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Full text of "Oeuvres complètes de J. J. Rousseau"

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OEUVRES 

COMPLÈTES 



J.J. ROUSSEAU. 



TOME XXVI. 



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IMPRIMERIE DE JVLE8 DIDOT AINE, 
Rue du PoQt-de-Lodi, n* 6. 



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OEUYRES 

COMPLÈTES 

DE 



J. J. ROUSSEAU 

AVEC 

DES ÉCLAIRCISSEMENTS ET DES NOTES HISTORIQUES 

PAR P. R. AUGUIS. 



CORRESPONDANCE. 
TOME V. 




A PARIS 



CHEZ DALIBON, LIBRAIRE 

DE S. A. S. MONSEIGNEUR LE DUC DE NEMOURS, 

ROB SAINT-ANDRÉ-DES-ARCS, N* 4>- 

M. DCCC. XXV. 



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CORRESPONDANCE. 



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CORRESPONDANCE. 

CINQUIÈME PARTIE. 

DEPUIS LE 9 AODT 1 766 JUsQ|ir*ÂU 7 décembre ijSp,^ ^ 



LETTRE DCCXL 

A MADAME LA MABQUISE DE VERDELiN\ 

Wootton, août 1766. 

J'ai attendu , haadame, votre retour à Paris poui» 
vous répondre , païcequ'il y a , pour écrire des pro- 
"vinces d'Angleterre dans les provinces de France, 
des embarras que j'aurais peine à lever 4'ici. 

Vous me demandez quels sont mes griefs contre 
M. Hume. Des griefs ! non, madame, ce n'est pas 
le mot : ce mot propre n'existe pas dans la langue 
françoîse, et j espère, pour l'iionneur de Hiuma- 
nité, qull n existe danë aucune langue. 

M. Hume a promis ds publier toutes les pièces 
relatives à cette affaire : s'il tient parole, vous 
verrez, dans la lettre que je lui ai écrite le i o jail- 

* Voyez ci-^èvant la lettre du i3 mai 1764. 



ivi 1.09231 



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4 CORRESPONDANCE, 

let, les détails que vous demandez, du' moins 
assez pour que le reste soit superflu. D'ailleurs, 
vous voyez sa conduite publique depuis ma der- 
nière lettre; elle parle assez clair, ce me semble, 
pour que je n'aie plus besoin de rien dire. 

Je vous dois cependant, madame, d'examiner 
\: /•.ceVjjIÔ i^ja^fô Jn'alléçuez à ce sujet. 
• *•* •(^ub^lâ îausse lettre du roi de Prusse soit de 
•*.ÎVÏ*. <l*ÂfentbcVtV^nii de M. Hume, ou de M. Wal- 
* pôle, ami'de M*. Hume, ce n est pas, au fond , de 
cela qu'il s'agit; c'est de savoir, quel que soit l'au- 
teur de la lettre , si M. Hume en est complice. Vous 
voulez que madame du De/Fand ait travaillé à cette 
lettre ; à la bonne heure : mais deux autres écrits, 
mis successivement dans 1^ mêmes papiers, et 
(le la même main,tie sont sûrement pas de celle 
d'une femme ; et,. quant à M. Walpole, tout ce que 
je puis dire est qu'il faut assurément que je lue 
connoisse mal en style pour avoir pu prendre le 
françois d'un Anglois pour le françois de M. d'A- 
lembert. 

Votre objection, tirée du caractère connu de 
M. Hume, est très forte, et m étonnera toujours : 
il n'a pas fallu moins que ce que j'ai vu et senti 
d'opposé pour le croire. Tout ce que je peux con- 
clure de cette contradiction est qu'apparemment 
. M. Hume n'a jamais haï que moi seul; mais aussi 
quelle haine, quel art profond à la cacher et à 



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ANNÉE 1766. 5 

l'assouvir ! le même cœur pouiToit4l suffire à deux 
passions pa reilles ? 

On vou$ marque que j ai voué à M. Hume une 
haine implacable, parcequ'il veut me déshonorer 
en me forçant d'accepter des bienfaits. Savez- vous 
bien, madame, ce que milqrd Maréchal, à qui 
vous me renvoyez, eût fait si on lui eût dit pareille 
chose? il eût répondu que cela n ctoit pas vrai , et 
n'eût pas même daigné m'en parler. 

Tout ce que vous ajoutez sur l'honneur que 
m'eût fait une pension du roi d'Angleterre est très 
juste, il est seulement étonnant que vous ayez 
cru avoir besoin de me dire ceg choses-là. Pour 
vous prouver, madame , que je pense exactement 
comme vous sur cet article, je vous envoie ci- 
jointe la copie d'une lettre que j'écrivis, il y a trois 
mois, à M. le général Conway, et dans laquelle 
j'étois même fort embarrassé, sentant déj^ les tra- 
hisons dfe M. Hume, et ne voulant cependant pas 
le nommer. Il ne s'agit pas de savoir si cette pen- 
sion m'^ût été honorable , mais si elle l'étoit assez 
pour que je dusse l'accepter à tout prix, même à 
celui de l'infamie. 

Quand vous me delna.ndez quel est le sujet qui 
ose solliciter son maître pour un homme qu'il veut 
avilir, vous ne voyez pas qu'il faisoit de cette sol- 
licitation son grand moyen pour m'accuser bien- 
tôt de la plus noire ingratitude. Si M. Hume eût 



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*-. 



6 CORRESPONDANCE, 

travaillé publiquement à m avilir lui-même, vous 
auriez raiscMi ; mais il ne faut pas supposer qu il 
exécutoit avec bêtise un projet si profondément 
médité: cette objection secoit bonne encore, si, 
connu depuis long-temps d© M. Hume, javois été 
inconnu du roi d'Ai^gleterre et de sa cour ; mais 
votre lettre même dit le contraire: cette affaire ne 
pou voit tourner, comme elle a fait, qua l'avan- 
tage de M. Hume. Toute la cour d'Angleterre dit 
maintenant : Ce pauvre homme! il croit que tout le 
monde lui ressemble; nomy avons été trompés comme 
lui. 

Dans le pl^n qu'il s'étoit fait, et qu'il a si pleine- 
ment exécuté, de parojtre me servir en public 
avec la plus grande ostentatioti , et de me diffamer 
ensuite avec la plus grande adress^^, il devoit écrire 
et parler, honorablement de moi. Vouliez r vous 
qull allât dii€ du mal d'un honuxie pour lequel il 
affûptoit tant d amitié? c'eût ét^ se contredire, et 
jouer très mal. Son jeu; il vouloit paroitre avoir été 
pleinement ma dupe ; il préparoit l'objection que 
vous me faites aujourd'hui. 

Vous me renvoyez , sur ce que vous appelez mes 
griefs, à milord Maréchal, pour en juger : milor4 
Maréchal est trop sage pour vouloir, d'où il est y 
voir mieux que moi ce qui se passe où je suis ; et 
quand un homme, entre quatre yeux, m'enfonce 
à coups redoublés un poignard dans le sain , jeji'ai 



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ANNÉE 1766. 7 

pas besoin, pour savoir sïl ma touché, de l'aller 
demander à d'autres. 

Finissons pour jamais sur ce sujet , je vous sup- 
plie. Je vous avoue, madame, toute ma foiblesse : 
si je savois que M. Hume ne fût pas démasqué 
avant sa mort, j aurois peine à «|*oire encore à la 
Providence. 

Je me fais quelque 8(M?upule de mêler dans une 
même lettre des sujets si disparates-; mais cette 
atteinte de goutte que vous avez sentie , mais les 
incomjaodités de vos enfants, ne me permettent 
pas de vous rien dire ici d eux et de vous. Quant 
à'ia goutte, il nest pasv naturel qu'elfe vous mal- 
traite beaucoup à votre âge, «t j'espère que vous 
en serea quitte poijir nn ressentiment passager; 
mais je n'envisage pas de mè(ne cette humeur 
scrofuleuse, qui paroît avoir été transmise à vos 
enfants pas leur père; l'âge pubère les -guérira, 
comme je Tespère, ou rien ne les guérira; et, dans 
ce dernier cas, je vois une raison de plus de com- 
bler les vœux d'un honnête homme qui a toute 
votre estime, et qui mérite tout votre attache- 
ment. Vos filles, malgré leur mérite, leur nais- 
sance , et leur bien , se marieront peut-être avec 
peine, et peut-être aurez-vous vous-même quel- 
que scrupule de les marier. Ah! madame, les 
races de gens de bi^i sont si rares sur la terre ! 
voulez-vous en laisser éteindre une? A la place des 



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8 CORRESPONDANCE, 

simples et vrais sentiments de la nature^, qu'on 
étoufFe , on a fourré dans la société je ne sais quels 
raffinements de délicatesse que je ne saurois souf- 
frir. Croyez-moi^ croyez»en votre ami, et lami de 
toutes choses honnêtes, mari» -vous, puisque 
votre âge et votie coeur le demandent. L'intérêt 
même de vos filles ne s'y oppose pas. Vos en&nts 
des deux parts aunMt les biens de leur père, et ifs 
auront de plus les uns dan$ les autres un appui 
que vous pendrez très solide par rattachement 
mutuel que vous leur saurez inspirer» Mon inté- 
rêt aussi se mêle à ce conseil, je vous l'avoue ; je 
sens et j'ai f[rand besoin de sentir qu'on n'est pas 
tout-à-fait misérable quand on a djes ami$ lieu- 
reux*. Soyez-le l'un et l'autre, et l'un par l'autre; 
qu'au milieu des' afflictions qui m'accablent j'aie 
la consolation de savoir que j'ai deux amis unis et 
fidèles , qui parlent quelquefois avec attendrisse- 
ment de mes misèreç; elles m'en seront moins 
rudes à supporter. J'aime à envisager comme faite 
une chose qui doit se faire. Permettez-moi de vous 
conseiller, lorsque vous serez dan« votre nouveau 
ménage, de bien choisir ceux à qui vous accor- 
derez l'entrée de votre maison : qu'elle ne soit pas 
oTiverte à tout le monde, comme la plupart des 

* * Ces coDseilâ prouvent que Jean-Jacques avoit de l'amitié pour 
Famant de madame de Verdelin et dont elle vouloit faire son maci. 
11 ne le devint pas. Cétoit M. de Mayency. 



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ANNé» 1766. ■• 9 

maisons de I^ris* Ayez un petit nombre d'amis 
sûrs, et tçnez-vpus-en à leur commerce r ayez-en , 
si vous voulez, cjui aient de la littérature, cela 
jette de lagrément dans la société; iniiîs point de 
gens de lettres de profession, sur toute chose; 
jamais eucun auteur, quel qu'il soit. Souvenez- 
vous de cet avis^ madame; ej soyez sûre que , si 
vous le négKgez, vtus vouç en trouverez mal tôt 
ou tard. 

Je npii pas la force d'étendre jusqu'à vous ma 
résolution de ne plus écrire^ c est une résolution 
que j'avoi» pourtant prise, mais qu'il est impos- 
sible à mon cœur d'exécuter : je vous écrirai quel- 
quefois, madame, mais ravinent peut-être; je 
voudrois qu'eu cela vous ne m'imitassiez pas. Je 
ne dois pas vous affliger, et vous pouvez me con- 
soler. Je vous ^ie de ne remettre vos lettres ni à 
M. Goindet ni à personne ;. mais de les envoyer 
vous-même svis l'adresse ci-jointe, exactement 
suivie, sans que mon nom y paroi^e en aucune 
façon : en prenajat soin de faire affranchir lés let- 
tres jusqu'à Londres, .elles parviendront sûre- 
ment, et personne ne les ouvrira que moi; mais 
il faut tâcher, par économie, d'éviter les jpaquets,'' 
et d'écrire plujtôt des lettres simples sur d'aussi 
grand papier qu'on veut; car, qjaelque grosse que 
soit une lettre simple, elle ne paie que pour sim- 
ple ; jnais k raQin4re enveloppe renchérit le port 



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lo OORHESPONDANCE. 

cxorbitamment. Le dernier paquet de M. Ck>indet 
m'a<;oûté six francs de port: je ne les ai pas re- 
grettés assurément; ce paquet c^ntenoît une lettre 
de vous; mtk #n tout ce qui peut se Êiire avec 
économie, «ans que la chose aille moins bien, je 
suis dans une position qui m'en rend le ai»in très 
utile. Au reste, je ne sais pas qui peut vous avoir 
dit que j etois à vingt-cinq liennes de Londres; j'en 
suis à cinquante bonnes ; et j ai mis quatre jours 
à les fairfi, avec les mêmes chevaux à la vérité. Re- 
cevez, mad^ime, les salutatioips de la plus tendre 
^rmitié. 



LETTRE DCCXIL 

A M. MARC-MICHEL REY. 

Wootton, août 1766, 

Je reçoiis, mon cher compère, avec grand plai- 
sir, de vos nouvelles : l'impossibilité de trouver 
nulle part ce repos après lequel mon cœur sou- 
pire inutilement , m'eût fait un scrupule de vous 
donner des miennes, pour ne pas vous affliger. 
D'ailleurs, voulait me recueillir en moi-même, 
autant qu'il est possible, et ne plus ripn savoir de 
ce qui se passe dans le monde par rapport à moi , 



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AWNÉE 1766. II 

j'ai rompu tout commerce de lettres , hors les cas 
d'absolue nécessité^ cela fera que je vous écrirai 
plus rarement désormais : mais soyez sûr que mon 
attachenient pour vous , et pour tout ce qui vous 
appartient, est toujours le même ; et que ce seroit 
uœ grande consolation pour moi dans la vieillesse 
qui s'approche, au milieu d'uK cortège de dou- 
leurs de toute espèce, d'embrasser ma -chère fil- 
leule avant ma mort. 

J'ai su que vous aviez eu aussi quelques affaires 
désagréables : j'en étois en peine ; et je vous aurois 
écrit à ce^ujet, si vous ne m'aviez prévenu. J'au- 
gure, sur ce que vous ne m'en dîtes rien, que tout 
cela n'a pas eu des suites, et jp m'en réjouisse 
tout mon cœur; mais mpn amitié pour vous ne me 
permet pa^ de vous taire mon sentiment sur ces 
sortes d'affaires. Tandis que vous commenciez et 
que vous ftviez be^inde mettre, pour ainsi dire, 
à la loterie, il vous o^Avenoit de cou»ir quelques 
risque» pour vous avancer* mais maintenant que 
votre maison est bien établie , que vos affaires , 
comme je le suppose, sont en bon état, ne les dé- 
rangez pas par votre faute ; jouissez en paix de la 
fortune dont la Providence a béni votre travail ; 
et, au lieu d'exposer le bien de vos enfants et le 
vôtre, contentez-vous de l'entretenir en sûreté, 
sans plus vous permettre d'ei^treprises hasardeu- 
ses, VoRà, mon cher compère, un conseil de Fami- 



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12 CORRESPONDANCE. 

tié, et, je crois, de la raison ; si vous trouvez qu*il 

soit à votre usage , profitez-en. 

Vos gazettes disent donc que M. Hume «st mon 
bienfaiteur, et que je suis son pro4)égé ! Que Dieu 
me préserve d'être souvent pi^otégé de la sorte, et 
de trouver en ma vie encore un pareil bienfai- 
teur ! Je présume -que cet article n'est que prépa- 
ratoire, et qu il en suivra bientôt un second, au$si 
véridique, -aussi humain, aussi juste. Qu'importe, 
mon cher compère? Laissons dire, et M. Hume, 
et les plénipotentiaires , et, les puissances , et les 
gazetiers, et le public, et tout le moade; qu'ils 
crient, qu'ils m'outragent, qu'ils m'insultent, 
qu'ils disent et fassent tout ce qu'ils voudront : 
mon ame, en dépit d'eux, restera toujours la 
même; il n'est pas au pouvoir des hommes de- la 
changer. Le public désormais est mort pour moi; 
je vous prie, quand vous m écrirez, de^ ne me re- 
parler jamais de ce qu'on, y dit. 

MM. Beçket et de Hondt ne m'ont point parlé 
de la pension de mademoiselle Le Vasseur ; et 
comme l'année n'çst pas écoulée ,, cela ne presse 
pas : mais je vo«s prie de ne vous' servir jamais de 
ces messieurs, pour me rien envoyer, ni pour rien 
qui me regarde; j'ai senti, dans plus d'une affaire, 
l'influence que M. Hume a sur eux. Il \ient de 
m'en arriver une qui nvcrite d'être comptée. M. du 
Peyrou ayant jugé à propos de m'envoyei* mes 



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ANNÉE 1766. i3 

livres^je Favois prié de les adresser à ces messieurs, 
qui s etoient offerts. Ayant une collection consi- 
dérable d'estampes, dont les droits, exigés à la ri- 
gueur, auroient passé mes ressources, je les priai 
de tâcher de faire niitiger le droit, d autant plus 
que la moitié de mes estampes ne valant pas ce 
droit,. j'aimerois mieux les abandonner que de les 
payer sans rabais: ces messieuKS promettent de 
faire de leur mieux ; ils i^eçoivent mes livres , et , 
outre quinze louis de port, en prennent quinze 
autreschezmon banquier pour les frais de douane; 
gardent et fouillent les livres, tant qu illeur plaît, 
sans me rien marquer de leur arrivée ; m envoient 
enfin sans avis un ballot que je les ^vois priés de 
m envoyer sitôt que les miens arriveroient. J'ouvre 
ce ballot oii mes estampes Aoient; je trouve les 
porte-feuilles vides, et pas une seule estampe ni 
petite ni grande, sans qu'ils aient même daigné 
me riiarquer ce qu'As en avoient fait. Ainsi j'ai 
quinze louis de port, autant de douane, sans sa- 
voir sur quoi, et pour cent louis d'estampes per- 
dues, sans qu'il m'en reste une seule '. Je ne sais 
si les livres que vous avez vus doivent payer à 
Londres mille écus de douane ; mais je sais bien 
que si je les revends, comme il le faut bien, je n'en 
retirerai pas la moitié de cette somme. Il y a un 

' Ces estampes, déplacées de$ porte- feuïlles qui les contenoient, 
se sont retrouvées dans ua autre ballot. 



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i4 CORRESPONDANCE, 

seul article d'une livre sterling (c'est près d*un 
louis) pour une vieille guitare sourde, brisée, et 
pourrie, qui ma coûté six francs de France, et 
dont je ne les retrouverai jamais. Gela ne se feroit 
pas à Alger, mais cela se fait à Londres , grâces aux 
bons soins de ces messieurs. Si je hisse long-temps 
mes livres dans leur magasin, et s'ils me fontpayer 
à proportion pour lentrepot, ne le pouvant pas, 
je serai forcé de leur laisser mes livres : ainsi j'au- 
rai perdu, par leurs bons soins, tous mes livres, 
toutes mes estampes, et trente louis d'argent 
comptait. <^ue dites-vous de cela? Je crois que ces 
messieurs sont par eux->mémes de fo^t honnêtes 
gens; mais je crois aussi qu'à monégard ils cèdent 
trop à rinstigation d'autrui. C'est pourquoi je veux 
n'avoir avec eux, sè^ je puis, aucune sorte d'af- 
faires, de peur dé m'en trouver toujours plus mal. 
Je chercherai, si vous y consentez, à mé prévaloir 
sur vous des trois cents francs de mademiîîselle 
Le Vasseur, soit par lettre de change, soit en vous 
envoyant d'Angleterre son reçu, en échange du- 
quel vous en donnerez l'argent à celui qui vous -te 
remettra. 

Je dois avoir parmi mes livres un exemplaire 
de la musique du Devin du village : si vous persis- 
tez à vouloir la faire gravw, je pourrois corriger 
cet exemplaire, et vous l'envoyer ; mais il fhut du 
temps, non seulement pour attendre rqccasion, 



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ANNÉE 1766. i5 

mais pour le foire venir de Londres, pai^equ'il 
iaut que je donne commission à quelqu'un de con- 
fiance d'ouvrir la balle où il est, pour l'en tirer et 
me l'envoyer; ce qui ne peut se faire avant cet 
hiver. Je guis très facfaé que vous publiiez la 
Reine fantasque, parceque cela peut faire encore 
des tracasseries désagréables pour vous et pour 
moi. 

Guy m'a écrit au sujet du Dictionnaire de Musi- 
que; il se plaint dm vous et de vos propositions, 
qu'il trouvedéraisonnables : je lui ai répondu qu'il 
fît comme il Fentendroit; que je vous aimois fort 
tous Im deux ; mais que des affaires de libraire à 
libraire, je ne m'en mêlerois de mels jours. Mille 
tendres salutations à madame Rey. J'embrasse la 
chère petite jBt son cher papa. 

Voici une adresse dont il faut vous servir désor- 
mais, quand vous m'écrirez : ne faites poijpt d'en- 
veloppe; et, quoique mon nom ne paroisse point 
sur la Uijttre.^ soyez .sûr que personne ue Ibu- 
vrira quemoi , et qu'elle me parviendra sûremcait^ 
pourvu que vous suiviez exactement l'adresse, et 
que vous affranchissiez j usqu'à Londres , sans quoi 
les lettres pour, les provinces d'Angleterre restent 
au- rebut. 



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i6 CORRESPONDANCE. 

^ 

LETTRE DCCXUI. 

• A M. P'iVERNOIS. 

* Wootton, le i6aoèt 1766. 

Je suîs extrêmement en peine de vous, mon- 
sieur, n'ayant point de vo« noiweIIe% depuis le 2 1 
juin ? je vous ai marqué , il test vrai , qtit je ne vous 
écrirois pas ; mais, comme vous aj^ étiez pas dans le 
même embarras que moi, je me flattois q#e,mon 
silence ne produiroit pas le vôtre; et j espère au 
jrtioftis , puisque vous ne m'avez rien éci it de con- 
traire à la promesse qu€ vous m airez fafte d^ me 
venir voir œt automne, que cette promesse sera 
exécutée : ainsi je vous attends au mois de no- 
vembre , facbé seulement que vous ne preniez pas 
une meilleure saison. ' ,* 

Je vous prie de voir, en passant à Lyon , ma- 
dame Boy de La Tour, ma bonpe amie , et sa chère 
fille*, ot de m apporter amplement de leurs nou- 
velles. Apprenez-moi jie rétablissement de la pre- 
mière, et le bcgilieur de la secopMÎe dans son ma- 
riage ; rien ne manquera à mon plaisir en vous 
embrassant. A«surez4es de ma tendre et constante 
amitié pour elles, et dites-leur que vçus leur ex- 



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ANNÉE 1766. 17 

pliqnerez à votre retour pourquoi je ne leur ai 
point écrit, moi qui pense continuellement à elles, 
et pourquoi je n^écris plus à personne , hors le cas 
de nécessité. 

Vous ne manquerez pas, je vous prie, en pas- 
sant à Paris, de voir madame la veuve Duchesne, 
libraire, et M. Guy, à qui je compte envoyer une 
lettre pour vous , où je rassemblerai ce que je peux 
avoir à vous dire d'ici à ce temps- là, concernant 
votre voyage. En attendant, je Vous préviens de 
ne donner votre confiance à personne à Londres 
sur ce qui me regarde; mais de remettre, s'il se 
peut, les affaires que vous pourriez avoir dans 
cette capitale à votre retour, où vous pourrez aussi 
m'y rendre des services. Je vous prie aussi de ne 
m'amener personne de Londres, qui que ce puisse 
être, et quelque prétexte qu'ils puissent prendre 
pour vous accompagner: il suffira que vous pi'e- 
niez, pour la route, un domestique qui sache la 
langue ; je ne vois pas que vous puissiez vous en 
passer; car dans la route, ni dans cette contrée, 
personne ne sait un seql mot de François. 

Je ne vous envoie point cette lettre par M. Luca- 
dou ; vous en saurez la raison quand nous nous 
serons vus : ne me répondez pas non plus p£|r son 
canal ; mais envoyez votre lettré à M- du Peyrou , 
qui aura la bonté de me la faire parvenir ; je vous 
avoue même que je desirerois que M. Lucadou ne 

COnRBSPONDASCE. T. Y. 2 



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i8 CORRESPONDANCE, 

fût pas prévenu de votre voyage, de crainte qu'il 
ne survînt des obstacles qui vous empècheroient 
de l'achever. Je ne puis vous en dire ici davan- 
tage ; mais tout ce que je désire pour ce moment 
le plus au monde est de vous voir arriver en 
bonne santé. Je vous embrasse. 

LETTRE DCCXIV. 

A M. DU PEYROU. 

Wootton, le i6 août 1766. 

Je ne doute point, mon cher hôte, queles choses 
incroyables que M. Hume écrit par -tout ne vous 
soient parvenues , et je ne suis pas en peine de 
FefFetqu elles feront sur vous. Il promet au public 
une relation de ce qui s'est passé entre lui et moi, 
avec le recueil des lettres. Si ce recueil est fait 
fidèlement, vous y verrez , dans celle que je lui ai 
écrite le i o juillet, un ample détail de sa conduite 
et de la mienne, sur lequel vous pourrez juger 
entre nous ; mais comme infailliblement il ne 
fera pas cette, publication , du moins sans les &1- 
sifications les plus énormes, je me réserve à vous 
mettre au fait, par le retour de M. dlvernois; car 
vous copier maintenant cet immense recueil , c'est 



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ANNÉE 1766. ,9 

ce qui ne m est pas possible, et ce seroit rouvrir 
toutes mes plaies : j ai besoin d'un peu de trêve 
pour reprendre mes forces prêtes à me manquer; 
du reste je le laisse déclamer dans le public et 
s'emporter aux injures les plus brutales : je ne sais 
point quereller en charretier : j ai un défenseur 
dont les opérations sont lentes, mais sûres; je les 
attends et je me tais. 

Je vous dirai seulement un mot sur une pen- 
sion du roi d'Angleterre dont il a été question, et 
dont vaus m'aviez parlé vous-même : je ne vous 
répondis pas sur cet article, non seulement à 
cause du secret que M. Hume exigeoit, au nom 
du roi, et que je lui ai fidéleipent gardé jusqu'à ce 
qu'il l'ait publié lui-même, mais parceque, n'ayant 
jamais bien compté sur cette pension , je ne vou- 
lois vous flatter pour moi de cette espérance que 
quand je serois assuré de la voir remplir. Vous 
sentez que, rompant avec M: Hume, après avoir 
découvert ses trahisons, je ne pouvois, sans infa- 
mie, accepter des bienfaits qui me venoîent par 
lui : il est vrai que ces bienfaits et ces ti^ahisons 
semblent s'accorder fort mal ensemble; tout cela 
s'accorde pourtant fort bien. Son plan étoit de 
me servir publiquement avec la plus grande os- 
tentation , et de me diffamer en secret avec Ja 
plus grande adresse : ce dernier objet a été par- 
faitement rempli ; vous aurez la clef de tout cela. 



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20 CORRESPONDANCE. 

En attendant, comme il publie par-tout qu après 
avoir accepté la pension, je lai malhonnêtement 
refusée, je vous envoie une copie de la lettre que 
j'écrivis à ce sujet au ministre , par laquelle vous 
verrez ce qu*il en est. J[e reviens maintenant à ce 
que vous m'en avez écrit. 

Lorsqu'on Vous marqua que la pension m'a voit 
été offerte, cela étoit vrai ; mais lorsqu'on ajouta 
que je Pavois réfusée, ùela étoit parÊiitement faux; 
car, au contraire, sans aucun doute alors sur la 
sincérité de M. Hume, je ne mis, pour accepter 
cette pension , qu'une condition unique , savoir 
l'agrément de milord Maréchal , que , vu ce qui 
s'étoit passé à Neuchâtel, je ne pouvois me dis- 
penser d'obtenir. Or , nous avions eu cet agré- 
ment avant mon départ de Londres ; il ne restoit 
de la part de la cour qu'à terminer l'af&ire , ce 
que je n'espérois pourtant pas beaucoup; mais ni 
dans ce temps-là , ni avant , ni après , je n*en ai 
parlé à qui que ce fût au monde, hors le seul mi- 
lord Maréchal, qui sûrement m'a gardé le secret : 
il faut donc que ce sécrétait été ébruité de la part 
de M. Hume. Or, comment M. Hume a-t-il pu 
dire que j'avois refusé , puisque cela étoit faux , et 
qu'alors mon intention n*étoit pas même de refu- 
ser? Cette anticipation ne montre-t-elle pas qu'il 
savoit que je serois bientôt forcé à ce refus, et 
qu'il entroit même dans son projet de m'y forcer, 



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ANNÉE 1766. 21 

pour amener les choses au point où il les a mises? 
La chaîne de tout cela me paroit importante à 
suivre pour le travail dont je suis occupé ; et si 
vous pouviez parvenir à remonter, par votre ami , 
à la source de ce qu'il vous écrit, vous rendriez 
un grand service à la chose et à moi-même. 

Les choses qui se passent en Angleterre à mon 
égard sont, je vbus sassurè^ hors de toute imagi* 
nation : j y stiis dans la plus complète diffamation 
où il soit possible d'être, sanis que j aie donné à 
cela la tnoindre occasion, et sans ({ne pas une ame 
puisse dire avoir eu personnellement le moindre 
mécontentement de moi. Il paroit maintenant que 
le projet de M. Hume et de ises associés est de me 
couper toute ressource , toute communication 
avec le continent , et de me Êdré périr ici de 
douleut et de ibisère. J espère qu'ils ne réussiront 
pas; mais deux choses mé font trembler : lune est 
qu'ils travaillent avec force à détacher de moi 
M. Davenport, et que, s'ils réussissent, je suis 
absolument sans asile, et ^ans savoir que deve- 
nir ; l'autre, encore plus effrayante, est qu'il faut 
absolument que, pour ma correspondance avec 
vous , j'aie un commissionnaire à Londres , à 
cause de l'affranchissement jusqu'à cette capitale, 
qu'il ne m'est pas possible de faire ici; je me sers 
pour cela d'un libraire que je ne connois point, 
mais qu'on m'assure être fort honnête homme ; si 



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22 CORRESPONDANCE, 

par quelque accident cet homme venoit à me 
manquer, il ne me reste personne à qui adresser 
mes lettres en sûreté, et je ne saurois plus com- 
ment vous écrire : il faut espérer que cela n'arri- 
vera pas; mais, mon cher hôte, je suis si mal- 
heureux ! il ne me faudroit que ce dernier coup. 

Je tâche de fermer de tous côtés la porte aux 
nouvelles affligeantes ; je ne lis plus aucun papier 
public ; je ne réponds plus à aucune lettre, ce qui 
doit rebuter à la fin de m'en écrire; je ne parle 
que de choses indi£Férentes au seul voisin avec 
lequel je converse , parcequ'il est le seul qui parle 
françois. Il ne ma pas été possible , vu la cause , 
de n être pas affecté de cette épouvantable ré^ 
volution , qui , je n en doute pas , a gagné toute 
TEurope; mais cette émotion a peu duré; la sé- 
rénité est revenue, et j espère qu elle tiendra : car 
il me paroît difficile qu'il m arrive désormais au- 
cun malheur imprévu. Pour vous, mon cher hôte, 
que tout cela ne vous ébranle pas : j'ose vous 
prédire qu'un jour l'Europe portera le plus grand 
respect à ceux qui en auront conservé pour moi 
dans mes disgrâces. 



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ANNÉE 1766. 23 

LETTRE DGCXV. 

A MADAME LA COMTESSE DE BOUFFLERS. 

Wootton, le 3o août 1766. 

Une chose me fait grand plaisir, madame, dans 
la lettre que vous m avez feit l'honneur de m'é- 
crire le 27 du mois dernier, et qui ne m'est par- 
venue que depuis peu de jours; c'est de connoître 
à son ton que vous êtes en bonne santé. 

Vous dites, madame, n avoir jamais vu de 
lettre semblable à celle que j ai écrite à M. Hume ; 
cela peut être, car je n'ai, moi , jamais rien vu de 
semblable à ce qui y a donné lieu : cette lettre ne 
i^ssemble pas du moins à celles qu'écrit M. Hume ; 
et j'espère n'en écrire jamais qui leur ressemblent. 

Vous me demandez quelles sont les injures 
dont je me plains. M. Hume m'a forcé de lui dire 
que je voyois ses manœuvres secrètes, et je l'ai 
fait; il ma forcé d'entrer là-dessus en explication ; 
je l'ai fait encore, et dans le plus grand détail. Il 
peut vous rendre compte de tout cela, madame; 
pour moi , je ne me plains de rien. 

Vous me reprochez de me livrer à d'odieux 
soupçons : à cela je réponds que je ne me livre 



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14 CORRESPONDANCE, 

point à des soupçons : peut-être auriez-vous pu , 
madame, prendre pour tous un peu des leçons 
que vous me donnez, n'être pas si facile à croire 
que je croyois si fecilement aujt trahisons, et vous 
dire pour moi une partie des choses que vous 
vouliez que je me disse pour M. Hume. 

Tout ce que vous m alléguez en sa faveur forme 
un préjugé très fort, très raisonnable, d'un très 
grand poids, sur -tout pour moi, et que je ne 
cherche point à combattre; mais les préjugés ne 
font rien contre les faits. Je m'abstiens de juger 
du caractère de M. Hume, que je ne connois pas; 
je ne juge que sa conduite avec moi ^ que je con- 
nois. Peut-être suis-je le seul homme qu'il ait ja- 
mais haï ; mais aussi quelle haine ! Un mêm« coeur 
su£Groit-il à deux comm0 cell^là ? 

Vous vouliez que je me refusasse à l'évidetice , 
c'est ce que j ai fait autant que j'ai pu ; que je 
démentisse le témoignage de mes sens , c est un 
conseil plus Ëicile à donner qu'à suivre ; que je 
ne crusse rien de ce que je éentois ; que je con- 
sultasse les amis que j'ai en France : mais si je ne 
dois rien croire de ce que je vois et de ce que je 
sens, ils le croiront bien moins encore, etix qui 
ne le voient pas^ et qui le sentent encore moins. 
Quoi , madame ! quand un homme vient entre 
quatre yeux m'enfoncer , à coups redoublés , un 
poignard dans le sein , il feut , avant d'oser lui 



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ANNÉE 1766. 2i5 

dire qail me frappe ^ que j aille demander à 
d autres s'il ma frappé ! 

L'extrême emportement que vous trouve^ dans 
ma lettre me fait présumer, madame, que vous 
n êtes pas de sang-^froid vous-même, ou qlié la co- 
pte que vous avez vue est falsifiée. Dans la cir- 
constance funeste où j ai écrit cette lettre , et où 
M. Hume m'a forcé de Técrire , sachant bien ce 
qu'il en vouloit feiirc, j'mc dire qu'il falloit avoir 
une ame forte pour se modérer à ce pCHnt. Il n y 
a que les infortunés qui sentent combien , dans 
Fexcès d'une affliction de cette espèce, il est diffi- 
cile d'allier la douceur aved la douleur. 

M. Hume s'y est pris autrement , je l'avoue ; 
taiidis qu'en répdnse à cette même lettre il m'é- 
crivoit en termes. décents et même honnêtes, il 
écrivoit à M« d'Holbach et à tout le monde en 
termes un peu difierents. Il a rempli Paris, la 
France , les gazettes , l'Europe entière , de choses 
que ma plume ne sait pas écrire, et qu'elle ne ré- 
pétera jamais : étoit-ce comme cela , madame, que 
J aurois dû fisiire? 

Vous dites que j'aurois dû modérer mon em- 
portement contre un homme qui m'a réellemisnt 
servi. Dans la longue lettre que j'ai écrite le 10 
juillet, à M« Hume, j'ai pesé avec la plus grande 
équité les services qu'il m'a rendus : il étoit digne 
de moi d'y faire par-tout pencher la balance en sa 



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26 CORRESPONDANCE, 

faveur, et ç*est ce que j'ai fait : mais quand tous 
ces grands services auroient eu autant de réalité 
que d ostentation , s'ils n'ont été que des pièges 
qui couvroient les plus noirs desseins, je ne vois 
pas qu'ils exigent une grande reconnoissance. 

Les liens de t amitié sont respectables même après 
qu'ils sont rompus : cela est vrai , mais cela suppose 
que ces liens ont existé : malheureusement ils ont 
existé de ma part; aussi le parti que j'ai pris de 
gémir tout bas et de me taire est-il l'effet du res- 
pect que je me dois. 

Et les seules apparences de ce sentiment le sont 
aussi. Voilà;, madame, la plus étonnante maxime 
dont j'aie jamais entendu parler. Comment! sitôt 
qu'un homme prend en public le masque de l'a- 
mitié, pour me nuire plus à son aise , sans même 
daigner se cacher de moi, sitôt qu'il me baise en 
m'assassinant, je dois n'oser plus me défendre, ni 
parer ses coups , ni m'en plaindre , pas même à 

lui Je ne puis croire que c'est là ce que vous 

avez voulu dire; cependant en relisant ce passage 
dans votre lettre, je n'y puis trouver aucun autre 
sens. 

Je vous suis obligé , madame , des soins que 
vous voulez prendre pour ma défense, mais je 
ne les accepte pas : M. Hume a si bien jeté le 
masque, qu'à présent sa conduite parle et dit tout 
à qui ne veut pas s'aveugler ; mais quand cela ne 



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ANNÉE 1766. 27 

seroit pas, je ne veux point qu on me justifie , 
parcequeje n'ai pas besoin de justification, et je 
ne veux pas qu'on m'excuse , parceque cela est 
au-dessous de moi ; je souhaitarois seulement que, 
dans l'abyme de malheurs où je suis plongé, les 
per$onnes que j'honore m'écrivissent des lettres 
moins accablantes, afin que j'eusse au moins la 
consolation de conserver pour elles tous les sen^ 
timents quelles m'ont inspirés. 

LETTRE DGCXVL 

A M. d'iVERNOIS. 

Wootton , 3o août 1766. 

J'ai lu, monsieur, dans votre lettre du 3i juil- 
let, l'article de la gazette que vous y avez transcrit , 
et sur lequel vous me demandez des instructions 
pour ma défense. Eh ! de quoi , je vous prie, vou- 
lez-vous me défendre? de l'accusation d'être un 
in&me? Mon bon ami, vous n'y pensez pas : lors- 
qu'on vous parlera de cet article, et des éton- 
nantes lettres qu'écrit M. Hume , répondez simple- 
ment : Je connois mon ami Rousseau ; de pareilles 
accusations ne sauroient le regarder: du reste, 
Élites comme moi, gardez le silence, et demeurez 



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a8 CORRESPONDANCE, 

en i*epos : sur*-tout ne me parlez plus de ce qu*on 
dit dans le public et dans les gaœttes; il y a long- 
temps que tout cela est mrort pour moi. 

Il y a cependant un point sur lequel je désire 
que mes amis soient instruits, parcequ'ils pour- 
roiétit croire, comme ils ont fait quelquefois, et 
toujours à tort, que des principes outrés me con- 
duisent à des choses déraisonnables. M. Hume a 
répandu à Paris et ailleurs que j^avois refusé bru-> 
talement une pension de deux mille francs du roi 
d'Angleterre, après l'avoir acceptée: je n'ai jamais 
parlé à personne de cette pension que le roi vou- 
loit qui fût secrète, et je n'en aurois parlé de 
ma vie, si M. Hume n'eût commencé, li'histoire 
en seroit longue à déduire dans une lettre ; il suf- 
fit que vous sachiez comment je m'en défendis, 
quand, ayant découvert les manœuvres secrètes 
de M. Hume, je dus ne rieti accepter par la mé- 
diation d'un homme qui me trahissoit. Voici, 
monsieur, une copte de la lettre que j'écrivis à ce 
sujet à M. le général GonM^ayi secrétaire detat. 
J'étois d'autant plus étnbarrajaisé dans cette lettre 
que, par un excès de ménagement, je W voulôis 
ni nommer M. Hume, ni dire mon vrai motif: je 
renvoie pour que vous jugiez, quant à présent^ 
d'Utie seule chose, si j'ai refusé malhonnêtemeat; 
Quand ijous nous verl*(Mis, vous saures le reste: 
plaise à Dieu que ce soit bientôt! Toutefois, né 



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ANNÉE 1766. ag 

prenez rien sur vo^ affaire d aucune espèce : je 
puis attendre, et, dans quelque temps que vous 
veniez, je vous verrai toujours avec le même plai* 
sir. Je me rapporte en toute chose à la lettre que 
je voi^s ai écrite , il y a une quinzaine; de jours , 
par voie d ami; je vous embrasse de tout mon 
ccpur. 

P. S. Il faut que vous ayea une mince opinion 
de mon discernement, en fait de style, pour vous 
imaginer que je me trompe sur celui de M. de 
Voltaire, et que je prends pour être de lui ce qui 
n^en ^st pas ; et il faqt en revanche que vous ayez 
une haute opinion de sa bonne foi, pour croire 
que dès qu'il renie un ouvrage cest une preuve 
qu'il n'est pas de lui. 

Ï.ETTRE DCCXVH. 

A MADAME LA DUCHESSE DE PORTLAND. 
Wootton, le 3 septembre 1766. 

Madame, 

Quand je n'aurois eu ai^icun goût pour la bota* 
nique, les plantes que M. Granville m'a remises 



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3o CORRESPONDANCE, 

de votre part m en auroient donné; et, pour mé- 
riter les trésors que je tiens de vous, je voudrois 
apprendre à les connoitre: mais, madame la du- 
chesse, il me manque le plus essentiel pour cela, 
et ce n est pas assez pour moi de vos herbes, il me 
faudroit de plus vos instructions ; que ne suis-je à 
portée d'en profiter quelquefois ! Si, commençant 
trop tard cette étude, je navois jamais l'honneur 
de savoir, j'aurois du moins le plaisir d'appren- 
dre, et celui d'apprendre auprès de vous : j'y trou- 
verois cette précieuse sérénité d'ame, que donne 
la contemplation des merveilles qui nous entou- 
rent; et, que j'en devinsse ou non meilleur bota- 
niste, j'en deviendrois sûrement et plus sage et 
plus heureux. Voilà , madame la duchesse , un bien 
que j'aime à chercher à votre exemple, et qu'on 
ne recherche jamais en vain : plus l'esprit s'éclaire 
et s'instruit , plus le cœur demeure paisible ; l'étude 
de la nature nous détache de nous-mêmes et nous 
élève à son auteur. C'est en ce sens qu'on devient 
vraiment philosophe, c'est ainsi que l'histoire na- 
turelle et la botanique ont un usage pour la sa- 
gesse et pour la vertu. Donner le change à nos 
passions parle goût des belles connoissances c'est 
enchaîner les amours avec des liens de fleurs. 

Daignez, madame la duchesse, recevoir avec 
bonté mpn profond respect. 



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ANNÉE 1766. 3i 



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LETTRE DCCXYIII. 

A M. ROUSTAN. 

Wootton , le 7 septembre 1 766. 

Vous méritez bien , monsieur, l'exception que 
je fais pour vous de très bon cœur au parti que 
j ai pris de rompre toute correspondance de let- 
tres, et de n'écrire plus à personne, hors les cas de 
nécessité. Je ne veux pas vous laisser un moment 
la fausse opinion que je ne vois en vous qu un 
homme d église, et j'ajouterai que je suis bien éloi- 
gné de voir les ecclésiastiques en général de l'œil 
que vous supposez; ils sont bien moins mes en- 
nemis que des instrumenta aveugles et ostensibles 
dans les mains de mes ennemis adroits et cachés. 
Le clergé catholique , qui seul a voit à se plaindre 
de moi, ne m'a jamais fait ni voulu aucun mal ; et 
le clergé protestant, qui n'a^oit qu'à s'en louer, ne 
m'en a fait et voulu que parcequ'il est aussi stu- 
pide que courtisan, et qu'il n'a pas vu que ses en- 
nemis et les miens le faisoient agir pour me, nuire 
contre tous ses vrais intérêts. Je reviens à vous, 
monsieur, pour qui mes sentiments n'ont point 
changé, parceque je crois les vôtres toujours les 



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32 CORRESPONDAHCE. 

mêmes, et que les hommes de votre étoffe pren- 
nent moins l'esprit de leur état qu'ils n'y por- 
tent le leur. Je n'ai pas craint que les clameurs 
de M. Hume fissent impression sur tous, ni sur 
M. Abauzit , ni sur aucun de ceux qui me connois- 
sent; et, quant au public, il est mort pour moi; 
ses jugements insensés l'ont tué dans mon cœur: 
je ne connois plus d'autre bien que celui de la paix 
de Famé et des jours achevés en repos, loin du tu- 
multe et des hommes; et si les méchants ne veu- 
lent pas m'oublier, peu m'importe , pour moi 9 }^ 
les ai parfaiten^ent oubliés. M. Hume, en m^acca- 
blant publiquement des outrages que vous savez, 
a promis de publier les fsiits et les pièces qui les 
autorisent. Peut-être voudroit-il aujourd'hui n'a- 
voir pas pris cet engagement, mais il est pris en- 
fin : s'il le remplit, vous trouverez dans sa relation 
Féclaircissement que vous demandes; s'U ne le 
remplit pas, vous en pouirez juger par*là même : 
un tel silence, après le bruit qu'il a fkit, seroit dé< 
cisif. 11 faut, monsieur, que chacun ait son tour, 
c'est à présent celui de M. Hume : le mien vien- 
dra tard ; il viendra toutefois, je m'en fie à la PriH 
vidence. J'ai un défenseur dont les opérations soat 
lentes , mais aigres ; je les attends, et je me tais. Jô 
suis touché du souvenir de M. Abauzit et de ses 
obligeantes inquiétudes : salue^-'le teqdrement et 
respectueusement de ma part; m^rquez^lui qui) 



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ANHÉE 1766. 33 

ne se peut pas qa*an homme qm sait honorer 
dignement la vertu en soit dépourvu lui-même : 
assurez-le que, quoi que puissent foire et dire, et 
M. Hume , et les gaze tiers , et les plénipotentiaires y 
et toutes les puissances de la terre, mon ame res- 
tera toujours la même: elle a passé par toutes les 
épreuves , et les a soutenues ; il n'est pas au pou- 
voir des hommes de la changer. Je "vous remercie 
de lofFre que vous me faites de mlnstruire de ce 
qui se passe ; mais je ne l'accepte pas : je ne prévois 
que trop ce qui arrivera, comme j'ai prévu tout 
ce qui arrive. La bourgeoisie n'a démenti en rien 
la haute opinion que j 'a vois d'elle; sa conduite, 
toujours sage, modérée, et ferme dans d'aussi 
cruelles circonstances, offre un exemple peut-être 
unique, et bien digne d'être célébré. Jamais ils 
n'ont mieux mérité de jouir de la liberté qu'au 
moment qu'ils la perdent ; et j'ose dire qu'ils effa- 
cent la gloire de ceux qui la leur ont acquise. Vous 
devriez bien, monsieur, former la noble entre- 
prise de célébrer ces hommes magnanimes, en 
faisant Foraison funèbre de leur liberté : votre 
cœur seul , même sans vos talents , sufifiroit pour 
vous faire exécuter supérieurement cette entre- 
prise; et jamais Isocrate et Démosthène n'ont 
traité de plus grand sujet. Faites-le, monsieur , 
avec majesté et simplicité; ne vous y permettez ni 
satire ni invective, pas un mot choquant contre 



gorristondauce. t. t. 



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34 CORBESPONDANCE. 

les destructeurs de la république^ les £iits, sansf 
y ajouter de réflexion, quand ils seront à leur 
charge. Détournez vos regards de l'iniquité triom- 
phante, et ne voyez que la vertu dans les fers. Imi- 
tez cette ancienne prêtresse d'Athènes qui ne 
voulut jamais prononcer d'imprécations contre 
Alcihiade, disant qu'elle étoit ministre des dieux, 
non pour excommunier et maudire, mais pour 
louer et bénir. 

LETTRE DCCXIX. 

A MILORD MARÉCHAL. 

7 septembre 1766. 

Je ne puis vous ea^primer, milord^ à quel point, 
dans les circonstances où je me- trouve, je suis 
alarmé de votre silence. La dernière lettre que j'ai 
reçue de vous étoit du.... Seroit-il possible que les 
terribles clameurs de M. Hume eussent fait im- 
pression sur vous, et m'eussent, au milieu de 
tant de malheurs, ôté la seule consolation qui me 
restoit sur la terre? Non , milord : cela ne peut pas 
être ; votre ame ferme ne peut être entraînée par 
l'exemple de la foule; votre esprit judicieux ne 
peut être abusé à ce point. Vous n'avez point 



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ANNÉE 1766. 35 

connu cet homme, personne ne Fa connu, ou 
plutôt il n'est plus le même. Il n a jamais haï que 
moiseul; mais aussi quelle haine! un même cœur 
pourroit-il suffire à deux comme celle-là? Il a 
marché jusqu'ici dans les ténèbres , il s est caché ; 
mais maintenant il se montre à découvert. Il a 
rempli TAnglelerre, la France, les gazettes, l'Eu- 
rope entière, de cris auxquels je ne sais que ré- 
pondre, et d'injures dont je me croirois digne si 
je daignois les repousser. Tout cela ne décèle-t-il 
pas avec évidence le but qu'il a caché jusqu'à pré- 
sent avec tant de soin? Mais laissons M. Hume, je 
veux Foublier malgré les maux qu'il m'a faits: 
seulement qu'il ne m'ôte pas mon père ; cette perte 
est la seule que je ne pourroîs supporter. Avez- 
vous reçu mes dernières lettres, l'une du 20 juil- 
let et l'autre du 9 août? Ont-elles eu le bonheur 
d'échapper aux filets qui sont tendus tout autour 
de moi, et au travers desquels peu de chose passe? 
Il paroît que l'intention de mon persécuteur et 
de ses amis est de m'ôter toute communication 
avec le continent, et de me fiûre périr ici de dou- 
leur et de misère ; leurs mesures sont trop bien 
prises pour que je puisse aisément leur échapper. 
Je suis, préparé à tout et je puis tout supporter 
hors votre silence. Je m'adresse à M. Rougèmont; 
je ne connois que lui seul à Londres à qui j'ose me 

confier: s'il me refuse ses services, je suis sans 

3. 



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3« CORRESPONDANCE, 

ressource et sans moyens pour écrire à mes amis; 
Ah, milord! qu'il me vienne une lettre de vous, 
et je me console de tout le reste I 

LETTRE DCCXX. 

A M. RICHARD DAVENPORT. 

Wootton, le 1 1 septembre 1766. 

Après le départ, monsieur, de ma précédente 
lettre, j^en reçus enfin une de M. Becket: il me 
marque que les estampes sont dans une des autres 
caisses; ainsi je nai plus rien à dire : mais vous 
m'avouerez que, ne les trouvant pas dans la caisse 
où elles dévoient être, et trouvant les portefeuilles 
vides, il étoit assez naturel que je les crusse per- 
dues. Il me reste à vous faire mes excuses de vous 
avoir donné pour cette affaire bien de lembarras 
mal-à-propos. 

Vous recevez si bien vos hôtes , et votre habita- 
tion me paroît si agréable, que j'ai grande envie 
de retourner vous y voir Tannée prochaine. Si vous 
n'étiez pas pressé pour la plantation de votre jar- 
din, et que vous voulussiez attendre jusqu'à Tan- 
née prochaine, il me viendroit peut-être quelques 
idées; car, quant à présent, j'ai Tesprit encore 



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ANNÉE 1766. ij 

trop rempli de choses tristes pour qu aucune idée 
agréable vienne s y présenter ; mais Tasile où je 
suis, et la vie douce que j y mène m'en rendront 
bientôt, quand rien du dehors ne viendra les 
troubler. Puissé-je être oublié du public, comme 
je l'oublie 1 Quoi que vous en disiez, je préfère- 
rois, et je croirois faire une chose cent fois plus 
utile de découvrir une seule nduvelle plante, que 
de prêcher pendant cinquante ans tout le genre 
humain. 

Nous avons depuisquelques jours un bien mau- 
vais temps, dont je serois moins affligé, si j espé- 
rois qu'il ne s'étendit pas jusqu'à Davenport. J'en 
salue de tout mon cœur les habitants, et sur-tout 
le bon et aimable maître. 

LETTRE DCCXXL 

A MILORD MARÉCHAL. 

Wootton, le 37 septembre 1766. 

Je n'ai pas besoin, milord, de vous dire com- 
bien vos deux dernières lettres m'ont fait de plai- 
sir et m'étoient nécessaires. Ce plaisir a pourtant 
été tempéré par plus d'un article, par un, sur- 
tout, auquel je réserve une lettre exprès , et aussi 



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38 CORRESPONDANCE, 

paï* ceux qui regardent M. Hume, dont je ne sau- 
rôis lire le nom ni rien qui s'y rapporte, sans un 
serrement de cœur et un mouvement convulsif , 
qui £iit pis que de me tuer, puisqu'il me laisse 
vivre. Je ne cherche point, milord, à détruire 
Fopinion que vous avez de cet homme, ainsi que 
toute l'Europe; mais je vous conjure, par votre 
cœur paternel, de ne me reparler jamais de lui 
sans la plus grande nécessité. 

Je ne puis me dispenser de répondre à ce que 
vous m'en dites dans votre lettre du 5 de ce mois. 
Je vois avec douleur, me marquez-vous , que vos en- 
nemis mettront sur le compte de M. Hume tout ce 
quil leur plaira d'ajouter au démêlé ctentre iH>us et 
lui. Mais que pourroient-ils faire de plus que ce 
qu'il a Élit lui-même? Diront-ils de moi pis qu'il 
n'en a dit dans les lettres qu'il a écrites à Paris, 
par toute l'Europe , et qu'il a fait mettre dans toutes 
les gazettes? Mes autres ennemis me font du pis 
qu'ils peuvent et ne s'en cachent guère ; lui fait pis 
qu'eux et se cache, et c'est lui qui nç manquera 
pas de mettre sur leur compte le mal que jusqu'à 
ma mort il ne cessera de me faire en secret. 

Vous me dites encore, milord, que je trouve 
mauvais que M. Hume ait sollicité la pension du 
roi d'Angleterre à mon insu. Comment avez- vous 
pu vous laisser surprendre au point d'affirmer 
ainsi ce qui n'est pas? Si cela étoit vrai, je serois 



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ANNÉE 1766. 39 

un extravagant tout au moins; mais rien n'est 
plus faux. Ce qui m*a fâché c^étoit qu'avec sa pro- 
fonde adresse il se soit servi de cette pension, sur 
laquelle il revenoit à mou insu, quoique refusée, 
pour me forcer de lui motiv:er mon refus et de 
lui faire la déclaration qu'il vouloit absolument 
avoir et que je voulois éviter, sachant bien Fusage 
qu'il en vouloit fiiire. Voilà, milord, l'exacte vé- 
rité, dont j'ai les preuves, et que vous pouvez af- 
firmer. 

Grâce au ciel ! j'ai fini quant à présent sur ce 
qui regarde M. Hume. Le sujet dont j'ai mainte- 
nant à vous parler est tel que je ne puis me résous 
<]re à le mêler avec celui-là dans la même lettre ; 
je le réserve pour la première que je vous écrirai, 
jllénagez pour moi vos précieux jours, j.e vous en 
conjure. Ah ! vous ne savez pas, dans labyme de 
malheurs où je sub plongé , quel seroit pour moi 
celui de vous survivre ! 



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4o CORRESPONDANCE. 



LETTRE DCCXXII. 



A MADAME ***. 



Wootton, le 27 septembre 1766. 

Le cas que tous m^exposeat, madame, est dans 
le fond très commun , mais mêlé de choses si ex- 
traordinaires, que votre lettre a lair d'un roman. 
Vo^e jeune homme nest pas de son siècle; c'est 
un prodigue ou un monstre. Il y a des monstres 
dans ce siècle, je le sais trop, mais plus vils que 
courageux , et plus fourhes que féroces. Quant aux 
prodiges , on en voit si peu que ce n'est pas la 
peine d'y croire ; et si Cassius en est un de force 
d*ame, il n'en est assurément pas un de bon sens 
et de raison. ■ . > 

Il se vante de sacrifices qui, quoiquHls fassent 
horreur, seroient grands s'ils étoient pénibles , et 
seroient héroïques s'ils étoient nécessaires, mais 
où, Êiute de l'une et de l'autre de ces conditions, 
je ne vois qu'une extravagance qui me fait très 
mal augurer de celui qui les a faits. Convenez, 
madame, qu'un amant qui oublie sa belle dans un 
voyage, qui en redevient amoureux quand il la 
revoit, qui l'épouse et puis qui s'éloigne, et l'ou- 



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ANNÉE 1766. 41 

blie encore, qui promet sèchement de revenir à 
ses couches et n'en fiiit rien, qui revient enfin pour 
lui dire qu'il 1 abandonne , qui part, et ne lui écrit 
que pour confirmer cette belle résolution ; conve- 
nez, dis-je, que si cet homme eut de lamour il 
n'en eut guère, et que la victoire dont il se vante 
avec tant de pompe lui coûte probablement beau- 
coup moins qu'il ne vous dit. 

Mais, supposant cet amour assez violent pour 
se faire honneur du sacrifice, où en est la néces- 
sité? c'est ce qui me passe. Qu'il s'occupe du su- 
Uime emploi de délivrer sa patrie , cela est fort 
beau, et je veux croire que cela est utile ; mais ne 
se permettre aucun sentiment étrangler à ce de- 
voir, pourquoi cela ? Tous les sentiments vertueux 
ne s'étaient-ils pas les uns les autres, et peut-on 
en détruire un sans les afFoiblir tous? J'ai cru 
long-^temps, dit-il, combiner mes affections avec mes 
devoirs. Il n'y a point là de combinaisons à Ëiire , 
quand ces affections elles-mêmes sont des devoirs. 
L'illusion cesse, et je vois qu^un vrai citoyen doit les 
abolir. Quelle est donc cette illusion , et où a-t-il 
pris cette affreuse maxime? S'il est de tristes situa- 
tions dans la vie, s'il est de cruels devoirs qui 
nous forcent quelquefois à leur en sacrifier d'au- 
tres , à déchirer notre cœur pour obéir à la né- 
cessité pressante, ou à l'inflexible vertu, en est-il, 
en peut-il jamais être qui nous forcent d'étouffer 



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42 CORRESPONDANCE, 

des sentimeiits aussi légitimes que ceux de la* 
mour filial, conjugal, paternel? et tout homme 
qui se fait une expresse loi de n'être plus ni fils, ni 
mari, ni père, oset-il usurper le nom de citoyen, 
ose-t-il usurper le nom dliomme? 

On diroit, madame, en lisant votre lettre, qu'^ 
s agit d'une conspiration. Les conspirations peu-^ 
vent être des actes héroïques de patriotisme, et 
il y en a eu de telles; mais presque toujours elles 
ne sont que des crimes punissables, dont les au- 
teurs songent bien moins à servir la patrie qu^à 
l'asservir, et à la délivrer de ses tyrans qu'à l'être. 
Pour moi, je vous déclare que je ne voudrois pour 
rien au monde avoir trempé dans la conspiration 
la plus légitime, parceque enfin ces sortes d'entre- 
prises ne peuvent s^exécuter sans troubles, sans 
désordres, sans violences, quelquefois sans eflFu- 
sion de sang, et qu'à mon avis le sang d'un seul 
homme est d'un plus grand prix que la liberté de 
tout le genre humain. Ceux qui aiment sincère^ 
ment la liberté n'ont pas besoin, pour la trouver, 
de tant de machines , et , sans causer ni révolu- 
tions ni troubles, quiconque veut être libre l'est 
en effet. 

Posons toutefois cette grande entreprise conmie 
un devoir sacré qui doit régner sur tous les aur 
très; doit- il pour cela les anéantir, et ces diffé- 
rents devoirs sont-ils donc à tel point incompa- 



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AN1!71ÊE 1766. 43 

tibles qu'on ne puisse servir la patrie sans renoncer 
à Fhumanité? Votre Gassius estil donc le premier 
qui ait formé le projet de délivrer la sienne, et 
ceux qui Font exécuté Font-ils fait au prix des sa- 
crifices dont il se vante? Les Pélopidas , les Brutus, 
les vrais Gassius , et tant d'autres , ont-ils eu be- 
soin d abjurer tous les droits du sang et de la 
nature pour accomplir leurs nobles desseins? y 
eut-il jamais de meilleurs fils , de meilleurs ma- 
ris, de meilleurs pères, que ces grands hommes? 
La plupart, au contraire, concertèrent leurs en- 
treprises au sein de leurs familles ; et Brutus osa 
révéler, sans nécessité, son secret à sa femme, 
uniquement parcequïl la trouva digne d'en être 
dépositaire. Sans aller si loin chercher des exem- 
ples, je puis, madame, vous en citer un plus mo- 
derne d'un héros à qui rien ne manque pour être 
à côté de ceux de l'antiquité, que d'être aussi 
connu qu'eux; c'est le comte Louis de Fiesque, 
lorsqu'il voulut briser les fers de Gênes , sa patrie, 
et la délivrer du joug des Doria. Ge jeune homme 
si aimable , si vertueux , si parfait, forma ce grand 
dessein presque dès son enfance, et s'éleva, pour 
ainsi dire, lui-même pour l'exécuter. Quoique 
très prudent, il le confia à son frère, à sa famille, 
à sa femme aussi jeune que lui; et, après des pré- 
paratifs très grands , très lents , très difficiles , le 
secret fut si bien gardé, l'entreprise fut si bien 



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44 GORBESPONDANCE. 

concertée et eut un si plein succès , que le jeune 
Fiesque étoit maître de Gènes au moment qu'il 
périt par un accident. 

Je ne dis pas qu il soit sage de révéler ces sortes 
de secrets, même à ses proches, sans la plus grande 
nécessité : mais autre chose est, garder son secret, 
et autre chose, rompre avec ceux à qui on le 
cache : j accorde même qu^en méditant un grand 
dessein 1 on est obligé de s'y livrer quelquefois 
au point d'oublier pour un temps des devoirs 
moins pressants peut-être, mais non moins sacrés 
sitôt qu on peut les remplir ; mais que, de propos 
délibéré, de gaieté de cœur, le sachant, le vou- 
lant, on ait avec la barbarie de renoncer pour 
jamais à tout ce qui nous doit être cher celle de 
l'accabler de cette déclaration cruelle, c'est, ma- 
dame, ce qu'aucune situation imaginable ne peut 
ni autoriser ni suggérer même à un homme dans 
son bon sens qui n'est pas un monstre. Ainsi je 
conclus, quoique à regret, que votre Cassius est 
fou , tout au moins ; et je vous avoue qu'il m'a 
tout-à-fait Fair d'un ambitieux embarrassé de sa 
femme, qui veut couvrir du masque de l'hé- 
roïsme son inconstance et ses projets d'agrandis- 
sement : or, ceux qui savent employer à son âge 
de pareilles ruses sont des gens qu'on ne ramène 
jamais, et qui rarement en valent la peine. 

Il se peut, madame, que je me trompe ; c'est à 



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ANNÉE 1766. 4& 

vous d^en juger. Je voudrois avoir des choses plus 
agréables à vous dire ; mais vous me demandez 
mon sentiment, il faut vous le dire, ou me taire, 
ou vous tromper. Des trois partis j ai choisi le 
plus honnête et celui qui pouvoit le mieux vous 
marquer, madame, ma déférence et mon respecta 

LETTRE DCCXXIIL 

A M. DU PEYROU. 

A Wootton, le 4 octobre 1766. 

Tuquoquel... 

J'ai reçu, mon cher hôte, votre lettre n® 32 ; je 
n ai pas besoin de vous dire quel effet elle a feit 
sur moi ; j'ai besoin plutôt de vous dire qu elle ne 
ma pas achevé. Celle n® 3o ne me préparoit pas à 
celle-là ; ce que vous aviez écrit à Panckoucke m y 
préparoit encore moins; et jaurois juré, sur-tout 
après la promesse que vous m'aviez faite, que 
vous étiez à l'épreuve du voyage de Genève. J'a- 
vois tort ; je devrois savoir mieux que personne 
qu'il ne faut jurer de rien. Le soin que vous pre- 
nez de me ramasser les jugements du public sur 
mon compte m'apprend assez quels sont les vôtres, 
et je vois que si vous exigez que je me justifie, 



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46 CORRESPONDANCE, 

c'est sur-tout auprès de vous; car, quant au pu- 
blic 9 vous savez que vos soins là-dessus sont in- 
utiles, que mon parti est pris sur ce point, et que 
de mon vivant je n'ai plus rien à lui dire. 

Mais avant de parler de ma justification , par- 
lons de la vôtre; car enfin je n'ai aucun tort 
avec vous, que je sache, et vous en avez avec moi 
de peu pardonnables ; puisque avant de se résoudre 
d accabler un ami dans mon état, il faut s'assurer 
d'avoir dix fois raison , après quoi l'on a tort en- 
core. J'entre en matière. 

Je vous disois dans ma précédente lettre que, 
lorsqu'on vous marqua que la pension m'avoit 
été offerte, cela étoit vrai; mais que, lorsqu'on 
ajouta que je l'avois refusée, cela étoit faux; qu'il 
étoit faux même que j'eusse alors l'intention de la 
refuser; que, comme c'étoit alors un secret, je 
n'en avois parlé à qui que ce fût ; qu'il falloit 
donc que ce bruit anticipé fût venu de M. Hume, 
qui lui-même avoit exigé le secret, etc. , etc. 

Là-dessus, voici votre réponse; de peur de la 
mal extraire, je la transcrirai mot à mot. 

« Votre lettre au général Conw^ay est du 1 2 mai, 
« et Faffaire de votre démêlé n'a éclaté dans ce 
tf pays et à Grcnève que sur la fin de juillet ; à Paris, 
(t dans le courant du même mois , ou dans celui 
u de juin. Il est donc possible que M. Hume n'ait 
« parlé , dans sa lettre à d'Alembert , de votre 



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ANNÉE 1766. 47 

« pension » que sur le refus de Faccepter fait à 
«M. Cionway. Je dis possible, parceque, n ayant 
« pas la date de la lettre à d'Alembert , je ne peux 
u pas l'assurer ; mais Fépoque en est du mois de 
«juin au plus tôt. Ainsi, la conséquence que vous 
•c tirez contre Hume de cette circonstance n'est 
tf pas nécessaire, et le secret ébruité de la pension 
«n'a eu lieu qu'après votre refus. Je vous feiis 
« cette réflexion pour vous engager à bien com- 
«biner les dates, à bien vous en assurer^ avant 
« d'établir sur elles aucunes inductions. Il me sera 
« difficile d'avoirladatedecettelettreàd'Alembert, 
« puisqu'elle ne se communique plus, mais je tâ- 
« cherai d'en savoir ce que je pourrai. Ce que j'en 
•c savois venoit d'une lettre de M. Fischer au capi- 
« taine Steiner de Couvet ; la lettre étoit de fraîche 
«date,. et je vous écrivis sur-le-champ son con- 
« tenu , et cela le 3 1 juillet. » 

Il parott, par tout ce récit, que je vous en ai 
imposé dans le mien, en antidatant le bruit ré- 
pandu de mon refus , pour en accuser M. Hume. 
Je crois que vous n'avez pas tiré positivement 
cette conséquence; mais, comme elle suit néces- 
sairement de votre exposé, sur-tout de la fin , il a 
bien fallu , malgré vous , qu'elle se présentât au 
moins dans l'éloignement, puisqu'il étoit totale- 
ment impossible , de la manière que vous pré- 
sentez la chose , que je fusse dans l'erreur sur ce 



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48 CORRESPONDANCE, 

point; et, quand j y aurois été, cette erreur sur 
pareil sujet eût été une étourderie impardonnable 
à mon âge, et ne pouvoit que rendre mon carac- 
tère très suspect. Or, sans vous parler des devoirs 
de lamitié, ceux de Téquité, de Thumanité, du 
respect qu*on doit aux malheureux, vouloient 
que TOUS commençassiez par bien tous assurer 
des faits qui entrainoient cette conséquence, et 
que TOUS ne tous fiassiez pas légèrement à TOtre 
mémoire pour m'imputer une pareille méchan- 
ceté. ÂTant d aller plus loin , je tous supplie de 
rentrer ici en Tous-mème, et de tous demander 
si j'ai tort ou raison. 

SuiTez maintenant ce que j'ai à tous dire. 

Premièrement, je Tiens de relire, en entier^ 
TOtre lettre du 3i juillet, n** 3o, et je n'y ai pas 
trouTé un seul mot de M. d'Alembert, ni de 
M. Fischer, ni de M. Steiner, ni de rien de ce 
que TOUS dites y aToir mis à ce sujet , et il n en 
est question , que je sache , dans aucune autre de 
Tos lettres. 

Mais Toici ce que tous m'écriTiez le 1 6 mars , 
dans TOtre n** 2 1 : 

« Si tous aTCz besoin d'un homme sûr, adres-^ 
« sez-TOus hardiment à mon ami Cerjeat; je tous 
«c fournis son adresse à tout éTénement. Il me dit 
«que Ton prétend que le roi tous a offert une 
(«pension que tous aTez refusée, par la raison 



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ANNÉE 1766. 49 

« que vous n'aviez pas voulu accepter celle que le 
«roi de Prusse vouloit vous faire, que vous ne 
« voulez pas recevoir des Suisses, et que vous vous 
u plaignez de. l'accueil que vous avez trouvé en 
u Angleterre. >» 

Voici là-dessus comment je raisonnois en vous 
écrivant le 1 6 août. 

M. de Cerjeat na pu vous écrire de Londres 
plus tard que le commencemei^it de mars, ce que 
vous me marquez de Neuchâtel du 16. 

Or, au commencement de mars , j^étois encore 
à Londres , d'où je ne suis parti que le 1 9 pour ce 
pays. 

Au commencement de mars , M. Hume avoit 
encore toute ma confiance , et j'avois eu la bêtise 
de ne pas le pénétrer, quoiquil entrât dans son 
profond projet que je le pénétrasse , et que per- 
sonne au monde ne le pénétrât que moi seul. 

Au commencement de mars , j'étois très déter- 
miné, sauf l'aveu de milord Maréchal, d'accepter 
la pension si réellement elle m'étoit donnée; chose 
dont, à la vérité, j ai toujours douté. 

Et au commencement de mars, je n'avois parlé 
de cette pension à qui que ce fût , qu'au seul mi- 
lord Maréchal, du consentement de M. Hume, et 
Ton ne pouvoit encore avoir la réponse. 

Je coDciuois de là qu il falloit que le bruit par- 
venu à M. de Cerjeat eût été répandu par M. Hume, 

COnitESPOlfDAKCE. T. V. 4 



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5o CORRESPONDANCE, 

qui m^avoit recommandé le secret, et je pensois, 
comme je le pense encore, quïl eût peut-être 
été très important pour moi qu on pût remon- 
ter à la source de ce premier bruit; mais j avoue 
que dans Fétat déplorable où j achève ma malheu- 
reuse vie, il est plus aisé de m accabler que de me 
servir. 

Combinez et concluez vous-même; pour moi, 
je n'ajouterai rien. Voilà, monsieur, mon premier 
giîef. Commençons, si vous voulez bien, par le 
mettre en règle, avant que daller plus loin. Aussi 
bien , je sens que mes forces achèvent de m aban- 
donner, et j ai besoin d'un peu de relâche dans le 
travail cruel auquel, au lieu de consolation que 
j attendois de vous, il vous plaît de me condam- 
ner. Je reprendrai votre lettre article par article; 
et, avec Tame que je vous connois, vous gémirez 
de lavoir écrite; mais, en attendant, elle aura fait 
son effet. Je vous embrasse, mon cher hôte, de 
tout mon cœur. 

J'ai reçu réponse de milord Maréchal sur l'af- 
faire de M. d'Escherny. Dans ma première lettre, 
je vous ferai l'extrait de la sienne. 

Je reçois en ce moment votre n° 33 , et j'y vois 
que M. de Luze nie que nous ayons jamais cou- 
ché tous trois dans la même chambre durant la 
route. M. de Luze nie cela! Mon Dieu! suis-je 
parmi des hommes? Mon Dieu ! mais je crois que 



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ANNÉE 1766. 5i 

c'est un défaut de mémoire. Mon Dieu ! deman- 
dez, de grâce, à M. dôLuze, comment donc nous 
couchâmes à Roye, je crois que c'est à Roye, la 
première nuit de notre départ de Paris? Rappelez- 
lui que nous occupâmes une chambre à trois lits , 
dont je donne ici le plan pour éviter une longue 

description 

La main me tremble , je ne saurois tracer la 
figure. Il y avoit deux lits des deux côtés de la 
porte, et un dans le fond à main droite, que j'oc- 
cupai; la cheminée étoit entre mon lit et celui de 
M. de Luze, qui étoit à main droite en entrant. 
M, Hume occupoit celui de la gauche, etfaisoit dia- 
gonale avec moi. La table où nous avions soupe 
étoit devait la cheminée , entre le lit de M. de Luze 
et le mien. Je me couchai le premier, M. de Luze 
ensuite , M. Hume le dernier. Je le vois encore 
prendre sa chemise à manches étroites plissées... 
Mon Dieu !.... Parlez, de grâce, à M. de Luze; et 
son domestique nie-t-il aussi? Non , ce domestique 
est un valet, mais c'est un homme. Malheureuse- 
ment je ne l'ai pas revu depuis notre arrivée à 
Ijondres; il n'a point eu d'étrennes... mais c'est un 
homme enfin. "Si nous n'avions pas couché dans 
la même chambre, imaginez -vous à quel degré 
îroit ma stupidité, d'aller choisir un pareil men- 
songe, et concevez-vous que Hume l'eût laissé pas- 
ser sans le relever? J'ose dire plus: Hume, tout 

4. 



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52 CORRESPONDANCE. 

Hume qu il est, ne le niera pas, s'il ne sait pas que 
M. de Luze le nie. Ah Dieu ! parmi quels êtres 
suis-je ! Toute chose cessante , parlez à M. de Luze, 
et me répondez un mot , un seul mot , et je ne vous 
demande plus rien. Il me paroît, messieurs, que 
vous avez lun et Fautre peu de mémoire au ser- 
vice de la vérité et des malheureux. 

Il n'y avôit sur votre n** 33 qu'un petit brin de 
cire, très légèrement mis, et le peu d'empreinte 
qui paroît n'est pas de votre cachet. Si cette lettre 
a été ouverte, jugez de ce qu'il peut en arriver ! 



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LETTRE DGGXXIV. 

AU MÊME. 

A Wootton, le i5 octobre 1766. 

J'apprends, mon cher hôte, par votre n° 34, le 
sujet qui vous conduit à Béfort. Tous mes vœux 
vous y accompagnent; puissiez-vous y recouvrer 
votre bonne ouïe! Je vois maintenant, avec une 
peine extrême, qu'elle ne s'affecte plus qu'à force 
de bruit. 

J'ai vu aussi l'extrait de la lettre de milord 
Maréchal, où il vous dit que je blâme M. Hume 
d'avoir demandé et obtenu la pension sans moii 
aveu. J'avoue rondement que si cela est je suis un 



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ANNÉE 1766. 53 

^extravagant tout au moins. Je n*ai rien à dire 
de plus sur cet article; et, dès que milord Maré- 
chal m'accuse, je ne sais plus me justifier, ou du 
moins je ne le sais que par-devant lui. Revenons à 
vous. 

J'ai fait sur vos trois dernières lettres des ré- 
flexions qu'il faut que je vous communique. Sup- 
posons que je fusse mort avant de les avoir reçues, 
et par conséquent avant d'avoir pu m'expliquer 
avec vous, ni avec M. de Luze, ni avec milord 
Maréchal. 

Parcequ'une lettre de M. d'Alembert parloit 
d'un bruit répandu à Paris du refus de la pension 
du roi d'Angleterre, vous auriez continué de con- 
clure que ce bruit n'avoit pu courir à Londres au- 
paravant, et, ayant parfaitement oublié ce que 
vous avoit écrit M. de Cerjeat, vous seriez resté 
persuadé que j'a vois antidaté ce même bruit, tout 
exprès pour en accuser M. Hume. 

Milord Maréchal, qui prend pour un grief, ce 
dont je me plains, un fait que je lui rapporte en 
preuve d'un autre fait, auroit toujours vu que je 
blâmois M. Hume quand j'aurois dû le remercier ; 
et il eût conclu de là que non seulement je m'abu- 
sois sur le compte du bon David , mais que j'a vois 
cherché les chicanes les plus ridicules pour avoir 
le plaisir de rompre avec lui. 

M. de Luze, fondé sur cet admirable argument 



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54 CORRESPONDANCE, 

qu^il vous a donné pour bon, et que vous avez pris 
pour tel, que lorsqu en route deux passagers cout 
chent dans la même chambre il est impossible 
qu'il y en couche un troisième ; M. de Luze, dis- 
je, eût tenu bon dans cette persuasion, que, puis- 
qu'il avoit toujours couché dans la même cham- 
bre que M. Hume, je n'y a vois jamais couché. U 
eût donc cru d'abord, comme il a fait, que la 
lettre à M. Hume, où je disois y avoir couché, 
étoit falsifiée. Mais, quand enfin Ion eût vérifié 
que la lettre étoit authentique sur cet article, il 
eût nécessairement conclu qu'avec une impu- 
dence incroyable j'avois inventé cette fausseté 
pour appuyer une calomnie. 

Je pourrois ajouter ici l'article de M. Vernes, 
sur lequel vous êtes revenu deux fois de suite; 
mais je le réserve pour un autre lieu. Les trois 
précédents me suffisent, quant à présent. 

De ces trois jugements conmiuniqués entre 
vous et bien combinés, il eût résulté qu'avec tous 
mes beaux raisonnements , et avec toute la feinte 
probité dont je m'étois paré durant ma vie, je 
n'étois au fond qu'un insensé, un menteur, un 
calomniateur, un scélérat; et, comme l'autorité 
de mes plus vrais amis n'étoit pas suspecte, si ma 
mémoire eût passé à la postérité, elle n'y eût passé 
que comme celle d'un malfaiteur, dont on se sou- 
vient uniquement pour le détester. 



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ANNÉE 1766. 55 

Et tout cela, parceque M. de Luze n*a point de 
mémoire et raisonne mal; parceque M. du Peyrou 
n*a point de mémoire et raisonne mal ; et parce- 
que milord Maréchal , prévenu que je blâme à tort 
le bon David, voit par-tout ce blâme, et même où 
je n en ai point mis. 

Cela m'a bien appris, mon cher hète, ce que 
vaut lopinion des hommes quels qu'ils soient, et 
à quoi tient ce qu'on appelle dans le monde hon- 
neur et réputation , puisque l'événement le plus 
cruel, le plus terrible de ma vie entière, celui 
dont j'ai porté le coup accablant avec le plus de 
constance, «où je n'ai pas fait une démarche qui ne 
soit un acte de vertu, est précisément celui qui , 
si je n'y avois pas survécu, m'attiroît une igno- 
minie étemelle, non pas seulement de la part du 
stupide public, mais de la part des hommes du 
iheilleur sens , et de mes plus solides amis. 

Eu devenant insensible aux jugements du pu- 
blic, je n'ai fait que la moitié de ma tâche ; j'ai 
gardé toute ma sensibilité à l'estime de ceux qui 
ont toute la mienne , et par-là je me suis assujetti 
à tous les jugements inconsidérés qu'ils peuvent 
foire, à toutes les erreurs où ils peuvent tomber, 
puisqu'enfin ils sont hommes. Prévoyant de loin 
tous les moyens détournés qu'on alloit mettre en 
usage pour vous détacher de moi, tous les préju- 
gés dont on alloit tâcher de vous éblouir, quelles 



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56 CORRESPONDANCE. 

sages mesures nai-je pas prises pour vous en ga- 
rantir? Comptant, comme j avois droit de le faire, 
sur votre confiance en ma probité, j*avois com- 
mencé par vous conjurer de ne rien croire de moi 
que ce que je vous en écrirois moi-même: vous 
me laviez promis très positivement; et la pre- 
mière chose que vous avez feite a été de manquer 
à cette promesse. Vous ne vous êtes pas contenté 
de vous livrer à tous les bruits du coin des rues, 
sur ce que je ne vous avois point écrit , mais même 
sur ce que je vous avois écrit; sitôt que quelqu'un 
s est trouvé en contradiction avec moi, c'est lui 
que vous avez cru , et c'est moi que vous avez re- 
fusé de croire. Exemple: dans ce que je vous avois 
marqué des mauvais offices que le bon David me 
rendoit auprès de M. Davenport, un M. de Bruhl 
écrit le contraire, et aussitôt vous me demandez 
si je suis bien sûr de Ce que je vous ai écrit. Vous 
me permettrez de ne pas trouver, en cette occa- 
sion, la question fort obligeante. Je nai pas, il est 
vrai, l'honneur d'être envoyé dun prince; mais, 
en revanche, je suis votre ami, et connu de vous 
ou devant l'être. 

Le résultat de toutes ces réflexions, que je vous 
communique, est de me détacher pour jamais de 
l'opinion des hommes , quels qu'ils soient, et même 
de ceux qui me sont les plus chers. Vous avez et 
vous aurez toujours toute mon estime ; mais je me 



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ANNÉE 1766. 57 

passerai de la vôtre, puisque vous la retirez si lé- 
gèrement, et je me consolerai de la perdre, en 
méritant de la conserver toujours. Je suis las de 
passer ma vie en continuelles apologies, de me jus- 
tifier sans cesse auprès de mes amis , et d essuyer 
leurs réprimandes lorsque j'ai mérité tous leurs 
applaudissements. Ne vous gênez pas plus désor- 
mais que vous n'avez fai t j usqu ici sur ce chapitre ; 
continuez, si cela vous amuse, à me rapporter les 
folies et les mensonges que vous entendez débiter 
sur mon compte. Bien de tout cela ne me fâchera 
plus , je vous le jure , mais je n'y répondrai de ma 
vie un seul mot. 

Ceci, du reste, regarde uniquement l'avenir; 
car je vous ai promis d'examiner avec vous votre 
n** 32 , et je veux tenir ma parole; mais il faut finir 
pour aujourd'hui. Dans l'état où je suis, la tâche 
que vous m'imposez ne peut se remplir sans re- 
prendre haleine. Je finis donc en vous réitérant 
mes plus tendres vœux pour votre rétablissement, 
et en vous embrassant, mon cher hôte, de tout 
mon cœur. 



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58 CORRESPONDANCE. 

LETTRE DCCXXV. 

AU MÊME. 

Wootton, le i5 Dovembre 1766. 

Je vois avec douleur, cher ami, par votre n*^ 35, 
que je vous ai écrit des choses déraisonnables dont 
vous vous tenez offensé. Il faut que vous ayez rai- 
son d'en juger ainsi, puisque vous êtes de sang 
froid en lisant mes lettres, et que je ne le suis 
guère en les écrivant ; ainsi vous êtes plus en état 
que moi de voir les choses telles qu elles sont. Mais 
cette considération doit être aussi de votre part 
une plus grande raison d'indulgence : ce qu'on 
écrit dans le trouble ne doit pas être envisagé 
comme ce qu'on écrit de sang froid. Un dépit ou- 
tré a pu me laisser échapper des expressions dé- 
menties par mon cœur, qui n'eut jamais pour vous 
que des sentiments honorables. Au contraire, 
quoique vos expressions le soient toujours, vos 
idées souvent ne le sont guère; et voilà ce qui, 
dans le fort de mes afflictions, a souvent achevé 
de m'abattre. En me supposant tous les torts dont 
vous m'avez chargé, il falloit peut-être attendre 
un autre moment pour me les dire, ou du moins 



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ANNÉE 1766. 59 

vous résoudre à endurer ce qui en pouvoit résul- 
ter. Je ne prétends pas , à Dieu ne plaise, m'excu- 
ser ici, ni vous charger, mais seulement vous 
donner des raisons, qui me semblent justes, d ou- 
blier les torts d'un ami dans mon état. Je vous en 
demande pardon de tout mou cœur; j'ai grand 
besoin que vous me iaccordiez, et je vous pro- 
teste, avec vérité, que je n*ai jamais cessé un seul 
moment d'avoir pour vous tous les sentiments que 
j'aurois désiré vous trouver pour moi. 

La punition a suivi de près lofFense. Vous ne 
pouvez douter du tendre intérêt que je prends à 
tout ce qui tient à votre santé, et vous refusez de 
me parler des suites de votre voyage de Béfort. 
Heureusement vous n*avez pu être méchant qu'à 
demi, et vous me laissez entrevoir un succès dont 
je brûle d'apprendre la confirmation. Écrivez-moi 
là-dessus en détail, mon aimable hôte; donnez- 
moi tout à-la-fois le plaisir de savoir que vos re- 
mèdes opèrent, et celui d'apprendre que je suis 
pardonné. J'ai le cœur trop plein de ce besoin 
pour pouvoir aujourd'hui vous parler d'autre 
chose, et je finis en vous répétant du fond de mon 
ame que mon tendre attachement et mon vrai res- 
pect pour vous ne peuvent pas plus sortir de mon 
cœur que l'amour de la vertu. 



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6o CORRESPONDANCE. 

LETTRE DCCXXVI. 

A M. LALLIAUD. 

Wootton^le 1 5 novembre 1766. 

A peine nous connoissons-nous, monsieur, et 
vous me rendez les plus vrais services de l'amitié: 
ce zèle est donc moins pour moi que pour la chose, 
et m'en est d'un plus grand prix. Je vois que ce 
même amour de la justice, qui brûla toujours 
dans mon cœur, brûle aussi dans le vôtre : rien ne 
lie tant les âmes que cette conformité. La nature 
nous fit amis; nous ne sommes, ni vous ni moi, 
disposés à l'en dédire. J'ai reçu le paquet que vous 
m'avez envoyé par la voie de M. Dutens; c'est à 
mon avis la plus sûre. Le duplicata m'a pourtant 
déjà été annoncé, et je ne doute pas qu'il ne me 
parvienne. J admire l'intrépidité des auteurs de 
cet ouvrage, et sur-tout s'ils le laissent répandre 
à Londres, ce qui me paroît difficile à empêcher. 
Du reste, ils peuvent faire et dire tout à leur aise : 
pour moi, je n'ai rien à dire de M. Hume, sinon 
que je le trouve bien insultant pour un bon 
homme, et bien bruyant pour un philosophe. 
Bonjour, monsieur ; je vous aimerai toujours, mais 



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ANNÉE 1766. 61 

je ne vous écrirai pas, à moins de nécessité: ce- 
pendant je serois bien aise, par précaution, d'a- 
voir votre adresse. Je vous embrasse de tout mon 
cœur, et vous prie de dire à M. Sauttersheim que 
je suis sensible à son souvenir, et n ai point oublié 
notre ancienne amitié. Je suis aussi surpris que 
fâché quavec de l'esprit, des talents, de la dou- 
ceur, et une assez jolie figure, il ne trouve rien à 
faire à Paris. Cela viendra , mais les commence- 
ments y sont difficiles. 



LETTRE DCCXXVII. 

A MADEMOISELLE DEWTES. 

Wootton, le 9 décembre 1766. 

Ma belle voisine, vous me rendez injuste et ja- 
loux pour la première fois de ma vie : je n ai pu 
voir sans envie les chaînes dont vous honoriez 
mon Sultan; et je lui ai ravi l'avantage de les por- 
ter le premier : j'en aurois dû parer votre brebis 
chérie , iaais je n'ai osé empiéter sur les droits d'un 
jeune et aimable berger; c'est déjà trop passer les 
miens de faire le galant à mon âge, mais puisque 
vous me l'avez fait oublier, tâchez de Foublier 
vous-même , et pensez moins au barbon qui vous 



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62 CORRESPONDANCE. 

rend hommage , qu'au soin que vous avez pris de 

lui rajeunir le cœur. 

Je ne veux pas, ma belle voisine, vous ennuyer 
plus long-temps de mes vieilles sornettes : si je 
vous contois toutes les bontés et amitiés dont votre 
cher oncle m'honore, je serois encore ennuyeux 
par mes longueurs ; ainsi je me tais. Mais revenez 
Tété prochain en être le témoin vous*même , et 
ramenez madame la comtesse', à condition que 
nous serons cette fois-ci les plus forts, et qu'au 
lieu de vous laisser enlever comme cette année, 
vous nous aiderez à la retenir. 



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LETTRE DCXXVIII. 

A MILORD MARÉCHAL. 

1 1 décembre 1 766. 

Abréger la correspondance*!.... Milord, que 
m annonce^vous , et quel temps prenez-vous pour 

' Madame la comtesse Cowper, Teuve du feu comte Cowper, et 
fille du comte de Granville. 

* • La lettre de milord Maréchal à laquelle celle-ci sert de réponse 
se terminoit ainsi: «Je suis vieux, infirme; j'ai trop peu de mé- 
u moire. Je ne sais plus ce que j*ai écrit à M. du Peyrou , mais je 
« sais très positivement que je desirois vous servir en assoupissant 
« une querelle sur des soupçons qui me paroissoient mal fondés, et 



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ANNÉE 1766. 63 

cela ! Serois-je dans votre disgrâce? Ah ! dans tous 
les malheurs qui m accablent, voilà le seul que je 
ne saurois supporter. Si j'ai des torts, daignez les 
pardonner; en est-il, en peut-il être que mes sen- 
timents pour vous np doivent pas racheter? Vos 
bontés pour moi font toute la consolation de ma 
vie: voulez- vous m'ôter cette unique et douce 
consolation? Vous avez cessé d'écrire à vos pa- 
rents! Eh' qu'importe tous vos parents, tous vos 
amis ensemble? ont-ils pour vous un attachement 
comparable au mien? Eh ! milord, c^est votre âge , 
ce sont mes maux qui nous rendent plus utiles 
l'un à l'autre : à quoi peuvent mieux s'employer 
les restes de la vie , qu'à s'entretenir avec ceux qui 
nous sont chers? Vous m'avez promis une éter- 
nelle amitié ; je la veux toujours , j'en suis toujours 
digne. Les terres et les mers nous séparent, les 
hommes peuvent semer bien des erreurs entre 

« non pas vous 6ter un ami. Peut-être ai-je fait quelques sottises : 
« pour les éviter k Favenir, ne trouvez pas mauvais que j'abrège la 
«correspondance, comme j'ai dëja fait avec tout le monde, même 
« avec mes plus proches parents et amis, pour finir mes jours dans 
« la tranquillité. Bonsoir. 

«Je dis abréger; car je désirerai toujours savoir de temps en temps 
« des nouvelles de votre santé, et qu'elle soit bonne. >» 

D'amples éclaircissements à ce sujet, et la preuve de l'amitié que 
milord Marécbal conserva pour Rousseau jusqu'à ses derniers mo- 
ments, se trouve dans la Réponse dune anonyme (madame La Tour 
de Franqueville) h un anonyme y et dans V Histoire de la vie et des 
ouvrages de J, J, Rousseau, tome 1 , et tome n, article Reit. 



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64 CORRESPONDANCE, 

nous; mais riea ne peut séparer mon cœur du 
vôtre, et celui que vous aimâtes une fois n'a point 
changé. Si réellement vous craignez la peine d'é- 
crire, c'est mon devoir de vous l'épargner autant 
qu'il se peut : je ne demande, à chaque fois, que 
deux lignes, toujours les mêmes, et rien de plus : 
J'ai reçu votre lettre de telle date; je me porte bien, et 
je vous aime toujours. Voilà tout ; répétez-moi ces 
dix mots douze fois l'année, et je suis content. De 
mon côté j'aurai le plus grand soin de ne vous 
écrire jamais rien qui puisse vous importuner ou 
vous déplaire : mais cesser de vous écrire avant 
que la mort nous sépare! non, Milord, cela ne 
peut pas être ; cela ne se peut pas plus que cesser 
de vous aimer. 

Si vous tenez votre cruelle résolution , j'en 
mourrai; ce n'est pas le pire; mais j'en mourrai 
dans la douleur, et je vous prédis que vous y au- 
rez du regret. J'attends une réponse, je l'attends 
dans les plus mortelles inquiétudes; mais je con- 
nois votre ame, et cela me rassure : si vous pou- 
vez sentir combien cette réponse m'est nécessaire, 
je suis très sûr que je l'aurai promptement. 



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ANNÉE 1766. 65 

LETTRE DCCXXIX; 

A M. d'iVERNOIS. 

Wootton, leii dëcefiabre 1765. 

J'étois extrêmement en peine de vous, mon- 
sieur, quand j ai reçu votre lettre du 1.9 novem- 
bre,, qui ma tranquillisé sur vôtre santé et sur 
votre amitié, mais qui m'a donné des douleurs, 
dont la perte de votre epfant, quelque touché que 
je sois de tout ce qui vous afflige, n'est pourtant 
pas la plus vive* Cette vie, monsieur, n est le temps 
ni de la vérité , ni de la justice :41 faut s'en consoler 
par l'attente d'une meilleure. 

Tout bien pesé, je ne suis pas fâché que vous 
n'ayez pas fait cette année là bonne oeuvre que 
vous vous étiez proposée ; mais je le suis beaucoup 
que vous m'ayez laissé dans la plus parfaite incer- 
titude sur l'avenir. Il m'importeroit de savoir à 
quoi m'en tenir sur ce point. Il ne s'agit que d'un 
oui ou d'un non de votre part , que j'entendrai sans 
qu'il soit besoin de plus grande explication. 

C'est à regret que je vous écris si rarement et si 
peu : ce n'est pas faute d'avoir de quoi vous entre- 
tenir; mqjs il faut attendre de plus sûres occasions. 

CORREâVORDANCE. T. V. 5 



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€6 CORRESPONDANCE. 

Mes respects à madame dlvemois; j'embrasse ten- 
drement tout ce qui vous est cher, tous ceux qui 
m aiment, et sur-tout votre associé. 



LETTRE DGCXXX. 

▲ M. DAVEI^PORT. 

32 dëoembre 1766. 

Quoique jusqu'ici, monsieur, malgré mes sdUi- 
citations et mes prières, je n aie pu obtenir de tous 
un seul mot d'explication, ni de réponse sur les 
choses qu'il m'importe le plus de savoir, mon ex- 
trême confiance en Vous m*a fait endurer patiem- 
ment ce silence, bien que très extraordinaire. 
Mais , monsieur, il est temps qull cesse; et vous 
pouvez juger des inquiétudes dont je suis dévoré, 
vous voyant prêta partir pour Londres sans m'ac- 
corder, malgré vos promesses, aucun des éclair- 
cissements que je vous ai demandés avec tant d'in- 
stances. Chacun a son caractère; je suis ouvert et 
confiant plus qull ne faùdroit peut-être : je ne de- 
mande pas que vous le soyez comme moi ; mais 
c'est aussi pousser trop loin le mystère, que de re- 
fuser constamment dé jfne dire sur quel pied je 
suis dans votre maisolQ , et si j'y suis de trop ou 



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ANNÉE 1766. 67 

non. Considérer, je vous supplie, ma situation , et 
jugez de mes embarras ; quel parti puis-je pren- 
dre, si vous refusez de me parler? Dois-je rester 
dans votre xnaisoft malgré vous? en puis-je sortir 
sans votre assistance? Sans amis, ^ans connois-^ 
sanees , enfonce dans un pays dont j'ignore la lan- 
gue, je suis entièrement à la inerci de vos gens : 
c'est à votre invitation que j Y suis venu , et vous 
m'avez aidé à y venir; il convient, ce me semble, 
que vous m'aidiez de même à en partir, si j'y suis 
de trop. Quand j'y resterois, il iPaudroit toujours, 
malgré toutes vos répugnances, que vous eussiez 
la bonté de prendre des arrangements qui ren- 
dissent mon séjour chez vous moins onéreux pour 
l'un et pour l'autre. Les honnêtes gens gagnent 
toujours à s'expliquer et s'entendre entre eux : si 
vous entriez avec moi dans les détails dont vous 
vous fiez à vos gens, vous seriez moins trompé et 
je serois mieux traité, nous y trouverions tous 
deux notre avantage j tous avez trop d'esprit pour 
ne pas voir qu'il y a des gens à qui mon séjour 
dans votre maison déplaît beaucoup, et qui feront 
de leur mieux pour me le rendre désagréable. 

Que si, malgré toutes ces raisons, vous conti- 
nuez à garder avec moi le silence, cette réponse 
alors deviendra très claire, et vous ne trouvera 
pas mauvais que, sans m'obstiner davantage inu- 
tilement, je pourvoie à ma retraite comme je 

5. 



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68 CORRESt^ONDANCE, 

pourrai, sans vous en parler davantage, empor- 
tant un souvenir très reconnoissant de Thospita» 
lité que vous m avez offerte, mais ne pouvant me 
dissimuler les cruels embarras où je me suis mis 
en lacceptant. 



LETTRE DGGXXXI. 

A LOHD VICOMTE DE NUNCHAM, 
aujourd'hui comte de habcouat. 

Wootton , le a4 décembre 1 766. 

Jecroirois, milord, exécuter peu honnêtement 
la résolution que j ai prise de me défeire de mes 
estampes et de mes livres, si je ne vous priois de 
vouloir bien commencer par en retirer les es- 
tampes dont vous avez eu la bonté de me faire 
présent. J en fais assurément tout le cas possible , 
et la nécessité de ne rien laisser sous mes yeux 
qui me rappelle un goût auquel je veux renoncer 
pouvoit seule eti obtenir le sacrifice. S'il y a dans 
mon petit recueil , soit d estampes, soit de livres, 
quelque chose qui puisse vous convenir, je vous 
prie de me faire l'honneur de l'agréer, et sur-tout 
par préférence ce qui me vient de votre digne 



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ANNÉE 1766. 69 

ami M. Wateletyet qui ne doit passer qu en main 
dami. Enfin, milord, si vous êtes à portée d'ai- 
der au débit du reste, je reconnoîtrai, dans cette 
bonté, les soins officieux dont vous m'avez permis 
de me prévaloir. Cest chez M. Davenport que 
vous pourrez visiter le tout, si vous voulez bien 
en prendre la peine. Il demeure en Piccadilly à 
côté de lord Ëgremond. Recevez, milord, je vous 
prie,f||^ assurances de ma reconnoissance et de 
mon respect. 



LETTRE DCCXXXII. 

A M 

Janyier 1767. 

Ce que vous me marquez, monsieur, que 
M. Deyverdun a un poste cbez le général Conway, 
m'explique une énigme à laquelle je ne pôuvois 
rien comprendre, et que vous verrez dans la let- 
tre d0iït je joins ici une copie feite sur celle que 
M. Hume a envoyée à M. Davenport. Je ne vous 
la communiqué pas pour que vous vérifiiez si le-^ 
dit M. Deyverdun a écrit cette lettré, chose dont 
je ne doute nullement, ni s'il est en effet Fauteur 
des écrits en question , mis dans le Saint-James 



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70 CORRESPONDANCE- 

Chronkle, ce que je sais parfaitement être faux ; 
d^ailleurs ledit M. Deyyerdun, bien instruit, et 
bien préparé à son rôle de prète-nom , et qui peut- 
être Fa commencé lorsque lesdits écrits furent 
portés au Saint-James Chronick, est trop sur ses 
gardes pour que vous puissiez maintenant rien 
savoir de lui ; mais il n'est pas impossible que dans 
la suite des temps, ne paroissant instruit de rien, 
et gardant soigneusement le secret que^ vous 
confie, vou? parveniez à pénétrer le secret de 
toutes ces manœuvres, lorsque ceux qui « y sont 
prêtés seront moins sur leurs gardes ; et tout ce 
que je souhaite, dans cette affaire, est que vous 
découvriez la vérité par vous-même. Je pense aussi 
qu'il importe toujours de connoître ceux avec qui 
Ton peut avoir à vivre, et de savoir si ce sont 
d'honnêtes gens: or, que ledit Deyverdun ait fait 
ou non les écrits dont il aie vante, vous savez main- 
tenant, ce mé semble, à quoi vous en tenir avec 
lui. Vous êtes jeune, vous me survivrez, j'espère, 
de beaucoup d années ; et ce m'est une consolation 
très douce de penser quun jour, quand le fond 
de cette triste affaire sera dévoilé, vous $»rez à 
portée d en vérifier par vous-même beaucoup de 
feita, que vous saurez de mon vivant sans qu'il$ 
vous frappent, parcequ il vous est impossible d'en 
voir les rapports avec mes malheurs. Je vous em- 
brasse de tout mon cœur. 



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ANNÉE 1767. 71 

LETTRE DCCXXXIII. 

AU MÊME. 

janyier 1767. 

Quand je vous pris au mot, monsieur, sur la 
liberté que vous m'accordiez de ne vous pas ré- 
pondre, j'étois bien éloigné de croire que ce si* 
lence pût vous inquiéter sur l'effet de votre pré* 
cédente lettre : je n y ai rien vu qui ne confirmât 
les sentiments d'estime et d attachement que vous 
m'avez inspirés; et ces sentiments sont si vrais, 
que si jamais j'étois dans le cas de quitter cette 
province , je souhaiterois que ce fût pour me rap* 
procher de vous. Je vous avoue pourtant que je 
suis touché des soins de M. Davenport; et si con* 
tént de sa société, que je ne me priverois pas sans 
regret d'une hospitalité si douce; mais comme il 
souffre à peine que je lui rembourse une partie 
des dépenses qtie je lui coûte , il y auroit trop d'in* 
discrétion à rester toujours chez^lui sur le même 
pied, et je ne croirois pouvoir me dédommager 
des agréments que j'y trouve, que par ceux qui 
m attendroient auprès de vous. Je pense souvent 
avec plaisir à la ferme solitaire que nous avons vue 



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72 CORRESPONDANCE, 

ensemble et à lavantage d y être votre voisin ; mais 
ceci sont plutôt des souhaits vagues que des pro- 
jets d une prochaine exécution. Ce qu'il y a de 
bien réel est le vrai plaisir que j ai de correspon- 
dre en toute occasion à la bienveillance dont vous 
m'honorez, et de la cultiver autant qu il dépendra 
de moi. 

Il y a long-temps , monsieur, que je me suis 
donné le conseil de la dame dont vous parlez : j au- 
rois dû le prendre plus tôt ; mais il vaut mieux 
tard que jamais. M. Hume étoit pour moi une 
connoissanee de trois mois , qu'il ne m'a pas con* 
venu d'entretenir : après un premier mouvement 
d'indignation dont je n'étois pas le maître, je me 
suis retiré paisiblement: il a voulu une rupture 
formelle; il a fallu lui complaire: il a voulu en- 
suite une explication ; j y ai consenti. Tout cela 
s'est passé entre lui et moi : il a jugé à propos d'eu 
faire le vacarme que vous savez; il l'a fait tout seul, 
je me suis tu ; je continuerai de me taire , et je n'ai 
rien du tout à dire de M. Hume, sinon que je le 
trouve un peu insultant pour un bon homme, et 
un peu bruyant pour un philosophe. 

Comment va la botanique? vous en occupez- 
vous un peu ? voyez- vous des gens qui s'en occu- 
pent? pour moi, j'en raffole, je m'y acharne, et 
je n'avance point : j'ai totalement perdu la mé- 
moire, et de plus, je n'ai pas de quoi l'exercer j 



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ANNÉE 1767. 73 

car avant de retenir il faut apprendre, et ne pou- 
vant trouver par moi-même les noms des plantes, 
je n'ai nul moyen de les savoir : il me semble que 
tous les livres qu on écrit sur la botanique ne sont 
bons que pour ceux qui la savent déjà. Tai acquis 
votre Stillingfleet, et je n'en suis pas plus avancé. 
Jai pris le parti de renoncer à toute lecture, et 
de vendre mes livres et mes estampes, pour ache- 
ter des plantes gravées : sans avoir le plaisir d'ap- 
prendre, j'aurai celui d'étudier; et pour mon objet 
cela revient à-peu -près au même. 

Au reste, je suis très heureux de m'être pro- 
cure une occupation qui demande de l'exercice ; 
car rien ne me feit tant de mal que de rester assis, 
ou d'écrire ou lire ; et c est une des raisons qui me 
font renoncer à tout commerce de lettres, hors 
les cas de nécessité. Je vous écrirai dans peu ; mais 
de grâce, monsieur, une fois pour toutes, ne pre- 
nez jamais mon silence pour un signe de refroi- 
dissement ou d'oubli , et soyez persuadé que c'est 
pour mon cœur une consolation très douce d'être 
aimé de ceux qui sont aussi dignes que vous 
d'être aimés eux-mêmes : mes respects empressés 
à M. Malthus , je vous en supplie ; recevez ceux de 
mademoiselle Le Vasseur, et mes plus cordiales 
salutations. • 



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74 CORRESPONDANCE. 

LETTRE DCCXXXIV. 

RÉPONSES 
AUX QUEsnoMs tkrm pab m. di cbautbl *. 

A Wootton, le 5 janvier 1767. 

Jamais, nj en 4 769, ni en aucun autre temps, 
M. Marc Ghappuis ne m*a proposé ^ de la part de 
M. de Voltaire, d'habiter une petite maison app*e^ 
lèe l'Ermitage. En 1 7 5 5 , M. de Voltaire , me pres- 
sant de revenir dans ma patrie, mlnvitoit d aller 
boire du lait de ses vaches. Je lui répondis. Sa 
lettre et la mienne furent publiques. Je ne me 
ressouviens pas d avoir eu de sa part aucune autre 
invitation. 

Ce que j'écrivis à M. de Voltaire, en 17.60*, 
n'étoit point une réponse. Ayant retrouvé par ha- 

' * Voyez dans la Correspondance de Voltaife sa lettre à Hume, 
datée de Ferney, 34 octobre 1766. Ces Réponses de Rousseau ont 
pour objet de détruire une partie des assertions calomnieuses 
qu'elle contient. Rousseau sans doute dédai^e de répondre aux 
autres , relatives aux relations qui avoient en lien entre Voltaire et 
lui. Mais M. Ging^ené (note 11 de son ouvrage s\|r les Confesâonsy 
s*est chargé de cette noble tâche, et n*a rien laissé à désirer sur ce 
point. 

** Voyei les Confessions, livre x^ tome 11. 



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ANNÉE 1767. 75 

$ard le brouillon de cette lettre, je la transcris ici, 
permettant à M. de Chauvel d'en &ire lusa^e qu il 
lui plaira'. 

Je ne me souviens point exactement de ce que 
j'écrivis il y a vingt-trois ans à M. du Theil : mais 
il est vrai que j^ai été domesitique de M. de Mon- 
taigu, ambassadeur de France à Venise, et que 
j'ai mangé son pain, comme ses gentilshommes 
étoiejit ses domestiques -et mangeoient son pain: 
avec cette différence^ que javois j>ar-tout le pas 
sur les gentilshommtes, que jallois au sénat, que 
j assistois aux conférences, et que j allois en visite 
cbez les ambassadeurs et ministres étrangers ; ce 
qu'assurément les gentilshommes de l'ambassa- 
deui: n eussent osé faire. Mais bien qu eux et moi 
fussions ses domestiques , il ne s'ensuit point que 
nous fussions ses yaleis. 

Il est vrai qu'ayant répondu sans insolence , 
mais avec fermeté, aux brutalités de l'ambassa- 
deur, dont le ton ressembloit assez à cehii de M. de 
Voltaire, il me menaça d'appeler ses g^as, et de 
me faire jeter par les fenêtres. Mais ce que M. de 
Voltaire ne dit pas ^ et dont tout Venise rit beau-^ 
coup dans ce temps-là, a'est que , sur cette menace, 
je m'approchai de 1^ porte de son cabinet, où 
nous étions; puis l'ayant fermée, et mis la clef 
dans ma poche, je revins à M. de Montaigu , et lui 

* On trouvera cette lettre dans le livre x des Confessions. 



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76 CORRESPONDANCE, 

dis: Non pas, s il vousplah, monsieur [ambassadeur. 
Les tiers sont incommodes dans les explications.Trou- 
vez bon que celle^i se passe entre nous. A Finstant 
son excellence devint très polie ; nous nous sépa- 
râmes fort honnêtement ; et je sortis de sa maison , 
non pas honteusement, comme il platt à M. de 
Voltaire de me feire dire, mais en triomphe. J al- 
lai loger chez labhé Patizel, chancelier du consu- 
lat. Le lendemain , M. Le Blond , consul de France , 
me donna un dîner, où M. de Saint-Cyr et une 
partie de la légation Françoise se trouva ; toutes 
les bourses me furent ouvertes, et j'y pris l'argent 
dont j'avois besoin , n ayant pu être payé de mes 
appointements. Enfin, je partis accompagné et 
fêté de tout le monde ; tandis que l'ambassadeur, 
seul et abandonné dans son palais, y rongeoit son 
frein. M. Le Blond doit être maintenant à Paris, 
etpeutattester tout cela ; le chevalier de Garrion , 
alors mon confrère et mon ami, secrétaire de 
l'ambassadeur d'Espagne , et depuis secrétaire de 
l'ambassade à Paris, y est peut-être encore, et 
peut attester la même chose. Des foules de lettres 
et de témoins la peuvent attester ; mais qu'importe 
à M. de Voltaire? 

Je n'ai jamais rien écrit ni signé de pareil à 
la déclaration que M. de Voltaire dit que M. de 
MontmoUin a entre les mains signée de moi. On 
peut consulter là-dessus ma lettre du 8 août 1766, 



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ANNÉE 1767. 77 

adressée à M. du Peyrou, imprimée avec les 
siennes à lord Wemyss. 

Messieurs de Berne mayant chassé de leurs 
états en 1766,3 l'entrée de l'hiver, le peu d'espoir 
de trouver nulle part la traqquillité dont j'avois 
si grand besoin, joint à ma foiblesse et au mau- 
vais état de ma santé, qui m'ôtoit le courage d'en- 
treprendre un long voyage dans une saison si 
rude, m'engagea d'écrire à M. le bailli de Nidau 
une lettre qui a couru Paris, qui a arraché des 
larmes à tous les honnêtes gens, et des plaisante- 
ries au seul M. de Voltaire. 

M. de Voltaire ayant dit publiquement à huit 
citoyens de Genève, qu'il étoit faux que j'eusse 
jamais été secrétaire d^un ambassadeur, et que je 
n'avois été que son valet, un d'entre eux m'in^ 
struisit de ce discours ; et , dans le premier mou- 
vement de mon indignation, j'envoyai à M. de 
Voltaire un démen##fcnditionnel, dont j'ai ou- 
blié les termes , mais qu'il avoit assurément bien 
mérité. 

Je me souviens très bien d'avoir une fois dit à 
quelqu'un, que je me sentois le cœur ingrat, et 
que je n'aimois point les bienfaits. Mais ce n'étoit 
pas après les avoir reçus que je tenois ce discours ; 
c'étoit au contraire pour m'en défendre ; et cela , 
monsieur, est très différeilt. Celui qui veut me 
servir à sa mode, et non pas à la mienne, cherche 



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••• 



78 CORRESPONDANCE. 

Tost^itation du titre de bienfaiteur; et je vous 
avoue que rien au monde ne me touche moins que 
de pareils soins. A voir la multitude prodigieuse 
de mes bienfeiteurs, on doit me croire dans une 
situation bien brillante. J ai pourtant beau regar- 
der autour de moi, je ny vois point les grands 
monuments de tant de bien&its. Le seul vrai bien 
dont je jouis est la liberté; et ma liberté , grâces 
au ciel, est mon ouvrage. Quelqu'un s ose -t- il 
vanter dy avoir contribué? Vous seul, ô George 
Keit ! pouvez le faire ; et ce n est pas vous qui 
m'accuserez dlngratitude. J'ajoute à miiord Maré- 
chal mon ami du Peyrou- Voilâmes vrais bienÊd- 
teurs. Je n'en connois point d'autres. Voulez-vous 
donc me lier par des bienfaits? Faites qu'ils soient 
de mon choix et non pas du vôtre ; et soyez sûr 
que vous ne trouverez de la vie unx^œur pluts vrai- 
ment reconnoissant que le mien. Telle est ma fa- 
(;on de penser, que je n'^jfeint déguisée ; vous 
êtes jeune, vous pouvez la dire à vos amis; et, si 
vous trouvez quelquW qui la blâme, ne vous fiez 
jamais à cet homme-là. 



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ANNÉE 1767. 79 



LETTRE DCCXXXV. 

A M. DU PEYROU. 

A Woûtton, le 8 janvier 1767. 

Que Dieu comble de ses bénédictions mon cher 
hôte, qui, par une réconciliation parfaite, ac- 
corde à mon cœur la paix dont il avoit besoin ! je 
prends à bon augure, dans ces circonstances, celle 
que vous m'annoncez pour le reste de mes jours 
â la fin de votre a° 38. Si je puis obtenir que le 
public m'oublie, comptez que je ne réveillerai 
plus ses soti^nirs. La postérité me rendra jus- 
tice , j'en suis très sûr ; cela me console des outrages 
de mes contemporains. 

C'est sans contredit une chose bien douce 
qu'une réconciliation, mais elle est précédée de 
moments si tristes, qu'il n'en faut plus acheter à 
ce prix. La première source de notre petite mésin- 
telligence est venue du défaut de votre mémoire 
et de la confiance que vous n^avez pas laissé d'y 
avoir. Dans vos deux pénultièmes lettres, par 
exemple, parlatit de ce que vous avoit dît M. de 
Luze , vous supposez m'avoir écrit qu'il disoit que 
je n'avois point couché à Calais dans la même 



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8o CORRESPONDANCE, 

chambre que M. Hume, fait qui est très vrai. Si 
c étoit là 9 en effet, ce que vous m aviez écrit aupa- 
ravant, j'aurois eu grand tort de m'en formaliser^ 
et mes réponses seroient très ridicules. Mais, mon 
cher hôte, votre n® 33 ne parloit point du tout de 
Calais , et décidoit nettement que je n*avois jamais 
couché dans la même chambre avec M. Hume; 
voici vos propres expressions : 

De Luxe doute que vous ayez en effet écrit que vous 
couchiez dans la même chambre où étoit Hume, par- 
ceque, dit-il, cest lui, deLuze, qui a toujours, pen-- 
dant la route occupé la même chambre avec M. Hume, 
et que vous étiez seul dans la vôtre. Ce mot toujours 
est décisif, <;e me semble, non seulement pour 
Calais, mais pour toute la route; et ma réponse, 
très blâùiable quant à lemporten^nÉ, est juste 
quant au raisonnement. ^ 

Dans votre n** 36 , vous me marquez que j ai 
rompu publiquement avec M. Hume. Mon cher 
hôte, où avez-vous pris cela? Mettez-vous donc sur 
mon compte le vacarme qu a fait le bon David , 
])endant que je nai pas dit un seul mot, si ce n est 
à lui seul, dans lé plus grand secret, et seulement 
quand il m'y a forcé? Comme jetois instruit de 
son projet, je craignois plus que la mort l'éclat 
de cette rupture; je m'en défendis de tout mon 
pouvoir, et je ne la fis enfin que par des lettres 
bien cachetées, tandis qu'il faisoit faire un grand 



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ANNÉE 1767. 81 

détour aux siaines pour me les envoyer ouvertes 
par M. Davenport. Ces lettres, s'il ne les tût mon- 
trées, n'eussent été vues que de lui, et je n'en au- 
rois parlé même à personne au monde, qu'à nû- 
lord Maréchal et à vous. Appelez-vous cela rom^ 
pre publiquement? 

Dans votre n^ 3ô, vous m'accusez d'avoir mis 
de la méchanceté dans ma lettre du 10 juillet. Ce 
que je viens de dire répond d'avance à cette accu- 
sation. La méchanceté consiste dans le dessein de 
nuire. Quand ma lettre eût contenu des choses ef- 
froyables, quel mal pouvoît-elle faire à M. Hume, 
n'étant vue que de lui seul? Il pou voit y avoir de 
la brutalité dans cette lettre, jamais de la mé- 
chanceté, puisqu'il n'en pou voit résulter aucun 
préjudice pour cdui à qui elle étoit écrite, qu'au- 
tant qu'il le vouloit bien. Mais, de grâce, relisez 
avec moins de prévention cette lettre : dans la po- 
sition où je l'ai écrite, elle est, j'ose le dire, un 
prodige de force d'ame, et de modération. Forcé 
de m'expliquer avec un fourbe insigne, qui, sous 
l'appareil des services, travaille à ma diffamation, 
je pousse le ménagement jusqu'à ne lui parler 
qu'en tierce personne , pour éviter, daps ce que 
j'avois à lui dire, la dureté des apostrophes. Cette 
lettre est pleine de ses éloges (vous voyez comment 
il me les a rendus) ; par-tout la raison qui discute, 

GORRESPOKDAMGB. T. V. 6 



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82 CORRESPONDANCE, 

pas un seul trait d msulte ou <l*humeur, pas un 
mouvement dmdignatioh , pas un mot dur, si ce 
n est quand la force du raisonnement le rend si 
nécessaire , qu'on ne sauroit ôter le mot sans éner- 
ver l'argument; encore^ alors même, ce mot 
n'est-ll jamais direct et affirmatif , mais hypothé- 
tique et conditionnel. Si vous blâmez cette lettre, 
j'en suis d'autant plus fôché que je veux qu'on 
juge par elle de lame qui l'a dictée. 

Cette sévérité de jugements, qui va jusqu'à 
l'injustice, est aussi loin de votre cœur que de 
votre raison, et ne vient que du défaut de votre 
mémoire. Vous recevez des éclaircissements qui 
vous font changer d'idée, et vous oubliez que je 
ne suis pas instruit de ce changement; vous voyez 
que ma rupture avec M. Hume est publique, et 
vous oubliez que je n'ai aucune part à cette publi- 
cité; vous voyez que je lui dis des choses dures 
qui sont imprimées, et vous oubliez également 
que c'est lui qui m'a forcé de les lui dire , et que 
c'est lui qui les a fait imprimer. Ce que vous avez 
écrit vous échappe ou se modifie, et il résulte de 
tout cela que je vous parois déraisonner toujours, 
parcequ'au lieu de répondre à votre idée pré- 
sente, que je ne saurois deviner, je réponds à 
celle que vous m'avez communiquée, et dont vous 
ne vous souvenez plus. 

Il y auroit à cela deux remèdes en votre pou- 



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ANNÉE 1767. 83 

voir : le premier serait que vous voulussiez bien 
présumer un peu moins de votre mémoire et un 
peu plus de ma raison, en sorte que, quand ma 
réponse cadreroit mal avec ce que vous croyez 
m avoir écrit, vous supposassiez quil faut que 
vous m'ayez écrit autre chose , plutôt que de con- 
•clure que je ne sais ce que je dis; l'autre seroit de 
garder des copies des lettres que vous m'écrivez , 
pour y avoir recours au besoin sur mes réponses. 
Un troisième moyen seroit que, toutes les fois que 
je réponds à quelque article de vos lettres , je com* 
mençasse par transcrire dans la mienne l'article 
auquel je réponds; mais cette manière de s'armer 
jusqu'aux dents avec ses amis me paroit si cruelle, 
que j'aime cent fois mieux me présenter nu et être 
navré. 

Outre les emportements très condamnables 
que je me reproche de mon côté, je tâcherai de 
me guérir aussi d'une mauvaise fierté qui me fait 
négliger des avis utiles, pour vous mettre en garde 
sur ce qu'on vous dit contre moi. Par exemple, 
quand vous commençâtes à me parler de M. Brulb 
avec de grands éloges, je ne voulus rien vous ré- 
pondre là-dessus; et en effet je n'ai rien à dire 
contre ces éloges, parceque je ne connois point 
du tout le caractère de M. Brulh. Mais ce que 
j'aurois pourtant dû vous dire est qu'il vint me 
voir à Chisvv^ick, et que son abord, son air, son 

6. 



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84 CORRESPONDANCE. 

ton , ses manières , me repoussèrent à tel point , 

qu'il ne fut pas en moi de le bien recevoir. 

Je finis sur ce sujet désagréable, pour ne vous 
en reparler jamais. Jaurois, sur certaines ques- 
tions que vous me faites dans votre lettre , beau- 
coup de choses à vous dire que je n'ose confier au 
papier. J'ignore encore si l'ami qui devoit venir 
cet automne pourra venir ce prhi temps. Je crains 
qu'il ne soit enveloppé dans Jes malheurs de sa 
patrie; s'il ne vient pas, je ne vois qu'une res- 
source pour vous parler en sûreté, c'est un chiffre 
auquel je travaille, et qu'il faudra bien risquer de 
vous envoyeir par la poste, faute de plus sûre voie. 
Examinez avec grand soin l'état du cachet de la 
lettre qui le contiendra, pour savoir si elle n'a 
point été ouverte ; je vous prévifens qu'elle sera ca- 
chetée avec le talisman arabesque que vous con- 
noissez, et dont on ne sauroit lever et rappliquer 
Tempreinte sans qu'il y paroisse. Je viens de rece- 
voir de M. de Cerjeat une invitation trop obli- 
geante pour que j'en méconnoisse la source. 
Quand vous aurez mon chiffre, nous en dirons 
davantage. Adieu, mon cher hôte; je sens toute 
votre amitié, et vous devez connoître assez mon 
cœur pour juger de lainienne. Mille tendres res- 
pects à la bonne maman. Milord Maréchal me di- 
soit que les hivers étoient doux en Angleterre : 
nous avons ici un pied de ^ce, et trois pieds 



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ANNÉE 1767. 8S 

de neige; je ne sentis de ma vie un froid si pi- 
quant. 

On vient de m apprendre que les papiers pu- 
blics disent la santé de milord Maréchal en mau- 
vais état. Eh quoi! mon Dieul toujours des mal- 
heurs, et toujours des plus terribles! Ce qui me 
rassure un peu est qu^en conférant la date de sa 
dernière lettre avec celle de ces nouvelles, je les 
crois fausses; mais je ne puis me défendre dune 
extrême inquiétude ; il ne m'écrira peut-être de 
très long-temps ; si vous*avez de ses nouvelles ré- 
centes, je vous conjure de m'en donner. Je vous 
embrasse* 

Recevez les remerciements et respects de ma- 
demoiselle Le Vasseur. 

Je compte tirer dans quelques jours sur vos 
banquiers une lettre-de-change de 800 francs. 



LETTRE DQCXXXVL 

A M. LE MARQUIS DE MIRABEAU. 

Wootton, le 3i janvier 1767. 

Il est digne de Fami des hommes de consoler 
les affligés, La lettre , monsieur, que vous m avez 
fait l'honneur de m'écrire, la circonstance où elle 



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86 CORRESPONDANCE, 

a été écrite, le npble sentiment qui Fa dictée, la 
main respectable dont elle vient, l'infortuné à 
qui elle s'adresse, tout concourt à lui donner dans 
mon cœur le prix qu elle reçoit du vôtre : en vous 
lisant, en vous aimant par conséquent, jai sou- 
vent désiré d être connu et aimé de vous. Je ne 
m attendois pas que ce seroit vous qui feriez les 
avances, et cela précisément au moment où je- 
tois universellement abandonné; mais la généro- 
sité ne sait rien faire à demi , et votre lettre en a 
bien la plénitude. Qu'il seroit beau que Fami des 
hommes donnât retraite à Fami deFégalité! Votre 
offre ma si vivement pénétré, j'en trouve l'objet 
si honorable à Fun et à l'autre , que par un autre 
effet, bien contraire, vous me rendrez malheu- 
reux peut-être, par le regret de n'en pas profiter; 
car, quelque doux qu'il me fût d'être votre hôte, 
je vois peu d'espoir à le devenir ; mon âge plus 
avancé que le vôtre», le grand éloignement, mes 
maux qui me rendent les voyages très pénibles , 
l'amour du repos, Me la solitude, le désir d'être 
oublié pour mourir en paix, me font redouter de 
me rapprocher des grandes villes où mon voisi- 
nage pourrôit réveiller une sorte d'attention qui 
fait mon tourment. D'ailleurs, pour ne parler que 
de ce qui me tiendroit plus près de vous , sans dou- 
ter de ma sûreté du côté du parlement de Paris, 
je lui dois ce respect de ne pas aller le braver dans 



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ANNÉE 1767. 87 

8on ressort, comme pour lui faire avouer tacite- 
ment son injustice; je le dois à votre ministère, à 
qui trop de marques affligeantes me font sentir 
que j ai eu le malheur de déplaire, et cela sans 
que j'en puisse imaginer d'autre cause qu'un mal- 
entendu d'autant plus cruel que, sans lui, ce qui 
m'attira mes disgrâces m'eût dû mériter des fa- 
veurs. Dix mots d explication prouveroient cela ; 
mais c'est un des malheurs attachés à la puissance 
humaine , et à ceux qui lui sont soumis , que 
quand les grands sont une fois dans l'erreur il 
est impossible qu'ils en reviennent. Ainsi, mon- 
sieur, pour ne point m'exposer à de* nouveaux 
orages, je me tiens au seul parti qui peut assurer 
le repos de mes derniers jours. J'aime la France, 
je la regretterai toute ma vie; si mon sort dépen- 
doit de moi, j'irois y finir mes jours, et vous se- 
riez mon hôte, puisque Vous n'aimez pas que j'aie 
un patron; mais, selon toute apparence, mes 
vœux et mon cœur feront seuls le voyage, et mes 
os resteront ici. 

Je n'ai pas;Çu , monsieur, sur vos écrits , l'indif- 
férence de M. Hume, et je pourrois si bien vous 
en parler, qu'ils sont, avec deux traités de bota- 
nique, les seuls livres que j aie apportés avec moi 
dans ma malle; mais , outre que je crois votre su- 
blime amour-propre trop au-desôus de la petite 
vanité d'auteur, pour ne pas dédaigner ces for- 



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88 CORRESPONDANCE, 

mulaires d'éloges, je suis déjà trop loin de ce^ 
sortes de matières pour pouvoir en parler avec 
justesse et même avec plaisir: tout ce qui tient 
par quelque côté à la littérature et à un métier 
pour lequel certainement je n'étois pas né m*est 
devenu si parfaitement insupportable, et son sou- 
venir me rappelle tant de tristes idées, que, pour 
n'y plus penser^ j'ai pris le parti de me défaire de 
tous mes livres , qu'on m'a très mal-à*propos en- 
voyés de Suisse : les vôtres et les miens sont partis 
avec tout le reste. J'ai pris toute lecture dans un 
tel dégoût, qu'il a fallu renoncer à mon Plutar- 
que : la fatigue même de penser me devient cha- 
que jour plus pénible. J'aime à rêver» mais libre- 
ment, en laissant errer ma tête et sans m'asservir 
à aucun sujet; et, maintenant que je vous écris, 
je quitte à tout moment la plume pour vous dire 
en me promenant mille choses charmantes, qui 
disparoissent sitôt que je reviens à mon papier. 
Cette vie oisive et contemplative que vous n'ap^ 
prouvez pas, et que je n'excuse pas, me devient 
chaque jour plus délicieuse : erre^ seul, sans fin 
et sans cesse, parmi les arbres et les«)chers qui 
entourent ma demeure; rêver, ou plutôt extrava- 
guer à mon aise, et^ comme vous dites, bayer aux 
corneilles; quand ma cervelle s'échauffe trop, la 
calmer en analysant quelque mousse ou quelque 
fougère; enfin me Uvrer sans gêne à mes fantai- 



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ANNÉE 1767. 89 

ûesj qui 9 grâce au ciel, sont toutes en mon pou- 
voir : voilà, monsieur, pour moi la suprême jouis- 
sance, à laquelle je n imagine rien de supérieur 
dans ce monde pour un homme à mon âge. et 
dans mon état. Si j allois dans une de vos terres, 
vous pouvez compter que je n y prendrois pas le 
plus petit soin en faveur du propriétaire; je vous 
verrois voler, piller, dévaliser, saas jamais en dire 
un seul mot, ni à vous ni à personne : tous mes 
malheurs me viennent de cette ardente haine de 
1 injustice, que je n'ai jamais pu dompter. Je me 
le tiens pour dit : il est temps d'être sage, ou du 
moins tranquille ; je suis las de guerres et de que- 
relles; je suis bien sûr denen avoir jamais avec 
les honnêtes gens, et je n'en veux plus avecjes 
fripons , car celles-là sont trop dangei^euses. Voyez 
donc, monsieur, quel homme utile vous mettriez 
dans votre maison. A Dieu ne plaise que je veuille 
avilir votre offre par cette objection ! mais cee^ 
est une dans vos maximes, et il faut être consé-? 
quent. 

En censurant cette nonchalance, vous me ré- 
pétei^ez que c'est n'être bon à riw que n'être bon 
que pour soi ' : mais peùlron être vraiment bon 
pour soi, sans être, par quelque côté, bon pour 
les autres? D'ailleurs considérez qu'il n'appar- 

^ * Cest la même pensée que dans V Emile y livre y ; mais elle reçoit 
ici à-la-fois une modification et une exception. 



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go CORRESPONDANCE, 

tient pas à tout ami des hommes d^étre, comme 
vous, leur bienfaiteur en réalité. Considérez que^ 
je n'ai ni état ni fortune, que je vieillis, que je 
suis infirme, abandonné, persécuté, détesté, et 
qu'en voulant faire du bien je ferois du mal , sur- 
tout à moi-même. J'ai reçu mon congé bien signi- 
fié par la nature et par les hommes : je lai pris, et 
j'en veux profiter. Je ne délibère plus si c'est bien 
ou mal fait, parceque c'est une résolution prise, 
et rien ne m'en fera départir. Puisse le public 
m'oublier comme je loublie ! S'il ne veut pas m'ou- 
blier, peu mïmporte qu'il m'admire ou qu'il me 
déchire; tout cela m'est indifférent; je tâche de 
n'en rien savoir, et quand je l'apprends je ne 
m'en soucie guère. Si l'exemple d'une vie inno- 
cente et simple est utile aux hommes , je puis leur 
faire encore ce bien-là; mais c'est le seul, et je 
suis bien déterminé à ne vivre plus que pour moi 
et pour mes amis, en très petit nombre, mais 
éprouvés, et qui me suffisent: encore aurois-je 
pu m'en passer, quoique ayant un cœur aimant 
et tendre , pour qui des attachements sont de vrais 
besoins ; mais ces besoins m'ont souvent coûté si 
cher, que j'ai appris à me suffire à moi-mènie, et 
je me suis conservé l'ame assez saine pour le pour 
voir. Jamais sentiment haineux, envieux, vindi- 
catif, n'approcha de mon cœur. Le souvenir de 
mes amis donne à ma rêverie un charme que le 



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ANNÉE 1767. 91 

souvenir de mes ennemis ne trouble point. Je suis 
tout entier où je suis, et point où sont ceux qui 
me persécutent. Leur haine, quand elle n'agit 
pas, ne trouble qu'eux, et je la leur laisse pour 
toute vengeance. Je ne suis pas parfaitement heu- 
reux, parcequ'il n'y a rien de parfait ici-bas, sur- 
tout le bonheur; mais j'en suis aussi près que je 
puisse l'être dans cet exil. Peu de chose de plus 
combleroit mes vœux; moins de maux corporels, 
un climat plus doux, un ciel plus pur, un air plus 
serein, sur-tout des cœurs plus ouverts, où, 
quand le mien s'épanche , il sentît que c'est dans 
un autre. J'ai ce bonheur en ce moment, et vous 
voyez que j'en profite : mais je ne l'ai pas tout-à- 
fait impunément; votre lettre me laissera des 
souvenirs qui ne s'effaceront pas, et qui me ren- 
dront parfois moins tranquille. Je n'aime pas les 
pays- arides, et la Provence m'attire peu; mais 
cette terre en Angoumois, qui n'est pas encore 
en rapport, et où l'on peut retrouver quelquefois 
la nature, me donnera souvent des regrets qui ne 
seront pas tous pour elle. Bonjour, monsieur le , 
marquis. Je hais les formules, et je vous prie de 
m'en dispenser. Je vous salue très humblement et 
de tout mon cœur. 



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92 CORRESPONDANCE. 



LETTRE DGGXXXVII. 

A M. D'iVERNOIS. 

Wootton, lé 3i janvier 1767. 

Jamais, monsieur, je n ai écrit, ni dit, ni pensé 
rien de pareil aux extravagances qu'on vous dit 
avoir été trouvées écrites de ma main dans les 
papiers de M. Le Nieps, non plus que rien de ce 
que M. de Voltaire? publie^ avec son impudence 
ordinaire, être écrit et signé de moi dans les 
mains du ministre Montmollin. Votre inépuisable 
crédulité ne me fâche plus, mais elle m'étonne 
toujours, et d autant plus en cette occasion, que 
vous avez pu voir dans vos liaisons que je ne suis 
pas visionnaire, et dans le Contrat social^ que je 
n'ai jamais approuvé le gouvernement démocra» 
tique. Avez-vous donc assez grande opinion de la 
probité de mes ennemis pour les croire incapa- 
bles dïn venter des mensonges, et peuvent-ils ob- 
tenir votre estime aux dépens de celle que vous 
me devez? 

Tandis que votre facilité à tout croire en mon- 
tre si peu pour moi, la mienne pour vous et vos 
magnanimes compatriotes augmente de jour en 



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ANNÉE 1767. g3 

jour. Le courage et la fermeté n'est pas en eux ce 
qui frappe, je m'y attendois; mais je ne matten- 
dois pas , je l'avoue , à voir tant de sagesse en même 
temps au milieu des plus grands dangers. Voici la 
première fois qu'un peuple a montré ce grand et 
beau spectacle : il mérite d être inscrit dans les 
fastes de l'histoire. Vos magistrats , messieurs , se 
conduisent dans toute cette affaire comme un 
peuple forcené; et vous vous conduisez, dans les 
périls terribles qui vous menacent, avec toute la 
dignité des plus respectables magistrats. Je crois 
voir le sénat de Rome, assis gravement dans la 
place publique, attendant la mort de la main des 
Gaulois. Voici la première et dernière fois que, 
depuis notre entrevue de Thonon, je me serai 
permis de vous parler de vos affaires; mais je n*ai 
pu refuser ce mot d'admiration à celle que vous 
m'inspirez. Vous Savez quel fut constamment mon 
avis dans cette entrevue; et, comme je vous rends 
de bon cœur la justice qui vous est due, j'espère 
que vous ne me refuserez pas non plus , dans Toc- 
casion, celle que vous me devez. Je n'ai rien de 
plus à vous dire. De tels hommes n'ont assuré- 
ment pas besoin de conseils, et ce n'est pas à moi 
de leur en donner. Mon service est fait pour le 
reste de ma vie; il ne me reste qu'à mourir en re- 
pos, si je puis. 

Vous ne doutez pas, mon ami, du tendre em- 



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94 CORRESPONDANCE, 

pressement que j aurois de vous voir. Cependant 
il convient, pour mon repos et pour votre avan- 
tage , que nous ne nous livrions à ce plaisir que 
quand tout sera fini de manière ou d'autre dans 
votre ville. Le public, qui me connoît si peu, et 
qui me juge si mal, ne doute pas que je n'aille 
toujours semant parmi vous la discorde; et Ion 
prétend m avoir vu moi-même, le mois dernier, 
caché en Suisse pou* cet effet. Tout ce que vous 
feriez de bien seroit mal , sitôt qu'on présumeroit 
que c'est moi qui l'ai conseillé. Ne venez donc que 
couronné d'un rameau d'olives, afin que nous goû* 
tions le plaisir de nous voir dans toute sa pureté. 
Puisse arriver bientôt cet heureux moment! per- 
sonne au monde n'y sera plus sensible que le cœur 
de votre ami. 

LETTRE DCCXXXVIIL 

A M. DUTENS. 

Wootton, le 5 février 1767. 

J'étois, monsieur, vraiment peiné de ne pour- 
voir, faute de savoir votre adresse, vous faire les 
remerciements que je vous devois. Je vous en dois 
de nouveaux pour m'avoir tiré de cette peine, et 



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ANNÉE 1767. 95 

sur-tout pour le livre de votre composition que 
vous m'avez fait l'honneur de m'envoyer *. Je suis 
fâché de ne pouvoir vous en parler avec connois- 
sance; mais , ayant renoncé pour ma vie à tous les 
livres, je n'ose faire exception pour le vôtre: car^ 
outre que je n'ai jamais été assez savant pour ju- 
ger de pareille matière , je craindrois que le plaisir 
de vous lire ne me rendît le goût de la littérature, 
qu'il m'importe de ne jamais laisser ranimer. Seu- 
lement je n'ai pu m'empécher de parcourir l'ar- 
ticle de la botanique, à laquelle je me suis consa- 
cré pour tout amusement; et, si votre sentiment 
est aussi bien établi sur le reste, vous aurez forcé 
les modernes à rendre l'hommage qu'ils doivent 
aux anciens. Vous avez très sagement fait de ne 
pas appuyer sur les vers de Glaudien; l'autorité 
eût été d'autant plus faible , que des trois arbres 
qu'il nomme après le palmier, il n'y en a qu'un 
qui porte les deux sexes sur différents individus \ 
Au resfe, je ne conviendrois pas tout-à-fait avec 
vous que Tournçfort soit le plus grand botaniste 
du siècle : il a la gloire d'avoir fait le premier de 

* * C'est l'ouvrage intitulé Recherches sur Vorigine des découvertes 
attribuée^ aux modemeSy publié en 1 766 , et dont la quatrième édition 
est de 181 2, 3 vol. in-8°. Dutens, auteur et éditeur de beaucoup 
d\)uvrages, étoit un François établi à Londres, où il est mort en 
1812, étant membre de la Société royale, et ayant le titre d'histo- 
rio(p:aphe du roi de la Grande-Bretagne. 

'* Voici ces vers qui, en effet,' rapprochés de ceux qui les pré- 



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96 CORRESPONDANCE, 

la botanique une étude vraiment méthodique ; 
mais cette étude encore après lui n'étoit qu'une 
étude d'apothicaire. Il étoit réservé à l'illustre Lîn- 
naeus d'en faire une science philosophique. Je sais 
avec qud mépris on affecte en France de traiter 
ce grand naturaliste , mais le reste de l'Europe l'en 
dédommage, et la postérité l'en vengera. Ce que 
je dis est assurément sans partialité, et par le seul 
amour de la vérité et de la justice; car je ne con- 
nois ni M. Linna&us, ni aucun de ses disciples, ni 
aucun de ses amis. 

Je n'écris point à M. Lalliaud, parceque je me 
suis interdît toute correspondance, hors les cas 
de nécessité; mais je suis vivement touché et de 
son zélé, et de celui de Festimable anonyme dont 
il m'a envoyé l'écrit *, et qui, prenant si généreu- 
sement ma défense, sans me connottre, me rend ' 
ice.zèle pur avec lequel j'ai souvent combattu pour 
la justice et la vérité, ou pour ce qui ma paru 

cèdent et de ceux qui les suivent, n offrent autre chose qu*un trait 
d'imagination, ne prouvant rien par lui-même. 

« Vivuùt in Venerem frondes^ omnisque vicissim 
« Félix arbor amat, nutant ad mutua palqi» 
« Fœdera , populeo suspirat populas ictu, 
« Et platani platanis , alnoque assibilat alaas. » 

Claudian. , de Naptiis Honorii et Marias. 

* * Précis pour M. Jean-Jacques Rousseau , en réponse h ^Exposé 
succinct de M. Hume y réimprimé sous le titre Ôl Observations sur 
V Exposé succinct, et inséré dans l'édition de Genève (tome iv du 
premier Supplément) , et dans l'édition de Poinçot, tome xxtii. 



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ANNÉE 1767. 97 

Têtre, sans partialité, sans crainte, et contre mon 
propre intérêt. Cependant je désire sincèrement 
qu'on laisse hurler tout leur soûl ce troupeau de 
loups enragés, sans leur répondre. Tout cela ne 
fait qu'entretenir les souvenirs du public; et mon 
repos dépend désormais d'en être entièrement ou- 
blié. Votre estime, monsieur, et celle des hommes 
de mérite qui vous ressemblent, est assez pour 
moi. Pour plaire aux méchants, il faudroit leur 
ressembler ; je n'achèterai pas à ce prix leur bien- 
veillance. * 

Agréez, monsieur, je vous supplie, mes saluta- 
tions^et mon respect. 

Vous pouvez, monsieur, remettre à M. Daven- 
port ou m'expédier par la poste à son adresse ce 
que vous pourrez prendre la peine de m'envoyer ; 
l'une et l'autre voie est à votre choix, et me pa- 
roît sâre. Quand M. Davenport n'est pas à Lon- 
dres, il n'y a plus alors que la poste pour les 
lettres, et le waggon dAshboum pour les gros pa- 
quets. On m'écrit qu'il se fait à Londres une col- 
lecte pour l'infortuné peuple de Genève; si vous 
savez qui est chargé des deniers de cette collecte, 
vous m'obligerez d'en informer M. Davenport. 



CORRESPOKDAKCE. T. T. 



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9Ô CORRESPONDANCE. 

LETTRE DGCXXXIX. 

A M. LE DUC DE GRAFFTON. 

WoottOD, le n-j février 1 767. 

Monsieur LE DUC, 

Je vous dois des remerciements que je vous prie 
d'agréer. Quoique les droits qu'on avoit exigés 
pour mes livres à la douane me parussent forts 
pour la chose et pour ma bourse, j'étois bien éloi- 
gné d'en demander et d en désirer le rembourse- 
ment. Vos bontés, très gratuites sur ce point, en 
sont d'autant plus obligeantes; et puisque vous 
voulez que j'y reconnoisse même celles du roi* je 
me tiens aussi flatté qu'honoré d'une grâce d'un 
prix inestimable , par la source dont elle vient, et 
je la reçois avec la reconnoissance et la vénération 
que je dois aux faveurs de sa majesté, passant par 
des mains aussi dignes de les répandre. 

Daignez, monsieur le duc, recevoir avec bonté 
les assurances de mon profond respect. 



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ANNÉE 1767. 99 

LETTRE DGGXL. 

A MADAME LATOUR. 

Wootton, le 7 fârrier 1767. 

Je viens de recevoir, dam la même brochure^ 
deux pièces , dont on ne m'a point voulu nommer 
les auteurs. La lecture de la première m'a fait ché- 
rir le sien , sans me le faire connoître. Pour la se- 
conde, en la lisant, le cœur m'a battu, et j'ai re- 
connu ma chère Marianne. J'espère qu'elle me 
connpit aussi. 

LETTRE DCGXLL 

A M. GUY. 

Woot^on, le 7 février 1767. 

J'ai lu, monsieur, avec attendrissement Fou* 
vrage de mes défenseurs % dont vous ne m'aviez 

' * Cest le Précis ou Observations sur V Exposé succinct dont il a 
été parlé ci-devant page 96 ; ces Observations étoient suivies d*upe 
lettre de madame *** (La Tour de Franqueville) à l'auteur de la 
Justification de M. Rousseau. 

7- 



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loo CORRESPONDANCE, 

point parlé. Il me semble que ce n'étoit pas pour 
moi que leurs honorables noms dévoient être un 
secret, comme si Ton vouloit les dérober à ma re- 
connoissance. Je ne vous pardonnerois jamais sur- 
tout de m'avoir tu celui de la dame , si je ne 1 eusse 
à rinstant deviné. C'est de ma part un bien petit 
mérite: je nai pas assez d'amis* capables de ce zèle 
et de ce talent, pour avoir pu m'y tromper. Voici 
une lettre pour elle, à laquelle je nose m^îttre son 
nom, à cause des risques que peuvent courir mes 
lettres, mais où elle verra que je la reconnois bien. 
Je vous charge, M. Guy, ou plutôt j ose fous per- 
mettre, en la lui remettant, de vous mettre en 
mon nom à genoux devant elle, et de lui baiser la 
main droite, cette charmante main plus auguste 
que celles des impératrices et des reines, qui sait 
défendre et honorer si pleinement et si noble- 
ment Finnocence avilie. Je me flatte que j'aurois 
reconnu de même son digne collègue, si nous 
nous étions connus auparSavant, mais je n ai pas 
eu ce bonheur ; et je ne sais si je dois m en félici- 
ter ou m'en plaindre, tant je trouve noble et beau 
que la voix de lequité s élève en ma faveur, du 
sein même des inconnus. Les éditeurs du factum 
de M. Hume disent qu'il abandonne sa cause au 
jugement des esprits droits et des cœurs honnêtes : 
c'est là ce qu'eux et lui se garderont bien de faire, 
mais ce que je fais moi, avec confiance, et qu'a- 



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ANNÉE 1767/-.-/^^^:..^'^ \6k^ 
vec de pareils défenseurs j'auroîs fait avec succès. 
Cependant on a omis dans ces deux pièces des 
choses très esseiitielles; et on y a fait des méprises 
qu'on eût évitées si , m'avertîssant à temps de ce 
qu'on vouloit faire, on m'eût demandé des éclair- 
cissements. Il est étonnant que personne n'ait en- 
core mis la question sous son vrai point de vue ; 
il ne falloit que cela seul, et tout étoit dit. 

Au reste, il est certain que la lettre que je vous 
écrivis a été traduite par extraits faits , comme vous 
pouvez penser, dans les papiers de Londres, et il 
n'est pas difficile de comprendre d'où venoient ces 
extraits, ni pour quelle fin. 

Mais voici un fait assez bizarre qu'il est fâcheux 
que mes dignes défenseurs n'aient pas su. Groi- 
riez-vous que les deux feuilles que j'ai citées du 
Saint-James Ghronicle ont disparu en Angleterre? 
M. Davenport les a fait chercher inutilement chez 
l'imprimeur et dans les cafés de Londres, sur une 
indication suffisante, par son libraire, qu'il ma 
assuré être un honnête homme, et il n'a rien: 
trouvé ; les feuilles sont éclipsées. Je ne ferai point 
de commentaires sur ce fait, mais convenez qu'il 
donne à penser. Oh ! mon cher monsieur Guy, 
faut-il donc mourir dans ces contrées éloignées, 
sans revoir jamais la face d'un ami sûr , dans le 
sein duquel je puisse épancher mon cœur ! 



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Vjbi : : (CORRESPONDANCE. 

LETTRE DCCXLII. 

A MILORD COMTE DE HARCOURT. 

WoottoD, le 7 lëvrier 1767. 

Il est vrai, milord, cjue je vous croyois ami de 
M. Hume ; mais la preuve que je vous croyois en- 
core plus ami de la justice et de la vérité est que , 
sans vous écrire , sans vous prévenir en aucune 
façon, je vous ai cité et tiommé, avec confiance, 
sur un fait qui étoit à sa charge , sans crainte d'être 
démenti par vous. Je ne suis pas assez injuste pour 
juger mal par M. Hume de tous ses amis : il en a 
qui le connoissent et qui sont très dignes de lui ; 
mais il en a aussi qui ne le connoissent pas, et 
ceux-là méritent quon les plaigne, sans les en 
estimer moins. Je suis très touché, milord , de vos 
lettres , et très sensible au courage que vous avez 
de vous montrer de mes amis parmi vos compa- 
triotes et vos pareils; mais je suis fâché pour eux 
qu'il faille à cela du courage : je connois des gens 
mieux instruits chez lesquels on y mettrait de la 
vanité. 

Je vous prou Vf rai^ milord, mon entière et pleine 
confiance en me prévalant de vos offres ; et dès à 



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ANNÉE 1767, to3 

présent j^ ai une grâce à vous demander, c'est de 
me donner des nouvelles de M. Watelet^ U est an- 
cien ami de M. d'Alembert, mais il est aussi mon 
ancienne connoissance; et les seuls jugements que 
je crains sont ceux des gens qui ne me connoissent 
pas. Je puis bien dire de M, Wàtelet, au sujet de 
M. d'Alembert, ce que j'ai dit de vous au sujet de 
M. Hume; mais je connois Fincroyable ruse de mes 
ennemis capable d enlacer dans ses pièges adroits 
la raison et la vertu mêmes. Si M. Watelet m aime 
toujours, de grâce, pressez-vous de me le dire, 
car j'ai grand besoin de le savoir. Agréez, milord, 
je vous supplie, mes très humbles salutations et 
mon respect. 



^■•>'*/%,'\/%/%-%/\^%i'\^*^'\/%/%,-%/%^^-%/%r»,'%/%/%.>> 



LETTRE DCCXLIIL 

A M. DAVENPORT. 

Le 7 février 1767. 

J ai reçu hier, monsieur, votre lettre du 3, par 
laquelle j'apprends avec grand plaisir votre entier 
rétablissement. Je ne puis pas vous annoncer le 
mien tout-à-Êiit de même; je suis mieux cepen- 
dant que ces jours derniers. 

Je $uis fort sensible aux soins bienfaisants de 



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io4 CORRESPONDANCE. 

M. Fitzherbert, sur -tout si, comme jV^e à fe 
croire, il en prend autant pour moir honneur que 
pour mes intérêts. Il semble avoir hérité des em- 
pressements de son ami M. Hume. Comme j'es- 
père qull n'a pas hérité de ses sentiments , je vous 
prie de lui témoigner comHen je suis touché de 
ses hontes. 

Voici une lettre pour M. le duc de Graffion , 
que je vous prie de fermer avant de la lui faire 
]3asser. Je dois des remerciements à tout le monde ; 
et vous, monsieur, à qui j'en dois le plus, êtes 
celui à qui j'en fais le moins: mais, comme vous 
ne vous étendez pas en paroles, vous aimez sans 
doute à être imité. Mes salutations, je vous sup- 
plie, et celles de mademoiselle Le Vasseur à vos 
chers enfants et aux dames de votre maison. Agréez 
son respect et mes très humhles salutations. 



* «/%/«/%/«/%, '«/«/^•«/«/«.^«/^ '%/%/%j%/%/% ■%/\/^%/%/%f%^\/\/%/%/%.^/%/%,0^^%^^ 



LETTRE DCCXLIV. 

AU MEME. 



Février 1767. 



Bien loin, monsieur, qu'il puisse jamais m'être 
entré dans l'esprit d'être assez vain, assez sot, et 
assez mal appris pour refuser les grâces du roi , je 



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. ANNÉE 1767. io5 

les ai toujours regardées et les regarderai toujours 
comme le plus grand honneur qui me puisse arri- 
ver. Quand je»consultai milord Maréchal si je les 
accepterois, ce n'étoit certainemeat pas que je 
fusse là-dessus en doute, inais c'est qu'un devoir 
particulier et indispensable ne me peritîettoît pas 
de le faire que je neusse son agrément. J etois 
bien sûr qu'il ne le refuseroit pas. Mais, mon- 
sieur, quand le roi d'Angleterre et tous les souve- 
rains de l'univers niCfttroientfàvmes pieds tous 
leurs trésors et toutes leurs couronnes, par les 
mains de David Hume , ou de quelque autre 
homme de son espèce, s'il en existe, je les rejette- 
rois toujours avec autant d'indignation que, dans 
tout autre cas, je les recevrois avec respect et re- 
connoissance. Voilà mes sentiments, dont rien ne 
me fera départir. J'ignore à quel sort, à quels 
malheurs la providence me réserve encore ; mais 
ce que je sais, c'est que les sentiments fie droiture 
et d'honneur qui sont gravés dans mon cœur n'en 
sortiront jamais qu'avec mon dernier soupir. J'es- 
père, pour cette fois, que je me serai exprimé 
clairement. 

Il ne faut pas, mon cher monsieur, je vous en 
prie, mettre tant de formalités à l'affaire de mes 
livres : ayez la bonté de montrer le catalogue à 
un libraire ; qu'il note les prix de ceux des livres 
qui en valent la peine : sur cette estimation , voyez 



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io6 CORRESPONDANCE, 

s'il y en a quelques uns dont vous ou vos amis 
puissiez vous accommoder ; brûlez lereste, et ne 
cédez rien à aucun libraire, afin (\fxil n aille pas 
sonner la trompette par la ville, qu'il a des livres 
à moi. Il y en a quelques uns, entre autres le livre 
de ÏEspri^y «w-4'*, de la première édition, qui est 
rare , et où j ai fait quelques notes aux marges ; je 
voudrais bien que ce livré-là ne tombât qu'entre 
des mains amiesï J'espère, nton bon et cher hôte, 
que vous ne m««&rez pad- le sensible a£Front de 
refuser le petit cadeai^de mes ouvrages. 

Les estampes avoient été ipises par mon ami 
dans le ballot des livres de botanique qui ma été 
enfvoyé; elles ne s y sont pas trouvées, et les porte- 
feuilles me sont arrivés vides : jlgnore absolu- 
ment où Becket a jugé à propos de fourrer ce qui 
étoit dedans. 

Je voulois remettre à des moments plus tran- 
quilles de »ous parler en détail de vos envois; ce 
qui m'en plaît le plus est que si vous entendez 
que je reste dans votre maison jusqu'à ce que la 
muscade et la cannelle soient consommées^ je n'en 
démarrerai pas d'un bon siècle. Le tabac est très 
bon, et même trop bon , puisqu'il s'en consomcme 
plus vite : je vous fais mon remerciement de l'em- 
piète, et non pas de la chose, puisque c'est une 
commission, et vous savez les régies. L'eau de la 
reine de Hongrie m'a fait le plus grand plaisir, et 



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ANNÉE 1767. 107 

j ai reconnu là un souvenir et une attention de 
M. liuzonne, à quof j'ai été fort sensible. Mais 
qu est-ce que c^est que des petits carrés de savon 
parfumé? à quoi diable sert ce savôn? je veux 
mourir si j'pn sais rien, à moins que ce ne 5^]^ à 
faire la barbe aux puces. Le café n'a pas encore été 
essayé, parceque vous en aviez laissé, et qu ayant 
été malàdte il en a. fallu suspendre lusage. Je me 
perds au milieu de tout cet inventaire. J espère 
que, pour le coup, vous ne ferez pas de môme, 
et que vous recueillerez les mémoires des mar- 
chands, afin que quand vous sere^ici, et qu'il 
s'agira de savoir ce que tout cel^ coûte, vous ne 
me disiez pas, comme à l'ordinaire, Je.n'en sais 
rien. Tant de richesses me mettroient de bonne 
humeur sri les désastres de nos pauvres Genevois 
et mes inquiétudes sur milord Maréchal n'em- 
poisonnoient toute ma joie. Jai cfaint pour vous 
l'impression de ces tejnps humides ^^et je la sens 
aussi pour ma p^rt. Voici le plus mauvais mois de 
l'année; il faut espérer que celui qui le suivra 
nous traitera mieux. Ainsi soit-il. Mademoiselle 
Le Vasseur et moi faisons nos salutations à tout 
ce qui vous appartient, et vous prions d'agréer les 
nôtres. 



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io8 CORRESPONDANCE. 



'%^/%/^-\ra/\.^fk'^'\/%/%'\/%/*,'%/%/x-\/%r^-\/%r^ 



LETTRE DCCXLV. 

A M. d'ivERNOIS. ^ 

Wootton, le 7 février 176^7. 

J'ai feit, cher ami, une étourderie tSpouvan- 
table , qui sûrement me coûtera plus cher qu'à 
vous. Dans uqe distraction causée par la diversité 
des afibires pressées, je vous ai adressé pn droi- 
ture une lettre dans laquelle je parfois puverte- 
ment de votre futur voyage, et d'autres choses où 
le secret n'étoit pas moins requis. Comme je ne 
doute pa* un instant que cette lettre ne soit inter- 
ceptée,^ je vous en transcris ce que jai pu tirer 
d'un premier chiffon barbouillé, qu'il a fallu re- 
commencer*. * 

Voilà ce que je vous écrivçis il y a huit jours , et 
que je vous confirme : mais ayanf appris depuis 
lors à quelle extrémité votre pauvre peuple est ré- 
duit, je sens déchirer mes entrailles patriotiques, 
et je crois devoir vous dire qu'il est, selon moi, 
temps de céder. Vous le pouvez sans honte , puis- 
que la résistance est inutile, et vous le devez pour 
conserver ce qui vous reste, après vos lois et votre 
liberté. Quand je dis ce qui vous reste, je n'cn- 

' C'est la lettre dcgxxxvu, du 3i janvier, ci-devant, page 92. 



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ANNÉE- 1767. 109 

tends pas bassement \os biens, mais.vMre pays, 
vos familles , et'iC^s multitudes de pauvres compa- 
triotes , à qui le pain est encore plu^ nécessaire que 
la liberté. J'apprends (pie vous vous cotisez géné- 
reusement f)Our ces pauvres gens ; je voudroîs 
bien pouvoir suivre ce bon exemple. J'enverrai 
quelque bagatelle aux collecteurs de Londres ^ se-* 
Ion mes moyens ; mais je vous prie d'avoir recours 
pour moi à madame Boy de La Tour, afin qu'étant 
une des causes mnocentes des misères de ce pau- 
vre peuple, je contribue aussi en quelque^ose 
à son soulagement 

Adieu, mon ami; je Vous embrasse tendre- 
n^ent. J ai le plus grand besoin devous voir; mais, 
encore un coup, ne venez que quatid'vos affaires 
seront finies. Ce délai importe, et vous pourriez 
trojiver quelque obstacle à passer. Malgré mon 
étourderie, venez à pfetit bruit autant qu'il sera 
possible. Mais j'ai changé d'avis sur vôtre séjour 
à Londres, et je serois bien aise que vous vous y 
arrêtassiez quelques jours pour connoître un peu 
par vous-même l'air du bureau j car enfin, si de 
là vous voulez absolument venir, personne n'atira 
le pouvoir de vous en empêcher. J'embrasse nos 
amis; ne m'oubliez pas, je vous en supplie, au- 
près de madame dlvernois. 

Bien des remerciements et respects de made- 
moiselle Le Vasseur. Si je ne vous ai pas toujours 



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iio CORRESPONDANCE, 

répété la même chose à chaque lettre, c'est qull 
me semblmt que cela n'avoit plus besoin d'être 
dit, car il n y a pas de fois qu elle ne m'en ait 
chargé. ** 



'%/%/%i'k/%>%/%/%/%/^/*/%,-\r%/\,'%t 



* LETTRE DCÇXLVL 

A MILOR]> MARÉGIML* 

Le 8 février 1767. 

Quoi! Milord, pas un seul mot de vous! Quel 
silence, et qu'il est cruel! Ce n'est pas le pis en- 
core, madame la duchesse de Portland m'a donné 
les plus grandes alatmes en me marquant que 
les papiers publics vous avoient dit fort mal, et 
me priant de lui dire de vos nouvelles. Vous con- 
noissez mon cœur, vous pouvez juger de mon 
état; craindre à-la-fois pour votre amitié et pour 
votre vie, ah! c'en est trop. Jai écrit aussitôt à 
M. Rougemont pour avoir de vos nouvelles : il m'a 
marqué qu'en effet vous aviez été fort malade, 
mais que vous étiez mieux. Il n'y a pas là de quoi 
me rassurer assez, tant que je ne recevrai rien 
' de vous. Mon protecteur, mon bienfaiteur, mon 
ami, mon père, aucun de ces titres ne pourra-t-îl 
vous émouvoir? Je me prosterne à vos pieds pour 



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ANNÉE «767. III 

vous demander un seul mot. Que vouleai-vous que 
je marque à madame de Portiand? ImI dirai-jc : 
Madame, mibrd JUaréchal maimoit, mak U me 
trouve trop malheureux pour m aimer encore; il ne 
m'écrit plus! La plume me tombé des mains. 



LETTRE DCCtLVII. 

A M. ÇRANVILLE. 

Wootton, février 1767. 

Je croîs ^ monsieur, la tisane du médecin espa- 
gnol meilleure et plus saine que le bouillon rouge 
du médecin françois; la provision de«miel n'est 
jpas moins bonne, et si les apothicaires fournis- 
soient d aussi bonnes drogues qtie vous, ils au- 
roient bientôt ma pratique : mais , badinage à 
part, que j'aie avec vous un moment d'explication 
sériçuse. 

Jadis j'aimois avec passion la liberté, l'égalité; 
et, voulant vivre exempt des obligations dont je 
ne pouvois m'acè[uitter en pareille monnoie, je 
me refusois aux cadeaux même de mes amis, ce 
qui ma souvent attiré bien des querelles. Main- 
tenant j ai changé de goût, et c'est moins la liberté 
que la paix que j'aime; je soupire incessamment 



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lia CORRESPONDANCE, 

après elle; je la préfère désormais è tout; je la 
veux à tout prix avec mes amis ; je la veux même 
avec mes ennemis, s'il est possible. Jai donc ré- 
solu d'endurer désarmais des uns tout le bien, et 
dès autres tout ]e mal qu'ils voudront me faire, 
sans disputer, sans m^en défendre, et sans leur 
résister en quelque fiiçon que ce soit. Je me livre 
à tous pour foire de moi, soit pour, soit contre, 
entièrement à leur volonté : ils peuvent tout, hors 
de m'engager dans une dispute, ce qui très cer- 
tainement n'arrivera-/ plus de mes jours. Vous 
voyez, monsieur, d'après cela, combien vous avez 
beau jeu avec moi dans les cadeaut continuels 
qu'il vous plaît de me faire: mais il faut tout vous 
dire; sans les refuser, je n'en serai pas plus re- 
connoissant que si vous ne m'en faisiez aucun. Je 
vous suis attaché, monsieur, et je bérys le ciel, 
dans mes misènes, dç la consolation qu'il m'a. 
ménagée en me donnant un voisin tel que vous: 
mon cœur est plein de l'intérêt que vous voulez 
bien prendre à moi, de vos attentions, de vos 
soins, de vos bontés, mais non pas de vos dons: 
c'est peine perdue, je vous assure; ils n^ajoutent 
rien à mes sentiments pour vous; je ne vous en 
aimerai pas moins, et je serai beaucoup plus à 
mon aise si vous voulez bien les supprimer dé- 
sormais. 

Vous voilà bien averti, monsieur; vous savez 



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ANNÉE 1767. ii3 

comment je pense, et je vous ai parlé très sérieu- 
sement. Du reste, votre volonté soit faite et non 
pas la mienne ; vous serez toujours le maître d en 
user comme il vous plaira. 

Le temps est bien froid pour se mettre en route. 
Cependant, si vous êtes absolument résolu de 
partir, recevez tous mes souhaits pour votre bon 
voyage et pour votre prompt et heureux retour. 
Quand vous verrez madame la duchesse de Port- 
land, faites-lui ma oour, je vous supplie; rassu- 
rez-la sur letat de milord Maréchal. Cependant, 
comme je ne serai parfaitement rassuré moi- 
même que quand j'aurai de ses nouvelles, sitôt 
que j en aurai reçu j'aurai l'honneur d'en faire 
part à madame la duchesse. Adieu , monsieur, de- 
rechef; bon voyage , et souvenez-vous quelquefois 
du pauvre^ ermite votre voisin. 

Vous verrez sans doute votre aimable nièce : je 
vous prie de lui parler quelquefois du captif 
qu'elle a mis dans ses chaînes et qui s'honore de 
les porter. 



COttBESPOVDAHCE. T. V. 



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1 1 4 CORRESPONDANCE. 



'%/*/%^^/%-^ 



LETTRE DGGXLVIII. 

A MILORD COMTE DE HARCOURT. 

Wootton, le i4 février 1767. 

Vous m'avez donné , milord , le premier vrai 
plaisir que j'ai goûté depuis long-temps, en m ap- 
prenant que j'étois toujours aimé de M. Watelet. 
Je le mérite, en vérité, par mes sentiments pour 
lui ; et moi qui m'inquiète très médiocrement de 
Testime du public, je sens que je naurois jamais 
pu me passer de la sienne. Il ne faut absolument 
point que ses estampes soient en vente avec les 
autres ; et puisque , de peur de reprendre un goût 
auquel je veux renoncer, je nose les avoir avec 
moi, je vous prie de les prendre au moins en dé- 
pôt, jusqu'à ce que vous trouviez à les lui ren- 
voyer, ou à en faire un usage convenable. Si vous 
trouviez par hasard à les changer entre les mains 
de quelque amateur contre un livre de botanique , 
à la bonne heure, j aurois le plaisir de mettre à ce 
livre le nom de M. Watelet ; mais pour les vendre, 
jamais. Pour le reste, puisque vous voulez bien 
chercher à m'en défeire, je laisse à votre entière 
disposition le soin de me rendre ce bon office , 



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ANNÉE 1767. ii5 

pourvu que cela se fasse de la part des acheteurs, 
sans faveur et sans préférence, et qu'il ne soit pas 
question de moi. Puisque vous ne dédaignez pas 
de vous donner pour moi ce petit tracasj attends 
de la candeur de vos sentiments que vous consul- 
terez plus mon goût que mon avantage ; ce sera 
m obliger doublement. Ce n*est point un produit 
nécessaire à ma subsistance ; je le destine en entier 
à des livres de bolitnique, seul et dernier amuse- 
ment auquel je me suis consacré. 

L'honneur que vous faites- à mademoisdle Le 
Vasseur de vous souvenir d'elle lautorise à vous 
assurer- de sa reconnoissance et de son respect. 
Agréez, milord , je vous, supplie, les mêmes sen- 
timents de ma part. 

P. S. Il doit y avoir parmi mes estampes un 
petit portefeuille contenant de- bonnes épreuves 
de celles de tous mes écrits. Oserajl-je n^ flatter 
que vous ne dédaigneriez pas ce foible cadeau, 
et de placer ce portefeuille parmi les vôtres? Je 
prends la liberté de vous prier, ^milord, de vou- 
loir bien donner cours à la lettre ci-jointe. 



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ii6 CORRESPONDANCE. 

LETTRE DCGXLIX. 

A M. DU PEYROtJ. 

Wootton, le i4fi^vrier 1767. 

Je confesse , mon cher hôte , le tort que j'ai eu 
de ne pas répondre sur-le-champ à votre n** 3g; 
car malgré la honte d avouer votre crédulité, je 
vois que lautorifé Au voiturier Le Comte avoit 
fait une grande impression sur votre esprit. Je 
me fâchois d'abord de cette petite foiblesse , qui 
me paroissoit peu d'accord avec le grand sens que 
je vous connois ; mais chacun a les siennes , et il 
n'y a qu'un homme bien estimable à qui Ion n'en 
puisse pas reprocher de plus grandes que celles-là. 
J'ai été jnalade , et je ne suis pas bien ; j'ai eu des 
tracas qui ne sont pas finis , et qui m'ont empêché 
d'exécuter la résolution que j'avois prise de vous 
écrire au plus vite que je n'étois pas à Morgues; 
mais j'ai pensé que mon n® '■j vous le dîroit assez, 
et d'ailleurs qu'une nouvelle de cette espèce dis- 
paroîtroit bientôt pour faire place à quelque autre 
aussi raisonnable. 

Vous savez que j'ai peu de foi aux grands gué- 
risseurs. J'ai toujours eu une médiocre opinion 
du succès de votre voyage de Béfort, et vos der- 



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ANNÉE 1767» 117 

nières lettres ne Font que trop confirmée! Con- 
solez-vous , mon cher hôte ; vos oreilles resteront 
à-peu-près ce qu elles sont; mais quoi que j aie pu 
vous en dire dans ma colère, les oreilles de votre 
esprit sont assez ouvertes pour vous consoler d Sa- 
voir le tympan matériel un peu obstrué : ce n'est 
pas le défaut de votre judiciaire qui vous rend 
crédule, c'est l'excès de votre bonté ; vous estimez 
trop mes ennemis pour les croire capables d'in- 
venter des mensonges et de payer des pieds-plats 
pour tes divulguer : il est vrai que , si vous n'êtes 
pas détrompé, ce n'est pas leur faute. 

Je tremble que milord Maréchal ne soit dans le 
même cas, mais d'une manière bien plus cruelle, 
puisqu'il ne s'agit pas de moins que de perdre 
l'amitié de celui de tous les hommes à qui je dois 
le plus et à qui je suis le plus attaché. Je ne sais 
ce qu'ont pu manœuvrer auprès de lui le bon 
David et le fils du jongleur qui est à Berlin ; mais 
milord Maréchal ne m'écrit plus , et m'a même 
annoncé qu'il cesseroit de m'écrire , sans m'en 
dire aucune autre raison , sinon qu'il étoit vieux, 
qu'il écrivoit avec peine, qu'il avoit cessé d'écrire 
à ses parents, etc. Vous jugez si mon cœur est la 
dupe de pareils prétextes. Madame la duchesse 
de Portland, avec qui j'ai fait connoissance l'été 
dernier chez un voisin , m'a porté en même temps 
le plus sensible coup, en me marquant que les 



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1 1 8 CORBESPONDANCE. 

nouvelles publiques lavoient dit à rextrémité, et 
me demandant de ses nouyelles. Dans ma frayeur, 
je me suis hâté d'écrire à M. Rougemont pour 
savoir ce qu'il en ëtoit. Il ma rassuré sur sa vie, 
en me marquant qu'en efiPet il avoit été fort mal , 
mai« qu'il étoit beaucoup mieux. Qui me rassu- 
rera maintenant sur son cœur? Depuis le 22 no- 
vembre, date de sa dernière lettre, je lui ai écrit 
plusieurs fois, et sur quel ton ! Point de réponse. 
Pour comble, je ne sais quelle contenance tenir 
vis-à-vis de madame de Portland , à qui je ne puis 
différer plus long-temps de répondre, et à qui je 
ne veux pas dire ma peine. Rendez^moi , je vous en 
conjure, le service essentiel d'écrire à milord Ma- 
réchal ; engagez-le à ne pas me juger sans m'en- 
tendre, à me dire au moins de quoi je suis accusé. 
Voilà le plus cruel des malheurs de ma vie et qui 
terminera tous les autres. 

J'oubliois de vous dire que M. le duc de Graffton, 
premier commissaire de la trésorerfe , ayant appris 
la vexation exercée à la douane , au sujet de mes 
livres , a fait ordonner au douanier de rembourser 
cet argent à Becket, qui l'avoît payé pour moi, et 
que, dans le billet par lequel il m'en a fait donner 
avis , il a ajouté un compliment très honnête de 
la part du roi. Tout cela est fort honorable, m^is 
ne console pas mon cœur de la peine secrète que 
vous savez. Je vous embrasse, mon cher hôte, de 
tout mon cœur. 



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ANNÉE 1767. 119 



LETTRE DCCL. 

A M. DUTENS. 

Wootton, le 16 février 1767. 

Je suis bien recounoissant, monsieur, des soins 
obligeants que vous voulez bien prendre pour la 
vente de mes bouquins ; mais , sur votre lettre et 
celles de M. Davenport, je vois à cela des embar- 
ras qui me dégoûteroient tout-à-fait de les vendre, 
si je savois où les mettre ; car ils ne peuvent rester 
chez M. Davenport, qui ne garde pas son appar- 
tement toute Tannée. Je n'aime point une vente 
publique, même en permettant qu'elle se fasse 
sous votre nom ; car outre que le mien est à la 
tête de la plupart de mes livres , on se doutera 
bien qu'un fatras si mal choisi et si mal condi- 
tionné ne vient pas de vous. Il ny a dans ces 
quatre ou cinq caisses qu une centaine au plus de 
volumes qui soient bons et bien conditionnés : 
tout le reste n'est que du fumier, qui nest pas 
même bon à brûler, parceque le papier en est 
pourri : hors quelques livres que je prenois en 
paiement des libraires, je me pourvoyois magni- 



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120 CORRESPONDANCE, 

fiquement sur les quais, et cela me fait rire de la 
duperie des acheteurs qui s*attendroieiit à trouver 
des livres choisis et de bonnes éditions. J'avois 
pensé que ce qui étoit de débit se réduisant à si 
peu de chose , M. Davenport et deux ou trois de 
ses amis auroient pu s en accommoder entre eux 
sur lestimation d'un libraire ; le reste eût servi à 
plier du poivre , et tout cela se seroit fait sans 
bruit. Mais assurément tout ce fatras, qui ma été 
envoyé bien malgré moi de Suisse , et qui n'en 
valoit ni le port ni la peine, vaut encore moins 
celle que vous voulez bien prendre pour son dé- 
bit Encore un coup , mon embarras est de savoir 
où les fourrer. S'il y avoit dans votre maison quel- 
que garde-meuble ou grenier vide où l'on pût les 
mettre sans vous incommoder, je vous serois 
obligé de vouloir bien le permettre, et vous pour- 
riez y voir à loisir s'il s'y trouveroit par hasard 
quelque chose qui pût vous convenir ou à vos 
amis. Autrement je ne sais en vérité que faire de 
toute cette friperie qui me peine cruellement, 
quand je songe à tous les embarras qu'elle donne 
à M. Davenport. Plus il s y prête volontiers, plus 
il est indiscret à moi d'abuser de sa complaisance. 
S'il faut encore abuser de la vôtre, j'ai, comme 
avec lui , la nécessité pour excuse , et la pex'sua- 
sion consolante du plaisir que vous prenez l'un et 
l'autre à m'obliger. Je vous en fais, monsieur. 



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ANNÉE 176.7. 121 

mes remerciements de tout mon cœur, et je vous 
prie d'agréer mes très humbles salutations. 

Si la vente publique pouvoît se faire sans qu'on 
vît mon nom sur les livres et qu'on se doutât d'où 
ils viennent, à la bonne heure. Il m'importe fort 
peu que les acheteurs voient ensuite qu'ils étoient 
à moi; mais je ne veux pas risquer qu'ils le sa- 
chent d'avance , et je m'en rapporte là-dessus à 
votre candeur. 



LETTRE DCCLI. 

A MADEMOISELLE THÉODORE, 

DE L* ACADÉMIE ÂOTALB DE MUSIQUE '. 

Sans date. 

On ne peut être plus surpris que je le suis, 
mademoiselle, de recevoir une lettre datée de 
l'Académie royale de Musique, par laquelle on 
réclame des conseils de ma part pour y bien 
vivre. Vos expressions peignçnt l'honnêteté avec 
tant de franchise et de candeur, que je ne vous 

* * On trouve dans le tome des Mélanges, une pièce de vers adressée 
à une demoiselle Théodore, qu on peut supposer la même que celle 
dont il s'a(][it ici. 



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I a2 CORRESPONDANCE, 

renverrai pas , pour en recevoir, à ceux qui ont 
coutume d'en donner à celles qui s'y présentent. 
Je ne puis cependant pas vous fournir les pré- 
ceptes que vous me demandez : ne doutez nulle- 
ment de ma bonne volonté à vous satisfaire; mais 
je suis moi-même fort embarrassé pour mon pro- 
pre compte, quoique je ne sois pas dans une car- 
rière aussi glissante : je suis donc hors d'état de 
vous diriger dans celle où vous êtes entrée. 

Je n'ai à vous conseiller que de vous arrêter à 
deux principes généraux qui me paroissent être 
la base de toutes nos actions , dans tel état que le 
destin nous ait placés. Le premier, c'est de ne ja- 
mais vous écarter du respect que vous paroissez 
avoir pour les bonnes mœurs ; et, pour y réussir, 
évitez rimpulsion du cœur et des sens , et qu'une 
extrême prudence en soit le correctif. 

. Le second , dont vous devez sentir toute la né- 
cessité, c'est de fuir, autant que vous le pourrez, 
la société de vos compagnes et de leurs adulateurs; 
rien ne perd aussi facilement que le poison de la 
louange et lair contagieux de cet endroit.... Jetez 
les yeux autour de vous, et vous remarquerez que 
ceux ou celles qui le respirent sans être en garde 
contre son effet ont le teint flétri et l'extérieur de 
machines détraquées. Voilà, mademoiselle^ les 
seules réflexions que je vous engage à faire. Quant 
au reste, vous me paroissez être douée de toute la 



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ANNÉE 1767. 123 

pénëtratioiï nécessaire pour parer aux inconvé- 
nients qui renaissent à chaque moment dans ce 
séjour. Acceptez, je vous prie, la considération 
qu'a pour vous votre, etc. 



% ^r»/^'\/%f%,'»/%/^ 



LETTRE DCCLII. 

A M. GRANVILLE. 

Février 1767. 

J'étois, monsieur, extrêmement inquiet de vo- 
tre départ mercredi au soir; mais je me rassurai 
le jeudi matin, le jugeant absolument impratica- 
ble; j etois bien éloigné de penser même que vous 
le voulussiez essayer. De grâce, ne Êiites plus de 
pareils essais, jusqu'à ce que le temps soit bien 
remis, et le chemin bien b^ttu. Que la neige qui 
vous retient à Galwich ne laisse-t*elle une galerie 
jusquaWaotton, j'en ferois souvent la riiienne; 
mais dans 1 état où est maintenant cette route , je 
vous conjure de pe la pas tenter, ou je vous pro- 
teste que, le lendemain du jour où vous viendrez 
ici, vous me verrez chez vous quelque temps qu'il 
fasse. Quelque plaisir que j'aie à vous voir, je ne 
veux pas le prendre au risque de votre santé. 

Je suis très sensible à votre bon souvenir. Je ne 



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1^4 CORRESPONDANCE, 

vous dis rien de vos envois; seulement, comme 
les liqueurs ne sont point à mon usage, et que je 
n^en bois jamais, vous permettrez que je vous 
renvoie les deux bouteilles, afin'qu'elles ne soient 
pas perdues. J'enverrois chercher du mouton, s'il 
n'y avoit tant de viande à mon garde-manger, que 
je ne sais plus où la mettre. Bonjour, monsieur. 
Vous parlez toujours d'un pardon dont vous avez 
plus besoin que d'envie, puisque vous ne vous 
corrigez point. Comptez moins sur mon indul- 
gence, mais comptez toujours sur mon plus sin- 
cère attachement. 

LETTRE DGCLin. 

AU MÉlUE. 

28 février 1767. 

Que fait mon bon et aimable voisin? comment 
se porte-t-il? J'ai appris avec grand plaisir son 
heureuse arrivée à Bath , malgré les temps affreux 
qui ont dû traverser son voyage : mais maintenant 
comment s'y trouve-t-il? la santé, les eaux, les 
amusements, comment va tout cela? Vous savez, 
monsieur, que rien de ce qui vous touche ne peut 
m'être indifférent : l'attachement que je vous ai 



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ANNÉE 1767. 125 

voué s'est formé de liens qui sont votre ouvrage ; 
vous vous êtes acquis trop de droits sur moi pour 
ne m'en avoir pas un peu donné sur vous; et il 
n'est pas juste que j'ignore ce qui m'intéresse si 
véritablement. Je devrois aussi vous parler de 
moi, parcequ'il fout vous rendre compte de votre 
bien; mais je ne vous dirois toujours que les 
mêmes^hoses: paisible, oisif, souffrant, prenant 
patience, pestant quelquefois contre le mauvais 
temps qui m'empêche d'aller autour des rochers 
furetant des mousses, et contre l'hiver qui retient 
Galwîch désert si long-temps. Arausez-vpus, mon- 
sieur, je le désire, mais pas assez pour rec\iler le 
temps de votre retour, car ce seroit vous amuser 
à mes dépens. Mademoiselle Le Vasseur vous de- 
mande la permission de vous rendre ici ses de- 
voirs, et nous vous supplions l'un et l'autre d'a- 
gréer nos très humbles salutations. 

LETTRE DGCLIV. 

A M. DUTENS. 

Wootton, le 2 mars 1767. 

Tous mes livres, monsieur, et tout mon avoir 
ne valent assurément pas les soins que vous vou- 



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126 CORRESPONDANCE, 

lez bien prendre, et le» détails dans lesquels vous 
voulez bien entrei* avec moi. J'apprends que 
M. Davenport a trouvé les caisses dans une con- 
fusion horrible; et, sachant ce que c^est que la 
pdne d'arranger des livres dépareillés, je voii- 
drois pour tout au monde ne l'avoir pas exposé a 
cette peine , quoique je sache qu'il la prend de 
très bon cœur. S'il se trouve dans tout cala quel- 
que chose qui vous convienne, et dont vous vou- 
liez vous accommoder de quelque manière que ce 
soit, vous me Jfisrez plaisir sans doute, pourvu 
que ce ne soit pas uniquement l'intention de me 
faire plaisir qui vous détermine. Si vous voulez en 
transformer le prix en une petke rente viagère , 
de tout mon cœur; quoiqu'il ne me semble pas 
que, l'Encyclopédie et quelques autres livres de 
choix ôtés, le reste en vaille la peine, et d'autant 
moins que le produit de ces livres n'étant point 
nécessaire à ma subsistance, vous serez absolu- 
ment le maître de prendre votre temps pour les 
payer tout à loisir en une ou plusieurs fois, à moi 
ou à mes héritiers, tout comme il vous convien- 
dra le mieux. En un mot, je vous laisse absolu- 
ment décider de toute chose, et m'en rapporte à 
vous sur tous les points, hors un seul, qui est ce- 
lui des sûretés dont vous me parlez : j'en ai une 
qui me suffît, et je ne veux entendre parler d'au- 
cune autre; c'est la probité de M. Dutens. 



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ANNÉE 1767. 127 

Je me suis fait envoyer ici le ballot qui conte- 
noit mes livres de botanique, dont je ne veux pas 
me défaire, et quelques autres dont j'ai renvoyé à 
M. Davenport ce qui s est trouvé sous ma main ; 
c'est ce que contenoit le ballofqui est rayé sur le 
catalogue. Les livres dépareillés Font été dans les 
fréquents déménagements que j'ai été forcé de 
faire; ainsi je n'ai pas de quoi les compléter. Ces 
livres sont de nulle valeur, et je n'en vois aucun 
autre usage à faire que de les jeter dans la ri- 
vière, ne pouvant les anéantir d'un acte de ma 
volonté. 

Vos lettres, monsieur, et tout ce que je vois de 
vous m'inspirent non seulement la plus grande 
estime, mais une confiance qui m'attire et me 
donne un vrai regret de ne pas vous connoitre 
personnellement. Je sens que cette connoîssance 
m'eût été très agréable dans tous les temps, et 
très consolante dans mes malheurs. Je vous sa- 
lue, monsieur, très humblement, et de tout mon 
cœur. 



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ia8 CORRESPONDANCE. 

LETTRE DCCLV, 

A MILORD COMTE DE HARCOURT. 

Woolton, le 5 mars 17G7. 

Je ne suis pas surpris , milord , de l'état où vous 
avez trouvé mes estampes; je mattendois à pis: 
mais il me paroît cependant singulier qu'il ne s en 
soit pas trouvé une seule de M. Watelet; quoique, 
parmi beaucoup de gravures qu'il m avoit don-* 
néeS| il y en eût peu des siennes, il y en avoit 
pourtant : la préférence qu'on leur a donnée fait 
honneur à son burin. J^en avois un beaucoup plus 
grand nombre de M. l'abbé de Saint-Non. Si elles 
s'y trouvent, je ne voudrois pas non plus qu'elles 
fussent vendues; car- quoique je n'aie pas l'hon- 
neur de le connoître personnellement, elles 
étoient un cadeau de sa part. Si Vous ne les aviez 
pas, milord, et qu'elles pussent vous plaire, vous 
m'obligeriez beaucoup de vouloir les agréer. Le 
papier que vous avez eu la bonté de m'envoyer 
est de la main de milord Maréchal , et me rap- 
pelle qu'il y a dans mon recueil un portrait de 
lui, sans nom, mais tête nue et très ressemblant, 
que pour rien au monde je ne voudrois perdre, 



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ANNÉE 1767. 129 

et dont j avois oublié de vous parler : c'est la seule 
estampe que je veuille me réserver; et quand elle 
me laisseroit la fantaisie d'avoir les portraits des 
hommes qui lut ressemblent, ce goût ne seroit 
pas ruineux. Je sens avec combien d'indiscrétion 
j'abuse de votre temps et de vos bontés; mais 
quelque peine que vous donne la recherche de 
ce portrait, j'en aurois une infiniment plus grande 
à m'en voir privé. Si vous parvenez à le retrou- 
ver, je vous supplie, milord , de vouloir bien l'en- 
voyer à M. Davenport, afin qu'il le joigne au pre- 
mier envoi qu'il aura la bonté de me faire. 

Comme, après tout, mon recueil étoit assez 
peu de chose , que probablement il ne s'est pas 
accru dans les mains des douaniers et des li- 
braires, et que les retranchements que j'y fais 
font du reste un objet de très peu de valeur, j'ai à 
me reprocher de vous avoir embarrassé de ces 
bagatelles; mais, pour vous dire la vérité, inilord, 
je ne cherchois qu'un prétexte pour me prévaloir 
de vos offres, et vous montrer ma confiance en 
vos bontés. 

Toubliois de vous parler de la découpure de 
M. Huber; c'est effectivement M. de Voltaire en 
habit de théâtre *. Comme je ne suis pas tout-à- 

** Huber ëtoit un Genevois qui s'ëtoit attaché à Voltaire, et qui, 
pendant vingt ans, vécut avec lui dans une intime familiarité. 
Habile dans les arts du dessin, il s' étoit acqub une réputation par 

C0B1IE8H)nDAlTCE. T. V. 9 



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1 3o CORRESPONDANCE, 

fait aussi curieux d'avoir sa figure que celle de 
milord Maréchal, vous pouvez, milord, à votre 
choix, garder, ou jeter, ou donner, ou brûler ce 
chifFon; pourvu qu'il ne me revienne pas, c'est 
tout ce que je désire. Agréez, milord , je vous sup- 
plie, les assurances de mon respect. 



LETTRE DGCLVL 

A MILORD MARÉCHAL. 

Le 19 mars 1767. 

C'en est donc fait, milord; j ai perdu pour ja- 
mais vos bonnes grâces et votre amitié, sans qu'il 
me soit même possihle de savoir et d'imaginer 
d'où me vient cette perte , n'ayant pas un senti- 
ment dans mon cœur, pas une action dans ma 
conduite qui n'ait dû, j'ose le dire, confirmer 

un talent vraiment extraordinaire , celui de découper le papier de 
manière à représenter les objets les plus délicats et les plus com- 
pliqués. Il excelloit sur-tout à figurer ainsi le profil de Voltaire , et 
y avoit acquis une telle facilité qu'il découpoit ce profil sans y voir, 
ou les mains derrière le dos. Il le faisoit exécuter par son chat, en 
lui présentant à mordre une tranche de fromage, et il avoit une 
manière plus originale encore de le représenter lui-même sur la 
neige. — La plupart des découpures de Huber, exécutées sur vélin , 
sont en Angleterre dans les cabinets des curieux. On les a litogra- 
phiées à Paris. 



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ANNÉE 1767. i3i 

cette précieuse bienveillance que, selon vos pro- 
messes tant de fois réitérées, jamais rien ne pou- 
voit m'ôter. Je conçois aisément tout ce qu on a 
pu faire auprès de vous pour me nuire : je lai 
prévu, je vous en ai prévenu ; vous m'avez assuré 
qu'on ne réussiroit jamais, j'ai dû le croire. A-t-on 
réussi malgré tout cela? voilà ce qui me passe; et 
comment a-t-on réussi au point que vous n'ayez 
pas même daigné me dire de quoi j'étois coupa- 
ble, ou du moins de quoi je suis accusé? Si je suis 
coupable, pourquoi me taire mon crime? si je ne 
le suis pas, pourquoi me traiter en criminel? En 
m'annonçant que vous cesserez de m'écrire, vous 
me faites entendre que vous n'écrirez plus à per- 
sonne; cependant j'apprends que vous écrivez à 
tout le monde, et que je suis le seul excepté, 
quoique vous sachiez dans quel tourment m'a 
jeté votre silence. Milord, dans quelque erreur 
que vous puissiez être, si vous connoissiez, je ne 
dis pas mes sentiments, vous devez les connoître, 
mais ma situation , dont vous n'avez pas l'idée , 
votre humanité du moins vous parleroit pour 
moi. 

Vous êtes dans l'erreur, milord, et c'est ce qui 
me console : je vous connois trop bien pour vous 
croire capable d'une aussi incompréhensible légè- 
reté, sur-tout dans un temps où, venu par vos 
conseils dans le pays que j'habite, j'y vis accablé 

9- 



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i3a CORRESPONDANCE, 

de tous les mattieurs les plus sensibles à un homme 
d'honneur. Vous êtes dans Terreur, je le répète : 
rhonune que vous n'aimez plus mérite sans doute 
votre disgrâce ; mais cet homme , que vous prenez 
pour moi, n'est pas moi : je n'ai point perdu votre 
bienveillance , parceque je n'ai point mérité de la 
perdre, et que vous n'êtes ni injuste ni incon- 
stant. On vous aura figuré sous mon nom un fan- 
tôme; je vous l'abandonne, et j'attends que votre 
illusion cesse, bien sûr qu'aussitôt que vous me 
verrez tel que je suis , vous m'aimerez comme au- 
paravant. 

Mais en attendant, ne pourrai-je du moins sa- 
voir si vous recevez mes lettres? ne me reste-t-il 
nul moyen d'apprendre des nouvelles de votre 
santé qu'en m'informant au tiers et au quart, et 
n'en recevant que de vieilles, qui ne me tranquil- 
lisent pas? Ne voudriez- vous pas du moins per- 
mettre qu'un de vos laquais m'écrivît de temps en 
temps comment vous vous portez? Je me résigne 
à tout, mais je ne conçois rien de plus cruel que 
l'incertitude continuelle où je vis sur ce qui m'in- 
téresse le plus. 



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ANNÉE 1767. i33 

LETTRE DCGLVIL 

A M. DU PEYROU. 

Wootton, le aa mars 1767. 

Apostille dune lettre de M. L. Dutens, du igy 
confirmée par une lettre de M. Davenport de 
même date, en conséquence d'un message reçu la 
veille de M. le général Conway. 

« Je viens d'apprendre de M. Davenport la nou- 
« velle agréable que le roi vous avoit accordé une 
u pension de cent livres sterling. La manière dont 
« le roi vous donne cette marque de son estime 
a m^a fait autant de plaisir que la chose même; et 
«je vous félicite de tout mo» cœur de c^ que ce 
«bienfait vous e^ conféré du plein gré de sa ma- 
<f jesté et du secrétaire d'état, sans que la moindre 
« sollicitation y ait eu part. » 

Le plus vrai plaisir que me fasse cette nouvelle 
est celui que je sais qu elle fera à mes amis; cest 
pourquoi, mon cher hôte, je me presse de vous 
la communiquer: Êiites-la, par la même raison, 
passer à mon etncien et respectable ami M. Roguin, 
et aussi , je vous en prie, à mon ami M. d'Ivernois : 
je vous embrasse de tout mon cœur. 



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1 34 CORRESPONDANCE. 

Comme dans peu j*irai, si je puis, à Londres, 
ne m'écrivez plus que sous mon propre nom ; et si 
vous écrivez à M. dlvernois, donnez-lui le même 
avis. 



LETTRE DCCLVIIL 

A M. DUTENS. 

Wootton, le 26 mars 1767. 

JTespère, monsieur, que cette lettre, destinée à 
vous ofiFrir mes souhaits de bon voyage, vous trou- 
vera encore à Londres. Ils sont bien vifs et bien 
vrais pour votre heureuse route, agréable séjour, 
et retour en bonne santé. Témoignez, je vous 
prie , dans le pays où vous allez , à tous ceux qui 
m aiment, que mon cœur n est pas en reste avec 
eux, puisque avoir de vrais amis et les aimer est 
le seul plaisir auquel il soit encore sensible. Je 
n'ai aucune nouvelle de l'élargissement du pauvre 
Guy : je vous serai très obligé si vous voulez bien 
m'en donner, avec celle de votre heureuse arri- 
vée. Voici une correction omise à la fin de l'errata 
que je lui ai envoyé ; ayez la bonté de la lui re- 
mettre. 

Je reçois, monsieur, comme je le dois la grâce 



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ANNÉE 1767. i35 

dont il plaît au roi de m'honorer, et à laqjaelle 
j'avois si peu lieu de m attendre. J aime à y voir, 
de la part de M. le général Conway, des marques 
d une bienveillance que je desirois bien plus que 
je n osois lespérer. L effet des faveurs du prince 
nest guère, en Angleterre, de capter à ceux qui 
les reçoivent celles du public. Si celle-ci faisoit 
pourtant cet eflfet, j'en serois d autant plus corn- 
blé , que c'est encore un bonheur auquel je dois 
peu m'attendre; car on pardonne quelquefois les 
offenses qu^on a reçues, mais jamais celle qu'on a 
faites; et il n'y a point de haine plus irréconcilia- 
ble que celle des gens qui ont tort avec nous. 

Si vous payez trop cher mes livres, monsieur, 
je mets le trop sur votre conscience, car pour moi 
je n'en peux mais. Il y en a encore ici quelques uns 
qui reviennent à la masse , entre autres l'excellente 
Historiajiorentina, de Machiavel, ses Discours sur 
Tite Live, et le traité de Legibus romanis, de Sigo- 
nius. Je prierai M. Davenport de vous les faire 
passer. La rente ' que vous me proposez, trop 
forte pour le capital , ne me paroît pas acceptable , 
même à mon âge ; cependant la condition d'être 
éteinte à la mort du premier mourant des deux 
la rend moins disproportionnée; et, si vous le pré- 
férez ainsi, j'y consens, car tout est absolument 
égal pour moi. 

* Celle de dix livres sterling. 



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ï36 CORRESPONDANCE, 

Je songe, monsieur, à me rapprocher de Lon* 
dres, puisque la nécessité l'ordonne; car j'y ai une 
répugnance extrême, que la nouvelle de la pension 
augmente encore. Mais, quoique comblé des at- 
tentions généreuses de M. Davenport, je ne puis 
rester plus long-temps dans sa maison, où même 
mon séjour lui est très à charge ; et je ne vois pas 
qu'ignorant la langue, il me soit possible d'étabUr 
mon ménage à la campagne, et dy vivre sur un 
autre pied que celui où je suis ici. Or j aimerois 
autant me mettre à la merci de tous les diables de 
Tenfer qu a celle des domestiques anglois. Ainsi 
mon parti est pris ; si, après quelques recherches 
que je veux faire encore dans ces provinces, je ne 
trouve pas ce qu'il me faut, j Irai à Liondres ou aux 
environs me mettre en pension comme j'étois, ou 
bien prendre mon petit ménage à Taide d'un petit 
domestique François ou suisse, fille ou garçon, 
qui parle anglois , et qui puisse faire mes empiètes. 
L'augmentation de mes moyens me permet de 
former ce projet, le seul qui puisse m'assurer le 
repos et l'indépendance , sans lesquels il n'est point 
de bonheur pour moi. 

Vous me parlez, monsieur, de M. Frédéric 
Dutens, votre ami, et probablement votre parent. 
Avec mon étourderie ordinaire, sans songer à la 
diversité des noms de baptême, je vous ai pris 
tous deux pour la même personne; et, puisque 



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ANNÉE 1767. 137 

TOUS ètesaiuis, jene me suis pas beaucoup trompé. 
Si j'ai son adresse^ et quil ait pour moi la même 
bonté que vou$) jatirai pour lui la même coii^ 
fianee, et j en userai dans TocGasioa. 

Derechef, monsieur, recevez mes vœux pour 
votre heureux voyage, et mes très humbles salu-' 
tations. 



LETTRE DCCLIX. 

A M. LE GÉNÉRAL CONWAY. 

Wootton, le 26 mars 1767. 
MONSIBDB , 

Aussi touché que surpris de la faveur dont il 
plaît au roi de m'honorer, je vous supplie d'être 
auprès de sa majesté Forgane de ma vive recon- 
noissance. Je n'a vois droit à ses attentions que par 
mes malheurs; j'en ai maintenant aux égards du 
public par ses grâces, et je dois espérer que l'exem- 
ple de sa bienveillance m'obtiendra celle de tous 
ses sujets. Je reçois, monsieur, le bienfait du roi 
comme l'arrhe d'une époque heureuse autant 
qu'honorable, qui m asaure, sous la protection de 
sa majesté, des jours désormais paisibles. Puissé-je 



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i3g CORRESPONDANCE, 

n avoir à les remplir que des vœux les plus purs et 
les plus yife pour la gloire de son régne et pour la 
prospérité de son auguste maison ! 

Les actions nobles et généreuses portent tou- 
jours leur récompense avec elles. Il vous est aussi 
naturel, monsieur, de vous féliciter d'en faire, 
qu'il est flatteur pour moi d'en être l'objet. Mais 
ne parlons point de mes talents > je vous supplie; 
je sais me mettre à ma place, et je sens, à l'im- 
pression que font sur mon cœur vos bontés, qu'il 
est en moi quelque chose plus digne de votre es- 
time que de médiocres talents , qui seroient moins 
connus s'ils m'avoient attiré moins de maux, et 
dont je ne fais cas que par la cause qui les fit naî- 
tre, et par l'usage auquel ils étoient destinés. 

Je vous supplie, monsieur, d'agréer les senti- 
ments de ma gratitude et mon profond respect. 

LETTRE DCCLX. 

A MILORD COMTE DE HARCOURT. 

Wootton, le a avril 1767. 

J'apprends, milord, par M. Davenport, que 
vous avez eu la bonté de me défaire de toutes mes 
estampes, hors une. Serois-je assez heureux pour 



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ANNÉE 1767. 139 

que cette estampe exceptée fût celle du roi? je le 
désire assez pour lespérer ; en ce cas, vous auriez 
bien lu dans mon cœur, et je vous prierois de 
vouloir conserver soigneusement cette estampe 
jusqu'à ce que j'aie l'honneur de vous voir et de 
vous remercier de vive voix : je la joindrois à celle 
de milord Maréchal, pour avoir le plaisir de con- 
templer quelquefois les traits de mes bienfaiteurs, 
et de me dire en les voyant qu'il est encore des 
hommes bienfaisants sur la terre. 

Cette idée m'en rappelle une autre, que ma 
mémoire absolument éteinte avoit laissée échap- 
per : ce portrait du roi avec une vingtaine d'autres 
me viennent de M. Ramsay, qui ne voulut jamais 
m'en dire le prix ; ainsi ce prix lui appartient et 
non pas à moi : mais comme probablement il ne 
voudroit pas plus Taccepter aujourd'hui que ci- 
devant, et que je n'en veux pas non plus faire mon 
profit, je ne vois à cela d'autre expédient que de 
distribuer aux pauvres le produit de ces estampes; 
et je crois, milord, qu'une fonction de charité ne 
peut rien avoir que l'humanité de votre cœur dé- 
daigne. La difficulté seroit de savoir quel est ce 
produit, ne pouvant moi-même me rappeler le 
nombre et la qualité de ces estampes ; ce que je 
sais, c'est que ce sont toutes gravures angloises, 
dont je n'avois que quelques autres avant celles- 
là. Pour ne pas abuser de vos bontés, milord , au 



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1 4o CORRESPONDANCE, 

point de vous engager dans de nouvelles recher* 
ches , je ferai une évaluation grossière de ces gra- 
vures, et j'estime que le prix nen pourroit guère 
passer quatre ou cinq guinées : ainsi, pour aller 
au plus sûr, ce sont cinq guinées sur le produit 
du tout que je prends la liberté de vous prier de 
vouloir bien distribuer aux pauvres. Vous voyez , 
milord, comment j'en use avec vous. Quoique je 
sois persuadé que mon importunité ne passe pas 
votre complaisance, si javois prévu jusqu'où je 
serois forcé de la porter, je me serois gardé de 
m'oublier à ce point. Agréez , milord , je vous sup- 
plie, mes très humbles excuses et mon respect. 



LETTRE DCCLXL 

A M. DU PEYROU. 

■ ^ ^ ^ A Wootton, le 2 avril 1767. 

• 

O mon cher et aimable hôte ! qu'avez- vous fait? 
Vous êtes tombé dans le pot au noir bien cruelle- 
ment pour moi. Votre n"" 4^ i V^^ vous avez en- 
voyé pour plus de sûreté par une autre voie, est 
précisément tombé à Londres entre les mains de 
mon cousin Jean Rousseau^ qui demeure chez 
M. Colombies, à qui on l'a malheureusement 



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ANNÉE 1767. i4i 

adressé. Or vous saurez que mon très cher eousin 
est en secret lame damnée du bon David , alerte 
pour saisir et ouvrir toutes les lettres et paquets 
qui m arrivent à Londres; et la vôtre a été ouverte 
très certainement, ce qui est d'autant plus aisé, 
que vous cachetez toujours très mal , avec de mau- 
vaise cire , et que vous en mettez trop peu ; la cire 
noire ne cacheté jamais bien. Votre lettre a très 
certainement été ouverte. 

Mon cher hôte, je suis de tous côtés sous le 
piège; il est impossible que je m'en tire si votre 
ami ne m'en tire pas , mais j'espère qu'il le fera ; il 
n'y a certainement que lui qui le puisse , et il sem- 
ble que la Providence la envoyé dans mon voisi- 
nage pour cette bonne œuvre. Il s'agit première- 
ment de sauver mes papiers, car on les guette avec 
une grande vigilance , et l'on espère bien qu'ils 
n*échapperont pas. Toutefois , s'il m'envoie l'exprès 
que je lui ai demandé avant que M. Davenport 
arrive , ils sont tout prêts ; je les lui remettrai, et 
ils passeront entre les mains de votre ami , qui ne 
sauroit y veiller avec trop de soin , ni trop atten- 
dre une occasion sûre pour vous les faire passer j 
car rien ne presse, et l'essentiel est qu'ils soient en 
sûreté. 

Reste à savoir si ma lettre à M. de C. est allée 
sûrement et en droiture. Les gens qui portent et 
rapportent mes lettres , ceux de la poste , tout m'est 



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i42 CORRESPONDANCE, 

également suspect ; je suis dans les mains de tout 
le monde, sans qu'il me soit possible de faire un 
seul mouvement pour me dégager. Vous me faites 
rire par le sang froid avec lequel vous me mar- 
quez, -d^(/re55ez-w>u5 à celui-ci ou à celui-là; c'est 
comme si vous me disiez, Adressez-vous à un habi- 
tant de la lune. S adresser est un mot bientôt dit, 
mais il faut savoir comment; il n'y a que la face 
d'un ami qui puisse me tirer d'affaire, toutes les 
lettres ne font que me trahir et m'embourber. 
Celles que je reçois et que j'écris sont toutes vues 
par mes ennemis ; ce n'est pas le moyen de me tirer 
de leurs mains. 

Si le ciel veut que ma précédente lettre à M. de G. 
ait échappé à mes gardes, qu'il l'ait reçue, et qu'il 
envoie l'exprès , nous sommes forts ; car j'ai mon 
second chiffre tout prêt ; je le ferai partir avec cette 
lettre-ci, et j'espère qu'il ne tombera plus dans les 
mains de M. Colombies, ni de mon cher cousin. 
S'il m'arrive de me servir du premier, ce sera pour 
donner le change; n'ajoutez aucune foi à ce que 
je vous marquerai de cette manière, à moins que 
vous ne lisiez en tête ce mot, écrit de ma main. 
Vrai. 

Je vous enverrai une note exacte des paquets 
que j'envoie à votre ami, et que j'aurai bien droit 
d'appeler le mien , s'il accomplit en ma faveur la 
bonne œuvre qu'il veut bien faire ; et cette note 



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ANNÉE 1767. 143 

sera assez détaillée pour que, si j'ai le bonheur de 
passer en terre ferme , vous puissiez indiquer les 
paquets dont nous aurons besoin. 

Je ne puis vous écrire plus long-temps. Je don- 
nerois la moitié de ma vie pour être en terre 
ferme, et l'autre pour pouvoir vous embrasser 
encore une fois , et puis mourir. 

Il faut que je vous marque encore que ce n'est 
ni pour le Contrat social, ni pour les Lettres de la 
montagne, que le pauvre Guy a été mis à la Bas- 
tille ; c'est pour les Mémoires de M. de la Clialotais. 
Panckoucke est, je crois, de bonne foi ; mais n'é- 
coutez aucune de ses nouvelles; elles viennent 
toutes de mauvaise main. 

Je tiens cette lettre et le chiffre tout prêts, mais 
viendra-t-on les chercher? Viendra-t-on me cher- 
cher moi-même? O destinée ! ô mon ami ! priez 
pour moi ; il me semble que je nai pas mérité les 
malheurs qui m'accablent. 

Le courrier n'arrivant point, j'ai le temps d'a- 
jouter encore quelques mots. Que vous envoyiez 
vos lettres par la France ou par la Hollande, cela 
est bien indifférent à la chose ; c'est entre Londres 
et Wootton que le filet est tendu , et il est impos- 
sible que rien en échappe. 

Pour être prêt au moment que l'homme arri- 
vera, s'il arrive, je vais cacheter cette lettre avec 
le second chiffre. Le 6 avril, je fais partir par la 



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i44 CORRESPONDANCE, 

poste une espèce de duplicata de cette lettre. Il sera 
intercepté, cela est sûr ; mais peut-être le laissera- 
t-on passer après l'avoir lu. 



•%/*^^^fm^^%/%^M^/\0%/%^^%M/*/%^%f\/%/%/%^^ 



LETTRE DCCLXII. 

AU MÊME. 

A WootCon, le 4 avril 1767. 

Votre n"^ 4^» nion cher hôte, m'est parvenu, 
après avoir été ouvert, et ne pouvoit manquer 
de l'être par la voie que vous avez choisie ; puis- 
qu'il a été adressé par monsieur votre parent à 
M. Colombies de Londres, lequel a pour commis 
un mien cousin, l'ame damnée du bon David, et 
alerte pour intercepter et ouvrir tout ce qui m'est 
adressé du continent, presque sans exception. 

Votre mutile précaution porte sur cette suppo- 
sition bien fausse que nos lettres sont ouvertes 
entre Londres et Neuchâtel; et point du tout, c'est 
entre Londres et Wootton; et, comme de quel- 
que adresse que vous vous serviez, il faut tou- 
jours qu'elles passent ici par d'autres mains avant 
d'arriver dans les miennes, il s'ensuit que, par 
quelque route qu'elles viennent, cela est très in- 
différent pour la sûreté. Les précautions sont 



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ANNÉE 1767. 145 

telles, qn'il est impossible qu'il en échappe aucune 
sans être ouverte , à moins qu*on ne le veuille 
bien. Ainsi, la poste me trahit et ne sauroit me 
servir. Il n y a dans ma position que la vue d un 
homme sûr qui puisse m'être utile. Présence ou 
rien. 

Je fais des tentatives pour aller à Londi^es, je 
doute qu'elles me réussissent; d ailleurs ce voyage 
est très hasardeux, à cause du dépôt qui est ici 
dans mes mains , qui vous appartient , et dont lar- 
dent désir de vous le faire passer en sûreté fait 
tout le tourment de ma vie. Le désir de s'emparer 
de ce dépôt à ma mort , et peut-être de mon vivant , 
est une des principales raisons pourquoije suis si 
soigneusement surveillé. Or, tant que je suis ici, 
il est en sûreté dans ma chambre ; je suis presque 
assuré qu'il lui arrivera malheur en route, sitôt 
que j'en serai éloigné. Voilà, mon cher hôte, ce 
qui fait que quand même je serois libre de me dé- 
placer, je ne m'y exposerois qu'avec crainte, pres- 
que assuré de perdre mon dépôt dans le trans- 
port. Que de tentatives j'ai faites pour le mettre 
en sûreté ! Mais que puis-j e faire tant que personne 
ne vient à mon secours? Quand vous m'écrivez 
tranquillement. Adressez-vous à celui-ci ou à celui- 
là , c'est comme si vous m'écriviez. Adressez-vous 
à un habitant de la lune. Mon cher hôte, libre et 
maître dans sa maison à Neuchàtel, parlant la 



CORRESP05DAt(CE. T. V. 



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i46 CORRESPONDANCE, 

langue , et entouré de gens de bonne volonté , 
juge de ma situation par la sienne. Il se trompe 
un peu. 

J'ai travaillé un peu à ma besogne au milieu du 
tumulte et des orages dont j'étois entouré : c'est 
mon travail, ce sont mes matériaux pour la suite, 
qui m^ tiennent en souci ; je souâre à penser qu'il 
faudra que tout cela périsse. Mais, si je ne suis 
secouru, je n'ai qu'un parti à prendre, et je le 
prendrai quand je me sentirai pressé, soit par la 
mort , soit par le danger ; c'est de brûler le tout, 
plutôt que de le laisser tomber entre les mains de 
mes ennemis. Vous voilà averti , mon cher hôte ; 
si vous trouvez que j'ai mieux à faire , apprenez- 
le-moi, mais n'oubliez pas que vos lettres seront 
vues. 

Je vous ai donné avis de la pension. Je vois 
d'ici, sur cet avis, toutes les fausses idées que vous 
vous faites sur ma situation : votre erreur est ex- 
cusable, mais elle est grande. Si vous saviez com- 
ment, par qui, et pourquoi cette pension m'est 
venue, vous m'en féliciteriez moins. Vous me de- 
manderez peut-être un jour pourquoi je ne Fai 
pas refusée ; je crois que j'aurai de quoi bien ré- 
pondre à cela. 

Il importoit de vous donner, une fois pour 
toutes, les explications contenues dans cette let- 
tre , que je suis pressé de finir. Je l'adresse à 



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ANNÉE 1767. 147 

M. Rougemont , de Londres, en qui seul je puis 
prendre confiance ; si on la lui laisse arriver, elle 
vous arrivera. Mille remeixiements empressés et 
respects à la plus digne des mamans. Recevez ceux 
de mademoiselle Le Vasseur. Je vous embrasse, 
mon cher hôte, de tout mon cœur. 

Vous devez comprendre pourquoi je ne vous 
parle pas ici de votre ami ; faites de même. 



■%.^/\/\^%/\/\,'\f%f*f^^^»^^'%/\/\'%/%/%.'%/%>%/\^%f%^%0%^'%/%f%. 



LETTRE DCCLXIIL 

A M. d'iVERNOIS. 

Wootton, 1« 6 avril 1767. 

J'a^ireçu, mon bon ami, votre dernière lettre, 
et lu le mémoire que vous y avez joint. Ce mé* 
moire est fait de main de maître et fondé sur d'ex- 
cellents principes : il m^inspi^e une grande estime 
pour son auteur , quel qu'il soit ; mais , n étant plus 
capable d'attention sérieuse et de raisonnements 
suivis, je n ose prononcer sur la balance des avan- 
tages respecti£i et sur la solidité de Fouvrage qui 
en résultera: ce que je crois voir bien clairement 
c'est qu'il vous offre, dans votre position, l'ac- 
commodement le meilleur et le plus honorable 
que vous puissiez espérer. Je voudrois , tant ma 



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i48 CORRESPONDANCE, 

passion de vous savoir pacifiés est vive, donner 
la moitié de mon sang pour apprendre que cet 
accord a reçu sa sanction. Peut-être ne seroit-il 
pas à désirer que j'en fusse l'arbitre ; je craindrois 
que l'amour de la paix ne fût plus fort dans mon 
cœur que celui de la liberté. Mes bons amis, 
sentez-vous bien guelle gloire ce seroit pour vous 
de part et d'autre que ce saint et sincère accord 
fïit votre propre ouvrage , sans aucun concours 
étranger? Au reste, n'attendez rien ni de l'An- 
gleterre ni de personne que de vous seuls; vos 
ressources sont toutes dans votre prudence et 
dans votre courage ; elles sont grandes , grâce 
au cieL 

J'ai prié M. du Peyrou de vous donner avis que 
le roi m'avoit gratifié d'une pension. Si jamais 
nous nous revoyons, je vous en dirai davantage ; 
mais mon cœur, qui désire ardemment ce bon- 
heur, ne me le promet plus. Je suis trop malheu- 
reux en toute chose pour espérer plus aucun vrai 
plaisir en cette vie. Adieu > mon ami; adieu, mes 
amis. Si votre liberté est exposée, vous avez du 
moins l'avantage et la gloire de pouvoir la dé- 
fendra et la réclamer ouvertement. Je connois 
des gens plus à plaindre que vous. Je vous em-^ 
brasse. 



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ANNÉE 1767. 149 

LETTRE DCCLXIV. 

A M. L£ MARQUIS DE MIRABEAU. 

Wootton, le 8 avril 1767. 

Je différois, monsieur, de vous répondre, dans 
lespoir de m'entrètenîr avec vous plus à mon aise 
quand je serois délivré de certaines distractions 
assez graves ; mais les découvertes que je fais jour- 
nellement sur ma véritable situation les augmen- 
tent, et ne me laissent plus guère espérer de les 
voir finir : ainsi, quelque douce que me fût votre 
correspondance , il y faut renoncer au moins pour 
un temps , à moins d'une mise aussi inégale dans 
la quantité que dans la valeur. Pour éclaircir un 
problème singulier qui m'occupe dans ce pré- 
tendu pays de liberté, je vais tenter, et bien à 
contre-cœur, un voyage à Londres. Si, contre 
mon attente, je l'exécute sans obstacle et sans ac- 
cident, je vous écrirai de là plus au long. 

Vous admirez Richardson , monsieur le mar- 
quis : combien vous Fadmîreriez davantage , si , 
comme moi , vous étiez à portée de comparer les 
tableaux de ce grand peintre à la nature; de voir 
combien ses situations , qui paroissent romanes- 



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1 5o CORKESPONDANCE. 

ques, sont naturelles; combien ses portraits, qui 
paroissent chargés , sont vrais ! Si je m'en rappor- 
tois uniquement à mes observations , je croirois 
même qu'il n*y a de vrais que ceux-là : car les ca- 
pitaines Tomlinson me pleuvent , et je n ai pas 
aperçu jusqu'ici vestige d^aucun Belfort ; mais j ai 
vu si peu de monde , et File est si grande , que cela 
prouve seulement que je suis malheureux. 

Adieu , monsieur. Je ne verrai jamais le châ- 
teau de Trye; et, ce qui m'afflige encore davan-^ 
tage, selon toute apparence, je ne serai jamais à 
portée d'en voir le seigneur; mais je l'honorerai 
et chérirai toute ma vie: je me souviendrai tou- 
jours que c'est au plus fort de mes misères que 
son noble cœur ma fait des avances d'amitié; et 
la mienne , qui n'a rien de méprisable , lui est 
acquise jusqu'à mon dernier soupir. 



LETTRE DCCLXV. 

A MILORD COMTE DE HARCOURT. 

Wootton, le II arril 1767. 

Je ne puis, milord , que vous réitérer mes très 
humbles excuses et remerciements de toutes les 
peines que vous avez bien voulu prendre en ma 



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ANNÉE 1767. i5i 

feveur. Je vous suis très obligé de m avoir con- 
servé le portrait du roi : je le reverrai souvent avec 
grand plaisir, et je nie livre envers sa majesté à 
toute la plénitude de ma reconnoissance, très as- 
suré qu en £d$ant le bien elle nV point d autre 
vue que de bien faire. Puisque vous savez au 
juste à quoi monte le produit de» estampes dont 
M. Bamsay avoit eu l'honnêteté de me faire ca- 
deau , vous pouvez y borner la distribution que 
vous voulez bien avoir la bonté de faire aux pau- 
vres, et remettre le surplus à M. Davenport, qui 
veut bien se charger de me l'apporter. J'aspire, 
milord , au moment d'aller vous rendre mes ac- 
tions de grâce et mes devoirs en personne, et il 
ne tiendra pas à moi que ce ne soit avant votre 
départ de Londres. Recevez en attendant, je vous 
supplie, milord, mes très humbles salutations et 
mon respect. 

P. S. Je ne vous parle point de ma santé, par- 
cequ'elle n'est pas meilleure, et que ce n'est pas 
la peine d'en parler pour n'avoir que les mêmes 
choses à dire. Celle de miademoiselle Le Vasseur, 
à laquelle vous avez la bonté de vous intéresser, 
est très mauvaise , et il n^est pas bien étonnant 
qu'elle empire de jour en jour. 



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i5a CORRESPONDANCE. 



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LETTRE DGCLXVI. 

A M. DAVENPORT. 

Wootton , le 3o avril 1 767. 

Un maître de maison, monsieur, est obligé de 
savoir ce qnî se passe dans la sienne , sur-tout à 
regard des étrangers qu'il y reçoit. Si vous igno.- 
rez ce qui se passe dans la vôtre à mon égard de- 
puis Noël , vous avez tort ; si tous le savez et 
que vous le soufFriez , vous avez plus grand tort : 
mais le tort le moins excusable est d'avoir oublié 
votre promesse , et d'être allé tranquillement 
vous établira Davenport, sans vous embarrasser 
si l'homme qui vous attendoit ici sur votre parole 
y étoit à son aise ou non. En voilà plus qu'il ne 
faut pour me faire prendre mon parti. Demain , 
monsieur, je quitte votre maison. J'y laisse mon 
petit équipage et celui de mademoiselle Le Vas- 
seur, et j'y laisse le produit de mes estampes et 
livres pour sûreté des frais faits pour ma dépense 
depuis Noël. Je n'ignore ni les embûches qui m'at- 
tendent, ni l'impuissance où je suis de m'en ga- 
rantir; mais, monsieur, j'ai vécu ; il ne me reste 
qu'à finir avec courage une carrière passée avec 



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ANNÉE 1767. i53 

honneur. Il est aisé de m*opprimer , mais difficile 
de m avilir. Voilà ce qui me rassure contre lesf 
dangers que je vais courir. Recevez derechef mes 
vifs et sincères remerciements de la noble hospi- 
talité que vous m avez accordée. Si elle avoit fini 
comme elle a commencé, j emporterois de vous 
un souvenir bien tendre, qui ne s*e£Paceroit jamais 
de mon cœur. Adieu , monsieur : je regretterai 
souvent la demeure que je quitte ; mais je regret- 
terai beaucoup davantage davoir eu un hôte si 
aimable , et de n en avoir pu faire mon ami. 

LETTRE DCGLXVII. 

A M. LE GÉNÉRAL CONWAY, 

Douvres, 1767. 

Monsieur, 

J*ose vous supplier de vouloir bien prendre 
5ur vos afi&ires le temps de lire cette lettre , seul 
et avec attention. C'est à votre jugement éclairé, 
c'est à votre ame saine que j'ai à parler. Je suis 
sûr de trouver en vous tout ce qu'il faut pour 
peser avec sagesse et avec équité ce que j'ai à vous 
dire. J'en serai moins sûr si vous consultez tout 
autre que vous. 



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1 54 CORRESPONDANCE. 

J'ignore avec quel projet j ai été amené en An- 
gkterre : il y en a eu un , cela est certain ; j'en 
juge par son effet, aussi grand, aussi plein qu^il 
auroit pu Tétre, quand ce projet eût été une af- 
faire d'état. Mais conunent le sort, la réputation 
d'un pauvre infortuné, pourroient-ils jamais fiaiire 
une affaire d'état? C'est ce qui est trop peu conce- 
vable pour que je piiisse m'arrèter à pareille sup- 
position. Cependant, que les hommes les plus 
élevés, les plus distingués, les plus estimables; 
qu'une nation tout entière se prête aux passions 
d'un particulier qui veut en avilir un autre ; c'est 
ce qui se conçoit encore moins. Je vois l'effet ; la 
cause m'est cachée , et je me suis tourmenté vai- 
nement pour la pénétrer : mais, quelle que soit 
cette cause , les suites en seront les mêmes ; et 
c'est de ces suites qu'il s'agit ici. Je laisse le passé 
dans son obscurité ; c'est maintenant l'avenir que 
j'examine. 

J'ai été traité dans mon honneur aussi cruelle- 
ment qu'il soit possible de l'être. Ma diffamation 
est telle en Angleterre, que rien ne l'y peut rele- 
ver de mon vivant. Je prévois cependant ce qui 
doit arriver après ma mort, par la seule force de 
la vérité, et sans qu'aucun écrit posthume de ma 
part s'en mêle; mais cela viendra lentement , et 
seulement (^uand les révolutions dû gouverne- 
ment auront mis tous les faits passés eh évidence. 



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ANNÉE 1767. i55 

Alors ma mémoire sera réhabilitée; mais de mon 
vivant je ne gagnerai rien à cela. 

Vous concevez, monsieur, que cette ignomi- 
nie, intolérable au cœur d'un homme d'honneur, 
rend au mien le séjour de l'Angleterre insuppor- 
table. Mais on ne veut pas que j'en sorte ; je le sens, 
j'en ai mille preuves, et cet arrangement est très 
naturel; on ne doit pas me laisser aller publier 
au-dehors les outrages que j'ai reçus dans l'île, ni 
la captivité dans laquelle j'ai vécu ; on ne veut pas 
non plus que mes mémoires passent dans le con- 
tinent et aillent instruire une autre génération 
des maux que m'a fait souffrir celle-ci. Quand je 
dis on, j'entends les premiers auteurs de mes dis- 
grâces : à Dieu ne plaise que l'idée que j'ai, mon- 
sieur, de votre respectable caractère me permette 
jamais de penser que vous ayez trempé dans le 
fond du projet ! Vous ne me connoissiez point; on 
vous a fait croire de moi beaucoup de choses; l'il- 
lusion de l'amitié vous a prévenu pour mes enne- 
mis, ils ont abusé de votre bienveillance, et, par 
uiie suite de mon malheur ordinaire, les nobles 
sentiments de votre cœur, qui vous auroient parlé 
pour moi si j'eusse été mieux connu de vous, 
m'ont nui par l'opinion qu'on vous en a donnée. 
Maintenant le mal est sans remède; il est presque 
impossible que vous soyez désabusé; c'est ce que 
je ne suis pas à portée de tenter : et, dans l'erreur 



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i56 CORRESPONDANCE, 

où vous êtes, la prudence veut que vous vous prê- 
tiez aux mesures de mes ennemis. 

J'oserai pourtant vous faire une proposition 
qui, je crois, doit parler ég^alement à votre cœur 
et à votre sag;esse : la terrible extrémité où je suis 
réduit en fait, je Fa voue, ma seule ressource; 
mais cette ressource en est peut-être également 
iune pour mes ennemis contre les suites dés- 
agréables que peut avoir pour eux mon dernier 
désespoir. 

Je veux sortir, monsieur, de l'Angleterre ou de 
la vie; et je sens bien que je n ai pas le choix. Les 
manœuvres sinistres que je vois m annoncent le 
sort qui m attend, si je feins seulement de vou- 
loir m embarquer. J'y suis déterminé pourtant, 
parceque toutes les horreurs de la mort n'ont rien 
de comparable à celles qui m'environnent. Objet 
de la risée et de l'exécration publique, je ne me 
vois environné que des signes affreux qui m'an- 
noncent ma destinée. C'est trop souffrir, mon- 
sieur, et toute interdiction de correspondance 
m'annonce assez que, sitôt que l'argent qui me 
reste sera dépensé, je n'ai plus qu'à mourir. Dans 
ma. situation, ce sera un soulagement pour moi , 
et c'jest le seul désormais qui me reste; mais j'ai 
bien de la peine à penser que mon malheur ue 
laisse après lui nulle trace désagrfeble. Quelque 
habilement que la chose ait été concertée, quel- 



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ANNÉE 1767. 157 

que adroite quen soit lexécution, il restera des 
indices peu Êivorables à l'hospitalité nationale. Je 
suis malheureusement trop connu pour que ma 
fin tragique ou ma disparition demeurent sans 
commentaires; et quand tant de complices garde- 
roient le secret, tous mes malheurs précédents 
mettront trop de gens sur la trace de celui-ci pour 
que les ennemis de mes ennemis (car tout le 
monde en a) nen fassent pas quelque jour un 
usage qui pourra leur déplaire. On ne sait jus- 
qu'où ces choses-là peuvent aller, et l'on n'est 
plus maître de les arrêter quand une fois elles 
marchent. Convenez, monsieur, qu'il y auroit 
quelque avantage à pouvoir se dispenser d'en ve- 
nir à cette extrémité. 

Or on le peut, et prudemment on le doit* Dai- 
gnez m'écouter. Jusqu'à présent j'ai toujours 
pensé à laisser après moi des mémoires qui mis- 
sent au fait la postérité des vrais événements de 
ma vie : je les ai commencés, déposés en d'autres 
mains , et désormais abandonnés. Ce dernier coup 
m'a fait sentir l'impossibilité d'exécuter ce des- 
sein, et m'en a totalement ôté l'ejivie. 

Je suis sans espoir, sans projet, sans désir même 
de rétablir ma réputation détruite, parceque je 
sais qu'après moi cela viendra de soi-même, et 
qu'il me &udroit des efforts immenses pour y par- 
venir de mon vivant. Le découragement m'a ga- 



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f 58 C0RRE8P0NDAHCE. 

gué; la douce amitié, Famoiir du repos, sont les 
seules passions qui me restent, et je n aspire qu'à 
fînirpaisiblement mes jours dans le sein d'un ami. 
Je ne vois plus d'autre bonheur pour moi sur la 
terre, et, quand j'aurois désormais à choisir, je 
sacrifîerois tout à cet unique désir qui m'est resté; 
Voilà y monsieur, Thomme qui vous propose de 
le laisser aller en paix, et qui vous engage sa foi , 
sa parole, tous les sentiments d'honneur dont il 
fait profession , et toutes ces espérances sacrées 
qui font ici-bas la consolation des malheureux , 
que non seulement il abandonne pour toujours 
le projet d'écrire sa vie et ses mémoires, mais qu'il 
ne lui échappera jamais, ni de bouche, ni par 
écrit, un seul mot de plainte sur les maUieursqui 
lui sont arrivés en Angleterre; qu'il ne parlera ja- 
mais de M. Hume, ou qu'il n'en parlera qu'avec 
honneur; et que, lorsqu'il sera pressé de s'expli- 
quer sur les plaintes indiscrètes qui , dans le fort 
de ses peines, lui sont quelquefois échappées, il 
les rejettera sans mystère sur son humeur aigrie,^ 
et portée à la défiance et aux ombrages par des 
malheurs continuels. Je pourrai parler de la sorte 
avec vérité, n'ayant que trop d'injustes soupçons 
à me reprocher par ce malheureux penchant, 
ouvrage de mes désastres, et qui maintenant y 
met le comble. Je m'engage solennellement à ne 
jamais écrire quoi que ce puisse être, et sous quel- 



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ANNÉE 1767. 169 

que prétexte que ce soit pour être imprimé ou 
publié, ni sous mon nom, ni en anonyme, ni de 
mon vivant, ni après ma mort. 

Vous trouverez, monsieur, ces promesses bien 
fortes; elles ne le sont pas trop pour la détresse 
où je suis. Vous me demanderez des garants pour 
leur exécution; cela est très juste: les voici; je 
vous prie de les peser. 

Premièrement, tous mes papiers relatifs à l'An- 
gleterre y sont encore dans un dépôt. Je les ferai 
tous remettre entre vos mains, et j y en ajouterai 
quelques autres assez importants qui sont restés 
dans les miennes. Je partirai à vide et sans autres 
papiers qu'un petit portefeuille absolument né- 
cessaire à mes af&ires, et que j'offre à visiter \ 

Secondement, vous aurez cette lettre signée 
pour garant de ma parole; et de plus, une autre 
déclaration que je remettrai en partant à qui vous 
me prescrirez , et telle que , si j'étois capable de 
jamais l'enfreindre de mon vivant, ou après 
ma mort, cette seule pièce anéantiroit tout ce 
que je pourrois dire, en montrant dans son au- 
teur un infâme qui , se jouant de ses promesses 
les plus solennelles, ne mérite d'-étre écouté sur 
rien. Ainsi mon travail détruisant son propre 
objet en rendroit la peine aussi ridicule que 
vaine. 

' * S* offre a visiter. Conforme aa texte de l'édition originale. 



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i6o CORRESPONDANCE. 

En troisième lieu , je suis prêt à recevoir tou- 
jours avec le même respect et la même reconnois- 
sance la pension dont il plaît au roi de m'honorer. 
Or, je vous demande, monsieur, si, lorsque honoré 
d'une pension du prince, j'étois assez vil, assez 
infâme pour mal parler de son gouvernement, de 
sa nation et de ses sujets, il seroit possible en au- 
cun temps qu on m écoutât sans indignation , sans 
mépris', et sans horreur. Monsieur, je me lie par 
les liens les plus forts et les plus indissolubles. 
Vous ne pouvez pas supposer que je veuille ré- 
tablir mon honneur par des moyens qui me ren- 
droient le plus vil des mortels. 

Il y a, monsieur, un quatrième garant, plus 
sûr, plus sacré que tous les autres, et qui vous 
répond de moi , c'est mon caractère connu pen- 
dant cinquante et six ans. Esclave de ma foi , fidèle 
à ma parole, si j'étois capable de gloire encore, je 
m'en ferois une illustre et fière de tenir plus que je 
n'aurois promis; mais, plus concentré dans moi- 
même, il me suffit d'avoir en cela la conscience 
de mon devoir. Eh ! monsieur, pouvez- vous pen- 
ser que, de l'humeur dont je suis, je puisse aimer 
la vie en portant la bassesse et le remords dans 
ma solitude? Quand la droiture cessera de m'être 
chère, c'est alors que je serai vraiment mort au 
bonheur. 

Non, monsieur, je renonce pour jamais à tous 



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ANNÉE 1767. 161 

souvenirs pénibles. Mes malheurs n ont rien d as- 
sez amusant pour les rappeler avec plaisir , je suis 
assez heureux si je suis libre, et que je puisse 
rendre mon dernier soupir dans le sein d'un ami. 
Je ne vous promets en ceci que ce que je me 
promets à moi-même, si je puis goûter encore 
quelques jours de paix avant ma mort. 

Je n'ai parlé jusqu'ici, monsieur, qu'à votre 
raison : je n ai qu'un mot maintenant à dire à 
votre cœur. Vous voyez un malheureux réduit au 
désespoir, n'attendant plus que la ma;nière de sa 
dernière heure. Vous pouvez rappeler cet infor- 
tuné à la vie, vous pouvez vous en rendre le sau- 
veur, et du plus misérable des hommes en faire 
encore le plus heureux. Je ne vous en dirai pas 
davantage^ si ce n'est ce dernier mot qui vaut la 
peine d'être répété. Je vois mon heure extrême 
qui se prépare ; je suis résolu , s'il le faut, de l'aller 
chercher, et de périr ou d'être libre ; il n'y a plus 
de milieu. 



correspoudance. t. t. 



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i6a CORRESPONDANCE. 

LETTRE DCCLXVIII. 

JL M* £• J* • • • • • 
CHIAUKOIBH. 

Le i3 mai* 1767. 

Vous me parlez, monsieur, dans une langue 
littéraire de sujets de littérature, comme à un 
homme de lettres; vous m accablez d'éloges si 
pompeux , qu'ils sont ironiques ; et vous croyez 
m'enivrer d'un pareil encens? Vous vous trom- 
pez, monsieur, sur tous ces points : je ne suis point 
homme de let^es: je le fus pour mon malheur; 
depuis long-temps j'ai cessé de l'être ; rien de ce 
qui se rapporte à ce métier ne me convient plus. 
Les grands éloges ne m ont jamais flatté; aujour- 
d'hui sur-tout que j'ai plus besoin de consolation 
que d'encens, je les trouve bien déplacés: c'est 
comme si , quand vous allez voir un pauvre ma- 
lade, au lieu de le panser, vous lui faisiez des 
compliments. 

/ * U y a certainement une erreur dans l'indication du mois, ce 
doit être avril au lieu de mai. Le i3 mai il étoit en route pour 
reTenir en France. Gonsëquemment cette lettre devroit être placée 
après celle adressée à milord comte de Harcourt. 



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ANNÉE 1767. i63 

J'ai livré mes écrits à la censure publique : elle 
les traite aussi sévèrement que ma personne: à la 
bonne heure; je ne prétends point avoir eu rai- 
son : je sais seulement que mes intentions étoient 
assez droites, assez pures, assez salutaires , pour 
devoir m'obtenir quelque indulgence. Mes er- 
reurs peuvent être grandes; mes sentiments au- 
roient dû les racheter. Je crois qu il y a beaucoup 
de choses sur lesquelles on n a pas voulu m*en- 
tendre : telle est, par exemple, lorigine du droit 
naturel, sur laquelle vous me prêtez des senti- 
ments qui n ont jamais été les miens. C'est ainsi 
qu'on aggrave mes fautes réelles de toutes celles 
qu'on juge à propos de m attribuer. Je me tais 
devant les hommes, et je remets ma cause entre 
les mains de Dieu , qui voit mon cœur* 

Je ne répondrai donc point, monsieur, ni aux 
reproches que vous me faites au nom d autrui, ni 
aux louanges que vous me donnez de vous-même ; 
les uns ne sont pas plus mérités que les autres. Je 
ne vous rendrai rien de pareil, tant parceque je 
ne vousconnois pas, que parceque j aime à être 
simple et vrai en toutes choses. Vous vous dites 
chirurgien : si vous .m'eussiez parlé botanique, et 
des plantes que produit votre contrée, vous m'au- 
riez fait plaisir, et j'en aurois pu causer avec vous: 
mais pour de mes livres, et de toute autre espèce 
de livres, vous m'^n parleriez inutilement; par- 



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i64 CORRESPONDANCE, 

ceque je ne prends plus d'intérêt à tout cela. Je 
ne vous réponds point en latin, par la raison cL- 
devant énoncée; il ne me reste de cette languie 
qu autant qu il en faut pom: entendre les phrases 
de Linnaeus. Recevez, àBnsieur, mes très hum- 
bles salutations. 



, LETTRE DCCLXIX. 

A M. LE MARQUIS DE MIRABEAU. 

Calais, le 23 mai 1767. 

J arrive ici , monsieur, après bien des aventures 
bizarres, qui feroient un détail plus long qu'a- 
musant. Je voudrois de tout mon cœur aller finir 
mes jours au château de Trye; mais, pour entre- 
prendre un pareil établissement, il faudroit plus 
de certitude de sa durée , que vous ne pouvez la 
donner. Je ne vois pour moi qu'un repos stable, 
c'est dans Fétat de Venise; et, malgré l'immensité 
du trajet, je suis déterminé à le tenter. Ma situa- 
tion, à tous égards, me forcera à des stations que 
je rendrai aussi courtes qu'il me sers^ possible. Je 
désire ardemment d'en faire une petite à Paris 
pour vous y voir, si j'y puis garder l'incognito 
convenable, et que je sois assuré que ce court 



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ANNÉE 1767. i65 

séjour ne déplaise pas. Permettez que je vous con- 
sulte là-dessus, résolu de passer tout droit et le 
plus promptement qu'U me sera possible , si vous 
jugez que ce soit le meilleur parti. Je ne vous en 
dirai pas davantage ici, monsieur; mais j attends 
avec empressement de vos nouvelles, et je compte 
m'arrêter à Amiens pour cela. Ayez la bonté de 
m'y répondre un mot sous le couvert de M. Bar- 
thélemi Midy, négociant. Cette réponse réglera 
ma marche. Puisse-t-elle, monsieur, me livrer à 
lardent deslr que j'ai de voir et d'embrasser le 
respectable ami des hommes ! 



LETTRE DGGLXX. 

A M. DU PEYROU. 

Calais, le a a mai 1767. 

J arrive ici transporté de joie d'avoir la conmiu- 
nication rouverte et sûre avec mon cher hôte, et 
de n'avoir plus l'espace des mers entre nous. Je 
pars demain pour Amiens, où j'attendrai de vos 
nouvelle.s, sous le convertie M. Barthélemi Midy, 
négociant. Je ne vous en dirai pas davantage au- 
jourd'hui ; mais je n'ai pas voulu tarder à rompre , 
aussitôt qu'il m'étoit possible, le silence forc^ que 
je garde avec vous depuis long-temps. 



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i66 CORRESPONDANCE. 

LETTRE DCCLXXI. 

 M. LE MARQUIS DE MIRABEAU. 

Amiens, le 3 juin 1767. 

J'ai différé, monsieur, de vous écrire jusqu'à ce 
que je pusse vous marquer le jour de mon départ 
.et le lieu de mon arrivée. Je compte partir de- 
main, et arriver après -demain au soir à Saint- 
Denys, où je séjournerai le lendemain vendredi 
pour y attendre de vos nouvelles. Je logerai aux 
7Vot5 Maillets. Gomme on trouve des fiacres à 
Saint-Denys, sans prendre la peine d'y venir vous- 
même, il suffît que vous ayez la bonté d'envoyer 
un domestique qui nous conduise dans l'asile 
hospitalier que vous voulez bien me destiner. 11 
ma été impossible de rester inconnu comme je 
l'avois désiré, et je crains bien que mon nom ne 
me suive à la piste. A tout événement, quelque 
nom que me donnent les autres, je prendrai celui 
de M. Jacques , et c'est solis ce nom que vqus pour^ 
rez me faire demander aux Trois Maillets. Rien 
n'égale le plaisir avec lequel je vais habiter votre 
maison, si ce n'est le tendre empressement que 
j'ai d'en embrasser le vertueux maître. 



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ANNÉE 1767. 167 

LETTRE DCCLXXIL 

A M. DU PEYB^U. 

Le 5 juin 1767. 

Je n ai pu , mon cher hôte, attendre , comme je 
la vois compté, de vos 4ouvelles à Amiens. Les 
honneurs publics quon a voulu m y rendre, et 
mon séjour en cette ville, devenu trop bruyant 
par les empressements des citoyens et des mili- 
taires, m'ont forcé de m'en éloigner au bout de 
huit jours. Je suis maintenant chez le digne ami 
des hommes, pu, après une si longue interrup- 
tion, j'attends enfin quelques^motsde vous. Mon 
intention est de ne rien épargner pour avoir avec 
vous une entrevue dont mon cœur a le plus grand 
besoin; et si vous pouvez venir jusqua Dijon , je 
partirai pour m'y rendre à la réception de votre 
réponse, pleurant d attendrissement et de joie au 
seul espoir de vous embrasser. Je ne vous en di- 
rai pas ici davantage. Écrivez-moi sous le couvert 
de M. le marquis de Mirabeau à Paris. Votre 
lettre me parviendra^ Je vous embrasse de tout 
mon cœur. 



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i68 CORRESPONDANCE. 

LETTRE DCCLXXIII. 

 M. LE MARQUIS DE MIRABEAU. 

• Fleury % ce vendredi à midi, 5 juin 1767. 

Il faut, monsieur, jouir de vos bontés et de vos 
soins , et ne vous remercier plus de rieu. L'air, la 
maison , le jardin , le parc , tout est adndrable ; et 
je me suis dépêché de m'emparer de tout par la 
possession , c'est-à-dire par la jouissance. J'ai par- 
couru tous les environs, et au retour j'ai trouvé 
M. Garçon , qui m'a tiré de peine sur votre retour 
d'hier, et m'a donné l'espoir de vous voir demain. 
Je ne veux point me laisser donner d inquiétudes ; 
mais, quelque agréable et douce que me soit l'ha- 
bitation de votre maison , mon intention est tou- 
jours de les prévenir. Mille très humbles saluta- 
tions et respects de mademoiselle Le Vasseur. 

* * Maison de campa^^ne du marquis de Mirabeau , dans le terri- 
toire de Meudon, à deux lieues de Paris. 



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ANNÉE 1767. 169 

LETTRE DCGLXXIV. 

AU MÊME. 

Ce mardi , 9 juin 1 767. 

Votre présence, monsieur, votre noble hospi- 
talité, vos bontés de toute espèce, ont mis le 
comble aux sentiments que m'avoient inspirés vos 
écrits et vos lettres. Je vous suis attaché par tous 
les liens qui peuvent rendre un homme respecta- 
ble et cher à un autre ; mais je suis veùu d'Angle- 
terre avec une résolution qu'il ne m'est pas même 
permis de changer, puisque je ne saurois devenir 
votre hôte à demeure, sans contracter des obliga- 
tions qu'il n'est pas en mon pouvoir ni même en 
ma volonté de remplir ; et , pour répondre une 
fois pour toutes à un mot que vous m'avez dit en 
passant, je vous répète et voiis déclare que jamais 
je ne reprendrai la plume pour le public, sur 
quelque sujet que ce puisse être; que je ne ferai 
ni ne laisserai rien imprimer de moi avant mai 
mort, même de ce qui reste encore en manuscrit; 
que je ne puis ni ne veux rien lire désormais de 
ce qui pourroit réveiller mes idées éteintes , pas 
même vos propres écrits ; que dès à présent je suis 



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1 70 CORRESPONDANCE, 

mort à toute littérature , sur quelque sujet que ce 
puisse être, et que jamais rien ne me fera changer 
de résolution sur ce point. Je suis assurément pé- 
nétré pour vous de reconnoissance, mais non pas 
jusqu a vouloir ni pouvoir me tirer de mon anéan- 
tissement mental. N^attendez rien de moi , à moins 
que, pour mes péchés, je ne devienne empereur 
ou roi; encore ce que je ferai dans ce cas sera-t-il 
moins pour vous que pour mes peuples, puisque 
en pareil cas, quand je ne vous devrois rien, je 
ne le ferois pas moins. 

En outre , quoi que vous puissiez faire , au 
Bignon je serois chez vous, et je ne puis être à 
mon aise que chez moi ; je serois dans le ressort 
du parlement de Paris, qui , par raison de conve- 
nance, peut, au moment qu'on y pensera le moins, 
faire une excursion nouvelle, in anima vili: je ne 
veux pas le laisser exposé à la tentation. 

J'irois pourtant voir votre terre avec grand 
plaisir si cela ne faisoit pas un détour inutile, et 
si je ne craignois un peu , quand j'y serois , d avoir 
la tentation d'y rester: là -dessus toutefois votre 
volonté soit faite; je ne résisterai jamais au bien 
que vous voudrez me faire, quand je le sentirai 
conforme à mon bien réel ou de fentaisie ; car pour 
moi c'est tout un. Ce que je crains n'est pas de 
vous être obligé, mais de vous être inutile. 

Je suis très surpris et très en peine de ne rece- 



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ANNÉE 1767. 171 

voir aucune nouvelle d'Angleterre ; et sur-tout de 
Suisse, dont j en attends avec inquiétude. Ce re^ 
tard me met dans le cas de faire à vous et à moi le 
plaisir de rester ici jusqua ce que j'en aie reçu, et 
par conséquent celui de vous y embrasser quel- 
quefois encore, sachant que les œuvres de miséri- 
corde plaisent à votre cœur. Je remets donc à ces 
doux moments ce qu'il me reste à vous dire, et 
sur-tout à vous remercier du bien que vous m avez 
procuré dimanche au soir, et que par la manière 
dont je lai senti je mérite d'avoir encore. Fa/e, et 
me ama. 



LETTRE DCGLXXV. 

A M. DU PEYROU. 

Le 10 juin 1767. 

Je reçois , mon cher hôte , votre n** 46 ; je n'ai 
point reçu les trois précédents. Je veux supposer, 
pour m^^consolation, que la goutte n'est point 
^enue, et. que, selon vos arrangements, vous ar- 
riverez aujourd'hui ou demain à Paris. Cela étant, 
allez, je vous supplie, au Luxembourg voir M. le 
marquis de Mirabeau ; vous saurez par lui de mes 
nouvelles. Il n'est* prévenu de rien, parceque je 



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1 72 CORRESPONDANCE, 

ne l'ai pas vu depuis la réception de votre lettre; 
mais il suffira de vous nommer. Ne sachant si cette 
lettre vous parviendra, je nen dirai pas ici davan- 
tage. Je vous embrasse de tout mon cœur. 

Si par hasard M. le marquis de Mirabeau n*é- 
toit pas chez lui, demandez M. Garçon , son se- 
crétaire. 



LETTRE DCCLXXVI. 

A M. LE MARQUIS DE MIRABEAU. 

Ce vendredi, 19 juin 1767. 

Je lirai votre livre, puisque vous le voulez; en- 
suite j'aurai à vous remercier de lavoir lu : mais 
il ne résultera rien de plus de cette lecture que 
la confirmation des sentiments que vous m avez 
inspirés, et de mon admiration pour votre grand 
et profond génie, ce que je me permets de vous 
dire en passant et seulement une fois. Je ne vous 
réponds pas même de vous suivre tl)ujotir8, par- 
cequll m'a toujours été pénible de penser, fati- 
gant de suivre les pensées des autres, et qua 
présent je ne le puis plus du tout. Je ne vous re- 
mercie point, mais je sors de votre maison fier d'y 
avoir été admis, et plus désireux que jamais de 



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ANNÉE 1767. 173 

conserver les bontés et 1 amitié du maître. Du 
reste, quelque mal que vous pensiez de la sensi- 
bilité prise pour toute nourriture, c est l'unique 
qui m est restée ; je ne vis plus que par le cœur. Je 
veux vous aimer autant que je vous respecte : c'est 
beaucoup; mais voilà tout; n attendez jamais de 
moi rien de plus, J^emporterai, si je puis, votre 
livre de plantes ; s'il m'embarrasse trop, je le lais- 
serai , dans Fespoir de revenir quelque jour le lire 
plus à mon aise. Adieu, mon cher et respectable 
hôte; je pars plein de vous, et content de moi, 
puisque j emporte votre estime et votre amitié. 

LETTRE DCCLXXVII. 

A M. DU PEYROU. 

Au Château de Trye , le 2 1 juin 1 767. 

J'arrive heureusement, mon cher hôte, avec 
M. Goindet, qui vous rendra compte de l'état des 
choses. J'espère, les premiers embarras levés, 
pouvoir couler ici des jours assez tranquilles, sous 
la protection du grand prince qui me donne cet 
asile. Donnez-m'y souvent de vos nouvelles, cher 
ami ; vous savez combien dles sont nécessaires à 
mon bonheur. Vous pouvez remettre vos lettres 



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1 74 CORRESPONDANCE, 

à M. Goindet, ou les faire mettre à la poste sous 
cette adresse, à M. Manouty, lieutenant des chasses 
de M. le prince de Conti, pour remettre à M. Renou, 
au château de Trye, par Gisors» Quand vous aurez 
quelque paquet à me feire tenir, il y a un carrQsse 
de Gisors qui va à Paris tous les mercredis , et re- 
vient tous les samedis : mais je ne sais pas où en 
est le bureau à Paris; cela n*est pas difficile à 
trouver ; il faut se servir par le carrosse de la 
même adresse. M. Coindet va partir , je suis très 
pressé; je finis en vous embrassant de tout mon 
cœur. 

LETTRE DGCLXXVIII. 

A M. LE MARQUIS DE MIRABEAU. 

Trye-le-C3iâteau, le 24 juin 1767. 

J'espérois, monsieur, vous rendre compte un 
peu en détail de ce qui regarde mon arrivée et 
mon habitation; mais une douleur fort vive qui 
me tient depuis hier à la jointure du poignet me 
donne à tenir la plume une difficulté qui me force 
d'abréger. Le château est vieux, le pays est agréa- 
ble, et j y suis dans un hospice qui ne me laisse* 
roit rien à regretter, si je ne sortois pas de Fleury. 



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ANNÉE 1767. 175 

J?ai apporté votre livre de plantes dont j'aurai 
grand soin ; j'ai apporté votre Philosophie rurale, 
que j'ai essayé de lireet de suivre sans pouvoir en 
venir à bout: j'y reviendrai toutefois. Je réponds 
de la bonne volonté, mais non pas du succès. Tai 
aussi apporté la clef du parc; j'étois en train d'em- 
porter toute la maison; je vous renverrai cette 
clef par la première occasion. Je vous prie de me 
garder le secret sur mon asile; M. le prince de 
Conti le désire ainsi, et je m'y suis engagé. Le 
nom de Jacques ne lui ayant pas plu, j'y ai sub- 
stitué celui que je signe ici, et sous lequel j'espère, 
monsieur, recevoir de vos nouvelles à l'adresse 
suivante. Agréez, monsieur, mes salutations très 
humbles. Je vous révère et vous embrasse de tout 
mon cœur. 

Renou. 



LETTRE DCCLXXIX. 

A MILORD HARCOURT. 

Le 10 juillet 1767. 

Je reçois seulement en ce moment, milord, la 
lettre que vous m'avez feit l'honneur de m'écrire 
le 7 mai, et le billet que vous m'avez envoyé sous 



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1 76 CORRESPONDANCE, 

la même date. En vous remerciant de Tune et de 
Fautre , et en vous réitérant mes très humbles ex- 
cuses de la peine que vous avez bien voulu pren- 
dre en ma faveur, permettez qu'étant éloigné de 
vous je prenne la liberté de me recommander 
à l'honneur de votre souvenir, de vous assurer 
que vos bontés ne sortiront point de ma mémoire, 
et de vous renouveler les protestations dema re- 
connoissance et de mon respect 

Je vous demande la permission, milord, de ne 
point dater, quant à présent, du lieu de ma re- 
traite , et de ne plus signer un nom sous lequel j ai 
vécu si malheureux. Vous ne tarderez pas d être 
instruit de celui que j ai pris, et sous lequel je vous 
rendrai désormais mes hommages, si vous me per. 
mettez de vous les renouveler quelquefois. Si vous 
m'honorez d une réponse, M. Watelet esta portée 
de me la faire passer. 



LETTRE DCCLXXX, 

A M. DU PEYROU. 

Le 32 juillet 1767. 

Je suis, mon cher hôte, dans les plus grandes 
alarmes de n'avoir aucune nouvelle de vous de- 



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ANNÉE 1767. 177 

puis votre départ. Si vous m'avez écrit, il faut que 
vos lettres se soient dévoyées, et je n'imagine que 
la goutte qui ait pu vous empêcher d'écrire. Cette 
idée me fait frémir, en pensant à ce que c'est que 
d'être pris de la goutte hors de chez soi, et peut- 
être même en route dans un cabaret. Ah , cher 
ami! si je le croyois bien, si je savois où, rien ne 
nempêcheroitd aller vous yjoindre ; votre silence 
me tient dans une angoisse d'autant plus cruelle 
que, dans le doute, je mets toujours les choses au 
pis. De grâce, si ma lettre vous parvient, en quel- 
que état que vous soyez , faites-moi écrire un mot; 
Êiites-le écrire à double, l'un où je suis, directe- 
ment à mon adresse que vous savez, et l'autre à 
l'adresse de M. Coindet, que vous savez aussi. Il 
est étonnant que je ne sache ou que je ne me rap- 
j)elle pas votre nom de baptême : cela me tient en 
quelque embarras pour vous distinguer, en écri- 
vant à M. du Peyrou d'Amsterdam , à qui j'adresse 
cette lettre. Je n'ai pas le courage de vous parler 
de moi jusqu'à ce que j'aie de vos nouvelles. Don- 
nez-m'en, je vous conjure, le phis tôt que vous 
pourrez. Adieu, mon cher hôte : puisse la Provi- 
dence vous conduire et vous ramener heureuse- 
ment! 



CORRESPONDANCE. T. V. 



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178 CORRESPONDANCE. 



LETTRE DCCLXXXI. 

A M. LE MARQUIS DE MIRABEAU. 

Trye, le 26 juillet 1767. 

J'aurois dû, monsieur, vous écrire en recevant 
votre dernier billet; mais j'ai mieux aimé tarder 
quelques jours encore à réparer ma négligence , 
et pouvoir vous parler en même temps du livre ' 
que vous m'avez envoyé. Dans l'impossibilité de 
le lire tout entier, j'ai choisi lès chapitres où Fau- 
teur casse les vitres , et qui m'ont paru les plus 
importants. Cette lecture m'a moins satisfait que 
je ne m'y attendois ; et je sens que les traces de mes 
vieilles idées, racornies dans mon cerveau, ne 
permettent plus à des idées si nouvelles d'y feire 
de fortes impressions. Je n'ai jamais pu bien en- 
tendre ce que c'étoit que cette évidence qui sert 
de base au despotisme légal, et rien ne m'a paru 
moins évident que le chapitre qui traite de toutes 
ces évidences. Ceci ressemble ^sez au système de 
l'abbé de Saint-Pierre , qui prétendoit que la rai- 

* * V Ordre naturel et essentiel des Sociétés politiques (1767, in-4*, 
ou 2 vol. in-13), par Mercier de La liivière, ancien intendant de la 
Martinique, 



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ANNÉE 1767. 179 

son humaine allbit toujours en se perfectionnant, 
attendu que chaque siècle ajoute ses lumières à 
celles des siècles précédents. Il ne voyoit pas que 
Fentendement humain n a toujours qu une même 
mesure et très étroite, qu'il perd d'un côté tout 
autant qu'il gagne de l'autre, et que des préjugés 
toujours renaissants nous ôtent autant de lumières 
acquises que la raison cultivée en peut remplacer. 
Il me semble que l'évidence ne peut jamais être 
dans les lois naturelles et politiques qu'en les con- 
sidérant par abstraction. Dans un gouvernement 
particulier, que tant d'éléments divers compo- 
sent, cette évidence disparoit nécessairement. Car 
la science du gouvernement n'est qu'une science 
de combinaisons, d'applications et d'exceptions, 
selon les temps, les lieux, les circonstances. Ja- 
mais le public ne peut voir avec évidence les rap- 
ports et le jeu de tout cela. Et, de grâce, qu'arri- 
vera-t-il? que deviendront vos droits sacrés de 
propriété dans de grands dangers, dans des cala- 
mités extraordinaires, quand vos valeurs dispo- 
nibles ne suffiront plus, et que le salus populi su" 
prema lex esto sera prononcé par le despote? 

Mais supposons toute cette théorie des lois natu- 
relles toujours parfeitement évidente, même dans 
ses applications, et dune clarté qui se propor- 
tionne a tous les yeux ; comment des philosophes 
qui connoissent le cœur humain peuvent-ils don- 



la. 



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i8o CORRESPONDANCE, 

ner à cette évidence tant d autorité sur les actions 
des hommes? comme s'ils ignoroient que chacun 
se conduit très rarement par ses lumières et très 
fréquemment par ses passions. On prouve que le 
plus véritable intérêt du despote est de gouverner 
légalement, cela est réconnu de tous les temps; 
mais qui est-ce qui se conduit sur ses plus vrais 
intérêts? le sage seul, s'il existe. Vous faites donc, 
messieurs, de vos despotes autant de sages. Pres- 
que tous les hommes connoissent leurs vrais in- 
térêts, et ne les suivent pas mieux pour cela. Le 
prodigue qui mange ses capitaux sait parfaite-* 
ment qu'il se ruine, et n'en Vfi pas moins son 
train : de quoi sert que la raison nous éclaire quand 
la passiQA nous conduit? 

« Video meliora proboque.» 
« Détériora sequor. » 

Voilà ce que fera votre desppte, ambitieux, 
prodigue, avare, amoureux, vindicatif, jaloux, 
foible; car c'est ainsi qu'ils font tous, et que nous 
faisons tous. Messieurs, permettez-moi de vous le 
dire, vous donnez trop de force à vos calculs, et 
pas assez aux penchants du cœur humain et au 
jeu. des passions. Votre système est très bon pour 
les gens de FDtopie ; il ne vaut rien pour les en- 
fants d'Adam. 

Voici, dans mes vieilles idées, le grand pro- 
blème en politique, que je compare à celui de la 



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ANNÉE 1767. 181 

quadrature du cercle en géométrie, et à celui des 
longitudes en astronomie : Trouver une forme de 
gouvernement qui mette la loi au-dessus de [homme. 

Si cette forme est trouvable, cherchons-la et 
tâchons de l'établir. Vous prétendez , messieurs , 
trouver cette loi dominante dans Tévidence des 
autres. Vous prouvez trop; car cette évidence a 
dû être dans tous les gouvernements, ou ne sera 
jamais dans aucun. 

Si malheureusement cette forme n'est pas trou- 
vable, et j'avoue ingénuement que je crois qu*elle 
ne l'est pas, mon avis est quHl faut passer à l'autre 
extrémité, et mettre tout d'un coup l'homme au- 
tant au-dessus de la loi qu'il peut l'être, par con- 
séquent établir le despotisme arbitraire et le plus 
arbitraire qu'il est possible : je voudrois que le 
despote pût êtrie Dieu. En un mot, je ne vois point 
de milieu supportable entre la plus austère dé- 
mocratie et le hobbisme le plus parfait ; car le 
conflit des hommes et des lois, qui met dans l'état 
une guerre intestine continuelle , est le pire de 
tous les états politiques. 

Mais les Caligula, les Néron, les Tibère !... Mon 
Dieu !... je me roule par terre, et je gémis d'être 
homme. 

Je n'ai pas entendu tout ce que vous avez dit 
des lois dans votre livre, et ce qu'en dit l'auteur 
nouveau dans le sien. Je trouve qu'il traite uu 



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iSa CORRESPONDANCE, 

peu légèrement des diverses formes de gouverne- 
ment, bien légèrement sur-tout des suffrages. Ce 
. qu'il a dit des vices du despotisme électif est très 
vrai ; ces vices sont terribles. Ceux du despotisme 
héréditaire, qu'il n a pas dits , le sont encore plus. 

Voici un second problème qui depuis long- 
temps m'a roulé dans l'esprit. 

Trouver dans le despotisme arbitraire une forme 
de succession qui ne soit ni élective ni héréditaire, ou 
plutôt qui soit à-la-fois [une et [autre, et par laquelle 
on s assure, autant qu il est possible, de n'avoir ni des 
Tibère ni des Néron. 

Si jamais j'ai le malheur de m'occuper derechef 
de cette folle idée, je vous reprocherai toute ma 
vie de m'a voir ôté de mon râtelier. J'espère que 
cela n'arrivera pas; mais, monsieur, quoi iqu'il 
arrive, ne me parlez plus>de votre despotisme légal. 
Je ne saurois le goûter ni même l'entendre; et je 
ne vois là que deux mots contradictoires, qui réu- 
nis ne signifient rien pour moi. 

Je connois d'autant moins votre principe de 
population , qu'il me paroît inexplicable en lui- 
même, contradictoire avec les faits, impossible à 
concilier avec l'origine des nations. Selon vous, 
monsieur, la population multiplicative n'auroit 
dû commencer que quand elle a cessé réellement. 
Dans mes vieilles idées, sitôt qu'il y a eu pour un 
sou de ce que vous appelez richesse ou valeur dîs- 



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ANNÉE 1767. i83 

ponible, sitôt qu'on s'est fait le premier échange, 
la population multiplicative a dû cesser; c'est aussi 
ce qui est arrivé. 

Votre système économique est admirable. Rien 
n est plus profond , plus vrai , mieux vu , plus 
utile. Il est plein de grandes et sublimes vérités 
qui transportent. Il s'étend à tout : le champ est 
vaste ; mais j'ai peur qu'il n'aboutisse à des pays 
bien différents de ceux où vous prétendez aller. 

J'ai voulu vous marquer mon obéissance en 
vous montrant que je vous avois du moins par- 
couru. Maintenant , illustre ami d^s honmies et 
le mien, je me prosterne à VQ^ pieds pour vous 
conjurer d'avoir pitié de mon état et de mes mal- 
heurs, de laisser en paix ma mourante tète, de 
n'y plus réveiller des idées presque éteintes, et 
qui ne peuvent renaître que pour jn'abymer dans 
de nouveaux gouffres de maux. Aimezrmoi tou- 
jours, mais ne m'envoyez plus de livres, n'exigez 
plus que j'en lise ; ne tentez pas même de m'éclai- 
rer si je m'égare : il n'est plus temps. On ne se 
convertit poiùt sincèrement à mon âge. Je puis 
me tromper, et vous pouvez me convaincre, mais 
non pas me persuader. D'ailleurs , je ne dispute 
jamais ; j'aime mieux céder et me taire : trouvez 
bon que je m'en tienne à cette résolution. Je vous 
embrasse de la plus tendre amitié et avec le plus 
vrai respect. 



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i84 CORRESPONDANCE. 

LETTRE DCCLXXXIL 

A M. DU PEYROU. 

Le i" août 1767. 

Si , comme je l'espère , mon très cher hôte , vous 
avez reçu ma lettre précédente , vous y aurez vu 
combien j a vois besoin de la,vôtre du 20 pour me 
tranquilliser sur votre voyage. Grâce à Dieu , vous 
voilà arrivé exem|>t de goutte ; et quand même 
elle vous prendroit où vous êtes, ce qui, je me 
flatte, n'arrivera pas, j'en serois moins efïrayé que 
de vous savoir arrêté en route dans une auberge, 
malheur que j'ai craint dans ces circonstances par- 
dessus tout. Si votre vie ambulante de cette an- 
née pou voit, jpour cette fois, vous exempter de la 
goutte, je ne désespèrerois pas qu'avec vos pré- 
cautions et la botanique, vous n'en fussiez peut- 
être délivré tout-à-fait. Ainsi soit-il. 

Je ne vous dirai pas ce qui s'est passé ici depuis 
votre départ; peut-être cela changera-t-il avant 
votre retour. Son altesse, qui malheureusement à 
fait un voyage, doit revenir dans peu de jours. 

J'écris, comme vous le desirez, à Douvres ; mais 
je tire un mauvais augure, pour le sort des lettres 



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ANNÉE 1767. i85 

de change , de ce que votre lettre ne vous a pas 
été renvoyée. Si vous m'eussiez consulté quand 
vous la fîtes partir , je vous aurois conseillé d'at- 
tendre une autre occasion. J'espère que vous au- 
rez été plus heureux à retirer l'opéra. 

Je suis encore incertain sur la meilleure voie 
pour avoir recours à vos banquiers , c'est-à-dire 
sur le meilleur nom à prendre. Comme cela ne 
presse point du tout, nous aurons le temps d'en 
délibérer. S'il ne vous étoit pas incommode de . 
vous charger vous-même du semestre échu quand 
vous viendrez me voir , cela feroit que , n'ayant 
rien à recevoir d'eux jusqu'à l'année prochaine, 
jaurois tout le temps de penser aux meilleurs 
arrangements pour cela. En attendant , il est à 
croire que l'affaire de la pension sera déterminée 
de manière ou d'autre ; elle ne l'est pas jusqu'ici. 

Je comprends que celle de vos affaires que 
vous avez terminée la première où vous êtes est 
celle d'autrui, et je vous reconnois bien là. Tâchez, 
cher ami , d'arranger si solidement les vôtres, que 
vous n'ayez pas^ souvent de pareils voyages à faire. 
Il vaut encore mieux s'aller promener au creux 
du vent par la pluie, qu'en Hollande par le beau 
temps. 

Je n'ai ici ni carte, ni livres, ni instructions, 
pour votre route; mais je suis très sûr que vous 
pouvez venir ici en droiture sans avoir besoin de 



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i86 CORRESPONDANCE, 

passer par Paris. Je crois que Beauvais n'est pas 
fort éloig[iié de votre route ; il y en a une de Beau- 
vais à Gisors , et la distance de ces deux villes n^est 
que de six lieues; les mêmes chevaux de poste 
les font, à ce qu'on ma dit. Ce château est sur la 
même route, ou du moins très près et seulement 
à demi-lieue de Gisors. Vous pouvez aisément vous 
arranger pour y venir mettre pied à terre, et vous 
enverrez votre voiture et vos gens à Gisors. 

Je vous prie de dire pour moi mille choses à 
monsieur et à madame Rey . Voyez aussi , de grâce, 
ma petite filleule; embrassez-la de ma part. Je 
serois bien aise d avoir à votre retour quelques dé- 
tails sur la figure et le caractère de cette chère en* 
fant; elle a cinq ans passés ; on doit conunencer 
d'y voir quelque chose. 

J'attends de vos nouvelles avec la plus vive im- 
patience; instruisez-moi le plus tôt que vous pour- 
rez du temps de votre départ, et, s'il se peut, de 
celui de votre arrivée. Cette idée me fait d avance 
tressaillir de joie. Ma sœur vous baise les mains, 
et partage mon empressement. Adieu, mon cher 
hôte, je vous embrasse de tout mon cœur. 

Ne pourriez-voùs point trouver où vous êtes 
YAgrostographitty ou TVaitérfesGramen de Scheuzer? 
Il est impossible de l'avoir à Paris. Si vous pouviez 
aussi trouver la Méthode de Ladwig, ou quelque 
autre bon livre de botanique, vous me feriez grand 



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ANNÉE 1767. 187 

plaisir. Les miens sont en Angleterre avec mes 
guenilles, et Ion ne se presse p^s de me les ren- 
voyer. 

LETTRE DCCLXXXIIL 

A M. GRANVILLE. 

De France, le i" août 1767. 

Si j avois eu , monsieur , l'honneur de vous 
écrire autant de fois que je Tai résolu , vousauriez 
été accablé de mes lettres; mais les tracas d'une 
vie ambulante, et ceux d'une multitude de surve- 
nants ont absorbé tout mon temps , j usqu'à ce que 
je sois parvenu à obtenir un asile ttn peu plus 
tranquille. Quelque agréable qu'il soit , j'y sens 
souvent, monsieur, la privation de votre voisi- 
nage et de votre société, et j'en remplis souvent 
la solitude du souvenir de vos bontés pour moi. 
Peu s'en est fallu que je ne sois retourné jouir de 
tout cela chez mon ancien et aimable hôte; mais 
la manière dont vos papiers publics ont parlé de 
ma retaite m'a déterminé à la faire entière , et à 
exécuter un projet dont vous avez été le premier 
confident. Je vous disois alors qu'en quelque lieu 
que je fhsse je ne vous oublierois jamais ; j'ajoute 



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i88 CORRESPONDANCE, 

maintenant qu a ce souvenir si bien dû se joindra 
toute ma vie le regret de lentretenir de si loin. 

Permettez du moins que ce regret soit tempéré 
par le plaisir de vous demander et dapprendre 
quelquefois de vos nouvelles , et à réitérer de temps 
en temps les assurances de ma reconnoissance et 
de mon respect. 

LETTRE DCCLXXXIV. 

A M. GUY. 
Écrite de Normandie, le 6 août 1767. 

Remerciez mon excellente amie , madame La 
Tour, de son petit billet, et dites-lui que les pre- 
miers épanouissements de mon cœur seront pour 
elle ; je ne veux rien de plus quant à présent. Elle 
m'avoit envoyé son adresse; mais sa lettre est 
restée avec mes papiers , et il m'est impossible de 
m'en souvenir. 



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ANNÉE 1767. 189 

LETTRE DCCLXXXV. 

A M. LE MARQUIS DE MIRABEAU. 

Trye, le 12 août 1767. 

Je suis affligé, monsieur, que vous me mettiez 
dans le cas d'avoir uiï^refus à vous faire; mais ce 
que vous me demandez est contraire à ma plus 
inébranlable résolution, même à mes engage- 
ments, et vous pouvez être assuré que de ma vie 
une ligne de moi ne sera imprimée de mon aveu. 
Pour ôter même une fois pour toutes les sujets de 
tentation, je vous déclare que dès ce moment je 
renonce pour jamais à toute autre lecture que des 
livres de plantes , et même à celle des articles de 
vos lettres qui pourroient réveiller en moi des 
idées que je veux et dois étouffer. Après cette dé- 
claration, monsieur, si vous revenez à la charge, 
ne vous offensez pas que ce soit inutilement. 

Vous voulez que je vous rende compte de la 
manière dont je suis ici. Non , mon respectable 
ami; je ne déchirerai pas votre noble cœur par 
un semblable récit. Les traitements que j'éprouve 
en ce pays de la part de tous les habitants sans 
exception , et dès l'instant de mon arrivée, sont 



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igo CORRESPONDANCE, 

trop contraires à l'esprit de la nation et aux inten- 
tions du {jrand prince qui ma donné cet hospice, 
pour que je les puisse imputer qu a un esprit de 
vertige dont je ne veux pas même rechercher la 
cause. Puissent-ils rester ignorés de toute la terre ! 
et puissé-je parvenir moi-même à les regarder 
comme non avenus. 

Je fais des vœux pour Theureux voyage de ma 
bonne et belle compatriote que je crois déjà par- 
tie. Je suis bien fier que madame la comtesse ait 
daigné se rappeler un homme qui n'a eu qu un 
moment l'honneur de paroître à ses yeux , et dont 
les abords ne sont pas brillants ; elle auroit trop 
à faire s'il falloit qu'elle gardât un peu des sou- 
venirs qu'elle laisse à quiconque a eu le bonheur 
de la voir. Recevez mes plus tendres embrasse- 
ments. 



«>«i/«<^«/«^^'w«'^»/«/« <«/«<%'«<^'»/«/v%/»<^'v«/««'»/«/^ 



LETTRE DCCLXXXVI. 

A MADAME LA MARÉCHALE DE LUXEMBOURG. 

Trye, le i6 août 1767. 

Je compte si parËdtement, madame la maré- 
chale , sur la contiauation de toutes vos bontés 
pour moi , que je viens y recourir avec la plus 



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ANNÉE 1767. 191 

parfaite confiance, en vous suppliant d*obtenlr de 
M. le prince de Conti la permission de quitter ce 
séjour sans encourir sa disgrâce. J'ose désirer en- 
core de savoir si le gouvernement approuve, ou 
non , que je m'établisse dans quelque coin du 
royaume , où je puisse vivre et mourir en paix , 
sous la protection de son altesse, ou si je dois con- 
tinuer ma route pour chercher un asile ailleurs. 
Je vous Conjure, madame la maréchale, par upe 
mémoire respectable et si chère à votre cœur, de 
vouloir prendre les informations nécessaires pour 
me tirer de Tincertitude où je suis sur ce qu'il 
m est permis de faire ; car ma résolution est de 
n accepter plus delogementgratuitchez personne* 
Le grand prince qui a bien voulu m'en accorder 
un sera nion dernier hôte, et je crois devoir à 
l'honneur qu'il ta'a fait de n'en accepter plus de 
personne un semblable. Mais, pour oser me don- 
ner un asile indépendant, il faut, quelque obscur 
et reculé qu'il soit , et quelque incognito que je 
garde, que j'aie quelque sûreté d'y être laissé en 
paix. Ah I madame, que je vous doive le repos 
des derniers jours de ma vie ; il m'en paroi tra 
cent fois plus doux ! 



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iga CORRESPONDANCE. 



LETTRE DCCLXXXVII. 

A M. LE MARQUIS DE MIRABEAU. 

Ce 32 août 1767. ' 

^ Je VOUS dois bien des remerciements , monsieur^ 
pour votre dernière lettre, et je vous les fais de 
tout mon cœur. Elle ma tiré d une grande peine ; 
car, vous étant aussi sincèrement attaché que je 
le suis, je ne poiivois rester un moment tran- 
quille dans la crainte de vous avoir déplu^ Grâces 
à vos bontés, me voilà tranquillisé sur ce point. 
Vous me trouvez grognon; passe pour cela : je 
réponds du moins que vous ne me trouverez ja- 
mais ingrat; mais n'exigez rien de ma déférence 
et de mon amitié contre la clause que j'ai le plus 
expressément stipulée ; car je vous confirme, pour 
la dernière fois, que ce seroit inutilement. 

J ai tort de n'avoir rien mis pour M. l'abbé ; 
mais ce tort n'est qu'extérieur et apparent, je vous 
jure. Il me semble que les bommes de son ordre 
doivent deviner l'impression qu'ils font sans qu'on 
la leur témoigne. La raison même qui m'empè- 
choit de répondre à sa politesse est obligeante pour 
lui, puisque c'étoit la crainte d'être entraîné dans 



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ANNÉE 1767. 193 

(les discussions que je me suis interdites, et où 
j avois peur de n être pas le plus fort. Je vous dirai 
tout franchement que j'ai parcouru chez vous 
quelques pages de son ouvrage , que vous aviez 
négligemment laissé sur le bureau de M. Garçon, 
et que, sentant que je mordois un peu à lliame- 
çon , je me suis dépêché de fermer le livre avant 
que j'y fusse tout-à-fait pris. Or, prêchez et patro- 
cinez tout à votre aise, je vous promets que je ne 
rouvrirai de mes jours ni celui-là, ni les vôtres, 
ni aucun autre de pareil acabit : hors TAstrée, je 
ne veux plus que des livres qui m ennuient, ou 
qui ne parlent que de mon foin. ' 

Je crains bien que vous n'ayez deviné trop 
juste sur la source de ce qui se passe ici, et dont 
vous ne sauriez même avoir Tidée; mais tout cela 
n'étant point dans l'ordre naturel des choses, ne 
fournit point de conséquence contre lé séjour de 
la campagne , et ne m'en rebute assurément pas. 
Ce qu'il faut fuir n'est pas la campagne ^ mais les 
maisons des grands et des princes qui ne sont 
point les maîtres chqz eux, et ne savent rien de 
ce qui s'y fait. Mon malheur est, premièrentient, 
d'habiter dans un château , et non pas sous un toit 
de chaume, chez autrui, et non pas chez moi, et 
sur-tout d'avoir un hôte si élevé , qu'entre lui et 
moi il £Eiut nécessairement des intermédiaires. Je 
sens bien qu'il faut me détacher de l'espoir d'un sort 

(XmRESPONDAKCE. T. V. l3 



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194 CORRESPONDANCE, 

tranquille et d'une vie rustique; mais je ne puis 
m'empêcher de soupirer en y songeant. Aimez- 
moi et plaignez«-moi. Ah ! pourquoi faut-il que 
j aie fait des livres , j'étois si peu fait pour ce 
triste métier 1 J'ai le cœur serré, je finis et vous 
embrasse. 



LETTRE DCCLXXXVIII. 

A M. DIVERNOIS. 
Au château de Trye, ce 24 août 1 767. 

Je naî reçu que depuis peu de jours, mon bon 
ami , votre lettre du 20 mai , adressée à Wootton ; 
elle étoit dans le plus triste état du monde, à demi 
brûlée , et paroissant avoir été ouverte plusieurs 
fois: les pièces que vous y avez jointes, ayant grossi 
le paquet, ont augmenté la curiosité. Je ne sais 
pourquoi vous vous obstinez à m*envoyer de pa- 
reilles pièces; peine qui ne peut servir de rien, ni 
à vous, ni à moi , ni à personne , et qui empêchera 
toujours que vos lettres ne me parviennent fidè- 
lement. Quand vos affaires seront accommodées, 
apprenez-le-moi pour consoler mon cœur: jus- 
là ne me parlez que de vous. 

Lorsque je doutois que vous vinssiez me voir à 
Wootton, ce n etoit pas de votre volonté que j'étois 



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ANNÉE 1767. 195 

en peine , mais bien des obstacles que vous trou- 
veriez à Texécuteip: soyez persuadé que^ si vous 
m'étiez venu voir en Angleterre, de quelque ma- 
nière que vous vous y fussiez pris, vous n^auriez 
point passé Londres. Si jamais la concorde renaît 
parmi vous, j'ai lieu d'espérer que^ n'ayant plus à 
courir si loin, vous aurez moins de difficultés à 
me rejoindre : M. du Peyrou vous en indiquera 
les moyens quand il sera temps , et soyez sûr que 
l'espoir de vous embrasser est un de ceux qui me 
font encore aimer la vie. 

Je ne sais comment j'avois oublié de vous r^oi- 
dre compte de l'affaire dont vous m'aviez chargé 
à Berlin; j'aurois juré de vous en avoir rendu 
compte il y a long-temps ; car, dans mon premier 
moment de relâche, j'écrivis à cet effet à milord 
Maréchal; c'étoit précisément quand M. Michel 
venoit d'êtrie nommé. Milord me répondit qu'il 
étoit allé exprès à Berlin pour parler aux ministres 
de votre affaire ; qu'il fklloit nécessairement que 
vous vous adressassiez directement à eux ou au 
vice-gouverneur; que, depuis la nomination du 
dernier, il ne lui con venoit plus de se mêler d'au- 
cune affaire qui reg«dât Neuchâtel en aucune 
sorte; qu'il avoit refusé au colonel Ghaillet de se 
mêler d'une affaire pareille à celle qu'il venoit de 
proposer à ma sollicitation, et qu'il me prioit de 
ne plus me charger à l'avenir de recommanda- 



i3. 



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196 CORRESPONDANCE, 

tions auprès de lui, de quelque espèce qu'elles 
pussent être. Je ne doute pas qu'en vous adressant 
directement au ministère, votre afiaire ne passât 
sans difficulté , d autant plus qu'elle a déjà été pro- 
posée, et qu on est toujours bien venu dans cette 
cour-là quand on se présente avec de l'argent. En 
partant de l'île dé Saint-Pierre , je laissai vos pa- 
piers avec tous les miens à M. du Peyrou , des 
mains de qui vous les retirerez sans difficulté 
quand il vous plaira.. 

Je n'ai laissé nuls papiers à l'île de Saint-Pierre 
qu'il m'importe de ravoir ; mais comme j'aime tou- 
jours mieux qu'ils soient en mains amies qu'en 
d'autres, si vous voulez les retirer en mon nom, 
vous n'avez qu'à m'envoyer la formule du billet 
qu'il faut que je fasse pour cela , et je vous l'eii- 
verrai sans délai. 

Comme, lorsque vos afiaires publiques seront . 
terminées, vous pourriez avoir quelque voyage à 
faire dans le pays où je suis sans passer par Neu- 
cbâtel, je vous préviens que, si de Paris vous 
pouvez vous rendre au château de Trye, près de 
Gisors, et demander M. Renou, il vous donnera 
de mes nouvelles sûres. Gisors est à quinze petites 
lieues de Paris, et il y a un carrosse public qui 
part de Gisors tous les mercredis, et de Paris tous 
les samedis, et fait la route en été dans un jour. 
Je vous embrasse, mon bon ami, de tout mon 



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ANNÉE 1767. 197 

cœur, ainsi que tout ce qui vous est cher, et tous 
nos amis. 

M. du Peyrou étant tombé malade à Paris, cette 
lettre a été prodigieusement retardée. 

Ce 8 norembre. 

Autre retard bien plus long;; M. du Peyrou 
étant retombé malade ici , et y ayant été retenu 
plus de deux mois, vous pouvez juger si ces longs 
retards me tiennent en inquiétude , et me rendent 
vos promptes nouvelles nécessaires, sur les tristes 
choses que j'apprends. 



LETTRE DCGLXXXIX. 

A M. DU PEYROU. 

Le 8 septembre 1767. 

J ai reçu avant-hier au soir votre lettre du 3 ; 
malgré l'oubli , elle avoit été décachetée ; mais l'en- 
veloppe à milord Maréchal, qu'il a eu l'impru- 
dence de me laisser, ne l'avoit point été. Que cela 
vous serve de règle quand vous m'écrirez. Je pren- 
drai le parti de porter moi-même cette lettre à la 
poste ; mais , comme cela sera remarqué, et qu'on 



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198 CORRESPONDANCE. 

y pourvoira pour la suite , je n'y reviendrai pas , et 

je vous dirai tout dans celle-ci. 

Que j ai craint cette cruelle goutte , cruelle pour 
Fun et pour lautre^ pour moi sur-tout à divers 
égards ! J'espère encore que cette atteinte n'aura 
pas de suite, et ne vous empêchera pas de me ve- 
nir voir. Mon eî^cellent et cher hôte, ce sera la 
dernière fois que nous nous verrons; j'en ai le 
pressentiment trop bien fondé. Paisse ce dernier 
des heureux moments de ma vie achever de vous 
dévoiler le cœur de votre ami ! Coindet fera tous 
ses efforts pour venir avec vous ; évitez ce cortège ; 
après ce que je sais, il empoisonnèrent mes plai- 
sirs. Tétois sûr que, puisque vous jugiez à propos 
de le consulter sur votre route, il feroît en sorte 
de vous dégoûter de venir ici directement. Il vous 
aura embarrassé de traverses inutiles, et de fausses 
difficultés des maîtres de poste. Gardez sa lettre , 
et montrez cet article à gens instruits , vous ver- 
rez ce qu'ils vous diront. 

Mon cher hôte, vous m'ayez perdu sans le vou- 
loir, sasis le savoir, et bien innocemment , mais 
sans ressource. Le concours fortuit de mon voyage 
ici ^ du vôtre en Hollande a passé chez mes per- 
sécuteurs pour une af&ire arrangée entre nous. 
On vous a cru chargé d'une négociation avec 
Rey. Le papier que vous avez adressé pour moi à 
Coîiidet par son canal les a encore effarouchés ; 



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ANNÉE 1767. 199 

leur conscience agitée alarme leurs tètes, et leur 
persuade toujours que j'écris. Gonnoissant si peu 
le charme d'une vie oisive, solitaire, et simple, ils 
ne peuvent croire que c'est tout de bÔn que j'her- 
borise, que ces papiers et ces petits livres étoient 
destinés à coller et dessiner des plantes sur le 
transparent; et j'ai vu clairement que Coindet, à 
qui j'ai parlé de cet emploi que j'en voulois Êiire, 
n'en a rien cru. Tous ses propos, toutes ses ma- 
nœuvres m'ont dit tout ce qui se passoit dans son 
ame et qu'il croyoit bien caché ; et ce Coindet, qui 
se croit si fin, n'est qu'un fat. Fiez- vous encore 
moins qu'à lui à la dame à qui il vous a présenté , 
et dont il est , envers moi, l'ame damnée. Elle m'a 
trompé six ans ; il y en a deux qu'elle ne me trompe 
plus, et j'avois tout-à-fait rompu avec elle. M. le 
prince de Conti, qui ne sait rien de tout cela , et 
poussé par quelqu'un qui, pour mieux cacher son 
jeu, iHontre avoir peu de Uaisbn avec elle, ma 
remis, pour ainsi dire, entre ses mains, comme 
en celles d'une amie , et elle fait usage de ce moyen 
pour m'achever. De mon côté , profitant enfin de 
vos avis, je feins de ne rien voir; en m'étouffant 
le cœur, je leur rends caresses pour caresses. Ils 
dissimulent pour me perdre , et je dissimule pour 
me sauver ;mais , comme je n'y gagne rien , je sens 
que je ne saurois dissimuler encore long-temps ; 
il feut tôt ou tard que l'orage crève. Tout ceci vous 



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200 CORRESPONDANCE, 

surprend trop pour pouvoir le croire. Vous vous 
rappelez le voyage auprès de moi , l'argent oflFert, 
le msserport ; et, ne devinant pas à quoi tout cela 
étoit destiné', votre honnête cœur demeure incré- 
dule; soit: je ne demande pas à vous persuader 
quant à présent; mais je demande que vous sus- 
pendiez les actes de votre confiance en elle pour 
ce qui me regarde, en attendant que vous sachiez 
si j'ai tort ou raison. 

Je crois que M. le prince de Conti et madame 
de Luxembourg , me voyant menacé de bien des 
dangers, ont voulu sincèrement m'en mettre à 
couvert, en s assurant, à la vérité, de moi par des 
entours qui n'ont pas paru suffisants aux deux 
dames pour rassurer leur ami. On a donc suscité 
contre moi toute la maison du prince, les prêtres , 
les paysans, tout le pays. On n'a pas douté, con- 
noissant la fierté de mon caractère, que je ne me 
dérobasse à Topprobre avec promptitude et indi- 
gnation. C'est ce que j'ai cent fois voulu foire, et 
que j'aurois fait à la fin peut-être, si ma pauvre 
sœur, la raison, et une rechute de ma maladie, 
n'étoient venues à mon secours. Madame de V. , 
quine m'a vu venir qu'à regret, n'a pu déguiser 
assez, ni Coindet non plus , leur extrême désir de 
m'en voir sortir. Cet empressement, si peu natu- 
rel à des amis dans ma position , m'a foit ouvrir 
les yeux, et m'a rendu patient et sage. Ma sœur, 



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ANNÉE 1767. 201 

le seul véritable ami qu*avec vous j aie dans le 
monde, et qu a cause de cela mes ennemis ont en 
haine, me disait sans cesse, quoiqu'elle portât la 
plus grande et plus sensible part des outrages : 
Attendez, souffrez, et prenez patience, le prince ne 
vous abandonnera pas. Voulez-^vous donner à vos en- 
nemis [avantage quils demandent, de crier que vous 
ne pouvez durer nulle part? Les sages discours de 
cette pauvre fille étoient renforcés par la raison. 
Où aller ? Où me réfugier? Où trouver un plus sûr 
abri contre mes ennemis? Où ne m attendront-ils 
pas, s'ils m'atteignent ici même? Où aller aux ap- 
proches de l'hiver, et sentant déjà les atteintes de 
mon mal?Une dernière réflexion m'a décidé à tout 
souffrir et à rester, quoi qu'on fesse. Si l'on ne vou- 
loit que s'assurer de moi , c'est ici qu'il me faudroit 
laisser; car j'y suis à leur merci, pieds et poings 
liés : mais on veut absolument m'attirer à Paris ; 
pourquoi? je vous le laisse à deviner. La partie sans 
doute est liée : on veut ma perte, on veut ma vie, 
pour se délivrer de ma garde une fois pour toutes. 
Il est impossible de donner à ce qui se passe une 
autre explication. Ainsi , rien ne pourra me tirer 
d'ici que la force ouverte. Outrages, ignominie, 
mauvais traitements, j'endurerai tout, et je me 
suis déterminé d'y périr. Mon Dieu! si le public 
étoit instruit de ce qui se passe^ quelle indignation 
pour les François , qu'on les fit satellites des Anglois 



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202 CORRESPONDANCE, 

pour assouvir la rage d^un Écossois, et qu'on les 
forçât de me punir eux-mêmes d'avoir cherché 
chez eux un asile contre la barbarie de leurs en* 
nemis naturels ! 

/ Voilà des explications qu il falloit absolument 
vous donner, pour régler votre conduite à mon 
égard au milieu de mes ennemis qui vous trom- 
pent, et pour vous éclairer sur les vrais services 
que votre amitié peut me rendre dans Toccasion. 
J'espère que vous pourrez venir. Vous devez sen- 
tir combien mon cœur a besoin de cette consola- 
tion ; si je la perds , que j'aie au moins celle de voir 
votre ami M. de Luze. S'il vous porte mes derniers 
embrassements , je me console et me résigne. Mais 
lequel des deux qui vienne, qu'il tâche sur- tout 
de venir seul. J'ai demandé permission à M. le 
prince de Conti de vous recevoir dans son châ- 
teau. Je n'ai point de réponse encore; si vous arri- 
vez avant elle , il convient de loger à Gisors ; il n'y 
a que demi-lieue d'ici , et nous pourrons également 
passer les journées ensemble. Si je puis vous re- 
cevoir au château, votre laquais sera logé près de 
vous , et nous ferons en sorte qu'il ne meure pas 
de faim. Je vous embrasse dans les plus tendres 
élans d^un cœur brisé d'afBiction , mais tout plein 
de vous. 

Marquez- moi la réception de cette lettre bien 
exactement et promptement ; mais n'entrez dans 



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ANHÉE 1767. 2o3 

aucun des articles qu^elle contient. Présence ou 
rien ; souvenez-vous de cela. Ah ! cette funeste 
goutte 1 Cher ami , quelque douloureuse qu'elle 
puisse être, elle vous fera moins de mal qu'à moi. 
Quand vous viendrez, vous ou M. de Luze, ne me 
prévenez point du jour dans vos lettres ; venez sans 
avertir, c'est le plus sûr. 



LETTRE DCCXC. 

A M. DE SARTINE, 
lieustehaut-oénéral de policb. 

A Trye-le-Château , le 9 septembre 1 767. 

Monsieur, 

Permettez que j aie l'honneur d'exécuter près 
de vous l'ordre exprès que m'a donné l'auteur 
d'un livre intitulé, D ictionnaire de musique, par J. J, 
Rousseau, qui s'imprime chez la veuve Duchesne. 
Cet ordre est, monsieur, de m'opposer de sa part, 
comme je fais, à la publication de cet ouvrage qui 
porte son nom , jusqu'à ce qu'il ait été de nouveau 
soumis à la censure, attendu que des passages 
raturés et rétablis dans le manuscrit peuvent faire 
naître des difficultés que le premier censeur, 



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2o4 CORBESPONDANCB. 

étant mort, ne pourroit lever, et que Fauteur veut 

prévenir. Vous êtes très humblement supplié, 

monsieur, darrêter ladite publication jusqu'à ce 

temps^là. 

J'ai rhonneur d être avec un profond respect, 

Renou. 



^/%/%-\/%/^'%/\/%,'%/%/^'\/%^x^/%/%f\/%*%,^/\/%/%/\/^i'%/%^^^ 



LETTRE DGCXCI. 

A M. DU PEYROU. 

Le 9 septembre 17G7. 

Aujourd'hui, mon cher hôte, j*écris à M. de 
Sartine et à Guy, pour arrêter la publication du 
Dictionnaire jusqu'à ce qu'il ait été soumis dere- 
chef à la censure. Vous pouvez comprendre que 
j'ai des raisons graves pour prendre cette précau- 
tion. Si cette cruelle goutte vous laisse en état 
d'aller, voyez Guy sur-le-champ, je vous en sup- 
plie; sachez s'il a reçu ma lettre, et s'il se met en 
devoir d en exécuter le contenu. Faites-moi passer 
sa réponse, et répondez-moi vous-même aussitôt 
que vous pourrez. Vous devez comprendre que 
je ne serai pas à mon aise jusqu'au moment où je 
recevrai des nouvelles de cette affeire. Si mon 
malheur veut que la goutte vous retienne , priez 



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ANNÉE 1767. 5io5 

M. de Luze de vouloir bien se charger de ma com- 
mission, car elle ne souffre aucun retard. Don- 
nez-moi de vos nouvelles; aimez et plaignez votre 
ami ; c'est tout ce que j'ai la force de vous dire. 
Adieu. 

LETTRE DGGXGII. 

A MADAME LA MARQUISE DE MESMES. 

Du 13 septembre 1767. 

Je reconnois, madame, vos bontés ordinaires 
dans les soins que vous prenez pour me procurer 
un asile où Ton veuille bien ne pas m'interdire le 
feu et l'eau ; mais je connois trop bien ma situa- 
tion, pour attendre de ces soins bien&isants un 
succès qui me procure le repos après lequel j'ai 
vainement soupiré, et que je ne cherche plus par- 
ceque je ne l'espère plus. 

Vivement touché de l'intérêt que M. le comte 
de*** veut bien prendre à mes malheurs, je vous 
supplie, madame, de vouloir bien lui faire passer 
les témoignages de ma très humble reconnois- 
sance; c'est une de mes peines de ne pouvoir aller 
moi-même la lui témoigner : mais quant au voyage 
ici que son excellence daigne proposer, je ne suis 



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ao6 CORRESPONDANCE, 

pas assez vaia pour en accepter Toffre, et ces bon* 
neurs bruyants ne conviennent plus à Fétat d'hu- 
miliation dans lequel je suis appelé à finir mes 
jours: je ne crois pas non plus qu'il convienne de 
risquer auprès de M. le comte de***, ni auprès de 
personne , aucune demande en ma faveur, puis- 
que ce ne seroit qu'aller cbercber d'infaillibles 
refus qui ne feroient quempirier ma situation, s'il 
étoit possible. 

Le parti que j'ai pris d'attendre ici ma destinée 
est le seul qui me convienne , et je ne puis faire 
aucune espèce de démarche sans aggraver sur ma 
tête le poids de mes malheurs ; je sais que ceux 
qui ont entrepris de me chasser d'ici n'épargne- 
ront aucune sorte d'efforts pour y parvenir; mais 
je les attends ; je m'y prépare, et il ne reste plus 
qu'à savoir lesquels auront le plus de constance, 
eux pour persécuter, ou moi pour souffrir. Que 
si la patience m'échappe à la fin , et que mon cou- 
rage succombe , mon parti en pareil cas est en- 
core pris : c'est de m'éloigner^ si je peux , de l'orage 
qui m'accable ; mais sans empressement , sans pré- 
oaution, sans crainte, sans me cacher, sans me 
montrer, et avec la simplicité qui convient à l'in- 
nocence. Je considère, madame, qu'ayant près de 
soixante ans, accablé de malheurs et d'infirmités , 
les restes de mes tristes jours ne valent pas la fa- 
tigue de les mettre à couvert : je ièc vois plus rien 



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ANNÉE 1767. 207 

dam cette vie qui puisse me flatter ni me tenter ; 
loin d espérer quelque chose, je ne sais pas même 
que désirer. Lamour seul du repos me restoit 
encore ; l'espoir m'en est ôté : je n en ai plus d au- 
tre; je n'attends plus, je n'espère plus que la fin 
de mes misères : que je l'obtienne de la nature 
ou des hommes, cela m'est assez indifférent; et, 
de quelque manière qu'on veuille disposer de 
moi, l'on me fera toujours moins de mal que de 
bien. Je pars de cette idée, madame; je les mets 
tous au pis, et je me tranquillise dans ma rési- 
gnation. 

Il suit de là que tous ceux qui veulent bien s'in- 
téresser encore à moi doivent cesser de se donner 
en ma faveur des mouvements inutiles : remettre^ 
à mon exemple , mon sort dans les mains de la 
Providence , et ne plus vouloir résister à la néces- 
sité , voilà ma dernière résolution ; que ce soit la 
vôtre aussi, madame, à mon égard, et même à 
l'égard de cette chère enfant que le ciel, vous en- 
lève sans qu aucun secours humain puisse vous 
la rendre ; que tous les soins que vous lui rendrez 
désormais soient pour contenter votre tendri^se 
et la lui montrer, mais qu'ils ne réveillent plus en 
vous une espérance cruelle qui donne la mort à 
chaque fois qu'on la perd. 



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ao8 CORRESPONDANCE. 

LETTRE DCGXGIIL 

A M. DU PEYROU. 

Le 13 septembre 176^. 

Vous me consolez beaucoup^ mon cher hôte, 
par. votre lettre du g; car j'en avois reçu une au- 
paravant de M. Coindet, qui mavoit appris vos 
vives souffrances; et même j en ai reçu de lui une 
autre du i o , qui ne me permet de me livrer qu'a- 
vec crainte à l'espoir que vous me donniez la 
veille, puisqu'il me marque que vous êtes tou- 
jours le même. Ne me trompez pas, mon très 
aimahlehôte, sur votre état, quel qu'il soit^ car 
l'incertitude et le doute me tuenty et me font tou- 
jours les maux pires qu'ils ne sont. Quand vous 
serez en convalescence, donnez^vous tout le temps 
de vous hien rétahlir où vous êtes; et, quand vos 
forces seront suffisamment revenues pour aller à 
la campagne, venez ici passer une quinzaine de 
jours. Vous y trouverez un bon air, un beau pays, 
un logement au château , une terre bien garnie 
de gibier, et la permission de chasser autant que 
cela vous amusera. J'espère que ce voyage, après 
lequel je soupire avec passion, sera salutaire à 



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ANNÉE 1767. 209 

l'un et à lautre, et eflEacera jusqu^aux dernières 
traces des maux de votre corps et de mon cœur. 
Du reste , ne vous pressez point; rien ne péri- 
clite, et retardez plutôt de quelques jours pour 
pouvoir m'en donner davantage, que de vous ex- 
poser avant le parfait rétablissement. Vous pou- 
vez m'avertir quelques jours d avance, afin qu'on 
prépare votre chambre ; ou si vous venez sans 
être attendu , que ce soit d'aussi bonne heure 
qu'il se pourra. Je vous embrasse de tout mon 
cœur. 

Je ne vois point d'inconvénient de me prévenir 
du jour où vous arriverez. 

LETTRE DGGXGIV. 

AU MEME. 

Le 18 septembre 1767. 

Je vous écrivis hier, mon cher hôte, en même 
temps qu'à M. de Luze; et j'ai tellement égaré ma 
lettre, qu'il m'est impossible de la retrouver. Je 
ne sais pas même quand celle-ci pourra partir, 
n'étant pas en étïit aujourd'hui de la porter moi- 
même à Gisors , et trouvant très difficilement des 
exprès pour y envoyer. En vous marquant la joie 

OORAESPONDANCE. T. V« l4 



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2IO CORRESPONDANCE, 

que m'a voit causée la vue de votre écriture, je 
vous grondois de vous être fatigué à écrire trois 
pages. Trois lignes dans votre état suffisent pour 
me tranquilliser; et. non seulement vous devez 
garder le lit jusqu'à ce que vous soyez bien déli- 
vré, mais ménager votre attention et vos forces 
pour vous mettre en état de venir ici plus tôt 
achever de vous rétablir. Par le cours que prend 
votre goutte, il me semble qu elle veuille se trans- 
former en sciatique. Ordinairement les douleurs 
de celle-ci sont moindres; et je sais par lexemple 
de mon défunt ami Gauffecourt, qui s'en étoit 
guéri, quon s'en débarrasse plus aisément. 

Vous me donnez d'excellentes nouvelles qui 
me font grand plaisir. Je suis bien aise que vous 
ayez en main toutes les pièces sur lesquelles vous 
pourrez juger à loisir si je suis timbré ou non; 
mais il est très vrai que je n'avois pas compté que 
le tout nous revînt si facilement. 

Je ne me sens pas bien depuis quelque temps, 
et je crains de paver le long relâche dont j'ai joui. 
M. Hume a dit par-tout que M. de Luze lui avoit 
assuré que je n'avois point de maladies. Le frère 
Côme, ni Morand, ni Malouin, etc., ne sont sû- 
rement pas là-dessus de lavis de M. de Luze; et 
malheureusement, en ce moment sur-tout, j'en 
suis encore moins. Si les peines de l'âme remé- 
dioient aux maux du corps, je devrois me porter 



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ANNÉE 1767. 211 

à merveille. Mais du courage et un ami sont un 
grand remède aux premières, au lieu qu'il n'y 
a de remède aux dernières que la patience et 
la mort. J apprends que Robert, peu content de 
George, n'est pas non plus fort à son aise. Il faut 
espérer qu'enfin tout changera ou finira. 

Bonjour, mon cher hôte; donnez-moi de vos 
nouvelles; mais si vous écrivez vous-même, qua- 
tre lignes suffisent. Entre nous, les mots d'amitié 
n'ont plus besoin de se dire. Deux mots sur les 
affaires, et quatre sur la santé. Voilà tout. 

J'envoie cette lettre aujourd'hui , ainsi elle doit 
vous arriver demain. 



LETTRE DGGXGV. 

AU MÊME. 

Le ai septembre 1767.. 

Pas un mot de vous, mon très cher hôte, de- 
puis plus de huit jours! Que ce silence m'inquiète ! 
Seroit-ce une rechute? M. de Luze n'auroit-il pas 
eu du moins la charité de m'écrire un mot? Quel- 
que lettre seroit-elle égarée? J'ai écrit à M. de Luze 
dans la semaine ; je vous avois écrit le même jour. 
Je perdis ma lettre ; je vous écrivis le lendemain. 

14. 



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21 a CORRESPONDANCE. 

Mon Dieu ! être si proche, vous savoir malade, et 
ne point apprendre de vos nouvelles ! Que sera-ce 
donc quand nous serons éloignés? Si de quelques 
jours je n'apprends rien de vous, je prendrai le 
parti d'envoyer un exprès à Paris , si j'en trouve , 
car c'est encore une autre difficulté. Que je suis à 
plaindre ! 

M. le prince de Conti , qui devoit venir ici la 
semaine dernière , n'est point venu. Il a pris la 
peine de m'écrire pour me marquer la cause de 
son retard, et m'annoncer son voyage pour la 
semaine prochaine. J'aurois passionnément désiré 
que vos forces vous eussent permis de venir ici 
pour le même temps , afin d'avoir le plaisir de vous 
présenter à lui. Cependant, comme il est très dan- 
gereux de se déplacer, après une pareille attaque, 
avant le plus parfait rétablissement, gardez-vous 
d'anticiper sur votre convalescence ; mais , mon 
ami , donnez-moi de vos nouvelles, ou je ne sais 
ce que je ferai. 



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ANNÉE 1767. 21.3 

LETTRE DCGXGVl. 

AU MÊME. 

27 septembre 1767^ 

Vous pouvez, mon cher hôte, juger du plaisir 
que ma fiiit votre dernière lettre, par Finquiétude 
que vous avez trouvée dans ma précédente, et que 
vous blâmez avec raison : mais considérez qu après 
tant de longues agitations si propres à troubler 
ma tête, au lieu du repos dont j avoîs besoin pour 
la raffermir, je me trouve ici submergé dans des 
mers d'indignités et d'iniquités, au moment même 
où tout paroissoit concourir à rendre ma retraite 
honorable et paisible. Cher ami, si avec un cœur 
malheureusement trop sensible , et si cruellement 
et si continuellement navré , il reste dans ma tête 
encore quelques fibres saines, il faut que naturel- 
lement le tout ne fût pas trop mal conformé. Le 
seul remède efficace encore, et dont j'ose espérer 
tout, est le cœur d'un ami pressé sur le mien : ve- 
nez donc; je n'ai que vous seul, vous le savez; 
c'est bien assez; je n'en regrette qu'un, je n'en 
veux plus d'autre : vous serez désormais tout lo 
genre humain pour moi. Venez verser sur mes 



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V:' 



ai4 CORRESPONDANCE, 

blessures enflammées le baume de Tamitié et de 
la raison : lattente de cet élixir salutaire en anti- 
cipe déjà lefFet. 

Ce que vous me marquez de Neuchâtel n'est 
pas un spécifique bon pour mon état ; je crois 
que vous le sentez suffisamment; et malbeureu- 
sement mes devoirs sont toujours si cruels , ma 
position est toujours si dure , que j'ose à peine 
livrer mon cœur à ses vœux secrets , entre le 
prince qui ma donné asile , et les peuples qui 
m'ont persécuté. 

M. le prince de Conti n'est point encore venu ; 
j'ignore quand il viendra ; on l'attendoit bier. Je 
ne sais ce qu'il fera ; mais je lis dans la contenance 
des comploteurs qu'ils craignent peu son arrivée ; 
que leur partie est bien liée, et qu'ils sont sûrs, 
malgré leur maître, de parvenir à me cbasser d'ici. 
Nous verrons ce qu'il en sera ; je crois que c'est le 
cas de (a.ire pouf : ils ne s'y attendent pas. 

Le parti que vous prenez de ne sortir du lit que 
parfaitement rétabli est très sage ; mais il ne faut 
pas sauter trop brusquement de vos rideaux dans 
la rue , cela seroit dangereux : faites mettre des 
nattes dans votre chambre , au défaut de tapis de 
pied ; donnez-vous le temps de vous bien réta- 
blir, avant de songer à venir, et en attendant ar- 
rangez tellement vos affaires , que vous n'ayez à 
partir d'ici que quand vous vous y ennuierez : 



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ANNÉE 1767. 2i5 

faites en sorte de vous laisser maître de tout votre 
temps; je ne puis trop vous recommander cette 
précaution : j'aime mieux vous avoir plus tard , 
et vous garder plus long-temps. Enfin , je vous 
conjure derechef, avec instance, de pourvoir si 
bien d'avance à toute chose , que rien ne puisse 
vous faire partir d'ici que votre volonté. 

Nous avons ici des échecs, ainsi n'en apportez 
pas; mais, si vous voulez apporter quelques vo- 
lants,^ vous ferez bien, car les miens sont gâtés ou 
ne valent rien : je suis bien aise que vous vous 
renforciez assez aux échecs pour me donner du 
plaisir à vous battre ; voilà tout ce que votis pou- 
vez espérer ; car, 2^ moins que vous ne receviez 
avantage , mon pauvre ami , vous serez battu , et 
toujoui% battu. Je me souviens qu'ayant l'honneur 
déjouer, il y a six ou sept ans, avec M. le prince 
de Conti, jelui gagnai trois parties de suite, tan- 
dis que tout son cortège me faisoit des grimaces 
de possédés : en quittant le jeu, je lui dis grave- 
ment: Monseigneur, je respecte trop votre altesse 
pour ne pas toujours gagner. Mon ami, vous se- 
rez battu, et bien battu ; je ne serois pas même 
fâché que cela vous dégoûtât des échecs, car je 
n'aime pas que vous preniez du goût pour des 
amusements si fatigants et si sédentaires. 

A propos de cela , parlons de votre régime ; il 
est bon pour un convalescent, mais très mauvais 



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a i6 CORRESPONDANCE, 

à prendre à votre âge , pour quelqu'un qui doit 
agir et marcher beaucoup : ce régime vous aflfoî- 
blira et vous ôtera le goût de l'exercice. Ne vous 
jetez point. comme cela, je vous en conjure, dans 
les extrêmes systématiques ; ce n'est pas ainsi que 
la nature se mène : croyez-moi, prenez-moi pour 
le médecin de votre corps, comme je vous prends 
pour le médecin de mon ame; nous nous en trou- 
verons bien tous deux. Je vous préviens même 
qu'il me seroit impossible de vous tenir ici aux 
légumes , attendu qu'il y a ici un grand potager 
d'où je ne saurois avoir un poil d'herbe, parceque 
son altesse a ordonné à son jardinier de me four- 
nir de tout : voilà , mon ami, cçmment les princes, 
si puissants et si craints où ils ne sont pas , sont 
obéis et craints dans leur maison. Vous a\irez ici 
d'excellent bœuf, d'excellent potage, d'excellent 
gibier. Vous mangerez peu ; je me charge de votre 
régime , et je vous promets qu'en partant d'ici 
vous serez gras comme un moine , et sain comme 
une bête; car ce n'est pas votre estomac, mais 
votre cervelle que je veux mettre au régime fru- 
givore. Je vous ferai brouter avec moi de mon 
foin. Ainsi soit-il. Bonjour. 

Mille choses de ma part à M. de Luze. Hélas ! 
avec qui nous nous sommes vus ! dans quel mo- 
ment nous nous sommes quittés ! Ne nous rever- 
rons-nous point? 



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ANNÉE 1767. 217 



LETTRE DCCXCVII. 

AU MÊME. 

Ce lundi 5 octobre 1767. 

Je vous écris , mon cher hôte, un mot très à la 
hâte , pour vous proposer si , avant de venir ici , 
vous ne pourriez point aller voir Robert , sans le 
prévenirde votre visite, afin que nous en ayons 
des nouvelles sûres. Du reste, rien ne me paroît 
pressé , ni pour lui , ni pour moi : donnez-vous 
tout le temps de reprendre vos forces et de vous 
accoutumer à l'air. Je ne puis vous dire à quel 
point la brièveté du temps que vous pouvez me 
donner m'afflige ; je vous conjure au moins de 
prendre toutes les mesures possibles pour pou- 
voir le prolonger autant qu'il dépendra de vous. 
Mon cher hôte , je suis peut-être appelé au mal- 
heur de vieillir, mais tout me dit que le jour où 
vous me quitterez sera le dernier où j'aurai sou- 
haité de vivre. 

Je vous envoie une liste que j'avois faite de 
hvres de botanique que je voulois acquérir à loi- 
sir ; comme elle est cons^^able , et que les ^ivres 
sont chers, je souhaiterois seulement d'acquérir, 



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2 18 CORRESPONDANCE, 

s'il étoit possible, un ou deux des quatre ou cinq 
premiers. Si, dans quelqu'une de vos courses^ 
vous pouviez, à l'aide de Panckoucke, recouvrer 
sur-tout le premier, vous me feriez un très grand 
p]fiisir. Il n'y a presque point de livres de bota- 
nique chez les libraires de Paris , et l'on y est très 
barbare sur cet article; cependant, je crois que 
Didot le jeune ou Chevalier en ont quelques uns. 
Sans vouloir compter avec vo'jls à la rigueur, ce 
qui me seroit bien impossible, je vous prie pour- 
tant de tenir toujours note exacte de vos débour- 
sés pour moi, afin de me laisser la liberté de vous 
donner les commissions. Je votis embrasse. 



LETTRE DCCXCVIII. 

AU MÊME. 

9 octobre 1767. 

Je vous écris un mot à la hâte pour vous dire 
que le patron de la case est venu ici mardi , seul , 
et n'a point chassé ; de sorte que j'ai profité de 
tous les moments que ce grand prince, et, pour 
plus dire , que ce digne homme a passés ici : il 
me les a donnés tous, ydus connoissez mon cœur; 
jugez comment j'ai senti cette grâce: hélas! que 



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ANNÉE 1767. 219 

ne peut-il voir le mal et en couper la source ! 
mais il ne me reste qu'à me résigner; et c'est ce 
que je fais aussi pleinement qu'il se peut. 

Cher hôte , venez : nous aurons des légumes , 
non pas de son jardin, car il n'en est pas le maître; 
mais un bon homme qu'on trompoit s'est détaché 
de la ligue, et je compte m'arranger avec lui pour 
mes fournitures , que je n'ai pu faire jusqu'ici, ni 
sans payer, ni en payant. Samedi , soupant avec 
son altesse , je mangeai du fruit pour la seule fois 
depuis deux mois : je le lui dis tout bonnement ; 
le lendemain il m'envoya le bassin qu'on lui avoit 
servi la veille , et qui me fit grand plaisir ; car il 
faut vous dire qus je suis ici environné de jardins 
et d'arbres, comme Tantale au milieu des eaux. 
Mon état à tous égards ne peut se représenter ; 
mais venez : il changera du moins tandis que vous 
serez avec moi. 

Votre précaution d'aller jîar degrés est excel- 
lente; continuez de même, et ne vous pressez 
point : mais je vous conjure de si bien faire, que 
vous vous pressiez encore moins de partir d'ici 
quand vous y serez. Vous Ëiites très bien de porter 
à vos pieds vos nattes etn^os tapis de pied : la façon 
dont vous me proposez cette terrible énigme m'a 
fait mourir de rire; je suis TŒdipe qui fera l'ef- 
fort de la deviner : c'est que vous avez des pan- 
toufles de laine garnies de paille. Si vos attaques 



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aao CORRESPONDANCE. 

d'échecs sont de la focce de vos énigmes y je n^ai 

qu'à me bien tenir. Bonjour. 

Les oreilles ont dû vous tinter pendant que son 
altesse étoit ici. Bonjour derechef; je ne croyois 
écrire qu'un mot, et je ne saurois finir. 



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LETTRE DCGXGIX. 

A M. DUTENS. 

i6 octobre 1767. 

Puisque M. Dutens juge plus commode que la 
petite rente qu'il a proposée pour prix des livres 
de J. J. Rousseau soit payée à Londres , même 
pour cette année , où cependant l'un et l'autre 
sont en ce pays, soit. Il y aura toutefois, sur la 
formule de la lettre de cVange qu'il lui a envoyée^ 
un petit retranchentent à faire, sur lequel il seroit 
à propos que M. Frédéric Dutens fut prévenu ; 
c'est celui du lieu de la date : car quoique Rousseau 
sache très bien que sa demeure est connue de tout 
le monde, il lui convient cependant de ne point 
autoriser de son fait cett* connoissance. Si cette 
suppression pouvoit faire difficulté, M. Dutens 
seroit prié de chercher le moyen de la lever, ou 
de revenir au paiement du capital , faute de pou- 
voir établir commodément celui de la rente. 



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ANNÉE 1767. 221 

J. J. Rousseau a laissé entre les mains de M. Da- 
venport un supplément de livres à la disposition 
de M. Duteus, pour être réunis à la masse. 



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LETTRE DCCC. 

A M. DU PEYROU; 

Le 17 octobre 1767. 

J'ai, mon cher hôte, votre lettre du i3 , et j'y 
vois, avec la plu$ grande joie, que vos forces re- 
venues graduellement , et par-là plus solidement , 
vous mettent en état de faire à Paris le grand gar- 
çon; mais je voudrois bien que vous n'y fissiez 
pas trop l'homme , et que vous vinssiez ici affer- 
mir votre virilité, de peur d'être tenté de l'exercer 
où vous êtes. Vous me paroissez en train d'abuser 
un peu de la permission que je vous ai donnée 
d'y prolonger votre séjour. Écoutez : j'ai bien 
mesuré cette permission sur les besoins de votre 
santé, mais non pas sur ceux de vos plaisirs, et je 
ne me sens pas assez désintéressé sur ce point pour 
consentir que vous vous amusiez à mes dépens. 
Ne venez pas, après vous être solacié à Paris tout 
à votre aise, me dire ici que vous êtes pressé de 
partir, que vos affaires vous talonnent^ etc. ; je 



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aaa CORRESPONDANCE, 

vous avertis quW tel langage ne prendrait pas du 
tout ; que, sur cepoint, je n entendrois pas raillerie, 
et que j'ai tout au moins le droit d'exiger que vous 
ne soyez pas plus pressé de partir d'ici , que vous 
ne l'avez été d'y venir. Pensez à cela très sérieuse- 
ment, je vous prie; et faites sur-tout les choses 
d'assez bonne grâce pour mériter que je vous par- 
donne les huit jours dont vous avez eu le front de 
me parler. Au premier moment où vous vous dé- 
plairez ici, partez-en, rien n'est plus juste, mais 
arrangez-vous de telle sorte qu'il n'y ait que l'en- 
nui qui vous en puisse chasser : j'ai dit. 

Je ne suis pas absolument fâché des petits tra- 
cas qu'a pu vous donner la recherche des Uvres 
de botanique; promenades, diversions, distrac- 
tions , sont choses bonnes pour la convalescence : 
mais il ne faut pas vous inquiéter du peu de suc- 
cès de vos recherches ; j'en étois déjà presque sûr 
d'avance ; et c'étoit en prévoyant qu'on trouveroit 
peu de livres de botanique à Paris, que j'en notois 
un grand nombre pour mettre au hasard la ren- 
contre de quelqu'un. Il est étonnant à quel point 
de crasse ignorance et de barbarie on reste en 
France, sur cette belle et ravissante étude, que 
l'illustre Linnaeus a mise à la mode dans tout le 
reste de l'Europe. Tandis qu'en Allemagne et en 
Angleterre les princes et les grands font leurs dé- 
lices de Vétude des plantes, on la regarde encore 



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ANNÉE 1767. 223 

ici comme une étude d'apothicaire; et vous ne 
sauriez croire quel profond mépris on a conçu 
pour moi , dans ce pays , en me voyant herbori- 
ser. Ce superbe tapis dont la terre est couverte ne 
montre à leurs yeux que lavements et qu'emplâ- 
tres, et ils croient que je passe ma vie à faire des 
purgations. Quelle surprise pour eux, s'ils avoient 
vu madame la duchesse de Portland, dont j'ai 
rhonneur d'être l'herboriste, grimper sur des ro- 
chers où j'avois peine à la suivre, pour aller cher- 
cher la chamœdtysfrutescens et la saxifraga alpina ! 
Or, pour revenir, il n'y a donc rien de surprenant 
que vous ne trouviez pas à Paris des livres de 
plantes ; et je prendrai le parti de faire venir d'ail- 
leurs ceux dont j'aurai besoin. 

Si M. de Luze nest pas encore parti, comme je 
l'espère, je vous prie de lui dire mille bonnes choses 
pour moi , et de l'en charger d'autant pour ma- 
dame de Luze. J'ose à peine vous parler de la 
bonne maman, sentant bien qu'en cette occasion 
ses vœux sont très opposés aux miens; mais, en 
vérité, c'est presque la seule où je ne lui fisse pas, 
et même avec plaisir, le sacrifice de ma propre 
satisfaction. 

Voilà l'heure de la poste qui presse ; le domes- 
tique attend et m'importune : il faut finir en vous 
embrassant. 



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324 CORRESPONDANCE. 

LETTRE DCCCI. 

A MADAME LATOUR- 

Ce 39 octobre 1767. 

Chère et respectable Marianne, ce n'est pas sans 
souffrir que je me suis abstenu si long-temps de 
vous écrire. Dans peu vous aurez de mes nouvelles 
par une voie sûre; daignez attendre et ne pas mal 
penser de votre ami. 



LETTRE DCCGIL 

A M. LE MARQUIS DE MIRAREAU. 

Ce 13 dëcembre 1767. 

Je consens de tout mon cœur, mon illustre 
ami , que vous fassiez imprimer, avec les précau- 
tions dont vous parlez ^ la lettre que vous m'avez 
fait l'honneur de m'écrire, et je vous remercie de 
l'honnêteté avec laquelle vous voulez bien me de- 
mander mon consentement pour cela. 

Vous voilà donc embarqué tout de bon dans 



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ANNÉE 1767. a25 

les guerres littéraires : que j'en suis affligé, et que 
je vous plains ! Sans prendre la liberté de vous 
dire là-dessus rien de mon chef, j oserai vous tran- 
scrire ici deu^ vers du Tasse que je me rappelle, 
et auxquels je n'ajouterai rien : 

' « Ciunta è tua gloria al sommo, e per innanzi 
« t^ggir le dubbie guerre a te conviene. » 

Je VOUS honore et vous embrasse, monsieur, de 
tout mon cœur. 



LETTRE DCCCIIL 

AJtf. DU PEYRÔU. 

Ce 6 janvier 1768. 

J'étois, mon cher hôte, dans un tel souci sur 
votre voyage, que, tant pour retirer le paquet ci- 
joint, que je savois être au bureau, que dans Fat- 
tente de votre lettre, la poste étant arrivée hier 
plus tard qu'à Ibrdiuaire, j'envoyai trois fois de 
suite à Gisors: enfin je la reçois cette lettre si 
impatiemment attendue ; et , après lavoir déchi- 
rée pour l'ouvrir plus vite , an lieu du détail que 
j'y cherchois, j'y vois pour début celui du dé* 
part de mes lettres. Mon Dieu ! qu'en le lisant 

CORRESFOKDAKCE. T. V. I 5 



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2a6 CORRESPONDANCE. 

vous me paraissiez haissaUe ! Ma foi, si c'est là de 

la politesse, je la donne au diable.de bien bon 

cœur. 

* Enfin. vous Yoilà heureusement arrivé, mal- 
gré ce premier accident dont l'histoire m'eût fait 
trembler, si votre lettre n'eût été datée de Paris. 
Convenez qu'en ce moment-là vous dûtes sentir 
qu'il n'est pas inutile à un convalescent d'avoir 
avec soi un ami en route, et qu'au fond du cœur 
vous m'avez su gré de ma tricherie: Voilà les seules 
que je sais faire , mais je ne m'en corrigerai pas. 

Je suis très charmé que vous soyez content de 
vos petits repas tête à tête, et je désire extrême- 
ment que vous preniez l'habitude de diner en ville 
le moins qu'il se pourra, d'autant plus que le froid 
terrible qu'il fait, et dont l'influence m'est bien 
cruelle, la neige abondante par laquelle il se ter- 
minera probablement, doivent vous empêcher 
de songer à votre départ jusqu'à ce que le tenips 
s'adoucisse, et que les chemins deviennent prati- 
cables; quoique je vous avoue bien que votre long 
séjour à Paris ne me laisseroit pas sans inquié- 
tude, si vous n'aviez avec vous un bon surveillant 
qui , j'espère, ne s'embarrassera pas plus que moi 
de vous déplaire pour vous conserver. Je me tran- 
quillise donc, et je tranquillise de mon mieux ma 
pauvre sœur^ non moins inquiète que moi, espé- 
rant que, dans ce temps rigoureux, vous veillerez 



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ANNÉE 1768. ^27 

attentivement l'un sur l'autre, en sorte que vous 
vous rendiez tous deux à vos Pénates, sains et 
sau&. Ainsi soit-il. Cette bonne fille est transpor- 
tée de joie de votre heureuse arrivée, et je vois 
avec grand plaisir qu'elle cède à cette pente si na- 
turelle et si honorable aii cœur humain, de s'at- 
tacher aux gens avec plus de tendresse par les 
soins qu'on leur a rendus. Quant à ce que vous 
ajoutez, quelle s'est fait gronder plus d'une fois 
par son frère, à cause des soins, des attentions et 
des complaisances qu'elle avoit pour vous, cela 
me paroît si plaisant, que, n'étant pas aussi gail- 
lard que vous, je n y trouve rien à répondre. 

Vous avez raison de croire que les détails de 
vos déjeuners et dîners me font grand plaisir: 
ajoutez même, et grand bien ; car ils mè rendent 
l'appétit que le froid excessif m'ôte. 

Voici, mon cher hôte, ui^e réponse de madame 
l'abbesse de Gomer'Fontaine. Cette réponse étoit 
accompagnée d'un petit billet très obligeant pour 
moi, et pour ma sœur, de jolies breloques de re- 
ligieuses. Cette dame est jeune, bonne, très aima- 
ble; et je crois que vous auriez assez aimé à lui 
rendre des douceurs qui fussent autant de son 
goût, que les siennes Fétoient du vôtre* Je ne 
manquerai pas de lui faire queI(}uefois votre cour, 
sitôt que la saison le permettra. 

i5. 



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3i8 CORRESPONDANCE. 

LETTRE DCCCIV. 

A MILORD COMTE DE HARCOUHT. 

i3 janvier 1769. 

Je me reprocherois, milord, d'avoir tardé si 
long-temps à vous écrire et à vous remercier, si 
je ne me rendois le témoignage que la volonté y 
étoit tout entière, et que ce que je veux faire est 
toujours C8 que je fais le moins. J'ai , entre autres, 
été depuis trois mois garde-malade, et je n'ai pas 
quitté le chevet d'un ami, qui, grâce au ciel ! est 
enfin parfeitement rétabli. Je vous offre, milord, 
les prémices de mes loisirs ; et c'est avec autant 
d'empressement que de reconnoissance que, tou- 
ché de toutes les bontés dont vous m'avez honoré, 
je vous en demande la continuation. Il ne tiendra 
pas à moi qu'en les cultivant avec le plus grand 
soin, je ne vous témoigne en toute occasion com- 
bien elles me sont précieuses. i 

J'ai reçu depuis long-temps l'argent du billet 
que vous prîtes la peine de m'envoyer pour le 
produit des estampes ; et c'est encore un de mes 
torts les moins excusables de ne vous en avoir pas 
tout de suite accusé la réception ; mais je me re- 



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ANNÉE 1768. 229 

posois un peu en cela sur votre banquier, qui 
n aura pas manqué de vous en donner avis. Vous 
mje demandez, milord, ce qu'il falloit foire des es- 
tampes de M. Watelet : nous étions convenus que , 
puisque vous ne les aviez pas, et quelles vous 
étoient agréables, vous les ajouteriez à vos porte- 
feuilles, d'autant plus quelles ne pouvoient pas- 
ser décemment et convenablement que dans les 
mains d'un ami de l'auteur : ainsi j'espère qu'à ce 
titre vous ne dédaignerez pas de les accepter. A 
l'égaï'd de Festampe du roi, je désire extrêmement 
qu elle me parvienne : et, si vous permettez que 
j'abuse encore de vos bontés, j'ose vous supplier 
de la faire envelopper avec soin dans un rouleau, 
fe désire extrêmement recevoir bientôt cette belle 
estampe, que j'aurai soin de foire encadrer con- 
venablement , pour avoir les traits de mon auguste 
bienfoiteur incessamment gravés sous mes yeux, 
comme ses bontés le sont dans mon cœur. 

Daigner, milord, continuer à m'honorer des 
vôtres, et quelquefois des marques de votre sour 
venir:* je tâcherai, de mon côté, de ne me pas 
laisser oublier de vous, en vous renouvelant, au- 
tant que. cela ne vous importunera pas, les assu- 
rancéç de mon plus entier dévouement et de mou 
plus vrai respect. 



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a3o CORRESPONDANCE. 

LETTRE* DCCCY. 

A M. LE MARQUIS DE MIRABEAU. 

i3 janvier 1768. 

J'ai, mon illustre ami, pour vou^ écrire, laissé 
passer le temps des sots compliments dictés non 
par le cœur, mais par le jour et par Fheure, et qui 
partent à leur moment comme la détente d'une 
horloge. Mes sentiments pour vous sont trop vrais 
pour avoir besoin d^ètre dits, et vous les méritez 
trop bien pour manquer de les connoître. Je vous 
plains du fond de mon cœur de& tracas où vous 
êtes; car, quoi que vous en disiez, je vous vois 
embarqué, sinon dans des querelles littéraires, au 
moins dans des querelles économiques et politi- 
ques ; ce qui seroit peut-être encore pis, s'il étoit 
possible. Je suis prêt à tomber en défaillance au 
seul souvenir de tout cela ; permettez que je n'en 
parle plus, que je n'y pense plus que par le ten- 
dre intérêt que je prends à votre repos, à votre 
gloire. Je puis bien tenir les mains élevées pen- 
dant le combat, mais non pas me résoudre à le 
regarder. 

Parlons de chansons , cela vaudra mieux : seroil- 



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ANNÉE 1768. a3i 

il possible que vous song^eassiez tout de bon à faire 
un opéra ?"Qh»! que vous seriez aimable, et que 
j aimerois bien mieux vous voir chanter à FOpéra 
que crier dans le désert ! non qu on ne vous écoute 
et qu^on ne vous lise, mais on ne vous suit ni ne 
veut vous entendre. Ma foi, monsieur, faisons 
comme les nourrices , qui , quand les en&nts 
grondent, leur chantent et les font danser. Votre 
seule pit)po$ition m*a déjà mis, moi vieux rado- 
teur, parmi ces enfants-là ; et il s en faut peu que 
.ma muse chenue ne soit prête à se ranimer aux 
accents de la 'vôtre, ou même à la seule annonce 
de ces accents. Je ne vous en dirai p|is aujourd'hui 
davantage, car votre proposition ma tout Fair de 
n'être qu'une vaine amorce, pour voir si le vieux 
fgu mordroit encore à rhameçon. A présent que 
vous en avez à*peu->près le plaisir, dites-moi ron- 
dement ce qui en est; et je vous dirai franche- 
ment , moi , ce que j'en pense , et ce que je crois y 
pouvoir faire : après cela, si le cœur vous en dit, 
nous en pourrons causer avec mon aimable payse, 
qui nous donnera sur tout cela de très bons con- 
seils. Adieu, mon illustre ami; je vous embrasse 
avec respect, mais de tout mon cœur. 



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23a CORRESPONDANCE. 



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LETTRE DCCCVI. 

A MADAME LATOUR. 

A Tryc, le 20 janvier 1768. 

Lorsque je vous écrivis un mot, il y a trois 
mois, chère Marianne, j^avois le cœur plein d es- 
pérances flatteuses qui se sont bien cruellement 
évanouies. L^interception d une correspondance 
directe étant plus que probable, je comptois, en- 
tre autres, épancher ce cœur dans le vôtre par 
une voie qui me paroissoit aussi sûre que douce. 
Il n'en est plus question : le ciel , qui veut qu'il i;ie 
msinque rien à ma misère, m'ôte la plus précieuse 
cqn^piation des infortunés;. 

Sentirsi , ho Dei ! morir, 
Et non poter mai dio : 
Morir mi sento ! 

MÉTASTASE. 

Il ne me reste plus qu a prendra mon parti-de 
bonne grâce, et je le prends du moins irrévoca- 
blement : je me condamne à un silence éternel sur 
mes malheurs, et je ferai tout pour en efFacer le 
souvenir et le sentiment dans mon cœur même. 



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ANNÉE 1768. 233 
Ma dernière consolation est d approcher de leur 
ternie; et comme ceux qui les veulent prolonger 
au-delà de ma vie sont mortels aussi, ce terme ne 
sera qu'un peu reculé peutTÔtre; mais enfin le 
temps et la vérité reprendront leur empire; et, 
quoique mes contemporains puissent faire, ma 
mémoire ne restera pas toujours sans honneur- 
La destinée du grand R \ avec lequel j'ai tant 

de choses communes, sera la mienne jusqu'au 
bout. Il n'a point eu le bonheur de se voir justifié 
de son vivant ; mais il l'a été par l'un de ses plus 
cruels ennemis , après la mort de l'un et de l'autre. 
Je compte trop, non sur mon bonheur, mais sur 
la Providence, pour ne pas espérer au moins ce- 
hii-là ; et il m'est doux de penser qu'un jour le 
nom de ma chère Marianne recevra les honneurs 
qui \\ii seront dus , à la tète du petit nombre de 
cewx qui pi|t eu le courage de me défendre de 
mon vivant. 

Je finis sur cette matière, pour n'y revenir de 
me§ jours, et je vous supplie que ce soit aujour- 
d'hui la dernière fois qu'il en sera question entre 
jious. Mais donnez-moi quelquefois de vos nou- 
velles; recevez des miennes avec bonté; que ma 
digne avocate soit toujours mon amie, et qu'elle 
soit sûre que, pour les services vrais, dont je fais 
cas, et rendus en silence, tels que celui que j'ai. 

' Jean-Bapliste Rousseau. 



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234 CORRESPONDANCE, 

reçu d*dle, la reconnoissance de ce cœur qu^on 
traite d'iufprat est des plus rares parmi les hommes, 
puisqu'elle se tourne toute en attachement. 

Je crois que le mieux seroit de nous écrire di- 
rectement; et, comme que ce soit, ne reparlons, 
dans aucune de nos lettres, du sujet de celle-ci. 
Je suppose que vous savez sous quel nom je suis 
connu ici. 

LETTRE DCCCVII. 

A M. GRANVILLE. 

Tryc, a 5 janvier 1768. 

Je lï'aurois pas tardé si lon^j^-temps, monsieur, 
à vous remercier du plaisir que m'a &it la lettre 
dont vous m avez honoré le 6 novembre, .sans 
beaucoup de tracas qui , venus à la traverse , m^ont 
empêché de disposer de mon temps comme j'au- 
r<Ms voulu. Les témoignages de votre souvenir et 
de votre amitié wfie seront toujours aussi chers 
que vos honnêtetés et vos bontés m'ont été sen- 
sibles pendant tout le temps que j ai eu le bonheur 
d'être votre voisin. Ce qui ajoute à mon déplaisir 
,de vous écrire si tard est la crainte que cette lettre, 
vous trouvant déjà parti de Calwich, ne fasse un 



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ANNÉE 1768. a35 

ïÀen long circuit pour vous aller chercher à Bath . 
Je désire fort, monsieur, que vous ayez celte fois 
entrepris ce voyage annuel plus par habitude <}ue 
par nécessité, et que toutefois les eaux vous fassent 
tant de bien que vous puissiez jouir en paix de la 
belle saison qui s approche , dans votre charmante 
demeure, sans aucun ressentiment de vos précé- 
dentesr incommodités. Vous y trouverez, je pense, 
à votre retour, un oarboui^age nouvellement 
imprimé, où je me suis mêlé de bavarder sur la 
musique, et dont j ai feit adresser un exemplaire 
à M. Rougemont, avec prière de vous le faire pas- 
ser. Aimant la musique , et vous y connoissant 
aus^i bien que vous faites, vous ne dédaiglierez 
peut-être pas de donner quelques momejits de 
solitude at d'oisiveté à parcourir une espèce de 
livre qui 'ep traite tant bien que mal : j aurois 
voulu pouvoir mieux Êiire; mais enfin le voilà tel 
qu'il est. ^ 

Le défaut d'occasion, monsieur, pour faite 
partir cette lettre, rend sa date bien surannée, et 
me l'a fait écrire à deux fois- : l'occasion même 
d'un ami prêt à partir, et qui veut bien s'en char- 
ger, ne me laissé pas le temps de transcrire ma 
réponse à l'aimable bergère de Galvvrich, et me 
force à la laisser partir un peu barbouillée: veuillez 
lui faire excuser cette petite irrégularité, ainsi 
que celle du défaut de signature, dont vous pou- 



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236 CORRESPONDANCE, 

vez savoir la raison. Recevez ^ monsieur, mes sa- 
lutations empressées et mes vœux pour lafFermis- 
semcnt de votre santé. 

l'Herboriste 

DB LA DUCHE8SB DE PORTLAIID. 

P. S. Gomme l'exemplaire du Dictionnaire de 
Musique qui -vous étoit destiné avoit été adressé à 
M. Vaillant, qui n a japiais paru fort soigneux des 
commissions qui me regardent, j en ai fait envoyer 
depuis un second à M. Rougemont pour vous le 
faire passer au défaut du premier. 

LETTRE DCCCVIII. 

A MADEMOISELLE DEWES, 

Le a5 janvier 1768. 

Si je vous ai laissé, ma belle voisine, une em- 
preinte que vous avez bien gardée, vous lù'eili 
avez laissé une autre que j'ai gardée encore mieux. 
Vous n avez mon cachet que siir un papier qui 
peut se perdre, mais j'ai le vôtre empreint dans 
mon cœur, d'où rien ne peut l'effacer. Puisqu'il 
étoit certain que j'emportois votre gage, et dou- 
teux que vous eussiez conservé le mien, c'étoit 



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ANNÉE 1768. 287 

moi seul qui devois désirer de vérifier la chose ; 
c'est moi seul qui perds à ne lavoir pas fait. Ai-je 
donc besoin, pour mieux sentir mon malheur, 
que vous m'en fassiez encore un crime? cela n'est 
pas trop humain. Mais votre souvenir me console 
de vos reproches ; j'aime mieux vous savoir in- 
juste qu'indifférente, et je voudrois être grondé 
de vous tous les jours au mêipe prix. Daignez 
donc, ma belle voisine, ne pas oublier tout-à-fait 
votre esclave, et continuer à lui dire quelquefois 
ses vérités. Pour moi, si j'osois à mon tour vous 
dire les vôtres, vous me trouveriez trop galant 
pour un barbon. Bonjour, ma belle voisine. Puis- 
siez-vous bientôt, sous les auspices du cher et 
respectable oncle, donner un pasteur à vos brebis 
de Calvrich ! 



LETTRE DCCGIX. 

A M. LE MARQUIS DE MIRABEAU. 

Trye, le a8 jauviei" 1768. 

Je me souviens, mon illustre ami, que le jour 
où je renonçai aux petites vanités du monde, et 
en même temps à ses^ avantages, je me dis entre 
autres, en me défaisant de ma montre: Grâce au 



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a38 COREESPONDANCE. 

ciel, je n aurai plus besoin de savoir Fheure quil 
est. J aurois pu me dire la même chose sur le 
quantième ) en me dédisant de mon almanach; 
mais, quoique je ny tienne plus par les afîiûres^ 
j'y tiens encore, par 1 amitié; cela rend mes cor- 
respondances plus douces et moins fréquentes : 
cest pourquoi je suis sujet à me tromper dans 
mes dates de segiaine, et même quelquefois de 
mois. Car, quoique avec lalmanach je sache bien 
trouver le quantième dans la semaine, sachant le 
jour, quand il s agit de trouver aussi la semaine, 
je suis totalement; en défaut. J y devrois pourtant 
être moins avec vous qu'avec tout autre, puisque 
je n'écris à personne plus souvent et plu^ volons- 
tiers qu'à vous. 

Conclusion : nous ne fero.ns d'opéra ni l'un ni 
lautre; c'est de^quôi j'étoîs d'avance à-peu-près 
sûr. J'avoue pouf tant que , dans ma situation pré- 
sente, quelque distraction attachante et agréable 
me seroit nécessaire. J'aurois besoin, sinon de 
faire de la musique, au moins d'en entendre, et 
cela me feroit même beaucoup plus de bien. Je suis 
attaché plus qije jamais à la solitude ; mais il y a 
tant d'en tours déplaisants à la mienne,, et tant de 
tristes souvenirs m'y poursuivent malgré moi , 
qu'il m'en faudroit une autre encore plus entière, 
mais où des objets agréables pussent effacer l'im- 
pression de ceux qui m'occupent, et faii'e diver- 



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ANNÉE 1768. 23g 

sion au sentiment de mes malheurs. Des spectacles 
où je pusse être seul dans un coin et pleurera mon 
aise, de la musique qui pût ranimer un peu mon 
cœur affaissé ; voilà ce quil me faudroit pour ef- 
facer toutes les idées antérieures , et me ramener 
uniquement à mes plantes, qui m'ont quitté pour 
trop long-temps cet hiver. Je n aurai rien de tout 
cela, car en toutes choses les consolations les plus 
simples me sont fefusées; mais il me faut un peu 
de travail sur moi-même pour y suppléer de mon 
propre fonds. 

On dît à Paris que je retourne en Angleterre. 
Je n'en suis pas surpris ; car le public me connoît 
si bien, qu'il me fait toujours feirc exactement 
le contraire des choses que je fais en effet. 
M. Davepport m'a écrit des lettres très^honnêtes 
et très empressées pour me rappeler chez lui. Je 
n'ai pas cru devoir répondre brutalement à ses 
avances, mais je n'ai jamais marqué l'intention 
d'y retourner. Honoré des bienfaits du souverain , 
et des bontés de beau.coup de gens de mérite dans 
ce pays-là, j'y suis attaché par reconnoissance, et 
je ne doute pas qu'avec un peu de choix dans mes 
liaisons que je n'y pusse vivre agréablement ; mais 
l'air du pays qui m'en a chassé n'a pas changé de- 
puis ma retraite, et ne me permet pas de songer 
au retour. Celui de France est de tous les airs du 
monde celui qui convient le mieux à mon corps 



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a4o CORRESPONDANCE, 

et à mon cœur ; et tant qu'on me permettra d'y 
vivre en liberté, je ne choisirai point d'autre asile 
pour y finir mes jours. 

On me presse pour la poste, et je suis forcé de 
finir hrusquement, en vous saluant avec respect 
et vous embrassant de tout mon cœur. 



m. •%»%/» ■^/%/%%»w^^/»/^%> 



LETTRE DGCCX. 

A MADAME LATOURv 

Ce i8 janvier 1768. 

Je crains bien, chère Marianne, qu'une lettre 
que je vous écrivis il y a dix ou douze jours ne se 
soit égarée par ma faute, en ce que, m'étant très 
mal-à-propos fié à ma. mémoire, qui est entière- 
ment éteinte, au lieu de mettre sur l'adresse la 
rue du Croissant, je mis seulement la rue du 
Gros-Chenet. Ce qui augmenteroit mon chagrin 
de cette perte est que j'entrois, dans cette lettre, 
dans bien des détails que j'aurois désiré n'être vUs 
que de vous. Peut-être aussi que votre silence ne 
vient que de ce que vous ignorez mon adresse. 
Elle est tout simplement, A M. Renou, à Trye, 
par Gisors. J'attends de vous un mot d'éclaircisse- 



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ANNÉE 1768. 24f 

ment, et j^attends^ en même temps des nouvelles 
de votre santé, et lassurancé que vous m aimez 
toujours. 



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LETTRE DGGCXI. 

A M. d'iVERNOIS. 

Trye, le 29 janvier 1768. 

J'ai reçu, mon digne ami, votre paquet du 22, 
et i} me seroit également parvenu sous l'adresse 
que je vous ai donnée, quand vous n'auriez pas 
pris rinutile précaution de la double enveloppe, 
sous laquelle il n est pas même à propos que le 
nom de votre ami paroisse en aucune façon. C'est 
avec le plus sensible plaisir que j'ai enfin appris 
de vos nouvelles ; mais j'ai été vivement ému de 
l'envoi de votre famille à Lausanne : cela m'ap- 
prend assez à quelle extrémité votre pauvre ville 
et tant de braves gens dont elle est pleine sont à 
la veille d'être réduits. Tout persuadé que je sois 
que rien ici-bas ne mérite d'être acheté au prix 
du sang humain, et qu'il n'y a plus de liberté sur 
la terre que dans le cœur de l'homme juste, je sens 
bien toutefois qu'il est naturel à des gens de cou- 
rage, qui ont vécu libres, de préférer une mort 

GORRE8PONDAKCK. T. V. l6 



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24» CORRESPONDANCE, 

honorable à la plus dure servitude; cependant, 
même dans le cas le plus clair de la juste défense 
de vous-mêmes , la certitude où je suis qu eussiez- 
vous pour un moment l'avantage , vos malheurs 
n'en seroient ensuite que plus grands et plus sûrs , 
me prouve qu'en tout état de cause les voies de 
fait ne peuvent jamais vous tirer de la situation 
critique où vous êtes qu'en aggravant vos mai- 
heurs. Puis donc que, perdus de toutes Ëiçons, 
supposé qu'on ose pousser la chose à l'extrême, 
vous êtes prêts à vous ensevelir sous les ruines de 
la patrie, faites plus : osez vivre pour sa gloire au 
moment qu'elle n existera plus. Oui, messieurs, il 
vous reste, dans le cas que je suppose, un dernier 
parti à prendre, et c'est, j'ose le dire, le seul qui 
soit digne de vous : c'est, au lieu de souiller vos 
mains dans le sang de vos compatriotes , de leur 
abandonner ces murs qui dévoient être l'asile de 
la liberté, et qui vont n'être plus qu'un repaire de 
tyrans ; c'est d'en sortir tous , tous ensemble , en 
plein jour, vos femmes et vos enfants au milieu 
de vous; et, puisqu'il faut porter des fers, d'aller 
porter du moins ceux de quelque grand prince, 
et non pas l'insupportable et odieux joug de vos 
égaux. Et ne vous imaginez pas qu'en pareil cas 
vous resteriez sans asile ; vous ne savez pas quelle 
estime et quel respect votre courage , votre modé- 
ration, votre sagesse, ont inspiré pour vous dans 



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ANNÉE 1768. 243 . 

toute l'Europe. Je n'imag[ine pas qu'il sy trouve 
aucun souverain, je n'en excepte aucun ^ qui ne 
reçût avec honneur, j'ose dire avec respect, cette 
colonie émigrante d'hommes trop vertueux pour 
ne savoir pas être sujets aussi fidèles qu'ils furent 
zélés citoyens. Je comprends bien qu'en pareil cas 
plusieurs d'entre vous seroient ruinés : mais je 
pense que des gens qui savent sacrifier leur vie 
au devoir, sauroient sacrifier leurs biens à l'hon- 
neur, et s'applaudir de ce sacrifice; et, après tout, 
ceci n'est qu'un dernier expédient pour conserver 
sa vertu et son innocepce quand tout le reste est 
perdu. Le cœur plein de cette idée, je ne me par- 
donnerois pas de n'avoir osé vous la communi- 
quer. Du reste, vous êtes éclairés et sages ; je suis 
très sûr que vous prendrez toujours en tout le 
meilleur parti , et je ne puis croire qu'on laisse 
jamais aller les choses au point qu'il est bon d'a- 
voir prévu d'avance pour être prêts à tout évé- 
nement. 

Si vos affaires vous laissent quelques moments 
à donner à d'autres choses qui ne sont rien moins 
que pressées , en voici une qui me tient au cœur, 
et sur laquelle je voudrois vous prier de prendre 
quelque éclaircissement , dans quelqu'un des 
voyages que je suppose que vous ferez à Lausanne, 
tandis que votre famille y sera. Vous savez que 

j'aiàNion une tante qui m'a élevé, et que j'ai tou- 

16. 



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244 CORRESPONDANCE, 

jours tendrement aimée, quoique j aie une fois^ 
comme vous pouvez tous en souvenir, sacrifié le 
plaisir de la voir à Fempressement d'aller avec 
vous joindre nos amis. Elle est fort vieille ; elle 
soigne un mari fort vieux, j ai peur qu'elle nait 
plus de peine que son âge ne comporte , et je 
voudrois lui aider à payer une servante pour la 
soulager. Malheureusement, quoique je n'aie aug^ 
mente ni mon train, ni ma cuisine, que je naie 
aucun domestique à mes gages, et que je sois ici 
logé et chauffé gratuitement, ma position me rend 
la vie ici si dispendieuse , que ma pension me suffit 
à peine pour les dépenses inévitables dont je suis 
chargé. Voyez, cher ami, si cent francs de France 
par an pourroient jeter quelque douceur dans la 
vie de ma pauvre vieille tante, et si vous pourriez 
les lui faire accepter. En ce cas, la première année 
courroit depuis le commencement de celle-ci , et 
vous pourriez la tirer sur moi d avance , aussitôt 
que vous auriez arrangé cette petite afi(aire-là« 
Mais je vous conjure de voir que cet argent soit 
employé selon sa destination , et non pas au profit 
de parents ou voisins âpres, qui souvent obsèdent 
les vieilles gens. Pardon , cher ami : je choisis bien 
mal mon temps; mais il se peut qu'il n'y en ait 
pas à perdre. 



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ANNÉE 1768. 245 

LETTRE DGGCXII. 

AU MÊME. 
Du château de Trye, co 9 février 1^768. 

Dans Tincertitude , mon excellent ami , de la 
meilleure voie pour vous faire passer cette lettre 
sûrement et promptement, je prends le parti de 
risquer directement ce duplicata, et d'en adresser 
un autre à M. Coindet, pour vous le faire passer. 
C'est une lettre qu'il a reçue et qu'il m'a envoyée 
qui a occasioné la mienne. Le temps me presse; 
je suis rendu de fatigfue et navré de douleur, dans 
la crainte d'une catastrophe. Au nom de Dieu, 
faites^moi passer des nouvelles sitôt que le sort de 
votre pauvre état sera décidé. O la paix, la paix, 
mon bon ami! Hélas! il n'y a que cela de bon 
dans cette courte vie. J'embrasse nos amis; je 
vous embrasse de toute la tendresse de mon cœur. 
J'implore la bénédiction du ciel sur vos soins pa- 
triotiques , et j'en attends le succès avec la plus 
vive impatience. 

J'espère que vous avez reçu ma précédente, 
que je vous ai adressée en droiture. C'est toujours 
la voie qu'il faut préférer, sur-tout pour tout ce 
qui peut demander du secret. 



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a46 CORRESPONDANCE. 



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LETTRE DCCCXIIL 

AU MÊME. 

Le 9 février 1768. 

On ma communiqué, mon bon ami, quelques 
articles des deux projets d'accommodement qui 
vous sont proposés, et j apprends que le Conseil 
général, qui doit en décider, est fixé au 28. Quoi- 
que tant de précipitation ne me laisse pas te temps 
de peser suffisamment ces articles, quoique je ne 
sois pas sur les lieux, que j'ignore l'état des choses, 
que je n'aie ni papiers , ni livres , et que ma mé- 
moire, absolument éteinte , ne me rappelle pas 
même votre constitution, je suis trop affecté de 
votre situation pour ne pas vous dire, bien qu'à 
la hâte, mon opinion sur les moyens qu'on vous 
offre d'en sortir. Quelque mal digérée que soit 
cette opinion, je ne laisse pas, messieurs, de vous 
l'exposer avec confiance, non pas en moi, mais en 
vous, très sûr que, si je me trompe, vous démê- 
lerez aisément mon erreur. 

Dans l'extrait qui m'a été envoyé , il n'y a , du 
projet appelé le second y qu'un seul article, qui est 
aussi le second ; savoir, l'élection de la moitié du 



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ANNÉE 1768. 2ij 

petit Conseil par le Conseil général : ce second 
article n'étant bon à pas grand'chose , je ne dirai 
rie» du projet dont il est tiré. 

Je parlerai de l'autre, après avoir posé deux 
principes que vous ne contesterez^pas : l'un qu'un 
accommodement ne suppose pas qu'on cède tout 
d'un côté et rien de l'autre , mais qu'on se rap- 
proche des deux côtés ; l'aiitre , qu'il n'est pas 
question de victoire dans cette affaice, ni de don- 
ner gain de cause aux négatifs ou aux représen- 
tants , mais de faire le plus grand bien de la 
chose commune, sans songer si l'on est Rutule 
ou Troyen. 

Cela posé, j'oserai vous dire que ce projet me 
paroît non seulement acceptable , mais , avec quel- 
ques changements, et l'addition d'un ou deux ar- 
ticles , le meilleur peut-être que vous puissiez 
adopter. 

Le petit Conseil tend fortement à la plus dure 
aristocratie : les maximes des représentants vont, 
par leurs conséquences, non seulement à l'excès, 
mais à l'abus de la démocratie, cela est certain. Or 
il ne faut ni l'un ni l'autre dans votre république; 
vous le sentez tous : entre le petit Conseil, violent 
aristocrate , et le Conseil général , démocrate ef- 
fréné , où trouver une force intermédiaire qui 
contienne l'un et l'autre, et soit la clef du gouver- 
nement? Elle existe cette force, c'est le Conseil 



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248 CORRESPONDANCE, 

du Deux-cents : mais pourquoi cette force ne va- 
t-elle pas à son but? pourquoi le Deux-cents, au 
lieu de contenir le Vingt-cinq, eu est-il l'esclave? 
N'y a-t-il pas moyen de corriger cela ? VoUà pré- 
cisément de quoi il s'agit. 

Avant d'entrer dans l'examen des moyens , per- 
mettez-moi, messieurs, d'insister sur une réflexion 
dont j'ai le cœur plein. Les meilleures institutions 
humaines ont leurs défauts : la v6tre, excellente à' 
tant d'égards, a celui d'être une source éternelle 
de divisions intestines. D^s familles dominantes 
s'enorgueillissent, abusient de leur pouvoir, ex- 
citent la jalousie; le peuple, sentant soB droit, 
s'indigne d'être ainsi traîné dans la fange par ses 
égaux ; des tribunaux concurrents se chicanent , 
se contre-pointent ; des brigues disposent des élec- 
tions; l'autorité et la liberté, dans un conflit per- 
pétuel, portent leurs querelles jusqu'à la guerre 
civile : j'ai vu vos concitoyens armés s'entr'égorger 
dans vos murs; en ce moment même, cette hor- 
rible catastrophe est prête à renaître ; et quand , 
dans vos plans de réforme, vous devriez, par des 
moyens de concorde et de paix, par des établisse- 
ments doux et sages , tâcher de couper la racine à 
ces maux, vous allez, comme à plaisir, les attiser, 
en excitant parmi vous de nouvelles animosités , 
de nouvelles haines, par la plus dure de toutes 
les censures, par l'inquisition du grabeau. Gela, 



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ANNÉE 1768. 249 

messieurs, permettez-moi de le dire, n'est assu- 
rément pas bien pensé. Premièrement, le Conseil 
ne souffrira jamais un établissement trop humi- 
liant pour de fiers magistrats ; et quand ils le souf- 
friroient, je dis, pour le bien de la paix et de la 
patrie, il ne seroit point à désirer qu'il eût lieu. 
Loin d'établir de nouveaux grabeaux, vous feriez 
mieux d'abolir ceux qui existent, mais qui, très 
heureusement ne^ignifiant rien du tout, peuvent 
rester sans danger. 

Cela dit, je passe à mon sujet: il s'agit d'un 
gouvernement mixte, mais difficile à combiner, 
où le peuple soirlibre sans être maître, et où le 
magistrat cotnmande sans tyranniser. Le vice de 
votre constitution n'est pas de trop gêner la liberté 
du peuple; au contraire, cette liberté légitime ne 
va que* trop loin, et, quoi qu'on puisse dire, il 
n est pas bon que le Conseil général soit trop né- 
cessaire à tout. 

Mah le vice inhérent et fondamental est dans 
le défaut de balance et d'équilibre dans les trois 
autres Conseils qui composent le gouvernement; 
ces trois Conseils, dont deux sont à-peu-près inu- 
tiles, sont si mal combinés, que leur force est en 
raison inverse de leur autorité légale, et que l'in- 
férieur domine tout : il est impossible que ce vice 
reste, et que la machine puisse aller bien. 

Ce qu'il y a d'heureux pourtant dans cette ma- 



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!i5o CORRESPONDANCE, 

chine, qui ne laisse pas d être admirable, est que 
cet important équilibre peut s'établir sans rien 
changer aux principales pièces ; tous les ressorts 
sont bons, il ne s'agit que de les faire jouer un 
j)eu différemment. 

Mais ce qu'il y a de fâcheux est que cette réforme 
demande des sacrifices, et précisément de la part 
des deux corps qui jusqu'ici ont paru le moins 
disposés à en faire; savoir, le Coaseil général et 
celui des Vingt-cinq. 

Or, voilà que, par plusieurs articles que j^ai 
sous les yeux, les Vingt-cinq offrent d'eux-mêmes 
presque tout ce qu'on pourroit avoir à leur de- 
mander; même, en un sens, davantage. Ajoutez 
un seul article, mais indispensable, et le petit 
Conseil a fait, de son côté, tous les pas néces- 
saires vers un accord raisonnable et solide : cet 
article regarde l'élection des syndics, dans la sup- 
position, presque impossible, que le cas qui se 
présente ici pour la première fois, depuis la fon- 
dation de la république, y pût renaître une se- 
conde fois; auquel cas, au lieu de présenter de- 
rechef le Conseil en corps, comme on va faire, il 
faudroit, selon moi, se résoudre à présenter de 
nouveaux candidats, tirés des Soixante : je dirai 
mes raisons ci-après. 

Que le Conseil général veuille céder à son tour, 
ou plutôt échanger, contre l'élection des Soixante 



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ANNÉE 1768. a5i 

qu'il QBgne , un droit, un seul droit qu'il prétend , 
mais qu'on lui conteste, et dont il n'est point en 
possession ; au moyen de cela , tout est fait : je parle 
du droit de prononcer souverainement et en der- 
nier ressort sur l'objet des représentations; en un 
mot, c'est le droit négatif qu'il s'agit d'accorder au 
Deux-cents, déjà juge suprême de tous les autres 
appels. Peut-être est-il parlé, dans le projet, de cet 
article, et cela doit être, msfis l'extrait que j'ai n'en 
dit rien. 

Avec ces additions, et quelques légères modifi- 
cations au reste, le projet, dont les articles sont 
sous mes yeux, me paroi t offrir un moyen de pa- 
cification convenable à tout le monde, raisonna- 
ble du moins, solide et durable autant qu'on peut 
l'espérer de l'état présent des choses et de la dis- 
position des esprits; et je crois qu'il en résulteroit 
un gouvernement qui, sans être plus composé 
que l'ancien, seroit mieux lié dans ses parties, et 
par conséquent plus fort dané son tout. 

C'est sur-tout dans le second article que con- 
siste essentiellement la bonté du projet : par cet 
article , le Conseil des Soixante est en entier élu 
par le Conseil général, et tous les membres du 
petit Conseil doivent être tirés du Soixante (car il 
faut ôter d'ici les auditeurs). L'idée de donner une 
existence à ce Conseil des Soixante, qui n'étoit 
rien auparavant, est très bonne; elle est due aux 



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a52 CORRESPONDANCE, 

médiateurs : il feut en profiter, et leur en savoir 
gré. Ceci suppose qu'on revêtira ce corps de nou- 
velles attributions qui lui donneront du poids dans 
l'état ; mais bien qu'il soit rempli par le peuple , 
ce n'est pourtmt pas en lui-même que s'opérera 
son plus grand effet, mais dans le Deux-cents, 
dont les membres rentreront ainsi dans la dépen- 
dance du Conseil général , maître de leur ouvrir 
ou fermer à son gré la porte des grandes magistra- 
tures. Voilà précisément la solution très slîmple et 
très sûre du problème que je proposois au com- 
mencement de cette lettre. 

Par le premier article, on accorde au Conseil 
général l'élection de la moitié des Deux-cents : je 
ne serois pas trop d'avis qu'on acceptât cette con- 
cession; ces moitiés d'élection sont moins efficaces 
qu'embarrassantes. Il ne faut pas considérer les 
élections faites par le peuple, par leur effet sub- 
séquent, qui n'est rien, mais par leur effet anté- 
rieur, qui est tout. Les syndics sont élus par le 
Conseil général : voyez toutefois comment ils le 
traitent! Lç peuple ne doit pas espérer de ses 
créatures plus de réconnoissance qu'il n'en a pour 
ses bienfaiteurs. Ce n'est pas à ce qu'on fait après 
être élu, mais à ce qu'on a fait pour être élu , qu'il 
faut regarder en bonne politique. Quand le peu- 
ple tire ses magistrats de son propre sein , il n'aug- 



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ANNÉE 1768. 253 

mente de rien sa force ; mais quand il les tire d*un 
autre corps, il se donne de la force sur ce corps- 
là. Voilà pourquoi Télection du Soixante vous 
donnera de lascendant en Deux-cents , et pour- 
quoi l'élection du petit Conseil donnera de l'as- 
cendant aux Deux-cents en Soixante. Vous en au- 
riez par les syndics sur le Vingt-cinq même, s'il 
étoit plus nombreux, ou que. le choix ^e fût pas 
forcé. C'est ainsi que les plus simples moyens, les 
meilleurs en toute cliose , vont tout remettre dans 
Tordre légitime et naturel . 

Il suit de là que ie privilège d'élire la moitié du 
Deux-cents vous est beaucoup moins avantageux 
qu'il ne semble,. et cela est trop remuant pour 
votre ville, trop bruyant pour votre Conseil géné- 
ral. Le jeu de la n^achine doit être aussi facile que 
simple, et toujours sans bruit, autant qu'il se 
peut. L'élection du Deux -cents, laissée au petit 
Conseil, a pourtant de grands inconvénients^ je 
l'avoue; mais n'y auroit-il pas, pour y pourvoir, 
quelque expédient plus court et mieux entendu? 
Par exemple , où seroit le mal que cette élection 
fit une des nouvelles attributions dont on revêti- 
roit le Conseil des Soixante? Le petit Conseil lui- 
même y devroit d'autant moins répugner que, 
par sa présidence et par son nombre, qui fait 
presque la moitié du nombre total, il n'auroit 



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254 CORRESPONDANCE, 

guère moins d'influence dans ces élections que 
s*il continuoit seul à les fkire : je n imagine pas que 
ceci fasse une grande difficulté. 

Mais je crains que l'article de l'élection des syn- 
dics n'en fasse davantage , et ne coûte beaucoup 
au Conseil ; car il y a , chez les hommes les plus 
éclairés, des entêtements dont ils ne se doutent 
pas eux-mêmes, et souvent ils agissent par obsti*- 
nation, pensant agir par raison. Ils s'effraieront 
de la possibilité d'un cas qui ne sauroit même ar- 
river désormais, sur-tout si la loi qui doit y pour- 
voir passe. Le Conseil des Vingt-cinq sent trop sa 
puissance absolue; il sent trop que tout dépen4 
de lui , que lui seul ne dépend de rien , de rien du 
tout; cela doit le rendre dur, exigeant, impérieux , 
quelquefois injuste. Pour son propre intérêt , pour 
se faire supporter, il faut qu'il dépende de quel- 
que chose ; car le ton qu'il a pris ne peut être souf- 
fert par des hommes. Eh ! quelle plus légère dé- 
pendance peut-il s'imposer que celle, non pas de 
souffrir, mais de prévoir, seulement dans un cas 
extrême, la perte passagère d'un syndicat en idée, 
et qui réellement ne sortira jamais de son corps? 
Cependant ce sacrifice idéal et purement chimé- 
rique , peut et doit produire un grand effet , pour 
leur rendre cet esprit humain et patriotique qui 
paroit s'être éteint parmi eux. Eh ! s'il en reste un 
seul à qui quelque goutte de sang genevois coule 



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ANNÉE 1768. 255 

encore dans les veines , comment ne frémitil pas 
en songeant au péril auquel ils viennent d'expo- 
ser Tétat pour vous asservir, et dont ils n'ont ëté 
garantis eux-mêmes que par votre fermeté, par 
votre sagesse, par la modération des médiateurs, 
quoique si cruellement prévenus ? Comment les 
chefs de la république pouvoient-ils ne pas pré- 
voir, en exposant ainsi sa liberté , que le peuple 
en auroit avant eux déploré la perte, mais qu'ils 
lauroient sentie avant lui ! En voyant un moyen 
si doux, mais si sûr, de garantir leurs successeurs 
de pareille incartade, ils devroient, s'ils aimoient 
leur pays, le proposer eux-mêmes, quand per- 
sonne avant eux ne lauroit proposé. Pour moi, 
je vous déclare que cet article me paroît d'une si 
grande importance, que rien, selon moi, ne de- 
voit vous y faire renoncer, pas, quand on vous 
céderoit tout le reste , pas , quand les Conseils vou- 
droîent en échange renoncer au droit négatif. 

Mais je ne vous dissimulerai pas non plus que 
ce droit négatif attribué, non pas au petit Conseil, 
ni même au Soixante, mais au Deux-cents, me 
paroît si nécessaire au bon ordre , au maintien de 
toute police, à la tranquillité publique, à la force 
du gouvernement, que, quand on y voudroit re- 
noncer, vous ne devriez jamais le permettre. S'il 
n'y a point d'arbitres des plaintes , comment fini- 
ront-elles? Si le Conseil général, auteur des lois, 



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256 CORRESPONDANCE, 

veut être aussi juge dçs faits, vous nètes plus 
citoyens, vous êtes magistrats; cest lanarchie 
d'Athènes, tout est perdu. Que chacun rentre 
dans sa sphère, et s'y tienne, tout est sauvé. En- 
core une fois, ne soyez ni négatifs ni représen- 
tants; soyez patriotes, et ne reconnoissez pour vos 
droits que ceux qui sont utiles à cette petite mais 
illustre république, que de si dignes citoyens oou- 
vrent de gloire. 

Ce n'est point, messieurs, à des gens comme 
vous qu'il faut tout dire. Je ne m'arrêterai point 
à vous détailler les avantages du projet proposé, 
dans l'état où vous pouvez raisonnablement de- 
mander qu'on le mette, et où les changements à 
faire sont autant contre vous que pour vous. Je 
n'ai rien dit, par exemple, de l'abolition du plus 
grand fléau de votre patrie, de cette autorité de- 
venue héréditaire et tyrannique, usurpée et réu- 
nie par des familles qui en abusoient si cruelle^ 
ment. C'est à cette première entrée qu'il faut 
attendre et repousser au passage tout ce qui est 
de même sang, ou de même nom ; car une fois 
dans le Conseil, soyez sûrs qu'ils parviendront au 
syndicat malgré vous; mais ils n'entreront pas 
dans le Conseil malgré vous : c'est à vous d'y veil- 
ler, et cela devient très facile. Encore une fois, 
cette observation ni d'autres pareilles ne sont pas 
de celles qu'on a besoin de vous rappeler ; c'est 



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ANNÉE 1768. 257 

assez d'avoir établi les principes , les conséquences 
ne vous échapperont pas. 

Je me suis hâté, mon bon ami, de vous faire 
ab hoc et ab hoc mes petites observations, dans la 
crainte de les rendre trop tardives. Si je me suis 
trompé dans cet examen tiçop précipité, hommes 
sages et respectables, pardonnez mon erreur à 
mon zèle : je crois sincèrement que le projet dont 
il s agit seroit, dans son exécution, favorable à la 
liberté, à la tranquillité, à la paix; je crois, de 
plus, que cette paix vous est très nécessaire, que 
les circonstances sont propres à la faire avanta- 
geusement, et ne le redeviendront peut-être ja- 
mais. Puissé-je en apprendre bientôt l'heureuse 
nouvelle et mourir de joie au même instant ! je 
mourrois plus heureusement que je n'ai vécu. Je 
vous embrasse de tout mon cœur. 



LETTRE DCCCXIV. 

A M. DU PEYROU. 

10 février 1768. 

Votre n° 5 , mon cher hôte, me donne le plai- 
sir impatiemment attendu d'apprendre votre heu- 
reuse arrivée, dont je félicite bien sincèrement 

CORRESPONDANCE. T. V. 1 7 



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a58 CORRESPONDANCE, 

rexcellente maman et tous vos amis. Vous aviez 
tort, ce me semble, d'être inquiet de mon silence. 
Pour un homme qui n aime pas à écrire , j'étois 
assurément bien en régie avec vous qui laimez. 
Votre dernière lettre étoit une réponse ; je la reçus 
le dimanche au soir : elle m annonçoit votre dé- 
part pour le mardi matin, auquel cas il étoit de 
toute impossibilité qu'une lettre que je vous au- 
rois écrite à Paris vous y pût trouver encore , et il 
étoit naturel que j'attendisse, pour vous écrire à 
Neuchâtel, de vous y savoir arrivé, la neige ou 
d'autres accidents , dans cette saison , pouvant vous 
arrêter en route. Ma santé, du reste , est à-peu-près 
comme quand vous m'avez quitté; je garde mes 
tisons; l'indolence et l'abattement me gagnent : je 
ne suis sorti que trois fois depuis votre départ, et je 
suis rentré presque aussitôt. Je n'ai plus de cœur 
à rien, pas même aux plantes. Manoury, plus noir 
de cœur que de barbe, abusant de l'éloignement 
et des distractions de son maître , ne cesse de me 
tourmenter, et veut absolument m'expulser d'ici ; 
tout cela ne rend pas ma vie agréable ; et quand 
elle cesseroit d'être orageuse, n'y voyant plus 
même un seul objet de désir pour mon cœur, j'en 
trouverois toujours le reste insipide. 

Mademoiselle Renou, qui n'attendoit pas moins 
impatiemment que moi des nouvelles de votre 
arrivée, l'a apprise avec la plus grande joie, que 



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ANNÉE 1768. 269 

votre bon souveair augmente encore. Pas un de 
nos déjeuners ne se passe sans parler de vous ; et 
j'en ai un renseignement mémorial toujours pré- 
sent dans le pot-de-chambre qui vous servoit de 
tasse, et dont j'ai pris la liberté d'hériter. 

J ai reçu votre vin , dont je vous remercie, mais 
que vous avez eu tort d'envoyer : il est agréable à 
boire; mais poiir naturel, je n'en crois rien. Quoi 
qu'il en soit, il arrivera de cette affaire comme de 
beaucoup d'autres, que l'un Êiit la faute et que 
l'autre la boit. 

Rendez, je vous prie^ mes salutations et ami- 
tiés -à tous vos bons amis et les miens, sur-tout à 
votre aimable camarade de voyage à qui je serai 
toujours obligé. Mes respects, en particulier^ à la 
reine des mères , qui est la vôtre, et aussi à la reine 
des femmes, qui est madame de Luze. Je suis bien 
fâché de n'avoir pas un lacet à envoyer à sa char- 
mante fille, bien sûr qu elle méritera de le porter. 

Il faut finir, car la bonne madame Chevalier est 
pressée et attend ma lettre. Je prends l'unique 
expédient que j'ai de vous écrire d'ici en droiture, 
en vous adressant ma lettre chez M. Junet. Adieu, 
mon cher hôte ; je vous embrasse et vous recom*» 
mande, sur toute chose, l'amusement et la gaieté: 
vous médirez : Médecin , guéris-toi toi-même; mais 
les drogues pour cela me manquent, au lieu que 
vous les avez. 

17- 



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26o CORRESPONDANCE. 

J'ai tant lanterné que la bonne dame est par- 
tie, et ma lettre n'ira que demain peut-être, ou 
du moins ne marchera pas aussi sûrement. 






LETTRE DGCCXV. 

A M. d'iVERNOIS. 
Du château de Trye, ce 23 février 1768. 

Je reçois, mon bon ami, avec votre lettre du 
1 7, le mémoire que vous y avez joint ; et- quand 
je serois en état d y faire les observations que vous 
me demandez, il est clair que le temps me man- 
queroit pour cela, puisque cette lettre, écrite sur 
le moment même, aura peine, supposé même que 
rien n'en suspende la marche , à vous arriver avant 
le 28. Mais, mon excellent ami, je sens que ma 
mémoire est éteinte, que ma tête est en confu- 
sion, que de nouvelles idées n'y peuvent plus en- 
trer, qu'il me faut même un temps et des efforts 
infinis pour reprendre la trace de cellas qui m'ont 
été familières. Je ne suis pluç en état de compa- 
rer, de combiner ; je ne vois qu'un nuage en par- 
courant votre mémoire ; je n'y vois qu'une chose 
claire, que je sa vois, mais qui m'est bien confir- 
mée, c'est que les rédacteurs de ce mémoire sont 



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ANNÉE 1768. a6i 

assez instruits, assez éclairés, assez sages pour 
faire par eux-mêmes une besogne tout aussi bonne 
qu'elle peut l'être, et que, dans l'objet qui les oc- 
cupe, ils n'ont besoin que de temps, et non pas 
de conseils , pour la rendre parfaite. J'y vois bien 
clairement encore que, comme je Tavois prévu, 
la précipitation de ma lettre précédente , Tigno- 
rance d'une foule de choses qu il falloit savoir m'y 
ont fait tomber dans de grandes bévues , dont vous 
en relevez dans votre lettre une qui maintenant 
me saute aux yeux. 

Cependant je suis dans la plus intime persua- 
sion que votre état a le plus grand besoin d'une 
prompte pacification, et que de plus longs délais 
vous peuvent précipiter dans les plus grands mal- 
heurs. Dans cette position, il me vient une idée 
qui doit sûrement être venue à quelqu'un d'entre 
vous, et dont je ne vois pas pourquoi vous ne fe- 
riez pas usage, parcequ'elle peut avoir de grands 
avantages sans aucun inconvénient. Ce seroit, 
pour vous donner le temps de peser un ouvrage 
qui demande cependant la plus prompte exécu- 
tion , de fâire un règlement provisionnel qui n'eût 
force de loi que pour vingt ans, durant lesquels 
on auroit le temps d'en observer la force et la 
marche, et au bout desquels il seroit abrogé, mo- 
difié, ou confirmé, selon que l'expérience en au- 
roit fait sentir les inconvénients ou les avantages. 



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26i CORRESPONDANCE. 

Pour moi , je 131 aperçois que ce seul expédient pour 
concilier la diligence avec la prudence; et j'avoue 
que je n en aperçois pas le danger. La paix , mes 
amis, la paix, et promptcment, ou je meurs de 
peur que tout n aille mal. 

Vous ne recevrez point le duplicata de ma lettre 
par M. Goindet : il n'en a pas été content , et me 
la rendue. Je m'en étois douté d'avance. 

L article IX, page 4o, commence par ces mots, 
S*il se publiait,... Il feut, ce me semble, ajouter ces 
deux-ci, dans fêtât ; car, enfin, il me paroît ab- 
surde et ridicule que le gouvernement de Genève 
prétende avoir juridiction sur les livres qui s'im- 
priment hors de son territoire dans tout le reste 
du monde; et parceque le petit Conseil a fait une 
fois cette faute, il ne faut pas pour cela la consa- 
crer dans vos lois, d'autant plus que je ne de- 
mande, ni ne désire, ni n'approuve que Ion re- 
vienne jamais sur cette aflfeire, puisque ayant fait 
un serment solennel de ne rentrer jamais dans 
Genève, si ce petit grief étoit redressé, il ne dé- 
pendroit pas de moi de tirer aucun parti de ce re- 
dressement, ce dont je suis bien aise de vous pré- 
venir, de peur que votre zèle amical ne vous inspi- 
rât dans la suite quelque démarche inutile sur un 
point qui doit à jamais rester dans l'oubli. Au 
reste, je mets si peu de fierté à cette résolution , 
que si, par quelque démarche respectueuse, je 



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ANNÉE 1768. 263 

pou vois 6ter une partie du levain d'aigreur qui 
fermente encore, je la ferois de tout mon cœur. 

Je finis à la hâte ce grifFonnage, que je nai pas 
même le temps de relire, tant je suis pressé de le 
faire partir. 

Eh mon Dieu î cher ami , j oublie de vous par- 
ler de ce que vous avez fait pour ma bonne tante , 
et de l'argent que vous avez avancé pour moi. 
Hélas ! je suis si occupé de vous , que je ne songe 
])as même à ce que vous faites pour moi. Mais , 
mon digne ami, vous connoissez mon cœur, je 
m'en flatte, et vous êtes bien sûr que cet oubli ne 
durera pas long-temps. Ah ! plaise au ciel que 
votre première lettre m'annonce une bonne nou- 
velle! Si je tarde encore un instant, ma lettre n'est 
phis à temps. Je vous embrasse. 



LETTRE DCCCXVI. 

A MADAME LA COMTESSE DE BOUFFLERS. 

Le a 5 février 1768. 

Je vieillis dans les ennuis, mon ame est afFoi- 
blie, ma tête est perdue ; mais mon cœur est tou- 
jours le même : il n'est pas étonnant qu'il me ra- 
mène à vos pieds. Madame, vous n'êtes pas exem pte 



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264 CORRESPONDANCE, 

de torts envers moi : je sens vivement les miens ; 
mais tant de maux soufferts n ont-ils rien expié? 
Je ne sais pas revenir à demi; vous me connoissez 
assez pour en être assurée. Ne dois-je donc plus 
rien espérer de vous ? Ah ! madame , rentrez en 
vous-même, et consultez votre ame noble. Voyez 
qui vous sacrifiez, et à qui ! Je vous demande une 
heure entre le ciel et vous pour cette comparai^ 
son. Souvenez-vous du temps où vous ave^ tout 
fait pour moi. Combien vos soins bienfaisants se* 
ront honorés un jour ! Eh ! pourquoi détruire 
ainsi votre propre ouvrage? pourquoi vous en ôter 
tout le prix? Pensez que, dans Tordre naturel, 
vous devez beaucoup me survivre, et qu'enfin la 
vérité reprendra ses droits. Les hommes fins et 
accrédités peuvent tout pendant leur vie ; ils fas- 
cinent aisément les yeux de la multitude, toujours 
admiratrice de la prospérité : mais leur crédit ne 
leur survit pas , et sa chute met à découvert leurs 
intrigues. Ils peuvent produire une erreur publi- 
que, mais ils ne la peuvent éterniser; et j'ose pré- 
dire que vous verrez tôt ou tard ma mémoire en 
honneur. Faudra-t-il qu'alors mon souvenir, fait 
pour vous flatter, vous trouble? Faudra-t-il que 
vous vous disiez en vous-même: J ai vu sans pitié 
traîner, étouffer dan^ la fange, un homme digne 
d'estime, dont les sentiments avoient bien mérité 
de moi? Non , madame , jamais la générosité que 



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. ANNÉE 1768. a6f> 

je vous connois ne vous permettra d avoir un pa- 
reil reproche à vous faire. Pour lamour de vous, 
tirez-moi de Tabyme d'iniquités où je suis plongé. 
Faites-moi finir mes jours en paix: cela dépend de 
vous, et fera la gloire et la douceur des vôtres. Les 
motifs que je vous présente vous montrent de 
quelle espèce sont ceux que je crois faits pour vous 
émouvoir. De toutes les réparations que je pou- 
vons vous faire, voilà, madame, celle qui m'a paru 
la plus digne de vous et de moi. 



LETTRE DCCCXVIL 

A 1^. DU PEYROU. 

3 mars 1768. ' 

Votre n° 6 , mon cher hôte , m'afflige en m'ap- 
prenant que vous avez un nouveau ressentiment 
de goutte, assesfort pour vous empêcher de sor- 
tir. Je crois bien que ces petits accès plus fré- 
quents vous garantiront de grandes attaques. Mais 
comme l'un de ces deux états est aussi incommode 
que l'autre est douleureux, je ne sais si vous vous 
accommoderiez d'avoir ainsi changé vos grandes 
douleurs en petite monnoie ; mais il est à présu- 



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^66 CORRESPONDANCE. 

mer que ce n'est qu une queue de cette goutte 

effarouchée, et que tout reprendra dans peu son 

cours naturel. Apprenez donc , une fois pour 

toutes, à ne vouloir pas guérir malgré la nature; 

car c'est le moyen presque assuré d'augmenter vos 

maux. 

A mon€gard , les conseils que vous me donnez 
sont plus aisés à donner qu a suivre. Les herbo- 
risations et les promenades seroient en effet de 
douces diversions à mes ennuis, si elles m etoient 
laissées ; mais les gens qui disposent de moi n ont 
garde de me laisser cette ressource. Le projet dont 
MM. Manoury et Deschamps sont les exécuteurs 
demande qu'il ne m'en reste aucune. Comme on 
m'attend au passage, on n'épargne rien pour me 
chasser d'ici , et il paroît que Ton veut réussir dans 
peu , de manière ou d'autre. Un des meilleurs 
moyens que l'on prend pour cela est de lâcher sur 
moi la populace des villages voisins. On n'ose plus 
mettre personne au cachot, et dire que c'est moi 
qui le veux ainsi; mais on a fermé, barré, barri- 
cadé le château de tous les côtés : il n'y a plus ni 
passage ni communication par les cours ni par la 
terrasse; et, quoique cette clôture me soit très in- 
commode à moi^-même, on a soin de répandre, 
par les gardes et par d'autres émissaires, que c'est 
le Monsieur du château qui exige tout cela pour 
faire pièce aux paysans. J'ai senti l'effet de ce bruit 



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ANNÉE 1768. 267 

dans deux sorties que j'ai faites, et cela ne m'exci- 
tera pas à les multiplier. J'ai prié le fermier de me 
faire faire une clef de son jardin , qui est assez 
grand, et ma résolution est de borner mes prome- 
nades à ce jardin et au petit jardin du prince, 
qui, comme vous savez, est grand comme la main 
et enfoncé comme un puits. Voilà, mon cher 
hôte, comment, au cœur du royaume de France, 
les mains étrangères s'appesantissent encore sur 
moi. A l'égard du patron de la case, on l'empêche 
de rien savoir de ce qui se passe et de s'en mêler. 
Je suis livré seul et sans ressource à ma constance 
et à mes persécuteurs. J'espère encore leur faire 
voir que la besogne qu'ils ont entreprise n est pas 
si facile à exécuter qu'ils l'ont cru. Voilà bien du 
verbiage pour deux mots de réponse qu'il vous 
falloit sur cet article. Mais j'eus toujours le cœur 
expansif ; je ne serai jamais bien corrigé de cela , 
et votre devise ne sera jamais la mienne. 

J'ai découvert avçc une peine infinie les noms 
de botanique de plusieurs plantes de Garsault. J'ai 
aussi réduit, avec non moins de peine, les phrases 
de Sauvages à la nomenclature triviale de Lin- 
nœus, qui est très commode. Si le plaisir d'avoir 
un jardin vous rend un peu de goût pour la bota- 
nique , je pourrai vous épargner beaucoup de tra- 
vail pour la synonymie, en vous envoyant pour 
vos exemplaires ce que j'ai noté dans les miens; 



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268 CORRESPONDANCE, 

et il est absolument nécessaire de débrouiller cette 
partie critique de la botanique pour rcconnoître 
la même plante, à qui souvent chaque auteur 
donne un nom différent. 

Je ne vous parle point de vos a£Faires publi- 
ques; non queje cesse jamais dy prendre intérêt, 
mais parceque cet intérêt, borné par ses effets à 
des vœux aussi vrais qu'impuissants de voir bien- 
tôt rétablir la paix dans toutes vos contrées , ne 
peut contribuer en rien à l'accélérer. 

Adieu, moucher hôte : mes hommajjes à la meil- 
leure des mères j mille choses au bon M. Jeannin , 
et à tous ceux qui m aiment, et à tous ceux que 
vous aimez. 



LETTRE DCGCXVIII. 

A M. MOULTOU. 

A Trye, par Gisors, le 7 mars 1768. 

Comme j'ignore, monsieur, ce que M. Coindet 
a pu vous écrire, je veux vous rendre compte 
moi-même de ce que j'ai fait. Sitôt qu'il m'eut 
envoyé votre première lettre, j'en écrivis une à 
M. d'Ivernois, le seul correspondant queje me 
sois laissé à Genève, et auquel même, depuis mon 



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ANNÉE 1768. 269 

funeste départ pour TAngleterre, je n a vois pas 
écrit plus de cinq ou six fois. Cette lettre, raison- 
née de mon mieux , mais pressante et impartiale 
autant qu'il étoit possible , péchoit en plusieurs 
points faute de connoissance de la situation de vos 
affaires, dont je ne savois absolument rien que ce 
qui en étoit dit dans la vôtre. J'y blâmois forte- 
ment le grabeau proposé ; j'y proposois le projet 
du Conseil , dont j avois l'extrait dans votre lettre , 
comme excellent en lui-même, sauf quelques 
changements et additions , les unes £ivorables, les 
autres contraires aux représentants, selon qu'il 
m'avoit paru nécessaire pour faire un tout plus 
solide et bien pondéré. J'avois écrit cette lettre à 
la hâte, elle étoit très longue : je l'envoyai ouverte 
à M. Coindet, le priant de la faire passer à son 
adresse, et de vous en envoyer en même temps 
une copie. Quelques jours après il me marqua 
n'avoir rien fait de tout cela, parcequ'il ne trou- 
voit pas que cette lettre allât à son but. Il est venu 
me voir, et je me la suis fait rendre : j'offre de vous 
l'envoyer quand il vous plaira , afin que vous en 
puissiez juger vous-même. Comme le moment 
pressoit, et que je prévoyois un peu ce qu'a fait 
M. Coindet, j'avois envoyé en même temps le 
brouillon de la même lettre, en duplicata, direc- 
tement à M. d'Ivernois, dont les amis ne Font pas 
non plus approuvée ; el il m'est arrivé ce qull ar- 



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270 CORRESPONDANCE, 

rive ordinairement à tout homme impartial entre 
deux partis échaufFés, qui cherche sincèrement 
lintérêt commun et ne va qu au bien de la chose; 
j'ai déplu également des deux côtés. Voyant les 
esprits si peu disposés encore à se rapprocher, et 
sentant toutefois combien la plus prompte pacifi- 
cation vous est à tous importante et nécessaire, 
j ai eu depuis une autre idée que j ai communi- 
quée encore à M. dlvernois ; mais je ne sais s'il 
aura reçu ma lettre : ce seroit de tâcher du moins 
de faire un règlement provisionnel pour vingt 
ans, au bout desquels on pourroit lannuler ou le 
confirmer, selon qu'on Tauroit reconnu bon ou 
mauvais à Tusage : on doit tout faire pour apaiser 
ce moment de chaleur qui peut avoir les suites les 
plus funestes. Quand on ne se fera plus un devoir 
cruel de m affliger, quand je ne serai plus, et que 
les circonstances seront changées, les esprits se 
rapprocheront naturellement, et chacun sentira 
tôt ou tard que son plus vrai bien n est que dans 
le bien de la patrie. 

Vous devez le savoir, monsieur ; si j'en avois été 
cru , non seulement on n eût point soutenu les 
représentations , mais on n en eût point Êiit ; car 
naturellement je sentois qu'elles ne pouvoient 
avoir ni succès ni suite, que tout étoit contre les 
représentants, et-qu'ils seroient infailliblement les 
victimes de leur zèle patriotique. J'étois bien éloi- 



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ANNÉE 1768. 271 

çué de prévoir le grand et beau spectacle qu'ils 
viennent de donner à l'univers , et qui , quoi qu'en 
puissent dire nos contemporains, fera ladmira- 
tion de la postérité. Cela devroit bien guérir vos 
magistrats, d'ailleurs si éclairés, si sages sur tout 
autre point, de l'erreur de regarder le peuple de 
Genève comme une populace ordinaire. Tant 
<ju'ils ont agi sur ce faux préjugé, ils ont fait de 
grandes fautes qu'ils ont bien payées ; et je prédis 
qu'il en sera de même tant qu'ils s'obstineront dans 
ce mépris très mal entendu : quand on veut as- 
servir un peuple libre, il faut savoir employer des 
moyens assortis à son génie, et rien n'est plus aisé; 
mais ils sont loin de ces moyens-là. Je reviens à 
moi : le malheur que j'ai eu d'être impliqué dans 
les commencements de vos troubles m'a fait un 
devoir, dont je ne me suis jamais départi, de n'être 
ni la cause ni le prétexte de leur continuation. 
C'est ce qui m'a empêché d'aller purger le décret, 
c'est ce qui m'a fait renoncer à ma bourgeoisie, 
c'est ce qui m'a fait faire le serment solennel de 
ne rentrer jamais dans Genève, c'est ce qui m'a 
fait écrire et parler à tous mes amis comme j'ai 
toujours fait ; et j'ai encore renouvelé en dernier 
lieu, à M. dlvernois, les mêmes déclarations que 
j'ai souvent faites sur cet article, ajoutant même 
que, s'il ne tenoit qu'à une démarche aussi respec- 
tueuse qu il soit possible pour apaiser l'animosité 



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272 CORRESPONDANCE, 

du Conseil, j'étois prêt à la faire hautement et de 
tout mon cœur : pourvu que vous ayez la paix , 
rien ne me coûtera, monsieur, je vous proteste, 
et cela sans espoir d'aucun retour de justice et 
d'honnêteté de la part de personne. Les répara- 
tions qui me sont dues ne me seront faites qu Câ- 
pres ma mort, je le sais, mais elles seront grandes 
et sincères ; j y compte, et cela me suffit. Malheu- 
reusement je ne peux rien, je n'ai nulle espèce de 
crédit dans Genève, pas même parmi les repré- 
sentants. Si j'en avois eu , je vous le répète, tout 
ce qui s'est fait ne se seroit point fait. D'ailleurs je 
ne puis qu'exhorter, mais je ne veux pas tromper: 
je dirai, comme je le crois, que la paix vaut mieux 
que la liberté, qu'il ne reste plus d'asile à la liberté 
sur la terre que dans le cœur de l'homme juste, et 
que ce n'est pas la peine de se batailler pour le 
reste ; mais quand il s'agira de peser un projet et 
d'en dire mon sentiment, je le dirai sans déguise- 
ment. Encore une fois, je veux exhorter, mais non 
pas t?:omper. 

Je suis bien aise , monsieur, que vous pensiez 
savoir que je suis tranquille, et que cela vous fasse 
plaisir. Cependant , si vous connoissiez ma véri- 
table situation , vous ne me croiriez pas si hors des 
mains de M. Hume, et vous ne vous adresseriez 
pas à M. Coindet pour dire le mal que vo^is pou- 
vez penser de cet homme-là. Adieu , monsieur : je 



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ANNÉE 1768. 27Î 

ferai toujours cas de votre amitié, et je serai tou- 
jours flatté d'en recevoir des témoignages ; mais^ 
comme vous n'ignorez ni mon habitation ni le 
nom que j'y porte , vous me fere? plaisir de m'éo'ire 
directement par préférence, ou de faire passer 
vos lettres par d autres mains ; et sur-tout ne soyez 
jamais la dupe de ceux qui font le plus de bruit 
de leur grande £unitié pour moi. J oubUois de vous 
dire que M. Coindet ne m'envoya que le 29, c'est- 
à-dire le lendemain du Conseil général , votre 
lettre du 10; que je ne la reçus que le 3 mars, et 
que par conséquent il n'étoit plus temps d'en faire 
usage. Du reste, ordonnez; je suis prêt. 



LETTRE DCCCXIX. 

A M. J)*IVERNOIS. 

Att château de Trye, le 8 mars 1768. 

Votre -lettre, mdti ami, du 29, me, fait frémir. 
Ab I cruels amis, queUes angoisses vous me don- 
nez ! n'ai-je donc pas asslez des miennes ? Je vous 
exhorte, de toutes les p'uissances de mon ame, de 
renoncer à ce malheureux grabeau qui sera la 
cause de votre perte , et qui va susciter contre 
vous la clameur universelle qui jusqu'à présent 

COBlUS8PÛVDA!<CE. t.V. l8 



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274 CORflESPONDANCE. 

étott en votre ïaveur. Cijiercbes d aHtres équiva- 
lents ^ consultez vos lumiètes; pesez ^ imaginez, 
pressez: mais, je vous en conjure, hâtez- vous 
de finir, et de finir en hommes dé hven et de paix, 
et avec autant de modération, de sagesse, et de 
gloire que voi^s avez commencé. Nattendez pas 
que votre éloonante union se relâche, et ne com|h 
tez pas quun pareil miracle du ve encore lon|^ 
temps. L'expédient d'un règlement provisionnel 
peut vous faire passer sur bien des choses qui 
pourront avoir leur correctif dans un meilleur 
t«nps : ce moment court et passager vou« est fe- 
vorable ; mais si vous ne le saisissez rapidement , 
il va vous échapper; tout est contre vous, et vous 
êtes perdus. Je pense bien différemment de vous 
sur la chance générale de l'avenir ; car je suis très 
persuadé que dans dix ans , et sur-tout dans vingt, 
elle sera beaucoup plus avantageuse à la cause des 
représentants, et cela me paroît infaillible : mais 
on ne peut pas tout dire par lettres, cela devien- 
droit trop long. Enfin, je vous en conjure dere- 
chef, par vos femilles, par votre patrie y par tous 
vos devoirs, finissez et promptement , dussiez-Voiis 
beaucGiup céder ; ne changez pas la constance en 
opiniâtreté : cest le seul moyen decopserver Tesr 
timepublique que vous avez acqoise, et dont vous 
sentirez le prix un jour. Mon cœur est si plein de 
cette nécessité d un prompt aqcord, qu'il voudroit 



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AKNÉE 1768. 275 

s élancer au milieu de vou$, se verser dans tous 
les vôtres pour vous la faire s^itir. 

Je diflBère de vous rembourser les cent francs 
que vous avez avancés pour moi, dans Itespoir 
d'une occasion plus commode. Lorsque tous son- 
{jerez à réaliser votre ancien projet, point de con-* 
fidfnts, point de Bruit, point de nom, et sur-tout 
défiez-vous par préférence de ceux qui font fts^ 
tentation de leur grande aitritié pour moi. Adieu, 
mon ami : Dieu veuille bénir vos travaux et les 
couronner. Je vous eml)rasse. 



•^'%/%.-%rtj\/V%/%,^%/%/^r%/^/%.%) 



LETTRE DCCCXX. 

A M. LE MARQUIS IXE MIRABEAU. 

9 mars 1768. 

Je ne vous répéterai pas, mon illustre ami, les 
iponotones excuses de mes longs silences, d'au- 
tant moins que ce seroit toujours à recommencer; 
car, à mesure que mon abattement et mon dé- 
couragement augmentent, ma paresse augmente 
en même raison. Je n'ai plus d'activité pour rien; 
plus même pour la promenade , a laquelle d'ail- 
leurs je suis forcé de renoncer depuis quelque 
temps. Réduit au travail très fatigant de me lever 

18. 



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276 COÏlRESPONDàNCE. 

ou de jne coucher, je trouve cela de trop eacore ; 
du res^, je suis nui. Ce n est pas seulement là le 
mieux pour ma paresse, c'est le mieux aussi pour 
ma raison ; et, comme rien n U6e plus vainement 
la vie que deregini^er contre la nécessité, ie meil- 
leur parti qui me reste à prendre , et que je prends, 
est de laisser faire sans résistance ceux qui dispo- 
sent ici de moi. < 

La proposition d aller vous voir à Fleury est 
aussi charmante qu*honnête, et je sens quje Fai- 
mable société que j y trouverois seroît en effet un 
spécifique excellent contre ma tristesse. Vos ex- 
pédients, mon illustre ami, vont mieux à mon 
cœur que vôtre morale; je la .trouvp trop haute 
pour moi, plus stoïque que consolante; et rien 
ne me paroît moins calmant pour les gens qui 
souffrent que de leur jarouver qu'ils n'ont point 
de mal. Ce pèlerinage me tente beaucoup, et c'est 
précisément pour cela que je crains dg ne le pou- 
voir Taire: il ne m^est pas donné d'avoir tant de 
plaisir. Au reste, je ne prévqis d'obatacle vraiment 
dirimant que la durée de mon état présent qui ne 
me permettroit pas d'entreprendre un voyagç, 
quoique assez court. Quant à la volonté, je vpus 
jure qu'elle y est tout entière, de même que ^ sé- 
curité. J ai la certitude que Vous «e voudriez pas 
m'exposer, et l'expérience que votre hospitalité est 
aussi sûre que douce. De plus, le refiige que je 



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ANNÉ€ 1768. 377 

suis venu chercher au sein de votre nation sans 
précaution d'aucune espèce, sans autre sûreté que 
mon estime pour elle, doit montrer ce que j'en 
pense , et que je ne prends pas pour ai:gent comp 
tant les terreurs que Ion cherche à me donner. 
Enfin, quaiMl un homme de mon humeojr, et qui 
n'a rien à se reprocher, veut bien , en se livrant 
sans réserve à ceijx qu'il pourroit craindre, se 
soumettre aux précautions suffisantes pour ne les 
^as forcer à le voir, assurément une telle con- 
duite marque, non pas de l'arrogance, mais de 
la confiance; elle 03t un témoignage d'estime au- 
quel on doit être sensible, et non pas une témé- 
rité dont (Mti se puissa offenser: je' suis certain 
quaucun esprit bien fait ne peut penser ^utre- 
iaent. 

Comptez donc,. mon illustre ami, qu'aucune 
crainte ne m'empêchera de vous aller voir. Je 
n'ai rien altéré du 'droit de ma liberté, et diffici- 
lement ferois-je jamajs de ce droit un usage plus 
agréable que celui que vous m'avez proposé. Mais 
mon état présent ne me permet eet espoir qu'au- 
tant qu'il changera en mieux avec la saison ; c'est 
de quoi je ne puis juger que quand elle sera 
venue. En attendant recevez mon respect, mes 
remerciements , et mes embrassements les plus 
tendres. c 



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278 CORaESPONDANCE. 



%/%/X^/^^'%/^^^f%^%'^^^ /V%i^/«^-« 



LETTRE DCGCXXI. 

A M. DE LALAJNDE. 

mars i^^B. 

Vous n'êtes pas, monsieur, de ceux qui s^amu*- 
sent à rendre aux infortunés des honneurs iro^ 
piques, et qui courcmnent la victime qu'ils veulast 
sacrifier. 

Ainsi tout ce que je conclus des louanges dont 
il vous plaît de m accabler dans ia lettre que vous 
m avez fait la faveur de m'écrire, est que la gén^ 
rosité vous, entraîne à outrer le respect que l'on 
doit à l'adversité. J'aJ;tribue à un sentiment aussi 
louable le compte avantageux que vous avez bien 
voulu rendre de mon Dictionnaire , et votre ex- 
trait me paroît fait avec beaucoup d'esprit, de 
méthode, etd'art. Si cependant vous eussiez choisi 
moins scrupuleusement les endroits où la mu* 
sique françoise est le plus maltraitée , je ne sais si 
cette réserve eût été nuisible à la chose, mais je 
crois qu'elle eût été favorable à l'auteur. Jaurois 
bien aussi quelquefois désiré un autre choix des 
articles que vous avez pris la, peine d'extraire , 
quelques-uns de ces articles n'étant que de rem- 



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ANNÉE 1768. a79 

plissag[e , d'autres extraits ou compilés de divers 
auteurs , tandis que la plupart des articles impor- 
tants m'appartiennent uniquement, et sont meil- 
leurs en eux-mêmes, tels que accent, Consonnance, 
Dissonance y Expression, Goût, Harmonie , ^Inter- 
valle, Licence, Opéra, Son, Tempérament, Unité 
de mélodie. Voix, etc., et sur -tout l'article En-- 
harmonique, dans lequel j'ose croire que ce genre 
difficile, et jusqu'à présent très mal entendu, est 
mieux expliqué que dauB aucun autre livre. Par- 
don , monsieur , de la liberté avec laquelle j'ose 
vous dire ma pensée ; je la sc^mets avec une 
pleine confiance à votre décision^ qui n'exige pas 
de vous uçne nouvelle peine , puisque vous avez 
été appelé à lire le livre entier, ennui dont je vous 
fais à-la-fois mes remerciements et mes excuses. 

Je me souviens, monsieur, avec plaisii* et re- 
connoissance de la visite dont vous m'honorâtes 
à Montmorency, et du désir qu'elle me laissa de 
jouir quelquefois du même avaptagel Je compte 
parmi les nxalheurs de ma vie celui de ne pouvoir 
cultiver une si bonne connoissance, et mériter 
peut-être uii jour de votre part moins d'éloges jet 
plus de bontés. 



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a8o CORRESPOUDANCE. 



LETTRE DCCCXXII. 

A M. DU PEYBOU. 

L«.a4niars 1768. 

J'ai répondu, mon cher hôte, à votre n"" 6, el 
il me semble que cette i^onse auroit dû vous 
être parvenue avant le départ de votre n** 7 ; mais, 
n'ayant ni mém^^re pour- me rappeler les dates, 
ni soin pour suppléer à ce défaut, je ne puis rien 
affirmer, et je laisse un peu notre correspondance 
au hasard f comme toutes les choses de la vie, qui, 
tout bien compté , ne valent pas la sollicitude 
quon prend pour elles. Japprouve cependant 
très fort que voiijs n'ayez pas la même indiffé- 
rence, et que vous vo«is pressiez de vouloif mettre 
eu régie nos af&ires pécuniaires; je vous avoue 
même que sur ce point je n avois consenti à lais- 
ser les choses comme elles sont restées , que par- 
cequ'il me sembloit qua tout prendre, ce qui 
demeuroit dans vos mains valoit bien ce qui a 
passé dans Ifis miennes. 

Je n'ai point prétendu , non plus que vous , 
annuler en partie l'arrangement que nous .avions 
fait ensemble, mais en entier, et vqps avez dû voir 



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ANNÉE 176B. 381 

par ma précédente lettre <}ue la chose ne peut 
être autrement. Il 6*ensuit de cette résiliation , 
comme vous avez vu dans mon mémoire , que je 
vous reste débiteur des cent louis que j'ai reçus 
de vous, et qu 11 JÈEiut que je vous restitue, puisque, 
outre le recueil de tous mes écrits et papiers , qui 
est entre vo» mains , et dont il ne s'agit plus, vous 
ne croyez, pas devoir vous permettre de prendre 
cette somme sur les troi^ cents louis que vous 
avez reçus de milord Maréchal; javois cru, moi, 
l'y pouvoir assigner, parcequ'enfin si ces trois 
4:cnts louis appartenoient à quelqu'un , c^étoit à 
moi, depuis que milord Maréchal m'en avoit fait 
présent, que même il me les avoit voulu remettre, 
et que c'étoit à mon instante prière qu'il avoit 
cherché à m'^n constituer la rente par préférence. 
VûUs avez la preuve de cela dans les lettres qu'il 
m'a écrftes à ce sujet, et qui spnt entre vos mains 
avec lâi autres. D^iillçurs il me sembloit que , sans 
nen changer à la destination de cette rente, quatre 
au cinq ans, dont une partie est déjà écoulée, suf- 
fisoient pour acquitter ^es cent louis.* Ainsi, votis 
laissant nanti de toutes manières , je ne songeois 
guère à ce remboursement actuel, en quoi j'avois 
tort ; car il est clair que tous ces Raisonnements , 
l)Qns pour moi, ne pou voient avoir pour vous la 
même force. 

Bref, j'ai reçu de vous cent louis qu'il fout vous 



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:i8a CORRESPONDANCE, 

restituer ; rien n'est plus clair ni plus juste. 11 reste 
à voir, mon cher hôte , par quelle voie vous vou- 
lez que je vous rembourse cette somme. Je n'ai pas 
des banquiers à mes ordres , et je ne puis vous la 
fiiire tenir à Neufchâtel ; mais je puis , en nous 
arrangeant , vous la faire payer à Paris , à Lyon^ 
ou ici : choisissez, et marquez-moi votre décision. 
J'attends là-dessus vos ordres, et je pense que plus 
tôt cette affaire sera terminée , et mieux ce sera* 

Pour vous punir de ne rien dire' de prétis sur 
votre santé , je ne vous dirai rien de la mienne^ 
Dans votre précédente lettre vous étiez content 
de votre estomac et de votre état , à la goutte près, 
à laquelle vous devez être accoutiinié. Dans celle- 
ci vous trouvez chez vous la nature en décadence. 
Pourquoi cela? Parceque vous êtes sourA^t gout- 
teux; mais il y a vingt ans que vous l'êtes , et votre 
état n'est empiré que pour avoir à toute force 
voulu guérir. On ne meurt,point delà surdité, et 
l'on ne meurt guère de la goutte que par sa faute. 
Mais vous aimez à vous affubler la fête d'un drap 
mortuaire ; et , d'ici à l'âge de quatre*-vingts ana 
que vous êtes fait pour atteindre, vous passerez 
votre vie à faire des arrangeijaents pour la mort. 
Croyez-moi , mon cher hôte , tenez votre: ame en 
état de ne la pas craindre ; du reste, laissez-la ve^ 
nir quand elle voudra, sans hii feire l'honneur 
de tant songer à eUe, et soyez sûr que vos héri- 



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ANNÉE 176s. 283 

tiers sauront bien arrang[er vos papiers, sans vous 
tant tourmenter pour leur en épargner la peine. 

Je suis bien oWigé à M. Panckoucke de vouloir 
bien songer à moi dans la distribution de sa tra- 
duction de laucréce. Je la lirois avec plaisir si je 
lisois quelque chose; mais vous auriez pu lui dire 
que je ne lis plus rien. D ailleurs je ne vois pas 
pourquoi vous voulez lui indiquer M. Coindet. 
Son confrèfe Guy étoit plus à sa portée. Vous 
devez savoir que je n'aime pas extrêmement que 
M. Coindet se<louae tant de peine pour mes af- 
faires ; et, si yen étois le maître, il ne s'en donne- 
ront plus du tout. 

Jifademoiselle Renou vous remercie de vos 
bonnes amitiés , et vous fait les siennes : mettez- 
nous Tun et lautre aux pieds de la bon^e maman. 
Je compte répondre à madame de Luze dans ma 
première lettye ; je salue M. Jeannin , et vous em- 
brasser, mon cher hôte, de tout mon cœur. 

Je vais aujourd'hui dîner à Gisors, où je suis 
attendu ; et je compte y porter moi-même cette 
lettre à la poste. Comme il faut tout prévoir , à 
votre exemple, e* que je puis mourir d'apoplexie, 
au cas que vôu&n ayez plus de mes nouvelles par 
moi-même, adressez- vous à ceux qui seront en 
possession de ce-que je laisse ici; ils vous paieront 
vos cent louis. Adieu. 



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384 CORRESPONDANCE. 



LETTRE DGCCXXIII. 

A M. D'iVERNOIS, 

a4 ^oazn 1768. 

Enfin je respire ; vous aurez la jàij^ et vous 
Taurez avec un garant sûr qu'elle sera ^^olide , sa- 
voir, restimc publique et cell&de vos magistrats, 
qui, vous traitant jusqu'ici comme un penfde or- 
dinaire, n'ont jamais pris, sur ce faux préjugé, 
que de fausses mesures. lis-doivent ^tre enfin gué- 
ris de cette erreur, et je. ne doute pas que le dis- 
cours tenupar le procureur-général en Deux-cents 
ne soit sincère. Cela posé, vous devez espérer que 
l'on ne tentera de long-temps de vous surprendre, 
ni de tromper les puissances étrangères sur votre 
compte, et, ces deux moyens manquant, je n'en 
vois plus d'autres ponr vous asservir. Mes dignes 
amis, vous avez pris les seuls moyejis contre les- 
quels la force même perd son effigt, l'union, la 
sagesse , et le courage. Quoi q^e puissent Ëiire 
les hommes, on est toujours libre quand on sait 
mourir. . ... 

Je voudrois à prjésent que de votre côté vous ne 
fissiez pas à demi les choses , et que la concorde 



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ANNÉE 1768. 285 

une fois rétablie ramenât la confiance et la sub-^ 
ordination aussi pleine et entière que s'il n'y eût 
jamais en de dissension. Le respect pour les ma- 
gistrats fait dans les républiques lat gloire des ci- 
toyens, et rien n'est si beau que de savoir se sou- 
mettre après avoir prouvé .qu'on sa voit résister^ 
Le peuple de Genève s'est toujours distingué par 
ce respect pour ses chefs qui le rend lui-même si 
respectable. C'est à présent qu'il doit ramener 
dans son sein toute's les vertus sociales que l'amour 
de l'ordre* établît sur l'amour de la liberté. Il est 
impossible qu'une patrie qui*a de tels enfants ne 
retrouve pas enfin ses pères; ^et c'est alors que la 
gf^nde famille sera tout à-la-fois illustre , floris- 
sante , heuretise , et donnera vraiment au notonde 
un exemple digne d'imitation. Pardon, cher ami : 
emporté par mes désirs , je fais ici sottement le 
prédicateur; mais, après avâin vu ce que vous 
étiez, je suis plein de ce que ^ous pouvez être. Des 
hommes si sages nWt assurément pas besoin d'ex- 
hortation*pour continuer à l'être; mais moi, j'ai 
besoin de donner (Quelque essor aux plus ardents 
vœux de mon cœur. , 

Ail reste, je vous félicite en particulier d'un 

' bonheur qui nW pas toujours attaché à la bonne 

cause, c'est d'avoir trouvé pour le soutien de la 

vôtre des talents capables xie la faire valoir* Vos 

mémoires sont des chefs-»d'œuvre de* logique et 



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286 CORRESPONDANCE, 

de dieiion. Je sais quelles lumières régnent dans 
vos cercles , qu'on y raisonne bien , qu'on y con*^ 
nolt à fond vos édits ; mais on n'ySrouve pas com-^ 
munément des gens qui tiennent ainsi la plume : 
celui qui a tenu la vôtre, quel qu'il soit, est un 
homme rare; n oubliez jamais la reconnoissance 
que vous lui devez. 

A l'égard de la réponse amicale que vous me 
demandez sur ce qui me regarde^ je la ferai avec 
la -plus pleine confiance. Rien dans le monde na 
plus affligé et navré mon cœur que le décret de 
Genève. Il n'en fut jamais de plus inique, de plus 
absurde, et de plus ridicule. Cependant il ifaîpu 
détacher mes affections de ma patrie, et rieu ^ 
monde ne les en peut détacher. Il m'est indiflFér 
rent, quant à mon sort, que ce décret soit annulé 
ou subsiste, puisqu'il'ne m'est possible en aucun 
cas de profiter de mon rétablissement ; mais il ne 
me seroit pourtant p'ks indifférent, je l'avoue, que 
ceux qui ont commis la faute sentissent leur tort, 
et eussent le courage de Iq réparer. Je erois qu'en 
pareil cas j en mourroi^ de joie , parceque j'y ver- 
rois la fin d'une haine implacable, et que je pouf- 
rpîs de.bonne grâce me livrer aux sentiments res* 
pectueux que mon, cœur m'inspire, sans crainte 
de m'aviiir. Tout ce quel je puis vous dire à ce 
sujet est que si cela arrivoit, ce qu'assurément je 
n espère pas, le Conseil seroit content de mes 



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ANNÉE 1768. à87 

sentietnents et de ma conduite, et il connottroit 
bientôt quel immoitel hoBneur il s'est fait. Mais 
je vous avoue aussi que ce rétablissement ne sau- 
roit me flatter s'il ne vient d'eux-mêmes ; et jamais, 
de mon consentement, il ne sera sollicité. Je suis 
sûr de vos sentiments ; les preuvfll m'en sont inu- 
tiles : mais celles des leurs me toucheroient d'au- 
tant plus que je m*y atteads moins. Bref, s'îls font 
cette dénKircbe d'eux-mêmes, je ferai rrion devqir ; 
s'ils ne la font pas, ce ne sera pas la.seuje injus- 
tice dont j'aurai à me consoler ; et je ne veux pas , 
en toutl^tat (te cause, risquer de servir de pierre 
d'achoppfement au plus parfait rétablissement de 
la concorde. 

Voici un mandat sur la veuve Duchesne pour 
les'cent francs que vous avez bien voulu*avancer 
à ma bonne vieille tante. Je vous redois autre 
chose, mais raatbeu»euseihent je n'en sais pas le 
montant. ' • 



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a88 CORRESPONDANCE. 

LETTRE DCGCXXIV. 

A MADAME LA COMTESSE AE BOUFFLEBS. 

Trye , a4 «ars 1 768. 

yotre lettre me touche, madame, parceque j'y 
€ix)is recpniw>ître le langage du cœur; èe langage 
qui, de votre part, m'eût rendu le plus heureux 
-des lu)mmes, et à bien peu de frais. Mais*, n'i33pé- 
rant plus rien, et ne sachant plus 'même que 
désirer, je ne vous importunerai phis de mes 
plaintes. Si mon sort, quel qu'il soit, vous en 
anrachoît quelqu'une., je m'en croirois moins 
malheureux. 

La lettre de M. le jfrince de Conti mé met en 
grande peine sur son état acftuel. 0|iarois-je espé- 
rer, madame, que vous voudrez bien m'en feire 
écrire un mot par queiqu un de vos gens, ou cem 
de son altesse? 

Je fî^nis brusquement, ét^t attendu pouf aller 
à Gisors. 



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ANNÉE 1768. 289 

LETTRE DCCCXXVv 

À M. LE DUC DE GHOISEUL. 

À Trye, le a y mars 1768. 

Monseigneur, 

Vous daignez m'écouter. De quel poids je me 
sens soulagé ! Si vous eussiez bien voulu me voir, 
il me semble que je n aurois eu besoin de vous 
rien dire et qua Finstant vaus auriez lu dans mon 
cœur. 

Un mot que me dit M. de Luxembourg ' à mon 
départ pour la Suisse autorise le détail dans lequel 
je vais entrer, et qui seroit superflu s'il vous eût 
rendu ma réponse : mais le meilleur et le plus ai- 
mable des hommes n'en fut pas toujours le plus 
courageux*. 

' * C'est torsque ce maréchal lui demanda s*il avoit parlé mal du 
duc de Choiseul. 

* * Témoin le genre de protection que donna M. de Luxembourg 
à Rousseau, lors de Farrét du parlement, et qui se borna à.favoriser 
sa fuite avec des circonstances qui prouvent combien le maréchal 
craignoit d'être compromis ; le soin qu il prit de se faire rendre les 
lettres dans lesquelles il approuvoit et Timpression d'Emile, et la 
doctrine de cet ouvrage. Si le maréchal, si le prince de Conti, si 

CX)IUlESl*ONOAKCE. T. y« IQ 



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290 CORRESPONDANCE. 

On vous a donné de quelques passages de mes 
écrits des interprétations , non-seulement si fausses 
et si peu naturelles que le public ne s'en est ja- 
mais douté; maïs si contraires à mes vues, que 
le seul de ces passages * qu'on m ait cité contient 
l'éloge le plus vrai, le plus grand, j'ose dire le 
plus digne , que vous recevrez peut-être jamais , et 
dont trop de modestie a pu seule vous empêcher 
de sentir lapplication. Monsieur le duc, je n'ai 
point de protestation à vous faire. Je dirai les 
faits; et vous jugerez. 



M. de Malesherbes eussent dit hautement : « M. Rousseau ne vouloit 
«point imprimer Emile en France ; c'est nous qui Y y avons engagé, 
« autorisé même en quelque sorte par l'influence que dévoient avoir 
M sur son esprit et le rang que nous occupons et les fonctions (de 
«directeur de la librairie) dont l'un de nous est revêtu ; » croira- 
t-on que cette déclaration, qui n eût contenu que la plus exacte vérité, 
n'eût produit aucun effet ? ** 

' * G* est probablement le passage suivant. (Voyez tome VI de la 
présente édition, Contrat social , liv. III, chap. vi.) «Ceux qui 
M parviennent dans les monarchies ne sont le plus souvent que de 
«petits brouillons, de petits fripons, de petits intrigants, à qui 
«les petits talents qui font, dans les cours, parvenir aux grandes 
«places, ne servent qu*à montrer au public leur ineptie aussitôt 
« qu'ils y sont parvenus. Le peuple se trompe bien moins sur ce choix 
M que le prince ; et un homme d'un vrai mérite est presque aussi 
«rare dans ie ministère qu'un sot à la tête d'un gofuvemement 
«républicain. Aussi, quand par quelque heureux hasard un de ces 
« hommes nés pour gouvernef prend le timon des affaires dans une 
«monarchie presque abymée par ces tas de jolis régisseurs, on est 
«tout surpris des ressources qu'il trouve, et cela fait époque dans 
« un pays. » 



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ANNÉE 1768. 291 

Tous les ministres qui vous ont précédé depuis 
Jong- temps mont paru fort au-dessous de leurs 
places: toutes les personnes, n'importe le sexe, 
qui se sont mêlées de l'administration , n ont eu , 
selon moi, que de petites vues, des demi-talents, 
des passions basses, et de l'avarice plutôt que de 
lambition. Enfin j eus pour eux tous un mépris 
peut-être injuste, mais qui alloit jusqu'à la haine, 
et que je n ai jamais beaucoup déguisé. Tous mes 
penchants, au contraire, vous favorisèrent dès le 
premier instant. Je préjugeai que vous alliez ren 
dre au ministère l'éclat obscurci par ces gens-là, 
et, quand le bruit courut que de vous et d'une des 
personnes dont je viens de parler, l'un des deux 
déplaceroit l'autre , je fis en votre faveur des vœux 
qui ne furent pas aussi secrets qu'il l'auroit fallu. 
Peu après M. de Luxembourg, par hasard, vous 
parla de moi, et, surl'essaiquej'avois fait à Venise, 
vous offrîtes de m'occuper. Je fus d'autant plus 
sensible à cette offre, que jamais les gens en place 
ne m'ont gâté par leurs bontés. Environ dans le 
même temps éclata ce célèbre pactede famille ' : 
quel augure n'en tirai-je point pour une adminis- 
tration qui commençoit ainsi ! Je mettois alors la 
dernière main au Contrat social^ : le cœur plein de 

' * Signe le i5 août 1761. 

* * Publie dans les premiers mois de 1 762 , quelque temps avant 
YÉmile. 

J9- 



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292 CORRESPONDANCE, 

vous, j'y portai mon jugement et mon pronostic 
avec une confiance que le temps a confirmée , et 
que l'avenir ne démentira pas. 

Vous qu'honore la vérité, reconnoissez son 
langage. Le passage dont je viens de vous donner 
l'explication est le seul où j'aie voulu parler de 
vous. Si l'on a cherché de sinistres applications à 
quelque autre, j'en appelle au bon sens pour la 
réfuter, et je suis prêt à montrer par-tout ce que 
j'ai voulu dire. Me serois-je aussi sottement con- 
tredit moi-naême en faisant l'éloge et la satire du 
même en même temps? Gela est*il donc dans mon 
caractère, et m'a-t-on vu quelquefois souffler ainsi 
de la même bouche le froid et le chaud ? Qu'on se 
figure un étranger à ma place, au sein de la 
France, où il se plaît, aimant à publier des vé- 
rités hardies mais générales, dont jamais ni satire 
ni nulle application personnelle * et mahgne n'a 
souillé les écrits, qui jamais ne repoussa qu'avec 
décence et dignité les traits envenimés de ses ad- 



^ * C'est une justice rigoureuse qu'il se rend ; et il est en effet 
remarquable que, lorsqu'il a répondu à ses critiques, il laisse de 
côté la personne pour ne s'occuper que de l'ouvrage, ou, s'il 
parle de l'auteur, c'est toujours en termes honorables. S'il s'évertue 
aux dépens de l'abbé Gautier, il ne s'attache qu'à la singularité 
de sa logique, à la marche que suit ce pauvre critique en copiant 
celle de Rousseau, et jusqu'à sa prosopopée de Fabricius. Dans sa 
réplique à l'archevêque, il rend un hommage éclatant aux vertus 
du prélat. 



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ANNÉE 1768. 293 

versaires, et qui fonda toujours sa fière sécutité 
sur des principes et des maximes irréprochables: 
concevra-t-on jamais qu'un tel homme, animé 
jusqu'alors de sentiments grands et nobles, passe 
tout-à-coup, sans sujet, sans motif, aux derniers 
termes de la plus brutale, de la plus extravagante 
férocité; aille provoquer à plaisir Findignation 
d'un ministre, l'espoir de la nation, qui vient de 
marquer pour lui de la bienveillance, et cherche 
si tard à s'ôter dans ses malheurs l'estime et la 
commisération du public, qui, tout en aimant la 
satire, dit avec raison des satiriques punis ^//n a 
que ce quil mérite? Je connois les hommes et leurs 
inconséquences; je sais trop que je nen suis pas 
exempt; mais je prononce hautement que celle- 
là n'est pas dans la nature, D ailleurs, si j'eusse 
été capable de penser et d'écrire de telles folies, 
me serois-je abstenu de les dire, moi, si confiant, 
si ouvert, si facile à montrer ma pensée en toute 
chose? La terre est couverte de mes implacables 
ennemis, qui tous ont été mes amis ou feint de 
l'être, et cette remarque ajoute au poids de ce 
que je vais affirmer. Monseigneur^ je défie toute 
ame vivante de m'avoir jamais ouï parler de vous 
et de votre administration qu'avec le plus grand 
honneur. Enfin daignez voir comment je suis 
revenu dans ce pays. Pour aller à Londres , je tra- 
versai la France avec un passe-port quondisoit 



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2194 CORRESPONDANCE, 

mètre nécessaire. Sous ma propre direction, j'y 
suis revenu seul, me livrer pleinement à vous, 
me jeter dans vos bras, si j'ose ainsi parler, avec 
empressement, sans précaution , sans crainte, sans 
autre sûreté que votre humanité et mon inno- 
cence, et sachant très bien que les prétextes ne 
vous auroient pas manqué pour m'opprimer, si 
vous l'aviez voulu. Quoique je me sentisse dans 
votre disgrâce, j'ai compté sur votre générosité, 
et j'ai bien fait. Mais cette conduite prouve la vé- 
rité de mon estime, et ce que j'ai pensé de vous 
dans tou&les temps. Un homme qui dans le secret 
de son cœur se seroit senti coupable eût pu trou- 
ver la même sûreté dans le même asile, mais 
jamais il n'eût osé l'y chercher. 

Voilà, monsieur le duc, ce que j'avois à vous 
dire, et que j'aurois ardemment désiré vous dire 
de bouche, quoique je ne sache point du tout 
parler : mais mon cœur eût parlé pour moi , et vous 
auriez entendu son langage. Sans être exempt dln- 
quiétude sur la route de ma lettre, je ne crains 
assurément pas qu'une fois parvenue entre vos 
mains elle puisse janinis me nuire: mais un pen- 
chant naturel me faisoit espérer, je l'avoue, qu'en 
me présentant à vous, ce penchant n'agiroitpas 
sur moi seul. Sûr que je n'étois dans votre dis- 
grâce que par Teffet d'une erreur, j'ai toujours 
espéré que cette erreur seroit détruite, et que j'au- 



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ANNÉE 1768. 295 

rois enfin quelque part à vos bontés. J'y compte 
maintenant, j'y ai des droits, jbse le dire, et je 
les réclamerai sans rougir ; puisque, de toutes les 
grâces que vous pouvez répandre, je n'aspire qu'à 
celle de jouir sous votre protection du repos et de 
la liberté que je n'ai point mérité de perdre, et 
dont je n'abuserai jamais. 

Agrée?^, monseigneur, je vous supplie, mon 
sincère et profond respect. 

J. J. Rousseau. 

Si vous m'honorez d'une réponse sous le nom 
de Renou, trois mots suffisent, Je vous crois; et je 
suis content * . 

LETTRE DCCCXXVI. 

A M. d'iVERNOIS, 

38 mars 1768. 

* Je ne me pardonnerois pas^ mon ami, de vous 
laisser l'inquiétude qu'a pu vous donner ma pré- 
cédente lettre sur les idées dont j'étois frappé en 
l'écrivant. Je fis ma promenade agréablement; je 
revios heureusement; je reçus des nouvelles qui 

* * Au haut de cette lettre autographe spnt écrits au crayon par 
le duc de C3ioiseul ces mots, répondu le ag. 



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âge CORRESPONDANCE, 

me firent plaisir; et, voyant que rien de tout ce 
que javois imaginé n'est arrivé, je commence à 
craindre^ après tant de malheurs réels, d'en voir 
quelquefois d'imaginaires qui peuvent agir sur 
mon cerveau. Ce que je sais bien certainement 
c'est que, quelque altération qui survienne à ma 
tête, mon cœur restera toujours le même, et qu'il 
vous aimera toujours. J'espère que vous commen- 
cez à goûter les doux fruits de la paix. Que vous 
êtes heureux I ne cessez jamais de l'être. Je vous 
embrasse de tout mon cœur^ 



'y^%/^/%^%,'%r%/t^%/%/%/%/%/^^/%/%,-%/%/\.'%i 



LETTRE DGGCXXVII. 

AU MÊME. 

26 arril 1^68. 

Quoique je fusse accoutumé , mon bon aïni, à 
recevoir de vous des paquets fréquents et coû- 
teux, j'ai été vivement alarmé à la vue du dernier, 
taxé et payé six livres quatre sous de port. J'ai cru 
d'abord qu'il s'agissoit de quelque nouveau trou- 
ble dans votre ville, dont vous m'envoyiez à la 
hâte l'important et cruel détail ; mais à peine en 
ai-je parcouru cinq ou six lignes, que je me suis 
tranquillisé, voyant de quoi il s'agissoit; et, de 



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ANNÉE 1768. 297 

peur d'être tenté d'en lire davantage, je me suis 
pressé de jeter mes six livres quatre sous au feu , 
surpris, je l'avoue, que mon ami, M. d'ivernois, 
m'envoyât de pareils paquets de si loin par la 
poste, et bien plus surpris encore qu'il m'osât con- 
seiller d'y répondre. Mes conseils, mon bon ami , 
me paroissent meilleurs que les vôtres, et ne mé- 
ritoient assurément pas un pareil retour de votre 
part. 

A mon départ pour Gisors, regardant cette 
course comme périlleuse, je vous envoyai un bil- 
let de cent francs sur madame Duchesne, afin 
que s'il mésarrivoit de moi vous n'en fussiez pas 
pour ces cent francs, dont vous m'aviez fait l'a- 
vance. Il vous a plu de supposer que cet envoi 
vouloit dire : Ne venez pas. Une interprétation si 
bizarre est peu naturelle : si je ne vous connois- 
sois, je croirois, moi, qu'elle étoit de votre part 
un mauvais prétexte pour ne pas venir, après m'en 
avoir témoigné tant d'envie ; mais je ne suis pas si 
prompt que vous à mésinterpréter les motifs de 
mes amis : et je me contenterai de vous assurer, 
avec vérité, que rien jamais ne fut plus éloigné de 
ma pensée, en écrivant ce billet, que le motif que 
vous m'avez supposé. 

Si j'étois en état de faire d'une manière satis- 
faisante la lettre dont vous m'avez dit le sujet, je 
vous en enverrois çi-joint le modèle; mais mon 



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298 CORRESPONDANCE, 

cœur serré, ma tête en désordre, toutes mes fa- 
cultés troublées , ne me permettent plus de rien 
écrire avec soin, même avec clarté; et il ne me 
reste précis:ément qu assez de sagesse pour ne plus 
entreprendre ce que je ne suis plus en état d'exé- 
cuter. Il n'y a point à ce refus de mauvaise vo- 
lonté, je vous le jure ; et je suis désormais hors 
d'état d'écrire pour moi-même les choses même 
les plus simples, et dont j'aurois le plus grand 
besoin. 

Je crois, mon bon ami, pour de bonnes rai- 
sons , devoir renoncer à la pension du roi d'An- 
gleterre; et, pour des raisons non moins bonnes, 
j'ai rompu irrévocablement l'accord que j'avois 
fait avec -M. du Peyrou. Je ne vous consulte pas 
sur ces résolutions , je vous en rends compte ; ainsi 
vous pouvez vous épargner d'inutiles efïbrts pour 
m'en dissuader. Il est vrai que , foible , infirme , 
découragé, je reste à-peu-près sans pain sur mes 
vieux jours, et hors d'état d'en gagner : mais qu'à 
cela ne tienne, la Providence y pourvoira de ma- 
nière ou d'autre. Tant que j'ai vécu pauvre , j'ai 
vécu heureux ; et ce n'est que quand rien ne m'a 
manqué pour le nécessaire que je me suis senti le 
plus malheureux des morteK: peut-être le bon- 
heur, ou du moins le repos que je cherche, re- 
viendra- 1- il avec mon ancienne pauvreté. Une 
fittention quç voijs devriez peut-être à l'état où je 



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ANNÉE 1768. 299 

rentre seroît d'être un peu moins prodigue en 
envois coûteux par la poste, et de ne pas vous ima- 
giner qu'en me proposant le remboursement des 
ports vous serez pris au mot. Il est beaucoup plus 
honnête avec des amis, dans le cas où je me 
trouve, de leur économiser la dépense, que d'of- 
frir de la leur rembourser. 

Bonjour, mon cher d'Ivernois; je vous aime et 
vous embrasse de tout mon cœur. 

J espère que vous n'irez pas inquiéter ma bonne 
vieille tante sur la suite de sa petite pension. Tant 
qu'elle et moi vivrons, elle lui sera continuée, 
quoi qu'il arrive, à moins que je ne sois tout-à-fait 
sur le point de mourir de faim, et j'ai confiance 
que cela n'arrivera pas. 

P. S. Quand M. du Peyrou me marqua que 
la salle de comédie a voit été brûlée, je craignis le 
contre-coup de cet accident pour la cause des re- 
présentants; mais que ce soit à moi que Voltaire 
l'impute, je vois là de quoi rire : je n'y vois point 
du tout de quoi répondre, ni se fâcher. I^es amis 
de ce pauvre homme feroient bien de le feire bai- 
gner et saigner de temps en temps. 



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3oo CORRESPONDANCE. 

LETTRE DCCGXXVIII. 

A M. DU PEYROU. 

A Trye, le 29 avril 1768. 

Notre correspondance, mon cher hôte, prend 
un tour si peu consolant pour des cœurs attristés, 
qu'il faut du courage pour lentretenir dans 1 état 
où nous sommes ; et le courage qui donne de l'ac- 
tivité n'a jamais été mon fort. Maintenant pren- 
dre une plume est presque au-dessus de mes 
forces, J'aimerois autantavoir la massue d'Hercule 
à manier. Ajoutez que l'état où m'arrivent vos let- 
tres me fait voir qu'elles ont bien des inspecteurs 
avant de me parvenir ; il en doit être à-peu-près 
de même des miennes, et tout cela n'est pas bien 
encourageajit pour écrire. 

L'état dans lequel vous vous sentez est vrai- 
ment cruel , d'autant plus que la cause n'en est pas 
claire, et qu'il n'est pas clair non plus, selon moi, 
lequel des deux a le plus besoin de traitement de 
la tête ou du corps. Depuis ce qui s'est passé ici 
durant votre maladie et durant votre convales- 
cence; depuis que je vous ai vu faire à la hâte 
votre testament , et voîis presser de mettre ordre 



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ANNÉE 1768. 3oi 

à vos affaires , tandis que vous vous rétablissiez à 
vue d'oeil; depuis la singulière façon dont je vous 
ai vu traiter en toute chose avec celui qui n'a voit 
que vous d'ami sur la terre, qui n'avoit de con- 
fiance qu'en vous seul, qui n'aimoit encore la vie 
que pour la passer avec vous , avec celui enfin dont 
vous étiez la dernière et la seule espérance; je vous 
avoue qu'en résumant tout cela je me trouve 
forcé de conclure de deux choses l'une, ou que 
dans tous les temps j'ai mal connu votre cœur, ou 
qu'il s'est fait de terribles changements dans votre 
tête : comme la dernière opinion est plus honnête 
et plus vraisemblable, je m'y tiens, et cela posé, 
je ne puis m'empêcher de croire que cette tête un 
peu tracassée a une très grande part dans le dé- 
rangement de votre machine; et, si cela est, je 
tiens votre mal incurable, parcequ'une ame aussi 
peu expansive que la vôtre ne peut trouver au- 
dehors aucun remède au mal qu'elle se fait à soi- 
même. Il se peut très bien, par exemple, que l'af- 
foiblissement de votre vue ne soit que trop réel, 
et qu'à force d'avoir voulu rétablir vos oreilles vous 
ayez nui à vos yeux. Cependant, si j'étois près de 
vous, je voudrois, par une inspection scrupuleuse 
de vos yeux, et sur-tout du gauche, voir si quel- 
que altération extérieure annonce celle que vous 
sentez; et je vous avoue que si je n'apercevois rien 
au-dehors j'aurois un fort soupçon que le mal est 



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3oîi CORRESPONDANCE, 

plus à Fautre extrémité du nerf optique qu'à celle 
qui tapisse le fond de l'œil. Je vous dirois : Con- 
sultez sur vos yeux quelqu'un qui s'y connoisse, 
si ce n étoit vous exposer à donner votre con- 
fiance à gens qui ont intérêt à vous tromper. Tâ- 
chez de voir, mon bon ami, c'est tout ce que je 
puis vous dire. Vous voilà , ou je me trompe fort, 
dans le cas où la foi guérit, dans le cas où il faut 
dire au boiteux : Charge ton petit lit, et marche. 

Toutes les explications dans lesquelles vous en- 
trez sur nos affaires sont admirables assurément; 
mais elles n'empêchent pas, ce me semble, qu'ayant 
.nettement refusé de vous rembourser de vos cent 
louis sut l'argent qui vous a été remis par milord 
Maréchal, il ne s'ensuive avec la dernière évidence 
qu'il faut, ou que je tire de ma poche ces cent 
louis pour vous les rendre, ou que je vous en reste 
débiteur. Or je ne veux point vous rester débi- 
teur, et il ne seroit pa? honnête à vous de vouloir 
m'y contraindre. Si donc vous persistez à ne pas 
vouloir vous rembourser des cent louis sur l'ar- 
gent qui vous a été remis pour moi, il faut bien 
de nécessité que vous les receviez de moi. 

Vous me dites à cela que vous ne pouvez rien • 
changer à la destination de la somme qui vous a 
été remise, sans le gré du constituant. Fort bien; 
mais si, comme il pourroit très bien arriver, le 
constituant ne vous répond rien, que ferez-vous? 



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ANJSÉE 1768. 3o3 

Refuserez-vous de vous rembourser de ces cent 
louis, parceque je ne veux pas recevoir les deux 
cents autres? Vous m avouerez qu'un pareil refus 
seroit un peu bizarre, et qu'il est difficile de voir 
pourquoi vous serez plus embarrassé de deux 
cents louis que de trois cents. Vous me pressez 
de vous répondre catégoriquement si je veux re- 
cevoir la rente viagère , oui ou non. Je vous ré- 
ponds à cela que si vous refusez de vous rem- 
bourser sur le capital, je la recevrai jusqu'à la 
concurrence du paiement des cent louis que je 
vous doisj que si vous exigez pour cela que je 
m'engage à la recevoir encore dans la suite, c'est, 
ce me semble, usurper un droit que vous n'avez 
point. Je la recevrai, mon cher hôte, jusqu'à ce 
que vous soyez payé ; après cela , je verrai ce que 
j'aurai à faire; enfin, si vous persistez à vouloir 
des conditions pour l'avenir, je persiste à n'en 
vouloir point faire, et vous n'avez qu'à tout gar- 
der. Bien entendu qu'aussitôt que la somme qui 
vous a été remise pour moi, par milord Maréchal, 
lui sera restituée, il faudra bien qu'à votre tour 
vous receviez la restitution des cent louis. 

Tout ce que vous me dites sur la solennité né- 
cessaire dans la rupture de notre aciçord , et sur 
les raisons que nous aurons à donner de cette 
rupture, me paroit assez bizarre. Je ne vois pas à 
qui nous serons obligés de rendre compte d'un 



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3o4 CORRESPONDANCE, 

traité fait entre nous seuls, qui ne regardoit que 
nous seuls , et de sa rupture. Je ne crois pas vos 
héritiers assez méchants, si je vous survis, pour 
vouloir me forcer, le poignard sur la gorge, à re- 
cevoir une rente dont je ne veux point. Et, sup- 
posant que je fusse obligé de dire pourquoi j'ai 
dû rompre cet accord , je vous trouve là-dessus 
des scrupules d'une tournure à laquelle je n'en- 
tends rien. On diroit, en vérité, que vous voulez 
vous faire envers moi un mérite des ménagements 
que j'avois la délicatesse d'avoir pour vous. Ah! 
par ma foi , c'en est trop aussi, et il n'est pas per- 
mis à une cervelle humaine d'extravaguer à ce 
point. Prenez votre parti là -dessus, mon cher 
hôte, et dites hautement tout ce que vous aurez à 
dire. Pour moi, je vous déclare que désormais je 
ne m'en ferai pas faute, et que j'ai déjà commencé. 
Ma conduite là -dessus sera simple, comme en 
toutes choses ; j e dirai fidèlement ce qui s'est passé , 
rien de plus : chacun conclura ensuite comme il 
jugera à propos. 

On dit que les affaires de votre pays vont très 
mal, j'en suis vraiment affligé, à cause de beau- 
coup d'honnêtes gens à qui je m'intéresse. On pré- 
tend aussi que M. de Voltaire m'accuse d'avoir 
brûlé la salle de la comédie à Genève. Voilà , sur 
mon Dieu, encore une autre accusation dont très 
assurément je ne me défendrai pas. Il faut avouer 



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ANNÉE 1768. 3o5 

que depuis mon voyage d'Angleterre me voilà 
travesti en assez joli garçon ! Ma foi , c'est trop 
faire le rôle d'Heraclite ; je crois qu a bien peser 
la manière dont on mène les hommes je finirai 
par rire de tout. Adieu , mon cher hôte , je vous 
embrasse. 



LETTRE DCCCXXIX. 

AÙ MÊME. 

A Try è , le i o juin 1 76S. 

Je voiS) mon cher hôte, que nos discussions , 
au lieu de s eclaircir, s'embrouillent. Gomme je 
naime pas les chicanes, je reviens à cette affaire 
aujourd'hui pour la dernière fois. Je trouve le de- 
sir que vous avez de la mettre en règle fort raison- 
nable; mais je ne vois pas que vous preniez les 
moyens d'en venir à bout. 

En exécution d'un accord entre nous, qui n'existe 
plus, j'ai reçu de vous cent louis, qu'il faut, par 
conséquent, que je vous restitue. Vous avez, de 
votre côté, le dépôt de mes écrits, tant imprimés 
que manuscrits, de toutes mes lettres et papiers, 
tous les matériaux nécessaires pour écrire ma 
triste vie, dont le commencement vous est aussi 

œBRESPONDANCE. T. V, 20 



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3o6 CORRESPONDANCE, 

parvenu • Vous avez de plus reçu trois cents louis 
de milord Maréchal, pour le capital d'une rente 
viagère dont il ma feit le présent. 

Dans cet état , j'ai cru et j'ose croire encore pou- 
voir acquitter ces cent louis avec ce qui reste entre 
vos mains, quoique je renonçasse à la rente via- 
gère , et cette renonciation , loin d'être un obsta- 
cle à cet arrangement, devoit le favoriser, parce- 
que , prenant cette somme sur le capital ou sur la 
rente, à votre choix , j'acceptois avec respect et 
reconnoissance cette partie du don de milord 
Maréchal, et que ce ne pou voit pas être à vous de 
me dire : Acceptez le tout ou rien. 

Je vous proposai donc premièrement de pren- 
dre ces cent louis sur le capital. A cela vous m ob- 
jectâtes que vous ne pouviez rien changer à la 
destination de ce fonds, sans le consentement de 
celui qui vous Favoit remis. Le consentement de 
milord Maréchal vous ayant donc paru nécessaire 
n'a cependant point été obtenu , par la raison qull 
n a point été demandé. Ainsi , voilà un obstacle. 

Je vous proposai ensuite de laisser subsister la 
rente viagère jusqu'à ce que ces cent louis fussent 
acquittés, sauf à voir après comment on feroit; 
et cet arrangement étoit d'autant plus naturel, 
qu^étant usé de chagrins, de maux, et déjà sur 
l'âge, ma mort, dans l'intervalle, pou voit dénouer 
la difficulté. Vous n'avez fait aucune réponse à cet 



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ANNÉE 1768. 307 

article, qui navoit besoin du consentement de 
personne, puisqu'il nétoit que l'exécution fidèle 
des intentions du constituant. 

Mais, au lieu de ce second article, sur lequel 
vous n'avez rien dit, voici une difficulté nouvelle 
que vous avez élevée sur le premier. Je la transcris 
ici mot pour mot de votre lettre. 

« Observez que vous n'êtes pas le seul intéressé 
« dans cette affaire, et que la rente est réversible 
«à une autre personne après vous, et cela pour 
« les deux tiers. Cette considération seule doit, ce 
a me semble, décider la question entre nous. >r 

G'étoit là , mon cher hôte, une observation qu'il 
m'étoit difficile de faire, puisque cet article de 
votre lettre est la première nouvelle que j'aie ja- 
mais eue de cette prétendue réversion. Cette 
clause, il est vrai, Élisait partie du traité qui étoit 
entre vous et moi, mais elle n'a voit rien de com- 
mun, que je sache, avec la constitution de milord 
Maréchal ; et, si elle eût existé, il n'est pas conce- 
vable que ni lui ni vous ne m'en eussiez jamais 
dit un seul mot. Elle n'ctst pas même compatible 
avec la quotité de la somme constituée, attendu 
qu'une telle clause, vous rendant la rente plus 
onéreuse, eût exigé un fonds plus considérable, 
et milord Maréchal est trop galant homme pour 
vouloir être généreux à vos dépens. Ainsi , à moins 
que je n'aie la preuve péremptoire de cette réver- 



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3o8 CORRESPONDANCE. 

sion , vous me permettrez de croire qu'elle n'existe 

pas, et que, par défaut de miémoire, vous aurez 

confondu une clause du traité annulé avec une 

constitution dé rente, où il n'en a jamais été 

question. 

Je dirai plus : quand même cette clause existe- 
roit réellement, loin d'empêcher l'exécution de 
l'arrangement proposé, elle en leveroit les diffi- 
cultés, et le favoriseroit pleinement; car, 6tez du 
capital les cent louis que j'assigne pour votre 
remboursement, reste précisément le capital des 
quatre cents livres de rente que vous pouvez payer 
dès à présent à celle à qui elles sont destinées, 
comme si j'étois déjà mort. Cette solution répond 
à tout. 

Mais je crains que, puisque vous voilà en train 
de scrupules, vous n'en ayez tant, que notre ar- 
rangement définitif ne soit pas prêt à se faire. Pour 
moi, je vous déclare que non seulement rien ne 
me presse, mais que je consens de tout mon cœur 
à laisser toujours les choses sur le pied où elles 
sont, croyant, dans cet état, pouvoir en sûreté 
de conscience ne pas me regarder comme votre 
débiteur. 

Quant à mes écrits et papiers qui sont entre 
vos mains, ils y sont bien ; permettez que je les y 
laisse, résolu de ne les plus revoir et de ne m'en 
remêler de ma vie. Ce recueil, s'il se conserve, de- 



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ANNÉE 1768. 309 

viendra précieux un jour; s'il se démembre, il s'y 
trouve suffisamment d ouvrages manuscrits pour 
en tirer d un libraire le remboursement des avan- 
ces que vous m'avez feites. Si vous prenez ce parti, 
j exige ou que rien ne paroisse de mon vivant, ou 
que rien ne porte mon nom , ni présent, ni passé. 
Au reste, il n'y a pas un de ces écrits qui soit sus- 
pect eji apcune manière , et qui ne puisse être im- 
primé à Paris , même avec privilège et permission. 
Le parti qui me conviendroit le mieux, je vous 
Tavoue, seroit que tout fût livré aux flammes, et 
c'est même ce que je vous prie instamment et po- 
sitivement de faire. Si vous voyez enfin quelque 
moyen de vous rembourser de vos avances sur le 
fonds qui est entre vos mains, que je n'entende 
plus parler de ces malheureux papiers, je vous 
en supplie ; que je n aie plus d'autre soin que de 
m armer contre les maux que l'on me destine en- 
core, et que de chercher à mourir en paix, si je 
puis. Amen. 

Le tour qu'ont pris vos af&ires publiques m'af- 
flige, mais ne me surprend point. J'ai vu depuis 
long-temps, et je vous le dis ici dès votre arrivée, 
que le pays où vous êtes ne servoit que de pré- 
texte à de plus grands projets, et c'est ce qui doit, 
en quelque façon, consoler ceux qui l'habitent; 
car, de quelque manière qu'ils se fussent con- 
<luits , l'événement eût été le même, et il n'en seroit 



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3io CORRESPONDANCE, 

arrivé ni plus ni moins. Vous avez eu le projet 
d'en sortir ; je crois que ce projet seroit bon à exé- 
cuter, à tout risque, si vous aimez la tranquillité. 
Je sais que la bonne maman n en sortiroit pas sans 
peine; mais il y a eu déjà des spectacles qui de- 
vroient aider à la déterminer. Je regretterois pour 
elle et pour vous votre maison, ce beau lac, votre 
jardin ; mais la paix vaut mieux que tou(; et je 
sais cela mieux que personne, moi qui ftiis tout 
pour elle, et qui ne me rebute pas même par Km- 
possibilité certaine de l'obtenir. 

A propos de jardin, avez- vous fait semer dans 
le vôtre ma graine d'apocyn? J'en ai fait semer et 
soigner ici sur couche et sous cloche, et j ai eu 
toutes les peines du monde d'en sauver quelques 
pieds qui languissent; je crains qu'il n'en vienne 
aucun à bien. Je n'aurois jamais cru cette plante 
si difficile à cultiver. En revanche, j'ai semé dans 
le petit jardin du carthamus lanaius qui vient à 
pierveille, des mediçagosçutellata et intertexta, qui 
sont déjà en fleur, et dont je compte chaque 
jour les brins, les poils, les feuilles, avec des 
ravissements toujours nouveaux. Je -suis occupé 
inaintenantà mettre en ordre un très bel herbier, 
dont un jeune homme est venu ici me faire pré- 
sent, et qui contient un très grand nombre de 
plantes étrangères et rares, parfaitement belles et 
bien conservées. Je travaille à y fondre mon petit 



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ANNÉE 1768. 3ii 

herbier que vous avez vu, et dont la misère fait 
mieux ressortir la magnificence de lautre. Le tout 
forme dix grands cartons ou volumes in-folio, qui 
contiennent environ quinze cents plantes, près 
de deux mille en comptant les variétés. J'y ai fait 
faire une belle caisse pour pouvoir l'emporter par- 
tout commodément avec moi. Ce sera désormais 
mon unique bibliothèque, et, pourvu qu'on ne 
m'en ôte pas la jouissance, je défie les hommes de 
me rendre malheureux désormais. Je suis obligé 
à M. d'Eschemy de son souvenir, et suis fort aise 
d'apprendre de ses nouvelles. Gomme je ne me 
suis jamais tenu pour brouillé avec lui, nous n'a- 
vons pas besoin de raccommodement. Du reste^ 
je serai toujours fort aise de recevoir de lui quel- 
que signe de vie, sur- tout quand vous serez son 
médiateur pour cela. 

LETTRE DCCCXXX. 

A M. LE PRINCE DE CONTI. 

Trye-leHChâteau, juin 1768- 

Monseigneur, 

Ceux qui composent votre maison (je n'en ex- 
cepte personne) sont peu faits pour me connoître : 
soit qu'ils me prennent pour un espion, soit qu'ils 



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3i2 CORRESPONDANCE, 

me croient honnête homme, tous doivent égale- 
ment craindre mes regards. Aussi, monseigneur, 
ils n'ont rien épargné, et ils n épargneront rien , 
chacun par les manœuvres qui leur conviennent, 
pour me rendre haïssable et mépi^isable à tous les 
yeux, et pour me forcer de sortir enfin de votre 
château. Monseigneur, en cela je dois et je veux 
leur complaire. Les grâces dont m'a comblé votre 
altesse sérénissime suffisent pour me consoler de 
tous les malheurs qui m'attendent en sortant de 
cet asile, où la gloire et l'opprobre ont partagé 
mon séjour. Ma vie et mon cœur sont à vous, 
mais mon honneur est à moi : permettez que j'o- 
béisse à sa voix qui crie, et que je sorte dès de- 
main de chez vous ; j'ose dire que vous le devez. 
Ne laissez pas un coquin de mon espèce parmi 
ces honnêtes gens. 

LETTRE DCGGXXXL 

A M. DU PEYROU. 

Lyon, le 20 juin 1768. 

Je ne me pardonnerois pas, mon cher hôte, de 
vous laisser ignorer mes marches, ou les appren- 
dre par d'autres avant moi. Je suis à Lyon depuis 
deux jours, rendu des fatigues de la diligence, 



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ANNÉE 1768. 3i3 

ayant grand besoin d'un peu de repos, et très 
empressé d'y recevoir de vos nouvelles, d autant 
plus que le trouble qui règne dans le pays où 
vous vivez me tient en peine, et pour vous, et 
pour nombre d'honnêtes gens auxquels je prends 
intérêt. J'attends de vos nouvelles avec l'impa- 
tience de l'amitié. Donnez-m'en, je vous prie, le 
plus tôt que vous pourrez. 

Le désir de faire diversion à tant d'attristants 
souvenirs, qui, à force d'affecter mon cœur,alté- 
poient ma tête , m'a fait prendre le parti de cher- 
cher, dans un peu de voyages et d'herborisations , 
les amusements et distractions dont j'avois besoin ; 
et le patron de la case ayant approuvé cette idée, 
je Fai suivie : j apporte avec moi mon herbier et 
quelques livres avec lesquels je me propose de 
faire quelques pèlerinages de botanique. Je sou- 
haiterois, mon cher hôte, que la relation de mes 
trouvailles pût contribuer à vous amuser; j'en 
aurois encore plus de plaisir à les faire. Je vous 
dirai, par exemple, qu'étant allé hier voir ma- 
dame Boy de La Tour à sa campagne j'ai trouvé 
dans sa vigne beaucoup d'aristoloche, que je n'a- 
vois jamais vue, et qu'au premier coup d'œil j'ai 
reconnue avec transport. 

Adieu, mon cher hôte; je vous embrasse, et 
j'attends dans votre première lettre de bonnes 
nouvelles de vos yeux. 



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3 1 4 CORRESPONDANCE. 

LETTRE DCCCXXXII. 

AU MÊME. 

Lyon, le 6 juillet 1768. 

Jecomptois, mon cher hôte, vous accuser la 
réception de votre réponse, par ma bonne amie 
madame Boy de La Tour; mais je n'ai pu trouver 
un moment pour vous écrire avant son départ; 
et même à présent, prêt à partir pour aller her^ 
boriser à la grande Chartreuse, avec belle et 
bonne compagnie botaniste, que j ai trouvée et 
recrutée en ce pays, je n ai que le temps de vousi 
envoyer un petit bonjour à la hâte. 

Mademoiselle Renou a reçu à Trye beaucoup 
de lettres pour moi, parmi lesquelles je ne doute 
point que celle que vous rai écriviez ne se trouve; 
mais comme le paquet est un peu gros, et que 
j attends Toccasion de le faire venir, s'il y a dans ce 
que vous me marquiez quelque chose qui presse, 
vous ferez bien de me le répéter ici. Si, comme je 
le desirois, et comme je le désire encore, vous 
avez pris le parti de brûler tous mes livres et pa- 
piers, j'en suis, je vous jure, dans la joie de mon 
cçeur : mais, si vous les avez conservés, il y en a 



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ANNÉE 1768. 3i5 

quelques uns, je l'avoue, que je ne serois pas 
fâché de revoir, pour remplir, par un peu de dis- 
traction, les mauvais jours d'hiver, où mon état 
et la saison m empêchent d'herboriser; celui sur- 
tout qui m'intéresseroit le plus seroit le commen- 
cement du roman intitulé, Emile et Sophie^ ou 
les Solitaires. Je conserve pour cette entreprise un 
foible que je ne combats pas , parceque j'y trou- 
veroîs au contraire un spécifique utile pour occu- 
per mes moments perdus, sans rien mêler à cette 
occupation qui me rappelât les souvenirs de mes 
malheurs, ni de rien qui s y rapporte. Si ce frag- 
ment vous tomboit sous la main , et que vous pus- 
siez me l'envoyer, soit le brouillon, soit la copie, 
par le retour de madame Boy de La Tour, cet 
envoi, je 1 avoue, me feroit un vrai plaisir. 

Comment va la goutte? comment va l'œil gau- 
che? S'il n'empire pas, il guérira; et je vois avec 
grand plaisir, par vos lettres, qu'il va sensible- 
ment mieux. Mon cher hôte, que n'avez- vous en 
goût modéré le quart de ma passion pour les 
plantes ! Votre plus grand mal est ce goût solitaire 
et casanier, qui vous fait croire être hors d'état de 
feire de l'exercice. Je vous promets que si vous 
vous mettiez tout de bon à vouloir faire un her- 
bier, la fantaisie de feire un testament ne vous 
occiiperoit plus guère. Que n'êtes-vous des nôtres ! 
vous trouveriez dans notre guide et chef, M. de 



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3i6 CORRESPONDANCE. 

La Tourette, un botaniste aussi savant qu aima- 
ble , qui vous ferait aimer les sciences qu'il cultive. 
J'en dis autant de M. labbé Rosier ; et vous trou- 
veriez dans M. l'abbé de Grange-Blanche , et dans 
votre hôte, deux condisciples plus zélés qu'in- 
struits, dont l'ignorance auprès de leurs maîtres 
mettroit souvent à l'aise votre amour-propre. 

Adieu , mon cher hôte : nous partons demain 
dans le même carrosse tous les quatre, et nous 
n'avons pas plus de temps qu^il ne nous en faut 
le reste de la journée, pour rassembler assez de 
portefeuilles et de papiers pour l'immense collec- 
tion que nous allons Êiire. Nous ne laisserons rien 
à moissonner après nous. Je vous rendrai compte 
de nos travaux. Je vous embrasse. Vous pouvez 
continuer à m'écrire chez M. Boy de La Tour. 



LETTRE DGCCXXXin. 

A MADEMOISELLE LEVASSEUR, 

sous LB NOM DE MADEMOISELLE RENOU. 

Grenoble, ce a5 juillet, à trois heures du matin, 1768. 

Dans une heure d'ici , chère amie, je partirai 
pour Ghambéry, muni de bons passe-ports et de 
la protection des puissances, mais non pas du 
sauf-conduit des philosophes que vous savez. Si 



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ANNÉE 1768. 317 

mon voyage se fait heureusement, je compte être 
ici de retour avant la fin de la semaine , et je vous 
écrirai sur-le-champ. Si vous ne recevez pas dans 
huit jours de mes nouvelles , n'en attendez plus, 
et disposez de vous , à laide des protections en 
qui vous savez que j ai toute confiance , et qui 
ne vous abandonneront pas. Vous savez où sont 
les effets en quoi consistoient nos dernières res- 
sources : tout est à vous. Je suis certain que les 
gens d'honneur qui en sont dépositaires ne trom- 
peront point mes intentions ni mes espérances. 
Pesez bien toute chose avant de prendre un parti. 
Consultez madame labbesse ' ; elle est bienfai- 
sante, éclairée; elle nous aime ; elle vous conseil- 
lera bien ; mais je doute qu elle vous conseille de 
rester auprès d'elle. Ce n'est pas dans une com- 
munauté qu'on trouve la liberté ni la paix : vous 
êtes accoutumée à l'une, vous avez besoin de l'au- 
tre. Pour être libre et tranquille, soyez chez vous, 
et ne vous laissez subjuguer par personne. Si j'a- 
vois un conseil à vous donner, ce seroit de venir à 
Lyon. Voyez Taimable Madelon; demeurez, non 
chez elle , mais auprès d'elle. Cette excellente fille 
a rempli de tout point mon pronostic : elle n'a voit 
pas quinze ans, que j'ai hautement annoncé quelle 
femme et quelle mère elle seroit un jour. Elle l'est 

«* Madame de Nadaillac, abbesse de Gomer-Fontaine, abbaye 
située à peu de distance du château de Trye. 



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3i8 CORRESPONDANCE, 

maiatenant, et, grâce au ciel, si solidement et 
avec si peu d^éclat , que sa mère , son mari , ses 
frères , ses sœurs , tous ses proches, ne se doutent 
pas eux-mêmes du profond respect qu'ils lui por- 
tent, et croient ne &ire que laimer de tout leur 
cœur. Aimez-la comme ils font, chère amie; elle 
en est digne , et vous le rendra bien. Tout ce qu'il 
restoit de vertu sur la terre semble s'être réfugié 
dans vos deux cœurs. Souvenez-vous de votre 
ami l'une et l'autre ; parlea^en quelquefois entre 
vous. Puisse ma mémoire vous être toujours 
chère, et mourir parmi les hommes avec la der- 
nière des deux ! 

Depuis mon départ de Trye j'ai des preuves 
de jour en jour plus certaines que l'œil vigilant 
de la malveillance ne me quitte pas d'un pas, et 
m'attend principalement sur la frontière : selon le 
parti qu'ils pourront prendre , ils me feront peut- 
être du bien sans le vouloir. Mon principal objet 
est bien, dans ce petit voyage, d aller sur la tombe 
de cette tendre mère que vous avez connue, pleu- 
rer le malheur que j'ai eu de lui survivre ; mais 
il y entre aussi, je l'avoue, du désir de donner si 
beau jeu à mes ennemis , qu'ils jouent enfin de 
leur reste; car vivre sans cesse entouré de leurs 
satellites flagorneurs et fourbes est un état pour 
moi pire que la mort. Si toutefois mon attente et 
mes conjectures me trompent, et que je revienne 



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ANNÉE 1768. 319 

comme je suis allé , vous savez, chère sœur, clière 
amie, qu'ennuyé, dégoûté de la vie, je n'y cher- 
chois et n*y trouvois plus d autre plaisir que de 
chercher à vous la rendre agréable et douce : dans 
ce qui peut m en rester encore, je ne changerai 
ni d'occupation ni de goût. Adieu , chère sœur; 
je vous embrasse en frère et en ami. 

LETTRE DGCCXXXIV. 

A M. LE COMTE DE TONNERRE. 

Bourgoin, le 16 août 1768. 

Monsieur, 

J'espèje que la lettre que j'eus Thonneur de 
vous écrire à mon départ de Grenoble vous aura 
été remise, et je vous demande la permission de 
vous renouveler d'ici les assurances de ma recon- 
noissance et de mon respect. Un voyage presque 
aussitôt suspendu que commencé ne me laisse pas 
espérer de le pousser bien loin , et la certitu(ie 
que les manœuvres que je voudrois fuir me pré- 
viendront par - tout m'en ôteroit le courage , 
quand mes forces me le donneroient. De toutes 
les habitations qu'on m'a fait voir, la maison de 



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320 CORRESPONDANCE. 

M. Faure , qui a Thonneur d'être connu de vous , 
m'a paru celle où Ton m auroit voulu par préfé- 
rence , et c'est aussi celle de toutes les retraites 
(pour me servir d'un mot doux) où je pouvois 
être confiné , celle où j aurois préféré de vivre. 
Quelques inconvénients mont alarmé; s'ils pou- 
voient se lever ou s'adoucir, que le maître de la 
maison , qui me paroit galant homme , conservât 
la même bonne volonté, et que vous ne dédai- 
gnassiez pas, monsieur, d'être notre médiateur, 
jepenserois que, puisqu'il faut bien céder à la des- 
tinée , le meilleur parti qui me resteroit à prendre 
seroit de vivre dans sa maison 

J'ose vous supplier, monsieur, si vous relevez 
pour moi quelques lettres , de vouloir bien me les 
faire parvenir ici , où je suis logé à la Fontaine cCor. 

J'ai l'honneur d'être avec respect, etc. 

LETTRE DCCCXXXV. 

AU MÊME. 

Bourgoin, le 21 août 1768. 

Monsieur, 

Je prends la liberté de vous adresser mes obser- 
vations sur la note de M. Faure que vous avez eu 



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ANNÉE 1768. Sai 

la bonté de m*envoyer. J*attends sa réponse pour 
prendre ma résolution, ne pouvant m aller confi- 
ner dans cette solitude sans savoir à quoi je m en- 
gage en y entrant. 

Permettez, monsieur le comte, que je vous réi- 
tère ici mes remerciements très humbles, en vous 
suppliant d*agréer mon respect. 



LETTRE DCCCXXXVI. 

AU MÊME. 

Bourgom, le 23 août 176B. 

Monsieur, 

Permettez que je prenne la liberté de vous 
envoyer une lettre que je viens de" recevoir de 
M. Bovier, et copie de ma réponse. Si vous dai- 
gniez mander le malheureux dont il s'agit , et tirer 
au clair cette affaire, vous feriez, monsieur le 
comte, une œuvre digne de votre générosité. 

J'ai l'honneur, etc. 



CORRESPONDANCB. T. ▼. 



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332 CORRESPONDANCE. 

LETTRE DCCCXXXVII. 

AU MÊME. 

Bourgoin, le a6 août 1768. 

Monsieur, 

J'ai l'honneur de vous adresser une lettre en 
réponse à celle de M. Faure que vous avez bien 
voulu me faire passer. Ses propositions sont si hon- 
nêtes , qu'il ne l'est presque pas de les accepter. Ce- 
pendant, forcé par ma situation d'être indiscret, 
je réduis ces propositions sous une forme qui j je 
pense, lèvera toute difficulté entre lui et moi. 

Mais il en existe une, monsieur le comte, qu'il 
dépend de vous seul de lever, dans l'imposture 
qui a donné lieu aux deux lettres que j'ai pris la 
Uberté de vous envoyer dernièrement. Car si, vi- 
vant sous votre protection, je ne puis obtenir au- 
cune satisfaction d'une fourberie aussi impudente 
et aussi clairement démontrée , à quoi dois-je m'at- 
tendre au milieu de ceux qui l'ont fabriquée, si ce 
n'est à me voir harceler sans cesse par de nou- 
veaux imposteurs soufQés par les mêmes gens , et 
enhardis par l'impunité du premier? Il faudroit 



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ANNÉE 1768, 3a3 

assurément que j e fusse le plus insensé des hommes 
pour aller me fourrer volontairement dans un tel 
enfer. Je comprends bien qu'on m attend par-tout 
avec les mêmes armes, mais encore n'irai-je pas 
choisir par préférence les lieux où Ion a com- 
mencé d'en user. 

J attends vos ordres , monsieur le comte ; je 
compte sur votre équité , et j'ai l'honneur d'être 
avec autant de confiance que de respect, etc. 



'%/%/\/'^*/%,'\/h/^ '%f/%,'\/%^\/^/%fV%/\/X''\/\/\r%y\/%.-%f%Ak> «/%/% -v^i^' 



LETTRE DCCCXXXVIII. 

A M. LALLIAUD. 

Bourgoin, le3i août 1768. 

Nous VOUS devons et nous vous faisons, mon- 
sieur, mademoiselle Renou et moi, les plus vifs 
remerciements de toutes vos bontés pour tous les 
deux; mais nous ne vous en ferons ni l'un ni 
l'autre pour la compagne de voyage que vous lui 
avez donnée. J'ai le plaisir d'avoir ici, depuis quel- 
ques jours , celle de mes infortunes ; voyant qu'à 
tout prix elle vouloit suivre ma destinée , j'ai fait 
en sorte au moins qu'elle pût la suivre avec hon- 
neur. J'ai cru ne rien risquer de rendre indisso- 
luble un attachement de vingt-cinq ans, que l'es- 



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âa4 CORRESPONDANCE, 

time mutuelle, sans laquelle il n^est point d amitié 
durable, n a fait qu'augmenter incessamment. La 
tendre et pure fraternité dans laquelle nous vi- 
vons depuis treize ans n'a point changé de nature 
par le nœud conjugal; elle est, et sera jusqu'à la 
mort, ma femme par la force de nos liens, et ma 
sœur par leur pureté. Cet honnête et saint enga- 
gement a été contracté dans toute la simplicité , 
mais aussi dans toute la vérité de la nature, en 
présence de deux hommes de mérite et d'hon- 
neur, officiers d'artillerie , et l'un fils d'un de mes 
anciens amis du bon temps, c'est-à-dire avant que 
j'eusse aucun nom dans le monde ; et l'autre, maire 
de cette ville, et proche parent du premier '. Du- 
rant cet acte si court et si simple , j'ai vu fondre 
en larmes ces deux dignes hommes, et je ne puis 
vous dire comment cette marque de la bonté de 
leurs cœurs m'a attaché à l'un et à l'autre. 

Je ne sui^pas plus avancé sur le choix de ma 
demeure que quand j'eus l'honneur de vous voir 
à Lyon , et tant de cabarets et de courses ne faci- 
litent pas un bon établissement. Les nouveaux 
voyages à faire me font peur, sur-tout à l'entrée 
de la saison où nous touchons ; et j.e prendrai le 

'■* Ils sont nommés Tun et Fautre dans la lettre au comte de Ton- 
nerre ci-après, en date du i8 septembre. Le premier s'appeloit 
de Rozière; le second, cousin du premier, et maire de Bourgoin, 
étoit M . cfe Champag n eux . 



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ANNÉE 1768. 325 

parti de m arrêter volontairement ici, si je puis, 
avant que je me trouve, par ma situation, dans 
Timpossibilité d'y rester et dans celle d*aller plus 
loin. Ainsi, monsieur, je me vois forcé de renon- 
cer, pour cette année, à l'espoir de me rappro- 
cher de vous y sauf à voir dans la suite ce que je 
pourrai faire pour contenter mon désir à cet 
égard. 

Recevez les salutations de ma femme , et celles , 
monsieur, d'un homme qui vous aime de tout 
son cœur. 



LETTRE DGGCXXXIX. 

A M. LE COMTE DE TONNERRE. 

Bourgoin, le i*' septembre 1768. 

Monsieur, 







Je suis très sensible à la bonté que vous avez 
eue de mander et interroger le sieur Thevenin 
sur le prêt qu'il dit avoir fait , il y a environ dix 
ans, à moi , ou à un homme de même nom que 
moi, et dont il m'a fait demander la restitution par 
M. Rovier. Mais je prendrai la liberté, monsieur 
le comte, de n'être pas de votre avis sur la bonne 



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3a6 CORRESPONDANCE, 

foi dudit Thevenin , puisqu'il est impossible de 
concilier cette bonne foi avec les circonstances 
qu'il rapporte de son prétendu prêt, et avec les 
lettres de recommandation qu'il dit que l'emprun- 
teur lui donna pour MM. de Faugnes et Aldiman. 
Cet homme vous paroit borné , cela, peut être ; un 
imposteur peut très bien n'être qu'un sot, et cela 
me confirme seulement dans la persuasion qu'il 
a été dirigé aussi bien qu'encouragé dans l'inven- 
tion de sa petite histoire , dont les contradictions 
sont un inconvénient difficile à éviter dans les fic- 
tions les mieux concertées. Il y a même une autre • 
contradiction bien positive entre lui ,^ qui vous a 
dit, monsieur, n'avoir parlé de cette affaire à qui 
que ce soit qu'à M. Bovier, son voisin, et le même 
M. Bovier, qui m'écrit que ledit Thevenin lui en 
a fait parler par le vicaire de sa paroisse. Je per- 
siste donc dans la résolution de ne point retour- 
ner dans les lieux où cette histoire a été febri- 
quée, jusqu'à ce qu'elle soit assez bien éclaircie 
pour ôter aux fabricateurs , quels qu'ils soient, la 
fantaisie d'en forger derechef de semblables. Je 
trouve ici un logement trop cher pour pouvoir 
le garder long-temps , mais où j'aurai le temps 
d'en chercher plus à ma portée , où je puisse me 
croire à l'abri des imposteurs. Je n y suis pas moins 
sous votre protection qu'à Grenoble ; et , si le men- 
songe et la calomnie m'y poursuivent, j'éviterai 



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ANNÉE 1768. 3^7 

du moins le désavantage d^être précisément à leur 
foyer. 

Daignez, monsieur, agréer derechef mes ex- 
cuses des importunités que je vous cause, et mes 
actions de grâces de la bonté avec laquelle vous 
voulez bien les endurer. Si Ton ne me harceloit 
jamais, je demeurerois tranquille et ne serois point 
indiscret; mais ce n*est pas l'intention de ceux qui 
disposent de moi. 

Recevez avec bonté, je vous supplie, monsieur 
le comte , les assurances de mon respect. 

Rendu. 

Permettez,monsieur,que je joigne ici une lettre 
pourM. Faure. 

LETTRE DCCCXL. 

A UNE DAME DE LYON'. 

Bourgoin, le 3 septembre 1768. 

Vous trouverez ci-joint un papier dont voici 
Toccasion ; Ayant été malade ici et détenu dans 

'* Cette lettre a été imprimée pour la première fois dans la Cor- 
respondance littéraire de Grimm (deuxième partie, tom. v, p. 55). 
Nous aurions à nous défier d'une source aussi suspecte, si Fécrit 



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3a8 CORRESPONDANCE, 

une chambre pendant quelques jours , danft le fort 
de mes chagrins, je m amusai à tracer, derrière 
une porte, quelques lignes au rapide trait du 
crayon, qu ensuite j'oubliai defFacer en quittant 
ma chambre , pour en occuper une plus grande à 
deux lits avec ma fenune. Des passants malinten- 
tionnés, à ce qu'il ma paru, ont trouvé 'ce bar- 
bouillage dans la chambre que j avois quittée , y 
ont effacé des mots , en ont ajouté d'autres , et l'ont 
transcrit pour en faire je ne sais quel usage. Je 
vous envoie une copie exacte de ces lignes , afin 
que messieurs vos frères puissent et veuillent bien 
constater les falsifications qu'on y peut faire, en 
cas qu'elles se répandent. J'ai transcrit même les 
fautes et les redites, afin de ne rien changer. 

SENTIMENT DU PUBLIC SUR MON COMPTE, DANS LES DIVERS 
ÉTATS QUI LE COMPOSENT. 

Les rois et les grands ne disent pas ce qu'ils 
pensent; mais ils me traiteront toujours honora- 
blement. 

La vraie noblesse, qui aime la gloire et qui sait 
que je m'y connois, m'honore et se tait. 

qui fait suite à cette lettre ne se trouyoit également dans Fédition 
de Poinçot, tome xxviii, page 382. Les éditeurs annoncent le te- 
nir de M. de Ghampagneux, maire de Bourgoin, (|ai, disent-ils, 
fa transcrit lui-même avec la plus exacte fidélité; et comme ce 
mâme écrit, dans Fédition dePoinçot, offre avec celui qui est rap- 
porté par Grimm des différences assez notables, c*est d*après cette 
édition que nous le donnerons ici. 



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ANNÉE 1768. 329 

Les magistrats me haïssent à cause du mal qulls 
WLont fait. 

Les philosophes, que j ai démasqués, veulent à 
tout prix me perdre ; ils y réussiront. 

Les évêques, fiers de leur naissance et de leur 
état , m'estiment sans me craindre , et s'honorent 
en me marquant des égards. 

Les prêtres , vendus aux philosophes , aboient 
après moi pour faire leur cour. 

Les beaux esprits se vengent, en m^insultant, 
de ma supériorité qu'ils sentent. 

Le peuple, qui fut mon idole, ne voit en moi 
qu'une perruque mal peignée et un homme dé- 
crépit. 

Des femmes, dupes de deux p..... froid, qui 
les méprisent, trahissent l'homme qui mérita le 
mieux d'elles'^ 

Les magistrats ^ ne me pardonneront jamais le 
mal qu'ils m'ont fait. 

Le magistrat de Genève sent ses torts, sait que 
je les lui pardonne, et les répareroit s'il l'osoit. 

Les chefs du peuple, élevés sur mes épaules, 
voudroient me cafcher si bien que l'on ne vît qu'eux. 

Les auteurs me pillent et me blâment ; les fri^ 
pons me maudissent, et la canaille me hue. 

' lies deux p dont il est question sont d*Alembert et Grimm. 

* Dans la Correspondance de Grimm, au lieu de, les magistrats, 
on lit, les Suisses, 



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33o CORRESPONDANCE. 

Les gens de bien, s*il en existe encore, gémis- 
sent tout bas sur mon sort; et moi je le bénis s'il 
peut instruire un jour les mortels. 

Voltaire, que j'empêche de dormir, parodiera 
ces lignes. Ses grossières injures sont un hom- 
mage qu'il est forcé de me rendre malgré lui *. 

LETTRE DCCCXLL 

A M. LE COMTE DE TONNERRE. 

Bourgoin, le 6 septembre 1768. 

Il y a peu de résolutions et il n'y a point de ré- 
pugnance par-dessus lesquelles le désir d'appro- 
fbndir l'affaire du sieur Thevenin ne me fasse 
passer; et, si ma confrontation, sous vos yeux, 
avec cet homme peut vous engager, monsieur, à 
la suivre jusqu'au bout, je suis prêt à partir. Per- 
mettez seulement que j'ose vous demander aupa- 
ravant l'assurance que ce voyage ne sera point 
inutile ; que vous ne dédaignerez aucune des pré- 
cautions convenables pour constater la vérité, 
tant à vos yeux qu'à ceux du public , et que le motif 

'** La maladie dont parle J. J. , et pendapt laquelle il est censé avoir 
écrit derrière une porte ^ doit faire excuser cette lettre si réellement 
il en est Fauteur; pour le croire il faut le témoignage de M. de Cham- 
pagneux rapporté par Véditeur de Tédition de Poinçot. 



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ANNÉE 1768. 33i 

d'éviter Téclat, que je ne crains point, n arrêtera 
aucune des démarches nécessaires à cet efFet. Il 
ne seroit assurément pas digne de votre généro- 
sité , ni de la protection dont vous m'honorez , 
que des imposteurs pussent à leur gré me pro- 
mener de ville en ville, m'attîrer au milieu d'eux, 
et m'y rendre impunément le jouet de leurs 
suppôts. 

J'attends vos ordres, M. le comte, et, quelque 
parti qu'il vous plaise de prendre sur cette af- 
faire, dont je vous cause à regret la longue im- 
portunité, je vous supplie de vouloir hien me ren- 
voyer la lettre de M. Bovier, et la copie de ma 
réponse , que j'eus l'honneur de vous envoyer. 

Je vous supplie, M. le comte, d'agréer avec 
honte ma reconnoissance et mon respect. 



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LETTRE DCGCXLII. 

A M. DU PEYROU. 

Bourgoin, le 9 septembre 1768. 

Après diverses courses , mon cher hôte , qui ont 
achevé de me convaincre qu'on étoît bien déter- 
miné à ne me laisser nulle part la tranquillité que 
j*étois venu chercher dans ces provinces, j'ai pris 



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33a CORRESPONDANCE, 

le parti, rendu de &tigue et voyant la saison s^a*'- 
vancer, de m*arrêter dans cette petite ville pour y 
passer l'hiver. A peine y ai-je été, qu'on s'est pressé 
de my harceler avec la petite histoire que vous 
allez lire dans l'extrait d'une lettre qu'un certain 
avocat Bovier m'écrivit de Grenoble le 22 du mois 
dernier. 

«Le sieur Thevenin, chamoiseur de son mé* 
« tier, se trouva logé, il y a environ dix ans, chez 
« le sieur Janin, hôte du bourg des Verdières-de- 
«c Joue, près de Neuchâtel, avec M, Rousseau , qui 
«se trouva lui-même dans le cas d'avoir besoin 
«de quelque argent, et qui s'adressa au sieur 
«Janin, son hôte y pour obtenir cet argent du 
« sieur Thevenin : ce dernier, n'osant pas présen- 
« ter à M. Rousseau la modique somme qu'il de- 
«mandoit, attendit son départ, et l'accompagna 
«effectivement des Verdîères-de-Jouc jusqu'à 
« Saint-Sulpice avec ledit Janin , et, après avoir 
« dîné ensemble dans une auberge qui a un soleil 
« pour enseigne, il lui fit remettre neuf livres de 
« France par ledit Janin. M. Rousseau , pénétré de 
« reconnoissance , donna audit Thevenin quelques 
«lettres de recommandation, entre autres une 
M pour M. de Faugnes, directeur des sels à Yver- 
« dun, et une pour M. Aldiman, de la même ville^ 
«dans laquelle M. Rousseau signa son nom, et 
« signa le Voyageur perpétuel dans une autre pour 



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ANNÉE 1768. 333 

«quelqu'un à Paris, dont le sieur Thevenin ne 
tf se rappelle pas le nom. » 

. Voici maintenant, mon cher hôte , copie de ma 
réponse, en date du 23. 

«Je n'ai pas pu, monsieur, loger il y a envi- 
ée ron dix ans où que ce fût, près de Neuchâitel, 
«parcequil y en a dix, et neuf, et huit, et sept, 
u que j en étois fort loin , sans en avoir approché 
« durant tout ce temps plus près de cent lieues. 

u Je n'ai jamais logé au hourg des Verdières , et 
« n'en ai même jamais entendu parler : c'est peut- 
« être le village des Verrières qu'on a voulu dire ; 
« j*ai passé dans ce village une seule fois, il n'y a 
« pas cinq ans, allant à Pontarlier ; j'y repassai en 
« revenant; je n'y logeai point ; j'étois avec un ami 
«(qui n'étoit pas le sieur Thevenin); personne 
« autre ne revint avec nous; et, depuis lors, je ne 
« suis pas retourné aux Verrières. 

« Je n'ai jamais vu, que je sache, le sieur The- 
« venin , chamoiseur ; jamais je n'ai ouï parler de 
« lui , non plus que du sieur Janin , mon prétendu 
« hôte. Je ne connois qu'un seul M. Jeannin, mais 
« il ne demeure point aux Verrières, il demeure 
«à Neuchâtel, et il n'est point caharetier; il est 
«secrétaire d'un de mes amis. 

«Je n'ai jamais écrit, autant qu'il m'en sou- 
« vient, à M. de Faugnes, et je suis sûr aii moins 
« de ne lui avoir jamais écrit de lettres'de recom- 



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334 CORRESPONDANCE. 

tt mandation , n^étant pas assez lié avec lui pour 
M cela : encore moins ai-je pu écrire à M. Aldiman , 
« dTTverdun , que je n ai vu de ma vie, et avec le- 
« quel je n eus jamais nulle espèce de liaison. 

« Je n ai jamais sig;né avec mon nom le Voya- 
« geur perpétuel f premièrement parceque cela n'est 
« pas vrai et sur-tout ne Tétoit pas alors , quoi- 
« qu'il le soit devenu depuis quelques années ; en 
u second lieu, parceque je ne tourne pas mes mal- 
« heurs en plaisanteries, et qu'enfin, si cela mar- 
te rivoit , je tâcherois quelles fussent moins plates. 

u J'ai quelquefois prêté de l'argent à Neuchâtel , 
«mais je n*y en empruntai jamais, par la raison 
« très simple qu'il ne m'a jamais manqué dans ce 
« pays-là ; et vous m'avouerez, monsieur, qu'ayant 
<c pour amis tous ceux qui y tenoient le premier 
« rang, il eût été du moins fort bizarre que j'al- 
« lasse emprunter neuf francs d'un chamoîseur 
« que je ne connoissois pas, et cela à un quart de 
« lieue de chez moi ; car c'est à-peu-près la dis- 
w tance de Saint-Sulpice, où l'on dit que cet argent 
« ma été prêté , à Motiers , où je demeuroîs. n 

Vous croiriez, mon cher hôte, sur cette lettre 
et sur ma réponse que j'ai envoyée au comman- 
dant de la province, que tout a été fini, et que, 
l'imposture étant si clairement prouvée, l'impos- 
teur a été châtié ou bien censuré: point du tout; 
l'affaire est encore là, et ledit Thevenin, con- 



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ANNÉE 1768. 335 

seillé par ceux qui Font aposté, se retranche à 
dire qu'il a peut-être pris un autre M. Rousseau 
pour J. J. Rousseau, et persiste à soutenir avoir 
prêté la somme à un homme de ce nom, se tirant 
d'affaire, je ne sais comment, au sujet des lettres 
de recommandation: de sorte qu'il ne me reste 
d'autre moyen pour le confondre que d'aller moi- 
même à Grenoble me confronter avec lui ; encore 
ma mémoire trompeuse et vacillante peut -elle 
souvent m'abuser sur les faits. Les seuls ici qui 
me sont certains est de n'avoir jamais connu ni 
Thevenin ni Janin ; de n'avoir jamais voyagé 
ni mangé avec eux; de n'avoir jamais écrit à 
M. Aldiman; de n'|i voir jamais emprunté de l'ar- 
gent, ni peu ni beaucoup, de personne durant 
mon séjour à Neuchâtel ; je ne crois pas plus avoir 
jamais écrit à M. de Faugnes, sur-tout pour lui 
recommander quelqu'un ; ni jamais avoir signé le 
Voyageur perpétuel; ni jamais avoir couché aux 
Verrières, quoiqu'il ne me soit pas possible de 
me rappeler où nous couchâmes en revenant de 
Pontarlier avec Sauttersheim, dit le Baron ; car en 
allant je me souviens parfaitement que nous n'y 
couchâmes pas. Je vous fais tous ces détails , mon 
cher hôte , afin que si , par vos amis , vous pouvez 
avoir quelque éclaircissement sur tous ces faits , 
vous me rendiez le bon office de m'en faire part le 
plus tôt qu'il sera possible. J'écris par ce même 



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336 CORRESPONDANCE, 

courrier à M. du Terreau , maire des Verrières , à 
M. Breguet, à M. Guyenet, lieutenant du Val-de- 
Travers, mais sans leur faire aucun détail; vous 
aurez la bonté d^ suppléer, s'il est nécessaire, par 
ceux de cette lettre. Vous pouvez m'écrire ici en 
droiture ; mais si vous avez des éclaircissements 
intéressants à me donner, vous ferez bien de me 
les envoyer par duplicata, sous enveloppe, à l'a- 
dresse de M^ le comte de Tonnerre, lieutenant-géné^ 
rai des armées du roi, commandant pour sa majesté 
en Dauphiné, à Grenoble. Vous pourrez même m'é- 
crire à 1 ordinaire sous son couvert : mes lettres 
me parviendront plus lentement, mais plus sûre- 
ment qu'en droiture. 

J'espère qu on est tranquille à présent dans 
votre pays. Puisse le ciel accorder à tous les 
homnies la paix qu'ils ne veulent pas me laisser ! 
Adieu, mon cher hôte ; je vous embrasse. 



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ANNÉE 1768. 3:37 



LETTRE DCCCXLIII. 

A M. LE COMTE DE TONNERRE. 

Bonrgoin, le i3 septembre 1768. 

Monsieur, 

Gomme je ne puis douter que vous ne sachiez 
parfaitement à quoi vous en tenir sur le compte 
du sieur Thevenin, je crois voir, parla dernière 
lettre que vous m avez fait l'honneur de m'écrire, 
qut)n vous trompe comme on trompe M. le prince 
de Conti , et que mon futur voyage de Grenoble 
est une affaire concertée dont la fehle de ce mal- 
heureux n'est qu'un prétexte.. Vous aviez la bbnté 
4e désirer que ce mottf m'attirât aux environs de 
cette capitale. J'ignore, M. le comte, d'où naît ce 
désir, et si je dois vous en rendre grâces ; tout ce 
que je sais est que les moyens employés à cet effet 
ne sont pas extrêmement attirants. Malgré les em- 
barras où je suis, je pars demain pour me rendre 
à vos ordres; jeudi j'aurai l'honneur de me pré- 
senter à votre audience, et j'espère qu'il vous 
plaira d'y mander ledit Thevenin. Je repartirai 

COnilESPONDANCE. T. V. 22 



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338 CORRESPONDANCE/ 

vendredi matin, quoi qu'il arrive, si Ion m en 

laisse la liberté. 

Jai rhonneur d'être avec respect, 

Monsieur, 

Votre très humble et très obéissant 
serviteur, 

Renou. 



LETTRE DCCCXUY. 

AU MÊM£% 

Boargoin, le i8 septembre 1768. 

Monsieur, 

Le contre-temps .de votre absence à inon arri- 
vée à Grenoble m^affligea d^autant plus que, sen. 
tant combien il m'importoit que , selon votre de- 
sir, mon entrevue avec le sieur Thevenin se pas- 
sât sous vos yeux, et ne pouvant le trouver qu'à 
l'aide de M. Bovier, que j'aurois voulu np pas voir, 
je me voyois forcé d'attendre à Grenoble votre re- 
tour, à quoi je ne pouvois me résoudre, ou de re- 
venir l'attendre ici, ce qui m'expospit à un second 
voyage. J'aurois pris, monsieur^ ce dernier parti. 



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ANNÉE 1768. 339 

«ans la lettre que vous me fîtes l'honneur «de m'é- • 
crire le i5, et qui me fut envoyée à la nuit par 
M. Bovier. Je compris par cette lettre quafin 
que mon voyage ne fût pas inutile vous pensiez 
que je pouVoia voir ledit Thevenin , quoique en 
votre absence ; ei c'est ce que je fis par lentre- 
mise de M. Bovier, auquel il Êillut bien recourir 
pour cela. 

Je le vis tard, à la hâte, en deux reprises: 
j'étois en proie à mille idées cruelles , indigné , 
navré de me voir après soixante ans d'honneur, 
compromis, seul, loin de-vous, sans appui, sans 
ami, vis-à-vis dun pareil misérable, et sur -tout 
de lire dans les cœurs des assistants , et de ceux 
mêmes à qui je m'étois confié, leur mauvaise vo- 
lonté secrète. 

Mais, quelque courte qu'ait été cette confé- 
rence, elle a suffi pour 1 objet que je m^ propo- 
sois. Ava/it d'y venir, permettez-moi, M. le comte, 
upe petite observation qui s'y rapporte : M. Bovier 
m'avoij; induit ca^erreur, en me marquant que 
c'étoit personnellement '4 napi que ledit Thevenin 
avoit,prêté neuf francs; au lieu qiie Thevçnin lui- 
même dit seulement les avoir fait passer par la 
main d'autrui, en prêt ou en*dOn (car il ne s'ex- 
plique, pas clairement là- dessus), à un homme 
appelé Rousseau , duquel.au re^ste il ne donne pas 
le m^oiodre renseignement, ni de son nomi, ni de 



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34o CORRESPONDANCE, 

son âge, ni de son état, ni de sa demeure, ni de sa 
figure, ni de son habit, excepté la couleur, et qu'il 
s etoit signé dans une lettre : le Voyageur perpé- 
tuel. M. Boviêr, sur le simple rapport d*un qui- 
dam, qu'il dit ne pas connoître, part de ces seuls 
indices, et de celui du lieu où se sont vus ces deux 
hommes, pour m'écrire en ces termes: « Je crois 
« vous faire plaisir de vous rappeler un homme 
« qui vous a rendu un service, il y a près de dix 
« années, et qui se trouve aujourd'hui dans le cas 
« que vous vous en souveniez. » Ce mêmeM. Bovier, 
dans sa lettre précédente, me parloit ainsi: «Je 
« vous ai vu ; j ai été émerveillé de trouver une 
« ame aussi belle que la vôtre, jointe à un génie 
" aussi sublime. » Voilà, ce me semble , cette belle 
ame transformée un peu légèremept en celle d'un 
vil emprunteur, et dun plus vil banqueroutier : 
il faut que les belles âmes soient bien communes 
à Grenoble, car assurément on ne les y met pas à 
haut prix. ' 

Voici la substance de la déclarajtion. dudit 
Thevenin, tant en présence de M. Bovier et de sa 
famille que de M. de Champagneux, maire et 
châtelain de Bourg|oin , de son cousin , M. de 
Rozière, officier d'artillerie, et d'un autre offi- 
cier du même corps, leur ami, dont j'ignore le 
nom, laquelle déclaration a été faite en plusieurs 
fois, avec des variations, en hésitant,. en se re-i^ 



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ANNÉE 1768. 341 

prenant, quoique assurément il dût avoir la mé- 
moire bien fraîehe de ce qu'il avoit dit tant de 
fois, et à vous, M. le comte, et avant vous à 
M. Bovier. 

Que de la Charité-sur-Loire, qui est son pays^ 
venant en Suisse, et passant aux Verrières-de- 
Jouc, dans un cabaret dont Fhôte s appelle Janin , 
un homme nommé Rousseau , le voyant mettre à 
genoux, lui demanda s'il étoit catholique; que là- 
dessus s'étant pris de conversation, cet homme 
lui donna une lettre de recommandation pour 
Yverdun ; qu'ayant continué de demeurer ensem- 
ble dans ledit cabaret, ledit Rousseau le pria de 
lui prêter quelque argent, et lui donna , deux jours 
après, deux autres lettres de recommandation; 
savoir, une seconde pour Yverdun , et l'autre pour 
Paris , où ledit Rousseau lui dit qu'il avoit mis 
pour signature le Foyageur perpétuel; qu'en recon- 
noissance de ce service, lui Thevenin lui fit re- 
mettre neuf francs par Janin, leur hôte, après un 
voyage qu'ils firent tous trois des Verrières à Saint- 
Sulpice, où ils dînèrent encore ensemble; qu'en- 
suite ils se séparèrent; que lui Thevenin se rendit 
de là à Yverdun , et porta les deux lettres de re- 
commandation à leurs adresses, Tune pour M. de 
Faugnes, l'autre pour M. Aldiman; que, ne les 
ayant trouvés ni l'un ni l'autre, il remit ses lettres 
à leurs gens, sans que, pendant deux ans qu'il 



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342 CORRESPONDANCE, 

resta sur les lieux, la fantaisie lui ait pris de re- 
tourner chez ces messieurs, voir, du moins par 
curiosité, l'effet de ces mêmes lettres qu'il avoit si 
bien payées. A l'égard de la lettre de recomman- 
dation pour Paris, signée le Voyageur perpétuel ^ il 
l'envoya à la Gbarité-sur-Loire, à sa femme, qui 
la fit passer par le curé à son adresse , dont il ne 
se souvient point. 

Quailt à la personne dudit Rousseau, j'ai déjà 
dit qu'il ne s^en rappelmt rien, ni rien de ce qui 
s'y rapporte : interrogé si ledit Rousseau portoit 
son chapeau sur la tète ou sous le bras, il a dit ne 
s'en pas souvenir j s'il portoit perruque on s'il avoit 
ses cheveux, a dit qull ne s'en souvenoit pas non 
plus, et que cela ne faisoh pas une différence bien 
sensible : interrogé sur l'habillement, il a dit que 
tout ce qu'il s'en rappeloit étoit qu'il portoit un 
habit gris, doublé de bleu ou de vert: interrogé 
s'il savoit la demeure dudit Rousseau, a dit qu'il 
n'en savoit rieU; s'il n'a voit plus eu de ses nou- 
velles , a dit que , durant tout son séjour à Y verdun 
et à Estavayé^ où il alla travailler en sortant de 
là, il n'a jamais plus ouï parler dudit Rousseau, 
et n'a su ce qu'il étoit devenu ^ jusqu'à ce qu ap- 
prenant qu'il y avoit un M. Rousseau à Greno- 
ble il s est adressé, par le vicaire de la paroisse, 
à son voisin, M. Bovier, pour savoir si ledit sieur 
Rousseau ne seroit point son homme des Ver- 



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ANNÉE 1768. 343 

rières; chose qu'il n'a pourtant jamais affirmée , 
ni dite, ni crue, mais dont il vouloit simplement 
s'informer. 

Comme sa déclaration laissoit assez indéter- 
miné le temps de Tépoqu», j'ai parcouru^ pour 
le fixer, ceux de ses papiers qu'il a bien voulu 
me montrer; et j'y ai trouvé un certificat daté 
du 3o juillet. 1768, par lequel, le sieijr Cuche^ 
chamoiseur dTverdun ^ atteste que ledit Theve- 
nin a demeuré chez lui pendant environ deux 
ans, etc. 

Supposant donc que Thevenin soit eaitré chez 
le sieur Cuche, immédiatement à son arrivée à 
Y Verdun, et qu'il se. soit rendu immédiatement 
à Yverdun, en quittant ledit Bousseau à Saint- 
Sulpice, cela détermine le temps de leur entrevue 
à la fin de l'été 1 761 au plus tard. Il est possible 
que cette époque remonte plus haut ; mais il ne 
l'est pas qu'elle soit plus récente , puisqu'il Ëiudroit 
alors que cette reûcontre se fut faite du temps 
.que ledit Thevenin étoit déjà à Yverdun, au lieu 
qu'elle se fit avant qu'il y fÙt arrivé. 

J'ai demandé à cet homme le nom du maître 
chez lequel il travaille à Grenoble : il me l'a dit ; 
je l'ai oublié. Je lui ai demandé pour qui ce maître 
travailloit, quelles étoient ses pratiques; il m'a dit 
qu'il n'en savoit rien, et qu'il n^en connoissoit au- 
cune. Je lui ai demandé s'il ne travailloit point 



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344 CORRESPONDANCE, 

pour son voisin , M. Bovier le père, qui est g^antier ; 
il m'a dit qu^il n'en sayoit rien; et M. Bovier fik, 
prenant la parole, a dit que non ; et il £eiUoit bien 
en efFet qu'ils ne se connussent point, puisque, 
pour parvenir à lui parler, ledit Thevenin a en 
recours au vicaire de la paroisse. 

Voilà, dans ce qu a dit cet homme, tout ce qui 
me paroît avoir trait à la question. 

Cette question en peut offrir deux distinctes , 
premièrement, si ledit Thevenin dit vrai ou sll 
ment. 

Supposant qu'il dit vrai, seconde question : quel 
est l'homme nommé Rousseau , auquel il a prêté 
son argent, sans connoitre de lui que le nom? 
car enfin l'identité des noms ne fait pas celle des 
personnes ; et il ne suffit pas , n'en déplaise à 
M. Bovier, de porter le nom de Rousseau, pour 
être, par cela seul, le débiteur ou l'obUgé du sieur 
Thevenin. 

Il n'y a, selon le récit du dernier, que trois 
personnes en état d'en attester la vérité; savoir, le 
Rousseau dont il ne connoit que le nom, Thevenin 
lui-même, et l'hôte Janin, qui est absent : d'ail- 
leurs le témoignage des deux premiers, comme 
parties, est nul, à moins qu'ils ne soient d'accord ; 
et celui du dernier seroit suspect, s'il favorisoit 
Thevenin ; car il peut être son compUce ; il peut 
même être le seul fripon, comme vous l'avez, mon- 



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ANNÉE 1768. 345 

sieur, soupçonné vous-même ; il peut encore être 
gagné par ceux qui ont aposté 1 autre. Il n'est dé- 
cisif qu au cas qu'il condamne Thevenin. En tout 
état de cause, je ne vois pas à tout cela de quoi 
faire preuve sans d'autres informations. Il est vrai 
que les circonstances du récit de Thevenin ne se- 
roient pas un préjugé qui lui fut bien favorable, 
quand même il auroit "affaire au dernier des mal- 
heureux , qui auroit tous les autres préj ugés contre 
lui ; mais enfin tout cela ne sont pas des preuves. 
Qu'un garçon chamoiseur, qui court le pays pour 
chercher de l'ouvrage, saille mettre à genoux en 
parade, dans un cabaret protestant; qu'un autre 
homme qu'il le voit conclue de là qu'il est catho- 
lique, lui en fasse compliment, lui offre des lettres 
de recommandation, et lui demande de l'argent 
sans le connoitre et sans en être connu d'aucune 
façon ; qu'au lieu de présumer de là que l'emprun- 
teur est un escroc , et que ses recommandations 
sont des torche-culs, l'autre, transporté du bon- 
heur de les obtenir, tire aussitôt neuf francs de sa 
bourse cossue ; qu'ilait même la complaisante dé- 
licatesse de n'oser les donner lui-même à celui qui 
ose bien les lui demander; qu'il attende pour cela 
d'être en un autre lieu, et de les lui faire modeste- 
ment présenter par un autre homme : tout cela , 
tout inepte et risible qu'il est, n'est pas absolu- 
ment impossible. 



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346 CORRESPONDANCE. 

Que le préteur ou donneur passe trois jours 
avec l'emprunteur; qu'il mange avec lui; qu'il 
voyage avec lui sans savoir comment il est fait, s'il 
porte perruque ou non, s'il est grand ou petit, 
noir ou blond, sans retenir la moindre phose de 
sa figure : cela paroit si singulier, que je lui en fis 
l'objection. A cela il me répondit qu'en marcbant, 
lui , Thevenin ) était derrière l'autre et ne le voyoit 
que par le dos, et qu'à table il ne le voyoit pas 
bien non plus, parceque ledit Rousseau ne se te- 
noitpas assis, mais se promeqoit par la chambre 
en mangeant. Il faut convenir, en riant de plus 
fort, que cela n'est pas encore impossible. 

Il ne l'est pas enfin que, desdites lettres de re- 
commandation si précieuses , aucune ne soit par- 
venue , attendu que ledit Thevenin , modeste pour 
les lettres comme pour l'argent, ne voulut pas les 
rendre lui-même, ni s'informer au moins de leur 
effet, quoiqu'il demeurât dans le même lieu qu'ha- 
bitoient ceux à qui elles étoient adressées, qu'il 
les vît peut-être dix fois par jour, et que ce fût au 
moins une curiosité fort natiorelle, de savoir ;si un 
coureur de cabarets, à l'affût des écus des pas- 
sants, pouvoit être réellement en liaison avec ces 
messieurs-là. Si, comtne il est à craindre, aucune 
desdites lettres n'est parvenue, ce seront ces co- 
quins de valets , à qui l'honnête Thevenin les a re- 
mises, qui lui auront joué le tour de les garder. Je 



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ANNÉE 1768. 347 

ne dis rien de la lettre pour Paris ; il est si clair 
qu*une recommandation pour Paris est extrême- 
ment utile à un garçon chamoiseur qui va travail- 
ler à Yverdun ! 

Pardon, monsieur; je ris de ma simplicité, et 
j'admire votre patience; mais eùfin, si Thevenin 
n est pas un imposteur, il faut, de nécessité abso- 
lue, que toutes ces folies soient autant de vé- 
rités. 

Supposons-les telles ^ et passons outre : voilà le 
généreux,The venin, créancier ou bienfaiteur d^un 
nommé Rousseau, lequel, comme le dit très bien 
M. Bovier* doit être pénétré de reconnoîssance. 
Quel est ce Rousseau ? lui , Thevenin , n'en sait 
rien, mais M. Bovier le sait pour lui > et présume, 
avec beaucoup de vraisemblance, que ce Rousseau 
est l'infortuné Jean-Jacques Rousseapu , si connu 
par ses malheurs passés^, et qui le sera bien plus 
encore par ceux que l'on lui prépare. Je ne sache 
pas cependant que, parmi ces multitudes de 
charges atroces et ridicules que ses ennemis in- 
ventent journellement contre lui , ils l'aient jamais 
accusé d'être un coureur de cabarets, un croche- 
teur de bourses, qui va pochetant quelques écus 
çà et là , chez le premier va-nu-pieds qu'il ren- 
contre. Si le Jean-Jacques Rousseau qu'on connoît 
pou voit s'abaisser à pareille infamie, il faudroit 
qu'on l'eût vu, pour le pouvoir croire ; et encore, 



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348 CORRESPONDANCE, 

après lavoir vu, n'en croiroit-on rîen. M. Bovier 
est moins incrédule ; le simple doute d un misé- 
rable qu'il ne connolt point se transforme, à ses 
yeux, en certitude, et lui prouve qu'une belle 
ame qu'il connoit est celle du plus vil des men- 
diants ou du plus lâche des fripons. 

Si le Jean-Jacques Rousseau dont il s'agit n*est 
qu'un infâme , ce n'est pas tout ; il faut encore qu'il 
soit un sot, car s'il accepte les neuf francs, que 
ledit Thevenin ne lui donne pas de la main à la 
main, mais qu'il lui fait donner par un autre 
homme, habitant du pays, il doit s'attendre qu'ils 
lui seront reprochés mille fois le jour : il doit 
compter qu'à chaque fois qu'on citera, dans le 
pays, quelque trait de sa facilité à répandre, et de 
sa répugnance à recevoir, le sieur Janin ne man- 
quera pas de dire: «Eh! par Dieu, cet homme 
w n'est pas toujours si fiei*; il a demandé et reçu 
« neuf francs d'un faquin d'ouvrier qui logeoit 
« dans mon auberge ; et j'en suis bien sûr, car c'est 
« moi qui les ai livrés. » Quand on commença d'a- 
meuter le peuple contre ce pauvre Jean- Jacques , 
et qu on le faisoit lapider j usque dans son lit , Janin 
auroit fait sa fortune avec cette histoire; son caba- 
ret n'auroit pas désempli. Thevenin fait bien de la 
conter à Grenoble ; mais s'il l'osoit conter à Saint- 
Sulpice ou aux Verrières, et dans tout le pays où 
ce même Jean- Jacques a pourtant reçu tant d'où- 



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ANNÉE 1768. 349 

trages, et qu'il dît qu elle le regarde, je suis sûr 
que les habitants lui oracheroîent au nez. 

Préjugés vrais ou faux à part, passons aux 
preuves, et permettez, monsieur le comte, que 
nous examinions un peu le rapport de notre 
homme, et que nous voyions s'il se peut rappor- 
ter à moi. 

Le sieur Thevenin fit connoissance aVec ledit 
Rousseau aux Verrières, et ils y demeurèrent en- 
semble deux ou trois jours, logés chez Janin. J'ai 
demeuré long -temps à Motiers sans aller aux 
Verrières, et je n'y ai jamais été qu'une seule fois, 
allant à Pontarlier avec M. de Sauttersheim , dit, 
dans le pays, le baron Sauttern. Je n'y couchai 
point en allant, j'en suis très sûr ; je suis très per- 
suadé que je n'y couchai point en revenant, quoi- 
que je n'en sois pas sûr de même ; mais si j'y cou- 
chai, ce fut sans y séjourner, et sans quitter le 
baron. Thevetiin dit cependant que son homme 
étoit seul. Ma mémoire affoiblie me sert mal sur 
les faits récents; mais il en est sur lesquels elle 
ne peut me tromper; et je suis aussi sûr de 
n'avoir jamais séjourné, ni peu -ni beaucoup, aux 
Verrières, que je suis sûr de n'avoir jamais été à 
Pékin. 

Je ne suis donc pas l'homme qui resta deux ou 
trois jours aux Verrières à contempler les génu- 
flexions du dévot Thevenin. 



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35o CORRESPONDANCE. 

Je De peux guère être non plus celui qui lui 
demanda de largent à emprunter aux mêmes 
Verrières , parceque, outre M. du Terreau , maire 
du lieu, j y connoissois beaucoup un M. Breguet, 
très gfalant homme, qui mauroit fourni tout 1 ar- 
gent dont j aurois eu besoin, et avec lequel jai 
eu bien des querelles , pour n avoir pu tenir la 
promesse que je lui avois faite de l'y aller voir. & 
j'avois logé là seul, c'eût été chez lui, selon toute 
apparence , et non pas chez le sieur Janin , sur^tout 
quand j'aurois été sans argent. 

Je ne suis point l'homme à l'habit gris doublé 
de bleu ou de vert, parceque je n'en ai jamais 
porté de pareil durant tout mon séjour en Suisse : 
je n'y ai jamais voyagé qu'en habit d'Arniénien, 
^ui sûrement n'étoit doublé ni de vert ni de bleu. 
Thevenin ne se souvient pas si son homme avoit 
ses cheveux ou la perruque, s'il portoit son cha- 
peau $ur la tète ou sous le bras ; uh Arménien ne 
porte point de chapeau du tout, et son équipage 
est trop remarquable pour qu'on en perde totale- 
ment le souvenir^ après avoir, demeuré trois jours 
avec lui, et après lavoir vu dans la chambre et en 
voyage, par-devant, par-derrière, et de toutes les 
façons. 

Je ne suis point l'homme qui a donné au sieur 
Thevenin une lettre de recommandation pour 
M. de Faugnes, que je ne connoissois pas même 



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ANNÉE 1768. 35 1 

encore, quand ledit Thevenin alla à Yverdun ; et 
je ne suis point l'homme qui lui a donné une lettre 

« de recommandation pour M. Aldiman, que je n ai 
connu de ma vie, et que je ne crois pas même 
avoir été de retour d'Italie à Yverdun, sous la 
même date*. 

Je ne suis point Thomme qui a donné au sieur 
Thevenin une lettre de recommandation pour 
Paris, signée le Voyageur perpétuel. Je ne crois pas 
avoir jamais employé cette plate signature; et je 
suis parfaitement sûr de n'avoir pu l'employer à 
l'époque de ma prétendue rencontre avec Theve- 
nin; car cette lettre devant être antérieure à lar- 
rivée dudit Thevenin à Yverdun dut l'être, à plus 
forte raison, «à son départ de la même ville« Or, 
même en ce temps -là, je ne pou vois signer le 
Foyageur perpétuel, avec aucune apparence de vé- 
rité d'aucune espèce; car durant l'espace de dix- 
huit ans^ depuis mon retour d'Italie à Paris, jus- 

" qu'à mon départ pour la Suisse, je n'avois fiiit 
qu'un seul voyage ; et il est absurde de donner le 
nom de Foyageur perpétuel k un homme qui ne fait 
qu'un voyage en dix-huit ans* Depuis la date de 
mon arrivée à Motiers, jusqu'à celle du départ de 
Thevenin d'Yverdun , je n'a vois fait encore aucune 
promenade dans le pays , qui pût porter le nom 

* J'ai appris seulement depuis quelques joui;5 que le secrétaire 
baillival d*TTerdun s*appeloit aussi M. Aldiman. 



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35!^ CORRESPONDANCE. 

de voyage. Ainsi cette signature, au moment que 

Thevenin la suppose, eût été non seulement plate 

et sotte, mais fausse en tous sens, et de toute 

fausseté. 

Il n'est pas non plus fort aisé de croire que je 
sois le même Rousseau dont Thevenin n'a plus ouï 
parler, durant tout son séjour en Suisse, puis- 
qu'on n'y parloit que de cet homme infernal, qui 
osoit croire en Dieu sans croire aux miracles^ 
contre lequel les prédicants prêchoient avec le 
plus saint zèle, et qu'ils nommoient hautement 
V Antéchrist Je suis sûr qu'il n'y avoit pas, dans 
toute la Suisse, un honnête chamoiseur qui n'édi- 
fiât son quartier en m'y maudissant saintement 
mille fois le jour; et je crois que le henin Thevenin 
n'étoit pas des derniers à s'acquitter de cette bonne 
oeuvre. Mais, sans rien conclure de tout cela, je 
finis par ma preuve péremptoire. 

Je dis que je ne suis point l'homme qui a pu se 
trouver aux Verrières et à Saint-Sulpice avec le 
sieur Thevenin, quand, venant de la Charité-sur- 
Loire , il alloit à Yverdun ; car il n'a pu passer aux 
Verrières plus tard que leté de 176 1, puisque le 
3o juillet 1-763 il y avoit environ deux ans qu'il 
demeuroit chez le sieur Cuche, et probablement 
davantage qu'il demeuroit à Yverdun. Or, au vu 
et au su de toute la France, j'ai passé l'année en- 
tière de 176 1, et la moitié de la suivante, tran- 



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AK.NÉE 1768. 353 

quille à Montmorency ; je ne pouvois donc pa», 
dès Tannée précédente, avoir couru les cabarets 
aux Verrières et à Saint-Sulpice. Ajoutez, je vous 
supplie, qu'arrivant en Suisse je n allai pas tout 
de suite à Motiers ; ajoutez encore qu'arrivé à 
Motiers, et tout occupé jusqu'à l'hiver de mon 
établissement, je ne fis aucun voyage du reste 
de l'année, ni bien avant dans la suivante. Selon 
Thevenin, notre rencontre a dû se faire avant 
qu'il allât à Yverdun; et, selon la vérité, il étoit 
déjà parti de cette ville quand je fis mon premier 
et unique voyage aux Verrières : je n'étois donc 
pas l'homme portant le nom de Rousseau qu'il y 
rencontra ; c'est ce que j'a vois à prouver. 

Quel étoit donc cet homme? je l'ignore : ce que 
je sais c'est que, pour que ledit Thevenin ne soit 
pas un imposteur, il faut que cet autre homme se 
trouve, c'est-à-dire que son existence soit con- 
nue sur les lieux ; il faut qu'il s'y soit trouvé dans 
l'année 1761, jqu'il s'appelât Rousseau, qu'il eût 
un habit gris doublé de vert ou de bleu, qu'il ait 
écrit des lettres à MM. de Faugnes et Aldiman, 
qui par conséquent étoient de sa connoissance ; 
qu'il ait écrit une autre lettre à Paris, signée le 
Voyageur perpétuel ; qu'après avoir passé deux 
jours avec Thevenin aux Verrières, ils aient en- 
core été de corxipagnie à Saint-Sulpice avec Janin , 
leur hôte, et qu'après y avoir dîné tous trois en- 

CORRFSPOKDANCE. T. V. 23 



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354 CORRESPONDANCE, 

semble, ledit Thevenin ait fait donner audit 
Rousseau neuf francs par ledit Janin. La vérifica- 
tion de tous ces faits gît eU informations, que je 
ne suis point en état de faire, et qui ne m'inté- 
ressent en aucune sorte , si ce n est pour prouver 
ce que je sais bien sans cela , savoir, que ledit 
Thevenin est un imposteur aposté. J ai pourtant 
écrit dans le pays pour avoir là-dessus des éclair- 
cissements, dont j aurai l'honneur, monsieur, de 
vous faire part , s'ils me parviennent : mais com- 
ment pourrai-je espérer que des lettres de cette 
espèce échapperont à l'interception , puisque celles 
même que j'adresse à M. le prince de Conti n'y 
échappent pas, et que la dernière que j'eus l'hon- 
neur de lui écrire, et que je mis moi-même à la 
poste, en partant de Grenoble, ne lui est pas par- 
venue? Mais ils auront beau faire, je me ris des 
machines qu'ils entassent sans cesse autour de 
moi ; elles s'écrouleront par leur propre masse, et 
le cri de la vérité percera le ciel tôt ou tard. 

Agréez, monsieur le comte, les assurances de 
mon respect '. 

' ApostiUe de I! auteur. 

N» B, Cette lettre est restée sans réponse « de même qu'une autre 
écrite encore Tordinaire suivant à M. le comte de Tonnerre, en lui 
en envoyant une dans laquelle M. Hoguin me donuoit des infor- 
mations sur le sîeur Thevenin, et qui ne m'a point été renvoyée. 
Depuis lors, je n'ai reçu ni de M. de Tonnerre, ni d'aucune ame 
vivante, aucun avis de rien de ce qui s'est passé à Grenoble au 
sujet de cette affaire, ni de ce qu'est détenu ledit Thevenin. 



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ANNÉE 1768. 355 



•«/«/v-«/«/v% 



LETTRE DCCCXLV. 

AU MÊME. 
Bourgoîn , le ao septembre 1 768. 

Monsieur, 

A compte des éclaircissements que j'ai deman- 
dés sur riiistoire du sieur Thévenîn, voici toujours 
une lettre de M. Roguin dTverdun , respectable 
vieillard , mon amî de trente ans , et celui de feu 
M. de Rozière, père de M. de Rozière, officier 
d'artillerie , par qui cette lettre m'est parvenue. 
Vous y verrez, monsieur, que le bénin Thevenin 
n'en est pas à son coup d'essai d'impostures, et 
qu'il a été ci-devant condamné, par arrêt du par- 
lement de Paris , à être fouetté , marqué , et en- 
voyé aux galères, pour fabrication de feux actes. 
Vous y verrez un mensonge bien manifeste dans 
sa dernière déclaratioa , puisqu'il m'a dit, à moi, 
n'avoir pu joindre M. de Faugnes pour lui remet- 
tre la lettre de recommandation de R. , ni pour en 
apprendre l'effet ; et vous voyez , par la lettre de 
M. Roguin, qu'il sait bien le joindre pour lui re- 
mettre la lettre du curé de Tovency-les-Filles , et 

23. 



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356 CORRESPONDANCE, 

pour le circonvenir de ses mensonges au sujet de 
M. Thevenin de Tanley, conseiller au parlement 
de Paris. Si mes lettres et leurs réponses parvien- 
nent fidèlement, j'aurai dans peu réponse directe 
de M. de Faugnes , et la déclaration de Janin , que 
je lui ai fait demander par le premier nvgistrat 
du lieu. 

Veuillez, monsieur le comte, agréer avec bonté 
mon respect. 

Renou. 

Rien ne presse pour le renvoi de la lettre ci- 
jointe. Je vous supplie seulement, monsieur, d or- 
donner qu'elle ne soit pas égarée, et qu'on me la 
renvoie quand elle ne servira plus à rien. 



LETTRE DCCGXLVI. 

A M. LALLIAUD. 

A Bourgoin, le ai septembre 176S. 

Je ne puis résister, monsieur, au désir de vous 
donner, par la copie ci-jointe, une idée de la ma- 
nière dont je suis traité dans ce pays. Sitôt que 
je fus parti de Grenoble pour venir ici, l'on y 
déterra un garçon chamoiseur nommé Thevenin, 



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ANNÉE 1768. 357 

qui me redemandoit neuf francs , qu'il prétendoit 
m avoir prêtés en Suisse, et qu'il prétend à pré- 
sent m'a voir donnés, parceque ceux qui Tinstrui- 
sent ont senti le ridicule de faire prêter de lar- 
gent par un passant à quelqu'un qui demeure 
dans le pays. Cette extravagante histoire qui, par- 
tout ailleurs , eût attiré audit Thevenin le traite- 
ment qu'il mérite, lui attire ici la faveur publique ; 
et il n'y a personne à Grenoble, et parmi les gens 
qui m'entourent, qui ne donnât tout au monde 
pour que Thevenin se trouvât l'honnête homme 
et moi le fripon : malheureusement pour eux, 
j apprendsà l'instant , par une lettre de Suisse qui 
m'est arrivée sous couvert étranger, que ledit 
Thevenin a eu ci-devant l'honneur d'être con- 
damné , par un arrêt du parlement de Paris , à 
être marqué et envoyé aux galères , pour fabrica- 
tion de faux actes , dans un procès qu'il eut l'im- 
pudence d'intenter à M. Thevenin de Tanley, con- 
seiller honoraire actuel au parlement, rue des 
Enfants -Bouges, au Marais '. J'ai écrit en Suisse 
pour avoir des informations sur le compte de ce 
misérable : je n'ai eu encore que cette seule ré- 

* L*arrêt est du lo mars 1761. Il fut permis à Jean Thevenin de 
Tanley et consorts de le faire imprimer, publier, et afficher. On 
y voit même que ledit Nicolas-Éloi Thevenin, de la Gharité-sur- 
Loire, est condamné au carcan, en place de Grève, pour y de- 
meurer depuis midi jusqu*à deux heures , ayant ëcriteau devant et 
derrière, portant ces mots, Calomniateur et imposteur insigne. 



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358 CORRESPONDANCE, 

ponse, qui heureusement n'est pas venue direc- 
tement à mon adresse. J ai écrit à M. de Faugnes , 
receveur général des finances à Paris, lequel a 
connu , à ce qu on me marque , ledit Thevenin ; 
je n en ai aucune réponse : je crains bien que mes 
lettres ne soient interceptées à la poste. M. de 
Faugnes demeure rue Feydeau. Si, sans vous in- 
commoder, vous pouviez , monsieur, passer chez 
lui et chez M. Thevenin de Tanley, vous tireriez 
peut-être de ces messieurs des informations qui 
me seroient utiles pour confondre mon coquin^ 
malgré la faveur de ses honnêtes protecteurs. 

Je vois que ma diffamation est jurée, et qu'on 
veut l'opérer à tout prix : mon intention n'est pas 
de daigner me défendre, quoique en cette occa- 
sion je n'aie pu résister au désir de démasquer 
l'imposteur ; mais j'avoue qu'enfin dégoûté de la 
France je n'aspire plus qu'à m'en éloigner , et du 
foyer des complots dont je suis la victime. Je n'es-» 
père pas échapper à mes ennemis , en quelque 
lieu que je mie réfugie ; mais, en les forçant de 
multiplier leurs complices, je rends leur secret 
plus difficile à garder, et je le crois déjà au point 
de ne pouvoir me survivre : c'est tout ce qui me 
reste à désirer désormais. Bonjour, monsieur. 
Votre dernière lettre m'est bien parvenue ; cela 
me fait espérer le même bonheur pour celle-ci, et 
peut-être pour votre réponse : faites-la un peu 



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ANNÉE 1768. 359 

promptement, je vous supplie, si vous voulez que 
je la reçoive; car, dans une quinzaine de jours, je 
pourrois bien n'être plus ici. Ma femme vous prie 
d afjréer ses obéissances : recevez mes très humbles 
salutations. 



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LETTRE DCCGXLVII. 

A M. DU PEYROU. 

Bour^^oin, le 2j6 septembre 1768. 

Je reçois en ce moment, mon cher hôte, votre 
lettre du. 20, et j'y apprends les progrès de votre 
rétablissement avec une satisfaction à laquelle il 
ne manque , pour être entière , que d aussi bonnes 
nouvelles de la santé de la bonne maman. Il n y a 
rien à faire à sa sciatique que d'attendre les trêves, 
et prendre patience : vous êtes dans le même cas 
pour votre goutte ; et, après la leçon terrible pour 
vous et pour d'autres que vous avez reçue , j'es- 
père que vous renoncerez une bonne fois à la 
fantaisie de guérir de la goutte, de tourmenter 
votre estomac et vos oreilles, et de vouloir chan- 
ger votre constitution avec du petit-lait , des pur- 
gatifs , et des drogues ; et que vous prendrez une 



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36o CORRESPONDANCE. 

bonne fois le parti de suivre et d aider, s'il se peut, 

la nature, mais non de la contrarier. 

Je ne sais pourquoi vous vous imaginez qu il a 
fellu , pour me marier , quitter le nom que je 
porte ' ; ce ne sont pas les noms qui se marient , 
ce sont les personnes ; et quand , dans cette simple 
et sainte cérémonie , les noms entreroient comme 
partie constituante, celui que je porte auroit suffi, 
puisque je n en reconnois plus d'autre. S'il s'a- 
gissoit de fortune et de biens qu'il fallût assurer, 
ce seroit autre chose ; mais vous savez très bien 
que nous ne sommes ni elle ni moi dans ce cas-là; 
chacun des deux est à l'autre avec tout son être 
et son avoir, voilà tout. 

Pour vous mettre au fait de l'histoire de l'hon- 
nête Thevenin , je prends le parti de vous faire 
passer, par M. Boy de La Tour, copie d'une lettre 
que j'écrivis, il y a huit jours, au commandant 
de notre province , et qui contient la relation d'une 
entrevue que j'ai eue avec ce malheureux qui ne 
m'a point connu , mais qui s'étoit précautionné là- 
dessus d'avance , en disant qu'il ne reconnoîtroit 
point ledit Rousseau , s'il le voyoit. A l'égard du 
temps , Thevenin disoit d'abord dix ans , mais en- 
suite il a rapproché l'époque, et il l'a laissée assez 
vague pour qu'elle puisse cadrer à tout. Les ana- 

' * Celui de Renou , qu'il avoit pris en allant habiter le château 
«le Trye. 



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ANNÉE 1768. 36i 

chroniHnfô et les contradictions ne lui font rien 
du tout, attendu qu'à toutes les objections qu'on 
peut lui faire, il a cette réponse péreniptoire qu'il 
est trop honnête homme et trop bon chrétien 
pour vouloir tromper; ce qui n'a pourtant pas 
empêché cet honnête homme et ce bon chrétien 
d'être ci-devant condamné aux galères , comme je 
l'ai appris de M. Roguin. Au reste, je n'ai aucune 
réponse ni de M. Guyenet, ni d'aucun de ceux à 
qui j'ai écrit au Val-de-Travers ; ce qui peut venir 
de l'adresse que je leur ai donnée, savoir celle de. 
M. le comte de Tonnerre, commandant du Dau- 
phiné, qui permettoitque pour plus de sûreté jç 
lui fisse adresser mes lettres, et jusqu'ici il mes les 
avoit fait passer très fidèlement; mais depuis une 
quinzaine de jours il est en campagne, et je nai 
plus de lui ni lettres ni réponses. 

Pouviez-vous espérer, mon cher hôte, que la 
liberté se maintiendroit chez vous, vous qui de-' 
vez savoir qu'il ne reste plus nulle part de liberté 
sur la terre, si ce n'est dans le cœur de l'homme 
juste, d'où rien ne la peut chasser? Il me semble 
aussi, je l'avoue , que vos peuples n'usoient pas dç 
la leur en hommes libres , mais en gens effrénés. 
Ils ignoroient trop, ce me semble, que la liberté, 
de quelque manière qu'on en jouisse , ne se main- 
tient qu'avec de grandes vertus. Ce qui me fâche 
d'eux est qu'ils avoient d'abord les vices de la li- 



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362 CORRESPONDANCE, 

cence, et qu'ils vont tomber maintenant dans ceux 
de la servitude. Par- tout excès : la vertu seule, 
dont on ne s avise jamais, feroit le milieu. 

Recevez mes remerciements des papiers que 
vous avez remis à notre amie, et qui pourront me 
donner quelque distraction dont j'ai g^rand besoin. 
Je vous remercie aussi des plantes que vous aviez 
chargé Gagnebin de recueillir, quoiqu'il n'ait pas 
rempli votre intention. C'est de cette bonne inten- 
tion que je vous remercie; elle me flatte plus que 
toutes les plantes du monde. Les tracas éternels 
qu'on me fait souffrir me dégoûtent un peu de la 
botanique , qui ne me paroît un amusement dé- 
licieux qu'autant qu'on peut s y livrer tout entier. 
Je sens que pour peu que l'on me tourmente en- 
core je m'en détacherai tout-à-feit. Je n'ai pas 
laissé pourtant de trouver en ce pays quelques 
plantes , sinon jolies , au moins nouvelles pour 
moi ; entre autres , près de Grenoble , Vosyris et 
le térébinthe, ici le cenchrus racemosus qui m'a 
beaucoup surpris , parceque c'est un gramen ma- 
ritime; ïhypopitisy plante parasite qui tient de 
l'orobanche ; le crépis fœtida qui sent Famande 
amère à pleine gorge, et quelques autres que je 
ne me rappelle pas en ce moment. Voilà, mon 
cher hôte, plus de botanique qu'il ii'en faut à 
votre stoïque indifférence. Vous pouvez m'écrire 
en droiture ici sous le non de Renou. J'ai grand'- 



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ANNÉE 1768. 363 

peur, s'il ne survient quelque amélioration dans 
mon état et dans mes affaires , d'être réduit à pas- 
ser avec ma femme tout l'hiver dans ce cabaret , 
puisque je ne trouve pas sur la terre une pierre 
pour y poser ma tête. 



LETTRE DCCCXLVIII. 

AU MÊME. 

Bourgoin, le 3 octobre 1768. 

Quelle affreuse nouvelle vous m'apprenez, mon 
cher hôte , et que mon cœur en est affecté ! Je 
ressens le cruel accident de votre pauvre maman 
comme elle, ou plutôt comme vous, et c'est tout 
dire.. Une jambe cassée est un malheur que mon 
père eut étant déjà vieux , et qui lui arriva de 
même en se promenant , tandis que dans ses ter- 
ribles fatigues de chasse, qu'il aimoit à la passion, 
jamais il n'avoit eu le moindre accident. Sa jambe 
guérit très facilement et très bien , malgré son 
âge'; et j'espèrerois la même chose de madame la 
commandante, si la fracture n etoit dans une place 
où le traitement est incomparablement plus dif- 
ficile et plus douloureux. Toutefois, avec beau- 
coup de résignation, de patience, de temps, et les 



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364 CORRESPONDANCE, 

soins d un homme habile , la cure est également 
possible, et il n'est pas déraisonnable de l'espé- 
rer. C'est tout ce qu'il m'est permis de dire , dans 
cette fatale circonstance, pour notre commune 
consolation. Ce malheur fait aux miens , dans 
mon cœur, une diversion bien funeste, mais réelle 
pourtant, en ce qu'au sentiment des maux de 
ceux qui nous sont chers, se joint l'impression 
tendre de notre attachement pour eux, qui nest 
jamais sans quelque douceur ; au lieu que le senti- 
ment de nos propres maux, quand ils sont grands 
et sans remède , n'est que sec et sombre : il ne 
porte aucun adoucissement avec soi. Vous n'at- 
tendez pas de moi, mon cher hôte, les froides et 
vaines sentences des gens qui ne sentent rien : on 
ne trouve guère pour ses amis les consolations 
qu'on ne peut trouver pour soi-même. Mais ce- 
pendant je ne puis m'empêcher de remarquer que 
votre affliction ne raisonne pas juste quand elle 
s'irrite par l'idée que ce triste événement n'est pas 
dans l'ordre des choses attachées à la condition 
humaine. Rien, mon cher hôte, n'est plus dans 
cet ordre que les accidents imprévus qui trou- 
blent, altèrent, et abrègent la vie. C'est avec cette 
dépendance que nous sommes nés; elle est atta- 
chée à notre nature et à notre constitution. S'il y 
a des coups qu'on doive endurer avec patience , 
ce sont ceux qui nous viennent de l'inflexible né- 



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ANNÉE 1768. 365 

cessité, et auxquels aucune volonté humaine n'a 
concouru. Ceux qui nous sont portés parles mains 
des méchants sont, à mon gré, beaucoup plus in- 
supportables , parceque la nature ne nous fit pas 
pour les souffrir. Mais c'est déjà trop moraliser. 
Donnez-moi fréquemment, mon cher hôte, des 
nouvelles de la malade; dites-lui souvent aussi 
combien mon cœur est navré de ses souffrances, 
et combien de vœux je joins aux vôtres pour sa 
guérison. 

J'ai reçu par M. le comte de Tonnerre une lettre 
du lieutenant Guyenet , laquelle m'en promet une 
autre que j'attends pour lui faire des remercie- 
ments. A présent ledit Thevenin est bien con- 
vaincu d'être un imposteur. M. de Tonnerre, qui 
m'avoit positivement promis toute protection 
dans cette affaire, me marque qu'il lui imposera 
silence. Que dites-vous de cette manière de ren- 
dre justice? c'est comme si, après qu'un homme 
auroit pris ma bourse, au lieu de me la faire ren- 
dre, on lui ordonnoit de ne me plus voler. En 
toute chose voilà comme je suis traité. 

Je vous ai déjà marqué que vous pouvez m'é- 
crire ici en droitu^re sous le nom de Renou ; vous 
pouvez continuer aussi d'employer la même 
adresse dont vous vous servez; cela meparoît ab- 
solument égal. 



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366 CORRESPONDANCE. 

LETTRE DGCCXLIX. 

A M. LALLIAUD. 

Bourgoin, le 5 octobre 1768. 

Votre lettre, monsieur, du 29 septembre, m'est 
parvenue en son temps , mais sans le duplicata ; et 
je suis d'avis que vous ne vous donniez plus la 
peine d'en faire par cette voie, espérant que vos 
lettres continueront à me parvenir en droiture , 
ayant peut-être été ouvertes ; mais n'importe pas, 
pourvu qu^elles parviennent. Si j'aperçois une 
interruption, je chercherai une adresse intermé- 
diaire ici, si je puis, ou à Lyon. 

Je suis bien touché de vos soins et de la peine 
quils vous donnent, à laquelle je suis très sûr 
que vous n'avez pas regret ; mais il est superflu 
que vous continuiez d'en prendre au sujet de ce 
coquin de Thevenin, dont l'imposture est main- 
tenant dans un degré d'évidence auquel M. de 
Tonnerre lui-même ne peut se refuser. Savez- 
vous là-dessus quelle justice il se propose de me 
rendre, après m'a voir promis la protection la plus 
authentique pour tirer cette affaire au clair? c'est 
d'imposer silence à cet homme j et moi toute la 



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ANNÉE 1768. 367 

peine que je me suis donnée étoit dans Fespoir 
qu'il le forceroit de parler. Ne parlons plus de ce 
misérable ni de ceux qui Font mis en jeu. Je sais 
que Fimpunité de celui-ci va les mettre à leur aise 
pour en susciter mille autres j et c'étoit pour cela 
qu'il m'importoit de démasquer le premier. Je Fai 
fait, cela me suffit : il en viendroit maintenant 
cent par jour que je ne daignerois pas leur ré- 
pondre. 

Quoique ma situation devienne plus cruelle de 
jour en jour, que je me voie réduit à passer dans 
un cabaret Fhiver dont je sens déjà les atteintes , 
et qu'il ne me reste pas une pierre pour y poser 
ma tête, il n'y a point d'extrémité que je n'endure 
plutôt que de retourner à Trye; et vous ne me 
proposeriez sûrement pas ce retour si vous saviez 
ce qu'on m'y a fait souffrir, et entre les mains de 
quelles gens j'étois tombé là. Je frémis seulement 
à y songer : n'en reparlons jamais , je vous prie. 

Plus je réfléchis aux traitements que j'éprouve, 
moins je puis comprendre ce qu'on me veut. Éga- 
lement tourmenté, quelque parti que je prenne, 
je n'ai la liberté ni de rester où je suis, ni d'aller 
où je veux ; je ne puis pas même obtenir de savoir 
où Fon veut que je sois , ni ce qu'on veut faire de 
moi. J'ai vainement désiré qu'on disposât ouver- 
tement de ma personne; ce seroit me mettre en 
repos, et voilà ce qu'on ne veut pas. Tout ce que 



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368 CORRESPONDANCE, 

je sens est qu'on est importuné de mon existence , 
et qu'on veut faire en sorte que je le sois moi- 
même; il est impossible de s y prendre mieux pour 
cela. Il m'est cent fois venu dans l'esprit de pro- 
poser mon transport en Amérique, espérant qu'on 
voudroit bien m'y laisser tranquille, en quoi je 
crois bien que je me flattois trop ; mais enfin j'en 
aurois fait de bon cœur la tentative si nous étions 
plus en état, ma femme et moi, d'en supporter le 
voyage et l'air. Il me vient une autre idée dont je 
veux vous parler, et que ma passion pour la bo- 
tanique m'a fait naître ; car, voyant qu'on ne vou- 
loit pas me laisser herboriser en repos, j'ai voulu 
quitter les plantes ; mais j'ai vu que je ne pou vois 
plus m'en passer : c'est une distraction qui m'est 
nécessaire absolument; c'est un engouement d'en- 
fent, mais qui me durera toute ma vie. 

Je voudrois , monsieur, trouver quelque moyen 
d'aller la finir dans les îles de l'Archipel, dans 
celle de Chypre, ou dans quelque autre coin de 
la Grèce; il ne m'importe où, pourvu que je 
trouve un beau climat fertile en végétaux, et que 
la charité chrétienne ne dispose plus de moi. J'ai 
dans l'esprit que la barbarie turque me sera moins 
cruelle. Malheureusement, pour y aller, pour y 
vivre avec ma femme, j'ai besoin d'aide et de pro- 
tection. Je ne saurois subsister là bas sans res- 
source; et sans quelque faveur de la Porte, ou 



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ANNÉE 1768. 369 

quelque recommandation du moins pour quel- 
qu'un des consuls qui résident dans le pays, 
mon établissement y seroit totalement impossible. 
Comme je ne serois pas sans espoir d'y rendre 
mon séjour de quelque utilité au progrès de This- 
toire naturelle et de la botanique, je croiroîs 
pouvoir à ce titre obtenir quelque assistance des 
souverains qui se font honneur de le favoriser. 
Je ne suis^s un Tournefort, ni un Jussieu ; mais 
aussi je ne ferois pas ce travail en passant, plein 
dfutres vues, et par tâche : je m^ livrerois tout 
entier, uniquement par plaisir, et jusqu'à la mort. 
Le goût, l'assiduité, la constance, peuvent sup- 
pléer à beaucoup de oonnoissances, et même les 
donner à la fin. Si j'avois encore ma pension du 
roi d'Aagleterre, elle me suffiroit, et je ne de- 
manderois rien, sinonrquon favorisât mon pas- 
sage, et qu'on m'accordât quelque recommanda- 
tion. Mais , sans y avoir renoncé formellement, je 
me suis mis dans le cas de ne pouvoir demander, 
ni désirer même honnôtemçnt qu'elle me soit 
continuée; et d'ailleurs, avant d'aller m'exiler là 
pour le reste de mes jours, il me faudroit quelque 
assurance raisonnable de n'y pas être oublié et 
laissé mourir de.faim. J'avoue qu'en faisant usage 
de mes propres ressources, j'en trouverois dans le 
fruit de mes travaux passés de suffisantes pour 
subsister où que ce fût; mais cela demanderoit 

CORRE8FOBDARGE. T. y. ^4 



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i^o CORRESPONDANCE, 

d autres arrangements que ceux qui subsistent, et 
des soins que je ne suis plus en état d'y donner. 
Pardon, monsieur : je vous expose bien confusé- 
ment l'idée qui m'est Venue, et les obstacles que 
je vois à son exécution. Cependant, comme ces 
obstacles ne sont pas insurmontables, et que cette 
idée m'offre le seul espoir de repos qui me peste, 
j'ai cru devoir vous-en parler, afin que, sondant 
le terrain, si l'occasion s'en présente, «^it auprès 
de quelqu'un qui ait du ci*édit à la*^ur, et <Jes 
protecteurs que vous me connoissez, soit pour 
tâcher de savoir en quelle dispositioiti'on seroit 
à celle de Londres pour protéger mes herborisa- 
tions dans l'ArchipeJ, vous^puissiez me marquer 
si l'exil dans ce pays-là que je délire peut être fa- 
vorisé d'un des deux souverains. Au restq^îl i^'y a 
que ce moyen de le rendre praticable^ et je ne me 
résoudrai jamais, avec qilelque ardeur que je le 
désire, à recourir pour cela à aucun particulier, 
quel qu'il soit. La voie la plus courte et la plus 
sûre de savoir là-dessus ce qui se peut fiairp seroit, 
à mon avis , de consulter madame la maréchale de 
Luxembourg. J'ai même une si pleine confiance; 
et dans sa bonté pour moi, et dans ses lumières, 
que je voudrois que vous ne parlas^ez d'abord de 
ce projet qu'à elle seule, que vous ne ^ssiez là- 
dessus que ce qu'elle approuvera, et que vous n'y 
pensiez plus si elle le juge impraticable. Vous 



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ANNÉE 176». 371. 

m'avez écrit, monsieur, de compter sur vous. 
Yoilà ma réponse. Je mets mon sort dans vos 
mains , autant qu*il peut dépendre de moi. Adieu , 
nqionsieur ; je vous embrasse de tout mon cœur. 
4 

LETTRE DCCCL. 

• A M. MOULTpU. 

Boui^in, le lo octobre 1768. 

'Vos lettre^, monsieur, me sont parvenues. Je 
ne répondis poii^t à la première, parceque vous 
m annonciez votre prochain départ de Genève; 
mais j'y crus voir de votre part la continuation 
dune amitié à laquelle je serai toujours sensible, 
et j'y trouvai la clef de bien des mystères auxquels 
depuis long-temps je ne comprenois rien. Cela m'a 
Élit rompre, jin peu imprudemment peut-être, 
avec des ingrats dont j'ai plus à craindre qua 
espérer, après m'être perdu pour leur service; 
mais mon horreur pour toute espèce de déguise- 
ment augmente avec TefFet de ceux dont je suis la 
victime. Aussi-bien, dans letatoù l'on m'a réduit, 
je puis désormais être franc impunément ; je n'en 
deviendrai pas plus misérable. 



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372 CORRESPONDANCE. 

J'ignore absolument ce que c'est que le château 
de Lavagnac, à qui il appartient, sur quel pied 
j'y pourrois loger, s'il est habitable pour moi, 
c'est-à-dire à ma manière , et meublé; en un mot, 
tout ce qui s'y rapporte, hors le pea que vous 
m'en dites dans votre dernière lettre, et qui me 
paroît très attrayant. Coindet ne m^en a jamais 
parlé , et cela ne m'étonne guère. Votre courte des- 
cription du local est charmante. Vous m'offrez 
de m'en dire davantage, et même d'aller prendre 
des éclaircissements sur les lieux. Je suis bien 
tenté de vous prendre au mot : car aller habiter 
un si beau lieu , moi qui n!ai d'asile qu'au cabaret ; 
vous voir en passant; être voisin de M. Venél, 
pour lequel j'ai la plus véritable estime : tout cela 
m'attire assez fortement pour me déterminer pro- 
bablement tout-à-feiit, pour peu que les conve- 
nances dont j'ai besoin s'y rencontrent. A l'égard 
du profond secret que vous me promettez, vous 
n'en êtes plus le maître; ne laissez pourtant pas 
de le garder autant qu'il vous sera possible ^ je 
vous en prie instamment, puisque votre lettre a 
été ouverte, quoique celle qui lui servoit d\;nve- 
loppe ne l'ait pas été. Avis au lecteur. 

J'apprends avec le plus vrai plaisir que votre 
voyage a été salutaire à la santé de madame 
Moultou : mon empressement de vous voir est 
encore augmenté par le désir d'être connu d'elle. 



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ANNÉE 1768. 373 

et de lui agi'éer. Si je n'obtiens pas qu'elle ap- 
prouve votre amitié pour moi, et qu'elle en suive 
l'exemple, je réponds au moins que ce ne sera 
pas ma faute; mais , conune je désire m*arrêter un 
peu à Montpellier pour voir M. Gouan et le jar- 
din des Plantes, je ne logerai pas chez vous. Je 
vous prierai seulement de me chercher deux 
chambres dans votre voisinage, et qui n'empê- 
cheront pas, si je. ne vous importune point, que 
vous ne me voyiez chez vous presque autant que 
si j'y logeois, à condition que vous ne fermerez 
pour cela votre porte à personne : les sociétés 
bonnes pour vous seront sûrement très bonnes 
pour moi ; et si je ne suis pas bon pour elles, ce 
ne sera pas faute de ma volonté. 

Vous savez sûrement que ma gouvernante , et 
mon amie, et ma sœur, et mon tout, est enfin 
devenue ma femmi^. Puisqu'elle a voulu suivre 
mon sort et partager toutes les misères de ma vie, 
j'ai dû faire au moins que ce fiit avec honneur. 
Vingt -cinq ans d'union des cœurs ont produit 
enfin celle des personnes. L'estime et la confiance 
ont formé ce lien. S'il s'en formoit plus souvent 
sous les mêmes auspices, il y en auroit moins de 
malheureux. Madame Renou ne sera point l'or- 
nement d'un cercle, et les belles dames riront 
d'elle sans que cela la fâche ; mais elle sera, jus- 
qu'à la fin de mes jours, la plus douce consola- 



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374 CORRESPONDANCE. 

tion , peut-être liinique, d'un homme qui en a le 

plus g^rand besoin. 

Je vous embrasse de tout mon cœur. 

Vous pouvez m*écrire en droiture à M. Renou , 
à Bourgoin en Dauphiné. 



LETTRE DCCpLI. 

A M. LALLIAUD. 

Bourgoin, le iS octol)re 1768. 

J ai, monsieur, votre lettre du 1 3 et les autres. 
Je ne vous ferai point d'autres remerciements des 
peines que je vous donne que d'en profiter; il en 
est pourtant que je voudrois vous éviter, comme 
celle des duplicata de vos lettres que vous prenez 
inutilement, puisqu'il est de la dernière évidence 
que, si Ion prenoit le parti de supprimer vos let- 
tres, on supprimeroit encore plus certainement 
les duplicata. 

Je sens l'impossibilité d'exécuter mon projet : 
vos raisons sont sans réplique; mais je ne con- 
viens pas qu'en supposant cette exécution possi- 
ble, ce seroit donner plus beau jeu à mes enne- 
mis ; je suis certain de ne pouvoir pas plus éviter 
en France qu'en Angleterre de tomber dans les 



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ANNÉE 1768. ' 375 

mains de leurs satellites ; au lieu que les pachas 
ne se piquant pas de philosophie, et n'étant que 
médiocrement galants, les Machiavels et leurs 
amies ne disposeroient pas tout-à-fait aussi aisé- 
ment d'eux que de ceux d'ici. Le projet que vous 
subëtituez au mien, savoir, celui de ma retraite 
dans les Gévennes, a été le premier des miens en 
songeant à quitter Trye; je le proposai à M. le 
prince de Conti, qui s'y opposa et me força de l'a- 
bandonner. Ce ^projet eût été fort de mon goût, 
et le seroit encore? mais je vous avoue qu'une ha- 
bitation tout-à-fait îsolée m'effraie un peu depuis 
que je vois dans ceux qui disposent de moi tant 
d'ardeur à m'y confiner. Je ne sais ce qu'ils veu- 
lent faire de moi dans un désert; mais ils m'y 
veulent entraîner à toute force, et je ne doute pas 
que ce ne soit l'une des raisons qui les a portés à 
me chasser de Trye, dont l'habitation ne leur pa- 
roissoit pas encore .assez solitaire pour leur objet, 
quoique le vœu commun de son altesse, de ma- 
dame la maréchale, et le mien, fût que j'y finisse 
mes jours. S'ils n'avoient voulu que s'assurer de 
moi, me diffamer à leur aise, sans que jamais je 
pusse dévoiler leurs trames aux yeux du public , 
ni même les pénétrer, c'étoit là qu'ils dévoient me 
tenir, puisque, maîtres absolus dans la maison du 
prince où il n'a lui-même aucun pouvoir, ils y 
disposoient de moi tout à leur gré. Cependant , 



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376 CORRESPONDANCE, 

après avoir tâché de me dissuader d'y rentrer et de 
me persuader d'ep sortir, trouvant ma volonté 
inébranlable , ik o.nt fini par m'ea chasser de vive 
force par les mains du sacripan que le maître avoit 
chargé de me protéger, mais qui se sentoit trop 
bien protégé ici, même par d'autres, pour sifoiv 
peur de désobéir. Que me veulent-ils maintenant 
qu'ils me tiennent tout-à-fait? Je Tignore ; je sais 
seulement qvCils ne me veulent ni à Trye, ni dans 
une ville , ni au voisinage d aucup ami , ni même 
au voisinage de personne, et qvCik ne veulent 
autre chose encore que simplement de s'assurer 
de moi. Convenez que voilà de quoi donner à pen- 
ser. Gomment le prince me protégera-t-il ailleurs 
s'il n'a pu me protéger dans sa maison même? Que 
devîendrai-je dans ces montagnes si je vais m'y 
fourrer sans préliminaire, sans eonnoissance , et 
sûr d'être, comme par-tout, la dupe et la victime 
du premier fourbe qui viendra me circonvenir? 
Si nous prenons des arrangements d'avance, il ar- 
rivera ce qui est toujours arrivé, c'est que M. le 
prince de Conti et madame la maréchale ne pou- 
vant les cacher aux machiavélistes qui les entou- 
rent, et qui se gardent bien de laisser voir leurs 
desseins secrets, leur donneront le plus beau jeu 
du monde pour dresser d'avance leurs batteries 
dans le lieu que je dois habiter. Je serai attendu 
là, comme je Fétois à Grenoble, et comme je le 



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ANNÉE 1768. 377 

suis par-tont où Ton sait que je veux aller. Si c est 
une maison isolée, la chosejeur sera cent fois plus 
commode : ils n auront à corrompre que les gens, 
dont je dépendrai pour tout et en tout. Si ce n étoit 
que pour m'espionner, à la bonne heure, et très 
peu m'importe. Mais c'est pourautre chose, comme 
je vous l'ai prouvé ; et pourquoi? Je l'ignore , et je 
m'y perds ; mais convenez que le doute n'est pas 
attirant. 

Voilà , monsieur, des considérations que je vous 
prie de bien peser, à quoi j'ajoute les incommo- 
dités infinies d'une habitation isolée pour un 
étranger, à mon âge et dans mon état, la dépense 
au moins triple, les idées terribles auxquelles je 
, dois être en proie, ainsi séquestré du genre hu- 
main, non volontairement et par goût, mais par 
force et pour assouvir la rage de mes oppresseurs : 
car d'ailleurs je vous jure que mon même goût 
pour la solitude est plutôt augmenté que diminué 
par mes infortunes; et que, si j'étois pleinement 
libre et maître de mon sort, je choisirois la plus 
profonde retraite pour y finir mes jours. Bien 
plus, une captivité déclarée n'auroit rien de pé- 
nible et de triste pour moi. Qu'on me traite comme 
on voudra, pourvu que ce soit ouvertement, 
je puis tout souffrir sans murmure; mais mon 
cœur ne peut tenir aux flagorneries d'un sot 
fourbe qui se croit fin parcequ'il est faux. J etois 



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378 CORRESPONDANCE, 

tranquille aux cailloux des assassins de Motiets j 
et ne puis Tètre aux phrases des admirateurs de 
Grenoble. 

Il faut vous dire encore que ma situation pré- 
sente est trop désagréable et violente pour que je 
ne saisisse pas la pitemière occasion d'en sortir ; 
ainsi des arrangements d une exécution éloignée 
ne peuvent jamais être pour moi des engagements 
absolus qui m'obligent à renoncer aux ressoul'ces 
qui peuvent se présenter dans Fintervalle. J'ai dû, 
monsieur, entrer avec vous dans ces détails aux^ 
quels je dois ajouter que l'espèce de liberté de dis- 
poser de moi, que mes ressources me laissent, 
n'est pas illimitée ; que ma situation la restreint 
tous les jours; que je ne puis former des projets 
que pour deux ou trois années, passé lesquelles 
d'autres lois ordonneront de mon sort et de ôelui 
de ma compagne ;^ mais l'avenir éloigné ne m'a 
jamais effrayé. Je sens qu'en général, vivant ou 
mort, le temps est pour moi ; mes ennemis le sen- 
tent aussi, et c'est ce qui les désole : ils se pressent 
déjouer de leur reste ; dès maintenant ils en ont 
trop fait pour que leurs manœuvres puissent res- 
ter long-temps cachées ; et le moment qui doit les 
mettre en évidence sera précisément celui où ils 
voudront les étendre sur l'avenir. Vous êtes jeune, 
monsieur; souvenez- vous de la prédiction que je 
vous fais , et soyez sûr que vous la verrez accom- 



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ANNÉE 1768. 379 

plie. Il me reste maintenant à vous dire que, pré- 
venu de tout cela, vous pouvez agir comme votre 
cœur vous inspirera , et comme votre raison vous 
éclairera : plein de confiance en vos sentiments 
et en vos lumières , certain que vqus n'êtes pas 
homme à seryir mes intérêts aux dépens de mon 
honneur, je vous donne toute ma confiance. Voyez 
madame la maréchale ; la mienne en elle est tou- 
jours la même. Je compte également et sur ses 
bontés, et snr celles de M. lé prince de Conti ; mais 
l'un est subjugué, l'autre ne lest pas , et je ratifie 
d'avance tout ce que vous résoudrez avec elle, 
comme £àh pour mon plus grand bien. A l'égard 
du titre dont vous* me parlez, je tiendrai toujours 
à très grand honneur d'appartenir à S. A. S. , et il 
ne tiendra pas à moi de le mériter; mais ce sont 
de ces choses qui s!acceptent, et qui ne se deman- 
' dent pas. Je ne suis pas encore à la fin de mon ba- 
vardage, mais je suis à la fin de mon papier; j ai 
pourtant encore à vous dire que l'aventure de 
Thevenin a produit sur moi l'effet que vous desi- 
riez. Je me trouve moi-même fort ridicule d avoir 
pris à cœur une pareille aflfeire, ce que je n'aurois 
pourtant pas fait, je vous jure, si je n'eusse été 
sûr que c'étoit un drôle aposté. Je desirois , non 
par vengeance assurément, mais pour ma sûreté, 
qu on dévoilât ses instigateurs: on ne l'a pas voulu, 
soit; il en viendroit mille autres que je ne dai- 



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38o . CORRESPONDANCE, 

gnerois pas même répondre à ceux qui m*eD par- 
leroient. Bonjour, monsieur ; je vous embrasse de 
tout mon coeur. - 

P. S. Toubliois dfe vous dire que mon chamoi- 
seur est bien le cordonnier de M. de Tanley ; il 
apprit le métier de cbamoiseur à Tverdun après 
sa retraite. J ai fait faire en Suisse des informa- 
tions , avec la déposition juridique et légalisée du 
cabaretier Janin. * 



^■%*V»^/w-\«»/*^«, %/^m^^^\/*/%i%/%t% -%/%/%'^%/%%^»/m^%*%/%^%/%r^ 



LETTRE DGCCLII. 

A M. DU PEYROU. 

Bourgoin , Iç 3o octobre 1 76S. 

Voici, j'espère, la dernière fois que j'aurai à 
VOUS parler du sieur fbevenin, dont je n'entends 
plus parler moi-même. Après les preuves pé- 
remptoires que j'ai données à M. de Tonnerre de 
la fourberie de cet imposteur, il en a bien fallu 
convenir à la fin , et il m'a offert de le punir par 
quelques jours de prison, comme si le but de tous 
les soins que j'ai pris et que j'ai donnés à ce sujet, 
étoit le châtiment de ce misérable. Vous croyez 
bien que je n'ai pas accepté. L'imposteur étant 



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ANNÉE 1768. 38 1 

convaincu , rien n étoit plus aisé que de le faire 
parler et de remonter peut-être à lajource de oe 
complot profondément ténébreux dont je suis la 
victime depuis plusieurs années , et dont je dois 
Têtre jusqu £(^a mort. Je me le tiens pour dit ; et, 
prenant enfin mon parti sur les manoeuvres des 
hommes, je les laisserai désormais ourdir et tra^- 
mer leurs iniquités, cevtain, quoi qu'ils puissent 
jfaire, que le tem{)s et la vérité seront plus forts 
qu'eux. Ce qu'il mç reste de toute cette affaire est 
un tendre souvenir de» soins que mes amis ont 
bien voulu se donner en cette occasion, pour con- 
fondre l'imposture, et je §uis en particulier très 
sensible à l'activité de M. Guyenet, dont je rfavois 
pas le même droit d'en attendre, et avec qui je 
n'étois plus en relation. J'apprends qu'il com- 
mence à se ranger, et je. m'en réjouis de tout mon 
cœur, pour le bonheur de son excellente petite 
femme. et le sien. Je finis, mon cher hôte, un peu 
à la hâte, en vous embrassant au nom de ma 
femme et au mien. 'J'embrasse M. Jeannin. 



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38a CORRESPONDAIUCE. 

LETTRE. DCCCLIII. 

A M. LALLIAUD. ♦ 

Bourgoin, le 2 novembre 1768. 

Depuis la dfi'nière lettre, modsieur, que je vous 
ai écrite, et dont je nai pas encore la réponse, 
j ai reçu de M. le duc deChoiseifl jin passe-port 
que je luia\tois demandé pour sortir du royaume, 
il y a près de $îx semaines, et auquel je ne son- 
{feois'plus. Me sentant de plus en plus dans l'ab- 
solue nécessité de me servir de ce passe-port, j ai 
délibéré, dans la cruelle extrémité où jeme trouve, 
et dans la saison où nous sommes, sur Tusage qu6 
j*en ferois ,i»ne voulant ni ne pouvant le laisser 
écouler comme l'autre. Vous serez étonné du ré- 
sultat de ma délibération, faite pourtant avec tout 
le poids , tout le sang-froid , toute la réflexion dont 
je suis capable; c'est de retourner en Angleterre, 
et d'y aller finir mes jours dans ma solitude de 
Wootton. Je crois cette résolution la plus sage 
que j'aie prise en ma vie, et j'ai, pour un des ga- 
rants de sa solidité, l'horreur qu'il m'a fall» sur- 
monter pour la prendre , et telle qu'en cet instant 
même je n'y puis penser sans frémir. Je ne puis, 



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ANNÉE 1768. 383 

monsieur, vous en dire davantage dans une lettre ; 
mais mon parti est pria, et je m'y sens inébran- 
lable, à proportion de ce qu'il m'en a coûté pour 
le prendre* Voici une lettre qui s'y rapporte, et 
à laquelle je ji^ous prie de vouloir bien donner 
cours. J'écris à M. l'ambassadeur d'Angleterre; 
mais je ne sais s'il est à Paris. Vous m'obligeriez 
de voijloir bien vous en informer; et, si vous 
pouviez même parvenir à savoir s'il a reçu ma 
lettxe, vous feriez une bonne œuvre de m'en don- 
ner avis; car, tandis que j'attends ici sa réponse, 
mon passe-port s'écoule et le temps est précieux. 
Vous êtes trop clairvoyant pour ne pas sentir 
combien il m'importe que la résolution que je' 
vous communique demeure secrète , et secrète 
sans exception : toutefois je n'exige rien de vous 
que cg^que la prudence et votre amitié çn exige- 
ront. Si^M. l'ambassadeur d'Angleterre ébruite ce 
3essein c'est'tout autre chose, et d'ailleurs je ne 
l'en puis empêcher,. En prenant morf parti ^ur ce 
point , vous sentez que je l'ai pris sur tout le «este. 
Je quitterai ce continent, comme je quitterois. le 
séjour de la lunç. L'autre fois, ce n'étoit pas la 
même chose; j'y lai$soi« des attachements, j'y 
■ croyois laisser des amis. Pardoa, monsieur; mais 
je parle des anciens. Vous sentez que les nou- 
veaux , quelque vrais qu'ils soient , ne laissent pas 
ce§ déchirements de cœur qui le font saigner du- 



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384 CORRESPONDANCE, 

rant toute la vie, par la rupture de la plus douce 
habitude qu il puisse contracter. Toutes mes bles- 
sures saigneront , j'en conviens , le reste de mes 
jours ; mais mes erreurs , du moins , sont bien 
guéries; la cicatrice est faite de ce côté-là. Je vous 
embrasse. 



LETTRE DCCCLIV. 

A M. MOUIiTOU. 

Bourgoin , lé 5 novembre 1768. 

Vous avez fait , cher Moultou , une perte que 
tops vos amis et tous lits honnêtes gens doivent 
pleurer ^vtc vous, et j en ai fait une partiaiilière 
dans yotre digne père par les sentiments dont il 
m'honoroit, et dont tant de faux amis, dont je 
suis U victime, m ont bien fait connoitre le prix. 
Cestainsi, cher Moultou , que je meurs ^n détail 
dans tous ceux qui m'aiment, tandis que ceux qui 
me haïssent et me trahissent semblent trouver 
dans lage et dans les années une nouvelle vigueur 
pour me tourmenter. Je vous entretiens de ma 
perte au lieu de parler de la vôtre, mais la vérb 
table douleur, qui n a point de consolation ,■ ne 
sait guère en trouver pour autrui; on coijsole les 



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ANNÉE 1768. 385 

indifférents, mais on s'afflige avec ses amis, U me 
semble que si j'étois près de vous, que nous uous 
embrassassions, que nous pleurassions tous deux , 
sans nous rien dire, nos cœurs se seroient beau- 
coup dit. 

Cruel ami^ que de regrets vous me prépare» 
dans votre description de ïjavagnac ! Hélas ! ce 
beau séjour étoit l'asile qu*il me (klloit; j'y aurois 
oublié, dans un doux repos , les ennuis de ma vie ; 
je pou vois espérer d'y trouver enfin de paisibles 
jours, et d'y attendre sans impatience la mort, 
qu'ailleurs je désirerai sans cesse. Il est trop tard. 
La fatale destinée qui m'entraîne ordonne autre- 
ment de mon sort. Si j'en a vois été le maître, si le 
prince lui-même eût été le maître chez lui, je ne 
serois jamais sorti de Trye, dont il navoit rien 
épargné ppur me rendre le séjour agréable. Ja- 
mais prince n'en a tant fait pour aucun particu- 
lier qu'il en a daigné faire pour moi. « Je le mets 
« ici à ma place , disoit-il à son officier ; je veux 
« qu'il ait la même autorité que moi , et je n'en- 
" tends pas qu'on lui offre rien , parceque je le fais 
« le maître de tout. « Il a même daigné me venir 
voir plusieurs fois, souper avec moi tête à tête, 
me dire , en présence de toute sa suite , qu'il ve- 
noit exprès pour cela, et, ce qui m'a plus touché 
que tout le reste, s'abstenir même de chasser, de 
peur que le motif de son voyage ne fût équivoque. 

CORRESFOKDAKGE. T. V. 2$ 



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386 CORRESPONDANCE. 

Eh bien ! cher Moultou , malgré ses soins , ses or- 
dres les plus absolus, malgré le désir, la passion, 
j'ose dire, qu'il avoit de me rendre heureux dans 
la retraite qu'il m'a voit donnée, on est parvenu à 
m'en chasser, et cela par des moyens tels que 
rborrible récit nen sortira jamais de ma bouche 
ni de ma plume. Son altesse a tout su, et n'a pu 
desapprouver ma retraite; les bontés, la protec- 
tion, ramitîé de ce prand homme, m ont «uivi 
dans cette province, et n'ont pu me garantir des 
indignités que j y ai souffertes. Voyant qu'on ne 
me laisseroit jamais en repos dans le royaume, 
j ai résolu d en sortir; j'ai demandé un passe-port 
à M» de Ghoiseul, qui, après m'avoir laissé long- 
temps sans réponse, vient enfin de m'envoyer ce 
passe-port. Sa lettre est très polie, mais n'est que 
cela ; il m'en avoit écrit auparavant d o)>ligeantes. 
Ne point m'inviter à ne pas faire usage de ce passe- 
port c'est m'inviter en quelque sorte à en faire 
usage. Il ne convient pas d'importuner les mi- 
nistres pour rien. Cependant, depuis le moment 
où j'ai demandé ce passe -port jusqu'à celui où je 
l'ai obtenu, la saison s'est avancée, les Alpes se 
sont couvertes de glace et de neige; il n'y a plus 
moyen de songer à les passer dans mon état. Mille 
considérations impossibles à détailler dans une 
lettre m'ont forcé à prendre le parti le plus vio- 
lent, le plus terrible auquel mon cœur pût jamais 



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ANNÉE 1768. 387 

se résoudre; mais'le seul qui m'ait paru me rester 
c'est de repasser en Angfleterre, et daller finir 
mes malheureux jours dans ma triste solitude de 
Wootton, où, depuis mon départ, le propriétaire 
ma souvent rappelé par fdree cajoleries. Je viect$ 
de lui écrire eiî conséquence de cette résolution; 
j ai même écrit aussi à lambassàdeur d'A ngleterre. 
Si ma proposition est acceptée^ comme elle le sera 
infailliblement, je ne puis plus m'en dédire, et il 
faut pîH^tir. Rien ne peut égaler l'honneur <|aé 
m'inspire ce voyage; mais je ne vois plus de moyen 
de m'en tirer sans mériter des reproches ; et â 
tout âge, sur-tout au mien, il vaut mieux être 
malheureux que coupable. 

J'aurois doublement tort d'acheter par rien de 
répréhensible le repos du peu de jours qui irie 
restent à passer; mais je vous avoue que ce beau 
séjour de Lavagnac , le voisinage de M. Venel , 
l'avantage d'être auprès de Spii àmi, par c(msé- 
quent d'un honnête homme ; au lieu 4^'à Trye 
j etois entre les mains du dernier des malheureux, 
tout cela me suivra en idée dans ma sombre re- 
traite, et y augmentera ma misère pour n'avoir 
pu faire mon bonheur. Ce qui me tourmente en- 
core plus en ce moment est une lueur de vaine 
espérance dont je vois l'illusion , mais qui m'in- 
quiète malgré que j'en aie. Quand mon sort sera 
parfaitement décidé , et qu'il ne me restera qu'à 

2 5. 



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388 CORRESPONDANCE, 

m y soumettre, j aurai plus de fraaquillité« (Test, 
en attendant, un grand soulagement pour mon 
cœur d'avoir épanché dans le vôtre tout ce détail 
de ma situation. Au reste, je suis attendri d'ima- 
giner vos dames , vous , et M. Venel , feisant en- 
semble ce pèlerinage bienfaisant, qui mérite mieux 
que ceux de Lorette d'être mis au nombre des 
oeuvres de miséricorde. Recevez tous mes plus 
tendres remerciements et ceux de ma femme; 
faites agréer ses respects et les miens à vo& dames. 
Nous vous saluons et vous embrassons l'un et 
l'autre de tout notre cœur. 

P. 5. J'ai proposé l'alternative de FAqgleterre , 
et de Minorque que j'aimerois mieux à causer du 
climat. Si ce dernier parti est préféré, ne pour- 
rions-nous pas nous voir avant mon départ ^ soit 
à Montpellier, soit à Marseille? 

Autre P, S. Si j avois reçu votre lettre avant le 
départ dçs miennes, je doute qu'elles fussent 
parties. 



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ANNÉE 1768. 389 



LETTRE DCCCLV. 

A M. LALLIAUD. 

Bour£[oiD, le 7 noyembre 1768. 

Depuis ma dernière lettre, monsieur, j ai reçu 
d'un ami Fincluse, qui a fort augmenté mon re- 
gret d'avoir pris mon parti si brusquement; la 
situation charmante de ce château de Lavagnac, 
le maître auquel il appartient, l'honnête homme 
qu'il a pour agent, la beauté, la douceur du cli- 
mat, si convenable à mon pauvre corps délabré, 
le lieu assez solitaire pour être tranquille, et pas 
assez pour être un désert; tout cela, je vous l'a- 
voue, si je passe en Angleterre ou mêmeàMahon, 
car j'ai proposé l'alternative, tout cela, dis-je, me 
fera souvent tourner les yeux et soupirer vers cet 
agréable asile, si bien fait pour me rendre heu- 
reux , si l'on m'y laissoit en paix. Mais j'ai écrit : si 
l'ambassadeur me répond honnêtement, me voilà 
engagé; j'aurois l'air de me moquer de lui si je 
changeois de résolution; et d'ailleurs ce seroit, 
en quelque sorte, marquer peu d'égard pour le 
passe-port que M. de Choiseul a eu la bonté de m'en- 
voyer à ma prière. Les ministres sont trop occu- 



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Sgo CORRESPONDANCE, 

pés, et d affaires trop importantes, pour qu'il soit 
permis de les importuner inutilement : d'ailleurs , 
plus je regarde autour de moi, plus je vois avec 
certitude qu'il se brasse quelque chose, sans que 
je puisse deviner quoi, Thevenin n'a pas été aposté 
pour rien : il y avoit dans cette farce ridicule quel- 
que vue qu'il m*est impossible de pénétrer; et, 
dans la profonde obscurité qui m'environne, j'ai 
peur au moindre mouvement de faire un faux 
pas. Tout ce qui m'est arVivé depui» mon retour 
en France, et depuis mon départ de Trye, me 
montre évidemment qu'il n^ a que M. le prince 
de Conti, parmi ceux qui m'aiment, qui sache au 
vrai le secret de ma situation, et qu'il a fait tout 
ce qu'il A pu pour la rendre tranquille sans pou- 
voir y réussir. Cette persuasion m'arrache des 
élans de reconnoissance et d'attendrissetnént vers 
ce grand prince , et je me reproche vivement mon 
impatience au sujet du silence qu'il a gardé sui* 
ines deux dernières lettres ; car il y a peu de temps 
que j'en ai écrit à son altesse une seconde,. qu'elle 
n a peut-être pas plus reçue que la première : c'est 
de quoi je desirerois extrêmement d'être instruit. 
Je n'ose en ajouter une pour elle dans ce paquet, 
de peur de le grossir au point de donner dans la 
vue ; mais si , dans ce moment critique , vous aviez 
pour moi la charité de vous présenter à son au- 
dience, vous me rendriez un office bien signalé de 



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ANNÉE 1768. 391 

rinformer de ce qui se passe, et de me faire par- 
venir son avis, c'est-à-dire ses ordres; car, dans 
tout ce que j ai fait de mon chef, je n'ai fait que 
de$ sottises, qui me serviront au moins de leçons 
à l'avenir, s'il daig^ne encore se mêler de moi. Dfe- 
mandez-lui aussi de ma part, je vous supplie, la 
permission de lui écrire désormais sous votre 
couvert, puisque sous le sien mes lettres ne 
passent pas. 

La tracasserie du sieur Thevenin est enfin ter- 
minée: après les preuves sans réplique que j'ai 
données à M. de Tonnerre de l'imposture de ce 
coquin, il ma offert de le punir par quelques 
jours de prison. Vous sentez bien que c'est ce que 
je n'ai pas accepté, et que ce n'est pas de quoi il 
étoit question. Vous ne Sauriez imaginer les an- 
goisses que m'a données cette sotte affaire j non 
pour ce misérable à qui je n'aurois pas daigné ré- 
pondre, mais pour ceux qui l'ont aposté, et que 
rien n'étoit plus. aisé que de démasquer, si on l'eût 
voulu : rien ne m'a mieux fait sentir combien je 
suis inepte et bête en pareil cas, le seul, à la vé- 
rité, de cette espèce où je me sois jamais trouvé. 
J'étois navré, consterné, presque tremblant; je 
ne savois ce que je disois en questionnant Hm- 
posteur ; et lui, tranquille et calme dans ses ab- 
surdes mensonges, portoit dans l'audace du crime 
toute l'apparence de la sécurité des innocents. Au 



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392 'S''?'^ CORRESPONDANCE, 
reste, j'ai fait passer à M. de Tonnerre larrét im- 
primé concernant ce misérable, qu'un ami ma 
envoyé, et par lequel M. de Tonnerre a pu voir 
que ceux qui a voient mis cet homme en jeu 
avoient su choisir un sujet expérimenté dans ces 
sortes d affaires. 

Je ne me trouvai jamais dans des embarras pa- 
reils à ceux où je suis, et jamais je ne me sentis 
plus tranquille. Je ne vois d'aucun côté nul es- 
poir de repos ; et, loin de me désespérer, mon cœur 
me dit que mes maux touchent à leur fin. Il en 
seroit bien temps, je vous assure- Vous voyez, 
monsieur, comment je vous écris, comment je 
vous charge de mille soins, comment je remets 
mon sort en vos Hiains et à vous seul. Si vous 
n'appelez pas cela de la confiance et de l'amitié, 
aussi bien que de Fimportunité et de l'indiscré-t 
tion peut-être, vous avez tort. Je vous embrasse 
de toi\t moûcœur. 



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ANNÉE 1768. 393 

LETTRE DCCCLVI. 

A M. DE SAINT-GERMAÎN'. 

9 novembre 1768. 

Je nai pas, monsieur, l'honneur d'être connu 
de vous, et je sais que vous n aimez pas mes opi- 

' * M . de Saint-Germain a fait unefNotioe sur, sa correspondance 
avec Jean> Jacques. En voici quelques passages. 

....... Les personnes clairvoyantes qui ont^uivi et vu de près 

M. Rousseau,, en le blâmant dans s^s écarts envers ceux qu'il re- 
gardoit comme ses persécuteurs, découvroient en lui^un amour 

pour ses semblables dont om trouveroît peu d'exemples Son ame 

bienfaisante lui enlevoit ie nécessaire pour soulager les malheu- 
reux , et lefaisoit malade pour .les maux d'autrui. En voici quel- 
ques traits dont M. de Saint-Germain ( c'est lui qui parle ainsi en 
tierce personne) a été témoin. 

« M. Rousseau , présent à la thute d'un écbafaud sur lequel étoit 
un maçon qui fut blessé grièvement, courut à lui, le fit porter dans 
son auberge , et lui fit donner tous les secours possibles. S'/iper- 
cevant quelque temps après que , malgré ses soins et une grosse 
dépense , cet bomme n'étoit ni pansé ni soigné comme il àuroit dû 
l'être, il écrivit à M. de Saiïit-Germain pour le prier de s'employer 
auprès du directeur de l'bôpital de Bourgoin , afin qu'il y fût reçu 
et recommandé, offrant de payer à cette maison, fondée seulement 
pour les pauirres malades du lieu , tout ce qu'il en pourroit coûter 
pour guérir cet étranger. Le directeur de l'hôpital J'y fit entrer, 
et après que ce maçon fut parfaitement guéri. il alla remercier son 
bienfaiteur. M. Rousseau sortit de suite pour payer le directeur, 



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394 CORRESPONDANCE, 

nions; mais je sais que vous êtes un brave mili- 
taire, un gentilhomme plein d'honneur et de 
droiture, qui a dans son cœur la véritable reli- 
gion , celle qui fait les gens de bien ; voilà tout ce 
que je cherche. On ne séduit pas M. de Saint- 
Germain, on Fintimide encore moins ; passez-fnoi, 

qui lui dit être satisfait. Persuadé que M. de Saint-Germaia avoit 
payé, il vint le trouver, et se pkiudre de ce qu'il lui eût enlevé 
UB bien à lui qu il réclamoit. M. de Saint-Germain eut beau dire , 
M. Rousseau voulut absolument payer la moitié de ce qu*avoitreçu 
l'hôpital. 

N Un incendie consuma la maison d'un paysan o& Ton ne put 
rien sauver. M. Rousseau en fut matàde; il envoya chercher l'in- 
cendié, lui donna un louis, et lui dit de prendre chez son boulanger 
le pain dont il auroit besoin pour lui ersa famille jusqu'à la récolte 
proch^ne. Le paysan lui répondit : Monsi^r, il vous en coûtera 
moins de nous faire donner quelques mesures de seigle ; M. Rous- 
seau fit fournir -pendant six mois tout le seigle dont cette famille 
eut besoin. 

« Sa bourse ne fut jamais fermée aux malheureux; on ne peut 
comprendre qu'avec une aussi médiocre fortuûe cet homme, dés- 
intéressé jusqu'au blâme, pût doniier autant. Personne à la vérité 
ne fut plus sobre que lui et n'eut moins de besoins, ne fut plus 
propre et n'usa moins. 

N M. de Saint-Germain , âccompafjné d'une autre personne, fiit 
visiter M* Rousseau, qui s'étoit retiré à la campagne. Peu après leur 
arrivée un homme vint frapper à la porte. M. Rousseau se lève , 
lui ouvre, et lui dit de revenir. L'homme insista en disant qu'il 
venoit deloin, et qu'il avait besoin de son argent. Alors il le fit 
entrer, et ces deux messieurs virent sept à huit vêtements de d^é- 
rente taille que cet homme apportoit.* M. Rousseau lui demanda ce 
^*il lui falloit, il répondit, dix-huit francs; ils lui furent payés. 
Voyant qym ces messieurs s'étoient aperçus de ce qu'il vouloit leur 
cacher, M. Rousseau leur dit^ C'est une Camille qui n'eSt pas vqtue ; 
\\ ne faut pas croire que de donner vingt-quati^e sous ou un petit 



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ANNÉE 1768. 395 

monsieur, la familiarité du terme : vous êtes pré- 
cisément Fhomme qu'il me fiiut. 

J aurois, monsieur, à mettre en dépôt dans le 
cœur d'un honnête homme des confidences qui 
n'en sont pas indignes, et qui soulageroient le 
mien. Si vous voulez bien être ce généreux dépo- 

ëcu à rîniportunité cTun pauvre, ce soit remplir les obligations de 
la charité. 11 faut chercher le besoin où il est , etc. 

M Pourroit-OQ croire que M. ]^oasseau, avec des* sentiments pa- 
reils, soutenus par unç pratique habituelle, ait pu être un empoi- 
sonneur, un fripon ? Il est cependant vrai qu'au sujet de son goût 
pdur la récherche des plantes il a été taxé d^y chercher du poison , 
et qu*on a cité un homme sur lequel on prétendoit qu'il en avoit 
fait Fessai, parcequil mourut d«nsles dt)uleurs d'une colique né- 
phrétique, malgré tous les secours que lui procura M. Rousseau. 
Obligé de subir une confrontation avec un ouvrier, il confondit cet 
imposteur, qui disoit lui avoir prêté à Neuchâtel neuf fVancs, que 
M. Rousseau n' avoit jamais voulu lui rendre. .... 

« Un fermier qui avoit fourni pendant quinze mois à M. Rous- 
seau des œufs, du beurre, du fromage, ^i toujours en avoit été 
payé beaucoup au-delà de ce que la chose valoh, et qui en outre 
avoit reçu de lui, ainsi que sa famille, mille bienfaits, eut l'ingrati- 
tude et la mauvaise foi de lui envoyer un mémoire que ce fermier 
afBrmoit lui être du , et ne lui avoir pas été payé par M. Rousseau 
avant soli départ. Cette demande, vérifiée par M» de Saint-Germain, 
fut prouvée fausse. 

« Une femme-de-chambre, prétendttnt à l'esprit, fatiguoit M.Rous- 
seau par des visites continuelles : furieuse de ce qu'il l'avoit chassée 
de chez lui, elle dit qu'il Tavoit voulu violer, et ce bruit se ré- 
pandit par-tout. 

« Tous ces événements, quoique fâcheux, n'auroient pas^dû af- 
fecter M. Rousseau au point où il l'étoit, encore moins lui persua- 
der que ces calomnies grossières étoient l'ouvrage de ses ennemis; 
autant à plaindre qu'à blâmer, il étoit, par s^ sensibilité et sa mé- 
fiance, sonpltis cruel ennemi à lui-même , etc. » 



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396 CORRESPONDANCE, 

sitaîre, ayez la bonté de m assigner chez vous 
l'heure et le jour d'une audience paisible , et je my 
rendrai. Je vous préviens que ma confiance ne 
sera mêlée d'aucune indiscrétion; que je nai à 
vous demander ni soins, ni conseils, ni rien qui 
puisse vous donner la moindre peine ou vous com- 
promettre en aucune façon : vous n'aurez d'autre 
usage à faire de ma confidence que d'en honorer 
un jour ma mémoire^ quand il n'y aura plus de 
risque à parler. Je ne vous dis rien de mes senti- 
ments pour vous, mais je vous en donne la preuve. 

LETTRE DCCCLVII. 

A M. LE COMTE DE TONNEBRE, 
En lui envoyant Fécrit suivant. 

Bourj^oin, le 9 novembre 1768. 

Monsieur, 

J'ai l'honneur de vous envoyer ci-jointe la dé- 
claration juridique du sieur Jeannet \ caba relier 
des Verrières, relative à celle du sieur Thevenin. 
De peur d'abuser de votre patience, je m'abstiens 

* * Ce Jeannet est noramé Janin dans les lettres précédentes; c'est 
sans doute une erreur de Rousseau, qui avoit été mal infornif*. - 



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ANNÉE 1768. 397 

de joindre à cette pièce celles que j ai reçues en 
mèniMe temps, puisqu'elle suffît seule à la suite des 
preuves que vous avez d^a pour démontrer plei- 
nement, non l'erreur^ maïs l'imposture de ce der- 
nier. Je n'aurois asstfrément pas eu l'indiscrétion 
de vous importuner de cette ridicule affaire, si le 
ton décidé sur létjuel M. Bovier se faisoit le por- 
teur de paréle de ce misérable n'eût excité ma 
juste indignati<Jn^ Vous m'avez fait Thonneur de 
me lûarquer qu'après ce^qui s'est passé mon pré- 
tendu cré^n(4er sq tiendra pour dit qu'il -ne sau- 
roit se flatter de 4rouv^r en moi son débiteur. 
Voilà, monsieur le comte, de quoi jamais il ne 
s'est flatté, je^ vous assure ; mais il s'est flatté, pre- 
mièrement, de mentir et m'avilira son aise; puis, 
après avoir dit tout pe quïl voukiit dire^et n'ayant 
plus qu'à se taire, de se taire ensuite tranquille- 
ment; et, s'il étoit enfin convaincu d'être un 
imposteur, de sortir néanmoins de cette affaire, 
confondu, très peu lui importe, mais impuni, 
mais triomphant. Pour un homme qui paroît si 
bête, je trouve qu'il n'a pas trop mal calculé. 

Je vous suppUe, monsieur, de vouloir bien or- 
donner, à votre commodité, que les deux pièces 
ci^j ointes me soient renvoyées avec la lettre de 
M. Roguin. Je sens (Jue j'ai fort abusé, dans cette 
occasion , de la permission que vous m'avez don- 
née de faire venir mes lettres sous votre pli. Je 



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398 CORRESPONDANCE, 

serai plus discret à lavenir; et si Timpunité du 
premier iburbe en suscite d autres elle me servira 
de leçon pour ne plus mien tourmenter. 

J ai rhonneur, monsieur le comte, de vous as^ 
sui^r de tout mon respect. • 

DÉCLARATION JURIDIQUE DU SfEUR JEANNET. 

L an î 768 , ctle dix-neuvième joifr du mois de 
septembre, par-devant noble et prudent Charles- 
Auguste du Terreaux , bourgeois de Neuchâlel et 
de Roitiaîn-Motiers^ maire pour sa jn^}csté le roi 
de Prusse , notre souver^^n prince et seigneur^ en 
la juridiction des Verrières, administrant justice 
par jour extraordinaire, mais aux Keu ^t heuve 
accoutumés, en la présence des sieurs jurés en 
icelle après nommés : 

Personnellement est comparu M. Guyeiiet, re- 
ceveur pour sa majesté, et lieutenant en Fhotio- 
rable cour de justice du Val-de-^TraverS , qui a 
représenté qu'ayant reçu depuis peu une lettre de 
M. J. J. Rousseau, datée de Bourgôin, du 8 du 
courant, par laquelle il lui marque que le nommé 
Thcveniff, chamoiseur de sa profession , lui ayant 
fait demander neuf livres argent de France, qu'il 
prétend lui avoir fait remettre en prêt, au logis 
du Soleil , à Saint-Sulpice , il y a à-peu-près dix ans ; 
et comme cet article est trop intéressant à l'hon- 
neur de mondit sieur Rousseau pour ne pas l'é- 



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ANNÉE Ï768. 399 

claircir, vuet d autant qu'il n'a jamais été dans le 
cas d emprunter cette somnxe dudit Tbevenin , et 
que cet article e$i controu vé ; c'est pourquoi mon- 
ditfc sieur le lieutenant Guyenet se présent* au- 
jourd'hui par-devant cette honorable justice , pour 
requérir que, par reconnoissance, il puisse jus- 
tifier authentiquement ce qull vient d'avancer, 
ay^t pour cet effet fait. citer en témoignage le 
sieur Jean-Henri Jeannet , cabaretier de ce lieu , 
présent, lequel et par qui l'argent que répète ledit 
Thevenin à înondit sieur Rousseau^ dok, suivant 
lui , avoir été.remis ; requérant qu'avant de faite 
déposer ledit sieur Jeannet il y soit appointé, ce 
qui a été eonnu. 

Et^pour y satisfmre ledit sieur Jeannet étant 
comparu , a , après serment intime sur les intçrro- 
gats circonstanciés à lui adressés , tendants à dire 
tout ce qu'il peut savoir de cette affaire^ déposé 
comme suit : 

Qu'il n'a aucuAe connoissance que Iç nommé 
Thevenin, chamoiseur, ait jamais prêté chez lui, 
déposant, ni ailleurs, aucun argent à M. Jean- 
Jacques Rousseau pendant tout le laps de temps 
qu'il a demeuré dans ce pays , n'ayant jamais 
eu l'honneur de voir dans son logis mondit sieur 
Rousseau.;,j3ien est-il vrai qu'il y a à-peu-près cinq 
ans qu'il le^^it s'en revenant du côté de Pontarlier, 
sans lui avoir parlé ni lavoir revu dès-lors. 



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4oo CORRESPONDANCE. 

Il se rappelle aussi très bieo qu'en 1762, pen- 
dant le courant du mois de mai , arriva chez kri un 
nommé Thevenin , qui se disoit être de la Gharité* 
sur-Loire, réfugié dans ce pay$ pour éviter l'effet 
d'une lettre de cacbet obtenue contée lui, lequel 
étoit accompagné du nommé Guîllobel, mar^ 
cband borloger du m^me lieu ; Jedit Tbevenin 
n ayant séjourné diez lui que buit à-dix jours, 
pendant lequel temps arriva encore dans son lo- 
gis un nommé Decustreau , qu'il €onnt)issoit de- 
puis prè»de vingt £ins, pour avoir logé ch^ lui 
à différentes fois, et duquel il peut produire des 
lettres. 

Ledit Decustreau partît au bout dé quelques 
jours pour Neucbâtel ; Tbevenin a\'ec lui Jeatmet 
l'accpmpagnèilBnt jusqu'à Saint-Sulpice, au logis 
du Soleil, où. iïs dînèrent. Après.le départ dudit 
Decustreau, ledit Tbevenin demanda au déposant 
s'il connoissoit ledit Decustreau ; il lui répondit 
qu'il le connoissoit pour avoir logé cbez lui. Cette 
deniande dudit Tbevenin ayant excité au dépo- 
sant I^ curiosité d'apprendre de lui pourquoi il 
lui formoit cette question , .ledit Tbeveiiin lui ré- 
pondit que c'étoit à cause d'un éou de trois livres* 
^ui\ avoit prêté audit Dçcustreau sur fa demande 
qu'il lui en aVoit faite. Et enfin ledit sig^ur Jeaanet 
ajoute que, pendant tout le temps quf ledit Tbe- 
venin a resté cbez lui, il ne lui a point parlé de 



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ANNÉE 1768. 4oi 

M. Rousseau , ni dit qu'il eût la moindre chose à 
faire avec lui; que ledit Tbevenin, lorsqu'il ar- 
riva dans ce pays, navoit point de profession, 
ayant dès-lors appris celle de chamoiseur à Esta- 
vayë-le-Lac. 

C'est tout ce que ledit sieur Jeannet a déclaré 
savoir sur cette affaire. 

Enfin mondit sieûr le lieutenant a continué à 
dire qu'étant nécessaire à M. Rousseau d'avoir le 
tout par écrit, pour lui servir en cas de besoin, il 
demandoit que par connoissance il lui fût adj ugé ; 
ce qui lui a été. 

Connu et jugé par les sieurs Jacques Lambelet, 
doyen, et Jacob Perroud, tous deux justiciers du- 
dit lieu ; et par mondit sieur le maire ordonné au 
notaire soussigné, greffier dès Verrières, de lui 
en faire l'expédition en cette forme. Le jour pré- 
dit, I g septembre 1768. 

Par ordonnance. 5igfn^ Jeanjaquet. 



COnRESPO:«DANCE. T. Y. 26 



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4o2 CORRESPONDANCE. 

LETTRE DCGCLVIII. 

A M. DE SAINT-GERMAIN. 

A Boargoin, le i3 novembre 1768. 

Mardi, monsieur, vous nétes pas libre, ni moi 
mercredi ; le jeudi même est douteux : reste donc 
demain, lundi, pour ne pas aller trop loin. Il me 
seroit moins incommode, il faut l'avouer, que 
vous me fissiez Thonneur de venir manger mon 
potage; mais comme une soupe de cabaret n'est 
pas trop présentable, et que j'y perdrois l'hon- 
neur de dîner avec madame de Saint-Germain, 
je préfère, monsieur, de profiter de votre invi- 
tation, en la priant de permettre que j'aille de- 
main lai demander à dîner. S'il faisoit beau de- 
main, sur les dix heures, j'irois vous proposer 
une promenade jusqu'à midi , à moins que vous 
ne la préférassiez de nos côtés, où il y a d'assez 
belles prairies. 

Ne craignez pas , monsieur, d'entendre de ma 
part rien qui vous puisse déplaire: je respecte 
trop pour cela et vous et vos sentiments; et les 
miens, que je vois bien qui ne vous sont pas con- 



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ANNÉE 1768. 4o3 

nus, en sont moins éloignés que vous ne pensez. 
Mais ce n est pas de cela qu'il s agira. 

Je suis bien sensible, monsieur, à votre com- 
plaisance ; vous ne tarderez pas d en connoître le 
prix. Si j'avois trouvé plus tôt un cœur auquel le 
mien osât s ouvrir, j aurois souffert de moins vives 
angoisses, et ma raison s'en trouveroit mieux. A 
demain donc, monsieur, puisque vous le voulez 
bien. Permettez que je présente mon respect très 
humble à madame de Saint-Germain. 

Renou. 
LETTRE DCGGLIX. 

A M. LE COMTE DE TONNERRE. 

Bourgoin, le 16 novembre 1768. 

Monsieur, 

Pardon de mes importunités réitérées ; mais je 
ne puis me dispenser de vous envoyer encore 
l'imprimé ci-joint qu'on na pu recouvrer plus 
tôt'* Vous y verrez, M. le comte, que ceux qui ont 

** Cétoit un arrêt du parlement de Paris, du 10 mars 1761 , qui 
condamnoit Thevenin au carcan, à être marqué, et aux galères 
pour trois ans , pour impostures et calomnies» 

a6. 



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4o4 CORRESPONDANCE, 

aposté le siear Thevenin ont su choisir un sujet 
déjà expérimenté dans le métier qu'ils lui £sd« 
soient faire. 

Je ne puis penser, monsieur, que vous m'ayez 
pu croire dans l'ame assez de bassesse pour vou- 
loir me venger d'un tel malheureux. Moi qui ja- 
mais n'ai fait, ni rendu, ni voulu le moindre mal 
à personne, commencerois-je si tard et sur un 
pareil personnage? Non, monsieur, je n'ai point 
désiré sa punition , mais sa confession , et c'est ce 
que sa conviction devoit naturellement produire, 
si l'on en eût profité pour remonter à la source de 
ces menées. Mais c'est ce qui commence à devenir 
superflu; et, sans que l'autorité ni moi nous en 
mêlions en aucune manière, je prévois que le pu- 
blic ne tardera pas à savoir à quoi s'en tenir. 

Permettez que je vous réitère ici mes actions de 
grâce des bontés dont vous m'avez honoré, et mes 
excuses de l'abus que j'en ai pu faire; et daignez, 
monsieur, agréer, je vous supplie, les assurances 
de mon respect. 

. P. S. Je prends la liberté d'exiger, monsieur, 
que vous ne fassiez aucun usagé de cet imprimé. Il 
est pour vous seul , et pour être brûlé après l'avoir 
lu, à moins que vous n'aimiez mieux le garder, 
mais de façon qu'il ne puisse nuire à celui qu'il 
concerne. 



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ANNÉE 1768. 4o5 



LETTRE DGGGLX. 

A M. MOULTOU. 

Bourgoîn, le ai noyembre 1768. 

J'ai , mon ami , votre lettre du 1 4* Je ne puis me 
détacher de l'idée d'aller vous embrasser et déli- 
bérer avec vous de ma destination ultérieure. Je 
n'ai point encore de réponse de l'ambassadeur 
d'AiIgleterre : il n'étoit pas à Paris quand je lui ai 
écrit; et j'ai appris dans l'intervalle qu'il avoit 
l'honnête Walpole pour secrétaire d'ambassade : 
cette nouvelle a achevé de me déterminer. Je n'irai 
point en Angleterre : on me traitera comme on 
voudra en France, mais je suis déterminé à y 
rester. Je ne puis renoncer à l'espérance qu'au 
moins, pour l'honneur de l'hospitalité françoise, 
il s'y trouvera quelque coin où l'on voudra bien me 
laisser mourir en repos. Si ce coin , cher Moultou , 
en pouvoit être un du château de Lavagnac, il me 
semble que sous les hospices de l'amitié l'habi- 
tation m'en seroit délicieuse. Malheureusement 
j'écris inutilement à M. le prince de Gonti ; mes 
lettres ne lui parviennent point. Il me répondoit 
fort exactement au commencement ; il ne me ré- 



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4o6 CORRESPONDANCE, 

pond plus : il m*a hit dire qu'il ne recevoit point 
de mes nouvelles. Les négociations intermédiaires 
ont leurs inconvénients. La générosité de ce grand 
prince ma accoutumé à accepter, et non pas à 
demander : je ne puis me résoudre à changer 4© 
méthode. Si l'ami de M. Venel, qui conmiande 
dans le château , veut écrire, à la bonne heure, je 
lui en serai obUgé ; pour moi je n'écrirai pas. 
Mais, dites-moi, n^ a-t-il dans le pays aucune 
habitation qui pût me convenir que ce château? 
Le bon M. Venel ne pourroit-il pas me trouver 
un terrier à Pézénas même, ou aux environs? 
Pourvu que je sois son voisin, que m'importe en 
quel lieu j'habite? Si nous étions dans une meil- 
leure saison , si le voyage étoit moins pénible , si 
j'avois plus de facilités pour le faire, je volerois 
près de vous; mais mon transport et celui de tout 
mon attirail de botanique est embarrassant. Je ne 
suis point à portée ici d'avoir des voitures. Il me 
faudroit un bon carrossin qui pût charger avec 
notis cinq ou six malles , ou caisses ; il me Ëiudroit 
un bon voiturier, qui nous conduisit bien et qui 
fût honnête homme : j'ai pensé que cela se pour- 
roit trouver où vous êtes, et que vous pourriez 
être à portée de faire pour moi ce marché, et dç 
m'envoyer la voiture au temps convenu. Voyez. 
Ah ! si vous pouviez faire plus ! Mais madame 
Moultou, votre santé, vos affaires ! et quand tout 



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ANNÉE 1768. 407 

vous le permettroit, je ne devrois pas le souffrir. 
Quoi qu'il en soit, j'ai le plus grand désir de me 
rendre auprès de vous, et cela d autant plus que 
j'ai quelque lieu de croire qu'on m'y verroit avec 
plus de plaisir qu'ici. 

J'ai reçu depuis peu, avec le reste de mes plantes 
et bouquins, une lettre que M. de Gouan m'écri- 
voit à Trye : elle est de si vieille date, que je ne 
sais plus comment y répondre. Il m'accusera de 
malhonnêteté envers lui , moi qui voudrois tout 
faire pour obtenir ses instructions et sa corres- 
pondance, et que ce désir anime encore à me ren- 
dre à Montpellier. Si vous le connoissez, si vous 
le voyez, obtenez-moi, je vous prie, ses bonnes 
grâces, en attendant que je sois à portée de les 
cultiver. Quel trésor vous m annoncez dans Threr- 
bier des plantes marines ! Que je suis touché de la 
générosité de votre digne parent! Elle me fera, 
avec celle du brave Dombey, une collection com- 
jpléte, sur-tout si M. Gouan veut bien y ajouter 
quelques fragments de ses dernières dépouilles 
des Pyrénées. Que je vais être riche ! Je suis si 
avare et si en&nt que le cœur me bat de joie. Gar- 
dez-moi bien précieusement ce beau présent, je 
vous prie, jusqu'à ce qu'il soit décidé qui de lui 
ou de moi ira joindre l'autre. 

J'ai été très malade, très agité de peine et de 
fièvre ces. temps derniers; maintenant je suis 



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4o8 CORRESPONDANCE, 

tranquille, mais très fbible. J'aime mieux cet état 
que Tautre; et j^aurai peu de regret aux forces qui 
me manquent s'il m'en reste assez pour vous aller 
voir. Adieu, cher Moultou; £iites agréer à ma- 
dame les hommages et respects de votre vieux 
ami et de sa femme. Nous vous embrassons Fun 
et l'autre de tout notre cœur. 

LETTRE DCCCLXI. 

A M. DU PEYROU. 

Bourgoin, le 21 novembre 1768. 

Je vous remercie, mon cher hôte^ de l'air et de 
Thevenin ; je l'ai envoyé à M. de Tonnerre, avec 
condition expresse, qui du reste n'étoit pas fort 
nécessadre à stipuler, de n'en faire aucun usage 
qui pût nuire à ce malheureux. Votre supposition 
qu'il a été la dupe d'un autre imposteur est abso- 
lument incompatible avec ses propres déclara- 
tions, avec celle du cabaretier Jeannet, et avec 
tout ce qui s'est passé; cependant si vous voulez 
absolument vous y tenir, soit. Vous dites que mes 
ennemis ont trop d'esprit pour choisir une calomr 
nie aussi absurde : prenez garde qu en leur accor- 
dant tant d'esprit vous ne leur en accordiez pas 



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ANNÉE 1768. 4og 

encore asàez; car leur objet n'étant que de voir 
quelle contenance je tenois vis-à-vis d'un feux 
témoin, il est clair que plus Faceusation étoit ab- 
surde et ridicule, plus elle alloit à leur but: si ce 
but eût été de persuader le public, vous auriez 
raison, mais il étoie autre. On savoit très bien que 
je me tirerois de cette affaire; mais on vouloit voir 
comment je m'en tirerois ; voilà tout. On sait que 
Thevenin ne ma pas prêté neuf francs^ peu im- 
porte } mais on sait qu'un imposteur peut m'em- 
barrasser, c'est quelque chose. 

Vos maximes, mon très cher hôte, sont très 
stoïques et très belles , quoiqu'un peu outrées , 
comme sont celles de Sénéque, et généralement 
celles de tous ceux qui philosophent tranquille- 
ment dans leur cabinet sur les malheurs dont ils 
sont loin, et sur l'opinion des hommes qui les ho- 
nore. J'ai appris assurément à n estimer l'opinion 
d'autrui que ce qu'elle vaut, et je crois savoir, du 
moins aussi bien que vous, de combien de choses 
la paix de l'ame dédommage; mais que seule elle 
tienne lieu de tout et rende seule heureux les in- 
fortunés, voilà ce que j'avoue ne pouvoir admet- 
tre; ne pouvant, tant que je suis homme, compter 
totalement pour rien la voix de la nature pâtis- 
sante et le cri de l'innocence avilie. Toutefois, 
comme il nous importe toujours, et sur-tout dans 
l'adversité, de tendre à cette impassibilité sublime 



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4io CORRESPONDANCE, 

à laquelle vous dites être parvenu Je tâcherai de 
profiter de vos sentences, et d'y fidre la réponse 
que fit 1 architecte athénien à la harangue de 1 au- 
tre : Ce quil a dit, je le ferai. 

Certaines découvertes, amplifiées peut-être 
par mon imagination, m ont jeté durant plusieurs 
jours dans une agitation fiévreuse qui ma fait 
beaucoup de mal, et qui, tant qu'elle a duré, ma 
empêché de vous écrire. Tout est calmé ; je suis 
content de moi ; et j'espère ne plus cesser de 1 être, 
puisqu'il ne peut plus rien m arriver de la part des 
hommes à quoi je n aie appris à m'attendre et à 
quoi je ne sois préparé. Bonjour, mon cher hôte ; 
je vous embrasse de tout mon cœur. 



•%•%/%/% ^/*/\'^%/%i'*/%/%r*/%r%.'\/*rk.'v^%,'%/*r^ 



LETTRE DCCCLXII. 

A M. LALLIAUD. 

Bourgoin, le 38 novembre 1768. 

Je ne puis pas mieux vous détromper, mon- 
sieur, sur la réserve dont vous me soupçonnez 
envers vous , qu'en suivant en tout vos idées , et 
vous en confiant l'exécution ; et c'est ce que je fais, 
je vous jure, avec une confiance dont mon cœur 
est content, et dont le vôtre doit l'être. Voici une 
lettre pour M. le prince de Conti où je parle comme 



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ANNÉE 1768. 4ii 

vous le desirez et comme je pense. Je n'ai jamais 
ni désiré ni cru que ma lettre à M. lambassadeur 
d'Angleterre dût ni pût être un secret pour son 
altesse, ni pour les gens en place, mais seulement 
pour le public; et je vous préviens une fois pour 
toutes que, quelque secret que je puisse vous de- 
mander sur quoi que ce puisse être, il ne regar- 
dera jamais M. le prince de Conti , en qui j'ai au- 
tant et plus de confiance qu'en moi-même. Vous 
m'avez promis que ma lettre lui seroit remise en 
main propre ; je suppose que ce sera par vous ; j'y 
compte, et je vous le demande. 

Vous aurez pu voir que le projet de passer 'en 
Angleterre, qui me vint en recevant le passe-port, 
a été presque aussitôt révoqué que formé: de nou- 
velles lumières sur ma situation mWt appris que 
je me devois de rester en France, et j'y resterai. 
M. DaVenport m'a fait une réponse très engageante 
et très honnête, ^ambassadeur ne m'a point ré- 
pondu : si j'avois su que le sieur Walpole étoit au- 
près de lui, vous jugez bien que je n'aurois pas 
écrit. Je m'imaginois bonnement que toute l'An- 
gleterre avoit conçu pour ce misérable et pour son 
camarade tout le mépris dont ils sont dignes. J'ai 
toujours agi d'après la supposition des sentiments 
de droiture et d'honneur innés dans les cœurs des 
hommes. Ma foi, pour le coup je me tiens coi, et 
je ne suppose plus rien ; me voilà de jour en jour 



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4i2 CORRESPONDAHCE. 

plus déplaeé parmi eux et plus embarrassé de ma 
figure : si c est leur tort ou le mien, c'est ce que je 
les laisse décider à leur mode : ils peuvent conti- 
nuer à ballotter ma pauvre machine à leur gré, 
mais ils ne m oteront pas ma place ; elle n est pas 
au milieu d eux. 

J'ai été très bien pendant une dizaine de jours; 
j'étois gai ; j'avois bon appétit; j'ai fait à mon her- 
bier de bonnes augmentations : depuis deux jours 
je suis moins bien, j ai de la fièvre, un grand mal 
de tête, que les échecs où j ai joué hier ont aug- 
menté; je les aime, et il faut que je les quitte; 
mes plantes ne n amusent plus : je ne Êds que 
chanter des strophes du Tasse ; il est étonnant 
quel charme je trouve dans ce chant avec ma 
pauvre voix cassée et déjà tremblotante. Je me 
mis hier tout en larmes , sans presque m en aper- 
cevoir, en chantant l'histoire d'Olinde et de So- 
phronie; si j'avois une pauvre petite épinette pour 
soutenir un peu ma voix foiblissante, je chante- 
rois du matin jusquau soir. Il est impossible à 
ma mauvaise tète de renoncer aux châteaux en 
Espagne. Le foin de la cour du château de Lava- 
gnac, une épinette, et mon Tasse, voilà celui qui 
m'occupe aujourd'hui malgré moi. Bonjour^ mon- 
sieur: ma femme vous salue de tout son coeur; 
j'en Élis de même ; nous vous aimons tous deux 
bien sincèrement. 



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ANNÉE 1768. 4i3 



LETTRE DCCCLXIII. 

A MADAME LA PRÉSIDENTE DE VERNA. 
Bourgoin, le 3 décembre 1768. 

Laissons à part, madame, je vous supplie, les 
livres et leurs auteurs. Je suis si sensible à votre 
obligeante invitation, que si ma santé me permet- 
toit de faire en^ cette saison des voyages de plaisir, 
j'en ferois un bien volontiers pour aller vous re- 
mercier. Ce que vous avez la bonté de me dire, 
madame, des étangs et des montagnes de votre 
contrée, ajouteroit à mon empressement, mais 
n'en seroît pas la première cause. On dit que la 
grotte de la Balme est de vos côtés ; c'est encore 
un objet de promenade et même d'habitation, si 
je pou vois m'en pratiquer une dont les fourbes et 
les chauves-son ri s n approcliassent pas. A l'égard 
de l'étude des plantes, permettez, madame, que 
je la fasse en naturaliste , et non pas en apothi- 
caire: dar, outre que je n'ai qu'une foi très mé- 
diocre à la médecine, je connois l'organisation 
des-plantes sur la foi de la nature, qui ne ment 
point, et je ne connois leurs vertus médicinales 
que sur la foi des hommes , qui sont menteurs. Je 



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4i4 CORRESPONDANCE, 

ne suis pas dliumeur à les croire sur leur parole, 
ni à portée de la vérifier. Ainsi, quant à moi, 
j'aime cent fois mieux voir dans l'émail des prés 
des guirlandes pour les bergères que des herbes 
pour les lavements. Puissè-je, madame, aussitôt 
que le printemps ramènera la verdure, aller faire 
dans vos cantons des herborisations qui ne pour- 
ront qu'être abondantes et brillantes, si je juge 
par les fleurs que répand votre plume de celles 
qui doivent naître autour de vous! Agréez, ma^ 
dame, et faites agréer à M. le président, je vous 
supplie, les assurances de mon respect. 

Rendu. 



LETTRE DCGCLXIV. 

A M. LÂLLIAUDl 

Bourgoîo , ce 7 décembre x 768. 

Voici, monsieur, une lettre à laquelle je vous 
prie de vouloir bien donner cours : elle est pour 
M* Davenport, qui m'a écrit trop honnêtement 
pour que je puisse me dispenser de lui donner 
avis que j'ai changé de résolution. J'espère que 
ma précédente avec l'incluse vous sera bien par- 
venue, et j'en attends la réponse au premier jour. 



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ANNÉE 1768. 4i5 

Je suis assez content de mon état présent ; je passe 
entre mon Tasse et mon herbier des heures assez 
rapides pour me faire sentir combien il est ridi- 
cule de donner tant d'importance à une existence 
aussi fugitive : j'attends sans impatience que la 
mienne soit fixée; elle lest par tout ce qui dépen- 
doit de moi; le reste, qui devient tous les jours 
moindre, est à la merci de la nature et des hommes ; 
ce n'est plus la peine de le leur disputer, J'aimerois 
assez à passer ce reste dans la grotte de la Balme, 
si les chauves-souris ne l'empuantissoient pas : il 
faudra que nous l'allions voir ensemble quand 
vous passerez par ici. Je vous embrasse de tout 
mon cœur. 



FIN DU TOME CINQUIÈME DE LA CORBESPONDANCE. 



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TABLE ANALITIQUE 

DES LETTRES CONTENUES DANS CE VOLUME. 



Lettre DCCXI, à madame la marquise de Verdelin. — Nou- 
velles explications sur sa querelle avec M. Hume. Il conseille 
à madame de Verdelin d*épouser son amant. Page 3 

Lettre DGCXII, à Marc-Michel Rey. -^Il le prie de ne plus 
lui parler de ce qu'on dit de lui. Le public est mort pour 
lui. Exaction des douanes angloises. lo 

Lettre DCCXIII, à M. dlvemois. — Vives inquiétudes sur 
son silence. Commission. i6 

Lettre DCCXIV, à M. du Peyrou. — Nouvelles explications 
sur M. Hume , sur la pension du roi d'Angleterre. 1 8 

Lettre DCGXV, à madame la comtesse de BoufHers. — Il 
se justifie relativement aux torts qu elle Iw suppose en- 
vers M. Hume. 33 

Lettre DGGXVI, à M. d'Ivemois. — Il l'exhorte à laisser dire 
et faire M. Hume. 37 

Lettre DGCXVU, à madame la duchesse de Portland. — Sur 
la botanique. 29 

Lettre DCCXVIII, à M. Roustan. — Explication sur la con- 
duite du clergé catholique et celle du clergé protestant 
envers lui. Il le prie de ne pas prendre sa défense. Éloge 
des bourgeois de Genève. 3 1 

Lettre DCCXIX, à milord Maréchal. — Il est navré de son 
silence, se persuadant que M. Hume en est cause. 34 

Lettre DCGXX , à M. Richard Da venport. — Renseignements 
sur des estampes. Il a le projet de lui donner quelques 
idées sur la plajatation de son jardin. 36 

Lettre DCGXXI, à milord Maréchal. — Il le conjure de ne 
plus lui parler de M. Hume. 37 

CORRESPONDAHCE. T. T. 27 



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4i8 TABLE ANALITIQUE. 

Lettre DGGXXII, à madame ***.—« Conseils sur un jeune 
homme, florreur des conspirations. Le sanç d'un seul 
homme est d'un plus grand prix que la liberté du genre 
humain. Sur le secret Page 4o 

Lettre DGGXXIII, à M. du Peyrou •*- Il est révolté du soin 
qu'il prend de lui transmettre les bruits du pubUc. Nou- 
veaux détails sur M. Hume. 45 

Lettre DGGXXIV, au même. — Reproches faits à ses amis 
sur leurs doutes, sur la facilité qu'ils ont à croire le mal 
qu'on dit de lui . Il est las de perdre son temps à se j ustifier, 5 2 

Lettre DCCXXV, au même. — Il lui fwt des répar^tioQg 
touchantes, 58 

Lettre DGGXXVI, à M. Lalliaud. — * Il n'a plus rien k dire 
de M. Hume qui lui parott bien insultant pour un bon 
homme , et bien bruyant pour un philosophe. 60 

Lettre DCCXXVII, à mademoiselle Dewes. — r Lettre de 
compliment. 61 

Lettre DCCXXVIII, à milord Maréchal. — Plaintes amères. 
Il ne peut pas plus cesser de lui écrire que de l'aimer. 62 

Note sur cette lettre. Ibid. 

Lettre DCCXXIX, à M d'Ivernois. — Inquiétudes sur $a 
santé, Il désire savoir s'il exécutera squ projet de venir en 
Angleterre. 65 

Lettre DCCXXX, à M, Davenport. — Il lui demande une 
explication sur le changement qu'il a remarqué dans ses 
manières. 66 

Lettre DCCXXXI, à lord vicomte de Nuncham, -^ Sur des 
estampes; 68 

Lettre DCCXXXII, à M.***. — Il demande des renseigne- 
ments sur un M. Deyverdun qu'il soupçonne de publier 
des libelles contre lui. 69 

Lettre DCCXXXIII , au même. — Il est content de M. Daven- 
port. Sur M. Hume. Passion pour la botanique. 7 1 

Lettre DCCXXXIV. Réponses aux questions faites par 
M. Ghauvel, à l'occasion de plusieurs assertions calom- 
nieuses de Voltaire. 74 



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TABLE ANALITIQUE. 419 

Note à ce sujet. Page 74 

Lettre DCCXXXV, à M. du Peyrou. — Explication sur 
leur mésintelligence momentanée; sur sa rupture avec 
M. Hume. 79 

Lettre DGGXXXVI, à M. le marquis de Mirabeau Détails 

intéressants sur ses goûts , son caractère , et ses projets. 85 

Lettre DCCXXXVII, à M. d'Ivemois. — Il s'étonne de la 
crédulité de ses amis à ses dépens ; approuve la conduite 
des Genevois envers leurs lûagistrats. 9a 

Lettre DCCXXXVIII, à M. Dutens. — Remerciements pour 
un ouvrage qu*il lui a fait passer. Éloge de Linnée. Il est 
fâché qu'on le défende contre M. Humé qu'il faut laisser 
hurler. Sur Genève. 94 

Lettre DCCXXXIX, à M. le duc de Graffton. — Il le remer- 
cie de ce que le roi George lui a fait la remise des droits 
pris à la douane pour ses livres et ses gravures. 9g 

Lettre DCGXL, à madame Latour. — Remerciements. 99 

Note sur cette lettre. Ibid. 

Lettre DCCXU, à M. Guy. — A l'occasion de sa défense 
faite par madame Latour. Sur M. Hume. Ibid. 

Lettre DGGXLII, à milord comte de Harconrt. — Il le re- 
mercie de son intérêt et le prie de lui donner des nouvelles 
de M. Watelet. 102 

Lettre DCCXLHI, à M. Davenport. — Expression de sa re- 
connoissance pour M. Fitzherbert. io3 

Lettre DGGXLIV, au même. — Il ne refuseroit les grâces du 
roi qu'autant qu'elles lui viendroient par le canal de 
M. Hume. Il lui offre ses ouvrages. Sur le livre d'Helvétius. 1 04 

Lettre DCCXLV, à M. d'Ivemois. — Il est navré de la dé- 
tresse du peuple de Genève : il voudroit qu'il cédât par- 
cequ'il a plus besoin de pain que de liberté. 108 

Lettre DCCXLV I, à milord Maréchal. — Vives inquiétudes 
sur la santé de Milord , qu'il appelle son bienfaiteur et son 
père. 110 

Lettre DCCXLVII, à M. Granville. — Les cadeaux le contra- 

27. 



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420 TABLE ANALITIQUE. 

rient. Après avoir aimé avec passion la liberté et Tégalité, 

il aime à présent la paix et la préfère à tout. Page m 

Lettre DGGXLVIII, à milord comte de Harcourt. — Il lui 
ofFre les estampes de ses écrits. 1 14 

Lettre DGGXLIX, à M. du Peyrou. — Il le plaisante sur sa 
crédulité qui lui fait ajouter foi aux nouvelles les plus 
absurdes sur son compte. 116 

Lettre DGGL, à M. Dutens. -^ Dispositions à prendre pour 
la vente de ses livres. 1 1 g 

Lettre DGGLI, à mademoiselle Théodore. — Conseils sur 
la conduite qu elle doit tenir. 121 

Lettre DGGLII, àM. Granville. — Il le gronde detre venu 
le voir par la neige et de lui faire des cadeaux. 1 23 

Lettre DGGLIII, au même. — Il lui demande des nouvelles 
de son voyage à Bath. 134 

Lettre DCGLIV, h M. Dutens. — Il prendra tous les arran- 
gements qui lui conviendront s*il veut faire lacquisition 
de sa bibliothèque. i25 

Lettre DGGLV, à milord comte de Harcourt. — De ses es- 
tampes , la seule qu'il veuille se réserver est le portrait de 
milord Maréchal que pour rien au monde il ne vondroit 
perdre. Dispositions sur les autres gravures. 128 

Note sur Huber. 129 

Lettre DGGLVI, à milord Maréchal. — Plaintes amères et 
toujours sur le silence de Milord. 1 3o 

Lettre DCGLVII, àM. du Peyrou. — Annonce d'une pension 
de 2400 francs que lui fait le roi d'Angleterro. i33 

Lettre DGCLVIII, à M. Dutens. — Il le charge de diverses 
commissions pour la France, où M. Dutens va se rendre. 
Il trouve la rente qu il veut lui faire pour Tachât de ses 
livres trop forte. i34 

Lettre DCGLIX , à M. le général Gonway. — Remerciements 
pour la pension que lui accorde le roi d'Angleterre. i3y 

Lettre DGGLX, à milord comte de Harcourt. — Disposition 
sur ses estampes. 1 38 



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TABLE ANALITIQUE. 421 

Lettre DGÛLXI, à M. du Peyrou. — confidences pénibles 
qui montrent un grand découragement. Page i4o 

Lettre DCGLXII, au même. — Il lui parle d'un dépôt qu'il 
lui destine. Ce sont les six premiers livres de ses Confes- 
sions. 144 

Lettre DGCLXIII, à M. d'Ivernois. — Projet du traité pour 
pacifier Genève. Rousseau donneroit la moitié de son sang 
pour que ce vœu fût exaucé. 147 

Lettre DGCLXIV, à M. le marquis de Mirabeau. — Inquié- . 
tudes sur sa liberté. Éloge de Richardson. 1 49 

Lettre DGGLXV, à milord comte de Harcourt. — Remercie- 
ments pour la peine qull s*est donnée dans la vente de ses 
gravures. 1 5o 

Lettre DCGLXVI, à M. Davenport. — Il annonce son départ 
de Wootton pour le lendemain. i53 

Lettre DGCLXVII , à M. le général Gonway. — Plaintes sur 
l'Angleterre. Inquiétudes de son esprit. Terreurs paniques. 
Il se croit déshonoré. 1 53 

Lettre DGGLXVIII, à M. E. J. , chirurgien. — Il repousse les 
éloges pompeux qu'il lui adresse. 162 

Note qui prouve que la date de cette lettre n'est pas exacte. Ibid. 

Lettre DGGLXIX, à M. le marquis de Mirabeau. — Annonce 
de son débarquement à Galais. Il n'est pas décidé sur le 
lieu de sa retraite. 1 64 

Lettre DGGLXX, à M. du Peyrou. — Annonce de son retour 
en France. i65 

Lettre DGGLXXI, à M. le marquis de Mirabeau, r— Il lui . 
donne son itinéraire. 166 

Lettre DGGLXXII, à M. du Peyrou. — Les honneurs qu'on 
vouloit lui rendre l'ont fait partir d'Amiens. 1 6 7 

Lettre DGGLXXIII, à M. le marquis de Mirabeau. — Éloge 
de l'asile où il est. 168 

Lettre DGGLXXIV, au même. — Refus positif de reprendre 
la plume , ainsi que le marquis l'engageoit à le faire. 169 

Lettre DCGLXXV, à M. du Peyrou. — Indication de ce qu'il 
doit faire à son arrivée. 171 



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422 TABLE ANALITIQUE. 

Lettre DGGLXXVI) à M. le marquis de Mirabeau. — H lira 
Fouvra^ qu'iliui a envoyé. Remerciements. Page 172 

Lettre DGGLXXVII, à M. du Peyrou. — Il lui fait part de 
son arrivée à Trye. 1 73 

Lettre DGGLXXVUI, à M. le marquis de Mirabeau. — Il 
n'entend rien à sa Philosophie rurale. Il a pris le nom de 
Renou, 174 

Lettre DCCLXXIX, à milord Harcourt. — Remerciements 
de sa lettre. Rousseau ne peut ni dater ni signer sa ré- 
ponse, à cause de l'incognito auquel il est forcé. 176 

Lettre DGCLXXX, à M. du Peyrou. — Il est inquiet de son 
silence. 176 

Lettre DCCLXXXI, à M. le marquis de Mirabeau. — Indi- 
gnation que lui cause sa théorie du despotisme légal. Obser- 
vations intéressantes. Il le conjure de ne plus lui envoyer 
de livres. 1 78 

Lettre DGGLXXXII, à M. du Peyrou. — Il le presse devenir 
le voir. Commissions. Mesures à prendre. 184 

Lettre DGCaiXXXIlI, à M. Granville.— Il regrette son voi- 
sinage. 187 

Lettre DGCLXXXIV, à M. Guy. — Commissions pour ma- 
dame Latour Franqueville. 188 

Lettre DCCLXXXY, à M. le marquis de Mirabeau. — Il peis 
siste dans son refus de ne plus écrire. Il se plaint des 
mauvais traitements des habitants de Trye. 1 89 

Lettre DCCLXXXVI, à madame la maréchale de Luxem- 
bourg. «-^ Il la prie d'obtenir du prince de Conti la permis- 
sion de quitter Trye. 190 

Lettre DCCLXXXVII, à M. le marquis de Mirabeau. — 
Remerciements. Sur les maisons des grands qui ne savent 
jamais ce qui se passe chez eux. 192 

Lettre DCCLXXXVIII, à M. d'ivemois. — Remerciements 
sur une ancienne commission qu'il lui avoit donnée. Mala- 
die de du Peyrou. 1 94 

Lettre DCCLXXXIX,, à M. du Peyrou. — Détaîils sur des 



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TABLE ANALITIQUE. 428 

tracasseries misérables. Méfiances injustes* Plaintes. Be- 
soin de voir son ami. Page 197 

Lettrb D<X]!XG, à M. de Sartines. — Il provoque l'examen 
du Dictionnaire de musique , avant de publier cet ouvrage. qoS 

Lettre DCCXCI, à M. du Peyrou. -^ Il lui fait part de la 
précédente. 204 

Lettre DGGXGII, à madame la marquise de Mesmes. — Il la 
remercie des peines qu elle se donne pour lui trouver une 
autre retraite. 2o5 

Lettre DGGXGIII, à M. du Peyrou. — Il le presse de venir 
à Trye. 208 

Lettre DGGXGFV, au même. — Gonseils sur sa santé. Il s'af- 
fecte des nouveaux propos de M. Hume. 209 

Lettre DGGXGV, au même. — Inquiétudes causées par son 
silence. Il attend le prince de Gonti. 2 1 1 

Lettre DCGXGVI, au même. — Il blâme son régime. Il le 
défie aux échecs. 2 1 3 

Lettre DGGXGVII, au même. — Diverses commissions à 
faire avant de venir à Trye. 217 

Lettre DGGXGVIII, au même. — Visite du prince de Gonti. 
A son insu Ion refuse tout à Rousseau. 2 1 8 

Lettre DGGXGIX, à M. Dutens. — Arrangements relatifs à 
la petite rente qu'il lui doit pour l'achat de sa bibho- 
thèque. 220 

Lettre DGGG, à M. du Peyrou. — Il le plaisante. État de la 
botanique. 221 

Lettre DGGGI y à madame Latour. -^U lui donnera dans peu , 
par une voie sûre , les motifs de son silence. 224 

Lettre DGGGII, à M. le marquis de Mirabeau. — Il consent 
à ce qu'il imprime la lettre que lui a écrite l'ami des 
hommes. Sur les querelles Httéraires. Ibid. 

Lettre DGGGIII, à M. du Peyrou. — Il l'exhorte à une vie 
réglée. 2 25 

Lettre DGGGIV, à milord comte de Harcourt. — Gommis- 
sions. Il désire le portrait du roi qui étoit dans ses estam- 
pes. Excuses sur son silence. 228 



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424 TABLE AN ALITiQUE. 

Lettre DGGGV, à M. le marquis de Mirabeau. — Sur les que- 
relles des économistes. Il l'exhorte à faire ud opéra. Page a3o 
Lettre DGGGVI, à madame Latour. — Plaintes sur sa situa- 

tiop. 332 

Lettre DGGGVn, à M. Granville. — Remerciements. Envoi 
de son Dictionnaire de musique, 284 

Lettre DGGGVIII, à mademoiselle Dewes. — Gompliments. 236 

Lettre DGGGIX, à M. le marquis de Mirabeau. — Ils ne 
feront point d'opéra. Bruits faux sur son compte. 237 

Lettre DGGGX, à madame Latour. — Il est inquiet d une 
lettre qu il lui a écrite, et à laquelle elle n a pas répondu. 240 

Lettre DGGGXI, à M. dlvemois. — Grain tes pour Genève. 
Gommission pour une tante. 24 1 

Lettre DGGGXII, au même. — Il lexhortc à la paix. a 45 

Lettre DGGGXIII, au même. — U discute des projets d'ac- 
commodement proposés pour le rétablissement de la paix 
à Genève. Observations importantes sur les vices du gou- 
vernement de cette république. Moyens d'y remédier. 246 

Letire DGGGXIV, à M. du Peyrou. — U apprend avec plaisir 
son retour chez lui. Découragement. 2/17 

Lettre DGGGXV, à M. d'Ivemois. — Nouveau mémoire sur 
lequel il est consulté. Utilité d'un règlement provisoire 
pour concilier la prudence et l'activité. 260 

Lettre DGGGXVI, à madame la comtesse de BoufQers. — ^ 
Expressions de tristesse et de découragement. 263 

Lettre DGGCXVII, à M. du Peyrou. — Détails sur les trar 
casseries qu'on lui fait pour le dégoûter de Trye. 265 

Lettre DGGGXVIII, à M. Moultou. — Il rend compte des 
conseils qu'il a donnés à M. d'Ivernois. Il ne veut être ni 
la cause ni le prétexte de la continuation des troubles de 
Genève. 268 

Lettre DCGGXIX, à M. d'Ivemois. — U revient à l'expé- 
dient d'un gouvernement provisoire. Il l'exhorte à la paix, 
et, pour l'obtenir, à beaucoup de concessions. 273 

Lettre DGGGXX, à M. le marquis^le Mirabeau. — Il ne peut 
aller le voir à Fleu ry . 275 



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TABLE ANALITIQUE. 4^.5 

Lettre DCCCXXI, à M. de Lalande. — Remerciements sur 
le compte qu'il a rendu du Dictionnaire de musique. Indi- 
cation des articles dont il auroit désiré le choix. Page 278 

Lettre DCCCXXII, à M. du Peyrou. — Il veut s'acquitter 
avec lui et lui rembourser ce qu il lui doit. Il ne veut ni ne 
peut plus lire. 3 80 

Lettre DCCCXXIII, à M. d'Ivemois. — Joie que lui cause 
la paix. Il engage les Genevois à ne pas faire les choses à 
demi. Il est beau de se soumettre après avoir prouvé qu on 
savoit résister. 284 

Lettre DGGGXXIV, à madame la comtesse de Boufflers. — 
Il la remercie de son intérêt. 288 

Lettre DGGGXXV, à M. le duc de Ghoiseul. — Longue ex- 
plication. 286 

Note sur la pusillanimité de ses patrons. Ibid. 

Note sur^un passage du Contrat social, 290 

Note sur le caractère de Rousseau, comme auteur. 292 

Lettre DGGGXXVI, à M. d'Ivemois. — Il commence à 
craindre qu'il ne se crée des maux imaginaires. 295 

Lettre DGGGXXVII, au même. — Il a renoncé à la pension 
du roi d'Angleterre, et aux avantages que lui faisoit du 
Peyrou. 298 

Lettre DGGGXXVIIï, à M. du Peyrou. — Il insiste pour le 
remboursement de sa dette. L'un veut rendre, l'autre ne 
veut rien recevoir. 3od 

Lettre DGGGXXIX, au même. — Nouveaux débats de géné- 
rosité. Soins qu'il prend pour former des herbiers. 3o5 

Lettre DGGGXXX, à M. le prince de Gonti. — Il le prie de 
lui permettre de sortir de Trye 3 1 1 

Lettre DGGGXXXI, à M. du Peyrou. — Il lui fait part de 
son arrivée à Lyon ; il herborise pour se distraire de ses 
chagrins. 3ia 

Lettre DGGGXXXII, au même. — Projet d'une grande her- 
borisation à la grande Ghartreuse. Il réclame ses papiers , 
entre autres Émite et Sophie y ou les Solitaires. 3 1 4 



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4îi6 TABLE ANALITIQUE. 

Lettre DGGCXXXIII, à mademoiselle Le Vasseur. — An- 
nonce de son départ pour Chambéry. Conseils. Page 3 1 6 

Lettre DCCCXXXIV, à M. le comte de Tonnerre. — Il le 
' prie d'être son médiateur entre M. Faure et lui pour le 
loyer dune maison. 819 

Lettre DCCCXXXV, au même. — Sur le même sujet Sao 

Lettre DGCGXXXVI, au même. — Envoi d'une lettre de 
M. Rovier. Sai 

Lettre DCCCXXXVII, au même. — Il le prie d*éclaircir 
une calomnieuse imputation dont il est Tobjet. 3a 2 

Lettre DGDCXXXVIII, à M. Lalliaud. ~ Manière dont 
Rousseau reconnoit Tbérèse pour sa femme. 323 

Lettre DGCCXXXIX, à M. le comte de Tonnerre. — U le 
remercie d'avoir interrogé Tbevenin. Il ne veut point aller 
loger dans une ville où Ton répand des impostures sur 
son compte. 3a5 

Lettre DGGGXL, à une dame de Lyon. — Explication sur 
des copies infidèles, faites de plusieurs phi-ases, écrites 
au crayon par lui. 327 

ISote sur cette lettre singulière. Ibid. 

Note sur la même, lettre. 33o 

Lettre DCGGXLI, à M. le comte de Tonnerre. — Il offre 
d'être confronté avec Tbevenin, à condition que cette 
affaire sera suivie sans interruption. Ibid. 

Lettre DGCGXLII, à M. du Peyrou. — Détails sur l'affaire 
Tbevenin. 33 1 

Lettre DGGGXLIII, à M. le comte de Tonnerre. ^- Il part 
pour se rendre k son audience. 337 

Lettre DGGCXLIV, au même. — ^ Détails sur son entrevue 
avec Tbevenin. 338 

Lettre DGGGXLV, au même. -^ Il lui envoie une lettre qui 
fait voir que Tbevenin a jadis été condamné aux ga- 
lères. 355 

Lettre DCGGXLVI, à M. Lalliaud. ^-Détails sur la même 
afFaire ; dégoûts qu'elle lui cause. 356 



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TABLE ANALITIQUE. 427 

Lettbe DCOCXLVII, à M. du Peyrou. — Sur son mariage 
avec Thérèse. Sur Taf faire The venin. Sur la botanique et 
la liberté. Page 359 

Lettre DGCGXLyiII, au même. — Condoléances sur un ac- 
cident arrivé à son ami. Réflexions philosophiques. 363 

Lettre DGQCXLIX, à M. Lalliaud. — Nouveaux éclaircis^ 
sements sur Thevenin. Inquiétudes sur le choix d'une 
retraite. 366 

Lettre DGGGL, à M. Moultou.. — «• Sur le choix d'une re-p 
. traite. Éloge exagéré de Thérèse, et fait pour justifier son 
mariage. 371 

Lettre DCCGLI, à M. Lalliaud. — Détails sur ses projets, sa 
situation. Il s aperçoit qu'il a donné beaucoup trop d'im- 
portance à Thevenin. 374 

Lettre DGCGLII, à M. du Peyrou. — Encore sur le même 
homme ; il refuse l'offre de le faire punir. 3 80 

Lettre DCGCLIII , à M. Lalliaud. — Il a reçu un passe-port; 
il veut retourner en Angleterre. 382 

Lettre DCCCLIV, à M. Moultou. — Condoléances sur la 
mort de son père. Détails sur les bontés du prince de 
Conti. Projet d'aller à Wootton. 384 

Lettre DCCCLV, à M. Lalliaud. — Regrets sur le parti qu'il 
a pris. Il se croit obligé de faire usage du passe-port. 389 

Lettre DCCCLVI, à M. de Saint-Germain. — Il a besoin 
d'un dépositaire de ses secrets, et lui demande s'il veut 
l'être. 393 

Notice de M. Saint - Germain sur ses rapports avec Rous- 
seau. Ibid. 

Lettre DGGGL VII, à M. le comte de Tonnerre. — Sur l'af- 
faire Thevenin. Déclaration juridique. 396 

Lettre DGGGL VIII, à M. de Saint-Germain. — Il accepte 
son invitation. 4<>3 

Lettre DGGGLIX , à M . le comte de Tonnerre. — Il lui en- 
voie Tarrét du parlement, qui condamne Thevenin à la 
marque et aux galères , mais à condition qu'il n'en fera 
aucun usage. ^(>\ 



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428 TABLE ANALITIQUE. 

Lettre DGGCXX, à M. Moultou. — Il renonce à l'Angleterre 
et se résout à rester en France. Page 4o5 

Lettre DGGCXJU, à M. du Peyrou. — Remerciements de 
son zèle. 4^^ 

Lettre DGGGLXII, à M. Lalliaud. Il na point de réserve 
avec lui. Il s'occupe du Tasse ; il chante Olinde et Sophronie, 4 > o 

Lettre DGCGLXin, à madame la présidente de Verna. — 
Il ne refuse pas d'aller herboriser de son coté. 4 > ^ 

Lettre DGGCLXIV, à M. Lalliaud. — Il lui envoie une 
lettre pour M. Davenport. Il partage son temps entre le 
Tasse et son herbier. 4 < 4 



Fltf DE LA TARLE. 



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