-téte se publient; c'est pourquoi la 
note , sur laquelle vous me consultez , est peu de 



l 



368 CORRESPONDANCE. 

mon go^t. Je n'aime pas même trop , dans le texte , | 
Tépilhète si doux y donnée aux éloges du profes- 
seur. 11 y a de l'erreur dans nies éloges, mais je ne 
crois pas qu'il y ait de la fadeur , et quand il y en 
aurait, je ne voudrais pas que ce fut vous qui- la 
relevassiez. Au reste, je n'exige rien, je dis mon 
goût, suivez le vôtre. 

Charité veut dire amour, ainsi l'on n'aime ja- 
mais que par charité ; c'est par charité que je vous 
aime et que je veux être aimé de vous. Mais ce 
mot part d'une ame triste , et n'échappe pas à la 
mienne. J'ai besoin d'être auprès de vous; mais 
pjas un moment de relâche, ni dans le mauvais 
temps, ni dans mon état : cela est bien cruel. Fi 
du JÊùnsieur, je ne puis le souffrir. Je vous em- 
brasse. 



LETTRE DXCIV. 

AU MÊME. 

a 3 ayril 1765. 

L'amitié est une chose si sainte, que le nom 
n'en doit pas même être employé dans l'usage or- 
dinaire : ainsi nous serons amis , et nous ne nous 
dirons pas mon anii. J'eus un surnom jadis que je 
crois mériter mieux que jamais; à Paris, on ne 
m'appelait que le citoyen. A votre égard , prenez 
un nom de société qui vous plaise et que je puisse 
vous donner. Je me plais à songer que vous devez 



ANNÉE 1765. 369 

être un jour mon cher hôte', et j'aimerais à vous 
en donner le titre d'avance; mais celui-là ou un 
autre, prenez-en un qui soit de votre goût, et qui 
supprime entre nous le maussade mot de monsieur^ 
que l'amitié et sa familiarité doivent proscrire. 

Votre petite note est très-bien. Sur ce que j'ap- 
prends , il me paraît important que vous preniez 
vos mesures si justes et si sûres , que l'écrit pa- 
raisse avant la générale de mai. J'ai eu le plaisir 
de voir M. de Pury ; c'est un digne homme dont 
je n'oublierai jamais Jes services. Je souffre tou- 
jours beaucoup. 

Je vous embrasse. 

Examinez toujours le cachet de mes. lettres, 
pour voir si elles n'ont point été ouvertes, et pour 
cause : je me servirai toujours de la lyre. 

LETTRE DXCV. 

A M. D'IVERNOIS. 

Modersy le a a avril 1763. 

J'ai reçu , monsieur , tous vos envois , et ma sen- 
sibilité à votre amitié augmente de jour en jour^ 
mais j^ai une grâce à vous demander; c'est de rie 
me plus parler des affaires de Genève , et ne plus 
m'envoyer aucune pièce qui s'y rapporte. Pourquoi 
veut-on absolument par de si tristes images me 
faire finir dans l'affliction le reste des malheureux 
jours que la nature m'a comptés , et m'ôter un re- 
R. XX. a 4 



3*70 CORRESPOND A IV CK. 

pos dont j'ai si grand besoin , et que j ai si chère- 
ment acheté ? Quelque plaisir que me fasse votre 
correspondance , si vous continuez d'y faire entrer 
des objets dont je ne puis ni ne veux plus m'occu- 
per, vous me forcerez d'y renoncer. 

Parmi ce que m'a apporté le neveu de M. Vieus- 
seux, il y avait une lettre de Venise, où celui qui 
l'écrit a eu l'étourderie de ne pas marquer son 
adresse. Si vous savez par quelle voie est venue 
cette lettre, informez-vous de grâce si je ne pour- 
rais pas me servir de la méipe voie pour faire par- 
venir ma réponse. 

Je vous remercie du vin de Lunel; mais, mon 
cher monsieur, nous sommes convenus, ce me 
semble, que vous ne m'enverriez plus rien de ce 
qui ne vous coûte rien. Vous me paraissez n'avoir 
pas pour cette convention la même mémoire qui 
vous sert si bien dans mes commissions. 

Je ne peux rien vous dire du chevalier de Malte; 
il est encore à Neuchâtel. Il m'a apporté une lettre 
de M. de Paoli qui n'est certainement pas suppo- 
sée : cependant la conduite de cet homme-là est 
en tout si extraordinaire que je ne puis prendre 
sur moi de m'y fier ; et je lui ai remis pour M. Paoli 
une réponse qui ne signifie rien, et qui le renvoie 
à notre correspondance ordinaire , laquelle n'est 
pas connue du chevalier. Tout ceci , je vous prie , 
entre nous. 

Mon état empire au lieu de s'adoucir. Il me vient 
du monde des quatre coins de l'Europe. Je prends 
le parti de laisser à la poste les lettres que je ne 



ANNÉE 1765. 371 

connais pas , ne pouvant plus y suffire. Selon toute 
apparence je ne pourrai guère jouir à ce voyage 
du plaisir de vous voir tranquillement. Il faut es- 
pérer qu'une autre fois je serai plus heureux. 

La lieutenante est à Neuchâtel. Je ne veux ktf 
faire votre commission que de bouche. Je crains 
qu'elle ne pût vous aller voir seule , et que la com- 
pagnie qu'elle serait forcée de se donner ne fut 
pas trop du goût de madame dlvernois , à qui je 
présente mon respàDt. J'embrasse tendrement son 
cher mari. ' 

Bien des salutations aux amis et bonnes connais- 
sances. 



LETTRE DXCVI. 

A M. COINDET. 

i ■ 

A Motîers, le 27 avril ïyôS. 

Je devrais , mon cher Coindet , vous écrire sou- 
vent , ne fût-ce que pour vous ranercier. Mais ac- 
ceptez, je vous prie, la bonne volonté pour l'effet ; 
car , en ce moment , eussé-je dix mains et dix se- 
crétaires, je ne suffirais pas à tout ce qu'on me 
force d'écrire. Je dois aussi des remerciements à 
M. Wateletet à M.Loiseau. Quand je ne leur en de- 
vrais pas, je voudrais leur écrire. En attendant 
que je puisse là-dessus me satisfaire , feites-leur les 
plus tendres salutations de ma part. 

Je comprends qu'on a pu vous marquer de Ge- 

24. 



37a CORRESPONDANCE. 

nève que je quittais Motiers. Ou y a si bien tra- 
vaillé pour cela, qu'on n'a pas clouté du succès. 
Je ne sais pas encore si je prendrai le parti de 
complaire à ces messieurs, mais jusqu'ici cela dé- 
pend miiquement de ma volonté , et il est appa- 
rent que cela n'en dépendra pas moins dans la 
suite. 

Vous aurez su que je portais autrefois l'hono- 
rable surnom du citoyen par excellence , lorsque 
je l'avais beaucoup moins mérité qu'aujourd-hui. 
Vous pouvez voir, par la couronne civique dont 
j'ai entouré ma devise , à la tête de mon dernier 
ouvrage, quelle justice je sens m'étre due à cet 
égard. Je souhaite qu'au moins mes amis me l'ac- 
cordent, en me rendant ce nom de citoyen, qui 
m'est si cher , et que j'ai payé si cher. Ce n'est point 
pour moi un titre vain , puisqu'outre que, par une 
élection unanime, j'ai ici une patrie qui m'a choisi, 
s'il est sur la terre un état où règne la justice et 
la liberté, je suis citoyen né de cet état-là. Conclu- 
sion : je fus et je suis le citoyen. Quiconque m'aime 
ne doit plus me donner d'autre nom. 

A mesure que vous m'envoyez quelque chose, 
vous ne m'en marquez point le prix. Cela fait que 
je ne puis vous rendre vos déboursés. Vous pré- 
tendez que je ne vous devais qu'un écu pour le 
cadre de l'amitié : c'est une moquerie , mais soit ; 
depuis lors le compte doit être augmenté. Donnez- 
m'en la note , et je chargerai Duchesne de vous 
rembourser. Car, pour vos soins, je ne puis les 
payer qu'en reconnaissance, puisque c'est le seul 



ANNÉE 1765. 373 

prix que vous en voulez agréer. Le Corneille est 
admirable , c'est dommage qu'il ait été un peu chif- 
fonné dans le transport. J'ai reçu la charmante oi- 
seleuse avec un nouveau plaisir, augmenté par les 
bontés de l'aimable graveur. Il mérite un nouveau 
remerciement pour celui dont il me dispense ; sans 
m'acquitter, une lettre me coûte; c'est me faire 
un second présent que de m'en exempter. 

Je vois , par le préseift.que vous m'avez envoyé , 
de la part de M. Watéîfet , que madame Le Comte, 
ni lui, n'ont pas voulu profaner, dans mes mains, 
leurs propres ouvrages. Ils m'auraient pourtant 
été beaucoup plus précieux que toute autre es- 
tampe ; mais , du reste , on ne saurait refuser plus 
magnifiquement. 

Voici le huitième niois que je ne suis sorti de 
la chambre. Plaignez-moi , mon cher Coindet, vous 
qui savez que je n'ai plus d'autre plaisir que la 
promenade , et que je ne suis qu'une machine am- 
bulante. Encore ma prison me serait -elle moins 
rude, si du moins j'y vivais tranquille, et qu'on 
m'y laissât le temps d'écrire à mon aise à mes amis. 
Je vous embrasse de tout mon cœur. 

Pour trouver , s'il se peut , le repos après lequel 
je soupire, je prends le parti de vider ma tête de 
toute idée, et de l'empailler avec du foin. Je gagne- 
rai à cela de mettre un nouvel intérêt à mes pro- 
menades, par le plaisir d'herboriser. Je voudrais 
trouver un recueil de plantes gravées , bien res- 
semblantes , quand même il faudrait y mettre un 
certain prix. Ne pourriez-vous point m'aider dans 



374 CORRESPONDANCE. 

cette recherche? Cela me procurerait encore le 
plaisir de m'occuper l'hiver à les enluminer. 

Obséevation. — Nous devons cette lettre à l'obligeance de 
M. Coindet, neveu de celui à qui elle est adressée. 



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LETTRE DXCVII. 

A M. DU PEYROU. 

I 

Ze 2g avril 1765. 

Votre avis , mon cher hôte , de ne faire passer 
aucun exemplaire par mes mains, est très-sage : c'est 
une réflexion que j'avais faite moi-même , et que 
je comptais vous communiquer. 

J'ai reçu votre présent *; je vous en remercie: 
il me fait grand plaisir , et je brûle d'être à portée 
d'en faire usage. J'ai plus que jamais la passion 
pour la botanique;. mais je vois avec confusion 
que je ne connais pas encore assez de plantes em- 
piriquement pour les étudier par système. Cepen- 
dant je ne me rebuterai pas , et je me proposé d'al- 
ler, dans la belle saison, passer une quinzaine de 
jours près de M. Gagnebin pour me mettre en état 
du moins de suivre Linnœus. 

rai dans la tête que , si vous pouvez vous sou- 
tenir jusqu'au temps de notre caravane , elle vous 
garantira d'être arrêté durant le reste de l'année , 
vaque la goutte n'a point de plus grand ennemi 

.\ i^es ouvrages de Linnœus. 



ANNÉE 1765. 375 

que l'exercice pédestre. Vou& devriez prendre la 
botanique pour remède, quand vous ne la pre|]^driez 
pas par goût. Au reste , je vous avertis que le charme 
de cette science consiste surtout dans l'étude ana- 
tomique des plantes. Je ne puis faire cette étude 
à mon gré, faute des instruments nécessaires, 
comme microscopes de diverses mesures de foyer , 
petites pinces bien menues , sem]3lables aux bru- 
celles des joailliers , ciseaux très-fins à découper. 
Vous devriez tâcher de vous pourvoir de tout cela 
pour notre courte; et vous verriez que l'usage en 
est très-agréable et très-instructif. 

Vous me parlez du temps remis : il ne l'est assu- 
rément pas ici ; j'ai fait quelques essais de sortie 
qui m'ont réussi médiocrement , et jamais sans pluie. 
Il me tarde d'aller vous embrasser, mais il faut 
faire des visites , et cela m'épouvante un peu , sur- 
tout vu mon état* 

Notre archiprêtre continue ses ardentes philip- 
piques ; il en a fait hier une , dans laquelle il s'est 
tellement attendri sur les miracles, qu'il fondait 
en larmes, et y faisait fondre ses pieux auditeurs. 
Il paraît avoir pris le parti le plus sûr ; c'est de ne 
point s'embarrasser du Conseil d'état ni de la classe , 
mais d'aller ici son train en ameutant la canaille. 
Cependant tout s'est borné jusqu'à présent à quel- 
ques insultes ; et comme je ne réponds rien du 
tout , ils auront difficilement occasion d'aller plus 
loin. 

Quand verrez- vous la fin de ce vilain procès? 
Je voudrais aussi voir déjà votre bâtiment fini pour 



3^ CORRESPONDANCE. 

y occuper ma cellule , et vous appeler tout de bon 
mon cher hôte. Bonjour. 

L'homme d'ici parait absolument forcené, et dé- 
terminé à pousser lui seul les choses aussi loin 
qu'elles peuvent aller. Il me . paraît toujours plai- 
sant qu'un homme aussi généralement méprisé n'en 
soit pas moins redoutable. S'il espère m'effrayer 
au point de me faire fuir, il se trompe. 



LETTRE DXCVIIL 

AU MÊME.. 

a mai 1765, 

Mon cher hôte , votre lettre à Milord Maréchal 
est très-belle ; il n'y a pas une syllabe à ajouter ni à 
retrancher, et je vous garantis qu'elle lui fera le 
plus grand plaisir. 

4e vois par le tour que prennent les choses que 
l'archiprêtre sera bientôt forcé de me laisser en 
repos : c'est alors que je veux sortir.de Mo tiers, 
lorsqu'il sera bien établi qu'étant maître d'y rester 
tranquille, ma retraite n'aura point l'air de fuite. 
Je crois qu'en pareil cas je me déterminerai tout- 
à-fait à être à Gressier l'hôte de mon hôte , au moins 
si cela lui convient. Mais, quoique la maison soit 
trop grande pour moi , il me la faudrait tout en- 
tière, accommodée , meublée, bien ferfnée, et avec 
le petit jardin. Voilà bien des choses, voyez si ce 
n'est pas trop. Il y a plus : quoique au point où 



ANNÉE 1765. 377 

nous en sommes ce soit peut-être à moi une sorte 
d'ingratitude de ne pas accepter ce logement gra- 
tuitement, il faut, pour m'y fnettre tout-à-fait à 
mon aise , que vous me louiez comme vous pour- 
riez faire à tout autre, et que vous y compreniez 
les frais pour le mettre en état. Cela posé, je pour- 
rais bien m'y établir pour le reste de ma vie , sauf 
à occuper près de vous un autrç appartement en ' 
ville , quand votre bâtiment sera fait. Voilà , mon 
cher hôte, mes châteaux en Espagne; voyez s'il 
vous convient de les réaliser. 

On me mande de Berne que le sieur Bertrand a 
demandé le 29 au sénat sa démission, et Ta ob- 
tenue sans diffictdté;on ajoute qu'il quittera Berne. 
Le voyage de.M. Chaillet n'aurait-il point contribué 
à cela ? 

Si le temps s'obstine à être mauvais, je suis bien 
tenté d'accepter votre offre: en ce cas, vous pour- 
riez expédier vos tracas les plus pressés le reste de 
cette semaine, et m'enyoyer votre carrosse luntïi 
ou mardi prochain. Je vous irais joindre à Neu- 
châtel , et de là nous irions ensemble à Bienne , à 
pied , s'il faisait beau , en carrosse s'il fai3ait jnau- 
vais. Ce qui m'embarrasse est que je votfdrais aller 
auparavant à Gorgier voir M. Andrié, et je ne sais 
comment arranger ces diverses courses^, d'autant 
moins qu'il faut absolument que je sois de retour 
ici les' huit ou dix derniers jours du mois. Vous 
pourriez , dimanche au soir , m'écrire votre senti- 
ment; lundi au soir je vous ferais ma réponse; et 
si le mauvais temps continuait, vous m'enverriez 



I 

378 CORAESPONDANCE. 

votre carrosse pour me rendre mercredi près de 
vous: mais, s'il fait beau, j'irai premièrement et 
pédestrement à Gorgier. Voilà mes arrangements, 
sauf les vôtres et sauf les obstacles tirés de mon 
état , qui ne s'améliore point. Peut-être la vie sé- 
dentaire et méditative , la désagréable^ occupation 
d'écrire des, lettres, l'attitude d'être assis qui me 
nuit et que je déteste , contribuent-elles à m'entre- 
tenir dans ce mauvais état. 

Je reviens aux tracasseries d'ici, qui ne me fâ- 
chent pas tant par rapport à moi , que par rapport 
à ces braves anciens qui méritent tant d'encoura- 
gement, et que la canaille accable d'opprobres. 
Tout ce qui s'est fait en leur faveur n'a pas été assez 
solennel ; des arrêts secrets n'arrêtent point la po- 
pulace qui les ignore. Un arrêt affiché , ou quelque 
téiboignage public d'approbation , voilà ce qu'on 
leur devrait pour l'utilité publique, et ce qui mor- 
tifierait plus cruellement l'archiprêtre que toutes 
les censures du Conseil d'état ou de la classe , faites 
à huis clos. Je prédis qu'il n'y a qu'un expédient 
de cette espèce qui puisse finir tout , et sur-le- 
champ. Je vous embrasse. 

A' vue de pays , je ne crois pas que la semaine 
prochaine je sois encore en état de voyager, à moins 
d'une révolution bien subite, que le temps ni mon 
état ne me promettent pas. 



ANNEE 1766. 379 

LETTRE DXCIX. 

AU MÊME. 

Jeudi, a3 mai 1765. 

J'espère, mon cher hôte, que cette vilaine goutte 
n'aura fait que vous menacer. Dansez* et marchez 
beaucoup; tourmentez-la si bien qu'elle nous laisse 
en repos projeter et faire notfè course. On dit que 
les pèlerins n'ont jaoïais la gouttç ; rien n'est donc 
tel pour l'éviter que de se faire pèlerin. 

Sultan m'a tenu quelques jours en peine : sur son 
état présent je suis parfaitenàent rassuré ; ce qui 
m'alarmait le plus était la promptitude avec laquelle 
sa plaie s'était refermée ; il avait à la jambe un trou 
fort profond; elle était enflée, il souffrait beaucoup 
et ne pouvait * soutenir. En ciiîq ou six heures , 
avec une simple application dé thériaque; plus d'en- 
flure, plus de douleur, plus de trou, à peine en 
ai-je pu retrouver la place : il est gaillardement re- 
venu de son pied à Mo tiers, et se porte à merveille 
depuis ce temps-là. Comme vous avez des chiens, 
j'ai cru qu'il était bon de voUs apprendre l'histoire 
de mon spécifique; elle est aussi étonnante que 
certaine. Il faut ajouter que je l'ai m^s au lait du- 
rant quelques jours; Cr'estunê précaution qu'il faut 
toujours prendre sitôt qu'un animal est blessé. 

Il est singulier que depuis trois jours je ressens 
les mêmes attaques que j'ai eues cet hiver : il est 



38o CORRESPONDANCE. 

constaté que ce séjour ne me vaut rien à aucun 
égard. Ainsi, mon parti est pris; tirez-moi d'ici au 
plus vile. Je vous embrasse. 



x'Ti. 



LETTRE DC. 

AU MÊME. 



a 3 mai 1765. 



Dans la crainte que vous n'ayez besoin de votre 
Mémoire, je vous le renvoie après l'avoir lu. Je l'ai 
trouvé fort bien raisonné; il me paraît seulement 
que vous assujettissez les sociétés en général à des 
lois plus rigoureuses qu'elles ne sont établies par 
fe droit public ; car , par exemple, selon vos prin- 
cipes , A , étant allié de B , ne pourrait postérieu- 
rement s'engager à fournir à C des troupes en cer- 
taiiis cas contre B, engagement qui toutefois se 
contracte et s'exécute fréquemment, sans qu'on 
[irétende avoir enfreint l'alliance antérieure. 

Vous aurez su le^ nouvelles tentatives et leur 
mauvais succès, ce qui n'empêche pas que ce sé- 
jour ne soit devenu pour moi absolument inhabi- 
tablc : ainsi , j'accepte tous vos bons soins , soit 
^MHir Suchio , soit pour Grossier ,, soit pour la Cou- 
dre; je mVn rapporte entièrement k votre choix; 
et * |>our moi , je ne vois qu'une raison de préfé- 
i^nce* après ct^Ile do h\ger chez vous, c'est pour le 
k^^K'nt qui sora le plus tôt prêt. 

Il mo {Kirait que vous pouviez prendre votre parti 



ANJVÉE 1765. 38l 

sur la brochure; je pense même que cette affaire, 
une fois éventée , en deviendra partout plus diffi- 
cile à exécuter, et je vous conseille d'abandonner 
cette entreprise: que si vous persistez, vous avez 
de nouvelles pièces à joindre à votre recueil; et, 
tandis que vous le compléterez, il faut travailler 
d'avance à prendre si bien vos mesures que le ma- 
nuscrit n'aille à sa destination qu'au moment qu'on 
pourra l'exécuter, et après que toutes les difficultés 
seront prévues et levées. La Hollande me paraît 
désormais le seul endroit sur ; mais il faut compter 
sur six mois d'attente. 

Je suis bien éloigné d'avoir maintenant le loisir 
de travailler à notre écrit. Comme ce n'est pas un 
acte où le notaire doive mettre la main , et que 
notre convention générale est faite , rien ne pressç 
sur le reste ; c'est, ce que nous pourrons rédiger 
ensemble à loisir. Il s'agit seulement de savoir quand 
vous me permettrez d'en parler à mes amis ; car 
rien de ce qui s'intéresse à moi ne doit ignor.er 
que je vous devrai le repos de ma vie. 



LETTRE DCI. 

A M. PANCKOUCKE. 

Motiers-Trayer s , 2 6 mai 1765. 

Votre dernière lettre, monsieur, m'a non -seu- 
lement désabusé, mais attendri. Oublions récipro- 
quement nos torjs , sûrs que le cœur n'y a point 



382 CORRESPONDANCE. 

de part, et soyons amis comme auparavant, même 
plus, s'il est possible ; c'est l'effet que doit produire 
un vrai retour entre honnêtes gens. 

Il est vrai que les fanatiques de ce pays , excités, 
vous comprenez bien par qui , ont suscité contre 
moi un violent orage, dont tout l'effet est retombé 
sur eux : parce qu'ils m'avaient trouvé doux , ils ont 
cru me trouver faible; ils se sont trompés. Tous 
leurs efforts pour me nuire ou m'épouvanter ont 
tourhé à leur confusion , et leur ont attirée les mor- 
tifications les plus cruelles. J'ai fait plus que des 
souverains n'osent faire , en triomphant d'eux. Bat- 
tus dans toutes les formes légitimes , ils prennent 
le parti d'ameuter la canaille , et de se faire chefs 
de bandits. Cette voie est assez bonne avec les peu- 
ples de ce vallon. Quoi qu'il en soit, je les mets 
au pis.' Dans le zèle qui les dévore , ils pourront 
me faire assassiner; mais très -sûrement ils ne me 
feront jJas fuir. Il y a cependant long - temps que 
j'ai résolu d'aller m'établir dans le bas parmi les 
hommes ; mais j'attendrai que les loups enragés d'ici 
aient achevé de hurler et de mordre. Après cela , 
s'ils me laissent vivre , je les quitterai. Qu'un autre 
étranger y tienne, s'il peut, trois ans, comme j'ai 
fait, et puis qu'il en dise des nouvelles. 



ANNÉE 1765. 383 

LETTRE DCII. 

A M. D'IVERNOIS. 

MotierSy le 3o mai 176$. 

Je suis très-inquiet de vous , monsieur. Suivant 
ce que vous m'aviez marqué, j'ai suspendu mes 
courses «t mes affaires pour revenir vous attendre 
ici dès le 20 ; cependant ni moi ni personne n'avons 
entendu parler de vous. Je crains que vous ne soyez 
malade ; faites-moi du moins écrire deux mots par 
charité. 

Il m'est impossible de vous attendre plus long- 
temps que deux ou trois jours encore; njais je ne 
serai jamais assez éloigné d'ici que , lorsque vous 
y viendrez , nous ne puissions pas nous joindre. On 
vous dira chez moi où je serai ; et selon vos arran- 
gements de route , vous viendrez, ou Ton m'enverra 
chercher. 

Voici, monsieur, deux lettres pour Gènes, aux- 
quelles je vous prie de donner cours en faisant 
affranchir, s'il est nécessaire. J'attends de vos nou- 
velles avec la plus grande impatience, et vous em- 
brasse de tout mon cœur. 



38/| CORRESPOND A NCK. 



LETTRE DCIII. 

A M. KLUPFFEL. 

Motîers, mai 1763. 

Ce n'est pas, mon cher ami, faute d'empresse- 
ment à vous répondre que j'ai différé si long-temps; 
mais les tracas dans lesquels je me suis trouvé , et 
un voyage que j'ai fait à l'autre extrémité du pays, 
m ont fait renvoyer ce plaisir à un moment plus 
tranquille. Si j'avais fait le voyage de Berlin , j'au- 
rais pensé que je passais près d'un ancien ami, et 
je me serais détourné pour aller vous embrasser. 
Un autre motif encore m'eût attiré dans votre ville, 
c'eût été le désir d'être présenté par vous à ma- 
dame la duchesse de Saxe -Gotha, et de voir de 
près cette grande princesse , qui , fût-elle personne 
privée , ferait admirer son esprit et son mérite. La 
reconnaissance m'aurait fait même un devoir d'ac- 
complir ce projet après la manière obligeante dont 
il a plu à S. A. S. d'écrire sur mon compte à Milord 
Maréchal ; et, au risque de lui faire dire , N'était-ce 
que cela? j'aurais justifié par mon obéissance à ses 
ordres mon empressement à lui faire ma cour. Mais, 
mon cher ami, ma situation à tous égards ne me 
permet plus d'entreprendre de grands voyages ; et 
un homme qui huit mois de l'année ne peut sortir 
de sa chambre n'est guère en état de faire des 
voyages de deux cents lieues. Toutes les bontés 



ANNÉE 1765. 385 

dont Milord Maréchal m'honore , tous les. senti- 
ments qui m'attachent à cet homme respectable, 
me font désirer bien vivement de finir mes jours 
près de lui : mais il sait que c'est un désir qu'il ni'est 
impossible de satisfaire; et il ne me reste, poiâ* 
nourrir cette espéraxkàBy que celle de le revoir 
quelque jour en ce pays. Je voudrais , mon cher 
ami, pouvoir nourrir'par rapport à'#ous la même 
espérance: ce serait une grande consolation pour 
moi de vous embrasser encore une fois en ma vie , 
et de retvcgiver en vous l'ami tejidre et vrai près 
duquel j'ai pa^sé de si douces heures, et que je 
n'ai jamais cessé de regretter. Je vous embrasse de 
tout mon cœur. . • 



LETTRE DCIV. 

BILLET A M. DE VOLTAIRE. 

Motiers, le 3i mai 176$. 

Si M. de Voltaire a dit qu'au lieu d'avoir été se- 
crétaire de l'ambassadeur de Francç à Venise j'ai 
été son valet , M. de Voltaire en a menti comme un 
impudent. 

Si dans les années 1743 et 1744 j^ ï^'^i pas été 
premier secrétaire de l'ambassadeur de France, si 
je n'ai pas fait les fonctions de secrétaire d'ambas- 
sade , si je n'en ai pas eu les honneurs au sénat de 
Venise, j'en aurai menti moi-même. 

R. XX. a 5 



386 COHRKSPOICDA'NCE. 



fc%<%»^%«i«'^%<^'^%^iwfc^^^<%^^%^i^H>^^ ^^^fc^^K^i^^x^^ 



LETTRE DCV. 

A M. D'ESGUERNY. 

* 

Moden, le e^ jôiii 1765. 

Je suis bien seifillile , monsieur f et à 19. bonté 
que vous avez de ùëM^r à mon logement ^ et à celle 
qu'ont les obligeants propriétaires de la maison de 
Gomaux, de vouloir bien m'accorder MOf éférence 
sur ceux qui se sont présentés pour rSabitor. Je 
Vais ^ Yverdiin voir mon ami AT. Roguiii , et mon 
amie madame Boy de La Tour , qui esl malade , et 
qui croit que je lui peux être de quelque conso- 
lation. J'espère que dans quelques jours J\f. du 
Peyrou sera rétabli , et que , vous trouvant tous en 
bonne santé, je pourrai consulter avec vous sur le 
lieu où je dois planter le piquet. Cette manière de 
chercher est si agréable , qu'il est naturel que je 
ne sois pas pressé de trouver. Bien des salutations , 
monsieur, de tout mon coeur. 

LETTRE DCVL 

A M. DU PEYROU. 

Mardi, ii juin 1765. 

Si je reste un jour de pliis je suis pris : je pars 
donc, mon cher hôte, poiir la Férrièrë,où je vous 



A-NNÉE 1765. 387 

attendrai àTec le plus grand empressement , maiâ 
sans m'impatiènter. Ce qui achèye de me déter- 
miner , est qu'on m'apprend que vous avez com- 
mencé à sortir. Je vous recommande de né pas 
oublier parmi vos provisions, café, sucre, caf9^ 
tière , briquet, et tout Fattirail poUr faire, quand 
on veut, du café dans les bois. Prenez Unnœiij et 
Saui^ages , quelque livré amwjiiit et Quelque jeu 
pour s'amuser plusieurs , si r<Hi est arrêté dans 
une maison par le mauvais temps. Il faut tout pré- 
voir polir prévenir ïe désoeuvrement ei Teniiui. 

Bonjour : je compte 'partir démain matin , sMl 
lait beatl ,.pour airei" coucher aii Ix)cle, et dîner 
ou coucher à la Pernère lé lendemain jeudi. Je 
vous éjFiibrasse:- ' 



l.ET.TR^ ÙGVII. 

■ AU, MÊME. 



A la^'Çerrièi^e, le..'fc6 juin 176$^ 

- ■' ' ' * 



t . 



Mè vdid ^ ihoflf cher, hôte , à la Perrière j ou je 
ne suis arrivée que pour y garder la chambre , avec 
un rhume af&eux, une sts&êz grosse fièVré , él une 
esquinancfe , maî a]tiquel j'étais très-sujet dans ma 
jeunesse y mais «dotit 'j'espérais que'Tâge m'aui^t 
exempté. Je me 'trompais; cette çittaquè a été vio- 
lente , j'espère qu'elle sera édurte. La fièvre est di- 
minuée , ma gorge se dégage , j'avale plus aisément ; 
mais il m'ert encore impossible de p«rlar. 

a5. 



388 CORRESPONDANCE. 

J'apprends , par deux lettres tpie je viens de re- 
cevoir de M. de Pury, qu'il a pris la peiîie, allant, 
oonitne je jpense , à Monlezi , de passer chez moi ; 
j'étais dëjà parti : j'y ai regret pour bien des rai- 
sons.; entré autres , parce que lious serions con- 
Tienns du temps et de la manière de nous réunir. 
n in'â{>prend que vous ne pourrez de long -temps 
voufr mettre en campagne : cela me fait prendre le 
parti de me rendre auprès de vous; car je ne -puis 
me passer plus long-temps de vous voir. Ainsi vous 
pouvez attendre votre hôte au plu^ tard sur la fin 
de la semaine , à moins que d'ici à ce temps je n'aie 
de vos nouvelles. Si vous pouviez venir à cheval 
jusqu'ici , je ne doute pas que l'excellent air , la 
beauté du paysage , et la tranquillité du pays , ne 
vous fît toutes sortes de biens, et que vous ne 
vous y rétablissiez plus promptement qu'où voiis 
êtes. 

Je n'écris point à M. le colotiél, parce que je ne 
sais s'il est à Neuchâtel ou à sa montagne ; mais je 
vous prie de vouloir bien lui dire ou lui marquer 
que je ne connais pas assez M. Fischer pour le ju- 
ger; que M. le comte de Dohna*, qui a vécu avec 
lui plus que moi, doit en mieux juger; et qii'un 
homtne ne se juge pas ainsi de la première vue. 
Tout ce que je sais , c'est qu'il a des cotmaissahoes 
et* de l'esprit ; il me paraît dHine hiuneur complai- 
j9ante et dquce ; sa conversation est pleine de sens 
et d'honnêteté ; j'ai même vu de lui des choses qui 
me paraissent annoncer des moeurs et de la vertu. 
Quand il n'est question que de voyager avec un 



,. ^njKiE.i'jHi: 389 

homme ^ et serait etrç difitpiU^e demander mieux 

qweçeïvs *: " / 

; Au peu que j'ai vu 3ur la botanique , je com- 
prends que je jréparfirai- d'ici plus ignorant que je 
n'y ,sVQiS arrivé, plùç convaincu du moins de mon 
igpoiraiieé ^ puisqu^en vérifiant mes coipnaissances 
sur les plantes, il se trouve qu^ plusieurs de celles 
que je croyais connaître , JQjÛte k» eqnna^sais point. 
Dieu soit loué ! c'est toujouj» apprendre quelque 
chose que: d'apprendre qu'on ne sait rien. Le mes- 
sager attend et me presse; il faut finir. Bonjour, 
mon cher hôte ; je vous embrasse de tout mon 
cœur. 



« ■ 



LETTRE DCVIII. 

AU MÊME. 

Motiers, le 39 juin 1765. 

Savez-vous , mon cher hôte , que vous me gâtez 
si fort , qu'il m'est désormais fort pénible de vivre 
éloigné de vous? Depuis lieux jours que je suis de 
retour , il m'ennuie déjà de ne point vous voir. Je 
songe, en conséquence , à redescendre dès demain , 
et voici un arrangement qui fait à présent mon châ- 
teau en Espagne, et qui se réalisera ou se réfor- 
mera selon que le temps , votre santé et votre vo- 
lonté le permettront. 

Si le temps se remet aujourd'hui, nous des- 



■ 

3go coiLkESPoini^NC£' 

cendrons demain , M. d9venk>is , maidwiiobelle Le 
Vosseur, et moi; et, Cùtiime il n'e&t^queatioBt^que 
dlulae nuU , pour ne pas non» séparier nous .cda- 
cherons à l'auberge. Le lundi, j'irai avec M., dl- 
y^mois faire une promenade , d'oQu non» iseçpns de 
retour le lendemain. M. d'Ivemois çcMitinàèrà^n 
vojnuge, et moi j'inai iKvec mademcûselle Le Vasseér 
V4Nr la maison de Ck^sàîer. Nous pourrons y séjour- 
aer un jour ou xfeux , si if ous trouvons des lits , poxir 
avoir le temps d*fll)er voir l'ile ; puis nous revlien- 
droBS. Mademoiselle Le Vasseur s'en retournera à 
Afotiers^ et moi j'attendrai près de vous que nous 
puissions faire la caravane du Creux du vent , apsès 
quoi chacun s'en retournera à ses affaires. 

Comme la petite course que je dois faire avec 
M. d'Ivernois me rapproche du pont de Thielle , je 
pourrais de là me rendre directement à Cressier , 
et mademoiselle Le Vasseur s'y rendre aussi,* de 
son côté , si elle trouvait une voiture , ou que vous 
pussiez lui en prêter une. 

Tous ces arrangements un peu précipités sont 
inévitables , sans quoi , restant ici quelques jours 
eneope, je suis intercepfeé pour le reste de la belle 
maison. Q faut même , etf supposant leur exécution 
possible, que le secret en demeure entre nous, sans 
quoi nous serons |K>ursuivis , où que nous soyons , 
fptr les. gens qui me viendront voir, et qui, ne nie 
trouvant pas ici , me chercheront où que je sois. 
ékmreste^ mon état est si sensiblement empiré de- 
puis mon retour ici, que je crains beaucoup d'y 
fiosser l'hiver , et que , malgré tous les embarras , 



ANirÉE 1765. 3ai 

si Cressjer peut être jpfêt au commencement d'oc- 
tobre , je suis déterminé à m'y transplanter. 

Je vous écris à la hâte , mon tcès-cher hôte , ^P' 
câblé de petits tracas qui m'excèdent. Comme mon 
voyage dépend du temps ^ qui paraît se brouiller, 
il n'est pas sûr que j'arrive demain à Neuchâtel. A 
tout événement, vous pourriez envoyer demain au 
soir à la Couronne , et , si j'jr':su£s arrivé , m'y faire 
passer vos obsu^rvations siip lêl arrangements pro- 
posés ; car, comme j'arriverai le. soir pour repartir 
le matin jje ne veux pas même qu'on me voie dans 
les rues. Je vous eçibrasse de tou^t mon cœur. 

LETTRE DCIX. 

AU MÊME. 
A nie de la Mo^e, le 4 juillet 1765. 

Je suis , mon cher hôte et mon ami , dans Hle , 
et je compte y rester quelque» jours , jusqu'à ce 
que j'y reçoive de vos aovvelles. J'imagine qu'il ne 
vous sera pas difiQcile ^/^'en donner par le canal 
de M. le major Chambrî^. Au premier signe , je 
vous rejoins : c'est à vous de voir en quel temps 
vous aurez plus de loisir à me donner. Ne soyez 
pointinquiet de me savoir ici seul. J'y attendrai de 
vos nouvelles avec empressement , mais sans im- 
patience. J'emploierai ce loisir à repasser un peu 
les événements de ma vie et à préparer mes con- 



3(^2 CORRESPOiyDÂ.NCi£. 

fessions. Je souhaite de consommer un ouvrage où 
îe. pourrai parler de mon cher hôte d'une manière 
qhi contente mon cœur. Bonjour. 



LETTRE DCX. 

AU MÊME. 

-.' ■ 

. A Brot, le lundi 1 5 juillet 1765. 

Vos gens , mon cher hôte , ont été bien mouillés, 
et le seront encore, de quoi je suis bien fâché : ainsi , 
trouvant ici un char-à-banc , je ne les mènerai pas 
plus loin. 

Je pars iè cœur plein de vous , et au§si empressé 
de vous revoir que si nous ne nous étions vus de- 
puis long-temps. Puissé-je apprendre à notre pre- 
mière entrevue que tous vos tracas sont finis , et 
que vous avez l'esprit aussi tranquille que votre 
honnête cœur doit être content de lui-même et se- 
vem dans tous les temps ! La cérémonie de ce ma- 
tin met dans le mien la satisfaction la plus douce. 
Voilà, mon cher hôte, les traits qui me peignent 
au vrai Famé de Milord Maréchal , et me montrent 
qu'il connaît la mienne. Je ne connais personne 
plus fait pour vous aimer et pour être aimé de 
vous. Comment ne verrais-je pas enfin réunis tous 
cçux qui m'aiment? ils sont dignes de s'aimer tous. 
Jetons embrasse. 

Maden^oiselle Le Vasseur est pénétrée de vos 
bontés, et veut absolument que je vous le dise. 



ANNÉE 1765. . 3g3 



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LETTRE DCXI. 

A M. lyiVERNOIS. 

MotierSy le ao juillet 176 S. 

J'arrive il y a trois jours; jt»:j*Q|||^is vos lettres, 
vos envois, M. Chappuis,etc.l|Ëll94*emerciements. 
Je vous renvoie les deux lettres/ Tai l)ien les bil- 
boquets , mais je ne puis m'en servir , parce que , 
outre que les cordons sont trop courts, je n'en ai 
point pour changer et qu'ils s'usent très-prompte- 
ment. 

Je vous remercie aussi du livre de M. Clapa-* 
rède *. Comme mes plantes et mon bilboquet me 
laissent peu de temps à perdre, je n'ai lu ni ne li- 
rai ce livre, que je crois fort beau. Mais ne m'en- 
voyez plus de tous ces beaux livres ; car je vous 
avoue qu'ils m'ennuient à là mort et que je n'aime 
pas à m'ennuyer. 

Mille salutations à M. Deluc et à sa famille. Je 
le remercie du soin qu'il veut bien donner à l])pp- 
tique. Je n'ai point d'estampes. Je le prie d'en faire 
aussi l'emplette, et de les choisir belles et bien en- 
luminées; car je n'aurai pas le temps de les enlu- 
miner. Une douzaine me suffira quant à présent : 
je souhaite que l'illusion soit parfaite, ou rien. 

f 

* Cétaît un professeur de théologie à Genève. U est auteur de 
plusieurs ouvrages relatifs à cette science. Celui dont il 8*agit ici avait 
pour titre, Considéraiions sur les Miracles ^ ty66 f'\nS°, 



$94 COR^ESPONDAXCE. 

Mademoiselle Le Vasseur a reçu votre envoi, 
dont elle vous hit ses remerciements , et moi mes 
reproches. Vous éte$ un donoeui* insupportable; 
il n'y a pas moyen de vivre avec vous. 

Tai passé huit ou dix jours charmants dans File 
de Saint-Pierre, mais toujours obsédé d'importuns: 
j'excepte de ce nombre M. de Graffenried, bailli 
de Nidau , qui est ^enu diner avec moi ; c'est un 
liqpme plein d'esprit et de connaissances , titré, 
-IrS^-opulent, et qui, malgré cela, me paraît penser 
très-bien et dire tout haut ce qu'il pense. 

Je reçois à l'instant vos lettres et envois des i6 
et 17. Je suis surchargé , accablé , écrasé de visites, 
de lettres et d'affaires , malade par-dessus le mar- 
dié ; et vous voulez que j'aille à Morges m'abou- 
dier avec M. Yemes! Il n'y a ni possibilité ni rai- 
son à cela. Laissez-lui faire ses perquisitions , qu'il 
prouve , et il sera content de moi : mais en atten- 
dant je ne veux nul commerce avec lui. Vpus ver- 
res à votre premier voyage ce que j'ai £dt; vous 
jugerez de mes preuves, et de. celles qui peuvent 
les détruire. En attendant je n'ai rien pubUé ; je ne 
publierai rien sans nouveau sujet de parler. Je par- 
donne de tout mon coeur à M. Yemes, même en le 
supposant coupable : je suis fac)ié de lui avoir nui; 
je ne veux plus lui nuire, à moins que je n'y sois 
•foreé. Je donnerais tout au monde pour le croire 
innocent, afin qu'il connût mon cœur et .qu'il vit 
comment je répare mes torts. Mais avant de le dé- 
clarer innocent il faut que je le croie ; et je crois 
si décidément le contraire, que je n'imagine pas 



ANNÉE 1765. • 39a 

même comment il pourra me dépersuader. Qu'il 
prouve et je suis à ses pieds. Mais , pour Dieu, s'il 
est coupable , co9seillez-lui de se taire ; c'est pour 
lui le meilleur parti." Je vous embrasse. 

Notre archiprêtre * fait imprimer à Yverdun une 
réponse que le magistrat de Neuchâtel a refusé la 
permission d'imprimer à cause des personnalités. 
Je suis bien aise que toute ^ 4a fÉlrre connaisse la 
frénésie du personnage.. Vous stiêfez que le colqiÈ^l 
Pury a été fait conseiller d'état. Si notre homme 
ne sent pas celui-là , if faut qu'il soit ladre comme 
un vieux porc. 

Ma lettre a, par oubli , retardé d'im ordinaire. 
Tout bien pensé , j'abandonne l'optique pour la 
botanique: et si votre ami était à portée de me 
faire faire les petits outils' nécessaires pour la disf- 
section des fleurs, je serais sûr que son intelli- 
gence suppléerait avantageusement à celle des ou- 
vriers. Ges outils consistent dans trois ou quatre 
microscopes de différents foyers, de petites pinces 
délicates et minces pour tenir les fleurs , de ci- 
seaux très - fins , canifs «t lancettes , pour les dé- 
couper. Je serais bien aise d'avoir le tout à double, 
excepté les microscopes, ptrce qu'il y a ici quel- 
qu'un qui a le naême goût que moi et qui a été 
msd servi. -^ 

* Montmollin. 



'^g/&^ CORRESPONDANCE. 



^<'fc'»<%^/^%/v^^'^^«%/%<^»%/^^p^^^»^.^»^%/%/<»%»'^%/^-%i< 



LETTRE DCXil. 

AU MÊME. 



i ''^,: 



Motiers, le i^^ août 1765. 

Si VOUS n'éte9|>oiiiJ|ii$ini^uyé, monsieur, de mé- 
riter des remerciem^|jts«^oi je suis ..ennuyé d'en 
£gure ; ainsi n'en parloik plus. Je suis , en vérité , 
fort embarrassé de l'emploi du présent de made- 
moiselle votre fille. La bonté qu'elle a eue de ^'oc- 
cuper de moi mérite que je m'en fasse honneur, 
et je n'ose. Je suis à la fpis vain et sot : c'est trop ; 
il faudmdt choisir. Je crois que je prendrai 1q parti 
de tourner la chose en plaisanterie, et de dire 
qu'une jeune demoiselle m'enchaîne par les poi- 
gaets*. 

Je suis indigné de l'insultante lettre du ministre : 
il vous croit le cœur assez bas pour penser conmie 
lui. Il est inutile que je vous envoie ce que je lui 
écrirais à votre place ; vous ne ypus en serviriez 
pas. Suivez vos propres mouvements ; vous trou- 
verez assez ce qu'il fiiut lui dire , et vous le lui- di- 
rez moins durement que moi. 

M. Deluc est en vérité trop complaisant de se 
prêter ainsi à toutes mes fantaisies ; mais je vous 
avoue qu'il ne saurai^ me faire plus de plaisir que 
de vouloir bien s'occuper de mes petits instru- 
ments. Je raffole de la botanique; cela ne fait 

* Elle avait envoyé à Rousseau une paire de manchetteS 



ANKKE 1766: ^Jggr 

qu'empirer tous les jours ; je n'ai plus que du foin 
dans la tête : je vais di^venir plante moi-même un 
de ces matins , étjg prends déjà racine à Mo tiers , 
en dépit de Jl!âF,€hîivétire qui continue d'ameuter 
la canaille potir'ni'en chasser. 

J'ai grande envie de voir M, de Conzié ; mais je 
ne compté pas pouvoir aller à sa terre pour cette 
année : j'ai regret aux ptalinK^ dont cela me prive; 
mais il faut céder à la JMâi^ 

Les lettres de-l'archipretre sont , à ce qu'on dit j 
imprimées : je ne sais pourquoi elles ne paraissent 
pas. Il est étonnant que vous ayez cru que je lui 
ferais l'honneur de lui répondre: serez -vous tou- 
jours la dupe de ces bruits-là ? 
' Mes respects à madame d'Ivernoî^. Reccf'rez ceux 
de mademoiselle Le Vasseur , et les salutations de 
celui qui vous aime. 



^/mim/%/% -K -«/% «>%/« ^/^%^/^/%^<^^^M^^^/%<%^/m/%i 



.LETTRE DCXIII. 

A MADEMqÏsELLE D'IVERNOIS. 

•'■•■• •.'"•■•■ • • • 

Mptijers^ le i^ ^oût ryGS. 

Vous .me i^emçFciez^ n^idçmoiselle; du présept 
que vous ine faites; et moi je devrais vous le i^e- 
prochér : car'si»j1er vôus,fai6 ain^er le travail, vous 
me faites aimer te 'luxe: c'est rei^drç le mal pour 
le bien. Je puiç, il est virai, vx>us remercier d'un 
autr^ mirade aussi grand et plus utile ; c'est de 
me rendi*e exact à répondre et dé me donner du 



398 CORRESPONDANCE. 

plaisir à l'être. J'en aurai toujours , mademcnselle, 
à vous témoigner ma reconnai&sance^et à ninéiiiter 
votre amitié. ^ ,*- ^ -^ 

Mes respects , je vous (me , ^4it'ik^j^4>qniie ma- 
Hoan. \^ ^ :^ 



>'»%<%%<%<%^^^%^»^^«fc<^»% «<«i^%/«i>» «/^«%/«Mb<< 



*« 



A Mr DU PEYRÔOy 



'4 



■4 



Motiers-T<:<aTer8 y le 8 août 1765. 

Non , monsieur ; jamais , quoi (|ûe l'on en dise, je 
ne me repentirai d'avoir loué M. de MontmolKh. 
J'ai loué de lui ce que j'en conn^sais, sa conduite 
vraiment pastorale envers moi : je n'ai jîîîiînt loué 

* Dans cette iettre Rousseau n'appelle point du Peyrou mon cher 
hôte, parce qu'elle est écrite ejqprès poiir être rendue publique. 
Déjà , sans se nommer, et sous le titre de Lettré à M^*^^ du Peyroa 
ayait, de concert ayec Rousseau et guidé par lui, conùne on Ta tb 
par les lettres précédentes des la, i5 et a a avril ,^ publié dans le 
même mois l'apologie de son ami, apologie à laquelle Montmollin 
ayait répliqué longuement et avec violence, sous le titre dé Réfutation 
dft libelle intitulé. Lettre a M**^. C'est de cet écrit de Montmollin 
qu'il est question dans le cours de la présente lettre. Encouragé par 
celle-ci) et décidé, d'après le conseil de Rousseau, à' ne plus 'f^iûtt 
i'ajQonyme, du Peyrou publia^ dans le mois d'août suivant , jet sous 
le litre de Lettre à mllord tomte de PP^emits,v^e seconde lettre à l'ap- 
p«i de sa première; et, dans les pièces justï£icatives qn^|l y joignit, 
il Bt entrer la lettre de Rousseau reproduite ici. £nân en .«é|iteiiibre 
suivant , pevi de jours après la lapidation de Motiers, et sous le même 
titre que celui de sa «iconde lettre , du Peyrou en a publié une troi- 
jHème, dans laquelle .iliÎEiit le récit de cet événement. Ces trois lettres 
de du. Peyrou, et la réfutation de Montmollin^ ont été réyni^ et ré* 
ïttipriibéeB à Londres avec toutes leurs annexes (in-ia, 1760 ). 



A.J!irif£E 1765. 39g 

son caractère que je ne conn^iissais pas; je n'aî 
point Ipué sa véracité, sa droiture. J'ayouerai méifte 
que son extériefir, çii ne lui est pas Êivorable, 
son ton , sonMflii^jlî^Dn regard sinistre, me repous- 
saient iDalgrftsj||6i ; j'étais étonné de voir tant de 
douceur, d'huyi^té^ de vertu, se cacher sous 
une aussi son>bre physionomie; inais^'étoaCTais^ce 
penchant injuste. FsQlaîtSiii juger d'un homme sûr 
des signes trompeurs, qiM sa conduite^djémeïltsuit 
si bien ? f^hït-î^épiér' malignement le principe se- 
cret dHine tdlérancè péa.attendÛi^'Jè hais cef art 
cruel d'empoisonnepMes boQn^ ftçtîoiïsi d'autn»^ 
et mon coeur ne.j^i(poitit trojaVer dé mauvais mor 
ti& à ce qui est Bien. Plus jeseôtai^fell.moi..d'él()i- 
gneIïlent pour Ai^de IVÏontihplliii , . plus je-*€hjet[^ 
chais à le combattre par la reconnaissance que je 
lui devais. Supposons derechef possible le- même 
cas, et tout 6e que j'ai fait je 'le referais encore. 
Aujourd'hui M. d^ Montmollin lève le masque 
et se montre vraiment tel qu'il est. Sa conduite pré- 
sente explique la précédente. Il est clair que sa pré- 
tendue tolérance , qui le quitte au moment qu'elle 
eût été le plus juste, vient de la même source que 
ce cruel zèle qui l'a pris subitement. Quel était 
son objet, queV est-il à présent? je l'ignore ; je sais 
seulement qu'il ne s£uirait être bon. Non -seule- 
ment il m'admet avec empressement, avec hon- 
neur à la communion,' mais il. me recherche, me 
prône, me fête, quand'je parais avofar attaqué de 
gaieté de coeur le christianise : et quand je prouve 
qu'il est faux que je l'aie attaqué , qu'iL est faux du 



400 CORR£SI»QJNDANC£. 

moins que j'aie eu ce dessein ^ le voilà lui-même 
attaquant brusquement ma sûreté, ma foi, ma 
personne ; il veut m'excommunier , me proscrire ; 
il ameute la paroisse après i)C)oi,'il me poursuit 
avec un acharnement qui tient de^B, rageX^es dis- 
parates sont-elles. dans son devoir? non ; la charité 
n'e^t point inconstante, la yertujie se contredit 
pCHut elle-même , et la conscience n'a pas deux3h)ix. 
Après s'être montré si peu tolérant, il s'é;|ait avisé 
trop tard de l'être ; cette affectation ,ne lui allait 
point; et comme elle n'abusait personne , il a bien 
&it de rentrer dans son état naturel. En: détruisant 
sbn propre ouvrage, en me faisant plus de mal 
qii'il ne m'avait fait de bien , il m'acquitte envers 
hii de toute reconnaissance^ je ne lui dois plus 
(|iie la .vérité , je ^e la dois à ino^même ;. et , puis- 
qu'il me force à la dire , je la dirai. 
, Vous voulez savoir au vrai ce qui s'est paasé 
onlpe ..nous daps cette affaire. M. de MontmoUin a 
Êdt ^u public sa relation en homme d'église , et 
trempant sa plume dans ce miel empoisonné qui 
tue , il s'est ménagé tous les avantages làe son -état. 
yoiir. moi^ monsieur, je vous ferai la mienne du 
:ton simple dçnt les gens d'honneur se parient entre 
euxl Je n^ m'étendrai point en protestation d'être 
sincère ;- je lai^s^e à votre esprit sain , à votre cœur 
azûi de la vérité , le sqjin de la déiàéler entre lui et 
moi. • V . .. , • 

Je. ne. suis poîbt, graqçi^ au . ciel , de- ces gens 
qu'Qu fête et que roû méprisé; j'ai l'honneur d être 
de ceux qije l'op estime et qu'on chasse. Quand je 



me réfugiai dans ce payff, je n'y apportai de re- 
commandations pour personne , pas même pour 
Milord Maréchal* Je n'ai qu'une recommsiidation 
que je porte partout , et près de Milord Maréchal 
il n en faut poîiit d'autre. Deux heures après mon 
arrivée, écrivant à S. E. pour l'en informer et me 
mettre sous sa protection, je vis entrer un homme 
inconnu qtii, s'étant nommé le pasteur du lieu, 
me fit des avances de toute espèce , e t qui , voyant 
que j'écrivais à Milord Maréchal , m'offrit d'ajouter 
de sa main quelques lignes pour me recommander. 
Je n'acceptai point cette offre : ma lettre partit , 
et j'eus l'accueil que peut espérer l'innocence op- 
primée partout où régnera la vertu. 

Comme je ne m'attendais pas dans la circon- 
stance à trouver un pasteur si liant , je contai dès le 
même jour cette histoire à tout le monde, et entre 
autres à M. le colonel Roguin , qui , plein pour 
moi des bontés les plus tendres , avait bien voulu 
m'accompagner jusqu'ici. 

Les empressements de M. de MontmoUin conti- 
nuèrent : je crus devoir en profiter; et, voyant 
approcher la communion de septembre, je pris le 
parti de lui écrire pour savoir si, malgré la rumeur 
publique, je pouvais m'y présenter. Je préférai une 
lettre à une visite pour éviter les explications ver- 
bales qu'il aurait pu vouloir pousser trop loin. C'est 
même sur quoi je tachai de le prévenir; car décla- 
rer que je ne voulais ni désavouer ni défendre mou 
livre, c'était dire assez que je ne voulais entrer sur 
ce point dans aucune discussion. £t en effet ^ forcé 
R. XX. 126 



4o4 CORRESPONDANCE. 

qu'il prêchait très-vivement contre rintolérance 
des protestants , je fus très-effrayé de lui entendre 
soutenir avec chaleur que l'Église réformée avait 
grand besoin d'une réformation nouvelle , tant dans 
la doctrine que dans les mœurs. Je n^imaginais 
guère alors qu il fournirait dans peu lui-même une 
si grande preuve de ce besoin. 

Sa tolérance et l'honneur qu'elle lui faisait dans 
le monde excitèrent la jalousie de plusieurs de ses 
confrères , surtout à Genève. Ils ne cessèrent de le 
harceler par des reproches , et de lui tendre des 
pièges où il est à la fin tombé. J'en suis . fâché , 
mais ce n'est assurément pas ma faute. Si M. de 
MontmoUin eût voulu soutenir une conduite si 
pastorale par des moyens qui en fussent dignes, 
s'il se fut contenté; pour sa défense, d'employer 
avec courage j avec franchise , les seules armes du 
christianisme et de la vérité, quel exemple ne don- 
nait-il point à l'Église, à l'Europe entière! quel 
triomphe ne s'assurait-il point! Il a préféré les 
armes de son métier , et les sentant mollir contre la 
vérité , pour sa défense , il a voulu les rendre offen- 
sives en m'attaquant. Il s'est trompé; ces vieilles 
armes, fortes contre qui les craint, faibles. contre 
qui les brave, se sont brisées. Il s'était mal adfessé 
pour réussir. 

Quelques mois après mon admission ^ je vis en- 
trer un soir M. de Montmollin dans ma chambre : 
il avait l'air embarrassé ; it s'assit et garda long- 
temps le silence ; il le rompit enfin par un de ces 
longs exordes dont le fréquent besoin lui a fait 



HTSlNiE 1765. 4^5 

un talent. Venant ensuite à son sujet , il me dit 
que le parti qu'il avait pris de m'admettre à la 
communion lui avait '^attiré bien des chagrins et 
le blâme de ses confrères, qu'il était réduit à se 
justifier là-dessus d'une manière qui pût leur fer^ 
mer la bouche, et que si la bonne opinion qu'il 
avait de mes sentiments lui avait fait supprimer les 
explications qu'à sa place un autre aurait exigées , 
il ne pouvait , sans se compromettre , laisser croire 
qu'il n'en avait eu aucune. 

Là-dessus, tirant doucemeiiA un papier de sa 
poche, il se mit à lire, dans un projet de lettre à 
un ministre de Genève, des détails d'entretiens 
qui n'avaient jamais existé, mais où il plaçait, à la 
vérité fort heureusement, quelques motâ, par -ci 
par-là , dits à la volée et sur un tout autre objet. 
Jugez, monsieur*, de mon étonnement; il fut tel 
que j'eus besoin de toute la longueur de cette lec- 
ture pour lïie remettre en Técoutant. Dans les en- 
droits où la fiction était la plus forte , il s'interrom- 
pait en me disant : Fous sentez la nécessité... ma 
situation... ma place... il /aut bien un peu se prêter. 
Cette lettre, au rélste, était faite avec assez d'a- 
dresse, et, à peu de chose près, il avait grand 
soin de ne m'y faire dire que ce que j'aurais pu 
dire en effet. En finissant il me demanda si j'ap- 
prouvais cette lettre , et s'il pouvait l'envoyer telle 
qu'elle était. 

Je répondis que je le plaignais d'être réduit à 
de pareilles ressources; que, quant à moi, je ne 
pouvais rien dire de semblable; mais que, puis- 



4o6 CORBKSPONDANCE. 

que c'était lui qui se chargeait de le dire , c'était 
son affaire et non pas la mienne ; que je n'y 
voyais rien non plus que je fusse obligé de démen- 
tir. Comme tout deci, reprit-il, ne peut nuire à 
personne, et peut vous être utile ainsi vqu'à moi, 
je passe aisément sur un petit struptile ^pii ne 4e- 
i^t qu'empêcher le bien ; mais dites-moi , au sui^ 
plus, si vous êtes content de cette lettre, et si 
vous n'y voyez rien à changer pour qu'eHe soit 
mieuxr Je lui dis que je la trouvais bien pour la 
fin qu'il s'y propo^t. Il me pressa tant , que , pour 
lui complaire , je lui indiquai quelques légères cor- 
rections qui ne signifiaient pas grand'chose. Or il 
&ut- savoir que, de la manière dont nous étions 
assis, l'écritoire était devant M. de Montmollin; 
mais durant tout ce petit colloque , il la poussa 
comme par hasard devant moi; et comme je te- 
nais alors sa lett^e pour la relire , il me présenta 
la plume pour faire les changements iïidiqués; ce 
que je fis avec la simpUcité que je mets à toute 
chose. Cela fait, il mit son papier dans sa poche, 
et s'en alla. * 

Pardonne2-moi ce long détail ; il était nécessaire. 
Je vous épargnerai celui de mon dernier entretien 
avec M. de Montmollin, qu'il est plus aisé d'ima- 
giner. Vous comprenez ce qu'on peut 'répondre à 
quelqu'un qui vient froidement vous dire : Mon- 
sieur, j'ai ordre de vous casser la tête; mais si 
vous voulez bien vous casser la jambe , peut-être 
se contentera-t-oh de cela. M. de Montmollin doit 
avoir eu quelquefois à traiter de mauvaises afi(aires; 



ANUfÉE 1765. 4^7 

cependant je ne vis de ma vie un homme aussi 
embarras^ qu'il le fut vis-à-vis de moi dans celle- 
là : rien n'est plus^génant en pareil cas que d'être 
aux prises avec iun homme ouv-ert et franc , qui , 
.sans combattre avec vous de subtilités et de rudes, 
vous rompt en visière à tout moment. M. de Mont- 
moUin assure que je lui dis en ie quittant que, s'il 
venait avec de bonnes nouvelles, je l'embrasserais ; 
sinon que nous nous tournerions le dos. J'ai pu 
dire des choses équivalentes , mais en termes plus 
honnêtes ; et quant à ces dernières expressions, }e 
suis trèfr-sûr de ne m'en ctre point servi. M.* -dé 
MontmoUin peut reconnaître qa'il ne me fait pas 
si aisément tourner le dos qull l'avait cru. 

Quant au dévot pathos dont il use pour prouver 
la nécessité de séVir , on sent pour quelle sorte de 
gens il est fait , et ni vous ni moi n'avons rien à 
leur dire. Laissant à part ce jargon d'inquisiteur , 
je vais examiner ses raisons vis-à-vis de moi , sans 
entrer dans celles qu'il pouvait avoir avec d'autres. 
Ennuyé du IMbte métier d'auteur, pour leqnel 
j'étais si peu fait, j'anais deginis long-tefnps'Vésolu 
d'y renoncer. Quand Y Emile parut, j'avais déclaré 
à tous mes amis à Paris, à Genève, et ailleurs, 
que c'était" mon dernier ouvrage, et qu'en l'ache- 
vant je posais la plume pour ne la plus reprendre. 
Beaucoup de lettres me restent où l'on cherchait 
à me dissuader de ce dessein. En arrivant ici , j'a- 
vais dit la même chose à tout le monde, à vous- 
même ainsi qu'à M. de Montmollin. Il est le seul 
qui se soit avisé de transformer ce propos en pro- 



4o8 CORRESPONDANCE. 

messe, et de prétendre que je m'étais engagé avec 
lui de ne plus écrire , parce que je lui en avais 
montré l'intention. Si je lui disais aujourd'htii qne 
je compte aller demain à Neuchâtel , prendrait-il 
acte de cette parole, et si j'y msâiqûais, m'en fe- 
rait-il un procès? C'est la même chose aSdCflument, 
etkje n'ai pas plus songé à faire une promesse & 
M. de Montmollin qu'à vous , d'une résolution dont 
j'informais simplement l'un et l'autre. 

M. de Montmollin oserait-il dire qu'il ait entendu 
la chose autrement? oserait-il affirmer, comme il 
l'ose faire entendre , que c'est sur cet engagement 
prétendu qu'il m'admit à la communion ? La preuve 
du contraire est qu'à la publication de ma Lettre a 
M. Varches^êque de Paris , M. de Montmollin , loin 
de m'accuser de lui avoir manqué de parole, fiit 
très-content de cet ouvrage , et qu'il en fit l'élc^e 
à moi-même et à tout le monde, sans dire alors un 
mot de cette fcibuleuse promesse qu'il m'accuse 
aujourd'hui de lui avoir faite auparavant. Remar- 
quez pourtant que cet écrit est BRn plus fort sur 
les mystères et mén^ sur les miracles que celui 
dont il fait maintenant tant de bruit; rémarquez 
encore que j'y parle de même en mon nom ,*et non 
plus au nom du vicaire. Peut-on chercher des su- 
jets d'excommunication dans ce dernier , qui n'ont 
pas même été des sujets de plainte dans l'autre ? 

Quand j'aurais fait à M. de Montmollin cette pro- 
messe, à laqnelle je ne songeai de ma vie , préten- 
drait-il qu'elle fût si absolue quelle ne supportât pas 
la ipoindre exception, pas même d'imprimer un 



ANNÉE 176$. 4^9 

mémoire pour ma défense , lorsque J'aurais un pro- 
cès? Et quelle exception m'était mieux permise 
que celle où , nie justifiant, je le justifiais lui-même , 
où je montrais qu'il était faux qu'il eût admis dans 
son Église un aj^esseur de la religion ? Quelle pro- 
messe pouvait m'acquitter de ce que je devais à 
d'autres et à moi-même?. Comment pouvais-je siip- 
primer un écrit défensif pour mon honneur , pour 
celui de mes anciens compatriotes ; un écrit que 
tant de grands motifs, rendaient nécessaire , et où 
j'avais à remplir de si saints devoirs? A qui M. de 
Montmollin fera- 1- il croire que je lui ai promis 
d'endurer l'ignominie en silence AA'^Tésent mqme 
que j'ai pris avec un corps respectable un engage- 
ment formel, qui est-ce, dans ce corps , qui m'ac- 
cuserait d'y manquer , si , forcé par les outrages 
de M. de Montmollin , je prenais le parti de les 
repousser aussi publiquement qu'il ose les faire? 
Quelque promesse que fasse un honnête homme , 
on n'exigera jamais , on présumera bien moins en- 
core , qu'elle ai^e jusqu'à se laisser déshonorer. 

En publiant les Lettres écrites de la montagne^ je 
fis mon devoir et je ne manquai point à M. de 
MontipoUin.Il en jugea lui-même ainsi, puisque 
après la publication de l'ouvrage ,'dont je lui avais 
envoyé un exemplaire , il ne changea point avec 9ioi 
de manière d'agir. Il le lut avec plaisir, m'en parla 
avec éloge; pas un mot qui sentît l'objection. De- 
puis lors il me vit long-temps encore , toujours de 
la meilleure amitié ; jamais la moindre plainte sur 
mon livre. On padait dans ce temps-là d'une édi- 



4lO CORRESPONDANCE. 

tien générale de mes écrits; non-seul^nent il ap- 
pCQUvait cette entreprise, il désirait même s'y 
intéresser : il me marqua ce désir, que je n'en- 
courageai pas , sachant que la compagnie q«ii s'était 
Jbrmée se trouvait déjà trop nombMuse, et en vou- 
lait plus d'autre associé. Sur mon peu dVtepresse- 
m^iit, qu'il remarqua trop, il néflédiit quelque 
temps après que la bienséance de son état ne lui 
peivnettait pas d'entrer dims cette entreprise. C'est 
alors que la classe piit le parti de s'y opposer , et 
•fit des ^représentations à la cour. 

Pu reste, la bonne intelligence était si parfaite 
eoGore entre nous, et mon dernier ouvrage y 
mettait si peu d'obstacle , que , long-temps après 
sa ^publication , M. de MontmoUin, causant avec 
moi, me dit qu'il voulait demander à la cour, une 
augmentation de prébçnde, et me proposa de 
mettre quelques lignes dans la lettre qu'il écrirait 
pour cet effet à Milord Maréchal. Cette ibrme de 
recommandation me paraissant trop familière , je 
lui demandai quinze jours poui^n écrire à Mi- 
lord Maréchal auparavant. Il se tiit , et ne m'a plus 
parlé de cette affaire. Dès-lors il commença dfe voir 
d'un autre œil les Lettres de la montagne , ^uis ce- 
pendant en improuver jamais un seul mot en ma 
présence. Une fois seulement il me dit : Pour moi^ 
je crois aux miracles. J^'aurais pu lui répondre : J*j 
crois tout autant que vous. 

Puisque je suis sur mes torts avec M. de Mont- 
moUin, je dois vous avouer, monsieur, que je m'en 
reconnais d'autres encore. Pénétré pour lui de re- 



ANNÉE 176.5. 4ïï 

connaissance , j'ai cherché toutes les occasions de 
la lui marquer ) tant en public qu'en particulier: 
mais je n'ai point fait d^un sentiment si noble un 
trafic d'intérêt ; l'exemple ne m'a point gagné, je ne 
lui ai point fait de présents , je ne sais pas acheter 
les choses saintes. M. de Montmollin voulait savoir 
toutes mes affaires 9 connaître tous mes correspon- 
dants ^ diriger, recevoir mon testament, gouverner 
mon petit ménage : voilà ce que je n'ai point souf- 
fert. M. de Montmollin aime à tenir table long^-^ 
temps : pour moi c'est uti vrai supplice. Rarement 
il a mangé chez moi, jamais je n'ai mangé chez lui. 
Enfin j'ai toujours repoussé avec tous les égards et 
tout le respect possible l'iiitimité qu'il voulait éta- 
blir entre nous. Elle n'est jamais un devoir dès 
qu'elle ne convient pas à tous deux. 

Voilà mes torts , je les confesse sans pouvoir m'en 
repentir: ils sont grands si l'on veut, mais ils sont 
les seuls, et j'atteste quiconque connaît un peu ces 
contrées, si je ne m'y suis pas souvent rendu dé- 
sagréable aux honnêtes gens par mon zèle à louer 
dansM.deMontmollin ce que j'y trouvais delouabfe. 
Le rôle qu'il avait joué précédemment le rendait 
odieux^ et l'on n'aimait pas à me voir effacer par ma 
propre histoire celle des maux dont il fat l'auteur. 

Cependant, quelques mécontentements secrets 
qu'il* eût contre moi , jamais il n'eut pris pour les 
faire éclater un moment si mal choisi , si d'autres mo- 
tifs ne l'eussent porté à ressaisir l'occasion fugitive 
qu'il avait d'abord laissé échapper: il voyait trop 
combien sa conduite allait être choquante et contra- 



4l2 CORRESPONDANCE. 

dictoire. Que de combats n'a-t-il pas dû sentir en 
lui-même avant d'oser afficher une si claire préva- 
rication! Car passons telle condamnation qu'on 
voudra sur les Lettres de la montagne y en' diront- 
elles , enfin , plus que V Emile , après lequel j'ai été, 
non pas laissé , mais admis à la table sacrée ? plus 
que la LetUv à M. de Beaumont , sur laquelle on 
ne m'a dit un seul mot ? Qu'elles ne soient , si l'on 
veut, qu'un tissu d'erreurs, que s'ensuivra -t- il? 
qu'elles ne m'ont point justifié, et que l'auteur 
^ Emile demeure inexcusable; mais jamais que celui 
des Lettres écrites de la montagne doive en particu- 
lier être condamné. Après avoir fait grâce à un 
homme du crime dont on l'accuse, le punit -on 
pour s'être mal défendu? Voilà pourtant ce que fait 
ici M. de Montmollin ; et je le défie , lui et tous ses 
confrères , de citer dans ce dernier ouvrage aucun 
des sentiments qu'ils censurent, que je ne prouve 
être plus fortement établi dans les précédents. 

JVfais, excité sous main par d'autres gens, il saisit 
le prétexte qu'on lui. présente, sûr qu'en criant à 
tort et à travers à l'impie , on met toujours le peuple 
en fureur ; il sonne après coup le tocsin de Mo tiers 
sur un pauvre homme, pour s'être osé défendre 
chez les Genevois; et, sentant bien que le succès 
seul pouvait le sauver du blâme , il n'épargne rien 
pour se l'assurer. Je vis à Motiers: je ne veux point 
parler de ce qui s'y passe , vous le savez aussi bien 
que moi ; personne à Neuphâtel ne l'ignore ; les 
étrangers qui viennent le voient, gémissent, et moi 
je me tais. 



AJYNÉE 1765. 4*3 

M. de Montmollin s'excuse sur les ordres de la 
classe. Mais, supposons-les exécutés par des voies 
légitimes; si ces ordres étaient justes, conunent 
avait-il attendu si tard à le sentir? comment ne lés 
prévenait-il point lui-même que cela regardait spé- 
cialement Pconmient , après avoir lu et relu les Xe/- 
tres de la montagne^ n'y avait-il jamais. trouvé un 
mot à reprendre, ou pourquoi ne m'en avait-il rien 
dit , à moi son paroissien , dans plusieurs visites qu'il 
m'avait faites ? Qu'était devenu son zèle pastoral ? 
Voudrait-il qu'on le prît pour un imbécile qui ne 
sait voir dans un livide de son métier ce qui y est. 
que quand on le lui montre ? Si ces ordres étaieïit ' 
in jus tes, pourquoi s'y soumettait-il ?.Un ministre de 
l'Évangile , un pasteur, doit-il ()ersécuter par obéis- 
sance un homme qu'il sait être innocent ? Ignorait- 
il que paraître même en consistoire est une peine 
ignominieuse, un affront cruel pour un homme de 
mon âge , surtout dans un village où l'on ne con- 
naît d'autres matières consistoriales que des admo- 
nitions sur les mœurs? Il y a dix ans que je fus dis- 
pensé à Genève de paraître en consistoire dans une 
occasion beaucoup plus légitime ^ et , "ce que je me 
reproche presque, contre le texte formel de la loi; 
Mais il n'est pas étonnant que l'on connaisse à Ge- 
nève des bienséances qjie Von ignore à Motiers. 

Je ne sais pouB qui M. de Montmollin prend ses 
lecteurs quand il leur ilit qu'il n'y avait point d'in- 
quisition dans cette afiaire; i^'est comme s'il disait 
qu'il n'y avait point de consistoire ; car c'est' la 
même chose en cette occasion. Il fait entendre, il 



4l4 CORRESPONDANCE. 

assure même qu'elle ne devait point avoir de suite 
temporelle : le contraire est connu de tous les.gens 
au fait du projet; et qui ne sait qu'en surprenant 
la religion du Conseil d'état, on l'avait déjà engagé 
à faire des démarches qui tendaient à m'ôter la 
protection du roi? Le pas nécessaire pour achever 
était l'excommunication : après quoi de nouvelles 
remontrances au Conseil d'état auraien t.fait le reste: 
on s'y était engagé ; et voilà d'où vient la douleur 
de n'avoir pu réussir. Car d'ailleurs qu'importe à 
M. de Montmollin? Craint-il que je ne me présente 
pour communier de sa main? Qu'il se rassure: je 
nersuis pas aguerri aux communions, conune je vois 
tant de gens l'être : j'admire ces estomacs dévots 
toujours si prêts à digérer le pain sacré ; le mien 
n'est pas si robuste. 

Il dit qu'il n'avait qu'une question très-simple à 
me faire de la part de la classe. Pourquoi donc , en 
me citant, ne me fit-il pas signifier cette question? 
Quelle est cette ruse d'user de surprise , et de forcer 
les gens de répopdre à l'instant même, sans leur 
donner un ïnoment pour réfléchir ? C'est qu'avec 
cette question de la classe dont M. de Montmollin 
parle , il m'^n réservait de son chef d'autres dont 
il ne parle point, et sur lesquelles il ne voulait pas 
que j'eusse le tenips dé me préparer^ On sait que 
son projet était absolument de me prendre en faute , 
et de m'embarrasser par tant d'interrogaticHis cap- 
tieuses qu'il en vînt à bout ; il savait combien j'étais 
languissant<et faible. Je ne veux pas l'accuser d'a- 
voir eu le dessein d'épuiser mes forces ;mais , quand 



ANNÉE I76&. 4*5 

je fus cité , l'étais malade , kors d'état de sortir , et 
gardîoit la chambre depuis six mois : c'était l'hiver; 
il faisait froid , et c'est , pour un pauvre infirme , 
un étrange spécifique qu'une séance de plusieurs 
heures , debout , interrogé sans relâche , sur des 
matières de théologie, devant des anciens dont les 
plus instruits déclarent n'y riett entendre. N'im- 
porte ; on ne s'informa pas même si je pouvais sortir 
de mon lit, si j'avais la force d'ailer, s'il faudrait 
me faire porter ; on ne s'embarrassait pas de cela : 
la charité pastorale , occupée des choses de la foi , 
ne s'abaisse pas aux terrestres soins de cette vie. 

Vous savez, monsieur, ce qui se passa dans le 
consistoire en mon absence , comment s'y fit la lec- 
ture de ma lettre , et les propos qu'on y tint pour 
en empêcher l'effet; vos mémoires lànlessus vous 
viennent de la bonne source. Concevez-vous qu'a- 
près cela M. de MontmoUin change tout à coup 
d'état et de titre, et .que s'étant fait commissaire 
de la classe pour solUciter l'affaire , il redevienne 
aussitôt pasteur pour la juger. J'agissais j dit- il , 
comme pasteur ^ comme chej da consistoire y et non 
comme représentant delà vénérable déesse, C'étaitbien 
tard changer de rôle, après en avoir fait jusqu'a- 
lors un si différent. Craignons , monsieur , les gens? 
qui font si volontiers deux personnages dans la 
même aJEstire; il est- rare que ces deux en fassent 
un bon. 

Il appuie la nécessité de sévir sur le scatfdale 
causé par mon livre. Voilà des scrupules-tout nou- 
veaux , qu'il n'eut ftoint du temps dfe VÉmite. Le 



4 1^6 CORRESPONDANCE. 

scandale fut tout aussi^grand pour le moins , les 
gens d'église et les gazetiers ne firent pas ttaoins 
de bruit ; on brûlait , oa brayait , on m'insultait 
par toute l'Europe. M. de Biontmollin trouve au- 
jourd'hui des raisons de m'excommunier dans 
celles qui ne l'empêchèrent pas alors de m'admettre. 
Son zèle, suivant le précepte, prend toutes les 
formes pour agir selon les temps et les Ueux.Abis 
qui est-ce, je vous prie , qui excita .dans sa paroisse 
le scandale dont il se plaint au sujet de mos dernier 
livre ? Qui est-ce qui affectait d'en Mre un bruit 
affreux, et par soi-même et par des^ens apostés? 
Qui est-ce, parmi tout ce peuple si saintement for- 
cené, qui aurait su que j'avais commis le crime 
énorme de prouver que le conseil de Genève m'a- 
vait condamné à tort, si l'on n'eût pris soin de le 
leur dire, en leur peignant ce singulier crime avec 
les couleurs que chacun sait? Qui d'entre eux est 
même en état de lire mon livre et d'entendre ce 
dont il s'agit? Exceptons, si l'on veut, l'ardent sa- 
tellite de M. de MontmoUin, ce grand maréchal 
qu'il cite si fièrement, ce grand clerc, le Boirude 
de son église, qui se connaît si bien en fers de che- 
vaux et en livres de théologie. Je veux le croire en 
état de lire à jeun et sans épeler une ligne entière ; 
quel autre des ameutés en peut faire autant ? En 
entrevoyant sur mes pages les mots à^eucLftffUe et 
de miracles jûs auraient cru lire un livre de dévo- 
tion ; et me sachant bon-homme , ils auraient dit : 
Que Dieu. le bénisse, il nous édifie. Mais on leur a 
tant assuré que j'étais un homme abominable y im 



impie, qui disait qu'il n'y avait point de Dieu, et 
que lei femmes n'avaient point d'ame, que, sans 
songer au langage si contraire qu'on leur tenait ci- 
devant, ils ont à leur tour répété: Cest un impie, 
un scélérat j c'est V Antéchrist; ilfautVeoccommunier, 
le brûler. On leur a charitablement répondu: Sans 
doute; mais criez , et laissez-nous faire, tout ira bien. 
La marche ordinaire de niessieurs les gens d'é- 
glise me parait admirable pour aller à leur but: 
après avoir établi en principe leur compétence sur 
tout scandale , ils excitent le scandale sur tel objet 
qui leur plaît, et puis, en vertu de ce scandale qui 
est leur ouvrage , ils s'emparent de l'affaire pour la 
juger. Voilà de quoi se rendre maître de tous les 
peuples, de toutes les lois, de tous les rois, et de 
toute la terre , sans qu'on ait le moindre mot à leur 
dire. Vous rappelez-vous le conte de ce chirurgien 
dont la boutique donnait sur deux nies, et qui sor- 
tant par une porte estropiait les passants, puis 
rentrait subtilement , et pour les panser ressortait 
par l'autre ? Voilà l'histoire de tous les clergés du 
monde , excepté (pie le chirurgien guérissait du 
moins ses blessés, et que ces messieurs , en traitant 
les leurs , les achèvent^ 

N'entrons point, monsieur, dans les intrigues 
secrètes qu'il ne faut pas mettre au grand jour. Mais 
si M. de Montmollin n'eût voulu qu'exécuter l'ordre 
de la classe, ou faire l'acquit de sa conscience, 
pourquoi l'acharnement qu'il a mis à cette affaire? 
pourquoi ce tumulte excité dans le pays? pourquoi 
ces prédications violentes? pourquoi ces concilia- 

R. XX. 11 



4l.8 CORRESPONDANCE. 

bules ? pourquoi tant de sots bruits répandus pour 
tâcher de m'effrayer par les cris de la populs^? 
Tout . cela n'est - il pas notoire au* public ? M. de 
MontmoUin le nie ; et pourquoi non , puisqu'il a 
bien nié d'avoir prétendu deux voix dans le con- 
sistoire? Moi, j'en vois trois, si, je ne me trompe: 
d'abord celle de son diacre, qui n'était là que comme 
son représentant ; la sienne ensuite , qui formait 
l'égalité ; et celle enfin qu'il voulait avoir pour dé- 
partager les suffrages. Trois voix à lui seul , c'eût 
été beaucoup , même pour absoudre ; il les voulait 
pour condamner, et ne put les obtenir : où était le 
mal ? M. de MontmoUin était trop heureux que son 
consistoire, plus sage que lui, l'eût tir^ d'af&iire 
avec la classe , avec ses coijifrères , avec ses corres- 
pondants , avec lui-même. J'ai fait mon devoir, au- 
rait-il dit; j'ai vivement poursuivi la chose ; mon 
consistoire n'a pas jugé comme moi, il a absous 
Rousseau contre mon avis. Ce n'est pas ma faute; 
je me retire ; je n'en puis faire davantage sans blesser 
les lois , sans désobéir au prince ^ sans troubler le 
repos public; je suis trop bon dhrétien, trop bon 
citoyen, trop bon pasteur pour rien tenter die sem- 
blable. Après avoir échoué il pouvait encore, avec 
un peu d'adresse, conserver sa digi^ité et recouvrer 
sa réputation ; mais l'amour-propre irrité n'est pas si 
sage ; on pardonne encore moins aux autres le mal 
qu'on leur a voulu faire, que celui qu'on, leur a 
fait en effet. Furieux de voir manquer à la,£gice .de 
l'Europe ce grand crédit dont il aime à se vanter, 
il ne peut quitter la partie^ il dit en classe <{u'il' 



A]VNIiE 1765. 419 

n'est pas sans espoir de la renouer; ille tente dans 
un autre consistoire : mais, pour se montrer moins 
à découvert, il rie la propose pas lui- même , il la 
fait proposer par son maréchal, par cet instrumept 
de ses menées, qu'il appelle à témoin qu'il n'en a 
pas fait. Cela n'étaitril pas finement trouvé? Ce n'est 
pas que M. de Montmollin ne spît fiyi ; mais un 
homme que la colère aveugle ne fiait plus que des 
sottises quand il se livre à sa passion. 

Cette ressource lui manque encore. Vous croi- 
riez qu'au moins alors ses efforts s'arrêtent là : point 
du tout; dans l'assemblée stdvapte de la classe, il 
propose un autre expédient , fondé sur l'impossi- 
bilité d'éluder l'activité de TofiScier du prifice dans 
sa paroisse; c'est d'attendre que j'aie passé dans 
une autre , et là de recommencer les poursuites sur 
nouveaux frais. En conséquence de ce bel expér 
dient, les sermons emportés recommencent; on 
met derechef le petiplè en rumeur, comptant, à 
force de désagFément, n^e forcer enfin de quitter 
la paroisse. En voilà frop, en yerité, pour un homme 
aussi tolérantque M. de Montmollin prétend l'être , 
et qui n'î^it que par l'ordre de son' Corps. 

Ma lettre s'-^longe beaucoup \ monsieur, niais il 
le j&mt,' et pottrquoi la couperais^] e? serait-ce l'a- 
bréger que d'fen tetiltiplierTés fofmules? Laissons 
à M. de Moritoollin le plaisir dé dire dix fois de 
suite : Dina:^akjk, >fra sœur^ Tiorntêt-vous ? 

Je n'ai pôifttentainéla question de droit; je me 
suis inteitlit cétt« matière. Je me suis lx)rné dans 
la seconde partie de cette lettre à vous prouver cjue 



4aO CORRESPONDANCE. 

M. de MontmpUin , malgré le ton béat qu'il affecte, 
n'a point été conduit dans cette affaire par le zèle 
de la foi, ni par son devoir; mais qu'il a , selon Tu- 
sage , fait servir Dieu d'instrument à ses passions. 
Or jugez si pour de telles fins on emploie des moyens 
qui soient honnêtes, et dispensez -moi d'entrer 
dans des détails qui feraient gémir la vertu. 

f)ans la première partie de ma lettre je rap- 
porte des faits opposés à ceux qu'avance M. de 
Montmollin. Il avait eu l'art de se ménager des in- 
dices auxquels je n'ai pu répondre que par le ré- 
cit fidèle de ce qui s'est passé. De ces assertions 
contraires de sa part et de la mienne vous conclu- 
rez que l'un des deux est un menteur; et j'avoue 
que cette, conclusion me parait juste. 

En voulant finir ma lettre et poser sa brochure , 
je la feuillette encore. Les observations se présen- 
tent sans nombre, et il ne faut pas toujours re- 
commencer. Cependant , comment passeï* ce que 
j'ai dans cet instant sous les yeux? Que feront nos 
ministres f se disait-on publiquement? défendront- 
ils F Évangile attaqué siom^ertement par ses ennemis ? 
C'est donc mpi qui suis l'ennemi de l'Évangile , 
parce que je m'indigne qu'on le défigure et qu'on 
l'avilisse? Eh! que ses prétendus défenseur^ n'imi- 
tent-ils l'usage que j'en voudrais faire! que n!en 
preqnent-ilsjce qui les rendrait bons.e^ justes', que 
n'en laissept-ils ce qui ne sert de rien à personne , 
et qu'ils n'entendjent pas plus que moil 

Si wi citoyen de ce pajr^ aidait osé dira^oujés^rire 
quelque chose d* approchant a ce qu'ai^ajice M. Rou^^ 



ann:ée 1765. 4^* 

seau y ne sévirait-on pas contre lui ? Non assurément ; 
j'ose le croire pour l'honneur de cet état. Peuples 
dé Neuchâtel , quelles seraient donc vos franchises 
si , pour quelque point qui fournirait matière de 
chicane aux ministres, ils pouvaient poursuivre 
au milieu de vous l'auteur d'un factum imprimé à 
l'autre bout de l'Europe, pour sa défense en pays 
étranger? M. deMontmollin m'a choisi pour vôusim- 
poseren moi cenouveaujoug: mais serais-je digiie 
d'avoir été reçu parmi vous , si j'y laissais ^par moYi 
exemple , une servitude que je n'y ai point trouvée ? 

M. Rousseau , nou^^eau citoyen , a-t-il donc plus 
(le prii^iUges que tous les anciens citoyens ? Je ne 
réclame pas même ici' les leurs; je ne réclame que 
ceux que j'avais étant homme, et comme simple 
étranger. Le correspondant que M. de Montmollin 
fait parler, ce merveilleux correspondant qu'il ne 
nomme point , et qui lui donne tant de louanges , est 
un singulier raisonneur, ce me semble. Je veux 
avoir, selon lui, plus de privilèges que tous les ci- 
toyens , parce que je résiste à des vexations que n'en- 
dura jamais aucun citoyen. Pour m'ôter le droit dç 
défendre ma boui^se contre im voleur qui voudrait 
me la prendre , il n'aïu'ait donc qu'à me dire : 
Fous êtes plaisant de ne vouloir pas que je vous 
vole? Je volerais bien i(n homme du pays s*il passait 
au lieu de vous. 

Remarquez qu'ici M. le professeur de Montmol- 
lin est le seul souverain , le despote qui me con- 
damne , et que la loi , le cpnsistoire , le magistrat , 
le gouvernement, le gouverneur, le roi même, 



4rià Correspond AN GK. 

qui me protègent, sont autant de rebtJles à Tauto- 
rité suprême de M. le professeur de Montmollin. 
Xi'anonyme de^nande si je ne me suis pas soumis 
comme citcffen aux lois de Vétat et ausc usages y et de 
l'affirmative , qu'assurément on ne lui contestera 
pas, il conclut que je tue suis soumis à une loi qui 
n'existe point, et à un usage qui n'eut jamais lieu. 

M. de Montmollin dit à cela que cette loi existe 
à Qenève , ejk que je me suis plaint moi-méine qu'on 
l'a violée à mon préjudice. Ainsi donc la loi qui 
existe à Grenève , et qui n'existe pas à Motiers , on 
la viole à Genève pour me décréter, et on la suit 
à Motiers pour m'excommunier; Convenez que me 
voilà dans une agréable position ! C'était sans doute 
dans un de ses inoments de gaieté que M. de Mont- 
mollin fit ce rais0nnement-là; 

Il plaisante à peu près sur le inéme ton dans 
Une note sur l'offre * que je voulus bien faire à 
la classe ^ à condition qu'on me laissât en repos ; il 
dit que c'est se moquer , et qu'on ne fait pas ainisi 
la loi à ses supérieurs. 

Premièrement, il se tnoqué lui-même quand ii 
prétend qu'offrir une satisfaction très-obséquieuse 
et très-raisonnable à gens qui se plaignent^ quoi^ 
que à tort, c'est leur faire la loi. 

Mais la plaisanterie est d'avoir appelé messieurs 
de la claisse mes supérieurs, comme si j'étais 

* Offre dont le âecret fut si bien gardé, que iiertoiinë n*eii sut 
rien que quand je le publiai , et qui fut si malhonnêtement reçue , 
qu'on ne daigna pas y faire la moindre réponse : il fallut même que 
je fisse redemander à M. de Montmollin ma déclaration, qu'il 8*ëtut 
doticement appropriée; 



komme d'église. Car qui ne sait que Ja classe, 
ayant juridiction sur le clergé seulement, et n'ayant 
au surplus rien à commander à^ui que ce soit, 
ses membres ne sont comme tels les supérieurs 
de personne '^ ? Or de me traiter en honmie d'é-^ 
glise est une plaisanterie fort déplacée à mon avis. 
M. de MontmoUin sait très-bien que je ne suis 
point homme d'église, et que j'ai même, grâces au 
ciel , trèsrpeu de vocation pour le devenir. 

Encore quelques mots sur la lettre que j'écrivis 
^u consistoire , et j'ai fini. M. de MontmoUin pro-» 
met peu de commentaires sur cette lettre. Je crois 
qu'il fait très-bien, et qu'il eût mieux fait encore 
de n'en point donner du tout. Permettez que je 
passe -en revue ceux qui me regardent : l'ex^en 
ne sera pas long. 

Comment répondre y dit-il , à des questions qu^on 
ignore? Comme j'ai fait, en prouvant d'avance 
qu'on n'a point le droit de questionner. 

Une foi dont on ne doit compte qu'à Dieu ne se 
publie pas dans toute F Europe. 

Et pourquoi une foi dont on ne doit compte qu'à 
Dieu ne se publierait-elle pas dans toute l'Europe? 

Remarquez l'étrange prétention d'empêcher u» 
homme de dire son sentiment, quand on lui en 
prête d'autres, de lui fermer la bouche et de le £siire 
parler. 

" Il faudrait croire que la tète tourne à M. de MontmoUin^ A 
Ton lui supposait as^ez d'arrogance pour vouloir sérieusement don- 
ner à messieurs de la classe quelque supériorité sur les autres sujets 
du roi. Il n'y a pas cent ans que ces supérieurs prétendus ne signaient 
qu'après tour lés autres corps. 



4^4 CORHESPONDANCE. 

Celui qui erre en chrétien redresse uoloniiers ses 
erreurs. Plaisant sophisme! 

Celui qui erre en chrétien ne sait pas qu'il erre. 
S'il redressait ses erreurs sans les connaître, il 
n'errerait pas moins, et de plus il mentirait. Ge 
ne serait plus errer en chrétien. 

Est-ce s'appuyer sur Vaatorité de V Évangile qm 
de rendre douteux les miracles? Oui, quand c'est 
par Tautiorité même de l'Évangile qu'on rend dou- 
teux les miracles. 

Et d^y jeter du ridicule? Pourquoi non, quand, 
s'appuyant sur rÉvangile,on prouve que^e^Tidi- 
cule n'est que dans les interprétations deâ théolo- 
giens? 

Je suis sur que M. de MontmoUin se félicitait 
ici beaucoup de.son laconisme. Il est toujours aisé 
de répondre à de bons raisonnements par des sen- 
tences ii^ptes. 

Quant a la note de Théodore de Bèze , il n'a pas 
voulu dire autre cliose , sinon que lajbi du chrétien 
n'est pas appuyée uniquement sur les miracles. 

Prenez garde , monsieur le professeur ; ou vous 
n'entendez pas le latin , ou vous êtes un homme 
de mauvaise foi. 

Ce passage, non satis tuiajîdes eorum qui iniraculis 
nituntur^ ne signifie point du tout, comme vous le 
prétendez , que lajbi du chrétien n'est pas appuyée 
uniquement sur les miracles. 

Au contraire , il signifie très-exactement que la 

foi de quiconque s'appuie sur les miracles est peu sa- 

lida. Ce sens se rapporte fort bien au passage de 



ANNÉE 1765. = 4^5 

saint Jean (ju'il commente , et qui dit de Jésus que 
plusieurs crurent en lui, voyant ses miracles, mais 
qu'il ne leur confiait point pour cela sa personne , 
parée qu*il les connaissait Bien, Pensez- vous qu'il 
aurait aujourd'hui plus de confiance en ceux qui 
font tant de bruit de la même foi ? 

Ne croirait^ on pas entendre M. Rousseau dire^ 
dans sa Lettre à l'archevêqUe de Paris, qu'on de^ 
\frait lui dresser des statues pour son Emile ? Notez 
que cela se dit au moment où , pressé par la com- 
paraison à^ Emile et des Lettres de la montagne y 
M. de^Montmollin ne sait comment s'échapper ; il 
se tire d'affaire par une gambade. 

S'il fallait suivre pied à pied ses écarts , s'il fallait 
examiner le poids de ses affirmations, et analy- 
ser les singuliers raisonnements dont il nous paie, 
on ne finirait pas , et il faut finir. Au bout de tout 
cela , fier de s'être nommé , il s'en vante. Jfe ne vois 
pas trop là de quoi se vanter. Quand une fois on 
a pris son parti sur certaine ch9se , on a peu de 
niérite à se nommer. 

Pour vous, moYisieur, qui gardiez par ména- 
gement pour lui l'anonyme qu'il vous reproche , 
liommez-vous , puisqu'il te veut ; acceptez des hon- 
nêtes gens l'éloge qui vous est du ; montrez - leur 
le digne avocat de la cause juste , l'historien dé la 
vérité, l'apologiste des droits de l'opprimé, de 
ceux du prince , de l'état et des peuples , tous at- 
taqués par lui dans ma personne. Mes défenseurs , 
mes protecteurs , sont connus ; qu'il montre à son 
tour son anonyme et ses partisans dans cette af- 



4^6 GOHR£SPONDANCJg:« 

£EÛre : il en a déjà nommé deux ; qu'il achève. Il 
m'a fait bien du mal : il Touliât m'en faire bien da- 
vantage ; que tout le monde connaisse ses amis et 
les miens; je ne veux point d'autre vengeance. 
Recevez, monsieur ^ mes tendres salutations* 

• 

' LETTRE DCXV. 

A MADAMÇ LATOÙR. 

AMotîers, le ii août 17 65. 

Chère Marianne , vous êtes affligée , et je suis 
désarmé; je m'attendris en me représentant vos 
beaux yeux en larmes. Vos larmes sécheront , mais 
mes malheurs ^e finirofit qu'avec ma vie. Que cela 
vous engage désormais à les respecter, et à ne 
plus compter avec mes défauts, car vousïKauriez 
trop à faire , et à mon âge on ne se corrige plus de 
rien : les violents reproches m'indignent et ne me 
subjuguent pas. J'avais rompu trop légèrement 
avec vous , j 'avais tort ; mais en me peigii^ t co|pme 
un monstre , vous ne m'auriez pas ramené ; je vou8 
aurais laissée dire et je me serais tu^ car je savais 
bien que je n'étais pas un monstre. Quand nos amis 
nous manquent, il faut les gronder, m^ il ne 
faut jamais leur mettre le marché à la main sur 
l'estime qu'on leur doit, et qu'ils savent bien qu'on 
ne peut leur ôter, quoi qu'il arrive. Pardon , chère 
Marianne, j'avais le cœur encore ui^peu gros de 
vos reproches, il fallait le dégonfler. A présent. 



ANNEE I76S. 4^*? 

iàcholis d'oublier nos en^ntillages; laissez-moi me 
dire mon fait^sur le&^miens , je m^en acquitterai 
mieux que vous. Après cela, pardonnez-moi ,. n'en 
parlons plus , et aimons^nous bien tous trois. Ce 
dernier mot servira de réponse à votre amie; j'es- 
père qu'elle ne la trouvera pas trop courte; je ne 
voudrais pas avoir dit ce mot -là même, si je la 
soupçonnais de croire qu'on peut dire plus. 

Je dois des ménagetnents à votre tristesse , et ne 
veux point vous parler de mon état présent; mais, 
si de long-temps je ne peux pas vous écrire , n'in- 
terprétez pas Ce silence en mauvaise part. . 

LETTRE DC\VI. 

A M. D'IVèRNOaS, 



Motiers, le l5 août 1765. 

J'ai reçu toiis vos envois, monsieur, et je vous 
iremercie des commissions ; elles sont fort bien , et 
je vpus pri^ aussi d'en faire mes remerciements à 
M. Deluc. A l'égard des ab^^icots , par respect poui* 
madame d'Ivernois, je veux bien ne pas les ren- 
voyer; mais j'ai là-dessus deux choses à vous dire^ 
et je vous les dis pour lu. dernière fois : l'une , qu'à 
faire aux gens des cadeaux malgré eux, et à les 
servir à notre mode et non pas à la leur, je vois 
plus de vanité que d'amitié ; l'autre , que je suis 
très - déterminé à secouer toute espèce de joug 
qu on peut vouloir m'imposer malgijé moi , quel 



4^8 CORRESPOND A l<r CE. 

qu'il puisse être; que quand cela ne peut se faire 
qu'en rompant, je romps, et que quand une fois 
j'ai- rompu , je ne renoue jamais ; c'est pour la vie. 
Votre amitié, monsieur , m'est trop précieuse pour 
que je vous pardonnasse jamais de m'y avoir Eût 
renoncer. 

Les cadeaux sont un petit commerce d'amitié 
fort agréable quand ils sont réciproques : mais ce 
commerce demande de part et d'autre de la peine 
et des soins*; et la peine et les soins sont le fléau 
de ma vie ; j'aime mieux un quart d'heiire d'oisi- 
veté que toutes les confitures de la terre. Voulez- 
vous me faire des présents qui soient poui: mon 
cœur d'un prix inestimable, procurez -moi des 
loisirs, sauvez-moi des visites , fournissez-moi des 
moyens de n'écrire à personne ; alors je vous de- 
vrai le bonheur de ma vie , et je reconnaîtrai les 
soins du véritable ami ; autrement non. 

M. Marcuard est venu lui cinq ou sixième : je- 
bds malade , je n'ai pu le voir ni lui ni sa compa- 
gnie. Je suis bien aise de savoir que les visites que 
vous me forcez de faire m'en attirent. Maintenant 
que je suis averti , si j'y suis repris ce sera ma 
faute. 

Votre M. de Fournière, qui part de Bordeaux 
pour me venir voir, ne s'embarrasse pas si cela 
me convient ou non. Comme il fait tous ses petits 
arrangements sans moi, il ne trouvera pas mau- 
vais, je pense, que je prenne les miens sans lui. 

Quant à M. Liotard, son voyage ayant un but 
déterminé qui se rapporte plus à moi qu'à lui , il 



ANNÉE J765. 4^9 • 

mérite une exception, et il. l'aura. Les grands ta-, 
lents exigent des égai^ds. Je ne réponds pas qu'il 
me trouve en état de me laisser peindre , mais je 
réponds qu'il aura lieu d'être content de la ré- 
ception que je lui ferai. Au reste , avertissez-le que 
pour être sûr de me trouver, et de me trouver 
libre , il ne doit pas venir avant le 4 ou le 5 de 
septembre. 

Je suis étonné du front qu'a, eu le sieur Durey 
de se présenter chez vous, sachant que vous m'ho- 
norez de votre amitié. Je ne sais s'il a fait ce qu'il 
vous a dit: mais je suis Ijii^n sûr qu'il ne vous a 
pas dit tout ce qu'il a fait, C'est le dernier des mi- 
sérables. 

J'ai vu depuis quelque temps beaucoup d'An-, 
glais ; mais M. Wilkes n'a pas paru, que je sache. 
Je vous embrasse de tout mon c^eur. 



LETTRE DCXVII. 

A M. MOULTOU. 

Motîers, le i5 août iy66r, ' 

J'ai tort , cher Moultou^^ dé .ne Vous avoir pas 
accusé sur-lerchaxi^p la réception <Je l'aident et de 
l'étoffe. Je n'ai que mon état pour excuse^ mais 
cette excuse n'est que trop bonne malheureuse- 
ment. Cet état e§t toujours le même , et ma seule 
consolation est qu'il ne peut plus guère changer 
en pis. Il n'y a plus aucune apparence au voyage 



43o CORRESPOND ABTCE. 

d'Ecosse. C'était là que j'aurais voulu vivre; mais 
tout pays est bon pour mourir, excepté toutefois 
celui-ci, quand on laisse quelque chose après soi. 

Je crois que vous avez bien fait de vous détacher 
de Yemes. Les gens faux sont plus dangereux, 
amis qu'ennemis : d'ailleurs c'est une petite perte; 
je lui ai toujours trouvé peu d'esprit avec beau- 
coup de prétention : mais je l'aimais , le croyant 
bon honmie. Jugez comment j'en dois penser au- 
jourdTiui que je sais qu'il n'est qu'un mécl&nt 
sot. Cher ami , ne me parlez plus de lui , je vous 
prie ; ne joignons pas aux sentiments douloureux 
des idées déplaisantes : la paix de Taitie est le seul 
bien qui reste à ma portée , et le plus précieux 
dont je puisse jouir ; je m'y tiens. J'espère qu'à ma 
dernière heure le scrutateur des cœurs ne trou- 
vera dans le mien que la justice et l'amitié. 

Puisque vous n'avez pas voulu déduire ni me 
marquer le prix de la laine, comme je vous eq 
avais prié , j'exige au moins que vous ne vous mê- 
liez plus des autres commissions de mademoiselle 
Le Vasseur, qui me chaîne de vous présenter ses 
remerciements et ses respects. Pour moi , dans l'é- 
tat où je suis, à moins qu'il ne change, il ne me 
^ùt phis d'autres prrovisions que celles qu'ôti. pciit 
emporter avec soi! ÏKvnjour, fpiôli airii ; je vohs 
pmbratsse; 



• ft« 



ANNÉE 1765. 4^1 



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LETTRE DGXVIli: . 

A M. D'ÏVERNOIS. 

Motiers, le ^S août 1765. 

Engagez, monsieur, je. vous en prie, M. Liotard 
non - seulement à venir seul , à moins qu'il ne lui 
soit extrêmement agréable de v^nir avec M. Wilkes , 
mais à différer son départ jusqu'au mois d'octobre : 
car, en vérité, l'on ne me laisse plus respirer. Il 
m'est absolument nécessaire de reprendre ha- 
leine ; et lorsqu'une compagnie que j'attends à la 
fin du mois sera repartie, je- serai forcé de partir 
moi-même pour quelque temps , pour éviter quel- 
ques-unes des bandes qui-me tombent, non plusi 
par deux ou trois, comme autrefois, mais .par 
sept ou huit à la fois, . 

Vous ave^ eu bien tprt d'iiQagil^r que je vou- 
lusse cesser de vous .écrira, ptristqtte l'exceptioii 
est faite pour vous depuis long-temps^ Il est vrai 
que je vo.udrajis que cdane devint une tâche oné- 
reuse ni po^r voua ^i pour. moL Ecnyons à |iok*e 
aise et quand noua ^^ aiu^cms Ja.çpininodité. Me^ift, 
si vous Toulei^ 'm'afiservît^.réguifèreiiient à voi^i 
écrir^.tl)ùs les huil eii .<|uiQacf* jmfrs^.je vous ,df^ 
clare une fois pour toutes que oal^fc ne iQ'^st pi^ 
possible; et, quand vous vous plaindrez de m'a-« 
voir écrit tant de lettres sans réponse, vous vou- 



43a CORRESPONDANCE. 

drez bien vous tenir pour dît une fois pour toutes: 
Pourquoi m'en écrivez^-vous tant? 

Tout en vous querellant j'abuse de votre com- 
plaisance. Voici une réponse pour Venise : vous 
m'avez dit que vous pourriez la faire tenir ; ainsi 
je vous l'envoie, sans savoir l'adresse. Ceux qui 
ont remis la lettre à laquelle celle-ci répond y sup- 
pléeront. Je vous embrasse de tout mon^cœur. 

• 

LETTRE DCXIX. 

A M. DU PEYROU. 

Motiers, le a^ août 1765. 

J'espère que vous serez arrivé à Neuchâtel heu- 
reusement. Donnez-moi de vos nouvelles , mais ne 
vous servez plus de la poste. J'ai résolu de ne plus 
écrire ni de recevoir aucune lettre par cette voie; 
et je suis même forcé de prendre ce parti , puisque 
personne , de ma part , ne peut approcher du bu- 
reau sans y être insulté. Il faut , au lieu db cela , 
se servir de la messagerie , qui part d'ici tous les 
mardis au soir, et de Neuchâtel tous les jeudis au 
soir. Si vos gens sont embarrassés de trouver cette 
fçmme, ils pourront déposer leurs lettres à la 
Couronne y et mesdemoiselles Petitpierre voudront 
bien se charger de l'en charger. Je vous eÀbràs?xï 
de tout mon cœnr. 



ANNÉE 1765. 433 



K . 



LETTRE DCXX. ' 

A M. D'IVERNOIS. 
Neuchâtel,ce lundi 10 septembre 1765. 

Les bruits publics vous apprendront , monsieur , 
ce qui s'est passé, et comment le pasteur de Mo- 
tiers s'est fait ouvertement capitaine de coupe-jar- 
rets. Votre amitié pour moi m'engage à me presser 
de vous tranquilliser sur mon compte. Grâces au 
ciel je suis en sûreté , et hors de Motiers , où je 
compte ne retourner de ma vie : mais malheureu- 
sement ma gouvernante et mon bagage y sont en- 
core ; mais j-'espère que le gouvernement donnera 
des ordres qui contiendront ces enragés et leur 
digne chef. En attendant que vous soyez mieux 
instruit de tout, je vous conseille de ne pas vous 
fier à ce que vous écriront Vos parents, et je suis 
forcé de vous déclarer qu'ils ont pris, dans cette 
occasion, un parti qui les déshonore. Aimez -moi 
toujours; je vous aime de tout mon cœur, et je, 
vous embrasse. 

Adressez tout simplement vos lettres à. M.. du 
Peyrou à Neuchâtel ; et , pour éviter les enve- 
loppes , mettez simplement une croix au-dessus de 
l'adresse ; il saura ce que cela veut dire. 



R. XX. a8 



434 CO ARESPON DAN CE. 






LETTRE DCXXI. 

A J«. DU PEfilOU. 

Ce dimanche k midi 1 5 septembre. 

M. It major Chambrier vient , mon chfer hâ^ , de 
m'envoyer, par un bateaïl exprès, les deû;^ tettrfô 
que M. Jeannin^vait eu la bonté de me fyive pas- 
ser, et qui auraient été assez tôt dans tm hI^Ià d'ici. 
Si vous n'ayez pas la bonté de faire entendre & 
M. le major qu'à moins de cas très -pressants il ne 
feut pas envoyer des bateaux exprès, je ferai des 
frais effix)yables en lettres inutiles, et d'autan! 
plus onéreux, que je ne pourrai pas refuser mes 
lettres , comme je le faîsslk par la poste. J'espérais 
avoir , dans cette île , l'avantage que les lettres me 
parviendraient difficilement, et au contraire j'en 
suis accablé de toutes parts , avec cette difïérence 
qu'il fout payer les bateliers qui les porteiit dix 
fois plu^ que par la poste. Faites -moi Tsunitié, je 
vous supplie , ou de reftiser net toutes celles qui 
vous viendront, ou de les garder toute!» jusqu'à 
quelque occasion moins coûteuse. Si je ne prends 
pks quelque résolution désespérée , je serai, entiè- 
rement écrasé ici paï^les lettres Bt par les visites. 

Je ne sais ce que Vous ïèrez d^ la Fision; eDe 
ne saurait paraître avec les trois fautes efSfroyables 
que j'y tirouve. L'une, page 3, ligne 3, en remon- 
tant , dessous , lisez , des sons ; la seconde , page o, 



ANNÉE 1765. 435 

ligne 4 y ^ remontant , amuseront , Ksez , ameute- 
ront; et la troisième , page 1 5 , 4igne 1 1 , crisj lisei , 
coup. 

J'aurais mille choii^s à vous dire ; le bateau est 
arrivé au moment qu'on allait se metta^ à table , 
et je fais attendre tout le monde pour le dîner, ce 
qui me désole. 

Ijbrsque mademoiselle Le Vasseur ser^- venue 
avec tout mon bagage , illFaut qu'elle attende à Neu- 
chàteltte mes nouvelles, et je népuis m'arrangar 
définitivement qu'après la réponse de Berne, ^^ 
j'aurai msurdi au soir tout au plus tôt. Mille choses 
à tous ceux qui m'aiment, mais point de lettres sur 
toutes choses, si ce n'est pour matières intéres- 
santes. Je vous embrasse. 



LETTRE DCXXIL 

AU MÊME. 
A riie de Sault-PierFQy le z8 septembre xjSS. 

Enfin, mon cher hôte, me voici sur à peu près 
de rester ici, mats avec de si grandes incommodités, 
qu'il faut en vérité toute ma répugnance à m'ë^i- 
gner de voils pour me les (aire endurer. H s'agit 
maintenant cl'avoir ici mademoiselle lie Vasseur 
avec mon bagage. Le receveur compte envoyer 
lundi , ou le premier beau jour de la semaine pro- 
chaine , un bateau chaîné de fruits à Neuchâtcll ; 
et, pour l'amour de moi, il s'est offert d'y»aBer lui- 
même: en conséquence, j'écris àmademmelle Le 

a8. 



436 CORRESPOllïDAlfCE. 

Vasseur de se tenir prête pour profiter d'une si 
tiSitine occasion, du moins pour le bagage; car, 
quant à elle, j'aimerais autant qu'elle cherchât 
quelque autre voiture , pour peu qu'il ne fit pas 
très - beau , ou qu'elle eût quelque répugnance à 
venir sur un bateau chargé. Ayez la ménie bonté 
qui vous est ordinaire , de donner à tout cela le 
coup d'œil de l'amitié. . . 

Je suis si occupé de Aion petit établissement, 
que je ne puis songer à autre chose , ni écrira à per- 
sonne. Je dois cependant des multitudes de lettres, 
surtout à MM. Meuron , Chaillet , Sturler,. Martinet. 
Gomment donc faire? écrire du matin au soir .^ c'est 
ce que je ne puis faire nulle part , surtout dans cette 
île : ils pardonneront. Je vous enverrai la semaine 
prochaine la lettre pour MM. de Couvet. 

Ne comptiez -vous pas paraître cette semaine? 
Donnez-moi des nouvelles de cela. M. de Vautra- 
vers m'a amené hier des ministres dont je me serais 
bien passé. 

Je m'arrange sur ce que vous m'avez marqué de 
la messagerie. Je puis envoyer à la Neuville tous 
les samedis et même tous les mercredis , s'il était 
nécessaire. On ira retirer mes lettres à la poste, et 
Vqïï y portera les miennes ; cela sera plus simple et 
évitera les cascades. Si vos tracas vous permettent 
de me donner un peu au long de vos nouvelles, 
tant mieux ; sinon, un bonjour , je me porte bien, 
me suffit Mille choses auuc^nmiandant de la place 
sous les ordras duquel j'ai fait service une nuit. Je 
vous embrasse. . . . 



ANNÉE 1765. 4^7 



I 



LETTRE DCXXIII. 

AU MÊME. 

Le S 9 septembre. 

En vous envoyant , mon cher hôte , un petit bon- 
jour avec les lettres ci-jointes, je n'ai cpie le temps 
de vous marquer que mademoiselle Le Vasseur, 
vos envois , et mon bagage , me soixt heureusement 
arrivés. Jusqu'ici, aux arrivants près, qui ne ces- 
sent pas , tout va bien de ce côté. Puîsse-t-il en être 
de même du vôtre! Je vous embrasse de tout mon 
cœur. 



LETTRE DCXXIV. 

AU MÊME. 

Ce dimanche 6 octobre, à midi. 

J'envoie , mon cher hôte , à madame la comman- 
dante dix mesures de ponunes reinettes , que je la 
supplie d'agréer, non comme un présent que je 
prends la^ liberté de lui faire, mais en échange du 
café qiie vous m'avez destiné. 

Depuis ma lettre écrite et partie ce matin , j'ai 
reçu votre paquet du 3. Je vois aved douleur le 
procès qu'on vous prépare. Vous avez à faire au 
plus déterminé des scélérats, et vous êtes un homme 



438 CORRBSPOfrDA.NC£. 

de bien : jugez des avantages qu'il aura sur vous. 
Mensonges , cabales , fourberies , noirceurs ; faux 
serments, faux témoins, subornatioi^ de juges; 
quelles armes terribles dont vous êtes privé , et qu'il 
emploiera contre vous ! J'avoue que si sa famille le 
soutient, il faut qu'elle soit composée de membres 
qui se donnent tout ouvertement pour gens de sac 
et de corde; mais il faut s'attendre à tout de la part 
des hommes, et je sois fâché de vous dire que vous 
vivez dans un pays plein de gens d'esprit , mais qui 
n'imaginent pas même qu'il existe quelque chose 
qpx se puisse appeler justice et vertu. J'ai l'ame 
navrée , et tout ceci met le comble à mes malheurs. 
Vous pouvez, si vous voulez, m'envoyelr la petite 
caisse par le retour du bateau qui vous portera les 
pommes et qui la conduira à Cerlier, où je la ferai 
prendre. Mon généreux ami, je vous embrasse le 
cœur ému et les yeux en larmes. 

LETTRE DCXXV. 

AU MÊME. 

Le 7 (M^lobre. 

Voici, mon cher hôte, un troisième paquet.. de* 
puis l'arrivée de mademoiselle Le Vasseur. Gomme 
je vous sais fort occupé, qu'il a £Bdt fort nsiauvais, 
et que votre ouvrage n'a peut-être poiat encore 
paru, je ne suis point en peine de votre silence, 
et J'espère que vous vous portez bien. Pour moi, 



ANHÉE 1765. 439 

je n'en puis pas dire autant, et c'est dommage. Il 
ne me manque que de la santé pour être parfaite-*' 
ment content dans cette île, dont je ne compte plus 
sortir de Tannée. Je vous embrasse de tout mon 
cœur. 

Mille remerciements et très -humbles respects 
de mademoiselle Le Vasseur. 



LETTRE DCXXVI. 

AU MÊME. 

Ce vendredi i r octobre. 

Je suppose , mon cher hôte , que vous aurez reçu 
un mot de lettre où je vous accusais la réception 
du dernier, p^tquet, contenant,^ entre autres, un 
exemplaire de. votre réponse au sicaire de Motiers. 
Deux heures après je reçus votre billet du samedi; 
je n'ai mdntré la réponse à personne, et ne la mon- 
trerai point. Je suis curieux d'apprendre ce que sa 
famille aura obtenu de vous. A l'éloge que vous fai- 
siez de ces gens-là, je croyais qu'ils allaient étouffer 
ce monstre entre deux niatelas. Tant qu'il ne s'est 
montré que demi - coquin , ils ont paru le désap- 
prouver ; mais , depuis qu'il s'est fait ouvertement 
chef de brigands , les voilà tous ses satellites. Que 
Dieu vous délivre' d'eux et moi aussi ! Tirez -vous 
de leurs mains comme vous pourrez, et tenons-^ 
nous désormais bien loin de pareille*^ gens. 



44^ C.ORRESPONl>A.jrCE. 



»^«^^^/^<'»m^^«^<»<%%<%^%^.%%»*«i«» 



LETTRE DCXXVII. 

AU MÊME. 

Mardi soir, i5 octG^ire. 

• 

Voici , mon cher hôte , deux lettres auxquelles 
je vous prie de vouloir bien donner cours. J*ai reçu, 
avec la vôtre du 9, la petite caisse et le café, sur 
lequel vous m'avez bien triché , puisque la quan- 
tité en est bien plus forte que celle en échange è 
laquelle j'envoyais les pommes. 

J'apprends avec bien de la peine et tous vos tracas 
et les maladies successives de tous vos gens , sur- 
tout de M. Jeannin , qui vous est toujours fort utile 
et qui mérité qu'on s'intéresse pour lui. Je vous 
avoue , au reste , que je ne suis ps^f fâché que la 
négociation en question se soit rompue , surtout 
par la faute de ce sacripant; car j'étais presque sûr 
d'avance de ce qu'il aurait édrit et dit à tout le 
monde au sujet du juste désaveu que vous exigiez, 
et qu'il n'aurait pas manqué de donner pour un 
acte de sa complaisance envers sa famille , que vous 
aviez intéressée pour vous tirer d'embarras. Je se- 
rais assez curieux de savoir ce qui s'est fait dans le 
conseil de samedi , fort inutilement au reste , puis- 
que ces messieurs n'ont aucune force pour faire 
valoir leur autorité, et que tout aboutit à des arrêts 
presque clandestins , qu'on ignore ou dont on se 
moque. i-'ifjy 



> 



ANNÉE 1765. 44^ 

J'ai vu ici M. l'intendant de Thôpital, à qui 
M. Sturler avait eu la bonté d'écrire , et qui lui a 
manifesté de meilleures intentions que celles que 
je lui crois en effet. J'ai poussé jusqu'à la bassesse 
des avances pour captiver sa bienveillance qui me 
paraissent avoir fort mal réussi. Ce qui me console 
est que mon séjour ici ne dépend pas de lui , et 
qu'il n'osera peut-être pas témoigner la mauvaise 
volonté qu'il peut avoir, voj^nt qu'en général, on 
ne voit pas à Berne de mauvais œil mon séjour id, 
et que M. le bailli de Nidau paraît aussi m'y voir 
avec plaisir. Je ne sais s'il convient de faire cette 
confidence à M. Chaillet , dont le zèle est quelque- 
fois trop impétueux. Mais, si vous aviez occasion 
d'en toucher quelque chose à M. Sturler , j'avoue 
que je n'en serais pas fâché , quand ce ne serait 
que pour savoir au juste les vrais sentiments de 
leurs excellences à ce sujet; car enfin il serait dé- 
sagréable d'avoir fait beaucoup de ' dépense pour 
m'accommoder ici, et d'être obligé d'en partir au 
printemps. 

Je voudrais de tùvLt mon cœur complaire à M. d'Es- 
cherny; mais convenez qu'il n'aurait guère pu 
prendre plus mal son temps pour mettre en avant 
cette affaire. D'ailleurs ce n'est point ici le moment 
d'en parler , pour des raisons qui ne regardent ni 
Milord, ni M. d'Escherhy , ni moi, et dont je vous 
ferai confidence , quand nous nous verrons ", sous 
le' sceau du secret. Ainsi je suis prêt à renvoyer à 
M. d'Escherny ses papiers, s'il est pressé : s'il ne 
l'est pas , ld(Sp|àips peut venir d'en faire usage , et 



44'-^ CORRESPOND A.1VGE. 

alors il doit éti'e sûr de ma bonne volonté; mais je 
ne puis rien promettre au-delà. 

En parcourant votre ouvrage, j'avais trouvé quel- 
ques corrections à faire ; mais le relisant à la hâte, 
je n'en ai su retrouver que trois marquées dans le 
papier çi-joint. 

Voici quelques notes de conmiissious . qui ne 
pressent point , et dont vous ferez celles que vous 
pourrez , lorsque vous viendrez ici , puisque vous 
me flattez de venir bientôt. 

i^ Les deux rasoirs que vous m'avez donnés sont 
déjà gâtés, Boit par la maladresse de mes essais, 
soit à cause de l'extrême rudbsssè dé ma barbe; il 
m'en faudrait au moins encOï'e quatre , afin que je 
n'eusse pas sans cessé recours à des expédients très- 
incommodes dans ma position , pour les faire re- 
passer. Mais peut-être les faudrait-il un peu moins 
fÎBs poiu* une si forte barbe. 

a® J^aurais besoin d'un cahier de papier doré 
pour mes herbiers ; je préférerais du papier doré 
en plein à celui qui a des ramages. 

J'ai peine à me désaccoutumer tout d'un coup 
délire la gazette , et à ne plus rien savoir des affaires 
del'Europe. Comme vous prenez et gardez, je crois, 
quelque gazette , si M. Jeannin voulait bien me les 
envoyer suite après suite dans les occasions, je se- 
rais très -attentif à n'en point égarer, et à les lui 
renvoyer de même. Je ne me sçucie point de ga- 
zettes récentes, ni d'avoir souvent des paquets; il 
lée suffira seulement qu'il n'y ait point d'interrup- 
tion, d^ns la suite ; du reste , le temfnijsky fait lîen. 



ANWÉJR 1765. 443 

J'ai cessé de les lire depuis le premier septembre. 
Dans l'accord pour ma pension , il entre , entre 
autres choses, une étr^nne annuelle pour madame 
la receveuse. Ne pourriez-vous pas m'aider à trouver 
quelque cadeau honnête à lui faire , et qui cepen- 
dant ne passât pas trente à trente -six francs de 
France? Je sais qu'elle a envie d'avoir une tabatière 
de femme. Nous avons jusqu'à la fin de l'année , 
mais la rencontre peut venir plus tôt. Voilà tout 
ce qui me vient à présent; mais je sens qu€ j'oublie . 
bien des choses. Mille pardons et embrassements. 

* 

LETTRE DCXXVIIL 

AU MÊME. 

Ile de Saint -Pierre, le 17 octobre 176$. 

On me chasse d'ici., mon cher hôte. Le climat 
de Berlin est trop rude.pour moi; je me détermine 
à passer en Angleterre , où j'aurais dû d'abord aller. 
J'aurais grand besoin de tenir conseil avec vous; 
mais je ne pms aller, à Neuchàtel : voyez si Vous 
pourriez par charité vous dérober à vos a£hire$ 
pour faire un tour jusqu'ici. Je vous embrasse. 



4^44 COAR£SP(»rDANC£. 



LETTRE DCXXIX. 

A M. DE GRAFFENRIED, 

BAILLI A NIDAU. 

■ Ile de Saint-Pierre y le 1 7 octobre 1765. 

, - Monsieur, 

J'obéirai à l'ordre de leurs excellences avec le 
regret de sortir de votre gouvernement et de votre 
voisinage, mais avec la consolation d'emporter votre 
estime et celle des honnêtes gens. Nous entrons 
dans une saison dure , surtout pour un pauvrfe in- 
firme : je ne suis point préparé pour un long voyage, 
et mes affaires demanderaient quelques prépara- 
tions. J'aurais souhaité, monsieur, qu'il vpus eût 
plu de me marquer si l'on m'ordonnait de partir 
sur-le-champ, ou si l'on voulait bien m'accocder 
quelques semaines pour prendre les arrangements 
nécessaires à ma situation. En attendant qu'il vous 
plaise de me prescrire un terme , que je m'eÉfor- 
cerai même d'abréger, je supposerai qu'il m'est 
permis de séjourner ici jusqu'à ce que j'aie mis 
l'ordre le plus pressant à mes affaires. Ce qui me 
rend te retard presque indispensable est que, 
sur les indices que je croyais sûrs, je me suis ar- 
rangée pour passer ici le ^:èste de ma vie avec l'a- 
grément tacite du souverain. Je voudrais être sûr 



ANITEE 1765. 44^ 

que ma visite ne vous déplairait pas ; quelque pré- 
cieux que me soient les moments en cette occa- 
sion, j'en déroberai de bien agréables pour aller 
vous renouveler, monsieur , les assurances de mon 
respect. 



LETTRE DCXXX, 

AU MÊME. . 
Ile de Saint-Pierre, le 30 octobre 1765. 

Monsieur, 

Le triste état où je me trouve çt la confiance 
que j'ai dans vos bontés me déterminent à vous 
supplier de vouloir bien faire agréer à leurs.excel- 
lences une proposition qui tend à me délivrer une 
fois pour toutes des tourments d'une vie orageuse , 
et qui va mieux , ce me semble , au but de ceux 
qui me poursuivent que ne fera mon éloignemeilt. 
J'ai consulté ma situation , mon âge , mon humeur, 
mes forces; rien de tout cela ne me permet d'en- 
treprendre en ce moment, et sans préparation , de 
longs et pénibles voyages , d'aller eï*rant dans des 
pays froide , et de me fatiguer à chercher au loin 
un asile , dans une saison où mes infirmités ne me 
permettent pas même de sortir de la chambre. Après 
ce qui s'est passé, je ne puis me résoudre à rentrer 
dans le territoire d^ Neuchâtel^ où la protection 
du prince et du gouvernement ne saturait iHe ga- 



44^ CORBESPONDATCCE. 

rantir des fureurs d'une populace excitée, qui ne 
connaît aucun frein ; et vous comprenez , monsienr, 
qu'aucun des états voisins ne voudra ou n'osera 
donner retraite à un malheureux si durement chassé 
de celui-ci. 

Dans cette extrémité, je ne vois pour moi qu'une 
seule ressource , et , quelque effrayante qu'elle pa- 
raisse, je la prendrai non-seulanent sans répu- 
gnance , mais avec empressement , si leurs excel- 
lences veulent bien y 'consentir; c'est qu'il leur 
plaise que je passe en prison le reste de mes jours 
dans quelqu'un de leurs châteaux , ou tel autre lieu 1 
de leurs états qu'il leur semblera bon de choisir. 
J'y vivrai à mes dépens, et je donnerai sûreté de 
n'être jamais à leur charge; je me soumets à n'a- 
voir ni papier , ni plume , ni aucune communica- 
♦ion au-dehors , si ce n'est pour l's^solue nécessité 
et par le canal de ceux qui seront chargés de moi; 
seulement qu'on me laisse , avec l'usage -de quel- 
ques livres , la liberté de me promener quelqpiefois 
dans un jardin , et je suis content. 

Ne croyez point , monsieur , qu'iili expédient si 
violent en apparence soit le fruit du désespoir; 
j'ai l'esprit très - calme en ce moment : je me suis 
^nné le temps d'y bien penser, et c'est d'après la 
jpt'ofoiide considération de mon état que je na'y dé- 
termine. Considérez, je vous supplie, -que si ce 
paiti e^t extraordinaire, ma situation l'est encore 
plus : mes malheurs sont sahs exemple ; la vie ora- 
^eute q^^ J6 mène sans relâche, depuis plusieurs 
es , serait terrible pour un homme e» santé ; 



ANNÉE 1765. 447 

jugez ce qu'elle doit être pour un pauvre infirme 
épuisé de maux et d^ennuis , et qui n'aspire qu'à 
mourir en paix. Toutes les passions sont éteintes 
dans mon cœur ; il n'y reste que Tardent désir du 
repos et de la retraite ; je les trouverais dans l'habi- 
tation que je demande. Délivré des importuns, à 
couvert de nouvelles catastrophes, j'attendrais 
tranquillement la dernière, et, n'étant plus ins- 
truit de ce qui se passe dans le monde, je ne se- 
rais plus attristé de rien. J'aime la liberté, sans 
doute , mais la mienne n'est point au pouvoir des 
hommes , et ce ne seront ni des murs ni des clefs 
qui me l'ôteront. Cette captivité, mpnfiieiu*, me 
parait si peu terrible , je sens si bien que je joui- 
rais de tout le bonheur que je puis encore espérer 
dans cette vie, que c'est par là même quo, quoi- 
qu'elle doive délivrer mes ennemis de toute inquié- 
tude à mon égard, je n'ose espérer de l'obtenir; 
mais je ne veux rien avoir à. me reprocher vis-à-vis 
de moi, non plus cpie vis-à-vis d'autrui: je veux 
pouvoir me rendre le Ij^oignage que j'ai tenté 
tous les moyens praticablea et honnêtes ^ui pou- 
vaient m'assurer le repps , et prévenir les nouveaux 
orages qu'on me force d'aller chercher. 

Je connais, monsieur, les ^enJtiments d'huma- 
nité dont votre was^^énéreme est r^mpUe : y^ sens 
tout ce qu'une grâce de cette espèce peut vous 
coûter à demander ; mais quand vous aurez com- 
pris que , vu ma situation , cette grâce en serait en 
effet une très-grande pour moi, ces mêmes senti- 
ments, qui font votre répugnance, me sont ga- 



Utfi CORRESPONDANCE. 

irants que vous saurez la surmonter. J^attends , pour 
prendre définitivement mon parti , qu'il vous plaise 
de m'honorer de quelque réponse. 

Daignez, monsieur, je vous supplie, agréer mes 
excuses et mon respect. 

« 



LETTRE DCXXXI. 

AU MÊME. 

Le a a octobre 1765. 

• > > 

Je puis-, monsieur, quitter samediprochain l'île 
de Saint -Pierre, et je me conformerai en cela à 
Tordre de leurs excellences ; mais , vu l'étendue de 
leurs états et ma triste situation, il m'est absolu- 
ment impossible de sortir le même jour de l'en- 
ceinte de leur territoire. J'obéirai en tout ce qui 
me sera possible. Si leurs excellences me veulent 
• punir de ne l'avoir pas fait , elles peuvent disposer 
à leur gré de ma personne* et de ma vie : j'ai ap- 
pris à m'attendre à tout de la part des hommes; 
ils ne prendront pas mon ame au dépourvu. 

Recevez , homme juste et généreux , les assu- 
rances de ma respectueuse reconnaissance, et d'un 
souvenir qui ne sortira jafnais de mon cœur. 



ANNÉE 1765. • /|4t^ 



LETTRE DCXXXII. 

A M. DU PEYROU. 

Vendredi matin , a 5 octobre. 

Je vous prie de tâcher d'obtenir de quelqu'un 
qui connaisse cette «route un itinéraire exact, avec 
les noms des villes, bourgs, lieux, et bonnes au- 
berges. Vous pourrez me l'envoyer à Baie ou à 
Francfort, par une adresse que je demanderai k 
M. de Luze. Je pars à l'instant. Je vous embrasse 
mille fois. 



LETTRE DCXXXIU. 

A M. DE GRAFFENRIED. 

Sienne y le a 5 octobre 1765. 

Je reçois, monsieur , avec reconnaissance les nou« 
velles marques de vos attentions et de vos bontés 
pour moi; mais je n'en profiterai pas, pour le pré- 
sent : les prévenances et sollicitations de MM. de 
Bienne me déterminent à passer quelque temps 
avec eux, et, ce qui me flatte, à votre voisinage. 
Agréez, monsieur, je vous supplie, mes Remer- 
ciements, mes salutations et mon respect. 



R. XX. 29 






45o GORRESPONOAlfCE. 

LETTRE DCXXXIV. 

A M. DU PEYROU. 

Sienne » le a 7 octobre 1765. 

J'ai cédé, mon cher hôte, aux caresses et aux 
sollicitations; je reste à Bienne, résolu dy passer 
ITiîver , et j'ai lieu de croire que je l'y passerai tran- 
quillement. Cela fera quelque changement dans 
nos arrangements , et mes effets pouvant me venir 
joindre avec mademoiselle Le Vasseur, je pourrai, 
pendant l'hiver, faire moi-même le catalogue de 
mes livres. Ce qui me flatte dans tout ceci , est que 
je reste votre voisin, avec l'espoir de vous voir 
quelquefois dans vos moments de loisir. Donnez- 
moi de vos nouvelles et de celles de nos amis. Je 
vous embrasse de tout mon cœur. 



LETTRE DCXXXV, 

AU MÊME. 

Bienne, lundi aS octobre 1765. 

On m'a trompé , mon cher hôte , je pars demain 
matin avant qu'on me chasse. Donnez-moi de vos 
nouvelles à Baie. Je vous recommande ma pauvre 
gouvernante. Je ne puis écrire à personne , quelque 
désir que j'en aie; je n'ai pas même le temps de 
respirer, ni la force. Je vous embrasse. 



ANNÉE 1765. 45i 

LETTRE DCXXXVI. 

AU MÊME. 

A Bàle, 3o octobre. 

% 

J'arrive malade , mais sans grand accident. M. de 
Luze a eu soin de me pourvoir d'une chambre , 
sans quoi je n'en aurais point trouvé , vu la foire. 
Je partirai pour Strasbourg le plus tôt qu'il me 
sera possible, peut -être dès demain ; mais je suis 
parÊdtement sûr maintenant qu'il m'est totalement 
impossible de soutenir à présent le voyage de Ber- 
lin. J'ignore absolument ce que je ferai ; je renvoie 
à délibérer à Strasbourg. Je souhaite fort d'y rece- 
voir de vos nouvelles. Je compte loger à V Esprit y 
chez M. Weisse; cependant, n'étant encore bien 
sûr de rien , ne m'écrivez à cette adresse que ce 
qui peut se perdre sans inconvénient. Mon cher 
hôte , aimez - moi toujours. Je vous aime et vous 
embrasse de tout mon cœur. 

« 

LETTRE DCXXXVIL 

A M. DE LUZE. 

Strasbourg, le 4 QOTembre 176$. 

J'arrive , monsieur, du plus détestable voyage , à 
tous égards, que j'aie fait de ma vie. J'arrive ex- 



45i CORRESPOND AN CE- 

cédé , rendu ; mais enfin j'arrive, et , grâces à vous, 
dans une maison où je puis me remettre et re- 
prendre haleine à mon aise, car je ne puis songer 
à reprendre de long-temps ma route ; et si j'en ai 
encore une pareille à celle que je viens de faire, il 
me sera totalement impossible de la soutenir. Je 
ne me prévaux point si tôt de votre lettre pour 
M. ZoUicoffer; car j'aime fort le plaisir de prince 
de garder l'incognito le plus long - temps qu'on 
peut. Que ne puis-je le garder le reçte de ma vie! 
je serais encore un heureux mortel. Je ne sais au 
reste comment m'accueilleront les Français ; mais 
s'ils font tant que de me chasser, ils ne choisiront 
pas le temps que je suis malade, et s'y prendront 
moins brutalement que les Bernois. Je suis d'une 
lassitude à ne pouvoir tenir- la plume. Le cocher 
veut repartir dès aujourd'hui. Je n'écris donc 
point à M. du Peyrou : veuillez suppléer à ce que 
je ne puis faire ; je lui écrirai dans la semaine in- 
failliblement. Il faut que je lui parle de vos atten- 
tions et de vos bontés mieux que je ne peux faire 
à vous-même. Ma manière d'en remercier est d'en 
profiter ; et ,* sur ce pied , l'on ne peut être mieux 
remercié que vous l'êtes: mais il est juste que je 
lui parle de l'effet qu'a produit sa- recpmmanda- 
tion. Bonjour, monsieur; bonne foire et bon 
voyage. J'espère avoir le plaisir de vous embrasser 
encore ici. 



ANNÉE 1765. 453 



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LETTRE DCXXXVIM. 

A M. DÛ PEYROU. 

Strasbourg, le 5 novembre 1765. 

Je suis arrivé , mon cher hôte , à Strasbourg sa- 
medi , tout-à-fait horis d'état de continuer ma route , 
tant par l'effet de mon nïal et de la fatigue , que 
par la fièvre et une chaleur d'entrailles qui s'y sont 
jointes. Il m'est aussi imposi^le d'aller maintenant 
à Potzdam qu'à la Chiiie , et je ne sais plus trop ce 
que je vais devenir; car probablement on ne me 
laissera pas long-temps ici. Quant on est une fois 
au point où je suis , on n'a plus de projets à faire ; 
il ne reste qu'à se résoudi'è à toutes choses , et plier 
la tête sous le pesant joug dé la nécessité. 

J'ai écrit à Milord Maréchal; je voudrais at- 
tendre ici sa réponse. Si l'on me chasse, j'irai 
chercher de l'autre côté du Rhin quelque huma- 
nité , quelque hospitaËté ; si je n'en trouve plus 
nulle part , il faudra bien chercher quelque moyen 
de s'en passer. Bonjour, non plus mon hôte, mais 
toujours mon ami. Greorge Reitt et vous m'atta- 
chez encore à la yie ; de tels liens ne se rompent 
pas aisément. 

Je vous embrasse. 






454 CORRESPONDANCE. 



LETTRE DCXXXIX. 

AU MÊME. 

Strasbourg y le lo noTembre i76£l. 

Rassurez-vous , mon cher bote , et rassurez nos 
amis sur les dangers auxquels vous me croyez ex- 
posé. Je ne reçois ici que dés marques de bienveil- 
lance , et tout ce qui commande dans la ville et 
dans la province paraît s'accorder à me Ëivoriser. 
Sur ce que m'a dit M. lé maréchal, que je vis hier, 
je dois me regarder comme aussi en sûreté à Stras- 
bourg qu'à Berlin. M. Fischer m'a servi avec toute 
la chaleur et tout le zèle d'un ami , et il a eu le plai- 
sir de trouver tout le .monde aussi bien disposé 
qu'il pouvait le désirer. On me fait apercevoir bien 
agréablement que je ne suis plus en Suisse. 

Je n'ai que le temps de vous marquer ce mot 
pour vous rassurer sur mon compte. 

Je vous embrasse de tout v^çn cœur. 



LETTRE DCXL. 

AU MÊM£. 

Strasbourg, k 17 novembre 176$. 

Je reçois , mon cher hôte, votre lettre n*^ 6. Vous 
liurez vu par les miennes que je renonce absolu- 



\NNEE 1765. 455 

ment au voyage de Berlin , du moins pour cet hi- 
ver, à moins que Milord Maréchal , à qui j'-ai écrit , 
ne fût d'un avis contraire. Mais je le connais ; il 
veut mon repos sur toute chose , ou plutôt il ne 
veut que cela. Selon toute apparence , je passerai 
l'hiver ici. On ne peut rien ajouter aux marques de 
bienveillance, d'estime, et même de respect, qu'on 
m'y donne , depuis M. le maréchal et les chefs du 
pays, jusqu'aux derniers du peuple. Ce qui vous 
surprendra est que les gens d'église semblent vou- 
loir renchérir encore sur les autres. Ils ont l'air de 
me dire dans leurs manières : Distinguez - nous de 
vos ministres; vous voyez que nous ne pensons pas 
comme eux. 

Je ne sais pas encore de quels livres j'aurai be- 
soin ; cela dépendra beaucoup du choix de ma de- 
meure ; mais, en quelque lieu, que ce soit, je suis 
absolument déterminé à reprendre la botanique. 
En conséquence , je vous prie de vouloir bien faire 
trier d'avance tous les livres qui en traitent, fi- 
gures et autres , et les bien encaisser. Je voudrais 
aussi que mes herbiers et plantes sèches y fussent 
joints; car, ne connaissant pas à beaucoup près 
toutes les plantes qui y soBt , j'en peux tirer en- 
core beaucoup d'instruction sur les plantes de la 
Suisse , que je ne trouverai pas ailleurs. Sitôt que 
je serai arrêté, je consacrerai le goût que j'ai pour 
les herbiers à vous en faire un aussi complet qu'il 
me sera possible, et dont je tâcherai que vous 
soyez content. 

Mon cher hôte , je ne donne pas ma confiance à 



456 GORAESPOtfDANGE. 

demi; visitez, arrangeas tous mes papiers, lisez et 
feuilletez tout sans scrupule. Je vous plaitis de Fen- 
Qui que vous donnera tout ce fatras sans choix, et 
je vous remercie de l'ordre que vous y voudrez 
mettre* Tâchez de ne pas changer les numéros des 
paquets , afin qu'ils nous servent toujours d'indica- 
tion pour les papiers dont je puis avoir besoin. Par 
exemple, je suis dans le cas de désirer beaucoup 
de faire usage ici de deux- pièces qui sont dans k 
numéro i a ; l'une est PjrgmaUon , et l'autre YEn- 
gagement téméraire. Le directeur du spectacle a 
pour moi mille attentions ; il m'a donné pour mon 
usage une petite loge grillée^ il m'a fait Êiire une 
clef d'une petite porte pour entrer incognito ; il 
fait jouer lés fûèces qu'il juge pouvoir ïne plaire. 
Je voudrais tâcher de reconnaître ses honnêtetés, 
et je crois que quelque barbouillage de ma façon, 
bon ou mauvais, lui serait util^ par ]a bienveil- 
lance que le public a pour nK>i , et qui s'est bien 
marquée au Dei^in du village. Si j'osais espérer que 
vous vous laissassiez tenter à la proposition de 
M- de Luze , vous apporteriez ces pièces vous- 
même , et noua nous amuserions à les Êiire répé- 
ter. Mais comme il n'y* nulle copie de PjrgmaUon^ 
il en faudrait faire faire ujâé par précaution , sur- 
tout si, ne venant pas vous-même, vous preniez 
le parti d'envoyer le paquet par la poste à l'adresse 
de M. ZoUicoffer, ou^par occasion. Si vous venez, 
mandez-le-moi à l'avance , et donnez-moi le temps 
de la réponse. Selon les réponses que j'attends, 
je pourrais , si la chose ne vous était pas trop im- 



AlfNiE 1765. 457 

portune, vous prier de permettre que mademoi- 
selle Le Vasseur vînt avec vous. Je vous embrasse. 
Je reçois en ce moment le numéro 7. Écrivez 
toujours par M. ZoUicofîer. 



LETTRE DCXLI. 

A M. D'IVERNOIS. 

A Strasbourg, le a ]( novembre 17 65- 

Ne soyez point en peine de moi , monsieur, grâces 
au ciel , je ne suis plus en Suisse, je le sens tous les 
jours à l'accueil dont on m'honore ici ; mais ma 
santé est dans un délabrement facile à imaginer. 
Mes papiers e% mes livres sont restés dans im dé- 
sordre épouvantable ; la malle que vous savez a 
été remise à M. Martinet, châtelain du Val-de-Tra- 
vers ; vos papiers sont restés parmi les miens ; ri'eti' 
soyez point en peine; ils se retrouveront, mais il 
faut du temps. Vous^ pouvez m'écrire ici ou k Ta-, 
dresse de M. du Peyrou à Neuçhâtel. Vous pouvez 
aussi , et m«me je vous en prie , tirer sur moi à vue 
pour l'argent que je vous dois et dont j'ignore la 
somme. Je ne vous dis rien de vos parents ; mais , 
malgré ce que vous m'avez feit dire par M. De- 
sarts^, je compte et compterai toujours sur votre 
amitié, comme vous pouvez toujours compter sur 
la mienne*. Je vous embrasse de tout mon cœur. 



46o CORRESPONDANCE. 

déterminé de manière ou d'autre , je vous le man- 
derai. Je TOUS prie de me maintenir dans les bons 
souvenirs de madame de Faugnes , et de lui dire 
que Tempressement de la revoir , ainsi que M. de 
Faugnes , et d'entrcrteAif <îhez etix tme connaissance 
qui s'est faite chez >biiB, entre poui^ béâucoop 
dans le désir que j'ai de passer par Paris. J*ajoate 
de grand cœur, et j espère que vous A'en doutez 
pas, que ma tentation d'aller en Angléfcerrt s'au- 
gmente extrêmement par l'agrément de vous y 
suivre , et de voyager avec vous. Voilà quant à pré- 
sent tout ce que je puis dire sur cet article : je 
ne tarderai pas à vous parler plus positivement; 
mais jusqu'à présent cet arrangement est très-dou- 
teux. Recevez mes plus tendres salutations , je voa* 
embrasse, monsieur, de tout mon cœur. 

Prêt à fermer ma lettre , je reçois la vôtre sans 
date, qui contient les éclaircissements que Vous avez 
eu la bonté de prendre avec Guy ^ ce qui lïie dé- 
termine absolument à vous all^r joindre aussitôt 
que je serai en état de souteûîr le voyage. Faites- 
moi entrer dans vos arrangements pour celui de 
Londres : je me réjouis beaucoup de lé faire avec 
vous. Je ne joins pa^ ici ma lettre à M. de Graffen- 
ried, sur ce que vous me marquez qu'elle court 
Paris. Je marquerai à M. Guy lé temps précis de 
mon départ ; ainsi ^ous en pourrez être informé 
par lui. Qu'il ne m'envoie personne , je trouverai 
îcr ce qu'il me faut. Rey m'a envoyé son commis, 
pobr m'emmener en Hollande : il s'en retournera 
comme il est venu. 



ANNÉE 1765. 461 

LETTRE DCXLIV. 

A M. DU fJ^YV^y. 

Strasbourg jl^ )d 'novembre 1765. 

il 

Tout bien pesé, je me détermine à passer en 
A.ngleterre. Si j'étais en état, je partirais dès de- 
main ; mais ma rétention me tourmente si cruelle- 
ment , qu'il faut laisser calmer cette attaque , em- 
ployant ma ressource ordinaire. Je compte éjre en 
état de partir dans huit ou dix jours ; ainsi ne m'é- 
crivez plus ici , votre lettre ne m'j trouverait pas ; 
avertissez , je vous prie, mademoiselle Le Vasseur 
ie la même chose : je compte m'arrêter à Paris 
quinze jours ou trois semaines ; je vous enverrai 
mon adresse avant de partir. Au reste , vous pou- 
vez toujours m'écrire par M. de Luze, que je 
compte joindre àParis pour faire avQc lui le voyage, 
le. suis très- fâché de n'avoir pas encore écrit à ma-^ 
dame de Luze. Elle, me rend bien peu de.justice 
Il ^lle est inquiète de mes sentiments ; ils sont tels 
qu'elle les. mérite, ej c'est tout -dire. Je m'attache 
lussi très-véritablement à son mari. Il a l'air froid 
t\ le coeur chaud ; il ressemble en cela à mon cher 
hôte : voilà les gens qu'il me faut. 

J'apppouve très-fort d'user sobrement de la poste, 
qui en Suisse est devenue im brigandage public : 
elle est plus respectée en France., mais les ports y 
sont exorbitants, et j'ai, depuis mon arrivée ici, 



46a CORRESPOVOÀNGE. 

plus de cent francs de ports de lettres. Retenez et 
lisez les lettres qui vous viennent pour moi; ne 
m'envoyez que celles qui l'exigent absolument; il 
suffit d'un petit extrait des autres. 

Je reçois en ce momràt votre paquet n^ i o. Vous 
devez avoir reçu^-uH)^ de mes lettres où je vous 
priais d'ouvrir toutes celles qui vous venaient a 
mon adresse : ainsi vos scrupules sont fort nul 
placés. Je ne sais si je vous écrirai encore avant 
mon départ ; mais ne m'écrivez plus ici. Je voos 
embrasse de la plus tendre amitié. 



LETTRE DCXLV. 

A M. D'IVERNOIS. 

Strasbourg, le a décembre 176$. 

Vous ne doutez pas , monsieur , du plaisir avec 
lequel j'ai reçu vos deux lettres et celles de M. De- 
luc. On s'attache à ce qu'on aime à proportion 
des maux qu'il nous coûte. Jugez par là si mon 
cdeur est toujours au milieu de vous.. Je suis arrivé 
(jlans cette ville malade et rendu de fatigue. Je m'y 
repose avec le plaisir qu'on a de se retrouver parmi 
des humains , en sortant du milieu ,des bétes fé- 
roces. J'ose dire que depuis le commandant de la 
province jusqu'au dçrnier bourgeois de Strasbourg, 
tout le monde désirerait de me voir passer ici mes 
jours : mais telle n'est pas ma vocation. Hors d'é- 
tat de soutenir la route de Berlin , je prends le 



ANNÉE 1765. 463 

partide passer en Angleterre. Je m'arrêterai quinze 
jours ou trois semaines à Paris , et vous pouvez 
m'y donner de vos nouvelles chez la veuve Du- 
chesne , libraire , rue Saint-Jacques. 

Je vous remercie de la^nlé que vous avez eue 
de songer à mes commissions^^ d'autres prunes 
à digérer; ainsi disposez detf^îrôtres. Quant aux 
bilboquets et aux mouchoirs, je voudrais bien 
que vous pussiez me les envoyer à Paris , car ils 
me feraient grand plaisir; mais, à cause que les 
mouchoirs sont neufs , j'ai peur que cela ne sfoît 
difficile; Je suis maintenant très-en état d'acquit- 
ter votre petit mémoire sansm'incommoder. Il n'en 
sera pas de même lorsque, après les frais d'un 
voyage long et coûteux , j'en serai à ceux de mon 
premier établissement en Angleterre : ainsi, je 
voudrais bien que vous voulussiez tirer sur moi 
•à Paris à vue le montant du mémoire en question'. 
Si vous voulez absolument remettre cette affairé 
au temps où je serai plus tranquille, je vous prie v 
au moins de me marquer à combien tous vos dé- 
boursés se montent , et permettre que je vous en 
fasse mon billet. Considérez , mon bon ami , que 
vous avez une nombreuse famille à qui vous de- 
vez compte de l'emploi de votre temps , et que le 
partage de votre fortune , quelque grande qu'elle 
puisse être, vous oblige à n'en rien laisser dissiper, 
pour laisser tous vos enfants dans une aisance 
honnête. Moi, de mon côté, je serai inquiet sur 
cette petite dette , tant qu'elle ne sera pas. ou payée 
ou réglée. Au reste , quoique cette violente expui- 



l 



464 CORRESPOND Air CE. 

sion me dérange , après un peu d'embarras je me ! 
trouverai du pain et le nécessaire pour le reste de ' 
mes jours, par des arrangemftnts dont je dois vous ! 
avoir parlé ; et quant à présent rien ne me manque 
J'ai tout l'argent qu'il me &ut pour mon voyage 
et au-delà , et , avec uii peu d'économie , je compte 
me retrouver bientôt au courant comme aupara- 
vant. J'ai cru vous devoir ces détails pour tran- 
quilliser votre honnête cœur sur le compte im 
homme que vous aimez. Vous sentez que, dans le I 
désordre et la précipitation d'un départ brusque, 
je n'ai pu emmener mademoiselle Le Vasseur errer 
avec moi dans cette saison , jusqu'à ce que j'eusse 
un gîte; je l'ai laissée à l'île Saint-Pierre, où elle 
est très-bien et avec de très-honnêtes gens. 1( 
pense à la faire venir ce printemps , en Angleterre 
par le bateau qui part dTfverdun tous les an^ 
Bonjour, monsieur; mille tendres salutations à 
votre chère famille et à tous nos amis ; je vous 
•embrasse de tout mon cœur. 



LETTRE DCXLVI. 

A M; D^iVID HUME. 

Strasbourg, le 4 décembre 1765. 

Vos bontés, monsieur, me pénètrent autant 
qu'elles m'honorent. La plus digne réponse que je 
puisse faire à vos offres, est de les accepter, et je 
les accepte. Je partirai dans cinq ou six jours pour 



r 

ANNÉE 1765. 4^5 

îïlter me jeter entre vos bras ; c'est le conseil de 
milord Maréchal , mon ]>rotectear|, mon ami , mon 
père ; c'est celui de madame de BouCQers , dont la 
bienveillance éclairée me guide autant qu'elle me 
console; enfin fose dire c'est celui de mon coeur, 
qui se plaît à devoir beaucoup au plus illustre de 
mes contemporains, dont la bonté surpasse la gloire. 
Je soupire après une retraite solitaire et libre où 
je puisse finir mes jours en paix. Si vos soins bien- 
faisants me la procui^ent, je jouirai tout ensemble 
et du seul bien que mon cœur désire , et du plai- 
sir de le tenir de vous. Je vous salue , monsieur , 
de tout mon cœur. 



LETTRE DCXLVIL 

h M. DE LUZE. 

Paris, le 16 décembre 1765. 

J'arrive chez itiadame Duchesne plein du désir 
de vous voir, de vous embrasser , et de concerter 
avec vous le prompt voyage de Londres, «'il y a 
moyen. Je suis ici dans la plus parfaite sûreté; 
j'en ai en poche l'assurance la plus précise *. Ce- 
pendant, pour éviter d'être accablé, je veux y res- 
ter le moins qu'il me sera possible , et garder le 
pluà parfait incognito , s'il se peut : ainsi ne me dé- 
celez, je vous prie, à qui que ce soit. Je voudrais 
vous aller voir; mais pour ne pas promener mon 

Il avait un passeport du ministre bon pour trois mois. 
R. XX. 3o 



466 CORllESPONl>AIfCE. 

bonnet dans les mets, je désire que vous puissin 
venir vous-même le plus tôt qu'il se pourra. le m» 
embrasse, monsieur, de tout mon cœur*. 






LETTRE DCXLVIII. 

A M. DU PEYROU. 

Paris, le 17 décembre 1765. 

J'arrive d'hier au soir , mon aimable hôte et ami 
Je suis venu en poste , mais avec une bonne chaise, 
et à petites journées. Cependant j'ai failli mourir 
en route ; j'ai été forcé de m'arrêter à Épemay, et 
j'y ai passé une telle nuit, que je n'espérais pla< 
revoir le jour : toutefois me voici à Paris dans un 
état assez passable. Je n'ai vu personne .encore, 
pas même M. de Luze , mais je lui ai écrit en ar- 
rivant. J'ai le plus grand besoin de repos; je 

Cette intention si formelle de garder le plus parfait incognito, et 
l'empressement que nous le verrons bientôt montrer de quitter ce 
théâtre public (lettre ci-après du a 6 décembre), suffisent pour dé- 
mentir ce qui est raconté à ce sujet dans la Correspondance de Grimm 
( première partie , tome t, page i a 4 )• 

« Rousseau est revenu à Paris le 17 décembre. Le lendemain ii 

« s'est promené au Luxembourg en habit arménien Il s'est aussi 

« promené tous les jours à une certaine heure sur le boulevard dans 
« la partie la plus proche de son logement. Cette afTectation de se 
« montrer au public sans nécessité , en dépit du décret de prise de 
« corps , a choqué le ministre , qui avait cédé aux instances de ses 
■ protecteurs , en lui accordant la permission de traverser le royaume 

• pour se rendre en Angleterre. On lui a fait dire par la police de 

• partir sans autre délai, s'il ne voulait être arrêté. En conséquence 
« il quitta Paris le 4 janyier, accompagné de p. Hume. » 



ANNÉE l'yÔS. 467 

Mrtirai le moins que je pourrai. Je ne veux pas 
' itf^xposer derechef aux dîners et aux fatigues de 
.Strasbourg. Je ne sais si M. de Luze est toujours 
d'humeur de passer à Londres; pour moi, je suis 
déterminé à partir le plus tôt qu'il me sera pos- 
sible, et tandis qu'il me reste encore des forces, 
pour arriver enfin en lieu de repos. 

Je viens en ce moment d'avoir la visite de M. de 
Luze , qui m'a remis votre billet du 7 , daté de 
Berne. J'ai écrit en effet la lettre à M. le bailli de 
Nidau ; mais je ne voulus point vous en parler 
pour ne point vou* affliger : ce sont , je crois, les 
seules réticences que l'amitié permette. 

Voici une lettre pour cette pauvre fille qui est à 
nie : je vous prie de la lui faire passer le plus 
promptement qu'il se pourra; elle sera utile à sa 
tranquillité. Dites, je vous supplie, à madame'la 
commandante * combien je suis touché de son sou- 
venir, et de l'intérêt qu'elle veut bien prendre à 
mon sort. J'aurais assurément passé des jours bien 
doux près de vous et d'elle ; mais je n'étais pas ap- 
pelé à tant de bien. Faute du bonheur que je ne 
dois plus attendre , cherchons du moins la tran- 
quillité. Je vous embrasse de tout mon cœur. 

* C'était la mère de da Peyrou , veuve d'un commaudant de Su- 
rinam. 



3o. 



468 CORRESPONDANCE. 



>^^i^^^^%»%«i^>mi^^<^^%^%< * ^%.»t>w 



LETTRE DCXLIX. 

A M. D'IVEBMOIS. 

* 

Paris, k x8 décembre 1765. 

Avant-hier au soir, monsieur, j^arrivai ici très- 
fatigué, très -malade, ayant le phis gran^d besoin 
de repos. Je n'y suis point incognito , et je n'ai pas 
besoin d'y être: je ne me suis jamais caché, et je 
ne veux pas commencer. Comme j'ai pris mon 
parti sur les injustices des hommes , je les mets au 
pis sur toutes choses , et je m'attends à tout de 
leur part, même quelquefois à ce qui efet bien. J'ad 
écrit en effet la lettre à M. le bailli de Nidau ; mais 
la copie que vous m'avez envoyée est pleine de 
contre -sens ridicules et de fautes épouvantables.. 
On voit de quelle boutique elle vient. Ce n'est pas 
la première fabrication de cette espèce, et vous 
pouvez croire que des gens si fiers de leurs iniqui* 
tés np sont guère honteux de leurs falsifications. 
Il court ici des copies plus fidèles de cette lettre, 
qui viennent de Berne , et qui font assez d'effet. 
M. le dauphin lui-même , à qui on l'a lue dans son 
lit de mort , en a paru touché , et a dit là - dessus 
des choses qui feraient bien rougir mes persécu- 
teurs, s'ils les savaient, et qu'ils fussent gens à 
rougir de quelque chose. 

Vous pouvez m'écrire ouvertement chez nia- 
dame Uuchesne où je suis toujours. Cepend.'\nt 



ANNÉE 1765. 469 

î^apprends à l'instant que M. le prince de Conti a 
çgi la bonté de me faire préparer un logement au 
Temple , et qu'il désire que je l'aille occuper^ Je 
ne pourrai guère me dispenser d'accepter cet hon- 
neur ; mais , malgré mon délogement , vos lettres 
sous la même adresse me parviendront également. 



LETTRE DCL. 

AU MÊME. 

Paris, le 30 décembre 1765. 

Votre lettre , mon bpn ami, m'alarme plus qu'elle 
ne m'instruit. Vous me parlez de Milord Maréchal 
pour avoir la protection du roi ; mais de quel reii 
entendez-vous parler? Je puis me faire fort de celle 
du roi de Prusse ; mais de quoi vous servirait-elle 
auprès de la médiation ? £t s'il est question du roi 
de France , quel crédit Milord Maréchal a-t-il à sa 
cour ? Employer cette voie serait vouloir tout gâter. 

Mon bon ami , laissez faire vos amis , et soyez 
tranquille. Je vous donne ma parole que si la mé- 
diation a lieu , les misérables qui vous menacent 
ne vous feront aucun mal par cette voie-là. Voilà 
sur quoi vous pouvez compter. Cependant ne né- 
gligez pas l'occasion de voir M. le résident , pour 
parer aux préventions qu'on peut lui donner contre 
vous : du reste , je vous le répète , soyez tranquille; 
la médiation ne vous fera aucun mal. 

Je déloge dans deux heures pour aller occuper au 



47^ CORRESPOIVB A IVOE. 

Temple Tappartement qui m'y est destiné. Vous ! 
pourrez m'écrire a V hôtel de Saint-Simon^ au Hm \ 
fie^ a Paris, Je vous embrasse de la plus tendre 
amitié. 



**>^**'%f^^^f^0^^,^^^^^^f^^, ^i^%i^fc»»^<V«*— 



LETTRE DCLL 

A M. DE LUZE. 

aa décembre 1765. 

L*affliction , monsieur, où la perte d'un père tefr 
dremcnt aimé plonge en ce moment madame de 
Verdelin, ne me permet pas de me livrer a des 
amusements, tandis qu'elle est dans les larmes. 
Ainsi nous n'aurons point de musique aujourd'hui. 
Je serai cependant chez moi ce soir comme à l'or- 
dinaire; et, s'il entre dans vos arrangements d'v 
passer, ce changement ne m'ôtera pas le plaisir 
de vous y voir. Mille salutations. 



t^^i^<^%^ «/v* 



LETTRE DCLIL 

A MADAME LATOUR. 



À Paris, le a 4 décembre 17J55. 

J'ai reçu vos deux lettres , madame ; toujours de^ 
reproches! Comme, dans quelque situation que je 
puisse être , je n'ai jamais autre chose de vous , je 
me le tiens pour dit , et m'arrange un peu là-dessus. 



L ÀNKÉE 1765. 47 ï 

U ' ' Mon arrivée et mon séjour ici ne sont point un 
î secret. Je ne vous ai point été voir parce que je 
I ne vais voir personne, et qu'il ne me serait pas 
possible , avec la meilleure santé et le plus grand 
loisir, de suffire, dans un si court espace, à tous 
les devoirs que j'aurais à remplir. C'en serait rem- 
plir un bien doux d'aller vous rendre mes hom- 
mages ; mais , outre que j'ignore si vous pardonne- 
riez cette indiscrétion à un homme avec lequel 
Vous ne voulez qu'une correspondance mysté- 
rieuse, ce serait me brouiller avec tous mes an- 
ciens amis de donner sur eux aux nouveaux la 
jpréférence; et, comme je n'en ai pas trop, que 
tous me sont chers, je n'en veux perdre aucun, 
si je puis , par ma faute. 

LETTRE DCLIII. 

A M. DU PEYROU. 

A Paris, le a 4 décembre 1765. 

• 

Je vous envoie, mon cher hôte, l'incluse ou- 
verte , afin que vous voyiez de quoi il s'agit. Tout 
le monde me conseille de faire venir tout de suite 
mademoiselle Le Vasseur, et je compte sur votre 
amitié et sur vos soins, pour lui procurer les 
moyens de venir le plus promptement et le ^lus 
cîommodément qu'il sera possible. Je voudrais 
qu'elle vînt tout de suite , ou qu'elle attendît le 



1 



mois d'avril , parce que je crains pour elle les ap- • 
proches de l'équînoxe où la mer est très-orageusa 
Disposez de tout seloo yotre prudence , en f^àxù., 
pour Tamour de moi y grande attention à sa ohb- ! 
modité et à sa sûreté* | 

Notre. voyage est arrangé pour le oommfSf^ 
men t de janvier ; M. de Luze aura pu vous en rendre 
compte. J'ai l'honneur d'être , en attendant ^ l'bole 
de M. ie prince de Conti. Il a voulu que je fusse 
logé et servi avec une ir^agnificence qu'il saitJHev 
n'être pas selon mon goût ; mais je coiopr^nds que. 
dans la circonstance, il a voulu donner en celais 
témoignage pid^lic de l'estime dont il m'honore. U 
désirait beaucoup me retenir tout-à-fait , et m'éUh 
blir dans un de ses châteaux à douze lieues d'ici: 
mais il y avait à cela une condition nécessaire que 
je n'ai pu me résoudre d'accepter, quoiqu'il ait 
employé durant deux jours consécutifs toute son 
éloquence , et il en a beaucoup , pour me persua- 
der. L'inquiétude où il étsuJt sur mes ressources m'a 
déterminé à hii exposer nos arrangements ; j'ai fait, 
par la mqme raison ^ la même confidence à tous 
mes amis devenus les vôtres, et qui, j*ose le dire, 
ont conçu pour vous la vénération qui vous est 
due. Cependant, une inquiétude déplacée sur tous 
les hasards leur a lait exiger de ixipi une promesse 
dont ii faut que je m'acquitte , très * persuadé que 
c'est un soin bien superflu ; c'est de vous pri^r de 
prendre les mesures convenables pour que , si j'a- 
vais le malheur de vous perdre , je ne fusse p^ii ex- 
posé à mourir de faim. Au reste, c'est un arrange* 



ANNÉE fjSS. 47? 

meut entre vous et vos héritiers , sur lequel il me 
suffit de la parole que vous m'avez donnée. 

On se fait une fête en Angleterre d'ouvrir une 
souscription pour l'impression de mes ouvrages. 
Si vous voulez en tirer parti , j'ose vous assurer 
que le produit en peut être immense, et plus 
grand de mon vivant qu'après ma mort. Si cette 
idée pouvait vous déterminer à y faire un voyagç , 
je désirerais autant de la voir exécutée , que je le 
craignais en toute autre occasion. 

Je ne voudrais pas , mon cher hôte , séparer mes 
livres ; il faut vendre tout ou m'envoyer tout. Je 
pense que les livres , l'herbier et les estampes , le 
tout bien emballé , peut m'être envoyé par la Hol- 
lande , sans que les frais soient immenses, et je ne 
doute pas que MM. Portalès , et surtout M. Paul , 
qui m'a fait des offres si obligeantes , ne veuille 
bien se charger de ce soin. Toutefois, si vous trou- 
vez l'occasion de vous défaire du tout, sauf les 
livres de botanique dont j'ai absolument besoin , 
j'y consens. Je pense que vous ferez bien aussi d« 
m'envoyer toutes les lettres et autres papiers re- 
latifs à mes mémoires, parce que mon projet est 
de rassembler et transcrire d'abord toutes mes 
pièces justificatives ; après quoi je vous renverrai 
les originaux à mesure que je les transcrirai. Vous 
dev«z içn avoir déjà la première liasse ; j'attends , 
pour faire la seconde, une trentaine de lettres 
de 1758, qui doivent être entre vps mains. Pj^- 
malion ne m'est plus nécessaire, n'étant plus à 
Strasbourg ; mais je ne serais pas fâché de pouvoir 



474 CORIlESPOiri>A]VC£. 

lire à mes amis le Léi^ite cfÉphraim, dont beau- 
coup de gens me parlent avec curiosité. 

Je vous écris avec beaucoup de distraction, 
parce qu'il me vient du monde sans cesse , et que 
je n*ai pas un moment à moi. Extérieurement, je 
suis forcé d'être à tous les survenants ; intérieure- 
ment , mon coeur est à vous, soyez-en sûr. Je vous 
embrasse. 

Si vous me répondez sur-le-chftmp , je pourrai 
recevoir encore votre lettre , soit sous le pli de 
M. de Luze, soit directement à V hôtel de Saini-S,' 
mon y au Temple, 



LETTRE DCLIV. 

A M. DE LUZE. 

a6 décembre 1765. 

Je ne saurais, monsietir, durer plus long- temps 
sur ce théâtre public. Pourriez-vous , par charité, 
accélérer un peu notre départ ? M. Hunâe consent 
à partir le jeudi 2 à midi pour aller coucher à Sen- 
lis. Si vous pouvez vous prêter à cet arrangement, 
vous me ferez le plus grand plaisir. Nous n'aurons 
pas la berline à quatre ; ainsi vous prendrez votre 
chaise de poste , M. Hume la sienne , et nous chan- 
gerons de temps en temps. Voyez de grâce , si tout 
cela vous convient, et si vous voulez m'envoyer 
quelque chose à mettre dans ma malle. Mille ten- 
dres salutations. 



ANPriE 1765. 475 



LETTRE DCLV. 

A M. D'IVERNOIS. 

Paris, le 3o décembre 176$. 

Je reçois, mon bon ami, votre lettre du a3. Je 
suis très-fâché que vous n'ayez pas été voir M. de 
Voltaire. Avez-vous pu penser que cette démarche 
me ferait de la peine? que vous connaissez mal 
mon cœur ! Eh ! plût à Dieu qu'une heureuse ré- 
conciliation entre vous, opérée par les soins de 
cet homme illustre, me faisant oublier tous ses 
torts, me livrât sans mélange à mon admiration 
pour lui! Dans les temps où il m'a le plus cruelle- 
ment traité, j'ai toujours eu beaucoup moins d'a- 
version pour lui que d'amour pour mon pay§. 
Quel que soit l'homme qui vous rendra la paix et 
la liberté , il me sera toujours cher et respectable. 
Si c'est Voltaire , il pourra du reste me faire tout 
le mal qu'il voudra ; mes vœux constants , jusqu'à 
mon dernier soupir, seront pour son bonheur et 
pour sa gloire. 

Laissez menacer les jongleurs ; telfiert qui ne tive 
pas^. Votre sort est presque entre les mains de 
M. de Voltaire; s'il est pour vous, les jongleurs 
vous feront fort peu de mal. Je vous conseille et 
vous exhorte, après que vous l'aurez suffisam- 

' C'était la devise de la maison de Solar qu'il expliqua dans un 
repas. Voyei Confessions ^ liv. m. 



476 CORRESPONDANCE. 

ment sondé , de lui donner votre coiiâance. 11 n'est 
pas croyable que, pouvant être l'admiration de 
Tunivers, il veuille en devenir Thorreur : il sent 
trop bien l'avantage de sa position pour ne pas la 
mettre à profit pour sa gloire. Je ne puis penser 
qu'il veuille, en vous trahissant, se couvrir d'in- 
famie. En im mot, il est votre tmique ressource: 
ne vous Fôtez pas. S'il vous trahit, vous êtes perdu, 
je l'avoue ; mais vous l'êtes également s'il ne se 
mêle pas de vous. livrez - vous donc à lui ronck- 
ment et franchement ; gagnez son coeur par cette 
confiance ; prêtez - vous à tout accommodement 
raisonnable. Assurez les lois et la liberté ; mais s^ 
crifiez l'amour -propre à la paix. Surtout aucune 
mention de moi, pour ne pas aigrir ceux quimr 
haïssent ; et si M. de Voltaire vous sert conune i 
le doit, s'il entend sa gloire, comblez -le d'hon- 
neurs, et consacrez à Apollon pacificateur, Phah 
pacatorij la médaille que vous m'aviez destinée. 



PIN DU TOME TROISIÈME DE LA CORRESPOMDAIVCE. 



k^«l>%<«>«^/«^ 



TABLE ANALYTIQUE 

DES 

LETTRES CONTENUES DANS CE VOLUME. 



Lbttre CD VII , à madame Latour. — Il se plaint de ses soupçons 
et de ses reproches. Explications sur sa conduite dans leur com- 
merce é|>iÂfolaire et sur une commission qu'elle lui avait don- 
Bée. P^igc 3 

O^ssRYATiov sur ccttc lettre. 7 

Lbttric CD VIII , à M. Marc Chappuis. — Sur son abdication du 
droit de bourgeoisie. Ibid. 

Lbttre CDIX , au même. — Exposé des motifs qui Font fait re- 
noncer an droit de bourgeoisie. Il lui reprocbe la dureté avec la- 
quelle il le blâme. 8 

LxTTRB CDX f à M. Moultou. — Il lui parie d'une conimîssion et 
de personnages qui avaient besdin de rapprochements pour être 
compris: des recherches les ont procurés. Il est question de Gib- 
bon et de madame Necker. i a 

Note explicative. 1 4 

Lettre. CDXI , à M. A. A* — Eclaircissements sur quelques pus- 
sages de sa lettre à Tarchevéque de Paris. 1 6 

Lettre CDXII , à M. Théodore Rousseau. — Motifs qui l'ont fait 
abdiquer le titre de citoyen. Sa fiimille l'en a blâmé. 1 8 

Lettre CDXIII, à madame Latour. — U se fait des reproches pour 
son inexactitude envers elle. ao 

Lettre CDXTV , à M. Moultou. — Inquiétude sur son silence et 
sur une copie de sa renonciation au droit de bourgeoisie , répan- 
due à Genève. a 3 

Lettre CDXV, au même. — Refus de se justifier vis-à-vis des Ge- 
nevois. Défense précise de prendre son parti. a 4 

Lettre CDXVI , à M. Deluc. — H blâme toute démarche en sa 
faveAr. a 6 

Lettre CDXVII, à M. de Gauffecourt — Regrets qu'il èprodve de 

* ne pouvoir aller rèrhbrasser à Genève. 3o 

Lettre CDXVIII, à M. Ustery. — Éclaircissements sur le huitième 
chapitre du dernier livre du Contrat social. 3 a 

Lettre CLXIX, à son cousin, M. F. H. Rousseau. — Prières de 

ne pas dfnmer suite aux repi'ésentations fiiites à son sujet. U serait 

• déscspéfeé à& âoKmer lieu ati moindre (rouble. ^^ 



478 TABLE ANALYTIQUE. 

Lettre CDXX , à M. Duclos. — Circonstances qui l'ont forcé d'ab- 
diquer le droit de bourgeoisie. . Page 38 
Lettre CDXXI , au même. — Il est dégoûté de la vie et Teati'a | 

délivrer. Il lui recommande Thérèse. ^i 

Lettre CDXXII , à M. Martinet — Sur le même sujet. 11 Tcrt 
partir pour la pairie dés âmes justes. Il le rend dépositaire de son 
testament. ^ 

Lettre CDXXIII , à M. Moultou. -— Humeur contre un ooTiage 
dé M. Vernes. Critique du livre de V Esprit. U souffre , et croit 
pouvoir disposer de son sort. (i 

Lettre CDXXI V, à madame Latour. — U lui fait part des donleon 
qu'il éprouve. ^7 

Lettre CDXXV, à M. d'Ivernois. — Remerciements sur rintéfÀ 
qu'il prend à son affairé. Opinion qu'il en a. ^9 

Lettre CDXXV I , a M. le curé d' Ambérier. —- U lui recommu^ 
Thérèse. So 

Lettre CDXXVII , à M. *** — Il veut désarmer sa sévérité conlit 
son fils. 53 

Lettre CDXXVIII, à M. G*** — U repousse ses avances. ^ 
Lettre CDXXIX, à M. le prince L. E. de Wirtemberg. — U ca- 
sent à entrer en discussion avec lui. &i 
Lettre CDXXX , à madame Latour. — Il s'excuse de son ineu 
titude. ' 5i 
Lettre CDXXXI, à la même. — Sur le portrait qu'elle lui a es- 
voyé. SI 

Lettre CDXXXII , à M. le prince de Wirtemberg Marche qo'i 

compte tenir dans sa correspondance. Il ne promet pas de l'eue* 
titude. S^ 

Lettre CDXXXIII , à M. Regnault • — Refus d'argent. Jamais il 
n'accepte de présents. 61 

Lettre CDXXXIV, à madame Latour. — Sur son portrait qu'il lui 
renvoie. 6s 

Lettre CDXXXV, à madame Dduze-Warney. — RemerciemeDts 
pour des cadeaux de fruits : mais il la prie de ne plus lui en en* 
voyer. 63 

Lettre CDXXXVI , à M. le prince de Wirtemberg. - — Observa- 
tions sur ses devoirs comme prince. Règle à suivre dans l'éduca- 
tion. Conseils instructifs sur ce sujet. , 64 
Lettre CDXXXVll, à M. l'abbé de *** — Conseils remarquables 
donnés à quelqu'un qui demandait a Rousseau ce qu'il fallait faire 
pour vivre en gentilhomme. 80 
Lettre CDXXXVIll , à madame de B ** — Escamotage de Vol- 
taire. Doutes religieux. 81 
ÉcjLAiacissEMEirTs sur cette lettre. Note. Ibid. 
Lettre CDXXXIX, à M, ^ •— CoofeiU à un auteur «{ni k cou- 



TA.BLE ANALYTIQUE. 479 

tultait. La religion de Rousseau , fondée moins sur la conviction 
que sur la persuasion. P^gc 83 

Lbtxeb GDXL , à m. de Conzié. — Sur un ouvrage contre Rous- 
seau. Sentiments touchants. 86 

Lbtt&b GDXLI, à m. • — 'Il ne veut point faire de nouveaux amis, 
et lui donne une leçon un peu sévère. 87 

Lbttrs CDXLII , à m. le prince de Wirtemberg. — Il le félicite ' 
du projet qu'il a d'élever son enfant. 89 

liKTT&E CDXLIII , à M. le curé d'Ambérier. — Il le remercie 9» 

Lettre CDXLIV , à M. d'Ivernois. — Plaisanteries sur une que- 
relle de ménage* 94 

Lettre GDXLV, à madame Latour. — Sur Texigeance de cette 
dame et sa propre inexactitude. 9$ 

Lettre CDXLVI, à madame la comtesse' de Boufflers. — Détails 
sur leurs rapports mutuels. * 97. 

Lettre CDXLVII, à M. l'abbé de ** — Rousseau le plaisante. Dis- 
tinction entre la sagesse et la vertu. (Voy. lettre n** cdxxxvii.) 100 

Lettre CDXLVIII, à M. le prince de Wirtemberg. — • Suite des 
observations sur l'éducation. io3 

Lettre CDXLIX , à madame la marquise de Verdelin. — Sur la 
mort de son mari. Explication. 106 

Lettre CDL , à mademoiselle Julie Bondeli. < — Éclaircissements 
sur un ouvrage qu'on lui attribuait. 108 

Lettre CDLI, à M. d'Escherny. — Il lui parle de sa manière de 
juger: reçoit avec froideur ses avances. 1 10 

Lettre CDLII, à madame Latour. — Il se plaint à son tour du si- 
lence qu'elle observe avec lui. m 

Lettre CDLIII , à M. Panckoucke. — Il approuve son projet de se 
fixer à Paris ; accepte les livres de son imprimerie , à condition 
qu'il ne s'obligera point à les lire. 1 1 a 

Lettre CDLIV, à M. Pictet. — Sentiments touchants sur la patrie. 
En quoi elle consiste. 1 13 

Lettre CDLV, à M. l'abbé de ** — Définitions de l'amour de l'or- 
dre, de l'amour de soi-même, seul motif qui fasse agir les hommes. Ils 
diffèrent trop d'opinions pour continuer leur correspondance. 1 1 S 

Lettre CDLVI , à madame Latour. — Il se plaint encore de son 
silence. 119 

Lettre CDLVII, à M. le prince de Wirtemberg. — 11 explique la 
nature de ses rapports avec Voltaire. i ao 

I^TTRE CDLVIII, à madame de Luze. — Il justifie sa négligence 
dans son commerce épistolaire. t a a 

Lettre GDLIX , à Milord Maréchal. — Expression des regrets 
amers que lui cause leur séparation. Il voudrait écrire les mé- 
moires de la famille de Milord. i a4 

Note à ce sujet. laS 



r 



480 TABLE AWALYTIQïriî. 

Lettre CDLX , à madame Rdguîn. — Préceptes à suhre dus la 
première éducation de son enfant. Ptige nj 

Lettbe CDLXI, à Milord MaréchaL — Ce serait le seul dootS 
accepterait les dons , mais il Tenga^ à en faire à ceitx qui en ont 
besoin. Il a du pain pour le moment. Expression de sa recoiuiaû- 
sance. u^ 

LixTRE CDLXII , au même, — ^.11 l'engage à accoter Tasile qwU 
offre Frédéric. Nouveaux regrets sur leur séparaticm. i3i 

Lettre CDLXIII , à M. A ~ Il est sçnsUble à l'amitié qo'flln 

témoigne. i33 

Lettre CDLXIV, à M. le prince de Wirtembei^. -— Notions r- 
marquables sur la gloire , sur l'indépendance. Progrès du prince 
pour y arriver. i3) 

Lettre CDLXV, à M. le maréchal de Luxemboorg. — Inquiétods 
sur la santé du maréchal- i38 • 

Lettre CDLX VI , à M. d'Ivemoîs. — Il vent être libre dans sa 
C9urses. Commissions pour M. Deluc. 139 

Lettre CDLXVII, à madame Latour. — Il lai donne quelques 
détails sur ses ouvrages , sur le projet d'une édition générale. i|o 

Lettre CDLXVIII, à M. Guy. — Il le prie d'envoyer à madine 
Latour un exemplaire de l'édition de ses ouvrages <pi'il vient è 1 
faire imprimer. i^i 

Lettre CDLXIX, à mademoiselle D. M. — Réflexions sar lescoo- 
naissances qu'elle a acquises, l'usage qu'elle en veut faire, etb 
conduite qu'elle devrait tenir ; les inconvénients de la célâvie 
pour une femme. i^i 

Lettre CDLXX, à madame de Verdelin. — Sur son inclinationft 
ses projets. IM 

Lettre CDLXXI, à mademoiselle Galley. — Peinture chamaote 
du bonheur qui l'attend dans le mariage. i5s 

Lettre CDLXXII, à M. de Sauttersheira. — Il se plaint d'avoii 
été trompé par lui. i54 

Lettre CDLXXHI , à M. de P. — La lettre à l'archevéqne d'Audi 
n'est pas de lui. Baisons pour lesquelles il ne peut écrire pour la 
défense des protestants. i55 

Lettre CDLXXIV, à M. Panckourke. — Critique de l'élève delà 
nature. Éclaircissement sur une édition de ses œuvres. i58 

Lettre CDLXXV, à M. le prince de Wiriemberg. — Il le remer» 
cie des Entretiens de Phocîon que le prince lui envoie. 1 60 

Lettre CDLXXVI , à M. *** — Il lui démontre que la lettre qu'on 
lui attribue n'est pas de lui. Regrets sur la mort de 51. de Luxem- 
bourg. Cette lettre est adressée à M. Duchesne. 161 

Lettre CDLXXVII , à M. Deleyre. — Ses maux Tempéchent de 
discuter avec lui sur l'histoire. Moyen d'entretenir leur corres- 
pondance. 164 



TA.BLE A^NALYTIQÙET. 48l 

Lbttbb GDLXXVm, à madame de Luxembourg. — Éloge da ma- 
réchal; regrets de sa perte. Page 167 
Lbttbb GDLXXIX , à la même. — Nouvelle expression de ses re- 
gi^ts. 168 
Lbttre CDLXXX , à m. de Sauttersheîm. — Reproches sur son 
inconduite. 169 
Lettre CDLXXXI, à M. de Champfort. — Il le remercie de l'ou- 
vrage qu'il lui a envoyé. 17a 

Lettre CDLXXXII , à M. d'Ivernois. — Il est surpris de la persé- 
vérance des citoyens à faire des représentations. 178 

Lettre CDLXXXIII , à M. H. D. P. — Nouveaux motifs qui Fem- 
péchent de prendre la plume en faveur des protestants. 174 

Lettre CDLXXXIV, à madame de Créqui. — Sur la religion, qui 
consiste moins dans ce qu^on croit que dans ce qu'on fait, 177 

Lettre CDLXXXV, à M. Séguier de Saint-Brisson. — Il le blâme 
de causer du chagrin à sa mère. Un fils a toujours tort, S*il ne va 
pas se jeter aux genoux de la sienne il ne veut plus entendre par- 
ler de lui. 178 

Lettre CDLXXXVI, à M. d'Ivernois. — Il lui donne son itiné- 
raire afin qu'ils se rejoignent dans leurs courses. i8a 

Lettre CDLXXXVII, au même. — Il lui donne diverses com- 
missions. i83 

Lbttre CDLXXXVIII, à Milord Maréchal. — Il le remercie de son 
souvenir, lui rend com])te d'un petit voyage qu'il vient de faire, 
et attend les matériaux pour faire l'histoire de sa famille. i85 

Lbttbb CDLXXXIX , à madame la comtesse de Bou£Qers. — Éloge 
du maréchal de Luxembourg. Sur l'éducation qu'elle donne à son 
fils. Situation de son ame. 187 

Lbttbb CDXC, à M. le prince de Wirtemberg. — Intérêt qu'il 
prend à l'éducation de la fille du prince. 1 90 

Lettre CDXCI , à madame Latour. — Il ne peut répondre de son 
exactitude à lui écrire. 193 

Lbttbb CDXCII , à M. duPeyrou. — Arrangements pour une course 
dans les montagnes. 198 

Lettre CDXCIII , au même. — Sa santé le force à changer quel- 
ques dispositions du voyage. 194 

Lbttre CDXCIV, à M. d'Ivemois. — Il passera l'hiver à Motiers. 
Visite du duc de Randan. 19$ 

Lbttbb CDXCVi à M. du Peyrou. — ^Projets pour un petit voyage. 196 

Lettre CDXCVI , à M. Daniel Roguin. — Regrets sur la mort de 
son parent. Manière de mourir en paix. 197 

Lettre CDXCVII , à M. de Champfort. — Remerciements pour 
l'ouvrage qu'il lui a envoyé. Réflexions sur la vertu. 198 

Lbttbb GDXCVIII, à M. du Peyrou. — Éclaircissements sur les 

. asphodèles. aox 

R. XX. 3l 



48si TABLE AHALTTIQUK. 

Lbitiib CDXCIX, à M. Marteau. — Remei oeo i aiU et ^vMfi> p. m 
Lbttbjb D , à m. Laliaod. — Snr les gr av oi rs de son poitnît ss} 
Lkttbjb Dt» à m. le prince de Wirtembei^. — Sur deax^pîapki \ 

que le prince lui aTait adressées, et dont les Terv étaientlrè- I 

maaraîs. m| 

LnrmE DU , à M. de Latour. — Il acocpte le second portiakfrï 

a fiût de lui. mJ 

Lbttiib Din , à M. Le Nieps. — Il Ini enToie la lettre piceédafe 

pour q«*il la remette à H. de Latonr. ss( 

Lettre DIY, à M. Monltoa. — Conseils et réflexions. mS 

Lettre DY , à M. Deleyre. — Il s'excuse de ses torts en^en faû. aM 
Lettre DYI, à H. Foulquier. — Sur on mémoire poor le wi^ 

des protestants. ii» 

Lettre DYII , à H. le comte Charles de Zinzcndorf. Sur Eè 

Sautter^eim. Eloge du prince de Wirtemberg. m 

Lettre D YIII , à madame Latour. — Gommiasian poor soo pu* 

trait peint par Latour. si} 

Lettre DIX, à M. V***. — Il ne yentpas pins qa*on se soamXt 

à ses idées qu*il ne Veut se soumettre à odles d'antmi. si) 

Lettre DX , à madame de Luze. — Il ne peat aller la Toir aïK 

le printemps. ni 

Lettre DXI, à Milord Maréchal. — Inquiet de son silence il liiiR> 

nouvelle l'expression de sa gratitude. ii; 

Lettre DXII , à M. Théodore Rousseau. — Obstacles qui leforccst 

d'être inexact. sit 

Lettre DXIII , à mademoiselle D. M. — Explicaitions mr «a f» 

proquo. Sur la sensibilité. si^ 

Note sur cette méprise. iio 

Lettre DXIY, à M. D^^ — Sur le Dictionnaire phUasophique. Éloge 

de Buffon. 33} 

Lettre D^V , à M. l'abbé de **. — Il le persifle. Réflexions w 

sa foi, sa confession. 33S 

Lettre DXYI, à M. Hirzel. — Remerciements poor le Socnk 

rustique. as^ 

Note sur Hirzel et Gujer. RiiiL 

Lettre DX YII , à M. de Malesherbes. — Il le félicite sur sa re- 
traite. s3o 
Note sur cette retraite. ftid. 
Lettre DXVIII, à M. le P. de Wirtemberg. — Sur ses vers^qû 

ne valent rien ; sur leurs petites élèves : il lui demande un plan 

pour la Corse, a 33 

Lettre DXIX , à M. d'Ivemois. — Il espère le voir bientôt. Comptes 

à régler entre eux. a34 

Lettre DXX , à M. du Peyrou. — Il le consulte pour une édition 

générale de ses écrits. . s95 



TABLE ANALYTIQUE. 4^3 

f iuBTTBE DXXI , à M. DbcIos. — Sur le recueil incomplet de Du- 
I chesne : la prohibition des Lettres de la montagne l'empêche de lui 
I en envoyer un exemplaire. P^gc ^^'J 

, Lbtthb DXXII , à Milord Maréchal. — > Il a le cœur plein de lui. 

Détails sur les Corses. 340 

Lettre DXXIII., à M. du Peyrou. — Il lui donnera sur sa doctrine 

toutes les explications qu'il lui demandera» 343 

Lbttrk DXXIV , à m. Laliaud. • — A la première occasion il lui 

enverra son profil. 34^ 

Lettre DXXV , à M. Abauzit. — Envoi des Lettres de la montagne: 

plaintes sur la nécessité où l'ont mis les Genevois. 344 

Lettre -DXXVI, à M. de Montperoux. — Sur les Lettres de la 

montagne. 34^ 

Lettre DXXVII , à M. du Peyrou. — Projet pour l'édition de ses 

œuvres. 346 

Lettre DXXYIIl , à madame Latour. — Il a reçu le portrait peint 

parLatour. 349 

Lettre DXXIX, à M. d*Iyemois. — Il n'a reçu aucune de ses 

lettres. 3 5o 

Lettre DXXX, à M. Panckoucke. — Élo^e de BufiTon. s5i 

Lettre DXXISII , à M. de Montmollin. — Il n'a pu refuser de dé- 
fendre ses compatriotes. 353 
Lettre DXXXII, à M. D'Ivemois. — Débats au sujet de diverses 

commissions. s 5 3 

Lettre DXXXIII , à M. du Peyrou. — Il lui envoie un libelle contre 

lui. 355 

Lettre DXXXIV , à M. d'Ivernois. — Il croit M. Vemes auteur 

du libelle. 3 56 

Lettre DXXXV, à M. Duchesne. — Il lui envoie avec des notes le 

libelle en question. 357 

Lettre DXXXVI ^ à M. . — Plan qu'on doit suivre pour le 

succès d'un mémoire en faveur des protestants. 360 

Lettre DXXXVII, à M. Séguier de Saint- Brisson. — Il veut le 

détourner du métier d'auteur. 3 63 

Lettre DXXXVIII , à M. Moultou. — Motifs qui lui ont fait écrire 

les Lettres de la montagne. 366 

Lettre DXXXIX , à M. d'Ivernois. — Éloge d'une réponse aux 

Lettres de la campagne. Vœux pour la tranquillité de Genève. 368 
Lettre DXL, à M. de Gauffecourt. — Éclaircissements sur les 

Lettres de la montagne. 373 

Lettre DXLI , à M. Dùclos. — Il le remercie de ses Considérations 

sur les mœurs. Sur le libelle contre lui ; sur le projet d'écrire ses 

• confessions. 378 

Lettre DXLU, à M. d'Ivernois. — Sur le gouvernement de Genève. 

^ Il tend à l'aristocratie. 375 



4^4 TABLE ANALTTIQtrS. f 

ï 
Lbttas DXLIU, i M. Pictet. — C'est par devoir qa'il a écrit Is 

Lettres de la montagne, P||m 279 

Lettre DXLIV, à M. du Peyrou. — Projet de rédhion de m | 
œuvres. sli f 

Lettre DXLV , à M. le comte de B. — Conditions sous lescpcOH i 

il consent ik correspondre avec lui. it3 

Lettre DXLV I » à madame la comtesse de B. — Il est flatté de l'flfit 
qu'elle lui fait d'être parrain de son enfiint. il5 

Lettre DXLVII , à Milord Maréchal. — Il le consulte pour u 
asile, sentant qu'il sera forcé de sortir de la Suisse. il; 

Note sur les plombs de f^enise, 1^ 

LEtTRB DXLVIII , à M. Ballière. — Sur la musique. il) 

Lettre DXLIX , à M. du Peyrou. — Sur le libelle contre loi;b 
conduite de Voltaire. Projet d'aller en Italie : agitation de w 
esprit. ]Q0 

Lettre DL, à M. Saint-Bourgeois. — U le traite arec ironie et sé- 
cheresse pour la lettre impolie qu'il a reçue de lui. su) 

Lettre DLI, à M. Paul Chappuis. — Motifs qui le forcent à se tût 
sur Genève, ,a^ 

Lettre DLII , à madame la marquise de Verdelin Effets de 

Lettres de la montagne. Sur .Voltaire , la Corse et Paolî. 196 

Lettre DLIII , à madame Guyenet. — Plaisanterie sur la brdlun df 

ses ouvrages. ^^ 

Lettre DLIV , à madame de Chenonceaux. — Envoi d'une lettit 

à Tabbé de Mably. 3oo 

Lettre DL V , à M. l'abbé de Mably. — Envoi d'une lettre qo'oi 

lui attribuait et qui était contre Rousseau. 3oi 

Note sur cette lettre. Ibii 

Lettre DLVI , à M. D. ( du Peyrou ). — Sur le libelle contre 

lui. 3oî 

XiBTTRE DLVII , à M. Moultou. — 11 le prie de prendre des info^ 

mations sur le libelle. 3o5 

Lettre DLVIII, à M. Le Nieps. — U ne veut plus se mêler de b 

Corse. Mistification. 3o8 

Lettre DLIX, à madame Latour. — Expression de ses senti- 
ments. 3i3 
Lettre DLX, à Milord Maréchal. — Tracasseries qu'il éprouve. 

Projet de voyage. U le consulte. 3i3 

Lettre DLXI, à M. Deleyre. — Sur lés Lettres de la montagne^ 

l'abbé de Condillac. 3i5 

J^ETTRE DLXIIp à M. du Peyrou. — Sur une édition de ses ceuvres. 

U veut quitter le pays. 3 18 

Lettre DLXIII , à M. Dastier. ^» Sur les Lettres de la montagne. 

Projets de voyage. 3^0 



X-ÀBLE ANALYTIQUE. 4^5 

I LiTTHB DLXIV , à M. Moultou. — Il l'exhorte à la modératioD. 

On ne doit jamais exposer le repos public. Page 323 

II LsTTAs DLXV, à M. le prince de Wirtemberg. — Accaeîl fait à deux 

amis du prince. Sur ses mauvais vers ; sur le Lévite d*Éphraïm. 324 
I Lettre DLXVI, à M. ^'Ivernois. — Résolution de renoncer à 
tout commerce aûu d'ignorer ce qui se passe à Genève. 326 

I LsTTRB DLXVII, à MM. Deluc. — Conseils pour préférer la paix 
à la liberté. 32 8 

Lettre DLXVIII , à M. Meuron. — Il le remercie d'avoir pris sa 
défense. 329 

Lettre DLXIX, à M. de P. — Remerciements pour sa bienveil- 
•lance. Ibid. 

Lettre DLXX, à M. de C. P. A. A. — Il le gourmande de sa 
conduite. 33o 

Lettre DLXXI , à madame la générale Sandoz. — Il préfère l'a- 
mitié à l'admiration. 33 1 

Lettre DLXXïI , à M. Clairault. — Prière de corriger son Diction^ 
naire de musique, 332 

Lettre DLXXIII , à M. du Peyrou. — Il n'a pas le courage de lui 
écrire. 333 

Lettre DLXXIV , au même. — Éclaircissemeuts , marque de con- 
fiance, situation de son ame. Ibid. 

Lettre DLXXV , à M. Moultou. — M. de Montmollin et les mi- 
nistres sont déchaînés contre lui. 338 

Lettre DLXXVI , à M. Meuron. — Visite de M» de Mont- 
mollin. 340 

Lettre DLXXVU , à M. le professeur de Montmollin. — Dé- 
claration de ne plus rien publier. 34 1 

Lettre DLXXVIII, à madame Latour. — Reproches. 342 

Lettre DLXXIX, à M. le P. de Félice. — Il nie avoir fait l'ouvrage 
intitulé, Des Princes, 343 

Lettre DLXXX, à M. du Peyrou. On doit aimer les hommes, 
mais ne jamais compter avec eux. Ils ne quittent le pays qu'après 
l'orage. Ibid. 

Lettre DLXXXI , à M. Meuron. — Remerciements de son intérêt. 
Il sortira du pays dès que sa santé le lui permettra. 346 

Lettre DLXXXII , à madame d'Ivernois. — Sur madame Guye- 
net. 348 

Lettre DLXXXIII , au Consistoire de Motiers. — Irrégularité et 
injustice dans la procédure faite contre lui. 349 

Lettre DCXXXIV » à M. du Peyrou. — Il lui rend compte de ce 
qui se passe à son sujet. 352 

Lettre DLXXXV, à Milord Maréchal — Il le remercie de ses 
offres d'argent. Ses projets. 355 



4BG TABLE ANALTTIQUpC. 

Lettre DLXXXVI, à M. d'Escherny. U npoosse 1« iraocadt 
Diderot. Pigeîij 

Lkttke DLXXXYII, à M. Laliaad Envoi de deux eiqiiuiaà 

80U portrait. 35l \ 

Lettre DLXXXVIXI» à M. d'Ivernois. — -Sur ce qui s'est ïïmk 

Refus d*argent. 3I1 

Lettre DLXXXIX, à M. du Peyrou. — Il n*a pas le tempièb 

écrire. 3(1 

Lettre DXC, à mademoiselle d'Ivernois. Complliiients. M 

Lettre DXCI , à M. Meurou. — Remerciements. 3fl 

Lettre DXCU , à M. du Peyrou Remarques sur l'art 0- 

crire. 3() 

Lktthe DXCIII, au mâme. — Sur l'amour et la charité. 3(' 
Lettre DXCIV , au même. — Sur Famitié. 3ôî 

Lettre DXCV, à M. d*lTemois. — Il le prie de ne plus luip» 

1er de Genève. Embarras des visites. 35: 

Lettre DXCVI, à M. Coindet Il s*excuse de «on inexactitaà 

Sur son abdicatiou du titre de citoyen. Goût pour la bofr 

nique. 3^^ 

Lettre DXCVII, à M. du Peyrou Il le remercie du cadâ 

des œuvres de Linnce, et veut lui inspirer le goût de la boU- 

nique. 3-^1 

Lettre DXCVIII, au même. — Divers projets. S^t 

Lettre DXGIX, au même. — Conseils pour se miérir des 

goutte. 3-, 

Lettre DG, au même. — Il lui renvoie un mémoire. 38« 

Lettre DCI, à M. Pauckoucke. ~— Oubli de leurs torts réciproques 

Sur les tracasseries qu'il éprouve. 3gi 

Lettre CDU, à M. d*Ivernois. — U est inquiet de lui. 333 

Lettre DCIII , à M. KlupfTcl. — Il lui rappelle leur an^^mte 

liaison. 3gj 

Lettre DCIV, Billet à M. de Voltaire. — Démenti formel. 385 

Lettre DCV, à M. d'Escherny. — Remerciements. 38* 

Lettre DCVI, à M. du Peyrou. — Précaution à prendre pour leur 
lierborisatiou. , Hji 

Lettre DCVII, au même. — Sur le même sujet. U est tombé ma- 
lade en route. 3g- 

Lettre DCVIII, au même. — Arrangements itinéraires. Projet d'aller 

à rile de la Motte. 38^ 

Lettre DCIX, au même. — Son arrivée dans l'île. 3gi 

Lettre DCX, au même. — 11 le quitte à regret. 3g j 

Lettre DCXI , à M. d'Ivernois. — Les plantes l'occupent : il ne veut 

plus lire: refus de s'aboucber avec M. Vernes. 3m3 

Lettre DGXII , au même. — Engluement pour la botanique. 896 



TABLE ANALYTIQUE. 487 

* LxTTAB DCXin , à mademoiselle d'Ivernoîs. — Remerciements pour 
nne marque de souvenir. Page 3 97 

■ Lbttbb DCXrV, à M. du Peyrou. — Détails sur ce qui s'est passe 

entre Jean- Jacques et M. de Montmollin. 898 

( NoTB explicative. Ibid. 

Lattre DCXV , à madame Latour. — Il s'excuse auprès d'elle. 4^^ 
•-' LxTTRE DCXVI, à M. d'Ivemois. — Remerciements ponr des com- 
missions £sdtes , et refus de cadeaux. 4^7 

■ LsTTRB DCXVII, à M. Moulton. — Sur M. Vernes. 439 
Lbttre DCXVin , à M. d'Ivernois. — Il se plaint des visit^ indis- 

I crêtes. * 43 1 

Lxttre DCXIX , à M du Peyrou. — Moyen de correspondance. 433 

I Lettre DCXX , h M. d'Ivernois. — Il lui annonce qu'il a quitté 

Motiers. 433 

I Lettre DCXXl, à M. du Peyrou. Il est dans l'île Saint-Pierre. Sur 

la Vision . 434 

t Lettre DCXXII , au même. — Disposition pour son établissement 

dans nie. 435 

Lettre DCXXIH , au même. — Arrivée de Thérèse. Visites impor- 
tunes. 437 

Lettre DCXXIV,au même. — Sur le procès de du Peyrou. Ibid. 

Lettre DCXXV, Su même. — Commissions. 438 

Lettre DCXXVI, au même. — Il a reçu sa réponse à M. de Mont- 
mollin. 439 

Lettre DGXXVII, au même. — Note de commissions. Il s'inquiète 
des dispositions du gouvernement à son égard. 44^ 

Lettre DCXXVIII, au même. — Il lui annonce qu'on le cbasse 
de l'île Saint- Pierre. 443 

Lettre DCXXIX , à M. de Graffenried. — Demande des rensei- 
gnements sur son départ. 444 

Lettre DCXXX, au même. — Il demande d'être enfermé dans un 
château. 44^ 

Lettre DCXXXI, au même. — Il partira de l'ile le jour indiqué. ^^9 

Lettre DCXXXII , à M. du Peyrou. —Il lui demande un itinéraire 
de sa route. 449 

Lettre DCXXXIII, à M. de Graffenried. — Remerciements de ses 
attentions. Il compte rester à Bienne. Ibid. 

Lettre DCXXXIV , à M. du Peyrou. — Il lui annonce son inten- 
tion àe séjourner à Bienne. 4^0 

Lettre DCXXXV , au même. — Trompé sur les dispositions des 
Biennois , il part avant qu'on le chasse. Ibid. 

I^ETTRE DCXXXVI. — Son arrivée à Bâle. Il va partir pour Stras- 
bourg. 45 1 

Lettre DCXXXVII, à M. de Luze. — Son arrivée à Strasbourg. Il 
y veut être incognito. Ibid. 



/|88 TABLB AlfALTTIQIflJ^ 

LsTTHB DCXXXVIil 9 à M. du Peyroo. i— H est malade et ne « 
plus quel parti prendre. PaM 4S3 

Lkttbr DCXXXIX , au même. — Il est enchanté de raccoeil qa'oi 
lui fait. ^jj 

Lettkb DCXL, au même. — U renonce au voyage deBeilia.! 

demande Pygmaiion. Hiij, 

Lbtt&b DCXLI , à M. d*lTemoifl« — U la tranquillise , et seft 

cite de Taccneil qji'il reçoit. ^i* 

LxTTBE DCXLIl , à M. du Peyrou. — Il va dans le monde. Sa- 

yeillance dont il est Tobjet. (51 

Lbttrb DCXLIII , à M. de Luze. — Incertitude sur l'asile qil 

choisira. ()| 

Lettre DCXLIV à M. du Peyrou. — Il se décide à passer a 

Angleterre , après un séjour à Paris. j$i 

Lettre DGXLV, à M. d'Ivernois. — Il se repose' avec plaisir i 

Strasbourg. Refus d'argent. (gi 

Lbttbe DGXLVI, à M. David Hume. — U accepte ses offres et x 

dispose à partir pour l'Angleterre. (t- 

Lettre DCXLVII, à M. de Luze. — Annonce son arrivée àPaii 

Le prie de le venir voir. (j) 

Note sur cette lettre. (« 

Lettre DCXLVIII , à M. du Peyrou. — Il est tléterminé à partir 

promptement. Ibii. 

Lettre DCXLIX, à M. d'Ivernois. — Il ne veut pas se cacher. U 

])rince de Conti lui fait préparer un appartement. 46) 

Lettre DCL, à M. d'Ivernois, — U va loger au Temple. 465 

Lettre DCLI, à M. de Luze. — L'affliction d'une de ses amies 

l'empêche de faire de la musique. 4-0 

Lettre DCLII , à madame Latour. -~ Se plaint de ses reprochât 

ne peut voir personne. Ibii 

Lettre DCLIII, à M. du Peyrou Il veut faire venir Thérèse. 

Bienveillance du prince de Conti. 4-1 

Lbttrb DCLIV, k M. de Luze. — Excédé de visites, il presse son 

départ. 4;^ 

Lettre DCI-.V , à M. d'Ivernois. — Hommage à Voltaire. 4;i 



Plir DE LA. TABI.E. 



PARIS, IMP&DIE&m DE GAULTIER-LAGTJIONÏE. 

BUE DE OBEBEXiLE tAnTr-BOlTOBB , JK9 55. 



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