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Full text of "Oeuvres de Descartes"

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in  2009  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/oeuvresdedescart09desc 


OEUVRES 


DF 


DESCARTES 


MEDITATIONS 

ET 

PRINCIPES 

TRADUCTION    FRANC Arse 


IX 


M.  Darboux,  de  l'Académie  des  Sciences,  doyen  honoraire  de 
la  Faculté  des  Sciences  de  l'Université  de  Paris,  et  M.  Boutroux, 
de  l'Académie  des  Sciences-  Morales  et  Politiques,  professeur 
d'histoire  de  la  philosophie  moderne  à  la  Sorbonne,  directeur  de 
l'Institut  Thiersy  ont  suivi  l'impression  de  cette  publication  en 
qgalité  de  commissaires  responsables. 


OEUVRES 


DE 


DESCARTES 

PUBLIÉES 

PAS 

Charles  ADAM  &  Paul  TANNERY 

sous   LES   AUSPICES 

DU   MINISTÈRE  DE  L'INSTRUCTION  PUBLIQUE 


MEDITATIONS 

ET 

PRINCIPES 

TRADUCTION    FRANÇAISE 

IX 


OCVBAOB  PUBLIÉ  ATBC  LE   CONCOURS 
DO  CXNTRS    NATIONAL  DB    LA  BECBBRCBE    SCIENTIFIQUE 


PARIS 

LIEfRAIRIE  PHILOSOPHIQUE  J.  VRIN 
b,  Place  de   la  Soruo^ne,  v® 


AVERTISSEMENT 


La  traduction  française  des  Méditations  eut,  au  xvii'  siècle, 
trois  éditions,  aux  dates  de  1647,  1661  et  1673.  Laquelle  des 
trois  devons -nous  suivre  dans  cette  édition  nouvelle  des 
Œuvres  de  Descartes,  et  pour  quelles  raisons  ? 

La  troisième  semble  tout  d'abord  se  recommander  particu- 
lièrement. Dans  la  Vie  de  Monsieur  Des-Cartes,  publiée  par 
Adrien  Baillet  en  1 691,  on  lit  au  tome  II,  1.  vu,  c.  i3,  p.  324  : 
«  Nous  n'en  avons  pas  de  plus  parfaite  ^  de  plus  utile  que  la 
»  troiliéme,  qui  parut  en  la  même  forme  que  les  précédentes 
»  à  Paris  l'an  1673.  Les  Méditations  y  lont  dinfées  par  articles, 
»  avec  des  fofumaires  fort  exacts  à  côté,  outre  des  renvois  fort 
»  commodes  des  articles  aux  objedions,  &  des  objections  aux 
»  réponfes,  pour  donner  aux  Lecteurs  la  facilité  de  les  conférer 
»  ^  de  mieux  comprendre  les  unes  ^^  les  autres.  Il  n  efl  pas 
)>  Julie  que  le  Public  i^^nore  à  qui  li  efl  redevable  de  cette 
»  troifiémc  édition.  C'eft  à  M.  Fédc  \^en  marée  '■  René  Fédé 
»  natif  de  Château-Dun),  Docleur  en  Médecine  de  la  Faculté 
)>  d'Angers,  dont  le  mérite  ne  peut  être  inconnu  qu'à  ceux  qui 
»  n'ont  pas  ouy  parler  de  Ion  zèle  pour  la  Philofophie  Carté- 
»  fienne.  »  Les  termes  soulignés  sont  ceux  du  titre  même,  que 
Baillet  ne  fait  que  reproduire  ;  il  donne  en  même  temps  le  nom 
désigné  seulement  par  les  initiales  R.  F.  Mais  ce  qui  fait  la 
nouveauté  et  aussi  l'utilité  de  cette  troisième  édition,  à  savoir 
ia  division  en  articles,  les  sommaires  et  les  renvois,  est  préci- 
sément pour  nous  une  raison  de  ne  pas  la  suivre.  Ce  sont  là, 
en  elTet,  des  additions,  dune  autre  main  que  celle  de  l>escartes 


VI  Avertissement. 

ou  même  de  Clerselier,  son  traducteur  ;  et  comme  elles  sont 
de  1673,  elles  n'ont  pas  pu  être  connues  du  philosophe,  mort 
en  i65o.  Répondent -elles  exactement  à  sa  pensée,  et  les 
aurait-il  admises  sans  difficulté  ?  Nul  ne  le  sait,  et  il  est  fort 
possible  que,  soit  pour  le  fond,  soit  pour  la  forme,  il  y  eût 
trouvé  beaucoup  à  redire.  Elles  n'ont  donc  aucun  titre  à 
prendre  place  dans  une  édition  où  tout  doit  être  de  Descartes 
lui-même,  ou  du  moins  avoir  été  approuvé  par  lui. 

La  troisième  édition  écartée,  faudra-t-il  s'en  tenir  à  la 
seconde,  celle  de  i66î  ?  A  part  la  division  en  articles,  et  les 
sommaires  et  renvois,  qui  n'apparaissent  qu'en  1673,  ce  sont 
les  mêmes  textes,  mis  dans  le  même  ordre  ;  la  pagination  est 
aussi  la  même.  Mais  le  titre  annonce  une  particularité  impor- 
tante :  «  Seconde  édition  »,  dit-il,  «  augmentée  de  la  verlion 
»  d'vne  Lettre  de  M*^  Des-Cartes  au  R.  P.  Dinet,  8:  de  celle 
»  des  reptielnies  Objections  8:  de  leurs  Refponfes.  »  En  efTct, 
ces  deux  pièces  manquent  l'une  et  l'autre  dans  la  première 
traduction  de  1647  comme  dans  la  première  édition  latine, 
Paris,  1641.  Ce  n'est  que  pius  tard,  en  vue  de  la  seconde 
édition  française  de  i66i,  que  Clerselier  les  traduisit,  pour 
compléter  la  première  *.  Mais  Descartes,  qui  était  mort  depuis 
dix  ans,  ne  put  avoir  connaissance  de  ces  deux  pièces  nou- 
velles en  français.  Il  ne  vit  et  ne  corrigea  que  la  première 
traduction,  qui  s'en  tenait  aux  Objections  et  Réponses  pu- 
bliées en  1641.  Seules  celles-ci  peuvent  donc  paraître  dans 
une  édition  de  ses  œuvres,  et  on  ne  saurait  admettre,  sous 
son  autorité  et  sa  garantie,  les  [deux  additions  de  l'édition 
française  de  1661. 

La  première  traduction  elle-même,  celle  de  1647,  peut-elle 
être  reproduite  intégralement?  Il  ne  le  semble  pas.  Sans  doute 
Descartes  eut  communication  des  pièces  déjà  traduites,  lors  de 

a.  Kn  i6^S,  lorsqu'il  se  dcciclû  à  laisser  imprimer  une  traduciion  de  ses 
Méditations,  Dc^eartcs,  réconcilie  avec  le  P.  Bourdin,  ne  pouvait  désirer 
ce  complément.  Au  reste,  à  ce  moment,  comme  on  va  le  voir,  Clerselier 
était  loin  d'avoir  terminé  sa  version  du  texte  de  la  première  édition  latine. 


Avertissement.  vu 

son  voyage  en  France  de  1644;  mais  le  traducteur,  Clerselier^ 
n'en  était  qu'aux  quatrièmes  Objections,  et  Descartes  le  pria 
expressément  d'omettre  les  cinquièmes,   celles   de   Gassend, 
ainsi  que  ses  propres  réponses,  et  de  ne  pas  prendre  la  peine 
de  les  traduire.  C'est  lui-même  qui  le  déclare,  dans  un  «  Aver- 
tissement de  l'auteur  »,  imprimé  page  340  de  la  première  édi- 
tion ;  et  Glerselier  confirme  cette  déclaration  dans  un  «  Aver- 
tissement du  traducteur  »,  imprimé  page   393.  De  fait,  dans 
cette  première  édition,  on  trouve,  après  les  Réponses  aux  qua- 
trièmes Objections,  et  à  la  place  des  cinquièmes  qui  devraient 
venir  ensuite,  l'Avertissement  de  Descartes,  puis  tout  aussitôt 
les  sixièmes  Objections  avec  leurs  Réponses.  Le  volume  aurait 
dû  finir  là.  Mais  Glerselier  eut  un  scrupule  :  pourquoi  priver 
le  lecteur  de  la  traduction  des  Objections  de  Gassend  et  des 
Réponses  de  Descartes  à  ces  Objections?  Il  traduisit  donc  les 
unes  et  les  autres  quand  même,  et  obtint  de  Descartes  qu'elles 
figureraient  dans  l'édition,  non   plus  à  leur  place,  entre  les 
quatrièmes  et  les  sixièmes,  mais  après  les  sixièmes  et  comme 
dernière  partie   du  volume.  C'est  ce  que  lui-même  explique 
dans  son  «  Avertissement  du  traducteur  ».  Mais  Descartes,  qui 
n'avait  pas  vu  cette  traduction  avec  les  autres  en  1644,  par  la 
raison  qu'elle  n'était  point  faite  encore,  et  qu'il  ne  voulait  pas 
qu'on  la  fît,  n'en  prit  point  davantage  connaissance  en  1645- 
1646.  Elle  ne  saurait  donc   figurer  dans  une  édition  de  ses 
Œuvres,  parmi  des  pièces  revues- et  corrigées  par  lui,  et  qui 
ont  obtenu  son  approbation.   Pourtant  Gassend  ayant  voulu 
répliquer  aux  Réponses  de  Descartes  à  ses  Objections,  et  ayant 
publié  celles-ci  avec  de  nombreuses  «  Instances  »,  sous  le  titre 
de  Disquîsitio  metaphysica.  Descartes  parcourut  ce  volume, 
qu'il  trouva  trop  gros  ;  on  lui  en  fit  un  court  extrait,  auquel  il 
répondit  par  une  lettre  en  français  à  Glerselier,  du  12  janvier 
1646.  Celui-ci  ne  manqua  point  de  la  joindre  à  sa  traduction 
des  cinquièmes  Objections  et  Réponses,  tout  à  la  fin  de  l'édition 
de  1647.  Nous  donnerons  donc,  dans  le  présent  volume,  à  la 
place  de  la  traduction  des  cinquièmes  Objections  et  Réponses, 


VIII  Avertissement. 

dont  Descartes  ne  voulait  point,  les  trois  pièces  suivantes  : 
Avertissement  de  Descartes,  Avertissement  de  C  1er  seller,  et 
Lettre  de  Descaries  à  Clerselier,  au  sujet  de  ces  Objections  et 
des  Instances  qui  y  furent  faites.  Viendront  ensuite  les  sixièmes 
Objections  avec  les  Réponses,  que  le  philospphe  n'avait  aucun 
motif  d'évincer,  et  dont  il  dut  même  voir  aussi  la  traduction, 
puisqu'il  les  laissa  imprimer  après  les  quatrièmes  Objections 
dans  l'édition  de  1647;  celle-ci  aurait  de  la  sorte  formé  un 
volume  (sans  les  cinquièmes)  tel  qu'il  l'eût  désiré  d'un  bout 
à  l'autre,  et  entièrement  approuvé  de  sa  main.  Ainsi  les 
mêmes  raisons  qui  nous  ont  fait  écarter  la  troisième  édi- 
tion, puis  la  seconde,  nous  font  écarter  encore  une  notable 
partie  de  la  première;  et  c'est  toujours  par  le  même  souci 
de  ne  donner  comme  traduction,  soit  latine  soit  française, 
des  ouvrages  de  Descartes,  que  ce  qui  a  été  revu  et  corrigé 
par  lui. 

La  première  édition  des  Méditations  en  français,  dans  la 
partie  que  nous  en  retenons,  c'est-à-dire  environ  les  deux  tiers 
du  volume,  nous  servira  également  de  guide  pour  le  texte. 
Ce  n'est  pas  qu'il  n'y  ait,  cependant,  de  notables  dififérences, 
au  point  de  vue  du  texte,  entre  cette  première  édition  et  la 
seconde,  ou  la  troisième.  Le*  titre  même  de  la  secondé  en 
avertit  d'ailleurs  :  «  reueuc  8:  corrigée  par  le  traducteur  ». 
C'est  Clerselier  qui  s'exprime  ainsi,  au  singulier,  comme  s'il 
était  désormais  seul  traducteur,  tandis  que  la  première  édition 
en  désigne  deux  par  leurs  initiales,  un  pour  les  Méditations, 
«  M'  le  D.  D.  L.  N.  S.  »  (Monsieur  le  Duc  De  LuyNeS),  un 
autre  pour  les  Objections  et  Réponses,  «  M'  G.  L.  R.  »  (Mon- 
sieur ClerseLieH).  Clerselier  n'était  point  satisfait  sans  doute 
de  son  premier  travail,  pour  les  Objections  et  Réponses  ;  il 
voulut  donc  le  revoir,  avant  de  le  publier  une  seconde  fois  en 
1,661.  Mais  il  était  encore  moins  satisfait,  ce  semble,  du  travail 
de  M.  le  duc  de  Luynes  pour  leà  Méditations;  il  faut  dire 
que  Uii-méme  les  avait  aussi  traduites,  de  son  côté,  en  même 
temps  que  les  Objections  et  Réponses,  comme  il  le  déclare 


Avertissement.  ix 

dans  son  «  Avertissement  »  *,  et  que,  comparant  sa  propre 
traduction  avec  celle  du  jeune  duc,  il  préférait  naturellement 
la  sienne.  De  là  de  nombreuses  variantes,  de  la  première  di- 
tion  à  la  seconde,  plus  nombreuses,  et  cela  se  comprend,  pour 
les  Méditations  que  pour  les  Objections  et  Réponses  :  dans  le 
premier  cas,  Clerselier  corrigeait  le  duc  de  Luynes;  dans  le 
second,  il  se  corrigeait  lui-même.  Mais,  et  c'est  là  l'essentiel 
pour  la  présente  édition,  Descartes  n'eut  pas  à  se  prononcer 
sur  ces  corrections  de  Clerselier  :  elles  sont,  en  effet,  posté- 
rieures à  la  traduction  publiée  en  1647,  la  seule  dont  le  phi- 
losophe ait  eu  au  préalable  entre  les  mains  une  copie  manus- 
crite. C'est  donc  bien  celle-ci  seulement  qui  doit  faire  autorité. 
Peu  importe  que  Clerselier  Tait  jugée  ensuite  imparfaite,  et 
l'ait  remaniée  !  Peu  importe  que  nous-mêmes  aujourd'hui  nous 
y  relevions  bien  des  négligences  ou  des  erreurs  !  Elle  garde 
sur  les  éditions  suivantes,  de  1661  et  de  1673,  l'avantage 
d'avoir  été  vue  par  Descartes,  et  acceptée  et  agréée  par  lui. 
D'ailleurs  n'est- il  pas  intéressant  de  voir  quelle  est  la  tra- 
duction dont  s'est  contenté  le  philosophe,  et  qui  lui  a  paru 
suffisante  ?  Les  remaniements  de  Clerselier  peuvent  avoir 
leur  intérêt,  mais,  par  exemple,  dans  une  étude  sur  Cler- 
selier lui-même,  considéré  comme  traducteur  de  Des- 
cartes, ou  bien  encore  pour  l'histoire  du  cartésianisme  après 
Descartes;  ils  ne  nous  intéressent  en  rien,  pour  l'établisse- 
ment du  texte  tel  que  le  philosophe  l'a  jugé  bon,  ce  qui  est 
la  seule  chose  que  nous  devons  avoir  ici  en  vue.  Conclusion  : 
nous  donnerons,  dans  le  présent  volume,  pour  toutes  les 
pièces  dont  nous  retenons  la  traduction,  le  texte  de  la  pre- 

a.  Voir  ci-après,  p.  200,  1.  5.  —  C'est  sans  doute  ce  ^lui  a  fait  dire  à 
René  Fédé,  dans  la  Préface  de  la  troisième  édition,  en  1673  :  «  La  Tra-* 
)'  dudion  ell  la  mefme  qui  a  paru  iufques-icy  ;  elle  a  efté  fort  approuuée, 
»  &  il  feroit  malailé  d'en  donner  vne  meilleure  &  vnc  plus  tidelle.  Il  fuffit 
»  d'aduertir,  pour  en  faire  porter  vn  iugement  auaniageux,  qu'elle  a  eflé 
»  veut'  par  Monlicur  Des-Canos,  &  quV//^  e/?  prej'que  toute  de  Monfieur 
)'  Clerfelier.  >■  En  fait,  l'édition  de  1673  n'apporte  que  de  très  légers 
changements  au  texte  de  la  seconde. 


X  Avertissement. 

mière  édition  (1647},  sans  nous  mettre  en  peine  des  variantes 
que  peuvent  offrir  les  deux  suivantes,  celles  de  1601  et 
de  4673. 

Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de  faire  l'historique  de  la  traduction 
du  duc  de  Luynes  et  de  Clerselier  ;  on  le  trouvera  tout  au  long, 
comme  un  chapitre  à  part,  dans  la  Vie  de  Descartes.  D'ailleurs 
les  éléments  en  sont  épars  dans  la  Correspondance  :  lettres  à 
Picot,  II  sept.  1644  et  9  févr.  1645;  à  Clerselier,  10  avril  et 
20  déc.  1645,  12  janv.,  23  févr.  et  9  nov.  1646  ;  à  Picot  encore, 
8  juin  1647  (voir  tome  IV  de  la  présente  édition,  pages  i38-i39, 
176,  192-195»  338-339,  357-358,  362,  563-564,  et  tome  V, 
page  64). 

Nous  ajouterons,  comme  appendice  à  cet  Avertissement,  le 
fac-similé  de  chacun  des  titres  de  la  première,  de  la  seconde 
et  de  la  troisième  édition  de  la  traduction  française  des  Médi- 
tations. 

C.  A. 

Nancy,  3i  décembre  1903. 


MEDITATIONS 

METAPHYSIQVES 

DE    RENE'   DES  CARTES 

TOVCHANT  LA  PREMIERE  PHILOSOPHIE, 
dans  lefqucllcs  Tcxiftcncc  de  Dicu,&:  la  diftindion  réelle  eiuic 
ramc&ic corps  de  l'homme,  font  dcmonftrccs. 

Traduites  du  Latin  de  l'Jutcur  par  M' le  TD.  D.L./V,S, 

Et  icsObjcûions  faites  contre  ces  Méditations  par  diucrfcs 
pcrfonncstrcs-do<Sles,aucc  les  rcponfcsdc  1  Auteur. 

Traduites  par  M'  C.L.R, 


A    PARIS, 
Chez  la  Vcuue    I  E  A  N    C  A  M  V  S  A  T, 

ET 

PIERRE  LE  PETIT,  Imprimeur  ordinaire  duRoy. 

rue  S.IacqueSjà  la  Toyfon  d'Or. 

^1   DC.     XÎ.  V~I  î.  ^ 
jiFEC   PKI^II^EGE    DF  ROT. 


MEDITATIONS 

MET  A  PH  Y  SÏQVES 
DE   RENF    DES-CARTES 

TOVCHANT   LA    PREMIERE  PHILQÇOPHIE. 

SECONDE     ET)  ITION. 

Reueuë  &  corrigée  par  le  Tradu<flcur; 

ET    AVGMENTE'E    DE    LA    VERSION   DVNE 

Lettre  de  M'  Dcs-Cartes  au  R.  P.  Dincti  &dc  celle 

des  fepticfmes  Objeûions,  &dc  leurs  Rciponfcs. 


A       PARIS, 

Clicz  HENRY    LE  GRAS:,  au  rroifîcme  Pillicr de 
la  Grand  Salle  du  Palais ,  à  L.  couronnée. 

Û.     DCTTXL 


MEDITATIONS 

METAPHYSIQVES 

DE  RENE'  DES-CARTES 

TOVCHANT  LA  PÎI.EMIERE  PHILOSOPHIE, 

DÉDIÉES      A     MESSIEVRS 
DE     SOR.  BONE- 

NOVVELLEMENT  DIVISE'ES  PAR  ARTICLES 
aucc  des  Sommaires  à  cofté,  &  auccdcs  Rcnuois  des  Ar- 
ciclcs  aux  Objcâions,  &  des  Objections  aux  Refponfes. 
Pour  en  faciliter  la  lcâurc&  l'intelligence.  ParR.  F. 

TROISIEME    EDITION. 

Revcuë  &  corrigée, 

A    PARIS, 

Chez   KîîCHEL    BOBIN  &  NICOLAS   LE  GRAS,  aa 

uoificme  Pilier  de  la  Grand' Salle  do  Palais,  à  rEfperancc 

&  à  L,   couronnée. 

M.    DC    LXXIIL 
^rEC  PRIVILEGE  DV'  ROY, 


MEDITATIONS 


OBJECTIONS  &  REPONSES 


LE  LIBRAIRE  AV  LECTEVR^ 


«  La  fatisfaélion  que  ie  puis  promettre  à  toutes  les  peribnnes 
»  d'efprit  dans  la  lediire  de  ce  Liurc,  pour  ce  qui  regarde  TAuceur 
»  &  les  Tradudeurs,  m'oblige  à  prendre  garde  plus  loigneufement 
»  à  contenter  aufli  le  Ledeur  de  ma  part,  de  peur  que  toute  fa 
»  dirgrace  ne  tombe  fur  moy  feul.  le  tafche  donc  à  le  fatisfaire,  & 
»  par  mon  foin  dans  toute  cette  imprellion,  &  par  ce  petit  éclair- 
»  cilfement,  dans  lequel  ie  le  dois  icy  auertir  de  trois  chofes,  qui 
»  font  de  ma  connoiirancç  particulière,  &  qui  feruiront  à  la  leur. 
»  La  première  eft,  quel  a  eilé  le  dell'ein  de  l'Auteur,  lors  qu'il  a 
»  publié  cet  ouurage  en  Latin.  La  féconde,  comment  &  pourquoy 
»  il  paroirt  aujourd'liuy  traduit  en  François.  ïlt  la  troifiefme,  quelle 
»  eft  la  qualité  de  cette  verfion.  » 

«  L  Lorsque  l'Auteur,  apjés  auoir  conceu  ces  Méditations  dans 
»  fon  efprit,  refolut  d'en  faire  part  au  public,  ce  fut  autant  parla 
)»  crainte  d'étouffer  la  voix  de  la  vérité,  qu'à  delfein  de  la  fou- 
»  mettre  à  l'épreuuc  de  tous  les  dodes.  A  cet  effet  il  leur  voulut 
»  parler  en  leur  langue,  ik.  à  leur  mode,  &  renferma  toutes  fes 
»  penfécs  dans  le  Latin  &  les  termes  de  l'Efcole.  Son  intention  n'a 
»  point  cfté  frulhéc,  &  fon  Liure  a  elle  mis  à  la  quellion  dans  tous 
»  ll's  Tribunau.x  de  la  Philofophie.  Les  Objections  iointes  à  ces 
»  Méditations  le  témoignent  allez,  &  montrent  bien  que  les  fça- 
»  uans  du  fiecle  le  |  font  donné  la  peine  d'examiner  fes  propofitions 
»  aucc  rigueur.  Ce  n'ell  pas  à  moy  de  iuger  auec  quel  fuccez, 
»  puifque  c'ell  moy  qui  les  prefente  aux  autres  pour  les  en  faire 
»  iuges.  11  me  fuftit  de  croire  pour  moy,  &  d'alfurcr  les  autres,  que 
»  tant  de  grands  hommes  n'ont  peu  fc  choquer  fans  produire 
)»  beaucoup  de  lumière.  » 

a.  Avis  imprime,  sans  paginaiion,  dans  la  première  édition  (1647)  '^^ 
dans  la  seconde  {1661),  11  est  remplacé  dans  la  troisième  (167H)  par  une 
noie  «  Au  Lecteur  »  du  nouvel  éditeur,  Kené  Fédé.  Dans  la  première  édi- 
tion, cet  Avis  se  trouve  aussitôt  après  VEpistre  aux  a  Doyen  et  Docteurs  » 
de  la  Fuculté  de  Théologie  de  Paris.  Dans  la  seconde,  il  ne  vient  qu'au 
troisième  rang,  aprè  i  la  même  Epistrc  et  la  Préface  de  l'Autlieur  au 
Lecteur.  —  La  première  édition  ayant  été  publiée  «A  Paris,  chez  la  Venue 
»  Iran  Camlsat,  et  PiERuii  Lv  Picxrr,  Imprimeur  ordinaire  du  Roy  »,  le 
«   Libraire  »  qui  s'adresse  ici  *  au  Lecteur  »  est  sans  doute  Pierre  Le  Petit. 

(lÙjVRfS.    1\'.  I 


2  Œuvres  de  Descartes. 

«  II.  Cependant  ce  Liure  paffe  des  Vniuerfitez  dans  les  PaWs 
»  des  Grands,  &  tombe  entre  les  mains  d'vne  perfonne  d'vne 
M  condition  tres-eminente".  Apres  en  auoir  leu  les  Méditations,  & 
»  les  auoir  iugées  dignes  de  fa  mémoire,  il  prit  la  peine  de  les 
»  traduire  en  François  :  foit  que  par  ce  moyen  il  fe  voulut  rendre 
))  plus  propres  &  plus  familières  ces  notions  aflez  nouuelles,  foit 
)»  qu'il  n'euft  autre  deffein  que  d*honorer  l'Auteur  par  vne  fi  bonne 
»  marque  de  fon  eftime.  Depuis  vne  autre  perfonne  aufll  de  mérite'' 
"  n'a  pas  voulu  laiffer  imparfait  cet  ouurage  fi  parfait,  &  marchant 
»  fur  les  traces  de  ce  Seigneur,  a  mis  en  noftre  langue  les  Objec* 
»  tions  qui  fuiuent  les  Méditations,  auec  les  Réponfes  qui  les 
»  accompagnent  ;  iugeant  bien  que,  pour  plufieurs  perfonnes,  le 
)'  François  ne  rendroit  pas  ces, Méditations  plus  intelligibles  que  le 
M  Latin,  fi  elles  n'eftoient  accompagnées  des  Objeélions  &  de 
»  leur(s)  Réponfes,  qui  en  font  comme  les  Commentaires.  L'Auteur 
»  ayant  eflé  auerty  de  la  bonne  fortune  des  vnes  &  des  autres,  a 
»  non  feulement  confenty,  mais  aufii  defiré,  &  prié  ces  Melfieurs 
»  de  trouuer  bon  que  leurs  verfions  fuiTent  imprimées  ;  parce  qu'il 
»  auoit  remarqué  que  fes  Méditations  auoient  efté  accueillies  & 
(3)  »  rcceuës  auec  quelque  fatisjfadion  par  vn  plus  grand  nombre  de 
»  ceux  qui  ne  s'appliquent  point  à  la  Philofophie  de  l'Efcole,  que 
»  de  ceux  qui  s'y  apliquent.  Ainfi,  comme  il  auoit  donné  fa  pre- 
»  miere  imprefiion  Latine  au  defir  de  trouuer  des  contredifans,  il 
>»  a  creu  deuoir  cette  féconde  Françoife  au  fauorable  accueil  de  tant 
»  de  perfonnes  qui,  goullant  défia  fes  nouuelles  penfées,  fembloient 
>'  dei'rer  qu'on  leur  ofia  la  langue  &  le  goufi  de  l'Efcole,  pour  les 
»  accommoder  au  leur.  » 

«<  III.  On  trouucra  partout  cette  verfion  alfez  iufie,  &  fi  reli- 
»  gieufç,  que  iamais  elle  ne  s'cfi  elcartée  du  fens  de  l'Auteur.  le  le 
»  pourrois  alfurer  fur  la  feule  connoillance  que  i'ay  de  la  lumière 
»  de  l'efprit  des  tradudeurs,  qui  facilement  n'auront  pas  pris  le 
>»  change.  Mais  l'en  ay  encore  vne  autre  certitude  plus  authentique, 
»  qui  eft  qu'ils  ont  (comme  il  efioit  iufte)  referué  à  l'Auteur  le 
»  droit  de  rcueue  &  de  corredion.  Il  en  a  vfé,  mais  polir  fe 
»  corriger  plutofl  qu'eux,  &  pour  éclaircir  feulement  fes  propres 
>»  penfées.  le  veux  dire  que,  trouuant  quelques  endroits  où  il  luy  a 
»  femblé  qu'il  ne  les  auoit  pas  renduiis  alfez  claires  dans  le  Latin 
"  pour  toutes  faunes  de  perfonnes,  il  les  a  voulu  icy  éclaircir  par 

a.  Louis  Charles  d'Albert  Duc  de  Luynes. 

b.  Cloude  Clersclicr. 


Méditations.  j 

»  quelque  petit  changement,  que  l'on  reconnoiftra  bien  toft  en 
»  conférant  le  François  auec  le  Latin.  Ce  qui  a  donné  le  plus  de 
»  peine  aux  Traducteurs  dans  tout  cet  ouurage,  a  elté  la  rencontre 
»  de  quantité  de  mots  de  l'Art,  qui,  eftant  rudes  &  barbares  dans 
»  le  Latin  mefme,  le  font  beaucoup  plus  dans  le  François,  qui  eft 
»  rnoins  libre,  moihs  hardy,  &  moins  accourtumé  à  ces  termes 
»  de  I  l'Efcole.  Ils  n'ont  ofé  pourtant  les  obmettre,  parce  qu'il  (4} 
»  eut  fallu  changer  le  fens,  ce  que  leur  defendoit  la  qualité  d'In- 
»  terpretes  qu'ils  auoient  prilc.  D'autre  part,  lors  que  cette  verfion 
»  a  pafle  fous  les  yeux  de  l'Auteur,  il  l'a  trouuée  fi  bonne,  qu'il 
»  n'en  a  iamais  voulu  changer  le  Ityle,  &  s'en  eft  toufiours  défendu 
»  par  fa  modeftie,  &  l'eftime  qu'il  fait  de  fes  Traducteurs  ;  de 
»  forte  que,  par  vne  déférence  réciproque,  perfonne  ne  les  ayant 
»  oftez,  ils  font  demeurez  dans  cet  ouurage.  » 

«  l'adjoufterois  maintenant,  s'il  m'eftoit  permis,   que  ce  Liure 
»  contenant  des  Méditations  fort   libres,   &  qui  pcuuent  mefme 
»  fembler  extrauagantes  à  ceux  qui  ne  font  pas  accouftumez  aux 
»  Spéculations  de  la  Meiaphyfique,  il  ne  fera  ny  vtile,  ny  agréable 
»  aux  Lecteurs  qui  ne  pourront  apliquer  leur  efprit  auec  beaucoup 
»  d'attention  à  ce  qu'ils  lifent,  ny  s'abltenir  d'en  iuger  auant  que 
»  de  l'auoir  affez  examiné.  Mais  i'ay  peur  qu'on  ne  me  reproche 
»  que  ie  palïe  les  bornes  de  mon  meftier,  ou  plutoft  que  ie  ne  le 
»  fçay  guère,  de  mettre  vn  fi  grand  obftade  au  débit  de  mon  Liure, 
»  par  cette  large  exception  de  tant  de  perfonnes  à  qui  ie  ne  l'eitime 
»  pas  propre.  le  me  tais  donc,  &  n'eflarouche  plus  le  monde.  Mais 
»  auparauant,   ie  me   fens  encore   obligé   d'aucrtir 'les    Lecteurs 
»  d'aporter  beaucoup  d'équité   &   de  docilité  à  la  ledure  de  ce 
»  Liure  ;  car  s'ils  y  viennent  auec  cette  mauuaife  humeur  &  cet 
M  efprit  contrariant  de  quantité  de  perfonnes  qui  ne  lifent  que  pour 
»  difputer,  &  qui,  faifans  profeïTion  de  chercher  la  vérité,  femblent 
»  auoir  peur  de  la  trouuer,  puifqu'au  mefme  |  moment  qu'il  leur     (5) 
»  en  paroit  quelque  ombre,  ils  tafchent  de  la  combattre  &  de  la 
»  détruire,  ils  n'en  feront  iamais  ny  profit,  ny  iugement  raifon- 
»  nable.  Il  le  faut  lire  fans  préuention,  fans  précipitation,  &'à 
»  deflcin  de   s'inftruire;   donnant  d'abord    à   fon   Auteur   l'efprit 
»  d'Efcolier,  pour  prendre  par  après  celuy  de  Cenfeur.  Cette  me- 
»  thode  elt  fi  nccelfairc  pour  cette  ledurc,  que  ie  la  puis  nommer 
»  la  clef  du  Liure,  fans  laquelle  perfonne  ne  le  fçauroit  bien  en- 
»  tendre.  » 


A  MESSIEURS    LES  DOYEN    &  DOCTEURS 

DE  LA  SACRÉE  FACULTÉ  DE  THEOLOGIE 
DE  PARIS». 


Messieurs, 

La  railon  qui  me  porte  à  vous  prefenter  cet  ouurage  eft  û  iufte, 
&,  quand  vous  en  connoiftrez  le  deffein,  ie  m'afleure  que  vous  en 
aurez  aufli  vne  fi  iuile  de  le  prendre  en  voftre  protection,  que  ie 
penfe  ne  pouuoir  mieux  faire,  pour  vous  le  rendre  en  quelque  forte 
recommandable,  qu'en  vous  difant  en  peu  de  mots  ce  que  ie  m'y 
fuis  propofé.  l'ay  toujours  eflimé  que  ces  deux  queftions,  de  Dieu" 
(2)  &.  de  l'ame,  eftoient  les  principales  de  |  celles  qui  doiuent  pluftoft 
ertrc  demonrtrées  par  les  raifons  de  la  Philofophie  que  de  la  Théo- 
logie :  car  bien  qu'il  nous  fuffife,  à  nous  autres  qui  fommes  fidèles, 
|de  croire  par  la  Foy  qu'il  y  a  vn  Dieu,  &  que  l'ame  humaine  ne 
meurt  point  auec  le  corps,  certainement  il  ne  femble  pas  poflible  de 
pouuoir  iamais  perfuadcr  aux  Infidèles  aucune  Religion,  ny  quafi 
mcfme  aucune  vertu  Morale,  fi  premièrement  on  ne  leur  prouue 
ces  deux  chofcs  par  raifon  naturelle.  Et  d'autant  qu'on  propofe 
fouucnt  en  cette  vie  de  plus  grandes  recompenfes  pour  les  vices  que 
pour  les  vertus,  peu  de  perfonnes  prefcreroient  le  iufic  à  l'vtile,  fi 
elles  n'cfioient  retenues,  ny  par  la  crainte  de  Dieu,  ny  par  l'attente 
d'vnc  autre  vie.  Et  quoy  qu'il  foit  abfolument  vray,  qu'il  faut  croire 
qu'il  y  a  vn  Dieu,  parce  qu'il  eft  ainfi  cnfeigné  dans  les  Saintes 
Efcritures,  &  d'autre  part  qu'il  faut  croire  les  Saintes  Efcritures, 
parce  qu'elles  viennent  de  Dieu  ;  &  cela  pource  que,  la  Foy  cftant 
vn  don  de  Dieu,  celuy-la  mefme  qui  donne  la  grâce  pour  fc\ire  croire 
les  autres  chofcs,  la  peut  aufli  donner  pour  nous  faire  croire  qu'il 

a.  Celte  Fpistre,  placcc  en  icic  du  volume  dans  les  ui>is  premières 
«éditions,  n'est  point  paf*inée.  Les  numéros  en  marije,  entre  parenthèses, 
indiquent  les  pa^es  de  la  première  édition.*  Les  numéros  en  haut  des  pages 
renvoient  h  celles  du  texte  latin  (t.  VII  de  cette  édition);  les  lignes  verii- 
cilen,  dun  trait  plus  lort.  correspondent  à  ces  dernières. 


a-3;  TJ/VEDITATIOTVS.    EPISTRE.  3- 

exifte  :  on  ne  fçauroit  neantmoins  propofer  cela  aux  Infidelles,  qui 
pourroient  s'imaginer  que  l'on  commettroit  en  cccy  la  faute  que 
les  Logiciens  nomment  vn  Cercle". 

Et  de  vra)',  j'ay  pris  garde  que  |  vous  autres,  Meffieurs,auec  tous  (3 
les  Théologiens,  n'alTeuriez  pas  feulement  que  l'exillénce  de  Dieu 
fe  peut  prouuer  par  raifon  naturelle,  mais  aufli  que  l'on  infère  de  la 
Sainte  Efcriture,  que  la  connoiflance  eft  beaucoup  plus  claire  que 
celle  que  l'on  a  de  plufieurs  chofes  créées,  &  qu'en  effet  elle  eft  fi 
facile,  que  ceux  qui  ne  l'ont  point  font  coupables.  Comme  il  paroift 
par  ces  paroles  de  la  Sagefle,  chapitre  i3,  où  il  eft  dit  que  leur 
ignorance  n'ejl  point  pardonnable  ;  carfi  leur  efprit  a  pénétré Ji  auant 
dans  la  connoijfance  des  chofes  du  monde,  comment  ejl-il  pojjible 
qu'ils^n'en  ayent  point  trouué  plus  facilement  le  fouuerain  Seigneur? 
Et  aux  Romains,  chapitre  premier,  il  eft  dit  qu'ils  font  inexcufables. 
Et  encore,  au  mefme  endroit,  par  ces  paroles  :  Ce  qui  eji  connu  de 
Dieu,  efl  manifejîe  dans  eux,  il  femble  que  nous  foyons  aduertis,que 
tout  ce  qui  fe  peut  fçauoir  de  Dieu  peut  eftre  monftré  par  des 
raifons  qu'il  n'eft  pas  bcfoin  de  chercher  ailleurs  que  dans  nous- 
mefmes,  &  que  noftre  efprit  feul  eft  capable  de  nous  fournir.  C'eft 
pourquoy  i'ay  penfé  qu'il  ne  feroit  point  hors  de  propos,  que  ie 
fiffe  voir  icy  par  quels  moyens  cela  fe  peut  faire,  &  quelle  voye  il 
faut  tenir,  pour  arriuer  à  la  connoiffance  de  Dieu  auec  plus  de  facilité 
&  de  certitude  que  nous  ne   connoiflons  les  |  chofes  de  ce  monde  ^     (4) 

Et  pour  ce  qui  regarde  l'Ame,  quoy  que  plufieurs  ayent  creu 
qu'il  n'eft  pas  ayfé  d'en  connoiftre  la  nature,  |&  que  quelques-vns 
ayent  mefme  ofé  dire  que  les  raifons  humaines  nous  perfuadoient 
qu'elle  mouroit  auec  le  corps,  &  qu'il  n'y  auoit  que  la  feule  Foy  qui 
nous  enfeignaft  le  contraire,  neantmoins,  d'autant  que  le  Concile  de 
Latran,  tenu  fous  Léon  X,  en  la  Sefllon  8,  les  condamne,  &  qu'il 
ordonne  expreffément  aux.  Philofophes  Chreftiens  de  refpondre  à 
leurs  argumens,  &  d'employer  toutes  les  forces  de  leur  efprit  pour 
faire  connoiftre  la  vérité,  i'ay  bien  ofé  l'entreprendre  dans  cet  eîcrit. 
Dauantage,  fçachant  que  la  principale  raifon,  qui  fait  que  plufieurs 
impies  ne  veulent  point  croire  qu'il  y  a  vn  Dieu,  &  que  l'ame  hu- 
maine eft  diftinde  du  corps,  eft  qu'ils  difent  que  perfonne  jufques 
icy  n'a  peu  demonftrer  ces  deux  chofes  ;  quoy  que  ie  ne  fois  point  de 
leur  opinion,  mais  qu'au  contraire  ie  tienne  que  prefquc  toutes  les 
raifons   qui   ont   efté  aportées  par   tant    de    grands  perfonnages, 

a.  Non  à  la  ligne. 

b.  Idem, 


OEuvRES  DE  Descartes. 


3-4. 


touchant  ces  deux  queftions,  font  autant  de  demonftrations,  quand 
elles  font  bien  entendues,  &  qu'il  foit  prefque  impoiTiblè  d'en  in- 
uenter  de  nouuelles  :  fi  eft-ce  que  ie  croy  qu'on  ne  fçauroit  rien  faire 
de  plus  vtile  en  la  Philofophie,  que  d'en  rechercher  vne  fois  curieu- 

(5)  fement  &  auec  foin  î  les  meilleures  &  plus  folides,  &  les  difpofer 
en  vn  ordre  fi  clair  &  fi  exad,  qu'il  foit  confiant  déformais  à  tout  le 
monde,  que  ce  font  de  véritables  demonflrations.  Et  enfin,  d'autant 
que  plufieurs  perfonnes  ont  defiré  cela  de  moy,  qui  ont  connoifTance 
que  i'ay  cultiué  vne  certaine  méthode  pour  refoudre  toutes  fortes 
de  difficultez  dans  les  fciences;  méthode  qui  de  vray  n'ell  pas  nou- 
uelle,  n'y  ayant  rien  de  plus  ancien  que  la  vérité,  mais  de  laquelle 
ils  fçauent  que  ie  me  fuis  feruy  affez  heureufement  en  d'autres  ren- 

.. contres  ;  i'ay  penfé  qu'il   eftoit  de  mon  deuoir  de  tenter  quelque 
chofe  fur  ce  fujct". 

|0r  i'ay  trauaillé  de  tout  mon  poffible  pour  comprendre  dans  ce 
Traité  tout  ce  qui  s'en  peut  dire.  Ce  n'^(ï  pas  que  i'aye  îcy  ramaffé 
toutes  les  diuerfes  raifons  qu'on  pourroit  alléguer  pour  feruir  de 
preuue  à  noflre  fujet  :  car  ie  n'ay  iamais  creu  que  cela  fufl  ne- 
cefTaire,  finon  lors  qu'il  n'y  en  a  aucune  qui  foit  certaine;  mais 
feulement  i'ay  traité  les  premières  &  principales  d'vne  telle  m.a- 
niere,  que  i'ofe  bien  les  propofer  pour  de  tres-euidentes  &  très-cer- 
taines demonftrations.  Et  ie  diray  de  plus  qu'elles  font  telles,  que 
ie  ne  perife  pas  qu'il  y  ait  aucune  voye  par  où  l'efprit  humain  en 
puiffe  iamais  découurir  de  meilleures;  car  l'importance  de  l'affaire, 

(6)  &  la  gloire  de  Dieu  à  laquelle  tout  cecy  fe  |  raporte,  me  contraignent 
de  parler  icy  vn  peu  plus  librement  de  moy  que  ie  n'ay  de  couflume. 
Neantnijoins,  quelque  certitude  &  euidence  que  ie  trouue  en  mes 
raifons,  ie  ne  puis  pas  me  perfuader  que  tout  le  monde  foit  capable 
de  les  entendre.  Mais,  tout  ainfi  que  dans  la  Géométrie  il  y  en  a 
plufieurs  qui  nous  ont  eflé  laiffées  par  Archimede,  par  Apollonius, 
par  Pappus,  &  par  plufieurs  autres,  qui  font  receufs  de  tout  le 
monde  pour  très-certaines  &  tres-euidentes,  parce  qu'elles  ne  con- 
tiennent rien  qui,  confideré  feparément,  ne  foit  très-facile  à  con- 
noiflrc,  &  qu'il  n'y  a  point  d'endroit  où  les  confequences  ne  qua- 
drcnt  &  ne  conuicnncnt  fort  bien  auec  les  antecedans  ;  neantmoins, 
parce  qu'elles  font  vn  peu  longues,  &  qu'elles  demandent  vn  efprit 
tout  entier,  elles  ne  font  comprifes  &  cntcnduc's  que  de  fort  peu  de 
perfonnes  :  de  mcfme,  encore  que  i'eftime  que  celles  dont  ie  me 
fers  icy,  égalent,  voire  mefme  furpaflcnt  en  certitude  &  euidence  les 

a.  Non  à  la  ligne. 


4-5.  Méditations.  —  Epistre.  7 

demonftrations  de  Géométrie,  i'aprehende  neantmoins  qu'elles  ne 
puifTent  pas  eftre  aflez  fuffifammcnt  entendues  de  plufieurs,  tant 
parce  qu'elles  font  aufli  vn  peu  longues,  &  dépendantes  les  vnes  des 
autres,  que  principalement  parce  qu'elles  demandent  vn  efprit  en- 
tièrement libre  de  tous  préjugez  &  qui  le  puiffe  a3'fément  |  détacher  (7) 
du  commerce  des  fcns.  Et  en  vérité,  il  ne  s'en  trouue  pas  tant  dans 
le  monde  qui  foient  propres  pour  les  Spéculations  Metaphyllques, 
que  pour  celles  de  Géométrie.  Et  |  de  plus  il  y  a  encore  cette  diffé- 
rence que,  dans  la  Géométrie  chacun  eflant  preuenu  de  l'opinion, 
qu'il  ne  s'y  auance  rien  qui  n'ait  vne  demonftration  certaine,  ceux 
qui  n'y  font  pas  entièrement  verfez,  pèchent  bien  plus  fouuent  en 
approuuant  de  fauffes  demonftrations,  pour  faire  croire  qu'ils  les 
entendent,  qu'en  réfutant  les  véritables.  Il  n'en  eft  pas  de  mefme 
dans  la  Philofophie,  où,  chacun  croyant  que  toutes  fes  propofiiions 
font  problématiques,  peu  de  perfonnes  s'addonnent  à  la  recherche 
de  la  vérité;  &.  mefme  beaucoup,  fc  voulant  acquérir  la  réputation 
de  forts  efprits,  ne  s'étudient  à  autre  chofe  qu'à  combattre  arro- 
gamment  les  veritez  les  plus  apparentes*. 

C'eft  pourquoy,  Messieurs,  quelque  force  que  puilTent  auoir  mes 
raifons,  parce  qu'elles  apartiennent  à  la  Philofophie,  ie  n'efpere  pas 
qu'elles  falfent  vn  grand  effort  "  fur  les  efprits,  fi  vous  ne  les  prenez 
en  voftre  prote(^tion.  Mais  l'elhme  que  tout  le  monde  fait  de  voftre 
Compagnie  eftant  fi  grande,  &  le  nom  de  Sorbonne  d'vne  telle 
authorité,  que  non  feulement  en  ce  qui  regarde  la  Foy,  après  les 
facrez  Conciles,  on  n'a  iamais  tant  dé|feré  au  iugement  d'aucune  (S) 
autre  Compagnie,  mais  auffi  en  ce  qui  regarde  l'humaine  Philo- 
fophie, chacun  croyant  qu'il  n'eft  pas  pofTible  de  trouuer  ailleurs 
plus  de  folidité  &  de  connoilTance,  ny  plus  de  prudence  &  d'inté- 
grité pour  donner  fon  iugement:  ie  ne  doute  point,  fi  vous  daignez 
prendre  tant  de  foin  de  cet  efcrit,  que  de  vouloir  premièrement  le 
corriger  :  car  ayant  connoiffance  non  feulement  de  mon  infirmité, 
mais  aufTi  de  mon  ignorance,  ie  n'oferois  pas  affurer  qu'il  n'y  ait 
aucunes  erreurs  ;  puis  après  y  adjoûtér  les  chofes  qui  y  manquent, 
acheucr  celles  qui  ne  font  pas  parfaites,  &  prendre  vous-mefmes  la 
peine  de  donner  vne  explication  plus  ample  à  celles  qui  en  ont 
befoin,  ou  du  moins  de  m'en  auertir  afin  que  i'y  trauaille,  &  enfin, 
îiprés  que  les  raifons  par  lefquelles  ie  prouue  qu'il  y  a  vn  Dieu,  & 
que  l'ame   humaine  diffère  d'auec   le  corps,  auront   efté  portées 

a.  Non  à  la  ligne. 

b.  Effort,  sic  [i",  2*  et  3*  édit.).  Lire  :  effea? 


8  CEl'vres  de  Descartes. 


5-6. 


iniques  au  point  de  clarté  &  d'cuidence,  où  ie  m'alTure  qu'on  les 
peut  conduire,  {qu'elles  deuront  élire  tenues  pour  de  tres-exacles 
denionllraiions,  vouloir  déclarer  cela  mefme,  &  le  témoigner  pu- 
bliquement :  ic  ne  doute  point,  dis-ie,  que^  fi  cela  ie  fait,  toutes 
les  erreurs  &  fauifes  opinions  qui  ont  iamais  efté  touchant  ces  deux 
(9)  quellions,  ne  foient  bien-toit  effacées  de  l'elprit  des  hommes.  Car  |  la 
vérité  fera  que  tous  les  doctes  6k.  gens  d'efprit  foufcriront  à  voftre 
iugement;  &  voflre  autorité,  que  les  Athées,  qui  font  pour  l'or- 
dinaire plus  arrogans  que  doctes  &  iudicieux,  fe  dépouilleront  de 
leur  efprit  de  contradiction,  ou  que  peut-eltre  ils  foûtiendront  eux- 
mefmes  les  raifons  qu'ils  verront  élire  receuës  par  toutes  les  per- 
fonnes  d'efprit  pour  des  demonftrations,  de  peur  qu'ils  ne  pa- 
xoilfent  n'en  auoir  pas  rintelligence  ;  &.  enfin  tous  les  autres  fe 
rendront  ayfément  à  tant  de  témoignages,  &  il  n'y  aura  plus  per- 
fonne  qui  ofe  douter  de  l'exiftence  de  Dieu,  &  de  la  diftindion 
réelle  &  véritable  de  l'ame  humaine  d'auec  le  corps". 

C'efl  à  vous  maintenant  à  iuger  du  fruit  qui  reuiendroit  de  cette 
créance,  fi  elle  eiloit  vne  fois  bien  eltablie,  qui  voyez  les  defordres 
que  fon  doute  produit;  mais  ie  n'aurois  pas  icy  bonne  grâce  de 
recommander  dauantage  la  caufe  de  Dieu  &  de  la  Religion,  à  ceux 
qui  en  ont  toufiours  elle  les  plus  fermes  Colonnes ^ 

a.  Non  à  la  ligne. 

b.  La  traduciion  française  de  la  Prœfatiô  de  Descartes  (t.  VII,  p.  7-1 1) 
manque  dans  la  première  édition;  nous  ne  la  publions  donc  pas,  pour  les 
raisons  données  dans  notre  Introduction.  Cette  traduction  ne  se  trouve 
que  dans  la  seconde  édition,  sous  ce  titre  :  Préface  de  V Autheur  au  Lecteur, 
cmvcV Epistrc  ii\A  Sorbonne  (ci-avant,  p.  4-8J  et  l'Avis  intitulé  :  Le  Libraire 
au  Lecteur  (p.  i-3).  Dans  la  troisième  édition,  elle  vient  également  après 
VEpistre  ci  avant  le  nouvel  avis  Au  Lecteur  (voir  p.  i,  note). 


ABRÉGÉ 
DES   SIX   MEDITATIONS   SVI VANTES 


Dans  la  première^  ie  mets  en  anant  les  raijons  pour  le/quelles  nous 
pouuons  douter  g-iveralement  de  toutes  chof es,  &  particulièrement  des 
chofes  matérielles,  au  moins  tant  que  nous  n'aurons  point  d'autres 
fondetnens  dans  les  fciences,  que  ceux  que  nous  auons  eu  fu/qu'à  pre- 
fent.  Or,  bien  que  l'ptilité  d'vn  doute fi  ffeneral  ne  paroijfe pas  d'abord, 
elle  cjl  toutesfois  en  cela  très-grande,  qu'il  nous  déliure  de  toutes  fortes 
de  préjuge^,  &  nous  prépare  vn  chemin  très-facile  pour  accoutumer 
nojlre  efprit  à  Je  détacher  des  fens,  &  enfin,  en  ce  qu'il  fait  qu'il  n'eft 
pas  pojftble  que  nous  puijffions  plus  auoir  aucun  doute,  de  ce  que  nous 
dêcouurirons  après  ejlre  véritable. 

Dans  la  féconde,  l'ejprit,  qui,  vfant  de  fa  propre  liberté,  fuppofe 
que  toutes  les  chofes  ne  font  point,  de  l'exijlence  defquelles  il  a  le 
moindre  doute,  reconnoijî  qu'il  efi  abfolumeni  |  iînpojjible  que  cepen- 
dant il  n'exifie  pas  luj'-mefme.  Ce  qui  ejt  aufji  d'vne  très-grande  vti- 
lité,  d'autant  que  par  ce  moyen  il  fait  aifement  dijîinâion  des  chofes 
qui  luy  appartiennent^  c'efi  à  dire  à  la  nature  intelleâuelle,  &  de  celles 
qui  appartiennent  au  corps.  Mais  parce  qu'ail  peut  arriuer  que  quel- 
ques-vns  attendent  de  mq/  en  ce  lieu-là  des  raifons pour  prouuer  l'im- 
mortalité de  l'ame,  \fejlime  les  deuoir  maintenant  auertir,  qu'ayant 
tafché  de  ne  riejt  efcrire  dans  ce  traitté,  dont  ie  neuJJ'e  des  demon- 
flrations  tres-exaâes,  ie  me  fuis  veu  obligé  de  fuiure  vn  ordre  fem- 
blable  à  celuy  dont  fe  feruent  les  Géomètres,  fçauoir  efi,  d'auancer 
toutes  les  chofes  defquelles  dépend  la  propofition  que  Von  cherche, 
auant  que  d'en  rien  conclure. 

Or  la  première  &  principale  chofe  qui  efi  requife,  auant  que  de  coH' 
noifire  l'immortalité  de  l'amer  efi  d'en  former  vue  conception  claire 

a.  La  pagination  ne  commence,  dans  la  première  édition,  qu'avec  cet 
Abrégé,  qui  est  la  traduction  française  de  la  Synopsis  (t.  VII,  p.  12-16). 
Il  figure  à  la  fois  dans  la  première  édition  et  dans  la  seconde,  mais  dis- 
parait de  la  troisième,  où  il  est  remplacé  par  une  Table  des  Articles  des 
Méditations  Metaphisiques,  œuvre  du  nouvel  éditeur  R.  F.  (René  Fédé), 


lo  OEuvRES  DE  Descartes.  ■■J-m- 

&  netley  &  entièrement  dijîinâe  de  toutes  les  conceptions  que  l'on  peut 
auoir  du  corps  :  ce  qui  a  ejîé  fait  en  ce  lieu-là.  Il  eji  requis,  outre 
cela,  de  fçauoir  que  toutes  les  chofes  que  nous  conceuons  clairement  & 
dijlinâlement  font  vray es,  félon  que  nous  les  conceuons  :  ce  qui  n'a  pu 
eflre  prouiié  auant  la  quatrième  Méditation.  De  plus,  il  faut  auoir 
vue  conception  dijîinâe  de  la  nature  corporelle,  laquelle  fe  forme, 
partie  dans  cette  féconde ,  &  partie  dans  la  cinquième  &fixiéme  Médi- 
tation. Et  enfin,  l'on  doit  conclure  de  tout  cela  que  les  chofes  que  l'on 
conçoit  clairement  &  dijlindement  efre  des  fubjlances  différentes^ 
comme  l'on  conçoit  l'Efprit  &  le  Corps,  font  en  effet  des  fubjlances 
diuerfes,  &  réellement  di/linâes  les  vnes  d'auec  les  autres  :  &  c'cjî  ce 
que  l'on  conclut  dans  lajîxieme  Méditation.  Et  en  la  \  mefme  aufft  cela 
fe  confrme,  de  ce  que  nous  7te  conceuons  aucun  corps  que  comme  ditii- 
Jible,  au  lieu  que  l'efprit,  ou  l'ame  de  l'homme,  ne  fe  peut  conceuoir  que 
comme  indiuifible  :  car,  en  effet,  nous  ne  pouuons  conceuoir  la  moitié 
d'aucune  ame,  comme  nous  pouuons  faire  du  plus  petit  de  tous  les 
corps;  en  forte  que  leurs  natures  ne  font  pas  feulement  reconnues 
diuerfes,  mais  mefme  en  quelque  façon  contraires.  Or  il  faut  qu'ils 
fçachent  que  ie  ne  me  fuis  pas  engagé  d'en  rien  dire  dauantage  en  ce 
traitté-cf,  tant  parce  que  cela  fuffit  pour  monjlrer  affe^  clairement  que 
de  la  corruption  du  corps  la  mort  de  l'ame  ne  s'enfuit  pas,  &  ainji 
pour  donner  aux  hommes  l'efperance  d'vne  féconde  vie  après  la  mort  ; 
comme  aujjî  parce  que  les  premiffes  defquelles  on  peut  conclure  l'ini' 
mortalité  de  l'ame,  dépendent  de  l'explication  de  toute  la  Phjjique  : 
Premièrement  ,\affn  de  fçauoir  que  généralement  toutes  lesfuhjiances, 
c'ejl  à  dire  toutes  les  chofes  qui  ne  peuuent  exijîer  fans  ejlre  créées  de 
Dieu,  font  de  leur  nature  incorruptibles,  &  ne  peuuent  iamais  ceffer 
d'ejïre,ji  elles  ne  font  réduites  au  îieant  par  ce  mefme  Dieu  qui  leur 
veuille  dénier  fon  concours  ordinaire.  Et  enfuite,  afin  que  l'on  re- 
marque que  le  corps, pris  en  gênerai,  ejï  vne  fubflancc,  c'ejl  pourquof 
aufft  il  ne  périt  point  ;  mais  que  le  corps  humain,  en  tant  qu'il  diffère 
des  autres  corps,  n'ejî  formé  &  compofé  que  d'vne  certaine  configura- 
tion de  membres,  &  d' autres femblables  accidens;  &  l'ame  humaine,  au 
contraire,  n'ejl  point  ainft  compofée  d'aucuns  accidens,  mais  efl  vne  pure 
fubjîance.  Car  encore  que  tous  fes  accidens  fe  changent,  par  exemple, 
qu'elle  conçoiue  de  certaines  chofes,  qu'elle  en  veuille  d'autres,  qu'elle 
enfen'e  d'autres,  &c.,  c'ejl  pourtant  toufours  la  |  mefme  ame  ;  au  lieu 
que  le  corps  huhtain  n'ejl  plus  le  mefme,  de  cela  feul  que  la  figure  de 
quelques'Vnes  de  fes  parties  fe  trouue  changée.  D'où  il  s'enfuit  que  le 
corps  humain  peut  facilement  périr,  mais  que  l'efprit,  ou  l'ame  de 
l'homme  [ce  que  ie  ne  dijïingue  point),  ejl  immortelle  de  fa  nature. 


i4-i5.  Méditations.  —   Abrégé.  ii 

Datis  la  iroijîéîne  Méditation,  il  me  Jemble  que  i'ay  expliqué  ajfe^ 
au  long  le  principal  argument  dont  ie  me  fers  pour  prouuer  l'exi- 
Jlence  de  Dieu.  Toutes/ois,  afin  que  l'ejprit  du  Leâeur  Je  pût  plus 
aifement  abjlraire  des  fens,  ie  n'aj-  point  voulu  meferuir  en  ce  lien-là 
d'aucunes  comparai/ans  tirées  des  chofes  corporelles,  Jî  bien  que  peut- 
ejlre  il  y  ejî  demeuré  beaucoup  d'ob/'curite^,  le/quelles,  comme  i'ef- 
pere,  feront  entièrement  éclaircies  dans  les  répon/cs  que  i'ay  faites 
aux  objeâions  qui  m'ont  depuis  eflé propofées.  Comme,  par  exemple, 
il  ejt  aj[e\  difficile  d'entendre  comment  l'idée  d'vn  cjlre  fouueraine- 
ment  parfait,  laquelle  fe  trouue  en  nous,  contient  tant  de  realité  ob^ 
Jeâiue,  c'efl  à  dire  participe  par  reprefentaiion  à  tant  de  degre\  d'efire 
&  de  perfeâion^  qu'elle  doiue  neceffairement  venir  d'vne  caufe  fouue- 
rainement  parfaite.  Mais  ie  l'ay  éclair cf  dans  ces  réponfcSyparla  com- 
paraifon  d'vne  machine  fort  artificielle,  dont  l'idée  fe  rencontre  dans 
l'efprit  de  quelque  ouurier  ;  car,  comme  l'artifice  objectif  de  cette  idée 
doit  auoir  quelque  caufe^  à  fçauoir  la  'fcience  de  l'ouurier,  ou  de 
quelque  autre  duquel  il  l'ait  aprife,  de  mefme  |  il  ejl  impoffible  que  l'idée 
de  Dieu,  qui  eft  en  nous,  n'ait  pas  Dieu  mefme  pour  fa  caufe. 

Dans  la  quatrième,  il  efï  prouué  que  les  chofes  que  nous  conceuons 
fort  clairement  &  fort  diflinclement  font  toutes  vraj-es;  &  enfemble  eft 
expliqué  en  quoy  confifie  la  rai  \fon  de  l'erreur  oufaujj'eté  :  ce  qui  doit 
necejfairement  efirefceu,  tant  pour  confirmer  les  vérité^  précédentes, 
que  pour  mieux  entendre  celles  qui  fuiuent.  Mais  cependant  il  eft  à 
remarquer,  que  ie  ne  iraitte  nullement  en  ce  lieu-là  du  péché,  c'efl  à 
dire  de  l'erreur  qui  fe  commet  dans  la  pourfuite  du  bien  &  du  mal, 
mais  feulement  de  celle  qui  arriue  dans  le  iugement  &  le  difcernement 
du  vray  &  du  faux  ;  £■  que  ie  n'entens  point  y  parler  des  chofes  qui 
appartiennent  à  lafoy^  ou  à  la  conduite  de  la  pie,  mais  feulement  de 
celles  qui  regardent  les  verite-^fpeculatiues  &  connues  par  l'aydc  de  la 
feule  lumière  naturelle. 

Dans  la  cinquième,  outre  que  la  nature  corporelle  prife  en  gênerai 
y  efl  expliquée,  l'exiflence  de  Dieu  y  efi  encore  demonflrée  par  de  nou' 
uelles  raifons,  dans  lefquelles  toutesfois  ilfe  peut  rencontrer  quelques 
difficultez,  mais  qui  feront  refoluè's  dans  hs  réponfes  aux  objections 
qui  m'ont  eflé  faites  ;  &  auffi  on  y  découure  de  quelle  forte  il  efi  veri^ 
table,  que  la  certitude  mefme  des  demonfiralions  Géométriques  dépend 
de  la  connoijfance  d'vn  Dieu. 

Enfin,  dans  lafixiéme,  ie  difiingue  l'acîion  de  l'entendement  d'attec 
celle  de  l'imagination;  les  marques  de  cette  diflinâionyfont  décrites, 
l'y  montre  que  l'ame  de  l'homme  efi  réellement  diflinâe  du  corps^  & 
toutesfois  qu'elle  luy  efi  fi  efîroitement  conjointe  &  vnie,  qu'elle  ne 


12  OEUVRES  DE  Descartes.  is-iô. 

compofe  que  comme  vue  mefme  chofe  auecque  îuy.  Toutes  les  erreurs 
qui  procèdent  des  feus  y  font  cxpofées,  auec  les  moyens  de  les  euiler. 
Et  enfin,  i'y  apporte  toutes  les  raifons  defquelles  on  peut  conclure 
l'exijlence  des  chofes  matérielles  :  non  que  te  les  iuge  fort  vtiles  pour 
prouuér  ce  qu'\elles prouuent,  à  fca\uoir,  qu'il  y  a  vn  Mojfde^que  les 
hommes  ont  des  corps,  £■  autres  chofes  femblables,  qui  n'ont  iamais 
e/té  mifes  en  doute  par  aucun  homme  de  bon  feus  ;  mais  parce  qu'en 
les  confderant  de  prés,  l'on  vient  à  connoiflre  qu'elles  ne  font  pas  fi 
fermes  nyfi  euidentes,  que  celles  qui  nous  conduifent  à  la  connoijfance 
de  Dieu  &  de  noflre  ame;  en  forte  que  celles-cy  font  les  plus  certaines 
&  les  plus  euidentes  qui  puijjent  tomber  en  la  connoijfance  de  l'efprit 
humain.  Et  c'efi  tout  ce  que  i'ay  eu  dejfein  de  prouuer  dans  ces  fix 
M  ditalions  ;  ce  qui  fait  que  i'obmets  icy  beaucoup  d'autres  quejiioîis, 
dont  i'ay  aufji  parlé  par  occafion  dans  ce  Iraitté.  \ 


MEDITATIONS 


TOUCHANT 


LA  PREMIERE  PHILOSOPHIE 

DANS     LESQUELLES 

L'EXISTENCE  DE  DIEU  ET  LÀ  DISTINCTION  RÉELLE 
ENTRE   L'AME  ET  LE  CORPS  DE   L'HOMME  SONT  DEMONSTRÉES 


Première  Mtoitation. 
Des  cho/es  que  l'on  peut  reitoquev  en  doute. 

Il  y  a  défia  quelque  temps  que  ie  me  fuis  apperceu  que,  dés  mes 
premières  années,  i'auois  icceu  quantité  de  faulfes  opinions  pour 
véritables,  &  que  ce  que  i'ay  depuis  fondé  fur  des  principes  li  mal 
allurcz,  ne  pouuoit  cltre  que  fort  douteux  &  incertain  ;  de  façon 
I  qu'il  me  falloit  entreprendre  ferieufement  vne  fois  en  ma  vie  de  me 
défaire  de  toutes  les  opinions  que  i'auois  receucs  iufques  alors  en 
ma  créance,  &  commencer  tout  de  nouueau  des  les  fondemens,  fi 
ie  voulois  ellablir  quelque  chofc  de  ferme  i^  de  conllant  dans  les 
fciences.  Mais  cette  entrcprifc  me  femblant  elhe  fort  grande,  i'ay 
attendu  que  i'eulVe  atteint  vn  âge  qui  fuit  li  meur,  que  ie  n'en 
peulfe  efperer  d'autre  après  luy,  auquel  ie  fulfe  plus  propre  à  l'exé- 
cuter; ce  qui  m'a  fait  dilVerer  li  long-temps,  que  déformais  ie  croi- 
rois  commettre  vne  faute,  li  i'cmployois  encore  à  délibérer  le 
temps  qui  me  relie  pour  agir. 

Maintenant  donc  que  mon  efprit  elt  libre  de  tous  foins,  |  iS:  que 
ic  me  fuis  procure  vn  lepos  allure  dans  vne  paillble  foliiude,  ie 
m'apliqueray  ferieufement  ^  auec  liberté  à  deltruire  généralement 
toutes  mes  anciennes  opinions.  Or  il  ne  fera  pas  necclfaire,  pour 
arriuer  ii  ce  delfein,  de  prouucr  qu'elles  font  toutes  faulfes,  de  quoy 


14  QE.uvREs  DE  Descartes.  is-ig. 

peut-eftre  ie  ne  viendrois  iamais  à  bout  ;  mais,  d'autant  que  la 
raifon  me  perfuade  def-ja  que  ie  ne  dois  pas  moins  foigneulement 
m'empefcher  de  donner  créance  aux  choies  qui  ne  font  pas  entiè- 
rement certaines  &  indubitables,  qu'à  celles  qui  nous  paroiflent 
manifeftement  eftre  faulles,  le  moindre  fujet  de  douter  que  l'y 
trouueray,  fuffira  pour  me  les  faire  toutes  rejetter.  Et  pour  cela  il 
n'eft  pas  befoin  que  ie  les  examine  chacune  en  particulier,  ce  qui 
•  feroit  d'vn  trauail  infiny  ;  mais,  piirce  |  que  la  ruine  des  fondemens 
entraine  neceffa  ire  ment  auec  foy  tout  le  refle  de  l'édifice,  ie  m'at- 
taqueray  d'abord  aux  principes,  fur  lefquels  toutes  mes  anciennes 
opinions  eftoient  appuyées. 

Tout  ce  que  i'ay  receu  iufqu'à  prefent  pour  le  plus  vray  & 
alTuré,  ie  I'ay  appris  c^es  fens,  ou  par  les  fens  :  or  i'ay  quelquefois 
éprouué  que  ces  fens  eftoient  trompeurs,  &  il  eft  de  la  prudence  de 
ne  fe  fier  iamais  entièrement  à  ceux  qui  nous  ont  vne  fois  trompez. 
Mais,  encore  que  les  fens  nous  trompent  quelquefois,  touchant  les 
chofes  peu  fenfibles  &  fort  éloignées,  il  s'en  rencontre  peut-eftre 
beaucoup  d'autres,  defquelles  on  ne  peut  pas  raifonnablement 
douter,  quoy  que  nous  les  connoifïions  par  leur  moyen  :  par 
exemple,  que  ie  fois  icy,  affis  auprès  du  feu,  veftu  d'vne  robe  de 
chambre,  ayant  ce  papier  entre  les  mains,  &  autres  chofes  de  cette 
nature'.  Et  comment  eft- ce  que  ie  pourrois  nier  que  ces  mains 
&  ce  corps-cy  foient  à  moy?  fi  ce  n'eft  peut-eftre  que  ie  me  com- 
pare à  ces  infenfez,  |  de  qui  le  cerueau  eft  tellement  troublé  & 
offufqué  par  les  noires  vapeurs  de  la  bile,  qu'ils  affurent  conftam- 
mcnt  qu'ils  font  des  roys,  lorfqu'ils  font  tres-pauures  ;  qu'ils  font 
vcftus  d'or  &  de  pourpre,  lorfqu'ils  font  tout  nuds  ;  ou  s'imaginent 
élire  des  cruches,  ou  auoir  vn  corps  de  verre.  Mais  quoy?  ce  font 
des  fous,  &  ie  ne  ferois  pas  moins  extrauagant,  Ci  ie  me  reglois  fur 
leurs  exemples. 
10  I  Toutesfois  i'ay  icy  à  confiderer  que  ie  fuis  homme,  &  par  confe- 
quent  que  i'ay  coutume  de  dormir  &  de  me  reprefenter  en  mes 
fonges  les  mefmes  chofes,  ou  quelquefois  de  moins  vray-fem- 
blablcs,  que  ces  infenfez,  lors  qu'ils  veillent.  Combien  de  .fois 
m*cft-il  arriuc  de  fongcr,  la  nuit,  que  i'cftois  en  ce  lieu,  que  i'eftois 
habillé,  que  i'cftois  auprès  du  feu,  quoy  que  ie  fulfe  tout  nud  de- 
dans mon  licl?  Il  me  fcmble  bien  ù  prefent  que  ce  n'eft  point  aucc 
des  yeux  endormis  que  ie  regarde  ce  papier;  que  cette  telle  que  ie 
remue  n'eft  point  all'oupic;  que  c'eft  auec  dclfein  &  de  propos 
délibéré  que  i'cftens  cette  main,  &  que  ie  la  fens  :  ce  qui  arriue 
dans  le  fommeil  ne  fcmble  point  fi  clair  ny  fi  diftind  que  tout  cccy. 


19-20.  Méditations.  -^  Première.  i  5 

Mais,  en  y  penfant  foigneufemcnt;  ie  me  reffouiiiens  d'auoir  efté 
fouuent  trompé,  lors  que  ie  dormois,  par  de  femblables  illufions. 
Et  m'arreftant  fur  cette  penfée,  ie  voy  fi  manifeftement  qu'il  n'y  a 
point  d'indices  concluans,  ny  de  marques  olTez  certaines  par  où 
l'on  puiffe  diftinguer  nettement  la  veille  d'auec  le  fommeil,  que 
i'en  fuis  tout  eftonné  ;  &  mon  eftonnement  eft  tel,  qu'il  eft  prefque 
capable  de  me  perfuader  que  ie  dors. 

Suppofons  donc  maintenant  que  nous  fommes  endormis,  &  que 
toutes  ces  particularitei-cy,  à  fçauoir,  que  nous  ouurons  les  yeux, 
que  nous  remuons  la  tefte,  que  nous  eftendons  les  mains,  &  chofes 
femblables,  ne  font  que  de  fauffes  illufions  ;  &  penfons  que  peut- 
eftre  nos  mains,  ny  tout  noftrc  corps,  ne  |  font  pas  tels  que  nous  11 
les  voyons.  Toutesfois  il  faut  au  moins  auoUer  que  les  chofes  qui 
nous  font  reprefentées  dans  le  fommeil,  font  comme  des  tableaux 
&  des  peintures,  qui  ne  peuuent  eftre  formées  qu'à  la  reflemblance 
de  quelque  chofe  de  réel  &  de  véritable;  &  qu'ainfi,  pour  le  moins, 
ces  chofes  générales,  à  fçauoir,  des  yeux,  vne  tefte,  des  mains,  & 
tout  le  refte  du  corps,  ne  font  pas  chofes  imaginaires,  mais  vraycs 
&  cxiftantes.  Car  de  vray  les  peintres,  lors  mefme  |  qu'ils  s'eftudient 
auec  le  plus  d'artifice  à  reprcfenter  des  Syrcnes  &  des  Satyres  par 
des  formes  bijarres  &  extraordinaires,  ne  leur  peuuent  pas  tou- 
tesfois attribuer  des  formes  &  des  natures  entièrement  nouuelles, 
mais  font  feulement  vn  certain  mélange  &  compofition  des 
membres  de  diuers  animaux;  ou  bien,  fi  peut-eftre  leur  imagination 
eft  afl'ez  extrauagante  pour  inuenter  quelque  chofe  de  fi  nouueau, 
que  iamais  nous  n'ayons  rien  veu  de  femblable,  &  qu'ainfi  leur  ou- 
urage  nous  reprefente  vne  chofe  purement  feinte  &  abfoluëment 
faulfe,  certes  à  tout  le  moins  les  couleurs  dont  ils  le  compofent 
doiuent-elles  eftre  véritables. 

Et  par  la  mefme  raifon,  encore  que  ces  chofes  générales,  à  fça- 
uoir, des  yeux,  vne  tefte,  des  mains,  &  autres  femblables,  peuffent 
eftre  imaginaires,  il  faut  toutesfois  auoUer  qu'il  y  a  des  chofes 
encore  plus  fimples  &  plus  vniuerfelles,  qui  font  vrayes  &  exi- 
ftantes  ;  du  mélange  defquelles,  ne  plus  ne  moins  que  de  celuy  de 
quelques  véritables  couleurs,  toutes  ces  |  images  des  chofes  qui  12 
refident  en  noftre  penfée,  foit  vrayes  &  réelles,  foit  feintes  &  fan- 
taftiques,  font  formées.  De  ce  genre  de  chofes  eft  la  nature  corpo- 
relle en  gênerai,  &  fon  eftenduë  ;  enfemble  la  figure  des  chofes 
eftenduës,  leur  quantité  ou  grandeur,  &  leur  nombre  ;  comme 
aufti  le  lieu  où  elles  font,  le  temps  qui  mefure  leur  durée,  &  autres 
femblables 


i6  OEuvRES  DE  Descartes.  20-2, 

C'eft  pourquoy  pcut-eftrc  que  de  là  nous  ne  conclurons  pas  mal, 
fi  nous  dilbns  que  la  Phyrique,  l'Artronomie,  la  Médecine,  &  toutes 
les  autres  fciences  qui  dépendent  de  la  confidcration  des  choies 
compofées,  font  fort  douteufes  &  incertaines  ;  mais  que  l'Arithmé- 
tique, la  Géométrie,  &  les  autres  fciences  de  cette  nature,  qui  ne 
traitteot  que  de  chofes  fort  fimples  &  fort  générales,  fans  fe  mettre 
beaucoup  en  peine  fi  elles  font  dans  la  nature,  ou  fi  elles  n'y  font 
pas,  contiennent  quelque  chofe  de  certain  &  d'indubitable.  Car, 
foit  que  ie  veille  ou  que  ie  dorme,  deux  &  trois  ioints  enfemble 
formeront  toujours  le  nombre  de  cinq,  &  le  quarré  n'aura  iamais 
plus  de  quatre  codiez;  &  il  ne  femble  pas  poffible  que  des  veritez 
fi  aparentes  puiflcnt  eftre  foupçonnées  d'aucune  fauffeté  ou  d'in- 
certitude. 

|Touiesfois  il  y  a  long-temps  que  i'ay  dans  mon  efprit  vne  cer- 
taine opinion,  qu'il  y  a  vn  Dieu  qui  peut  tout,  &  par  qui  i'ay  efté 
crée  &  produit  tel  que  ie  fuis.  Or  qui  me  peut  auoir  aifuré  que  ce 
Dieu  n'ait  point  fait  qu'il  n'y  ait  aucune  terre,  aucun  Ciel,  aucun 
i3  corps  eitendu,  aucune  figure,  aucune  grandeur,  |  aucun  lieu,  & 
que  neantmoins  i'aye  lesfentimens  de  toutes  ces  choies,  &  que  tout 
cela  ne  me  femble  point  exifter  autrement  que  ie  le  voy?  Et 
mefme,  comme  ie  iuge  quelquefois  que  les  autres  fc  méprennent, 
mefme  dans  les  chofes  qu'ils  penfent  fçauoir  aucc  le  plus  de  certi- 
tude, il  fe  peut  faire  qu'il  ait  voulu  que  ie  me  trompe  toutes  les 
fois  que  ie  fais  l'addition  de  deux  &  de  trois,  ou  que  ie  nombre 
les  coftcz  d'vn  quarré,  ou  que  ie  iuge  de  quelque  chofe  encore 
plus  facile,  fi  l'on  fe  peut  imaginer  rien  de  plus  facile  que  cela. 
Mais  peut-ellre  que  Dieu  n'a  pas  voulu  que  ie  fulfe  deceu  de  la 
forte,  car  il  eft  dit  fouuerainemcnt  bon.  Toutesfois,  li  cela  repu- 
gncroità  fa  bonté,  de  m'auoir  fait  tel  que  ie  me  trompaffc  toufiours, 
cela  fembleroit  aufii  luy  tllre  aucunement  contraire,  de  permettre 
que  ie  me  trompe  quelquefois,  &  neantmoins  ic  ne  puis  douter  qu'il 
ne  le  permette. 

Il  y  aura  peut-ertre  icy  de's  perfonnes  qui  aymeront  mieux  nier 
rcxidcnce  d'vn  Dieu  fi  puilfant,  que  de  croire  que  toutes  les  autres 
chofes  font  incertaines.  Mais  ne  leur  refilions  pas  pour  le  prefent, 
&  fuppofons,  en  leur  faueur,  que  tout  ce  qui  ell  dit  icy  d'vn  Dieu 
foit  vue  fable,  'l'cjutesfuis,  de  quelque  façon  qu'ils  fuppofent  que 
ie  fois  parucnu  à  l'cfiat  ^  à  l'ellre  que  ie  poffede,  foit  qu'ils  l'at- 
tribuent à  quelque  dellin  ou  fatalité,  foit  qu'ils  le  réfèrent  au 
huzard,  foit  qu'ils  veuillent  que  ce  foit  par  vne  continuelle  fuite  & 
li     liaifon  des  chofes,  il  cfl  certain  que,  |  puifque  faillir  ^  fe  tromper 


Méditations.  — -  Première. 


/ 


eft  vne  efpece  d'imperfedion,  d'autant  moins  puillant  leia  l'auteur 
qu'ils  attribueront  à  mon  origine,  d'autant  plus  lera-t-il  probable 
que  ie  fuis  tellement  imparfait  que  ie  me  trompe  toujours.  Aul- 
quelles  raifons  ie  n'ay  certes  rien  à  répondre,  mais  ie  fuis  contraint 
d'auoiier  que,  de  toutes  les  opinions  que  i'auois  autrefois  receucs 
en  ma  créance  pour  véritables,  il  nV  en  a  pas  vne  de  laquelle  ie  ne 
puiffe  maintenant  douter,,  non  par  aucune  inconfidcration  ou  légè- 
reté, mais  pour  des  raifons  tres-fortes  ^  meu rement  confiderées  : 
de  forte  qu'il  eft  iieceffaire  que  i'arrefte  &  fufpende  déformais  mon 
iugement  fur  ces  penfées,  |  &  que  ie  ne  leur  donne  pas  plus  de 
créance,  que  ie  ferois  à  des  choies  qui  me  paroiilroient  euidem- 
ment  faufles,  Ci  ip  defire  trouuer  quelque  chofe  de  conftant  & 
d'affeuré  dans  les  fciences. 

Mais  il  ne  fuffit  pas  d'auoir  fait  ces  remarques,  il  faut  encore 
que  ie  prenne  foin  de  m'en  fouuenir;  car  ces  anciennes  ^  ordi- 
naires opinions  me  reuiennent  encore  Ibuuent  en  la  penféc,  le  long 
&  familier  vfage  qu'elles  ont  eu  auec  moy  leur  donnant  droit 
d'ocupper  mon  efprit  contre  mon  gré,  &.  de  fe  rendre  prefque  mai- 
ftrelfes  de  ma  créance.  Et  ie  ne  me  defaccoutumeray  iamais  d'y 
acquiefcer,  &  de  prendre  confiance  en  elles,  tant  que  ie  les  confide- 
reray  telles  qu'elles  font  en  effet,  c'eii  à  fçauoir  en  quelque  façon 
douteufes,  comme  ie  viens  de  monftrer,  &  toutesfois  fort  probables, 
en  forte  que  l'on  a  beaucoup  |  plus  de  raifon  de  les  croire  que  de 
les  nier.  C'eft  pourquoy  ie  penfe  que  l'en  vferay  plus  prudemment, 
fi,  prenant  vn  party  contraire,  i'employe  tous  mes  foins  à  me 
tromper  moy-mefme,  feignant  que  toutes  ces  penfées  font  faulfes 
&  imaginaires;  iufques  à  ce  qu'ayant  tellement  balancé  mes  pré- 
jugez, qu'ils  ne  puilfent  faire  pancher  mon  aduis  plus  d'vn  coftc 
que  d'vn  autre,  mon  iugement  ne  foit  plus  déformais  mailtrifé  par 
de  mauuais  vfages  &  détourné  du  droit  chemin  qui  le  peut  con- 
duire à  la  connoifTance  de  la  vérité.  Car  ie  fuis  alfeuré  que  cepen- 
dant il  ne  peut  y  auoir  de  péril  ny  d'erreur  en  cette  voye,  &  que 
ie  ne  fçaurois  aujourd'huy  trop  accorder  à  ma  défiance,  puifqu'il 
n'eft  pas  maintenant  queftion  d'agir,  mais  feulement  de  méditer  & 
de  connoiftre. 

le  fuppoferay  donc  qu'il  y  a,  non  point  vn  vray  Dieu,  qui  eft  la 
fouueraine  fource  de  vérité,  mais  vn  certain  mauuais  génie,  non 
moins  rufé  &  trompeur  que  puifl'ant,  qui  a  employé  toute  'fon 
induftrie  à  me  tromper.  le  penferay  que  le  Ciel,  l'air,  la  terre,  les 
couleurs,  les  figures,  les  fons  &  toutes  les  choies  extérieures  que 
nous  voyons,  ne  font  que  des  illufions  &  tromperies,  dont  il  fe 
Œuvres.  IV  2 


i8  Œuvres  de  Descartes.  22-24. 

fert  pour  furprendre  ma  crédulité.  le  me  confidererayjmoy-mefme 
comme  n'ayant  point  de  mains,  point  d'yeux,  point  de  chair, 
point  de  fang,  comme  n'ayant  aucuns  fens,  mais  croyant  fauffe- 
ment  auoir  toutes  ces  chofes.  le  demeureray  obftinément  attaché 
à  cette  penfée  ;  &  fi,  ,.ar  ce  moyen,  il  n'eft  pas  en  mon  pouuoir  de 
16  paruenir  |  à  la  connoilîance  d'aucune  vérité,  à  tout  le  moins  il  eft 
en  ma  puiffance  de  fufpendre  mon  iugement.  C'eft  pourquoy  ie 
prendray  garde  foigneufement  de  ne  point  receuoir  en  ma  croyance 
aucune  fauffeté,  &  prepareray  fi  bien  mon  efprit  à  toutes  les  rufes 
de  ce  grand  trompeur,  que,  pour  puiffant  &  rufé  qu'il  foit,  il  ne 
me  pourra  iamais  rien  impofer. 

Mais  "ce  delfein  eft  pénible  &  laborieux,  &  vne  certaine  parelTe 
m'entraine  infenfiblement  dans  le  train  de  ma  vie  ordinaire.  Et 
tout  de  mefme  qu'vn  efclaue  qui  Jouiflbit  dans  le  fommeil  d'vne 
liberté  imaginaire,  lorfqu'il  commence  à  foupçonner  que  fa  liberté 
n'eft  qu'vn  fonge,  craint  d'eftre  réueillé,  &  confpire  auec  ces  illu- 
fions  agréables  pour  en  eftre  plus  longuement  abufé,  ainfi  ie  re- 
tombe infenfiblement  de  moy-mefme  dans  mes  anciennes  opinions, 
&  i'apprehcnde  de  me  réueiller  de  cet  aflbupifîement,  de  peur  que 
les  veilles  laborieufes  qui  fuccederoient  à  la  tranquillité  de  ce  repos, 
au  lieu  de  m'apporter  quelque  iour  &  quelque  lumière  dans  la 
connoilfance  de  la  vérité,  ne  fuffent  pas  fuffifantes  pour  éclaircir 
les  ténèbres  des  difficultez  qui  viennent  d'eftre  agitées. 


il  I  Méditation  seconde. 

De  la  nature  de  V Efprit  humain  ;  &  qu'il  ejï  plus  ayfé  à  connoijire 

que  le  Corps. 

La  Méditation  que  ie  fis  hier  m'a  remply  l'efprit  de  tant  de 
cloutes,  qu'il  n'eft  plus  déformais  en  ma  puiffance  de  les  oublier. 
Et  cependant  ie  ne  voy  pas  de  quelle  façon  ie  les  pouray'refoudre  ; 
&  comme  fi  |  tout  à  coup  i'eftois  tombé  dans  vne  eau  très-profonde, 
ie  fuis  tellement  furpris,  que  ie  ne  puis  ny  affeurer  mes  pieds  dans  le 
fond,  ny  nager  pour  me  foutenir  au  deffus.  le  m'cfiforceray  neant- 
moins,  &  fuiuray  derechef  la  mefme  voye  où  i'eftois  entré  hier,  en 
m'éloignant  de  tout  ce  en  quoy  ie  pouray  imaginer  le  moindre 
doute,  tout  de  mefme  que  fi  ie  connoiflbis  que  cela  fuft  abfolument 


84-35.  Méditations.  —^  Seconde.  19 

faux  ;  &  ie  continuëray  toufiours  dans  ce  chemin,  |  iufqu'à  ce  que     18 
i'aye  rencontré  quelque  chofe  de  certain,  ou  du  moins,  û  ie  ne  puis 
autre  chofe,  iufqu'à  ce  que  i'aye  apris  certainement,  qu'il  n'y  a  rien 
au  monde  de  certain, 

Archimedes,  pour  tirer  le  Globe  terreftre  de  fa  place  &  le  tranf- 
portcr  en  vn  autre  lieu,  ne  demandoit  rien  qu'vn  point  qui  fuft 
fixe  &  affuré.  Ainfy  i'auray  droit  de  conceuoir  de  hautes  efpe- 
rances,  fi  ie  fuis  affez  heureux  pour  trouuer  feulement  vne  chofe  qui 
foit  certaine  &  indubitable. 

le  fuppofe  donc  que  toutes  les  chofes  que  ie  voy  font  fauffes  ;  ie 
me  perfuade  que  rien  n'a  iamais  efté  de  tout  ce  que  ma  mémoire 
remplie  de  menfonges  me  reprefente;  ie  penfe  n'auoir  aucun  fens; 
ie  croy  que  le  corps,  la  figure,  l'étendufc",  le  moùuement  &  le  lieu  ne 
font  que  des  fictions  de  mon  efprit.  Qu'eftce  donc  qui  poura  eftre 
eftimé  véritable  ?  Peut-eftre  rien  autre  chofe,  finon  qu'il  n'y  a  rien 
avi  monde  de  certain. 

Mais  que  fçay-ie  s'il  n'y  a  point  quelque  autre  chofe  différente  de 
celles  que  ie  viens  de  iuger  incertaines,  de  laquelle  on  ne  puifle 
auoir  le  moindre  doute  ?  N'y  a-t-il  point  quelque  Dieu,  ou  quelque 
autre  puiffance,  qui  me  met  en  l'efprit  ces  penfées?  Cela  n'eft  pas  ne- 
celiaire  ;  car  peut-ellre  que  ie  fuis  capable  de  les  produire  de  moy- 
mefme.  Moy  donc  atout  le  moins  ne  fuis-ie  pas  quelque  chofe? Mais 
i'ay  def-ja  nié  que  i'eulle  aucun  fens  ny  aucun  corps.  le  hefite  neant- 
moins,  car  que  s'enfuit-il  |  de  là?  Suis-ie  tellement  dépendant  du 
corps  &  des  fens,  que  ie  ne  puilfe  eftre  |  fans  eux?  Mais  ie  me  fuis  19 
perfuade  qu'il  n'y  auoit  rien  du  tout  dans  le  monde,  qu'il  n'y  auoit 
aucun  ciel,  aucune  terre,  aucuns  efprits,  ny  aucuns  corps;  ne  me 
fuis-ie  donc  pas  aufli  perfuade  que  ie  n'eftois  point?  Non  certes; 
i'eftois  fans  doute,  fi  ie  me  fuis  perfuade,  ou  feulement  fi  i'ay  penfé 
quelque  chofe.  Mais  il  y  a  vn  ie  ne  fçay  quel  trompeur  tres-puif-  . 
fant  &  ties-rufé,  qui  employé  toute  fon  induftrié  à  me  tromper  touf- 
iours. Il  n'y  a  donc  point  de  doute  que  ie  fuis,  s'il  me  trompe;  & 
qu'il  me  trompe  tant  qu'il  voudra,  il  ne  fçauroit  iamais  faire  que 
ie  ne  fois  rien,  tant  que  ie  penferay  eftre  quelque  chofe.  De  forte 
qu'après  y  auoir  bien  penfé,  &  auoir  foigneufement  examiné  toutes 
chofes,  enfin  il  faut  conclure,  &  tenir  pour  confiant  que  cette  propo- 
fition  :  le  fuis,  i'exijle,  eft  necefl"airement  vraye,  toutes  les  fois  que 
ie  la  prononce,  ou  que  ie  la  conçoy  en  mon  efprit. 

Mais  ie  ne  connois  pas  encore  affez  clairement  ce  que  ie  fuis,  moy 
qui  fuis  certain  que  ie  fuis;  de  forte  que  déformais  il  faut  que  ie 
prenne    foigneufement  garde   de  ne  prendre  pas  imprudemment 


20  Œuvres  de  Descartes.  25-26. 

quelque  autre  chofe  pour  moy,  &  ainfi  de  ne  me  point  méprendre 
dans  cette  connoilTance,  que  ie  foutienç  eftre  plus  certaine  &  plus 
euidente  que  toutes  celles  que  i'ay  eues  auparauant. 

C'eft  pouçquoy  ie  confidereray  derechef  ce  que  ie  croyois  eftre 
auant  que  i'entrafl'e  dans  ces  dernières  penfées;  &  de  mes  anciennes 
opinions  ie  retrancheray  tout  ce  qui  peut  eftre  combatu  par  les  rai- 
fons  que  i'ay  ]  tantoft  alléguées,  en  forte  qu'il  ne  demeure  preci- 
fement  rien  que  ce  qui  eft  entièrement  indubitable.  Qu'eft-ce  donc 
que  i'ay  creu  eftre  cy-deuant  ?  Sans  difficulté,  i'ay  penfé  que  i'eftois 
▼n  homme.  Mais  qu'eft-ce  qu'vn  homme?  Diray-ie  que  c'eft  vn 
animal  raifonnable?  Non  certes  :  car  il  faudroit  par  après  re- 
chercher ce  que  c'eft  qu'animal,  &  ce  que  c'eft  que  raifonnable,  & 
ainfi  d'vne  feule  queftion  nous  tomberions  infenfiblement  en  vne 
infinité  d'autres  plus  difficiles  &  embarafl'ées,  &  ie  ne  voudrois 
pas  abufer  du  ^eu  de  temps  &  de  loifir  qui  me  refte,  en  l'em-:. 
ployant  à  démefler  de  femblables  fubtilitez.  Mais  ie  m'arrefte- 
ray  pluftoft  à  confiderer  icy  les  penfées  qui  naiffoient  cy-deuant 
d'elles-mefmes  en  mon  cfprit,  |  &  qui  ne  m'eftoient  infpirées  que  de 
ma  feule  nature,  lorfque  ie  m'apliquois  à  la  confideration  de  mon 
eftre.  le  me  confiderois,  premièrement,  comme  ayant  vn  vifage,  des 
mains,  des  bras,  &  toute  cette  machine  compofée  d'os  &  de  chair, 
telle  qu'elle  paroift  en  vn  cadavre,  laquelle  ic  defignois  par  le  nom 
de  corps.  le  confiderois,  outre  cela,  que  ie  me  nouriftbis,  que  ie 
marchois,  que  ie  fentois  &  que  ie  penfois,  &  ié  raportois  toutes  ces 
actions  à  l'ame  ;  mais  ie  ne  m'arreftois  point  à  penfer  ce  que  c'eftoit 
que  cette  ame,  ou  bien,  iï  ie  m'y  arreftois,  i'imaginois  qu'elle  eftoit 
quelque  chofe  extrêmement  rare  &  fubtilc,  comme  vn  vent,  vne 
flame  ou  vn  air  tres-delié,  qui  eftoit  infinué  &  répandu  dans  mes 
plus  groffieres  parties.  Pour  ce  qui  eftoit  du  corps,  ie  ne  doutois 
nullement  de  fa  nature  ;  car  |  ie  penfois  la  connoiftre  fort  diftinde- 
ment,  &,  fi  ie  l'euffc  voulu  expliquer  fuiuant  les  notions  que  l'en 
auois,  ie  l'eufl'e  décrite  en  cette  forte  :  Par  le  corps,  i'entens  tout 
ce  qui  peut  eftre  terminé  par  quelque  figure  ;  qui  peut  eftre  compris 
en  quelque  lieu,  &  remplir  vn  efpace  en  telle  forte  que  tout  autre 
corps  en  foit  exclus;  qui  peut  eftre  fenty,  ou  par  l'attouchement, 
ou  par  la  veuii,  ou  par  l'ouye,  ou  par  le  gouft,  ou  par  l'odorat;  qui 
peut  eftre  meu  en  pluficurs  façons,  non  par  luy-mcfme,  mais  par 
quelque  chofe  d'étranger  duquel  il  foit  touché  &  dont  il  reçoiue 
rimprcflion.  Car  d'auoiren  foy  la  puidancc  de  fe  mouuoir,  de  fcntir 
^i  de  pcnfcr,  ic  ne  croyois  aucunement  que  l'on  dcuft  attribuer  ces 
auantages  à  la  nature  corporelle  ;  au  contraire,  ie  m'ellonnois  plu- 


26.37.  Méditations.  —  Seconde.  21 

tort  de  voir  que  4e  femblables  facultez  fe  rencontroient  en  certain» 
corps. 

Mais  moy,  qui  fuis-ie,  maintenant  que  ie  fupofe  qu'il  y  a  quel- 
qu'vn  qui  eft  extrêmement  puiffant  &,  fi  ie  l'ofe  dire,maljcieux  & 
rufé,  qui  employé  toutes  fes  forces  &  toute  fon  induftrie  à  me 
tromper?  Puis-ie  m'affurer  d'auoir  la  moindre  de  toutes  les  chofes 
que  i'ay  attribué  cy-deffus  à  la  nature  corporelle  ?  |  le  m'arefte  à  y 
penfer  auec  attention,  ie  paffe  &  repafTe  toutes  ces  chofes  en  mon 
efprit,  &  ie  n'en  rencontre  aucune  que  ie  puiffe  dire  eftre  en  moy. 
Il  n'eft  pas  befoin  que  ie  m'arrefte  à  les  dénombrer.  Partons  donc 
aux  attributs  de  l'Ame,  &  voyons  s'il  y  en  a  quelques-vns  qui  foient 
en  moy.  Les  premiers  font  de  me  nourir  &  de  marcher;  mais  s'il 
eft  vray  que  ie  n'ay  point  de  |  corps,  il  eft  vray  aufli  que  ie  ne  puis  SS 
marcher  ny  me  nourir.  Vn  autre  eft  de  fentir  ;  mais  on  ne  peut  aufli 
fentir  fans  le  corps  :  outre  que  i'ay  penfé  fentir  autrefois  plufieurs 
chofes  pendant  le  fommeil,  que  i'ay  reconnu  à  mon  reueil  n'auoir 
point  en  effet  fenties.  Vn  autre  eft  de  penfer;  &  ie  trouue  icy  que  la 
penfée  eft  vn  attribut  qui  m'appartient  :  elle  feule  ne  peut  eftre 
détachée  de  moy.  le  fuis,  i'exijîe  :  cela  eft  certain  ;  mais  combien  de 
temps?  A  fçauoir,  autant  de  temps  que  ie  penfe;  car  peut-eftre  fe 
pouroit-il  faire,  fi  ie  ceflbis  de  penfer,  que  ie  cefferois  en  mefme 
temps  d'eftre  ou  d'exifter.  le  n'admets  maintenant  rien  qui  ne 
foit  necelTairement  vray  :  ie  ne  fuis  donc,  precifement  parlant, 
qu'vne  chofe  qui  penfe,  c'eft  à  dire  vn  efprit,  vn  entendement  ou 
vne  raifon,  qui  font  des  termes  dont  la  fignification  m'eftoit  au- 
parauant  inconnue.  Or  ie  fuis  vne  chofe  vraye,  &  vrayment  exi- 
ftante  ;  mais  quelle  chofe?  le  I'ay  dit  :  vne  chofe  qui  penfe.  Et 
quoy  dauantage?  l'exciteray  encore  mon  imagination,  pour  chercher 
fi  ie  ne  fuis  point  quelque  chofe  de  plus.  le  ne  fuis  point  cet  alfem- 
blage  de  membres,  que  l'on  appelle  le  corps  humain;  ie  ne  fuis 
point  vn  air  délié  &  pénétrant,  répandu  dans  tous  ces  membres;  ie 
ne  fuis  point  vn  vent,  vn  fouffle,  vne  vapeur,  ny  rien  de  tout  ce  que 
ie  puis  feindre  &  imaginer,  puifque  i'ay  fupofé  que  tout  cela  n'elloit 
rien,  &  que,  fans  changer  cette  fupofition,  ie  trouue  que  ic  ne  lailfe 
pas  d'eftre  certain  que  ie  fuis  quelque  chofe. 

Mais  aufti  peut-il  arriuer  que  ces  mefmes  chofes,  |  que  ie  fuppofe  83 
n'eftre  point,  parce  qu'elles  me  font  inconnuiis,  ne  font  point  en 
effect  différentes  de  moy,  que  ie  connois?  le  n'en  fçay  rien;  ie  ne 
difpute  pas  maintenant  de  cela,  ie  ne  puis  donner  mon  iugement 
que  des  chofes  qui  me  font  connues  :  i'ay  reconnu  que  i'eftois,  & 
ie  cherche  quel  ie  fuis,  moy  que  i'ay  reconnu  eftre.  Or  il  eft  très 


22  Œuvres  de  Descartes.  37-29. 

certain  que  cette  notion  &  connoilTance  de  mpy-mefme,  ainfi  preci- 
fement  prife,  ne  dépend  point  des  chofes  dont  |  l'exiftence  ne  m'eft 
pas  encore  connue  ;  ny  par  confequent,  &  à  plus  forte  raifon,  d'au- 
cunes de  celles  qui  font  feintes  &  inuentées  par  l'imagination.  Et 
mefme  ces  termes  de  feindre  &  d'imaginer  m'auertiflent  de  mon 
erreur;  car  ie  feindrois  en  effet,  fi  i'imaginois  eftre  quelque  chofe, 
puifque  imaginer  n'eft  autre  chofe  que  contempler  la  figure  ou 
l'image  d'vne  chofe  corporeller  Or  ie  fçay  des-ja  certainement  que 
ie  fuis,  &  que  tout  enfemble  il  fe  peut  faire  que  toutes  ces  images- 
là,  &  généralement  toutes  les  chofes  que  l'on  rapporte  à  la  nature 
du  corps,  ne  foient  que  des  fonges  ou  des  chimères.  En  fuitte  de 
quoy  ie  voy  clairement  que  i'aurois  aufli  peu  de  raifon  en  difant  : 
i'exciteray  mon  imagination  pour  connoiftre  plus  diftindement  qui 
ie  fuis,  que  fi  ie  difois  :  ie  fuis  maintenant  éueillé,  &  i'aperçoy 
quelque  chofe  de  réel  &  de  véritable  ;  niais,  parce  que  ie  ne  I'aper- 
çoy pas  encore  alfez  nettement,  ie  m'endormiray  tout  exprés,  afin 
que  mes  fonges  me  reprefenient  cela  mefme  auec  plus  de  vérité  & 
d'euidence.  Et  ainfi,  ie  reconnois  certainement  que  rien  de  tout  ce 
24  que  ie  puis  com [prendre  par  le  moyen  de  l'imagination,  n'apartient 
à  cette  connoiffance  que  i'ay  de  moy-mefme,  &  qu'il  eft  befoin  de 
rapeller  &  détourner  fon  efprit  de  cette  façon  de  conceuoir,  afin  qu'il 
puiffe  luy-mefme  reconnoillre  bien  diftinâiement  fa  nature. 

Mais  qu'eft-ce  donc  que  ie  fuis?  Vne  chofe  qui  penfe.  Qu'eft-ce 
qu'vne  chofe  qui  penfe  ?  C'eft  à  dire  vne  chofe  qui  doute,  qui  con- 
çoit, qui  affirme,  qui  nie,  qui  veut,  qui  ne  veut  pas,  qui  imagine 
au(ri,&  qui  fent.  Certes  ce  n'ell  pas  peu  fi  toutes  ces  chofes  apartien- 
nent  à  ma  nature.  Mais  pourquoy  n'y  apartiendroient-elles  pas  ?  Ne 
fuis-ie  pas  encore  ce  mefme  qui  doute  prefque  de  tout,  qui  neant- 
moins  entens  &  conçoy  certaines  chofes,  qui  affure  &  affirme 
celles-là  feules  eftre  véritables,  qui  nie  toutes  les  autres,  qui  veux  & 
defire  d'en  connoiftre  dauantage,  qui  ne  veux  pas  eftre  trompé,  qui 
imagine  beaucoup  de  chofes,  mefme  quelquefois  en  dépit  que  i'en 
aye,  &  qui  en  fens  aufli  beaucoup,  comme  par  l'entremife  des  or- 
ganes du  corps?  Ya-t-il  rien  de  tout  cela  qui  ne  foit  aulîl  véritable 
qu'il  eft  certain  que  ie  fuis,  &  que  i'exifte,  quand  mefme  |  ie  dormi- 
rois  toujours,  ^Lqucccluy  qui  m'a  donné  l'eftrc  fe  feruiroitde  toutes 
fes  forces  pour  ni'abufer?  Y  a-t-il  aufli  aucun  de  ces  attributs  qui 
puille  eftre  diftinguc  de  ma  penfce,  ou  qu'on  puifle  dire  eftre  fcparé 
de  nioy-mefmc?  Car  il  eft  de  Iby  fi  euidcnt  que  c'cft  moy  qui  doute, 
qui  entens,  ^  qui  délire,  qu'il  n'eft  pas  icy  befoin  de  rien  adjoulicr 
pour  l'expliquer.  Et  i'ay  aufli  certainement  la  puillance  d'imatîiner  ; 


ag-âfî.  Méditations.  —  Seconde.  2J 

car  I  encore  qu'il  puilTe  arriuer  (comme  i'ay  fupofé  auparauant)  que  25 
les  chofes  que  l'imagine  ne  foient  pas  vrayes,  neantmoins  cette 
puiffance  d'imaginer  ne  laiffe  pas  d'eftre  réellement  en  mby,  &  fait 
partie  de  ma  penfée.  Enfin  ie  fuis  le  mefme  qui  fens,  c'eft  à  dire  qui 
reçoy  &  connois  les  chofes  comme  par  les  organes  des  fens,  puif- 
qu'en  effet  ie  voy  la  lumière,  i'oy  le  bruit,  ie  reifens  la  chaleur. 
Mais  l'on  me  dira  que  ces  apparences  font  fauffes  &  que  ie  dors. 
Qu'il  foit  ainfi;  toutesfois,  à  tout  le  moins,  il  eft  très-certain  qu*il 
me  femble  que  ie  voy,  que  i'oy,  &  que  ie  m'échauffe;  &  c'eft  propre- 
ment ce  qui  en  moy  s'apelle  fentir,  &  cela,  pris  ainfi  precifement, 
n'eft  rien  autre  chofe  que  penfer.  D'où  ie  commence  à  connoiftre 
quel  ie  fuis,  auec  vn  peu  plus  de  lumière  &  de  diftindion  que  cy- 
deuant. 

Mais  ie  ne  me  puis  empefcher  de  croire  que  les  chofes  corporelles, 
dont  les  images  fe  forment  par  ma  penfée,  &  qui  tombent  fous  les 
fens,  ne  foient  plus  diftinctement  connues  que  cette  ie  ne  fçay  quelle 
partie  de  moy-mefme  qui  ne  tombe  point  fous  l'imagination  :  quoy 
qu'en  effet  ce  foit  vne  chofe  bien  étrange,  que  des  chofes  que  ie 
trouue  douteufes  &  éloignées,  foient  plus  clairement  &  plus  facile- 
irlent  connues  de  moy,  que  celles  qui  font  véritables  &  certaines,  & 
qui  appartiennent  à  ma  propre  nature.  Mais  ie  voy  bien  ce  que  c'eft: 
mon  efprit  fe  plaift  de  s'égarer,  &  ne  fe  peut  encore  contenir  dans 
les  iuftes  bornes  de  la  vérité.  Relachons-luy  donc  encore  vne  fois  la 
I  bride,  I  afin  que,  venant  cy-apres  à  la  retirer  doucement  &  à  pro-  26 
pos,  nous  le  puiflions  plus  facilement  régler  &  conduire. 

Commençons  parlaconfideration  des  chofes  les  plus  communes, 
&que  nous  croyons  comprendre  le  plus  diftinftement,  à  fçauoir  les 
corps  que  nous  touchons  &  que  nous  voyons.  le  n'entens  pas  parler 
des  corps  en  gênerai,  car  ces  notions  générales  font  d'ordinaire  plus 
confufes,  mais  de  quelqu'vn  en  particulier.  Prenons  pour  exemple 
ce  morceau  de  cire  qui  vient  d'eftre  tiré  de  la  ruche  :  il  n'a  pas 
encore  perdu  la  douceur  du  miel  qu'il  contenoit,  il  retient  encore 
quelque  chofe  de  l'odeur  des  fleurs  dont  il  a  efté  recueilly;  fa  cou- 
leur, fa  figure,  fa  grandeur,  font  apparentes  ;  il  eft  dur,  il  eft  froid, 
on  le  touche,  &  fi  vous  le  frappez,  il  rendra  quelque  fon.  Enfin 
toutes  les  chofes  qui  peuuent  diftindement  faire  connoiftre  vn  corps, 
fe  rencontrent  en  celuy-cy. 

Mais  voicy  que,  cependant  que  ie  parle,  on  l'aproche  du  feu  :  ce 
qui  y  reftoit  de  faueur  s'exale,  l'odeur  s'éuanoiiit,  fa  couleur  fe 
change,  fa  figure  fe  perd,  fa  grandeur  augmente,  il  deuient  liquide, 
il  s'échauffe,  à  peine  le  peut-on  toucher,  &  quoy  qu'on  le  frappe,  il 


24.  Œuvres  de  Descartes.  3o-3i, 

ne  rendra  plus  aucun  fon.  La  mefme  cire  demeure-t-elle  après  ce 
changement?  Il  faut  auoûer  qu'elle  demeure  ;  &  perfonne  ne  le  peut 
nier.  Qu'eft-ce  donc  que  l'on  connoiffoit  en  ce  morceau  de  cire  auec 
tant  de  diftindion  ?  Certes  ce  ne  peut  eftre  rien  de  tout  ce  que  l'y 

27  ay  remarqué  par  l'entremife  des  fens,  puifque  |  toutes  les  chofes 
qui  tomboient  fous  le  gouft,  ou  l'odorat,  ou  la  veuë,  ou  l'attouche- 
ment, ou  l'ouye,  fé  trouuent  changées,  &  cependant  la  mefme  cire 
demeure.  Peut-eftre  eftoit-ce  ce  que  ie  penfe  maintenant,  à  fçauoir 
que  la  cire  n'eftoit  pas  ny  cette  douceur  du  miel,  ny  cette  agréable 
odeur  des  fleurs,  ny  cette  blancheur,  ny  cette  figure,  ny  ce  fon, 
mais  feulement  vn  corps  qui  vn  peu  auparauant  me  parailToit  fous 
ces  formes,  &  qui  maintenant  fe  fait  remarquer  fous  d'autres.  Mais 
qu'ell-ce.  preciiement  parlant,  que  i'imagine,  lorfque  ie  la  conçoy 
en  cette  forte?  Confiderons-le  |  attentiuement,  &  éloignant  toutes  les 
chofes  qui  n'appartiennent  point  à  la  cire,  voyons  ce  qui  refte. 
Certes  il  ne  demeure  rien  que  ouelque  chofe  d'eflendu.  de  flexible 
&  de  muable.  Or  qu'efl-ce  que  cela  :  flexible  &  muable?  N'eft-ce 
pas  que  i'imagine  que  cette  cire  eftant  ronde  efl:  capable  de  deue- 
nirquarrée,  &  de  paffer  du  quarré  en  vne  figure  triangulaire  ?  Non 
certes,  ce  n'ell:  pas  cela,  puifque  ie  la  conçoy  capable  de  receuoir 
vne  infinité  de  femblables  changemens,  &  ie  ne  fçaurois  neantmoins 
parcourir  cette  infinité  par  mon  imagination,  &  par  confequent 
cette  conception  que  i'ay  de  la  cire  ne  s'accomplit  pas  par  la  faculté 
d'imaginer. 

Qu'eft-ce  maintenant  que  cette  extenfion  ?  N'eft-elle  pas  auiïi 
inconnucf,  puifque  dans  la  cire  qui  fe  fond  elle  augmente,  &  fe 
trouue  encore  plus  grande  quand  elle  eft  entièrement  fondue,  & 
beaucoup  plus  encore  quand  la  chaleur  augmente  dauantage?  Et  ie 

ÎS  ne  con|ceurois  pas  clairement  &  félon  la  vérité  ce  que  c'eft  que  la 
cire,  Ci  ie  ne  penfois  qu'elle  eft  capable  de  receuoir  plus  de  varietez 
félon  l'exteniion,  que  ie  n'en  ay  iamais  imaginé.  Il  faut  donc  que  ie 
tombe  d'accord,  que  ie  ne  fçaurois  pas  mefme  conceuoir  par  l'imagi- 
nation ce  que  c'eft  que  cette  cire,  &  qu'il  n'y  a  que  mon  entende- 
ment feul  qui  le  conçoiue;  ie  dis  ce  morceau  de  cire  en  particulier, 
car  pour  la  cire  en  gênerai,  il  eft  encore  plus  cuident.  Or  quelle  eft 
cette  cire,  qui  ne  peut  eftre  conceue  que  par  l'entendement  ou  l'ef- 
prit?  Certes  c'eft  la  mefme  que  ie  voy,  que  ie  touche,  que  i'ima- 
gine, &  la  mefme  que  ie  connoilfois  dés  le  commencement.  Mais  ce 
qui  éft  à  remarquer,  fa  perception,  ou  bien  l'aftion  par  laquelle  on 
l'aperçoit,  n'cft  point  vne  vifion,  ny  vn  attouchement,  ny  vne  imagi- 
nation, &  ne  l'a  iamais  cfté,  quoy  qu'il  le  femblaft  ainfi  auparauant, 


3i-33.  Méditations.  —  Seconde.  25 

mais  feulement  vne  infpeclion  de  l'efprit,  laquelle  peut  eftre  impar- 
faite &  confufe,  comme  elle  eftoit  auparauant,  ou  bien  claire  & 
diflincte,  comme  elle  eft  à  prefent,  félon  que  mon  attention  fe  porte 
plus  ou  moins  aux  chofes  qui  font  en  elle,  &  dont  elle  eft  compofée. 

Cependant  ie  ne  me  fçaurois  trop  étonner,  quand  ie  confidere 
combien  mon  efprit  a  de  foibleffe,  &  de  pente  qui  le  porte  infenfi- 
blemènt  dans  l'erreur.  Car  encore  que  fans  parler  |ie  confidere  tout 
cela  en  moy-mefme,  les  paroles  loutesfois  m'arreftent,  &  ie  fuis 
prefque  trompé  par  les  termes  du  langage  ordinaire;  car  nous  di- 
fons  que  nous  voyons  la  mefme  cire,  fi  on  \  nous  la  prefente,  &  non  29 
pas  que  nous  iugeons  que  c'eft  la  mefme,  de  ce  qu'elle  a  mefme  cou- 
leur &  melme  figure  :  d'où  ie  voudrois  prefque  conclure,  que  l'on 
connoift  la  cire  par  la  vifion  des  yeux,  &  non  par  la  feule  infpedion 
de  l'efprit,  fi  par  hazard  ie  ne  regardois  d'vne  feneftre  des  hommes 
qui  pallent  dans  la  rue,  à  la  veu(i  defquels  ie  ne  manque  pas  de  dire 
que  ie  voy  des  hommes,  tout  de  mefme  que  ie  dis  que  ie  voy  de  la 
cire  ;  Et  cependant  que  voy-je  de  cette  feneftre,  fmon  des  chapeaux 
&  des  manteaux,  qui  peuuent  couurir  des  fpectres  ou  des  honimes 
feints  qui  ne  fe  remuent  que  par  reflbrs?  Mais  ie  iuge  que  ce  font 
de  vrais  hommes,  &  ainfi  ie  comprens,  par  la  feule  puifl'ance  de 
iuger  qui  refide  en  mon  efprit,  ce  que  ie  croyois  voir  de  mes  yeux. 

Vn  homme  qui  tafche  d'éleuer  fa  connoiffance  au  delà  du  com- 
mun, doit  auoir  honte  de  tirer  des  occafions  de  douter  des  formes 
&  des  termes  de  parler  du  vulgaire  ;  i'ayme  mieux  paffer  outre,  & 
confiderer  fi  ie  conceuois  auec  plus  d'euidence  &  de  perfe6tion  ce 
qu'eftoit  la  cire,  lorfque  ie  l'ay  d'abord  apperceuë,  &  que  i'ay  creu 
la  connoiftre  par  le  moyen  des  lens  extérieurs,  ou  à  tout  le  moins 
du  fens  commun,  ainfi  qu'ils  appellent,  c'eft  à  dire  de  la  puiffance 
imaginatiue,  que  ie  ne  la  conçoy  à  prefent,  après  auoir  plus  exacte- 
ment examiné  ce  qu'elle  eft,  &  de  quelle  façon  elle  peut  eftre  con- 
nue. Certes  il  feroit  ridicule  de  mettre  cela  en  doute.  Car,  qu'y 
auoit-il  dans  cette  première  perception  qui  fuftdiftincl  &  éuideni,& 
I  qui  ne  pourcit  pas  tomber  en  mefme  forte  dans  le  fens  du  moindre  30 
des  animaux?  Mais  quand  ie  diftingue  la  cire  d'auec  fes  formes  exté- 
rieures, &  que,  tout  de  mefme  que  fi  ie  luy  auois  ofté  fes  vefte- 
mens,  ie  la  confidere  toute  nuè",  certes,  quoy  qu'il  fc  puille  encore 
rencontrer  quelque  erreur  dans  mon  iugement,  ie  ne  la  puis  con- 
ceuoir  de  cette  forte  lans  vn  efprit  humain. 

I  Mais  enfin  que  diray-ie  de  cet  efprit,  c'eft  à  dire  de  moy-mefme? 
Car  iufques  icy  ie  n'admets  eft  moy  autre  chofe  qu'vn  efprit.  Que 
prononceray-je,  dis-je,  de  moy  qui  femble  conceuoir  auec  tant  de 


20  Œuvres  de  Descartes.  33-34- 

netteté  &  de  diftindion  ce  morceau  de  cire?  Ne  me  connois-Je  pas 
moy-mefme,  non  feulement  auec  bien  plus  de  vérité  &  de  certitude, 
mais  encore  auec  beaucoup  plus  de  diftinclion  &  de  netteté  ?  Car  fi 
ie  iuge  que  la  cire  eft,  ou  exifte,  de  ce  que  ie  la  voy,  certes  il  fuit 
bien  plus  euidemment  que  ie  fuis,  ou  que  i'exifte  moy-mefme,  de 
ce  que  ie  la  voy.  Car  il  fe  peut  faire  que  ce  que  ie  voy  ne  foit  pas 
en  effet  de  la  cire  ;  il  peut  aufli  arriuer  que  ie  n'aye  pas  mefme  des 
yeux  pour  voir  aucune  chofe;  mais  il  ne  fe  peut  pas  faire  que, 
lorfque  ie  voy,  ou  (ce  que  ie  ne  diftingue  plus)  lorfque  ie  penfe 
voir,  que  moy  qui  penfe  ne  fois  quelque  chofe.  De  mefme,  fi  ie  iuge 
que  la  cire  exifte,  de  ce  que  ie  la  touche,  il  s'enfuiura  encore  la 
mefme  chofe,  à  fçauoir  que  ie  fuis  ;  &  fi  ie  le  iuge  de  ce  que  mon 
imagination  me  le  perfuade,  ou  de  quelque  autre  caufe  que  ce  foit, 

31  ie  concluray  toufiours  la  mefme  chofe.  Et  ce  que  i'ay  rejmarqué  icy 
de  la  cire,  fe  peut  apliquer  à  toutes  les  autres  chofes  qui  me  font 
extérieures,  &  qui  fe  rencontrent  hors  de  moy. 

Or  fi  la  notion  &  la  connoiffance  de  la  cire  femble  eftre  plus  nette 
&  plus  diftinde,  après  qu'elle  a  efté  découuerte  non  feulement  par 
la  veuë  ou  par  l'attouchement,  mais  encore  par  beaucoup  d'autres 
caufes,  auec  combien  plus  d'euidence,  de  diftinclion  &  de  netteté, 
me  dois-je  connoiftre  moy-mefme,  puifque  toutes  les  raifons  qui 
feruentà  connoiftre  &  conceuoir  la  nature  de  la  cire,  ou  de  quelque 
autre  corps,  prouuent  beaucoup  plus  facilement  &  plus  euidem- 
ment la  nature  de  mon  efprit  ?  Et  il  fe  rencontre  encore  tant 
d'autres  chofes  en  l'efprit  mefme,  qui  peuuent  contribuer  à  l'éclair- 
ciffement  de  fa  nature,  que  celles  qui  dépendent  du  corps,  comme 
celles-cy,  ne  méritent  quafi  pas  d'eftre  nombrées. 

Mais  enfin  me  voicy  infenfiblement  reuenu  où  |  ie  voulois  ;  car, 
puifque  c'eft  vne  chofe  qui  m'eft  à  prefent  connue,  qu'à  proprement 
parler  nous  ne  conceuons  les  corps  que  par  la  faculté  d'entendre 
qui  eft  en  nous,  &  non  point  par  l'imagination  ny  par  les  fens,  & 
que  nous  ne  les  connoiflbns  pas  de  ce  que  nous  les  voyons,  ou  que 
nous  les  touchons,  mais  feulement  de  ce  que  nous  les  conceuons 
par  la  penfée,  ie  connois  euidemment  qu'il  n'y  a  rien  qui  me  foit 
plus  facile  à  connoiftre  que  mon  efprit.  Mais,  parce  qu'il  eft  prefque 
impoftible  de  fe  deffaire  fi  promptement  d'vne  ancienne  opinion,  il 

32  fera  bon  I  que  ie  m'arrefte  vn  peu  en  cet  endroit,  afin  que,  par  la 
longueur  de  ma  méditation,  i'imprime  plus  profondement  en  ma 
mémoire  cette  nouuelle  connoiffance. 


34-35.  Méditations.  —  Troisième.  27 

|Meditation  troisième.  83 

De  Dieu;  qu'il  exijîe. 

le  fermeray  maintenant  les  yeux,  ie  boucheray  mes  oreilles,  ie 
détourneray  tous  mes  fens,  i'effaceray  mefme  de  ma  penfée  toutes 
les  images  des  chofes  corporelles,  ou  du  moins,  parce  qu'à  peine 
cela  fe  peut-il  faire,  ie  les  reputeray  comme  vaines  &  comme 
fauffes;  &  ainfi  m'entretenant  feulement  moy-mefme,  &  confiderant 
mon  intérieur,  ie  tafcheray  de  me  rendre  peu  à  peu  plus  connu  & 
plus  familier  à  moy-mefme.  le  fuis  vne  chofe  qui  penfe,  c'eft  à  dire 
qui  doute,  qui  affirme,  qui  nie,  qui  connoift  peu  de  chofes,  qui  en 
ignore  beaucoup,  qui  ayme,  qui  haït,  qui  veut,  qui  ne  veut  pas,  qui 
imagine  auffi,  &  qui  fent.  Car,  ainfi  que  i'ay  remarqué  cy-deuant, 
quoy  que  les  chofes  que  ie  fens  &  que  i'imagine  ne  foient  peut-eftre 
rien  du  |  tout  hors  de  moy  &  en  elles-mefmes,  ie  fuis  neantmoins  34 
alTuré  que  ces  façons  de  penfer,  que  i'appelle  fentimens  &  imagi- 
nations,! en  tant  feulement  qu'elles  font  des  façons  de  penfer,  re- 
fident  &  fe  rencontrent  certainement  en  moy.  Et  dans  ce  peu  que  ie 
viens  de  dire,  ie  croy  auoir  rapporté  tout  ce  que  ie  fçay  véritable- 
ment, ou  du  moins  tout  ce  que  iufques  icy  i'ay  remarqué  que  ie 
fçauois. 

Maintenant  ie  confidereray  plus  exadement  fi  peut-ertre  il  ne  fe 
retrouue  point  en  moy  d'autres  connoiffances  que  ie  n'aye  pas 
encore  apperceuës.  le  fuis  certain  que  ie  fuis  vne  chofe  qui  penfe  ; 
mais  ne  fçay-je  donc  pas  aufli  ce  qui  eft  requis  pour  me  rendre  cer- 
tain de  quelque  chofe?  Dans  cette  première  connoiflance,  il  ne  fe 
rencontre  rien  qu'vne  claire  &  diftinde  perception  de  ce  que  ie  con- 
nois;  laquelle  de  vray  ne  feroit  pas  fuffifante  pour  m'affurer  qu'elle 
eft  vraye,  s'il  pouuoit  iamais  arriuer  qu'vne  chofe  que  ie  conceurois 
ainfi  clairement  &  diftindement  fe  trouuaft  faufle.  Et  partant  il  me 
femble  que  des-ja  ie  puis  eftablir  pour  règle  générale,  que  toutes  les 
chofes  que  nous  conceuons  fort  clairement  &  fort  diftinctement,font 
toutes  vrayes. 

Toutesfois  i'ay  receu  &  admis  cy-deuant  plufieurs  chofes  comme 
très-certaines  &  tres-manifeftes ,  lefquclles  neantmoins  i'ay  re- 
connu par  après  eftre  douteufes  &  incertaines.  Quelles  eftoient  donc 
ces  chofes-là?  C'eftoit  la  Terre,  le  Ciel,  les  Aftres,  &  toutes  les 
autres  chofes  que  i'apperceuois  par  l'entremife  de  mes  |  fens.  Or     36 


28  OEuvRES  DE  Descartes.  35-36. 

qu'eft-ce  que  ie  conceuois  clairement  &  diflinclement  en  elles?  Certes 
rien  autre  chofe  finon  que  les  idées  ou  les  peafées  de  ces  choies  le 
prefenioient  à  mon  efprit.  Et  encore  à  prefent  ie  ne  nie  pas  que  ces 
idées  ne  fe  rencontrent  en  moy.  Mais  il  y  auoit  encore  vne  autre 
chofe  que  i'affurois,  &  qu'à  caufe  de  l'habitude  que  i'auois  à  la 
croire,  ie  penfois  apperceuoir  tres-clairement,  quoy  que  véritable- 
ment ie  ne  rapperceuffe  point,  à  Içauoir  qu'il  y  auoit  des  choies 
hors  de  moy,  d'où  procedoient  ces  idées,  &  aulquelles  elles  elloient 
tout  à  fait  femblables.  Et  c'eftoit  en  cela  que  ie  me  trompois;  ou,  fi 
peut-ellre  ie  iugeois  félon  la  vérité,  ce  n'eitoit  aucune  connoilfance 
que  i'eufle,  qui  fuft  caufe  de  la  vérité  de  mon  iugement. 

Mais  lorfque  ie  confiderois  quelque  chofe  de  fort  fimple  &  de 
fort  facile  touchant  l'Arithmétique  &  la  Géométrie,  |  par  exemple 
que  deux  &  trois  ioints  enfemble  produifent  le  nombre  de 
cinq,  &  autres  chofes  femblables,  ne  les  conceuois-je  pas  au  moins 
allez  clairement  pour  aiïurer  qu'elles  eftoient  vrayes?  Certes  fi  i'a}^ 
iugé  depuis  qu'on  pouuoit  douter  de  ces  chofes,  ce  n'a  point  efté 
pour  autre  raifon,  que  parce  qu'il  me  venoit  en  l'efprit,  que  peut- 
eltre  quelque  Dieu  auoit  pu  me  donner  vne  telle  nature,  que  ie 
me  trompafl'e  mefme  touchant  les  chofes  qui  me  femblcnt  les  plus 
manifeftes.  Mais  toutes  les  fois  que  cette  opinion  cy-devant  conccuc 
de  la  fouueraine  puifl'ance  d'vn  Dieu  fe  prefente  à  ma  penfée,  ie  fuis 
36  contraint  d'auouer  |  qu'il  luy  eft  facile,  s'il  le  veut,  de  faire  en  forte 
que  ie  m'abufe,  mefme  dans  les  chofes  que  ie  croy  connoiftre  auec 
vne  euidence  très-grande.  Et  au  contraire  toutes  les  fois  que  ie  me 
tourne  vers  les  chofes  que  ie  penfe  conceuoir  fort  clairement,  ie  fuis 
tellement  perfuadé  par  elles,  que  de  mo3'-mefme  ie  me  lailïe  em- 
porter à  ces  paroles  :  Me  trompe  qui  poura,  û  eft-ce  qu'il  ne  fçau- 
roit  iamais  faire  que  ie  ne  fois  rien,  tandis  que  ie  penferay  eftre 
quelque  chofe;  ou  que  quelque  iour  il  foit  vray  que  ie  n'aye  iamais 
efté,  eftant  vray  maintenant  que  ie  fuis;  ou  bien  que  deux  &  trois 
ioints  enfemble  falfent  plus  ny  moins  que  cinq,  ou  chofes  fem- 
blables, que  ie  voy  clairement  ne  pouuoir  eftre  d'autre  façon  que  ie 
les  conçoy. 

Et  certes,  puifque  ie  n'ay  aucune  raifon  de  croire  qu'il  y  ait 
quelque  Dieu  qui  foit  trompeur,  &  mefme  que  ie  n'ay  pas  encore 
confidcré  celles  qui  prouuent  qu'il  y  a  vn  Dieu,  la  raifon  de  douter 
qui  dépend  feulement  de  cette  opinion,  eft  bien  légère,  &  pour  ainfi 
dire  .Vïetaphyliquc.  Mais  afin  de  la  pouuoir  tout  à  fait  ofter,  ie  dois 
examiner  s'il  }•  a  vn  Dieu,  fi-toft  que  l'occafion  s'en  prefentera;  & 
Il  ic  trouuc  qu'il  y  en  ait  vn,  ie  dois  aufli  examine*  s'il  peut  eftre 


?6-?8.  Méditations.  —  Troisième.  29 

trompeur:  car  fans  la  connoiflance  de  ces  deux  veritez,  ie  ne  voy 
pas  que  ie  puilfe  iamais  eflre  certain  d'aucune  chofe.  Et  afin  que 
ie  puilïe  auoir  occafion  d'examiner  cela  fans  interrompre  l'ordre  de 
méditer  que  ie  me  fuis  propofé,  qui  eft  de  paffer  par  degrez  des  no- 
tions que  ie  trouueray  les  premières  en  mon  efpyt  à  celles  que  i'y 
pouray  |  trouuer  par  après,  |  il  faut  icy  que  ie  diuife  toutes  mes  pen-  37 
fées  en  certains  genres,  &  que  ie  confidere  dans  lefquels  de  ces 
genres  il  y  a  proprement  de  la  vérité  ou  de  l'erreur. 

Entre  mes  penfées,  quelques-vnes  font  comme  les  images  des 
chofes,  &  c'eft  à  celles-là  feules  que  conuient  proprement  le  nom 
d'idée  :  comme  lorfque  ie  me  reprefente  vn  homme,  ou  vne  Chi- 
mère, ou  le  Ciel,  ou  vn  Ange,  ou  Dieu  mefme.  D'autres,  outre 
cela,  ont  quelques  autres  formes  :  comme,  lorfque  ie  veux,  que  ie 
crains,  que  i'afîirme  ou  que  ie  nie,  ie  conçoy  bien  alors  quelque 
chofe  comme  le  fujet  de  l'adion  de  mon  efprit,  mais  i'adjoulle  aulfi 
quelque  autre  chofe  par  cette  action  à  l'idée  que  i'ay  de  cette  chofe- 
là;  &  de  ce  genre  de  penfées,  les  vnes  font  appellées  volontez  ou 
affedions,  &  les  autres  iugemens. 

Maintenant,  pour  ce  qui  concerne  les  idées,  fi  on  les  confidere 
feulement  en  elles-mefmes,  &  qu'on  ne  les  rapporte  point  h  quelque 
autre  chofe,  elles  ne  peuuent,  à  proprement  parler,  eftre  fauifes; 
car  foit  que  i'imagine  vne  Chèvre  ou  vne  Chimère,  il  n'ert  pas  moins 
vray  que  i'imagine  l'vne  que  l'autre. 

Il  ne  faut  pas  craindre  aufii  qu'il  fe  puiffe  rencontrer  de  la  faufleté 
dans  les  affedions  ou  volontez  ;  car  encore  que  ie  puiffe  defirer  des 
chofes  mauuaifes,  ou  mefme  qui  ne  furent  iamais,  touiesfois  il  n'eft 
pas  pour  cela  moins  vray  que  ie  les  defire. 

Ainfi  il  ne  refte  plus  que  les  fèuls  iugemens,  dans  lefquels  ie  dois 
prendre  garde  foigneufement  de  ne  me  |  point  tromper.  Or  la  prin-  38 
cipale  erreur  &  la  plus  ordinaire  qui  s'y  puiffe  rencontrer,  confifle 
en  ce  que  ie  iuge  que  les  idées  qui  font  en  moy  ;  font  femblables,  ou 
conformes  à  des  chofes  qui  font  hors  de  moy  ;  car  certainement,  fi 
ie  confiderois  feulement  les  idées  comme  de  certains  modes  ou  fa- 
çons de  ma  penfée,  fans  les  vouloir  rapporter  à  quelque  autre  chofe 
d'extérieur,  à  peine  me  pouroient-ielles  donner  occafion  de  faillir. 

Or  de  ces  idées  les  vnes  me  femblent  eftre  nées  auec  moy,  les 
autres  eftre  étrangères  &  venir  de  dehors,  |  &  les  autres  eftre  faites 
&  inuentées  par  moy-mefme.  Car, que  i'aye  la  faculté  de  conceuoir 
ce  que  c'eft  qu'on  nomme  en  gênerai  vne  chofe,  ou  vne  vérité,  ou 
vne  penfée,  il  me  femble  que  ie  ne  tiens  point  cela  d'ailleurs  que 
de  ma  nature  propre;  mais  fi  i'oy  maintenant  quelque  bruit,  fi  ie 


jo  OEuvREs  DE  Descartes.  38-39. 

voy  le  Soleil,  û  ie  fens  de  la  chaleur,  iufqu'à  cette  heure  i'ay  iugé 
que  ces  fentimens  procedoient  de  quelques  chofes  qui  exiftent  hors 
de  moy;  &  enfin  il  me  lemble  qUe  les  Syrenes,  les  Hypogrifes  & 
toutes  les  autres  femblables  Chimères  font  des  fidions  &  inuentions 
de  mon  efprit.  Mais  aufli  peut-eftre  me  puis-je  perfuader  que  toutes 
ces  idées  font  du  genre  de  celles  que  i'apelle  étrangères,  &  qui 
viennent  de  dehors,  ou  bien  qu'elles  font  toutes  nées  auec  moy,  ou 
bien  qu'elles  ont  toutes  efté  faites  par  moy  ;  car  ie  n'ay  point  encore 
clairement  découuert  leur  véritable  origine.  Et  ce  que  i'ay  princi- 
palement à  faire  en  cet  endroit,  ert  de  confiderer,  touchant  celles  qui 
S9  me  femblent  venir  de  quelques  objets  qui  font  hors  de  j  moy, 
quelles  font  les  raifons  qui  m'obligent  à  les  croire  femblables  à  ces 
objets. 

La  première  de  ces  raifons  eft  qu'il  me  femble  que  cela  m'eft  en- 
feigné  par  la  nature  ;  &  la  féconde,  que  i'experimente  en  moy-mefme 
que  ces  idées  ne  dépendent  point  de  ma  volonté;  car  fouuent  elles 
fe  prefentent  à  moy  malgré  moy,  comme  maintenant,  foit  que  ie  le 
veuille,  foit  que  ie  ne  le  veuille  pas,  ie  fens  de  la  chaleur,  &  pour 
cette  caufe  ie  me  perfuade  que  ce  fentiment  ou  bien  cette  idée  de  la 
chaleur  eft  produite  en  moy  par  vne  chofe  différente  de  moy,  à 
fçauoir  par  la  chaleur  du  feu  auprès  duquel  ie  me  rencontre.  Et  ie 
ne  voy  rien  qui  me  femble  plus  raifonnable,  que  de  iuger  que  cette 
chofe  étrangère  enuoye  &  imprime  en  moy  fa  reffemblance  pluftoft 
qu'aucune  autre  chofe. 

Maintenant  il  faut  que  ie  voye  fi  ces  raifons  font  affez  fortes  & 
conuaincaiites.  Quand  ie  dis  qu'il  me  femble  que  cela  m'eft  en- 
feigné  par  la  nature,  i'entens  feulement  par  ce  mot  de  nature  vne 
certaine  inclination  qui  me  porte  à  croire  cette  chofe,  &  non  pas 
vne  lumière  naturelle  qui  me  face  connoiftre  qu'elle  eft  vraye.  Or 
ces  deux  chofes  différent  beaucoup  entr'elles;  car  ie  ne  içaurois 
rien  reuoquer  en  doute  de  ce  que  la  lumière  naturelle  me  fait  voir 
eftrc  vray,  ainfi  qu'elle  m'a  tantoft  fait  voir  que,  de  ce  que  ie  dou- 
tois,  ie  pouuois  conclure  que  i'eftois.  Et  ie  n'ay  en  moy  aucune 
autre  faculté,  ou  puiffance,  pour  diftinguer  le  vray  du  faux,  qui  me 
puKfe  cnfeigner  que  ce  que  cette  lumière  me  monftre  comme  vray 
40  ne  l'eft  pas,  &  à  qui  ie  me  |  puiffe  tant  fier  qu'à  elle.  |  Mais,  pour  ce 
qui  eft  des  inclinations  qui  me  femblent  aulFi  m'eftre  naturelles,  i'ay 
fouuent  remarqué,  lorfqu'il  a  efté  queftion  de  faire  choix  entre  les 
venus  &  les  vices,  qu'elles  ne  m'ont  pas  moins  porté  au  mal  qu'au 
bien;  c'cft  pourquoy  ie  n'ay  pas  fujet  de  les  fuiure  non  plus  en  ce 
qui  regarde  le  vray  &  le  faux. 


39-40.  Méditations.  —  Troisième.  j  i 

Et  pour  l'autre  raifon,  qui  ell  que  ces  idées  doiuent  venir  d'ail- 
leurs, puifqu'elles  ne  dépendent  pas  de  ma  volonté,  ie  ne  la  trouue 
non  plus  conuaincante.  Car  tout  de  mefme  que  ces  inclinations, 
dont  ie  parlois  tout  maintenant,  fe  trouuent  en  moy,  nonobltant 
qu'elles  ne  s'accordent  pas  toullours  auec  ma  volonté,  ainli  peut- 
ellre  qu'il  y  a  en  moy  quelque  faculté  ou  puilfance  propre  à  pro- 
duire ces  idées  fans  l'ayde  d'aucunes  chofes  extérieures,  bien  qu'elle 
ne  me  foit  pas  encore  connue;  comme  en  effet  il  m'a  touliours 
femblé  iufques  icy  que,  lorfque  ie  dors,  elles  fe  forment  ainfi  en 
moy  fans  l'ayde  des  objets  qu'elles  reprefentent.  Et  enfin,  encore 
que  ie  demeuralfe  d'accord  qu'elles  font  caufées  par  ces  objets,  ce 
n'eft  pas  vne  confequence  necelfaire  qu'elles  doiuent  leur  élire 
femblables.  Au  contraire,  i'ay  fouuent  remarqué,  en  beaucoup 
d'exemples,  qu'il  y  auoit  vne  grande  différence  entre  l'objet  &  fon 
idée.  Comme,  par  exemple,  ie  trouue  dans  mon  efprit  deux  idées 
du  Soleil  toutes  diuerfes  :  l'vne  tire  fon  origine  des  fens,  &  doit 
eftre  placée  dans  le  genre  de  celles  que  i'ay  dit  cy-deffus  venir  de 
dehors,  par  laquelle  il  me  paroift  extrêmement  petit;  l'autre  ert 
1  prife  des  raifons  de  l'AÛronomie,  c'eft  à  dire  de  certaines  notions  ki 
nées  auec  moy,  ou  enfin  eft  formée  par  moy-mefme  de  quelque 
forte  que  ce  puiffe  eftre,  par  laquelle  il  me  paroilt  plufieurs  fois  plus 
grand  que  toute  la  terre.  Certes,  ces  deux  idées  que  ie  conçoy  du 
Soleil, ne  peuuent  pas  élire  toutes  deux  femblables  au  mefme  Soleil; 
&  la  raifon  me  fait  croire  que  celle  qui  vient  immédiatement  de 
fon  apparence,  eft  celle  qui  luy  eft  le  plus  difiemblable. 

Tout  cela  me  fait  alfez  connoiftre  que  iufques  à  cette  heure  ce  n'a 
point  efté  |  par  vn  iugement  certain  &  prémédité,  mais  feulement 
par  vne  aueugle  &  téméraire  impulfion,  que  i'ay  creu  qu'il  y  auoit 
des  chofes  hors  de  moy,  &  difi'erentes  de  mon  eftre,  qui,  par  les 
organes  de  mes  fens,  ou  par  quelque  autre  moyen  que  ce  puiffe 
eftre,  enuoyoient  en  moy  leurs  idées  ou  images,  &  y  imprimoient 
leurs  relfemblances. 

Mais  il  fe  prefente  encore  vne  autre  voye  pour  rechercher  fi, 
entre  les  chofes  dont  i'ay  en  moy  les  idées,  il  y  en  a  quelques-vnes  - 
qui  exiftent  hors  de  moy.  A  fçauoir,  fi  ces  idées  font  prifes  en  tant 
feulement  que  ce  font  de  certaines  façons  de  penfer,  ie  ne  recon- 
nois  entr'elles  aucune  différence  ou  inégalité,  &  toutes  femblent 
procéder  de  moy  d'vne  mefme  forte;  mais,  les  confiderant  comme 
des  images,  dont  les  vnes  reprefentent  vne  chofe  &  les  autres  vne 
autre,  il  eft  euident  qu'elles  font  fort  ^différentes  les  vnes  des 
autres.  Car,  en  effet,  celles  qui  me  reprefentent  des .  fubftancesj 


J2  OEuvRES  DE  Descartes.  4o--ti. 

42  font  fans  doute  quelque  chofe  de  plus,  &  contiennent  |  en  foy 
(pour  ainfi  parler)  plus  de  realité  objecliue,  c'ell  à  dire  participent 
par  reprefentation  à  plus  de  degrez  d'eftre  ou  de  perfedion;  que 
celles  qui  me  reprefentent  feulement  des  modes  ou  accidens.  De 
plus,  celle  par  laquelle  ie  conçoy  vn  Dieu  fouuerain,  éternel,  infini, 
immuable,  tout  connoKfant,  tout  puiflant,  &  Créateur  vniuerfel  de 
toutes  les  chofes  qui  font  hors  de  luy  ;  celle-là,  dis-je,  a  certai- 
nement en  foy  plus  de  realité  objediue,  que  celles  par  qui  les 
fubftances  finies  me  font  reprefentées. 

Maintenant  c'ell  vne  chofe  maniferte  par  la  lumière  naturelle, 
qu'il  doit  y  auoir  pour  le  moins  autant  de  realité  dans  la  caufe 
efficiente  &  totale  que  dans  fon  effect  :  car  d'où  ell-ce  que  l'efFeâ: 
peut  tirer  fa  realité,  fmoh  de  fa  caufe  ?  &  comment  cette  caufe  la 
luy  pouroit-elle  communiquer,  fi  elle  ne  l'auoit  en  elle-mefme? 

Et  de  là  il  fuit,  non  feulement  que  le  néant  ne  fçauroit  produire 
aucune  chofe,  mais  auffi  que  ce  qui  efl  plus  parfait,  c'ell  à  dire  qui 
contient  en  foy  plus  de  realité,  |  ne  peut  eftre  vne  fuite  &  vne  dé- 
pendance du  moins  parfait.  Et  cette  vérité  n'eft  pas  feulement 
claire  &  euidente  dans  les  effets  qui  ont  cette  realité  que  les  Philo- 
fophes  appellent  aduelle  ou  formelle,  mais  aulTi  dans  les  idées  où 
l'on  confidere  feulement  la  realité  qu'ils  nomment  objediue  :  par 
exemple,  la  pierre  qui  n'a  point  encore  elle,  non  feulement  ne  peut 
pas  maintenant  commencer  d'eflre,  fi  elle  n'eft  produitte  par  vne 
chofe  qui  poffede  en  foy  formellement,  ou  emi|nemment,  tout  ce 
qui  entre  en  la  compofition  de  la  pierre,  c'eft  à  dire  qui  contienne 
en  foy  les  mefmes  chofes  ou  d'autres  plus  excellentes  que  celles  qui 
font  dans  la  pierre;  &  la  chaleur  ne  peut  eftre  produite  dans  vn 
fujet  qui  en  eftoit  auparauant  priué,  fi  ce  n'eft  par  vne  chofe  qui 
foit  d'vn  ordre,  d'vn  degré  ou  d'vn  genre  au  moins  aufli  parfait  que 
la  chaleur,  &  ainfi  des  autres.  Mais  encore,  outre  cela,  l'idée  de  la 
chaleur,  ou  de  la  pierre,  ne  peut  pas  eftre  en  moy,  fi  elle  n'y  a  elle 
mife  par  quelque  caufe,  qui  contienne  en  foy  pour  le  moins  autant 
de  realité,  que  i'en  conçoy  dans  la  chaleur  ou  dans  la  pierre.  Car 
encore  que  cette  caufe-là  ne  tranfmetie  en  mon  idée  aucune  chofe 
de  fa  realité  aduelle  ou  formelle,  on  ne  doit  pas  pour  cela  s'ima- 
giner que  cette  caufe  doiue  eftre  moins  réelle;  mais  on  doit  fçauoir 
que  toute  idée  eftant  vn  ouurage  de  l'efprit,  fa  nature  eft  telle 
qu'elle  ne  demande  de  foy  aucune  autre  realité  formelle,  que  celle 
qu'elle  reçoit  &  emprunte  de  la  pcnfée  ou  de  l'efprit,  dont  elle  cft 
feulement  vn  mode,  c'eft  à  dire  vne  manière  ou  façon  de  penfer. 
Or,  î»fin  qu'vnc  idée  contienne  vne  telle  realité  objediue  plutoft 


41-42-  Méditations.  —  Troisième.  3  3 

qu'vne  autre,  elle  doit  fans  doute  auoir  cela  de  quelque  caufe,  dans 
laquelle  il  le  rencontre  pour  le  moins  autant  de  realité  formelle  que 
cette  idée  contient  de  realité  objec^iue.  Car  fi  nous  fupofons  qu'il 
fe  trouue  quelque  chofe  dans  l'idée,  qui  ne  fe  rencontre  pas  dans  fa 
caufe,  il  faut  donc  qu'elle  tienne  cela  du  néant;  mais,  pour  impar- 
faite que  foit  cette  façon  d'eftre,  par  laquelle  vne  chofe  eft  objedi- 
uement  |  ou  par  reprefentation  dans  l'entendement  par  fon  idée,  ** 
certes  on  ne  peut  pas  neantmoins  dire  que  cette  façon  &  maniere- 
là  ne  foit  rien,  ny  par  confequent  que  cette  idée  tire  fon  ori- 
gine du  néant.  le  ne  dois  pas  aufTi  douter  qu'il  ne  foit  necelVaire 
|que  la  realité  foit  formellement  dans  les  caufes  de  mes  idées, 
quoy  que  la  realité  que  ie  confidere  dans  ces  idées  foit  feulement 
objediue,  ny  penfer  qu'il  fuffit  que  cette  realité  fe  rencontre  obiedi- 
uement  dans  leur  (s)  caufes;  car,  tout  ainfi  que  cette  manière  d'eftre 
obiediuement  appartient  aux  idées,  de  leur  propre  nature,  de 
mefme  aulli  la  manière  ou  la  façon  d'eftre  formellement  appartient 
aux  caufes  de  ces  idées  {à  tout  le  moins  aux  premières  &  princi- 
pales) de  leur  propre  nature.  Et  encore  qu'il  puilfe  arriuer  qu'vne 
idée  donne  la  nailfance  à  vne  autre  idée,  cela  ne  peut  pas  toutes- 
fois  eftre  à  l'infiny,  mais  il  faut  à  la  fin  paruenir  à  vne  première 
idée,  dont  la  caufe  foit  comme  vn  patron  ou  vn  original,  dans 
lequel  toute  la  realité  ou  perfeclion  foit  contenue  formellement  & 
en  effet,  qui  fe  rencontre  feulement  obiediuement  ou  par  repre- 
fentation dans  ces  idées.  En  forte  que  la  lumière  naturelle  me 
fait  connoiftre  euidemment,  que  les  idées  font  en  moy  comme 
des  tableaux,  ou  des  images,  qui  peuuent  à  la  vérité  facilement 
déchoir  de  la  perfedion  des  chofes  dont  elles  ont  efté  tirées,  mais 
qui  ne  peuuent  iamais  rien  contenir  de  plus  grand  ou  de  plus 
parfait. 

Et  d'autant  plus  longuement  &  foigneufement  l'examine  toutes 
ces  chofes,  d'autant  plus  clairement  &  di|ftindement  ie  connois  45 
qu'elles  font  vrayes.  Mais  enfin  que  concluray-je  de  tout  cela?  C'eft 
à  fçauoir  que,  fi  la  realité  obiediue  de  quelqu'vne  de  mes  idées  eft 
telle,  que  ie  connoilfe  clairement  qu'elle  n'eft  point  en  moy,  ny 
formellement,  ny  éminemment,  &  que  par  confequent  ie  ne  puis 
pas  moy-mefme  en  eftre  la  caufe,  il  fuit  de  là  neceffairement  que  ie 
ne  fuis  pas  feul  dans  le  monde,  mais  qu'il  y  a  encore  quelque  autre 
chofe  qui  exifte,  &  qui  eft  la  caufe  de  cette  idée;  au  lieu  que,  s'il 
ne  fe  rencontre  point  en  moy  de  telle  idée,  ie  n'auray  aucun  argu- 
ment qui  me  puiffe  conuaincre  &  rendre  certain  de  l'exiftence 
d'aucune  autre  chofe  que  de  1  oy-mvfme;  car  ie  les  ay  tous  foi- 

ŒUVRES.  IV.  ^ 


34  Œuvres  de  Descartes.  42-44. 

gneufement  recherchez,   &   ie  n'en  ay  peu  trouuer  aucun  autre 
iufqu'à  prefent. 

Or  entre  ces  idées,  outre  celle  qui  me  reprefente  à  moy-mefme, 
de  laquelle  il  ne  peut  y  auoir  icy  aucune  difficulté,  |  il  y  en  a  vne 
autre  qui  me  reprefente  vn  Dieu,  d'autres  des  chofes  corporelles  & 
inanimées,  d'autres  des  anges,  d'autres  des  animaux,  &  d'autres 
enfin  qui  me  reprefentent  des  hommes  femblables  à  moy.  Mais 
pour  ce  qui  regarde  les  idées  qui  me  reprefentent  d'autres  hommes, 
ou  des  animaux,  ou  des  anges,  ie  conçoy  facilement  qu'elles 
peuuent  eftre  formées  par  le  mélange  &  la  compofition  des  autres 
idées  que  i'ay  des  chofes  corporelles  &  de  Dieu,  encores  que  hors 
de  moy  il  n'y  euft  point  d'autres  hommes  dans  le  monde, ny  aucuns 
animaux,  ny  aucuns  anges.  Et  pour  ce  qui  regarde  les  idées  des 
chofes  corporelles,  ie  n'y  reconnois  rien  de  Ci  grand  ny  de  û.  excel- 

46  lent,  qui  ne  me  femjble  pouuoir  venir  de  moy-mefme  ;  car,  fi  ie  les 
confidere  de  plus  prés,  &  û  ie  les  examine  de  la  mefme  façon  que 
i'examinay  hier  l'idée  de  la  cire,  ie  trouue  qu'il  ne  s'y  rencontre 
que  fort  peu  de  chofes  que  ie  conçoiue  clairement  &  diftinélement: 
à  fçauoir,  la  grandeur  ou  bien  l'extenfion  en  longueur,  largeur  & 
profondeur;  la  figure  qui  eft  formée  par  les  termes  &  les  bornes  de 
cette  extenfion;la  fituation  que  les  corps  diuerfement  figurez  gardent 
entr'eux-,  &  le  mouuement  ou  le  changement  de  cette  fituation; 
aufquelles  on  peut  adjouter  la  fubllance,  la  durée,  &  le  nombre. 
Quant  aux  autres  chofes,  comme  la  lumière,  les  couleurs,  les  fons, 
les  odeurs,  les  faueurs,  la  chaleur,  le  froid,  &  les  autres  qualitez 
qui  tombent  fous  l'attouchement,  elles  fe  rencontrent  dans  ma 
penfée  auec  tant  d'obfcurité  &  de  confufion,  que  i'ignore  mefme  fi 
elles  font  véritables,  ou  fauffes  &  feulement  apparentes,  c'eft:  à  dire 
fi  les  idées  que  ie  conçoy  de  ces  qualitez,  font  en  effet  les  idées  de 
quelques  chofes  réelles,  ou  bien  fi  elles  ne  me  reprefentent  que  des 
eftres  chymeriques,  qui  ne  peuuent  exifter.  Car,  encore  que  i'aye 
remarqué  cy-deuant,  qu'il  n'y  a  que  dans  les  iugemens  que  fe 
puilfe  rencontrer  la  vraye  &  formelle  fauffeté,  il  fe  peut  neantmoins 
trouuer  dans  les  idées  vne  certaine  fauiVeté  matérielle,  à  fçauoir, 
lorfqu'elles  reprefentent  ce  qui  n'eft  rien  comme  fi  c'efi;oit  quelque 
chofc.  Par  exemple,  les  idées  que  i'ay  du  froid  &  de  la  chaleur  font 
fi  peu  claires  &  fi  peu  diftinétes,  |  que  par  leur  moyen  ie  ne  puis  pas 

h*l  difcerner  fi  le  froid  eft  feulement  vne  priuation  de  la  |  chaleur,  ou 
la  chaleur  vne  priuation  du  froid,  ou  bien  fi  l'vne  &  l'autre  font 
des  qualitez  réelles,  ou  fi  elles  ne  le  font  pas  ;  &  d'autant  que,  les 
idées  cftant  comme  des  images,  il  n'y  en  peut  uuoir  aucune  qui  ne 


44-45.  Méditations.  —  Troisième.  35 

nous  femble  reprefenter  quelque  chofe,  s'il  eft  vray  de  dire  que  le 
froid  ne  foit  autre  chofe  qu'vne  priuation  de  la  chaleur,  l'idée  qui 
me  le  reprefente  comme  quelque  chofe  de  réel  &  de  pofitif,  ne  fera 
pas  mal  à  propos  appellée  faufle,  ^  ainfi  des  autres  femblables  idées; 
aufquelles  certes  il  n'eft  pas  ne^ceffaire  que  i'attribuë  d'autre  au- 
theur  que  moy-mefme.  Car,  fi  elles  font  fauffes,  c'eft  à  dire  fi  elles 
reprefentent  des  chofes  qui  ne  font  point,  la  lumière  naturelle  me 
fait  connoiftre  qu'elles  procèdent  du  néant,  c'eft  à  dire  qu'elles  ne 
font  en  moy,  que  parce  qu'il  manque  quelque  chofe  à  ma  nature, 
&  qu'elle  n'eft  pas  toute  parfaite.  Et  fi  ces  idées  font  vrayes,  neant- 
moins,  parce  qu'elles  me  font  paroiftre  fi  peu  de  realité,  que  mefme 
ie  ne  puis  pas  nettement  difcerner  la  chofe  reprefentée  d'auec  le 
non  eftrej  ie  ne  voy  point  de  raifon  pourquoy  elles  ne  puilfent  eftre 
produites  par  moy-mefme, •&  que  ie  n'en  puiffe  eftre  l'auteur. 

Quant  aux  idées  claires  &  diftindes  que  i'ay  des  chofes  corpo- 
relles, il  y  en  a  quelques-vnes  qu'il  femble  que  i'aye  pu  tirer  de 
l'idée  que  i'ay  de  moy-mefme,  comme  celle  que  i'ay  de  la  fub- 
ftance,  de  la  durée,  du  nombre,  &  d'autres  chofes  femblables.  Car, 
lorfque  ie  penfe  que  la  pierre  eft  vne  fubftance,  ou  bien  vne  chofe 
qui  de  foy  eft  capable  d'exifter,  puis  que  ie  fuis  |  vne  fubftance,  48 
quoy  que  ie  conçoiue  bien  que  ie  fuis  vne  chofe  qui  penfe  &  non 
étendue,  &  que  la  pierre  au  contraire  eft  vne  chofe  étendue  &  qui 
ne  penfe  point,  &  qu'ainfi  entre  ces  deux  conceptions  il  fe  ren- 
contre vne  notable  différence,  toutesfois  elles  femblent  conuenir 
en  ce  qu'elles  reprefentent  des  fubftances.  De  mefme,  quand  ie 
penfe  que  ie  fuis  maintenant,  &  que  ie  me  relfouuiens  outre  cela 
d'auoir  elle  autrcsfois,  &  que  ie  conçoy  plufieurs  diuerfes  penfées 
dont  ie  connois  le  nombre,  alors  i'acquiers  en  moy  |  les  idées  de  la 
durée  &  du  nombre,  lefquelleç,  par  après,  ie  puis  transférer  à 
toutes  les  autres  chofes  que  ie  voudray. 

Pour  ce  qui  eft  des  autres  qualitez  dont  les  idées  des  chofes 
corporelles  font  compofées,  à  fçauoir  l'étendue',  la  figure,  la  fitua- 
tion,  &  le  mouuement  de  lieu,  il  eft  vray  qu'elles  ne  font  point 
formellement  en  moy,  puifque  ie  ne  fuis  qu'vne  chofe  qui  penfe  ; 
mais  parce  que  ce  font  feulement  de  certains  modes  de  la  fub-' 
ftance,  &  comme  les  veftemens  fous  lefquels  la  fubftance  corporelle 
nous  paroift,  &  que  ie  fuis  aufli  moy-mefme  vne  fubftance,  il  femble 
qu'elles  puift'ent  eftre  contenues  en  moy  éminemment. 

Partant  il  ne  refte  que  la  feule  idée  de  Dieu,  dans  laquelle  il  faut 
confiderer  s'il  y  a  quelque  chofe  qui  n'ait  pu  venir  de  moy-mefme. 
Par  le  nom  de  Dieu  i'entens  vne  fubftance  infinie,  éternelle,  im- 


î6 


Œuvres  de  Desgartes.  45-46. 


muable,  indépendante,  toute  connoiffante,  toute  puiffante,  &  par 
laquelle  moy-mefme,  &  toutes  les  autres  chofes  qui  font  (s'il  eft 
49  vray  qu'il  y  en  ait  qui  exiftent)  ont  efté  créées  |  &  produites.  Or  ces 
auantages  font  fi  grands  &  û  eminens,  que  plus  attentiuement  ie  les 
confidere,  &  moins  ie  me  perfuade  que  l'idée  que  i'en  ay  puiffe 
tirer  fon  origine  de  moy  feul.  Et  par  confequent  il  faut  neceffai- 
rement  conclure  de  tout  ce  que  i'ay  dit  auparauant,  que  Dieu 
exifte  ;  car,  encore  que  l'idée  de  la  fubftance  foit  en  moy,  de  cela 
mefme  que  ie  fuis  vne  fubftance,  ie  n'aurois  pas  neantmoins  l'idée 
d'vne  fubftance  infinie,  moy  qui  fuis  vn  eftre  finy,  fi  elle  n'auoit 
efté  mife  en  moy  par  quelque  fubftance  qui  fuft  véritablement 
infinie. 

Et  ie  ne  me  dois  pas  imaginer  que  ie  ne  conçoy  pas  l'ihfiny  par 
vne  véritable  idée,  mais  feulement  par  la  négation  de  ce  qui  eft  finy, 
de  mefme  que  ie  comprens  le  repos  &  les  ténèbres  par  la  négation 
du  mouuement  &  de  la  lumière  :  puifqu'au  contraire  ie  voy  mani- 
feftement  qu'il  fe  rencontre  plus  de  realité  dans  la  fubftance  infinie, 
que  dans  la  fubftance  finie,  &  partant  que  i'ay  en  quelque  façon 
premièrement  en  moy  la  notion  de  l'infiny,  que  du  finy,  c'eft  à  dire 
de  Dieu,  que  de  moy-mefme.  Car  comment  feroit-il  poflible  que  ie 
peuffe  connoiftre  que  ie  doute  &  que|  ie  defire,  c'eft  à  dire  qu'il  me 
manque  quelque  chofe  &  que  ie  ne  fuis  pas  tout  parfait,  fi  ie  n'auois 
en  moy  aucune  idée  d'vn  eftre  plus  parfait  que  le  mien,  par  la  com- 
paraifon  duquel  ie  connoiftrois  les  défauts  de  ma  nature? 

Et  l'on  ne  peut  pas  dire  que  peut-eftre  cette  idée  de  Dieu  eft  ma- 
60  teriellement  faufl"e,  &  que  par  conjfequent  ie  la  puis  tenir  du  néant, 
c'eft  à  dire  qu'elle  peut  eftre  en  moy  pource  que  i'ay  du  défaut, 
comme  i'ay  dit  cy-deuant  des  idées  de  la  chaleur  &  du  froid,  & 
d'autres  chofes  femblables  :  car,  au  contraire,  cette  idée  eftant  fort 
claire  &  fort  diftinde,  &  contenant  en  foy  plus  de  realité  obie^ue 
qu'aucune  autre,  il  n'y  en  a  point  qui  foit  de  foy  plus  vraye,  ny  qui 
puifle  eftre  moins  foupçonnée  d'erreur  &  de  fauffeté. 

L'idée,  dis-je,  de  cet  eftre  fouuerainement  parfait  &  infiny  eft 
entièrement  vraye  ;  car,  encore  que  peut-eftre  l'on  puifle  feindre 
qu'vn  tel  eftre  n'exifte  point,  on  ne  peut  pas  feindre  neantmoins  que 
fon  idée  ne  me  reprefente  rien  de  réel,  comme  i'ay  tantoft  dit  de 
l'idée  du  froid. 

Cette  mefme  idée  eft  aufli  fort  claire  &  fort  diftinde,  puifque 
tout  ce  que  mon  cfprii  conçoit  clairement  &  diftindcment  de  réel 
&  de  vray,  &  qui  contient  en  foy  quelque  perfedion,  eft  contenu  & 
renfermé  tout  entier  dans  cette  idée. 


46-47.  Méditations.  —  Troisième.  jj 

Et  cecy  ne  laifle  pas  d'eftre  vray,  encore  que  ie  ne  comprenne  pas 
l'infiny,  ou  mefme  qu'il  fe  rencontre  en  Dieu  vne  infinité  de  chofes 
que  ie  ne  puis  comprendre,  ny  peut-eftre  aufli  atteindre  aucune- 
ment par  la  penfée  ;^car  il  èft  de  la  nature  de  l'infiny,  que  ma 
nature,  qui  eft  finie  &  bornée,  ne  le  puiffe  comprendre;  &  il  fuffit 
que  ie  conçoiue  bien  cela,  &  q.ue  ie  iuge  que  toutes  les  chofes  que 
je  conçoy  clairement,  &  dans  lefquelles  ie  fçay  qu'il  y  a  quel|que  51 
perfection,  &  peut-eftre  aufli  vne  infinité  d'autres  que  i'ignore,  font 
en  Dieu  formellement  ou  éminemment,  afin  que  l'idée  que  l'en  ay 
foit  la  plus  vraye,  la  plus  claire  &  la  plus  diftinde  de  toutes  celles 
qui  font  en  mon  efprit. 

Mais  peut-eftre  aufti  que  ie  fuis  quelque  chofe  de  plus  que  ie  ne 
m'imagine,  &  que  toutes  les  perfections  que  i'attribuë  à  la  nature 
d'vn  Dieu,  font  en  quelque  façon  en  moy  en  puiffance,  quoy  qu'elles 
ne  fe  produifent  pas  encore,  |  &  ne  fe  facent  point  paroiftre  par  leurs 
actions.  En  effet  l'expérimente  défia  que  ma  connoiflance  s'aug- 
mente &.fe  perfedionne  peu  à  peu,  &  ie  ne  voy  rien  qui  la  puiffe 
empefcher  de  s'augmenter  de  plus  en  plus  iufques  à  l'infiny;  puis, 
eftant  ainfi  accreuë  &  perfectionnée,  ie  ne  voy  rien  qui  empefche 
que  ie  ne  puilfe  m'acquerir  parfon  moyen  toutes  les  autres  per- 
fections de  la  nature  Diuine  ;  &  enfin  il  femble  que  la  puiffance  que 
i'ay  pour  l'acquifition  de  ces  perfections,  fi  elle  eft  en  moy,  peut 
eftre  capable  d'y  imprimer  &  d'y  introduire  leurs  idées.  Toutesfois, 
en  y  regardant  vn  peu  de  prez,  ie  reconnois  que  cela  ne  peut  eftre; 
car,  premièrement,  encore  qu'il  fuft  vray  que  ma  connbifl'ance  ac- 
quift  tous  les  iours  de  nouueaux  degrez  de  perfeCtion,  &  qu'il  y  euft 
en  ma  nature  beaucoup  de  chofes  en  puiffance,  qui  n'y  font  pas 
encore  actuellement,  toutesfois  tous  ces  aûantages  n'appartiennent 
&  n'approchent  en  aucune  forte  de  l'idée  que  i'ay  de  la  Diuinité,  'a 
dans  laquelle  rien  ne  |  fe  rencontre  feulement  en. puiffance,  mais 
tout  y  eft  actuellement  &  en  effeCt.  Et  mefme  n'eft-ce  pas  vn  argu- 
ment infaillible  &  très-certain  d'imperfeCtion  en  ma  connoiffance, 
de  ce  qu'elle  s'accroift  peu  à  peu,  &  qu'elle  s'augmente  par  degrez  ?  • 
Dauantage,  encore  que  ma  connoiffance  s'augmentaft  de  plus  en 
plus,  neantmoins  ie  ne  laiffe  pas  de  conceuoir  qu'elle  ne  fçauroit 
eftre  actuellement  infinie,  puifqu'elle  n'arriuera  iamais  à  vn  fi  haut 
point  de  perfeCtion,  qu'elle  ne  foit  encore  capable  d'acquérir 
quelque  plus  grand  accroiffement.  Mais  ie  conçoy  Dieu  actuelle- 
ment infiny  en  vn  fi  haut  degré,  qu'il  ne  fe  peut  rien  adioufter  à  la 
fouueraine  perfeCtion  qu'il  poffede.  Et  enfin  ie  comprens  fort  bien 
que  l'eftre  objeCtif  d'vne  idée  ne  peut  eftre  produit  par  vn  eftre  qui 


J 


j8  Œ.uvRES  DE  Descartes.  47-48. 

exifte  feulement  en  puiffance,  lequel  à  proprement  parler  n'eft  rien, 
mais  feulement  par  vn  eftre  formel  ou  aéluel. 

Et  certes  ie  ne  voy  rien  en  tout  ce  que  ie  viens  de  dire,  qui  ne 
foit  tres-aifé  à  connoiftre  par  la  lumière  naturelle  à  tous  ceux  qui 
voudront  y  penfer  foigneufement  ;  mais  lorfque  ie  relâche  quelque 
chofe  de  mon  attention,  mon  efprit  fe  trouuant  obfcurcy  &  comme 
aueuglé'par  les  images  des  chofes  fenfibles,  ne  fe  reifouui^nt  pas 
facilement  de  la  raifon  pourquoy  l'idée  que  i'ay  d'vn  eftre  plus  par- 
fait que  le  mien,  doit  neceffai rement  auoir  efté  mife  en  moy  par  vn 
eftre  qui  foit  en  effet  plus  parfait. 

53  I  C'eft  pourquoy  ie  veux  icy  pafl'er  outre,  &  confiderer  |  fi  moy- 
mefme,  qui  ay  cette  idée  de  Dieu,  ie  pourrois  eftre,  en  cas  qu'il  n'y 
euft  point  de  Dieu.  Et  ie  demande,  de  qui  aurois-je  mon  exiftence? 
Peut-eftre  de  moy-mefme,  ou  de  mes  parens,  ou  bien  de  quelques 
autres  caufes  moins  parfaites  que  Dieu  ;  car  on  ne  fe  peut  rien  ima- 
giner de  plus  parfait,  ni  mefme  d'égal  à  luy. 

Or,  fi  i'eftois  indépendant  de  tout  autre,  &  que  ie  fuffe  pioy- 
mefme  l'auteur  de  mon  eftre,  certes  ie  ne  douterojs  d'aucune  chofe, 
ie  ne  conceurois  plus  de  defirs,  &  enfin  il  ne  me  manqùeroit  au- 
cune perfection  ;  car  ie  me  ferois  donné  moy-mefme  toutes  celles 
dont  i'ay  en  moy  quelque  idée,  &  ainfi  ie  ferois  Dieu. 

Et  ie  ne  me  dois  point  imaginer  que  les  chofes  qui  me  manquent 
font  peut-eftre  plus  difficiles  à  acquérir,  que  celles  dont  ie  fuis  défia 
en  poffeflion  ;  car  au  contraire  il  eft  très-certain,  qu'il  a  eftè  beau- 
coup plus  difficile,  que  moy,  c'eft  à  dire  vne  chofe  ou  vne  fubftance 
qui  penfe,  fois  forty  du  néant,  qu'il  ne  me  feroit  d'acquérir  les 
lumières  &  les  connoifTances  de  plufieurs  chofes  que  i'ignore,  & 
qui  ne  font  que  des  accidens  de  cette  fubftance.  Et  ainfi  fans  diffi- 
culté, fi  ie  m'eftois  moy-mefme  donné  ce  plus  que  ie  viens  de  dire, 
c'eft  à  dire  fi  i'eftois  l'auteur  de  ma  naifîance  &  de  mon  exiftence,  ie 
ne  me  ferois  pas  priué  au  moins  des  chofes  qui  font  de  plus  facile 
acquifition,  à  fçauoir,  de  beaucoup  de  connoifl'ances  dont  ma  nature 

54  eft  dénuée  ;  ie  ne  me  ferois  pas  |  priué  non  plus  d'aucune  des  chofes 
qui  font  contenues  dans  l'idée  que  ie  conçoy  de  Dieu,  parce  qu'il 
n*y  en  a  aucune  qui  me  femble  de  plus  difficile  acquifiiion;  &  s'il 
y  en  auoit  quelqu'vne,  certes  elle  me  paroiftroit  telle  (fuppofé  que 
i'eulfe  de  moy  toutes  les  autres  chofes  que  ie  pofl"ede),  puifque 
i'expcrimenterois  que  ma  puiffance  s'y  termineroit,  &  ne  feroit  pas 
capable  d'y  arriucr. 

Et  encore  que  ie  puilîc  fuppofor  que  peut-eftre  i'ay  toufiours  efté 
comme  ie  fuis  maintenant,  ie  ne  fçaurois  pas  pour  cela  euiter  la  force 


48-50.  Méditations.  —  Troisième.  jç 

de  ce  raifonnement,  &  ne  laiffe  pas  de  connoiftre  qu'il  eft  necef- 
faire  que  Dieu  foit  l'auteur  de  mon  exiftence.  Car  tout  le  temps  de 
ma  vie  |  peut  élire  diuile  en  vne  infinité  de  parties,  chacune  def- 
quelles  ne  dépend  en  aucune  façon  des  autres;  &  ainfi,  de  ce  qu'vn 
peu  auparauant  i'ay  efté,  il  ne  s'enfuit  pas  que  ie  doiue  maintenant 
eftre,  û  ce  n'eft  qu'en  ce  moment  quelque  caufe  me  produife  &  me 
crée,  pour  ainfi  dire,  derechef,  c'eft  à  dire  me  conferue. 

En  effet  c'eft  vne  chofe  bien  claire  &  bien  euiderite  (à  tous  ceux 
qui  confidereront  auec  attention  la  nature  du  temps),  qu'vne  fub- 
ftance,  pour  eftre  conferuée  dans  tous  les  momens  qu'elle  dure,  a 
befoin  du  mefme  pouuoir  &  de  la  mefme  adion,  qui  feroit  neceffaire 
pour  la  produire  &  la  créer  tout  de  nouueau,  fi  elle  n'eftoit  point 
encore.  En  forte  que  la  lumière  naturelle  nous  fait  voir  clairement, 
que  la  conieruation  &  la  création  ne  différent  qu'au  regard  \  de  55 
noftre  façon  de  penfer,  &  non  point  en  effet.  Il  faut  donc  feulement 
icy  que  ie  m'interroge  moy-mefme,  pour  fçauoir  fi  ie  polTede  quelque 
pouuoir  &  quelque  vertu,  qui  foit  capable  de  faire  en  forte  que  moy, 
qui  fuis  maintenant,  fois  encor  à  l'auenir  :  car,  puifque  ie  ne  fuis 
rien  qu'vne  choie  qui  penfc  (ou  du  moins  puifqu'il  ne  s'agit  encor 
iufques  icy  precifement  que  de  cette  partie-là  de  moy-mefme),  fi 
vne  telle  puillance  refidoit  en  moy,  certes  ie  deurois  à  tout  le  moins 
le  penfer,  &  en  auoir  connoifiance  ;  mais  ie  n'en  reffens  aucune  dans 
moy,  &  par  là  ie  connois  euidemment  que  ie  dépens  de  quelque 
eftre  différent  de  moy. 

Peut-eftre  aufti  que  cet  eftre-là,  duquel  ie  dépens,  n'eft  pas  ce  que 
i'appelle  Dieu,  &  que  ie  fuis  produit,  ou  par  mes  parens,  ou  par 
quelques  autres  caufes  moins  parfaites  que  luy?  Tant  s'en  faut, 
cela  ne  peut  eftre  ainfi.  Car,  comme  i'ay  défia  dit  auparauant,  c'eft 
vne  chofe  tres-euidente  qu'il  doit  y  auoir  au  moins  autant  de  realité 
dans  la  caufe  que  dans  l'on  effet.  Et  partant,  puifque  ie  fuis  vne 
chofe  qui  penfe,  &  qui  ay  en  moy  quelque  idée  de  Dieu,  quelle  que 
foit  enfin  la  caufe  que  l'on  attribldë  à  ma  nature,  il  faut  neceffaire- 
ment  auoiier  qu'elle  doit  pareillement  eftre  vne  choie  qui  penfe,  & 
polfeder  en  foy  l'idée  de  toutes  les  perfedions  que  i'attribuë  à  la 
nature  Diuine.  Puis  l'on  peut  'derechef  rechercher  fi  cette  caufe 
tient  Ion  origine  &  fon  exiftence  Vie  iby-mefme,  ou  de  quelque  autre 
chofe.  Car  fi  elle  la  tient  de  |  iby-mefme»  il  s'enfuit,  par  les  raiibns  56 
que  i'ay  cy-deuant  alléguées,  qu'elle-mefme  doit  eftre  Dieu;  puii- 
qu'jayant  la  vertu  d'eftre  &  d'exifter  par  foy,  elle  doit  aufli  auoir  fans 
doute  la  puiflance  de  polfeder  actuellement  toutes  les  perfetflions 
dont  elle  conçoit  les  idées,  c'eft  à  dire  toutes  celles  que  ie  conçoy 


40  Œuvres  de  Descartes.  so-si. 

eftre  en  Dieu.  Que  fi  elle  tient  fon  exiftence  de  quelque  autre  caufe 
que  de  foy,  on  demandera  derechef,  par  la  mefme  raifon,  de  cette 
féconde  caufe,  fi  elle  eft  par  foy,  ou  par  autruy,  iufques  à  ce  que  de 
degrez  en  degrez  on  paruienne  enfin  à  vne  dernière  caufe  qui  fe 
trouuera  eftre  Dieu.  Et  il  eft  tres-manifefte  qu'en  cela  il  ne  peut  y 
auoir  de  progrez  à  l'infiny,  veu  qu'il  ne  s'agit  pas  tant  icy  de  la 
caufe  qui  m'a  produit  autresfois,  comme  de  celle  qui  me  çonferue 
pfefentement*. 

On  ne  peut  pas  feindre  aufli  que  peut-eftre  plufieurs  caufes  ont 
enfemble  concouru  en  partie  à  ma  produdion,  &  que  de  l'vne  i'ay 
receu  l'idée  d'vne  des  perfedions  que  i'attribuë  à  Dieu,  &  d'vne 
autre  l'idée  de  quelque  autre,  en  forte  que  toutes  ces  perfeétions  fe 
trouuent  bien  à  la  vérité  quelque  part  dans  l'Vniuers,  mais  ne  fe 
rencontrent  pas  toutes  iointes  &  affemblées  dans  vne  feule  qui  foit 
"Dieu.  Car,  au  contraire,  l'vnité,  la  fimplicité,  ou  l'inleparabilité  de 
toutes  les  chofes  qui  font  en  Dieu,  eft  vne  des  principales  per- 
fedions  que  ie  conçoy  eftre  en  luy;  &  certes  l'idée  de  cette  vnité 
&  alfemblage  de  toutes  les  perfedions  de  Dieu,  n'a  peu  eftre  mife 
67  en  moy  par  aucune  caufe,  de  qui  ie  n'aye  point  auffi  receu  |  les 
idées  de  toutes  les  autres  perfections.  Car  elle  ne  peut  pas  me  les 
auoir  fait  comprendre  enfemblement  iointes  &  infeparables,  fans 
auoir  fait  en  forte  en  mefme  temps  que  ie  fceuff^e  ce  qu'elles 
eftoient,  &  que  ie  les  connuffe  toutes  en  quelque  façon. 

Pour  ce  qui  regarde  mes  parens,  defquels  il  femble  que  ie  tire 
ma  nailfance,  encore  que  tout  ce  que  l'en  ay  iamais  peu  croire  foit 
véritable,  cela  ne  fait  pas  toutesfois  que  ce  foit  eux  qui  me  con- 
feruent,  ny  qui  m'ayent  fait  &  produit  en  tant  que  ie  fuis  vne  chofe 
qui  penfe,  puifqu'ils  ont  feulement  mis  quelques  difpofttions  dans 
cette  matière,  en  laquelle  ie  iuge  que  moy,  c'eft  à  dire  mon  efprit, 
lequel  feul  ie  prens  maintenant  pour  moy- mefme,  |  fe  trouue  ren- 
fermé; &  partant  il  ne  peut  y  auoir  icy  à  leur  égard  aucune  diffi- 
culté, mais  il  faut  neceliairement  conclure  que,  de  cela  feul  que 
i'exifte,  &  que  l'idée  d'vn  eftre  Ibuuerainement  parfait  (c'eft  à  dire 
de  Dieu)  eft  en  moy,  l'exiftence  de  Dieu  eft  tres-euidemment  de- 
monftrée. 

Il  me  refte  feulement  à  examiner  de  quelle  façon  i'ay  acquis  cette 
idée.  Car  ie  ne  I'ay  pas  receu(i  par  les  fens,  &  iamais  elle  ne  s'eft 
offerte  à  moy  contre  mon  attente,  ainfi  que  font  les  idées  des  chofes 
fenfibles,  lorfque  ces  choies  fe  prefentcnt  ou  femblent  fc  prefenter 

a.  Nc^n  à  la  ligne. 


.s..v«  Méditations.  —  Troisième.  41 

«tix  organes  extérieurs  de  mes  fens.  Elle  n'eft  pas  aufli  vne  pure 
produdion  ou  fiction  de  mon  efprit  ;  car  il  n'eft  pas  en  mon  pou- 
uoir  d'y  diminuer  ny  d'y  adioufter  aucune  chofe.  Et  par  conlequent 
il  ne  refte  plus  autre  chofe  à  dire,  finon  que,  comme  l'idée  de  moy- 
|mefme,  elle  eft  née  &  produite  auec  moy  dés  lors  que  i'ay  efté  créé.     5{ 

Et  certes  on  ne  doit  pas  trouuer  eftrange  que  Dieu,  en  me 
créant,  ait  mis  en  moy  cette  idée  pour  eftre  comme  la  marque  de 
l'ouurier  emprainte  fur  fon  ouurage  ;  &  il  n'eft  pas  aufli  neceffaire 
que  cette  marque  foit  quelque  chofe  de  différent  de  ce  mefme 
ouurage.  Mais  de  cela  feul  que  Dieu  m'a  créé,  il  eft  fort  croyable 
qu'il  m'a  en  quelque  façon  produit  à  fon  image  &  femblance,  & 
que  ie  conçoy  cette  relfemblance  (dans  laquelle  l'idée  de  Dieu  fe 
trouue  contenue)  par  la  mefme  faculté  par  laquelle  ie  me  conçoy 
moy-mefme;  c'eft  à  dire  que,  lorfque  ie  fais  reflexion  fur  moy,  non 
feulement  ie  co'nnois  que  ie  fuis  vne  chofe  imparfaite,  incomplète, 
&  dépendante  d'autruy,  qui  tend  &  qui  afpire  fans  ceffe  à  quelque 
chofe  de  meilleur  &  de  plus  grand  que  ie  ne  fuis,  mais  ie  connois 
aufli,  en  mefme  temps,  que  celuy  duquel  ie  dépens,  poffede  en  foy 
toutes  ces  grandes  chofes  aufquelles  i'afpire,  &  dont  ie  trouue  en 
moy  les  idées,  non  pas  indéfiniment  &  feulement  en  puiffance, 
mais  qu'il  en  iotiit  en  effed,  actuellement  &  infiniment,  &  ainfi 
qu'il  eft  Dieu.  Et  toute  la  force  de  l'argument  dont  i'ay  icy  vfé 
pour  prouuer  l'exiftcnce  de  Dieu,  confifte  en  ce  que  ie  reconnois 
qu'il  ne  feroit  pas  poflible  |  que  ma  nature  fuft  telle  qu'elle  eft,  c'eft 
à  dire  que  i'eufl'e  en  moy  l'idée  d'vn  Dieu,  fi  Dieu  n'exiftoit  veriia- 
blement;  ce  mefme  Dieu,  dif-je,  duquel  l'idée  eft  en  moy,  c'eft  à 
dire  qui  poffede  toutes  ces  |  hautes  perfections,  dont  noftre  efprit  5 
peut  bien  auoir  quelque  idée  fans  pourtant  les  comprendre  toutes, 
qui  n'eft  fujet  à  aucuns  defl'auts,  &  qui  n'a  rien  de  toutes  les  chofes 
qui  marquent  quelque  imperfection. 

D'où  il  eft  afl'ez  euident  qu'il  ne  peut  eftre  trompeur,  puifque  la 
lumière  naturelle  nous  enfeigne  que  la  tromperie  dépend  neceffai- 
rement  de  quelque  deÉfaut. 

Mais,  auparauant  que  l'examine  cela  plus  foigneufement,  &  que 
ie  pafle  à  la  confideration  des  autres  veritez  que  l'on  en  peut  re- 
cueillir, il  me  femble  très  à  propos  de  m'arrefter  quelque  temps  à 
la  contemplation  de  ce  Dieu  tout  parfait,  de  pefer  tout  à  loifir  fes 
merueilleux  attributs,  de  confiderer,  d'admirer  &  d'adorer  l'incom- 
parable beauté  de  cette  immenfe  lumière,  au  moins  autant  que  la 
force  de  mon  efprit,  qui  en  demeure  en  quelque  forte  éblouy,  me  le 
poura  permettre. 


4Z  Œuvres  de  Descartes.  52-53. 

Car,  comme  la  foy  nous  apprend  que  la  fouueralne  félicité  de 
l'autre  vie  ne  confifte  que  dans  cette  contemplation  de  la  Majefté 
diuine,  ainfi  experimentons-nous  dés  maintenant,  qu'vne  femblable 
méditation,  quoy  qu'incomparablement  moins  parfaite,  nous  fait 
ioUir  du  plus  grand  contentement  que  nous  foyons  capables  de 
reflentir  en  cette  vie. 


•0  I  Méditation    quatrième. 

Du  vray  &  du  faux. 

le  me  fuis  tellement  accouftumé  ces  iours  paffez  à  détacher  mon 
efprit  des  fens,  &  i'ay  fi  exadement  remarqué  qu'il  y  a  fort -peu  dé 
chofes  I  que  l'on  connoiffe  auec  certitude  touchant  les  chofes  corpo- 
relles, qu'il  y  en  a  beaucoup  plus  qui  nous  font  connues  touchant 
l'efprit  humain,  &  beaucoup  plus  encore  de  Dieu  mefme,que  main- 
tenant ie  deftourneray  fans  aucune  difficulté  ma  penfée  de  la  confi- 
derâtion  des  chofes  fenfibles  ou  imaginables,  pour  la  porter  à  celles 
qui,  eftant  dégagées  de  toute  matière,  font  purement  intelligibles. 

Et  certes  l'idée  que  i'ay  de  l'efprit  humain,  en  tant  qu'il  eft  vne 
chofe  qui  penfe,  &  non  eftenduë  en  longueur,  largeur, &  profon- 
61  deur,  &  qui  ne  participe  à  |  rien  de  ce  qui  appartient  au  coi'ps, 
eft  incomparablement  plus  diftinéle  que  l'idée  d'aucune  chofe  cor- 
porelle. Et  lorfque  ie  confidere  que  ie  doute,  c'eft  à  dire  que  ie  fuis 
vne  chofe  incomplète  &  dépendante,  l'idée  d'vn  eftre  complet  & 
indépendant,  c'eft  à  dire  de  Dieu,  fe  prefente  à  mon  efprit  auec  tant 
de  diftindion  &  de  clarté  ;  &  de  cela  feul  que  cette  idée  fe  retrouue 
en  moy,  ou  bien  que  ie  fuis  ou  exifte,  moy  qui  poffede  cette  idée,  ie 
conclus  fi.euidemment  l'exiftence  de  Dieu,  "&  que  la  mienne  dé- 
pend entièrement  de  luy  en  tous  les  momens  de  ma  vie,  que  ie  ne 
penfe  pas  que  l'efprit  humain  puiffe  rien  connoiftre  auec  plus  d'eui- 
dence  &  de  certitude.  Et  defia  il  me  femble  que  ie  découure  vn 
chemin  qui  nous  conduira  de  cette  contemplation  du  vray  Dieu 
(dans  lequel*  tous  les  trefors  de  la  fcience  &  de  la  fageffe  font  ren- 
fermez) à  la  connoilfance  des  autres  chofes  de  l'Vniuers. 

Car,  premièrement,  ie  reconnois  qu'il  eft  impoffible  que  iamais  il 

t.  «  Laquelle  »  (i"  édii.).  «  Lequel  »  (î«  édit.  et  suiv.). 


53-55.  Méditations.  —  Quatrième.  41 

me  trompe,  puifqu'en  toute  fraude  &  tromperie  il  fe  rencontre 
quelque  forte  d'imperfe(5tion .  Et  quoy  qu'il  femble  que  pouuoir 
tromper  foit  vne  marque  de  fubtilité,  ou  de  puiffance,  toutesfois 
vouloir  tromper  témoigne  fans  doute  de  la  foiblelîe  ou  de  la  ma- 
lice. Et,  partant,  cela  ne  peut  fe  rencontrer  en  Dieu. 

En  après  l'expérimente  en  moy-mefme  vne  certaine  puiffance  de 
iuger,  laquelle  fans  doute  i'ay  receuë  de  Dieu,  de  mefme  que  tout 
le  refte  des  chofes  que  ie  |  pofTede;  |  &  comme  il  ne  voudroit  pas  62 
m'abufer,  il  eft  certain  qu'il  ne  me  l'a  pas  donnée  telle  que  ie 
puiffe  iamais  faillir,  lorfque  l'en  vferay  comme  il  faut.  Et  il  ne 
refteroit  aucun  doute  de  cette  vérité,  fi  l'on  n'en  pouuoit,  ce  fembie, 
tirer  cette  confequence,  qu'ainfi  donc  ie  ne  me  puis  iamais  trom- 
per; car,  fi  ie  tiens  de  Dieu  tout  ce  que  ie  poffede,  &  s'il  ne  m'a 
point  donné  de  puiffance  pour  faillir,  il  femble  que  ie  ne  me  doiue 
iamais  abufer.  Et  de  vray,  lors  que  ie  ne  penfe  qu'à  Dieu,  ie  ne 
découure  en  moy  aucune  caufe  d'erreur  ou  de  fauffeté  ;  mais  puis 
après,  reuenant  à  moy,  l'expérience  me  fait  connoiftre  que  ie  fuis 
neantmoins  fujet  à  vne  infinité  d'erreurs,  defquelles  recherchant  la 
caufe  de  plus  prés,  ie  remarque  qu'il  ne  fe  prefente  pas  feulement  à 
ma  penfée  vne  réelle  &  pofitiue  idée  de  Dieu,"  ou  bien  d'vn  eftre 
fouuerainement  parfait,  mais  aufli,  pour  ainfi  parler,  vne  certaine 
idée  negatiue  du  néant,  c'eft  à  dire  de  ce  qui  eft  infiniment  éloigné 
de  toute  forte  de  perfection;  &  que  ie  fuis  comme  vn  milieu  entre 
Dieu  8t  le  néant,  c'eft  à  dire  placé  de  telle  forte  entre  lé  fouuerain 
eftre  &  le  non  eftre,  qu'il  ne  fe  rencontre,  de  vray,  rien  en  moy  qui 
me  puiffe  conduire  dans  l'erreur,  en  tant  qu'vn  fouuerain  eftre  m'a 
produit;  mais  que,  fi  ie  me  confidere  comme  participant  en  quelque 
façon  du  néant  ou  du  non  eftre,  c'eft  à  dire  en  tant  que  ie  fieYuis 
pas  moy-mefme  le  fouuerain  eftre,  ie  me  trouue  expofé  à  vne  in- 
finité de  manquemens,  de  façon  que  ie  ne  nie  dois  pas  eftonner  fi 
ie  me  trompe. 

j  Ainfi  ie  connois  que  l'erreur,  en  tant  que  telle,  n'eft  pas  quelque  63 
chofe  de  réel  qui  dépende  de  Dieu,  mais  que  c'eft  feulement  vn 
défaut  ;  &  pariant,  que  ie  n'ay  pas  befoin  pour  faillir  de  quelque 
puiffance  qui  m'ait  efté  donnée  de  Dieu  particulièrement  (jour  cet 
effed,  mais  qu'il  arriue  que  ie  me  trompe,  de  ce  que  la  puiffance 
que  Dieu  m'a  donnée  pour  difcemer  le  vray  d'auec  le  faux,  n'eft  pas 
en  moy  infinie. 

Toutesfois  cela  ne  me  fatisfait  pas  encore  tout  à  fait;  |  car  l'er- 
reur n'eft  pas  vne  pure  négation,  c'eft  à  dire,  n'eft  pas  le  fimple 
défaut  ou  manquement  de  quelque  perfedion  qui  ne  m'eft  point 


44  Œuvres  de  Descartes.  5506. 

deuë,  mais  plutoft  eft  vne  priuation  de  quelque  connoiffance  qu'il 
femble  que  ie  deurois  polfeder.  Et  confiderant  la  nature  de  Dieu, 
il  ne  me  femble  pas  poiïible  qu'il  m'ait  donné  quelque  faculté  qui 
foit  imparfaite  en  fon  genre,  c'eft  à  dire,  qui  manque  de  quelque 
perfedion  qui  luy  foit  deuë  ;  car  s'il  eft  yray  que  plus  l'artilan  eft 
expert,  plus  les  ouurages  qui  fortent  de  fes  mains  font  parfaits  & 
accomplis,  quel  eftre  nous  imaginerons-nous  auoir  efté  produit  par 
ce  Ibuuerain  Créateur  de  toutes  chofes,  qui  ne  foit  parfait  &  en- 
tièrement acheué  en  toutes  fes  parties?  Et  certes  il  n'}'  a  point  de 
doute  que  Dieu  n'ait  peu  me  créer  tel  que  ie  ne  me  peuiîe  iamais 
tromper;  il  eft  certain  aufti  qu'il  veut  toufiours  ce  qui  eft  le  meil- 
leur: m'eft-il  donc  plus  auantageux  de  faillir,  que  de  ne  point  faillir? 
Confiderant  cela  auec  plus  d'attention,  il  me  vient  d'abord  en  la 

64  penfée  que  ie  ne  me  dois  point  eftonjner,  û  mon  intelligence  n'eft 
pas  capable  de  comprendre  pourquoy  Dieu  fait  ce  qu'il  fait,  & 
qu'ainfi  ie  n'ay  aucune  raifon  de  douter  de  fon  exiftence,  de  ce  que 
peut-eftre  ie  voy  par  expérience  beaucoup  d'autres  chofes,  fans 
pouuoir  comprendre  pour  quelle  raifon  ny  comment  Dieu  les  a 
produites.  Car,  fçachant  defia  que  ma  nature  eft  extrêmement  foible 
&  limitée,  &  au  contraire  que  celle  de  Dieu  eft  immenfe,  incom- 
prehenfible,  &  infinie,  ie  n'ay  plus  de  peine  à  reconnoiftre  qu'il  y  a 
vne  infinité  de  chofes  en  fa  puiffance,  defquelles  les  caufes  fur- 
paffent  la  portée  de  mon  efprit.  Et  cette  feule  raifon  eft  fuffifante 
pour  me  perfuader  que  tout  ce  genre  de  caufes,  qu'on  a  couftume 
de  tirer  de  la  fin,  n'eft  d'aucun  vfage  dans  les  chofes  Phyfiques,  ou 
naturelles  ;  car  il  ne  me  femble  pas  que  ie  puiff"e  fans  témérité 
rechercher  &  entreprendre  de  découurir  les  fins  impénétrables  de 
Dieu. 

De  plus  il  me  tombe  encore  en  l'efprit,  qu'on  ne  doit  pas  confi- 
derer  vne  feule  créature  feparement,  lorfqu'on  recherche  fi  les 
ouurages  de  Dieu  font  parfaits,  mais  généralement  toutes  les  créa- 
tures enfemble.  Car  la  mefme  chofe  qui  pourroit  peut-eftre  auec 
quelque  forte  de  raifon  fembler  fort  )  imparfaite,  û  elle  eftoit  toute 
feule,  fe  rencontre  tres-parfaite  en  fa  nature,  fi  elle  eft  regardée 
comme  partie  de  tout  cet  Vniuers.  Et  quoy  que,  depuis  que  i'ay  fait 
deffein  de  douter  de  toutes  chofes,    ie  n'ay  connu  certainement 

W  que  mon  exiftence  &  celle  de  Dieu,  |  toutesfois  aufti,  depuis  que  i'ay 
reconnu  l'infinie  puiffance  de  Dieu,  ie  ne  fçaurois  nier  qu'il  n'ait 
produit  beaucoup  d'autres  chofes,  ou  du  moins  qu'il  n'en  puid'e 
produire,  en  forte  que  i'exifte  &  fois  placé  dans  le  monde,  comme 
faifant  partie  de  rvniuerf(al)ité  de  tou§  les  eftres. 


56-57.  Méditations.  —  Quatrième.  45^ 

En  fuite  de  quoy,  me  regardant  de  plus  prés,  &  confiderant 
quelles  font  mes  erreurs  (lefquelles  feules  témoignent  qu'il  y  a  en 
moy  de  l'imperfeélion),  ie  trouue  qu'elles  dépendent  du  concours 
de  deux  caufes,  à  fçauoir,  de  la  puifl'ance  de  connoiltre  qui  elt  en 
moy,  &  de  la  puifl'ance  d'élire,  ou  bien  de  mon  libre  arbitre  :  c'eft 
à  dire,  de  mon  entendement,  &  enfemble  de  ma  volonté.  Car  par 
l'entendement  feul  ie  n'aifeure  ny  ne  nie  aucune  chofe,  mais  ie 
conçoy  feulement  les  idées  des  choies,  que  ie  puis  affeurer  ou  nier. 
Or,  en  le  confiderant  ainli  precifément,  on  peut  dire  qu'il  ne  fe 
trouue  iamais  en  luy  aucune  erreur,  pourueu  qu'on  prenne  le  mot 
d'erreur  en  fa  propre  fignificatiqn.  Et  encore  qu'il  y  ait  peut-eftre 
vne  infinité  de  chofes  dans  le  monde,  dont  ie  n'ay  aucune  idée  en 
mon  entendement,  on  ne  peut  pas  dire  pour  cela  qu'il  foit  priué  de 
ces  idées,  comme  de  quelque  chofe  qui  foit  deuë  à  fa  nature,  mais 
feulement  qu'il  ne  les  a  pas  ;  parce  qu'en  effet  il  n'y  a  aucune 
raifon  qui  puilfe  prouuer  que  Dieu  ait  deu  me  donner  vne  plus 
grande  &  plus  ample  faculté  de  connoillre,  que  celle  qu'il  m'a 
donnée;  &,  quelque  adroit  &  fçauant  ouurier  que  ie  me  le  repre- 
fente,  ie  ne  dois  |  pas  pour  cela  penfer  qu'il  ayt  deu  mettre  dans 
chacun  de  fes  ouurages  toutes  les  perfedions  qu'il  peut  mettre 
dans  quelques-vns.  le  ne  puis  pas  aulli  me  plaindre  que  Dieu  ne 
m'a  pas  donné  vn  libre  arbitre,  ou  vne  volonté  allez  ample  &  par- 
faite, puifqu'en  effet  ie  l'expérimente  fi  vague  &  fi  étendue,  qu'elle 
n'eft  renfermée  dans  aucunes  bornes.  Et  ce  qui  me  fcmble  bien 
remarquable  en  cet  endroit,  efi  que,  j  de  toutes  les  autres  chofes  qui 
font  en  moy,  il  n'y  en  a  aucune  fi  parfaite  &  fi  eflenduë,  que  ie  ne 
reconnoifl'e  bien  qu'elle  pouroit  eftre  encore  plus  grande  &  plus 
parfaite.  Car,  par  exemple,  fi  ie  confidere  la  faculté  de  conceuoir" 
qui  eft  en  moy,  ie  trouue  qu'elle  efl  d'vne  fort  petite  étendue, 
&  grandement  limitée,  &  tout  enfemble  ie  me  reprefente  l'idée 
d'vne  autre  faculté  beaucoup  plus  ample,  &  mefme  infinie;  &  de 
cela  feul  que  ie  puis  me  reprefcnter  fon  idée,  ie  connois  fans  diffi- 
culté qu'elle  appartient  à  la  nature  de  Dieu.  En  mefme  façon,  fi 
l'examine  la  mémoire,  ou  l'imagination,  ou  quelqu'autre  puiffance, 
ie  n'en  trouue  aucune  qui  ne  foit  en  moy  très-petite  &  bornée,  & 
qui  en  Dieu  ne  foit  immenfe  &  infinie.  Il  n'y  a  que  la  feule  volonté, 
que  l'expérimente  en  moy  eftre  fi  grande,  que  ie  ne  conçoy  point 
l'idée  d'aucune  autre  plus  ample  &  plus  étendue  :  en  forte  que 
c'eft  elle  principalement  qui  me  fait  connoiftre  que  ie  porte  l'image 
&  la  reffemblance  de  Dieu.  Car,  encore  qu'elle  foit  incomparable- 
ment plus  grande  dans  Dieu,  que  dans  moy,  foit  à  raifon  dç  la 


.   4-^  OEuvRES  DE  Descartes.  57-58. 

67  con|noiflance  &  de  la  puiffance,  qui  s'y  trouuànt  iointes  la  rendent 
plus  ferme  &  plus  efficace,  foit  à  raifon  de  l'objet,  d'autant  qu'elle 
fe  porte  &  s'eftend  infiniment  à  plus  de  chofes;  elle  ne  me  femble 
pas  toutesfois  plus  grande,  û  ie  la  confider«î  formel,lemeTit  &  pre- 
cifement  en  elle-mefme.  Car  elle  confifte  feulement  en  ce  que  nous 
pouuons  faire  vne  chofe,  ou  ne  la  faire  pas  (c'eft  à  dire  affirmer  ou 
nier,  pourfuiure  ou  fuir),  ou  pluftofl.  feulement  en  ce  que,  pour 
affirmer  ou  nier,  pourfuiure  ou  fuir  les  chofes  que  l'entendement 
nous  propofe,  nous  agiffons  en  telle  forte  que  nous  ne  fentons 
point  qu'aucune  force  extérieure  nous  y  contraigne.  Car,  afin  que 
ie  fois  libre,  il  n'eft  pas  neceffaire  que  ie  fois  indiffèrent  à  choifir 
l'vn  ou  l'autre  des  deux  contraires;  mais  plutoft,  d'autant  plus  que 
ie  panche  vers  l'vn,  foit  que  ie  connoiffe  euidemment  que  |  le  bien 
&  le  vray  s'y  rencontrent,  foit  que  Dieu  difpofe  ainfi  l'intérieur  de 
ma  penfée,  d'autant  plus  librement  l'en  fais  choix  &  ie  l'embraffe. 
Et  certes  la  grâce  diuine  &  la  connoiffance  naturelle,  bien  loin  de 
diminuer  ma  liberté,  l'augmentent  pluftoft,  &  la  fortifient.  De  façon 
que  cette  indifférence  que  ie  fens,  lorfque  ie  ne  fuis  point  emporté 
vers  vn  cofté  pluftoft  que  vers  vn  autre  par  le  poids  d'aucune  raifon, 
eft  le  plus  bas  degré  de  la  liberté,  &  fait  plutoft  paroiftre  vn  défaut 
dans  la  connoiffance,  qu'vne  perfection  dans  la  volonté;  car  fi  ie 
connoiffois  toufiours  clairement  ce  qui  eft  vray  &  ce  qui  eft  bon,  ie 

98  ne  ferois  iamais  en  peine  |  de  délibérer  quel  iugement  &  quel  choix 
ie  deurqis  faire  ;  &  ainfi  ie  ferois  entièrement  libre,  fans  iamais 
eftre  indiffèrent. 

De  tout  cecy  ie  reconnois  que,  ny  la  puiffance  de  vouloir,  la- 
quelle i'ay  receuë  de  Dieu,  n'eft  point  d'elle-mefme  la  caufe  de  mes 
erreurs,  car  elle  eft  tres-ample  &  tres-parfaite  en  fon  efpece  ;  ny 
aulTi  la  puifl"ance  d'entendre  ou  de  conceuoir  :  car  ne  conceuant 
rien  que  par  le  moyen  de  cette  puiffance  que  Dieu  m'a  donnée 
pour  conceuoir,  fans  doute  que  tout  ce  que  ie  conçoy,  ie  le  conçoîy' 
comme  il  faut,  &  il  n'eft  pas  poffîble  qu'en  cela  ie  me  trompe. 
D'<»ù  eft-ce  donc  que  naiffent  mes  erreurs?  C'eft  à  fçauoir,  de  cela 
fcul  que,  la  volonté  eftant  beaucoup  plus  ample  &  plus  étendue 
que  l'entendement,  ie  ne  la  contiens  pas  dans  les  mefmes  limitée,^ 
mais  que  ie  l'eftens  auffi  aux  chofes  que  ie  n'entens  pas;  aufquelles 
eftant  de  foy  indifférente,  elle  s'égare  fort  aifement,  &  choifit  le 
mal  pour  le  bien,  ou  le  faux  pour  le  vray.  Ce  qui  fait  que  ie  me 
trompe  &  que  ie  pechc. 

Par  exemple,  examinant  ces  iours  paffcz  fi  quelque  chofe  exiftoit 
dans  le  monde,  &  connoiffant  que,  de  cela  feul  que  i'examinois. 


58-60.  Méditations.  —  Quatrième.  47 

cette  quèftion,  il  fuiuoit  tres-euidemment  que  i'exiftois  moy-mefme, 
ie  ne  pouuois  pas  m'empefcher  de  iuger  qu'Vne  chofe  que  ie  conce- 
uois  fi  clairement  eftoit  vraye,  non  que  |  ie  m'y  trouuaffe  forcé  par 
aucune  cauXe  extérieure,  mais  feulement,  parce  que  d'vne  grande 
clarté  qui  eftoit  en  mon  entendement,  a  fuiuy  vne  grande  inclina- 
|tion  en  ma  volonté  ;  &  ie  me  fuis  porté  à  croire  auec  d'autant  plus  69 
de  liberté,  que  ie  me  fuis  trouué  auec  moins  d'indifférence.  Au 
contraire,  à  prefent  ie  ne  connois  pas  feulement  que  i'exifte,  en  tant 
que  ie  fuis  quelque  chofe  qui  penfe,  mais  il  fe  prefente  auffi  à  mon 
efprit  vne  certaine  idée  de  la  nature  corporelle  :  ce  qui  fait  que  ie 
doute  fi  cette  nature  qui  penfe,  qui  efi:  en  moy,  ou  plutoft  par  la- 
quelle ie  fuis  ce  que  ie  fuis,  eft  différente  de  cette  nature  corporelle, 
ou  bien  fi  toutes  deux  ne  font  qu'vne  mefme  chofe.  Et  ie  fuppofe  icy 
que  ie  ne  connois  encore  aucune  raifon,  qui  me  perfuade  pluftoft 
l'vn  que  l'autre  :  d'où  il  fuit  que  ie  fuis  entièrement  indiffèrent  à  le 
nier,  ou  à  l'affurer,  ou  bien  mefme  à  m'abftenir  d'en  donner  aucun 
iugement. 

Et 'Cette  indifférence  ne  s'étend  pas  feulement  aux  chofes  dont 
l'entendement  n'a  aucune  connoiffance,  mais  généralement  auffi  à 
toutes  celles  qu'il  ne  découure  pas  auec  vne  parfaite  clarté,  au 
moment  que  la  volonté  en  délibère  ;  car,  pour  probables  que  foyent 
les  conieélures  qui  me  rendent  enclin  à  iuger  quelque  chofe,  la  feule 
connoiffance  que  i'ay  que  ce  ne  font  que  des  conieétures,  &  non  des 
Taifons  certaines  &  indubitables,  fuffit  pour  me  donner  occafion  de 
iuger  le  contraire.  Ce  que  i'ay  fuffifamment  expérimenté  ces  iours 
paffez,  lorfque  i'ay  pofé  pour  faux  tout  ce  que  i'auois  tenu  aupa- 
rauant  pour  tres-veritable,  pour  cela  feul  que  i'ay  remarqué  que 
l'on  en  pouuoit  douter  en  quelque  forte. 

|Or  fi  ie  m'abftiens  de  donner  mon  iugement  fur  vne  chofe,  W 
lorfque  ie  ne  la  conçoy  pas  auec  affez  de  clarté  &  de  diflindion,  il 
efl  euident  que  i*en  vfe  fort  bien,  &  que  ie  ne  fuis  point  trompé  ; 
mais  fi  ie  me  détermine  à  la  nier,  ou  affeurer,  alors  ie  ne  nie  fers 
plus  comme  ie  dois  de  mon  libre  arbitre  ;  &  I  fi  i'affure  ce  qui  n'efl 
pas  vray,  il  eft  euident  que  ie  me  trompe,  mefme  auffi,  encore  que 
ie  iuge  félon  la  vérité,  cela  n'arriue  que  par  hazard,  &  ie  ne  laiffe 
pas  de  faillir,  &  d'vfer  mal  de  mon  litjre  arbitre';  car  la  lumière  na- 
turelle nous  enfeigne  que  la  connoiffance  de  l'entendement  doit 
toufiours  précéder  la  détermination  de  la  volonté.  Et  c'efl  dans  ce 
mauuais  vfage  du  libre  arbitre,  que  fe  rencontre  la  priuation  qui 


4^  Œuvres  de  Descartes.  60-61. 

conftituë  la  forme  de  l'erreur.  La  priuation,  dif-je,  fe  rencontre 
dans  l'opération,  en  tant  qu'elle  procède  de  moy  ;  mais  elle  ne  fe 
trouue  pas  dans  la  puiffance  que  i'ay  receuë  de  Dieu,  ny  mefme 
dans  l'opération,  en  tant  qu'elle  dépend  de  luy.  Car  ie  n'ay  certes 
aucun  fujet  de  me  plaindre,  de  ce  que  Dieu  ne  m'a  pas  donné  vne 
intelligence  plus  capable,  ou  vne  lumière  naturelle  plus  grande 
que  celle  que  ie  tiens  de  luy,  puifqu'en  effet  il  eft  du  propre  de 
l'entendement  finy,  de  ne  pas  comprendre  vne  infinité  de  chofes,  & 
du  propre  d'vn  entendemant  créé  d'eftre  finy  :  mais  i'ay  tout  fujet 
de  luy  rendre  grâces,  de  ce  que,  ne  m'ayant  iamais  rien  deu,  il  m'a 
neantmoins  donné  tout  le  peu  de  perfections  qui  eft  en  moy  ;  bien 
loin  de  conceuoir  des  fentiments   fi  iniuftes,  que   de  m'imaginer 

71  qu'il  I  m'ait  ofté  ou  retenu  iniuftement  les  autres  perfedions  qu'il 
ne  m'a  point  données.  le  n'ay  pas  aufli  fujet  de  me  plaindre,  de 
ce  qu'il  m'a  donné  vne  volonté  plus  étendue  que  l'entendement, 
puifque,  la  volonté  ne  confiftant  qu'en  vne  feule  chofe,  &  fon  fujet 
eftant  comme  indiuifible,  il  femble  que  fa  nature  eft  telle  qu'on  ne 
luy  fçauroit  rien  ofter  fans  la  deftruire;  &  certes  plus  elle  fe  trouue 
eftre  grande,  &  plus  i'ay  à  remercier  la  bonté  de  celuy  qui  me  l'a 
donnée.  Et  enfin  ie  ne  dois  pas  aufli  me  plaindre,  de  ce  que  -Dieu 
concourt  auec  moy  pour  former  les  ades  de  cette  volonté,  c'eft  à 
dire  les  iugemens.  dans  lefquels  ie  me  trompe,  parce  que  ces  ades- 
là  font  entièrement  vrays,  &  abfolument  bons,  en  tant  qu'ils  dé- 
pendent de  Dieu  ;  &  il  y  a  en  quelque  forte  plus  de  perfection  en 
ma  nature,  de  ce  que  ie  les  puis  former,  que  fi  ie  ne  le  pouuois  pas. 
Pour  la  priuation,  dans  laquelle  feule  |  confifte  la  raifon  formelle  de 
l'erreur  &  du  péché,  elle  n'a  befoin  d'aucun  concours  de  Dieu, 
puifque  ce  n'eft  pas  vne  chofe  ou  vn  eftre,  &  que,  fi  on  la  rapporte 
à  Dieu  comme  à  fa  caufe,  elle  ne  doit  pas  eftre  nommée  priuation, 
mais  feulement  négation,  félon  la  fignification  qu'on  donne  à  ces 
mots  dans  l'Efchole. 

Car  en  effcd  ce  n'eft  point  vne  imperfection  en  Dieu,  de  ce  qu'il 
m'a  donné  la  liberté  de  donner  mon  iugement,  ou  de  ne  le  pas 
donner,  fur  certaines  chofes  dont  il  h'a  pas  mis  vne  claire  &  diftinCte 

72  connoiffance  en  mon  entendement;  mais  fans  doute  |  c'eft  en  moy 
vne  imperfection,  de  ce  que  ie  n'en  vfe  pas  bien,  &  que  ie  donne 
témérairement  mon  iugement,  fur  des  chofes  que  ie  ne  conçoy 
qu'auec  obfcurité  ^t  confufion. 

le  voy  neantmoins  qu'il  eftoit  aifé  à  Dieu  de  faire  en  forte  que 
le  ne  me  trompalfe  iamais,  quoy  que  ie  demeuraffe  libre,  &  d'vne 
connoiifance  bornée,  à  fçauoir,  <"n  donnant  à  mon  entendement 


6 '-62.  Méditations.  —  Quatrième.  49 

vne  claire  &  diftinde  intelligence  de  toutes  les  chofes  dont  ic  dcuois 
iamais  délibérer,  ou  bien  feulement  s'il  euft  fi  profondément  graiic 
dans  ma  mémoire  la  refolution  de  ne  iuger  iamais  d'aucune  chofe 
fans  la  conceuoir  clairement  &  diftinôtement,  que  ie  ne  la  peullc 
iamais  oublier.  Et  ie  remarque  bien  qu'en  tant  que  ie  me  confi- 
dere  tout  feul,  comme  s'il  n'y  auoit  que  moy  au  monde,  i'aurois 
efté  beaucoup  plus  parfait  que  ie  ne  fuis,  fi  Dieu  m'auoit  créé  tel 
que  ie  ne  faillifle  iamais.  Mais  ie  ne  puis  pas  pour  cela  nier,  que  ce 
ne  foit  en  quelque  façon  vne  plus  grande  perfection  dans  tout 
rVniuers,  de  ce  que  quelques  vnes  de  fes  parties  ne  font  pas 
exemptes  de  deffaut,  que  fi  elles  elloient  toutes  femblables.  Et  ie 
n'ay  aucun  droit  de  me  plaindre,  fi  Dieu,  m'ayant  mis  au  monde, 
n'a  pas  voulu  me  mettre  au  rang  des  chofes  les  plus  nobles  &  les 
plus  parfaites;  mefme  i'ay  fujet  de  me  contenter  de  ce  que,  s'il  ne 
m'a  pas  donné  la  vertu  de  ne  point  faillir,  par  le  premier  moyen  que 
i'ay  cy-deffus  déclaré,  qui  dépend  d'vne  claire  &  éuidente  con- 
noiffance  de  toutes  les  chofes  dont  ie  puis  délibérer,  |  il  a  au  moins  73 
laiffé  en  ma  puiffance  l'autre  moyen,  qui  ell  |  de  retenir  fermement  la 
refolution  de  ne  iamais  donner  mon  iugement  fur  les  chofes  dont  la 
vérité  ne  m'eft  pas  clairement  connut'.  Car  quoy  que  ie  remarque 
cette  foiblelfe  en  ma  nature,  que  ie  ne  puis  attacher  continuellement 
mon  efprit  à  vne  mefme  penfée,  ie  puis  toutesfois,  par  une  médita- 
tion attentiue  &  fouuent  réitérée,  me  l'imprimer  li  fortement  en  la 
mémoire,  que  ie  ne  manque  iamais  de  m'en  relfouuenir,  toutes  les 
fois  que  l'en  auray  befoin,  &  acquérir  de  cette  façon  l'habitude  de 
ne  point  faillir.  Et,  d'autant  que  c'eil  en  cela  que  conlifie  la  pius 
grande  &  principale  perfection  de  l'homme,  i'elHme  n'auoir  pas 
peu  gagné  par  cette'  Méditation,  que  d'auoir"  découu'jit  la  caufe 
des  fauffeiez  &  des  erreurs. 

Et  certes  il  n'y  en  peut  auoir  d'autre  que  celle  que  i'ay 
expliquée  ;  car  toutes  les  fois  que  ie  retiens  tellement  ma  volonté 
dans  les  bornes  de  ma  connoiffance,  qu'elle  ne  fait  aucun  iugement 
que  des  chofes  qui  luy  font  clairement  &  diltindement  reprefentées 
par  l'entendement,  il  ne  fe  peut  faire  que  ie  me  trompe;  parce  que 
toute  conception  claire  &  diltinde  eft  fans  doute  quelque  chofe  de 
réel  et  de  pofitif,  &  partant  ne  peut  tirer  fon  origine  du  néant,  mais 
doit  necelfairement  auoir  Dieu  pour  fon  auteur.  Dieu,  dif-je,  qui, 

a.  i'*  édit.  :  en  cette.  Mais  aux  «.fautes  à  corriger  :  lise\  par  cette  ». 

b.  /•''  édit.  :  d'auoir.  <t  Fautes  à  corriger  :  lise^  que  d'auoir  ».  2^  et 
'^*  éJit.  :  d'auoir. 

ŒuvRSs.  IV.  4 


50  OEUVRES  DE  Descartes.  6a-63 

eftant  Ibuuerainemdiit  parfait,  ne  peut  eftre  caufe  d'aucune  erreur  ; 
74     &  par  confe|quent  il  faut  conclure  qu'vne  telle  conception  ou  vn  tel 
iugement  eft  véritable. 

Au  refte  ie  n'ay  pas  feulement  apris  auiourd'huy  ce  que  ie  dois 
éuiter  pour  ne  plus  faillir,  mais  aufli  ce  que  ie  dois  faire  pour  par- 
uenir  à  la  connoiffance  de  la  vérité.  Car  certainement  i'y  par- 
uiendray,  fi  i'arrefte  fuffifamment  mon  attention  fur  toutes  les  chofes 
que  ie  conceuray  parfaitement,  &  û  ie  les  fepare  des  autres  que  ie 
ne  comprens  qu'auec  confufion  &  obfcurité.  A  quoy  dorefnauant  ie 
prendray  foigneufement  garde. 


%  Il  Méditation  cinquième. 

De  l'ejfence  des  çhofes  matérielles  ;  &,  derechef  de  Dieu,  qu'il  exijle. 

Il  me  refte  beaucoup  d'autres  chofes  à  examiner,  touchant  les 
Atributs  de  Dieu,  &  touchant  ma  propre  nature,  c'eft  à  dire  celle 
de  mon  efprit  :  mais  l'en  reprendray  peut-eftre  vne  autre  fois  la 
recherche.  Maintenant  (après  auoir  remarqué  ce  qu'il  faut  faire  ou 
éuiter  pour  paruenir  à  la  connoiffance  de  la  vérité),  ce  que  i'ay  prin- 
cipalement à  faire,  eft  d'effayer  de  fortir  &  me  débaraffer  de  tous  les 
doutes  où  ie  fuis  tombé  ces  iours  paffez,  &  voir  fi  l'on  ne  peut 
rien  connoiftre  de  certain  touchant  les  chofes  matérielles. 

Mais  auant  que  l'examine  s'il  y  a  de  telles  chofes  qui  exiftent 
76  hors  de  moy,  ie  dois  confiderer  leurs  idées,  |  en  tant  qu'elles  font 
en  ma  penfée,  &  voir  quelles  font  celles  qui  font  diftindes,  & 
quelles  font  celles  qui  font  confufes. 

En  premier  lieu,  i'imagine  diftindement  cette  quantité  que  les 
Philofophes  appellent  vulgairement  la  quantité  continua,  ou  bien 
l'cxtenfion  en  longueur,  largeur  &  profondeur,  qui  eft  en  cette 
quantité,  ou  plutoft  en  la  chofc  à  qui  on  l'attribue.  De  plus,  ie  puis 
nombrcr  en  elle  plufieurs  diuerfes  parties,  &  attribuer  à  chacune 
de  ces  parties  toutes  fortes  de  grandeurs,  de  figures,  de  fituations, 
&  de  mouuemens  ;  &  enfin,  ie  puis  afligner  à  chacun  de  ces  mou- 
uemcns  toute»  fortes  de  durées. 

El  ic  ne  connois  pas  feulement  ces  chofes  auec  diftindion,  lorfque 
ie  les  confidere  en  gênerai  ;  mais  aufll,  pour  peu  que  i'y  applique 
mon  attention,  ie  conçoy  vne  infmité  de  particularitcz  touchant  les 


63-65.  Méditations.   —  Cinqltkme.  >  r 

nombres,  les  figures,  les  mounemens,  &  autres  choies  femblables, 
dont  la  vérité  fe  fait  paroiltre  auec  tant  d'euidcnce|&  s'accorde  fi 
bien  auec  ma  nature,  que  lorfque  ie  commence  à  les  découurir,  il 
ne  me  femble  pas  que  i'apprenne  rien  de  nouueau,  mais  plutoll 
que  ie  me  reflbuuiens  de  ce  que  ie  fçauois  défia  auparauant,  c'eft 
à  dire  que  i'aperçoy  des  chofes  qui  eftoient  défia  dans  mon  efprit, 
quoy  que  ie  n'eufle  pas  encore  tourné  ma  penfée  vers  elles. 

Et  ce  que  ie  trouue  icy  de  plus  confiderable,  ert  que  ie  trouue 
en  moy  vne  infinité  d'idées  de  certaines  chofes,  qui  ne  peuuent  pas 
eftre  eftiiniées  vn  pur  |  néant,  quoy  que  peut-eftre  elles  n'ayent  au-  77 
cune  exiflance  hors  de  ma  penfée,  &  qui  ne  font  pas  feintes  par 
moy,  bien  qu'il  foit  en  ma  liberté  de  les  penfer  ou  ne  les  penfer 
pas;  mais  elles  ont  leurs  natures  vrayes  &  immuables.  Comme,  par 
exemple,  lorfque  i'imagine  vn  triangle,  encore  qu'il  n'y  ait  peut- 
eftre  en  aucun  lieu  du  monde  hors  de  ma  penfée  vne  telle  figure, 
&  qu'il  n'y  en  ait  iamais  eu,  il  ne  laiffe  pas  neantmoins  d'y  auoir 
vne  certaine  nature,  ou  forme,  ou  effence  déterminée  de  cette 
figure,  laquelle  eft  immuable  &  éternelle,  que  ie  n'ay  point  in- 
uentée,  &  qui  ne  dépend  en  aucune  façon  de  mon  efprit;  comme  il 
paroift  de  ce  que  Von  peut  démontrer  diuerfes  proprietez  de  ce 
triangle,  à  fçauoir,  que  fes  trois  angles  font  égaux  ù  deux  droits, 
que  le  plus  grand  angle  éfl  foufi:enu"  par  le  plus  grand  cofté,  & 
autres  femblables,  lefquelles  maintenant,  foit  que  ie  le  veuille  ou 
non,  ie  reconnois  tres-clairement  &  tres-euidemment  eftre  en  luy, 
encore  que  ie  n'y  aye  penfé  auparauant  en  aucune  façon,  lorfque  ie 
me  fuis  imaginé  la  première  fois  vn  triangle;  &  partant  on  ne  peut 
pas  dire  que  ie  les  aye  feintes  &;  inuentées. 

Et  ie  n'ay  que  faire  icy  de  m'obiecler,  que  peut-eftre  cette  idée 
du  triangle  eft  venue  en  mon  efprit  par  l'entremife  de  mes  fens, 
parce  que  i'ay  veu  quelquefois  des  corps  de  figure  triangulaire; 
car  ie  puis  former  en  mon  efprit  vne  infinité  d'autres  figures,  dont 
on  ne  peut  auoir  le  moindre  foupçon  que  iamais  elles  me  foient 
tombées  fous  les  fens,  &  ie  ne  laiffe  |  pas  toutesfois|  de  pouuoir  de-  78 
monftrer  diuerfes  proprietez  touchant  leur  nature,  auiTi  bien  que 
touchant  celle  du  triangle  :  lefquelles  certes  doiuent  eftre  toutes 
vrayes,  puifque  ie  les  conçoy  clairement.  Et  partant  elles  font 
quelque  chofe,  &  non  pas  vn  pur  néant;  car  il  eft  tres-euident  que 
tout  ce  qui  eft  vray  eft  quelque  chofe,  &  i'ay  défia  amplement  de- 
monftré  cy-delfus  que  toutes  les  chofes  que  ie  connois  clairement  & 

a.  Lire  fouftendu  ? 


s^ 


CEl  VRES   DE    DeSCARIKS.  63-66. 


diftindement  font  vrayes.  Etquoyque  ic  uc  l'cufrc  pas  demonftré, 
toutefois  la  nature  de  mon  efprit  eA  telle,  que  ic  ne  me  Içaurois 
empefcher  de  les  eftimer  vra}es,  pendant  que  ie  les  conçoy  claire- 
ment &  dillin<5lement.  Et  ie  me  rcffouuiens  que,  lors  mefme  que 
i'eftois  encore  fortement  attaché  aux  ohjects  des  fens,  i'auois  tenu 
au  nombre  des  plus  conftantcs  veritez  celles  que  ic  conceuois  clai- 
rement &  diftinclement  touchant  les  ligures,  les  nombres,  &  les 
autres  choies  qui  appartiennent  à  l'Arithmétique  i^  à  hi  Géométrie. 
Or  maintenant,  fi  de  cela  feul  que  ie  puis  tirer  de  ma  penfée  l'idée 
de  quelque  chofe,  il  s'enfuit  que  tout  ce  que  ic  reconnois  claire- 
ment &  dirtinclement  appartenir  à  cette  chofc,  luy  appartient  en 
effecl,  ne  puis-je  pas  tirer  de  cecy  vn  argument  cS:  vne  preuue  de- 
monftratiue  de  l'exiftence  de  Dieu  ?  Il  eil  certain  que  ie  ne  trouue 
pas  moins  en  moy  fon  idée,  c'eft  à  dire  l'idée  d'vn  eftre  fouueraine- 
ment  parfait,  que  celle  de  quelque  figure  ou  de  quelque  nombre 

M  que  ce  foit.  Et  ie  ne  connois  pas  moins  clairement  &  |  dillindement 
qu'vne  aduelle  &  éternelle  exiftence  appartient  à  fa  nature,  que  ie 
connois  que  tout  ce  que  ie  puis  demonftrer  de  quelque  figure  ou 
de  quelque  nombre,  appartient  véritablement  à  la  nature  de  cette 
figure  ou  de  ce  nombre.  Et  partant,  encore  que  tout  ce  que  i'ay 
conclu  dans  les  Méditations  précédentes,  ne  fe  trouuaft  point  véri- 
table, l'exillence  de  Dieu  doit  paffer  en  mon  efprit  au  moins  pour 
aufli  certaine,  que  i'ay  elUmé  iufques  icy  toutes  les  veritez  des  Ma- 
thématiques, qui  ne  regardent  que  les  nombres  &  les  figures  :  |bien 
qu'à  la  vérité  cela  ne  paroifle  pas  d'abord  entièrement  manifefte, 
mais  femble  auoir  quelque  apparence  de  fophifme.  Car  ayant  ac- 
coullumé  dans  toutes  les  autres  chofes  de  faire  diflindion  entre 
l'exiftence  &  l'elTence,  ie  me  perfuade  ayfement  que  l'exiftence  peut 
cllrc  fcparée  de  l'elfence  de  Dieu,  i^  qu'ainfi  on  peut  conceuoir  Dieu 
comme  n'ellant  pas  aduellenient.  Mais  neantmoins,  lorfque  i'y 
pcnfe  auec  plus  d'attention,  ie  tnuiuc  manifeftement  que  l'exi- 
ftence ne  peut  non  plus  cllrc  fcparée  de  l'elfence  de  Dieu,  que  de 
l'cH'cnce  d'vn  triangle  rectilignc  la  grandeur  de  fes  trois  angles 
égaux  à  deux  droits,  ou  bien  de  l'idée  d'vnc  montagne  l'idée  d'vne 
valéc  ;  en  forte  qu'il  n'y  a  pas  moins  de  répugnance  de  conceuoir 
vn  Dieu  (c'ell  à  dire  vn  eftre  fouuerainenient  parfait)  auquel  manque 
l'exiftence  (c'eft  à  dire  auquel  manque  quelque  perfection),  que  de 
conceuoir  vne  montagne  qui  n'ait  point  de  valée. 

80  Mais  encore  qu'en  elfecl  ic  ne  puilfe  pas  conce|uoir  vn  Dieu  fans 
c\iftcnce,  non  plus  qu'vne  montagne  fans  valée,  toutesfois,  comme 
de  cela  feul  que  ie  conçoy  vne  montagne  auec  vne  valée,  il  ne  "'fflh 


66-67.  Méditations.  —  Cinquième.  ^  j 

fuit  pas  qu'il  y  ait  aucune  montagne  dans  le  monde,  de  mefme 
auffi,  quoy  que  ie  conçoiue  Dieu  auec  i'exillence,  il  femble  qu'il 
ne  s'enfuit  pas  pour  cela  qu'il  y  en  ait  aucun  qui  exifte  :  car  ma 
penfée  n'impofe  aucune  neceiîité  aux  chofes  ;  &.  comme  il  ne  tient 
qu'à  moy  d'imaginer  vn  cheual  aiflé,  encore  qu'il  n'y  en  ait  aucun 
qui  ait  des  aifles,  ainfi  ie  pourois  peut-eftre  attribuer  l'exiltence  à 
Dieu,  encore  qu'il  n'y  eult  aucun  Dieu  qui  exiltalt.  Tant  s'en  faut, 
c'eft  icy  qu'il  y  a  vn  fophifme  caché  fous  l'apparence  de  cette  ob- 
jedion  :  car  de  ce  que  ie  ne  puis  conceuoir  vne  montagne  fans 
valée,  il  ne  s'enfuit  pas  qu'il  y  ait  au  monde  aucune  montagne,  ny 
aucune  valée,  mais  feulement  que  la  montagne  &  la  valée,  foit 
qu'il  y  en  ait,  foit  qu'il  n'y  en  ait  point,  ne  fe  peuuent  en  aucune 
façon  feparer  l'vne  d'auec  l'autre  ;  au  lieu  que,  de  cela  feul  que  ie 
ne  puis  |  conceuoir  Dieu  fans  exillence,  il  s'enfuit  que  l'exiftence 
eft  infeparable  de  luy,  &  partant  qu'il  exille  véritablement  :  non 
pas  que  ma  penfée  puiffe  faire  que  cela  foit  de  la  forte,  &  qu'elle 
impofe  aux  chofes  aucune  necelTitc  ;  mais,  au  contraire,  parce  que 
la  neceifité  de  la  chofe  mefme,  à  fçauoir  de  l'exiltence  de  Dieu,  dé- 
termine ma  penfée  à  le  conceuoir  de  cette  façon.  Car  il  n'ell  pas  en 
ma  liberté  de  conceuoir  vn  Dieu  fans  exillence  (c'ell  à  dire  vn  élire 
fouuerainement  parfait  fans  j  vne  fouueraine  perfection),  comme  il  M 
m'eft  libre  d'imaginer  vn  cheual  fans  ailles  ou  auec  des  aifles. 

Et  on  ne  doit  pas  dire  icy  qu'il  eft  à  la  vérité  nccellaire  que 
i'auoue  que  Dieu  exille,  après  que  i'ay  fuppofé  qu'il  polfede  toutes 
fortes  de  perfections,  puifque  l'exillence  en  eft  vne,  mais  qu'en  effect 
ma  première  fuppofition  n'eftoit  pas  neceffaire  ;  de  mefme  qu'il  n'eft 
point  necelfaire  de  pcnfer  que  toutes  les  figures  de  quatre  coftez  fe 
peuuent  infcrire  dans  le  cercle,  mais  que,  fuppofant  que  i'aye  cette 
penfée,  ie  fuis  contraint  d'auoQer  que  le  rhombe  fe  peut  infcrire 
dans  le  cercle,  puifque  c'eft  vne  figure  de  quatre  coftez;  &  ainfi  ie 
feray  contraint  d'auoiier  vne  chofe  faufl'e.  On  ne  doit  point,  dif-je, 
alléguer  cela  :  car  encore  qu'il  ne  foit  pas  neceffaire  que  ie  tombe 
iamais  dans  aucune  penfée  de  Dieu,  neantmoins,  toutes  les  fois 
qu'il  m'arriue  de  penfer  à  vn  eftre  premier  &  fouuerain,  &  de  tirer, 
pour  ainfi  dire,  fon  idée  du  trefor  de  mon  efprit,  il  eft  neceftaire 
que  ie  luy  attribue  toutes  fortes  de  perfeclions»,  quoy  que  ie  ne  vienne 
pas  à  les  nombrer  toutes,  &  à  appliquer  mon  attention  fur  chacune 
d'elles  en  particulier.  Et  cette  neceffité  eft  fuffifante  pour  me  faire 
conclure  (après  que  i'ay  reconnu  que  l'exiftence  eft  vne  perfection), 
que  cet  eftre  premier  &  fouuerain  exifte  véritablement  :  de  mefme 
qu'il  n'eft  pas  neceffaire  que  i'imagine  iamais  aucun  triangle  ;  mais 


54.  Œuvres  de  Descartes.  67-6,9 

toutes  les  fois  que  ie  veux  confiderer  vne  figure  rediligne  com- 
88  pofce  feulement  de  trois  angles,  il  eft  abfolum>ent  necef[laire  que  ie 
iuy  attribue  toutes  les  chofes  qui  feruent  à  conclure  que  fes  trois 
angles  ne  font  pas  plus  grands  que  deux  droids,  encore  que  peut- 
eftre  ie  ne  confidere  pas  alors  cela  en  particulier.]  Mais  quand  i'exa- 
mine  quelles  figures  font  capables  d'eftre  infcrites  dans  le  cercle,  il 
n'eft  en  aucune  façon  necèffaire  que  ie  penfe  que  toutes  les  figures 
de  quatre  codez  font  de  ce  nombre;  au  contraire,  ie  ne  puis  pas 
mefme  feindre  que  cela  foit,  tant  que  ie^ne  voudray  rien  receuoir 
en  ma  penfée,  que  ce  que  ie  pouray  conceuoir  clairement  &  diftin- 
dement.  Et  par  confequent  il  y  a  vne  grande  différence  entre  les 
faufles  fupofitions,  comme  eft  celle-cy,  &  les  véritables  idées  qui 
font  nées  auec  moy,  dont  la  première  &  principale  eft  celle  de  Dieu. 
Car  en  effed  ie  reconnois  en  plufieurs  façons  que  cette  idée  n'eft 
point  quelque  chofe  de  feint  ou  d'inuenté,  dépendant  feulement  de 
ma  penfée,  mais  que  c'eft  l'image  d'vne  vraye  &  immuable  nature. 
Premièrement,  à  caufe  que  ie  ne  fçaurois  conceuoir  autre  chofe  que 
Dieu  feul,  à  l'effence  de  laquelle  l'exiftence  appartienne  auec  necef- 
fité.  Puis  auffi,  pource  qu'il  ne  m'eft  pas  poflible  de  conceuoir  deux 
ou  plufieurs  Dieux  de  mefme  façon.  Et,  pofé  qu'il  y  en  ait  vn  main- 
tenant qui  exifte,  ie  voy  clairement  qu'il  eft  necèffaire  qu'il  ait  efté 
auparauant  de  toute  éternité,  &  qu'il  foit  éternellement  à  l'auenir. 
Et  enfin,  parce  que  ie  connois  vne  infinité  d'autres  chofes  en  Dieu, 
defquelles  ie  ne  puis  rien  diminuer  ny  changer. 
83  I  Au  refte,  de  quelque  preuue  &  argument  que  ie  me  férue,  il  en 
faut  touiours  reuenir  là,  qu'il  n'y  a  que  les  chofes  que  ie  conçoy 
clairement  &  diftinClement,  qui  ayent  la  force  de  me  perfuader  en- 
tièrement. Et  quoy  qu'entre  les  chofes  que  ie  conçoy  de  cette  forte, 
il  y  en  ait  à  la  vérité  quelques  vues  manifeftement  connues  d'vn 
chacun,  &  qu'il  y  en  ait  d'autres  auffi  qui  ne  fe  découurent  qu'à 
ceux  qui  les  confiderênt  de  plus  prés  &  qui  les  examinent  plus 
exactement;  toutesfois, après  qu'elles  font  vne  fois  découuertes,  elles 
ne  font  pas  eftimées  moins  certaines  les  vues  que  les  autres. 
Comme,  par  exemple,  en  tout  triangle  re<^angle,  encore  qu'il  ne 
paroiffc  pas  d'abord  fi  facilement  que  le  quarré  de  la  bafe  eft  égal 
aux  quarrés  des  deux  autres  coftez,  |  comme  il  eft  éuident  que  cette 
bafe  eft  oppoféc  au  plus  grand  angle,  neantmoins,  depuis  que  cela  a 
efté  vne  fois  reconnu,  on  eft  autant  perfuadé  de  la  vérité  de  Fvn  que 
de  l'autre.  Et  pource  qui  eft  de  Dieu,  certes,  fi  mon  efprit  n'eftoit 
prcucnu  d'aucuns  preiugez,  &  que  ma  penfée  ne  fe  trouvaft  point 
diucrtie  par  la  prefence  continue'le  des  images  des  chofes  fenfibles, 


«9-70.  Méditations.  —  Cinquième.  55 

tl  n'y  auroit  aucune  cHofé  que  ie  connulTe  pluftoft  ny  plus  facile- 
ment que  luy.*Cary  a-t-il  rien  de  foy  plus  clair  &  plus  manifefte, 
que  de  penfer  qu'il  y  a  vn  Dieu,  c'eft  à  dire  vn  eftre  fouuerain  & 
parfait,  en  l'idée  duquel  leul  l'exiftence  necelTaire  ou  éternelle  eft 
comprife,  &  par  confequent  qui  exifte  ? 

Et  quoy  que,  pour  bien  conceuoii'  cette  vérité,  |  i'aye  eu  befoin  84 
dVne  grande  application  d'efprit,  toutesfois à  prefent  ie  ne  m'en  tiens 
pas  feulement  auffi  alTeuré  que  de  tout  ce  qui  me  femble  le  plus  cer- 
tain :  mais,  outre  cela,  ie  remarque  que  la  certitude  de  toutes  les 
autres  chofes  en  dépend  fi  abfolument,  que  fans  cette  connoiffance  il 
eft  impoflible  de  pouuoir  iamais  rien  fçauoir  parfaitement. 

Car  encore  que  ie  fois  d'vne  telle  nature,  que,  dés  aufli-toft  que  ic 
comprens  quelque  chofe  fort  clairement  &  fort  diftindement,  ie 
fuis  naturellement  porté  à  la  croire  vraye;  neantmoins,  parce  que  ie 
fuis  auflî  d'vne  telle  nature,  que  ie  ne  puis  pas  auoir  l'efprit  touf- 
iours  attaché  à  vne  mefme  chofe,  &  que  fouuent  ie  me  reffouuiens 
d'auoir  iugé  vne  chofe  eftre  vraye;  lorfque  ie  cefte  de  confiderer  les 
raifons  qui  m'ont  obligé  à  la  iuger  telle,  il  peut  arriuer  pendant  ce 
temps-là  que  d'autres  raifons  fe  prefentent  à  moy,  lefquelles  me 
feroient  aifement  changer  cf'opinion,  fi  i'ignorois  qu'il  y  euft  vn 
Dieu.  Et  ainfi  ie  n'aurois  iamais  vne  vraye  &  certaine  fcience  d'au- 
cune chofe  que  ce  foit,  mais  feulement  de  vagues  &  inconftantes 
opinions. 

Comme,  par  exemple,  lorfque  ie  confidere  la  nature  du  triangle, 
ie  connois  euidemment,  moy  qui  fuis  vn  peu  verfé  dans  la  Géomé- 
trie, que  fes  trois  angles  font  égaux  à  deux  droits,  &  il  ne  m'eft  pas 
poflible  de  ne  le  point  croire,  pendant  que  l'applique  ma  penfée  à 
fa  demonftration;  mais  aufli  toft  que  |  ie  l'en  détourne,  encore  que  ie 
me  reffouuienne  |  de  l'auoir  clairement  comprife,  toutesfois  il  fe  85 
peut  faire  aifement  que  ie  doute  de  fa  vérité,  fi  i'ignore  qu'il  y  ait  vn 
Dieu.  Car  ie  puis  me  perfuader  d'auoir  efté  fait  tel  par  la  Nature, 
que  ie  me  puiffe  aifement  tromper,  mefme  dans  les  chofes  que  ie 
croy  comprendre  auec  le  plus  d'éuidence.&  de  certitude;  veu  prin- 
cipalement que  ie  me  reffouuiens  d'auoir  fouuent  eftimé  beaucoup 
de  chofes  pour  vrayes  &  certaines,  lefquelles  par  après  d'autres 
raifons  m'ont  porté  à  iuger  abfolument  fauffes. 

Mais  après  que  i'ay  reconnu  qu'il  y  a  vn  Dieu,  pource  qu'en 
mefme  temps  i'ay  reconnu  aufli  que  toutes  chofes  dépendent  de  luy, 
&  qu'il  n'eft  point  trompeur,  &  qu'en  fuite  de  cela  i'ay  iugé  que  tout 
ce  que  ie  conçoy  clairement  &  diftindement  ne  peut  mffnquer 
d'eftre  vray  :  encore  que  ie  ne  penfe  plus  aux  raifons  pour  lefquelles 


56 


Œuvres  de  Descaries. 


70-71. 


i'ay  iugé  cela  eftre  véritable,  pourueu  que  ie  me  reflouuicnne  de 
rauoir  clairement  &  diftinctement  compris,  on  ne  me  peut  appor- 
ter aucune  raifon  contraire,  qui  me  le  face  iamais  reuoquer  en 
doute;  &  ainfi  l'en  ay  vne  vra3^e  &  certaine  fcience.  Et  cette  mefme 
fcience  s'ellend  aufli  à  toutes  les  autres  chofes  que  ie  me  reffouuièns 
l'auoir  autrefois  demonftrées,  comme  aux  veritez  de  la  Géométrie, 
&  autres  femblables  :  car  qu'eft-ce  que  l'on  me  peut  ooieder,  pour 
m'obliger  à  les  reuoquer  en  doute?  Aie  dira-t-on  que  ma  nature  eft 
telle  que  ie  fuis  fort  fujet  à  me  méprendre?  Mais  ie  fçay  defia  que  ie 
8»  ne  puis  me  tromper  dans  Ijss  iugemens  dont  ie  |  connois  clairement 
les  raifons.  Me  dira-t-on  que  i'ay  tenu  autrefois  beaucoup  de  chofes 
pour  vrayes  &  certaines,  lefquelles  i'ay  reconnu  par  après  eftre 
faulfes?  Mais  ie  n'auois  connu  clairement  ny  diftinctement  aucunes 
de  ces  chofes-là,  &,  ne  fçachant  point  encore  cette  règle  par  laquelle 
ie  m'affeure  de  la  vérité,  i'auois  efté  porté  à  les  croire  par  des  raifons 
que  i'ay  reconnu  depuis  eftre  moins  fortes  que  ie  ne  me  les  eftois 
pour  lors  imaginées.  Que  me  pourra-t-on  doncques  obieder  dauan- 
tage?  Que  peui-eftre  ie  dors  (comme  ie  me  l'eftois  moy-mefme  ob- 
jecté cy-deuant},  ou  bien  que  toutes  les  penlees  que  i'ay  maintenant 
ne  font  pas  plus  vrayes  que  les  réueries  que  nous  imaginons  eftans 
endormis?  Mais| quand  bien  mefme  ie  dormirois,  tout  ce  qui  fe  pre- 
fente  à  mon  efprit  auec  éuidence,  eft  abfolument  véritable.  Et  ainfi 
ic  reconnois  tres-clairement  que  la  certitude  &  la  vérité  de  toute 
fcience  deperiJ  de  la  feule  connoifl'ance  du  vray  Dieu  :  en  forte 
qu'auant  que  ie  le  connufl'e",  ie  ne  pouuois  fçauoir  parfaitement  au- 
cune autre  chofe.  Et  à  prefent  que  ie  le  connois,  i'ay  le  moyen  d'ac- 
quérir vne  fcience  parfaite  touchant  vne  infinité  de  chofes,  non 
feulement  de  celles  qui  font  en  luy,  mais  aufli  de  celles  qui  appar- 
tiennent à  la  nature  corporelle,  en  tant  qu'elle  peut  feruir  d'objet 
aux  demonftrations  des  Géomètres,  lefquels  n'ont  point  d'égard 
à  fon  exiftence. 

a.  o  Fautes  h  corriger  :  p,  86,  connoilfe,  lis.  connufte.  »  i^/'"'  édit.) 


71-72.  Méditations.  —  Sixième.  57 


I  Méditation  sixième. 

De  l'exijlence  des  chofes  matérielles,  &  de  la  réelle  dijtinâion 
entre  l'ame  &  le  corps  de  l'homme. 

Il  ne  me  refte  plus  maintenant  qu'à  examiner  s'il  y  a  des  chofes 
matérielles  :  &  certes  au  moins  fçay-Je  defia  qu'il  y  en  peut  auoir, 
en  tant  qu'on  les  confidere  comme  l'objet  des  demonftrations  de 
Géométrie,  veu  que  de  cette  façon  ie  les  conçoy  fort  clairement  & 
fort  diftinélement.  Car  il  n'y  a  point  de  doute  que  Dieu  n'ait  la  puif- 
fance  de  produire  toutes  les  chofes  que  ie  fuis  capable  de  conceuoir 
auec  diftindion;  &  ie  n'ay  iamais  iugé  qu'il  luy  fuft  impoflible  de 
faire  quelque  chofe,  qu'alors  que  ie  trouuois  de  la  contradiélion  à  la 
^•nuuoir  bien  conceuoir.  De  plus,  la  faculté  d'imaginer  qui  eft  en 
moy,  &  de  laquelle  ie  voy  par  )  expérience  que  ie  me  fers  lorfque 
ie  m'applique  à  la  confideration  des  choies  matérielles,  eft  capable 
de  me  perfuader  leur  exiftence  :  car  quand  ie  confidere  attentiuement 
ce  que  c'eft  que  l'imagination,  |  ie  trouue  qu'elle  n'eft  autre  chofe 
qu'vne  certaine  application  de  la  faculté  qui  connoift,  au  corps  qui 
luy  eft  intimement  prefent,  &.  partant  qui  exifte. 

Et  pour  rendre  cela  tres-manifefte,  ie  remarque  premièrement  la 
différence  qui  ell  entre  l'imagination  &  la  pure  intelledion  ou  con- 
ception. Par  exemple,  lorfque  i'imagine  vn  triangle,  ie  ne  le  conçoy 
pas  feulement  comme  vne  figure  compofée  &  comprife  de  trois 
lignes,  mais  outre  cela  ie  confidere  ces  trois  lignes  comme  prefentes 
par  la  force  &  l'application  intérieure  de  mon  efprit;  &  c'eft  propre- 
ment ce  que  i'appelle  imaginer.  Que  fi  ie  veux  penfer  à  vn  Chilio- 
gone,ie  conçoy  bien  à  la  vérité  que  c'eft  vne  figure  compofée  de  mille 
coftez,  aufli  facilement  que  ie  conçoy  qu'vn  triangle  eft  vne  figure 
compofée  de  trois  coftez  feulement;  mais  ie  ne  puis  pas  imaginer  les 
mille  coftez  d'vn  Chiliogone,  comme  ie  fais  les  trois  d'vn  triangle,  ny, 
pour  ainfi  dire,  les  regarder  comme  prefens  auec  les  yeux  de  mon 
efprit.  Et  quoy  que,  fuiuant  la  couftume  que  i'ay  de  me  feruir 
toufiours  de  mon  imagination,  lorfque  ie  penfe  aux  chofes  corpo- 
relles, il  arriue  qu'en  conceuant  vn  Chiliogone  ie  me  reprefente 
confufement  quelque  figure,  toutesfois  il  eft  tres-euident  que  cette 
figure  n'eft  point  vn  Chiliogone,  Ipuifqu'elle  ne  diffère  nullement  de 
celle  que  ie  me  reprefenterois,  fi  ie  penfois  à  vn  Myriogone,  ou  à 
quelque  autre  figure  de  beaucoup  de  coftez  ;  &  qu'elle  ne  fert  en 


88 


58  OEUVRES  DE  Descartes.  t^-ia. 

aucune  façon  à  découurir  les  proprietez  qui  font  la  différence  du 
Chiliogone  d'auec  les  autres  Polygones. 

Que  s'il  ell  queftion  de  confidcrer  vn  Pentagone,  il  eft  bien  vray 
que  iepuis  conceuoir  fa  figure,  aulfi  bien  que  celle  d'vn  Chiliogone, 
fans  le  fecours  de  l'imagination;  mais  ie  la  puis  auffi  imaginer  en 
appliquant  l'attention- de  mon  efprit  à  chacun  de  les  cinq  cortez, 
&  tout  enfemble  à  Vaire,  ou  à  l'efpace  qu'ils  renferment.  Ainfi  ie 
connois  clairement  |  que  i'ay  befoin  d'vne  particulière  contention 
d'efprit  pour  imaginer,  de  laquelle  ie  ne  me  fers  point  pour  conce- 
uoir ;  &  cette  particulière  contention  d'efprit  montre  éuidemment 
la  différence  qui  ell  entre  l'imagination  &  l'intelleclion  ou  concep- 
tion pure. 

le  remarque  outre  cela  que  cette  vertu  d'imaginer  qui  eft  en  moy, 
en  tant  qu'elle  diffère  de  la  puiffance  de  conceuoir,  n'elt  en  aucune 
forte  neceffaire  à  ma  nature  ou  à  mon  effence,  d^^  à  dire  à  l'effence 
de  mon  efprit;  car,  encore  que  ie  ne  l'euffe  point,  il  efl  fans  doute 
que  ie  demeurerois  toufiours  le  mefme  que  ie  fuis  maintenant  :  d'où 
il  femble  que  l'on  puiife  conclure  qu'elle  dépend  de  quelque  chofe 
qui  diffère  de  mon  efprit.  Et  ie  conçoy  facilement  que,  fi  quelque 
corps  exille,  auquel  mon  efprit  foit  conjoint  &  vny  de  telle  forte, 
90  qu'il  fe  puiffe  appliquer  |  à  le  confiderer  quand  il  luy  plaift,  il  le 
peut  faire  que  par  ce  moyen  il  imagine  les  chofes  corporelles  :  en 
forte  que  cette  façon  de  penfer  diffère  feulement  de  la  pure  intel- 
leclion,  en  ce  que  Tefprit  en  conceuant  fe  tourne  en  quelque  façon 
vers  foy-mefme,  &  confidere  quelqu'vne  des  idées  qu'il  a  en  foy  ; 
mais  en  imaginant  il  fe  tourne  vers  le  corps,  &y  confidere  quelque 
chofe  de  conforme  à  l'idée  qu'il  a  formée  de  foy-mefme  ou  qu'il  a 
receuif  par  les  fens.  le  conçoy,  dif-je,  aifement  que  l'imagination  fe 
peut  faire  de  cette  forte,  s'il  eft  vray  qu'il  y  ait  des  corps  ;  &  parce 
que  ie  ne  puis  rencontrer  aucune  autre  voye  pour  expliquer  com- 
ment elle  fe  fait,  ie  conieclure  de  là  probablement  qu'il  y  en  a  :  mais  ce 
n'eft  que  probablement,  &  quoy  que  l'examine  foigneufement  toutes 
chofes,  ie  ne  trouuc  pas  neantmoins  que  de  cette  idée  diftinde  de  la 
nature  corporelle,  que  i'ay  en  mon  imagination,  ie  puiffe  tirer  aucun 
argument  qui  conclue;  auec  necellité  l'exiftence  de  quelque  corps. 

|0r  i'ay  accouftumé  d'imaginer  beaucoup  d'autres  chofes,  outre 
cette  nature  corporelle  qui  eft  l'objet  de  la  Géométrie,  à  fçauoir  les 
couleurs,  les  fons,  les  faueurs,  la  douleur,  &  autres  chofes  fem- 
blable»,  quoy  que  moins  diftindement.  Et  d'autant  que  i'apperçoy 
beaucoup  mieux  ces  chofesrlù  par  les  fens,  par  l'entrcmife  dcfquels, 
&  de  la  mémoire,  elles  fcmblcnt  cllrc  parucnuës  iufqu'à  mon  ima- 


91 


74-75.  Méditations.  —  Sixième.  59 

gination,  ie  croy  que,  pour  les  examiner  plus  commodément,  il  elt 
à  I  propos  que  l'examine  en  mefme  temps  ce  que  c'eft  que  fentir,  (S: 
que  ie  voye  fi  des  idées  que  ie  reçoy  en  mçn  efprit  par  cette  façon 
de  penfer,  que  l'appelle  fentir,  ie  puis  tirer  quelque  preuue  certaine 
de  1  exiftence  des  chofes  corporelles. 

Et  premièrement  ie  rappelleray  dans  ma  mémoire  quelles  font  les 
chofes  que  i'ay  cy-deuant  tenues  pour  vrayes,  comme  les  ayant  re- 
ceuës  par  les  fens,  &  fur  quels  fondemens  ma  créance  efloit  appuyée. 
En  après,  i'examineray  les  raifons  qui  m'ont  obligé  depuis  à  les 
reuoquer  en  doute.  Et  enfin  ie  confidereray  ce  que  l'en  dois  main- 
tenant croire. 

Premièrement  doncques  i'ay  fenty  que  i'auois  vne  tefte,  des  mains, 
des  pieds,  &  tous  les  autres  membres  dont  eft  compofé  ce  corps  que 
ie  confiderois  comme  vne  partie  de  moy-mefme,  ou  peut-eflre  auiïi 
comme  le  tout.  De  plus  i'ay  fenty  que  ce  corps  eftoit  placé  entre 
beaucoup  d'autres,  defquels  il  eftoit  capable  de  receuoir  diuerfes 
commoditez  &  incommoditez,  &  ie  remarquois  ces  commoditez  par 
vn  certain  fentiment  de  plaifir  ou  <  de  >  '  volupté,  &  les  "  incommo- 
ditez par  vn  fentiment  de  douleur.  Et  outre  ce  plaifir  &  cette  douleur, 
ie  reffentois  auiïi  en  moy  la  faim,  la  foif,  &  d'autres  femblables  appé- 
tits, comme  auiïl  de  certaines  inclinations  corporelles  vers  la  ioye, 
la  trifteffe,  la  colère,  &  autres  femblables  paflions.  Et  au-dehors, 
outre  l'extenfion,  les  f^jres,  |  les  mouuemens  des  corps,  ie  remar- 
quois en  eux  de  la  dureté,  de  la  chaleur,  &  toutes  les  autres  qua- 
litez  qui  tomjbent  fous  l'attouchement.  De  plus  i'y  remarquois  de  92 
la  lumière,  des  couleurs,  des  odeurs,  des  faueurs  &  des  fons,  dont 
la  variété  me  donnoit  moyen  de  diftinguer  le  Ciel,  la  Terre,  la  Mer, 
&  généralement  tous  les  autres  corps  les  vns  d'auec  les  autres. 

Et  certes,  confiderant  les  idées  de  toutes  ces  qualitez  qui  fe  pre- 
fentoient  à  ma  penfée,  &  lefquelles  feules  ie  fentois  proprement  & 
immédiatement,  ce  n'eftoit  pas  fans  raifon  que  ie  croyois  fentir  des 
chofes  entièrement  différentes  de  ma  penfée,  à  fçauoir  des  corps 
d'où  procedoient  ces  idées.  Car  i'experimentois  qu'elles  fe  prefen- 
toient  à  elle,  fans  que  mon  confentement  y  fuft  requis,  en  forte  que 
ie  ne  pouuois  fentir  aucun  objet,  quelque  volonté  que  l'en  eufle, 
s'il  ne  fe  trouuoit  prefent  à  l'organe  d'vn  de  mes  fens  ;  &  il  n'eftoit 
nullement  en  mon  pouuoir  de  ne  le  pas  fentir,  lorfqu'il  s'y  trouuoit 
prefent. 

a.  Ce  de,  omis  dans  la  i"'  édit.,  a  été  rétabli  dès  la  seconde. 

b.  Sic  les  (/'■'  édit.).  Lire  ces  ?  (2'  et  3'  édit.). 


6o  Œuvres  de  Descartes.  75-76. 

Et  parce  que  les  idées  que  ie  receuois  par  les  fens  eftoient  beau- 
coup plus  viues,  plus  expreiTes,  &  mefme  à  leur  façon  plus  diftindes, 
qu'aucunes  de  celles  que  ie  pouuois  feindre  de  moy-mefme  en  mé- 
ditant, ou  bien  que  ie  trouuois  imprimées  en  ma  mémoire,  il  fem- 
bloit  qu'elles  ne  pouuoient  procéder  de  mon  efprit;  de  façon  qu'il 
cftoit  necelfaire  qu'elles  fuilent  caufées  en  moy  par  quelques  autres 
chofes.  Delquelles  chofes  n'ayant  aucune  connoilfance,  finon  celle 
que  me  donnoient  ces  mermes  idées,  il  ne  me  pouuoit  venir  autre 
93  chofe  î^n  l'efprit,  fmon  que  ces  chcifes-là  eiloient  fcmblables  aux 
idées  qu'elles  caufoient. 

Et  pource  que  ie  me  reflbuuenois  auffi  que  ie  m'eilois  plullolt 
feruy  des  fens  que  de  la  raifon,  &  que  ie  reconnoiiïois  que  les  idées 
que  ie  formols  de  moy-mefme  n'eftoient  pas  11  exprefl'es,  que  celles 
que  ie  receuois  par  les  lens,  &  mefme  qu'elles  eitoient  le  plus  fou- 
uent  compofées  des  parties  de  celles-cy,  ie  me  perfuadois  aifement 
que  ie  n'auois  aucune  idée  dans  mon  elprit,  qui  n'cuft  paffé  aupa- 
rauant  par  mes  fens. 

Ce  n'eltoit  pas.aufli  fans  quelque  raifon  que  ie  croyois  que  ce 
corps  :  lequel  par  vn  certain  droit  particulier  i'appellois  mien)  |m'ap- 
partenoit  plus  proprement  &  plus  ctroirtement  que  pas  vn  autre. 
Car  en  effect  ie  n'en  pouuois  iamais  eiVre  feparé  comme  des  autres 
corps;  ie  relfentois  en  luy  &  pour  luy  tous  mes  appétits  &  toutes 
mes  affedions;  &  enfin  i'eftois  touché  des  fentimens  de  plaifir  & 
de  douleur  en  fes  parties,  &  non  pas  en  celles  des  autres  corps  qui 
en  font  feparez. 

Mais  quand  i'examinois  pourquoy  de  ce  ie  ne  fçayquel  fentiment 
de  douleur  fuit  latriftelfe  en  l'efprit,  &  du  fentiment  de  plaifir  naift 
la  ioye,  ou  bien  pourquoy  cette  ie  ne  fçay  quelle  émotion  de  l'erto- 
mac,  que  l'appelle  faim,  nous  fait  auoir  enuie  de  manger,  &  la  feche- 
reffe  du  gofier  nous  fait  auoir  enuie  de  boire,  &  ainfi  du  refte,  ie 
n'en  pouuois  rendre  aucune  raifon,  fmon  que  la  nature  me  l'enfei- 
gnoit  de  la  forte;  car  il  n'y  a  certes  aucune  affinité  ny  aucun  rap- 
•4  Iport  (au  moins  que  ie  puifle  comprendre)  entre  cette  émotion  de 
l'éftomac  &  le  defirde  manger,  non  plus  qu'entre  le  fentiment  de  la 
chofe  qui  caufe  de  la  douleur,  &  la  penféc  de  trifteffe  que  fait  nailtre 
ce  fentiment.  Et  en  mefme  façon  il  me  fembloit  que  i'auois  appris 
de  ta  nature  toutes  les  autres  chofes  que  ie  iugcois  touchant  les 
objets  de  mes  fens;  pource  que  ie  remarquois  que  les  iugemens 
que  i'auois  coultume  de  faire  de  ces  objets,  fe  formoient  en  moy 
auani  que  i'cuffe  le  loilir  de  pefcr  &  confiderer  aucunes  raifons  qui 
me  pculfent  obliger  à  les  faire. 


76.78.  Méditations.  —  Sixième.  61 

Mais  par  après  plufieurs  expériences  ont  peu  à  peu  ruiné  toute  la 
créance  que  i'auois  adiouftée  aux  fens.  Car  i'ay  obferué  plufieurs 
fois  que  des  tours,  qui  de  loin  m'auoient  femblé  rondes,  me  paroif- 
foient  de  prés  eftre  quarrées,  &  que  des  coloffes,  éleuez  fur  les  plus 
hauts  fommets  de  ces  tours,  me  paroilToient  de  petites  rtaïuës  à  les 
regarder  d'embas  ;  &  ainfi,  dans  vne  infinité  d'autres  rencontres, 
i'ay  trouué  de  l'erreur  dans  les  iugemens  fondez  fur  les  fens  exté- 
rieurs. Et  non  pas  feulement  fur  les  fens  extérieurs,  mais  mefme  fur 
les  intérieurs  :  |car  y  a-t-il  chofe  plus  intime  ou  plus  intérieure  que 
la  douleur?  &  cependant  i'ay  autresfois  appris  de  quelques  perfonnes 
qui  auoient  les  bras  &  les  iambes  coupées,  qu'il  leur  fembloit  encore 
quelquefois  fentir  de  la  douleur  dans  la  partie  qui  leur  auoit  efté 
coupée;  ce  qui  me  donnoit  fujet  de  penfer,  que  ie  ne  pouuois  auffi 
eftre  affeuré  d'auoir  mal  à  quelqu'vn  de  mes  membres,  j  quoy  que  95 
ie  fentilfe  en  luy  de  la  douleur. 

Et  à  ces  raifons  de  douter  i'en  ay  encore  adioullé  depuis  peu  deux 
autres  fort  générales.  La  première  eft  que  ie  n'ay  iamais  rien  creu 
fentir  eftant  éueillé,  que  ie  ne  puilfe  aulli  quelquefois  croire  fentir 
quand  ie  dors;  &  comme  ie  ne  croy  pas  que  les  chofes  qu'il  me 
femble  que  ie  fens  en  dormant,  procèdent  de  quelques  objets  hors 
de  moy,  ie  ne  voyois  pas  pourquoy  ie  deuois  plultofl  auoir  cette 
créance,  touchant  celles  qu'il  me  femble  que  ie  fens  eilant  éueillé. 
Et  la  féconde,  que,  ne  connoilfant  pas  encore,  ou  pluftoll  feignant  de 
ne  pas  connoiftrc  l'authcur  de  mon  élire,  ie  ne  voyois  rien  qui  peurt 
empefcher  que  ie  n'euffe  efté  fait  tel  par  ia  nature,  que  ie  me  trom- 
palfe  mefme  dans  les  chofes  qui  me  paroifl'oient  les  plus  véritables. 

Et  pour  les  raifons  qui  m'auoyent  cy-dcuant  perfuadé  la  vérité 
des  chofes  fenfibles,  ie  n'auois  pas  beaucoup  de  peine  à  y  refpondre. 
Car  ia  nature  femblant  me  porter  à  beaucoup  de  choies  dont  la 
raifon  me  détournoit,  ie  ne  croyois  pas  me  deuoir  confier  beaucoup 
aux  enfeignemens  de  cette  nature.  Et  quoy  que  les  idées  que  ie  reçoy 
par  les  fens  ne  dépendent  pas  de  ma  volonté,  ie  ne  penfois  pas  que 
l'on  deuft  pour  cela  conclure  qu'elles  procedoient  de  chofes  diffé- 
rentes de  moy,  puifque  peut-eilre  il  fe  peut  rencontrer  en  moy 
quelque  faculté  (bien  qu'elle  m'ait  elle  iufques  icy  inconnue),  qui  en 
foit  la  caufe,  &  qui  les  produife. 

i  Mais  maintenant  que  ie  commence  à  me  mieux  connoiftre  moy-     96 
mefme  &  à  découurir  plus  clairement  l'autheur  de  mon  origine,  ie  ne 
penfe  pas  à  la  vérité  que  ie  doiue  témérairement  admettre  toutes  les 
chofes  que  les  fens  femblent  nous  enfeigner,  |  mais  ie  ne  penfe  pas 
aufFi  que  ie  les  doiue  toutes  généralement  reuoquer  en  doute. 


62  OEuvRES  DE  Descartes.  78-79- 

Et  premièrement,  pource  que  ie  fçay  que  toutes  les  chofes  que  it 
conçoy  clairement  &  diftinclement,  peuuent  eftre  produites  par 
Dieu  telles  que  ie  les  conçoy,  il  fuffit  que  ie  puilTe  conceuoir  claire- 
ment &  diftinclement  vne  chofe  fans  vne  autre,  pour  eftre  <  crtain 
que  l'vne  eft  diftincte  ou  différente  de  l'autre,  parce  qu'elles  peuuent 
eftre  pofées  feparement,  au  moins  par  la  toute  puiflance  de  Dieu;  & 
il  n'importe  pas  par  quelle  puiflance  cette  feparation  fe  face,  pour 
m'obliger  à  les  iuger  différentes.  Et  partant,  de  cela  mefme  que  ie 
connois  auec  certitude  que  i'exifte,  &  que  cependant  ie  ne  remarque 
point  qu'il  appartienne  necefl'airement  aucune  autre  chofe  à  ma  na- 
ture ou  à  mon  effence,  fmon  que  ie  fuis  vne  chofe  qui  penfe,  ie  con- 
clus fort  bien  que  mon  eflence  confifte  en  cela  feul,  que  ie  fuis  vne 
chofe  qui  penfe,  ou  vne  fubftance  dont  toute  l'efl'ence  ou  la  nature 
n'eft  que  de  penfer.  Et  quoy  que  peut-eftre  (ou  plutoft  certainement, 
comme  ie  le  diray  tantoft)  i'aye  vn  corps  auquel  ie  fuis  tres-étroitte- 
ment  conioinj;  neantmoins,  pource  que  d'vn  cofté  i'ay  vne  claire 
97  &  diftinde  idée  de  moy-mefme,  en  tant  que  ie  fuis  feu|lement  vne 
chofe  qui  penfe  &  non  étendue,  &  que  d'vn  autre  i'ay  vne  idée 
diftincte  du  corps,  en  tant  qu'il  eft  feulement  vne  chofe  étendue  & 
qui  ne  penfe  point,  il  eft  certain  que  ce  moy,  c'eft  à  dire  mon  ame, 
par  laquelle  ie  fuis  ce  que  ie  fuis,  eft  entièrement  &  véritablement 
diftinéle  de  mon  corps,  &  qu'elle  peut  eftre  ou  exifter  fans  luy. 

Dauantage,  ie  trouue  en  moy  des  facultez  de  penfer  toutes  parti- 
culières, &  diftinéles  de  moy,  à  fçauoir  les  facultez-  d'imaginer 
&  de  fentir,  fans  lefquelles  ie  puis  bien  me  conceuoir  clairement  & 
diftindemcnt  tout  entier,  mais  non  pas  elles  fans  moy,  c'eft  à  dire 
fans  vne  fubftance  intelligente  à  qui  elles  foient  attachées.  Cardans 
la  notion  que  nous  auons  de  ces  facultez,  bu  (pour  me  feruir  des 
termes  de  l'école)  dans  leur  concept  formel,  elles  enferment  quelque 
forte  d'intelledion  :  d'où  ie  conçoy  qu'elles  font  diftindes  de  moy, 
comme  les  figures,  les  mouuemens,  &  les  autres  modes  ou  acci- 
dens  des  corps,  le  font  des  corps  mefmes  qui  les  fouftiennent. 

le  reconnois  auftl  en  moy  quelques  autres  facultez,  copme  celles 
de  changer  de  lieu,  de  fe  mettre  en  plufieurs  pofturcs,  &  autres  fem- 
blabjes,  qui  ne  peuuent  eftre  conceuiis,  non  plus  que  les  précédentes, 
fans  I  quelque  fubftance  à  qui  elles  foient  attachées,  ny  par  confe- 
quent  exiller  fans  elle;  mais  il  eft  tres-éuident  que  ces  facultez,  s'il 
eft  vray  qu'elles  exiftent,  doiuent  eftre  attachées  à  quelque  fubftance 
corporelle  ou  étendue,  &  non  pas  à  vne  fubftance  intelligente, 
M  puifquc,  dans  |  leur  concept  clair  &  diftind,  il  y  a  bien  quelque  forj^e 
d'extcnfion  qui  fe  trouue  contenue,  mais  point  du  tout  d'intcilr» 


79-8o. 


Méditations.  —  Sixième.  6} 


gence.  De  plus,  il  fe  rencontre  en  moy  vne  certaine  faculté  pafliue 
de  fentir,  c'eftà  dire  de  receuoir  &  de  connoiftre  les  idées  des  criofes 
fenfibles;  mais  elle  me  feroit  inutile,  &  ie  ne  m'en  pourois  aucune- 
ment leruir,  s'il  n'y  auoit  en  moy,  ou  en  autruy,  vne  autre  faculté 
aéliue,  capable  de  former  &  produire  ces  idées.  Or  cette  faculté 
adiue  ne  peut  eftre  en  moy  en  tant  que  ie  ne  fuis  qu'vne  chofe  qui 
penfe,  veu  qu'elle  ne  prefupofe  point  ma  penfée,  &  auiïi  que  ces 
idées-là  mft  font  fouuent  reprefentées  fans  que  i'y  contribué'  en  au- 
cune forte,  &  mefme  fouuent  contre  mon  gré;  il  faut  donc  neceffai- 
rement  qu'elle  foit  en  quelque  fubllance  différente  de  moy,  dans 
laquelle  toute  la  realité,  qui  eil  obiediuement  dans  les  idées  qui  en 
font  produites,  foit  contenue  formellement  ou  éminemment  (comme 
ie  l'ay  remarqué  cy-deuant).  Et  cette  fubftance  eft  ou  vn  corps, 
c'eft  à  dire  vne  nature  corporelle,  dans  laquelle  eft  contenu  formel- 
lement &  en  efifed  tout  ce  qui  eft  objedivement  &  par  reprefenta- 
tion  dans  les  idées;  ou  bien  c'eft  Dieu  mefme,  ou  quelqu'autre 
créature  plus  noble  que  le  corps,  dans  laquelle  cela  mefme  eft  con- 
tenu éminemment. 

Or,  Dieu  n'eftani  point  trompeur,  il  eft  tres-manifefte  qu'il  ne 
m'enuoye  point  ces  idées  immédiatement  par  luy-mefme,  ny  aufli 
par  l'entremife  de  quelque  créature,  dans  laquelle  leur  realité  ne 
foit  I  pas  contenue  formellement,  mais  feulement  éminemment.  Car 
ne  m'ayant  donné  aucune  faculté  pour  connoiftre  que  cela  foit,  mais 
au  conti;aire  vne  très-grande  |  inclination  à  croire  qu'elles  me  font 
enuoyées  ou  qu'elles  partent  des  chofes  corporelles,  ie  ne  voy  pas 
comment  on  pouroit  l'excufer  de  tromperie,  û  en  effed  ces  idées 
partoient  ou  eftoient  produites  par  d'autres  caufes  que  par  des 
chofes  corporelles.  Et  partant  il  faut  confefl'er  qu'il  y  a  des  chofes 
corporelles  qui  exiftent. 

Toutesfois  elles  ne  font  peut-eftre  pas  entièrement  telles  que  nous 
les  apperceuons  par  les  fens,  car  cette  perception  des  fens  eft  fort 
obfcure  &  confufe  en  plufieurs  chofes;  mais  au  moins  faut-il  auouer 
que  toutes  les  chofes  que  i'y  conçoy  clairement  &  diftindement, 
c'eft  à  dire  toutes  les  chofes,  généralement  parlant,  qui  font  com- 
prifes  dans  l'objet  de  la  Géométrie  fpeculatiue,  s'y  retrouuent  véri- 
tablement. Mais  pour  ce  qui  eft  des  autres  chofes,  lefquelles  ou  font 
feulement  particulières,  par  exemple,  que  le  Soleil  foit  de  telle  gran- 
deur ^  de  telle  figure,  &c.,  ou  bien  font  conceuës  moins  clairemem 
^  moins  diftindement,  comme  la  lumière,  le  fon,  la  douleur,  & 
autres  femblables,  il  eft  certain  qu'encore  qu'elles  foient  fort  dou- 
teufes  &.  incertaines,  toutesfois  de  cela  feul  que  Dieu  n'eft  point 


64  Œuvres  de  Descartes. 


80-81. 


iOO 


trompeur,  &  que  par  confequent  il  n'a  point  permis  qu'i^  peuft  y 
auoir  aucune  faulTeté  dans  mes  opinions,  qu'il  ne  m'ait  auffi  donné 
quelque  faculté  capable  de  la  cor{riger,  ie  croy  pouuoir  conclure 
alfurement  que  i'ay  en  moy  les  moyens  de  les  connoiftre  auec  cer- 
titude. 

Et  premièrement  il  n'y  a  point  de  doute  que  tout  ce  que  la  nature 
m'enfeigne  contient  quelque  vérité.  Car  par  la  nature,  confiderée  en 
gênerai,  ie  n'entens  maintenant  autre  chofe  que  Dieu  mefme,  ou 
bien  l'ordre  &  la  difpolîtion  que  Dieu  a  établie  dans  les  chofes 
créées.  Et  par  ma  nature  en  particulier,  ie  n'entens  autre  chofe  que 
la  complexion  ou  l'alfemblage  de  toutes  les  chofes  que  Dieu  m'a 
données. 

Or  il  n'y  a  rien  que  cette  nature  m'enfeigne  plus  expreffement,  ny 
plus  fenfiblement,  fmon  que  i'ay  vn  corps^quieft  mal  difpofé  quand 
ie  fens  de  la  douleur,  qui  a  befoin  de  manger  ou  de  boire,  quand 
i'ay  les  fcntimens  de  la  faim  ou  de  la  foif,  &c.  Et  partant  ie  ne  dois 
aucunement  douter  qu'il  n'y  ait  en  cela  quelque  vérité. 

I  La  nature  m'enfeigne  aufli  par  ces  fentimens  de  douleur, de  faim, 
de  foif,  &c.,  que  ie  ne  fuis  pas  feulement  logé  dans  mon  corps,  ainfi 
qu'vn  pilote  en  fon  nauire,  mais,  outre  cela,  qiie  ie  luy  fuis  conioint 
tres-éiroittement  &.  tellement  confondu  &  méfié,  que  Je  compofe 
comme  vn  feul  tout  auec  luy.  Car,  fi  cela  n'elloit,  lorfque  mon 
corps  eft  blelfé,  ie  ne  fentirois  pas  pour  cela  de  la  douleur,  moy  qui 
ne  fuis  qu'vne  chofe  qui  penfe,  mais  i'aperceurois  cette  blelfure  par 
le  feul  entendement,  comme  vn  pilote  appcrçoit  par  la  veuë  fi 
101  quelque  chofe  fe  rompt  dans  fon  vaiffeau;  j  &  lorfque  mon  corps  a 
befoin  de  boire  ou  de  manger,  ie  connoiftrois  fimplement  cela 
mefme,  fans  en  eilre  auerty  par  des  fentimens  confus  de  faim  &  de 
foif.  Car  en  effed  tous  ces  fentimens  de  faim,  de  foif,  de  douleur, 
&c.,  ne  font  autre  chofe  que  de  certaines  façons  confufes  de  penfer, 
qui  prouiennent  &.  dépendent  de  l'vnion  &  comme  du  mélange  de 
l'efprii  auec  le  corps. 

Outre  cela,  la  nature  m'enfeigne  que  plulieurs  autres  corps 
exifient  autour  du  mien,  entre  lefquels  ie  dois  pourfuiure  les 
vns  &  fuir  les  autres.  Et  certes,  de  ce  que  ie  fens  dift'erentes  fortes 
de  couleurs,  d'odeurs,  de  faueurs,  de  fons,  de  chaleur,  de  dureté, 
&c.,  ie  conclus  fort  bien  qu'il  y  a  dans  les  corps,  d'où  procèdent 
toutes  ces  diuerfes  perceptions  des  fens,  quelques  varietcz  qui  leur 
répondent,  quoy  que  peut-ellre  ces  varieiez  ne  leur  foicnt  point  en 
effed  fcmblables.  Et  aufii,  de  ce  qu'entre  ces  diuerfes  perceptions 
des  fens,  les  vnes  me  font  agréables,  ^  les  autres  dclagrcablcs,  ie 


81-82.  Méditations.  —  Sixième.  ôjj 

puis  tirer  vne  confequence  tout  à  fait  certaine,  que  mon  corps  (ou 
plutoft  moy-mefme  tout  entier,  en  tant  que  ie  fuis  compofé  du  corps 
&  de  l'ame)  peut  receuoir  diuerfes  commoditez  ou  incommoditez 
des  autres  corps  qui  l'enyironnent. 

I  Mais  il  y  a  plufieurs  autres  chofes  qu'il  femble  que  la  nature 
m'ait  enfeignées,  lefquelles  toutesfois  ie  n'ay  pas  véritablement  re- 
ceuès  d'elle,  mais  qui  fe  font  introduites  en  mon  efprit  par  vne  cer- 
taine coutume  que  i'ay  de  iuger  inconfiderement  des  chofes;  &- 
ainfi  il  |  peut  ayfément  arriuer  qu'elles  contiennent  quelque  fauf-  102 
fêté.  Comme,  par  exemple,  l'opinion  que  i'ay  que  tout  efpace  dans 
lequel  il  n'y  a  rien  qui  meuue,  &  face  impreflion  fur  mes  fens,  foit 
vuide;  que  dans  vn  corps  qui  eft  chaud,  il  y  ait  quelque  chofe  de 
femblable  à  l'idée  de  la  chaleur  qui  eft  en  moy;  que  dans  vn  corps 
blanc  ou  noir,  il  y  ait  la  mefme  blancheur  ou  noirceur  que  ie  fens; 
que  dans  vn  corps  amer  ou  doux,  il  y  ait  le  mefme  gouft  ou  la 
mefme  faueur,  &  ainfi  des  autres;  que  les  aftres,  les  tours  &  tous 
les  autres  corps  efloignez  foient  de  la  mefme  figure  &  grandeur 
qu'ils  paroiffent  de  loin  à  nos  yeux,  &c. 

Mais  afin  qu'il  n'y  ait  rien  en  cecy  que  ie  ne  conçoiue  diftin6le- 
ment,  ie  dois  precifement  définir  ce  que  i'entens  proprement  lorfque 
ie  dis  que  la  nature  m'enfeigne  quelque  chofe.  Car  ie  prens  icy  la 
nature  en  vne  fignification  plus  refferrée,  que  lorfque  ie  l'appelle  vn 
aflemblage  ou  vne  complexion  de  toutes  les  chofes  que  Dieu  m'a 
données;  veu  que  cet  affemblage  ou  complexion  comprend  beaucoup 
de  chofes  qui  n'appartiennent  qu'à  l'efprit  feul,  defquelles  ie  n'en- 
tens  point  icy  parler,  en  parlant  de  la  nature  :  comme,  par  exemple, 
la  notion  que  i'ay  de  cette  vérité,  que  ce  qui  a  vne  fois  efté  fait  ne 
peut  plus  n'auoir  point  efté  fait,  &  vne  infinité  d'autres  femblables, 
que  ie  connois  par  la  lumière  naturelle  fans  l'ayde  du  corps,  & 
qu'il  en  comprend  aulfi  plufieurs  autres  qui  n'appartiennent  qu'au 
corps  feul,  &  ne  font  point  icy  non  plus  contenues  fous  le  nom  de 
nature  :  comme  la  qua|lité  qu'il  a  d'eftre  pefant,  &  plufieurs  autres  108 
femblables,  defquelles  ie  ne  parle  pas  auffi,  mais  feulement  des 
chofes  que  Dieu  m'a  données,  comme  eftant  compofé  de  l'efprit  & 
du  corps.  Or  cette  nature  m'apprend  bien  à  fuir  les  chofes  qui 
caufent  en  moy  le  fentiment  de  la  douleur,  &  à  me  porter  vers  celles 
qui  me  communiquent  quelque  fentiment  de  plaifir;  mais  ie  ne  voy 
point  qu'outre  cela  elle  m'apprenne  que  de  ces  diuerfes  perceptions 
des  fens  nous  deuions  iamais  rien  conclure  touchant  les  chofes  qui 
font  hors  de  nous,  fans  que  l'efprit  les  ait  foigneufement  &  meure- 
ne.n*  examinées.  Car  c'eft,  ce*  me  femble,  à  l'efprit  feul,  &  non 
Œuvres.  IV.  5 


66  Œuvres  de  Descartes.  82-84- 

point  au  compofé  de  refprit  &  du  corps,  qu'il  appartient  de  con- 
noiftre  la  vérité  de  ces  chofes-là. 

|Ainfi,  quoy  qu'vne  eftoille  ne  face  pas  plus  d'impreflîon  en  mon 
œil  que  le  feu  d'vn  petit  flambeau,  il  n'y  a  toutesfois  en  moy  au- 
cune faculté  réelle  ou  naturelle,  qui  me  porte  à  croire  qu'elle  n'eft 
pas  plus  grande  que  ce  feu,  mais  ie  l'ay  iugé  ainfi  dés  mes  pre- 
mières années  fans  aucun  raifonnable  fondement.  Et  quoy  qu'en 
aprocharit  du  feu  ie  fente  de  la  chaleur,  &  mefme  que  m'en  ap- 
prochant vn  peu  trop  prés  ie  relTente  de  la  douleur,  il  n'y  a  toutesfois 
aucune  raifon  qui  mepuiffe  perfuader  qu'il  y  a  dans  le  feu  quelque 
chofe  de  femblable  à  cette  chaleur,  non  plus  qu'à  cette  douleur; 
mais  feulement  i'ay  raifon  de  croire  qu'il  y  a  quelque  chofe  en 
luy,  quelle  qu'elle  puiffë  eflre,  qui  excite  en  moy  ces  fentimens  de 
chaleur  ou  de  douleur. 

104  .  jDe  mefme  aufli,  quoy  qu'il  y  ait  des  efpaces  dans  lefquels  ie  ne 
trouue  rien  qui  excite  &  meuue  mes  fens,  ie  ne  dois  pas  conclure 
pour  cela  que  ces  efpaces  ne  contiennent  en  eUx  aucun  corps  ;  mais 
ie  voy  que,  tant  en  cecy  qu'en  plufieurs  autres  chofes  femblables, 
i'ay  accouftumé  de  peruertir  &  confondre  l'ordre  de  la  nature, 
parce  que  ces  fentimens  ou  perceptions  des  fens  n'ayant  efté  mifes 
en  moy  que  pour  fignifier  à  mon  efprit  quelles  chofes  font  conue- 
nables  ou  nuifibles  au  compofé  dont  il  eft  partie,  &  iufques  là 
eftant  alfez  claires  &  affez  diflindes,  ie  m'en  fers  neantmoins  comme 
fi  elles  eftoiemdes  règles  très-certaines,  par  lefquelles  ie  peulfe  con- 
noiftre  immédiatement  l'effence  &  la  nature  des  corps  qui  font  hors 
de  moy,  de  laquelle  toutesfois  elles  ne  me  peuuent  rien  enfeigner 
que  de  fort  obfcur  &  confus. 

Mais  i'ay  defia  cy-deuant  affez  examiné  comment,  nonobftant  la 
fouueraine  bonté  de  Dieu,  il  arriue  qu'il  y  ait  de  la  fauffeté  dans  les 
iugemens  que  ie  fais  en  cette  forte.  Il  fe  prefénte  feulement  encore 
icy  vne  difficulté  touchant  les  chofes  que  la  nature  m'enfeigne  de- 
uoir  eftre  fuiuies  ou  euitées,  &  aufli  touchant  les  fentimens  inté- 
rieurs qu'elle  a  mis  en  moy;  car  il  me  femble  y  auoir  quelquefois 
remarqué  de  l'erreur,  &  ainfi  que  ie  fuis  direiflement  trompé  par  ma 
nature.  Comme,  par  exemple,  le  gouft  agréable  de  quelque  viande, 
en  laquelle  on  aura  meflé  du  poifon,  peut  m'inuiter  à  prendre  ce 
poifon,  &  ainfi  me  tromper.  (Il  efl:  vray  toutesfois  qu'en  cecy  la  na- 

ÎJ6  ture  I  peut  cftre  cxcufée,  car  elle  me  porte  feulement  à  defirer  la 
viande  dani  laquelle  ie*  rencontre  vne  faueur  agréable,  &  non  point 

a.  Lirg  fe  ccntimt  dans  la  2*  et  la  Jf  édition  ? 


84-85.  Méditations.  —  Sixième.  6'] 

à  defirer  le  poifon,  lequel  luy  eft  inconnu  ;  de  façon  que  ie  ne  puis 
conclure  de  cecy  autre  chofe,  finon  que  ma  nature  ne  connoift  pas 
entièrement  &  vniuerfellement  toutes  chofes  :  de  quoy  certes  il  n'y 
a  pas  lieu  de  s'eftonner,  puifque  l'homme,  eftant  d'vne  nature  finie, 
ne  peut  auiïi  auoir  qu'vne  connoiffance  d'vne  perfedion  limitée. 

Mais  nous  nous  trompons  aulfi  aflez  fouuent,  mefme  dans  les 
chofes  aufquelles  nous  fommes  diredement  portez  par  la  nature, 
comme  il  arriue  aux  malades,  lorfqu'ils  défirent  de  boire  ou  de 
manger  des  chofes  qui  leur  peuuent  nuire.  On  dira  peut-eftre  icy 
que  ce  qui  eft  caufe  qu'ils  fe  trompent,  eft  que  leur  nature  eft  cor- 
rompue; mais  cela  n'ofte  pas  la  difficulté,  parce  qu'vn  homme 
malade  n'eft  pas  moins  véritablement  la  créature  de  Dieu,  qu'vn 
homme  qui  eft  en  pleine  fanté  ;  &  partant  il  répugne  autant  à  la 
bonté  de  Dieu,  qu'il  ait  vne  nature  trompeufe  &  fauiiue,  que  l'autre. 
Et  comme  vne  horloge,  compofée  de  roiies  &  de  contrepoids,  n'ob- 
ferue  pas  moins  exadement  toutes  les  loix  de  la  nature,  lorfqu'elle 
eft  mal  faite,  &  qu'elle  ne  montre  pas  bien  les  heures,  que  lorf- 
qu'elle fatisfait  entièrement  au  defir  de  l'ouurier  ;  de  mefme  auffi,  fi 
ie  confidere  le  corps  de  l'homme  comme  eftant  vne  machine  telle- 
ment baftie  &  compofée  d'os,  de  nerfs,  de  mufcles,  |  de  veines,  de  io6 
fang  &  de  peau,  qu'encore  bien  qu'il  n'y  euft  en  luy  aucun  efprit, 
il  ne  lairroit  pas  de  fe  mouuoir  en  toutes  les  mefmes  façons  qu'il 
fait  à  prefent,  lorfqu'il  ne  fe  meut  point  par  la  direftion  de  fa  vo- 
lonté, ny  par  confequent  par  l'aide  de  l'efprit,  mais  feulement  par 
la  difpofition  de  fes  organes,  ie  reconnois  facilement  qu'il  feroit 
aufli  naturel  à  ce  corps,  eftant,  par  exemple,  hydropique,  de  fouffrir 
la  fechereffe  du  gozier,  qui  a  couftume  de  fignifier  à  l'efprit  le  fenti- 
ment  de  la  foif,  &  d'eftre  difpofé  par  cette  fecherefle  à  mouuoir  fes 
nerfs  &  fes  autres  parties,  en  la  façon  qui  eft  requife  pour  boire,  & 
ainfi  d'augmenter  fon  mal  &  fe  nuire  à  foy-mefme,  qu'il  luy  eft  na- 
turel, lorfqu'il  n'a  aucune  indifpofition,  |  d'eftre  porté  à  boire  pour 
fon  vtilité  par  vne  femblable  fecherefle  de  gozier.  Et  quoy  que,  re- 
gardant à  l'vfage  auquel  l'horloge  a  efté  deftinée  par  fon  ouurier,  ie 
puiffe  dire  qu'elle  fe  détourne  de  fa  nature,  lorfqu'elle  ne  marque 
pas  bien  les  heures  ;  &  qu'en  mefme  façon,  confiderant  la  machine 
du  corps  humain  comme  ayant  efté  formée  de  Dieu  pour  auoir  en 
foy  tous  les  mouuemens  qui  ont  couftume  d'y  eftre,  i'aye  fujet  de 
penfer  qu'elle  ne  fuit  pas  l'ordre  de  fa  nature,  quand  fon  gozier  eft 
fec,  &  que  le  )oire  nuit  à  fa  conferuation  ;  ie  reconnois  toutesfois 
que  cette  dernière  façon  d'expliquer  la  nature  eft  beaucoup  diffé- 
rente de  l'autre.  Car  celle-cy  n'eft  autre  chofe  qu'vne  fimple  deno- 


68  Œuvres  de  Descartes.  ss-sô. 

mination,  laquelle  dépend  entièrement  de  ma  penfée,  qui  compare 

107  vn  homme  malade  &  |  vne  horloge  mal  faite,  auec  l'idée  que  i'ay 
d'vn  homme  fain  &  d'vne  horloge  bien  faite,  &  laquelle  ne  fignifie 
rien  qui  Te  retrouue*  en  la  chofe  dont  elle  fe  dit  ;  au  lieu  que,  par 
l'autre  façon  d'expliquer  la  nature,  i'entens  quelque  chofe  qui  fe 
rencontre  véritablement  dans  les  chofes,  &  partant  qui  n'cft  point 
fans  quelque  vérité. 

Mais  certes,  quoy  qu'au  regard  du  corps  hydropique,  ce  ne  foit 
qu'vne  dénomination  extérieure,  lors  qu'on  dit  que  fa  nature  eft  cor- 
rompue, en  ce  que,  fans  auoir  befoin  de  boire,  il  ne  laiffe  pas  d'auoir 
le  gozier  (ec  &  aride  ;  toutesfois,  au  regard  de  tout  le  compozé, 
c'eit  à  dire  de  l'efprit  ou  de  i'ame  vnie  à  ce  corps,  ce  n'eft  pas  vne 
pure  dénomination,  mais  bien  vne  véritable  erreur  de  nature,  en 
ce  qu'il  a  foif,  lorfqu'il  luy  eft  tres-nuifible  de  boire  ;  &  partant, 
il  refte  encore  à  examiner  comment  la  bonté  de  Dieu  ri*empefche 
pas  que  la  nature  de  l'homme,  prife  de  cette  forte,  foit  fautiue  & 
trompeufe. 

Pour  commencer  donc  cet  examen,  ie  remarque  icy,  première- 
ment, qu'il  y  a  vne  grande  différence  entre  l'efprit  &  le  corps,  en 
ce  que  le  corps,  de  fa  nature,  eft  toufiours  diuifible,  &  que  l'efprit 
eft  entièrement  |  indiuifible.  Car  en  effed,  lors  que  ie  confidere  mon 
efprit,  c'eft  à  dire  moy-mefme  en  tant  que  ie  fuis  feulement  vne 
chofe  qui  penfe,  ie  n'y  puis  diftinguer  aucunes  parties,  mais  ie  me 
conçoy  comme  vne  chofe  feule  &  entière.  Et  quoy  que  tout  l'efprit 
femble  eftre  vny  à  tout  le  corps,  toutesfois  vn  pied,  ou  vn  bras, 

108  ou  quelqu'autre  partie  |  eft^nt  féparce  de  mon  corps^  il  eft  certain 
que  pour  cela  il  n'y  aura  rien  de  retranché  de  mon  efprit.  Et  les 
facultez  de  vouloir,  de  fentir,  de  conceuoir  &c.,  ne  peuuent  pas 
proprement  eftre  dites  fes  parties  :  car  le  mefme  efprit  s'emploie 
tout  entier  à  vouloir,  &  aufTi  tout  entier  à  fentir,  à  conceuoir  &c. 
Mais  c'eft  tout  le  contraire  dans  les  chofes  '  corporelles  ou  eftenduës  : 
car  il  n'y  en  a  pas  vne  que  ie  ne  mette  aifement  en  pièces  par  ma 
penfée,  que"  mon  efprit  nediuife  fort  facilement  en  plufieurs  parties, 
&  par  confequent  que  ie  ne  connoiffc  eftre  diuifible.  Ce  qui  fuffiroit 
pour  m'enfeigner  que  l'efprit  ou  l'âme  de  l'homme  eft  entièrement 
différente  du  corps,  fi  ie  ne  l'auois  défia  d'ailleurs  aflez  appris. 

a.  «  des  choses  •(/'''  édit.).  Errata  :  «  dans  les  choses  ». 

b.  Que]  ou  que  {3*  édit.).  —  Mais  celte  incise  «  que. . .  parties  »  semble 
être  une  retouche  (faite  par  Descartes?)  de  celle  qui  précède  «  (juc... 
pensée  •,  et  qui  aurait/dû  £tre  supprimée. 


86.87.  Méditations.  —  Sixième.  69 

le  remarque  auffî  que  refprit  ne  reçoit  pas  immédiatement  l'im- 
preifion  de  toutes  les  parties  du  corps,  mais  feulement  du  cerueau, 
ou  peut-eftre  mefme  d'.vne  de  fes  plus  petites  partres,  à  fçauoir  de 
celle  où  s'exerce  cette  faculté  qu'ils  appellent  le  fens  commun,  la- 
quelle, toutes  les  fois  qu'elle  eftdifpofée  de  mefme  façon,  fait  fentir 
la  mefme  chofe  à  l'efprit,  quoy  que  cependant  les  autres  parties  du 
corps  puiffent  eftre  diuerfement  difpofées,  comme  le  témoignent 
vne  infinité  d'expériences,  lefquelles  il  n'eft  pas  icy  befoin  de  rap- 
porter. 

le  remarque,  outre  cela,  que  la  nature  du  corps  eft  telle,  qu'au- 
cune de  fes  parties  ne  peut  eftre  meuC  par  vne  autre  partie  vn  peu 
efloignée,  qu'elle  ne  le  puiffe  eftre  aufli  de  la  mefme  forte  par  cha- 
cune des  parties  qui  font  entre  deux,  quoy  que  cette  partie  |  plus  i09 
efloignée  n'agiffe  point.  Comme,  par  exemple,  dans  la  corde  ABCD 
qui  eft  toute  tendue,  fi  |  l'on  vient  à  tirer  &  remuer  la  dernière  partie 
D,  la  première  A  ne  fera  pas  remuée  d'vne  autre  façon,  qu'on  la 
pouroit  auffi  faire  mouuoir,  fi  on  tiroit  vne  des  parties  moyennes, 
B  ou  C,  &  que  la  dernière  D  demeuraft  cependant  immobile.  Et 
en  mefme  façon,  quand  ie  reffens  de  la  douleur  au  pied,  la  Phy- 
fique  m'apprend  que  ce  fentiment  fc  communique  par  le  moyen 
des  nerfs  difperfez  dans  le  pied,  qui  fe  trouuant  étendus  comme 
des  cordes  depuis  là  iufqu'au  cerueau,  lorfqu'ils  font  tirez  dan&le 
pied,  tirent  aufli  en  mefme  temps  l'endroit  du  cerueau  d'où  ils 
viennent  &  auquel  ils  aboutifl"ent,  &  y  excitent  vn  certain  mouue- 
ment,  que  la  nature  a  inftitué  pour  faire  fentir  de  la  douleur  à  l'ef- 
prit, comme  fi  cette  douleur  eftoit  dans  le  pied.  Mais  parce  que  ces 
nerfs  doiuent  pafl"er  par  la  iambe,  par  la  cuifl'e,  par  les  reins,  par  le 
dos  &  par  le  col,  pour  s'eftendre  depuis  le  pied  iufqu'au  cerueau,  il 
peut  arriuer  qu'encore  bien  que  leurs  extremitez  qui  font  dans  le 
pied  ne  foient  point  remuées,  mais  feulement  quelques  vnes  de 
leurs  parties  qui  paflent  par  les  reins  ou  par  le  col,  cela  neantmoins 
excite  les  mefmes  mouuemens  dans  le  cerueau,  qui  pôuroient  y  eftre 
excitez  par  vne  bleffure  receuë  dans  le  pied,  en  fuitte  de  quoy  il  fera 
neceflaire  que  l'efprit  relTente  dans  le  pied  la  mefme  douleur  que 
s'il  y  auoit  receu  vne  blefl'ure.  Et  il  faut  iuger  le  femblable  de 
toutes  les  autres  perceptions  de  nos  fens. 

I  Enfin  ie  remarque  que,  puifque  de  tous  les  mouuemens  qui  fe     UO 
font  dans  la  partie  du  cerueau  dont  l'efprit  reçoit  immédiatement 
l'impreflion,  chacun  ne  caufe  qu'vn  certain  fentiment,  on  ne  peut 
rien  en  cela  fouhaitter  ny  imaginer  de  mieux,  finon  que  ce  mouue- 
ment  face  reflentir  à  l'efprit,  entre  tous  les  fentimens  qu'il  eft 


JO  OEuVRES   DE   DeSCARTES.  87.88. 

capable  de  caufer,  celuy  qui  eft  le  plus  propre  &  le  plus  ordinaire- 
ment vtile  à  la  conferuation  du  corps  humain,  lorfqu'il  efl  en  pleine 
fanté.  Or  l'expérience  nous  fait  connoiftre,  que  tous  les  feniimens 
que  la  nature  nous  a  donnés  font  tels  que  ie  viens  de '^  dire;  & 
partant,  il  ne  fe  trouue  rien  en  eux,  qui  ne  face  paroiftre  la  puif« 
fance  &  la  bonté  du  Dieu  qui  les  a  produits. 

Ainfi,  par  exemple,  |  lorfque  les  nerfs  qui  font  dans  le  pied  font 
remuez  fortement,  &  plus  qu'à  l'ordinaire,  leur  mouuement,  paf- 
fant  par  la  moiieilc  "de  l'efpine  du  dos  iufqu'au  cerueau,  fait  vne 
impreffion  à  l'efprit  qui  luy  fait  fentir  quelque  chofe,  à  fçauoir  de 
la  douleur,  comme  eftant  dans  le  pied,  par  laquelle  l'efprit  eft 
auerty  &  excité  à  faire  fon  pof^vble  pour  en  chaffer  la  caufe,  comme 
tres-dangereufe  &  nuifible  au  pîed. 

Il  eft  vray  que  Dieu  pouuoit  eftablir  la  nature  de  l'homme  de 
telle  forte,  que  ce  mefme  mouuement  dans  le  cerueau  fift  fentir 
toute  autre  chofe  à  l'efprit  :  par  exemple,  qu'il  fe  fift  fentir  foy- 
mefme,  ou  en  tant  qu'il  eft  dans  le  cerueau,  ou  en  tant  qu'il  eft 
111  dans  le  pied,  ou  bien  en  tant  qu'il  eft  en  quelqu'autre  enjdroit 
entre  le  pied  &  le  cerueau,  ou  enfin  quelque  autre  chofe  telle 
qu'elle  peuft  eftre  ;  mais  rien  de  tout  cela  n'euft  fi  bien  contribué  à 
la  conferuation  du  corps,  que  ce  qu'il  luy  fait  fentir. 

De  mefme,  lorfque  nous  auons  befoin  de  boire,  il  naift  de  là  vne 
certaine  fechereffc  dans  le  gozier,  qui  remue  fes  nerfs,  &  par  leur 
moyen  les  parties  intérieures  du  cerueau  ;  &  ce  mouuement  fait 
reffentir  à  l'efprit  le  fentiment  de  la  foif,  parce  qu'en  cette  occafion- 
là  il  n'y  a  rien  qui  nous  foit  plus  vtile  que  de  fçauoir  que  nous 
auons  befoin  de  boire,  pour  la  conferuation  de  noftre  fanté;  &  ainfi 
des  autres. 

D'où  il  eft  ei.  icrement  manifefte  que,  nonobftant  la  fouueraine 
bonté  de  Dieu,  la  nature  de  l'homme,  en  tant  qu'il  eft  compofé  de 
l'efprit  &  du  corps,  ne  peut  qu'elle  ne  foit  quelquefois  fautiue  & 
trompeufe. 

Car  s'il  y  a  quelque  caufe  qui  excite,  non  dans  le  pied,  mais  en 
quelqu'vne  des  parties  du  nerf  qui  eft  tendu  depuis  le  pied  iuf- 
qu'au cerueau,  ou  mefme  dans  le  cerueau,  le  mefme  mouuement 
qui  fe  fait  ordinairement  quand  le  pied  eft  mal  difpofé,  on  fentira 
de  la  douleur  comme  fi  elle  cftoii  diins  le  pied,  &  le  fens  fera  natu- 
rellement trompé  ;  parce  qu'vn  mefme  mouuement  dans  le  cer- 
ueau ne  poui    nt  caufer  en  l'efprit  qu'vn  mcfmc  fentiment,  &  ce 

A    de  omisli"  édit.). 


88-90.  Méditations.  —  Sixième.  71 

fentiment  eftant  beaucoup  plus  fouuent  excité  par  vne  caufe  qui 
bleffe  le  pied,  que  par  vne  autre  qui  foit  ailleurs,  il  eft  bien  plus 
raifonnable  |  qu'il  porte  à  l'efpnt  la  douleur  |  du  pied  que  celle  iU 
d'aucune  autre  partie.  Et  quoy  que  la  fechereffe  du  gozier  ne 
vienne  pas  toufiours,  comme  à  l'ordinaire,  de  ce  que  le  boire  eft 
neceffaire  pour  la  fanté  du  corps,  mais  quelquefois  d'vne  caufe 
toute  contraire,  comme  expérimentent  les  hydropiques,  toutesfois 
il  eft  beaucoup  mieux  qu'elle  trompe  en  ce  rencontre-là,  que  fi,  au 
contraire,  elle  trompoit  toufiours  lorfque  le  corps  eft  bien  difpofé; 
&  ainfi  des  autres. 

Et  certes  cette  confideration  me  fert  beaucoup,  non  feulement 
pour  reconnoiftre  toutes  les  erreurs  aufquellcs  ma  nature  eft  fujette, 
mais  aufti  pour  les  euiter,  ou  pour  les  corriger  plus  facilement  : 
car  fçachant  que  tous  mes  fens  me  fignifient  plus  ordinairement  le 
vray  que  le  faux,  touchant  les  chofes  qui  regardent  les  commoditez 
ou  incommoditez  du  corps,  &  pouuant  prefque  toufiours  me  feruir 
de  plufieurs  d'entre  eux  pour  examiner  vne  mefme  chofe,  &  outre 
cela,  pouuant  vfer  de  ma  mémoire  pour  lier  &  ioindre  les  connoif- 
fances  prefentes  aux  palfées,  &  de  mon  entendement  qui  a  défia 
découuert  toutes  les  caufes  de  mes  erreurs,  ie  ne  dois  plus  craindre 
déformais  qu'il  fe  rencontre  de  la  fauffeté  dans  les  chofes  qui  me 
font  le  plus  ordinairement  reprefentées  par  mes  fens.  Et  ie  dois 
rejetter  tous  les  doutes  de  ces  iours  paflez,  comme  hyperboliques 
&  ridicules,  particulièrement  cette  incertitude  fi  générale  touchant  . 
le  fommeil,  que  ie  ne  pouuois  diftinguer  de  la  veille  :  car  à  prefent 
l'y  rencontre  vne  tres-notable  différence,  en  ce  que  no|ftre  mémoire  iil 
ne  peut  iamais  lier  &  ioindre  nos  fonges  les  vns  aux  autres  &  auec 
toute  la  fuitte  de  noftre  vie,  ainfi  qu'elle  a  de  couftume  de  ioindre 
les  chofes  qui  nous  arriuent  eftant  éueillés.  Et,  en  effeél,  fi  quel- 
qu'vn,  lorfque  ie  veille,  m'apparoiffoit  tout  foudain  &  difparoiffoit 
de  mefme,  comme  font  les  images  que  ie  voy  en  dorm'ant,  en  forte 
que  ie  ne  puffe  remarquer  ny  d*où  il  viendroit,  ny  où  il  iroit,  ce  ne 
feroit  pas  fans  raifon  |  que  ie  l'eftimerois  vn  fpedre  ou  vh  phan- 
tofme  formé  dans  mon  cerueau,&  femblable  à  ceux  qui  s'y  forment 
quand  ie  dors,  pluftoft  qu'vn  vray  homme.  Mais  lorfque  i'aperçoy 
des  chofes  dont  ie  connois  diftinélement  &  le  lieu  d'où  elles 
viennent,  &  celuy  où  elles  font,  &  le  temps  auquel  elles  m'apa* 
roifl'ent,  &  que,  fans  aucune  interruption,  ie  puis  lier  le  fentiment 
que  i'en  ay,  auec  la  fuitte  du  refte  de  ma  vie,  ie  fuis  entièrement 
afl'eurç  que  ie  les  apperçoy  en  veillant,  &  non  point  dans  le  fommeil. 
Et  ie  ne  dois  en  aucune  façon  douter  de  la  vérité  de  ces  chofes-là, 


72  Œuvres  de  Descartes.  90- 

fi,  après  auoir  appelé  tous  mes  fens,  ma  mémoire  &  mon  entende- 
ment pour  les  examiner,  il  ne  m'eft  rien  rapporté  par  aucun  d'eux, 
qui  ait  de  la  répugnance  auec  ce  qui  m'eft  raporté  par  les  autres. 
Car  de  ce  que  Dieu  n'eft  point  trompeur,  il  fuit  neceffairement  que 
ie  ne  fuis  point  en  cela  trompé. 

Mais  parce  que  la  neceflité  des  affaires  nous  oblige  fouuent  à 

nous  déterminer,  auant  que  nous  ayons  eu  le  loifir  de  les  examiner 

114     fi  foigneufement,  il  faut  |  auotler  que  la  vie  de  l'homme  eft  fujette 

à  faillir  fort  fouuent  dans  les  chofes  particulières  ;  &  enfin  il  faut 

reconnoiftre  Tinfirmité  &  la  foiblefle  de  noftre  nature. 


FIN. 


lOBIECTIONS  m 

FAITES  PAR  DES  PERSONNES  TRES-DOCTES 

CONTRE  LES   PRECEDENTES  MEDITATIONS 

AVEC  LES  RÉPONCES 
DE  l'auteur 


PREMIERES  OBIECTIONS 
D'vn"  fçauant  Théologien  du  Pays-bas. 

MeffieurSf 

Auffî-to/l  que  i'ay  reconnu  le  dejîr  que  vous  auie^  que  i'examinajfe 
foigneujement  les  écrits  de  Monjieur  des-Cartes,  i'ay  penfé  qu'il 
ejloit  de  mon  deuoir  de  fatisfaire  en  cette  occajion  à  des  pcrfonnes 
qui  me  font  Ji  chères,  tant  pour  j'ous  témoi\gner  par  là  l'ejlime  que  ii6 
te  fais  de  voftre  amitié,  que  pour  pous  faire  connoiflre  ce  qui  manque 
à  ma  fuffifance  &  à  la  perfeâion  de  mon  efprit;  afin  que  dorefna- 
uant  vous  aye\  vn  peu  plus  de  charité  pour  mof,fii'en  ay  befoin,  & 
que  vous  m'épargnie^  ime  autre  fois,  f.  ie  ne  puis  porter  la  charge 
que  jfous  m'aue^  impofée. 

On  peut  dire  auec  vérité,  félon  que  i'en  puis  iuger,  que  Monjieur 
des-Cartes  efï  vn  homme  d'vn  tres-gi-and  efprit  &  d'vne  très-pro- 
fonde modeflie,  &  fur  lequel  ie  ne  penfe  pas  que  Momus,  le  plus  mé- 
difant  de  fon  Jiecle,  peujî  trouuer  à  reprendre.  le  penfe,  dit-il,  donc 
iefuis;  voire  mefme  ie  fuis  la  penfée  mefme,  ou  V  efprit.  Cela  efl  vray. 
Or  efl-il  qu'en  penfant  i'ay  en  moy  les  idées  des  chofes,\&  première- 
ment celle  d'vn  eflre  tres-parfait  &  infîny.  le  l'accorde.  Mais  ie  n'en 
fuis  pas  la  caufe,  moy  qui  n'égale  pas  la  realité  objeéîiue  d'vne  telle 
idée;  doncques  quelque  chofe  de  plus  parfait  que  moy  en  efl  caufe; 
&  partant  il  y  a  vn  efire  différent  de  moy  qui  exije,  &  qui  a  plus  de 


a.  D'vn]  Faites  par  Monfieur  Caterus  {2'  et  3*  édit.). 


74  Œuvres  de  Descartes.  q'-q'. 

perfecîions  que  ie  n'a/  pas.  Ou,  comme  dit  Saint  Denis,  au  Chapitre 
cinquiefme  des  Noms  divins  :  il  y  a  quelque  nature  qui  ne  poflede 
pûs  i'eftre  à  la  façon  des  autres  chofes,  mais  qui  embrafîe  &  contient 
en  foy  tres-fimplement,  &  fans  aucune  circonfcription,  tout  ce  qu!il 
y  a  d'effence  dans  I'eftre,  &  en  qui  toutes  chofes  font  renfermées 
comme  dans  vne  caufe  première  &  vniuerfelle*. 

117  Mais  te  fuis  icy  contraint  de  m'arrejler  vn  peu,  de  peur  de  \  me 
fatiguer  trop  ;  car  i'ay  défia  V efprit  auffi  agité  que  leflotant  Euripe, 
l'accorde,  ie  nie,  i'approuue,  ie  réfute,  ie  ne  veux  pas  m'efioigner  de 
l'opinion  de  ce  grand  homme,  &  toutesfois  ie  n'y  puis  confentir.  Car, 
ie  vous  prie,  quelle  caufe  requiert  vne  idée?  Ou  dites-moy  ce  que  c'efl 
qu'idée  ?  C'eft  donc  la  chofe  penfée,  en  tant  qu'elle  eft  objeéliue- 
ment  dans  l'entendement.  Mais  qu'ejl-ce  qu'eftre  objeâiuement  dans 
l'entendement?  Si  ie  l'ay  bien  appris,  c'efl  terminer  à  la  façon  d'vn 
objet  l'aâe  de  l'entendement,  ce  qui  en  effed.  n'efl  qu'vne  dénomina- 
tion extérieure,  &  qui  n'adjouflerien  de  réel  à  la  chofe.  Car,  tout 
ainfi  qu'efire  veu  n'efl  en  moy  autre  chofe  finon  que  l'aâe  que  la  vifion 
tend  vers  moy,  de  mefme  eflre  penfé,  ou  efire  objeâiuement  dans 
l'entendement,  c'eft  terminer  &  arrefter  en  foy  la  penfée  de  V  efprit; 
ce  qui  fe  peut  faire  fans  aucun  mouuement  &  changement  en  la 
chofe,  voire  mefme  fans  que  la  chofe  foit.  Pourquoy  donc  recher- 
chay-je  la  caufe  d'vne  chofe,  qui  aâuellement  n'eft  point,  qui  n'eft 
qu'vne  fimple  dénomination  &  vn  pur  néant? 

Et  neantmoins,  dit  ce  grand  efprit,  afin  qu'vne  idée  contienne 
vne  realité  obje<5liue,  pluftoft  qu'vne  autre,  elle  doit  fans  doute 
auoir  cela  de  quelque  caufe.  Au  contraire,  d'aucune;  car  la  realité 
objeâiue  eft  vne  pure  dénomination;  aâuellement  elle  n'eft  point.  \  Or 
l'inftuence  que  donne  vne  caufe  eft  réelle  &  aâuelle;  ce  qui  aâuelle- 
ment n'eft  point,  fie  la  peut  pas  receuoir,  &  partant  ne  peut  pas 

118  dépendre  ny  procéder  \  d'aucune  véritable  caufe,  tant  s'en  faut  qu'il 
en  requière.  Doncques  i'ay  des  idées,  mais  il  n'y  a  point  de  caufes  de 
ces  idées;  tant  s'en  faut  qu'il  y  en  ait  vne  plus  grande  que  moy 
&  infinie''. 

Mais  quelquvn  me  dira  peut-eftre  :  fi  vous  ne  donne^point  la  caufe 
des  idées,  donne\  au  moins  la  raifon  pourquoy  cette  idée  contient 
plutofi  cette  realité  objeâiue  que  celle-là.  C'eft  très-bien  dit;  car  ie 
n'ay  pas  couftume  d'eftre  referué  auec  mes  amis,  mais  ie  traitte  auec 
eux  libéralement.   le  dis  vniuerfellement  de  toutes  les  idées  ce  que 

a.  Non  à  la  ligne  (z'*  édit.). 

b.  Idem. 


93-94-  Premières  Objections.  75 

Monfieur  des-Cartes  a  dit  autrefois  dît  triangle  :  Encore  que  peut- 
eftre,  dit-il,  il  n'y  ait  en  aucun  lieu  du  monde  hors  de  ma  penfée 
vne  telle  figure,  &  qu'il  n'y  en  ait  iamais  eu,  il  ne  lallFe  pas  neant- 
moins  d'y  auoir  vne  certaine  nature,  ou  forme,  ou  effence  déter- 
minée de  cette  figure,  laquelle  eft  immuable  &  éternelle.  Ainji  cette 
vérité  ejî  éternelle,  &  elle  ne  requiert  point  de  caufe.  Vn  bateau  ejl 
vu  bateau,  &  rien  autre  cho/e;  Dauus  ejl  Dauus,  &  non  Œdipus.  Si 
neantmoins  vous  me  prej[e\  de  vous  diî'e  vne  rai/on,  ie  vous  diray  que 
c'e/l  l'imperfeâion  de  nojtre  efprit,  qui  n'cji  jpas  infiny  ;  car,  ne 
pouuant  par  vne  feule  apprehenfon  embrajfer  l'vniuerfel,  qui  ejl 
tout  enfemble  &  tout  à  la  fois,  il  le  diuife  &  le  partage;  &  ainf  ce 
qu'il  ne  fçauroit  enfanter  ou  produire  tout  entier,  il  le  conçoit  petit  à 
petit,  ou  bien,  comme  on  dit  en  l'efcole  (inadt^quate)  imparfaitement 
&  par  partie. 

Mais  ce  grand  homme  pourfuit  :  Or,  pour  imparfai|te  que  foit     119 
cette  façon  d'eftre,  par  laquelle  vne  chofe  eft  obiediuement  dans 
l'entendement  par  fon  idée,  certes  on  ne  peut  pas  neantmoins  dire 
que  cette  façon  &  maniere-là  ne  foit  rien,  ny  par  confequent  que 
cette  idée  vienne  du  néant. 

Il  f  a  icf  de  l'equiuoque;  car,  fi  ce  mot  Rien  eft  la  mefme  chofe 
qne  n'eflre  pas  aâuellement,  en  effeà  ce  n'ejî  rien,  parce  qu'elle  n'efl 
pas  aâuellement,  &  ainfi  elle  vient  du  néant,  c'efi  à  dire  quelle  n'a 
point  de  caufe.  \  Mais  fi  ce  mot  Rien  dit  quelque  chofe  de  feint  par 
l' efprit,  qu'ils  appellent  vulgairement  Eftre  de  raifon,  ce  n'eji  pas  vn 
Rien,  mais  quelque  chofe  de  réel,  qui  eft  conceuè'  difiinâement.  Et 
neantmoins,  parce  qu'elle  ejl  feulement  conceuë,  &  qu'aéluellement 
elle  n'eft  pas,  elle  peut  à  la  vérité  efire  conceuH,  mais  elle  ne  peut 
aucunement  ejire  caufée,  ou  mife  hors  de  l'entendement. 

Mais  ie  veux,  dit-il,  outre  cela  examiner,  fi  moy,  qui  ay  cette 
idée  de  Dieu,  ie  pourrois  eftre,  en  cas  qu'il  n'y  euft  point  de  Dieu, 
ou  comme  il  dit  immédiatement  auparauant,  en  cas  qu'il  n'y  euft 
point  d'eftre  plus  parfait  que  le  mien,  &  qui  ait  mis  en  moy  fon 
idée.  Car,  dit-il,  de  qui  aurois-ie  mon  exiftence?  Peut-eftre  de 
moy-mefme,  ou  de  mes  parens,  ou  de  quelques  autres,  &c.  Or 
eft-il  que,  fi  ie  l'auois  de  moy-mefme,  ie  ne  douterois  point,  ny  ne 
defirerois  point,  &  il  ne  me  manqueroit  aucune  chofe;  car  ie  me 
ferois  donné  toutes  les  perfedions  dont  i'ay  en  jnoy  quelque  idée, 
&  ainfi  moy-mefme  ie  ferois  Dieu.  Que  fi  i'ay  mon  exiftence  d'au- 
trùy,  ie  viendray  enfin  à  ce  qui  l'a  de  |  foy  ;  &  ainfi  le  mefme  12» 
raifonnement  que  ie  viens  de  faire  pour  moy  eft  pour  luy,  & 
prouue  qu'il  eft  Dieu.  Voila  certes,  à  mon  auis,  la  mejme  vofe  que 


76 


Œuvres  de  Descartes.  94-95 


fuit  Saint  Thomas,  qu'il  appelle  la  voye  de  la  cauf alité  de  la  caufe 
efficiente,  laquelle  il  a  tirée  du  Philofophe;  hormis  que  Saint  Thomas 
ny  Arijlote  ne  fe  font  pas  foucie^  des  caiifes  des  idées.  Et  peut-ejire 
n*en  eji oit-il  pas  befoin;  car  pourquoy  ne  fuiuray-ie  pas  là  vo/e  la 
plus  droite  &  la  moins  écartée?  le  penfe,  donc  ie  fuis,  voire  mefme 
iefuis  l'ejprit  mefme  &  la  penfée  ;  or,  cette  penfée  &  cet  efprit,  ou  il 
eft  par  fof -mefme,  ou  par  autruy;  fi  par  autruf,  celuy-là  enfin  par 
qui  eft-il  ?  s'il  eft.  par  foy,  donc  il  efi  Dieu;  car  ce  qui  eft  par foy  fe 
Jera  aifétnent  donné  toutes  chofes. 

I  le  prie  icy  ce  grand  perfonnage,  &  le  coniure  de  ne  fe  point  cacher 
à  vn  Lecteur  qui  efi  dejireux  d'apprendre,  &  qui  peut-eftre  n'efi  pas 
beaucoup  intelligent.  Car  ce  mot  Par  foy  eft  pris  en  deux  façons.  En 
la  première,  il  efi  pris  poftiuement,  à  fçauoir  par  foy-mefme  comme 
par  vne  caufe;  &  ainji  ce  qui  feroit  par  foy  &  fe  donneroit  l'efire 
à  foy-mefme,  fi,  par  vn  choix  preueu  &  prémédité  il  fe  donnoit  ce 
qu'il  voudrait,  fans  doute  qu'il  fe  donneroit  toutes  chofes,  &  partant 
il  feroit  Dieu.  En  la  féconde,  ce  mot  Par  foy  efi  pris  negatiuement, 
&  efi  la  mefme  chofe  que  de  foy-mefme  ou  non  par  autruy  ;  <?  de  cette 
façon,  fi  ie  m'en  fouuiens,  il  efi  pris  de  tout  le  monde. 
121  I  Or  maintenant,  fi  quelque  chofe  efi  par  foy,  c'efi  à  dire  non  par 
autruy,  comment  prouuere\-vous  pour  cela  qu'elle  comprend  tout,  & 
qu'elle  efi  infinie?  Car,  à  prefent,  ie  ne  vous  écoute  point,  fi  vous 
dites  :  puifqu'elle  eft  par  foy,  elle  fe  fera  ayfément  donné  toutes 
chofes  ;  d'autant  qu'elle  n'efi  pas  par  foy  comme  par  vne  caufe,  & 
qu'il  ne  luy  a  pas  efié  pojjible,  auant  quelle  fufi,  de  preuoir  ce  quelle 
pouroit  efire,  pour  choifir  ce  qu'elle  feroit  après.  Il  me  fouuieitt 
d'auoir  autrefois  entendu  Suare^  raifonner  de  la  forte  :  Toute  limi- 
tation vient  d'vne  caufe  ;  car  vne  chofe  eft  finie  &  limitée,  ou  parce 
que  la  caufe  ne  luy  a  peu  donner  rien  de  plus  grand  ny  de  plus 
parfait,  ou  parce  qu'elle  ne  Ta  pas  voulu;  fi  donc  quelque  chofe  eft 
par  foy  &  non  par  vne  caufe,  il  eft  vray  de  dire  qu'elle  eft  infinie  & 
non  limitée. 

Pour  moy,  ie  n'acquiefce  pas  tout  à  fait  à  ce  raifonnement.  Car^ 
qu'vne  chofe  foit  par  foy  tant  qu'il  vous  plaira,  c'efi  à  dire  qu'elle  ne 
/oit  point  par  autruy,  que  pourre\-vous  dire  fi  cette  limitation  vient 
de  fes  principes  internes  &  confiituans,  c'efi  à  dire  de  fa  forrra 
mefme  &  de  fon  ejfence,  laquelle  neantmoins  vous  n^aue^  pas  encore 
prouué  efire  infinie?  Certainement,  fi  vous  fupofe\  que  le  chaud  eft 
chaud,  il  fera  chaud  par  fes  principes  internes  &  confiituans,  &  non 
pas  froid,  encore  que  vous  imaginiez  qu'il  ne  foit  pas  par  autruy  ce 
qu'il  efi.  le  ne  doute  point  que  Monfieur  des  Cartes  ne  manque  pas  de 


95-97..  Premières  Objections.  77 

raifons  pour  fubjiituer  à  ce  que  les  autres  n'ont  peut-ejîre  \  pas  ajje:{ 
fuffifamment  expliqué,  nj  déduit  ajfei  clairement. 

Enfin  ie  conuiens  auec  ce  grand  homme,  en  ce  qu'il  établit  pour 
règle  générale,  que  les  chofes  que  nous  conceuons  fort  clairement 
&  fort  diftindement  font  toutes  vrayes.  Me/me  ie  crof  que  tout  ce 
que  ie  penfe  ejl  vray,  \  &  il  y  a  défia  long-temps  que  i'ay  renoncé  à 
toutes  les  chymeres  &  à  tous  les  efires  de  raifon,  car  aucune  puijfance 
ne  fe  peut  defiourner  de  fou  propre  objeâ  :fi  la  volonté  fe  meut,  elle 
tend  au  bien  ;  les  fens  me/mes  ne  Je  trompent  point,  car  la  veuë  void 
ce  qu'elle  void,  l'oreille  entend  ce  qu'elle  entend,  &  fi  on  void  de 
l'oripeau,  on  void  bien  ;  mais  on  fe  trompe  lor/qu*on  détermine  par 
fon  iugement,  que  ce  que  l'on  void  efi  de  l'or.  De  forte  que  Monfieur 
Des-Cartes  attribue-  auec  beaucoup  de  raifon  toutes  les  erreurs  au 
iugement  &  àla  volonté. 

Mais  maintenant  voyons  fi  ce  qu'il  veut  inférer  de  cette  règle  efi 
véritable.  le  connois,  dit-il,  clairement  &  diftindement  l'Elire  in- 
finy;  donc  c'eft  vn  eftre  vray  &  qui  cft  quelque  chofe.  Quelqu'vn 
luy  demandera  :  Connoijfei-vous  clairement  &  difiinâement  l'Efire 
infiny?  Que  veut  donc  dire  cette  commune  fentence,  laquelle  efi 
connue  d'vn  chacun  :  L'infiny,  en  tant  qu'infiny,  eft  inconnu?  Car  fi, 
lorfque  ie  penfe  à  vn  Chyliagone,  me  reprefentant  confufément  quelque 
figure,  ie  n'imagine  ou  ne  connois  pas  diftinâement  le  Chyliagone, 
parte  que  ie  ne  me  reprefente  pas  difiinâement  fes  mille  cofie-{,  comment 
efi'Ce  I  que  ie  conceuray  difiinâement,  &  non  pas  confufément,  l'Efire  123 
infiny,  en  tant  qu  infiny ^^  veu  que  ie  ne  puis  pas  voir  clairement,  & 
comme  au  doigt  &  à  l'œil,  les  infinies  perfeâions  dont  il  efi  compofe  ? 

Et  c'efi  peut-efire  ce  qu'a  voulu  dire  Saint  Thomas  ;  car,  ayant 
nié  que  cette  propofition.  Dieu  eft,  fufi  claire  &  connue  fans  prenne, 
il  fe  fait  àfoy-mefme  cette  objeâion  des  paroles  de  Saint  Damafcene: 
La  connoiffance  que  Dieu  eft,  eft  naturellement  emprainte  en  l'ef- 
prit  de  tous  les  hommes  ;  donc  c'eft  vne  chofc  claire,  &  qui  n'a 
point  befoin  de  preuue  pour  eftre  connue.  A  quoy  il  refpond  :  Con- 
noiftre  que  Dieu  eft,  en  gênerai,  &,  comme  il  dit,  fous  quelque 
confufion,  à  fçauoir  en  tant  qu'il  eft  la  béatitude  de  l'homme,  cela 
eft  naturellement  imprimé  en  nous;  mais  ce  n'eft  pas,  dit-il, \con- 
noiftre  fimplement  que  Dieu  eft;  tout  ainfi  que  connoiftre  que 
quelqu'vn  vient,  ce  n'eft  pas  conno-itiv-*  Pierre,  encore  que  ce  foit 
Pierre  qui  vienne,  &c.  Comme  s'it  Voutoit  dire  que  Dieu  efi  connu 
fous  vne  raifon  commune,  ou  de  fin  dernière,  ou  mefme  de  premier 
efire,  &  tres-parfait,  ou  enfin  fous  la  raifon  d'vn  efire  qui  comprend 
&  embraffe  confufément  &  en  gênerai  toutes  chofes,  mais  non  pas  fous 


yS  Œuvres  DE  Descartes.  .97-98. 

la  rai/on  precife  de  fon  ejîre,  car  ainfi  il  ejî  injînf  &  nous  ejl  in- 
connu, lejçay  que  Monjieur  Des-Cartes  refpondr  a  facilement  à  celuy 
qui  l'interrogera  de  la  forte;  ie  crof  neantmoins  que  les  chofes  que 
i'allegue  icy,  feulement  par  forme  d'entretien  &  d'exercice,  feront 

124  qu'il  fe  rejfouuiendra  de  \  ce  que  dit  Boëcc,  qu'il  y  a  certaines  no- 
tions communes,  qui  ne  peuuent  eftre  connues  fans  preuue  que  par 
les  fçauans  ;  de  forte  qu'il  ne  fe  faut  pas  fort  ejîonjier,  fi  ceux-là 
interrogent  beaucoup,  qui  dejirent  fçauoir  plus  que  les  autres,  & 
s'ils  s'arrejîent  long-temps  à  conjîderer  ce  qu'ils  fçavent  auoir  ejié 
dit  &  auancé,  comme  le  premier  &  principal  fondement  de  toute 
l'affaire,  &  que  neantmoins  ils  ne  peuuent  entendre  fans  vne  longue 
recherche  &  vne  très-grande  attention  d'efprit. 

Mais  demeurons  d'accord  de  ce  principe,  &  fupofons  que  quel- 
qu'un ait  l'idée  claire  &  diftinâe  d'vn  eJîre  fouuerain  &  fouuerai- 
jiement  parfait  :  que  pretende^-vous  inférer  de  là  ?  C'ejl  à  fçauoir, 
que  cet  eftre  infiny  exijïe,  &  cela  ft  certainement,  que  ie  dois  eftre 
au  moins  aufli  affuré  de  l'cxiftence  de  Dieu,  que  ie  l'ay  efté  iufques 
icy  de  la  vérité  des  demonftrations  Mathématiques;  en  forte  qu'il 
n'y  a  pas  ntoins  de  répugnance  de  conceuoir  vn  Dieu  (c'eft  à  dire 
vn  eftre  fouuerainement  parfait)  auquel  manque  l'exiftence  (c'eft  à 
dire  auquel  manque  quelque  perfection),  que  de  conceuoir  vne 
montagne  qui  n'ait  point  de  valée.  C'eft  icy  le  nœud  de  toute  la 
quejîion  :  qui  cède  à  prefent,  il  faut  qu'il  fe  confejfe  vaincu;  pour 
^moy,  qui  ay  à  faire  auec  vn  pitijfant  aduerfaire,  il  faut  que  i'ef- 
quiue  vn  peu,  afin  qu'ayant  à  eflrc  vaincu,  |  ie  difere,  au  moins  pour 
quelque  temps,  ce  que  ie  ne  puis  euiter. 

Et  premièrement  encore  que  nous  n'agiffions  pas  icy  par  auto- 

125  rite,  mais  feulement  par  raifon,  neant\moins,  de  peur  qu'il  ne  femble 
que  ie  me  veuille  oppofer  fans  fujet  à  ce  grand  efprit,  écoute^ 
pluftojï  Saint  Thomas,  qui  fe  fait  à  foy-mefme  cette  objeâion  : 
Auffi-toft  qu'on  a  compris  &  entendu  ce  que  fignifie  ce  nom  Dieu 
on  fçait  que  Dieu  eft;  car,  parce  nom,  on  entend  vne  chofe  telle, 
que  rien  de  plus  grand  ne  peut  eftre  conceu.  Or  ce  qui  eft  dans 
l'entendement  &en  effet,  eft  plus  grand  que  ce  qui  eft  feulement 

,  dans  l'entendement.  C'eft  pourquoy,  puifque,  ce  nom  Dieu  eftant 
entendu,  Dieu  eft  dans  l'entendement,  il  s'enfuit  aufli  qu'il  eft  en 
effet.  Lequel  argument  ie  reus  ainfi  en  Jornie  :  Dieu  <.;/?  ce  qui  e/l  tel 
que  rien  de  plus  grand  ne  peut  c/lre  conceu  ;  mais  ce  qui  c/i  tel  que 
rien  de  plus  grand  ne  peut  e/lre  conceu  enfermi'  l'exi/lence  ;  doncqucs 
Dieu,  par  fon  nom  ou  par  fon  concept,  enferme  l'exijtence;  6'-  partant 
il  ne  peut  e/lre,  ni  eflrc  conceu  fans  exiffencc.  Mainlenanl,  diles-moy, 


98-99-  Premières  Objections.  79 

ie  vous  prie,  n'ejl-ce  pas  là  le  me/me  argument  de  Monjteur  Des- 
Cartes  ?  Saint  Thomas  définit  Dieu  ainfi  :  ce  qui  eft  tel  que  rien  de 
plus  grand  ne  peut  eftre  conceu.  Monfieur  Des-Cartes  Vapelle  vn 
eftre  fouuerainement  parfait;  certes  ?~ien  de  plus  grand  que  luy  ne 
peut  ejlrc  conceu.  Saint  Thomns^ pourfuit  :  ce  qui  eft  tel  que  rien  de 
plus  grand  ne  peut  eftre  conceu,  enferme  l'exiftence  ;  autrement 
quelque  chofe  de  plus  grand  que  luy  pouroit  eftre  conceu,  à  fçauoir 
ce  qui  eft  conceu  enfermer  aufli  l'exiftence.  Mais  Monfieur  Des- 
Cartes  ne  fembie-t-il  pas  Je  Jeruir  de  la  mejme  mineure  dans  \  fon  126 
argument?  Dieu  efi  vn  efire  fouuerainement  parfait;  or  efi-il  que 
l'efire  fouuerainement  parfait  enferme  l'exifience,  autrement  il  ne 
feroit  pas  fouuerainement  parfait.  Saint  Thomas  infère  ;  doncques, 
puifque,  ce  nom  Dieu  eftant  compris  &  entendu,  il  eft  dans  l'enten- 
dement, il  s'enfuit  aufti  qu'il  eft  en  effet;  c'eft  à  dire,  de  ce  que, 
dans  le  concept  ou  la  notion  elfentielle  d'vn  eftre  tel  que  rien  de 
plus  grand  ne  peut  eftre  conceu,  l'exiftence  eft  comprife  &  en- 
fermée, il  s'enfuit  que  cet  eftre  exifte.  Monfieur  Des-Cartes  infère 
la  mefme  chofe.  Mais,  dit-il,  de  cela  feul  |  que  ie  ne  puis  conceuoir 
Dieu  fans  exiftence,  il  s'enfuit  que  l'exiftence  elt  infeparable  de  luy, 
&  partant  qu'il  exifte  véritablement.  Qiie  maintenant  Saint  Thomas 
réponde  à  foy -mefme  &  à  Monfieur  Des-Cartes.  Pofé,  dit-il,^  que 
chacun  entende  que  par  ce  nom  Dieu  il  eft  fignihé  ce  qui  a  efté  dit, 
à  fçauoir  ce  qui  eft  tel  que  rien  de  plus  grand  ne  peut  eftre  conceu, 
il  ne  s'enfuit  pas  pour  cela  qu'on  entende  que  la  chofe  qui  eft 
lignifiée  par  ce  nom  foit  dans  la  nature,  mais  feulement  dans  l'ap- 
prehenfion  de  l'entendement.  Et  on  ne  peut  pas  dire  qu'elle  foit  en 
effet,  û  on  ne  demeure  d'accord  qu'il  y  a  en  effet  quelque  chofe 
telle  que  rien  de  plus  grand  ne  peut  eftre  conceu;  ce  que  ceux-là 
nient  ouuertement,  qui  difent  qu'il  n'y  a  point  de  Dieu.  D'oii  ie 
répons  aujfi  en  peu  de  paroles  :  encore  que  l'on  demeure  d'accord 
que  l'efire  fouuerainement  parfait  par  fon  propre  nom  emporte 
l'exifience,  neantmoins  il  ne  s'enfuit  pas  que  cette  mefme  exifiencefoit 
dans  la  nature  aduellement  quelque  chofe,  mais  feulement  |  qu'auec  127 
le  concept,  ou  la  notion  de  l'efire  fouuerainement  parfait,  celuy  de 
l'exifience  efi  infeparablement  conioint.  D'oîi  vous  ne  pouue:{  pas 
i?iferer  que  l'exifience  de  Dieu  foit  aâuellement  quelque  chofe,  fi  vous 
ne  fupofei  que  cet  efire  fouuerainement  parfait  exifie  aâuellement; 
tar  pour  lors  il  contiendra  aâuellement  toutes  les  perfeâ ions,  &  celle 
auffi  d'ime  exifience  réelle. 

Trouuei  bon  maintenant,  Meffieurs,  qu'après  tant  de  fatigues  ie 
delajjè  vn  peu  mon  efprit.  Ce  compofé,  lion  exiftant,  enferme  e[fen- 


8o  Œuvres  de  Descartes. 


99-101. 


tiellement  ces  deux  parties,  àfçauoir,  lion  &  l'exijlence  ;  car  Ji  vous 
ojïei  l'vne  ou  l'autre,  ce  ne  fera  plus  le  me/me  compofé.  Maintenant 
Dieu  n'a-t-il  pas  de  toute  éternité  connu  clairement  &  dijîinâement 
ce  compofé?  Et  Vidée  de  ce  compofé,  en  tant  que  tel,  n'enferme-t-elle 
pas  effentiellement  l'vne  &  l'autre  de  ces  parties?  c'efï  à  dire  l'exi- 
flencen'efl' elle  pas  de  l'ejfence  de  ce  [compofé  Won  exiftant?  Et  néant- 
moins  la  difîinâe  connoij/ance  que  Dieu  a  eue  de  toute  éternité,  ne 
fait  pas  necejfairement  que  l'vne  ou   l'autre  partie  de  ce  compofé 
fait,  fi  on  ne  fupofe  que  tout  ce  compofé  efl  aâuellement;  car  alors  il 
enfermera  &  contiendra  en  foy  toutes  fes  perfeâions  ejfentielles,  & 
partant  auffi  l'exifîence  aduelle.  De  mefme,  encore  que  ie  connoiffe 
clairement  &  diflinâement  l'efire  fouuerain,  &    encore  que  l'efire 
fouuerainement  parfait  dansfon  concept  effentiel  enferme  l'exifîence^ 
neantmoins   il  ne  s'enfuit  pas  que  cette  exifience  foit  aâuellement 
quelque  chofe,  fi  vous  ne  fupofe\  que  cet  eflre  fouuerain  exifie  ;  car' 
128     alors,  auec  toutes  fes  autres  perfeâions,  |  il  enfermera  auffi  aâuel- 
lement celle  de  Vexifience  ;  &  ainfi  il  faut  prouuer  d'ailleurs  que  cet 
efire  fouuerainement  parfait  exifie. 

l'en  diray  peu  touchant  Vexifience  de  Vame  &  fa  difiinâion  réelle 
d'auec  le  corps;  car  ie  confeffe  que  ce  grand  efprit  m'a  défia  telle- 
ment fatigué,  qu'au  delà  ie  ne  puis  quafi  plus  rien.  S'il  y  a  vne 
difiinâion  entre  Vame  &  le  corps,  il  femble  la  prouuer  de  ce  que  ces 
deux  chofes  peuuent  efire  conceuës  difiinâement  &  feparément  l'vne 
de  Vautre.  Et  fur  cela  ie  mets  ce  fcauant  homme  aux  prifes  auec 
Scot,  qui  dit  qtVafin  qii'vne  chofe  foit  conceuë  difiinâement  &  f^p<^- 
rément  d'vne  autre,  il  fuffit  qu'il  y  ait  entre  elles  vne  difiinâion, 
qu'il  appelle  formelle  &  obiediue,  laquelle  il  met  entre  la  diftinélion 
réelle  &  celle  de  raifon  ;  &  c'efi  ainfi  qu'il  difiingue  la  iufiice  de  Dieu 
d'auec  fa  mifericorde;  car  elles  ont,  dit-il,  auant  aucune  opération 
de  l'entendement,  des  raifons  formelles  différentes,  en  forte  que 
l'vne  n'eft  pas  l'autre  ;  &  neantmoins  ce  feroit  vne  mauuaife  confe- 
quence  de  dire  :  la  iurtice  peut  élire  conceuë  feparément  d'auec  la 
mifericorde,  donc  elle  peut  aufli  exifter  feparément.  Mais  ie  ne  voy 
pas  que  i'ay  défia  pajjé  les  bornes  d'vne  lettre. 

Voilà,  MeJJîeurs,  les  chofes  que  Vauois  à  dire  touchant  ce  que  vous 
m'auei  propofé;  c'efi  à  vous  maintenant  d'en  efire  les  luges.  Si  vous 
prononcei  en  ma  faueur,  \  il  ne  fera  pas  mal-aifé  d'obliger  Af^  Des- 
Cartes  à  ne  me  vouloir  point  de  mal,  fi  ie  luy  ay  vn  peu  contredit  ; 
que  fi  vous  efies  pour  luy,  ie  donne  dés  à  prefent  les  mains,  £•  me 
confeffe  vaincu,  à-  ce  d'autant  plus  volontiers  que  ie  craindrais  de 
Vefire  encore  vne  autrefois.  Adieu. 


IO1-I02..4,  Premières  Réponses.  8i 

[REPONSES   DE    L'AVTEVR  i?j  bis' 

AUX   PREMIERES   OBJECTIONS, 

faites  par  vn*'  fçauant  Théologien  du  Pais-bas. 

Meflieurs, . 

le  vous  confeffe  que  vous  auez  fufcité  contre  moy  vn  puiffant  ad- 
uerfaire,  duquel  l'efprit  &  la  dodrine  eufTent  peu  me  donner  beau- 
coup de  peine,  fi  cet  officieux  &  deuot  Théologien  n'euft  mieux 
aimé  fauorifer  la  caufe  de  Dieu  &  celle  de  fon  foible  defenfeur,  que 
de  la  combatre  à  force  ouuerte.  Mais  quoy  qu'il  lui  ait  efté  tres- 
honnelle  d'en  vfer  de  la  forte,  ie  ne  pourois  pas  m'exempter  de 
blâme,  fi  ie  tàchois  de  m'en  preualoir;  c'eft  pourquoy  mon  delTein  ell 
plutoft  de  découurir  icy  l'artifice  dont  il  s'eft  feruy  pour  m'afilfter, 
que  de  luy  répondre  comme  à  vn  aduerfaire. 

Il  a  commencé  par  vne  briêue  dedudion  de  la  |  principale  raifon  i?8  bis 
dont  ie  me  fers  pour  prouuer  l'exiftence  de  Dieu,  afin  que  les 
Ledeurs  s'en  relfouuinflent  d'autant  mieux.  Puis,  ayant  fuccinte- 
ment  accordé  les  chofes  qu'il  a  iugé  eftre  fuffifamment  démontrées, 
&.  ainfi  les  ayant  apuyées  de  fon  autorité,  il  eft  venu  au  nœud  de  la 
difficulté,  qui  eft  de  fçauoir  |  ce  qu'il  faut  icy  entendre  par  le  nom 
d'idéCf  ik  quelle  caufe  cette  idée  requiert  ^ 

Or  i'ay  écrit  en  quelque  part,  que  l'idée  eji  la  chofe  me/me  conceuë, 
ou  penfée,  en  tant  qu'elle  eJi  objeâiuement  dans  V entendement,  lef- 
quelles  paroles  il  feint  d'entendre  tout  autrement  que  ie  ne  les  ay 
dites,  afin  de  me  donner  occafion  de  les  expliquer  plus  clairement. 
EJlrej  dit-il,  objeâiuement  dans  l'entendement,  c'eji  terminer  à  la 
façon  d'pn  objet  l'acte  de  l'entendement,  ce  qui  n'eft  qu'vne  dénomina- 
tion extérieure,  &  qui  n'adjoûte  rien  de  réel  à  la  chofe,  &c.  Où  il  faut 
remarquer  qu'il  a  égard  à  la  chofe  mefme,  comme  eftant  hors  de 

a.  Par  une  erreur  de  pagination,  dans  la  i^^  édition,  les  numéros  127 
et  128  (deux  dernières  pages  de  la  feuille  Q)  se  trouvent  répétés  aux 
deux  premières  de  la  feuille  R.  Par  contre  les  numéros  i35  et  i36  man- 
quent. Nous  avons  indique  en  marge  par  727  bis  et  128  bis  les  numéros 
répétés. 

b.'  Vnj  Monfieur  Caterus  (2'  et  3*  édit,). 

c.  Non  à  la  ligne  [i"  édit.). 

Œuvres.  IV.  • 


82  Œuvres  de  Descartes.  103-103. 

l'entendement,  au  refpecl  de  laquelle  c'eft  de  vray  vne  dénomina- 
tion extérieure,  qu'elle  foit  objediuement  dans  l'entendement;  mais 
que  ie  parle  de  l'idée,  qui  n'eft  îamais  hors  de  l'entendement,  &  au 
refpeâ:  de  laquelle  ejlre  objeâiiiement  ne  fignifie  autre  chofe,  qu'eftre 
dans  l'entendement  en  la  manière  que  les  objets  ont  coutume  d'y 
eftre.  Ainfi,  par  exemple,  fi  quelqu'vn  demande,  qu'eft-ce  qu'il  arriue 
au  Soleil  de  ce  qu'il  eft  objediuement  dans  mon  entendement,  on 
répond  fort  bien  qu'il  ne  luy  arriue  rien  qu'vne  dénomination  exté- 
rieure, à  fçauoir  qu'il  termine  à  la  façon  d'un  objet  l'opération  de 

129  mon  entendement  ;  mais  fi  on  |  demande  de  l'idée  du  Soleil  ce  que 
c'cft,  &  qu'on  réponde  que  c'eil  la  chofe  penfée,  en  tant  qu'elle  eft 
objecTiuement  dans  l'entendement,  perfonne  n'entendra  que  c'eft  le 
Soleil  mefme,  en  tant  que  cette  extérieure  dénomination  eft  en  luy. 
Et  là  ejire  objeâiiiement  dans  l entendement  ne  fignifiera  pas  ter- 
miner fon  opération  à  la  façon  d'vn  objet,  mais  bien  eftre  dans  l'en- 
tendement en  la  manière  que  fes  objets  ont  coutume  d'y  eftre  ;  en 
telle  forte  que  l'idée  du  Soleil  eft  le  Soleil  mefme  exirtant  dans  l'en- 
tendement, non  pas  à  la  vérité  formellement,  comme  il  eft  au  Ciel, 
mais  objediuement,  c'eft  à  dire  en  la  manière  |  que  les  objets  ont 
coutume  d'exifter  dans  l'entendement  :  laquelle  façon  d'eftre  eft  de 
vray  bien  plus  imparfaite  que  celle  par  laquelle  les  chofes  exiftent 
hors  de  l'entendement  ;  mais  pourtant  ce  n'eft  pas  vn  pur  rien, 
comme  i'ay  défia  dit  cy-deuant\ 

Ct  lorfque  ce  fçauant  Théologien  dit  qu'il  y  a  de  l'equiuoque  en 
ces  paroles,  vn  pur  rien,  il  l'emble  auoir  voulu  m'auertir  de  celle 
que  ie  viens  tout  maintenant  de  remarquer,  de  peur  que  ie  n'y 
prifl'e  pas  garde.  Car  il  dit,  premièrement,  qu'vne  chofe  ainfi  exi- 
ftante  dans  l'entendement  par  fon  idée,  n'eft  pas  vn  eftre  réel  ou 
aduel,  c'eft  à  dire,  que  ce  n'eft  pas  quelque  chofe  qui  foit  hors  de 
l'entendement;  ce  qui  eft  vray.  En  après  il  dit  aufti  que  ce  n'eft 
pas  quelque  chofe  de  feint  par  l'efprit,  ou  vn  eftre  de  raifon,  mais 
quelque  chofe  de  réel,  qui  eft  conceu  diftindement;  par  lefquelles 
paroles  il  admet  entièrement  tout  ce  que  i'ay  auancé.  Mais  neant- 

130  moins  |  il  ad  joute,  parce  que  cette  chofe  ejî  feulement  conceuë,  S 
qu'aâueliement  elle  n'eft  pas  (c'eft  à  dire,  parce  qu'elle  eft  feulement 
vne  idée,  &  non  pas  quelque  chofe  hors  de  l'entendement),  elle  peut 
à  la  vérité  eftre  conceuè',  mais  elle  ne  peut  aucunement  eftre  caufe'e, 
c'eft  à  dire,  qu'elle  n'a  pas  befoin  de  caufe  pour  exifter  hors  de  l'en- 
tendement; ce  que  ie  confefle,  mais  certes  elle  a  befoin  de  caufe 

a.  Non  à  la  ligne  (r*et  2*  édit 


IO3-I04.  Premières  Réponses.  8j 

pour  eftre  conceuë,  &  de  celle-là  feule  il  eft  icy  queftion.  Ainfi,  û 
quelqu'vn  a  dans  l'elprit  l'idée  de  quelque  machine  fort  artificielle, 
on  peut  auec  raifon  demander  quelle  eft  la  caufe  de  cette  idée  ;  & 
celuy-là  ne  fatisferoit  pas,  qui  diroit  que  cette  idée  hors  de  l'enten- 
dement n'eft  rien,  &  partant  qu'elle  ne  peut  eftre  caufée,  mais  feu- 
lement conceuë;  car  on  ne  demande  icy  rien  autre  chofe,  finon 
quelle  eft  la  caufe  pourquoy  elle  eft  conceuë.  Ce!uy-là  ne  fatisfera 
pas  aufli,  qui  dira  que  l'entendement  mefme  en  eft  la  caufe,  en  tant 
que  c'eft  vne  de  fes  opérations  ;  car  on  ne  doute  point  de  cela,  mais 
feulement  on  demande  quelle  eft  la  caufe  de  l'artifice  objeétif  qui 
eft  en  elle.  Car  que  cette  idée  (contienne  vn  tel  artifice  objedif  plutoft 
qu'vn  autre,  elle  doit  fans  doute  auoir  cela  de  quelque  caufe,  & 
l'artifice  objedif  eft  la  mefme  chofe  au  refped;  de  cette  idée,  qu'au 
refpeft  de  l'idée  de  Dieu  la  realité  objediue.  Et  de  vray  on  peut 
afligner  diuerfes  caufes  de  cet  artifice  ;  car  ou  c'eft  vne  réelle  & 
femblable  machine  qu'on  aura  veuë.  auparauant,  à  la  relfemblance 
de  laquelle  cette  idée  a  efté  formée,  ou  vne  grande  connoiffance  de 
la  mejchanique  qui  eft  dans  l'entendement,  ou  peut-eftre  vne  grande  181 
fubtilité  d'efprit,  par  le  moyen  de  laquelle  il  a  peu  l'inuenter  fans 
aucune  autre  connoiflance  précédente.  Et  il  faut  remarquer  que 
tout  l'artifice,  qui  n'eft  qu'objediuement  dans  cette  idée,  doit  eftre 
formellement  ou  éminemment  dans  fa  caufe,  quelle  que  cette  caufe 
puifle  eftre.  Le  mefme  auïïi  faut-il  penfer  de  la  realité  objeéliue  qui 
eft  dans  l'idée  de  Dieu.  Mais  en  qui  eft-ce  que  toute  cette  realité,  ou 
perfedion,fe  pourra  rencontrer  telle,  finon  en  Dieu  réellement  exif- 
tant  ?  Et  cet  efprit  excellent  a  fort  bien  veu  toutes  ces  chofes;  c'eft 
pourquoy  il  confelfe  qu'on  peut  demander  pourquoy  cette  idée  con- 
tient cette  realité  objediue  plutoft  qu'vne  autre  :  à  laquelle  demande 
il  a  répondu,  premièrement,  que  de  toutes  les  idées,  il  en  ejl  de  mefme 
que  de  ce  que  i'ay  efcrit  de  l'idée  du  triangle,  fçauoir  eji  que,  bien  que 
peut-ejire  il  n'y  ait  point  de  triangle  en  aucun  lieu  du  monde,  il  ne 
laijjé  pas  d'y  auoir  vne  certaine  nature,  ou  forme,  ou  effence  deter^ 
minée  du  triangle,  laquelle  ejl  immuable  &  éternelle,  &  laquelle  il  dit 
n* auoir  pas  befoin  de  caufe.  Ce  que  neantmcins  il  a  bien  iugé  ne 
pouuoir  pas  fatisfaire  ;  car,  encore  que  la  nature  du  triangle  foit 
immuable  &  éternelle,  il  n'eft  pas  pour  cela  moins  permis  de  de- 
mander pourquoy  fon  idée  eft  en  nous.  C'eft  pourquoy  il  a  adjoûté  : 
Si  neantmoins  vous  me  prejfe^  de  vous  dire  vne  raifon,  ie  vous  diray 
que  c'ejl  l'imperfeâion  de  noflre  efprit,  &c.  Par  laquelle  réponse 
il  femble  n'auoir  voulu  fignifier  autre  chofe,  finon  que  ceux  qui 
le  voudront  icy  |  éloigner  de  mon  fentiment,  ne    pourront  rien     132 


84  Œuvres  de  Descartes.  104-106. 

répondre  de  vray-femblable.  |  Car,  en  effet,  il  n'eft  pas  plus  probable 
de  dire  que  la  cauTe  pourquoy  l'idée  de  Dieu  eft  en  nous,  foit  l'im- 
perfedion  de  noftre  efprit,  que  fi  on  difoit  que  l'ignorance  des 
mechaniques  fuft  la  caufe  pourquoy  nous  imaginons  plutoft  vne 
machine  fort  pleine  d'artifice  qu'vne  autre  moins  parfaite.  Car, 
tout.au  contraire,  fi  quelqu'vn  a  l'idée  d'vne  machine,  dans  laquelle 
foit  contenu  tout  l'aftifice  que  l'on  fçauroit  imaginer,  l'on  infère  fort 
bien  de  là,  que  cette  idée  procède  d'vne  caufe  dans  laquelle  il  y  auoit 
réellement  &  en  effet  tout  l'artifice  imaginable,  encore  qu'il  ne  foit 
qu'objediuement  &  non  point  en  effet  dans  cette  idée.  Et  par  la 
mefme  raifon,  puifque  nous  auons  en  nous  l'idée  de  Dieu,  dans  la- 
quelle toute  la  perfection  ei\  contenue  que  l'on  puiffe  iamais  conce- 
uoir,  on  peut  de  là  conclure  tres-euidemment,  que  cette  idée  dépend 
&  procède  de  quelque  caufe,  qui  contient  en  foy  véritablement  toute 
cette  perfection,  à  fçauoir,  de  Dieu  réellement  exiltant.  Et  certes  la 
difficulté  ne  paroiftroit  pas  plus  grande  en  l'vn  qu'en  l'autre,  fi, 
comme  tous  les  hommes  ne  font  pas  fçauans  en  la  mechanique,  & 
pour  cela  ne  peuuent  pas  auoir  dés  idées  de  machines  fort  artifi- 
cielles, ainfi  tous  n'auoient  pas  la  mefme  faculté  de  conceuoir  l'idée 
de  Dieu.  Mais,  parce  qu'elle  eft  emprainte  d'vne  mefme  façon  dans 
l'efprit  de  tout  le  monde,  &  que  nous  ne  voyons  pas  qu'elle  nous 
433  vienne  iamais  d'ailleurs  que  de  nous-mefmes,  nous  fupofons  |  qu'elle 
apartient  à  la  nature  de  noftre  efprit.  Et  certes  non  mal  à  propos; 
mais  nous  oublions  vne  autre  chofe  que  l'on  doit  principalement 
confiderer,  &  d'où  dépend  toute  la  force,  &  toute  la  lumière,  ou 
l'intelligence  de  cet  argument,  qui  eft  qi4e  cette  faculté  d'auoiv  en 
Joy  Vidée  de  Dieu  ne  pourrait  pas  ejlre  en  nous,  Jt  nojîre  efprit  ejîoit 
feulement  vne  chofe  finie  y  \  comme  il  eji  en  effet,  &  qu'il  n'eu/t  points 
pour  caufe  de  fou  eJlre,  vne  caufe  quifujl  Dieu.  C'eft  pourquoy,  outre 
cela,  i'ay  demandé,  fçauoir  fi  ie  pourrois  eftre,  en  cas  que  Dieu  ne 
fuft  point,  non  tant  pour  aporter  vne  raifon  différente  de  la  précé- 
dente, que  pour  expliquer  la  mefme  plus  exactement. 

Mais  icy  la  courtoifie  de  cet  aduerfaire  me  iette  dans  vn  paflage 
alfez  difficile,  &  capable  d'attirer  fur  moy  l'enuie  &  la  ialoufie  de 
plufieurs  ;  car  il  compare  mon  argument  auec  vn  autre  tiré  de  Saint 
Thomas  &  d'Ariftote,  comme  s'il  vouloit  par  ce  moyen  m'obligera 
dire  la  raifon  pourquoy,  eftant  entré  auec  eux  dans  vn  mefme  che- 
min, ie  ne  I'ay  pas  neantmoins  fuiuy  en  toutes  choies;  mais  ic  le 
prie  de  me  permettre  de  ne  point  parler  des  autres,  &  de  rendre 
feulement  raifon  des  chofcs  que  i'ay  écrites.  Premièrement  donc,  ie 
n'ay  point  tiré  mon  argument  de  ce  que  ie  voyois,  que  dans  les 


, 06-107.  Premières  Réponses.  85 

chofes  fenfibles  il  y  auoit  vn  ordre  ouvne  certaine  fucceflion  de 
caufes  efficientes,  partie  à  caufe  que  i'ay  penfé  que  l'exiftence  de 
Dieu  eftoit  beaucoup  plus  éuidente  que  celle  d'aucune  choie  len- 
fibie,  &  partie  auffi  pour  ce  |  que  ie  ne  voyois  pas  que  cette  lue-  134 
ceffion  de  caufes  me  peuft  conduire  ailleurs  qu'à  me  faire  connoirtre 
rimperfedion  de  mon  efprit,  en  ce  que  ie  ne  puis  comprendre  com- 
ment vne  infinité  de  telles  caufes  ont  tellement  fuccedé  les  vnes  aux 
autres  de  toute  éternité,  qu'il  n'y  en  ait  point  eu  de  première.  Car 
certainement,  de  ce  que  ie  ne  puis  comprendre  cela,  il  ne  s'enfuit 
pas  qu'il  y  en  doiue  auoir  vne  première  :  comme  auffî,  de  ce  que  ie 
ne  puis  comprendre  vne  infinité  dc'diuifions  en  vne  quantité  finie, 
il  ne  s'enfuit  pas'que  l'on  puilfe  venir  à  vne  dernière,  après  laquelle 
cette  quantité  ne  puifTe  plus  eftre  diuifée  ;  mais  bien  il  fuit  feule- 
ment I  que  mon  entendement,  qui  e(l  finy,  ne  peut  comprendre  l'in- 
finy.  C'eft  pourquoy  i'ay  mieux  aymé  apuier  mon  raifonnement  fur 
l'exiftence  de  moy-mefme,  laquelle  ne  dépend  d'aucune  fuite  de 
caufes,  &  qui  m'eft  fi  connue  que  rien  ne  le  peut  ellrc  dauantagc; 
&,  m'interrogeant  fur  cela  moy-mefme,  ie  n'ay  pas  tant  cherché  par 
quelle  caufe  i'ay  autrefois  elle  produit,  que  i'ay  cherché  quelle  elt 
la  caufe  qui  à  prefent  me  conferue,  afin  de  me  deliurer  par  ce  mo\en 
de  toute  fuite  &  fucceflion  de  caufes.  Outre  cela,  ie  n'ay  pas  cher- 
ché quelle  eft  la  caufe  de  mon  eflre,  en  tant  que  ie  fuis  compofé  de 
corps  &  d'ame,  mais  feulement  &  precifément  en  tant  que  ie  fuis 
vne  chofe  qui  penfe.  Ce  que  ie  croy  ne  feruir  pas  peu  à  ce  fujct,  car 
ainfi  i'ay  pu  beaucoup  mieux  me  deliurer  des  preiugcz,  conliderer 
ce  que  dicte  la  lumière  naturelle,  m'interroger  |  moy-mefme,  ^i  437 
tenir  pour  certain  que  rien  ne  peut  eftre  en  moy,  dont  ie  n'ayc 
quelque  connoi fiance.  Ce  qui  en  eflcci  eil  autre  chofe  que  fi,  de  ce 
que  ie  voy  que  ie  fuis  né  de  mon  père,  ie  confiderois  que  mon  perc 
vient  aufli  de  mon  ayeul;  &  fi,  parce  qu'en  cherchant  ainfi  les  pères 
de  mes  pères  ie  ne  pourois  pas  continuer  ce  progrez  à  l'infiny,  poui 
mettre  fin  à  cette  recherche,  ie  concluois  qu'il  y  a  vne  première 
caufe.  De  plus,  ie  n'ay  pas  feulement  cherché  quelle  efl  la  caufe  de 
mon  eftre,  en  tant  que  ie  fuis  vne  chofe  qui  penfe,  mais  principale- 
ment en  tant  qu'entre  plufieurs  autres  penfées,  ie  rcconnois  que  i'ay 
en  moy  l'idée  d'vn  eftre  fouverainement  parfait;  car  de  cela  feul 
dépend  toute  la  force  de  ma  demonftration.  Premièrement,  parce 
que  cette  idée  me  fait  connoiftre  ce  que  c'eft  que  Dieu,  au  moins 
autant  que  ie  fuis  capable  de  le  connoiftre;  &,  félon  les  ioix  de  la 

a.  Voir  ci-avant,  p.  8i,  note  a. 


86  Œuvres  de  Descartes.  107-109. 

vraye  Logique,  on  ne  doit  iamais  demander  d'aucune  chofe,  fi  elle 
ejiy  qu'on  ne  |  fçache  premièrement  ce  quelle  eji.  En  fécond  lieu, 
parce  que  c'eft  celte  mefme  idée  qui  me  donne  occafion  d'examiner 
fi  ie  fuis  parmoy  ou  par  autruy,  &  de  reconnoiftre  mes  défauts.  Et 
en  dernier  lieu,  c'eft  elle  qui  m'aprend  que  non  feulement  il  y  a 
vne  came  de  mon  eftre,  mais  de  plus  auiïi,  que  cette  caufe  contient 
toutes  fortes  de  perfections,  &  partant  qu'elle  eft  Dieu.  Enfin,  ie  n'ay 
point  dit  qu'il  ell:  impofliblc  qu'vne  chofe  foit  la  caufe  efficiente  de 
foy-mefme;  car,  encore  que  cela  foit  manifeftement  véritable,  lorf- 

i38  qu'on  reftraint  la  fignification  d'effi|cient  à  ces  caufes  qui  font  diffé- 
rentes de  leurs  effets,  ou  qui  les  précèdent  en  temps,  il  femble 
toutesfois  que  dans  cette  queftion  elle  ne  doit  pas  eftre  ainfi  ref- 
trainte,  tant  parce  que  ce  feroit  vne  queftion  friuole:  car  qui  ne  fçait 
qu'vne  mefme  chofe  ne  peut  pas  eftre  différente  de  foy-mefme  ny  fe 
précéder  en  temps?  comme  aufli  parce  que  la  lumière  naturelle  ne 
nous  dide  point,  que  ce  foit  le  propre  de  la  caufe  efficiente  de  pré- 
céder en  temps  fon  effet  :  car  au  contraire,  à  proprement  parler, 
elle  n'a  point  le  nom  ny  la  nature  de  caufe  efficiente,  finon  lorf- 
qu'elle  produit  fon  effet,  &  partant  elle  n'eft  point  dèuant  luy.  Mais 
certes  la  lumière  naturelle  nous  dide  qu'il  n'y  a  aucune  chofe  de  In- 
quelle il  ne  foit  loifible  de  demander  pourquoy  elle  exifte,  ou  dont 
on  ne  puiffe  rechercher  la  caufe  efficiente,  ou  bien,  fi  elle  n'en  a 
point,  demander  pourquoy  elle  n'en  a  pas  befoin;  de  forte  que,  fi  ie 
penfois  qu'aucune  chofe  ne  peuften  quelque  fiiçon  eftre,  à  l'efgard  de 
foy-mefme,  ce  que  la  caufe  efficiente  eft  à  l'efgard  de  fon  effecl,  tant 
s'en  faut  que  de  là  ie  voulufle  conclure  qu'il  y  a  vne  première  caufe, 
qu'au  contraire  de  celle-là  |  mefme  qu'on  appelleroit  première,  ie 
rechercherois  derechef  la  caufe,  &  ainfi  ie  ne  viendrois  iamais  à 
vne  première.  Mais  certes  i'auouë  franchement  qu'il  peut  y  auoir 
quelque  chofe  dans  laquelle  il  y  ait  vne  puilfance  û  grande  &  ^\ 
incpuifable,  qu'elle  n'ait  iamais  eu  befoin  d'aucun  fecours  pour 
exifter,  &  qui  n'en  ait  pas  encore  befoin  maintenant  pour  eftre  con- 

139  feruée,  &  ainfi  qui  foit  en  queljque  façon  la  caufe  de  foy-mefme;  & 
ie  conçoy  que  Dieu  eft  tel  Car,  tout  de  mefme  que,  bien  que  i'euft'e 
efté  de  toute  éternité,  &  que  par  confequent  il  n'y  euft  rien  eu  auant 
moy,  neantmoins,  parce  que  ie  voy  que  les  parties  du  temps  peuucnt 
eftre  feparces  les  vnes  d'auec  les  autres,  &  qu'ainfi,  de  ce  qne  ie  fuis 
maintenant,  il  ne  s'enfuit  pas  que  ie  doiue  eftre  encore  après,  fi, 
pour  ainfi  parler,  ie  ne  fuis  créé  de  nouucau  à  chaque  moment  pur 
quelque  caufe,  ie  ne  ferois  point  difficulté  d'apeller  efficiente  la, caufe 
qui  me  crée  continuellement  en  cette  façon,  c'eft  à  dire  qui  me  con- 


I09-II0.  Premières  Réponses.  87 

fcrue.  Ainfi,  encore  que  Dieu  ait  toufiours  efté,  neantmoins,  parce 
que  c'efl  luy-mefme  qui  en  effeft  le  conferue,  il  femble  qu'affez  pro- 
prement, il  peut  eftre  dit  &  apelé  la  caufe  de fof -me/me.  (Toutesfois 
il  faut  remarquer  que  ie  n'entens  pas  icy  parler  d'vne  conferuation 
qui  fe  faffe  par  aucune  influence  réelle  &  pdfitiue  de  la  caufe  effi- 
ciente mais  que  i'entens  feulement  que  l'efTence  de  Dieu  efl  telle, 
qu'il  eft  impoflible  qu'il  ne  foit  ou  n'exift^  pas  toufiours.) 

Celaeftant  pofé,  il  me  fera  facile  de  répondre  à  la  diftindion  du 
mol  par  foy ,  (\UQ  ce  tres-do6le  Théologien  m'auertit  deuoir  eftre  ex- 
pliqué. Car,  encore  bien  que  ceux  qui,  ne  s'attachant  qu'à  la  propre 
&  étroite  fignification  d'efficient,  penfent  qu'il  eft  impoffible  qu'vne 
chofe  foit  la  caufe  efficiente  de  foy-mefme,  &  ne  remarquent  icy  au- 
cun autre  genre  de  caufe,  qui  ait  raport  &  analogie  auec  la  caufe 
efficiente,  encore,  dif-je,  que  ceux-là  n'ayent  pas  de  couftume  |  d'en-  140 
tendre  autre  chofe,  |  lorfqu'ils  difent  que  quelque  chofe  eft  parfqy, 
finon  qu'elle  n'a  point  de  caufe,  fi  toutesfois  ils  veulent  pluftoft  s'ar- 
refter  à  la  chofe  qu'aux  paroles,  ils  reconnoiftront  facilement  que 
la  fignification  negatiue  du  mot  parfoy  ne  procède  que  de  la  feule 
imperfedion  de  l'efprit  humain,  &  qu'elle  n'a  aucun  fondement 
dans  les  chofes  ;  mais  qu'il  y  en  a  vne  autre  pofitiue,  tirée  de  la  vé- 
rité des  chofes,  &  fur  laquelle  feule  mon  argument  eft  appuyé.  Car 
fi,  par  exemple,  quelqu'vn  penfe  qu'vn  corps  foit  par  foy,  il  peut 
n'entendre  par  là  autre  chofe,  finon  que  ce  corps  n'a  point  decau^e; 
&  ainfi  il  n'alîure  point  ce  qu'il  penfe  par  aucune  raifon  pofitiue, 
mais  feulement  d'vne  façon  negatiue,  parce  qu'il  ne  connoift  aucune 
caufe  de  ce  corps.  Mais  cela  témoigne  quelque  imperfedion  en  fon 
iugement,  comme  il  reconnoiftra  facilement  après,  s'il  confidere  que 
les  parties  du  temps  ne  dépendent  point  les  vnes  des  autres,  &  que 
partant,  de  ce  qu'il  a  fupofé  que  ce  corps  iufqu'à  cette  heure  a  efté 
par  foy,  c'eft  à  dire  fans  caufe,  il  ne  s'enfuit  pas  pour  cela  qu'il  doiUe 
eftre  encore  à  l'auenir,  fi  ce  n'eft  qu'il  y  ait  en  luy  quelque  puifTance 
réelle  &  pofitiue,  laquelle,  pour  ainfi  dire,  le  reproduifc  continuel- 
lement. Car  alors,  voyant  que  dans  l'idée  du  corps  il  ne  fe  rencontre 
aucune  puiffance  de  cette  forte,  il  luy  fera  ayfé  d'inférer  de  là  que  ce 
corps  n'eft  pas  par  foy,  &  ainfi  il  prendra  ce  mot  par  foy  pofitiue- 
ment.  De  mefme,  lorfque  nous  difons  que  Dieu  eft  par  foy,  nous 
Ipouuons  aufli  à  la  vérité  entendre  cela  negatiuement,  &  n'auoir  141 
point  d'autre  penfée,  finon  qu'il  n'y  a  aucune  caufe  de  fon 
exiftence  ;  mais  fi  nous  auons  auparauant  recherché  la  caufe 
pourquoy  il  eft,  ou  pourquoy  il  ne  ceffe  point  d'eftre,  &^que,  con- 
fiderans  l'immenfe  &  incomprehenfible  puifl"ance  qui  eft  contenue 


88  OEuvRES  DE  Descartes.  no-m. 

dans  fon  idée,  nous  l'ayons  reconnue  fi  pleine  &  fi  abondante, 
qu'en  effeâ;  elle  foit  la  caufe  pourquoy  il  eft  &  ne  ceffe  point 
d'eftre,  &  qu'il  n'y  en  puiffe  auoir  d'autre  que  celle-là,  nous  difons 
■que  Dieu  ^iiparfo}',  non  plus  negatiuement,  mais  au  contraire  tres- 
pofitiuement.  Car,  encore  qu'il  ne  foit  pas  belbin  de  dire  J  qu'il  ell  la 
caufe  efficiente  de  foy-mefme,  de  peur  que  peut-ellre  on  n'entre  en 
difpute  du  mot,  neantmoins,  parce  que  nous  voyons  que  ce  qui  fait 
qu'il  eft  par  foy,  ou  qu'il  n'a  point  de  caufe  différente  de  foy-mefme, 
ne  procède  pas  du  néant,  mais  de  la  réelle  &  véritable  immenfité  de 
fa  puiffance,  il  nous  eft  tout  à  fait  loifible  de  penfer  qu'il  fait  en 
quelque  façon  la  mefme  chofe  à  l'efgard  de  foy-mefme,  que  la  caufe 
efficiente  à  l'efgard  de  fon  effed,  &  partant,  qu'il  eft  par  foy  pofitiue- 
ment.  Il  eft  aufli  loifible  à  vn  chacun  de  s'interroger  foy-mefme, 
fçauoir  li  en  ce  mefme  fens  il  eft  par  foy,  &  lorfqu'il  ne  trouue  en 
foy  aucune  puifl'ance  capable  de  le  conferuer  feulement  vn  moment, 
il  conclut  auec  raifon  qu'il  eft  par  vn  autre,  &  mefme  par  vn  autre 
qui  eft  par  foy,  pource  qu'eftant  icy  queftion  du  temps  prefent,  & 
Itt  non  point  du  parte  ou  du  futur,  le  progrez  ne  |  peut  pas  eftre  conti- 
nué à  l'infiny.  Voire  mefme  i'adjoufteray  icy  de  plus  (ce  que  neant- 
moins ie  n'ay  point  écrit  ailleurs),  qu'on  ne  peut  pas  feulement  aller 
iufqu'à  vne  féconde  caufe,  pource  que  celle  qui  a  tant  de  puiifance 
que  de  conferuer  vne  chofe  qui  eft  hors  de  foy,  fe  conferue  à  plus 
forte  raifon  foy-mefme  par  fa  propre  puiifance,  &  ainfi  elle  eft 
par  foy  \ 

Maintenant,  lorfqu'on  dit  que  toute  limitation  eft  par  vne  caufe, 
ie  penfe,  à  la  vérité,  qu'on  entend  vne  chofe  vraye,  mais  qu'on  ne 

a.  Le  paragraphe  ajouté,  dont  il  est  question  au  tome  VI,  p.  m,  noiC  h, 
ne  se  trouve  point  dans  la  traduction  de  1647  (/''<  édit.),  mais  seulement 
dans  celle  de  1661  (2*  édit.)  et  les  suivantes.  11  n'a  donc  pas  été  vu  par  Des- 
cartes, et  serait  tout  entier  de  Clerselier.  Nous  le  donnons  cependant  ici, 
à  titre  de  document  :  «  Et,  pour  preuenir  icy  vne  obie^lion  que  l'on  pou- 
»  roit  faire,  à  fçauoir  que  peut-eftre  celuy  qui  s'interroge  ainfi  foy-mefme 
»  a  la  puiifance  de  fe  conferuer  fans  qu'il  s'en  apperçoiue,  ie  dis  que  cela 
»  ne  peut  eftre,  &  que  i\  cette  puiifance  eftoit  en  luy,  il  en  auroit  necelfai- 
»  rement  connoilfance  ;  car,  comme  il  ne  fe  confidere  en  ce  moment  que 
»  comme  vne  chofe  qui  penfe,  rien  ne  peut  eftre  en  luy  dont  il  n'ait  ou 
»  ne  puilfe  auoir  connoilfance,  à  caufe  que  toutes  les  adions  d'vn  cfprit 
»  (comme  feroit  celle  de  fe  conferuer  foy-mefme,  Il  elle  procedoit  de  luy) 
»  cftani  des  penfces,  &  partant  cllant  prefentes  &  connues  à  l'efprit,  celle-- 
»  là,  comme  les  autres,  luy  feroit  aufti  prefente  &  connue,  &  par  elle  il 
»  viendroit  neceflairemeni  à  connoiftre  la  faculté  qui  la  produiroit,  toute 
»  adion  nous  menant  necelfaircmcnt  à  laconnoilVancc  de  la  faculté  qui  la 
»  produit,  o 


I1I-1I3.  Premières  Réponses.  89 

l'exprime  pas  en  termes  affez  propres,  &  qu'on  n'ofte  pas  la  diffi- 
culté ;  car,  à  proprement  parler,  la  limitation  ell  feulement  vne  né- 
gation d'vne  plus  grande  perfection,  laquelle  négation  n'ert  point  par 
vne  caufe,  mais  bien  la  chofe  limitée.  Et  encore  qu'il  foit  vray  que 
toute  chofe  eft  limitée  par  vne  caufe,  cela  neantmoins  n'eft  pas  de 
foy  manifefte,  mais  il  le  faut  prouuer  d'ailleurs.  Car,  comme  ré- 
pond fort  bien  ce  fubtil  Théologien,  vne  chofe  peut  eilre|  limitée 
en  deux  façons,  ou  parce  que  ccluy  qui  l'a  produite  ne  luy  a  pas 
donné  plus  de  perfections,  ou  parce  que  fa  nature  ert  telle  qu'elle 
n'en  peut  receuoir  qu'vn  certain  nombre,  comme  il  elt  de  la  nature 
du  triangle  de  n'auoir  pas  plus  de  trois  collez.  Mais  il  me  femble 
que  c'elt  vne  chofe  de  foy  euidente  &  qui  n'a  pas  befoin  de  preuue, 
que  tout  ce  qui  exilte,  elt  ou  par  vne  caufe,  ou  par  foy  comme  par 
vne  caufe;  car  puifque  nous  conceuons  ^.i.  entendons  fort  bien,  non 
feulement  l'cxillence,  mais  aulTi  |  la  négation  de  l'exiltence,  il  n'y  a  143 
rien  que  nous  puiflions  feindre  eitre  tellement  par  foy,  qu'il  ne  faille 
donner  aucune  raifon  pourquoy  plutoû"  il  exitle,  qu'il  n'exilte  point; 
&  ainfi  nous  deuons  touliours  interpréter  ce  mot  ejlre  par  foy  pofi- 
tiuement,  &  comme  fi  c'eltoii  cltre  par  vne  caufe,  à  fçauoir  par  vne 
furabondance  de  fa  propre  puilfance,  laquelle  ne  peut  élire  qu'en 
Dieu  feul,  ainfi  qu'on  peut  ayfément  démontrer. 

Ce  qui  m'ett  enfuite  accordé  par  ce  fçauant  Docteur,  bien  qu'en 
effed  il  ne  reçoiue  aucun  doute,  elt  neantmoins  ordinairement  fi  peu 
confideré,  &  ell  d'vne  telle  importance  pour  tirer  toute  la  Philofo- 
phie  hors  des  ténèbres  où  elle  femble  eltre  enfeuclie,  que  lorfqu'il 
le  confirme  par  fon  authorité,  il  m'ayde  beaucoup  en  mon  deifein. 

Et  il  demande  icy,  auec  beaucoup  de  raifon,  fi  ie  connois  claire- 
ment &  diltinélement  l'infiny  ;  car  bien  que  i'a3'e  taché  de  preuenir 
cette  objedion,  neantmoins  elle  fe  prefente  fi  facilement  à  vn  cha- 
cun, qu'il  ell  necelfaire  que  i'y  réponde  vn  peu  amplement.  C'eft 
pourquoy  ie  diray  icy  premièrement  que  l'infiny,  en  tant  qu'infiny, 
n'ell  point  à  la  vérité  compris,  mais  que  neantmoins  il  eft  entendu; 
car,  entendre  clairement  &  diilinctement  qu'vne  chofe  foit  telle 
qu'on  ne  puilfe  y  rencontrer  de  limites,  c'eft  clairement  entendre 
qu'elle  eft  infinie.  |Et  ie  mets  icy  de  la  diftinclion  entre  Vindefnr  & 
Vitijïuy.  Et  il  n'y  a  rien  que  ie  nomme  proprement  infiny,  finon  ce 
en  I  quoy  de  toutes  parts  ie  ne  rencontre  point  de  limites,  auquel  144 
fens  Dieu  feul  eft  infiny.  Mais  les  choies  efquclles  fous  quelque  con- 
fideration  feulement  ie  ne  voy  point  de  fin,  comme  l'étenduif  'des 
efpaces  imaginaires,  la  multitude  des  nombres,  la  diuifibilité  des 
parties  de  la  quantité  t^c  autres  chofes  femblables,  ie  les  appelle 


90  OEuvRES  DE  Descartes.  113.114. 

indéfinies,  &  non  pas  injînies,  parce  que  de  toutes  parts  elles  ne  font 
pas  fans  fin  ny  fans  limites.  Dauantage,  ie  mets  diitinétion  entre  la 
raifon  formelle  de  l'infiny,  ou  l'infinité,  &  la  chofe  qui  cil  infinie. 
Car,  quant  à  l'infinité,  encore  que  nous  la  conceuions  eftre  très  po- 
fitiue,  nous  ne  l'entendons  neantmoins  que  d'vne  façon  negatiue, 
fçauoir  eft,  de  ce  que  nous  ne  remarquons  en  la  chofe  aucune  limi- 
'  tation.  Et  quant  à  la  chofe  qui  eft  infinie,  nous  la  conceuons  à  la 
vérité  pofitiuement,  mais  non  pas  félon  toute  fon  étendue',  c'eit 
à  dire  que  nous  ne  comprenons  pas  tout  ce  qui  elt  intelligible  en 
elle.  Mais  tout  ainfi  que,  lorfque  nous  lettons  les  yeux  fur  la  mer,  on 
ne  laifl'e  pas  de  dire  que  nous  la  voyons,  quoy  que  notre  veuë  n'en 
atteigne  pas  toutes  les  parties  &  n'en  mefure  pas  la  vafte  étendue: 
&  de  vray,  lorfque  nous  ne  la  regardons  que  de  loin,  comme  fi  nous 
la  voulions  embraffer  toute  auec  les  yeux,  nous  ne  la  voyons  que 
confufément,  comme  aufli  n'imaginons-nous  que  confufément  vn 
Chiliogone,  lorfque  nous  tâchons  d'imaginer  tous  les  coftez  en- 
femble  ;  mais,  lorfque  noftre  veuë  s'arreite  fur  vne  partie  de  la  mer 
feulement,  cette  vifion  alors  peut  eftre  fort  claire  &  fort  diftincle, 

A45  comme  aufli  l'imagination  |  d'vn  Chiliogone,  lorfqu'elle  s'étend  feu- 
lement fur  vn  ou  deux  de  fes  coftez.  De  mefme  i'auouë  auec  tous  les 
Théologiens,  que  Dieu  ne  peut  eftre  compris  par  Tefprit  humain,  |& 
mefme  qu'il  ne  peut  eftre  diftih(5lement  connu  par  ceux  qui  tâchent 
de  l'embrafter  tout  entier  &  tout' à  la  fois  par  la  penfée,  &  qui  le 
regardent  comme  de  loin:  auquel  fcns  Saint  Thomas  a  dit,  au  lieu 
cy-deuant  cité,  que  la  connoiffance  de  Dieu  eft  en  nous  fous  vne 
efpece  de  confufion  feulement,  &  comme  fous  vne  image  obfcure  ; 
mais  ceux  qui  confiderent  attentiuement  chacune  de  fes  perfections, 
&  qui  appliquent  toutes  les  forces  de  leur  efprit  à  les  contempler, 
non  point  â  deflein  de  les  comprendre,  mais  pluftoftde  les  admirer, 
&  reconnoiftre  combien  elles  font  au  delà  de  toute  comprehenlion, 
ceux-là, dif-je,trouuent  enluy  incomparablement  plus  de  chofesqui 
peuuent  eftre  clairement  &  diftindement  connues,  &  auec  plus  de 
facilité,  qu'il  ne  s'en  trouue  en  aucune  des  choies  créées.  Ce  que 
Saint  Thomas  a  fort  bien  reconnu  luy-mefme  en  ce  lieu-là,  comme 
il  eft  aifé  de  voir  de  ce  qu'en  l'article  fuiuant  il  alfure  que  l'exiftence 
de  Dieu  peut  eftre  demonftrée.  Pour  moy,  toutes  les  fois  que  i'ay 
dit  que  Dieu  pouuoit  eftre  (;onnu  clairement  &  diftindement,  ie 
n'ay  iamais  entendu  parler  que  de  cette  connoillance  finie,  &  accom- 
modée à  la  petite  capacité  de  nos  efprits.  Aufli  n*a-t-il  pas  cité  né- 
ccftaire  de  l'entendre  autrement  pour  la  vérité  des  choies  que  i'ay 

146     autncécs,  comme  \  on  verra  facilement,  li  on  prend  garde  que  ie  nay 


!i4-«i6.  Premières  Réponses.  91 

dit  cela  qu'en  deux  endroits.  En  l'vn  defquels  il  eitoit  queftion  de 
fçauoirli  quelque  chofe  de  réel  eftoit  contenu  dans  l'idée  que  nous 
formons  de  Dieu,  ou  bien  s'il  n'y  auoit  qu'vne  négation  de  chofe 
(ainfi  qu'on  peut  douter  fi,  dans  l'idée  du  froid,  il  n'3'  a  rien  qu'vne 
négation  de  chaleur),  ce  qui  peut  aiiement  eilre  connu,  encore  qu'on 
ne  comprenne  pas  l'infiny.  Et  en  l'autre,  i'ay  maintenu  que  l'exi- 
ftence  n'apartenoit  pas  moin§  à  la-rfature  de  l'eftre  fouuerainement 
parfait,  que  trois  coflez  J  apartiennent  à  la  nature  du  triangle  :  ce 
qui  fe  peut  aufll  affez  entendre,  fans  qu'on  ait  vne  connoilfance  de 
Dieu  fi  étendue,  qu'elle  comprenne  tout  ce  qui  eft  en  luy. 

Il  compare  icy  derechef  vn  de  mes  argumens  auec  vn  autre  de 
Saint  Thomas,  afin  de  m'obliger  en  quelque  façon  de  monftrer  le- 
quel des  deux  a  le  plus  de  force.  Et  il  me  femble  que  ie  le  puis 
faire  fans  beaucoup  d'enuie,  parce  que  Saint  Thomas  ne  s'eft  pas 
feruy  de  cet  argument  comme  fien,  &  il  ne  conclut  pas  la  mefme 
chofe  que  celuy  dont  ie  me  fers;  &  enfin,  ie  ne  m'éloigne  icy  en 
aucune  façon  de  l'opinion  de  cet  Angélique  Dodeur.  Car  on  luy 
demande,  fçauoir,  fi  la  connoiffance  de  l'exiftence  de  Dieu  eft  fi  natu- 
relle à  l'efprit  humain  qu'il  ne  foit  point  befoin  de  la  prouuer,  c'eft 
à  dire  fi  elle  eft  claire  &  manifefte  à  vn  chacun  ;  ce  qu'il  nie,  &  moy 
auec  luy.  Or  l'argument  qu'il  s'objede  à  foy-mefme,  fe  peut  ainfi 
propofer.  Lorfqu'on  comprend  |  &  entend  ce  que  fignifie  ce  nom  147 
DieUf  on  entend  vne  chofe  telle  que  rien  de  plus  grand  ne  peut  eftre 
conceu  ;  mais  c'eft  vne  chofe  plus  grande  d'eftre  en  efl'ecl  &  dans 
l'entendement,  que  d'eftre  feulement  dans  l'entendement;  doncques, 
lorfqu'on  comprend  &  entend  ce  que  fignifie  ce  nom  Dieu,  on  en- 
tend que  Dieu  eft  en  effect  &  dans  l'entendement  :  où  il  y  a  vne 
faute  manifefte  en  la  forme,  car  on  deuroit  feulement  conclure  : 
doncques,  lorfqu'on  comprend  &  entend  ce  que  fignifie  ce  nom 
Dieu,  on  entend  qu'il  fignifie  vne  chofe  qui  eft  en  effed  &  dans  l'en- 
tendement; or  ce  qui  eft  fignifie  par  vn  mot,  ne  paroift  pas  pour  cela 
eftre  vray.  Mais  mon  argument  a  efté  tel  :  ce  que  nous  conceuons 
clairement  &.  diftinctement  apartenir  à  la  nature,  ou  à  l'eflence,  ou  à 
la  forme  immuable  &  vraye  de  quelque  chofe,  cela  peut  eftre  dit  ou 
affirmé  auec  vérité  de  cette  choie  ;|  mais  après  que  nous  auons  affez 
foigneufement  recherché  ce  que  c'eft  que  Dieu,  nous  conceuons 
clairement  &  diftinctement  qu'il  apariient  à  fa  vraye  &  immuable 
nature  qu'il  exifte;  doncques  alors  nous  pouuons  affirmer  auec  vé- 
rité qu'il  exifte.  Où  du  moins  la  conclufion  eft  légitime.  Mais  la 
maieure  ne  fe  peut  auffi  nier,  parce  qu'on  eft  défia  tombé  d'accord 
cy-deuant,  que  tout  ce  que  nous  entendons  ou  conceuons  claire- 


92  Œuvres  de  Descartes.  ne-ny. 

ment  &  dillinclement  ell  vray.  Il  ne  refte  plus  que  la  mineure,  où 
ie  confeffe  que  la  difficulté  n'elt  pas  petite.  Premièrement,  parce 
148     que  nous  Ibmmes  tellement  ac|coullumez  dans  toutes  les  autres 
choies  de  diitinguer  l'exiltence  de  l'effence,  que  nous  ne  prenons 
pas  allez  garde  comment  elle  apartient  à  relTence  de  Dieu,  plurtoit 
qu'à  celle   des  autres  choies  ;  &  aufli  poUrce  que,  ne  diftinguant 
pas  les  choies  qui  appartiennent  à  la  vraye  &  immuable  elfence  de 
quelque  chofe,  de  celles  qui  ne  luy  Ibnt  attribuées  (jue  par  la  fiction 
de  nollre  entendement,  encore  que  nous  aperceuions  aifez  claire- 
ment que  l'exiftence   apartient  à  l'elTence  de  Dieu,  nous  ne  con- 
cluons pas  toutesfois  de  là  que  Dieu  exifte,  pource  que  nous  ne 
fçauons  pas  fi  fon  efîence  eil  immuable  &  vraye,  ou  fi  elle  a  feule- 
ment efté  inuentée.  Mais,  pour  ofter  la  première  partie  de  cette 
difficulté,  il  faut  faire  diftindion  entre  l'exiftence  poffible  &  la  ne- 
ceffaire  ;   &  remarquer  que  l'exiftence  poffible  cïl  contenue  dans 
le  concept  ou  l'idée   de   toutes    les  chofes   que   nous   conceuons 
clairement  &  diftinctement,  mais   que   l'exiftence  neceflaire  n'eft 
contenue  que  dans  la  feule  idée  de  Dieu.  Car  ie  ne  doute  point  que 
ceux  qui  confidereront  auec  attention  cette  différence  qui  eft  entre 
l'idée  de  Dieu  &  toutes  les  autres  idées,  n'aperçoiuent  fort  bien, 
I qu'encore  que  nous  ne  conceuions  iamais  les  autres  chofes,  finon 
comme  exiftantes,  il  ne  s'enfuit  pas  neantmoins  de  là  qu'elles  exi- 
ftent,  mais  feulement  qu'elles  peuuent  cxifter  ;  parce  que  nous  ne 
conceuons  pas  qu'il  foit  necelfaire  que  l'exiftence  actuelle  foit  con- 
119     iointe  auec  leurs  autres  proprietez;  mais  que, de  ce  que  nous  |  con- 
ceuons clairement  que  l'exiftence  aduelle  eft  neceffiiirement  &  touf- 
iours  conjointe  auec  les  autres  attributs  de  Dieu,  il  fuit  de  là  que 
Dieu  necelîairement  exifte.  Puis,  pour  ofter  l'autre  partie  de  la  diffi- 
culté, il  faut  prendre  garde  que  les  idées  qui  ne  contiennent  pas  de 
vrayes  &  immuables  natures,  mais  feulement  de  feintes  &  com- 
pofées  par  l'entendement,  peuuenf  eftre  diuifées  par  le  mefme  en- 
tendement, non  feulement  par  vne  abftraction  ou  reftriction  de  fa 
pcnfée,  mais  par  vne  claire  &  diftinclc  opération;  en  forte  que  les 
chofes  que  l'entendement  ne  peut  pas  ainfi  diuifer,  n'ont  point  fans 
doute  efté  faites  ou  compofces  par  luy.  Par  exemple,  lorfque  ie  me 
rcprefente  vn  cheual  aifté,  ou  vn  lion  actuellement  exiftant,  ou  vn 
triangle  infcrit  dans  vn  quarré,  ie  conçoy  facilement  ».]^uc  ie  puis 
auffi  tout  au  contraire  me  reprefenter  vn  cheual  qui  n'ait  point 
d'aiflc*.,  vn  lion  qui  ne  foit  point  exiftant,  vn  triangle  fans  quarré, 
&  partant,  que  ces  chofes  n'ont  point  de  vrayes  &  immuables  na- 
ture.H.  Mais  fi  ic  me  rcprefente  vn  triangle,  ou  vn  quarré  (ie  ne  parle 


117-119.  Premières  Réponses.  95 

point  icy  du  lion  ni  du  cheual,  pource  que  leurs  natures  ne  nous 
ibnt  pas  encore  entièrement  connues),  alors  certes  toutes  les  choies 
que  ie  reconnoiltray  eltres  contenues  dans  l'idée  du  triangle,  comme 
que  fes  trois  angles  font  égaux  à  deux  droits,  Sic,  ie  l'alfeureray 
auec  vérité  d'vn  triangle  ;  &.  d'vn  quarré,  tout  ce  que  ie  trouueray 
eltre  contenu  dans  l'idée  du  quarré  ;  car  encore  que  ie  puilTc  conce- 
|uoir  vn  triangle,  en  rellraignant  tellement  ma  peniee,  que  ie  ne  150 
conçoiue  en  aucune  façon  que  les  trois  angles  font  égaux  à^deux 
droits,  ie  ne  puis  pas  neantmoins  nier  cela  de  luy  par|  vne  claire  ^ 
didindle  opération,  c'ell  à  dire  entendant  nettement  ce  que  ie  dis. 
De  plus,  fi  ie  conlidere  vn  triangle  infcrit  dans  vn  quarré,  non  afin 
d'attribuer  au  quarré  ce  qui  apartient  feulement  au  triangle,  ou 
d'attribuer  au  triangle  ce  qui  apartient  au  quarré,  mais  pour  exa- 
miner feulement  les  chofes  qui  nailfent  de  la  conjonction  de  l'vn  is: 
de  l'autre,  la  nature  de  cette  figure  compofée  du  triangle  iS:  du 
quarré  ne  fera  pas  moins  vraye  &  immuable,  que  celle  du  feul 
quarré  ou  du  feul  triangle.  De  façon  que  ie  pouray  alfurer  auec  vé- 
rité que  le  quarré  n'elt  pas  moindre  que  le  double  du  triangle  qui 
luy  eil  infcrit,  &  autres  chofes  femblables  qui  appartiennent  à  la 
nature  de  cette  figure  compofée.  Mais  fi  ie  confidere  que,  dans  l'idée 
d'vn  corps  tres-parfait,  l'exillence  efi  contenue,  &  cela  pource  que 
c'eft  vnc  plus  grande  perfedion  d'eilre  en  effecl  &  dans  l'entende- 
ment que  d'eftre  feulement,  dans  l'entendement,  ie  ne  puis  pas  de  là 
conclure  que  ce  corps  tres-parfait  exifte,  mais  feulement  qu'il  peut 
exifter.  Car  ie  reconnois  alfez  que  cette  idée  a  elle  faite  par  mon  en- 
tendement, leqjiel  a  ioint  enfemble  toutes  les  perfections  corpo- 
relies;  &  aufli  que  l'exiftence  ne  refulte  point  des  autres  perfedions 
qui  font  comprifes  en  la  nature  du  corps,  pource  que  l'on  peut  éga- 
lement affirmer]  ou  nier  qu'elles  exiltent.  Et  de  plus,  à  caufe  qu'en  151 
examinant  l'idée  du  corps,  ie  ne  voy  en  luy  aucune  force  par  la- 
quelle il  fe  produife  ou  le  conferue  luy-mefme,  ie  conclus  fort  bien 
que  l'exiftence  necelfaire,  de  laquelle  feule  il  eft  icy  queftion,  c6n- 
uient  aufli  peu  à  la  nature  du  corps,  tant  parfait  qu'il  puiffe  eftre, 
qu'il  apartient  à  la  nature  d'vne  montagne  de  n'auoir  point  de  valée, 
ou  à  la  nature  du  triangle  d'auoir  fes  trois  angles  plus  grands  que 
deux  droits.  Mais  maintenant,  fi  nous  demandons,  non  d'vn  corps, 
mais  d'vne  chofe,  telle  qu'elle  puifl'c  eftre,  qui  ait  toutes  les  |  per- 
fedions  qui  peuuent  eftre  enfemble,  fçauoir  fi  l'exiftence  doit  eftre 
comtée  parmy  elles;  il  eft  vray  que  d'abord  nous  en  pourons  douter, 
parce  que  noftre  efprit,  qui  eft  finy,  n'ayant  pas  couftume  de  les 
confiderer  que  feparées,  n'aperceura  peut-eftre  pas  du  premier  coup, 


94  OEuvREs  DE  Descartes.  iig.120. 

combien  neceflairement  elles  font  iointes  entr'elles.  Mais  fi  nous 
examinons  Ibigneufement,  fçauoir,  fi  l'exillence  conuient  à  l'ellre 
Ibuuerainement  puifl'ant,  &  ijuelle  forte  d'exiilence,  nous  pourrons 
clairement  &  dillindement  connoiftre,  premièrement,  qu'au  moins 
Texiftence  poffible  luy  conuient,  comme  à  toutes  les  autres  chofes 
dont  nous  auons  en  nous  quelque  idée  diftinde,  mefme  à  celles  qui 
font  compofées  par  les  fi«5tions  de  nollre  efprit.  En  après,  parce  que 
nous  ne  pouuons  penfer  que  fon  exiitence  ell  poflible,  qu'en  mefme 
temps,  prenans  garde  à  fa  puilfance  infinie,  nous  ne  connoiffions 

152  qu'il  peut  exiller  |  par  fa  propre  force,  nous  conclurons  de  là  que 
réellement  il  exille,  &  qu'il  a  elté  de  toute  éternité.  Car  il  efi  tres- 
manifefte,  par  la  lumière  naturelle,  que  ce  qui  peut  exifter  par  fa 
propre  force,  exifie  toufiours;  &  ainfi  nous  connoillrons  que  l'exi- 
ftence  necefl'aire  eft  contenue  dans  l'idée  d'vn  eltre  fouuerainement 
puiffant,  non  par  aucune  fiction  de  l'entendement,  mais  pource 
qu'il  apartient  à  la  vraye  &  immuable  nature  d'vn  tel  élire,  d'exi- 
tter;  &  nous  connoillrons  aufli  facilement  qu'il  ell  impoflible  que 
cet  élire  fouuerainement  puiffant  n'ait  point  en  luy  toutes  les  autres 
perfections  qui  font  contenues  dans  l'idée  de  Dieu,  en  forte  que,  de 
leur  propre  nature,  &  fans  aucune  fiction  de  l'entendement,  elles 
foycnt  toutes  iointes  enfemble,  &  exiilent  dans  Dieu.  Toutes  lef- 
quelles  chofes  font  manifelles  à  celuy  qui  y  penfe  ferieufement,  |& 
^e  différent  point  de  celles  que  i'auois  défia  cy-deuant  écrites,  Ci  ce 
n'eit  feulement  en  la  façon  dont  elles  font  icy  expliquées,  laquelle 
i'ay  exprelfément  changée  pour  m'accommoder  à  la  diuerfité  des 
efprits.  Et  ie  confeffcray  icy  librement  que  cet  argument  eit  tel,  que 
ceux  qui  ne  le  relfouuiendront  pas  de  toutes  les  chofes  qui  feruent 
à  fa  demonllration,  le  prendront  aifement  pour  vn  Sophifme;  iït  que 
cela  m'a  fait  douter  au  commencement  (i  ie  m'en  dcuois  feruir,  de 
peur  de  donner  occalion  à  ceux  qui  ne  le  comprendront  pas,  de 
ie  deffier  aufii  des  autres.  Mais  pource  qu'il  n'y  a  que  deux  voyes 

153  par  lefquelles  on  puilfe  prouuer  qu'il  y  a  vn  Dieu,  fçauoir  :  |  l'vne 
par  fcs  elfecls,  &  l'autre  par  fon  elTence,  ou  fa  nature  mefme  ;  & 
que  i'ay  expliqué,  autant  qu'il  m'a  elle  pofiiblc,  la  première  dans  la 
troifiefme  Méditation,  i*ay  creu  qu'après  cela  ie  ne  deuois  pas  ob- 
metire  l'autre. 

Pour  ce  qui  regarde  la  dillinction  formelle  que  ce  tres-dode 
Théologien  dit  auoir  pril'e  de  Scot,  ie  répons  brièuement  qu'elle 
ne  diffère  point  de  la  modale,  &  qu'elle  ne  s'étend  que  fur  les  ellres 
incomplets,  lefquels  i'ay  foigneufement  dillingucz  de  ceux  qui  font 
complets;   ^t  qu'à  la  vérité  elle  fullii  pour  faire  qu'vne  choie  l'oit 


iao-i2i.  Premières  Réponses.  95 

conceuë  feparement  &  diftindement  d'vne  autre,  par  vne  abftradion 
de  l'efprit  qui  conçoiue  la  chofe  imparfaitement,  mais  non  pas  pour 
faire  que  deux  chofes  foienî  conceuës  tellement  diftindes  &  feparées 
l'vne  de  l'autre,  que  nous  entendions  que  chacune  ell  vn  eftre 
complet  &  différent  de  touj  autre;  car  pour  cela  il  eft  befoin  d'vne 
diftindion  réelle.  Ainfi,  par  exemple,  entre  le  mouuement  &  la 
figure  d'vn  mefme  corps,  il  y  a  vne  diftinélion  formelle,  &  ie  puis 
fort  bien  conceuoir  le  mouuement  fans  la  figure,  &  la  figure  fans  le 
mouuement,  &rvn  &  l'autre  fans  penfer  particulièrement  au  corps 
qui  fe  meut  ou  qui  eft  figuré;  mais  ie  ne  puis  pas  neantmoins 
conceuoir  pleinement  &  parfaitement  le  mouuement  fans  quelque 
corps  auquel  ce  mouuement  foit  attaché,  ny  la  figure)  fans  quelque 
corps  où  relide  cette  figure;  ny  enfin  ie  ne  puis  pas  feindre  que  le 
mouuement  foit  en  vne  cho|fe  dans  laquelle  la  figure  ne  puiffe  pas  i64 
eftre,  ou  la  figure  en  vnechofe  incapable  du  mouuement.  De  mefme 
ie  ne  puis  pas  conceuoir  la  iuftice  fans  vn  iurte,  ou  la  mifericorde 
fans  vn  mifericordieux  ;  &  on  ne  peut  pas  feindre  que  celuy-là 
mefme  qui  eft  iufte,  ne  puiffe  pas  eftre  mifericordieux.  Mais  ie  conçoy 
pleinement  ce  que  c'eft  que  le  corps  (c'eft  à  dire  ie  conçoy  le  corps 
comme  vne  chofe  complète),  en  penfant  feulement  que  c'eft  vne 
chofe  étendue,  figurée,  mobile  &c.,  encore  que  <  ie  >  nie  de  luy 
toutes  les  chofes  qui  appartfennent  à  la  nature  de  l'efprit  ;  &  ie 
conÇoy  aufli  que  l'efprit  eft  vne  chofe  complète,  qui  doute,  qui  en- 
tend, qui  veut  &c.,  encore  que  ie  n'accorde  point  qu'il  y  ait  en  luy 
aucune  des  chofes  qui  font  contenues  en  l'idée  du  corps;  ce  qui 
ne  fe  pouroit  aucunement  faire,  s'il  n'y  auoit  vne  diftindibn  réelle 
entre  le  corps  &  l'efprit. 

Voila,  MeflTieurs,  ce  que  i'ay  eu  à  répondre  aux  objedions  fub- 
tiles  &  officieufes  de  voftre  amy  commun.  Mais  fi  ie  n'ay  pas  efté 
afl'ez  heureux  d'y  fatisfaire  entièrement,  ie  vous  prie  que  ie  puilfe 
eftre  auerty  des  lieux  qui  méritent  vne  plus  ample  explication,  ou 
peut-eftre  mefme  fa  ccnfure.  Que  fi  ie  puis  obtenir  cela  de  luy  par 
voftre  moyen,  ie  me  tiendray  à  tous  infiniment  voftre  obligé. 


96 


Œuvres  de  Descartes. 


155  I  SECONDES    OBIECTIONS 

Recueillies  par  le  R.  P.  Merfenne 
de  la  bouche  de  diuers  Théologiens  &  Philofophes. 

Mon/leur, 
Puifque,  pour  confondre  les  nouueaux  Geans  du  Jtecle,  qui  ofent 
attaquer  l'Auteur  de  toutes  chofes,  vous  aue-{  entrepris  d'en  affermir 
le  trône  en  demonjlrant  fon  exijîence,\&  que  j'ojlre  dejfein  femble  fi 
bien  conduit,  que  les  f^ens  de  bien  peuuent  efperer  qu'il  ne  Je  troiiuera 
defot^mais perfonne  qui,  après  auoir  leu  attentiuement  vos  Méditations, 
ne  confejfe  qu'il  y  a  me  diuinité  éternelle  de  qui  toutes  chofes  dépen- 
dent, nous  auons  iugê  à  propos  de  vous  auertir  &  vous  prier  tout  en- 
femble,  de  répandre  encore  fur  de  certains  lieux,  que  nous  vous  mar- 
querons cj'-apres,  vue  telle  lumière,  qu'il  ne  rejîe  rien  dans  tout  voftre 

AW  ouurage,  qui  ne  \  foit,  s'il  ejl  pojjible,  ires-clairement  &  tres-manife- 
^ftement  démonjlré.  Car,  d'autant  que  depuis  plujieurs  années  vous 
auCy,  par  de  continuelles  méditations,  tellement  exercé  voftre  efprit, 
que  les  chofes  qui  femblent  aux  autres  obfcures  &  incertaines,  vous 
peuuent  paroi ftre  plus  claires,  6'-  que  j'ous  les  conceuei  peut-eftre  par 
vue  ftmple  infpeâion  de  l' efprit,  fans  vous  aperceuoir  de  l'obfcurité 
que  les  autres  y  trouuent,  il  fera  bon  que  vous  foye\  auerty  de  celles 
qui  ont  befoin  d'ejîre  plus  clairement  <S'-  plus  amplement  expliquées  & 
demonjfrées.  &  lorfque  vous  nous  ,aure\  Jatisfait  en  cecj',  nous  ne 
iu fréons  pas  qu'il  y  ait  ^'•^//c'^t'^•  pcrfoniic  qui puijje  nier  que  les  raifons, 
dont  vous  aue;  commencé  la  deduclion  pour  la  gloire  de  Dieu  6'-  l'vti- 
lité  du  public,  <  ne'>  doiuent  ejlre  prifes  pour  des  demonjt rations. 
Premièrement,  7'ows  vous  reJJouuiendrCy  que  ce  n'eft  pas  aâuelle- 
ment  &  en  vérité,  mais  feulement  par  vue  fui  ion  de  l'efprit,  que  vous 
aue\  rejette,  autant  qu'il  vous  a  ejié pofl'ibU',  les  idées  de  tous  les  corps, 
comme  des  chofes  feintes  ou  des  fan tof mes  trompeurs,  pour  conclure 
que  vous  eftie-;  feulement  vue  chofe  qui  penfc  :  de  peur  qu'après  cela 
vous  ne  croyiCy'  peut-eftre  que  l'on  puiJJ'e  conclure  qu'en  ejfecl  &  fans 
ficlion  vous  n'ejles  rien  autre  chofe  qu'vn  efyril,  ou  vue  chofe  qui 
penfe;  ce  que  nous  auons  feulemcul  trouué  digue  d'nbferuation  lon- 

^57     chant  vos  deux  premières  Méditations,  dans  Icfquclles  |  vous  faites 

a.  «  ne  »  {»nn>  (/"  édit.).  rciaUli  {:'''  édit.  et  \niv.\ 

b.  •  croyez  »  {i"  et  J'  edii.  . 


ia2-i23.  Secondes  Objections.  97 

voir  clairement  qu'au  moins  il  ejl  certain  que  vous  qui  penfe^  ejles 
quelque  chofe.  Mais  arrejion^-nous  vn  peu  icy.  lufques-là  vous  con- 
noiJfe\  que  vous  ejies  vne  chofe  qui  penfe,  mais  vous  nefçaue^^pas  en- 
core ce  que  c'eji  que  •  cette  chofe  qui  penfe.  Et  que  fçaue^-vous  fi,  ce 
n'efi  point  vn  corps,  qui,  parfes  diuers  mouuemens  &  rencontres  y  fait 
cette  aâion  que  nous  apellons  du  nom  de  penfée  ?  Car,  encores  que 
vous  croyie:{  auoir  rejette  toutes  fortes  de  corps,  vous  vous  efies  peu 
tromper  en  cela,  que  vous  ,ne  vous  efies  pas  rejette  vous-mefme,  qui 
efies  vn  corps.  Car  comment  prouue^-vous  qu'vn  corps  ne  peut  penfer? 
\  ou  que  des  mouuemens  corporels  ne  font  point  la  penfée  mèfme  ?  Et 
pourquoy  tout  lefifteme  de  vofire  corps,  que  vous  crofe\  auoir  rejette, 
ou  quelques  parties  d'iceluy,  par  exemple  celles  du  ^cerueau,  ne  peu- 
uent-elles  pas  concourir  à  former  ces  mouuemens  que  nous  apellons 
des  penfées  ?  le  fuis,  dites-vous,  vne  chofe  qui  penfe;  mais  quefçaue^- 
vousfi  vous  nèfles  point  aufjî  vn  mouuement  corporel,  ou  vn  corps 
remué? 

Secondement,  de  l'idée  d'vn  eflre  fouuerain,  laquelle  vous  fouflene^ 
ne  pouuoir  efire  produite  par  vous,  vous  ofe\  conclure  l'exifience  d'vn 
fouuerain  efire,  duquel  feul  peut  procéder  l'idée  qui  efi  en  vofire 
efprit.  Mais  nous  trouuons  en  nous-mefmes  vn  fondement  fuffifant, 
fur  lequel  efiant  feulement  apuj^e:{  nous  pouuons  former  cette  idée, 
quoj^  qu'il  n'y  euft  point  de  Jouuerain  efire,  ou  que  nous  ne  \  fceuffions  io8 
pas  s'il  y  en  a  vn,  &  que  fon  exifience  ne  nous  vinfi  pas  m.efme  en 
la  penfée;  car  ne  uoy-je  pas  qu'ayant  la  faculté  de  penfer,  i'ay  en 
moy  quelque  degré  de  perfeâion  ?  Et  ne  voy-je  pas  aufji  que  d'autres 
que  moy  ont  vn  femblable  degré?  Ce  qui  me  fert  de  fondement' pour 
penfer  à  quelque  nombre  que  ce  f oit,  &  aujfi  pour  adjoufler  vh  degré 
de  perfedion  fur  V autre  iufqu'à  l'infiny  ;  tout  de  mefme  que,  quand 
il  n'y  auroit  au  monde  qu'vn  degré  de  chaleur  ou  de  lumière,  ie  . 
pourois  neantmoins  en  adjoufier  &  en  feindre  touftours  de  nou- 
iieaux  iufques  à  l'infiny.  Powquoy  pareillement  ne  pouray-je  pas 
adioufier  à  quelque  degré  d'efire  que  i'aperçoy  efire  en  moy,  tel  autre 
degré  que  ce  foit,  &,  de  tous  les  degre^  capables  d'efire  adioufie!{, 
former  l'idée  d'vn  efire  parfait?  Mais,  dites-vous,  l'effed  ne  peut 
auoir  aucun  degré  de  perfeâion,  ou  de  realité,  qui  n'ait  efi é  aupara- 
vant dans  fa  caufe.  Mais  {outre  que  iious  voyons  tous  les  iours  que 
les  mouches,  &  plufieurs  autres  animaux,  comme  aujji  les  plantes, 
font  produites  par  le  Soleil,  la  pluye  &  la  terre,  dans  lefquels  il  n'y 
a  point  de  vie  comme  en  ces  animaux,  laquelle  vie  efi  plus  noble 
qu'aucun  autre  degré  purement  corporel,  d'oii  il  arriue  que  l'effed 
tire  quelque  realité  de  fa  caufe,  qui  neanlmoins  n'efioit  pas  dans  fa 
Œuvres,  IV.  7 


98  OEuvRES  DE  Descartes.  123-125. 

caufé);  mais,  dif-je,  celte  \  idée  n'ejî  rien  autre  chofe  ^u'vn  ejlre  de 
rai/on,  qui  n'eji  pas  plus  noble  que  vq/îre  efvrit  qui  là  conçoit.  De 
plus,  quefçaue\  <-vous  >  *  fi  cette  idéejefujï  iamais  ojf^rte  à  vojïre 

159  I  efprit,  fi  vous  euj/iei  pajfé  toute  vojire  vie  dans  vn  defert,  &  non 
point  en  la  compagnie  de perfonnes fçauantes? Et  ne  peut-on  pas  dire 
que  vous  l'aue\  puijée  des  penfées  que  vous  aue:^  eues  auparauant,  des 
enfeignemens  des  Hures,  des  difcours  &  entretiens  de  vos  amis,  &c., 
&  non  pas  de  vofire  efprit  feul,  ou  d'vn  fouuerain  efire  exifiant  ? 
Et  partant  il  faut  prouuer  plus  clairement  que  cette  idée  ne  pou- 
roit  efire  en  vous,  s'il  n'y  auoit  point  de  fouuerain  efire;  &  alors 
nous  ferons  les  p?x*miers  à  nous  rendre  à  vofire  raifonnement,  &  nous 

y  donnerons  tous  les  mains.  Or,  que  cette  idée  procède  de  ces  notions 
anticipées,  cela  paroifi,  ce  femble,  ajfe:^  clairement,  de  ce  que  les 
Canadiens,  les  Murons  &  les  autres  hommes  Saunages  n'ont  point  en 
eux  vne  telle  idée,  laquelle  vous  pouue^  mefme  former  de  la  connoif- 
fance  que  vous  aue^  des  chofes  corporelles  ;  en  forte  que  vofire  idée 
ne  reprefente  rien  que  ce  monde  corporel,  qui  embraffe  toutes  les  per- 
fedions  que  vous  fçaurie'{  imaginer;  de  forte  que  vous  ne  pouue^  con- 
clure autre  chpfe,  finon  qu'il  y  a  vn  efire  corporel  treS"parfait;fi  ce 
n'efi  que  vous  adjoufiie^  quelque  chofe  de  plus,  qui  éleue  vofire  efprit 
iufqu'à  la  connoijjance  des  chofes  fpirituelles  ou  incorporelles.  Nous 
pouuons  icy  encore  dire,  que  l'idée  d'vn  Ange  peut  efire  en  vous, 
aujffi  bien  que  celle  d'vn  efire  tres-parfait,  fans  qu'il  foit  befoin  pour 
cela  qu  elle  foit  formée  en  vous  par  vn  Ange  réellement  exifiant,  bien 

160  que  l'Ange  foit  plus  \  parfait  que  vous.  Mais  vous  n'aue^  pas  l'idée 
de  Dieu,  non  plus  que  celle  d'vn  nombre  ou  d'vue  ligne  infinie  ;  la- 
quelle  quand  vous  pourie^  auoir,  ce  nombre  neantmoins  efi  entière- 
ment  impojfible.  Adjoufie^  à  cela  que  l'idée  de  l'vnilé  &  fimplicité 
d'vne  feule  perfeâiou  qui  embraffe  é'  contienne  toutes  les  autres,  fe 
fait  feulement  par  l'opération  de  l'entendement  qui  raifonne,  tout 
aiufi  que  fe  font  les  mités  vniuerfelles,  qui  ne  font  point  dans  les 
chofes,  mais  feulement  dans  ienlendemcut,  comme  on  peut  voir  par 
l'vnité générique,  tranfcendanlale,  i'-c. 

En  troificrmc  lieu,  puifque  vous  n'efies  pas  encore  affeuré  de  l'exi- 
fience  de  Dieu,  «S-  que  ivus  dites  neantmoins  que  j'Ous  n<^  fçaurie:{  efire 
affeuré  d'aucune  chofe,  ou  que  \  vous  ne  pouue-^  rien  çonnoifire  clai- 
rement C-  difiinclemenl,fi  premièrement  vous  ne  connoif[c\  certaine- 
ment à'  clairement  que  Dieu  e.>(ifie,  il  s' enfuit  que  vous  ne  fçaue^  pas 

a  ..  Que  l<auex  (\...  »  [i"  édit.).  «  Uue  fçauez-vou?  ii...  «  {.>*  ùdit.  et 
suiv.). 


Ï25-I26.  Secondes  Objections.  99 

encore  que  roua  e/îes  vue  chofe  qui  peufe,  puifque,  félon  vous,  celle 
connoijfance  dépend  de  la  connoiffancc  claire  d'vn  Dieu  exijlanl,  la- 
quelle vo^ts  n'aue'{  pas  encore  demonjlrée,  aux  lieux  où  vous  con- 
cluei  que  vous  connoijfe:^  clairemenl  ce  que  vous  ejîes.  AdjouJîc-{  à 
cela  qu'vn  Athée  connoift  clairemenl  &  d[ftinclemenl  que  les  Irois 
angles  d'vn  trianifle  font  égaux  à  deux  droits,  quoy  que  neanlmoins 
il/oit  fort  efloigné  de  croire  l'exijience  de  Dieu,  puifqu'il  la  nie  tout 
à  fait  :  parce,  dit-il,  que Ji  Dieu  exijloit,  ily\  aurait  vn  fouucrain  ejîre  161 
£■  vn  fouuerain  bien,  ceft  à  dire  vn  injînj^  ;  or  ce  qui  eji  infiny  en 
tout  genre  de  perfeâion  exclut  toute  autre  chofe  que  ce  fait,  fion  feu- 
lement toute  forte  d'efîre  &  de  bieny  mais  aujji  toute  forte  de  non  efïre 
S"  de  mal;  &  neanlmoins  il  y  a  plufeurs  efires  &  plufieurs  biens, 
comme  auffi  plufieurs  non  efires  &  plufieurs  maux  ;  à  laquelle  objedion 
nous  iugeons  qu'il  efî  à  propos  que  vous  répondie\,  afin  qu'il  ne  refle 
plus  rien  aux  impies  à  objeâer,  &  qui  puiffe  fer uir  de  prétexte  à  leur 
impieté. 

En  quatrième  lieu,  vous  nie^  que  Dieu  puifj'e  mentir  ou  deceuoir  ; 
quof  que  neanlmoins  il  fe  trouue  des  Scolaftiques  qui  tiennent  le  con- 
traire, comme  Gabriel,  Ariminenfis,  &  quelques  autres,  qui  penfent 
que  Dieu  ment,  abfolument  parlant,  c'efi  à  dire  qu'il  fîptifîe  quelque 
chofe  aux  hommes  contre  fnn  intention,  &  contre  ce  qu'il  a  décrété  & 
refolu,  comme  lorfque,  fans  adioufler  de  condition,  il  dit  aux  Nini- 
uites  par  fon  Prophète  :  Encore  quarante  iours,  &  Niniue  fera  fub- 
uertie,  &  lorfqu'il  a  dit  plufieurs  autres  chofes  qui  ne  font  point 
arriuées,  parce  qu'il  n'a  pas  voulu  que  telles  paroles  répoudijfent  a 
fon  intention  ou  à  fon  décret.  Que  s'il  a  endurcy  &  aueuglé  Pharaon, 
&  s'il  a  mis  dans  les  Prophètes  |  ;•»  efprit  de  menfonge,  comment 
pouue'{  <  vous  >  dire  que  nous  ne  pouuons  efire  trompe^  par  luy? 
Dieu  ne  peut-il  pas  fe  comporter  enuers  les  hommes,  comme  vn  mé- 
decin enuersfes  malades,  &  vn  père  entiers  fes  ejifans,  lefquels  l'vn  & 
l'autre  trompent  ft  foiiuenl,  \  mais  toufiours  auec  prudence  6'-  vtUité?  162 
Car  fi  Dieu  nous  monflroit  la  vérité  toute  nue,  quel  <eil  ou  pluflqfi  quel 
efprit  aurait  aJfe-{  de  force  pour  la  fupporier  ? 

Combien  qu'à  vray  dire  il  ne  fait  pas  neceffliire  de  feindre  vn  Dieu 
trompeur,  afin  que  vous  foye-{  deceu  dans  les  chofes  que  vous penf"^ 
connoiflre  clairemenl  u'  diJtinclemeuL  veu  que  la  caitfe  de  celle  décep- 
tion peut  eftre  en  vous,  quoy  que  vous  n'y  fongie\  feulemenl  pas.  Car 
que  fçaue\'Vous  fi  vq/lre  nature  n'e/l  point  telle  qu'elle  fe  trompe  touf- 
jours,  ou  du  moins  fort  fouuent?  F.l  d'où  aue\-vous  apris  que,  lou- 
chant les  chofes  que  vous  p€nfe\  connoiflre  clairemenl  &  difUncle- 
metit,  il  eft  certain  que  vous  n'ejles  iamais  trompé.  €•  que  vous  ne  le 


loo  OEuvRES  DE  Descartes.  126-127 

pouuei  eftre  ?  Car  combien  de  fois  auoiis  nous  peu  que  des  perjonnes 
Je  font  trompées  en  dçs  chofes  qu'elles  penfoienl  voir  plus  clairement 
que  le  Soleil?  Et  partant,  ce  principe  d'vne  claire  &  dijtinde  connoif- 
fance  doit  ejlre  expliqué  Ji  clairement  &fi  dijlinclement,  que  perfonne 
déformais,  qui  ait  l'efprit  raifonnable,  ne  puijfe  ç/lre  deceu  dans  les 
chofes  qu'il  croira  fçauôir  clairement  &  dijlinâemènt;  autrement  nous 
ne  voyons  point  encor  que  nous  puijjions  répondre  auec  certitude  de 
la  vérité  d'aucune  chofe. 

En  cinquième  lieu,^  la  volonté  ne  peut  iamais  faillir,  ou  ne  pèche 
point,  lorfqu  elle  fuit  &  Je  laijfe  conduire  par  les  lumières  claires^' 
163  dijîinâes  de  l'efprit  qui  lagouuerne,  &  Jî,  au  contraire,  die  Je  \  met  en 
danger,  lorsqu'elle  pourjuit  &  embrajje  les  connoijffances  objcures  & 
confujes  de  l'entendement,  prene-^  garde  que  de  là  il  Jemble  que  l'on 
puijfe  inférer  que  les  Turcs  «S"-  les  autres  infidèles  non  Jeulemenl  ne 
pèchent  point  lorjquils  n'embrajfent  pas  la  Religion  Chrejlienne  & 
Catholique,  mais  mejme  qu'ils  pèchent  lorjquils  l'embra/fent,  puij- 
qu'ils  n'en  connoijfent  point  la  vérité  n/  clairement  nj"  dijlinâemènt. 
Bien  plus,  Jt  cette  règle  que  vous  établijfe^  ejl  vraye,  il  ne  fera  permis 
à  la  volonté  d'embraffer  que  fort  peu  de  chofes,  veu  que  nous  ne  con- 
naijfons  quaji  rien  auec  cette  clarté  &  difinâion  que  vous  requere^, 
pour  Jormer  vne  certitude  qui  ne  puijfe  ejtre  Jujette  à  aucun  doute. 
Prene^  donc  garde,  s'il  vousplaiji,  que,  \  voulant  affermir  le parly  de 
la  vérité,  vous  ne  prouuiei  plus  qu'il  ne  faut,  &  qu'au  lieu  de  l'apuyer 
vous  ne  la  renuerfe^. 

En  fixiéme  lieu,  dans  vos  réponjes  aux  précédentes  objeâions,  il 
Jemble  que  vous  aye:{  manqué  de  bien  tirer  la  conclujion,  dont  voicy 
l'argument  :  Ce  que  clairement  &  di(lin6tement  nous  entendons 
apartenir  à  la  nature,  ou  à  l'eircnce,  ou  à  la  forme  immuable  &  vraye 
de  quelque  chofe,  cela  peut  efirc  dit  ou  affirmé  auec  vérité  de  cette 
chofe;  mais  (après  que  nous  auons  <  affez  >  foigneufement  obferué 
ce  que  c'cll  que  Dieu)  nous  entendons  clairement  &  diltindenient 
qu'il  aparticnt  à  fa  vraye  &  immuable  nature,  qu'il  exille.  //  fau- 
16i  droit  conclure  :  Donc\ques  {après  que  nous  auons  ajfe\  Joigneujemenl 
objerué  ce  que  c'ejl  que  Dieu),  nouspouuuns  dire  ou  aj/irmer  auec  vérité, 
qu'il  apar lient  à  la  nature  de  Dieu  qu'il  exijîe.  D'oii  il  ne  Juit  pas  que 
Dieu  ex  [fie  en  ejfecl,  mais  Jeulemenl  qu'il  doit  exijler,  f  fa  nature  e/f 
poffîble,  ou  ne  répugne  point;  c'eji  à  dire  que  la  nature  ou  iejfeuce  de 
Dieu  ne  peut  e/lre  conceué  Jans  exijlence,  en  telle  forte  que,  fi  celle 
ejfence  e/l,  il  exi/le  réellemenl.  Ce  qui  Je  raporle  à  cet  argument  que 
d'autres  prnpofent  de  la  forte  :  s'il  n'implique  point  que  Dieu  Joit,  il 
efl  certain  qu'il  exifle;  or  il  n'implique  point  qu'il  exi/te;  doucques. 


127-128.  Secondes  Objections.  ioi 

&c.  Maison  ejl  en  que/lion  de  la  mineure,  à  fçauoir,  qu'il  n'implique 
point  qu'il  exifte,  la  vérité  de  laquelle  quelques  vns  de  nos  aduerfairei 
reuoquenl  en  doute,  &  d'autres  la  nient.  Dauantage,  celte  claufe  de 
vojlrc  raifonnemetit  (après  que  nous  auons  affez  clairement  reconnu 
ou  obferué  ce  que  c'elt  que  Dieu)  ejl  fupofée  comme  vraye,  dont  tout 
le  monde  ne  tombe  pas  encore  d'accord,  veu  que  vous  auo'ùe-{  vous- 
mefme  que  vous  ne  compi-ene^  Vinjînj'  qu'imparfaitement;  le  me/me 
faut-il  dire  de  tous  fes  autres  attributs  :  caVy  tout  ce  qui  eft  en  Dieu 
ejlant  entièrement  infnf,  quel  ejî  l'efprit  qui  puijfe  comprendre  Id 
moindre  chofe  qui  foi  t  en  Dieu,  que  tres-imparfaitement?  Comment 
donc  ponue^-vous  auoir  ajje:{,  clairement  &  di/îinclement  obferué  ce 
que  c'ejî  que  Dieu? 

En  feptiéme  lieu,  nous  ne  Irouuons  pas  vn  feul  \  mot  dans  vos  165 
Méditations  touchant  |  l'immortalité  de  lame  de  l'homme,  laquelle 
neantmoins  vous  deuie-{  principalement  pi'ouuer,  &  en  faire  vne  ,tres' 
exaâe  démon^ration  pour  confondre  ces  perfonnes  indignes  de  l'im- 
mortalité, puifqu'ils  la  nient,  &  que  peut-ejlre  ils  la  detejient.  Mais, 
outre  cela,  nous  craignons  que  vous  n'aye^  pas  encore  affe^prouué  la 
diflinâion  qui  ejl  entre  l'ame  &  le  corps  de  l'homme,  comme  nous 
auons  dejia  remarqué  en  la  première  de  nos  obferuations,  à  laquelle 
nous  adjouftons  qu'il  ne  femble pas  que,  de  cette  dijiinciion  de  l'ame 
d'auec  le  corps,  il  s'enfuiue  qu  elle  f oit  incorruptible  ou  immortelle; 
car  qui  fçaitf  fa  nature  n'efi  point  limitée  félon  la  durée  de  la  vie 
corporelle,  &  fi  Dieu  n'a  point  tellement  mefuré  fes  forces  &  fon  exi- 
fience,  qu'elle  fnijfe  auec  le  corps? 

Voila,  Monfeur,  les  chofes  aufquelles  nous  defrons  que  vous  apor- 
tie:{  vne  plus  grande  lumière,  afin  que  la  leâure  de  vos  tres-fubtiles^ 
&f  comme  nous  efimons,  tres-veritables  Méditations  fait  prof  table  à 
tout  le  monde.  C'ejt  pourquoy  ce  feroit  vne  chofe  fort  vtile,f,  à  lafn 
de  vos  folutions,  après  auoir  premièrement  auancé  quelques  défini- 
tions, demandes  &  axiomes,  vous  conclu/e\  le  tout  félon  la  méthode 
des  Géomètres,  en  laquelle  vous  efes  Ji  bien  verfé,  afin  que  tout  d'vn 
coup,  &  comme  d'vne  feule  œillade,  vos  Lecteurs  y  puijfent  voir  de 
quoj'  fe  fatisfaire,  &  que  vous  remplijjie\  leur  efprit  de  la  connoif- 
fance  de  la  diuinité. 


102  Œuvres  de  Descartes.  128-129. 


I  REPONSES    DE    L'AVTEVR 

AVX     SECONDES     OBJECTIONS 

recueillies  de  plujieurs  Théologiens  &  Philofophes 
par  le  R.  P.- Merjenne. 

Meffieurs, 
C'eft  auec  beaucoup  de  fatisfadion  que  i'ay  leu  les  obferuations 
que  vous  auez  faites  fur  mon  petit  traité  de  la  première  Philofo- 
phie;  car  elles  m'ont  fait  connoiftre  la  bien-veillance  que  vous  auez 
pour  moy,  voftre  |  pieté  enuers  Dieu,  &le  foin  que  vous  prenez  pour, 
l'auancement  de  fa  gloire;  &  ie  ne  puis  que  ie  ne  me  rejouiffe,  non 
feulement  de  ce  que  vous  auez  iugé  mes  raifons  dignes  de  voftre 
cenfure,  mais  auflT  de  ce  que  vous  n'auancez  rien  contre  elles,  à 
quoy  il  ne  me  femble  que  ie  pouray  répondre  affez  commodément. 
En  premier  lieu,  vous  m'auertiffez  de  me  reffouuenir  :  Que  ce 
167  .  neji'pas  aduellement  &  en  vérité,  mais  \  feulement  par  vne  fiBion  de 
l'efprit,  que  l'a/  rejette  les  idées  ou  les  fantômes  des  corps,  pour 
conclure  que  ie  fuis  vne  chofe  qui  penfe,  de  peur  que  peut-e/tre  ie 
n'eflime  qu'il  fuit  de  là  que  ie  ne  fuis  qu'vne  chofe  qui  penfe.  Mais 
i'ay  defia  fait  voir,  dans  ma  féconde  Méditation,  que  ie  m'en  eftois 
affez  fouuenu,  veu  que  i'y  ay  mis  ces  paroles  :  Mais  auffi  peut-il 
arriuer  que  ces  mefmes  chofes  que  ie  fupofe  n'efîre  point,  parce 
qu'elles  me  font  inconnues,  ne  font  point  en  effed  différentes  de  moy 
que  ie  connais  :  ie  n'en  fçaj  rien,  ie  ne  difpute  pas  maintenant  de 
cela,  &c.,  par  lefquelles  i'ay  voulu  expreffement  aduertir  le  Lefteur, 
que  ie  ne'cherchois  pas  encore  en  ce  lieu-là  fi  l'efprit  eftoit  différent 
du  corps,  mais  que  i'examinois  feulement  celles  de  fes  proprietez, 
dont  ie  puis  auoir  vne  claire  &  affeurée  connoiffance.  Et,  d'autant 
que  i'en  ay  là  remarqué  plufieurs,  ie  ne  puis  admettre  fans  diftinc- 
tion  ce  que  vous  adioutez  enfuite  :  Que  ie  ne  fçay  pas  neantmoins  ce 
que  c'efi  qu*vne  chofe  qui  penfe.  Car,  bien  que  i'auoûe  que  ie  ne  fçauois 
pas  encore  fi  cette  chofe  qui  penfe  n'eftoit  point  différente  du  corps, 
ou  fi  elle  l'eftoit,  ie  n'auoiie  pas  pour  cela  que  ie  ne  la  connoiffois 
point;  car  qui  a  iamais  tellement  connu  aucune  chofe,  qu'il  fceuft 
n'y  auoir  rien  en  elle  que  cela  mcfme  qu'il  connoiffoit?  Mais  nous 
penfons  d'autant  mieux  connoiftre  vne  chofe,  qu'il  y  a  plus  de 
particularitez  en  elle  que  nous  connoiffons;  ainfi  nous  auons  plus 


iJ9-i3i..  Secondes  Réponses.  loj 

de  connoiflance  de  ceux  auec  qui  nous  conuerfons  tous  les  iours, 
que  de  ceux  dont  nous  ne  connoiffons  que  Ie|(nom  ou  le  vifage  ;  168 
&  toutesfois  nous  ne  iugeons  pas  que  ceux-cy  nous  foyent  tout  à 
fait  inconnus  ;  auquel  fens  le  penfe  auoir  alfez  demonftré  que  l'cf- 
prit,  confideré  fans  les  chofes  que  l'on  a  de  couftume  d'attribuer  au 
corps,  eft  plus  connu  que  le  corps  confideré  fans  l'efprit.  Et  c'eft 
tout  ce  que  i'auois  deffein  de  prouuer  en  celte  féconde  Méditation. 

Mais  ie  voy  bien  ce  que  vous  voulez  dire,  c'eft  à  fçauoir  que, 
n'ayant  efcrit  que  fix  Méditations  touchant  la  première  Philofophie, 
les  Ledeurs  s'eftonneront  que,  dans  les  deux  premières,  ie  ne  con- 
clue rien  autre  chofe  que  ce  que  ie  viens  de  dire  tout  maintenant, 
&  que  pour  cela  ils  les  trouueront  trop  fteriles,  &  indignes  d'auoir 
efté  mifes  en  lumière.  A  quoy  ie  répons  feulement  que  ie  ne  crains 
pas  que  ceux  qui  auront  leu  auec  iugement  le  refte  de  ce  que  i'ay 
efcrit, ayent  occafion  de  foupçonner  que  la  matière  m'ait  manqué; 
mais  qu'il  m'a  femblé  tres-raifonnable  que  les  chofes  qui  de- 
mandent vne  particulière  attention,  &  qui  doiuent  eitre  confiderées 
feparément  d'auec  les  autres,  fuffent  mifes  dans  des  Méditations 
feparées. 

C'eft  pourquoy,  ne  fçachant  rien  de  plus  vtile  pour  paruenir  à 
vne  ferme  &  affeurée  connoiffance  des  chofes,  que  fi,  auparauant 
qufe  de  rien  établir,  on  s'acouftume  à  douter  de  tout  &  principale- 
ment des  chofes  corporelles,  encore  que  i'eulfe  veu  il  y  a  long-temps 
plufieurs  Hures  efcrits  par  les  Sceptiques  &  Académiciens  touchant 
cette  matière,  &  que  ce  ne  |  fuft  pas  fans  quelque  dégouft  que  ie  169 
remâchois  vne  viande  fi  commune,  ie  n'ay  peu  toutesfois  me  dif- 
penfer  de  luy  donner  vne  Méditation  tout  entière  ;  es:  ie  voudrois 
que  les  Ledeurs  n'employaffent  pas  feulement  le  peu  de  temps 
qu'il  faut  pour  la  lire,  mais  quelques  mois,  ou  du  moins  quelques 
femaines,  à  confiderer  les  chofes  dont  elle  traitte,  auparauant  que 
de  palTer  outre  ;  car  ainli  ie  ne  doute  point  qu'ils  ne  filfent  bien 
mieux  leur  profit  de  la  lefture  du  relie. 

De  plus,  à  caule  que  nous  n'auons  eu  iufques  icy  aucunes  idées 
des  chofes  qui  apartiennent  à  Tefprit,  qui  n'ayent  elle  tres-confufcs 
&  I  mêlées  auec  les  idées  des  chofes  fenfibles,  &  que  c'a  efté  la  pre- 
mière &  principale  raifon,  pourquoy  on  n'a  peu  entendre  allez 
clairement  aucunes  des  chofes  qui  fe  difoient  de  Dieu  6l  de  l'ame, 
i'ay  penle  que  ie  ne  ferois  pas  peu,  fi  ie  monftrois  comment  il  faut 
diftinguer  les  proprietcz  ou  qualitez  de  l'efprit,  des  proprietez  ou 
qualiicz  du  corps,  &  comment  il  les  faut  rcconnoillre  ;  car,  encore 
qu'il  ait  délia  efté  dit  par  plulicurs  que,  pour  bien  entendre  les 


I04  Œuvres  de  Descartes.  isi-isa. 

chofes  immatérielles  ou  metaphyfiques,  il  faut  éloigner  fon  efprit 
des  fens,  neantmoins  perfonne,  que  ie  fçache,  n'auoit  encore 
monftré  par  quel  moyen  cela  fe  peut  faire.  Or  le  vray  &,  à  mon 
iugement,  l'vnique  moyen  pour  cela  eft  contenu  dans  ma  féconde 
Méditation;  mais  il  eft  tel  que  ce  n'eft  pas  affez  de  l'auoir  enuifagé 

i70  vne  fois,  il  le  faut  examiner  fouuent,  &  le  confidejrer  long-temps, 
afin  que  l'habitude,  de  confondre  les  chofes  intelleduelles  auec  les 
corporelles,  qui  s'eft  enracinée  en  nous  pendant  tout  le  cours  de 
nollre  vie,  puiffe  ettre  effacée  par  vne  habitude  contraire  de  les 
diftinguer,  acquife  par  l'exercice  de  quelques  iournées.  Ce  qui  m'a 
femblé  vne  caufe  affez  iufte  pour  ne  point  tràitter  d'autre  matière 
en  la  féconde  Méditation. 

Vous  demandez  icy  comment  ie  démonftre  que  le  corps  ne  peut 
penfer;  mais  pardonnez-moy  fi  ie  répons  que  ie  n'ay  pas  encore 
donné  lieu  à  cette  queftion,  n'ayant  commencé  d'en  tràitter  que 
dans  la  fixiéme  Méditation,  par  ces  paroles  :  C'eji  affe^  que  ie 
puijfe  clairement  &  dijtinéîement  conceuoir  vne  ckofe  fans  vne  autre, 
pour  ejlre  certain  que  l'vne  ejt  dijiinâe  ou  différente  de  l'autre,  &c. 
Et  vn  peu  après  :  Encore  que  i'aye  vn  corps  qui  me  foitfort  ejlroi- 
iement  conjoint,  neantmoins,  parce  que,  d'vn  coftê,  i'ay  vne  claire  & 
dijiinâe  idée  de  moy-mefme,  en  tant  que  iefuis  feulement  vne  chofe 
qui  penfe,  ô  noti  étendue,  &  que,  d'vn  autre,  i'ay  une  claire  &  dijiinâe 
idée  1  du  corps,  en  tant  qu'il  ejl  feulemeîtt  vne  chofe  étendue,  &  qui  ne 
penfe  point,  il  eji  certain  que  moy,  c'eJi  à  dire  mon  efprit,  ou  mon 
ame,  par  laquelle  iefuis  ce  que  ie  fuis,  eJi  entièrement  &  véritable- 
ment dijiinâe  de  mon  corps,  &  qu'elle  peut  ejire  ou  exijier  fans  luy. 
A  quoy  il  eft  aifé  d'adjoufter  :  Tout  ce  qui  peut  penfer  eJi  efprit,  ou 
s'apelle  efprit.  Mais  puifque  le  corps  &  l'efprit  font  réellement 
diflinâs,  nul  corps  n'eji  efprit.  Doncques  nul  corps  ne  peut  penfer. 

171  Et  certes  (  ie  ne  voy  rien  en  cela  que  vous  puiffiez  nier  ;  car  nierez 
vous  qu'il  fuffit  que  nous  conceuions  clairement  vne  chofp  fans 
vne  autre,  pour  fçauoir  qu'elles  font  réellement  diftindes  ?  Donnez- 
nous  donc  quelque  figne  plus  certain  de  la  diftinélion  réelle,  fi 
toutesfois  on  en  peut  donner  aucun.  Car  que  direz- vous?  Sera-ce 
que  ces  chofes  là  font  réellement  diftindes,  chacune  defquelles  peut 
exifter  fans  l'autre?  Mais  de  rechef  ie  vous  demanderay,  d'où  vous 
connoiffez  qu'vne  chofe  peut  exifter  fans  vne  autre.  Car,  afin  que 
ce  foii  vn  figne  de  diftinction,  il  eft  neceffaire  qu'il  foit  connu. 

Peul-eftre  direz-vous  que  les  fens  vous  le  font  connoiftre,  parce 
que  vous  voyez  vne  chofe  en  l'abfence  de  l'autre,  ou  que  vous  la 
touchez,  &.C.  Mais  la  foy  des  fens  eft  plus  incertaine  que  celle  de 


1 32-1 34.  Secondes  Réponses.  105 

l'entendement  ;  &  il  fe  peut  faire  en  plufieurs  façons  qu'vne  feule 
&  mefme  chofe  paroiffe  à  nos  fens  fous  diuerfes  formes,  ou  en 
plufieurs  lieux  ou  manières,  &  qu'ainfi  elle  foit  prife  pour  deux.  Et 
enfin,  fi  vous  vous  reflbuuenez  de  ce  qui  a  efté  dit  de  la  cire  à  la  fin 
de  la  féconde  Méditation,  vous  fçaurez  que  les  corps  mefmes  ne 
font  pas  proprement  connus  par  les  fens,  mais  par  le  feul  entende- 
ment ;  en  telle  forte  que  fentir  vne  chofe  fans  vne  autre,  n'eft  rien 
finon  auoir  l'idée  d'vne  chofe,  &  entendre  que  cette  idée  n'ell  pas  la 
mefme  que  l'idée  d'vne  autre  :  or  cela  ne  peut  eftre  connu  d'ailleurs, 
I  que  de  ce  qu'vne  chofe  eft  conceuë  fans  l'autre  ;  &  cela  ne  peut  eftre 
I  certainement  connu,  fi  l'on  n'a  l'idée  claire  &  diftinde  de  ces  deux  172 
chofes  :  &  ainfi  ce  figne  de  réelle  diftindion  doit  eftre  réduit  au 
mien  pour  eftre  certain. 

Que  s'il  y  en  a  qui  nient  qu'ils  ayent  des  idées  diftinftes  de  l'ef- 
prit  &  du  corps,  ie  ne  puis  autre  chofe  que  les  prier  de  confiderer 
affez  attentiuement  les  chofes  qui  font  contenues  dans  cette  féconde 
Méditation,  &  de  remarquer  que  l'opinion  qu'ils  ont  que  les  parties 
du  cerueau  concourent  auec  l'efprit  pour  former  nos  penfées,  n'eft 
point  fondée  fur  aucune  raifon  pofitiue,  mais  feulement  fur  ce  qu'ils 
n'ont  iamais  expérimenté  d'auoir  efté  fans  corps,  &  qu'alfez  fou- 
uent  ils  ont  efté  empefchez  par  luy  dans  leurs  opérations;  &  c'eft 
le  mefme  que  fi  quelqu'vn,  de  ce  que  dés  fon  enfance  il  auroit  eu 
des  fers  aux  pieds,  eftimoit  que  ces  fers  fiflent  vne  partie  de  fon 
corps,  &  qu'ils  luy  fulfent  necefiaires  pour  marcher. 

En  fécond  Heu,  lorfque  vous  dites  :  Que  nous  auons  en  nous- 
mefmes  vn  fondement  fuffifant  pour  former  l'idée  de  Dieu,  vous  ne 
dites  rien  de  contraire  à  mon  opinion.  Car  i'ay  dit  moy-mefme  en 
termes  exprés,  à  la  fin  de  la  troifiéme  Méditation  :  Que  cette  idée  efl 
née  auec  moy,  £•  qu'elle  ne  me  vient  point  d'ailleurs  que  de  mof -mefme. 
rauoiie  aufli  que  nous  la  pour  ions  former ,  encore  que  nous  He  fceuf' 
fions  pas  qu'il  y  a  vn  fouuerain  efire,  mais  non  pas  fi  en  cffed  il  n'y 
en  auoit  point;  car,  au  contraire,  i'ay  aduerty  gwe  toute  la  force  de 
mon  argument  confifte  en  ce  qu'il  ne  fe pouroit  faire  que  la  facul\té  173 
déformer  cette  idéefufi  en  moy^fi  ie  n'auois  efté  créé  de  Dieu. 

Eh  ce  que  vous  dites  des  mouches,  des  plantes,  &c.,  |  ne  prouue  en 
aucune  façon  que  quelque  degré  de  perfection  peut  eftre  dans  vn 
efl'ecl,  qui  n'ait  point  efté  auparauant  dans  fa  caufe.  Car,  ou  il  eft 
certain  qu'il  n'y  a  point  de  perfedion  dans  les  animaux  qut  n'ont 
point  de  raifon,  qui  ne  fe  rencontre  aufli  dans  les  corps  inanimez,  ou 
s'il  y  en  a  quelqu'vne,  qu'elle  leur  vient  d'ailleurs,  &  que  le  Soleil, 
la  pluye  &  la  terre  ne  font  point  les  caufes  totales  de  ces  animaux. 


io6  Œuvres  de  Descartes.  134-135. 

Et  ce  feroit  vne  chofe  fort  efloignée  de  la  raifon,  fi  quelqu'vn,  de 
cela  feul  qu'il  ne  connoift  point  de  caufe  qui  concoure  à  la  généra- 
tion d'vne  mouche  &  qui  ait  aiitant  de  degrez  de  perfedion  qu'en  a 
vne  mouche,  n'eftant  pas  cependant  affuré  qu'il  n'y  en  ait  point 
d'autres  que  celles  qu'il  connoift,  prenoit  de  là  occafion  de  douter 
d'vne  chofe,  laquelle,. comme  ie  diray  tantoft  plus  au  long,  eft  mani- 
fefte  par  la  lumière  naturelle. 

A  quoy  i'adjoufte  que  ce  que  vous  objectez  icy  des  mouches,  eftant 
tiré  de  la  confideration  des  chofes  matérielles,  ne  peut  venir  en  l'ef- 
prit  de  ceux  qui,  fuiuans  l'ordre  de  mes  Méditations,  détourneront 
leurs  penfées  des  chofes  fenfibles,  pour  commencer  à  philofopher. 

Il  ne  me  femble  pas  aufli  que  vous  prouuiez  rien  contre  moy,  en 
difant.  Que  l'idée  de  Dieu  qui  eji  en  nous  nejt  qu'un  ejire  de  rai/on. 
1*^^  Car  cela  n'eft  pas  |  vray,  û  par  vn  eJlre  de  raifon  l'on  entend  vne 
chofe  qui  n'eft  point,  mais  feulement  fi  toutes  les  opérations  de  l'en- 
tendement font  prifes  pour  des  ejîres  de  raifon,  c'eft  à  dire  pour  des 
eftres  qui  partent  de  la  raifon;  auquel  fens  tout  ce  monde  peut  auffi 
eftre  apelé  vn  cftre  de  raifon  diuine,  c'eft  à  dire  vn  eftre  créé  par  vn 
fimple  ade  de  l'entendement  diuin.  Et  i'ay  defia  fuffifamment  auerty 
en  plufieurs  lieu.x,  que  ie  parlois  feulement  de  la  perfedion  ou  rea- 
lité objecliue  de  cette  idée  de  Dieu,  laquell.e  ne  requiert  pas  moins 
vne  caufe,  |en  qui  foit  contenu  en  effed  tout  ce  qui  n'eft  contenu 
en  elle  qu'objectiuemcnt  ou  par  reprefentation ,  que  fait  l'artifice 
objectif  ou  reprefenté,  qui  eft  en  l'idée  que  quelque  artifan  a  d'vne 
machine  fort  artificielle. 

Et  certes  ie  ne  voy  pas  que  l'on  puilfe  rien  adjouter  pour  faire 
connoiftre  plus  clairement  que  cette  idée  ne  peut  eftre  en  nous,  fi  vii 
fouuerain  eftre  n'exifte,  fi  ce  n'eft  que  le  Lecteur,  prenant  garde  de 
plus  prés  aux  chofes  que  i'ay  defia  efcrites,  le  deliure  luy-mcfme  des 
prtiugcz  qui  offufquent  peut-eftre  fa  lumière  naturelle,  &.  qu'il  s'a- 
coullume  à  donner  créance  aux  premières  notions,  dont  les  connoif- 
fanccs  font  li  vrayes  &  fi  éuidentes,  que  rien  ne  le  peut  eftre  dauan- 
tage,  plultoft  qu'à  des  opinions  obfcures  &  faulfes,  mais  qu'vn  long 
vfagc  a  profondement  grauécs  en  nos  efprits. 
Clar,  qu'il  n'y  ait  rien  dans  vn  effed,  qui  n'ait  efté  d'vne  femblable 
ns     ou  plus  excellente  façon  dans  fa  cau|fe,  c'eft  vne  première  notion, 
«Si  i\  euidcntc  quil  n'y  en  a  point  de  plus  claire;  &  cette  autre  com- 
mune notion,  que  de  rien  rien  ne  fe  fuit,  la  comprend  en  foy,  parce 
que,  n  on  accorde  qu'il  y  ail  quelque  chofe  dans  l'effecl,  qui  n'ait 
point  eflc  dans  fa  caufe,  il  faut  aufti  demeurer  d'accord  que  cela  pro- 
cède du  ncunt  ;  &  s'il  cU  éuidcnt  que  le  rien  ne  peut  eilre  la  catifc 


»35-i36.  Secondes  Réponses.  107 

de  quelque  chofe,  c'efl  feulement  parce  que,  dans  cette  caufe,  il  n'y 
auroit  pas  la  mcfme  chofe  que  dans  l'eifed. 

C'eft  aufÏ!  vnc  première  notion,  que  toute  la  realité,  ou  toute  la 
pcrfei5lion,  qui  n'ell  qu'objeftiuement  dans  les  idées,  doit  eftre  for- 
mellement ou  éminemment  dans  leurs  caufes  ;  &  toute  l'opinion  que 
nous  auons  iamais  eue  de  l'exillence  des  chofes  qui  font  hors  de 
noltre  efprit,  n'eft  apuyée  que  fur  elle  feule.  Car  d'où  nous  a  peu 
venir  le  foupçon  qu'elles  exiitoient,  fmon  de  cela  feul  que  leurs  idées 
'venoient  par  les  fens  fraper  noflre  efprit? 

Or,  qu'il  y  ait  en  nous  quelque  idée  d'vn  eftre  fouuerainèment 
puifTant  &  parfait,  &  auffî  que  la  realité  objediua  de  cette  idée  ne  fe 
trouue  point  en  nous,  ny  formellement,  ny  éminemment,  cela  de- 
uiendra  manifelte  à  ceux  qui  y  penferoht  ferieufement,  &  qui  vou- 
dront auec  moy  prendre  la  peine  d'y  méditer;  maisie  ne  le  |  fçaurois 
pas  mettre  par  force  en  l'efprit  de  ceux  qui  ne  liront  mes  Médita- 
tions que  comme  vn  Roman,  pour  fe  defennuyer,  &  fans  y  auoir 
grande  attention.  Or,  de  tout  cela,  on  |  conclud  très  manifcltement  176 
que  Dieu  exifte.  Et  toutesfois,  en  faueur  de  ceux  dont  la  lumière 
naturelle  eft  fi  foible,  qu'ils  ne  voyent  pas  que  c'eft  vne  première 
notion,  que  toute  la  perfecîion  qui  e/f  objecîiuement  dans  vne  idée, 
doit  eftre  réellement  dans  quelqu'rne  de  fes  caufes,  ie  Tay  encore  dé- 
montré d'vne  façon  plus  ayfée  à  conceuoir,  en  monftrant  que  l'efprit 
qui  a  cette  idée  ne  peut  pas  exifter  par  foy-mefme;  &  partant  ie  ne 
voy  pas  ce  que  vous  pouuez  defirer  de  plus  pour  donner  les  mains, 
ainfi  que  vous  l'auez  promis. 

le  ne  voy  pas  auflTi  qUe  vous  prouuiez  rien  contre  moy,  en  difant 
que  i'ay  peut-ellre  receu  l'idée  qui  me  reprefente  Dieu,  des  penfées 
que  i'ay  eues  auparauaut,  des  enfeignemens  des  Hures,  des  di/cours 
&  entretiens  de  mes  amis,  &c.,  &  non  pas  de  mon  efprit  feul.  Car  mon 
argument  aura  toufiours  la  mefme  force,  fi,  m'adrcllant  à  ceux  de 
qui  l'on  dit  que  ie  I'ay  receuif,  ie  leur  demande  s'ils  l'ont  par  eux- 
mefmes,  ou  bien  par  autruy,  au  lieu  de  le  demander  de  moy-mefme; 
&  ie  concluray  toufiours  que  celuy-là  ell  Dieu,  de  qui  elle  cil  pre- 
mièrement deriuée. 

Quant  à  ce  que  vous  adjouftez  en  ce  lieu -là,  qu'elle  peut  cfîre 
formée.de  la  conjideration  des  chofes  corporelles,  cela  ne  me  fcmbie 
pas  plus  vrayfemblable,  que  fi  vous  difiez  que  nous  n'auons  aucune 
faculté  pour  ôuyr,  mais  que,  par  la  feule  veuc  des  couleurs,  nous 
paruenons  à  la  connoiflance  des  fons.  Car  on  peut  dire  qu'il  y  a  plus 
d'analogie  ou  de  rajport  entre  les  couleurs  ^'  les  fons,  qu'entre  les  177 
chofes  corporelles  &  Dieu.  Et  lorfque  vous  demandez  que  i'ad/ou/le 


io8  Œuvres  de  Descartes.  i36-i38. 

quelque  chofe  qui  nous  éleue  iufquà  la  connoiffance  de  l'eftre  imma- 
tériel ou  fpirituel,  \  ie  ne  puis  mieux  faire  que  de  vous  renuoyer  à 
ma  féconde  Méditation,  afin  qu'au  moins  vous  connoifliez  qu'elle 
n'eft  pas  tout  à  fait  inutile  ;  car  que  pourois-je  faire  icy  par  vne  ou 
deux  périodes,  fi  ie  n'ay  pu  rien  auancer  par  vn  long  difcours  pré- 
paré feulement  pour  ce  fujet,  &  auquel  il  me  femble  n'auoir  pas 
moins  apporté  d'induftrie  qu'en  aucun  autre  efcrit  que  i'aye  publié? 

Et  encore  qu'en  cette  Méditation  i'aye  feulement  traité  de  l'efprit 
humain,  elle  n'eft  pas  pour  cela  moins  vtile  à  faire  connoiftre  la 
différence  qui  eft  entre  la  nature  diuine  &  celle  des  chofes  maté- 
rielles. Car  ie  veux  bien  icy  auoiier  franchement  que  l'idée  que  nous 
auons,  par  exemple,  de  l'entendement  diuin,  ne  me  femble  point 
diferer  de  celle  que  nous  auons  àç.  noftre  propre  entendement,  finon 
feulement  comme  l'idée  d'vn  nombre  infiny  diffère  de  l'idée  du 
nombre  binaire  ou  du  ternaire  ;  &  il  en  eft  de  mefme  de  tous  les 
attributs  de  Dieu,  dont  nous  reconnoiffons  en  nous  quelque  veftige. 

Mais,  outre  cela,  nous  conceuons  en  Dieu  vne  immenfité,  fimpli- 
cité,  ou  vnité  abfoluë,  qui  embraffe  &  contient  tous  fes  autres  attri- 
buts, &  de  laquelle  nous  ne  trouuons  ny  en  nous,  ny  ailleurs,  aucun 
178  exemple  ;  mais  elle  eft  (ainfi  que  i'ay  dit  auparauant) |comm(?  la  marque 
de  Vouurier  imprimée  fur  fort  ouurage.  Et,  par  fon  moyen,  nous 
connoiffons  qu'aucune  des  chofes  que  nous  conceuons  eftre  en  Dieu 
&  en  nous,  &  que  nous  confiderons  en  luy  par  parties  &  comme  (i 
elles  eftoient  diftindes,  à  caufe  de  la  foibleffe  de  noftre  entendement 
&  que  nous  les  expérimentons  telles  en  nous,  ne  conuiennent  point 
à  Dieu  &  à  nous  en  la  façon  qu'on  nomme  vniuoque  dans  les  efcoles. 
Comme  aufti  nous  connoiffons  que,  de  plufieurs  chofes  particulières 
qui  n'ont  point  de  fin,  dont  nous  auons  les  idées,  comme  d'vne  con- 
noiffance fans  fin,  d'vnepuiffance,  d'vn  nombre,  d'vne  longueur,  &c., 
qui  font  auffi  fans  fin,  il  y  en  a  quelques-vnes  qui  font  contenues 
formellement  dans  l'idée  que  nous  auons  de  Dieu,  comme  la  con- 
noili'ance  &  la  puiffance,  &  d'autres  qui  n'y  font  qu'éminemment, 
comme  le  nombre  &  la  longueur;  ce  qui  certes  ne  (eroit  pas  ainfi,  |  fi 
cette  idée  n'eftoit  rien  autre  chofe  en  nous  qu'vnc  fiction. 

Et  elle  ne  fcroit  pas  auffi  conceuL'  fi  exa<flcment  de  la  mefme  façon 
de  tout  le  monde  ;  car  c'eft  vne  chofe  tres-remarquable,  que  tous  les 
Mctaphyficiens  s'accordent  vnanimement  dans  la  description  qu'ils 
font  des  attributs  de  Dieu  (au  moins  de. ceux  qui  peuuent  élire  con- 
nus par  la  feule  raifon  humaine),  en  telle  forte  qu'il  n'y  a  aucune 
chofe  phyfique  ny  fcnfible,  aucune  chofe  dont  nous  ayons  vne  idée 
(i  cxprcffe  ^:  fi  palpable,  touchant  la  nature  de  laquelle  il  ne  fe  rcn- 


i38-i39.  Secondes  Réponses.  109 

contre  chez  les  Philofophes  vne  plus  grande  diuerfité  |  d'opinions,     179 
qu'il  ne  s'en  rencontre  touchant  celle  de  Dieu. 

Et  certes  iamais  les  hommes  ne  pouroient  s'éloigner  de  la  vraye 
connoifl'ance  de  cette  nature  diuine,  s'ils  vouloient  feulement  porter 
leur  attention  fur  l'idée  qu'ils  ont  de  l'eftre  fouuerainement  parfait. 
Mais  ceux  qui  méfient  quelques  autres  idées  auec  ^elle-là,  compofent 
par  ce  moyen  vn  Dieu  chimérique,  en  la  nature  duquel  il  y  a  des 
chofes  qui  fe  contrarient;  &,  après  l'auoir  ainfi  compofé,  ce  n'eft  pas 
merueille  s'ils  nient  qu'vn  tel  Dieu,  qui  leur  eft  reprefenté  par  vne 
faufle  idée,  exifte.  Ainfi,  lorfque  vous  parlez  icy  d'vn  ejlre  corporel 
tres-parfait,  fi  vous  prenez  le  nom  de  tres-parfait  abfolument,  en 
forte  que 'vous  entendiez  que  le  corps  ell  vn  élire  dans  lequel  fe 
rencontrent  toutes  les  perfeftions,  vous  dites  des  chofes  qui  fe  con- 
trarient :  d'autant  que  la  nature  du  corps  enferme  plufieurs  imper- 
fections, par  exemple,  que  le  corps  foit  diuifible  en  parties,  que 
chacune  de  fes  parties  ne  foit  pas  l'autre,  &  autres  femblables  ;  car 
c'eft  vne  chofe  de  foy  manifefte,  que  c'eft  vne  plus  grande  perfection 
de  ne  pouuoir  eftre  diuifé,  que  de  le  pouuoir  eftre,  &c.'  Que  fi  vous 
entendez  feulement  ce  qui  eft  tres-parfait  dans  le  genre  de  corps,  cela 
n'eft  point  le  vray  Dieu. 

Ce  que  vous  adjouftez  de  l'idée  d'vn  Ange,  laquelle  ejt  plus  par- 
faite que  nous,  \  à  fçauoir,  qu'il  n'eji  pas  befoin  qu'elle  ait  ejlé  mife 
en  nous  par  vn  Ange,  l'en  demeure  aifément  d'accord  ;  car  i'ay  défia 
dit  moy-|mefme,  dans  la.troifiéme  Méditation,  qu'elle  peut  eftre  corn-  180 
pojée  des  idées  que  nous  auons  de  Dieu  &  de  l'homme.  Et  cela  ne  m'eft 
en  aucune  façon  contraire. 

Quant  à  ceux  qui  nient  d'auoir  en  eux  l'idée  de  Dieu,  &  qui  au 
lieu  d'elle  forgent  quelque  Idole,  &c.,  ceux-là,  dis-je,  nient  le  nom,  & 
accordent  la  chofe.  Car  certainement  ie  ne  penfe  pas  que  cette  idée 
foit  de  mefme  nature  que  les  images  des  chofes  matérielles  dépeintes 
en  la  fantaifie  ;  mais,  au  contraire,  ie  croy  qu'elle  ne  -peut  eftre 
conceuë  que  par  le  feul  entendement,  &  qu'en  effet  elle  n'eft  rien 
autre  chofe  que  ce  qu'il  nous  en  fait  connoiftre,  foit  par  la  première, 
foit  par  la  féconde,  foit  par  la  troifiéme  de  fes  opérations.  Et  ie 
pretens  maintenir  que,  de  cela  feul  que  quelque  perfedion,  qui  eft 
au-defl"us  de  moy,  deuient  l'objet  de  mon  entendement,  en  quelque 
façon  que  ce  foit  qu'elle  fe  prefente  à  luy  :  par  exemple,  de  cela  feul 
que  i'aperçoy  que  ie  ne  puis  iamais,  en  nombrant,  arriuer  au  plus 
grand  de  tous  les  nombres,  &  que  de  là  ie  connois  qu'il  y  a  quelque 

a.  «  &c  »  omis  {i""'  édit.). 


no  Œuvres  de  Descartes.  139-14» 

chofe,  en  matière  de  nombrer,  qui  furpafle  mes  forces,  ie  puis  con- 
clure neceffairement*  nbn  pas  à  la  vérité  qu'vn  nombre  infiny  exUle, 
ny  auflTi  que  fon  e^ciftence  implique  contradiction,  comme  vous  dites, 
mais  que  cette  puiiTance  que  i'ay  de  comprendre  qu'il  y  à  loufiours 
quelque  chofe  de  plus  à  conceuoir,  dans  le  plus  grand  des  nombres, 
que  ie  ne  puis  iamais  conceuoir,  ne  me  vient  pas  de  moy-mefme, 
&  que  ie  I'ay  receuë  de  quelque  autre  eftre  qui  eft  plus  parfait  que 
ie  ne  fuis. 

181  I  Et  il  importe  fort  peu  qu'on  donne  le  nom  d'idée  à  ce  concept 
d'vn  nombre  indefiny,vOU  qu'on  ne  luy  donne  pas.  Mais,  pour 
entendre  quel  eft  cet  eftre  plus  parfait  que  ie  ne  fuis,  &  fi  ce  n'eft 
point  ce  mefme  nombre,  dont  ie  ne  puis  trouuer  la  fin,  qui  eft  réel- 
lement exiftant  &  infiny,  ou  bien  fi  c'eft  quelqu'autre  chofe,  il  faut 
confiderer  toutes  les  autres  perfeélions,  lefquelles,  outre  la  puiffancc 
de  me  donner  cette  idée,  peuuent  eftre  en  la  mefme  chofe  en  qui  eft 
cette  puiffance  ;  |  &  ainfi  on  trouuera  que  cette  chofe  eft  Dieu. 

Enfin,  lors  que  Dieu  eft  dit  eftre  inconceuable,  cela  s'entend  d'vnc 
pleine  &  entière  conception,  qui  comprenne  &  embraffe  parfaite- 
ment tout  ce  qui  eft  en  luy,  &  non  pa^  de  cette  médiocre  &  impar- 
faite qui  eft  en  nous,  laquelle  neantmoins  fufit  pour  connoiftre  qu'il 
exifte.  Et  vous  ne  prouuez  rien  contre  moy,  en  difant  qite  l'idée  de 
l'vnité  de  toutes  les  perfeâ ions  qui  fout  en  Dieu,  foit  formée  de  la^ 
mefme  façon  que  l'imité  générique  '<&  ceUe  des  autres  vniuerfaux. 
Mais  neantmoins  elle  en  eft  fort  différente;  car  elle  dénote  vne  par- 
ticulière &  pofitiue  perfedion  en  Dieu,  au  lieu  que  l'vnité  générique 
n'adjoufte  ^'ien  de  réel  à  la  nature  de  chaque  indiuidu. 

En  troifiéme  lieu,  où  i'ay  dit  que  nous  ne  pouuons  rien'fçauoir 
certainement,  fî  nous  ne  connoiffons  premièrement  que  Dieu  exi/îe, 
i'ay  dit,  en  termes  exprez,  que  ie  ne  parlois  que  de  la  fcience  de  ces 
conclufions-,  dont  la  mémoire  nous  peut  reuenir  en  l'efprit^  lorfque 

182  \nous  ne  penfons  plus  aux  raifons  d'où  nous  les  auons  tirées.  Car  la 
connoiffance  des  premiers  principes  ou  axiomes  n'a  pas  accouftumé 
d'eftre  apelléc  fcience  par  les  Dialediciens.  Mais  quand  nous  aper- 
ceuons  que  nous  fommes  des  chofes  qui  penfent,  c'eft  vne  première 
notion  qui  n'eft  tirée  d'aucun  fyllogifme  ;  &  lorfque  quelqu'vn  dit  : 
le  penfe,  donc  iefuis,  ou  i'exifle,  il  ne  conclut  pas  fon  exiftence  de  fa 
penfée  comme  par  la  force  de  quelque  fyllogifme,  mais  comme^vne 
chofe  connul'  de  foy  ;  il  la  void  par  vne  fimple  infpedion  de  l'efprit. 
Comme  il  paroift  de  ce  que,  s'il  la  deduifoit  par  le  fyllogifme,  il 
auroit  deu  auparauant  connoiftre  cette  maieure  :  Tout  ce  qui  penfe, 
efl  ou  exifle.  Mais,  au  contraire,  elle  lui  eft  enfeignée  de  ce  qu'il  Cei>t 


HO-I42-  Secondes  Réponses.  m 

en  luy-mefme  qu'il  ne  fe  peut  pas  faire  qu'il  penfe,  s'il  n'exille.  Car 
c'€ft  le  prppj:£  de  noftre  efprit,  j  de  former  les  propofitions  générales 
de  la  connoiffance  des  particulières. 

Or,  qu'pn  Athée  puijfe  connoijlre  clairement  que  les  trois  angles 
d'vn  triangle  font  égaux  à  deux  droits,  ie  ne  le  nie  pas  ;  mais  ie 
maintiens  feulement  qu'il  ne  le  connoift  pas  par  vne  vraye  &  cer- 
taine fcience,  parce  que  toute  connoifl'ance  qui  peut  eftre  rendue 
douteufe  ne  doit  pas  eftre  apellée  fcience  ;  &  puifqu'on  fupofe  que 
celuy-là  eft  vn  Athée,  il  ne  peut  pas  eftre  certain  de  n'eftre  point 
deceu  dans  les  chofes  qui  luy  femblent  eftre  tres-euidentes,  comme 
il  a  défia  efté  montré  cy-deuant  ;  &  encore  que  peut  eftre  ce  doute 
ne  luy  vienne  point  en  la  penfée,  il  luy  peut  neanimoins  |  venir,  s'il  183 
l'examine,  ou  s'il  luy  eft  propofé  par  vn  autre  ;  &  iamais  il  ne  fera 
hors  du  danger  de  l'auoir,  fi  premièrement  il  ne  reconnoift  vn  Dieu. 

Et  il  n'importe  pas  que  peut-eftre  il  eftime  qu'il  a  des  demonftra- 
tions  pour/prouuer  qu'il  n'y  a  point  de  Dieu;  car,  ces  demonftra- 
tions  prétendues  eftant  fauffes,  on  luy  en  peut  toufiours  faire  con- 
noiftre  la  fauffeté,  &  alors  on  le  fera  changer  d'opinion.  Ce  qui  à  la 
vérité  ne  fera  pas  difficile,  fi  pour  toutes  raifons  il  aporte  feulement 
ce  que  vous  adjouftez  icy,  c'eft  à  fçauoir,  que  Vinjîny  en-iout  genre 
de  perfeâion  exclut  tout  autre  forte  d'ejtre,  &c. 

Car,  premièrement,  fi  on  luy  demande  d'où  il  a  apris  que  cette, 
exclufion  de  tous  les  autres  eftres  apartient  à  la  nature  de  l'infiny, 
il  n'aura  rien  qu'il  puifl"e  répondre  pertinemment,  d'autant  que,  par 
le  nom  d'injinj-,  on  n'a  pas  coutume  d'entendre  ce  qui  exclut  l'exi- 
ftence  des  chofes  finies,  &  qu'il  ne  peut  rien  fçauoii:  de  la  nature 
d'vnechofe  qu'il  penfe  n'eftre  rien  du  tout,  &  par  confequent  n'auorr 
point  de  nature,  finon  ce  qui  |  eft  contenu  dans  la  feule  &  ordinaire 
fignificaîion  du  nom  de  cette  chofe. 

De  plus,  à  quoy  feruiroit  l'infinie  puiffance  de  cet  infiny  imagi- 
naire, s'il  ne  pouuoit  iamais  rien  créer?  Et  enfin,  de  ce  que  nous 
expérimentons  auoir  en  nous-mefmes  quelque  puiffance  de  penfer, 
nous  conceuons  facilement  qu'vne  telle  puiffance  peut  eftre  en 
quelque  autre,  &  mefme  plus  grande  qu'en  nous;  mais  encore  que 
nous  penfions  que  celle-là  s'augmente  à  |  l'infiny,  nous  ne  crain-  184 
drons  pas  pour  cela  que  la  noftre  deuienne  moindre.  Il  en  eft  de 
mefme  de  tous  les  autres  attributs  de  Dieu,  mefme  de  la  puiffance 
de  produire  quelques  effets  hors  de  foy,  pourueu  que  nous  fupo- 
fions  qu'il  n'y  en  a  point  en  nous,  qui  ne  Ibit  foumife  à  la  volonté  de 
Dieu;  &.  partant  il  peut  eftre  entendu  tout  à  fait  infiny  fans  aucune 
exclufion  des  chofes  créées. 


1 1 2  OEuvRES  DE  Descartes.  143-143. 

En  quatrième  lieu,  lorfque  te  dis  que  Dieu  ne  peut  mentir ,  ny  ejire 
trompeur,  ie  penfe  conuenir  auec  tous  les  Théologiens  qui  ont 
iamais  efté  &  qui  feront  à  l'auenir.  Et  tout  ce  que  vous  alléguez 
au  contraire  n'a  pas  plus  de  force,  que  fi,  ayant  nié  que  Dieu  fe  mift 
en  colère,  ou  qu'il  fuft  fujet  aux  autres  paiïions  de  l'ame,  vous  m'ob- 
jediez  les  lieux  de  l'Ecriture  où  il  femble  que  quelques  paflions 
humaines  luy  font  attribuées. 

Car  tout  le  monde  connoift  alTez  la  diftindion  qui  eft  entre  ces 
façons  de  parler  de  Dieu,  dont  l'Ecriture  fe  fert  ordinairement,  qui 
font  accommodées  à  la  capacité  du  vulgaire  &  qui  contiennent 
bien  quelque  vérité,  mais  feulement  en  tant  qu'elle  eft  raportée  aux 
hommes,  &  celles  qui  expriment  vne  vérité  plus  fimple  &  plus 
pure  &  qui  ne  change  point  de  nature,  encore  qu'elle  ne  leur  foit 
point  raportée  ;  defquelles  chacun  doit  vfer  en  philofophant,  &  dont 
i'ay  deu  principalement  me  feruir  dans  mes  Méditations,  veu  qu'en 
ce  lieu-là  mefme  ie  ne  fupofois  pas  encore  qu'aucun  homme  me 
fuft  connu,  &  que  |  ie  ne  me  confiderois  pas  non  plus  en  tant  que 

185  compofé  de  corps  &  |  d'efprit,  mais  comme  vn  efprit  feulement. 

D'où  il  eft  euident  que  ie  n'ay  point  parlé  en  ce  lieu-là  du  men- 
fonge  qui  s'exprime  par  des  paroles,  mais  feulement  de  la  malice 
interne  &  formelle  qui  eft  contenue  dans  la  tromperie  :  quoy  que 
neantmoins  ces  paroles  que  vous  aportez  du  Prophète  :  Encore 
quarante  iours,  &  Niniue  fera  fubuertie,  ne  foient  pas  mefme  vn 
menfonge  verbal,  mais  vne  fimple  menace,  dont  l'euenement  dépen- 
doit  d'vne  condition;  &  lorfqu'il  eft  dit  que  Dieu  a  endure/  le  cœur  de 
Pharaon^  ou  quelque  chofe  de  femblable,  il  ne  faut  pas  penfer  qu'il 
ait  fait  cela  pofitiuement,  mais  feulement  negatiuement,  à  fçauoir, 
ne  donnant  pas  à  Pharaon  vne  grâce  efficace  pour  fe  conucrtir. 

le  ne  voudrois  pas  neantmoins  condamner  ceux  qui  difent  que 
Dieu  peut  proférer  par  fes  Prophètes  quelque  menfonge  verbal,  tels 
que  font  ceux  dont  fe  feruent  les  Mcdecips  quand  ils  deçoiucnt 
leurs  malades  pour  les  guerrir,  c'éft  à  dire  qui  fuft  exempt  de  toute 
la  malice  qui  fe  rencontre  ordinairement  dans  la  tromperie.  Mais, 
bien  dauantage,  nous  voyons  quelquesfois  que  nous  fommes  réel- 
lement trompez  par  cet  inftind  naturel  qui  nous  a  efté  donné  de 
Dieu,  comme  lorfqu'vn  hydropique  a  foif  ;  car  alors  il  eft  réelle- 
ment poufté  à  boire  par  la  nature  qui  luy  a  efté  donnée  de  Dieu 
pour  la  conferuation  de  fon  corps,  quoy  que  neantmoins  cette  na- 
ture le  trompe,  puifque  le  boire  luy  doit  élire  nuiftblc  ;  mais  i'ay 

186  expliqué,  dans  la  fixiéme  Méditation,  comment  cela  peut  |  com- 
patir aucc  la  bonté  ^  la  vérité  de  Dieu. 


143-145.  Secondes  Réponses.  i  i  } 

Mais  dans  les  chofes  qui  ne  peuuent  pas  eltre  ainfi  expliquées,  à 
fçauoir,  dans  nos  iugemens  tres-clairs  &  tres-exads,  lefquels,  s'ils 
(eftoient  faux,  ne  pouroient  eftre  corrigez  par  d'autres  plus  clairs, 
ny  par  l'ayde  d'aucune  autre  faculté  naturelle,  ie  fouftiens  hardi- 
ment que  nous  ne  pouuons  eftre  trompez.  Car  Dieu  eftant  le  fouuc- 
rain  eftre,  il  f^ut  ncceflairement  qu'il  foit  aufti  le  fouuerain  bien  & 
la  fouueraine  vérité,  &  partant  il  répugne  que  quelque  chofe  vienne 
de  luy,  qui  tende  pofitiuement  à  la  fauffeté.  Mais  puifqu'il  ne  peut 
y  auoir  rien  en  nous  de  réel,  qui  ne  nous  ait  efté  donné  par  luy 
(comme  il  a  efté  démontré  en  prouuant  fon  exiftence),  &  puifquc 
nous  auons  en  nous  vne  faculté  réelle  pour  connoiftre  le  vray  &  le 
diftinguer  d'auec  le  faux  (comme  on  peut  prouuer  de  cela  feul  que 
nous  aùons  en  nous  les  idées  du  vray  &  du  faux),  fi  cette  faculté  ne 
tendoit  au  vray,  au.  moins  lorfque  nous  nous  en  feruons  comme  il 
faut  (c'eft  à  dire  lorfque  nous  ne  donnons  noftre  confentement 
qu'aux  chofes  que  nous  conceu.ons  clairement  &  dîftindement,  car 
on  ne  peut  pas  feindre  vn  autre  bon  vfage  de  cette  faculté),  ce  ne 
feroit  pas  fans  raifon  que  Dieu,  qui  nous  l'a  donnée,  feroit  tenu 
pour  vn  trompeur. 

Et  ainfi  vous  voyez  qu'après  auoir  connu  que  Dieu  exifte,  il  eft 
neceflaire  de  feindre  qu'il  foit  trompeur,  fi  nous  voulons  réuoquer 
en  doute  les  chofes  que  nous  conceuons  clairement  &  diftinde-        ^ 
ment;  &  |  parce  que  cela  ne  fe  peut  pas  mefme   feindre,  il  faut     i87 
neceffairement  admettre  ces   chofes    comme    tres-vrayes   &  tres- 
aflurées. 

Mais  d'autant  que  ie  remarque  icy  que  vous  vous  arreftez  encore 
aux  doutes  que  i'ay  propofez  dans  ma  première  Méditation,  &  que 
ie  penlbis  auoir  leuez  alfez  exadement  dans  les  fuiuantes,  i'expli- 
queray  icy  derechef  le  fondement  fur  lequel  il  me  femble  que  toute 
la  certitude  humaine  peut  eftre  apuyée. 

Premièrement,  auflitoft  que  nous  penfons  conceuoir  .clairement, 
quelque  vérité,  nous  fommes  naturellement  portez  à  la  croire.  El  li 
cette  croyance  eft  fi  forte  que  nous  ne  pui (lions  iamais  auoir  aucune 
raifon  de  douter  de  ce  que  nous  croyons  de  la  forte,  il  n'y  a  rien  à 
rechercher  dauantage  :  nous  auons  touchant  cela  toute  la  certitude 
qui  fe  peut  raifonnablement  I  fouhaîter. 

Car  que"  nous  importe,  Ci  peut-eftre  quelqu'vn  feint  que  cela 
mefme,  de  la  vérité  duquel  nous  fommes  li  fortement  perfuadez, 
paroill  faux  aux  yeux  de  Dieu  ou  des  Anges,  &  que  partant,  abfo- 
lument  parlant,  il  ell  faux  ?  Qu'auons  nous  à  faire  de  nous  mettre 
en  peine  de  cette  fauileté  abfoluë,  puifque  nous  ne  la  croyons  point 
Œuvres.  IV.  8 


^ 


114  Œuvres  de  Desgartes.  145-146. 

du  tout,  &  que  nous  n'en  auons  pas  mefme  le  moindre*  loupçon  ? 
Car  nous  fupoibns  vne  croyance  ou  vne  perluafion  fi  ferme,  qu'elle 
ne  puiffe  eftre  oftée;  laquelle  par  confequenf  eft  en  tout  la  mefme 
chofe  qu'vne  tres-parfaite  certitude.  Mais  on  peut  bien  douter  Ci 

188  l'on  a  quelque  certitude  de  cette  nature,  |  ou  quelque  perfuafion 
ferme  &  immuable. 

Et  certes,  il  eft  manifefte  qu'on  n'en  peut  pas  auoir  des  chofes 
obfcures  &  confufes,  pour  peu  d'obfcurité  ou  confufion  que  nous 
y  remarquions  ;  car  cette  obfcurité,  quelle  qu'elle  foit>  eft  vne  caufe 
aflez  fuffiiante  pour  nous  faire  douter  de  ces  chofes.  On  n'en  peut 
pas  auffi  auoir  des  chofes  qui  ne  font  aperceuës  que  par  les  fens, 
quelque  clarté  qu'il  y  ait  en  leur  perception,  parce  que  nous  auons 
fouuent  remarqué  que  dans  le  fens  il  peut  y  auoiV  de  l'erreur, 
coHime  lorfq.uVn  hydropique  a  foif,  ou  que  la  neige  paroift  jaune  à 
celuy  qui  a  la  jauniffe;  car  celuy-ià  ne  la  void  pas  moins  clairement 
&  diftinclement  de  la  forte,  que  nous  à  qui  elle  paroift  blanche.  Il 
refte  donc  que,  fi  on  en  peut  auoir,  ce  foit  feulement  des  chofes 
que  l'efprit  conçoit  clairement  &  diftinétement. 

Or,  entre  ces  chofes,  il  y  en  a  de  û  claires  &  tout  enfemble  de  û 
fimples,  qu'il  nous  eft  impoffible  de  penfer  à  elles,  que  nous  ne  les 
croyons  eftre  vrayes  :  par  exemple,  que  i'exifte  lorfque  ie  penfe, 
que  les  chofes  qui  ont  vne  fois  efté  faites  ne  peuuent  pas  n'auoir 
point  efté  faites,  &  autres  chofes  femblables,  dont  il  eft  manifcile 
que  l'on  a  vne  parfaite  certitude. 

Car  nous  ne  pouuons  pas  douter  de  ces  chofes-là  |  fans  penfer  à 

elles;  mais  nous  n'y  pouuons  iamais  penfer,  fans  croire  qu'elles 

font  vrayes,  comme  ie  viens  de  dire  ;  doncques,  nous  n'en  pouuons 

.  douter,  que  nous  ne  les  croyons  eftre  vrayes,  c'eft  à  dire  que  nous 

n'en  pouuons  iamais  douter. 

189  I  Et  il  ne  fert  de  ri«n  de  dire  que  nous  auons  fouuent  expérimenté 
que  des  perfonnes  fe  font  trompées  en  des  chofes  qu'elles  penf oient  voir 
plus  clairement  que  le  Soleil.  Car  nous'n'auons  iamais  véu,  ny  nous 
ny  perfonne,  que  cela  foit  arriué  à  ceux  qui  ont  tiré  toute  la  clarté 
de  leur  perception  de  l'entendement  feul,  mais  bien  à  ceux  qui  l'ont 
prife  des  fens  ou  de  quelque  faux  préjugé.  Il  ne  fert  de  rien  aufli 
que  quelqu'vn  feigne  que  ces  chofes  femblent  faulfes  à  Dieu  ou 
aux  Anges,  parce  que  l'euidence  de  noftre  perception  ne  permettra 
pas  que  nous  écoutions  celuy  qui  l'aura  feint  &  nous  le  voudra 
perfuadcr. 

Il  y  a  d'autres  chofes  que  noftre  entendement  conçoit  aufli  fort 
clairement,  lorfque  nous  prenons  garde  de  prés  aux  raifons  d'où 


T46-I47-  Secondes  Réponses.  115 

dépend  leur  connoiffance  ;  &  pour  ce,  nous  ne  pouuons  pas  alors  eu 
douter.  Mais,  parce  nous  pouuons  oublier  les  raifons,  &  cependant 
nous  refl'ouuenir  des  conclufions  qui  en  ont  efté  tirées,  on  demande 
fi  on  peut  auoir  vne  ferme  &  immuable  perfuafion  de  ces  conclu- 
fions, tandis  que  nous  nous  reffouuenons  qu'elles  ont  efté  déduites 
de  principes  tres-euidens  ;  car  ce  fouuenir  doit  eftre  fupofé  pour 
pouuoir  eftre  apellées  conclufions.  Et  ie  répons  que  ceux-là  en 
peuuent  auoir,  qui  connoilîent  tellement  Dieu,  qu'ils  fçauent  qu'il 
ne  fe  peut  pas  faire  que  la  faculté  d'entendre,  qui  leur  a  efté  don- 
née par  luy,  ait  autre  chofe  que  la  vérité  pour  objet  ;  mais  que  les 
autres  n'en  ont  point.  Et  cela  a  efté  fi  clairement  expliqué  à  la  fin 
de  la  cinquième  Méditation,  que  |  ie  ne  penfe  pas  y  deuoir  icy  rien  190 
adjoutter. 

I  En  cinquième  lieu,  ie  m'étonne  que  vous  niïez  que  la  volonté  Je 
met  en  danger  de  faillir,  lorfqu'elle  pourfuit  &  embrajfe  les  connoif- 
fances  ob/cuî^es  &  conjufes  de  l'entendement .  Car  qu'eft-ce  qui  la 
peut  rendre  certaine,  fi  ce  qu'elle  fuit  n'eft  pas  clairement  conneu  ? 
Et  quel  a  iamais  efté  le  Philofophe  ou  le  Théologien,  ou  bien  feu- 
lement l'homme  vfant  de  raifon,  qui  n'ait  confefle  que  le  danger 
de  faillir  où  nous  nous  expofons,  eft  d'autant  moindre,  que  plus 
claire  eft  la  chofe  que  nous  conceuons  auparauant  que  d'y  donner 
noftre  confentement  ?  &  que  ceux-là  pèchent,  qui,  fans  connoiffance 
de  caiife,  portent  quelque  iugement?  Or  nulle  conception  n'eft  dite 
obicureou  confufe,  finon  parce  qu'il  y  a  en  elle  quelque  chofe  de 
'contenu,  qui  n'eft  pas  connue. 

Et  partant,  ce  que  vous  objedez  touchant  la  foy  qu'on  doit  em- 
brajfef ,  n'a  pas  plus  de  force  contre  moy,  que  contre  tous  ceux  qui 
ont  iamais  cultiué  la  raifon  humaine;  &,  à  vray  dire,  elle  n'en  a 
aucune  contre  pas  vn.  Car,  encore  qu'on  die  que  la  foy  a  pour 
objet  des  chofes  obfcures,  neantmoins  ce  pour  quoy  nous  les  croyons 
n'eft  pas  obfcur;  mais  il  eft  plus  clair  qu'aucune  lumière  natu- 
relle. D'autant  qu'il  faut  diftinguer  entre  la  matière,  ou  la  chofe  à 
laquelle  nous  donnons  noftre  créance,  &  la  raifon  formelle  qui 
meut  noftre  volonté  à  la  donner.  Car  c'eft  dans  cette  feule  raifon 
formelle  que  nous  voulons  qu'il  y  ait  de  la  clarté  &  de  l'euidence. 

I  Et  quant  à  la  matière,  perfonne  n'a  iamais  nié  qu'elle  peut  eftre  191 
obfcure,  voire  l'obfcurité  mefme  ;  car,  quand  ie  iuge  que  l'obfcu- 
rlté  doit  eftre  oftée  de  nos  penfées  pour  leur  pouuoir  donner 
noftre  confentement  fans  aucun  danger  de  faillir,  c'eft  Tobfju- 
rité  mefme  qui  me  fert  de  matière  pour  former  vn  iugement  clair 
&  diftind. 


ii6  Œuvres  de  Descartes. 


147-149. 


Outre  cela,  il  faut  remarquer  que  la  clarté  ou  l'euidencc,  (par 
laquelle  noflre  volonté  peut  eftre  excitée  à  croire,  efï  de  deux 
Ibnes  :  l'vne  qui  part  de  la  lumière  naturelle,  &  l'autre  qui  vient  de 
la  grâce  diuine. 

Or,  quoy  qu'on  die  ordinairement  que  la  foy  cfl  des  chofcs 
obfcures,  toutesfois  cela  s'entend  feulement  de  fa  matière,  &  non 
point  de  la  raifon  formelle  pour  laquelle  nous  croyons  ;  car,  au 
contraire,  cette  raifon  formelle  confille  en  vne  certaine  lumière 
intérieure,  de  laquelle  Dieu  nous  ayant  furnaturellement  éclairez, 
nous  auons  vne  confiance  certaine  que  les  chofes  qui  nous  font 
propofées  à  croire,  ont  efté  reuelées  par  luy,  &  qu'il  ell  entièrement 
impoflible  qu'il  foit  menteur  &  qu'il  nous  trompe  :  ce  qui  cil  plus 
affuré  que  toute  autre  lumière  naturelle,  &  fouuent  mefme  plus 
euident,  à  caufe  de  la  lumière  de  la  grâce. 

Et  certes  les  Turcs  &  les  autres  infidelles,  lorfqu'ils  n'embraffent 
point  la  religion  Chreftienne,  ne  pèchent  pas  pour  ne  vouloir  point 
adjoufter  foy  aux  chofes  obfcures,  comme  eftant  obfcures  ;  mais  ils 
pèchent,  ou  de  ce  qu'ils  refiftent  à  la, grâce  diuine  qui  les  auertit 
192  intérieurement,  ou  que,  pechans  en  d'au|tres  chofes,  ils  fe  rendent 
indignes  tie  cette  grâce.  Et  ie  diray  hardiment  qu'vn  infidèle  qui, 
dertitué  de  toute  grâce  furnaturelle,  &  ignorant  tout  à  faif  que  les 
chofes  que  nous  autres  Chreftiens  croyons,  ont  efté  reuelées  de 
Dieu,  neantmoins,  attiré  par  quelques  faux  raifon nements,  fe  por- 
teroit  à  croire  ces  mefmes  chofes  qui  luy  feroient  obfcures,  ne 
feroit  pas  pour  cela  fidèle,  mais  plutoft  qu'il  pecheroit  en  ce  qu'il 
ne  fe  feruiroit  pas  comme  il  faut  de  fa  raifon. 

Et  ie  ne  penfe  pas  que  iamais  aucun  Théologien  ortodoxe  ait  eu 
d'autres  fentimens  touchant  cela;  &  ceux  aufli  qui  liront  mes  M'»- 
ditations  n'auront  pas  fujet  de  croire  que  ie  n'ayc  point  connu  cette 
lumière  furnaturelle,  puifque,  dans  la  quatrième,  où  i'ay  foigneu- 
fcment  recherché  la  caufe  de  l'erreur  ou  faufleté,  i'ay  dit,  en  paroles 
cxpreffes,  |  qu'elle  difpofe  l'iulerieuf  de  nojlre  penfée  à  vouloir^  à'-  que 
neantmoins  elle  ne  diminue poinl  la  liberté. 

Au  relie,  ie  vous  prie  icy  de  vous  fouuenir  que,  touchant  les 
chofes  que  la  volonté  peut  embralfer,  i'ay  toufiours  mis  vne  tres- 
grandc  diftin6lion  entre  l'vfage  de  la  vie  &  la  contemplation  de  la 
vérité.  Car,  pour  ce  qui  regarde  Tvlage  de  la  vie,  tant  s'en  faut  que 
ie  penfe  qu'il  ne  faille  fuiure  que  les  chofes  que  nous  connoillbns 
trcs-ciairemcnt,  qu'au  contraire  ie  tiens  qu'il  ne  faut  pas  meline 
toujours  attendre  les  plus  vray-femblablgs,  mais  qu'il  faut  quelques- 
fois,  entre  pluficurs  chofes  tout  à  fait  inconnu(is  &  incertaines,  en 


i49-i3o.  Secondes  Réponses.  117 


193 


Ichoifir  vne  &  s'y  déterminer,  &  après  cela  ne  la  pas  croire  moins 
fermement,  tant  que  nous  ne  voyons  point  de  railbns  au  contraire, 
que  fi  nous  l'auions  choifie  pour  des  raifons  certaines  &  tres-eui- 
dentes,  ainfi  que  i'ay  defia  expliqué  dans  le  Difcours  de  la  Me- 
tliode,  p.  2().  Mais  où  il  ne  s'agit  que  de  la  contemplation  de  la 
vérité,  qui  a  iamais  nié  qu'il  faille  fufpendre  fon  iugemcnt  à  l'égard 
des  chofes  obfcurcs,  &  qui  ne  font  pas  affez  dillinétement  connues? 
Or,  que  cette  feule  contemplation  de  la  vérité  ait  lieu  dans  mes 
Méditations,  outre  que  cela  fe  reconnoift  alfez  clairement  par  ellcs- 
mcfmes,  ie  I'ay  de  plus  déclaré  en  paroles  exprelTes  fur  la  fin  de  la 
première,  en  difant  que  ie  ne pouuois  trop  douler  uy  vfer  de  trop  de 
défiance  en  ce  lien-là^  d'aulanl  que  ie  ne  m'appliquais  pas  alors  aux 
chofes  qui  regardent  l'rj'aî^e  de  la  vie,  mais  feulement  à  la  recherche 
de  la  vérité. 

En  Jixiême  lieu  y  où  vous  reprenez  la  conclufion  d'vn  fyllogifme 
que  i'auois  mis  en  forme,  il  fcmble  que  vous  péchiez  vous-mefmes 
en  la  forme  ;  car,  pour  conclure  ce  que  vous  voulez,  la  majeure 
deuoit  ertre  telle  :  Ce  que  clairement  &  difiinâement  nous  conceuons 
apar tenir  à  lot^nature  de  quelque  chofe,  cela  peut  ejlre  dit  ou  affirmé 
auec  vérité  appartenir  à  la  nature  de  celle  chofe.  Et  ainfi  elle  ne  con- 
tiendroit  rien  qu'vnc  inutile  ^  fuperlluc  répétition.  Mais  la  maieure 
de  mon  argument  a  efté  |  telle"  :  Ce  que  clairement  &  difiinâement 
nous  conceuons  aparlenir  à  la  nature  de  quelque  chofe,  cela  peut  efire 
du  ou  af\ firme  auec  vérité  de  cette  chofe.  C'ell  à  dire,  fi  élire  animal  194 
apartient  à  l'elfence  ou  à  la  nature  de  l'homme,  on  peut  alfurer  que 
l'homme  ell  animal;  fi  auoir  les  trois  angles  égaux  à  deux  droits 
apartient  à  la  nature  ^^i  triangle  rediligne,  on  peut  affurer  que  le 
triangle  rediligne  a  fes  irois  angles  égaux  à  deux  droits  ;  fi  cxifler 
apartient  à  la  nature  de  Dieu,  on  peut  affurer  que  Dieu  exifte,  &c. 
Et  la  mineure  a  elle  telle  :  Or  efi-il  qu'il  apartient  à  la  nature  de 
Dieu  d'exifier.  D'où  il  eft  euident  qu'il  faut  conclure  comme  i'ay 
fait,  c'ell  à  fçavoir  :  Doncques  on  peut  auec  vérité  affurer  de  Dieu 
qu'il  exijîe;  &  non  pas  comme  vous  voulez  :  Doncques  nous  pou- 
uons  affurer  auec  vérité  qu'il  apartient  à  la  nature  de  Dieu  d'exifier. 

Et  partant,  pour  vfer  de  l'exception  que  vous  aportez  enfuite,  il 
vous  euft  falu  nier  la  majeure,  &  dire  que  ce  que  nous  conceuons 
clairement  &  diilinctement  apartenir  à  la  nature  de  quelque  choie, 
ne  peut  pas  pour  cela  eftre  dit  ou  affirmé  de  cette  chofe,  (i  ce  n'cil 
que  fa  nature  foit  poffîble,  ou  ne  répugne  point.  Mais  voyez,  ie  vous 

a.  A  la  ligne  {i''^  édit.). 


Iî8  Œuvres  de  Desgartes.  iso-isi. 

prie,  la  fûibleiTe  de  cette   exception.  Car,  ou  bien  par  ce  mot  de 
pojpble  vous  entendez,  comme  l'on  fait,  d'ordinaire,  tout  ce  qui  ne 
répugne  p(5int  ii  la  penféc  humaine,  auquel  fens  il  efl  manifefte  que 
la  nature  de  Dieu,  de  la  façon  que  ie  l'ay  décrite,  ell  polTible,  parce 
que  ie  n'ay  rien  lUpofc  en  elle,  finon  ce  que  nolis  conceuons  claire- 
ment &  diftinclcment  luy  deuoir  apartcnir,  &  ainfi  ie  n'ay  rien  lupofé 
195     qui  répugne  à  la  penfée  ou  au  concept  |  humain  ;  ou  bien  vous  fei- 
gnez quelque  autte  poflîbilité,  de  la  part  de  l'objet  mefme,  laquelle, 
fi  elle  ne  conuient  auec  la  précédente,  ne  peut  iamais  eftre  connue  par 
l'entendement  hunicftn  ;  &  partant  elle  n'a  pas  plus  de  force  |  pour 
nous  obliger  à  nier  la  nature  de  Dieu  ou  fon  exillence,  que  pour 
renuerfer  toutes  les  autres  chofes  qui  tombent  Tous  la  connoiffance 
des  hommes.  Car,  parla  mefme  raifon  que  l'on  nie  que  la  nature  de  ■ 
Dieu  eft  poffible,  encore  qu'il  ne  fe  rencontre  aucune  impoffibilité  de 
la  part  du  concept  ou  de  la  penfée,  mais  qu'au  contraire  toutes  les 
chofes  qui   font   contenues  dans   ce  concept  de  la  na'ture  diuine, 
foient  tellement  connexes  entr'elles,  qu'il  nous  femble  y  auoir  de 
la  contradi(5lion  à  dire  qu'il  y  en  ait  quelqu'vne  qui  n'apartienne 
pas  à  la  nature  de  Dieu,  on  poura  auffi  nier  qu'il  foit  poffible  que 
les  trois  angles  d'vn  triangle   foient  égaux  à  deux  droits,  ou  que 
celuy  qui  penfe  actuellement  exifte;  &  à  bien  plus  forte  raifon  l'on 
poura  nier  qu'il  y  ait  rien  de  vray  de  toutes  les  chofes  que  nous 
aperceuons  par  les  fens  ;  &  ainfi  toute  la  connoiffance  humaine  fera 
renuerfée,  mais  ce  ne  fera  pas  auec  aucune  raifon  ou  fondement. 

Et  pour  ce  qui  eft  de  cet  argument  que  vous  comparez  avec  le 
mien,  à  fçauoir  :  S'il  n'implique  point  que  Dieu  exijie,  il  ejl  certain 
qu'il  exiJle;  mais  il  n'implique  point;  doncques,  &c.,  matériellement 
parlant  il  eft  vray,  mais  formellement  c'eft  vn  fophifme.  Car,  dans 
196  la  majeure,  ce  mot  /'/  implique  regarde  le  concept  de  la  caufe  |  par 
laquelle  Dieu  peut  eftre,  &,  dans  la  mineure,  il  regarde  le  feul  con- 
■  cept  de  l'exiftence  &  de  la  nature  de  Dieu,  comme  il  paroi  II  de  ce 
que,  fi  on  nie  la  majeure,  il  la  faudra  ainfi  prouuer  : 

Si  Dieu  n'exifte  point  encore,  il  implique  qu'il  exifte,  parce  qu'on 
ne  fçauroit  afligner  de  caufe  fuffifante  pour  le  produire;  mais  il  n'im- 
plique point  qu'il  exifte,  comme  il  a  efté  accordé  dans  la  mineure; 
doncques,  &c. 

Et  fi  on  nie  la  mineure,  il  la  faudra  prouuer  ainfi"  : 
Cette  chofe  n'implique  point,  dans  le  concept  formel  de  laquelle 
il  n'y  a  rien  qui  enferme  contradidion;  mais  dans  le  concept  formel 

a.  .Non  à  la  ligne  (/"^rfi"/.). 


i5i-i5.3.  Secondes  Réponses.  119 

de  l'exiftence  ou  de  la  nature  diuine,  il  n'y  a  rien  qui  enferme 
contradidion  ;  doncques,  &c.  Et  ainfi  ce  mot  il  implique  ell  pris  |  en 
deux  diuers  fens. 

Car  il  fe  peut  faire  qu'on  ne  conceura  rien  dans  la  chofe  mefmç 
qui  empefche  qu'elle  ne  puiffe  exilter,  &  que  cependant  on  con- 
ceura quelque  chofe  de  la  part  de  fa  caufe,  qui  empefche  qu'elle  ne 
foit  produite. 

Or,  encore  que  nous  ne  conceuions  Dieu  que  très  imparfaitement, 
cela  n'empefche  pas  qu'il  ne  foit  certain  que  fa  nature  eft  poflible, 
ou  qu'elle  n'implique  point';  ny  aufli  que  nous  ne  puiffions  alfurer 
auec  vérité  que  nous  l'auons  affez  foigneufement  examinée,  &  affez 
clairement  connue  (à  fçauoir  autant  qu'il  fuffit  pour  connoiftre 
qu'elle  efl  poflible,  &  aufli  que  |  l'exiftence  neceifaire  luy  aparticnt).  197 
Car  toute  impoffibilité,  ou,  s'il  m'eft  permis  de  me  feruir  icy  du  mot 
de  l'école,  toute  implicance  confifte  feulement  en  noilre  concept  ou 
penfée,  qui  ne  peut  conjoindre  les  idées  qui  fe  contrarient  les  vnes 
les  autres;  &  elle  ne  peut  confiller  en  aucune  chofe  qui  foit  hors  de 
l'entendement,  parce  que,  de  cela  mefme  qu'vne  chofe  eft  hors  de 
l'entendement,  il  eil  manifefîc  qu'elle  n'implique  point,  mais  qu'elle 
eft  poflible. 

Or  rimpoflibilité  que  nous  trouuons  en  nos  penfées,  ne  vient  que 
de  ce  qu'elles  font  obfcures  &  confufes,  &  il  n'y  en  peut  auoir  aucune 
dans  celles  qui  font  claires  &  dirtincies;  &  partant,  afin  que  nous 
puiflions  afl"urer  que  nous  connoiflbns  afl"ez  la  nature  de  Dieu  pour 
fçauoir  qu'il  n'y  a  point  de  répugnance  qu'elle  exirte,  il  fuffit  que 
nous  entendions  clairement  &  diftindement  toutes  les  chofes  oue 
nous  aperceuons  eftre  en  elle,  quoy  que  ces  chofes  ne  foicnt  qu'en 
petit  nombre,  au  regard  de  celles  que  nous  n'aperceuons  pas,  bien 
qu'elles  foient  aufli  en  elle;  &  qu'auec  cela  nous  remarquions  que 
l'exiftence  necefl'aire  eft  l'vne  des  chofes  que  nous  aperceuons  ainfi 
eftre  en  Dieu. 

\E?i  feptiéme  lieu,  i'ay  defia  donné  la  raifon,  dans  l'abrégé  de 
mes  Méditations,  pourquoy  ie  n'ay  rien  dit  icy  touchant  l'immor- 
talité de  l'ame;  i'ay  aufli  fait  voir  cy-deuan:  comme  quoy  i'ay  fuf- 
fifamment  prouué  la  diftinétion  qui  eft  entre  l'efprit  &  toute  forte 
de  corps. 

1  Quant  à  ce  que  vous  adjouftez,  qUe  de  la  dijiinâion  de  l'ame     198 
d'auec  le  corps  il  ne  s'enfuit  pas  quelle  foit  immortelle,  parce  que 
nonobftant  cela  on  peut  dire  que  Dieu  l'a  faite  d'ime  telle  nature, 

4^  A  la  ligne  (i""»  édit.). 


I20  Œuvres  de  Descartes.  153-154. 

que  fa  durée  finit  auec  celle  de  la  vie  du  corps  y  ie  confeffe  que  ie  n'ay 
rien  à  y  répondre  ;  car  ie  n'ay  pas  tant  de  prefomption  que  d'entre- 
prendre de  déterminer,  par  la  force  du  raifonnement  humain,  vne 
chofe  qui  ne  dépend  que  de  la  pure  volonté  de  Dieu. 

La  connoiflance  naturelle  nous  aprend  que  l'efprit  eft  différent  du 
corps,  &  qu'il  eft  vne  fubftance  ;  &  aufli  que  le  corps  humain,  en 
tant  qu'il  diffère  des  autres  corps,  eft  feulement  compofé  d'vne  cer- 
taine configuration  de  membres,  &  autres  femblables  accideris;  & 
enfin  que  la  mort  du  corps  dépend  feulement  de  quelque  diuifion  ou 
changement  de  figure.  Or  nous  n-'auons  aucun  argument  ny  aucun 
exemple,  qui  nous  perfuade  que  la  mort,  ou  l'aneantilfement  d'vne 
fubftance  telle  qu'eft  l'efprit,  doiue  fuiure  d'vne  caufe  fi  légère 
comme  eft  vn  changement  de  figure,  qui  n'eft  autre  chofe  qu'vn 
mode,  &  encore  vn  mode,  non  de  l'efprit,  mais  du  corps,  qui  eft 
réellement  diftind  de  l'efprit.  Et  mefme  nous  n'auons  aucun  argu- 
ment ny  exemple,  qui  nous  puifle  perfuader  qu'il  y  a  des  fubftances 
qui  font  fujettes  à  eftre  anéanties.  Ce  qui  fuftit  pour  conclure  que 
l'efprit,  ou  l'ame  de  l'homme,  |  autant  que  cela  peut  eftre  connu  par 
la  Philofophie  naturelle,  eft  immortelle. 

Mais  fi  on  demande  fi  Dieu,  par  fon  abfoluë  puiffance,  n'a  point 
199  pcut-eftre  déterminé  que  les  âmes  |  humaines  ceïfent  d'eftre,  au 
mefme  temps  que  les  corps  aufquels  elles  font  vnies  font  deftruits, 
c'eft  à  Dieu  feul  d'en  répondre.  Et  puifqu'il  nous  a  maintenant 
reuelé  que  cela  n'arriuera  point,  il  ne  tious  doit  plus  refter  touchant 
cela  aucun  doute. 

Au  refte,  i'ay  beaucoup  à  vous  remercier  de  ce  que  vous  auez 
daigné  fi  officieufement,  &  auec  tant  de  franchife,  m'auertir  non  feu- 
lement des  chofes  qui  vous  ont  femblé  dignes  d'explication,  mais 
auffi  des  difficultez  qui  pouuoient  m'eftre  faites  par  les  Athées,  ou 
par  quelques  enuieux  &  médifans. 

Car  encore  que  ie  ne  voye  rien,  entre  les  chofes  que  vous  m'auez 
propofécs,  que  ic  n'euffe  auparauant  rejette  ou  expliqué  dans  mes 
Méditations  (comme,  par  exemple,  ce  que  vous  auez  allégué  des 
mouches  qui  font  produites  par  le  Soleil,  des  Canadiens,  des  Nini- 
uites,  des  Turcs,  &  autres  chofes  femblables,  ne  peut  venir  en  l'efprit 
ù  ceux  qui,  fuiuans  l'ordre  de  ces  Méditations,  mettront  à  part  pour 
quelque  temps  toutes  les  chofes  qu'ils  ont  aprifes  des  fens,  pour 
prendre  garde  à  ce  que  dide  la  plus  pure  ^  plus  faine  raifon,  c'eft 
pourquoy  ie  penfois  auoir  des-ja  rejette  toutes  ces  chofes),  encore, 
di:-jc,  que  cela  foit,  ie  iuge  ncantmoins  que  ces  objcclions  feront 
fort  vtilcs  à  mon  dcft'cin,  d'autant  que  ic  ne  me  promets  pas  d'auoir 


i54-r56.  Secondes  Réponses.  :         121 

beaucoup  de  ledeurs  qui  veuillent  aporter  tant  d'attention  aux 
chofes  que  i'ay  efcriies,  qu'eftant  paruenus  à  la  fin,  ils  fe  reffouuien- 
nent  de  tout  ce  qu'ils  auront  leu  auparauant;  &  ceux  qui  ne  le 
{feront  pas,  tomberont  aifément  en  des  difficultez,  aufquelles  ils  200 
verront,  puis  aprez,  |  que  i'auray  fatisfait  par  cette  réponfe,  ou  du 
moins  ils  prendront  de  là  occafion  d'examiner  plus  foigneufement 
la  vérité. 

Pour  ce  qui  regarde  le  confeil  que  vous  me  donnez,  de  difpofer 
mes  raifons  félon  la  méthode  des  Géomètres,  afin  que  tout  d'vn 
coup  les  ledeurs  les  puiffent  comprendre,  ie  vous  diray  icy  en  quelle 
façon  i'ay  des-ja  taché  cy-deuant  de  la  fuiure,  &  comment  l'y  taf- 
cheray  encore  cy-aprés  ". 

Dans  la  façon  d'écrire  des  Géomètres,  ie  diftingue  deux  chofes,  à 
fçauoir  l'ordre,  &  la  manière  de  démontrer. 

L'ordre  confifte  en  cela  feulement,  que  les  chofes  qui  font  pro- 
pofces  les  premières  doiuent  eftre  connues  fans  l'aide  des  fuiuantes, 
&  que  les  fuiuantes  doiuent  après  eftre  difpofées  de  telle  façon, 
qu'elles  foient  démontrées  par  les  feules  chofes  qui  les  précèdent. 
Et  certainement  i'ay  taché,  autant  que  i'ay  pu,  de  fuiure  cet  ordre  en 
mes  Méditations.  Et  c'eft  ce  qui  a  fait  que  ie  îi'ay  pas  traité,  dans  la 
féconde,  de  la  diftinclion  de  l'efprit  d'auec  le  corps,  mais  feulement 
dans  la  fixiéme,  &  que  i'ay  obmis  de  parler  de  beaucoup  de  chofes 
dans  tout  ce  traité,  parce  qu'elles  prefupofoient  l'explication  de 
plufieurs  autres. 

La  manière  de  démontrer  eft  double  :  l'vne  fe  fait  par  l'analyf*".  ou 
refolution,  &  l'autre  par  la  fynthefe  ou  compofition. 

L'analyfe  montre  la  vraye  voye  par  laquelle  vne  chofe  a  efté  métho- 
diquement inuentée,  &  fait  voir  |  comment  les  effets  dépendent  des  201 
caufes;  en  forte  que,  fi  le  ledeur  la  veut  fuiure,  &  jetter  les  yeux 
foigneufement  fur  tout  ce  qu'elle  contient,  il  n'entendra  pas  moins 
parfaitement  la  chofé  ainfi  démontrée,  &  ne  la  rendra  pas  moins 
fienne,  que  fi  luy-mefme  l'auoit  inuentée. 

Mais  cette  forte  de  demonftration  n'eft  pas  propre  à  conuaincre  les 
Icdeurs  opiniallres  ou  peu  attentifs  :  |  car  fi  on  laille  échaper,  fans  y 
prendre  garde,  la  moindre  des  chofes  qu'elle  propofe,  la  necefiitéde 
fcs  conclufions  ne  paroiftra  point  ;  &.  on  n'a  pas  coutume  d'y  ex- 
primer fort  amplement  les  chofes  qui  font  alfcz  claires  de  roy-mefmc, 
bien  que  ce  foit  ordinairement  celles  aufquelles  il  faut  le  plus  prendre 
garde. 

0.  Nun  à  la  ligne  (^"  Ct/;/.). 


122  OEuVRES   DE    DeSCARTES.  i56-i57. 

La  fynthele,  au  contraire,  par  vne  voye  toute  autre,  &  comme  en  v 
examinant  les  caufes  par  leurs  effets  (bien  que  la  preuue  qu'elle 
contient  foit  fouuent  auflî  des  effets  par  les  caufes),  démontre  à  la 
vérité  clairement  ce  qui  eft  contenu  en  fes  concluions,  &  fe  fert  d'vne 
longue  fuite  de  définitions,  de  demandes,  d'axiomes,  de  théorèmes 
^  de  problèmes,  afin  que,  û  on  luy  nie  quelques  confequences, 
elle  face  voir  comment  elles  font  contenues  dans  les  antecedens, 
&  qu'elle  arrache  ,1e  confentement  du  leéleur,  tant  obftiné  &  opi- 
niaftre  qu'il  puiffe  eftre;  mais  elle  ne  donne  pas,  comme  l'autre, 
vne  entière  fatisfadion  aux  efprits  de  ceux  qui  défirent  d'aprendre, 
parce  qu'elle  n'enfeigne  pas  la  méthode  par  laquelle  la  chofe  a  efté 
inuentée. 
202  1  Les  anciens  Géomètres  auoient  coutume  de  fe  feruir  feulement 
de  cette  fynthefe  dans  leurs  écrits,  non  qu'ils  ignoraffent  entière- 
ment Tanalyfe,  mais,  à  mon  auis,  parce  qu'ils  en  faifoient  tant 
d'état,  qu'ils  la  referuoient  pour  eux  feuls,  comme  vn  fecret  d'im- 
portance. 

Pour  moy,  i'ay  fuiuy  feulement  la  voye  analytique  dans  mes  Mé- 
ditations, pource  qu'elle  me  femble  eftre  la  plus  vraye,  &  la  plus 
propre  pour  enfeigner  ;  mais,  quant  à  la  fynthefe,  laquelle   lans 
doute  eft  celle  que  vous  defirez  icy  de  moy,  encore  que,  touchant  les 
chofes  qui  fe  traitent  en  la  Géométrie,  elle  puiffe  vtilement  eftre 
mife  après  l'analyfe,  elle  ne  conuient  pas  toutesfois  fi  bien  aux  ma- 
tières qui  apartiennent  à  la  Metaphyfique.  Car  il  y  a  cette  diffé- 
rence, que  les  premières  notions  qui  font  fupofées  pour  démontrer 
les  propofitions  Géométriques,  ayant  de  la  conuenance  auec   les 
fcns,  font  receuës  facilement  d'vn  chacun;  c'eft  pourquoy  il  n'y  a 
point  là  de  difficulté,  finon  à  |  bien  tirer  les  confequences,  ce  qui 
fe  peut  faire  par  toutes  fortes  de  perfonnes,  mefme  par  les  moins 
attcntiues,  pourueu  feulement  qu'elles  fe  rcffouuiennent  des  chofes 
précédentes  ;  &  on  les  oblige  aifément  à  s'en  fouuenir,  en  diftin- 
guant  autant  de  diuerfes  propofitions  qu'il  y  a  de  chofes  à  remarquer 
dans  la  difficulté  propofée,  afin  qu'elles  s'arreftent  feparement  fur 
chacune,  &  qu'on  les  leur  puiffe  citer  par  après,  pour  les  auertir  de 
celles  aufquelles  elles  doiuent  penfer.  Mais  au  contraire,  touchant 
203     les  que|ftions  qui  apartiennent  à  la  Metaphyfique,  la  principale  dif- 
ficulté eft  de  conccuoir  clairement  &  diftindement  les  premières 
notions.  Car,  encore  que  de  leur  nature  elles  ne  foient  pas  moins 
claires,  &  mefme  que  fouuent  elles  foient  plus  claires  que  celles 
qui    font   confiderées   par   les   Géomètres,    neantmoins,    d'autant 
qu'elle»  femblent  ne  s'accorder  pas  auec  pluficurs  préjugez  que  nous 


i57.  Secondes  Réponses.  12  j 

auons  receus  par  les  fens,  &  aufquels  nous  fommes  acoutumez  dés 
noltre  enfance,  elles  ne  font  parfaitement  comprifes  que  par  ceux 
qui  font  fort  attentifs  &  qui  s'étudient  à  détacher,  autant  qu'ils 
peuuent,  leur  efprit  du  commerce  des  fens;  c'eft  pourquoy,  û  on  les 
propofoit  toutes  feules,  elles  feroiént  aifement  niées  par  ceux  qui 
ont  l'efprit  porté  à  la  contradidion. 

Ce  qui  a  efté  la  caufe  pourquoy  i'ay  plutofl  écrit  des  Méditations 
que  des  difputcs  ou  des  queftions,  comme  font  les  Philofophes, 
ou  bien  des  théorèmes  ou  des  problèmes,  comme  les  Géomètres, 
afin  de  témoigner  par  là  que  ie  n'ay  écrit  que  pour  ceux  qui 
fe  voudront  donner  la  peine  de  méditer  auec  moy  ferieufement 
&  confidcrer  les  choies  aucc  attention.  Car,  de  cela  mefme  que 
quelqu'vn  fe  prépare  pour  impugncr  la  vérité,  il  fe  rend  moins 
propre  à  la  comprendre,  d'autant  qu'il  détourne  l'on  efprit  de  la 
confideration  des  raifons  qui  la  perfuadent,  pour  l'apliquer  à  la 
recherche  de  celles  qui  la  détruifent". 

Mais  neantmoins,  pour  témoigner  combien  ie  défère  à  vortre 
confeil,  ie  tachcray  icy  d'Imiter  la  fyn|thefe  des  Géomètres,  &  y  204 
feray  vn  abrégé  des  principales  raifons  dont  i'ay  vfé  pour  démontrer 
l'exiftence  de  Dieu,  &  la  dilHnclion  qui  efl  entre  l'efprit  &  le  corps 
humain  :  ce  qui  ne  feruira  pcut-eflre  pas  peu  pour  foulager  l'atten- 
tion des  Ledcurs. 

a.  La  fin  des  Réponses  aux  2"  Oojections  en  latin,  p.  157, 1.  27,  à  p.  i  Sg, 
1.  22,  de  cette  édition  ne  figure  pas  dans  la  traduction  française.  Elle  est' 
remplacée  par  le  court  alinéa,  que  nous  donnons  ici  pour  terminer. 


805  IIRAISONS 


QVI   PROVVENT 

L'EXISTENCE   DE   DIEV 

&   LA    DISTINCTION    QVI    EST   ENTRE    L'ESPRIT 

&  LE  CORPS   HVMAIN, 

DISPOSÉES    d'vNE   façon  GEOMETRIQUE 


Définitions. 

I.  Par  le  nom  de  penfée,  ie  comprens  tout  ce  qui  eft  tellement  en 
nous,  que  nous  en  fommes  immédiatement  connoiflans.  Ainfi  toutes 
les  opérations  de  la  volonté,  de  l'entendement,  de  l'imagination  & 
des  fens,  font  des  penfées.  Mais  i'ay  adjoufté  immedialemeut,  pour 
exclure  les  chofes  qui  fuiuent  &  dépendent  de  nos  penfées  :  par 
exemple,  le  mouuement  volontaire  a  bien,  à  la  vérité,  la  volonté  pour 
fon  principe,  mais  luy-mefme  neantraoins  n'eft  pas  vne  peniee. 

II.  Par  le  nom  d'idée,  i'entens  cette  forme  de  chacune  de  nos 
penfées,  par  la  perception  immédiate  de  laquelle  nous  auons  con- 
noilfance  de  ces  mefmes  penfées.  Kn  telle  forte  que  ie  ne  puis  rien 

206  exprimer  par  |  des  paroles,  lorfque  i'entens  ce  que  ie  dis,  que  de 
cela  mefme  il  ne  foit  certain  que  i'ay  en  moy  l'idée  de  la  chofe  qui 
e(t  fignifiée  par  mes  paroles.  Et  ainfi  ie  n'apelle  pas  du  nom  d'idée 
les  feules  images  qui  font  dépeintes  en  la  fantaifie;  au  contraire,  ie 
ne  les  appelle  point  icy  de  ce  nom,  en  tant  qu'elles  font  en  la  fan- 
taifie  I  corporelle,  c'eft  à  dire  en  tant  qu'elles  font  dépeintes  en 
quelques  parties  du  cerueau,  mais  feulement  en  tant  qu'elles  in- 
forment l'efprit  mefme,  qui  s'apliquc  à  cette  partie  du  cerueau. 

III.  Par  la  réalité  objeâiue  d'vne  idée,  i'entens  l'entité  ou  relire 
de  la  chofe  reprefentée  par  l'idée,  en  tant  que  cette  entité  cil  dans 
l'idée;  &  de  la  mefme  façon,  on  peut  dire  vne  perfection  objcctiuc, 
ou  vn  artifice  objectif,  ^c.  Car  tout  ce  que  nous  conceuons  comme 
cdani  dans  les  objets  des  idées,  tout  cela  cil  objediuement,  ou  par 
tcprcfentation,  dans  les  idées  mefmes. 


i6^*i63.  Secondes  Réponses.  125 

IV.  Les  frvefmes  chofes  font  dites  eftre  formellement  dans  les 
objets  4  ulées,  quand  elles  font  en  eux  telles  que  nous  les  conce- 
uons  ;  &  ellçs  font  dites  y  eftre  ètriinemment,  quand  elles  n'y  font 
D3S  à  la  vérité  telles,  mais  qu'elles  font  fi  grandes,  qu'elles  peuuent 
mpléer  à  ce  défaut  par  leur  excellence. 

V.  Toute  chofe  dans  laquelle  refide  immédiatement  comme  dans 
fon  fujet,  ou  par  laquelle  exifte  quelque  chofe  que  nous  conceuons, 
c'eft  à  dire  quelque  propriété,  qualité,  ou  attribut,  dont  nous  aupns 

en  nous  vne  réelle  idée,  s'appelle  Subjîance.  Car  nous  |  n'auons  point  îffi 
d'autre  idée  de  la  fubftance  precifément  prife,  finon  qu'elle  eft  vne 
chofe  dans  laquelle  exifte  formellement,  ou  éminemment,  ce  que 
nous  conceuons,  ou  ce  qui  eft  objediuement  dans  quelqu'vne  de 
nos  idées,  d'autant  que  la  lumière  naturelle  nous  enfeigne  que  le 
néant  ne  peut  auoir  aucun  attribut  réel. 

VI.  La  fubftance,  dans  laquelle  refide  immédiatement  la  penfée, 
eft  icy  apellée  Efprit,  Et  toutesfois  ce  nom  eft  équiuoque,  en  ce 
qu'on  Tattribuë  aufli  quelquesfpis  au  vent  &  aux  liqueurs  fort  fub^ 
tiles;  mais  ie  n'en  fçache  point  de  plus  propre. 

VIL  La  fubftance,  qui  eft  le  fujet  immédiat  de  l'extenfion  &  des 
accidens  qui  prefupofent  l'extenfion,  comme  de  la  figure,  de  la  fitua- 
tion,  du  mouuement  local,  &c.,  |  s'apelle  Corps.  Mais  de  fçauoir  fi  la 
fubftance  qui  eft  apellée  Efprit  eft  la  mefme  que  celle  que  nous  ape- 
lons  Corps,  ou  bien  fi  elles  font  deux  fubftances  diuerfes  &  fepa- 
rées,  c'eft  ce  qui  fera  examiné  cy-aprés. 

VIII.  La  fubftance  que  nous  entendons  eftre  fouuerainement  par- 
faite, &  dans  laquelle  nous  ne  conceuons  rien  qui  enferme  quelque 
défaut,  ou  limitation  de  perfection,  s'apelle  Dieu. 

IX.  Quand  nous  difons  que  quelque  attribut  eft  contenu  dans  la 
nature  ou  dans  le  concept  d'vne  chofe,  c'eft  de  mefme  que  fi  nous 
difions  que  cet  attribut  eft  vray  de  cette  chofe,  &  qu'on  peut  alfurer 
qu'il  eft  en  elle. 

X.  Deux  fubftances  font  dites  eftre  diftinguées  réellement,  quand 
chacune  d'elles  peut  exifter  fans  l'autre. 

j  Demandes.  208 

le  âiQmdinAQ y  premièrement,  que  les  Lecteurs  confiderent  combien 
foibles  font  les  raifons  qui  leur  ont  fait  iufques  icy  adjoufter  foy  à 
leurs  fens,  &  combien  font  incertains  tous  les  iugemens  qu'ils  ont 
depuis  apuyez  fur  eux;  &  qu'ils  repalfent  fi  long  temps  &  fi  fouuent 
cette  confidcration  en  leur  efprit,  qu'enfin  ils  acquièrent  l'habitude 


126  Œuvres  de  Desgartes.  i62-!63. 

de  ne  le  plus  confier  fi  fort  en  leurs  fens  ;  car  i'eftime  que  cela  eft 
necelTaire  pour  fe  rendre  capable  de  connoiftre  la  vérité  des  chofes 
Metaphyfiques,  lelquelles  ne  dépendent  point  des  fens. 

En  fécond  lieu,  ie  demande  qu'ils  confiderent  leur  propre  efprit, 
&  tous  ceux  de  fes  attributs  dont  ils  reconnoillront  ne  pouuoir  en 
aucune  façon  douter,  encore  mefme  qu'ils  fupofaffent  que  tout  ce 
qu'ils  ont  iamais  receu  par  les  fens  fufl:  entièrement  faux  ;  &  qu'ils 
ne  ceffent  point  de  le  confiderer,  que  premièrement  ils  n'ayent  ac- 
quis l'vfage  de  le  conceuoir  diftinctement,  &  de  croire  qu'il  eft  plus 
aifé  à  connoiftre  que  toutes  les  chofes  corporelles. 

En  troijîéme  lieu,  qu'ils  examinent  diligemment  les  propofitions 
qui  n'ont  pas  befoin  de  preuue  pour  eftre  connues,  &  dont  chacun 
trouue  les  notions  en  foy-mefme,  comme  font  celles-cy  :  qu'vne 
mefme  chofe  ne  peut  pas  ejire\&  nejîre  point  tout  enfemble  ;  que  le 

209  rien  ne  peut  pas  efïre  la  caufe  efficiente  d'aucune  chofe,  &  |  autres 
femblables  ;.&  qu'ainfi  ils  exercent  cette  clairté  de  l'entendement 
qui  leur  a  efté  donnée  par  la  nature,  mais  que  les  perceptions  des 
fens  ont  accoutumé  de  troubler  &  d'obfcurcir,  qu'ils  l'exercent, 
dis-je,  toute  pure  &  deliurée  de  leurs  préjugez  ;  car  par  ce  moyen 
la  vérité  des  axiomes  fuiuans  leur  fera  fort  euidentc. 

En  quatrième  lieu,  qu'ils  examinent  les  idées  de  ces  natures,  qui 
contiennent  en  elles  vn  afl'emblage  de  plufieurs  attributs  enfemble, 
comme  eft  la  nature  du  triangle,  celle  du  quarré  ou  de  quelque 
autre  figure;  comme  aufll  la  nature  de  l'efprit,  la  nature  du  corps, 
&,  par  dcft'us  toutes,  la  nature  de  Dieu  ou  d'vn  eftie  fouuerainement 
parfait.  Et  qu'ils  prennent  garde  qu'on  peut  ad'urer  auec  vérité,  que 
toutes  ces  chofes-là  font  en  elles,  que  nous  conccuons  clairement  y 
eftre  contenutfs.  Par  exemple,  parce  que,  dans  la  nature  du  triangle 
reclilignc,  il  eft  contenu  que  fes  trois  angles  font  égaux  à  deux 
droits,  &  que  dans  la  nature  du  corps  ou  d'vne  chofe  étendue  la 
diuifibilité  y  eft  comprife  (car  nous  ne  conceuons  point  de  chofe 
étendue  fi  petite,  que  nous  ne  la  puiftîons  diuifcr,  au  moins  par  la 
pcnfée),  il  eft  vray  de  dire  que  les  trois  angles  de  tout  triangle  recli- 
lignc font  égaux  à  deux  droits,  c^  que  tout  corps  eft  diuifible. 

En  cinquicme  lieu,  ic  demande  qu'ils  s'arrellent  long-temps  à  con- 
templer la  nature  de  l'etlrc  fouuerainement  parfait;  t^,  entr'autres 
chofes,  qu'ils  confiderent  que,  dans  les  idées  de  toutes  les  autres 

210  natures,  |  l'exiftence  poftible  fe  trouuc  bien  contcnuii,  mais  que,  dans 
l'idccdc  Dieu,  non  feulement  l'exiftence  poftible  \  eft  contenue,  mais 
de  plus  la  nccedairc.  Car,  de  cela  feul,  ly  fans  aucun  raifonncment, 
ils  connoidroni  que  Dieu  cxifte  ;  6:  il  ne  leur  fera  pas  moins  clair  & 


a  î65.  Secondes  Réponses.  127 

euident,  fans  autre  preuue,  qu'il  leur  eft  manifelle  |  que  deux  eft  vn 
nombre  pair,  &  que  trois  eft  vn  nombre  impair,  &  choies  fem- 
blables.  Car  il  y  a  des  choies  qui  l'ont  ainfi  connues  fans  preuues 
par  quelques-vns,  que  d'autres  n'entendent  que  par  vn  long  dif- 
cours  &  raifonnemcnt. 

Eîi  Jîxiéme  lieu,  que,  confiderant  auec  foin  tous  les  exemples 
d'vne  claire  &  dilHncle  perception,  i!st  tous  ceux  dont  la  perception 
eft  obfcure  &  confufe,  defquels  i'ay  parlé  dans  mes  Méditations,  ils 
s'accoutument  à  diftinguer  les  chofes  qui  font  clairement  connues, 
de  celles  qui  font  obfcures  ;  car  cela,  s'aprend  mieux  par  des 
exemples  que  par  des  règles,  &  ie  penfe  qu'on  n'en  peut  donner 
aucun  exemple,  dont  ie  n'aye  touché  quelque  chofe. 

En  feptiéme  lieu,  ie  demande  que  les  lecteurs,  prenans  garde 
qu'ils  n'ont  iamais  reconnu  aucune  faufl'eté  dans  les  chofes  qu'ils 
ont  clairement  conceuës,  &  qu'au  contraire  ils  n'ont  iamais  ren- 
contré, fmon  par  hazard,  aucune  vérité  dans  les  chofes  qu'ils  n'ont 
conceuës  qu'auec  obfcurité,  ils  confiderent  que  ce  feroit  vne  chofe 
entièrement  déraifonnable,  fi,  pour  quelques  préjugez  des  fens,  ou 
pour  quelques  fupofitions  faites  à  plaifir,  &  fondées  fur  quelque 
cho|fe  d'obfcur  &  d'inconnu,  ils  reuoquoient  en  doute  les  chofes  211 
que  l'entendement  conçoit  clairement  &  diftindement.  Au  mioyen 
de  quoy  ils  admettront  facilement  les  Axiomes  fuiuans  pour  vrays 
&  indubitables,  bien  que  j'auouë  que  plufieurs  d'entr'eux  eulTent 
pu  eftre  mieux  expliquez,  ^  euffent  deu  cftre  plutoft  propofez 
comme  des  théorèmes  que  comme  des  axiomes,  fi  i'eulfc  voulu 
eftre  plus  exacl. 

Axiomes  ou  iVotious  communes.  ' 

I.  Il  n'y  a  aucune  chofe  exiftante  de  laquelle  on  ne  puifl'c  deman- 
der quelle  eft  la  caufe  pourquoy  elle  exifte.  Car  cela  mefme  fe  peut 
demander  de  Dieu  ;|  non  qu'il  ait  befoin  d'aucune  caufe  pour  exif- 
ter,  mais  parce  que  l'immcnfitc  mefme  de  fa  nature  eft  la  caufe  ou 
la  raifon  pour  laquelle  il  n'a  befoin  d'aucune  caufe  pour  exifter. 

II.  Le  temps  prefent  ne  dépend  point  de  celuy  qui  l'a  immé- 
diatement précédé  ;  c'ell  pourquoy  il  n'eft  pas  befoin  d'vne 
moindre  caufe  pour  conferuer  vne  chofe,  que  pour  la  produire  la 
première  fois. 

III.  Aucune  chofe,  ny  aucune  perfection  de  cette  chofe  acluelle- 
mcnt  exiftante,  ne  peut  auoir  le  Néant,  ou  vne  chofe  non  exiftante, 
pour  la  caufe  de  fon  exiftence. 


128  Œuvres  de  Descartes.  iôs-iôô. 

212  |IV.  Toute  la  realité  ou  perfeâiion  qui  eft  dans  vue  chofe  fe  ren- 
contre ïormellement,  ou  éminemment,  dans  fa  caufe  première  & 
totale. 

V.  D'où  il  fuit  aufli  que  la  realité  objediue  de  nos  idées  re- 
quiert vne  caufe,  dans  laquelle  cette  mefme  realité  foit  contenue, 
non  feulement  objediuement,  mais  mefme  formellement,  ou  émi- 
nemment. Et  il  faut  remarquer,  que  cet  Axiome  doit  fi  neceflaire- 
ment  eftre  admis,  que  de  luy  feul  dépend  la  connoiffance  de  toutes 
les  chofes,  tant  fenfibles  qu'infenfible^s.  Car  d'où  fçauons-nous,  par 
exemple,  que  le  Ciel  exifte  ?  Eft-ce  parce  que  nous  le  voyons  ?  Mais 
cette  vifion  ne  touche  point  Tefprit,  fmon  en  tant  qu'elle  eft  vue 
idée  :  vne  idée,  dis-je,  inhérente  en  l'efprit  mefme,  &  non  pas  vne 
image  dépeinte  en  la  fantaifie  ;  &,  à  l'occafion  dé  cette  idée,  nous  ne 
pouuons  pas  iuger  que  le  ciel  exifte,  fi  ce  n'eft  que  nous  fupofions 
que  toute  idée  doit  auoir  vne  caufe  de  fa  realité  objediue,  qui.  foit 
réellement  exiftente  ;  laquelle  caufe  nous  iugeons  que  c'eft  le  ciel 
mefme,  &  ainfi  des  autres. 

VI.  Il  y  a  diuers  degrez  de  realité  ou  d'entité  :  car  la  fubftance  a 
plus  de  realité  que  l'accident  ou  le  mode,  &  la  fubftance  infinie  que 
la  fioie.  C'eft  pourquoy  aufli  il  y  a  plus  de  realité  objediue  dans 
l'idée  de  la  fubftance  |  que  dans  celle  de  l'accident,  &  dans  l'idée  de 
la  fubftance  infinie  que  dans  l'idée  de  la  fubftance  finie. 

213  VII.  La  volonté  fe  porte  volontairement,  &  libréjment  (car  cela 
eft  de  fon  effence),  mais  neantmoins  infailliblement,  au  bien  qui  luy 
eft  clairement  connu.  C*eft  pourquoy,  fi  elle  vient  à  connoiftre 
quelques  perfections  qu'elle  n'ait  pas,  elle  fe  les  donnera  auflitoft, 
fi  elles  font  en  fa  puifl"ance  ;  car  elle  connoiftra  que  ce  luy  eft  vn  plus 
grand  bien  de  les  auoir,  que  de  ne  les  auoir  pas. 

VIII.  Ce  qui  peut  faire  le  plus,  ou  le  plus  difficile,  peut  aufli  faire 
le  moins,  ou  le  plus  aifé. 

IX.  C'eft  vne  chofe  plus  grande  &  plus  difficile  de  créer  ou 
conferuer  vne  fubftance,  que  de  créer  ou  conferuer  fes  attributs 
ou  proprictez;  mais  ce  n'clt  pas  vn.;  chofe  plus  grande,  ou  plus 
difficile,  de  créer  vne  chofe  que  de  la  conferuer,  ainfi  qu'il  a  des-ja 
efté  dit. 

X.  Dans  l'idée  ou  le  concept  de  chaque  chofe,  l'exiftence  y  eft 
contenue,  parce  que  nous  ne  pouuons  rien  conceuoir  que  fous  la 
forme  d'vne  chofe  qui  exifte;  mais  auec  cette  différence  que,  dans 
le  concept  d'vne  chofe  limitée,  l'exiftence  poffible  ou  contingente 
eft  feulement  contenuif,  &  dans  le  concept  d'vn  cftrc  fouuerainc- 
ment  parfait,  la  parfaite  &  necelfaire  y  eft  comprife. 


i66-!67.  Secondes  Réponses,  129 


[Proposition  première.  W* 

L'exiftence  de  Dieu  fe  connoift  de  la  feule  confideration 
de  fa  nature. 


Démonjtration. 

Dire  que  quelque  attribut  e(l  contenu  dans  la  nature  ou  dans  le 
concept  d'vnc  chofe,  c'eft  le  mefme  que  de  dire  que  cet  attribut  eft 
vray  de  cette  chofe,  &  qu'on  peut  alfurer  qu'il  eft  en  elle  (par  la 
définition  neufiéme). 

Or  eft-il  que  l'exiftence  neceftaire  |  eft  contenue*  dans  la  nature  ou 
dans  le  concept  de  Dieu  (par  l'axiome  dixième). 

Doncques  il  eft  vray  de  dire  que  l'exiftence  necelfaire  eft  en  Dieu, 
ou  bien  que  Dieu  exiftc. 

Et  ce  fyllogifme  eft  le  mefme  dont  ie  me  fuis  feruy  en  ma  réponfe 
au  fixiéme  article  de  ces  objections;  &  fa  conclufion  peut  eftre  con- 
nue fans  preuue  par  ceux  qui  font  libres  de  tous  préjugez,  comme 
il  a  efté  dit  en  la  cinquième  demande.  Mais  parce  qu'il  n'eft  pas 
aifé  de  paruenir  à  vne  fi  grande  clairté  d'efprit,  nous  tafcherons  de 
prouuer  la  mefme  chofe  par  d'autres  voyes. 


I  Proposition  seconde.  215 

L'exiftence  de  Dieu  eft  démontrée  par  fes  effets,  de  cela  feul 
que  fon  idée  eft  en  nous. 

Démon  ftration. 

La  realité  objecliue  de  chacune  de  nos  idées  requiert  vnc  caufe 
dans  laquelle  cette  mefme  realité  foit  contenue,  non  pas  objecliue- 
ment,  mais  formellement  ou  éminemment  (par  l'axiome  cinquième). 

Ov  eft-il  que  nous  auons  en  nous  l'idée  de  Dieu  \parja  définition 
deuxième  &  huitième),  &  que  la  réalité  objccliue  de  cette  idée  n'eft 
point  contenue  en  nous,  ny  formellement,  ny  éminemment  (par 
l'axiome  fixiéme),  &  qu'elle  ne  peut  eftre  contenue  dans  aucun  autre 
que  dans  Dieu  mefme  (par  la  définition  huitième. 

Doncques  cette  idée  de  Dieu,  qui  eft  en  nous,  demande  Dieu  pour 
fa  caufe  :  &  par  confequent  Dieu  exifte  ipar  l'axiome  iroifiéme  . 
Œuvres.  1\'.  • 


ijo  Œuvres  de  Descartes.  168-169. 


216  II  Proposition  troisième. 

L'exiftence  de  Dieu  ell  encore  démontrée  de  ce  que  nous-mefmes, 
qui  auons  en  nous  fon  idée,  nous  exiftons. 

Démonjîration . 

Si  i'auois  la  puilfance  de  me  confcruer  moy-mefme,  i'aurois 
aufli,  à  plus  forte  raifon,  le  pouuoir  de  me  donner  toutes  les  per- 
fections qui  me  manquent  (par  l'axiome  8  &  9);  car  ces  perfections 
^e  font  que  des  attributs  de  la  fubftance,  &  moy  ie  fuis  vne  fub- 
ftance. 

Mai§  ie  n'ay  pas  la  puili'ance  )le  me  donner  toutes  ces  perfections  ; 
car  autrement  ie  les  poflederois  des-ja  (par  l'axiome  7). 

poncques  ie  n'ay  pas  la  puilfance  de  me  conferuer  moy-mefme. 

En  après,  ie  ne  puis  exilter  fans  eltre  conferué  tant  que  i'exilte, 
foit  par  moy-mefme,  fupofé  que  l'en  aye  le  pouuoir,  foit- par  vn 
autre  qui  ait  cette  puilfance  (par  l'axiome  i  &  2). 

Or  eft-il  que  i'exifte,  &.  toutesfois  ie  n'ay  pas  la  puiffaïîce  de  me 
conferuer  moy-mefme,  comme  ie  viens  de  prouuepr 

Doncques  ie  fuis  conferué  par  vn  autre. 

De  plus,  celuy  par  qui  ie  fuis  conferué  a  en  foy  formellement,  ou 
éminemment,  tout  ce  qui  eft  en  moy  (par  l'axiome  4). 

217  jOr  eit-il  que  i'ay  en  moy  l'idée  ou  la  notion  de  plufieurs  per- 
fections qui  me  manquent,  &  enfemble  l'idée  d'vn  Dieu- (par  la  detî- 
nition  2  &  8). 

Doncques  la  notion  de  ces  mefmes  perfections  ell  aulH  en  celuy 
par  qui  ie  fuis  conferué. 

Enfin,  celuy-là  mefme  par  qui  ie  fuis  conferué  ne  peut  auoir  la 
notion  d'aucunes  perfections  qui  luy  manquent,  c'clt-à-dire  qu'il 
n'ait  point  en  foy  formellement,  ou  éminemment  (par  l'axiome  7); 
car,  ayant  la  puilfance  de  me  conferuer,  comme  il  a  elle  dit  main- 
tenant, il  auroit  à  plus  forte  raifon  le  pouuoir  Je  fe  les  donner  luy- 
mcfmc,  s'il  ne  les  auoit  pas  |  (par  l'axiome  8  ^:  r,  , 

Or  elMI  qu'il  a  la  notion  de  toutes  les  perfections  que  ic  reconnois 
me  manquer,  &  que  ie  conçoy  ne  pouuoir  eltrc  qu'en  Dieu  feul, 
comme  ie  viens  de  prouuer. 

Doncques  il  les  a  des-ja  toutes  en  foy  formellemeni,  ou  eminen-' 
ment  ;  ^  ainii  il  ell  Dieu. 


lég-iyo.  Secondes  Réponses.  l  j  i 


Corollaire. 

Dieu  a  créé  le  Ciel  &  la  Terre,  &  tout  ce  qui  y  eft  contenu,  &  outre 
cela,  il  peut  faire  toutes  les  choies  que  nous  conceuons  clairement, 
en  la  manière  que  nous  les  conceuons. 

DémonJÎ  ration. 

Toutes  ces  chofes  fuiuent   clairement   de  la  propofiiion  précé- 
dente. Car  nous  y  auons  prouué  l'exiilence  de  Dieu,  parce  qu'il  eft 
neceflaire  qu'il  |  y  ait  vn  eftre  qui  exifte,  dans  lequel  toutes  les  per-     218 
fedions,  dont  il  y  a  en  nous  quelque  idée,  foieni  contenues  formel- 
lement, ou  éminemment. 

Or  eft-il  que  nous  auons  en  nous  l'idée  d'vne  puilfance  fi  grande, 
que,  par  celuy-là  feul  en  qui  elle  le  retrouue,  non  feulement  le  Ciel 
&  la  Terre,  &c.,  doiuent  auoir  efté  créez,  mais  aulTi  toutes  les  autres 
chofes  que  nous  connoilTons  comme  polfibles. 

Doncques,  en  prouuant  l'exiftence  de  Dieu,  nous  auons  auffi 
prouué  de  luy  toutes  ces  chofes. 


Proposition  quatrième. 
L'Efprit  &  le  Corps  font  réellement  diftincts. 

Démonjîration. 

Tout  ce  que  nous  conceuons  clairement  peut  eftre  fait  par 
Dieu  en  la  manière  que  nous  le  conceuons  (par  le  corollaire  pré- 
cèdent). 

Mais  I  nous  conceuons  clairement  l'efprit,  c'eft  à  dire  vne  fub- 
ftance  qui  penfe,  fans  le  corps,  c'eft  à  dire  fans  vne  fubftance 
étendue  (par  la  demande  2)  ;  &  d'autre  part  nous  conceuons  aufll 
clairement  le  corps  fans  l'efprit  (ainfi  que  chacun  accorde  facile- 
ment). 

Doncques,  au  moins  par  la  toute-puilfance  de  Dieu,  l'efprit  peut 
eftre  fans  le  corps,  &  le  corps  fans  l'efprit. 

Maintenant  les  fubftances  qui  peuuent  eftre  l'vne  |  fans  l'autre  font     219 
réellement  diftinctes  (par  la  définition  10). 


IJ2  Œuvres  de  Descartes. 


170. 


Or  eft-il  que  l'efprit  èk.  le  corps  Ibnt  des  lubftanccs  (par  les  défi- 
nitions 5,  6  &  7),  qui  peuuent  eftrc  l'vne  fans  l'autre  (comme  ie  le 
viens  de  prouuer). 

Doncqucs  l'efprit  &  le  corps  ibnt  réellement  diftinds. 

Et  il  faut  remarquer  que  ie  me  fuis  icy  feruy  de  la  toute-puilîance 
de  Dieu  pour  en  tirer  ma  preuue  ;  non  qu'il  foit  befoin  de  quelque 
puilfance  extraordinaire  pour  feparer  l'efprit  d'auec  le  corps,  mais 
pource  que,  n'ayant  traité  que  de  Dieu  feul  dans  les  propofitions 
précédentes,  ie  ne  la  pouuois  tirer  d'ailleurs  que  de  luy.  Et  il  n'im- 
porte aucunement  par  quelle  puiffance  deux  chofes  foient  feparées, 
pour  que  nous  connoiflions  qu'elles  font  réellement  diftindes. 


Il  TROISIÈMES  OBIECTIONS 
faites  par  vn  célèbre  Philofophe  Anglois, 

AVEC  LES  RÉPONSES  DE  l'aUTEUR. 


tio 


OBJECTION  PREMIERE. 

Il  paroijl  ciffei,  par  les  cho/es  qui  ont  cjié  dites  dans  cette  yfedi- 
tatiou,  qu'il  n'y  a  point  de  marque  certaine  &  euidente,  par  laquelle 
nous  puijjions  reconnoijire  &  d{/iinguer  nos  fondes  de  la  veille  & 
d' me  vraj-e  perception  des  fens;  6  partant,  que  les  images  des  cho/es 
que  nous /entons  e/îant  éueille\,  ne /ont  point  des  accidens  altache\  à 
des  objets  extérieurs,  £■  qu'elles  ne  /ont  point  des  prennes  /uj/i/an tes 
pour  mon/lrer  que  ces  objets  extérieurs  exi/îent  en  effecl.  C'eji  pour- 
qitoy  I  /î,  /ans  nous  aider  d'aucun  autre  raifonnemcnt,  nous  /niuons 
feulement  nos  fens,  nous  auons  iufte  fujet  de  douter /i  quelque  cliofe 
exi/ie  ou  non.  Nous  reconnoi/fons  donc  la  vérité  de  cette  Méditation. 
Mais  d'autant  que  Platon  a  parlé  de  celte  incertitude  des  cho/es  /en- 
/ibles,  &  plu/ieurs  autres  anciens  Philo/ophes  auant  &  après  lur,  tS' 
qu'il  e/ï  ai/é  de  remarquer  la  di/ficulté  qu'il  y  a  de  di/cerner  la  veille 
du/ommeil,  i'eujfe  voulu  que  cet  excellent  auteur  de  nouuelles  /pecu- 
lations/e  /u/î  abftenu  de  publier  des  chojes/i  vieilles. 


Sur  la  Première 
Mkditation. 

Des  cho/es 

qui  peuucnl  e/lre 

reu>  {uécs  en  doute. 


221 


Képonse. 

Les  raifons  de  douter  qui  font  icy  receuës  pour  vrayes  par  ce 
Philofophe,  n'ont  efté  propofées  par  moy  que  comme  vray-fem- 
blables;  &  ie  m'en  fuis  feruy,  non  pour  les  débiter  comme  nou- 
uelles,  mais  en  partie  pour  préparer  les  efprits  des  Lecleurs|à  confi- 
derer  les  choies  intelleduelles,  &  les  diftinguer  des  corporelles,  à 
quoy  elles  m'ont  toufiours  femblé  tres-neceflaires;  en  partie  pour  y 
répondre  dans  les  Méditations  fuiuantes;  &  en  partie  aulTi  pour 
faire  voir  combien  les  veritez  que  ie  propofe  enfuite  font  fermes  & 
alfurées,  puifqu'elles  ne  peuuent  eftre  ébranlées  par  des  doutes  lî 
généraux  &  fi  extraordinaires.  Et  ce  n'a  point  efté  pour  acquérir  de 


H 


Œuvres  de  Descartes. 


172-173. 


la  gloire  que  ie  les  ay  raportées,  mais  ie  penle  n'auoir  pas  efté 
moins  obligé  de  les  expliquer,  qu'vn  Médecin  de  décrire  la  maladie 
dont  il  a  entrepris  d'enfeigner  la  cure. 


222 


OBJECTION  SECONDE. 


Sur  la  Seconde 
Méditation. 

De  la  nature 
de  l'efprit  humain. 


22) 


le  fuis  vne  chofe  qui  penfe.  C'ejî  fort  bien  dit  ;  caj\  de  ce  que  ie 
penfe,  ou  de  ce  que  i'aj  vne  idée,  foit  en  veillant,  foit  en  dormant,  l'on 
infère  que  ie  fuis  penfant  :  car  ces  deux  chofes,  le  penfe  &  ie  fuis 
ipeniant,  Jigii  if  ent  la  mefme  chofe.  De  ce  que  ie  fuis  penfant,  il  s'enfuit 
que  ie  iu'is,  paixe  que  ce  qui  penfe  n'ejt  pas  vn  rien.  Mais  oii  tiojlre 
auteur  adjoujie  :  c'eft  à  dire-  vn  efprit,  vne  ame,  vn  entendement, 
vne  raifon,  de  là  naijt  vn  doute.  Car  ce  raifonnement  ne  me  femble 
pas  bien  déduit,  de  dire  :  ie  fuis  penfant,  donc  ie  fuis  vne  penfée  ;  ou 
bien  ie  fuis  intelligent,  donc  ie  fuis  vn  entendement.  Carde  la  mefme 
façon  ie  pourois  dire  :  ie  fuis  promenant,  donc  ie  fuis  vne  prome- 
nade. Monfieur  des  Cartes  donc  prend  la  chofe  intelligente  &  l'intel- 
leâion,  qui  en  ejl  l'ade,  pour  vne  mefme  chofe  ;  ou  du  moins  il  dit 
que  c'ejl  le  mefme  que  la  chofe  qui  entend  &  l'entendement,  qui  ejî  vne 
puijfance  ou  faculté  d'vné  chofe  intelligente.  Neantmoins  tous  les  Phi- 
lofophes  dijlinguent  le  fujet  de  fes  faculté^  €•  defes  aâes,  c'ejï  à  dire 
de  fes  propriété^  &  de  fes\eJJ'ences ;  car  c'ejt  autre  chofe  que  la  chofe 
mefme  qui  eft,  &  autre  chofe  qiie  fon  effence.  Il  fe  peut  donc  faire 
quvne  chofe  qui  penfe  \  foit  le  fujet  de  l'efprit,  de  la  raifon,  ou  de 
l'entendement,  &  partant,  que  ce  foit  quelque  chofe  de  corporel,  dont  le 
contraire  ejt  pris,  ou  auancé,  &  n'ejl  pas  proUué.  Et  neant^noins  c'efl 
en  cela  que  confjle  le  fondement  de  la  conclufion  qu'il  femblé  que 
Monfeur  Des-Carles  j'eiiille  ejlablir. 

Au  mefme  endroit  il  dit  :  l'ay  reconnu  que  i'exiite,  ie  cherche 
maintenant  qui  ie  fuis,  moy  qu.e  i'ay  -reconnu  eike.  Or  il  cil  très- 
certain  que  cette  notion  &  connoiffance  de  moy-mefme,  ainfi  preci- 
fément  prife,  ne  dépend  point  des  chofes  dont  l'exiftence  ne  m'eft 
pas  encore  connuii. 

Il  ejl  très-certain  que  la  connoiffance  de  cette  propofttion  :  i'exille, 
dépend  de  celle-cy  :  ie  penfe,  comme  il  nous  a  fort  bien  enfeigné. 
Mais  d'oii  nous  vient  la  connoiffance  de  celle-cj  :  ie  penfe  ?  Certes, 
ce  n'ejl  point  d'autre  chofe,  que  de  ce  que  nous  ne  pouuons  conceuoir 
aucun  aâe  fans  fon  fujet,  comme  la  penfée  fans  vne  chofe  qui  penfe, 
la  fcience  fans  vne  chofe  quifçache,  <S*  la  promenade  fans  vne  chofe  qui 
fe  promené. 


173-174-  Troisièmes  Objections.  13^ 

Fa  de  là  il  fembU'Jiiiurc,  qii'vue  dwfc  qui  pcnj'c  c/(  quelque  eli<ij[  de 
corporel;  car  les  fujets  de  tous  les  acles  fembleul  ejlrc  feulement  en- 
tendus fous  me  raifoti  corporelle,  ou  fous  rue  rciifou  de  matière, 
comme  il  a  luj'-mefme  monlrè  m  peu  après  pur  l'exemple  de  la  cire, 
laquelle,  quoj'  que  fa  couleur,  fa  diiiele,  fa  Ji/^iire,  é'-  tous  fes  au  1res 
aâesfoienl_  change^,  ejt  toujiours  conceuë  eflre  la  mefme  clwfe,  c'e/l  à 
dire  la  mefme  matière  fuj  cl  le  à  tous  ces  clian\i,'-emens.  Or  ce  n'ejt  pas  224 
par  me  autre  peu  fée  qu'on  infère  que  ie  penfe;  car,  encore  que  quelqu'm 
puifj'e  penfer  qu'il  a  penfé  (laquelle  penfée  n'efl  rien  autre  chofe  qu'rn 
fouuenir),  neantmoins  il  efi  tout  à  fait  impofjible  de  penfer  qu'on  penfe, 
nj'  de  fçauoir  qu'on  fcait  ;  car  ce  feroit  me  interrogation  qui  ne  fini- 
rait iamais  :  d'oii  fçaue\-vous  que  vous  fçaue\  que  l'ous  fçaue\  que 
vous  f^aue-^,  &c.  ? 

Et  partant,  puifque  la  connoijfance  de  cette  propojition  :  l'exilte, 
dépend  de  la  connoijfance  de  celle-cy  :  le  penfe;  tS-  /c7  connoijj'ance  de 
celle-cj-,  de  ce  que  nous  ne  pouuons  feparer  la  penfée  d'me  matière  qui 
penfe ;\  il  femble  qu'on  doit  plu tqft  inférer  qu'vne  chofe  qui  penfe  efî 
matérielle,  qu'immatérielle. 


Réponse. 

Où  i'ay  dit  :  c'eft  à  dire  vn  efpril,  vne  amc,  vu  entendement,  me 
raifon,  &c.,  ie  n'ay  point  entendu  par  ces  noms  les  feules  facultcz, 
mais  les  chofes  douces  de  la  faculté  de  penfer,  comme  par  les  deux 
premiers  on  a  coutume  d'entendre,  &  alfcz  fouuent  aufll  par  les 
deux  derniers  :  ce  que  i'ay  li  fouuent  explique,  &^en  termes  fi  exprés, 
que  ie  ne  voy  pas  qu'il  y  ait  eu  lieu  d'en  douter. 

Et  il  n'y  a  p'oint  icy  de  raport  ou  de  conuenance  entre  la  prome- 
nade &  la  penfée,  parce  que  la  promenade  n'elt  iamais  prifc  autre- 
ment que  pour  l'a^lion  mefme  ;  mais  la  penfée  fe  prend  quelquesfois 
pour  I  l'aclion,  quelquesfois  pour  la  faculté,  ^  quelquesfois  pour  la     225 
chofe  en  laquelle  refide  cette  faculté. 

Et  ie  ne  dis  pas  que  l'intelledion  èk,  la  chofe  qui  entend  foient  vne 
mefme  chofe,  non  pas  mefme  la  chofe  qui  entend  ^  l'entendement, 
li  l'entendement  ell  pris  pour  vne  faculté,  mais  feulement  lorfqu'il 
ell  pris,  pour  la  chofe  mefme  qui  entend.  Or  i'auouë  franchement 
que,  pour  lignifier  vne  chofe  ou  vne  fubilance,  laquelle  ie  voulois 
dépouiller  de  toutes  les  chofes  qui  ne  luy  apartiennent  point,  ie  me 
luis  feruy  de  termes  autant  (iniples  &  abltraits  que  i'ay  pu,  comme 
au  contraire  ce  Philofophe,  pour  lignifier  la  mefme  fubilance,  en 


ij6 


Œuvres  de  Descartes.  174-17». 


employé  d'autres  fort  concrets  &  compofez,  à  fçauoir  ceux  de  fujet, 
de  matière  &  de  corps,  afin  d'empefcher,  autant  qu'il  peut,  qu'on 
ne  puiffe  feparer  la  penfée  d'auec  le  corps.  Et  ie  ne  crains  pas  que 
la  façon  dont  il  fe  feft;  qui  eft  de  joindre  ainfi  plufieurs  chofes  en- 
femble,  foit  trouuée  plus  propre  pour  paruenir  à  la  connoiffance  de 
la  vérité,  qu'eft  la  mienne,  par  laquelle  ie  diftingue,  autant  que  ië 
puis,  chaque  chofe.  Mais  ne  nous  arreftons  pas  dauantage  aux  pa- 
roles, venons  à  la  chofe  dont  il  ell  queftion. ,     ^ 

\  Il  fe  peut  faire,  dit-il,  quvne  chofe  qui  penfe  foit  quelque  chofe  de 
corporel,  dont  le  contraire  eft  pris  &  n'efl  pas  prouué.  Tant  s'en 
faut.  le  n'ay  point  auancé  le  contraire,  &  ne  m'en  fuis  en  façon 
quelconque  ferui  pour  fondement,  mais  ie  l'ay  laiffé  entièrement 
indéterminé  iufqu'à  la  fixiéme  Méditation,  dans  laquelle  il  eft 
prouué. 

226  I  En  après,  il  dit  fort  bien  que  nous  ne  pouuons  conceuoir  aucun 
aâe  fans  f on  fujet,  comme  la  penfée  fans  une  chofe  qui  penfe,  parce 
que  la  chofe  qui  penfe  n'efl  pas  vn  rien;  mais  c'eft  fans  aucune  raifon, 
&  contre  toute  bonne  Logique,  &  mefme  contre  la  façon  ordinaire 
de  parler,  qu'il  adioute  que  de  là  il  femble  future  quvne  chofe  qui 
penfe,  eft  quelque  chofe  de  corporel;  car  les  fuiets  de  tous  les  ad.es 
font  bien  à  la  vérité  entendus  comme  eftans  des  fubftances  (ou,  fi 
vous  voulez,  comme  des  matières,  à  fçauoir  des  matières  metaphy- 
fiques),  mais  non  pas  pour  cela  comme  des  corps. 

Au  contraire,  tous  les  Logiciens,  &  prefque  tout  le  monde  auec 
eux,  ont  coutume  de  dire  qu'entre  les  fubftances  les  vnes  font  fpiri- 
tuelles,  &  les  autres  corporelles.  Et  ie  n'ay  prouué  autre  chofe  par 
l'exemple  de  la  cire,  finon  que  la  couleur,  la  dureté,  la  figure,  &c., 
n'appartiennent  point  à  la  raifon  formelle  de  la  cire;  c'eft  à  dire 
qu'on  peut  conceuoir  tout  ce  qui  fe  trouue  neceffairement  dans  la 
cire,  fans  auoir  befoin  pour  cela  de  penfer  à  elles.  le  n'ay  point 
aufli  parle  en  ce  lieu-là  de  la  raifon  formelle  de  l'efprit,  ny  mefmc 
de  celle  du  corps. 

Et  il  ne  fert  de  rien  de  dire,  comme  fait  icy  ce  philofophe,  qu'vne 
penfée  ne  peut  pas  eftre  le  fujet  d'vne  autre  penfée.  Car  qui  a 
iamais  feint  cela  que  luy  ?  Mais  ie  tachcray  icy  d'expliquer  toute  la 
chofe  dont  il  cil  queftion  en  peu  de  paroles. 

227  II  eft  certain  que  la  penfée  ne  peut  pas  ellrc  fans  |  vne  chofe  qui 
penfe,  &  en  général  aucun  accident  ou  aucun  ade  ne  peut  eftre  fans 
vue  fubftance  I  de  laquelle  il  foit  l'ade.  Mais,  d'autiint  que  nous  ne 
connoill'onr.  pas  la  fubftance  immédiatement  par  cUc-mcfme,  mais 
feulement  parce  qu'elle  cil  le  fuict  de  quelques  acles,  il  eft  fort  con- 


176-177.  Troisièmes  Objections.  157 

uenable  à  la  raifon,  &  l'vfage  mefme  le  requiert,  que  nous  apelions 
de  diuers  noms  ces  fubftances  que  nous  connoiffons  eftre  les  fuiets 
de  plufieurs  ades  ou  accidens  entièrement  differens,  &  qu'après 
cela  nous  examinions  fi  ces  diuers  noms  fignifient  des  chofes  diffé- 
rentes, ou  vne  feule  &  mefme  chofe. 

Or  il  )'  a  certains  aéles  que  noijs  apelons  corporels,  comme  la 
grandeur,  la  figure,  le  mouuement,  &  toutes  les  autres  chofes  qui 
ne  peuuent  eftre  conceuës  fans  vne  extenfion  locale,  &  nous  apelons 
du  nom  de  corps  la  fubftance  en  laquelle  ils  refident  ;  &  on  ne  peut  pas 
feindre  que  ce  foit  vne  autre  fubftance  qui  foit  le  fujet  de  la  figure, 
vne  autre  qui  foit  le  fujet  du  mouuement  local,  &c.,  parce  que  tous 
ces  aéles  conuiennent  entr'eux,  en  ce  qu'ils  préfupofent  l'eftenduë. 
En  aprez,  il  y  a  d'autres  ades  que  nous  apelons  inteîleâuels,  comme 
entendre,  vouloir,  imaginer,  fentir,  &c.,  tous  lefquels  conuiennent 
entr'eux  en  ce  qu'ils  ne  peuuent  eftre  fans  penfée,  ou  perception, 
ou  confcience  &  connoilfance  ;  &  la  fubftance  en  laquelle  ils  re- 
fident, nous  difons  que  c'eft  pne  chofe  qui  penfe,  ou  pu  e/prit,  ou  de 
quelque  autre  nom  que  nous  veuillions  l'apeller,  pourueu  que  nous  228 
ne  la  confondions  point  auec  la  fubftance  corporelle,  d'autant  que 
les  aétes  intellectuels  n'ont  aucune  affinité  auec  les  aéles  corporels, 
&  que  la  penfée,  qui  eft  la  raifon  commune  en  laquelle  ils  con- 
uiennent, diffère  totalement  de'l'extenfion,  qui  eft  la  raifon  com- 
mune des  autres. 

Mais,  après  que  nous  auons  formé  deux  concepts  clairs  &  diftinds 
de  ces  deux  fubftances,  il  eft  ayfé  de  connoiftre,  par  ce  qui  a  efté 
dit  en  la  fixiéme  Méditation,  fi  elles  ne  font  qu'vne  mefme  chofe,  ou 
fi  elles  en  font  deux  différentes. 


\  OBJECTION  TROISIÈME. 

Qui  a-t'il^donc  qui  foit  diftingué  de  ma  penfée?  Qui  a-t'il*  que 
l'on  puiffe  dire  eftre  feparé  de  moy-mefme  ? 

Quelqu'vn  répondra  peut-^ftre  à  cette  quejiion  :  le  fuis  diftingué  de 
ma  penfée,  moj'-mefme  qui  penfe  ;  &  quof  qu'elle  ne  foit  pas  à  la  vérité 
feparée  de  moy-mefme,  elle  eft  neantmoins  différente  de  moy  :  de  la 
mefme  façon  que  la  promenade  {comme  il  a  efté  dit  cy-dejfùs)  eft  di- 
flinguée  de  celuy  qui  fe  promené.  Que  fi  Monfeur  Des  Cartes  monfire 
que  celuy  qui  entend  &  l'entendement  font  me  mefme  chofe,  nous  tom- 

.a.  Sicpcur  Qu'y  8i-V\\{i",  2' et  3' édit.).  —  De  même  p.  i38,1.8etii. 


1^8  Œuvres  de  Descartes.  »77-'78. 

229  berons  dans  celte  façon  de  parler  fcholajtiquc  :  ren\lendement  entend, 
la  l'eiie  roîd,  la  volonté  7'eut  ;  &  par  vnc  ju/îe  analogie,  la  promenade, 
ou  du  moins  la  faculté  de  fe  promener,  fe  pj^omener  a  :  toutes  le/quelles 
chofes  font  obfcuî^es,  impropres,  ^  tres-indignes  de  la,  netteté  ordi- 
naire de  Monfeur  Des  Cartes. 

Réponse. 

le  ne  nie  pas  que  moy,  qui  penfe,  fois  diftingué  de  ma  penfée, 
comme  vne  choie  l'eft  de  fon  mode  ;  mais  où  ie  demande  :  qui  a- 
t-ildonc  qui  foit  dijîingué  de  ma  penfée?  i'entens  cela  des  diuerfes 
façons  de  penfer,  qui  font  là  énoncées,  &  non  pas  de  ma  fubftance  ; 
&  où  i'adioute  :  qui  a-t-il  que  l'on  puiJJ'e  dire  ejire  feparé  de  moy- 
mefme?  ie  veux  dire  feulement  que  toutes  ces  manières  de  penfer, 
qui  font  en  moy,  ne  peuuent  auoir  aucune  exiftence  hors  de  moy  : 
&  ie  ne  voy  pas  qu'il  y  ait  en  cela  aucun. lieu  de  doute,  ny  pour- 
quoy  l'on  me  blâme  icy  d'obfcurité. 


OBJECTION  QVATRIÉME. 

Il  faut  donc  que  ie  demeure  d'accord  que  ie  ne  fçaurois  pas  mefme 
conceuoir  par  l'imagination  ce  que  c'eft  que  cette  cire,  &  qu'il  n'y^ 
a  que  mon  entendement  feul  qui  le  conçoiue. 

\Ilj'  a  grande  différence  entre  imaginer,  c'efi  à  dire  auoir  quelque 
230  idée,  &  conceuoir,  de  l'entende\ment,  c'ejl  à  dire  conclure,  en  j^aifon- 
nant,  que  quelque  chofe  ejî  ou  exifle;  mais  Monfeur  Des  Cartes  ne 
nous  a  pas  expliqué  en  quoj-  ils  différent.  Les  anciens  Peripateticiens 
ont  auffi  ejifeigné  aJ[e-{  clairement  que  la  fubjîance  ne  s' aperçoit  point 
par  lesfens,  mais  qu'elle  fe  collige  par  la  raifon. 

Que  dirons-nous  maintenant,  f  peut-ejtre  le  raifonnement  n'ejï  ?^ien 
autre  chofe  qu'vn  affemblage  &  enchaifnement  de  noms  par  ce  mot  eft? 
D'oii  il  s'enfuiuroit  que,  par  la  raifon,  nous  ne  concluons  rien  du  tout 
touchant  la  nature  des  chofes,  mais  feulement  touchant  leurs  apella- 
tions,  c'eft  à  dire  que,  par  elle,  nous  voyons  Jimplementjî  nous  ajfem- 
blons  bien  ou  mal  les  noms  des  chofes,  félon  les  conuentions  que  nous 
auons  faiter  à  nofîrefantaifie  louchant  leurs  fgnijications.  Si  cela  ejt 
ainji,  comme  il  peut  ejî-e,  le  raifonnement  dépendra  des  noms,  les  noms 
de  l'imagination,  &  l'imagination  peut-efire  {&  cecy  félon  mon  fenti- 
ment)  du  mouuement  des  organes  corporels;  &  ainfi  l'efprit  ne  fera  rien 
autre  chofe  qu'vn  mouuement  en  certaines  parties  du  corps  organique. 


,7«-,7ç,.  Troisièmes  Objections.  I59 


Réponse. 

l'ay  expliqué,  dans  la  leconde  Méditation,  la  différence  qui  eft 
entre  l'imagination  i^  le  pur  concept  de  l'entendement  ou  de  l'ef- 
prit,  loriqu'en  l'exemple  de  la  cire  i'ay  fait  voir  quelles  font  les 
chofes  que  nous  imaginons  en  elle,  &  quelles  font  cel|les  que  nous  231 
conccuons  par  le  feul  entendement  ;  mais  i'ay  encore  expliqué  ail- 
leurs comment  nous  entendons  autrement  vne  chofe  que  nous  ne 
l'imaginons,  en  ce  que,  pour  imaginer,  par  exemple,  vn  pentagone, 
il  eft  befoin  d >ne  particulière  contention  d'efprit  qui  nous  rende 
cette  figure  (c'elt  à  dire  les  cinq  coflez  &  l'efpace  qu'ils  renferment) 
Comme  prefente,  de  laquelle  nous  ne  nous  i'eruons  point  pour  con- 
ceuoir.  Or  l'affcmblage  qui  fe  fait  dans  le  raifonnement  n'efl  pas 
ccluy  des  noms,  mais  bien  celuy  des  choies  fignifiées  par  les 
noms  ;  &  ie  m'étonne  que  le  contraire  puille  venir  en  l'efprit  de 
perfonne. 

Car  qui  doute  qu'vn  François  |  &  qu'vn  Alleman  ne  puiffent  auolr 
les  mefmes  penlées  ou  railbnnemens  touchant  les  mefmes  chofes, 
quoy  que  ncantmoins  ils  conçoiuent  des  mots  entièrement  differens? 
El  ce  philolophc  ne  fecondamne-t-il  pas  luy-mefme,  lorfqu'il  parle 
des  conueniions  que  nous  auons  faites  à  nolire  fantaifie  touchant 
la  lignification  des  mots?  Car  s'il  admet  que  quelque  chofe  ell  figni- 
fiée  par  les  paroles,  pourquoy  ne  veut-il  pas  que  nos  difcours  & 
raifonnemens  foyent  plultofl  de  la  chofe  qui  ell  fignifiée,  que  des 
paroles  feules  ?  Et  certes,  de  la  mefme  façon  &  aucc  vne  aufîi  iufte 
raii'on  qu'il  conclut  que  l'efprit  efl  vn  mouuement,  il  pouroit  aufîi 
conclure  que  la  terre  eft  le  ciel,  ou  telle  autre  chofe  qu'il  luy  plaira  ; 
pource  qu'il  n'y  a  point  d'autres  chofes  au  |  monde,  entre  lefquelles  232 
il  n^y  ait  autant  de  conuenance  qu'il  y  en  a  entre  le  mouuement 
&  l'efprit,  qui  font  de  deux  genres  entièrement  differens. 


OBIECTION  CINQVIÈMË. 

Xjuelques  vnes  d'entre  elles  {à  fçaiioir  d'entre  les  pétijees  des     Sur  i.a  TuoisiéMs 
hommes)  font  comme  les  images  des  chofes,  aufquelles  feules  con-  M -ditation. 

uient  proprement  le  nom  d'idée,  comme  lorfquc   ie   penfe  à  vn  ^<?  -D»*"' 

homme,  à  vn(e)  chytnere,  au  ciel,  à  vn  Ange,  ou  à  Dieu. 

Lorfque  ie  penfe  à  vn  homme,  ie  me  i^cpvefente  vne  idée  ou  vne 
image  compofée  de  couleur  &  de  jifçure,  de  laquelle  ie  puis  douter  Jî 


140  OEUVRES,  DE  Descartes.  179-180. 

elie  a  la  rejjemb lance  d'vn  homme,  ou  Ji  elle  ne  l'a  pas.  Il  en  ejt  de 
me/me,  lorfque  ie  penfe  au  ciel.  Lovfq'ue  ie penfe  à  vue  chymere,  te  me 
reprefente  vne  idée,  ou  vue  image,  de  laquelle  ie  puis  douter  Ji  elle  ejl 
le pourtrait  de  quelque  animal  qui  n'exijîe  point,  mais  qui puijje  ejtre, 
ou  qui  ait  ejlé  autrefois,  ou  bien  qui  n'ait  iamais  ejlé. 

Et  lorfque  quelqu'un  penfe  à  vu  Ange,  quelquesfois  l'image  d'vne 
jjjg  flamme  fe  pref ente  à  fon  efprit,  &  quelquesfois  celle  d'vn  jeune,  en^ 
fant  qui  a  des  aijles,  de  laquelle  ie  penfe  pouuoir  dire  auec  j  certi- 
tude qu'elle  n'a  point  la  rejjemblance  d'vn  Ange,  &  partant,  qu'elle 
n'e^'  point  l'idée  d'vn  Ange;  mais,  croyant  qu'il  y  a  des  créatures 
inuifibles  &  immatérielles,  qui  fonty  les  minières  de  Dieu,  nous  don* 
nous  à  vne  choje  que  nous  croyons  oufupofons,  le  nom  d'Ange,  quoy 
que  neantmoins  l'idée  fou\  laquelle  i' imagine  vn  A  nge  foit  compofée 
des  idées  des  chofes  vif  blés. 

Il  en  ef  de  mefme  du  nom  j'enerable  de  Dieu,  de  qui  nous  n'auons 
aucune  image  ou  idée  ;  c'ejî  pourquoy  on  nous  défend  de  l'adorer  fou^ 
vne  image,  de  peur  qu'il  ne  nous  femble  que  nous  conceuions  celuy 
qui  eji  inconceuable. 

Nous  n'auons  donc  point  en  nous,  ce  femble,  aucune  idée  de  Dieu; 
mais  tout  ainfi  qu'vn  aueugle-né,  qui  s'ef  plufeurs  fois  aproché  du 
feu  &  qui  en  afenti  la  chaleur,  reconnoijl  qu'il  y  a  quelque  chofe  par 
quoy  il  a  ejlé  échaufé,  &,  entendant  dire  que  cela  s'appelle  du  feu, 
conclut  qu'il  y  a  du  feu,  &.neantmoins  n'en  connoijt  pas  la  fgure  ny 
la  couleur,  &  n'a,  à  vi-ay  dire,  aucune  idée,  ou  image  du  feu,  qui  fe 
prefente  à  fon  efprit*;  de  mefme  l'homme,  voyant  qu'il  doit  y  auoir 
quelque  caufe  defes  images  ou  defes  idées,  <S'-  de  cette  caufe  vne  autre 
première,  &  ainf  dejuite,  eJt  enjin  conduit  à  vnefn,  ou  à  vne  Juppo^ 
Jition  de  quelque  caufe  éternelle,  qui,  pource  qu'elle  n'a  iamais  com- 
234  mancé  d'ejlre;  ne  peut  auoir  de  caufe  qui  la  précède,  ce  qui  fait  qu'il 
conclut  ne\cejj  ai  renient  qu'il  y  a  vn  ejtre  éternel  qui  cxijle  ;  ô-  néant- 
moins  il  n'a  point  d'idée  qu'il puijfe  dire  ejlre  celle  de  cet  ejire  éternel, 
mais  il  nomme  ou  appelle  du  nom  de  Dieu  celle  choj'e  que  laj'oy  ou  fa 
raifon  luy  perfuade. 

Maintenant,  d'autant  que  de  celte  fuppojition,  à  Jçauoir  que  nous 
auons  en  nous  l'idée  de  Dieu,  Monfienr  Des-Cartes  vient  à  la  prenne 
de  ce  théorème  :  que  Dieu  {c'ejt  à  dire  vn  eJtre  tout  puijfant,  tres-fage, 
Créateur  de  rVniuers,  dV.)  exiilc,  //  a  deu  mieux  expliquer  celte  idée 
de  Dieu,  &  de  là  en  conclure  non  J'eulement  fon  exijlence,  mais  aujjt 
la  création  du  monde. 

a.  A  la  ligne  (r*,  2'  et  3*  édit.). 


i8i-i8a.  Troisièmes  Objections.  141 


I  Réponse. 

Par  le  nom  d'idée,  il  veut  feulement  qu'on  entende  icy  les  images 
des  chofes  matérielles  dépeintes  en  la  fantaifie  corporelle  ;  &  cela 
eftant  fupofé,  il  luy  èft  aifé  de  monftrer  qu'on  ne  peut  auoir  aucune 
propre  &  véritable  idée  de  Dieu  ny  d'vn  Ange  ;  mais  i'ay  Ibuuent 
auerti,  &  principalement  en  ce  lieu-là  mefme,  que  ie  prens  le  nom 
d'idée  pour  tout  ce  qui  eft  conceu  immédiatement  par  l'efprLt  :  en 
forte  que,  lorfque  ie  veux  &  que  ie  crains,  parce  que  ie  conçoy  en 
mefme  temps  que  ie  veux  &  que  ie  crains,  ce  vouloir  &  cette  crainte 
font  mis, par  moy  au  nombre  des  idées;  &  ie  me  fuis  ferui  de  ce 
nom,  parce  qu'il  eftoit  défia  communément  receu  par  les  philo- 
fophes,  pour  |  fignifier  les  formes  des  conceptions  de  l'entende-  235 
ment  diuin,  encore  que  nous  ne  reconnoiiïions  en  Dieu  aucune  fan- 
taifie ou  imagination  corporelle;  &  ie  n'en  fçauois  point  de  plus 
propre.  Et  ie  penfe  auoir  alfez  expliqué  l'idée  de  Dieu,  pour  ceux 
qui. veulent  conceuoir  le  fens  que  ie  donne  à- mes  paroles;  mais 
pour  ceux  qui  s'attachent  à  les  entendre  autrement  que  ie  ne  fais, 
ie  ne  le  pourois  iamais  affez.  Enfin,  ce  qu'il  adioute  icy  de  la  créa- 
tion du  monde,  eft  tout  afFait  hors  de  propos  ;  car  i'ay  prouué  que 
Dieu  exifte,  auant  que  d'examiner  s'il  y  auoit  vn  monde  créé  par 
fuy,  &  de  cela  feul  que  Dieu,  c'eft  à  dire  vn  eftre  fouuerainement 
puilTant,  exifte,  il  fuit  que,  s'il  y  a  vn  monde,  il  doit  auoir  efté  créé 
par  luy. 

OBIECTION  SIXIÈME. 

Mais  il  y  en  a  d'autres  {àfçauoir  d'autres  penfées)  qui  contiennent 
de  plus  d'autres  formes  :  par  exemple,  lorfque  ie  veux,  que  ie 
crains,  que  i'aflirmc,  que  ie  nie,  ie  conçoy  bien,  à  la  vérité,  toufiours 
quelque  chofe  comme  le  fujet  de  l'adion  de  mon  efprit,  mais  i'ad- 
ioute  aulfi  quelque  autre  chofe  par  cette  adion  à  l'idée  que  i'ay  de 
cette  chofe-là;  &  de  ce  genre  de  penfées,  les  vnes  font  apelées 
volontez  ou  affedions,  &  les  autres  iugcmens. 

\Lorfque  quelqu'vn  veut  ou  craint,  il  a  bieu,  à  la  veritê„  l'image  de 
la  chofe  qu'il  craint  &  de  l'aâion  \  qu'il  reul;  maisqu'ejt-ce  que  celuy     236 
qui  veut  ou  qui  craint,  embrajfe  de  plus  par  fa  penfée,  cela  n'eft  pas 
icy  expliqué.  Et  quof  qu'à  le  bien  prendre  la  crainte  foit  vue  penfée, 
ie  ne  voy  pas  comment  elle  peut  efïre  autre  que  la  penfée  ou  l'idée  de 


t42  Œuvres  de  Descartes.  <  182-183. 

la  choj'e  que  l'on  craint.  Car  qu'ejf-ce  autre  chofe  que  la  crainte  d'vn 
lion  qui  s'auance  vej's  nous,  finon  Vidée  de  ce  lion,  &  Veffed  .{qu'pnè 
telle  idée  engendre  dans  le  cœur)  par  lequel  celuy  qui  craint  eji  porté 
à  ce  mouuement  ani?nal  que  nous  apelons  fuite  ?  Maintenant  ce  mou- 
•  uement  de-fuite  n'ejl  pas  vue  penfée';  &  partant,  il  7-eJîe  que,  da^is  la 
crainte,  il  n'jr  a  point  d'autre  penfée^  que  celle  qui  confjie  en  la  rejfem- 
b lance  de  la  chofe  que  l'oit  craint.  Le  mefme  fe  peut  dire  aujfi  de  la 
volonté. 

Dauantage,  l affirmation  &  la  négation  ne  fe  font  point  fans  pa^ 
rôle  &  fans  noms  ;  d'oii  vient  que  les  bejles  ne  peuuent  ?^ien  affirmer 
Hf  nier,  non  pas  mefme  par  la  penfée,  &  partant,  ne  peuuent  auffi. 
faire  aucun  iugement.  •  Et  neantmoins  la  penfée  peut  eflre  femblable 
dans  vn  homme  &  dans  vne  bejle;  car,  quand  nous  affirmons  qu'vn 
homme  court,  nous  n'auons  point  d' autre  penfée  que  celle  qu'a  vn  chien 
qui  voit  courir  fon  maijire,  &  partant,  l'affirmation  &  la  négation 
n'adioutént  rien  aux  fmples  penfées,  fi  ce  nejt  peut-ejlre  la  penfée 
que  les  noms,  dont  l'affirmation  ejl  compofée,  font  les  noms  de  la 
chofe  mefme  qui  ejt  en  l'efprit  de  celuj"  qui  affirme;  &  cela  n'ejl  rien 
237  autre  chofe  \  que  comprendre  par  la  penfée  la  reffemblance  de  la 
chofe,  mais  cette  reffemblance  deux  fois. 

Réponse. 

Il  eft  de  foy  tres-euident,  que  c'eft  autre  chofe  de  voir  vn  lion, 
&  enfemble  de  le  craindre,  que  de  le  voir  feulement;  &  tout  de 
merme,  que  c'cll  autre  chofe  de  voir  vn  homme  qui  court,  que  d'af- 
furerl  qu'on  le  void.  Et  ie  ne  remarque  rien  icy  qui  ait  befoin  de 
réponfe  ou  d'explication. 

OBlECriON  SEPTIÈME. 

Il  me  refte  feijlement  à  examiner  de  quelle  façon  i'ay  acquis-cette 
idée;  car  ie  ne  I'ay  point  receuii  par  les  fens,  &  iamais  elle  ne  s'eft 
offerte  à  moy  contre  mon  attente,  comme  font  les  idées  des  chofes 
fenfibles,  lorfque  ces  chofes  fe  prefentent  au.\  organes  extérieurs 
de  mes  fens,  ou  qu'elles  femblent  s'y  prefenter.  Elle  n'ell  pas  aufli 
vne  pure  production  ou  fidion  de  mon  efprit,  car  il  n'ell  pas  en  mon 
pouuoir  d'y  diminuer,  ny  d'y  adiouter  aucune  chofe  ;  &  partant, 
il  ne  relie  plus  autre  chofe  à  dire,  finon  que,  comme  l'idée  de  moy- 
mefme,  elle  crt  née  &  produite  auec  moy,  dez  lors  que  i'ay  efté  cre<i. 


i83-i84.  Troisièmes  Objections.  14} 

S'il  n'y  a  point  d'idée  de  Dieu  [or  on  ne  prouue  point  qu'il  j  en 
ait),  comme  il  femble  quil  nj'  en  a  point,  toute  cette  recherche  eji 
inutile.  Da\ùantage  Vidée  de  mof -me/me  me  vient  [fi  on  regarde  le  238 
corps)  principalement  de  la  veïie;  {fi  Vame)  nous  nen  auons  aucune 
idée;  mais  la  raifon  nous  fait  conclure  quilf  a  quelque  chofe  de  ren- 
fermé dans  le  corps  humain,  qui  luj^donne  le  mouuement  animal  par 
lequel  il Jent  &  fe  meut;  &  cela,  quoy  que  ce  f oit,  fans  aucune  idée, 
nous  l'apelons  ame. 

Réponse. 

S'il  y  a  vne  idée  de  Dieu  (comme  il  eft  manifefte  qu'il  y  en  a 
vne),  toute  cette  obiedion  ell  renuerlée;  &  lorfqu'on  adioute  que 
nous  n'auons  point  d'idée  de  l'ame,  mais  qu'elle  le  collige  par 
la  raifon,  c'ell  de  mefme  que  fi  on  difoit  qu'on  n'en  a  point  d'image 
dépeinte  en  la  fantaifie,  mais  qu'on  en  a  neantmoins  cette  notion 
que  iufques  icy  i'ay  apelé  du  nom  d'idée. 


I  OBIEC  TION  H  VI TJEME. 

Mais  l'autre  idée  du  Soleil  ell  prife  des  raifons  de  l'Altronomie, 
c'eil  à  dire  de  certaines  notions  qui  l'ont  naturellement  en  moy. 

Il  femble  qu'il  ne  puiffey  auoiren  mefme  temps  qu'une  idée  du  Soleil, 
foit  qu'il  foit  veiï  par  les  feux,  fait  qu'il  foit  conceu  par  le  raifonne- 
ment  e/lre  plu  \fteurs  fois  plus  grand  qu'il  ne  paroifi  à  la  veuë;  car  239 
cette  dernière  n'ejl  pa»  l'idée  du  Soleil,  mais  me  confequence  de  nojire 
raifonnemeut,  qui  nous  aprend  que  l'idée  du  Soleil feroit  plufieurs  fois 
plus  grande,  s'il  ejloil  regardé  de  beaucoup  plus  pre^.  Il  ejl  vray  qu'en 
diuers  temps  il  peut  y  auoir  diuerfes  idées  dr  Soleil,  comme  ft  en  vn 
temps  il  ejl  regardé  feulement  auec  les  yeux,  €■  en  l'n  autre  auec  me 
lunette  d'aproche  ;  mais  les  raifons  de  l'Ajlronomie  ne  rendent  point 
l'idée  du  Soleil  plus  grande  ou  plus  petite,  feulement  elles  nous  en- 
feignent  que  l'idée  fenjtb le  du  Soleil  ^  trompeufe. 

Réponse. 

Derechef,  ce  qui  eit  dit  icy  n'eltre  point  l'idée  du  Soleil,  &  neant- 
moins ell  décrit,  c'eft  cela  mefme  que  i'appelle  idée.  Et  pendant  que 
cephilofophe  ne  veut  pas  conuenir  auec  moy  de  la  fignification  des 
Tiots,  il  ne  me  peut  rien  obiecter  qui  ne  foit  friuole. 


144  OEyvRES  pe  Descartes.  184.185. 


OBJECTION  NEVFIÉME. 

Car  il  èft  certain  que  les  idées  qui  me  reprefentent  des  fubftances 

.  font  quelque  choie  de  plus,  &,  pour  ainfi  dire,  ont  plus  de  realité 

obiediue,  que  celles  qui  me  Teprefentent  feulement  des  modes  oii 

240  accidens  ;  &  derejchef  celle  par  laquelle  ie  conçoy  vn  Dieu  fou- 
uerain,  éternel,  |  infiny,  tout  connoiffant,  tout  puiflant,  &  créateur 
vniuerfel  de  toutes  les  choies  qui  font  hors  de  luy,  a  fans  doute  en 
foy  plus  de  realité  obiediue  que  celles  par  qui  les  fubftances  finies 
me  font  reprefentces. 

l'ay  défia  plufieurs  fois  remarqué  cy-deuant  que  nous  nauons  au- 
cime  idée  de  Dieii  ny  del'ame;  i'adioute  maintenant:  nyde  lajubjiance; 
car  i'auouë  bien  que  la  fub/lance,  en  tant  quelle  cjt  vue  matière  ca^- 
pable  de  receuoir  diuers  accidens,  &  qui  ejl  fujette  à  leurs  change- 
meus,  eJl  aperceuë  &  prouuée  par  le  raifonnement  ;  mais  neantmoins 
elle  n'eji  point  conceuë,  ou  nous  n'en  auons  aucune  idée.  Si  cela  ejl 
vray,  comment  peul-on  dire  que  les  idées  qui  nous  reprefentent  des' 
fubjlances,  font  quelque  chofe  de  plus  &  ont  plus  de  realité  obieâiue, 
que  celles  qui  nous  reprefentent  des  accidens  ?  Dauantage,  que  Mon- 
fieur  Des-Carles  confidere  derechef  ce  qu'il  veut  dire  par  ces  mots, 
ont  plus  de  realité.  La  réalité  reçoit-elle  le  plus  (S*  le  moins?  Ou,  s'il 
penfe  qu'vne  chofe  foit plus  chofe  qu'vne  autre,  i)u'il  confidere  comment 
il  ejl  pojjtble  que  cela  puijfe  ejire  expliqué  auec  toute  la  clarté  &  l'eui- 
dence  qui  ejl  requije  en  vue  démonjîration,  &  auec  laquelle  il  a  plu- 
fieurs fois  traitté  d'autres  matières. 

241  I  Réponse. 

l'ay  plufieurs  fois  dit  que  i'apelois  du  nom  d'idée  cela  mefme 
que  la  raifon  nous  fait  connoiOre,  comme  auffi  toutes  les  autres 
chofes  que  nous  conceuons,  de  quelque  façon  que  nous  les  conce- 
uions.  Et  i'ay  fufifamment  expliqué  comment  la  realité  reçoit  le  plus 
&lemoins,cndifantque  la  fubftanceellquelque  chofe ue  plus  que  le 
mode,  ^c  que,  s'il  y  a  des  qualités  réelles  ou  des  fubftances  incom- 
plètes, elles  font  aulTi  quelque  chofe  de  plus  que  les  modes,  mais 
quelque  chofe  de  moins  que  les  fubftances  complètes  ;  &  enfin  que, 
s'il  y  a  vnc  fubilance  infinie  &  indépendante,  cette  fubftancc  eft  plus 
chofe,  ou  a  plus  de  réalité,  c'ell  à  dire  participe  plus  de  l'eftre  ou  de 
la  chofe,  que  la  fubftancc  finie  &  dépendante.  Ce  qui  eft  de  foy  fi  ma- 
niTeftc,  qu'il  n'cll  pas  bcfoin  d'y  aporter  vnc  plus  ample  explication. 


i86.i87.  Troisièmes  Objections.  14^ 


[OBJECTION  DIXIÈME. 

Et  partant,  il  ne  refte  que  la  feule  idée  de  Dieu,  dans  laquelle 
il  faut  confiderer  s'il  y  a  quelque  chofe  qui  n'ait  peu  venir  de  moy- 
mefme.  Par  le  nom  de  Dieu,  i'entens  vne  fubftance  infinie,  indé- 
pendante, fouuerainement  intelligente,  fouuerainefnerit  puiffante, 
&  par  laquelle  tant  |  moy  que  tout  ce  qui  eft  au  monde,  s'il  y  a  242 
quelque  monde,  a  efté  créé.  Toutes  lefquelles  chofes  font  telles 
que,  plus  i'y  penfe,  &  moins  me  femblent-elles  pouuoir  venir  de 
moy  feul.  Et  par  confequent  il  faut  conclur*  neceffairement  de  tout 
ce  qui  a  efté  dit  cy-deuant,  que  Dieu  exifte. 

Conjiderant  les  attributs  de  Dieu,  afin  que  de  là  nous  en  ayons  l'idée, 
&  que  nous  voyions  s'il  y  a  quelque  chofe  en  elle  qui  n'ait  peu  venir  de 
nous-mefmes,  ie  trouue,  fi  ie  ne  me  trompe,  que  ny  les  chofes  que  nous 
:onceuons  par  le  nom  de  Dieu  ne  viennent  point  de  nous,  ny  qu'il  n'efi 
pas  .neceffaire  qu'elles  viennent  d'ailleurs  que  des  obiets  extérieurs. 
Car,  par  le  nom  de  Dieu,  i'entens  vne  fubftance,  c'efi  à  dire  i'entens 
que  Dieu  exifie  {non  point  par  aucune  idée,  mais  par  le  difcours)  ; 
infinie  {c'efi  à  dire  que  ie  ne  puis  conceuoir  ny  imaginer  fes  termes 
ou  de  parties  fi  éloignées,  que  ie  n'en  puiffe  encore  imaginer  de  plus 
reculées)  :  d'oii  il  fuit  que  le  nom  ff 'infini  ne  nous  fournit  pas  l'idée 
de  l'infinité  diuine,  mais  bien  celle  de  mes  propres  termes  &  limites  ; 
indépendante,  c'efi  à  dire  ie  ne  conçoy  point  de  caufe  de  laquelle  Dieu 
puiffe  venir  :  d'oii  ilparoifi  que  ie  n'ay  point  d'autre  idée  qui  réponde 
à  ce  nom  ^'indépendant,^;/©//  la  mémoire  de  mes  propres  idées,  qui 
ont  toutes  leur  commencement  en  diuer$  temps,  &  qui  par  confequent 
font  dépendantes. 

C'efi  pour quoy,  dire  que  Dieu  efi  indépendant,  ce  n'efi  rien\dire 
autre  chofe,  finon  que  Dieu  efi  du  j  nombre  des  chofes  dont  ie  ne  puis  243 
imaginer  l'origine;  tout  ainfi  que,  dire  que  Dieu  efi  infini,  c'efi  de 
mefme  que  fi  nous  difions  qu'il  efi  du  nombre  des  chofes  dont  nous  ne 
conceuons  point  les  limites.  Et  ainfi  toute  l'idée  de  Dieu  efi  réfutée; 
car  quelle  efi  cette  idée  qui  efi  fans  fin  6"  fans  origine? 

Souuerainement  intelligente.  le  demande  icy  par  quelle  idée  Mon* 
fieur  Des-Cartes  conçoit  l'intelleâion  de  Dieu. 

Souuerainement  puilïante.  le  demande  auffi  par  quelle  idéefapuif- 
fance,  qui  regarde  les  chofes  futures,  c'efi  à  dire  non  exifiantes,  efi 
entendue'. 

Certes,  pour  moy,  i'entens  la  puijfancc  par  l'image  ou  la  mémoire 
Œuvres.  IV.  lo 


14^  Œuvres  de  Descartes.  187-1  sa. 

des  chofes  pajjees,  en  t^aifonnant  de  cette  forte  :  Il  a  fait  ainfi  ;  donc 
il  a  peu  faire  ainfi  ;  donc,  tant  qu'il  fera  ^  il  pour  a  encore  faire  ainjt, 
c'efl  à  dire  il  en  a  la  puiffance.  Or  toutes  ces  chofes  font  des  idées  qui  . 
peuuent  venir  des  obiets  extérieurs. 

Créateur  de  toutes  les  chofes  qui  font  au  monde.  le  puis  former 
quelque  image  de  la  création  par  le  moyen  des  chofes  que  i^ay  veuës, 
par  exemple,  de  ce  que  i'ay  veu  vn  homme  naijfant,  &  qui  eft  paruenu, 
d'vne  petitejfe  prejque  inconceuable,  à  la  forme  &  grandeur  qu'il  a 
maintenant;  &  perfonne,  à  mon  auis,  n* a  d'autre  idée  à  ce  nom  de 
Créateur  ;  mais  il  ne  fuffit  pas,  pour  prouuer  la  création,  que  nous 
puiffions  imaginer  le  monde  créé.  , 

244  I  C'efl  pourquof,  encore  qu'on  eufi  démontré  qu'jm  eflre  infini,  indé- 
pendant, tout-puiffant,  &c.,  exifle,  il  ne  s'enfuit  pas  neantmoins  qu'vn 
créateur  exifle,  fi  ce  n'efl  que  quelqu'un  penfe  qu'on  infère  fort  bien, 
de  ce  que  quelque  chofe  exifle,  laquelle  nous  crofojis  auoir  créé  toutes 
les  autres  chofes,  que  pour  cela  le  monde  a  autrefois  cfîé  créé  par  elle. 

Dauantage,  oii  il  dit  que  l'idée  de  Dieu  &  de  fioflre  ame  \  efl  née  & 
refidente  en  nous,  ie  voudrois  bien  fçauoir  fi  les  âmes  de  ceux-là 
penfent,  qui  dorment  profondement  &fans  aucune  réuerie.  Si  elles  ne 
penfent  point,  elles  n'ont  alors  aucunes  idées;  &  partant,  il  n'y  a  point 
d'idée  qui  [oit  née  &  refîdante  en  nous,  car  ce  qui  efl  né  &  rejidant  en 
nous,  efl  toufiours  prefent  à  nofire penfée. 

Réponse. 

Aucune  chofe,  de  celles  que  nous  attribuons  à  Dieu,  ne  peut  venir 
des  obiets  extérieurs  comme  d'vne  caufe  exemplaire  :  car  il  n'y  a 
rien  en  Dieu  de  femblabie  aux  chofes  extérieures,  c'eft  à  dire  aux 
chofes  corporelles.  Or  il  èft  manifefte  que  tout  ce  que  nous  conce- 
uons  eftre  en  Dieu  de  diffemblable  aux  chofes  extérieures,  ne  peut 
venir  en  noftre  penfée  par  l'entremife  de  ces  mefmes  chofes,  mais 
feulement  par  celle  de  la  caufe  de  cette  diuerfité,  c'eft  à  dire  de 
Dieu. 

Et  ic  demande  icy  de  quelle  façon  ce  philofophe  tire  l'intelledion 

245  de  Dieu  des  chofes  extérieures  ;  |  car,  pour  moy,  l'explique  aifement 
quelle  eft  l'idée  que  i'en  ay,  en  difant  que,  par  le  mot  d'idée,  i'entens 
tout  ce  qui  eft  la  forme  de  quelque  perception;  car  qui  eft  celuy  qui 
conçoit  quelque  chofe,  qui  ne  s'en  aperçoiue,  &  partant,  qui  n'ait 
cette  forme  ou  idée  de  l'intelledion,  laquelle  étendant  à  l'infini,  il 
forme  l'idée  de  l'intelledion  diuine  ?  Et  ainfi  des  autres  attributs 
de  Dieu. 


188-190.  Troisièmes  Objections.  147 

î^ais,  d'autant  que  ie  me  fuis  ferui  de  l'idée  de  Dieu  qui  eft  en 
nous  pour  démontrer  fon  exiftence,  &  que  dans  cette  idée  vne  puif- 
lance  fi  immenfe  eft  contenue,  que  nous  conceuons  qu'il  répugne 
(s'il  eft  vray  que  Dieu  exifte),  que  quelque  autre  chofe  que  luy 
exifte,  fi  elle  n'a  efté  créée  par  luy,  il  fuit  clairement  de  ce  que  fon 
exiftence  a  efté  démontrée,  qu'il  a  efté  auffi  démontré  que  tout  ce 
monde,  c'eft  à  dire  toutes  les  autres  chofes  différentes  de  Dieu  qui 
exiftent,  ont  efté  créées  par  luy. 

I  Enfin,  lorfque  ie  dis  que  quelque  idée  eft  née  auec  nous,  ou 
qu'elle  eft  naturellement  emprainte  en  nos  âmes,  ie  n'entens  pas 
qu'elle  le  prefente  toujours  à  noftre  penfée,  car  ainfi  il  n'y  en  auroit 
aucune  ;  mais  feulement,  que  nous  auons  en  nous-mefmes  la  faculté 
de  la  produire. 

OBJECTION  ONZIÈME. 

Et  toute  la  force  de  l'argument  dont  i'ay  vfé  pour  prouuer  l'exi- 
ftence  de  Dieu,  confifte  en  ce  que  ie  voy  qu'il  ne  feroit  |  pas  pof-     246 
fible  que  ma  nature  fuft  telle  qu'elle  eft,  c'eft  à  dire  que  i'euffe  en 
moy  l'idée  d'vn  Dieu,  fi  Dieu  n'exiftoit  véritablement,  à  fçauoir  ce 
mefme  Dieu  dont  i'ay  en  moy  l'idée. 

Doiicques,  put/que  ce  n'eji  pas  vne  chofe  démo7itrée  que  nous  ayons 
en  nous  l'idée  de  Dieu,  &  que  la  Religion  Chrejtienm  nous  oblige  de 
croire  que  Dieu  ejï  inconceuable,  c'ejl  à  dire,  félon  mon  opinion,  qu'on 
n'en  peut  auoir  d'idée,  il  s'enfuit  que  V exiftence  de  Dieu  n'a  point  efté 
démontrée,  &  beaucoup  moins  la  cr-eation. 

Réponse. 

Lorfque  Dieu  eft  dit  inconceuable,  cela  s'entend  d'vne  conception 
qui  le  comprenne  totalement  &  parfaitement.  Au  refte,  i'ay  défia 
tant  de  fois  expliqué  comment  nous  auons  en  nous  l'idée  de  Dieu, 
que  ie  ne  le  puis  encore  icy  repeter  fans  ennuyer  les  ledeurs. 

lOBIECTION  DOVZIÉME. 

Et  ainfi    ie  connois  que  l'erreur,  en  tant  que    telle,    n'eft   pas  Sur  la  Quatriémk 
quelque  chofe  de  réel  qui  dépende  de  Dieu,  mais  que  c'eft  feule-  Méditation. 

ment  vn  défaut;  &  partant,  que  ie  n'ay  pas  befoin,  pour  eri-*r,  d.e  Du  vray  S^u  faux. 
quelque  puiltance  qui   m'ait  efté  donnée  de  Dieu  particulièrement 
pour  cet  effed. 


148  OEuvRES  DE  Descartes.  190-191. 

247  I  II  ejt  certain  que  l'ignorance  eji  feulement  tn  défaut,  &  qu'il  n'efl 
pas  befoin  d'aucune  faculté  pofitiue  pour  ignorer  ;  mais,  quant  à  l'er- 
reur, la  chofe  n'efl  pas  fi  manifefîe  :  car  il  femble  que,Ji  les  piérides  & 
les  autres  chofes  inanimées  ne  peuuent  errer,  c'eff  feulement  parce 
qu'elles  n'ont  pas  la  faculté  de  raifonner  ny  d'imaginer  ;  à''  partant,  il 
faut  conclure  que,  pour  eri'er,  il  efî  befoin  d'vn  entendement,  ou  du 
moins  d'vne  imagination,  qui  font  des  facuUei  toutes  deux  pofitiues, 
accordéeis)  à  tous  ceux  qui  errent,  mais  aujjï  à  euxfeuls. 

Dauantage,  Monfieur  Des  Cartes  adioute  :  l'aperçoy  que  mes 
erreurs  dépendent  du  concours  de  deux  caufes,  à  fçauoir,  de  la 
faculté  de  connoiftre  qui  eft  en  moy,  &;  de  la  faculté  d'élire  ou  du 
libre  arbitre,  ce  qui  femble  aiioir  de  la  .contradiâion  auec  les  chofes 
qui  ont  eflé  dites  auparauant.  Oit  il  faut  auffi  remarquer  que  la  liberté 
du  franc-arbitre  efi  fupofée  fans  eflre  prouuée,  quof  que  cette  fupo^ 
filion  foit  contraire  à  l'opinion  des  Caluini/les. 

Réponse. 

Encore  que,  pour  errer,  il  foit  befoin  de  la  faculté  de  raifonner 
(ou  plutoll  de  iuger,  ou  bien  d'affirmer  ou  de  nier),  d'autant  que 
c'en  ert  le  défaut,  il  ne  s'enfuit  pas  pour  cela  que  ce  |  défaut  foit 
réel,  non  plus  que  l'aueuglement  neit  pas  apelé  réel,  quoy  que  les 
Î48  pierres  ne  foyent  pas  |  dites  aueuglcs  pource  feulement  qu'elles  ne 
font  pas  capables  de  voir.  Et  ie  fuis  étonné  de  n'auoir  encore  peu 
rencontrer  dans  toutes  ces  obiections  aucune  confequence,  qui  me 
femblall  eftre  bien  déduite  de  fes  principes. 

le  n'ay  rien  fupofé  ou  auancé,  touchant  la  liberté,  que  ce  que 
nous  rcflentons  tous  les  iours  en  nous-mcfmcs,  &  qui  eft,  tres- 
connu  par  la  lumière  naturelle  ;  &  ie  ne  puis  comprendre  pourquoy 
il  elt  dit  icy  que  cela  répugne,  ou  a  de  la  coniradidion,  auec  ce  qui 
a  clic  dit  auparauant. 

Mais  encore  que  peut-eilre  il  y  en  ait  plulieurs  qui.  lorfqu'ils 
confidcrent  la  préordination  de  Dieu,  ne  peuuent  pas  comprendre 
comment  noilre  liberté  peut  fubfifter  ^  s'accorder  auec  elle,  il  n'v 
a  ncantmoins  perfonne  qui,  fe  regardant  feulement  foy-mefmc,  ne 
rcifenie  N:  n'expérimente  que  In  volonté  ^  la  liberté  ne  font  qu'vne 
mefme  chofe,  ou  plutolt  qu'il  n'y  a  point  de  dilVercnce  entre  ce  qui 
fil  volontaire  ^:  ce  qui  cil  libre.  Et  ce  n'cll  pas  ic\-  le  lieu  d'exa- 
miner quelle  cil  en  cela  l'opinion  des  CaUiinillcs. 


191-192.  Troisièmes  Objections.  149 


OBJECTION  TREIZIÈME. 

Par  exemple,  examinant  ces  iours  palTez  fi  quelque  chofe  exiftoit 
dans  le  monde,  &  prenant  garde  que,  de  cela  feul  que  i'examinois 
cette  queilion,  il  fuiuoit  très  |  euidemment  que  i'exiftois  moy-  849 
mefme,  ie  ne  pouuois  pas  m'empefcher  de  iuger  qu'vne  chofe  que  ie 
conceuois  fi  clairement  eftoit  vraye  ;  non  que  ie  m'y  trouuaffe  forcé 
par  aucune  caufe  extérieure,  mais  feulement  parce  que,  d'vne  grande 
clarté  qui  eftoit  en  mon  entendement,  a  fuiui  vne  grande  inclination 
en  ma  volonté,  &  ainfi  ie  me  fuis  porté  à  croire  auec  d'autant  plus 
de  liberté,  que  ie  me  fuis  trouué  auec  moins  d'indifférence. 

Cette  façon  de  parler,  vne  grande  clarté  dans  l'entendement,  eji 
métaphorique,  &  partant,  n'ejl  pas  propre  à  entrer  dans  vn  argument  : 
or  celuf  qui  \  n'a  aucun  doute,  prétend  auoir  vne  femblable  clarté,  & 
fa  volonté  n'a  pas  vne  moindre. inclination  pour  affirmer  ce  dont  il  n'a 
aucun  doute,  que  celui  qui  a  vne  parfaite  fcience.  Cette  clarté  peut 
donc  bien  ejlre  la  caufe  pourquoy  quelqu'vn  aura  &  deffendra  auec 
opiniâtreté  quelque  opinion,  mais  elle  ne  luy  peut  pas  faire  connoifire 
auec  certitude  quelle  efl  vraye. 

Déplus,  non  feulement  fçauoir  qu'vne  chofe  efl  vraye,  mais  aufji  la 
croire,  ou  luy  donner  fon  adueu  &  confentement,  ce  font  chofes  qui  ne 
dépendent  point  de  la  volonté;  car  les  chofes  qui  nous  font prouuées 
par  de  bons  argumens,  ou  racontées  comme  croyables,  foit  que  nous 
le  veuillions  ou  non,  nous  fommes  contraints  de  les  croire.  Il  efi  bien 
vray  qu'affirmer  ou  nier,  foutenir  ou  réfuter  des  proportions,  ce  font 
des  ades  de  la  volonté;  mais  il  ne  s'enfuit  .pas  que  le  con\fentement  250 
â"  l'adueu  intérieur  dépende  de  la  volonté. 

Et  partant,  la  conclufon  qui  fuit  n' efi  pas  fuffamment  démontrée  : 
Et  c'eft  dans  ce  mauuais  vfage  de  noftre  liberté,  que  confifte  cette 
priuation  qui  conftituë  la  forme  de  l'errevjr. 

Réponse. 

Il  importe  peu  que  cette  façon  de  parler,  vne  grande  clarté,  foit 
propre,  ou  non,  à  entrer  dans  vn  argument,  pourueu  qu'elle  foit 
propre  pour  expliquer  nettement  noftre  penfée,  comme  elle  eft  en 
effeft.  Car  il  n'y  a  perfonne  qui  ne  fçache  que  par  ce  mot,  tnie 
clarté  dans  l'entendement,  on  entend  vne  clarté  ou  perfpicuité  de 
cônnoiffance,  que  tous  ceux-là  n'ont  peut-eftre  pas,  qui  penfent 
l'auoir  ;  mais  cela  n'empefche  pas  qu'elle  ne  diffère  beaucoup  d'vne 


251 


MO 


Œuvres  de  Descartes. 


193-194. 


opinion  obllinée,  qui  a  çfté  conceuë  fans  vne  euidente  perception. 
Or,  quand  il  eft  dit  icy  que,  foit  que  nous  voulions,  ou  que  nous 
ne  voulions  pas,  nous  donnons  noftre  créance  aux  chofes  que  nous 
conceuons  clairement,  c'eft  de  mefme  que  fi  on  difoit  que,  foit  que 
nous  voulions,  ou  que  nous  ne  voulions  pas,  nous  vouions  &  defi- 
rons  les  chofes  bonnes,  quand  elles  nous  font  clairement  connues; 
car  cette  façon  de  parler, /o/7  que  nous  ne  voulions  pas ^  n'a  point  de 
lieu  en  telles  occafions,  parce  qu'il  j  y  a  de  la  contradidion  à  vou- 
loir &  ne  vouloir  pas  vne  mefme  chofe. 


\  OBJECTION    QVATÔRZIÉME. 


ScR  LA  Cinquième 
Méditation. 

De  l'ejfence 

des 

chofes  corporelles. 


252 


Comme,  par  exemple,  lorfque  i'imagine  vn  triangle,  encore  qu'il 
n'y  ait  peut-eftre  en  aucun  lieu  du  monde  hors  de  ma  penfée  vne  telle 
figure,  &  qu'il  n'y  en  ait  iamais  eu,  il  ne  laiffe  pas  neantmoins  d'y 
auoir  vne  certaine  nature,  ou  forme,  ou  effence  déterminée  de  cette 
figure,  laquelle  eft  immuable  &  éternelle,  que  ie  n'ay  point  inuentée, 
&  qui  ne  dépend  en  aucune  façon  de  mon  efprit,  comme  il  paroift 
de  ce  que  l'on  peut  démontrer  diuerfes  proprietez  de  ce  triangle. 

S'il  n'y  a  point  de  triangle  en  aucun  lieu  du  monde,  ie  ne  puis  com- 
prendre comment  il  a  vne  nature;  car  ce  qui  n'eji  nulle  part,  n'eji 
point  du  tout,  &  n'a  donc  point  aujfi  d'ejire  ou  de  nature.  L'idée  que 
nojlre  efprit  conçoit  du  triangle,  vient  d'vn  autre  triangle  que  nous 
auons  veu,  ou  inuenté/ur  les  chofes  que  nous  auons  veuës  ;  mais  depuis 
qu'vnefois  nous  auons  apelé  du  nom  de  triangle  la  chofe  d'où  nous 
penfons  que  l'idée  du  triangle  tirefon  origine,  encore  \  que  cette  chofe 
periffe,  le  nom  demeure  touftours.  De  mefme,  Ji  nous  auons  vne  fois 
conceu  par  la  penfée  que  tous  les  angles  d'vn  triangle  pris  enfemble 
font  égaux  à  deux  droits,  &  que  nous  ayons  donné  cet  autre  nom  au 
triangle  :  qu'il  eft  vne  chofe  qui  a  trois  angles  égaux  à  dfeux  droits, 
quand  il  n'y  auroit  au  monde  aucun  triangle,  le  nom  neantmoins  ne 
laifferoit  pas  de  demeurer.  Et  ainfi  la  vérité  de  'cette  propofition  fera 
éternelle,  que  le  triangle  eft  vne  chofe  qui  a  trois  angles  égaux  à  deux 
droits;  mais  la  nature  du  triangle  ne  Jer  a  pas  pour  cela  éternelle,  car 
s'il  arriuoit  par  ha:{ard  que  tout  triangle  généralement  perifl,  elle 
ceffcroil  d'eflre. 

De  mefme  cette  propofition,  l'homme  eft  vn  an'\mai\,fera  vraye  éter- 
nellement, à  caufe  des  noms  éternels;  mais,  fupofé que  le  genre  humain 
fut  ancant/,  il  n'f  auroit  plus  de  nature  humaine, 

\D^oii  il  efl  euident  que  V  effence,  en  tant  quelle  eft  diflinguée  de  l'exi- 


194-195- 


Troisièmes  Objections. 


M 


Jience,  n'ejl  rien  autre  chofe  qu'vn  ajfemblage  de  noms  par  le  verbe  ell  ; 
&  partant j  V ejfence  fans  l'exijience  ejl  vne  Jîâion  de  nojîre  efprit.  Et 
il  femble  que,  comme  l'image  de  l'homme  qui  ejî  dans  l'efprit  ejî  à 
l'homme,  ainjt  l'effence  ejî  à  Vexiftence;  ou  bien,  comme  cette  propo- 
Jition,  Socrate  eft  homme,  ejl  à  celle-cy,  Socrate  eft  ou  exifte,  ainfi 
V ejfence  de  Socrate  ejî  à  l'exijience  du  mejme  Socrate.  Or  cecjr, 
Socrate  eft  homme,  quand  Socrate  n'exijîe  point,  ne  Jîgnijîe  autre 
choje  qu'vn  ajfemblage  de  noms,  &  ce  mot  eft  ou  eftre  a  \  Jou\  Joy 
l'image  de  l'vnité  d'vne  chofe,  qui  ejî  defignée  par  deux  noms. 


253 


Réponse. 

La  diftinélion  qui  eft  entre  l'efl'ence  &  Texiftence  eft  connu(f  de  tout 
le  monde;  &  ce  qui  eft  dit  icy  des  noms  éternels,  au  lieu  des  con- 
cepts ou  des  idées  d'vne  éternelle  vérité,  a  défia  efté  cy-deuant  aftez 
refuté  &  reietté. 


OBJECTION  QVINZIÉME. 

Car  Dieu  ne  m'ayant  donné  aucune  faculté  pour  connoiftre  que 
cela  foit  (à  Jçauoir  que  Dieu,  par  luy-mefme  ou  par  l'entremij'e  de 
quelque  créature  plus  noble  que  le  corps,  m'enuoye  les  idées  du  corps), 
mais,  au  contraire,  m'ayant  donné  vne  grande  inclination. à  croire 
qu'elles  me  font  enuoyéesou  qu'elles  partent  des  chofes  corporelles, 
ie  ne  voy  pas  comment  on  pouroit  l'excuier  de  tromperie,  fi  en 
effect  ces  idées  partoient*  ou  eftoient  produites  par  d'autres  caufes 
que  par  des  chofes  corporelles  ;  &  partant,  il  faut  auouër  qu'il  y  ^ 
des  chofes  corporelles  qui  exiftent. 

Il  C'ejî  la  commune  opinion  que  les  Médecins  ne  pèchent  point,  qui 
deçoiuent  les  malades  pour  leur  propre  Janté,  ny  les  pères  qui  trompent 
leurs  enfans  pour  leur  propre  bien,  &  que  le  mal  de  la  tromperie  ne 
confiJiep>as  dans  lafauffeté  des  paroles,  mais  dans  la  malice  de  celuy 
qui  trompe.  Que  MonJieur  Des-Cartes prenne  donc  garde  Ji  cette  pro- 
pojition  :  Dieu  ne  nous  peut  iamais  tromper,  prije  Tniuerfellemenl, 
ejî  fraye;  car  Ji  elle  n' ejî  pas  vraye,  àinji  vniuerfellemcnt  priJe,  cette 
conclujîon  n'ejî  pas  bonne  :  donc  il  y  a  des  chofes  corporelles  qui 
exiftent. 


Sur  la  Sixième 
Méditation. 

De  l'exijience 

des 

chofes  matérielles. 


254 


a.  La  2*  et  la  3*  édit.  ajoutent  ici  d'ailleurs.  Mais,  dans  la  i"^»,  le  tra- 
ducteur, Clerselier,  reliait  sans  doute  partaient  avec  d'autres  caufes,  les 
mots  intermédiaires  ou  ejioient  produites  par  étant  comme  une  incise 
explicative. 


152  Œuvres  de  Descartes.  195-196. 

Réponse. 

Pour  la  vérité  de  cette  conclufion,  il  n'eft  pas  neceffaire  que 
nous  ne  puiffions  iamais  eftre  trompez  (car,  au  contraire,  i'ay  auoiié 
franchement  que  nous  le  fommes  fouuent);  mais  feulement,  que 
nous  ne  le  foyons  point,  quand  noftre  erreur  feroit  paroiftre  en  Dieu 
vne  volonté  de  deceuoir,  laquelle  ne  peut  eftre  en  luy  ;  &  il  y  a 
encore  icy  vne  confequence  qui  ne  me  femble  pas  eftre  bien  déduite 
de  fes  principes. 

OBJECTION  DERNIÈRE. 

Car  ie  reconnois  maintenant  qu'il  y  a  entre  l'vn  &  l'autre  (/ça- 

|S5     uoir  ejt  entre  la  veille  &  lefommeil)  |  vne  très-grande  différence,  en 

ce  que  noftre  mémoire  ne  peut  iamais  lier  &  ioindre  nos  fonges  les 

vns  aux  autres  &  auec  toute  la  fuite  de  noftre  vie,  ainfi  qu'elle  a  de 

coutume  de  ioindre  les  chofes  qui  nous  arriuent  eftant  eueillez. 

le  demande  :fçauoirJt  c'ejl  vne  choje  certaine,  qu'vne  perfo7tne,fon- 
geant  qu'elle  doute Jî  ellejonge  ou  non,  ne  puijfe  fonger  que  Jon  fange 
ejl  ioint  &  lié  auec  les  idées  d'vne  longue  fuite  de  chofrs  pajjees .  Si  elle 
le  peut,  les  chofas  qui  famblent  à  vne  perfanne  qui  dortejlre  les  aâions 
de  fa  vie  paffée,  peuuent  eftre  tenues  pour  vrayés,  tout  ainjt  que  fi  elle 
eftoit  éueillée.  Dauantage,  d'autant,  comme  il  dit  luf'mefme,\  que  toute 
la  certitude  de  lafcience  &  toute  fa  vérité  dépend  de  la  feule  connoif- 
fance  du  vray  Dieu,  ou  bien  vn  Athée  ne  peut  pas  reconnoiftre  qu'il 
veille  par  la  mémoire  de  fa  vie  pajfée,  ou  bien  vne  perfanne  peut  fça- 
uoir  qu'elle  veille  fans  la  connoiffance  du  vray  Dieu. 

Réponse. 

Celuy  qui  dort  &  fonge,  ne  peut  pas  ioindre  &  affembler  parfai- 

tement  &  auec  vérité  fes  refueries  auec  les  idées  des  chofes  palfées, 

encore  qu'il  puiffe  fonger  qu'il  les  aflemble.  Car  qui  eft-ce  qui  nie 

tt6     que  celuy  qui  dort  fe  |  puiffe  tromper  ?  Mais  après,  eftant  éueillé,  il 

connoiftra  facilement  fon  erreur. 

fù  vn  Athée  peut  reconnoiftre  qu'il  veille  parla  mémoire  de  fa 
vie  paffée  ;  mais  il  ne  peut  pas  fçauoir  que  ce  figne  eft  fuffifant  pour 
le  rendre  certain  qu'il  ne  fe  trompe  point,  s'il  ne  fçait  qu'il  a  efté 
créé  de  Dieu,  &  que  Dieu  ne  peut  eftre  trompeur. 


196-197.  Quatrièmes  Objections.  i  5 } 

IQVATRIÉMES  OBIECTIONS  857 

FAITES   PAR   MONSIEUR   ARNAULD    DOCTEUR   EN   THEOLOGIE. 

Lettre  dudit  S.  au  R.  P.  Merfenne. 

Mou  Reuerend  Père, 

le  meti  au  rang  des  Jignale\  bienfaits  la  communication  qui  m'a 
ejlé  faite  par  vojlre  moyen  des  Méditations  de  Monjieur  Des-Cartes; 
mais,  comme  vous  enfçauie\  le  prix,  aujji  me  l'auei-rous  vendue  fort 
chèrement,  puifque  vous  n'aue^  point  voulu  me  faire  participant  de  cet 
excellent  ouurage,  que  ie  ne  me  fois  premièrement  obligé  de  vous  en 
dire  mon  fentiment.  C'ejl  vne  condition  à  laquelle  ie  ne  me  ferois  point 
engagé,  Ji  le  defr  de  connoijtre  les  belles  chofes  n'ejîoit  en  moyfort 
violent,  \  &  contre  laquelle  ie  reclamerois  volontiers,  Ji  ie  penfois  pou- 
uoir  obtenir  de  vous  aujft  facilement  vne  exception  \  pour  m'ejîre  laijfé  258 
emporter  par  la  volupté,  comme  autre-fois  le  Prêteur  en  accordoit  à 
ceux  de  qui  la  crainte  ou  la  violence  auoit  arraché  le  confentement. 

Car  que  voulez  vous  de  moy?  Mon  iugement  touchant  l'auteur? 
Nullement;  il  y  a  long  temps  que  vous  fçaue^  en  quel  ejlime  i'ay  fa 
perfonne,  &  le  cas  que  ie  fais  de  fon  efprit  &  de  fa  doârine.  Vous 
nignore'{  pas  auJJi  les  fâcheufes  affaires  qui  me  tiennent  à  prefent 
occupé,  &  fi  vous  aués  meilleure  opinion  de  moy  que  ie  ne  mérite,  il  ne 
s'enfuit  pas  que  ie  n'aye  point  connoijfance  de  mon  peu  de  capacité. 
Cependant,  ce  que  vous  voule^foumetre  à  mon  examen,  demande  vne 
très-haute  fufifance,  auec  beaucoup  de  tranquillité  &  de  loijtr,  afin  que 
l'efprit,  ejîant  dégagé  de  l'embaras  des  affaires  du  monde,  ne  penfe 
qu'à  foy-mefme  ;  ce  que  vous  j'uge^  bien  ne  fe  pouuoir  faire  fans  vne 
méditation  très  -  prof  onde  &  vne  tres-gratide  reciflleâion  d' efprit. 
l'obeiray  neantmoins,  puifque  vous  le  voule:{,  mais  à  condition  que 
vousferei  mon  garend,  &  que  vous  répondre^  dé  toutes  mes  fautes. 
Or  quoy  que  la  philofophie  fe  puiffe  vanter  d'auoir  feule  enfanté  cet 
ouurage,  neantmoins,  parce  que  nojlre  auteur,  en  cela  tres-modefie,fe 
vient  luy-mefme  prefenter  au  tribunal  de  la  Théologie,  ie  iouëray  icy 
deux  perfonnages  :  dans  le  premier,  paroiffant  en  philofophe,  ie  repre- 
fenteray  les  principales  diffculte^  que  ie  iugeray  pou\uoir  ejlre pro-  869 
pofées  par  ceux  de  cette  prof effton,  touchant  les  deux  queflions  de  la 
nature  de  l'efprit  humain  &  de  l'exijîence  de  Dieu;  &  après  cela,  pre- 


154  Œuvres  de  Descartes.  i97-'98- 

nant  l'habit  d'vn  Théologien,  ie  mettra/  en  auant  les  fcrupules  quvn 
homme  de  cette  robe  pouroit  rencontrer  en  tout  cet  oiiurage. 

De  la  nature  de  l'esprit  humain. 

La  première  chofe  que  ie  trouiie  icy  digne  de  remarque,  eji  de  voir 
que  Monfieur  Des-Cartes  ejiablijfe  pour  fondement  &  premier  principe 
de  toute  Ja  philofophiè  ce  qu  auant  lu/ Saint  Augujiin,  homme  de  très- 
grand  e/prit  &  d'vne  Jinguliere  doctrine,  non  feulement  en  matière  de 
Théologie,  mais  aujji  en  ce  qui  concerne  l'humaine  philofophiè,  auoit 
pris  pour  la  ba\e  &  lefoutien  de  lafienne.  Car,  dans  le  Hure  fécond  du 
libre  arbitre,  chap.  S,  Alipius  difputant  auec  Euodiiis,  |  <S'-  roulant 
prouuer  qu'il  y  a  vn  Dieu  :  Premièrement,  dit-il,  ie  vous  demande, 
afin  que  nous  commencions  par  les  chofes  les  plus  manifeltes,  l'ça- 
uoir  :  fi  vous  elles,  ou  (i  p'eut-eftre  vous  ne  craignez  point  de  vous 
méprendre  en  répondant  à  ma  demande,  combien  qu'à  vray  dire  i\ 
vous  n'eftiez  point,  vous  ne  pouriez  iamais  eitre  trompé.  Aufquelles 
paroles  reuiennent  celles-cy  de  no/Ire  auteur  :  Mais  il  y  a  vn  ie  ne 
fçay  quel  trompeur  tres-puiffant  &  tres-ruzé,  qui  met  toute  l'on  in- 
duftrie  à  me  tromper  toufiours.  Il  eft  donc  fans  doute  que  ie  fuis, 
260  s'il  I  me  trompe.  Mais  pourfuiuons,  &  afin  de  ne  nous  point  éloigner 
de  nofire  fujet,  voyons  comment  de  ce  principe  on  peut  conclure  que 
noflre  efprit  eft  difîinâ  &feparé  du  corps. 

le  puis  douter  fi  i'ay  vn  corps,  voire  mefme  ie  puis  doute/  s'il  y  a 
aucun  corps  au  monde,  &  neanimoins  ie  ne  puis  pas  douter  que  ie  ne 
fois,  ou  que  ie  n'exifle,  tandis  que  ie  doute,  ou  que  ie  penfe. 

Doncques,  moy  qui  doute  &  qui  penfe,  ie  ne  fuis  point  vn  corps  : 
autrement,  en  doutant  du  corps,  ie  douterois  de  moy-mefme. 

Voire  mefme,  encore  que  ie  foutienne  opinia/iremeni  quil  n'y  a 
aucun  corps  au  monde,  cette  j>erité  neantmoins  fubjifîe  toufiours,  ie 
fuis  quelque  chofe,  &  partant,  ie  ne  fuis  point  vn  corps'. 

Certes  cela  efl  fubtil  ;  mais  quelqu'vn  poura  dire  [ce  que  mefme 
noflre  auteur  s'obieâe)  :  de  ce  que  ie  doute,  ou  mefme  de  ce  que  ie  nie 
qu'il  y  ait  aucuii  corps,  il  ne  s'enfuit  pas  pour  cela  quil  n'y  en  ait 
point. 

Mais  aulTi  peut-il  arrluer  que  ces  chofes  mefmes  que  ic  fupofc 
n'ellrc  point,  parce  qu'elles  me  font  inconnues,  ne  font  point  en  effed 
différentes  de  moy,  que  ie  connois.  le  n'en  fçay  rien,  dit-il,  ie  ne 
difpute  pas  maintenant  de  cela.  le  ne  puis  donner  mon  iugcmcnt 

a.  Non  à  la  ligne  (z**,  2*  et  3*  édit.). 


26i 


,9i,-»uo  QjATRiKMES  Objections.  '15^ 

que  des  choTes  qui  me  Tont  connues;  i'ay  reconnu  que  i'ertois,  & 
ie  cherche  quel  ic  fuis,  moy  que  i'ay  reconnu  eftre.  Or  il  eft  très- 
certain  que  cette  notion  &  connoilfance  de  moy-mefme,  ainfi  pre- 
cifcmcntlprife,  ne  dépend  point  des  chofes  dont  l'exiftence  ne  m'eft 
pas  encore  connue. 

I  Mais,  piti [qu'il  confejfe  liii-mefmc  que,  par  V argument  qu'il  a pro- 
pofi'  dans  fou  trailté  de  la  Méthode,  p.  84,  la  chofe  en  eji  venue  feule-, 
ment  à  ce  point,  d'exclure  tout  ce  qui  ejl  corporel  de  la  nature  de  fou 
efprit,  non  pas  eu  égard  à  la  vérité  de  la  choie,  mais  feulement  fui- 
uant  l'ordre  de  fa  penfée  &  de  fon  raifbnnement  (en  telle  forte  que 
fon  fens  eftoit,  qu'il  ne  connoilfoit  rien  qu'il  fceuil  appartenir  à  fon 
eflence,  finon  qu'il  eitoit  vne  chofe  qui  penfe),  il  eJl  euident,  par  cette 
répoufe,  que  la  difpute  en  ejî  encore  aux  me/nies  termes,  &  partant,  que 
la  '-quejlion,  dont  il  nous  promet  la  Jblution,  demeure  encore  en  fon 
entier  :  àfçauoir,  comment,  de  ce  qu'il  ne  connoift  rien  autre  chofe 
qui  appartienne  à  fon  effence  (finon  qu'il  eft  vne  cljofe  qui  penfe)y  il 
s'enfuit  qu'il  n'y  a  auffi  rien  autre  chofe  qui  en  effect  luy  appartienne. 
Ce  que  toutes-fois  ie  n*av  peu  découurir  dans  toute  retendue  de  la 
féconde  Méditation,  tant  i'ay  l'efprit  pefant  &  groffier.  Mais,  autant 
que  ie  le  puis  conieclurer,  il  en  vient  à  la  prenne  dans  la  fixiéme, 
pource  qu'il  a  creu  qu'elle  dépendoit  de  la  connoijfance  claire  & 
difUnâe  de  Dieu,  qu'il  ne  s'eftoit  pas  encore  acquife  dans  la  féconde 
Méditation.   Voicy  donc  comment  il  prouue  &  décide  cette  difficulté. 

Pource,  dit-il,  que  ie  fçay  que  toutes  les  chofes  que  ie  conçoy 
clairement  &  dirtintilement  peuuent  eftre  produites  par  Dieu  telles 
que  ie  les  conçoy,  il  fuffit  que  ie  puilfe  coniceuoir  clairement  &  262 
dillindement  vne  chofe  fans  vne  autre,  pour  ertre  certain  que  l'vne 
eil  diltincte  ou  différente  de  l'autre,  parce  qu'elles  peuuent  élire 
pofées  feparement,  au  moins  par  la  toute  puiffance  de  Dieu;  &  il 
n'importe  pas  par  quelle  puilfance  cette  feparation  fe  faffe  pour  m'o- 
bliger  à  les  iuger  différentes.  Doncques,  pource  que,  d'vn  cofté,  i'ay 
vive  claire  &  dilUnde  idée  de  moy-mefme,  en  tant  que  ie  fuis  feule- 
ment vne  chofe  qui  penfe  &  non  étendue;  &  que,  d'vn  autre,  i'ay 
vne  idée  dillinde  du  corps,  en  tant  qu'il  eÛ  feulement  vne  chofe 
étendu(f  &  qui  ne  penfe  point,  il  ell  certain  que  ce  moy,  c'eft  à  dire 
mon  ame,  par  laquelle  ie  fuis  ce  que  ie  fuis,  ell  entièrement  &  véri- 
tablement diltin6te  de  mon  corps,  |  &  qu'elle  peut  eftre  ou  exifter  fans 
luy,  en  forte  qu'encore  qu'il  ne  fuit  point,  elle  ne  lairroit  pas  d'eftre 
tout  ce  qu'elle  ell. 

//  faut  icjr  s'aréter  vn  peu,  car  il  me  femble  que  dans  ce  peu  de 
paroles  confifle  tout  le  nœud  de  la  difficulté. 


156 


Œuvres  de  Descartes.  200-201. 


Et  premièrement,  afin  que  la  majeure  de  cet  argument  foit  vraye, 
cela  ne  fe  doit  pas  entendre  de  toute  forte  de  connoijfance,  ny  me/me 
de  toute  celle  qui  ejl  claire  &  dijlinâle,  mais  feulement  de  celle  qui  efl 
pleine  &  entière  [c'efl  à  dire  qui  comprend  tout  ce  qui  peut  efîre  connu 
delà  chofe).  Car Monfîeur Des-Cartes confeffe  luf-mefme,  dansfesRê- 
ponfes  aux  premières  Obieâions,  qu'il  n'ejt  pas  befoin  d'vne  diflinâion 
réelle,  mais  que  la  îoTmtW^fuffit,  afin  qu'vne  chofe  foit  conceuè'  diftiu' 
263  âement  &  feparement  d'vne  autre,  par  ime  abyiraâion  de  l'ef prit  qui 
ne  conçoit  la  chofe  qu'imparfaitement  &  en  partie;  d'oii  vient  qu'au 
mefme  lieu  il  adioute  : 

Mais  ie  conçoy  pleinement  ce  que  c'eft  que  le  corps  (c'e/?  à  dire 
ie  conçoy  le  corps  comme  vne  chofe  complète)^  en  penfant  feulement 
que  c'eft  vne  chofe  étendue,  figurée,  mobile,  &c.,  encore  que  ie  nie 
de  luy  toutes  les  chofes  qui  appartiennent  à  la  nature  de  l'efprit.  Et 
d'autrepart  ie  conçoy  que  l'efprit  eft  vne  chofe  complète,  qui  doute, 
qui  entend,  qui  veut,  &c.,  encore  que  ie  n'accorde  point  qu'il  y  ait 
en  luy  aucune  des  chofes  qui  font  contenues  en  l'idée  du  corps. 
Doncques  il  y  a  vne  diftinftion  réelle  entre  le  corps  &  Pefprit. 

Mais  fi  quelquvn  vient  àreuoquer  en  doute  cette  mineure,  &  qu'il 
foutienne  que  l'idée  que  vous  aue^  de  vous-mefme  n'eft  pas  entière, 
mais  feulement  'imparfaite,  lorjque  vous  vous  conceuè^  [c'efi  à  dire 
vofire  efprit)  comme  vne  chofe  qui  penfe  &  qui  n'efï  point  étendue,  & 
pareillement,  lorfque  vous  vous  conceue^  {c'eft  à  dire  vofire  corps) 
comme  vne  chofe  étendue'  &  qui  ne  penfe  point,  il  faut  voir  comment 
cela  a  eflé  prouué  dans  ce  que  vous  aue^  dit  auparàuant  ;  car  ie  ne 
penfe  pas  que  ce  foit  vne  chofe  fi  claire,  qu'on  la  doiue  prendre  pour 
vn  principe  indémonfirable,  &  qui  n'ait  pas  béfoin  de  preuue*. 

Et  quant  à  fa  pffmiere  partie,  àfçauoir  que  vous  conceuez  pleine- 
ment ce  que  c'eft  que  lé  corps,  en  penfant  |  feulement  que  c'eft  vne 
chofe  étendue,  figurée,  mobile,  &c.,  encore  que  vous  nyiez  de  luy 
254  toutes  les  chofes  qui  |  apartiennent  à  la  nature  de  l'efprit,  elle  eft 
de  peu  d'importance  ;  car  celuy  qui  maintiendroit  que  noftre  efprit  efl 
corporel,  n' eft  i  mer  oit  pas  pour  cela  que  tout  corps  fu^  efprit,  &  ainf 
le  corps  feroit  à  l'efprit  comme  le  genre  efl  à  l'efpece.  Mais  le  genre 
peut  eflre  entendu  fans  l'efpece,  encore  que  l'on  nie  de  luy  tout  ce  qui 
efl  propre  &  particulier  à  l'efpece  :  d'oii  vient  cet  axiome  de  Logique, 
que,  l'efpece  eftant  niée,  le  genre  n'eft  pas  nié,  ou  bien,  là  où  eft  le 
genre,  il  n'eft  pas  neccffairc  que  l'efpece  foit  ;  ainfi  ie  puis  conceuoir 
ta  figure  fans:  conceuoir  aucune  des  propriété^  qui  font  particulières 

a.  Non  à  la  ligne  (/'*e/  2*  édit.). 


3oi-3oa.  Quatrièmes  Objections.  157 

au  cercle,  llrejîedonc  encore  à  prouver  que  Vefprit  peut  ejlre  pleine- 
ment &  entièrement  entendu  fans  le  corps. 

Or, pour prouuer  cette propojition,  ienay point,  cemefemble,  trouué 
de  plus  propre  argument  dans  tout  cet  ouurage  que  celuy  que  i'ay 
alegué  au  commencement  :  à/çauoir,  ie  puis  nier  qu'il  y  ait  aucun 
corps  au  pionde,  aucune  chofe  étendue,  &  neantmoins  ie  fuis  affuré 
que.ie  fuis,  tandis  que  ie  ie  nie  ou  que  ie  penfe;  ie  fuis  donc  vne 
chofe  qui  penfe,  &  non  point  vn  corps,  &  le  corps  n'apartient  point 
à  la  connoiffance  que  i'ay  de  moy-mefme. 

Mais  ie  voy  que  de  là  il  refulte  feulement  que  ie  puis  acquérir  quel- 
que connoijfance  de  moy-mefme  fans  la  connoiffance  du  corps  ;  mais, 
que  cette  connoiffance  foit  complette  &  entière,  en  telle  forte  que  ie 
fois  ajfuré  que  ie  ne  me  trompe  point,  lorfque  i'exclus  le  corps  |  de  865 
mon  ejfence,  cela  ne  m'efl  pas  encore  entièrement  manif^e.  Par 
exemple  : 

Pofons  que  quelqu'un  fçache  que  l'angle  au  demy-cercle  efï  droit, 
&  partant,  que  le  triangle  fait  de  cet  angle  &  du  diamètre  du  cercle 
efï  reâangle  ;  mais  qu'il  doute  &  ne  fçache  pas  encor  certainement, 
voire  mefme  qu'ayant  efié  deceu  par  quelque  fophifme,  il  nie  que  le 
quarré  de  la  ba\e  d'vn  triangle  reâangle  foit  égal  aux  quare^  des 
cofîei,  il  femble  que,  par  la  mefme  raifon  que  propofe  Monfteur  Des- 
Cartes,  il  doiuefe  confirmer  dans  f on  erreur  &  fauffe  opinion.  Car, 
dira-t-il,  ie  connois  clairement  &  difiinâement  que  ce  triangle  efl 
reâangle;  \  ie  doute  neatitmoins  que  le  quaré  de  fa  ba^e  foit  égal  aux 
quarei  des  cofie^  ;  donc  il  n'efl  pas  de  l'effence  de  ce  triangle  que  le 
quaré  de  fa  ba\efoit  égal  aux  quar-e^  des  cqfte'^. 

En  après,  encore  que  ie  nie  que  le  quaré  de  fa  ba^e  foit  égal  aux 
quare\  des  cofte^,  iefuis  neantmoins  affuré  qu'il  efl  reâangle,  &  il  me 
demeure  en  l'efprit  vne  claire  &  diflinâe  connoiffance  qu'vn  des  angles 
de  ce  triangle  eft  droit,  ce  qu'efiant,  Dieu  mefme  ne  fçaur  oit  faire  qu'il 
ne  foit  pas  reâangle. 

Et  partant,  ce  dont  ie  doute,  &  que  ie  puis  mefme  nier,  la  mefme 
idée  me  demeurant  en  l'efprit,  n'apartient  point  à  f  on  effence. 

Dauantage,  pource  que  ie  fçay  que  toutes  les  chofes  que  ie  conçoy 
clairement  &  diftindement,  peuuent  eftre  produites  par  Dieu  telles 
que  ie  les  conçoy,  c'eft  affez  que  |  ie  puiffe  conceuoir  clairement  &  266 
diftindement  vne  chofe  fans  vne  autre,  pour  eftre  certain  que  l'vne 
eft  différente  de  l'autre,  parce  que  Dieu  les  peut  feparer.  Mais  ie 
conçoy  clcirement  &  difiinâement  que  ce  triangle  efi  reâangle,  fans 
que  ie  fçache  que  le  quaré  de  fa  ba^e  foit  égal  aux  quare:{  des  co/ter; 
doncques,  au  moins  par  la  toute  puiffance  de  Dieu,  il  fe  peut  faire 


158  Œuvres  de  Descartes.    .  202-30?. 

•    j'fi  triangle  reâangle  dont  le  quarè  de  la  ba^e  ne  fera  pas  égal  aux 
quar-ei  des  cojle^. 

le  ne  voy  pas  ce  que  l'on  peut  icy  répondre,  Ji  ce  n'eft  que  cet  homme 
ne  connoijl  pas  clairement  &  dijtindement  la  nature  du  triangle 
reâangle.  Mais  d'oii  puis-ie  fcauoir  que  ie  comtois  mieux  la  nature 
de  mon  efprit,  qu'il  ne  co7inoijl  celle  de  ce  triangle  ?  Car  il  eji  aujji 
ajfuré  que  le  triangle  au  demy-cercle  a  vu  angle  droit,  ce  qui  eJi  la 
notion  du  triangle  reâangle,  que  iefuis  ajjuré  que  i'exijle,  de  ce  que 
ie  penje. 

Tout  ainji  donc  que  celuy-làfe  trompe,  de  ce  qu'il penfe  qu'il  n'eji 
pas  de  l'ejfe7tce  de'ce  triangle  [qu'il  coîinoijl  clairement  &  dijîinâement 
ejlre  reâangle],  que  le  quaré  de  fa  ba^e  \foit  égal  aux  quare^  des  cofie^, 
pourquof  peut-eftre  ne  me  trompay-ie  pas  auJJi,  en  ce  que  ie  penfe  que 
rien  autre  chofe  n'appartient  à  ma  nature  [que  ie  fcay  certainement 
&  difiinâement  efire  vne  chofe  qui  penfe),  finon  que  ie  fuis  vne  chofe 
qui  penfe?  veu  que  pêut-efîre  il  efï  auffi  de  mon  effence,  que  ie  fois  vne 
chofe  étendue. 
867  I  Et  certainement,  dira  quelqu'vn,  ce  n'efi  pas  merueille  f,  lorfque, 
de  ce  que  ie  penfe,  ie  viens  à  conclure  que  ie  fuis,  l'idée  que  dklà  ie 
forme  de  moy-mefme,  ne  me  reprefetite  point  autrement  à  mon  efprit 
que  comme  vne  chofe  qui  penfe,  puifqu'elle  a  efté  tirée  de  ma  feule 
penfée.  Et  ainfi  il  ne  femble  pas  que  cette  idée  nous  puiffe  fournir 
aucun  argument,  pour  prouuer  que  rien  autre  chofe  n'apartient  à 
mon  effence,  que  ce  qui  efi  contenu  en  elle. 

On  peut  adiouter  à  cela  que  l'argument  propofé  femble  prouuer  trop, 
&  nous  porter  dans  cette  opinion  de  quelques  Platoniciens  [laquelle 
neantmoins  noflre  auteur  réfute),  que  rien  de  corporel  n'apartient  à 
nofîre  effence,  en  forte  que  l'homme  f oit  feulement  vu  efprit,  &  que  le 
corps  nenfoit  que  le  véhicule,  d'oii  vient  qu'ils  defnijfent  l'homme  vn 
efprit  vfant  ou  fc  feruant  du  corps. 

Que  Ji  vous  réponde^  que  le  corps  n'ejî  pas  abfolument  exclus  de 
mon  effence,  mais  feulement  en  tant  que  precifement  ie  fuis- vne  chofe 
qui  penfe,  on  pouroit  craindre  que  quelqu'vn  ne  vinjl  à  foupçonner 
que  peui-ejire  la  notion  ou  l'idée  que  i'ay  de  moy-mefme,  en  tant  que 
ie  fuis  vne  chofe  qui  penfe,  nefoit  pas  l'idée  ou  la  notion  de  quelque 
efire  complet,  lequel  foit  pleinement  &  parfaitement  conceu,  mais  feu- 
lement imparfaitement  &  auec  quelque  forte  d'abjiraâion  d' efprit  & 
reflriâion  de  la  penfée. 
268  I  C'efl  pourquoy,  tout  ainfi  que  les  Géomètres  conçoiuent  la  ligne 
comme  vne  longueur  fans  largeur,  &  lafuperjîcie  comme  vne  longueur 
6'  largeur  fans  profondeur,  quoy  qu'il  n'y  ait  point  de  longueur  fans 


2o3-2o5.  Quatrièmes  Objections.  159 

largeur,  ny  de  largeur  fans  profondeur  ;  peut-eflre  aujji  quelqu'un 
poura-t-il  mettre  en  doute,  fçauoirf  \  tout  ce  qui  penfe  n'eft  point  aufji 
vne  chofe  étendue,  mais  qui,  outre  les  propri€te:{  qui  luy  font  com- 
munes auec  les  autres  chofes  étendues,  comme  d'ejire  mobile,  Jîgurable, 
&c.,  ait  aîijfi  cette  particulière  vertvL  &  faculté  de  penfer,  ce  qui  fait 
que,  par  vne  abjlraâion  de  Vefprit,  elle  peut  eflre  conceuë  auec  cette 
feule  vertu  comme  vne  cliofe  qui  penfe,  quoy  qu'en  effed  les  propriété^ 
&  qualité^  du  corps  conuiennent  a  toutes  les  chofes  qui  penfent  ;  tout 
ainfi  que  la  quantité  peut  efire  conceuë  auec  la  longueur  feule,  quoy 
qu'en  effeél  il  n'y  ait  point  de  quantité  à  laquelle,  auec  la  longueur,  la 
largeur  &  la  profondeur  ne  conuiennent. 

Ce  qui  augmente  cette  difficulté  efi  que  cette  vertu  de  penfer  femble 
efire  attachée  aux  organes  corporels,  puif que  dans  les  enfans  elleparoijl  - 
ajfoupie,  &  dans  les  faux  tout  affait  éteinte  &  perdue;  ce  que  lesper- 
fonnes  impies  &  meurtrières  des  âmes  nous  obieâent  principalement. 

Voflà  ce  que  i'auois  à  dire  touchant  la  dijlinâion  réelle  de  l'efprit 
d' auec- le  corps.  Mais  puif  que  Monjieur  Des-Cartes  a  entrepris  de 
démontrer  l'immortalité  de  l'ame,  on  peut  demander  a\uec  raifonf  269 
^elle  réfulte  euidemment  de  cette  dijlinâion.  Car,  félon  les  principes  de 
la  philofophie  ordinaire,  cela  ne  s'enfuit  point  du  tout;  veu  qu'ordi- 
nairement ils  difent  que  les  âmes  des  befies  font  difiinâes  de  leurs 
corps,  &  que  neantmoins  elles  perijjent  auec  eux. 

I'auois  étendu  iufques-icy  cet  efcrit,  &  mon  deJTein  efloiide  montrer 
comment ,  félon  les  principes  de  nojîre  auteur  [lefquels  ie  penfois  auoir 
recueillis  de  fa  façon  de  philofopher),  de  la  réelle  diflinâion  de  l'efprit 
d'auec  le  corps,  fon  immortalité  fe  conclut  facilement,  lorfqu'on  m'a 
mis  entre  les  mains  vn  fommaire  desfix  Méditations  fait  par  le  mefme 
auteur,  qui,  outre  la  grande  lumière  qu'il  apporte  à  tout  fon  ouurage, 
contenoit  fur  cefujet  les  mefmes  raifons  que  i'auois  méditées  pour  la 
folution  de  cette  queflion. 

Pour  ce  qui  ejî  des  âmes  des  befîès,  il  a  défia  affe\fait  connoiflre,  |  en 
d'autres  lieux,  que  fon  opinion  efi  qu'elles'  n'en  ont  point,  mais  feule- 
ment vn  corps  figuré  d'vne  certaine  façon,  &  compofé  de  plufieurs  dif- 
ferens  organes  difpofe\  de  telle  forte,  que  toutes  les  opérations  que  nous 
voyons  peuuent  ejîre  faites  en  liiy  &  par  luy. 

Mais  il  y  a  lieu  de  craindre  que  cette  opinion  ne  puijfe  pas  trouuer 
créance  dans  les  efprits  des  hommes,  fi  elle  n'efi  foutenuë  &  prouuée 
par  de  très  fortes  raifons.  Car  cela  femble  incroyable  d'abord,  qu'il 
fe  puije  faire,  fans  le  minifiere  d'aucune  ame,  \  que  la  lumière  qui     270 

a.  (.  qu'ils  »  (/''*  édit.]. 


i6o  Œuvres  de  Descartes.  205-206. 

réfléchit  du  corps  du  loup  dans  les  yeux  de  la  brebis,  remue  les  petits 
filets  des  nerfs  optiques,  &  qu'en  vertu  de  ce  mouuement,  qui  va  iuf- 
qu'au  cerueau,  les  efpriis  animaux  fojent  répandus  dans  les  nerfs, 
en  la  manière  qu'il  efl  riecejfaire  pour  faire  que  la  brebis  prenne 
la  fuite. 

l'adiouteray  feulement  icy  que  i'aprouue  grandement  ce  que  Mon- 
Jieur  Des-Cartes  dit  touchant  la  difiinâtion  qui  eft  entre  l'imagination 
&  la  penfée  ou  l'intelligence  ;  &  que  ça  toujiours  efié  mon  opinion,  que 
les  chofes  que  nous  conceuons  par  la\  raifon  font  beaucoup  plus  cer- 
taines que  celles  que  les  fens  corporels  nous  font  aperceuoir.  Car  ily 
a  long  temps  que  i'ay  apris  de  Saint  Augufiin,  Chap.  i5,  De  la  quan- 
tité de  l'ame,  qu'il  faut  reietter  lefentiment  de  ceux  qui  fe  perfuadent 
que  les  chofes  que  nous  voyons  par  l'efprit,  font  moins  certaines  que 
celles  que  nous  voyons  par  les  yeux  du  corps  y  qui  font  toufout^s 
trouble^  par  la  pituite.  Ce  qui  fait  dire  au  mefme  Saint  Augufiin, 
dans  le  Hure  premier  de  fes  Solil.,  Chapitre  <^>%  qu'il  a  expéri- 
menté plufieurs  fois  qu'en  matière  de  Géométrie  les  fens  font  comme 
des  vaijfeaux. 

Car,  dit-il,  lorfque,  pour  l'eftabliflement  &  la  preuue  de. quelque 
propofition  de  Géométrie,  ie  me  fuis  lailfé  conduire  par  mes  fens 
iufqu'au  lieu  où  ie  pretendois  aller,  ie  ntf  les  ay  pas  plutoft  quittez 
que,  venant  à  repaffer  par  ma  penfée  toutes  les  chofes  qu'ils  fem- 
bloient  m'àuoir  aprifes,  ie  me  fuis  trouué  l'efprit  auflî  inconftant  que 
271  font  les  |  pas  de  ceux  que  l'on  vient  de  mettre  à  terre  après  vne 
longue  nauigation.  C'eft  pourquoy  ie  penfe  qu'on  pouroit  plutoft 
trouuer  l'art  de  nauiger  fur  la  terre,  que  de  pouuoir  comprendre  la 
Géométrie  par  la  feule  entremife  des  fens,  quoy  qu'il  femble  qu'ils 
n'aident  pas  peu  ceux  qui  commencent  à  l'apprendre. 


|De  Dieu. 

La  première  raifon  que  nofire  auteur  apporte  pour  démontrer  l'exi^ 

fience  de  Dieu,  laquelle  il  a  entrepris  de  prouuer  dans  fa  troifiéme 

Méditation,  contient  deux  parties  :  la  première  efi  que  Dieu  exifie, 

parce  que  fon  idée  efi  en  moy  ;  &  la  féconde ,  que  moy,  qui  ay  vne  telle 

idée,  ie  ne  puis  venir  que  de  Dieu. 

Touchant  la  première  partie,  il  n'y  a  qu  vne  feule  chofe  que  ie  ne 
puis  aprouuer,  qui  efi  que,  Monfieur  Des-Cartes  ayant  fou  tenu  que  la 

a.  Le  chiffre  manque  dans  la  i*^  édition.  —  Voir  t.  III,  p.  359,  1-  2,  où 
il  faut  lire  cap.  4"  (et  non  40). 


ao6-ao7.  QUATRIÈMES    OBJECTIONS.  lOI 

faujfeté  ne  fe  trouue  proprement  que  dans  les  iugemenSy  il  dit  néant- 
moins,  vn  peu  apre^,  <m'ily  «  des  idées  quipeuuent,  non  pas  à  la  vérité 
formellement,  mais  matériellement,  ejïre  fanges  :  ce  qui  me  femble 
auoir  de  la  répugnance  auec  f es  principes. 

Mais,  de  peur  qu'en  vne  matière  Ji  obfcure  ie  ne  puijfe  pas  expliquer 
ma  penfée  aj[fe\  nettement,  ie  meferuiray  d'vn  exemple  qui  la  rendra 
plus  manifejle.  Si,  dit-il,  le  froid  eft  feulement  vne  priuation  |  de  la     278 
chaleur,  l'idée  qui  me  le  reprefente  comme  vne  chofe  pofiiiue,  fera 
matériellement  fauffe. 

Au  contraire,  fi  le  froid  ejl  feulement  vne  priuation,  il  ne  pouray 
auoir  aucune  idée  du  froid,  qui  me  le  reprefente  comme  vne  chofe  pofi- 
tiue  ;  &  icf  nofire  auteur  confond  le  iugement  auec  l'idée. 

Car  qu'ejl-ce  que  l'idée  du  froid  ?  Cefi  le  froid  mefme,  en  tant  qu'il 
eft  obieâiuement  dans  l'entendement  ;  mais  fi  le  froid  efi  vne  priuation, 
il  nefçauroit  efire  obieâiuement  dans  l'entendement  par  vne  idée  de 
qui  V  efire  obieâiffoit  vn  efire  pofitiff  doncques,fi  le  froid  efi  feulement 
vne  priuation,  iamais  l'idée  n'en  poura  efire  pofitiue,  &  confequem- 
vicnt  il  n'y  en  poura  auoir  aucune  qui  foit  matériellement  faujfe. 

Celafe  confirme  par  le  mefme  argument  que  Monfieur  Des-Cartes 
employé  pour  prouuer  que  l'idée  d'vn  efire  infini  efi  necejfairement 
vraye.  Car,  bien  que  Von  puijfe  feindre  \  qu'vn  tel  efire  n'exifie  point, 
on  ne  peut  pas  neantmoins  feindre  que  fon  idée  ne  me  reprefente  rien 
de  réeU 

La  mefme  chofe  fe  peut  dire  de  toute  idée  pofitiue;  car,  encore  que 
l'on  puijfe  feindre  que  le  froid,  que  ie  penfe  efire  reprefente  par  vne 
idée  pofitiue,  ne  foit  pas.  vne  chofe  pofitiue,  on  ne  peut  pas  neantmoins 
feindre  qu'vne  idée  pofitiue  ne  me  reprefente  rien  de  réel  &  de  pofitif 
veu  que  les  idées  ne  font  pas  apelées  pofiliues  félon  V  efire  \  qu'elles  ont  273 
eu  qualité  de  modes  ou  de  manières  de  penfer,  car  en  ce  fens  elles 
feroyent  toutes  pofitiues  ;  mais  elles  font  ainfi  apelées  de  l'efire  objeâif 
quelles  contiennent  &  repr^fcntent à  nofire efprit.  Partant,  cette  idée 
peut  bien  n  efire  pas  l'idée  du  froid,  mais  elle  ne  peut  pas  efire  faujfe. 

Mais,  direi'vous,  elle  efi  faujfe  pour  cela  mefme  qu'elle  n'efi  pas 
l'idée  du  froid.  Au  contraire,  c'efi  vofire  iugement  qui  efi  faux,  fi  vous 
la  iugei  efire  l'idée  du  froid;  mais,  pour'  elle,  il  efi  certain  qu'elle  efi 
treS'Vraye  ;  tout  ainfi  que  Vidée  de  Dieu  ne  doit  pas  matériellement 
mefme  efire  apelée  faujfe,  encore  que  quelqu'vn  la  puijfe  transférer 
&  raporter  à  vne  chofe  qui  ne  foit  point  Dieu,  comme  ont  fait  les 
idolâtres. 

Enfin  cette  idée  du  froid,  que  vous  dites  efire  matériellement  faujfe, 
que  reprefente-t-elle  à  voftre  efprit  ?  Vne  priuation  ?  Donc  elle  efi 
Œuvres.  IV.  n 


102  Œuvres  de  DescarteS. 


îoy-aog. 


vraye.  Vn  ejîre  pofitif?  Donc  elle  nejî  pas  l'idée  du  froid.  Et  déplus, 
quelle  ejl  la  caufe  de  cet  eftre  pofitif  obieâifqui,  félon  vojlre  opinion, 
fait  que  cette  idée  foit  matériellement  fauffe?  C*ell,  dites-vous,  moy- 
mehne,  en  tant  que  ie  participe  du  néant.  Doncques  l'ejtre  obieâif 
pofitif  de  quelque  idée  peut  venir  du  néant,  ce  qui  neantmoins  répugne 
tout  a/fait  à  vos  premiers  fondemens. 
274  Mais  venons  à  la  féconde  partie  de  cette  démonji ration,  en  laquelle 
on  demande,  fi  moy,  qui  ay  |  l'idée  d'vn  eftre  infini,  ie  puis  eftre  par 
vn  autre  que  par  vn  eftre  infini,  &  principalement  |  fi  ie  puis  eftre  par 
moy-mefme.  Monfieur  Des-Cartes  foiitient  que  ie  ne  puis  eftre  par 
moy-mefme,  d'autant  que,  ^\  ie  me  donnois  l'eftre,  ie  me  donnerois 
aufli  toutes  les  perfedions  dont.  ie.  trouue  en  moy  quelque  idée.  Mais 
l'auteur  des  premières  Obieâions  réplique  fort  fubtilement  :  Eftre  par 
Iby  ne  doit  pas  ejtre  pris  pofitiuement,  mais  negatiuement,  e«/or/e 
que  ce  foit  le  mefme  que  n'eftre  pas  par  autruy.  Or,  adioute-t-il,  fi 
quelque  chofe  eft  par  iby,  c'eft  à  dire  non  par  autruy,  comment  prou- 
uerez-vous  pour  cela  qu'elle  comprend  tout,  &  qu'elle  eft  infinie? 
Car  à  prelent  ie  ne  vous  écoute  point,  l\  vous  dites  :  puifqu'elle  eft 
par  Iby,  elle  ie  fera  aii'ement  donné  toutes  choies;  d'autant  qu'elle 
n'eft  pas  par  Iby  comme  par  vne  caufe,  &  qu'il  ne  luy  a  pas  efté  pof- 
fible,  auant  qu'elle  fuit,  de  preuoir  ce  qu'elle  pouroil  eftre,  pour 
choifir  ce  qu'elle  feroit  après. 

Pour  foudre  cet  argument,  Monjieur  Des-Cartes  î^épond  que  cette 
façon  de  parler,  eftre  par  foy,  ne  doit  pas  eJîre  prife  negatiuement, 
mais  pofitiuement,  eu  égard  mefme  à  l'exijience  de  Dieu  ;  en  telle  forte 
que  Dieu  fait  en  quelque  façon  la  mefme  chofe  à  l'égard  de  foy- 
mefme,  que  la  cauie  efficiente  à  l'égard  de  fon  etVed.  Ce  qui  mefembte 
vnpeu  hardf,  &  n'ejlre  pas  véritable. 

C'eji  pourquof  ie  conuiens  en  partie  auec  lity,  &  en  partie  ie  n'y 
27B  conuiens  pas.  Car  i'auouë  bien  que  ie  ne  puis  eJîre  par  mof -mefme  que 
pofitiue\ment,  mais  ie  nie  que  le  me/me  fe  doiue  dire  de  Dieu.  Au  con- 
traire, ie  trouue  vne  manifejle  contradidion  que  quelque  chofe  foit  par 
foy  pofitiuement  &  comme  par  tme  caufe.  C'ejl  pourquoy  ie  conclus  la 
mefme  chofe  que  nq/lre  auteur,  mais  par  vne  voye  tout  ajfait  diffe- 
rente,  en  celte  forte  : 

Pour  eJlre  par  moy-mefme^  ie  deurois  eJîre  par  moy  poiitiuement 
i:\comme  par  vne  caufe;  doncques  il  ejl  impofjible  que  ie  fois  par  moy- 
mefme.  La  maieure  de  cet  argument  e/t  prouuée  par  ce  qu'il  dit  luy- 
mefme,  que  les  parties  du  temps  pouuant  eftre  Icparées,  ^  ne  dépen- 
dant point  les  vncs  des  autres,  il  ne  s'enluit  pas,  de  ce  que  ie  ibis, 
que  ie  doiue  eftre  encor  à  l'aucnir,  fi  ce  n'eft  qu'il  y  ait  en  moy 


Z09-2IO.  Quatrièmes  Objections.  iôj 

quelque  puiffance  réelle  &  pofitiue,  qui  me  crée  quafi  derechef  en 
tous  les  momens. 

Quant  à  la  mineure,  àfçauoir  que  ie  ne  puis  eftre  par  moy  pofiti- 
uement  &  comme  par  vne  caufe,  elle  me  femBle'Ji  manifejîe  par  la 
lumière  naturelle,  que  ce  ferait  en  vain  quon  s'arrejleroit  à  la  vouloir 
prouuer,  puifque  ceferoit  perdre  le  temps  àprouuer  vne  chofe  connue 
par  vne  aiMre  moins  connue.  Nojlre  auteur  me/me  femble  en  auoir 
reconnu  la  vérité,  lorfquil  n'a  pas  ofé  la  nier  ouuertement.  Car,  ie 
vous  prie,  examinons  foigneufement  ces  paroles  de  fa  Répohfe  aux 
premières  Obieâions  : 

le  n'ay  pas  dit,  dit-il,  qu'il  eft  impoflible  qu'vne  chofe  foit  la  caufe 
efficiente  de  foy-mefme  ;  car,  encore  que  cela  foit  |  manifellement  276 
véritable,  quand  on  reflraint  la  fighification  d'efficient  à  ces  fortes  de 
caufes  qui  font  différentes  de  leurs  effects,  ou  qui  les  précèdent  en 
temps,  il  ne  femble  pas  neantmoins  que,  dans  cette  queftion,  on  la 
doiue  ainfi  reftraindre,  parce  que  la  lumière  naturelle  ne  nous  dide 
point  que  ce  foit  le  propre  de  la  caufe  efficiente  de  précéder  en  temps 
ion  effed. 

Cela  ejï  fort  bon  pour  ce  qui  regarde  le  premier*  membre  de  cette 
dijlinâion  ;  mais  pourquof  a-t-il  obmis  le  fécond,  &  que  n'a-t-il  adiouté 
que  la  mefme  lumière  naturelle  ne  nous  diâle  point  que  ce  foit  le  propre 
de  la  caufe  efficiente  d'eflre  différente  defon  effeâ,  finon  parce  que  la 
lumière  naturelle  ne  luf  permettait  pas  de  le  dire? 

Et  de  vraj-,  tout  effeâ  efîant  dépejidant  de  fa  caufe,  &  receuant 
d'elle  fon  eflre,  n'efl-il  pas  tres-euident  qu'vne  mefme  chofe  \  ne  peut 
pas  dépendre  ny  receuoir  l'eflre  de  foy-mefme  ? 

Dauantage,  toute  caufe  eft  la  caufe  d'un  effeâ,  &  tout  effeâ  eft  V effeâ 
d'vne  caufe,  &  partant,  il  y  a  vn  raport  mutuel  entre  la  caufe  &  l'effeâ  : 
or  il  ne  peut  y  auoir  de  raport  mutuel  qu'entre  deux  cliofes. 

En  après,  on  ne  peut  conceuoir,  fans  abfurdité,  qu'vne  chofe  reçoiue 
l'eflre,  &  que  neantmoins  cette  mefme  chofe  ait  l'eflre  auparauant  que 
nous  ayons  conceu  qu'elle  l'ait  receu.  Or  cela  arriueroit,f  nous  attri- 
buyons  les  notions  de  caufe  &  d'effeâ  à  vne  mefme  chofe  au  regard 
de  foy-mefme.  Car  \  quelle  eft  la  notion  d'vne  caufe?  Donner  l'eflre.  277 
Quelle  ejî  la  notion  d'vn  effeâ  ?  Le  receuoir.  Or  la  notion  de  la  caufe 
précède  naturellement  la  notion  de  l'effeâ. 

Maintenant,  nous  ne  pouuons  pas  conceuoir  vne  chofe  fous  la  notion 
de  caufe,  comme  donnant  l'eflre,  fi  nous  ?ie  conceuons  qu'elle  l'a;  car 

a.  Il  faudraftîire  ici,  fécond,  et  à  la  ligne  suivante,  premier,  au  lieu  de 
fécond,  les  deux  membres  ayant  été  intervertis  dans  la  traduction. 


164  Œuvres  de  Descartes.  aïo-an. 

perfonne  ne  peut  donner  ce  qu'il  n*a  pas.  Doncques  nous  conceurions 
premièrement  qu'vne  chofe  a  l'ejlre,  que  nous  ne  conceurions  qu'elle 
l'a  receu;  &  neqntmoins,  en  celuy  qui  reçoit  y  receuoir  précède  l'auoir. 

Cette  rai/on  peutejlre  encore  ainjt  expliquée  :  perfonne  ne  donne  ce 
qu'il  n'a  pas;  doncques  perfonne  ne  fe  peut  donner  l'eflre,  que  celuy 
qui  l'a  défia  ;  or,  s'il  l'a  défia,  pourquoy  fe  le  donneroit-il  ? 

Enfin,  il  dit  qu'W  eft  manifefte,  par  la  lumière  naturelle,  que  la 
création  n'eft  diftinguée  de  la  conferuation  que  par  la  raifon.  Mais  il 
eft  auffi  manifefte,  par  la  mefme  lumière  naturelle^  que  rien  ne  fe  peut 
créer  fof-mef me,  ny  par  confequent  aufji  fe  conferuer. 

Que  Ji  de  la  thefe  générale  nous  defcendons  à  l'hypothefe  fpeciale 
de  Dieu,  la  chofe  fera  encore,  à  mon  àduis,  plus  manife^e,  àfçauoir 
que  Dieu  ne  peut  eflre  par  fof  pofitiuement,  mais  feulement  negati- 
uement,  cV/?  à  dire  non  par  autruy. 
178  \Et  premièrement  cela  eft  euident  par  la  raifon  \  que  Monteur  Des- 
Cartes  aporte  pour  prouuer  que,  Ji  le  corps  eft  par  foy,  //  doit  eflre 
parfoy  pofitiuement.  Car,  dit-il,  les  parties  du  temps  ne  dépendent 
point  les  vnes  des  autres  ;  &  partant,  de  ce  que  l'on  fupofe  que  ce 
corps  iufqu'à  cette  heure  a  efté  par  foy,  c'eft  à  dire  fans  caufe,  il  ne 
s'enfuit  pas  pour  cela  qu'il  doiue  eftre  encore  à  l'auenir,.  fi  ce  n'eft 
qu'il  y  ait  en  luy  quelque  puiffance  réelle  &  pofitiue,  qui,  pour  ainfi 
dire,  le  reproduife  continuellement. 

Mais  tant  s'en  faut  que  cette  raifon  puijfe  auoir  lieu,  lorfqu'il  efl 
queflion  d'vn  eflre  fouuerainemejit parfait  &  infini,  qu'au  contraire, 
pour  des  raisons  tout  affait  oppofées,  il  faut  conclure  tout  autrement. 
Car,  dans  l'idée  d'vn  eflre  infini,  l'infinité  de  fa  durée  y  efi  auffi  con- 
tenue, c'efi  à  dire  qu'elle  n'efi  point  î-enfermée  dans  aucunes  limites, 
£•  partant,  qu'elle  efi  indiuifible,  permanente  &  juhfifiante  toute  à  la 
fois,  &  dans  laquelle  on  ne  peut  fans  erreur  &  qu'improprement,  à 
caufe  de  l'imperfeâion  de  nofire  ejprit,  conceuoir  de  paffé  ny 
d'auenir. 

D'oit  il  efi  manifefie  qu'on  ne  peut  conceuoir  qu'vn  efire  infini  exifie, 
quand  ce  ne  fer  oit  qu'vn  moment,  qu'on  ne  conçoiue  en  mefme  temps 
qu'il  a  toufiours  efié  &  qu'il  fera  éternellement  [ce  que  nofire  auteur 
mefme  dit  en  quelque  endroit),  &  partant,  que  c'efi  vne  chofe  fuperfiuë 
de  demander  pourquoy  il  perfeuere  dans  l' efire. 
279  Voire  mefme,  comme  l'enfeigne  Saint  Augu/lin  \  {lequel,  après  les 

auteurs  facre-^,  a  parlé  de  Dieu  plus  hautement  &  plus  dignement 
qu'aucun  autre],  en  Dieu  il  n'y  a  point  de  pajjé  ny  de  futur,  mais  m 
continuel  prefent;  ce  qui  fait  voir  clairement  qu'on  ne  peut  fans 
abfurdité  demander  pourquoy  Dieu  perfeuere  dans  l'efire^  veu  que 


311.313.  Quatrièmes  Objections.  165 

cette  quejiion  enueloppe  manifejiement  le  deuant  &  l'aprés^  le  pajfé  & 
le  futur  y  qui  doiuent  ejire  bannis  de  l'idée  d'vn  ejïre  infini. 

Dauantage  on  ne  peut  pas  conceuoir  que  Dijeu  /oit  par  Jqy  pofiti- 
uementfl comme  s'il  s'efioit  luy-mejme  premièrement  produit j  car  il 
auroit  ejté  auparauant  que  d'efire;  mais  feulement  {comme  nofire 
auteur  déclare  enplufieurs  lieux),  parce  qu'en  effed,  il  fe  conferue. 

Mais  la  conferuation  ne  conuient  pas  mieux  à  l'efire  infini  que  la 
première produâ ion.  Car  qu'efi-ce^  ie  vous  prie,  que  la  conferuation, 
Jinon  vne  continuelle  reproduâlion  d'vne  chofe?  d'oii  il  arriue  que 
toute  conferuation  fupofe  vne  première  produâion.  Et  c'efi  pour  cela 
mefme  que  le  nom  de  continuation,  comme  auj/i  celuf  de  conferuation, 
efiant  plutofi  des  ttoms  de  puijfance  que  d'aâe,  emportent  auec  foy 
quelque  capacité  ou  difpofition  à  receuoir;  mais  l'efire  infini  efi  vn 
aâte  tres-pur,  incapable  de  telles  difpofitions. 

Concluons  donc  que  nous  ne  pouuons  conceuoir  que  Dieu  foit  par 
joy  pofitiuemcnt,  finon  à  caufe  de  l'imperfeâion  de  nofire  efprit,  qui 
conçoit  I  Dieu  à  la  façon  des  chofes  créées  ;  ce  qui  fera  encore  plus     880 
euident  par  cette  autre  raifon  : 

On  ne  demande  point  la  caufe  efficietite  d'vne  chofe,  finon  à  raifon 
defon  exifience,  &  non  à  raifon  de  fon  ejfence  :  par  exemple,  quand 
on  demande  la  caufe  efiiciente  d'vn  triangle,  on  demande  qui  a  fait  que 
ce  triangle  foit  au  monde;  mais  ce  ne  feroit  pas  fans  abfurdité  que  ie 
demanderois  la  caufe  efficiente  pourquoy  vn  triangle  afes  trois  angles 
égaux  à  deux  droits;  &  à  celuy  qui  feroit  cette  demande,  on  ne  ré- 
pondrait pas  bien  par  la  caufe  efficiente,  mais  on  doit  feulement  ré- 
pondre, parce  que  telle  efi  la  nature  du  triangle;  d'oit  vient  que  les 
Mathématiciens,  qui  nefe  mettent  pas  beaucoup  en  peine  de  l'exifience 
de  leur  obiet,  ne  font  aucune  demonfiration  par  la  caûfe  efficiente  & 
finale.  Or  il  n'efi  pas  moins  de  l'effence  d'vn  efire  infini  d'exifier, 
voire  mefme,  fi  vous  voule\,  de  perfeuerer  dans  l'efire,  qu'il  efi  de 
l'effence  d'vn  triangle  d'auoir  fes  trois  angles  égaux  à  deux  droits. 
Doncques,  tout  ainfi  qu'à  celur  qui  demanderoit pourquoy  im  triangle 
a  fes  trois  angles  égaux  à  deux  drois,  on  ne  doit  pas  répondre  par 
la  caufe  efficiente,  mais  feulement  :  parce  que  telle  efi  la  nature  im- 
muable &  éternelle  du  triangle;  de  mefme,  fi  quelquvn  demande 
pourquoy  Dieu  efi,  ou  pourquoy  il  ne  cejfe  point  d'efire,  \  il  ne  faut 
point  chercher  en  Dieu,  ny  hors  de  Dieu,  de  caufe  efficiente,  ou  quafi 
efficiente  [car  ie  ne  difpute  pas  \  icy  du  nom,  mais  de  la  chofe),  mais  181 
ilfaut  dire,  pour  toute  raifon,  parce  que  telle  efi  la  nature  de  l'efire 
fouuerainement  parfait. 

C'efi  pourquoy,  à  ce  que  dit  Monfieùr  Des-Cartes,  que  la  lumière 


i66  Œuvres  de  Descartes.  2.3-214. 

naturelle  nous  dide  qu'il  n'y  a  aucune  chofe  de  laquelle  il  ne  foit 
permis  de  demander  pourquoy  elle  exifte,  ou  dont  on  ne  puiffe  re- 
chercher la  caufe  efficiente,  ou  bien,  fi  elle  n'en  a  point,  demander 
pourquoy  elle  n'en  a  pas  befoin,  ie  répons  que,  ft  on  demande 
poiirquoj'  Dieu  exifte^  il  ne  faut  pas  répondre  par  la  caufe  efficiente, 
mais  feulement  :  parce  qu'il  eft  Dieu,  ceft  à  dire  vn  ejîre  infni.  Que  fi 
on  demande  quelle  efi  fai:aufe  efficiente,  il  faut  répondre  qu'il  n'en  a 
pas  befoin;  &  enfii\,Ji  on  demande  pour quof  il  n'en  a  pas  befoin,  il 
faut  répondre  :  païxe  qu'il  éfl  vn  ejîre  infini,  duquel  l'exijîence  efi 
fon  ejfence;  car  il  n'y  a  que  les  chofes  dans  lef quelles  il  ejl  permis  de 
dijîinguer  lexifience  aâuelle  de  r ejfence,  qui  ayent  befoin  de  caufe 
efficiente. 

Et  partant,  ce  qu'il  adioute  immédiatement  après  les  paroles  que  ie 
viens  de  citer,  fe  détruit  de  foy-mefme,  àfçauoir  :  Si  ie  penfois,  dit-il, 
qu'aucune  chofe  ne  peuft  en  quelque  façon  eftre  à  l'égard  de  foy- 
mefme  ce  que  la  caufe  efficiente  eit  à  l'égard  de  fon  effed,  tant  s'en 
faut  que  de  là  ie  vouluffe  conclure  qu'il  y  a  vne  première  caufe, 
qu'au  contraire  de  celle-là  mefme  qu'on  appelleroit  preniiere,  ie  rc- 
chercherois  derechef  la  caufe,  &  ainfi  ie  ne  viendrois  iamais  à  vne 
première. 
282  ]  Car,  au  contraire,  Ji  ie  penfois  que,  de  quelque  chofe  que  ce  fufï, 

il  faluji  ixchercher  la  caufe  efficiente,  ou  quafi  efficiente,  i'aurois 
dans  l'efprit  de  chercher  vne  caufe  différente  de  cette  chofe;  d'autant 
\qu'il  efi  manifefîe  que  rien  ne  peut  en  aucune  façon  eflre  à  l'égard  de 
foy-mefme  ce  que  la  caufe  efficiente  eft  à  l'égard  de  fon  effeâ. 

Or  il  mefemble  que  nofire  auteur  doit  ejîre  auerti  de  conjtderer 

diligemment  &  auec  attention   toutes  ces  chofes,  parce  que  ie  fuis 

ajfuré  qu'il  y  a  peu  de  Théologiens  qui  ne  s'offenfent  de  cette  propo- 

ftion,  àfçauoir,  que  Dieu  eft  par  foy  pofitiuemcnt,  &  comme  par 

vne  caufe. 

//  ne  me  refîe  plus  qu'vnfcrupule,  (jui  ejî  de  fçauoir  comment  il  fe 
peut  deffendre  de  ne  pas  commettre  vn  cercle,  lorfqu'Sl  dit  que  nous 
ne  fommes  affurez  que  les  chofes  que  nous  conceuons  clairement  & 
diftindement  font  vrayes,  qu'à  caufe  que  Dieu  eft  ou  exifte. 

Car  nous  ne  pouuons  ejîre  ajfur-ei  que  Dieu  eft,  fnon  parce  que 
nous  coucettons  cela  tres-clairement  &  tres-dijîinâement  ;  doncques, 
auparauant  que  d!ejlre  affure^  de  l'exifîence  de  Dieu,  pous  deuons 
ejîre  ajfuré^  que  toutes  les  chofes  que  nous  conceuons  clairement  <? 
diftincîementfont  toutes  vrayes. 

l'adiouteray  vne  chofe  qui  m' eft  oit  efchapée,  c'eft  à  fçauoir,  que 
cette  proportion  me  femblé  faujfe  que  Monfteur  Des-Cartes  dorme 


2 14-2  1 5.  Quatrièmes  Objections.  167 

jpowr  vne  perité  \  ires-conjlante,  a  içauoir  que  rien  ne  peut  cftre  en 
Juy,  en  tant  v,  j'il  ell  vne  chofe  qui  penfe,  dont  il  n'ait  connoilïance. 
Car  par  ce  mot,  en  luy,  en  tant  qu'il  ell  vne  choie  qui  penfe,  il 
n'entend  autre  chofe  que  fou  efprit,  en  tant  qu'il  e/î  dijîingué  du 
corps.  Mais  qui  ne  poid  qu'il  peut  j'  auoir  plujieurs  chofes  en  Vefprit, 
dont  r efprit  mefme  n'ait  aucune  connoijfance  ?  Par  exemple,  Vefprit 
d'pn  enfant  qui  efi  dans  le  pentre  de  fa  mère,  a  bien  la  pertu  ou  la 
faculté  de  penfer,  mais  il  n'en  a  pas  connoiffance.  le  paffe  fous  flence 
pn  grand  nombre  de  femblables  chofes. 


Des  choses  qui  peuuent  arester  les  Théologiens. 

Enfin,  pour  ^nir  pn  difcours  qui  n'efl  défia  que  trop  ennuyeux,  te 
peux  icy  traitter  les  chofes  le  plus  briéuement  qu'il  me  fera  pojjible, 
&  à  ce  fujet  mon  deffein  efî  de  marquer  feulement  les  dijjiculte^,  fans 
m'arefîer  à  pne  difpute plus  exacîe. 

Premièrement,  ie  crains  que  quelques  pus  ne  s'ofenfent  de  cette 
libre  \  façon  de  philofopher,  par  laquelle  toutes  chofes  font  réuoquêes 
en  doute.  Et  depray  nq/tre  auteur  mefme  confejfe,  dans  fa  Méthode, 
que  cette  poj'e  eft  dangereufe  pour  les  foibles  efpris  ;  i'auoiie  néant-  284 
moins  qu'il  tempère  pu  \  peu  le  fujet  de  cette  crainte  dans  l'abrégé  de 
fa  première  Méditation. 

Toutesfois  ie  ne  fçay  s'il  ne  feroit  point  à  propos  de  la  munir  de 
quelque  préface,  dans  laquelle  le  lecteur  fufl  auerti  que  ce  n'efl  pas 
ferieufement  &  tout  de  bon  que  l'on  doute  de  ces  chofes,  mais  afin 
qu'ayant  pour  quelque  temps  mis  à  part  toutes  celles  qui  peuuent 
donner  le  moindre  doute,  ou,  comme  parle  noflre  auteur  en  pn 
autre  endroit,  qui  peuuent  donner  à  noltre  efprit  vne  occafion  de 
douter  la  plus  hj'perbolique,  nous  poyions  fi,  après  cela,  il  n'y 
aura  pas  moyen  de  Irouuer  quelque  7'erité  qui  fait  fi  ferme  &  fi 
ajfurée,  que  les  plus  opiniafires  n'en  puijfent  aucunement  douter.  Et 
aujji,  au  lieu  de  ces  paroles  :  ne  connoilfant  pas  l'auteur  de  mon 
origine,  ie  penferois  qu'il  paudroit  mieux  mettre  :  feignant  de  ne 
pas  connoiilre. 

Dans  la  quatrième  Méditation,  qui  traite  du  pray  &  du  faux,  ie 
poudrois,  pour  plitfieurs  raifons  qu'il  feroit  long  de  raporler  icy,  que 
Monfieur  Des-Cartes,  dans  fon  abrégé,  ou  dans  le  tijfu  mefme  de 
cette  Méditation,  auertifl  le  leâeur  de  deux  chofes. 

La  première,  que,  lorfqu'il  explique  la  caufe  de  l'erreur,  il  entend 
principalement  parler  de  celle  qui  fe  commet  dans  le  difcernement  d> 


i68  Œuvres  de  Descartes.  ais-aic. 

yray  &  du  faux ,  &  non  pas  de  celle  qui  arriue  dans  la  pourfuite  du 
bien  &  du  mal. 
i85  Car,  puifque  cela  fufit  pour  le  dejfein  &  le  but  \  de  nojlre  auteur, 
&  que  les  cho/es  qu'il  dit  icy  touchant  la  caufe  de  l'erreur  foufri- 
royent  de  très-grandes  obieâions,  Ji  on  les  étendait  aujjî  à  ce  qui  re- 
garde la  pourfuite  du  bien  &  du  mal,  il  mefemble  qu'il  eft  de  la  pru- 
dence, &  que  l'ordre  mefme,  dont  noftre  auteur  paroijl  fi  ialoux, 
requiert  que  toutes  les  chofes  qui  ne  feruent  point  au  fuiet,  &  qui 
\peuuent  donner  lieu  à  plujieurs  difputes,  foyent  retranchées,  de  peur 
que,  tandis  que  le  leâeur  s'amufe  inutilement  à  difputer  des  chofes  qui 
fontfuperfluës,  il  ne  foit  diuerti  de  la  connoijfance  des  necejfaires. 

La  féconde  chofe  dont  ie  voudrais  que  nojlre  auteur  dannajf  quelque 
auertijjement,  eft  que,  lorfqu'il  dit  que  nous  ne  deuans  donner  nojlre 
créance  qu'aux  chofes  que  nous  conceuons  clairement  &  dijîinâemenl, 
cela  s'entend  feulement  des  chofes  qui  concernent  les  fciences,  &  qui 
tombent  Jou\  nojlre  intelligence,  &  non  pas  de  celles  qui  regardent 
lafay  &  les  aâians  de  nojlre  vie  ;  ce  qui  a  fait  qu'il  a  toufours  con- 
damné l'arrogance  &prefomption  de  ceux  qui  opinent,  c'ejl  à  dire  de 
ceux  qui penfentfçauoir  ce  qu'ils  ne  fçauentpas,  mais  qu'il  n'a  iamais 
blâmé  la  iujle perfuajion  de  ceux  qui  croyent  auec  prudence. 

Car,  comme  remarque  fort  iudicieufement  S.  Augujlin  au  Cha- 
pitre i5  DB  l'utilité  de  la^  croyance,  il  y  a  trois  chofes  en  l'efprit  de 
l'homme  qui  ont  entr'elles  vn  très-grand  rapoft,  &  feitiblent  quafi 
tM     n'cftre  qu'vne  mefme  chofe,  mais  qu'il  faut  |  neantmoins  tres-foi- 
gneufement  diftinguer,  fçauoir  eft  :  entendre,  croire  &  opiner. 

Celuy-la  entend^  qui  comprend  quelque  chofe  par  des  raifons  cer- 
taines. Celuy-la  croit,  lequel,  emporté  par  le  poids  &  le  crédit  de 
quelque  graue  et  puiffante  autorité,  tient  pour  vray  cela  mefme  qu'il 
ne  comprend  pas  par  des  raifons  certaines.  Celuy-la  opine,  qui  fe 
perfuade  ou  plutoft  qui  prefume  de  fçauoir  ce  qu'il  ne  fçait  pas. 

Or  c'eft  vne  chofe  honieufe  &  fort  indigne  d'vn  homme  que 
d'opiner,  pour  deux  raifons  :  la  première,  pource  que  celuy-la  n'eft 
plus  en  eftat  d'aprendre,  qui  s'eft  defia  perfuade  de  fçauoir  ce  qu'il 
ignore  ;  &  la  féconde,  pource  que  la  prefomption  eft  de  foy  la  marque 
d'un  efprit  mal  fait  &  d'un  homme  de  peu  de  fens. 

Doncques  ce  que  nous  entendons,  nous  le  deuons  à  la  raifon  ; 
ce  que  nous  croyons,  à  l'autorité;  ce  que  nous  opinons,  à  l'erreur, 
le  dis  cela  afin  que  nous  fçachions  qu'adioutant  foy  mefme  aux 
chofes  que  nous  ne  comprenons  pas  encore,  nous  fomnies  exemps 
de  la  prefomption  de  ceux  qui  opinent. 
Car  ceux  qui  difent  qu'il  ne  faut  rien  croire  que  ce  que  noua  fça- 


ai6-ai8.  QUATRIÈMES    OBJECTIONS.  169 

uons,  tafchent  feulement  de  ne  point  tomber  dans  la  faute  de  ceux 
qui  opinent,  laquelle  |  en  effed  eft  de  fôy  honteufe  &  blafmable. 
Mais  h  quelqu'vn  confidere  auec  foin  la  grande  xlifFerence  qu'il  y  a, 
entre  celui  qui  prefume  fçauoir  ce  qu'il  ne  fçait  pas,  &  celuy  qtii 
croit  ce  qu'il  fçait  bien  qu'il  n'entend  pas,  y  eftant  toutesfois  porté 
par  quelque  puiffante  autorité,  il  verra  que  celuy-cy  eyite  fagement 
le  péril  de  Terreur,  le  blafme  de  peu  de  confiance  |  &  d'humanité,  887 
&  le  péché  de  fuperbe  ". 

Et  pn  peu  après,  Chap.  12,  iladioute: 

On  peut  aportcr  plufieurs  raifons  qui  feront  voir  qu'il  ne  reftç 
plus  rien  d*affuré  parmy  la  focieté  des  hommes,  fi  nous  fommes    ' 
rcfolus  de  ne  rien  croire  que  ce  que  nous  pourons  connoiftre  cef- 
tainement.  lufques  icy  Saint  Augujlm. 

Monfieur  Des-Cartes  peut  maintenant  iuger  combien  il  ej  necef- 
J aire  de  dijlinguer  ces  chofes,  de  peur  que  plujieurs  de  ceux  qui 
panchent  auiourdhuy  vers  .V  impieté  y  ne  puijfent  fe  feruir  de  fes  pa- 
roles pour  combatre  lafo/  &  la  vérité  de  nojire  créance. 

Mais  ce  dont  iepreuoy  que  les  Théologiens  s*offenferont  le  plus, 
ejt  que,  félon  fes  principes,  il  ne  fenible  pas  que  les  chofes  que  l'Eglife 
nous  enfeigne  touchant  le  facré  myflere  de  V Euchariflie  puijfent  fub- 
jyier  &  demeurer  en  leur  entier. 

Car  nous  tenons  pour  article  de  fo^  que  la  fubftance  du  pain  eftant 
oftée  du  pain  Euchariftique,  les  feuls  acçidens  y  demeurent.  Or  ces 
accidens  font  l'étettdué,  la  figure,  la  couleur,  l'odeur,  la  faueur,  & 
les  autres  qualite\fenjibles. 

De  qualité^  fenfbles  noflre  auteur  n'en  reconnoifl  point,  mais  feu- 
lement certains  d\fferens  mouuemens  des  petits  corps  qui  font  autour 
de  nous,  par  le  moyen  defquels  nous  fentons  ces  différentes  impref- 
fions,  lefquelles  puis  après  nous  apelons  du  nom  de  couleur,  de  fa- 
neur, d'odeur  &c.  \  Ainfi  il  refie  feulement  la  figure,  l'étendue  &  la  288 
mobilité.  Mais  noflre  auteur  nie  que  ces  faculté^  puijfent  eftre  enten- 
dues fans  quelque  fubftance  en  laquelle  elles  refident,  \&  partant  auffif 
qu'elles  puijfent  exifler  fans  elle;  ce  que  mefme  il  répète  dans  Jes 
Réponfes  aux  premières  Obieâions. 

Il  ne  reconnoiji  point  aujji  entre  ces  modes  ou  affeâions  de  la  fub- 
ftance, &  la  fubftance,  de  diftindion  autre  que  la  formelle,  laquelle  ne 
fuffit  pas,  ce  femble,  pour  que  les  chofes  qui  font  ainfi  diftinguêes, 
puijfent  jeftre  féparées  l*vne  de  l'autre,  mefme  par  la  toute  puijfance 
de  Dieu. 

a.  Non  à  la  ligne. 


lyo  Œuvres  de  Descartes.  218-219. 

le  ne.  douta-foini  que  MaTr/ieur  Qes-Çartes,  dont  la  pieté  nous  ejt 
très  connue,  n'examine  &  ne  pefe  diligemment  ces  chofes,  &  qu'il  ne 
iuge  bien  qu'il  luy  faut  foigneufement  prendre  garde,  qu'en  tachant 
dejoutenir  la  caufe  de  Dieu  contre  l'impiété  des  libertins,  il  ne  femble 
pas  leur  auoir  mis  des  armes  en  main,  pour  combatre  vne  foy  que 
l'autorité  du  Dieu  qu'il  défend  a  fondée,  &  au  moyen  de  laquelle  il 
efpere  paruenir  à  cette  vie  immortelle  qu'il  a  entrepris  de  perfuader 
aux  hommes. 


289 

.  RÉPONSES  DE  L'AVTEVR 

AUX    QUATRIEMES    OBJECTIONS 

Faites  par  Monjieur  Arnauld,  Doâeur  en  Théologie. 

LETTRE  DE  l' AUTEUR  AU  R.  P.  MERSENNE. 

Mon  R.  Pere, 

Il  m'euft  efté  dificile  de  fouhaiter  vn  plus  clairuoyant  &  plus  offi- 
cieux examinateur  de  mes  écris,  que  celuy  dont  vous  m'auez  enuoyé 
les  remarques;  car  il  me  traite  auec  tant  de  douceur  &  de  ciuilité, 
que  ie  voy  bien  que  Ton  deffein  n'a  pas  efté  de  rien  dire  contre  moy 
ny  contre  le  fuiet  que  i'ay  traitté;  &  neantmoins  c'eft  auec  tant  de 
foin  qu'il  a  examiné  ce  qu'il  a  combatu,  que  i'ay  raifon  de  croire 
290  que  rien  ne  luy  a  échapé.  Et  outre  cela  il  infifte  û  viuement  contre  les 
1  chofes  qui  n'ont  peu  obtenir  de  luy  fon  aprobation,  que  ie  n'ay 
pas  fujet  de  craindre  qu'on  |  eftime  que  la  complaifance  luy  ait  rien 
fait  diflimuler;  c'eft  pourquoy  ie  ne  me  mets  pas  tant  en  peine  des 
obieclions  qu'il  m'a  faites,  que  ie  me  réjouis  de  ce  qu'il  n'y  a  point 
plus  de  chofes  en  mon  écrit  aufquelles  il  contredife. 

RÉPONSE  A  LA  PREMIERE  PARTIE. 
DE  LA    NATURE  DE    L'ESPRIT  HUMAIN. 

le  ne  m'arefteray  point  icy  à  le  remercier  du  fccours  qu'il  m'a 
donne  en  me  fortifiant  de  l'autorité  de  Saint  Auguftin,  &  de  ce  qu'il 
a  propofé  mes  raifons^dc  telle  forte,  qu'il  fcmbloit  auoir  peur  que 
les  autres  ne  les  trouualfent  pas  affez  fortes  &  conuàincantes. 

Mais  ie  diray  d'abord  en  quel  lieu  i'ay  commencé  de  prouuer 


2I9-220.  Quatrièmes  Réponses.  171 

comment,  de  ce  que  ie  ne  connais  rien  autre  cho/e  qui  appartienne  à 
mon  ejfence,  c'elt  à  direàTeffence  de  mon  efprit,^wo«  que  iefuis  vne 
cho/e  qui  penfe,  il  s'enfuit  qu'il  n'y  a  aujfi  rien  autre  cho/e  qui  en  effect 
luy  appartienne.  C'eft  au  mefme  lieu  où  i'ay  prouué  que  Dieu  eft  ou 
exifte,  ce  Dieu,  dis-ie,  |  qui  peut  faire  toutes  les  chofes  que  ie  conçoy  291 
clairement  &  diftinclement  comme  poffibles. 

Car,quoy  que  peut-eftre  il  y  ait  en  moy  plufieurs  choies  que  ie  ne 
connois  pas  encore  (comme  en  effect  ie  fupolbis  en  ce  lieu-là  que  ie 
ne  fçauois  pas  encore  que  l'efprit  euft  la  force  de  mouuoir  le  corps, ou 
de  luy  eftre  fubftantiellement  vny),  neantmoins,  d'autant  que  ce  que 
ie  connois  eftre  en  moy  me  fufit  pour  fubfifter  auec  cela  feul,  ie  fuis 
allure  que  Dieu  me  pouuoit  créer  fans  les  autres  chofes  que  ie  ne 
connois  pas  encore,  &  partant, que  ces  autres  chofes  n'apartiennent 
point  à  Tefifence  de  mon  efprit. 

Car  il  me  femble  qu'aucune  des  chofes  fans  lefquelles  vne  autre 
peut  eftre,  n'eft  comprife  en  fon  effence  ;  &  encore  que  l'efprit  foit 
de  l'eflence  de  l'homme,  il  n'eft  pas  neantmoins,  à  proprement  parler, 
de  l'effence  de  l'efprit,  qu'il  foit  vny  au  corps  humain. 

|I1  faut  aufli  que  l'explique  icy  quelle  .eft  ma  penfée,lorfque  ie  dis 
qu^on  ne  peut  pas  inférer  vne  difiinâlion  réelle  entre  deux  chofes ^  de  ce 
que  Vvne  eft  conceuë  fans  Vautre  par  vne  abfîraâtion  de  l'efprit  qui  con- 
çoit la  chofe  imparfaitement ,  mais  feulement,  de  ce  que  chacune  délies 
eft  conceuë  fans  l'autre  pleinement,  ou  comme  vne  chofe  complète. 

Car  ie  n'eftime  pas  qu'vne  connoiffance  entière  &  parfaite  de  la 
chofe  foit  icy  requife,  comme  le  prétend  Monfieur  Arnauld  ;  mais  il 
y  a  en  cela  cetjte  différence,  qu'afin  qu'vne  connoiffance  foit  entière  292 
&  parfaite,  elle  doit  contenir  en  foy  toutes  &  chacunes  les  proprietez 
qui  font  dans  la  chofe  connue.  Et  c'eft  pour  cela  qu'il  n'y  a  que  Dieu 
feul  qui  fçache  qu'il  a  les  connoiffances  entières  &  parfaites  de 
toutes  les  chofes. 

Mais,quoy  qu'vn  entendement  créé  ait  peut-eftre  en  effeél  les  con- 
noiffances entières  &  parfaites  de  plufieurs  chofes,  neantmoins  iamais 
il  ne  peut  fçauoir  qu'il  les  a,  fi  Dieu  mefme  ne  luy  reuele  particu- 
lièrement. Car,  pour  faire  qu'il  ait  vne  connoiffance  pleine  &  en- 
tière de  quelque  chofe,  il  eft  feulement  requis  que  la  puiffance  de 
connoiftre  qui  eft  en  luy  égale  cette  chofe,  ce  qui  le  peut  faire 
ayTement  ;  mais  pour  faire  qu'il  fçache  qu'il  a  vne  telle  connoif- 
fance, ou  bien  que  Dieu  n'a  rien  mis  de  plus  dans  cette  chofe  que 
ce  qu'il  en  connoiit,  il  faut  que,  par  fa  puiffance  de  connoiftre,  il 
égale  la  puiffance  infinie  de  Dieu^  ce  qui  eft  entièrement  impoffible. 

Or,  pour  connoiftre  la  diftini^tion  réelle  qui  eft  entre  deux  chofes, 


172  Œuvres  de  Descartes.  aao-aaa. 

il  n'eft  pas  neceffaire  que  la  connoifl'ance  quç  nous  auons  de  ces 
chofes  foit  entière  &  parfaite,  fi  nous  ne  fçauons  en  mefme  temps 
qu'elle  eft  telle;  mais  nous  ne  le  pouuons  iamais  fçauoir,  comme 
ie  viens  de  prouuer;  donc  il  n'eft  pas  neceflaire  qu'elle  foit  entière 
&  parfaite. 
W3  C'eft  pourquoy,  où  i'ay  dit  qu'il  ne  fuffit  pas  qu'une  |  chofe  foit 
conceuë/ans  vne  autre  \  -par  vne  abjlraâion  de  l'e/prit  qui  conçoit  la 
chofe  imparfaitement,  ie  n'ay  pas  penfé  que  de  là  l'on  peuft)  inférer 
que,  pour  établir  vne  diftinélion  réelle,  il  fuft  befoin  d'vne  connoif- 
fance  entière  &  parfaite,  mais  feulement  d'vne  qui  fuft  telle,  que 
nous  ne  la  rendiffions  point  imparfaite  &  defedueufe  par  l'abftra- 
àxon  &  reftridion  de  noftre  efprit. 

Car  il  y  a  bien  de  la  différence  entre  auoir  vne  connoiffance  en- 
tièrement parfaite,  de  laquelle  perfonne  ne  peut  iamais  eftte  affuré, 
û  Dieu  mefme  ne  luy  reuele,  &  auoir  vne  connoifTance  parfaite 
iufqu'à  ce  point  que  nous  fçachions  qu'elle  n'eft  point  rendue  im- 
parfaite par  aucune  abftraétion  de  noftre  efprit. 

Ainfi,  quand  i'ay  dit  qu'il  faloit  conctwo'w  pleinement  vne  chofe, 
ce  n'eftoit  pas  mon  intention  de  dire  que  noftre  conception  deuoit 
eftre  entière  &  parfaite,  mais  feulement,  qu'elle  deuoit  eftre  affez 
diftinfte,  pour  fçauoir  que  cette  chofe  eftoit  complète. 

Ce  que  ie  penfois  eftre  manifefte,  tant  par  les  chofes  que  i'aùois 
di^  auparauant,  que  par  celles  qui  fuiuent  immédiatement  aprez  : 
car  i'auois  diftingué  vn  peu  auparauant  les  eftres  incomplets  de 
ceux  qui  font  complets,  &  i'auois  dit  qu'il  eftoit  neceffaire  que  cha* 
cune  des  chofes  qui  font  diftinguées  réellement,  fuft  conceuë  comme 
vn  eftre  par  foy  &  diftinét  de  tout  autre. 
194  |Et  vn  peu  aprez,  au  mefme  fens  que  i'ay  dit  que  ic  conceuois 
pleinement  ce  que  c'eft  que  le  corps,  i'ay  adiouté  au  mefme  lieu  que 
ie  conceuois  aufli  que  l'efprit  eft  vne  chofe  complète,  prenant  ces 
deux  façons  de  parler,  co«cewo/r  pleinement,  &  conceuoir  que  c*eff 
vne  chofe  complète,  en  vne  feule  &  mefme  fignification. 

Mais  on  peut  icy  demander  auec  raifon  ce  que  i'entens  par  vne 
chofe  complète,  &  comment  ie  prouue  que,  pour  la  dijlinéîion  réelle, 
il  fuffit  que  deux  chofes  foy  ent  conceuës  l' vne  fans  l'autre  comme  deux 
chofes  complètes. 

I  A  la  piemierc  demande  ie  répons  que,  par  vne  chofe  complète,  ie 
n'entens  autre  chofe  qu'vne  fubftance  reuétuC  des  formes,  ou  attri- 
buts, qui  fuftîfcni  pour  me  faire  connoiftre  qu'elle  eft  vne  fubftance. 

Car,  comme  i'ay  dcfia  remarqué  ailleurs,  nous  ne  connoiflbns 
point  les  fubftanccs  immédiatement  par  elles-mefmes;  mais,  de  ce 


232-3a3.  Quatrièmes  Réponses.  17J 

que  nous  aperceuons  quelques  formes,  ou  attribus,  qui  doiuent 
eftre  attachez  à  quelque  chofe  pourexifter,  nous  apelons  du  nom  de 
Subjlance  cette  chofe  à  laquelle  ils  font  atéichez. 

Que  fi,  après  cela,  nous  voulions  dépouiller  cette  mefme  fubflance 
de  tous  ces  attributs  qui  nous  la  font  connoiflre,  nous  détruirions 
toute  la  connoiffance  que  nous  en'auons,  &  ainfi  nous  pourions  bien 
à  la  vérité  dire  quelque  chofe  de  la  fubftance,  mais  tout  ce  que  nous 
en  dirions  ne  confifteroit  qu'en  paroles,  defquelles  nous  nie  conce- 
urions  pas  |  clairement  &  diflindement  la  fignifîcation.  295 

le  fçay  bien  qu'il  y  a  des  fubftances  que  l'on  appelle  vulgairement 
incomplètes;  mais,  fi,  on  les  apelle  ainfi  parce  que  de  foy  elles  ne 
peuuent  pas  fubfifter  toutes  feules  &  fans  eftre  foutenuës  par  d'autres 
chofes,  ie  confeffe  qu'il  me  femble  qu'en  cela  il  y  a  de  la  contra- 
diction, qu'elles  foyent  des  fubftances, c'eft  à  dire  des  chofes  qui  fub- 
fiftent  par  foy,  &  qu'elles  foyent  aufli  incomplètes,  c'eft  à  dire  des 
chofes  qui  ne  peuuent  pas  fubfifter  par  foy.  II  eft  vray  qu'en  vn  autre 
fens  on  les  peut  apeller  incomplètes,  non  qu'elles  ayent  rien  d'in- 
complet en  tant  qu'elles  font  des  fubftances,  mais  feulement  en  tant 
qu'elles  fe  raportent  à  quelqu'autre  fubftance  auec  laquelle  elles 
compofent  vn  tout  par  foy  &  diftind  de  tout  autre. 

Ainfi  la  main  eft  vne  fubftance  incomplète,  fi  vous  la  raportez  à 
tout  le  corps  dont  elle  eft  partie;  mais  fi  vous  la  confiderez  toute 
feule,  elle  eft  vne  fubftance  complète.  Et  pareillement  l'efprit  &  le 
corps  font  des  fubftances  incomplètes,  lorfqu'ils  font  raportez  à 
l'homme  qu'ils  compofent;  mais  eftant  confiderez  feparement,  ils 
font  des  fubftances  complètes. 

I  Car  tout  ainfi  qu'eftre  étendu,  diuifible,  figuré,  &c.,  font  des 
formes  ou  des  attributs  par  le  moyen  defquels  ie  connois  cette  fub- 
ftance qu'on  apelle  corps;  de  mefme  eftre  intelligent,  voulant,  dou- 
tant, &c.,  font  des  formes  par  le  moyen  defquelles  |  ie  connois  cette  296 
fubftance  qu'on  apelle  e/prit ;  &  ie  ne  comprens  pas  moins  que  la 
fubftance  qui  penfe  eft  vne  chofe  complète,  que  ie  comprens  que  la 
fubftance  étendue  en  eft  vne. 

Et  ce  que  Monfieur  Arnauld  a  adiouté  ne  fe  peut  dire  en  façon 
quelconque,  à  fçauoir,  que  peuteftre  le  corps  ej\  à  l'efprit  comme  le 
genre  ejl  à  l'efpece  :  car, encore  que  le  genre  puiffe  eftre  conceu  fans 
cette  particulière  différence  fpecifique,  ou  fans  celle-là,  l'efpece  toutes- 
lois  ne  peut  en  aucune  façon  eftre  conceuë  fans  le  genre. 

Ainfi,  par  exemple,  nous  conceuons  aifément  la  figure  fans  penfer 
au  cercle  (quoy  que  cette  conception  ne  foit  pas  diftinde,  fi  elle  n'eft 
raponée  à  quelque  figure  particulière;  ny  d'rne  chofe  complète. 


174  OEuvRES  DE  Descartes.  223-225. 

li  elle  ne  comprend  la  nature  du  corps);  mais  nous  ne  pouuons 
conceuoir  aucune  différence  fpecifique  du  cercle,  que  nous  ne  pen- 
fions  en  mefme  temps  à  la  figure. 

Au  lieu  que  l'efprit  peut  eitre  conceu  diftinctement  &  pleinement, 
c'ell  à  dire  autant  qu'il  faut  pour  eftre  tenu  pour  vne  chofe  com- 
plète, fans  aucune  de  ces  formes,  ou  attributs,  au  moyen  defquels 
nous  reconnoilfons  que  le  corps  ell  vne  fubrtance,  comme  ie  penfe 
auoir  fufifamment  demonftré  dans  la  féconde  Méditation  ;  &  le  corps 
elt  aufli  conceu  diftinctement  &  comme  vne  chofe  complète,  fans 
aucune  des  chofes  qui  appartiennent  à  l'efprit. 
297  îcy  neantmoins  Monfieur  Arnauld  pafte  plus  |  auant,  &  dit  :  encore 
que  ie  puiffe  acquérir  quelque  notion  de  moy-mefme  fans  la  notion  du 
corps,  il  ne  réfulte  pas  neantmoins  de  là,  que  celle  notion  foit  complète 
£'  entière,  en  telle  forte  que  ie  fois  ajfuré  que  ie  ne  me  trompe  points 
lorfque  i'exclus  le  corps  de  mon  ejfence. 

|Ce  qu'il  explique  par  l'exemple  du  triangle  infcrit  audemy-cercle, 
que  nous  pouuons  clairement  &  diftinctement  conceuoir  eftre  re- 
dangle,  encore  que  nous  ignorions,  ou  mefme  que  nous  nyions,  que 
le  quarré  de  fa  baze  foit  égal  aux  quarez  des  coftez  ;  &  neantmoins 
on  ne  peut  pas  de  là  inférer  qu'on  puilfe  faire  vn  triangle  rectangle, 
duquel  le  quaré  de  la  baze  ne  foit  pas  égal  aux  quarez  des  coftez. 

Mais,  pour  ce  qui  eft  de  cet  exemple,  il  diffère  en  plufieurs  façons 
de  la  chofe  propoféé.  Car,  premièrement,  encore  que  peut-eftre  par 
vn  triangle  on  puifte  entendre  vne  fubftance  dont  la  figure  eft  trian- 
gulaire, certes  la  propriété  d'auoir  le  quaré  de  la  baze  égal  aux  qua- 
rez des  coftez,  n'eft  pas  vne  fubftance,  &  partant,  chacune  de  ces 
deux  chofes  ne  peut  pas  eftre  entendue  comme  vne  chofe  complette, 
ainli  que  le  font  Vefpril  &  le  corps.  Et  mefme  cette  propriété  ne  peut 
pas  eftre  apellée  vne  chofe,  au  mefme  fens  que  i'ay  dit  que  c'e/t  ajfe\ 
que  ie  puijfe  conceuoir  me  chofe  (c'eft  à  fçauoir  vne  chofe  complète) 
fans  vne  autre,  &c.,  comme  il  eft  ayfé  de  voir  par  ces  paroles  qui 
fuiueni:  Dauantage  ie  troutie  en  moy  des  faculté^,  é'c.  Car  ie  n'ay 
M8  pas  dit  que  ces  fa|cultez  fulfent  des  chofes,  mais  i'ay  voulu  exprelfe- 
ment  faire  diftinction  entre  les  chofes,  c'eft  à  dire  entre  les  fubftances, 
ik  les  modes  de  ces  chofes,  c'eft  à  dire  les  facultcz  de  ces  fubftances. 

En  fécond  lieu,  encore  que  nous  puiflions  clairement  &  diftinde- 
ment. conceuoir  que  le  triangle  au  demy-cercle  eft  rectangle,  fans 
aperccuoir  que  le  quiiré  de  fa  baze  eft  égal  aux  quarez  des  coftez, 
neantmoins  nous  ne  pouuons  pas  conceuoir  ainli  clairement  vn 
triangle  duquel  le  quaré  de  la  baze  |  foit  égal  aux  quarez  des  coftez, 
fan»  que  nous  apcrceuions  en  mefme  temps  qu'il  eft  redangle  ;  mais 


290 


225-226.  Quatrièmes  Réponses.  175 

nous  conceuons  clairement  &  diftinclement  l'elprii  fans  le  corps,  & 
réciproquement  le  corps  fans  l'efprit. 

En  troijiéme  lieu,  encore  que  le  concept  ou  l'idée  du  triangle  infcrit 
au  demy-cercle  puilfe  eilre  telle,  qu'elle  ne  contienne  point  l'égalité 
qui  eft  entre  le  quaré  de  la  baze  &  les  quarez  des  collez,  elle  ne  peut 
pas  neantmoins  eftre  telle,  que  l'on  conçoiue  que  nulle  proportion 
qui  puille  élire  entre  le  quaré  de  la  baze  ^  les  quarez  des  collez 
n'apartient  à  ce  triangle  ;  &  partant,  tandis  que  l'on  ignore  quelle 
ell  cette  proportion,  on  n'en  peut  nier  aucune  que  celle  qu'on  con- 
noift  clairement  ne  luy  point  appartenir, ce  qui  ne  peut  iamais  eftre 
entendu  de  la  proportion  d'égalité  qui  eft  entr'eux. 

Mais  il  n*3^  a  rien  de  contenu  dans  le  concept  du  |  corps  de  ce  qui 
apartient  à  l'efprit,  &  réciproquement  dans  le  concept  de  l'efprit  rien 
n'ell  compris  de  ce  qui  apartient  au  corps. 

C'ert  pourquoy,  bien  que  i'aye  dit  que  c'ejî  aJJ'e\  que  te  puijje  con- 
ceuoir  clairement  &  dijlinâement  me  chofe  fans  vne  autre,  iS'C,  on 
ne  peut  pas  pour  cela  former  celte  mineure  :  Or  ejl-il  que  ie  conçoy 
clairement  &  dijiinâement  que  ce  triangle  eji  recîangle,  encore  que  ie 
doute  ou  que  ie  nie  que  le  quaré  de  fa  ba\e  foit  égal  aux  quare\  des 
cojleiy  &c. 

Premièrement,  parce  que  la  proportion  qui  eft  entre  le  quàré  de 
la  baze  à  les  quarez  des  collez  n'ell  pas  vne  chofe  complète. 

Secondement,  parce  que  cette  proportion  d'égalité  ne  peut  eilre 
clairement  entendue  que  dans  le  triangle  reclangle. 

Et  en  troifiéme  lieu,  parce  que  nul  triangle  ne  peut  eftre  dillincle- 
ment  conceu,  fi  on  nie  la  proportion  qui  eft  entre  les  quarez  de  fes 
collez  &  de  fa  baze.  ^ 

Mais  maintenant  il  faut  palfer  à  la  féconde  demande,  &  montrer 
comment  il  eft  vray  que,  de  cela  Jeul  que  |  ie  conçq/  clairement  «S'- 
dijlinâement  vne  fubjtance  fans  vne  autre,  ie  fuis  a£'uré  qu'elles  s'ex- 
cluent mutuellement  l'vne  l'autre  :  cq  que  ie  montre  en  cette  forte. 

La  notion  de  la  fubjtance  ell  telle,  qu'on  la  conçoit  comme  vne 
chofe  qui  peutexifter  par  foy-mefme,  c'ell  à  dire  fans  le  fecours  d'au- 
cune autre  I  fubftance,  &  il  n'y  a  iamais  eu  perfonne  qui  ait  conceu 
deux  fubftances  par  deux  differens  concepts,  qui  n'ait  iugé  qu'elles     300 
elloyent  réellement  diilincles. 

G'eft  pourquoy,  li  ie  n'culfe  point  cherché  de  certitude  plus  grande 
que  la  vulgaire,  ie  me  fulfe  contenté  d'auoir  montré,  en  la  féconde 
Méditation,  que  Vefprit  eft  conceu  comme  vne  chofe  fubîiftante, 
quoy  qu'on  ne  luy  attribue  rien  de  ce  qui  apartient  au  corps,  &  qu'en 
mefme  façon  le  corps  eft  conceu  comme  vne  chofe  fubfiftante,  quoy 


176 


Œuvres  de  Descartes.  aîô-aî?. 


qu'on  ne  kii  attribue  rieji  de  ce  qui  apartient  à  l'efprit.  Et  ie  n'aurois 
rien  adiouté  dauantage  pour  prouuer  que  l'efprit  eft  réellement 
diftingué  du  corps,  d'autant  que  vulgairement  nous  iugeons  que 
toutes  les  chofes  font  en  effed,  &  félon  la  vérité,  telles  qu'elles 
paroiffent  à  noftre  penfée. 

Mais,  d'autant  qu'entre  ces  doutes  hyperboliques  que  i'ay  pro- 
pofez  dans  ma  première  Méditation,  cetuy-cy  en  eftoit  vn,à  fçauoir, 
que  ie  ne  pouuois  eftre  affuré  que  les  chofes  fujfent  en  effeâ,  &  félon 
la  vérité,  telles  que  nous  les  conceuons,  tandis  que  ie  fupofois  que  ie 
ne  connoiflbis  pas  l'auteur  de  mon  origine,  tout  ce  que  i'ày  dit  de 
Dieu  &  de  la  vérité,  dans  la  3,4  &  5  Méditation,  fert  à  cette  conclu- 
fion  de  la  réelle  diftinftion  de  Vefprit  d'auec  \é  corps,  laquelle  enfin 
i'ay  acheuée  dans  la  fixiéme. 

\Ie  conçof  fort  bien,  dit  Monfieur  Arnauld, /a  nature  du  triangle 
SOI  infcrit  dans  le  denty-cercle,fans  que  ie  \  f cache  que  le  quaré  de  fa  ba\e 
efl  égal  aux  quare^  des  cofle\,  A  quoy  ie  répons  que  ce  triangle  peut 
véritablement  eftre  conceu,  fans  que  l'on  penfe  à  la  proportion  qui 
eft  entre  le  quaré  de  fa  baze  &  les  quarez  de  fes  coftez,  mais  qu'on 
ne  peut  pas  conceuoir  que  cette  proportion  doiue  eftre  niée  de  ce 
triangle,  c'eft  à  dire  qu'elle  n'apartienne  point  à  la  nature  de  ce 
triangle  ;  &  qu'il  n'en  eft  pas  ainfi  de  l'efprit  ;  pource  que  non  feu- 
lement nous  conceuons  qu'il  eft  fans  le  corps,  mais  aufli  nous  pou- 
uons  nier  qu'aucune  des  chofes  qui  apartiennent  au  corps,  apar- 
tienne  à  l'efprit  ;  car  c'eft  le  propre  &  la  nature  des  fubftances  de 
s'exclure  mutuellement  l'vne  l'autre. 

Et  ce  que  Monfieur  Arnauld  a  adiouté  ne  m'eft  aucunement  con- 
traire, à  fçauoir  que  ce  n'efl  pas  merueilleji,  lorfque  de  ce  que  ie  penfe 
ie  viens  à  conclure  que  iefuis,  l'idée  que  de  là  ie  forme  de  moy-mefnte, 
me  reprefenie  feulement  comme  vne  chofe  qui  penfe.  Car,  de  la  mefme 
façon,  lorfque  i'examine  la  nature  du  corps,. ie  netrouue  rien  en  elle 
qui  relfenie  la  penfée  ;  &  on  ne  fçauroit  auoir  vn  plus  fort  argument 
de  la  diftindion  de  deux  chofes,  que  lorlque,  venant  à  les  confiderer 
toutcis  deux  féparement,  nous  ne  trouuons  aucune  chofe  dans  l'vne 
v]ui  ne  foit  entièrement  différente  de  ce  qui  fc  retrouue  en  l'autre. 

le  ne  voy  pas  aulîi  pourquoy  cet  argument  femble  prouuer  trop  ; 
car  ie  ne  penfe  pas  que,  pour  montrer  qu'vne  chofe  eft  réellement 
902  diftinde  d  vne  autre,  on  |  puiffe  rien  dire  de  moins,  finon  que  par  la 
louie-puilfance  de  Dieu  elle  en  peut  eftre  feparée  ;  &  il  m'a  femblé 
que  i'auois  pris  garde  affez  foigneufement  à  ce  que  perfonne  ne  puft 
pour  cela  penfer  que  l'homme  nefï  rien  qu'rn  efprit  vfant  oufcferuant 
•  du  corps. 


aa7-"9.  QUATRIÈMES    REPONSES.  I77 

Car,  dans  (la  mefme  fixiéme Méditation, où  i'ay  parlé  de  la  diftin- 
étion  de  l'efprit  d'auec  le  corps,  i'ay  aufli  montré  qu'il  luy  eft  fubftan- 
tiellement  vny  ;  pour  preuue  de  quoy  ie  me  fuis  ferui  de  raifons 
qui  font  telles,  que  ie  n'ay  point  fouuenance  d'en  auoir  iamais  leu 
ailleurs  de  plus  fortes  &  conuaincantes. 

Et  comme  celuy  qui  diroit  que  le  bras  d'vn  homme  eft  vne  fub- 
ftance  réellement  diftinde  du  refte  de  fon  corps,  ne  nieroit  pas  pour 
cela  qu'il  eft  de  l'eflence  de  l'homme  entier,  &  que  celuy  qui  dit  que 
ce  mefme  bras  eft  de  l'effence  de  l'homme  entier,  ne  donne  pas  pour 
cela  occafion  de  croire  qu'il  ne  peut  pas  fubfifter  par  foy  ;  ainfi  ie  ne 
penfe  pas  auoir  trop  prouué  en  montrant  que  l'efprit  peut  eftre  fans 
le  corps,  ny  auoir  aulfi  trop  peu  ditj  en  difant  qu'il  luy  eft  fubftan- 
tiellement  vny;  parce  que  cette  vnion  fubftaniielle  n'empêche  pas 
qu'on  ne  puifTe  auoir  vne  claire  &  diftinde  idée  ou  concept  de  l'ef- 
prit, comme  d'vne  chofe  complète;  c'eft  pourquoy  le  concept  de 
l'efprit  diffère  beaucoup  de  celuy  de  la  fuperficie  &  de  la  ligne,  qui 
ne  peuuent  pas  eftre  ainfi  entendues  comme  des  chofes  complètes, 
jfi,  outre  la  longueur  &  la  largeur,  ot\  ne  leur  attribue  aufli  la  pro-  303 
fondeur. 

Et  enfin,  de  ce  que  la  faculté  de  p  enfer  eji  ajfoupie  dans  les  enfans, 
&  que  dans  lesfoux  elle  eflj  non  pas  à  la  vérité  éteintCf  mais  troublée, 
il  ne  faut  pas  penfer  qu'elle  foit  tellement  attachée  aux  organes  cor- 
porels, qu'elle  ne  puiffe  eftre  fans  eux.  Car,  de  ce  que  nous  voyons 
îbuuent  qu'elle  eft  empêchée  par  ces  organes,  il  ne  s'enfuit  aucune- 
ment qu'elle  foit  produite  par  eux;  &  il  n'eft  pas  poflible  d'en  donner 
aucune  raifon,  tant  légère  qu'elle  puiffe  eftre. 

le  ne  nie  pas  neantmoins  que  cette  étroite  liaifon  de  l'efprit  &  du 
corps,  que  nous  expérimentons  tous  les  iours,  |  ne  foit  caufe  que 
nous  ne  découurons  pas  ayfément,  &  fans  vne  profonde  méditation, 
la  diftindion  réelle  qu'  eft  entre  l'vn  &  l'autre. 

Mais,  à  mon  iugeuient,  ceux  qui  repafferont  fouuent  dans  leur 
efprit  les  chofes  que  i'ay  efcrites  dans  ma  féconde  Méditation,  fe  per- 
fuaderont  ayfément  que  l'efprit  n'eft  pas  diftingué  du  corps  par  vne 
feule  fiélion  ou  abftradion  de  l'entendement,  mais  qu'il  eft  connu 
comme  vne  chofe  diftinfte,  parce  qu'il  eft  tel  en  effed. 

le  ne  répor  s  rien  à  ce  que  Monfieur  Arnauld  a  icy  adiouté  tou- 
chant l'immortalité  de  l'ame,  puifque  cela  ne  m'eft  point  contraire  ; 
mais,  pour  ce  qui  regarde  les  âmes  des  beftes,  quoy  que  leur  confi- 
Ideration  ne  foit  pas  de  ce  lieu,  &  que,  fans  l'explication  de  toute  la  304 
phyfique,  ie  n'en  pulifc  dire  dauantage  que  ce  que  i'ay  délia  dit  dans 
la  5  partie  de  mon  traité  de  la  Méthode,  toutesfois  ie  diray  encore 
Œuvres.  IV.  12 


1/8 


Œuvres  de  Descartes.  239-330. 


icy  qu'il  me  femble  que  c'ell  vne  chofe  fort  remarquable,  qu'aucun 
mouuementne  fe  peut  faire,  foit  dans  les  corps  des  beftes,  foit  mefme 
dans  les  noftres,  fi  ces  corps  n'ont  en  eux  tous  les  organes  &  inftru- 
mens,  par  le  moyen  defquels  ces  mefmes  mouuemens  pourro3'ent 
aufli  ertre  accomplis  dans  vne  machine;  en  forte  que,  mefme  dans 
nous,  ce  n'eft  pas  l'efprit  (ou  l'ame)  qui  meut  immédiatement  les 
membres  extérieurs,  mais  feulement  il  peut  déterminer  le  cours  de 
celte  liqueur  fort  fubtile,  qu'on  nomme  les  efprits  animaux,  laquelle, 
coulant  continuellement  du  cœur  par  le  cerueau  dans  les  mufcles, 
eft  caufe  de  tous  les  mouuemens  de  nos  membres,  &  fouuent  en 
peut  caufer  plufieurs  difîerens,  aufli  facilement  les  vns  que  les  autres. 
Et  mefme  il  ne  le  détermine  pas  toufiours;  car,  entre  les  mouuemens 
qui  fe  font  en  nous,  il  y  en  a  plufieurs  qui  ne  dépendent  point  du 
tout  de  l'efprit,  comme  font  le  batement  du  cœur,  la  digeftion  des 
viandes,  la  nutrition,  la  refpiration  de  ceux  qui  dorment,  &  mefme, 
en  ceux  qui  font  éueillez,le  marcher, (chanter,  &  autres  adions  fem- 
blables,  quand  elles  fefont  fans  que  l'efprit  y  penfe.  Et  lorfque  ceux 
qui  tombent  de  haut,  prefentent  leurs  mains  les  premières  pour 

305  fauuer  leur  J  telle,  ce  n'eil  point  par  le  confeil  de  leur  raifon  qu'ils 
font  cette  aélion  ;  &  elle  ne  dépend  point  de  leur  efprit,  mais  feule- 
ment de  ce  que  leurs  fens,  eftans  touchez  par  le  danger  prefent, 
caufent  quelque  changement  en  Jeur  cerueau  qui  détermine  les  ef- 
pris  animaux  à  pafTer  de  là  dans  les  nerfs,  en  la  façon  qui  eft  requife 
pour  produire  ce  mouuement  tout  de  mefme  que  dans  vne  machine, 
&  fans  que  l'efprit  le  puiffe  empêcher. 

Or,  puifque  nous  expérimentons  cela  en  nous-mefmes,  pourquoy 
nous  étonnerons-nous  tant,  fi  la  lumière  refléchie  du  corps  du  loup 
dans  les  yeux  de  la  brebis  a  la  mefme  force  pour  exciter  en  elle  le 
mouuement  de  la  fuite  ? 

Après  auoir  remarqué  cela,  fi  nous  voulons  vn  peu  raifonner  pour 
connoiftre  fi  quelques  mouuemens  des  beftes  font  femblables  à  ceux 
qui  fe  font  en  nous  par  le  miniftere  de  l'efprit,  ou  bien  à  ceux  qui 
dépendent  feulement  des  efpris  animaux  &  de  la  difpofition  des  or- 
ganes, il  faut  confiderei  les  différences  qui  font  entre  les  vns  &  les 
autres,  lefquellcs  i'ay  expliquées  dans  la  cinquième  partie  du  dif- 
cours  de  la  Méthode,  car  ie  ne  penfe  pas  qu'on  en  puiffe  trouuer 
d'autres;  &  alors  on  verra  facilement  que  toutes  les  adions  des 
beftes  font  feulement  femblables  à  celles  que  nous  faifons  fans  que 
noflre  efprit  y  contribue. 

)0Q  A  raifon  de  quoy  nous  ferons  obligez  de  conclure,  que  nous  ne 
ronnoilfons  en  effed  en  elles  au |cun  autre  principe  de  mouuement 


230-232.  Quatrièmes  Réponses.  179 

que  la  feule  difpofiiion  des  organes  &  la  continuelle  affluence  des 
efpris  animaux  produis  par  la  chaleur  du  cœur,  qui  atenuë  &  fubti- 
life  le  fang;  &  enfemble  nous  reconnoiftrons  que  rien  ne  nous  a  cy- 
deuant  donné  occafion  de  leur  en  attribuer  vn  autre,  finon  que,  ne 
diftinguans  pas  ces  deux  principes  du  mouuement,  &  voyans  que 
l'vn,  qui  dépend  feulement  des  efpris  animaux  &  des  organes,  eft 
dans  I  les  belles  aufli  bien  que  dans  nous,  nous  auons  creu  inconfide- 
rément  que  l'autre,  qui  dépend  de  l'efprit  &  de  la  penfée,  eftoit  aufli 
en  elles. 

Et  certes,  lorfque  nous  nous  fommes  perfuadez  quelque  chofe  dez 
noftre  ieuneffe,  &  que  noftre  opinion  s'eft  fortifiée  par  le  temps, 
quelques  raifons  qu'on  employé  aprez  cela  pour  nous  en  faire  voir 
la  fauffeté,  ou  plutoft  quelque  fauffeté  que  nous  remarquions  en  elle, 
il  eft  neantmoins  très  difficile  de  l'ofter  entièrement  de  noftre  créance, 
fi  nous  ne  les  repaffons  fouuent  en  noftre  efprit,  &  ne  nous  acoutu- 
mons  ainfi  à  déraciner  peu  à  peu  ce  que  l'habitude  à  croire,  plutoft 
que  la  raifon,  auoit  profondement  graué  en  noftre  efprit. 

[RÉPONSE    A   L'AUTRE  PARTIE.  307 

DE  DIEU, 

lufques  icy  i'ay  tâché  de  refoudre  les  argumens  qui  m'ont  efté 
propofez  par  Monfieur  Arnauld,  &  me  fuis  mis  en  deuoir  de  fou- 
tenir  tous  fes  efforts;  mais  déformais,  imitant  ceux  qui  ont  à  faire 
à  vn  trop  fort  aduerfaire,  ie  tacheray  plutoft  d'euiter  les  coups,  que 
de  m'oppofer  diredement  à  leur  violence. 

Il  traitte  feulement  de  trois  chofes  dans  cette  partie,  qui  peuuent 
facilement  eftre  accordées  félon  qu'il  les  entend  ;  mais  ie  les  prenois 
en  vn  autre  fens,  lorfque  ie  les  ay  écrites,  lequel  fens  me  femble 
aufli  pouuoir  eftre  receu  comme  véritable. 

La  première  eft  que  quelques  idées  font  matériellement  fauffest 
c'eft  à  dire,  félon  mon  fens,  qu'elles  font  telles  qu'elles  donnent  au 
iugement  matiera  ou  occafion  d'erreur  ;  mais  luy,  confiderant  les 
idées  prifes  formellement,  foutient  qu'il  n'y  a  en  elles  aucune 
fauffeté. 

La  féconde,  que  Dieu  eji  par  foy  pofitiuement  &  comme  par  vne 
caufe,  où  i'ay  feulement  voulu  dire  que  la  raifon  pour  laquelle  Dieu 
n'a  befoin  d'aucune  caufe  efîiciente  pour  exifter,  eft  fondée  en  vne 
chofe  pofitiue,  à  fçauoir,  dans  l'immenfité  mefme  |  de  Dieu,  |  qui  eft  308 
la  chofe  la  plus  pofitiue  qui  puifl'e  eftre  ;  mais  luy,  prenant  la  chofe 
autrement,  prouue  que  Dieu  n'eft  point  produit  par  foy-mefme,  & 


i8o  Œuvres  de  Descartes.  a3a-a33 

qu'il  n'eft  point  conferué  par  vne  adion  pofitiue  de  la  caufe  cf&* 
ciente,  de  quoy  le  demeure  aufli  d'accord. 

Enfin,  la  troifiéme  eft,  qu'iV  ne  peut  y  auoir  rien  dans  nojire  ejprit 
dont  nous  n'ayons  connoijfance ;  ce  que  i'ay  entendu  des  opérations, 
&  luy  le  nie  des  puiffances. 

Mais  ie  tâcheray  d'expliquer  tout  cecy  plus  au  long.  Et  premiè- 
rement, où  il  dit  que,/  le  froid  eft  Jeùlement  vne  priuation,  il  ne 
peut  y  auoir  d'idée  qui  me  le  reprefente  comme  vne  chofe  pofttiue,  il 
eft  manifefte  qu'il  parle  de  l'idée  pn(Q  formellement. 

Car,  puifque  les  idées  mefmes  ne  font  rien  que  des  formes,  & 
qu'elles  ne  font  point  compofées  de  ihatiere,  toutes  &  quantes  fois 
qu'elles  font  confiderées  en  tant  qu'elles  reprefentent  quelque  chofe, 
elles  ne  font  pas  prifes  matériellement,  mah  formellement;  que  fi  on 
les  confideroit,  non  pas  en  tant  qu'elles  reprefentent  vne  chofe  ou 
vne  autre,  mais  feulement  comme  eftant  des  opérations  de  l'enten- 
dement, on  pouroit  bien  à  la  vérité  dire  qu'elles  feroient  prifes 
matériellement,  mais  alors  elles  ne  fe  raporteroient  point  du  tout 
à  la  vérité  ny  à  la  faufleté  des  objets. 

C'eft  pourquoy  ie  ne  penfe  pas  qu'elles  puiffent  eftre  dites  maté- 
riellement fauffes,  en  vn  autre  fens  que  celuy  que  i'ay  défia  expliqué: 
c'eft  à  fçauoir,  foit  que  le  froid  foit  vne  chofe  pofitiue,  foit  qu'il  foit 
300  vne  priuation,  ie  n'ay  pas  pour  cela  vne  autre  |  idée  de  luy,  mais 
elle  demeure  en  moy  la  mefme  que  i'ay  toufiours  eue;  laquelle  ie  dis 
me  donner  matière  ou  occafion  d'erreur,  s'il  eft  vray  que  le  froid 
foit  vne  priuation,  &  qu'il  n'ait  pas  autant  de  realité  que  la  cha- 
leur, d'autant  que,  venant  à  confiderer  l'vne  &  l'autre  de  ces 
idées,  félon  que  ie  les  ay  receuës  des  fens,  ie  ne  puisf  reconnoiftre 
qu'il  y  ait  plus  de  realité  qui  me  foit  reprefentée  par  l'vne  que 
par  l'autre. 

Et  certes  ie  n'ay  pas  confondu  le  iugement  auec  l'idée;  car  i'ay  dit 
qu'en  celle-cy  fe  rencontroit  vne  faufleté  matérielle,  mais  dans  le 
iugement  il  ne  peut  y  en  auoir  d'autre  quWnG  formelle.  Et  quand  il 
dit  que  l'idée  du  froid  eft  le  froid  mefme  en  tant  qu'il  eft  objeâi" 
uement  dans  V entendement,  ie  penfe  qu'il  faut  vfer  de  diftinélion  ; 
car  il  arriue  fouuent  dans  les  idées  obfcures  &  confufes,  entre 
lefquelles  celles  du  froid  &  de  la  chaleur  doiuent  eftre  mifcs, 
qu'elles  fe  raporient  à  d'autres  chofes  qu'à  celles  dont  elles  font 
véritablement  les  idées. 

Ainfi,  fi  le  froid  eft  feulement  vne  priuation,  l'idée  du  froid  n'cft 
pas  le  froid  mefme  en  tant  qu'il  eft  objediuement  dans  l'enten- 
dement, mais  quelque  autre  chofe  qui  eft  prife  faufl'ement  pour  cette 


233-334.  Quatrièmes  Réponses.  i8i 

priuation  :  fçauoir  eft,  vn  certain  fentiment  qui  n'a  aucun  eftre  hors 
de  Tentendement. 

Il  n'en  eft  pas  de  mefme  de  l'idée  de  Dieu,  au  moins  de  celle  qui 
eft  claire  &  diftinde,  parce  qu'on  ne  peut  pas  dire  qu'elle  fe  ra- 
porte  à  quelque  cho|fe  à  quoy  elle  ne  foit  pas  conforme.  3^0 

Quant  aux  idées  confufes  des  Dieux  qui  font  forgées  par  les 
Idolâtres,  ie  ne  voy  pas  pourquoy  elles  ne  pouroient  point  aufli 
eftre  dites  matériellement  fauffes,  en  tant  qu'elles  feruent  de  ma- 
tière à  leurs  faux  iugemens. 

Combien  qu'à  dire  vray,  celles  qui  ne  donnent,  pour  aînfi  dire,  au 
iugement  aucune  occafion  d'erreur,  ou  qui  Ja  donnent  fort  légère, 
ne  doiuent  pas  auec  tant  de  raifon  eftre  dites  matériellement  fauffes, 
que  celles  qui  la  donnent  fort  grande  ;  or  il  eft  aifé  de  faire  voir, 
par  plufieurs  exemples,  qu'il  y  en  a  qui  donnent  vne  bien  plus 
grande  occafion  d'erreur  les  vues  que  les  autres. 

Car  elle  n'eft  pas  |  fi  grande  en  ces  idées  confufes  que  noftre  efprit 
inuente  luy-mefme  (telles  que  font  celles  des  faux  Dieux),  qu'en 
celles  qui  nous  font  offertes  confufément  par  les  fens,  comme  font 
les  idées  du  froid  &  de  la  chaleur,  s'il  eft  vray,  comme  i'ay  dit, 
qu'elles  ne  reprefentent  rien  de  réel. 

Mais  la  plus  grande  de  toutes  eft  dans  ces  idées  qui  naiffent  de 
l'appétit  fenfitif.  Par  exemple,  l'idée  de  la  foif  dans  vn  hydropique 
ne  luy  eft-elle  pas  en  effet  occafion  d'erreur,  lorfqu'elle  luy  donne 
fujet  de  croire  que  le  boire  luy  fera  profitable,  qui  toutesfois  luy 
doit  eftre  nuifible  ? 

Mais  Monfieur  Arnauld  demande  ce  que  cette  idée  du  froid  me 
reprefente,  laquelle  i'ay  dit  eftre  matériellement  fauffe  :  car,  dit-il, 
^  elle  reprefente  vne  \  priuation^  donc  elle  eft  vraye;  fi  vn  eftre  po-  311 
fiitf,  donc  elle  n'eft  point  l'idée  du  froid.  Ce  que  ie  luy  accorde;  mais 
ie  ne  l'apelle  fauffe,  que  parce  qu'eftant  obfcure  &  confufe,  iè  ne 
puis  difcerner  fi  elle  me  reprefente  quelque  chofe  qui,  hors  de  mon 
fentiment,  foit  pofitiue  ou  non;  c'eft  pourquoy  i'ay  occafion  de  iuger 
que  c'eft  quelque  chofe  de  pofitif,  quoy  que  peut-eftre  ce  ne  foit 
qu'vne  fimple  priuation. 

Et  partant,  il  ne  faut  pas  demander  quelle  eft  la  cau/e  de  cet  eftre 
pofitif  objeâ if ,  qui,  félon  mon  opinion f  fait  que  cette  idée  eft  maté- 
riellement fauffe  ;  d'autant  que  ie  ne  dis  pas  qu'elle  foit  faite  maté- 
riellement fauffe  par  quelque  eftre  pofitif,  mais  par  la  feule  obfcu- 
rité,  laquelle  neantmoins  a  pour  fujet  &  fondement  vn  eftre  pofitif, 
à  fçauoir  le  fentiment  mefme. 

Et  de  vray,  cet  eftre  pofitif  eft  en  moy,  en  tant  que  ie  fuis  vne 

• 


i82  OEUVRES  DE  Descartes.  234-236. 

chofe  vraye.;  mais  robfcurité,  laquelle  feule  me  donne  occafion  de 
iuger  que  l'idée  de  ce  fentiment  |  reprefente  quelque  objet  hors  de 
moy  qu'on  apelle  froid,  n'a  point  de  caufe  réelle,  mais  elle  vient 
feulement  de  ce  que  ma  nature  n'eft  pas  entièrement  parfaite. 

Et  cela  ne  renuerfe  en  façon  quelconque  mes  fondemens.  Mais  ce 
que  i'aurois  le  plus  à  craindre,  feroit  que,  ne  m'eftant  iamais  beau- 
coup arrefté  à  lire  les  liures  des  Philofophes,  ie  n'aurois  peut-eftre 
pas  fuiuy  aflez  exactement  leur  façon  de  parler,  lorfque  i'ay  dit  que 
ces  idées,  qui  donnent  au  iugement  matière  ou  occafion  d'erreur, 
312  eûohnt  matériellement  \faujfes,  fi  ie  ne  trouuois  que  ce  mot  mate- 
riêllement  eft  pris  en  la  mefme  fignification  par  le  premier  auteur  qui 
m'eft  tombé  par  hazard  entre  les  mains  pour  m'en  éclaircir  :  c'eft 
Suarez,  en  la  Difpute  9,  fedion  2,  n.  4. 

Mais  paflbns  aux  chofes  que  _M.  Arnauld  defapproûue  le  plus, 

&  qui  toutesfois  me  femblent  mériter  le  moins  fa  cenfure  :  c'eft  à 

fçauoir,où  i'ay  dit  qu*il  nous  ejîoit  loijible  de  penfer  que  Dieu  fait  en 

'  quelque  façon  la  mefme  chofe  à  l'égard  de  foy -mefme,  que  la  caufe 

efficiente  à  V égard  de  f on  effet. 

Car,  par  cela  mefme,  i'ay  nié  ce  qui  luy  femble  vn  peu  hardy  & 
n'eftre  pas  véritable,  à  fçauoir,  que  Dieu  foit  la  caufe  efficiente  de 
foy-mefme,  parce  qu'en  difant  qu'il  fait  en  quelque  façon  la  mefme 
chofe,  i'ay  monftré  que  ie  ne  croyois  pas  que  ce  fuft  entièrement  la 
mefme  ;  &  en  mettant  deuant  ces  paroles  :  //  nous  efl  tout  à  fait 
loijible  de  penfer,  i'ay  donné  à  connoiftre  que  ie  n'expliquois  ainfi 
ces  chofes,  qu'à  caufe  de  l'iniperfeélion  de  l'efprit  humain. 

Mais  qui  plus  eft,  dans  tout  le  refte  de  mes  écrits,  i'ay  toufiours 
fait  la  mefme  diftinélion.  Car  dés  le  commencement,  où  i'ay  dit 
qu'il  n'y  a  aucune  chofe  dont  on  ne  puijfe  rechercher  la  caufe  efficiente, 
i'ay  adiouté  :  ou,  f\  elle  n'en  a  point,  demander  potirquoy  elle  n'en  a 
pas  befoin;  lefquelles  paroles  témoignent  afl'ez  que  i'ay  penfé  que 
quelque  chofe  exiftoit,  qui  n'a  pas  befoin  de  caufe  efficiente. 
di3  Or  quelle  chofe  peut  eftre  telle,  excepté  Dieu  ?  |  Et  mefme  vn  peu 
après  i'ay  dit  :  qu'il  y  auoit  en  Dieu  vneji  grande  &f  inépuifable  putf 
fancè,  qu'il  n'a  iamais  eu  befoin  d'aucun  fecour s  pour  exijlér,  &  qu'il 
n'en  a  pas  encore  befoin  pour  ejire  conferué,  ç«  telle  forte  qu'il  efl  en 
quelque  façon  la  caufe  de  foy-mefme. 

Là  où  ces  paroles,  la  caufe  de  foy-mefme,  ne  peuuent  en  façon 
quelconque  eftre  entendues  de  la  caufe  efficiente,  mais  feulement 
que  la  puilfance  inépuifable  de  Dieu  eft  la  caufe  ou  la  raifon  pour 
laquelle  il  n'a  pas  befoin  de  caufe. 

Et  d'autant  que  cette  puilfance  inépuifable,  ou  cette- immenfité 


336-237.  Quatrièmes  Réponses.  i8j 

d'effence,  ell  tres-pojîtiue,  pour  cela  i'ay  dit  que  la  raifon  ou  la  caufe 
pour  laquelle  Dieu  n'a  pas  befoin  de  caufe,  eft  pojtliue.  Ce  qui  ne 
fe  pouroit  dire  en  mefme  façon  d'aucune  chofe  finie,  encore  qu'elle 
fuft  tres-parfaite  en  fon  genre. 

Car  ù  on  difoit  qu'aucune*  fuft  par  fqy,  cela  ne  pouroit  eftre 
entendu  que  d'vne  façon  negatiue,  d'autant  qu'il  feroit  impoflible 
d'aporter  aucune  raifon,  qui  fuft  tirée  de  la  nature  pofitiue  de  cette 
chofe,  pour  laquelle  nous  deuflions  conceuoir  qu'elle  n'auroit  pas 
befoin  de  caufe  efficiente. 

Et  ainfi,  en  tous  les  autres  endroits,  i'ay  tellement  comparé  la 
caufe  formelle,  ou  la  raifon  prife  de  l'effence  de  Dieu,  pour  laquelle 
il  n*a  pas  befoin  de  caufe  pour  exifter  ny  pour  eftre  conferué,  auec 
la  caufe  efficiente,  fans  laquelle  les  chofes  finies  ne  peuuent  exifter, 
que  partout  il  eft  aifé  de  connoiftre,  de  mes  propres  termes,  qu'elle 
eft  tout  à  fait  différente  de  |  la  caufe  efficiente.  314 

Et  il  ne  fe  trouuera  point  d'endroit,  où  i'aye  dit  que  Dieu  fe  con- 
ferué par  vne  influence  pofitiue,  ainfi  que  les  chofes  créées  font  con- 
feruées  par  luy,  jmais  bien  feulement  ay-ie  dit  que  l'immenfité  de  fa 
puiffance  ou  de  fon  effence,  qui  eft  la  caufe  pourquoy  il  n'a  pas 
befoin  de  conferuateur,  eft  vne  chofe  pofitiue. 

Et  partant,  ie  puis  facilement  admettre  tout  ce  que  M.  Arnauld 
aporte  pour  prouuer  que  Dieu  n'eft  pas  la  caufe  efficiente  de  foy- 
mefme,  À:  qu'il  ne  fe  conferué  pas  par  aucune  influence  politiuc, 
ou  bien  par  vne  continuelle  reproduction  de  foy-mefme,  qui  eft  tout 
ce  que  l'on  peut  inférer  de  fes  raifons. 

Mais  il  ne  niera  pas  auffi,  comme  i'efpere,  que  cette  immenfité 
de  puiffance,  qui  fait  que  Dieu  n'a  pas  befoin  de  caufe  pour  exifter, 
eft  en  luy  vne  chok  pofitiue,  &  que  dans  toutes  les  autres  chofes  on 
ne  peut  rien  conceuoir  de  femblablc,  qui  foit  pojîtif,  à  raifon  de 
quoy  elles  n'ayent  pas  befoin  de  caufe  efficiente  pour  exifter;  ce  que 
i'ay  feulement  voulu  fignifier,  lorfque  i'ay  dit  qu'aucune  chofe  ne 
pouuoit  eftre  conceuë  exifter  par  Joy  que  negatiuement,  hormis 
Dieu  feul;  &  ie  n'ay  pas  eu  befoin  de  rien  auancer  dauantage,  pour 
répondre  à  la  difficulté  qui  m'eftoit  propofée. 

Mais  d'autant  que  M.  Arnauld  m'auertit  icy  û  ferieufement  qu'il 
y  aura  peu  de  Théologiens  qui  ne  s'offen  \fent  de  cette  proportion,  à     315 
fçauoir,  que  Dieu  eji  par  Joy  pofitiuement  &  comme  par  vne  caufe^ 
ie  diray  icy  la  raifon  pourquoy  cette  façon  de  parler  eft,  à  moïi  auis, 

a.  «  aucune  »,  sic  à  Verrata  de  la  i"*  édition.  Celle-ci  donnait  «  vne  telle 
chofe  »  ;  la  3«  et  la  3«,  «  vne  chofe  finie  ». 


184  Œuvres  de  Descartes.  a>r-*39. 

non  feulement  tres-vtile  en  cette  queftion,  mais  auffi  neceffaire  & 
telle  qu'il  n'y  a  perfonne  qui  puiffe  auec  raifon  la  trouuer  mauuaife. 
le  fçay  que  nos  Théologiens,  traittans  des  chofes  diuines,  ne  fe 
feruent  point  du  nom  de  caufe,  lorfqu'il  s'agit  de  la  proceiOTion  des 
perfonnes  de  la  tres-fainte  Trinité,  &  que  là  où  les  Grecs  ont  mis 
indifféremment  atriov  &  «oy/iV,  ils  aiment  mieux  vfer  du  feul  nom  de 
principe,  comme  tres-general,  de  peur  que  de  là  |  ils  ne  donnent 
occaûon  de  iuger  que  le  Fils  eft  moindre  que  le  Père. 

Mais  où  il  ne  peut  y  auoir  vne  femblable  occafion  d'erreur,  & 
lorfqu'il  ne  s'agit  pas  des  perfonnes  de  la  Trinité,  mais  feulement 
de  l'vnique  effence  de  Dieu,  ie  ne  voy  pas  pourquoy  il  faille  tant 
fuir  le  nom  de  cau/e,  principalement  lorfqu'on  en  eft  venu  à  ce 
point,  qu'il  femble  tres-vtile  de  s'en  feruir,  &  en  quelque  façon 
neceffaire. 

Or  ce  nom  ne  peut  eftre  plus  vtilement  employé  que  pour  dé- 
montrer l'exiftence  de  Dieu  ;  &  la  neceflité  de  s'en  feruir  ne  peut 
eftre  plus  grande  que  fi,  fans  en  vfer,  on  ne  la  peut  pas  clairement 
démontrer. 

Et  ie  penfe  qu'il  eft  manifefte  à  tout  le  monde  que  la  confideration 
de  la  caufe  efficiente  eft  le  premier  &  principal  moyen,  pour  ne  pas 
316     dire  le  feul  |  &  l'vnique,  que  nous  ayons  pour  prouuer  l'exiftence 
de  Dieu. 

Or  nous  ne  pouuons  nous  en  feruir,  fi  nous  ne  donnons  licence  à 
noftre  efprit  de  rechercher  les  caufes  efficientes  de  toutes  les  chofes 
qui  font  au  monde,  fans  en  excepter  Dieu  mefme;  car  pour  quelle 
raifon  l'excepterions-nous  de  cette  recherche,  auant  qu'il  ait  èfté 
prouué  qu'il  exifte? 

On  peut  donc  demander  de  chaque  chofe,  fi  elle  eft  jparybi'  ou  par 
autruf  ;  &  certes  par  ce  moyen  on  peut  conclure  l'exiftence  de  Dieu, 
quoy  qu'on  n'explique  pas  en  termes  formels  &  précis,  comment  on 
doit  entendre  ces  paroles,  ejlre  par  Joy. 

Car  tous  ceux  qui  fuiuent  feulement  la  conduite  de  la  lumière 
naturelle,  forment  tout  aufti-toft  en  eux  dans  ce  rencontre  vn  certain 
concept  qui  participe  de  la  caufe  efficiente  &  de  la  formelle,  &  qui 
eft  commun  à  l'vne  &  à  l'autre  :  c'eft  à  fçauoir,  que  ce  qui  eft  par 
autru/,  eft  par  luy  comme  par  vnc  caufe  efficiente  ;  &  que  ce  qui  eft 
par  foy,  eft  comme  par  vne  caufe  formelle,  c'eft  à  dire,  parce  qu'il  a 
vnc  telle  nature  qu'il  n'a  pas  befoin  de  caufe  efficiente.  |  C'eft  pour- 
quoy ie  n'ay  pas  expliqué  cela  dans  mes  Méditations, &  ie  l'ay  obmis, 
comme  eftant  vne  chofe  de  foy  manifefte,  &  qui  n'auoit  pas  befoin 
d'aucune  explication; 


339-240.  Quatrièmes  Réponses.  185 

Mais  lorfque  ceux  qu'vne  longue  acoutumance  a  confirmez  dans 
cette  opinion  de  iuger  que  rien  ne  peut  eftre  la  caufe  efficiente  de 
foy-mefme,  &  |  qui  font  foigneux  de  diftinguer  cette  caufe  de  la  817 
formelle,  voyent  que  l'on  demande  û  quelque  chofe  eft  parfoj',  il 
arriue  ayfement  que,  ne  portans  leur  efprit  qu'à  la  feule  caufe  effi- 
ciente proprement  prife,  ils  ne  penfent  pas  que  ce  mot  par  fqy  doiue 
eftre  entendu  comme  par  pu e  caufe,  mais  feulement  negatiuement  Sa 
comme  fans  caufe  ;  en  forte  qu'ils  penfent  qu'il  y  a  quelque  chofe 
qui  exifte,  de  laquelle  on  ne  doit  point  demander  pourquoy  elle 
exifte. 

Laquelle  interprétation  du  mot  parfoy,  fi  elle  eftoit  receuë,  nous 
ofteroit  le  moyen  de  pouuoir  démontrer  l'exiftence  de  Dieu  par  les 
effedts,  comme  il  a  efté  bien  prouué  par  l'auteur  des  premières 
Objections;  c'eft  pourquoy  elle  ne  doit  aucunement  eftre  admife. 

Mais  pour  y  répondre  pertinemment,  i'eftime  qu'il  eft  neceffaire 
de  montrer  qu'entre  la  caufe  efficiente  proprement  dite,  &  nulle  caufe, 
il  y  a  quelque  chofe  qui  tient  comme  le  milieu,  à  fçauoir  l'ejjence 
pofitiue  d'vne  chofe,  à  laquelle  l'idée  ou  le  concept  de  la  caufe  effi- 
ciente fe  peut  étendre  en  la  mefme  façon  que  nous  auons  couftume 
d'étendre  en  Géométrie  le  concept  d'vne  ligne  circulaire,  la  plus 
grande  qu'on  puiiïe  imaginer,  au  concept  d'vne  ligne  droite,  ou  le 
concept  d'vn  polygone  rediligne,  qui  a  vn  nombre  indefiny  de  coftez, 
au  concept  du  cercle. 

Et  ie  ne  penfe  pas  que  i'eulfe  iamais  pu  mieux  |  expliquer -cela,  818 
que  lorfque  i'ay  dit  que  la  fgnification  de  la  caufe  efficiente  ne  doit 
pas  eftre  refîrainte  en  cette  quefïion  à  ces  caufes  qui font\differ entes  de 
leurs  effets,  ou  qui  les  précèdent  en  temps;  tant  parce  que  ceferoit  vne 
chofe  friitole  &  inutile,  puifquil  n'y  a  perfonne  qui  ne  fçache  qu*vne 
mefme  chofe  ne  peut  pas  eftre  différente  de  foy-mefme,  ny  fe  pré- 
céder en  temps,  que  parce  que  l'vne  de  ces  deux  conditions  peut 
eftre  oftée  de  fon  concept,  la  notion  de  la  caufe  efficiente  ne  laijfant 
pas  de  demeurer  toute  entière. 

Car,  qu'il  ne  foit  pas  neceffaire  qu'elle  précède  en  temps  fon  effet, 
il  eft  euident,  puifqu'elle  n'a  le  nom  &  la  nature  de  caufe  efficiente 
que  lorfqu'elle  produit  fon  effet,  comme  il  a  des-ja  efté  dit. 

Mais  de  ce  que  l'autre  condition  ne  peut  pas  auffi  eftre  oftée,  on 
doit  feulement  inférer  que  ce.n'eft  pas  vne  caufe  efficiente  propre- 
ment dite,  ce  que  i'auouë;  mais  non  pas  que  ce  n'eft  point  du  tout 
vne  caufe  pofitiue,  qui  par  analogie  puiffe  eftre  raportée  h  la  caufe 
efficiente,  &  cela  eft  feulement  requis  en  la  queftion  propofée.  Car 
par  la  mefme  lumière  naturelle,  par  laquelle  ie  conçoy  que  ie  me 


i86  OEuvRES  DE  Descartes.  24o-j4«- 

ferois  donné  toutes  les  perfedions  dont  i'ay  en  moy  quelque  idée,  fi 
ie  m'eftois  donné  l'eftre,  ie  conçoy  aufli  que  rien  ne  fe  le  peut  donner 
en  la  manière  qu'on  a  couftume  de  reflraindre  la  fignification  de  la 
caufe  efficiente  proprement  dite,  à  fçauoir,  en  forte  qu'vne  mefme 
chofe,  en  tant  qu'elle  fe  donne  l'eftre,  foit  différente  de  foy-mefme  en 
519  tant  qu'elle  le  reçoit;  parce  qu'il  y  a  de  la  contradiction  entre  |  ces 
deux  chofes,  eftre  le  mefme,  &  non  le  mefme,  ou  différent. 

C'eft  pourquoy,  lorfque  l'on  demande  fi  quelque  chofe  fe  peut 
donner  l'eftre  à  foy-mefme,  il  ne  faut  pas  entendre  autre  chofe 
que  fi  on  demandoit,  fçauoir,  fi  la  nature  ou  l'effence  de  quelque 
chofe  peut  eftre  telle  qu'elle  n'ait  pas  befoin  de  caufe  efficiente 
pour  eftre  ou  exifter. 

Et  lorsqu'on  3id']oute,  Ji  quelque  chofe  eft  telle,  elle  Je  donnera  toutes 
les  perféâions  dont  elle  a  les  idées,  s'il  eft  vray  quelle  ne  les  ait  pas 
encore,  cela  veut  dire  qu'il  eft  impoffible  |  qu'elle  n'ait  pas  aéluelle- 
ment  toutes  les  perfedions  dont  elle  a  les  idées;  d'autant  que  la 
lumière  naturelle  nous  fait  connoiftre  que  la  chofe  dont  l'eflence  eft 
fi  immenfe  qu'elle  n'a  pas  befoin  de  caufe  efficiente  pour  eftre,  n'en 
a  pas  auffi  befoin  pour  auoir  toutes  les  perfedions  dont  elle  a  les 
idées,  &  que  fa  propre  eflence  luy  donne  éminemment  tout  ce  que 
nous  pouuons  imaginer  pouuoir  eltre  donné  à  d'autres  chofes  par  la 
caufe  efficiente. 

Et  ces  mots,^  elle  ne  les  a  pas  encore,  ellefe  les  donnera,  feruent 
feulement  d'explication;  d'autant  que  par  la  mefme  lumière  natu- 
relle nous  comprenons  que  cette  chofe  ne  peut  pas  auoir,  au  moment 
que  ie  parle,  la  vertu  &  la  volonté  de  fe  donner  quelque  chofe  de 
nouueau,  mais  que  fon  effence  eft  telle,  qu'elle  a  eu  de  toute  éternité 
tout  ce  que  nous  piuuons  maintenant  penfer  qu'elle  fe  donneroit,  fi 
elle  ne  l'auoit  pas  encore. 
320  |Et  neantmoins  toutes  ces  manières  de  parler,  qui  ont  raport  & 
analogie  auec  la  caufe  efficiente,  font  tres-neceffaires  pour  conduire 
tellement  la  lumière  naturelle,  que  nous  conceuions  clairement  ces 
chofes  ;  tout  ainfi  qu'il  y  a  plufieurs  chofes  qui  ont  efté  démontrées 
par  Archimede  touchant  la  Sphère  &  les  autres  figures  compofées 
de  lignes  courbes,  par  la  comparaifon  de  ces  mefmes  figures  auec 
celles  compofées  de  lignes  droites  ;  ce  qu'il  auroit  eu  peine  à  faire 
comprendre,  s'il  en  euft  vfé  autrement. 

Fa  comme  ces  fortes  de  demonftrations  ne  font  point  defaprou- 
uées,  bien  que  la  Sphère  y  foit  conlidcrée  comme  vne  figure  qui  a 
plufieurs  coftez,  de  mefme  ie  ne  penfe  pas  pouuoir  eftre  icy  repris 
de  ce  que  ie  me  fuis  fcruy  de  l'analogie  de  la  caufe  efficiente,  pour 


a4i-H3.  Quatrièmes  Réponses.  187 

expliquer  les  chofes  qui  apartiejjnerit  à  la  caufe  formelle,  c'eft  à  dire 
à  l'effence  mefme  de  Dieu. 

Et  il  n'y  a  pas  lieu  de  craindre  en  cecy  aucune  occafion  d'erreur, 
d'autant  que  tout  ce  qui  eft  le  propre  de  la  caufe  efficiente, |  &  qui  ne 
peut  eftre  étendu  à  la  caufe  formelle,  porte  auec  foy  vne  manifefte 
contradidion,  &  partant,  ne  pouroit  iamais  eftre  crû  de  perfonne,  à 
fçauoir,  qu'vne  chofe  foit  différente  de  foy-mefme,  ou  bien  qu'elle 
foit  enfemble  la  mefme  chofe,  &  non  la  mefme. 

Et  il  faut  remarquer  que  i'ay  tellement  attribué  à  Dieu  la  dignité 
d'eftre  la  caufe,  q\i'on  ne  peut  pas  de  là  inférer  que  ie  luy  aye  aufli 
attribué  rimperfe|6lion  d'eftre  l'efifet  :  car,  comme  les  Théologiens,  32i 
lorfqu'ils  difent  que  le  Père  eft  \e principe  du  Fils,  n'auoûent  pas 
pour  cela  que  le  Fils  {o\i  principié,  ainfi,  quby  que  i'aye  ditque  Dieu 
pouuoit  en  quelque  façon  eftre  dit  la  caufe  de  foy-mefme,  il  ne  fe 
trouuera  pas  neantmoins  que  ie  I'aye  nommé  en  aucun  lieu  l'effet 
de  foy-mefme;  &  ce  d'autant  qu'on  a  de  couftume  de  raporter  prin- 
cipalement l'effet  à  la  caufe  efficiente,  &  de  le  iuger  moins  noble 
qu'elle,  quoy  que  fouuent  il  foit  plus  noble  que  les  autres  caufes. 

Mais,  lorfque  ie  prens  l'effence  entière  de  la  chofe  pour  la  caufe 
formelle,  ie  ne  fuis  en  cela  que  les  veftiges  d'Ariftote  ;  car,  au  liu.  2 
de  fes  Analyt.  pofter.,  chap.  16,  ayant  obmis  la  caufe  matérielle,  la 
première  qu'il  nomme  eft  celle  qu  il  appelle  atrtav  tô  tI  h  e.hoct,  ou, 
comme  l'ont  tourné  fes  interprètes,  la  caufe  formelle,  laquelle  il 
étend  à  toutes  les  effences  de  toutes  les  chofes,  parce  qu'il  ne  traitte 
pas  en  ce  lieu-là  des  caufes  du  compofé  phyfique  (non  plus  que  ie 
fais  icy),  mais  généralement  des  caufes  d'où  l'on  peut  tirer  quelque 
connoiffançe. 

Or,  pouf  faire  voir  qu'il  eftoit  malaifé,  dans  la  queftion  propofée, 
de  ne  point  attribuer  à  Dieu  le  nom  de  caufe,  il  n'en  faut  point  de 
meilleure  preuue  que,  de  ce  que  Monfieur  Arnauld  ayant  tâché  de 
conclure  par  vne  autre  voye  la  mefme  chofe  que  moy,  il  n'en  eft  pas 
neantmoins  venu  à  bout,  au  moins  à  mon  iugement. 

Car,  après  auoir  amplement  montré  que  Dieu  |  n'ell  pas  la  caufe  322 
efficiente  |  de  foy-mefme,  parce  qu'il  eft  de  la  nature  de  la  caufe  effi- 
ciente d'eftre  différente  de  fon  effed;  ayant  auffi  fait  voir  qu'il  n'eft 
pas  par  (oy  pofitiuement,  entendant  par  ce  mot poftiuement  vne  in- 
fluence pofitiue  de  la  caufe,  &  auffi  cju'à  vray  dire  il  ne  fe  conferue 
pas  foy-mefme,  prenant  le  mot  de  conferualion  pour  vne  continuelle 
reprodudion  de  la  chofe  (de  toutes  lefquelles  chofes  ie  fuis  d'acord 
auec  luy),  après  tout  cela  il  veut  derechef  prouuer  que  Dieu  ne  doit 
pas  eftre  dit  la  caufe  efficiente  de  foy-mefme  :  parce  que,  dit-il,  la 


i88  Œuvres  de  Descartes.  343-344. 

caufe  efficiente  d'ptie  chofe  n'eji  demandée  qu'à  rai/on  de/on  exi/letice, 
&  iamais  à  rai/on  de  /on  ejfence  :  or  eji-il  qu'il  n'ejl  pas  moins  de 
Vejfence  d'un  ejire  infini  d'exifier,  qu'il  efi  de  Fejfence  d'vn  triangle 
d'auoir  fes  trois  angles  égaux  à  deux  droits;  doncques  il  nefàut^on 
plus  répondre  par  la  caufe  efficiente,  lor/qu'on  demande  pourquojr 
Dieu  exifte,  que  lorfqu*on  demande  pourquoy  les  trois  angles  d'vn 
triangle  font  égaux  à  deux  droits. 

Lequel  fyllogifme  peut  ayfément  eflre  renuoyé  contre  fon  auteur, 
en  cette  manière  :  Quoy  qu'on  ne  puifle  pas  demander  la  caufe  effi- 
ciente à  raifon  de  l'effence,  on  la  peut  neantmoins  demander  à  raifon 
de  l'exiftence  ;  mais  en  Dieu  l'effence.  n'eft  point  diftinguée  de  l'exi- 
ftence,  doncques  on  peut  demander  la  caufe  efficiente  de  Dieu. 

Mais,  pour  concilier  enfemble  ces  deux  chofes,  on  doit  dire  qu'à 
celuy  qui  demande  pourquoy  Dieu  exifte,  il  ne  faut  pas  à  la  vérité 
313  répondre  par  la  |  caufe  efficiente  proprement  dite,  mais  feulement 
par  l'effence  mefme  de  la  chofe,  ou  bien  par  la  caufe  formelle,  la- 
quelle, pour  cela  mefme  qu'en  Dieu  l'exiftence  n'eft  point  diftinguée 
de  l'effence,  a  vn  très-grand  raport  auec  la  caufe  efficiente,  &  partant, 
peut  eftre  apelée  quaft  caufe  efficiente. 

Enfin  il  adioute,  qu'à  celuy  qui  demande  la  caufe  efficiente  de  Dieu, 
il  faut  répondre  qu'il  n'en  a  pas  befoin;  &  derechef,  \  à  celuy  qui  de- 
mande  pourquoy  il  n'en  a  pas  befoin,  il  faut  répondre,  parce  qu'il  eft 
vn  ç/?re  infini  duquel  l'exifience  eft  fon  ejfence  ;  car  il  n'y  a  que  les 
chofes  dans  lefquelles  il  eft  permis  de  diftinguer  l'exiftence  aâuelle  de 
l'effence,  qui  ayent  bejoin  de  caufe  efficiente. 

D'où  il  infère  que  ce  que  i'auois  dit  auparauant  eft  entièrement 
renuerfé  ;  c'eft  à  fçauoir,  /  ie  penfois  qu'aucune  chofe  ne  peuft  en 
quelque  façon  eftre  à  l'égard  de  foy-mefme  ce  que  la  caufe  efficiente 
eft  à  l'égard  de  fon  èffeât,  iamais  en  cherchant  les  çaufes  des  chofes  ie 
ne  viendrois  à  vnè  première  ;  ce  qui  neantmoins  ne  me  femble  aucu- 
nement renuerfé,  non  pas  mefme  tant  foit  peu  affoibly  ou  ébranlé; 
car  il  eft  certain  que  la  principale  force  non  feulement  de  ma  démon- 
ftration,  mais  auffi  de  toutes  celles  qu'on  peut  aporter  pour  prouuer 
l'exiftence  de  Dieu  par  les  effets,  en  dépend  entièrement.  Or  prefque 
tous  les  Théologiens  foutiennent  qu'on  n'en  peut  aporter  aucune,  fi 
elle  n'eft  tirée  des  effets. 

Et  partant,  tant  s'en  faut  qu'il  aporte  quelque  éclairciffement  à  la 

It4     preuue  &  demonftration  de  rexiften|ce  de  Dieu,  lorfqu'il  ne  permet 

pas  qu'on  lui  attribua  à  l'égard  de  foy-mefme  l'analogie  de  la  caufe 

efficiente,  qu'au  contraire  il  l'obfcurcit  &  empefchc  que  les  lecteurs. 

ne  la  puiffent  comprendre,  particulièrement  vers  la  fin,  où  il  conclut 


a44-a46.  QUATRIÈMES    REPONSES.  189 

que,  s'il  pèn/oit  qu'il  faluji  rechercher  la  caufe  efficiente ,  ou  quafi  effi- 
dente,  de  chaque  chofe,  il  chercherait  vne  caufe  différente  de  cette  chofe. 

Car  comment  eft-ce  que  ceux  qui  ne  connoiffent  pas  encore  Dieu, 
rechercheroient  la  caufe  efficiente  des  autres  chofes,  pour  arriuer 
par  ce  moyen  à  la  connoiffance  de  Dieu,  s'ils  ne  penfoient  qu'on 
peut  rechercher  la  caufe  efficiente  de  chaque  cliofe? 

Et  comment  enfin  s'arrefteroient-ils  à  Dieu  comme  à  la  caufe 
première,  &  mettroient-ils  en  luy  la  fin  de  leur  recherche,  s'ils 
penfoient  que  la  caufe  efficiente  de  chaque  chofe  deuft  eflre  cher- 
chée différente  de  cette  chofe  ? 

Certes,  il  me  femble  que  M.  Arnauld  a  fait  en  cccy  la  mefme 
chofe  que  fi  (après  qu'Archimede,  parlant  des  chofes  |  qu'il  a  demon- 
flrées  de  la  Sphère  par  analogie  aux  figures  redilignes  infcrites  dans 
la  Sphère  mefme,  auroit  dit  :  fi  ie  penfois  que  la  Sphère  ne  peufl 
eflre  prife  pour  vne  figure  re^iligne,  ou  quafi  reéliligne,  dont  les 
coflez  font  infinis,  ie  n'attribuerois  aucune  force  à  cette  demonftra- 
tion,  parce  qu'elle  n'efl  pas  véritable,  fi  vous  confiderez  la  Sphère 
comme  vne  figure  curuiligne^  ainfi  qu'elle  efl  en  effet,  mais  bien  fi 
vous  la  confiderez  comme  vne  figure  rediligne  dont  le  nombre  des 
coflez  efl  infiny). 

|Si,  dis-ie,  M.  Arnauld,  ne  trouuant  pas  bon  qu*on  apellafl  ainfi  9S6 
la  Sphère,  &  neantmoins  defirant  retenir  la  demonflration  d'Archi- 
mede,  difoit  :  fi  ie  penfois  que  ce  qui  fe  conclut  icy,  fe  deufl  en- 
tendre d'vne  figure  re^iligne  dont  les  coflez  font  infinis,  ie  ne  croi- 
rois  point  du  tout  cela  de  la  Sphère,  parce  que  i'ay  vne  connoiffance 
certaine  que  la  Sphère  n'efl  point  vne  figure  reftiligne. 

Par  lefquelles  paroles  il  efl  fans  doute  qu'il  ne  feroit  pas  la  mefme 
chofe  qu'Archimede,,  mais  qu*au  contraire  il  fe  feroit  vn  obflaclc 
à  foy-mefme  &  empefcheroit  les  autres  de  bien  comprendre  fa 
dcmonflration. 

Ce  que  i'ay  déduit  icy  plus  au  long  que  la  chofe  ne  fembloit  peut- 
cflre  le  mériter,  afin  de  monflrer  que  ie  prens  foigneufement  garde 
à  ne  pas  mettre  la  moindre  chofe  dans  mes  écrits,  que  les  Théolo- 
giens puiffent  cenfurer  auec  raifon. 

Enfin  i'ay  défia  fait  voir  affez  clairement,  dans  les  réponfes  aux 
fécondes  Objedions,  nombre  3  &  4,  que  ie  ne  fuis  point  tombé  dans 
la  faute  qu'on  apelle  cercle,  lorfque  i'ay  dit  que  nous  ne  fommes 
afîurèz  que  les  chofes  que  nous  conceuons  fort  clairement  &  fort 
diflinftement  font  toutes  vrayes,  qu'à  caufe  que  Dieu  efl  ou  exifle  ;  & 
que  nous  ne  fommes  |  afîurez  que  Dieu  efl  ou  exifle,  qu'à  caufe  que 
nous  conceuons  cela  fort  clairement  &  fort  diflindement;  en  faifant 


iço  OEuvRES  DE  Descartes.  34^5*7. 

diflindion  des  chofes  que  nous  conceuons  en  effet  fort  clairement, 

326  d'auec  celles  que  |  nous  nous  reffouuenons  d'auoir  autrefois  fort 
clairement  conceuës. 

Car,  premièrement,  nous  fommes  aifurez  que  Dieu  exifte,  pource 
que  nous  preftons  noftre  attention  aux  raifons  qui  nous  prouuent 
fon^exiftence  ;  mais  après  cela,  il  fuffit  que  nous  nous  reflbuuenions 
d'auoir  conceu  vne  chofe  clairement,  pour  eftre  alTurez  qu'elle  eft 
vraye  :ce  qui  ne  fuffiroitpas,  û  nous  ne  fçauions  que  Dieu  exifte  & 
qu'il  ne  peut  eftre  trompeur. 

Pour  la  queftion  fçauoir  s'il  ne  peut  y  auoir  rien  dans  noftre  efprit, 
en  tant  qu'il  eft  vne  chofe  qui  penfe,  dont  luy-mefme  n'ait  vne 
aduelle  connoifl'ance,  il  me  femble  qu'elle  eft  fort  aifée  à  refoudre, 
parce  que  nous  voyons  fort  bien  qu'il  n'y  a  rien  en  luy,  lorfqu'on  le 
confidere  de  la  forte,  qui  ne  foit  vne  penfée,  ou  qui  ne  dépende 
entièrement  de  la  penfée  :  autrement  cela  n'apartiendroit  pas  à  l'ef- 
prit,  en  tant  qu'il  eft  vne  chofe  qui  penfe  ;  &  il  ne  peut  y  auoir  en 
nous  aucune  penfée,  de  laquelle,  dans  le  mefme  moment  qu'elle  eft 
en  nous,  nous  n'ayons  vne  actuelle  connoifl"ance. 

C'eft  pourquoy  ie  ne  doute  point  que  l'efprit,  auffi-toft  qu'il  eft 
infus  dans  le  corps  d'vn  enfant,  ne  commence  à  penfer,  &  que  deflors 
il  ne  fçache  qu'il  penfe,  encore  qu'il  ne  fe  reffouuicnne  pas  après  de 
ce  qu'il  a  penfé,  parce  que  les  efpeces  de  fes  penfées  ne  demeurent 
pas  empraintes  en  fa  mémoire. 

Mais  il  faut  remarquer  que  nous  auons  bien  vne  aduelle  connoif- 

327  fance  des  aéles  ou  des  opérations  |  de  noftre  efprit,  mais  non  pas 
toufiours  de  fes  facultez,  fi  ce  n'eft  en  puiffance  ;  en  telle  forte  que, 
lorfque  nous  nous  difpofons  à  nous  feruir  de  quelque  faculté,  tout 
aufti-toft,  fi  cette  faculté  eft  en  noftre  efprit,  |  nous  en  acquérons  vne 
aduelle  connoiftance  ;  c'eft  pourquoy  nous  pouuons  alors  nier  afl'u- 
rement  qu'elle  y  foit,  fi  nous  ne  pouuons  en  acquérir  cette  connoif- 
fance  aduelle. 

RÉPONSE 

AUX  CHOSES   QUI  PEUUENT  ARRESTER 

LES   THEOLOGIENS 

le  me  fuis  opofé  aux  premières  raifons  de  Monfieur  Arnauld,  i'ay 
taché  de  parer  aux  fécondes,  &  ic  donne  entièrement  les  mains  à 
celles  qui  fuiuent,  excepté  à  la  dernière,  pour  raifon  de  laquelle 
i'cfpcrc  qu'il  ne  me  fera  pas  difficile  de  faire  en  forte  que  luy-mefme 
l'accommode  à  mon  aduis. 


347-H8-  Quatrièmes  Réponses.  191 

le  confefTe  donc  ingenuëment  auec  luy  que  les  chofes  qui  font 
contenues  dans  la  première  Méditation, &  mefme  dans  les  fuiuantes, 
ne  font  pas  propres  à  toutes  fortes  d'efprits,  &  qu'elles  ne  s'ajuftent 
pas  à  la  capacité  de  tout  le  monde;  mais  ce  n'eit  pas  d'aujourd'huy 
que  i'ay  fait  cette  déclaration  :  ie  l'ay  des-ja  faite,  &  la  feray  encore 
autant  de  fois  que  ]  l'occafion  s'en  prefentera.  328 

Aufli  a-ce  efté  la  feule  raifon  _qui  m'a  empefché  de  traiter  de  ces 
chofes  dans  le  difcours  de  la  Méthode,  qui  eftoit  en  langue  vulgaire, 
&  que  i'ay  referué  de  le  faire  dans  ces  Méditations,  qui  ne  doiuent 
eftre  leuës,  comme  i'en  ay  plufieurs  fois  auerty,  que  par  les  plus 
forts  efprits. 

Et  on  ne  peut  pas  dire  que  i'euffe  mieux  fait,  fi  ie  me  fuffe  abftenu 
d'écrire  des  chofes  dont  la  leclure  ne  doit  pas  eftre  propre  ny  vtile  à 
tout  le  monde  ;  car  ie  les  çroy  fi  necelfaires,  que  ie  me  perfuade  que 
fans  elles  on  ne  peut  iamais  rien  eftablir  de  ferme  &  d'affuré  dans 
la  Philofophie. 

Et  quoy  que  le  fer  &  le  feu  né  fe  manient  iamais  fans  péril  par 
des  enfans  ou  par  des  imprudens,  neantmoins,  parce  qu'ils  font 
vtiles  pour  la  vie,  il  n'y  a  perfonne  qui  iuge  qu'il  fe  faille  abftenir 
pour  cela  de  leur  vfage. 

Or,  que  dans  la  quatrième  Méditation  ie  n'aye  parlé  que  de  [l'er- 
reur ^w/'/e  commet  dans  le  difcernement  du  vray  &  du  faux,  &  non 
pas  de  celle'  qui  arriue  dans  la  pourfuite  du  bien  &  du  mal  ;  &  que 
i'aye  toufiours  excepté  les  chofes  qui  regardent  la  foy  &  les  actions 
de  noftre  vie,  lorfque  i'ay  dit  que  nous  ne  deuons  donner  créance 
qu'aux  chofes  que  nous  connoiffons  euidemment,  tout  le  contenu 
de  mes  Méditations  en  fait  foy  ;  &  outre  cela  ie  l'ay  expreffement  dé- 
claré dans  les  réponfes  aux  fécondes  Obiedions,  nombre  cinquième, 
com|me  auHi  dans  l'abrégé  de  mes  Méditations;  ce  que  ie  dis  pour  3M 
faire  voir  combien  ie  défère  au  iugement  de  Monfieur  Arnauld,  & 
l'eftime  que  ie  fais  de  fes  confeils. 

Il  refte  le  façrement  de  l'Euchariftie,  auec  lequel  Monfieur  Ar- 
nauld iuge  que  mes  opinions  ne  peuuent  pas  conuenir,  parce  que, 
dit-il,  nous  tenons  pour  article  de  foy  que,  la  Jubjîance  du  pain  ejlant 
ojlée  du  pain  Euchar {/tique ,  les  Jeuls  accidens  y  demeurent.  Or  il 
penfe  que  ie  n'admets  point  d'accidens  réels,  mais  feulement  des 
modes,  qui  ne  peuuent  pas  eftre  entend  us /a«5  quelque  fubjlance  en 
laquelle  ils  refident,  &  partant,  ils  ne  peuuent  pas  exijîer  fans  elle. 

A  laquelle  obiedion  ie  pourois  très  facilement  m'exempter  de 

a.  «  celuy  »  {i^*  édit.). 


192  Œuvres  de  Descartes.  348-350. 

répondre,  en  difant  que  iufques  icy  ie  n'ay  iamais  nié  que  les  ac- 
cidens  fuffent  réels  :  car,  encore  que  ie  ne  m'en  fois  point  ferui 
dans  la  Dioptrique  &  dans  les  Météores,  pour  expliquer  les  chofes 
que  ie  traittois  alors,  i'ay  dit  neantmoins  en  termes  exprez,  dans  les 
Météores  page  164,  que  ie  ne  voulois  pas  nier  qu'ils  fuffent  réels. 
Et  dans  ces  Méditations  i'ay  de  vray  fupofé  que  |  ie  ne  les  con- 
noiffois  pas  bien  encore,  mais  non  pas.  que  pour  cela  il  n*y  en  euft 
point  :  car  la  manière  d'écrire  analytique  que  i'y  ay  fuiuie  permet 
de  faire  quelquefois  des  fupoiitions,  lorfqu'on  n'a  pas  encore  affez 
foigneufement  examiné  les  chofes,  comme  il  a  paru  dans  la  première 

330  Méditation,  où  i'auois  fupofé  beaucoup  de  chofes  que  i'ay  |  depuis 
refutées  dans  les  fuiuantes. 

Et  certes  ce  n*a  point  efté  icy  mon  deffein  de  rien  définir  tou- 
chant la  nature  des  accidens,  mais  i'ay  feulement  propofé  ce  qui 
m'a  femblé  d'eux  de  prim'abord;  &  enfin,  de  ce  que  i'ay  dit  que 
les  modes  ne  peuuent  pas  eftre  entendus  fans  quelque  fubftance  en 
laquelle  ils  refident,  on  ne  doit  pas  inférer  que  i'aye  nié  que  par  la 
toute  puiffance  de  Dieu  ils  en  puiffent  eftre  feparez,  parce  que  ie 
tiens  pour  très  affeuré  &  croy  fermement  que  Dieu  peut  faire  vne 
infinité  de  chofes  que  nous  ne  fommes  pas  capables  d'entendre. 

Mais,  pour  procéder  icy  auec  plus  de  franchife,  ie  ne  diffimuleray 
point  que  ie  me  perfuade  qu'il  n'y  a  rien  autre  chofe  par  quoy  nos 
fens  foyent  touchez,  que  cette  feule  fuperficie  qui  eft  le  terme  des 
dimenfions  du  corps  qui  eft  fenty  ou  aperceu  par  les  fens.  Car  c'eft 
en  la  fuperficie  feule  que  fe  fait  le  contaft,  lequel  eft  û  neceflaire 
pour  le  feKtiment,  que  i'eftime  que  fans  luy  pas  vn  de  nos  fens  ne 
pouroit  eftre  meu  ;  &  ie  ne  fuis  pas  le  feul  de  cette  opinion  : 
Ariftote  mefme  &  quantité  d'autres  philofophes  auant  moy  en  ont 
efté.  De  forte  que,  par  exemple,  le  pain  &  le  vin  ne  font  point 
aperceus  par  les  fens,  finon  en  tant  que  leur  fuperficie  eft  touchée 
par  l'organe  du  fens,  ou*  immédiatement,  ou  mediatement  par  le 
moyen  de  l'air  ou  des  autres  corps,  comme  ie  I'eftime,  ou  bien, 

331  comme  difent  |  plufieurs  philofophes ,  par  le  moyen  des  efpeces 
intentionelles. 

Et  il  faut  remarquer  que  ce  n'eft  pas  la  feule  figure  extérieure  des 
corps  qui  eft  fenfible  aux  doigts  &  à  la  main,  qui  doit  eftre  prife 
pour  cette  fuperficie,  mais  qu'il  faut  aufti  confiderer  tous  ces  (petits 
interuales  qui  font,  par  exemple,  entre  les  petites  parties  de  la 
farine  dont  le  pain  eft  compofé,  comme  aufli  entre  les  particules  de 

a.  «  ou  »  manque  {tiédit.),  ajouté  [a' et 3' édit.). 


?5o-a5i.  Quatrièmes  Réponses.  19 j 

l'eau  de  vie,  de  l'eau  douce,  du  vinaigre,  de  la  lie  ou  du  tartre,  du 
mélange  delquelles  le  vin  eft  compole,  &  ainfi  entre  les  petites 
parties  des  autres  corps,  &  penfer  que  toutes  les  petites  fuperficies 
qui  terminent  ces  interuales,  font  partie  de  la  fuperficie  de  chaque 
corps. 

Car  certes,  ces  petites  parties  de  tous  les  corps  ayans  diuerfes 
figures  &  groffeurs  &differens  mouuemens,iamais  elles  ne  peuuent 
eftre  fi  bien  arrangées  ny  fi  iuftement  jointes  enfemble,  qu'il  ne 
refte  plufieurs  interualles  autour  d'elles,  qui  ne  font  pas  neantmoins 
vuides,  mais  qui  font  remplis  d'air  ou  de  quelque  autre  matière, 
comme  il  s'en  voit  dans  le  pain,  qui  font  affez  larges  &  qui  peuuent 
eftre  remplis  non  feulement  d'air,  mais  aufli  d'eau,  de  vin,  ou  de 
quelque  autre  liqueur;  &  puifque  le  pain  demeure  toufiours  le 
mefme,  encore  que  l'air,  ou  telle  autre  matière  qui  eft  contenue  dans 
fes  pores  foit  changée,  il  eft  conftant  que  ces  chofes  n'apartiennent 
point  à  la  fubftance  du  pain,  &  par|tant,  que  fa  fuperficie  n'eft  pas  332 
celle  qui  par  vn  petit  circuit  l'enuironne  tout  entier,  mais  celle  qui 
touche  immédiatement  chacune  de  fes  petites  parties. 

11  faut  aufti  remarquer  que  cette  fuperficie  n'eft  pas  feulem.ent 
remuée  toute  entière,  lorfque  toute  la  mafl'e  du  pain  eft  portée  d'vn 
lieu  en  vn  autre,  mais  qu'elle  eft  aufli  remuée  en  partie,  lorfque 
quelques  vues  de  fes  petites  parties  font  agitées  par  l'air  ou  par  les 
autres  corps  qui  entrent  dans  fes  pores  ;  tellement  que,  s'il  y  a  des 
corps  qui  foyent  d'vne  telle  nature  que  quelques  vnes  de  leurs 
parties,  ou  toutes  celles  qui  les  compofent,  fe  remuent  continuel- 
lement (ce  que  i'eftime  eftre  vray  de  plufieurs  parties  du  pain  &  de 
toutes  celles  du  vin),  il  faudra  aufti  conceuoir  que  leur  fuperficie 
eft  dans  vn  continuel  mouuernent. 

Enfin,  il  faut  remarquer  que,  par  lu  fuperficie  du  pain  ou  du  vin, 
ou  de  quelque  autre  corps  que  ce  foit,  on  n'entend  pas  icy  aucune 
partie  de  la  fubftance,  ny  mefme  de  la  quantité  de  ce  mefme  corps, 
ny  aufti  aucunes  parties  des  autres  corps  qui  l'cnuironnent,  mais 
feulement  |  ce  terme  que  l'on  conçoit  ejire  moyen  entre  chacune  des 
particules  de  ce  corps  &  les  corps  qui  les  enuironnent,  &  qui  n'a  point 
d'autre  entité  que  la  modale. 

Ainfi,  puifque  le  contaft  fe  fait  dans  ce  feul  terme,  &  que  rien 
n*eft  fenty,  fi  ce  n'eft  par  contad,  c'eft  vne  chofe  manifefte  que,  de 
cela  feul  que  les  |  fubftances  du  pain  &  du  vin  font  dites  eftre  tel-  333 
lement  changées  en  la  fubftance  de  quelque  autre  chofe,  que  ceiffe 
nouuelle  fubftance  foit  contenue  precifement  fous  les  mefmes 
termes  fouz  qui  les  autres  elloyent  contenu(^s,  ou  qu'elle  exifte  dans 
Œdvres.  IV,  13 


194  Œuvres  de  Descartes.  251-253. 

le  mcfme  lieu  où  le  pain  &  le  vin  exiitoyent  auparauant  (ou  plutoll, 
d'autant  que  leurs  termes  font  continuellement  agitez,  dans  lequel 
ils  exifteroyent  s'ils  eftoyent  prelens),  il  s'enfuit  necelfairement  que 
cette  nouuelle  fubftance  doit  mouuoir  tous  nos  fens  de  la  mefme 
façon  que  feroient  le  pain  &  le  vin,  û  aucune  tranfubflantiation 
n'auoit  efté  faite. 

Orl'Eglife  nous  enfeigne,  dans  le  Concile  de  Trente,  fedion  i3, 
can.  2  &  4,  qu'il  fe  fait  inie  conuerfion  de  toute  la  fubjlance  du  pain 
en  la  fubjlance  du  Corps  de  nojlre  Seigneur  lefus-ChriJî,  demeurant 
feulement  l'efpece  du  pain.  Où  le  ne  voy  pas  ce  que  l'on  peut  en- 
tendre par  l'efpece  du  pain ^  fi  ce  n'eft  cette  fuperficie  qui  efl:  moyenne 
entre  chacune  de  fes  petites  parties  &  les  corps  qui  les  enuironnent. 

Car,  comme  il  a  defia  efté  dit,  le  contad  fe  fait  en  cette  feule 
fuperficie;  &  Ariftote  mefme  -confeffe  que,  non  feulement  ce  fens 
que  par  priuilege  fpecial  on  nomme  V attouchement,  mais  aufli  tous 
les  autres  ne  fentent  que  par  le  moyen  de  l'atouchement.  C'eft  dans 
le  liure  3  de  l'Ame,  chap.  1 3,  où  font  ces  mots  :  v.r/X  zx  àlly.  yinBr.H^ix 

334  I  Or  il  n'y  a  perfonne  qui  penfe  que  par  l'efpece  |  on  entende  autre 
chofe  que  ce  qui  ell  precifement  requis  pour  toucher  les  fens.  Et  il 
n'y  a  aufli  perfonne  qui  croye  la  conuerfion  du  pain  au  Corps  de 
Chrift,  qui  ne  penfe  que  ce  Corps  de  Chrift  efl:  precifement  contenu 

-fous  la  mefme  fuperficie  fous  qui  le  pain  feroit  contenu  s'il  efloit 
prefent,  quoy  que  neantmoins  il  ne  foit  pas  là  comme  proprement 
dans  vn  lieu,  mais  facramentellement,  &  de  cette  manière  d'exifter, 
laquelle,  quoy  que  nous  ne  puiflions  qu'à  peine  exprimer  par  pa- 
roles, après  neantmoins  que  noftre  efprit  efl  éclairé  des  lumières  de 
la  foy,  nous  pouuons  conceuoir  comme  poflible  à  vn  Dieu,  &  la- 
quelle nous  fommes  obligez  de  croire  très-fermement.  Toutes 
lefquelles  chofes  me  femblent  cftre  fi  commodément  expliquées  par 
mes  principes,  que  non  feulement  ie  ne  crains  pas  d'auoi.r  rien  dit 
icy  qui  puiffe  offenfer  nos  Théologiens,  qu'au  contraire  i'efpere 
qu'ils  me  fçauront  gré  de  ce  que  les  opinions  que  ie  propofe  dans  la 
Phyfique  font  telles,  qu'elles  conuiennent  beaucoup  mieux  auec 
la  Théologie,  que  celles  qu'on  y  propofe  d'ordinaire.  Car,  de  vray, 
l'Eglifc  n'a  iamais  enfeigne  (au  moins  que  ie  fçache)  que  les  efpeces 
du  pain  &  du  vin,  qui  demeurent  au  Sacrement  de  l'Euchariftie, 
fuient  des  accidents  réels  qui  fubfiftent  miraculeufement  tous  feuls, 
après  que  la  fubflance  à  laquelle  ils  efloient  attachez  a  eflé  oftée. 
Mais  peut-eltrc  à  caufe  que  les  premiers  Théologiens   qui  ont 

335  entrepris  d'ajufler  cette  queflion  auec  |  la  Philofophie  naturelle  |  fe 


253-254.  Quatrièmes  Réponses.  195 

perfuadoient  fi  fortement  que  ces  accidens  qui  touchent  nos  fens 
eftoient  quelque  chofe  de  réel  différent  de  la  lubftance,  qu'ils  ne 
penfoient  pas  feulement  que  iamais  on  en  peuft  douter,  ils  ont 
fupofé,  fans  aucune  iufte  raifon  &  fans  y  auoir  bien  penfé,  que  les 
efpeces  du  pain  eftoient  des  accidens  réels  de  cette  nature;  puis 
enfuite  ils  ont  mis  toute  leur  eftude  à  expliquer  comment  ces 
accidens  peuuent  fubfifter  fans  fuiet.  En  quoy  ils  ont  trouué  tant 
de  difficultez  que  cela  feul  leur  deuoit  faire  iuger  qu'ils  s'eftoyént 
détournez  du  droit  chemin,  ainfi  que  fon»  les  voyageurs  quand 
quelque  fentier  les  a  conduits  à  des  lieux  pleins  d'épines  &  inac- 
ceflibles". 

Car,  premièrement,  ils  femblent  le  contredire  (au  moins  ceux 
qui  tiennent  que  les  obieds  ne  meuuent  nos  fens  que  par  le 
moyen  du  coniad),  lorfqu'ils  fupofent  qu'il  faut  encore  quelque 
autre  chofe  dans  les  obiets,  pour  mouuoir  les  fens,  que  leurs  fuper- 
ticies  diuerfement  difpofécs  ;  d'autant  que  c'eft  vne  chofe  qui  de 
foy  eft  euidente,  que  la  fuperficie  feule  futiit  pour  le  contad;  et  s'il 
y  en  a  qui  ne  veulent  pas  tomber  d'acord  que  nous  ne  fentons  rien 
fans  le  contact,  ils  ne  peuuent  rien  dire,  touchant  la  façon  dont  les 
fens  font  meus  par  leurs  objecls,  qui  ait  aucune  aparence  de  vérité. 

Outre  cela,  l'efprit  humain  ne  peut  pas  conceuoir  que  les  accidens 
du  pain  foyent  réels,  &  que  neantmoins  ils  exiftent  fans  fa  fubftancc, 
qu'il  ne  les  conçoiue  en  mefme  façon  qui  fi  c'el^toient  des  fubftanccs  ;  336 
c'eft  pourquoy  il  femble  qu'il  y  ait  en  cela  de  la  contradiction,  que 
toute  la  fubftance  du  pain  ibit  changée,  ainfi  que  le  croit  l'Eglife, 
&  que  cependant  il  demeure  quelque  chofe  de  réel  qui  eftoit  aupa- 
rauani  dans  le  pain;  parce  qu'on  ne  peut  pas  conceuoir  qu'il  de- 
meure rien  de  réel,  que  ce  qui  fubfifte;  &  encore  qu'on  nomme  cel^r 
vn  accident,  on  le  conçoit  neantmoins  comme  vne  fubftance.  Et 
c'eft  en  effed  la  mefme  chofe  que  fi  on  difoit  qu'à  la  vérité  toute  la 
fubftance  du  pain  eft  changée,  mais  que  neantmoins  cette  partie 
delà  fubftance,  qu'|on  nomme  accident  réel,  demeure:  dans  lefquelles 
paroles  s'il  n'y  a  point  de  contradidion,  certainement  dans  le  con- 
cept il  en  paroift  beaucoup. 

Et  il  femble  que  ce  foit  principalement  pour  ce  fuiet  que  quel- 
ques-vns  fe  font  éloignez  en  cecy  de  la  créance  de  l'Eglife  Romaine. 
Mais  qui  poura  nier  que,  lorfqu'il  eft  permis,  &  que  nulle  raifon, 

a.  Les  trois  premières  éditions  de  la  traduction  française  (pas  plu" 
d'ailleurs  que  l'original  latin)  ne  mettent  plus  à  la  ligne  jusqu'au  dernier 
alinéa  :  C'eji  pourquoy,  s'il  m'ejl  icy permis. . .  (p.  197  ci-après). 


196 


Œuvres  î)E  Descartes.  254-255. 


ny  theologique,  ny  mefme  philofophique,  ne  nouis  oblige  à  em- 
braffer  vne  opinion  plutojl  qu'vne  autre,  il  ne  faille  principale- 
ment choifir  celles  qui  ne  peuuent  donner  occafion  ny  prétexte 
à  perfonne  de  s'efloigner  des  veritez  de  la  foy  ?  Or,  que  l'opinion 
qui  admet  des  accidens  réels  ne  s'accommode  pas  aux  raiions 
de  la  Théologie,  ie  penfe  que  cela  fe  void  icy  affez  clairement;  & 
qu*clle  foit  tout  à  fait  contraire  à  celles  de  la  philofophie,  i'efpere 
dans  peu  le  démontrer  euidemment,  dans  vn  traitté  des  principes 

337  que  i'ay  deffein  de  publier,  &  j  d'y  expliquer  comment  la  couleur, 
la  faueur,  la  pefanteur,  &  toutes  les  autres  qualitez  qui  touchent 
nos  fens,  dépender^t  feulement  en  cela  de  la  fuperficie  extérieure 
des  corps. 

Au  refte,  on  ne  peut  pas  fupofer  que  les  accidens  foyent  réels, 
fans  qu'au  miracle  de  la  tranfubftantiation, «lequel  feul  peut  élire* 
inféré  des  paroles  de  la  confecration,  on  n'en  adioute  fans  necefr 
lité  vn  nouueau  &  incomprehenfible,  par  lequel  ces  accidens  réels 
exiftent  tellement  fans  la  fubftance  du  pain,  que  cependant  ils  ne 
foyent  pas  eux  mefmes  faits  des  fubflances  ;  ce  qui  ne  répugne 
pas  feulement  à  la  raifon  huhnaine,  mais  mefme  à  l'axiome  des 
Théologiens,  (^jn'i  difent  que  les  paroles  de  la  confecration  n'o- 
pèrent rien  que>ce  qu'elles  fignifient,  &  qui  ne  veulent  pas  attri- 
buer à  mirccle  les  chofes  qui  peuuent  eflre  expliquées  par  raifon 
naturelle.  Toutes  lefquelles  difficultez  font  entièrement  leuées  par 
l'explication  que  ie  donne  à  ces  chofes.  Car  tant  s'en  faut  que, 
I  félon  l'explication  que  i'y  donne,  il  foit  befoin  de  quelque  mi- 
racle pour  conferuer  les  accidens  après  que  la  fubllance  du  pain 
efl.oftée,  qu^au  contraire,  fans  vn  nouueau  miracle  (à  fçauoir,  par 
lequel  les  diménfions  fulfent  changées),  ils  ne  peuuent  pas  dire 
oltez.  Et  les  hiftoires  nous  aprennent  que  cela  ell  quelquefois 
arriué,  lorfqu'au  lieu  de  pain  confacré  il  a  paru  de  la  chair  ou  vn 
petit  enfant  entre  les  mains  du  prellre;  car  iamais  on  n'a  creu  que 

338  cela  foit  arriué  par  vne  ceifation  de  miracle,  mais  on  a  |  toufiours 
attribué  cet  efl'efl  à  vn  miracle  nouueau. 

D'auanfage,  il  n'y  a  rien  en  cela  d'incomprehenfible  ou  de  dif- 
ficile, que  Dieu,  créateur  de  toutes  chofes,  puilfe  changer  vne 
fubltance,en  vne  autre,  &  que  cette  dernière  fubllance .  demeure 
precifement  fouz  la  mefme  fuperficie  fous  qui  la  première  clloit 
contenue.  On  ne  peut  aulTi  rien  dire  de  plus  «conforme  à  la  raifon, 
ny  qui  foit  plus  tommunement  receu  par  les  philofophes,  que  non 
feulement  tout  fentiment,  mais  généralement  toute  ai^ipnd'vn  corps 
fur  vn  autre,  fe  fait  par  le  contai,  &  que  ce  contad  peut  eftre  en 


255-256.  Quatrièmes  Réponses.  197 

la  feule  fuperficie:  d'où  il  fuit  euidemment  que  la  mefme  fuperficie 
doit  toufiours  de  la  mefme  façon  agir  ou  patir,  quelque  changement 
qui  arriue  en  la  fubftance  qu'elle  couure. 

G'eft  pourquoy,  s'il  m'eft  icy  permis  de  dire  la  vérité  fans  enuie, 
i'ofe  efperer  que  le  temps  viendra,  auquel  cette  opinion,  qui  admet 
les  accidens  réels,  fera  rejettée  par  les  Théologiens  comme  peu  feure 
en  la  foy,  éloignée  de  la  raifon,  &  du  tout  incomprehenfible,  &  que 
la  mienne  fera  receuë  en  fa  place  comme  certaine  &  indubitable. 
Ce  que  i'ay  crû  ne  deuoir  pas  icy  diflimuîer,  pour  preuenir,  autant 
qu'il  m'eft  poffible,  les  calomnies  de  ceux  qui,  voulans  paroirtrc  plus 
fçauans  que  les  autres,  &  ne  pouuans  foufrir  qu'on  propofe  aucune 
opinion  différente  des  leurs,  |  qui  foit  eftimée  vraye  &  importante, 
ont  couftume  de  dire  qu'elle  répugne  aux  verijtez  de  la  foy,  &     339 
tachent  d'abolir  par  autorité  ce  qu'ils  ne  peuuent  réfuter  par  raifon  *. 
Mais  i'apelle  de  leur  fentence  à  celle  des  bons  &  ortodoxes  Théo- 
logiens, au  iugement  &  à  la  cenfure  defquels  ie  me  foumettray 
toufiours  tres-volontiers. 

a.  Cette  phrase  diffère  sensiblement  de  l'original  latin  (voir  p.  255, 1. 29, 
p.  256, 1.  6). 


340  [AVERTISSEMENT 

DE   L'AVTEVR'' 


TOVCHANT    LES    ÇINQVIÉMES    OBJECTIONS*' 


Auant  la  première  édition  de  ces  Méditations  "^^  ie 
defiray  qu  elles  fuflent  examinées,  non  feulement  par      5 
Mefîieurs  les  Dodeurs  de   Sorbone,  mais  aufli  par 
tous  les  autres  fçauans  hommes  qui  en  voudroient 
prendre  la  peine,  afin  que,  faifant  imprimer  leurs 
objeftions  &  mes  réponfes  en  fuite  des  Méditations, 
chacunes  félon  Tordre  qu  elles  auroient  efté  faites,     lo 
cela  feruift  à  rendre  la  vérité  plus  euidente.  Et  encore 
que  celles  qui  ne  furent  enuoyées  les  cinquièmes  ne 
me  femblaffent  pas  les  plus  importantes,  &  qu  elles 
fuflent  fort  longues,  ie  ne  laiflay  pas  de  les  faire  im- 
primer en  leur  ordre '^j  pour  ne  point  defobliger  leur    i5 
auteur,  auquel  on  fit  mefme  voir,  de  ma  part,  les 
épreuues  de  rimpreffion,   afin  que  rien  n  y   fufl  mis 
341    comme  fien  qu'il  n'approuuaft  ;  mais  pource  |  qu'il  a 

a.  C'est-à-dire  Descartes  lui-même. 

b.  Imprimé  seulement  dans  la  première  édition  (1647),  aussitôt  après 
les  Réponfes  aux  quatrièmes  Objeâions,  et  à  la  place  des  Cinquièmes 
Objeâions,  lesquelles  sont  rejetées  après  les  Sixièmes  (p.  343-391)  et 
forment  la  dernière  partie  du  volume  (p.  397-591). 

c.  L'édition  latine  de  1641,  à  Paris,  chez  Michel  Soly, 

d.  Objeâiones  quintœ  Pétri  Gajfendi  Dinienfis  Eccleftœ  Prcepoftti  & 
acutijfimi  Philofophi,  a  pag.  355  ad  492.  —  Refponftoncs,  a  pag.  493  ad 
55 1  (i'«  édit.). 


Sur  les  Cinquièmes  Objections.  19Q 

fait  depuis  vn  gros  liuxe,  qui  contient  ces  mefmes 
objedions  auec  plufieurs  nouuelîes  inftances  ou  ré- 
pliques contre  mes  réponfes  ^,  &  que  la  dedans  il  s'eft 
plaint  de  ce  que  ie  les  auois  publiées,  comme  fi  ie 

5  l'auois  fait  contre  fon  gré,  &  qu'il  ne  me  les  euft  en- 
uoyées  que  pour  moninftruélion  particulière,  ieferay 
bien  aife  de  m'accommoder  dorénauant  à  fon  defir, 
&  que  ce  volume  en  foit  defchargé.  C'eft  pourquoy, 
lors  que  i'ay  fceu  que  Monfieur  C.  L.  R.^'  prenoit  la 

10  peine  de  traduire  les  autres  objections,  ie  l'ay  prié 
d'obmettre  celles-cy.  Et  afin  que  le  Lefteur  n'ait  point 
fujet  de  les  regretter,  i'ay  à  Tauertir  en  cet  endroit 
que  ie  les  ay  releuës  depuis  peu,  cl'  que  i'ay  leu 
auffi  toutes  les  nouuelîes  inftances  du  gros  liure  qui 

i5  les  contient,  auec  intention  d'en  extraire  tous  les 
points  que  ie  iugerois  auoir  befoin  de  réponfe,  mais 
que  ie  n'en  ay  fceu  remarquer  aucun,  auquel  il  ne 
me  femble  que  ceux  qui  entendront  vn  peu  le  fens 
de  mes  Méditations  pouront  ayfement  répondre  fans 

20  moy  ;  &  pour  ceux  qui  ne  iugent  des  liures  que 
par  la  grofleur  du  volume  ou  par  le  titre,  mon  am- 
bition n'eft  pas  de  rechercher  leur  approbation. 

a.  Pétri  Gassendi  Difquifitio  Metaphyfica,jeii  Dubitationes  et  Injlan- 
tiœ,  adverfus  Renati  Cartejii  Metaphyficam  et  ReJ'ponJa  (  Amlterodami, 
apud  lohannem  Blaev,  CIDI3CXLIV;  in-4,  pp.  319,  plus  une  réim- 
pression des  Meditationes  de  Descartes,  avec  une  pagination  à  part,  pp.  48). 

b.  Abréviation  de  «  Clerselier  '>. 


m  lAVERTISSEMENT 

DV  TRADVCTEVR' 

TOVCHANT    LES    CINQVIÉMES    OBJECTIONS 
FAITES    PAR    MONSIEVR    GASSENDY^ 


«  N'ayant  entrepris  la  tradudion  des  Méditations  de  Monfieur 
»  Des-Cartes  pour  autre  deffein  que  celuy  de  me  fatisfaire  moy- 
»  mefme,  &  me  rendre  plus  maiftre  de  la  doâirine  qu'elles  con- 
»  tiennent,  le  fruit  que  l'en  <ay>  tiré  me  donna  enuie  de  pdur- 
»  fuiure  celle  de  tout  le  relie  du  Hure.  Et  fur  le  point  que  l'en 
»  eftois  aux  quatrièmes  Objeéiions,  ayant  coriimuniqué  tout  mon 
»  trauail  au  R.  P.  Merfenne,  ie  fus  eftonné  que,  luy  l'ayant  fait 
»  voir  à  Monfieur  Des-Cartes,  lors  d'vn  petit  tour  qu'il  vint  faire 
394  »  en  |  France  il  y  a  quelque  temps',  ie  receu  de  luy  vn  mot  de 
»  compliment",  auec  vne  prière  de  vouloir  continuer  mon  ouurage, 
»  dans  le  deffein  qu'il  auoit  de  vouloir  joindre  ma  verfion  des  ob- 
»  jeélions  &  de  leur  réponl^  à  la  tradudion  fidèle  &  excellente  de 
»  fes  Méditations,  dont  vn  Seigneur  de  très-grande  confideration 
»  luy  auoit  fait  prefent.  Et  pour  me  donner  plus  de  courage,  en 
»  m'épargnant  la  peine,  il  me  pria  d'obmettre  les  cinquièmes  ob- 
»  jedions,  que  des  raifons  particulières  l'obligeoient  lors  de  détacher 
»  de  l'édition  nouuelle  qu'il  vouloit  faire  de  fes  Méditations  en 

a.  Clersclier. 

b.  Imprimé  seulement  dans  la  première  édition  (1647),  après  les /?e/>o«/M 
aux  fixiémes  Objeâions,  et  avant  les  Cinquièmes  Obieâions,  dont  Cler- 
selier  publiait  la  traduction,  ainsi  que  celle  des  Répon/es,  de  sa  propre 
autorité,  et  contrairement  à  l'avis  de  Descartes,  bien  qu'avec  la  permission 
de  celui-ci.  Voir,  dans  notre  Pré/ace,  les  raisons  pour  lesquelles  nous  ne 
croyons  pas  devoir  reproduire  ici  cette  traduction  française  des  Cinquièmes 
Obieâions  de  Gassend  ni  des  Réponfes  de  Descartes. 

c.  Le  voyage  de  1644  (Hn  juin  jusque  vers  la  mi-novembre). 

d.  Ce  «  mot  de  compliment  »  n'a  pas  été  conservé.  Voir  toutefois  au 
I,  IV  de  cette  édition,  p.  144. 


I 


Sur  les  Cinquièmes  Objections.  201 

"  François,  ainfi  que  l'auertiffement  qu'il  a  fait  mettre  icy  en  leur 
»  place  "  le  peut  témoigner.  Mais  depuis,  ayant  confideré  que  ces 
»  objedions  partoient  de  la  plume  d'vn  homme  qui  eft  en  repu- 
»  tation  d'vn  très-grand  fçauoir,  i'ay  penle  qu'il  eftoit  à  propos 
»  qu'elles  fuffent  veuës  d'vn  chacun,  &  ay  trouué  bon  de  les  tra- 
»  duire,  de  peur  qu'on  ne.penfaft  que  c'a  efté  faute  d'y  auoir  pu 
»  répondre  que  Monfieur  Des-Cartes  a  voulu  qu'on  les  ait  obmiles  ; 
))  outre  que  c'eull  efté  priuer  le  Lecteur  de  la  plus  grande  partie  du 
»  liure,  &  ne  luy  prefenter  qu'vne  verfion  imparfaite.  l'auouë  neant- 
»  moins  que  c'eft  celle  qui  m'a  donné  le  plus  de  peine,  parce  que, 
»  defirant  adoucir  beaucoup  de  chofes  qui  pouront  fembler  rudes 
»  en  noftre  langue,  que  la  libre  façon  de  |  parler  des  Philofophes  395 
»  admet  fans  fcrupule  dans  le  Latin,  ie  me  fuis  au  commencement 
»  beaucoup  trauaillé.  Mais  depuis,  cette  entreprifc  m'ayant  femblé 
»  d'vne  trop  longue  fuite,  &  ne  voulant  pas  fi  long-temps  forcer  mon 
»  efprit,  &  d'ailleurs  craignant  de  corrompre  le  fens  de  beaucoup 
»  de  lieux  penfant  en  ofter  la  rudefle  &  les  accommoder  à  la  ciui- 
»  lité  Françoife,  ie  me  fuis  aftraint,  autant  que  i'ây  pu  &  que  le 
»  difcours  me  l'a  pu  permettre,  à  traduire  Amplement  les  çhofes 
»  comme  elles  font;  me  remettant  à  la  docilité  du  Ledeur  de  iuger 
»  benignement  des  chofes;  eftant  d'ailleurs  affuré  que  ceux  qui, 
»  comme  moy,  ont  cet  aduantage  de  connoiftre  ces  Meffieurs,  ne 
»  pouront  croire  que  des  perfonnes  fi  bien  inftruittes  ayent  efté  ca- 
»  pables  d'aucune  animofité  :  en  tout  cas,  fi  en  cela  il  y  a  quelque 
»  faute,  c'eft  à  moy  feul  à  qui  elle  doit  eftre  imputée,,  ayant  efté 
»  auoQé  de  l'vn  &  de  l'autre  de  reformer  toutes  chofes  comme  ie  le 
»  trouuerois  à  propos.  Et  pour  payer  le  Leéteur  de  la  peine  qu'il 
»  aura  eue  à  lire  vne  fi  mauuaife  tradudion  qu'eft  la  mienne,  ie  luy 
»  feray  part  d'vne  lettre ''  que  Monfieur  Des-Cartes  m'a  faii  l'hon- 
»  neur  de  m'efcrire,  fur  le  fujet  d'vn  petit  recueil  des  principales 
»  difficultez  que  quelques-vns  de  mes  amis  auoient  foi|gneufement 
))  extraites  du  liure  des  Inftances  de  Monfieur  Gaffendy ',  dont  la 
))  réponfe,  à  mon  auis,  mérite  bien  d'eftre  veuë.  » 

a.  La  pièce  précédente,  p.  198. 

b.  Imprimée  ci-après,  p.  203. 

c.  Voir  la  note  a,  p.  199  ci-avant.  —  Par  malheur,  ce  «  pctii  recueil  » 
n'a  pas  été  retrouvé. 


I  LETTRE 

DE   MONSIEVR   DES-CARTES 

A    MONSIEVR    C.     L.    R.  "^ 

Semant  de  réponfe  à  vn  recueil  des  principales 

injhnces  faites  par   Monjieur   GaJJendi  s 

contre  les  précédentes  Réponfes^. 

[12  janvier  1646'.] 
Monfieur, 

le  vous  ay  beaucoup  d'obligation  de  ce  que, 
voyant  que  i'ay  négligé  de  répondre  au  gros  Liure  10 
d'inftances"^  que  l'Auteur  des  cinquièmes  Objedions 
a  produit  contre  mes  Réponfes,  vous  auez  prié 
quelques-vns  de  vos  amis  de  recueillir  les  plus  fortes 
raifons  de  ce  liure,  &  m'auez  enuoyé  l'extrait  qu'ils 
en  ont  fait.  Vous  avez  eu  en  cela  plus  de  foin  de    'S 

a.  C.  L.  R.,  c'est-à-dire  Clerselier.  Voir  ci-avant,  p.  201,  les  dernières 
lignes  de  l'avertissement  qui  précède. 

b.  C'est-à-dire  les  Réponfes  aux  cinquièmes  Objeâions,  dont  la  tra- 
duction précédait  immédiatement  cette  lettre  dans  l'édition  de  1647. 

c.  Voir,  pour  cette  date,  t.  IV  de  la  présente  édition,  lettre  CDXX, 
p.  357-358. 

d.  Voir  au  t.  VII  de  cette  édition,  à  la  suite  du  texte  des  Cinquièmes 
Objeâions  et  Réponfes,  VJndex  de  ce  livre,  qui  ne  contient  pas  seulement 
les  /nuances  de  Gassend,  mais  aussi  sous  le  nom  de  Dubitationes  les 
Objeâions  de  ce  philosophe,  avec  les  Réponfes  de  Descartes.  Le  titre  du 
volume  l'indique  d'ailleurs  :  voir  ci-avant,  p.  199,  note  a.  ~  A  défaut  du 
«  recueil  »  auquel  Descartes  répond  ici,  et  qui  n'a  pas  été  conservé,  cet 
Index  fournira  d'utiles  indications. 


Sur  les  Cinquièmes  Objections.  20 j 

ma  réputation  que  moy-mefme  ;  car  ie  vous  allure 
qu'il  m'efl  indiffèrent  d'eftre  eftimé  ou  méprifé  par 
ceux  que  de  femblables  raifons  auroient  pu  per- 
fuader.  Les  meilleurs  efprits  de  ma  connoifjfance  qui    594 

5  ont  leu  fon  Hure,  m'ont  témoigné  qu'ils  n  y  auoient 
trouué  aucune  chofe  qui  les  areffaft  ;  c'eft  à  eux  feuls 
que  ie  defire  fatisfaire.  le  fçay  que  la  plufpart  des 
hommes  remarque  mieux  les  apparences  que  la  vérité, 
&  iuge  plus  fouuent  mal  que  bien  ;  c'ell  pourquoy  ie 

10  ne  croy  pas  que  leur  approbation  vaille  la  peine  que 
ie  faffe  tout  ce  qui  pouroit  eftre  vtile  pour  l'acquérir. 
Mais  ie  ne  laiiïe  pas  d'eftre  bien  ayfe  du  recueil  que 
vous  m'auez  enuoyé,  &.  ie  me  fens  obligé  d'y  ré- 
pondre, plutoft  pour  reconnoilTance  du  trauail  de  vos 

i5  amis  que  par  la  neceffité  de  ma  defenfe;  car  ie  croy 
que  ceux  qui  ont  pris  la  peine  de  le  faire,  doiuent 
maintenant  iuger,  comme  moy,  que  toutes  les  ob- 
jedions  que  ce  Hure  contient  ne  font  fondées  que  fur 
quelques  mots  mal  entendus  ou  quelques  fupofitions 

20    qui  font  fauffes  ;  vu  que  toutes  celles  qu'ils  ont  remar- 
quées font  de  cette  forte,  &  que  neantmoins  ils  ont 
efté  fi  diligens,  qu'ils  en  ont  mefme  adiouté  quelques- 
vnes  que  ie  ne  me  fouuiens  point  d'y  auoir  leuës. 
Ils  en  remarquent  trois  contre  la  première  Medita- 

25     tion,  à  fçauoir  :    i.  Que  ie  demande  vue  chofe  impof- 
fibUy  en  voulant  qu'on   quitte   toute  forte  de  préjuge:^. 
2.  Qu'en  penfant  les  quiter  on  fc  reuejl  d'autres  pré- 
juge:^ qui  font  plus  préjudiciables.  ).  Et  que  la  méthode 
de  douter  de   tout,  que  i'ay  propofée,  ne  peut  feruir  à 

3o     trouucr  aucune  vérité^. 

a.  Non  à  la  ligne  yi''-'  édit.). 


595 


2  04  Œuvres  de  Descartes. 

La  première  defquelles  eil  fondée  fur  ce  que  l'Au- 
teur de  ce  liure  n  a  pas  confideré  que  le  mot  de  pré- 
jugé ne  s'étend  point  à  toutes  les  notions  qui  font  en 
noftre  |  efprit,  defquelles  i'auouë  qu'il  eil  impoffible 
de  fe  défaire,  mais  feulement  à  toutes  les  opinions      5 
que  les  iugemens  que  nous  auons  faits  auparauant 
ont  laiiTées  en  noftre  créance.  Et  pource  que  c'efl  vne 
aftion  de  la  volonté  que  de  iuger  ou  ne  pas  iuger, 
ainfi  que  i'ay  expliqué  en  fon  lieu,  il  eft  éuident  qu'elle 
eft  en  noftre  pouuoir  :  car  enfin,  pour  fe  défaire  de    lo 
toute  forte  de  préjugez,  il  ne  faut  autre  chofe  que 
fe   refoudre  à  ne  rien  affurer   ou  nier  de  tout  ce 
qu'on   auoit  afluré  ou  nié  auparauant,  fmon  après 
l'auoir  derechef  examiné,   quoy  qu'on  ne  laifte  pas 
pour  cela   de  retenir  toutes  les  mefmes  notions  en    i5 
fa  mémoire,  fay  dit  neantmoins  qu'il  y  auoit  de  la 
difficulté  à  chaffer  ainfi  hors  de  fa  créance  tout  ce 
qu'on  y  auoit  mis  auparauant,  partie  à  caufe  qu'il 
eft   befoin   d'auoir  quelque  raifon  de  douter  auant 
que  de  s'y  déterminer  :  c'eft  pourquoy  i'ay  propofé    20 
les  principales  en  ma  première  Méditation  ;  &  partie 
auffi  à  caufe  que,  quelque  refolution  qu'on  ait  prife 
de  ne  rien  nier  ny  afliirer,  on  s'en  oublie  aifement 
par  après,  fi  on  ne  l'a  fortement  imprimée  en  fa  mé- 
moire :  c'eft   pourquoy  i'ay  defiré  qu'on  y  penfaft    25 
auec  foin  ". 

La  2.  Objeftion  n'eft  qu'vne  fuppofition  manifefte- 
mcnt  fauflc  ;  car,  encore  que  i'aye  dit  qu'il  faloit 
mefme  s'cflbrcer  de  nier  les  chofes  qu'on  auoit  trop 
afiurées   auparauant,   i'ay  tres-expreflement  limité    3o 

u.  Non  à  la  ligne  {i"  édit.). 


Sur  les  Cinquièmes  Objections.  205 

que  cela  ne  fe  deuoit  faire  que  pendant  le  temps 
qu'on  portoit  fon  attention  à  chercher  quelque  chofe 
de  plus  certain  que  tout  ce  qu'on  pouroit  ainfi  |  nier, 
pendant  lequel  il  eft  euident  qu'on  ne  fçauroit  fe 
5     reueftir  d'aucun  préjugé  qui  foit  préjudiciable*'. 

La  troifiéme  aulîi  ne  contient  qu'vne  cauillation  ; 
car,  bien  qu'il  foit  vray  que  le  doute  feul  ne  fuffit  pas 
pour  eftablir  aucune  vérité,  il  ne  laifle  pas  d'eftre 
vtile  à  préparer  Tefprit  pour  en  eftablir  par  après,  & 

10    c'eft  à  cela  feul  que  ie  l'ay  employé. 

Contre  la  féconde  Méditation  vos  amis  remarquent 
fix  chofes.  La  première  eft  qu'en  difant  :  ie  penfe,  donc 
ie  fuis,  l'Auteur  des  Inftances  veut  que  ie  fuppofe 
cette  maieurc  :  cc/z/y  qui  penfe,  efi;  &.  ainfi  que  i'aye 

«5  defia  époufé  vn  préjugé.  En  quoy  il  abufe  derechef  du 
mot  de  préjugé  :  c'cir,  bien  qu'on  en  puift'e  donner  le 
nom  à  cette  propofition,  lorfqu'on  la  profère  fans 
attention  &  qu'on  croit  feulemem  qu'elle  eft  vraye  à 
caufe  qu'on  fe  fouuient  de  l'auoir  ainfi  iugé  aupara- 

20  uant,  on  ne  peut  pas  dire  toutesfois  qu'elle  foit  vn 
préjugé,  lorfqu'on  l'examine,  à  caufe  qu'elle  paroift 
fi  éuidente  à  l'entendement,  qu'il  ne  fe  fçauroit  em- 
pefcher'de,  la  croire,  encore  que  ce  foit  peut-eftre  la 
première  fois  de  fa  vie  qu'il  y  penfe,  &  que  par  confe- 

25  quent  il  n'en  ait  aucun  préjugé.  Mais  l'erreur  qui  eft 
icy  la  plus  confiderable,  eft  que  cet  Auteur  fuppofe  que 
la  connoiftance  des  proportions  particulières  doit 
toufiours  eftre  déduite  des  vniuerfelles,fuiuant  l'ordre 
des  fyllogifmes  de  la  Dialeftique  :  en  quoy  il  montre 

^o    fçauoir  bien  peu  de  quelle  façon  la  vérité  fe  doit 

a.  Non  à  la  ligne  (/'"'  édit.)* 


b96 


2o6  Œuvres  de  Descartes. 

chercher;  car  il  eft  certain  que,  pour  la  trouuer,  on 
597  doit  toujours  commencer  |  par  les  notions  particu- 
lières, pour  venir  après  aux  générales,  bien  qu'on 
puiffe  auffi  réciproquement,  ayant  trouué  les  géné- 
rales, en  déduire  d'autres  particulières.  Ainfi,  quand  5 
on  enfeigne  à  vn  enfant  les  elemens  de  la  Géométrie, 
on  ne  lui  fera  point  entendre  en  gênerai  que,  lorfque 
de  deux  quantité:^  égales  on  ojie  des  parties  égales,  les 
rejïes  demeurent  égaux,  ou  que  le  tout  eji  plus  grand  que 
f es  parties,  fi  on  ne  luy  en  montre  des  exemples  en  lo 
des  cas  particuliers.  Et  c'eil  faute  d'auoir  pris  garde 
à  cecy,  que  noftre  Auteur  s'ell  trompé  en  tant  de 
faux  raifonnemens,  dont  il  a  groffi  fon  liure;  car  il 
n'a  fait  que  compofer  de  fauffes  maieures  à  fa  fan- 
taifie,  comme  fi  i'en  auois  déduit  les  veritez  que  i'ay  «5 
expliquées. 

La  féconde  Objeftion  que  remarquent  icy  vos  amis 
eft  :  Que,  pour  fçauoir  qu'on  penfe,  il  faut  fçauoir  ce 
que  c'eft  que  penfée  ;  ce  que  ie  ne  fçais  point,  difent- 
ils,  à  cause  que  i'ay  tout  nié.  Mais  ie  n'ay  nié  que  20 
les  préjugez,  &  non  point  les  notions,  comme  celle- 
cyj  qui  fe  connoifTent  fans  aucune  affirmation  ny 
négation. 

La  troifiéme  eft  :  Que  la  penfée  ne  peut  efirefans  objet, 
par  exemple  fans  le  corps.  Où  il  faut  eu i ter  l'équiuoque  ?5 
du  mot  de  penfée,  lequel  on  peut  prendre  pour  la 
chofe  qui  penfe,  &  auffi  pour  l'aftion  de  cette  chofe; 
or  ie  nie  que  la  chofe  qui  penfe  ait  befoin  d'autre 
objet  que  de  foy-mefme  pour  exercer  fon  aftion,  bien 
qu'elle  puiftc  auffi  l'étendre  aux  chofes  matérielles,  3o 
lorfqu'cllc  les  examine. 


Sur   les  Cinquikmes  Obipxtions.  20 


La  quatrième  :  Que,  bien  que  i  aye  vue  penfcc  de  nioy- 
\mefme,  ie  ne  /çay  pas  Jî  celle  pen/ée  efl  vne  aelion  corpo-    598 
relie  ou  vu  atome  qui  fe  meut,  pluto/I  qu'vne  Jubjlancc 
immatérielle .  Où   Fcquiiioquc  du  nom  de  pcnfée  eft 

5  répétée,  &  ie  n'v  vov  rien  de  plus,  finon  vne  quellion 
fans  fondement,  0(:  qui  eft  fcmblahle  àcelle-ev.  Vous 
iugez  que  vous  eiles  vn  homme,  à  eaufe  que  vous 
aperceuez  en.  vous  toutes  les  chofes  à  Toecafion 
defquelles  vous  nommez  homn>es  eeux  en  qui  elles 

10  fe  trouuent;  mais  que  f(^auez-vous  fi  vous  n'eftes  point 
vn  éléphant  plutoft  qu'vn  homme,  pour  quelques 
autres  raifons  que  vous  ne  pouuez  aperccuoir  ?  Car, 
après  que  la  fubftance  qui  penfe  a  iugé  qu'elle  ell 
intellectuelle,   à   caufe    qu'elle   a    remarqué   en   foy 

i5  toutes  les  proprietez  des  fubftanccs  intellectuelles, 
OC  n'y  en  a  pu  remarquer  aueune  de  eelles  qui  apar- 
tiennent  au  corps,  on  luy  demande  encore  comment 
elle  fçait  fi  elle  n'ed  point  vn  corps,  plutoft  qu'vne 
fubftance  immatérielle. 

20  La  cinquième  Objedion  eft  femblable  :  Que,  bien 
que  ie  ne  Irouue  point  d  étendue  en  ma  penfée,  il  ne  s  en- 
fuit pas  quelle  nejoit  point  étenduè\pource  que  me  penfée 
nejl  pas  la  règle  de  la  venté  des  chofes.  Et  auiïi  la 
fixiéme  :  Qiiil  fe  peut  faire  que  la  dijlinélion.  que  ie 

2  5     Irouue  par   ma  penfée  entre   la  penfée  &  le  co?'ps,  foi! 

fiuffe.  Mais  il   faut   particulièrement  icy  remarquer 

Lequivoque  qui  eft  en  ces  mots  :  ma  penfée  n'cjl  pas 

la  règle  de  la  vérité  des  chofes.  Car,  fi  on  n  eut  dire  que 

ma  penfée  ne  doit  pas  eftre  la  règle  des  autres,  pour 

3o  les  obliger  à  croire  vne  chofe  a  caufe  que  ie  la  penfe 
vrave.  i  en  fuis  entièrement  1  d'accord  ;  mais  cela  ne    bii^ 


2o8  Œuvres  de  Descartes. 

vient  point  icy  à  propos  :  car  ie  n'ay  iamais  voulu 
obliger  perfonne  à  fuiure  mon  autorité,  au  contraire 
i'ay  auerty  en  diuers  lieux  qu'on  ne  fe  deuoit  laifTer 
perfuader  que  par  la  feule  euidence  des  raifons.  De 
plus,  fi  on  prend  indifféremment  le  mot  de  penfée  5 
pour  toute  forte  d'opération  de  Famé,  il  eft  certain 
qu'on  peut  auoir  plufieurs  penfées,  defquelles  on  ne 
doit  rien  inférer  touchant  la  vérité  des  chofes  qui  font 
hors  de  nous  ;  mais  cela  ne  vient  point  auffi  à  propos 
en  cet  endroit,  ou  .il  n'eft  queftion  que  des  penfées  lo 
qui  font  des  perceptions  claires  &  diflindes,  &  des 
iugemens  que  chacun  doit  faire  à  part  foy  enfuite  de 
ces  perceptions.  C'eft  pourquoy,  au  fens  que  ces  mots 
doiuent  icy  eftre  entendus,  ie  dis  que  la  penfée  d'vn 
chacun,  c'eft  à  dire  la  perception  ou  connoiffance  ï5 
qu'il  a  d'vne  chofe,  doit  eftre  pour  luy  la  règle  de 
la  vérité  de  cette  chofe,  c'eft  à  dire,  que  tous  les 
iugemens  qu'il  en  fait,  doiuent  eftre  conformes  à 
cette  perception  pour  eftre  bons.  Mefme  touchant 
les  veritez  de  la  foy,  nous  deuons  aperceuoir  quelque  20 
raifon  qui  nous  pcrfuade  qu'elles  ont  efté  reuelées  de 
Dieu,  auant  que  de  nous  déterminer  à  les  croire;  & 
encore  que  les  ignorans  faflent  bien  de  fuiure  le 
jugement  des  plus  capables,  touchunt  les  chofes  dif- 
ficiles à  connoiftre,  il  faut  neantmoins  que  ce  foit  leur  25 
perception  qui  leur  enfeigne  qu'ils  font  ignorans,  & 
que  ceux  dont  ils  veulent  fuiure  les  iugemens  ne  le 
600  font  peut-eftre  pas  tant,  autrement  ils  feroient  mal|de 
les  fuiure,  &.  ils  agiroient  plutoft  en  automates,  ou  en 
beftcs,  qu'en  hommes.  Ainfi  c'eft  l'erreur  la  plus  ab-  3o 
furdc  &  la  plus  exorbitante  qu'vn  Philofophe  puifl^e 


SiR  ij!:s  Cinquièmes  Objections.  209 

admettre,  que  de  vouloir  faire  des  iugemens  qui  ne 
feraportent  pas  aux  perceptions  qu'il  a  des  chofes  ; 
&  toutefois  ie  ne  voy  pas  comment  noflre  Auteur  fe 
pouroit  excufer  d'eftre  tombé  en  cette  faute,  en  la 
5  plufpart  de  fes  objedions  :  car  il  ne  veut  pas  que 
chacun  s'arefte  à  fa  propre  perception,  mais  il  pré- 
tend qu'on  doit  plutôft  croire  des  opinions  ou  fan- 
taifies  qu'il  luy  plaift  nous  propofer,  bien  qu'on  ne 
les  aperçoiue  aucunement. 

10  Contre  la  troifiéme  Méditation  vos  amis  ont  re- 
marqué :  I.  Que  tout  le  monde  n  expérimente  pas  en  foy 
Vidée  de  Dieu.  2 .  Que,  ji  iauois  cette  idée,  ie  la  compren- 
drois.  j.  Que  plujieurs  ont  leu  mes  raifons,  qui  n'en  font 
point  perfuade^,  4.  Et  que,  de  ce  que  ie  me  connois  im- 

i5  parfait,  il  ne  s'enfuit  pas  que  Dieu  foit.  Mais,  fi  on  prend 
le  mot  d'idée  en  la  façon  que  i'ay  dit  tres-expreffement 
que  ie  le  prenois,  fans  s'excufer  par  l'equiuoque  de 
ceux  qui  le  reitreignent  aux  images  des  chofes  maté- 
rielles qui  fe  forment  en  l'imagination,  on  ne  fçauroit 

20  nier  d'auoir  quelque  idée  de  Dieu,  Il  ce  n'efl  qu'on 
die  qu'on  n'entend  pas  ce  que  fignifient  ces  mots  :  la 
cliofe  la  plus  parfaite  que  nous  puijjions  conceuoir  ;  car 
c'eft  ce  que  tous  les  hommes  apellent  Dieu.  Et  c'efi: 
palTer  à  d'eflranges  extremitez  pour  vouloir  faire  des 

25    objedions,  que  d'en  venir  à  dire  qu'on  n'entend  pas  ce 
que  fignifient  les  mots  qui  font  les  plus  ordinai|res  en    601 
la  bouche  des  hommes.  Outre  que  c'eft  la  confeffion 
la  plus  impie  qu'on  puiftb  faire,  que  de  dire  de  foy- 
mefme,  au  fens  que  i'ay  pris  le  mot  d'idée,  qu'on  n'en 

îo  a  aucune  de  Dieu  :  car  ce  n'eft  pas  feulement  dire 
qu'on  ne  le  connoift  point  par  raifon  naturelle,  mais 


Œuvres.  IV. 


210  Œuvres  de  Desgartes. 

auffi  que,  ny  par  la  foy,  ny  par  aucun  autre  moyen, 
on  ne  fçauroit  rien  fçauoir  de  luy,  pource  que,  fi  on 
n'a  aucune  idée,  ceft  à  dire  aucune  perception  qui 
réponde  à  la  fignification  de  ce  mot  Dieu,  on  a  beau 
dire  qu'on  croit  que  Dieu  eil,  ceft  le  mefme  que  li  on  5 
difoit  qu  on  croit  que  rien  eft,  &  ainfi  on  demeure 
dans  Tabyfme  de  Timpieté  &  dans  Fextremité  de 
rignorance  ^. 

Ce  qu'ils  adjoutent  :  Que,  Jî  i'auois  celte  idée,  ie  la 
comprendrais,  eft  dit  fans  fondement.  Car,  à  caufe  que  lo 
le  mot  de  comprendre  fignifie  quelque  limitation,  vn 
efprit  fini  ne  fçauroit  comprendre  Dieu,  qui  eft  infini  ; 
mais  cela  n'empefche  pas  qu'il  ne  Taperçoiue,  ainfi 
qu'on  peut  bien  toucher  vne  montagne,  encore  qu'on 
ne  la  puifte  embrafifer^.  »5 

Ce  qu'ils  difent  aufli  de  mes  raifons  :  Que  plujîeurs 
les  ont  leués  fans  en  ejlre  per/uade^,  peut  aifement  eftre 
réfuté,  parce  qu'il  y  en  a  quelques  autres  qui  les  ont 
comprifes  &  en  ont  efté  fatisfaits.  Car  on  doit  plus 
croire  à  vn  feul  qui  dit,  fans  intention  de  mentir,  qu'il  2c 
a  veu  ou  compris  quelque  chofe,  qu'on  ne  doit  faire  à 
mille  autres  qui  la  nient,  pour  cela  feul  qu'ils  ne  l'ont 
pu  voir  ou  comprendre  :  ainfi  qu'en  la  découuerte  des 
Antipodes  on  a  plutoft  creu  au  raport  de  quelques 
602  matelots  qui  ont  fait  le  tour  de  la  terre, |  qu'à  des  mi-  aS 
liers  de  Philofophes  qui  n'ont  pas  creu  qu'elle  fuft 
ronde.  Et  pource  qu'ils  allèguent  icy  les  Elemens  d'Eu- 
clidc,  comme  s'ils  eftoient  faciles  à  tout  <le>  monde, 
ie  les  prie  de  confiderer  qu'entre  ceux  qu'on  eftimc 

a.  Non  à  la  ligne  (z'*  éJit.). 

b.  Mémo  remarque. 


Sur  les  Cinquièmes  Objections.  2 1 1 

les  plus  Içauans  en  la  Philofophie  de  rElcholej  il  n'y 
en  a  pas,  de  cent,  vn  qui  les  entende,  &  qu'il  n'y  en 
a  pas  vn,  de  dix  mille,  qui  entende  toutes  les  démon- 
ftrations  d'Apollonius  ou  d'Archimede,  bien  qu'elles 
5  foient  aufli  cuidentes  &  auffi  certaines  que  celles 
d'Euclide*\ 

Eniin,  quand  ils  difent  que,  de  ce  que  te  reconnois  en 
moy  quelque  imper  feclion,  il  ne  s  enfuit  pas  que  Dieu /oit, 
ils  ne  prouuent  rien  ;  car  ie  ne  Tay  pas  immedia- 

10  tement  déduit  de  cela  feul  fans  y  adjouter  quelque 
autre  chofe,  ik  ils  me  font  feulement  fouuenir  de 
runifice  de  cet  Auteur,  qui  a  couflume  de  tronquer 
mes  raifons  c^'  n'en  raportcr  que  quelques  parties, 
pour  les  faire  paroiftre  imparfaites. 

i5         le  ne  voy  rien  en  tout  ce  qu'ils  ont  remarqué  tou- 
chant les  trois  autres  Méditations,  à  quoy  ie  n'aye 
amplement  répondu  ailleurs,  comme  à  ce  qu'ils  ob- 
jedent  :  i .  Que  i'ay  commis  vn  cercle,  en prouuant  l'exi- 
Jîence  de  Dieu  par  certaines  notions  qui  font  en  nous,  & 

20     difani  après  qu'on  ne  peut  ejlrc  certain  d'aucune  chofe 

fans  fçauoir  auparauant  que  Dieu  efl.  2.  Et  que  fa  con- 

noiffance  ne  fert  de  rien  pour  acquérir  celle  des  veri- 

tc"^  de  Mathématique.   ).  El  qu'il  peut   eflre  trompeur. 

Voyez  fur  cela  ma  réponfe  aux  fécondes  objections, 

25  nombre  j  l<:  4,  A:  la  fin  de  la  2.  partie  des  qua-. 
iriémes^\ 

Mais  ils  adjoutent  à  la  lin  vne  penfée,  que  ie  ne 
f(^ache  point  que  ,  nolire  Auteur  ait  écrite  dans  fon    603 

a.   Ni>n  a  la  ligne  (i''  cdit.]. 

h.  Mcmc  rcmar».|uc  ( / '  '  et  2'  cdit.  .  —  Vi)ir  ci  avani  la  uaduciion,  p.  1 10, 
1)2,  cl  '8t)-i9o.  . 


212  OEUVRES   DE   DeSCARTES. 

liure  d'Inftances,  bien  qu  elle  foit  fort  femblable  aux 
Tiennes.  Plufieurs  excellens  efprits,  difent-ils,  croyent 
voir  clairement  que  retendue  Mathématique,  laquelle  ie 
pofe  pour  le  principe  de  ma  Phyjiqiie,  n'eji  rien  autre 
chofe  que  mapenfée,  &  quelle  n'a,  ny  ne  peut  auoir,  nulle  5 
fubjijîence  hors  de  mon  efprit,  nejlant  quvne  ahjiraélion 
que  ie  fais  du  corps  Phyfique;  &  partant,  que  toute  ma 
Phyjîque  ne  peut  ejlre  qu'imaginaire  &  feinte,  comme  font 
toutes  les  pures  Mathématiques  ;  &  que,  dans  la  Phyfique 
réelle  des  chofes  que  Dieu  a  créées,  il  faut  vne  matière  lo 
réelle,  folide,  &  non  imaginaire.  Voilà  Tobjeflion  des 
objeélions,  &  Fabregé  de  toute  la  dodrine  des  excel- 
lens efprits  qui  font  icy  alléguez.  Toutes  les  chofes 
que  nous  pouuons  entendre  &  conceuoir,  ne  font,  à 
leur  conte,  que  des  imaginations  &  des  fiftions  de  i5 
noflre  efprit,  qui  ne  peuuent  auoir  aucune  fubfiftence  : 
d'où  il  fuit  qu'il  n'y  a  rien  que  ce  qu'on  ne  peut  au- 
cunement entendre,  ny  concevoir,  ou  imaginer,  qu'on 
doiue  admettre  pour  vray,  c'eft  à  dire  qu'il  faut  en- 
tièrement fermer  la  porte  à  la  raifon,  &  fe  contenter  20 
d'eflre  Singe,  ou  Perroquet,  &  non  plus  Homme,  pour 
mériter  d'eftre  mis  au  rang  de  ces  excellens  efprits. 
Car,  fi  les  chofes  qu'on  peut  conceuoir  doiuent  eftre 
eflimées  faulTes  pour  cela  feul  qu'on  les  peut  con- 
ceuoir, que  refle-t-il,  finon  qu'on  doit  feulement  re-  25 
ceuoir  pour  vrayes  celles  qu'on  ne  conçoit  pas,  tS^^  en 
compofer  fa  dodrine,  en  imitant  les  autres  fans  fça- 
•04  uoir  pourquoy  on  les  imite,  comme  font  les  Sin|ges, 
&  en  ne  proférant  que  des  paroles  dont  on  n'entend 
point  le  fens,  comme  font  les  Perroquets  ?  Mais  i'ay  3o 
bien  de  quoy  me  confoler,  pourca  qu'on  ioint  icy  ma 


Sur  les  Cinquièmes  Objections.  2 1 3 

Phyûque  auec  les  pures  Mathématiques,  aufquelles 
ie  fouhaite  furtout  qu'elle  reffemble. 

Pour  les  deux  queftions  qu'ils  adjoutent  aufîi  à  la 
fin,  à  fçauoir  :  comment  Vame  meut  le  corps,  Ji  elle  neji 
5  point  matérielle  ?  &  comment  elle  peut  receuoir  les  e/peces 
des  objets  corporels  ?  elles  me  donnent  feulement  icy 
occafion  d'auertir  que  noftre  Auteur  n'a  pas  eu  raifon, 
lorfque,  fous  prétexte  de  me  faire  des  objeftions,  il 
m'a  propofé  quantité  de  telles  queftions,  dont  la  fo- 

10  lution  n'eftoit  pas  neceffaire  pour  la  preuue  des  chofes 
que  i'ay  écrites,  &  que  les  plus  ignorans  en  peuuent 
plus  faire,  en  vn  quart  d'heure,  que  tous  les  plus 
fçauans  n'en  fçauroient  réfoudre  en  toute  leur  vie  : 
ce  qui  eft  caufe  que  ie  ne  me  fuis  pas  mis  en  peine  de 

i5  répondre  à  aucunes.  Et  celles-cy,  entr^  autres,  préfup- 
pofent  l'explication  de  l'vnion  qui  eft  entre  l'ame  &  le 
corps,  de  laquelle  ie  n'ay  point  encore  traité.  Mais 
ie  vous  diray,  à  vous,  que  toute  la  difficulté  qu'elles 
contiennent  ne  procède  que  d'vne  fuppofition  qui  eft 

20  faufTe,  &  qui  ne  peut  aucunement  eftre  prouuée,  à 
fçauoir  que,  {i  l'ame  &  le  corps  font  deux  fubftances 
de  diuerfe  nature,  cela  les  empefche  de  pouuoir  agir 
Vvne  contre  l'autre;  car,  au  contraire,  ceux  qui  ad- 
mettent des  accidens  réels,  comme  la  chaleur,  la  pe- 

25    fanteur,  &  femblables,  ne  doutent  point  que  ces  acci- 
dens ne  puiflent  agir  |  contre  le  corps,  &  toutefois  il    605 
y  a  plus  de  différence  entre  eux  &.  luy,  c'eft  à  dire  entre 
des  accidens  &.  vne  fubftance,  qu'il  n'y  a  entre  deux 
fubftances. 

3o  Au  refte,  puifque  i'ay  la  plume  en  main,  ie  remar- 
queray  encore  icy  deux  des  équiuoques  que  i'ay  trou- 


2  14  OEUVRES  DE  Descartes. 

uées  dans  ce  Hure  d'Inftances,  pource  que  ce  font 
celles  qui  me  femblent  pouuoir  furprendre  le  plus 
aifement  les  Ledeurs  moins  attentifs,  &  ie  defire  par 
là  vous  témoigner  que,  û  ïy  auois  rencontré  quelque 
autre  chofe  que  ie  creuffe  mériter  réponfe,  ie  ne  Tau- 
rois  pas  négligé. 

La  première  eft  en  la  page  65  "",  où,  pource  que  i'ay 

a.  Difqui/tlio  Metaphyfica,  etc.,  p.  62-64,  c'est-à-dire  la  3*  partie  de 
VInJîahtia  qui  fait  suite  à  la  Dubitatio  IV  in  Meditationem  II  et  Rejpon- 
fio  (voir,  pour  ces  deux  pièces,  t.  VII  de  la  présente  édition,  p^.  263  à 
265,  etc.)  : 

«  . .  .&  maxime  cùm  oftenfum  fit  te  aut  alTumplifle,  aut  nihil  probalTe, 
»  ubi  ita  concludiili  :  Stim  igitur  prœcijè  tantiim  res  cogitans.  Placet 
»  potiùs  ingenuam  confcflionem  admJttere,  &,  quod  ad  calcem  Dubita- 
»  tionis  feci  te  iterùm  heic  admonere,  ut  illius  memineris,  videlicet, 
»  poftquàm  dixifti  :  Suni  igitur  prœcijè  tantùm  Res  cogitans,  dici  a  te 
»  nefcire  te,  neque  hoc  loco  diîpmare,  an  fis  compages  membrorum,  quœ 
»  corpus  humamim  appellatur,  an  tenuis  aliquis  aêr  ijiis  membris  infufus, 
»  an  ignis,  an  vapor,  an  halilus,  &c.  Exinde  nempe  fequuntur  duo.  Vnum 
y>  eft  fore  ut,  fi,  cùm  ad  illam  tuam  demonftrationem  in  Meditatione  fextâ 
»  pervenerimus,  deprehendaris  nufquam  probaffe  te  non  elle  compagem 
»  membrorum,  aut  tenuem  aërem,  vaporem,  &c.,  non  poftis  illud  tanquam 
f  probatum  aut  concefTum  alTumere.  Alterum,  te  immeritô  hifce  verbis 
»  jam  conclufilfe  :  Sum  igitltr  prœcijè  tantùm  res  cogitans.  Quid  fibi  enim 
»  vult  illa  vox  tantùm?  An-non  reftridiva  eft,  ut  fie  loquar,  ad  folam  rem 
»  cogitantem,  &  exclufiva  aliarum  omnium,  inter  quas  funt  compages 
»  membrorum.  tenuis  aër,  ignis,  vapor,  halitus,  &  caetera  corpora  ?  An, 
»  cùm  fis  Res  cogitans,  nofti  te  praeterea  harum  nullam  elïe  ?  Refpondes 
»  perfpicuè  te  id  ignorare.  Nefcio,  inquis,  jam  non  dijputo.  Cur  igitur 
»  dicis  te  ejfe  tantiim  rem  cogitantem?  An-non  id  dicis  quod  ignoras? 
»  An-non  infers  id  quod  non  probas  ?  An-non  deftruis  id  quod  ftruxifle  te 
»  arbitraris  ?  En  nempe  tuum  ratiocinium  : 

»  Quifcitfe  effe  rem  cogitantem ,  &  nefcit  an  fit  prœtereà  res  alia,  utpote 
»  compages  membrorum,  tenuis  aêt,  Ce,  ille  ejï  prœcijè  tavtùm  resCogi- 
»  tans. 

»  Atqui  ego  Jcio  me  eJfe  rem  cogitantem,  &  ncjcio  an  pra  jreà  fnn  res 

*  alia,  utpote  compages  membrorum,  tenuis  aër.  Ce. 
»  Igitur  Jum  prœcijè  tantùm  res  cogitans. 

»  Non  rctcxo  ;  quia  luHicii  rem,  utfe  habet,  propofuill'c.  Adnoto  folùm, 
»  cùm  propofitio  vidcatur  cfTe  adco  abfurda,  non  abs  rc  fupcriùs  admo- 

•  nuilfc  me  cavendum  tibi  non  modo  elfe  ne  quid  imprudcntcr  in  locum 


Sur  les  Cinciuiémes  Objections.  21^. 

dit,  en  vn  lieu,  que,  pendant  que  Tame  doute  de 
lexiftence  de  toutes  les  chofes  matérielles,  elle  ne  fe 
connoift  que  précïfement ,  prcecifc  tantùm,  comme  vne 
fubftance  immatérielle;  c^,  fept  ou   huit  lignes  plus 

5  bas,  pour  montrer  que,  par  ces  vcioxs  prœcife  tantùm, 
ie  n'entens  point  vne  entière  exclufion  ou  négation, 
mais  feulement  vne  abftraclion  des  chofes  matérielles, 
i'ayditque,  nonobftant  cela,  on  n'eftoit  pasalfuré  qu'il 
n'y  a  rien  en  Tame  qui  foit  corporel ,  bien  qu'on  n'y  con- 

10  noilTe  rien  :  on  me  traite  fi  injuftement  que  de  vouloir 
perfuaderau  Ledeur,  qu'en  àii^nx  prœcife  tantùm,  i'ay 
voulu  exclure  le  corps,  &  ainfi  que  ie  me  fuis  con- 
tredit par  après,  en  difant  que  ie  ne  le  voulois  pas 
exclure.   le  ne  répons  rien  à  ce  que  ie  fuis  accufé 

i5    enfuite  d'auoir  fuppofé  quelque  chofe,  en  la  6.  Médi- 
tation, que  ie  n'auois  pas  prouué  auparauant,  &  ainfi 
d'auoir  fait  vn  paralogifme;  car  il  efl:  facile  de  recon-    6O6 
noiftre  la  faufleté  de  cette  accufation,  qui  n'eil  que 
trop  commune  en  tout  ce  liure,  &  qui  me  pouroit 

20    faire  foupçonner  que  fon  Auteur  n'auroit  pas  agi  de 

»  tuî  a(Tumeres,  fed  etiam  ne  non  fatis  alîumeres,  &  nofccns  aliquid  de  te, 
»  hoc  elle  luam  totam  naiuram  putares.  Vnde  <S:  jam  dico  te  reclè  raiioci- 
))  nanteni  potuHîe  duniaxat  in  hune  moduni  arguere  : 

»  Qui  fcitfe  ejfe  rem  cogitantem,  &  nefcit  anfitprœtereà  res  alia,  utpote 
»  compages  membrorum,  tennis  aêr,  &c.,  illefe  novit prœcijè  tantùm  rem 
»  cogitantem  : 

»  Atqui  egofcio  me  effe  rem  cogitantem,  &  nej'cio  an  prœterea  fim  res 
»  alia,  utpote  compages  membrorum,  tennis  aër,  &c. 

»  Igitur  ego  novi  me  prœcifè  tantiim  rem  cogitantem. 

'»  Hoc  fane  modo  légitimé  ac  verè  conciufiires,  nemoque  libi  fuccen- 
»  fuiiïet,  fed  aitendiUt't  foiùm  ad  ea  quae  potuilfes  deducere.  Nunc  autem, 
»  cùm  tantùm  difcriminis  lit  inter  hafce  duas  conclulîones  :  Sum  prœcifè 
»  tantùm  res  cogitans,  &  Novi  me  prœcifè  tantùm  rem  cogitantem,  quis, 
»  te  procedente  ab  eo  quod  nolti  ad  illud  quod  es,  ferre  paralogifmum 
»  pollit  ?  » 


2i6  Œuvres  de  Descartes. 

bonne  foy,  û  ie  ne  connoiflbis  fon  efprit,  &  ne 
croyois  qu  li  a  eflé  le  premier  furpris  par  vne  fi  fauffe 
créance. 

L'autre  equiuoque  eil  en  la  page  84^,  où  il  veut  que 
dijîinguere  &  ahjtrahere  foient  la  mefme  chofe,  &  tou-  5 
tefois  il  y  a  grande  différence  :  car,  en  diftinguaat  vne 
fubflance  de  fes  accidens*,  on  doit  confiderer  Fvn  & 
l'autre,  ce  qui  fert  beaucoup  à  la  connoiftre;  au  lieu 
que,  fi  on  fepare  feulement  par  abftradion  cette 
fubflance  de  fes  accidens,  c'efl  a  dire,  fi  on  la  con-  10 
fidere  toute  feule  fans  penfer  à  eux,  cela  empefche 
qu'on  ne  la  puifTe  fi  bien  connoiftre,  à  caufe  que 
c'efl  par  les  accidens  que  la  nature  de  la  fubflance  efl 
manifeftée. 

Voilà,  Monfieur,  tout  ce  que  ie  croy  deuoir  ré-     i5 
pondre  au  gros  liure  d'Inflances;  car,  bien  que  ie 
fatisferois  peut-eflre  dauantage  aux  amis  de  l'Auteur, 

a.  Difquifitio  Metaphyfica,  p.  84,  c'est-à-dire  l'^partie  de  VInJïantia,  qui 
fait  suite  à  la  Dubitatio  VII in  Meditationem  II  et  Refponfio  (voir  t.  VII  de 
la  présente  édition,  p.  271  (n°  8,pro  7):  «  lam  fi  quisIe6\or  fitfatis  paticns 
»  ut  Dubitationem  meam  relegat,  qusefo  ut  ferat  llmul  de  illa  deque  Ref- 
»  ponfione  judicium.  Dicis  te  non  abjlraxijfe  conceptum  cerce  ah  acciden- 
»  tium  ejus  conceptu.  Cedo  tuam  fidem  !  An-non  hœc  ipfa  tua  funt  verba  : 
»  Ceram  ab  externis  formis  dtjlinguo,  &  tanquam  vejiibus  detraâis,  midam 
»  confidero?  Et  quid  eft  aliud.  conceptum  unius  rei  a  conceptu  aliarum 
»  abftrahere,  qilàm  illam  line  iftis  conliderare  ?  quàm  illam  nudam  con- 
»  fiderare,  iftis  detractis  ceu  veltibus?  An  alià  ratione  conceptu's  naturx 
M  humanx  abftrahi  cenfetur  ab  individuorum  conceptibus,  quàm  illam  ab 
»  individuantibus,  ut  vocant,  differentiis  diftinguendo,  &  tanquam  vefli- 
»  bus  dctraclis  nudam  conliderando  ?  Verùm  inltare  circa  id  pigeât,  quod 
»  Il  nefcirct  Dialedicus,  vapularet  in  Scholis.  Dicis  te  potins  indicare  vo- 
»  liiijfe  quo  paâo  cerœfubjîantia  peraccidehtia  manifejîetur.  HUid  voluiUi 
»  indicare,  &  illud  cnuncialti  clarè.  An-non  l'utlugium  Icpidum  ?  Et  cùm 
»  volucris  indicare,  quûnam  ratione  indicadi,  aut  manifeltam  ceram  fccifti, 
»  nifi  fpcclando  primùm  accidentia,  ut  vclteis,  ac  deinde  illis  dctra(ï\is 
»  ceram  nudam  conliderando  ?. . ,   » 


Sur  les  Cinquièmes  Objections.  217 

fi  ie  réfutois  toutes  fes  Inllances  Tvne  après  Tautre, 
ie  croy  que  ie  ne  fatisferois  pas  tant  aux  miens, 
lefquels  auroient  fujet  de  me  reprendre  d'auoir  em- 
ployé du  temps  en  vne  chofe  fi  peu  neceflaire,  &. 
ainfi  de  rendre  maiflres  de  mon  loifir  tous  ceux 
qui  voudroient  perdre  le  leur  à  me  propofer  des 
queflions  inutiles.  Mais  ie  vous  remercie  de  vos  foins. 
Adieu. 


348  [SIXIÈMES  OBIECTIONS 

faites  par  diuers  Théologiens  &  Ptiilofophes. 


Apres  auoir  leu  auec  attention  vos  Méditations,  &  les  réponfes  que 
vous  auc;  faites  aux  difficitlte-{  qui  vous  ont  ejïé  cy-deuant  objedées, 
il  nous  rejîe  encore  en  l'efprit  quelques  fcrupules,  dont  il  ejl  à  propos 
que  vous  nous  releuie'{. 

I  Le  premier  ert,  qu'il  ne  femble  pas  que  ce  foit  ini  argument  fort 
certain  de  no/Ire  e/lre,  de  ce  que  nous penfons.  Car,  pour  ejlre  certain 
que  vous  penfe:{,  vous  deue^  auparauant fçauoir  quelle  ejî  la  nature  de 
la  penfée  &  de  lexiflence;  &,  dans  l'ignorance  oit  vous  efles  de  ces 
deux  chofes,  comment  pomie-^-vous  fçauoir  que  vous  penfe:{,  ou  que 
vous  ejîes?  Puis  donc  qu'en  difant  :  ie  penfe,  vous  ne  fcaue^  pas  ce 
que  vous  dites;  6'-  qu'en  adioujîant  :  donc  ie  fuis,  vous  ne  vous  en- 
tende\pas  non  plus;  que  mefme  vous  ne  fçaue^ pas  fi  vous  dites  ou  fi 
343  vous  penfe\  quel\que  chofe^  ejîant  pour  cela  necejfaire  que  vous  con- 
noilJiei  que  vous  fçaue-{  ce  que  vous  dites,  &  derechef  que  vous  fça- 
chiei  que  vous  connoiffei  que  vous  fçaue'{  ce  que  vous  dites,  &  ainji 
iufques  à  l'injînf,  il  efl  euident  que  vous  ne  pouue\  pas  fçauoir  fi  vous 
eJles,  ou  mefme f  vous  penfe^. 

Mais,  pour  venir  au  fécond  fcrupule,  lorfque  vous  dites  :  ie  penfe, 
donc  ie  fuis,  ne  pouroit-on  pas  dire  que  vous  vous  trompe^,  que  vous 
ne  penfez  point,  mais  que  vous  e/ies  feulement  remué,  6'-  que  ce  que 
vous  attribue^  à  la  penfée  nejl  rien  autre  chofe  qu'vn  mouuenient 
corporel?  perfonne  n'ayant  encore  pu  comprendre  vojîre  raifonne- 
ment,  par  lequel  vous  pretende\  auoir  démontré  qu'il  n'y  a  point  de 
mouuenient  corporel  qui  puijfe  légitimement  eJlre  upelé  du  nom  de 
penfée.  Car  penfe\-vous  auoir  tellement  coupé  £•  diuifé,  par  le  moyen 
de  voflre  analyfe,  tous  les  mouuemens  de  vo/lre  matière  fublile,  que 
vous  fo}'e\  ajfuré,  &  que  vous  nous  puijjie'i  perfuader,  à  nous  qui 
fommes  tres-altcnlifs  &  qui  penfons  e/lre  a[]'e-{  clairuoyans,  qu'il  y  a 
de  la  répugnance  que  nos  penfées  foient  répandues  dans  ces  monuC' 
mens  corporels  ? 

Le  troificme  fcrupule  n'ejl  point  dij/éreni  du  fécond;  car,  bien  que 
quelques  l\>res  de  l'F.glife  ayent  crû,  auec  tous  les  Platoniciens,  que 
les  Anges  ejloienl  corporels,  d'oit  vient  que  le  Concile  de  I. a  Iran  a 


4»3-4'5.  Sixièmes  Objections.  219 

conclu  qu'on  les  pouuoit  peindre^  &  qu'ils  ayent  eu  la  tue/me  penfée 
de  l'ame  raifonnable,  que  \  quelques-vus  d'enir'eux  ont  e/îimé  venir  34^ 
de  père  àjîls,  ils  ont  neantmoins  dit  que  les  Anges  &  que  les  âmes 
penfoient  ;  ce  qui  nous  fait  croire  que  leur  opinion  ejloit  que  la  penfée 
Je  pouuoit  faire  par  des  mouuemens  corporels,  ou  que  les  Anges 
n'ejloient  eux- me/mes  que  ^des  mouuemens  corporels,  dont  \  ils  ne 
dijîinguoient  point  la  penfée.  Cela  Je  peut  aujji  confirmer  par  les 
penjées  qu'ont  les  Jînges,  les  chiens  &  les  autres  animaux  ;  £-  de 
vraf,  les  chiens  abofent  en  dormant,  comme  s'ils  pourjuiuoient  des 
lièvres  ou  des  voleurs;  ils  Jçauent  aujji  fort  bien,  en  veillant,  qu'ils 
courent,  &  en  réuant,  qu'ils  aboyent,  quoyque  nous  reconnoijjions 
auec  vous  qu'il  n'y  a  rien  en  eux  qui  foi t  dijlingué  du  corps.  Que 
Ji  vous  dites  que  les  chiens  ne  Jçauent  pas  qu'ils  courent,  ou  qu'ils 
penjent,  outre  que  vous  le  dites  Jans  le  prouuer,  peut-ejlre  e/t-il 
vraf  qu'ils  Jont  de  nous  vn  pareil  iugement,  à  Jçauqir,  que  nous  ne 
Jçauons  pas  Ji  nous  courons,  ou  Ji  nous  penjons,  lorjque  nous  Jai- 
Jons  l'vne  ou  l'autre  de  ces  aâions.  Car  enjin  vous  ne  voye^  pas  quelle 
e/l  la  Jaçon  intérieure  d'agir  qu'ils  ont  en  eux,  non  plus  qu'ils  ne 
vofent  pas  quelle  ejl  la  vojlre  ;  &  il  sejl  trouué  autrefois  de  grands 
perjonnages,  6'  s'en  trouuent  encore  aujourd'huy,  qui  ne  dénient  pas 
la  raijon  aux  bejîes.  Et  tant  s'en  faut  que  nous  pui£ions  nous  per- 
Juader  que  toutes  leurs  opérations  puijfent  ejlre  Jujîjamment  eX' 
pliquées  par  le  moj'en  de  la  mechanique,  fans  leur  attribuer  nj'Jens, 
nf  ame,  ny  vie,  \  qu'au  contraire  nous  Jommes  prejls  de  Joujlenir,  au  345 
dédit  de  ce  que  l'on  voudra,  que  c'efï  vue  chofe  tout  à  fait  impojjibh 
&  mef me  ridicule.  Et  enfin,  s'il  efl  vray  que  les  Juges,  les  chiens  & 
les  elephans  agijfent  de  cette  forte  dans  toutes  leurs  opérations,  il 
s'en  trouuera  plufieurs  qui  diront  que  toutes  les  aâions  de  l'homme 
font  aufji  femblables  à  celles  des  machines,  &  qui  ne  voudront  plus 
admettre  en  luj-  de  feus  nf  d'entendement  ;  veu  que,  fi  lafoiblerai- 
fon  des  befîes  diffère  de  celle  de  l'homme,  ce  nefl  que  par  le  plus  &  le 
moins,  qui  ne  change  point  la  nature  des  chofes. 

Le  quatrième  fcrupule  efl  touchant  la  fcience  d'vn  Athée,  laquelle 
il  fou  tient  eflre  très-certaine,  &  mefme,  félon  voflre  règle,  tres-euidente, 
lorfqu'il  affure  que,  Jt  de  chojes  égales  on  ojle  chojes  égales,  les  rejies 
feront  égaux;  ou  bien  que  les  trois  angles  d'vn  triangle  reâiligne 
Jont  égaux  à  deux  droits,  &  autres  chojes  Jemblables  ;  puijquil  ne 
peut  penjer  à  ces  chojes  Jans  \  croire  qu'elles  Jont  très-certaines.  Ce 
qu'il  maintient  ejîre  Jt  véritable,  qu'encore  bien  qu'il  n'j'  eujf  point  de 
Dieu,  ou  mejmè  qu'il  fuft  impofjible  qu'il  y  en  euft,  comme  il  s'ima- 
gine, il  nefe  tient  pas  moins  aJJ'uré  de  ces  verite:{,  que  fi  en  effeâ  il  y 


2  20  OEUVRES   DE    DeSCARTES.  4«5-4'6. 

en  aiioit  vil  qui  exijlaji.  Et  de  f ait ^  il  nie  qu'on  luy  puijfe  iamais  rien 
obieâer  qui  lui  cauje  le  moindie  doute;  car  que  hiy  obieâerei-vous? 
que,  s'il  y  a  vn  Dieu,  il  le  peut  deceuoir?  mais  il  vous  foutiendra 

346  qu'il  n'eji  pas  pojjible  qu'il  pu ijfe  \  iamais  ejïre  en  cela  deceu,  quand 
mefme  Dieu  y  employei'oit  toute  fa  puijfance. 

De  cefcrupule  en  naijî  vn  cinquième,  qui  prend  fa,  force  de  cette 
déception  que  vous  i>oule\  dénier  entièrement  à  Dieu.  Car,  fi  plujieurs 
Théologiens  font  dans  ce  fentiment,  que  les  damne-{,  tant  les  anges 
que  les  hommes,  font  continuellement  deceus  par  l'idée  que  Dieu  leur 
a  imprimée  d'rn  feu  déuorant,  en  forte  qu'ils  croy eut  fermement,  & 
s'imaginent  voir  &  rejfentir  effeéiiuement,  qu'ils  font  tourmente^  par 
m  feu  qui  les  confomme,  quoy  qu'en  effed  il  n'y  en  ait  point,  Dieu  ne 
peut-il  pas  nous  deceuoir  par  defemblables  efpeces,  &  nous  impofer 
continuellement,  imprimant  fans  ceffe  dans  nos  âmes  de  ces  faujfes 
&  trompeufes  idées?  en  forte  que  nous  penjions  voir  ti^es-clairement, 
&  toucher  de  chacun  de  nos  feus,  des  chofes  qui  toutesfois  ne  font  rien 
hors  de  nous,  eflant  véritable  qu'il  n'y  a  point  de  ciel,  poitit  d'afîres, 
point  de  terre,  &  que  nous  fi'auons  point  de  bras,  point  de  pieds, 
point  d'yeux,  &c.  Et  certes,  quand  il  en  vferoit  ainft,  il  ne  pouroit 
eflre  blâmé  d'iniuflice,  &  nous  n'aurions  aucun  fuj et  de  nous  plaindre 
de  luy,  puifqu'efîant  le  fouuerain  Seigneur  de  toutes  chofes,  il  peut 
difpofer  de  tout  comme  il  luy  plaifl  ;  veu  principalement  qu'il  femble 
auoir  droit  de  le  faire,  pour  abaijfer  l'arrogance  des  hommes,  châtier 
leurs  crimes,  ou  punir  le  péché  de  leur  premier  père,  ou  pour  d'autres 

347  raifons  qui  nous  font  inconnues.  Et  \  de  vray,  il  femble  que  cela  fe 
confirme  par  ces  lieux  de  l'Efcriture,  qui  prouuent  que  l'homme  ne 
peut  rienfçauoir,  comme  il paroifi  par  ce  texte  de  l'Apofîre  à  la  pre- 
mière aux  Corinth.,  chapitre  S,  verfet  2  :  Quiconque  eftime  fçauoir 
quelque  chofe,  |  ne  connoift  pas  encore  ce  qu'il  doit  fçauoir  ny  com- 
ment il  doit  fçauoir;  &  par  celuy  de  l'Eccleftafle,  chapitre  8,  verfet 
77;  l'ay  reconnu  que,  de  tous  les  ouurages  de  Dieu  qui  fe  font  fouz 
le  Soleil,  l'homme  n'en  peut  rendre  aucune  raifon,  &  que,  plus  il 
^'efforcera  d'en  trouuer,  d'autant  moins  il  en  trouuera;  mefmes  s'il 
dit  en  fçauoir  quelques- vncs,  il  ne  les  poura  trouuer.  Or,  que  le 
Sage  ait  dit  cela  pour  des  raifons  meurement  confîderées,  &  non  point 
à  la  hâte  &  fans  y  auoir  bien  penfé,  celafe  void  par  le  contenu  de  tout 
le  Liure,  &  principalement  oh  il  traitte  la  quefîion  de  l'ame,  que  vous 
foutene\  eflre  immortelle.  Car,  au  chap.  3,  verfet  iq,  il  dit  :  Que 

Thommc  &  la  iument  paffent  de  mefme  façon;  (S'-  afn  que  vous  ne 
difîei  pas  que  cela  fe  doit  entendre  feulement  du  corps,  il  adioute,  vn 
peu  après,  que  l'homme  n'a  rien  de  plus  que  la  iument;  S-  venant  à 


4'6-4i7-  Sixièmes  Objections.  221 

parler  de  l'efprit  me/me  de  l'homme,  il  dit  qu'il  n'y  a  perfonne  qui 
fçache  s'il  monte  en  haut,  c'ejl  à  dire  s'il  ejl  immortel,  ou  fi,  auec 
cent  des  autres  animaux,  il  defcend  en  bas,  c'ejt  à  dire  s'il  fe  cor- 
rompt. Et  ne  dites  point  qu'il  parle  en  ce  lieu-là  en  la  perfonne  des 
impies  :  autrement  il  auroit  deu  en  auertir,  &  réfuter  ce  qu'il  auoit 
auparauant  alégué.  Ne  penfe\pas  auffi  vous  excufer,  en  renuofant  aux 
Theolo\g.iens  d'interpréter  l'Efcrilure ;  car,  eflant  Chrefîien  comme  ^48 
vous  eftes,  vous  deue\  eflre  prefi  de  répondre  &  de  fatisfaire  à  tous 
ceux  qui  vous  obieâent  quelque  chofe  contre  la  foy,  principalement 
quand  ce  qu'on  vous  obieâe  choque  les  principes  que  vous  voule\  établir. 

Le  fixiéme  fcrupule  vient  de  l'indiference  du  iugement,  ou  'de  la 
liberté,  laquelle  tant  s'en  faut  que,feton  vofire  doârine,  elle  rende  le 
franc  arbitre  plus  noble  &  plus  parfait,  qu'au  contraire  c'efl  dans 
l'indifférence  que  vous  mette-^fon  imperfecîion  ;  en  forte  que,  toiit  au- 
tant de  fois  que  l'entendement  connoifî  clairement  &  diflinâement  les 
chofes  qu'il  faut  croire,  qu'il  faut  faire,  ou  qu'il  faut  obmettre,  la  vo- 
lonté pour  lors  n'eft  iamais  indifférente.  Car  ne  voje-{-ifous  pas  que  par 
ces  principes]  vous  délruifei  entièrement  la  liberté  de  Dieu,  de  laquelle 
vous  ofle\  l'indiference,  lorfqu'il  crée  ce  mondt'-cy  plutofl  qu'vn  autre, 
ou  lorfqu'il  n'en  crée  aucun?  eflant  neanlmoins  de  la  foy  de  croire 
que  Dieu  a  eflé  de  toute  éternité  indifférent  à  créer  vn  monde  ou  plu- 
fteurs,  ou  mefme  à  n'en  créer  pas  vn.  Et  qui  peut  douter  que  Dieu 
n*ait  toufîours  veu  tres-clairement  toutes  les  chofes  qui  efloyent  à  faire 
ou  à  laijfer?  Si  bien  que  l'on  ne  peut  pas  dire  que  la  connoijjance  tres- 
claire  des  chofes  &  leur  diflinâe  perception  ojie  l'indiference  du  libre 
arbitre,  laquelle  ne  conuiendroit  iamais  auec  la  liberté  de  Dieu,  fi, 
elle  ne  pouuoit  conuenir  auec  la  liber\lé  humaine,  eflant  vray  que  les  349 
ejfences  des  chofes,  auffi  bien  que  celles  des  nombres,  font  indiuifibles 
&  immuables  ;  &  partant,  l'indifférence  n'efl  pas  moins  comprife  dans 
la  liberté  du  franc  arbitre  de  Dieu,  que  dans  la  liberté  du  franc  ar- 
bitre des  hommes. 

Le  feptiéme  fcrupule  fej-a  de  la  fuperficie,  en  laquelle  ou  par  le 
moyen  de  laquelle  vous  dites  que  fe  font  tous  les  fentimens.  Car  nous 
ne  voyons  pas  comment  il  fe  peut  faiî^e  qu'elle  nefoit  point  partie  des 
corps  qui  font  aperceus,  ny  de  l'air,  ou  des  j'apeurs,  ny  mefme  l'ex- 
trémité d'aucune  de  ces  chofes  ;  &  nous  n'entendons  pas  bien  encore 
comment  vous  pouue^  dire  qu'il  n'y  a  point  d'accidens  réels,  de  quelque 
corps  ou  fubflance  que  ce  f oit,  qui  puijfent  par  la  toute  pu iffance  de 
Dieu  eflre  feparei  de  leur  fujet,  &  exifler  fans  luy,  &  qui  véritable- 
ment exiflent  ainfi  au  Saint  Sacrement  de  l'autel.  Toutesfois  nos 
Doâeurs  n'ont  pas  occafton  de  s'émouuoir  beaucoup,  iufqu'à  ce  qu'ils 


350 


2  22  OEuVRES  DE   DeSCARTES.  417-418. 

ayent  veujt,  dans  cette  Phyjique  que  vous  nous  promette^,  vous  aure^ 
fujîfamment  démontré  toutes  ces  chofes ;  il  ejî  i^ray  qu'ils  ont  de  la 
peine  à  croire  qu'elle  nous  les  puijjé  fi  clairement  propofer,  que  nous 
les  dénions  déformais  embrajfer,  au  preiudice  de  ce  que  l'antiquité 
nous  en  a  apris. 

La^réponfe  que  vous  aue\  faite  aux  cinquièmes  ohieâions  a  donné 
lieu  au  huidiéme  Icrupule.  £"/ ^t'  vray,  comment  fe  peut-il  faire  que 
les  perite^  \  Géométriques  ou  Metaphyjiques,  telles  que  font  celles 
dont  vous  aue-yfait  mention  en  ce  lieu-là,  foj'cnt  immuables  6'-  éter- 
nelles, &que  neantmoins  elles  dépendent  de  Dieu  ?  Car  en  quel  \  genre, 
de  caufe  peuuent-elles  dépendre  de  luy  ?  Et  comment  auroit-il  peu 
faire  que  la  nature  du  triangle  ne  fujl  point  ?  ou  qu'il  n'eujl  pas  ejlé 
vray,  de  toute  éternité,  que  deux  fois  quatre  fuffent  liuiâ  ?  ou  qu'vn 
triangle  n'eujl  pas  trois  angles?  Et  partant,  ou  ces  verile\  ne  dépen- 
dent que  du  feul  entendement,  lorfqu'il  penje,  on  elles  dépendent  de 
l'exijlence  des  chofes  me/mes,  ou  bien  elles  font  indépendantes  :  veu 
qu'il  ne  femble  pas  poffible  que  Dieu  ait  peu  faire  qu'aucune  de  ces 
ejjences  ou  veritei  ne  fuJl  pas  de  toute  éternité. 

Enjîn  le  9.  fcrupule  nous  femble  fort  prejfant,  lorfque  vous  dites 
qu'il  faut  fe  défier  des  feus,  &  que  la  certitude  de  ï entendement  efi 
beaucoup  plus  grande  que  la  leur.  Car  comment  cela  pouroit-il  eflre, 
fi  l'entendement  niefme  na  point  d'autre  certitude  que  celle  qu'il  em- 
prunte des  feus  bien  difpofe\?  Et  de  fait,  ne  voit-on  pas  quil  ne  peut 
corriger  l'erreur  d'aucun  de  nos  feus,  fi,  premièrement,  vu  autre  ne 
l'a  tiré  de  l'err-cur  oii  il  efioit  luy-mefme?  Par  exemple,  vn  bqflon 
paroifi  rompu  dans  l'eau  à  caufe  de  la  refraâion  :  qui  corrigera  cet 
erreur?  fera-ce  l'entendement?  point  du  tout,  mais  le  fens  du  tou- 
cher. Il  en  efi  de  mefme  de  tous  les  autres.  Et  partant,  fi  vue  fois  vous 
361  pouue\  auoir  tous  vos  fens  \  bien  difpofei,  &  qui  vous  raportent  touf- 
iours  la  mefme  chofe,  tene\  pour  certain  que  vous  acquerrez  par  leur 
moyen  la  plus  grande  certitude  dont  vn  homme  foit  naturellement 
capable.  Que  fi  vous  vous  fie^  par  trop  aux  raifonnemens  de  vofire 
efprit,  ajfurei-vous  d'efire  fouuent  trompé;  car  il  arriue  a[fe\  ordi- 
nairement que  nofire  entendement  nous  trompe  en  des  chofes  qu'il  auoit 
tenues  pour  indubitables. 

Voilà  en  quoy  confificnt  nos  principales  difficulté^;  à  quoy  vous 
adjoutercy  aufji  quelque  règle  certaine  &  des  marques  infaillibles, 
fuiuant  lefquelles  nous  puifjions  tonnoifire  auec  cet  liludc,  quand  nous 
conceuons  vue  chofe  fi  parfaitement  fans  l'autre,  qu'il  foit  vray  que 
l'vnefoit  tellement  diJlinCle  de  l'autre,  qu'au  moins  par  la  toute  puif- 
fance  de  Dieu  elles  puijj'ent  fubfifier  feparemenl  :  c'efi  à  dire,  en  m 


418-420.  Sixièmes  Objections.  225 

mot,  que  vous  nous  enfei^niei  comment  nous  pouuons  clairement, 
di/litiâemenl  \  &  certainement  connoijlre  que  cette  dijîinâion,  que  nojîre 
entendement  forme,  ne  prend  point  fou  fondement  dans  nojîre  efprit, 
mais  dans  les  chofes  mefmes.  Car,  lorfque  nous  contemplons  l'immen- 
filé  de  Dieu,  fans  penfer  à  fa  iujîice,  ou  que  nous  faifons  rejlcxion 
fur  fon  exijîence,  fans  penfer  au  Fils  ou  au  S.  Efprit,  ne  conceuons- 
nous  pas  parfaitement  celte  exiJlence,  ou  Dieu  mefne  exijlant,  fans 
ces  deux  autres  perfonnes,  qu'vn  infidèle  peut  auec  autant  de  raifon 
nier  de  la  diuinité,  que  vous  en  aue\  de  denier  au  \  corps  l'efprit  ou  352 
la  penfee?  Tout  ainfi  donc  que  celuy-là  concluroit  mal,  qui  diroit  que 
le  Fils  &  que  le  S.  Efprit  font  ejfejiliel tentent  difîingue\  du  Père,  ou 
qu'ils  peuuent  e/lre  fepare\  de  luy  :  de  mefme  on  ne  vous  concédera 
iamais  que  la  peu  fée,  ou  plutojl  que  l'efprit  humain,  foit  réellement 
dijlingué  du  corps,  quoy  que  î'ous  conceuie\  clairement  l'rn  fans 
Vautre,  &  que  vous  puijjie^  nier  l'vn  de  l'autre,  &  mefme  que  vous 
reconnoiJJie\  que  cela  ne  fe  fait  point  par  aucune  abfîraclion  de  vojlre 
efprit.  Mais  ceites,  Ji  vous  fatisfailes  pleinement  à  toutes  ces  dijfi- 
culte:{,  vous  deue\  ejtre  affuré  qu'il  n'y  aura  plus  rien  qui puiffe  faire 
ombrage  à  nos  Théologiens. 

Addition. 

l'adiouteray  \c\  ce  que  quelques  autres  m'ont  propofé,  afin  de 
n'auoir  pas  befoin  d'y  repondre  l'eparement  ;  car  leur  Tujet  elt 
prefque  lemblable. 

Des  perfonnes  de  tres-bon  efprit,  ^  de  rare  dodrine,  m'ont  fait 
les  trois  quellions  fuiuantcs  : 

La  première  elt  :  comment  nous  pouuons  e/lre  afure^  que  nous 
auons  l'idée  claire  à'-  diflinâe  de  noJlre  ame. 

La  féconde  :  comment  nous  pouuons  e/lre  aJJ'ure^  que  celle  idée  efl 
tout  affait  di/Jerente  des  autres  chofes. 

|La  troifienie  :  comment  nous  pouuons  ejlre  aJJure-{  qu'elle  n'a  rien 
en  foy  de  ce  qui  appartient  au  corps. 

Ce  qui  fuit  m'a  auffi  cité  enuoyé  auec  ce  titre  : 

[DES  PHILOSOPHES  &   GEOMETRES  353 

A    MONSIEUR   DESCARTES. 

Monfeur, 
Quelque  foin  que  nous  prenions  à  examiner  Jt  l'idée  que  nous  auons 
de  nojire  efprit,  c'efl  à  dire,  fi  la, notion  ou  le  concept  de  l'efprit- 


224  OEuVRES    DE    DeSCARTES.  420-421. 

humain  he  contient  rien  en  Joy  de  corporel,  nous  n'ofons  pas  neant- 
moins  ajfurer  que  la  penfée  ne  puijfe  en  aucune  façon  conuenir  au 
corps  agité  par  defecrets  mouuemens.  Car,  voyant  qu'il  y  ^  certains 
corps  qui  ne  penfent  point,  &  d'autres  qui  penfent,  comme  ceux  des 
hommes  &  peut-ejîre  des  bejies,  ne  paierions -nous  pas  auprès  de 
vous  pour  des  Jôphijîes,  &  ne  nous  accuferiei-vous  pas  de  trop  de 
témérité,  Ji,  nonobstant  cela,  nous  voulions  conclure  qu'il  n'y  a  aucun 
corps  qui  penfe?  Nous  auons  mefme  de  la  peine  à  ne  pas  ciboire  que 
vous  aurie\  eu  rai/on  devons  moquer  de  nous,  Jî  nous  eujjions  les  pre- 
miers forgé  cet  argument  qui  parle  des  idées,  &  dont  j^ous  vousfer- 
uei  pour  la  prenne  d'vn  Dieu  &  de  la  dijlinâion  réelle  de  l'efprit 
d'auec  le  corps,  &  que  vous  l'eujfie^  enfui  te  fait  pajjer  par  l'examen 

354  \de  voflre  analyfe.  Il  ejl  vray  que  vous  paroijfei  en  ejire  fi  fort  pre- 
uenu  &  préoccupé,  qu'il  femble  que  vous  vous  foye:{  vous-mefme  mis 
vn  voile  deuant  l'efprit,  qui  vous  empefche  de  voir  que  toutes  les 
opérations  &  proprietei  de  l'ame,  que  vous  7^emarque\  eflre  en  vous, 
dépendent  purement  des  mouuemens  du  corps;  ou  bien  défaites  le 
nœud  qui,  félon  voftre  iugement,  tient  nos  efprits  enchaine\,  &  les 
empêche  de  s'éleuer  au  dejfus  du  corps. 

\Le  nœud  que  nous  trouuons  en  cecy  eji  que  nous  comprenons  fort 
bien  que  2  &  3  ioins  enfemble  font  le  nombre  de  5,  €-  que^Jî  de  chofes 
égales  on  ojie  chofes  égales,  les  rejîes  feront  égaux  :  nous  sommes 
conuaincus  par  ces  verite-{  &  par  mille  autres,  aujji  bien  que  vous  ; 
pourquoy  donc  ne  fommes-nous  pas  pareillement  conuaincus  par  le 
moyen  de  vos  idées,  ou  mefme  par  les  nojîres,  que  l'ame  de  l'homme 
efl  réellement  dijlinâe  du  corps,  &  que  Dieu  exijle?  Vous  diré^peut- 
eflre  que  vous  ne  pouue^  pas  îtous  mettre  cette  vérité  dans  l'efprit,  fi 
nous  ne  méditons  auec  vous  ;  mais  nous  auons  à  vous  répondre  que 
nous  auons  leu  plus  de  fept  fois  vos  Méditations  auec  me  attention 
d'efprit  prefque  femblable  à  celle  des  Anges,  &  que  neautmoins  nous 
ne  fommcs  pas  encore  perfuade\.  Nous  ne  pouuons  pas  toutesfois  nous 
perfuader  que  vous  veuillie^  dire  que,  tous  tant  que  nous  fommes, 
nous  auons  l'efprit  Jlupide  &  grojfier  comme  des  be/les,  &  du  tout 

855  inhabile  pour  les  chofes  metapliyfiques,  \  aufquelles  il  y  a  trente  ans 
que  nous  nous  exerçons,  plulofl  que  de  confejfer  que  les  raifons  que 
vous  auCy  tirées  des  idées  de  Dieu  &  de  l'efprit^  ne  font  pas  d'vn 
fi  grand  poids  &  d'vne  telle  autorité,  que  les  hommes  fçauans,  qui 
tâchent,  autant  qu'ils  peuuent,  d'élcuer  leur  efprit  au  dej/'us  de  la 
matière,  s'y  puij/'ent  &  s'y  doiuent  entièrement  foumeltre. 

Au  contraire,  nous  eftimons  que  vous  confe[lere-{  le  mefme  auec 
nous,  fi  vous  voule\  vous  donner  la  peine  de  relire  vos  Méditations 


421-422.  Sixièmes  Réponses.       .  225 

auec  le  me/me  e/prii,  c'  les  paJJ'cr  par  le  uw/mc  examen  que  rous 
ferie^  fi  elles  vous  auofent  ejlé  pj-opofèes  par  vue  perfoune  ennemie. 
Eujin,  puifque  nous  ne  eonnoijjbns  point  iujqu'oii  fe  peut  étendre  la 
vertu  des  corps  i'-  de  leurs  mouuemens,  veu  que  vous  confe(J'e\  vous- 
me/me  qu'il  n'y  a  perfonne  qui  puijfe  fçauolr  tout  ce  que  Dieu  a  mis 
ou  peut  mettre  dans  vn  fujet,  fans  vue  reuelat ion  particulière  de  fa 
part,  d'oii  pouue\-vous  auoir  apris  que  Dieu  n'ait  point  mis  cette 
vertu  ^  propriété  dans  quelques  corps,  que  de  peu  fer,  de  douter,  i^c? 
Ce  font  là,  Monfieur,  nos  argumens,  ou,Jî  vous  aymés  mieux,  nos 
préiuge"^,  au/quels fi  vous  aporte\  le  lemede  neceJJ'aire,  nous  ne  fçau- 
rions  vous  exprimer  de  combien  de  grâces  )ious  vous  ferons  rede- 
uables,  ny  quelle  fera  l'obligation  que  nous  vous  aurons,  d'auoir  telle- 
ment défriché  no/Ire  efprit,  que  de  l' auoir  rendu  capable  de\  receuoir 
auec  I  fruicî  la  femence  de  vojlre  doctrine.  Dieu  veuille  que  vous  en  356 
puijjie\  venir  heureufement  à  bout,  6-  nous  le  prions  qu'il  luy  plaife 
donner  cette  recompenfe  à  vo/lre  pieté,  qui  ne  vous  permet  pas  de  rien 
entreprendre,  que  vous  ne  facrifyie\  entièrement  à  fa  gloire. 


I  REPONSES  DE  L'AVTEVR  357 

AUX    SIXIÈMES    OBJECTIONS 

faites  par  diuers  Théologiens,  Pliilofophes  &  Géomètres. 

C'eft  vne  chofe  tres-airurée  que  perfonne  ne  peut  eilrc  certain  s'il 
penle  h  s'il  exifte,  fi,  premièrement,  il  ne  connoili  la  nature  de  la 
penlec  &  de  l'exirtencc.  Non  que  pour  cela  il  foit  befoin  d'vne  Icience 
réfléchie,  oli  acquile  par  vue  dénionllration,  ^  beaucoup  moins  de 
la  fcience  de  cette  icience,  par  laquelle  il  connoille  qu'il  Içait,  &  dere- 
chef qu'il  fçait  qu'il  fçait,  &  ainfi  iufqu'à  l'infini,  citant  impofiible 
qu'on  en  puifi'e  iamais  auoir  vne  telle  d'aucune  chofe  que  ce  foit; 
mais  il  fuflit  qu'il  fçachc  cela  par  cette  forte  de  connoilfance  inte-  . 
rieure  qui  précède  toufiours  l'acquife,  &  qui  eft  fi  naturelle  à  tous, 
les  hommes,  en  ce  qui  regarde  la  penfcc  ^:  rexillcnce.que,  bien  que 
peut-eltre  ellant  aueuglcz  par  |  quelques  préjugez,  ^  plus  attentifs     358 
au  fon  des  paroles  qu'à  leur  véritable  figiiification,  nous  puilVions 
feindre  que  nous  ne  l'auons  point,  il  ell  ncantmoins  impolliblc  qu'en 
effect  nous  ne  l'aN'ons.  Ainli  donc,  lorfque  quelqu'vn  aperçoit  qu'il 
Œuvres.  IV.  15 


2  26  OEUVRES    DE    DeSCARTES.  422-4H 

penfe  &  que  de  là  il  fuit  tres-euidcmment  qu'il  exifte,  encore  qu'il 
ne  fe  foit  peut-eftre  iamais  auparauant  mis  en  peine  de  fçauoir  ce 
que  c'eft  que  la  penlee  &  que  l'exillence,  il  ne  le  peut  faire  ncant- 
moins  qu'il  ne  les  connoiffe  affez  l'vne  &  l'autre  pour  cftre  en  cela 
pleinement  fatisfait. 

2.  Il  elt  aufli  du  tout  impoiïible,  que  celuy  qui  d'vn  collé  Içait  qu'il 
penfe,  &  qui  d'ailleurs  connoift  ce  que  c'eil  que  d'eltre  agité  par  des 
mouuemens,  puilTe  iamais  croire  qu'il  le  trompe,  &  qu'en  effet  il  ne 
penfe  point,  mais  qu'il  eil  feulement  remué.  Car,  ayant  vne  idée  ou 
notion  toute  autre  de  la  penfée  |  que  du  mouuement  corporel,  il  faut 
de  necefllté  qu'il  conçoiue  l'vn  comme  différent  de  l'autre;  quoy 
que,  pour  s'ellre  trop  accoutumé  à  attribuer  à  vn  mefme  fujet  plu- 
fieurs  proprietez  diferentes,  &  qui  n'ont  entr'elles  aucune  affinité, 
il  fe  puifle  faire  qu'il  reuoque  en  doute,  ou  mefme  qu'il  alfure,  que 
c'ed  en  luy  la  mefme  chofe  de  penfer  &  d'eflre  meu.  Or  il  faut  re- 
marquer que  les  choies  dont  nous  auons  différentes  idées,  peuuent 
eitre  prifes  en  deux  façons  pour  vne  feule  &  mefme  chofe  :  c'eit  à 
fçauoir,  ou  en  vnité  &  identité  de  nature,  ou  feulement  en  vnité  de 

359  compofition.  Ainfi,  par  exemple,  il  c\\  bien  vray  |  que  l'idée  de  la 
figure  n'ell  pas  la  mefme  que  celle  du  mouuement  ;  que  l'aclion 
par  laquelle  i'entens,  elt  conceuë  fous  vne  autre  idée  que  celle  par 
laquelle  ie  veux  ;  que  la  chair  &  les  os  ont  des  idées  différentes  ; 
&  que  l'idée  de  la  penlee  ell  toute  autre  que  celle  de  l'extenfion.  Et 
neantmoins  nous  conceuons  fort  bien  que  la  mefme  fubllance  à  qui 
la  figure  conuient,  ell  aulli  capable  de  mouuement,  de  forte  qu'eltre 
figuré  &  élire  mobile  n'eft  qu'vne  mcùne  chofe  en  vnité  de  nature  ; 
comme  au (Ti  n'eR-ceqii'vne  mefme  chofe, en  vnité  de  nature, qui  veut 
&qui  entend.  Mais  il  n'en  eft  pas  ainli  de  la  fubllance  que  nous  con- 
fiderons  fous  la  forme  d'vn  os,  &  de  celle  que  nous  conliderons  fous 
la  forme  de  chair  :  ce  qui  fait  que  nous  ne  pouuons  pas  les  prendre 
pour  vne  mefme  chofe  en  vnité  de  nature,  mais  feulement  en  vnité 
de  compofition,  en  tant  que  c'eft  vn  mefme  animal  qui  a  de  la  chair 
&  des  os.  Maintenant  la  qucltion  eft  de  fçauoir  fi  nous  conceuons 
que  la  chofe  qui  penfe  &  celle  qui  ell  étendue,  ibicnt  vne  mefme 
chofe  en  vnité  de  nature,  en  forte  que  nous  irouuions  qu'entre  la 
penfée  &  l'extenfion,  il  y  ait  vne  pareille  connexion  ^  affinité  que 
nous  remarquons  entre  le  mouuement  ^  la  figure,  l'action  de  l'en- 
tendement ^:  celle  de  la  volonté;  ou  plutoft|  ii  elles  ne  font  pas  ape- 
Iccs  vne  en  vnité  de  compoliiion,  en  tant  qu'elles  fe  rencontrent 
toutes  deux  en  vn  mefme  homme,  comme  des  os  ^c  de  la  chair  en 

360  vn  mefme  ani|\ial.Kt  pour  moy,c'elt  là  mon  |  fenlimeni;car  la  diltin- 


4»+-423.  Sixièmes  Réponses.  227 

clion  ou  diuerfité  que  ie  remarque  entre  la  nature  d'vne  choie  éten- 
due &  celle  d'vne  chofe  qui  penfe,  ne  me  paroift  pas  moindre  que 
celle  qui  eft  entre  des  os  &  de  la  chair. 

Mais,  pource  qu'en  cet  endroit  on  fe  lert  d'autoritez  pour  me 
combattre,  ie  me  trouue  obligé,  pour  empêcher  qu'elles  ne  portent 
aucun  préjudice  à  la  vérité,  de  répondre  à  ce  qu'on  m'objecte  {que 
perfonue  n'a  encore  pu  comprendre  ma  démonjî ration),  qu'encore  bien 
qu'il  y  en  ait  fort  peu  qui  l'ayent  foigneufement  examinée,  il  s'en 
trouue  neantmoins  quelques-vns  qui  ie  perfuadent  de  l'entendre, 
&  qui  s'en  tiennent  entièrement  conuaincus.  Et  comme  on  doit 
adjouter  plus  de  foy  à  vn  feul  témoin  qui,  après  auoir  voyagé  en 
Amérique,  nous  dit  qu'il  a  veu  des  Antipodes,  qu'à  mille  autres  qui 
ont  nié  cy-deuant  qu'il  y  en  euft,  fans  en  auoir  d'autre  raifon,  finon 
qu'ils  ne  le  fçauoient  pas  :  de  mefme  ceux  qui  pezent  comme  il  faut 
la  valeur  des  raifons,  doiuent  faire  plus  d'eftar  de  l'autorité  d'vn 
feul  homme,  qui  dit  entendre  fort  bien  vne  démonftration,  que  de 
celle  de  mille  autres  qui  difent,  fans  raifon,  qu'elle  n'a  pu  encore 
élire  comprife  de  perfonne.  Car,  bien  qu'ils  ne  l'entendent  point, 
cela  ne  fait  pas  que  d'autres  ne  la  puiifent  entendre;  &  pource  qu'en 
inférant  l'vn  de  l'autre,  ils  font  voir  qu'ils  ne  font  pas  alTez  exads 
dans  leurs  raifonnemens,  il  femble  que  leur  autorité  ne  doiue  pas 
eftre  beaucoup  confiderée. 

I  Enfin,  à  la  queftion  qu'on  me  propofe  en  cet  endroit,  fçauoir  :  Jt  361 
i'af  tellement  coupé  &  diuifé  par  le  moyen  de  mon  analffe  tous  les 
mouuemens  de  ma  matière  fubtile,  que  non  feulement  ie/ois  ajfeuré, 
mais  mefme  que  ie puijje  faire  connoifire  à  des  perfonnes  tres-atten^ 
tiues,  &  qui  penfent  eflre  af[e\  clairuoyantes,  qu'il  y  a  de  la  répu- 
gnance que  nos  penfées  foyent  répandues  dans  des  mouuemens  cor- 
porelSfC'QÛ  k  dire,  comme  ie  l'eftime,  que  nos  penfées  |  foyent  vne 
mefme  chofe  auec  des  mouuemens  corporels,  ie  répons  que,  pour 
mon  particulier,  i'en  fuis  très-certain,  mais  que  ie  ne  me  promets 
pas  pour  cela  de  le  pouuoir  perfuader  aux  autres,  quelque  attention 
qu'ils  y  aportent  &  quelque  capacité  qu'ils  penfent  auoir,  au  moins 
tandis  qu'ils  n'apliqueront  leur  efprit  qu'aux  chofes  qui  font  feule- 
ment imaginables,  &  non  point  à  celles  qui  font  purement  intelli- 
gibles :  comme  il  eft  aifé  de  voir  que  ceux-là  font,  qui  s'imaginent  que 
toute  la  dirtindion  &  différence  qui  eft  entre  la  penfée  &  le  mouue- 
ment,  fe  doit  entendre  par  la  diflection  de  quelque  matière  fubtile» 
Car  cela  ne  fe  peut  entendre,  ftnon  lorfqu'on  confidere  que  les  idées 
d'vne  chofe  qui  penfe,  &  d'vne  chofe  étendue  ou  mobile,  font  entiè- 
rement diuerfes  &  indépendantes  l'vne  de  l'autre,  &  qu'il  répugne 


2  28  OEuVRES  DE   DeSCARTES.  435-426. 

que  des  chofes  que  nous  conceuons  clairemenî  &  diftini^lement  eftre 
diuerfes  &  indépendantes,  ne  puiffent  pas  eftre  feparées,  au  moins 
par  la  toute  puiffahce  de  Dieu  ;  de  forte  que,  tout  autant  de  fois  que 

8C2  nous  les  |  rencontrons  enfemble  dans  vn  mefme  fuiet,  comme  la 
penfée  &  le  mouuement  corporel  dans  vn  mefme  homme,  nous  ne 
deuons  pas  pour  cela  eftimer  qu'elles  foyent  vne  mefme  chofe  en 
vnité  de  nature,  mais  feulement  en  vnité  de  compofition. 

3.  Ce  qui  eft  icy  raporté  des  Platoniciens  &  de  leurs  feftateurs, 
eft  auiourd'huy  tellement  décrié  par  toute  l'Eglife  Catholique,  & 
communément  par  tous  l,es  philofophes,  qu'on  ne  doit  plus  s'y 
arefter.  D'ailleurs  il  eft  bien  vray  que  le  Concile  4e  Latran  a  conclu 
qu'on  pouuoit  peindre  les  Anges,  mais  il  n'a  pas  conclu  pour  cela 
qu'ils  fuffent  corporels  Et  quand  en  effed  on  les  croiroit  eftre  tels, 
on  n'auroit  pas  raifon  pour  cela  de  penfei  que  leurs  efpris  fuffent 
plus  infeparables  de  leurs  corps  que  ceux  des  hommes  ;  &  quand  on 
voudroit  aufti  feindre  que  l'ame  humaine  viendroit  de  père  à  fils,  on 
ne  pouroit  pas  pour  cela  conclure  qu'elle  fuft  corporelle,  mais  feu- 
lement que,  comme  nos  corps  prennent  leur  naiffEince  de  ceux  de 
nos  parens,  de  mefme  nos  |  âmes  procederoient  des  leurs.  Pour  ce 
qui  eft  des  cliiens  &  desfmges,  quand  ie  leur  attribuerois  la  penfée, 
il  ne  s'enfuiuroit  pas  de  là  que  l'ame  humaine  n'eft  point  diftinde 
du  fcorps,  mais  plutoft  que  dans  les  autres  animaux  les  efpris  &  les 
corps  font  aufti  diftinguez  :  ce  que  les  mefmes  Platoniciens,  dont  on 
nous  vantoit  tout  maintenant  l'autorité,  ont  eftimé  auec  Pythagore, 

163  comme  leur  Metempfycofe  fait  affez  connoiftre.  Mais  pour  |  moy,  ie 
n'ay  pas  feulement  dit  que  dans  les  beftes  il  n'y  auoit  point  de 
penfée,  ainfi  qu'on  me  veut  faire  acroire,  mais  outre  cela  ie  l'ay 
prouué  par  des  raifons  qui  font  fi  fortes,  que  iufques  à  prefent  ie 
n'ay  veu  perfonne  qui  ayt  rien  oppofé  de  confiderable  à  l'encontre. 
Et  ce  font  plutoft  ceux  qui  affurent  que  les  chiens  fçauent  en  veillant 
qu'ils  courent,  &  mefme  en  dormant  qu'ils  aboyent,  &  qui  en  parlent 
comme  s'ils  eftoyent  d'intelligence  auec  eux,  &  qu'ils  viftent  tout  ce 
qui  fe  pan"e  dans  leurs  cœurs,  lefquels  ne  prouuent  rien  de  ce  qu'ils 
difent.  Car  bien  qu'ils  adioutent  '.qu'ils  ne  peuuent  pas  fe  perfuader 
que  les  opérations  des  befles  puiffent  eflre  fiifif animent  expliquées  par 
le  moyen  de  la  mechan:que,fans  leur  atribuer  nyfens,  ny  ame,  ny  pie 
(c'eft  à  dire,  félon  que  ie  l'explique,  fans  la  penfée;  car  ie  ne  leur 
ay  iamais  dcnié  ce  que  vulgairement  on  apelle  vie,  ame  corporelle, 
&  fcns  organique),  qu'au  contraire  ils  veulent  fout  enir,  au  dédit  de  ce 
que  l'on  voudra,  que  c'efl  vne  chofe  tout  affait  impofjible  ۥ  mejme  ridi- 
cule, cela  neanimoins  ne  doit  pas  eftre  pris  pour  vne  preuuc  :  car  il 


4S6-427.  Sixièmes  Réponses.  229 

n'y  a  point  de  propofition  û  véritable,  dont  on  ne  puiffe  dire  en 
merme  façon  qu'on  nefe'lafçauroit  perfuader;  &  mefme  ce  n'eft  point 
la  coutume  d'en  venir  aux  gajeures,  que  lorfque  les  preuues  nous 
manquent  ;  &,  puifqu'on  a  veu  autres-fois  de  grans  hommes  qui  fe 
font  moquez,  d'vne  façon  prefque  pareille,  de  ceux  qui  foutenoyent 
'qu'il  y  auoit  des  antipodes,  i'eftime  qu'il  ne  faut  pas  légèrement 
tenir  pour  faux  |  tout  ce- qui  femble  ridicule'^à  quelques  autres.  364 

Enfin,  ce  qu'on  adioute  enfuite  :  qu'il  s'en  troiiuera  plujieurs  qui 
diront  que  toutes  les  aâions  de  l'homme  font  femblables  à  celles  des 
machines,  \  &  qui  ne  voudront  plus  admettre  en  luy  defens  ny  d'enten- 
dement, s'il  eft  vray  que  lesjînges,  les  chiens  &  les  elephans  agijfent 
aujfi  comme  des  machines  en  toutes  leurs  opérations,  n'eft  pas  aufli 
vne  raifon  qui  prouue  rien,  fi  ce  n'eft  peut-eftre  qu'il  y  a  des  hommes 
qui  conçoiuent  les  chofes  fi  confufement,  &  qui  s'atachent  auec  tant 
d'opiniâtreté  aux  premières  opinions  qu'ils  ont  vne  fois  conceuès, 
fans  les  auoir  iamais  bien  examinées,  que,  plutoft  que  de  s'en  dé- 
partir, ils  nieront  qu'ils  ayent  en  eux  mefmes  les  chofes  qu'ils  expé- 
rimentent y  eftre.Car,de  vray,  il  ne  fe  peut  pas  faire  que  nous  n'ex- 
périmentions tous  les  iours  en  nous  mefmes  que  nous  penfons;  & 
partant,  quoy  qu'on  nous  fafîe  voir  qu'il  n'y  a  point  d'opérations 
dans  les  beftes  qui  ne  fe  puifl'ent  faire  fans  la  penfée,  perfonne  ne 
poura  de  là  raifonnablement  inférer  qu'il  ne  penfe  donc  point,  fi  ce 
n'eft  celuy  qui,  ayant  toufioursfupofé  que  les  beftes  pcnfent  comme 
nous,  &  pour  ce  fuiet  s'eftant  perfuadé  qu'il  n'agit  point  autrement 
qu'elles,  fe  voudra  tellement  opiniaftrer  à  maintenir  cette  propofi- 
tion :  l'homme  &  la  bejle  opèrent  d'vne  mefme  façon,  que,  lorfqu'on 
viendra  à  luy  montrer  que  les  beftes  ne  penfent  point,  il  aimera 
mieux  fe  dépouiller  de  fa  propre  penfée  (laquelle  il  ne  peut  toutes- 
fois  ne  pas  connoiftre  en  foy-| mefme  par  vne  expérience  continuelle  365 
&  infaillible)  que  de  changer  cette  opinion,  qu'il  agit  de  mefme  fa^on 
que  les  bcfîes.  le  ne  puis  pas  neanimoins  me  perfuader  qu'il  y  ait 
beaucoup  de  ces  efpris;  mais  ie  m'affeure  qu'il  s'en  trouuera  bien 
dàuantage  qui,  fi  on  leur  accorde  que  la  penfée  n'efl  point  diflinguée 
du  mouuement  corporel,  foutiendront  (&  certes  auec  plus  de  raifon) 
qu'elle  fe  rencontre  dans  les  beftes  aufti  bien  que  dans  les  hommes, 
puifqu'ils  verront  en  elles  les  mefmes  mouuemens  corporels  que  ' 
dans  nous  ;  &,  adioutant  à  cela  que  la  différence,  qui  n'eft  que  félon 
le  plus  ou  le  moins,  ne  change  point  la  nature  des  chofes,  bien  que 
peut-eftre  ils  ne  faffent  pas  les  beftes  fi  raifonnablcs  que  les  hommes, 
ils  auront  neanimoins  occafion  de  croire  qu'il  y  a  en  elles  des  efpris 
de  femblable  efpece  que  les  noftrès. 


2^0  OEUVRES  DE   DeSCARTES.  428-429. 

1 4.  Pour  ce  qui  regarde  la  fcience  d'vn  athée,  il  eft  aifé  de  montrer 
qu'il  ne  peut  rien  fçauoir  auec  certitude  &  afl'urance;  car,  comme 
i'ay  defia  dit  cy-deuant,  d'autant  moins  puiffant  fera  celuy  qu'il 
reconnoiftra  pour  l'auteur  de  fon  eftre,  d'autant  plus  aura  t'il  occa- 
fion  de  douter  û  fa  nature  n'eft  point  tellement  imparfaite  qu'il  fe 
trompe,  mefme  dans  les  chofes  qui  luy  f^mblent  très  euidentes  ;  & 
iamais  il  ne  poura  eftre  deliuré  de  ce  doute,  fi,  premièrement,  il 
ne  reconnoift  qu'il  a  efté  créé  par  vn  vray  Dieu,  principe  de  toute 
vérité,  &  qui  ne  peut  eftre  trompeur. 

366  I  5.  Et  on  peut  voir  clairement  qu'il  eft  impoftible  que  Dieu  foit 
trompeur,  pourueu  qu'on  veuille  confiderer  que  la  forme  ou  l'ef- 
fence  de  la  tromperie  eft  vn  non  eftre,  vers  lequel  iamais  le  fouue- 
rain  eftre  ne  fe  peut  porter.  Auiïi  tous  les  Théologiens  font-ils  d'ac- 
cord de  cette  vérité,  qu'on  peut  dire  eftre  la  baze  &  le  fondement 
de  la  religion  Chreftienne,  puifque  toute  la  certitude  de  fa  foy  en 
dépend.  Car  comment  pourions-nous  adiouter  foy  aux  chofes  que 
Dieu  nous  a  reuelées,  fi  nous  penfions  qu'il  nous  trompe  quelque- 
fois? Et  bien  que  la  commune  opinion  des  Théologiens  foit  que  les 
damnez  font  tourmentez  par  le  feu  des  enfers,  neantmoins  leur  fen- 
timent  n'eft  pas  pour  cela,  qu'ils  font  deceus  par  vite  faujfe  idée  que 
Dieu  leur  a  imprimée  d'vn  feu  qui  les  confomme,'ma\s  plutoft  qu'ils 
font  véritablement  tourmentez  par  le  feu  ;  parce  que,  comme  l'efprit 
d'vn  homme  viuant,  bien  qu'il  ne  foit  pas  corporel,  efl  neantmoins 
naturellement  détenu  dans  le  corps,  ainjî  Dieu,  par  fa  toute  puijjance, 
peut  aifement  faire  qu'il  f ouf re  les  attaintes  du  feu  corporel  après  fa 
mort,  &c.  Voyez  le  Maiftre  des  Sentences,  Lib.  4,  Dift.  44.  Pour  ce 
qui  eft  des  lieux  de  l'Efcriture,  ie  ne  iuge  pas  que  ie  fois  obligé  d'y 
répondre,  fi  ce  n'eft  qu'ils  fembleni  contraires  à  quelque  opinion  qui 
me  foit  particulière  ;  car  lorfqu'ils  ne  s'ataquent  pas  à  moy  feul,  mais 
qu'on  les  propofe  contre  les  opinions  qui  font  communément  receuifs 
de  tous  les  Chreftiens,  comme  font  celles  que  l'on  |  impugne  en  ce 

367  lieu-cy,  par  |  exemple  :  que  nous  pouuons  fçauoir  quelque  chofe,  & 
que  l'amc  de  l'homme  n'eft  pas  femblable  à  celle  des  animaux;  ie 
craindrois  de  paffer  pour  prefomptueux,  fi  ie  n'aimois  pas  mieux  me 
contenter  des  réponfes  qui  ont  defia  efté  faites  par  d'autres,  que  d'en 
rechercher  des  nouuelles  ;  vcu  que  ie  n'ay  iamais  fait  profelfion  de 
l'étude  de  la  Théologie,  &  que  ie  ne  m'y  fuis  apliqué  qu'autant  que 
i'ay  crcu  qu'elle  eftoit  neceffaire  pour  ma  propre  inftrudion,  &  enfin 
que  ic  ne  fcns  point  en  moy  d'infpiration  diuine,qui  me  fade  iugcr 
capable  de  l'enfcigner.  C'eft  pourquoy  ie  fais  icy  ma  déclaration, que 
déformais  ie  ne  répondray  plus  à  de  pareilles  obiedions. 


429-430.  Sixièmes  Réponses.  231 

Mais  ie  ne  lairray  pas  d'y  répondre  encore  pour  cette  fois,  de  peur 
que  mon  filence  ne  donnaft  occafion  à  quelques  vns  de  croire  que  iç 
m'en  abftiens  faute  de  pouuoir  donner  des  explications  allez  com- 
modes aux  lieux  de  l'Efcriture  que  vous  propofez.  le  dis  donc,  pre- 
mièrement, que  le  palfage  de  Saint  Paul  de  la  première  aux  Corinth., 
Chap.  8,  ver.  2,  fe  doit  feulement  entendre  de  la  fcience  qui  n'eft 
pas  iointe  auec  la  charité,  c'eft  h  dire  de  la  fcience  des  Athées  :  parce 
que  quiconque  connoill  Dieu  comme  i)  faut,  ne  peut  pas  eftre  fans 
amour  pour  luy,  &  n'auoir  point  de  charité.  Ce  qui  fe  prouue,  tant 
par  ces  paroles  qui  précèdent  immédiatement  :  la  fcience  enfle,  mai 
la  charité  edijie,  que  par  celles  qui  fuiuent  vn  peu  après  :  quejî  quel- 
qu'vn  aime  Dieu,  icelitf  (à  |  fçauoir  Dieu)  ejî  connu  de  hif.  Cor  ainfi  368 
l'Aportre  ne  dit  pas  qu'on  ne  puilfe  auohr  aucune  fcience,  puifqu'il 
confelfe  que  ceux  qui  aiment  Dieu  le  connoiffent,  c'ert  à  dire  qu'ils 
ont  de  luy  quelque  fcience  ;  mais  il  dit  feulement  que  ceux  qui  n'ont 
point  de  charité,  &  qui  par  confequent  n'ont  pas  vnc  connoiifance 
de  Dieu  fuffifantè,  encore  que  peut-ertre  ils  s'elliment  fçauans  en 
d'autres  chofcs,  ils  ne  connoiffent  pas  neantmoins  encore  ce  qu'ils 
cioiuent  fçauoir,  nj'  comment  ils  le  doiuent  fçauoir  :  d'autant  qu'il  faut 
commencer  par  la  connoiifance  de  Dieu,  &  |  après  faire  dépendre 
d'elle  toute  la  connoiifance  que  nous  pouuons  auoir  des  autres  chofes, 
ce  que  i'ay  aufli  expliqué  dans  mes  Méditations.  Et  partant,  ce  mefme 
texte,  qui  eltoit  allégué  contre  moy,  confirme  fi  ouuertement  mon 
opinion  touchant  cela,  que  ie  ne  penfe  pas  qu'il  puiffe  eftre  bien 
expliqué  par  ceux  qui  font  d'vn  contraire  aduis.  Car,  fi  on  vouloit 
prétendre  que  le  fens  que  i'<iy  donné  à  ces  paroles  :  que  fi  quelqu'un 
aime  Dieu,  iceluf  (à  fçauoir  Dieu)  efî  connu  de  luf,  n'eil  pas  celuy  . 
de  l'Efcriture,  &  que  ce  pronom  iceluy  ne  fe  réfère  pas  à  Dieu,  mais 
à  l'homme,  qui  ell  connu  &  aprouué  par  luy,  l'Aportre  Saint  lean, 
en  fa  première  Epiftre,  Chapitre  2,  verf.  2,  fauorife  entièrement 
mon  expliquation,  par  ces  paroles  :  En  cela  nous  fçauons  que  nous 
l'auons  connu,  fi  nous  obferuons  fes  commandemens ;  &  au  Chap.  4, 
verf.  7  :  Celuy  qui  aime,  efi  enfant  de  Dieu,  &  le  connotfl. 

Les  lieux  que  vous  alléguez  de  l'Ecclefiafte  ne  |  font  point  aufll  369 
contre  moy  :  car  il  faut  remarquer  que  Salômon,  dans  ce  Hure,  ne 
parle  pas  en  la  perfonne  des  impies,  mais  en  la  fienne  propre,  en 
ce  qu'ayal.^  erté  auparauant  pécheur  &  ennemy  de  Dieu,  il  fe  repent 
pour  lors  de  fes  fautes,  &  confelfe  que,  tant  qu'il  s'eftoit  feulement 
voulu  feruir  pour  la  conduite  de  fes  actions  des  lumières  de  la 
fagelfe  humaine,  fans  la  référer  à  Dieu  ny  la  regarder  comme  vn 
bienfait  de  la  main,  iamais  il  n'auoit  rien  peu  trouucr  qui  le  fatisfift 


2}2  Œuvres  DE  Desgartes.  430-431. 

entièrement,  ou  qu'il  ne  vift  remply  de  vanité.  C'eft  pourquoy,  en 
diuers  lieux;  il  exhorte  &  follicite  les  hommes  de  fe  conuertir  à  Dieu 
&  de  faire  {Pénitence.  Et  notamment  au  Chap.  1 1,  verf.  9,  par  ces 
paroles  :  Et  /cache,  dit-il,  que  Dieu  te  fera  rendre  compte  de  toutes 
tes  aâioiis;  ce  qu'il  continue  dans  les  autres  fuiuans  iufqu'à  la  fin 
du  Hure.  Et  ces  paroles  du  Chap.  8,  verf.  ij  :  Et  i'ay  reconnu  que, 
de  tous  les  ouurages  de  Dieu  qui  fe  font  fous  le  foleil,  l'homme  n'en 
peut  rendre  aucune  raifon  &c.,  ne  doiuent  pas  eftre  entendues  de 
toutes  fortes  de  perfonnes,  mais  feulement  de  celuy  qu'il  a  décrit 
au  verfet  précèdent  :  Il  y  a  tel  homme  qui  paffe  les  iours  <?  les  nuits 
fans  dormir;  |  comme  û  le  prophète  vouloit  en  ce  lieu-là  nous 
auertir  que  le  trop  grand  trauail,  &  la  trop  grande  afTiduité  à  l'ellude 
des  lettres,  empefche  qu'on  ne  paruienne  à  la  connoiffance  de  la 
vérité  :  ce  que  ie  ne  croy  pas  que  ceux  qui  me  connoiffent  particuliè- 
rement, iugent  pouuoir  eftre  applique  à  moy.  Mais  furtout  il  faut 

370  prenjdre  garde  à  ces  paroles  :  qui  fe  font  fou^  le  foleil,  car  elles  font 
fouuent  répétées  dans  tout  ce  Hure,  &  dénotent  toufiours  les  chofes 
naturelles,  à  l'exclufion  de  la  fubordination  &  dépendance  qu'elles 
ont  à  Dieu,  parce  que,  Dieu  eftant  éleué  au  delTus  de  toutes  chofes, 
on  ne  peut  pas  dire  qu'il  foit  contenu  entre  celles  qui  ne  font  que 
fouz  le  Soleil  ;  de  forte  que  le  vray  fens  de  ce  paffage  eft  que 
l'homme  ne  fçauroit  auoir  vne  connoiffance  parfaite  des  chofes  na- 
turelles, tandis  qu'il  ne  connoirtra  point  Dieu":  en  quoy  ie  conuiens 
auffi  auec  le  prophète.  Enfin,  au  Chapitre  3,  verf.  19,  où  il  eft  dit 
que  l'homme  &  la  jument  paffent  de  mefme  façon,  &  aujjî  que  l'homme 
n'a  rien  de  plus  que  la  jument,  il  eft  manifefte  que  cela  ne  fe  dit  qu'à 
raifon  du  corps;  car  en  cet  endroit  il  n'eft  fait  mention  que  des 
chofes  qui  apartiennent  au  corps;  &  incontinent  après  il  adioute,  en 
parlant  féparement  de  l'ame  :  Qui  fçaitfi  l'efprit  des  enfans  d'Adam 
monte  en  haut,  &fi  l'efprit  des  animaux  defcend  en  bas?  c'eft  à  dire 
qui  peut  connoiftr£,  par  la  force  de  la  raifon  humaine,  &  à  moins 
que  de  fe  tenir  à  ce  que  Dieu  nous  en  a  reuelé,  fi  les  amcs  des 
hommes  ioiiiront  de  la  béatitude  éternelle?  Certes  i'ay  bien  taché 
de  prouuer  par  raifon  naturelle  que  l'ame  de  l'homme  n'eft  point 
corporelle  ;  mais  de  fçauoir  fi  elle  montera  en  haut,  c'eft  à  dire  fi  elle 
ioUira  de  la  gloire  de  Dieu,  i'auoiie  qu'il  n'y  a  que  la  feule  foy  qui 
nous  le  puiffe  aprcndre. 

o71  I  (3.  Quant  à  la  liberté  du  franc-arbitre,  il  eft  certain  que  celle  qui 
fe  retrouue  en  Dieu,  ell  bien  dill'erente  de  celle  qui  eft  en  nous,  d'au- 
tant qu'il  répugne  que  la  volonté  de  Dieu  n'ait  pas  efté  de  toute  éter- 
nité indifférente  à  |  toutes  les  chofes  qui  ont  efté  faites  ou  qui   fe 


432-433.  Sixièmes  Réponses.  ijj 

feront  jamais,  n'y  ayant  aucune  idée  qui  reprefente  le  bien  ou  le 
vray,  ce  qu'il  faut  croire,  ce  qu'il  faut  faire,  ou  ce  qu'il  faut  ob- 
mettre,  qu'on  puifTe  feindre  auoir  efté  l'objet  de  l'entendement 
diuin,  auant  que  fa  nature  ait  efté  conftituée  telle  par  la  détermina- 
tion de  fa  volonté.  Et  ie  ne  parle  pas  icy  d'vne  fimple  priorité  de 
temps,  mais  bien  dauantage  ie  dis  qu'il  a  efté  impoflible  qu'vne 
telle  idée  ait  précédé  la  détermination  de  la  volonté  de  Dieu  par  vne 
priorité  d'ordre,  ou  de  nature,  ou  de  raifon  raifonnée,  ainfi  qu'on  la 
nomme  dans  l'Efcole,  en  forte  que  cette  idée  du  bien  ait  porté  Dieu 
à  élire  l'vn  plutoft  que  l'autre.  Par  exemple,  ce  n'eft  pas  pour  auoir 
veu  qu'il  eftoit  meilleur  que  le  monde  fuft  créé  dans  le  temps  que 
dés  l'éternité,  qu'il  a  voulu  le  créer  dans  le  temps;  &  il  n'a  pas 
voulu  que  les  trois  angles  d'vn  triangle  fuffent  égaux  à  deux  droits, 
parce  qu'il  a  connu  que  cela  ne  fe  pouuoit  faire  autrement,  &c. 
Mais,  au  contraire,  parce  qu'il  a  voulu  créer  le  monde  dans  le 
temps,  pour  cela  il  eft  ainfi  meilleur  que  s'il  euft  efté  créé  dés 
l'éternité;  &  d'autant  qu'il  a  voulu  que  les  trois  angles  d'vn  triangle 
fuffent  neceffairement  égaux  à  deux  droits,  il  eft  maintenant  vray 
que  cela  j  eft  ainfi,  &  il  ne  peut  pas  eftre  autrement,  &  ainfi  de  S72 
toutes  les  autres  chofes.  Et  cela  n'empefche  pas  qu'on  ne  puifle  dire 
que  les  mérites  des  Saints  font  la  caufe  de  leur  béatitude  éternelle  ; 
car  ils  n'en  font  pas  tellement  la  caufe  qu'ils  déterminent  Dieu  à  ne 
rien  vouloir,  mais  ils  font  feulement  la  caufe  d'vn  effet,  dont  Dieu 
a  voulu  de  toute  éternité  qu'ils  fuffent  la  caufe.  Et  ainfi  vue  entière 
indifférence  en  Dieu  eft  vne  preuue  très-grande  de  fa  toute-puift'ance. 
Mais  il  n'en  eft  pas  ainfi  de  l'homme,  lequel  trouuant  des-ja  la  na- 
ture de  la  bonté  &  de  la  vérité  eftablie  &  déterminée  de  Dieu,  &fa 
volonté  eftant  telle  qu'elle  ne  fe  peut  naturellement  porter  que  vers 
ce  qui  eft  bon,  il  eft  manifefte  qu'il  embraffe  d'autant  plus  volon- 
tiers, &  jtar  confequent  d'autant  plus  librement,  le  bon  &  le  vray, 
qu'il  les  connoift  plus  euidemment;  &  que  ian;ais  il  n'eft  indiffè- 
rent que  lorfqu'il  ignore  ce  qui  eft  de  mieux  oti  |  de  plus  véritable, 
ou  du  moins  lorfque  cela  ne  lui  paroift  pas  fi  clairement  qu'il  n'en 
puiffe  aucunement  douter.  Et  ainfi  l'indifférence  qui  conuient  à  la 
liberté  de  l'homme,  eft  fort  différente  de  celle  qui  conuient  à  la 
liberté  de  Dieu.  Et  il  ne  fert  icy  de  rien  d'alléguer  que  les  effences 
des  chofes  font  indiuifibles  ;  car,  premièrement,  il  n'y  en  a  point  qui 
puiffe  conuenir  d'vne  mefme  façon  à  Dieu  &  à  la  créature;  &  enfin 
l'indifférence  n'eft  point  de  l'effence  de  la  liberté  humaine,  veu  que 
nous  ne  fommes  pas  feulement  libres,  quand  l'ignorance  du  bien 
&  du  vray  |  nous  rend  indififerens,  mais  principalement  aufti  lorfque     373 


2J4  Œuvres  de  Descartes.  433-4:^4. 

la  claire  &  diftincle  connoifTance  d'vne  choie  nous  poufle  &  nous 
engage  à  la  recherche. 

7.  le  ne  'conçoy  point  la  fuperficie  par  laquelle  i'eftime  que  nos 
fens  font  touchez,  autrement  que  les  Mathématiciens  ou  Philo- 
fophes  conçoiuent  ordinairement,  ou  du  moins  doiuent  conceuoir, 
celle  qu'ils  diftinguent  du  corps  &  qu'ils  fuppofent  n'auoir  point  de 
profondeur.  Mais  le  nom  de  fuperficie  fe  prend  en  deux  façons  par 
les  Mathématiciens  :  à  fçauoir,  ou  pour  le  corps  dont  on  ne  confi- 
dere  que  la  feule  longueur  &  largeur,  fans  s'arrefter  du  tout  à 
la  profondeur,  quoy  qu'on  ne  nie  pas  qu'il  en  ait  quelqu'vne; 
ou  il  eit  pris  feulement  pour  vn  mode  du  corps,  &  pour  lors 
toute  profondeur  lui  eft  déniée.  C'eft  pourquoy,  pour  euiter 
toute  forte  d'ambiguitc,  i'ay  dit  que  ie  parlois  de  cette  fuper- 
ficie, laquelle,  eftant  feulement  vn  mode,  ne  peut  pas  eftre  partie  du 
corps;  car  le  corps  eft  vne  fubftance  dont  le  mode  ne  peut  eftre 
partie.  Mais  ie  n'ay  iamais  nié  qu'elle  fuft  le  terme  du  corps;  au 
contraire,  ie  croy  qu'elle  peut  fort  proprement  eftre  apelée  l'extré- 
mité, tant  du  corps  contenu  que  de  celuy  qui  contient,  au  fens  que 
l'on  dit  que  les  corps  contigus  font  ceux  dont  les  extremitez  |  font 
enfemble.  Car,  de  vray,  quand  deux  corps  fe  touchent  mutuelle- 
ment, ils  n'ont  enfemble  qu'vne  mefme  extrémité,  qui  n'eft  point 
partie  de  l'vn  ny  de  l'autre,  mais  qui  eft  le  mefme  mode  de  tous  les 
374  deux,  |  &  qui  demeurera  toufiours  le  mefme,  quoy  que  ces  deux 
corps  foient  oftez,  pourueu  feulement  qu'on  en  fubftiiuë  d'autres  en 
leur  place,  qui  foient  precifement  de  la  mefme  grandeur  &, •figure. 
Et  mefme  ce  lieu,  qui  eft  apellé  par  les  Peripateticiens  la  fuperficie 
du  corps  qui  enuironne,  ne  peut  eftre  conceu  eftre  vne  autre  fuper- 
ficie, que  celle  qri  n'eft  point  vne  fubftance,  mais  vn  mode.  Car 
on  Tie  dit  point  que  le  lieu  d'vne  tour  Ibit  changé,  quoy  que  l'air 
qui  l'enuironne  le  foit,  ou  qu'on  fubftituë  vn  autre  corps  en  la  place 
de  la  tour;  &  partant  la  fuperficie,  qui  eft  icy  prife  pour  le  lieu,  n'eft 
point  partie  de  la  tour,  ny  de  l'air  qui  l'enuironne.  Mais,  pour  ré- 
futer entièrement  l'opinion  de  ceux  qui  admettent  des  accidens 
réels,  il  me  femble  qu'il  n'eft  pas  befoin  que  ie  produife  d'autres 
raifons  que  celles  que  i'ay  des-ja  auancées.  Car,  premièrement, 
puifque  nul  fentiment  ne  fe  fait  fans  contad,  rien  ne  peut  eftre  fenty  . 
que  la  fuperficie  des  corps.  Or,  s'il  y  a  des  accidens  réels,  ils  doiuent 
eftre  quelque  chofe  de  différent  de  celte  fuperficie,  qui  n'eft  autre 
chofe  qu'vn  mode.  Doncqucs,  s'il  y  en  a,  ils  ne  peuuent  eftre  fentis. 
Mais  qui  a  iamais  pcnfc  qu'il  y  en  euft,  que  parce  qu'il  a  crû  qu'ils 
eftoient  fcniis?  De  plus,  c'cft  vne  chofe  enticrc:r.cnt  impoflible  &qui 


4H-4^6.  Sixièmes  Réponses.  zjj 

ne  fe  peut  conceuoir  fans  repugnancç  &  contradiction,  qu'il  y  ait 
des  accidens  réels,  pource  que  tout  ce  qui  eft  réel  peut  exifter  iepa- 
rement  de  tout  autre  fujet  :  or  ce  qui  peut  ainfi  exifter  feparement, 
ell  vne  fubjftance,  &  non  point  vn  accident.  Et  il  ne  fert  de  rien  de  375 
dire  que  les  accidens  réels  ne  peuuent  pas  naturellement  eftre  fe- 
parcz  de  leurs  fujets,  mais  feulement  par  la  toute-puiffance  de  Dieu  ; 
(car  eftre  fait  naturellement,  n'eft  rien  autre  chofe  qu'eftre  fait  par 
la  puiffance  ordinaire  de  Dieu,  laquelle  ne  diffère  en  rien  de  fa  puif- 
fance  extraordinaire,  &  laquelle,  ne  mettant  rien  de  nouueau  dans 
les  chofes,  n'en  change  point  îiufli  la  nature;  de  forte  que,  fi  tout  ce 
qui  peut  eftre  naturellement  fans  fujet,  eft  vne  fubftance,  tout  ce  qui 
peut  aufti  eftre  fans  fujet  par  la  puiffance  de  Dieu,  tant  extraordi- 
naire qu'elle  puiffe  eftre,  doit  aufti  eftre  apelé  du  nom  de  fubftance. 
l'auouë  bien,  à  la  vérité,  qu'vne  fubftance  peut  eftre  apliquée  à  vne 
autre  fubftance;  mais,  quand  cela  arriue,  ce  n'eft  pas  la  fubftance 
qui  prend  la  forme  d'vn  accident,  c'eft  le  feul  mode  ou  la  façon  dont 
cela  arriue  :  par  exemple,  quand  vn  habit  eft  apliqué  fur  vn  homme, 
ce  n'eft  pas  Thabit,  mais  ejivc  habillé,  qui  eft  vn  accident.  Et  pource 
que  la  principale  raifon  qui  a  meu  les  Philofophes  à  établir  des 
accidens  réels,  a  efté  qu'ils  ont  crû  que  fans  eux  on  ne  pouuoit  pas 
expliquer  comment  fe  font  les  perceptions  de  nos  fens,  i'ay  promis 
d'expliquer  par  le  menu,  en  écriuant  de  la  Phyfique,  la  façon  dont 
chacun  de  nos  fens  eft  touché  par  fes  objets;  non  que  ie  veuille  qu'en 
cela,  ny  en  aucune  autre  chofe,  on  s'en  raporte  à  mes  paroles,  mais 
parce  que  i'ay  crû  que  ce  que  i'auois  expliqué  de  la  veuë,  dans  ma 
Dioptrique,  poujuoit  feruir  de  preuue  fuftifante  de  ce  que  ie  puis  376 
dans  le  refte. 

8.  Quand  on  confidere  attentiuement  l'immenfité  de  Dieu,  on 
void  manifeftement  qu'il  eft  impoflible  qu'il  y  ait  rien  qui  ne  dé- 
pende de  luy,  non  feulement  de  tout  ce  qui  fubftfte,  mais  encore 
qu'il  n'y  a  ordre,  ny  loy,  ny  raifon  de  bonté  &  de.  vérité  qui 
n'en  dépende;  autrement  (comme  ie  difois  vn  peu  auparauant), 
il  n'auroit  pas  efté  tout  aflait  indiffèrent  à  créer  les  chofes  qu'il  a 
créées.  Car  fi  quelque  raifon  ou  aparence  de  bonté  euft  précédé  fa 
preordination,  elle  l'euft  fans  doute  déterminé  à  faire  ce  qui  auroit 
efté  de  meilleur.  Mais,  tout  au  contraire,  parce  qu'il  s'eft  déterminé  à 
faire  les  chofes  |  qui  font  au  monde,  pour  cette  raifon,  comme  il  eft 
dit  en  la  Genefe,  elles  font  très-bonnes,  c'eft  à  dire  que  la  raifon  de 
leur  bonté  depei  d  de  ce  qu'il  les  a  ainfi  voulu  faire.  Et  il  n'eft 
pas  befoin  de  demander  en  quel  genre  de  caufe  cette  bonté,  ny 
toutes  les  autres  veritez,  tant  Mathématiques  que  Metaphyfiques, 


2}6  OEUVRES  DE  Descartes.  436-437. 

dépendent  de  Dieu  ;  car,  les  genres  des  caul'es  ayant  elle  eftablis  par 
ceux  qui  peut-eftre  ne  penfoient  point  à  cette  railbn  de  caufalité,  il 
n'y  auroit  pas  lieu  de  s'étonner,  quand  ils  ne  luy  auroient  point 
donné  de  nom  ;  mais  neantmoins  ils  luy  en  ont  donné  vn,  car  elle 
peut  eltre  apelée  efficiente,  de  la  mefme  façon  que  la  volonté  du 
Roy  peut  eftre  dite  la  caufe  efficiente  de  la-  loy,  bien  que  la  ioy 

3'7'ï  mefme  ne  foit  pas  vn  eftre  naturel,  mais  |  feulement  (comme  ils 
difent  en  l'Efcole)  vn  eftre  moral.  Il  eft  auffi  inutile  de  demander 
comment  Dieu  euft  peu  faire  de  toute  éternité  que  deux  fois  4 
n'eufl'ent  pas  efté  8,  &c.,  car  i'auouë  bien  qjtie  nous  ne  pouuons  pas 
comprendre  cela;  mais,  puifque  d'vn  autre  cofté  ie  comprens  fort 
bien  que  rien  ne  peut  exifter,  en  quelque  genre  d'eftre  que  ce  foit, 
qui  ne  dépende  de  Dieu,  &  qu'il  luy  a  efté  très-facile  d'ordonner 
tellement  certaines  chofes  qiie  les  hommes  ne  peuffent  pas  com- 
prendre qu'elles  euffent  peu  eftre  autrement  qu'elles  font,  ce  feroit 
vne  chofe  tout  à  fait  contraire  -à- la  raifon,  de  douter  des  chofes  que 
nous  comprenons  fort  bien,  à  caufe  de  quelques  autres  que  nous 
ne  comprenons  pas,  &  que  nous  ne  voyons  point  que  nous  deuions 
comprendre.  Ainfi  donc  il  ne  faut  pas  penfer  que  les  veritei  éter- 
nelles dépendent  de  l'entendement  humain,  ou  de  l'exîjlence  des  chofes, 
mais  feulement  de  la  volonté  de  Dieu,  qui,  comme  vn  fouuerain 
legiflateur,  les  a  ordonnées  &  eftablies  de  toute  éternité. 

9.  Pour  bien  comprendre  quelle  eft  la  certitude  du  fens,  il  faut 
diftinguer  en  luy  trois  fortes  de  degrez.  Dans  le  premier,  on  ne 
doit  confiderer  autre  chofe  que  ce  que  les  obiets  extérieurs  caufent 
immédiatement  dans  l'organe  corporel  ;  ce  qui  ne  peut  eftre  autre 
chofe  que  le  mouuement  des  patticules  de  cet  |  organe,  &  le  chan- 
gement de  figure  &  de  fituation  qui  prouient  de  ce  mouuement.  Le   ' 

378  fe|cond  contient  tout  ce  qui  refulte  immédiatement  en  l'efprit,  de 
ce  qu'il  eft  vny  à  l'organe  corporel  ainfi  meu  &  difpofé  par  fes 
obiets;  &  tels  font  les  fentimens  de  la  douleur,  du  chatouillement, 
de  la  faim, de  la  foif,  des  couleurs,  des  fons,  des  faueurs,  des  odeurs,, 
du  chaud,  du  froid,  &  autres  femblables,  que  nous  auons  dit,  dans 
la  fixiéme  Méditation,  prouenir  de  l'vnion  &  pour  ainfi  dire  du 
mélange  de  l'efprit  auec  le  corps.  Et  enfin,  le  troifiéme  comprend 
tous  les  iugemens  que  nous  auons  coutume  de  faire  depuis*  noftre 
icunelfe,  touchant  les  chofes  qui  font  autour  de  nous,  à  l'occafion 
des  imprelTions,  ou  mouuemens,  qui  fe  font  dans  les  organes  de 
nos  fcns.  Par  exemple,  lorfque  ie  voy  vn  bâton,  W  ne  faut  pas 
s'imaginer  qu'il  forte  de  luy  de  petites  images  voltigeantes  par 
l'air,  apelées  vulgairement  des  efpeccs  intentionelles^  qui  palfent 


437-438.  Sixièmes  Réponses.  257 

iufques  à  mon  œil,  mais  feulement  que  les  rayons  de  la  lumière 
réfléchis  de  ce  bafton  excitent  quelques  mouuemens  dans  le  nerf 
optique,  &  par  fon  moyen  dans  le  cerueau  mefme,  ainfi  que  i'ay 
amplement  expliqué  dans  la  Dioptrique.  Et  c'eft  en  ce  mouue- 
ment  du  cerueau,  qui  nous  eft  commun  auec  les  beftes,  que  confifte 
le  premier  degré  du  fentiment.  De  ce  premier  fuit  le  fécond,  qui 
s'étend  feulement  à  la  perception  de  la  couleur  &  de  la  lumière  qui 
eft  réfléchie  de  ce  bâton,  &  qui  provient  de  ce  que  l'efprit  eft  fi 
étroittement  &  li  intimement  conioint  auec  le  cerueau,  qu'il  fe  ref- 
Jfent  mefme  &  eft  comme  touché  par  les  rçiouuemens  qui  fe  font  en  379 
iuy;  &  c'eft  tout  ce  qu'il  faudroit  raporter  au  fens,  fi  nous  vou- 
lions le  diftinguer  exadement  de  l'entendement.  Car,  que  de  ce  fen- 
timent de  la  couleur,  dont  ie  fens  l'impreftion,  ie  vienne  à  iuger  que 
ce  bâton  qui  eft  hors  de  moy  eft  coloré,  &  que  de  l'étendue  de  cette 
couleur,  de  fa  terminaifon  &  de  la  relation  de  fa  fituation  auec  les 
parties  de  mon  cerueau,  ie  détermine  quelque  chofe  touchant  la 
grandeur,  la  figure  &  la  diftance  de  ce  mefme  bâton,  quoy  qu'on 
ait  accoutumé  de  l'atribuer  au  fens,  &  que  pour  ce  fuiet  ie  l'aye 
raporté  à  vn  troifiéme  |  degré  de  fentiment,  c'eft  neantmoins  vne 
chofe  manifefte  que  cela  ne  dépend  que  de  l'entendement  feul.  Et 
mefme  i'ay  fait  voir,  dans  la  Dioptrique,  que  la  grandeur,  la  diftance 
&  la  figure  ne  s'aperçoiuent  que  par  le  raifonnement,  en  les  dédui- 
fant  les  vnes  des  autres.  Mais  il  y  a  feulement  en  cela  de  la  diffé- 
rence, que  nous  atribuons  à  l'entendement  les  iugemens  nouueaux 
&  non  accoutumez  que  nous  faifons  touchant  toutes  les  chofes  qui 
fe  prefentent,  &  que  nous  attribuons  aux  fens  ceux  que  nous  auons 
efté  accouftumez  de  faire  des  noftre  enfance  touchant  les  chofes  fen- 
fibles,  à  l'occafion  des  impreffions  qu'elles  font  dans  les  organes  de 
nos  fens;  dont  la  raifon  eft  que  la  couftume  nous  fait  raifonner  & 
iuger  fi  promptement  de  ces  chofes- là  (ou  plutoft  nous  fait  relfouue- 
nir  des  iugemens  que  nous  en  auons  faits  autresfois),  que  |  nous  ne  300 
diftinguons  point  cette  façon  de  iuger  d'auec  la  fimple  apprehen- 
fion  ou  perception  de  nos  fens.  D'où  il  eft  manifefte  que,  lorfque 
nous  difons  que  la  certitude  de  l'entendement  eft  plus  grande  que 
celle  des  fens,  nos  paroles  ne  fignifient  autre  chofe,  finon  que  les 
iugemens  que  nous  faifons  dans  vn  âge  plus  auancé,  à  caufe  dz 
quelques  nouuelles  obferuations,  font  plus  certains  que  ceux  que 
nous  auons  formez  dés  noftre  enfance,  fans  y  auoir  fait  de  re- 
flexion; ce  qui  ne  peut  receuoir  aucun  doute,  car  il  eft  conftant 
qu'il  ne  s'agit  point  icy  du  premier  ny  du  fécond  degré  du  fenti- 
ment, d'autant  qu'il  ne  peut  y  auoir  en  eux  aucune  faufl'eté.  Quand 


2^8 


OEuvRES  DE  Descartes.  438-440. 


donc  on  dit  qu'pti  bâton  paroijî  rompu  dans  l'eau,  à  caiife  dé  la 
rcfraâion,  c'eft  de  mefme  que  fi  l'on  difoit  qu'il  nous  paroiil  d'vne 
telle  façon  qu'vn  enfant  iugeroit  de  là  qu'il  efl  rompu,  &  qui  fait 
aufli  que,  félon  les  preiugez  aufquels  nous  fommes  accouftumez 
dés  I  noftre  enfance,  nous  iugcons  la  mefme  chofe.  Mais  ie.  ne  puis 
demeurer  d'accord  de  ce  que  l'on  adioufle  enfuite,  à  fçauoir  que 
cet  erreur  n'eji  point  corrigé  par  l'entendement,  mais  par  le  fens  de 
V attouchement  ;  car  bien  que  ce  fens  nous  faffe  iuger  qu'vn  bâton 
eft  droit,  &  cela  par  cette  façon  de  iuger  à  laquelle  nous  fommes 
accoutumez  dés  noftre  enfance,  &  qui  par  confequent  peut  eftre 
apelée/e«//we«/,  neantmoins  cela  ne  fuffit  pas  pour  corriger  l'erreur 
de  la  veuë,  mais  outre  cela  il  eft  befoin  que  nous  ayons  quelque 

381  raifon,  qui  nous  enfeigne  que  |  nous  deuons  en  ce  rencontre  nous 
fierplutoft  au  iugement  que  nousfaifons  en  fuite  de  l'attouchement, 
qu'à  celuy  où  femble  nous  porter  le  fens  de  la  veuë  ;  laquelle  raifon 
n'ayant  point  efté  en  nous  dés  noftre  enfance,  ne  peut  eftre  attri- 
buée au  fens,  mais  au  feul  entendement  ;  &  partant,  dans  cet 
exemple  mefme,  c'eft  l'entendement  feul  qui  corrige  l'erreur  du 
fens,  &  il  eft  impoftible  d'en  aporter  iamais  aucun,  dans  lequel 
l'erreur  vienne  pour  s'eftre  plus  fié  à  l'opération  de  l'cTprit  qu'à  la 
perception  des  fens. 

10.  D'autant  que  les  difficultez  qui  reftent  à  examiner,  me  font 
plutoft  propofées  comme  des  doutes  que  comme  des  objeclions,  ie 
ne  prefume  pas  tant  de  moy,  que  i'ofe  me  promettre  d'expliquer 
afl'ez  fuffifamment  des  chofes  que  ie  voy  eftre  encore  aujourd'huy 
le  fujet  des  doutes  de  tant  de  fçauans  hommes.  Neantmoins,  pour 
faire  en  cela  tout  ce  que  ie  puis,  &  ne  pas  manquer  à  ma  propre 
caufe,  ie  diray  ingenuëment  de  quelle  façon  il  eft  arriué  que  ie  me 
fois  moy-mefme  entièrement  deliuré  de  ces  doutes.  Car,  en  ce  fai- 
fant,  fi  par  hazard  il  arriue  que  cela  puilfe  feruir  à  quelques-vns, 
i'auray  fujet  de  m'en  rejoUir,  &  s'il  ne  peut  feruir  à  pcrfonne,  au 
moins  auray-je  la  fatisfaclion  qu'on  ne  me  poura  pas  acculer  de 
prefomption  ou  de  témérité. 
I  Lorfque  i'eu*  la  première  fois  conclu,  en  fuite  des  raifons  qui 

%%%  font  contenues  dans  mes  Meditajtions,  que  l'efprit  humain  eft  réelle- 
ment diftingué  du  corps,  &  qu'il  eft  mefme  plus  aile  à  connoiftre  que 
luy,  &  plufieurs  autres  chofes  dont  il  elt  là  traitté,  ie  me  fentois  à 
la  vérité  obligé  d'y  acquiefccr,  pource  que  ie  ne  remarquois  rien  en 

a.  Texte  de  la  1'"  édit.  :  «  i'eus  ».   Mais  on  trouve  à  V errata  :  «  p.  38 1, 
I.  î8,  i'cus,  lie.  i'cu,  &  de  nicfnic  par  tout  ailleurs  >■. 


440-44'-  Sixièmes  Réponses.  259 

elles  qui  ne  fufl  bien  fuiuy,  &  qui  ne  fuft  tiré  de  principes  tres- 
euidens,  fuiuant  les  règles  de  la  Logique.  Toutesfois  ie  confefle  que 
ie  ne  fus  pas  pour  cela  pleinement  perfuadé,  &  qu'il  m'arriua 
prefque  la  mefme  choie  qu'aux  Artronomes,  qui,  après  auoir  elle 
conuaincus  par  de  puilTantes  raifons  que  le  Soleil  eft  plufieurs  fois 
plus  grand  que  toute  la  terre,  ne  fçauroient  pourtant  s'empefcher  de 
iuger  qu'il  eft  plus  petit,  lorsqu'ils  iettent  les  yeux  fur  luy.  Mais 
après  que  i'eu  paffé  plus  auant,  &  qu'apuyé  fur  les  mefmes  prin- 
cipes, i'eu  porté  ma  confideration  fur  les  chofes  Phyfiques  ou 
naturelles,  examinant  premièrement  les  notions  ou  les  idées  que 
ie  trouuois  en  moy  de  chaque  chofe,  puis  les  diftinguant  foigneufe- 
ment  les  vnes  des  autres  pour  faire  que  mes  iugemens  eulfent  vn 
entier  raport  auec  elles,  ie  reconnus  qu'il  n'y  auoit  rien  qui  apar- 
tinft  à  la  nature  ou  à  l'elTence  du  corps,  fmon  qu'il  eft  vne  fub- 
ftance  étendue  en  longueur,  largeur  &  profondeur,  capable  de 
plufieurs  figures  &  de  diuers  mouuemens,  &  que  fes  figures  & 
mouuemens  n'eftoient  autre  chofe  que  des  modes,  qui  ne  peuuent 
jamais  eftre  Ains  luy  ;  mais  que  les  couleurs,  les  odeurs,  les  fa- 
ueurs,  &  autres  chofes  femblables,  n'eftoient  rien  que  des  fenti- 
|mens  qui  n'ont  aucune  exiftence  hors  de  ma  penfée,  &  qui  ne  font  383 
pas  moins  differens  des  corps  que  la  douleur  diffère  de  la  figure  ou 
du  niouuement  de  la  flèche  qui  la  caufe;  &*enfin,  que  la  pefanteur, 
la  dureté,  la  vertu  d'échauffer,  d'attirer,  de  purger,  ik  toutes  les 
autres  qualitez  que  nous  remarquons  dans  les  corps,  confiftent 
feulement  dans  le  mouuement  ou  dans  fa  priuation,  &  dans  la 
configuration  &  arrangement  des  parties*. 

Toutes  lefquelles  opinions  eftant  fort  différentes  de  celles  \  que 
i'auois  eues  auparauant  touchant  les  mefmes  chofes,  ie  commençay 
après  cela  à  confiderer  pourquoy  i'en  auois  eu  d'autres  par  cy- 
deuant,  &  ie  trouuay  que  la  principale  raifon  eftoit  que,  dez  ma 
ieunelTe,  i'auois  fait  plufieurs  iugemens  touchant  les  chofes  natu- 
relles (comme  celles  qui  deuoient  beaucoup  contribuer  à  la  con- 
feruation  de  ma  vie,  en  laquelle  ie  ne  faifois  que  d'entrer),  &  qUe 
i'auois  toufiours  retenu  depuis  les  mefmes  opinions  que  i'auois 
autrefois  formées  de  ces  chofes -là.  Et  d'autant  que  mon  efprit 
ne  le  feruoit  pas  bien  en  ce  bas  âge  des  organes  du  corps,  &  qu'y 
eftant  trop  attaché  il  ne  penfoit  rien  fans  eux,  auflTi  n'aperceuoit-il 
que  confufément  toutes  chofes.  Et  bien  qu'il  euft  connoiflance 
de  fa  propre  nature,   &  qu'il  n'euft  pas  moins  en  foy    l'idée  de 

a.  Non  à  la  ligne  [i''  et  2*  édit.). 


240  Œuvres  de  Descartes.  44«-44'j. 

la   penfée  que  celle   de   l'étendue,  neantmoins,  pource   qu'il    ne 
concèuoit   rien   de   purement  intellectuel,    qu'il    n'imaginait  aufii 

884  en  mefme  temps  quelque  chofe  de  corjporel,  il  prenoit  l'vn  & 
l'autre  pour  vne  mefme  chofe,  &  raportoit  au  corps  toutes  les 
notions  qu'il  auoit  des  chofes  intelleduelles.  Et  d'autant  que  ie  ne 
m'eltois  iamais  depuis  déliuré  de  ces  preiugez,  il  n'y  auoit  rien  que 
ie  connuffe*  affez  diftindement  &  que  ie  ne  fupofalfe  eltre  corporel, 
quoy  que  neantmoins  ie  formaffe  fouuent  de  telles  idées  de  ces  cho'fes 
mefmes  que  ie  fupofois  élire  corporelles,  &,  que  l'en  euffe  de  telles 
notions,  qu'elles  reprefentoyent  plutoll  des  efprits  que  des  corps  ^ 

Par  exemple,  lorfque  ie  conceuois  la  pefanteur  corrime  vne 
qualité  réelle,  inhérente  &  attachée  aux  corps  martifs  &  grolTiers, 
encore  que  ie  la  nommalfe  vne  qualité,  en  tant  que  ie  la  raportois 
aux  corps  dans  lefquels  elle  refidoit,  neantmoins,  parce  que  i'ad- 
ioutois  ce  mot  de  réelle,  ie.penfois  en  effed  que  c'eftoit  vne  fub- 
ftance  :  de  mefme  qu'vn  habit  confideré  en  foy  elt  vne  fubllance, 
quoy  qu'eftant  raporté  à  vn  homme  habillé,  |  il  puifle  élire  dit  vne 
qualité  ;  &  ainfi,  bien  que  l'efprit  foit  vne  fubllance,  il  peut  neant- 
moins eftre  dit  vne  qualité,  eu  égard  au  corps  auquel  il  ell  vny.  Et 
bien  que  ie  conceuffe  que  la  pefanteur  efl  répandue  par  tout  le 
corps  qui  ell  pefant,  ie  ne  luy  attribAiois  pas  neantmoins  la  mefme 
forte  d'étendue  qui  conflitue  la  nature  du  corps,  car  cette  étenduif 
ell  telle  qu'elle  exclut  toute  penetrabilité  de  parties;  &  ie  penfois 
qu'il  y  auoit  autant  de  pefanteur  dans  vne  mafle  d'or  ou  de  quelque 

385  autre  metail  de  la  longueur  |  d'vn  pied,  qu'il  y  en  auoit  dans  vne 
pièce  de  bois  longue  de  dix  piedz  ;  voire  mefme  i'eflimois  que  toute 
cette  pefanteur  pouuoit  eftre  contenue  fous  vn  point  Mathématique. 
Et  mefme  lorfque  cette  pefanteur  elloit  ainfi  également  étenduif  par 
tout  le  corps,  ie  voyois  qu'elle  pouuoit  exercer  toute  fa  force  en  cha- 
cune de  fes  parties,  parce  que,  de  quelque  façon  que  ce  corps  fuit  fuf- 
pendu  à  vne  corde,  il  la  tiroit  de  toute  fa  pefanteur^  comme  fi  toute 
cette  pefanteur  euft  efté  renfermée  dans  la  partie  qui  touchoit  la 
corde.  Et  certes  ie  ne  conçoy  point  encore  aujourd'huy  que  l'efprit 
foit  autrement  étendu  dans  le  corps,  lorfque  ie  le  conçoy  eftre  tout 
entier  dans  le  tout,  &  tout  entier  dans  chaque  partie.  Mais  ce  qui  fait 
mieux  paroiftre  que  cette  idée  de  la  pefanteur  auoit  efté  tirée  en 
partie  de  celle  que  i'auois  de  mon  efprit,  eft  que  ie  penfois  que  la 
pefanteur  portoit  les  corps  vers  le  centre  de  la  terre,  comme  ft  elle 

a.  Texte  :  «  ie  neconnuffe  »,  corrigé  à  Verrata  :  «  ie  connufle  »  (/"  édit.). 
h.  Non  à  la  ligne  (/"  e/  2'  édtt.). 


442-444-  Sixièmes  Réponses.  241 

euft  eu  en  Iby  quelque  connoiffance  de  ce  centre  :  car  certainement 
il  n'ell  pas  poflible  que  cela  fe  faffe  fans  connoiffance,  &  partout  où 
il  y  a  connoiffance,  il  faut  qu'il  y  ait  de  l'efprit.  Toutesfois  i'atri- 
buois  encore  d'autres  chofes  à  cette  pefanteur,  qui  ne  peuuent  pas 
en  mefme  façon  eftre  entendues  de  l'efprit  :  par  exemple,  qu'elle 
eftoit  diuifible,  mefurable,  &c\ 

Mais  après  que  i'eu  fufHfamment  confideré  toutes  ces  chofes, 
&  que  i'eu  diftingué  l'idée  de  l'efprit  humain  |  des  idées  du  corps 
&  du  mouuement  corporel ,  &  que  ie  me  fus  (  aperceu  que  386 
toutes  les  autres  idées  que  i'auois  eu  auparauant,  foit  des  qua- 
litez  réelles,  foit  des  formes  fubftantielles,  en  auoyent  efté  com- 
pofées,  ou  formées  par  mon  efprit,  ie  n'eu  pas  beaucoup  de 
peine  à  me  défaire  de  tous  les  doutes  qui  font  icy  propofez\ 
Car,  premièrement,  ie  ne  doutay  plus  que  ie  n'euffe  vne  claire 
idée  de  mon  propre  efprit,  duquel  ie  ne  pouuois  pas  nier  que  ie 
n'euffe  connoiffance,  puifqu'il  m'eftoit  fi  prefent  &  fi  conjoint.  le  ne 
mis  plus  auffi  en  doute  que  cette  idée  ne  fuft  entièrement  différente 
de  celles  de  toutes  les  autres  chofes,  &  qu'elle  n'euft  rien  en  foy  de 
ce  qui  apartient  au  corps  :  pource  qu'ayant  recherché  tres-foigneu- 
fement  les  vrayes  idées  des  autres  chofes,  &  penfant  mefme  les 
connoiftre  toutes  en  gênerai,  ie  ne  trouuois  rien  en  elles  qui  ne  fuft 
en  tout  différent  de  l'idée  de  mon  efprit.  Et  ie  voyois  qu'il  y  auoit 
vne  bien  plus  grande  différence  entre  ces  chofes,  qui,  bien  qu'elles 
fuffent  tout  à  la  fois  en  ma  penfée,  me  paroiffoient  neantmoins 
diftiné^es  &  différentes,  comme  font  l'efprit  &  le  corps,  qu'entre  celles 
dont  nous  pouuons  à  la  vérité  auoir  des  penfées  feparées,  nous  arre- 
ftant  à  l'vne  fans  penfer  à  l'autre,  mais  qui  ne  font  iamais  enfemble 
en  noftre  efprit,  que  nous  ne  voyions  bien  qu'elles  ne  peuuent  pas 
fubfifter  feparement.  Comme,  par  exemple,  l'immenfité  de  Dieu  peut 
bien  eftre  conceuë  fans  que  nous  penfions  à  fa  iuftice,  mais  on  ne  peut 
pas. les  auoir  toutes  deu^  I  prefentesà  fon  efprit,  &  croire  que  Dieu  387 
puiffe  eftre  immenfe  fans  eftie  iufte.  De  mefme  l'exiftence  de  Dieu 
peut  eftre  clairement  connue,  fans  que  l'on  fçache  rien  des  perfonnes 
de  la  tres-fainte  Trinité,  qu'aucun  efprit  ne  fçauroit  bien  entendre, 
s'il  n'eft  éclairé  des  lumières  de  la  foy;  mais  lorfqu'elles  font  vne 
fois  bien  entendues,  ie  nie  qu'on  puifl'e  conceuoir  entr'elles  aucune 
dirtindion  réelle  |  à  raifon  de  l'effence  diuine,.quoy  que  cela  fe  puiffe 
à  raifon  des  relations'. 

a.  Non  à  la  ligne  {i^  et  2'  édit.). 

b.  A  la  ligne  [ibid.]. 

Œuvres.  I\'.  té 


242  OEuVRES   DE   DeSGARTES.  444-445. 

Et  enfin  ie  n'appréhende  plus  de  m'eftre  peut-eftre  laiffé  fur- 
prendre  &  preuenir  par  mon  analyfe,  "lorfque,  voyant  qu'il  y  a 
des  corps  qui  ne  penfent  point,  ou  plutoft  conceuant  tres-clai- 
rement  que  certains  corps  peuuent  eftre  fans  la  penfée,  i'ay  mieux 
aimé  dire  que  la  penfée  n'apartient  point  à  la  nature  du  corps, 
que  de  conclure  qu'elle  en  eft  vn  mode,  pource  que  l'en  voyois 
d'autres  (à  fçauoir  ceux  des  hommes)  qui  penfent  ;  car,  à  vray  dire, 
ie  n'ay  iamais  veu  ny  compris  que  les  corps  humains  enflent  des 
penfées,  mais  bien  que  ce  font  les  mefmes  hommes  qui  penfent 
&  qui  ont  des  corps.  Et  i'ay  reconnu  que  cela  fe  fait  par  la  compo- 
fition  &  l'aflemblage  de  la  fubftance  qui  penfe  auec  la  corporelle; 
pource  que,  confiderant  feparement  la  nature  de  la  fubftance  qui 
penfe,  ie  n'ay  rien  remarqué  en  elle  qui  puft  apartenir  au  corps, 
&  4ue  ie  n'ay  rien  trouué  dans  la  nature  du  corps,  confiderée  toute 
feule,  qui  peuft  apartenir  à  la  penfée.  Mais,  au  contraire,  examinant 

388  tous  les  modes,  tant  du  corps  |  que  de  l'efprit,  ie  n'en  ay  remarqué 
pas  vn,  dont  le  concept  ne  dependift  entièrement  du  concept  mefme 
de  la  chofe  dont  il  eft  le  mode.  Auffi,  de  ce  que  nous  voyons  fou- 
uent  deux  chofes  jointes  enfemble,  on  ne  peut  pas  pour  cela  inférer 
qu'elles  ne  font  qu'vne  mefme  chofe;  mais,  de  ce  que  nous  voyons 
quelquefois  l'vne  de  ces  chofes  fans  l'autre,  on  peut  fort  bien  con- 
clure qu'elles  font  diuerfes.  Et  il  ne  faut  pas  que  la.puiffance  de 
Dieu  nous  empefche  de  tirer  cette' confequence  ;  car  il  n'y  a  pas 
moins  de  répugnance  à  penfer  que  des  chofes  que  nous  conceuons 
clairement  &  diftindement  comme  deux  chofes  diuerfes,  foient 
faites!  vne  mefme  chofe  en  effence  &  fans  aucune  compofition,  que 
de  penfer  qu'on  puiffe  feparer  ce  qui  n'eft  aucunement  diftind.  Et 
partant,  fi  Dieu  a  donné  à  quelques  corps  la  faculté  de  penfer 
(comme  en  effet  il  l'a  donnée  à  ceux  des  hommes),  il  peut,  quand 
il  voudra,  l'en  feparer,  &  ainfi  elle  ne  laifle  pas  d'eftre  réellement 
diftinde  de  ce  corps". 

Et  ie  ne  m'eftonne  pas  d'auoir  autrefois  fort  bien  compris,  auant 
mefme  que  ie  me  fufl'e  deliuré  des  preiugez  de  mes  fens,  que 
deux  &  trois  ioints  enfemble  font  le  nombre  de  cinq,  &  que,  lorfque 
de  chofes  égales  on  ofîe  chofes  égales^  les  refies  font  égaux,  &  plu- 
fieurs  chofes  femblables,  bien  que  ie  ne  fongeafle  pas  alors  que 
l'ame  de  l'homme  fuft  diftinde  de  fon  corps;  car  ie  voy  très-bien 
que  ce  qui  a  fait  que  ie  n'ay  point   en   mon  enfance   donné   de 

389  faux  iugement  touchant  ces  propofitions  qui  font  refceufs  gencra- 

a.  Non  à  la  ligne  {r*  et  2*  édit.). 


443-446.  Sixièmes  Réponses.  245 

lement  de  tout  le  monde,  a  efté  parce  qu'elles  ne  m'eftoient  pas 
encore  pour  lors  en  vfage,  &  que  les  enfans  n'aprennent  point  à 
affembler  deux  auec  trois,  qu'ils  ne  foient  capables  de  iuger  s'ils  font 
le  nombre  de  cinq,  &c.  Tout  au  contraire,  dés  ma  plus  tendre  ieu- 
nefle,  i'ay  conceu  l'efprit  &  le  corps  (dont  ie  voyois  confufement 
que  i'eftois  compofé)  comme  vne  feule  &  mefme  chofe;  &  c'eft 
le  vice  prefque  ordinaire  de  toutes  les  connoiffances  imparfaites, 
d'affembler  en  vn  plufieurs  chofes,  &  les  prendre  toutes  pour  vne 
mefme;  c'eft  pourquoy  il  faut  par  après  auoir  la  peine  de  les  feparer, 
&  par  vn  examen  plus  exact  les  dirtinguer  le.s  vues  des  autres  •\ 

Mais  ie  m'eftonne  grandement  que  des  perfonnes  tres-doétes  & 
accoutumées  depuis  trente  années  aux  fpeciilations  Metaphfjîques, 
après  auoir  leu  mes  Méditations  plus  de  feptfoiSy  fe  perfuadent  que, 
fi  ie  les  relifois  auec  le  mefme  efprit  que  ie  les  examinerais  \fi  elles 
m'auoient  ejlé  propofées  par  vne  perfonne  ennemie  y  ie  ne  ferais  pas 
tant  de  cas  &  n'aurois  pas  vne  opinion  fi  auantageufe  des  raifons 
qu'elles  contiennent,  que  de  croire  que  chacun  fe  deuroit  rendre  à  la 
force  &  au  poids  de  leurs  vérité^  &  liaifons,  veu  cependant  qu'ils  ne 
font  voir  eux-mefmes  aucune  faute  dans  tous  mes  raifonnemens.  Et 
certes  ils  m'atribuent  beaucoup  plus  qu'ils  ne  doiuent,  &  qu'on  ne 
doit  pas  mefme  penfer  d'aucun  homme,  s'ils  croyent  que  ie  me 
férue  d'vne  telle  analyfe  que  ie  puiffe  par  fon  moyen  renuerfer  les 
démonilrations  véritables,  ou  donner  vne  telle  couleur  aux  |  faufles,  390 
que  perfonne  n'en  puilfe  iamais  découurir  la  fauUeté  ;  veu  qu'au 
contraire  ie  profeffe  hautement  que  ie  n'en  ay  iamais  recherché 
d'autre  que  celle  au  moyen  de  laquelle  on  peuft  s'affurer  de  la  cer- 
titude des  raifons  véritables,  &  découurir  le  vice  des  fauffes  ^  cap- 
tieufes.  C'elt  pourquoy  ie  ne  fuis  pas  tant  étonné  de  voir  des  per- 
fonnes tres-dodes  n'acquiefcer  pas  encore  à  mes  conclufions,  que  ie 
fuis  ioyeux  de  voir  qu'après  vne  fi  ferieufe  &  fréquente  ledure  de 
mes  raifons,  ils  ne  me  blâment  point  d'auoir  rien  auancé  mal  à 
propos,  ou  d'auoir  tiré  quelque  conclufion  autrement  que  dans  les 
formes.  Car  la  difficulté  qu'ils  ont  à  receuoir  mes  conclufions,  peut 
aifément  eilre  atribuée  à  la  coutume  inueterée  qu'ils  ont  de  iuger 
autrement  de  ce  qu'elles  contiennent,  comme  il  a  défia  elté  remarqué 
des  Aftronomes,  qui  ne  peuuent  s'imaginer  que  le  Soleil  foit  plus 
grand  que  la  terre,  bien  qu'ils  ayent  des  raifons  très-certaines  qui 
le  démontrent.  Mais  ie  ne  voy  pas  qu'il  puifley  auoir  d'autre  raifon 
pourquoy  ny  ces  Mefiieurs,  ny  perfonne  que  ie  fçache,  n'ont  peu 

a.  Non  à  la  ligne  {i''  et  2'  édit.). 


391 


244  Œuvres  de  Descartes.  446-447- 

iufques  icy  rien  reprendre  dans  mes  raifonnemens,  finon  parce 
qu'ils  font  entièrement  vrais  &  indubitables;  veu  principalement 
que  les  principes  fur  quoy  ils  font  appuyez,  ne  font  point  obfcurs, 
ny  inconnus,  ayant  tous  elté  tirez  des  plus  certaines  &  plus  eui- 
dentes  notions  qui  fe  prefentent  à  vn  efprit  qu'vn  doute  gênerai  de 
toutes  choies  a  defia  deliuré  de  toutes  fortes  de  |  preiugez  ;  car  il 
fuit  de  là  neceflairement  qu'il  ne  peut  y  auoir  d'erreurs,  que  |  tout 
homme  d'efprit  vn  peu  médiocre  n'euft  peu  facilement  remarquer. 
Et  ainfi  ie  penfe  que  ie  n'auray  pas  mauuaife  raifon  de  conclure, 
que  les  chofes  que  i'ay  écrites  ne  font  pas  tant  affoiblies  par  l'auto- 
rité de  ces  fçauans  hommes  qui,  après  les  auoir  leiies  attentiuement 
plufieurs  fois,  ne  fe  peuuent  pas  encore  laiifer  perfuader  par  elles, 
qu'elles  font  fortifiées  par  leur  autorité  mefme,  de  ce  qu'après  vn 
examen  fi  exad  &  des  reueiies  fi  générales,  ils  n'ont  pourtant  remar- 
qué aucunes  erreurs  ou  paralogifmes  dans  mes  demonllrations'. 

a.  Viennent  ensuite,  dans  rédiiion  de  1647,  ^^^  pièces  suivantes  : 
1"  Avertissement  di  Tradvcteur,  touchant  les  cinquièmes  Objeâ  ions  faites 
par  Monfieur  Gajfendy,  p.  393-396  ;  2"  Cinquièmes  ORit.cTio^s,  faites  par 
Monfieur  Gajfendy,  p.  397-535  ;  3°  Réponses  de  l'Avteur  aux  cinquièmes 
Objeâions  faites  par  Monfieur  Gaffendi,  p.  537-591  ;  4»  Lettre  de  Mon- 
sieur Dks-Cartes  a  Monsieur  C.  L.  R.,  f entant  de  réponfe  à  vn  recueil 
des  principales  injlances  faites  par  Monfieur  Gaffendi  contre  les  précé- 
dentes Réponfes,  p.  593-606.  —  Nous  avons  réimprimé  la  première  de 
ces  quatre  pièces,  p.  200-201  ci-avant,  ainsi  que  la  quatrième,  p.  202-217. 
Nous  avons  donné,  dans  la  Préface,  les  raisons  pour  lesquelles  nous 
n'avons  pas  cru  devoir  insérer  dans  ce  volume  les  pièces  deuxième  et 
troisième. 


EXTRAIT  DV  PRIVILEGE  DV  ROY 


Par  Grâce  &  Priuilege  du  Rqy,/tgné  Ceberet,  donné  à  Paris  le  4.  iour 
de  May  i(i3j,  il  ejl  permis  au  fieur  des  Cartes  d'imprimer  ou  faire  im- 
primer, par  qui  bon  lur  femblera,  toutes  fes  œuures  feparément  &  con- 
iointement,  &  ce  durant  le  temps  &  efpace  de  dix  années  confecutiues, 
défendant  à  tous  Libraires  &  Imprimeurs,  ou  autres  perfonnes,  de  quelque 
forte  &  condition  qu'ils puiffent  ejîre,  de  les  imprimer  ny  faire  imprimer 
fans  le  confentement  dudit  fieur,  ou  de  ceux  qui  auront  fon  droit,  à  peine 
de  mille  Hures  d'amande,  comme  il  eji  plus  au  long  porté  dans  lefdites 
Lettres. 

Et  ledit  Jieur  Des-Cartes  a  cédé  &  tranfporté  fon  Priuilege  à  la  Veuue 
lean  Camufat  &  Pierre  le  Petit,  pour  le  Liure  intitulé:  Méditations 
Metaphyliques  de  René  Des-Cartes  touchant  la  preniiere  Philofophie, 
&  pour  en  ioilir  comme  luy-mefme  fuiuant  l'accord  fait  entr'eux  le 
4.  Juin  1646. 


TABLE   DES   MATIERES 


Avertissement I 

Faux-titres  des  premières  éditions vu 

Le  Libraire  au  Lecteur i 

Epître  à  la  Sorbonne ' 4 

Abrégé  des  Méditations 9 

Première  Méditation i3 

Méditation  seconde i8 

»           troisième 27 

»            quatrième 42 

»           cinquième 5o 

»            sixième 57 

Premières  Objections 73 

Réponses     .     .     .     .  ^ 81 

Secondes  Objections 96 

Réponses 102 

»          Exposé  géométrique 124 

Troisièmes  Objections  et  Réponses i33 

Quatrièmes  Objections i53 

41ÉP0NSES 170 

Avertissement  de  l'auteur  touchant  les  Cinquièmes  Objections.  198 

Avertissement  du  traducteur 200 

LETTRE  DE  DESCARTES  A  CLERSELIER 202 

Sixièmes  Objections 218 

Réponses 22  5 

Privilège 245 


PRINCIPES 


DE    LA 


PHILOSOPHIE 


Œuvres.  IV. 


AVERTISSEMENT 


Les  Principes  de  la  Philosophie,  |  Efcrits  en  Latin  \  Par 
René  Descartes,  |  Et  traduits  en  François  par  vn  de/es  Amis, 
furent  publiés  à  Paris,  chez  Henri  Le  Gras,  m.dc.xlvii,  en  un  \(e>^-h 

volume  in-4,  de  487  pages  (plus  58  pages  non  numérotées 
pour  la  Dédicace,  la  Préface  et  la  Table  des  matières,  et  à  la 
fin  du  volume,  vingt  planches  pour  les  figures).  L'historique  de 
cette  traduction  se  trouve  à  sa  place  dans  la  Vie  de  Descartes, 
au  premier  volume  de  la  présente  édition.  On  ne  donnera  donc 
ici  que  les  renseignements  relatifs  au  texte  même. 

L'édition  française  de  1647,  comparée  à  l'édition  latine  de 
1644,  offre  d'abord  une  particularité  importante.  Entre  VEpiJîre 
ou  la  Dédicace  à  la  princesse  Elisabeth,  placée  en  tête  dans 
l'une  comme  dans  l'autre,  et  les  Principes  proprement  dits, 
Descartes  a  inséré,  dans  la  traduction,  une  Lettre  de  l'Autheur 
à  celuy  qui  a  traduit  le  Liure,  laquelle,  ajoute-t-il,  peut  icy 
Jeruir  de  Préface.  Cette 'pièce  étant  de  la  main  du  philosophe, 
on  l'imprimera  avec  les  mêmes  caractères  que  tous  les  textes 
originaux  ;  et  elle  figurera  en  tête,  puisqu'elle  constitue  l'addi- 
tion principale  à  la  traduction,  et  que  nous  n'avons  plus  les 
raisons  protocolaires,  qu'on  pouvait  avoir  au  xvii*  siècle,  d'im- 
primer d'abord,  et  avant  tout,  VEpiJîre  à  la  Serenijftme  Prin-- 
ceffe  Eli:{abeth.  Cette  Epijlre  viendra  ensuite,  en  français, 
suivie  aussitôt  de  la  traduction  des  Principes. 

Dans  l'édition  latine,  chacune  des  quatre  parties  des  Prin- 
cipes est  divisée  en  articles  numérotés,  et  chaque  article  est 
résumé  dans  une  phrase  qui  en  est  comme  le  titre.  L'édition 


IV  Avertissement. 

latine  donne  ces  petites  phrases  en  marge,  chacune  en  regard 
de  l'article  correspondant,  et  nous  avons  conservé  la  même 
disposition  typographique  dans  notre  volume  des  Priucipia 
Philosophiœ.  Mais,  dans  la  traduction  française,  la  chose  eût 
été  impossible  à  cause  des  caractères  employés.  Ceux-ci  étant 
plus  petits,  comme  pour  tous  les  textes  qui  ne  sont  pas  de 
Descartes  (à  savoir  du  9,  au  lieu  du  14),  il  serait  arrivé  que, 
pour  certains  articles  assez  courts,  le  résumé  en  marge  eût 
dépassé  la  dernière  ligne  et  se  fût  trouvé  finalement  en  regard 
de  l'article  suivant,  refoulant  par  suite  le  résumé  de  celui-ci, 
lequel  n'eût  plus  été  exactement  à  sa  place.  Nous  avons  donc 
été  forcés  de  mettre  les  résumés,  non  plus  en  marge,  mais  au 
milieu  de  chaque  page,  comme  des  titres,  avec  les  articles  au- 
dessous,  tandis  que  l'édition  française  de  1647,  imprimée  en 
caractères  assez  forts,  a  pu  laisser  les  sommaires  en  marge. 

Une  raison  de  même  ordre  a  décidé  la  place  où  nous  met- 
trions les  figures.  Elles  sont  assez  nombreuses  dans  l'édition . 
latine  (90,  chiffre  exact)  ;  mais  les  mêmes  se  trouvent  repro- 
duites plusieurs  fois  à  des  pages  différentes  :  tout  compte  fait, 
25  seulement  ne  servent  qu'une  seule  fois,  tandis  que  i3 
servent  deux  fois,  3  servent  trois  fois,  une  sert  quatre  fois^ 
une  autre  cinq  fois,  une  encore  jusqu'à  dix  fois,  et  même  une 
enfin  onze  fois,  ce  qui  réduit  les  quatre-vingt-dix  figures  à 
quarante-cinq  seulemeYit.  Pour  éviter  de  reproduire  si  souvent 
les  mêmes  dans  le  corps  du  volume,  l'édition  française  de  1647 
a  réparti  ces  quarante-cinq  figures  en  vingt  planches,  rejetées 
toutes  ensemble  à  la  fin.  En  marge  de  chaque  article,  aux  en- 
droits nécessaires,  une  indication  renvoie  le  lecteur  à  telle 
planche,  telle  figure,  et  les  planches  sont  insérées  de  façon 
qu'on  les  consulte  commodément.  Les  éditions  suivantes  n'ont 
d'ailleurs  pas  toutes  adopté  la  même  disposition  :  quelques-unes 
ont  préféré  mettre  chaque  figure  à  sa  place,  aussi  souvent  qu'il 
est  besoin,  au  risque  de  reproduire  plusieurs  fois  la  même, 
comme  faisait  l'édition  latine;  et  c'est  ce  qu'aurait  fait  aussi 
la   première  édition  française,  celle  de  1647,  sans  certaines 


Avertissement.  v 

raisons  que  l'éditeur  exj3lique  dans  une  petite  note*.  Néanmoins 
nous  ne  pouvions  faire  autrement  que  de  reproduire  les  vingt 
planches  à  la  fin  du  volume  :  nos  caractères  typographiques  en 
sont  toujours  la  cause.  En  effet,  vu  les  dimensions  réduites  de 
ces  caractères,  une  page  de  notre  édition  répond,  peu  s'en  faut, 
à  deux  de  l'édition  de  1647  ;  il  aurait  donc  fallu,  en  certains 
cas,  charger  de  plusieurs  figures  la  même  page,  chose  difficile, 
parfois  même  impossible,  pour  les  plus  grandes  figures,  à 
moins  de  les  réduire  ce  qui  eût  été  leur  faire  perdre  leur  net- 
teté et  surtout  leur  aspect  et  leur  style,  si  essentiel  à  conser- 
ver dans  une  édition  comme  celle-ci.  D'ailleurs,  nous  nous 
sommes  réservé,  dans  l'édition  latine,  où  les  caractères  ne  nous 
imposaient  plus  la  même  gêne  ni  contrainte,  de  suivre  fidèle- 
ment la  disposition  consacrée  par  l'édition  princeps  de  1644. 

Dirons-nous  aussi  un  mot  de  l'orthog^raphe  ?  L'édition  de 
1647  présente,  à  cet  égard,  une  certaine  uniformité,  qu'il  n'est 
pas  sans  intérêt  de  signaler. 

a.  Voici  cette  note,  insérée  dans  Tédition  de  1647,  à  la  suite  de  la  table 
des  matières  (laquelle  est  d'ailleurs  placée  en  tète,  entre  la  Préface  et  le 
texte  des  Principes). 

«   Table  des  Figures  qui  feruent  à  ce  Liure. 

«  Si  on  auoit  pu  trouuer  dans  Paris  quelque  artifan  qui  cuft  fccu  grauer 
»  en  bois,  l'Imprimeur  auroit  mis  chaque  figure  en  l'article  où  elle  doit 
»  feruir,  ce  qui  auroit  cfté  fans  doute  beaucoup  mieux  que  de  les  mettre 
»  toutes  à  la  fin  où  on  a  efté  contraint  de  les  placer;  d'autant  qu'vne  mefme 
»  figure  feruant  en  plufieurs  endroits,  il  auroit  fallu  l'imprimer  plufieurs 
»  fois,  &  le  Liure  auroit  efté  trop  gros  &  tres-difficilc  h  relier.  Je  n'ay  efté 
»  aduerty  de  cet  inconucnient  que  lors  que  l'Impreffion  a  efté  prefque 
»  acheuéc,  car  j'auois  touf-jours  fait  eftat  qu'on  meitroit  les  figures  entre 
»  les  pages  du  Liure  en  tous  les  endroits  où  il  en  feroii  befoin.C'eft  pour- 
»  quoy  je  vous  aduertis  que  vous  ne  vous  arrcfticz  point  aux  renuoys  qui 
»  ont  efté  mis  à  la  marge,  &  fi  en  lifani  quelque  article  vous  auez  peine  à 
»  choifir  la  figure  qui  feri  à  l'expliquer,  vous  en  ferez  foulagez  par  cette 
»  Table.  » 

Suit  une  longue  liste  des  articles  de  la  seconde,  de  la  troisièmCy  et  de  la 
quatrième  partie,  avec  l'indication  des  planches  et  des  figures,  en  regard 
de  chacun. 


VI  Avertissement. 

Règle  générale,  même  caractère  pour  v  et  pour  u,  au  com- 
mencement des  mots,  et  c'est  le  v  ;  même  caractère  aussi  pour 
ces  deux  lettres  dans  le  corps  des  mots,  et  c'est  toujours  l'w. 

Au  commencement  des  mots ,  le  j  est  distingué  de  Vi 
(exemple, /<2>^,  je  fuis,  etc.),  sauf  pour  les  majuscules  :  Jupiter, 
Tay,  le  fuis,  etc. 

A  la  fin  des  mots,  Vy  est  presque  toujours  mis  pour  1'/.' 
celuy,  cetiiy  (rare),  vray,  etc.  ;  sauf  cependant  pour  la  conjonc-. 
tion  ni,  qu'on  trouve  assez  souvent  avec  un  i.  Il  va  sans  dire 
que  la  première  personne  des  verbes  se  termine  aussi  par  y  : 
j'ay,  je  fçay,  etc.  et  même  quelquefois  je  dy. 

Au  pluriel,  les  noms  en  é,  au  lieu  d'ajouter  un  s  (es),  s'écrivent 
toujours  e{.  Il  n'y  a  point' d'exception. 

Gomme  formes  vieillies,  on  trouve  presque  partout  pource 
que,  et  non  parce  que.  Les  exceptions  sont  rares  :  on  en  ren- 
contre cependant  quelques-unes,  comme  si  la  forme  nouvelle 
parce  que  tendait  à  s'introduire  timidement.  Deux  fois  on  lit 
hurter  et  hurlent  (p.  96,  1.  i,  et  p.  97,  1.  32),  au  lieu  de  heur' 
ter  et  heurtent,  comme  déjà,  dans  le  Discours  de  la  Méthode, 
le  mot  ou  plutôt  la  prononciation,  hureux,  pour  heureux,  et 
aussi  dans  un  autographe  .de  Descartes  lui-même  (t.  I,  p.  16, 
1.  1 1).  Le  terme  fonde  est  conservé  également  (p.  86,  i3i,  etc.), 
au  lieu  de  fronde,  et  nous  savons  que  c'est  celui  dont  Des- 
cartes se  servait  [Correspondance,  t.  III,  p.  76, 1.  9).  De  même 
rejallir,  pour  rejaillir,  etc.  Particularité  intéressante,  étude,  ou 
plutôt  cjîude,  est  parfois  du  masculin  :  céteflude,  vn  efîude  ;  de 
même,  une  fois,  erreur  (p.  77, 1.  5-6).  Enfin  les  lettres  doubles, 
sans  être  systématiquement  simplifiées,  le  sont  cependant  d'or- 
dinaire :  lunetes,  eflincele,  flame,  preuienent,  etc. ,  pour  lunettes, 
étincelle,  flamme,  préviennent,  etc.  Somme  toute,  l'ortho- 
graphe de  cette  édition  est  assez  homogène,  et  plus  simple,  en 
bien  des  cas,  que  celle  des  éditions  suivantes,  du  xvii''  et  même 
du  xviii*  siècle.  Celles-ci  ne  sont  guère  en  progrès  que  sur  un 
point,  le  parce  que  substitué  au  pource  que  ;  mais  elles  re- 
viennent en  arrière  sur  bien  d'autres  :  des  lettres,  par  exemple, 


Avertissement.  vu 

supprimées  sans  scrupule  en  1647,  ^"t  été  rétablies,  Vs  dans 
ejiendue,  efgal,  paroijl,  etc.,  le  c  àdiXi^effed,  fruid,  etc.;  l'édi- 
tion de  1647  do""e  étendue,  égal,  paroit,  effets  fruit,  etc.  C'est 
elle,  bien  entendu,  que  nous  suivrons  scrupuleusement. 

Si  nous  insistons  quelque  peu  sur  cette  question  de  l'ortho- 
graphe, c'est  qu'elle  nous  achemine  à  un  gros  problème  qui  se 
pose  au  sujet  du  texte  même  de  la  traduction  française.  De  qui 
ce  texte  est-il  exactement?  De  l'abbé  Picot  seul,  qui  est,  comme 
on  sait,  «  l'ami  de  Descartes  »,  qui  a  traduit  le  livre  des  Prin- 
cipes ?  Ou  bien,  en  certains  endroits,  de  Descartes  lui-même, 
qui  a  revu  la  traduction?  Ou  même  peut-être,  car  on  serait 
tenté  d'aller  jusque-là,  de  Descartes  seul,  qui  aurait  alors  récrit 
en  français,  pour  une  partie,  sinon  en  entier,  ses  Principia 
Phiîosophiœ?  Le  problème  ne  se  posait  pas,  au  moins  dans 
les  mêmes  termes,  pour  les  deux  éditions,  française  et  latine, 
du  Discours  de  la  Méthode  et  Essais,  ni  même  pour  les  deux 
éditions,  latine  et  française,  des  Méditations.  Pour  le  Discours, 
en  effet,  une  note  explicite  de  Descartes  disait  quel  degré 
de  confiance  on  pouvait  accorder  à  la  traduction  latine,  et 
de  qui  étaient  les  modifications  et  additions,  somme  toute, 
assez  légères  :  à  savoir,  du  philosophe  lui-même  *.  Pour  les 
Méditations,  nous  avons  vu  quelle  était  la  part  du  duc  de 
Luynes,  celle  de  Clerselier,  et  comment  l'un  et  l'autre  ont 
rempli  leur  tâche  ;  et  dans  un  Avertissement  au  Lecteur,  le 
«  libraire  »,  parlant  au  nom  de  Descartes,  déclare  que,  «  lors 
que  cette  verjion  a  pajjé  fous  les  yeux  de  l'Auteur,  il  l'a  trou- 
uéeji  bonne,  qu'il  n'en  a  iamais  voulu  changer  le  flyle,  &  s'en 
efî  toufiours  défendu  par  fa  modefîie,  &  par  l'eflime  qu'il  fait 
de  fes  Traducteurs  ".  »  Pour  la  traduction  des  Principes,  nous 
n'avons  guère  qu'une  phrase,  la  première  de  la  Lettre-préface 
à  l'abbé  Picot  :  «  La  verfion  que  vous  aue{  pris  la  peine  de 
faire  de  mes  Principes  efl  fi  nette  &  fi  accomplie,  qu'elle  me 

a.  Voir,  au  volume  Discours  et  Essais,  p.  SSq. 

b.  Voir,  à  la  première  partie  du  présent  volume,  p.  3,  l.  11-44. 


VIII  Avertissement. 

fait'efperer  qu'ils  feront  leiis  par  plus  de  perfonnes  en  Fran- 
cois  qu'eu  Latin,  &  qu'ils  feront  mieux  entendus.  »  (Ci-après, 
p.  1,1.  5-9.)  Et  c'est  tout.  Or  il  est  clair  que  les  motsy?  nette 
etji  accomplie  se  rapportent  plutôt  à  la  forme  qu'au  fond  ;  ce 
sont  les  qualités  du  style  que  loue  le  philosophe,  lesquelles 
rendront  plus  aisée  la  lecture  du  livre,  et  non  pas  l'exactitude, 
la  fidélité  de  la  traduction,  dont  il  ne  dit  mot.  Non  pas  que 
Ton  doive  interpréter  ce  silence  comme  une  réserve  ou  un 
blâme  tacite  ;  mais  enfin  Descartes  ne  se  porte  pas  non  plus 
ici  garant  de  la  traduction  française  des  Principes,  comme  il 
l'avait  fait  expressément,  par  exemple,  pour  la  traduction 
latine  du  Discours  et  des  Essais.  Comparons  donc  Tun  à 
l'autre,  pour  édifier  notre  jugement,  l'original  latin  et  la  ver- 
sion française. 

Cette  comparaison,  au  moins  pour  les  deux  premières  par- 
ties, plutôt  métaphysiques,  comme  on  sait,  les  deux  autres 
étant  plutôt  scientifiques,  suggère  aussitôt  de  singulières  ré- 
flexions. D'abord,  en  ce  qui  concerne  la  forme  ou  le  style 
même,  le  latin  de  Descartes  n'est  pas  seulement  plus  sobre, 
plus  net,  plus  vigoureux,  tandis  que  les  expressions  françaises 
sont  souvent  incertaines,  plus  ou  moins  approximatives,  et 
molles  et  vagues  ;  mais,  comme  tours  de  phrases,  l'auteur  a 
parfois  un  style  coupé,  haché  même,  en  propositions  détachées 
les  unes  des  autres,  et  d'une  saisissante  brièveté,  tandis  que  le 
traducteur  se  plaît  à  réunir  deux  ou  trois  de  ces  propositions, 
et  les  relie  et  les  enserre,  à  l'aide  de  conjonctions  surajoutées, 
en  des  périodes  plus  ou  moins  longues,  encombrées  d'incises, 
et  qui  traînent  et  n'en  finissent  plus.  Si  bien  que,  chose  remar- 
quable, le  latin,  ici  singulièrement  dégagé,  de  Descartes  se 
rapproche  plus  du  français  moderne  et  paraît  en  avance,  à  cet 
égard,  sur  la  traduction,  tandis  que  le  français  de  Picot  retarde, 
sans  conteste,  et  se  rengage  sous  le  joug  du  latinisme  diffus 
en  usage  dans  l'Ecole.  Certes  on  ne  sera  pas  tenié,  après  une 
double  Icciurc  comparative,  d'attribuer  à  Descartes  la  version 
française  des  deux  premières  parties  :  elle  doit  être  de  Picot, 


Avertissement.  i.x 

• 

à  n'en  pas  douter  ;  et  même,  si  le  philosophe  a  pris  la  peine  de 
la  reviser,  on  se  prend  à  regretter  qu'il  ne  se  soit  pas  montré 
plus  exigeant  et  plus  sévère. 

Parfois,  en  effet,  la  version  est  si  négligée  qu'elle  en  devient 
inexacte.  Ainsi  ce  serait,  semble-t-il,  un  parti  pris  du  traduc- 
teur, d'éviter  les  mots  techniques,  comme  positive,  négative,  ■ 
objective,  modiis,  etc.  Ou  bien  il  les  supprime  (par  exemple, 
pages  32  et  37  ci-après),  ou  bien  il  les  rend  par  des  expressions 
peut-être  équivalentes.dans  la  langue  commune,  mais  qui  n'ont 
point  le  sens  particulier  et  précis  que  leur  donne  en  latin 
la  terminologie  philosophique  ou,  si  l'on  veut,  scolastique. 
Modus,  par  exemple,  est  traduit  négligemment  par  façon 
(p.  45,  etc.).  Pourtant  Descartes  ne  s'interdisait  pas  l'emploi 
de  ces  termes,  je  ne  dis  pas  seulement  en  latin,  mais  même  en 
français,  com>rc  il  le  déclare  expressément  dans  le  Discours  de 
la  Méthode  :  *  l'uferay,  s'il  vous  plaijî,  icy  librement,  dit-il, 
des  mots  de  l'SJchole^.  »  Et  les^  traducteurs  des  Aft/i/'/j/zo/w^ 
après  avoir  hésité  un  moment  à  s'en  servir,  les  trouvant  rudes 
&  barbares  dans  le  latin  me/me  &  beaucoup  plus  dans  le  fran- 
çois,  s'y  sont  résignés  de  bonne  grâce,  pour  une  raison  qui  est 
tout  à  leur  honneur  :  Ils  n'ont  ofé  les  obmettre,  parce  quil  eut 
fallu  changer  le  fens,  ce  que  leur  defendoit  la  qualité  d'Inter- 
prêtes  quils  auoient  prife  ".  On  eût  été  heureux  de  trouver  les 
mêmes  scrupules  chez  l'abbé  Picot  traducteur  des  Principes. 
Faute  de  cela,  il  oblige,  surtout  aujourd'hui,  où  Ton  a  d'autres 
exigences  qu'au  xvii'  siècle  en  matière  de  traduction,  les  lec- 
teurs des  Principes  à  1^^  lire  la  version  française  qu'avec  une 
extrême  défiance,  en  se  reportant,  pour  chaque  page,  disons 
mieux,  pour  chaque  ligne  et  pour  chaque  expression  même,  à 
l'original  latin,  crainte  de  se  laisser  induire  parfois  en  de  trom- 
peuses interprétations. 

Mais  la  version  offre  encore  d'autres  particularités.  D'abord 
maintes  phrases  se  trouvent  modifiées,  en  passant  de  latin  en   • 

a.  Voir,  au  volume  Di.^cours  de  la  Méthode,  etc.,  p.  34, 1,  26-27. 
b    Première  partie  de  ce  volume,  p.  3,  1.  4-5  et  1.  7-9. 

Œuvres.  IV.  » 


X  ■  Avertissement. 

français,  non  seulement  dans  la  forme,  toujours  plus  verbeuse, 
mais  souvent  aussi  pour  le  sens.  Et  Ton  se  demande  si  c'est 
bien  Picot  qui  a  pris  sur  lui  d'introduire  toutes  ces  modifica- 
tions, qui  ne  conservent  le  sens  qu'en  gros,  avec  des  suppres- 
sions ou  additions  de  détails,  ou  si  elles  ne  seraient  pas  l'œuvre 
de  Descartes  lui-même.  Au  moins  le  doute  ne  semble  pas  per- 
mis, lorsqu'il  s'agit,  comme  il  arrive  assez  fréquemment,  d'ad- 
ditions véritables,  de  phrases  entières  ajoutées  à  la  traduction, 
et  dont  il  n'y  a  point  trace  dans  le  latin  :  Descartes  sans  doute 
les  a  insérées  après  coup,  et  Picot  n'aurait  pas  osé  les  inventer 
de  toutes  pièces.  A  moins  que  ce  traducteur  trop  zélé  n'ait  cru 
de  son  devoir  d'expliquer,  à  sa  manière,  les  passages  qu'il  ne 
comprenait  pas  bien,  et  que  Descartes,  à  la  fois  pour  ne  pas 
désobliger  un  ami  et  pour  être  mieux  eniendUj  comme  il  le  dit, 
du  commun  des  lecteurs,  jugeant  utiles  et  bonnes  les  explica- 
tions de  Picot,  ne  les  ait  adoptées  et  finalement  laissées  comme 
siennes  dans  l'imprimé  de  1647.  Cependant  les  additions  de- 
viennent plus  nombreuses,  plus  longues  aussi,  et  à  tous  égards 
plus  importantes,  à  mesure  qu'on  avance  dans  la  troisième  et 
la  quatrième  partie,  au  point  qu'on  incline  de  plus  en  plus  à 
penser  qu'elles  ne  peuvent  être  que  de  l'auteur,  reprenant  la 
traduction  de  Picot,  afin  de  compléter  lui-même  et  de  perfec- 
tionner dans  le  français  sa  rédaction  latine  de  1644. 

Deux  témoignages,  l'un  et  l'autre  du  xvii'  siècle,  semblent 
d'abord  trancher  définitivement  la  question.  Le  premier  se 
trouve  dans  un  vieil  exemplaire  de  la  première  édition  des 
Principes  en  français,  celle  de  1647  :  les  marges  des  pages 
donnent  un  assez  bon  nombre  de  notes  manuscrites,  de  trois 
ou  quatre  écritures  différentes;  l'une  est  certainement  de 
l'abbé  Legrand,  qui  prépara,  nous  l'avons  vu,  une  édition  nou- 
velle des  Œuvres  de  Descartes,  mais  mourut  en  1704,  sans 
avoir  eu  le  temps  de  rien  publier.  Plusieurs  de  ces  notes  (non 
pas  celles  de  Legrand,  il  est  vrai),  remontent  à  l'année  1659; 
c'est  la  date  donnée  par  l'une  d'elles,  que  nous  reproduisons  à 
la  page  119  ci-après.  D'ailleurs  l'exemplaire  porte  à  la  pre- 


Avertissement.  xi 

mièrq  page  toute  une  série  d'indications,  la  plupart  datées,  dont 
la  plus  ancienne  est  de  i65i  et  les  plus  récentes  de  1677; 
aucune  de  celles-ci  non  plus  n'est  de  Legrand  '.  Mais  on  lit;  à 
la  page  i52  du  volume,  en  regard  de  l'article  41  de  la  3*  partie, 
la  note  suivante  (p.  121,  ci-après)  :  «  La  verfion  eji  depuis  icy 
de  ^/^  D.  (de  la  même  main  que  les  indications  de  la  première 
page  ;  la  suite,  au  contraire,  est  de  l'écriture  de  Legrand)  :  ce 
que  nous  jugeons  ainfy  a  caufe  de  l'original  que  nous  en  auàns 
entre  les  mains  écrit  de  la  propre  main  de  M^  Defc.  (cçs  trois 
derniers  mots  de  M^  Defc.  ont  été  barrés,  et  la  lettre  /  de  la 
corrigée  en/  de  façon  à  donner  :  de  fa  propre  main;  puis  le 
même  Legrand  ajoute  encore,  mais  d'une  écriture  un  peu  diffé- 
rente, comme  si  cette  dernière  partie  de  la  note  avait  été  écrite 
postérieurement)  :  Et  il  neft  pas  croyable  que,  Ji  cette  ver/ton 
netoit  pas  de  luy,  il  fe  fut  donné  la  peine  de  la  tranfcrire  luy 

a.  Voici  ces  notes  manuscrites  : 

«  Fay  preflé  a  M'  de  Braquen  la  Méthode  de  M'  des  Caries  le  q  No* 
i65i. 

«  Fay  prejîé  VAriJîote  à  M""  Frifon. 

«  Fay  prejié  S^  Bernard  à  M^  Hinfelin.  » 

(Ces  trois  lignes  barrées  de  traits  transversaux). . . 

«  Tante  magis  aliquid  ejî  perfeâius,  quanto  magis  fuœ  psrfeâioni  fu' 
biicitiir^  ftcut  corpus  animœ,  aer  luci  [creatura  creatori).  Domine  quia 
egoferuus  tuusfum.  » 

Suit  l'indication,  d'ailleurs  barrée,  de  divers  articles  des  parties  3*,  4°  et 
a*  des  Principes. 

Ensuite  un  titre  d'ouvrage,  et  deux  indications  : 

<T  Concordia  prœcipuorum  myfteriorum  fidei  cum  prœcipuis  materiis 
philofophiœ.  Authore  Thoma  Bonarte  Angle.  Coloniœ  Agripp.  » 

«  Philofophia  Cartejtana  non  contradicit  facrœ  Scripturœ  »  (ligne 
barrée). 

«  M'  le  Prat.  5'  à  l'Impr.  pour  tirer  j5o  feuilles  in-4'*  du  gros 
iiomain.  » 

«  Duval  excellent  graueur  en  bois.  Deuant  la  porte  du  Collège  de 
Reims.  » 

Une  adresse  intéressante  : 

«  Pour  efcrire  a  M""  Pollot,fyut  porter  les  lettres  a  M*"  Sara\in  Mede- 


XII  •  Avertissement.    . 

qui  d'ailleurs  et  oit  fi  accablé  d'affaires.  »  Legrand  a,  dit- il, 
l'original  entre  les  mains;  or  il  n'a  pu  le  recevoir  que  de  Cler- 
selier,  dépositaire  des  papiers  de  Descartes,  lequel  mourut  en 
1684;  cette  note  a  donc  été  écrite  entre  1684  et  170^. 

Le  second  témoignage  est  de  provenance  analogue.  Un  vieil 
exemplaire,  de  la  seconde  édition  des  Principes  cette  fois,  celle 
de  1659,  a  été  signalé  par  M.  Victor  Egger  dans  un  article  de 
la  Revue  philosophique^^  septembre  1890.  L'exemplaire  porte 
même  le  nom  de  son  ancien  possesseur,  Anne-Joseph  de  Beau- 
mont;  mais  les  notes  manuscrites,  qu'il  fournit  également  en 
grand  nombre,  seraient,  M.  Paul  Tannery  l'a  reconnu  par  une 
comparaison  d'écritures,  d'un  mathématicien  du  xvii'  siècle, 

cin  demeurant  rue  dts  Marest\  pre\  (ce  dernier  mot  barré  et  remplacé  par 
qui  aboutit  dans)  la  rue  de  Reims.  » 

«  A  Af'  Atphon^e  Poltot  a  Geneue.  le  luy  ay  ejcrit  le  i5  Juillet 
1662.  » 

(Pollot  était  revenu,  en  effet,  de  Hollande  à  Genève  vers  lôSg,  et  y 
mourut  le  8  octobre  1668.) 

Ensuite  un  renseignement  non  moins  intéressant  : 

«  Le  R.  P.  André  Martin,  prejîre  de  l'Oratoire,  m'eji  venu  voir  le  1 2 
Juillet  1OG2.  C'ejl  luy  qui  auoit  enfeigné  philofophiam  Augujlianam  que 
i'auois  notée,  &  qui  l'auoit  diâée  à  Angers,  €•  a  Marfeille,  G  première- 
ment au  Mans,  oit  l'on  n' auoit  pas  d'abord  voulu  qu'elle  fujl  Joutenue.  » 

Puis  deux  adresses  : 

«  Apud  Dominum  Louis  {?). 

JJabilat  D'  Burnet.  Rue  des  Bouclieries.  » 

«  M'  de  Majfy,  gendre  de  Mad"  Le  Beau,  pre\  S^-Geruais.   » 

Enfin  des  indications  de  prêts  de  livres  : 

1  Le  4  Décembre  ïOyy,  J'ay  prejlé  à  M^  l'Abbé  d'JJoJlel,  qui  ejludie 
au  Collège  du  Pleffis  en  phyfique,  vn  Arijlote  latin,  vn  Platon  latin,  la 
Metlwde  d^  M'  De/cartes,  les  Principes  de  Philofophie  de  M""  Dcfcartps, 
les  Méditations  Melaptiy/iques  de  A/'  Def cartes,  «S-  la  Phyfiqus  <de^ 
M*  Rohault  couuerte  de  bajane  verte,  fur  le  carton  de  laquelle  i'ay  efcrit 
le  mémoire  des  Hures  que  ie  luy  ay  prejle\,  &  le  iour  4  Décembre  iG'/j, 
&  luy  ay  offert  mes  autres  Hures.  » 

a.  Quinzième  année,  t.  XXX,  p.  3i5.  Le  passage  cité  se  trouve  p.  317- 
3i8. 


Avertissement.  xiii 

Ozanam.  Or,  juste  au  même  endroit  que  dans  l'exemplaire  pré- 
cédent, c'est-à-dire  en  regard  de  l'article  41  de  la  3'  partie 
(page  iSg  de  cette  seconde  édition),  une  de  ces  notes  donne 
l'indication  suivante  :  «  La  verjton  eft  demiis  ici  de  M^  Defc. 
M'  Clerjelier  a  le  rejfe  de  ce  livre  en  manufcrit  de  M^  De/cartes 
me/me.  Il  me  la  monjiré.  »  Clerselier  étant  mort  le  i3  avril 
1684,  c'est  donc  avant  cette  date  que  l'annotateur  a  vu,  de  ses 
propres  yeux,  che;5  le  fidèle  dépositaire  des  papiers  de  Des- 
cartes, le  manuscrit  original,  qui  est  bien  certainement  le 
même  que  l'abbé  Legrand  aura  plus  tard  entre  les  mains.  Ce 
second  témoignage  confirme  donc  le  premier,  et  tous  deux 
concordent  parfaitement. 

D'autre  part,  nous  avons  l'inventaire  des  papiers  de  Des- 
cartes, dressé  à  Stockholm  en  Suède,  le  i3  février  i65o,  le 
surlendemain  de  sa  mort.  Et  dans  cet  inventaire,  sous  la 
lettre  X,  on  trouve  la  mention  suivante  :  «  Soixante  &  neuf 
feuillets  dont  la  fuite  efl  interrompue  en  plujîeurs  endroits, 
contenant  la  dodrine  de  fes  Principes  en  françois  &  non  en- 
tièrement conformes  a  l'imprimé  latin.  »  Ce  signalement  ne 
répond-il  pas  fort  bien  aux  indications  de  nos  deux  anciens 
exemplaires,  bien  qu'il  soit  moins  explicite,  remarquons-le,  et 
ne  dise  pas  expressément  :  la  version  est  de  M.  Descartes?  Mais 
c'est  la  même  doctrine  que  celle  des  Principes,  et  elle  est  con- 
forme à  l'imprime  la, in,  quoique  non  entièrement.  D'où  l'on 
peut  conclure  qu'il  y  a  des  modifications,  et  même  des  addi- 
tions, insérées  dans  un  texte  d'ailleurs  semblable  à  cejui  de 
1644,  c'est-à-dire  (notons  la  chose,  elle  a  son  importance), 
divisé  comme  lui  en  articles,  et  présentant  la  même  forme 
adaptée  par  avance  à  l'enseignement  de  l'école.  Or  ces  modifi- 
cations et  additions  sont  précisément  les  particularités  que  pré- 
sente aussi,  comparé  au  latin,  l'imprimé  français  de  1647, 
donné  comme  une  version  de  l'original.  Ce  sont  les  annota- 
teurs de  nos  deux  anciens  exemplaires,  qui,  de  leur  propre 
autorité,  et  pour  s'expliquer  à  eux-mêmes  la  présence  d'un 
pareil  manuscrit  parmi  les  papiers  du  philosophe,  ont  imaginé 


XIV  Avertissement. 

que  la  version  était  de  lui,  parce  qu'elle  était  écrite  de  sa  main, 
à  partir  de  l'article  41  de  la  3*  partie.  Encore  l'abbé  Legrand 
a-t-il  été  pris  de  scrupule,  puisqu'il  a  ajouté  après  coup,  et 
comme  pour  répondre  à  une  objection,  cette  dernière  partie  de 
éa  note  :  «  Et  il  n'eji  pas  croyable  que,fi  cette  verfion  nétoit 
pas  de  luy,  il  Je  fut  donné  la  peine  de  la  tranfcrire,  luy  qui  d'ail- 
leurs étoitfi  accablé  d'affaires.  »  Un  doute  lui  était  donc  venu 
à  Tesprit,  qu'il  s'est  '  efforcé  de  dissiper.  Son  affirmation  en 
demeure  affaiblie  cependant  :  si  vraisemblable  qu'elle  paraisse, 
ce  n'est  plus,  comme  celle  de  l'autre  annotateur,  qu'une  hypo- 
thèse, une  conjecture. 

Nous  n'avons  point  retrouvé,  par  malheur,  les  soixante  et 
neuf  feuillets  (\WQ  mentionne  l'inventaire  du  i3  février  i65o,et 
qui  peut-être  auraient  fourni  quelque  indication  décisive.  Ils 
semblent  irrémédiablement  perdus.  Du  moins  pK)uvons-nous 
être  certains  d'une  chose  :  c'est  que  le  texte  qu'ils  contenaient 
n'était  point  différent  de  celui  qui  a  été  imprimé  dans  les  édi- 
fions successives  à  partir  de  1647.  Ni  Legrand,  en  effet,  ni 
Ozanam  qui  travaillaient  sur  des  exemplaires  de  1647  et  de 
1659,  ne  parlent  d'aucune  différence  entre  le  texte  imprimé 
qu'ils  annotaient  et  la  version  de  M^  Descartes,  dont  ils  ont  vu 
l'original  manuscrit.  Il  y  a  plus  :  la  quatrième  édition  desi^rm- 
c//7e,y,îachevée  d'imprimer  le  3i  juillet  1681,  porte,  à  la  suite 
du  titre,  cette  indication  qui  n'est  point  dans  les  précédentes  : 
«  Quatrième  édition  reveuë  &  corrigée  fort  exactement  par 
Monjieur  C  L  R,  »  Clerselier  (qui  est  l'éditeur  désigné  par 
ces  trois  lettres)  avait  entre  les  mains  le  manuscrit  original  de 
Descartes;  il  n'aura  pas  manqué  de  s'en  servir,  en  réimpri- 
mant les  Principes,  pour  corriger  et  améliorer,  s'il  y  avait 
lieu,  les  éditions  précédentes.  Or  entre  celles-ci  et  la  sienne, 
de  1681,  les  différences  sont  insignifiantes  :  toutes  portent  uni- 
quement sur  le  style,  pour  le  rajeunir  par  endroits  ou  le  rendre 
plus  correct,  sans  souci,  à  cet  égard,  du  manuscrit  original, 
dont  le  texte  de  1647  se  rapprochait  sans  doute  davantage. 
Bien  que  Clerselier  ne  paraisse  donc  pas  avoir  eu  un  respect 


Avertissement.  xv 

excessif  pour  la  lettre  même  de  son.  manuscrit,  on  peut  croire, 
en  tout  cas,  que  celui-ci  ne  différait  point,  sauf  peut-être  pour 
d'infimes  détails,  du  texte  imprimé  que  nous  possédons. 

Peut-on  savoir  maintenant  qui  est  le  véritable  auteur  de  ce 
texte  ?  Là-dessus,  en  dépit  des  deux  témoignages  ci-dessus- rap- 
portés et  réduits  à  leur  juste  valeur,  nous  avons,  par  contre,  les 
déclarations  formelles  de  Descartes  lui-même.  A  vrai  dire, 
bien  que  nous  suivions,  étape  par  étape,  dans  la  correspon- 
dance de  Descartes,  le  travail  entrepris  par  l'abbé  Picot  (envoi 
de  la  r«  partie,  puis  de  la  2%  puis  de  la  3'  et  enfin  de  la  4%  les- 
quelles deux  dernières  ont  donc  bien  été  traduites  aussi  par 
lui),  la  plupart  des  lettres  qui  se  rapportent  à  cette  question  ne 
nous  sont  point  parvenues  en  entier  :  nous  ne  les  connaissons 
que  par  des  résumés,  sans  doute  exacts  et  fidèles,  qu'en  a 
donnés  Baillet  dans  sa  Vie  de  M^  Descartes,  et  mieux  vaudrait 
sans  contredit  avoir  le  texte  même.  Mais,  en  revanche,  la  Pré- 
face ajoutée  par  le  philosophé  à  la  traduction  française  des 
Principes  est  uéjà  assez  explicite  :  Lettre  de  l'Autheur  à  celuy 
qui  a  traduit  le  Liure.  Il  dit  bien  le  Liure,  et  non  pas  seule- 
ment la  première  et  la  seconde  parties  du  livre.  De  même  le 
titre  qu'il  a  laissé  mettre,  sinon  fait  mettre  lui-même,  en  tête 
de  l'ouvrage,  ne  fait  aucune  restriction  ni  réserve  :  Les  Prin^ 
cipes  de  la  Philofophie,  efcrits  en  latin  par  René  Defcartes, 
&  traduits  en  français  par  vn  de  fes  Amis.  A  Descartes  l'ori- 
ginal latin;  mais  à  son  ami,  la  traduction  française.  Nous 
avons  mieux  encore  :  une  lettre  de  Descartes  à  Picot  lui-même, 
une  lettre  entière,  cette  fois,  et  non  plus  un  résumé  de  lettre, 
du  17  février  i645\  Descartes  a  reçu  la  traduction  de  la  troi- 
sième partie,  tout  entière  sans  doute;  car  elle  comprend  iSy 
articles,  et  il  répond  à  des  difficultés  proposées  par  son  ami  au 
sujet  des  articles  36,  74  et  i55.  Or,  d'après  nos  annotateurs, 
Ozanam  et  Legrand,  la  traduction  serait  de  Descartes  lui- 
même,  à  partir  de  l'article  41  de  cette  troisième  partie.  Nous 

a.  Voir  Correspondance  de  Descartes,  t.  IV  de  cette  édition,  p.  180- 
i83. 


XVI  Avertissement, 

voyons  que  Picot  l'avait  certainement  aussi  traduite  jusqu'à 
l'article  i55  inclus,  autant  dire  jusqu'à  la  fin.  Mais  peut-être 
Descartes  a-t-il  été  peu  satisfait  de  la  traduction  de  l'abbé  Picot, 
au  point  d'éprouver  le  besoin  de  la  refaire  presque  entièrement 
lui-même?  Point  du  tout;  car  il  commence  par  déclarer,  bien 
qu'il  ne  l'ait  pas  encore  toute  lue,  que  «  ce  qu'il  en  a  veu,  eft 
aujjy  bien  qu'il  le  fçauroit  fouhaiter.  Comme  aufft,  conti- 
nue-t-il,  les  difficulte:{  que  pous  me  propofe{,  moiijîrent  que 
vous  entendei  parfaitement  la  matière;  car  elles  n' aur oient  pii 
tomber  en  l'efprit  d'vne  perfonne  qui  ne  l'entendroit  quefuperji- 
ciellement  *.  »  Et  il  ajoute  enfin,  apr^ès  une  explication  demandée 

.  par  Picot  au  sujet  de  l'article  i55  :  «  /e  n'auois  pas  pris  la  peine 
de  déduire  cette  particularité  tout  au  long,  à  caufe  que  i'auois 
crû  que  perfonne  n'y  regarder  oit  de  fi  prés  que  vous   aue\ 

fait^.  p  Ces  textes  sont  décisifs,  et  ne  nous  laissent  aucune 
raison  de  dénier  à  Picot,  pour  sa  traduction  française,  la 
paternité  que  Descartes  lui-même  lui  reconnaît  en  termes  si 
élogieux. 

Comment  expliquer  alors  ce  manuscrit  de  soixante-neuf 
feuillets,  inventorié  parmi  les  papiers  de  Descartes,  et  qui  a 
donné  lieu  à  la  conjecture  de  Legrand,  d'Ozanam,  et  peut-être 
de  Clerselier  lui-même?   Le   plus  simplement  du  monde,  ce 

'semble.  Le  philosophe,  tout  en  se  déclarant  satisfait  de  la  tra- 
duction de  Picot,  a  fort  bien  pu  ne  plus  l'être,  en  1645  et  1646, 
de  sa  propre  rédaction  imprimée  en  1644;  et  afin  de  rendre  sa 
pensée  plus  claire,  il  aurait  apporté  lui-même,  en  français,  des 
modifications  et  des  additions  à  son  texte  latin.  Nous  ne  pou- 
vons savoir  en  quel  état  exactement  était  le  manuscrit  envoyé 
par  Picot  ;  mais  comme  tous  les  manuscrits  qui  ont  reçu  des 
ratures,  des  corrections  et  des  surcharges,  il  devait  être  peu 
lisible  assurément,  après  avoir  été  revu  et  remanié  par  Des- 
cartes. U  a  eu  donc  besoin  d'être  recopié.  Sans  doute  Des- 
cartes aurait  pu  se  décharger  de  cette  besogne  sur  un  secré- 

a.  Correspondance,  t.  IV,  p.  181,  1.  a-7. 

b.  /*i</.,  p.  i83,  1.  2-5. 


;  Avertissement/  xvh 

taire;  mais  qui  pouvait,  mieux  que  lui,  se  retrouver  dans  ce 
grimoire  que  le  manuscrit  était  sans  doute  devenu  par  son  fait? 
Qui  aurait  su,  mieux  que  lui,  insérer,  chacun  à  sa  place,  tous 
les  changements  qu'il  avait  introduits  lui-même?  Il  aura  donc 
recopié  de  sa  main  ce  nouyeau  texte,  où  subsistait  quand  même 
la  version  de  Picot,  mais  avec  ses  propres  modifications  et 
additions,  intercalées  chacune  au  bon  endroit  et  ajustées  toutes 
comme  il  convenait,  si  bien  que  le  manuscrit  transformé  de  la 
sorte  pouvait  passer,  à  première  vue  et  avant  une  réflexion  et 
une  étude  approfondies,  pour  une  traduction  nouvelle,  refaite 
entièrement,  ou,  comme  le  disent  nos  annotateurs,  pour  la  ver- 
sion  de  M^  Desc.  Et  elle  est  bien  de  lui,  si  l'on  veut,  en  ce  sens 
qu'il  l'a  avouée  après  y  avoir  mis  beaucoup  du  sien;  mais  elle 
n'en  reste  pas  moins  de  l'abbé  Picot  primitivement,  et  pour  la 
plus  grande  part,  puisque  celui-ci  a  fourni  le  fond  principal, 
auquel  se  sont  ajoutés  les  remaniements  de  Descartes.  Cette 
solution  du  problème  '  explique  tout  :  d'une  part,  les  i>otes 
signalées  dans  les  deux  anciens  exemplaires,  et  la  mention 
faite  à  l'inventaire  du  i3  février  i65o;  de  l'autre,  les  témoi- 
gnages du  philosophe,  soit  en  tête  de  l'édition  de  1647,  soit 
dans  sa  lettre  à  Picot  du  17  février  1645. 
^  Reconnaissons  toutefois  que  certaines  additions,  au  moins, 
soht  authentiquement  de  Descartes,  et  cela  parce  que  lui-même 
l'a  déclaré.  Dans  une  lettre  à  Clerselier",  également  du  17  fé- 
vrier 1645,  il  répond  d'abord  à  des  objections  au  sujet  de  ses 
règles  du  mouvement;  puis  il  termine  par  cette  phrase  signifi- 
cative :  «  Il  faut  pourtant  icy  que  te  vous  auoiie  que  ces  règles 
ne  font  pas  fans  difficulté  ;  &  te  tafcherois.de  les  éclaire ir 
dauantage,  Ji  t'en  efiois  maintenant  capable;  mais  pour  ce  que 
lay  l'efpril  occupé  par  d'autres  penfées,  i'atlendray,  s'il  vous 

a.  C'est  aussi  celle  que  suggérait  déjà  M.  Victor  Egger,  dans  Tarticie 
précédemment  cité:  «  Peut-être  Descartes  avait-il  recopié  la  traduction  de 
Picot  en  la  corrigeant  à  mesure.  »  [Revue  philosophique  y  1890,  t.  XXX, 
p.  3iS.) 

b.  Correspondance,  t.  IV  de  cette  édition,  p.  i83. 


XVIII  Avertissement. 

platft,  à  vne  autre  fois,  à  vous  en  mander  plus  au  long  mon 
opinion^.  »  Il  a  tenu  parole,  non  pas,  il  est  vrai,  dans  une  autre 
lettre  à  Clerselier,  mais  en  remaniant  dans  la  traduction  fran- 
çaise ce  qu'il  avait  mis  de  ces  règles  dans  le  texte  latin:  nulle 
part,  en  effet,  les  modifications  et  additions  ne  sont  aussi  im- 
portantes qu'en  cet  endroit,  articles  46  à  52  de  la  seconde  partie 
(p.  89-93  ci-après).  Et  plus  tard,  le  16  avril  1648,  des  difficultés 
sur  ces  mêmes  règles  lui  étant  proposées  par  Burman,  qui 
ne  les  connaissait  que  par  l'édition  latine  de  1644,  Descartes 
le  renvoie  aux  explications  données  par  lui  dans  l'édition 
française  de  1647".  Pour  d'autres  additions  encore,  bien  qu'on 
n'a*t  plus,  comme  pour  celles-ci,  les  déclarations  expresses 
du  philosophe,  on  peut  être  convaincu  qu'elles  sont  de  lui  seul, 
et  non  point  de  Picot,  notamment  dans  la  dernière  partie, 
surtout  à  la  fin. 

La  conséquence  de  ce  qui  précède  eût  été  d'imprimer  en 
caractères  différents,  afin  de  les  rendre  distincts  au  simple  coup 
d'oeil,  les  passages  qui,  traduisant  à  peu  près  le  latin,  sont  par 
conséquent  de  l'abbé  Picot,  et  ceux  qui,  ajoutés  ou  même  sim- 
plement modifiés,  sont  vraisemblablement  de  Descartes.  Mais 
il  aurait  fallu  pour  cela  employer  jusqu'à  trois  sortes  de  carac- 
tères :  d'abord  des  caractères  romains  (module  10)  pour  la  tra- 
duction pure  et  simple,  puis  des  caractères  italiques  (même 
module)  pour  les  passages  qui  ne  sont  que  modifiés,  enfin  les 
caractères  mêmes  du  texte  de  Descartes  (romains,  module  14) 
pour  les  additions.  Typographiquement,  l'effet  n'aurait  pas  été 
heureux;  mais  surtout  le  lecteur  pouvait  parla  être  induit  en 
erreur  :  car  enfin  sommes-nous  sûrs  que  toutes  les  additions  sont 
de  Descartes  lui-même?  Quelques-unes  au  moins  ne  peuvent- 
elles  pas  avoir  été  proposées  par  Picot  ?  Sans  doute  elles  ont 
été  acceptées  ensuite  et  adoptées  par  le  philosophe;  mais  enfin 
doivent-elles  être  signalées  à  l'attention  au  même  titre  que  les 

a.  Correspondance,  t.  IV,  p.  187, 1.  12-17, 

b.  Ibid.,  t.  V,  p.  168. 


Avertissement.  xix 

autres,  qui  sont  bien  personnelles  à  celui-ci  ?  Il  y  aurait  peut- 
être  ainsi  deux  sortes  d'additions,  et  il  est  bien  difficile  de  dis- 
tinguer entre  elles.  Nous  ne  sommes  pas  sûrs  davantage  que 
toutes  les  modifications  que  Ton  constate,  en  comparant  nombre 
de  phrases  françaises  aux  phrases  latines  correspondantes^  ont 
été  introduites  par  Descartes;  pourquoi  quelques-unes  au  moins 
ne  seraient-elles  pas  le  fait  de  Picot  ?  Et  encore  une  fois  com- 
ment distinguer  les  unes  des  autres  ?  Dans  cette  incertitude 
générale,  nous  avons  pris  le  parti  suivant  :  imprimer  en  ita- 
liques tout  ce  qui,  pour  une  cause  ou  pour  une  autre,  s'écarte 
du  texte  latin,  soit  pour  le  modifier,  soit  pour  y  ajouter  (en 
outre,  plusieurs  points  çà  et  là  indiquent,  car  il  y  en  a  aussi,  les 
omissions  et  suppressions).  Les  caractères  italiques  serviront 
donc  seulement  à  mettre  en  garde  le  lecteur,  à  l'avertir  de 
faire  attention  :  telle  phrase,  telle  expression  même  parfois, 
n'est  plus  conforme  au  texte  latin.  Qu'est-ce  donc  ?  Peut- 
être  une  simple  modification,  rien  de  plus;  peut-être  toute 
une  addition.  Au  lecteur  à  vérifier  la  chose,  et  à  se  faire 
ensuite  lui-même  une  opinion,  sur  la  provenance  comme 
sur  l'importance  du  texte  nouveau.  Notre  devoir  d'éditeur 
ne  pouvait  aller  au  delà  d'un  simple  avertissement  à  son 
adresse. 

La  conclusion  qui  s'impose,  à  la  suite  de  toutes  ces  ré- 
flexions, est  qu'on  ne  devra  jamais  lire  les  Principes  en  fran- 
çais, sans  avoir  en  même  temps  l'original  latin  sous  les  yeux. 
On  peut,  à  la  rigueur,  pour  le  Discours  de  la  Méthode  et  les 
Essais,  s'en  tenir,  indifféremment,  soit  à  l'original  français, 
soit  à  la  traduction  latine,  bien  qu'il  soit  toujours  préférable  de 
collationner  les  deux  textes.  On  peut  aussi,  avec  moins  d'assu- 
rance cependant,  pour  les  Méditations^  lire  ou  bien  l'original 
latin  ou  bien  la  traduction  française,  quoiqu'ici  le  latin  doive 
conserver,  à  tous  égards,  la  priorité.  Mais,  pour  les  Principes 
de  la  Philosophie,  on  ne  saurait  se  contenter  du  latin  seul  :  il  y 
manque  trop  de  choses,  qui  ont  été  ajoutées  ou  modifiées  dans 
la  traduction;  ni  du  français  seulement  :  s'il  est  souvent  supé- 


XX  Avertissement. 

rieur  au  latin,  à  cause  des  modifications  et  additions  qu'il 
fournit,  encore  faut-il  connaître  celles-ci  d'abord,  et  de  quelle 
nature  elles  sont;  puis  il  est  trop  souvent  inférieur  aussi  pour 
la  netteté  de  la  pensée  et  de  l'expression,  et  ne  présente  que 
trop  d'inexactitudes.  Il  est  donc  nécessaire  de  ne  jamais  sé- 
parer l'une  de  l'autre  la  lecture  des  Principes  de  la  Philosophie 
et  celle  des  Principia  Philosophiœ. 

C.  A. 

Nancy,  io  décembre  1904. 


LES    PRINCIPES 

PHILOSOPHIE 

DE  RENE^  DESCARTES, 

^  AT  RIE  ME  EDITION. 

Reveuë  &:  corrigée  fort  exadement 
par  Monfieur  CLR. 

Avec  des  Figures  dans  le   corps  du  Livre  \ 

Et  celles  en  taille- douce ,  de  la  première  Edition  ^  mijes 
à  la  fin  du  Livre* 


A       PARIS, 

Chez  Théodore    Girard,  dans  la  grand    Salle 

du  Palais ,  du  coftc  de  la  Salle  Dauphme ,  à  l'Envie. 

Mr~PC.     LXXXI.  ~ 

AVEC    PRIVILEGE   DV    ROr. 


LETTRE  DE  L'AVTHEVR 

A    CELVY    QVI   A   TRADVIT    LE    LIVRE, 
laquelle  peut  icy  feruir  de  Préface^'. 

Monfieur, 

La  verfion  que  vous  auez  pris  la  peine  de  faire  de 
mes  Principes  efl  fi  nette  &  fi  accomplie,  qu'elle  me 
fait  efperer  qu'ils  feront  leus  par  plus  de  perfonnes 
en  François  qu'en  Latin,  &  qu'ils  feront  mieux  enten- 
dus, l'appréhende  feulement  que  le  titre  n'en  rebute 
plufieurs  qui  n'ont  point  efté  nourris  aux  lettres,  ou 
bien  qui  ont  mauuaife  opinion  de  la  Philofophie,  à 
caufe  que  celle  qu'on  leur  a  enfeignée  ne  les  a  pas  con- 
tentez ;  &  cela  me  fait  croire  qu'il  feroit  bon  d'y  ajd- 
joufler  vne  Préface,  qui  leur  declaraft  quel  efl  le  fujet 
du  Liure,  quel  deffein  j'ay  eu  en  l'écriuant,  &  quelle 
vtilité  on  en  peut  ti^^r.  Mais  encore  que  ce  feroit  à 
moy  de  faire  cette  Préface,  à  caufe  que  je  doy  fçauoir 
ces  chofes-là  mieux  qu'aucun  autre,  je  ne  puis  rien 
obtenir  de  moy-mefme,  finon  que  je  mettray  |  ici  en    (lo, 

a.  L'Abbé  Claude  Picot,  Prieur  du  Rouvre.  —  Voir  Correspondance, 
t.  IV,  p.  '47,  175,  181,  222  ;  t.  V,  p.  66.  Cf.  ibidem,  t.  V,  p.  78-79. 

b.  Dans  l'édition  princeps  de  1647,  cette  Lettre  n'est  imprimée  qu'après 
VEpitre  à  la  princesse  Eli:{abeth,  traduite  du  latin,  et  placée  en  tête.  Ni 
VEpître  ni  la  Lettre  ne  sont  paginées.  —  Voir  aussi,  pour  cette  Lettre, 

.  V,  p.  I I i-i 12. 

Œuvres.  IV.  f7 


2  Œuvres  de  Descartes. 

abrégé  les  principaux  points  qui  me  fembient  y  de- 
uoir  eftre  traittez  ;  &  je  laiffe  à  voïlre  difcretion  d'en 
faire  telle  part  au  public  que  vous  jugerez  eftre  à 
propos. 

Taurois  voulu   premièrement  y  expliquer  ce  que      5 
c'eft  que  la   Philofophie,  en  commençant   par   les 
chofes  les  plus  vulgaires,  comme  font  :  que  ce  mot 
Philofophie  fignifie  Feftude  de  la  SagelTe,  &.  que  par 
la  Sageffe  on  n'entend   pas  feulement  la  prudence 
dans  les  affaires,   mais  vne  parfaite  connoiffance  de     «o 
toutes  les  chofes  que  l'homme  peut  fçauoir,  tant  pour 
la  conduite  de  fa  vie,  que  pour  la  conferuation  de  fa 
fanté  &  rinuention  de  tous  les  arts  ;  &  qu'afin  que 
cette  connoiffance  foit  telle,  il  efl  necelfaire  qu'elle 
foit  déduite  des  premières  caufes,  en  forte  que,  pour    i5 
eftudier  à  l'acquérir,  ce  qui  fe  nomme  proprement 
philofopher,  il  faut  commencer  par  la  recherche  de 
ces  premières  caufes,  c'ell:  à  dire  des  Principes;  & 
que  ces  Principes  doiuent  auoir  dewx  conditions  : 
Tvne,  qu'ils  foient  fi  clairs*  &  fi  éuidens  que  l'efprit    20 
humain  ne  puifTe  douter  de  leur  vérité,  lorfqu'il  s'ap- 
plique auec  attention  à  les  confiderer  ;  l'autre,  que 
ce  foit  d'eux  que  dépende  la  connoiffance  des  autres 
chofes,  en  forte  qu'ils  puiffent  eflre  connus  fans  elles, 
mais  non  pas  réciproquement  elles  fans  eux;  &  qu'a-    ^5 
il.     près  cela  il  |  faut  tafcher  de  déduire  tellement  de 
ces  principes  la  connoiffance  des  chofes  qui  en  dé- 
pendent, qu'il  n'y  ait  rien,  en  toute  la  fuite  des  dé- 
ductions qu'on  en  fait,  qui  ne  foit  tres-manifefle.  Il 
n'y  a  véritablement  que  Dieu  feul  qui  foit  parfaite-.   3 
ment  Sage,  c'cfl  a  dire  qui  ait  l'enticrc  connoiffance 


Principes.  —  Préface.  } 

de  la  vérité  de  toutes  chofes  ;  mais  on  peut  dire  que 
les  hommes  ont  plus  ou  moins  de  Sagefl'e,  à  raifon 
de  ce  qu'ils  ont  plus  ou  moins  de  connoiffance  des 
veritez  plus  importantes.  Et  je  croy  qu il  ny  a  rien 
5  en  cecy,  dont  tous  les  doftes  ne  demeurent  d'accord, 
l'aurois  en  fuite  fait  confiderer  l'vtilité  de  cette  Phi- 
lofophie,  &  monftré  que,  puis  qu'elle  s'eflend  à  tout 
ce  que  l'efprit  humain  peut  fçauoir,  on  doit  croire 
que  c'eft  elle  feule  qui  nous  diflingue  des  plus  fau- 

10  uages  &  barbares,  &  que  chaque  nation  eft  d'autant 
plus  ciuilifée  &  polie  que  les  hommes  y  philofophent 
mieux;  &  ainfi  que  c'efl  le  plus  grand  bien  qui  puifle 
eftre  en  vn  Eftat,  que  d'auoir  de  vrais  Philofophes. 
Et  outre  cela,  que,  pour  chaque  homme  en  particu- 

i5  lier,  il  n'eft  pas  feulement  vtile  de  viure  auec  ceux 
qui  s'appliquent  à  cet  eftude,  mais  qu'il  eft  incom- 
parablement meilleur  de  s'y  appliquer  foy-mefme; 
comme  fans  doute  il  vaut  beaucoup  mieux  fe  feruir 
de  fes  propres  yeux  pour  fe  conduire,  &  jouir  par 

20    mefme  moyen  de  ]  la  beauté  des  couleurs  &  de  la    (12) 
lumière,  que  non  pas  de  les  auoir  fermez  &  fuiure  la 
conduite  d'vn  autre  ;  mais  ce  dernier  eft  encore  meil- 
leur, que  de  les  tenir  fermez  &  n'auoir  que  foy  pour 
fe  conduire.  C'eft  proprement  auoir  les  yeux  fermez, 

2  5  fans  tafcher  jamais  de  les  ouurir,  que  de  viure  fans 
philofopher;  &  le  plaifir  de  voir  toutes  les  chofes 
que  noftre  veuë  découure  n'eft  point  comparable  à 
la  fatisfaftion  que  donne  la  connoiflance  de  celles 
qu'on  trouue  par  la  Philofophie  ;  &  enfin  cet  eftude 

3o  eft  plus  neceflaire  pour  régler  nos  mœurs,  &  nous 
conduire  en  cette  vie,  que  n'eft  l'vfage  de  nos  veux 


4  Œuvres  de  Descartes. 

pour  guider  nos  pas.  Les  beftes  brutes,  qui  n'ont 
que  leurs  corps  à  conferuer,  s'occupent  continuel- 
lement à  chercher  de  quoy  le  nourrir  ;  mais  les 
hommes,  dont  la  principale  'partie  eft  l'efprit,  de- 
uroient  employer  leurs  principaux  foins  à  la  re-  5 
cherche  de  la  Sageffe,  qui  en  eft  la  vraye  nourriture  ; 
&  je  m'affure  aufli  qu'il  y  en  a  plufieurs  qui  n'y  man- 
qu  .roient  pas,  s'ils  auoient  efperance  d'y  reûffir,  & 
qu  ils  fceuflent  combien  ils  en  font  capables.  Il  n'y  a 
point  d'ame  tant  foit  peu  noble,  qui  demeure  fi  fort  lo 
attachée  aux  objets  des  fens,  qu'elle  ne  s'en  détourne 
quelquefois  pour  fouhaiter  quelque  autre  plus  grand 
bien,  nonobftant  qu'elle  ignore  fouuent  en  quoy  il 
(13)  confifte.  Ceux  que  la  fortune  |  fauorife  le  plus,  qui 
ont  abondance  de  fanté,  d'honneurs,  de  richeffes,  ne  i5 
font  pas  plus  exempts  de  ce  defir  que  les  autres  ;  au 
contraire,  je  me  perfuade  que  ce  font  eux  qui  fou- 
pirent  auec  le  plus  d'ardeur  après  vn  autre  bien,  plus 
fouuerain  que  tous  ceux  qu'ils  pofTedent.  Or  ce  fou- 
uerain  bien,  confideré  par  la  raifon  naturelle  fans  la  20 
lumière  de  la  foy,  n'eft  autre  chofe  que  la  connoif- 
fance  de  la  vérité  par  fes  premières  caufes,  c'eft  à  dire 
la  Sageffe,  dont  la  Philofophie  eft  l'eftude.  Et,  pource 
que  toutes  ces  chofes  font  entièrement  vrayes,  elles 
ne  feroient  pas  difficiles  à  perfuader,  û  elles  eftoient  25 
bien  déduites. 

Mais,  pource  qu'on  eft  empefché  de  les  croire  par 
l'expérience,  qui  monftre  que  ceux  qui  font  profeffion 
d'eftre  Philofophes,  font  fouuent  moins  fages  &  moins 
raifonnables  que  d'autres  qui  ne  fe  font  jamais  appli-    3o 
quez  à  cet  eftude,  j'aurois  icy  fommairement  expliqué 


Principes.  —  Préface.  5 

en  quoy  confifte  toute  la  fcience  qu  on  a  maintenant, 
&  quels  font  les  degrez  de  Sageffe  aufquels  on  eft 
paruenu.  Le  premier  ne  contient  que  des  notions  qui 
font  fi  claires  d'elles  mefmes  qu'on  les  peut  acquérir 
5  fans  méditation.  Le  fécond  comprend  tout  ce  que  l'ex- 
périence des  fens  fait  connoiflre.  Le  troifiéme,*ce  que 
la  conuerfation  des  autres  hommes  nous  enfeigne. 
A  I  quoy  on  peut  adjoufter,  pour  le  quatrième,  la  le-  (!♦) 
dure,  non  de  tous  les  Liures,  mais  particulièrement 

10  de  ceux  qui  ont  efté  écrits  par  des  perfonnes  capables 
de  nous  donner  de  bonnes  inftru6tions,  car  c'eft  vne 
efpece  de  conuerfation  que  nous  auons  avec  leurs 
autheurs.  Et  il  me  femble  que  toute  la  Sageffe  qu'on 
a  couftume  d'auoir  n  eft  acquife  que  par  ces  quatre 

i5  moyens;  car  je  ne  mets  point  icy  en  rang  la  reuela- 
tion  diuine,  pource  qu'elle  ne  nous  conduit  pas  par 
degrez,  mais  nous  éleue  tout  d'vn  coup  à  vne  créance 
infaillible.  Or  il  y  a  eu  de  tout  temps  de  grands 
hommes  qui  ont  tafché  de  trouuer  vn  cinquième  de- 

20  gré  pour  paruenir  à  la  Sageffe,  incomparablement 
plus  haut  &  plus  affuré  que  les  quatre  autres  :  c'eft 
de  chercher  les  premières  caufes  &  les  vrays  Principes 
dont  on  puiffe  déduire  les  raifons  de  tout  ce  qu'on 
eft  capable  de  fçauoir;  &  ce  font  particulièrement 

2  5  ceux  qui  ont  trauaillé  à  cela  qu'on  a  nommez  Phi- 
lofophes.  Toutefois  je  ne  fçache  point  qu'il  y  en  ait 
eu  jufques  à  prefent  à  qui  ce  deffein  ait  reùffi.  Les 
premiers  &  les  principaux  dont  nous  ayons  les  écrits 
font  Platon  &  Ariftote,  entre  lefquels  il  n'y  a  eu  autre 

3o  différence  finon  que  le  premier,  fuiùant  les  traces  de 
fon  maiftre  Socrate,   a  ingenuëment  confeffé  qu'il 


6  Œuvres  de  Descartes. 

n'auoit  encore  rien  pu  trouuer  de  certain,  &  s'eft 
(15     contenté  |  d'écrire  les  chofes  qui  luy  ont  femblé  eftre 
vray-femblables,  imaginant  à  cet  effet  quelques  Prin- 
cipes par  lefquels  il  tafchoit  de  rendre  raifon  des 
autres  chofes  ;  au  lieu  qu' Ariftote  a  eu  moins  de  fran-      5 
chife,  &  bien  qu'il  eufl  elle  vingt  ans  fon  difciple,  & 
n  euft  point  d'autres  Principes  que  les  fiens,  il  a  en- 
tièrement changé  la  façon  de  les  débiter,  &  les  a  pro- 
pofez  comme  vrays  &  affurez,  quoy  qu'il  n'y  ait  au- 
cune apparence  qu'il  les  ait  jamais  eilimé  tels.  Or    lo 
ces  deux  hommes  auoient  beaucoup  d'efprit,  &  beau- 
coup de   la  Sageffe  qui    s'acquiert   par  les  quatre 
moyens  precedens,   ce  qui  leur  donnoit  beaucoup 
d'authorité,  en  forte  que  ceux  qui  vinrent  après  eux 
s'arrefterent  plus  à  fuiure  leurs  opinions  qu'à  cher-    i5 
cher  quelque  chofe  de  meilleur.  Et  la  principale  dif- 
pute  que  leurs  difciples  eurent  entre  eux,  fut  pour 
fçauoir  fi  on  deuoit  mettre  toutes  chofes  en  doute, 
ou  bien  s'il  y  en  auoit  quelques  vnes  qui  fuffent  cer- 
taines. Ce  qui  les  porta  de  part  &  d'autre  à  des  er-    20 
reurs  extrauagantes  :  car  quelques-vns  de  ceux  qui 
eftoient  pour  le  doute,  l'eftendoient  mefme  jufques 
aux  aftions  de  la  vie,  en  forte  qu'ils  negligeoient 
d'vfer  de  prudence  pour  fe  conduire;   &  ceux  qui 
maintenoient  la  certitude,  fuppofant  qu'elle  deuoit    25 
dépendre  des  fens,  fe  fioient  entièrement  à  eux,  juf- 
(16;    ques-là  qu'on  dit  |  qu'Epicure  ofoit  affurer,  contre 
tous  les  raifonncmens  des  Aftronomes,  que  le  Soleil 
n'eft  pas  plus  grand  qu'il  paroift.  C'eft  un  défaut  qu'on 
peut  remarquer  en  la  plufpart  des  difputes,  que,  la    5o 
vérité  cftant  moyenne  entre  les  deux  opinions  qu'on 


Principes.  —  Préface.  7 

louftient,  chacun  s'en  éloigne  d'autant  plus  qu'il  a 
plus  d'affeâion  à  contredire.  Mais  Terreur  de  ceux 
qui  penchoient  trop  du  collé  du  doute  ne  fut  pas  long- 
temps fuiuie,  &  celle  des  autres  a  efté  quelque  peu 

5  corrigée,  en  ce  qu'on  a  reconnu  que  les  fens  nous 
trompent  en  beaucoup  de  chofes.  Toutefois  je  ne 
fçache  point  qu'on  l'ait  entièrement  oflée,  en  faifant 
voir  que  la  certitude  n'eft  pas  dans  le  fens,  mais  dans 
l'entendement  feul,  lors  qu'il  a  des  perceptions  eui- 

10  dentés;  &  que,  pendant  qu'on  n'a  que  les  connoif- 
fances  qui  s'acquerent  par  les  quatre  premiers  degrez 
de  Sagefle,  on  ne  doit  pas  douter  des  chofes  qui  fem- 
blent  vrayes,  en  ce  qui  regarde  la  conduite  de  la  vie, 
mais  qu'on  ne  doit  pas  auffi  les  ertimer  fi  certaines  qu'on 

i5  <ne>  puifTe  changer  d'aduis,  lorfqu'on  y  eft  obligé 
par  l'euidence  de  quelque  raifon.  Faute  d'auoir  connu 
cette  vérité,  ou  bien,  s'il  y  en  a  qui  l'ont  connue,  faute 
de  s'en  eftre  feruis,  la  plufpart  de  ceux  de  ces  der- 
niers fiecles  qui  ont  voulu  eftre  Philofophes,  ont  fuiuy 

20    aveuglement  Ariftote,  en  forte  qu'ils  ont  fouuent  |  cor-    (17) 
rompu  le  fens  de  fes  écrits,  en  luy  attribuant  diuerfes 
opinions  qu'il  ne  reconnoiftroit  pas  eftre  fiennes,  s'il 
reuenoit  en  ce  monde  ;  &  ceux  qui  ne  l'ont  pas  fuiuy 
(du  nombre  defquels  ont  efté  plufieurs  des  meilleurs 

2  5  efprits)  n'ont  pas  laiiTé  d'auoir  efté  imbus  de  fes  opi- 
nions en  leur  jeuneiî'e  (pource  que  ce  font  les  feules 
qu'on  enfeigne  dans  les  efcholes),  ce  qui  les  a  telle- 
ment préoccupez,  qu'ils  n'ont  pu  paruenir  à  la  con- 
noiiïance  des  vrays  Principes.  Et  bien  que  je  les  eftime 

3o  tous,  &  que  je  ne  vueille  pas  me  rendre  odieux  en 
les  reprenant,  je  puis  donner  vne  preuue  de  mon  dire 


8  Œuvres  de  Descartes. 

que  je  ne  croy  pas  qu'aucun  d'eux  defaduouë,  qui 
eft  qu'ils  ont  tous  fuppofé  pour  Principe  quelque 
chofe  qu'ils  n'ont  point  parfaitement  connue.  Par 
exemple,  je  n'en  fçache  aucun  qui  n'ait  fuppofé  la 
pefanteur  dans  les  corps  terreflres  ;  mais  encore  que .  5 
l'expérience  nous  monftre  bien  clairement  que  les 
corps  qu'on  nomme  pefans  defcendent  vers  le  centre 
de  la  terre,  nous  ne  connoiffons  point  pour  cela 
quelle  eft  la  nature  dé  ce  qu'on  nomme  pefanteur, 
c'eft  à  dire  de  la  caufe  ou  du  Principe  qui  les  fait  lo 
ainfi  defcendre,  &  nous  le  deuons  apprendre  d'ail- 
leurs. On  peut  dire  le  mefme.du  vuide  &  des  atomes, 
&  du  chaud  &  du  froid,  du  fec,  de  l'humide,  &  du  fel, 
(i&)  du  fouffre,  du  |  mercure,  &  de  toutes  les  chofes  fem- 
blables  que  quelques-vns  ont  fuppofées  pour  leurs  i5 
Principes.  Or  toutes  les  conclufions  qu'on  déduit 
d'vn  Principe  qui  n'eft  pas  éuident  ne  peuuent  aufli 
eftre  euidentes,  encore  qu'elles  en  feroient  déduites 
euidemment  :  d'où  il  fuit  que  tous  les  raifonnemens 
qu'ils  ont  appuyez  fur  de  tels  Principes,  n'ont  pu  leur  20 
donner  la  connoiflance  certaine  d'aucune  chofe,  ny 
par  confequent  les  faire  auancer  d'vn  pas  en  la  re- 
cherche de  la  SagefTe.  Et  s'ils  ont  trouué  quelqye 
chofe  de  vray,  ce  n'a  efté  que  par  quelques-vns  des 
quatre  moyens  ci-defTus  déduits  ^  Toutefois  je  ne  veux  2  5 
rien  diminuer  de  l'honneur  que  chacun  d'eux  peut 
prétendre;  je  fuis  feulement  obligé  de  dire,  pour  la 
confolation  de  ceux  qui  n'ont  point  eftudié,  que  tout 
de  mefme  qu'en  voyageant,  pendant  qu'on  tourne  le 
dos  au  lieu  où  l'on  veut  aller,  on  s'en  éloigne  d'autknt    3o 

a.  Ci-avant,  p.  5, 1.  3-i7,  et  p.  7,  1,  11. 


Principes.  —  Préface.  9 

plus  qu'on  marche  plus  long-temps  &  plus  ville,  en 
forte  que,  bien  qu'on  foit  mis  par  après  dans  le  droit 
chemin,  on  ne  peut  pas  arriuer  fitoft  que  fi  on  n'auoit 
point  marché  auparauant;  ainfi,  lors  qu'on  a  de  mau- 
5  uais  Principes,  d'autant  qu'on  les  cultiue  dauantage, 
&  qu'on  s'applique  auec  plus  de  foin  à  en  tirer  di- 
uerfes  confequences,  penfant  que  ce  foit  bien  philo- 
fopher,  d'au I tant  s'éloigne-t'on  dauantage  de  la  con-  (i9) 
noiffance  de  là  vérité  &  de  la  SageiTe.  D'où  il  faut 

10  conclure  que  ceux  qui  ont  le  moins  apris  de  tout  ce 
qui  a  eflé  nommé  jufques  icy  Philofophie,  font  les 
plus  capables  d'apprendre  la  vraye. 

Apres  auoir  bien  fait  entendre  ces  chofes,  j'aurois 
voulu  mettre  icy  les  raifons  qui  feruent  à  prouuer  que 

i5  les  vrays  Principes  par  lefquels  on  peut  paruenir  à  ce 
plus  haut  degré  de  SagefTe,  auquel  confifte  le  fouue- 
rainbien  de  la  vie  humaine,  font  ceux  que  j'ay  mis  en 
ce  Liure  :  &  deux  feules  font  fuffifantes  à  cela,  dont 
la  première  efl  qu'ils  font  tres-clairs,  &  la  féconde, 

20  qu'on  en  peut  déduire  toutes  les  autres  chofes  :  car  il 
n'y  a  que  ces  deux  conditions  qui  foient  requifes  en 
eux.  Or  je  prouue  ayfement  qu'ils  font  tres-clairs  : 
premièrement,  par  la  façon  dont  je  les  ay  trouuez,  à 
fçauoir  en  rejettant  toutes  les  chofes  aufquelles  je 

2  5  pouuois  rencontrer  la  moindre  occafion  de  douter; 
car  il  eft  certain  que  celles  qui  n'ont  pu  en  cette  façon 
eftre  rejettées,  lorfqu'on  s'efl  appliqué  à  les  confi- 
derer,  font  les  plus  euidentes  &  les  plus  claires  que 
l'efprit  humain  puiffe  connoiftre.  Ainfi,  en  confiderant 

3o  que  celuy  qui  veut  douter  de  tout,  ne  peut  toutefois 
douter  qu'il  ne  foit,  pendant | qu'il  doute,  &  que  ce    ':20) 


lo  OEUVRES  DE  Descartes. 

qui  raifonne  ainfi,  en  ne  pouuant  douter  de  foy-mefme 
&  doutant  neantmoins  de  tout  le  refte,  n'eil  pas  ce 
que  nous  difons  eftre  noftre  corps,  mais  ce  que  nous 
appelions  noftre  ame  ou  noftre  penfée,  j'ay  pris  Feftre 
ou  Fexiftence  de  cette  penfée  pour  le  premier  Prin-  5 
cipe,  duquel  j'ai  déduit  tres-clairement  les  fuiuans: 
à  fçauoir  qu'il  y  a  vn  Dieu,  qui  eft  autheur  de  tout  ce 
qui  eft  au  monde,  &  qui,  eftant  la  fource  de  toute  vé- 
rité, n'a  point  créé  noftre  entendement  de  telle  nature 
qu'il  fe  puifTe  tromper  au  jugement  qu'il  fait  des  chofes  lo 
dont  il  a  vne  perception  fort  claire  &  fort  diftinde. 
Ce  font  là  tous  les  Principes  dont  je  me  fers  touchant 
les  chofes  immatérielles  ou  Metaphyfiques,  defquels 
je  déduits  tres-clairement  ceux  des  chofes  corporelles 
ou  Phyfiques,  à  fçauoir  qu'il  y  a  des  corps  eftendus  i5 
en  longueur,  largeur  &  profondeur,  qui  ont  diuerfes 
figures  &  fe  meuuent  en  diuerfes  façons.  Voyla,  en 
fomme,  tous  les  Principes  dont  je  déduits  la  vérité 
des  autres  chofes.  L'autre  raifon  qui  prouue  la  clarté 
des^  Principes  eft  qu'ils  ont  efté  connus  de  tout  temps,  20 
&  mefme  recens  pour  vrays  &  indubitables  par  tous 
les  hommes,  excepté  feulement  Fexiftence  de  Dieu, 
(2i)  qui  a  efté  mife  en  doute  par  quelques-vns,  à  |  caufe 
qu'ils  ont  trop  attribué  aux  perceptions  des  fens,  & 
que  Dieu  ne  peut  eftre  vu  ny  touché.  Mais  encore  25 
que  toutes  les  veritez  que  je  mets  entre  mes  Principes 
aycnt  efté  connues  de  tout  temps  de  tout  le  monde,  il 
n'y  a  toutefois  eu  perfonne  jufqucs  à  prefent,  que  je 
fçache,  qui  les  ait  reconnues  pour  les  Principes  de  la 
Philofophie,  c'eft  à  dire  pour  telles  qu'on  en  peut  dé-    3o 

a.  Lire  de  cêt  ? 


Principes.  —  Préface.  i  i 

duire  la  connoiffance  de  toutes  les  autres  chofes  qui 
font  au  monde  :  c'eft  pourquoy  il  me  relie  icy  à 
prouuer  qu'elles  font  telles;  &  il  me  femble  ne  le  pou- 
uoir  mieux  qu'en  le  faifantvoir  par  expérience,  c'eft 
5  à  dire  en  conuiant  les  Lefteurs  à  lire  ce  Liure,  Car 
encore  que  je  n'y  aye  pas  traitté  de  toutes  chofes,  & 
que  cela  foit  impoiTible,  je  penfe  auoir  tellement  ex- 
pliqué toutes  celles  dont  j'ay  eu  occafion  de  traitter, 
que  ceux  qui  les  liront  auec  attention  auront  fujèt 

jo  de  fe  perfuader  qu'il  n'eft  point  befoin  de  chercher 
d'autres  Principes  que  ceux  que  j'ay  donnez,  pour 
paruenir  à  toutes  les  plus  hautes  connoiiTances  dont 
l'efprit  humain  foit  capable;  principalement  fi,  après 
auoir  leu  mes  écrits,  ils  prennent  la  peine  de  confi- 

1 5    derer  combien  de  diuerfes  queftions  y  font  expliquées, 
&  que,  parcourant  auffi  ceux  des  autres,  ils  voyent 
combien  peu  de  raifons  vray-fem!blables   on  a  pu    (22, 
donner,  pour  expliquer  les  mefmes  queftions  par  des 
Principes  differens  des  miens.   Et,  afin  qu'ils  entre- 

20  prennent  cela  plus  aifement,  j'aurois  pu  leur  dire  que 
ceux  qui  font  imbus  de  mes  opinions  ont  beaucoup 
moins  de  peine  à  entendre  les  écrits  des  autres  &  à  en 
connoiftre  la  jufte  valeur,  que  ceux  qui  n'en  font 
point  imbus;  tout  au  contraire  de  ce  que  j'ay  tantoft 

2  5  dit  de  ceux  qui  ont  commencé  par  l'ancienne  Philofo- 
phie,  que  d'autant  qu'ils  y  ont  plus  eftudié,  d'autant 
ils  ont  couftume  d'eftre  moins  propres  à  bien  ap- 
prendre la  vraye. 

l'aurois  auffi  adjoufté  vn  mot  d'aduis  touchant  la 

3o  façon  de  lire  ce  Liure,  qui  eft  que  je  voudrois  qu'on  le 
parcouruft  d'abord  tout  entier  ainfi  qu'vn  Roman,  fans 


12  Œuvres  de  Descartes. 

forcer  beaucoup  fon  attention,  ny  s'arrefter  aux  diffi- 
cultez  qu'on  y  peut  rencontrer,  afin  feulement  de  fça- 
uoir  en  gros  quelles  font  les  matières  dont  j'ay  traitté; 
&  qu'après  cela,  fi  on  trouue  qu'elles  méritent  d'eftre 
examinées,  &  qu'on  ait  la  curiofité  d'en  connoiftre  les  5 
caufes,  on  le  peut  lire  vne  féconde  fois,  pour  remar- 
quer la  fuitte  de  mes  raifons  ;  mais  qu'il  ne  fe  faut  pas 
derechef  rebuter,  H  on  ne  la  peut  afifez  connoiftre  par- 
tout, ou  qu'on  ne  les  entende  pas  toutes;  il  faut  feule- 
(23)  ment  marquer  d'vn  |  trait  de  plume  les  lieux  où  l'on  lo 
trouuera  de  la  difficulté,  &  continuer  de  lire  fans  in- 
terruption  jufques  à  la  fin;  puis,  fi  on  reprend  le  Liure 
pour  la  troifieme  fois,  j'ofe  croire  qu'on  y  trouuera  la 
folution  de  la  plufpart  des  difficultez  qu'on  aura 
marquées  auparauant;  &  que,  s'il  en  refte  encore  i5 
quelques-vnes,  on  en  trouuera  enfin  la  folution  en 
relifant. 

l'ay  pris  garde ,  en  examinant  le  naturel  de  plu- 
fieurs    efprits,    qu'il    n'y  en  a  prefque  point   de  fi 
groffiers  ny  de  H  tardifs,  qu'ils  ne  fuffent  capables    20 
d'entrer  dans  les  bons  fentimens  &  mefmes  d'acquérir 
toutes  les  plus  hautes  fciences,  s'ils  eftoient  conduits 
comme  il  faut.  Et  cela  peut  aufîi  eftre  prouué  par  rai- 
fon  :  car,  puis  que  les  Principes  font  clairs,  &  qu'on 
n'en  doit  rien  déduire  que  par  des  raifonnemens  très-    25 
éuid^ens,  on  a  touf-jours  afifez  d'efprit  pour  entendre 
les  chofes  qui  en  dépendent.  Mais,  outre  l'empefche- 
ment   des   préjugez,   dont  aucun   n'eft  entièrement 
exempt,  bien  que  ce  font  ceux  qui  ont  le  plus  eftudié 
les  mauuaifes  fciences  aufquels  ils  nuifent  le  plus,  il    3o 
arriue  prefque  touf-jours  que  ceux  qui  ont  l'efprit 


Principes.  —  Préface  i| 

modéré    négligent    d'eftudier,    poiïrce    qu'ils    n'en 
penfent  pas  eftre  capables,  &  que  les  autres  qui  font 
plus  ardens  fe  hailent  trop  :  d'où  vient  qu'ils  |reçoiuent    12*) 
fouuent  des  Principes  qui  ne  font  pas  éuidens,  &  qu'ils 

5  en  tirent  des  confequences  incertaines.  C'eft  pour- 
quoy  je  voudrois  affurer  ceux  qui  fe  défient  trop  de 
leurs  forces,  qu'il  n'y  a  aucune  chofe  en  mes  écrits 
qu'ils  ne  puiffent  entièrement  entendre,  s'ils  prennent 
la  peine  de  les  examiner;  &  neantmoins  auffi  auertir 

«o  les  autres,  que  mefmes  les  plus  exceilens  efprits  au- 
ront befoin  de  beaucoup  de  temps  &  d'attention  pour 
remarquer  toutes  les  chofes  que  j'ay  eu  deflein  d'y 
comprendre. 

En  fuitte  de  quoy,  pour  faire  bien  conceuoir  quel 

'5  but  j'ay  eu  en  les  publiant,  je  voudrois  icy  expliquer 
l'ordre  qu'il  me  femble  qu'on  doit  tenir  pour  s'inf- 
truire.  Premièrement,  vn  homme  qui  n'a  encore  que 
la  connoifTance  vulgaire  &  imparfaite  qu'on  peut  ac- 
quérir par  les  quatre  moyens cy-defTus  expliquez^,  doit 

20  auant  tout  tafcher  de  fe  former  vne  Morale  qui  puiffe 
fufiire  pour  régler  les  adions  de  fa  vie,  à  caufe  que 
cela  ne  fouffre  point  de  delay,  &  que  nous  deuons  fur 
tout  tafcher  de  bien  viure.  Apres  cela,  il  doit  auffi 
eftudier  la  Logique  :  non  pas  celle  de  l'efchole,  car 

2  5     elle  n'eft,  à  proprement  parler,  qu'vne  Dialeélique  qui 
enfeigne  les  moyens   de  faire  entendre  à  autruy  les 
chofes  qu'on  fçait,  ou  mefme  auffi  |  de  dire  fans  juge-    (25) 
ment  plufieurs  paroles  touchant  celles  qu'on  ne  fçait 
pas,  &  ainfi  elle  corrompt  le  bon  fens  pluftoft  qu'elle 

^o    ne  l'augmente  ;  mais  celle  qui  apprend  à  bien  conduire 

a.  Ci-avant,  p.  5,  l,  3-1 3. 


14  Œuvres  de  Desgartes. 

fa  raifon  pour  découurir  les  veritez  qu'on  ignore;  & 
pource  quelle  dépend  beaucoup  de  IVfage,  il  eft  bon 
qu'il  s'exerce  long  tenips  à  en  pratiquer  les  règles  tou- 
chant des  queftions  faciles  &  fimples,  comme  font 
celles  des  Mathématiques.  Puis,  lors  qu'il  s'eft  acquis  5 
quelque  habitude  à  trouuer  la  vérité  en  ces  queftions, 
il  doit  commencer  tout  de  bon  à  s'apj)liquer  à  la  vraye 
Philofophie ,  dont  la  première  partie  eft  la  Metaphy- 
fique,  qui  contient  les  Principes  de  la  connoiffance, 
entre  lefquels  eft  l'explication  des  principaux  attri-  lo 
buts  de  Dieu,  de  l'immatérialité  de  nos  âmes,  &  de 
toutes  les  notions  claires  &  fimples  qui  font  en  nous. 
La  féconde  eft  la  Phyfique,  en  laquelle,  après  auoir 
trouué  les  vrays  Principes  des  chofes  matérielles,  on 
examine  en  gênerai  comment  tout  l'vniuers  eft  com-  «5 
pofé,  puis  en  particulier  quelle  eft  la  nature  de  cette 
Terre  &  de  tous  les  corps  qui  fe  trouuent  le  plus  com- 
munément autour  d'elle,  comme  de  l'air,  de  l'eau,  du 
feu,  de  l'aymant  &  des  autres  minéraux.  En  fuitte  de 
quoy  il  eft  befoin  auffi  d'examiner  en  |  particulier  la  20 
nature  des  plantes,  celle  des  animaux,  &  fur  tout  celle 
de  l'homme,  afin  qu'on  foit  capable  par  après  de 
trouuer  les  autres  fciences  qui  luy  font  vtiles.  Ainfi 
toute  la  Philofophie  eft  comme  vn  arbre,  dont  les 
.  racines  font  la  Metaphyfique,  le  tronc  eft  la  Phyfique,  25 
&  les  branches  qui  fortent  de  ce  tronc  font  toutes  les 
autres  fciences,  qui  fe  reduifent  à  trois  principales, 
à  fçauoir  la  Médecine,  la  Mechanique  &  la  Morale, 
j'entens  la  plus  haute  &  la  plus  parfaite  Morale,  qui, 
prcfuppofant  vne  entière  connoiffance  des  autres  -So 
fciences,  eft  le  dernier  degré  de  la  Sageffe. 


Principes.  —  Préface.  15 

Or  comme  ce  n'efl  pas  des  racines,  ny  du  tronc  des 
arbres,  qu'on  cueille  les  fruids,  mais  feulement  des 
extremitez  de  leurs  branches,  ain(i  la  principale  vtilité 
de  la  Philofophje  dépend  de  celles  de  fes  parties  qu'on 
5  ne  peut  apprendre  que  les  dernières.  Mais,  bien  que 
je  les  ignore  prefque  toutes,  le  zèle  que  j'ay  touf-jours 
eu  pour  tafcher  de  rendre  feruice  au  public  eft  caufe 
que  je  fis  imprimer,  il  y  a  dix  ou  douze  ans,  quelques 
effais  des  chofes  qu'il  me  fembloit  auoir  apprifes.  La 

10    première  partie  de  ces  eflais  fut  vn  Dif cours  touchant 
la  Méthode  pour  bien  conduire  fa  rai/on  &  chercher  la 
vérité  dans  les  fciences,  où  je  mis  fom|mairement  les    i27J 
principales  règles  de  la  Logique  &  d'vne  Morale  im- 
parfaite, qu'on  peut  fuiure  par  prouifion  pendant 

i5  qu'on  n'en  fçait  point  encore  de  meilleure.  Les  autres 
parties  furent  trois  traitez  :  Tvn  de  la  Dioptrique, 
l'autre  des  Météores j  &  le  dernier  de  la  Géométrie.  Par 
la  Dioptrique,  jeu  delTein  de  faire  voir  qu'on  pouuoit 
aller  affez  auant  en  la  Philofophie,  pour  arriuer  par 

20  fon  moyen  jufques  à  la  connoiffance  des  arts  qui  font 
vtiles  à  la  vie,  à  caufe  que  l'inuention  des  lunetes 
d'approche,  que  j'y  expliquois,  efl  l'vne  des  plus  diffi- 
ciles qui  ayent  jamais  eflé  cherchées.  Par  les  Météores, 
ie  defiray  qu'on  reconnufl  la  différence  qui  efl  entre 

2  5  la  Philofophie  que  ie  cultiue  &  celle  qu'on  enfeigne 
dans  les  efcholes  où  l'on  a  couflume  de  traitter  de 
la  mefme  matière.  Enfin,  par  la  Géométrie,  je  preten- 
dois  demonflrer  que  j'auois  trouué  plufieurs  chofes 
qui  on^  eflé  cy-deuant  ignorées,  &  ainfi  donner  occa- 

3o  fion  de  croire  qu'on  en  peut  decouurir  encore  plu- 
fieurs autres,  afin  d'inciter  par  ce  moyen  tous  les 


i6  OEuvRES  DE  Descartes. 

hommes  a  la  recherche  de  la  vérité.  Depuis  ce  temps 
là,  preuoyant  la  difficulté  que  plufieurs  auroient  à 
conceuoir  les  fondemens  de  la  Metaphyfique,  j'ay 
tafché  d'en  expliquer  les  principaux  points  dans  vn 

(28)    liure  de  Méditations  qui  n  ell  j  pas  bien  grand,  mais      5 
dont  le  volume  a  eflé  groffi,  &  la  matière  beaucoup 
éclaircie,  par  les  objedions  que  plulieurs  perfonnes 
tres-doâes  m'ont  envoyées  à  leur  lujet,  &  par  les  ref- 
ponfes  que  je  leur  ay  faites.  Puis,  enfin,  lors  qu'il  m'a 
femblé  que  ces  traittez  precedens  auoient  allez  pre-     lo 
paré  l'efprit  des  Lecteurs  à  receuoir  les  Principes  de  la 
Philofophic,  je  les  ay  auffi  publiez  &  j'en  ay  diuifé  le 
Liure  en  quatre  parties,  dont  la  première  contient  les 
Principes  de  la  connoilTance,  qui  eft  ce  qu'on  peut 
^         nommer  la  première  Philofophie  ou  bien  la  Metaphy-     i5 
(ique  :  c'eil  pourquoy,  afin  de  la  bien  entendre,  il  eft 
à  propos  de  lire  auparauant  les  Méditations  que  j'ay 
écrites  fur  le  mefme  fujet.  Les  trois  autres  parties 
contiennent  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  gênerai  en  la 
Phyfique,  à  fçauoir  l'explication  des  premières  loix  ou    20 
des  Principes  de  la  Nature,  \  la  fac^'on  dont  les  Cieux, 
les  Efloiles  fixes,  les  Planeies,  les  Comètes,  &  géné- 
ralement tout  l'vniuers  eft  compofé  ;  puis, en  particu- 
lier, la  nature  de  cette  terre,  A-  de  l'air,  de  l'eau,  du 
leu,  de  l'aymanl,  qui  font  les  corps  qu'on  peut  trouuer    2  5 
le  plus  communément  partout   autour  d'elle,^  Sl  de 
toutes   les   qualitez  qu'on  remarque   en  ces   corps, 
comme  font  la  lumière,  la  chaleur,  la  pefanteur,  l^' 

(29     femblablcs  :  au  moyen  |  de  quoy  je  penfe  auoir  com- 
mencé à  expliquer  toute  la  Philofophie  par  ordre,     3o 
fans  auoir  omis  aucune  des  chofes  qui  doiuent  pre- 


Principes.  —  Préface.  17 

céder  les  dernières  dont  j'ay  écrit.  Mais,  afin  de  con- 
duire ce  deffein  jufques  à  fa  fin,  je  deurois  cy-apres 
expliquer  en  mefme  façon  la  nature  de  chacun  des 
autres  corps  plus  particuliers  qui  font  fur  la  terre, 
5  à  fçauoir  des  minéraux,  des  plantes,  des  animaux, 
&  principalement  de  Thomme  ;  puis,  enfin,  traitter 
exadement  de  la  Médecine,  de  la  Morale,  &  des 
Mechaniques.  C'eft  ce  qu'il  faudroit  que  je  fifle  pour 
donner  aux  hommes  vn  corps  de  Philofophie  tout 

•o  entier;  &  je  ne  me  fens  point  encore  fi  vieil,  je  ne  me 
défie  point  tant  de  mes  forces,  je  ne  me  trouue  pas  fi 
éloigné  de  la  connoiflance  de  ce  qui  refte,  que  je  n'o- 
falTe  entreprendre  d'acheuer  ce  deffein,  fi  j'auois  la 
commodité  de  faire  toutes  les  expériences  dont  j'au- 

i5  rois  befoin  pour  appuyer  &  juftifier  mes  raifonne- 
mens.  Mais  voyant  qu'il  faudroit  pour  cela  de  grandes 
defpenfes,  aufquelles  vn  particulier  comme  moy  ne 
fçauroit  fufl[ire,  s'il  n'eftoit  aydé  par  le  public,  &  ne 
voyant  pas  que  je  doiue  attendre  cet  ayde,  je  croy 

20  deuoir  d'orefnauant  me  contenter  d'eftudie/  pour  mon 
inftruftion  particulière,  &  que  la  poflerité  m'excufera 
fi  je  manque  à  trauailler  déformais  pour  elle. 

I  Cependant,  afin  qu'on  puifiTe  voir  en  quoy  je  penfe    (30) 
luy  auoir  def-ja  feruy ^  je  diray  icy  quels  font  les  fruids 

a5  que  je  me  perfuade  qu'on  peut  tirer  de  mes  Principes. 
Le  premier  eft  la  fatisfadion  qu'on  aura  d'y  trouuer 
plufieurs  veritez  qui  ont  eflé  cy-deuant  ignorées  ;  car 
bien  que  fouuent  la  vérité  ne  touche  pas  tant  noftre 
imagination  que  font  les  faufletez  &  les  feintes,  à 

3o  caufe  qu'elle  paroift  moins  admirable  &  plus  fimple, 
toutefois  le  contentement  qu'elle  donne  efl:  touf-jours 

ŒvvRps.  IV.  18 


i8  Œuvres  de  Descartes. 

plus  durable  &  plus  folide.  Le  fécond  fruiâ:  eft  qu  en 
eftudiant  ces  iPrincipes  on  s'accouftumera  peu  à  peu 
à  mieux  juger  de  toutes  les  chofes  qui  fe  rencontrent, 
&  ainfi  à  eftre  plus  Sage  :  en  quoy  ils  auront  vn  effeft 
contraire  à  celuy  de  la  Philofophie  commune;  car      5 
on  peut  aifement  remarquer  en  ceux  qu'on  appelle 
Pedans,  quelle  les  rend  moins  capables  de  raifon 
qu'ils  ne  feroient  s'ils  ne  Fauoient  jamais  apprife.  Le 
troifiéme  eft  que  les  veritez  qu'ils  contiennent,  eftant 
tres-claires  &. très-certaines,  ofteront  tous  fujets  de    lo 
difpute,  &  ainli  difpoferont  les  efprits  à  la  douceur 
&  à  la  concorde  :  tout  au  contraire  des  controuerfes 
de  l'efchole,  qui,  rendant  infenfiblement  ceux  qui  les 
apprennent  plus  pointilleux  &  plus  opiniaftres,  font 
peut  eftre  la  première  caufe  des  herefies  &  des  diffen-    1 5 
(31)    tions  qui  trajuaillent  maintenant  le  monde.  Le  dernier 
&  le  principal  fruid  de  ces  Principes  eft  qu'on  pourra, 
en  les  cultiuant,  decouurir  plufieurs  veritez  que  je 
nay  point  expliquées  ;  &  âinfi,  paflant  peu  à  peu  des 
vnes  aux  autres,  acquérir  auec  le  temps  vne  parfaite    20 
connoiflance  de  toute  la  Philofophie  &  monter  au 
plus  haut  degré  de  la  Sagefle.  Car,  comme  on  voit  en 
tous  les  arts  que,  bien  qu'ils  foient  au  commencement 
rudes  &  imparfaits,  toutefois,  à  caufe  qu'ils  con- 
tiennent quelque  chofe  de  vray  &  dont  l'expérience    23 
monftre  l'efled,  ils  fe  perfedionnent  peu  à  peu  par 
l'vfage  :  ainfi,  lors  qu'on  a  de  vrais  Principes  en  Phi- 
lofophie, on  ne  peut  manquer  en  les  fuiuant  de  ren- 
contrer parfois  d'autres  veritez  ;  &  on  ne  fçauroit 
mieux  prouuer  la  fauffeté  de  ceux  d'Ariftote,  qu'en    3o 
difant  qu  on  n'a  fceu  faire  aucun  progrez  par  leur 


Principes.  -—Préface.  19 

moyen  depuis  plulieurs  liecles  qu'on   les  a  fuiuis. 

le  fçay  bien  qu'il  y  a  des  efprits  qui  fe  haftent  tant, 

&  vfent  de  fi  peu  de  circonfpedion  en  ce  qu'ils  font, 

que,  mefme  ayant  des  fondemens  bien  folides,  ils 

5    ne  fçauroient  rien  baflir  d'affuré  ;  &  pource  que  ce 
font  d'ordinaire  ceux-là  qui  font  les  plus  prompts  à 
faire   des   Liures,   ils   pourroient  en  peu  de  temps 
gafter  tout  ce  que  j'ay  fait,  &  introduire  |  l'incertitude    (32) 
&  le  doute  en  ma  façon  de  philofopher,  d'où  j'ay  foi- 

10  gneufement  tafché  de  les  bannir,  fi  on  receuoit  leurs 
écrits  comme  miens,  ou  comme  remplis  de  mes  opi- 
nions, l'en  ay  veu  depuis  peu  l'expérience  en  l'vn  de 
ceux  qu'on  a  le  plus  creu  me  vouloir  fuiure,  &  mefme 
duquel  j'auois  écrit,  en  quelque  endroit,  «  que  je  m'af- 

«5  »  furois  tant  fur  fon  efprit,  que  je  ne  croyois  pas  qu'il 
»  euft  aucune  opinion  que  je  ne  voulufle  bien  auoûer 
»  pour  mienne  '  »  :  car  il  publia  l'an  paffé  vn  Liure,  inti- 
tulé Fundamenta  Phyficœ^\  où,  encore  qu'il  femble  n'a- 
uoir  rien  mis,  touchant  la  Phyfique  &  la  Médecine,  qu'il  * 

20  n'ait  tiré  de  mes  écrits,  tant  de  ceux  que  j'ay  publiez 
que  d'vn  autre  encore  imparfait  touchant  la  nature 
des  animaux,  qui  luy  eft  tombé  entre  les  mains,  tou- 
tefois, à  caufe  qu'il  a  mal  tranfcrit,  &  changé  l'ordre, 
&  nié  quelques  veritez  de  Metaphyfique,  fur  qui  toute 

25  la  Phyfique  doit  eflre  appuyée,  je  fuis  obligé  de  le 
defaduoùer  entièrement '^,  &  de  prier  icy  les  Ledeurs 

a.  Epistola  Renati  Des-Cartes  ad  celeberrimum  Virum  D.  Gisbertum 
VoETHM,  i64J>  :  «  . .  .acutissimo  et  perspicacissimo  ingenio  Regii  tantum 
H  tribuo,  ut  vix  quicquam  ab  illo  scriptum  putem  quod  pro  meo  non 
,>  libenter  agnoscam  ".  (Page  232,  édit.  j?r/«t-ej7^.) 

b.  Henri  Regii  Ultrajectini,  Fundamenta  Physices.  (Amstelodami,  apud 
Ludovicum  El\evirinm.  A°  1646,  in-8.) 

c.  Voir  Correspondance,  t.  IV,  p.  248,  256,  497,  5 10.  517,  566,  590, 
r^g.  625  et  63o  :  t.  V,  p.  7g,  112,  170  ^-  ^'^^ 


20  Œuvres  de  Descartes. 

qu'ils  ne  m'attribuent  jamais  aucune  opinion,  s'ils  ne 
la  trouuent  expreffement  en  mes  écrits,  &  qu'ils  n'en 
reçoiuent  aucune  pour  vraye,  ny  dans  mes  écrits  ny 
ailleurs,  s'ils  ne  la  voyent  tres-clairement  eftre  dé- 
duite des  vrais  Principes.  5 

(33)  I  le  fçay  bien  auffi  qu'il  pourra  le  pafler  plufieurs 
fiecles  auant  qu'on  ait  ainfi  déduit  de  ces  Principes 
toutes  les  veritez  qu'on  en  peut  déduire,  pourceque  la 
plufpart  de  celles  qui  relient  à  trouuer,  dépendent  de 
quelques  expériences  particulières,  qui  ne  fe  rencon-  lo 
treront  jamais  par  hazard,  mais  doiuent  eftre  cherchées 
auec  foin  &  depenfe  par  des  hommes  fort  intelligens  ; 

&  pource  qu'il  arriuera  difficilement  que  les  mefmes 
qui  auront  l'adreiTe  de  s'en  bien  feruir  ayent  le  pou- 
uoir  de  les  faire;  &  aufli  pource  que  la  plufpart  des    i5 
meilleurs  efprits  ont  conceu  vne  fi  mauuaife  opinion 
de  toute  la  Philofophie,  à  caufe  des  defaux  qu'ils  ont 
remarquez  en  celle  qui  a  efté  jufques  à  prefent  en  vfage, 
qu'ils  ne  pourront  pas  s'appliquer  à  en  chercher  vne 
meilleure.  Mais  fi  enfin  la  différence  qu'ils  verront    20 
entre  ces  Principes  &  tous  ceux  des   autres,   &  la 
grande  fuite  de  veritez  qu'on  en  peut  déduire,  leur  fait 
connoiftre  combien  il  eft  important  de  continuer  en 
la  recherche  de  ces  veritez,  &  jufques  à  quel  degré  de 
Sagelfe,  à  quelle  perfeftion  de  vie,  à  quelle  félicité  elles    25 
peuuent  conduire,  j'ofe  croire  qu'il  n'y  en  aura  aucun 
qui  ne  tafche  de  s'employer  à  vn  eftude  d  profitable, 

(34)  ou   du   moins  qui   ne  fauorife  &  vueille  aydcr  |  de 
tout  fon  pouuoir  ceux  qui  s'y  employeront  auec  fruid. 

le  fouhaitc  que  nos  ncueux  en  voient  le  fuccez,  &c.    3o 


A  LA  SERENISSIME 

PRINCESSE 

ELIZABETH, 

PREMIERE    FILLE 

De  Frédéric,   Roy  de   Bohemk,  Comte   Palatin, 
ET   Prince   Electeur  de  l'Empire. 


Madame, 

Le  principal  fruit  que  j'aye  receu  des  écrits  que  j'ay  cy-deuant  publiez  a 
efté  qu'à  leur  |  occafion  j'ay  eu  l'honneur  d'eftre  connu  de  Vostre  Altesse,  (2) 
&  de  luy  pouuoir  quelquefois  parler  :  ce  qui  m'a  donné  moyen  de  remar- 
quer en  elle  des  qualitez  fi  eftimables  &  ù  rares,  que  je  croy  que  c'ed 
rendre  feruice  au  public  de  les  propofer  à  la  pofterité  pou^r  exemple.  l'au- 
rois  mauuaife  grâce  à  flater,  ou  bien  à  écrire  des  chofes  dont  je  n'aurois 
point  de  ronnoilTance  certaine,  principalement  aux  premières  pages  de  ce 
liure,  dans  lequt;  je  tafcheray  de  mettre  les  principes  dç  toutes  les  veritez 
que  l'efprit  humain  peut  fçauoir.  Et  la  généreuse  modeftie  qui  reluit  en 
toutes  les  allions  de  voftre  Altefle  m'affure  que  les  difcours  fimples  & 
francs  d'vn  homme  qui  n'écrit  que  ce  qu'il  croit,  vous  feront  plus 
agréables,  que  ne  feroient  des  louanges  ornées  de  termes  pompeux  & 
recherchez  par  ceux  qui  ont  eftudié  l'art  des  complimens.  C'eft  pourquoy 
je  ne  mettray  rien  en  cette  lettre  dont  l'expérience  &■  la  raifon  ne  m'ait 
rendu  certain  ;  &  j'y  écriray  en  Philofophe,  ainfi  que  dans  le  refte  du  liure. 
Il  y  a  beaucoup  de  différence  entre  les  |  vrayes  vertus  &  celles  qui  ne  font  (3) 
qu'apparentes;  &  il  y  en  a  auffi  beaucoup  entre  les  vrayes  qui  procèdent 
d'vne  exacte  connoiffance  de  la  vérité,  &  celles  qui  font  accompagnées 
d'ignorance  ou  d'erreur.  Les  vertus  que  je  nomme  apparentes  ne  font,  à 
proprement  parler,  que  des  vices,  qui,  n'eftant  pas  fi  frequens  que  d'autres 
vices  qui  leur  font  contraires,  ont  couftume  d'eftre  plus  eftimez  que  les 
vertus  qui  confiftent  en  la  médiocrité  dont  ces  vices  oppofez  font  les 
excez.  Ainfi,  à  caufe  qu'il  y  a  bien  plus  de  perfonnes  qui  craignent  trop 
les  dangers  qu'il  n'y  en  a  qui  les  craignent  trop  peu,  on  prend  fouuent  la 
témérité  pour  vne  vertu,  &elle  éclate  bien  plus  aux  occalions  que  ne  fait 
le  vray  courage;  ainfi  les  prodigues  ont  couftume  d'eftre  plus  lotiez  que 


a.  Lire  «  ou  »,  au  lieu  de  «  et  »  ?  Voir  le  texte  latin. 


22  Œuvres  de  Descartes. 

les  libéraux;  &  ceux  qui  font  véritablement  gens  de  bien  n'acquerent 
point  tant  la  réputation  d'eftre  deuots,  que  font  les  fuperftitieux  &  les 
hypocrites.  Pour  ce  qui  eft  des  vrayes  vertus,  elles  ne  viennent  pas  toutes 
d'vne  vraye  connoiflance,  mais  il  y  en  a  qui  naiffent  aufli  quelquefois  du 

(4)  défaut  ou  de  l'erreur  :  ainfi  fouuent  la  fim  Iplicité  eft  caufe  de  la  bonté,  la 
peur  donne  de  la  deuotion,  &  le  defefpoir  du  courage.  Or  les  vertus  qui 
ibnt  ainfi  accompagnées  de  quelque  imperfe£lion,font  différentes  entr'elles, 
&  on  leur  a  auflî  donné  diuers  noms.  Mais  celles  qui  font  fi  pures  &  fi  par- 
faites qu'elles  ne  viennent  que  de  la  feule  connoiflance  du  bien,  font  toutes 
de  mefme  nature,  &  peuuent  eftre  comprifes  fous  le  feul  nom  de  la  Sagefle. 
Car  quiconque  a  vne  volonté  ferme  &  confiante  d'vfer  touf-jours  de  la" 
raifon  le  mieux  qu'il  eft  en  fon  pouuoir,  &  de  faire  en  toutes  fes  avions  ce 
qu'il  juge  eftre  le  meilleur,  eft  véritablement  fage,  autant  que  fa  nature 
permet  qu'il  le  foit;  &  par  cela  feul  il  eft  jufte,  courageux,  modéré,  &  a 
toutes  les  autres  vertus,  mais  tellement  jointes  entre  elles  qu'il  n'y  en  a 
aucune  qui  paroifle  plus  que  les  autres;  c'eft  pQurquoy,  encore  qu'elles 
foient  beaucoup  plus  parfaites  que  celles  que  le  meflange  de  quelque 
défaut  fait  éclater,  toutefois,  à  caufe  que  le  commun  des  hommes  les 
rem.arque  moins,  on  n'a  pas  couftume^de  leur  donner  tant  de  louanges. 

(5)  Outre  cela,  de  deux  chofes  qui  font  requifes  à  la  |  Sagefle  ainfi  décrite,  à 
fçauoir  que  l'entendement  connoifle  tout  ce  qui  eft  bien,  &  que  la  volonté 
foit  touf-jours  difpofée  à  le  fuîure,  il  n'y  a  que  celle  qui  confifte  en  la  vo- 
lonté que  tous  les  hommes  peuuent  également  auoir,  d'autant  que  l'enten- 
dement de  quelques-vns  n'eft  pas  fi  bon  que  celuy  des  autres.  Mais,  encore 
que  ceux  qui  n'ont  pas  le  plus  d'efprit  puiflent  eftre  aufli  parfaitement 
fages  que  leur  nature  le  permet,  &  fe  rendre  tres-agreables  à  Dieu  par  leur 
vertu,  fi  feulement  ils  ont  touf-jours  vne  ferme  refolution  de  faire  tout  le 
bien  qu'ils  fçauront,  &  de  n'ometre  rien  pour  apprendre  celuy  qu'ils 
ignorent;  toutefois  ceux  qui,  auéc  vne  conftante  volonté  de  bien  faire  &  vn 
foin  tres-particulier  de  s'inftruire,  ont  aufli  vn  très-excellent  efprit,  arriuent 
fans  doute  à  vn  plus  haut  degré  de  Sagefle  que  les  autres.  Et  je  voy  que 
ces  trois  chofes  fe  trouuent  tres-parfaitement  en  Vostre  Altesse.  Car  pour 
le  foin  qu'elle  a  eu  de  s'inftruire,  il  paroift  aflez  de  ce  que  ny  les  diuer- 
tiflemens  de  la  Cour,  ny  la  façon  dont  les  Princefles  ont  couftume  d'eftre 

(6)  I  nourries,  qui  les  deftournent  entièrement  de  la  connoifl^ance  des  lettres, 
n'ont  peu  empefcher  que  vous  n'ayez  tres-diligemment  eftudié  tout  ce  qu'il 
y  a  de  meilleur  dans  les  fciences.  Et  on  connoift  l'excellence  de  voftre 
efprit  en  ce  que  vous  les  auez  parfaitement  aprifes  en  fort  peu  de  temps. 
Mais  j'en  ay  encore  vne  autre  preuue  qui  m'eft  particulière,  en  ce  que  je  n'ay 
jamais  rencontré  perfonne  qui  ait  fi  généralement  &  fi  bien  entendu  tout  ce 
qui  eft  contenu  dans  mes  écrits  :  car  il  y  en  a  plufieurs  qui  les  trouuent 
tres-obfcurs,  mefme  entre  les  meilleurs  efprits  &  les  plus  d0(5tes;  &  je  re- 
marque prefque  en  tous,  que  ceux  qui  conçoiuent  ayfement  les  chofes  qui 

t.  Lire  «  fa  »  ?  Voir  le  texte  latin. 


Principes.  —  Epistre.  2) 

appartiennent  aux  Mathématiques  ne  font  nullement  propres  à  entendre 
celles  qui  fe  rapportent  à  la  Metaphyfique,  &  au  contraire,  que  ceux  à  qui 
celles-cy  font  aifées  ne  peuuent  comprendre  les  autres  :  en  forte  que  je 
puis  dire  auec  vérité  que  je  n'ay  jamais  rencontré  que  le  feul  efprit  de 
VosTRE  Altesse  auquel  l'vn  &  l'autre  fuft  également  facile,  &  que  par  con- 
fequent  j'ay  |  jufte  i'aifon  de  l'eftimer  incomparable.  Mais  ce  qui  augmente  (7) 
le  plus  mon  admiration,  c'eft  qu'vne  fi  parfaite  Si  fi  diuerfe  connoiffance 
de  toutes  les  fciences  n'eft  point  en  quelque  vieux  dodeur  qui  ait  employé 
beaucoup  d'années  à  s'inftruire,  mais  en  vne  Princefle  encore  jeune,  & 
dont  le  vifage  reprefente  mieux  celuy  que  les  Poètes  attribuent  aux  Grâces, 
que  celuy  qu'ils  attribuent  aux  Mufes  ou  à  la  fçauante  Minerue.  Enfin  je 
ne  remarque  pas  feulement  en  Vostre  Altesse  tout  ce  qui  eft  requis  de  la 
part  de  Tefprit  à  la  plus  haute  &  plus  excellente  Sagefie,  mais  auifi  tout  ce 
qui  peut  eftre  requis  de  la  part  de  la  volonté  ou  des  mœurs,  dans  lefquelles 
on  voit  la  magnanimité  &  la  douceur  jointes  enfemMe  auec  vn  tel  tempé- 
rament que,  quoy  que  la  fortune,  en  vous  attaquant  par  de  continuelles 
injures,  femble  auoir  fait  tous  fes  efforts  pour  vous  faire  changer  d'hu- 
meur, elle  n'a  jamais  pu,  tant  foit  peu,  ny  vous  irriter,  ny  vous  abaifler. 
Et  cette  fi  parfaite  Sageffe  m'oblige  à  tant  de  vénération,  que  non  feuie- 
ment.je  penfe  luy  |  deuoir»  ce  Liure,  puis  qu'il  traitte  de  la  Philofophie  (8) 
qui  en  eft  l'eftude,  mais  auffi  je  n'ay  pas  plus  de  zèle  à  philofopher,  c'eft  à 
dire  à  tafchtr  d'acquérir  de  la  Sageffe,  que  j'en  ay  à  eftre, 

Madame, 

de  Voftre  "  Alteffe 

Le  tres-humble,  tres-obeiffant 
&  tres-deuot  feruiteur, 

Oescartes. 

a.  Suppléer  :  «  dédier  et  consacrer  »  ? 

b.  «  De  voftre  Voftre  »  (/"  édit.). 


LES  PRINCIPES 


DE 


LA    PHILOSOPHIE 


-    PREMIERE  PARTIE. 

Des  Principes  de  la  connoijfance  humaine. 


I.  Que  pour  examiner  la  vérité  il  efi  hejoin^  vne  fois  en  fa  vie  y 
de  mettre  toutes  chofes  en  doute,  autant  qu'il  fe  peut. 

Comme  nous  auons  efté  enfans  auant  que  d'eftre  hommes,  &  que 
nous  auons  jugé  tantoft  bien  &  tantoll  mal  des  chofes  qui  fe  font 
prefentées  à  nos  fens,Iors  que  nous  n'auions  pas  encore  l'vfage  entier 
de  noftre  raifon,  plufieurs  jugemens  ainfi  précipitez  nous  empefchent 
de  paruenir  à  la  connoiffance  de  la  vérité,  &  nous  preuienent  de 
telle  forte,  qu'il  n'y  a  point  d'apparence  que  nous  puiflions  nous  en 
deliurer,  fi  nous  n'entreprenons  de  douter,  vne  fois  en  noilre  vie, 
de  toutes  les  chofes  où  nous  trouuerons  le  moindre  fojjpçon  d'in- 
certitude. 

2.  Qu'il  ejl  vtile  aufji  de  confiderer  comme  fauffes  toutes  les  chofes 
dont  on  peut  douter. 

Il  fera  mefme  fort  vtile  que  nous  rejettions  comme  faulfes  toutes 
celles  où  nous  pourrons  imaginer  le  moindre  doute,  afin  que,  |  fi 
nous  en  découurons  quelques-vnes  qui,  nonobftant  cette  précaution, 
nous  femblent  manifeflement  vrayes,nous  facions  eftat  qu'elles  font 
auffi  très-certaines,  &  les  plus  aifées  qu'il  eft  poflîble  de  connoiftre. 


20  Œuvres  de  Descartes. 


3.  Que  nous  ne  deuons  point  vfer  de  ce  doute  pour  la  conduite 
de  nos  aC     '?, 

Cependant  il  ejt  à  remarquer  que  je  n'entends  point  que  nous 
nous  feruions  d'vne  façon  de  douter  fi  générale,  finon  lors  que  nous 
commençons  à  nous  appliquer  à  la  contemplation  de  la  vérité.  Car 
/'/  ejl  certain  qu'en  ce  qui  regarde  la  conduite  de  nollre  vie,  nous 
fommes  obligez  de  fuiure  bien  Ibuuent  des  opinions  qui  ne  font 
que  vray-femblables,"  à  caufe  que  les  occafions  d'agir  en  nos  affaires 
fe  pafferoient  prefque  touf-jours,  auant  que  nous  puffions  nous  deli- 
urer  de  tous  nos  doutes.  Et  lors  qu'il  s'en  rencontre  plufieurs  de 
telles  fur  vn  mefme  fujet,  encore  que  nous  n'apperceuions  peut- 
ertre  pas  dauantage  de  vray-femblance  aux  vnes  qu'aux  autres,  Ji 
l'aâion  ne  fouffre  aucun  delaf,\di  raifon  veut  que  nous  en  choifif- 
fions  vne,  &  qu'après  l'auoir  choijte,  nous  la  fuiuions  conjîamment, 
de  me/me  que  fi  nous  l'auions  jugée  très-certaine. 

4.  Pourquoy  on  peut  douter  de  la  vérité  des  chofesfenfibles. 

Mais,  pource  que  nous  n'auons  point  d'autre  deffcin  maintenant 
que  de  vaquer  à  la  recherche  de  la  vérité,  nous  douterons,  en  pre- 
mier lieu,  fi  de  toutes  les  chofes  qui  font  tomjbées  fous  nos  fens, 
ou  que  nous  auons  Jamais  imaginées,  il  y  en  a  quelques-vnes  qui 
foient  véritablement  dans  le  monde  :  tant  à  caufe  que  nous  fçauons 
par  expérience  que  nos  fens  nous  ont  trompez  en  plulieurs  ren- 
contres, &  qu'il  y  auroit  de  l'imprudence  de  nous  trop  fier  à  ceux 
qui  nous  ont  trompez,  quand  mefme  ce  n'auroit  elle  qu'vne  fois  ; 
comm'aulTi  à  caufe  que  nous  fongeons  prefque  touf-jours  en  dor- 
mant, &  que  pour  lors  il  nous  femble  que  nous  fcntons  viuement  & 
que  nous  imaginons  clairement  vne  infinité  de  chofes  qui  ne  font 
point  ailleurs,  &.  que,  lors  qu'on  eil  ainfi  refolu  à  douter  de  tout,  il 
ne  refte  plus  de  marque  par  où  on  puiffe  fçauoir^?  les  penfées  qui 
vienent  en  fonge  font  pluto/l  fauffes  que  les  autres. 

S.  Pourquoy  on  peut  aufji  douter  des  démon flrations  de  Mathématique. 

Nous  douterons  aufli  de  toutes  les  autres  chofes  qui  nous  ont 
femblé  autrefois  trcs-certaines,  mefme  des  demonftrations  de  Ma- 
thématique &de  fes  principes, encore  que  d'eux-mefmes...  ils  foient 
atfcz  manifcftcs  ;  pource  qu'il  y  a  des  hommes  qui  fe  font  mépris 


Principes.  —  Première  Partie.  27 

en  raifonnant  fur  de  telles  matières...  ;  mais  principalement,  pource 
que  nous  auons  ouy  dire  que  Dieu,  qui  nous  a  créez,  peut  faire  tout 
ce  qu'il  luy  plaift,  &  que  nous  ne  fçauons  pas  encore  s'il  a  voulu 
nous  faire  tels  que  nous  foyons  touf-jours  trompez,  mefmes  aux 
chofes  que  nous  |  penfons  mieux  connoiftre.  Car,  puifqu'il  a  bien 
permis  que  nous  nous  foyons  trompez  quelquesfois,  ainfi  qu'il  a  elle 
def-ja  remarqué*,  pourquoy  ne  pourroit-il  pas  permettre  que  nous 
nous  trompions  touf-jours?  Et  fi  nous  voulons  feindre  qu'vn  Dieu 
tout-puiffant  n'eft  point  autheur  de  nortre  eftre,  &  que  nous  fub- 
firtons  par  nous  mefmes,  ou  par  quelque  autre  moyen  ;  de  ce  que 
nous  fuppoferons  cet  autheur  moins  puiffant,  nous  aurons  touf- 
jours  d'autant  plus  de  fujet  de  croire  que  nous  ne  fommes  pas  fi 
parfaits,  que  nous  ne  puiflions  eftre  continuellement  abufez. 

6.  Que  nous  auons  vn  libre  arbitre  qui  fait  que  nous  pouuons  nous  abjienir 
de  croire  les  chofes  douteufes,  &  ainji  nous  empefcher  d'ejire  trompe^. 

Mais  quand  celuy  qui  nous  a  créez  feroit  tout-puiffant,  &  quand 
mefmes  il  prendroit  plaifir  à  nous  tromper,  nous  ne  lailïons  pas 
d'efprouuer  en  nous  vne  liberté  qui  eft  telle  que,  toutes  les  fois  qu'il 
nous  plaill,  nous  pouuons  nous  abftenir  de  receuoir  en  noftre 
croyance  les  chofes  que  nous  ne  connoiffons  pas  bien,  &  ainfi  nous 
empefcher  d'ertre  jamais  trompez. 

7.  Que  nous  ne  Jqaurions  douter  fans  ejire^  &  que  cela  ejï  la  première 
connoiffance  certaine  qu'on  peut  acquérir. 

Pendant  que  nous  rejettons  en  cette  forte  tout'  ce  dont  nous 
pouuons  douter,  &  que  nous  feignons  mefmes  qu'il  ert  faux,  nous 
fuppofons  facilement  qu'il  n'y  a  point  de  Dieu,  ny  de  ciel,  ny  de 
terre...,  ^  que  nous  n'auons  point  de  corps;  mais  nous  ne  fçau- 
rions  fuppofer  de  mefme,  que  nous  ne  fommes  point,  pendant  que 
nous  doujtons  de  la  vérité  de  toutes  ces  chofes  :  car  nous  auons  tant 
de  répugnance  à  conceuoir  que  ce  qui  penfe  n'elt  pas  véritablement 
au  mefme  temps  qu'il  penfe,  que,  nonobjtant  toutes  les  plus  extra- 
uagantes  fuppojtlions,  nous  ne  fçaurions  nous  empefcher  de  ci'oire 
que  cette  conclufion  :  Ie  pense,  donc  ie  suis,  ne  foit  vraye,  &  par 
confequent  la  première  &  la  plus  certaine,  qui  fe  prefente  à  celuy 
qui  conduit  fes  penfées  par  ordre. 

a.  Article  précédent. 

c 


28  OEuVRES    DE    D  ESC ARTES. 


8.  Qu'on  connoiji  aiijfi  en  fuite  la  dijiinâion  qui  eji  entre  Vame  &  le  corps. 

Il  me  femble  aufli  qtie  ce  biais  cil  tout  le  meilleur  que  nous  puif- 
fions  choijir  pour  connoiitre  b  nature  de  l'anie,  «Se  qu'elle  elt  vue 
fuhffance  entièrement  dillincte  du  corps  :  car,  examinant  ce  que 
nous  Ibmmes,  nous  qui  penfons  maintenant  qu'il  n'y  a  rien  hors  de 
nq/lre  pen/ée  qui  foi l  veritablemcnl  ou  qui  exi/lc,  nous  connoilfons 
manifeftement  que,  pour  ejtre,  nous  n'auons  pas  belbin  d'extenlion, 
de  ligure,  d'eftre  en  aucun  lieu,  ny  d'aucune  autre  telle  choie  qu'on 
peut  attribuer  au  corps,  &  que  nous  fommes  par  cela  feul  que  nous 
penfons  ;  &  par  confequent,  que  la  notion  que  nous  auons  de  nollre 
ame  ou  de  noftre  penfée  précède  celle  que  nous  auons  du  corps, 
&  qu'elle  eft  plus  certaine,  vcu  que  nous  doutons  encore  qu'il j'  ait 
au  monde  aucun  corps,  &  que  nous  Içauons  certainement  que  nous 
penlbns. 

<?.  Ce  que  c'ejl  que  penfer. 

I  Par  le  mot  de  penfer,  j'entends  tout  ce  qui  le  fait  en  nous  de  telle 
forte  que  nous  l'apperceuons  immédiatement  par  nous-mefmes...  ; 
c'eft  pourquoy  non  feulement  entendre,  vouloir,  imaginer,  mais 
aufli  fentir,  ell  la  mefme  chofe  icy  que  penfer.  Car  i\  je  dy  que 
je  voyou  que  je  marche,  &  que  j'infère  de  là  que  je  fuis  ;  fi  j'en- 
tends parler  de  ra«:\ion  qui  fe  fait  auec  mes  yeux  ou  auec  mes 
jambes,  cette  conclulion  n'ell  pas  tellement  infaillible  que  ie  n'aye 
quelque  fujet  d'en  douter,  à  ccufe  qu'il  fe  peut  faire  que  je  penfe 
voir  ou  marcher,  encore  que  je  n'ouure  point  les  yeux  &  que  je  ne 
bouge  de  ma  place;  car  cela  m'arriue  quelquefois  en  dormant,  &  le 
mefme  pourroit  peut-ellre  arriuer  fi  je  n'auois  point  de  corps  :  au 
lieu  que,  fi  j'entepds  parler  feulement  de  l'aéîion  de  ma  penfée,  ou 
du  fentiment,  c'efi  à  dire  de  la  connoilfance  qui  eft  en  moy,  qui  fait 
qu'il  me  femble  que  je  voy  ou  que  je  marche,  cette  mefme  conclu- 
fion  eft/  abfolument  vraye  que  je  n'en  peux  douter,  à  caufe  qu'elle 
fe  rapporte  à  l'ame,  qui  feule  a  la  faculté  de  fentir,  ou  bien  de 
penfer  en  qiielqu  autre  façon  que  cefoit. 

10.  Qu'il  y  a  des  notions  d'elles-mefmes  ft  claires  qu'on  les  obfcurcit  en 
les  voulant  définir  à  lafaqon  de  l'efcôle,  S' qu'elles  ne  s'aquierent  point 
par  efiude,  mais  naiffent  auec  nous. 

le  n'explique  pas  icy  plufieurs  autres  termes  dont  je  me  fuis  def-ja 
fcruy,  &  dont  je  fais  cllat  de  me  feruir  cy-apres  ;  car  je  ne  pcnfe 


Principes.  —  Première  Partie.  29 

pas  que,  |  parmy  ceux  qui  liront  mes  efcrits,  il  s'en  rencontre  de  li 
ftupides  qu'ils  ne  puiffent  entendre  d'eux-mefmes  ce  que  ces  termes 
fignifient.  Outre  que  i'ay  remarqué  que  les  Philofophes...,  en 
tafchant  d'expliqper,  par  les  règles  de  leur  Logique,  des  chofes  qui 
font...  manifeftes  d'elles-mefmes,  n'ont  rien  fait  que  les  obfcurcir; 
&  lors  j'ay  dit  que  cette  propofition  :  Je  pense,  donc  je  sois,  eft  la 
première  &  la  plus  certaine  qui  fe  prefente  à  celuy  qui  conduit  fes 
penfées  par  ordre,  je  n'ay  pas  pour  cela  nié  qu'il  ne  fallut  fçauoir 
auparauant  ce  que  c'eit  que  penfée,  certitude,  éxiltence,  &  que  pour 
penfer  il  faut  ertre,  &  autres  chofes  femblables  ;  mais,  à  caufe  que 
ce  font  là  des  notions  fi  fimples  que  d'elles-mefmes  elles  ne  nous 
font  auoir  la  connoilfance  d'aucune  choie  qui  exiite,  je  n'ay  pas 
jugé  qu'elles  deuflcnt  eltre  mifes  icy  en  compte. 

//.  Comment  nous pouuons  plus  clairement  connoijlre  nojlre  ame 
que  nojlre  corps. 

Or,  afin  de  fçauoir  comment  la  connoiiiance  que  nous  auons  de 
noftre  per'ee,  précède  celle  que  nous  auons  du  corps...,  &  qu'elle 
eft  incomparablement  plus  éuidente,  &  telle,  qu'encore  qu'il  ne  fujl 
point,  nous  aurions  rai/on  de  conclura  qu'elle  ne  laijferoit  pas  d'ejîre 
tout  ce  qu'eir  ejl,  nous  remarquerons  qu'il  eft  manifefte,  par  vne 
lumière  qui  eft  naturellement  en  nos  âmes,  que  le  néant  n'a  au- 
cunes qualitezl  ny  proprietez  qui  lui /oient  affeâées,  &  qu'où  nous 
en  apperceuons  quelques-vnes,  il  fe  doit  trouuer  neceft'airement  vne 
chofe  ou  fubftance  dont  elles  dépendent.  Cette  mel'me  lumière  nous 
montre  aulfi  que  nous  connoilVons  d'autant  mieux  vne  chofe  ou 
fubftance,  que  nous  remarquons  en  elle  dauantage  de  proprietez. 
Or  il  eft  certain  que  nous  en  remarquons  beaucoup  plus  en  noftre 
penfée  qu'en  aucune  autre  chofe,  d'autant  qu'il  n'y  a  rien  qui  nous 
excite  à  connoiftre  quoy  que  ce  foit,  qui  ne  nous  porte  encore  plus 
certainement  à  connoiftre  noftre  penfée.  Par  exemple,  fi  je  me  per- 
fuade  qu'il  y  a  vne  terre  à  caufe  que  je  la  touche  ou  que  je  la  voy, 
de  cela  mefme,  par  vne  railbn  encore  plus  forte,  je  dois  eftre  per- 
fuadé  que  ma  penfée  ejl  ou  exifte,  à  caufe  qu'il  fe  peut  faire  que  je 
penfe  toucher  la  terre,  encore  qu'il  n'y  ait  peut-eftre  aucune  terre  au 
monde,  &  qu'il  n'eft  pas  polîible  que  moy,  c'eft  à  dire  mon  ame, 
ne  foit  rien  pendant  qu'ell'a  cette  penfée.  Nous  pouuons  conclurrc 
le  mefme  de  toutes  les  autres  choies  qui  nous  vienent  en  la  penfée, 
à  fçauoir  que  nous,  qui  les  peufons,  exijlons,  encore  quelles  foient 
peut-ejire  fauffes  ou  qu'elles  n'ayent  aucune  exijfencc. 


JO 


Œuvres  de  Descartes. 


12.  D'où  vient  que  tout  le  monde  ne  la  connoijl  pas  en  cette  faqon. 

Ceux  qui  n'ont  pas  philolbphé  par  ordre  ont  eu  d'autres  opinions 
9  fur  ce  fujet,  pource  |  qu'ils  n'ont  jamais  diftingué  affez  foigneufe- 
ment  leurame,  ou  ce  qui  penfe,  d'auec  le  corps,  ou  ce  qui  eji  ejlendu 
en  longueur,  largeur  &  profondeur.  Car  encore  qu'ils  ne  fillent  point 
difficulté  de  croire  qu'ils  elloient  dans  le  monde,  &  qu'ils  en  euffent 
vne  alfurance  plus  grande  que  d'aucune  autre  chofe,  neantmoins, 
comme  ils  n'ont  pas  pris  garde  que,  par  ^  eux,  lors  qu'il  ejîoit  quejlion 
d'vne  certitude  Metaphijîque ,  ils  deuoient  entendre  feulement  leur 
penfée,  &  qu'au  contraire  ils  ont  mieux  aymé  croire  que  c'eftoit 
leur  corps,  qu'ils  voyoient  de  leurs  yeux,  qu'ils  touchoient  de  leurs 
mains,  &  auquel  ils  attribuoient  mal  à  propos  la  faculté  de  fentir, 
ils  n'ont  pas  connu  diftindement  la  nature  de  leur  ame. 

i3.  En  quelfens  on  peut  dire  que,  fi  on  ignore  Dieu,  on  ne  peut  auoir 
de  connoijfance  certaine  d'aucune  autre  chofe. 

Mais,  lors  que  la  penfée,  qui  fe  connoift  foy-mefme  en  cette  façon, 
Honobjîant  qu'elle  perfijle  encore  à  douter  des  autres  chofes,  vfe  de 
circonfpeclion  pour  tafcher  d'ellendre  fa  connoilTance  plus  auant, 
elle  trouue  en  foy,  premièrement,  les  idées  de  plufieurs  chofes  ; 
&  pendant  qu'elle  les  contemple  iimplement,  &  qu'elle  n'alfeure  pas 
qu'il  y  ait  rien  hors  de  foy  qui  foit  femblable  à  ces  idées,  &  qu'aulîi 
elle  ne  le  nie  pas,  elle  ell  hors  de  danger  de  fe  méprendre.  Elle  ren- 
contre aulTi  quelques  notions  communes,  dont  elle  compofe  des  de- 
10  monrtrations...,  [qui  la  perfuadent  fi  abfolument,  qu'elle  ne  fçauroit 
douter  de  leur  vérité  pendant  qu'elle  s'y  applique.  Par  exemple,  elle 
a  en  foy  les  idées  des  nonlbres  &  des  figures;  elle  a  aufli,  entre  les 
communes  notions,  u  que,  fi  on  adjoulle  des  quantitez  égales  à 
d'autres  quantité/  égales,  les  tous  feront  égaux  »  &  beaucoup 
d'autres  aufli  éuidentcs  que  ccSle-cy,  par  lefquelles  il  eft  aifé  de 
démontrer  que  les  trois  angles  d'vn  triangle  sont  égaux  à  deux 
droits,  &c.  Tant  qu'elle  apperçoita'5  notions  6-  l'ordre^'  dont  elle  a 
déduit  cette  conclufion  ou  d'autres  femblables,  elle  efl:  tres-a(lurée 
de  leur  vérité  ;  mais,  comme  elle  ne  fçauroit  y  penfer  touf-jours 
auec  tant  d'attention,  lors  qu'il  arriue  qu'elle  fe  fouuient  de  quelque 

a.  «  Par  eux  »,  traduction  exacte  du  latin  per  se  ipsos.  Les  éditions  sui- 
vantes donnent,  à  tort,  «  pour  eux  ». 

b.  «  Prxmissas  ex  quibus.  <■ 


Principes.  —  Première  Partie.  j  i 

conclitjion  faits  prendre  garde  à  l'ordre  dont  elle  peut  ejire  démontrée, 
<S^  que  cependant  elle  penfe  que  l'Autlieur  de  Jon  eJire  aurait  peu  la 
créer  de  telle  nature  qu'elle  fe  méprilt...  en  tout  ce  qui  luy  femble 
tres-éuident,  elle  voit  bien  qu'elle  a  vn  julle  fujet  de  fe  défier  de  la 
vérité  de  tout  ce  qu'elle  n'apperçoit  pas  dijlinâement,  &  qu'elle  ne 
fçauroit  auoir  aucune  fcience  certaine,  julques  à  ce  qu'elle  ait  connu 
celuy  qui  l'a  créée. 


14.  Qu'on  peut  démontrer  qu'il  y  a  vn  Dieu,  de  cela  feul  que  la  necejfité 
d'ejîre  ou  d'exijler  ejl  comprije  en  la  notion  que  nous  auons  de  luy. 

Lors  que,  par  après,  elle  /ti//  vne  reueuë  fur  les  diuerfes  idées  ou 
notions  qui  font  en  foy,  &  qu'elle  y  trouue  celle  d'vn  eftre  tout  con- 
noifjfant,  tout-puiffant  &  extrêmement  parfait...,  elle  juge  facilement,  11 
par  ce  qu'elle  apperçoit  en  cette  idée,  que  Dieu,  qui  efl  cet  Eftre  tout 
parfait,  efl  ou  exifle  :  car,  encore  qu'elle  ait  des  idées  difîincles  de 
plufiews  autres  chofes,  elle  n'y  remarque  rien  qui  l'ajfure  de  l'exi- 
Jlence  de  leur  objet;  au  lieu  qu'oui  apperçoit  en  celle-cy,  non  pas 
feulement,  comme  dans  les  autres,  vne  exiftence  po(fibIe...,mais  vne 
abfolument  necelfaire  &  éternelle.  Et  comme,  de  ce  qu'elle  voit 
qu'il  elt  neceffairement  compris  dans  l'idée  qu'elle  a  du  triangle, 
que  fes  trois  angles  foient  égaux  à  deux  droits,  elle  fe  perfuade  abfo- 
lument que  le  triangle  a  trois  angles  égaux  à  deux  droits:  de  mefme, 
de  cela  feul  qu'elle  apperçoit  que  l'exillence  neceffaire  &  étemelle 
eft  comprife  dans  l'idée  qu'elle  a  d'vn  Elire  tout  parfait,  elle  doit 
conclure  que  cet  Elire  tout  parfait  efl  ou  exille. 

i5.  Que  la  necejjité  d'ejîre  n' efl  pas  ainji  comprife  en  la  notion  que  nous 
auons  des  autres  chofes,  mais  feulement  le  pouuoir  d'être. 

Elle  pourra  s'alfurer  encore  mieux  de  la  vérité  de  cette  concluftofi, 
il  elle  prend  garde  qu'elle  n'a  point  en  foy  l'idée  ou  la  notion  d'au- 
cune autre  chofe  où  elle  puiffe  reconnoiftre  vne  exiftence  qui  foit 
ainfi  abfolument  necelfaire.  Car  de  cela  feul  elle  fçaura  que  l'idée 
d'vn  Eftre  tout  parfait  n'eft  point  en  elle  par  vne  fixion,  comme 
celle  qui  reprefente  vne  chimère,  mais  qu'au  contj^aire,  elle  y  efl 
empreinte  par  vne  na|ture  immuable  &  vraye,  &  qui  doit  necef-  12 
fairement  exifter,  pource  qu'elle  ne  peut  eftre  conceuë  qu'auec  vne 
exiftence  ntceflaire. 


}2  Œuvres  de  Descartes. 


i6.  Que  les  préjuge:^  empefchent  que  pîufteurs  ne  connoiffent  clairement 
cette  neceJjUté  d'eftre  qui  eji  en  Dieu. 

Nq/lre  ame  ou  notre  penfée  n'auroit  pas  de  peine  à  fe  perfuader 
cette  vérité,  fi  elle  eltoit  libre...  de  fes  préjugez  ;  mais,  d'autant  que 
nous  Ibmmes  accouftumez  à  diftinguer  en  toutes  les  autres  chofes 
l'effence  de  l'exiftence,  &  que  nous  pouuons  feindre  à  plaifir  plu- 
fieurs  idées  de  chofes  qui...  peut-ejlre  n'ont  jamais  tûé&qui  ne  feront 
peut-ejire  jamais,  lors  que  nous  n'éleuons  pas  comme  il  faut  nojlre 
efprit  à  la  contemplation  de  cet  Eftre  tout  parfait,  il  fe  peut  faire 
que  nous  doutions  fi  l'idée  que  nous  auons  de  luy  n'eft  pas  Tvne 
de  celles  que  nous  feignons  quand  bon  nous  femble,  ou  qui  font 
pojjibles,  encore  que  l'exiftence  ne  foit  pas  necejfairement  comprife 
en  leur  nature*. 

ij.  Que,  d'autant  que  nous  conceuons  plus  de  perfeâion  en  vne  chofes 
d'autant  deuons-nous  croire  que  fa  caufe  doit  aufji  ejlre  plus  parfaite. 

De  plus,  lors  que  nous  faifons  reflexion  fur  les  diuerfes  idées  qui 
font  en  nous,  il  eft  aifé  d'apperceuoir  qu'il  n'y  a  pas  beaucoup  de 
différence  entre  elles,  en  tant  que  nous  les  co7ifiderons  fîmplement 
comme  les  dépendances  ''  de  noflre  ame  ou  de  noftre  penfée,  mais 
qu'il  y  en  a  beaucoup,  en  tant  que  l'vne  reprefente  vne  chofe, 
&  l'autre  vne  autre;  &  mefme,  que  leur  caufe  doit  èftre  d'autant 
plus  parfaite,  que  ce  qu'elles  reprefentent  de  leur  objet  a"  plus  de 
18  perfedion.  Car,  tout  |  ainfi  que,  lors  qu'on  nous  dit  que  quelqu'vn  a 
l'idée  d'vne  machine  où  il  y  a  beaucoup  d'artifice,  nous  auons  raifon 
de  nous  enquérir  comment  il  a  peu  auoir  cette  idée  :  à  fçauoir,  s'il 
a  veu  quelque  part  vne  telle  machine  faite  par  vn  autre,  ou  s'il  a  fi 
bien  apris  la  fcience  des  mechaniques,  ou  s'il  eft  auantaffé  (ï\nQ  telle 
viuacité  d'efprit,  que  de  luy-mefme  il  ait  peu  l'inuenter  fans  auoir 
rien  veu  de  femblable  ailleurs;  à  caufe  que  tout  l'artifice  qui  eft 
reprefente  dans  l'idée  qu'a  cet  homme...  ainfi  que  dans  vn  tableau, 
doit  eftre...  en  fa  première  &  principale  caufe,  non  pas  feulement 
par  imitation^,  mais  en  effet...  de  la  mefme  forte,  ou  dVne  façon 
encore  plus  éminente*  qu'il  n'eft  reprefente  : 

a.  Laiin  :  <»  ad  quarum  csscntiam.  » 

b.  «  Les  dépendances  ».  Latin  :  «  modi  ». 

c.  «  Plus  perfedionis  objectivae  in  se  continent.  » 

d.  «  Objective  sivc  repraesentative.  » 

c.  «  Reipsâ  tormaliter  aut  eminenter.  » 


Principes.  —  Première  Partie.  j } 

i8.  Qu'on  peut  derechef  démontrer  par  cela  qu'il  j"  a  vn  Dieu. 

De  mefme,  pource  que  nous  trouuons  ea  nous  l'idée  d'vn  Dieu  ou 
d'vn  Elire  tout  parfait,  nous  pouuons  rechercher  la  caufe  qui  fait 
que  cette  idée  eft  en  nous;  mais,  après  auoir  confideré  auec  attention 
combien  font  immenfes  les  perfections  quelle  nous  reprefente,  nous 
fommes  contraints  d'aduoiier  que  nous  ne  fçaurions  la  tenir  que 
d'vn  Eftre  tres-parfait,  c'eft  à  dire  d'vn  Dieu  qui  ell  véritablement 
ou  qui  exifte,  pource  qu'il  eft  non  feulement  manifefte  par  là  lumière 
naturelle  que  le  néant  ne  peut  eftre  autheur  de  quoy  que  ce  foit,  & 
que  le  plus  parfait  ne  fçauroit  eftre  vue  fuite  &  vne  de\pendance*  du  14 
moins  parfait,  mais  aufli  pource  que  nous  poj'ons,  par  le  moyen  de 
cette  mefme  lumière,  qu'il ^eft  impoffible  que  nous  ayons  l'idée  ou 
l'image  de  quoy  que  ce  foit,  s'il  n'y  a...,  en  nous  ou  ailleurs,  vn  ori- 
ginal qui  comprenne  en  effet  toutes  les  perfections  qui  nous  font 
ainfi  reprefentées.  Mais  comme  nous  fçauons  que  nous  fommes  fujets 
à  beaucoup  de  deffauts,  &  que  nous  ne  poifedons  pas  ces  extrêmes 
perfections  dont  nous  auons  l'idée,  nous  deuons  conclure  qu'elles 
font  en  quelque  nature  qui  eft  différente  de  la  noftre  &  en  effet  IreS'  . 
parfaite,  c'eft  à  dire  qui  eft  Dieu;  ou  du  moins  qu'elles  ont  efté 
autrefois  en  cette  chofe  ;  &  il  fuit...,  de  ce  qu'elles  efi oient  infinicSt 
qu'elles  y  font  encore. 

ig.  Qu'encore  que  nous  ne  comprenions  pas  tout  ce  qui  ejl  en  Dieu,  il 
n'y  a  rien  toutefois  que  nous  ne  connoifjions  Ji  clairement  comme  fes 
perfeâions, 

le  ne  voy  point  en  cela  de  difficulté,  pour  ceux  qui  ont  accouftumc 
leur  efprit  à  la  contemplation  de  la  Diuinité,  &  qui  ont  pris  garde 
à  fes  perfedions  infinies.  Ccr,  encore  que  nous  ne  les  comprenions 
pas,  pource  que  la  nature  uc  iMnfiny  eft  telle  que  des  pcnfées  finies 
ne  le  fçauroient  comprendre,  nous  les  conceuons  heantmoins  plus 
clairement  &  plus  diftindement  que  les  chofes  matérielles,  à  caufe 
qu'eftant  plus  fimples  &  n'eftant  point  limitées,  ce  que  nous  en  con- 
ceuons eft  beaucoup  moins  confus".  Aufft  il  n'y  a  point  defpeculation 
qui  I  puiffe  plus  ayder  à  perfeâionner  noflre  entendement  &  qui  foit  15 
plus  importante  que  celle-cy,  d'autant  que  la  confderation  d'vn  objet 
qui  n'a  point  de  bornes  en  fes  perfeâions  nous  comble  de  fatisffiâion 
&  d'ajfeurance. 

a.  «  Ut  a  causa  efficiente  et  totali  produci.  • 

b.  ■•<.  Quia  cogitationem  nostram  magis  implant.  >< 

Œuvres.  IV.  19 


34  Œuvres  de  Descartes. 


•2  0.  Que  nous  ne  fommes  pas  la  caufe  de  nous  me/mes,  mats  que  c'eji  Dieu, 
&  que  par  cànfequent  il  y  a  vn  Dieu. 

Mais  tout  le  monde  n'y  prend  pas  garde  comme  il  faut  ;  &  pource 
que  nous  fçauons  affez,  lors  que  nous  auons  vne  idée  de  quelque 
machine  où  il  y  a  beaucoup  d'artifice,  la  façon  dont  nous  l'auons 
eue,  &  que  nous  ne  fçaurions  nous  fouuenir  de  mefme  quand  l'idée 
que  nous  auons  d'vn  Dieu  nous  a  efté  communiquée  de  Dieu,  à 
caufe  qu'elle  a  touf-jours  efté  en  nous,  il  faut  que  nous  facions 
encore  cette  reueuë,  (^  que  nous  recherchions  quel  eft  donc  l'autheur 
de  nojire  ame  ou  de  nojtre penfée,  qui  a  en  foy  l'idée  des  perfedions 
infinies  qui  font  en  Dieu  :  pource  qu'/7  ejl  éuident  que  ce  qui  con- 
noit  quelque  chofe  de  plus  parfait  que  foy,  ne  s'eft  point  donné 
l'eftre,  à  caufe  que  par  mefme  moyen  il  fe  feroit  donné  toutes  les 
perfections  dont  il  auroit  eu  connoiflance;  &  par  confequent  qu'il  ne 
fçauroit  fubfifter  par  aucun  autre  que  par  celuy  qui  poffede  en  effed 
toutes  ces  perfedions,  c'eft  à  dire  qui  eft  Dieu. 

21.  Que  la  feule  durée  de  nojire  vie  fuffit  pour  démontrer  que  Dieu  eJL 

le  ne  croy  pas  qu'on  doute  de  la  vérité  de  cette  demonftration, 

pourueu  qu'on  prenne  garde  à  la  nature  du  temps  ou  de  la  durée 

16     de  I  noflre  vie.  Car,  eftant  telle  que  fes  parties  ne  dépendent  point 

les  vnes  des  autres  &  n'exiftent  jamais  enfemble,  de  ce  que  nous 

fommes   maintenant,  il  ne    s'enfuit  pas  neccjfairement   que   nous 

foyons  vn  moment  après,  fi  quelque  caufe,  à  fçauoir  la  mefme  qui 

nous  a  produit,  ne  continue  à  nous  produire,  c'ell  à  dire  ne  nous 

conferue.  Et  nous  connoilTons  aifement  qu'il  n'y  a  point  de  force 

en  nous  par  laquelle  nous  puiflions  fubjifler  ou  nous  conferuer  vn 

feul  moment  &  que  celuy  qui  a  tarit  de  puifTance   qu'il  nous  fait 

fubjijîer  hors  de  luy  &  qui  nous  conferue,  doit.,,  fe  conferuer  foy- 

mefme,  ou  pluftoft  n'a  beibin  d'eftre  conferue  par  qui  que  ce  (bit, 

&  enfin  qu'il  eft  Dieu. 

2  2.  Qu'en  connoijfant  qu'il  y  a  vn  Dieu,  en  la  faqon  icy  expliquée,  on 
connoit  aujfi  tous  fes  attributs,  autant  qu'ils  peuuent  ejlre  connus  par 
la  feule  lumière  naturelle. 

Nous  rcceuons  encore  cet  auantage,  en  prouuant  de  cette  forte 
l'exiftencc  de  Dieu...*,  que  nous  connoilfons  par  mefme  moyen  ce 

a.  «  Per  ejus  scilicet  ideam.  » 


Principes.  —  Première  Partie.  35 

qtril  eft,  autant  que  le  permet  la  foibleffe  de  noftre  nature.  Car, 
faifant  reflexion  fur  l'idée  que  nous  auons  naturellement^  de  luy, 
nous  voyons  qu'il  eft  éternel,  tout  connoiffant,  tout  puiffant,  fource 
de  toute  bonté  &  vérité,  créateur  de  toutes  chofes,  &  qu'enfin  il  a 
en  foy  tout  ce  en  quoy  nous  pouuons  reconnoiftre...  quelque  per- 
fedion  infinie,  ou  bien  qui  n'eft  bornée  d'aucune  imperfedion. 

23.  Que  Dieu  n'eft  point  corporel,  &  ne  connoit  point  par  Vayde  des  fens 

comme  nous,  &  n'eft  point  Autheur  du  péché. 

Car  il  y  a  des  chofes  dans  le  monde  qui  font  |  limitées  &  en  17 
quelque  façon  imparfaites,  encore  que  nous  remarquions  en  elles 
quelques  perfections  ;  mais  nous  conceuons  aifemenl  qu'W  n'eft  pas 
poffible  qu'aucunes  de  celles-là  foient  en  Dieu.  Ainfi,  pource  que 
l'extenfion  conftituë  la  nature  du  corps,  &  que  ce  qui  eft  eftendu 
peut  eftrc  diuifé  en  plufieurs  parties,  &  que  cela  marque  du  deffaut, 
nous  concluons  que  Dieu  n'eft  point  vn  corps.  Et  bien  que  ce  foit 
vn  aduantage  aux  hommes  d'auoir  des  fens,  neantmoins,  à  caufe 
que  les  fentimcns  fe  font  en  nous  par  des  impreflions  qui  viennent 
d'ailleurs,  &  que  cela  témoigne  de  la  dépendance,  nous  concluons 
aufti  que  Dieu  n'en  a  point;  mais  qu'il  entend  &  veut,  non  pas 
encore  comme  nous  par  des  opérations  aucunement  différentes, 
mais  que  touf-jours,  par  vne  mefme  &  tres-fimple  adion,  il  entend, 
veut  &  fait  tout,  c'eft  à  dire  toutes  les  chofes  qui  font  en  effet  ;  car 
il  ne  veut  point  la  malice  du  péché,  pource  qu'elle  n'eft  rien. 

24.  Qu'après  avoir  connu  que  Dieu  eft  pour  pajfer  à  la  connoiffance  des 
créatures,  il  fe  faut  fouuenir  que  noftre  entendement  eft  finy,  &  la 
puiffance  de  Dieu  infinie. 

Apres  auoir  ainfi  connu  que  Dieu  exifte  &  qu'il  eft  l'autheur  de 
tout  ce  qui  eft  ou  qui  peut  eftre,  nous  fuiurons  fans  doute  la  meil- 
leure méthode  dont  on  fe  puiffe  feruir  pour  decouurir  la  vérité,  fi, 
de  la  connoiffance  que  nous  auons  de  fa  nature,  nous  paffons  à 
l'explication  des  chofes  qu'il  a  créées,  &  fi  nous  |  effayons  de  la  18 
déduire  en  telle  forte  des  notions  qui  font  naturellement  en  nos  âmes, 
que  nous  ayons  vne  fcience  parfaite,  c'eft  à  dire  que  nous  connoif- 
fions  les  effets  par  leurs  caufes.  Mais,  afin  que  nous  puifïïons  l'en- 
treprendre auec  plus  de  fureté...,  nous  nous  fouuiendrons,  toutes 

a.  «<  Nobis  ingenitam.  » 


j6  Œuvres  de  Descartes. 

les  fois  que  nous  voudrons  examiner  la  nature  de  quelque  chofe^  que 
Dieu,  qui  en  eft  l'Autheur,  eft  infiny,  &  que  nous  fommes  entière- 
ment finis. 

25.  Et  qu'il  faut  croire  tout  ce  que  Dieu  a  reuelé,  encore  qu'il  foi  t 
au  deffus  de  la  portée  de  nojire  efprit. 

Tellement  que,  s'il  nous  fait  la  grâce  de  nous  reueler...,  ou  bien  à 
quelques  autres,  des  chofes  qui  lurpâflent  la  portée  ordinaire  de 
noitre  efprit,  telles  que  font  les  myfteres  de  Tlncarnatioii  &  de  la 
Trinité,  nous  ne  ferons  point  difficulté  de  les  croire,  encore  que 
nous  ne  les  entendions  peut-ejlre  pas  bien  clairement.  Car  nous 
ne  deuons  point  trouuer  ellrange  qu'il  y  ait  en  fa  nature,  qui  eft 
immenfe,  &  en  ce  qu'il  a  fait,  beaucoup  de  chofes  qui  furpaffent  la 
capacité  de  noftre  efprit. 

26.  Qu'il  ne  faut  point  tafcher  de  comprendre  l'infny,  mais  feulement 
penfer  que  tout  ce  en  quoi  nous  ne  trouuons  aucunes  bornes  efl  indejiny. 

Ainfy  nous  ne  nous  embaraflerons  jamais  dans  les  difputes  de 
l'infiny;  d'autant  qu'il  feroit  ridicule  que  nous,  qui  fommes  finis, 
entrepriflions  d'en  déterminer  quelque  chofe,  &  par  ce  moyen  le 
fuppofer  finy  en  tafchant  de  le  comprendre.  C'eft  pourquoy  nous  ne 
nous  foucierons  pas  de  répondre  à  ceux  qui  demandent  |  li  la  moi- 
tié d'vne  ligne  infinie  eft  infinie,  &  fi  le  nombre  infiny  eft  pair  ou 
non  pair,  &  autres  chofes  femblables,  à  caufe  qu'il  n'y  a  que  ceux 
qui  s'imaginent  que  leur  efprit  eft  infiny,  qui  femblent  deuoir  exa- 
miner telles  difficultés.  Et  pour  nous,  en  voyant  des  chofes  dans 
lefquelles,  félon  certain  fens,  nous  ne  remarquons  point  de  limites, 
nous  n'affurerons  pas  pour  cela  qu'elles  foient  infinies,  mais  nous 
les  eftimerons  feulement  indéfinies'.  Ainfi,  pource  que  nous  ne 
fçaurions  imaginer  vne  eftendutf  fi  grande,  que  nous  ne  conceuions 
en  mefme  temps  qu'il  y  en  peut  auoir  vne  plus  grande,  nous  dirons 
que  l'eftenduë  des  chofes  poflibles  eft  indéfinie.  Et  pource  qu'on  ne 
fçauroit  diuifer  vn  corps  en  des  parties  fi  petites,  que  chacune  de 
ces  parties  ne  puiffe  eftrc  diuifée  en  d'autres  plus  petites,  nous  pen- 
ferons  que  la  quantité  peut  cftre  diuifée  en  des  parties  dont  le 
nombre  eft  indefiny.  Et  pource  que  nous  ne  fçaurions  imaginer  tant 
d'eftoiles,  que  Dieu  n'en  puifte  créer  dauantage,  nous  fuppoferons 
que  leur  nombre  eft  indefiny  &  ainfi  du  rcftc. 

a.  Voir  Correspondance,  t.  V,  p.  167. 


Principes.  —  Première  Partie.  57 


27.  Quelle  différence  il  y  a  entre  indefiny  &  inHny. 

Et  nous  appellerons  ces  chofcs  indéfinies  plullolt  qu'infinies,  afin 
de  referuer  à  Dieu  feul  le  nom  d'infiny  ;  tant  à  caufe  que  nous  ne 
remarquons  point  de  bornes  en  fes  perfcâiotis,  comme  aufli  à  caufe 
que  nous  fommes  tres-affulrés  qu'il  n'y  en  peut  auoir.  Pour  ce  qui  20 
e(t  des  autres  chofes,  nous  /cations  qu'elles  ne  font  pas  ainjt  abfolu- 
ment  parfaites,  pource  que,  encore  que  nous  y  remarquions  quel- 
quefois des  propriétés  qui  nous  femblent  n'auoir  point  de  limites, 
nous  ne  laiffons  pas  de  connoijîre  que  cela  procède  du  deffaut  de  nojîre 
entendementy  &  non  point  de  leur  nature  '\ 

28.  Qu'il  ne  faut  point  examiner  pour  quelle  fin  Dieu  a  fait  chaque  chofe, 
mais  feulement  par  quel  moyen  il  a  voulu  qu'elle  fujl  produite. 

Nous  ne  nous  arreflerons  pas  aufTi  à  examiner  les  fins  que  Dieu... 
s'elt  propofé  en  créant  le  monde,  <S'  nous  rejeterons  entièrement  de 
noflre  Philofophie  la  recherche  des  caufe  s  finales  :  car  nous  ne  deuons 
pas  tant  prefumer  de  nous-mefmes,  que  de  croire  que  Dieu  nous 
ait  voulu  faire  part  de  fes  confeils;  mais,  le  confiderant  comme 
l'Autheur  de  toutes  chofes,.  nous  tafcherons  feulement  de  trouuer, 
par  la  faculté  de  raifonner  qu'il  a  mife  en  nous,  comment  celles 
que  nous  apperceuons  par  i'eniremife  de  nos  fens  ont  pu  eftre  pro- 
duites; &  nous  ferons  affurez,  par  ceux  de  fes  attributs  dont  il  a 
voulu  que  nous  ayons  quelque  connoiffance,  que  ce  que  nous  aurons 
î>ne  fois  apperceu  clairement  &  diftinâement  apartenir  à  la  nature 
de  ces  chofes  y  a  la  perfeâion  d'être  vraj'. . . 

2 g.  Que  Dieu  n*ejl  point  la  caufe  de  nos  erreurs. 

Et  le  premier  de  fes  attributs  qui  femble  deuoir  eftre  icy  confi- 
deré,  confifte  en  ce  qu'il  eft  tres-veritable  &  la  fource  de  toute  lu- 
mière, de  forte  |  qu'il  n'eft  pas  poflible  qu'il  nous'  trompe,  c'eft  à  21 
dire  qu'il  foit  diredement"  la  caufe  des  erreurs  aufquelles  nous 
fommes  fujets  &  que  nous  expérimentons  en  nous-mefmes.  Car, 
encore  que  l'adrelfe  à  pouuoir  tromper  femble  eftre  vne  marque  de 
fubiilité  d'efprit  entre  les  hommes,  neantmoins  jamais  la  volonté 

a.  La  traduction  évite  ici  les  termes  techniques />oj/7/W  et  négative. 

b.  Latin  :  proprie  ac  positive. 


?8 


Œuvres  de  Descartes. 


de  tromper  ne  procède  que  de  malice,  ou  de  crainte  &  de  foiblefl'e, 
&  par  coni"equent  ne  peut  eftre  attribuée  à  Dieu. 

3o.  Et  que  par  confequent  tout  cela  eft  vray  que  nous  connojffons  claire- 
ment eftre  vray,  ce  qui  nous  deliure  des  doutes  cy-dejfus  propoJe\. 

D'où  il  fuit  que  la  faculté  de  connoiftre  qu'il  nous  a  donnée,  que 
nous  appelions  lumière  naturelle,  n'apperçoit  jamais  aucun  objet  qui 
ne  foit  vray  en  ce  qu'elle  l'apperçoit,  c'eft  à  dire  en  ce  qu'elle  con- 
noit  clairefnent  &  diftindement;  pource  que  nous  aurions  lujet  de 
croire  que  Dieu  feroit  trompeur,  s'il  nous  l'auoit  donnée...  telle  que 
nous  priflionsje  faux  pour  le  vray,  lors  que  nous  en  vjons  bien.  Et 
cette  confideration  feule  nous  doit  deliurer  de  ce  doute  hyperbo- 
lique' où  nous  auons  efté,  pendant  que  nous  ne  fçauions  pas  encore 
fi  celuy  qui  nous  a  crée^  auoit  pris  plaiftr  k  nous  faire  tels,  que  nous 
fuflions  trompez  en  toutes  les  chofes  qui  nous  femblent  tres-claires. 
Elle  doit  nous  feruir  auifi  contre  toutes  les  autres  raifons  que  nous 
auions  de  douter,  &  que  j'ay  alléguées  cy-deffus";  mefmes  les  vérités 
12  de  mathématique  ne  nous  feront  |  plus  fufpedes,  à  caufe  qu'elles 
font  tres-éuidentes  ;  &  fi  nous  apperceuons  quelque  chofe  par  nos 
fens,  foit  en  veillant,  foit  en  dormanç,  pourueu  que  nous  feparions 
ce  qu'il  y  aura  de  clair  &  diflinét,  en  la  notion  que  nous  aurons  de 
cette  chofe,  de  ce  qui  fera  obfcur  &  confus,  nous  pourrons  facilement 
nous  affurer  de  ce  qui  fera  vray.  le  ne  m'eftends  pas  icy  dauantage 
fur  ce  fujet,  pource  que  j'en  ay  amplement  traité  dans  les  Médita- 
tions de  ma  Metaphyfique%  &  ce  qui  fuiura  tantoft  feruira  encore  à 
l'expliquer  mieux. 

3i.  Que  nos  erreurs,  au  regard  de  Dieu,  ne  font  que  des  négations, 
mais,  au  regard  de  nous,  font  des  priuations  ou  des  défauts. 

Mais  pource  qu'il  arriue  que  nous  nous  méprenons  fouuent, 
quoy  que  Dieu  ne  foit  pas  trompeur,  fi  nous  defirons  rechercher  la 
caufe  de  nos  erreurs  &  en  découurir  la  fource,  afin  de  les  corriger, 
il  faut  que  nous  prenions  garde  qu'elles  ne  dépendent  pas  tant  de 
noftre  entendement  comme  de  noftre  volonté,  &  qu'elles  ne  font 
pas  des  chofes  ou  fubftances  qui  ayeni  befoin  du  concours  aéluel  de 
Dieu  pour  eftre  produites  :  en  forte  qu'elles  ne  font,  à  fon  égard, 

a.  Latin  :  summa. 

h.  Art.  4  et  5,  p.  26-27. 

c.  Voir  surtout  Méditation  IV,  p.  43  et  suiv.  de  ce  volume. 


Principes.  —  Première  Partie.  jç 

que  des  négations,  ceji  à  dire  qu'il  ne  nous  a  pas  donné  tout  ce  qu'il 
pouuoit  nous  donner  &  que  nous  voyons  par  me/me  moyen  qu'il  n'ejioit 
point  tenu  de  nous  donner;  au  lieu  qu'à  noftre  égard  elles  font  des 
deffauts  &  des  imperfedions. 

32.  Qu'il  n'y  a  en  nous  que  deux  fortes  de  penfée,  âfqauoir  la  perception 
de  l'entendement  &  l'aâion  de  la  volonté. 

Caf  toutes  les  façons  de  penfer  que  nous  rejmarquons  en  nous,  28 
peuuent  eftre  rapportées  à  deux  générales,  dont  l'vne  confifte  à 
apperceuoir  par  l'entendement,  &  l'autre  à  fe  déterminer  par  la  vo- 
lonté. Ainfi  fentir,  imaginer,  &  mel'mes  conceuoir  des  chofes  pure- 
ment intelligibles,  ne  font  que  des  façons  différentes  d'apperceuoir; 
mais  defirer,  auoir  de  l'auerfion,  alfurer,  nier,  douter,  font  des 
façons  différentes  de  vouloir. 

33,  Que  nous  ne  nous  trompons  que  lors  que  nous  jugeons  de  quelque 
cho/e  qui  ne  nous  e^  pas  aj[fe\  connue. 

Lors  que  nous  apperceuons  quelque  chofe,  nous  ne  fommes  point 
en  danger  de  nous  méprendre,  fi  nous  n'en  jugeons  en  aucune  façon  ; 
&  quand  mefme  nous  en  jugerions,  pourueu  que  nous  ne  don- 
nions noftre  confentement  qu'à  ce  que  nous  connoiffons  clairement 
&  diftindement  deuoir  eftre  compris  en  ce  dont  nous  jugeons, 
nous  ne  fçaurions  non  plus  faillir;  mais  ce  qui  fait  que  nous  nous 
trompons  ordmairement,  eft  que  nous  jugeons  bien  fouuent,  encore 
que  nous  n'ayons  pas  vne  connoilfance  bien  exade  de  ce  dont  nous 
jugeons. 

34.  Que  la  volonté,  aujji  bien  que  l'entendement,  eji  requife  pour  juger. 

l'auoUe  que  nous  ne  fçaurions  juger  de  rien,  fi  noftre  entendement 
n'y  interuient,  pource  qu'il  n'y  a  pas  d'apparence  que  noftre  vo- 
lonté fe  détermine  fur  ce  que  noftre  entendement  n'apperçoit  en 
aucune  façon;  mais  comme  la  volonté  eft  abfolument  neceffaire,  afin 
que  nous  donnions  noftre  confentement  à  ce  que  |  nous  auonsaucu-  24 
nement  apjierceu,  &  qu'il  n'eft  pas  neceffaire,  pour  faire  vn  juge- 
ment tel  quel,  que  nous  ayons  vne  connoiffance  entière  &  parfaite, 
de  là  vient  que  bien  fouuent  nous  donnons  noftre  coni'entement  à 
des  chofes  dont  nous  n'auons  jamais  eu  qu'vne  connoiffance...  fort 
confufe. 


40  Œuvres  de  Descartes 


35.  Qu'elle  a  plus  d'eftenduê  que  luy,  &  que  de  là  viennent 
nos  erreurs. 

De  plus,  l'entendement  ne  s'eftend  qu*à  ce  peu  d'objets  qui  fe 
prefentent  à  luy,  &  fa  connoilfance  ert  toul-jours  fort  limitée  :  au 
lieu  que  la  volonté  en  quelque  fens  peut  fembler  infinie,  pource 
que  nous  n'apperceuons  rien  qui  puiffe  eftre  l'objet  de  quelque 
autre  volonté,  mefmes  de  cette  immenfe  qui  ell  en  Dieu,  à  quoy  la 
nollre  ne  puill'e  aulli  s'eilendre  :  ce  qui  ell  caufe  que  nous  la  por- 
tons ordinairement  au  delà  de  ce  que  nous  connoilTons  clairement 
&  dijlinâement .  Et  lors  que  nous  en  abufons  de  la  forte,  ce  n'eft 
pas  merueille  s'il  nous  arriue  de  nous  méprendre. 

36.  Le/quelles  ne  peuuent  ejire  imputées  à  Dieu. 

Or,  quoy  que  Dieu  ne  nous  ait  pas  donné  vn  entendement  tout 
connoiffant,  nouî»  ne  deuons  pas  croire  pour  cela  qu'il  foit  l'Au- 
theur  de  nos  erreurs,  pource  que  tout  entendement  créé  cil  finy, 
<k  qu'il  ell  de  la  nature  de  l'entendement  finy  de  n'ellre  pas  tout 
connoilTant. 

3j.  Que  la  principale  perfeâion  de  l'homme  ejl  d^auoir  vn  libre  arbitre, 
€•  que  c'ejî  ce  qui  le  rend  di^ne  de  louange  ou  de  blafme. 

Au  contraire,  la  volonté  eilant  de  fa  nature  tres-cllcnduë,  ce  nous 
î5  eft  vn  auaniage  très-grand  de  |  pouuoir  agir  par  fon  moyen,  c'ell  à 
dire  librement;  en  forte  que  nous  l'oyons  tellement  les  maillres  de 
•  nos  adions,  que  nous  fommes  dignes  de  loUange  lors  que  nous  les 
conduifous  bien.  Car,  tout  ainii  qu'on  ne  donne  point  aux  machines 
qu'on  voit  fc  mouuoir  en  plulieurs  façons  diiierfes,  aulli  jullcmcnt 
qu'on  fçauroit  délirer,  des  loUanges  qui  je  rapporlcnt  verilablcmeni 
à  elles,  pource  que  ces  machines  ne  reprefcntcnt  aucune  aclion 
qu'elles  ne  doiuent  faire  par  le  moyen  de  leurs  rej/'urts,  ik  qu'on  en 
donne  à  l'ouurier  qui  les  a  faites,  pource  qu'il  a  eu  le  pouuoir  <S^  la 
volonté  de  les  compofer  auec  tant  d'artifice  :  de  melme,  on  doii 
nous  attribuer  quelque  chofe  de  plus,  de  ce  que  nous  choilid'ons 
ce  qui  ell  vray,  lors  que  nous  le  dillinguoiis  d'aucc  k-  faux,  i)ar  vne 
détermination  de  nollre  volonté,  que  (i  nous  y  cHiun'î  déterminez 
^''  contraints  par  vn  principe  étranger. 


Principes.  —  Première  Partie.  41 


38.  Que  nos  erreurs  font  des  deffauts  de  nojlre  faqon  d'agir,  mais  non 
point  de  nojlre  nature;  &  que  les  fautes  des  fujets  peuuent  fouuent  ejlre  - 
attribuées  aux  autres  maijlres,  mais  non  point  à  Dieu. 

Il  eft  bien  vray  que,  toutes  les  fois  que  nous  faillons,  il  y  a  du 
deffaait  en  noftre  façon  d'agir  ou  en  l'vfage  de  noftre  liberté;  mais 
il  n'y  a  point  pour  cela  de  deffaut  en  noftre  nature,  à  caufe  qu'elle 
eft  touf-jours.la  mefme,  quoy  que  nos  jugemens  foient  vrays  ou 
faux.  Et  quand  Dieu  auroit  pu  nous  donner  vne  connoifTance  fi 
grande  que  nous  n'euflions  jamais  efté  fujets  à  faillir,  nous  n'auons 
aucun  droit  pour  cela  de  |  nous  plaindre  de  luy.  Car,  encore  que,  26 
parmy  nous,  celuy  qui  a  pu  empefcher  vn  mal  &  ne  l'a  pas  empef- 
ché,  en  foit  blafmé  &  jugé  comme  coupable...,  il  n'en  eft  pas  de 
mefme  à  l'égard  de  Dieu  :  d'autant  que  le  pouuoir  que  les  hommes 
ont  les  vns  fur  les  autres  eft  inftitué  afin  qu'ils  empefchent  de  mal 
faire  ceux  qui  leur  font  inferieurs,Si.  que  la  toute-puilïance  que  Dieu 
a  fur  l'vniuers  eft  tres-abfoluë  &  très-libre.  C'eft  pourquoy  nous 
deuons  le  remercier  des  biens  qu'il  nous  a  faits,  &  non  point  nous 
plaindre  de  ce  qu'il  ne  nous  a  pas  aduantagez  de  ceux  que  nous 
connoiflbns  qui  nous  manquent,  &  qu'il  auroit  peut-ejlrc  pu  nous 
départir. 

3g.  Que  la  liberté  de  noflre  volonté  fe  connoit  fans  prenne , 
ar  la  feule  expérience  que  nous  en  auons. 

Au  refte,  il  eft  fi  euident  que  nous  auons  vne  volonté  libre,  qui 
peut  donner  fon  confentement  ou  ne  le  pas  donner,  quand  bon  luy 
femble,  que  cela  peut  eftre  compté  pour  vne...  de  nos  plus  com- 
munes notions...  Nous  en  auons  eu  cy-deuant'  vne  preuue  bien 
claire  ;  car,  au  mefme  temps  que  nous  doutions  de  tout,  &  que  nous 
fuppofions  mefme  que  celuy  qui  nous  a  créez  employoit  fon  pouuoir 
à  nous  tromper  en  toutes  façons,  nous  apperceuions  en  hous  vne 
liberté  fi  grande,  que  nous  pouuions  nous  empefcher  de  croire  ce 
que  nous  ne  connoiftions  pas  encore  parfaitement  bien.  Or  ce  que 
nous  aperceuions  diJlinSement,  &  dont  nous  ne  pou|uions  douter,  27 
pendant  vne  fufpenjion  fi  générale,  eft  aufli  certain  qu'aucune  autre 
chofe  que  nous  puiftîons  jamais  connoiftre. 

a.  Art.  6,  p.  27. 


42  Œuvres  de  Descartes. 


40.  Que  nousfqauons  aujfi.  très-certainement  que  Dieu  a  preordonné 

toutes  chofes. 

Mais,  à  caufe  que  ce  que  nous  auons  depuis  connu  de  Dieu,  nous 
affure  que  fa  puiffance  eft  fi  grande,  que  nous  ferions  vn  crime  de 
penfer  que  nous  euffions  jamais  efté  capables  de  faire  aucune  chofe, 
qu'il  ne  l'euft  auparauant  ordonnée,  nous  pourrions  ayfément  nous 
embaraffer  en  des  difficultez  très-grandes,  fi  nous  entreprenions 
d'aocorder  la  liberté  de  noftre  volonté  auec  fes  ordonnances,  &  fi 
nous  tafchions  de  comprendre,  c'eji  à  dire,  d'embrajfer  &  comme 
limiter  auec  nojlre  entendement  toute  l'ejîenduë  de  nojîre  libre 
arbitre  &  l'ordre  de  la  Prouidence  étemelle. 


41.  Comment  on  peut  accorder  nojlre  libre  arbitre 
auec  la  preordination  diuine. 

Au  lieu  que  nous  n'aurons  point  du  tout  de  peine  à  nous  en  deli- 
urer,  fi  nous  remarquons  que  noftre  penfée  eft  finie, &  que  la  toute- 
puiffance  de  Dieu,  par  laquelle  il  a  non  feulement  connu  de  toute 
éternité  ce  qui  eft  ou  qui  peut  eftre,  mais  il  l'a  aufli  voulu...,  eft 
infinie.  Ce  qui  fait  que  nous  auons  bien  ajjei  d'intelligence  pour 
connoiftre  clairement  &  diftindement  que  cette  puiffance  eft  en 
Dieu,  mais  que  nous  n'en  auons  pas  ajfei  pour  comprendre  telle- 
ment ybw  ejienduë  que  nous  puiftions  fçauoir  comment  elle  laifle  les 
28  adions  des  hommes  entièrement  libres  &  indéterminées  ;  &  que, 
d'autre  cofté,  nous  fommes  aufli  tellement  ajfure^  de  la  liberté  &  de 
l'indifférence  qui  eft  en  nous,  qu'il  n'y  a  rien  que  nous  connoiffions 
plus  clairement...  :  de  façon  que  la  toute-puijfance  de  Dieu  ne  nous  doit' 
point  empefcher  de  la  croire.  Car  nous  aurions  tort  de  douter  de 
ce  que  nous  apperceuons  intérieurement  &  que  nous  fçauons  par 
expérience  eftre  en  nous,  pource  que  nous  ne  comprenons  pas  vne 
autre  chofe  que  nous  fçauons...  eftre  incomprehenfible  de  fa  nature. 

42.  Comment,  encore  que  nous  ne  vueillions  jamais  faillir,  c'ejl 
neantmoins  par  nojîre  volonté  que  nous  f aillons. 

Mais,  pource  que  nous  fçauons  que  Terreur  dépend  de  noftre 
volonté,  &  que  pcrfonne  n'a  la  volonté  de  fe  tromper,  on  s'efton- 
ncra  peut-eftre  qu'il  y  ait  de  l'erreur  en  nos  jugemens.  Mais  il  faut 
remarquer  qu'il  y  a  bien  de  la  différence  entre  vouloir  eftre  trompé, 


29 


Principes.  —  Première  Partie.  4 j 

&  vouloir  donner  fon  confentement  à  des  opinions  qui  font  càufe 
que  nous  nous  trompons  quelquefois.  Car,  encore  qu'il  n'y  ait  per- 
fonne  qui  vueille  expreffement  fe  méprendre,  il  ne  s'en  trouue 
prefque  pas  vn  qui  ne  vueille...  donner  fon  confentement  à  des 
chofes  qu'il  ne  connoijl  pas  dijiinâement.  Et  mefmes  il  arriue  Ibuuent 
que  c'eft  le  defir  de  connoiflre  la  vérité  qui  fait  que  ceux  qui  ne 
fçauent  pas  l'ordre  qu'il  faut  tenir  pour  la  rechercher,  manquent  'de 
la  trouuer  &  fe  trompent,  à  caufe  qu'il  les  incite  à  précipiter  leurs 
\jugemens,  &  à  prendre  des  chofes  pour  vrayes,  defquelles  'Is  n'ont 
pas  affés  de  Connoiffance. 

43.  Que  nous  ne  /^aurions  faillir  en  ne  jugeant  que  des  chofes 
que  nous  apperceuons  clairement  &  dijiinâement. 

Mais  il  eft  certain  que  nous  ne  prendrons  jamais  le  faux  pour  le 
vray,  tant  que  nous  ne  jugerons  que  de  ce  que  nous  apperceuons 
clairement  &  diftindement  ;  parce  que,  Dieu  n'eftant  point  trom- 
peur, la  faculté  de  connoiftre  qu'il  nous  a  donnée  ne  fçauroit  faillir, 
ny  mefmes  la  faculté  de  vouloir,  lors  que  nous  ne  l'eltendons  point 
au  delà  de  ce  que  nous  connoiffons. . .  Et  quand  mefme  cette  vérité 
n'auroit  pas  efté  demonftrée,  nous  fommes  naturellement  fi  enclins 
à  donner  noftre  confentement  aux  chofes  que  nous  apperceuons 
manifeftement,  que  nous  n'en  fçaurions  douter  pendant  que  nous 
les  apperceuons  de  la  forte. 

44.  Que  nous  ne  fçaurions  que  mal' juger  de  ce  que  nous  n'aperceuons 
pas  clairement,  bien  que  nojîre  jugement  puiffe  ejîre  vray,  &  que  c'eji 
fouuent  noJlre  mémoire  qui  nous  trompe. 

Il  eft  aufli  très-certain  que,  toutes  les  fois  que  nous  approuuons 
quelque  raifon  dont  nous  n'auons  pas  vne  connoiffance  bien  exaéle, 
ou  nous  nous  trompons,  ou,  fi  nous  trouuons  la  vérité,  comme  ce 
n'eft  que  par  hazard,  nous  ne  fçaurions  eftre  affure^  de  l'auoir  i-en- 
contrée,  &  ne  fçaurions  fçauoir  certainement  que  nous  ne  nous 
trompons  point,  l'aduoiie  qu'W  arriue  rarement  que  nous  jugions 
d'vne  chofe  en  mefme  temps  que  nous  remarquons  que  nous  ne  la 
connoifTons  pas  aflez  diftindement  ;  à  caufe  que  la  raifon  naturelle- 
ment nous  dide  que  nous  ne  |  deuons  jamais  juger  de  rien,  que  de  30 
ce  que  nous  connoiffons  difîinêlement  auparauant  que  de  juger. 
Mais  nous  nous  trompons  fouuent,  pource  que  nous  prefumons  . 
auoir  autrefois  connu  plufieurs  chofes,  &  que,  tout  aufli-toft  qu'il 


44  Œuvres  de  Descartes. 

nous  en  fouuient,  nous  y  donnons  noftre  confentement,  de  mefme 
que  û  nous  les  auions  fuffifamment  examinées,  bien  qu'en  effet 
nous  n'en  ayons  jamais  eu  vne  connoiffance  bien  exade. 

45.  Ce  que  c'eft  qu'vne perception  claire  &  dijîinâe. 

Il  y  a  mefmes  des  perfonnes  qui, en  toute  leur  vie,  n'apperçoiuent 
rien  comme  il  faut  pour  en  bien  juger.  Car  la  connoifl'ance  fur 
laquelle  on  veut"  eftablir  vn  jugement...  indubitable,  doit  eftre  non 
feulement  claire,  mais  aufli  diflinde.  l'appelle  claire  celle  qui  eft 
prefente  &  manifefte  à  vn  efprit  attentif:  de  mefme  que  nous  difons 
voir  clairement  les  objets,  lors  qu'eftant  prefents  ils  agiffent  alTez 
fort...,  &  que  nos  yeux  font  difpofés  à  les  regarder.  Et  diftinéle, 
celle  qui. . .  eft  tellement  precife  &.  différente  de  toutes  les  autres, 
qu'elle  ne  comprend  en  foy  que  ce  qui  paroit  manifeflement  à 
celuy  qui  la  conjîdere  comme  il  faut. 

46.  Qu'elle  peut  eftre  claire  fans  eftre  diftinâe,  mais  non  au  contraire. 

Par  exemple,  lors  que  quelqu'vn  fent  vne  douleur  cuifante,  la 
connoiffance  qu'il  a  de  cette  douleur  eft  claire  à  fon  égard,  &  n'eft 
31  pas  pour  cela  touf-jours  diftinde,  pource  qu'il  la  |  confond  ordinai- 
rement auec  \efaux  jugement  qu'il  fait  fur  la  nature  de  ce  qu'il 
penfe  eftre  en  la  partie  bleffée,  qu'il  croit  eftre  femblable  à  l'idée  ou 
au  fentiment  de  la  douleur  qui  eft  en  fa  penfée,  encore  qu'il  n'ap- 
perçoiue  rien  clairement  que  le  fentiment  ou  la  penfée  confufe  qui 
ejl  en  luy.  Ainfi  la  connoifl'ance  peut  eftre  claire  fans  eftre  diflinâe, 
&  ne  peut  eftre  dift'nfte  qu'elle  ne  foit  claire  par  mefme  moyen. 

4y.  Que,  pour  ofter  les  préjuge^  de  noftre  enfance,  il  faut  confiderer 
ce  qu'il  y  a  de  clair  en  chacune  de  nos  premières  notions. 

Or,  pendant  nos  premières  années,  iwftre  ame  ou  noftre  penfée 
eftoit  fi  fort  offufquce  du  corps,  qu'elle  ne  connoilVoit  rien  diflinde- 
ment,  bien  qu'elle  apperceuft  plufteurs  cliofes  ajft";  clairement;  & 
pource  qu'elle  ne  laiffoit  pas  de  faire  cependant  r/u*  réflexion  telle 
quelle  fur  les  cliofes  qui  fe  prefentoient,  nous  auons  remply  noftre 
mémoire  de  beaucoup  de  préjugez, dont  nous  n'entreprenons  prefque 
jamais  de  nous  deliurer,  encore  qu'il  foit  très-certain  que  nous  ne 

a.  Lire  :  peut.  Edit.  lat.  :  possit. 


32 


Principes.  —  Première  Partie.  45 

fçatirions  autrement  les  bien  examiner.  Mais  afin  que  nous  le  puif- 
fions  maintenant  fans  beaucoup  de  peine,  je  feray  icy  vn  dénom- 
brement de  toutes  les  notions  fimples  qui  compofent  nos  penfées, 
&  fepareray  ce  qu'il  y  a  de  clair  en  chacune  d'elles,  &  ce  qu'il  y  a 
d'obfcur  ou  en  quoy  nous  pouuons  failjir. 


4^.  Que  tout  ce  dont  nous  auons  quelque  notion  ejl  confideré  comme 
vne  chofe  ou  comme  vne  vérité  :  S-  le  dénombrement  des  chofes. 

le  dillingue  tout  ce  qui  tombe  Tous  noftre  connoilVance  en  deux 
genres  :  le  premier  conltient  toutes  les  choies...  qui  ont  quelque 
exi/lence  ;  &  l'autre,  toutes  les  veritez...  qui  ne  l'ont  rien  hors  de 
noftre  penfée.  Touchant  les  chofes,  nous  auons  premièrement  cer- 
taines notions  generalles  qui  l'e  peuuent  rapporter  à  toutes  :  à  fça- 
uoir  celles  que  nous  auons  de  la  l'ubftance,  de  la  durée,  de  l'ordre 
&  du  nombre,  &  peut-eftre  aufli  quelques  autres.  Puis  nous  en 
auons  aujji  de  plus  particulières ^  qui  feruent  à  les  dijlinguer.  Et  la 
principale  diftindion  que  je  remarque  entre  toutes  les  chofes  créées, 
ert  que  les  vnes  font  intelleduelles,  c'eft  à  dire/o«^  des  J'ub/lances 
intelligentes,  ou  bien  des  propriété^  qui  appartiennent  à  ces  fub- 
ftances  ;  &  les  autres  font  corporelles,  c'eft  à  dire  font  des  corps 
on  bien  des  propriété^  qui  appartiennent...  au  corps.  Ainfi  l'entende- 
ment, la  volonté,  &  toutes  les  façons'  de  connoitrc  &  de  vouloir, 
appartiennent  à  la  fubftance  qui  penfe  ;  la  grandeur,  ou  l'eftenduë 
en  longueur,  largeur  is:  profondeur,  la  figure,  le  mouuement,  la 
fituation  des  parties  &  la  difpofition  qu'elles  ont  à  eftre  diuifées,  &: 
telles  autres  proprietez,  fe  rapportent  au  corps.  Il  y  a  encore,  outre 
cela,  certaines  chofes  que  nous  expérimentons  en  nous-mefmes,  qui 
ne  doiuent  point  eftre  attribuées  à  Vanie  feule,  ny  aulH  au  corps 
feul,  mais  à  l'étroite...  vnion  qui  eft  entre  eux,  ainli  que  j'expli- 
jqueray  cy-apres"  :  tels  font  les  appétits  de  boire,  de  manger,  &  les  33 
émotions  ou  les  pallions  de  l'ame,  qui  ne  dépendent  pas  de  la 
penfée  feule,  comme  l'émotion  à  la  colère,  à  la  joyc,  à  la  triltelfe, 
à  l'amour,  &c.;  tels  font  tous  les  fentimcns,  comme...  la  lumière, 
les  couleurs,  les  fons,  les  odeurs,  le  gouft,  la  chaleur,  la  dureté, 
&  toutes  les  autres  qualités  qui  ne  tombent  que  fous  le  fens  de 
l'attouchement. 

a.  «  M  ^di  X. 

b.  Voir  ci-après,  partie  IV,  art.  189,  190  et  191, 


46  OEuvREs  DE  Descartes. 


4g.  Que  les  verite\  ne  peuuent  ainfi  ejtre  dénombrées, 
&  qu'il  n'en  ejl  pas  bejoin. 

lufques  \cy  j'ay  dénombrée  tout  ce  que  nous  connoiffons  comme 
des  choies...;  /*/  rejîe  à  parler  de  ce  que  nous  connoijfons  comme  des 
verite\.  Par  exemple,  lors  que  nous  penfons  qu'on  ne  fçauroit  faire 
quelque  chofe  de  rien,  nous  ne  croyons  point  que  cette  propofition... 
foit  vne  chofe  qui  exifte  ou  la  propriété  de  quelque  chofe,  mais 
nous  la  prenons  pour  vne  certaine  vérité  éternelle  qui  a  fon  fiege 
en  noftre  penfée,  &  que  Ton  nommevne  notion  commune  ou  vne 
maxime.  Tout  de  mefme,  quand  on  dit  qu'il  ell  impoifible  qu'vne 
mefme  chofe  en  mefme  temps  foit  &  ne  foit  pas,  que  ce  qui  a  efté 
fait  ne  peut  n'eftre  pas  fait,  que  celuy  qui  penfe  ne  peut  manquer 
d'ejire  ou  d'exifler  pendant  qu'il  penfe,  &  quantité  d'autres  fem- 
blables,  ce  font  feulement  des  j^erite:{,  £-  non  pas  des  chofes  qui  foient 
hors  de  nofîre  penfée,  &  il  y  en  a  fi  grand  nombre  de  telles,  qu'il 
34  feroit  |  mal-aifé  de  les  dénombrer.  Mais  aulTi  nsfi-il  pas  necejfaire, 
pource  que  nous  ne  fçaurions  manquer  de  les  fçauoir,  lors  que 
l'occafion  fe  prefente  de  penfer  à  elles,  &  que  nous  n'auons  point  de 
préjugez  qui  nous  aueuglent. 

5o.  Que  toutes  ces  verite\  peuuent  ejlre  clairement  aperceuês, 
mais  non  pas  de  tous,  à  caufe  des  préjuge^. 

Pour  ce  qui  eft  des  ve7'ite'{  qu'on  nomme  des  notions  communes, 
il  ert  certain  qu'elles  peuuent  eftre  connues  de  plufîeurs  ^res-claire- 
ment  &  /re5-dillindement,  car  autrement  elles  ne  meriteroient  pas 
d'auoir  ce  nom  ;  mais  il  ert  vray  aufli  qu'il  y  en  a  qui  le  méritent 
au  regard  de  quelques  perfonnes,  qui  ne  le  méritent  point  au  regard 
des  autres,  à  caufe  qu'elles  ne  leur  font  pas  alTez  éuidcntes  :  non  pas 
que  je  croye  que  la  faculté  de  connoiftre  qui  ell  en  quelques  hommes 
s'ellende  plus  loin  que  celle  qui  ell  communément  en  tous  ;  mais  c'eft 
pluftoft  qu'il  y  en  a  lefquels  ont  imprimé  de  longue  main  des  opi- 
nions en  leur  créance,  qui,  eftant  contraires  à  quelques-vnes  de  ces 
veritez,  empefchent  qu'ils  ne  les  puiffent  apperceuoir,  bien  qu'elles 
foient  fort  manifeftes  à  ceux  qui  ne  font  point  ainfi  preocupez. 

.W.  Ce  que  c'e/l  que  la  fubjlance,  &  que  c'ejl  vn  nom  qu'on  ne  peut 
attribuer  à  Dieu  &  aux  créatures  en  mefme  fens. 

Pour  ce  qui  cil  des  chofes  que  nous  confiderons  comme  ayant 


35 


Principes.  —  Première  Partie.  47 

quelque  exiftence...,  il  eft  befoin  que  nous  les  examinions  icy  l'vne 
après  l'autre,  afin  de  difiinguer  ce  qui  eji  obfcur  d'auec  ce  qui  eft 
éuident  en  là  notion  que  nous  auons  de  \  chacune.  Lors  que  nous  con- 
ceuons  la  fubltance,  nous  conceuons  feulement  vne  chofe  qui  exifte 
en  telle  façon,  qu'elle  n'a  befoin  que  de  foy-mefme  pour  exifter.  En 
quoy  il  peut  y  auoir  de' V  obfcur  ité  touchant  l'explication  de  ce  mot  : 
N'auoir  befoin  que  de  foy-mefme  ;  car,  à  proprement  parler,  il  n'y  a 
que  Dieu  qui  foit  tel,  &  il  n'y  a  aucune  chofe  créée  qui  puifl'e  exiiter 
vn  feul  moment  fans  ertre  foullenuë  &  conferuée  par  fa  puiflance. 
C'eft  pourquoy  on  a  raifon  dans  l'Efcole  de  dire  que  le  nom  de 
fubltance  n'eft  pas  «  vniuoque  »  au  regard  de  Dieu  &  des  créatures, 
c'eft  à  dire  qu'il  n'y  a  aucune  fignification  de  ce  mot  que  nous  con- 
ceuions  diftindement,  laq^uelle  conuienne  à  luy  &  à  elles;  mais 
pource  qu'entre  les  chofes  créées  quelques-unes  font  de  telle  nature 
qu'elles  ne  peuuent  exifter  fans  quelques  autres ,  nous  les  diftinguons 
d'auec  celles  qui  n'ont  befoin  que  du  concours  ordinaire  de  Dieu,  en 
nommant  celles-cf  des  fubftances,  &  celles-là  des  qualité^  ou  des  at- 
tributs de  ces  fubftances. 


52.  Qu'il  peut  eflre  attribué  à  lame  &  au  corps  en  mefmefens, 
&  comment  on  connoit  lafubjlance. 

Et  la  notion  que  nous  auons  ainli  de  la  fubltance  créée,  fe  raporte 
en  mefme  façon  à  toutes,  c'eft  à  dire  à  celles  qui  font  immatérielles 
comme  à  celles  qui  font  matérielles  ou  corporelles  ;  car  il  faut  feu- 
lement, pour  entendre  que  ce  fontties  fubftances,  que  nous  apper- 
ceuions  |  qu'elles  peuuent  exifter  fans  l'ayde  d'aucune  chofe  créée.  36 
Mais  lors  qu'il  eft  queftion  defçauoir  fi  quelqu'une  de  ces  fubftances 
exifte  véritablement,  c'eft  à  dire  fi  elle  eft  à  prefent  dans  le  monde, 
ce  n'eft  pas  affez  qu'elle  exifte  en  cette  façon  pour  faire  que  nous 
l'aperceuions  ;  car  cela  feul  ne  nous  découure  rien  qui  excite 
quelque  connoiffance  particulière  en  noftre  penfée.  Il  faut,  outre 
cela,  qu'elle  ait  quelques  attributs  que  nous  puiflions  remarquer; 
&  il  n'y  en  a  aucun  qui  ne  fuffife  pour  cet  effet,  à  ijaufe  que  l'vne 
de  nos  notions  communes  eft  que  le  néant  ne  peut  auoir  aucuns  • 
attributs,  ny  proprietez  ou  qualitez,  :  c'eft  pourquoy,  lors  qu'on  en 
rencontre  quelqu'vn,  on  a  raifon  de  conclure  qu'il  eft  l'attribut  de 
quelque  fubftance,  &  que  cette  fubftance  exifte. 


48  OEuvRES  DE  Descartes. 


53.  Que  chaque  fubjiance  a  vn  attribut  principal,  &  que  cehiy  de  l'ame 
eji  la  penfée,  comme  l'extenfion  eji  celuy  du  corps. 

Mais,  encore  que  chaque  attribut  foit  fuflilant  pour  faire  con- 
noillre  la  lubftance,  il}'  en  a  toutesfois  vn...  en  chacune,  qui  confti- 
tuë  la  nature  &  fon  eflence,  &  de  qui  tous  les  autres  dépendent.  A 
fçauoir  l'eftenduë  en  longueur,  largeur  &  profondeur,  conftituë  la 
nature  de  la  fubftance  corporelle  ;  &  la  penfée  conftituë  la  nature  de 
la  fubftance  qui  penfe.  Car  tout  ce  que  d'ailleurs  on  peut  attribuer 
au  corps,  prefupofe  de  l'eftenduë,  &  n'eft  quVwe  dépendance  de  ce 
37  qui,eft  eftendu  ;de  mefme,  toutes  les prop7^ie\te'{  que  nous  trouuons 
en  la  chofe  qui  penfe,  ne  font  que  des  façons  différentes  de  penfer. 
Ainfi  nous  ne  fçaurions  conceuoir,  par  exemple,  de  figure,  fi  ce  n'eft 
en  vne  chofe  eftenduc,  ny  de  mouuement,  qu'en  vn  efpace  qui  eft 
eftendu;  ainfi  l'imagination,  le  fentiment  &  la  volonté  dépendent 
tellement  d'vne  chofe  qui  penfe,  que  nous  ne  les  pouuons  conce- 
uoir fans  elle.  Mais,  au  contraire,  nous  pouuons  conceuoir  l'eften- 
duë fans  figure  ou  fans  mouuement,  &  la  chofe  qui  penfe  fans  ima- 
gination ou  fans  fentiment,  &  ainfi  du  refte. . . 

5^.  Comment  nous  pouuons  auoir  des  pen/ées  dijlinâes  de  la  fubjiance 
qui  penfe,  de  celle  qui  ejl  corporelle,  &  de  Dieu. 

Nous  pouuons  donc  auoir  deux  notions  ou  idées  claires  &  di- 
ftinc^es,  l'vne  d'vne  fubftance  créée  qui  penfe.  &  l'autre  d'vne  fub- 
ftance eftenduë,  pourueu  que  nous  feparions  foigneufement  tous  les 
attributs  de  la  penfée  d'auec  les  attributs  de  l'eftenduë.  Nous  pou- 
uons auoir  aufti  vne  idée  claire  &  diftinde  d'vne  fubftance  increée 
qui  penfe  &  qui  eft  indépendante,  c'eft  à  dire  d'vn  Dieu,  pourueu 
que  nous  ne  penfions  pas  que  cette  idée  nous  rcprefente. ..  tout  ce 
qui  eft  en  luy,  &  que  nous  n'y  méfiions  rien  par  vne  fidion  de 
noftre  entendement;  mais  que  nous  prenions  garde  feulement  à 
ce  qui  eft  compris  véritablement  en  la  notion  diftinéle  que  nous 
auons  de  luy  &  que  nous  fçauons  appartenir  à  la  nature  d'vn  Eftre 
M  toui  parfait.  Car  il  n'y  a  perjfonne  qui  puifl'e  nier  qu'vne  telle 
idée  de  Dieu  foit  en  nous,  s*il  ne  veut  croire  y<3«$  rai/on  que  l'en* 
tendement  humain  ne  fçauroit  auoir  aucune  connoifiance  de  la 
Diuinité. 


Principes.  —  Première  Partie.  49 


55.  Comment  nous  en  pouuons  aujji  auoir  de  la  durée,  de  l'ordre 

&  du  nombre. 

Nous  conceuons  aufli  tres-diftindement  ce  que  c'eft  que  la  durée, 
l'ordre  &  le  nombre,  fi,  au  lieu  de  méfier  dans  l'idée  que  nous  en 
auons  ce  qui  appartient  proprement  à  l'idée  de  la  fubftance,  nous 
penfons  feulement  que  la  durée  de  chaque  chofe  eft  vn  mode  ou  une 
^ço/i  dont  nous  confiderons  cette  chofe  en  tant  qu'elle  continue 
d'eftre  ;  &  que  pareillement,  l'ordre  &  le  nombre  ne  différent  pas 
en  effet  des  chofes  ordonnées  &  nombrées,  mais  qu'ils  font  feu- 
lement des  façons  fous  lesquelles  .nous  confiderons  diuerfement  ces 
chofes. 

56.  Ce  que  c'eft  que  qualité,  &  attribut,  &  façon  ou  mode. 

Lors  que  je  dis  icy  façoît  ow^mode,  je  n'entends  rien  que  ce  que 
je  nomme  ailleurs  attribut  ou  qualité.  Mais  lors  que  je  confidere  que 
la  fubftance  en  eft  autrement  difpofée  ou  diuerfifiée,  je  me  fers  par- 
ticulièrement du  nom  de  mode  ou  façon;  &  lors  que,  de  cette  difpo- 
fition  ou  changement,  elle  peut  eftre  appellée  telle,  je  nomme  qua- 
litez  les  diuerf es  façons  qui  font  qu'elle  eji  ainfi  nommée;  enfin,  lors 
que  je  penfe  plus  generallement  que  ces  modes  ou  qualité^  font  en 
la  fubftance,  fans  les  confiderer  autrement  que  comme  les  dépen- 
dances de  cette  \fuhjlancey  je  les  nomme  attributs.  Et  pource  que  je  39 
ne  dois  conceuoir  en  Dieu  aucune  variété  ny  changement,  je  ne  dy 
pas  qu'il  y  ait  en  luy  des  modes  ou  des  qualitez,  mais  pluftoft  des 
attributs;  &  mefine  dans  les  chofes  créées,  ce  qui  fe  trouue  en  elles 
touf-jours  de  mefme  forte,  comme  l'exiftence  &  la  durée  en  la  chofe 
qui  exifte  &  qui  dure,  ;**  le  nomme  attribut,  &  non  pas  mode  ou 
qualité. 

B-j.  Qu'il  y  a  des  attributs  qui  apdrtienent  aux  chofes  au/quelles  ils  font 
attribue:^,  &  d'autres  qui  dépendent  de  noftre  penfée> 

De  ces  qualite;{  ou  attributs,  il  y  en  a  quelques-vns  qui  font  dans 
les  chofes  mefmes,  &  d'autres  qui  ne  font  qu'en  noftre  penfée. 
Ainfi  le  temps,  par  exemple,  que  nous  diftinguons  de  la  durée  prife 
en  gênerai,  &  que  nous  difons  eftre  le  nombre  du  mouuement, 
n'eft  rien  qu'vne  certaine /aço«  dont  nous  penfons  a  cette  durée, 
pource  que  nous  ne  conceuons  point  que  la  durée  des  cho/es  qui 
Œuvres.  IV.  20 


50  Œuvres  de  Desgartes. 

font  meucfs  ibit  autre  que  celle  des  choies  qui  ne  le  tbnt  point  : 
comme  il  cft  éuident  de  ce  que,  fi  deux  corps  font  meus  pendant  vne 
heure,  l'vn  ville  &  l'autre  lentement,  nous  ne  comptons  pas  plus  de 
temps  en  l'vn  qu'en  l'autre,  encore  que  nous  fuppofions  plus  de 
mouuement  en  l'vn  de  ces  deux  corps.  Mais,  afin  de  comprendre  lu 
durée  de  toutes  les  chofes  fous  vne  mefme  mefure,  nous  nous  fer- 
uons  ordinairement  de  la  durée  de  certains  mouuemens  réguliers 

40  qui  font  les  jours  |  &.  les  années,  &  la  nommons  temps,  après  l'auoir 
ainfi  comparée;  bien  qu'en  elfet  ce  que  nous  nommons  ainfi  ne  foit 
rien,  hors  de  la  véritable  durée  des  chofes,  qu'pne  façon  le  penfer. 

icV.  Que  les  norfibres  &  les  vniuerjaux  dépendent  de  nojlre  penj'ce. 

De  mefme  le  nombre  que  nous  confiderons. . .  en  gênerai,  fans 
faire  reflexion  fur  aucune  choie  créée,  n'elt  point,  hors  de  nollre 
penfée,  non  plus  que  toutes  ces  autres  idées  générales,  que  dans 
l'efcole  on  comprend  fous  le  nom  d'vniuerfaux/ 

5  g.  Quels  font  les  vniuerjaux. 

Qui  le  font  de  cela  feul  que  nous  nous  feruons  d'vne  mefme  idée 
pour  penfer  à  plufieurs  chofes  particulières  qui  ont  entr'elles  vn 
certain  raport.  Et  lors  que  nous  comprenons  fous  vn  mefme  nom 
les  chofes  qui  font  reprefentées  par  cette  idée,  ce  nom  aufli  eft  vni- 
uerfel.  Par  exemple,  quand  nous  voyons  deux  pierres,  &  que,  fans 
penfer  autrement  à  ce  qui  eft;  de  leur  nature,  nous  remarquons  feu- 
lement qu'il  y  en  a  deux,  nous  formons  en  nous  l'idée  d'vn  certain 
nombre  que  nous  nommons  le  nombre  de  deux.  Si,  voyant  enfuite 
deux  oyfeaux  ou  deux  arbres,  nous  remarquons,  fans  penfer  aufii  à 
ce  qui  eft  de  leur  nature,  qu'il  y  en  a  deux,  nous  reprenons  par  ce 
moyen  la  mefme  idée  que  nous  auions  auparauant  formée,  &  la 
rendons  vniuerfelle,  &  le  nombre  aufli  que  nous  nofnmons  d'vn 

41  nom  vniuerfel,  le  nombre  de  deux.  De  |  mefme,  lors  que  nous  con- 
fiderons vne  figure  de  trois  coftcz,  nous  formons  vne  certaine  idée, 
que  nous  nommons  l'idée  du  triangle,  i<i  nous  en  feruons  en  fuite... 
à  nous  ïi^^ïcicïiXdV generalevient  toutes  les  figures  qui  n'ont  que  trois 
collez.  Mais  quand  nous  remarquons  plus  particulièrement  que, 
des  figures  de  trois  coftez,  les  vnes  ont  vn  angle  droit  &  que  les 
autres  n'en  ont  point,  nous  formons  en  nous  vne  idée  vniuerfelle  du 
triangle  redangle,  qui,  eftant  rapportée  à  la  précédente  qui  cU 
générale  &  plus  vniuerfelle,  peut  eJtrc  nommée  efpece;  &  Uanglc 


Principes.  — ,  Première  Partie.  5 1 

droit,  la  différence  vniuerfelle  par  où  les  triangles  redangles  dif- 
férent de  tous  les  autres.  De  plus,  fi  nous  remarquons  que  le  quarré 
du  colté  qui  fouftend*  l'angle  droit  elV  égal  aux  quarrez  des  deux 
autres  coftez,  &  que  cette  propriété  conuient  feulement  à  cette  efpece 
de  triangles,  nous  la  pourrons  nommer  propriété  vniuerfelle  des 
triangles  rectangles.  Enfin  fi  nous  fuppofons  que,  de  ces  triangles, 
les  vns  fe  meuuent  &  que  les  autres  ne  fe  meuuent  point,  nous 
prendrons  cela  pour  vn  accident  vniuerfei  en  ces  triangles.  Et  c'ert 
ainfi  qu'on  compte  ordinairement  cinq  vniuerftmx,  à  fçauoir  le 
genre,  l'efpece,  la  différence,  le  propre,  &  l'accident. 


60.  Des  diminuions,  &  premièrement  de  celle  qui  ejî  réelle. 

Pour  ce  qui  eft  du  nombre  que  nous  remarquons  dans  les  chofes 
mefmes,  il  vient  de  |  la  diftin(5tion  qui  eft  entr'elles  :  &  il  y  a  des  42 
diftindions  de  trois  fortes,  à  fçauoir,  réelle,  modale,  &  de  raifon,  ou 
bien  qui  fe  fait  de  lapenfée.  La  réelle  fe  trouue  proprement. . .  entre 
deux  ou  plufieurs  fubftances.  Car  nous  pouuons  conclure  que  deux 
fubftiances  font  réellement  diftinéles  l'vne  de  l'autre,  de  cela  feul 
que  nous  en  pouuons  conceuoir  vne  clairement  &  diftinctement  fans 
penfer  à  l'autre  ;  pource  que,  fuiuant  ce  que  nous  connoilfons  de 
Dieu,  nous  fommes  affeurez  qu'il  peut  faire  tout  ce  dont  nous  auons 
vne  idée  claire  &  diftinde.  C'eft  pourquoy,  de  ce  que  nous  auons 
maintenant  l'idée,  par  exemple,  d'vne  fubllance  eftenduf  ou  corpo- 
relle, bien  que  nous  ne  fçachions  pas  encore  certainement  fi  vne 
telle  chofe  eft  à  prefent  dans  le  monde,  neantmoins,  pource  que 
nous  en  auons  l'idée,  nous  pouuons  conclure  qu'elle  peut  eftre  ;  & 
qu'en  cas  qu'elle  exifte,  quelque  partie  que  nous  puiflions  déter- 
miner de  la  penfée,  doit  eftre  diftinde  réellement  de  fes  autres  par- 
ties. De  mefme,  pource  qu'vn  chacun  de  nous  apperçoit  en  foy  qu'il 
penfe,  &  qu'il  peut  en  penfant  exclure  de  foy  ou  de  fon  ame  toute 
autre  fubftance  ou  qui  penfe  ou  qui  eft  eftenduè",  nous  pouuons 
conclure  aufli  qu'vn  chacun  de  nous  ainfi  confideré  eft  réellement 
diftind  de  toute  autre  fubftance  qui  penfe,  &  |  de  toute  fubftance 
corporelle.  Et  quand  Dieu  mefme  joindroit  fi  eftroitement  vn  corps 
à  vne  ame,  qu'il  fuft  impoftible  de  les  vnir  dauantage,  &  feroit  vn 
compofé  de  ces  deux  fubftances  ainfi  vnies,  nous  conceuons  aujji 
^w'elles  demeureroient  toutes  deux  réellement  diftindes,  nonobftant 
cette  vnion;  pource  que,  quelque  liaifon  que  Dieu  ait  mis  entr'elles, 

a.  «  Souftant  »  (/"erfiY.). 


52  Œuvres  de  Descartes. 

il  n'a  pu  le  deffaire  de  la  puill'ance  qu'il  auoit  de  les  leparer,  ou  bien 
de  les  conleruer  l'vne  fans  l'autre,  &  que  les  chofes  que  Dieu  peut 
feparer,  ou  conleruer  leparement  les  vnes  des  autres,  font  réelle- 
ment diftincles. 


6i .  De  la  dijlinâion  modale. 

Il  y  a  deux  fortes  de  diftincTion  modale,  à  fçauoir  l'vne  entre  le 
mode  que  nous  auons  appelle  façon,  &  la  fubftance  dont  il  dépend  & 
qu'il  dinerfifie,  &  l'autre  entre  deux  dilTerentes/tiço;/5  d'vne  mefme 
fubftance.  La  première  eft  remarquable  en  ce  que  nous  pouuons 
apperceuoir  clairement  la  fubftance  fans  la  façon  qui  diflere  d'elle 
en  celte  forte;. mais  que,  reciproquemt.it,  nous  ne  pouuons  auoir 
vne  idée  diftinde  d'vne  telle  façon,  fans  penfer  à  vne  telle  fubftance. 
11  y  a,  par  exemple,  vne  diftindion  modale  entre  la  figure  ou  le 
mouuement,  &.  la  fubftance  corporelle  dont  ils  dépendent  tous  deux; 
il  y  en  a  aufti  entre  affurer  ou  fe  refouuenir,  &  la  chofe  qui  penfe. 
44  Pour  I  l'autre  forte  de  diftinclion,<7Mz  eji  entre  deux  différentes  façons 
d'vne  mefme  fubjiaiice,  elle  eft  remarquable  en  ce  que  nous  pou- 
uons connoiftre  l'vne  de  ces  façons  fans  l'autre,  comme  la  figure 

fans  le  mouuement,  &Je  mouuement  fans  la  figure...)  mais  que  nous 
ne  pouuons  penfer  diftindement  ni  à  l'vne  ni  à  l'autre,  que  nous 
ne  fçachions  qu'elles  dépendent  toutes  deux  d'vne  mefme  fubftance. 
Par  exemple,  fi  vne  pierre  eft  meuë,  &  auec  cela  quarrée,  nous  pou- 
uons connoiftre  fa  figure  quarrée  fans  fçauoir  qu'elle  foit  meuë;  & 
réciproquement,  nous  pouuons  fçauoir  qu'elle  eft  meuë,  fans  fçauoir 
fi  elle  eft  quarrée  ;  mais  nous  ne  pouuons  auoir  vne  connoiflance 
diftinéle  de  ce  mouuement  &  de  cette  figure,  fi  nous  ne  connoilTons 
qu'ils  font  tous  deux  en  vne  mefme  chofe,  à  fçauoir  en  la  fubftance 
de  cette  pierre.  Pour  ce  qui  eft  de  la  diftindion  dont  la  façon  d'vne 
fubftance  eft  différente  d'vne  autre  fubftance  ou  bien  de  la  façon 
d'vne  autre  fubftance,  comme  le  mouuement  d'vn  corps  eft  différent 
d'vn  autre  corps  ou  d'vne  chofe  qui  penfe,  ou  bien  comme  le  mou- 
uement eft  différent  du  doute",  il  me  femble  qu'on  la  doit  nommer 
réelle  pluftoft  que  modale,  à  caafc  que  nous  ne  fçaurions  connoiftre 
les  modes  fans  les  fubftanccs  dont  ils  dépendent,  6-  que  les  fubfiances 

font  réellement  diftindcs  les  vnes  des  autres. 

a,  La  traduction  ne  tient  pas  compte  de  l'crrata  de  rédition  latine,  où 
dubitatio  est  corrigé  en  duratio. 


Principes.  —  Première  Partie.  jj 


62.  De  la  dijlinâion  qui  fe  fait  par  la  penfée. 

{Enfin,  la  diftindion  qui  fe  fait  par  la  penfée,  confifte  en  ce  que  45 
nous  diftinguons  quelquefois  vne  fubftance  de  quelqu'vn  de  fes 
attributs,  fans  lequel  neantmoins  il  n'eft  pas  poffible  que  nous  en 
ayons  vne  connoiflance  diftinde  ;  ou  bien  en"  ce  que  nous  tafchons 
de  feparer  d'vne  mefme  fubftance  deux  tels  attributs,  en  penfant  à 
l'vn  fans  penfer  à  l'autre.  Cette  diftinftion  eft  remarquable  en  ce 
que  nous  ne  fçaurions  auoir  vne  idée  claire  &  diftinéte  d'vne  telle 
fubftance,  fi  nous  luy  oftons  vn  tel  attribut  ;  cfu  bien  en  ce  que  nous 
ne  fçaurions  auoir  vne  idée  claire  &  diftinde  de  l'vn  de  deux  ou 
plufieurs  tels  attributs,  fi  nous  le  feparons  des  autres.  Par  exemple, 
à  caufe  qu'il  n'y  a  point  de  fubftance  qui  ne  ceffc  d'exifter,  lors  qu'elle 
cefl'e  de  durer,  la  durée  n'eft  diftinde  de  la  fubftance  que  par  la 
penfée;  &  généralement  tous  les  attributs  qui  font  que  nous  auons 
des  penfées  diuerfes  d'vne  mefme  chofe,  tels  que  font,  par  exemple, 
l'efienduëdu  corpsr  &  fa  propriété  d'efire  diuifé'  en  plufeurs  parties, 
ne  diffèrent  du  corps  qui  nousfert  d'objet,  &  réciproquement  Vvn  de 
l'aulre,  qu'à  caufe  que  nous  penfons  quelquefois  confufement  à  l'vn 
fans  penfer  à  l'autre.  Il  me  fouuient  d'auoir  meflé  la  diftindion  qui 
fe  fait  par  la  penfée  auec  la  modale,  fur  la  fin  des  réponfes  que  j'ay 
faites  I  aux  premières  objedions-qui  m'ont  efté  cnuoyées  fur  les  46 
Méditations  de  ma  Metaphyfique";  mais  cela  ne  répugne  point  à  ce 
que  fée  ry  en  cet  endroit,  pource  que,  n'ayant  pas  deffein  de  traitter 
pour  lors  fort  amplement  de  cette  matière,  il  me  fuffifoit  de  les 
diftinguer  toutes  deux  de  la  réelle. 

63.  Comment  on  peut  auoir  des  notions  dijlinaes  de  l'extenjion  &  de  la 
penfée,  en  tant  que  l'vne  conjîitué  la  nature  du  corps,  &  l'autre  celle  de 
l'ame. 

Nous  pouuons  aufti  confiderer  la  penfée  &  l'/sftenduë  comme  les 
chofes  principales  qui  conftituent  la  nature  de  la  fubftance 'intelli- 
gente &  corporelle;  &  alors  nous  ne  deuons  point  les  conceuoir 
autrement  que  comme  la  fubftance  mefme  qui  penfe  &  qui  eft  eften- 
duë,  c'eft  à  dire  comme  l'ame  &  le  corp>  :  car  nous  les  connoiflbns 
en  cette  forte  tres-clairement&tres-diftin£lement.  Il  eft  mefme  plus 
ayfé  de  connoitre  vne  fubftance  qui  penfe  ou  vne  fubftance  eftendue, 

a.  Lire  «  divisible  »  ? 

b.  Voir  la  traduction  française  ci-avant,  p.  94-95. 


54  Œuvres  de  Desgartes. 

que  la  fubftance  toute  feule,  laiffant  à  part  fi  elle  penie  ou  fi  elle  eil 
eftenduë;  pource  qu'il  y  a  quelque  difficulté  à  feparer  la  notion  que 
nous  auons  de  la  fubftance  de  celles  que  nous  auons  de  la  penfée 
&de  l'eftenduè'  :  car  elles  ne  différent  de  lafubjlance  quepar  celafeul 
que  nous  coiifiderons  quelquefois  la  penfée  ou  l'ejîenduù',  fans  faire 
réflexion  fur  la  chofe  mefme  qui  penfe  ou  qui  efï  ejfenduë.  Et  noftre 
conception  n'eft  pas  plus  diftinfte,  pource  qu'elle  comprend  peu  de 

47  chofes,  |  mais  pource  que  nous  difcernons  foigneufement  ce  qu'elle 
comprend,  &  que  nous  prenons  garde  à  ne  le  point  confondre  auec 
d'autres  notions  qui  la  rendroient  plus  obfcure. 

64.  Comment  on  peut  aujfi  les  conceuoir  dijlinâement,  en  les  prenant 
pour  des  modes  ou  attributs  de  Ces  fubjiances. 

Nous  pouuons  confiderer  aufli  la  penfée  &  Teftendul'  comme  les 
modes  ou  différentes  façons  qui  fe  trouucnt  en  la  fubftance  :  c'eft  à 
dire  que,  lors  que  nous  confiderons  qu'vne  mefme  ame  peut  auoir 
plufieurs  penfées  diuerfes,  &  qu'vn  mefme  corps  auec  fa  mefme 
grandeur  peut  eftre  eftendu  en  plufieurs  façons,  tantoft  plus  en  lon- 
gueur &  moins  en  largeur  ou  en  profondeur,  &  quelquefois,  au 
contraire,  plus  en  largeur  &  moins  en  longueur;  &  que  nous  ne 
diftinguons, . .  la  penfée  &  l'eflendué,  de  ce  qui  penfe  &  de  ce  qui  efï 
efendu,  que  comme  les  dépendances  d'vne  chofe,  de  la  chofe  mefme 
dont  elles  depetident  ;  nous  les  connoiflbns  aufti  clairement  &  auffî 
diftindement  que  leurs  fubftances,  pourueu  que  nous  ne  penfions 
point  qu'elles  fubfiftent  d'elles-mefmes...,  mais  qu'elles  font  feule- 
ment les  façons  ou  dépendances  de  quelques  fubftances.  Pource  que, 
quand  nous  les  confiderons  comme  les  propriété^  des  fubftances  dont 
elles  dépendent,  nous  les  diftinguons  aifement  de  ces  fubftances, 
&  les  prenons    pour  telles  qu'elles   font  véritablement  :  au   lieu 

48  que,  fi  nous  voulions  les  confiderer  fans  fubftance,  |  cela  pourroit 
eftre  caufe  que  nous  les  prendrions  pour  des  chofes  qui  fubfiftent 
d'elles-mefmes;  en  forte  que  nous  confondrions  l'idée  que  nous 
deuons  auoir  de  la  fubftance,  auec  celle  que  nous  deuons  auoir  defes 
propriété^. 

65.  Comment  on  conçoit  aujji  leurs  diuerfes  propriété^  ou  attributs. 

Nous  pouuons  aufti  conceuoir  fort  dillindement  diuerfes /aço;i5 
de  pcnfcr,  comme  entendre,  imaginer,  fc  fouuenir,  vouloir  &c.;  & 
diuerfes/açw/s  d'eftenduii,ou  qui  appartiennent  à  l'cftenduCS  comme 


Principes.  —  Première  Partie.  5  5 

généralement  toutes  les  figures,  la  fituation  des  parties  &  leurs  mou- 
uemens,  pourueu  que  nous  les  confiderions  fimpiement  comme  les 
dépendances  des  fubftances  où  elles-font;  &  quant  à  ce  qui  eit  du 
mouuement,  pourueu  que  nous  penfions  feulement  à  celuy  qui  le 
fait  d'vn  lieu  en  autre,  fans  rechercher  la  force  qui  le  produit, 
laquelle  toutefois  j'efl'ayeray"  de  faire  connoiilre,'lors  qu'il  en  fera, 
temps. 

66.  Que  nous  auons  aujfi  des  notions  dijlinâes  de  nos  Jentimens,  de  nos 
affeâions  &  de  nos  appétits,  bien  quefouuent  nous  nous  trompions  aux 
jugemens  que  nous  enfaifons. 

Il  ne  relie  plus  que  les  fentimens,  les  affections  &  les  appétits, 
defquels  nous  pouuons  auoir  aufli  vne  connoiffance  claire  &  dif- 
tinde,  pouTutu  que  nous  prenions  garde...  à  ne  comprendre  dans  les 
jugemens  que  nous  en  ferons,  que  ce  que  nous  connoiltrons  preci- 
fement  par  le  moyen  de  noftre  entendement,  â  dont  nous  ferons 
aJJ'ureiparîa  rai/on.  Mais  il  eit  mal-aifé  d'vfer  continuellement  d'vnc 
telle  précaution,  |  au  moins  k  l'égard  de  nos  fens,  à  caufe  que...  nous  49 
auons  creu,  dés  le  commencement  de  nortre  vie,  que  toutes  les 
chofes  que  nous  fentions  auoient  vne  exiftence  hors  de  noftre  pen- 
fée,  &  qu'elles  elloient  entièrement  femblables  aux  fentimens  ou  aux 
idées  que  nous  auions  à  leur  occafion.  Ainfi,  lors  que  nous  auons 
veu,  par  exemple,  vne  certaine  couleur,  nous  auons  creu  voir  vne 
chofe  qui  fubfiftoit  hors  de  nous,  &  qui  eitoit  femblable  à  l'idée  que 
nous  auions.  Or  nous  auons  ain^  Jugé  en  tant  de  rencontres,  &  il 
nous  a  femblé  voir  cela  fi  clairement  &  fi  diitindemeni,  à  caufe  que 
nous  eftions  accouftumez  à  juger  de  la  forte,  qu'on  ne  doit  pas 
trouuer  ejlrange  que  quelques-vus  demeurent  enfuile  tellement  per- 
fuade'{  de  ce  faux  préjugé,  qu'ils  ne  puijfent  pas  mefme  fe  re foudre 
à  en  douter. 

67.  Quefouuent  mefme  nous  nous  trompons  en  jugeant  que  nous  fcntons 
de  la  douleur  en  quelque  partie  de  nojlre  corps. 

La  mefme  preuention  a  eu  lieu  en  tous  nos  autres  Itntimens, 
mefmes  en  ce  qui  eft  du  chatouillement  &  de  la  douleur.  Car, encore 
que  nous  n'ayons  pas  creu  qu'il  y  euft  hors  de  nous  dans  les  objets 
extérieurs  des  chofes  qui  fujjént  J'emblables  au  chatouillement  ou  à 
la  douleur  qu'ils  nous  faifoient  fentir,  nous  n'auons  pourtant  pas 

a.  Partie  II,  art.  24  à  54,  et  surtout  art.  43  et  44. 


56 


OEuvRES  DE  Descartes. 


confideré  ces  fentimens  comme  des  idées  qui  ejloient  feulement  en 
noftre  ame...;  mais  nous  auons  creu  qu'ils  eftoient  dans  nos  mains, 

50  dans  nos  pieds,  &  dans  les  aujtres  parties  de  noftre  corps  :  fans  que 
toutefois  il  y  ait  aucune  raifon  qui  nous  oblige  à  croire  -[ue  la  dou- 
leur que  nous  fentons,  par  exemple,  au  pied  Ibit  quelque  chofe  hors 
de  noftre  penfée  qui  foit  dans  noftre  pied,  ni  que  la  lumière  que 
nous  penfons  voir  dans  le  Soleil  foit  dans  le  Soleil  ainji  qu'elle  eji 
en  nous.  Et  fi  quelques  vnsf^  laijfent  encore  perfuader  à  Pîie  fi^auj/e 
opinion,  ce  n'efi  qu'à  caufe  qu'ils  font  fi  grand  cas  des  jugemens  qu'ils 
ont  faits  lors  qu'ils  efioient  enfans,  qu'ils  ne  fçauroient  les  oublier 
pour  en  faire  d'autres  plus  folides,  comme  il  paroiftra  encore  plus 
manifefteipent  par  ce  qui  fuit. 

68,  Comment  on  doit  dijlinguer  en  telles  chofes  ce  en  quoy  on  peut 
Je  tromper  d'auec  ce  qu'on  conçoit  clairement . 

Mais,  afin  que  nous  piiiflions  diftinguer  icy  ce  qu'il  y  a  de  clair 
en  nos  fentimens  d'auec  ce  qui  eft  obfcur,  nous  remarquerons...,  en 
premier  lieu,  que  nous  connoifl'ons  clairement  &  diftindement  la 
douleur,  la  couleur,  &  les  autres  fentimens,  lors  que  nous  les  confi- 
derons  fimplement  comme. ..  des  penfées;  mais  que,  quand  nous 
voulons  juger  que  la  couleur,  que  la  douleur,  £-c.,  font  des  chofes  qui 
fubfiftent  hors  de  noftre  penfée,  nous  ne  conceuons  en  aucune  façon 
quelle  chofe  c'eft  que  cette  couleur,  cette  douleur,  &c.  Et  il  en  eft 
de  mefme,  lors  que  quelqu'vn  nous  dit  qu'il  voit  de  la  couleur  dans 

51  vn  corps,  ou  qu'il  fent  de  la  douleur  en  queljqu'vn  de  fes  membres, 
comme  s'il  nous  difoit  qu'il  voit  ou  qu'il  fent  quelque  chofe,  mais 
qu'il  ignore  entièrement  quelle  eft  la  nature  de  cette  chofe,  ou  bien 
qu'il  n'a  pas  vne  connoiffance  difiinâe  de  ce  qu'il  voit  &  de  ce  qu'il 
fent.  Car,  encore  que,  lors  qu'il  n'examine  pas  fes  penfées  auec 
attention,  il  fe  perfuade  peut-eftre  qu'il  en  a  quelque  connoiifance, 
à  caufe  qu'il  fuppofe  que  la  couleur  i^w'/Vcro//  voir  dans  l'objet..., a  de 
la  reffemblance  auec  le  fentiment  qu'il  éprouue  en  foy,  neantmoins, 
s'il  fait  refledion  fur  ce  qui  luy  eft  reprefenté  par  la  couleur  ou  par 
la  douleur,  en  tant  qu'elles"  exiftent  dans  vn  corps  coloré,  ou  bien 
dans  vne  partie  bleffée,  il  trouuera  fans  doute  qu'il  n'en  a  pas  de 
connoiifance. 

a.  Conirc-scns. 


Principes.  —  Première  Partie.  57 


fiq.  Qu'on  connoiji  tout  autrement  les  grandeurs,  les  figures,  &c., 
que  les  couleurs,  les  douleurs,  &c.' 

Principalement  s'il  confidere  qu'il  connoift  bien  d'vne  autre  façon 
ce  que  c'eft  que  la  grandeur  dans  le  corps  qu'il  apperçoit,  ou  la 
figure,  ou  le  mouuement,  au  moins  celuy  qui  fe  fait  d'vn  lieu  en  vn 
autre  (car  les  Philofophes,  en  feignant  d'autres  mouuemens  que 
celuy-cy,  n'ont  pas  connu  fi  facilement  fa  vraye  nature),  ou  la  fitua- 
tion  des  parties,  ou  la  durée,  ou  le  nombre,  &  les  autres  propriete:{ 
que  nous  apperceuons  clairement  en  tous  les  corps,  comme  il  a  efté 
def-ja  remarqué",  que  non  pas  ce  que  c'eft  que  la  couleur  dans  le 
mefme  corps,  ou  la  |  douleur,  l'odeur,  le  goitjî,  la  faueur,  &  tout  ce  52 
que  j'ay  dit^  deuoir  eftre  attribué  au  fens.  Car,  encore  que,  voyant 
vn  corps,  nous  ne  foyons  pas  moins  affurez  de  fon  exiftence,  par  la 
couleur  que  nous  apperceuons  à  fon  occafion,  que  par  la  figure  qui 
le  termine,  toutefois  il  efi  certain  que  nous  connoiffons  tout  autre- 
ment en  luy  cette  propriété  qui  ell  caufe  que  nous  difons  qu'iPeft 
figuré,  que  celle  qui  fait  qu'il  nous  femble  coloré. 

•jo.  Que  nous  pouuons  juger  en  deux  façons  des  chofes  fenfibles,  par  l'vne 
de/quelles  nous  tombons  en  erreur,  &  par  l'autre  nous  l'éuitons. 

Il  eil  donc  éuident,  lors  que  nous  difons  à  quelqu'un  que  nous 
apperceuons  des  couleurs  dans  les  objets,  qu'il  en  ell  de  mefme  que 
fi  nous  luy  difions  que  nous  apperceuons  en  ces  objets  je  ne  fçay 
quoy  dont  nous  ignorons  la  nature,  mais  qui  caufe  pourtant  en  nous 
vn  certain  fentiment,  fort  clair  &  manifelle,  qu'on  nomme  le  fenti- 
ment  des  couleurs.  Mais  il  y  a  bien  de  la  différence  en  nos  juge- 
mens;  car,  tant  que  nous  nous  contentons  de  croire  qu'il  y  a  je  ne 
fçay  quoy  dans  les  objets  (c'eft  à  dire  dans  les  chofes  telles  qu'elles 
foientj  qui  caufe  en  nous  ces  penfées  confufes'  qu'on  nomme  fenti-  53 
mens...,  tant  s'en  faut  que  nous  nous  méprenions,  qu'au  contraire 
nous  éuitons  la  furprife  qui  nous  pourroit  faire  méprendre,  à  caufe 
que  nous  ne  nous  emportons  pas  fi  toft  à  juger  témérairement  d'vne 
chofe  que  nous  remarquons  ne  pas  bien  connoiftre.  Mais,  lors  que 
nous  croyons  |  apperceuoir  vue  certaine  couleur  dans  vn  objet,  bien 
que  nous  n'ayons  aucune   connoiffance  diffinâe  de  ce  que  nous 

a.  Art.  48,  p.  43. 

b.  Ibidem. 

c.  Mot  ajouté  à  l'errata  de  la  première  édition 


58 


Œuvres  de  Descartes. 


appelions  d'vn  tel  nom,  &  que  uojîre  rai/ou  ne  nou!>  face  aperceuoir 
aucune  reiremblance  entre  la  couleur  que  nous  l'uppoions  eftre  en 
cet  objet  &  celle  qui  e/f  en  noilre  lens;  ncantnioins,  pource  que  nous 
ne  prenons  piis  garde  à  cela  ^  que  nous  remarquons  en  ces 
me fm es  objets  plufieurs  proprietez,  comme  la  grandeur,  la  figure, le 
nombre,  &:c.,  qui  exillent  en  eux...  de  meùne  forte  que  nos  fens  ou 
plujlojl  noilre  entendement  nous  les  fait  appcrceuoir,  nous  nous 
\<x\{ïoT\s,  perjuader  aifément  que  ce  qu'on  nomme  couleur  dans  vn 
objet  eft  quelque  choie  qui  exijte  eu  cet  objet,  qui  reliemblc  entière- 
ment à  la  couleur  qui  eft  en  nojtre  penfèe,  &  en  fuite  nous  penfons 
apperceuoir  clairement  en  cette  ciwfe  ce  que  nous  n'apperceuons 
en  aucune  façon  appartenir  à  fa  nature. 

7/.  Que  la  première  &  principale  caufe  de  nos  erreurs  font  les  prejuge\ 

de  nojlre  enfance. 

C'eil  ainfi  que  nous  auons  receu  la  plu/part  de  nos  erreurs  :  à 
fcauoir,  pendant  les  premières  années  de  noilre  vie,  que  noilre  ame 
.  efloit  fi  ellroiteinent  liée  au  corps,  qu'elle  ne  s'appliquoit  à  autre 
chofe  qu'à  ce  qui  caufoit  en  luy  quelques  impreflions,  elle  ne  confi- 
deroit  pas  encore  fi  ces  impreflions  elloient  caufécs  par  des  chofes 
qui  exiltalfent  hors  de  foy,  mais  feulement  elle  fentoit  de  la  douleur, 
54  lors  que  |  le  corps  en  eltoit  offenfé,  ou  du  plailir,  lors  qu'il  en  rece- 
uoit  de  l'vtilitc,  ou  bien,  fi  elles  ejîoientft  légères  que  le  corps  n'en 
receufl  point  de  commodité,  ni  aulîi  d'incommodité  qui  fujl  impor- 
tante à  fa  conferuation,  elle  auoit  des  fentimens  tels  que  font  ceux 
qu'on  nomme  goull,  odeur,  fon,  chaleur,  froid,  lumière,  couleur,  ^ 
autres  femblables,  qui  véritablement  ne  nous  reprefentent  rien  qui 
cxille  hors  de  noilre  penfée,  mais  qui  font  diuers  félon  les  diuerfitez 
qui  Je  rencontrent  d.ins  les  mouuemens  qui  paffent  de  tous  les  en- 
droits de  nq/lre  corps  jufques  à  l'endroit  du  cerueau  auquel  elle  e/l 
e/troitement  Jointe  à-  mie.  Elle  appcrceuoit  aulIi  de«  grandeurs,  des 
figures  &  des  mouuemens...,  qu'elle  ne  prenoit  pas  pour  des  fenti- 
mens, mais  pour  des  chofes,  ou  des  propriété:^  de  certaines  chofes, 
qui  luy  fembloient  exiller, ou  du  moins  pouuoir  exiller  hors  de  foy, 
bien  qu'elle  n'y  remarquall  pas  encore  cette  différence.  Mais,  lors 
que  nous  auons  eflé  quelque  pi'u  plus  aduaj!ce\  en  às^e,  &  que  nofire 
corps. ..,fe  tournant  fortuitement  de  part  ^:  d'autre  par  la  difpofition 
de  fes  organes..., a  rencontré  des  chofes  vtiles  ou  en  a  éuité  de  nui- 
fiblcs,  l'ame,  qui  luy  clloit  cllroiiement  vnie,  faifant  réflexion  fur 
les  chofes  qu'il  rencontroii  ou  cuitoit,  a  remarque,  premièrement, 


Principes.  —  Première  Partie.  ^9 

qu'elles  exiltoient  au  dehors,  &  ne  leur  a  pas  attribué  j  feulement     55 
les  grandeurs,  les  figures,  les  mouuemens,  &   les  autres  proprietCy 
qui  appartiennent  véritablement  an  corps,  &  qu'elle  conceuoit  fort 
bien  ou  comme  des  chofes  ou  comme  les  dépendances  de  quelques 
chofes,  mais  encore  les   couleurs,  les  odeurs,  ^:  toutes  les  autres 
idées  de  ce  genre  qu'elle  apperceuoit  aulîi  à  leur  occafion.  Et  comme 
"elle  elloit  fi  fort  offufquéedu  corps,  qu'elle  ne  confideroit  les  autres 
chofes  qu'autant  qu'elles  feruoient  à  fonvfage,  elle  jugeoit  qu'il  y 
auoit  plus  ou  moins  de  realité  en  chaque  objet,  félon  que  les  im- 
prefTions  qu'il  caufoit  luy  fembloient  plus  ou  moins  fortes.  De  là 
vient  qu'elle  a  creu  qu'il  y  auoit  beaucoup  plus  de  fublhmce  ou  de 
corps  dans  les  pierres  &  dans  les  métaux  que  dans  l'air  ou  dans 
l'eau,  parce  qu'elle  y  fentoit  plus  de  dureté  ^  de  pefanteur;  & 
qu'elle,  n'a  confideré  l'air  non  plus  que  rien,  lorfqu'il  n'ertoit  agité 
d'aucun  vent  &  qu'il  ne  luy  fembloit  ni  chaud  ni  froid.  Et  pourcc 
que  les  elloiles  ne  luy  faifoient  gueres  plus  fentir  de  lumière  que 
des  chandelles  allumées,  elle  n'imaginoit  pas  que  chafque  elloile 
fuft  plus  grande  que  la  flamme  qui  paroifl  au  bout  d'vne  chandelle 
qui  bruile.  Et  pource  qu'elle  ne  confideroit  pas  encore  li  la  terre 
peut  tourner  fur  fon  eflieu,  &  fi  fa  fuperficie  eil  courbée  comme 
celle  d'vne  |  boule,  elle  a  jugé  d'abord  qu'elle  eft  immobile,  ^  que     56 
fa   fuperficie  elt   plate.   PJt  nous  auons  elle   par  ce  moyen   fi  fort 
préuenus  de  mille  autres  préjugez,  que,  lors  me/me  que  nous  e^/îions 
capables  de  bien  vfer  de  nojîre  rai  fon,  nous  les  auons  receus  en 
nojire  créance;   &  au   lieu  de   penfer   que   nous  auions  fait   ces 
jugemens  en  vn  temps  que   nous  n'eftions  pas  capables  de  bien 
juger,  &  par  confequent  qu'ils  pouuoient   ejîre  plujîojî  faux  que 
vrais,  nous  les  auons   receus   pour  aujp.  certains  que  fi  nous  en 
auions  eu  vne  Connoiffance  dijîinde  par  l'entremife  de  nos  fens, 
&  n'en  auons  non    plus    douté   que    s'ils   eulfent  eilé  des  notions 
communes. 

J2.  Que  la  féconde  ejl  que  nous  ne  pouuons  oublier 
ces  préjuge:^. 

Enfin  lors  que  nous  auons  atteint  l'vfage  entier  de  nojîre  rai/on,  ik 
que  noftre  ame,  n'eftant  plus  fi  fujette  au  corps,  tafche  à  bien  juger 
des  chofes  &  à  connoillre  leur  nature;  bien  que  nous  remarquions 
que  les  jugemens  que  nous  auons  faits  lors  que  nous  eftions  enfans 
font  pleins  d'erreur,  nous  auons  afl'ez  de  peine  à  nous  en  déliurer 
entièrement  :  &  neantmoins  il  eji  certain  que,  fi.  nous  manquons  à 


6o  Œuvres  de  Descartes. 

nous  fouuenir  qu'ils  font  douteux',  nous  fommes  touf-jours  en  dan- 
ger de  retomber  en  quelque  fauffe  preuention.  Cela  eft  tellement 
vray,  qu'à  caufe  que,  dés  noftre  enfance,  nous  auons  imaginé,  par 
^'  exemple,  les  eftoiles  fort  petites,  nous  ne  fçaurions  nous  |  deffaire 
encore  de  cette  imagination,  bien  que  nous  connoilTions  par  les 
raifons  de  l'Adronomie  qu'elles  font  très-grandes,  tant  a  de  pou- 
uoir  fur  nous  vne  opinion  def-ja  receuë  ! 

75.  La  troijîéme,  que  nojire  efprit  Je  fatigue  quand  il  fe  rend  attentif 
à  toutes  les  chofes  dont  nous  jugeons. 

De  plus,  comme  noftre  ame  ne  fçauroit  s'arrefler  à  confiderer 
long--temps  vne  mefme  chofe  auec  attention  fans  fe  peiner  &  mefmes 
fans  fe  fatiguer,  &  qu'elle  ne  s'applique  à  rien  auec  tant  de  peine 
qu'aux  chofes  purement  intelligibles,  qui  ne  font  prefentes  ni  au 
fens  ni  à  l'imagination,   ibit  que  naturellement  elle  ait  efté  faite 
ainfi,  à  caufe  qu'elle  eft  ynie  au  corps,  ou   que,  pendant  les  pre- 
mières années  de  noftre  vie,  nous  nous  foyons  fi  fort  accouftumez  à 
fentir  &  imaginer,  que  nous  ayons  acquis  vne  facilité  plus  grande 
à  penfer  de  cette  forte,  de  là  vient  que  beaucoup  de  perfonnes  ne 
fçauroient  croire  qu'il  y  ait  de  fubftance,  fi  elle  n'eft  imaginable  & 
corporelle,  &  mefme  fenfible.  Car  on  ne  prend  pas  garde  ordinaire- 
ment qu'il  n'y  a  que  les  chofes  qui  confiftent  en  eftenduë,  en  mou- 
uement  &  en  figure,  qui  foient  imaginables,  &  qu'il  y  en  a  quantité 
d'autres  que  celles-là,  qui  font  intelligibles.  De  là  vient  aufii  que  la 
plus  part  du  monde  fe  perfuadc  qu'il  n'y  a  rien  qui  puilfe  fubfifter 
fans  corps,  &  mefmes  qu'il  n'y  a  point  de  corps  qui  ne  foit  fenfible. 
^     Et  d'autant  que...  ce  ne  font  point  nos  fens. ..  qui  |  nous  font  décou- 
urir  la  nature  de  quoy  que  ce  foit,  mais  feulement  noftre  raifon  lors 
qu'elle f  interuient,...  on  ne  doit  pas  trouuer  eftrange  que  la  plus 
part  des  hommes  n'apperçoiuent  les  chofes  que  /br/  confufément, 
veu  qu'il  n'y  en  a  que  tres-peu  qui  s'ejludient  à  la  bien  conduire. 

•j4>  La  quatriefme,  que  now:  attachons  nos  penfées  à  des  paroles 
qui  ne  les  expriment  pas  exaâement. 

Au  refte,  parce  que  nous  attachons  nos  conceptions  à  certaines 
paroles,  afin  de  les  exprimer  de  bouche,  &  que  nous  nous  fouue- 
nons  pluftoft  des  paroles  que  des  chofes,  à  peine  fçaurions-nous 

a.  Texte  de  l'errata  de  la  première  édition.  Elle  donnait  :  fi  nous  n'en 
perdons  le  fouuenir^ 


Prin'cipes.  —  Première  Partie.  6i 

conceuoir  aucune  chofe  fi  diftindement,  que  nous  feparions  entiè- 
rement ce  que  nous  conceuons  d'auec  les  paroles  qui  auoient  efté 
choifies  pour  l'exprimer.  Ainfi  tous  les  hommes  donnent  leur  at- 
tention aux  paroles  pluftoft  qu'aux  chofes  ;  ce  qui  eft  caufe  qu'ils 
donnent  bien  fouuent  leur  confentement  à  des  termes  qu'ils  n'en- 
tendent point,  &  qu'ils  ne  fe  foucient  pas  beaucoup  d'entendre,  ou 
pource  qu'ils  croyent  les  auoir  entendus  autrefois,  ou  pource  qu'il 
leur  a  femblé  que  ceux  qui  les  leur  ont  enfeignez  en  connoiflbient 
la  fignification,  &  qu'ils  Vont  apprife  par  me/me  moyen.  Et  bien  que 
ce  ne  foit  pas  icy  l'endroit  où  je  dois  traitter  de  cette  matière,  à 
caufe  que  jen'ay  pas  enfeigné  quelle  eft  la  nature  du  corps  humain, 
&  que  je  n'ay  pas  mefmes  encore  prouué  qu'il  y  ait  au  |  monde  69 
aucun  corps,  il  me  femble  neantmoins  que  ce  que  j'en  ay  dit',  nous 
pourra  feruir  à  difcerner  celles  de  nos  conceptions  qui  font  claires 
&  diftindes,  d'auec  celles  où  il  y  a  de  la  confufion  £-  qui  nous  font 
inconnues. 

y  S.  Abrégé  de  tout  ce  qu'on  doit  ob/eruer  pour  bien  philofopher. 

C'ett  pourquoy,  fi  nous  defirons  vaquer  ferieufement  à  l'eftude  de 
la  Philofophie  &  à  la  recherche  de  toutes  les  veritez  que  nous 
fommes  capables  de  connoiftre,  nous  nous  deliurerons,  en  premier 
lieu,  de  nos  préjugez,  &  ferons  eftat  de  rejetter  toutes  les  opinions 
que  nous  auons  autrefois  receuës  en  noftre  créance,  jufques  à  ce  que 
nous  les  ayons  derechef  examinées...  Nous  ferons  enfuite  vne 
reueuë  fur  les  notions  qui  font  en  nous,  &  ne  receurons  pour 
vrayes  que  celles  qui  fe  prefenteront  clairement  &  diftindcment  à 
noftre  entendement.  Par  ce  moyen  nous  connoiftrons,  première- 
ment, que  nous  fommes,  en  tant  que  noftre  nature  eft  de  penfer; 
&  qu'il  y  a  vn  Dieu  duquel  nous  dépendons;  après  auoir  confideré 
fes  attributs,  nous  pourrons  rechercher  la  vérité  de  toutes  les 
autres  chofes,  pource  qu'il  en  eft  la  caufe.  Outre  les  notions  que 
nous  auons  de  Dieu  &  de  noftre  penfée,  nous  trouuerons  aufti  en 
nous  la  connoilfance  de  beaucoup  de  propofitions  qui  font  perpé- 
tuellement vrayes,  comme,  par  exemple,  que  le  néant  ne  peut  eftre 
l'autheur  de  quoy  |  que  ce  foit,  &c.  Nous  y  trouuerons  l'idée  d'vne  60 
nature  corporelle  ou  eftenduë,  qui  peut  eftre  mue,  diuifée,  &c.,  & 
des  fentimens  qui  caufent  en  nous  certaines  difpofitions,  comme  la 
douleur,  les  couleurs...,  &c...;  Et  comparant  ce  que  nous  venons 

a.  Art.  43  à  47  inclus,  p.  43-45. 


02  OEuVRES   DE   DeSGARTES. 

d'apprendre  en  examinant  ces  chofes  par  ordre,  auec  ce  que  nous 
en  penfions  auant  que  de  les  auoir  ainji  examinées,  nous  nous 
accouftumerons  à  former  des  conceptions  claires  &  dillinc^es  fur 
tout  ce  que  nous  fommes  capables  de  connoillre.  G'ell  en  ce  peu 
de  préceptes  que  je  penfe  auoir  compris  tous  les  principes  plus 
généraux  &  plus  importansde  la  connoilîance  humaine. 

j6.  Que  nous  deuons  préférer  l'authorité  diuine  à  nos  raifonnemens,  &  ne 
rien  croire  de  ce  qui  n'ejl  pas  reuelé  que  nous  ne  le  connoijfwns  fort 
clairement. 

Surtout,  nous  tiendrons  pour  règle  infaillible,  que  ce  que  Dieu  a 
reuelé  efl  incomparablement  plus  certain  que  le  relie  ;  afin  que,  fi 
quelque  eflincele  de  raifon  fembloit  nous  fuggerer  quelque  chofe  au 
contraire,  nous  foyons  touf-jours  prefts  kfoiimettre  noltre  jugement 
à  ce  qui  vient  de  fa  part.  Mais,  pour  ce  qui  elf  des  vérité^  dont  la 
Théologie  ne  fe  meile  point,  il  n'y  auroit  pas  d'apparence  qu'vn 
homme  qui  veut  e/lre  Philofophe  receull  pour  vray  ce  qu'il  n'a 
point  connu  eftre  tel,  &  qu'il  aymalf  mieux  fe  fier  à  fes  fens,  c'elt  à 
dire  aux  jugcmens  inconfiderez  de  fon  enfance,  qu'à  fa  raifon,  lors 
qu'il  efl  en  eflat  de  la  bien  conduire. 


LES  PRINCIPES 


DE 


LA    PHILOSOPHIE 


SECONDE  PARTIE. 
Des  Principes  des  chofes  matérielles. 


i .  Quelles  raifons  nous  font  fcauoir  certainement  qu'il  y  a  des  corps. 

Bien  que  nous  ibyons  fuffifamment  perfuadez  qu'il  y  a  des  corps 
qui  font  véritablement  dans  le  monde,  neantmoins,  comme  nous 
en  auons  douté  cy-deuant%  &  que  nous  auons  mis  cela  au  nombre 
des  Jug-emeus  que  nous  auons  faits  des  le  commencement  de  noltre 
vie,  il  ert  befoin  que  nous  recherchions  icy  des  raifons  qui  nous  en 
facent  auoir  vne  fcience  certaine.  Premièrement,  nous  expérimen- 
tons en  nous  me/mes  que  tout  ce  que  nous  fentons  vient...  de  quelque 
autre  chv  e  que  de  nollre  penfée  ;  pource  qu'il  n'elt  pas  en  noltre 
pouuoir  de  faire  que  nous  ayons  vn  fentiment  pluftoft  qu'vn  autre, 
&  que  cela  dépend...  de  cette  chofe,  félon  qu'elle  touche  nos  fens.  Il 
ell  vray  que  nous  pourrions  nous  enquérir  fi  Dieu,  ou  quelque  autre 
que  luy,  ne  feroit  point  cette  chofe  :  mais,  à  caufe  que  nous  |  fen- 
tons, ou  pluftort  que  nos  fens  nous  excitent /ow«e;//  à  apperceuoir 
clairement  &  diftindement,  vne  matière  eftenduë  en  longueur,  lar- 
geur &  profondeur,  dont  les  parties...  ont  des  figures  &  des  mou- 
uemens  diuers,  d'où  procèdent  les  fentimens  que  nous  auons  des 
couleurs,  des  odeurs,  de  la  douleur,  &c.,  li  Dieu  prefentoit  à  noftre 

a.  Partie  I,  art.  4,  p.  26. 


64  Œuvres  de  Descartes. 

ame  immédiatement  par  luy  mefme  l'idée  de  cette  matière  eften- 
duë,  ou  feulement  s'il  permettoit  qu'elle  fuft  caufée  en  nous  par 
quelque  chofe  qui  n'eufl:  point  d'extenfion,  de  figure,  ni  de  mouue- 
ment,  nous  ne  pourrions  trouuer  aucune  raifon  qui  nous  empef- 
chatt  de  croire  qu'il  prend''  plaijtr  à  nous  tromper;  car  nous  con- 
ceuons...  cette  matière  comme  vne  chofe...  différente  de  Dieu  &... 
de  nollre  penfée,  &  il  nous  femble...  que  l'idée  que  nous  en  auons' 
Je  forme  en  nous  à  l'occajion  des  corps  de  dehors,  aufquels  elle  ell 
entièrement  femblable.  Or,  puifque  Dieu  ne  nous  trompe  point, 
pource  que  cela  répugne  à  fa  nature,  comme  il  a  elle  def-ja  re- 
marque'', nous  deuons  conclure  qu'il  y  a  vne  certaine  ftibjtance 
ellenduë  en  longueur,  largeur  &  profondeur,  qui  exiile  à  prefent 
dans  le  monde  auec  toutes  les  proprietez  que  nous  connoiflbns  mani- 
fellement  luy  appartenir.  Et  cette  fubjlr.nce  ellenduë  ell  ce  qu'on 
nomme  proprement  le  corps,  ou  la  fubjîancc  des  chofes  matérielles. 

•3  I  2.  Comment  nousfqauons  aujji  que  noftre  ame  eji  jointe  à  vn  corps. 

Nous  deuons  conclure  auffi  qu'vn  certain  corps  eft  plus  eftroite- 
ment  vni  à  noftre  ame  que  tous  les  autres  qui  font  au  monde,  poufce 
que  nous  appercevons  clairement  que  la  douleur  &  plufieurs  autres 
feniimens  nous  arriuent  fans  que  nous  les  ayons  préueus,  &  que 
noftre  ame,  par  me  connoijjance  qui  luy  ejl  naturelle,  juge  que  ces 
fentimens  ne  procèdent  point  d'elle  feule. . .,  en  tant  qu'elle  eft  vne 
chofe  qui  penfe,  mais  en  tant  qu'elle  eft  vnie  ù  vne  chofe  eftenduë 
qui  fe  meut  par  la  difpojition  de  fes  organes,  qu'on  nomme  pro- 
prement le  corps  d'vn  homme.  Mais  ce  n'eft  pas  icy  l'endroit  où  je 
prétends  en  traitter  particulièrement'. 

3.  Que  nosfens  ne  nous  enfcignent  pas  la  nature  des  chofes,  mais  feulement 
ce  en  quoy  elles  nous  font  vtiles  ou  nnifibles. 

Il  fuffîra  que  nous  remarquions  feulement  que  tout  ce  que  nous 
apperceuons  par  l'entremifc  de  nos  fens  fe  rapporte  à  l'eftroite  vnion 
qu'a  l'ame  auec  le  corps,  is:  que  nous  connoiflbns  ordinairement 
par  leur  moyen  ce  en  quoy  les  corps  de  dehors  nous  peuuent  pro- 

a.  \J éiWùon  princeps  donnait  :  «  qu'il  ne  prend  point  »,  mais  avec  cette 
correction  à  Verrata  :  ••  qu'il  piL-nd  ». 

b.  Voir  les  an.  29  et  3<i  de  la  première  partie,  ci-avant,  p.  37-38. 

c.  «  Il  eioit  fur  te  point  de  trauaillcr  a  cette  maticre  quand  la  mort  nous 
r«  rauy.  V.  le  I  art.  du  traite  de  l'homme.  »»  {Noie  MS.  de  Legrand.) 


Principes.  —  Seconde  Partie.  65 

fiter  ou  nuire,  mais  non  pas  quelle  eji  leur  nature,  fi  ce  n'eft  peut- 
ellre  rarement  &  par  hazard.  Car,  après  cette  réflexion,  nous  quitte- 
rons fans  peine  tous  les  préjugez  qui  ne  font  fondez  que  fur  nos 
fens,  &  ne  nous  feruirons  que  de  nortrc  entendement,  pource  que 
c'eft  en  \uyfeul  que  les  premières  notions  ou  idées,  qui  font  comme 
les  femences  des  vérité^  que  nous  fommes  capa\bles  de  connoiflre,  M 
fe  trouuent  naturellement. 


4.  Que  ce  n'ejl  pas  la  pefanteur,  ni  la  dureté,  ni  la  couleur,  &c., 
qui  conjîituë  la  nature  du  corps,  mais  Vextenjion  feule. 

En  ce  faifant,  nous  fçaurons  que  la  nature  de  la  matière,  ou  du 
corps  pris  en  gênerai,  ne  confifte  .point  en  ce  qu'il  eft  vnc  chofe  dure, 
ou  pefante,  ou  colorée,  ou  qui  touche  nos  fens  de  quelque  autre 
façon,  mais  feulement  en  ce  qu'il  eft  wnefubflance  eftenduè"  en  lon- 
gueur, largeur  &  profondeur.  Pour  ce  qui  eft  de  la  dureté,  nous 
n'en  connoiflbns  autre  chofe,  par  le  moyen  de  l'attouchement,  finon 
que  les  parties  des  corps  durs  refiftent  an  mouuement  de  nos  mains 
lors  qu'elles  les  rencontrent;  mais  fi,  toutes  les  fois  que  nous  por- 
tons nos  mains  vers  quelque  part,  les  corps  qui  font  en  cet  endroit 
fe  retiroient  aufli  vifte  comme  elles  erf  approchent,  //  efl  certain  que 
nous  ne  fentirions  jamais  de  dureté;  &  neantmoins  nous  n'auons 
aucune  raifon  qui  nous  puifle  faire  croire  que  les  corps  qui  fe  retire- 
roient  de  cette  forte  perdiffent  pour  cela  ce  qui  les  fait  corps.  D'où 
il  fuit  que  leur  nature  ne  confifte  pas  en  la  dureté  lue  nous  fentons 
quelquesfois  à  leur  occafion,  ni  aufti  en  la  pefan.cur,  chaleur  & 
autres  qualitez  de  ce  genre;  car^  nous  examinons  quelque  corps 
que  ce  foit,  nous  pouuons  penfer  qu'il  n'a  en  foy  aucune  de  ces  qua- 
litez, &  cependant  nous  connoiffons  clairement  &  diflinâement  qu'A 
a  tout  ce  qui  le  I  fait  corps,  pourueu  qu'il  ait  de  l'extenfion  en  Ion-  65 
gueur,  largeur  &  profond'-ur:  d'où  il  fuit  aufli  que,  jpowr  eflre,  il  n'a 
befoin  d'elles  en  aucune  façon,  d'  que  fa  nature  conflfle  en  cela  feul 
qu'il  eft  vue  fubflance  qui  a  de  l'extenfion. 

5.  Que  cette  vérité  ejl  obfcurcie  par  les  opinions  dont  on  efl  préocupé 
touchant  la  rarefaâion  &  le  vuide. 

Pour  7'endre  cette  vérité  entièrement  éuidente,  il  ne  refte  icy  que 

deux  difficultez  à  éclaircir.  La  première  confifte  en  ce  que  qu.elques- 

vns,  voyant  proche  de  nous  des  corps  qui  font  quelquefois  plus  <S^ 

quelquefois  moins  raréfiez,  ont  imaginé  qu'vn  mefme  corps  a  plus 

Œuvres.  IV.  ^l 


66  Œuvres  de  Descartes. 

d'extenfion,  lors  qu'il  eft  raréfié,  qu€  lors  qu'il  elt  condenfé;  il  y  en  a 
mefme  qui  ont  fubtilifc  jufques  à  vouloir  diitinguer  ia  fubilance  d'vn 
corps  d'auec  fa  propre  grandeur,  &  la  grandeur  melme  d'auec  l'on 
cxtenfion.  L'autre  n'eft  fondée  que  fur  vne  façon  de  penfer  qui  eft  en 
vfage,  à  fçauoir  qu'on  n'entend  pas  qu'il  y  ait  vn  corps,  où  on  dit 
qu'il  n'y  a  qu'vne  ellenduë  en  longueur,  largeur  &  profondeur,  mais 
feulement  vne  efpace,  &  encore  vne  efpace  vuide,  qu'on  fe  perfuade 
aifément  n'eftre  rien. 

6.  Comment  fe  fait  la  rarefaâion. 

Pour  ce  qui  elt  de  la  rarefadion  cH:  de  la  condenfation,  quiconque 
voudra  examiner  les  penfées,  &  ne  rien  admettre  fur  ce  fujet  que  ce 
dont  il  aura  vne  idée  claire  &  diftinâe,  ne  croira  pas  qu'elles  fe 
facent  autrement  que  par  vn  changement  de  figure  qui  arriuc  au 
66  corps,  lequel  eji  varejîé  ou  condenfé  :  c'ell-à-dire  |  que  toutes  fois  & 
quantes  que  nous  voyons  qu'vn  corps  eft  raréfié,  nous  deuons  penfer 
qii'û  y  a  plufieurs  interualles  entre  fes  parties,  Icfquels  font  remplis 
de  quelque  autre  corps;  &  que,  lors  qu'il  ert  condenfé,  fes  mefmes 
parties  font  plus  proches  les  vnes  des  autres  qu'elles  n'elloient,  foit 
qu'on  ait  rendu  les  interualles  qui  eftoient  entr'elles  plus  petits,  ou 
qu'on  lésait  entièrement  oltez,  auquel  cas  on  ne  fçauroit  conceuoir 
qu'vn  corps  puifl'e  eftre  dauantage  condenfé.  Et  toutefois  il  ne  lailfe 
pas  d'auoir  tout  autant  d'extenfion  que  lors  que  ces  mefmes  parties, 
ellant  cfloignécs  les  vnes  des  autres  &  comme  efparfes  en  plujieurs 
branches,  cmbrallbient  vn  plus  grand  efpace*.  Car  nous  ne  deuons 
point  luy  attribuer  l'eftenduii  qui  ell  dans  les  pores  ou  interualles 
que  fes  parties  n'occupent  point  lors  qu'il  ejî  rarefê,  mais  aux  autres 
icorps  qui  remplilfent  ces  interualles;  tout  de  mefme  que,  voyant 
vne  efpongc  pleine  d'eau  ou  de  quelque  autre  liqueur,  nous  n'en- 
tendons point  que  chafque  partie  de  cette  efponge  ait  pour  cela  plus 
d'eftenduc,  mais  feulement  qu'il  y  a  des  pores  ou  interualles  entre 
/es  parties,  qui  font  plus  grands...,  que  lors  qu'elle  elt  feiche  & 
plus  ferrée. 

7.  Qu'elle  ne  peut  ejlre  intelligiblement  expliquée  qu'en  la  façon 

icy  propofée. 


C7 


le  ne  fçay  pourquoy,  lors  qu'on  a  voulu  expliquer  comment  vn 
corps  eft  raréfié,  on  a  mieux  |  aymé  dire  que  c'eftoit  par  l'augmen- 

a.  Correction  de  Verrata,  Texte  primitif  :  «  en  plus  grande  tlpacc  >. 


Princïpps.  —  Seconde  Partie.  67 

tation  de  fa  quantité,  que  de  fe  feruir  de  l'exemple  de  cette  efponge. 
Car  bien  que  nous  ne  voyons  point,  lors  que  l'air  ou  l'eau  font  ra- 
réfiez, les  pores  qui  font  entre  les  parties  de  ces  corps,  ni  comment 
ils  font  deuenus  plus  grands,  ni  mefme  le  corps  qui  les  remplit,  il  ell 
toutefois  beaucoup  moins  raifonnable  de  feindre  je  ne  fçay  quoy  qui 
n'elt  pas  intelligible,  pour  expliquer  feulement  en  apparence,  &  par 
des  termes  qui  n'ont  aucun  fcns;  la  façon  dont  vn  corps  ell  raréfié, 
que  de  conclure,  en  confequence  de  ce  qu'il  eil:  raréfié,  qu'il  y  a  des 
pores  ou  interualles  entre  fes  parties  qui  font  deuenus  plus  grands, 
&  qui  font  pleins  de  quelque  autre  corps.  Et  nous  ne  deuons  pas 
faire  difficulté  de  croire  que  la  rarefaâion  ne  fe  face  ainji  que  je  dj-, 
bien  que  nous  n'apperceuions  par  aucun  de  nos  fens  le  corps  qui 
les  remplit,  pource  qu'il  n'y  a  point  de  raifon  qui  nous  oblige  à 
croire  que  nous  deuons  apperceuoir  de  nos  fens  tous  les  corps  qui 
font  autour  de  nous,  &  que  nous  voyons  qu'il  ell  tres-aile  de  l'ex- 
pliquer en  cette  forte,  &  qu'il  eil  impolîible  de  la  conceuoir  autre- 
ment. Car  enfin  il  y  auroit,  ce  me  femble,  vne  contradiction 
manifefte  qu'vne  chofe  fuit  augmentée  d'vne  grandeui«.ou  d'vne 
extenfion  qu'elle  n'auoit  point,  &  qu'elle  ne  full  pas  ac|creuë  par  68 
mefme  moyen  d'vne  nouuelle  fubltance  eltenduë  ou  bien  d'vn 
nouueau  corps,  à  caufe  qu'il  n'elt  pas  pofiible  de  conceuoir  qu'on 
puiffe  adjoufter  de  la  grandeur  ou  de  l'extenfion  à  vne  chofe  par 
aucun  autre  moyen  qu'en  y  adjoultant  vne  chofe  grande  &  eftenduë, 
comme  il  paroiltra  encore  plus  clairement  par  ce  qui  fuit. 

8.  Que  la  grandeur  ne  diffère  de  ce  qui  ejl  grand,  ni  le  nombre 
des  chef  es  nombrées,  que  par  nojtre  penfée. 

Dont  la  raifon  efl  que  la  grandeur  ne  diffère  de  ^e  qui  e/l  i^rand 
isL  le  nombre  de  ce  qui  elt  nombre,  que  par  noltre  penfée  :  c'eit  à 
dire  qu'encore  que  nous  puiflions  penfer  à  ce  qui  ell  de  la  nature 
d'vne  chofe  eftenduë  qui  ell  comprife  en  vne  efpace  de  dix  pieds, 
fans  prendre  garde  à  cette  mefure  de  dix  pieds^  à  caufe  que  cette 
chofe  cft  de  melme  nature  en  chacune  de  fes  parties  comme  dans  le 
tout;  &  que  nous  puilVions  penfer  à  vn  nombre  de  dix,  ou  bien  à  vne 
grandeur  continue  de  dix  pieds,  fans  penfer  à  vne  telle  chofe,  à  caufe 
que  l'idée  que  nous  auons  du  nombre  de  dix  elt  la  mefme,  foit  que 
nous  confiderions  vn  nombre  de  dix  pieds  ou  quelqu'autre  dizaine; 
&.  que  nous  puilïions  mefme  conceuf>jr  vne  grandeur  continue  Je 
dix  pieds  fans  faire  refiexion  fur  telle  ou  telle  chofe,  bien  que  nous 
ne  puillions  la  conceuoir  lans  quelque  chofe  d'eftcndu...  :  toutefois  il 


68  Œuvres  de  Desgartes. 

69  eft  éuident  qu'on  ne  fçauroit  ofter  aucune  partie  |  d'vne  telle  gran- 
deur, ou  d'vne  telle  extenfion,  qu'on  ne  retranche  par  mefme  moyen 
tout  autant  de  la  chofe;  &  réciproquement,  qu'on  ne  Tçauroit  retran- 
cher de  la  chofe,  qu'on  n'ofte  par  melme  moyen  tout  autant  de  la 
grandeur  ou  de  l'extenfion. 

g.  Que  lafubjlance  corporelle  ne  peut  ejlre  clairement  conceuê 
fans  f on  exteufion. 

Si  quelques  vns  s'expliquent  autrement  fur  ce  fujet,  je 'ne  penfe 
pourtant  pas  qu'ils  conçoiuent  autre  chofe  que  ce  que  je  viens  de 
dire.  Car  lors  qu'ils  diftinguent  la  fubftance  d'auec  l'extenfion  &  la 
grandeur,  ou  ils  n'entendent  rien  par  le  mot  de  fubftance,  ou  ils 
forment  feulement  en  leur  efprit  vne  idée  confufe  de  la  fubftance 
immatérielle,  qu'ils  attribuent  fauflement  à  la  fubftance  matérielle, 
&  laiffent  à  l'extenfion  la  véritable  idée  de  cette  fubftance  maté- 
rielle, qu'ils  nomment  accident,  fi  improprement  qu'il  efl  aifé  de 
connoiflre  quG  leurs  paroles  n'ont  point  de  rapport  auec  leurs 
penfées. 

10.  Ce  que  c'ejl  que  iefpace  ou  le  lieu  intérieur, 

L'efpace,  ou  le  lieu  intérieur,  &  le  corps  qui  eft  compris  en  cet 
efpace,  ne  font  differens  auflî...  que  par  noftre  penfée.  Car,  en  effet, 
la  mefme  eftcnduë  en  longueur,,  largeur  &  profondeur,  qui  conftituë 
l'efpace,  conftituë  le  corps  ;  &  la  différence  qui  eft  entr'eux  ne  con- 
fifte  qu'en  ce  que  nous  attribuons  au  corps  vne  eftenduë  particu- 
lière, que  nous  conceuons  changer  de  place  auec  luy  toutes  fois  & 

70  quantes  qu'il  eft  \  Iranfporté,  &  que  nous  en  attribuons  à  l'elpace 
vne  fi  générale  &  fi  vague,  qu'après  auoir  oflé  d'vn  certain  efpace 
le  corps  qui  l'occupoit,  nous  ne  penfons  pas  auoir  aufïi  tranfporté 
l'eftenduc  de  cet  efpace,  à  caufe  qu'il  nous  femble  que  la  mefme 
eftcnduë  y  demeure  touf-jours,  pendant  qu'il  eft  de  mefme  grandeur, 
de  mefme  figure,  &  qu'il  n'a  point  change  de  fituation  au  regard 
des  corps  de  dehors  par  lefquels  nous  le  déterminons. 

1 1 .  En  quel  f  en  s  on  peut  dire  qu*il  n'ejl  point  différent  du  corps 

qu'il  contient. 

Mais  il  fera  aifé  de  connoiftre  que  la  mefme  eftenduë  qui  conftituë 
U  nature  du  corps,  conftituë  aulTi  la  nature  de  l'efpace,  en  forte 


Principes.  —  Seconde  Partie.  69 

qu'ils  ne  diflercnt  cntr'eux  que  comme  la  nature  du  genre  ou  de 
l'elpcce  difl'ere  de  la  nature  de  l'indiuidu,  fi,  pour  mieux  difçerner 
quelle  elt  la  véritable  idée  que  nous  auons  du  corps,  nous  prenons 
pour  exemple  vne  pierre  &  en  oftons  tout  ce  que  nous  fçaurons  ne 
point  appartenir  à  la  nature  du  corps.  Ortons  en  donc  premièrement 
la  dureté,  poufce  que,  li  on  reduifoit  cette  pierre...  en  poudre,  elle 
n'auroit  plus  de  dureté,  &  ne  laifl'eroit  pas  pour  cela  d'eftre  vn 
corps;  oitons  en  aufli  la  couleur,  pource  que  nous  auons  pu  voir 
quelque  fois  des  pierres  fi  tranfparentes  qu'elles  n'auoient  point  de 
couleur:  oilons  en  la  pel'anteur,  pource  que  nous  voyons  que  le  feu, 
quoy  qu'il  l'oit  |  tres-leger,  ne  lailVe  pas  d'eftre  vn  corps;  oftons  en  ^i 
le  froid,  la  chaleur,  &^  toutes  les  autres  qualitez  de  ce  genre,  pource 
que  nous  ne  penfons  point  qu'elles  foient  dans  la  pierre,  ou  bien 
que  cette  pierre  change  de  nature  parce  qu'elle  nous  femble  tantojl 
chjiudc  li-  taulojt  froide.  Apres  auoir  ainfi  examiné  cette  pierre, 
nous  trouucrons  que  la  véritable  idée  que  nous  en  auons  confiile  en 
cela  feul  q^ue  nous  apperceuons  dijiindement  qu'elle  ell  vne Jubjiance 
ellcnduë  en  longueur,  largeur  es:  profondeur  :  or  cela  melme  eft 
compris  en  l'idée  que  nous  auons  de  l'efpace,  non  feulement  de  celuy 
qui  eU  plein  de  corps,  mais  encore  de  celuy  qu'on  appelle  vuide. 

12.  Ft  en  quel  fens  il  ejî  différent. 

Il  cil  vray  qu'il  y  a  de  la  diflerence  en  noftre  façon  de  penfer;  car 
)\  on  a  ollé  vne  pierre  de  l'efpace  ou  du  lieu  où  elle  eftoit,  nous  en- 
tendons qu'on  en  a  ollé  l'ellenduë  de  cette  pierre,  pource  que  nous 
les  jugeons...  infeparables  l'vne  de  l'autre  :  &  toutefois  nous  penfons 
que  la  mcfme  eftenduë  du  lieu  où  eftoit  cette  pierre  eft  demeurée, 
nonobllant  que  le  lieu  qu'elle  occupoit  auparauant  ait  efté  rempli 
de  bois,  ou  d'eau,  ou  d'air,  ou  de  quelque  autre  corps,  ou  que 
mcfme  il  paroille  vuide,  pource  que  nous  prenons  l'eftenduë  en 
général,  &  qu'il  nous  femble  que  la  mefme  peut  eftre  commune  aux 
pierres,  au  bois,  à  l'eau,  à  l'air,  6;  à  tous  les  au|tres  corps,  et  aulfi  72 
au  vuide,  s'il  y  en  a,  pourueu  qu'elle  foit  de  mefme  grandeur,  de 
mefme  figure  qu'auparauani,  ^:  qu'elle  conferue  vne  niefme  fituation 
à  l'égard  des  corps  de  dehors  qui  déterminent  cet  efpace. 

i3.  Ce  que  c'eji  que  le  lieu  extérieur, 

bont  la  raifon  cil  que  les  mots  de  lieu  ik  d'efpace  ne  fignili'enl 
\-\<\\  qui  diffère  veritablemeni  du  corps   que   nous  difons  eftre  en 


7.0  OEuvRES  DE  Descartes. 

quelque  lieu,  &  nous  marquent  feulement  ia  grandeur,  fa  figure,  & 
comment  il  ell  litué  entre  les  autres  corps.  Car  il  faut,  pour  déter- 
miner cette  fituation,  en  remarquer  quelques  autres  que  nous  con- 
fiderons  comme  immobiles;  mais,  félon  que  ceux  que  nous  confi- 
derons  ainii  font  diuers,  nous  pouuons  dire  qu'vne  mefme  chofc  en 
mefme  temps  change  de  lieu  &  n'en  change  point.  Par  exemple,  fi 
nous  confiderons  vn  homme  alfis  à  la  pouppe  d'vn  vailleau  que  le 
vent  emporte  hors  du  port,  &  ne  prenons  garde  qu'à  ce  vailleau,  il 
nous  femblera  que  cet  homme  ne  change  point  de  lieu,  pourcc  que 
nous  voyons  qu'il  demeure  touf-jours  en  vnc  mefme  fituation  à 
l'égard  des  parties  du  vailleau  fur  lequel  il  efi  ;  ^  ii  nous  prenons 
garde  aux  terres  voifines,  il  nous  femblera  aulfi  que  cet  homme 
change  incelfamment  de  lieu,  pource  qu'il  s'éloigne  de  celles-cy, 
&  qu'il  approche  de  quelques  autres  ;  fi,  outre  cela,  nous  fuppofons 
73  I  que  la  terre  tourne  fur  fon  eiïieu,  &  qu'elle  fait  precifement  autant 
de  chemin  du  couchant  au  leuant  comme  ce  vailfeau  en  fait  du 
leuant  au  couchant,  il  nous  femblera  derechef  que  celui  qui  ell  alfis 
à  la  poupe  ne  change  point  de  lieu,  pource  que  nous  déterminons 
ce  lieu  par  quelques  points  immobiles  que  nous  imaginerons  eltrc 
au  Ciel.  Mais  fi  nous  penfons  qu'on  ne  fçauroit  rencontrer  en  tout 
l'vniuers  aucun  point  qui  foit  véritablement  immobile  (car  on 
connoifira  '  par  ce  qui  fuit  que  cela  peut  efirc  demon/îré),  nous 
conclurons  qu'il  n'y  a  point  de  lieu  d'aucune  chofe  au  monde  qui 
foit  ferme  &  arvejié,  finon  en  tant  que  nous  l'arrejîons  en  nollrc 
penfée. 

14.  Quelle  différence  il  y  a  entre  le  lieu  €■  l'efpace. 

Toutefois  le  lieu  &  l'efpace  font  differcns  en  leurs  noms,  pource 
que  le  lieu  nous  marque  plus  exprelfemcnt  la  fituation,  que  la  gran- 
deur ou  la  figure;  &  qu'au  contraire  nous  penfons  plultofi  à  celles-cy, 
lors  qu'on  nous  parle  de  l'efpace.  Car  nous  difons  qu'vne  chofe  cil 
entrée  en  la  place  d'vne  autre,  bien  qu'elle  n'en  ait  exactement  ni  la 
grandeur  ni  la  figure,  &  n'entendons  point  quelle  occupe  pour  cela 
le  mefme  efpace  qu'occupoit  celle  autre  chofe  ;  ^  lors  que  la  fituation 
cil  changée,  nous  difons  que   le   lieu  cil   aulli  changé,  quoy  qu'il 

a.  Note  manuscrite  de  Legrand  :  -  tant  par  ce  que  ie  dois  dire  de  la 
»  nature  du  niuuuemeni  dans  cette  2.  partie,  que  par  le  lylleme  du  monde 
•  que  ie  dois  établir  dans  la  3.  »  Le  «  ic  »  qui  se  retrouve  deux  fois  dans 
celle  note,  n'indique-t-il  pas  qu'elle  serait  de  Descartes  lui-même,  et  <\\xc 
Legrand  n'aurait  fait  que  la  copier  en  marge  de  son  exemplaire  ': 


Principes.  —  Seconde  Partie.  71 

foit  de  mefme  grandeur  &  de  mefme  figure  qu'aupa|rauant.  De  74 
forte  que,  il  nous  difons  qu'vne  chofe  eft  en  tel  lieu,  nous  entendons 
feulement  qu'elle  cH  fituée  de  telle  façon  à  l'égard  de  quelques 
autres  chofes  ;  mais  fi  nous  adjoufions  qu'elle  occupée  vn  tel  efpace 
ou  vn  tel  lieu,  nous  entendons,  outre  cela,  qu'elle  eft  de  telle  gran- 
deur &  de  telle  figure  qu'elle  peut  le  remplir  tout  jujî émeut. 

i5.  Comment  lafupcrficie  qui  enuironne  vn  corps  peut  ejîre  prife 
pour  fon  lieu  extérieur. 

Ainfi  nous  ne  diftinguons  jamais  l'efpace  d'auec  l'eftenduè'  en  lon- 
gueur, largeur  &  profondeur;  mais  nous  confiderons  quelquefois 
le  lieu  comme  s'il  eftoit  en  la  chofe  qui  eft  placée,  &  quelquefois 
aufli  comme  s'il  en  eftoit  dehors.  L'intérieur  ne  difl'ere  en  aucune 
façon  de  l'efpace;  mais  nous  prenons  quelquefois  l'extérieur,  ou 
pour  la  fuperficie  qui  enuironne  immédiatement  la  chofe  qui  eft 
placée  {&  il  eft  à  remarquer  que,  par  la  fuperficie,  on  ne  doit 
entendre  aucune  partie  du  corps  qui  enuironne,  mais  feulement 
l'extrémité  qui  eft  entre  le  corps  qui  enuironne  &  celuy  qui  eft 
enuironne,  qui  n'eft  rien  qu'vn  mode  ou  vne  façon) ^  ou  bien  pour 
la  fuperficie  en  gênerai,  qui  n'eft  point  partie  d'vn  corps  pluftoft 
que  d'vn  autre,  &  qui  femble  touf-jours  la  mefme,  tant  qu'elle  eft  de 
mefme  grandeur  &  de  mefme  figure.  Car,  encore  que  nous  voyons 
que  le  corps  qui  enuironne  vn  autre  corps,  pafl'e  ailleurs  auec  fa 
fuperjficie,  nous  n'auons  pas  couftume  de  dire  que  celuy  qui  en  75 
eftoit  enuironne  aye  pour  cela  changé  de  place,  lors  qu'il  demeure 
en  la  mefme  fituation  à  l'égard  des  autres  corps...  que  nous  confi- 
derons comme  immobiles.  Ainfi  nous  difons  qu'vn  batteau  qui  eft 
emporté...  par  le  cours  d'vne  riuiere,  mais  qui  eft  repouffé...  par  le 
vent  d'vne  force  fi  égale  qu'il  ne  change  point  de  fituation  à  l'égard 
des  riuages,  demeure  en  mefme  lieu,  bien  que  nous  voyons  que 
toute  la  fuperficie  qui  l'environne  change  inceffamment. 

1 6.  Qu'il  ne  peut  y  auoir  aucun  vuide  aufens  que  les  Philofophes 
prenent  ce  mot. 

Pour  ce  qui  eft  du  vuide,  au  fens  que  les  Philofophes  prennent  ce 
mot,  à  fçauoir  pour  vn  efpace  où  il  n'y  a  point  de  fubftance,  il  eft 
éuident  qu'il  n'y  a  point  d'efpace  en  l'rniuers  qui  foit  tel,  pource 
que  l'extenfion  de  l'efpace  ou  du  lieu  intérieur  n'eft  point  différente 
de  l'extenfion  du  corps.  Et  comme,  de  cela  feul  qu'vn  corps  eft 


72  Œuvres  de  Descartes. 

eftendu  en  longueur,  largeur  &  profondeur,  nous  auons  raifon  de 
conclure  qu'il  eft  vne  fubftance,  à  caule  que  nous  conceuons  qu'il 
n'eft  pas  poflible  que  ce  qui  n'eft  rien  ait  de  l'extenfion,  nous  deuons 
conclure  le  mefme  de  l'efpace  qu'on  fuppofe  vuide  :  à  fçauoir  que, 
puis  qu'il  y  a  en  luy  de  l'extenfion,  il  y  a  necelTairement  aulTi  de  la 
fubftance. 

77.  Que  le  mot  de  vuide  pris  félon  l'vfage  ordinaire  n'exclud  point 
toute  forte  de  corps. 

76  Mais  lors  que  nous  prenons  ce  mot  félon  |  l'vfage  ordinaire,  & 
que  nous  difons  qu'vn  lieu  eft  vuide,  il  eft  conftant  que  nous  ne  vou- 
lons pas  dire  qu'il  n'y  a  rien  du  tout  en  ce  lieu  ou  en  cet  cfpace, 
mais  feulement  qu'il  n'y  a  rien  de  ce  que  nous  prefumons  y  deuoir 
eftre.  Ainfi,  pource  qu'vne  cruche  eft  faite  pour  tenir  de  l'eau,  nous 
difons  qu'elle  eft  vuide  lors  qu'elle  ne  contient  que  de  l'air;  &  s'il 
n'y  a  point  de  poiflbn  dans  vn  viuier,  nous  difons  qu'il  n'y  a  rien 
dedans,  quoy  qu'il  foit  plein  d'eau  ;  ainfi  nous  difons  qu'vn  vaifTeau 
eft  vuide,  lors  qu'au  lieu  des  marchandifes  dont  on  le  charge  d'ordi- 
naire, on  ne  l'a  chargé  que  de  fable,  afin  qu'il  puft  refifter  à  l'impe- 
tuofité  du  vent  :  &  c'eft  en  ce  mefme  fens  que  nous  difons  qu'vn 
efpace  eft  vuide,  lors  qu'il  ne  contient  rien  qui  nous  foit  fenfible, 
encore  qu'il  contienne  vne  maiiere  créée  &  vne  fubftance  eftenduë. 
.Car  nous  ne  confiderons  ordinairement  les  corps  qui  fout  proches 
de  nous,  qu'en  mm  qu'ils  caufent  dans  les  organes  de  nos  fens  des 
impreflions;^  ybr/w,  que  nous  pouuons  les  fentir.  Et  fi,  au  lieu  de 
nous  fouuenir  de  ce  que  nous  deuons  entendre  par  ces  mots  de  vuide 
ou  de  rien,  nous  penfions  par  après  qu'vn  tel  efpace...,  où  nos  fens 
ne  nous  font  rien  apperceuoir,  ne  contient  aucune  chofe  créée,  nous 
tomberions  en  vne  erreur  aufli  grofiîcre  que  fi,  à  caufe  qiy'on  dit 

77  ordinaire|ment  qu'vne  cruche  eft  vuide,  dans  laquelle  il  n'y  a  que 
de  l'air,  nous  jugions  que  l'air  qu'elle  contient  n'eft  pas  vne  chofe 
ou  vne  fubftance. 


/<¥,  Comment  on  peut  corriger  la  fauffe  opinion  dont  on  efl  préoccupé 

touchant  le  vuide. 

Nous  auons  prefque  tous  cftc  préoccupci  de  cette  erreur  des  le 
commencement  de  noftrc  vie,  parce  que,  voyant  qu'il  n'y  a  point 
de  liaifon  neceffaire  entre  le  vafe  &  le  corps  qu'il  contient,  il  nous 
a  femblé  que  Dieu  pourroit  ofter  tout  le  corps  qui  eft  contenu  dans 


Principes.  —  Seconde  Partie.  7) 

vn  vafe,  &  conferuer  ce  vafe  en  fort  me/me  ejlat,  fans  qu'il  fufl  befoin 
qu'aucun  autre  corps  fuccedaft  en  la  place  de  celuy  qu'il  aurait 
ojlé.  Mais,. afin  que  nous  puiffions  maintenant  corriger  vne  fi  fauffe 
opinion,  nous  remarquerons  qu'il  n'y  a  point  de  liaifon  neceffaire 
entre  le  vafe  &  vn  tel  corps...  qui  le  remplit,  mais  qu'elle  eft...  fi 
abfolument  neceffaire  entre  la  figure  concaue  qu'a  ce  vafe  &  l'eften- 
duë...  qui  doit  eftre  comprife  en  ce|te  concauité,  qu'il  n'y  a  pas 
plus  de  répugnance  à  conceuoir  vne  montagne  fans  vallée,  qu'vne 
telle  concauité  fans  l'extenfion  qu'elle  contient,  &  cette  extenfion 
fans  quelque  cho/e  d'eftendu,  à  caufe  que  le  néant,  comme  il  a  efté 
def-ja  remarqué  plufieurs   fois,   ne  peut   auoir  d'extenfion.  C'eft 
pourquoy,  fi  on  nous  demande  ce  qui'arriueroit,  en  casque  Dieu 
oftaft  tout  le  corps  qui  eft  dans  vn  vafe,  fans  qu'il  permift  qu'il  en 
rentraft  d'autre,  nous  répondrons  |  que  les  coftez  de  ce  vafe/e  troU'     78 
ueroient  fi  proches  qu'ils  fe   toucheroient  immédiatement.  Car   il 
faut  que  deux  corps  s'entre-touchent,  lors  qu'il  n'y  a  rien  entr'eux 
deux,  pource  qu'il  y  auroit  de  la  contradiction  que  ces  deux  corps 
fuffent  éloignez,  c'eft  à  dire  qu'il  y  euft  de  la  diftance  de  l'vn  à 
l'autre,  &  que  neantmoins  cette  diftance  ne  fuft  rien  :  car  la  diftance 
eft  \nQ  propriété  de  l'eftenduè",  qui  ne  fçauroit  fubfifter  fans  quelque 
chofe  d'eftendu. 


ig.  Que  cela  confirme  ce  qui  a  efté  dit  de  la  rarefaâion. 

Apres  qu'on  a  remarqué  que  la  nature  de  la  fubftance  matérielle 
ou  du  corps  ne  confifte  qu'en  ce  qu'il  eft  quelque  chofe  d'eftendu, 
&  que  fon  extenfion  ne  diffère  point  de  celle  qu'on  attribue  à  l'efpace 
vuide,  il  eft  aifé  de  connoiftre  qu'il  n'eft  pas  poffible  qu'ew  quelque 
façon  que  ce/oit  aucune  de  fes  parties  occupe  plus  d'efpace  vne  fois 
que  l'autre,  &  puiffe  eftre  autrement  raréfiée  qu'en  la  façon  qui  a 
efté  expofée  cy-deffus*;  ou  bien  qu'il  y  ait  plus  de  matière  ou  de 
corps  dans  vn  vafe,  lors  qu'il  eft  plein  d'or,  ou  de  ploq^b,  ou  de 
quelque  autre  corps  pefant  &  dur,  que  lors  qu'il  ne  contient  que  de 
l'air  &  qu'il  paroift  vuide  :  car  la  grandeur  des  parties  dont  vn  corps 
cfi  compofént  dépend  point  de  la  pefanteur  ou  de  la  dureté  que  nous 
fentons  à  Jon  occafion,  comme  il  a  efié  aujjt  remarqué^,  mais  feule- 
ment de  reften|duë,  qui  eft  touf-jours  égale  dans  vn  mefme  vafe.  79 

a.  An.  6  de  cette  2«  partie,  ci-avant  p.  66. 

b.  Art.  4  et  ii,  p.  65  et  p.  68. 


74  Œuvres  de  Descartes. 


20.  Qu'il  ne  peut  y  auoir  aucuns  atomes  ou  petits  corps  indiuifibles. 

Il  eft  aulîl  tres-aile  de  connoirtre  qu'il  ne  peut  y  auoir  des  atofines, 
ou  des  parties  de  corps  qui...  foient  indiuifibles,  aiuji  que  quelques 
Philofophes  ont  imaginé.  D'autant  que,  fi  petites  qu'on  fuppofe  ces 
parties,  neantmoins,  pource  qu'il  faut  qu'elles  foient  eftenduës, 
nous  conceuons  qu'il  n'y  en  a  pas  vne  entr'elles  qui  ne  puilTe  eftre 
encore  diuilee  en  deux  ou  plus  grand  nombre  d'autres  plus  petites, 
d'où  il  fuit  qu'elle  eft  diuifible.  Car,  de  ce  que  nous  connoilîons  clai- 
rement &  dijîinâement  qu'vne  chofe  peut  eftre  diuifce,  nous  deuons 
Juger"  qu'elle  eft  diuifible,  pource  que,  fi  nous  en  jugions  autre- 
ment, le  jugement  que  nous  ferions  de  cette  chofe  feroit  contraire  à 
la  connoilfance  que  nous  en  auons.  Et  quand  mefme  nous  fuppo- 
ferions  que  Dieu  euft  réduit  quelque  partie  de  la  matière  à  vne  peti- 
telfe  fi  extrême,  qu'elle  ne  puft  eftre  diuifée  en  d'autres  plus  petites, 
nous  ne  pourrions  conclure  pour  cela  qu'elle  feroit  indiuifible, 
pource  que,  quand  Dieu  auroit  rendu  cette  partie  fi  petite  qu'il  ne 
feroit  pas  au  pouuoir  d'aucune  créature  de  la  diuifer,  il  n'a  pu  fe 
priuer  fo3'-mefme  du  pouuoir  qu'il  auoit  de  la  diuifer,  à  caufe  qu'il 
80  n'ert  pas  poflible  qu'il  diminue  fa  |  toute-puiffance,  comme  il  a  efté 
def-ja  remarqué \  C'eft  pourquoy...  nous  dirons  que  la  plus  petite 
partie  ejlenduë  qui  puijjfe  ejire  au  monde,  peut  touf-jours  eftre  diui- 
fée, pource  qu'elle  eft  telle  de  fa  nature. 

21.  Que  iejtenduë  du  monde  ejl  indéfinie. 

Nous  fçaurons  nufii  que  ce  monde,  ou  la  matière  eftenduë  qui 
compote  l'vniuers,  n'a  point  de  bornes',  pource  que,  quelque  part 
où  nous  en  vueillions  feindre,  nous  pouuons  encore  imaginer  au 
delà  des  efpaces  indéfiniment  eftendus,  que  nous-  n'imaginons  pas 
feulement,  mais  que  nous  conceuons  eftre  tels  en  effet  que  nous 
les  imaginons;  de  forte  qu'ils  contiennent  ;-;/  corps  indéfiniment 
eUendu,  car...  l'idée  de  l'eftenduë  que  nous  conceuons  en  quelque 
efpace  que  ce  luit,  eft  la  vrayc  idée  que  nous  deuons  auoir  du 
corps. 

a.  Texte  primitif  :  "  nous  f»;auons  >k  \  Verrata  :  k  nous  deuons  juger  ». 

b.  Partie  I,  an.  6o.  Ci-avant,  p.  52. 
c    Voir  Correspondance,  t.  V,  p.  6g. 


Principes.  —  Seconde  Partie.  7^ 


-'2.  Que  la  terre  €  les  deux  ne  font  faits  que  ci'vne  me/me  matière, 
&  qu'il  ne  peut  y  auoir  plufieurs  mondes. 

Enfin  il  n'eft  pas  mal-aifé  d'infercr  de  tout  cecy,  que  la  terre  &  les 
cieux  font  faits  d'vne  mefme  matière;  &  que,  quand  mefme  il  y 
auroit  vne  infinité  de  mondes,  ils  ne  feroient  faits  que  de  cette  ma- 
tière; d'où  il  fuit  qu'il  ne  peut  y  en  auoir  plufieurs",  à  caufe  que  nous 
conceuons  manifeftement  que  la  matière,  dont  la  nature  confille  en 
cela  feul  qu'elle  eft  vne  chofe  eftendut,  occupe  maintenant  tous  les 
efpaces  imaginables  où  ces  autres  mondes  pourroient  eftre,  &  que 
nous  ne  fçaurions  découurir  en  |  nous  l'idée  d'aucune  autre  matière.     81 

23.  Que  toutes  les  variété^  qui  font  en  la  matière...  dépendent 

du  mouuement  de  fes  parties. 

II  n'y  a  donc  qu'vne  mefme  matière  en  tout  l'vniuers,  &  nous  la 
connoiflbns  par  cela  feul  qu'elle  eft  eftenduf;  pource  que  toutes  les 
proprietez  que  nous  apperceuons  diflinclement  en  elle,  fe  raportent 
à  ce  qu'elle  peut  eftre  dij^ifée  &  meut  félon  fes  parties,  &  qu'elle 
peut  receuoir  toutes  les  diuerles  difpofitions  que  nous  remarquons 
pouuoir  arriuer  par  le  mouuement  de  fes  parties.  Car,  encore  que 
nous  puifllons  feindre,  de  la  penfée,  des  diuifions  en  cette  matière, 
neantmoins  il  eft  conftant  que  nofire  penfée  n'a  pas  le  pouuoir  d'y 
rien  changer,  &  que. . .  toute  la  diuerfité  des  formes  qui  s'y  ren- 
contrent dépend  du  mouuement  local.  Ce  que  les  Philofophes  ont 
fans  doute  remarqué,  d'autant  qu'ils  ont  dit,  en  beaucoup  d'endroits, 
que  la  nature  eft  le  principe  du  mouuement  &  du  repos,  &  qu'ils 
entendoient,  par  la  nature,  ce  qui  fait  que  les  corps  le  difpofent 
ainfi  que  nous  voyons  par  expérience. 

24.  Ce  que  c'ejî  que  le  mouuement  pris  félon  l'vfage  commun. 

Or  le  mouuement  (à  fçauoir  celuy  qui  fe  fait  d'vn  lieu  en  vn 
autre,  car  je  ne  conçoy  que  celuy-là,  &  ne  penfe  pas  aufti  qu'il  en 
faille  fuppofer  d'autre  en  la  nature),  le  mouuement  donc,  félon  qu'on 
le  prend  d'ordinaire,  n'eft  autre  chofe  que  I'action  par  laquelle  vn 
CORPS  PASSE  d'vn  LIEU  EN  VN  AUTRE.  Et  tout  aiufi  que  nous  I  auons  82 
remarqué  cy-deft'us",  qu'vne  mefme  chofe  en  mefme  temps  change 

a.  Voir  Correspondance,  t.  V,  p.  69, 

b.  Partie  II,  art.  i3.  Ci-avant,  p.  69-70. 


76  OEUVRES  DE  Descartes. 

de  lieu  &  n'en  change  point,  de  mefme  nous  pouuons  dire  qu'en 
mefme  temps  elle  fe  meut  &  ne  fe  meut  point.  Car  celuy,  par 
exemple,  qui  eft  aflis  à  la  pouppe  d'vn  vaiffeau  que  le  vent  fait  aller, 
croit  fe  mouuoir,  quand  il  ne  prend  garde  qu'au  riuage  duquel  il  eft 
party  &  le  confidere  comme  immobile,  &  ne  croit  pas  fe  mouuoir, 
quand  il  ne  prend  garde  qu'au  vaiffeau  fur  lequel  il  eft,  pource  qu'il 
ne  change  point  de  fituation  au  regard  de  fes  parties.  Toutefois,  à 
caufe  que  nous  fommes  accouftumez  de  penfer  qu'il  n'y  a  point  de 
mouuement  fans  adion...,  nous  dirons  que  celuy  qui  eft  ainfi  affis, 
eft  en  repos,  puis  qu'il  ne  fent  point  d'adion  en  foy,  <S^  que  cela  ejt 
en  vfage'. 

25.  Ce  que  c'ejl  que  le  mouuement  proprement  dit. 

Mais  fi,  au  lieu  de  nous  arrefter  à  ce  qui  n'a  point  d'autre  fonde- 
ment que  l!vfage  ordinaire,  nous  defirons  fçauoir  ce  que  c'eft  que  le 
mouuement  félon  la  vérité,  nous  dirons,  afin  de  luy  attribuer  vne 
nature  qui  foit  déterminée,  qu'il  eft  le  transport  d'vne  partie  de 

LA  MATIERE,  OU  d'vN  CORPS,  DtJ  VOISINAGE  DE  CEUX  QUI  LE  TOUCHENT 
IMMEDIATEMENT,  ET  QUE  NOUS  CONSIDERONS  COMME  EN  REPOS,  DANS  LE 
VOISINAGE  DE  QUELQUES  AUTRES.  Par  VN  CORPS,  OU  bien  par  VNE  PARTIE 

DE  LA  MATIERE,  j'entends  tout  ce  qui  eft  tranfporté  enfemble,  quoy 
83  qu'il  foit  |  peut-eftre  compofé  de  plufieurs  parties  qui  employent 
cependant  leur  agitation  à /a/re  d'autres  mouuemens.  Et  je  dy  qu'il 
eft  le  TRANSPORT  &  non  pas  la  force  ou  l'adion  qui  tranfporté,  afin  de 
monftrer  que  le  mouuement  eft  touf-jours  dans  le  mobile'',  &  non 
pas  en  celuy  qui  meut  ;  car  il  me  femble  qu'on  n'a  pas  couftume  de 
diftinguer  ces  deux  chofes  affez  foigneufement.  De  plus,  j'entends 
qu'il  eft  vne  propriété  du  mobile,  &  non.  pas  vne  fubftance  :  de 
mefme  que  la  figure  eft  vne  propriété  de  la  chofe  qui  eft  figurée, 
&  le  repos,  de  la  chofe  qui  eft  en  repos. 

a.  Cette  traduction  est  ainsi  modifiée  par  des  notes  manuscrites,  en  marge 
de  notre  édition  annotée,  presque  toutes  de  la  main  de  Legrand  :  «  Et 
»  me/mes,  à  caufe  que  nous  fommes  accoutumez  de  penfer  que,  dans  tout 
»  mouuement,  il  y  a  de  l'aâion,  &  que,  dans  le  repos,  il  n'y  en  a  point, 
»  mais  qu'au  contraire  il  y  a  vne  cejjation  d'aâion,  il  ejî  mieux  de  dire 
»  que  celuy  qui  ejl  ainfi  ajfis,  ejl  en  repos,  que  de  dire  qu'il  fe  meut,  puis 
»  qu'il  etc.  » 

b.  Voir  Correspondance,  t.  V,  p.  384.  Voir  aussi  ibid.,  p.  38o,  1.  a6,  ci 
p.  403, 1.  25  et  26. 


Principes.  —  Seconde  Partie.  'jj 


26.  Qu'il  n'ejl  pas  requis  plus  d'aâion  pour  le  mouuement 
que  pour  le  repos. 

Et  d'autant. que  nous  nous  trompons  ordinairement,  en  ce  que 
nous  penfons  qu'il  faut  plus  d'adion  pour  le  mouuement  que  pour 
le  repos,  nous  remarquerons  icy  que  nous  fommes  tombez  en  cet 
erreur  dés  le  commencement  de  noftre  vie,  pource  que  nous  re- 
muons ordinairement  noftre  corps  félon  noftre  volonté,  dont  nous 
auons  vue  conuoijfauce  intérieure;  &  qu'il  eft  en  repos,  de  cela 
feul  qu'il  eft  attaché  à  la  terre  par  la  pefanteur,  dont  nous  ne  fen- 
tons  point  la  force.  Et  comme  cette  pefanteur,  &  plufieurs  autres 
caufes  que  nous  n'auons  pas  couftume  d'apperceuoir,  refiftent  au 
mouuement  de  nos  membres,  &  font  que  nous  nous  laffons,  il  nous 
a  femblé  qu'il  falloit  vne  force  |  plus  grande  &  plus  d'adion  pour  84 
produire  vn  mouuement  que  pour  l'arrefter,  à  caufe  que  nous  auons 
pris  l'adion  pour  l'effort  qu'il  faut  que  nous  facions,  afin  de  mou- 
uoir  nos  membres  &  les  autres  corps  par  leur  entremife.  Mais  nous 
n'aurons  point  de  peine  à  nous  defliurer  de  et  faux  préjugé,  û  nous 
remarquons  que  nous  ne  faifons  pas  feulement  quelque  effort  pour 
mouuoir  les  corps  qui  font  proches  de  nous,  mais  que  nous  en  fai- 
fons aufli  pour  arrefter  leurs  mouuemens,  lors  qu'ils  ne  font  point 
amortis...  par  quelque  autre  caufe.  De  forte  que  nous  n'employons 
pas  plus  d'aélion,  pour  faire  aller,  par  exemple,  vn  batteau  qui  eft 
en  repos  dans  vne  eau  calme  &  qui  n'a  point  de  cours,  que  pour 
l'arrefter  tout  à  coup  pendant  qu'il  fe  meut  *. . .  Et  fi  l'expérience 
nous  fait  voir  en  ce  cas  qu'il  en  faut  quelque  peu  moins  pour  l'arrefter 
que  pour  le  faire  aller,  c'eft  à  caufe  que  la  pefanteur  de  l'eau  qu'il 
foûleue  lors  qu'il  fe  meut,  &  fa  lenteur"  [car  je  la  fuppoje  calme 
&  comme  dormante)  diminuent  peu  à  peu  fon  mouuement. 

27.  Que  le  mouuement  &  le  repos  ne  font  rien  que  deux  diuerfes  façons 
dans  le  corps  où  ils  Je  trouuent. 

Mais  pource  qu'il  ne  s'agit  pas  icy  de  l'adion  qui  eft  en  celuy  qui 
meut  ou  qui  arrefte  le  mouuement,  &  que  nous  confiderons  prin- 

a.  Note  en  marge  de  notre  exemplaire  annoté  :  «  add.  ».  Il  n'y  a  pas 
seulement  d'ailleurs  «  additions  »,  mais  aussi  quelques  omissions  par  rap- 
port au  texte  latin. 

b.  «  Lentor  »,  du  texte  latin,  signifie  viscosité.  —  Voir  aussi  Correspon- 
dance,  t.  V,  p.  168  et  384. 


78 


Œuvres  de  Descartes. 


85 


cipalement  le  tranfport,  &  la  ceffation  du  tranfport,  ou  le  repos,  il 
ell  éuident  que  ce  tranfport  |  n'eil  rien  hors  du  corps  qui  efl  meu  ; 
mais  que  feulement  vn  corps  elt  autrement  difpofé,  lors  qu'il  eft 
tranfporté,  que  lors  qu'il  ne  l'eft  pas...  ;  de  forte  que  le  mouuement 
&  le  repos  ne  font  en  luy  que  deux  diverfesyhço;i5. 

28.  Que  le  mouuement  en  fa  propre  fignification  ne  fe  raporte  qu'aux  corps 
qui  touchent  celuy  qu'on  dit  Je  mouuoir. 

J'ay  aufli  adjoufté  que  le  transport  du  corps  se  fait  du  voisi- 
nage DE  ceux  qu'il  touche*,  DANS  LE  VOISINAGE  DE  QUELQUES  AUTRES, 

&  non  pas  d'vn  lieu  en  vn  autre,  pource  que  le  lieu  peut  eftre  pris 
en  plufieurs  façons,  qui  dépendent  de  nortre  penfée,  comme  il  a  ei'lé 
remarqué  cy-dellus'.  Mais  quand  nous  prenons  le  mouuement 
pour  le  tranfport  d'vn  corps  qui  quitte  le  voifinage  de  ceux  qu'il 
touche',  il  eft  certain  que  nous  ne  fçaurions  attribuer  à  vn  mefme 
mobile  plus  d'vn  mouuement,  à  caufe  qu'il  n'y  a  qu'vne  certaine 
quantité  de  corps  qui  le  puiffent  toucher  en  mefme  temps. 


2 g.  Et  mefme  qu'il  ne  fe  rapporte  que  à  ceux  de  ces  corps 
que  nous  confiderons  comme  en  repos. 

Enfin,  j'ay  dit  que  le  tranfport  ne  fe  fait  pas  du  vo'ifmage  de 
toutes  fortes  de  corps,  mais  feulement  de  ceux  que  nous  considé- 
rons COMME  EN  REPOS.  Car  il  eft  réciproque  ;  &  nous  ne  fçaurions 
conceuoir  que  le  corps  AB  foit  tranfporté  du  voifinage  du  corps 
CD%  que  nous  ne  fçachions  auiïi  que  le  corps  CD  eft  tranfporté  du 
voifinage  du  corps  AB,  &  qu'il  faut  tout  autant...  d'adion  pour  l'vn 
que  pour  l'autre''.  Tellement  que,  fi  nous  voulons  attribuer  au 
86  mouuement  |  vne  nature  qui  puiffe  eftre  confiderée  toute  feule,  & 
fans  qu'il  foit  befoin  de  la'  raporter  à  quelque  autre  chofe,  lors  que 

a.  Sic  dans  le  texte  imprimé,  pour  traduire  contiguorum.  Correction 
ms.  :  «  qui  le  touchent  »,  conforme  à  la  détiniiion  donnée  à  Tart.  25,  p.  76. 

b.  En  marge  :  «  V.  depuis  l'art.  10  de  cette  partie  iufqucs  à  Part.  16  de 
»  cette  même  partie  ».  [Note  de  Legrand.)  —  Ci-avant,  p.  68-71. 

c.  Voir  Correspondance,  t.  V,  p.  3 12,  1.  i5,  et  p.  345, 1.  22. 

d.  En  marge  de  l'édition  princeps  :  «  Voyez  en  la  planche  qui  fuit  la 

•  I.  figure.  )'  Cette  planche  devait  sans  doute  être  insérée  dans  le  texte. 
Mais  elle  a  été  rejetée  à  la  tin,  et  la  note  corrigée  ainsi  à  la  main  :  «  Voyez 

*  la  1.  planche,  i.  figure.  » 

e.  Texte  imprimé  :  «  le  ». 


Principes.  —  Seconde  Partie.  79 

nous  verrons  que  deux  corps  qui  le  touchent  immédiatement  feront 
tranfportez,  i'vn  d'vn  cofté  &  l'autre  d'vn  autre,  &  feront  récipro- 
quement feparez,  nous  ne  ferons  point  difficulté  de  dire  qu'il  y  a 
tout  autant  de  mouuement  en  I'vn  comme  en  l'autre.  J'aduouë 
qu'en  cela  nous  nous  éloignerons  beaucoup  de  la  façon  de  parler 
qui  eft  en  vfage  :  car,  comme  nous  fommes  fur.la  terre,  &  que  nous 
penfons  qu'elle  eft  en  repos,  bien  que  nous  voyons  que  quelques 
vnes  de  fes  parties,  qui  touchent  d'autres  corps  plus  petits,  font 
tranfportées  du  voifmage  de  ces  corps,  nous  n'entendons  pas  pour 
cela  qu'elle  foit  meut. 

3o.  D'où  vient  que  le  mouuement  quifepare  deux  corps  qui  Je  touchent^ 
eji  plujîojî  attribué  à  I'vn  qu'à  l'autre. 

...Pource  que  nous  penfons  qu'vn  corps  ne  fe  meut  point,  s'il  ne 
fe  meut  tout  entier,  &  que  nous  ne  fçaurions  nous  perfuader  que  la 
terre  fe  meuue  tout  entière,  de  cela  feul  que  quelques  vnes  de  fes 
parties  font  tranfportées  du  voifmage  de  quelques  autres  corps  plus 
petits  qui  les  touchent;  dont  la  raifon  eft  que  nous  remarquons 
fouuent  auprès  de  nous  plufieurs  tels  tranfports  qui  font  contraires 
les  vns  aux  autres  :  car  fi  nous  fuppofons,  par  exemple,  que  le  corps 
EFGH  foit  la  terre,  &  qu'en  mefme  temps  |  que...  le  corps  AB  eft  87 
tranfporté  de  E  vers  F,  le  corps  CD  foit  tranfporté  de  H  vers  G, 
bien  que  nous  fçachions  que  les  parties  de  la  terre  qui  touchent  le 
corps  AB  font  tranfportées  de  B  vers  A,  &  que  l'adion  qui  fert  à  ce 
tran'^ort  n'eft  point  d'autre  nature,  ni  moindre,  dans  les  parties  de 
la  terre,  que  dans  celles  du  corps  AB,  nous  ne  dirons  ^as  que  la 
terre  fe  meuue  de  B  vers  A,  ou  bien  de  l'occident  vers  l'orient,  à 
caufe  que,  celles  de  fes  parties  qui  touchent  le  corps  G  D  eftant  tranf- 
portées en  mefme  forte  de  G  vers  D,  il  faudroit  dire  auiïï  qu'elle  fe 
meut  vers  le  cofté  oppofé,  à  fçauoir  du  leuant  au  couchant,  &  il  y 
auroit  en  cela  trop  d'embarras.  G'eft  pourquoy...  nous  nous  conten- 
terons de  dire  que  les  corps  AB  &  GD,  &  autres  femblables,  fe 
meuuent,  &  non  pas  la  terre.  Mais  cependant  nous  nous  fouuien- 
drons  que  tout  ce  qu'il  y  a  de  réel...  dans  les  corps  qui  fe  meuuent, 
en  vertu  de  quoy  nous  difons  qu'ils  fe  meuuent,  fe  trouve  pareille- 
ment en  ceux  qui  les  touchent,  quoy  que  nous  les  confiderions 
comme  en  repos". 

a.  Voir  Correspondance,  t.  V,  p.  70,  p.  385,  et  p.  408,  I.  25. 


8o  Œuvres  de  Descartes. 


3i.  Comment  il  peut  y  auoir  plufieurs  diuers  mouuemens 
en  vn  me/me  corps. 

Mais,  encore  que  chaque  corps  en  particulier  n'ait  qu'vn  Jeul 
mouuement  qui  luy  eft  propre,  à  caufe  qu'il  n'y  a  qu'vne  certaine 
quantité  de  corps...  qui  le  touchent  &  qui  foient  en  repos  à  fon 
égard,  toutefois  il  peut  participer  à  vne  infinité  d'autres  mouuemens, 

88  en  tant  qu'il  |  fait  partie  de  quelques  autres  corps  qui  fe  meuuent 
diuerfement.  Par  exemple,  fi  im  marinier,  le  promenant  dans  fon 
vaifleau,  porte  fur  foy  vne  montre,  bien  que  les  roues  de  fa  montre 
n'ayent  qu'vn  mouuement  vnique  qui  leur  eft  propre,  il  eft  certain 
qu'elles  participent  aufti  à  celuy  du  marinier  qui  fe  promeine, 
pource  qu'elles  compofent  auec  luy  vn  corps  qui  eji  Iran/porté  tout 
enfemble;  il  eft  certain  qu'elles  participent  aufti  à  celuy  du  vaiffeau..., 
&  mefme  à  celuy  de  la  mer,  pource  qu'elles  fuiuent  fon  cours  ;  &  à 
celuy  de  la  terre,  fi  on  fuppofe  que  la  terre  tourne  fur  fon  effieu, 
pource  qu'elles  compofent  vn  corps  auec  elle.  Et  bien  qu'il  foit  vray 
que  tous  ces  mouuemens  font  dans  les  roues  de  cette  montre,  neant- 
moins,  pource  que  nous  n'en  conceuons  pas  ordinairement  vn  fi 
grand  nombre  à  la  fois,  &  que  mefmc  il  n'eft  pas  en  noftre  pouuoir 
de  connoiftre  tous  ceux  aufquels  elles  participent,  il  fuffira  que  nous 
confiderions  en  chaque  corps  celuy  qui  eft  vniquè,  &  duquel  nous 
pouvons  auoir  vne  connoijfancc  certaine. 

32.  Comment  le  mouuement  vnique  proprement  dit,  qui  ejï  vnique 
en  chaque  corps,  peut  auf[i  ejlre  pris  pour  plufieurs. 

Nous  pouuons  mefmes  confiderer  ce  mouuement  vnique  qui  eft 
proprement  attribué  à  chaque  corps,  comme  s'il  eftoit  compofé  de 
plufieurs  autres  mouuemens  :  tout  ainfi  que  nous  en  diftinguons 

89  deux  dans  les  roues  |  d'vn  carrofle,  à  fçauoir  l'vn  circulaire,  qui  fe 
fait  autour  de  leur  eflieu,  &  l'autre  droit,  qui  laiJJ'e  vne  trace  le  long 
du  chemin  qu'elles  parcourent.  Toutefois  il  eft  éuident  que  ces 
deux  mouuemens  ne  différent  pas,  en  effet,  l'vn  de  l'autre,  parce  que 
chaque  point  de  ces  roues,  &  de  tout  autre  corps  qui  fe  meut,  ne 
décrit  jamais  plus  d'vne  feule  ligne.  Et  n'importe  que  cette  ligne 
foit  fouuent  toriuii",  en  forte  qu  elle  fcmble  auoir  efté  produite  par 
plufieurs  mouuemens  diuers  :  car  on  peut  imaginer  que  quelque 

a.  ^o\t  Corrtspondance,  t.  V,  p.  i68. 


Principes.  —  Seconde  Partie.  8i 

ligne  que  ce  foit,  mefme  la  droite,  qui  e(l  la  plus  fimple  de  toutes, 
a  efté  décrite  par  vne  infinité  de  tels  mouuemens.  Par  exemple,  fi, 
en  mefme  temps  que  la  ligne  AB*  tombe  fur  CD,  on  fait  auancer 
fon  point  A  vers  B,  la  ligne...  AD,  qui  fera  décrite  par  le  point  A, 
ne  dépendra  pas  moins  des  deux  mouuemens  de  A  vers  B  &  de  AB 
fur  CD,  qui  font  droits,  que  la  ligne  courbe,  qui  eft  décrite  par 
chaque  point  de  la  roue,  dépend  du  mouuement  droit  &  du  circu- 
laire. Et  bien  qu'il  foit  vtile  de  diftinguer  quelquefois  vn  mouue- 
ment en  plufieurs  parties,  afin  d'en  auoir  vne  connoilfance  plus 
diftinde,  neantmoins  abfolument  parlant,  nous  n'en  deuons  jamais 
compter  plus  d'vn  en  chaque  corps. 

33.  Comment,  en  chaque  mouuement,  il  doit  y  auoir  vn  cercle, 
ou  anneau,  de  corps  qui  Je  meuuent  enfembte. 

Apres  ce  qui  a  elle  démontré  cy-deffus  ",  à  fçauoir  que  tous  les 
lieux  font  pleins  de  corps,  |  &  que  chaque  partie  de  la  niatiere  eft  90 
lellement  proportionnée  à  la  grandeur  du  lieu  qu'elle  occupe,  qu'il 
nejl  pas  pojjible  qu'elle  en  remplijje  vn  plus  grand,  ni  quelle  Je  re- 
ferre en  vn  moindre,  ni  qu'aucun  autre  corps  y  trouue  place  pendant 
qu'elle  j'  ejî,  nous  deuons  conclure  qu'il  faut  neceffairement  qu'il  y  ait 
touf-jours/ow/vn  cercle  de  matière  ou  anneau  de  corps  qui  Je  meuuent 
enjemble  en  mejme  temps;  en  forte  que,  quand  vn  corps  quitte  fa 
place  à  quelqu'autre  qui  le  chalTe,  il  entre  en  celle  d'vn  autre,  &  cet 
autre  en  celle  d'vn  autre,  &  ainfi  de  fuitte  jufques  au  dernier,  qui 
occupe  au  mefme  inftant  le  lieu  delailfé  par  le  premier.  Nous  con- 
ccuons  cela  fans  peine  en  vn  cercle  parfait,  à  caufe  que,  fans  recou- 
rir au  vuide  &  à  la  raréfaction  ou  condenfation,  nous  voyons  que 
la  partie  A'  de  ce  cercle  peut  fe  mouuoir  vers  B,  pourueu  que  fa 
partie  B  fc  meuue  en  mefme  temps  vers  C,  &  C  vers  D,  &  D  vers 
A.  Mais  on  n'aura  pas  plus  de  peine  à  conceuoir  cela  mefme  en  vn 
cercle  imparfait,  &  le  plus  irregulier  qu'on  fçauroit  imaginer,  fi  on 
prend  garde  à  la  façon  dont  toutes  les  inégalitez  des  lieux  pcuuent 
eftre  compenfécs  par  d'autres  inégalitez  qui  fe  trouuent  dans  le 
mouuement  des  parties.  En  forte  que  toute  la  matière  qui  eft  com- 
prife  en  Tefpace  EFGH',  peut  fe  mouuoir  |  circulairement,  &  fa     91 

a.  En  marge  :  «  Voyez  la  figure  4.  >»  (Edit.  princeps.)  Ajouté  à  la  main  : 
«  p.  1  »  (planche  1). 

b.  An.  18  Cl  19  de  cette  partie.  Voir  ci-avant,  p.  72  et  j3. 

c.  En  marge  :  «  Voyez  la  figure  3.  »  Planche  I. 

d.  En  marge  :  «  Voyez  la  figure  3.  »  Ibidem. 

Œuvres.  IV.  22 


82  Œuvres  de  Descartes. 

partie  qui  eft  vers  E,  paffer  vers  G,  &  celle  qui  eft  vers  G,  paffer  en 
mefme  temps  <  vers >  E,  fans  qu'il  faille  fuppofer  de  condenfation 
ou  de  vuide,  pourueu  que,  comme  on  fuppofe  l'efpace  G  quatre  fois 
plus  grand  que  l'efpace  E,  &  deux  fois  plus  grand  que  les  efpaces 
F  &  H,  on  fuppofe  aufli  que  fon  mouuement  eft  quatre  fois  plus 
vite  vers  E  que  vers  G%  &  deux  fois  plus  que  vers  F  ou  vers  H,  & 
qu'en  tous  les  endroits  de  ce  cercle  la  viteffc  du  mouuement  com- 
pcnfe  la  petitelle  du  lieu.  Car  il  ell  aifé  de  connoiftre  en  cette  façon 
qu'en  chaque  efpacc  de  temps  qu'on  voudra  déterminer,  il  palfera 
tout  autant  de  matière  dans  ce  cercle  par  vn  endroit  que  par 
l'autre. 

34.  Qu'il  fuit  de  là  que  la  matière fe  diuife  en  des  parties  indéfinies 

&  innombrables  ^ 

Toutefois  il  faut  auoiier  qu'il  y  a  quelque  chofe  en  ce  mouue- 
ment que  noftre  ame  conçoit  eftre  vray,  mais  que  neantmoins  elle 
ne  fçauroit  comprendre:  à  fçauoir  vne  diuifion  de  quelques  parties 
de  la  matière  jufques  à  l'infiiny,  ou  bien  vne  diuifion  indéfinie", 
&  qui  fe  fait  en  tant  de  parties,  que  nous  n'en  fçaurions  déterminer 
de  la  penfée  aucune  fi  petite,  que  nous  ne  conceuions  qu'elle  ell  di- 
uifée  en  elfecl  en  d'autres  plus  petites.  Car  il  n'eft  pas  pollible  que  la 
matière  qui  remplit  maintenant  l'efpace  G^  remplilTc  fucceiïiuement 
tous  les  efpaces  qui  font  entre  G  &  E,  plus  petits  les  vns  que  les 
92  [autres  par  des  degrez  qui  font  innombrables,  fi  quclqu'vne  de  fes 
parties  ne  change'  fa  figure,  &  ne  fe  diuife  ainfi  qu'il  faut  pour 
emplir  tout  juftement  les  grandeurs  de  ces  efpaces  qui  font  diffé- 
rentes les  unes  des  autres  &  innombrables.  Mais,  afin  que  cela 
foit,  il  faut  que  toutes  les  petites  parcelles  aufquelles  on  peut  ima- 
giner qu'vne  telle  partie  eft  diuifée,  lefquelles  véritablement  font 
innombrables,  s'clloignent  quelque  peu  les  vnes  des  autres;  car, 
fi  petit  que  foit  cet  edoignemeni,  il  ne  lailfe  pas  d'eftre  vne  vraye 
diuifion. 

a.  lS.à\\. princeps  :  ■'  vers  G  que  vers  E  ",  lapsus  non  corrigé. 

b.  Voir  Correspondance,  t.  V,  p.  242, 1.  21. 

c.  Ibid.,  X.  V,  p.  70,  ei  p.  274,  l.  4. 

d.  Planche  i,  figure  ?. 

c.  Texte  imprime  J'abord  :  «  ne  prcftc  ».  Corrigé  à l'^/TiT/a.*»  ne  change)-. 
Latin  :  v  accommudei  ". 


Principes.  —  Seconde  Partie.  85 


S5.  Que  nous  ne  deuons  point  douter  que  cette  diuifion  ne  Je  face, 
encore  que  nous  ne  la  puijffions  comprendre  '. 

Il  faut  remarquer  que  je  ne  parle  pas  de  toute  la  matière,  mais 
feulement  de  quelqu'vne  de  fes  parties.  Car  encore  que  nous  fuppo- 
fions  qu'il  y  a  deux  ou  trois  parties  en  l'efpace  G,  de  la  grandeur 
de  l'efpace  E,  &  qu'il  y  en  a  d'autres  plus  petites  en  plus  grand 
nombre,  qui  demeurent  indiuifes,  nous  conceuons  neantmoins 
qu'elles  peuuertt  fe  mouuoir  toutes  circulairement  vers  E,  pourueu 
qu'il  y  en  ait  d'autres  mellées  parmy,  qui...  changent  leurs  figures  en 
tajit  de  façons,  qu'eftant  jointes  à  celles  qui  ne  peuuent  changer  les 
leurs  fi  facilement,  mais  qui  vont  plus  ou  moins  vite  a  raifon  du  lieu 
qu'elles  doiuent  occuper,  elles  puiiïcnt  emplir  tous  les  angles  ^  les 
petits  recoins,  où  ces  autres  pour  ejîre  trop  grandes  ne  fçauroient 
en|trer.  Et  bien  que  nous  n'entendions  pas  comment  fe  fait  cette  9^ 
diuifion  indéfinie,  nous  ne  deuons  point  douter  qu'elle  ne  fe  face, 
pource  que  nous  apperceuons  qu'elle  fuit  necelfairement  de  la  na- 
ture de  la  matière,  dont  nous  auons  def-ja  vne  connoilVance  tres- 
diftincle,  &  que  nous  apperceuons  auiïi  que  cette  vérité  eft  du 
nombre  de  celles  que  nous  ne  fçaurions  comprendre,  à  caufe  que 
noftre  penfée  eft  finie. 

36.  Que  Dieu  ejl  la  première  caufe  du  mouuement,  S.qu'il  en  conferue 
touf'jours  vne  égale  quantité  en  l'vniuers. 

Apres  auoir  examiné  la  nature  du  mouuement,  il  faut  que  nous 
en  confiderions  la  caufe,  ^  pource  qu'elle  peut  eftre  prife  en  deux 
façons,  nous  commencerons-par  la  première  &  plus  vniuerrelle,  qui 
produit  généralement  tous  les  mouuemens  qui  font  au  monde;  nous 
confidererons  par  après  l'autre...,  qui  fait  que  chaque  partie  de  la 
matière  en  acquert,  qu'elle  n'auoit  pas  auparauant.  Pource  qui  elt 
de  la  première,  il  me  femble  qu'il  eft  éuident  qu'il  n'y  en  a  point 
d'autre  que  Dieu,  qui  de  fa  Toute-puiffance  a  créé  la  matière  auec 
le  mouuement  ^  le  repos,  &  qui  conferue  maintenant  en  l'vniuers, 
par  fon  concours  ordinaire,  autant  de  mouuement  &  de  repos  qu'il 
y  en  a  mis  en  le  créant.  Car,  bien  que  le  mouuement  ne  foit  qu'vne 
façon  en  la  matière  qui  eft  meuë,  elle  en  a  pourtant  vne  certaine 
quantité...  qui  n'aujgmente  &  ne  diminue  jamais...,  encore  qu'il  y  94 
en  ait  tantoft  plus  &  tantoft  moins  en  quelques  vues  de  fes  parties. 

a.  Voir  Correspondance,  t.  V,  p.  242, 1.  21. 


84  Œuvres  de  Descartes. 

C'ell  pourquoy,  lors  qu'vne  partie  de  la  matière  fe  meut  deux  fois 
plus  vite  qu'vne  autre,  &  que  cette  autre  ell  deux  fois  plus  grande 
que  la  première,  nous  deuons  penfer  qu'il  y  a  tout  autant  de  mou- 
uemcnt  ians  la  plus  petite  que  dans  la  plus  grande;  &  que  toutesfois 
^:  quantes  que  le  mouuemcnt  d'vne  partie  diminue,  celuy  de 
quelque  autre  partie...  augmente  à  proportion.  Nous  connoiflbns  aulTi 
que  c'ell  vne  perfection  en  Dieu,  non  feulement  de  ce  qu'il  ell  im- 
muable en  !a  nature,  mais  encore  de  ce  qu'il  agit  d'vne  façon  qu'il 
ne  change  jamais  :  tellement  qu'outre  les  changemens  que  nous 
voyons. . .  dans  le  monde,  ik.  ceux  que  nous  croyons,  parce  que  Dieu 
les  a  rcuelez,^  que  nous  rçauons...arriuer  ou  e/tre  arriuci  en  Ij  na- 
lurc,  fans  aucun  changement  de  la  part  du  Créateur,  nous  ne  deuons 
point  en  fuppoler  d'autres  en  fes  ouurages,  de  peur  de  luy  attribuer 
de  rinconltancc.  D'où  il  fuit  que..,  puis  qu'il  a  meu  en  plusieurs 
façons  dirtcrentes  les  parties  de  la  matière,  lors  qu'il  les  créées,  ^ 
qu'il  les  maintient  toutes  en  la  melmc  façon  ^  auec  les  tnd/mes  loix 
qu'/7  leur  it  /iî/'/  ob/eruer  en  leur  création,  il  conierue  incellamment 
en  cette  maticre  vne  cpalc  quantité  de  mouuemcnt  ". 


95      I  li-..La  première  loy  de  la  nature  :  Que  chaque  chofe  demeure  en  iejiat 
qu'elle  ejl,  pendant  que  rien  ne  le  change. . . 

De  cela  aulli  que  Dieu  n'ell  point  fujet  à  changer,  d'  qu'il  agit 
louf-jours  de  me/me  forte,  nous  pouuons  paruenir  à  la  connoilfance 
de  certaines  règles,  que  Je  nomme  les  loix  de  la  nature,  &  qui  font 
L';  cr.ufes  fécondes...  des diuersmouuemens  que  nous  remarquons  en 
tous  les  corps;  a*  qui  les  rend  icf  fort  confiderables.  La  première  efl 
que  chaque  chofe  en  particulier...  continue  d'eftre  en  mefme  ellat 
autant  qu'il  fe  peut,  &  que  jamais  elle  ne  le  change  que  par  la  ren- 
contre des  autres.  Ainfi  nous  roj'ons  tous  les  Jours  lors  que  quelque 
partie  de  cette  matière  ell  quarrée,...  qu'elle  deiheurc  touf-jours 
quarrce,  s'il  n'arriue  rien  d'ailleurs  qui  change  fa  figure;  &  que,  fi 
clic  cil  en  repos,...  elle  ne  commence  point  à  fe  mouuoir  defoy-mefme. 
Mais  lors  qu'elle  a  commence'  pne  fois  de  fe  mouuoir,  nous  n'auons 
aulli  aucune  raiion  de  penfer  qu'elle  doiuc  jamais  céder  de  fe  mou- 
uoir de  mcfme  force. ...pendant  qu'elle  ne  rencontre  rien  qui  retarde 
ou  qui  airelle  Ion  mouuemcnt.  De  façon  que,  fi  vn  corps  a  com- 
mencé vne  fois  de  fe  mouuoir,  nous  deuons  conclure  qu'il  continua 
par  aprcs  de  fc  mouuoir,  «S"  que  Jamais  il  ne  s'arrefle  de  foy-mcfme. 

a.  Voir  Correspondance  y  t.  V.  p.  385, 


Principes.  —  Seconde  Partie.  8{ 

Mais,  pource  que  nous  habitons  vne  terre  dont  la  conftiiution  eft 
telle  que  tous  les  mouuemens  qui  fe  font  auprès  de  tious  celîent  en 
peu  I  de  temps,  ^  fouuent  par  des  raifons  qui  font  cachées  à  nos  96 
fens,  nous  auons  jugé,  dés  le  commencement  de  noftre  vie,  que  les 
mouuemens  qui  celfent  ainfi  par  des  raifons  qui  nous  font  incon- 
nues, s'arreftent  d'eux-mefmes,  &  nous  auons  encore  à  prefent  beau- 
coup d'inclination  à  croire  le  femblable  de  tous  les  autres  qui  font 
au  monde,  à  fçauoir  que  naturellement  ils  cefTent  d'eux-mefmes,  & 
qu'ils  tendent  au  repos,  pource  qu'il  nous  femblc  que  nous  en  auons 
fait  l'expérience  en  plufieurs  rencontres.  Et  toutefois  ce  n'eft  qu'vn 
faux  préjugé,  qui  répugne  manifeftement  aux  loix  de  la  nature;  car 
le  repos  eft  contraire  au  mouuement,  &  rien  ne  fe  porte  par  l'iu/liuâ 
de  fa  nature  à  fon  contraire,  ou  à  la  deftrudion  de  foy-mefme. 

3S.  Pourquqy  les  corps  pouffe\  de  la  main  continuent  de  fe  mouuoir 
après  qu'elle  les  a  quitte^. 

Nous  voyons  tous  les  jours  la  preuue  de  cette  première  règle  dans 
les  chofes  qu'on  a  poulîées»  au  loin.  Car  il  n'y  a  point  d'autre  raifon 
pourquoy  elles  continuent.. .de  fe  mouuoir, lors  qu'elles  font  hors  de 
la  main  de  celuy  qui  les  a  poufTées,  fmon  c\ue,  fuiuanl  les  loix  de  la 
nature,  tous  les  corps  qui  fe  meuuent  continuent  de  fe  mouuoir 
jufques  à  ce  que  leur  mouuement  foit  arrejlé  par  quelques  autres 
corps...  Et  il  eft  éuident  que  l'air  &  les  autres  corps  liquides,  entre 
lefquels  nous  voyons  ces  chofes  fe  mouuoir,  diminuent  peu  à  peu 
la  viteffe  de  leur  mouuejment...;  car  nous  pouuons  mefme  fentir  de  91 
la  maiti  la  refiftance  de  l'air..., fi  nous  fecoUons  affcz  viie  vn  Euentail 
qui  foit  ejlendu,  &  il  n'y  a  point  de  corps  fluide  fur  la  terre,  qui  ne 
refirte,  encore  plus  manifeftement  que  l'air,  aux  mouuemens  des 
autres  corps . . . 

3g.  La  2.  loy  de  la  nature  :  Que  tout  corps  qui  fe  meut,  tend  à  continuer 
fon  mouuement  en  ligne  droite. 

La  féconde  loy  que  je  remarque  en  la  nature,  eft  que  chaque 
partie  de  la  matière, en  fon  particulier,  ne  tend  jamais  à  continuer  de 
t*e  mouuoir  fuiuant  des  lignes  courbes,  mais  fuiuant  des  lignes 
droites,  bien  que  plufieurs  de  ces  parties  foient  fouuent  contraintes 
de  fe  détourner,  pource  qu'elles  en  rencontrent  d'autres  en  leur 

a.  Texte  imprimé  «  pouffé  ». 


86  OEuvREs  DE  Descartes. 

chemin,  &  que. . .,  lors  qu'vn  corps  Te  meut,  il  fe  fait  touf-jours  vn 
cercle  ou  anneau  de  toute  la  matière  qui  eit  meuii  enfemble.  Cette 
règle,  comme  la  précédente,  dépend  de  ce  que  Dieu  eft  immuable, 
&  qu'il  conferue  le  mouuement  en  la  matière  par  vne  opération  tres- 
fimple;  car  il  ne  le  conferue  pas  comme  il  a  pu  élire  quelque  temps 
auparauant,  mais  comme  il  eft  precifement  au  melme  inftant  qu'il 
le  conferue.  Et  bien  qu'il  Ibit  vray  que  le  mouuement  ne  le  fait  pas 
en  vn  inftant,  neantmoins  il  eft  éuident  que  tout  corps  qui  fe 
meut...,  eft  déterminé  a  fe  mouuoir...  fuiuant  vne  ligne  droite,  & 
non  pas  fuiuant  vne  circulaire...  :  car,  lors  que  la  pierre  A  tourne 
«8  dans  la  fonde  |  EA  fuiuant  le  cercle  ABF^en  l'inftant  qu'elle  eft  au 
point  A,  elle  eft  déterminée  h  fe  mouuoir  vers  quelque  cofté,  à  fça- 
uoir  vers  C,  fuiuant  la  ligne  droite  A  C,  fi  on  fuppole  que  c'eft 
celle-là  qui  touche  le  cercle.  Mais  on  ne  fçauroit  feindre  qu'elle  foit 
déterminée  à  fe  mouuoir  circulairement,  pource  qu'encore  quelle 
foit  venue  d'L  vers  A  fuiuant  vne  ligne  courbe,  nous  ne  conceuons 
point  qu'il  y  ait  aucune  partie  de  cette  courbure  en  cette  pierre, 
lors  qu'elle  eft  au  point  A;  &  nous  en  fommes  afteurez  par  l'expé- 
rience, pource  que  cette  pierre  auance  tout  droit  vers  C,  lors  qu'elle 
fort  de  la  fonde,  &  ne  tend  en  aucune  façon  à  fe  mouuoir  vers  B.  Ce 
qui  nous  fait  voir  manifejiement,  que  tout  corps  qui  eft  meu  en 
rond,  tend  fanscefl'e  à  s'efloigner  du  cercle  qu'il  décrit.  Et  nous  le 
pouuons  mefme  fentir  de  la  main,  pendant  que  nous  faifons  tourner 
cette  pierre  dans  cette  fonde;  car  elle  tire  &  fait  tendre  la  corde 
pour  s'ejloigner  direâement  de  nojire  main.  Cette  confideration  ejl 
de  telle  importance,  &  feruira  en  tant  d'endroits  cy-apres,  que  nous 
deuons  la  remarquer  foigneufement  icy;  &  je  l'expliqueray  encore 
plus  au  long,  lors  qu'il  en  fera  temps". 

40.  La  3.  que,fi  vn  corps  qui  fe  meut  en  rencontre  vn  autre  plus  fort  que 
Joy,  il  ne  perd  rien  de  fon  mouuement,  &  s'il  en  rencontre  vn  plusfoible 
qu'il  puijjfelmouuoir,  il  en  perd  autant  qu'il  luy  en  donne. 

La  troifiéme  loy*  que  je  remarque  en  la  nature, eft  que, fi  vn  corps 
èi     qui  fe  meut  &  qui  en  |  rencontre  vn  autre,  a  moins  de  force,  pour 

a.  En  marge  :  «  Voyez  la  figure  i.  de  la  a.  planche.  » 

b.  Voir  ci-après,  partie  III,  art.  by  et  58. 

c.  Tandis  que  les  deux  lois  précédentes  sont  aujourd'hui  considérées 
comme  des  vérités  scientifiquement  acquises,  la  troisième  a  été  ruinée,  dès 
le  xvii"  siècle,  par  les  travaux  de  Huygcns  sur  le  choc  des  corps.  C'est  sur 
ce  point  que  porte  la  principale  erreur  de  la  physique  de  Descartes,  erreur 
qui  entache  surtout  les  règles  données  dans  les  articles  46  à  Sa  ci-après. 


Principes.  —  Seconde  Partie.  87 

continuer  de  fe  mouuoir  en  ligne  droite,  que  cet  autre  pour  luy  re- 
fiftefjil  perd  fa  détermination... fans  rien  perdre  de  fon  mouuement; 
&  que,  s'il  a  plus  de  force,  il  meut  auec  foy  cet  autre  corps,  &  perd 
autant  de  fon  mouuement  qu'il  luy  en  donne.  Ainfi  nous  voyons 
qu'vn  corps  dur,  que  nous  auons  pouffé  contre  vn  autvt  plus  g^^atid 
qui  ejl  dur  &  ferme,  rejallit  vers  le  cofté  d'où  il  eft  venu,  &  ne 
perd  rien  de  fon  mouuement;  mais  que,  fi  le  corps  qu'il  rencontre 
eft  mol, il  s'arrefte  incontinent,  pource  qu'il  luy  transfère... fon  mou- 
uement. Les  caufes  particulières  des  changcmens  qui  arriuent  aux 
corps, font  toutes  comprifes  en  cette...  règle, au  moins  celles  qui  font 
corporelles",  car  je  ne  m'informe  pas  maintenant  fi  les  Anges  &  les 
penfées  des  hommes  ont  la  force  de  mouuoir  les  corps...  :  c'ell  vne 
quertion  que  je  referue  au  traitté  que  j'efpere  faire  de  l'homme*. 

41 .  La  preuue  de  la  première  partie  de  cette  règle. 

On  connoiftra  encore  mieux  la  vérité  de  la  première  partie  de 
cette  règle,  fi  on  prend  garde  à  la  différence  qui  eft  entre  le  mouue- 
ment d'vne  chofe...f&i  fa  détermination  vers  vn  coûé plu/lojî  que  vers 
vn  autre  ;  laquelle  différence  eft  caufe  que  cette  détermination  peut 
eftre  changée,  fans  qu'il  y  ait  rien  de  changé  au  mouuement.  Car, 
...de  ce  que  chaque  chofe,  telle  I  qu'eft  le  mouuement, continue  touf-  100 
jours  d'eftre  comme  elle  efl  en  foy  fimplement,  &  non  pas  comme 
elle  efl  au  regard  des  autres,  jufques  à  ce  qu'elle  foit  contrainte  de 
changer  par  la  rencontre  de  quelqu'autre  ;  il  faut  necejjairement 
qu'vn  corps  qui,  en  fe  remuant,  en  rencontre  vn  autre  eu  fon 
chemin,  f  dur  afferme  qu'il  ne  fçauroit  le  pouffer  en  aucune  façon, 
perde  entièrement  la  détermination  qu'il  auoit  à  fe  mouuoir  vers  ce 
cofté-là  ;  d'autant  que  la  caufe  qui  <  la  >  luy  fait  perdre  eft  manifefte, 
àfçauoirla  reftjîance  du  corps  qui  l'empefche  de  pa [fer  outre  ;  mais 
il  ne  faut  point  qu'il  perde  rien  pour  cela  de  fon  mouuement,  d'au- 
tant qu'il  ne  luy  eft  point  ofté...  par  ce  corps,  ni  par  aucune  autre 
caufe,  &  que  le  mouuement  n'eft  point  contraire  au  mouuement. 

42,  La  preuue  de  la  féconde  partie. 

On  connoiftra  mieux  auffi  la  vérité  de  l'autre  partie  de  cette 
règle,  fi  on  prend  garde  que  Dieu  ne  change  jamais  fa  façon  d'agir, 

a.  En  marge  de  l'exemplaire  annoté  :  «  Comme  fon  traité  de  l'homme 
»  n'eft  pas  acheué,  il  n'a  pas  (eu  occaûon  barré)  pu  traiter  cette  queftion.  » 
{Note  ms.  de  Legrand.)  —  Cf.  ci-avant,  p.  64,  note  c. 


88  Œuvres  de  Descartes. 

&  qu'il  conferuc  le  monde  auec  la  mefme  aclion  qu'il  l'a  créé.  Car, 
tout  ertant  plein  de  corps,  &  neantmoins  chaque  partie  de  la  ma- 
tière tendant  à  Te  mouuoir  en  ligne  droite,  il  ell  éuident  que,  dés  le 
commencement  que  Dieu  a  créé  la  matière,  non  feulement  il  a  meu 
diuerfement  l'es  parties,  mais  aulH  qu'il  les  a  faites  de  telle  nature^ 
101     que  les  vncs  ont  deflors  commencé  à  pouffer  les  |  autres,  &  à  leur 
communiquer  vne  partie  de  leur  mouuement.  Et  pource  qu'il  les 
maintient  encore  auec  la  mefme  action  &  les  mefmes  loix  qu';7  leur 
a  fait  obferuertn  leur  création,  il  faut  qu'il  conferue  maintenant  en 
elles  toutes  le  mouuement  qu'il j'  a  mis  deflors  auec  la  propriété  quil 
'   a  donné  à  ce  mouuement,  de  ne  demeurer  pas  touf-jours  attaché  aux 
mefmes  parties  de  la  matière,  &  de  paffer  des  vnes  aux  autres,  félon 
leurs  diuerfes  rencontres.  En  forte  que  ce  continuel  changement  qui 
cil  dans  les  créatures,  ne  répugne  en  aucune  façon  à  l'immutabilité 
qui  ell  en  Dieu,  &  femble  mefme  feruir  d'argument  pour  la  prouuer. 

43.  En  quoy  confifte  la  force  de  chaque  corps  pour  agir  ou  pour  refijler. 

Outre  cela  il  faut  remarquer...  que  la  force  dont  vn  corps  agit 
contre  vn  autre  corps  ou  refifte  à  fon  adion,  confifte  en  cela  feul, 
que  chaque  chofe  perfide  autant  qu'elle  peut  à  demeurer  au  mefme 
eftat  où  elle  fe  trouue,  conformément  à  la  première  loy  qui  a  elle  ex- 
pofée  cy-deffus  '.  De  façon  qu'vn  corps  qui  eft  joint  à  vn  autre  corps, 
a  quelque  force  pour  empefcher  qu'il  n'en  foit  feparé  ;  &  que,  lors 
qu'il  en  eft  feparé,  il  a  quelque  force  pour  empefcher  qu'il  ne  luy  foit 
joint;  &  aufti  que,  lors  qu'il  eft  en  repos,  //  a  de  la  force  pour  de- 
meurer en  ce  repos  &...  pour  refifter  à  tout  ce  qui  pourroit  le  faire 
102  changer.  De  mefme  que,  lors  qu'il  fe  meut,  |  il  a  de  la  force  pour 
continuer  de  fe  mouuoir  au'^c  la  mefme  viteffe  &  vers  le  mefme 
cofté.  Mais  on  doit  juger  de  la  quantité  de  cette  force  par  la  gran- 
deur du  corps  où  elle  eft,  &'  de  la  fuperficie  félon  laquelle  ce  corps 
eft  feparé  d'vn  autre,  &  auffi  par  la  viteffe  du  mouuement...,  &  les 
façons  contraires  dont  plufieurs  diuers  corps  fe  rencontrent. 

44.  Que  le  mouuement  n'ejl  pas  contraire  à  vn  autre  mouuement,  mais  au 
repos;  &  la  détermination  d'vn  mouuement  vers  vn  cojlé,  à  Ja  déter- 
mination vers  vn  autre. 

De  plus,   il  faut  remarquer  qu'vn   mouuement  n'eft  pas    con- 
traire à  vn  autre  mouuement  plus  vite  que  foy,  &  qu'il  p'y  a...  de 

a.  Art.  3;  ci-avant,  p.  84. 


Principes.  —  Seconde  Partie.  89 

la  contrariété  qu'en  deux  façons  feulement.  A  fçauoir,  entre  le 
mouuement  &  le  repos,  ou  bien  entre  la  vitefl'e  &  la  tardiueté 
du  mouuement,  en  tant  que  cette  tardiueté  participe  de  la  nature 
du  repos  ;  &  entre  la  détermination  qu'a  vn  corps  à  fe  mou- 
uoir  vers  quelque  cofté,  &  la  refiftance  des  autres  corps  qu'il  ren- 
contre en  fon  chemin,  foit  que  ces  autres  corps  fe  repofent,  ou 
qu'ils  fe  meuuent  autrement  que  luy,  ou  que  celuy  qui  fe  meut 
rencontre  diuerfement  leurs  parties  ;  car,  félon  que  ces  corps  fe 
trouuent  difpofe\,  cette  contrariété  eft  plus  ou  moins  grande. 

45.  Comment  on  peut  déterminer  combien  les  corps  qui  fe  rencontrent^ 
changent  les  mouuemens  les  vns  des  autres,  par  les  règles  quifuiuent. 

Or  afin  que  nous  puilTions  déduire  de  ces  principes,  comment 
chaque  corps  en  particulier  augmente  ou  diminue*  fes  mouuemens, 
ou  change  leur  détermination  à  caufe  de  la  renjcontre  des  autres  103 
corps,  il  faut  feulement  calculer  combien  il  y  a  de  force  en  cha- 
cun de  ces  corps,  pour  mouuoir  ou  pour  refifter  au  mouuement, 
pource  qu'il  eft  éuident  que  celuy  qui  en  a  le  plus,  doit  touf-jours 
produire  fon  effet,  &  empefcher  celuy  de  l'autre  ;  &  ce  calcul  feroit 
aifé  à  faire  en  des  corps  parfaitement  durs,  s'il  fe  pouuoit  faire 
qu'il  n'y  en  euft  point  plus  de  deux  qui  fe  rencontraffent,  ni  qui  fe 
touchajfent  l'vn  l'autre  à  mefme  temps,  &  qu'ils  fulfent  tellement 
feparez  de  tous  les  autres,  tant  durs  que  liquides,  qu'il  n'y  en  euft 
aucun...  qui  aydaft,  ni  qui  empefchaft  en  aucune  façon  leurs  mou- 
uemens :  car  alors  ils  obfcrueroient  les  règles  suivantes  '. 

46.  La  première  **. 

La  première  eft  que,  fi  ces  deux  corps,  par  exemple  B  &  C, 
eftoient  exadement  égaux,  &  fe  mouuoient  d'égale  vitelîe  en  ligne 
droite  l'vn  vers  l'autre...,  lors  qu'ils  viendroient  à  fe  rencontrer,  ils 
rejalliroient  tous  deux  également,  &  retourneroient  chacun  vers  le 
cofté  d'où  il  feroit  venu,  fans  perdre  rien  de  leur  viteffe.  Car  il  n'y  a 
point  en  cela  de  caufe  qui  <  la  >  leur  puiffe  ofler,  mais  il  y  en  a  vne 
fort  éuidentequi  les  doit  contraindre  de  rejallir;  &  pource  quelle  feroit 
égale  en  l'vn  &en  l'autre,  ils  rejalliroient  tous  deux  en  mefme  façon' . 

a.  Voir  Correspondance  de  Descartes,  t.  IV,  p.  187,  1.  12-17,  ci  p.  396, 
1.  5-10  ;  t.  V,  p.  168,  et  p.  405,  1.  6,  —  Voir  cgalemeni  la  Note  I  à  la  fin  du 
présent  volume. 

b.  En  marge  :  >•  Voyez  la  2.  figure  de  la  planche  2.  » 

c.  Voir  Correspondance,  t.  V,  p.  291,  1.  23  à  27. 


90  OEuvRES  DE  Descartes. 


4j.  La  féconde, 

iO'i  La  féconde  ell  que,  li  B  elloit  tant  Ibit  peu  |  plus  grand  que  C,  (S- 
qu'ils  fe  rencontralfcnt  auec  me/me  vitejfe,  il  n'y  auroit  que  C  qui 
rejallit  vers  le  cojlé  d'où  il /croit  venu^tk  ils  co.niinueroient  par  après 
leur  mouuement  tous  deux  enfemble  vers  ce  nielnie  coilé.  Car  B 
arant  plus  de  force  que  C,  il  ne  pourrait  cjlre  contraint  par  luy  à 
rejallir. 

48.  La  troifiéme. 

La  troifiéme  que,  fi  ces  deux  corps  eftoient  de  melme  grandeur, 
mais  que  B  euft  tant  Toit  peu  plus  de  vitelî'e  que  C,  non  feulement, 
après  s'e/îre  rencontre^,  C  feul  rejalliroity  &  ils  iroient  tous  deux 
enfemble,  comme  deuant,  vers  le  corté  d'où  C  feroit  venu  ;  mais 
aufli  il  feroit  neceffaire  que  B  luy  transférait  la  moitié  de  ce  qu'il 
auroit  de  plus  de  viteffe,  à  eau fe  que,  l'ayant  deuant  Joj\  il  ne pourroit 
aller  plus  vite  que  luy .  De  façon  que,  fi  B  auoit  eu,  par  exemple, 
fix  degrez  de  vitelfeawa;//  leur  rencontre,  &  que  C  en  eull  eu  feule- 
ment quatre, ...//  luf  transférerait  l'pn  de /es  deux  degre^  qu'il  auroit 
eu  de  plus,  €•  ain/i  ils  iroient  par  après  chacun  auec  cinq  degrez 
de  viteffe  ;  car  il  lujy  e/l  bien  plus  aije  de  communiquer  vu  de  /es 
degTe-{  de  vite/fe  à  C,  qu'il  ne/ï  à  C,  de  changer  le  cours  de  tout  le 
tnouuetnent  qui  e/t  en  B. 

4(),  La  quatrième. 

La  quatrième  que,  fi  le  corps  C  eltoit  tant  Ibit  peu  plus  grand 
que  B,  &  qu'il  fufi*  entièrement  en  repos,  c'ejl  à  dire  que  non 
105  /eu\lement  il  n'eu/l  point  de  mouuement  apparent,  mais  aufji  qu'il  ne 
/u/t  point  enuironné  d'air,  ni  d'aucuns  autres  corps  liquides,  le/quels,, 
comme  Je  dira/  cy-apres  ',  di/po/ent  les  corps  durs  qu'ils  enuirovnent, 
àpouuoir  e/lre  meus  fort  ai/ement,  de  quelle  viteffe  que  B  puft  venir 
vers  luy,  jamais  il  n'auroit  la  force  de  le  mouuoir;  mais  il  feroit 
contraint  de  rejallir  vers  le  mcfme  collé  d'où  il  feroit  venu'.  Car 
d'autant  que  B  ne  /çauroit  pouffer  C,  /ans  le  /aire  aller  au/Ji  rite 
qu'il  irait  /oy-me/me  par  après,  il   ell  certain  que  C  doit  d'autant 

a.  T€xte  imprime  :  «  qu'ils  fulfent  «.  A  Verrata  :  ««  qu'il  fuft  ». 

b.  An.  59, 

c.  Voir  Correspondance,  1.  I\',  p.  iK3,  In.  et  p.  iSri,  1.  i. 


Principes.  —  Seconde  Partie.  91 

plus  refiller,  que  B  vient  plus  vite  vers  luy;  &  que  fa  refiftence 
doit  prcualoir  à  l'action  de  B,  à  caufe  qu'il  e/l plus  g-rami  que  luy. 
A  iuji,  par  exemple,  fi  C  ejl  double  de  B,  &  que  B  ait  trois  degre:{  de 
mouuement,  il  ne  peut  pouJJ'er  C,  qui  ejl  en  repos,  fi  ce  n'e/t  qu'il  hiy 
en  transfère  deux  degre-{,  à  fçauoir  pn  pour  chacune  de  fes  moitié^, 
*L^  qu'il  retienne  feulement  le  troifiéme  pour  foy,  à  caufe  qu'il  n'efl 
pas  plus  grand  que  chacune  des  moitié-;  de  C,  &  qu'il  ne  peut  aller 
par  après  plus  vile  qu'elles.  Tout  de  mefme,  fi  B  a  trente  degre^ 
de  l'itejfe,  il  faudra  qu'il  en  communique  vingt  à  C;  s'il  en  a  trois 
cent,  qu'il  communique  deux  cent  ;  &  ainfi  touf-jours  le  double  de  ce 
qu'il  retiendra  pour  foj-.  Mais  puis  que  C  efl  en  repos,  il  refifte  dix 
fois  plus  à  la  j  réception  de  vingt  degré-;,  qu'à  celle  de  deux,  &  cent  fois  106 
.plus  à  la  réception  de  deux  cent  ;  en  forte  que,  d'autant  que  B  a  plus 
de  viteJJ'e,  d'autant  il  trouue  en  C  plus  de  refiftence.  Et  pource  que 
chacune  des  moitié:;  de  C  a  autant  de  force  pour  demeurer  en  fon 
repos,  que  B  en  a  pour  la  pouffer,  &  quelles  luy  refijlent  toutes 
deux  en  mefme  temps,  il  efi  éuident  qu'elles  doiuent  preualoir  à  le 
contraindre  de  rejallir.  De  façon  que,  de  quelle  viteffe  que  B  aille 
vers  C,  ainfi  en  repos  &  plus  grand  que  luy.  Jamais  il  ne  peut  auoir 
la  force  de  le  mouuoir. 

Sa.  La  cinquième''. 

La  cinquième  cU  que,  fi,  au  contraire,  le  corps  C  elloit  tant  f oit 
peu  moindre  que  B,  ceiuy-cy  ne  fçauroit  aller  fi  lentement  vers 
l'autre,  lequel  Je  fuppofe  encore  parfaitement  en  repos,  qu'il  n'eurt 
la  force  de  le  pouller  ^n:  luy  transférer  la  partie  de  fon  mouuement 
qui  feroit  requife  pour  faire  qu'ils  allallent  par  après  de  mefme 
vitelle  :  à  fçauoir,  fi  B  elloit  double  de  C,  il  ne  luy  transfereroit  que 
le  tiers  de  fon  mouuement,  à  caufe  que  ce  tiers  feroit  mouuoir  C 
aulïi  vite  que  les  deux  autres  tiers  feroient  mouuoir  B,  puis  qu'il 
cil  fuppofé  deux  fois  aulli  grand  ;  &  ainfi,  après  que  B  auroit  ren- 
contré C,  il  iroit  d'vn  tiers  plus  lentement  qu'auparauant,  c'elt  à 
dire  qu'en  autant  de  temps  qu'il  auroit  pu  parcourir  aupara- 
uant  I  trois  efpaces,  il  n'en  pourroit  plus  parcourir  que  deux.  107 
Tout  de  mefme,  fi  B  efloit  trois  fois  plus  grand  que  C,  il  ne  luv 
transfereroit  que  la  quatrième  partie  de  fon  mouuement,  &  ainfi 
des  autres;  €■  B  ne  fçauroit  auoir  fi  peu  de  force  qu'elle  ne  luy  fnf- 
fife    touf-Jours  pour    mouuoir  C;   car  il  e/l  certain  que  les  plus 

a.  Voir  Correspondance,  t.  IV,  p.  186,  1.  i, 


92  Œuvres  de  Descartes. 

faibles  mouuemens  doiucnt  future  les  mefmes  loix,  &  auoir  à  propor^ 
tion  les  mefmes  effets  que  les  plus  forts,  bien  que  fouuent  ou  peufe 
remarquer  le  contraire  fur  cette  terre,  à  caufe  de  l'air  6'-  des  autres 
liqueurs  qui  euuirounent  touf  jours  les  corps  durs  quife  meuuent,  & 
qui  peuuent  beaucoup  augmenter  ou  retarder  leur  pitejfe,  ainjî  qu'il 
paroijîra  cf-apres\ 

5i.  La  fixiéme  ". 

La  fixiéme,  que  (i  le  corps  C  edoit  en  repos,  &  parfaitement  égal 
en  grandeur  au  corps  B,  qui  fe  meut  vers  luy,  il  faudrait  vecejjai- 
rement  qu'W  fuft  en  partie  poulfé  par  B,  &  qu'^n  partie  il  le  fit 
rejallir  ;  en  forte  que,  fi  B  eftoit  venu  vers  C  auec  quatre  degrez  de 
vitefle,  il  faudrait  qu'û  luy  en  transferaft  vn,  &  ^«'auec  les  trois 
autres  il  retournaft  vers  le  cotlé  d'où  il  feroit  venu.  Car  ejiant 
uecejfaire,  ou  bien  que  B  paujfe  Cfans  rejallir,  &  ainfi,  qu'il  luy  irans- 
fere  deux  degre\  de  fan  mouuement  ;  ou  bien  qu'il  rejallijfe  fans  le 
pouffer,  &  que  par  confequent  il  retienne  ces  deux  degre^  de  viteffe 
108  auec  les  \  deux  autres  qui  ne  luy  peuuent  efîre  afie^;  au  bien  enfin 
qu'il  rejallijfe  en  retenant  vue  partie  de  ces  deux  degre^  &  qu'il  le 
pouffe  eu  lu/  en  transférant  l'autre  partie  :  il  efi  éuident  que,  puis 
qu'ils  font  égaux,  &  ainfi  qu'il  n'y  a  pas  plus  de  raifon  pourquoy 
il  doiue  rejallir  que  pouffer  C,  ces  deux  effets  doiuent  efire  également 
partage^  :  c'ejl  à  dire,  que  B  doit  transférer  à  C  .'pn  de  ces  deux 
degre\  de  viteffe,  &  rejallir  auec  l'autre. 

52.  Lafeptiéme. 

La  feptiéme  €•  dernière  règle  '  efl  que,  fi  B  &  C  vont  vers  vn 
mcfmc  colle,  ^  que  C  précède,  mais  aille  plus  lentement  que  B,  en 
forte  qu'il  foit  enfin  atteint  par  luy...,  il  peut  arriuer  que  B  transfé- 
rera vne  partie  de  fa  viteffe  à  C,  pour  le  pouffer  deuant  foy  ;  &  il 
peut  arriuer  aujji  qu'il  ne  luy  en  transférera  rien  du  tout,  mais 
rejallira,  auec  tout  fan  mouuement,  vers  le  cofiéd'oii  il  fera  venu.  A 
fçauoii*,  non  feulement  lors  que  C  efi  plus  petit  que  B,  mais  auffi  lors 
qu'il  eft  plus  grand,  pourueu  que  ce  en  quoy  la  grandeur  de  C  fur- 

a  Art.  56,  5;,  58  et  59. 

b.  Voir  Correspondance,  t.  IV,  p   186,  1.  i. 

c.  Comparée  au  texte  latin,  la  version  franv'aisc  offre  ici  non  seulement, 
comme  dans  les  articles  prilccîdcnts,  d'importantes  additions,  mais  des 
transpositions  et  des  explications  intéressantes. 


Principes.  —  Seconde  Partie.  çj 

pafle  celle  de  B,  foit  moindre  que  ce  en  quoy  la  viteiVe  de  B  furpalie 
celle  de  C,  jamais  B  ne  doit  rejallir,  mais  pouffer  C,  en  luy  trans- 
férant vne  partie  de  fa  viteffe.  Et  au  contraire,  lors  que  ce  en 
quoy  la  grandeur  de  C  furpafle  celle  de  B,  eft  plus  grand  que  ce  en 
quoy  la  viteffe  de  B  furpaffe  celle  de  C,  il  faut  que  B  rejalliffe,  fans 
rien  |  communiquer  à  G  de  fon  mouuement;  £■  enjin,  lors  que  109 
l'exce-{  de  grandeur  qui  eji  en  C,  ejl  parfaitement  égal  à  l'exce^  de 
vitejfe  qui  eft  en  B,  cetuy-cy  doit  transférer  vne  partie  de  fon  mouue' 
ment  à  l'autre,  &  rejallir  auec  le  refle.  Ce  qui  peut  eftre  fupputé  en 
cette  façon  :  fi  C  clt  juilement  deux  fois  aufli  grand  que  B,  &  que 
B  ne  fe  meuue  pas  deux  foisauffi  vifte  que  C,  mais  qu'il  en  manque 
quelque  cliofe,  B  doit  rejallir  fans  augmenter  le  mouuement  de  C  ; 
&  fi  B  fe  meut  plus  de  deux  fois  aulli  vite  que  C,  /"/  ne  doit  point 
rejallir,  mais  transférer  autant  de  fon  mouuement  à  C,  qu'il  ejî  re- 
quis pour  faire  qu'ils  fe  meuuent  tous  deux  par  après  de  mefme  vitejfe. 
Par  exemple,  fi  C  n'a  que  deux  degrez  de  viteffe,  &  que  B  en  ait 
cinq,  qui  efl plus  que  le  double,  il  luy  en  doit  communiquer  deux  de 
fes  cinq,  lefquels  deux  effant  en  C,  n'en  feront  qu'vn,  à  caufe  que 
C  eft  deux  fois  auffi  grand  que  B,  &  ainfi  ils  iront  tous  deux  par  après 
auec  trois  degrez  de  viteffe.  Et  les  demonftrations  de  tout  cecy  font 
fi  certaines,  qu'encore  que  l'expérience  nous  fembleroit  faire  voir  le 
contraire,  nous  ferions  neantmoins  oblige^  d'adjoujter  plus  de  foy  à 
nqftre  raifon  qu'à  nosfens. 


53.  Que  l'explication  '  de  ces  règles  est  dijfficile,  à  caufe  que  chaque 
corps  ejl  touché  par  plujieurs  autres  en  mefme  temps. 

Kn  effet,  il  arriue  fouuent  que  l'expérience  peut  fembler  d'abord 
répugner  aux  règles  que  \  Je  viens  d'expliquer,  mais  la  raifon  en  ejl  110 
éuidente.  Car  elles  prefuppofent  que  les  deux  corps  B  &  G  font  par- 
faitement durs,  &  tellement  feparez  de  tous  les  autres,  qu'il  n'y  en 
a  aucun  autour  d'eux  qui  puijje  ayder  ou  empefcher  leur  mouue- 
ment: &  nous  n'en  voyons  point  deielsence  monde.  C'eft  pour- 
quoy,  auant  qu'on  puiffe  Juger  fi  elles  s'y  obferuent  ou  non,  il  ne 
fuffit  pas  de  fçaiioir  comment  deux  corps,  tels  que  B  é-  C,  peuuent 
as^ir  Pj'u  contre  l'autre,  lors  qu'ils  fe  rencontrent  :  mais  il  faut,  outre 
cola,  confiderer  comment  tous  les  autres  corps  qui  les  enuironnent 
peuuent  augmenter  ou  diminuer  leur  action.  Et  pource  qu'il  n'y  a 
lien  qui  leur  face  auoir  en  cecy  des  effets  differens,  finon  la  diffc- 

a ,   Lire  applica  tion  ? 


94  Œuvres  de  Descartes. 

rencequi  eil  entr'eux,  en  ce  que  les  vns  font  liquides  ou  mous,  & 
les  autres  duis,  il  cft  befoin  que  nous  examinions,  en  cet  endroit, 
en  quoy  confiiknt  ces  deux  qualitez  d'ellre  dur  &  d'eftre  liquide. 

54.  En  quoy  confijle  la  nature  des  corps  durs  &  des  liquides. 

En  quoy  nous  deuons,  premièrement,  receuoir  le  témoignage  de 
nos  fcns,jc>///5  que  ces  qualite'{  fe  rapportent  à  eux  ;  &  ils  ne  nous 
enl'eignent  en  cecy  autre  chofe,  finon  que  les  parties  des  corps 
liquides  cèdent  li  aifement  leur  place,  qu'elles  ne  font  point  de  re(i- 
ilance  à  nos  mains,  lors  qu'elles  les  rencontrent;  &  qu'au  contraire, 
dil  les  parties  des  corps  durs  font  tellement  jointes  |  les  vries  aux 
autres,  qu'elles  ne  peuuent  eltre  feparées  fans  vne  force  qui  rompe 
celle  liailbn  qui  elt  entr'elles.  En  fuite  de  quoy,  fi  nous  examinons 
quelle  peut  eftre  la  caufe  pourquoy  certains  corps  cèdent  leur  place 
fans  faire  de  refiftance,  &  pourquoy  les  autres  ne  la  cèdent  pas  de 
mefme  :  nous  n'en  trouuons  point  d'autre,  finon  que  les  corps  qui 
font  def-Ja  en  aclion  pour  fe  mouuoir,  n'empefchent  point  que  les 
lieux  qu'ils  font  difpofez  à  quitter  d'eux  mefmes,  ne  foieijt  occu- 
pez par  d'autres  corps  ;  mais  que  ceux  qui  font  en  repos,  ne 
peuuent  eitre  chafl'ez  de  leur  place,  fans -quelque  force  qui  vienne 
d'ailleurs,  afin  de  cjufer  en  eux  ce  changement.  D'où  il  fuit  qu'vn 
corps  efi  liquide,  lors  qu'il  efi  diuifé  en  plufieurs  petites  parties  qui 
fe  meuuent  feparement  les  vnes  des  autres  en  plufieurs  façons  dif- 
férentes, &  qu'il  efi  dur,  lors  que  toutes  les  parties  s'entre-touchent, 
fans  eltre  ^n  adion  pour  s'éloigner  l'vne  de  l'autre. 

55.  Qu'il  n'y  a  rien  qui  joigne  les  parties  des  corps  durs, /mon  qu'elles 
font  en  repos  au  regard  l'vne  de  l'autre. 

Et  je  ne  croy  pas  qu'on  puiffe  imaginer  aucun  ciment  plus  propre 
à  joindre  enfcmble  les  parties  des  corps  durs,  que  leur  propre 
repos.  Car  de  quelle  nature  pourroit-il  eilre  ?  Il  ne  fera  pas  vne  chofe 
qui  fubfifte  de  foy-mcfme  :  car  toutes  ces  petites  parties  efiant  des 
fubilanccs,  pour  quelle  raifon  fcroient -elles  plulloit  vnies  par 
112  d'autres  fubltmces,  que  par  elles-mefmes  ?  Il  |  ne  fera  pas  aufii  vne 
qualité  différente  du  repos,  pource  qu'il  n'y  a  aucune  (/i/iî/z/J  plus 
contraire  au  mouuement  qui  pourroit  feparer  ces  parties,  que  le 
repos  qui  eft  en  elle?.  Mais,  outre  les  fubfiances  ^  leurs  <^//cï//7t'-, 
nous  ne  connoilfons  point  qu'il  y  ait  d'autres  genres  de  chofes\ 

a.  Voir  Correspondance ^^  t.  V,  p.  385, 


Principes.  —  SecoNDh:  Partie.  9^ 


50.  Que  les  parties  des  corps  Jluides  ont  des  mouuemens  qui  tendent  éga- 
lement de  tons  cojle^j  &  que  la  moindre  force  fujffit  pour  mouuoir  les 
corps  durs  qu'elles  euuironnent. 

Pour  ce  qui  ell  des  corps  lluides,  bien  que  nous  ne  voyons  point... 
que  leurs  parties  le  meuuent,  d'autant  qu'elles  l'ont  trop  petites, 
nous  pouuons  neantmoins  le  connoilhe...  par  pluficurs  effets;  & 
principalement  parce  que  l'air  ^  l'eau  corrompent  plulieurs  autres 
corps,  &  que  /t'5  parties  dont  ces  liqueurs  font  conipofées  ne  pour- 
roient  produire  vne  action  corporelle,  telle  qu'elt  cette  corruption, 
Il  elles  ne  le  remuoient  actuellement.  le  montrera}'  cy-apres  ' 
quelles  font  les  caufes  qui  font  mouuoir  ces  parties.  Mais  la  diftî- 
culté  que  nous  deuons  examiner  icy,  elt  que  les  petites  parties  qui 
compofeni  ces  corps  fluides,  ne  fçauroient  fe  mouuoir  toutes  en 
mefme  temps  de  tous  coltez,  ik.  que  neantmoins  cela  femblc  eltrc 
requis,  afin  qu'elles  n'empefclient  pas  le  mouuement  des  corps 
qui  peuucnt  v^nir  vers  elles  de  tous  coltez,  comme  en  effect  nous 
voyons  qu'elles  ne  l'empefclient  point.  Car  11  nous  fuppofons, 
par  exemple,  que  le  corps  dur  B  le  meut  vers  C%  |  &  que  quelques  113 
parties  de  la  liqueur  qui  elt  entre-deu\. . .'  le  meuuent...  de  G 
vers  îi,  tant  s'en  faut  que  celles-là  facili-tcnt  le  mouuement  de  H, 
qu'au  contraire  elles  l'empefchent  beaucoup  plus  que  li  elles 
eltoieni  tout  à  fait  fans  mouuement.  Pour  refoudre  cette  dilti- 
culté,  nous  nous  fouuiendrons,  en  cet  endroit,  que  le  mouuement 
ell  contraire  au  repos,  ^:  non  pas  au  mouuement  ;  &  que  la  déter- 
mination d'vn  mouuement  vers  vn  colté,  elt  contraire  à  la  détermi- 
nation vers  le  colté  oppofé,  comme  il  a  cité  remarqué  cydelfus'  ;  ^: 
aufli  que  tout  ce  qui  fc  meut  tend  touf-jours  à  continuer  de  fe  mou- 
uoir en  ligne  droite'.  En  fuite  de  quoy  il  elt  éuident...  que,  lors 
que  le  corps  B...  ell  en  repos,  il  elt  plus  oppofé  par  fon  repos  aux 
mouuemens  des  petites  parties  du  corps  liquide  D,  prifes  toutes 
infemble,  qu'il  ne  leur  feroit  oppofé  par  fon  mouuement,  s'il  fe 
mouuoit.  Et  pour  ce  qui  elt  de  leur  détermination,  il  elt  éuident 
aulli  qu'il  y  en  a  tout  autant  qui  fe  meuuent  de  C  vers  B,  comme  il 
y  en  a  qui  fe  meuuent  au  contraire  ;  d'autant  que  ce  font  les  mefmes 

a.  Paiiic  m,  an.  49,  5o  et  5i. 

b.  Va\  marge  :  ••  Voyez  en  la  planche  qui  luit  la  3.  ligure.  •>  Corrigé  à  Id 
main  :  -«  en  la  planche  2.  »  —  Même  remarque  que  ci-avant,  p,78,  «c.'t?  d. 

c.  Art.  44,  p.  88. 

d.  .\rt.  3g,  p.  85. 


96 


Œuvres  de  Descartes. 


qui,  venant  de  C,  hurtent"  contre  la  fuperficie  du  corps'  B,  &  re- 
tournent par  après  vers  C.  Et  bien  que  quelques  vnes  de  ces 
parties,  prifes  en  particulier,  pouffent  B  vers  F,  à  mefure  qu'elles 

114  le  rencontrent,  &  l'empefchent  par  ce  moyen  dauanta|ge  de  fe 
mouuoir  vers  C,  que  fi  elles  elloient  fans  mouuement  :  neantmoins 
pource  qu'il  y  en  a  tout  autant  d'autres,  qui  tendant  d'F  vers  B,  le 
pouffent"  versC,  ...il  n'eft  pas  plus  pouffé  par  elles  toutes  d'vn  codé 
que  d'autre,  &  ne  doit  point  le  mouuoir,  s'il  ne  luy  arriue  rien 
d'ailleurs...;  pource  que,  quelque  figure  qu'on  fuppofe  en  ce  corps 
B,  il  y  aura  juftement  autant  de  ces  parties  qui  le  poufferont  vers  vn 
cofté,  comme  il  y  en  a  d'autres  qui  le  poufferont  au  contraire, 
pourueu  que  la  liqueur  qui  l'enuironne  n'ait  point  de  cours /ew- 
blable  à  .celuy  des  riuieres,  qui  la  face  couler  toute  entière  vers 
quelque  part...  Et  je  fuppofe  que  B  eft  enuironné  de  tous  coftez  par 
la  liqueur  FD,  <&  non  pas  jujiement  au  milieu  d'elle.  Car,  encore 
qu'il  y  en  ait  plus  entre  B  &  C  q\ienti'e  B  &  F,  elle  n'a  pas  pour 
cela  plus  de  force  à  le  pouffer  i>ers  F  que  vers  C,  pource  qu'elle 
n'agit  pas  toute  entière  contre  luy,  mais  feulement  par'  celles 
de  fes  parties  qui  touchent  fa  fuperficie.  Nous  auons  confideré 
jufques  à  cette  heure  le  corps  B  comme  eftant  en  repos;  mais  fi 
nous  fuppofons  maintenant  qu'il  foit  pouffé  vers  C  par  quelque 
force  qui  luy  vienne  de  dehors,  fi  petite  qu'elle  puiffe  eftre,  elle  fuf- 
fira,   non  pas  véritablement  à  le  mouuoir  toute  feule,  mais  à  fe 

115  joindre  auec  les  parties  du  corps  liquide  FD,  en  les  determijnant  à 
le  pouffer  auffi  vers  C,  &  à  luy  communiquer  vne  partie  de  leur 
mouuement^ 

5'j.  La  preuue  de  l'article  précèdent*. 

Afin  de  connoiftre  recy  plus  diffindement,  conjtderons...  que, 
quand  il  n'y  a  point  de  corps  dur...  dans  le  corps  fluide  FD,  fes 
petites  parties  aeioa  font  difpofées  comme  vn  anneau,  &  qu'elles 
fe  meuuentcirculairement  fuiuant  l'ordre  des  marques  aei;  &  que 
les  autres,  marquées  ouyao,  fe  mcuucnt  aujji  fuiuant  Tordre  des 

a.  Sic  dans  l'imprimé  :  «  hurtent  ». 

b.  Ainsi  corrige  à  Verrata.  Texie  imprime  :  o  qui  tendent  d'F  vers  B 
qui  le  pouffent  ». 

c.  Texte  imprimé  :  «  &  qu'il  n'y  a  que  ».  A  Verrata  :  «  mais  feulement 
par  ». 

d.  Correspondance,  t.  V,  p.  385. 
c.  Planche  II,  figure  h. 


Principes.  —  Seconde  Partie.  97 

marques  ouj^.  Car,  afin  qu'vn  corps  foit  fluid*,  les  petites  parties 
qui    le  compofent  doiuent  fe  mouuoir  en  plufieurs  façons   diffé- 
rentes, comme  il  a  efté  def-ja  remarqué*.  Mais  fuppofani  que  le 
corps  dur  B  flotte  dans  le  fluide  F  D  entre  fes  parties  a  &  0,  fans  fc 
mouuoir,  confiderons  ce  qui  en  auient.  Premièrement,  il  empcfche 
que  les  petites  parties  aeio  ne  paffent  d'o  vers  a,  &  n'acheuent  le 
cercle  de  leur  mouuement;  il  empefche  aufli  que.  celles  qui   font 
marquées  ouj-a  ne  palfeni  d'à  vers  0;  de  plus,  celles  qui  viennent 
d'/ vers  0,  pouffent  B  vers  G,  &  celles  qui  viennent  pareillement 
dy  vers  a,  le  pouflent  vers  F,  d'vne  force  fi  égale  que,  s'il  n'arriue 
rien  d'ailleurs,  elles  ne  peuuent  le   faire  mouuoir,  mais  les  mes 
retournent  d'o  vers  u,  &  les  autres. d'à  vers  e ;  &  au  lieu  des  deux 
circulations  qu'elles  faifoient  auparauant,  elles  n'en  font  plus  qu'vne, 
fuiuant    l'orjdre  des   marques   aeiouya.  Il   eft   donc    manifef\c     ^^^ 
qu'elles  ne  perdent  rien  de  leur  mouuement  par  la  rencontre  du 
corps  B,  &  qu'elles  changent  feulement  leur  détermination,  &  ne 
continuent  plus  de  fe  mouuoir  fuiuant  des  lignes  fi  droites",  ni  fi 
approchantes  de  la  droite,  que  fi  elles  ne  le  rencontroient  point  en 
leur  chemin.  Enfin,  fi  nous  fuppofons  que  B  foit  poulfé  par  quelque 
force  qui  n'eftoit   pas   en   luy   auparauant,  je  dy  que  cette  force, 
eftant  jointe  à  celle  dont  les  parties  du  corps  fluide  qui  viennent 
d'/  vers  o  le  pouffent  vers  G,  ne  fçauroit  élire  fi  petite,  qu'elle  ne 
furmonte  celle  qui  fait  que  les  autres  qui  viennent  dy  vers  a  le 
repoulfent  au  contraire,  &  qu'elle  fuftit  pour  changer  leur  détermi- 
nation, &  faire  qu'elles  fe   meuuent   fuiuant  l'ordre  des  marques 
a^wo,  autant  qu'il  çft  requis  pour  ne  point  empefcher  le  mouue- 
ment du  corps  B';  pource  que,  quand  deux  corps  font  déterminez  à 
fe  mouuoir  vers  deux  endroits...  dire(5lement  oppofez  l'vn  à  l'autre, 
&  qu'ils  fe  rencontrent,  celuy  qui  a  plus  de  force  doit  changer  la 
détermination  de  l'autre.  Et  ce  que  je  viens  de  remarquer,  touchant 
les  petites  parties  aeiour,   fe  doit  aufli  entendre  de   toutes  les 
autres  parties  du  corps  fluide  F*  D,  qui  hurtent**  contre  le  corps  B  : 
à  fçauoir  que  celles  qui  le  pouflent  vers  G,   font  oppofées  à  vn 
nombre  |  égal  d'autres  qui   le  pouffent   à   l'oppofite,  &  que,  pour     li'ï 
peu  de  force  qui*  furuienne  aux  rues  plus  qu'aux  autres,  ce  peu  de 
force  fuffit  pour  changer  la   détermination   de  celles  qui  en    ont 

a.  Art.  54,  p.  94  ci-avant. 

b.  Correspondance,  t.  V,  p.  385. 

c.  Voir  ci-après,  art.  60,  p.  99,  note  c. 

d.  Voir  ci-avant,  p.  96,  note  a. 

e.  «  qui  »,  corrigé  à  Verrata.  Texte  imprimé  :  «  qu'il  ». 

ŒUVRKS.  IV.  _ 


c)8  OEuvKf:s  de  Diiscarfes. 

motus.  Et  quand  melmc  elles  ne  décriroicnt  pas  des  cercles  tels 
que  ceux  qui  font  icy  reprefentez  "..., elles  employent  fans  doute  leur 
agitation  à  fe  inouuoir  circulairement,  ou  bien  en  quelques  autres 
façons  équiualentes. 

58.  Qu'vii  corp.i  ne  doit  pas  ejire  ejîimé  entièrement  fluide,  au  regard  d'vn 
corps  dur  qu'il  enuironne,  quand  quelques  vues  de/es  parties  Je  meuuent 
moins  vite  que  ne  fait  ce  corps  dur. 

Or  la  détermination  des  petites^  parties  du  corps  fluide  qui  em- 
pefchoient  le  corps  B  de  fe  mouuoir  vers  C,  eftant  ainfi  changée, 
ce  corps...  commencera...  de  le  mouuoir,  &  aura  tout  autant  de 
vitelTe*",  qu'en  a  la  force  qui  doit  eJlre  adJou/îJe  à  celle  des  petites 
parties  de  cette  liqueur,  pour  le  déterminer  à  ce  mouuement  ;  pour- 
ueu  toutefois  qu'il  n'y  en  ail  aucunes  parmy  elles,  qui  ne  fe 
meuuent  plus  vite,  ou  du  moins  aufli  vite,  que  cette  force  ;  pource 
que,  s'il  y  en  a  quelques-vnes  qui  fe  meuuent  plus  lentement,  on 
ne  doit  pas  confiJerer  ce  corps  ^omme  liquide,  en  tant  qu'il  en  ell 
compofé  ;  &  en  ce  cas  aufli  la  moindre  petite  force  ne  pourroit  pas 
mouuoir  le  corps  dur  qui  feroit  dedans,  d'autant  qu'il  faudroit 
qu'elle  full  i\  grande,  qu'elle  pufl  furmontcr  la  rcfiflance  de  celles 
118  qui  ne  fe  remueroient  pas  aflez  vite.  Ainfi  nous  voyons  que  l'air, 
l'eau,  &  les  autres  corps  fluides  refiilent  aflez  fendlblenient  aux 
corps  qui  fe  meuuent  parmy  eux  d'vne  viteffe  extraordinaire,  &  que 
ces  mefmes  liqueurs  leur  cèdent  tres-aifement,  lors  qu'ils  fc 
meuuent  plus  lentement. 

5g.  Qu'vn  corps  dur,ejlant  pouffé  par  vn  autre,  ne  reçoit  pas  de  luy  Jeul 
tout  le  mouuement  qu'il  àcquert,  mais  en  emprunte  aujffi  vne  partie  du 
corps  fluide  qui  V enuironne. 

Toutefois  nous  deuons  penfer  que,  lors  que  le  corps  B  efl  meu... 
par  vne  force  extérieure,  il  ne  reçoit  pas  fon  mouuement  de  la  feule 
force  qui  l'a  poulfé,  mais  qu'il  en  reçoit  aufli  beaucoup  des  petites 
parties  du  corps  fluide  qui  l'cnuironne  ;  &  que  celles  qui  com- 
pofent  les  cercles  aeio  &.  ayuo  perdent  autant  de  leur  mouuement, 
comme  elles  en  communiquent  aux  parties  du  corps...  B,  qui  font 
entre  o  &.a,  pource  qu'elles  participent  aux  mouuemens  circulaires 
aeioa   &    ayuca^    nonobflant   qu'elles    fe    joignent   fans  cefle   à 

a.  Planche  II,  figure  3. 

b.  Art.  6o  ci-après. 


Principes.  —  Secondi-:  Partie.  99 

d'autres  parties  de  cette  liqueur,  pendant  qu'ailes  nuancent... 
vers  C  ;  ce  qui  ejl  caitfe  aujji  qu'elles  ne  feçoiuent  que  fort  peu  de 
moiiuemeut  de  chacune. 


Go.  Qu'il  ne  peut  toutefoi.s  auoir  plus  de  vitejfe  que  ce  '  corps  dur 
ne  luv  en  donne  ''. 

Mais  il  faut  que  je  rende  raifon  pourquoy  je  n'ay  pas  dit  c\- 
defrus*"  que  la  détermination  des  parties  a/uo  dcuoit  cltre  entière- 
ment changée,  &  que  feulement  elle  deuoit  l'ellre  autant  qu'il 
eftoit  requis  pour  ne  point  empcfchcr  le  mouuement  du  corps  B  : 
à  fçauoir,  pource  que  ce  corps  B  ne  peut  fe  mouuoir  plus  vite  qu'il 
n'ell  pouffé  par  la  force  extérieure,  encore  que...  les  parties  du  corps 
fluide  FD  ayent  fou|uent  beaucoup  plus  d'agitation.  P't  c'ell  ce  119 
qu'on  doit  foigneufement  obferuer  en  philofophant,  que  de  n'attri- 
buer jamais  à  vne  caule  aucun  efl'ct  qui  furpaiie  fon  pouuoir.  Car, 
fi  nous  fuppofons  que  le  corps...  B,  qui  elloit  enuironné  de  tous 
coftez  d^  la  liqueur  F  D  fans  fe  mouuoir,  elt  maintenant  poulie  allez 
lentement  par  quelque  force  extérieure,  à  fçauoir  par  celle  de  ma 
main,  nous  ne  deuons  pas  croire  qu'il  fe  meuue  auec  plus  de 
vitefl'e  qu'il  n'^n  a  receu  de  ma  main,  pource  qu'il  n'y  a  que  la  feule 
impulfion  qu'il  a  receuë  de  ma  main,  qui  foit  caufe  de  ce  qu'il  fe 
meut.  Et  bien  que...  les  parties  du  corps  fluide  fe  meuuent />t'/// 
ejfre  beaucoup  plus  vite,  nous  ne  deuons  pas  croire  qu'elles  foient 
déterminées  à  des  mouuemens  circulaires,  tels  que  aeioa  & 
afitoîi,  ou  autres  femblables,  qui  ayent  plus  de  viiefle  que  la  force 
qui  poulie  le  corps  B,  mais  feulement  qu'elles  emploient  l'agitation 
qu'elles  ont  de  relie,  à  le  mouuoir  en  pluficurs  autres  façons'. 

61.  Qu'vn  corps  fluide  qui  Je  meut  tout  entier  vers  quelque  cojlé,  emporte 
necejjairement  auec  fuj'  tuus  les  corps  durs  qu'il  contient  ou  enuironné. 

Or  il  ell  aifé  de  connoiftrc,  parce  qui  vient  d'cftre  demonllré, 
qu'vn  corps  dur  qui  cil  en  repos  entre  les  petites  parties  d'vn  corps 
fluide  qui  l'cnuironnc  de  tous  collez,  elt  également  balancé  :  en 
forte  que  la  moindre  petite  force  le  peut  poullcr  de  coflé  et  d'autre, 
nonobflant  qu'on  le  fuppofe  fort  grand;   foit   que  cette  forjce  luv     120 

a.  Lisez  le. 

b.  Planche  II,  tigure  3. 

c.  Art.  57,  ci-avant  p.  97,  v.  note  c. 
<\,  Voir  Correspondance,  t.  V,  p.  3S5, 


loo  CEuvREs  DE  Descartes. 

vienne  de  quelque  cauTe  extérieure,  ou  qu'elle  confiflc  en  ce  que 
tout  le  corps  fluide  qui  l'enuironne,  prend  Ion  cours  vers  vn  cer- 
tain cofté  :  de  mefmeque  les  riuieres  coulent  vers  la  mer,^c...  l'air 
vers  le  couchant,  lors  que  les  vents  d'Orient  Ibufflent  :  car  en  ce 
cas  il  faut  que  le  corps  dur  qui  eft  enuironné  de  tous  collez  de  cette 
liqueur,  ibit  emporté  auec  elle.  Et  la  quatrième  règle,  fuiuant 
laquelle  il  a  elle  dit  cy-delTus'  qu'vn  corps  qui  ell  en  repos  ne  peut 
élire  meu  par  vn  plus  petit,  bien  que  ce  plus  petit  le  meuue  extrê- 
mement vite,  ne  répugne  en  aucune  façon  à  cela. 

62.  Qu'on  ne  peut  pas  dire  proprement  qu'vn  corps  dur  fe  meut, 
lorfqu'il  ejî  ainfi  emporté  par  vn  corps  fluide. 

Et  mefme  11  nous  prenons  garde  à  la  vraye...  nature  du  mouue- 
ment,  qui  n'ert  proprement  que  le  tranfport  du  corps  qui  fe  meut 
du  voifinage  de  quelques  autres  corps  qui  le  touchent,  &  que  ce 
tranfport  eft  réciproque  dans  les  corps  qui  fe  touchent  l'vn  l'autre  : 
encore  que  nous  n'ayons  pas  couftume  de  dire  qu'ils  fe  meuuent 
tous  deux ,  nous  fçaurons  neantmoins  qu'il  n'eft  pas  fi  vray  de 
dire  qu'vn  corps  dur  fe  meut,  lors  qu'eftant  enuironné  de  tous 
coftez  d'vne  liqueur,  il  obéît  à  fon  cours,  que  s'il  aiioit  tant  de 
force  pour  luf  refijîer,  quil  pujî  s'empefcher  i/'ertre  emporté  par 
elle  ;  car  il  s'efloigne  beaucoup  moins  des  parties  qui  l'enui- 
121  ronnent,  lors  qu'il  fuit  le  cours  de  celte  \  liqueur,  que  Ioî^s  qu'il  ne  le 
fuit  point. 

63.  D'où  vient  qu'il  y  a  des  corps  fi  durs,  qu'ils  ne  peuuent  ejlre  diuife\ 
par  nos  mains,  bien  qu'ils  foient  plus  petits  qu'elles. 

Apres  auoir  monfîré  que  la  facilité  que  nous  auons  quelquefois  à 
viouuoir  de  fort  grands  corps,  lors  qu'ils  flottent  ou  font  fufpendus 
en  quelque  liqueur,  ne  répugne  point  à  la  quatrième  règle  cj'- 
defj'us  expliquée'',  il  faut  aufli  que  je  montre  comment  la  difficulté 
que  nous  auons  à  en  rompre  d'autres  qui  font  alfez  petits...,  fe  peut 
accorder  auec  la  cinquième'.  Car,  s'il  eft  vray  que  les  parties  des 
corps  durs  ne  foient  jointes  enfcmble  par  aucun  ciment,  6'-  qu'il  n'y 
ait  rien  du  tout  qui  empefche  leur  feparalion,  finon  qu'elles  font  en 

a.  Art.  49,  p.  90. 

h.  Ibidem. 

c.  .\rt.  5o,  p.  91. 


Principes.  —  Seconde  Partie.  ioi 

repos  les  vnes  contre  les  autres,  ainfi  qu'il  a  ejîé  tantoji  dit\  & 
qu'il  foit  vray  auffi  qu'vn  corps  qui  {Gmeui,quoy  que  Icntemail,  a 
touf-jours  allez  de  force  pour  en  mouuoir  vn  autre  plus  petit  qui 
eft  en  repos,  aitijî  qu'enfeigne  cette  cinquième  règle  :  on  peut  deman- 
der pourquoy...  nous  ne  pouuons,  auec  la  feule  force  de  nos  mains, 
rompre  vn  clou  ou  vn  autre  morceau  de  fer  qui  eft  plus  petit 
qu'elles...,  d'autant  que  chacune  des  moitiez  de  ce  clou  peut  eftre 
prife  pour  vn  corps  qui  ejl  en  repos  contre  fou  autre  moitié,  Ik  qui 
doit,  ce  femble,  en  pouuoir  eftre  feparé  par  la  force  de  nos  mains, 
puis  qu'il  n'eft  pas  fi  grand  qu'elles,  &  que  la  nature  du  mouuement 
conjijte  en  ce  que  le  corps  qu'on  ditfe  mouuoir,  eji  \  feparé  des  autres  122 
corps  qui  le  touchent.  Mais  il  faut  remarquer  que  nos  mains  font  fort 
molles,  c'eft  à  dire  qu'elles  participent  dauantage  de  la  nature  des 
corps  liquides  que  des  corps  durs,  ce  qui  eft  caufe  que  toutes  les 
parties  dont  elles  font  compofées>  n'agiffent  pas  enfemble  contre  le 
corps  que  nous  voulons  feparer,  &  qu'il  n'y  a  que  celles  qui,  en  le 
touchant,  s'appuyent  conjointement  fur  luy.  Car,  comme  la  moitié 
d'vn  clou  peut  eftre  prife  pour  vn  corps,  à  caufe  qu'on  la  peut 
feparer  de  fon  autre  moitié  :  de  mefme  la  partie  de  noftre  main  qui 
touche  cette  moitié  de  clou,  &  qui  eft  beaucoup  plus  petite  que  la 
main  entière,  peut  eftre  prife  pour  vn  autre  corps,  à  caufe  qu'elle 
peut  eftre  feparée  des  autres  parties  qui  compofent  cette  main  ;  & 
pource  qu'elle  peut  eftre  feparée  plus  aifement  du  refte  de  la  main, 
qu'vne  autre  partie  de  clou  du  refte  du  clou,&  que  nous  fentons  de 
la  douleur,  lors  qu'vne  telle  feparation  arriuc  aux  parties  de  noftre 
corps,  nous  ne  fçaurions  rompre  vn  clou  auec  nos  mains;  mais,  fi 
nous  prenons  vn  marteau,  ou  vne  lime,  ou  des  cifeaux,  ou  quelque 
autre  tel  inllrument,  &  nous  en  feruons  en  telle  forte  que  nous 
appliquions  la  force  de  noftre  main  contre  la  partie  du  corps  que 
nous  voulons  diuifer,  qui  doit  eftre  plus  peiiie  qus  la  partie  de 
l'inftrument  que  nous  appliquons  con|tr'clle,  nous  pourrons  venir  123 
à  bout  de  la  dureté  de  ce  corps,  bien  qu'elle  foit  fort  grande. 

64.  Que  je  ne  reçois  point  de  principes  en  Phjfique,  qui  ne  foient  aufji 
receus  en  Mathématique  y  afin  de  pouuoir  prouuer  par  demoujhation 
tout  ce  que  j'en  deduiray;  &  que  ces  principes  fujjfifent,  d'autant  que  tous 
les  Phainomenes  de  la  nature  peuuent  eftre  explique^  par  leur  moyen. 

le  n'adjoufte  rien  icy  touchant  les  figures,  ni  comment  de  leurs 
diuerfitez  infinies  il  arriue,  dans  les   mouuemens,  des  diucrfiicz 

a.  Art.  55,  p.  94. 


102  OEuVRES   DE   DeSCARTES. 

innombrables  :  d'autant  que  ces  chofes  pourront  affez  eftre  enten- 
dues d'elles-mefmes,  lors  qu'il  fera  temps  d'en  parler,  &  que  je 
fuppofe  que  ceux  qui  liront  mes  écrits,  fçauent  les  élemens  de  la 
Géométrie,  ou,  pour  le  moins,  qu'ils  ont  l'efprit  propre  à  com- 
prendre les  demonftrations  de  Mathématique.  Car  j'aduouë  franche- 
ment icy  que  Je  ne  connoy.  point  d'autre  matieredes  chofes  corpo- 
relles, que  celle  qui  peut  eftre  diuifée,  figurée  &  meuë  en  toutes 
fortes  de  façons,  c'eft  à  dire  celle,  que  les  Géomètres  nomment  la 
quantité,  &  qu'ils  prennent  pour  l'objet  de  leurs  demonftrations; 
&  que  je  ne  conridere,en  cette  matière,  que  fcs  diuifions,fes  figures 
&  -fes  mouuemens  ;  &  enfin  que,  touchant  cela,  je  ne  veux  rien 
receuoir  pour  vray,  fmon  ce  qui  en  fera  déduit  auec  tant  d'éuidehce, 
qu'il  pourra  tenir  lieu  d'vne  demonftration  Mathématique.  Et 
pource  qu'on  peut  rendre  rai fon,  en  cette  forte,  de  tous  les  Phaino- 
menes  de  la  nature, comme  on  pourra  juger  par  ce  qui  fuit,  je  ne 
penfe  pas  qu'on  doiue  receuoir  d'autres  principes  en  la  Phyfique, 
124  I  ni  mefme  qu'on  ait  raifon  d'en  fouhaiter  d'autres,  ^we  ceux  qui  font 
icy  explique\. 


LES  PRINCIPES 


DE 


LA    PHILOSOPHIE 


TROISIESME  PARTIE. 
Du  monde  vijible. 


I.  Qu'un  nefçauroit  pcnj'cr  trop  hautement  des  œuures  Je  Dieu. 

Apres  atioir  rejette  <:e  que  nous  auions  autrefois  receu  en  noftre 
créance,  auant  que  de  l'auoir  fujfifamment  examine,  puis  que  la  raifon 
toute  pure. . .  nous  a  fourny  affez  de  lumière  pour  nous  l'aire  décou- 
urir  quelques  principes  des  choies  matérielles,  &  qu'elle  nous  les  a 
prefentez  auec  tant  d'éuidence  que  nous  ne  Içaurions  plus  douter  de 
leur  vérité,  il  faut  maintenant  effayer  fi  nous  pourrons  déduire  de 
ces  feuls  principes  l'explication  de  tous  les  Phainomenes,  c'ejt  à  dire 
des  ejfets  qui  font  en  la  nature,  &  que  nous  apperceuons  par  l'entre- 
m  if e  de  nos  fens.  Nous  comlmencerons  par  ceux  qui  font  les  plus  125 
généraux,  &  dont  tous  les  autres  dépendent  :  à  fçauoir,  par  Vadmi- 
rabk  ftrudurc  de  ce  monde  vifible.  Mais,  afin  que  nous  puifTions 
nous  garder  de  nous  méprendre  en  les  examinant,  il  me  femble  que 
nous  deuons  foigneufement  obferuer  deux  chofes  :  la  première  efl 
que  nous  nous  remettions  toui-jours  deuant  les  yeux,  que  la  puif- 
fance  &  la  bonté  de  Dieu  font  infinies,  afin  que  cela  nous  face  con- 
noiftre  que  nous  ne  deuons  point  craindre  de  faillir,  en  imaginant 
fes  ouurages  trop  grands,  trop  beaux  ou  trop  parfaits;  mais  que 
nous  pouuons  bien  manquer,  au  contraire,  fi  nous  fuppofonsen  eux 
quelques  bornes  ou  quelques  limites,  dont  nous  n'ayons  aucune 
connoifl'ance  certaine. 


I04  Œuvres  de  Descartes. 


2.  Qu'on  prefumeroit  trop  de  foy-mefme,Ji  on  entreprenait  de  connoifire 

la  fin  que  Dieu  s'efi  propofé  en  créant  le  monde. 

La  féconde  eft  que  nous  nous  remettions  auffî  touf-jours  deuant  les 
yeuxy  que  la  capacité  de  nojtre  efprit  ejï  fort  médiocre,  &  que  nous 
ne  deuons  pas  trop  prefumer  de  nous-mefmes,  comme  il  femble  que 
nous  ferions,  fi  nous  fuppofions  que  l'vniuers  euft  quelques  limites, 
fans  que  cela  nous  fuft  affuré  par  reuelation  diuine,  ou  du  moins 
par  des  raifons  naturelles  fort  éuidentes  ;  pource  que  ce  feroit  vou- 
loir que  noftre  penfée  puft  imaginer  quelque  chpfe  au  delà  de  ce  à 
quoy  la  puiffance  de  Dieu  s'eft  eftenduë  en  créant  le  monde;  mais 
1S6  auiïi  I  encore  plus,  fi  nous  nous  perfuadions  que  ce  n'eft  que  pour 
noftre  vfage'  que  Dieu  a  créé  toutes  les  chofes,  ou  bien  feulement  fi 
nous  prétendions  de  pouuoir  connoiftre  par  la  force  de  noftre  efprit 
quelles  font  les  fins  pour  lefquelles  il  les  a  créées. 

3.  En  quel  fens  on  peut  dire  que  Dieu  a  créé  toutes  chofes  pour  l'homme. 

Car  encore  que  ce  foit  vne  penfée  pieufe  &  bonne,  en  ce  qui  re- 
garde les  mœurs,  de  croire  que  Dieu  a  fait  toutes  chofes  pour  nous, 
afin  que  cela  nous  excite  d'autant  plus  à  l'aymer  &  luy  rendre 
grâces  de  tant  de  bien-faits;  encore  auflî  qu'elle  foit  vraye  en  quelque 
fens,  à  caufe  qu'il  n'y  a  rien  de  créé  dont  nous  ne  puiiïions  tirer 
quelque  vfage,  quand  ce  ne  feroit  que  celuy  d'exercer  noftre  efprit 
en  le  confiderant,  &  d'eftre  incitez  à  loUer  Dieu  par  fon  moyen  :  il 
n'eft  toutefois  aucunement  vray-femblable  que  toutes  chofes  ayent 
efté  faites  pour  nous,  en  telle  façon  que  Dieu  n'ait  eu  aucune  autre 
fin  en  les  créant.  Et  ce  feroit,  ce  me  femble,  eftre  impertinent  de  fe 
vouloir  feruir  de  cette  opinion  pour  appuyer  des  raifonnemens  de 
Phyfique;  car  nous  ne  fçaurions  douter  qu'il  n'y  ait  vne  infinité  de 
chofes  qui  font  maintenant  dans  le  monde,  ou  bien  qui  y  ont  efté 
autrefois  &  ont  def-ja  entièrement  cefl'é  d'eftre,  fans  qu'aucun 
homme  les  ait  jamais  veu(fs  ou'connu(fs,  &  fans  qu'elles  luy  ayent 
jamais  feruy  à  aucun  vfage. 

it7      1  4.  Des  Phainomenes  ou  expériences,  &  à  quoy  elles  peuuent  icy  feruir. 

Or  les  principes  que  j'ay  cy-deffus  expliquez,  font  fi  amples, 
qu'on  en   peut  déduire  beaucoup  plus  de  chofes  que  nous   n'en 

a.  Voir  Correspondance ^  t.  V,  p.  53, 1.  24,  à  p.  56,  1.  22,  et  ibid.,  p.  168. 


Principes.  —  Troisiesme  Partie.  105 

voyons  dans  le  monde,  &  mefmes  beaucoup  plus  que  nous  n'en  fçau- 
rions  parcourir  de  la  penfée  en  tout  <  le  >  temps  de  nojlre  vie.  C'eft 
pourquoy  je  feray  icy  vne  briéve  defcription*  des  principaux  Phai- 
nomenes,  dont  je  pretens  rechercher  les  caufes,  non  point,  afin  d'en 
tirer  des  raifons  qui  feruent  à  prouuer  ce  que  j'ay  à  dire  cy-apres  : 
car  j'ay  deffein  d'expliquer  les  effets  par  leurs  caufes,  &  non  les 
caufes  par  leurs  effets  ;  mais  afin  que  nous  puiflions  choifir,  entre 
vne  infinité  d'effets  qui  peuuent  élire  déduits  des  mefmes  caufes, 
ceux  que  nous  deuons  principalement  tafcher  d'en  déduire. 

5.  Quelle  proportion  il  y  a  entre  le  Soleil,  la  Terre  &  la  Lune, 
à  raifon  de  leurs  dijlances  &  de  leurs  grandeurs. 

Il  nous  femble  d'abord,  que  la  Terre  eft  beaucoup  plus  grande  que 
tous  les  autres  corps  qui  font  au  monde,  &  que  la  Lune  &  le  Soleil 
font  plus  grands  que  les  Eftoiles  ;  mais  fi  nous  corrigeons  le  défaut 
de  noftre  veu(i  par  des  raifonnemens  qui  font  infaillibles,  nous 
connoiftrons,  premièrement,  que.  la  Lune  eft  éloignée  de  nous  d'en- 
uiron  trente  diamètres  de  la  Terre,  &  le  Soleil  de  fix  ou  fept  cent  ; 
&  comparant  enfuite  ces  diftances  auec  le  diamètre  apparent  du 
Soleil  &  de  la  Lune,  nous  trouuerons  que  la  Lune  eft  plus  petite 
que  la  Terre,  &  que  le  Sojleil  eft  beaucoup  plus  grand.  128 

6.  Quelle  dijiance  il  y  a  entre  les  autres  Planètes  &  le  Soleil. 

Nous  connoiftrons  auffi,  par  l'entremife  de  nos  yeux,  lors  qu'ils 
feront  aydez  de  la  raifon,  que  Mercure  eft  diftant  du  Soleil  de  plus 
de  deux  cent  diamètres  de  la  Terre  ;  Venus,  de  plus  de  quatre  cent; 
Mars,  de  neuf  cent  ou  mille  ;  lupiter,  de  trois  mille  &  dauantage  ; 
&  Saturne,  de  cinq  ou  fix  mille. 

7.  Qu'on  peut  fuppofer  les  Eftoiles  fixes  autant  éloignées  qu'on  veut. 

Pour  ce  qui  eft  des  Eftoiles  fixes,  félon  leurs  apparences,  nous  ne 
deuons  point  croire  qu'elles  foient  plus  proches  de  la  Terre,  ou 
du  Soleil,  que  Saturne;  mais  aufli  nous  n'y  remarquons  rien  qui 
nous  empefche  de  les  pouuoir  fuppofer  plus  éloignées  jufques  à  vne 
diftance  indéfinie.  Et  nous  pourrons  conclure,  de  ce  que  je  diray 

a.  Texte  latin  t  a  brevem  historiam  ».  Voir  Correspondance ,  1. 1,  p. .251, 
1.  17. 


ip6  OEuvREs  DE  Descartes. 

cy-apres%  touchant  les  mouuemens  des  Gieux,  qu'elles  font  fi  éloi- 
gnées de  la  Terre,  que  Saturne,  à  comparaifon  d'elles,  en  eft  extrê- 
mement proche. 


fÇ.  Que  la  Terre, ejîant  veuë  du  Ciel,  ne  paroitroit  que  comme  vne  Planète 
moindre  que  lupiter  ou  Saturne^ 

En  fuitte  de  quoy  il  ert  aifé  de  connoiftre  que  la  Lune  &  la  Terre 
paroiftroient  beaucoup  plus  petites,  à  celuy  qui  les  regarderoit  de 
lupiter  ou  de  Saturne^  que  ne  paroit  lupiter  ou  Saturne  au  mefme 
fpeClateur  qui  les  regarde  de  la  Terre,  &  que,  fi  on  regardoit  le 
Soleil  de  delfus  quelque  Eftoile  fixe,  il  ne  paroiftroit  peut  elhe  pas 
plus  grand  que  les  Eftoiles  paroiflent  à  ceux  qui  les  regardent  du 

129  lieu  où  nous  fommes  :  de  forte  que,  |  fi  nous  voulons  comparer  les 
parties  du  monde  vifible  ^es  vnes  aux  autres,  &  juger  de  leurs  gran- 
deurs fans  preuention,  nous  ne  deuons  point  croire  que  la  Lune,  ou 
la  Terre,  ou  le  Soleil,  foient  plus  grands  que  les  Eftoiles. 

g.  Que  la  lumière  du  Soleil  &  des  Eftoiles  fixes  leur  eft  propre. 

Mais,  outre  que  les  Eftoiles  ne  font  pas  égales  en  grandeur,  on 
y  remarque  encore  cette  différence,  que  les  xnes  brillent  de  leur 
propre  lumière,  &  que  les  autres  reflechiifent  feulement  celle 
qu'elles  ont  receuë  d'ailleurs.  Premièrement,  nous  ne  fçaurions 
douter  que  le  Soleil  n'ait  en  foy  cette  lumière  qui  nous  éblouit,  lors 
que  nous  le  regardons  trop  Jixement  ;  car  elle  eft  fi  grande  que 
toutes  les  H^ftoiles  enfemble  ne  luy  en  pourroient  pas  tant  commu- 
niquer, pource  que  celle  qu'elles  nous  enuoyent  eft  incompara- 
blement plus  foibie  que  la  fienne,  bien  qu'elles  ne  foient  pas  tant 
éloignées  de  nous  que  de  luy;  &  s'il  y  auoit  dans  le  monde 
queiqu'autre  corps  plus  brillant,  duquel  il  empruntaft  fa  lumière,  il 
faudroit  que  nous  le  vitHons.  Mais  fi  nous  confiderons  aufti  combien 
font  vifs  &  cftincclans  les  rayons  des  Eftoiles  fixes,  nonobftant 
qu'elles  foient  extrêmement  éloignées  de  nous  &  du  Soleil,  nous  ne 
ferons  pas  de  difficulté  de  croire  qu'elles  luy  reffemblent  :  en  forte 
que,  fi  nous  eftions  auOi  proches  de  quelqu'vne  d'elles,  que  nous 

130  fommes  de  luy,  |  celle-là  nous  paroiftroit  grande  &  lumineufe 
comme  vn  Soleil. 

a.  Art.  20  cl  41. 


Principes.  —  Troisiesme  Partie.  107 


10.  Que  celle  de  la  Lune  &  des  autres  Planètes  ejî  empruntée  du  Soleil. 

Au  contraire,  de  ce  que  nous  voyons  que  la  Lune  n'éclaire  que 
du  cofté  qui  eft  oppofé  au  Soleil,  nous  deuons  croire  qu'elle  n'a 
point  de  lumière  qui  luy  foit  propre,  &  qu'elle  renuoye  feulement 
vers  nos  yeux  les  rayons  qu'elle  a  receus  du  Soleil.  Cela  a  eflé 
obferué  depuis  peu  fur  Venus,  auec  des  lunettes  de  longue-veu(f  ; 
&  nous  pouuons  juger  le  femblable  de  Mercure,  Mars,  lupiter  & 
Saturne,  pource  que  leur  lumière  nous  paroit  beaucoup  plus  foible 
&  moins  éclatante  que  celle  des  Eftoiles  fixes,  &  que  ces  Planètes  ne 
font  pas  fi  éloignées  du  Soleil,  qu'elles  n'en  puiflent  eftre  é<'ia»rées. 

/y  /.  Qu'eu  ce  qui  ejl  de  la  lumière,  la  Terre  ejl  femblable  aux  Planètes. 

Enfin,  de  ce  que  nous  voyons  que  les  corps  dont  la  Terre  eft 
compofée  font  opacques,  &  qu'ils  renuoyent  les  rayons  qu'ils  re- 
çoiuent  du  Soleil,  pour  le  moins  aufii  fort  que  la  Lune  :  car  les 
nuages  qui  l'enuironnent",  bien  qu'ils  ne  foient  compofez  que  de 
"celles  de  fes  parties  qui  font  les  moins  opacques  &  les  moins 
propres  à  réfléchir  la  lumière,  nous  paroifl'ent  auiTi  blancs  que  la 
Lune,  lors  qu'ils  font  éclairez  du  Soleil  ;  nous  deuons  conclure  que 
la  Terre,  en  ce  qui  elt  de  la  lumière,  n'eft  point  différente  de  la 
Lune,  de  Venus,  de  Mercure,  &  des  autres  Planètes. 

\  12.  Que  la  Lune,  lors  qu'elle  ejl  nouuelle,  eft  illuminée  par  la  Terre.        131 

Nous  en  ferons  encore  plus  affeurez,  fi  nous  prenons  garde  à  vne 
certaine  lumière  foible  qui  paroift  fur  la  partie  de  la  Lune  qui  n'ell 
point  éclairée  du  Soleil,  lors  qu'elle  efi  nouuelle,  qui  fans  doute 
luy  ert  enuoyée  de  la  Terre  par  reflexion,  pource  qu'elle  diminucf 
peu  à  peu,  à  mefure  que  la  partie  de  la  Terre  qui  eft  éclairée  du 
Soleil,  fe  deftourne  de  la  Lune. 

i3.  Que  le  Soleil  peut  eftre  mis  au  nombre  des  Eftoiles  fixes, 
'   &  la  Terre  au  nombre  des  Planètes. 

Tellement  que,  fi  nous  fuppofions  que  quelqu'vn  de  nous  fuft 
deffus  lupiter,  &  qu'il  confideraft  noftre  Terre,  il  eft  éuideni  qu'elle 

a.  A  savoir  «  la  Terre  ». 


io8  Œuvres  de  Descartes. 

luy  paroiflroit  plus  petite,  mais  peut  eftre  aufli  lumineufe  que  lupi- 
ter  nous  paroit  ;  &  qu'elle  paroiflroit  plus  grande  au  mefme  fpeda- 
teur,  s'il  eftoit  fur  quelqu'autre  Planète  plus  voifine  ;  mais  qu'il  ne 
la  verroit  point  du  tout,  s'il  eftoit  fur  quelqu'vne  des  Eftoiles  fixes,  à 
caufe  de  la  trop  grande  diftance.  Ainfi  la  Terre  pourra  eftre  mife  au 
nombre  des  Planètes,  &  le  Sojeil  au  nombre  des  Eftoiles  fixes, 

t4.  Que  les  Eftoiles  fixes  demeurent  touf-jours  en  mefme  fituation  au  regard 
Vvne  de  l'autre^  &  qu'il  n'en  eft pas  de  mefme  des  Planètes. 

Il  y  a  encore  vue  autre  différence  entre  les  Eftoiles,  qui  confifte 
en  ce  que  les  vnes  gardent  vn  mefme  ordre  entr'elles,  &  fe  trouuent 
touf-jours  également  diftantes,  ce  qui  eft  caufe  qu'on  les  nomme 
fixes;  &  que  les  autres  changent  continuellement  de  fituation,  ce  qui 
eft  caufe  qu'on  les  nomme  Planètes  ou  Eftoiles  errantes. 

m  \  i5.  Qu'on  peut  vfer  de  diuerfes  hjrpothef es  pour  expliquer 

les  Phainomenes  des  Planètes. 

Et  comme  celuy  qui,  eftant  en  mer  pendant  vn  temps  calme, 
regarde  quelques  autres  vaiffeaux  affez  éloignez  qui  luy  femblent 
changer  de  fituation,  ne  fçauroit  dire  bien  fouuent  fi  c'eft  le  vaif- 
feau  fur  lequel  il  eft,  ou  les  autres,  qui  en  fe  remuant  caufent  vn 
tel  changement;  ainfi,  lors  que  nous  regardons,  du  lieu  où  nous 
fommes,  le  cours  des  Planètes  &  leurs  différentes  fituations,  après 
les  auoir  bien  confiderées,  nous  n'en  fçaurions  tirer  aucun  éclair- 
ciffement  qui  foit  tel  que  nous  puiftions  déterminer,  par  ce  qui  nous 
paroit,  quel  eft  celuy  de  ces  corps  auquel  nous  deuons  propre- 
ment attribuer  la  caufe  de  ces  changemens  ;  &  pourcc  qu'ils  font 
inégaux  &  fort  embrouillez,  il  n'eft  pas  aifé  de  les  démelîer,  (i,  de 
foutes  les  façons  dont  on  les  peut  entendre,  nous  n'en  choifilfons 
vne,  fuiuant  laquelle  nous  fuppofions  qu'ils  fe  fafl'ent.  A  cette  lin, 
les  Aftronomes  ont  inuenté  trois  différentes  hypothcfcs  ou  fuppo- 
fitions,  qu'ils  ont  feulement  tafché  de  rendre  propres  à  expliquer 
tous  les  phainomenes,  fans  s'arrcltcr  particulicrcnicnt  à  examiner 
fi  elle»  eftoicnt  auec  cela  conformes  à  la  vérité. 


i6.  Qu'on  ne  les  peut  expliquer  tous  par  celle  de  Ptolemée. 

Ptoicmée  inuenta  la  première;  mais,  comme  clic  ell  ordinaire- 
ment improuuée  de  tous  les  Philofophes,  pource  qu'elle  ell  con- 


Principes.  —  Troisiesme  Partie.  icq 

traire  à  plufieurs  obferuations  qui  ont  e fié  faites  depuis  \  peu  ^,    &     133 
particulièrement  aux  changemens  de  lumière  qu'on  remarque  fur 
Venus,  femblables  à  ceux  qui  fe  font  fur  la  Lune,  je  n'en  pàrleray 
pas  icy  dauantage^ 

ly.  Que  celles  de  Copernic  &  de  Tycho  ne  différent  point, 
Ji  on  ne  les  conjidere  que  comme  liypothejes. 

.  La  féconde  ell  de  Copernic,  &  la  troifiéme  de  Tycho  Brahe  : 
lefquelles  deux,  en  tant  qu'on  les  prend  feulement  pour  des  fuppo- 
fitions,  expliquent  également  bien  les  phainomenes,  &  il  n'y  a  pas 
beaucoup  de  différence  entr'elles.  Neantmoins  c.elle  de  Copernic  me 
femble  quelque  peu  plus  fimple  &  plus  claire;  de  forte  que  Tycho 
n'a  pas  eu  fujet  de  la  changer,  finon  pource  qu'il  ell'ayoit  d'expliquer 
comment  la  chofe  ertoit  en  efl'et,  &  non  pas  feulement  par  hypoihcfe. 

i8.  Que  par  celle  de  Tycho  on  attribué  en  effet  plus  de  mouucmcnt  à  la 
Terre  que  par  celle  de  Copernic,  bien  qu'on  ''luy  en  attribue  moins- 
en  paroles. 

Car  d'autant  que  Copernic  n'auoit  pas  fait  difficulté  d'accorder  que 
la  Terre  eftoit  meuC,  Tycho,  à  qui  cette  opinion  fembloit  abfurde 
^  entièrement  éloignée  du  fens  commun,  a  tafchc  de  la  corriger; 
mais,  pource  qu'il  n'a  pas  affez  conlidcré  quelle  cil  la  vraye  nature 
du  mouuement,  bien  qu'il  ait  dit  que  la  Terre  elloit  immobile,  il 
n'a  pas  lailfé  de  luy  attribuer  plus  de  mouuement  que  l'autre. 

jg.  Que  je' nie  le  mouuement  de  la  Terre  auec  plus  de  foin  que  Copernic, 
&  plus  de  vérité  que  Tycho. 

C'ell  pourquoy,  fans  élire  en  rien  différent  de  ces  deux,  excepté 
en  cela  feul,  que  j'auray  plus  de  foin  que  Copernic  de   ne  point 

a.  En  marge  de  rcxcmplairc  annoïc  :  -  Comnu-,  cnn  autres.  <jik  Mars 
nous  paroisi  plus  proche  que  le  Soleil,  ei  que  Venus  et  Mercure  nous 
paroissent  plus  éloignez  que  le  Soleil  :  ce  qui  ne  seroii  pdint,  si  Ihypo- 
these  de  Ptolcmée  esioii  vraye.  De  plus,  les  dirterenies  ^ace^  [lis':i 
phases)  qu'on  a  obseruées  sur  Venus  comme  sur  la  l.uue.  qui  nous 
paroist  cornue,  tantost  en  croissani,  taniosi  en  Swn  Jecours.  r\  t|ui  nous 
paroisi  presque  plaine  quand  le  Soleil  i<:i  pduc  elle  ei  nous,  et  par 
consev]uent  plus  éloignée  de  nous  que  le  Soleil,  font  vtiir  que  I  hypo- 
thèse de  Ptolcmée  n'est  pas  véritable,  (Neif  MS.  D?  Marie  :  siib  Soie 
viso.  Imprimé  en  Hollande.  -  (/./t'm.)\oir  la  Noie  11  «  1?  fin  tin  volume 

b.  Voir  Correspondance,  \,  V.  p.  38t'). 


110  Œuvres  de  Descartes. 

iJ4  attribuer  de  mouuement  à  la  Terre,  &  que  je  talcheray  |  de  faire 
que  mes  raifons,  furcefujet,  foient  plus  vrayes  que  celles  de Tycho: 
je  propoferay  icy  l'hypothefe  qui  me  femble  élire  la  plus  fimple  de 
toutes  &  la  plus  commode,  tant  pour  connoillre  les  Phainomenes, 
que  pour  en  rechercher  les  caufes  naturelles.  Et  cependant  j'aduer- 
tis  que  je  ne  pretens  point  qu'elle  foit  receuë  comme  entièrement 
conforme  à  la  vérité,  mais  feulement  comme  vne  hypothefe,  oufup- 
pofitïon  qui  fL'itl  ejlrcfaujje. 

20.  Qu'il  faut  Juppofer.  les  EJluiles  fixes  extrêmement  éloignées 

de  Saturne. 

Premièrement,  à  caufe  que  nous  ne  fçauons  pas  encore  aflure- 
ment  quelle  dillance  il  y  a  entre  la  Terre  i^  les  Eftoiles  fixes,  &  quç 
nous  ne  fçaurions  les  imaginer  fi  éloignées  que  cela  répugne  à 
l'expérience,  ne  nous  contentons  point  de  les  mettre  au  defTus  de 
Saturne,  où  tous  les  Aftronomes  auouent  qu'elles  font,  mais  prenons 
la  liberté  de  les  fuppofe'r  autant  éloignées  au-dellus  de  luy,  que  cela 
pourra  eûre  vtile  à  noftre  deffein.  Car  Ç\  nous  voulions  juger  de 
leur  hauteur  par  la  comparaifon  des  diftances  qui  font  entre  les 
corps  que  nous  voyons  fur  la  Terre,  celle  qu'on  leur  attribue  def-ja, 
feroit  aufli  peu  croyable  que  la  plus  grande  que  nous  fçaurions 
imaginer;  au  lieu  que,  fi  nous  confiderons  la  toute-puiffance  de 
Dieu  qui  les  a  créées,  la  plus  grande  diftance  que  nous  pouuons 
i35  conceuoir,  n'eft  pas  moins  croyable  qu'v|ne  plus  petite.  Et  je  feray 
voir  cy-apres  •  qu'on  ne  fçauroit  bien  expliquer  ce  qui  nous  paroit, 
tant  des  Planètes  que  des  Comètes,  fi  on  ne  fuppofe  vn  très-grand 
efpace  entre  les  Eftoiles  fixes  &  la  fphcre  de  Saturne. 

21 .  Que  la  matière  du  Soleil,  aiufi  que  celle  de  lajlamme,  ejl  fort  mobile  ; 
mais  qu'il  nejl  pas  befoin  pour  cela  qu'il  pajfe  tout  entier  d'vn  lieu  en 
vn  autre. 

En  fécond  lieu,  puis  que  le  Soleil  a  cela  de  conforme  auec  la 
flamme  &  auec  les  Elloiles  fixes,  qu'il  fort  de  luy  do  la  luniicre, 
laquelle  il  n'emprunte  pain!  d'ailleurs,  imaginons  qu'il  cil  fcmbiable 
aulfi  à  la  flamme,  en  ce  qui  efl  de  fon  mouuement,  ^:  aux  Eltoiles 
fixes,  en  ce  qui  concerne  fa  fituation.  Et  comme  nous  ne  voyons  rien 
fur  la  Terre  qui  foit  plus  agité  que  la   llamiue,  en  forte  que,  fi  les 

a.  Art.  41. 


Principes.  —  Troisiesme  Partie.  i  i  i 

corps  qu'elle  touche  ne  font  grandement  durs  &  folides,  elle 
efbranle  toutes  leurs  petites  parties,  &  emporte  auec  foy  celles  qui 
ne  liif  font  point  trop  de  reftjîence  :  toutefois  fon  mouuement  ne 
confifte  qu'en  ce  que  chacune  de  les  parties  fe  meut  feparcment, 
car  toute  la  flamme  ne  pafle  point  pour  cela  d'vn  lieu  en  vn  autre, 
fi  elle  n'eil  tranfportée  par  quelque  corps  auquel  elle  foit  attachée. 
Ainfi  nous  pouuons  croire  que  le  Soleil  elt  compofé  d'vne  matière 
fort  liquide,  &  dont  les  parties  font  fi  extrêmement  agitées,  qu'elles 
emportent  auec  elles  les  parties  du  Ciel  qui  leur  font  voifines  &  qui 
Jes  enuironnent  ;  mais  qu'il  a  cela  de  commun  auec  les  Eftoiles  fixes, 
qu'il  nejpaffe  point  pour  cela  d'vn  endroit  du  Ciel  en^vn  autre.  136 

22.  Que  le  Soleil  n'a  pas  befoin  d'aliment  comme  lajlamme. 

Et  on  n'a  pas  fujet  de  penfer  que  la  comparaifon  que  je  fais  du 
Soleil  auec  la  flamme  ne  foit  pas  bonne,  à  caufe  que  toute  la  flamme 
que  nous  voyons  fur  la  Terre  a  befoin  d'e/lre  jointe  à  quelque  autre 
corps  qui  luf  férue  de  nourriture,  &  que  nous  ne  remarquons  point 
le  mefme  du  Soleil.  Car,  fuiuant  les  loix  de  la  nature,  la  flamme, 
ainfi  que  tous  les  autres  corps,  continueroit  d'eftre,  après  qu'elle 
cft  vne  fois  formée...,  &  n'auroit  point  befoin  d'aucun  aliment  à  cet 
effet,  fi  fes  parties,  qui  font  extrêmement  fluides,  &  mobiles  n'al- 
loient  point  continuellement  fe  méfier  auec  lair  qui  efi  autour 
d'elle,  &  qui,  leur  ojlant  leur  agitation,  fait  qu'elles  ceffent  de  la 
compofer.  Et  ainfi  ce  n'eft  pas  proprement  pour  efire  conferuée, 
qu'elle  a  befoin  de  nourriture,  mais  afin  qu'il  renaiffe  continuel- 
lement d'autre  flamme  qui  luy  fuccede,  à  mefure  que  l'air  la  dif- 
fipe.  Or  nous  ne  voyons  pas  que  le  Soleil  foit  ainfi  diflipé  par  la 
matière  du  Ciel  qui  l'enuironne  ;  c'eft  pourquoy  nous  n'auons  pas 
fujet  de  juger  qu'il  ait  befoin  de  nourriture  comme  la  flamme, 
encore  qu'il  lu/  rejfemble  en  autre  chofe.  Et  toutefois  j'cfpere  faire 
voir  cy-apres  %  ^«7/ /f/>'  e/l  encore  femblable  en  cela,  qu'il  entre  en 
luy  fans  cefl'e  quel|que  matière,  &  qu'il  en  fort  d'autre.  137 

23.  Que  toutes  les  EJloiles  ne  font  point  en  vne  fuper/icie  fpherique, 
&  qu'elles  font  fort  éloignées  l'vne  de  l'autre.. 

Au  rcfte,  il  fauticy  rémarquer  que,  fi  le  Soleil  &  les  Eftoiles  fixes 
fe  reffemblent  en  ce  qui  eft  de  leur  fituation,  nous  ne  deuons  pas 

^   Art.  69. 


112  Œuvres  de  DesgaRi^s. 

juger  qu'elles  foient  toutes  en  la  fuperficie  d'vne  mefme  fphere,  ainfi 
que  plufieurs  fuppofent  qu'elles  font,  pource  que  le  Soleil  ne  peut 
eftre  auec  .elles  en  la  fuperficie  de  cette  fphere  ;  mais  que,  tout  ainfi 
qu'il  eft  enuironné  d'vn  vafte  efpace,  où  il  n'y  a  point  d'Eftoile  fixe, 
de  mefme  que  chaque  Eftoile  fixe  eft  fort  éloignée  de  toutes  les  autres, 
&  que  quelques-vnes  de  ces  Eftoiles  font  plus  éloignées  de  nous 
&  du  Soleil  que  quelques  autres.  En  forte  que,  fi  S,  par  exemple, 
eft  le  Solefî,  F  f  feront  des  Eftoiles  fixes,  &  nous  en  pourrons  con- 
ceuoir  d'autres  fans  nombre,  au  deffus,  au  deffous,  &  par  delà  le 
plan  de  cette  figure,  efparfes  par  toutes  les  dimenfions  de  l'efpace  '. 

24.  Que  les  deux  font  liquides. 

En  troifiéme  lieu,  penfons  que  la  matière  du  Ciel  eft  liquide,  auflî 
bien  que  celle  qui  compofe  le  Soleil  &  les  Eftoiles  fixes.  C'eft  vne 
opinion  qui  eft  maintenant  communément  receud  des  Aftronomes, 
pource  qu'ils  voyent  qu'il  eft  prefque  impoflible  fans  cela  de  bien 
expliquer  les  phainomenes. 

25.  Qu'ils  tranfportent  auec  eux  tous  les  corps  qu'ils  contiennent. 

Mais  il  me  femble  que  plulieurs  fe  méprenent  en  ce  que,  vou- 
i58  lant  attribuer  au  Ciel  la  pro|priété  d'eftre  Jiquide,  ils  l'imaginent 
comme  vn  efpace  entièrement  vuide,  lequel  non  feulement  ne 
rcfifte  point  au  mouuemcnt  des  autres  corps,  mais  aufll  qui  n'ait 
aucune  force  pour  les  mouuoir  &  les  emporter  auec  foy  ;  car  outre 
qu'il  ne  fçauroit  y  auoir  de  tel  vuide  en  la  nature,  il  y  a  cela  de 
commun  en  toutes  les  liqueurs,  que  la  raifon  pourquoy  elles  ne 
rcfiftcnt  point  aux  mouuemens  des  autres  corps,  //'eft  pas  qu'elles 
aj'cnt  moins  qu'eux  de  matière,  mais  qu'elles  ont  autant  ou  plus  d'agi- 
tation, ^  que  leurs  petites  parties  peuucnt  aifement  eftre  détermi- 
nées à  fe  mouuoir  de  tous  coftez  ;  &  lors  qu'il  arriuc  qu'elles  font 
déterminées  à  fe  mouuoir  toutes  enfemble  vers  vn  mefme  cofté,  cela 
fait  qu'elles  doiucnt  nccelVa  ire  ment  emporter  auec  elles  tous  les 
corps  qu'elles  cmbralfent  &  enuironncni  de  tous  coftez,  &  qui  ne 
font  point  empefchez  de  les  fuiure  par  aucune  caufc  extérieure, 
quoy  que  ces  corps  fuient  entièrement  en  repos,  &  durs  &  folides, 
ainfi  qu'il  fuit  cuidcmmcnt  de  ce  qui  a  cftc  dit  cy-dcMus'  de  la 
nature  des  corps  liquides. 

A.  Planche  III. 

b.  Partie  II.  art  «>i    p.  100 


Principes.  —  Troisiesme  Partie.  i  i  j 


26.  Que  la  Terre  Je- repofe  en/on  Ciel,  mais  qu'elle  ne  laiffe  pas 
d'ejlre  tranfportée  par  luy. 

En  quatrième  lieu,  puis  que  nous  voyons  que  la  Terre  n'ell  point 
fouftenuë  par  des  colomnes,  ni  fufpenduë  en  l'air  par  des  cables, 
mais  qu'elle  eft  enuironnée  de  tous  codez  d'vn  Ciel  très-liquide, 
penfons  qu'elle  eft  en  repos,  &  qu'elle  |  n'a  point  de  propenfion  au  i39 
mouuement,  veu  que  nous  n'en  remarquons  point  en  elle  ;  mais  ne 
croyons  pas  aufli  que  cela  puiffe  empefcher  qu'elle  ne  foit  emportée 
par  le  cours  du  Ciel,  &  qu'elle  ne  fuiue  Ion  mouuement  fans  pour- 
tant fe  mouuoir  :  de  mefme  qu'vn  vaiffeau,  qui  n'eft  point  emporté 
par  le  vent,  ni  par  des  rames,  &  qui  n'eft  point  aufli  retenu  par  des 
ancres,  demeure  en  repos  au  milieu  de  la  mer,  quoy  que  peut 
eftre  \qJIux  ou  reflux  àç.  cette  grande  malle  d'eau  l'emporte  infen- 
fiblement  auec  foy. 

27.  Qu'il  en  ejl  de  mefme  de  toutes  les  Planètes. 

Et  tout  ainfi  que  les  autres  Planètes  refl'emblent  à  la  Terre,  en  ce 
qu'elles  sont  opacques  &  qu'elles  renuoyent  les  rayons  du  Soleil, 
nous  auons  fujet  de  croire  qu'elles  luy  relîemblent  encore,  en  ce 
qu'elles  demeurent  comme  elle  en  repos,  en  la  partie  du  Ciel  où  cha- 
cune fe  trouue,  &  que  tout  le  changement  qu'on  obferue  en  leur 
fituation,  procède  feulement  de  ce  ».;u'clles  obcïflent  au  mouuement 
de  la  matière  du  Ciel  qui  les  contient. 

28»  Qu'on  ne  peut  pas  proprement  dire  que  la  Terre  ou  les  Planètes 
fe  meuuentf  bien  qu'elles  f oient  ainfi  tranfportées. 

Nous  nous  fouuiendror.s  aulîi,  en  cet  endroit,  de  ce  qui  a  efté  dit 
cy-delfus*,  touchant  la  nature  du  mouuement,  à  fçauoir  qu'à  pro- 
prement parler,  il  n'eft  que  le  tranfport  d'vn  corps,  du  voifinage  de 
Ceux  qui  le  touchent  immédiatement  &  que  nous  confiderons  comme 
en  rejpos,  dans  le  voifinage  de  quelques  autres;  mais  que,  félon  140 
l'vfagc  commun,  on  appelle  fouucnt,  du  nom  de  mouuement,  toute 
adion  qui  fait  qu'vn  corps  palle  d'vn  lieu  en  vn  autre;  &  qu'en  ce 
fens  on  peut  dire  qu'vne  mefme  chofc  en  mefme  temps  eft  mcuë  & 
ne  l'eft  pas,  félon  qu'on  détermine  fon  lieu  diuerfement.  Or  on  ne 

a.  Partie  II,  an.  25.  p»  76 

ŒVVRES.    IV.  24 


114  OEuvREs  DE  Descartes. 

fçauroit  trouuer  dans  la  Terre,  ni  dans  les  autres  Planètes,  aucun 
mouuement,  félon  la  propre  fignilication  de  ce  mot,  pource  qu'elles 
ne  font  point  tranfportces  du  voifinagc  des  parties  du  Ciel  qui  les 
touchent,  en  tant  que  nous  confidcrons  ces  parties  comme  en  repos  ; 
car  pour  eftre  ainfi  tranlportées,  il  faudroit  qu'elles  s'éloignalFcnt 
en  mefme  temps  de  toutes  les  parties  de  ce  Ciel  priies  enfemble,  ce 
qui  n'arriue  point.  Mais  la  matière  du  i'Àel  ellant  liquide,  <S'  les 
parties  qui  la  compofeut  fort  agitées,  tantoll  les  vnes  de  ces  parties 
s'éloignent  de  la  Planète  qu'elles  touchent,  &  tantoit  les  autres,  & 
ce,  par  vn  mouuement  qui  leur  elt  propre,  &  qu'on  leur  doit  attri- 
buer plurtoll  qu'à  la  Planète  qu'elles  quittent  :  de  mefme  qu'on  attri- 
bue les  particuliers  tranfports  de  Tair  ou  de  l'eau  qui  fe.  font  fur  la 
fuperficie  de  la  Terre,  à  l'air  ou  à  l'eau,  «S:  non  pas  à  la  Terre. 

•2g.  Que,  mefme  en  parlant  improprement  &  fuiuant  l'vfage,  on  ne  doit 
point  attribuer  de  mouuement  à  la  Terre,  mais  feulement  aux  autres 
Planètes. 

Et  fi  on  prend  le  mouuement  fuiuant  la  façon  vulgaire,  on  peut 
141  bien  dire  que  toutes  les  |  autres  Planètes  fe  meuuent,  mefmes  le 
Soleil  &  les  Elloiles  fixes;  mais  on  ne  fçauroit  parler  ainfi  de  la 
Terre,  que  fort  improprement.  Car  le  peuple  détermine  les  lieux  des 
Eftoiles,  par  certains  endroits  de  la  Terre  qu'il  confidere  comme 
immobiles,  &  croit  qu'elles  fe  meuuent,  lors  qu'elles  s'éloignent  des 
lieux  qu'il  a  ainli  déterminez  :  ce  qui  elt  commode  à  l'vfage  de  la 
vie,  &  n'ell  pas  imaginé  fans  raifon,  pour  ce  que,  comme  nous  auons 
tous  jugé  dés  nortre  enfance  que  la  Terre  eiloit  plate  &  non  pas 
ronde,  ^  que  le  bas  &  le  iiaut,  &  les  parties  principales,  à  fçauoir  le 
leuant,  le  couchant,  le  midy  &  le  feptenirion,  eltoient  touf-joucs  & 
par  tout  les  mefmes;  nous  auons  marqué  par  ces  chofes,»////  ne  font 
arrejlées  qu'en  no/tre  penfée,  les  lieux  des  autres  corps.  Mais  Ci  vn 
Philofophe,  qui  fait  profefjion  de  rec!u'rchi!r  la  rerilê,  ayant  pris 
garde  que  la  Tene  elt  vn  globe  qui  Hutte  dans  vn  Ciel  liquide,  dont 
les  parties  font  extrêmement  agitées,  ^:  que  les  Elloiles  fixes  gardent 
cntr'clles  louf-jours  vue  mefme  fituation,  fe  vouloit  feruir  de  ces 
Efloilcs  ^L  les  confkierer  comme  llables,  pour  déterminer  le  lieu  de 
la  Terre.  &  en  fuittc  de  cela  vouloir  conclure  qu'elle  fe  meut,  il  fe 
inéprendroit,  &  lun  difcours  ne  feroit  appuyé  d'aucune  raifon.  Car 
14t  fl  on  prend  le  lieu  en  fon  vray  fens,  &  comme  tous  |  les  Philofophes 
qui  en  connoilfeni  la  nature  le  doiuent  prendre,  il  faut  le  déter- 
miner par  les  corps  v|ui   touchent  immédiatement  celuy   qu'on  dit 


Principes.   —  Troisiesme  Partie.  115 

eftre  meii,  &  non  par  ceux  qui  font  extrêmement  éloignez,  comme 
font  les  Eftoiles  fixes  au  regard  de  la  Terre;  6c  fi  on  le  prend  félon 
l'vfage,  on  n'a  point  de  raifon  pour  fe  perfuader  que  les  Eltoilcs 
foient  fiables  pluftolt  que  la  Terre,  Il  ce  n'ell  peut  eftre  qu'on  s'ima- 
gine qu'il  n'y  a  point  d'autres  corps  par  delà  les  Eftoiles  qu'elles 
puiflent  quitter,  &  au  regard  defqucls  on  puifle  dire  qu'elles  fe  meu- 
uent,  &  que  la  Terre  demeure  en  repos,  au  mefme  fens  qu'on  pré- 
tend pouuoir  dire  que  la  Terre  fe  meut  au  regard  des  Eftoiles  fixes. 
Mais  cette  imagination  feroit  fans  fondement,  pource  que  noftre 
penfée  eftani  de  telle  nature,  qu'elle  n'aperçoit  point  de  limites  qui 
bornent  l'vniuers,  quiconque  prendra  garde  à  la«grandeur  de  Dieu 
&  à  la  foiblelTe  de  nos  fens,  jugera  qu'il  eft  bien  plus  à  propos  de 
croire  que  peut  eftre,  au  delà  de  toutes  les  Eftoiles  que  nous  voyons, 
il  y  a  d'autres  corps  au  regard  defquels  il  faudroit  dire  que  la  Terre 
eft  en  repos  &  que  les  Eftoiles  fe  meuuent,  que  de  fuppofer  (///c  la 
puijfance  du  Créateur  ejl  fi  peu  parfaite^  qu'il  n'y  en  fçauroit  auoir 
de  tels,  aiufi que  doitteut  Juppofer  ceux  qui  ajfurivt  eu  cette  facou  que 
la  Terre  Je  \  meut.  Que  fi  ueautmoins  cy-apres,  pour  uous  accom-  143 
moder  à  l'r/age,  uous  fetublous  attribuer  quelque  mouuement  à  la 
Terre,  il  faudra  penfer  que  c'eft  eu  parlaut  impropremeut,  d-  c7« 
mefme  fens  que  l'on  peut  dire  quelquefois  de  ceux  qui  dorment  à-  font 
couclie-{  dans  vu  raijjeau,  qu'ils  pajfent  cependant  de  Calais  à  Douure, 
à  caufe  que  le  raijfeau  les  y  porte. 

3o.  Que  toutes  les  Planètes  font  emportées  autour  du  Soleil 
par  le  Ciel  qui  les  contient. 

Apres  auoir  ofté  par  ces  raifonnemens  tous  les  fcrupules  qu'on 
peut  auoir  touchant  le  mouuement  de  la  Terre,  penfons  que  la  ma- 
tière du  Ciel  où  font  les  Planètes,  tourne  fans  cefle  en  rond,  ainfi 
qu'vn  tourbillon  qui  auroit  le  Soleil  à  fon  centre,  &.  que  fes  parties 
qui  font  proches  du  Soleil  fe  meuuent  plus  vite  que  celles  qui  en 
font  éloignées  j'ufque s  à  me  certaine  difiance,  &.  que  toutes  les  Pla- 
nètes (au  nombre  defquelles  nous  mettrons  déformais  la  Terre) 
demeurent  touf-jours  fufpenduifs  entre  lés  mefmes  parties  de  cette 
matière  du  Ciel.  Car  par  cela  feul,  &  fans  y  emplo}'er  d'autres  ma- 
chines, nous  ferons  aifement  entendre  toutes  les  chofes  qu'on  re- 
marque en  elles.  D'autant  que,  comme  dans  les  deftours  des  riuieres 
où  l'eau  fe  replie  en  ellc-mefmc,  iS:  tournoyant  ainfi  fait  des  cercles. 
il  quelques  feftus,  ou  autres  corps  fort  levers,  floient  parmy  cette 
eau,  on  peut  voir  qu'elle  les  emporte  &  les  fait  mouuoir  en  |  rond     144 


ii6  Œuvres  de  Descartes. 

auec  foy;  &  mefme,  parmy  ces  feftus,  on  peut  remarquer  qu'il  y  en 
a  fouuent  quelques-vns  qui  tournent  aufli  autour  de  leur  propre 
centre;  &  que  ceux  qui  font  plus  proches  du  centre  du  tourbillon 
qui  les  contient,  acheuent  leur  tour  pluftoft  que  ceux  qui  en  font  plus 
éloignez;  &  enfin  que,  bien  que  ces  tourbillons  d'eau  affedent 
touf-jours  de  tourner  en'  rond,  ils  ne  décriuent  prefque  jamais  des 
cercles  entièrement  parfaits,  &  s'eftendent  quelquefois  plus  en  long, 
&  quelquefois  plus  en  large,  de  façon  que  toutes  les  parties  de  la 
chxonference  qu'ils  décriuent,  ne  font  pas  également  difantes  du 
centre.  Ainfi  on  peUt  aifement  imaginer  que  toutes  les  mefmes 
chofes  arriuent  aux  Planètes;  &  il  ne  faut  que  cela  feu  1  pour  expli- 
quer tous  leurs  phainomenes. 

3i .  Comment  elles  font  ainji  emportées. 

Penfons  donc  que  S*  eft  le  Soleil,  &  que  toute  la  matière  du  Ciel 
qui  l'enuironne,  tourne  de  mefme  cofté  que  luy,  à  fçauoir  du  cou- 
chant par  le  midy  vers  l'orient,  ou  de  A  par  B  vers  C,  fuppofant  que 
le  Pôle  Septentrional  eft  éleué  au  deffus  du  plan  de  cette  figure. 
Penfons  aufli  que  la  matière  qui  eft  autour  de  Saturne,  employé 
N  quafi  trente  années  à  luy  faire  parcourir  tout  le  cercle  marqué  ^;  & 
que  celle  qui  enuironne  lupitjer,  le  porte  en  douze  ans,  auec  les  autres 
145  petites  Planètes  qui  l'accompagnent,  |  par  tout  le  cercle  y;  que  Mars 
acheue  par  mefme  moyen  en  deux  ans,  la  Terre  auec  la  Lune  en 
vn  an,  Venus  en  huicl  mois,  Mercure  en  trois,  leurs  tours  qui  nous 
font  reprefentez  par  les  cercles  marquez  o'  T  5  Ç  . 

32.  Comment  fe  fout  auffi  les  taches  qui  Je  voyentfur  lajuperficie 

du  Soleil. 

Penfons  aufli  que  ces  corps  opacques  qu'on  voit  auec  des  lunettes 
de  longue-veuif  fur  le  Soleil,  &  qu'on  nomme  fes  taches,  fe  meuuent 
fur  fa  fuperficic,  &  employent  vingt-fix  jours  à  y  faire  leur  tour. 

33.  Que  la  Terre  ejl  aujji  portée  en  rond  autour  defon  centre, 
&  la  Lune  autour  de  la  Terre. 

Penfons,  outre  cela,  que  dans  ce  grand  tourbillon  qui  compofe  vn 
Ciel  duquel  le  Soleil  ejl  le  centre,  il  y  en  a  d'autres  plus  petits  qu'on 

a.  Planche  IV. 


Principes.  —  Troisiesme  Partie.  itj 

peut  comparer  à  ceux  qu'on  voit  quelquefois  dans  le  tournant  des 
riuieres,  où  ils  fuiuent  tous  enfemble  le  cours  du  plus  grand  qui  les 
contient,  &  fe  meuuent  du  melme  collé  qu'il  le  meut;  &  que  l'vn  de 
ces  tourbillons  a  lupiter  en  fon  centre,  &  fait  mouuoir  auec  luy  les 
autres  quatre  Planètes  qui  font  leur  circuit  autour  de  cet  Aftre,  d'vne 
viielfe  tellement  proportionnée,  que  la  plus  éloignée  des  quatre 
acheue  le  fien  à  peu  près  en  feize  jours,  celle  qui  la  fuit  en  fept,  la 
troifiéme  en  quatre-vingt  cinq  heures,  &  la  plus  proche  du  centre 
en  quarante-deux;  ^  qu'elles  tournent  ainfi  plufieurs  fois  autour  de 
lu3\  pendant  qu'il  décrit  vn  grand  cercle  autour  du  Soleil  :  de 
I  mefme  que  l'vn  des  tourbillons  dont  la  Terre  eil  le  centre,  fait  1*6 
mouuoir  la  Lune  autour  de  la  Terre  en  l'efpace  d'vn  mois,  &  la 
Terre  mefme  fur  fon  elTieu  en  l'efpace  de  vingt-quatre  heures,  & 
que,  dans  le  temps  que  la  Lune  &  la  Terre  parcourent  ce  grand 
cercle  qui  leur  eft  commun  &  qui  fait  l'année,  la  Terre  tourne  en- 
uiron  365  fois  fur  fon  eflieu,  &  la  Lune  enuiron  douze  fois  autour 
de  la  Terre. 

34.  Que  les  moiiuemens  des  deux  ne  font  pas  parfaitement  circulaires. 

Enfin  nous  deuons  penfer  que  les  centres  des  Planètes  ne  font 
point  tous  exadement  en  vn  mefme  plan,  &  que  les  cercles  qu'elles 
décriuent  ne  font  point  parfaitement  ronds,  mais  qu'il  s'en  faut  touf- 
jours  quelque  peu  que  cela  ne  foit  exad,  &  mefme  que  le  temps  y 
apporte  fans  cefle  du  changement,  ainfi  que  nous  voyons  arriueren 
tous  les  autres  effets  de  la  nature. 

35.  Que  toutes  les  Planètes  ne  font  pas  touf-jotirs  en  vn  mefme  plan. 

De  façon  que,  fi  cette  figure 'nous  reprefente  le  plan  dans  lequel 
eft  le  cercle  que  le  centre  de  la  Terre  décrit  chaque  année,  lequel  on 
nomme  le  plan  de  l'Ecliptique,  on  doit  penfer  que  chacune  des 
autres  Planètes  fait  fon  cours  dans  vn  autre  plan  quelque  peu 
incliné  fur  cetuy-cy,  &  qui  le  coupe  par  vne  ligne  qui  ue  paffe  pas 
Juin  du  centre  du  Soleil,  &  que  les  diuerfes  inclinations  de  ces  plans 
font  déterminées  par  le  moyen  des  EJioiles  fixes.  Par  exemjple,  le  147 
plan  dans  lequel  eft  maintenant  la  route  de  Saturne,  coupe  l'Eclip- 
tique vis  à  vis  des  Signes  de  l'Efcreuifle  &  du  Capricorne,  &  eft  in- 
cliné vers  le  Nord  vis  à  vis  de  la  Balance,  &  vers. le  Zud  vis  à  vis  du 

a.  Planche  IV. 


ii8  OEuvRES  DE  Descartes. 

Bélier:  &  l'angle  qu'il  fait  auec  le  plan  de  l'EcIiptique,  en  s'incli- 
nant  de  la  Ibrte,  eil  enuiron  de  deux  degrez  &  deni}'.  De  mefme  les 
autres  Planètes  font  leur  cours  en  'des  plans  qui  coupent  celuy  de 
l'EcIiptique  en  d'autres  endroits;  mais  l'inclination  elt  moindre  en 
ceux  de  lupiter  &  de  Mars,  qu'elle  n'eft  en  celuy  de  Saturne;  elle  eft 
enuiron  d'vn  degré  plus  grande  en  celuy  de  Venus,  &  elle  elt  beau- 
coup plus  grande  en  celuy  de  Mercure,  où  elle  eft  prefque  de  fept 
degrez.  De  plus,  les  taches  qui  paroilfent  fur  la  fuperficie  du  Soleil, 
y  font  aufli  leur  cours  en  des  plans  inclinés  à  celuy  de  l'EcIiptique, 
de  fept  degrez  ou  dauantage  (au  moins  fl  les  obferuations  du  Père 
Scheiner"  font  vrayes,  &  il  les  a  faites  auec  tant  de  foin,  qu'il  ne 
femble  pas  qu'on  en  doiue  defirer  d'autres  que  les  Tiennes  fur  cette 
matiere)\'. .  La  Lune  au(Ti  fait  fon  cours  autour  de  la  Terre  dans  vn 
plan  incliné  de  cinq  degrez  fur  celuy  de  l'EcIiptique;  &enfin  laTerre 
mefme  eft  portée  autour  de  fon  centre  fuiuant  le  plan  de  l'Equa- 
teur, lequel  elle  transfère  partout  auec  foy,  &  il  eft  écarté  de  23  de- 
148  grez  &  demy  de  celuy  de  l'Eclilptique.Et  on  nomme  la  latitude  des 
Planètes,  la  quantité  des  degrez  qui  fe  comptent  ainfi  entre  l'EcIi- 
ptique &  les  endroits  de  leurs  plans  où  elles  fe  trouuent'. 

30.  Et  que  chacune  n'ejï  pas  touf-jours  également  éloignée 
d'vn  mefme  centre. 

Mais  le  circuit  qu'elles  font  autour  du  Soleil,  fe  nomme  leuj^  lon- 
gitude :  en  laquelle  il  y  a  auffi  de  l'irrégularité,  en  ce  que  n'eftant 
pas  touf-jours  à  mefme  diftance  du  Soleil,  elles  ne  femblent  pas  fe 
mouuoir  touf-jours  à  fon  égard  de  mefme  riteffe.  Car  au  liecle  où 
nous  fommes,  Saturne  eft  plus  éloigné  du  Soleil  enuiron  de  la 
vingtième  partie  de  lu  diftance  qui  eft  entr'eux,  lors  qu'il  eft  au 
figne  du  Sagitaire,  que  lors  qu'il  elt  au  figne  des  lumeaux;  &  lors 
que  lupiter  eft  en  la  Balance,  il  en  eft  plus  éloigné  que  lors  qu'il  eft 
au  Bélier;  &  ainft  les  autres  Planètes  se  trouucnt  en  des  lieux  dif- 
fercns,  &  ne  font  pas  vis  à  vis  des  mefmes  fignes,  lors  qu'elles  font 
aux  .endroits  où  elles  s'approchent  ou  s'éloignent  leplus  du  Soleil. 
Mais  après  quelques  ficelés,  toutes  ces  choies  feront  autrement  dif- 
pofées  qu'elles  ne  font  à  prefent,  &  ceux  qui  feront  alors  pourront 
remarquer  que  les  Planètes,  &  la  Terre  aufti,  couperont  le  plan  où 

a.  Voir  Correspondance  de  Descartes,  t.  I,  p.  i  r5  et  p.  283. 
l>    Dans  l'cdition  princeys,  la  parcnihcsc  est  fermée  deux  lignes  plus 
h;uM,  après  vraj'cs. 
c.  Voir  C.nrrespond'^ncc.  t.  V,  p.  38ô, 


Principes.   —  Troisiesme  Partie.  119 

eft  mainienant  rEcliptique,  en  des  lieux  differens  de  ceux  où  elles  le 
coupent  à  prefent,  &  qu'elles  s'en  écarteront  vn  peu  plus  ou  moins, 
&.  ne  feront  pas  vis  à  vis  des  mehnes  lignes  où  elles  |  le  trouuent 
main.tenant,  lors  qu'elles  font  plus  ou  moins  éloignées  du  Soleil'. 

3-j.  Que  tous  les  Phainomenes  peuuent  ejire  expliquCy  par  l'hypotheje 

icy  propnfce. 

En  fuite  de  quoy  il  n'eft  pas  befoin  que  j'explique  comme  on  peut 
entendre,  par  cette  hypothefe,  que  fe  font  les  jours  &  les  nuits,  les 
eltez  ^Ics  hyucrs,  .  .  .le  croillant  &.  le  decours  de  la  Lune,  les  ecly- 
pfes,  les  Hâtions  &  rétrogradations  des  Planètes,  l'auancement  des 
equinoxes",  la  variation  qu'on  remarque  en  l'obliquité  de  TEclip- 
tique%  &  choies  femblables  :  car  il  n'y  a  rien  en  cela  qui  ne  foit 
facile  à  ceux  qui  font  vn  peu  verfez  en  ^Allronomie^ 

J<y.  Qiie,fuiuant  fhypothefe  de  Tycho,  on  doit  dire  que  la  Terre 
fe  meut  autour  de  fon  centre. 

Mais  je  diray  encore  ic}'  en  peu  de  mots,  comment  par  l'hypo- 
thefe  de  Brahé,  qui  eft  receuc  communément  par  ceux  qui  rejettent 

a.  Voir  Correspondance,  t.  V,  p.  386. 

b.  En  marge  de  l'exemplaire  annote  :  «  Car  autrefois,  du  temps  de  Pto- 
»  lemce,  les  equinoxes  se  fcsoicnt  au  premier  point  d'Aries  et  de  Libra; 
»  maintenant  ils  se  font  au  22  degré  de  Pisces  et  de  Virgo  qui  sont  8  degrez 
»  auparauant,  auant  [erreur  pour  d'autant)  que  c'est  en  ces  points,  et  non 
»  plus  au  premier  d'Aries  et  de  Libra,  que  l'Equateur  et  l'Eclyptique 
»  s'entrecoupent.»  (Note  MS.)  —  L'auteur  de  cette  Note  se  met  en  contra- 
diction avec  l'usage  constant  des  astronomes  depuis  Hipparque.  On  sait, 
en  etîet,  que  les  longitudes  se  comptent  toujours  du  frpint  vernal,  et  sont, 
par  suite,  variables  en  raison  de  son  déplacement. 

c.  Ibidem  :  «  C'est  a  dire  la  variation  qui  arriue  a  la  déclinaison  de 
»  l'Eclyptique  au  regard  de  l'Equateur,  sur  lequel  elle  est  maintenant 
»  inclinée  de  2?  d.  et  dcmy.  Et  du  temps  de  Copernic,  elle  n'estoit  incli- 
»  née  que  de  23°  24'.  Et  du  temps  de  Ptolemée,  elle  estoit  inclinée  de 
»  23"»  54'.  Et  c'est  pour  cela  que  les  Astronomes  auoient  feint  vn  ciel  crys- 
»  tallin  qui  balançoit  irrégulièrement  et  fort  pca,  du  midy  au  septentrion 
»  et  du  septentrion  au  midy,  si  bien  qu'au  temps  ou  nous  sommes  de  1659 
»  la  déclinaison  va  augmentant  peu  a  peu.  »  (Note  MS.)  —  Les  chiffres 
indiqués  dans  cette  Note  sont  entachés  d'inexactitude;  l'obliquité  de 
l'écliptique  a  été  évaluée  par  Ptolemée  à  23"5r4o",  par  Copernic  à  23*28'  34" 
fv'aleur  trop  faible),  par  Tycho  à  23<'29'  3o".  La  détermination  de  23«3o'  et 
l'opinion  (erronée)  que  désormais  l'obliquité,  après  avoir  diminué,  aug- 
mente, paraissent  empruntées  à  Wendelin. 

d.  Voir  Correspondance,  t.  V,  p.  386. 


149 


I20  Œuvres  de  Descartes. 

celle  de  Copernic,  on  attribue  plus  de  mouuement  à  la  Terre  que 
par  l'autre.  Premièrement,  il  faut,  pendant  que  la  Terre,  félon  l'opi- 
nion de  Tycho,  demeure  immobile,  que  le  Ciel  auec  les  Eftoiles 
tourne  autour  d'elle  chaque  jour,  ce  qu'on  ne  fçauroit  entendre 
fans  conceuoir  auffi  que  toutes  les  parties  de  la  Terre  font  feparées 
de  toutes  les  parties  du  Ciel  qu'elles  touchoient  vn  peu  auparauant, 
&  qu'elles  viennent  à  en  toucher  d'autres;  &  pource  que  cette  fepa- 
ration  eft  réciproque,  ainfi  qu'il  a  efté  dit  cy-deffus",  &  qu'il  faut 
qu'il  y  ait  autant  de  force  ou  d'adion  en  la  Terre  comme  au  Ciel, 
150  je  ne  voy  rien  qui  nous  |  oblige  à  croire  que  le  Ciel  foit  pluftoft  meu 
que  la  Terre  ;  au  contraire,  nous  auons  bien  plus  de  raifon  d'attri- 
buer ce  mouuement  à  la  Terre,  pource  que  la  feparation  fe  fait  en 
toute  fa  fuperficie,  &  non  pas  de  mefme  en  toute  la  fuperficie  du 
Ciel,  mais  feulement  en  la  concaue  qui  touche  là  Terre,  &  qui  eft 
extrêmement  petite,  à  comparaifon  de  la  connexe.  Et  n'importe 
qu'ils  difent  que,  félon  leur  opinion,  la  fuperficie  conuexe  du  Ciel 
eftoilé  eft  aufli  bien  feparée  du  Ciel  qui  l'enuironne,  à  fçauoir  du 
criftalin  ou  de  l'empirée,  comme  la  fuperficie  concaue  du  mefme 
Ciel  l'eft  de  la  Terre,  &  que,  pour  cela,  ils  attribuent  le  mouuement 
au  Ciel  pluftoft  qu'à  la  Terre.  Car  ils  n'ont  aucune  preuue  qui  face 
paroiftre  cette  feparation  de  toute  la  fuperficie  conuexe  du  Ciel 
eftoilé  d'auec  l'autre  Ciel  qui  l'enuironne  ;  mais  ils  la  feignent  à 
plaiûr.  Et  ainfi,  par  leur  hypothefe,  la  raifon  pour  laquelle  on  doit 
attribuer  le  mouuement  au  Ciel  &  le  repos  à  la  Terre,  eft  imagi- 
naire &  ne  dépend  que  de  leur  fantaifie;  au  lieu  que  la  raifon  pour 
laquelle  ils  pourroient  dire  que  la  Terre  fe  meut,  eft  euidente  & 
certaine. 

3g.  Et  auffi,  qu* elle  Je  meut  autour  du  Soleil. 

De  plus,  fuiuant  l'hypothefe  de  Tycho,  le  Soleil  faifant  vn  circuit 
tous  les  ans  autour  de  la  Terre,  emporte  auec  foy  non  feulement 
4^  Mercure  &  Venus,  mais  encore  Mars,  lupiter  &  Sajinme,  qui  font 
plus  éloignez  de  luy  que  n'eft  la  Terre  ;  ce  qu'on  ne  fçauroit  en- 
tendre en  vn  Ciel  liquide  comme  ils  le  fupofent,  fi  la  matière  du 
Ciel  qui  eft  entre  le  Soleil  &  ces  Aftres,  n'eft  emportée  toute  en- 
fcmble  auec  eux,  &  que  cependant  la  Terre,  par  vne  force  particu- 
lière &  différente  de  celle  qui  Iran/porte  aiufi  le  Ciel,  fe  fepare  des 
parties  de  cette  matière  qui  la  touchent  immédiatement,  &  qu'elle 

a.  Partie  II,  art.  39,  p.  78. 


Principes.   —  Troisiesme  Partie.  121 

dccriue  vn  cercle  au  milieu  d'elles.  Mais  cette  feparation  qui  fe  fait 
ainfi  de  toute  la  Terre,  deura  eltrc  nommée  fon  mouuement. 

40.  Encore  que  la  Terre  changé  de  Jituation  au  regard  des  autres  Pla- 
nètes, cela  n'ejîpasfenftble  au  regard  des  EJîoiles  fixes,  à  caufe  de  leur 
extrême  dijtance. 

On  peut  icy  propoler  vne  difficulté  contre  mon  hypothefe,  à  fça- 
uoir  que,  puifque  le  Soleil  retient  touf-jours  vne  mefme  fituation  à 
l'égard  des  Elloiles  fixes,  il  eft  donc  necefTaire  que  la  Terre  qui 
tourne  autour  de  luy,  approche  de  ces  Eftoiles,  &  s'en  éloigne  auffi, 
de  tout  l'interualle  qui  ell  compris  en  ce  grand  cercle  qu'elle  décrit 
en  faifant  fa  route  d'vne  année,  &  neantmoins  on  n'en  a  rien  fceu 
encore  découurir  par  les  obferuations  qu'on  a  faites.  Mais  il  eft 
aifé  de  répondre  que  la  grande  diftance  qui  eft  entre  la  Terre  & . 
les  Eftoiles  en  eft  caufe  :  car  je  la  fuppofe  fi  immenfe,  que  tout  le 
cercle  que  la  Terre  décrit  autour  du  Soleil,  à  comparaifon  d'elle, 
ne  doit  eftre  comté  que  pour  yn  point.  Ce  qui  femblera  peut  eftre 
incroyable  à  |  ceux  qui  n'ont  pas.  accouftumé  leur  efprit  à' con-  152 
fiderer  les  merueilles  de  Dieu,  &  qui  penfent  que  la  Terre  eft  la 
partie  principale  de  l'vniuers,  pource  qu'elle  eft  la  demeure  de 
l'homme,  en  faueur  duquel  ils  fe  perfuadeut  faus  raifon  que  toutes 
chofes  ont  cftc  faites;  mais  je  fuis  alfeuré  que  les  Aftronomes,  qui 
fçauent  def-ja  que  la  Terre,  comparée  au  Ciel,  ne  tient  lieu  que  d'vn 
point,  ne  le  trouueront  pas  fi  eftrange. 

41.  Que  cette  difiance  des  Efioi les  fixes  eft  neceffaire  pour  expliquer 
les  mouuemens  des  Comètes*. 

Et  celte  opinion  de  la  dijlance  des  EJloiles  fixes  peut  eftre  con- 
firmée par  les  mouuemens  des  Comètes,  lefquelles  on  fçait  mainte- 
nant allez  n'cftre  point  des  Météores  qui  s'engendrent  en  l'air  proche 
de  nous,  ainfi  qu'on  a  vulgairement  creu  dans  VE(co\e, auant  que  les 

a.  En  regard  de  cet  ariicle,  on  lit  à  la  marge  de  Texemplaire  annoté  : 
•<  La  version  est  icy  de  M^  D.  {Note  MS.  d'une  première  main,  peut-être 
celle  de  Clerselier  ?  Ce  qui  suit  est  d'ifne  autre  main,  sûrement  celle  de 
Le  grand  :)  Ce  que  nous  iugeons  ainsy  a  cause  de  l'original  que  nous  en 
»  auons  entre  les  mains  écrit  de  sa  propre  main  [primitivement  de  la 
»  propre  main  de  M""  Desc,  ces  derniers  mots  barrés).  Et  il  n'est  pas 
»  croyable  que  si  cette  version  n'etoit  pas  de  luy,  il  se  fut  donné  la  peine 
»  de  la  transcrire  luy  qui  d'ailleurs  etoit  si  accablé  d'affaires.  »  Cette  note 
si  importante  a  été  discutée  dans  notre  Introduction. 


122  OEuVRES    DE    DeSCARTES. 

AJlronomes  cujj'enl  cxamiuc  leurs  paraLixcs  ;  car  j'e/pere  faire  voir 
cj'-apres-'  que  ces  Comètes  l'ont  des  Atlrcs  qui  font  de  (î  grandes  excur- 
iions  de  tous  collez  dans  les  cieux,  &  l'\  diflerentes,  tant  de  la  Habi- 
lité des  Elloilcs  (ixGs,  que  du  circuit  régulier  que  font  les  Planètes 
autour  du  Soleil,  qu'il  leroit  impollible  de  les  expliquer  conformé- 
ment aux  loix  de  la  nature,  li  on  manquoit  de  fuppoler  vn  efpace 
extrêmement  valle  entre  lé  Soleil  &  les  Eftoiles  tixes,  dans  lequel 
ces  excurfions  le  puillent  faire.  Et  nous  ne  deuons  point  auoir 
d'égard  à  ce  que  Tycho  &  les  autres  Allronomes,  qui  ont  recherché 
153  foigneulement  |  leurs  paralaxcs,  ont  dit  qu'elles  elloient  feulement 
au  delfus  de  la  Lune,  vers  la  fphere  de  Venus  ou  de  Mercure  :  car 
ils  eufient  encore  mieux  pu  déduire  de  leurs  obferuations  qu'elles 
elloient  au  delfus  de  Saturne  ;  mais  pource  qu'ils  difputoient  contre 
les  anciens,  qui  ont  compris  les  Comètes  entre  les  météores  qui  Je 
formcnl  dans  l'air  au  delfous  de  la  Lune,  ils  fe  font  contentez  de 
monllrer  qu'elles  font  dans  le  Ciel,  &  n'ont  ofé  leur  attribuer  toute 
la  hauteur  qu'ils  découuroient  par  leur  calcul,  de  peur  de  rendre 
leur  propofition  moins  croyable. 

4-2.  Qu'on  peut  mettre  au  nombre  des  Phainomenes  toutes  les  chofes  qu'on 
voit  fur  la.  terre,  niais  qu'il  n'ejî  pas  icy  befoin  de  les  confiderer 
toutes. 

Outre  ces  chofes  plus  générales,  je  pourrois  comprendre  encore 
icy,  entre  les  Phainomenes,  non  feulement  plulicurs  autres  chofes 
particulières  touchant  le  Soleil,  les  Planètes,  les  Comètes  &  les 
Elloiles  fixes,  mais  aufli  toutes  celles  que  nous  voyons  autour  de  la 
Terre,  ou  qui  fe  font  fur  fa  fuperficie.  D'autant  que,  pour  con- 
noiflre  la  vraye  nature  di  ce  monde  viAble,  ce  n'efl  pas  allez  de 
trouuer  quelques  caufes  par  Icfquellcs  on  puiffe  rendre  raifon  de  ce 
qui  paroid  dans  le  Ciel  bien  loin  de  nous,  &  qu'il  faut  aulTi  en 
pouuoir  déduire  ce  que  nous  voyons  tout  auprès,  &  qui  nous  touche 
plus  fenjiblement.  Mais  je  croy  qu'il  n'elt  ^as  befoin  pour  cela  que 
nous  les  confiderions  toutes  d'abord,  ik.  qu'il  fera  mieux  que  nous 
164  tafchions  de  j  trouuer  les  caufes  de  ces  plus  générales  que  j'ay  icy 
propo/écs,  afin  de  voir  par  après  li  des  mefmes  caufes  nous  pour- 
rons aufli  déduire  toutes  les  autres  plus  particulières,  aufquelles 
nous  n'aurons  point  pris  garde  en  chercliant  ces  caufes.  Car  li  nous 
trouuons  que  cela  foit,  ce  fera  vn  très  fort  argument  pour  nous 
aifurer  que  nous  femmes  dans  le  vray  chemin. 

a.  An.  1 19,  iï6  ci  uj. 


Principes.   —  Troisiesme  Partie.  i2J 


43.  Qu'il  n'ejî  pas  vray-femblable  que  les  caufes  de/quelles  on  peut  déduire 
tous  les  Phainomeues,  /oient  faujfes. 

Et  certes,  (i  les  principes  dont  je  me  fers  font  tres-éuidens,ri  les 
confequences  que  j'en  tire  font  fondées  fur  l'cuidence  des  Mathé- 
matiques, &  fi  ce  que  j'en  déduis  de  la  forte  s'accorde  exadement 
auec  toutes  les  expériences,  il  me  femble  que  ce  feroit  faire  injure 
à  Dieu,  de  croire  que  les  caufes  des  effets  qui  font  en  la  nature,  & 
que  nous  auons  ainfi  trouuées,  font  faufl'es  :  car  ce  feroit  le  vouloir 
rendre  coupable  de  nous  auoir  créez  fi  imparfaits,  que  nous  fulfions 
fujets  à  nous  méprendre,  lors  mefme  que  nous  vfons  bien  de  la  rai- 
fon  qu'il  nous  a  donnée. 

44.  Que  je  ne  veus  point  toutefois  affurer  que  celles  que  je  propofe 

font  vrayes. 

Mais  pource  que  les  chofes  dont  je  traite  icy,  ne  font  pas  de  peu 
d'importance,  &  qu'on  me  croiroit  peut  eftre  trop  hardy,  fi  j'alfu- 
rois  que  j'ay  trouué  des  reritei  qui  n'ont  pas  e/lé  découuerlcs  par 
d'antres,  j'aime  mieux  n'en  rien  décider,  &  afin  que  chacun  foit  libre 
d'en  penfer  ce  qu'il  luj  plaira,  je  defire  que  ce  que  |  j'écriray  foit  155 
feulement  pris  pour  vne  hypothefe,  laquelle  eft  peut  eftre  fort  éloi- 
gnée de  la  vérité;  mais  encore  que  cela  fuft,  je  crbiray  auoir  beau- 
coup fait,  fi  toutes  les  chofes  qui  en  feront  déduites,  font  entière- 
ment conformes  aux  expériences  :  car  fi  cela  fe  trouue,  elle  ne  fera 
pas  moins  vtile  à  la  vie  que  fi  elle  efioit  vraye,  pource  qu'on  s'en 
pourra  feruir  en  viefme  façon  pour  difpofer  les  caufes  naturelles  à 
produire  les  ejfels  qu'on  defirera. 

45.  Que  mefme  j' en  fuppoferay  icy  quelques  vnes  que  je  croy  faujfes. 

Et  tant  s'en  faut  que  je  vueille  qu'on  croye  toutes  les  chofes  que 
J'écriray,  que  mefme  Je  pretens  en  propofer  icy  quelques  vnes  que 
Je  croy  abfolument  eftre  faujfes.  Afçauoir,  je  ne  doute  point  que  le 
monde  n'ait  elle  créé  au  commencement  auec  autant  de  perfedion 
qu'il  en  a ',  en  forte  que  le  Soleil,  la  Terre,  la  Lune,  les  Eftoiles  ont 
elle  dellors,  &  que  la  terre  n'a  pas  eu  feulement  en  foy  les  femences 
des  plantes,  mais  que  les  plantes  mefmes  en  ont  couuert  vne  partie;  & 

a.  Voir  Correspondance,  t.  V,  p.  168-9. 


124  OEuVRES   DE   Des'cARTES. 

qu'Adam  &  Eue  n'ont  pas  elle  créez  enfans,  mais  en  aage  d'hommes 
parfaits.  La  Religion  Chreftienne  veut  que  nous  le  croyons  ainfi, 
&  la  raifon  naturelle  nous  perfuade  abfolument  cette  vérité,  pource 
que,  confiderant  la  toute-puiffance  de  Dieu,  nous  deuons  juger  que 
tout  ce  qu*il  a  fait,  a  eu  dés  le  commencement  toute  la  perfedion 

156  qu'il  de|uoit  auoir;  mais  neantmoins, comme  on  connoiftroit  beau- 
coup mieux  quelle  a  efté  la  nature  d'Adam  &  celle  des  arbres  du 
Paradis,  fi  on  auoh  examiné  comment  les  enfans  fe  foi^ment  peu  à 
peu  au  ventre  des  mères,  &  comment  les  plantes  fortent  de  leurs 
femences,  que  fi  on  auoit  feulement  confideré  quels  ils  ont  efté 
quand  Dieu-  les  a  créez  :  tout  de  mefme,  nous  ferons  mieux  en- 
tendre quelle  eft  généralement  la  nature  de  toutes  les  chofes  qui 
font  au  monde,  fi  nous  pouuons  imaginer  quelques  principes  qui 
foient  fort  intelligibles  &  fort  fimples,  defquels  nous  facions  voir 
clairement  que  les  aftres  &  la  terre,  &  enfin  tout  le  monde  vifible 
auroit  pu  eftre  produit  ainfi  que  de  quelques  femences,  bien  que 
nous  fçachions  qu'il  n'a  pas  efté  produit  en  cette  façon  ;  que  fi  nous 
le  décriuions  feulement  com.me  il  eft,  ou  bien  comme  nous  croyons 
qu'il  a  ejîé  créé.  Et  pource  que  je  penfe  auoir  trouué  des  principes 
qui  font  tels,  je  tafcheray  icy  de  les  expliquer. 

46.  Quelles  font  ces  .fuppojitions  «. 

Nous  auons  remarqué  cy-deffus'',  que  tous  les  corps  qui  com- 
pofent  l'vniuers,  font  faits  d'vne  mefme  matière,  qui  eft  diuifible  en 
toutes  fortes  de  parties,  &  def-ja  diuifée  en  plufieurs  qui  font  meuCs 
diuerfement,  &  dont  les  mouuemens  font  en  quelque  façon  circu- 

157  laires";  &  qu'il  y  a  touf-jours  vne  égale  quantité  de  ces  |  mouuemens 
dans  le  monde  :  mais  nous  n'auons  pu  déterminer  en  mefme  façon 
combien  font  grandes  les  parties  aufquelles  cette  matière  eft  diuifée, 
ni  quelle  eft  la  vitelfe  dont  elles  fe  meuuent,  ni  quels  cercles  elles 
décriuent.  Car  ces  chofes  ayant  pu  eftre  ordonnées  de  Dieu  en  vne 
infinité  de  diuerfes  façons,  c'eft  par  la  feule  expérience,  &  non  par  la 

force  du  raifonnement,  qu'on  peut  fçauoir  laquelle  de  toutes  ces 
façons  il  a  choifie.  C'eft  pourquoy  il  nous  eft  maintenant  libre  de 
fuppofer  celle  que  nous  voudrons,  pourueu  que  toutes  les  chofes 
qui  en  feront  déduites  s'accordent   entièrement  avec  l'expérience. 

a.  L'importance  de  cet  article  46  a  été  signalée  par  Descartes  lui-môme 
ci^près,  Partie  IV,  art.  206, fn. 

b.  Partie  II,  art.  4,  20,  22,  23,  33,  36  et  40,  pp.  65,  74,  75,  8t,  83,  86. 

c.  Son  Correspondance t  t.  V,  p.  170. 


Principes.   —  Troisiesme  Partie.  125 

Suppofons  donc,  s'il  vous  plaift,  que  Dieu  a  diuifé  au  commence- 
ment toute  la  matière  dont  il  a  compofé  ce  monde  vifible,  en  des  . 
parties  aufli  égales  entr'elles  qu'elles  ont  pu  cftre,  &  dont  la  gran- 
deur eltoit  médiocre",  c'ell  à  dire  moyenne  entre  toutes  les  diuerfes 
grandeurs  de  celles  qui  compofent  maintenant  les  Cicux  &  les 
AUres;  &  enfin,  qu'il  a  fait  qu'elles  ont  toutes  commencé  à  fe  mou- 
uoir  d'égale  force  en  deux  diuerfes  façons,  à  fçauoir  chacune  à  part 
autour  de  fon  propre  centre,  au  moyen  de  quoy  elles  ont  compofé  vn 
corps  liquide,  tel  que  je  juge  eftre  le  Ciel;  &  auec  cela,  plufiéurs 
enfemble  autour  de  quelques  centres \..  difpofez  en  mefme  façon 
dans  l'vniuers,  |  que  nous  voyons  que  font  à  prefent  les  centres  des  158 
Eftoiles  fixes,  mais  dont  le  nombre  a  efté  plus  grand,  en  forte  qu'il 
a  égalé  le  leur  Joint  à  celuy  des  Planètes  <?  des  Comètes  ;  &  que  la 
j'itejje  dont  il  les  a  ainft  meuës  efloit  médiocre,  c'efî  à  dire,  qu'il  a  mis 
en  elles  toutes  autant  de  mouuement  qu'il  y  en  a  encore  à  prefent  dans 
le  monde.  Ainfi,  par  exemple,  o«  peut  peiifer  que  Dieu  a  diuifé  toute 
la  matière  qui  eft  dans  l'efpace  AP^I',  en  très-grand  nombre  de 
petites  parties,  qu'il  a  meucs,  non  feulement  chacune  autour  de  fon 
centre,  mais  aujji  toutes  enfemble  autour  du  centre  S;  &  tout  de 
lefme,  qu'il  a  meu  toutes  les  parties  de  la  matière  qui  eft  en  l'ef- 
pace AEV  autour  du  centre  F,  &  ainli  des  autres;  en  forte  qu'elles 
ont  compofé  autant  de  differens  tourbillons  {je  meferuiray  d'orena- 
^uant  de  ce  mot  pour  fignifîer  toute  la  matière  qui  tourne  ainfi  en  rond 
autour  de  chacun  de  ces  centres)  qu'il  y  a  maintenant  d'Alhes  dans 
le  monde. 

47.  Que  leur  fauffeté  n'empefche  point  que  ce  qui  en  fera  déduit 

ne  fait  vray. 

Ce  peu  de  fuppoftions  mt  femble  fuffire  pour  m'en  fcruir  comme 
de  caufes  ou  de  principes,  dont  je  déduiray  tous  les  cU'ets  qui  pa- 
roilîent  en  la  nature,  par  les  feules  loix  cy-de(fus  expliquées"'.  Et  je 
ne  croy  pas  qu'on  puilfe  imaginer  des  principes  plus  fimplcs,  ni 
plus  intelligibles,  ni  aufli  plus  vrayfcmblables,  que  ceux  |  cy.  Car  159 
bien  que  ces  loix  de  la  nature  foient  telles,  qu'encore  mcfmc  que 
nous  fuppoferions  le  Chaos  des  Poètes,  c'efî  à  dire  me  entière 
confufïon  de  toutes  les  parties  de  l'vniuers,   on  pourroit  touf-jours 

a.  Voir  Correspondance,  t.  V,  p.  170. 

b.  Ibid.,,  p.  1 70-171. 

c.  Planche  III. 

d.  Partie  II,  art.  37,  39  et  40,  p.  84,  85  et  86. 


126  Œuvres  de  Desgartes. 

demonftrer  que,  par  leur  moj'en,  cette  confufion  doit  peu  à  peu  reue- 
nir  à  l'ordre  qui  eft  à  prefent  dans  le  monde,  &  que  j'aye  autrefois 
entrepris  d'expliquer  comment  cela  auroit  pu  eftre*  :  toutefois,  à 
caufe  qu'il  ne  conuientpas  fi  bien  à  la  fouueraine  perfection  qui  eft  en 
Dieu,  de  le  faire  autheur  de  la  confufion  que  de  l'ordre,  &  aufli  que 
la  notion  que  nous  en  auons  eft  moins  diftinéle,  j'ay  creii  deuoir  icy 
préférer  la  proportion  &  l'ordre  à  la  confufion  du  Chaos    Et  pource 
qu'il  n'y  a  aucune  proportion,  ni  aucun  ordre,  qui  foit  plus  fimple  & 
plus  aile  à  comprendre  que  celuy  qui  confifte  en  vne  parfaite  égalité, 
j'ay  fuppofé  icy  que  toutes  les  parties  de  la  matière  ont  au  commen- 
cement efté  égales  entr'élles,  tant  en  grandeur  qu'en  mouuement, 
&  n'ay  voulu  conceuoir  aucune  autre  inégalité  en  l'vniuers,  que 
celle  qui  eft  en  la  fituation  des  Eftoiles  fixes,  qui  paroit  fi  clairement 
à  ceux  qui  regardent  le  ciel  pendant  la  nuit,  qu'il  n'eft  pas  poflible 
de  la  mettre  en  doute.  Au  refte,  il  importe  fort  peu  de  quelle  façon 
je  fuppofe  icy  que  la  matière  ait  efté  difpofée  au  commencement, 
160     puis  que  |  fa  difpofition  doit  par  après  eftre  changée  fuiuant  les  loix 
de   la  nature,  &  qu'à  peine  en  fçauroit  on  imaginer  aucune,    de 
laquelle  on  ne  puide  prouuer  que,  par  ces  loix,  elle  doit  continuel- 
Icment  fe   chans^er,  jufqiies  à  ce  qu'enfin  elle  compofe  vn   monde 
entièrement femblable  à  cetuy-cy  (bien  que  peut-cftrc  cela  feroit  plu* 
long  à  déduire  d'vne  fuppofition  que  d'vne  autre)  ;  car  ces  loix  eftant 
caufe  que  la  matière  doit  prendre  fuccefliuemcnt  toutes  les  formes 
dont  elle  eft  capable,  fi  on  confidere  par  ordre  toutes  ces  formes, 
on  pourra  enfin  parueniràcelle  qui  fe  trouue  à  prefent  en  ce  monde. 
Ce  que  je  mets  icy   expreffemcnt,  afin   qu'on  remarque  qu'encore 
que  je  parle  de  fuppofi  lions,  je  n'en  fais  néant  moins  aucune  dont  la 
faujjele,   quoy  que   connue,  puifje  donner  occajion  de  douter  de  la 
vérité  des  conclu/ions  qui  en  feront  tirées. 

4S.  Comment  toutes  les  parties  du  Ciel  font  deuenuâs  rondes. 

Or  ces  chofcs  eftant  ainfi  pofées,  afin  que  nous  conimcncions  à 
voir  quel  clfct  en  peut  cftrc  déduit  par  les  loix  de  la  nature,  confide- 
rons  que,  touicla  matière  dont  le  monde  eft  compofé  ayant  efté  au 
commencement  diuifce  en  plufieurs  parties  égales,  ces  parties  n'ont 
pu  d'abord  eftre  toutes  rondes,  à  caufe  que  plufieurs  boules  jointes 
enlemble  ne  compofeni  pas  vn  corps  entièrement  jolide  6'-  continu, 

a.  Voir  Discours  de  la  Méthode,  cinquicmc  partie,  p.  41,  1.  21  01  suiv. 
de  cette  cdiiion.  notamment  p.  42,  1.  17-27. 


Principes.  —  Troisiesme  Partie.  127 

I  tel  qti'ejl  cet  vntuers,  dans  lequel  fat  démontré  c/'dejfus*  qu'il  ne  161 
peutyauoif'devuide.  Mais  quelque  figure  que  ces  parties  ayent  eu 
pour  lors,  elles  ont  deu  par  fucceiïion  de  temps  deuenir  rondes, 
d'autant  qu'elles  ont  eu  diuers  mouuemens  circulaires.  Et  pource 
que  la  force  dont  elles  ont  efté  meuës  au  commencement,  eftoit 
affez  grande  pour  les  feparer  les  vnes  des  autres,  cette  mefme  force, 
continuant  encore  en' elles  par  après,  a  efté  aufli  fans  doute  alfez 
grande  pour  dmouffer  tous  leurs  angles  à  mefure  qu'elles  fe  rencon- 
troient,  car  il  n'en  falloit  pas  tant  pour  cet  effet  qu'il  en  auoit  fallu 
pour  l'autre  ;  &  de  cela  leul  que  tous  les  angles  d'vn  corps  font  ainfi 
émoulTez,  il  eft  aifé  de  conceuoir  qu'il  eit  rond,  à  caufe  que  tout  ce 
qui  auance  en  ce  corps  au  delà  de  fa  figuré  fpherique,  ell  icy 
compris  fous  le  nom  d'angle. 

4(j.  Qu'entre  ces  parties  rondes  il  y  en  doit  auoir  d'autres  plus  petites 
pour  remplir  tout  l'efpace  où  elles  font. 

Mais  d'autant  qu'il  ne  fçauroii  y  auoir  d'efpace  vuide  en  aucun 
endroit  de  l'vniuers,  &  que  les  parties  de  la  matière,  eftans  rondes, 
ne  fçauroient  fc  joindre  fi  eftroitement  enfemble,  qu'elles  ne  laiffent 
plufieurs  petits  interualles  ou  recoins  entr'elles  :  il  faut  que  ces 
recoins  foient  remplis  de  quelques  autres  parties  de  cette  matière, 
qui  doiuent  eftre  extrêmement  menues,  ajin  de  changer  de  figure  à 
tous  momens,  pour  s'accommoder  à  celles  des  lieux  où  |  elles  entrent.  162 
C'eft  pourquoy  nous  deuons  penfer  que  ce  qui  fort  des  angles  des 
parties  de  la  matière,  à  mefure  qu'elles  s'arondillent  en  fe  frottant 
les  vnes  contre  les  autres,  elt  fi  menu  &  acquert  une  vitelfe  fi  grande, 
que  l'impctuofité  de  fon  r  ouuement  le  peut  diuifcr  en  des  jt?ar//cs 
innombrables,  qui,  n'ayant  aucune  grojfeur  ni  figure  déterminée, 
rempliilent  aifement  tous  les  petits  angles  ou  recoins  .par  où  les 
autres  parties  de  la  matière  ne  peuuent  paffer. 

So.  Que  ces  plus  petites  parties  font  aifées  à  di\iijer. 

Car  il  faut  remarquer  que,  d'autant  que  ce  qui  fort  de  la  raclure 
des  parties  de  la  matière,  à  mefure  qu'elles  s'arondijfent,  eft  plus 
menu,  il  peut  d'autant  plus  aifement  eftre  meu,  &  derechef 
amenuifc  ou  diuifé  en  des  parties  encore  plus  petites  que  celles 
qu'il  a  def-^'a,pourcQ  que,  plus  vn  corps  efi  petit",  plus  il  a  de  fuper- 

a.  Partie  II,  art.  16,  p.  71  ci-avant. 

b.  Correspondance  de  Descartes,  t.  V,  p.  171. 


128  OEuvRES  DE  Descartes. 

ficie",  à  raifon  de  la  quantité  de  fa  matière,  &  que  la  grandeur  de 
cette  fuperficie  fait  qu'il  rencontre  d'autant  plus  de  corps  qui  font 
effort  pour  le  mouuoir  ou  diuifer,  pendant  que  fon  peu  de  matière 
fait  qu'il  peut  d'autant  moins  rejijîer  à  leur  force. 

Si.  Et  qu'elles  Je.  meuuent  très-vite. 

Il  faut  aufTi  remarquer  que,  bien  que  ce  quifot^t  ainji  de  la  raclure 
des  parties  qui  s'arondijfent  n'ait  aucun  mouuement  qui  ne  vienne 
d'elles,  il  doit  toutefois  fe  mouuoir  beaucoup  plus  vite,  à  caufe  que, 
4g3  pendant  qu'elles  vont  par  des  |  chemins  droits  &  ouuerts,  elles 
contraignent  cette  raclure  ou  pouffiere  qui  ejl  parmy  elles,  à  paffer 
par  d'autres  chemins  plus  eftroits  &  plus  deftournez  :  de  mefme 
qu'on  voit,  en  fermant  vn  Ibufflet  aflez  lentement,  qu'on  en  fait 
fortir  l'air  alfez  vite,  à  caufe  que  le  trou  par  où  cet  air  fort  eft  eftroit. 
Et  j'ay  def-ja  prouué  cy-delTus"  qu'il  doit  y  auoir  neceffai rement 
quelque  partie  de  la  matière  qui  fe  meuue  extrêmement  vite,  &  fe 
diuife  en  vne  infinité  de  petites  parties,  afin  que  tous  les  mouue- 
mens  circulaires  &  inégaux  qui  font  dans  le  monde  y  puiffent  élire 
fans  aucune  raréfaction  ni  aucun  vuide  ;  mais  je  ne  crois  pas  qu'on 
en  puilfe  imaginer  aucune  plus  propre  à  cet  effet,  qu<:  celle  que  je 
viens  de  décrire. 

52.  Qu'il  y  a  trois  principaux  elemens  du  monde  vifible. 

Ainfi  ncjs  pouuons  faire  eftat  d'auoir  def-ja  trouué  deux  diuerfes 
formes  en  la  matière,  qui  peuuent  élire  prifes  pour  les /ormes  des 
deux  premiers  elemens  du  monde  vifible.  La  première  ell  celle  de 
cette  raclure  qui  a  deu  ejlre  feparée  des  autres  parties  de  la  matière, 
lors  qu'elles  fe  font  arondies,  6'  qui  eji  meuë  auec  tant  de  viteffe,  que 
la  feule  force  de  fon  agitation  eft  fuffifante  pour  faire  que,  rencon- 
trant d'autres  corps,  elle  foit  froijfée  <S-  diuifée  par  eux  en  vne  infi- 
nité de  petites  parties,  qui  fe  font  de  telles  figures,  qu'elles  rem- 
154  plilfcnt  louf-jours  cxacle|ment  tous  les  recoins  qu'elles  trouuent 
autour  de  ces  corps.  L'autre  cil  celle  de  tout  le  refte  de  la  matière, 
dont  les  parties  font  rondes  &  fort  petites,  à  comparaifon  des  corps 
que  nous  voyons  fur  la  terre;  mais  neantmoins  elles  ont  quelque 
quantité  déterminée,  en  forte  qu'elles    peuuent  cllrc  diuifces   en 

a.  Correspondance  de  Descarlcs,  t.  V,  p.  1/3. 

b.  Partie  II,  an.  33  et  34,  p.  81  ci  82  ci-avant. 


Principes.  —  Troisiesme  Partie.  129 

d'autres  beaucoup  plus  petites.  Et  nous  trouuerons  encore  cy-apres 
vue  troijtéme  forme  en  quelques  parties  de  la  matière  :  à  fçauoir  en 
celles  qui,  à  caufe  de  leur  groffeur  &  de  leurs  figures,  ne  pourront 
pas  eftre  meuës  fi  aifement  que  les  précédentes.  Et  je  tafcheray  de 
faire  voir  que  tous  les  corps  de  ce  monde  vifible  font  compofez  de 
ces  trois  formes  qui  fe  trouuent  en  la  matière,  ainji  que  de  trois 
diuers  elemens  :  k  fçauoir  que  le  Soleil  &  les  Eftoiles  fixes  0;//  la 
forme  du  premier rfe  ces  elemens ;  les  Cieux,  celle  du  fécond;  &  la 
Terre  auec  les  Planètes  &  les  Comètes,  celle  du  troifiéme.  Car 
voyant  que  le  Soleil  &  les  Eftoiles  fixes  enuoyent  vers  nous  de  la 
lumière,  que  les  Cieux  luy  donnent  paifage,  &  que  la  Terre,  les 
Planètes  &  les  Comètes  la  rejettent  &  la  font  réfléchir,  il  me  femble 
que  j'ay  quelque  raifon  de  me  feruir  de  ces  trois  différences,  eftre 
lumineux,  ejîre  tranfparent,  &  efîre  opacque  ou  obfcur,  qui  font  les 
principales  qu'on  puijfe  rapporter  au  fens  de  la  veuë,  pour  diftin- 
Igucr  les  trois  elemens  de  ce  monde  vifible.  165 

53.  Qu'on  peut  dijïinguer  l'vniuers  en  trois  diuers  Cieux. 

Ce  ne  fera  peut-eftre  pas  aufli  fans  raifon  que  Je  prendray  d'ore- 
nauant  toute  la  matière  comprife  en  l'efpace  AEI,  qui  compofe  vn 
tourbillon  autour  du  centre  S',  pour  le  premier  Ciel,  &  toute  celle 
qui  compofe  vn  fort  grand  nombre  d'autres  tourbillons  autour  des 
centres  F,  f,  &  femblables,  pour  le  fécond  ;  &  enfin  toute  celle  qui 
eft  au  delà  de  ces  deux  Cieux,  pour  le  troifiéme^  Et  je  me  perfuade 
que  le  troifiéme  ell  immenfe  au  regard  du  fécond,  comme  aufli  le 
fécond  eft  extrêmement  grand  au  regard  du  premier.  Mais  je  n'auray 
point  icy  occafion  de  parler  de  ce  troifiéme,  pource  que  nous  ne 
remarquons  en  luy  aucune  chofe  qui  puilfe  eftre  veuif  par  nous  en 
cette  vie,  &  que  j'ay  feulement  entrepris  de  traiter  du  monde  vifible. 
Comme  aufli  je  ne  prens  ici^s  les  tourbillons  qui  font  autour  des 
centres  F,  f,  que  pour  vn  Ciel,  à  caufe  qu'ils  ne  nous  paroijfent  point 
differens,  &  qu'ils  doiuent  eftre  tous  confiderez  par  nous  d'vne 
mefme  façon.  Mais  pour  le  tourbillon  dont  le  centre  eft  marqué  S, 
encore  qu'il  ne  foit  point  reprefenté  différent  des  autres  en  cette 
figure,  je  le  prens  neantmoins  pour  un  Ciel  à  part,  &  mefme  pour  le 
premier  ou  principal,  à  caufe  que  c'eft  en  luy  que  nous  trouuerons 

a.  En  marge  :  «  Voyez  la  figure  qui  fuit.  »  Ajouté  à  la  main  :  p.  3 
(planche  III). 

b.  Correspondance  de  Descartes,  t.  V,  p.  171. 

Œuvres.  IV.  25 


1^0  Œuvres  de  Descartes. 

166  cy-apresMa  Terre  qui  eft  noftre  demeure,  &  (  que,  pour  ce  fujet, 
nous  aurons  beaucoup  plus  de  chofes  à  remarquer  en  luy  feul  que 
dans  les  deux  autres.  Car  n'ayant  befoin  d'impofer  les  noms  aux 
chofes...  que  pour  expliquer  les  penfées  que  nous  en  auons,  nous 
deuons  ofdifiairement  auoir  plus  d'égard  à  ce  en  quof  elles  nous 
touchent,  qu'à  ce  qu'elles  font  en  effet. 

54.  Comment  le  Soleil  &  les  EJîoiles  fixes  ont  pu  fe  former . 

Or  d'autant  que  les  parties  du  fécond  élément  fe  font  frottées,  dés 
le  commencement,  les  vues  contre  les  autres,  la  matière  du  premier, 
qui  a  deufe faire  de  la  raclure  de  leurs  angles,  s'eft  augmentée  ''  peu 
à  peu,  &  lors  qu'il  s'en  eft  trouué  en  l'vniuers  plus  qu'il  n'en  falloir 
pour  emplir  les  recoins  que  les  prarties  du  fécond,  eftant  rondes, 
laiffent  neceffairement  entr'elles,  le  refte  s'eftant  écoulé  vers  les 
centres  S,  F,  f,  y  a  compole  des  corps  trcs-fubtils  &  très-liquides,  à 
fçauoir  le  Soleil  dans  le  centre  S,  &  les  Eftoiles  aux  autres  centres. 
Car  après  que  tons  les  angles  des  parties  qui  compofent  le  fécond 
élément  ont  efté  émoulfez,  et  qu'elles  ont  eflé  arondies,  elles  ont 
occupé  moins  d'efpace  qu'auparauant,  &  ne  fe  font  plus  eftenduës 
jufques  aux  centres;  mais  s'en  éloignant  également  de  tous  coftez, 
elles  y  ont  lailfé  des  efpaces  ronds,  lefquels  ont  efté  incontinent 
remplis  de  la  matière  du  premier  qui  y  aftîuoit  de  tous  les  endroits 
d'alentour,  pource''  que  les  loix  de  la  nature''  font  telles  que  tous 

167  I  les  corps  qui  fe  meuuent  en  rond,  doiuent  continuellement  faire 
quelque  effort  pour  s'éloigner  des  centres  autour  defquels  ils  fe 
meuuent. 

55.  Ce  que  c'efi  que  la  lumière. 

le  tafcheray  maintenant  d'expliquer,  le  plus  exadement  que  je 
•pourray,  quel  eft  l'effort  que  font  ^'infi,  non  feulement  les  petites 
boules  qui  compofent  le  fécond  élément,  mais  aulB  toute  la  matière 
du  premier,  pour  s'éloigner  des  centres  S.  V,  f  &  fcmblablcs,  autour 
defquels  elles  tournent  ;  car  je  prétends  faire  voir  cy-apres'  que  c'cft 

Q.  Art.  146.    ,  '' 

b.  Correspondance  de  Descartes,  t.  IV,  p.  454-455. 

c.  Toute  cette  fin  :  «  pourcc...  meuuent  >•  est,  dans  le  texte  latin,  k 
première  phrase  de  l'art.  35,  rattachée  ici  à  l'art,  34. 

d.  Partie  II.  art.  39.  p.  85. 
c.  Partie  IV,  art.  28. 


Principes.  —  Troisiesme  Partie.  iji 

en  cet  effort  feul  que  confifte  la  nature  de  la  lumière,  &  la  connoif- 
fance  de  cette  vérité  pourra  feruir  à  nous  faire  entendre  beaucoup 
d'autres  chofes. 


56.  Comment  on  peut  dire  d'vne  chofe  inanimée,  qu'elle  tend  à  produire 

quelque  effort. 

Quand  je  dy  que  ces  petites  boules  font  quelque  effort,  ou  bien 
qu  elles  ont  de  l'inclination  à  s'éloigner  des  centres  autour  defquels 
elles  tournent,  je  n'entends  pas  qu'on  leur  attribue  aucune  penfée 
d'où  procède  cette  inclination,  mais  feulement  qu'elles  font  tellement 
fituées  &  difpofées  à  fe  mouuoir,  qu'elles  s'en  éloigneroient  en  effet, 
fi  elles  n'efloient  retenues  par  aucune  autre  caufe. 

57.  Comment  vn  corps  peut  tendre  àfe  mouuoir  en  plujieurs 
diuerfes  façons  en  me/me  temps. 

Or,  d'autant  qu'il  arriue  fouuent  que  plufieurs  diuerfes  caufes, 
agiffant.enfemble  contre  vn  mefme  corps,  empefchent  l'effet  l'vne  de 
l'autre,  on  peut  dire,  félon  diuerfes  confiderations,  que  ce  corps 
tend,  ou  fait  effort  pour  aller  |  vers  diuers  collez  en  mefme  temps.  I68 
Par  exemple,  la  pierre  A%  qu'on  fait  tourner  dans  la  fonde  E  A, 
tend  véritablement  d'A  vers  B,  fi  on  confidere  toutes  les  caufes  qui 
concourent  à  déterminer  fon  mouuement,  pource  qu'elle  fe  meut 
vers  là;  mais  on  peut  dire  aufli  que  cette  mefme  pierre  tend  vers  C, 
lors  qu'elle  efl  au  point  A,  fi  on  ne  confidere  que  la  force  de  fon 
mouuement  toute  feule  £•  fon  agitation,  ...fuppofant  que  AC  eft  vne 
ligne  droite  qui  touche  le  cercle  au  point  A".  Car  il  efl  certain  que, 
fi  cette  pierre  fortoit  de  la  fonde,  à  l'inflant  qu'elle  arriue  au  point  A, 
elle  iroit  d'A  vers  C,  &  non  pas  vers  B;  &  bien  que  la  fonde  la 
retienne,  elle  n'emnefche  point  qu'elle  ne  face  eflbrt  joowr  aller  vers 
C.  Enfin  fi,  au  lieu  de  confiderer  toute  la  force  de  fon  agitation, 
nous  prenons  garde  feulement  à  l'vne  de  fes  parties,  dont  l'effet  eft 
empefché  parla  fonde,  &  que  nous  la  diftinguionsde  l'autre  partie, 
dont  l'clYet  n*eft  point  ainfi  empefché,  nous  dirons  que  cette  pierre, 
eftant  au  point  A,  tend  feulement  vers  D,  ou  bien  qu'elle  fait  feu- 
lement effort  pour  s'éloigner  du  centre  E,  fuiuant  la  ligne  droite 
E  A  D. 

a.  En  marge  :  «  Voyez  la  figure  i  de  la  planche  5.  » 

b.  Partie  II,  art.  39,  p.  85. 


I }  2  Œuvres  de  Descartes. 


5tV.  Comment  il  tend  à  s'éloigner  du  centre  autour  duquel  il  Je  meut. 

Alin  de  mieux  entendre  cecy,  comparons  le  mouuemcnt  dont 
cette  pierre  iroit  vers  Cli  rien  ne  l'en  cmperchoit,auec  lemouuement 

169  dont  vnc  fourmi  qui  feroit  au  mefme  point  A,  |  iroit  vers  C%  fuppo- 
fant  que  KY  full  vnc  règle  fur  laquelle  cette  fourmi  marcheroit  en 
ligne  droite  d'A  vers  Y,  pendant  qu'on  feroit  tourner  cette  règle 
autour  du  centre  E,  &  que  fon  point  marqué  A  dccriroit  le  cercle 
ARF,  d'vn  mouuement  tellement  proportionné  à  celuy  de  la 
fourmi,  qu'elle  le  trouueroit  à  l'endroit  marqué  X,  quand  la  règle 
feroit  vers  C,  piiis  à  l'endroit  marqué  Y,  quand  la  règle  feroit 
vers  G,  &.  ainfi  de  fuitte,  en  forte  qu'elle  feroit  touf-jours  en  la 
ligne  droite  A  C  G.  Comparons  auffi  la  force  dont  la  pierre  qui 
tourne  dans  cette  fonde,  fuiuant  le  cercle  A  B  F,  fait  efl'ort  pour* 
s'éloigner  du  centre  E  fuiuant  les  lignes  AD,  BC,  FG,  auec  l'effort 
que  feroit  la  mefme  fourmi,  fi  elle  eflioit  attachée...  fur  la  règle  EY, 
au  point  A,  de  telle  façon  qu'elle  employaft  toutes  fes  forces  pour 
aller  vers  Y,  &  s'éloigner  du  centre  E,  fuivant  les  lignes  droites 
EAY,  EBY,  &  autres  fcmblables,  pendant  que  cette  règle  l'em- 
porteroit  autour  du  centre  E. 

5(j.  Combien  cette  tenjion  a  de  force. 

le  ne  doute  point  que  le  mouuement  de  cette  fourmi  ne  doiue 
élire  tres-lent  au  commencement,  &  que  fon  effort  ne  fçauroit  fem- 
bler  bien  grand,  fi  on  le  rapporte  feulement  à  cette  première  mo- 
tion ;  mais    aulfi  on  ne  peut  pas  dire   qu'il  foit  tout  à  fait   nul,  6<: 

170  d'autant  qu'il  augmente  à  inefure  qu'il  produit  son  effet,  |  la  vitellc 
qu'il  caufc  dénient  en  peu  de  temps  allez  grande.  Mais  pour  éuiter 
toute  forle  de  dij/icultc,  feruons  nous  encore  d'vne  autre  compa- 
raifon.  Que  la  petite  boule  A  foit  mife  dans  le  tuyau  E  Y'',  6'  voj'ons 
ce  qui  eiiarriuera.  Au  premier  moment  qu'on  fera  mouuoir  ce  tuyau 
autour  du  centre  E,  cette  boule  n'auanccra  quç,  lentement  vers  Y; 
mais  elle  auanccra  vn  peu  plus  vite  au  fécond,  à  caufe  qu'outre 
qu'elle  aura  retenu  la  force  qui  luy  auoit  elle  communiquée  au  pre- 
mier inllant.  elle  en  acquerra  encore  vnc  nouuclle,  par  le  nouuel 
effort  qu'elle  fera  pour  s'éloigner  du  centre  E,  pource  que  cet  effort 

a.  ¥m  marge  :  •'  Voyez  la  figure  2.  »  Ajoute  ù  la  main  :  p.  5  (planche  V). 

b.  Kn  marge  :  «  Voyez  la  figure  .^.  »  Ajouté  à  la  main  :  p.  5  (planchcV). 


Principes.  —  TROrsiESME  Partie. 


}} 


continue;  autant  que  dure  le  mouuement  circulaire,  &  fe  renouueilc 
prefque  à  tous  momens...  Car  nous  voyons  que,  lors  qu'on  fait 
tourner  ce  tU3au  EY  afTcz  vite  autour  du  centre  E,  la  petite  boule 
qui  eft  dedans,  pafl'e  fort  promptement  d'A  vers  Y;  nous  voyons 
audi  que  la  pierre  qui  eft  dans  vne  fonde,  fait  tendre  la  corde  d'au- 
tant plus  fort  qu'on  la  fait  tourner  plus  vite  ;  i^  pource  que  ce  qui 
fait  tendre  cette  corde,  n'ell  autre  chofe  que  la  force  dont  la  pierre 
fait  effort  pour  s'éloigner  du  centre  autour  duquel  elle  ert  mcuc, 
nous  pouuons  connoillre  par  cette  tenfion  quelle  elt  la  quantité  de 
cet  effort. 

* 

60.  Que  toute  la  matière  des  deux  tend  ainfi  à  s'éloigner 
de  certains  centres. 

II  eft  aifé  d'appliquer  aux  parties  du  fécond  |  élément  ce  que  je  171 
viens  de  dire  de  cette  pierre  qui  tourne  dans  vne  fonde  autour  du 
centre  E,  ou  de  la  petite  boule  qui  eft  dans  le  tuyau  E  Y  :  à  fçauoir, 
que  chacune  de  ces  parties  employé  vne  force  afl'ez  confidcrable 
pour  s'éloigner  du  centre  du  Ciel  autour  duquel  elle  tourne,  mais 
qu'elle  eft  arreftée  par  les  autres  qui  font  arrengées  au  dedus  d'elle, 
de  mefme  que  cette  pierre  eft  retenue  par  la  fonde.  De  plus  il  eft 
à  remarquer  que  la  force  de  ces  petites  boules  eft  beaucoup  aug- 
mentée de  ce  qu'elles  font  continuellement  poulfées  par  celles  de 
leurs  femblables  qui  font  entr'elles  &  l'ajire  qui  occupe  le  centre  du 
tourbillon  qu'elles  compofent,  &  encore  par  la  matière  de  cet  ajlre. 
Mais  afin  de  pouuoir  expliquer  cecy  plus  diftinclement,  )  exami- 
neray  feparément  l'effet  de  ces  petites  boules,  fans  penler  à  celuy 
de  la  matière  des  ajtrti,  non  plus  que  fi  tous  les  efpaces  qu'elle 
occupe  eftoient  vuides,  ou  pleins  d'vne  matière  qui  ne  contribuaft 
rien  au  mouuement  des  autres  corps,  &  ne  l'empefchaft  point  aufli; 
carfuiuant  ce  qui  a  efté  dit  cy-delfus",  c'eft  ainfi  que  nous  deuons 
conceuoir  le  vuide. 

6i.  Que  cela  eji  caufe  que  les  corps  du  Soleil  &  des  EJloiles  fixes 

font  ronds. 

Premièrement,  Aq  ce  que  toutes  les  petites  boules  qui  tournent 
autour  d'S  dans  le  Ciel  A  El,  font  effort  pour  s'éloigner  du  centre  S, 
comme  il  a  efté  def-ja  remarqué%  nous  pouuons  1  conclure  que  celles     172 

a.  Partie  II,  an.  17,  p.  72. 

b.  Art.  54,  p.  i3o. 


134  OEuvREs  DE  Descartes. 

qui  font  en  la  ligne  droite  SA*,  fe  pouflent  les  vnes  les  autres  vers  A, 
&  que  celles  qui  font  en  la  ligne  droite  S  E,  le  pouffent  vers  E,  &  ainfi 
des  autres  ;  en  forte  que,  s'il  n'y  en  auoit  pas  alïez  pour  occuper  tout 
l'efpace  qui  eft  entre  S  &  la  circonférence  A  El,  elles  laideroient 
vers  S  tout  ce  qu'elles  n'occuperoient  point.  Et  d'autant  que  celles, 
par  exemple,  qui  font  en  la  ligne  droite  SE,  s'appuyant  feulement 
les  vnes  fur  les  autres,  ne  tournent  pas  conjointement  comme  vn 
bafton,  mais  font  leur  tour,  les  vnes  pluftoft,  &  les  autres  plus  tard, 
ainfi  que  je  diray  ci-apres",  l'efpace  qu'elles  laiffent  vers  S  doit  eftre 
rond.  Pource  qu'encore  que  nous  imaginerions  que  la  ligne  SE 
fuft  plus  longue,  &  Contint  plus  de  petites  boules  que  la  ligne  SA 
ou  SI,  en  forte  que  celles  qui  feroient  à  l'extrémité  de  la  ligne  SE 
fuffent  plus  proches  du  centre  S,  que  celles  qui  font  à  l'extrémité  de 
la  ligne  SI  :  neantmoins  ces  plus  proches  auroient  pluftoft;  acheué 
leur  tour  que  les  autres  plus  éloignées  du  mefme  centre  ;  &  ainfi 
quelques-vnes  d'entr'elles  s'iroient  joindre  à  l'extrémité  de  la  ligne 
SI,  afin  de  s'éloigner  d'autant  plus  du  centre  S.  C'eft  pourquoy  nous 
deuons  conclure  qu'elles  font  maintenant  difpofées  de  telle  forte, 
que  toutes  celles  qui  terminent  ces  lignes,  fe  trouuent  également 
i73  diftanjtes  du  point  S,  &  par  confequent  que  l'efpace  BCD,  qu'elles 
laiffent  autour  de  ce  centre,  eft  rond. 


62.  Que  la  matière  celejîe  qui  les  enuironne,  tend  à  s'éloigner 
de  tous  les  points  de  leur  Juperficie . 

De  plus  il  eft  à  remarquer  que  toutes  les  petites  boules  qui  font 
en  la  ligne  droite  SE  fe  pouftent  non  feulement  vers  E,  mais  aufTi 
que  chacune  d'elles  eft  pouffée  par  toutes  les  autres  qui  font 
comprifes  entre  les  lignes  droites  qui,  eftant  tirées  de  l'vne  de  ces 
petites  boules  à  la  circonférence  BCD,  loucheroient  celte  circonfé- 
rence'. Et  que,  par  exemple,  la  petite  boule  F  eft  pouffée  par  toutes 
celles  qui  font  comprifes  entre  les  lignes  BF  c^  DF",  ou  bien  dans  le 
triangle  BFD,  &  qu'elle  n'eft  pouftée  par  aucune  de  celles  qui  font 
hors  de  ce  triangle  ;  en  forte,  que  fi  le  lieu  marqué  F  eftoit  vuide, 

a.  En  marge  :  «  Voyez  la  figure  i  de  la  planche  6,  en  la  page  prcce- 
dcnio.  »  Ccuc  planche,  rcjetcc  à  la  fin  du  volume,  devait  donc  être  priniiii- 
vcmcnt  inscrcc  entre  les  pages  170  et  171. 

b.  Art.  83  0184. 

c.  Fin  marge  :  «  Voyez  la  mcfmc  figure  en  la  page  qui  fuit.  »  Il  s'agit  de 
la  figure  I  de  la  planche  VI,  qui  devait  donc  primitivement  Ctrc  répcice 
entre  les  pages  174  et  175. 


Principes.  —  Troisiesme  Partie.  155 

toutes  celles  qui  Ibnt  en  l'efpace  BFD,  s'auanceroient  autant  qu'il 
le  pourroit  afin  de  le  remplir,  &  non  point  les  autres.  D'autant  que, 
comme  nous  voyons  que  la  pefanteur  d'vnc  pierre  qui  la  conduit  en 
ligne  droite  vers  le  centre  de  la  terre,  lors  qu'elle  ell  en  l'air,  la  fait 
rouler  de  trauers  lors  qu'elle  tombe  par  le  penchant  d'vnc  montai^j^ne  : 
de  mefme  nous  deuons  penler  que  la  force  qui  fait  que  les  petites 
boules  qui  font  en  l'efpace  BFD,  tendent  à  s'éloigner  du  centre  S 
fuiuant  des  lignes  droites  tirées  de  ce  centre,  peut  faire  aulli  qu'elles 
s'éloi|gnent  du  mefme  centre  par  des  lignes  qui  s'en  écartent  174 
quelque  peu. 

63.  Que  les  parties  de  cette  matière  ne  s'empefchert  point  en  cela 

ivne  l'autre. 

Et  cette  comparaifon  de  la  pefanteur  fera  connoiftre  cecy  fort 
clairement,  fi  on  confidere  des  boules  de  plomb  arrengées  comme 
celles  qui  font  reprefentées  dans  le  vafe  BFD*,  qui  s'appuyent  de 
telle  façon  les  vnes  fur  les  autres,  qu'ayant  fait  vne  ouuerture  au 
fond  de  ce  vafe,  la  boule  marquée  i  foit  contrainte  d'en  fortir, 
tant  par  la  force  de  fa  pefanteur,  que  par  celle  des  autres  qui  font 
au-dejjus  d'elle.  Car  au  mefme  inftant  que  celle  cy  fortira,  on  pourra 
voir  que  les  deux  marquées  2,  2,  &  les  trois  autres  marquées  3, 
3o,  3,  s'auanceront,  &  les  autres  en  fuite.  On  pourra  voir  aujji  qu'au 
mefme  injîant  que  la  plus  baffe  commencera  dt  fe  mouuoir,  celles  qui 
lont  comprifes  dans  le  triangle  BFD  s'auanceront  toutes,  mais 
qu'il  n'y  en  aura  pas  vne  de  celles  qui  font  hors  de  ce  triangle,  qui 
fe  difpofe  à  fe  mouuoir  vers  là.  Il  ell  bien  vray  qu'en  cet  exemple 
les  deux  boules  2,  2,  s'entretouchent,  après  élire  quelque  peu 
defcenduiis,  ce  qui  les  empefche  de  defcendre  plus  bas  ;  mais  il 
n'en  el\  pas  de  mefme  des  petites  boules  qui  compofent  le  fécond 
élément;  car  encore  qu'il  arriue  quelquefois  qu'elles  fe  trouuent 
difpofées  en  mefme  forte  que  celles  qui  font  reprefentées  en  cette 
figure,  elles  ne  s'y  arrellent  neantmoins  |  que  ce  peu  de  temps  qu'on  115 
nomme  vn  inftant,  pource  qu'elles  font  fans  celfe  en  action  pour  fe 
mouuoir,  ce  qui  eft  caufe  qu'elles  continuent  leur  mouuement  fans 
interruption.  De  plus,  il  faut  remarquer  cfUe  la  force  de  la  lumière, 
pouf  l'explication  de  laquelle  /écris  tout  Cecy,  ne  confifte  point  en 
la  durée  de  quelque  mouuement,  mais  feulement  en  ce  que  ces 
petites  boules  font  preflees",  &  font  effort  pour  le  mouuoir  vers 

a.  En  marge  :  «  Voyez  les  figures  2  et  3  de  la  planche  6.  » 

b.  Correspondance  de  Descartes,  t.  V,  p.  172. 


,,6 


OEuvREs  DE  Descartes. 


quelque  endroit,   encore  qu'elles  ne  s'}'  meuuent   peut-cftre   pas 
actuellement. 


64 .  Que  cela  Juffit  pour  expliquer  toutes  les  propriété^  de  la  lumière, 
&  pour  faire  paroijîre  les  ajîres  lumineux,  fans  qu'ils  y  contribuent 
aucune  chofe. 

Ainfi  nous  n'aurons  pas  de  peine  à  connoiftre  pourquoy  cette 
action  que  je  prends  pour  la  lumière,  s'eftend  en  rond  de  tous 
coftez  autour  du  Soleil  &.  des  Eftoiles  fixes,  &  pourquoy  elle  pafTe  en 
vn  inftant  à  toute  forte  de  diltance  fuiuant  des  lignes  qui  ne  viennent 
pas  feulement  du  centre  du  corps  lumineux,  mais  aufli  de  tous  les 
points  qui  font  en  fa  fuperficie  :  ce  qui  contient  les  principales 
proprietez  de  la  lumière,  en  fuitte  dcfquelles  on  peut  connoiftre 
auffi  les  autres.  Et  on  peut  remarquer  icy  vne  vérité  qui  femblera 
peut-eflre  fort  paradoxe  à  plufieurs,  à  fçauoir  que  ces  mefmes 
proprietei  ne  laiiferoient  pas  de  fe  trouuer  en  la  matière  du  Ciel, 
encore  que  le  Soleil  ou  les  autres  Aftres  autour  defquels  elle  tourne, 
176  n'y  contribuaient  en  aucune  façon;  en  forte  que,  fi  le  |  corps  du 
Soleil  n'ertoit  autre  chofe  qu'vn  efpace  vuide,  nous  ne  lailferions 
pas  de  le  voir  auec  la  mefme  lumière  que  nous  penfons  venir  de  luy 
vers  nos  yeux,  excepté  feulement  qu'elle  feroit  moins  forte.  Toute- 
fois cecy  ne  doit  eftre  entendu  que  de  la  lumière  qui  s'eitend  autour 
du  Soleil,  aufens  que  tourne  la  matière  du  Ciel  dans  lequel  il  eft, 
c'efl  à  dire,  j'ers  le  cercle  de  l'Eclyptique  :  car  je  ne  confidere  pas 
encore  icy  l'autre  dimenfion  de  la  Sphère  qui  s'eflend  vers  les  pales. 
Mais  afin  que  je  puiffe  auffi  expliquer  ce  que  la  matière  du  Soleil 
&  des  Ertoiles  peut  contribuer  à  la  production  de  cette  lumière, 
6c  comment  elle  s'eftend  non  feulement  vers  l'Eclyptique,  mais  auffi 
vers  les  pales  &  en  toutes  les  dimenfions  de  la  Sphère,  il  è^,l;)efQin 
que  je  die  auparavant  quelque  chofe  touchant  le  mouuement  des 
Cieux. 


65.  Que  les  Cieux  font  diuife\  en  plufieurs  tourbillons,  S-  que  les  pales  de 
quelques  vns  de  ces  tourbillons  touchent  les  parties  les  plus  éloignées 
des  pôles  des  autres. 

De  quelque  façon  que  la  matière  ait  cité  meutf  au  commencement, 
les  tourbillons  aufquels  elle  cit  partagée,  doiuent  citrc  maintenant 
tellement  difpofcz  cnir'cux,  que  chacun  tourne  du  colle  ou  il  ki\ 
oJl  le  plus  aiféde  continuer  fon  mouuement  :  car,  félon  les  loix  de  ht. 


Principes.  —  Troisiesme  Partie.  137 

nature*,  vn  corps  qui  fe  meut,  fe  détourne  aifément  par  la  rencontre 
d'vn  autre  corps.  Ainfi  fuppofant  que  le  premier  tourbillon *•  qui  a  S 
pourfon  centre,  eft  emporté  d'A  par  E  vers  I,  |  l'autre  qui  luy  eft  l"?' 
voifin,  &  qui  a  F  pour  fon  centre,  tournera  d'A  par  E  vers  V,  fi 
ceux  qui  les  enuironnent  ne  les  empefchent  point,  pource  que  leurs 
moupemens  s'accordent  très-bien  en  cette  façon.  De  mefme,  le 
troifiéme,  qu'il  faut  imaginer  ^uoir  fon  centre  hors  du  plan  SAFE, 
&  faire  vn  triangle  auec  les  centres  S  &  F,  fe  joignant  aux  deux 
tourbillons  AEI  &  AEVen  la  ligne  droite  AE,  tournera  par  en  haut 
d'Avers  E.  Cela  fuppofé,  le  quatrième  tourbillon,  dont  le  centre'eft 
f%  ne  tournera  pas  d'E  vers  I,  à  caufe  que,  fi  fon  mouuement 
s'accordoit  auec  celuy  du  premier,  il  feroit  contraire  à  ceux  du 
fécond  &  du  troifiéme;  ni  aufii  de  mefme  que  le  fécond,  à  fçauoir 
d'E  vers  V,  à  caufe  que  le  premier  &  le  troifiéme  l'en  empefche- 
roient;  ni  enfin  d'E  par  en  haut,  comme  le  troifiéme,  à  caufe  que 
le  premier  &  le  fécond  luy  leroient  contraires;  mais  il  tournera  fur 
fon  eflieu  marqué  EB,  d'I  vers  V,  &  l'vn  de  fes  pôles  fera  vers  E, 
&  l'autre  à  l'oppofite  vers  B. 

66.  Que  les  moiiuemens  de  ces  tourbillons  fe  doiuent  vn  peu  dejlourner 
pour  n'ejîre pas  contraires  l'vn  à  l'autre. 

De  plus",  il  èll  à  remarquer  qu'il  y  auroit  encore  quelque  peu  de 
contrariété  en  ces  mouuemens,  fi  les  Eclyptiques,  c'eft  à  dire  les 
cercles  qui  font  les  plus  éloignez  des  pôles  de  ces  trois  premiers 
tourbillons,  fe  rencontroient  diredement  au  point  E,  où  je  mets  le 

a.  Partie  II,  art.  40,  p.  86. 

b.  Planche  III. 

c.  IJ'éàxxion  pr inceps  porte  F,  faute  d'impression. 

d.  Correspondance  de  Descartes,  t.  V,  p.  172.  —  En  outre,  notre  exem- 
plaire annoté  donne,  à  cet  endroit,  l'explication  suivante  :  «  La  figure  fait 
»  voir  icy,  qu'il  faut  adioutcr  quelque  chofe  a  la  disposition  des  trois  pre-^ 
»  micrs  tourbillons,  que  M"^  Desc.  n'a  pas  expliqué,  mais  qu'il  s'est  con- 
»  tenté  de  représenter  par  les  figures  de  cet  article,  c'est  a  sçauoir  qu'il 
»  faut  disposer  leurs  Eclyptiques  de  telle  façon  qu'elles  regardent  chacune 
»  le  point  E,  et  facent  entr'elles  des  angles  de  120  degrez,  ainsy  qu'il  est 
»  représenté  par  la  fig.  4  :  aprez  quoy  faisant  tourner  le  4*  tourbillon  sui- 
»  uant  Tordre  des  lettres  I  VX,  pour  emousser  vn  peu  l'Eclyptique  El,  et 
»  faciliter  par  ce  moyen  le  m3uuem?nt  du  4*  tourbillon,  elle  se  change  en 
»  1 1,  de  la  5.  figure,  E  V  en  2  V,  et  EX  en  3 X.  Ce  qui  se  justifie  en  arran- 
»  géant  trois  boules,  comme  les  trois  premiers  tourbillons,  et  faisant  tour- 
»  ner  vne  quattriesme  boule  dessus  les  trois  autres  ;  car  vous  verrez  que 
»  leurs  Eclyptiques  se  disposeront  ainsy  que  le  dit  M"^  Desc.  »  (Note  MS.) 


ij8 


OEuvRES  DE  Descartes. 


i78  pôle  du  quatrième.  Car  11,  par  exemple,  IVX  eft  fa  partie  qui  |  ell 
vers  le  pôle  E%  qui  tourne  luiuant  l'ordre  des  marques  IVX,  le 
premier  tourbillon,  le  frottant  contr'elle  fuiuant  la  ligne  droite  El 
&  les  autres  qui  font  parallèles  à  cette-cy,  le  fécond  tourbillon,  le 
frottant  aufli  contr'elle  fuiuant  la  ligne  droite  EV,  &  le  troifiémc 
fuiuant  la  ligne  EX,  empefcheroient  Ion  mouuement  circulaire. 
Mais  la  nature  accommode  cela  fort  aifément  par  les  loix  du 
mouuement,  en  deftournant  quelque  peu  les  Eclyptiques  de  ces 
trois  tourbillons  vers  l'endroit  où  tourne  le  quatrième  IVX:  en 
forte  que,  ne  fe  frottant  plus  contre  luy  fuiuant  les  lignes  droites 
El,  EV,  EX,  mais  fuiuant  les  lignes  courbes  il,  2  V,  3  X,  ils 
s'accordent  très-bien  auec  fon  mouuement. 

^7.  Que  deux  tourbillons  ne  fe  pcitucnt  toucher  par  leurs  pôles. 

Je  ne  crois  pas  qu'on  puillc  rien  inuenter  de  mieux  pour  ajuller 
les  mouuemens  de  plufieurs  tourbillons.  Pource  que,  li  on  fuppofe 
qu'il  y  en  ait  deux  qui  fe  touchent  de  leurs  pôles,  ou  ils  tourneront 
•  tous  deux  de  mefme  colté,  &  s'vnilfant  enfemble  n'en  feront 
plus  qu'vn,  ou  bien  l'vn  prendra  fon  cours  d'vn  collé,  &  l'autre 
d'vn  autre,  &  par  ce  moyen  ils  s'cmpefcheront  tous  deux  extrê- 
mement. C'eft  pourquoy,  bien  que  je  n'entreprenne  pas  de  déter- 
miner comment  tous  les  tourbillons  qui  compofent  le  Ciel  font 
lituez,  ni  comment  ils  fe  mcuuent,  je  penfe  ncantmoins  que  je  peux 
179  deter|miner,  en  gênerai,  que  chaque  touibillon  a  les  pôles  plus 
éloignez  des  pôles  de  ceux  qui  font  les  plus  proches  de  luy,  que 
de  leurs  Eclyptiques  ;  ^  il  me  fcmblc  que  je  l'ay  fuliifamment 
démontré. 

6'<S'.  Qu'ils  ne  peuuent  ejire  tous  de  mefme  grandeur. 

Il  me  femble  auflTi  que  celte  variété  incorhprchenfible  qui  paroijt 
en  lafiiuation  des  Eftoiles  fixes,  montre  aflez  que  les  tourbillons  qui 
tournent  autour  d'elles,  ne  font  pas  égaux  en  grandeur".  Et  je  tiens 
qu'il  elt  manifelle,  par  la  lumière  qu'elles  nous  enuoyent,  cjuc  chaque 
Eftoile  elV  au  centre  d'vn  tourbillon,  &  ne  peut  eltre  ailleurs  ;  car  (i 
on  admet  cette  fuppofition,  il  ell  aile  de  conï\<n\\mcommeiil  leur 
lumière  paruientjufques  à  uosyeu.x  par  des  e/paces  immcnfes,   ainli 

a.  Kn  marge  ;  >«  Voyez  les  figures  4  et  5  de  la  planche  6.  •• 

b.  Correspondance  de  Descartes,  t.  V,  p.  172. 


Principes.  —  Troisiesme  Partie.  139 

qu'il  paroiftra  euidemment,  partie  de  ce  qui  a  def-ja  efté  dit*, 
&  partie  de  ce  qui  fuit";  &  il  n'eft  pas  poflible,  fans  elle,  d'en  rendre 
raifon  qui  vaille.  Mais  d'autant  que  nous  n'apcrceuons  rien  dans  les 
Eftoiles  fixes,  par  l'cntremife  de  nos  fens,  que  leur  lumière  &  la 
fituation  où  nous  les  voyons,  nous  ne  deuons  fuppofer  que  ce  qui 
eft  abfolumcnt  neceffaire  pour  rendre  raifon  de  ces  deux  effets.  Et 
pource  qu'on  ne  fçauroitconnoiflre  la  nature  de  la  lumière,  fi  on  ne 
fuppofe  que  chaque  tourbillon  tourne  autour  d'vne  Eftoile  auec 
toute  la  matière  qu'il  contient,  &  qu'ori  ne  peut  aufli  rendre  |  raifon  480 
de  la  fituation  où  elles  nous  paroiffent,  fi  on  ne  fuppofe  que  ces 
tourbillons  font  differens  en  grandeur,  ^e  croj^  qu'il  ejf  également 
necejfaire  que  ces  deux  fuppojitiotts /oient  admifes.  Mais  s'il  efl  vray 
qu'ils  foient  inégaux,  il  faudra  que  les  parties  éloignées  des  pôles  ' 
des  vns  touchent  les  autres  aux  endroits  qui  font  proches  de  leurs 
pôles,  à  caufe  qu'il  n*el\  pas  pofTible  que  les  parties  femblables  des 
corps  qui  font  inégaux  en  grandeur,  conuiennent  entr'elles. 

6(}.  Que  la  matière  du  premier  élément  entre  par  les  pôles  de  chaque  tour- 
billon vers/on  centre,  &fort  de  là  par  les  endroits  les  plus  éloigne^  des 
pôles. 

On  peut  inférer  de  cecy  que  la  matière  du  premier  élément...  fort 
fans  ceife  de  chacun  de  ces  tourbillons,  par  les  endroits  qui  font  les 
plus  éloignez  de  leurs  pôles,  &  qu'il  y  en  entre  aulTi  d'autre  fans 
ceffe  par  les  endroits  qui  en  font  les  plus  proches.  Car  fi  nous  fuppo- 
fons,  par  exemple,  que  le  premier  Ciel  AYBM',  au  centre  duquel 
ert  le  Soleil,  tourne  fur  fes  pôles,  dont  l'vn  marqué  A  efl  l'Auftral, 
&  B  le  Septentrional,  &  que  les  quatre  tourbillons  K,  O,  L,  C,  qui 
font  autour  de  luy,  tournent  fur  leurs  efTieux  TT,  YY,  ZZ,  MM, 
&  qu'il  touche  les  deux  marquez  O  &  C  vers  leurs  pôles,  &  les 
deux  autres  K  &  L  vers  les  endroits  qui  en  font  fort  éloignez  :  il 
eft  euident,  parce  qui  a  def-Ja  efté  dit",  que  toute  la  matière  dont  il 
eft  compbfé,  faifant  effort  pour  s'éloigner  de  l'efTieu  AB,  tend  plus 
fort  vers  les  endroits  marquez  Y  &  M,  que  vers  ceux  qui  font  |  mar-  181 
quez  A  &  B;  &  pource  qu'elle  rencontre  vers  Y  &  M  les  pôles  des 
tourbillons  O  &  C,  qui  ont  peu  de  force  pour  luy  refifter,  &  qu'elle 

a.  Art.  57,  58  et  suivants,  pp.  i3i,  i32. 

b.  Art.  i3o  et  i32. 

".  En  marge  :  «  Voyez  en  la  pag.  précédente  la  planche  7.  »  Cette  planche 
se  trouve  à  la  fin  du  volume, 
d.  Art.  54,  60  et  64,  pp.  i3o,  i33,  i36. 


140.  Œuvres  de  Descartes. 

rencontre  vers  A  &  B  les  tourbillons  K  &  L,  aux  endroits  qui  font 
"les  plus  éloignez  de  leurs  pôles,  &  qui  ont  plus  de  force  pour 
auancer  de  K  &  d'L  vers  S,  que  les  parties  qui  font  vers  les  pôles 
du  Ciel  S  n'en  ont  pour  auancer  vers  L  &  K,  il  efl  éuident  aufli  que 
celle  qui  eft  aux  endroits  K  &  L,  doit  s'auancer  vers  S,  &  celle  qui 
eft  à  l'endroit  S,  vers  O  &  C. 


"jo.  Qu'il  n'en  eji  pas  de  me/me  du  fécond  élément. 

Cela  fe  deuroit  entendre  de  la  matière  du  fécond  élément,  aufli 
bien  que  de  celle  du  premier,  û  quelques  caufes  partitulieres  n'em- 
pefchoient  fes  petites  parties  de  s'auancer  jufques  là.  Mais  pource 
que  l'agitation  du  premier  élément  eft  beaucoup  plus  grande  que 
celle  du  fécond,  &  qu'il  eft  touf-jours  tres-aifé  à  ce  premier  de  paffer 
par  les  petits  recoins  que  les  parties  du  fécond,  qui  font  rondes, 
laiffent  neceffairement  autour  d'elles  :  quand  mefme  on  fuppoferoit 
que  toute  la  matière,  tant  du  premier  que  du  fécond  élément,  qui  eft 
comprife  dans  le  tourbillon  L%  commenceroit  en  mefme  temps  de 
fe  mouuoir  d'L  vers  S,  il  faudroit  neantmoins  que  celle  du  premier 
paruint  au  centre  S  pluftoft  que  celle  du  fécond.  Et  cette  matière  du 
188  premier,  eftant  ainfi  paruenuë  dans  l'efpace  S,  pouffe  d'vne  |  telle 
impetuofité  les  parties  du  fécond,  non  feulement  vers  l'Eclyptique 
eg  ou  M  Y,  mais  aufli  vers  les  pôles /t^  ou  AB,  comme  j'expli- 
queray  tout  maintenant  ^  qu'elle  empefche  que  les  petites  boules 
qui  viennent  du  tourbillon  L,  n'auancent  vers  S  que  jufques  à  vn 
certain  efpace  qui  eft  icy  marqué  par  la  lettre  B.  Le  mefme  fe  doit 
entendre  du  tourbillon  K,  &  de  tous  les  autres. 

7  / .  Quelle  eji  la  caufe  de  cette  diuerfité. 

De  plus,  il  faut  remarquer  que  les  parties  du  fécond  élément  qui 
tournent  autour  du  centre  L,  n'ont  pas  feulement  la  force  de  s'éloi- 
gner de  ce  centre,  mais  aufli  celle  de  retenir  la  vitefle  de  leurmouue- 
ment,  &  que  ces  deux  effets  font  en  quelque  façon  contraires  l'vn 
à  l'autre  :  pource  que,  pendant  qu'elles  tournent  dans  le  tourbillon  L, 
l'efpace  dans  lequel  elles  peuuent  s'eftendre  eft  limité,  en  quelques 
endroits  de  la  circonférence  qu'elles  ddcriuent,  par  les  autres  tour- 
billons qu'il  faut  imaginer  au  dcffus  &  au  dcffous  du  plan  de  cette 

a.  En  marge  :  «  Voyez  la  mefme  Hgure  de  la  page  qui  fuit.  »  Planche  VII. 

b.  Art.  78. 


Principes.  —  Troisiesme  Partie.  141 

figure  '.  De  façon  qu'elles  ne  peuucnt  s'éloigner  dauantage  de  ce 
centre  vers  l'endroit  B,  01/  leur  cfpace  n'ejl pas  ainjî  limité,  fi  ce  n'eft 
que  leur  vitefl'e  y  foit  d'autant  plus  diminuée  qu'il  y  aura  plus 
d'efpace  entre  L  &  B,  qu'entre  le  mefme  L  &  la  fuperficie  de  ces 
autres  tourbillons. ..Ainfi,quoy  que  la  force  qu'elles  ont  à  s'éloigner 
du  point  L,  foit  caufe  |  qu'elles  s'en  éloignent  vers  B  dauantage  183 
que  vers  les  autres  collez,  pource  qu'elles  y  rencontrent  les  pôles 
du  tourbillons,  qui  ne  leur  font  pas  beaucoup  de  refiftance  :  toutes- 
fois  la  force  qu'elles  ont  de  retenir  leur  vitefle,  eft  caufe  qu'elles  ne 
s'en  éloignent  pas  fans  fin,  &  qu'elles  n'auancent  pas  Jufques  à  S.  Il 
n'en  eft  pas  de  mefme  de  la  matière  du  premier  élément  :  car  encore 
qu'elle  s'accorde  aucc  les  parties  du  fécond,  en  ce  que,  tournant 
comme  elles  dans  les  tourbillons  qui  la  contiennent,  elle  tend  à 
s'éloigner  de  leurs  centres,  il  y  a  cette  différence,  qu'elle  peut  s'éloi- 
gner de  ces  centres  fans  rien  perdre  de  fa  vitefl'e,  à  caufe  qu'elle 
trouue  de  tous  coftez  des  paffages,  entre  les  parties  du  fécond 
élément,  qui  font  à  peu  près  égaux  les  vns  aux  autres.  Ce  qui  fait 
qu'elle  coule  fans  cefle  vers  le  centre  S,  par  les  endroits  qui  font 
proches  des  pôles  A  &  B,  non  feulement  des  tourbillons  marquez 
K  &  L,  mais  aufli  de  plufieurs  autres  qui  n'ont  pu  eftre  commodé- 
ment reprefentez  en  cette  figure,  pource  qu'ils  ne  doiuent  pas  eftre 
tous  imaginez  en  vn  mefme  plan,  &  que  je  ne  peux  déterminer 
leur  fituation,  ni  leur  grandeur,  ni  leur  nombre;  &  qu'elle  palfe  du 
centre  S  vers  les  tourbillons  O  &  C,  &  vers  plr.fieurs  autres  fem- 
blables,  dont  je  n'entreprends  point  de  déterminer  ni  la  fituation, 
I  ni  la  grandeur,  ni  le  nombre,  ni  fi  cette  mefme  matière  retourne  184 
immédiatement  d'O  &  C  vers  K  &  L,  ou  bien  fi,  auant  que  d'ache- 
uer  le  cercle  de  fon  mouuement,  elle  pafl'e  par  beaucoup  d'autres 
tourbillons  plus  éloignez  d'S  que  ceux-cy. 

js.  Comment  fe  meut  la  matière  qui  compofe  le  corps  du  Soleil. 

Mais  je  tafcheray  d'expliquer  la  force  dont  elle  eft  meuë  dans 
l'efpace  defg.  Celle  qui  eft  venuif  à.'K  vers  f,  doit  continuer  fon 
mouuement  en  ligne  droite  jufques  à  d, pource  qu'il  n'y  a  rien  entre- 

a.  En  marge  de  rexeniplaire  annoté  :  «  Cecy  est  dans  le  latin  :  Car  puis- 
qu'elles se  meuuent  circulairement,  elles  ne  peuuent  pas  employer  plus  de 
tereips  à  passer  entre  L  et  la  superficie  de  ces  autres  tourbillons  qu'à  passer 
entre  le  mesmc  L  et  B,  où  l'espace  est  plus  grand  et  où  par  conséquent 
la  matière  doit  tourner  moins  viste.  »  (Note  MS  )  Le  dernier  membre  de 
phrase  n'est  nullement  dans  le  texte  latin. 


142  ÔEuvRES  DE  Descartes. 

deux  qui  l'en  empefche;  mais  vers  d  elle  rencontre  des  parties  du 
fécond  élément,  lefquelles  elle  pouffe  vers  B,  &  elle  eft.  auffi  repouf- 
fée  par  elles  &  contrainte  de  retourner  en  dedans,  du  pôle  d  vers 
tous  les  coftez  de  l'Eclyptique  e  g:  De  mefme  celle  qui  elt  venue  de 
B  pers  d,  continue  fon  mouuement  en  ligne  droite  jufques  à/,  où 
elle  rencontre  les  parties  du  fécond  élément  qu'elle  poulfe  vers  A,  & 
elle  eft  repoulïée  par  elles  du  pôle/  vers  la  mefme  Eclyptique  e  g; 
&  payant  ainfi  des  deux  pôles  d,f  vers  tom  les  cq/le^  de  l'Eclyptique 
e gy  elle  pouffe  également  toutes  les  parties  du  fécond  élément  qu'elle 
rencontre  en  la  fuperjîcie  de  la  Sphère  d  efgy  &  s'écoule  en  fuitte 
vers  M  &  Y,  par  les  petits  recoins  qu'elle  trouue  entre  les  parties  du 
fécond  élément  vers  cette  Eclyptique  e  g.  De  plus,  pendant  qu'elle 
185  eft  meuë  en  li|gne  droite  par  fa  propre  agitation,  depuis  les  pôles 
du  Ciel  A  &i  B  Jufques  aux  pôles  du  corps  du  Soleil  d  6'-  f,  elle  eft 
aufli  portée  en  rond  autour  de  l'eflieu  AB  par  le  mouuement  circu- 
laire de  ce  Ciel,  au  moyen  de  quoy  chacune  de  fes  parties  décrit  vne 
ligne  fpirale  ou  tournée  en  limaçon,  &  ces  fpirales  s'auancent  tout 
droit  d' A  jufques  à  d,  &  de  B  jufques  à  /,  mais  efîant  paruenuës  à  d 
&if,  elles  fe  replient  de  part  &  d'autre  vers  l'Eclyptique  e  g.  Et", 
pource  qu'il  y  a  plus  d'efpace  dans  la  Sphère  d  efg,  que  la  matière 
du  premier  élément  qui  paffe  entre  les  parties  du  fécond  n'en  pour- 
roit  occuper,  fi  elle  ne  faifoit  qu'y  entrer  &  foriir  fuiuant  ces  fpi- 
rales, elle  y  doit  fejourner  vn  peu  dauantage,  &  y  compofer  vn  corps 
très-liquide,  qui  tourne  fans  celfe  autour  de  l'eilieu/^,  à  fçauoir  le 
corps  du  Soleil. 

•j3.  Qu'il  y  a  beaucoup  d'inégalité:^  en  ce  qui  regarde  lafttuation 
du  Soleil  au  milieu  du  tourbillon  qui  l'enuironne. 

Et  il  faut  icy  remarquer  que  ce  corps  ne  peut  manquer  d'eftre 
rond;  car  encore  que  l'inégalité  des  tourbillons  qui  enuironnent  le 
Ciel  A  M  B  Y,  foit  caufe  que  nous  ne  deuons  pas  penfer  que  la  ma- 
tière du  premier  élément  vienne  auffi  abondamment  vers  le  Soleil 
par  l'vn  des  pôles  de  ce  Ciel  que  par  l'autre,  ni  que  ces  pôles  ibient 
diredement  oppofez,  en  forte  que  la  ligne  ASB  foit  exaclcfnent 
droite,  ni  qu'il  y  ait  aucun  cercle  parfait  qu'on  puide  prendre   pour 

a.  En  marge  de  l'exemplaire  annoté  :  «  Version  de  mot  à  mot  du  latin  : 
Et  pource  que  l'espace  defg  est  plus  grand  que  ne  sont  les  conduits  par 
où  la  matière  du  premier  clcîncnt  y  entre  et  en  sort,  de  là  il  arriuc  qu'il  y 
demeure  tousiours  quelque  partie  de  sa  matière  qui  y  compose  vn  corps 
très  liquide,  lequel  tourne  sans  cesse  autour  de  Tessieu/^/.     ^Xote  MS.) 


Principes.  —  Troisksme  Partie.  14J 

fon  Eclyptique,  &  auquel  fe  rapportent  fi  également  |  tous  les  tour-  186 
billons  qui  l'enuironnent,  que  la  matière  du  premier  élément,  qui 
vient  du  Soleil,  puifle  fortir  de  ce  Ciel  auec  pareille  facilité  par  tous 
les  endroits  de  cete  Eclyptique...;  toutefois  on  ne  peut  inférer  décela 
qu'il  y  ait  aucune  notable  inégalité  en  la  figure  du  Soleil,  mais  feu- 
lement qu'il  y  en  a  en  fa  fituation,  en  fon  mouuement  &en  fa  gran- 
deur, comparée  à  celle  des  autres  ajîres.  Car,  par  exemple,  fi  la 
matière  du  premier  élément,  qui  vient  du  pôle  A  vers  S,  a  plus  de 
force  que  celle  qui  vient  du  pôle  B,  elle  ira  plus  loin  auant  qu'elles 
fe  puifient  deftourner  l'vne  l'autre  par  leur  mutuelle  rencontre,  ...& 
ainfi  elles  feront  que  le  Soleil  fera  plus  proche  du^  pôle  B  que  du 
pôle  A.  Mais  les  petites  parties  du  fécond  élément  ne  feront  pas 
pouflées  plus  fort  à  l'endroit  de  la  circonférence  marqué  i/ qu'en 
l'autre  marqué/,  qui  luj'  ejï  direclemeiit  oppofé,  &  celte  circonfé- 
rence ne  lailfera  pas  d'eftre  ronde.  Tout  de  mefme,  fi  la  matière  du 
premier  élément  palfe  plus  aifemcnt  d'S  vers  O  que  vers  C  (à  fça- 
uoir  pource  qu'elle  y  trouuera  dauantage  de  place),  cela  fera  caufe 
que  le  corps  du  Soleil  s'approchera  quelque  peu  plus  (ÏO  que  de  C, 
&  qu'acourciffant  par  ce  moyen  l'efpace  qui  eft  entre  O  &  S,  il  s'ar- 
reftera  à  l'endroit  où  la  force  de  celle  matière  fera  également  balancée 
des  deux  coftez.  Par  ainfi,  encojre  que  nous  n'aurions  égard  qu'aux  187 
quatre  tourbillons  L,C,K^O,  pourueu  que  nous  les  fuppofions  iné- 
gaux, cela  fuffit  pour  nous  obliger  à  conclure  que  le  Soleil  n'eft  pas 
fitué  juilement  au  milieu  de  la  ligne  O  C,  ni  aulH  au  milieu  de  la 
ligne  L  K,  &  on  peut  jonceuoir  beaucoup  d'autres  inégalitez  en  fa 
fituation,  fi  onconfidere  qu'il  y  a  encore  plufieurs  autres  tourbillons 
qui  l'enuironnent. 

74.  Qu'il j^  en  a  auji  beaucoup  en  ce  qui'regarde  le  mouuement 
de  fa  matière '. 

De  plus,  fi  la  matière  du  premier  élément  qui  vient  des  tourbil- 
lons K  &  L,  n'eft  pas.fi  difpofée  à  fe  mouuoir  vers  S...  que  vers 
quelques  autres  endroits  proches  de  là  :  par  exemple,  fi  celle  qui 
vient  de  K  eft  plus  difpofée  à  fe  mouuoir  vers  e,  &  celle  qui  vient 
d'L,  vers^,  cela  fera  caufe  que  les  pôles/,  d,  autour  defquels  elle 
tourne  lors  qu'elle  compofe  le  corps  du  Soleil,  ne  feront  pas  dans  les 
lignes  droites  menées  de  K  &  d'L  vers  S,  mais  que  le  pôle  auftral  f 
s'auancera  quelque  peu  plus  vers  e,  &  le  feptentrional  d  vers  g.  Tout 

a.  Môme  planche  VII. 


T44  OEuvRES  DE  Descartes. 

de  -mefme,  fi  la  ligne  droite  S  M,  fuiuant  laquelle  je  fuppofe  que 
la  matière  du  premier  élément  va  plus  facilement  d'S  vers  G  que 
fuiuant  aucune  autre,  paffe  par  vn  point  de  la  circonference/e^,  qui 
foit  plus  proche  du  point  d  que  dikpoint/;  &  en  mefme  façon,  que 
la  ligjie  S  Y,  fuiuant  \2i(\\\t\\t  je  fuppofe  que  cette  matière  tend  d'S 

188  vers  O,  palîe  par  vn  point  de  la  circon|ferente  fgd,  qui  foit  plus 
proche  du  point/ que  du  point  d  :  cela  fera  caufe  que  g" Se,  qui 
reprefenté  ici  l'Eclyptique  du  Soleil  %  c'eft  à  dire  le  plan  dans  lequel 
fe  meut  la  partie  de  fa  matière  qui  décrit  le  plus  grand  cercle,  aura 
fa  partie  S  e  plus  penchée  vers  le  pôle  d  que  vers  le  pôle/,  mais 
non  pas  toutefois  du  tout  tant  qu'eft  la  ligne  droite  SM;  &  que  fon 
autre  partie  S^  fera  plus  penchée  vers/ que  vers  d,  mais  non  pas 
aufli  du  tout  tant  que  la  ligne  droite  S  Y.  D'où  il  fuit  que  l'elFieu, 
autour  duquel  toute  la  matière  dont  le  corps  du  Soleil  eft  compofé 
fait  fon  tour,  &  qui  eft  terminé  par  les  deux  pôles  /,  d,  n'eft  pas 
exadement  droit,  mais  quelque  peu  courbé  des  deux  cofte^;  &  que 
cette  matière  tourne  quelque  peu  plus  vite  entre  e  &  rf  ou  entre 
/&  ^,  qu'entre  e  &/  on  d  h  g;  &  que  pcut-eftre  aufli  la-  viteffe 

dont  elle  tourne  entre  e  ^d,  n'eft  pas  entièrement  égale  à  celle  dont 
elle  tourne  entre/&  g. 

75.  Que  cela  n'empefche  pas  que  fa  figure  ne  foit  ronde. 

Mais  cela  ne  peut  pourtant  empefcher  que  le  corps  du  Soleil  ne 
foit  affez  exactement  rond,  pource  que  fa  matière  a  cependant  vn 
autre  mouuement  de  fes  pôles  vers  fon  Eclyptique,  lequel  corrige 
ces  inégaliiez.  Et  comme  on  voit  qu'vne  bouteille  de  verre  fe  fait 
ronde,  par  cela  feul  qu'en  foutlant  par  vn   tuyau  de  fer,  on  fait 

189  entrer  de  l'air  dans  la  matière  dont  on  la  \fait,  à  caufe  que  cet  air 
n'a  pas  plus  de  force  à  pouffer  la  partie  de  cette  matière  qui  eft 
diredement  oppofée  au  bout  du  tuyau  par  où  il  entre,  qu'à  pouffer 
celles  qui  font  en  tous  les  autres  coftez  vers  lefquels  il  eft  repouffé 
par  la  refiftance  qu'elle  luy  fait  :  ainfi  la  matière  du  premier  élé- 
ment qui  entre  dans  le  corps  du  Soleil  par  fes  pôles,  doit  pouffer 
également  de  tous  coftez  les  parties  du  fécond  qui  l'enuironnent, 
aufll  bien  celles  contre  qui  elle  eft  repouffcc  obliquement,  que 
celles  qu'elle  rencontre  de  front. 

a.  Correspondance  de  Descartes,  t.  IV,  p.  181, 1.  18. 


Principes.  —  Troisiesme  Partie.  145 

y  6.  Comment  fe  meut  la  matière  du  premier  élément  qui  ejî 
entre  les  parties  du  fécond  dans  le  Ciel. 

Il  faut  aufli  remarquer,  touchant  cette  matière  du  premier  élément, 
que,  pendant  qu'elle  eft  entre  les  petites  boules  qui  compofent  le  Ciel 
AMBY*y  outre  qu'elle  a  deux  mouuemcns,  l'vn  en  ligne  droite 
qui  la  porte  des  pôles  A  &  B  vers  le  Soleil,  puis  du  Soleil  vers 
TEclyptique  YM,  &  l'autre  circulaire  autour  de  ces  pôles,  qui  luy 
elt  commun  auec  tout  le  refte  de  ce  Ciel,  elle  employé  la  plus  grande 
part  de  fon  agitation  à  fe  mouuoir  en  toutes  les  autres  façons  qui 
font  requifes  pour  changer  continuellement  les  figures  de  fes  petites 
parties,  &  ainfi  remplir  exadement  tous  les  recoins  qu'elle  trouue 
autour  des  petites  boules  entre  lefquelles  elle  palTe.  Ce  qui  eft  caufe 
que  fa  force  eft  plus  foible,  eftant  ainfi  diuifée,  &  que  ce  peu  de  ma- 
tière qui  eft  I  en  chacun  des  petits  recoins  par  où  elle  paffe,  eft  touf-  190 
jours  preft  d'en  fortir,  &  de  céder  au  mouuement  de  ces  boules,  pour 
continuer  le  fien  en  ligne  droite  vers  quelque  cofté  que  ce  foit;  mais 
que  ce  qu'il  y  a  de  cette  matière  vers  S,  où  elle  compofe  le  corps  du 
Soleil,  y  a  vne  force  qui  eft  tres-notable  &  très-grande,  à  caufe  que 
toutes  fes  parties  s'accordent  enfemble  à  fe  mouuoir  en  mefme  fens, 
&  qu'elle  employé  celte  force  à  poulfer  toutes  les  petites  boules  du 
fécond  élément  qui  enuironnent  le  Soleil. 

77.  Que  le  Soleil  n'enuoye  pas  feulement  fa  lumière  vers  l'Eclyptique, 
mais  auj/i  vers  les  pôles. 

En  fuitte  de  quoy  il  eft  aifé  de  connoiftre  combien  la  matière  du 
premier  élément  contribue  à  l'adion  que  je  croy  deuoir  eftre  prife 
pour  la  lumière,  &  comment  cette  action  s'eilend  de  tous  coftez,  aulfi 
bien  vers  les  pôles  que  veis  l'Eclyptique.  Car,  premièrement,  fi  nous 
fuppofons  qu'il  y  ait  en  qi-.clque  endroit  du  Ciel  j'crs  l'Eclj'ptique, 
par  exemple  en  l'endroit  marqué  H,  vn  efpace  allez  grand  pour  con- 
tenir vne  ou  plufieurs  des  petites  boules  du  fécond  élément,  dans 
lequel  il  n'y  ait  que  de  la  matière  du  premier^  nous  pourrons  facile- 
ment remarquer  que  les  petites  boules  qui  font  dans  le  cône  d  H/, 
lequel  a  pjur  bafe  Themifphere  de/,  fe  doiuent  auancer  toutes  en 
mefme  temps  vers  cet  efpace  pour  le  remplir. 

a.  En  marge  :  «  Voyez  la  figure  qui  fuit.  »  Ajouté  à  la  main  :  p.  7 
(planche  VIlj. 

b.  Voir  art.  61  et  G2,  p.  i33  et  134. 

Œuvres.  IV.  ■» 


146  OEuvRES  DE  Descartes. 


~8.  Comment  il  l'enuoye  vers  l'Eclyptique. 

IW.  Et  j'ay  def-ja  prouué  cecy ',  touchant  les  pctiltes  boules  qui  font 
comprires  dans  le  triangle  qui  a  pour  fa  bafc...  l'Eclyptique  du  Soleil, 
bien  que  je  ne  confideraffe  point  encore  que  la  matière  du  premier 
élément  y  contribue.  Mais  le  mefme  peut  maintenant  encore  mieux 
eftre  expliqué  par  fon  moyen,  non  feulement  touchant  les  petites 
boules  qui  font  en  ce  triangle,  mais  aulTi  touchant  toutes  les  autres 
qui  font  dans  le  cône  dWf:  car  en  tant  que  cette  matière  compofe 
le  corps  du  Soleil,  elle  poulfe  aufli  bien  celles  qui  font  dans  le  demy 
cercle  def,  &  généralement  toutes  celles  qui  font  dans  le  cône 
dWf,  que  celles  qui  font  dans  le  demj'  cercle  qui  coupe  def  à  angles 
droits  au  point  e,  d'autant  qu'elle  ne  fe  meut  pas  auec  plus  de  force 
vers  l'Eclyptique  e  que  vers  les  pôles  d /,  &  vers  toutes  les  autres 
parties  de  la  fuperticie  fpherique  def  g;  &  en  tant  que  nous  la  fup- 
pofons  remplir  l'efpace  H,  elle  ell  difpofée  à  fortir  du  lieu  où  elle  eil, 
pour  aller  vers  C,  ^  de  là,  palfant  par  les  tourbillons  L  &  K  (j-  autres 
femblables,  retourner  vers  S.  C'ell  pourquoy  elle  n'empefche  en 
aucune  façon  que  toutes  les  petites  boules  comprifes  dans  le  conc 
d  H  /',  ne  s'auancent  vers  H  ;  i<c  à  mefme  temps  qu'elles  s'auancent, 
il  vient  des  tourbillons  K  &  L,  &.  femblables,  autant  de  matière  du 
premier  élément  vers  le  Soleil,  qu'il  en  entre  de  celle  du  fécond  en 
l'efpace  H. 

IM  \  7V-  Combien  il  ejî  aifé  quelquefois  aux  corps  quife  meuuent, 

d'ejîendre  extrêmement  loin  leur  aâion. 

Et  tant  s'en  faut  qu'elle  les  empefche  de  s'auancer  ainfi  pers  H,  que 
plullofl  elle  les  y  difpofe.  Car  puis  que  tout  corps  qui  fe  meut,  tend 
à  continuer  fon  mouuemenl  en  ligne  droite,  ainfi  quefay  prouué  cf- 
dejfus*",  cette  matière  du  premier  élément  qui  ell  en  l'efpace  H,eftant 
extrêmement  agitée,  a  bien  plus  de  facilité  à  palfer  en  ligne  droite 
vers  C,  qu'à  tournoyer  dans  le  lieu  où  elle  eft  ;  <S-  n'y  ayant  point  de 
vuide  en  la  nature,  il  eji  necefj'aire  qu'ily  ait  touf  jours  tout  vn  cercle 
de  matière  qui  fe  menue  enfemble  en  mefme  temps,  ainfi  quefay  aujji 
prouué  cydejfus\  Mais  d'autant  que  le  cercle  de  la  matière  qui  fe  meut 
ainfi  enl'emble,  elt  plus  grand,  d'autant  le  mouuemcnt  de  chacune 

a.  Art.  62,  p.  i?4. 

b.  Partie  II,  art.  3y,  p.  83. 

c.  Ibid.,  art.  33.  p.  81, 


Principes.  —  Troisiesme  Partie.  147 

de  fcs  parties  eft  plus  libre,  à  caufe  qu'W  fe  fait  fuiuant  vne  ligne 
moins  courbée,  ou  moins  différente  de  la  droite  :  ce  qui  peut  feruir 
pour  empefcher  qu'on  ne  trouue  eftrange,  que  fouuent  le  mouuement 
des  plus  petits  corps  eftende  fon  adtion  jufques  aux  plus  grandes 
diflances;  &  ainfi,  que  la  lumière  du  Soleil  &  des  Eftoiles  les  plus 
éloignées-paffe  en  vn  moment  jufques  à  la  terre. 

80.  Comment  le  Soleil  enuoyefa  lumière  vers  les  pôles. 

Ayant  ainji  peu  comment  le  Soleil  agit  vers  l'Eclyptique,  nous 
pouuons  voir  en  me/me  façon  comment  il  agit  vers  les  pôles,  fi  nous 
fuppofons  qu'il  s'y  trouue  quelque  efpace,  comme,  |  par  exemple,  au     191 
point  N,  qui  ne  foii  remply  que  du  premier  élément,  bien  qu'il  f oit 
ajfe^  grand  pour  contenir  quelques-vnes  des  parties  du  fécond.  Car 
puis  que  la  matière  qui  compofe  le  corps  du  Soleil,  pouffe  de  tous 
cojtei  auec  grande  force  la  fuperfîcie  du  Ciel  qui  l'enuironne,  il  eft 
éuident  qu'elle  doit  faire  auancer  vers  N  toutes  les  parties  du  fécond 
élément  qui  font  comprifes  dans  le  cône  eNg,  &  encore  que  peut- 
eftre  ces  parties   n'ayent  en  elles  mefmcs  aucune  difpofition  à  fe 
mouuoir  vers  là,  elles  n'en  ont  aufli  aucune  qui  les  face  refifter  à 
l'adion  qui  les  y  pouffe.  La  matière  du  premier  élément,  dont  l'cf- 
pace  N  eft  remply,  ne  les  empefche  point  aufli  d'y  entrer,  à  caufe 
qu'elle  eft  entièrement  difpofée  à  en  fortir,  &  aller  vers  S  remplir 
la  place  qu'elles  lailfent  derrière  elles  en  la  fuperficie  du  Soleil  efg, 
à  mefure  qu'elles  s'auancent  vcrsN.  Et  il  n'y  a  aucune  difficulté,  en 
ce  qu'il  eft  befoin,  pour  cet  effet,  que,  pendant  que  toute  la  matière 
du  fécond  élément  qui  efi  dans  le  conc  eNg,  s'auance  en  ligne  droite 
d'S  vers  N,  celle  du  premier  fe  meuue  tout  au  contraire  d'N  vers  S  : 
carcelle-cy  palfant  aifement  par  les  petits  interualles  que  les  parties 
de  l'autre  lailfent  autour  d'elles,  fon  mouuement  ne  peut  empefcher, 
ni  eftre  empefche  par  le  leur.  Ainfi  qu'on  voit  en  vn  horloge  de 
fable,  que  |  l'air  enferme'  dans  le  vafe  d'embas,  n'eft  point  empefche     194 
de  monter  en  celuy  d'enhaut,  par  les  petits  grains  de  fable  qui  en 
defcendent,  bien  que  ce  foit  parmy  eux  qu'il  doiue  palfer. 

<y/ .  Qu'il  n  'a  peut  ejire  pas  du  tout  tant  de  force  vers  les  pôles 
que  vers  l'Eclyptique. 

Mais  on  peut  faire  icy  vne  queftion,  fçauoir  fi  les  petites  bouks 
du  cône  eNg  font  poulfées  auec  autant  de  force  vers  N,  par  la 
matière  du  Soleil  toute  feule,  que  celles  du  cône  dWfXo.  font  vers 


14S  OEuvREs  DE  Descartes. 

H  par  la  mefme  matière  du  Soleil,  &  aucc  cela  par  leur  propre 
mouuemenr,  lequel  fait  qu'elles  tendent  à  s'éloigner  du  centre  S.  Et 
il  y  a  grande  apparence  que  cette  force  n'eft  pas  égale,  fi  on  fuppofe 
que  H  &  N  foient  également  éloignez  du  point  S;  mais,  comme  j'ay 
def-ja  remarqué  que  la  dillance  qui  ell  entre  le  Soleil  &  la  circonfé- 
rence du  Ciel  qui  l'enuironne,  ell  moindre  vers  fes  pôles  que  vers 
Ton  Eclyptique,  on  doit,  ce  me  femble,  juger  qu'afin  qu'elles  foient 
pouifées  auiïi  fort  pers  N  que  vers  H,  il  faut  que  la  ligne  droite  SH 
foit  au  moins  aufii  grande,  au  regard  de  la  ligne  SN,  que  SM  au  re- 
gard de  SA  ;  &  il  n'y  a  qu'vn  feul  Phainomene  en  la  nature  qui  nous 
puiffe  faire  fçauoir  la  vérité  de  cecy  par  expérience,  à  fçaUoir  lors 
qu'il  arriue  quelquefois  qu'vne  Comète  pafl'e  par  vne  fi  grande  par- 
tie de  noilre  Ciel,  qu'elle  ell  veuë  premièrement  vers  l'Eclyptique, 
195  puis  vers  l'vn  des  pôles,  &.  après  dere|chef  vers  l'Eclyptique  ;  car 
alors  on  peut  connoillre,  ayant  égard  à  la  diuerfité  de  fa  diftance, 
fi  fa  lumière  (laquelle,  ainfi  que  je  diray  C3'-apres",  luy  vient  du 
Sokih  ell  plus  forte  à  proportion  vers  l'Eclyptique  que  vers  les 
pôles,  ou  bienfi  elle  ejl  feulement  égale. 

S  2.  Quelle  diuerfité  il  y  a  en  la  grandeur  &  aux  mouuemens  des  parties 
du  fécond  élément  qui  compofent  les  deux. 

Il  refte  encore  icy  à  remarquer  que  les  parties  du  fécond  élément 
qui  font  les  plus  proches  du  centre  de  chaque  tourbillon,  font  plus 
petites,  &  fe  meuuent  plus  vite  que  celles  qui  en  font  quelque  peu 
plus  éloignées,  &.  ce  jufques  à  vn  certain  endroit,  au  delà  duquel 
celles  qui  font  plus  hautes  fe  meuuent  plus  vite  que  celles  qui  font 
plus  balles  ;  &  pour  ce  qui  eft  de  leur  groffeur,  elles  font  égales.  Par 
exemple,  on  peut  penfer  que,  dans  le  premier  Ciel,  les  plus  petites 
parties  du  fécond  élément  font  celles  qui  touchent  la  fuperficie  du 
Soleil,  &  que  celles  qui  en  font  plus  éloignées,  font  plus  groffes, 
félon  les  diderens  cfiagcs  où  elles  fe  rencontrent,  jufques  à  la  fuper- 
ficie de  la  fphere  irreguliere  HNQR;  mais  que  celles  qui  font  au 
delà  de  cette  fphere,  font  toutes  également  grofl"es  ;  &  que  celles  qui  fe 
meuuent  le  plus  lentement  de  toutes,  font  en  la  fuperficie  HNQR: 
en  forte  que  les  parties  du  fécond  élément  qui  font  vers  HQ, 
employcnt  peut-efire  trente  années,  ou  plus,  à  décrire  vn  cercle 
IM  autour  des  pôles  AB,  |  au  lieu  que  celles  qui  font  plus  hautes  vers 
M  &  V ,  &  celles  qui  font  plus  balles  vers  e  &  g,  fe  meuuent  fi  vite, . 
qu'elles  n'employent  que  peu  de  femaines  à  faire  leur  tour. 

a.  Art.  i3o. 


Principes.  —  Troisiesme  Partie.  149 


83.  Pottrquoy  les  plus  éloignées  du  Soleil  dans  le  premier  Ciel, 
Je  meuuent  plus  vite  que  celles  qui  en  font  vn  peu  plus  ^  loin\ 

Et  premièrement",  il  eft  aifé  de  prouuer  que  celles  qui  font  vers 
M  &  Y,  fe  doiuent  mouuoir  plus  vite  que  celles  qui  font  plus 
bas  vers  H  &  Q.  Car  de  ce  que  j'ay  fuppofé'  qu'elles  ont  elté  au 
commencement  du  monde  toutes  égales  (ce  que  je  penfe  auoir  eu 
raifon  de  fuppofer,  pendant  que  je  n'en  auois  point  qui  m'obligeaft 
de  les  eflimer  inégales),  &  de  ce  que  le  Ciel  qui  les  contient  &  qui 
les  emporte  auec  foy  circulairement,  ainfi  qu'vn  tourbillon,  n'eft 
pas  exactement  rond,  à  caufe  que  les  autres  tourbillons  qui  le  tou- 
chent ne  font  pas  égaux  entr'eux,  &  aufli  à  caufe  qu'il  doit  eftre  plus 
ferré  visa  vis  des  centres **  de  ces  tourbillons,  qu'aux  autres  endroits, 
il  faut  neceffairement  que  quelques  vnes  de  fes  parties  fc  meuuent 
quelquefois  plus  vite  que  les  autres,  à  fçauoir  lors  qu'elles  doiuent 
changer  leur  rang  pour  palfer  d'vn  chemin  plus  large  en  vn  plus 
eftroit.  Comme  on  peut  voir  icy*  que  les  deux  boules  qui  font  entre 
les  points  A  &  B  ne  peuuent  paffer  entre  les  deux  autres  points 
C  &  D,  que  je  fuppofe  plus  proches,  s'il  n'y  en  a  vne  qui  s'auance 
deuant  l'autre,  &  qui  par  confequent  aille  plus  |  vite.  Or  d'autant  197 
que  toutes  les  parties  du  fécond  élément  qui  compofent  le  premier 
Ciel,  tendent  à  s'éloigner  du  centre  S',  fi  tort  qu'il  y  en  a  quelqu'vne 
qui  va  plus  vite  que  celles  qui  en  font  plus  éloignées,  cette  viteffe 
luy  donnant  plus  de  force,  fait  qu'elle  paffe  au  deffus  d'elles;  telle- 
ment que  ce  font  touf-jours  celles  qui  fe  meuuent  le  plus  vite,  qui  en 
doiuent  eilre  les  plus  éloignées.  le  ne  détermine  point  la  quantité 
de  leur  viteffe,  pource  que  c'eft  par  la  feule  expérience  que  nous  la 
pouuons  apprendre;  &  cette  expérience  ne  fe  peut  faire  que  par  le 
moyen  des  Comètes,  qui,  comme  je  feray  voir  cy-apres%  traucrfent 
d'vn  Ciel  en  vn  autre,  &fuiuent  à  peu  près  le  cours  de  celuy  où  elles 
fe  trouuent.  le  ne  détermine  point  non  plus  combien  eft  lent  le 
mouuement  du  cercle  H  Q  ;  car  nous  ne  le  connoiffons  qu'autant  que 

a.  Lire  :  «  vn  peu  moins  »  {aliquanto  minus). 

b.  Correspondance  de  Descartes,  t.  IV,  p.  455-456. 

c.  Art,  47  et  48,  pp.  125  et  126. 

d.  Correspondance  de  Descartes,  t.  V,  p.  172. 

e.  En  marge  :  «  Voyez  la  figure  i  de  la  planche  8  en  la  page  précédente.  » 
Ces  quatre  derniers  mots  barres,  la  planche  ayant  été  rejetée  à  la  fin  du 
livre. 

f.  Planche  VII. 

g.  Art.  128. 


1 50  OEuvREs  DE  Descartes. 

nous  l'apprend  !e  cours  de  Saturne,  qui  ne  s'acheue  qu'en  trente  ans*, 
&  doit  eftre  compris  dans  ce  cercle,  comme  il  paroiftra  de  ce  qui  luit. 

S4.  Pourquoy  aujji  celles  qui  font  les  plus  proches  du  Soleil  fe  meuuent- 
plus  vite  que  celles  qui  en  font  vn  peu  plus  loin. 

Il  eft  aile  aufli  à  prouuer  qu'entre  les  parties  du  fécond  clément 
qui  font  au  dedans  du  cercle  HQ,  celles  qui  font  les  plus  proches 
du  centre  S,  doiuent  faire  leur  tour  en  moins  de  temps  que  celles 
qui  en  font  plus  éloignées,  à  caufe  que  le  mouuement  qu'a  le  Soleil 
198  autour  du  mefnie  centre,  doit  augmenter  leur  viteffe.  Car  j  d'autant 
qu'il  fe  meut  plus  vite  qu'elles,  &  qu'il  fort  continuellement  de  luy 
quelques  parties  de  fa  matière  qui  coulent  entre  celles  du  fécond 
élément  vers  l'Eclyptique,  pendant  qu'il  en  reçoit  d'autres  vers  les 
pôles,  il  eft  éuident  qu'il  doit  entraîner  auec  foy  toute  la  matière  du 
Ciel  qui  eft  autour  de  luy,  jufques  à  vne  certaine  diftance.  Et  les 
limites  de  cette  diftance  font  icy*"  reprefentez  par  l'elipfe  HNQR 
pluftoft  que  par  vn  cercle;  car  encore  que  le  Soleil  foit  rond,  & 
qu'il  ne  poufl'e  pas  moins  fort  les  parties  du  Ciel  qui  font  vers  les 
pôles,  que  celles  qui  font  vers  l'Eclyptique,  par  l'adion  que  j'ay 
dit'  deuoir  eftre  prife  pour  fa  lumière,  il  n'en  eft  pas  neantmoins 
de  mefme  de  cette  autre  adion,  par  laquelle  il  entraine  auec  foy 
celles  qui  font  les  plus  proches  de  luy,  pource  qu'elle  ne  dépend 
que  du  mouuement  circulaire  qu'il  fait  autour  de  fon  effieu,  lequel 
fans  doute  a  moins  de  force  vers  les  pôles  que  vers  l'Eclyptique. 
C'eft  pourquoy  H  &  Q  doiuent  eftre  plus  éloignez  du  centre  S  que 
N  &  R,  &  cecy  feruira  cy-apres"  pour  rendre  raifon  de  ce  que  les 
queues  des  Comètes  nous  paroiffent  quelquefois  droites,  &  quel- 
quefois courbées. 

S5.  Pourquoy  ces  plus  proches  du  Soleil  font  plus  petites 
que  celles  qui  en  font  plus  éloignées. 

Or,  de  ce  que  les  parties  du  fécond  élément  qui  font  fort  proches 

du  Soleil,  fe  meuuent  plus  vite  que  celles  qui  en  font  vn  peu  plus 

IW     éloignées,  I  jufques  à  l'endroit  du  ciel  marqué  HNQR,  on  peut 

prouuer  ^«'elles  doiuent  aufti  eftre  plus  petites  ;  car  fi  elles  eftoient 

a.  Ci-après,  art.  148. 

b.  Planche  VII. 

c.  Art.  63,  p.  i35. 

d.  Art.  i38. 


Principes.  —  Troisiesme  Partie.  i  5 1 

plus  grofles  ou  égales,  elles  iroient  au  delfus  des  autres,  à  caufe  que 
ce  qu'elles  ont  de  viteffe  plus  que  ces  autres,  leur  fcroit  auoir  plus 
de  force.  Mais  lors  qu'il  arriue  que  quelqu'vne  de  ces  parties 
deuient  fi  petite,  à  proportion  de  celles  qui  font  au  delTus  d'elle, 
que  la  vitefTe  dont  elle  les  furpalfe,  à  caufe  qu'elle  ejt  plus  proche  du 
Soleil,  n'augmente  pas  fa  force  de  tant,  comme  la  grandeur  dont 
ces  autres  la  furpaffent  aw^/7/ew/e  la  leur,  \\  eft  éuident  qu'elle  doit 
touf-jours  demeurer  au  delibus  d'elles  vers  le  Soleil,  encore  qu'elle  fe 
menue  plus  vite.  Et  bien  que  j'aye  fuppoie''que  toutes  ces  parties  du 
fécond  élément  ont  efté  égales  en* leur  commencement,  quelques 
vnes  ont  deu,  par  fucceffion  de  temps,  deuenir  plus  petites  que  les 
autres,  à  caufe  que  les  endroits  par  où  elles  efioient  contraintes  de 
palier,  n'eftant  pas  égaux,  il  a  deu  y  auoir  quelque  inégalité  en  leur 
mouuement,  ainfi  que  j'ay  tantoft  prouué^  &  il  a  deu  aulTi  fuiure  de 
là  quelque  inégalité  en  leur  grolfeur,  pource  que  celles  qui  ont  eu  le 
plus  de  viteffe  fe  font  heurtées  l'vne  l'autre  auec  plus  de  force,  & 
ainfi  ont  perdu  dauantage  de  leur  matière.  Et  il  ne  peut  y  en  auoir 
tuÇ\  ^zu,  c^m  par  fucceflion  de  temps  \  foicnt  dcuenucs  notablement  200 
moindres  que  les  autres,  qu'il  ne foit  facile  à  croire  qu'elles  fuftîfent 
pour  remplir  l'efpace  HNQR,  pource  qu'il  ell  extrêmement  petit, 
à  comparaifou  de  tout  le  Ciel  AYBM,  bien  qu'à  comparaifon  du 
Soleil  il  foit  ajfe\  grand  ;  mais  la  proportion  qui  efl  entr'eux  n'a  pu 
eftre  reprefentée  en  cette  figure',  à  caufe  qu'il  l'eufi  fallu  faire  trop 
grande.  Il  y  a  encore  plufieurs  autres  inégalitez  à  remarquer,  tou- 
chant le  mouuement  des  parties  du  Ciel,  principalement  de  celles 
qui  font  en  l'efpace  HNQR,  mais  elles  pourront  plus  commodément 
cy-apres  eftre  expliquées. 

^6.  Que  ces  parties  du  fécond  élément  ont  diuers  mouuemens 
qui  les  rendent  rondes  en  tous  fens. 

Au  relie,  il  ne  faut  pas  oublier  icy  à  prendre  garde  que,  bien  que 
la  matière  du  premier  élément  qui  vient  des  tourbillons  K,  L  & 
femblables,  prenne  principalement  fon  cours  vers  le  Soleil,  elle  ne 
laille  pas  de  couler  aulfi  de  diuers  coftez  vers  les  autres  endroits  du 
Ciel  AYBM,  &  de  paffer  de  là  vers  les  autres  tourbillons  C'',  O  & 
femblables,  /a;/s  auoir  eflé  jufques  au  Soleil,  &  que,  coulant  ainfi  de 

a.  Art.  48,  p.  126. 

b.  Art.  83,  p.  149. 

c.  Même  planche  VII. 

d.  K,  par  faute  d'impression,  dans  rédition  de  1647. 


M2 


OEUVRES  DE  Descartes. 


diuers  collez  entre  lès  petites  parties  du  fécond  élément,  elle  fait  que 
chacune  d'elles  fe  meut,  non  feulement  autour  de  fon  centre,  mais 
fouuent  auiïi  en  plufieurs  autres  façons.  En  fuite  de  quoy...  il  eft 

201  éuident  que,  quelques  figures  que  ces  parties  du  fécond  \  élément 
avent  eues  au  commencement,  elles  ont  deu,  par  fuccellion  de 
temps,  deuenir  rondes  de  tous  cortez,  comme  des  boules,  &  non 
point  feulement  comme  des  cylindres  ou  autres  folides,  qui  ne  font 
ronds  que  d'vn  collé. 

Sj.  Qu'il  y  a  diuers  degre\  d'agitation  dans  les  petites  parties 
du  premier  élément. 

Apres  auoir  acquis  vne  médiocre  notion  de  la  nature  des  deux  pre- 
miers elemens,  il  faut  que  nous  tafchions  auiïî  de  connoiilre  celle  du 
troifiéme.  Et  à  cet  eft'et  il  ell  befoin  de  confiderer  que  la  matière  du 
premier  n'eft  pas  également  agitée  en  toutes  fes  parties,  &  que  fou- 
uent en  vne  fort  petiie  quantité  de  cette  matière  il  y  a  tant  de  diuers 
degrez  de  vitelfe,  qu'il  feroit  impoflible  de  les  nombrer.  Ge.qui  peut 
facilement  élire  prouué,  tant  par  la  façon  que  j'ay  fuppofé,  cy-deffus% 
qu'elle  a  eflé  produite,  que  par  l'vfage  auquel  elle  doit  continuelle- 
ment feruir.  Car  j'ay  fuppofé  qu'elle  a  efté  produite  de  ce  que,  lors 
que  les  parties  du  fécond  élément  n'eftoient  pas  encore  rondes...,  & 
qu'elles  remplillbient  entièrement  l'efpace  qui  les  contenoit,  elle^ 
n'ont  pu  fe  mouuoir  fans  rompre  les  petites  pointes  de  leurs  angles, 
&  fans  que  ce  qui  s'ell  feparé  d'elles,  à  mefure  qu'elles  fe  font  aron- 
dies,  ait  changé  diuerfement  de  figures,  pour  remplir  exactement 
tous  les  petits  recoins  qu'elles  ont  laijfé  autour  d'elles,  au  moyen  de 

202  quoy  il  a  pris  la  forme  du  premier  ele|ment.  Et  je  croy  que  mainte- 
nant encore  fon  vfagc  efl  de  remplir  ainfi  tous  les  petits  recoins  qui 
fe  trouuent  entre  tous  les  corps,  quels  qu'ils  foient  :  d'où  il  eft  éui- 
dent que  chacune  des  parties  dont  ce  premier  élément  efl  compofé,  n'a 
pu  au  commencement  ertre  plus  grande  que  les  petites  pointes 
d'angles  qui  deuoient  eflre  ofîées  de  celles  du  fécond,  afin  qu'elles  fe 
pujfent  mouuoir,  ou  tout  au  plus  que  l'efpace  qui  s'eft  trouué  entre 
trois  de  ces  parties  du  fécond  élément  joignantes  l'vne  l'autre,  après 
qu'elles  ont  eflé  arondies  ;  &  que  quelques  vncs  ont  pu  retenir  par 
après  la  mefme  groJJ'eur,  mais  qu'il  a  fallu  que  les  autres  fe  foient 
froijfées  &  diuifées  en  vne  infinité  de  plus  petites  parties,  qui  n'euf 
fent  aucune  grojfeur  ni  figure  déterminée ,  afin  qu'elles  fe  pujfent 

a.  Art.  49,  p.  lij. 


Principes.  —  Troisiesme  Partie.  155 

accommoder  aux  diuerfes  grandeurs  des  petits  efpaces  quife  trouuent 
entre  les  parties  du  fécond  élément,  pendant  qu'elles  fe  meuuent.  Par 
exemple,  fi  nous  penfons  que  les  petites  boules  A,  B,C* font  trois  de 
ces  parties  du  fécond  élément,  &  que  les  deux  premières  A  &  B,  qui 
fe  touchent  au  point  G,  ne  fe  meuuent  que  chacune  autour  de  fon 
propre  centre,  pendant  que  la  troifiéme  C,  qui  touche  la  première 
au  point  E,  roule  fur  la  fuperficie  de  cette  première  d'E  vers  I, 
jufques  à  ce  que  fon  point  D  aille  rencontrer  le  point  F  j  de  la  fe-  203 
conde  :  il  eft  éuident  que  la  matière  du  premier  element,qui  eft  dans 
l'efpace  triangulaire  FI  G,  y  peut  cependant  demeurer  fans  auoir 
aucun  mouuement,  &  ainfi  n'eftre  compofée  que  d'vne  feule  partie 
(bien  qu'elle  puifTe  auffi  eftre  compofée  de  plufieurs),  mais  que  celle 
qui  remplit  l'efpace  F  I  E.D  ne  peut  manquer  de  fe  mouuoir,  & 
mefme  qu'on  ne  fçauroit  déterminer  aucune  partie  fi  petite  entre  les 
points  F  &  D,  qu'elle  ne  foit  plus  grande  que  celle  qui  doit  fortir  à 
chaque  moment  hors  de  la  ligne  FD,  à  caufe  que,  pendant  tous  les 
momens  de  temps  que  la  boule  C  approche  de  B,  elle  accourcit  cette 
ligne  F  D,  &  luy  fait  auoir  fuccefTiuement  plus  de  différentes  lon- 
gueurs qu'on  n'en  fçauroit  exprimer  par  aucun  nombre. 

88.  Que  celles  de  ces  parties  qui  ont  le  moins  de  vitejjfe,  en  perdent 
aifement  vne  partie,  &  s'attachent  les  vnes  aux  autres. 

Ainfi  on  voit  qu'il  doit  y  auoir  quelques  jp^r/zw,  en  la  matière  du 
premier  élément,  qui  foient  moins  petites  &  moins  agitées  que  les 
autres;  &  pource  que  nous  fuppofons  qu'elles  font  faites  de  la  ra- 
clure qui  eft  fortie  d'autour  de  celles  du  fécond  élément,  pendant 
qu'elles  fe  font  arondies..., leurs  figures  doiuent  auoir  eu"  beaucoup 
d'angles,  &  eftre /or/  empefchantes ;  ce  qui  eft  caufe  qu'elles  s'at- 
tachent facilement  les  vnes  aux  autres,  &  transfèrent  vne  grande 
partie  de  leur  agitation  à  celles  qui  font  les  plus  petites  &  les  plus 
agitées.  Car,  fuiuant  |  les  loix  de  la  nature',  quand  des  corps  de  204 
diuerfes  grandeurs  font  meflei  ejifemble,  le  mouuement  des  vns  efl 
fouuent  communiqué  aux  autres;  mais  il  y  a  bien  plus  de  rencontres 
où  celuy  des  plus  grands  doit  pafler  dans  les  plus  petits,  qu'il  n'y  en 
a,  au  contraire,  où  les  plus  petits  puiffent  donner  le  leur  aux  plus 
grands.  De  façon  qu'on  peut  ajjurer  que  ces  plus  petits  font  ordinaire- 
ment les  plus  agite^. 

a.  En  marge  :  «  Voyez  la  figure  2  de  la  planche  8.  » 

b.  Ce  mot  eu  semble  à  supprimer. 

c.  Partie  II,  art.  40,  p.  8B. 


T  54  Œuvres  de  Desgartes. 


Hf}.  Que  c'ejî principalement  en  la  matière  qui  coule  des  pôles  vers  le  centre 
de  chaque  tourbillon,  quilje  trouue  de  telles  parties. 

Et  les  parties  qui  s'attachent  ainjt  les  vnes  aux  autres,  &  qui  re- 
tiennent le  moins  d'agitation,  fe  trouuent  principalement  en  la  ma- 
tière du  premier  élément  qui  coule  en  ligne  droite  des  pôles  de 
chaque  tourbillon  vers  fon  centre.  Car  elles  n'ont  pas  befoin  d'eftre 
tant  agitées  pour  ce  feul  mouuement  droit,  que  pour  les  autres  plus 
deftournez  &  diuers,  qui  fe  font  aux  autres  lieux  :  de  façon  que, 
lors  qu'elles  fe  trouuent  en  ces  autres  lieux,  elles  ont  couftume  d'en 
eftre  repouffées  vers  cetuy-là,  dans  lequel  elles  fe  joignent  plufieurs 
enfemble,  &  compofent  certains  petits  corps  dont  je  tafcheray  d'ex- 
pliquer fort  particulièrement  la  figure,  à  cauje  quelle  mérite  d'ejire 
remarquée. 

f)o.  Quelle  eji  la  figure  de  ces  parties  que  nous  nommerons  canelées, 

Premieremenf,  ils  doiuent  auoir  la  figure  d'vn  triangle  en  leur 
largeur  &  profondeur,  à  caufe  qu'ils  paffent  par  ces  petits  efpaces 
205  triangulaires  qui  fe  trouuent  au  milieu  de  trois  des  j  parties  du  fé- 
cond élément,  quand  elles  fe  touchent.  Et  pour  ce  qui  eft  de  leur 
longueur,  il  n'eft  pas  aifé  de  la  déterminer,  d'autant  qu'il  ne  femble 
pas  qu'elle  dépende  d'aucune  autre  caufe  que  de  l'abondance  de  la 
matière  qui  fe  trouue  aux  endroits  où  fe  forment  ces  petits  corps; 
mais  il  fuflit  que  nous  les  conceuions  ainfi  que  des  petites  colomnes 
canelées,  à  trois  rayes  ou  canaux,  &  tournées  comme  la  coquille  d'vn 
limaçon',  tellement  qu'elles  peuuent  paffer  en  tournoyant  par  les 
petits  interualles  qui  ont  la  figure  du  triangle  curuiligne  F  I  G,  & 
qui  fe  rencontrent  infailliblement  entre  trois  boules...,  lors  qu'elles 
s'cntre-touchent.  Car,  d'autant  que  ces  parties  canelées  peuuent  eftre 
beaucoup  plus  longues  que  larges,  &  qu'elles  paffent  fort  prompte- 
ment  entre  les  parties  du  fécond  élément,  pendant  que  celles-cy 
fuiucnt  le  cours  du  tourbillon  qui  les  emporte  autour  de  fon  cjpcu,  on 

a.  In  modum  cochlearum  intortis,  dit  le  texte  latin.  Cochlea^qui  signifie 
•  coquille  de  limaçon  »,  est  aussi  le  mot  technique  pour  désigner  une  vis, 
et  c'est  bien  dans  ce  sens  que  Descartes  a  dû  l'écrire,  quand  même  il 
aurait  accepté  plus  tard  la  traduction  «  coquille  de  limaçon  ».  Cette  tra- 
duction ne  doit,  en  tous  cas,  être  prise  que  dans  le  sens  où  nous  disons 
vulgairement  un  escalier  «  en  colimaçon  »,  supposant  un  noyau  cylin- 
drique et  des  spires  de  même  dimension. 


Principes.  —  Troisiesme  Partie.  i  5  5 

conçoit  aifement  que  les  tî^ois  canaux  qui  fout  en  la  Juperfcie  de 
chacune,  doiuent  eftre  tournez  à  vis^,  ou  comme  vnc  coquille  ;  &  que 
ces  trois  canaux  font  plus  ou  moins  tournez,  à  proportion  de  ce 
qu'elles  paffent  par  des  endroits  qui  font  plus  ou  moins  éloignez  de 
cet  effieu,  à  caufe  que  les  parties  du  fécond  élément  tournent  plus 
vite  en  ces  endroits  plus  éloignez,  qu'aux  autres  plus  proches"... 

\  gi .  Qu'entre  ces  parties  canelées,  celles  qui  viennent  d'vn  pôle  font         2C6 
tout  autrement  tournées  que  celles  qui  viennent  de  l'autre. 

Et  pource  qu'elles  viennent  vers  le  milieu  du  Ciel,  de  deux  coftez 
qui  font  contraires  l'vn  à  l'autre,  à  fçauoir  les  vnes  du  pôle  auftral, 
&  les  autres  du  feptentrional,  pendant  que  tout  le  Ciel  tourne  en 
mefme  fens  fur  fon  eflieu,  il  eft  manifefte  que  celles  qui  viennent  du 
pôle  auftral,  doiuent  eftre  tournées  en  coquille  en  autre  fens  que 
celles  qui  viennent  du  feptentrional.  Et  cette  particularité  me  femble 
fort  remarquable,  à  caufe  que  c'elt  principalement  d'elle  que  dé- 
pendent les  forces  de  l'aimant,  lefquelles  j'expliqueray  cy-apres', 

g2.  Qu'il  n'y  a  que  trois  canaux  en  la  fuperficie  de  chacune. 

Mais  afin  qu'on  ne  croye  pas  que  j'affure  fans  raifon  que  ces 
parties  du  premier  élément  n'ont  que  trois  canaux  en  leur  fuper- 
ficie, nonobftant  que  les  parties  du  fécond  ne  fe  touchent  pas  touf- 
jours  de  telle  forte  que  les  interualles  qu'elles  laiffent  entr'elles  ayent 
la  figure  d'vn  triangle,  on  peut  voir  icy**  que  les  autres  figures... 
qu'ont  les  interualles  qui  fe  trouuent  entre  ces  parties  du  fécond 
elementy  ont  touf-jours  leurs  angles  entièrement  égaux  à  ceux  du 
triangle  FGI,  &  qu'au  refte  elles  fe  remuent  inceffamment,  ce  qui 
fait  que  les  parties  canelées..., qui  paffent  par  ces  interualles,  y  doi- 
uent prendre  la  figure  que  j'ay  décrite.  Par  exemple,  les  quatre 
boules  A,  B,  C,  H,  qui  fe  touchent  aux  points  K,  L,  G,  E,  laiffent 
au  milieu  d'elles  vn  efpacc  qui  |  a  quatre  angles,  chacun  defquels  207 
eft...  égal  à  chaque  angle  du  triangle  FGI;  &  pource  que  ces... 
petites  boules,  en  fe  remuant,  changent  fans  ceffe  la  figure  de  cet 
efpace,  en  forte  que  tantoft  il  eft  quarré,  tantoft  plus  long  que  large, 
&  qu'il  eft  aufli  quelquefois  diuifé  en  deux  autres  efpaces  qui  ont 

a.  Voir  la  note  de  la  page  précédente. 

b.  Voir  art.  83,  p.  149. 

c.  Partie  IV,  art.  i33,  etc. 

d.  En  marge  :  «  Voyez  la  figure  3  de  la  planche  8.  » 


156  Œuvres  de  Descartes. 

chacun  la  figure  d'vn  triangle,  cela  fait  que  la  matière  du  premier 
élément  la  moins  agitée  qui  fe  trouue  là,  eft  contrainte  de  fe  retirer 
vers  vn  ou  deux  de  ces  angles,  &  de  quitter  ce  qui  refte  de  place  à  la 
matière  la  plus  agitée,  laquelle  peut  changer  à  tous  momens  de 
figure  pour  s'accommoder  à  tous  les  mouuemens  de  ces  petites 
boules.  Et  fi  par  hazard  il  y  a  quelque  partie  de  cette  matière  du  pre- 
mier  élément,  ainfi  retirée  vers  l'vn  de  ces  angles,  qui  s'eftende  vers 
l'endroit  oppofé  à  cet  angle  au  delà  d'vn  efpace  égal  au  tiiangle 
F  G  I,  elle  fera  heurtée  &...  diuifée  par  la  rencontre  de  la  troifiéme 
boule,  lors  qu'elle  s'auancera  pour  toucher  les  deux  autres  qui  fonf 
l'angle  où  cette  matière  s'eft  retirée.  Par  exemple,  fi  la  matière  qui 
n'eft  pas  la  plus  agitée,  après  s'eftre  retirée  en  l'angle  G,  s'eftend 
vers  D  plus  loin  que  la  ligne  F I,  la  boule  G,  en  roulant  vers  B,  la 
chaffera  hors  de  cet  angle,  ou  bien  eii  retranchera  ce  qui  Tempefche 
de  fermer  le  triangle  F  G  I.  Et  pource  que  les  parties  du  premier 
208  ele|ment  qui  font  les  moins  petites  &  les  moins  agitées,  doiuent 
fort  fouuent,  pendant  qu'elles  paffent  çà  &  là  dans  les  cieux,  fe 
trouuer  entre  trois  boules  qui  s'auancent  ainfi  pour  s'entre-toucher, 
il  ne  femble  pas  qu'elles  puiffent  auoir  aucune  figure  déterminée 
qui  demeure  en  elles  pendant  quelque  temps,  excepté  celle  que  je 
viens  de  décrire. 

g3.  Qu'entre  les  parties  canelées  &  les  plus  petites  du  premier  élément, 
il  y  en  a  d'vne  infinité  de  diuerjes  grandeurs. 

Or,  encore  que  ces  parties...  canelées  foient  fort  différentes  des 
plus  petites  parties  du  premier  élément,  je  ne  laiffe  pas  de  les  com- 
prendre toutes  fous  ce  me/me  nom  de  premier  elemeîtt,  pendant 
qu'elles  font  autour  des  parties  du  fécond,  tant  à  caufe  que  je  ne 
remarque  point  qu'elles  y  produifent  aucuns  effets  differens,  comme 
aufli  à  caufe  que...  je  juge  qu'entre  ces  parties  canelées  &  les  plus 
petites,  il  y  en  a  de  moyennes  d'vne  infinité  de  diuerfes  grandeurs, 
ainfi  qu'il  eft  aifé  à  prouuer  par  la  diuerfité  des  lieux  par  où  elles 
paffent,  &  quelles  remplirent. 

g4.  Comment  elles  produifent  des  taches  fur  le  Soleil,  ou  fur  les  EJloiles. 

Mais  lors  que  la  matière  du  premier  élément  com'pofe  le  corps 
du  Soleil  ou  de  quelque  Eftoiie,  tout  ce  qu'il  y  a  en  elle  de  plus 
fubtil,  n'cftant  point  deftourné  par  la  rencontre  des  parties  du 
fécond  élément,  s'accorde  à  fe  jnouuoir  tout  enfemble  fort  vite  :  ce 


Principes. —  Troisiesme  Partie.  157 

qui  fait  que  les  parties  canelées,  &  plufieurs  autres  vn  peu  moins 
grofles  qui,  à  caufe  de  l'irrégularité  de  leurs  figures...,  ne  |  peuuent  209 
receuoir  vn  mouuement  û  prompt,  font  rejettées  par  les  plus 
fubtiles  hors  de  l'ajlre  quelles  compofent,  &  s'attachant  facilement 
les  vnes  aux  autres...,  elles  nagevt  fur  fa  fuperfîcie,  oii,  perdant  la 
forme  du  premier  élément  y  elles  acquerent  celle  du  troifiéme;  & 
lors  quelles  y  font  en  fort  grande  quantité,  elles  y  empefchent 
l'adion  de  fa  lumière,  &  ainfi  compofent  des  taches  femblables  à 
celles  qu'on  a  obferuées  fur  le  Soleil.  Ce  qui  fe  fait  en  mefme 
façon  &  pour  la  mefme  raifon...,  qu'il  fort  ordinairement  de  l'écume 
hors  des  liqueurs  qu'on  fait  bouillir  fur  le  feu,  lors  qu'elles  ne  font 
pas  pures,  &  quelles  ont  des  parties  qui,  ne  pouuant  élire  agitées 
par  l'action  du  feu  fi  fort  que  les  autres,  s'en  feparent,  &  s'attachant 
facilement  enfemble,  compofent  cette  écume... 

gS.  Quelle  efl  la  caufe  des  principales  propriété^  de  ces  taches. 

En  fuite  de  quoy  •  il  eft  aifé  d'entendre  pourquoy  ces  taches  ont 
couftume  de  paroirtre  fur  le  Soleil  vers  fon  Eclyptique,  pluftolt 
que  vers  fes  pôles:  &  pourquoy  elles  ont  des  figures  fort  irregu- 
lieres  &  changeantes  :  &  enfin  pourquoy  elles  fe  meuuent  en  rond 
autour  de  luf,  non  pas  peut-eftre  ù  vite  que  la  matière  qui  le 
compofe,  mais  au  moins  auec  celle  du  Ciel  qui  l'enuironne.  Ainfi 
qu'on  voit  que  l'écume  qui  nage  fur  quelque  liqueur,  fuit  auffi  fon 
cours,  &  reçoit  cependant  plufieurs  diuerf es  figures. 

I  g6.  Comment  elles  font  détruites,  &  comment  il  s'en  produit  de  nouuelles.     210 

Et  comme  il  y  a  beaucoup  de  liqueurs  qui,  en  continuant  de 
bouillir,  diffipent  l'écume  qu'elles  ont  auparauant  produite  :  ainfi 
doit  on  penfer  que  les  taches  qui  font  fur  la  fuperficie  du  Soleil, 
s'y  deftruifentl . .  auec  la  mefme  facilité  qu'elles  s'y  engendrent. . . 
Car  ce  n'eft  pas  de  toute  la  matière  qui  efl  dans  le  Soleil,  mais 
feulement  de  celle  qui  y  ell  nouuellement  entrée,  qu'elles  fe  com- 
pofent. Et  pendant  que  les  moins  fubtiles  parties  de  cette  nouuelle 
matière  s'en  feparent,  &  s'attachant  les  vues  aux  autres,  font  conti" 
nuellement  de  nouuelles  taches,  ou  augmentent  celles  qui  font  def-ja 
faites,  l'autre  matière  qui  a  elle  plus  long-temps  dans  le  Soleil,  où 
elle  s'e  t  entièrement  purifiée  &  fubtilifée,  y  tourne  auec  tant  de 

a.  Voir  Correspondance  de  Descartes,  t.  IV,  p.  450-458. 


ijS  OEuvRES  DE  Desgartes. 

violence,  qu'elle  emporte  fans  celTe  auec  foy  quelque  partie  des 
taches  qui' font  en  fa  fuperficie,  &  ainft  en  défait  ou  dijfout  à  peu 
près  autant  qu'il  s'en  produit  de  nouuelles...  Et  l'expérience  fait 
voir  que  toute  la  fuperficie  du  Soleil,  excepté  celle  qui  eil  vers  les 
pôles,  eft  ordinairement  couuertë  de  la  matière  qui  compofe  ces 
taches,  bien  qu'on  ne  luy  donne  proprement  le  nom  de  taches, 
qu'aux  endroits  où  elle  eft  fi  épaifle...,  qu'elle  obfcurcit  notable- 
ment la  lumière  qui  vient  de  luy  vers  nos  yeux. 

gj.  D'où  vient  que  leurs  exiremite:{  paroij/ent  quelquefois  peintes 
des  tnefmes  couleurs  que  l'arc  en  ciel. 

Or  il  peut  aifement  arriuer,  lors  que  ces  taches  font  affez  épailfes 
211  &  ferrées,  que  la  matiejre. . .  du  Soleil,  qui  les  dilîbut  peu  à  peu  en 
coulant  fous  elles,  les  diminue  dauantage  en  leur  circonférence 
qu'au  milieu,  &  que  par  ce  moyen  leurs  extremitez  dcuiennent 
tranfparentes  &  moins  épaiffes  vers  la  circonférence  que  vers  le 
milieu,  ce  qui  fait  que  la  linnicre  qui  paJJ'c  au  trauers y  fouffre 
refraclion;  d'où  il  fuit  que  ces  extremitez  doiuent  alors  paroiftre 
peintes  des  couleurs  de  l'arc  en  ciel,  pour  les  raifons  que  j'ay  ex- 
pliquées au  huidiéme  Difcours  des  Météores*,  en  parlant  d'vn 
prifme  ou  triangle  de  criltal,  &  on  a  fouuent  obferué  de  telles  cou- 
leurs en  ces  taches. 


gS'..  Comment  ces  taches  Je  changent  en  fiâmes,  ou  au  contraire 
les  fiâmes  en  taches. 

Il  peut  fouuent  aufli  arriuer  que  la  matière  du  Soleil  rend  leurs 
extrémité^  fi  minces  en  paffant  fous  elles,  qu'elle  peut  enfin  palTer 
aufli  au  dcflus,  d'-  les  enfoncer  fous  foy,  au  moyen  de  quoy  fe  trou- 
uant  engagée  entr'elles  &  la  fuperficie  du  Ciel  qui  eft  tout  proche, 
elle  eft  contrainte  de  fe  mouuoir  plus  vite  qu'à  l'ordinaire  :  ainli 
que  les  riuicrcs  font  plus  rapides  aux  endroits  où,  leur  lit  citant  fort 
ellroit,  il  fe  trouue  encore  des  bajics  de  fable  qui  s'clcuenl  prefque  à 
Jleur  d'eau,  qu'en  ceux  où  il  eft  plus  large  is:  plus  profond.  Et  de  ce 
quelle  fe  meut  plus  rite,  il  eft  cuidcnt  que  la  lumière  y  doit  pa- 
♦•ciftre  plus  viue  qu'aux  autres  endroits  de  la  fuperficie  du  Soleil. 
212  Ce  qui  s*accorde  auec  l'experien'-e;  car  |  on  obferue  fouuent  des 
petites  fiâmes   qui  fuccedcnt  aux  taches   qu'on  auoit  auparauant 

a.  Voir  t.  VI,  p.  329,  de  cette  cdition. 


Principes.  —  Troisiesme  Partie.  159 

ob/eruees...  Mais  on  obferue  aufli  quelquefois,  au  contraire,  qu'il 
reuient  des  taches  aux  endroits  où  ces  petites  fiâmes  ont  paru  :  ce 
qui  arriue  lors  que,  les  autres  taches  qui  aiioient  précédé  ces  fiâmes 
n'eftant  enfoncées  que  d'vn  collé  dans  la  matière...  du  Soleil,  la 
nouuelle  matière  des  taches,  qu'il  rejette  continuellement  hors  defoj', 
s'arrertc  &.  s'accumule  conir'ellcs  de  l'autre  cofté. 

gg.  Quelles  fout  les  parties  en  quoy  elles  Je  diuifent. 

Au  refte,  lors  que  ces  taches  fe  défont,  les  parties  en  quoy  elles 
fe  diuifent  ne  font  pas  entièrement  femblables  à  celles  dont  elles 
ont  efté  compofées  :  mais  quelques-vnes  font  plus  petites,  &  auec 
cela  ^\\is  majjiues  ou  folides,  à  caufe  que  leurs  pointes  fe  font  rom- 
pues  ;  &  pour  ce  fujet.. .  elles  pailcnt  facilement  entre  les  parties 
du  fécond  élément  pour  aWqv  vers  les  centres  des  tourbillons  d'alen- 
tour. Quelques  autres  font  encore  plus  petites,  à  fçauoir  celles  qui 
fe  font  des  pointes  rompues  des  précédentes,  &  celles-cy  peuuent 
aufli  palTer  de  tous  cojlei  vers  le  Ciel,  ou  bien  ejlre  repouffées  vers  le 
Soleil,  &  feruir  à  compofer  fa  plus  pure  fubrtance.  Enfin,  les  autres 
demeurent  plus  grolfes,  pource  qu'elles  font  compofées  de  plufieurs 
parties  canelées  ou  autres  jointes  enfemble  ;  &  celles-|cy,  ...ne  pou-  213 
uant  pafl'er  par  les  efpaces  triangulaires  qui  fe  trouuent  autour  des 
petites  boules  du  fécond  élément  dans  le  Ciel,  entrent  dans  les 
places  de  quelques  vnes  de  ces  boules  ;  mais  pource  qu'elles  ont 
des  figures  fort  irregulieres  &  embaraffantes,  elles  ne  les  peuuent 
pas  imiter  en  la  vitclfe  de  leur  mouuement. 

/  00.  Comment  il  fe  forme  vne  efpece  d'air  autour  des  aflres  *. 

Et  fe  joignant  les  vnes  aux  autres /a;/5  aucunement  fe  preffer,  elles 
compofent  vn  corps  fort  rare,  femblable  à  l'air  qui  elt  autour  de  la 
terre,  au  moins  à  celuy  qui  efi  le  plus  pur  au  dejfus  des  nui^s.  Et  ce 
corps  rare,  que  fappelleray  Air  d'or enauant,  enuironne  le  Soleil  de 
tous  coftez,  s'eltendant  depuis  fa  fuperjicie  jufques  vers  la  fphere 
de  Mercure, &  peut-eftre  mefme  plus  loin.  Mais  encore  qu'il  reçoiue 
fans  celle  de  nouuelles  parties  de  la  matière  des  taches  qui  fe 
défont,  il  ne  peut  pas  pour  cela  croillre  à  l'infini,  pource  que  l'agi- 
tation, . .  du  fécond  clément  qui  palfe  tout  autour  &  tout  au  trauers 
de  fon  corps,  dilTipe  autant  de  fes  parties  qu'il  luf  en  vient  de  nou" 

a.  Voir  Correspondance  de  Descartes,  t.  IV,  p.  456. 


i6o  OEuvRES  DE  Descartes. 

uelles,  &  les  diuifant  en  plufieurs  pièces,  leur  fait  reprendre  la 
forme  du  premier  élément.  Mais  pendant  qu'elles  compofent  cet  air 
ou  ces  taches,  foit  autour  du  Soleil,  foit  autour  des  autres  aftres, 
le/quels  font  en  cecy  tout  femblables ,  elles  ont  la  forme  que  /attribue 

214  au  troifiéme  élément,  à  caufe'  qu'elles  |  font  plus  gi'ojfes  &  moins 
propres  à  fe  mouuoir  que  \ts parties  de  deux  premiers, 

loi.  Que  les  caufes  qui  produifent  ou  dijjîpent  ces  taches 
font  fort  incertaines. 

Il  faut^  peu  de  chofe  pour  faire  qu'il  fe  produife  des  taches  fur 
vn  aftre,  ou  pour  l'empefcher,  qu'on  n'a  pas  fujet  de  trouuer 
eftrange  fi  quelquefois  il  n'en  paroift  aucune  fur  le  Soleil,  &  fi 
quelquefois,  au  contraire,  il  y  en  a  tant,  que  fa  lumière  en  deuient 
notablement  plus  obfcure.  Car  il  ne  faut  que  deux  ou  trois  des 
moins  fubtiles  parties  du  premier  élément,  qui  s'attachent  l'vne  à 
l'autre,  pour  former  le  commencement  d'vne  tache,  contre  laquelle 
s'alfemblent. . .  par  âpres  quantité  d'autres  parties,  qui  ne  fe  fuffent 
point  ainfi  alfemblées,  fi  elles  ne  l'auoient  rencontrée,  pource  que 
cette  rencontre  diminue  la  force  de  leur  agitation. 

102.  Comment  quelquefois  vne  feule  tache  couure  toute  lafuperfcie 

d'vn  ajlre. 

Et  il  faut  remarquer  que  ces  taches  font  fort  molles  &  fort  rares, 
lors  qu'elles  commencent  à  fe  former,  ce  qui  fait  qu'elles  peuuent 
diminuer  l'agitation  des  parties  du  premier  élément  qu'elles  ren- 
contrent, &  les  joindre  à  foy  ;  mais  que  la  matière  du  Soleil  qui 
coule  fous  elles  âuec  grande  force,  preffant  leur  luperftcie  du  colle 
qu'elle  les  touche,  ne  les  rend  pas  feulement  égales  &  polies  de  ce 
corté-là,  mais  aufli  peu  à  peu  plus  ferrées  &  plus  dures,  bien 
qu'elles  demeurent  molles  &  rares  de  l'autre  collé  qui  eft  tourné 

215  vers  le  Ciel  ;  &  ainfi,  qu'elles  ne  |  peuuent  pas  ayfement  eilrc  dé- 
faites par  la  matière  du  Soleil  qui  coule  fous  elles,  i\  ce  n'eil  qu'elle 
coule  auflTi  autour  de  leurs  bords  &  les  rende  peu  à  peu  ft  minces 
qu'elle  pu'iiïc  palier  par  delfus.  Car  pendant  que  leurs  bords  font  fi 
éleucz  au  delfus  de  la  fuperficie  du  Soleil,  qu'ils  ne  font  aucune- 
ment prcdcz  par  fa  matière,  elles  fc  peuuent  pluftoft  accroidre  que 
diminuer,  pource  qu'il  s'attache  touf-jours  quelques  nouuelles  parties 
contre  ces  bords.  C'cil  pourquoy  il  fe  peut  faire  qu'vnc  feule  tache 
deuienneft  grande,  qu'enfin  elle  s'ellende  fur  toute  la  fuperficie  de 


Principes.  —  Troisiesme  Partie.  i6i 

Tartre  qui  l'a' produite,  &  qu'elle  s'y  arrefte  quelque  temps  auani 
que  de  pouuoir  eftre  diffipée. 

io3.  Pourquoy  le  Soleil  a  paru  quelquefois  plus  obfcur  que  de  coujlume  ; 
&  pourquoy  les  EJloiles  ne  paroijfent  pas  touf-jours  de  me/me  gran- 
deur. 

C'eft.ainfi  que  quelques  hiftoriens"  nous  rapportent  qu'autrefois 
le  Soleil  pendant  plufieurs  jours,  voire  mefme  pendant  toute  vne 
année,  a  paru  plus  pâle  qu'à  l'ordinaire,  &  n'a  fait  voir  qu'vne 
\umierc  fort  pâle  6l  fans  rayons,  quaft  comme  celle  de  la  Lune.  Et 
l'on  remarque  qu'il  y  a  des  Eftoiles  qui  nous  paroiflent  plus  petites, 
&.  d'autres  plus  grandes,  qu'elles  n'ont  paru  autrefois  aux  Aftro- 
nomes  qui  en  ont  exprimé  la  grandeur  en  leurs  écrits.  De  quoy  je 
ne  penfe  pas  qu'on  puiffe  rendre  aucune  autre  raifon,fmon  qu'ertant 
maintenant  plus  ou  moins  couuertes  de  taches,  qu'elles  n'ont  efté 
\  autrefois,  leur  lumière  nous  doit  paroifire  plus  fombrc  ou  plus  viue.     W6 

104.  Pourquoy  il  y  en  a  qui  difparoijfent  ou  qui  paroijfent  de  nouueau. 

Il  fe  peut  faire  aufli  que  les  taches  qui  couurent  quelque  allre, 
foient  deuvmiës  par  fuccejjîon  de  temps. . .  fi  épailfes,  qu'elles  nous 

a.  «  Plutarque  au  2  l.,  ch.  24, de  ropinion  des  philosophes  rapporte  que 
le  Soleil  a  été  quelquefois  éclipsé  un  mois  durant. 

»  Et  Pline,  1.  2,  cHap.  3o,  dit  qu'il  fut  une  année  entière  éclipsé,  c'est  à 
dire  ayant  une  lumière  fort  pasle.  Voicy  ses  paroles  :  Fiunt  prodigiosi  et 
longiores  Solis  defectus,  qualis  occiso  dictatore  Ccesare  et  Antoniano  bello 
totius  pêne  anni  pallore  continua  etc.  Xiphilin  en  dit  autant  dans  la  uie 
d'Auguste. 

»  Ce  que  rapporte  aussy  Virgile  dans  ces  vers  : 

Ille  etiam  extincto  miseratus  Ccesare  Romam 
Cum  caput  obscura  niiidum  ferrugine  tinxit. 
Impiaque  ceternam  timwrunt  scecula  noctem. 

(Georg.,  !•  1.,  versu  466.) 

»  Voyez  encore  Georges  Cedren  qui,  dans  ses  Annales  de  Constanti- 
nople,  imprimées  à  Basle,  dit  ces  paroles,  p.  804,  v.  ôo  :  Toto  eo  anno  sol 
lunœ  instar  sine  radiis  lucem  tristem  prcebuit,  et  ajoute,  p.  38y  :  anno  y" 
Constant.,  qui  fuit  Xti  "jSO,  Solcm  per  ly  dies  obscuratum  fuisse  radios- 
que  nulios  emittentem. 

"  V.  encore  Tertull.  ad  Scapulam,  dont  uoicy  les  termes  :  \'am  et  Sol  ille 
in  conucntu  ]'ticcnsi,  extincto  penc  luininc,  adeo  portcntum  fuit,  ut  nor 
potuerit  ex  ordinario  dcliquio  hoc  pati,  <  positus  >  in  suo  hypsomate  et 
domicilio.  Habetis  astrologos.  »  (Note  MS.  en  marge  de  l'exemplaiie 
annoté.) 

Œuvres.  IV.  ^ 


102  OEUVRES  DE  Descartes. 

en  oftent  entièrement  la  veuë.  Et  c'eft  ainfi  qu'on  a  comté  autrefois 
fept  Plejades,  au  lieu  qu'on  n'en  voit  maintenant  que  fix.  Et  il  fe 
peut  faire,  au  contraire,  qu'vn  aftre  que  nous  n'auons  point  veu 
auparauant,  paroiffe  tout  à  coup,  &  nous  furprenne  par  l'éclat  de  fa 
lumière  :  à  fçauoir  fi  tout  le  corps  de  cet  aftre  ayant  efté  couuert 
jufques  à  prefent  d'vne  tache  alfez  épailfe  pour  nous  en  ojier  entiè- 
rement la  veuë,  il  arriue  maintenant  que  la  matière  du  premier 
élément,  y  affluant  plus  abondamment  qu'à  l'ordinaire,  fe  répande 
fur  la  fuperficie  extérieure  de  cette  tache  ;  car  cela  ejlaiit,  elle  la 
doit  couurir  toute  en  fort  peu  de  temps,  &  faire  que  cet  aftre  nous 
paroille  auec  autant  de  lumière,  que  s'il  n'eftoit  enuelopé  d'aucune 
tache.  Et  il  peut  continuer  long-temps  par  après  à  paroiftre  auec 
cette  mefme  lumière,  ou  bien  auffi  la  perdre  peu  à  peu.  C'eft  ainfi 
qu'il  arriua,  fur  la  fin  de  l'an  1572,  qu'vne  Eftoile,  qu'on  n'auoit 
point  veuë  auparauant,  parut  dans  le  figne  de  CaflTiopée,  auec  vne 
lumière  fort  éclatante  &  fort  viue,  laquelle  s'obfcurcit  par  après 
217  peu  à  peu,  tant  qu'elle  difl  parut  entièrement  vers  le  commence- 
ment de  l'an  1574.  Et  nous  en  remarquons  quelques  autres  dans  le 
ciel,  que  les  anciens  n'ont  point  vcuilSy  mais  qui  nedifparoijjentpasfi 
lojt.  De  toutes  lefquelles  chofes  je  talcheray  icy  de  rendre  raifon. 

io5.  Qu'il  y  a  des  pores  dans  les  taches,  par  où  les  parties  canelées 

ont  libre  pajfage. 

Pofons,  par  exemple,  que  l'aftre  I  '  eft  entièrement  couuert  de  la 
tache  defg,  &  confiderons  que  cette  tache  ne  peut  eftre  fi  épaifle, 
qu'il  n'y  ait  en  elle  pluficurs  pores  ou  petits  trous  par  où  la  matière 
du  premier  élément,  &  mefme  fes  parties  canelées...  peuuent 
palfer.  Car  ayant  efté  fort  molle  &  fort  rare  en  fon  commencement, 
il  y  a  eu  en  elle  quaniitc  de  tels  pores,  &  bien  que  fes  parties  fc 
foient  par  après  plus  ferrées,  «S'-  qu'elle  fait  deuenuif  plus  dure, 
toutefois  les  parties  canelées  &.  autres  du  premier  élément,  paf- 
fant  continuellement  par  dedans  les  pores,  n'ont  pas  permis  qu'ils 
fe  foient  fermez  tout  à  fait,  mais  feulement  qu'ils  fe  foieiit  ellrecis 
en  telle  forte  qu'il  n'j-  e/f  rejlè  qu'autant  d'efpace  qu'il  en  faut  pour 
donner  palfage  à  ces  parties  canelées  qui  font  les  plus  grolfcs  du 
premier  clément,- &  mefme  qu'autant  qu'il  en  faut  pour  leur  donner 
pajfat^e  du  cojïé  qu'elles  ont  coujlumc  d'y  entrer,  en  forte  que  les 
porcs  par  où  <  font  admifcs  >  <*cll(is  qui  font  venues  de  l'vn  des 

a.  Planche  IX,  Hgurc  u 


Principes.  —  Troisiesme  Partie.  i6j 

pôles  vers  I,  neTeroient  pas  propres  à  les  rece|uoir,  fi  elles  retour-     218 
noient  d'I  vers  ce  me/me  pôle,  ny  à  receuoir  celles  qui  viennent  de 
l'autre  pôle,  pource  qu'elles  font  tournées  en  coquille  d'autre  façon. 

106.  Pourquoy  elles  ne  peuuent  retourner  par  les  me/mes  pores 
par  où  elles  entrent. 

Ainfi  il  faut  penfer  que  les  parties  canelées. . .  qui  coulent  fans 
cejfc  d'A  vers  /,  c'efl  à  dire  de  toute  la  partie  du  Ciel  qui  ell  autour 
du  pôle  A,  ...vers  la  partie  du  Ciel  HIQ,  fe  font  formé  certains  pores 
dans  la  tache  defg,  fuiuant  des  lignes  droites  qui  font  parallèles  à 
l'elTieu/if  (ou  peut-eftre  qui  font  tant  foit  peu  plus  proches  l'vnc  de 
l'autre  vers  d  que  vers  f  à  caufe  que  l'efpacé  qui  e/l  vers  X.d'oîi  elles 
viennent,  ejl  plus  ample  que  celuj'  oit  elles  fe  vont  rendre,  vers  I), 
&  que  les  entrées  de  ces  pores  font  éparfes  en  toute  la  moitié  de  la 
fuperficie  e/^,  &  les  forties  en  l'autre  moitié  edg,  de  façon  que 
les  parties  canelées  qui  viennent  d'A,  peuuent  ayfement  entrer  par 
efg-,  &  foriir  par. . .  edg ;  mais  non  point  retourner  par  edg,  ny 
fortir  par  efg.  Dont  la  raifon  ell  que,  cette  tache  n'ayant  efté  com- 
pofée  que  des  parties  du  premier  élément,  qui  ellant  très-petites, 
ۥ  ayant  des  figures  fort  irregulieres,  fe  font  jointes  les  vnes  aux 
autres,  ainfi  que  pluiieurs  petites  branches  d'arbres  entajfées  toutes 
enfemble,  les  parties  canelées  qui  font  venues  d'/l  par  f  vers  d,  ont 
deu  plier  6'-  faire  pencher  df  vers  d  toutes  les  extremitez  |  de  ces  219 
petites  branches  qu'elles  ont  rencontrées  en  paffant  par  les  pores 
qu'elles  fe  font  fornie-{.  De  forte  que,  fi  elles  repalfoient  de  d  vers  y 
par  ces  mefmes  pores,  elles  rencontreroient  à  contre  fens  les  extre- 
mite\  de  ces  petites  branches  qu'elles  ont  ainfi  pliées^  à-  les  redrcf- 
lant  quelque  peu,  fe  boucheroient  le  paflage.  En  mefme  façon  les 
parties  canelées  qui  viennent  du  pôle  B,  fe  font  formé  d'autres 
pores  en  cette  tache  defg,  l'entrée  defquels  ell  en  la  moitié  de  cette 
tache  edg,  ik  la  fortic  en  l'autre  moitié  efg. 

loj.  Pourquoy  celles  qui  viennent  d'vn  pôle  doiuent  auoir  d'autres  pores 
que  celles  qui  viennent  de  l'autre. 

Et  il  faut  remarquer  que  ces  porcs  font  creufez  en  dedans,  ainfi 
que  l'écrouë  d'vne  vis,  au  fens  qu'ils  le  doiuent  efire  pour  donner 
libre  paflage  aux  parties  canelées  qu'ils  ont  coufiume  de  receuoir  :  ce 
qui  ert  caufe  que  ceux  par  où  pafi'ent  les  parties  canelées  qui 
viennent  d'vn  pôle,  ne  fçauroient  receuoir  celles  qui  viennent  de 


164  Œuvres  de  Descartes. 

l'autre  po\e,  pource  que  leurs  rayes  ou  canaux  font  tournez  en  coquille 
d'vne  façon  toute  contraire. 

loS.  Comment  la  matière  du  premier  élément  prend /on  cours 
par  ces  pores. 

Ainfi  donc'  la  matière  du  premier  élément,  qui  vient  de  part  & 
d'autre  des  pôles,  peut  palTer  par  ces  pores  jufques  à  l'aftre  I";  & 
pource  que  celles  de  fcs  parties  qui  font  canelées,  font  les  plus  groffes 
de  toutes,  &  qu'elles  ont  par  confequent  le  plus  de  force  à  conti- 

220  nuer  leur  mouue|ment  en  ligne  droite,  elles  n'ont  pas  couftume  de 
s'y  arreiler;  mais  celles  qui  entrent  par/fortent. . .  par  d,  par  où 
elles  arriuent  dans  le  Ciel,  où  elles  rencontrent  \t?,  parties  du  fécond 
élément,  ou  bien  la  matière  du  premier  venant  de  B,  qui,  les  empef- 
chant  de  palTer  plus  auant  en  ligne  droite,  fait  qu'elles  retournent 
de  tous  cortez,  entre  les  par^ties  de  l'air  marqué  x  x,  vers  efg, 
l'hemifphere  de  la  tache  par  lequel  elles  font  auparauant  entrées  en 
cet  afire.  Et  toutes  celles  de  ces  parties  canelées  qui  peuuent  trou- 
uer  place  dans  les  pores  de  cette  tache  (ou  de  ces  taches,  car  il  y  en 
peut  auoir  plufeurs  l'vne  fur  l'autre,  ainfi  que  Je  feraj-  voir  cj' 
après'...),  rentrent  par  eux  en  l'ajlre  I ;  puis,  en  refortant  par 
rhemifphere  edg,  &  de  là  retournant  par  rair  de  tous  coftez  pe7'S 
ïhemifphere  efg,  elles  compofent  comme  vn  tourbillon  autour  de  cet 
afire.  Âlais  celles  qui  ne  peuuent  trouuer  place  en  ces  pores,  font 
brifées  &  diffipées  par  la  rencontre  des  parties  de  cet  air,  ou  bien 
font  chaffées  vers  les  parties  du  Ciel  qui  font  proches  de  l'Eclyptique 
HQ**  ou  M  Y.  Car  il  faut  icy  remarquer  que  les  parties  canelées 
qui  viennent  d'A  vers  I,  ne  font  point  en  fi  grand  nombre,  qu'elles 
occupent  continuellement  tous  les  pores  qui  leur  peuuent  donner 

221  palTagc  au  trauers  de  la  tache  efg,  pource  quelles  n'occu|pent  pas 
aulTi  dans  le  Ciel  tous  les  interualles  qui  font  autour  des  petites  boules 
du  fécond  élément,  &  qu'il  doit  y  auoir  là  parmy  elles  beaucoup 
d'autre  matière  plus  fubtile,  afin  de  remplir  tous  ces  interualles, 
nonobflant  les  diuers  mouuemens  de  ces  boules;  laquelle  matière 
plus  fubtile,  venant  d'A  vers  I  auec  les  parties  canelées,  entreroit  auec 
elles  dans  les  porcs  de  la  tache  efg,  fi  les  autres  parties  canelées,^/// 
font  for  lies  de  cette  tache  par  fon  hcmifphere  edg,  &  reuenuës  de  là 

a.  \o\t  Correspondance  de  Descartes,  t.  IV,  p,  458-460. 

b.  Planche  IX,  Hgurc  i. 

c.  Art.  112  Cl  ii3. 

d.  Voir  Correspondance  de  Descartes,  t.  V,  p.  387. 


Principes.  —  Troisiesme  Partie.  i6^ 

par'  l'air  xx  vers  f,  n'auoient  plus  de  force  qu'elle  pour  les  occuper. 
Au  rcrte.ce  que  je  viens  de  dire  des  parties  canelées  qui  rienuoit  iitt 
pôle  A  <S^  entrent  par  rhemifphere  efg-,  fe  doit  entendre  en  niefmc 
façon  de  celles  qui  viennent  du  pôle  B  &  entrent  par  rhemil'plicre 
edg  :  à  fçauoir  qu'elles  y  ont  creufé  des  paflages,  tourne';  en  coquille 
tout  au  rebours  des  autres,  par  lefquels  elles  coulent...  à  trauers 
l'aftre  !.. .  de  d  vers/,  puis  de  là. . .  retournent  vers  d  par  l'air  xx, 
faifant  ainji  vne  efpece  de  tourbillon  autour  de  cet  a/lre  ;  &  que 
cependant  Hy  a  touf-jours  Siutant  de  ces  parties  canelées  qui  le  défont, 
ou  bien  s'écoulent  dans  /e  nW  vers  l'Eclyptique  M  Y,  qu'il  en. vient 
de  nouuelles  du  pôle  B. 

log.  Qu'il  y  a  encore  d'autres  pores  en  ces  taches  qui  croifent 
les  precedens. 

Pour  le  refte  de  la  matière  du  premier  élément  qui  compofc 
l'aftre  I,  tournant  autour  de  l'efTieu  \fd,  il  fait  continuellement  822 
effort  pour  s'en  éloigner,  &  aller  dans  le  ciel  vers  l'Eclj'ptique  MY, 
C'ell  pourquoy  il  s'eft  formé  dés  le  commencement  d'autres  pores, 
&  les  a  conferuez  depuis  dans  la  tache  de/g,  lefquels  croifent... 
les  precedens  ;  &  il  y  a  touf-jours  quelques  parties  de  cette  matière 
qui  fortent  par  eux,  à  caufe  qu'il  en  entre  aulTi  touf-jours  quelques 
vnes  par  les  autres  pores  auec  les  parties  canelées.  Car  les  parties  de 
cette  tache  font  tellement  jointes  l'vne  à  l'autre,  que  l'ajlre  I  qu'elles 
enuironnent  ne  peut  deuenir  plus  grand  ny  plus  petit  qu'il  e(î;  c'cft 
pourquoy  il  doit  touf-jours /o;7/V  de  luj-  autant  de  matière  qu'il  j' 
en  entre. 

j  10.  Que  ces  taches  empefchent  la  lumière  des  aftres  qu'elles  couurent. 

Et  pour  la  mefme  raifon,  la  force  en  quoy  j'ay  dit  cy-deffus'  que 
confiite  la  lumière  des  ajîres.  doit  eftre  en  cetuy-cy  entièrement 
efteinte,  ou  du  moins  fort  aflfoiblie.  Car  en  tant  que  fa  matière  fe 
meut  autour  de  Vt^xtu  fd,  toute  la  force  dont  elle  tend  à  s'éloigner 
de  cet  eflieu,  s'amortit  contre  la  tache,  &.  n'agit  point  contre  les  par- 
ties du  fécond  élément  qui  font  au  delà.  Et  aufli  la  force  dont  les 
parties  canelées,  qui  viennent  d'vn  pôle,  tendent  directement  vers 
l'autre  en  fortant  de  cet  ajîre.  ne  peut  auoir  en  cecy  aucun  elTet  : 
non  feulement  à  caufe  que  ces  parties  canelées  ne  fe  mcuuent  pas  du 
tout  fi  vite  que  le  relie  de  la  matière  du  premier  clément,  |  C^  font     223 

a.  i\rt.  77  et  78,  p.  145-146. 


i66  OEuvPEs  DE  Descartes. 

fort  petites  à  comparaifon  de  celles  du  fécond,  le/quelles  il  faudrait 
quelles  pouj'ajj'ent  pour  exciter  de  la  lumière;  mais  principalement 
à  caufe  que  celles  qui/or/t»;//  de  cet  ajlre,  ne peuuent  auoir  plus  de 
force  à  poujjer  la  matière  du  ciel  j'crs  les  pôles,  que  celles  qui  viennent 
des  pôles  à  la  ?'epouJJer  en  mefme  temps  vers  cet  aflre. 

III.  Comment  il  peut  arriuer  qu'vne  nouuelle  EJloile  paroijfe  tout  à  coup 

dans  le  Ciel. 

Mais  cela  n'empefclie  pas  que  la  matière  du  fécond  élément  qui  eft 
autour  de  cet  aftre,  &  compofe  le  tourbillon  A  YBM\  ne  retienne  la 
force  dont  elle  pouffe  de  tous  coJle-{  les  autres  tourbillons  qui  l'en- 
uironnent,  &  mefme  encore  que  peut  élire  cette  force  foii  trop  petite 
pour  faire  fentir  de  la  lumière  à  nos  yeux,  def quels  je  fuppofe  que  ce 
.  tourbillon  ejî  fort  éloigné,  elle  peut  neantmoins  élire  allez  grande 
pour  preualoir  à  celle  des  autres  tourbillons  voifins  de  cetuy-cy, 
en  forte  qu'il  les  preffe  plus  fort  qu'il  n'eft  prelTé  par  eux.  En  fuite 
de  quoy  il  faudroit  que  l'aftre  I  devint  plus  grand  qu'il  n'eft,  s'il 
n'eftoit  point  borné  de  tous  collez  par  la  tache  def  g.  Car  fi  nous 
penfons  que  maintenant  AYBM  eft  la  circonférence  du  tourbillon  I, 
nous  deuons  auffi  penfer  que  la  force  dont  les  parties  de  fa  matière 
qui  font  vers  cette  circonférence,  tendent  à  pafler  plus  outre  (S'-  entrer 
Zlk  en  là  place  des  autres  tourbil|lons  voifins,  n'eft  ny  plus  ny  moins 
grande,  mais  exadement  égale  à  celle  dont  la  matière  de  ces  autres 
tourbillons  tend  à  s'auancer  vers  I,  pource  qu'il  n'y  a  aucune  caufe, 
que  la  feule  égalité  de  ces  forces,  qui  face  que  cette  circonférence  foit 
où  elle  eft,  &  non  point  plus  proche  ny  plus  éloignée  du  point  I.  Si 
après  cela  nous  penfons  que,  par  exemple,  la  force  dont  la  matière 
du  tourbillon  O  prefl'e  celle  du  tourbillon  I,  'diminue,  fans  qu'il  y 
ait  rien  de  changé  en  celle  des  autres  (&  ctcy  peut  arriuer  pour  plu- 
fieurs  caufes,  comme  fi  fa  matière  s'écoule  en  quelqu'vn  des  autres 
tourbillons  qui  le  touchent,  ou  bien  qu'il  deuienne  couuert  de 
taches...,  &c.),  il  faut,  fuiuant  les  loix  de  la  nature,  que  la  cir- 
conférence du  tourbillon  I...  s'auance  d'Y  vers  P;  en  fuite  de 
quoy...  il  faudroit  auiTi  que  celle  de  l'aftre  I  devint  plus  grande 
qu'elle  n'eft,  fi  elle  n'eftoit  point  bornée  par  la  tache  def  g,  à  caufe 
que  toute  la  matière  de  ce  tourbillon  s'éloigne  le  plus  qu'elle  peut  du 
centre  I.  Mais  pource  que  la  tache  def  g  ne  permet  pas  que  la  gran- 
deur de  cet  aflre  fc  change,  //  ne  peut  arriuer  icf  autre  chofe,  ftnon 

«.  Planche  IX,  figure  i. 


Principes.  —  Troisiesme  Partie.  167 

que  les  petites  parties  du  fécond  élément,  qui  font  autour  de  cette 
tache,  s'écarteront  les  vnes  des  autres,  ajîn  d'occuper  plus  de  place 
qu'auparauant.  Et  elles  peuuent  ainji  pn  peu  s'écarter,  Jans  pour  cela 
Je  I  feparer  entièrement,  ny  cejfer  d'ejlre  jointes  à  cette  tache  :  ce  qui  225 
n'f  caufera  aucun  changement  remarquable,  à  caufe  que  la  matière  du 
premier  élément  qui  remplira  tous  les  interualles  qui  feront  autour 
d'elles,  y  fera  tellement  diuifée,  qu'elle  n'aura  pas  beaucoup  de 
force;  mais  s'il  arriue  qu'elles  s'écartent  fi  fort  les  vues  des  autres, 
que  la  matière  du  premier  élément  qui  les  poulfe  en  fortant  de  la 
tache,  ou  quelqu'autre  caufe  que  ce  foit,  ait  la  force  de  faire  que 
quelques  vnes  ceffent  de  toucher  la  fuperficie  de  cette  tache,  la 
matière  du  premier  élément  qui  remplira  incontinent  tout  l'efpaçe 
qui  fera  entre-deux,  y  aura  auflî  affez  de  force  pour  en  feparer 
encore  quelques  autres;  &  pourceque  fa  force  s'augmentera  d'autant 
plus  qu'elle  en  aura  ainfi  feparé  dauantage  de  la  fuperficie  de  cette 
tache,  &que...  fon  adion  ell  extrêmement  prompte,  (tWt  feparera 
prefque  en  vn  inrtant  toute  la  fuperficie  de  cette  tache  de  celle  du 
Ciel;  Si  prenant  fon  cours  entre-deux,  elle  tournera  en  mefme  façon 
quQ  celle  qui  compofe  l'affre  I,  prelfant  par  ce  moyen  de  tous  collez 
la  matière  du  Ciel  qui  l'enuironne,  auec  autant  de  force  que  feroit 
<ct  artre,  s'il  n'eftoit  couuert  d'aucune  tache. . .  ;  &  ainfi  il  paroiftra 
tout  à  coup  auec  vne  lumière  fort  éclatante. 

/  /  2 .  Comment  vne  EJîoile  peut  difparoijîre  peu  à  peu. 

Or  fi  cette  tache  eft  fi  mince  &  fi  rare,  que  la  |  matière  du  premier  226 
élément,  prenant  ainfi  fon  cours  fur  fa  fuperficie  extérieure,  la  puilfe 
difl"oudre  &  difjiper,  l'aftre  I  ne  difparoiltra  pas  aifement  derechef, 
pource  qu'il  faudroit  à  cet  effet  qu'il feformajl  fur  luf  vne  nouuelle 
tache  ^w/  couurift...  toute  fa  fuperficie.  Mais  fi  elle  eft  fi  épaiffe, 
que  l'agitation  de  la  matière  du  premier  élément  ne  la  difiipe  point, 
elle  la  rendra,  tout  au  contraire,  plus  dure  &  plus  ferrée  en  fa  fuper- 
ficie extérieure*...  Et  s'il  arriue  cependant  que  les  caufes  qui  ont 
fait  auparauant  que  la  matière  du  tourbillon  O  s'ejl  reculée  d'Y 
vers  P,  foient  changées,  en  forte  que,  tout  au  contraire,  elle 
s'auance  peu  à  peu  de  P  vers  Y,  ce  qu'il  y  a  du  premier  élément 
entre  la  tache  defg  <&  le  Ciel,  diminuifraj  &  fe  couurira  de  plufieurs 
autres  taches  qui  obfcurciront  peu  à  peu  fa  lumière  ;  puis,  fi  cela 
continué",  elles  la  pourront  enfin  efteindre  tout  à  fait,  &  mefme 

a.  Voir  art.  102,  p.  1 60  ci-avatii. 


i68  Œuvres  de  Descartes. 

occuper  entièrement  l'efpace  qu'a  rempl/  le  premier  élément  entre  la 
tache  defg  &  le  Ciel  xx.  Car  les  parties  du  fécond  élément  qui  com- 
pofent  le  tourbillon  O,  s'anançant  de  P  vers  Y,  prelTeront  toutes 
celles  du  tourbillon  I,  qui  font  en  fa  circonférence  extérieure  APBM, 
&  en  fuite  aulTi  toutes  celles  de  fa  circonférence  intérieure  xx, 
lefquelles  eitant  ainfi  prefTées  &  engagées  dans  les  pores  de  l'air,  que 

227  j'ay  dit'/e  trouuer  autour  |  de  chafque  aftre,  feront  que  les  parties 
canclées  &.  autres  des  moins  fubtiles  du  premier  élément,  qui  fortent 
de  l'aftre  I,  n'entreront  pas  fi  li-brement  que  de  coujltime  dans  le  Ciel 
XX.  G'eft  pourquoy  elles  feront  contraintes  ^e/eyo/«^re  les  vnes  aux 
autres,  &  compofcr  des  taches,  lefquelles,  occupant  enfin  tout  l'efpace 
qui  efloit  entre  defg  &  xx,  y  feront  comme  vne  nouvelle  écorce,  au 
dejfus  de  la  première  qui  couure  l'afire  I. 

1 13.  Que  les  parties  canelées  fe  font plufieurs paffages  en  toutes  les  taches. 

Et  il  peut,  par  fuccefjion  de  temps,  fe  former  en  mefme  façon  plu- 
fieurs autres  telles  écorces/i/r  ce  mefme  afîre,  touchant  lefquelles  on 
peut  icy  remarquer,  par  occafion,  que  les  parties  canelées  fe  font 
des  partages  par  où  elles  peuuenr/w/wre  leur  cours  fans  interruption, 
au  trauers  de  toutes  ces  taches,  ainfi  qu'au  trauers  d'vne  feule.  Car 
à  caufe  qu'elles  ne  font  compofées  que  de  la  matière  du  premier 
élément,  elles  font  fort  molles  en  leur  commencement,  &  laiffent 
paffer  aifement  ces  parties  canelées,  qui,  continuant  touf-jours  par 
après  le  mefme  cours,  pendant  que  ces  taches  deuiennent  plus  dures] 
empefchent  que  les  chemins  qu'elles  fe  font  faits  ne  fe  bouchent.  Mais 
il  n'en  eft  pas  de  mefme  de  Vair  qui  enuironne  les  aftres  :  car  bien 
qu'eftant  compofé  du  débris  de  ces  taches,  les  plus  groffes  de  fes 

228  parties  retiennent  encore  |  quelques-vnes  des  ouuertures  que  les  par- 
ties canelées  y  ont  faites,  neantmoins,  pource  qu'elles  obeïflent  aux 
mouuemens  de  la  matière  du  Ciel  qui  eft  méfiée  parmy  elles,  &  ne 
font  pas  touf-jours  en  vne  mefme  fituation,  les  entrées  &  forties  de 
ces  ouuertures  ne  fe  rapportent  pas  les  mes  aux  autres,  6'  ainjî  les 
parties  canelées  qui  tendent  à  fuiure  leur  cours  en  ligne  droite,  ne 
peuuent  que  fort  rarement  les  rencontrer. 

/  14.  Qu'vne  mefme  EJioile  peut  paroijlre  &  difparoijire  plufieurs  fois. 
Mais  il  peut  aifement  arriuer  qu'vne  mefme  EUoile  nous  paroifle 
a.  Art.  100,  p.  159. 


Principes.  —  Troisiesme  Partie.  169 

&  difparoiffe  plufieurs  fois  en  la  façon  qui  a  ejté  icf  expliquée,  & 
qu'à  chaque  fois  qu'elle  difparoijîra.  il  fe  forme  vne  nouuelle  écorce 
de  taches  qui  la  couure.  Car  ces  changements  alternatifs  qui 
arriuent  aux  corps  qui  fe  meuuent,  font  fort  ordinaires  en  la  nature  : 
en  forte  que,  lors  qu'vn  corps  eft  pouffé  vers  vn  lieu  par  quelque 
caufe,  au  lieu  de  s'arrefter  en  ce  lieu-là  lors  qu'il j-  ejl  paruenu,  il  a 
coultume  de  pafler  outre,  jufques  à  ce  qu'il  foit  repouffé  vers  le 
mefme  lieu  par  vne  autre  caufe.  Ainfi  pendant  qu'vn  poids,  attaché 
à  vne  corde,  efl  emporté  de  trauers  par  la  force  de  fa  pefanteur  vers 
la  ligne  qui  joint  le  centre  de  la  terre  auec  le  point  duquel  pend  cette 
corde,  il  acquert  vne  autre  force  qui  fait  continuer  fon  mouuement 
au  delà  de  cette  ligne,  vers  le  collé  oppofé  à  celuy  d'oii  il  a 
commencé  à  fe  mou\uoir,  jufques  à  ce  que  fa  pefanteur,  ayant  fur-  229 
monté  cettQ  autre  force,  le  face  retourner;  &  en  retournant  il  acquert 
derechef  vne  autre  force  qui  le  fait  pajfer  au  delà  de  cette  mefme 
ligne.  Ainfi,  après  qu'on  a  meu  la  liqueur  qui  efl  en  quelque  vaif- 
feau,  quoj"  qu'on  l'ait  feulement  poujfée  vers  vn  cafté,  elle  va  &reuient 
plufieurs  fois  vers  les  bords  de  ce  vaijfeau,  auant  que  de  s'arrefler. 
Et  ainfi,  pource  que  tous  les  tourbillons  qui  compofent  les  cieux, 
font  à  peu  près  égaux  en  force  &  comme  balancez  entr'eux,  fi  la 
matière  de  quelques-vns  fort  de  cet  équ'iVibTt,  comme  je  fuppofe  que 
fait  icy'  celle  des  tourbillons  O  &  I,  elle  peut  auancer  &  reculer  plu- 
fieurs fois,  de  P  vers  Y  &  d'Y  vers  P.  auant  que  ce  mouuement  foit 
arreflé. 


Il  5.  Que  quelquefois  tout  vn  tourbillon  peut  ejlre  dejïruit. 

Il  peut  arriuer  aufTi  qu'vn  tourbillon  entier  foit  deftruit  par  les 
autres  qui  l'enuironnent,  &  que  l'Efloile  qui  eftoit  en  fon  centre, 
palfani  en  quelqu'vn  de  ces  autres  tourbillons,  fe  change  en  vne 
Comète  ou  en  vne  Planète.  Car  nous  n'auons  trouué  cy-deffus"  que 
deux  caufes  qui  empefchent  ces  tourbillons  de  fe  deflruire  les  vns 
les  autres.  Dont  l'vne,  qui  confifle  en  ce  que  la  matière  d'vn  tour- 
billon efl  empefchée  de  s'auancer  vers  vn  autre  par  ceux  qui  en  font 
plus  proches,  ne  peut  auoir  lieu  en  tous,  pource  que  fi,  par  exemple', 
la  matière  du  tourbillon  |  S  ell  tellement  preflee  de  part  &  d'autre  230 
par  celle  des  tourbillons  L  &  N,  que  cela  l'empefche  de  s'auancer 
\QTs  D  plus  qu'elle  ne  fait,  elle  ne  peut  eflre  empefchée  en  mefme 

a.  Planche  IX,  figure  i. 

b.  Voir  surtout  art.  69  à  71,  p.  1 39  à  141. 

c.  Planche  III. 


lyo  Œuvres  de  Descartes. 

façon,  de  s'auancer  vers  L  ou  N  par  celle  du  tourbillon  D,  ny  d'au- 
cuns autres,  fi  ce  n'eft  qu'ils  foient  plus  proches  de  luy  que  ne  font 
L  &  N...;  Si  ainfi  que  cette  caufe  n'a  point  de  lieu  en  ceux  qui  font 
les  plus  proches.  Pour  l'autre,  qui  confifle  en  ce  que  la  matière... 
de  l'aftre  qui  eft  au  centre  de  chaque  tourbillon,  poulîe  continuelle- 
ment celle  de  ce  tourbillon  vers  les  autres  qui  l'enuironnent,  elle  a 
véritablement  lieu  en  tous  les  tourbillons. dont  les  aftres  lie  font 
ofTufquçz  d'aucunes  taches;  mais  il  eft;  certain  qu'elle  celte  en  ceux 
dont  les  ajlres  font  entièrement  couuerts  de  ces  taches,  principale- 
ment lors  qu'il  y  en  a  pluficurs  couches  qui  font  comme  emtant 
d'écorces  l'vne  fur  l'autre. 

1 16.  Comment  cela  peut  arriuer  auant  que  les  taches  qui  couurent 
fon  ajîre  foient  fort  épaiffes. 

Ainfi  on  peut  voir  que  chaque  tourbillon  n'eft  point  en  danger 
d'eftre  deftruit...,  pendant  que  l'aftre  qu'il  a  en  fon  centre  eft  fans 
taches;  mais  que,  lors  qu'il  en  eft  entièrement  couuert,  il  n'y  a  que 
la  façon  dont  ce  tourbillon  eft  fitué  entre  les  autres,  qui  face  qu'il 
foit  deftruit  par  eux  pluftoft  ou  plus  tard.  A  fçauoir,  s'il  eft  telle- 
ment fiiué,  qu'il  face  beaucoup  d'empefchement  au  cours  de  la  ma- 
Î31  tiere  des  autres  toûrbil|lons,  il  pourra  eftre  deftruit  par  eux,  auant 
que  les  taches  qui  couurent  fon  aftre  ayent  loifir  de  deuenir  fort 
épaiffes;  mais  s'il  ne  les  empefche  pas  tant,  ils  le  feront  diminuer 
peu  à  peu,  en  attirant  vers  eux  quelques  parties  de  fa  matière,  & 
cependant  les  taches  qui  couurent  l'aftre  qu'il  a  en  fon  centre, 
s'épaiftiront  de  plus  en  plus,  &  il  s'accumulera  continuellement  de 
nouuellc  matière,  non  feulement  en  dehors,  en  la  façon  cy-deffus 
expliquée*,  mais  aurti  en  dedans  autour  d'elles.  Par  exemple,  en  cette 
figure*',  le  tourbillon  N  eft  tellement  fitué,  qu'il  empefche  manifefte- 
ment  le  cours  du  tourbillon  S,  dauantage  que  ne  fait  aucun  des 
autres  qui  l'enuironnent;  c'eft  pourquoy  il  fera  facilement  emporté 
par  luy,  fi  toft  que  l'aftre  qu'il  a  en  fon  centre,  eftant  couuert  de 
taches,  n'aura  plus  de  force  pour  luy  refifier.  Et  alors  la  circonfé- 
rence du  tourbillon  S,  qui  eft  maintenant  referrée  par  la  ligne 
courbe  OPQ,  s'cllcndra  jufques  à  la  ligne  ORQ,  pource  qu'il  em- 
portera aucc  foy  toute  la  matière  qui  eft  contenue  entre  ces  deux 
lignes  OPQ,  ORQ,  &  luy  fera  fuiure  fon  cours,  pendant  que  le 
rcftc  de  lii  matière  qui  compofoit  le  tourbillon  N,  à  fçauoir  celle  qui 

a.  Art.  113,  p.  167. 

b.  Planche  HI. 


Principes.  —  Tboisiesmk  Partie.  171 

eft  entre  les  lignes  ORQ,  OMQ,  fera  aufli  emportée  par  les  autres 
tourbillons  voifins.  Car  rien  ne  Içauroit  |  conferuer  le  tourbillon  N  232 
en  la  fiiuation  où  je  le  fuppofe  à  prefent,  fmon  la...  force  de  l'a/îre 
qui  efl  en  fon  centre,  ^  qui,  pouffant  de  tous  collez  la  matière  du 
fécond  élément  qui  l'e)iuiro)iiie,  la  contraint  de  fuiure  fon  cours 
pluftofl  que  ccluy  des  tourbillons  d'alentour.  Kt  cette  force  s'alloi- 
blit,  puis  enfin  fe  perd  tout  à  fait,  à  mefure  que  cet  al\re  fe  couure 
de  taches. 

iij.  Commentées  taches petitient  aujfi  quelquefois  deuenir  fort  épaijfes, 
auant  que  le  tourbillon  qui  les  contient  foit  dejîruit. 

.  Mais  en  cette  autre  figure  \\q  tourbillon  C  eil  tellement  fitué  entre 
les  quatre  S,  F, G,  H  &  les  deux  autres  M  &  N,  lefquels  on  doit  con- 
ceuoir  au  defl'us  de  ces  quatre,  que,  bien  qu'il  s'amall'c  quantité  de 
taches  fort  épaifles  autour  de  l*ïiftre  ^«*/7  a  eu  fon  centre,  il  ne  pourra 
toutefois  eftre  entièrement  deftruit,  pendant  que  les  forces  de  ces  fix 
qui  l'euuironnent  feront  égales.  Car  je  fuppofe  que  les  deux  S,  F,  & 
le  troifiéme  M,  qui  elt  au-deffus  d'eux  cnuiron  le  point  D,  fe  meu- 
uent  chacun  autour  de  fon  propre  centre,  de  D  vers  C  ;  &  que  les 
trois  autres  G,  H,  &  le  fixiéme  N  qui  eÛ  fur  eux,  fe  meuuent  aufli 
chacun  autour  de  fon  centre,  d'E  vers  C;  &  enfin, 'que  le  tourbillon 
C  eft  tellement  enuironné  de  ces  fix,  qu'il  n'en  louche  aucuns  autres, 
&  que  fon  centre  eft  également  diftant  de  tous  leurs  centres,  &  que 
l'effieu  autour  duquel  il  fe  meut,  eft  en  la  ligne  E  D:  au  moyen  d? 
quoy  les  |  mouuemens  de  ces  fept  tourbillons  s'accordent  fort  bien,  233 
&  quelque  quantité  de  taches  qu'il  puiffe  y  auoir  autour  de  l'aftre... 
C,  en  forte  qu'il  ne  luy  refte  que  peu  ou  point  de  force  pour  faire 
tourner  auec  foy  la  matière  du  tourbillon  qui  l'enuironne,  il  n'y  a 
aucune  raifon  pour  laquelle  les  fix  autres  tourbillons  puilfcnt 
chalfer  cet  aftre  hors  de  fa  place,  pendant  qu'ils  font  tous  fix  égaux 
en  force. 

1 18.  En  quelle  façon  elles  font  produites. 

Mais  afin  de  fçauoir  en  quelle  façon  il  a  pu  s'amafler  fort  grande 
quantité  de  taches  autour  de  luy,  penfons  que  fon  tourbillon  a  efté 
au  commencement  aufti  grand  que  chacun  des  fix  autres  qui  l'enui- 
ronnent...,  &  que  cet  aftre,  eftant  compofé  de  la  matière  du  premier 
clément,  qui  venoit  en  luy  des  trois  tourbillons  S,  F,  M,  par  fon 

a.  En  marge  :  «  Voyez  la  figure  2  de  la  planche  9.  »> 


172  OEUVRES  DE  Descartes, 

pôle  D,  &  des  trois  autres  G,  H,  N,  par/o«  autre  pole%  &  n'en  refor- 
toit  par  fou  Ecljy  tique  qui  ejloit  vis  à  vis  des  points  K  &  L,  que  pour 
rentrer  en  ces  mefmes  tourbillons,  a  auiïi  efîé  fort  grand  ;  en  forte 
qu'il  auoit  la  force  de  faire  tourner  auec  foy  toute  la  matière  du 
Ciel  comprife  en  la  circonférence  1234,  &  ainf  d'en  compofer  fort 
tourbillon  :  mais  que  l'inégalité  &  incommenfurabilité  des  fig-ures& 
grandeurs...  qu'ont  les  autres  parties  de  l'vniuers,  n'ayant  pu  per- 
mettre que  les  forces  de  cesfept  tourbillons  foient  touf  jours  demeu- 

234  rées  éga\les  comme  nous  fuppofons  qu'elles  ont  efîé  au  commencement, 
lors  qu'il  eft  arriué  que  le  tourbillon  G  a  eu  tant  foit  peu  moins  de 
force  que  fes  voifms,  il  y  a  eu  quelque  partie  de  fa  matière  qui  a 
paffé  en  eux,  &  cela  s'eft  fait  auec  impetuofité,  en  forte  qu'il  en  ell 
plus  paffé  que  la  différence  qui  efîoit  entre  fa  force  &  la  leur  ne  reque- 
roit  :  c'eit  pourquoy  il  a  deu  repaffer  en  luy  vn  peu  après  quelque 
partie  de  la  matière  des  autres,  &  ainfi  par  interualles  en  pajfer 
derechef  de  luy  en  eux,  &  d'eux  en  luy  plufeurs  fois .  Et  pource  qu'à 
chaque  fois  qu'il  efl  ainfi  forty  de  luy  quelque  matière,  fon  aftre  s'eft 
deu  couurir  d'vne  nouuelle  écorce  de  taches  en  la  façon  cy-dejfus 
expliquée^,  fes  forces  fe  font  diminuées  de  plus  en  plus  ;  ce  qui  a  eilé 
caufe  qu'il  eft  à  chaque  fois  forty  de  luy  vn  peu  plus  de  matière  qu'il 
n'y  en  eft  rentré,  jufques  à  ce  qu'enfin  il  eft  deuenu  fort  petit,  ou 
m'efme  qu'il  n'eft  rien  du  tout  refté  de  luy,  excepté  l'aftre  qu'il  auoit 
en  fon  centre,  lequel  aftre,  eftant  enuelopé  de  plufieurs  taches,  ne 
peut  fe  méfier  auec  la  matière  des  autres  tourbillons,  ny  eftre  chaffé 
par  eux  hors  de  fa  place,  pendant  que  ces  autres  tourbillons  font 
entr'eux  à  peu  près  d'égale  force.  Mais  cependant  les  taches  qui  l'en- 
uclopcnt  fe  doiuent  efpaiftir  de  plus  en  plus;  &  enfin,  fi  quelqu'vn 

235  des  tourbillons  voifins  deuient  |  notablement  plus  grand  &  plus  fort 
que  les  autres,  comme,  par  exemple,  fi  le  tourbillon  H  s'augmente 
tant  qu'i'  eftende  fa  fuperficie  jufques  à  la  ligne  5G7,  alors  il  em- 
portera facilement  auec  foy  tout  cet  aftre  G,  lequel  ne  fera  plus 
liquide  &.  lumineux,  mais  dur  &  obfcur  ou  opaque,  ainfi  qu'vne 
Gometc  ou  vne  Planète. 

I  If).  Comment  vne  EJîoile  fxe  peuLdeuenir  Comète  ou  Planète  '. 

Maintenant  il  faut  que  nous  confiderions  de  quelle  façon  fe  doit 
mouuoir  cet  aftre...,  lors  qu'il  commence  à  eftre  ainfi  emporté  par 

a.  En  marge  :  «  Voyez  la  figure  2  de  la  planche  9.  » 

b.  Art.  lia,  p.  167,  ci-avant. 

c.  Voir  Correspondance  de  Descartes,  t.  IV,  p.  461-463. 


Principes.  —  Troisiesme  Partie. 


1) 


le  cours  de  quelqu'vn  des  tourbillons  qui  luy  font  voifins.  Il  ne 
doit  pas  feulement  fe  mouuoir  en  rond  auec  la  matière  de  ce  tour- 
billon, mais  aufTi  eftre  pouffé  par  elle  vers  le  centre  de  ce  mouue- 
ment  circulaire,  pendant  qu'il  a  en  foy  moins  d'agitation  que  les 
parties  de  cette  matière  qui  le  touchent.  Et  pource  que  toutes  les 
petites  parties  de  la  matière  qui  compofe  vn  tourbillon,  ne  font  pas 
égales  ny  en  agitation,  ny  en  grandeur,  &  que  leur  mouuement  eft 
plus  lent,  félon  qu'elles  font  plus  éloignées  de  la  circonférence,  juf- 
ques  à  vn  certain  endroit,  au  deffous  duquel  elles  fe  meuuent  plus 
vite,  &  font  plus  petites,  félon  qu'elles  font  plus  proches  du  centre, 
ainfi  qu'il  a  efté  dit  cy-deffus*  ;  fi  cet  aftre  eft  fi  folide  que,  deuant  que 
d'eftre  defcendu  jufques  à  l'endroit  où  font  les  parties  du  tourbillon 
qui  fe  meuuent  le  plus  lente|ment  de  toutes,  il  ait  acquis  autant  236 
d'agitation  qu'en  ont  celles  entre  lefquelles  il  fe  trouuera,  il  ne  def- 
cendra  point  plus  bas  vers  le  centre  de  ce  tourbillon,  mais,  au  con- 
traire, il  montera  vers  fa  circonférence,  puis  palfera  de  là  en  vn 
autre,  &  ainfi  fera  changé  en  vne  Comète.  Au  lieu  que,  s'il  n'eft  pas 
affez  folidejPOMr  jct^wt'r/r  tant  d'agitation,  &  que  pour  ce  fujet  ildef- 
cende  plus  bas  que  l'endroit  oii  les  parties  du  tourbillon  fe  meuuent 
le  moins  rite,  il  arriuera  Jufques  à  quelque  autre  endroit  entre  cettuy- 
cy  &  le  centre,  où  eftant  paruenu  il  ne  fera  plus  que  fuiure  le  cours 
de  la  matière  qui  tourne  autour  de  ce  centre,  fans  monter  ujr  def- 
cendre  dauantage,  &  alors  il  fera  changé  en  vne  Planète. 

120.  Comment  fe  meut  cette  EJloile,  lors  qu'elle  commence 
à  n'ejlre  plus  fixe. 

Penfons,  par  exemple,  que  la  matière  du  tourbillon  AEIO" 
commence  maintenant  à  emporte»  auec  foy  l'aftre  N,  &  voyons  vers 
où  elle  doit  le  conduire.  Puifque  toute  cette  maf'ere  fe  meut  au- 
tour du  centre  S,  il  eft  certain  qu'elle  tend  à  s'en  éloigner,  fuiuant 
ce  qui  a  efté  dit  cy-de(fus%  &  par  confequent  que  celle  qui  eft  à 
prefent  vers  O,  en  tournant  par  R  vers  Q,  doit  pouffer  cet  aftre  en 
ligne  droite  d'N  vers  S,  &  par  ce  moyen  le  faire  dcfcendrc  vers  là. 
Car  en  confiderant  cy-apres"  la  nature  de  la  pefanteur,  on  con- 
noiftra  que,   lors  quVw  corps...  eft  ainfi  pouffé  vers  le  centre  du 

a.  Art.  83,  84  et  85,  pp.  149  et  i5o. 

b.  En  marge  :  «  Voyez  la  planche  3  en  la  page  précédente.  »  —  Voir 
aussi  Correspondance  de  Descartes,  t.  IV,  p.  463-464. 

c.  Ci-avanr,  art.  56  et  suiv.,  p,  i3i.  etc. 

d.  Partie  IV,  art.  23,  ci-après. 

« 


174  Œuvres  de  Descartes. 

237  tourbillon  dans  j  lequel  il  cft,  on  peut  dire  proprement  qu'il -def- 
cend.  Or  celle  maliere  du  Ciel  qui  ejl  vers  O  doit  ainfi  faire  defcendre 
cet  aftre  au  commencement,  lors  que  nous  ne  conceuons  point 
qu'elle  luy  donne  encore  aucune  autre  agitation;  mais  pource  que, 
l'enuironnant  de  toutes  parts,  elle  l'emporte  aufli  circulairement 
auec  foy  d'N  vers  A,  cela  luy  donne  incontinent  quelque  force 
pour  s'écarter  du  centre  S,  &  ces  deux  forces  ejîanl  contraires,  c'eft 
félon  qu'il  ell  plus  ou  moins  folide,  que  l'vne  a  plus  d'effet  que 
l'autre  ;  en  forte  que,  s'il  a  fort  peu  de  folidité,  il  doit  defcendre  fort 
bas  vers  S,  &  s'il  en  a  beaucoup,  il  ne  doit  que  fort  peu  defcendre 
au  commencement,  puis  incontinent  après  remonter  &  s'éloigner  du 
centre  S. 


121 


Ce  que  j'entens  par  la  folidité  des  corps,  &par  leur  agitation. 


l'entens  icy  par  la  folidité  de  cet  altre  la  quantité  de  la  matière 
du  troiliéme  élément,  dont  les  taches  &  l'air  qui  l'enuironnent 
font  compofez,  en  tant  qu'elle  ell  comparée  auec  Vefîenduë  de  leur 
fuperficie,  &  la  grandeur  de  l'efpace  qu'occupe  cet  aftre.  Car  la  force 
dont  la  maliere  du  tourbillon  A  E  I  O'  l'emporte  circulairement 
autour  du  centre  S,  doit  eftre  ellimée  par  la  grandeur  des  fuper- 
ticies  qu'elle  rencontre  en  l'air  ou  aux  taches  de  cet  a/Ire,  i\  caufe 
que,  d'autant  que  ces  fupertlcies  font  plus  grandes,  il  y  a  d'autant 
238  plus  grande  quantité  de  cette  |  matière  qui  agit  contre  luy.  Mais  la 
force  dont  cette  mefme  matière  le  fait  defcendre  vers  S,  doit  élire 
mefuréc  par  la  grandeur  de  l'efpace  qu'il  occupe,  à  caufe  que,  bien 
que  toute  la  matière  qui  ell  dans  le  tourbillon  AEIO,  face  effort 
pour  s'éloigner  d'S,  ce  n'eft  pas  toutefois  elle  toute,  mais  feulement 
ce  font  celles  de  fes  parties  qui  montent  en  la  place  de  l'allre  N, 
lors  qu'il  dcfccnd,  ^:  qui  par  confeqacnt  font  égales  en  grandeur  à 
rcfpncc  qu'il  quitte,  lefquelles  agiffcnt  contre  luy.  Enfin  la  force 
que  cet  allre  acquert  de  ce  qu'il  ejî  tranfportc  circulairement  autour 
du  centre  S  pai-  la  maliere  du  Ciel  qui  le  contient,  la  force,  dis-Je, 
qu'il  acquert  pour  continuer  à  ertre  ainfi  tranfporté,  ou  bien  à  fc 
mouuoir,  qui  elt  ce  que  j'nppclle  fon  agitation,  ne  doit  pas  eftre 
mefuréc  par  la  grandeur  de  fa  luperficic,  ny  par  la  quantité  de  toute 
la  matière  dont  il  cil  compofé,  mais  feulement  par  ce  qu'il  y  a  en 
luy,  ou  autour  de  luy,  de  la  matière  du  troiliéme  clément,  dont  les 
petite»  parties    fc  foulliennent  iS:  demeurent  jointes  les  vues  aux 

a.  Kn  marijc  :  *»  Voyez  la  planche  3  en  In  page  qui  fuit.  -< 


Principes.  —  Troisiesme  Partie.  175 

autres...  Car  pour  la  matière  qui  appartient  au  premier  ou  bien  au 
fécond  élément,  d'autant  qu'elle  fort  continuellement  hors  de  cet 
aflre,  &  qu'il  y  en  entre  d'autre  en  fa  place,  cette  dernière  ne  peut 
pas  retenir  la  force  de  l'agitation  qui  a  efté  mife  en  celle  à  |  qui  239 
elle  fuccede  :  outre  qu'il  n'a  peut-ejtre  efté  mis  aucune  nouuclle 
agitation  en  celle-cy;  mais  le  mouuement  qu'elle  auoit  d'ailleurs, 
a  erté  feulement  déterminé  à  le  faire  vers  certain  cofté  pltijfq/î  que 
vers  d'autres  ;  &  cette  détermination  peut  cftre  continuellement 
changée  par  diuerfes  caufes. 

/21'.  Que  la  folidité  d'vn  corps  ne  dépend  pas  feulement  de  la  matière 
dont  il  ejl  çfimpofé,mais  aujft  de  la  quantité  de  cette  matière  &  de  fa 
figure. 

Ainfi  nous  voyons  fur  cette  terre,  que  des  pièces  d'or,  de  plomb, 
ou  d'autre  métal,  conferuent  bien  plus  leur  agitation,  èk.  ont  beau- 
coup plus  de  force  à  continuer  leur  mouuement,  lors  qu'elles  font 
vne  fois  ébranlées,  que  n'ont  des  pièces  de  bois  ou  des  pierres  de 
mefme  grandeur  &  de  mefme  figure,  ce  qui  fait  que  nous  jugeons 
qu'elles  font  plus  folides  :  c'eft  à  dire,  que  ces  métaux  ont  en  eux 
plus  de  la  matière  du  troifiéme  élément,  &  moins  de  pores  qui 
foient  remplis  de  celle  du  premier  ou  du  fécond.  Mais  vne  boule 
pourroit  eflre  fi  petite,  qu'encore  qu'elle  fuit  d'or,  elle  auroit  moins 
de  force  à  continuer  fon  mouuement  qu'vne  autre  beaucoup  plus 
grollc,  qui  ne  feroit  que  de  bois  ou  de  pierre.  Et  on  pourroit  aufli 
donner  telle  figure  à  vn  lingot  d'or,  qu'vne  boule  de  bois  plus  petite 
que  luy  feroit  capable  d'vne  plus  grande  agitation  :  à  fçauoir  fi  on 
le  tiroit  en  filets  fort  dcliei,  ou  ft  on  le  battoit  en  fueilles  fort 
minces,  ou  fi  on  le  renjdoit  plein  de  pores  ou  petits  trous  femblables  240 
à  ceux  d'vne  efponge,  ou  fi,  en  quelqu'autre  façon  que  ce.foit,  on 
luy  failbit  auoir  plus  de  fuperricie,  à  raifon  de  la  quantité  de  fa 
matière...,  que  n'en  a  cette  boule  de  bois. 

t  'j3.  Comment  les  petites  boules  du  fécond  élément  peuuent  auoir 
plus  de  folidité  que  tout  le  corps  d'vn  aflre. 

Et  il  peut  arriuer,  en  mefme  façon,  que  l'afire  N  ait  moins  de 
folidité  ou  moins  de  force  pour  continuer  fon  mouuement,  que  les 
petites  boules  du  fécond  élément  qui  l'enuironnent,  nonobltant 
qu'il  foit  fort  gros  &  couuert  de  plufieurs  écorces  de  taches.  Car  ces 
petites  boules  font  aufji  folides  qu'aucun  corps  de  mefme  grandeur 


j6 


Œuvres  de  Descartes. 


fçauroit  eflre,  d'autant  que  nous  tiQ  fiippofons  point  qu'il  y  ait  en 
elles  aucuns  pores  qui  doiuent  ertre  remplis  de  quelque  autre  ma- 
tière..., &.que  leur  figure  eh  fpherique,  qui  eft  celle  qui  contient 
le  plus  de  matière  fous  vne  moindre  fuperficie,  ainfi  que  fçauent  les 
Géomètres.  Et  de  plus,  encore  qu'il  y  ait  beaucoup  d'inégalité 
entre  leur  petitefl'e  &  la  grandeur  d'vn  aftre,  cela  eft  recompenfé..., 
parce  que  ce  n'eji  pas  vne  feule  de  ces  boules  qui  doit  ejîre  icy 
comparée  auec  cet  ajire,  mais  vne  quantité  de  telles  boules  qui  puijfe 
occuper  autant  de  place  que  luf.  En  forte  que,  pendant  qu'elles 
tournent  auec  l'aftre  N  autour  du  centre  S,  &  que  ce  mouuement 
circulaire   leur  donne,    tant  à  elles  qu'à  cet  aftre,  quelque   force 

241  pour  s'éloi|gner  de  ce  centre,  s'il  arriue  que  cette  force  foit  plus 
grande  en  cet  aftre  feul.  qu'en  toutes  les  petites  boules  jointes 
enfemble  qui  doiuent  occuper  fa  place,  en  cas  qu'il  la  quitte,  il  fe 
doit  éloigner  de  ce  centre...;  mais  fi,  au  contraire,  il  en  a  moins,  // 
doit  s'en  approcher. 

IZ4.  Comment  elles  peuuent  aujfi  en  auotr  moins. 

Et  comme  il  fe  peut  faire  qu'il  en  ait  moins,  il  fé  peut  faire  aujji 
qu'il  en  ait  dauantage...  nonobftant  qu'il  n'y  ait  peut-eftre  pas  tant 
en  luy  de  la  matière  du  troifiéme  élément,  en  laquelle  feule  confifle 
cette  force,  qu'il  y  en  a  de  celle  du  fécond,  en  autant  de  ces  petites 
boules  qu'il  en  faut  pour  occuper  vne  place  égale  à  la  fienne  ;  pource 
qu'eftant  feparées  les  vues  des  autres,  &  ayans  diuers  mouucmens, 
quoy  qu'elles  confpirent  toutes  enfemble  pour  agir  contre  luy,  elles 
ne  fçauroicnt  eftre  fi  bien  d'accord,  qu'il  n'y  ait  touf-jours  quelque 
partie  de  leur  force  qui  efl  diuertie,  &  demeure  en  cela  inutile  : 
mais,  au  contraire,  toutes  les  parties  de  la  matière  du  troifiéme 
élément,  qui  compofent  l'air...  &  les  taches...  de  cet  aftre,  ne  font 
enfemble  qu'vn  feul  corps,  qui  fe  meut  tout  entier  d'vn  mefme 
branfle,  &  amfi  employé  toute  fa  force  à  continuer  fon  mouuement 
vers  vn  feul  coftc.  Et  c'cft  pour  cette  mefme  raifon  que  les  pièces  de 
bois  &  les  glaçons  qui  font  emportez  par  le  cours  d'vne  riuiere,  ont 

242  beaucoup  plus  de  force  |  que  fon  eau  à  continuer  leur  mouuement 
en  ligne  droite,  ce  qui  fait  qu'ils  choquent  auec  plus  d'impetuofité 
les  dellours  de  fon  riuagc,  d'-  les  autres  obflaclcs  qu'ils  rencontrent  ; 
nonobftant  qu'il  y  ait  moins  en  eux  de  la  matière  du  troifiéme  élé- 
ment, qu'il  n'y  en  a  en  vne  quantité  d'eau  qui  leur  eft  égale  en 
groilcur. 


Principes.  —  Troisiesme  Partie.  177 


125.  Comment  quelques  vnes  enpeuuent  auoir  plus,  &  quelques  autres  ' 
.    -        en  auoir  moins. 

Enfin  il  fe  peut  faire  qu'vn  méfme  aftre  foit  moins  folide  que 
quelques  parties  de  la  matière  du  ciel,  &  le  foit  plus  que  quelques 
autres  qui  feront  vn  peu  plus  petites,  tant  pour  la  raifon  que  je  viens 
d'expliquer,  à  fçauoir  que  les  forces  de  plujieurs  petites  boules  ne 
font  pas  Ji  vnies  que  celles  d'vne  plus  grojfe  qui  leur  ejl  égale,  comme 
auiTi  àcaufe  que,  bien  qu'il  y  ait  juftemem  autant  de  la  matière  du 
fécond  élément  en  toutes  les  boules  qui  occupent  vn  efpace  égal  à 
celuy  de  cet  ajire.  lors  qu'elles  font  fort  petites,  que  lors  qu'elles 
font  plus  grofles;  toutefois  les  plus  petites  ont  moins  de  force,  à  caufe 
^2/ 'elles  ont  plus  de  fuperficie,  à  raifon  de  la  quantité  de  leur  ma' 
tiere,  &  pour  ce  fujet  elles  peuuent  plus  facilement  eftre  deftournées 
que  les  plus  groffes,  foit  par  la  matière  du  premier  élément  qui  eft 
dans  les  recoins  qu'elles  laiflent  autour  d'elles,  foit  par  les  autres 
corps  quelles  rencontrent. 

126.  Comment  vne  Comète  peut  commencer  âfe  mouuoir. 

Si  donc  maintenant  nous  fuppofons  que  |  l'aftre  N'  foit  plus  folide  243 
que  les  parties  du  fécond  élément  alîez  éloignées  du  centre  S,  & 
qui  font  égales  entr'elles,  il  eft  vray  qu'il  pourra  d'abord  eftre 
poulfé  vers  diuers  coftez,  &  aller  plus  ou  moins  direâement  vers  S^ 
fuiuant  la  diuerfe  difpofiiion  des  autres  tourbillons,  du  voifinage 
defquels  il  s'éloignera;  d'autant  qu'ils  peuuent  le  retenir  ou  le 
poufl'er  en  plufieurs  façons;  à  quoy  contribuera  aufti  fa  folidité, 
pource  que,  d'autant  qu'elle  eft  plus  grande,  d'autant  peut  elle  plus 
refifter  aux  caufes  qui  le  deftournent  du  premier  chemin  qu'il  a  pris. 
Mais  neantmoins  les  tourbillons  dont  il  eft  voifin  ne  le  peuuent 
pouffer  au  commencement  auec  beaucoup  de  force,  veu  que  nous  fup- 
pofons qu'il  eft  demeuré  vn  peu  auparauant  au  milieu  d'eux  fans 
changer  de  place,  ny  par  confequent  ejlre  pouffé  par  eux  d'aucun 
cojié;  d'çii  il  fuit  qu'il  ne  peut  commencer  ù  fe  mouuoir  contre  le  cours 
du  tourbillon  AEIOQ,  c*e/i  à  dire, paJJ'cr  du  lieu  oii  il  ejt  vers  les 
parties  de  ce  tourbillon,  qui  font  entre  le  coJié  de  fa  circonférence 
10  &.  le  centre  S,  mais  feulement  vers  l'autre  cofté,  entre  S  *S'  AQ; 
vers  lequel  cofté  il  doit  enfin  arriuer  en  quelque  lieu  où  la  ligne, /o/7 

a.  Planche  III, 

Œuvres.  IV.  *" 


178  Œuvres  de  Descartes. 

droite,  l'oit  courbe,  que  décrit  Ion  mouuement,  louchera  Ivne  des 
lignes  circulaires  que  décriuent  les  parties  du  fécond  élément  en  tour- 

244  nant  |  autour  du  centre  S;  où  après  élire  paruenu,  il  continuera  ion 
cours  de  telle  forte  qu'il  s'éloignera  touf-jours  de  plus  en  plus  du 
point  S,  jufqucs  à  ce  (\vC'\\  forte  entièrement  du  tourbillon  AE  10, 
&  palTe  dans  les  limites  d'wn  autre.  Par  exemple,  s'il  le  mçut,  au 
commencement,  i'uiuant  la  ligne  NC,  lors  qu'il  fera  paruenu  au 
point  C,  où  cette  ligne  courbe  NC  touche  le  cercle  que  décriuent 
en  ce  lieu  \es parties  du  fécond  clément  «////  tournent  autour  d'S,  il 
commencera  à  s'éloigner  de  ce  centre  S,  fuiuant  la  ligne  courbe  C  2, 
laquelle  palfc  entre  ce  cercle  &  la  ligne  droite  qui  le  touche  au 
point  C.  Car  ayant  elle  conduit  jufques  à  C  par  la  matière  du  fécond 
clément,  plus  éloignée  d'S  que  celle  qui  ell  vers  C,  &.  qui  par  confe- 
quent  fe  mouuoit  plus  vite,  &.  auec  cela  ellant  plus  folidc  qu'elle, 
ainfi  que  nous  fuppofons,  il  ne  peut  manquer  d'auoir  plus  de  force 
à  continuer  fon  mouuement  fuiuant  la  ligne  droite  qui  touche  ce 
cercle;  mais  pource  que,  \i  toll  qu'il  ell  au  delà  du  point  C,  il  ren- 
contre d'autre  matière  du  fécond  élément  qui  fe  meut  vn  peu  plus 
vite  >jue  celle  qui  efl  vers  C,  &  qui  tourne  en  rond  comme  elle  autour 
du  centre  5,  le  mouuement  circulaire  de  celte  matière  fait  que  cet  atlre 
fe  détourne  quelque  peu  de  la  ligne  droite  qui  touche  k  cercle  au 

245  p,)int  C.  &  ce  qu'elle  a  de  vitefjfe  plus  que  luy,  eft  caufe  qu'il  monte 
plus  haut,  &  ainfi  qu'il  fuit  la  ligne  courbe  C  2,  laquelle  s'écarte 
d'autant  moins  de  la  ligne  droite  qui  touche  le  cercle,  que  cet  ailre 
cil  plus  iblide,  &  qu'il  ell  venu  d'N  vers  C  aucc  plus  de  vitcllc. 

127.  Comment  les  Comètes  continuent  leur  mouuement. 

Pendant  qu'il  fuit  ainfi  fon  cours  vers  la  circonférence  du  tour- 
billon AEIO",  il  acquert  alfez  d'agitation  pour  auoir  la  force  de 
paffer  an  delà,  à'-  entrer  dans  vn  autre  tourbillon,  duquel  il  pafle  par 
après  en  vn  autre,  d'-  continue  ainfi  fon  mouuement,  touchant  lequel  il 
r  a  icy  deux  cliofes  à  remarquer.  La  première  efi  que,  lors  que  cet 
a/lre.,,  pajfc  d'vn  tourbillon  dans  vn  autre  ^  il  pouffe  touf-Jours  deuant 
foy  quelque  peu  de  la  matière  de  celuy  d'oii  il  fort ^  &  n'en  peut  ejlrc 
entièrement  deuelopé,  qu'il  ne  foi t  entré  affe^  auant  dans  les  limites  de 
l'autre...  Par  exemple,  lors  qu'il /or/  du  tourbillon  AEIO,  d'  qu'il 
cil  vers  -i,  il  fe  irouuc  encore  enuironnc  de  la  matière  de  ce  tour- 

a.  En  marge;  «  Voyez  la  rigurc  qui  fuit.  •  Il  s'agii  loujours  de  U\ 
planche  III,  jusqu'h  l'art.  i33  inclus. 


Principes.  —  Troisiesme  Partie.  179 

billon  qui  tourne  autour  de  luy,  &  n'en  peut  eflrc  entièrement 
dégagé  qu'il  ne  foit  vers  3,  dans  le  tourbillon  AE  V...  L'autre  chofe 
qu'il  faut  i^emarqucr  ejl  que  le  cours  de  cet  aitre  décrit  vne  ligne 
diuerfement  courbée  félon  les  diuers  mouuemens  des  tourbillons 
par  où  il  paffe,  comme  on  voit  icy  que  la  partie  de  cette  ligne  234 
eft  courbée  tout  autrement  que  la  précédente  |  NC  2,  pourcc  que  24iî 
kl  matière  du  tourbillon  AEV  tourne  d'A  par  E  vers  V,  &  celle 
du  tourbillon  AEIO,  d'A  par  E  vers  I;  &  la  partie  de  cette  ligne 
5678  eft  prefque  droite,  pource  que  la  matière  du  tourbillon  où 
elle  eft,  tourne  fur  l'eflieu  XX.  Au  rcfte  les  aftres  qui  pallent  ainil 
d'vn  tourbillon  dans  vn  autre,  font  ceux  qu'on  nomme  des  Comètes, 
defquelles  je  tal'chcray  icy  d'expliquer  tous  les  phainomenes. 

128.  Quels  font  leurs  principaux  Phainomenes. 

Les  principales  chofes  qu'on  obferue  eti  elles,  font  qu'elles  pallent 
l'vne  par  vn  endroit  du  Ciel,  l'autre  par  vn  autre,  fans  fuiurc  en  cela 
aucune  règle  qui  nous  foit  connue;  ^  que  nous  n'en  voyons  vne 
mefme  que  pendant  peu  de  mois,  ou  quelquefois  mefme  peu  de 
jours;  &  que  pendant  ce  temps  là  elles  ne  trauerfent  jamais  plus, 
ou  guercs  plus,  mais  fouuent  beaucoup  moins,  que  la  moitié  de 
nolhe  Ciel.  Et  que,  lors  qu'elles  commencent  à  poroiftre,  elles 
femblent  allez  grolfes;  en  forte  que  leur  groll'eur  apparente  n'aug- 
mente guère  par  après,  finon  lors  qu'elles  trauerfent  vne  fort  grande 
partie  du  Ciel;  mais  que,  lors  qu'elles  tendent  à  leur  tin,  on  les  voit 
diminuer  peu  à  peu  JuJ'ques  à  ce  qu'elles  cejfent  de  paroi/Ire.  Et  que 
leur  mouuemcnt  eft  aulli  en  fa  plus  grande  /bra»  au  commencement, 
ou  peu  après  le  commencement  de  leur  apparition;  mais  qu'il 
s*a)Ientit  par  après  peu  à  peu  jufques  à  la  tin.  Et  je  ne  me  fouuiens  247 
point  d'auoir  leu,  que  dvne  feule,  qu'elle  ait  ejié  veuë  trauerfer  en- 
uiron  la  moitic  de  noftre  Ciel,  à  fçauoir'  dans  le  liure  de  Lotharius 
Sarlius  ou  bien  Horatius  (irallius,  nommé  Libra  AJlronomica^,  où 
il  en  parle  comme  de  deux  Comètes;  mais  je  juge  que  ce  n'a  efté 
qu'vnc  mefme  dont  il  a  tiré  l'hiftoire  de  deux  autheurs,  Regiomon- 
tanus  c^  P(jntanus,  qui  l'ouï  expliquée  eu  termes  differens,  ik.  qu'on 
dit  auoir  paru  en  l'an  1475,  entre  les  Elloiles  de  la  Vierge,  &auoir 
clli'  ai-  commencement...  alfez  petite  6c  tardiue  en  fon  mouuement, 

a.  .<  A  Ivauoi! . . .  Ponianus.  «  Note  marginale  du  texte  latin,  insticc  ici 
dnii>  la  version  fransaise.  Voir  Correspondance,  t.  IV.  p.  i5i,  I.  r4.  e: 
p.  GÔ5. 

b.  Voir  Correspondance,  i.  IV,  p.  i5i,  1.  4. 


i8o  Œuvres  de  Descartes. 

mais  que  peu  après  elle  deuint  d'vne  merueilleufe  grandeur,  ôc 
acquit  tant  de  vitelFe,  qu'en  palTant  par  le  Septentrion  elle  y  parcou* 
rut  en  vn  jour  trente  ou  quarante  degrez  de  l'vn  des  grands  cercles^ 
qu'on  intagine  en  la  fphere,  &  alla  par  après  peu  à  peu  difparoiftre 
proche  des  Ertoiles  du  Poiflbn  Septentrional,  ou  bien  vers  le  figne 
du  Bélier. 

12p.  Quelles  font  les  caufes  de  ces  phainomenes . 

Or  les  caufes  de  toutes  ces  obferuations  fe  peuuent  icy'  entendre 
fort  aifement.  Car  nous  voyons  que  la  Comète  que  nous  y  auons 
décrite f  y  trauerfe  le  tourbillon  F  d'autre  façon  que  le  tourbillon  Y, 
&  qu'il  n'y  a  aucun  cofté  dans  le  Ciel  par  lequel  elle  ne  puiffe  paffer 

248  en  cette  forte;  &  il  faut  penfer  qu'elle  retient  à  peu  près  |  la  mefme 
viteffe,  à  fçauoir  celle  qu'elle  acquert  en  paflant  vers  les  extremitez 
de  ces  tourbillons,  où  la  matière  du  Ciel  eil  fi  fort  agitée  qu'elle  y 
fait  fon  tour  en  peu  de  mois,  comme  il  a  efté  dit  cy-deffus'';  d'où  il 
fuit  que  cette  Comète,  qui  ne  fait  qu'enuiron  la  moitié  d'vn  tel  tour 
dans  le  tourbillon  Y,  &  en  fait  beaucoup  moins  dans  le  tourbillon  F, 
&  n'en  peut  jamais  faire  gueres  plus  en  aucun,  ne  peut  demeurer 
que  peu  de  mois  en  vn  mefme  tourbillon.  Et  fi  nous  confiderons 
qu'elle  ne  fçauroit  eftre  veuë  de  nous  que  pendant  qu'elle  eft  dans  le 
premier  Ciel,  c'efî  à  dire  dans  le  tourbillon  vers  le  centre  duquel 
nous  habitons,  &  mefme  que  nous  ne  l'y  pouuons  apperceuoir  que* 
lors  qu'elle  ceffe  d'eftre  enuironnée  &  fuiuie  par  la  matière  du  tour- 
billon d'où  elle  vient,  nous  pourrons  entendre  pourquoy,  lîonob- 
ftant  qu'vne  mefme  Comète  fe  meuue  touf-jours  à  peu  près  de 
mefme  vitelle  &  demeure  de  mefme  grandeur,  il  doit  neantmoins 
fembler  qu'elle  eft  plus  grande  &  fe  meut  plus  vite  au  commence- 
ment de  fon  apparition  qu'à,  la  fin,  &  quelquefois  auïTi  qu'elle  eft 
encore  plus  grande  &  fe  meut  plus  vite  entre  ces  deux  temps  qu'au 
commencement.  Car  H  nous  penfons  que  l'œil  de  celuy  qui  la 
regarde  eft  vers  le  centre  du  tourbillon  F,  elle  lûy  paroiftra  plus 

249  gran|dc  &  auec  vn  mouuement  plus  vite,  eftant  vers  3,  où  il  com- 
mencera de  l'aperceuoir,  que  vers  4,  où  elle  cédera  de  luy  paroiftre, 
pource  que  la  ligne  droite  F 3  eft  beaucoup  plus  courte  que  F4, 
&  que  l'angle  F43  eft  plus  aigu  que  F  3  4.  Mais  fi  le  fpedateur  eft 
vers  Y,  cette  Comète  luy  paroiftra  fans  doute  plus  grande,  &  auec 

a.  Voir  planche  III. 

b.  Art.  82,  p.  148. 

c.  Voir  Correspondance,  t.  V,  p.  387. 


Principes.  —  Troisiesme  Partie.  i8i 

vn  mouuement  plus  vite,  quand  elle  fera  vers  5,  où  il  commencera 
de  la  voir,  que  quand  elle  fera  vers  8,  où  il  la  perdra  de  veuë  ;  mais 
elle  luy  paroiftra  encore  beaucoup  plus  grande  &  auec  plus  de  viteffe 
que  vers  5,  quanà  elle  paflera  de  6  jufquesà  7,  pource  qu'elle  fera  fort 
proche  de  fes  yeux.  En  forte  que,/  twus  prencms  ce  toin^billon  Y 
pour  le  premier  Ciel  oii  nous  fommes,  elle  pourra  paroiftre  entre  les 
Eftoiles  de  la  Vierge  eftant  vers  5,  &  proche  du  pôle  Boréal  en  paf- 
fant  de  6  jufques  à  7,  &  là  parcourir  en  vn  jour  trente  ou  quarante 
degrez  de  l'vn  des  grands  cercles  de  la/phere,  &  enfin  fe  cacher  vers 
8,  proche  des  Eftoiles  du  Poilïon  Septentrional  :  en  niefme  façon 
que  cette  admirable  Comète  de  l'an  1475,  qu'on  dit  aiioir  oi\é 
obferuée  par  Regiomontanus. 

i3o.  Comment  la  lumière  des  EJloiles  fixes  peut paruenir 
jufques  à  la  Terre, 

Il  eft  vray  qu'on  peut  icy  demander  pourquoy  nous  celTons  de 
voir  les  Comètes,  fi  toft  qu'elles  fortent  de  noftre  ciel,  &  que  nous 
ne  laiffons  pas  de  voir  les  Eftoiles  fixes,  encore  |  qu'elles  foient  fort     250 
loin  au  delà.  Mais  il  y  a  de  la  différence  en  ce  que  la  lumière  des 
Eftoiles,  venant  d'elles-mefmes,  eft  bien  plus  viue  &  plus  forte  que 
celle  des  Comètes,  qui...  eft  empruntée  du  Soleil.  Et  fi  on  prend 
garde  que  a  lurhiere  de  chaque  Eftoile  confifte  en  l'adion  dont  toute 
la  matière  du  tourbillon  dans  lequel  elle  eft,  fait  effort  pour  s'éloi- 
gner d'elle  fuiuant  les  lignes  droites  qu'on  peut  tirer  de  tous  les 
points  de  fa  fuperficie,  &  qu'elle  preffe  par  ce  moyen  la  matière  de 
tous  les  autres  tourbillons  qui  l'enuironnent,  fuiuant  les  mefmes 
lignes  droites...  (ou  fuiuant  celles  que  les  loix  de  la  refradion  leur 
font  produire,  quand  elles  paffent  obliquement  d'vn  corps  en  vn 
autre,  ainfi  que  j'ay  expliqué  en  la  Dioptrique),  on  n'aura  pas  de 
difficulté  à  croire  que  la  lumière  des  Eftoiles,  aon  feulement  de 
celles  comme/,  F,  L, /)%qui  font  les  plus  proches  de  la  terre,  laquelle 
je  fuppofe  eftre  vers  S,  mais  auffi  de  celles  qui  en  font  beaucoup 
plus  éloignées,  comme  Y  &  femblables.  peut  paruenir  jufques  à  nos 
■yeux.  Car  d'autant  que  les  forces  de  toutes  ces  Eftoiles  [au  nombre 
def quelles  je  mets  aujji  le  Soleil),  jointes  à  celles  des  tourbillons  qui 
les  enuironnent,  font  touf-jours  égales  entr'elles  :  la  force  dont  les 
rayons  de  lumière  qui  viennent  d'F  tendent  vers  S,  eft  véritable- 
ment diminuée"  à  mefure  \  qu'ils  entrent  dans  le  tourbillon  A  E I O,     251 

a.  Voir  planche  III. 

b.  Voir  Correspondance,  t.  V,  p.  388. 


iHi  OEuvREs  DE  Descartes. 

par  la  refiftence  qu'ils  y  trouuent;  mais  elle  ne  peut  eftre  entière- 
ment efteinteque  lors  qu'ils  font  paruenus  jufques  au  centre  S;  c'eft 
pourquoy,  lors  qu'ils  arriuent  à  la  terre  qui  eft  vn  peu  éloignée  de  ce 
centre,  il  leur  en  relie  encore  a(ÏQZ  pour  agir  cojitre  nos  yeux.  Et 
tout  de  mefme,  les  rayons  qui  viennent  d'Y  peuuent  eftendre  leur 
adion  jufques  à  la  terre;  car  l'interpoiition  du  tourbillon  AEV  ne 
diminuL'  rien  de  leur  force,  finon  en  tant  qu'elle  les  en  rend  plus  éloi- 
gne'{,  pource  qu'e//e  ne  leur  reftjie  pas  dauantage,  en  ce  qu'elle  fait 
effort  pour  aller  d F  vers  Y,  qu'elle  leur  ajde,  en  ce  qu'elle  fait  aujji 
effort  pour  aller  d* F  vers  S.  Et  le  mefme  fe  doit  entendre  des  autres 
Eftoiles. 


i3i.  Que  les  EJîoiles  ne  font  peut-ejîre  pas  aux  me/mes  lieux 
où  elles  paroîjjent.  Et  ce  que  c'eft  que  le  Firmament. 

On  peut  aufli  remarquer  en  cet  endroit,  que  les  rayons  qui 
viennent  d'Y  vers  la  terre*,  tombent  obliquement  fur  les  lignes  A  E 
&  VX,  lefquels  reprefentent  les  fuperficies  qui  feparent  les  tour- 
billons S,  F,  Y,  les  yns  des  autres,  de  façon  qu'ils  y  doiuent  fouffrir 
refradion,  âfe  courber.  D'où  il  fuit  qu'on  ne  voit  point  de  la  terre 
toutes  les  Eftoiles,  comme  eftant  aux  lieux  où  elles  font  véritable- 
ment, mais  qu'on  les  voit  comme  (i  elles  eftoient  dans  les  lignes 
droites  menées  vers  la  terre,  des  endroits  de  la  fuperficie  de  nofîre 
252  C/VAAEIO,  par  lefquels  |  paffent  ceux  de  leurs  rayons  qui  viennent 
à  nos  yeux  ;  &  peut-eltre  aufTi  qu'on  voit  vne  mefme  Eftoile,  comme 
n  elle  eltoit  en  deux  ou  plufieurs  lieux,  <^  ainjî  qu'on  la  comte  pour 
plufieurs.  Car,  par  exemple,  les  ra/ons  de  l'Efloile  Y  peuuent  auffi 
bien  aller  vers  S,  en  paffant  obliquement  par  les  fuperjicies  du  tour- 
billon f,  qu'en  paffant  par  celles  de  l'autre  marqué  F,  au  moj'en 
de  quoj  on  doit  voir  cette  Effoile  en  deux  lieux,  àfçauoir  entre  E  & 
I  €■  entre  A  &  F,  Mais,  d'autant  que  les  lieux  oii  fe  voyent  ainft  les 
Efîoiles  demeurent  fermes,  €•  n'ont  point  paru  fe  changer  depuis  que 
les  Aftronomes  les  ont  remarquez,  il  me  fcmblc  que  le  firmament 
n'eft  autre  chofe  que  la  fuperficie  qui  fcpare  ces  tourbillons  les  vus 
des  autres,  &  qui  ne  peut  ejlre  changée,  que  les  lieux  apparens  des 
Efîoiles  ne  changent  auffi. 

0.  Voir  planche  III. 


Principes.  —  Troisiesmf.  Partie.  i8j 


iJ-j.  Pourquoi'  nous  ne  voyons  point  les  Comctcs  quand  elles  font 
hors  de  no/tre  Ciel. 

Pour  ce  qui  cil  de  la  lumière  des  Comètes.  Lrauiani  qu'elle  ell 
beaucoup  plus  foible  que  celle  des  EUoiles  fixes,  elle  n'a  point  allez 
de  force  pour  agir  contre  nos  yeux,  li  nous  ne  les  voyons  fous  vn 
angle  alfez  grand;  de  façon  que  leur  dillance  feule  peut  empcfcher 
que  nous  ne  les  appcrceuions,  quand  elles  font  fort  éloignées  de 
noilre  Ciel  ;  car  il  ell  conllant  que  nous  voyons  vn  mefme  corps 
fous  vn  angle  d'autant  plus  petit  qu'il  ell  plus  éloigné  de  nous. 
Mais  j  lors  qu'elles  en  font  allez  proches,  il  ell  aile  d'imaginer  253 
diuerlcs  caufes  qui  nous  peuuent  cmpefchcr  de  les  voir  auant 
qu'elles  y  foient  tout  à  fait  entrées,  bien  qu'il  ne  foit  pas  a\  fc  de 
fçauoir  laquelle  c'cll  de  ces  caufes  qui  véritablement  nous  en  cni- 
pefchc.  Par  exemple  ',  li  l'a-il  du  fpcclateur  ell  vers  F.  il  ne  comnicu' 
cera  de  voir  la  Comète  ia'  reprejeiilée,  que  lors  qu'elle  fera  rers  S,  & 
ne  la  verra  pas  encore  quand  elle  fera  \ers  i,  pource  qu'elle  ne  fera  , 

pas  tout  à  fait  déuclupée  de  la  matière  du  tourbillon  d'où  elle  fort, 
fuiuaul  ee  qui  a  c/le  dil  ej'-de(}'us ;  Si  toutefois  il  la  pourra  voir  lors 
qu'elle  fera  vers  4,  bien  qu'il  y  ait  plus  de  dillance  enlre  F  c-  4 
qu'enlre  F  C-  2.  Ce  qui  peut  élire  caufé  par  la  façon  dont  les  rayons 
de  l'Elloile  V,  qui  tendent  vers  2,  fouilreni  réfraction  en  la  fupcr- 
ficic  conuexe  de  la  matière  du  Ciel  .\J.\  lO,  qui  fe  trouue  encore 
autour  de  la  Comète.  Car  celte  réfraction  les  dellournc  de  la  per- 
pendiculaire, conformément  à  ce  que  j'ay  demonllré  en  la  Diop- 
trique'',  à  caufe  que  ces  rayons  palfcni  beaucoup  plus  dillicilement 
par  la  matière  du  ciel  A  E  I  O.  que  par  cel'c  du  tourbillon  A  E  VX. 
Ce  qui  fait  qu'il  en  arriue  beaucoup  moins  jufques  à  la  Comète,  qu'il 
n'v  en  arriucroit  fans  cette  refracticMi,  t^  ainli  que,  receuant  peu  de 
rayons,  ceu.x  qu'elle  renuoye  vers  l'ceil  du  fpeclateur  ne  font  |  pas  254 
alfez  forts  pour  Aï  rendre  vijîble.  Le  me/me  ej/eel peut  anjji  ejire  caufé 
de  ce  que,  comme  c'ell  touf-jours  la  mefme  face  de  la  Lune  qui 
regarde  la  Terre,  ainll  chaque  Comète  a  peut-cil re  vn. collé  qu'elle 
tourne  touf-jours  vers  le  centre  du  tourbillon  dans  lequel  elle  ell, 
^  n'a  que  ce  collé  qui  foit  propre  à  retléchir  les  rayons  qu'elle 
reçoit.  De  façon  que  la  Comète  qui  cil  vers  2.  a  encore  celuy  de  l'es 
collez  qui  eil  propre  à  réfléchir  la  lumière  tourne  vers  S,  &  ainfi 
ne  peut  elhc  veuc  par  ceux  qui  font  vers  F;  mais  eJîanlversJ,  clic 

a.  Fn  niart^o  :  ■<  Voyez  la  ligurc  qui  fuit.  )>  Entendez  la  planche  III. 

b.  Discours  II,  p.  q'?  et  suiv.  de  couo  Odifion. 


184  OEuVRES    DE    DeSGARTES. 

l'a  tourné . . .  vers  F,  &  ainfi  commence  à  pouuoir  y  eftre  vebë. 
Car  nous  auons  grande  raifon  de  penfer,  premièrement,  que,  pen- 
dant que  la  Comète  a  passé  d'N  par  C  vers  2,  celuy  de  fes  codez 
qui  eftoit  vis  à  vis  de  l'aftre  S,  a  efté  plus  échauffé,  ou  agité  en  fes 
petites  parties,  &  raréfié  par  la  lumière  de  cet  aftre,  que  n'eftoit  pas 
fon  autre  cofté;  &  enfuitte,que  les  plus  petites,  ou  pour  ainfi  parler, 
les  plus  molles  parties  du  troifiéme  élément  qui  eftoient  fur  ce 
cofté  de  la  fuperficie  de  la  Comète,  en  ont  efté  feparées  par  cette 
agitation  ;  ce  qui  Ta  rendue  plus  propre  à  renuoyer  les  rayons  de  la 
lumière  de  ce  cofté-là  que  de  l'autre.  Ainfi  qu'on  pourra  connoiftre 
par  ce  que  je  diray  cy-apres'  de  la  nature  du  feu,  que  la  raifon  qui 

1B5  fait  que  les  corps  brujle\,  ejiant  con\uertis  en  charbons,  font  tous 
noirs,  <9  conuertis  en  cendres,  font  blancs,  confifte  en  ce  que  l'aâion 
du  feu,  agitant  toutes  les  plus  petites  &  plus  molles  parties  des  corps 
qu'il  brufle,  fait  que  ces  petites  parties  viennent  premièrement  cou- 
urir  toutes  les  fuperficies,  tant  extérieures  qu'intérieures,  qui  font 
dans  les  pores  de  ces  corps,  &  que  de  là  par  après  elles  s'enuolent,  & 
ne  iaiffent  que  les  plus  groffieres  qui  n'ont  pu  eftre  ainfi  agitées;  d'où 
vient  que,  fi  Je  feu  efl  efieint  pendant  que  ces  petites  parties  couurent 
encore  les  fuperficies  du  corps  bruflé,  ce  corps  paroifl  noir  &  efl 
conuerti  en  charbon  ;  mais  s*il  ne  s'efieint  que  de  foy-mefme,  après 
auoir  feparé  de  ce  corps  toutes  les  petites  parties  qu'il  en  peut  fepa- 
rer,  alors  il  n'y  refle  que  les  plus  groffieres,  qui  font  les  cendres,  & 
ces  cendres  font  blanches,  à  caufe  qu'ayant  pu  refifier  à  l'aâion  du 
feu,  elles  refflent  auffi  à  celle  de  la  lumière,  &  la  font  refléchir.  Car 
les  corps  blancs  font  les  plus  propres  de  tous  à  refléchir  la  lumière, 
&  les  noirs  y  font  les  moins  propres.  De  plus,  nous  auons  raifon  de 
penfer  que  ce  cofté  de  la  Comète  qui  a  efté  le  plus  raréfié,  eft  moins 
propre  à  fe  mouuoir  que  l'autre,  à  caufe  qu'il  efl  le  moins  folide, 
&  que  par  confequent,  fuiuant  les  loix  des  Mechaniques,  /'/  doit 
touf  jours  fe  tourner  vers  les  centrées  des  tourbillons  dans  lefquels 

*^*  I  pajfe  la  Comète.  Ainfi  qu'on  voit  que  les  flèches  fe  tournent  en  l'air, 
&  que  c'eft  touf-jours  le  plus  léger  de  leurs  coftez  qui  eft  le  plus  bas 
pendant  qu'elles  montent,  &  le  plus  haut  pendant  qu'elles  def- 
cendent.  Dont  la  raifon  efl,  que  par  ce  moyen  la  ligne  que  décrit  le 
vlus  rare  coflé  de  la  Comète  &  le  plus  léger  de  la  flèche,  efl  vn  peu 
plus  courte  que  celle  qui  efl  décrite  par  l'autre,  comme  icy  la  partie 
concaue  du  chemin  de  la  Comète  marqué  NC2,  qui  eft  tournée 
versS,*/?  vn  peu  plus  courte  que  la  conuexe,  &  celle  du  chemin  284, 

a.  Partie  IV,  art.  80  et  suivants. 


Principes.  —  Troisiesme  Partie,  185 

qui  eft  tournée  vers  F,  eft  la  plus  courte,  &  ainfi  des  autres.  On 
pourroit  encore  imaginer  d'autres  raifons  qui  nous  empefchent  de  ' 
voir  les  Comètes  pendant  qu'elles  font  hors  de  noftre  Ciel,  à  caufe 
qu'il  ne  faut  que  fort  peu  de  chofe  pour  faire  que  la  fuperficie  d'vn 
corps  fqit  propre  à  renuoyer  les  rayons  de  la  lumière,  ou  nour  l'em- 
pefcher.  Et  touchant  tels  effets  particuliers,  defquels  nous  n'auons 
pas  afTez  d'expériences  pour  déterminer  quelles  fout  les  vrayes  caufes 
qui  les  produifent,  nous  deuons  nous  contenter  d'en  fçauoir 
quelques  vues  par  le/quelles  il  fe  peut  faire  qu'ils  foient  produits... 

i33.  De  la  queue  des  Comètes,  &  des  diuerfes  chofes 
qu'on  y  a  obferuées. 

Outre  les  proprietez  des  Comètes  que  je  viens  d'expliquer,  il  y  en 
a  encore  vne  autre  bien  remarquable,  à  fçauoir  cette  lumière  fort 
feftenduë,en  forme  de  queue  ou  de  cheuelure,  qui  a  coufîume  de  les  257 
accompagner  &  dont  elles  ont  pris  leur  nom.  Touchant  laquelle  on 
obferue  que  c'eft  touf-jours  vers  le  cofté  le  plus  éloigné  du  Soleil, 
qu'elle  paroift.  En  forte  que,  fi  la  Terre  fe  rencontre  juftement  en 
ligne  droite  entre  la  Comète '&  le  Soleil,  cette  lumière  fe  répand 
également  de  tous  coftez  autour  de  la  Comète  ;  &  lors  que  la  Terre 
fe  trouue  hors  de  cette  ligne  droite,  c'efl  du  mcfme  cofiéoii  eft  la  Terre 
que  paj^oifl  cette  lumière,  laquelle  on  nomme  la  cheuelure  de  la  Co- 
mète, lors  qu'elle  la  précède  au  regard  du  mouuement  qu'on  ohferue 
en  elle,  &  on  la  nomme  fa  queue',  lors  qu'elle  la  fuit.  Comme  on 
obferua  en  fa  Comète  de  l'an  1475,  qu'au  commencement  de  fon 
apparition  elle  auoit  vne  cheuelure  qui  la  precedoit,  &  à  la  fin  yne 
queue  qui  la  fuiuoit,  à  caufe  qu'elle  eftoit  alors  en  la  partie  du  Ciel 
oppofée  à  celle  oit  elle  auoit  eflé  au  commencement.  On  obferue  auflTi 
que  celte  queue  ou  cheuelure  eft  plus  grande  ou  plus  petite,  non 
feulement  à  raifon  de  la  grandeur  apparente  des  Comètes,  en  forte 
qu'on  n'en  voit  aucune  en  celles  qui  font  fort  petites,  &  qu'on  la  voit 
diminuer  en  toutes  les  autres,  à  mejure  qu'approchant  de  leur  fin, 
elles  paroiffent  moins  grandes,  mais  aufli  à  raifon  du  lieu  où  elles 
font,  en  forte  que,  fuppofant  le  |  refte  égal,  la  cheuelure  de  la  Comète  258 
paroift  d'autant  plus  longue,  que  la  Terre  eft  plus  éloignée  du  point 
de  fa  route  qui  eft  en  la  ligne  droite  qu'on  peut  tirer  de  cette  Co- 
mète vers  le  Soleil;  &  mefme  que,  lors  qu'elle  en  efi  fi  éloignée  que 
le  corps  de  la  Comète  ne  peut  eftre  veu,  à  caufe  qu'il  eft  offufqué 
par  les  rayons  du  Soleil,  l'extrémité  de  fa  queue  ou  cheuelure  ne 
lailfe  pas  quelquefois  de  paroiftre,  <S'  on  la  nomme  alors  rne  barre  ou 


i86  Œuvres  de  Desgartes. 

cheuron  de  feu,  à  caufe  qu'elle  en  a  la  figure.  Enfin,  on  obTcrue  que 
cette  queue  ou  eheueîtire  des  Comètes  eil  quelquefois  vn  peu  plus 
large,  quelquefois  vn  peu  plus  ellroite  que  de  cou /t unie  ;  qu'elle  ell 
quelquefois  droite,  &  quelquefois  vn  peu  courbée;  €•  qu'elle  paroiji 
quelquefois  exaâement  dans  le  mejne  cercle  qu'on  imagine  paffer  par 
les  centres  du  Soleil  6'-  de  la  Comcle,  &  que  quelquefois  elle  femble 
s'en  deftourner  quelque  peu.  De  toutes  lefquelles  chofesyc  tafcherar 
icj-  de  rendre  rai/on. 

i34.  En  quoy  confijîe  la  refraâion  qui  fait  paroijîre  la  queue 
des  Comètes. 

Et  à  cet  effet,  il  faut  que  j'explique  vn  nouueau  genre  de  refra- 
dion,  duquel  je  n'ay  point  pailé  en  la  Dioptriquc,  à  caufe  qu'on  ne 
le  remarque  point  dans  les  corps  terreftres.  Il  confifte  en  ce  que,  les 
parties  du  fécond  élément  qui  compofent  le  Ciel  n'eilant  pas  toutes 
259  égales,  mais  plus  petites  au  dejfous  de  la  fphere  de  \  Saturne  qu'au 
deffus\  les  rayons  de  lumière  qui  viennent  des  Comètes  vers  la  Terre 
font  tellement  tranfmis  des  plus  greffes  de  ces  parties  aux  plus 
petites,  qu'outre  qu'ils  fuiuent  leur  cours  en  lignes  droites,  ils 
s'écartent  aufli  quelque  peu  de  part  ^  d'autre  jt>(ir  le  moyen  de  ces 
petites^  &  ainfi  fouffrent  quelque  refradion. 

i35.  Explication  de  cette  refraâion. 

Confiderons,  par  exemple,  cette  figure'',  en  laquelle  des  boules 
affez  greffes  font  appuyées  fur  d'autres  beaucoup  plus  petites,  c^ 
penfons  que  ces  boules  font  en  continuel  niouuement,  ainli  que  les 
parties  du  fécond  élément  ont  elté  cy-de(l'us'  reprefentées,  en  forte 
que,  fi  l'vne  d'elles  clt  poulfée  vers  quelque  collé,  par  exemple,  fi  la 
boule  A  ell  poulfée  vers  B,  elle  poulie  en  mefiiie  temps  toutes  les 
autres  qui  font  vers  ce  mefme  collé,  à  fçauoir  toutes  celles  qui  font 
en  la  ligne  droite  AH,  &  ainfi  leur  communique  cette  adion.  Tou- 
chant laquelle  adion  il  faut  remarquer  qu'elle  paflc  bien  toute  en- 
tière en  ligne  droite  depuis  A  jufques  à  C,  mais  qu'il  n'y  en  a 
qu'vne  partie  qui  coniinul'  ainfi  en  ligne  droite  de  C  jufques  à  13, 
^  que  le  relie /i?  de/lourne,  &  fe  répand  tout  à  l'entour  jufques  vers 
D  &  vers  E.  Car  la  boule  C  né  peut  poulfer  vers  H  la  petite  boule 

a.  Voir  ci-avant,  art,  82,  p.    148. 

b.  Voir  planche  X. 

c.  Art.  62,  p.  134. 


Principes.   —  Troisiesme  Partie.  187 

marquée  2,  qu'elle  nepoufl'e  les  deux  autres,  i  &  3*,  vers  D  &  vers 
E,  j  au  moyen  de  qiiof  elle  poujfe  aitjji  toutes  celles  qui  font  dans  le  ggo 
triangle  DCE.  Et  il  n'en  eft  pas  de  mefme  de  la  boule  A,  lors 
qu'elle  poude  les  deux  autres  boules  4  &  5  vers  C  ;  car  encore  que 
l'adion  dont  elle  les  pouffe  Ibit  tellement  receuë  par  ces  deux 
boules,  qu'elle  femble  élire  deftournée  par  elles  vers  D  &  vers 
E,  elle  ne  lailfe  pas  de  pafl'er  toute  entière  vers  C,  tant  à  caufe  que 
ces  deux  boules  4  &  3,  eflant  également  fouftenuës  des  deux  collez 
par  celles  qui  les  enuironnent,  la  transfèrent  toute  à  la  boule  6  ; 
comme  aufli  à  caufe  que  leur  continuel  mouuement  fait  que  cette 
adion  ne  peut  jamais  élire  receuë  conjointement  par  deux  telles 
boules,  pendant  quelque  efpace  de  temps,  &  que,  fi  elle  ejl  mainte- 
nant receuë  par  l'inic  qui  ejl  difpojêe  à  la  de/tourner  vers  vn  cojlé, 
elle  ejl  incontinent  après  receuë  par  me  autre  qui  ejl  difpofée  à  la 
dejiouriier  vers  le  cojlé  contraire,  au  moyen  de  quoy  elle  fuit  touf- 
jours  la  mefme  ligne  droite.  Mais  lors  que  la  boule  C  poulfe  les 
autres  plus  petites  i,  2,  3,  vers  B,  fon  aclion  ne  peut  pas  ainfi  eftre 
rcnuoyée  toute  entière  par  elles  "  vers  ce  cofté-là  ;  car  encore  qu'elles 
le  meuuent,  il  y  en  a  touf-jours  pluficurs  qui  la  reçoiuent  oblique- 
ment, £•  la  dejlourncnt  vers  diuers  coJle-{  en  mefme  temps.  C'ell  pour- 
quoy,  encore  que  la  principale  force,  ou  le  principal  rayon  |  de  cette  261 
aclion,  foit  touf-jours  celuy  qui  paffe  en  ligne  droite  de  C  vers  B, 
elle  fe  diuifc  en  vnc  infinité  d'autres  plus  foibles,  qui  s'ellendent  de 
part  &  d'autre  vers  D  &  vers  E.  Tout  de  mefme,  fi  la  boule  F  cil 
poulfée  vers  G,  fon  aclion  palfe  en  ligne  droite  d'F  jufques  à  H,  où 
ejîant  paruenuë,  elle  fe  communique  aux  petites  boules  7,  8,  9,  qui 
la  diuifent  en  plujieurs  rayons,  dont  le  principal  va  vers  G,  èk.  les 
autres  fe  deftourncnt  vers  D...  Mais  il  faut  icy  remarquer  que, 
pource  que  Je  J'uppofe  que  la  ligne  H  C,  fuiuant  laquelle  les  plus 
grojfes  de  ces  boules  font  arrengccs  fur  les  plus  petites,  ejl  m  cercle, 
les  rayons  de  l'action  dont  elles  font  poujjëes,  fe  doiuent  dtjîourner 
diuerfement,  à  rai  fon  de  leurs  diuerfes  incidences  fui-  ce  cercle.  En 
forte  que  l'aélion  qui  vient  d'A  vers  C,  enuoye  fon  principal  rayon 
vers  B,  &  dillribué  les  autres  également  vers  les  deux  collez  D  & 
E,  pource  que  la  ligne  AC  rencontre  ce  cercle  à  angles  droits.  Et 
l'adion  qui  vient  d'F  vers  H,  enuoye  bien  aufji  fon  principal  rayon 
vers  H%  mais  fuppofant  que  la  ligne  F  H  rencontre  le  cercle  le  plus 
obliquement  qu'il  fe  puijfe,  les  autres  rayons  ne  fe  dellournent  que 

v.  '«  I  (S:  3  ..,  corrige  à  Terrata.  Texte  imprimé  :  «  &  3  ». 

b.  Imprimé  «  elle  »,  taute  d'impression. 

c.  Lire  «  vers  G  ». 


i88  OEuvRES  DE  Descartes. 

vers  vnfeul  cojlé,  à  Jçaiioir  vers  D,  où  ils  Je  répandent  en  tout  l'e/pace 
qui  ejl  entre  G  &  D,  SLjont  touf-Jours  d'autant  plus  foibles,  qu'ils  fe 
262  dejiournent  dauantage  de.  la  ligne  H  G.  Enfin  |  fi  la  ligne  F  H  ne 
rencontre  pas  fi  obliquement  le  cercle,  il  y  a  quelques-vns  de  ces 
rayons  qui  fe  deftournent  aufli  vers  l'autre  cofté;  mais  il  j'  en  a 
d'autant  moins,  &  ils  font  d'autant  plus  foibles,  que  l'incidence  de  cette 
ligne  eft  plus  oblique. 

i36.  Explication  des  caufes  qui  font  paroijire  les  queues  des  Comètes. 

Apres  auoir  bien  compris  les  raifons  de  tout  cecy,  il  eft  aifé  de 
les  approprier  à  la  matière  du  Ciel,  dont  toutes  les  petites  parties  font 
rondes  comme  ces  boules.  Car  encore  qu'il  n'y  ait  aucun  lieu  où  ces 
parties  du  Ciel  foient  fort  notablement  plus  groffes  que  celles  qui  les 
fuiuent  immédiatement,  ainji  que  ces  boules  font  icy  *  repref entées  en  la 
ligne  CH,  toutesfois  à  caufe  qu'elles  vont  en  diminuant  peu  à  peu 
depuis  la  fphere  de  Saturne  jufques  au  Soleil,  ainfi  qu'il  a  efté  dit 
cy-dcffus",  &  que  ces  diminutions  fe  font  fuiuant  des  cercles  tels  que 
celuf  qui  efi  icy  reprefenté  par  cette  ligne  CH,  on  peut  aifement  fé 
perfuader  qu'il  n'y  a  pas  moins  de  différence  entre  celles  qui  font 
au-deffus. . .  de  Saturne,  &  celles  qui  font  vers. . .  la  Terre,  qu'il  y 
a  entre  les  plus  groffes  &  les  plus  petites  de  ces  boules;  &  que,  par 
confequent,  les  rayons  de  la  lumière  n'y  doiuent  pas  moins  efire 
defïourne\,  que  ceux  de  faâion  dont  je  viens  de  parler,  fans  qu'il  y 
ait  autre  diuerfité,  finon  qu'au  lieu  que  les  rayons  de  cette  aâion  fe 
863  deftournent  beau\coup  en  vn  endroit  &  point  ailleurs,  ceux  de  la  lumière 
nefe  defioument  que  peu  à  peu,  à  mefure  que  les  parties  du  Ciel  par 
oii  ils  pajfent,  vont  en  diminuant.  Par  exemple,  fi  S' eft  le  Soleil, 
2  3.4*5  le  cercle  que  la  Terre  décrit  chaque  année,  y  prenant  fon 
cours  fuiuant  l'ordre  des  chiffres  2,  3,  4,  &  DEFGH  la  fphere 
qui  marque  l'endroit  où  les  parties  du  Ciel  cejfent  d'eflre  égales,  S- 
vont  en  diminuant  jufqués  au  Soleil  (laquelle  fphere  j'ay  dit  cy- 
deffus"  n'eftre  pas  entièrement  régulière,  mais...  beaucoup  plus 
plate  vers  les  pôles  que  vers  l'Eclyptique),  &  que  C  foit  vne  Co- 
mète fiiuée  au-deffus  de  Saturne  en  noftre  Ciel  :  il  faut  penfer  que 
les  rayons  du  Soleil  qui  vont  vers  cette  Comète,  font  tellement  ren- 
uoycz  par  elle  y^rs\a fphere  DEFGH,  que  la  plufpart  de  ceux  qui 

a.  Voir  planche  X. 

b.  Art.  82  et  85,  p.  148  et  i5o. 

c.  Planche  XI. 

d.  Art.  81,  p.  147. 


Principes.  ■ —  Troisiesme  Partie.  189 

rencontrent  cette  fphere  à  angles  droits  au  point  F,  paflknt  outre 
en  ligne  droite  vers  3,  mais  que  les  autres/e  dejlournent  qielque peu 
tout  autour  de  la  ligue  F 3  comme  vers  2  &  vers  4;  6l  que  la  plu/part 
de  ceux  qui  la  rencontrent  obliquement  au  point  G,  palfent  aufli 
en  ligne  droite  vers  4,  &  que  les  autres  fe  deftournent,  non  pas  éga- 
lement tout  autour,  mais  beaucoup  plus  vers  3,  c'ejl  à  dire  vers  le 
centre  de  la  fphere,  que  vers  l'autre  cojté;  &  que  la  plu/part  de  ceux 
qui  la  rencontrent  au  point  H^paJ/ant  outre  en  ligne  droite,  ne  par- 
uiennent  |  point  jufques  au  cercle  2345^,  mais  que  les  autres  qui  Ml* 
fe  defîournent  vers  le  centre  de  la  fphere,  y  paruiennent  ;  &  enfin, 
que  ceux  qui  rencontrent  cette  fphere  en  d'autres  lieux,  comme  vers 
E  ou  vers  D,  pénètrent  au  dedans  en  mefme  fa<^on,  partie  en  lignes 
droites,  &  partie  en  fe  détournant.  En  fuitte  de  quoy  il  eft  éuident 
que,  fi  la  Terre  eft  en  l'endroit  de  fa  route  marqué  3,  nous  deuons  voir 
cette  Comète  auec  vne  cheuelure  également  éparfe  de  tous  coftez; 
car  les  plus  forts  ra3'ons  qui  viennent  en  ligne  droite  d'F  vers  3, 
reprefentent/o«  corps,  &  les  autres  plus  foibles,  qui  eftant  deftour- 
nez  viennent  aulli  de  G  &  d'E  vers  3,  font  voir  fa  cheuelure.  Et  on 
a  donné  le  nom  de  Rofe  à  cette  efpece  de  Comète.  Tout  de  mefme 
il  eft  éuident  que,  fi  la  Terre  eft  vers  4,  nous  deuons  voir  le  corps  de 
cette  Comète  par  le  moyen  des  rayons  qui  fuiuent  la  ligne  droite 
CG4,  ik  fa  cheuelure,  ou,  pour  mieux  dire,  fa  queue,  eftenduë  vers 
vn  feul  cofté,  par  le  moyen  des  rayons  courbez  qui  viennent  d'H,& 
de  tous  les  autres  lieux  qui  font  entre  G  &  H,  vers  4.  Il  eft  éuident 
aufti  que,  fi  la  Terre  eft  vers  2,  nous  deuons  voir  la  Comète  par  le 
moyen  des  rayons  droits  CE 2,  &  fa  cheuelure  par  le  moyen  de  tous 
les  rayons  courbe\  palfans  entre  les  lignes  CE2  &  CD2,  qui  s'af- 
femblcnt  vers  2.  Sans  qu'il  y  ait  en  cela  autre  |  différence,  finon  que,  265 
la  Terre  eftant  vers  2,  cette  Comète  paroiftra  le  matin  auec  fa  che- 
uelure qui  femblera  la  précéder,  &  la  terre  eftant  vers  4,  la  Comète 
fe  verra  le  foir  auec  vne  queue  qu'elle  trainera  après  foy. 

i3j.  Explication  de  f  apparition  des  cheurons  de  feu*. 

Enfin,  fi  la  Terre  eft  vers  3,  il  eft  éuident  que  nous  ne  pourrons 
voir  cette  Comète,  à  caufe  de  l'interpofition  du  Soleil,  mais  feule- 
ment vne  partie  de  fa  queue  ou  cheuelure,  qui  femblera  vn  cheuron 
de  feu,  &^  paroiiha  le  foir  ou  le  matin,  félon  que  la  Terre  fera  plus 
proche  du  point  4  ou  du  point   2  ;  en   forte  que,  fi  elle  eft  jufte- 

a.  Voir  planche  XI. 


IQO  OEuVRES    DE    DeSCARTES. 

ment  au  point  3,  égalemeut  dijîant  de  ces  dc'ux autres,  peiu-eltre  que 
cette  melme  Comète  nous  fera  voir  deux  cJieurous  defeit^  Ivu  au  Toir 
&  l'autre  au  matin,  par  le  moyen  des  rarons  courbe^  qui  viennent 
d'H  &  de  D  yrs  S.  le  dis  peut-e/tre,  à  caufe  que,  ft  elle  n'ejl  fort 
g7'ande,f es  rayons  ainji  courbe\  ne  feront  pas  a [fe\  forts  pour  ejîrc 
apperceus  de  nos  yeux. 

i3iS.  Pourquoy  la  queue  des  Comètes  n'ejl  pas  touf-jours  exuâement 
droite,  ny  direâement  nppofée  au  Soleil  \ 

Au  rerte, cette  queue  ou  cheuelure  des  Comètes  ne  paroill  pas  touf- 
jours  entièrement  droite,  mais  quelquefois  vn  peu  courbée;  ny  aulli 
touf-jours  dans  la  mefme  ligne  droite,  ou,  ce  qui  f-euient  à  vu,  dans 
le  me/me  cercle  qui  palIc  par  les  centres  du  Soleil  (Se  de  la  Comcte, 
mais fouuent  elle  s'en  écarte  quelque  peu  ;  &  enfin  elle  ne  paroiil  pas 
i66  touf-jours  également  |  large,  mais  quelquefois  plus  ellroite,  ou  aulli 
plus  lumineufe,  lors  que  les  rayons  qui  viennent  de  Tes  cortez  s'af- 
femblent  vers  l'œil.  Car  toutes  ces  varietez  doiuent  fuiure  de  ce  que 
]&  fphere  DEFGH  n'eft  pas  régulière;  &  pourcc  que  la  figure  ell 
plus  plate  vers  les  pôles  qu'ailleurs*',  les  queues  des  Comètes  y 
doiuent  eflre  plus  droites  &  plus  larges;  mais  quand  elles  s'cllcndent 
de  trauers  entre  les  pôles  &  l'Eclyptique,  elles  doiuent  élire  cour- 
bées &  s'écarter  vn  peu  de  la  ligne  qui  pajfe  par  les  centres  du  Soleil 
&  de  la  Comcte;  enfin,  lors  qu'elles  s'y  eltendent  en  long,  elles 
doiuent  eflre  plus  lumineufes  &  plus  eftroitcs  qu'aux  autres  lieux. 
Et  je  ne  penfe  pas  qu'on  ait  jamais  fait  aucune  obferuaiion  tou- 
chant les  Comètes,  laquelle  ne  doiue  point  eflre  prife  pour  fable  ny 
pour  miracle,  dont  la  raifon  n'ait  efté  icy  expliquée. 

i3g.  Pourquoy  les  EJloiles  fixes  &  les  Planètes  ne  paroiffent  point 
auec  de  telles  queues. 

On  peut  feulement  propofer  encore  vnc  difficulté,  fçauoir  pour- 
quoy il  ne  paroifl  point  de  cheuelure  autour  des  Eiloiles  fixes,  & 
aufli  autour  des  plus  hautes  Planètes,  Saturne  &  lupiter,  en  mefme 
façon  qu'autour  des  Comètes.  Mais  il  ell  aifé  d'y  répondre.  Premiè- 
rement, à  caufe  que,  mefme  autour  des  Comètes,  cette  cheuelure 
n'a  point  coullume  d'edrc  veut',  lors  que  leur  diamètre  apparent 
267     n'eft  point  plus  grand  que  ccluy  des  Eftoiles  fixes;  à  caufe  que  |  les 

a.  Voir  planche  XI. 
b    Voir  art.  8i,  p.  148. 


Principes.  —  Troisiesnit:  Partie.  191 

ra3'ons...  qui  la  forment  n'ont  point  alors  allez  de  force...  Puis  en 
particulier  touchant  les  Elloi'.es  fixes,  il  faut  remarquer  que,  d'au- 
tant qu'elles  ont  leur  lumière  en  elles  mefmes,  c^  ne  l'empruntent 
point  du  Soleil,  s'il  paroiifoit  quelque  cheuelure  autour  d'elles,  il 
faudroit  qu'elle  y  furt  également  éparfe  de  tous  collez,  &  par  conle- 
quent  aulïi  fort  courte,  ciiufi  qu'aux  Comètes  qu'on  uommc  Rofes; 
mais  on  voit  véritablement  vnc  telle  cheuelure  autour  d'elles,  car 
leur  figure  n'cft  point  limitée  par  aucune  ligne  qui  foit  vniformc,  & 
on  les  voit  enuironnées  de  rayons...  de  tous  coikz;  &  peut-ellre  auOi 
que  cela  ell  la  caufe  qui  fait  que  leur  lumière  e(l  fi  eftincelante  ou 
tremblante,  bien  qu'on  et*  puiffc  encore  donner  d'autres  railbns. 
Enfin,  pour  ce  qui  ell  de  lupiter  &  de  Saturne,  je  ne  doute  point 
qu'ils  ne  paroilfent  auffi  quelquefois  auec  vne  telle  cheuelure..., aux 
païs  où  l'air  ell  fort  clair  &  fort  pur;  &  je  me  fouuiens  fort  bien 
d'auoir  leu  quelque  part,  que  cela  a  clic  autrefois  obfcrué,  bien  que 
je  ne  me  fouuienne  point  du  nom  de  l'autheur.  Outre  que  ce  que 
dit  Ariftote,  au  premier  des  Météores,  chap.  ô,  que  les  Egyptiens 
ont  quelquefois  apperceu  de  telles  cheuelures  autour  des  Eftoiles, 
doit,  je  croy,  pluftolt  eftre  entendu  de  ces  Planètes,  que  non  pas  des 
EJloiles  Jixes;  &  pour  ce  qu'il  dit,auoiri  veu  luy-mefme  vne  cheue- 
lure autour  de  l'vne  des  Elloiles  qui  font  en  la  cuill'e  du  Chien,  cela 
doit  dire  arriué  par  quelque  refraclion  extraordinaire  qui  le  faifoit 
en  l'air,  ou  plulloll  par  quelque  indifpofition  qui  elloii  en  fes  yeux  : 
car  il  adjoullc  que  cette  cheuelure  paroijioit  d'autant  moins,  qu'il  la 
regardoit  plus  fixement... 

140.  Comment  les  Planètes  ont  pu  commencer  à  Je  mouuoir*. 

Apres  auoir  ainfi  examiné  tout  ce  qui  appartient  aux  Comètes, 
nous  pouuons  conftderer  en  me/me  façon  les  Planètes,  &  luppofer  que 
l'aitre  N  ell  moins  folide,  ou  bien  a  moins  de  force  pour  continuer 
l'on  mouuement  en  ligne  droite,  que  les  parties  du  fécond  clément 
qui  font  vers  la  circonférence  de  noftre  Ciel,  mais  qu'il  en  a  quelque 
peu  plus  que  celles  qui  font  proches  du  centre  oii  ejl  le  Soleil.  D'où 
il  fuit  que,  fi  toll  qu'il  ell  emporté  par  le  cours  de  ce  Ciel,  il  doit 
continuellement  defcendre  vers  fon  centre,  jufques  à  ce  qu'il  foit 
paruenu  au  lieu  où  font  celles  de  fes  parties,  qui  n'ont...  ny  plus  ny 
moins  de  force  que  luy  à  pcrfeuercr  en  kur  mouuement...;  &  que, 

a.  En  marge  :  «  Voyez  la  planche  3,  en  la  pag.  265.  >>  Cf.  p.  134  ci- 
.ivant,  notes  «etc.  —  Planche  III. 


268 


269 


192  OEUVRES  DE  Descartes. 

lors  qu'il  ell  defcendu  jufques  là,  il  ne  doit  pas  s'approcher  ny  fe 
reculer  du  Soleil,  finon  en  tant  qu'il  eft  pouffé  quelque  peu  çà  ou  là 
par  d'autres  caufes,'  mais  feulement  tourner  en  rond  autour  de  lu}' 
auec  CQs  parties  du  Ciel  qui  luy  font  égales  en  force;  &  ainfi,  que  cet 
ailre  eft  vne  Planète.  Car  s*il  |  defcendoit plus  bas  vers  le  Soleil,  il  s'y 
trouueroit  enuironné  de  parties  du  Ciel  vn  peu  plus  petites,  &  qui 
par  confeqûent  luy  cederoient  en  force...,  outre  qu'eftant  plus  agi- 
tées, elles  augtjienteroient  auffi  fon  agitation  &  enfemble  fa  force, 
laquelle  le  feroit  auffi  toft  remonter.  Et  au  contraire,  s'il  alloit  plus 
hautj  il  y  rencontreroit  des  parties  du  Ciel  vn  peu  moins  agitées,  au 
moyen  de  quoy  elles  diminueroient  fon  mouuement;  &  vn  peu  plus 
greffes*,  au  moyen  de  quoy  elles  auroient  la  force  de  le  repouffer  vers 
le  Soleil. 

14t.  Quelles  font  les  diuerfes  caufes  qui  détournent  le  mouuement 
des  Planètes.  La  première. 

Les  autres  caufes  qui  peuuent  quelque  peu  deftourner  çà  ou  là 
cette  Planète...  font  :  Premièrement,  que  l'efpace  dans  lequel  elle 
tourne  auec  toute  la  matière  du  premier  Ciel,  n'eft  pas  exaftement 
rond.  Car  il  eft  neceffaire  qu'aux  lieux  où  cet  efpace  eft  plus  ample, 
la  matière  du  Ciel  fe  meuue  plus  lentement,  &  donne  moyen  à  cette 
Planète  de  s'éloigner  vn  peu  plus  du  Soleil,  qu'aux  lieux  où-  il  eft  plus 
eftroit. 

142.  La  féconde. 

Et  en  fécond  lieu^  que  la  matière  du  premier  élément,  coulant 
fans  ceffe  de  quelques-vns  des  tourbillons  voifms  vers  le  centre  de 
celuf  que  nous  nommons  noftreCieI,&  retournant  de  là  vers  quelques 
autres,  pouffe  diucrfement...  cette  Planète, /e/o//  les  diuers  endroits 
oit  ellefe  trouue. 

143.  La  iroifiéme. 

170  De  plus,  que  les  pores  ou  petits  pajfages  que  \  les  parties  canelées 
de  ce  premier  élément  fe  font  faits  dans  cette  Planète,  ainfi  qu'il  a 
e/lé  dit  cf-def[us%  peuuent  eftre  plus  difpofcz  à  receuoir  celles  de  ces 

a.  Latin  :  «  paullô  minores  »,  faute  dont  la  correction  s'imposait. 

b.  Voir  Correspondance ,  t.  IV,  p.  181,  1.  12-17.  De  môme  pour  les  ar- 
ticles suivants,  143,  144  et  145.  —  Voir  aussi  Ibid.,  t.  V,  p.  259,  I.  7,  etc. 

c.  Art.  io5,  p.  162. 


Principes.  —  Troisiesme  Partie.  195 

parties  canelées...  qui  viennent  de  certains  endroits  du  Ciel,  qu'à 
receuoir  celles  qui  viennent  des  autres;  ce  qui  fait  que...  les  pôles... 
de  la  Planète  fe  doiuent  tourner  vers  ces  endroits  là... 


144.  La  quatrième. 

Puisaiiffî^quc  quelque  mouuement  peut  auoir  elle  imprimé aupsx» 
rauant  en  cette  Planète,  lequel  elle  conferue  encore  long  temps 
après,  nonobltani  que  les  autres  causes  icy  expliquées  y  répugnent. 
Car  comme  nous  voyons  qu'vne  pirouette*  acquert  affcz  de  force,  de 
cela  feul  qu'vn  enfant  la  fait  tourner  entre  fes  doigts,  pour  continuer 
par  après  toute  feule  pendant  quelques  minutes,  &  faire  peut-eftre 
en  ce  temps  \h  plus  de  deux  ou  trois  mille  tours  fur  fon  centre, 
nonobftant  qu'elle  foii  fort  petite,  &  que  tant  l'air  qui  l'enuironne 
que  la  terre  qui  la  fouftient,  luy  refiftent,  £■  retardent  fon  mouue- 
ment de  tout  leur  pouuoir  :  ainfi  on  peut  aifement  croire  que,  fi  vne 
Planète  auoit  efté  agitée  en  mefme  façon  dés  le  commencement 
qu'elle  a  efté  créée,  cela  feul  feroit  fuffifpnt  pour  luy  faire  encore  à 
prefent  continuer  le  mefme  mouuement  fans  aucune  notable  diminu- 
tion, pource  que,  d'autant  qu'vn  corps  efl  plus  grand,  d'autant  il  peut 
retenir  plus  long  \  temps  l'agitation  qui  luy  a  efié  ainfi  imprimée,  271 
&  que  la  durée  de  cinq  ou  fix  mil  ans  qu'il  y  a  que  le  monde  eft,  fi 
on  la  compare  auec  la  grolTeur  d'vne  Planète,  n'efï  pas  tant  qu'vne 
minute  comparée  auec  la  petiteffe  d'vne  pirouette. 

145.  La  cinquième. 

Puis  enfin,  que  la  force  de  continuer  ainfi  à  fe  mouuoir  eft  plus 
durable  &  plus  conftante  dans  les  Planètes,  que  dans  la  matière  du 
Ciel  qui  les  enuironne;  ^'  mefme,  qu'elle  eft  plus  durable  en  vne 
grande  Planète  qu'en  vne  moins  grande.  Dont  la  raifon  eft  que  les 
moindres  corps,  ayant  plus  de  fuperfîcie,  à  raifon  de  la  quantité  de 
leur  matière,  que  n'en  ont  ceux  qui  font  plus  grands,  rencontrent  plus 
de  chofes  en  leur  chemin  qui  empefchent  ou  defîournent  leur  mouue- 
ment, &  qu'vne  portion  de  la  matière  du  Ciel,  qui  égale  en  grojjeur  vne 
Planète,  efl  compofée  de plujteurs  petites  parties  qui  fe  doiuent  toutes 
accorder  à  vn  mefme  mouuement  pour  égaler  celuf  de  cette  Planète, 
&  qui,  n'eftant  point  attachées  les  vnes  aux  autres,  peuuent  eflre 

a.  \o\r  Correspondance,  t.  V,  p.  173.  —  Descartes  avait  plutôt  voulu 
parler  d'une  toupie. 

Œuvres.  IV.  29 


194  OEuvRES  DE  Descartes. 

dejlournées  de  ce  mouuement,  chacune  à  part,  par  les  moindres 
caufes.  D'où"  il  fuit  qu'aucune  Planète  ne  fe  meut  fi  vite  que  les 
petites  parties  de  la  matière  du  Ciel  qui  l'enuironnent,  pource  qu'elle 
peut  feulement  égaler  celuy  de  leurs  mouuemens,  félon  lequel  elles 

272  s'accordent  à  fuiure  toutes  vn  mefme  cours,  &  |  que,  d'autant 
qu'elles  font  diuifées,  elles  en  ont  touf-jours  quelques  autres  qui 
leur  font  particuliers.  Il  fuit  auffi  de  cela,  que,  lors  qu'// j'  a  quelque 
caufe  qui  augmente  ou  retarde  ou  deftourne  le  mouuement  de  cette 
matière  du  Ciel,  la  mefme  caufe  ne  peut  pas  fi  promptemcnt  ny  fi 
fort  augmenter  ou  retarder  ou  diminuer  celuy  de  la  Planète. 

J4G.  Comment  toutes  les  Planètes peuuent  auoir  eflé  formées. 

Or  fi  on  confidere  6ien  toutes  ces  chofes,  on  en  pourra  tirer  les 
raifons  de  tout  ce  qui  a  pu  eftre  obferué  jufques  icy  touchant  les 
Planètes,  &  voir  qu'il  n'y  a  rien  en  cela  qui  ne  s'accorde  parfaite- 
ment auec  les  loix  de  la  nature  cy-deiïus  expliquées".  Car  rien  n'em- 
pefche  que  nous  ne  penfions  que  ce  grand  cfpace...  que  nous  nom- 
mons le  premier  Ciel, a  autrefois  efté  diuifc  en  quatorze  tourbillons, 
ou  en  dauantage,  &  que  ces  tourbillons  ont  elle  tellement  difpofez, 
que  les  aftrcs  qu'ils  auoient  en  leurs  centres,  fe  font  peu  à  peu  cou- 
uerts  de  plufieurs  taches,  en  fuitte  de  quoy  les  plus  petits  ont  elle 
deiivuhs  par  les  plus  gi^ands  tnlsL  façon  quia  ei\ù  décrite"...  A  fçauoir, 
on  peut  penfer  que  les  deux  tourbillons  qui  auoient  les  allres  que 
nous  nommons  maintenant...  lupiter  &  Saturne  en  leurs  centres, 
eltoient  les  plus  grands,  &  qu'il  y  en  auoit  quatre  moindres  autour 

273  de  celuy  de  lupiter,  dont  les  aftres  font  |  dcfcendus  vers  luy,  &font 
les  quatre  petites  Planètes  que  nous  y  voyons;  puis,  qu'il  y  en  auoit 
aufii  deux  autres  autour  de  celuy  de  Saturne,  dont  les  allres  font 
defcendus  vers  luy  en  mcfmc  façon  (au  moins  s'il  cil  vray  que 
Saturne  ait  proche  de  foy  deux  autres  moindres  Planètes,  ainft  qu'il 
femble  paroijfre);  &  que  la  Lune  efl  aujji  defcenduë  î>ers  la  Terre,  lors 
que  le  tourbillon  qui  la  contenoit  a  eflé  deflruit;  &  enfin,  que  les^A: 
tourbillons  qui  auoient  Mercure,  Venus,  la  Terre...,  Mars,  lupiter 
&  Saturne  en  leurs  centres,  e/lant  de/truits  par  rn  autre  plus  i>rand, 
au  milieu  duquel  e/loit  le  Soleil,  tous  ces  altres  font  dcfcendus  vers 
luy,  ^  s'y  font  difpofe\en  lafaçonqu'ilsyparoijj'entà  prefent;  mais 
que,  s'il  y  a  eu  encore  quelques  autres  tourbillons...  en  l'clpuce  qui 

a.  Partie  II,  art.  37,  3g  et  40,  p.  84,  85  et  86. 

b.  Art.  1 1 5,  1 16  cl  1 17,  p.  1 69-1 71. 


Principes.  —  Troisiesme  Partie.  195 

comprend  maintenant  le  premier  Ciel, \ts  aftres  qu'ils  auoienten  leurs 
centres,  ejiant  deuenus  plus  folides  que  Saturne,  fe  font  conueriisen 
Comètes. 

i4j.  Pourquoi  toutes  les  Planètes  ne  font  pas  également  dijîantes 

du  Soleil. 

Ainfi,  voyant  maintenant  que  les  principales  Planètes,  Mercure, 
Venus,  la  Terre,  Mars,  lupiler  &  Saturne,  font  leur  cours  à  di- 
uerfcs  dirtances  du  Soleil,  nous  deuons  juger  que  cela  vient  de  ce 
qu'elles  ne  font  pas...  également  folides,  &  que  ce  font  celles  qui  le 
font  moins,  qui  s'en  approchent  dauantage.  Et  nous  n'auons  |  pas  274 
fujet  de  trouuer  eftrange  que  Mars  en  foit  plus  éloigné  que  la  Terre, 
nonobltant  qu'il  foit  plus  petit  qu'elle,  pource  que  ce  n'elt  pas  la 
feule  grandeur  qui  fait  que  les  corps  font  folides*,  &  qu'il  le  peut 
eftre  plus  que  la  Terre,  encore  qu'il  ne  foit  pas  fi  grand. 

148.  Pourquojr  les  plus  proches  du  Soleil  fe  meuuent  plus  vite  que  les 
plus  éloignées,  &  toutefois  fes  taches,  qui  en  font  fort  proches,  fe 
meuuent  moins  vite  qu'aucune  Planète. 

Et  voyant  que  les  PlanQlcs  qui  font  plits proches  du  Soleil  fe  meu- 
uent... plus  vite  que  celles  qui  en  font  plus  éloignées,  nous  penferons 
que  cela  arriue  à  caufe  que  la  matière  du  premier  élément  qui  com- 
pofe  le  Soleil,  tournant  extrêmement  \' ne  fur  f on  efjieu,  augmente 
dauantage  le  mouuement  des  parties  du  Ciel  qui  font  proches  de 
luy,  que  de  celles  qui  en  font  plus  loin.  Et  cependant  nous  ne  tro"- 
uerons  point  ellrange  que  les  taches  qui  paroilfent  fur  fa  fuperficie, 
fe  meuuent  plus  lentement  qu'aucune  Planète,  en  forte  qu'elles 
employent  enuiron  vingt-fix  jours  à  faire  leur  tour,  qui  ell  fort  petit, 
au  lieu  que  Mercure  n'employé  pas  trois  mois  à  faire  le  lien,  qui 
ell  plus  de  foixante  fois  plus  grand,  &  que  Saturne  achcue  le  ficn  en 
trente  ans,  ce  qu'il  ne  deuroit  pas  faire  en  cent,  s'il  n'alloit  point 
plus  vite  que  ces  taches,  à  caufe  que  le  chemin  qu'ii  fait  eft  enuiron 
deux  mille  fois  plus  grand  que  le  leur.  Car  on  peut  penfer  que  ce 
qui  les  retarde,  eft  qu'elles  font  jointes  à  l'air  quefaj-  dit  cj-dejfus*' 
deuoir  eflre  \  autour  du  Soleil,  pource  que  cet  air  s'eftend  jufques  275 
vers  la  fphere  de  Mercure,  ou  peut-eftre  mefme  plus  loin,  &  que 
les  parties  dont  il  eil  compofé,  ayant  des  figures  fort  irreguiiere^..., 

a.  An.  121  et  122,  p.  174  et  175. 

b.  Art.  100,  p.  1 59 


196 


Œuvres  de  Descartes. 


s'attachent  les  vnes  aux  autres,  &  ne  fe  peuuent  mouuair  que  toutes 
enlemble,  en  forte  que  celles  qui  font  fur  la  fuperficie  du  Soleil 
aucc  fcs  taches,  ne  peuuent  faire  gueres  plus  de  tours  autour  de  luy 
que  celles  qui  font  vers  la  fphere  de  Mercure,  &  par  confequent 
doiuent  aller  beaucoup  plus  lentement.  Ainji  qu'on  voit  en  rneronè', 
lors  qu'elle  tourne,  que  les  parties  proches  de  fon  centre  ront  beau- 
coup moins  rite  que  celles  qui  font  en  fa  circonférence. 

14g.  Pourquoy  la  Lune  tourne  autour  de  la  Terre*. 

Puis,  voyant  que  la  Lune  a  fon  cours,  non  feulement  autour  du 
Soleil,  mais  auffi  autour  de  la  Terre,  nous  jugerons  que  cela  peut 
eftre  arriué  de  ce  qu'elle  ejl  defcenduù'  dans  le  tourbillon  qui  auoit  la 
Terre  en  fon  centre,  auparauant  que  la  Tervc  fut  defcenduë  vers  le 
Soleil,  ainfi  que  quatre  autres  Planètes /o;/^  defcenduè's  vers  lupiter; 
ou  pluftoft,  de  ce  que Ji'e/îant pas  moins  folide  que  la  Terre,  &  toutes- 
fois  eflant  plus  petite,  fa  foliditè  ejt  caufe  qu'elle  doit  prendre  fon 
cours  à  mefme  diftance  du  Soleil,  &  fa  peiiteffe,  quV//e  sy  doit  mou- 
uoir  plus  vite,  ce  quelle  nepeut,finon  en  tournant  auffi  autour  de  la 
276  Terre.  Soit^  par  exemple,  S  le  SoJeil,  &  |  NTZ  le  cercle  fuiuant 
lequel  la  Terre  &  la  Lune  prennent  leur  cours  autour  de  ht/,  en  quel 
endroit  de  ce  cercle  que  la  Lune  ait  efté  au  commencement,  elle  a 
deu  venir  bien  tort  vers  A,  proche  de  la  Terre  T,  puifqu'elle  alloit 
plus  vite  qu'elle;  &  trouuant  au  point  A,  que  la  Terre  auec  l'air  d' 
la  partie  du  Ciel  qui  l'enuironne,  luy  faifoit  quelque  refillance.. ., 
elle  a  deu  fe  dellourner  vers  B,  je  dis  vers  B  pluftoft  que  vers  D, 
pource  qu'en  cette  façon  le  cours  qu'elle  a  pris  a  efté  moins  éloigné 
de  la  ligne  droite.  Et  pendant  que  la  Lune  eft  ainfi  allée  d'A  vers  B, 
elle  a  difpofé  la  matière  du  Ciel  contenue*  dans  le  cercle  ABCD... 
à  tourner  auec  l'air  &  la  Terre  autour  du  centre  T,  &  y  faire  comme 
vn  petit  tourbillon,  qui  a  touf-jours  depuis  continué  fon  cours  auec 
la  Lune  d-  la  Terre,  fuiuant  le  cercle  TZN  autour  du  Soleil'. 

i3o.  Pourquoy  la  Terre  tourne  autour  de  fon  centre. 

Cela  n'cft  pas  toutefois  la  feule  caufe  qui  fait  que  la  Terre  tourne 
fur  fon  eftieu.  Car  puis  que  nous  la  conftderons  comme  fi  elle  auoit 

a.  Voir  Correspondance,  t.  IV,  p.  464-463. 

b.  Planche  XII. 

c.  Voir  Correspondance,  t.  V,  p.  3i?,  1.  4,  p.  346,  1.  i3,  ci  p.  388. 


Principes.  —  Troisiesme  Partie.  197 

elle  autrefois  vne  EJïoile  fixe  qui  occupoit  le  centre  d'vn  tourbillon 
particulier  dam  le  Ciel,  nous  deuons  penfer  qu'elle  tournoit  dés  lors 
en  cette  forte,  &  que  la  matière  du  premier  élément  qui  a  touf- 
jours  demeuré  depuis  en  fon  centre,  continue  de  la  mouuoir*  en 
mefme  façon. 


I  l5i.  Pourquqy  la  Lune  Je  meut  plus  vite  que  la  Terre.  Î77 

Et  on  n*a  point  fujet  de  trouuer  eftrange  que  la  Terre  face  prefque 
trente  tours  fur  fon  eflTieu,  pendant  que  la  Lune  en  fait  feulement 
vn  fuiuant  le  cercle  ABCD',  pource  que  la  circonférence  de  ce 
cercle  ellant  enuiron  foixante  fois  aufli  grande  que  le  circuit  de  la 
Terre,  cela  fait  que  le  mouuement  de  la  Lune  elt  encore  deux  fois 
aufl]  vite  que  celuy  de  la  Terre.  Et  pource  que  c'eft  la  matière  du 
Ciel  qui  les  emporte  toutes  deux,  &  qui  vray-femblablement  le  meut 
aulfi  vite  contre  la  Terre  que  vers  la  Lune,  je  ne  penfe  pas  qu'il  y 
ait  d'autre  raifon  pourquoy  la  Lune  a  plus  de  viielfe  que  la  Terre, 
finon  pource  qu'elle  ell  plus  petite. 

j52.  Pourquoy  c'eft  touf- jours  vn  mefme  cofti  de  la  Lune 
qui  eft  tourné  vers  la  Terre. 

On  n'a  pas  fujet  aufli  de  trouuer  eflrange  que  ce  foit  toufjours  à 
peu  près  le  mefme  cofté  de  la  Lune  qui  cil  tourné  vers  la  Terre... 
Car  on  peut  aifement  fe  perfuader  que  cela  vient  de  ce  que  fon  autre 
cofté  ell  quelque  peu  plus  folide,  &  par  confequent  doit  décrire  le 
plus  grand  cercle...,  fuiuant  ce  qui  a  cy-delfus'  efté  remarqué  tou- 
chant les  Comètes.  Et  certainement  toutes  ces  inegalitez  en  forme 
de  montagnes  &  de  valées,  que  les  lunetes  d'approche  font  voir  fur 
celuy  de  fes  coftez  qui  eft  tourné  vers  nous,  monltrent  qu'il  n'eft  pas 
il  folide  que  peut  e/lre/ou  autre  cofié.  Et  on  peut  attribuer  la  caufe 
de  cette  différence  à  l'aâion  de  la  lumière,  pource  |  que  celuy  des  278 
coftez  de  la  Lune  qui  nous  regarde,  ne  reçoit  pas  feulement  la  lu- 
mière qui  vient  du  Soleil,  ainfi  que  l'autre,  mais  aufli  celle  qui  luy 
eft  enuoyée  par  la  refle.xion  de  la  Terre,  au  temps  des  nouuelles 
Lunes, 

a.  Voir  Correspondance,  t.  V,  p.  17?. 

b.  Planche  XII.  —  Voir  Correspondance,  t.  V,  p.  346,  l.  24. 

c.  Art.  119,  i32,  p.  173  et  i83. 


198  Œuvres  de  Desgartes. 


j53.  Pourquoy  la  Lune  va  plus  vite,  &  s  écarte  moins  de  fa  route,  ejlant 
pleine  ou  nouuelle,  que  pendant  fon  croiffant  ou  fon  decours  \ 

On  ne  fe  doit  pas  non  plus  eflonner  de  ce  que  la  Lune  fe  meut 
vn  peu  plus  vite,  &  fe  dellourne  moins  de  fa  route  en  tout  fens,  lors 
qu'elle  eft  pleine  ou  nouuelle,  c'eil  à  dire  lôrs  qu'elle  eft  vers  B  ou 
vers  D,  que  pendant  fon  croiffant  ou  fon  decours,  c'eil  à  dire  pen- 
dant qu'elle  eil  vers  A  ou  vers  C.  Car  la  matière  au  Ciel,  qui  ell 
contenue  en  l'efpace  ABCD,  elt  compofée  des  parties  du  fécond 
t'/t'mt'/// femblables  à  celles  qui  font  vers  N  &  vers  Z,  £•  par  confe- 
quent  vn  peu  plus  grofj'es,  à'-  vn  peu  moins  agitées  que  celles  qui 
foiit  plus  bas  que  D  vers  K,  mais,  au  contraire,  plus  petites  &  plus 
agitées  que  celles  qui  font  plus  haut  que  B  vers  L,  ce  qui  fait  qu'elles 
fe  méfient  plus  aifement  auec  celles  qui  font  vers  N  &  vers  Z,  qu'aUec 
celles  qui  font  pers  K  ou  vers  L,  &  ainfi  que  le  cerclé  ABCD  n'eft 
pas  exaclement  rond,  maisjL-'///5  long  que  large,  en  forme  d'Ellipfe''; 
^  que,  la  matière  du  Ciel  qu'il  contient  a\\a.m  plus  lentement  entre  A 
&  C  qu'entre  B  &  D%  la  Lune  qu'elle  emporte  auec  i'oyy  doit  auffi 
aller  plus  lentement,  &  y  faire  fes  excurfions  plus  grandes '\  tant  en 
279     s'éloi|gnant  qu'en  s'approchant,  de  la  Terre  oî<  de  l'Eclfptique... 

154.  Pourquoy  les  Planètes  qui  font  autour  du  Jupiter  y  tournent  fort 
vite,  &  qu'il  n'en  efl  pas  de  mefme  de  celles  qu'on  dit  eflre  autour  de 
Saturne. 

De  plus,  on  n'admirera  point  que  les  deux  Planètes  qu'on  dit  eftre 
auprès  de  Saturne',  ne  fe  meuuent  que  fort  lentement,  ou  peut-eftre 
point  du  tout,  autour  de  luy  ;  &  au  contraire,  que  les  qtjatre  qui  font 
autour  de  lupiter,  s'y  meuuent  fort  vite,  &  mefme,  que  celles  qui 
font  plus  proches  de  luy,  fe  meuuent  plus  vite  que  les  autres.  Car  on 
peut  penfer  que  cette  diuerfité  ell  cauféc  de  ce  que  lupiter^  ainll  que 
le  Soleil  ifc  la  Lune,  tourne  fur  fon  cflieu  ;  &  que  Saturne,  qui  efl 
la  plus  haute  Planète,  tient  touf-jours  vn  mefme  collé  tourné  vers 
le  centre  du  tourbillon  qui  la  contient,  ainfi  que  la  Lune  &  les 
Comètes. 

a.  IManchc  XH. 

b.  Voir  Correspondance,  t.  V,  p.  25y,  1.  26. 

c.  Ibid.,  i.  IV,  p.  464. 

d.  Voir  art.  141,  p.  192. 

e.  Les  anses  de  l'anneau,  qu'on  prenait  alors  pour  des  satellites. 


Principes.   —  Troisiesme   Partie.  199 


i55.  Pourquqy  les  pôles  de  l'Equateur  font  fort  éloigne^ 
de  ceux  de  l'Eclyptique. 

On  n'admirera  point  aufli  que  l'eflieu  fur  lequel  la  Terre  fait  fon 
tour  en  vn  jour,  ne  foit  pas  parallèle  à  celuj-  de  l'Eclyptique  fur 
lequel  elle  fait  fon  tour  en  vn  an,  &.  que  leur  inclination...  qui 
fait  la  différence  de  l'eflé  &  de  l'hyuer,  foit  de  plus  de  vingt-trois 
degrez.  Car  le  mouuement  annuel  de  la  Terre  en  l'Eclyptique  eft 
principalement  déterminé  par  le  cours  de  toute  la  matière  celefte 
qui  tourne  autour  du  Soleil,  comme  il  paroilt  de  ce  que  toutes  les 
Planètes  s'accordent  en  cela,  qu'elles  prennent  leur  cours  à  peu  près 
fuiuant  l'Ecljytique.  Mais  ce  |  font  les  endroits  du  firmament  d'où  280 
viennent  les  parties  canclées  du  premier  élément,  qui  font  les  plus 
propres  à  pajfer  par  les  pores  delà  Terre,  lefquellcs'  déterminent  la 
fituation  de  l'eflieu  fur  lequel  elle  fait  fon  tour  chaque  jour,  ainfi 
que  ces  parties  canelées  caufent  auffi  la  direcfion  de  l'aj'mant,  comme 
il  fera  dit  cj-'apres^.  Et  puifque  nous  coniiderons  tout  l'efpace  dans 
lequel  eft  maintenant  le  premier  Ciel,  comme  ayant  autrefois  con- 
tenu quatorze  tourbillons,  ou  plus,  aux  centres  dcfquels  il  y  auoit 
des  aftres  qui  font  conuertis  en  Planètes,  nous  ne  pouuons  fuppofer 
que  les  eilieux  fur  lefquels  femouuoient  tous  ces  altres  fuifent  tour- 
nez vers  vn  mefme  cofté,  pource  que  cela  ne  s'accorderoit  pas  auec 
les  loix  de  la  nature,  ainfi  qu'il  a  ejlé  monjlré  cf-deffus\  Mais  nous 
auans  raifon  de  penfer  que  les  pôles  du  tourbillon  qui  auoit  la  Terre 
en  fon  centre,  regardoient  prefque  les  mefmes  endroits  du  firma- 
ment, vis  à  vis  defquels  font  encore  à  prefent  les  pôles  de  la  Terre 
fur  lefquels  elle  fait  fon  tour  chaque  four  ;  6'-  que  ce  font  les  parties 
canelées  qui  viennent  de  ces  endroits  du  firmament,  lefquelles,  efîant 
plus  propices  à  entrer  en  fes  pores  que  celles  qui  viennent  des  autres 
lieux,  la  retiemient  en  cette  fituation"^. 

i56.  Pourquoy  ils  s'en  approchent  peu  à  peu. 

Mais  cependant,   à  caufe  que   le  tour   que    la  |  Terre  fait  dans     281 
l'Eclyptique  pendant  vne  année,   &  celuy  qu'elle  fait  chaque  jour 
fur  fon  efjieu,  fe  feroient  plus  commodément,  fi  l'eflieu  de  la  Terre 

a.  Lire  lesquels  (les  endroits)  ? 

b.  Partie  IV,  art.  i5o. 

c.  Art.  65,  p.  i36. 

d.  Voir  Correspondance,  t.  IV,  p.  182,  1.  20. 


20O  Œuvres  de  Descartes. 

&celuy  de  VEclyptique  ertoient  parallèles,  les  caufes  qui  eropefchent 
qu'ils  ne  le  Ibient,  fe  changent  par  fucceflion  de  temps  peu  à  peu  ;  ce 
qui  fait  que  l'Equateur  s'approche  infenfiblement  de  l'Eclyptique. 

jSj.  La  caufe  générale  de  toutes  les  variété/^  qu'on  remarque 
aux  mouuemens  des  ajlres. 

Enfin,  toutes  les  diuerfes  erreurs  des  Planètes,  lefquelles  s'écar- 
tent touf-jours  plus  ou  moins,  en  tout/eus,  du  moiiuement  circulaire 
auquel  elles  font  principalement  déterminées,  ne  donneront  aucun 
fujet  d'admiration,  fi  on  confidere  que  tous  les  corps  qui  font  au 
'monde  s'entre-touchent,  yii/w  qu'il  puijfe  /  auoir  rien  de  vuide,  en 
forte  que  me/me  les  plus  éloigne^  agiffent  touf-jours  quelque  peu  les  vns 
contre  les  autres,  par  l'entremife  de  ceux  qui  font  entre-deux,  bien 
que  leur  effet  foi t  moins  grand  &  moins  fenfible,à  raifon  de  ce  qu'ils 
font  plus  éloigne\;  &  ainfi,  que  le  mouuement  particulier  de  chaque 
coT^s  peut  eflre  continuellement  dejlourné  tant  foit  peu,  en  autant  de 
diuerfes  façons  qu'il  y  a  d'autres  diuers  corps  qui  fe  meuuent  en 
l'vniuers.  le  n'adjoufle  rien  icf  dauantage, pource  qu"\\  me  femble  y 
auoir  rendu  raifon  de  tout  ce  qu'on  obferue  dans  les  Cieux  &  que 
282  nous  ne  pouuons  voir  que  de  loin  ;  mais  je  |  tafcheray  cy-apres  d'ex- 
pliquer en  mefme  façon  tout  ce  qui  paroift  fur  la  Terre,  en  laquelle 
il  y  a  beaucoup  plus  de  chofes  à  remarquer,  pource  que  nous  la 
voyons  de  plus  près. 


LES  PRINCIPES 


DE 


LA    PHILOSOPHIE 


QUATRIESME   PARTIE. 
De  la  Terre. 


I  /.  Que,  pour  trouuer  les  vrayes  cau/es  de  ce  qui  e^  fur  la  Terre,  il  faut     283 
retenir  Vhypothefe  def-ja  prife,  nonobfîant  qu'elle  f oit  fauffe. 

Bien  que  je  ne  vueille  point  qu'on  fe  perfuade  que  les  corps  qui 
compofent  ce  monde  vifible  ayent  jamais  efté  produits  en  la  façon  que 
j'ay  décrite,  ainfi  que  j'ay  cy-deffus*  affez  auerti,  je  fuis  neantmoins 
obligé  de  retenir  encore  icy  la  mefme  hypothefe,  pour  expliquer  ce 
qui  eji  fur  la  Terre,  afin  que,  fi  je  monftre  éuidemment,  ainfi  que 
j'efpere  faire, qu'on  peut,  par  ce  moyen, donner  des  raifons  tres-iutel- 
ligibles  &  certaines  de  toutes  les  chofes...  qui  s'y  remarquent,  &  qu'on 
ne  puiffe  faire  le  femblable  par  aucune  autre  inuention,  nous  ayons 
fujet  de  conclure  que,  bien  que  le  monde  n'ait  pas  ejlé  fait  au  commen- 
cement en  cette  façon  y  &  qu'il  ait  efié  immédiatement  créé  de  Dieu, 
toutes  les  chofes  qu'il  \  contient  ne  laiffent  pas  d'eftre  maintenant  de  284 
mefme  nature,  que  fi  elles  auoient  efté  ainfi  produites. 

2.  Quelle  a  efié  la  génération  de  la  Terre,  fuiuant  cette  hypothefe. 

Feignons  donc  que  cette  Terre  où  nous  fommes  a  efté  autrefois 
vn  aflre  compofé  de  la  matière  du  premier  élément  toute  pure, 

a.  Partie  III,  art.  45,  p.  i23. 


202  Œuvres  de  Descartes. 

laquelle  occiipoit  le  centre  d'vn  de  ces  qiiator:{e  tourbillons  qui  ejîoient 
contenus  en  l'efpace  que  nous  nommons  le  premier  Ciel^en  forte  qu'elle 
ne  differoit  en  rien  du  Soleil,  fincn  qu'elle  efloit. . .  plus  petite;  mais 
que  les  moins  fubtiles  parties...  de  fa  matière,  s'attachant  peu  à  peu 
les  vnes  aux  auXTes,fe  font  ajjemblées  furfafuperjïcie,  &  y  ont  com- 
pofé  des  nuages,  ou  autres  corps  plus  efpais  &  obfciirs,  femblables 
aux  taches  qu'on  voit  continuellement  eftre  produites,  &  peii  après 
dillipées,  fur  la  fuperlicie  du  Soleil;  &  que,  ces  corps  obfcurs  ellant 
aufli  difllpez  peu  de  temps  après  qu'ils  auoient  efté  produits,  les 
parties  qui  en  reftoient,  &  qu\,ejlant plus  g-rojfes  que  celles  des  deux 
premiers  elemens,  auoient  la  forme  du  troiliéme,  fe  font  confufé- 
ment  entalïces  autour  de  cette  Terre,  &  l'enuironnant  de  toutes  parts, 
ont  compofé...  vn  corps  prefque  femblahle  à  l'air...  que  nous  ref- 
pirons.  Puis  enfin  que,  cet  air  eftant  deuenu  fort  grand  £-  efpais,  les 
285  corps  obfcurs  qui  continuoient  à  fe  former  fur  la  fulperfîcie  de  la 
Terre...,  n'ont  pu  ji  facilement  qu'auparauant y  ejtre  deflruits,  de 
façon  qu'ils  l'ont  peu  à  peu  toute  couuerte  &  offufquée;  &  mefme 
que...  peut-eftre  plufieurs  couches  de  tels  corps  s'y  font  entaffées 
î'vne  fur  l'autre,  ce  qui  a  tellement  diminué  la  force  du  tourbillon 
qui  la  contenoit,  qu'il  a  eflé  entièrement  deftruit,  &  que  la  Terre, 
auec  l'air  &  les  corps  obfcurs  qui  l'enuironnoient,  ell  defcenduë 
vers...  le  SoWû  jufques  à  l'endroit  oii  elle  efl  à  prefent. 

3.  Sa  diuifion  en  trois  diuerfes  régions,  &  la  defcription  de  la  première. 

Et  fi  nous  la  confiderons  en  l'eflat  qu'elle  a  deu  eftre  peu  de  temps 
auparauant  qu'elle  foit  ainfi  defcenduë  vers  le  Soleil,  nous  y 
pourrons  remarqi-er  trois  régions  fort  diuerfes.  Dont  la  première 
&  plus  bajji%  qui  efl  icy  inarquée  I\  femblc  ne  deuoir  contenir  que 
de  la  matière  du  premier  élément,  qui  s'y  meut  en  mefme  façon  que 
celle  qui  ell  dans  le  Soleil,  &  qui  n'eft  point  d'autre  nature,  fmon 
qu'elle  n'eft  peut-efîrc  pas  du  tout  ii  fubtile,  à  caufe  qu'elle  ne  fe 
peut  purifier,  ainfi  que  f<\it  celle  du  Soleil,  qui  rejette  continuelle- 
ment hors  de  foy  la  matière  de  fes  taches.  Et  cette  raifon  me 
pourroit  perfuader  que  l'efpace  I  n'eft  maintenant  prefque  rempli 
que  de  la  matière  du  troificme  élément,  que  les  moins  fubtiles 
parties  du  premier  ont  compofèe,  en  s'attachant  les  vues  aux  autres, 
586  finon  qu'il  me  fcmble  que,  fi  cela  eftoit,  la  Terre  feroit  |  li  folide, 
qu'elle  ne  pourroit  demeurer  fi  proche  du  Soleil  qu'elle  fait.  Outre 

a.  En  marge  ;  «  Voyez  la  fin  {sic!)  qui  fuit.  »  Planche  XIII,  figuf  i. 


Principes.  —  Quatriesme  Partie.  20 j 

qu'on  peut  i?nagiuer  diiierfes  raifons  qui  empefdieut  qu'il  ne  puiffe  y 
auoir  autre  cliofe  en  Ve/pace  I,  que  de  la  plus  pure  matière  du 
premier  élément;  car  peut-ejlre  que  les  parties  de  cette  matière  qui 
font  les  plus  difpofées  à  s'attacher  les  inies  aux  autres,  font  empef- 
chées  d'f  entrer  par  le  corps  de  fa''  féconde  région,  &  peut-eJlre  aujji . 
que  fon  mouuement  a  tant  de  force,  lors  qu'elle  efî  enfermée  en  cet 
efpace,  que  non  feulement  il  empefchc  qu'aucunes  de  fes  parties  ne 
demeurent  jointes^  mais  qu'il  en  dejlache  auJJi  peu  à  peu  quelques 
vues  du  corps  qui  Venuironne. 

4.  Defcription  de  la  féconde. 

Car  \a  féconde  ou  moyenne  région,  qui  efi  icy  marquée  M,  eft 
remplie  d'vn  corps  fort  opaque  ou  obfcur,  &  fort  folide  ou  ferré,  en 
forte  qu'il  ne  contient  aucuns  pores  plus  grands  que  ceux  qui  donnent 
paflage  aux  parties  canelées...  de  la  matière  du  premier  élément, 
d'autant  qu'il  n'a  efté  compofé  que  des  parties  de  cette  matière,  qui, 
eftant  extrêmement  petites,  n'ont  pu  lailfer  de  plus  grands  inierualles 
parmy  elles,  lors  qu'elles  fe  font  jointes  les  vnes  aux  autres.  Et  on 
voit,  par  expérience,  que  les  taches  du*  Soleil,  qui  font  produites  en 
mefme façon  qu'a  eJîécQ  corps  M,  &  ne  font  point  d'autre  nature  que 
luy,  excepté  qu'elles  font  |  beaucoup  plus  minces  &  moins  ferrées,  287 
émpefchent  le  paffage  de  la  lumière;  ce  qui  monftre  qu'elles  n'ont 
point  de  pores  alfez  grands  pour  receuoir  \qs  petites  parties  du  fécond 
élément.  Car  s'il  y  auoit  en  elles  de  tels  pores,  ils  y  feroient  fans 
doute  alîez  droits  &  vnis  pour  ne  point  interrompre  la  lumière,  à 
caufe  qu'ils  fe  feroient  formez  en  vne  matière  qui  a  efté  au  com- 
mencement fort  molle  &fort  fluide,  £-  n'a  que  des  parties  fort  petites 
&  fort  faciles  à  plier. 

5.  Defcription  de  la  troiftéme. 

Or  ces  deux  premières  &  plus  bajj'es  régions  de  la  Terre  nous  im- 
portent fort  peu,  d'autant  que  jamais  homme  viuant  n'eft  defcendu 
jufques  à  elles.  Mais  nous  aurons  beaucoup  plus  de  chofes  à  re- 
marquer en  la  troifiéme,  à  caufe  que  c'eft  en  elle  que  fe  doiuent 
produire  tous  les  corps  que  nous  voyons  autour  de  nous.  Toutefois 
//  n'y  paroif  encore  icy  autre  chofe,  fmon  vn  amas  confus  des  petites 
parties  du  troifiéme  élément,  qui  ne  font  point  Ji  efiroitement  jointes, 

a.  Lire  la  ? 


204  OEUVRES   DE   DeSCARTES. 

qu'il  n'y  ait  beaucoup  de  la  matière  du  fécond  parmy  elles,  &  pource 
que  nous  pourrons  connoiftre  leur  nature  en  confir'erantexa(5lement 
de  quelle  façon  elles  ont  efté  formées,  nous  pourrons  aujfi  venir  à  vne 
parfaite  connoiffauce  de  tous  les  corps  qui  en  doiuent  eftre  compofe\. 

288  I Q,  Que  les  parties  du  troijiéme  élément,  qui  font  en  cette  troiftéme  région^ 

doiuent  eflre  affe\  grandes. 

Et  premièrement,  puifque  ces  parties  du  troifiéme  élément  font 
venutfs  du  débris  des  nuages  ou  taches  qui  fe  formoient  autrefois  fur 
la  Terre,  lors  qu'elle  efloit  encore  femblable  au  Soleil,  chacune 
d'elles  doit  eftre  compofée  de  plufieurs  autres  parties  beaucoup  plus 
petites,  qui  appartenoient  au  premier  élément  auant  qu'elles  fujfenl 
jointes  enfemble,  &  doit  aufli  eftre  ajfeifolide  &  affez  grande,  pour 
ne  pouuoir  eftre  rompue  par  les  petites  boules  de  la  matière  du  Ciel 
qui  roulent  continuellement  autour  d'elles.  Car  toutes  celles  qui  ont 
pu  eftre  ainfi  rompues,  n'ont  pas  retenu  la  forme  du  troifiéme  élément, 
mais  ont  repris  celle  du  premier,  ou  bien  ont  acquis  celle  du  fécond. 

7.  Qu'elles  peuuent  eflre  changées  par  l'aâion  des  deux  autres  elemens. 

Il  eft  vray  que,  bien  que  ces  parties  du  troifiéme  élément  foient 
^JI^l  grandes  &  folides  pour  n'eftre  pas  entièrement  diflîpées  par  la 
rencontre  de  celles  du  fécond,  toutefois  elles  peuuent  touf-jours 
quelque  peu  eftre  changées  par  elles,  &  mefme  par  fucceffion  de  temps 
entièrement  deflruites,  à  caufe  que  chacune  eft  compofée  de  plu- 
fieurs, qui  ayant  eu  la  forme  du  premier  élément,  doiuent  efire  fort 
petites  &  flexibles. 

8.  Qu'elles  font  plus  grandes  que  celles  du  fécond  y  mais  non  pasft  folideS 

ny  tant  agitées. 

Et  pource  que  ces  parties  du  premier  élément  qui  compofent 

289  celles  du  troifiéme,  ont  j  plufieurs  diuerfes  figures,  elles  n'ont  pu  fc 
joindre  fi  juftcment  l'vne  à  l'autre,  qu'il  ne  foit  demeuré  entr'elles 
beaucoup  d'interualles  qui  font  fi  eftroits,  qu'ils  ne  peuuent  eftre 
remplis  que  de  la  plus  fluide  &  plus  fubtile  matière  de  ce  premier 
clément,  ce  qui  fait  que  les  parties  du  troifiéme  qui  enfontcompofées, 
ne  font  pas  fi  majjiues  ou  folides,  ny  capables  d'vne  fi  forte  agitation 
que  celle f-du  fécond,  bien  qu'elles  foient  beaucoup  plus  groffes.  loint 
que  ces  parties  du  fécond  clément  font  rondes,  ce  qui  les  rend  fort 


Principes.  —  Quatriesme  Partie.  205 

propres  à  fe  mouuoir,  au  lieu  que  celles  du  troifiémc  ne  peuuent 
auoir  que  des  figures  fort  irregulieres  S-  diuerfes,  à  cauje  de  la  façon 
dont  elles  font  produites... 

g.  Comment  elles  fe  font  au  commencement  affemblées. 

Et  il  faut  icy  remarquer  qu*auant  que  la  Terre  fuft  defcenduC 
vers  le  Soleil,  bien  que  ces  parties  du  troifiéme  élément,  qui  eftoient 
def-ja  autour  d'elle ,  fuffent  entièrement  feparées  les  vnes  des 
autres,  elles  ne  fe  répandoient  pas  toutefois  confufément  dans  tout 
le  Ciel,  mais  demeuroient  entalfées  &  appuyées  l'vne  fur  l'autre...  e« 
la  façon  qu'elles  font  icy  reprefentées  '.  Dont  la  raifon  eft,  que  les  jpar- 
ties  au  kcond  e\^ment^  qui  compof oient  im  tourbillon  autour  de  cette 
Terre,  &  qui  efloient  plus  maffiues  qu'elles,  les  pouffoient  continuel- 
lement vers  fon  centre...,  en  faifant  effort  pour  s'en  éloigner. 

\io.  Qu'il  ejt  demeuré  pîujieurs  interualles  autour  déciles  y  290 

que  les  deux  autres  elemens  ont  remplis. 

Il  faut  aufli  remarquer  qu'encore  qu'elles  fufl'ent  ainfi  appuyées 
l'vne  fur  l'autre,  toutefois,  à  caufe  de  l'inégalité  &  irrégularité  de 
leurs  figures,  &  qu'elles  s'eftoient  entalfées  fans  ordre,  à  mefure 
qu'elles  auoient  eflé  formées,  elles  ne  pouuoient  eftre  fi  prelTées  ny 
fi  juftement  jointes,  qu'il  n'y  eufl  quantité  d'interualles  autour 
d'elles,  qui  eftoient  alîez  grands  pour  donner  paffage  non  feule- 
ment à  la  matière  du  premier  élément ,  mais  aulTi  à  celle  du 
fécond. 


/  / .  Que  les  parties  du  fécond  élément  eftoient  alors  plus  petites, 
proche  de  la  Terre,  qu'vn  peu  plus  haut. 

De  plus,  il  faut  remarquer  qu'entre  \ts  parties  du  fécond  élément 
qui  fe  trouuoient  en  ces  interualles,  celles  qui  eftoient  les  plus  baffes 
au  regard  de  la  Terre,  eftoient  quelque  peu  plus  petites  que  celles 
qui  eftoient  plus  hautes,  pour  la  mefme  raifon  qu'il  aeftétf;7cy- 
deffus\  que  celles  qui  font  autour  du  Soleil  font  par  degrez  plus 
petites,  félon  qu'elles  font  plus  proches  de  fa  fuperficie,  &  que 
toutes  ces  parties  du  fécond  élément,  qui  efloient  en  la  plus  haute 
région  de  la  Terre,  n'eftoient  point  plus  groffes  que  celles  qui  font 

a.  Planche  XIII,  figure  i.  —  Voir  Correspondance,  t.  IV,  p.  465. 

b.  Partie  III,  art.  85,  p.  i5o  ci-avant. 


2o6  Œuvres  de  Descartes. 

maintenant  autour  du  Soleil  au  delVous  de  la  Iphere  de  Mercure, 
mais  que  peut-eftre  elles  elloient  plus  petites,  à  caufe  que  le  Soleil 
eft  plus  grand  que  n'a  jamais  efté  la  Terre  :  d'où  il  luit  qu'elles 
elloient  aulli  plus  petites  que  celles  qui  font  à  prefent  en  cette  inejme 
291  région  de  la  Terre^  pourcc  que  celles-|cy,  eftant  plus  éloignées  du 
Soleil  que  celles  qui  font  au  delïous  de  la  fphere  de  Mercure, 
doiuent  par  confcquent  cllre  plus  grolles. 

12.  Que  les  ejpaces par  où  elles  pajfoient  entre  les  parties 
de  la  troiftéme  région  ejloient plus  ejîroits. 

Il  faut  encor  icy  remarquer,  qu'à  inejure  que  les  parties  ter- 
rejlres  de  cette  plus  haute  région  ont  ejlé produites,  elles  fe  font  tel- 
lement cntajfées,  que  les  interuaîles  qui  font  demeurez  parmy  elles, 
ne  fe  font  ajuilez  qu'à  la  grandeur  de  ces  plus  petites  parties  du 
fécond  élément  :  ce  qui  a  fait  que,  lors  que  d'autres  plus  grolfes  leur 
ontfuccedé,  elles  n'y  ont  pas  trouué  le  palfage  entièrement  libre. 

i3.  Que  les  plus  grojjes  parties  de  cette  troifiéme  région 
n' ejloient  pas  touf-jours  les  plus  baJJ'es. 

Enfin,  il  faut  remarquer  qu'il  ell  fouuent  arriué  pour  lors,  que 
quelques-vnes  des  plus  groffes  &  plus  Iblides  de  ces  parties  du  troi- 
fiéme élément,  fe  tenoient  au  delfus  de  quelques  autres  qui  ertoient 
moindres...,  pource  que,  n'ayant  qu'vn  mouuement  vniforme 
autour  de  l'eflieu  de  la  Terre,  &  s'arreltant  facilement  l'vne  à 
l'autre,  à  caufe  de  l'irrégularité  de  leurs  figures  :  encore  que  cha- 
cune full  poulfée  vers  le  centre  de  la  Terre,  par  \qs  parties  du  fécond 
élément,  d'autant  plus  fort  qu'elle  eltoit  plus  grolfe  ^  plus  folide, 
elle  ne  pouuoit  pas  touf-jours  fe  dégager  de  celles  qui  l'elloicnt 
moins,  afin  de  defcendre  plus  bas,  &  ainfi  elles  retenoient  à  peu  près 
le  mefme  ordre  félon  lequel  elles  auoient  efté  formées  ;  en  forte  que 
202  celles  qui  \  venoient  des  taches  qui  Je  diflipoient  les  dernières,  ejloient 
les  plus  bajfes . 

14^  Qu'il  s'ejl  par  après  forme  en  elle  diuers  corps. 

Or  quand  la  Terre....  ainfi  compofée  de  trois  diuerfes  régions,  ell 
defcenduc  vers  le  Soleil...,  cela  n'a  pu  cauiér  grand  changement  aux 
dcu.x  plus  bajjes,  mais  û  bien  en  la  plus  haute,  laquelle  adeu,  pre- 
mièrement, fe  partager  en  deux  diuers  corps,  puis  en  trois,  &  après 
en  quaire,  ^c  en  fuitte  en  pluficurs  autres. 


293 


Principes.  —  Quatriesme  Partie.  207 


j5.  Quelles  font  les  principales  aclions  par  le/quelles  ces  corps 
ont  ejlé  produits.  Et  l'explication  de  la  première. 

Et  je  tafcheray  d'expliquer  icy  en  quelle  iort^*  tous  ces  corps  ont 
deu  eltre  produits  ;  mais  il  ell  befoin  que  je  die  auparauant  quelque 
cnofe  de  trois  ou  quatre  des  principales  aclions  qui  ont  contribué 
à  cette  production.  La  première  coniille  au  mouuement  des  petites 
parlies  de  Li  maliere  du  Ciel,  conlideré  en  gênerai,  La  féconde,  en 
ce  qu'on  nomme  la  pel'anteur.  La  troifiémc,  en  la  lumière.  Et  la 
quatrième,  en  la  chaleur.  Par  le  mouuement  des  petites  parlies 
de  la  maliere  du  (^iel  en  gênerai,  j'entcnsleur  agitation  continuelle, 
qui  cil  i\  grande,  que  non  Iculcmcnt  elle  killii  à  leur  faire  faire  vn 
grand  tour  chaque  année  autour  du  Soleil,  ^  vn  autre  chaque  jour 
autour  de  la  Terre,  mais  aufli  à  les  mouuoir  cependant  en  plufieurs 
autres  façons.  Et  pource  que,  lors  qu'elles  ont  pris  leur  cours 
vers  quelque  collé,  elles  le  continuent  touf-jours  autant  qu'il  fc  peut 
en  ligne  droite...,  de  là  |  vient  qu'cllant  niellées  parmy  les  parties 
du  iroiliémc  élément,  qui  compofent  tous  les  corps  de  celte  plus 
haule  région  de  la  Terre,  elles  produifent  plulieurs  diucrs  clfcts, 
dont  je  remarqueray  ic\'  trois  des  principau.x. 

II).  Le  premier  effet  de  cette  première  acli<in,  qui  ejl  de  rendre 
les  corps  tranfparens. 

Le  premier  ell  qu'elle  rend  tranfparens  tous  les  corps...  liquides 
qui  font  compofez  des  parties  du  troilicme  élément,  qui  font  fi 
petites  6'  en  fuiltejî  peu  preffees,  que  celles  du  fécond  peuuQui  palfer 
de  tous  collez  autour  d'elles.  Car,  en  pall'ant  ainfi  entre  les  parties 
de  ces  corps,  &  ayant  la  force  de  leur  faire  changer  de  lituation, 
elles  ne  manquent  pas  de  s'y  faire  des  pallages  qui  fuiuent  en  tous 
fens  des  lignes  droites,  ou  du  moins  des  lignes  qui  font  aulli 
propres  à  tranfmettre  l'aclion  de  la  lumière  que  les  droites,  & 
ainjî  de  rendre  ces  corps  Iranfparens.  Aufll  nous  voyons,  par  expé- 
rience, qu'il  n'y  a  aucune  liqueur  fur  la  Terre,  qui  foit  pure  è<.  com- 
pofée  de  parties  allez  petites,  laquelle  ne  foit  tranfparente.  Car 
pour  ce  qui  ell  de  l'argent  vif,  les  parties  font  li  groifes  que,  Je pref- 
faut  trop  fort  True  l'autre,  elles  ne  permettent  pas  à  la  matière  du 
fécond  clément  de  palier  de  tous  collez  autour  d'elles,  mais  Jeule- 
menl  à  celle  du  premier.  Et  pour  ce  qui  cil  de  l'ancre,  du  lait,  du 
fang,  01.  autres  femblables  liqueurs  qui  ne  font  pas  pures  & Jimples, 
il  V  a  en    elles  |  des  parties  /or/  irrojf'es,  dont  chacune  compofe  vn     29î 


208  Œuvres  de  Descartes. 

coîys  à  part  y  ainft  que  fait  chaque  grain  de  fable  ou  de  poujjîcre,  ce 
•qui  les  empejche  d'ejire  tranfparenlcs.  Et  on  peut  remarquer,  tou- 
chant les  corps  durs,  que  tous  ceux  là  font  tranfparens,  qui  ont  efté 
faits  de  quelques  liqueurs  tranfparentes,  dont  les  parties  fe  font 
arrêtées  peu  à  peu  l'jnie  contre  /'a«/re,  fans  qu^ilfe  foit  rien  meflê 
parmy  elles  qui  ait  changé  leur  ordre...;  mais,  au  contraire,  que 
tous  ceux-là  font  opaques  ou  obfcurs,  dont  les  parties  ont  efté 
jointes...  par  quelque  force  eftrangere  qui  n'obeïffoit  pas  au  mouue- 
ment  de  la  matière  du  Ciel...  Car  encore  qu'il  ne  laiffe  pas  d'y  auoir 
aufli  en  ces  corps  plufieurs  pores,  par  où  \ç.s  parties  du  fécond  élé- 
ment peuuent  palfer. ..,  toutefois,  à  caufe  que  ces  pores  font  bou- 
chez ou  interrompus  en  plufieurs  lieux,  ils  ne  peuuent  tranfmettre 
l'action  de  la  lumière... 

77.  Comment  les  corps  durs  G-  folides  peuuent  ejlre  tranfparens. 

Mais  afin  d'entendre  comment  il  eft  poflible  qu'vn  corps/or/  dur 
&Jolide,  par  exemple,  du  j'erre  ou  du  crijial,  ait  en  foy  affez  de 
pores  pour  donner  palfage, ////«a;//  des  lignes  droites,  en  tous  fens,à 
la  matière  du  Ciel,  &  ainfi  auoir  ce  que  j'ay  dit  eftre  requis  en  vn 
corps  pour  le  rendre  tranfparent  :  on  peut  confiderer  plufieurs 
pommes  ou  boules  affez  grolfes  &•  polies,  qui  foient  enfermées  dans 
295  vn  reth,  &  tellement  |  prelfées,  ...qu'elles  compofent  toutes  en- 
fcmblc  vn  corps  dur.  Car  fur  quelque  cofté  que  ce  corps  puiffc  eftre 
tourné,  i\  on  jette  delfus  des  dragées  de  plomb,  ou  d'autres  boules 
a(Je\  petites  pour  paJJ'er  entre  ces  plus  groJJ'es  ainfi  prejfées,  on  les 
verra  couler  tout  droit  en  bas  au  trauers  de  ce  corps,  par  la  force  de 
leur  pcfanteur  ;  <il-  mefme,fi  on  accumule  tant  de  ces  dragées  fur^ce 
corps  dur,  que  tous  les  pafl'agcs  oii  elles  peuuent  entrer  en  foient 
remplis,  au  me/me  in/tant  que  les  plus  liaule^  preJJ'cront  celles  qui 
feront  finis  elles,  cette  action  de  leur  pefanteur  yalJ'era  en  ligne  droite 
jufqufs  aux  plus  bajfes,  ik  ainfi  on  aura  l'image  d'vn  corps  fort  dur, 
fort  folidc,  ^:  aucc  cela/or/  tranfparent,  à  caufc  qu'il  n'cft  pas  befoin 
que  \cs  parties  du  fécond  clément  aycnt...  des  palfagcs  plus  droits..., 
pour  transférer  Vaclion  de  la  lumière,  que  font  ceux  par  où  def- 
ccndent  ces  dragées  entre  ces  pommes. 

/«y.  le  fécond  effet  de  la  première  ad  ion,  qui  e/l  de  purijier  les  liqueurs 
w'  les  Jiuifcr  vn  diuers  corps. 

\.r.  fécond  «rflct  que  produit  l\i<:ilaliini  de  la  matière  fiiblile  dans 
kf  corps  terrellrcs,  principiilemeni  dans  ceux  qui  font  liquides,  ell 


Principes.  —  Quatriesme  Partie.  209 

que,  lors'qu'il  \'  a  de  deux  ou  plufieurs  fortes  de  parties  en  ces 
corps,  confulement  méfiées  enfcmblc,  ou  bien  elle  les  fepare  &  en 
fait  deux  ou  plulieurs  corps  differens,  ou  bien  elle  les  ajufte  les  vnes 
aux  autres,  &  les  diftribuë    également  en  ions    les  endroits  de  ce 
corps,  (S-  ainfi  le  pu\rifie,  &  fait  que  chacune  de  fes  gouttes  deuient     298 
entièrement  fcmblable  aux  autres.  Dont  la  raifon  elt  que,  fe  glilïant 
de  tous  collez   entre  ces  parties  terrertres  qui  fout   inégales,   elle 
poulie  continuellement  celles  qui,  à  caufe  de  leur  groffeur,  ou  de 
leur  figure,  ou  de  leur  fituatiou,    fe  trouuent  plus  auaucées  que  les 
autres  dans  les  chemins  par  où  elle  pcijje,  jufques  à  ce  qu'elle  ait  tel- 
lement change  leur  lituation,  qu'elles  /'oient  également  répandues 
par  tous  les  endroits  de  ce  corps,  ik  li  bien  ajultées  auec  les  autres, 
qu'elles  n'empefchcni  plus  fes  mouuemens  ;  ou  bien,  li   elles  ne 
peuuent  élire  ainli  ajultées,  elle  les  fepare  entièrement  de  ces  autres, 
6-  en  fait  vn  corps  différent  du  leur.  Ainfi  il  y  a  plufieurs  impuretez 
dans  le  vin  nouueau,  «7///  en  fout  feparées  par  cette  action  delà  ma- 
tière fublile  :  car  elles  ne  vont  pas  feulement  au  delfus  ou  au  delfous 
du  vin,  ce  qu'on  pourroit  attribuer  à  leur  légèreté  o«  pefanteur  ; 
mais  il  y  en  a  aufii  qui  s'attachent  aux  collez  du  tonneau.  Et  bien 
que  ce  vin  demeure  encore  compofé  de  plufieurs  parties  de  diuerfes 
grojfeurs  &  figures,  elles   y  font  tellement  agencées,  après  qu^il  eft 
cUxrïfïé  par  V action  de  cette  matière  fubtile,  que  celuy  qui  efl  au  haut 
du  tonneau,  n'eft  pas  différent  de  celuy  qui  efl  au  milieu,  ou  vers  le 
bas  au  dejfus  de  la  lie.  Et  on  voit  |  arriuer  le  femblable  en  quantité     297 
d'autres  liqueurs... 

i().  Le  troifiéme  effet,  qui  ejî  d'arondir  tes  gouttes  de  ces  liqueurs. 

Le  troifiéme  effet  de  cette  matière  celefle  efl  qu'elle  fait  dcuenir 
rondes  les  gouttes  de  toutes  les  liqueurs,  lors  qu'elles  font  entière- 
ment cnuironnées  d'air  ou  dvne  autre  liqueur,  dont  la  nature  ell 
//  différente  de  la  leur,  qu'elles  nefe  méfient  point  auec  elle,  ainfi  que 
j'ay  def-ja  expliqué  dans  les  Météores'.  Car, d'autant  que  cette  ma- 
tière fubtile  trouue  des  porcs  autrement  difpofcz  en  vne  goutte 
d'eau, par  exemple,  que  dans  l'air  qui  l'enuironne,  tV  qu'elle  tend 
touf-jours  à  fe  mouuoir  fuiuant  des  lignes  droites,  ou  le  moins 
différentes  de  la  droite  qu'il  ell  pofiible.  il  dtl  éuident  que  ta  fuper- 
ficie  de  cette  eau  empefche  moins,  non  feulement  les  parties  de  la 
matière  fubtile  qui  eft  en  fes  pores,  mais  aujjilc^  parties  de  celle  qui 

a.  Discours  V.  p.  280  de  cette  cJiiion. 


2IO  OEuVRES   DE    DeSCARTES. 

eft  en  l'air  gui  l'enuironue,  de  continuer  ainli  leur  mouuement  fui- 
uant  des  lignes  les  plus  droites  qu'elles  peuuent  eûre,  faus  pajjer 
d'vit  corps  en  Vautre,  lors  que  cette  fiiperjîcic  ell  toute  ronde,  que 
Il  elle  auoit  quelque  autre  figure;  &  que,  lors  qu'elle  ne  Ve/l  pas, 
les  mouuemens  de  la  matière  fiihlile,  qui  eft  en  l'air  d'alentour,  font 
plus  deJîourne\  par  les  parties  de  fa  fuperjîcie  qui  font  les  plus  éloi- 
gnées du  centre  que  par  les  autres,  ce  qui  efi  cau/e  ^«'elle  les  pouffe 
298  Idauantage  vers  ce  centre;  &  au  contraire, les  mouuemens  de  celle 
qui  eft  dans  la  goutte  d'eau,  font  plus  de/tourne^  par  les  parties  de  fa 
fuperficie  qui  font  les  plus  proches  du  centre,  ce  qui  eft  canfe  qu'elle 
fait  effort  pour  les  en  éloigner.  Et  ainfi  la  matière  fubtile  qui  e^ft  au 
dedans  de  cette  goutte,  aufji  bien  que  celle  qui  eft  au  dehors,  contri- 
bue à /t7/;v  que  toutes  les  parties  de  fa  fuperficie  foient  également 
dijlantes  de  fon  centre,  c'eft  à  dire,  à  la  rendre  ronde  ou  fpherique. 
Pour  mieux  entendre  cecy,  on  doit  remarquer  que  l'angle  que  fait 
vne  ligne  droite  auec  vne  ligne  courbe  qu'elle  touche,  eft  plus  petit 
qu*aucun  angle  qui  puilfe  eftre  fait  par  deux  lignes  droites,  &  que 
de  toutes  les  lignes  courbes  il  n'y  a  que  la  circulaire,  en  toutes  les 
paities  de  laquelle  cet  angle  d'atioucnement  foit  égal  ;  d'où  il  fuit 
que  les  mouuemens  qui  font  empefclie-  d'e/lre  droits  par  quelque 
caufe  qui  les  deftourne  également  en  toutes  leurs  parties,  doiuenl 
eflre  circulaires,  lors  qu'ils  fe  font  en  vne  feule  ligne,  &  fpheriques, 
lors  qu'ils  fe  font  vers  tous  les  cofte\  de  quelque  fuperficie. 

20.  L'explication  de  la  féconde  aâion,  en  laquelle  conftjîe  la pef auteur. 

La  féconde  aâ ion  dont  fay  entrepris  icy  de  parler,  eft  celle  qui 
rend  les  corps  pcfans,  laquelle  vi.  beaucoup  de  rapport  auec  celle  qui 
fait  que  les  gouttes  d'eau  deuicnnent  rondes.  Car  c'eft  la  mefme 
«99  matiei-e  fubtile,  qu\,  par  cela  \  feul  qu'elle  fe  meut  indifféremment  de 
tous  collez  autour  d'vne  goutte  d'eau,  poulie  également  toutes  les 
parties  de  fa  fuperficie  vers  fon  centre...,  &  qui,  par  cela  feul  qu'elle 
fe  meut  autour  de  la  Terre...,  pouifc  aulli  vers  elle  tous  les  corps 
qu'on  nomme  pel'ans,  Icfquelsen  font  des  parties... 

•2  t.  Que  cliaque  partie  de  la  Terre,  ejlant  confiderée  toute  feule, 
ejl  plujlojl  légère  que  pefanie. 

Mais  afin  d'entendre  plus  parfaitement  eti  quoy  confijle  la  nature 
de  cette  pcfantcur.  il  faut  remarquer  que,  li  tout  l'efpacc  qui  eft  au- 
tour de  la  Terre,  &  n'ell  point  rcmply  ptw  aucune  de  fes  par  tics,  e\\i)\\ 


Principes.  —  Quatriesme  Partie.  2 1 1 

vuide,  c'eft  à  dire  s'il  n'eltoit  rempl}'  que  d'vn  corps  qui  ne  puft 
aider  n}'  empefcher  les  mouucmens  des  autres  corps  (car  c'eft  ce 
qu'on  doit  proprement  entendre  par  le  nom  de  vuide),  &  que  cepen- 
dant elle  ne  laifl'aft  pas  de  tourner...  en  vingt-quatre  heures  fur  fon 
elTieu,  ain/t  qu'elle  fait  à  prefent,  toutes  celles  de  fes  parties  qui  ne 
feroient  point  fort  eftroitement  jointes  à  elle,  s'en  fepareroient  & 
s'écarteroient  de  tous  collez  vers  le  ciel,  en  mcfme  façon  que  la 
pouiïiere  qu'on  jette  fur  vne  pirouette,  pendant  qu'elle  tourne,  n'y 
peut  demeurer,  mais  elt  rejettée  par  elle  vers  l'air  de  tous  coftez.  Et  fi 
cela  eftoit, /oM5  les  corps  terrejlres  pourroient  eiUi^  appeliez  légers 
plufloft  que  pefans. 

2  2 .  En  quoy  confijîe  la  légèreté  de  la  matière  du  Ciel. 

Mais  à  caufe  qu'il  n'y  a  point  de  vuide  aujtour  de  la  Terre,  &.  300 
qu'elle  n'a  pas  de  foy  mefme  la  force  qui  fait  qu'elle  tourne*  en  vingt- 
quatre  heures  fur  foU  ejjieu,  mais  qu'elle  efl  emportée  par  le  cours 
de  la  matière  du  Ciel  qui  l'enuironne  ^  qui  pénètre  par  tout  en  fes 
pores,  on  la  doit  confidcrcr  comme  vn  corps  qui  n'a  aucun  mouue- 
mentf  &  penfer  aufll  que  la  matière  du  Ciel  ncferoit  ny  légère  ny 
pelante  à  fon  regard,  fi  elle  n'auoit  point  d'autre  agitation  que  celle 
qui  la  fait  tourner  en  vingt-quatre  heures  auec  la  Terre;  mais  que, 
d'autant  qu'elle  en  a  beaucoup  plus  qu'il  ne  luy  en  faut  pour  cet  effet, 
elle  emploj'c  ce  qu'elle  a  déplus,  tant  à  tourner  plus  vite  que  la  Terre 
en  mefme  Jens,  qu'à  faire  diuers  autres  mouuemens  de  tous  cofie\, 
lefquels  ne  pouuant  élire  continuez  en  lignes^  droites  qu'ils  feroient, 
fi  la  Terre  ne  fe  rencontroit  point  en  leur  chemin,  non  feulement  ils 
fonteffort  pour  la  rendre  ronde  ou  fpherique,  ainjî  qu'il  a  efîé  dit  "  des 
gouttes  d'eau;  mais  aujji  cette  matière  du  Ciel  a  plus  de  force  à  s'é- 
loigner du  centre,  autour  duquel  elle  tourne,  que  n'ont  aucunes  des 
parties  de  la  Terre,  ce  qui  fait  qu'elle  efl  légère  à  leur  égard. 

23.  Que  c'ejî  la  légèreté  de  cette  matière  du  Ciel,  qui  rend  les  corps 

terreftres  pefans. 

Et  il  faut  remarquer  que  la  force  dont  la  matière  du  Ciel  tend  à 
s'éloigner  du  centre  de  la  Terre,  ne  peut  auoir  fon  effet,  fi  ce  n'efi 
que  1  celles  de  fes  parties  qui  s'en  éloignent  montent  en  la  place  de     301 
quelques  parties  terreftres  qui  defcendent  au  mefme  temps  en  la  leur. 

a.  Voir  Correspondance,  t.  V,  p.  388. 

b.  Art.  19,  p.  209-210  ci-avani. 


302 


212  OEUVRES   DE   DeSCARTES. 

Car,  d'autant  qu'il  n'y  a  aucun  efpace  autour  de  la  Terre  qui  ne  foit 
remply  de  fa  matière  ou  bien  de  celle  du  Ciel,  &  que  toutes  les 
parties  du  fécond  élément  qui  compofent  celle  du  Ciel  ont  pareille 
force...,  elles  ne  fe  chaffent  point  l'vne  l'autre  hors  de  leurs  places; 
mais  pource  que  la  mefme  force  n'eft  pas  en  la  Terre*,  lors  qu'il  fe 
trouue  quelqu'ime  de  fcs  parties  plus  éloignée  de  fou  centre  que  ne  font 
des  parties  du  Ciel  qui  peuuent  monter  en  fa  place,  il  eff  certain 
qu'elles-^'  doiuent  monter,  &  par  confequent  là  faire  defcendre  en  la 
leur.  Ainfi  chacun  des  corps  qu'on  nomme  peians,  n'eft  pas  poujjé 
vers  le  centre  de  la  Terre  par  toute  la  matière  du  Ciel  qui  l'enui- 
ronne,  mais  feulement  par  les  parties  de  cette  matière  qui  montent 
en  fa  place  lors  qu'il  defcend,  &  qui  par  confequent  font  toutes  en- 
femble  juftement  aufli  groffes  que  luy.  Par  exemple,  fi  B"  eft  vn  corps 
terreftre  dont  les  parties...  {o'xtnx. plus  ferrées  que  celles  de  l'air  qui 
l'enuironne,  en  forte  que  fes  pores...  contiennent  moins  de  la  ma- 
tière du  Ciel  que  ceux  de  la  portion  de  cet  air  qui  doit  monter  en  fa 
place  en  cas  qu'il  defcende^  il  eft  éuident  que...  ce  qu'il  y  a  de  plus 
de  la  matière  du  |  Ciel  en  cette  portion  d'air  qu'en  ce  corps  B, 
tendant  à  s'éloigner  du  centre  de  la  Terre,  a  la  force  de  faire  qu'il 
s'en  approche,  &  ainfi  de  luy  donner  la  qualité  qu'on  nomme  fa 
pefanteur. 

24.  De  combien  les  corps  font  plus  pef ans  les  vns  que  les  autres. 

Mais  afin  de  pouuoir  exactement  calculer  combien  efl  grande  cette 
pefanteur,  il  faut  confiderer  qu'il  y  a  quelque  quantité  de  matière 
celefte  dans  les  pores  de  ce  corps  B,  laquelle,  ayant  autant  de  force 
qu'vne  pareille  quantité  de  celle  qui  eft  dans  les  pores  de  la  portion 
d'air  qui  doit  monter  en  fa  place,  fait  qu'il  n'y  a  que  le  furplus  qui 
doiue  efire  conté;  &  que  tout  de  mefme  il  y  a  quelque  quantité  de  la 
matière  du  troifiéme  élément  en  cette  portion  d'air,  laquelle  doit  eftre 
rabatuë  auec  vue  égale  quantité  de  celle  qui  compofe  le  corps  B...  Si 
bien  que...  toute  la  pefanteur  de  ce  corps  confifle  en  ce  que  le  refte  de 
la  matievc  fubtile,  qui  eft  en  cette  portion  d'air,  a  plus  de  force  à 
s'éloigner  du  centre  de  la  Terre,  que  le  refte  de  la  matière  terreftre 
qui  le  compofe... 

a.  \oiT  Correspondance,  t.  V,  p.  173. 

b.  En  marge  :  «  Voyez  la  fin  [sic  !)  qui  suit.  »  —  Cf.  p.  202,  note  a.  II 
•'agit  encore  ici  de  la  Planche  XIII,  figure  i. 


Principes.  —  Quatriesme  Partie.  2 1  ^ 


■j5.  Que  leur  pefanteur  n'a  pns  touf-jours  me/me  rapport 
auec  leur  matière. 

El  afin  de  ne  rien  oublier,  il  faut  prendre  garde  que,  par  la  ma- 
tière celeile  ou  Jublile,  je  n'entends  pas  feulement  celle  du  fécond 
clément,  mais  auflî  ce  qu'il  y  a  du  premier  meflé  entre  fes  parties; 
&  mefme,  outre  cela,  qu'on  y  doit  comprendre  eu  quelque  façon  les 
parties  du  troijîème  qui  font  emportées  par  le  |  cours  de  cette  ma-  303 
tiere  du  Ciel  plus  vite  que  toute  la  malTe  de  la  Terre;  &  toutes  celles 
qui  compofent  l'air  font  de  ce  nombre.  Il  faut  aufli  prendre  garde 
que  ce  qu'il  y  a  du  premier  clément,  en  ce  que  je  comprens  fous  le 
nom  de  matière fubtile...,  a  plus  de  force  à  s'éloigner  du  centre  de  la 
Terre,  que  pareille  quantité  du  fécond,  à  caufe  qu'elle  le  meut  plus 
vite;  &.  pour  mefme  raifon,  que  le  fécond  élément  a  plus  de  force 
que  pareille  quantité  des  parties  du  troijiéme  qui  compofent  l'air... 
Ce  qui  eft  caufe  que  la  pefanteur  feule  ne  futfii  pas  pour  faire  con- 
noiftre  combien  il  y  a  de  matière  terreitre  en  chaque  corps.  Et  il  fe 
peut  faire  que,  bien  que,  par  exemple,  vne  malTc  d'or  foit  vingt  fois 
plus  pefante  qu'vne  quantité  d'eau  de  mefme  grolfeur,  elle  ne  con- 
tienne pas  neantmoins  vingt  fois  plus  de  matière...,  mais  quatre  ou 
cinq  fois  feulement,  pource  qu'il  en  faut  autant  fouilrairc  de  l'eau 
que  de  l'or,  à  caufe  de  l'air  dans  lequel  on  les  pefe;  puis  aufli, 
pource  que  les  parties  terreftres  de  l'eau,  &  généralement  de  toutes 
les  liqueurs,  aijiji  quil  a  ejïé  dit  de  celles  de  l'air',  ont  quelque  mou- 
uement  qui,  s* accordant  auec  ceux  de  la  matière  fubtile,  empefchc 
qu'elles  ne  foient  fi  pefanies*"  que  celles  des  corps  durs. 

36.  Pourquoy  les  corps  pefans  n'agijfent  point,  lors  qu'ils  ne  font 
qu'entre  leurs  femb labiés. 

Il  faut  aufli  fe  fouuenir  que  tous  les  mouuelmens  font  circulaires...,  304 
au  fens  qui  a  efté  cy-defTus  expliqué';  d'.où  il  fuit  qu'vn  corps  ne 
peut  eftre  porté  en  bas  par  la  force  de  fa  pefanteur,  fi  au  mefme 
inftant  vn  autre  corps,  qm  occupe  autant  d'efpace  &  foit  toutefois 
moins  pefant,  ne  monte  en  haut.  Et  cela  eft  caufe  que  les  plus 
hautes  parties  de  l'eau,  ou  d'vne  autre  liqueur, qui  eft  contenue  en  vn 
vafe,  tant  grand  &  tant  profond  qu'il  puifl"e  eftre,  n'agiflent  point 

a.  Dans  le  présent  article. 

b.  Voir  Correspondance,  t.  V,  p.  388. 

c.  Partie  II,  art.  33,  p.  8i. 


2  14  Œuvres  de  Descartes. 

contre  les  plus  balles,  &  mefme  que  chaque  endroit  du  fonds  de  ce 
vafe  n'ell  prelfé  que  par  autant  de  parties  de  cette  liqueur,  qu'il  y 
en  a  qui  font  direcîemeul  pofées  fur  luy.  Par  exemple',  en  la  cuue 
ABC,  la  goutte  d'eau  marquée  i  n'cll  point  poulfée  par  les  autres  2, 
3,  4,  qui  font  au  delVus,  pource  que,  fi  cellcs-cy  defcendoient,  il  ne 
pourroit  y  auoir  que  d'autres  gouttes  d'eau,  telles  que  5,  6,  7,  qui 
montalTent  en  leur  place  ;  &  pource  que  celles-cy  ne  font  pas  moins 
pelantes,  elles  les  retiennent  en  balance,  au  moyen  de  quoy  elles  les 
empefchent  de  Je  poujfer  l'vne  l'autre.  Et  toutes  les  gouttes  d'eau 
qui  font  en  la  ligne  droite  12^4,  preffent  la  partie  du  fonds  de  la 
cuue  qui  ejl  marquée  B,  pource  que,  fi...  B  dcfcendoit,  toutes  ces 
gouttes  pourroient  aufTi  defcendrc  au  mefme  initant,  &  faire  monter 
en  leur  place,  par  le  dehors  de  la  cuue,  les  parties  d'air  S,  9,  ou/em- 
305  blables,  qui  font  plus  légères.  |  Mais  cette  partie  B  n'elt  prellcc  que 
par  le  petit  cylindre  d'eau  i  2  34...,  dont  elle  ejl  la  bafe,  pource 
qu'en  cas  qu'elle  commence  à  defcendre,  il  ne  peut  y  auoir  que  l'eau 
de  ce  cylindre  i  2  3  4  {ou  me  autre  pareille  quantité)  qui  la  fuiue 
au  mefme  inftant.  Et  la  confideration  de  cecy  peut  feruir  à  rendre 
raifon  de plujieurs  particularitez  qu'on  remarque  touchant  les  effets 
de  la  pefanteur...,  &  qui  femblent  fort  admirables  à  ceux  qui  n'en 
fçauent  pas  les  vrayes  caufes. 

2j.  Pourquoy  c'ejî  vers  le  centre  dz  ta  Terre  qu'ils  tendent. 

Au  refte,  il  faut  remarquer  qu'encore  que  les  parties...  du  Ciel  fe 
mcuuent  en  plufieurs  diuerfes  façons  à  mefme  temps,  elles  s'ac- 
cordent neantmoins  à  fe  balancer*"  &  s'oppofer  l'vne  à  l'autre,  en  telle 
forte  qu'elles  eftendent  également  leur  adion  vers  tous  les  coftez  oii 
elles  peuuent  l'e/lendre;  &  ainfi  que,  de  cela  feul  que  la  maffe  de  la 
Terre,  par  fa  dureté,  répugne  à  leurs  mouuemens,  elles  tendent  à 
s'éloigner  également  de  tous  collez  de  l'on  voiftnage,  fuiuant  des 
lignes  droites  tirées  de  fon  centre,  fi  ce  n'ert  qu'il  y  ait  des  caufes 
particulières'...  qui  mettent  en  cela  quelque  diuerfiié.  Et  je  peu.v 
bien  conccuoir  deux  ou  ti'ois  telles  caufes  ;  mais  je  n'ay  encore 
fceu  faire  aucune  expérience  qui  m'alfure  fi  leurs  effets  font  fenfibles 
ou  non. 

a.  Planche  XIII,  figure  2. 

b.  Voir  Correspondance,  t.  V,  p.  174. 

c.  Ibid.,  f>.  388. 


Principes.  —  Qjjatriesme  Partie.  215 


28.  De  la  troijiéme  aâion,  qui  eft  la  lumière  :  comment  elle  agite 
les  parties  de  l'air. 

Quant  à  la  lumière,  qui  ejî  la  troijiéme  aâion  que  nous  auons  icy 
à  conjtderer...,  je  |  penfe  auoirdef-ja  cy-deffus'  affez  expliqué  fa  na-  306 
ture;  il  refte  feulement  à  remarquer  que...,  bien  que  tous  fes  rayons 
viennent  en  mefme  façon  du  Soleil,  &  ne  facent  autre  chofe  que 
preffer  en  ligne  droite  les  corps  qu'ils  rencontrent,  ils  caufent  neani- 
moins  diuers  mouuemens  dans  Jes  parties  du  troifiéme  élément, 
dont  la  plus  haute  région  de  la  Terre  eft  compofée...,  jt7o«rcv  que  ces 
parties,  ejlant  meuës  aujji  par  d'autres  caufes,  ne  fe  prefentent  pas 
touf-jours  à  eux  de  mefme  forte.  Par  exemple,  fi  AB''  eft  vne  de  ces 
parties  du  troifiéme  élément...,  appuyée  fur  vne  autre  marquée C,  & 
qui  en  a  plufieurs  autres,  comme  D,  E,  F,  au-dejfus  d'elle,  il  ejl  aifé  à 
entendre  que  les  rayons  du  Soleil  qui  viennent  de  (jG,  peuuent  main- 
tenant eftre  moins  empefchez,  par  l'interpofiiion  de  ces  autres,  de 
preffer  celle  de  fes  èxtremitez  qui  ejl  marquée  A,  que  de  preffer  celle 
qui  eff  marquée  B,  de  façon  qu'ils  la  doiuent  faire  bailler  dauan- 
tage...;&  qu'incontinent  après, ces  parties  D,E,  Echangeant  de  fitua- 
tion,  à  caufe  qu'elles  font  meuës  par  la  matière  du  Ciel  qui  coule 
autour  d'elles,  il  arriuera  qu'elles  empefcheront  moins  les  rayons  du 
Soleil  de  preffer  Bque  A,  ce  qui  doit  donner  à  cette  partie  terrejlre 
A  B  m  mouuement  tout  contraire  au  précèdent.  Et  il  en  eft  de  mefme 
de  toutes  les  autres...;  ce  |  qui  fait  qu'elles  font  continuellement  307 
agitées  çà  &  là  par  la  lumière  du  Soleil. 

2g.  Explication  de  la  quatrième  aâion,  qui  ejl  la  chaleur  -,  €•  pourquoy 
elle  demeure  après  la  lumière  qui  l'a  produite. 

Or  c'eft  vne  telle  agitation  des  petites  parties  des  corps  terreftres, 
qu'on  nomme  en  eux  la  chaleur  (foit  qu'elle  ait  efté  excitée  par  la 
lumière  du  Soleil,  foit  par  quelque  autre  caufe),  principalement  lors 
qu'elle  eft  plus  grande  que  de  couftume,  &  qu'elle  peut  mouuoir 
affez  fort  les  nerfs  de  nos  mains  pour  eftre  fentie;  car  cette  dénomi- 
nation de  chaleur  fe  rapporte  au  fens  de  l'attouchement,  El  on  peut 
icy  remarquer  la  raifon  pourquoy  la  chaleur,  qui  a  efté  produite  par 
la  lumière,  demeure  par  après  dans  les  corps  terreflres,  encore  que 
cette  lumière  foit  abfente,  jufques  à  ce  que  quelque  autre  caufe  l'en 

a.  Partie  III,  art.  55  et  suiv.,  p.  i3o. 

b.  Planche  XIII,  figure  3. 


3f8 


?.\6  GE\\uF.<  \)F.  DF.S(:\i<  ii>. 

o/U':  c.'.r  cllo  ne  conliile  ^u'au  momicment  des  petites  parties  Je 
Ces  corps,  ^  ce  mouiiement  citant  vnc  fois  excité  en  elles,  y  doit 
demeurer,  luiuant  les  luix  de  la  nature*,  /uf^ncs  .i  ce  qu'il  puilh' 
cfî}\-  transfcrc  à  d'autres  corps. 

3o.   Comment  elle  pénètre  ciaiu  les  corps  qui  ne  fout  point  tranfparens. 

On  doit  aiilli  remarquer  que  les  parties  lerrcltres  qui  font  ainli 
agitées  par  L\  lumicre  du  Soleil,  en  agitent  d'autres  qui  font/o//s 
elles  ..,  »\  que  cellcs-cy  en  agitent  encore  d'autres  qui  font  plus  bas, 
!k  ainli  de  tuile;  en  forte  que,  bien  que  les  rayons  du  Soleil  ne 
paH'ent  p«»int  plus  auant  que  )uù|ues  à  la  première  fuperficie  i/t'^ 
corps  lerre/lres  qui  fuiit  opi\quQ^  ou  obfcurs,  toute|fois  à  caufc  qu'il 
y  a  louf-iours  toute  vne  moitié  de  la  Terre  qui  q\\  échauffée  par  le 
Soleil  en  mefme  temps...,  fa  chaleur  paruient  jufques  aux  plus 
hjlf'es  parties  du  Iroifiême  élément,  qui  compolent  fa  féconde  ou 
movenne  rei'if)n. 


.)'/.  l*ourquoy  elle  a  coujlume  de  dilater  les  corps  ou  elle  e/i, 
V-  pourquoy  elle  en  condenfe  aujji  quelques-vns . 

Knnn  on  doit  ren.arqucr  que  cette  agitation  des  petites  parties 
des  corps  terrcilres  ell  ordinciiremenl  caufe  qu'elles  occupent  plus 
d'efpace  que  lors  qu'elles  font  en  repos,  ou  bien  qu'elles  font 
moins  agitées.  Dont  la  raifon  ell.  qu'ayant  des  figures  irregu- 
licrcs....  elles  peuuent  eltre  mieux  agencées  l'vne  contre  l'autre, 
lors  qu'elles  retiennent  touf-jours  vnc  mefme  lituation,  que  lors 
que  leur  mouuement  la  fait  changer.  Kt  de  là  vient  que  la  chaleur 
raretic  prefque  tous  les  corps  terreflres,  les  vns  toutefois  plus  que 
les  autres,  félon  la  diucrfité  des  ligures  i^'  des  arrengemens  de  leurs 
partiels' ,  t. n  forte  qu'il  r  eu  a  iiulJi  quelques-rus  qu'elle  coudenfe, 
pource  que  leurs  parties  s'arreugeut  mieux,  &  s'approchent  dauau- 
tage  l'vne  de  l'autre,  e/lant  agitées,  que  ne  rejîant  pas,ainji  qu'il  a  e/te 
dil.d.'  la  glace  &  de  la  neige,  dans  les  Météores'. 

a.  l'ariic  II.  an,  37.  p.  «4. 

b.  .N'oie  MS.  cil  marge  :  •<  Addiiion  ",  cl  dune  autre  main  (celle  de 
l.egrand)  :  -  Cch  paroles  juscjucs  a  la  fin  de  l'art,  ne  se  trouuent  point  dans 
'  le  lûiin.  Cl  ont  ctc  ajouicci  par  .M'  Desc.  luv  même  en  rcuoyani  son 

ouurage.  ainsy  qu'il  a  fait  en  une  inrinltc  d'autres  endroits,  r 

c.  Discours  \l    p.  292  de  celle  édiiion. 


Principes.  —  Quatriesme  Partie.  217 


3-2.  Comment  la  troifiéme  région  de  la  Terre  a  commence  à  Je  diuifcr 
en  deux  diuers  corps. 

Apres  auoir  rem  irquc  les  diuerlcs  actions  qui  peuucni  caujer 
quelques  chan^retneus  en  l'ordre  des  petites  p^irties  de  la  Terre,  û 
nous  confidcrons  derechef  cette  Terre,  comme  ellant  tout  nouuel- 
lement  dcfcenduë  vers  le  Soleil,  &  |  ayant  fa  plus  haute  région  309 
coinpofée  de  parties  du  troifiéme  élément  qui  fout  entajfées  l'une 
fui  l'autre,  fans  cltre  fort  cllroitement  liées  oz//o/;//t's  enfemblc;  en 
forte  qu'il  y  a  parmy  elles  beaucoup  tVt'  petits  efpaces  qui  font  rem^ 
plis  de  parties  du  fécond  élément  vn  peu  plus  petites  que  celles  qui 
compofent.  non  feulement  les  endroits  du  Ciel  par  où  elle  paffe  en 
defcend.inl,  mais  aufli  celuy  où  elle  s'arrerte  autour  du  Soleil  :  il  nous 
fera  nifé  de  iuger  que  ces  petites  parties  du  fécond  élément  doiuent 
quitter  leurs  places  à  ces  plus  groU'es...,  &  que  celles-cy,  entrant 
auec  impetuofué  en  ces  pL.ces,  qui  font  vn  peu  trop  eflroites  pour  les 
receuoir,  poulfent  les  parties  terre/Ires  qu'elles  rencontrent  en  leur 
chemin,  les  failant  par  ce  moyen  defcendre  au-deffous  des  autres; 
&  que  ce  font  principalement  les  plus  grolTes  qu'elles  font  ainfi 
defcendre,  pourcc  que  la  pefanteur  de  ces  plus  grofTes  leur  ayde  à 
cet  effet,  &  que  ce  font  celles  qui  empefchent  le  plus  leurs  momtemens; 
&  d'autant  que  ces  parties  terreftres  ainfi  pouifées  au-delîous  des 
autres  ont  des  figures  fort  irregulieres  &  diuerfes,  elles  fe  preffent, 
s'accrochent,  &  fe  joignent  bien  plus  eftroitement  que  celles  qui 
demeurent  plus  haut,  ce  qui  ell  caufe  qu'elles  interrompent  aufli 
le  cours  de  la  matière  dvi  Ciel  qui  les  poujj'e.  Et  ainfi  la  plus  haute 
région  |  de  la  Terre  ayant  elle  auparauant  cotnmQ  elle  eft  reprefentée  310 
vers  A  ',  elt  par  après  diuifce  en  deux  corps  fort  differens,  tels  que 
font  B&  C,  dont  le  plus  haut  B  ei\  rare,  liquide  &  tranfparent, 
&  l'autre,  à  fçauoir  C,  ell,  à  comparai/on  de  luj-,  fort  folide,  dur 
&  opaque. 

33.  Qu'il  y  a  trois  diuers  genres  de  parties  terreftres. 

On  pourra  facilement  aufli  juger  qu'il  s'eit  deu  encore  former  vn 
troifiéme  corps  entre  B  &  C.., pourvu  qu'on  conjidere  que,  bien  que 
les  parties  du  troifiéme  élément  qui  compofent  celte  plus  haute 
région  de  la  Terre,  ayent  me  infinité  de  figures  fort  irregulieres  & 

a.  Planche  XIV,  partie  de  gauche. 


2i8  Œuvres  de  Desgartes. 

diuerfes,  ainfi  qu'il  a  efté  dit  cy-defl'us%  elles  fe  reduifent  toutefois  à 
trois  genres  principaux^.  Dont  lejcre/«/e/' comprend  toutes  celles  qui 
ont  des  figures  fort  empefchantes...,  &  dont  les  extremitez  s'eftendent 
diuerfement  çà  &  là",  ainfi  que  des  branches  d'arbres  ou  chofes 
femblables;  &  ce  font  principalement  les  plus  g-rojfes  de  celles  qui 
appartiennent  à  ce  genre,  qui, ayant  efté  pouffées  en  bas  par  raclion 
de  la  matière  du  Ciel,  fe  font  accrochées  les  vnes  aux  autres  &  ont 
compofé  le  corps  C.  Le  fécond  genre  contient  toutes  celles  qui  ont 
quelque  figure  qui  les  rend  plus  înaffmes  &  folides  que  les  précé- 
dentes ;  &  il  n'eft  point  befoin  pour  cela  qu'elles  ibient  parfaitement 
rondes  ou  quarrées,  mais   elles  peuuent  auoir  toutes  les  diuerfes 

311  filgures  qu'ont  des  pierres  qui  n'ont  jamais  efté  taillées. 'Et  les  plus 
grolfes  de  ce  genre  ont  deu  fe  joindre  au  corps  C,  à  caufe  de  leur  pe- 
fanteur;  mais  les  plus  petites  font  demeurées  vers  B,  entre^les  inter- 
ualles  de  celles  du  premier  genre.  Le  troifiéme  eft  de  celles  qui,  eftant 
longues  &  menues  ainfi  que  des  joncs  ou  des  baftons,  ne  font  point 
embarajjdntes  comme  les  premières,  ny  majjiues  comme  les  fécondes  ; 
&  elles  fe  méfient,  aw^  bien  que  ces  fécondes,  dans  les  corps  B  &  C, 
mais  pource  ^«'elles  ne  s'y  attachent  point,  elles  en  peuuenl  aifé- 
ment  efire  tirées. 

34.  Commenta  s' ejl  formé  vn  troijiéme  corps  entre  les  deux prec<-^4ens  ' . 

En  fuitte  de  quoy  il  eft  raifonnable  de  croire  que,  lors  que  les  par- 
ties du  premier  genre,  dont  le  corps  C  eft  compofé,  ont  commencé 
à  fe  joindre,  plufieurs  de  celles  du  troifiéme  ont  efté  méfiées  parmy 
elles  ;  mais  que,  lors  que  Vaâion  de  la  matière  du  Ciel  les  a  par 
après  dauantage  prefl'ées,  ces  parties  du  troifiéme  genre  font  for  lies 
du  corps  C,  &  fe  font  alîemblées  au  defius  vers  D,  où  elles  ont  com- 
pofé vn  corps  fort  différent  des  deux  precedens  B  &  C.  En  mefme 
façon  que,  lors  qu'on  marche  fur  la  terre  d'vn  mareft,  /a  feule 
force  dont  on  la  prejfe  auec  les  pieds,  fujfit  pour  faire  qu'il  forte  de 
l'eau  de  fes  pores,  &  que  toutes  les  parties  de  cette  eau  s'afemblerj 
en  vn  corps  qui  couure  fa  fuperficie.  Il  efi  auji  fort  raifonnable  de 

312  croire  que,  \  pendant  que  ces  parties  du  troifiéme  genre  font  montées 
de  C  vers  D,  il  en  eft  defcendu  d'autres  de  B,  tant  de  ce  mefme 
genre  que  du  fécond,  lefquelles  ont  augmenté  ces  deux  corps... 
C  &  D. 

a.  Art.  8,  p.  304. 

b.  Voir  Correspondance,  t.  V,  p.  174. 

c.  Planche  XIV,  partie  inféi'icurc  à  droite. 


Principes.  —  Quatriesme  Partie.  219 

35.  Que  ce  corps  ne  s'eji  compofé  que  d'vnfeul  genre  de  parties  '. 

Or  encore  qu'il  y  ait  eu  au  commencemen.t  pîujteurs  parties  du 
fécond  genre,  aufîi  bien  que  de  celles  du  troijiéme. . . ,  méfiées  auec  celles 
du  premier,  qui  compojoient  le  corps  C,  il  eft  toutefois  à  remarquer 
que  ces  parties  du  fécond  genre  n'ont  pu  fortir  fi  facilement  de  ce 
corps,  lors  qu'il  a  ejié  dauantage  preffé,  que  celles  iw  troijiéme  ;  ou 
bien,  fi  quelques  vnes"  en  font  /orties,  qu'elles  y  font  rentrées  par 
après  plus  facilement  :  pource  que  celles  du  troijiéme  genre...,  ayant 
plus  de  fuperficie  à  raifon  de  la  quantité  de  leur  matière,  ont  efté 
plus  aifément  chaffées  hors  de  ce  corps  C  par  la  matière  du  Ciel  qui 
coule  en  fes  pores  ;  &...  à  caufe  qu'elles  font  longues,  elles  fe  font 
couchées  de  trauers  fur  fa  fuperficie,  après  ejire  /orties  de  /es 
pores  ;  de  façon  qu'elles  n'ont  pu  y  rentrer...,  comme  ont  fait  celles 
du/econd. 

36.  Que  toutes  les  parties  de  ce  genre  fe  font  réduites  à  deux  e/peces  " . 

Ainfi  plufieurs  parties...  du  troifiéme  genre  fe  font  affemblées 
vers  D,  &  bien  qu'elles  n'ayent  peut-eftre  pas  efté  d'abord  toutes 
égales,  ny  entièrement  femblables,  elles  ont  toutefois  eu  cela  de 
commun,  qu'elles  n'ont  pu  s'attacher  |  les  vnes  aux  autres,  ny  à  313 
aucuns  autres  corps,  &  qu'elles  ont  fuiuy  le  cours  de  la  matière  du 
Ciel  qui  couloit  autour  d'elles;  car  c'eft  cela  qui  a  efté  caufe 
qu'... elles  fefont  alfembléesvers  D.  Et  pource  que  la  matière  du  Ciel 
qui  eft  là  parmy  elles,  n'a  ceffé  de  les  agiter,  &  de  faire  qu'elle  s'entre- 
fuiuent  &  fuccedent  à  la  place  l'vne  de  l'autre,  elles  ont  deu,  par 
fuccelTion  de  temps,  deuenir  fort  vnies  &  gliflantes,  &  à  peu  près 
d'égale  grofleur,  afn  de  pouuoir  remplir  les  mefmes  places  ;  en  forte 
qu'elles  fe  font  toutes  réduites  à  deux  cfpeces.  A  fçauoir  celles  qui 
efioient  au  commencement  les  plus  grojfes,  font  demeurées  toutes 
droites  (ans  fe  plier;  &  les  autres,  qui  eftoient  affez  petites  pour 
eftre  pliées  par  l'agitation  de  la  matière  du  Ciel,  fe  font  entortillées 
autour  de  ces  plus  grofl'es,  &  fe  font  meuës  conjointement  auec 
elles.  Or  ces  deux  efpeces  de  parties,  dont  les  vnes  font  pliantes  & 
les  autres  ne  le  font  pas,  ont  pu  continuer  plus  aifément  à  fe  mou- 
uoir,  eftant   ainfi  rîièflées  enfemble,    qu'elles  n'ayroient  pu  faire 

a.  Ce  troisième  corps  répond  à  l'eau. 

b.  «  Quelques  vnes  »,  corrigé  à  Terrata.  Texte  imprimé  :  a  quelquVnes  ». 

c.  A  savoir  les  parues  proprement  aqueuses  et  les  parties  salines. 


2  20  OEuVRES    DE    DeSCARTES. 

cllant  réparées  ;  ce  qui  eil  caufe  quelles  ne  Je  fout  poinl  réduites  à 
me  feule  e/pece.  Et  bien  qu'au  commencement  il  j'  en  ait  eu  de  plus  â 
de  moins  flexibles  ou  inflexibles  par  degre-{,  loulesfois,  pource  que 
celles  qui  ont  pu  d'abord  ertre  pliées...  /.••ar  l'aclion  de  la  manière  du 
3:A  Ciel,  ont  touf-ljours  continué  par  après  à  eftre  pliées  &.  repliées  en 
diuer/es  façons  par  cette  mefmeaclion,  elles  font  toutes  deuenuës  fort 
flexibles,  ainfi  que  des  petites  anguilles  ou  des  bouts  de  cordes, 
qui  font  fi  courts  qu'ils  ne  fe  noïtent  point  les  J'ns  aux  autres.  Et 
au  contraire,  celles  qui  n'ont  point  elle  pliées  d'abord,  ne  l'ont  pu 
(!firc  aujji  par  après  ;  ce  qui  les  a  fait  deuenir  toutes  fort  roides 
iS-  injlexibles . . . 

Sj.  Comment  le  corps  marqué  C  s'efi  diuijé  en  plufieurs  autres  \ 

Et  il  faut  icy  remarquer  que  le  corps  D  a  commencé  d'eltre 
feparé  des  deux  B  &.  C,  auant  qu'ils  fuH'cnt  entièrement  formez  : 
c'efl  à  dire  auant  que  C  full  deuenu  fi  dur  que  la  matière  du  Ciel  ne 
pult  ferrer  dauantage  fes  parties  ny  les  faire  dcJcenJre  plus  bas; 
&  aufli  auant  que  les  parties  du  corps  B  fulfent  toutes  réduites  à  tel 
ordre  que  cette  matière  du  Ciel  puU  librement...  palier  de  tous  collez 
parmy  elles  en  lignes  droites.  De  façon  qu'il  y  a  eu  encore  plulicurs 
des  parties  de  ce  corps  B  qu'elle  a  fait  defcendre  vers  C,  é-  les  vues 
de  ces  parties  ont  efié  moins  folides  que  celles  qui  compofent  le  corps 
D,  les  autres  l'ont  efté  dauantage.  Or,  pour  celles  qui  l'ont  elle 
dauantage,  elles  ont  facilement  pal]'é  au  trauers  de  ce  corps  D,  pource 
qu'il  efï  liquide,  Ik  defcendanî  jufques  à  C,  quelques- vnes  iont 
entrées  en  fes  pores;  les  autres,  dont  \ix grojfeur  ou  ligure  ne  l'a  pas 
315  permis,  |  font  demeurées  fur  fa  fuperficie  ;  Ck  ainfi  le  corps  C  s'cll 
diuifé  en  plufieurs  diuerfes  régions,  félon  les  diucrfes  efpeccs  de  par- 
lies  qui  l'ont  compofè  &  leurs  diuers  arrengcmens^  en  forte  qu'il  y  a 
mefme  peut-eftre  quelques-vnes  de  ces  régions  où  ilert  entièrement 
lUiide,  a  caufe  qu'il  ne  s'y  cil  allcmblé  que  des  parties  de  telles 
figures  qu'elles  ne  fc  peuuenî  attacher  les  vncs  aux  autres.  Mais  il 
cil  impolîible  d'expliquer  tout. 

as.  Comment  il  s'cjt  forme  m  quatrième  y-<>-ys  au  deffus  du  troifième  . 

Quant  aux  parties  t///  troifième  elonenl  ijui  ont  clic  pouMcc>  hois 
du  corps  M  par  l'aclion  de  la  malicre  du  T'/V/,  i\;  .pu  t'iloicu  m(>ii),s 

a.  IManchc  XIV.  }>oriio  infciitiii*.  ui.  .u.'jic. 

b.  Ibidem,  panic  supcriciirc  de  dtuitc. 


Principes.  —  Quatriesme  Partie.  221 

folides  que  celles  du  corps  D,  elles  ont  deu  demeurer  au  deffus  de  fa 
fuperficie;  &  pource  que  plufieurs  auoient  des'figures  trregulieres, 
ainfi  que  font  celles  des  branches  d'arbres  ou  femblables,  elles  fe 
font  peu  à  peu  entrelacées  &  attachées  les  vnes  aux  autres,  en  forte 
qu'elles  ont  compofé  le  corps  E%  qui  eft  dur  &  fort  différent  des 
deux  liquides  B  &  D,  entre  le/quels  il  ejl.  Et  bien  que  ce  corps  E 
n'ait  eu  au  commencement  que  fort  peu  d'épaiffeur,  &  qu'il  n'ait 
,  efté  que  comme  vne  petite  peau  ou  écorce  qui  couuroit  la  fuper- 
ficie du  corps  D,  il  a  deu  deuenir  peu  à  peu  plus  efpais,  à  caufe 
qu'il  y  a  eu  beaucoup  de  parties  qui  fe  font  jointes  à  luy,  tant  de 
celles  qui  font  defcenduè's  du  corps  B,  |  que  de  celles  qui  font  montées  316 
de  D...,  en  la  façon  que  je  dlray  aux  deux  articles  fuiuans.  Et 
pource  que  les  adions  de  la  lumière  &  de  la  chaleur  ont  contribué 
à  faire  monter  &  de/cendre  ces  parties  du  troijiéme  élément  qui  Je 
Jont  jointes  au  corps  E,  celles  qui  s'y  font  jointes  en  chaque  lieu, 
durant  l'efté  ou  durant  le  jour,  ont  efté  autrement  difpofées  que 
celles  qui  s'y  font  jointes  l'hyuer  ou  la  nuit;  ce  qui  a  mis  quelque 
diftindion  entre  les  parties  de  ce  corps...,  en  forte  qu'il  eft  mainte- 
nant compofé  de  plufieurs  couches  de  matière...,  qui  fpnt  comme 
autant  de  petites  jtjeaw.v  eftenduès  l'vne  fur  l'autre. 

3g.  Comment  ce  quatrième  corps  s'ejl  accreu,  &  le  troijiéme  s'ejl  purijié. 

Et  il  n'a  pas  efté  befoin  de  beaucoup  de  temps  pour  diuifer  la 
plus  haute  région  de  la  Terre...  en  deux  corps  tels  que  B  &  C,  ny 
pouc  affembler  vers  D  les  parties  du  troijiéme,  ny  mefme  pour  com- 
mencer vers  E  la  première  couche  du  quatrième.  Mais  ce  ne  peut 
auoir  efté  qu'en  plufieurs  années,  que  toutes  les  parties  du  corps  D 
fe  font  réduites  aux  deux  efpeces  tantoft  décrites",  &  que  toutes  les 
couches  du  corps  E  fe  font  acheuées  ;  pource  qu'au  commencement 
il  n'y  a  eu  aucune  raifon  qui  ait  empefché  que  les  parties  du  troi- 
jiéme élément,  qui  s'affembloient  vers  D,  ne  fuflent  quelque  peu  plus 
longues  ou  plus  groffes  les  vnes  que  les  autres;  &  mefme  elles  ont 
pu  avoir  dtuerfes  Jîgures  en  |  leur  longueur,  &  eftre  plus  groffes  par  317 
vn  bout  que  par  l'atitre,  &  enfin  auoir  des  fuperficies  qui  n'eftoient 
pas  tout  à  fait  gliffantes  &  polies,  mais  quelque  peu  rudes  &  iné- 
gales, pourvu  qu'elles  ne  l'ayent  point  tant  efté  que  cela  les  ait  em- 
pejché  de  fe  feparer  des  corps  C  ou  E,  Mais  pource  qu'elles  n'eftoient 

a.  La  croûte  terrestre  dans  un  état  primitif  hypothétique. 

b.  Art.  36,  p.  219. 


318 


2  22  OEUVRES  DE   DeSCARTES. 

point  jointes-l'vne  à  l'autre, -&  que  la  matière  du  Ciel  qui  couloit 
autour  d'elles  ne  ceflbit  de  les  agiter,  elles  ont  deu*,  en  s'entrefui- 
uant  &  paflant  toutes  par  mefmes  chemins,  deuenir  fort  gliffantes 
&  vnies...  &  fe  réduire  aux  deux  efpeces  de  figures  que  fay  dé- 
crites... Ou  bien  celles  qui -n'ont  pu  s'y  réduire...,  ont  deu  fortir  de 
ce  corps  D,  &7?  elles  ont  efié  plus  folides  que  celles  qui  y  demeuroient, 
elles  font  defcenduës  vers  C  ;  mais  celles  qui  l'ont  efié  moins,  font 
montées  en  haut,  &  la  p\u^pan/e  font  aj-refiées  entre  B  &  D,  où  elles 
ont  feruy  de  matière  pour  augmenter  le  corps  E. 

40.  Comment  l'épaijfeur  de  ce  troifiéme  corps  s'eji  diminuée,  en  forte  qu'il 
ejî  demeuré  de  l'efpace  entre  luy  &  le  quatrième  corps,  lequel  efpace 
s'ejî  remply  de  la  matière  du  premier  '. 

Car,  pendant  le  jour  &  l'efté,  la  lumière  &  la  chaleur  du  Soleil, 
qui  a^iffoient  conjointement  contre  toute  vne  moitié  du  corps  D, 
augmentoient  tellement  l* agitation  des  petites  parties  de  cette  moitié, 
qu'elles  ne  pouuoient  eftre  continués  en  fi  peu  d'efpace  qu'aupara- 
uant;  de  façon  que,  fe  trouuant  enfermées  entre  les  deux  corps  durs 
C  &  E,  plufieurs  eftoient  contraintes  de  paffer  par  les  pores  de  "ce 
dernier  pour  |  monter  vers  B,  lefquelles  par  après,  pendant  la  nuit 
&  encore  plus  pendant  l'hyuer...,  defcendoient  derechef  vers  D,  par 
le  moyen  de  leur  pefanteur,  pource  que  leur  agitation  efioit  moin- 
dre. Maïs  plufieurs  cau(es  pouuoient  les  empefcher...  de  retourner 
jufques  à  ce  corps  D,  &  faire  que  la  plufpart  fc  joigniffent  au  corps 
E  :  car  la  lumière  &  la  chaleur,  en  les  agitant  lors  qu  elles  efioient 
enfermées  entre  B  &  C,  les  incitoient  bien  plus  à  monter,  que  par 
après  leur  pefanteur  ne  les  incitoit  à  defcendre.  Et  ainfi  plufieurs  fe 
faifoient  des  palfages  au  trauers...  du  corps  E,  lors  qu'elles  mon- 
toient,  qui,  n'y  en  rencontrant  point  en  defcendant,  s'arreftoient  fur 
fa  fuperfîcie,  oii  elles  feruoient  de  matière  pour  l'augmenter.  Et 
mefme  quelques-vnes  fe  trouuoient  tellement  engagées  en  fes  pores, 
que,  ne  pouuant  monter  plus  auant,  elles  fermoient  le  chemin  à 
celles  qui  defcendoient.  Et  enfin  c'efioient  prefques  touf-jours  les 
plus  petites,  &  celles  qui  auoient  des -figures  plus  différentes  du 
commun  des  autres,  qui,  pouuant  eflre  chaflées  du  corps  I)  par  la 
plus  ordinuire  aélion  de  la  matière  fubtile,  fc  prefentoient  les  pre- 
mières pour  monter  vers  E  &  B,  où,  rencontrant  des  parties  de  ces 
corps  E  &  B,  elles  s'atiaclioient  aifémcnt  à  elles,  ouyè  diuifoient, 

a.  Planches  XIV  et  XV,  figure  i  (conimcnccment  ci  lin  de  la  pcriode 
Jccrite). 


Principes.  —  Quatriesme  Partie.  223 

ou  changeoient  de  figure,  &  ainfi  celToient  d'eftre  projpres  à  corn-  319 
pofer  le  corps  D.  Ce  qui  eft  caule  qu'après  plufieurs  jours  & 
années  il  y  a  eu  beaucoup  moins  de  matière  en  ce  corps  D,  qu'il 
n'y  en  auoit  lors  que  le  corps  E  a  commencé  à  Je  former,  &  qu'il 
n'eft  demeuré  en  luy  que  celles  de  fes  parties  qui  ont  pu  fe  réduire 
aux  deux  efpeces  que  j'ay  décrites',  &  aufli  que  le  corps  E  a  efté 
affez  efpais  &  ferré,  d'autant  que  la  plufpart  des  parties  qui  font 
forties  de  D,  fe  font  arreftées  en  fes  pores,  &  ainfi  l'ont  rendu  plus 
ferré,  ou  bien,  changeant  de  figures...  &  fe  joignant  à  quelques- 
vnes  de  celles  du  corps  B,  font  retombées  Çur  fa  fuperjicie,  &  ainfi 
l'ont  rendu  plus  efpais.  Et  enfin  cela  eft  caufe  qu'il  eft  demeuré, 
entre  D  &  E,  vn  efpace  alTez  grand,  tel  qu'eft  F,  qui  n'a  pu  eftre 
remply  que  de  la  matière  qui  compofe  le  corps  B,  en  laquelle  il  y 
a  eu  des  parties  fort  déliées,  qui  ont  pu  aifément  paflcr  par  les 
pores  du  corps  E,  pour  entrer  en  la  place  de  celles  qui  font  forties 
du  corps  D. 

41.  Comment  il  s'ejî  fait  plujieurs  fentes  dans  le  quatrième  corps  ". 

Ainfi,  encore  que  le  corps  E  fuft  beaucoup  plus  maflif  &'plus 
pefant  que  celuf  qui  ejîoit  vers  F,  &  mefme  aufli  peut-eftre  que  le 
corps  D,  il  a  deu  toutefois,  pendant  quelque  temps,  fe  fouftenir  au 
defl"us...  comme  vne  voûte,  à  caufe  de  fa  dureté.  Mais  il  eft  à  remar- 
quer que,  lors  qu'il  a  commencé  à  fe  former,  les  parties  du  corps  D, 
à  la  fuperficie  duquel  il  eftoit  joint,  ont  |  deu  fe  referuer  en  luy  plu-  -320 
fieurs  pores  par  où. elles  pulfent  paffer,  à  caufe  qu'il  y  en  auoit  con- 
tinuellement plulieurs  que  la  chaleur  faifoit  monter  vers  B  durant 
le  jour,  &  que  leur  pefanleur  faifoit  redefcendre  vers  D  durant  la 
nuit,  en  forte  qu'elles  rempliflbient  touf-jours  ces  pores  du  corps 
E,  par  kfquels  elles pajfoient.  Au  lieu  que,  par  après,  commençant  àj' 
auoir  quelque  efpace  entre  D  &  E,  qui  contenait  le  corps  F,  quelques- 
vnes  des  parties  de  ce  corps  F'  font  entrées  en  quelques-vus  de  ces 
pores  du  corps  E  ;  mais,  eftant  plus  petites  que  celles  du  corps  D 

a.  Art.  36,  p.  219. 

b.  Planche  XV,  figure  i. 

c.  Tout  ce  passage  a  été  remanié.  Le  seul  changement  important,  par 
rapport  au  texte  latin,  est  cependant  la  substitution  du  corps  F  au  corps 
B,  comme  origine  dt  l'action  qui  produit  les  fentes  du  corps  Y..  On  peut 
douter  que  cette  substitution  ait  été  consciemment  adoptée  par  Descartes, 
d'autant  que,  pour  lui,  ces  deux  corps,  qui  représentent  notre  air,  ne  dif- 
fèrent guère  que  de  situation. 


2  24  Œuvres  de  Descartes. 

qui  auoient  couftume  d*y  eftre,  elles  ne  les  pouuoient  entièrement 
remplir.  Et  pource  qu'il  n'y  a  aucun  vuide  en  la  nature,  &  que 
la  matière  des  deux  premiers  elemens  acheue  toul-jours  de  remplir 
les  efpaces  que  les  parties  du  troifiéme  laiffent  autour  d'elles,  cette 
matière  des  deux  premiers  elemens,  entrant  auec  impetuorité  dans 
ces  pores,  auec  les  parties  du  corps  F...,  a  fait  tel  effort  pour  en 
élargir  quelques- vns,  que  les  autres,  qui  leur  eftoient  voifms,  en  deue- 
noient  plus  eftroits.;  &  ainfi,  qu'il  s'eft  fait  plufieurs  fentes  dans  le 
corps  E\  lefqueiles  font  peu  à  peu  deuenués  fort  grandes.  En  mefme 
façon  &  pour  les  mefmes  raifons  qu'il  a  couftume  auffi  de  s'en  faire 
dans  la  terre  des  lieux  marefcageuXy  lors  que  les  chaleurs  de  l'efté 
la  défeichent... 


821  1  42.  Comment  ce  quatrième  corps  s'eJl].rompu  en  plufieurs  pièces. 

Or  y  ayant  ainfi  plufieurs'fentes  dans  le  corps  E,  lesquelles  s'aug- 
mentoient  de  plus  en  plus,  elles  font  enfin  deuenuës  fi  grandes, 
qu'il  n'a  pu  fe  fouftenir  plus  long-temps  par  la  liaifon  de  fes  par- 
ties, &  que  la  voûte  qu'il  compofoit  fe  creuant  tout  d'vn  coup,  fa  pe- 
fanteur  l'a  fait  tomber  en  grandes  pièces  fur. la  fuperficie  du  corps 
C.  Mais  pource  que  cette  fuperficie  n'eftoit  pas  alfez  large  pour  re- 
ceuoir  toutes  les  pièces  de  ce  corps...  en  la  mefme  fituation  qu'elles 
auoient  efté  auparauant,  il  a  fallu  que  quelques-vnes  foient  tombées 
de  cofté,  &  fe  foient  appuyées  les  vnes  contre  les  autres.  En  forte 
que,  fi,  par  exemple,  en  la  partie  du  corps  E  qui  eft  icy  reprefentée", 
les  principales  fentes  ont  efté  aux  endroits  marque^  1,2,  3,  4,  5,  6, 
7,  &  que  les  deux  pièces  2  3,  &  6  7,  ayent  commencé  à  tomber  vn 
peu  pluftoft  que  les  autres,  &  aufti  que  les  bouts  des  quatre  autres, 
marque\2f  3,  5  &  G,  foient  tombez  pluftoft  que  leurs  autres  bouts 
murquCy  1,  4  &  V;  &  enfin  que  6,  l'vn  des  bouts  de  la  pièce  4  5, 
foit  tombé  vn  peu  pluftoft  que  V,  l'vn  des  bouts  de  la  pièce  V  6, 
ces  pièces  doiuent  fe  trouuer,  après  leur  cheute,  difpofées  fur  la 
fuperficie  du  corps  C,  en  la  façon  qu'elles  paroifl'ent  en  cette  figure, 
où  les  pièces  2  3,  &  6  y,  font  couchées  tout  plat  fur  cette  fuperficie, 
322  &  les  autres  quatre  font  penchées  fur  leurs  coftez,  &  fe  foujftiennent 
les  vnes  les  autres. 

a.  Nous  avons  corrigé  E,  au  lieu  de  D,  imprimé  par  une  erreur  évi- 
dente. 

b.  Planche  XV,  figure  2  (cf.  fig.  1). 


Principes.  —  Quatriesme  Partie.  22 


43.  Comment  yne  partie  du  troîfiéme  ejl  montée  au  deffus 

du  quatrième'. 

De  plus,  à  caufc  que  la  matiei^e  du  corps  D  eft  liquide  &  moins 
pcfante  que  les  pièces  du  corps  E,  elle  a  deu  non  feulement  occuper 
tous  les  recoins  &  tous...  les  palfages  qu'elle  a  trouuez  au  delTous 
d'elles,  mais  aufTi,  à  caufe  qu'elle  n'y  pouuoit  élire  toute  contenue, 
elle  a  deu  monter  à  mefme  temps  au-de(Tus  des  plus  'balfes,  telles 
que  font  2  3,  &  6  7,  6"-  par  mcjme  moyen  Je  former  des  pajfages 
pour  entrer  oufortir  du  dejfous  des  vues  au  deffus  des  autres, 

44.  Comment  ont  ejlé  produites  les  montagnes,  les  plaines, 

les  mers,  &c.. 

En  fuite  de  quoy,  fi  nous  penfoas  que  les  corps  R  &  F  ne  font 
autre  chofe  que  de  l'air,  que  D  ell  de  l'eau,  &  C  vne  croulte  de  terre 
intérieure  fort  folide  &  fort  pcfante,  de  laquelle  viennent  tous  les 
métaux,  &  enfin  que  E  efi  vne  autre  croujîe  de  terre  moins  majjiue, 
qui  eft  compofée  de  pierres,  d'argile,  de  fable  &  de  limon  :  nous 
verrons  clairement  en  quelle  façon  les  mers  fe  font  faites...  au  def- 
fus des  pièces  2  3,  6  7,  ^S'  femblables,  &  que^  ce  qu'il  y  a  des  autres 
pièces  qui  n'eft  point  couuert  d'eau,  nj  beaucoup  plus  cleué  que  le 
rejie...,di  fait  des  plaines;  mais  que  ce  qui  a  cité  plus  cleué  &fort 
en  pente,  comme  i  2,  &  9  4  V,  a  fait  des  montagnes.  Et  enfin, 
conliderant  que  ces  grandes  pièces  n'ont  pu  tomber  en  la  façon 
qui  a  efié  dite,  fans  que  leurs  cxtremitez...  ayent  elle  brifées  en 
beau|coup  d'autres  moindres  pièces  par  la  force  de  leur  pefanteur  323 
6-  Vimpetuojîté  de  leur  cheute,  nous  verrons  pourquoy  il  y  a  des 
rochers  en  quelques  endroits  au  bord  de  la  mer,  comme  i  2,  & 
mefme  des  elcueils  au  dedaris,  comme  3  &  6;  &  enfin  pourquoy  il 
y  a  ordinairement  plulieurs  diuerfes  pointes  de  montagnes  en  vne 
mefme  contrée,  dont  les  vnes  font  fort  hautes,  comme  vers  4,  les 
autres  le  font  moins,  comme  vers  9  &.  vers  V, 

45.  Quelle  eji  la  nature  de  l'air. 

On  peut  aufli  connoillre  de  cecy  quelle  eft  la  vraye  nature  de  l'air, 
de  l'eau,  des  minéraux  &  de  tous  les  autres  corps  qui  font  fur  la  Terre, 

a.  Planche  XV,  figure  2.  —  La  lettre  B  manque  dans  les  deux  figures 
de  cette  planche,  où  elle  devrait  marquer  la  couche  la  plus  extérieure, 
ŒuvRi:s.  IV.  31 


220  Œuvres  de  Descartes. 

ainjt  que  je  taj cher ay  maintenant  d'expliquer.  Premièrement,  on  en 
peut  déduire  que  l'air  n'eft  autre  chu  c  qu'vn  amas  des  parties  du 
troifiéme  élément,  qui  font  fi  déliées  &  tellement  deftachées  les  vues 
des  autres,  qu'elles  obeïffent  à  tous  les  mouuemens  de  la  matiej^e  du 
C\q\  qui  ejl parnif  elles  :  ce  qui  eft  caufe  qu'il  eft...  rare,  liquide  & 
tranfparent,  &  que  les  petites  parties  dont  il  eft  compofé,  peuuent 
eftre  de  toutes  fortes  de  figures.  La  raifon  qui  me  fait  dire  que  ces 
parties  doiuent  eftre  entièrement  détachées  les  vues  des  autres,  eft 
que,  fi  elles  Je  pouuoient  attacher,  elles  fe  feroient  jointes  auec  le 
corps  E;  mais  pource  qu'elles  font  ainfi  déjointes,  chacune  fe  meut 
32t4  feparément  de  fes  voifines,  &  rejtient  tellement  à  foy  tout  le  petit 
efpace  fpherique,  dont  elle  a  befoin  pourfe  mouuoir...  de  touscoftez 
autour  de  fon  centre,  qu'elle  en  chafl'e  toutes  les  autres,  Ji  tojt 
qu'elles  fe  prefentent  pour  y  entrer,  fans  qu'il  importe  pour  cet  effet 
de  quelles  figures  elles  foient. 

46.  Pourquqy  il  peut  ^Jire  facilement  dilaté  &  condenfé. 

Et  cela  fait  que  l'air  eft  aifement  condenfé  par  le  froid  &  dilaté 
par  la  chaleur.  Car  fes*  parties  eftant  prefque  toutes  fort  molles  & 
flexibles,  ainfi  que  des  petites  plumes  ou  des  bouts  de  cordes  fort 
déliées,  chacune  fe  doit  d'autant  pluseftendre  qu'elle  eft  plus  agitée, 
&  parce  moyen  occuper  vn  efpace  fpherique  d'autant  plus  grand...; 
mais,  fuiuant  ce  qui  a  efté  dit"  de  la  nature  de  la  chaleur, elle  doit 
augmenter  leur  agitation,  &  le  froid  la  doit  diminuer. 

4-;.  D'où  vient  qu'il  a  beaucoup  de  force  à  Je  dilater,  ejlant  prejfe 
en  certaines  machines. 

Enfin,  lors  que  l'air  eft  renfermé  en  quelque  vaiffeau  dans  lequel  on 
en  fait  entrer  beaucoup  plus  grande  quantité  qu'il  n'a  coujlume  d'en 
contenir,  céi  air  en  fort  par  après  auec  autant  de  force  qu'on  en  a 
employé  à  l'y  Jaire  entrer;  dont  la  raifon  eft  que,  lors  que  l'air  eft 
ainfi  preffé,  chacune  de  fes  parties  n'a  pas  à  foy  feule  tout  l'efpace 
fpherique  dont  elle  a  befoin  pourfe  mouuoir,  à  caufe  que  les  autres 
Jont  contraintes  de  prendre  vne  partie  du  mefme  efpace,  &  que,  re- 
tenant cependant  l'agitation  qu'elles  auoicnt,  à  caufe  que  la  matière 
816  JubtilCf  qui  continue  |  touf-jours  de  couler  autour  d'elles,  leur  fait 
rCjnir  le  mefme  degré  de  chaleur,  elles. ..  fe  frapent  ou  fe  pouffent 

Art.  ag,  p.  aiS. 


Principes.  —  Quatriesme  Partie.  22 


/ 


les  vnes  les  autres  en  fe  remuant,  &  ainfi  s'accordent  toutes  enfemble 
à  faire  effort  pour  occuper  plus  d'efpace  qu'elles  n'en  ont.  Ce  qui  a 
ferui  de  fondement  à  l'inuention  de  diuerfes  machines,  dont  les  vnes 
font  des  fontaines,  où  l'air  ainji  renfermé  fait  fauter  l'eau  tout  de 
mefme  que  h  elle  venoit  d'vne  fource  fort  éleiie'e  :  &  les  autres  /ont 
des  petits  canons,  qui,  n'étant  charge^  que  d'air,  pouffent  des  baies 
ou  des  flèches  prefque  aulfi  fort...  que  s'ils  efîoient  charge\  di 
poudre. 

4S,  De  la  nature  de  l'eau,  &  pourquoy  elle  fe  change  aifement 
en  air  &  en  glace. 

Pour  ce  qui  eil  de  l'eau,  j'ay  def-ja  monrtré  *  comment  elle  eft  com- 
pofée  de  deux  fortes  de  parties  toutes  longues  &  vnies,  dont  les  vnes 
font  molles  &  pliantes,  &  les  autres  font  roides  &  inflexibles,  en  forte 
que,  lors  qu'elles  font  feparées,  celles-cy  compofeni  le  fel,  &  les 
premières  compofent  l'eau  douce.  Et  pource  que  j'ay  aflez  curieuje- 
ment  fait  voir,  dans  les  Météores  ^  comment,  toutes  les  proprietez 
qu'on  peut  remarquer  dans  le  fel  &  dans  Teau  douce,  fuiuent  de  cela 
feul  qu'ils  font  compofe^  de  telles  parties,  je  n'ay  pas  befoin  d'en 
dire  autre  chofe,  fmon  qu'on  y  peut  remarquer  la  fuite  &  la  liaifon 
des  chofes  que  j'ay  écrites;  &  comment,  de  ce  que  la  Terre  s'eft 
formée  en  la  façon  que  je  \  riens  d'expliquer,  on  peut  conclure  qu'il  326 
y  a  maintenant  telle  proportion  entre  la  grolfeur  des  parties  de 
l'eau  &  celle  des  parties  de  l'air,  &  aufli  entre  ces  mefmes  parties  & 
la  force  dont  elles  font  meuës  par  la  matière  du  fécond  élément, 
que,  lors  que  cette  force  efl  quelque  peu  moindre  qu'à  l'ordinaire, 
cela  fuffit  pour  faire  que  les  vapeurs  qui  fe  trouuent  en  l'air,  prennent 
la  forme  de  l'eau,  &  que  l'eau  prenne  celle  de  la  glace;  comme  au 
contraire,  lors  qu'elle  eft  tant  foit  peu  plus  grande,  elle  éleue  en 
vapeurs  les  plus...  flexibles  parties  de  l'eîiii,  .&  ainfi  leur  donne  la 
forme  de  l'air. 

4g.  Du  flux  &  reflus  de  la  mer. 

l'ay  aufil  expliqué,  dans  les  Météores  %  les  caufes  des  vents,  par 
lefquels  l'eau  de  la  mer  eft  agitée  en  plufieurs  façons  irregulieres. 
Mais  il  y  a  encore  en  elle  vn  autre  mouuement,  qui  fait  qu'elle  fe 

a.  Art.  36,  p.  219. 

b.  Discours  III  et  V,  t.  VI  de  cette  édition,  p.  249  et  279. 

c.  Discours  IV,  voir  t.  VI,  p.  265. 


228  OEuVRES    DE    DeSGARTES. 

hauffe  &  fe  baiffe  règlement  deux  fois  le  jour  en  chaque  lieu,  &  que 
cependant  elle  coule  fans  celTe  du  leuant  vers  le  couchant,  de  quoy 
je  tafcheray  icy  de  dire  la  caufe^.  Soit  ABCD"  la  partie  du  premier 
Ciel  quicompofe  vn  petit  tourbillon  autour  de  laTerreT,ûans  lequel 
la  Lune  ©  eft  comprife,  &  qui  les  fait  mouuoir  toutes  deux  autow^ 
de  fou  centre,  pendant  qu'elle  les  emporte  aufli  autour  du  Soleil.  Et 
pofant,  pour  plus   grande  facilité,  que  la  mer  1284  couure  toute 

327  la  ''vperficie  de  la  Terre  EF|GH,  comme  elle  eft  aulïï  couuerte  de 
l'a^  5678,  confiderons  que  la  Lune  empefche  que  le  point  T,  qui 
eft  le  centre  de  la  Terre,  ne  foit  juftement  au  mefme  lieu  que  le 
point  M,  qui  eft  le  centre  de  ce  tourbillon;  &  qu'elle  eft  caufe  que 
T  eft  vn  peu  plus  éloigné  que  M  du  point  B.  Dont  la  raifon  eft  que 
la  Lune  &  la  Terre  ne  fe  pouuant  mouuoir  fi  vite  que  la  matière.... 
de  ce  tourbillon  par  qui  elles  font  emportées,  fî  le  point  T  n'eftoit 
point  vn  peu  plus  éloigné  de  B  que  de  D,  la  prefence  de  la  Lune 
empefcheroit  que  cette  matière  ne  coulaft  fi  librement  entre  B  &  T 
qu'entre  T  &  D;  &  pource  qu'il  n'y  a  rien  qui  détermine  le  lieu  de 
la  Terre  en  ce  tourbillon,  finon  l'égalité  des  forces  dont  elle  eft 
preifée  par  luy  de  tous  coftez,  il  eft  éuident  qu'elle  doit  vn  peu  s'a- 
procher  vers  D,  quand  la  Lune  ejl  vers  B,  afin  que  la  matière  de  ce 
tourbillon  ne  la  prejje  point  plus  vers  F  que  vei^s  H.  Tout  de  mefme, 
lors  que  la  Lune  eft  vers  C...,  la  Terre  fe  doit  vn  peu  retirer  r^rs .4; 
&  généralement,  en  quelque  lieu  que  la  Lune  Je  trouue,  le  centre  de  la 
Terre  T  doit  touf-jours  vn  peu  plus  eftre  éloigné  d'elle  que  le  centre 
du  tourbillon  M.  Confiderons  auffi  que,  lors  que  la  Lune  eft  vers  B, 
-^  elle  fait  que  la  matière  du  tourbillon  ABCD  a  moins  d'efpace  pour 
couler  non  feulement  entre  B  &  T,  mais  aufti  entre  T  &  D,  qu'elle 

^28  n'auroit  fi  la  Lune  eftoit  [  hors  du  diamettre  B  D,  &  que,  par  con- 
fequent,  elle  s'y  doit  mouuoir  plus  vite,  &  preffer  dauantage  les 
fuperficies  de  l'air  &  de  l'eau,  tant  vers  6  &  2  que  vers  8  &  4  ;  &  en 
fuite, que  l'air  &  l'eau  eftant  des  corps  liquides, qui  cèdent  lors  qu'ils 
font  prellez  &  s'écoulent  aifément  ailleurs,  ils  doiuent  auoir  moins 
de  hauteuroM/To/o/z^i?/^;' fur  les  endroits  de  laTerremarqueiF  Si  H, 
&  par  mefme  moyen  en  auoir  plus  fur  les  endroits  E  &  G,  que  fi  la 
Lune  edo'n  ailleurs... 

5o.  Pourquoy  l'eau  de  la  mer  employé  dou\e  heures  &  cnuiron  vingt-quatre 
minutes,  à  monter  &  de/cendre  en  chaque  marée. 

Confiderons,  outre  cela,  que,  d'autant  que  la  Terre/ait  vn  tour  fur 

a.  Planche  XVL  —  Voir  Correspondance,  t.  V,  p.  260, 1.  7. 


Principes.  —  Quatriesme  Partie.  229 

Jon  centre  en  24  heures,  fa  partie  marquée  F%  qui  eft  maintenant  vis 
à  vis  de  B,  où  l'eau  delà  mer  eft  fort  baffe,  doit  arriuercn  fix  heures... 
vis  à  vis  de  C,  où  la  mer  eft  fort  haute...  Et  de  plus,  que  la  Lune, 
qui  fait  auffi  vn  tour  en  vn  mois  dans  le  tourbillon  BCDA,  s'auance 
quelque  peu  de  B  vers  C,  pendant  les  Jtx  heures  que  l'endroit  de  la 
Terre  marqué  F  employé  à  ejîre  Iran/porté  jufqites  au  lieu  oti  eji 
maintenant  G,  en  forte  q^ue  ce  point  marqué  F...  ne  doit  pas  feule- 
ment employer  fix  heures,  mais  auffi  enuiron  douze  minutes  de  plus, 
pour  paruenir  jufquesaulieudela  plus  grande  hauteur  de  la  mer,  qui 
fera  pour  lors  vn  peu  au  delà  de  G,  à  caufe  de  ce  que  la  Lunt/e  fera 
cependant  auancêe...;  &  tout  de  mefme,  |  qu'en  fix  autres  heures  &  329 
douze  minutes,  le  point  de  la  Terre  marqué  F  fera  vn  peu  au  delà 
du  lieu  où  eft  H,  où  la  mer  fera  pour  lors  la*plus  baffe...  Et  ainfi  on 
voit  clairement  que  la  mer  doit  employer  enuiron  douze  heures  & 
vingt-quatre  minutes  à  monter  &  defcendre  en  chaque  lieu. 

5i .  Pourquoy  les  marées  font  plus  grandes,  lors  que  la  Lune  ejî  pleine 
ou  nouuelle,  qu'aux  autres  temps  ". 

De  plus,  il  faut  remarquer  que  ce  tourbillon  ABCD  n'eft  pas  . 
exadement  rond,  &  que  celuy  de  fes  diamètres  dans  lequel  la  Lune 
fô  trouue,  eftant  pleine  ou  nouuelle,  eft  le  plus  petit  de  tous  ;  &  celuy 
qui  le  coupe  à  angles  droits  eft  le  plus  grand,  ainfi  qu'il  a  efté  dit  cy- 
deffus'.  D'où  il  fuit  que  la  prefence  de  la  Lune  prejfe  dauantage  les 
^eaux  de  la  mer,  &  les  fait  hauffer  &  baiffer  dauantage,  lors  qu'elle  eft 
pleine  ou  nouuelle,  que  lors  qu'elle  n'eft  qu'à  demy  pleine. 

52.  Pourquoy  elles  font  aufjî  plus  grandes  aux  Equinoxes 
qu'aux  Solfîices. 

Il  faut  auffi  remarquer  que  la  Lune  eft  touf-jours  fort  proche 
du  plan  de  l'Eclyptique,  au  lieu  que  la  Terre  tourne  fur  fon  centre 
fuiuant  le  plan  de  l'Equateur, ^w/  en  eJi  affe\  éloigné,  &  que  ces  deux 
plans  s'entrecoupent  aux  lieux  où  fe  font  les  equinoxes,  mais  qu'ils 
font  fort  éloignez  l'vn  de  l'autre  en  ceux  des  folftices.  D'où  il  fuit  que 
c'eft  au  commencement  du  printemps  &  de  l'automne,  c'ejï  à  dire 
au  temps  des  equinoxes,  que  la  Lune  agit  le  plus  dire\âement  contre  ^^^ 
la  Terre,  &  ainjî  rend  les  marées  plus  grandes. 

a.  Planche  XVL  —  Voir  Correspondance,  t.  IV,  p.  466  et  467-468. 

b.  Ibid,,  t.  IV,  p.  467-468. 

c.  Partie  III,  art.  i53,  p.  198. 


23X)  Œuvres  de  Descartes. 


-S^.  Pourquoy  l'eau  &  l'air  coulent  fans  cejje  des  parties  Orientales 
de  la  Terre  vers  les  Occidentales  ». 

Il  y  a  encore  icy  à  remarquer  que,  pendant  que  la  Terre  tourne 
d'E  par  F  vers  G,  c'eft  à  dire  de  l'Occident  vers  l'Orient,  l'enflure 
de  l'eau  4  i  2,  &  celle  de  l'air  8  5  6,  que  je  fuppofe  maintenant 
fur  l'endroit  de  la  Terre  marqué  E,  pafTent  peu  à  peu  vers  fes  autres 
parties  qui  font  plus  à  l'Occident  :  en  forte  que,  dans  fix  heures  <y 
douie  minutes,  elles  feront  fur  l'endroit  de  la  Terre  marqué  H,  & 
dans  douze  heures  &  vingt-quatre  minutes,  fur  celuy  qui  eft  marqué 
G;  &  en  mefme  façon,  que  les  enflures  de  ^l'eau  &  de  l'air  marquées 
2  3  4,  &  6  7  8,  pajfent  de  G  vers  F  :  en  forte  que  l'air  &  l'eau  de  la 
mer  ont  vn  cours  continu  qui  les  porte  des  parties  Orientales  de,  la 
Terre  vers  les  Occidentales. 

54,  Pourquoy  les  pais  qui  ont  la  mer  à  l'Orient  font  ordinairement 
moins  chaux  que  ceux  qui  l'ont  au  Couchant, 

Il  eft  vray  que  ce  cours  n'eft  pas  fort  rapide,  mars  il  ne  laifl'e  pas 
d'eftre  tel  qu'on  le  peut  aifément  remarquer  :  premièrement,  à  caufe 
que  dans  les  l'ongues  nauigations  il  faut  touf-jours  employer  plus  de 
temps...,  lors  qu'on  va  vers  l'Orient,  que  lors  qu'on  retourne  vers 
l'Occident;  puis  aufli,  à  caufe  qu'il  y  a  des  deftroits  dans  la  mer,  où 
l'on  voit  que  l'eau  coule. fans  ceffe  vers  le  Couchant  ;  &  enfin,  à  caufe 
que  les  terres  qui  ont  la  mer  vers  l'Orient,  ont  couftume  d'eftre 
331  I  moins  efchauffées  par  le  Soleil,  que  celles  qui/ow^  en  mefme  climat 
&  ont...  la  mer  vers  l'Occident.  Comme  on  voit,  par  exemple,  qu'il 
fait  moins  chaut  au  Brefil  qu'en  la  Guinée,  dont  on  ne  peut  donner 
autre  raifon,  finon  que  le  Brefil  eft  plus  rafrefchy  par  l'air  qui  luy 
vient  de  la  mer,  que  la  Guinée  par  celuy  qui  luy  vient  des  terres 
qu'elle  a  au  Leuant. 

55.  Pourquoy  il  n'y  a  point  de  flux  &  reflux  dans  les  lacs  ;  &  pourquoy 
vers  les  bords  de  la  mer  il  ne  fe  fait  pas  aux  mefmes  heures  qu'au 
milieu. 

Enfin,  il  faut  remarquer  que,  bien  que  la  Terre  ne  foit  pas  toute 
couuerte  des  eaux  de  la  mer,  ainfi  qu'f//e  ejl  icy  reprefentéc,  toute- 

a.  Planche  XVI.  —  Voir  Correspondance,  t.  IV,  p.  468.       , 


Principes.  —  Quatriesme  Partie.  2ji 

fois,  à  caufe  que  celles  de  l'Occan  l'enuironnent,  elles  doiuent  eflre 
meuës/\7r  la  /.une  en  melme  façon  que  li  elles  la  couuroient  entière- 
ment; mais  que,  pour  ce  qui  e(l  des  lacs  &  des  ellangs  qui  font  du 
tout  feparez  de  l'Occan,  d'autant  qu'ils  ne  couurent  pas  de  fi  grandes 
parties  de  la  Terre,  qu'vn  coflé  de  leur  ùiptrficie  Ibit  jam^ns  beau- 
coup plus  preU'c  que  l'autre...  par  la  prcfencc  de  la  Lune,  leurs  eaux 
ne  peuTJcnt  élire  ainfi  meuës  par  elle;  i*<:  que,  bien  que  celles  qui  font 
au  milieu  de  VOeean,  s'y  haujfenl  *1'  Ihùifent  règlement  en  la  façon 
que  j'aj'  décrile\  loule/'ois  leur  Hux  ^;  relîux  vient  différemment 
&  il  diuers  tempes,  aux  diuers  endroits  de  fes  bords,  à  caufe  qu'ils 
font  fort  irrcguliers,  ^  beaucoup  plus  auancei^  en  vn  lieu  qu'en 
l'autre... 

I  .S6.  Comment  t>n  peut  rendre  t ai/on  de  toutes  les  différences 
particulières  des  /lux  6'  reflux. 

Et  on  peut,  de  ce  qui  a  ilef-ja  elle  dit",  déduire  les  caufes  particu- 
lières de  toutes  les  diiierlife/.  du  Hux  ^:  rellux, /.'«// /-r/î  qu'on  f cache 
que,  lors  que  la  Lune  cU  pleine  ou  nt^uuelk*,  les  eaux  qui  font  au 
milieu  de  l'Océan  aux  lieux  les  plus  éloigne/  de  fes  bords,  vers  l'E- 
q^uaieur  iSc  l'Kcl\  ptique,  font  le  plus  enllées  aux  endroits  oit  il  eji  fix 
heures  du  foii  ou  du  matin,  ce  qui  fait  qu'elles  ^'é'coulent  de  là  vers 
les  bords;  tS:  qu'elles  foiii  au  lueline  temps  le  moins  cntiécs  aux  lieux 
où  il  elt  .Midy  ou  Minuit,  ce  qui  fait  qu'elles  y  coulent  des  bords 
vtis  le  milieu  :  ik  que,  félon  que  ces  bords  font  plus  proclies  ou  plus 
éloigne/,  «S:  que  ces  taux  pallcni  par  des  clicmins  plus  qu  moins 
ôrn'yXi  ik  larges  ^S.  profonds,  elles  y  arriuent  plulloll  ou  plus  tard, 
^  en  plus  ou  moi.is  grande  quantité  ;  ^:  aulli.  que  les  diuers 
dcflouis  de  ces  chemins,  caufe-  par  l'inlerpo/iiiou  des  ifles,  par  les 
difervuies  profondeurs  de  la  mer,  par  la  defccnte  des  riuieres  H- 
par  l'irrégularité  des  bords  ou  riuages,  font  louuent  que  les  eaux 
qui  vont  vers  vn  bord,  font  rencontrées  parcelles  qui  viennent  d'vn 
autre,  ce  qui  auance  ou  retarde  leur  cours  en  plufieurs  diuerfes 
façons;  iV  enfin, qu'il  peut  aulli  élire  auancé ou  retarde' par  les  vents, 
qiielques-vns  defquels  fouillent  touf-jours  règlement  en  certains 
lieux,  à  certains  temps.  Car  je  croy  qu'il  n'y  a  |  rien  de  particulier  à 
obferuer,  touchant  les  llux  ^  reflux  de  la  mer,  dont  la  caufe  ne  foit 
comprife  en  ce  peu  que  je  viens  de  dire. 

a.  An.  Su,  ?i  Cl  52,  p.  328-229. 

b.  Ibidem. 


332 


333 


2  }  2  OEuVRES  DE  DeSGAPTES. 


57.  De  la  nature  de  la  Terre  intérieure,  qui  eji  au  deffous 
dés  plus  baffes  eaux  *, 

Touchant  la  Terre  intérieure  marquée  C,  qui  s' cjî  formée  au  def- 
fous des  eaux,  on  peut  remarquer  qu'elle  ell  compofée  de  parties  de 
toutes  fortes  de  figures,  &  qui  font  fi  grolfes  que  la  matia^e  du 
fécond  élément  n'a  pas  Ja  force,  par  fon  mouuement  ordinaire,  de 
les  emporter  auec  fo}',  comme  elle  emporte  celles  de  l'air  &  de  Veau*'; 
mais  qu'elle  en  a  feulement  affez  pour  les  rendre  pefantes,  en  les 
prelîant  vers  le  centre  de  la  Te?^re,  &  auiTi  pour  les  esbranler  quelque 
peu,  en  coulant  par  les  interualles  qui  doiuent  eftre  parmy  elles  en 
"  grand  nombre,  àcaufede  V irrégularité  de  leurs  figures  ;  &  qu'elles 
font  aufli  esbranlées,  tant  par  la  matière  du  premier  élément,  qui 
remplit  tous  ceux  de  ces  interualles  qui  font  fi  eftroits  qu'aucun 
autre  corps  n'y  peut  entrer,  que  par  les  parties  de  l'eau,  de  l'air  & 
de  la  Terre  extérieure  qui  s'eft  formée  au  delfus  de  l'eau,  lefquelles 
defcendent  fouuent  dans  les  plus  grands  de  ces  interualles,  &y 
agitent  Ji  fort  quelques  parties  delà  Terre  intérieure  qu'elles  les  dé' 
tachent  des  autres,  &  les  font  par  après  monter  avec  elles.  Car  il  eft 
ayfé  à  juger  que  les  plus  hautQS parties  de  cette  Terre  intérieure  C 
334  I  doiuent  eftre  véritablement  fort  entre-lacées  &  fermement  jointes 
les  vnes  aux  autres,  pource  que  ce  font  elles  qui  ont  efté  les  pre- 
mières à  fouftenir  l'effort  &  rompre  le  cours  de  la  matière  fubtile  qui 
paffoit  en  lignes  droites  par  les  corps  B  &  D,  pendant  que  C  fe  for- 
moit;  mais  que  neantmoins,  efiant  affe{  groffes  &  ayant  des  figures 
fort  irregulieres,  elles  n'ont  pu  s'ajujlerjî  bien  l'vne  à  l'autre,  qu'il  ne 
foit  demeuré  parmy  elles  plufieurs  efpaccs  afl'ez  grands  pour  donner 
paffage  à  quelques-vnes  des  ^  arties  terrefres  qui  efloient  au  deffus, 
comme  particulièrement  à  celles  du  fel  &  de  l'eau  douce*...;  mais 
que  les  autres  parties  de  ce  corps  C,  qui  eftoiént  au-deffous  de  ces 
plus  hautes,  n'ont  point  efîé  fi  fermement  jointes'^  ce  qui  efl  caufe 
qu'elles  ont  pu  eflre  feparées  par  les  parties  du  fel,  ou  autres  fem- 
blables,  qui  venoient  pers  elles. 

a.  Planche  XV,  figure  2. 

b.  Art,  45  et  48,  p.  225-226  et  227. 

c.  Exemplaire  annoté,  de  deux  mains  différentes  :  «  et  mesme  aussy  a 
d'autres  plus  branchucs  (au  latin)  ».  Ces  deux  derniers  mots  barrés  par  la 
seconde  main, qui  récrit  en  tête  :  «  Le  latin  ajoute. . .  »  et  après  :  «  . .  .qui 
viennent  du  corps  E  ». 

d.  La  traduction  a  transporté  ici,  en  le  paraphrasant,  le  début  de  l'article 
suivant,  tel  qu'il  est  dans  le  texte  latin. 


Principes.  —  Quatriesme  Partie.  2)3 


58.  De  la  nature  de  f argent  vif. 

Et  mefme  il  y  a  eu  peut-eftre  quelque  endroit,  au  dedans  ou  bien 
au  dejfous  de  ce  corps  O ,  où  il  s'eft  afl'emblé  plufieurs  de  ces  parties, 
qui  ont  des  figures  fi  vnies  &  fi  gliflantes,  qu'encore  que  leur 
pefanteur  foit  caufe  qu'elles  s'appuyent  l'vne  fur  l'autre,  en  forte  que 
îa  matière  du  fécond  élément  ne  coule  pas  librement  de  tous  coftez 
autour  d'elles,  ainfi  qu'elle  fait  autour  de  celles  de  l'eau:  elles  ne 
font  toutesfois  |  aucunement  attachées  l'vne  à  l'autre,  mais  font  conti-  335 
nueilement  meules,  tant  par  la  matière  du  premier  élément,  qui 
remplit  tous  les  interualles  qu'elles  laiffent  autour  d'elles,  que  par 
les  plus  petites  du  fécond,  qui  peuuent  aufTi  pafler  par  quelques-vns 
c'e  ces  interualles;  au  moyen  de  quoy  elles  compofent  vne  liqueur 
qiu,  ellant  beaucoup  plus  pefante  que  l'eau  &  n'eftant  aucunement 
uanfparentc  comme  elle,  a  la  forme  de  l'argent  vif. 

5if.  Des  inégalité^  de  la  chaleur  qui  eji  en  cette  Terre  intérieure. 

Outre  cela,  on  doit  remarquer  que,  comme  nous  voyons  que  les 
taches,  qui  s'engendrent  journellement  autour  du  Soleil,  ont  des 
figures  fort  irregulieres  &  diuerfes,  ainfi  la  moyenne  région  de  la 
Terre  marquée  M,  qui  cft  compofée  de  me/me  matière  que  ces 
taches,  n'eft  pas  également  folide  par  tout,  mais  qu'il  j'  a  en  elle 
quelques  endroits  où  f  es  parties  font  moins  ferrées  qu'aux  autres  :  ce 
qui  fait  que  la  matière  du  premier  élément,  qui  vient  du  centre  de  la 
Terre  vers  le  co?'ps  C,  paffe  par  quelques  endroits  de  cette  moyenne 
région  en  plus  grande  quantité  que  par  les  autres,  &  ainfi...  a  plus 
de  force  pour  agiter  ou  esbranler  les  parties  de  ce  corps  C,  qui  font 
au  dejfiis  de  ces  endroits  là.  On  doit  aulfi  remarquer  que  la  chaleur 
du  Soleil,  qui,  comme  il  a  efté  dit  cy-deffus",  pénètre  jufques  aux 
plus  intérieures  parties  de  la  Terre,  |  n'agit  pas  également  contre  33g 
tous  les  endroits  de  ce  corps  C,  pource  qu'elle  luy  eft  plus  abon- 
damment communiquée  par  les  parties  de  la  Terre  extérieure  E,  qui 
le  touchent,  que  par  les  eaux  D;  &  que...  les  coftez  des  montagnes 
qui  font  expolcz  au  Midy  font  beaucoup  plus  échauffez  par  le  Soleil, 
que  ceux  qui  reifardent  les  pôles;  &  enfin,  que  les  Terres  fituées 
vers  l'Equateur  font  autrement  échaulfécs  que  celles  qui  en  font  fort 

a.  Planche  XV,  figure  2. 

b.  An.  3<t,  p   '.'lô. 


2J4  Œuvres  de  Descartes. 

loin;  &  que  la  viciflitude,  tant  des  jours  &  des  nuits  que...  des  eftez 
&  des  hyuers,  caufe  aufli  en  cela  de  la  diuerfité. 

60.  Quel  eji  l'effet  de  cette  chaleur  •. 

En  fuitte  de  quoy  il  eft  éuident  que  toutes  les  petites  parties  de  ce 
corps  C,  ont  touf-jours  quelqueagitation,  laquelle  y  eft  inégale,  félon 
les  lieux  &  les  temps.  Et  cecy  ne  doit  pas  feulement  eftre  entendu... 
des  parties  de  l'argent  vif,  ou  de  celles  du  fel  &  de  l'eau  douce,  & 
autres  femblables,  qui  font  defcenduës  de  la  Terre  extérieure  E  dans 
les  plus  grands  pores  de  l'ijiferietire  C,  oîi  elles  ne  font  aucunement 
attachées,  mais  aufti  de  toutes  celles  de  cette  Terre  intérieure,  tant 
dures  &  fermement  jointes  les  vnes  aux  autres  qu'elles  puiffent 
eftre.  Non  pas  que  ces  parties  ainfi  jointes  ayent  couftume  d'eftre 
entièrement  feparées  par  l'aélion  de  la  chaleur  ;  mais,  comme  nous 
voyons  que  le  vent  agite  les  branches  des  arbres,  &  fait  qu'elles 
337  ) s'approchent  &  fe  reculent  quelque  peu  les  vnes  des  autres, /a«s 
pour  cela  ejire  arrachées  ny  rompues  :  ainfi  on  doit  penfer  que  la 
plufpart  des  parties  du  corps  G  ont  diuerjes  branches  tellement 
entrellacées  &  liées  enfemble,  que  la  chaleur  en  les  esbranlant  ne 
les  peut  pas  entièrement  déjoindre,  mais  feulement  faire  que  les 
interualles  qui  font  parmy  elles,  deuiennent  tantoft  plus  eftroits, 
&  tantoft  plus  larges;  &  que,  d'autant  qu'elles  font  beaucoup  plus 
dures  que  les  parties  des  corps  D  &  E,  qui  defcendent  en  ces  inter- 
ualles quand  ils  s'élargijfent,  elles  les  preffent  lors  qu'ils  deuiennent 
plus  ejiroits,  &  les  frapant  à  diuerfes  reprifes,  elles  les  froiJJ'ent  ou 
les  plient  en  telle  façon,  qu'elles  les  réduifent  à  deux  genres  de 
figures,  qui  méritent  d'eftre  icy  confiderez. 

61.  Comment  s'engendrent  les  fucs  aigres  ou  corrofifs,  qui  entrent 
en  la  compofition  du  vitriol,  de  l'alun,  &  autres  tels  minéraux. 

Le  premier  genre  vient  des  parties  du  fel,  ou  autres  femblables 
aflcz  dures  &  folides,  qui  eftant  engagées  dans  les  pores  du  corps 
C,  y  font  teWement  preffées  &  agitées,  qu'au  lieu  qu'elles  ont  efté 
auparauant  rondes  &  roides,  ainft  que  des  petits  baflons,  elles  de- 
uiennent plates  &  pliantes  :  en  mefme  façon  qu'vne  verge  de  fer..., 
ou  d'autre  métal,  fe  change  en  vne  lame...,  à  force  d'eftre  batuë  ù 
coups  de  marteau.  Et  de  plus,  ces  parties  du  corps  D  ou  E...,  en 

.A'.  Planche  XV,  figure  2. 


Principes.  —  Quatriesmé  Partie.  255 

fe  glilTant  çà  &  là  contre  celles  du  corps  C,  qui  les  furpaffent-en 
(dureté,  s'y  aiguifent  &  poliflent  en  telle  forte  que,  deuenant  trau'  33» 
chantes  &  pointues...,  elles  prennent  la  forme  de  certains  fucs... 
aigres  &  corrofifs,  qui,  montant  par  après  vers  le  corps  E,  où  font 
les  mines,  y  compofent  du  vitriol,  de  l'alun  ou  d'autres  minéraux, 
félon  qu'ils  fe  méfient,  en  fe  congelant,  auec  des  métaux  ou  des 
pierres  ou  d'autres  matières. 

62.  Comment  s'engendre  la  matière  huyleufe  qui  entre  en  la  compojition 
du  foulfre,  du  bitume,  &c. 

^  L'autre  genre  vient  des  parties  des  corps  D  &  E...,  qui,  eftant 
moins  dures  que  les  précédentes,  font  tellement  froiffées  dans  les 
pores  du  corps  C,  par  l'agitation  defes  parties,  qu'elles  fe  diuifent  en 
plufieurs branches  fort  déliées  &  flexibles,  qui,  eftant  écartées  les  vnes 
des  autres  par...  la  matière  du  premier  élément,  &  emportées  vers  le 
corps  Ef  s'attachent  à  quelques-vnes  de  fes  parties...,  &  par  ce 
moyen  compofent  le  foulfre,  le  bitume,  &  généralement  toutes  les 
matières  graffes  ou  huileufes  qui  font  dans  les  mines. 

63.  Des  principes  de  la  Chymie,  &  de  quelle  fat^on  les  métaux 
viennent  dans  les  mines. 

Et  j'ay  icy  expliqué*  trois  fortes  de  corps  qui  me  femhlent  auoir 
beaucoup  de  rapport  auec  ceux  que  les  Chymiftes"  ont  couftume  de 
prendre  pour  leurs  trois  principes,  &' qu'ils  nomment  le  fel, 
le  foulfre  &  le  mercure.  Car  on  peut  prendre  ces  fucs  corro- 
fifs pour  leur  fel,  ces  petites  branches  qui  compofent  vne  matière 
huileufe  pour  leur  foulfre,  &  le  vif  argent  pour  leur  mercure.  Et 
mon  opinion  eft,  que  la  vraye  caufe  qui  |  fait  que  les  métaux  339 
viennent  dans  les  mines,  eft  que  ces  fucs  corrofifs,  coulant  çà  &  là 
dans  les  pores  du  corps  C,  font  que  quelques-vnes  de  fes  parties 
fe  détachent  des  autres,  lefquelles  par  après,  fe  trouuant  envelopé^s 
&  Comme  reueftuës  des  petites  branches  de  la  matière  huileufe,  font 
facilement  pouilees  de  C  vers  E  par  les  parties  de  l'argent  vif, 
lors  qu'il  eft  agité  &  raréfié  par  la  chaleur.  Et  félon  les  diuerfes 
grandeurs  &  figures  qu'ont  ces  parties  du  corps  C,  elles  compofent 

a.  Art.  58,  61,  62,  p.  233  et  suiv. 

b.  Le  ternaire  des  principes  de  l'ancienne  chimie  ne   remonte  pas  au 
delà  de  Paracelse,  qui  ajouta  le  sel  au  soufre  et  au  mercure  des  alchimistes* 


2j6  Œuvres  de  Descartes. 

diuerfes  efpeces  de  métaux,  lefquelles  j'aurois  peut  eilre  icy  plus 
particulièrement  expliquées,  fi  j'auois  eu  commodité  de  faire  toutes 
les  expériences  qui  font  requifes  pour  verijîer  les  raifonnemens  que 
faf  faits  fur  ce  fujet. 

64.  De  la  nature  de  la  Terre  extérieure  &  de  l'origine  des  fontaines. 

MaTs/ti/2S  nous  arrefier  à  cela  daiiantage,  commençons  à  exami- 
ner la  Terre  extérieure  E,  que  nous  auons  defja  dit''  ejîre  diuifée 
en plujieurs  pièces,  dont  les  plus  baJJ'es  font  couuertes  de  l'eau  de  la 
mer,  les  plus  hautes. (ont  les  montagnes,  &  celles  qui  font  entre-deux 
font  les  plaines;  &  voyons  maintenant...  quelles  y  font  les  fourccs 
des  fontaines  &  des  riuieres,  &  pourquoy  elles  ne  s'épuifent  jamais, 
bien  que  leurs  eaux  ne  celfent  de  couler  dans  la  mer  :  comme  aufli 
pourquoy   toutes  ces  eaux  douces,  qui  vent  dans  la  mer,   ne   la 

340  rendent  point  plus' grande  ny  |  moins  falée.  A  cet  effet  il  faut  confi- 
derer  qu'il  y  a  de  grandes  concauitez  pleines  d'eau  fous...  les  mon- 
tagnes, d'où  la  chaleur  dleue  continuellem.ent  plufieurs  vapeurs, 
lefquelles,  n'eflant  autre  choie  que  des  petites  parties  d'eau  feparées 
l'vne  de  l'autre...  &  fort  agitées,  yi/  glifent  en  tous  les  pores  de  la 
Terre  extérieure,  &  ainfi  paruiennent  jufques  aux  plus  hautes 
fuperficies  des  plaines  &  des  montagnes.  Car  puis  que  nous  voyons 
quelques-vnes  de  ces  vapeurs  palier  bien  loin  au  c'elà  dedans  l'airy 
où  elles  compofent  les  nues,  nous  ne  pouuons  douter  qu'il  n'y  en 
ait  beaucoup  dauantage  qui  montent  jufques  aux  fommets  des  mon- 
tagnes, à  caufe  qu'il  leur  eft  plus  aifé  de  s'éleuer  en  coulant  entre  les 
parties  de  la  Terre  qui  aide  à  les  fouftenir,  qu'en  patfant  par  l'air  qui, 
eftant  fluide...,  ne  les  peut  foufleniren  mefme  façon.  Déplus,  il  faut 
confiderer  que,  lors  que  ces  yapcurs  font  paruenuës  j'crs  le  haut  des 
montagnes,  &  qu'elles  ne  fe  pcuuent  éleuer  dauantage,  à  caufe  que 
leur  agitation  diminue,  leurs  petites  parties  fe  joignent  plufieurs 
enfcmble...,  &  que,  reprenant  par  ce  moyen  la  forme  de  l'eau,  elles 
ne  peuuent  dcfcendrc  par  les  pores  par  où  elles  font  montées..,,  à 
caufe  qu'ils  font  trop  cllroits  ;  mais  qu'elles  rencontrent  d'autres 
palfages  vn  peu  plus   larges  entre  les  diuerfes  croullcs  où  écorces, 

341  dont /tir  I  dit'  qutf  la  Terre  cMeiiturc  cil  compofce,  p^ir  hfjuels 
elles  Je  vont  rendre  dans  les  feules  qucfay  dil  aujji'fe  Irouucr  en 

a.  Art.  .<7.  4^  ti  4.}    p  i':>. 

b.  An.  38,  p.  a.io-22  I. 

c.  An.  41,  p.  ai!-*  •:.•  j 


Principes.  •^-  Quatriesme  Partie.  237 

cette  Terre  extérieure,  &,  les  remplijfant,  elles  font  des  fources  qui 
demeurent  cachées  fous  terre  jufques  à  ce  qu'elles  rencontrent  quelques 
ouuertures  en  fa  fuperficie,  &,  fortant  par  ces  ouuertures,  elles 
compofent  des  fontaines,  dont  les  eaux  coulant  par  le  penchant  des 
valées...,  s'alTemblent  en  riuieres  &  defcendent  enfin  Jufques  à 
la  mer. 

65.  Pourquoy  l'eau  de  la  mer^ne  croiji point  de  ce  que  les  rivières 

y  entrent  \ 

Or  encore  qu'il  forte  ainfi  continuellement  beaucoup  d'eau  des 
concciuitei  qui  font  fous  les  montagnes,  d'oîi  ejlant  éleuée,  elle  coule 
par  les  riuieres  jufques  à  la  mer,  toutefois  ces  concauitez. . .  ne 
s'épuifent  point,  &  la  mer  n'en  deuient  point  plus  grande.  Dont  la 
raifon  eft  que  la  Terre  extérieure  n'a  pu  eftre  formée,  en  la  façon 
que  j'ay  décrite  ^  par  le  débris  du  corps  E,  dont  les  pièces  font 
tombées  inégalement  fur  la  fuperficie  du  corps  C,  qu'il  ne  foit 
demeuré.. .  plufieurs  grands  paflages  au  delfous  de  ces  pièces,  par 
où  il  retourne  autant  des  eaux  de  la  mer  vers  le  bas  des  montagnes, 
qu'il  en  fort  par  le  haut  qui  va  dans  la  mer.  De  façon  que  le  cours 
de  l'eau  en  cette  Terre  imite  celuy  du  fang  dans  le  corps  des 
.animaux,  où  il  fiiit  vn  cercle  en  coulant /a«s  cejfe  fort promptement 
de  leurs  veines  en  leurs  artères,  &  de  leurs  artères  en  leurs  veines, 

I  66.  Pourquoy  l'eau  de  la  plus  part  des  fontaines  ejï  douce,  342 

&  la  mer  demeure  falée . 

Et' bien  que  la  mer  foit  falée,  toutefois  la  plus  part  des  fontaines 
ne  le  font  point.  Dont  la  raifon  efl  que  les  parties  de  l'eau  de  la  mer 
qui  font  douces,  eliant  molles  ^:  pliantes,  fc  changent  ayfémcnt  en 
vapeurs,  6-  pajfcnt  par  les  chemins  dêlourne\  qui  font  entre'  les  petits 
grains  de  fable  &  les  autres  telles  parties  de  la  Terre  extérieure,  au 
lieu  que  celles  qui  compofent  le  fcl,  citant  Jures  ^  roidcs,  font  plus 
difiiciicment  éleuées  par  la  chaleur,  &  ne  peuucnt  palier  par  les 
pores  de  la  Terre,  //  ce  n'ejî  qu'ils  foient  plus  larges  qu'ils  nont 
couflume  d'e/fre.  Et  les  eaux  de  ces  fontaines,  en  s'ccoulant  dans  la 
mer,  ne  la  rendent  point  douce,  à  caufe  que  lefel  qu'ellesy  ont  laiffé, 
en  s'ékuant  en  vapeurs  dans  les  montagnes,  fc  me/le  derechef  aucc 
elles. 

a.  Planche  XV,  figure  2. 

b.  Art.  42,  p.  324. 


2j8  OEuVRES  DE  DeSGARTES. 

ôj.  Pourquoy  il  y  a  aujji  quelques  fontaines  dont  l'eau  ejlfalée. 

Mais  nous  ne  deuons  pas  pour  cela  trouuer  eftrange  qu'il  fe  ren- 
contre aufîi  quelques  fources  d'eau  falée  en  des  lieux  fort  éloignez 
de  la  mer.  Car  la  Terre  s'eftant  entreferiduë  en  plufieurs  endroits, 
ainji  qu'il  a  ejlé  dit',  il  fe  peut  faire  que  l'eau  de  la  mer  vient 
jufques  aux  lieux  oit  font  ces  fources,  fans  paffei^  que  par  des  con- 
duits qui  font  fi  larges  qu'elle  amené  facilement  f on  fel  auecfoy  :  non 
feulement  lors  que  ces  conduits  fe  rencontrent  en  des  puits  fi  pro- 
fonds, qu'elles  ne  font  pas  moins  baffes  que  l'eau  de  la  mer,  auquel 
343  cas  elles  participent  ordinairement  \  à  fon  flux  &  reflux;  mais  aufli 
lors  qu'elles  font  beaucoup  plus  hautes ,  à  caufe  que  les  parties  du  fel, 
eftant  fouftenuës  par  la  pente  de  ces  conduits,  peuuent  monter 
auec  celles  de  l'eau  douce.  Comme  on  voit  par  expei'ience,  en  faifant 
chauffer  de  l'eau  de  mer  dans  vne  cuue  telle  que  ABC",  qui  efl 
plus  large  par  le  haut  que  par  le  bas,  qu'il  s'éleue  du  fel  le  long  de 
fes  bords,  lequel  s'y  attache  de  tous  coftez  en  forme  de  croufle, 
pendant  que  l'eau  douce  qui  l'accompagnoit  s'éuapore. 

68.  Pourquoy  il  y  a  des  mines  de  fel  en  quelques  montagnes.' 

Et  cet  exemple  fart  aufTi  à  entendre  comment  il  s'eft  affemblé 
quantité  de  fel  en  certaines  montagnes,  dont  on  le  tire  en  forme  de 
pierres,  jcowr  s'enferuir  ainfi  que  de  celuy  qui  fe  fait  d'eau  de  mer. 
Car  cela  vient  de  ce  que  les  parties  de  l'eau  douce  qui  ont  amené  du 
fel  de  la  mer  jufques  là,  ont  paffé  outre...  en  s'éuaporant,  &  qu'il  ne 
les apfifuiureplus  loin. 

6g.  Pourquoy,  outre  le  fel  commun^  on  en  trouue  aufjx 
de  quelques  autres  efpeces. 

Mais  il  arriue  auffi  quelquefois  que  le  fel  qui  vient  de  la  mer,  paffe 
par  des  pores  de  la  Terre  fi  eftroits,  ou  tellement  difpof'i,  qu'ils 
changent  quelque  chofe  en  la  ligure...  de  fes  parties,  au  moyen  de 
quoy  \\  perd  la  forme  du  fel  commun,  &  prend  celle  du  falpetre,  du 
fel  ammoniac,  ou  de  quelque  autre  efpece  de  fel.  Et  outre  cela, 
plufieurs  des  petites  parties  de  la  TcrvCffans  efîre  tiennes  de  la  mer, 

a.  Art.  42,  p.  224. 

b.  Planche  XIII,  figure  2. 


Principes.  —  Quatriesme  Partie.  2^9 

peuuent  eftre  de  telles  |  figures,  qu'elles  entrent  en  la  compofition  de     344 
ces  fels;  car  rien  n'e/l  requis  à  cet  effeâ,  finon  qu'elles  foient  affez 
longues  &  roides,  fans  élire  diuifées  en  branches  ;  &  félon  les  autres 
différences   qu'elles    on*  ^    elles  compofent  des    fels   de    diuerles 
efpeces. 

jo.  Quelle  différence  il  y  a  icy  entre  les  vapeurs,  les  efprits 
€■  les  exhalaifons. 

Outre  les  vapeurs  qui  s'éleuent  des  eaux,  il  fort  aulli  de  la  Terre 
intérieure  grande  quantité  d'efprits  penetrans  <j- corrofifs,  &  plu- 
iieurs  exhalaifons  graffcs  ou  huileufes,  &  mefme  de  l'argent  vif, 
lequel,  montant  en  forme  de  vapeur,  amené  auec  foy  des  parties  des 
autres  métaux...;  i^  félon  les  diuerles  façons  que  ces  chofes  fe 
meilcnt  enfemble,  elles  compofent  diuers  minéraux.  le  prends  icy 
pour  les  efprits...,  tant  les  parties  des  fucs  corrofifs  que  celles  des 
fels  volatiles,  lors  qu'cller.  font  feparées  l'vne  de  l'autre,  &  tellement 
mcuës  que  la  force  de  leur  agitation  furpalTe  celle  de  leur  pefan- 
teur.  Et  bien  que  le  mot  d'exhalaifons/o/7  gênerai,  je  ne  le  prends 
neantmoins  maintenant  que  pour  lignifier  des  parties  de  la  matière 
du  troifiénie  élément,  feparées  &  agitées  comme  celtes  des  vapeurs  oif 
des  efprits,  mais  qui  font  fort  déliées  &  diuifées  en  plufieurs  bran- 
ches/or/ jL?//a///c'5,  en  forte  qu'elles  peuuent  feruir  à  compofer  tous 
les  corps  gras  (S-  les  huiles.  Ainli,  encore  que  les  eaux,  les  fucs  corro-. 
fifs  &  les  huiles  {foient  des  corps  liquides,  il  y  a  neantmoins  cette  345 
différence  que  leurs  parties  ne  font  que  ramper  &  gliffcr  l'vne  contre 
l'autre  ;  au  lieu  que  ces  mcfmes  parties,  lors  qu'elles  compofent  des 
vapeurs,  des  efprits,  ou  des  cxlialaifons,  font  tellement  feparées  (S- 
agitées  qu'on  peut  dire  proprement  qu'cWcs  volent. 


7/.  Comment  leur  mejlange  ccmpofe  diuerfes  efpeces  de  pierres,  dont 
quelques-vnes  font  tranfparentes ,  &  les  autres  ne  le  font  pas. 

Et  ce  font  les  efprits  qui  doiuent  élire  meus  le  plus  fort  pour 
voler  en  cette  façon  ;  ce  font  eux  aufli  qui  pénètrent  le  plus  aifément 
dans  les  petits  pores  des  corps  tcrrcllres,  à  caufe  de  la  force  dont  ils 
font  meus,  &  de  la  figure  de  leurs  parties,  en  fuite  de  quoy  ils  s'y 
arreftent  &.  s'y  attachent  aufli  le  plus  fort  :  c'cil  pourquo}  ils  rendent 
ces  corps  plus  durs  que  ne  font  les  exhalaifons  ny  les  vapeurs.  Au 
rçfte,  à  caufe  qu'il  y  a  grande  différence  entre  ces  trois  fortes  de 
fumées  que  je  nomme  vapeurs,  efprits  6'-  exlhilaifins,  félon  que  leurs 


240  OEUVRES  DE   DeSCARTFS. 

parties  fe  meflent  &  fe  Joignent  diuerfement,  elles  compolent  toutes 
les  diuerfes  fortes  de  pierres  &  autres  corps  quife  trouuentfous  terre. 
Et  quelqueS'V7îs  de  ces  corps  fout  tranfpai-ens,  les  autres  ne  le  font 
pas.  Car  lors  que  ces  fumées  ne  font  que  s'arreller  dans  les  pores 
de  quelque  partie  de  la  Terre  extérieure, /a;w  changer  leurjituation, 
il  ejf  êuident  que  les  corps  qu'elles  compojent  ne  peuuent  ejlre  tranj- 

346  parens,  à  cauje  que  cette  Tertre  ne  j  l'ejf  pas.  Mais  lors  qu'elles  "î'af- 
femblent  hors  de  ces  pores  en  quelques  fentes  ou  concauitez  de  la 
Terre,  les  corps  qu'elles  compofent  fbnt  liquides  au  commence- 
ment, &  par  mefme  moyen  tranfparens.  Ce  qu'ils  retiennent  encore 
par  après,  bien  que,  les  plus  fluides...  de  leurs  parties  s'éuaporant 
peu  à  peu,  ils  deuiennent  durs.  Et  c'eft  ainfi  que  les  diamans,  hs 
agates,  le  crijlal,  &  autres  telles  pierres  fe  produifent. 

72.  Comment  les  métaux  viennent  dans  les  mines, 
&  comment  s'y  fait  le  vermeillon. 

Ainfi  les  vapeurs  de  l'argent  vif,  qui  montent  par  les  petites  fentes 
&  les  plus  larges  pores  de  la  Terre,  amènent  aufli  auec  foy  des  par- 
ties d'or,  d'argent,  de  plomb,  ou  de  quelque  autre  métal,  lefquelles 
y  demeurent  par  après,  bien  que  fouuent  l'argent  vif  ne  s'y  arreile 
pas,  à  caufe  qu'cftant  fort  fluide  il  pafle  outre  ou  bien  redefcend. 
Mais  il  arriue  aufli  quelquefois  qu'il  s'y  arrefte,  à  fçauoir  lors  qu'il 
rencontre  plufteurs  exhalaifons  dont  le?  parties  fort  déliées  enue- 
lopent  les  fiennes...,  &  parce  moyen  le  changent  en  vermeillon.  Au 
refle,  ce  n'eft  pas  le  feiil  argent  vif  qui  peut  amener  auec  foy  les 
métaux  de  la  Terre  intérieure  en  l'extérieure;  les  efprits  &  les  exha- 
laifons font  aufli  le  femblable  au  regard  de  quclques-vns,  comme 
.  du  cuiure,  du  fer  &  de  l'antimoine. 

y3.  Pourquojr  les  métaux  nefe  trouuent  qu'en  certains  endroits 

de  la  Terre. 

Et  il  faut  remarquer  que  ces  métaux  ne  peuuent  guere.s  monter 

347  que  des  endroits  de  la  Ter|re  intérieure,  aufquels  touchent  les 
pièces  de  l'extérieure  ^w/'/o;»/  tombées  fur  elle.  Comme,  par  exemple, 
en  cette  figure*,  ils  montent  de  5  vers  V.  Et  ce  qui empefche  qu'ils  ne 
montent  auffi  des  autres  lieux,  efl  qu'W  y  a  de  l'eau  entredeux,  au 
trauers  de  laquelle  ils  ne  peuuent  eflre  élcuez;  ce  qui  eft  caufe  qu'on 
ne  irouuc  pas  des  métaux  en  tous  les  endroits  de  la  Terre. 

a.  Planche  XV,  figure  2. 


Principes.  —  Quatriesme  Partie.  241 


7^.  Pourquoy  c'ejl  principalement  au  pied  des  montagnes,  du  cofté 
qui  regarde  le  Midy  ou  l'Orient  y  qu'ils  Je  trouuent. 

Il  faut  aufli  remarquer,  que  c'eft  ordinairement...  par  le  pied  des 
montagnes  que  montent  ces  métaux,  comme  icy  de  S  vers  V  ;  & 
que  c'eft  là  qu'ils  s'arreftent  le  plus  aifément,  pour  j' faire  des  mines 
d'or,  d'argent,  de  cuiure  ou  femblables,  à  caufc  qu'il  s'y  trouue 
quantité  de  petites  fentes,  ou  de  pores  fort  larges,  que  ces  métaux 
peuuent  remplir;  &  mefme,  qu'ils  ne  s'affemblcnt  ^^res  en  ces 
montagnes  que  vers  les  coftez  qui  font  expofez  au  Midy  ou  à  l'Orient, 
à  caufe  que  ce  font  ceux  que  la 'chaleur  du  Soleil,  qui  ayde  à  tes 
faire  monter,  échauffe  le  plus.  Ce  qui  s'accorde  auec  l'expérience, 
pource  que  ceux  qui  cherchent  des  mines,  n'ont  coufltime  d'en 
trouuer  qu'en  ces  coftez  là. 

•jS.  Que  toutes  les  mines  font  en  la  Terre  extérieure,  &  qu'on 
nef^auroit  creufer  jufques  à  l'intérieure. 

Mais  il  ne  faut  pas  efperer  qu'on  puifTe  jamais,  à  force  de  creufer, 
paruenir  jufques  à  cette  Terre  intérieure  que  fay  dit'  eflre  entière- 
ment métallique;  car,  outte  que  l'extérieure,  qui  eft  au  deffus,  cft  fi 
é^paiffe  qu'à   peine   la   force  des  hommes  |  pourroit  fuffire  pour    Ma 
creufer  au  delà,   on  ne  manqueroit  pas  d'y  rencontrer  diuerfes 
fources  par  lesquelles  l'eau  fortiroit  auec  d'autant  plus  d'impetucfité    . 
qu'elles  feroient  ouu'ertes  plus  bas...,  en  forte  que  !c#  mineur»  he" 
pourroient  éuiter  d'eftrc  nôyei. 

y  6,  Comment  Je  corHpo/ent  lejoulfre,  le  bitume,  l'hUîle  minerai  St.  l*4r gîté. 

Quant  aux  exhalaifons  q^^  «'ay  décrite^"  &  éitii:i>lenuent  4i  la 
Terre  intérieure,  leurs  parties  font  fi  déliées,  qu'elles  ne  peuuent 
compofcr,  eftant  feules,  aucun  autre  corps  q'ie  de  l'air.  Mai»  elles- .. 
le  joignent  aifémeht  auec  les  plus  fubtiles  parties  des  cfprits,  lef- 
quelles,  celfant  parce  moyen  d'eftre  vnîes  &  gli(fantes«  acquerent 
des  petites  branches  qui'  font  qu'elles  peuuent  aujp  s'attacher  à 
d'autres  corps.  A  fçauoir,  elles  s'attachent  quelquefois  îiuec  des  par- 
ties des  fucs  corrofifs,  mcllces  de  quelques  autres  qui  font  métal* 

a.  Art.  44,  p.  225. 

b.  Art.  70,  p.  -'^9. 

Œuvres.  IV.  jA 


242  OEUVRES  DE   DeSCARTES. 

liques,  &  ainfi  elles  compofent  du  foulfre;  quelquefois  elles  fe 
joignent  auec  des  parties  de  la  Terre  extérieure,  parmy  lefquelles  il 
y  a  quantité  des  mefmes  lues,  &  ainfi  compofent  des  terres  qu'on 
peut  brujler,  comme  du  bitume,  de  la  naphte,  &  femblables;  quel- 
quefois aufli  elles  ne  fe  méfient  qu'auec  des  parties  de  terre,  &  lors 
elles  compofent  de  l'argile;  enfin,  quelquefois  elles  s'allemblent 
prefque  toutes  feules  :  à  fçauoir,  lors  que  leur  agitation  efl  fi  foible 

349  que  leur  pefanteur  eft  fujjî faute  pour  fai\re  qu'tWo.s  fe  preffent  les 
vnes  les  autres,  au  moyen  de  quoy  elles  compofent  les  huiles  qu'on 
trouue  en  quelques  endroits  dans  les  mines. 

'j'] ,  Quelle  efi  la  caufe  des  trtmblemens  de  Terre, 

Mais  lors  que  ces  exhalaifons,yom/t'S  aux  plus  fubtiles  parties  des 
efprits,  font. trop  agitées  pour  fe  conuertir  ainfi  en  huile,  &  qu'elles 
le  rencontrent  fous  terre  en  des  fentes  ouconcauitez  qui  n'ont  aupa- 
rauant  contenu  que  de  l'air,  elles  y  compofent  vne  fumée  gralfe  & 
épailfe,  qu'on  peut  comparer  à  celle  qui  fort  d'vne  chandelle,  lors 
qu'elle  vient  d'eflre  elleinte.  Et  comme  celle-ci  s'embrafe  fort  aifé- 
ment,Ji  toft  qu'on  en  approche  la /lame  d'vne  autre  chandelle:  ainjilors 
que  quelque  ellincelle  de  feu  ell  excitée  en  ces  concauitez,  elle  s'éprend 
incontinent  en  toute  la  fumée  dont  elles  font  pleines,  £•  par  ce  moyen 
la  matière  de  celle  fumée,  fe  changeant  en  flame,  fe  rarcfic  tout  à 
coup,  &  poulie  auec  grande  violence  tous  les  collez  du  lieu  où  elle 
ell  enfermée,  principalement  s'il  y  a  en  elle  quantité  d'cfprits  ou  de 
fels  volatiles.  Et  c'eil  ainfi  que  fe  font  les  tremblemens  de  terre  ; 
car  lors  que  les  concauile'^  quelle  occupe  font  fort  grandes,  elle  peut 
efbranler  en  vn  moment  tout  le  pais  qui  les  couure  ou  les  enuironne. 

yS.  D'ail  vient  qu'il  y  a  des  montagnes  dont  il  fort  quelquefois 
de  grandes  famés. 

Il  arriue  auffi  quelquefois  que  la  flame  qui  caufe  ces  tremblemens 
entr'ouure  la  Terre  vers  le  fommet  de  quelque  montagne,  &  fort... 

350  en  |  grande  abondance  par  là.  Car,  les  concauite'{  où  elle  e/t  ne  fiant 
pas  ajje\  grandes  pour  la  contenir,  elle  fait  effort  de  tous  co/lei  pour 
enfortir,  &  fe  fait  plus  aifément  vn  palfage  par  le  fommet  d'vne 
montagne  que  par  aucun  autre  lieu:  premièrement,  à  caufe  qu'il  ne 
fe  vtncoï\iït  gueres  de  concauitez  qui  foient  fort  grandes  &  propres  à 
reccuoir  ces  fumées,  finon  au  dellous  des  plus  hautes  montagnes;  puis 
aulli,  à  caufe  qu'/7  n'efl  pas  befoin  de  tant  de  force  pour  entr'ouurir 


Principes.  —  Quatriesme  Partie.-  24J 

^feparer  les  exiremîle:{  de  ces  grandes  pièces  de  la  Terre  extérieure, 
que  j'ay  dit''  ejlrc  appuyées  de  collé  l'vne  contre  l'autre  aux  lieux  où 
elles  compofent  les  fommets  des  montagnes,  que  pour  y  faire  vnenou- 
uelle  ouuerture  en  quelque  autre  endroit.  Et  bien  que  la  pefanieur 
de  ces  grandes  pièces  de  terre  ainfi  entr'ouuertes/o;7  caufe  qu'elles  fe 
rejoignent  fort  promptement,  lors  que  la  flame  eft  fonie,  toutefois, 
à  caufe  que  cette  llame,  qui  fort  auec  grande  impetuofité.  pouffe  ordi- 
nairement deuant  foy  beaucoup  de  terre  mejlée  de  foulfre  ou  de 
bitume,  il  fe  peut  faire  que  ces  montagnes  bruflent  encore  long  temps 
après,  jufques  à  ce  que  tout  ce  foulfre  ou  bitume  foit  confommé.  Et 
lors  que  les  mefmes  concauitez  fe  rempliffent  derechef  de  femblables 
fumées  qui  s'embrafent,  la  llame  en  ion  plus  aifément  par  l'endroit 
qui  I  adef-ja  elle  ouuert  que  par  d'autres.  Ce  qui  eft  caufe  qu'il  y  a  3B1 
des  montagnes  où  plufieurs  tels  embrafemens  ont  ejté  vcus,  comme 
font  Ethna  en  Sicile,  le  Vefuue  près  de  Naples,  Hecla  en  Iflande,  &c. 

yg.  D'où  vient  que  les  tremblemens  de  Terre  fe  font  fouuent 
à  plufieurs  fecoujfes. 

Au  refte,  les  tremblemens  de  Terre  ne  fînijjhit  pas  touf  jours 
après  la  première  fecouffe  ;  mais  il  s'en  fait  quelquefois /'//(/?t'//rs  pen- 
dant quelques  heures  ou  quelques  jours  de  fuite.  Dont  la  railbn  eft 
que  les  fumées...  qui  s'enflament,  ne  font  pas  touf-jours  en  vne  feule 
concauité,  mais  ordinairement  en  plufieurs,  qui  ne  font  feparées  que 
d'pn  peu  de  terre  bitumineufe  ou  foulfrée,  en  forte  que,  lors  que  le 
feu  s'éprend  en  l'vne  de  ces  concauitez,  &  donne  par  ce  moyen  la 
première  fecoufl'e  à  la  Terre,  il  ne  peut  entrer  pour  cela  dans  les 
autres  jufques  à  ce  qu';7  ait  confommé  la  matière  qui  eft  entre-deux^ 
à  quoy  il  a  befoin  de  quelque  temps. 

80.  Quelle  eft  la  nature  du  feu. 

Mais  je  n'ay  point  encore  dit  en  quelle  façon  le  feu  le  peut 
éprendre  dans  les  concauitez  de  la  Terre,  à  caufe  qu'il  faut  fçauoir 
auparauant  quelle  eft  la  nature,  laquelle  je  tafcheray  maintenant 
d'expliqueri  Toutes  les  petites  parties  des  corps  terreftres,  de 
quelque  grolïeur  ou  figure" qu'elles  foient,  prennent  la  forme  du 
feu,  lors  qu'elles  font  feparées  l'vne  de  l'autre,  &  tellement  enuiron- 
uées  de  la  matière  du  premier  |  élément,  qu'elles  doiuent  fuiure  Ion  352 
cours.  Comme  aulfi  elles  prennent  la  forme  de  l'air,  lors  qu'elUs 

a.  Art.  4"2  et  44,  p.  224  et  225. 


244  Œuvres  de  Descartes. 

l'ont  enuironnées  ae  Li  WlIIutc  du  fécond  élément,  de  laquelle  elles 
Titlucnt  le  cours.  De  façon  que  la  première  &  la  principale  différence 
qui  ell  entre  l'oir  &  le  feu,  confiUe  en  ce  que  les  parties  du  feu  fe 
meuucnt  beaucoup  plus  vite  que  celles  de  l'air,  d'autant  que...  l'agi- 
tation du  premier  élément  ell  incomparablement  plus  grande  que 
celle  du  Tecond.  Mais  il  }'  a  encore  entr'eux  vne  autre  différence  fort 
remarquable,  qui  conlille  en  ce  que  ce  font  les  plus  groffes  parties 
des  corps  lerrc/lres,  qui  font  les  plus  propres  à  conferuer  ^'  nourrir 
le  Jeu,  au  lieu  que  ce  font  les  plus  petites  qui  retiennent  le  mieux  la 
forme  de  l'air...;  car  bien  que  les  plus  groffes,  comme  par  exemple 
celles  de  l'argent  vif,  la  puiffeni  auffi  receuoir,  lors  qu'elles  font  fort 
agitées  par  la  chaleur,  elles  la  perdent  par  après  d'elles-mefmes,  lors 
que,  celte  agitation  diminuant^  leur  pefanteur  les  fait  defcendre... 

81.  Comment  il  peut  cjlrc  produit. 

Or  les  parties  du  fécond  élément  occupent  tous  les  interualles 
autour  de  la  Terre  à-  dans  /es  pores,  qui  font  affez  grands  pour  les 
receuoir,  ^:  font  tel  tentent  entaj/ees  qu'elles  s'entre-touchent  &  fe  fou- 
liienneni  l'-me  l'autre,  en  forte  qu'on  n'en  peut  mouuoir  aucune  fans 
'io'i  îiiouuoir  auffi  fes  voifines  fi  ce  n'eff  peut  edre  qu'on  la  |  face  tourner 
Kir  l'on  centre;.  Ce  qui  eff  caufe  que,  bien  que  la  matière  du  premier 
clément  acliciec  de  remplir  tous  les  recoins  où  ces  parties  du  fécond 
ne  ptrunftu  eltrc,  tS:  qu'elle  s'y  mcuue  extrêmement  vite,  toutefois, 
pendani  qu'elle  n'y  occupe  j'oint  d'autres  plus  grands  efpaccs...,  elle 
ne  peut  auoir  la  force  d'emp(»iler  auec  loy  les  parties  des  corps 
tcrr'^nrt"-,  <L'-  leur  faire  Juiure  fon  cours,  ay  par  confequcnt  de  leur 
donner  la  lurme  du  feu,  pource  qu'elles  fe  fouUienneni  toutes  les 
vues  les  autres,  t^  font  loullenucs  p,ir  les  parties  du  fécond  élément 
qui  fout  autour  d'elles.  Mais  afin  qu'il  commence  ù  y  auoir  du  feu 
quelque  part,  il  eff  bcfoin  que  quelque  autre  force  chaMe  les  pat  lies 
du  fécond  élément  de  quelques  vns  des  interualles  qui  font  entre 
les  parties  des  corps  tcrrcllres,  afin  que,  ce  liant  de  le  loullenir  les 
vnes  les  autre*^,  il  y  en  ait  quelqu'vne  qui  fe  trouue  enuironnéc  tout 
autour  de  l«  feule  matière  du  premier  élément;  au  moyen  de  quoy 
elle  doit  luiure  fon  cours... 

cV:;.  Comment  il  cjl  confcruc. 

Pui^.  afin  v|ue  le  feu  ainfi  produit  ne  foit  pas  incontinent  effeint, 
il  f n  bffoin  que  ces  parties  tcrreffrcs  foient  allez  groffes  ^l  folides, 


Principes.  —  Quatriesme  Partie.  245 

&  aflez  propres  à  fe  mouuoir,  pour  auoir  la  force,  en  s'écartant  de 
tous  coftei  auec  rimpetuofité  qui  leur  elt  communiquée  par  le  pre- 
mier élément,  de  repouffer  les  parties  du  fécond,  qui  le  prelfentent  354 
fans  ceffe  pour  rentrer  en  la  place  du  feu,  d'où  elles  ont  ejié  chafféeSy 
&  ainfi  empefcher  que,  fe  joignant  derechef  les  vues  aux  autres..., 
elles  ne  l'efteignent. 

83'  Pourquoy  il  doit  touf-jours  auoir  quelque  corps  d  confumer, 
afin  defe  pouuoir  entretenir. 

Outre  cela,  ces  parties  terreftres,  en  repouffant  celles  du  fécond 
élément,  peuuent  bien  les  empefcher  de  rentrer  dans  le  lieu  oit  efl  le 
feu,  mais  elles  ne  peuuent  pas  eftre  empefchées  par  elles  de  paffer 
outre  pers  l'air,  où...  perdant  peu  à  peu  leur  agitation,  elles  ceffcnt 
d'auoir  la  forme  du  feu,  &  prennent  celle  de  la  fumée.  Ce  qui  eft 
caufe  que  le  feu  ne  peut  demeurer  long-temps  en  vn  mefme  lieu,  fi 
ce  n'eft  qu'il  y  ait  quelque  corps  qu'il  confume  fuccejffiuement  pour 
s'entretenir;  &  à  cet  effet,  il  eft  befoin,  premièrement,  que  les  parties 
de  ce  corps  foient  tellement  difpofées  qu'elles  en  puiffent  eftre  fepa- 
rées  l'vne  après  l'autre  par  l'a^lion  du  feu,  duquel  elles  prennent 
la  forme,  à  mcfure  que  celles  qui  l'ont  fe  changent  enfumée;  puis  auJIi, 
qu'elles  foient  en  affe\  grand  nombre  &  ajfe\  groffes  pour  auoir  la 
force  de  repouffer  les  parties  du  fécond  élément,  qui  tendent  àfuffo' 
quer  ce  feu:  ce  que  ne  pourroient  faire  celles  de  l'air  feul,  c'efi  pour^ 
quoj'  il  nefuffit  pas  pour  l'entretenir. 

84.  Comment  on  peut  allumer  du  feu  auec  vnfu\tl. 

Mais,  afin  que  cecy  puiffe  eftre  plus  parfaitement  entendu,  j'expli- 
queray  icy  les  diuers  |  moyens  par  lefquels  le  feu  a  couftume  d'eftre  355 
produit;  puis  auffi,  toutes  les  chofes  qui  feruent;  à  le  conferuer;& 
enfin,  quels  font  les  effets  qui  dépendent  de  fon  adion.  Le  plus  ordi- 
naire moyen  qu'on  employé  jpowr  auoir  du  feu,  quand  on  en  manquey 
eft  d'en  faire  fortir  d'vn  caillou,  en  le  frapant  auec  vn  fuylou  bien 
auec  vn  autre  caillou.  Et  je  croy  que  la  caufe  du  feu,  ainfi  produit, 
confifte  en  ce  que  les  cailloux  font...  durs  &  roides  [c'efl  à  dire  tels 
que,  fi  on  plie  tant  foit  peu  quelques  vues  de  leurs  parties,  elles  tendent 
à  fe  remettre  en  leur  première  figure,  tout  de  mefme  qu'vn  arc  qui  efi 
bandé),  &  qu'auec  cela  ils  font...  callans.  Car,  pource  qu'ils  font 
durs  &  roides,  on  fait,  en  les  frapant...,  que  plufieurs  de  leurs 
petites  parties  s'approchent  quelque  peu  les  mes  des  autres  fans  fe 


246  Œuvres  de  Descartes. 

joindre  entièrement  pour  cela,  &  que  les  interualles  qui  font  autour 
d'elles  deuiennent  fi  cllroits  que  les  parties  du  fécond  élément  en 
fortent  toutes,  de  façon  qu'ils  ne  demeurent  remplis  que  du  pre- 
mier; puis  derechef,  pou  rce  qu'ils  font  roides,fi  tojlque  le  coup  a  cejfé, 
leurs  parties  tendent  à  reprendre  leur  première  figure;  &  pource 
qu'ils  font  caflans...,  la  force  dont  elles  tendent  ainfi  à  retourner  en 
leurs  places,  fait  que  quelques-vnes  fe  feparent  entièrement  des 
356  autres,  au  mo3'en  de  quoy,  ne  fe  trouuant  enuironnées  que  |  de  la 
matière  du  premier  élément,  elles  fe  conuertiffent  en  feu.  Par 
exemple,  on  peut  penfer  que  les  petites  boules  qu'on  voit  entre  les 
parties  du  caillou  A%  reprefentent  le  fécond  élément  qui  eft  en  fes 
pores;  &  que,  lors  qu'il  eft  (vapéd'pn  fu!{il,  comme  on  voit  vers  B, 
toutes  ces  petites  boules  fortent  de  fes  pores,  lefquels  deuiennent  fi 
eftroits  qu'ils  ne  contiennent  que  le  premier  élément;  &  enfin, 
qu'après  le  coup  ces  parties  du  caillou,  eftant  rompues,  tombent  en 
pirouettant,  à  caufe  de  la  violente  agitation  du  premier  élément  qui 
les  enuironne,  &  ainfi  compofent  des  eftincelles  de  feu. 

85.  Comment  on  en  allume  aujfi  en  frotant  vn  boisfec. 

Si  on  frape  du  bois  en  mefme  façon,  tant  fec  qu'il  puiffe  eftre,  on 
n'en  fera  point  fortir  du  feu  pour  cela:  car  il  s'en  faut  touf-jours 
beaucoup  qu'il  ne  foit  aufli  dur  qu'vn  caillou;  &  les  premières  de  fes 
parties  qui  font  preffées  par  la  violence  du  coup,  fe  replient  fur 
celles  qui  les  fuiuent,  &  fe  joignent  à  elles  auant  que  ces  fécondes  fe 
replient  fur  les  troifiémes:  ce  qui  fait  que  \fts parties  du  fécond  élé- 
ment (qui  deuroient  fortir  de  plufieurs  de  leurs  interualles  en  mefme 
temps,  afin  que  le  premier  élément  qui  leur  fuccede  y  pût  agir  auec 
quelque  force)  n'en  fortent  que  fuccefÏÏuement,  des  premiers  en  pre- 
mier lieu,  après  des  féconds,  d-  ainf  de  fuite.  Mais,  fi  on  frotte  affez 
367  fort  ce  mefme  bois  pendant  |  quelque  temps,  le  branfle  que  cette 
agitation  donne  à  fes  parties...,  peut  fuffire  pour  chaffer  le  fécond 
élément  d'autour  d'elles,  &  faire  que  quelques-vnes  fe  dcftachent  des 
autres  :  au  moyen  de  quoy,  nefe  trouuant  enuironnées  que  du  premier 
élément,  elles  fe  conuertiffent  en  feu. 

86.  Comment  auec  vn  miroir  creux  ou  i>n  verre  conuexè. 

On  peut  aulTi  allumer  du  feu  par  le  moyen  d'vn  miroir  concaue, 
ou  d'vn  verre  conuexe,  en  faifant  que  plufieurs  rayons  du  Soleil) 

a.  Planche  XVII. 


Principes.  —  Quatriesme  Partie.  247 

tendant  vers  vn  mefme  po\ni,j'  joignent  leurs  forces.  Car,  encore 
que  ces  rayons  n'agiiïent  que  par  l'entrcmife...  du  fécond  clément, 
leur  action  ne  lailfe  pas  d'ellre  beaucoup  plus  prompte  que  celle  qui 
luy  eft  ordinaire;  &  elle  l'elt  alfez  pour  exciter  du  feu,  à  caufe  qu'elle 
vient...  du  premier  élément,  qui  compofe  le  corps  du  Soleil;  cite 
peut  aulTi  eftre  affez  forte,  lors  que  pkifieurs  rayons  fe  joignent 
enfemble,  pour  feparer  des  corps  terrejlres  quelques  rues  de  leurs 
parties,  &  leur  communiquer  la  vitelfe  du  premier  élément,  eu 
laquelle  conjijîe  la  forme  du  feu. 

8y.  Comment  la  feule  agitation  d'vn  corps  le  peut  embrafer. 

Car  enfin,  partout  où  fe  trouue  vne  telle  vitelTe  dans  les  parties 
des  corps  terrertres,  il  y  a  du  feu,  fans  qu'il  importe  qu'elle  *  en  foit 
la  caufe.  Et  comme  il  ejl  vray  que  ces  parties  terreftres  ne  peuuent 
eftre  enuironnées  de  la  feule  matière  du  premier  clément  fans  ac- 
quérir cette  vitelTe,  bien  qu'elles  n'en  eulTent  point  du  tout  aupa- 
rauani  :  |  en  mefme  façon  qu'vn  bateau  ne' peut  élire  au  milieu  d'vn  358 
torrent  fans  fuiure  fon  cours,  lors  qu'il  n'y  a  point  d'ancres  ny  de 
cordes  qui  le  retiennent  :  //  ejl  vray  auffi  que,  lors  qu'elles  acquerent 
cette  pitejje\  bien  qu'il  y  ait  plufieurs  parties  du  fécond  élément  qui 
les  touchent,  &  qu'elles  fe  touchent  aujfi  les  vues  les  autres,  elles 
cfiajfent  incontinent  d'autour  de  foy  tout  ce  qui  peut  empefcher  leur 
agitation,  en  forte  qu'il  n'y  demeure  que  le  premier  élément,  lequel 
fertà  l'entretenir.  Ainfi  tous  les  mouuemens  violens  fuffifent  pour 
produire  du  feu.  Et  cela  fait  voir  comment  la  foudre,  les  éclairs,  & 
les  tourbillons  de  vent/t?  peuuent  enfanter  :  pource  que,  fuiuant  ce 
qui  a  efté  dit  dans  les  Météores',  ils  font  caufe\  de  ce  que  Tair  qui 
eft  enfermé  entre  deux  nues  en  fort  auec  très-grande  vitelfe,  lors  que 
la  plus  haute  de  ces  nues  tombe  fur  la  plus  baffe. 

88.  Comment  le  mejlange  de  deux  corps  peut  aujji  faire 
qu'ils  s'embrafent. 

■  Toutefois  cette  vitelfe  n'eft  peut  eftre  jamaià  la  feule  caufe  des 
feux  qui  s'allument  dans  les  îiué's,  pource  qu'il  y  a  ordinairement 
des  exhalaifons  dedans  l'air  ^«i  leur  feruent  de  matière,  &  qui  font 

a.  Lire  quelle  ? 

b.  Note  MS.  (barrée)  :  «  Vide  latinum.  »  Autre  main  (de  Legrand  ?)  : 
«  Consultez  le  latin  qui  en  cet  endroit  est  fort  expressif.  » 

c.  Discours  VII,  p.  32 1  de  cette  édition,  l.  3. 


248  Œuvres  de  Descartes. 

de  telle  nature  qu'elles  s'embrafent  fort  aifément,  ou  du  moins 
elles  compofent  des  corps  qui  jettent  quelque  lumière,  encore 
qu'ils  ne  Je  con/u ment  pas.  Et  c'eft  de  ces  exhalaifons  que  fe  font  les 
359  feux  fojets  en  la  plus  \  bajfe  région  de  l'air,  &  les  éclairs  qu'on  voit 
quelquefois  fans  qu'il  tonne  en  la  moyenne,  &  en  la  plus  haute  les 
lumières  en  forme  rf'eftoiles,  qui  femblent  tomber  du  ciel  ou  y  courir 
d'vn  lieu  à  l'autre.  Car  les  exhalaifons,  ainfi  qu'il  a  efté  dit%  font 
composées  de  parties  fort  déliées  &  diuifées  en  plufieurs  branches, 
qui  fe  font  attachées  à  d'autres  parties  vn  peu  plus  groffes,  tirées 
des  fels  volatiles  &  des  fucs  aigres  &  corrojîfs.  Et  il  eft  à  remar- 
quer que  les  interualles  qui  font  entre  ces  branches  fort  déliées  font 
fi  petitSi..,  qu'ils  ne  font  ordinairement  remplis  que  de  la  matière 
du  premier  élément  :  ce  qui  eft.  caufe  que,  bien  que  les  parties  du 
fécond  occupent  tous  les  autres  plus  grands  interualles  qui  font 
entre  les  parties  des  fels,  ou  fucs,  reueftuës  de  ces  branches,  elles 
en  peuuent  facilement  eflre  chaffées,  lors  que,  ces  exhalaifons  efiant 
prejfées  de  diuers  cofie^,  quelques-vnes  des  parties  des  fucs  ou  fels 
volatiles  entrent  en  ces  plus  grands  interualles  des  autres^.  Car 
l'aâion  du  premier  élément,  qui  efl  entre  les  petites  branches  qui  les 
enuironnent,  leur  ayde  à  les  chaffer  :  &  par  ce  moyen  ces  parties 
des  exhalaifons  fe  changent  en  flame. 

8g.  Comment  s'allume  le  feu  de  la  foudre,  des  éclairs, 
&  des  Etoiles  qui  trauerfent. 

Et  la  caufe  qui  preffe  ainfi  les  ^yi\\di\d\{oTis  poitr  faire  qu'elles  s' en- 
flament,  quand  elles  compofent  la  foudre  ou  les  éclairs,  eft  éuidente, 
SM  I  pource  qu'elles  font  enfermées  entre  deux  nues,  dont  l'vne  tombe 
fur  l'autre.  Mais  celle  qui  leur  fait  compofer  les  lumières  en  forme 
d'Efloiles  qu'on  voit,  en  temps  calme  &  ferain,  courir  çà  &  là  par  le 
ciel,  n'efi  pas  du  tout  fi  manifejîe  :  neantmoins  on  peut  penfer  qu'elle 
confjîe  en  ce  que,  lors  qu'vne  exhalaifon  eft  defja  aucunement 
condenfée  &  arreftée  par  le  froid  en  quelque  lieu  de  l'air,  les  parties 
d'vne  autre,  qui  viennent  d'vn  lieu  plus  chaud  &  font  par  confe- 
quent  plus  agitées,  ou  feulement  qui,  à  caufe  de  leurs  figures,  conti- 
nuent plus  long  temps  à  fe  mouuoir,  ou  bien  aufli  qui  font  portées 
vers  elle  par  vn  peu  de  vent,  s'infinucnt  en  les  pores,  &  en  chaU'ent 
le  fécond  clément  :  au  moyen  de  quoy...,  fi  elles   peuuent  aufl] 

a.  Art.  76  et  jy,  p.  241  et  242. 

b.  Note  M  S.  (barrée):  «Vide  latinum.  »  Autre  note  (de  Legrand  ?)  : 
«  Consultez  le  latin  en  cet  endroit.  » 


Principes.  —  Quatriesme  Partie.  249 

déjoindre  fes  parties,  elles  en  compofent  vne  flame,  qui,  confumaitt 
promptemetit  celte  exhalai/ou,  ne  dure  que  fort  peu  de  temps,  &  lemble 
vne  Eftoile  qui  pade  d'vn  lieu  en  vn  autre. 

go.  Comment  s'allument  les  EJioiles  qui  tombent,  &  quelle  ejl  la  cauje 
de  tous  les  autres  tels  feux  qui  luifent  &  ne  brujlent  point. 

Au  lieu  que,  Ç\  les  parties  de  l'exhalaifon  font  fi  bien  jointes 
qu'elles  ne  puilfent  ainfi  élire  feparces  par  l'aâion  des  autres  exha- 
laifons  qui  s'infinueut  en  fes  pores,  elle  ne  s'embrafe  pas  tout  à  fait, 
mais  rend  Teulement  quelque  lumière  :  ainfi  que  font  aufli  quel- 
quefois les  bois  pourris,  les  poiHbns  falez,  les  gouttes  de  l'eau  de 
mer,  &  quantité  d'autres  corps.  Car  il  n'cft  befoin  d'autre  chofe, 
pour  produire  de  la  lumie|re,  finon  que  les  parties  du  fécond  ele-  361 
ment  foient  poufiees  par  la  matière  du  premier,  ainfi  qu'il  a  efté  dit 
cy-delfus  \  Kt  lors  que  quelque  corps  terrcftre...  a  plufieurs  pores  qui 
font  fi  eltroits  qu'ils  ne  peuuent  donner  paffage  qu'à  cette  matière 
du  premier  élément,  il  peut  arriuer  que,  bien  qu'elle  n'y  ait  pas 
affez  de  force  pour  détacher  les  parties  de  ce  corps  les  vnes  des 
autres,  £-par  ce  vioj-en  le  brujler,  elle  en  ait  neantmoins  affez"  pour 
poulfer  les  parties  du  fécond  élément,  qui  font  en  l'air  rf'alentour, 
&  ainli  caufer  quelque  lumière.  Or  on  peut  penfer  que  les  Eftoiles 
qui  tombent  ne  font  que  des  lumières  de  cette  forte;  car  on  trouue 
fouuent  fur  la  terre,  aux  lieux  où  elles  font  tombées,  vne  matière 
vifqueufe  &  gluante  qui  ne  bru/le  point.  Toutefois  on  peut  croire 
aufli  que  la  lumière  qui  paroill  en  elles,  ne  vient  pas  proprement 
de  cette  matière  vifqueufe,  mais  d'vnc  autre  plus  fubtile  qui  l'enui- 
ronne,  é'-  qui  ellant  cnflaméc  fe  confume  pour  l'ordinaire  auant 
qu'elle  parvienne  jufques  à  la  terre. 

/>/.  Quelle  ejl  la  lumière  de  l'eau  de  mer,  des  bois  pourris,  Se, 

Mais  pour  ce  qui  efl  de  l'eau  de  mer,  dont  j*ay  cy-deffus'  expliqué 
la  nature,  il  ell  aifé  à  juger  que  la  lumière  qui  paroi/i  autour  de  fes 
gouttes,  lors  quelles  font  agitées  par  quelque  tempelle...  ",  ne  vient 
que  de  ce  que  cette  agitation  fait  que,  pendant  que  celles  de  leurs 
parties  qui  l'ont  viol\les  <L'-  pliantes  demeurent  jointes  cnfemble,  les     362 

a.  Pariic  III,  art.  55  et  suiv.,  p.  i3o. 

1\  Voir  ci-aprcs,  art.  103. 

c.  An.  (J6,  p.  23^. 

li.  Voir  Mi'léiires,  J)iscours  III,  p.  253  de  ccitc  cdiiion,!.  21. 


250  Œuvres  de  Descartes. 

pointes  des  autres,  qui  font  roides  <S'  droites,  s'auancent,  ainfi  que 
des  petits  dards,  hors  de  leurs  fuperficies,  &  pouflent  auec  impe- 
tuolité  les  parties  du  fécond  élément  qu'elles  rencontrent.  le  croy 
aulli  que  les  bois  pourris,  les  pollfonsya/e^j,  &  autres  tels  corps,  ne 
luifent  point,  que  lors  qu'il  le  fait  en  eux  quelque  altération  qui 
reftrecit  tellement  pluiieurs  de  leurs  pores,  qu'ils  ne  peuuent  con- 
tenir que  de  la  matière  du  premier  élément"  :  foit  que  cette  altéra- 
tion vienne  de  ce  que  quelques-vnes  de  leurs  parties  s'approchent,  lors 
que  quelques  autres  s'éloignent,  comme  il  Jemble  arriuer  aux  bois 
pourris  ;  foit  de  ce  que  quelque  autre  corps  fe  mejle  auec  eux  ",  comme 
il  arriue  aux  poijjons  fale'{,  qui  ne  luifent  que  pendant  les  jours  que 
les  parties  du  fel  entrent  dans  leurs  pores. 

g2.  Quelle  ejt  la  caufe  des  feux  qui  brûlent  ou  efchaufent,  &  ne  luifent 
point  :  comme  lors  que  le  foin  s'échaufe  defoy-mejme. 

Et  lors  que  les  parties...  d'vn  corps...  s'infmuent  ainfi  entre 
celles  d'vn  autre...,  elles  ne  peuuent  pas  feulement  le  faire  luire  fayis 
l'échauffer,  en  la  façon  que  je  viens  d'expliquer,  mais  fouuent  aujji 
elles  l' échauffent  fans  le  faire  luire,  &  enfin  quelquefois  elles  l'em- 
brafent  tout  à  fait.  Comme  il  paroift  au  foin  qu'on  a  renfermé  auanti 
qu'il  full  {^c,  &  en  la  chaux  riue  fur  laquelle  on  verfe  de  l'eau,  & 
en  toutes  les  fermentations...  qu'on  voit  communément  en  la  Chy- 
363  mie...  Car  il  |  n'y  a  point  d'autre  raifon  qui  face  que  le  foin...  qu'on 
a  renfermé  auant  qu'il  fuft  fec,  s'échauffe  peu  à  peu  jufques  à  s'em- 
brafer,  fmon  que  les  lues  ou  efprits,  qui  ont  couftume  de  monter 
de  la  racine  des  herbes...  tout  le  long  de  leurs  xxgts  pour  leur  fer" 
iiir  de  nourriture,  n'eftant  pas  encore  tous  fortis  de  ces  herbes..., 
lors  qu'on  le  renferme,  continuent  par  après  leur  agitation,  &,  for- 
tant  des  vncs  de  ces  herbes,  entrent  dans  les  autres,  à  caufe  que,  le 
foin  ejiant  renfermé,  cesfucs  ne  fe  peuuent  éuaporer  ;  &  pource  que 
ces  herbes  commencent  h  fe  feicher,  ils  y  trouuent  plufieurs  pores 
vn  peu  plus  eltroiis  que  de  coujtume,  qui,  ne  les  pouuant  plus  rece- 
uoirauec...  le  fécond  élément,  les  reçoiuent  feulement  enuironnez 
du  premier,  lequel,  les  agitant  fort  promptement,  leur  donne  la 

a.  Note  MS.  (de  Legrund  ?)  :  «  Le  reste  de  cet  art.  n'est  point  dans  le 
»  latin,  et  a  été  ajouic  par  M""  Desc.  en  traduisant  ses  principes.  » 

b  Idem:  ••  Ce  <]u'il  dii  en  un  endroit  auoir  expérimente  luy  même. 
.<  Voyia  ses  paroles  :  J)um  in  uceano  germanico  nauigarem  &c.  >>  —  Et 
d'une  autre  niain  :  «  i'oui  le  reste  est  tcrii  dans  l'autre  liure.  »  (Sans 
doute  le  rr»ie  de  celle  citation  lafinc.^ 


Principes.  —  Quatriesme  Partie.  251 

forme  du  feu.  Penfons,  par  exemple,  que  l'efpace  qui  eft  entre  les 
corps  B  &  C%  reprefente  vn  des  pores  qui  font  dans  les  herbes 
encore  vertes,  &  que  les  petits  bouts  de  cordes  i ,  2,  3,  auec  les  petites 
boules  qui  les  enuironnent,  reprefentent  les  parties  des  fucs  ou 
efprits  enuironnées...  du  fécond  élément,  ainli  qu'elles  ont  couftume 
d'ertre  lors  qu'elles  coulent  le  long  de  ces  pores  ;  &  de  plus,  que 
l'efpace  qui  eft  entre  les  corps  D  &  E,  foit  l'vn  des  pores  d'vne  autre 
herbe  qui  commence  à  le  feicher,  ce  qui  eft  caufe  qu'il  eft  fi  eftroit 
que,  I  lors  que  les  mefmes  parties  des  fucs  i,  2,  3,  y  viennent,  elles  364 
n'y  peuuent  eftre  enuironnées  du  fécond  élément,  mais  feulement 
de  quelque  peu  du  premier.  Et  nous  verrons  éuidemment  que,  pen- 
dant que  les  fucs  ly  2,  S,  coulent  par  dedans  l'herbe  verte  d'-  humide 
BC,  ils  n'y  fuiuent  que  le  cours...  du  fécond  élément;  mais  que, 
lors  qu'ils  paffent  dans  l'herbe  feiche  DE,  ils  y  doiuent  fuiure  le 
cours  du  premier,  lequel  eft  beaucoup  plus  rapide.  Car,  encore  qu'il 
n'y  ait  que  fort  peu  du  premier  élément  autour  des  parties  de  ces" 
fucs,  c'eft  affez  qu'il  les  enuironne  en  telle  forte  qu'elles  ue  foient . 
aucunement  retenues  par  le  fécond,  ny  par  aucun  autre  corps  qui  les 
touche,  pour  faire  qu'il  ait  la  force  de  les  emporter  auec  foy  :  ainfi 
qu'vn  batteau  peut  eftre  emporté  par  le  cours  d'vn  ruifleau  qui  n'a 
juftement  qu'autant  de  largeur  qu'il  en  faut  pour  le  contenir,  auec 
quelque  peu  d'eau  tout  autour  qui  empefche  qu'il  ne  touche  à  la  terre, 
auiïi  bien  que  par  le  cours  d'vne  riuiere  également  rapide  &  beau- 
coup plus  large.  Or,  quand  ces  parties  des  fucs  fuiuent  ainjfi  le  cours 
du  premier  élément^  elles  ont  beaucoup  plus  de  force  à  poufler  les 
corps  qu'elles  rencontrent, que  n'auroit  pas  ce  premier  élément,  5*// 
ejioitfeul  :  comme  on  voit  aufli  qu'vn  bateau  qui  fuit  le  cours  d'vne 
riuiere, en  a  beaucoup  plus...  que  l'eau  de  cette  |  riuiere,  qui  toutefois 
ef  feule  la  caufe  de  fon  mouuement.  C'eft  pourquoy  ces  parties  des 
fucs  ainfi  agitées,  rencontrant  les  plus  dures  parties  du  foin,  les 
pouffent  auec  tant  d'impetuofité,  qu'elles  les  feparent  aifément  de 
leurs  voifines,  principalement  lors  qu'il  arriue  que  plufieurs  en 
poulTent  vne  feule  en  mefme  temps..,;  &  lors  qu'elles  en  feparent 
ainfi  alfez  grand  nombre  qui,  ejtant  proches  les  vues  des  autres,  fui- 
uent le  cours  du  premier  élément,  le  foin  s'embraie  tout  à  fait  ;  mais 
lors  qu'elles  71'en  meuuent  que  quelques  vnes,  qui  n'ont  pas  afei  d'ef- 
pace  autour  d'elles  pour  en  aller  choquer  d'autres,  elles  font  feule- 
ment que  ce  foin  dénient  chaut,  &  fe  corrompt  peu  à  peu  fans  s'em- 
brafer,  en  forte  qu'alors  il  y  a  en  liiy  vîie  efpece  de  feu  qui  eji  fans 
lumière. 

a.  Planche  XVII 1,  figure  i. 


365 


252  OEUVRES  DE  Descartes. 


g3.  PourgUoy,  lors  qu'on  jette  de  l'eau  fur  de  la  chaux  viue,  &  générale- 
ment, lors  que  deux  corps  de  diuerj'e  nature  font  mefle^  enfemble,  cela 
excite  en  eux  de  la  chaleur. 

En  mefme  façon  nous  pouuons  penler  que,  lors  qu'on  cuit  de  la 
chaux,  l'adion  du  feu  chaffe  quelques-imes  des  parties  du  troijiéme 
élément,  qui  font  dans  les  pierres  dont  elle  fe  fait  :  ce  qui  ejl  catife  que 
plufieurs  des  pores  qui  eitoient  en  ces  pierres  s'élargiflent  jufques  à 
telle  mefure,  qu'au  lieu  qu'ils  ne  pouuoient  auparauant  donner  paf- 
fage  qu'au  fécond  élément,  ils  peuuent  par  après,  lors  qu'elles  font 
couuerties  en  chaux,  le  donner  aux  parties  de  l'eau,  enuironnées  de 
366  quelque  peu  de  la  matière  du  premier  |  élément.  En  fuite  de  quoy  il 
ejf  éuidenl  que,  lors  qu'on  jette  de  l'eau  fur  cette  chaux,  les  parties  de 
cette  eau,  entrant  en  fes  pores,  en  chajfent  le  fécond  élément,  &  y 
demeurent  feules  auec  le  premier,  lequel,  augmentant  leur  agitation, 
échauffe  la  chaux.  Et  afin  que  j'acheue  en  peu  de  mots  tout  ce  que 
i'ay  à  dire  fur  ce  fujet,  je  croy  généralement,  de  tous  les  corps...  qui 
peuuent  cftre  échauÉTez  par  le  feul  meflange  de  quelque  liqueur, 
que  cela  vient  de  ce  que  ces  corps  ont  des  pores  de  telle  grandeur, 
que  les  parties  de  cette  liqueur  peuuent  entrer  dedans,  en  chaffer 
le  fécond  clément,  &  n'y  demeurer  enuirqnnées  que  du  premier. 
le  croy  aulli  que  c'eil  la  mefme  raifon  qui  fait  échauffer  diucrfes 
liqueurs,  lors  qu'on  les  melle  l'vne  auec  l'autre  :  car  touf-jours  l'vne 
de  ces  liqueurs  elt  compofée  de  parties  qui  ont  quelques  petites 
branches,  par  le  moyen  defquelles  fc  joignant  &  s'accrochant  quelque 
peu  les  vnes  aux  autres,  elles  font  l'office  d*vn  corps  dur.  Et  cecy 
peut  mefme  élire  entendu  des  exhalaifons,  fuiuant  ce  qui  a  tantoll 
cité  dit  \ 

1)4.  Comment  le  feu  peut  ejire  allumé  dans  les  concauitex,  de  la  Terre. 

Au  relie,  le  feu  peut  élire  allumé  en  toutes  les  façons  qui  vien- 
nent d'ellrc  expliquées,  non  feulement  fur  la  fuperficic  de  la  Terre, 
mais  aulli  dans  les  concauitez  qui  font  au  dejfous.  Car  il  peut  y  auoir 
i^'  des  cfprits...  qui,  le  glillant  entre  les  |  parties  des  exhalaifons...,  les 
cnllament  ;  &  il  y  a  des  pièces  **  de  rochers...  dcmy-ronipucs,  qui, 
filant  minces  peu  à  peu  par  le  cours  des  eaux  ou  par  d'autres 
cauics.  peuuent  tomber  tout  ù  coup  du  haut  de  ces  concauitez,  & 

il.  An.  K<j,  p.  248. 

b.  Lire  :  pierres  ?  comme  quuirc  lignes  après  :  d'autres  pierres. 


Principes.  —  Ouatriesme  Partie.  25 j 

par  ce  moyen  faire  du  feu  :  foit  à  caufe  qu'en  tombant  elles  frapent 
d'autres  pierres,  ainji  qu'vn  fu\il;  foit  aufli  à  caufe  que,  lors  qu'eiies 
fout  grandes,  elles  chalfent  l'air  qui  eft  fous  elles  auec  fort  grande 
violence,  aiujt  qu'efi  chaffé  celuy  qui  ejl  entre  deux  nues,  lors  que  l'vne 
tombe  fur  l'autre^... 

g5.  De  lafat^on  que  brujle  vn  flambeau. 

Or,  après  que  le  feu  s'eft  épris  en  quelque  corps,  il  paffe  facile- 
ment de  là  dans  les  autres  voifms,  lors  qu'ils  font  propres  à  le  rece- 
uoir.  Car  les  parties  du  premier  corps  qui  efl  enflamé,  eftanl  fort 
violemment  agitées  par  le  feu,  rencontrent  celles  des  autres  qui  font 
proches  de  luy,  &  leur  communiquent  leur  agitation...  Mais  cecy 
n'appartient  pas  tant  à  la  façon  dont  le  feu  eH  produit,  qu'à  celle 
dont  il  e(l  conferué,  laquelle  je  doy  maintenant  expliquer.  Confide- 
rons,  par  exemple  %  le  flambeau  À  B,  qui  ell  allumé,  &  penfons  qu'il 
y  a  plufieurs  petites  parties  de  la  cire  ou  autre  matière  grajje  ou 
huileufe  dont  il  ell  compofé,  comme  aufli  plufieurs...  du  fécond 
élément,  qui  fc  meuuent  fort  vite  en  tout  l'efpace  CDE,  où  elles 
compufent  la  flame,  à  caufe  qu'elles  y  fuiuent  le  cours  du  premier 
clément..,,  &  que,  |  bien  qu'elles  fe  rencontrent  fouuent  &  s'entrc- 
pouH'cnt,  elles  ne  fe  touchent  pas  toutefois  de  tant  de  coiïez, qu'elles 
fe  puijj'ent  ar refier  fpue  Vautre,  &  s'empefcher  d'eflre  emportées 
par  lu/. 

g6,  C0  que  c'eft  qui  conferué  fa  flame. 

Pènfons  aujji  que  la  matière  du  premier  élément,  qui  efl  en  grande 
quantité  auec  les  parties  du  fécond  &  auec  celles  de  la  cire  en  cette 
flame,  tend  touf-jours  à  en  ioxùï,  pource  quelle  ne  peut  continuer 
/on  mouucment  eu  ligne  droite,  qu'en  s'éloignant  du  lieu  où  elle  eft  ; 
^c  qu'elle  tend  mcfme  à  en  fortir  en  montant  plus  haut,  &  s'éloi- 
gnant du  centre  de  la  Terre,  à  caufe  que,  fuiuant  ce  qui  a  efté  dit 
cy-dcll'us%  clic  cil  légère,  non  feulement  à  compara  if  on...  des  parties 
de  l'air  d'alentour,  mais  auJJi  à  comparaifon  de  celles  du  fécond  clc- 
nicnt  qui  font  en  fcs  pores.  C'ell  pourquoy  ces  parties...  de  l'air  c^c 
du   fécond  clément  tendent  aufli  à  dcfccndre  en  fa  place,  laquelle 

a.  Dans  le  texte  latin,  l'art.  94  continue  et  s'achève  par  les  phrases  sui- 
vantes, rattachées  ici  à  l'art.  95  :  Or  après  que. . .  expliquer. 

b.  Planche  XVIIl,  figure  2. 

c.  Art.  33  et  35,  p.  311  et  3i3. 

• 


2  54  OEuvRES  DE  Descartes. 

elles  occuperaient  incontinent,  &  ainfi  fuffoqueroicnt  cette  flainc,  fi 
elle  n'eftoit  compofée  que  du  premier;  mais  les  parties...  4^e  là 
cire  qui  commencent  à  fuiure  fon  cours,  dés  lors  qu'elles  Ibrtent 
de  la  mèche  FG...%  vont  rencontrer  ces  parties  de  l'air  &  du  fécond 
élément,  qui  font  difpofées  à  defcendre  en  la  place  de  la  flame,  &  les 
repouffent  auec  plus  de  force,  que  ce  premier  élément  feul  ne  pour- 
389     roit  faire  :  au  j  moyen  de  quoy  cette  flame  fe  conferue. 

gj.  Pourquoy  elle  monte  en  pointe.  Et  d'où,  vient  la  fumée. 

Et  pource  que  ces  parties  de  la  cire  fuiuent  le  cours  du  premier 
élément,  elles  tendent  principalement  à  monter  en  haut,  ce  qui  eft 
caufe  de  la  figure  pointue  de  la  flame.  Mais  pource  qu'elles  ont 
plus  de  force  que  les  parties  de  l'air  d'alentour...,  tant  à  caufe 
qu'elles  font  plus  g-roffes,  qu'à  caufe  qu'elles  fe  meuucnt  plus  vite, 
bien  qu'elles  empefchent  cet  air  de  defcendre  vers  la  flame,  elles  ne 
peuuent  pas  eftre  empefchées  par  luy  en  niefme  façon  de  monter 
plus  haut  vers  H  ^  où,  perdant  peu  à  peu  leur  agitation,  elles  fe 
changent  en  fumée. 

g8.  Comment  fair  &  les  autres  corps  nourriffent  la  flame. 

Et  cette  fumée  ne  trouueroit  aucune  place  où  fe  mettre,  hors  de  la 
flame,  à  caufe  qu'il  n'y  a  point  de  vuide,  fi,  à  mefme  temps  qu'elle 
entre  dans  l'air,  vne  pareille  quantité  de  cet  air  ne  prenoit  fon  cours 
circulairement  vers  le  lieu  qu'elle  quitte.  C'eft  pourquoy,  lors  qu'elle 
monte  vers  H,  elle  en  chaffc  de  l'air  qui  defcend  par  I  &  K  vers  B, 
où  rafant  le  haut  du  flambeau  B  &  le  bas  de  la  mèche  F,  il  coule  de 
là  dans  la  flame,  &  fert  de  matière  pour  l'entretenir.  Toutefois,  à 
caufe  que  ces  parties  font  fort  déliées,  elles  ne  pourroient  fuflire  à 
cela  toutes  feules  ;  mais  elles  font  aufli  monter  auec  foy,  par  les  pores 
de  la  mèche,  des  parcelles  de  cire,  à  qui  la  chaleur  du  feu  a  def-ja 
Î70  donné  quelque  agitation  :  ce  qui  fait  que  |  la  flame  fe  conferue  en 
changeant  continuellement  de  matière,  &  en  ne  demeurant  jamais 
deux  momcns  de  fuite  la  mefme,  que  comme  fait  vne  riuiere  en 
laquelle  il  afluë  incclfamment  de  nouuelles  eaux. 

a.  Planche  XVIII,  figure  2. 

b.  Ibidem, 


Principes.  —  Quatriesme  Partie.  255 

gg.  Que  l'air  reuient  circulairement  vers  le  feu  en  la  place  de  la  fumée. 

Et  ce  mouuement  circulaire  de  l'air. . .  vers  la  flame  peut  aifé- 
ment  eftre  connu  par  expérience  :  car,  lors  qu'il  y  a  vn  allez  grand 
feu  dans  vne  chambre,  où  toutes  les  portes  &  fenejires  font  bien  fer- 
mées, &  où,  excepté  le  tuyau  de  la  cheminée  par  où  la  fumée  fort, 
il  n'y  a  rien  d'ouuert  que  quelque  vitre  cajfée,  ou  quelque  autre  trou 
alTez  eftroit,  Jî  on  met  la  main  auprès  de  ce  trou,  Ton  fent  manifefte- 
ment  It  vent  que  fait  l'air  en  venant  par  là  vers  le  feu  en  la  place  de 
la  fumée*. . . 


100.  Comment  les  liqueurs  ejîeignent  le  feu,  &  d'où  vient  qu'il  y  a 
des  corps  qui  brujlent  dans  l'eau. 

Ainfi  on  peut  voir  qu'il  y  a  touf-jours  deux  chofes  requifes  pour 
faire  que  le  feu  ne  s'efteigne  point.  La  première  eil,  qu'il  y  ait  en 
luy  des  parcelles  du  troijiéme  élément,  qui,  eftant  meuës  par  le  pre- 
mier, ayent  affez  de  force  pour  repoufler  le  fécond  élément  auec  l'air 
ou  les  autres  liqueurs  qui  font  au  deffus  de  luy,  &  empefcher 
qu'elles  ne  le  futfoquent.  le  ne  parle  icy  que  des  liqueurs  qui  font 
au  deffus,  à  caufe  que,  n'y  ayant  que  leur  pefanteur  qui  les  face 
aller  vers  luy,  celles  qui  font  au  deffous  n'y  vont  jamais  en  cette 
façon  pour  l'eiteindre  ;  &  ellesy  vont  feulement,  lors  qu'elles  j' font 
attirées  pour  |  le  nourrir  :  comme  on  voit  que  la  mefme  liqueur  qui  371 
fert  à  entretenir  la  flame  d'vn  flambeau  quaîid  il  e/t  droit,  le  peut 
efteindre  quand  il  efl  renuerfé.  Et  au  contraire,  on  peut  faire  des 
feux  qui  bruflenl  fous  Veau,  à  caufe  qu'ils  contiennent  des  parcelles 
du  troifiéme  élément,  Ci  fol  ides,  fi  agitées,  &  en  û  grand  nombre, 
qu'elles  ont  la" force  de  repouiTer  l'eau  de  tous  coftez,  &  ainfi  l'em- 
pefcher  d'efteindre  le  feu, 

10 1.  Quelles  matières  font  propres  à  le  nourrir. 

L'autre  chofe  qui  eft  requife  pour  la  durée  du  feu,  eft  qu'il  y  ait 
auprès  de  luy  quelque  corps,  qui  luy  fournifle  touf-jours  de  la 
matière  pour  fucceder  à  la  fumée  qui  en  fort.  Et  à  cet  effet,  il  faut 
que  ce  corps  ait  en  foy  plufieurs  parties  afl'ez  déliées,  à  raifon  du  feu 
qu'il  doit  entretenir,  &  qui  foient  jointes  entr'elles,  ou  à  d'autres 

a.  Voir  Correspondance,  t.  III,  p.  bSj. 


2  {6  Œuvres  de  Descartes. 

plus  grofles,  en  telle  forte  que  les  parties  qui  font  def-ja  embrafées 
puiffent  les  feparer  de  ce  corps,  &  auffi  des  parties  du  fécond  élé- 
ment qui  font  proches  d'elles,  afin  de  leur  donner  par  ce  moyen  la 
forme  du  feu. 


102.  Pourquqy  laflame  de  l'eau  de  vie  ne  bru/le  point  vn  linge  moUiilé 

de  cette  me/me  eau. 

le  dis  qu'il  faut  que  ce  corps  ait  en  foy  des  parties  affez  déliées,  à 
comparaifon  du  feu  qu'elles  doiuent  entretenir,  pource  qu'elles  né 
pourvoient j^ feruir,  Ji elles  ejloient  Jî groffes  quelles  ne  pûjfent ejlre 
meuës  &  feparées  par  les  parties  du  troijtéme  élément  qui  compo/ent 

372  ce  feu,  &  qui  ont  d'autant  moins  de  force  \  qu  elles  font  plus  déliées 
Comme  on  voit,  ayant  mis  le  feu  en  de  l'eau  de  vie  dont  vn  linge  ell 
mouillé,  que  ce  linge. . .  n'en  peut  eftre  bruflé,  ny  par  confequent 
nourrir  ce  feu  :  dont  la  raifon  eft  que  les  parties  de  la  flame  qui 
vient  de  l'eau  de  pie,  font  trop  déliées  ^  trop  faibles  pour  moui^.ojr 
celles  du  linge  ainfi  moUillé. 

to3.  D'où  vient  que  l'eau  de  vie  brujle  facilement. 

l'adjoujle  quelles  doiuent  eflre  jointes  en  telle  forte,  que  le  feu  les 
puijje  feparer  les  vues  des  autres,  &  aujft  des  parties  du  fécond  ele- 
ment  qui  font  proches  d'elles.  Et  afin  quelles  puiffent  ejïre feparées 
les  vnes  des  autres,  ou  bien  elles  doiuent  efire  fi  petites  &  fi  peu 
jointes  enfemble,  qu'encore  que  lafiame  ne  touche  que  lafuperficie  du 
corps  qu'elles  compofent,  fon  aâion  fuffifc  pour  les  tirer  de  cette 
fnperficie  l'vne  après  l'autre  :  &  c'efi  ainfi  que  brufie  l'eau  de  vie;  mais 
le  linge  efi  compofé  de  parties  trop  groffes  &  trop  bien  jointes  pour 
efire  feparées  en  mefme  façon.  Ou  bien  il  doity  auoir  plufieurs  pores 
en  ce  corps,  qui  foient  affe^  grands  pour  receuoir  les  parties  de  la 
fiame,  afin  que  les  parties  .de  la  fiame,  coulant  autour  des  fiennes, 
ayent  plus  de  force  à  les  feparer  :  &  pource  qu'il  y  a  quantité  de  tels 
pores  dans  le  linge,  de  là  vient  qu'il  peut  aifement  efire  brufié,  mefme 
par  lafiame  de  l'eau  de  vie,  lors  qu'il  n'efi  point  du  tout  mouillé;  mais 

373  lors  qu'il  efi  moïiillé,  en\core  que  ce  ne  foi  t  que  d'eau  de  vie,  les  parties 
de  cette  eau  qui  ne  Joui  point  enfiamées  rempliffent  f es  pores,  &  ainfi 
empefchent  celles  de  la  Jlame,  qui  efi  au  deffus,  d'y  entrer.  De  plus, 
afin  que  les  parties  du  corps,  qui  fert  à  entretenir  le  feu,  puiffent  efire 
feparées  du  fécond  élément  qui  les  enuironne,  ou  bien  elles  doiuent 
efire  affe:{  fermement  Jointes  les  vnes  au.x  autres,  eu  forte  ^ue  les  par- 


Principes.  Oiatriesme  Partie.  i]~ 

lii's  du  JWoihi  elemoit,  rcfi/laiit  moins  iju'clles  à  la  Jhwie,  en /oient 
chqll'ees  les  premières,  <L'-  celle  condition  Je  troune  en  hnts  les  corps 
durs  qui  peuuenl  britjler  ;  ou  bien,  fi  les  p.irties  du  corps  qui  brufle 
font  Ji  petites  à'-  Ji  peu  jointes  enfemble,  qu'encore  que  la  Jlame  ne 
tiUiche  que  la  J'uperficie  de  ce  corps,  elle  ait  la  force  de  les  feparer,  il 
ell  bclbin  qu'elles  ■.ycnt  plulicurs  petites  Inanches  li  déliées  &  li 
proches  les  vnes  des  autres,  qu'il  n'y  ait  que  le  feul  premier  clément 
qui  puille  remplir  les  petits  interualles  qui  l'ont  autour  d'elles.  Kl 
pource  que  l'c.'.u  de  vie  brulle  fort  airémcnt.  il  ell  à  croire  que  Tes 
parties  ont  de  telles  branches,  mais  qui  l'ont  fort  courtes,  à  caufe 
que,  y/  elles  e/loienl  ru  peu  longues,  elles  <''■  licroicnt  les  vnes  aux 
autres,  ^:  ainfi  compoferoient  de  l'huile... 


104,  D'où  vient  que  l'eau  commune  ejleint  le  feu. 

l/oau  commune  efl  en  cela  fort  différente  de  l'eau  de  vie  ;  car  elle 
e/l  plus  propre  à  e/lein\dre  le  feu  quà  l'entretenir.  Dont  la  raifon  e/t  374 
que  les  parties  font  alfez  grollcs,  &  auec  cela  li  glillantes,  vnics  ^: 
pliantes,  que  non  feulement  les  parties  du  fécond  clément,  qui  fe 
joignent  à  elles  de  tous  colle/,  n'y  laijfent  que  fort  peu  de  place  pour 
le  premier  ;  mais  aulVi  elles  entrent  facilement  dans  les  pores  des 
corps  v|ui  bruflent,  ^s:  en  chaffiint  les  parties  qui  ont  def-ja  l'agitation 
du  feu,  cmpefcheni  que  les  autres  ne  s'embraient. 

/  0  V  D'oit  vient  qu'elle  peut  aujft  quelquefois  l'augmenter, 
&  que  tous  les  fels  fnit  le jemblable. 

Toutefois  cela  dépend  de  la  proportion  qui  efl  entre  la  grojfeur  de 
fes  parties  é'-  A?  violence  du  feu,  ou  la  grandeur  des  pores  du  corps 
qui  brufle.  Car,  comme  il  a  def-Ja  e/lé  dit  '  de  la  chaux  viue,  qu'elle 
s'cfchaujfr  auec  de  l'eau  froide,  ai n/i  il  y  a  vue  efpece  de  charbon  qui 
en  doit  élire  arrolé  lors  qu'il  brujle,:\\\v\  que  fa  flamme*' en  Ibit  plus 
viur.  Va  luus  les  feux  qui  font  fort  ardcns.Ie  deuiennent  encore  plus, 
lors  qu'on  jette  dcifus  quelque  peu  d'eau.  Mais,  fi  on  y  jette  du  Ici, 
\K\\r  ardeur  fera  cncr)re  plus  auj^iricntée  que  par  l'eau  douce:  à  caufe 
que  les  parties  du  fel,  cllant  longues  iS:  roides,  ^:  s'clançant  de 
pointe,  comme  des  tîeches,  ont  beaucoup  de  force,  lors  qu'elles  Ibnt 
enflammées...,  pour  efbranlcr  les  parties...    des  corpsqu'elles  ren- 

Ci.    A:t.  o3.  p.    2>2. 

b    Sic,  cxccpu<Mincllcini.*m.  mec  Jeux  m  (t«tmnic  aussi  p.  2Sft  «i  ijg). 
QiuvifKs    l\  .  33 


2)8  OEuvREs  DE  Descartes. 

contrent.  Et  c'eft  pour  cette  raifon  qu'on  a  couftume  de  mefler  cer- 
^75     tains  fels  parmy  les  j  métaux,  pour  les  fondre  plus  aifément. 

loG.  Quels  corps  font  les  plus  propres  d  entretenir  le  feu. 

Pour  ce  qui  elt  du  bois  &  des  autres  corps  durs  dont  on  peut 
entretenir  le  feu,  ils  doiuent  eflre  compofez  de  diuerfes  parties, 
quelques-vnes  defquelles  foient  afîez  petites,  les  autres  vn  peu  plus 
groffes,  &  qu'il  y  en  ait  ainfi  par  dcgrez  jufques  à  celles  qui  font  les 
plus  grojfes  de  toutes.  Et  il  y  en  doit  auoir  dont  les  figures  foient 
ajfe\  irregulieres,  &  comme  diuifées  en  plufieurs  branches,  en  forte 
qu'il  y  ait  parmy  elles  d'aflez  grands  pores,  afin  que  les  parties  du 
troijtéme  élément  qui  font  enflammées,  entrant  en  ces  pores,  puifTent 
premièrement  agiter...  les  plus  petites,  puis  par  leur  moyen  les 
médiocres,  &  par  le  moyen  de  celles-cy  les  plus  groffes  ;  &  en  mefme 
tQmps  chaiïtr  le  fecoïid  élément,  premièrement  des  plus  petits  pores, 
puis  auffi  de  tous  les  autres,  &  enf\n  emporter  auec  foy  toutes  le? 
parties  de  ce  corps,  excepté  les  plus  groffes  qui  demeurent  &  compo- 
fent  les  cendres. 

loy.  Pourquoy  il  y  a  des  corps  qui  s'enflament  &  d'autres  que  le  feu 
confomme  fans  les  enflamer. 

Et  lors  que  les  parties  qui  fortent  en  vn  mefme  temps  du  corps 
qui  brufle,  font  en  alîez  grand  nombre  pour  auoir  la  force  de  chaffer 
les  parties  du  fécond  élément,  qui  font  en  quelque  endroit  de  l'air 
proche  de  ce  corps,  elles  rempliffent  tout  cet  endroit  de  flame;  mais 
376  fi  elles  font  en  trop  petit  nombre,  ce  corps  brufjle  fans  s'enflammer  ; 
&  s'il  efl  compofê  de  parties  fi  égales  &  tellement  dijpofées,  que  les 
premières  qui  s'embrafent  ayent  la  force  d'embrafer  leurs  voifines  en 
fe gliffant  pàrmy  elles,  le  feufe  conferue  en  ce  coîys  jufques  à  ce  qu'il 
l'ail  confumé:  comme  on  voit  arriuer..".  aux  mèches  dont  fe  feruent 
les  Soldats  pour  leurs  moufquets. 

io8.  Comment  lefeufe  conferue  dans  le  charbon. 

Mais  fi  les  parties  de  ce  corps  ne  font  point  ainfi  difpofées,  le  feu  ne 
s'y  conferue  qu'en  tant  que  les  plus  fubtiles, qui  font  def-ja  embrafécs, 
fe  trouuant  engagées  entre  plujieurs  autres  plus  groffes,  qui  ne  le 
font  pas,  ont  bcfoin  de  quelque  temps...  pour  s'en  dégager.  Ce  qu'on 
expérimente  aux  charbons...  qui,  cilans  couuerts  de  cendres,  con- 


Principes.   —  Quatriesme  Partie.  2^9 

fcruent  leur  feu  pendant  quelques  heures,  par  cela  feul  que  ce  feu 
confille  en  l'agitation  de  certaines  parties  du  Iroificme  dément  afl'ez 
petites,  qui  ont  plufieurs  branches,  &  qui,  fe  trouuant  engagées 
entre  d'autres  plus  groffes,  n'en  peuuent  fortir  que  l'vne  après 
l'autre,  nonobflant  qu'elles  foient  fort  agitées,  &.  qui  peut  eftre  aufli 
ont  befoin  de  quelque  temps  pour  eûre  diminuées  ou  diuifées  peu 
à  peu  par  la  force  de  leur  agitation,  auant  qu'elles  puilfent  fortir  des 
lieux  où  elles  font. 

log.  De  la  poudre  à  canon,  qui  fe  fait  de  foulfre,  de  falpettre 
&  de  charbon.  Et  premièrement  du  foulfre. 

Mais  il  n'y  a  rien  qui  prenne  fi  toft  feu,  &.  |  qui  le  retienne  moins  377 
long  temps,  que  fait  la  poudre  à  canon.  De  quoj'  ou  peut  voir  claire- 
ment la  caufe,  eu  conjiderant  la  nature  du  foulfre,  du  falpetre  &  du 
charbon,  qui  font  les  feuls  ingrediens  dont  on  la  compofe.  Car, 
premièrement,  le  foulfre  c-ft  de  foy  melmc  extrêmement  prompt  à 
s'enHammer,  d'autant  qu'il  eft  compofé  des  parcelles  des  fucs  aigres 
ou  corrofifs,  enuironnées  de  la  matière  huileufe,  qui  fe  trouuc  auec 
eux  dans  les  mincsy  £"•  qui  efl  diuifée  en  petites  branches  fi  délices 
&  fi  proches  les  vnes  des  autres,  qu'il  n'y  a  que  le  premier  élément 
qui  puifl'e  pafl'er  parmy  elles.  Ce  qui  fait  aulîi  que,  pour  rvfagc'  de 
la  Médecine,  on  eftimc  le  foulfre  fort  chaud. 

no.  Du  falpetre. 

Puis,  pour  ce  qui  eft  du  falpetre,  il  eft  compofé  de  parties  qui 
font  toutes  longues  &  roidcs,  ainfi  que  celles  du  fel  commun,  dont 
elles  différent  feulement  en  cela  qu'vn  de  leurs  bouts  eft  plus  menu 
&  plus  pointu  que  l'autre,  au  lieu  que  les  deux  bouts  des  parties  du 
fel  commun  font  égaux  entr'eux.  Ce  qu'on  peut  connoitlre  par  expé- 
rience, en  faifant  dilfoudre  ces  deux  fels  on  de  l'eau  :  car,  à  mefure 
que  cette  eau  s'éuapore,  les  parties  du  fel  con^inuin  demeurent  cou- 
chées fur  fa  luperticie,  où  elles  compofent  des  petits  quarrez,  ain/i 
que  fay  expliqué  dans  les  Météores  '  ;  mais  les  parties  du  falpetre 
defcenjdent  au  fonds,  ou  s'attachent  aux  coftez  du  vuilfeau,  &  mon-  rJ8 
firent  par  là  que  l'vn  de  leurs  bouts  ejl  plus  gros  ou  plus  pefvit  que 
l'autre. 

a.  Diseours  III,  p;  256  de  cette  édition,  1.  27. 


lôo  OEuvRES  DE  Descartes. 


III.  Du  mejlange  de  ces  deux  enjemble. 

Et...  il  faut  remarquer  qu'il  y  a  telle  proportion  entre  les  parties 
du  falpetre  &  celles  du  foulfre  que,  bien  que  celles-cy  foient  plus 
petites  ou  moins  maffiucs  que  les  autres,  toutefois,  ejîant  enjlamées, 
elles  ont  la  force  de  chalfer  fort  vite  tout  ce  qu'il  y  a  du  fécond 
élément  entr'elles  d'-  ces  autres,  &  par  me/me  moyen,  défaire  que  le 
premier  élément  les  agite. 

112.  Quel  eji  le  mouuement  des  parties  du  falpetre. 

Il  faut  auflî  remarquer  que  c'eft  principalement  le  bout  le  plus 
pointu  de  chacune  de  ces  parties  du  falpetre,  qui  le  mtut  pendant 
qu'elles  font  ainfi  agitées,  &  qu'il  décrit  vri  cercle  en  tournoyant;  au 
lieu  que  fon  autre  bout,  qui  eft  plus  gros  &  plus  pefant,  fe  tient  en 
bas  vers  le  centre  de  ce  cercle:  en  forte  que,  par  exemple",  fi  B  eft 
vne  parcelle  du  falpetre  qui  n'efi  point  encore  agitée,  C  la  reprefente 
lors  qu'elle  commence  à  s'agiter,  &  que  le  cercle  qu'elle  décrit  n'eft 
pas  encore  fort  grand;  mais  il  s'augmente  incontinent  après...  & 
dénient  aujfi  grand  qu'il  peut  efire,  comme  on  voit  vers  D.  Et  ce- 
pendant les  parties  du  foulfre,  ^M/;;t;  lournoyent pas  en  mefme  façon, 
palfent  plus  loin  en  ligne  droite  vers  les  autres  parties  du  falpetre, 
379  qu'elles  enjlament  en  mefme  façon,  en  chaj/ant  le  fécond  \  élément 
d'autour  délies. 


Il  3.  Pourquojr  la  famé  de  la  poudre  fe  dilate  beaucoup  ; 
ô  pourquojr  fon  aâion  tend  en  haut. 

Ce  qui  fait  def-ja  voir  la  caufe  pourquoy  la  poudre  à  canon  fe 
dilate  beaucoup,  lors  qu'elle  s'enflame...,  &  aufti  pourquoy  fon 
effort  tend  en  haut...:  en  forte  que, lors  qu'elle  eft...  bien  fine,  on  la 
peut  faire  brufter  dans  le  creux  de  la  main,  fans  en  receuoir  aucun 
mal.  Car  chacune  des  parties  du  falpetre  chaffe  toutes  les  autres  du 
cercle  qu'elle  décrit,  €■  elles  s'entrechaffent  ainfi  auec  gi-ande  force,  à 
caufe  qu'elles  font  dures  &  roides ;  mais,  pource  que  ce  ne  font  que 
leurs  pointes  qui  dccriuent  ces  cercles,  &  qu'elles  tendent  touf- 
jours  vers  en  haut,  de  là  vient  que,f  leur  famé  fe  peut  efîendre 
librement  vers  là,  elle  ne  brufle  aucunement  ce  qui  efl  fous  elle. 

a.  Planche  XVIII,  tigurc  3. 


Principes.  —  Quatriesme  Partie.  261 


/ 14.  Quelle  eft  la  nature  du  charbon. 

Au  refte,  on  mefle  du  charbon  auec  le  falpetre  &  le  foulfre,  &  de 
ces  trois  chofes  enfemble,  humedées  de  quelque  liqueur,  afn 
qu'elles  fe  puijfent  mieux  joindre,  on  compole  des  petites  boules  ou 
petits  grains,  qui,  eftant  parfaitement  feichez,  en  forte  qu'il  n'j  rejîe 
rien  de  la  liqueur,  font  la  poudre.  Et  en  confderant  que  le  charbon  efi 
ordinairement  fait  de  bois,  duquel  on  a  efieint  le  feu  auant  qu'il  fufî 
entièrement  bruflé,  on  voit  qu'il  doit  y  auoir  en  luy  plufieurs  pores 
qui  font  fort  grands  :  premièrement,  à  caufe  qu'il  y  en  a  eu  beau- 
coup I  dans  le  bois  ou  autre  matière  dont  il  eft  fait  ;  puis  auflî,  à  380 
caufe  qu'il  eft  forty  beaucoup  de  parties  terrefires,  hors  de  ce  bois 
pendant  qu'/7  a  bruflé,  lefquel les  fe  font  changées  en  fumée.  On  voit 
aufli  qu'il  n'eft  compofé  que  de  deux  fortes  de  parties  :  dont  les  vnes 
font  fi  groffes,  qu'elles  ne  fçauroient  efîre  conuerties  enfumée  par 
Vaâion  du  feu,  mais  feroient  demeurées  pour  les  cendres,^  le  char-  < 
bon  auoit  acheué  de  brufler  ;  &  les  autres  font  plus  petites,  àfçauoir 
celles  qui  en  feroient  for  lies.  Et  celles-cy,  ayant  def-ja  efté  efbranlées 
par  l'aftion  du  feu,  font  déliées,  d-  molles,  &  aifées  à  embrafer  dere- 
chef; &  auec  cela  elles  ont  des  figures...  affez  embaraflantes,  en  forte 
qu'elles  ne  fe  dégagent  pas  aifément  des  lieux  où  elles  font  :  comme 
il  paroift  de  ce  que,  beaucoup  d'autres  en  eftant  def-ja  forties  & 
changées  en  fumée,  elles  y  font  demeurées  les  dernières. 

Il 5.  Pourquoy  on  graine  la  poudre;  &  en  quoy  principalement 
confie  fa  force . 

Ainfi  les  parcelles  du  falpetre  &  du  foulfre  entrent  aifément  dans 
les  pores  du  charbon,  pource  qu'ils  font  grands  ;  &  elles  y  font 
enuelopées  ik.  liées  enfemble  parcelles  de  fes  parties  qui  font  mollea 
<S-  embaraflantes  :  principalement,  lors  que  le  tout  enfemble,  après 
auoir  efté  humecté  ^  formé  en  grains...,  eft  delleiché.  Et  la  raifon 
pourquoy  on  graine  la  poudre,  eft  afin  que  les  parties  du  falpetre 
ne  s'embrafent  pas  feule|ment  l'vne  après  l'autre,  ce  qui  leur  don-  381 
neroit  moins  de  force,  mais  qu'il  y  en  ait  plufieurs  qui  prennent  feu 
toutes  enfemble... Car  chafquc  grain  de  poudre  ne  s'allume  pas...  au 
mefme  inftant  qu'il  cil  touché  de  quelque  ftame...;  mais  cette  tlame 
doit,  premièrement,  paffer...  de  la  fuperlîcie  de  ce  grain  jufques  au 
dedans,  &  y  embrafer  les  parties  du  foulfre,  par  l'entremife  def- 
quelles  celles  du  falpetre  font  agitées  &  décriuent,  au  commencement. 


202  Œijvre;s  de  Descartes. 

de  fort  petits  cercles,  puis,  tendant  à  en  décrire  de  plus  grands,  elles 

font  effort  toutes  enfemble  pour  rompre  les  parties  du  charbon  qui 

les  retiennent,  au  moyen  de  quof  tout  le  grain  s'enfante.  Et  bien  que 

le  temps  qui  eft  requis  pour  toutes  ces  chofes  foit  extrêmement 

court,  fi  on  le  compare  auec  des  heures  ou  des  journées,  en  forte  qu'il 

.  ne  nous  ef  pref que  point  fenfble,  il  ne  laiiîe  pas  d'eftre  affez  long,  lors 

qu'on  le  compare  auec  l'extrême  viteffe  dont  la  flame  qui  fort  ainfi 

d'vn  grain  de  poudre  s'eftend  de  tous  coftez  en  l'air  qui  l'enuironne. 

Ce  qui  eft  caufe  que,  par  exemple,  lors  qu'vn  canon  eft  chargé,  la 

famé  de  V  amorce,  ou  des  premiers  grains  de  poudre  qui  prennent  feu, 

a  loifir  de  s'eftendre  en  tout  l'air  qui  eft  autour  des  autres  grains,  & 

de  les  toucher  tous,  auant  qu'il  y  en  ait  aucun  qui  s'enfame;  puis 

382     incontinent  après,  bien  que  les  plus  pro\ches  de  la  lumière  foient  les 

premiers  difpofei  à  s'enfamer,  toutefois,  a  caufe  qu'en  fe  dilatant  ils 

ébranlent  les  autres,  &  leur  aydent  à  fe  rompre,  cela  fait  qu'ils  s'en- 

flament  &  fe  dilatent  tous  en  vn  mefme  inftant,  au  moyen  de  quoy 

toutes  leurs  forces  jointes  enfemble  chajfent  la  baie  auec  tres-gi^ande 

vitejfe.  A  quoy  la  refiftancé  que  font  les  parties  du  charbon  fert 

beaucoup,  à  caufe  qu'elle  retarde,  au  commencement,  la  dilatation  des 

parties  du  falpelre,  ce  qui  augmente,  incontinent  après,  la  viteffe  dont 

elles  fe  dilatent.  Il  fert  auffi  que  la  poudre  foit  compofée  de  grains, 

&  mefme  que  la  grojfeur  de  ces  grains  &  la  quantité  du  charbon  foit 

proportionnée  à  la  grandeur  du  canon,  afin  que  les  interualles  que 

ces  grains  laiffent  entr'eux,  foient  affez  larges  pour  donner  paffage 

à  la  flame  de  l'amotxe,  &  faire  qu'elle  ait  loifir  de  s'eftendre  par  toute 

la  poudre,  £■  de  paruenir  jufques  aux  grains  plus  éloigîîe!{,  auant 

quelle  ait  embrafé  les  plus  proches, 

1 16.  Ce  qu'on  peut  juger  des  lampes  qu'on  dit  auoir  conferué  leur  famé 
durant  plufieursftecles. 

Apres  le  feu  de  la  poudre,  qui  eft  l'vn  de  ceux  qui  durent  le 
moins,  confiderons  fi,  tout  au  contraire,  il  peut  y  auoir  quelque 
feu  qui  dure  fort  long  temps,  fans  auoir  befoin  de  nouuelle  matière 
pour  s'entretenir  :  comme  on  raconte  de  certaines  lampes  qu'on  a 
trouuées  ardentes  en  des  tombeaux...,  lors  qu'on  les  a  ouuerts  après 
883     I  qu'ils  auoient  cfé  fermer  plufieurs  fiecles".  le  ne  Peux  point  ejtre 

a.  Edition  princeps  :  3S5,'(&me  d'impression. 

b.  Note  MS.  (de  Legrand?)  :  «  V.  la  lettre  de  M.  le  Roy  a  M.  Desc» 
»  dattce  du  9  fcurier  1644,  cy  aprez  dans  les  fragmens.  »  —  Voir  Carres* 
pondanccy  t.  IV»  p.  97» 


Principes.  —  Quatriesme  Partie.  263 

garent  de  la  vérité  de  telles  hijloires ;  mais'iX  me  femble  qu'en  vn 
lieu  fouterrain,  qui  efl;  (i  cxaclement  clos  de  tous  coftez,  que  l'air  n'y 
eft  jamais  agite  par  aucun  vent  qui  inenne  du  dedans  ou  du  dehors 
de  la  terre,  les  parties  de  l'huile  qui  fe  changent  enfumée,  &  de  fumée 
en  fuye  lors  qu'^^Ues  s'arreftent  &  s'attachent  les  vnes  aux  autres,  fe 
peuuent  arrefter  tout  autour  de  la  flame  d'vne  lampe,  &  y  compofer 
comme  vne  petite  voûte,  qui  foit  fuftifante  pour  empefcher  que  l'air 
d'alentour  ne  vienne...  (uffoquer  cette  flame,  &  aufli  pour  la  rendre 
fi  foible  &  fi  débile,  qu'elle  n'ait  pas  la  force  d'enflamer  aucune  des 
parties  de  l'huile  ny  de  la  mèche,  fi  tant  eft  qu'il  en  refte  encore  qui 
nayent  point  ejlé  brujlées.  Au  moyen  de  quoy...  le  premier  élément, 
demeurant  feul  en  cette  flame,  à  caufe  que  les  parties  de  l'huile 
quelle  contenoit  s'attachent  à  la  petite  voûte  de  fuie  qui  l'enuiromie, 
&  tournant  en  rond  là  dedans  en  forme  d'vne  petite  eftoile,  a  la 
force  de  repoufi"er  de  toutes  parts  le  fécond  élément,  qui  feul  tend 
encore  à  venir  l'ers  la  flame  par  les  pores  qu'il  s'eft  referué  en  cette 
voûte,  &  ainfi  d'enuoyer  de  la  lumière  en  l'air  d'alentour,  laquelle 
ne  peut  eftre  que  fort  io\b\Q...  pendant  que  le  lieu  demeure  fermé  ;  384 
mais  à  l'inftant  qu'il  |  eft  ouuert,  &  que  l'air  qui  vient  de  dehors 
diflipe  \a  petite  voûte  de  fumée  qui  l'enuironnoit,  elle  peut  reprendre 
fa  vigueur,  &  faire  paroiftre  la  lampe  aflez  ardente,  bien  que  peut 
efre  elle  s'efeigne  bientojl  après,  à  caufe  qu'il  efl  vraf-femblable 
que  cette  Jlame  n'a  pu  ainfi  fe  conferuer  fans  aliment,  qu'après  auoir 
confumé  toute  fon  huile. 

j  ly.  Quels  font  les  autres  effets  du  feu. 

Partons  maintenant  aux  effets  du  feu,  que  l'explication  des  diuers 
moyens  qui  feruent  à  le  produire  ou  conferuer,  n'a  pu  encore  faire 
entendre.  Et  pource  que,  de  ce  qui  a  def-ja  efté  dit*,  on  connoift 
aflez  pourquoy'il  luit,  &  échaufife,  &  difl"out  en  plufieurs  petites  par- 
ties tous  les  corps  qui  luy  feruent  de  nourriture  ;  &  aufli  pourquoy 
ce  font  les  plus  petites  &  plus  gliflantes  parties  de  ces  corps  qu'il 
en  chaffe  les  premières;  &  pourquoy  elles  font  fuiuies  par  après  de 
celles  qui,  bien  qu'elles  ne  foient  peut-eftre  pas  moins  petites  que 
les  précédentes,  fortent  toutefois  moins  aifément,  à  caufe  que  leurs 
figures  font  embaralTantes  &  diuifces  en  plufieurs  branches  (d'où 
vient  que,  s'attachant  aux  tuyaux  des  cheminées,  elles  fe  changent 
en  fuie);  puis  enfin,  pourquoy  il  ne  lai Ife  rien  que  les  plus  groffes 

a.  Articles  précédents.  ''''~ 


264  OEUVRES  DE  Descartes. 

qui  compofent  les  cendres  :  il  refte  feulement  icy  à  expliquer  com- 
ment vn  mefme  feu  peut  faire  que  certains  corps,  qui  ne  feruent 

385  point  à  |  l'entretenir,  dcuiennent  liquides,  &:  qu'ils  bouillent;  &que 
les  autres,  au  contraire,  le  leichent  &.  fe  durcillent;  &  enfin,  que  les 
vns  fe  changent  en  vapeurs,  les  autres  en  chaux,  &  les  autres  en 
verre. 

it8.  Quels  font  les  corps  qu'il  fait  fondre  &  bouillir. 

Tous  les  corps  durs,  compofez  de  parties  7?  égales  oufemblables 
qu'elles  peuuenl  eflre  toutes  agitées  &  feparées  aufli  aifément  l'vne 
que  l'autre,  deuiennent  liquides,  lors  que  leurs  parties  font  ainfi 
agitées  &  feparées  par  l'adion  du  feu.  Car  vn  corps  ert  liquide,  par 
cela  feul  que  les  parties  dont  il  eft  compofé  fe  meuuent  feparément 
les  vnes  des  autres.  Et  lors  que  leur  mouuement  eft  fi  grand,  que 
quelques-vnes,  fe  changeant  en  air  ou  en  feu,  requerent  beaucoup 
plus  d'efpace  que  de  couftume  pour  le  continuer...,  elles  font  éleuer 
par  bouillons  la  liqueur  d'où  elles  fortent. 

j  ig.  Quels  font  ceux  qu'il  rend  fecs  &  durs. 

Mais,  au  contraire,  le  feu  feiche  les  corps  qui  font  compofez  de 
parties  inégales,  plufieurs  defquelles  font  longues,  pliantes,  &  glif- 
fantes...,  de  façon  que,  n'eftant  aucunement  attachées  à  ces  corps, 
elles  en  fortent  aifément,  lors  que  la  chaleur  du  feu  les  agite.  Car 
quand  on  dit  d'vn  corps  dur  qu'il  eft  fec,  cela  ne  fignifie  autre  chofe, 
finon  qu'il  ne  contient  en  fes  pores,  ny  fur  fa  fiiperjîcie,  aucunes  de 
ces  panïes  vnies  &  gliffaîites,  qui,  lors  qu'elles  font  jointes  enfemble, 

386  [compofent  de  l'eau  ou  quelqu'autre  liqueur.  Et  pource  que  ces 
parties  glifjantes,  eftant  dans  les  pores  des  corps  durs,  les  élar- 
giffent  quelque  peu  &  communiquent  leur  mouuement  aux  autres 
parties  de  ces  corps,  cela...  diminue  ordinairement  leur  dureté; 
mais,  lors  qu'elles  font  chaffées  par  l'aâion  du  feu  hors  de  leurs 
pores,  cela  fait  que  leurs  autres  parties...  ont  couftume  de  fe  joindre 
plus  fort  les  vnes  aux  autres...,  &  ainfi  que  ces  corps  deuiennent 
plus  durs. 

120.  Comment  on  tire  diuerfes  eaux  par  diflillation. 

Et  les  parties  qui  pcuuent  eftre  chaffées  hors  des  corps  terre/Ires 
par  l'aâion  du  feu,  font  de  diuers  genres,  comme  on  expérimente 


Principes.  —  Quatriesme  Partie.  265 

fort  clairement  par  la  Chymie.  Car,  outre  celles  qui  font  Ti  mobiles 
&  fi  petites  qu'elles  ne  compofent,  eftant  feules,  aucun  autre  corps 
que  de  l'air,  il  y  en  a  d'autres,  tant foit peu  plus  grojfes,  qui  fortent 
fort  aifément  hors  de  ces  corps  :  à  fçauoir  celles  qui,  ertant  ramaffées 
&  jointes  enfemble  par  le  moyen  d'vn  alembic,  compofent  des  eaux 
de  vie...,  telles  qu'on  a  couilume  de  les  tirer  du  vin,  du  bled,  &  de 
quantité  d'autres  matières.  Puis  il  y  en  a  d'autres,  rn  peu  plus 
grojfes,  dont  fe  compofent  les  eaux  douces  &  infipidcs,  qu'on  tire 
aufll,  par  diftillation,  hors  des  plantes  ou  des  autres  corps.  Et  il 
y  en  a  encore  d'autres,  ;-;/  peu  plus  grojfes,  qui  compofent  les  eaux 
fortes.  .,  &  fe  tirent  des  fels  auec  grande  violence  de  feu.         ' 

\  1 21 .  Comment  on  tire  aujji  des  Jublime^  6'  des  huiles.  387 

Derechef,  il  y  en  a  qui  font  encore  plus  grolfes  :  à  fçauoir,  celles 
des  fels,  lors  qu'elles  demeurent  entières,  &  celles  de  l'argent  vif,  qui, 
citant  cleuées  par  l'action  d'vn  allez  grand  feu,  ne  demeurent  pas 
liquides,  mais,  s'attachant  au  haut  du  vaiffeau  qui  les  contient,  y 
compofent  des  fublimez.  Les  dernières,  ou  celles  qui  fortent  auec 
plus  de  difficulté  des  corps  durs  &  fecs,  font  les  huiles  ;  &,  ce  n'e(t 
pas  tant  par  la  violence  du  feu,  que  par  vn  peu  d'induftrie,  qu'elles 
'en  peuuent  eftre  tirées.  Car,  d'autant  que  leurs  parties  font  fort 
déliées,  &  ont  des  figures  fort  embarajfanles,  Tadion  d'vn  grand 
feu  les  feroit  rompre,  6*  changeroit  entièrement  leur  nature,  en  les 
tirant  auec J'orce  d'entre  les  autres  parties  des  corps  où  elles  font. 
Mais  on  a  couftume  de  tremper  ces  corps  en  vne  grande  quantité 
d'eau  commune,  dont  les  parties,  qui  font  vnies  &  gîilfantes,  s'infi- 
ïwiQXiX  fort  aifément  dans  leurs  pores,  &  en  détachent  peu  à  peu  les 
parties  des  huiles...  ;  en  Jorte  que  cette  eau,  nwnlant  par  après  par 
l'alembic,  les  amené  toutes  entières  auec  foy. 

122.  Qu'en  augmentant  ou  diminuant  la  force  du  feu, 
on  chausse  Jouuent  fon  effet. 

Or,  en  toutes  ces  diftillations,le  degré  du  feu  fe  doit  obferuer;  car, 
félon  qu'on  le  fait  plus  ou  moins  ardent,  les  effets  qu'il  produit  font 
diuers.  Et  il  y  a  plufieurs  corps  qu'on  p'^ut  rendre  fort  fecs,  &  par 
après  tirer  d'eux  diuerfes  li\queurs  par  diftillation,  lors  qu'on  les  388 
expofe  au  commencement  à  vn  feu  lent,  lequel  on  augmente  après 
peu  à  peu,  qui  fcroient  fondus  d'abord,  en  forte  qu'on  ne  pourroit 
tirer  d'eux  les  mefmes  liqueuî's,  s'ils  efloient  expofez...  à  vn  grand  feu. 


266  OEuvRES  DE  Descartes. 


123.  Comment  on  calcine  plujieurs  corps. 

Et  ce  n'ejl  pas  feulement  le  degré  du  feu,  mais  aufli  la  façon  de  l'ap- 
pliquer, qui  peut  changer  fes  effets.  Ainfi  on  voit  plufieurs  corps 
qui  fe  fondent,  lors  que  toutes  leurs  parties  font* échauffées  égale- 
ment ;  &  qui  fe  calcinent  ou  conuertiffent  en  chaux,  lors  qu'vne 
fîame  fort  ardente  agit  feulement  contre  leur  fuperfîcie,  d'oufepa- 
rant  quelques  parties,  elle  fait  que  les  autres  demeurent  en  poudre. 
Car,  félon  la  façon  de  parler  des  Chymifles,  on  dit  qu'vn  corps  dur 
eft  calciné,  lors  qu'il  eft  ainfi  mis  en  poudre  par  l'adion  du  feu...  ; 
en  forte  qu'il  n'y  a  point  d'autre  différence  entre  les  cendres  &  la 
chaux,  fmon  que  les  cendres  font  ce  qui  refle  des  corps  entièrement 
bruflez,  après  que  le  feu  en  a  feparé  beaucoup  de  parties  qui  onS 
feruy  à  l'entretenir;  &  la  chaux  eft  ce  qui  refte  de  ceux  qu'il  a  put- 
uerifei,  fans  en  pouuoir  feparer  que  peu  de  parties,  qui  feruoient 
de  liaifon  aux  autres. 

124.  Comment  fe  fait  le  verre. 

Au  refte,  le  dernier  &  Vvn  des  principaux  effets  du  feu  efl,  qu'il 
peut  conuertir  toute  forte  de  cendres  &  de  chaux  en  verre.  Car,  les 
389  cendres  |  &  la  chaux  n'eflant  autre  chofe  que  ce  qui  refte  des  corps 
bruflez,  après  que  le  feu  en  a  fait  fortrr  toutes  les  parties  qui  eftoient 
affez  petites  pour  eflre  chaffées  ou  rompues  par  luy,  toutes  leurs 
parties  font  fi  folides  &  fi  groffes,  qu'elles  ne  fçauroient  eflre  éleuées 
comme  les  vapeurs  par  fon  adion;  &  auec  cela  elles  ont,  pour  la 
plufpart,  des  figures  affez  irregulieres  &  inégales  :  ce  qui  fait  que, 
bien  qu'elles  foient  appuyées  l'vne  fur  l'autre  6-  s'entre-foufliennetit, 
elles  ne  s'attachent  point  toutefois  les  vues  aux  autres,  &  mefme  ne 
fe  touchent  pas  immédiatement,  fi  ce  n'efl  peut-eftre  en  quelques 
points  extrêmement  petits.  Mais  lors  qu'elles  cuifent  par  après  dans 
vn  feu  fort  ardent...,  c'eflàdire,  lors  que  plufieurs  parties  du  troi- 
fiéme  élément  moindres  qu'elles,  &  plufieurs  de  celles  du  fécond 
qui  eflant  agitées  par  le  premier  compofent  ce  feu,  paffent  auec 
trcs-grande  viteffe  de  touscoftezparmy  elles,  cela  fait  que  les  pointes 
de  leurs  angles  s'émouffent  peu  à  peu,  &  que  leurs  petites  fuperficies 
s'aplaniffent,  &  peut-eflre  aufTi  que  quelques  vnes  de  ces  parties  fe 
plient,  en  forte  qu'elles  peuuent  enfin  couler  de  biais  les  vnes  fur 
les  autres,  &  ainfi  fe  toucher  immédiatement,  non  pas  feulement  en 
des  points,  mais  aufTi  en  quelques  vnes  de  leurs  fuperficies...,  par 
lelqucllcs  demeurant  joinici  elles  compofent  le  verre. 


Principes.  —  Quatriesme  Partie.  267 


•|  125.  Comment  f es  parties  fe  joignent  enemble'.  390 

Car  il  eft  à  remarquer  que,  lors  que  deux  corps  dont  les  fuper- 
ficies  ont  quelque  eftenduë,  fe  rencontrent  de  front,  ilsnefe  peuuent 
approcher  fi  fort  l'vn  de  l'autre,   qu'il  ne  demeure   quelque  peu 
^'efpace  entre-deux,  qui  eft  occupé  par...  le  fécond  élément;  mais 
que,  lors  qu'ils  coulent  de  biais  l'vn  fur  l'autre,  leurs  fuperficies 
fe  peuuent  entièrement  joindre.  Par  exemple,  fi  les  corps  B  ScC 
s'approchent  l'vn  de  l'autre  fuiuant  la  ligne  droite  AD,  les  parties 
du  fécond  élément  qui  fe  trouuent  entre-deux  n'en  peuuent  élire 
chaffées;  c'efi  pourquoy  elles  empefchent  qu'ils  ne  fe  touchent.  Mais 
les  corps  G&  H,  qui  viennent  l'vn  vers  l'autre  fuiuant  la  ligne...... 

E  F ,  fe  peuuent  tellement  joindre  qu'il  ne  demeure  rien  entre-deux, 
au  moins  fi  leurs  fuperficies  font  toutes  plates  &  polies;  &  fi  elles 
ne  le  font  pas,  le  mouuement  dont [elles  glijfent  ainf  l'vnefur  l'autre, 
fait  que  peu  à  peu  elles  le  deuiennent.  Ainfi  les  corps  B  &  C  repre- 
fentent  la  façon  dont  les  parties...  des  ctnàits  font  jointes  enfemble, 
&  G  &  H  repréfentent  celle  dont  fe  joignent  les  parties  du  verre.  Et 
de  la  feule  différence  qui  efl  entre  ces  deux  façons  de  fe  joindre, dont 
il  eft  éuident  que  la  première  efl  dans  les  cendres,  &  que  la  féconde 
y  doit  eftre  introduite  par  vne  longue  &  viofente  agitation  du  feu, 
on  peut  connoiftre parfaitement  la  na\ture  du  verre,  &  rendre  raifon  ^** 
de  toutes  fes  proprietez. 

126.  Pourquoy  il  ejl  liquide  &  gluant,  lors  qu'il  efi  embrajé. 

La  première  de  fes  propriété^  efl,  qu'\\  eft  liquide,  lors  qu'il  eft 
fort  échauffé  par  le  feu...,  &  peut  aifément  receuoir  toutes  fortes  de 
figures,  lefquelles  il  retient  eftant  refroidy  ;  &  mefme,  qu'il  peut  ejlre 
tiré  en  filets  aujji  delie^  que  des  cheueux.  Il  eft  liquide,  à  caufe  que 
l'adion  du  feu  ayant  def-ja  eu  la  force  de  faire  couler  fes  parties  l'vne 
fur  l'autre  pour  les  polir  &  plier,  &  ainji  les  changer  de  cendres  en 
verre,  a  infailliblement  auffi  la  force  de  les  mouuoir  feparément  l'vne 
de  l'autre.  Et  tous  les  corps  que  le  feu  a  rendus  liquides  ont  cela  de 
commun,  qu'ils  prennent  aifément  toutes  les  figures  qu'on  leur 
veut  donner,  à  caufe  que  leurs  petites  parties,  qui  font  alors  en 
continuelle  agitation,  s'y  accommodent;  &  en  fe  refroidiffant,  ils 

a.  Voir  Correspondance,  t.  V,  p.  174. 

b.  Planche  XVIII,  figure  4. 


208  Œuvres  de  Descartes. 

retiennent  la  dernière  qu'on  leur  a  donnée,  à  caufe  que  le  mouiie- 
ment  de  leurs  parties  ejl  arrejïé  par  le  froid.  Mais,  outre  cela,  le 
verre  ejï  comme  gluant,  en  forte  qu'û  peut  eftre  tiré  en  filets. ../ans 
fe  rompre,  pendant  qu'il  eft  encore  chaut  &  qu'il  commence  à  Je 
refroidir  :  dont  la  raiibn  eft  que,  fcs  parties  eftant  meuès  en  telle 
façon  qu'elles  gliffent  continuellement  les  vnes  fur  les  autres,  il 
leur  eft  plus  aifé  de  continuer  ce  mouuement  &  ainji  de  s'ejîendre  en 
filets,  que  non  pas  de  fe  feparer. 

5W  1^27.  Pourquoy  il  èjijort  dur  ejîant  froid. 

Vue  autre  propriété  du  verre  ejl,  gw  eftant  froid  il  eft  fort  dur,  & 
auec  cela  fort  calfant;  &  mefme,  qu'W  eft  d'autant  plus  caffant,  qu'il 
eft  plus  promptement  deuenu  froid.  La  caufe  de  fà  dureté  eft  que 
chacune  de  fes  parties  eft  fi  grofle  &  Ji  dure  &  fi  difficile  à  plier,  que 
le  feu  n'a  pas  eu  la  force  de  les  rowjpre,  &  qu'elles  ne  font  pas  jointes 
enfemble  par  l'entrelacement  de  leurs  branches,  mais  par  cela  feul 
qu'elles  fe  touchent  immédiatement  les  vnes  les  autres.  Car  il  y  a 
plufieurs  corps  qui  font  mous, à  caufe  que  leurs  parties  font  pliantes, 
ou  du  moins  qu'elles  ont  quelques  branches  dont  les  extremitez 
font  pliantes,  &  qu'elles  ne  font  jointes  les  vnes  aux  autres  que  par 
l'entrelacement  de  ces  branches  ;  mais  jamais  les  parties  d'vn  corps 
ne  peuuent  eftre  mieux  jointes  que  lors  qu'elles  fe  touchent  immé- 
diatement..., &  qu'elles  ne  font  point  en  aélion  pour  fe  mouuoir 
feparément  l'vne  de  l'autre  :  ce  qui  arriue  aux  parties  du  verre,  fi 
tbft  qu'il  eft  retiré  du  feu  ;  d'autant  qu'elles  font  fi  grolfes,  &  telle- 
ment pofées  les  vnes  fur  les  autres,  &  ont  des  figures  fi  irregulieres 
&  inégales,  que  l'air  n'a  pas  la  force  d'entretenir  en  elles  l'agitation 
que  le  feu  leur  auoit  donnée. 

1 28.  Pourquoy  il  ejl  aujfi  fort  caffant. 

39S  La  caufe  qui  rend  le  verre  caffant  eft  que  fes  parties  ne  fe  touchent 
immédiatement,  qu'en  des  fuperficies  qui  font  fort  petites  &  en 
petit  I  nombre  ;  &  on  ne  doit  pas  trouuer  eflrange,que  plufieurs  corps 
beaucoup  moins  durs  font  plus  difficiles  à  diuifer  ;  car  cela  vient  de. 
ce  que,  leurs  parties  eftant  engagées  l'vne  dans  l'autre,  ainji  que  les 
anneaux  d'vne  chaîne,  on  peut  bien  les  plier  de  tous  cofle\,  mais  non 
pas  pour  cela  les  dcjoindre  fans  les  rompre...,  G  qu'il  y  a  bien  plus 
de  petites  parties  à  rompre  dans  ces  corps,  auant  qu'ils  foient  entière- 
ment diuife\,  qu'il  n'y  a  de  petites  fuperficies  à  feparer  dans  le  verre. 


Principes.  —  Quatriesme  Partie.  269 

i2().  Pourquqy  il  dénient  moins  cajfant,  lors  qu'on  le  laijfe 
refroidir  lentement. 

Mais  la  caufe  qui  le  rend  plus  caffant,  lors  qu'on  le  tire  tout  à  coup 
du  fourneau,  que  lors  qu'on  le  laifTe  recuire  &  fe  refroidir  peu  à  peu, 
confifte  en  ce  que  fes  pores  font  vn  peu  plus  larges,  lors  qu'tV  ejl 
liquide, que  lors  qu'il  ejl  froid...,  Si  que,  s'il  deuient  froid  trop  promp- 
tcmem,  fes  parties  n'ont  pas  loifir  de  s'agencer  comme  il  faut  pour 
les  reflrecir  tous  autant  Vvn  que  l'autre,  de  façon  que  le  fécond  élé- 
ment qui  paffe  par  après  dans  ces  pores  fait  effort  pour  les  rendre 
égaux,  au  mo3'en  de  quoy  le  verre  fe  caffe  ;  car  fes  parties  ne  fe  tenant 
que  par  des  fuperficies  fort  petites,  fi  toll  que  deux  de  fes  fuperficies 
fe  feparcnt,  toutes  les  autres,  qui  les  fuiuent  en  mefme  ligne,  fe 
feparent  aufli.  C'eft  pourquoy  les  Verriers  ont  couftume  de  recuire 
leurs  verres,  c'eft  à  dire  de  les  remettre  dans  le  feu  après  les  auoir 
faits,  6  puis  de  les  en  retirer  |  par  dcgrez,  afin  qu'ils  ne  dcuiennent  394 
pas  froids  trop  promptcmcnt.  Et  lors  qu'vn  verre  froid  elt  cxpofé 
au  feu,  en  forte  qu'il  s'ccliauire  beaucoup  plus  d'vn  coflc  que 
d'autre,  cela  le  fait  rompre,  à  caufe  que  la  chaleur  dilate  fes  porcs, 
&  que  les  vns  ne  peuuent  élire  notablement  plus  dilatez  que  les 
autres,  fans  que  fes  parties  fe  feparent.  Mais  fi  on  chauffe  vn 
verre.  .  également  de  tous  coftez,  en  telle  forte  qu'vn  merme  degré 
de  chaleur  paruienne  en  mefme  temps  à  toutes  fes  parties,  il  ne 
caffera  point,  à  caufe  que  tous  fes  pores  s'élargiront  également. 

i3o.  Pourquoy  il  ejl  trauf parent. 

De  plus,  le  verre  eft  tranfparent,  à  caufe  qu'ayant  efté  liquide  lors 
qu'il  a  efté  fait,  la  matière  du  feu  qui  couloit  de  tous  coftez  entre  fes 
parties,  y  a  laifte  plufieurs  pores  par  où  le  fécond  élément^,  peut 
après  tranfmettre  en  tous  fens  l'adion  de  la  lumière,  fuiuant  des 
lignes  droites.  Et  il  n'elt  pas  befoin  pour  cela  que  ces  porcs  foient 
exactement  droits;  il  fuftit  qu'ils  s'eut refuiuent  fans  eilre  fer/ne^  nf 
interrompus  en  aucun  lieu  :  en  forte  que,  fi...  vn  corps  tWoh  compofé 
de  parties  exactement  rondes  qui  s'entrelouchalfent,  îk  fulfent  fi 
grolfcs  que  le  fécond  clément  pull  palier  par  les  petits  cipaccs 
triangulaires  qui  demeurent  entre  trois  telles  parties,  lors  qu'elles  le 
touchent,  ce  corps  feroit  plus  folide  que  n'ell  aucun  verre  que  nous 
ayons,  i<:  ne  |  laillcroii  pas  pour  cela  d'eftrc  fort  uanlpareni,  aiuji  395 
qu'il  a  dcf-ja  eflé  e.xpliqui'\ 

a.  Art.  17,  p.  208. 


270  OEUVRES  DE  Descartes. 


i3j.  Comment  on  le  teint  de  diuerfes  couleurs 

Mais  lors  qu'on  mefle  parmy  le  verre  quelques  métaux,  ou  autres 
matières,  dont  les  parties  refillent  dauantage,  &  ne  peuuent  pas  fi 
aifément  eftre  polies  par  l'adion  du  feu,  que  celles  des  cendres  dont 
on  le  compofe,  cela  le  rend  moins  tranfparent,  &  luy  donne  diuerfes 
couleurs;  à  caufe  que  ces  parties  des  métaux,  ejiant plus  grojfes  & 
autrement  figurées  que  celles  des  cendres,  auancent  quelque  peu  au 
dedaîis  de/es  potées,  au  moyen  de  quoy  elles  en  bouchent  quelques 
vns,  (S-  font  que  les  parties  du  fécond  élément  qui  pajjent  par  les 
autres  y  roulent  en  diuerfes  façons;  &faj'prouué,dans  lesMeteores*y 
que  defl  ce  roulement  qui  caufe  les  couleurs. 

i32.  Ce  que  c'ejî  qu'ejîre  roide  ou  faire  rejfort,  &  pourquoy  cette  qualité 
fe  trouue  aujfi  dans  le  verre. 

Au  refte,  le  verre...  peut  eftre  plié  quelque  peu...  fans  fe  caffer, 
comme  on  voit  clairement, lors  qu'il  eft  tiré  en  filets  fort  déliez;  car, 
quand  il  ejl  ainfi  plié,  il  fait  reffort,  comme  vn  arc,  & /ez/ûf  à  repren- 
dre fa  première  figure.  Et  cette  propriété  de  plier  &  faire  reffôrt, 
qu'on  peut  appeller  en  vn  mot  ejîre  l'oide,  fe  trouue  généralement  en 
tous  les  corps...,  dont  les  parties  font  jointes  par  le  parfait  attou- 
chement de  leurs  petites  fuperjicies,  non  par  le  feul  entrelacement 
396  de  leurs  branches.  Dont  la  raifon  contient  trois  points.  \  Le  premier 
efî,  que  ces  corps  ont  tous  plufieurs  pores  par  où  il  coule  fans  celle 
quelque  matière...  Le  fécond,  que  la  figure  de  ces  pores  eft  difpo- 
fée  à  donner  libre  paffage  à  cette  matière,  d'autant  que  c'eft  touf-jours 
par  fon  adion,  ou  par  quelque  autre  femblable,  qu'ils  ont  efté  for- 
mez... :  comme,  par  exemple,  lors  que  le  verre  deuient  dur,fes  pores 
qui  ont  ejlé  éla?'gis  par  l'aéîion  du  feu,  pendant  qu'il  ejloit  liquide j 
font  rejlrecis  par  l'aâion  du  fécond  élément  qui  les  ajujîe  à  lagrojfcur 
de  fes  parties.  Le  troifiéme  point  ejî,  que  ces  corps  ne  peuuent  eftre 
pliez...,  que  la  figure  de  leurs  pores  ne  fe  change  quelque  peu,  en 
îbrie  que  la  matière  qui  a  couftume  de  les  remplir,  n'y  pouuant  plus 
couler  fi  facilement  que  de  couftume,  poufte  les  parties  de  ce  corps 
qui  l'en  cmpcfchent,&  ainfi  fait  effort  pour  les  remettre  en  leur  pre- 
mière figure.  Par  exemple,  fi  dans  vn  arc, qui  n'eft  point  bandé,  les 
pores  qui  donnent  paffage  au  fécond  élément  font  exaâement  ronds, 

t.  Discours  VIII,  p.  33i  de  cette  édition,  1.  i5. 


397 


Principes.  —  Quàtriesme  Partie.  271 

il  eft  éuident  qu'après  qu'il  eft  bandé...,  ces  mefmes  pores  doiuent 
eftre  vn  peu  plus  longs  que  larges,  en  forme  d'ouales,  &  que  les 
parties  du  fécond  élément  preffent  les  coflez  de  ces  ouales...,  afin  de 
les  faire  derechef  deuenir  rondes  *.  Et  bien  que  la  force  dont  elles  les 
prejfent,  eftant  confiderée  en  chacune  de  ces  parties  en  particulier, 
ne  foit  I  pas  fort  grande,  toutefois,  à  caufe  qu'il  y  en  a  touf-jours  vn 
fort  grand  nombre...  qui  agiffent  enfemble,  ce  n*eji  pas  merueille 
qu'elles  facent  que...  l'arc  le  débande  auec  beaucoup  de  violence.  Mais 
fi  on  tient  vn  arc  long  temps  bandé,  principalement  vn  arc  de  bois, 
,ou  d'autre  matière  qui  ne  foit  pas  des  plus  dures,  la  force  dont  il 
tend  à  fe  débander  diminue  auec  le  temps  :  dont  la  raifon  efl  que 
les  parties  de  la  matière  fublile  qui  preffent  les  coftez  de  fes  pores, 
les  élargijfent  peu  à  peu  à  force  de  couler  par  dedans,  &  ainfi  les 
accommodent  à  leur  figure. 

i33.  Explication  de  la  nature  de  l'aymant. 

lufques  icy  j'ay  tafché  d'expliquer  la  nature  &  toutes  les  princi- 
pales propriete'{...  de  l'air,  de  l'eau,  des  terres,  &  du  i^u, pource  que 
ce  font  les  corps  quife  trouuent  le  plus  généralement  partout  en  cette 
région /i/^/2/;/a/re  que  nous  habitons,  de  laquelle  on  les  nomme  les 
quatre  elemens  ;  mais  il  y  a  encore  vn  autre  corps,  à  fçauoir  l'ay- 
mant..., qu'on  peut  dire  auoir  plus  d'ejîenduë  qu'aucun  de  ces  quatre, 
à  caufe  que  mefme  toute  la  majfe  de  la  Terre  ejl  vn  aymant,  &  que 
nous  ne  fçaurions  aller  en  aucun  lieu  où  fa  vertu  ne  fe  remarque. 
C'eil  pourquoy,  ne  defirant  rien  oublier  de  ce  qu'il  y  a  de  plus 
gênerai  en  cette  terre,  il  eft  befoin  maintenant  que  je  l'explique.  A 
cet  effet  remetons  nous  en  la  mémoire  ce  qui  a  efté  dit  cy-deffus  en 
l'artijcle  87  de  la  troifiéme  partie"  &  aux  fuiuans,  touchant  les  par-  398 
ties  canelées  du  premier  élément  de  ce  motide  vijible;  &  appliquant 
icy  à  la  Terre  tout  ce  qui  a  efté  dit  en  cet  endroit  là,  depuis  l'article 
io3  jufques  à  l'article  109',  de  l'aftre  qui  ejloit  marqué  I,  penfons 
qu'il  y  a  en  fa  moyenne  région  plufieurs  pores  ou  petits  conduits 
parallèles  à  fon  effieu,  par  où  les  parties  canelées  palî'ent  librement 
d'vn  pôle  vers  l'autre  ;  &  que  ces  conduits  font  tellement  creufez,& 
ajulte^c  à  la  figure  de  ces  parties  canelées,  que  ceux  qui  reçoiuent  les 
parties  qui  viennent  du  pôle  Aullral,  ne  fçauroient  receuoir  celle 
qui  viennent  du  pôle  Boréal,  &  que,  réciproquement,  les  conduits 

a.  Voir  Correspondance,  i.  1,  p.  ?4i,  1.  i.\  et  p.  58o-58i. 

b.  Page  xbi  ci-avuni. 

c.  Pui'e  :f2   i£3. 


272  OEUVRES  DE  Descartes. 

qui  reçoiuent  les  parties  qui  viennent  du  pôle  Septentrional,  ne 
font  pas  propres  à  receuoir  celles  qui  viennent  du  pôle  Auftml,  ^ 
caufe  qu'elles  font  tournées  à  vis  tout  au  rebours  les  vnes  des  autres. 
Penfons  aiijji  que  ces  parties  canelées  peuuent  bien  entrer  par  vn 
codé  dans  les  pores  qui  font  propres  à  les  receuoir,  mais  qu'elles  ne 
peuuent  pas  retourner  par  l'autre  cofté  des  me/mes  pores,  à  caufe 
qu'il  y  a  certains  petits  poils  ou  certaines  branches  tres-deliées,  qui 
nuancent  tellement  dans  les  replis  de  ces  conduits,  qu'elles  n'empef- 
chent  aucunement  le  cours  des  parties  canelées,  quand  elles  y 
'îyQ  viennent  par  le  cofté  qu'elles  ont  cou|ftume  d'y  entrer,  mais  qui  fc 
rebroulTent,  &  redreffent  quelque  peu  leurs  extî^emitei,  lois  que  ces 
parties  canelées  fe  pj^ef entent  pour  y  entrer  par  l'autre  cojié,  &  ainfi 
leur  bouchent  le  pajfage,  comme  il  a  ejlé  dit  en  l'article  106^.  C'eft 
pourquoy,  après  qu'elles  ont  trauerfé  toute  la  terre...  d'vne  moitié  à 
l'autre,  fuiuant  des  lignes...  parallèles  à  fon  effieu^^  il  y  en  a  pîu- 
fieurs  qui  retournent  par  l'air  d'alentour  vers  la  mefme  moitié  par 
où  elles  eftoient  entrées,  &  pafTant  ainfi  réciproquement  de  la  terre 
en  l'air,  &  de  l'air  en  la  terre,  y  compofent  vne  efpece  de  tourbillon, 
qui  a  ejîé  expliqué  en  l'article  108'. 

184.  Qu'il  n'y  a  point  de  pores  dans  l'air  ni  dans  l'eau, 
qui  /oient  propres  à  receuoir  les  parties  canelées. 

De  plus",  il  a  été  dit,  en  l'article  1 1 3  de  la  mefme  troifiéme  Partie  % 
qu'il  ne  pouuoit  y  auoir  de  pores  dans  l'air  qui  enuironnoit  l'ajtre 
marqué  I,  c'ejl  à  dire  la  Terre,  fmon  dans  les  plus  grolfes  parcelles 
de  cet  air,  dans  lefquelles  il  elloit  demeuré  des  traces  des  conduits 
quiy  auoient  eJïéjormc\  auparauant.  Et  il  a  elle  dit  depuis,  en  cette 
dernière  partie',  que  toute  la  malfe  de  cet  air...  s'ell  diiliiiguée  en 
quatre  diuers  corps,  qui  font  l'air  que  nous  refpirons,  l'eau  tant 
douce  que  falée,  la  terre /wr  laquelle  nous  marchons,  &  vne  autre 
terre  intérieure  d'où  viennent  les  métaux,  en  laquelle  toutes  les  plus 
grolfes  parcelles, ^w;  e/loient  auparauant  en  l'air,  le  font  alfemblces  : 
400     d'oit  il  fuit  qu'il  ne  peut  y  auoir  aucuns  j  conduits  propres  à  receuoir 

a.  Page  a38. 

b.  Voir  Correspondance,  t.  V,  p.  388-3S9. 

c.  Page  3S8  ci-avant. 

d.  Plusieurs  iransposiiions  importantes,  dans  la  traduction  de  cet  article, 
compare  au  texte  latin. 

e.  Page  168. 

•  .  An.  32-45,  p.  217-225. 


Principes.  —  Quatriesme  Partie.  27 j 

les  parties  canelées,  ny  dans  l'eau,  ny  dans  l'air  qui  ejl  maintenant, 
tant  à  caufc  que  les  parcelles  qui  les  compofent  font  trop  menues, 
comme  auiïi  à  caufc  qu'elles  font  toutes  fans  cejfe  en  aâion  pour  fc 
momioirfeparément  les  mes  des  autres,  de  façon  que,  quand  mefmc 
il  y  auroit  eu  de  tels  conduits  en  quelques  vnes,  il  y  a  def-ja  long 
temps  qu'ils  auroient  eflé  gaftez  par  vn  changement  fi  fréquent,  à 
caufe  qu'ils  ont  bcfoin  d'vne  fituation  ferme  &  arreftée  pour  Je 
conferuer. 

i35.  Qu'il  n'y  en  a  point  aujfi  en  aucun  autre  corps  fur  cette  terre, 
excepté  dans  le  fer. 

Et  pource  qu'il  a  aufTi  efté  dit'  que  la... Terre  intérieure,  d'où  vien- 
nent les  métaux,  eft  compofée  de  deux  fortes  de  parties,  dont  les 
vnes  font  diuifées  en  branches  qui  fe  tiennent  accrochées  enfemble, 
&  les  autres  fe  meuuent  incefl'ammentçà  &  là  dans  les  interualles 
qui  font  entre  fes  branches  :  nous  deuons  penfer  qu'il  n'y  a  point  de 
tels  conduits  en  ces  dernières...,  pour  la  raifon  qui  vient  d'eAre  dite, 
&  qu'il  n'y  a  que  celles  qui  font  diuifées  en  branches, qui  en  puiffent 
auoir.  Nous  deuons  aufll  penfer  qu'il  n'y  en  a  eu  aucuns,  au  com- 
mencement, en  cette  Terre  extérieure  011  nous  habitons,  pource  que, 
s'eftant  formée  entre  l'eau  &  l'air,  toutes  les  parcelles  qui  l'ont  com- 
pofée  efi oient  fort  petites.  Mais,  par  fucceiïion  de  temps,  elle  a  receu 
en  foy  plufieurs  métaux,  qui  font  venus  de  la  j  Terre  intérieure;  &  401 
bien  qu'il  n'y  ait  point  aulïi  de  tels  conduits,  en  ceux  de  ces  métaux 
qui  font  compofez  de  parties  très  {oWàQs^  fluides,  il  eft  neantmoins 
fort  croyable  qu'il  y  en  a  en  celuy  ou  ceux  dont  les  parties  font 
diuifées  en  branches,  &  ne  font  pas  folides  à  proportion  de  ce  qu'elles 
font  groffes.  Ce  qui  fe  peut  dire  du  fer  ou  de  l'acier,  &  non  point 
d'aucun  autre  métal. 

i36.  Pourquojr  ily  a  de  tels  pores  dans  le  fer. 

Car  nous  n'en  auons  aucun  qui  obeïlfe  plus  mal-aiféincnt  au 
marteau,  fans  l'aide  du  /t'?/, qu'on  face  fondre  auec  tant  de  peine..., 
ny  qui  fe  puiffe  rendre  fi  dur,  fans  le  mcflange  d'aucun  autre  corps  : 
ce  qui  tefmoigne  que  les  parcelles  qui  le  compofent  ont  plus  d'inéga- 
lite\  ou  de  branches...,  par  le  nioyen  defquelles  elles  fe  peuuent 
joindre  &  lier  enfemble,  que  n'ont  les  parcelles  des  autres  métaux. 

a.  Art.  57,  p.  232. 

Œuvres.  IV.  3« 


2/4  OEUVRES  DE  Descartes. 

Il  eft  vray  qu'on  n'a  pas  tant  de  peine  à  le  fondre  la  première  fois, 
après  qu'il  eji  tiré  de  la  mine;  mais  cela  vient  de  ce  que  i'cs parties, 
ellant  alors  tout  à  fait  feparées  les  vnes  des  autres...,  peuuent  plus 
aifément  eftre  agitées  par  l'action  <iu  feu.  Et  bien  que  le  fer  foit  plus 
dur  &  plus  mal-aifé  à  fondre  que  les  autres  métaux,  il  ne  laiffe  pas 
d'ellre  l'vn  des  moins  pefans,  &  de  ceux  qui  peuuent  le  plus  aifé- 
ment eftre  dijfous  par  les  eaux  fortes,  &  mefme  la  rouille/ew/e  peut  le 
corrompre  :  ce  qui  fert  à  prouuer  que  les  parcelles  dont  il  elt  com- 
402  pofé,  1  ne  font  pas  plus  folides  que  celles  des  autres  métaux,  à  raifon 
de  ce  qu'elles  font  plus  groffes,  &  que,  par  confequent,  il  y  a  en 
elles  plufieurs  pores. 

i3y.  Comment  peuuent  ejïre  ces  pores  en  chacune  de  Jes  parties. 

le  ne  veux  pas  toutefois  alTurerque  ces  conduits  tournez  à  vis,  qui 
donnent  padage  aux  parties  canelées,  foient  tous  entiers  en  chacune 
des  parcelles  du  fer,  comme  aufli  je  n'ay  aucune  raifon  pour  le 
nier;  mais  il  fuffira  icy  que  nous  penfions  que  les  figures  des  moi- 
tiez  de  ces  conduits  font  tellement  formées  fur  les  fuperficies  de  ces 
parcelles  du  fer,  que,  lors  que  deux  de  ces  fuperficies  font  bien 
ajuftées  l'vne  à  l'autre,  ces  conduits  s'y  trouuent  entiers.  Et  pource 
que,  lors  qu'vn  corps  dur,  dans  lequel  il  j'  a  plufieurs  trous  ronds, 
ejl  rompu,  c'ejl  ordinairement  fuiuant  des  lignes  qui  pajfent  jujle- 
ment  par  le  milieu  de  ces  trous  qu'il  fe  diuife,  les  parties  de  la  Terre 
intérieure...,  dans  lefquelles  il  y  auoit  de  tels  trous,  eftant  celles 
dont  le  fer  eft  compofé,  il  eft  bien  aifé  à  croire  qu'elles  n'ont  pu 
eftre  tant  diuifées  par  la  force  des  efprits  ou  fucs  corrofifs  qui  les 
ont  amenées  dans  les  mines,  qu'il  n'y  foit  au  moms.  demeuré  de 
telles  moitiez  de  ces  trous  grauées  fur  leur  fuperficie... 

i38.  Comment  ils  y  font  difpofe^  d  receuoir  les  parties  canelées 
des  deux  coJie\. 

Et  il  eft  à  remarquer  que,  pendant  que  les  parcelles  du  fer  font 
ainfi  montées  dans  les  mines,  elles  n'ont  pu  retenir  touf-jours  vue 
402  mefme  fituation, pource  qu'ayant  des  figures  irregulieres,  &  |  les  che- 
mins par  où  elles  palfoient  eftant  inégaux,  elles  ont  roullé  en  mon- 
tant, &  fefont  tournées  tantofl  fur  vn  coflé,  tantoji  fur  m  autre,  îk 
que,  lors  que  leur  fituation  a  cfté  telle,  que  les  parties  canelées  (qui, 
fortant  aucc  grande  viicllc  de  la  Terre  intérieure,  cherchent  en  toute 
l'extérieure  les  palfages  qui  font  les  plus  propres  pour  les  receuoir) 


Principes.  —  Quatriesme  Partie.  275 

ont  rencontré  ceux  qui  eftoient  en  ces  parcelles  du  fer...  tourne^  à 
contre  fens,  foi t  qu'ils  fujfent  entiers  ou  ;/o«,  elles  ont  fait  rebrouf- 
fer  les  pointes  de  ces  petites  branches,  que  j'ay  dit- ejîre  couchées 
dans  leurs  rtpViSyiS-  ont  fait  peu  àpeu  qu  elles  fe  font  entièrement  ren- 
uerjées  :  en  forte  qu'elles  ont  pu  entrer  par  le  cofté  de  ces  pores  par 
où  elles  fortoient  auparauant...;  &  que,  lors  que  par  après  lafitua- 
tion  de  ces  parcelles  du  fer  a  ejîé  changée,  l'action  des  parties  cane- 
lées  a  fait  derechef  que  les  petites  branches  qui  auancent  dans  leurs 
pores...  fe  font  couchées  de  l'autre  cofté...  ;  &  enfin  que,  lors  qu'il 
eft  arriué  que  ces  petites  branches  ont  efté  ainfi  repliées  plufieurs 
fois,  maintenant  fur  vn  confié  &  après  fur  le  cojlé  contraire,  elles 
ont  acquis  vne  grande  facilité  à  pouuoir  par  après  derechef  eftre 
repliées  d'vn  cofté  fur  l'autre. 


i3g.  Quelle  différence  il  y  a  entre  l'aymant  &  le  fer  ^. 

Or  la  différence  qui  efl  entre  l'aymant  &  le  fer,  confifie  en  ce  que  les 
parcelles  dont  le  fer  eft  compofé,  ont  ainfi  changé  plufieurs  fois  de 
J  fituation,  depuis  qu'elles  font  for  lies  de  la  Terre  intérieure  :  ce  qui  ''•04 
cfl  caufe  que  les  petites  pointes  qui  auancent  dans  les  replis  de  leurs 
pores,  peuuent  aifément  efîre  renuerfées  de  tous  cofle^.  Et  au  coU' 
traire,  celles  de  l'aymant  ont  retenu  touf-jours,  ou  du  moins  fort 
long-  temps,  vne  mefme  fituation  :  ce  qui  efl  caufe  que  les  pointes  des 
branches  qui  font  en  leurs  pores,  ne  peuuent  que  difficilement  eflre 
renuerfées.  Ainfi  l'aymant  &  le  fer  participent  beaucoup  de  la  nature 
l'vn  de  l'autre  ;  &  ce  ne  font  que  ces  parcelles  de  la  Terre  intérieure, 
dans  lefquelles  il  y  a  des  pores  propres  à  receuoir  les  parties  canelées 
qui  leur  donnent  leur  forme, hion  qu'ordinairement  il  y  ait  beaucoup 
d'autre  matière  méfiée  auec  elles,  non  feulement  en  la  mine  de  fer, 
d'oit  cette  autre  matière  efl  feparée  par  la  fonte,  mais  encore  plus 
en  l*aymant  :  car  fouuent  la  caufe  qui  a  fait  que  f es  parcelles  ont 
plus  long  temps  demeuré  en  vne  mefme  fituation  que  les  parcelles  qui 
compofent  le  fer,  efl  qu'elles  font  engagées  entre  les  parties  de  quelque 
pierre  fort  dure  ;  &  cela  fait  auffi  quelquefois  qu'il  efl  prefque  im- 
poffible  de  les  fondre  pour  en  faire  du  fer,  à  caufe  qu'elles  font 
pluftoft  calcinées  d'-  confumées  par  le  feu,  que  dégagées  des  lieux 
où  elles  font. 

a.  Partie  III,  art.  io6,  p.  i63. 

b.  Le  titre  de  cet  article  n'est  pas  le  même  que  dans  le  texte  latin,  et  le 
contenu  aussi  est  tout  changé. 


2/6  CEUVRES    DE    DeSGARTES. 


140.  Comment  on  fait  du  fer  ou  de  t  acier,  en  fondant  la  mine. 

405  Pour  ce  qui  eft  de  la  mine  de  fer,  lors  qu'on  1  la  fait  fondre,  afin 
de  la  conuertir  en  fer  ou  en  acier,  il  faut  penfer  que  les  parcelles  du 
métal,  eftant  agitées  par  la  chaleur,  fe  àégdigQiiX  premièrement  des 
autres  matières  auec  qui  elles  font  méfiées,  &  ne  ceiTent  après  defe 
remuer  feparement  les  vnes  des  autres,  jufques  à  ce  que  celles  de 
leurs  fuperficies  où  les  moitiez  des  conduits  cf-deffus  décrits^  tonx. 
imprimées,  foient  tellement  ajuflées  les  vnes  aux  autres...,  que  ces 
conduits  s'y  trouuent  entiers.  Mais  lors  que  cela  eft,  les  parties 
canelées,  qui  ne  font  pas  en  moins  grand  nombre  dans  le  feu  que 
dans  tous  les  autres  corps  terrejîres,  prenant...  incontinent  leur 
cours  par  dedans  ces  conduits,  empefchcnt  que  les  petites  fuper- 
ficies, parla  conjonction...  defquelles  ils  font  faits,  ne  changent  fi 
aifément  de  fituation  qu'elles  failbient  auparauant;  outre  que  leur 
muti^q  attouchement,  &  la  force  de  la  pefanteur  qui  preffe  toutes 
les  parties  du  métal  l'vne  contre  l'autre,  aide  à  les  retenir  ainfi 
jointes.  Et  pource  que  cependant  ces  parties  du  métal  ne  laiffent 
pas  de  continuer  à  eftre  agitées  par  le  feu,  cela  fait  que  plufieurs 
s'accordent  enfemble  à  fuiure  vn  mefme  mouuement,  &  ainfi,  que 
toute  la  liqueur  du  métal  fondu  fe  diuife  en  plulieurs  petits  tas  ou 
petites  gouttes,  dont  les  fuperficies  deuiennenl  polies.  Car  toutes  les 

406  parcelles  du  métal  qui  font  en  quelque  façon  \  jointes  enfemble, 
cômpofent  vne  de  ces  gouttes...,  laquelle  eftant  preffée  de  tous 
coftez  par  les  autres  gouttes  qui  l'enuironnent,  &  qui  fe  meuuent  en 
autre  fens  qu'elle,  aucune  des  pointes  ou  branches  de  ces  par- 
celles ne  fçauroit  auancer  tant  foit  peu  plus  que  les  autres  hoïsàc 
fa  fuperficie,  qu'elle  ne  foit  incontinent  repouftee  vers  fon  centre 
par  les  autres  gouttes,  ce  qui  polit  cette  fuperficie;  &  cela  fait  aujji 
que  les  parcelles  qui  cômpofent  chaque  goutte,  fc  reHcrrcnt,  &  fe 
joignent  d'autant  mieux  enfemble. 

141 .  Pourquoy  l'acier  ejl  fort  dur,  &  roidc,  &  caffant. 

Lors  que  le  métal  eft  ainfi  fondu,  &  diuife  en  petites  gouttes..., 
qui  fe  difont  fans  cejfe  &  fe  refont  pendant  qu'il  demeure  liquide,  fi 
on  le  fait  prompicment  refroidir,  il  dcuicnt  de  l'acier,  qui  eft  fort 
dur  &  roide  &  caffant,  à  peu  près  comme  le  verre.  Il  eft  dur,  à 

a.  An,  137,  p.  274. 


Principes.   —  Quatriesme  Partie.  277 

caufc  que  fes  parties  font  fort  eftroitement  jointes.  Il  eft  roide  &faît 
rcjfort,  à  caufe  que  ce  n'eft  pas  l'arrengement  de  fes  parties  y  mais 
feulement  la  figure  de  fes  pores  qu'on  peut  changer  en  le  pliant, 
ainfi  qu'il  a  tantoll  efté  dit"  du  verre.  Et  il  ell  calfant,  à  caufe  que 
les  petites  gouttes...  dont  il  eft  compofé,  ne  font  jointes  que  par 
l'attouchement  de  leurs  fuperficies,'lefquellcs  ne  fe  touchent  immé- 
diatement qu'en  fort  peu  de  petites  parties. 

142.  Quelle  différence  il  y  a  entre  le  fimple  fer  et  l'acier. 

Mais  toutes  les  mines  dont  on  tire  du  fer  ne  font  pas  propres  à 
faire  de  bon  acier,  &  la  mine  |  dpnt  on  en  peut  faire  de  tres-bon...  407 
ne' donne  que  de  fimple  fer,  lors  qu'on  la  fait  fondre  à  vn  feu  qui 
n'eft  pas  tempéré  comme  il  faut.  Car,  fi  les  parcelles  de  la  mine  font 
trop  rudes  &  inégales,  en  forte  qu'elles  s'accrochent  les  vnes  aux 
autres,  auant  qu'elles  ayent  eu  le  loifir  d'ajufter  leurs  petites  fuper- 
ficies  &  fe  diftinguer  en  plufieurs  petites  gouttes,  en  la  façon  que 
fay  expliquée*' ;  ou  bien,  fi  le  feu-n'ellpas  alfe?  fort  pour  faire  que 
la  mine  fondue  fe  difiingue  ainfi  en  plufieurs  gouttes,  &  que  les 
parcelles  de  chacune  de  ces  gouttas  fe  relferrent  enfemble  ;  ou 
enfin,  s'il  eft  fi  violent  qu'il  trouble  leur  jufte  fituation,  elles  ne 
compofent  pas  de  l'acier,  mais  feulement  du  fer  commun. 

143.  Quelle  efi  la  raifon  des  diuerfes  trempes  qu'on  donne  à  l'acier. 

Et  lors  qu'on  a  de  l'acier  def-ja  fait,  fi  on  le  remet  dans  le  feu, 
il  ne  peut  pas  aifément  eftre  refondu,  &  rendu  femblabie  au  fer 
commun,  à  caufe  que  les  ^tùxts  gouttes  dont  il  a  efté  compofé,  font 
trop  grolTes  &  trop  folides,  pour  eftre  remuées  toutes  entières  par 
l'adion  du  feu,  &  que  les  parcelles  de  chacune  de  ces  gouttes 
font  aufii  trop  bien  jointes  &  trop  ferrées,  pour  eftre  tout  à  fait 
feparées  par  cette  mefme  action.  Mais  il  peut  eftre  ramolly ,  à 
caufe  que  toutes  fes  parties  font  ébranlées  par  la  chaleur.  Et 
fi  on  le  laiffe  par  après  refroidir  ajje^  lentement,  il  ne  deuient 
point  fi  dur&  roi|de  &  caffant,  comme  il  a  efté,  mais  demeure  mol  408 
&  pliant  comme  du  fer...  Dont  la  raifon  eft  que,  pendant  qu'il  fe 
refroidit...,  les  petites  branches  des  parcelles  qui  compofent  chacune 
de  fes  gouttes,  &   que  j'ay  dit 'eftre    repouffées   en   dedans  par 

a.  Art.  i32,  p.  270-271. 

b.  Art.  140,  p.  276. 

c.  Ibidem. 


278  OEUVRES  DE  Descartes. 

l'adion  des  autres  gouttes  qui  Venuironnent,  ont  loifir,  à  mefure  que 
la  force  de  cette  adion  diminue,  de  s'auancer  quelque  peu  hors  de  fa 
fuperficie ,  fuiiiant  en  cela  leur  plus  naturelle  Jituation,  &  par  ce 
moyen  de  s'accrocher  &  s'entrelacer  auec  celles  qui  s'auancent  en 
me/me  façon  hors  des  fuperjîcies  des  autres  gouttes.  Ce  qui  fait 
que  les  parcelles  de  chaque  goutte  ne  font  plus  li  eftroitement 
jointes  &  refferrées  enfemble,  &  aulTi  que  ces  gouttes  ne  fe  touchent 
plus  imniediatement,  mais  font  feulement  liées  par  les  petites 
pointes  ou  branches  qui  fortent  de  leurs  Juperf  des... ^  au  moyen  de 
quoy  l'acier  n'eft  plus  7?  dur,  ny  roidc,  ny  calVant,  comme  il  a  ejlé... 
Mais  il  demeure  touf-jours  cette  différence  entre  luy  &  le  fimple  fer, 
qu'on  luy  peut  rendre  fa  première  dureté...,  en  le  faifant  rougir 
dans  le  feu  &  après  refroidir  tout  t  coup,  au  lieu  que  le  fer  commun 
ne  peut  eftre  rendu  fi  dur  en  mefme  façon.  Dont  la  raifon  eft  que 
les  parcelles  de  l'acier  ne  font  point  fi  éloignées  de  la  fituation  en 
laquelle  il  faut  qu'elles  foient  pour  le  rendre  fort  dur,  qu'elles  n'y 
409  puifjfent  eftre  remifes  par  l'action  du  feu,  &  la  retenir,  lors  que  le 
froid  fuccede  fort'promptement  à  la  chaleur  :  au  lieu  que  les  parties 
du  fer,  n'ayant  jamais  eu  vne  telle  fituation,  ne  la  peuuent  ainfi 
acquérir.  Or,  afin  de  faire  que  le  fer...  ou  l'acier  fe  refroidiife  fort 
promptement,  on  a  couftume  de  le  tremper  en  de  l'eau  ou  dans 
quelques  autres  liqueurs  froides  ;  comme,  au  contraire,  afin  qu'il 
fe  refroidiffe  lentement  &  deuienne  plus  mol,  on  le  trempe  en  de 
l'huile  ou  en  quelqu'autre  liqueur  graffe.  Et  pource  qu'à  mefure 
qu'il  fe  rend  plus  dur...,  il  dénient  aufli  pluscalfant,  les  artifans  qui 
en  font  des  efpées,  des  fcies,  des  limes,  &  autres  diuers  indrumens, 
n'employent  pas  touf-jours  les  plus  froides  liqueurs  à  le  tremper^ 
mais  celles  qui  font  tempérées  &  proportionnées  à  l'effet  qu  ilr- 
défirent.  Ainfi  la  trempe  des  limes  ou  des  burins  efl  différente  de  celle 
des  fcies  ou  des  efpées  &c.,  félon  que  la  dureté  eft  plus  requifc  aux 
vn«  de  ces  inftrumens  qu'aux  autres,  &  qu'il  eft  plus  ou  moins  à 
craindre  qu'ils  ne  fe  calfent.  C'eft  pourquoy  on  peut  dire  auec 
raifon  qu'on  tempère  l'acier,  lors  qu'on  le  trempe  bien  à  propos. 

/  44.  Quelle  différence  il  y  a  entre  les  pores  de  Vaymant, 
de  l* acier  &  du  fer. 

Pour  ce  qui  eft  des  petits  conduits  propres  à  rcceuoir  les  parties 
canelées,  on  connoift,  de  ce  qui  a  eftc  dit',  qu'il  y  en  doit  auoir  en 

a.  Art.  134-140,  p.  272-376. 


Principes.  —  Quatriesme  Partie.  279 

trcs-grand  nombre,  tant  dans  l'acier  que  dans  le  (qt,&  mef\me  beau-  4i0 
coup  plus  que  dans  Vaymaiit,  dans  lequel  il  j- a  touf-fours  plujieurs 
parties  qui  ne  font  point  métalliques.  On  connoirt  aulîi  que  ces  con- 
duits doiuent  eftre  beaucoup  plus  entiers  &  plus  parfaits  dans 
l'acier  que  dans  le  fer,  &  que  les  petites  pointes  que  fay  dit'  efîre 
couchées  dans  leurs  replis  ne  s'y  renuerfent  pas  fi  ailément  d'vn 
cofté  fur  l'autre,  qu'ils  font  dans  le  fer  :  premièrement,  à  caufe  que 
la  mine  dont  on  fait  l'acier  efi  la  plus  pure,  (?  celle  dont  les  parcelles 
ont  jnoins  changé  depuis  qu'elles  font  f orties  de  la  Terre  intérieure  ; 
puis  aujji,  à  caufe  qu'elles  j' font  mieux  agencées  &  plus  ferrées  que 
dans  le  fer.  Enfin  on  cbnnoift  que  ces  conduits  ne  font  point  tous 
tournez,  ny  dans  l'acier  uy  dans  le  fer,  ainfi  qu'ils  font  dans  l'ay- 
mant  :  à  fçauoir,  en  forte  que  toutes  les  entrées  des  conduits,  par 
où  les  parties  canelces  qui  viennent  du  pôle  Auflral  peuuent  paffer, 
regardent  vn  mefme  colté,  &  que  toutes  celles  qui  peuuent  receuoir 
les  parties  canelées  qui  viennent  du  pôle  Septentrional,  regardent 
le  cofié  contraire;  mais,  que  ces  conduits  y  font  tournez  en  di- 
uerfes  façons  &  fans  aucun  .ordre  certain,  à  caufe  que  l'adion  du 
feu  a  diuerfement  changé  leur  fituation.  Il  efi  vray  que,  pendant 
le  moment  que  cette  action  celfe,  <S'-  que  le  fer  ou  l'acier  embrafé  fe 
refroidit,  les  |  parties  canelées  qui  coulent  touf-jours,  par  le  dej/'us  411 
de  la  Terre,  d'vn  de  fcs  pôles  vers  l'autre,  peuuent  difpofer  quelques 
vns  de  leurs  conduits...  en  la  façon  qu'ils  doiuent  eftre  afin  qu'elles 
y  aycnt  libre  palfage  ;  à'-  elles  peuuent  auJJi  difpofer  ainfi  peu  à  peu 
quelques  vns  des  pores  de  l'acier  ou  du  fer  qui  n'eji  point  embrafé  y 
lors  qu'il  demeure  long-temps  en  me  mefme  fttuation.  Mais  pource 
qu'il  y  a  beaucoup  plus  de  tels  conduits,  dans  le  fer  &  l'acier,  que 
les  parties  canelées  qui  paffent  par  l'air  n'en  peuuent  remplir,  elles 
n'en  peuuent  ainfi  difpofer  que  fort  peu  :  ce  qui  eft  caufe  qu"\\  n'y  a 
aucun  fer  nv  acier  qui  n'ait  quelque  chofe  de  la  vertu  de  l'aymant..., 
bien  qu'il  n'f  en  ait  pref que  point  qui  en  ait  tant,  qu'il  n'en  puiffe 
auoir  encore  dauantage. 

145.  Le  dénombrement  de  toutes  les  propriété^  de  l'aymant. 

Et  toutes  ces  chofes  fuiuent  fi  clairement  des  principes...  qui  ont 
efté  cy-deflus  expofez'',  que  je  ne  lailferois  pas  de  juger  qu'elles  font 
telles  que  je  viens  de  dire,  encore  que  je  n'aurois  aucun  égard  aux 

a.  Partie  III,  art.  io6,  p.  i63. 

b.  Partie  II,  art.  37,  Bq,  40,  p.  84,  85  et  86. 


28o  OEuVRES    DE    DeSCARTES. 

proprietez...  qui  en  peiiuent  ejîre  déduites  ;  mais  j'efpere  maintenant 
faire  voir  que  toutes  celles  de  ces  proprietez  que  les  plus  curieufes 
expériences  des  admirateurs  de  l'aymant  ont  pu  découurir  jujques  à 
prefent,  peuuent  H  facilement  eftre  expliquées  par  leur  moyen,  que 
cela  feu!  fuffiroit  pour  perfuader  qu'elles  font  vrayes,  encore  qu'elles 
412  n'auroient  point  |  efté  déduites  des  premiers  principes  de  la  nature. 
Et  afin  qu'on  remarque  mieux  quelles  font  toutes  ces  proprietez...,  je 
les  réduiray  icy  à  certains  articles  qui  font  : 

1.  Qu'il  y  a  deux  pôles  en  chaque  aymant,  l'vn  defquels,  en 
quelque  lieu  de  la  Terre  que  ce  foit,  tend  touf-Jours  à  eftre  tourné 
vers  le  Septentrion,  &  l'autre  vers  le  Zud\  > 

2.  Que  ces  pôles  de  l'aymant  tendent  aujfi  à  fe  pencher  vers... 
la  Terre  ;  &  ce  diuerfement,  à  raifon  des  diuers  lieux  où  il  elt 
tranfporté''. 

3.  Que,  lors  que  deux  aymans  de  figure  ronde  (ont  proches,  cha- 
cun d'eux  fe  tourne  &fe penche  vers  l'autre,  en  mefme  façon  qu'vn 
feul  fe  tourne  &  penche'  vers  la  Terre". 

4.  Que,  lors  qu'ils  font  ainfi  tournez  l'vn  vers  l'autre,  ils  s'ap- 
prochent y«/^W(?s  à  ce  qu'ils  fe  touchent'. 

5.  Que,  s'ils  font  retenus /?ar  contrainte  en  vne  fituation  contraire 
à  celle-là,  ils  fe  fuyent  &  fe  reculent  l'vn  de  l'autre'. 

6.  Que,  fi  vn  aymant  eft  diuifé  en  deux  pièces  fuiuant...  la  ligne 
qui  joint  fes  deux  pôles,  les  parties  de  chacune  de  ces  pièces  tendent 
à  s'éloigner  de  celles  de  l'auti'e  pièce,  dont  elles  eftoient  les  plus 
proches  auant  la  diuifion'-'. 

7.  Que,  s'il  eft  diuifé  en  vn  autre  fens,  en  forte  que  le  plan  de  la 
4<3     diuifion  coupe  à  angles  droits  |  la  ligne  qui  joint  fes  pôles,  les  deux 

points  de  cette  ligne  ainfi  coupée,  qui  fe  touchoient  auparauant,  & 
font  l'vn  en  l'vne  des  pièces  de  l'aymant  &  l'autre  en  l'autre,  y  font 
deux  pôles  de  vertu  contraire,  en  forte  que  l'jni  tend  à  fe  tourner  vers 
le  Nord,  &  l'autre  vers  le  Zud". 

8.  Que,  bien  qu'il  n'y  ait  que  deux  pôles  en  chaque  aymant,  l'vn 
Boréal  &  l'autre  Auftral,  il  ne  laiftc  pas  d'y  en  auoir  aulfi  deux...  en 

a.  Art.  i5o  ci-après. 

b.  An.  i5i. 

c.  Lire  :  fe  penche  ? 

d.  Art.  i52. 
c  Art.  i53. 

f.  Art.  154. 

g.  Art.  i55. 
h.  Art.  i56. 


Principes.  —  Quatriesme  Partie.  281 

chacune  de  fes  parties,  lors  qu'elle  ejt  feule;  &  ainfi,  que  la  vertu 
de  chaque  partie...  eft  femblable  à  celle  qui  eft  dans  le  tout*. 

9.  Que  le  fer  peut  leceuoir  cette  vertu  de  l'aymant,  lors  qu'il  en 
eft  touché  ou  feulement  approché  \ 

10.  Que,  félon  le  cofté  qu'on  le  tourne  en  l'en  approchant,  il  reçoit 
diuerfement  cette  vertu  ^ 

11.  Que,  neantmoins,  en  quelque  façon  qu'on  en  approche  vn 
morceau  de' fer,  qui  eft  beaucoup  plus  long  que  large,  il  la  reçoit 
touf-jours  fuiuant  fa  longueur''. 

12.  Que  l'aymant  ne  perd  rien  de  cette  vertu,  encore  qu'il  la 
communique  au  fer'. 

i3.  Qu'il  la  luy  communique  en  fort  peu  de  temps  ;  mais  que,  fi 
le  fer  demeure  fort  long-temps  eu  mefme  fituation  contre  l'aj'maiitf 
elle  s'y  fortifie  £■  sy  affermit  dauantage'. 

14.  Que  le  plus  dur  acier  reçoit  vne  vertu  plus  |  forte,  &  retient     414 
celle  qu'il  a  receuë  beaucoup  mieux  que  le  fer  commun*. 

i5.  Qu'il  en  reçoit  dauantage  d'vne  bonne  pierre  que  d'vne 
moindre\ 

16.  Que  toute  la  Terre  eft  vn  aymant,  &  qu'elle  communique 
auffi  au  fer  quelque  peu  de  fa  vertu  '. 

17.  Que,  bien  que  la  Terre  foit  grande,  cette  vertu  ne  paroift  pas 
en  elle  fi  forte  qu'en  la  plufpart  des  pierres  d'aymant,  qui  font 
incomparablement  plus  petites'. 

18.  Que  les  aiguilles  touchées  de  l'aymant  tournent  leurs  bouts, 
l'ptt  vers  le  Nord,  l'autre  vers  le  Zud,  ainfi  que  l'aymant  tourne  fes 
pôles  ^ 

19.  Mais  que  uj'  les  pôles  de  ces  aiguilles,  ny  ceux  des  piérides 
d'aymant^  ne  fe  tournent  pas  fi  juftement  vers  les  pôles  de  la  Terre, 
qu'ils  ne  s'en  écartent  fouuent  quelque  peu;  &  ce,  plus  ou  moins, 
félon  les  diuers  lieux  où  elles  font  '. 

a.  Art.  157  ci-après. 

b.  Art*.  i58. 

c.  Art.  159. 
d".  Art.  160. 

e.  Art.  161. 

f.  Art.  162. 

g.  Art.  i63. 
h.  Art.  164. 
i.  Art.  i65. 
j.  Art.  166. 
k.  Art.  167. 
1.  Art.  168. 


282  OEUVRES  DE  Descartes. 

20.  Et  que  cela  peut  aufll  changer  auec  le  temps  %  en  forte  qu'il  Y 
a  maintenant  des  lieux  oîi  cette  déclinai/on  de  l'aymanl  ejl  moindre 
quelle  n'a  ejlé  aujîeclepajj'é,  &  d'autres  oii  elle  eji  plus  gi^ande^. 

21.  Que  cette  déclinaifon  eft  nulle,  ainfi  que  quelques-vns  difcnt, 
ou  peut-eftre  qu'elle  n'ert  pas  la  mefme  ny  fi  grande,   quand  vn 

415     aymant  eil  perpendiculairement  cleué   fur  l'vn  de  fes  pôles,  |  que 
lors  que  les  deux  pôles  font  également  diftans  de  la  Terre'. 

22.  Que  l'aymant  attire  le  fer". 

23.  Qu'eftant  armé  il  en  peut  fouilenir  vne  plus  grande  quantité, 
que  lors  qu'il  ne  Tell  point". 

24.  Que,  bien  que  fes  pôles  foient  de  vertu  contraire  en  autre 
chofe-,  ils  s'aydent  neantmoins  à  fouftenir  vn  mefme  morceau  de 
fer'. 

25.  Que,  pendant  qu'vne  piroiiete  de  fer  tourne,  foit  à  droit,  foit 
à  gauche,  fi  on  la  tient  fufpendud  à  vn  aymant,  elle  n'efi:  point 
empefchée  par  luy  de  continuer  à  fe  mouuoir''. 

26.  Que  la  vertu  d'vn  aymant  eft  quelquefois  augmentée,  &  quel- 
quefois diminuée,  par  le  voijinage  d'vn  morceau  de  fer,  ou  d'vn 
autre  aymant,  félon  les  diuers  collez  qu'ils  font  tournez  vers  luy''. 

27.  Qu'vn  morceau  de  fer  &  vn  aymant,  tant  foible  qu'il  foit, 
eftans  joints  enfemble,  ne  peuuent  eftre  feparez  par  vn  autre  aymant, 
bien  que  très-fort,  pendant  qu'il  ne  les  touche  point'. 

28.  Et  qu'au  contraire  le  feu*  joint  à  vn  aymant  qui  eft  très-fort, 
en  peut  fouuent  eftre  ieparé  par  vn  aymant  plus  foible...,  lors  qu'il 
le  touche*. 

29.  Que  le  cojlé  de  l'aymant  qui  tend  vers  le  Nord,  peut  fouftenir 
416     plus  de  fer  en  ces  régions  |  Septentrionales,  que  ne  fait  fon  autre 

cofté...". 

30.  Que  la  limure  de  fer  s'arrenge  en  certain  ordre  autour  des 
pierres  d'aymant'. 

a.  Voir  Correspondance,  t.  III,  p.  46. 

b.  Art.  169  ci-après. 

c.  Art.  170. 

d.  Art.  171. 
c.  An.  172. 

f.  Art.  173. 

g.  Art.  174. 
h.  Art.  175. 
i.  Art.  176. 
j.  Art.  177. 
k.  Art.  178. 
1.   Art.  179. 


Principes.  —  Quatriesme  Partie.  28J 

3i.  Qu'appliquant  vne  lame  de  fer  contre  l'vn  des  pôles  de  l'ay- 
mant,  on  deftourne  la  vertu  qu'il  a  pour  attirer...  d'autre  fer  vers 
ce  mejme  pôle  *. 

32.  Et  que  cette  vertu  ne  peut  eftre  dejloiirnçe  iiy  empefchée  par 
aucun  autre  corps  qui  foît  mis  en  la  place  de  cette  lame  de  fer  ^ 

33.  Que  fi  vn  aymant  demeure  long-temps  autrement  tourné,  au 
regard  de  la  Terre.ou  des  autres  aymans  dont  il  eft  proche,  qu'il  ne 
tend  naturellement  à  fe  tourner...,  cela  luy  fait  peu  à  peu  perdre  fa 
force". 

34.  Et  enfin,  que  cette  force  luy  peut  eftre  oftée  par  le  feu,  & 
diminuée  par  la  rouille  &  par  l'humidité...,  mais  non  point  par 
aucune  autre  choe  qui  nous  foit  connue  ''. 

146.  Comment  les  parties  canelées  prennent  leur  cours  au  trauers 
&  autour  de  la  Terre. 

Maintenant,  pour  entendre  les  railbns  de  ces  proprietez  de  l'ay- 
mant,  confiderons  cette  figure'  en  laquelle  ABCD  reprefente  la 
Terre,  dont  A  elt  le  pôle  Auftral  ou  du  Zud,  &  B  eft  le  Boréal  ou 
celuf  du  Nord,  Et  toutes  ces  petites  viroles  qu'on  a  peintes  autour, 
neprejentent  les  parties  canelées,  touchant  lefquclles  il  faut  remar- 
quer que  les  vnes  font  tournées  tout  au  rebours  des  autres...,  ce  qui 
eft  caufe  qu'elles  ne  |  peuuent  pafTer  par  les  mefmes  pores  ;  &  que  417 
toutes  celles  qui  viennent  de  la  partie  du  Ciel  marquée  E,  qui  eft  le 
Zud,/o///  tournées  en  vn  meftne  fens,  &  ont  en  la  moitié  de  la  Terre 
CAD  les  entrées  des  pores,  par  oii  elles  paflent  a?is  cejfe  en  ligne 
droite  jufques  à  la  fuperficie  de  fon  autre  moitié  CBD,  puis  de  là 
retournent  circulairement  de  part  &  d'autre,  par  dedans  l'air,  l'eau 
&  les  autres  corps  de  la  Terre fupei^ieure,  vei's  CA  D;  &  qu'en  mefme 
façon  toutes  celles  qui  font  tournées  en  Vautre  fens,  viennent  du  Nord 
F,  &  entrant  par  l'hemifphere  CBD,  prennent  leur  cours  en  lignes 
droites  au  dedans  de  la  Terre  jufques  à  l'autre  hemifphere  CAD, 
par  où  efiant  for  lies  elles  retournent  par  l'air  vers  CBD.  Car  il  a 
efié  dit'  que  les  pores  par  où  elles  pafTent  aw  trauers  de  la  Terre, 
font  tels,  qu'elles  n'y  peuuent  entrer  par  le  mefme  cofté  par  où  elles 
peuuent  fortir. 

a.  Art.  180  ci-après. 

b.  Art.  181. 

c.  Art.  182. 

d.  Art.  i83. 

c.  Planche  XIX,  figure  i. 
f .  Art.  i33,  p.  271. 


284  OEuvREs  DE  Descartes. 


14-] .  Qu'elles  pajfent  plus  difficilement  par  l'air  &  par  le  rejîe 
de  la  Terre  extérieure,  que  par  l'intérieure. 

Il  faut  aujji  remarquer  qu'ïX  afflue  touf-jour?  cependant  de  nou- 
uelies  parties  canelées  vers  la  Ter?^e,  des  endroits  du  Ciel  qui  font 
au  Zud  &  au  Nord,  bien  qu'elles  n'a/ent  pu  commodément  eflre  icy 
repr ef entées  ;  mais  qu'il  y  en  a  autant  d'autres,  qui  retournent  dans 
le  Ciel  vers  G  &  H,  ou  bien  qui...  perdent  leur  figure  en  y  allant. 
418  II  eft  vray  qu'elles  ne  la  peuuent  jamais  perdre,  pendant  qu'el|les 
trauerfent  le  dedans  de  la  Terre,  à  caule  qu'elles  y  trouuent  des 
conduits  fi  ajullez  à  leur  mefure,  qu'elles  y  pairent...  fans  aucun 
empefchement.  Mais,  pendant  qu'elles  retournent  par  l'air  ou  l'eau 
ou  les  autres  corps  de  la  Terre  extérieure  dans  lefquels  elles  ne 
trouuent  point  de  tels  pores,  elles  y  palfent  auec  beaucoup  plus  de 
difficulté  ;  &  pource  qu'elles  y  font  continuellement  heurtées  par 
les  parties  du  fécond  &  du  troifiéme  élément,  /'/  efl  aifé  à  croire 
que  fouuent  elles  y  changent  défigure. 

148.  Qu'elles  n'ont  pas  la  me/me  difficulté  à  paffier  par  l'aymant  '. 

Or,  pendant  que  ces  parties  canelées  ont  ainji  de  la  difficulté  à 
couler  par  dedans  la  Terre  extérieure,  fi  elles  y  rencontrent  vne 
pierre  d'aymant  dans  laquelle  il  y  a  des  conduits  ajuftez  à  leur  me- 
fure, tout  de  mefme  qu'en  la  Terre  intérieure...,  elles  doiuent  fans 
doute  paifer  plus  aifément  par  dedans  cette  pierre,  qu'elles  ne  font 
par  l'air,  ou  par  les  autres  corps...  d'alentour  :  au  moins,  fi  elle  eft 
en  telle  fituation,  que  les  entrées  de  fes  pores  foient  tournées  vers 
les  coftez  d'où  viennent  les  parties  canelées  qu'ils  peuuent  aifément 
receuoir. 

i4g.  Quels  font  fes  pôles. 

Et  comme  le  pôle  Auftral  de  la  Terre  eft  juftement  au  milieu  de 
celle  de  fes  moitié^  par  où  entrent  les  parties  canelées  qui  viennent 
du  Ciel  du  cofté  du  Zud,  ainfi  je  nomme  le  pôle  Auftral  de  l'aymant 
^9  ccluy  de  fes  points  qui  eft  au  |  milieu  de  celle  de  fes  moitiez  par  où 
entrent  les  mefmes  parties,  &  je  prens  le  point  oppofc  pour  fon  pôle 
Septentrional...  :  nonobftant  que  je  i'çache  bien  que  cela  eft  contre 
l'vfagc  de  plufieurs,  qui,  voyant  que  le  pôle  de  l'aymant,  que  je 

a.  Planche  XIX,  hgurc  1. 


Principes.  —  Quatriesme  Partie.  285 

nomme  Auftral,yê  tourne  naturellement  vers  le  Septentrion,  comme 
j'expliqueray  tout  maintenant*^  l'ont  nommé  fon  pôle  Septentrional, 
&  pour  me/me  raifon,  ont  nommé  l'autre  fon  pôle  Aujiral.  Car  il  me 
femble  qu'il  n'y  a  que  le  peuple,  auquel  on  doiue  laiffer  le  droit 
d'authorifer  par  vn  long  vfage  les  noms  qu'il  a  mal  impofez  aux 
chofes  ;  &  pource  que  le  peuple  n'a  point  couftume  de  parler  de 
ctWQ-cy ,  mais  feulement  ceux  qui  philofophent,  &  défirent  fçauoir  la 
vérité,  Je  m'affure  qu'ils  ne  trouueront  pas  mauuais  que  je  préfère  la 
raifon  à  l'if  âge. 

i5o.  Pourquoy  ils  Je  tournent  vers  les  pôles  de  la  Terre  ". 

Lors  que  les  pôles  de  l'aymant  ne  font  pas  tournez  vers  les  coder 
de  la  Terre  d'où  viennent  les  parties  canelées  qu'ils  peuuent  rece- 
uoir,  elles  fe  prefentent  de  biais  pour  y  entrer,  &  par  la  force 
qu'elles  ont  à  continuer  leur  mouuement  en  lignes  droites,  elles 
pouffent  celles  de  fes  parties  qu'elles  rencontrent,  jufques  à  ce 
qu'elles  leur  ayent  donné  la  fituation  qui  leur  efl  la  plus  commode  : 
au  moyen  de  quoy,  fi  cet  aymant  n'eft  point  retenu  par  d'autres 
corps  plus  forts,  elles  le  contraignent  de  fe  mouuoir  \  jujques  à  ce  420 
que  celuy  de  fes  pôles  que  je  nomme  Auftral,foit  entièrement  tourné 
vers  le  Boréal  de  la  Terre,  &  celuy  que  je  nomme  Boréal,  vers 
l'Auftral.  Dont  la  raifon  efl  que  les  parties  canelées  qui  viennent  du 
cofté  du  Nord  vers  l'aymant,  font  les  mefmes  qui  font  entrées  dans 
la  Terre  intérieure  par  le  cofté  du  Zud,  &  en  font  forties  par  le  Nord; 
comme  aufli  celles  qui  viennent  du  Zud  vers  l'aymant,  font  les 
mefmes  qui  font  entrées  par  le  Nord  en  la  Terre  intérieure... 

i5i .  Pourquoi'  ils  fe  penchent  auffi  diuerfement  vers  fon  centre, 
à  raifon  des  diuers  lieux  où  ils  font  ''. 

La  force  qu'ont  les  parties  canelées  pour  continuer  leur  mouuement 
en  ligne  droite,  fait  auffi  que  les  pôles  de  l'aymantfe  penchent  l'vn 
plus  que  l'autre  vers  la  Terre,  &  ce  diuerfement,  félon  les  diuers 
lieux  où  il  eft.  Par  exemple,  en  l'aymant  L,  qui  efl  icy  direâement 
pofé  fur  l'Equateur  de  la  Terre,  les  parties  canelées  font  bien  que  fon 

a.  Article  suivant,  sur  la  fin. 

b.  Propriété  i,  p.  280  ci-avant. 

c.  Sic,  par  exception,  au  lieu  de  Pourquoy.  Voir  aussi  ci-après,  p.  292. 
artiUe  i63  et  p.  295,  articles  167  et  168. 

d.  Propriété  2,  p.  280. 


286  Œuvres  de  Descartes. 

pôle  Au(lral  a  eft  tourné  vers  B,  le  Boréal  de  la  Terre,  &  fon  autre 
pôle  b...  vers  l'Auftral  A...,  pource  que  celles  qui  entrent  par  J on 
cojlé  C  a  G,  font  aujjî  entrées  en  la  Terre  par  CAD,  &  /orties  par 
CBD';  mais  elles  ne  font  point  pencher  l'vn  de  ces  pôles  plus  que 
l'autre,  à  caufe  que  celles  qui  viennent  du  Nord  n'ont  pas  plus  de 
force  à  en  faire  baijfer  pn,  que  celles  qui  viennent  du  Zud  à  faire 
baijfer  l'autre.  Et  au  contraire,  en  l'aymant  ,N,  qui  efl  fur  le  pôle 
4*1     Boréal  de  la  Terre,  les  parties  canelées  font  que  j  fon  pôle  Auflral  a 
s'abaiffe  entièrement  vers  la  Terre,  &  que  l'autre  b  demeure  éleué 
tout  droit  au  deffus.  Et  en  l'aymant  M,  qui  eft  entre  l'Equateur  & 
le  Nord... y  elles  font  pencher  fon  pôle  Auflral  plus  ou  moins  bas, 
félon  que  le  lieu  où  eft  cet  aymant  eft  plus  proche  du  Septentrion 
ou  du  Midy.Et  en  l'autre  hemifphere,  elles  font  pencher  le  pôle  Boréal 
des  aj'mans  I  &  K,  en  mefme  façon  que  l'Auftral  des  aymans  N  & 
M  en  cetuf-cf.  Dont  les  raifons  font  éuidentes  :  car  les  parties  cane- 
^    lées...  qui  fortent...  de  la  Terre  par...  B,  &  entrent  en  l'aymant  N 
par  a,  y  doiuent  continuer  leur  cours  en  ligne  droite,  à  caufe  de  la 
facilité  du  p  a  [f âge  qu  elles  y  trouuent,  &  que  les  autres  pairies  cane- 
lées, qui  viennent  d'A  par  H  &  G  vers  N,  n'entrent  pas  en  luy  beau- 
coup plus  difficilement  pour  cela  par  fon  pôle  b.   Tout  de  mefme  les 
parties  canelées  qui  entrent  par  a,  le  coflé  Auflral  de  /'aymant  M, 
fortent  de  la  fuperficie  de  la  Terre  intérieure  qui  eft  entre  B  &  M  : 
c'cft  pourquoy  elles  doiuent  faire  pencher  fon  pôle  a,  enuiron  vers  le 
milieu  de  cette  fuperficie  ;  &  cela  ne  peut  eftre  empefché  par  les 
autres  parties  canelées  qui  entrent  par  l'autre  coflé  de  cet  aymant,  à 
caufe  que,  venant  de  l'autre  hemifphere  de  la  Terre,  &  ainfi  deuant 
necejfairement  faire  tout  vn  dcmy  tour  pour  y  entrer,  elles  ne  fe 
42Î     deftournent  pas  daluantage,  en  pajfant par  cet  aymant  lors  qu'il  eft 
ainfi  fitué,  quefi  elles  ne  pajfoient  que  par  l'air. 

i5a.  Pourquoy  deux  pierres  d'aymant  fe  tournent  Vvne  vers  l'autre^  ainji 
que  chacune  Je  tourne  vers  la  Terre,  laquelle  ejl  aufji  vn  aymant  \ 

Ainfi  on  voit  que  les  parties  canelées  prennent  leur  cours  par  les 
pores  de  chafque  pierre  d'aymant,  en  mefme  façon  que  par  ceux  de 
la  Terre  :  d'où  il  fuit  que,  lors  que  deux  aymans  de  figure  ronde /ow/ 
prochtfs,  chacun  d'eux  fc  doit  tourner  6^  pencher  vers  l'autre,  en 
mefme  façon  qu'il  fe  penclieroit  vers  la  Terre,  s'il  efloit  fcul.  Car  il 

a.  Kn  marge  :  «  Voyez  la  ligure  precedcnie.  »  Planche  XIX,  tigurc  i. 

b.  Propriété  3,  p.  a8o. 


Principes.  —  Quatriesme  Partie.  287 

faut  remarquer  qu'il  y  a  touf-jours  beaucoup  plus  de  ces  parties  ca- 
nelées  autour  des  pierres  d'aymant,  qu'il  n'y  en  a  aux  autres  endroits 
de  l'air...,  à  caufe  qu'ajpre?  qu'elles  font  /orties  par  l'vn  des  coJîe\  de 
l'afmanty  /a  refiftence  qu'elles  trouuent  en  l'air  qui  les  enuironne, 
fait  que  la  plufpart  retournent  par  cet  air  vers  Vautre  cojlc  de  cet 
aymant  par  lequel  elles  entrent  derechef:  &  ainjî,  plujîeurs  demeu- 
rant autour  de  luy,  elles  f  font  une  efpece  de  tourbillon,  tout  de  me/me 
qu'il  a  ejlé  dit  qu'elles  font  autour  de  la  Terre.  De  forte  que  toute 
cette  Terre  peut  auiTi  eftre  prife  pour  vn  aymant,  lequel  ne  diffère 
point  des  autres,  fmon  en  ce  qu'il  eft  beaucoup  plus  grand...,  &  que 
fur  fa  fuperficie^  où  nous  viuons,  fa  vertu  ne  paroijî  pas  ejîre  bien 
forte. 

i53.  Pour^uoy  deux  aymans  s'approchent  l'vn  de  l'autre, 
&  quelle  ejî  la  Jphere  de  leur  vertu*. 

Outre  que  deux  aymans  qui  font  proches  fe  tournent  jufques  à  ce 
que  le  pôle  Auftral  de  l'vn  |  regarde  le  pôle  Boréal  de  l'autre,  ils  423 
s'approchent  en  fe  tournant  ou  bien  après  eftre  ainfi  tournez,  juf- 
ques à  ce  qu'ils  viennent  à  fe  toucher,  lors  que  rien  n'empefche  leur 
mouuement.  Car  il  faut  remarquer  que  les  parties  canelées  paflent 
beaucoup  plus  vite  par  les  conduits  de  l'aymant  que  par  l'air,  dans 
lequel  leur  cours  efl  arrefié  par  le  fécond  &  troiftéme  élément  qu'elles 
rencontrent,  au  lieu  qu'^n  ces  conduits  elles  ne  fe  méfient  qu'auec  la  * 
plus  fubtile  matière  du  premier  élément...,  laquelle  augmente  leur 
vitejfe.  C'e/l  pourquoj-  elles  continuent  quelque  peu  leur  mouuement 
en  lignes  droites,  après  efire  forlies  de  l'aymant,  auant  que  la  re- 
fflance  de  Vair  les  puijfe  defîourner  ;  &  ft,  en  l'efpace  par  où  elles 
pont  ainJî  en  lignes  droites,  elles  rencontrent  les  conduits  d'vn  autre 
aymant,  qui  foient  dijpofei  à  les  receuoir,  elles  entrent  en  cet  autre 
aymant  au  lieu  de  fe  deflounier,  &  chaffant  Vair  qui  efî  entre  ces 
deux  aymans,  font  qu'ils  s'approchent  l'vn  de  l'autre.  Par  exemple, 
les  parties  canelées  qui  coulent  dans  les  conduits  de  l'aymant 
marqué  0^..,  les  vnes  de  B  vers  A,  &  les  autres  d'A  vers  B,  ont  la 
force  de  paffer  outre  en  ligne  droite  des  deux  coftez  jufqu'à  R  &  S, 
auant  que  la  refifîance  de  l'air  les  contraigne  de  prendre  leur  cours 
de  part  &  d'autre  vers  V.  Et  note^  que  tout  l'efpace  RVS,  qui 
contient  \  le  tourbillon  que  font  les  parties  canelées  autour  de  cet  424 
aymant  O,  fe  nomme  la  fphere  de  fon  adiuité  ou  de  fa  vertu  ;  &  que 

a.  Propriété  4,  p.  280. 

b.  Planche  XIX,  figure  2. 


288  Œuvres  de  Desgartes. 

cette  fphere  eft  d'autant  plus  ample  qu'il  eft  plus  grand,  ou  du 
moins  qu'il  eft  plus  long...,  pource  que  les  parties  canelées,  y  cou- 
lant par  de  plus  longs  conduits,  ont  loifir  d'y  acquérir  la  force  de 
pajfer  plus  auant  dans  fair  en  ligne  droite.  Ce  qui  fait  que  la  vertu 
des  grands  aymans  s'ejîend  touf-jours  beaucoup  plus  loin  que  celle 
des  petits,  bien  que  d'ailleurs  elle  fait  quelquefois  plus  foible  :  à 
fçauoir,  lors  qu'il  n'jr  a  pas  tant  de  conduits,  propres  à  receuoir  les 
parties  canelées,  dans  vn  grand  aymant  que  dans  vn  moindre.  Or 
fi  la  fphere  de  la  vertu  de  i'aymant  O  eftoit  entièrement  feparée  de 
celle  de  l'ajmant  P,  qui  efl  TXS,  encore  que  les  parties  canelées 
qui  fortent  de  cet  aymant  O  poufferoient  l'air  qui  eft  vers  R  & 
vers  S,  comme  elles  font,  elles  ne  le  chalferoient  point  pour  cela  des 
lieux  où  il  eft,  à  caufe  qu'il  ji'auroit  point  d'autre  lieu  où  il  puft 
aller,  pour  éuiter  d'ejlre  pouffé  par  elles,  &  rendre  leur  cours  plus 
facile.  Mais  maintenant  que  les  fpheres  de  ces  deux  aymans  font 
tellement  jointes  en  S,  que  le  pôle  Boréal  de  Vvn  regarde  le  pôle 
Auftral  dp  l'autre,  ilfe  trouue  vn  lieu  où  l'air  qui  eft  vers  8  peutfe 
425  r  titrer,  à  fçauoir  vers  R  &  vers  T,  derrière  ces  deux  aj'\mans,  en 
faifant  qu'ils  s'approchent  l'vn  de  l'autre;  car  il  efl  éuident  que  cela 
facilite  le  cours  des  parties  canelées,  aufquelles  il  ejl  plus  aifé  de 
pajfer  en  ligne  droite  d'vn  armant  en  l'autre,  que  défaire  deux  tour- 
billons fepare^  autour  d'eux;  &  elles  peuuent  pajfer  ainji  en  ligne 
droite  de  l'vn  en  l'autre,  d'autant  plus  aifément  qu'ils  font  plus  pro- 
ches. C'ejl  pourquof  elles  chaffent,  vers  R  &  vers  T,  l'air  qui  fe 
trouue  entre-deux...;  &  cet  air  ainfi  chaffé  fait  auancer  les  deux 
aymans  d'R  &  T  vers  S... 

i54.  Pourquoy  aujft  quelquefois  ils  Je  fuient*. 

Mais  cela  n'arriue  que  lors  que  le  pôle  Aufîral  de  Vvn  de  ces 
aymans  efl  tourné  vers  le  Boréal  de  l'autre  ;  car,  au  contraire,  ils  fe 
reculent  &  fe  fuyent  l'vn  l'autre,  lors  que  ceux  de  leurs  pôles  qui  fe 
regardent,  font  de  mefme  vertu,  &  que  leur  Jîtuation  ou  quelque  autre 
cauje  les  empcjche  tellement  de  Je  tourner,  qu'elle  ne  les  empefche  pas 
pour  cela  de  fe  mouuoir  en  ligue  droite.  Dont  la  raifon  eft  que  les 
parties  canelées  qui  fortent  de  ces  deux  aymans,  ne  pouuaiit  entrer 
de  l'vn  en  l'autre,  fe  doiuent  rcferuer  entre-deux  quelque  efpace  pour 
palfer  en  l'air  d'alentour...  Par  exemple,  fi  I'aymant  O"  flotte  fur 
l'eau  dans  vnc  petite  gondole,  en  laquelle  il  foit  tellement  planté  fur 

a.  Proprictc  5,  p.  2S0. 

b.  Planche  XX,  figure  i. 


Principes.  —  Quatriesme  Partie.  289 

fon  pôle  Boréal  B,  qu'il  nefepuijje  mouuoir  quauec  elle,  &  que,  tenant 
l'aymant  P  auec  la  main,  en  forte  que  fon  pôle  |  Auftral  a  foit  tour-  426 
né  vers  A,  le  pôle  Auftral  de  l'autre,  on  rauance/>eM  à  peu  de  P  vers 
Y,  il  doit  faire  que  l'aymant  O  fe  recule  d'O  vers  Z,  auant  que  de 
luy  toucher,  à  caufe  que...  les  parties  canelées,  qui  fortent  de  l'en- 
droit de  chacun  de  ces  aymans  qui  ejl  vis  à  vis  de  l'autre  armant, 
doiuent  auoir  quelque  efpace  entre  ces  deux  aymans,  par  où  elles 
puifTent  pafl'er... 


i55.  Pourquoy,  lors  qu'vn  aymant  ejl  diuifé,  les  parties  qui  ont  ejlé 

jointes  Je  fuyent  *. 

Des  chofes  qui  ont  def-ja  efté  dites,  on  voit  clairement  que,  fi  vn 
aymant  cft  diuifé  en  deux  pièces,  fuiuant...  la  ligne  qui  joint  fes  deux 
pôles,  &  qu'on  tienne  l'vne  de  ces  pièces  pendue...  à  vn  filet  au- 
deffus  de  l'autre,  elle  fc  doit  tourner  de  foy-mefme,  &  prendre  vne 
fituation  contraire  à  celle  qu'elle  a  eue...  Car,  auant  la  diuifion,  fes 
parties  Auftrales  eftoient  jointes  aux  parties  Auftrales  de  l'autre 
pièce,  &  les  Boréales  aux  Boréales  ;  mais  lors  qu'elles  font  feparées, 
les  parties  canelées  qui  fortent  du  pôle  Auftral  de  Tvne  de  ces 
pièces,  prennent  leur  cours  par  dedans  l'air  vers  le  pôle  Boréal 
de  l'autre,  au  moyen  de  quoy  elles  font  que  a,  le  pôle  Aujlral  de  celle 
qui  ejl  fufpeyiduë,  Je  tourne  ve*'9  B,  le  pôle  Boréal  de  l'autre,  &  b 
vers  A, 


i56.  Comment  il  arriue  que  deux  parties  d'vn  aymant  qui  fe  touchent 
deuiennent  deux  pôles  de  vertu  contraire,  lors  qu'on  le  diuifé  ^ 

On  voit  aufli  pourquoy,  fi  vn  aymant  eft  diuifé  en  telle  forte  que 
le  plan  de  la  diuifion  coupe  à  angles  droits' la  ligne  AB,  qui  joint 
fes  deux  pôles,  les  deux  points  de  cette  lig^ie  qui  fc  toujchoient  auant  427 
qu'elle  fut  diuifée,  6-  qui  font  l'vn  en  l'vne  de  fes  pièces  &  Vautre  en 
l'autre,  comme  font  icy  ^  &  a,  y  font  deux  pôles  de  veitu  contraire, 
à  caufe  que  les  parties  canelées  qui  peuuent  fortir  par  l'vn,  peuuent 
entrer  par  l'autre. 

V  Propriété  6,  p.  aSo,  —  Voir  Correspondance,  t.  IV,  p.  469. 
Propriété  7,  p.  280. 
.  Planche  XX,  figure  3. 

Œuvres.  IV.  « 


290  Œuvres  de  Descartes. 


jSj.  Comment  la  vertu  qui  eji  en  chaque  petite  pièce  d'vn  aymant 
ejl  femblable  à  celle  qui  efi  dans  le  tout  *. 

De  plus,  on  voit  comment  la  vertu  de  tout  vn  aymant  n'eft  pas 
d'autre  nature  que  celle  de  chacune  de  fes  parties,  encore  qu'elle 
paroijfe  tout  autreîiient  en  fes  pôles  qu'ailleurs.  Car  elle  n'y  eft  pas 
autre  pour  cela;  mais  elle  y  eft  feulement  plus  grande,  à  caufe  que 
la  ligne  qui  les  joint  eft  la  plus  longue,  &  qu'elle  tient  le  milieu 
entre  toutes  les  lignes,  fuiuant  lefquelles  les  parties  canelées  paffent 
au  trauers  de  cet  aymant  :  au  moins  en  vn  aymant  fpherique,  à 
l'exemple  duquel  on  juge  que  les  pôles  des  autres  aymans  font  les 
points  où  leur  vertu  paroift  le  plus.  Et  cette  vertu  n'eft  pas  auffi 
autre  dans  le  pôle  Auftral  que  dans  le  Boréal,  fmon  en  tant  que  ce 
qui  entre  par  l'vn,  doit  fortir  par  l'autre;  mais  il  n'y  a  point  de 
pièce  d'aymant,  tant  petite  qu'elle  foit,"  en  laquelle  il  j'  ait  quelque 
pore  par  où  paffent  les  parties  canelées,  qu'il  n'y  ait  vn  cofté  par  où 
elles  entrent,  &  vn  autre  par  où  elles  fortent,  <?  par  con/equent  qui 
n'ait  fes  deux  pôles. 

.i58.  Comment  cette  vertu  ejl  communiquée  au  fer  par  f  aymant^. 

Et  nous  n'auons  pas  fujet  de  trouuer  eftrange  qu'vn  morceau  de 
428  fer  ou  d'acier,  eftant  apjproché  d'vne  pierre  d'aymant,  en  acquere 
incontinent  la  vertu.  Car,  fuiuant  ce  qui  a  efïé  dit%  il  a  def-ja  des 
pores  propres  à  receuoir  les  parties  canelées,  auffî  bien  que  l'aymant, 
&  mefme  en  plus  grand  nombre;  c'eft  pourquoy  il  ne  luy  manque 
rien  pour  auoir  la  mefme  vertu,  fmon  que  les  petites  pointes...  qui 
auancent  dans  les  replis  de  fes  pores,  y  font  tournées  fans  ordre,  les 
vnes  d'vne  façon  &  les  autres  d'vne  autre,  au  lieu  que  toutes  celles 
des  pores  qui  peuuent  receuoir  les  parties  canelées  venues  du  Nord, 
deuroient  eftre  couchées  fur  vn  mefme  cofté,  &  toutes  les  autres  fur 
le  cofté  contraire.  Mais  lors  qu'vn  aymant  eft  proche  de  luy,  les 
parties  canelées  qui  fortent  de  cet  aymant,  entrent  en  tel  ordre  ^ 
aucc  tant  d'impetuofité  dans  fes  pores,  qu'elles  ont  la  force  d'y 
difpoferces  petites  pointes  en  cette  façon;  &  ainfi  elles  donnent  au 
fer  tout  ce  qui  luy  manquoit  pour  auoir  la  vertu  de  l'aymant. 

a.  Propriété  8,  p.  280-281. 

b.  Propriété  9,  p.  281. 

c.  Art.  i35-i39,  p  773-275. 


Principes.  —  Qjjatriesme  Partie.  291 


i5g.  Comment  elle  ejl  communiquée  au  fer  diuer/ement,  à  rai/on 
des  diuerfes  façons  que  l'aymant  ejl  tourné  vers  luy  ". 

Nous  ne  deuons  point  admirer  non  plus,  que  le  fer  reçoiue  diuer- 
fement  cette  vertu,  à  raifon  des  diuers  coftez  de  l'aymant  aufquels  il 
eft  appliqué.  Car,  par  exemple^,  fi  R,  l'vn  des  bouts  du  fer  RST,  eft 
mis  contre  5,  le  pôle  Boréal  de  l'aymant  P,  ce  fer  receura  tellement 
la  vertu  de  cet  afmant,  que  R  fera  Ton  pôle  Auftral,  &  T,  le  Boréal, 
à  caufe  que  les  parties  canelées,qui  vien|nent  du  Zud  dans  la  Terre     *29 
&  en  fortent  par  le  Nord,  entrent  par  R,  &  que  celles  qui  viennent 
du  Nord,  après  eftre  forties  de  la  Tertre  par  A  &  auoir  fait  le  tour  de 
part  ou  d'autre  par  l'air,  entrent  par  T  dans  le  fer.  Si  ce  mefme  fer 
eft  couché  fur  l'Equateur  de  cet  aymant  [c'efi  à  dire,  fur  le  cercle 
également  diflant  de  fes  pôles)  &  que  fon  point  R  foit  tourné  vers 
B,..,  comme  on  le  voit  fur  la  partie  de  l'Equateur  marquée  C,  il  y 
receura  fa  vertu  en  mefme  fens  quauparauant,  &  R  fera  encor  fon 
pôle  Aullral,  à  caufe  que  les  mefmes  parties  caneléesy  entreront. 
Mais  fi  on  tourne  ce  point  R  vers  A.. .,  comme  on  le  voit  fur  l'endroit 
de  l'Equateur  niarqué  D,    il  perdra  la  vertu   du  pôle  Auftral,  & 
deuiendra  le  pôle  Septentrional  de  ce  fer,  à  caufe  que  les  parties  ca- 
nelées  qui  entroient  auparauant  par  R  entreront  par  T,  &  celles  qui 
entroient  par  T  entreront  par  R. Enfin,  fi  S,  le  point  du  milieu  de  ce 
fer,  touche  le  pôle  Auftral  de  cet  aymant...,  les  parties  canelées  qui 
viennent  du  Nord  entreront  dans  le  fer  par  S,  &  fortiront  par  fes 
extremitez  R  &  T  :  au  moyen  de  quoy  il  aura  en  fon  milieu  la  vertu 
du  pôle  Boréal,  &  en  fes  deux  bouts  celle  du  pôle  Auftral. 

160.  Pourquoy  neantmoins  vnfer  qui  ejl  plus  long  que  large  ny  efpais, 
la  reçoit  touf-jours  fuiuant  fa  longueur  '. 

Et  il  n'y  a  point  en  tout  cela  de  difficulté,  fmon  qu'on  peut. . . 
demander  pourquoy  les  parties  canelées  qui,  fortant  du  pôle  A 
de  ^aymant^  en|trent  par  S,  le  milieu  du  fer,  ne  vont  pas  plus  outre      430 
en  ligne  droite  vers  E,  au  lieu  de  fe  deftourner  de  part  &  d'autre 
vers  R  &  vers  T....  A  quoy  il  eft  aiCé  de  refpondre,  que  ces  parties 

a.  Propriété  lo,  p.  281. 

b.  En  marge:  «Voyez  en  la  planche  qui  précède  la  figure  4.  »  PI.  XX, 

fig-4- 

c.  Propriété  11,  p.  281. 

d.  Planche  XX,  ligure  4- 


292  OEuvRES  DE  Descartes. 

canelées,  trouuant  des  pores  dans  le  fer,  qui  fout  propres  à  les 
receuoir,  &  n'en  trouuant  point  dedans  l'air,  font  deftournées  par  la 
rejîjlance  de  cet  air,  &  coulent  le  plus  long-temps  qu'elles  peuuent  par 
dedans  le  fer,  lequel  pour  cette  caufe  reçoit  touf-jours  la  vertu  de 
l'aymant  fuiuant  fa  longueur...,  lors  qu'il  ejï  notablement  plus  long 
que  large  ou  efpais . 

t6i.  Pourquoy  l'aymant  ne  perd  rien  de  fa  vertu, 
en  la  communiquant  au  fer  '. 

Il  eft  aifé  aufli  de  refpondre  à  ceux  qui  demandent  pourquoy  l'ay- 
mant ne  perd  rien  de  fa  force,  encore  qu'o«/ace^M'il  la  communique 
à  vne  fort  grande  quantité  de  fer.  Car  il  n'arriue  aucun  changement 
en  l'aymant,  de  ce  que  les  parties  canelées  qui  fortent  de  fes  pores 
entrent  dans  le  fer  pluftot  que  dans  quelqu'autre  corps,  fmon... 
en  tant  que,  paffant  plus  facilement  par  le  fer  que  par  d'autres  corps, 
cela  fait  ^2/ 'elles  paflent  aufli  plus  librement  &  en  plus  grande  quan- 
tité/?ar  l'aymant,  lors  qu'il  a  du  fer  autour  de  luy,  que  lors  qu'il 
n'en  a  point.  Ainfi,  au  lieu  de  diminuer  fa  vertu,  il  l'augmente  en  la 
communiquant  au  fer. 

162.  Pourquoy  elle  fe  communique  au  fer  fort  promptement, 
S-  comment  elle  y  eJÏ  affermie  par  le  temps  ^. 

Et  cette  vertu  eft  acquife  fort  promptement  par  le  fer,  à  caufc 
431  qu'/7  nefautgueres  de  temps  \  aux  parties  canelées  qui  vont  très-vite 
pour  paffcr  de  l'vn  de  fes  bouts  jufques  à  l'autre,  &  que,  dés  la  pre- 
viicrefois  qu'elles  y  pajfent,  elles  luy  communiquent  la  vertu  de  l'ay- 
mant duquel  elles  viennent.  Mais  fi  on  retieyit  long-temps  vn  mefme 
fer  en  mefme  Jiluation  contre  vne  pierre  d'aymant,  il  y  acquert  vne 
vertu  plus  ferme,  &  qui  ne  peut  pasfi  aifément  luy  eftre  oflée,  à  caufe 
que  les  petites  branches  qui  auancent  dans  les  replis  de  fes  pores, 
demeurant  fort  long  temps  couchées  fur  vn  mefme  cofté,  perdent 
peu  à  peu  la  facilité  qu'elles  ont  eue  k  fe  renuerfcr  fur  l'autre  cofté. 

t63.  Pourquoi  l'acier  la  reçoit  mieux  que  le  ftmple  fer  '. 

Et  l'acier  reçoit  mieux  cette  vertu  que  le  fimple  fer,  pource  que 
fes  pores  propres  à  receuoir  les  parties  canelées  font  plus  parfaits 

a.  Propriété  12,  p.  281. 

b.  Propriété  i3,  ibidem. 

c.  Proprictc  14,  ibid.  —Voir  Correspondance,  t.  IV,  p.  470. 


Principes.  —  Qjjatriesme  Partie.  295 

&  en  plus  grand  nombre  ;  &  après  qu'il  Va  receiië,  elle  ne  luy  peut  11 
toit  eftre  citée,  à  caufe  que  les  petites  branches  qui  auancent  en  les 
conduits...  nefe  peuuent  pas  ii  ail'ément  reuuerjer, 

164.  Pourquoy  il  la  reçoit  plus  grande  d'vnfurt  bon  aymant, 
que  d'vn  moindre  '. 

Et  félon  qu'vn  aymant  ell  plus  grand  &  plus  parfait,  il  luy  com- 
munique vne  vertu  plus  forte,  à  caufe  que  les  parties  canelces, 
entrant  auec  plus  d'impetuofité  dans  fes  pores,  renuerfait  plus  par- 
faitement toutes  les,.,  petites  branches  qu'elles  yencontrcitl  en  leurs 
replis;  &  aufli  à  caufe  que,  renaut  qti  plus  grande  quaniiic  toutes 
enfemble,  elles  fe  préparent  plus  grand  nombre  de  |  pores.  Car  il  432 
cft  à  remarquer  qu'il  y  a  touf-jours  beaucoup  plus  de  tels  pures  dans 
le  fer  ou  l'acier,  duquel  toutes  les  parties  font  métalliques,  que  dans 
l'aymant,  où  ces  parties  métalliques  font  méfiées...  auec  celles  d'vne 
pierre  ;  &  ainfi  que,  ne  pouuant  fortir  en  mefme  temps  que  peu  de 
parties  caneléesd'vn  aymant  foible,  elles  n'entrent  pas  en  tous  les 
pores  de  Vacier,  mais  feulement  en  ceux  où  il  y  a  moins  de  petites 
branches  qui  leur  rejijtent,  ou  bien  où...  ces  branches  font  plus  faciles 
à  plier;  d'-  que  les  autres  parties  canelées  qui  viennent  après,  ne 
pajfent  que  par  ces  me/mes  pores  oit  elles  trouuent  le  chemin  def-ja 
ouuert,fi  bien  que  les  autres  pores  ne  feruent  de  rien,  finon  lorsque 
ce  fer  ejt  approché  d'vn  aymant  plus  parfait,  qui,  enuoyanl  vers  luy 
plus  de  parties  canelées,  luy  donne  tme  vertu  plus  forte. 

i65.  Comment  la  Terre  feule  peut  communiquer  cette  vertu  au  fer  ''. 

Et  pource  que  les  petites  branches  qui  auancent  dans  les  porcs 
du  plus  fimple  fer,  y  peuuent  fort  aifémeni  eitre  pliées,  de  là  vient 
que  la  Terre  mefme...  luy  peut  en  vn  moment  communiquer  la 
vertu  de  l'aymant,  encore  qu'elle  femble  n'en  auoir  qu'vne  fort 
foible.  De  quoy  l'expérience  ejlant  ajfe\  belle,  je  mettray  icy  le  moyen 
de  la  faire.  On  prend  vn  morceau  de  fimple  fer,  tel  qu'il  fuit, pourueu 
que  fa  figure  foit  longue,  &  qu'il  n'ait  point  encore  en  foy  aucune 
vertu  I  d'aymant  qui  foit  notable  ;  on  baille  vn  peu  l'vn  de  fes  boute  133 
plus  que  l'autre  vers  la  Terre  ;  puis,  les  tenant  tous  deux  également 
dijlans  de  l'horifon,  on  approche  vne  boujfole  de  celuy  qui  a  ejtc  bai  (Je 

a.  Propricu-  i5,  p,  281 . 

b.  Proprictc  16,  ibidem. 


294  OEuvRES  DE  Descartes. 

le  dentier,  &  l'aiguille  de  cette  b.oujfole  tourne  vers  luy  le  me/me  cojlé 
qu^elle  a  coujlume  de  tourner  vers  le  Zud;  puis,  haulfant  quelque  peu 
le  mefme  bout  de  ce  fer,  &  le  remetant  incontinent  parallèle  à  l'hoî^i- 
fon  proche  de  lame/me  boujfole,  on  voit  que  l'aiguille  luf  prcfente  fon 
autre  cojlé;  &  fi  on  le  haujfe  &  baijfe  ainft  plufieurs  fois,  on  trouue 
touf-jours,  en  ces  régions  Septentrionales,  que  le  cojlé  que  l'aiguille 
a  coujlume  de  tourner  vers  le  Zud,  Je  tourne  vers  le  bout  du  fer,  qui 
a  ejlé  baijfé  le  dernier,  &  que  cehiy  qu'elle  a  coujlume  de  tourner  vers 
le  Nord,  fe  tourne  contre  le  bout  du  fer  qui  a  ejlé  haujfé  le  dernier  : 
ce  qui  monjîre  que  la  feule  fituation  qu'on  luy  donne  au  regard  de  la 
Terre,  luy  communique  la'vertu  défaire  ainji  tourner  cette  aiguille; 
&  on  le  peut  haujfer  &  baijferfi  adroitement,  que  ceux  qui  le  voyent, 
ne  pouuant  remarquer  la  caufe  qui  luy  change  Ji  Jubitement  fa  vertu, 
ont  occafion  de  l'admirer. 


i66.  D'où  vient  que  de  fort  petites  pierres  d'aymantparoijfentfouuent 
auoir  plus  de  force  que  toute  la  Terre'. 

Mais  on  peut  icy  demander  pourquoy  la  Terre,  qui  ell  vn  fort 
grand  aymant,  a  moins  de  vertu  que  n'en  ont  ordinairement  les 
434  pierres  d'ay|mant,  qui  font  incomparablement  plus  petites.  A  quoy  je 
refpons  que  mon  opinion  eft,  qu'...  elle  en  a  beaucoup  dauantage 
en  idi féconde  région,  en  laquelle  j'ay  dit  cy  deffus"  qu'il  y  a  quantité 
de  pores  par  où  les  parties  canelées  prennent  leur  cours  ;  mais  que 
la  plufpart  de  ces  parties  canelées,  après  eilre  forties  par  l'rn  des 
coJte\  de  ccne  Jeconde  région,  retournent  vers  l'autre  par  la  plus 
bafle  partie  de  la  troijiéme  région,  d'où  viennent  les  metau'^,  en 
laquelle  il  y  a  aufli  beaucoup  de  tels  pores...  :  ce  qui  ell  caufe  qu'elles 
ne  viennent  qu'en  fort  petit  nombre  jufques  à  cette  Juperfcie  de  la 
Terre  oii  nous  habiluns.Car  je  croy  que  les  entrées  €- [orties  des  pores 
par  ail  elles  pajfent...,  fjiit  tournées,  en  cette  troijiéme  région  de  la 
Terre  tout  autrement  qu'en  la  féconde  ;  en  forte  que  les  parties  cane- 
lées, qui  viennent  du  Zud  vers  le  Nor.i  par  les  pores  de  cette  Jeconde 
région,  retournent  du  Nord  vers  le  Zud  par  la  troijiéme,  en  paf- 
fant...  prcfque  toutes  par  fon  plus  bas  ejlagc,  6'-  auffi  par  les  mines 
d'aymant  &  de  fer,  à  caufe  qu'elles  y  Irouuent  des  pores  commodes  : 
ce  qui  fait  qu'il  n'en  relie  que  fort  peu  qui  s'efforcent  de  pa lier  par 
l'air  &  par  les  autres  corps  proches  de  nous,  où  il  n'y  a  point  de 

a.  Propriéié  17,  p.  281. 

b.  Art.  i33  cl  sulv.,  p.  271. 


Principes.  —  Quatriesme  Partie.  295 

tels  pores.  De  quoy  on  peut  examiner  la  vérité  par  l'expérience  :  car, 
fi  ce  que  j'en  écris  cfl:  vray,  le  mefme  cofté  de  l'aymant  qui  regar- 
de I  le  Nord,  pendant  qu'il  eft  encore  joint  à  la  rnitie,  fe  doit  louf-  435 
jours  tourner  4/e/oK  mefme  vers  le  Nord,  après  qu'il  en  eft  feparé, 
&  qu'on  le  laiffe  librement  floter...  fur  l'eau,  fans  qu'il  foi t  proche 
d'aucun  autre  armant  que  de  la  Terre.  Et  Gilbert,  qui  a  découuert  le 
premier  que  toute  la  Terre  efl  vn  aymant,  &  qui  en  a  très  curieufe- 
ment  examiné  les  vertus,  affure  qu'il  a  éprouué  que  cela  eft.  Il  eft 
vray  que  quelques  autres  difent  aufli  qu'ils  ont  éprouué  le  contraire. 
Mais  peut-eftre  qu'ils  fe  font  trompez,  en  faifant  floter  l'aymant  dans 
le  lieu  mefme  d'où  ils  l'auoient  coupé,  pour  voir  s'il  changer  oit  de 
fituaiion;  &  que  lors  ve?'itablement  il  l'a  changée,  à  caufe  que  le  refte 
de  la  mine,  dont  on  l'auoit  feparé,  eftoit  aufll  vn  aymant,  fuiuant  ce 
qui  a  efté  dit  en  l'article  jSS*.  Au  lieu  que,  pour  bien  faire  cette 
expérience,  il  faut,  après  auoir  remarqué  quels  font  les  cofle\  de 
l'aymant  qui  regardent  le  Nord  &  le  Zud,  pendant  qu'il  efl  Joint  à  la 
mine,  le  tirer  tout  à  fait  hors  de  là,  &  ne  le  tenir  proche  d'aucun 
autre  aymant  que  de  la  Terre,  pour  voir  vers  où  fes  mefmes  cojle^fe 
tourneront. 

lôy.  Pourquoi  les  aiguilles  aymantées  ont  touf-jours  les  pôles 
de  leur  vertu  en  leurs  extrémité^  •*. 

Or,  d'autant  que  le  fer  ou  l'acier  qui  eft  de  figure  longue  reçoit 
touf-jours  la  vertu  de  l'aymant  fuiuant  fa  longueur,  encore  qu'il  luy 
l'oit  appliqué  en  autre  fens,  il  eft  certain  que  les  aiguil|les  aymantées  436 
doiuent  touf-jours  auoir  les  pôles  de  leur  vertu  precifément  en  leur 
deux  bouts,  &  les  tourner  vers  les  mefmes  coftez...  qu'vn  aymant 
parfaitement  fpherique  tourneroit  fes  pôles,  s'il  efloit  aux  mefmes 
endroits  de  la  Terre  oit  elles  font. 

j66\  Pourquoi  les  pôles  de  l'aymant  ne  fe  tournent  pas  touf-jours 
exaâement  vers  les  pales  de  la  Terre". 

Et  pource  qu'on  peut  beaucoup  plus  aifément  ohÇeruer  vers  quel     ■ 
cofîé  fe  tourne  la  pointe  d'vne  aiguille,  que  vers  lequel  fe  tourne  le 
pôle  d'vne  pierre  ronde,  on  a   découuert,  par  le  moyen  de  ces 
aiguilles,  que  l'aymant  ne  tourne  pas  touf-jours  fes  pôles  exademciw 

a.  Page  289  cî-avant. 

b.  Propriété  18,  p.  281. 

c.  Propriété  19,  ibidem. 


296. 


OEuvRES  DE  Descartes. 


vers  les  pôles  de  la  Terre  mais  qu'il  les  en  détourne  ordinairement 
quelque  peu,  &  quelquefois  plus,  quelquefois  moins,  félon  les  diuers 
pais  où  Von  le  porte.  De  quoy  la  raifon  doit  eftre  attribuée  aux 
inégalitez  qui  font  en  la  fuperficie  de  la  Terre,  ainfi  que  Gilbert  a 
fort  bien  remarqué.  Car  il  eft  cuident  qu'il  y  a  des  endroits,  en  cette 
terre...,  où  il  y  a  plus  d'aymans  ou  de  fer  que  dans  le  reite  ;  &  que, 
par  confequent,  les  parties  canelées  qui  fortent  de  la  Terre  intérieure, 
vont  en  plus  grande  quantité  vers  ces  endroits  là  que  vers  les 
autres  :  ce  qui  fait  qu'elles  fe  détournent  fouuent  du  chemin  qu'elles 
prendraient.  Ji  tous  les  endroits  de  la  Terre  ejîoient  femblables.  Et 
pource  qu'il  n'y  a  rien  que  ces  parties  canelées  qui  facent  tourner 

437  çà  ou  là  les  pôles  de  |  l'aymant...,  ils  doiuent  fuiure  toutes  les  varia- 
tions de  leur  cours.  Ce  qui  peut  eftre  confirmé  par  l'expérience,  fi 
on  met  vne  fort  petite  aiguille  Vf'ac/Vr  fur  vne  <\{f<^x  g^ojfe  pierre 
d'aymant  qui  ne  foit  pas  ronde;  car  on  rerra  que  les  bouts  de  cette 
aiguille  ne  fe  tourneront  pas  touf-jours  exactement  vers  les  mefmes 
points  de  cette  pierre,  mais  qu'ils  s'en  détourneront  diuerfement 
fuiuant  les  inégalite\  de  fa  figure.  Et  bien  que  les  inégalitez  qui 
paroiffent  en  la  fuperficie...  de  la  Terre  ne  foient  pas  fort  grandes,  à 
raifon  de  toute  la  grofl'eur  de  fon  corps...,  elles  ne  laiffent  pas  de 
l'eftre  alTez...,  à  raifon  des  diuers  endroits  de  cette  fuperficie,  pour 

y  caufer  la  variation  des  pôles  de  l'aymant  qu'on  y  obferue. 

j6q.  Comment  cette  variation  peut  changer  auec  le  temps 
en  vn  mefme  endroit  de  la  Terre  \ 

Il  y  en  a  qui  difent  que  cette  variation  n'eft  pas  feulement  diffé- 
rente aux  différents  endroits  de  la  Terre,  mais  qu'elle  peut  auffi 
changer  auec  le  temps  en  vn  mefme  lieu;  en  forte  que  celle  qu'on  obferue 
maintenant  en  certaines  places,  ne  s'accorde  pas  auec  celle  qu'on  y  a 
obferuéeaufieclepafj'é.  Ce  qui  ne  me  femble  nullement  eftrangc,  en 
confiderant  qu'elle  ne  dépend  que  de  la  quantité  du  fer  &  de  l'ajmant 
quife  trouue  plus  ou  moins  grande  vers  l'vn  des  cofie^  de  ces  lieux  là 
que  vers  l'autre,  non  feulement  à  caufe  que  les  hommes  tirent  con- 
tinuellement du  fer  de  certains  endroits  de^  la  Terre,  &  le  tranf- 

438  Iportent  en  d'autres  ;  mais  principalement  aulFi,  à  caufe  qu'//_r  ^  eu 
autrefois  des  mines  de  fer  en  des  lieux  oii  il  n'y  en  a  plus,  pource 
qu'elles  s'y  font  corrompuifs-auec  le  temps,  &  qu'il  y  en  a  mainte- 
nant en  d'autres  oit  il  n'y  en  auoil  point  auparauant,  parce  qu'elles 
y  ont  depuis  peu  efté  produites... 

a.  Propriété  20,  p.  289. 


Principes.   —  Qiiatriesme  Partie.  29' 


j  70.  Comment  elle  peut  aujfi  cjire  changée  par  la  diuerfe  fituation 

de  iaymant  *. 

Il  y  en  a  aufli  qui  difent  que  cette  variation  eft  nulle  en  vn  aymant 
de  figure  ronde  planté...  fur  l'vn  de  fes  pôles,  à  fçauoir  fur  fon  pôle 
Auftral,  lors  qu'il  eft  en  ces  parties  Septentrionales,  &  fur  le  Boréal, 
lors  qu'il  eft  en  l'autre  hemifphere.  En  forte  que  cet  aymant,  ainfi 
planté  dans  vne  petite  gondole  qiiijlollefur  l'eau,  tourne  touf-jours 
vn  mcfme  cofté...  vers  la  terre,  fans  s'en  efcarleren  aticune  façon,  lors 
qu'il  eji  Iran/porté  en  divers  lieux...  Mais,  encore  que  je  n'aye  point 
fait  d'expérience  qui  m'alTure  que  cela  foit  vray,  Je  juge  neantmoins 
que  la  declinaifon  d'vn  aymant  aijifi  planté  n'cll  pas  la  mcfme, 
&  peut-cftre  aulTi  qu'elle  n'eft  pas  fi  grande  que  lors  que  la  ligne 
qui  joint  fes  pôles  ejt  parallèle  à  l'horifon  ;  car,  en  tous  les  endroits 
de  cette  terre  extérieure,  excepté  en  l'Equateur  &  fur  les  pôles,  il  y 
a  des  parties  canelées  qui  prennent  leur  cours  en  deux  façons  :  à 
fçauoir,  les  vues  le  prennent  fuiuant  des  WgnQ.^  parallèles  à  l'horifon, 
pource  quelles  viennent  de  \  plus  loin  &  paffent  outre;  &  les  autres  le  439 
prennent  de  bas  en  haut,  ou  de  haut  en  bas,  pource  qu'elles  fortent 
de  la  terre  intérieure,  ou  qu'elles  y  entrent  en  ces  endroits  là.  Et  ce 
font  principalement  ces  dernières  qui  font  tourner  l'aymant  planté 
fur  fes  pôles,  au  lieu  que  ce  font  les  premières  qui  caufcnt  la 
variation  qu'ony  obferue  lors  qu'il  eji  en  l'autre  fituation. 

ly  I .  PQurquoy  l'aymant  attire  le  fer  ^. 

La  propriété  de  l'aymant  qui  eji  la  plus  commune,  &  qui  a  eflé 
remarquée  la  première,  e/l  qu'il  attire  le  fer,  ou  pluiloil  que  le  fer  & 
l'aymant  s'approchent  naturellement  l'vn  de  l'autre,  lors  qu'il  ny  a 
rien  qui  les  retienne.  Car,  à  proprement  parler,  il  n'y  a  aucune 
attraction  en  cela  ;  mais,  li  toll  que  le  fer  eft  dans  la  fphere  de  la 
vertu  de  l'aymant,  cette  vertu  luy  eft  communiquée,  &  les  parties 
canelées  qui  pajfent  de  cet  aymant  en  ce  fer,  challént  l'air  qui  eft 
entre  deux,  faifant  par  ce  moyen  qu'ils  s'approchent,  ainfi  qu'/7  a 
e.lé  dit  de  deux  aymans  en  l'art.  i53'.  Et  mefmc  le  fer  a  plus  de 
facilité  à  fe  mouuoir  vers  l'aymaut,  que  l'aymant  à  fe  mouuoir  vers 
k  fer,  à  caufe  que  toute  la  inaii^rc  du  fer  a  des  pores  propres  à 

a.  Propriéic  21,  p.  282. 

b.  Proprictc  22,  ibidem. 

c.  Page  287. 


298  Œuvres  de  Descartes. 

receuoir  les  parties  canelées,  au  lieu  que  l'aymant  eft  apefanti  pai 
la  matière  dejiituée  de  ces  pores  dont  il  a  coujlume  d'ejlre  compojé. 

ty2,  Pourquoy  il  foujîient  plus  de  fer  lors  qu'il  ejl  armé, 
que  lors  qu'il  ne  l'eji  pas  '. 

Mais  il  y  en  a  plufieurs  qui  admirent  qu'vn  aymant  etlant  armé, 
1440  c'eft  à  dire,  ayant  quel|que  morceau  de  fer  attaché  à  l'vn  de fes pôles, 
puiffe,  par  le  moyen  de  ce  fer,  fouftenir  beaucoup  plus  d'autre  fer, 
qu'il  ne  feroit  eftant  dcfarmé.  De  quoy  neantmoins  on  peut  affe^ 
facilement  découurir  la  caufe,  en  remarquant  que,  bien  que  fon 
armure  luv  ayde  à  fouftenir  le  fer  qu'elle  touche,  elle  ne  luy  ayde 
point  en  m ef me  façon  à  faire  approcher  celuy  dont  elle  eft  tant  foit 
peu  feparée;  ny  mefme  à  le  fouftenir,  quand  il  y  a  quelque  chofe 
entre  luy  &  elle,  encore  que  ce  né  feroit  qu'vne  fueille  de  papier 
fort  déliée.  Car  cela  monftre  que  la  force  de  l'armure  ne  confifte 
en  autre  chofe,  finon  en  ce  qu'elle  touche  le  fer  d'autre  façon  que 
ne  peut  faire  l'aymant:  à  fçauoir,  pource  que  cette  armure  eft  de  fer, 
tous  fes  pores  fe  rencontrent  vis  à  vis  du  fer  qu'elle  fouftient,  &  les 
parties  canelées  qui  paft'ent  de  l'vn  en  l'autre  de  ces  fers...  chaffent 
tout  l'air  qui  eft  entre-deux,  faifant  par  ce  moyen  que  leurs  fuper- 
ficies  fe  touchent  immédiatement,  &  c'eft  en  cette  forte  d'attouche- 
ment que...  confifte  la  plus  forte  liaifon  qui  puijfe  Joindre  deux 
corps  l'vn  à  l'autre,  ainfi  qu'il  a  efté  prouué  cy-delfus".  Mais,  à 
caufe  de  la  matière  non  métallique  qui  a  couflume  d'eftre  en  l'aymant, 
fes  pores  ne  peuuent  ainfi  fe  rencontrer  juftement  vis  à  vis  de  ceux 
du  fer;  c'eft  pourquoy  les  parties  canelées  qui  fortent  de  l'vn  'ite 
441  \  peuuent  entrer  en  l'autre,  qu'en  coulant  quelque  peu  de  biais  entre 
leurs  fuperficies  ;  &  ainfi ^  encore  qu'elles  les  facent  approcher  l'vn  de 
l'autre,  elles  empefchent  neantmoins  qu'ils  ne  fe  touchent  tout  à  fait, 
à  caufe  qu'elles  retiennent  entre-deux  autant  d'efpacc  qu'il  leur  en 
ifaut  pour  couler  ainfi  de  biais  des  pores  de  l'vn  en  ceux  de  l'autre. 

173.  Comment  les  deux  pôles  de  l'aymant  s'aident  l'vn  l'autre 
à  foujîen  ir  le  fer  ' . 

Il  y  en  a  aufli  quelques-vns  qui  admirent  que,  bien  que  les  deux 
pôles  d'vn  mefme  aymant  aycnt  des  vertus  toutes  contraires,  en  ce 

a.  Propriété  23,  p.  282. 

b.  Partie  II,  art.  55,  p.  94. 

c.  Propriété  24.  P.  282. 


Principes    —  Quatriesme  Partie.  299 

qui  eft.  de.fe  tourner  vers  le  Zud  &  vers  le  Nord,  ils  s'accordent  neant- 
moins  &  s'entr'aydent,  en  ce  qui  eft  de  fouftenir  le  fer;  en  forte 
qu'vn  aymant,  ai'mé  en  fes  deux  pôles,  peut  porter  prefque  déiix 
fois  autant  de  fer,  que  lors  qu'il  n'eft  armé  qu'en  l'vn  de  fes  pôles. 
Par-  exemple,  fi  AB  eft  vn  aymant  %  aux  deux  pôles  duquel  font 
jointes  les  armures  CD  &  EF,  tellement  auancées  en  dehors  vers 
D  &  Ff  que  le  fer  G  H  qu'elles  fouftiennent  les  puiffe  toucher  en 
des  fuperficies  affez  larges,  ce  fer  G  H  peut  eftre  prefque  deux  fois 
aujji  pefant^  que  s'il  ne  touchoit  qu'à  l'vne  de  ces  deux  armures. 
Mais  la  raifon  en  eft  éuidente  à  ceux  qui  confiderent  le  mouuement 
des  parties  canelées  qui  a  efté  expliqué;  car,  bien  qu'elles  foient 
contraires  les  mies  aux  autres,  en  ce  que  ceTles  qui  /orient  de  l'ay- 
mant  par  l'vn  de  |  fes  pôles,  n'y  peuuent  rentrer  que  par  l'autre, .  442 
cela  n'empefche  pas  qu'elles  ne  joignent  leurs  forces  enfemble  pour 
attacher  le  fer  à  l'aymant,  à  caufe  que  celles  qui  fortent  d'A,  le  pôle 
Auftral  de  cet  aj'mant,  eftant  deftournées  par  l'armure  CD  vers  b, 
où  elles  font  le  pôle  Boréal  du  fer  G  H,  coulent  de  b  vers  a,  le  pôle 
Auftral  du  mefme  fer,  &  d'à...,  par  l'armure  FE,  entrent  dans  B,  le 
pôle  Boréal  de  l'aymant;  comme  aufli,  en  mefme  façon,  celles  qui 
fortent  de  B,  retournent  circulairement  vers  A  par...  EF,...  HG 
&...  DC.  Et  ainfi  elles  attachent  le  fer  autant  à  l'vne  de  ces  armures 
qu'à  l'autre. 

ij4.  Pourquoy  vnepiroUete  de  fer  n'eji  point  empefchée  de  tourner 
par  l'aymant  auquel  elle  ejl  fufpendue  ''. 

Mais  ce  mouuement  des  parties  canelées...  ne  femble  pas  s'accor- 
der fi  bien  auec  vne  autre  propriété  de  l'aymant,  qui  eft  de  pouuoir 
foujtenir  en  l'air  vne  petite  piroUette  de  fer...  pendant  qu'elle  tourne 
{foit  qu'elle  tourne  à  droit,  foit  à  gauche),  &  de  n'empefcher  point 
qu'elle  continue  à  fe  mouuoir,  eftant  fufpendue  à  l'aymant,  plus 
long-temps  qu'elle  ne  feroit...  eftant  appuyée  fur  vne  table.  En 
effecl,  fi  les  parties  canelées  n'auoient  qu'vn  mouuement  droit,  & 
que  le  fer  &  l'aymant  fe  pufl'ent  tellement  ajufter,  que  tous  les  pores 
de  l'vn  fe  trouuaffent  exadement  vis  à  vis  de  ceux  de  l'autre,  je 
croirois  que  ces  parties  canelées,  en  paflant  de  l'vn  en  l'autre,  di- 
uroient  ajujîer  ainjî  tous  leurs  pores,  &  par  ce  moyen  j  empefcher  la  443 
pirouette  de  tourner.  Mais,  pource  qu'elles  tournent  elles-mefmes 

a.  Planche  XX,  figure  5. 

b.  Propriété  25,  p.  282.  —  Voir  Correspondance,  t.  IV,  p.  470. 


joo  Œuvres  de  Descartes. 

fans  celTe,  les  vnes  à  droit,  les  autres  à  gauche,  &  qu'elles  yè  re- 
Jeruent  touf-jours  quelque  peu  d'efpace  entre  les  Jupcvjîcies  de  l'a/- 
mant  &  du  fer,  par  où  elles  coulent  de  biais  des  pores  de  l'vn  en 
ceux  de  l'autre,  à  caufe  qu'ils  ne  Je  rapportent  pas  les  vns  aux 
autres,  elles  peuuent  tout  auflTi  aifément  paffer  des  pores  de  l'ay- 
mant  en  ceux  d'vne  pirouette,  lors  qu'elle  tourne,  foit  à  droit, 
foit  à  gauche,  que  fi  elle  eûoit  arreftée  ;  c'eji  pourquoj"  elles  ne 
l'arrejlent  point.  Et  pource  que,  pendant  qu'elle  efl  ainfi  fufpenduë, 
;"/_;'  a  touf-jours  quelque  peu  d'efpace  entre  elle  &  l'aj'mant,  fon  attou- 
chement Varrejîe  bien  moins  que  ne  fait  celuy  d'vne  table  quand 
elle  efl  appuyée  defus,  &  qu'elle  la  preffe  par  fa  pefanteur. 


/  j5.  Comment  deux  aymans  doiuent  eftre  fxtue\  pour  s'ayder 
ou  s'empéfcher  l'vn  l'autre  à  foujlenir,  du  fer  *. 

Au  rejîe,  la  force  qu'a  vne  pierre  d'aymant  à  foujlenir  le  fer,  peut 
diuerfement  eftre  augmentée  ou  diminuée  par  vn  autre  aymant,  ou 
par  vn  autre  morceau  de  ïer,  félon  qu'il  luy  efl  diuerfement  appliqué. 
Mais  il  n'y  a  en  cela  qu'vne  règle  générale  à  remarquer,  qui  eft  que 
toutefois  &  quan-tes  qu'vn  fer  ou  aymant  eft  tellement  pofé  au 
regard  d'vn  autre  aymant,  qu'il  fait  aller  quelques  parties  canelées 
vers  luy,  il  augmente  fa  force;  &  au  contraire,  s'il  eft  caufe  qu'il  y 
é44  en  aille  moins,  il  la  diminue.  Car,  d'autant  que  les  |  parties  canelées 
qui  pafl'ent  par  vn  aymant,  font  en  plus  grand  nombre  ou  plus 
agitées,  il  a  d'autant  plus  de  force,  &  elles  peuuent  venir  vers  luy 
en  plus  grand  nombre  &  plus  agitées,  d'vn  morceau  de  fer  ou  d'vn 
autre  aymant,  que  de  l'air  feul  ou  de  quelque  autre  corps  qu'on 
mette  en  leur  place.  Ainfi,  non  feulement  lors  que  le  pôle  Auftral 
d'vn  aymant  eft  Joint  au  pôle  Septentrional  d'vn  autre,  ils  s'aydent 
mutuellement  à  fouftcnir  le  fer  qui  eft  vers  leurs  autres  pôles,  mais 
ils  s'aydent  aufli,  lors  qu'ils  font  feparez,  à  fouftenir  le  fer  qui  eft 
entre-deux.  Par  exemple",  l'aymant  C  eft  aydé  par  l'aymant  K  à 
fouftenir  contre  foy  le  fer  DE,  qui  luy  eft  joint;  &  réciproquement, 
l'aymant  F  eft  aidé  par  l'aymant  C,  à  fouftenir  en  l'air  le  bout  de 
ce  fer  marqué  E;  car  il  peut  eftre  fi  pefant,  que  cet  aymant  F...  ne 
le  foulliendroit  pas  ainfi  en  l'air,  fi  l'autre  bout  marqué  D,  au  lieu 
d'cftre  joint  à  l'aymant  C,  cftoit  appuyé  fur  quelque  autre  corps  qui 
le  retiendroit  en  la  place  oii  il  efl,  fans  empefcher  E  de  fe  baijfer. 

a.  Proprictc  26,  p.  282. 

b.  Planche  XX,  tiyiirc  (•. 


Principes.  —  Quatriesme  Partie.  joi 


/  j6.  Pourquoi  vn  aymant  bien  fort  ne  peut  attirer  le  fer 
qui  pend  à  vn  aymant  plus  foible  *. 

Mais,  pendant  que  l'ay  viant  F  ejl  ainfi  aidé  par  Vaymant  C  à 
foujfenir  le  fer  DE,  il  gû  empèfché  par  ce  mefme  aymant  de  faire 
approcher  ce  fer  vers  foy.  Car  il  eft  à  remarquer  que,  pendant  que 
ce  fer  touche...  C,  il  ne  peut  eftre  attiré  par...  F,  lequel  il  ne  touche 
point,  nonobftant  (  qu'on  fuppofe  ce  dernier  beaucoup  plus  puif-  445 
fani  que  le  premier.  Dont  la  raifon  eft  que,  les  parties  cianelées 
paffant  au  trauers  de  ces  deux  aymans.&  de  ce  fer,  ainfi  que  s'ils 
n'eftoient  qu'vn  feul  aymant,  en  la  façon  def-ja  expliquée",  n'ont 
point  notablement  plus  de  force  en  l'vn  des  endroits  qui  eft  entre  C 
&  F  qu'en  l'autre,  &  parconfequent  ne  peuuent  faire  que  le  fer  DE 
quitte  C  pour  aller  vers  F,  d'autant  qu'il  n'eft  pas  retenu  vers  C  par 
la  feule  force  qu'a  cet  aymant  pour  l'attirer,  mais  principalement 
aufti  parce  qu'ils  fe  touchent,  bien  que  ce  ne  fait  pas  en  tant  de  par- 
ties que  fi  cet  aymant  efîoit  armé. 


i"]"].  Pourquoy  quelquefois,  au  contraire,  le  plus  foible  aymant 
attire  le  fer  d'vn  autre  plus  fort  '. 

Et  cecy  fait  entendre  pourquoy  vn  aymant  qui  a  peu  de  force,  ou 
mefme  vn  fimple  morceau  de  fer,  peut  fouuent  deftacher  vn  autre 
fer  d'vn  aymant  fort  puilfant  auquel  il  eft  joint.  Car  il  faut  remarquer 
que  cela  n'arriue  jamais,  fi  ce  n'eft  que  le  plus  foible  aymant  touche 
aulTi  le  fer  qu'il  doit  feparer  de  l'autre;  &  que,  lors  qu'vn  fer  de 
figure  longue,  comme  DE,  touche  deux  aymans//we:ç  comme  C  &  F, 
en  forte  qu'il  touche  de  fes  deux  bouts  deux  de  leurs  pôles  qui  ayent 
diuerfe  vertu,  fi  on  retire  ces  deux  aymans  l'vn  de  l'autre,  le  fer 
qui  les  touchoit  tous  deux  ne  demeurera  pas  touf-jours  Joint  au 
plus  fort,  ny  louf-jours  aufli  au  plus  foible,  mais  quelquejfois  à  446 
cetuy-cy,  &  quelquefois  à  cetuy-là.  Ce  qui  monftre  que  la  feule 
raifon  qui  fait  qu'il  en  fuit  l'vn  pluftoft  que  l'autre,  eft  quUl  /e 
rencontre  qu'W  touche  en  vne  fuperficie  tant  fait  peu  plus  grande, 
ou  bien  en  plus  de  points,  celuy  auquel  il  demeure  attaché. 

a.  Propriété  27,  p.  282.  —  Planche  XX,  figure  6. 

b.  Article  i53,  p.  287. 

c.  Propriété  28,  p.  282.  —  Planche  XX,  figure  6. 


3  02  Œuvres  de  Descartes. 


i~S.  Pourquoi,  en  ces  pats  Septentrionaux,  le  pôle  Aujîral  de  l'aymant 
peut  tirer  plus  de  fer  que  l'autre  ". 

On  peut  auffi  entendre  pourquo}»^  le  pôle...  Auftral  de  toutes  les 
pierres  d'aymant  Jemble  auoir  plus  de  force  &  fouftient  plus  de  fer 
en  cet  hemifphere  Septentrional,  que  leur  autre  pôle,  en  confide- 
rant  comment  l^aymant  C  eft  aidé  par  l'aymant  F,  à  fouftenir  le  fer 
DE.  Car,  la  TeVre  eftant  auiTi  vn...  aymant,  elle  augmente  la  force 
des  autres  aymaî^s,  lors  que  leur  pale  Auflral  eft  tourné  vers  fon 

pôle  Boréal,  en  m^fme  façon  que  l'aymant  F  augmente  celle  de  l'ay- 
mant C;  comme  aUffi,  au  contraire,  elle  la  diminue,  lors  que  le  pôle 
Septentrional  de  ces  autres  aymans  eft  tourné  vers  elle  en  cet  hemi- 

fphere  SeptentrionaL 

/  "jg.  Comment  s'arrengent  les  grains  de  la  limure  d'acier 
autour  d'vn  aymant  \ 

.  Et  fi  on  s'arreftc  à  confiderer  en  quelle  façon  \a  poudre  ou  limure 
de  fer  qu'on  a  jeltce  autour  d'vn  aymant  s'y  arrengc,  on  y  pourra 
remarquer  beaucoup  de  chofes  qui  confirmeront  la  vérité  de  celles 
que  je  viens  de  dire.  Car,  en  premier  lieu,  on  y  verra  que  les  petits 
grains  de  cette  poudre  ne  s'entafTent  pas  confulément,  mais  que,  fe 
447  joignant  en  long  les  vns  j  aux  autres,  ils  compofent  comme  des 
filets  qui  font  autant  de  petits  tuyaux  par  où  paffent  les  parties 
canelées  plus  librement  c^ue  par  l'air,  &  qui,  pour  ce  fujet,  peuuent 
feruir  à  faire  connoiftre  les  chemins  qu'elles  tiennent  après  eflre 
forties  de  l'aymant.  Mais,  afin  qu'on  puifi'e  voir  à  l'œil  quelle  efl  l'in- 
flexion de  ces  chemins,  il  faut  répandre  cette  limure  fur  vn  plan 
bien  vny,  au  milieu  duquel  foit  enfoncé  vn  aymant  fpherique,  en 
telle  forte  que  fes  deux  pôles  le  touchent,  comme  on  a  couftume 
d'enfoncer  les  globes...  dans  le  cercle  de  l'horifon  pour  reprefenter 
la  fphere  droite  ;  car  les  petits  grains  de  cette  limure  s'arengeront... 
fur  ce  plan  fuiuant  des  lignes  qui  marqueront  exaâement  le  chemin 
que  j'ay  dit  cy-dcffus',  que  prennent  les  parties  canelées  autour  de 
chaque  aymant,  &  aufii  autour  de  toute  la  Terre.  Puis,  fi  on  enfonce 
en  mcfme  façon  deux  aymans  en  ce  plan,  &  que  le  pôle  Boréal  de 

a.  Propricic  29,  p.  282.  —  Planche  XX,  figure  6. 

b.  Propriété  3o,  p.  282. 

c.  Art.  146,  p.  283. 


Principes.  —  Quatriesme  Partie.  503 

l'vn  foit  tourné  vers  l'Aullral  de  l'autre,  comme  ils  font  en  cette  figure*, 
la  limure  mife  autour  fera  voir  que  les  parties  canelées  prennent 
leur  cours  autour  de  ces  deux  aymans  en  mefme  façon  que  s'ils 
n'eftoient  qu'vn  ;  car  les  lignes  Juiuant  le/quelles  s'arrengeront  fes 
petits  grains,  feront  droites  entre  les  deux  polés  qui  fe  regardent, 
comme  font  icy  celles  qu'on  voit  entre  A  &  b  ;  ^  les  autres...  feront 
repliées  des  |  deux  coftez...,  comme  on  voit  celles  que  delignent  les     448 
lettres  BRVXT  a.  On  peut  audi  voir,  en  tenant  m  armant  auec  la 
main,  l'vn  des  pôles  duquel,  par  exemple  l'Auftral,  foit  tourné  vers 
la  Terre,  &  qu'il  y  ait  de  la  limure  d'e  fer  pendue  à  ce  pôle,  que,  s'il  y 
a  yn  autre  aymant  au  dedbus,  dont  le  pôle  de  mefme  vertu,  à  fçauoir 
l'Auftral,  foit  tourne  vers  cette  limure,  les  petits  filets  qu'elle  com- 
pofe,  qui  pendent  tout  droit  de  haut  en  bas,  lors  que  ces  deux  aymans 
font  éloigne'^  l'un  de  l'autre^  fe  replient...  de  bas  en  haut  lors  qu'on 
les  approche,  à  caufe  que  les  parties  canelées  de  l'aymant  fuperieur, 
qui  coulent  le  long  de  ces  filets,  font  repoulTées  vers  en  haut  par 
leurs  femblables  qui  fortent  de  l'aymant  inférieur.  Et  mefme,  fi  cet 
aymant  inférieur  eft...  plus  fort  que  l'autre,  il  en  deftachera  cette 
limure  &  la  fera  tomber  fur  foy,  lors  quUls  feront  proches,  à  caufe 
que  fes  parties  canelées...  faifant  eflbrt  pour  pafier  par  les  pores  de 
la  limure,  &  ne  pouuant  y  entrer  que  par  les  fuperficies  de  fes  grains 
qui  font  jointes  à  l'autre  aymant,  elles  les  fepareront  de  luy.  Mais 
fi,  au  contraire,  on  tourne  le  pôle  Boréal  de  l'aymant  inférieur  vers 
l'Aiiftral  du  fuperieur  auquel  pend  cette  limure,  elle  allongera  fes 
petits ^/e/5  en  ligne  droite...,  à  caufe  que  leurs  pores  feront  dif- 
pofez  à  receuoir...  toutes  les  parties  canelées  qui  pafferont  de  l'vn 
\  de  fes  pôles  à  l'autre;  mais  la  limure  ne  fe  deftachera  point  pour     4A9 
cela  de  l'aymant  fuperieur,  pendant   qu'elle  ne  touchera  point  à 
l'autre,   à  caufe  de  la  liaifon  qu'elle  acquert  par  l'attouchement, 
ainfi  qu'il  a  tantoft  efté  dit\  Et  à  caufe  de  cette  mefme  liaifon,  fi  la 
limure  qui  pend  à  vn  aymant  fort  puiifant,  eft  tcuchée  par  vn  autre 
aymant  beaucoup  plus  foible,  ou  feulement  par  quelque  morceau 
de  fer,  il  y  aura  touf-jours  plufieurs  de  fes  grains  qui  quitteront  le 
plus  fort  aymant,  &  demeureront  attachez  au  plus  foible,  ou  bien 
au  morceau  de  fer,  lors  qu'on  les  retirera  d'auprès  de  luj-...;  pource 
que,  les  petites  fuperficies  de  cette  limure  eftant  fort  diuerfes  &  iné- 
gales, il  fe  rencontre  touf-jours  que  plufieurs  de  ces  grains  touchent 
en  plus  de  points,  ou  par  vne  plus  grande  fuperfi ci e,  le  plus  foible 
aymant  que  le /7/w5yor/. 

a.  Planche  XIX,  figure  2. 

b.  Art.  176  et  177,  p.  3oi. 


J04  OEuvres.de  Descartes. 


[i8o.  Comment  vne  lame  de  fer  jointe  à  l'vn  des  pôles  de  l'aj  mant 
empefche  Ja  vertu  \ 

Vne  lame  de  fer  qui,  ellant  appliquée  contre  l'vn  des  pôles  de 
l'aymant,  luj'fert  d'armure,  &  augmente  de  beaucoup  la  force  qu'il 
a  pour  fouftenir  d'autre  fer...,  empefche  celle  qu'a  le  mefme  aymani 
pour  attirer  ou  laire  tourner  vers  foy  les  aiguilles  qui  font  proches 
de  ce  pôle.  Par  exemple ^  la  lame  DCD  empefche  que  l'aymant 
AB,  au  pôle  duquel  elle  eft  jointe,  ne  face  tourner  ou  approcher  de 
foy  l'aiguille  EF,  ainfi  qu'il  ferait  fi  cette  lame  efloit  ofîée.  Dont  la 

450  raifon  efl  que  \  les  parties  canelées,  qui  continucroient  leur  cours 
de  B  vers  E  F,  s'il  n'y  auoit  que  de  l'air  entre-deux,  entrant  en  cette 
lame  par  fon  milieu  C,  font  deftournées  par  elle  vers  les  extremitez 
DD,  d'oit  elles  retournent  vers  A...,  &  airifi  à  peine  peut-il  y  en 
auoir  aucune  qui  aille  vers  l'aiguille  EF.  En  mefme  façon  qu'il  a 
efté  dit  cy-deffus%  qu'il  en  vient  peu  jufques  à  nous  de  celles  qui 
paflent  par  \a  féconde  région  de  la  Terre,  à  caufe  qu'elles  retournent 
prefque  toutes  d'vn  pôle  vers  l'autre  par  la  croufte  intérieure  de  la 
troifiéme  région  où  nous  fonimes,  &  que  c'eft  ce  qui  fait  que  la  vertu 
de  l'aymant  nous  paroift  en  elle  fi  foible. 

i8i.  Que  cette  mefme  vertu  ne  peut  ejlre  empefchée 
par  l'interpojition  d'aucun  autre  corps^. 

Mais,  excepté  le  fer  &  l'aymant,  nous  n'auons  aucun  corps,  en 
cette  Terre  extérieure,  qui,  eftant  mis  en  la  place  où  eft  cette  lame 
CD,  puifle  empefcher  que  la  vertu  de  l'aymant  AB  ne  paffe  jufquQS 
à  l'aiguille  EF.  Car  nous  n'en  auons  aucun...,  tant  folide  &  tant 
dur  qu'il  puilTe  eftre,  dans  lequel  il  n'y  ait  plufieurs  pores,  non  pas 
véritablement  qui  foient  ajuftez  à  la  figure  des  parties  canelées, 
comme  font  ceux  du  fer  &  de  l'aymant,  mais  qui  font  beaucoup  plus 
grands,  en  forte  que...  le  fécond  élément  les  occupe  ;  ce  qui  fait  que 
les  parties  canelées  palfent  aufli  aifément  par  dedans  ces  corps  durs, 
que  par  l'air,  par  lequel  elles  ne  peuuent  paffer,  non  plus  que  par 

451  I  euXffinon  en  fe  faifant  faire  place  par  les  parties  du  fécond  élément 
qu'elles  rencontrent. 

a.  Propriété  3i,  p.  28?. 

b.  Planche  XX,  figure  1. 

c.  An.  166,  p.  294. 

d.  Propriété  ,^2,  p.  283. 


PRINCIPEF.    QUATRIISME   PaRTIE.  JOJ 


1S2.  Que  la  Jituation  de  l'aymant  qui  eft  contraire  à  celle  qu'il  prend 
naturellement,  quand  rien  ne  Vempefche,  luy  ojle  peu  à  peu  fa  vertu  ». 

le  ne  fçaf  aujfi  aucune  chofe  qui  face  perdre  la  vertu  à  l'aymant 
ou  au  fer,  excepté  lors  qu'on  le  retient  long-temps  en  vne  fituation 
contraire  à  celle  ^u'il  prend  naturellement,  quand  rien  ne  l'em- 
pefche  de  tourner  les  pôles  vers  ceux  de  la  Terre,  ou  des  autres 
aymans  dont  il  eft  proche  ;  6-  aujft,  lors  que  l'humidité  ou  la  roîiille  le 
corrompt;  &  enjin,  lors  qu'il  ejl  mis  dans  le  feu.  Mais,  sHl  ejl  retenu 
longtemps  hors  de  fa  Jituation  naturelle,  les  parties  canelées  qui 
viennent  de  la  Terre  ou  des  autres  aymans  proches,  font  eJfort  pour 
entrer...  à  contre  fens  dans  fes  pores,  &  par  ce  moyen,  changeant 
peu  à  peu  leurs  figures,  luy  font  perdre  fa  vertu. 

i83.  Que  cette  vertu  peut  axiffi  luy  ejîre  oflée  par  le  feu, 
&  diminuée  par  la  roUille  ''. 

...La  rouille  aufli,  en  fortant  hors  des  parties  métalliques  de  l'ay- 
mant, bouche  les  entrées  de  fes  pores,  en  forte  que  les  parties  ca- 
nelées n'y  font  pas  Jî  aifément  receuès;  &  l'humidité...  fait  en  quelque 
façon  le  femblable...,  en  tant  qu'elle  difpofe  à  la  rouille;  &  enfin,  le 
feu,  eftant  af]e\fort,  trouble  l'ordre  des  parties  du  fer  ou  de  l'aymant, 
en  les  agitant,  &  mefme  il  peut  eJîre  Jî  violent,  qu'il  change  aufft  la 
figure  de  leurs  pôles.  Au  refte,  je  ne  croy  pas  qu'on  ait  encore 
jamais  obferué  aucune  chofe  touchant  l'axinant,  qui  foit  vraye,  & 
en  laquelle  l'obferualeur  ne  fe  \  foit  point  mépris,  dont  la  raifon  ne  foit  4$2 
comprife  en  ce  que  je  viens  d'expliquer,  èk.  n'en  puiffe  facilement 
eftre  déduite. 

1S4.  Quelle  eft  l'attraâion  de  l'ambre,  du  jayet, 
de  la  cire,  du  verre,  &c. 

Mais,  après  auoir  parlé  de  la  vertu  qu'a  l'aymant  pour  attirer  le 
fer,  il  fembic  à  propos  que  je  die  aufli  quelque  chofe  de  celle  qu'ont 
l'ambre,  le  jayet,  la  cire,  la  refine,  le  verre,  &  plufieurs  autres  corps, 
pour  attirer  toutes  fortes  de  petits/e/?MS.  Car,  encore  que  mon  def- 
fein  ne  foit  pas  d'expliquer  icy  la  nature  d'aucun  corps  particulier, 
linon  en  tant  qu'elle  peut  feruir  à  confirmer  la  vérité  de  ce  que  j'ay 

a.  Propriété  33,  p.  283. 

b.  Propriété  34,  ibid. 

ŒUVKKS.  IV,  36 


3o6 


OEuvREs  DE  Descartes. 


écrit  touchant  ceux  qui  fe  trouuentle  plus  vniuerfellement  par  tout, 
&  peuuent  eftre  pris  pour  les  elemens  de  ce  monde  vifible  ;  encore  aufli 
que  je  ne  puilîe  fçauoir  ajfurément  pourquoy  l'ambre  ou  le  jayet  a 
telle  vertu,  fi  Je  ne  fais  premièrement  plufieurs  expériences  qui... 
me  découurent  intérieurement  quelle  eft  leur  nature  :  toutefois,  à 
caufe  que  la  mefme  vertu  eft  dans  le  verre,  duquel  j'ay  efté  cy- 
deffus  '  obligé  de  parler  entre  les  effets  du  feu,  fi  je  n'expliquois  point 
en  quelle  forte  cette  vertu  eji  en  luy,  on  auroit  fujet  de  douter  des 
autres  chofes  que  j'en  ay  écrites.  Veu  principalement  que  ceux  qui 
remarquent  que  prefque  tous  les  autres  corps  où  eft  cette  vertu 
font...  gras  ou  huileux,  fe  perfuaderoient  peut-eftre  qu'elle  confifte  en 

453  ce  que,  lors  qu'on  frotte  ces  corps  j  (car  il  eft  ordinairement  befoin 
de  les  frotte.r  afin  qu'elle  foit  excitée),  il  y  a  quelques  vnes  des 
plus  petites  de  leurs  parties  qui  fe  refpandent  par  l'air  d'alentour, 
&  qui,  eftant  compofées  de  plufieurs  petites  branches,  demeurent 
tellement  liées  les  vnes  aux  autres  qu'elles  retournent  incontinent 
après  vers  le  corps  d'où  elles  font  forties,  &  apportent  vers  luy 
les  petits  feflus  aufquels  elles  fe  font  attachées.  Ainfi  qu'on  voit 
quelquefois,  en  fecoûant  vn  peu  le  bout  d'vne  baguette  auquel  pend 

,  vne  goutte  de  quelque  liqueur /or/ ^/wa«/e,  qu'vne  partie  de  cette 
liqueur  file  en  l'air  &  defcend  jufques  à  certaine  diftance,  puis 
remonte  \ncom\ntnl •  de  foy -mefme  vers  le  refte  de  la  goutte  qui  eft 
demeuré  joint  à  la  baguette,  &  y  apporte  aufli  des  feftus...,  fi  elle  en 
rencontre  en  fon  chemin.  Car  on  ne  peut  imaginer  rien  de  fem- 
blable  dans  le  verre,  au  moins  fi  fâ  nature  eft  telle  que  je  l'ay 
décrite...;  c'eft  pourquoy  il  eft  befoin  que  je  cherche  en  luy  vne 
autre  caufe  de  cette  attradion. 


i85.  Quelle  ejl  la  caufe  de  cette  attraâion  dans  le  verre. 

Or,  en  confiderant  de  quelle  façon  j'ay  dit"  qu'il  fe  fait,  on  peut 
connoiftre  que  les  interualles  qui  font  entre  fes  parties,  doiuent 
eftre  pour  la  plufpart  de  figure  longue,  &  que  c'eft  feulement  le 
milieu  de  ces  interualles  qui  eft  aft'ez  large  pour  donner  pafl'age  aux 
454  parties  du  fécond  élément,  lefquelles  rendent  le  verre  tranf\parent ; 
de  forte  qu'il  demeure  des  deux  coje^,  en  chacun  de  ces  interualles,  des 
petites  fentes  fi  eftroites...,  qu'il  n'y  a  rien  que  le  premier  élément 
qui  les  puilfe  occuper.  En  fuittcde  quoy  il  faut  remarquer,  touchant 

a.  An.  124-133,  p.  266*37 1./ 

b.  Art.  12.5,  p.  267. 


Principes.  —  Quatriesme  Partie.  J07 

ce  premier  élément,  dont  la  propriété  eft  de  prendre  touf-jours  la 
figure  des  lieux  où  il  fe  trouue,  que,  pendant  qu'il  coule  par  res 
petites  fentes,  les  moins  agitées  de/es  parties  s'attachent  les  mes  aux 
autres  &  compofent  comme  des  bandelettes  qui  font /or/  minces, 
mais  qui  ont  vu  peu  de  largeur  &  beaucoup  plus  de  longueur,  &  qui 
vont  &  viennent...  en  tournoyant  de  tous  coftez  entre  les  parties  du 
verre...,  fans  jamais  guère  s'en  éloigner,  à  caufe  que  les  paffages 
qu'elles  trouuent  dans  l'air  ou  les  autres  corps  qui  l'enuironnent,  ne 
font  pas  fi  ajujîe\  à  leur  mejure,  ny  fi  propres  à  les  receuoir.  Car, 
encore  que  le  premier  élément  foit  très  fluide,  il  a  neantmoins  en 
foy  des  parties  qui  font  moins  agitées  que  le  refte  de  fa  matière, 
ainfi  qu'il  a  efté  expliqué  aux  articles  87  &  88  de  la  troifiéme 
partie",  &  il  eft  raifonnable  de  croire  que,  pendant  que  ce  qu'il  y  a 
de  ^\\is  fluide  QTi  fa  matière  paife  continuellement  de  l'air  dans  le 
verre  &  du  verre  dans  l'air,  les  moins  fluides  de  fes  parties  qui  le 
trouuent  dans  le  verre... jj'  demeurent  dans  les  fentes  aufquelles  ne 
refpondent  pas  les  pores  de  l'air,  &  que  là,  fe  Joi|gnant  les  vnes  aux  455 
autres,  elles  compofent  ces  bandelettes,  lefquelles  acquerent  par  ce 
moyen,  en  peu  de  temps,  des  figures  fi  fermes,  qu'elles  ne  peuuent 
pas  aifément  eftre  changées.  Ce  qui  eft  caufe  que,  lors  qu'on  frotte 
le  verre  alfez  fort,  en  forte  qu'il  s'échauffe  quelque  peu,  ces  bande- 
lettes qui  font  chafTées  hors  de  fes  pores  par  cette  agitation,  font 
contraintes  d'aller  vers  l'air  &  les  autres  corps  d'alentour,  où  ne 
trouuant  pas  des  pores  fi  propres  à  les  receuoir,  elles  retournent 
auflitoft  dans  le  verre,  &  y  ameinent  auec  foy  \çs  feflus  ou  autres 
petits  corps,  dans  les  pores  defquels  elles  fe  trouuent  engagées. 


186.,  Que  la  me/me  caufe  femble  aujji  auoir  lieu  en  toutes  les  autres 

attraâions. 

Et  ce  qui  eft  dit  icy  du  verre,  fe  doit  aufli  entendre  de  tous,  ou  du 
moins  de  la  plus  part  des  autres  corps  en  qui  efl  cette  attraâion  :  à 
fçauoir,  qu'il  y  a  quelques  interualles  entre  leurs  parties,  qui  eftant 
trop  eftroits  pour  le  fécond  élément,  ne  peuuent  receuoir  que  le 
premier,  &  qui,  eftant  plus  grands  que  ne  font  dans  l'air  ceux  où  le 
feul  premier  clément  peut  palfer,  retiennent  en  foy  les  parties  de  ce 
premier  élément  qui  fojit  les  moins  agitées,  &  qui,  fe  joignant  les 
vnes  aux  autres,  y  compofent  des  bandelettes  qui  ont  véritablement 
diucrfes  figures,  félon  la  diuerfité  des  pores  par  où  elles  pafTent, 

a.  Pages  i52  et  i53. 


joS 


OEuvRES  DE  Descartes. 


mais  qui  contiennent  en  cela,  qu'elles  font  longues,  plaites^ 
i56  pliantes,  &  qu'elles  coulent  çà  &  là...  entre  |  les  parties  de  ces  corps. 
Car,  d'autant  que  les  interualles. ..  ji7ar  où  elles pajfent,  font  fi  eftroits 
que...  le  fécond  élément  n'y  peut  entrer,  ils  ne  pourroient  eflre  plus 
grands  que  font  dans  l'air  ceux  où  le  mefme  fécond  élément  n'entre 
point,  s'ils  ne  s'eftendoient/?/«s  qu'eux  en  longueur,  ejîant  ainfi  que 
des  petites  fentes  qui  i^endent  ces  bandelettes  larges  &  minces.  Et 
ces  interualles  doiuent  ejlre  plus  grands  que  ceux  de  l'air,  afin  que 
les  parties  les  moins  agitées  du  premier  élément  s'arrefient  en  eux, 
pendant  qu'il  fort  continuellement  autant  du  mefme  premier  élément 
par  quelques  autres  pores  de  ces  corps,  qu'il  y  en  vient  des  pores  de 
'l'air.  C'eft  pourquoy,  encore  que  je  ne  nie  pas  que  l'autre  caufe 
d'attraétion  que  j'ay  tantoft  expliquée",  ne  puiffe  auoir  lieu  en 
quelques  corps,  toutefois,  pource  qu'elle  ne  femble  pas  affez  générale 
pour  conuenir  à  tant  de  diuers  corps  comme  cette  dernière,  &  que 
ncantmoins  il  y  en  a  fort*grand  nombre  en  qui  cette  propriété  de 
leuer  des  feftus  fe  remarque,  je  croy  que  nous  deuons  penfer  qu'elle 
eft  en  eux,  ou  du  moins  en  la  plus-part,  femblable  à  celle  qui  eft 
dans  le  verre. 


18-].  Qu'à  r exemple  des  chofes  qui  ont  efié  expliquées,  on  peut  rendre 
raifon  de  tous  les  plus  admirables  effets  qui  font  fur  la  terre. 

Au  refte,  je  defire  icy  qu'on  prenne  garde  que  ces  bandelettes, 
ou  autres  petites  parties  longues  &  remuantes,  qui  fe  forment  ainû 
457  de  la  matière  du  premier  élément  dans  les  interualles  j  des  corps 
tcrreftres,  y  peuuent.eftre  la  caufe,  non  feulement  des  diuerfes 
attrapions  telles  que  font 'celles  de  l'aymant  &  de  l'ambre,  mais 
auHi  d'vne  infinité  d'autres  effets  tres-admirables.  Car  celles  qui 
fe  forment  en  chaque  corps  ont  quelque  ch6fe  de  particulier  en  leur 
figure,  qui  les  rend  différentes  de  toutes  celles  qui  fe  forment  dans 
les  autres  corps.  Et  d'autant  qu'elles  fe  meuuent  fans  ceffe  fort 
vite,  fuiuant  la  nature  du  premier  élément  duquel  elles  font  des 
parties,  il  fe  peut  faire  que  des  circonilances  tres-peu  remarquables 
les  déterminent  quelquefois  à  tournoyer  çà  &  là  dans  le  corps  où 
elles  font,  fans  s'en  écarter;  &  quelquefois,  au  contraire,  à  palier  en 
fort  peu  de  temps  jufques  à  des  lieux  fort  éloignez, yà;/5  qu'aucun 
corps  qu'elles  rencontrent  en  leur  chemin  les  puijfe  arrefier  ou  dej' 
tourner,  &  que,  rencontrant  là  vnc  matière  difpofée  à  receuoir  leur 

a.  A.rt.  184,  fin,  p.  3o6. 


Principes.  —  Quatriesme  Partie.  309 

adion,  elles  y  produifent  des  effets  eutieremeut  rares  6'  merueilleux  : 
comme  peuuent  ejire  de  faire  faigiier  les  playes  du  mort,  lors  que  le 
meurtrier  s'en  approche;  d'émouuoir  l'imagination  de  ceux  qui 
dorment,  ou  me/me  aujjî  de  ceux  qui  font  éueilki,  &  leur  donner  des 
penfées  qui  les  auer'tijfent  des  chofes  qui  arriuent  loin  d'eux,  en  leur 
faifant  rejfentir  les  grandes  ajfliâions  ou  les  grandes  joyes  d'vn  in- 
time amy,  les  mauuais  deffeins  \  d'vn  ajfajjin,  &  chofes  femblables*.  Et  458 
enfin,  quiconque  voudra  confiderer  combien  les  proprieiez  de  Tay- 
mant  &  du  feu  font  admirables,  &  'différentes  de  toutes  celles  qu'on 
obferue  communément  dans  les  autres  corps  ;  combien  eft  grande 
la  flame  que  peut  exciter  en  fort  peu  de  temps  vne  feule  eftincelle  de 
feu,  quand  elle  tombe  en  vne  grande  quantité  de  poudre,  &  combien 
elle  peut  auoir  de  force;  jufques  à  quelle  extrême  diftance  les 
efloiles  fixes  eftendent  leur  lumière...  en  vn  infiant;  &  quels  font 
tous  les  autres  eflets,  dont  je  croy  auoir  icy  donné  des  raifons  affez 
claires,  fans  les  déduire  d'aucuns  autres  principes  que  de  ceux  qui 
font  généralement  receus  &  connus  de  tout  le  monde,  à  fçauoir, 
de  la  grandeur,  figure,  fituation  &  mouuement  des  diuerfes  parties 
de  la  matière  :  il  me  femble  qu'il  aura  fujet  de  fe  perfuader  qu'on  ne 
remarque  aucunes  qualité^...  qui  foient  û  ©cultes,  ny  aucuns  effets 
de  Simpatie  ou  Antipa.ie  fi  merueilleux  ^-Jî  efranges*",  ny  enfin 
aucune  autre  chofe^  rare  en  la  nature  (pourueu  qu'elle  ne  pro- 
cède que  des  caufes  purement  matérielles  &  def^ituées  de  penfée... 
ou  de  libre  arbitre),  que  la  raifon  n'en  puiffe  eflre  donnée  par  le 
moyen  de  ces  mefmes  principes.  Ce  qui  méfait  icy  conclure  que  tous 
les  autres  principes  qui  ont  jamais  efté  adjouflez  à  ceux-cy,  fans 
qu'on  ait  eu  aucune  autre  \  raifon  pour  les  adjoufler,  fnon  qu'on  n'a  469 
pas  creu  que,  fans  eux,  quelques  effets  naturels puffent  eJlre  explique^, 
font  entièrement  fuperfius. 

iSS.  Quelles  chofes  doiuent  encore  eftre  expliquées,  afin  que  ce  trait  té 

fait  complet. 

le  finirois  icy  cette  quatrième  partie  des  Principes  de  la  Philofo- 
phic,  fi  je  l'accompagnois  de  deux  autres,  l'vne  touchant  la  nature... 
des  animaux  &  des  plantes,  l'autre  touchant  celle  de  l'homme*,  ainfi 
que  je  m'eftois  propofé  lors  que  j'ay  commencé  ce  traitté.  Mais, 
pource  que  je  n'ay  pas  encore  affez  de  connoiffance  àtplufieurs  chofes 

a.  Cf.  Correspondance,  t.  V,  lettre  582,  p.  462-463. 

b.  Ibid.,  t.  V,  p.  389. 

c.  Ibid.,  X.  V,  p.  389. 


3 10  OEuvRES  DE  Descartes. 

que  j'auois  enuie  de  mettre  aux  deux  dernières  parties,  &  que,  par 
faute  d'expériences  ou  de  loifir,  Je  n'auray  peut  eftre  jamais  le  moyen 
de  les  acheuer;  afin  que  celles-cy...  ne  laiffent pas  d'ejlre  complètes, 
&  qu'il  n'y  manque  rien  de  ce  que  j'aurois  creu  y  deuoir  mettre,  fi 
je  ne  me  fuffe  point  referué  à  l'expliquer  dans  les  fuiuantes,  j'adjou- 
fteray  icy  quelque  chofe  touchant  les  objets  de  nos  fens.  Car  jufques 
icy  j'ay  décrit  cette  Terre,  &  généralement  tout  le  monde  vifible, 
comme  fi  c'eftoit  feulement  vne  machine  en  laquelle  il  n'y  euft  rien 
du  tout  à  confiderer  que  les  figures  &  les  mouuemens  de  f es  parties  ; 
&  toutefois  il  ejl  certain  que  nos  fens  nous  y  font  paroiftre  plujieurs 
autres  chofes,  à  fçauoir  des  couleurs,  des  odeurs,  des  fons,  &  toutes 
les  autres  qualitez  fenfibles,  defquelles  fi  je  ne  parlois  point,  on 
4^  pourroit  penfer  que  J  j'aurois  obmis  l'explication  de  la  plufpart  des 
chofes  qui  font  en  la  nature". 

i8g.  Ce  que  c'ejl  que  le  fens,  &  en  quelle  façon  nous  fentonsi 

C'eft  pourquoy  il  eft  icy  befoin  que  nous  remarquions  qu'encore 
que  noftre  ame/o/7  pnie  à  tout  le  corps,  elle  exerce  neantmoins/w 
principales  fondions  dans  le  cerueau,  &  que  c'eft  là  non  feulement 
qu'elle  entend  &  qu'elle  imagine,  mais  auflî  qu'elle  fent;  &  ce  par 
l'entremife  des  nerfs,  qui  font  eftendus,  comme  des  filets  tres-delie\, 
depuis  le  cerueau  jufques  à  toutes  les  parties  des  autres  membres, 
aufquelles  ils  font  tellement  attachez,  qu'on  n'en  fçauroit  prefque 
toucher  aucune  qu'on  ne  face  mouuoir  les  extremitez  de  quelque 
nerf...,  &  que  ce  mouuement  ne  pafle,  par  le  moyen  de  ce  nerf  y 
jufques  au  cerueau  où  eft  le  fiege  du  fens  commun^  ainfi  que  j'ay  affez 
amplement  expliqué  au  quatrième  difcours  de  la  Dioptrique";  &  que 
les  mouuemens  qui  palfent  ainfi,  par  l'entremife  des  nerfs,  jufques  à 
l'endroit  du  cerueau  auquel  noftre  ame...  eft  eftroitement  iointe  & 
vnie',  luy  font  auoir  diuerfes  penfées,  à  raifon  des  diuerfitez  qui  font 
en  eux;  &  enfin,  que  ce  font  ces  diuerfes...  penfées  de  noftre  ame, 
qui  viennent  immédiatement  des  mouuemens  qui  font  excite\  par 
l'entremife  des  nerfs  dans  le  cerueau j  que  nous  appelions  jcrojprt'we;/^ 
nos  fentimens,  ou  bien  les  perceptions  de  nos  fens. 

a.  Correspondance,  t.  V,  p.  291,  1.  27,  à  p.  292,  1.  i3. 

b.  Voir  t.  VI  de  celte  édition,  p.  109. 

c.  Correspondance,  t.  V,  p.  3i3,  1.  i5,  et  p.  347,  l.  7. 


Principes.  —  Quatriesme  Partie.  ji 


I  igo.  Combien  il  y  a  de  diuersfens,  &  quels  font  les  intérieurs  y  461 

c'eji  à  dire  les  appétits  naturels  &  les  paJjHons. 

Il  ejl  befoin  aujfi  de  conjderer  que  toutes  les  varietez  de  ces  fenti- 
mens  dépendent,  premièrement,  de  ce  que  nous  auons  plujieurs 
nerfs,  puis  auffi,  de  ce  qu'il  y  a  diucrs  mouuemens  en  chaque  nerf; 
mais  quBf  neantmoins,  nous  n'auons  pas  autant  de  fens  differens... 
que  nous  auons  de  nerfs.  Et  je  n'en  diftingue  principalement  que 
fept...,  deux  defquels  peuuent  eftre  nommez  intérieurs,  &  les  cinq 
autres  extérieurs.  Le  premier  fens  que  je  nomme  intérieur,  com- 
prend la  faim,  lafoif,  &  tous  les  autres  appétits  naturels;  &  //  cfi 
excité  en  l'amepar  les  mouuemens  des  nerfs  de  l'eftomac...,  du  gofier, 
&  de  toutes  les  autres  parties  qui  feruent  aux  fondions  naturelles, 
pour  lefquelles  on  a  de  tels  appétits.  Le  fécond  comprend  la  joye,  la 
triftefle,  l'amour,  la  colère,  &  toutes  les  autres  paflions;  &  il  dépend 
principalement  d'rn  petit  nerf...  qui  va  vers  le  cœur...,  puis  aufTi 
de  ceux  du  diaphragme  &  des  autres  parties  intérieures.  Car,  par 
exemple,  lors  qu'il  arriue  que  noftre  fang  t^  fort  pur  &  bien  tem- 
péré, en  forte  qu'il  fe  dilate  dans  le  cœur  plus  ayfément  &  plus  fort 
que  de  couftume,  cela  fait  tendre  les  petits  nerfs  qui  font  aux  entrées 
defes  concauite\,  &  les  meut  d'vne  certaine  façon  qui  refpond  jufques 
au  cerueau  &  y  excite  noftre  ame  à  fentir  naturellement  de  la  joye. 
Et  toutefois  &  quantes   que  ces  mefmes  |  nerfs  font  meus  en  la     462 
mefme  façon,  bien  que  ce  foit  pour  d'autres  caufes,  ils  excitent  en 
nojire  ame  ce  mefme  fentiment  de  joye.  Ainfi,  lors  que  nous  penfons 
jouir  de  quelque  bien,  l'imagination  de  cette  jouïffance  ne  contient 
pas  en  foy  le  fentiment  de  la  joye,  mais  elle  fait  que  les  efprits  ani- 
maux paffent  du  cerueau  dans  les  mufcles  aufquels  ces  nerfs  font 
inferez;  &  faifant  par  ce  moyen  que  les  entrées  du  cœur  fe  dilatent, 
elle  fait  aulfi  que  ces  nerfs  fe  meuuent  en  \di  façon  qui  eft  inftituée 
de  la  nature  ^ouv  àonntv  le  fentiment  de  la  joye.  Ainfi,  lors  qu'on 
nous  dit    quelque  nouuelle,   l'ame  juge  premièrement  fi  elle  eft 
bonne  ou  mauuaife;  &  la  trouuant  bonne,  elle  s'en  réjouît  en  elle' 
mefme,  d'vne  joye  qui  efl  purement  intellectuelle,  &  tellement  in- 
dépendante des  émotions  du  corps,  que  les  Stoïques  n'ont  pu  la 
dénier  à  leur  Sage,  bien  qu'ils  ayent  voulu  qu'il  fuft.  exempt  de  toute 
pajjion.  Mais  fi  toft  que  cette  joye  fpirituelle  vient  de  l'entendement 
en  l'imagination,  elle  fait  que  les  efprits  coulent  du  cerueau  vers  les 
mufcles  qui  font  autour  du  cœur,  &  là  excitent  le  mouuement  des 
nerfs,  par  lequel  eft  excité  vn  autre  mouuement  dans  le  cerueau,  qui 


j  1 2  OEuvRES  DE  Descartes. 

donne  à  l'ame  le  fentiment  ou  la  paiïlon  de  la  joye...  Tout  de  mefme, 
lors  que  le  fang  eft  fi  groflier  qu'il  ne  coule  &  ne  fe  dilate  qu'à  peine 

463  dans...  le  cœur,  il  I  excite  dans  les  mefmes  nerfs  vn  mouuemenî 
tout  autre  que  le  précèdent,  &  qui...  eji  injîituê  de  la  nature  pour 
donner  à  l'ame  le  fentiment  de  la  trifteffe,  bien  que  fouuent  elle  ne 
fçache  pas  elle-mefmece  que  c'eft  qui  fait  qu'elle  s'attrifte;  <?  toutes 
les  autres  caufes  qui  meiiueni  ces  nerfs  en  mefme  façon,  donnent  auffi 
à  l'ame  le  mefme  fentiment.  Mais  les  autres  mouuemens  des  mefmes 
nerfs  luy  font  fentir  d'autres  paffions,  à  fçauoir  celles  de  l'amour, 
de  la  haine,  de  la  crainte,  de  la  colère  &c.,  en  tant  que  ce  font  des 
fentimèns  ou  partions  de  l'ame;  c'efl  à  dire  en  tant  que  ce  font  des 
penfées  confufes  que  l'am.e  n'a  pas  de  foy  feule,  mais  de  ce  qu'eftant 
eftroitement  vnie  au  corps,  elle  reçoit  l'imprciTion  des  mouuemens  qui 
Je  font  en  luy  :  car  il  y  a  vne  grande  différence  entre  ces  paffions  & 
les  connoiflances  ou  penfées  diftindes  que  nous  auons  de  ce  qui  doit 
eftre  aymé,  ou  Aaï,  ou  craint  &c.,  ^/e«  que  fouuent  elles  fe  trouuent 
enfemble.  Les  appétits  naturels,  comme  la  faim,  la  foif,  &  tous  les 
autres^  font  aufli  des  fentimèns  excitez  en  l'ame  par  le  moyen  des 
nerfs  de  l'eftomac,  du  gofier,  &  des  autres  parties,  &  font  entière- 
ment differens  de  l'appétit  ou  de  la  volonté  qu'on  a  de  manger,  de 
boire,  &  d'auoir  tout  ce  que  nous  penjons  ejtre  propre  à  la  conferua- 

464  tion  de  nojîre  corps;  mais  à  caufe  que  cet  appétit  ou  j  volonté  les 
accompagne  prefque  touf-jours,  on  les  a  nommez  des  appétits. 

igi.  Desfens  extérieurs  ;  &  en  premier  lieu,  de  V attouchement. 

Pour  ce  qui  eft  des  fens  extérieurs,  tout  le  monde  a  couftume 
d'en  conter  cinq,  à  caufe  qu'il  y  a  autant  de  diuers  genres  d'objets 
qui  meuuent  les  nerfs...,  &  que  les  impreftions  qui  viennent  de  ces 
objets  excitent  en  l'ame  cinq  diuers  genres  de  penfées  confufes.  Le 
premier  ejl  l'attouchement,  qui  a  pour  objet  tous  les  corps  quipeuueni 
mouuoir  quelque  partie  de  la  chair  ou  de  la  peau  de  nojîre  corps, 
&  pour  organe  tous  les  nerfs  qui,fe  trouuans  en  cette  partie  de  noflre 
corps,  participent  à  fon  mouuement.  Ainfi  les  diuers  corps  qui 
touchent  noftre  peau  meuuent  les  nerfs  qui  fe  termijient  en  elle, 
d'vnc  façon  par  leur  dureté,  <d'vne  autre  par  leur  pefanteur>, 
d'vnc  autre  par  leur  chaleur,  d'vne  autre  par  leur  humidité,  &c.; 
&  CCS  nerfs  excitent  autant  de  diuers  fentimèns  en  l'ame  qu'il  y  a 
de  diuerfes  façons  dont  ils  font  meus,  ou  dont  leur  mouuemcnl 
ordinaire  eft  empefché  :  à  raifon  de  quoy  on  a  aufli  attribué  autant 
de  diucrfeT  qualitci ...  ï  ces  corps;  &  on  a  donné  à  ces  qualit€\  les 


Principes.  —  Quatriesme  Partie.  ]  i  j 

noms  de^dureté,  pefanteuvy  chaleur,  humidité,  &  femblableSy  qui  ne 
Jignijîent  rien  autre  chofe,fmou  qu'il  y  a  en  ces  corps  ce  qui  ejl  requis 
pour  faire  que  nos  nerfs  excitent  en  nojîre  aine  les  fentimens  de  la 
dureté,  pe/anteur,  chaleur,  &c.  Outre  cela,  lors  (  que  ces  nerfs  font  466 
meus  vn  peu  plus  fort  que  de  couftume,  &  toutefois  en  telle  forte 
que  noftre  corps  n'en  eU  aucunement  endommagé,  cela  fait  que 
Tame  fent  le  chatouillement  qui  eji  aujfi  en  elle  me  penfée  confufe;  & 
cette  penfée  lui  eft  naturellement  agréable,  d'autant  qu'elle  luy  rend 
tefmoignage  de  la  force  du  corps  auec  lequel  elle  eft  jointe,  en  ce  qu'il 
peut  Joujjrir  l'action  qui  cauje  ce  chatouillement  Jans  ejire  offenfé. 
Mais,  fi  cette  mefme  adion  a  tant  foit  peu  plus  de  force,  en  forte 
qu'elle  offenfe  noftre  corps  en  quelque  façon,  cela  donne  à  nofîre 
ame  le  feniiment  de  la  douleur.  Et  ainfi  on  voit  pourquoy  la  volupté 
du  corps  &  la  douleur  font  en  l'ame  des  femimens  entièrement 
contraires,  nonobftant  quQ/ouuent  l'vn  fuiue  de  l'autre,  &  ^Me  leurs 
caufes  foient  prefque  femblables. 


ig2.  Du  gouft. 

Le  fens  qui  ejl  le  plus  groffier,  après  l'attouchement,  ejî  le  gouft, 
lequel  a  pour  organe  les  nerfs  de  la  langue  &  des  autres  parties  qui 
luy  font  voifincs,  £-  pour  objet  les  petites  parties  des  corps  lerreltres, 
lors  qu'eftant  feparées  les  vnes  des  autres,  elles  nagent  dans  la  faliue 
qui  humeâe  le  dedans  de  la  bouche  :  car,  félon  qu'elles  font  différentes 
en  figure,  en  groffeur,  ou  .en  mouuement,  elles  agitent  diuerfement 
les  extremitez  de  ces  nerfs,  &  par  leur  moyen  font  fentir  à  l'ame 
toutes  fortes  de  goufts  differens. 

I  ig3.  De  l'odorat.  466 

Le  troifiéme  efi  l'odorat,  qui  a  pour  organe  deux  nerfs,  lefquels  ne 
femblent  eftre  que  des  parties  du  cerueau  qui  s'auancent  vers  le 
ue:{,  pource  qu'ils  ne  forient  point  hors  du  crâne;  &  il  a  pour  objet 
les  petites  parties  des  corps  terreftres  qui,  eftant  feparées  les  vnes 
des  autres,  voltigent  par  l'air,  non  pas  toutes  indifféremment,  mais 
feulement  celles  qui  font  affcz  fubtiles  &  pénétrantes  pour  entrer... 
par  les  pores  de  l'os  qu'on  nomme  fpongieux,  lors  qu'elles  font  atti- 
rées auec  l'air  de  la  refpiration,  &  aller  mouuoir  les  extremitez  de 
ces  nerfs  :  ce  qu'elles  font  en  autant  de  différentes  façons  que  nous 
fentons  He  différentes  odeurs. 


\ 

)i4  OEuvREs  DE  Descartes. 

ig4.  De  Vouye. 

Le  quatrième  ejl  Vouye,  qui  n'a  pour  objet  que  les  diuers  trem- 
blemens...  de  l'air;  car  il  y  a  des  nerfs...  au-dedans...  des  oreilles, 
tellement  attachez  à...  trois  petits  os  qui  fe  Joujlienncnt  l'un  l'autre, 
&  dont  le  premier  ejl  appuyé  contre  la  petite  peau  qui  couure  la 
concauité  qu'on  nomme  le  tambour  de  l'oreille,  que  tous  les  diuers 
tremblemens  que  l'air  de  dehors  communique  à  cette  peau  font 
rapportez  à  l'ame  par  ces  nerfs,  &  luy  font  ouyr  autant  de  diuers 
fons. 

I  g5.  De  la  veué. 

Enfin  le  plusfubtil  de  tous  lesfens  ejl  celuy  de  la  veuë;  car  les  nerfs 
467  optiques",  qui  en  font  les  organes,  ne  font  point  meus  par  l'air,  nyl  par 
les  autres  corps  terreftres,  mais  feulement  par  les  parties  du  fécond 
clément,  (\\i\,  paj[ant  par  les  pores  de  toutes  les  humeurs  &  peaux 
tranfparentes  desyeux...,  paruiennent  jufques  à  ces  nerfs.  Si  félon  les 
diuerfes  façons  qu'elles  fe  meuiient,  elles  font  fentir  à  l'ame  toutes  les 
diuerftei  des  couleurs  &  de  la  lumière,  comme  j'ay  def-ja  expliqué 
affez  au  long  dans  la  Dioptrique'  &  dans  les  Météores ''. 

ig6.  Comment  on  prouue  que  l'ame  nejent  qu'en  tant  qu'elle  ejl 
dans  le  cerueau. 

Et  on  peut  aifément  prouuer...  que  l'ame  ne  fent  pas  en  tant 
qu'elle  eft  en  chaque  membre  du  corps,  mais  feulement  en  tant 
qu'elle  eft  dans  le  cerueau,  oîi  les  nerfs,  par  leurs  mouuemens,  luy 
rapportent  les  diuerfes  actions  des  objets  extérieurs  qui  touchent  les 
parties  du  corps  dans  lefquelles  ils  font  infère^.  Car,  premièrement, 
il  y  a  plufieurs  maladies  qui,  bien  qu'elles  n'oflenccntque  le  cerueau 
feul,  ortent  neantmoins  Vvfage  de  tous  les  fens...,  comme  fait  auftl  le 
fommeil,  ainfi  que  nous  expérimentons  tous  les  jours...,  &  toutefois 
il  ne  change  rien  que  dans  le  cerueau.  De  plus,  encore  qu'il  n'y  ait 
rien  de  mal  difpofé,  ny  dans  le  cerueau,  ny  dans  les  membres  oiifont 
les  organes  des  fens  extérieurs;  fi  feulement  le  mouuement  de  l'vn 
des  nerfs  qui  s'eftendent   du  cerueau  jufques  à  ces  membres  eft 

a.  Discours  VI,  t.  VI,  p.  i3o  de  cette  édition.  —  Voir  aussi  Correspon- 
dance, t.  V,  p.  390. 

b.  Discours  VIII,  p.  325,  et  Discours  IX,  p.  345. 


Principes.  —  Quatriesme  Partie.  3 1 5 

empefché  en  quelque  endroit  de  l'efpace  qui  eft  entre-deux,  cela  fuffit 
pour  ofter  |  le  fentiment  à  la  partie  du  corps  où  font  les  extremitez  4ô8 
de  ce  nerf.  F2t,  outre  cela,  nous  Tentons  quelquefois  de  la  douleur, 
comme  fi  elle  eftoit  en  quelques  vns  de  nos  membres,  dont  la  caufe 
n'eft  pas  en  ces  membres  où  elle  fe  fent,  mais  en  quelque  Vieu  plus 
proche  du  cerueau  par  où  paffent  les  nerfs  qui  en  donnent  à  l'ame  le 
fentiment.  Ce  que  Je  pourrois  prouuer  pa.T  plujîenrs  expériences; 
mais  je  me  contenteray  icy  d'en  mètre  vnefort  manifejie.  On  auoit 
couftume  de  bander  les  yeux  à  vne  jeune  fille,  lors  que  le  Chirur- 
gien la  venoit  penfer  d'vn  mal  qu'elle  auoit  à  la  main,  à  caufe 
qu'elle  n'en  pouuoit  fiipporter  la  veuè',  &  la  gangrène  s'eftant  mife  à 
fon  mal,  on  fut  contraint  de  luy  couper  jufques  î|  la  moitié  du  bras, 
ce  qu'on  fit  fans  l'en  aiicrtir,  pource  qu'on  ne  la  voulait  pas  attrifîer; 
&  on  luy  attacha  plufieurs  linges  liez  l'vn  fur  l'autre  en  la  place 
de  ce  qu'on  auoit  coupé,  en  forte  qu'elle  demeura  long-temps 
après  fans  le  fçauoir.  Et  ce  qui  efi  en  cecy  remarquable^  elle  ne 
laiflbit  pas  cependant  d'auoir  diuerfes  douleurs  qu'elle  penfoit  eftre 
dans  la  main  qu'elle  n'auoit  plus,  &  de  fe  plaindre  de  ce  qu'elle 
fentoit  tantoll  en  l'vn  de  fes  doigts,  &  tantoft  à  l'autre.  De  quoy  on 
ne  fçauroit  donner  d'autre  raiion,  fmon  que  les  nerfs...  de  fa  main, 
qui  finilfoient  alors  vers  le  .coude,  y  eftoient  meus  |  en  la  mefme  469 
façon  qu'ils  auroient  deu  eftre  auparauant  dans  les  extremitez  de 
fes  doigts  pour  faire  auoir  à  l'ame  dans  le  cerueau  le  fentiment  de 
femblables  douleurs.  Et  cela  montre  éuidemment  que  la  douleur  de 
la  main  n'efl  pas  fentie par  l'ame  en  tant  qu'elle  efl  dans  la  main,  mais 
en  tant  qu'elle  efl  dans  le  cerueau*. 


1  gy.  Comment  on  proiiue  qu'elle  efl  de  telle  nature  que  le  feul  mouuement 
de  quelque  corps  fuffit  pour  luy  donner  toute  forte  de  fentimens. 

On  peut  aufTi  prouuer  fort  ajfe'ment  que  noltre  ame  eft  de  telle 
nature  que  les  feuls  mouuemens  qui  fe  font  dans  le  corps  font  fuffi- 
fans  pour  luy  faire  auoir  toutes  fortes  de  pcnfées,  fans  qu'il  foit 
befoin  qu'il  y  ait  en  eux  aucune  chofe  qui  refj'emble  à  ce  qu'ils  luy  font 
conceuoir;  &  particulièrement,  qu'ils  peuuent  exciter  en  elle  ces 
penfées  confufes  qui  s'appellent  des  fentimens...  Car,  premièrement, 
nous  voyons  que  les  paroles,  foit  proférées  de  la  voix,  foit  écrites 
fur  du  papier,  luy  font  conceuoir  toutes  les  chofes  qu'elles  fignifient, 

a.  Sic,  à  Verrata.  Le  texte  imprimé  d'abord  :  «  ...par  l'ame  en  tant 
qu'elle  elt  dans  le  cerueau  ». 


Jî6  OEuvRES  DE  Descartes. 

&  luy  donnent  en  fuite  diuerfespaflions.  Sur  vn  mefme  papier,  auec 
la  mefme  plume,  &  la  mefme  ancre,  en  remuant  tant  foit  peu  le  bout 
de  la  plume  en  certaine  façon,  vous  tracez  des  lettres  qui  font  ima- 
■  giner  des  combats,  des  tempefles,  ou  des  furies,  à  ceux  qui  les  lifent, 
&  qui  les  rendent  indignez  ou  triftes;  au  lieu  que,  fi  vous  remuez 
la  plume  d'vne  autre  façon  prefque  fembiable,  la  feule  differevce  qui 
470  fera  en  ce  peu  de  inouue\ment  leur  peut  donner  des  penfées  toutes 
contraires,  de  paix,  de  repos,  de  douceur,  &  exciter  en  eux  des 
paflions  d'amour  &  de  joye.  Quelqu'vn  refpondra  peut-eflre  que 
l'efcriture  &  les  paroles  ne  reprefentent  imm.ediatement  à  l'ame  que 
la  figure  des  lettres  &  leurs  fons,  en  fuite  de  quoy  elle,  qui  entend 
là fignifi cation  de  ces  paroles,  excite  en  foy-mefme  les  im.aginations 
&pafJ\ons  qui  s'y  rapportent.  Mais  que  dira-t'on  du  chatouillement 
&  de  la  douleur  ?  Le  feul  mouuement  dont  vne  efpée  coupe  quelque 
partie  de  noftre  peau  nous  fait  fentir  de  la  douleur, /aw5  nous  faire 
fçauoir  pour  cela  quel  efl  le  mouuement  ou  la  figure  de  cette  efpée.  Et  il 
efi  certain  que  l'idée  que  nous  auons  de  cette  douleur  n'efl  pas  moins 
différente  du  mouuement  qui  la  caufe,  ou  de  celuy  de  la  partie  de 
noftre  corps  que  l'efpée  coupe,  que  font  les  id'^es  que  nous  auons  des 
couleurs,  des  fons,  des  odeurs  ou  des  goufts.  C'eft  pourquoy...  on 
peut  conclure  que  noftre' ame  eft  de  telle  nature  que  les  feulsmou- 
uemens  de  quelques  corps  peùuent  auflî  bien  exciter  en  elle  tous  ces 
diuers  fentimens,  que  celuy-d'vne  efpée  y  excite  de  la  douleur. 


igS.  Qu'il  rCy  a  rien  dans  les  corps  qui  puiffe  exciter  en  nous  quelque 
fentiment,  excepté  le  mouuement,  la  figure  oufituation,  &  la  grandeur 
de  leurs  parties. 

Outre  cela  nous  ne  fçaurions  remarquer  aucune  différence  entre 
les  nerfs,  qui  nous  face  juger  que  les  vns  puiflent  apporter...  au 
471  cerueau  quelque  autre  chofe  que  les  autres,  bien  qu'ils  \  caufent  en 
l'ame  d'autres  fentimens,  ny  auffi  qu'ils  y  apportent  aucune  chofe 
que  les  diuerfes  façons  dont  ris  font  meus.  Et  l'expérience  nous 
moniTt  quelquefois  tres-clairement  que  les  feuls  mouu^nens  excitent 
en  nous  non  feulement  du  chatouillement  &  de  la  douleur,  mais 
auflî  des  fons  &  de  la  lumière.  Car,  fi  nous  receuons  quelque 
coup  en  l'œil  affez  fort,  en  forte  que  le  nerf  optique  en  foit  efbranlé,, 
cela  nous  fait  voir  mille  eftincelles  de. feu,  qui  ne  font  point  tou- 
tefois hors  de  noftre  oeil;  &  quand  nous  mettons  le  doigt  vn  peu 
auant  en  noftre  oreille,  nous  oyons  vn  bourdonnement  dont  la 
caufe  ne  peut  edrc  attribuée  qu'à  l'agitation  de  l'air  que] nous  y 


Principes.  —  Quatriesme  Partie.  J17 

tenons  enfermé.  Nous  pouuons  fouucnt  aufli  remarquer  que  la 
chaleur,  la  dureté,  la  pe/tinleur,  &  les  autres  qualitez  fenfibles,  en 
tant  qu'elles  font  dans  les  corps  que  nous  appelons  chauds,  durs, 
pefans,  &ç.,  &  mefme  aulïï  les  formes  de  ces  corps  qui  font  pure- 
ment matérielles,  comme...  la  forme  du  feu,  &  femblabUs,  y  font 
.  produites  par  le  mouuem.ent  de  quelques  autres  corps,  &  qu'elles 
produifent  auiïi  par  après  d'autres  mouuemens  en  4'autrcs  corps. 
Et  nous  pouuons  fort  bien  conceuoir  comment  le  mouuement  d'vn 
corps  peut  eftre  caujé  par  celuj'  d'vn  autre,  &  diuerfifié  paf  la  gran- 
deur, la  figure,  &  la  fituation  de  fes  parjties,  mais  nous  ne  fçaurions  472 
entendre  en  aucune  façon  comment  ces  mefmes  choies,  à  fçauoir 
la  grandeur,  la  figure  &  le  mouuement,  peuuent  produire  des  na- 
tures entièrement  différentes  des  leurs,  telles  que  font  celles  des 
qualitez  réelles  &  des  formes  fubftantielles,  que  la  plus  part  des 
Pkilofophes  ont  fuppofées  eftre  dans  les  corps;  ny  auflfi  comment 
ces  formes  ou  qualitez,  eftant  dans  vn  corps,  peuuent  auoir  la  force 
d'en  mouuoir  d'autres.  Or  puis  que...  nous  fçauons  que  noftre  ame 
eft  de  telle  nature  que  les  diuers  mouuemens  de  quelque  corps  fuf- 
fifent  pour  luy  faire  auoir  tous  les  diuers  fentimens  qu'elle  a,  &  que 
nous  voyons  bien  par  expérience  que  plufieurs  de  fes  fentimens 
font  véritablement  caufez  par  de  tels  mouuemens,  mais  que  nous 
n'apperceuons  point  qu'aucune  autre  chofe  que  ces  mouuemens 
paffe  jamais  par  les  organes  des  fens...  jufques  au  cerueau,  nous 
auons  fujet  de  conclure  que  nous  n'apperceuons  point  auffi  en  au- 
cune façon  que  tout  ce  qui  eft  dans  les  objets...,  que  nous  appelons 
leur  lumière,  leurs  couleurs,  leurs  odeurs,  leurs  goufts,  leurs  fons, 
leur  chaleur  ou  froideur,  &  Jeurs  autres  qualitez  qui  fe  fentent  par 
l'attouchement,  &  aufli  ce  que  nous  appelions  leurs  formes  fubftan- 
tielles, foit  en  eux  autre  chofe  que  les  diuerfes ^^z/res,  fttuations, 
grandeurs  \  &  mouuemens  de  leurs  parties,  qui  font  tellement  dif-  473 
pofées  qu'elles  peuuent  mouuoir  nos  nerfs  en  toutes  les  diuerfes 
façons  qui  font  requifes  pour  exciter  en  nojlre  ame  tous  les  diuers 
fentimens  qu'ils j'  excitent. 

i  gg.  Qu'il  n'y  a  aucun  phainomene  en  la  nature  qui  ne  foit  compris 
en  ce  qui  a  ejîé  expliqué  en  ce  traitté. 

Etainfije  puis  demonftrer,  par  vn  dénombrement  très-facile,  qu'il 
n'y  a  aucun  phainomene  en  la  nature  dont  l'explication  ait  cfté 
obmife  en  ce  traitté.  Car  il  n'y  a  rien  qu'on  puiffe  mettre  au  nombre 
de  ces  phainomcnes,  finon  ce  que  nous  pouuons  apperceuoir  par 


yiS  Œuvres  DE  Descartes. 

l'entremife  des  fens  ;  mais,  excepté  le  mouuement,  la  grandeur,  la 
figure  ou  Jituation.  des  parties  de  chaque  corps,  qui  font  des  chofes 
que  j'ay  icy  expliquées  le  plus  exacîement  qu'il  m'a  ejîé  pojjible, 
nous  n'apperceuons  rien  hors  de  nous,  par  le  moyen  de  nos  fens, 
que  la  lumière,  les  couleurs,  les  odeurs,  les  goufts,  les  fons,  &  les 
qualitez  de  l'attouchement.  :  de  toutes  lefquelles  je  viens  de  prouuer 
que  nous  n'apperceuons  point  aufli  qu'elles  foient  rien  hors  de 
nojlre  penjée,  fmon  les  mouuemens,  les  grandeurs  ou  les  Jigures  de 
quelques  corps.  Si  bien  que  j'ay  prouué  qu'il  n'y  a  rien  en  tout  ce 
monde  rifible,  en  tant  qu'il  ejï  feulement  vifible  ou  fenfible,  fition  les 
chofes  que  fj'  ay  expliquées. 

200:  Que  ce  traitté  ne  contient  aujji  aucuns  principes  qui  nayent  ejlé 
receus  de  tout  temps  de  tout  le  monde,  en  forte  que  cette  philofophie 
n'efl  pas  nouuelle,  mais  la  plus  ancienne  &  la  plus  commune  qui  puijfe 
ejîre. 

Mais  je  defire  auffi  qu'on  remarque  que,  bien  que  j'aye  icy  tafché 
474  de  rendre  raifon  de...  toutes  )  les  chofes  matérielles,  je  ne  m'y 
fuis  neantmoins  feruy  d'aucun  principe  qui  n'ait  efté  reçeu  & 
approuué  par  Ariftote  &  par"  tous  les  autres  Philofophes  qui  ont 
jamais  efté  au  monde  ;  en  forte  que  cette  Philofophie  n'eft  point 
nouuelle,  mais  la  plus  ancienne  &  la  plus  vulgaire  qui  puifTe  élire. 
Car  je  u'ay  rien  du  tout  confideré  que  la  figure,  le  mouuement  &  la 
grandeur  de  chaque  corps,  ny  examiné  aucune  autre  chofe  que  ce 
que  les  loix  des  mechaniques,  dont  la  vérité  peut  eftre  prouuée  par 
vne  infinité  d'expériences...,  enfeignent  deuoir  fuiure  de  ce  que  des 
corps  qui  ont  diuerfes  grandeurs,  ou  figures,  ou  mouuemens,  fe  ren- 
contrent enfemble.  Mais  perfonne  n'a  jamais  douté  qu'il  n'y  euft  des 
corps  dans  le  monde  qui  ont  diuerfes  grandeurs  &  figures,  &  fe 
meuuent  diuerfement,  félon  les  diuerfes  façons  qu'ils  fe  rencon- 
trent, &  mefme  qui  quelquefois  fe  diuifent...,  au  moyen  de  quoy  ils 
changent  de  figure  &  de  grandeur.  Nous  expérimentons  la  vérité  de 
cela  tous  les  jours,  non  par  le  moyen  d'vn  feul  fens,  mais  par  le 
moyen  de  plufieurs,  à  fçauoir  de  l'attouchement,  de  la  veuë  &  de 
l'ouye  ;  noftre  imagination  en  reçoit  des  idées  tî^es  dillindes,  & 
noftre  entendement  le  conçoit  /re5-clairement.  Ce  qui  ne  fe  peut 
dire  d'aucune  des  autres  chofes  qui  tombent  fous  nos  fens,  comme 
476  font  les  |  couleurs,  les  odeurs,  les  fons  &  fcmblables  :  car  chacune 
de  ces  chofes  ne  touche  qu'vn  feul  de  nos  fens,  &  n'imprime  en/ 
nollre  imagination  qu'vnc  idée  de  foy  qui  eft  fort  confufe,  &  enfin^ 
ne  fait  point  connoiftrc  à  noftre  entendement  ce  qu'elle  eft. 


Principes.  —  Quatriesme  Partie.  519 

201.  Qu'il  ejl  certain  que  les  corps  Jenjibles  font  compofe\ 
de  parties  infcnjibles. 

On  dira  peut-eftre  que  je  confidere  plufieurs  parties  «n  chaque 
corps  C[m  font  Ji  petites  qu'elles  ne  peuuent  eftre  fenties  ;  &  je  fçay 
bien  que  cela  ne  fera  pas  approuué  par  ceux  qui  prennent  leurs 
fens  pour  la  mefure  des  chofes  qui  fe  peuuent  connoiftre.  Mais  c'ejl, 
ce  me  femkle,  faire  grand  tort  au  raifonnement  humain,  de  ne  vouloir 
pas  qu'il  aille  plus  loin  que  les  yeux;  &  il  n'y  a  perfonne  qui  puille 
douter  qu'il  n'y  ait  des  corps  qui  font  fi  petits,  qu'ils  ne  peuuent  elhe 
apperceus  par  aucun  de  nos  fens,  pourueu  feulement  qu'il  confi- 
dere quels  font  ies  corps  qui  font  adjoullez  à  chaqueyb/5  aux  chofes 
qui  s'augmentent  continuellement  peu  à  peu,  &  quels  font  ceux  qui 
font  ortez  des  chofes  qui  diminuent  en  me/me  façon.  On  voit  tous 
les  jours  croirtre  les  plantes,  &  il  ell  impoflible  (*e  conceuoir  com- 
ment elles  deuiennent  plus  grandes  qu'elles  n'ont  elle,  fi  on  ne 
conçoit  que  quelque  corps  efl  adjoufté  au  leur  :  mais  qui  eft-ce  qui 
a  jamais  pu  remarquer,  par  l'entremife  des  fens,  quels  font  les  petits 
corps  qui  font  adjoullez  |  en  chaque  moment  a  chaque  partie  ti'vne  4*76 
plante  qui  croift?  Pour  le  moins,  entre  les  Philofophes,  ceux  qui 
auoUent  que  les  parties  de  la  quantité  font  diuifibles  à  l'intiny, 
doiuent  auoQer  qu'en  fe  diuifant  elles  peuuent  deuenir  fi  petites 
qu'elles  ne  feront  aucunement  fenfibles.  Et  la  raifon  qui  nous  em- 
pefche  de  pouuoir  fentir  les  corps  qui  font  fort  petits  ejl  éuidente  : 
car  elle  confifte  en  ce  que  tous  les  objets  que  nous  fentons  doiuent 
mouuoir  quelques-vnes  des  parties  de  nojlre  corps  qui  feruent  d'or- 
ganes aux  fens,  c'ejl  à  dire  quelques  petits  Jilets  de  nos  nerfs,  &  que, 
chacun  de  ces  petits  filets  ayant  quelque  grolfeur...,  les  corps  qui 
font  beaucoup  plus  petits  qu'eux  n'ont  point  la  force  de  les  mou- 
uoir. k\n£\y  ejlant  ajfure^  que  chacun  des  corps  que  nous  fentons  efl 
compofé  de  plufeurs  autres  corps  fi  petits  que  nous  ne  les  fçaurions 
apperceuoir,  il  n'y  a,  ce  me  femble,  perfonne,  pourueu  qu'il  vueille 
vfer  de  raifon,  qui  ne  doiue  auoiier  que  c'efi  beaucoup  mieux  philo- 
fopher,  de  juger  de  ce  qui  arriuc  en  ces  petits  corps,  que  leur  feule 
petilefl'e  nous  empefche  de  pouuoir  fentir,  par  l'exemple  de  ce  que 
nous  voyons  arriuer  en  ceux...  que  nous  fentons,  6'-  de  rendre  raifon, 
par  ce  moyen,  de  tout  ce  qui  ejl  en  la  nature,  ainfi  que  j\ir  tafchè  de 
faire  en  ce  traitté,  que,  pour  rendre  raifon  des  mefmes  |  chofes,  en  477 
inuenter  je  ne  fçay  quelles  autres  qui  n'ont  aucun  rapport  auec 
celles  que  nous  fentons,  comme  font  la  matière  première,  les  ftrmes 


J20  OEuVRES   DE    DeSCARTES. 

fubJlantieUes,  &  tout  ce  grand  alttrail  de  quaîitci  que  phifieurs  ont 
coujlume  de  fuppofer,  chacune  de/quelles  peut  plus  difficilement  ejlre 
connue  que  toutes  les  chofes  qu'on  prétend  expliquer  par  leur  moyen. 


202.  Que  ces  principes  ne  s'accordent  point  mieux  auec  ceux  de  Demccrite 
qu'auec  ceux  d'AriJîote  ou  des  antres. 

Peut-ejîre  aujfi  que  quelqu'vn  dira,  que  Democrite  a  def-j?  cy- 
deuant  imaginé  des  petits  corps  qui  auoient  diuerfes  figures,  gran- 
deurs &mouuemen5,  par  le  diuers  mejlange  dclquels  tous  les  corps 
fenfibles  eftoient  compofez,  &  que  neantmoins  fa  Philofophie  ell 
communément  rejettée.  A  quoy  je  répons  qu'elle  n'a  jamais  efté 
rejettée  de  perfonne,  pource  qu'il  faifoit  confiderer  des  corps  plus 
petits  que  ceux  qui  font  apperceus  de  nos  fens,  &  qu'il  leur  attri- 
buoit  diuerfes  grandeurs,  figures  &  mouuemens;  pour  ce  qu'il 
n'y  a  perfonne  qui  puiffe  douter  qu'il  n'y  en  ait  véritablement  de 
tels,  ainfi  qu'il  a  def-ja  efté  prouué.  Mais  elle  a  efté  rejettée,  pre- 
mièrement, à  caufe  qu'elle  fuppofoit  que  ces  petits  corps  eftoient 
indiuifibles  :  ce  que  je  rejette  auffi  entièrement.  Puis,  à  caufe  qu'il 
imaginoit  du  vuide  entre-deux,  &  je  demonftre  qu'il  eft  impolîible 
qu'il  y  en  ait  ;  puis  auffi,  à  caufe  qu'il  leur  attribuoit  de  la  pefanteur, 
478  I  &  moy  je  nie  qu'il  y  en  ait  en  aucun  corps,  en  tant  qu'il  eft  confi- 
deré  feul,  pource  que  c'eft  vne  qualité  qui  dépend  du  mutuel  rap- 
port que  plufieurs  corps  ont  les  vns  aux  autres  ;  puis,  enfin,  on  a  eu 
fujet  de  la  rejetter,  à  caufe  qu'il  n'expliquoit  point  en  particulier 
comment  toutes  cliofcs  auoient  efté  formées  par  le  feul  rencontre 
de  ces  petits  corps,  ou  bien,  s'il  l'expliquoit  de  quelques  vnes,  les 
raifons  qu'il  en  donnoit  ne  dependoient  pas  tellement  les  vnes  des 
auircs  que  celait  voir  que  toute  la  nature pouuoit  e^flre  expliquée  en 
me/me  façon  (au  moins  on  ne  peut  le  coni.oiftre  de  ce  qui  nous  a  efté 
laifté  par  écrit  de  fes  opinions).  Mais  je  lailfe  à  juger  aux  ledeurs  fi 
les  raifons  que  j'ay  mifes  en  ce  traittc  fe  fuiuent  aflez,  &ji  on  en  peut 
déduire  ajfe\  de  chofes.  Et  pource  que  la  conjideration  des  figures, 
des  grandeurs  et  des  mouuemens  a  efté  receu'è  par  Ariflote  &  parions 
les  autres,  aujft  bien  que  par  Dempcinte,  &  que  je  rejette  tout  ce  que 
ce  dernier  a  fuppofe  outre  cela,  ainjî  que  je  rejeté  généralement  tout 
ce  qui  a  eflé  fuppofé  par  les  autres,  il  ejl  éuident  que  cette  façon  de 
philofopher  n'a  pas  plus  d'affinité  auec  celle  de  Democrite  qu'auec 
toutes  les  autres  feâes  particulières. 


Principes.  —  Quatriesme  Partie.  J2i 


2o3.  Comment  on  peut  paruenir  à  la  connorjfance  desjigures, 
grandeurs  &  mouuemens  des  corps  infcnfibles. 

Quelqu'vn  derechef  pourra  demander  d'où  j'ay  appris  quelles 
font  les  figures,  grandeurs  |  &  mouuemens  des  petites  parties...     479 
de    chaque  corps,  plufieurs  desquelles  j'ay   icy  déterminées  tout 
de  mefme  que  fi  je  les  auois  veuès,  bien  qu'il  /oit  certain  que  je 
n'ay  pu  les  aperccuoir par  l'aj'de  des  fens,  puis  que  j'aduouë  qu'elles 
font  infenfibles.  A  quoy  je  répons  que  j'ay,  premièrement,  confideré 
en  gênerai  toutes  les  notions  claires  S-  dijlinâes  qui  peuuent  eftre... 
en  noftre  entendement  touchant  les  chofes  matérielles,  &  que,  n'en 
ayant  point  trouué  d'autres  ftnon  celles  que  nous  auons  des  figures, 
des  grandeurs  &  des  mouuemens,  ^  des  règles  fuiuant  le/quelles  ces 
trois  chofes  peuuent  efire  diuerfifiées  l'pne  par  l'autre,  le/quelles  règles 
font  les  principes  de  la  Géométrie  &  des  Mechaniques,  fcif  jugé  qu*il 
faloit  necejfairement  que  toute  la  connoiffance  que  les  hommes  peuuent 
auoir  de  la  nature  fufi  tirée  de  cela  feul  ;  pource  que  toutes  les  autres 
notions  que  nous  auons  des  chofes  fenfi blés,  eflant  confufes  &  ohfcures, 
ne  peuuent  feruir  à  nous  donner  la  connoiffance  d'aucune  chofe  hors 
de  nous,  mais plufiojl  la  peuuent  empcfclier.  En  fuite  de  quoi,  j'ay  exa- 
miné toutes  les  principales  différences  qui  fe  peuuent  trouuer  entre 
les  figures,  grandeurs  &  mouuemens  de  diuers  corps  que  leur  feule 
peiitelfe  rend  infenfibles,  &  quels  effets  fenfibles  peuuent  élire  pro- 
duits par  les  di\uerf es  façons  dont  ils  fc  méfient  enfemble.  Et  par     480 
après,  lors  que  j'ay  rencontré  de  femblables  effets  dans  les  corps 
que  nos  fens  aperçoiuent,  j'ay  penfé  qu'ils  auoient /?«  efire  ainfi  pro- 
duits. Puis  faf  creu  qu'ils  l auoient  infailliblement  efie,  lors  qu'il 
m'a  femblé  eftre  impoffiblede  trouuer~e«  toute  l'efienduë  de  la  nature 
aucune  autre  caufe  capable  de  les  produire.  A  quoy  l'exemple  de 
plufieurs  corps,  compofez  par  l'artirice  des  hommes,  m'a  beaucoup 
feruy  :  car  je  ne  reconnois  aucune  différence  entre  les  machines  que 
font  les  arlifans  &  les  diuers  corps  que  la  nalurejcule  compoj'Cy  finon 
que  les  effets  des  machines  ne  dépendent  que  de  Vagencement  de 
certains  tuyaux,  ou  rejjorls,  ou  autres  inllrumens,  qui,  datant  auoir 
quelque  proportion  auec  les  mains  de  ceux  qui  les  font,  font  touf- 
jours  fi  grands  que  leurs  figures  ^S*  mouuemens  fe   peuuent  voir, 
au  lieu  que  les  tuyaux  ou  refforls  qui  caufent  les  effets  des  corps 
naturels  font  ordinairement  trop  petits  pour  élire  apperceus  de 
nos  fens.  Et  il  eft  certain  que  toutes  les  règles  des  Mechaniques 
appartiennent  à  la  Phyfique...,  en  forte  que  toutes  les  chofes  gui  font 
Œuvres.  IV.  3^ 


J22  OEUVRES    DE    DeSCARTES. 

artificielles,  font  auec  cela  naturelles.  Car,  par  exemple^  lors  qu'vne  ^ 
montre  marque  les  heures  par  le  moyen  des  roUes  dont  elle  ell  faite, 
\Si  cela  ne  lui  eft  pas  moins  najturel  qu'il  ell  à  vn  arbre...  de  produire 
fes  fruits.  C'eft  pourquoy,  en  mefme  façon  quVw  horologier...,en^ 
voyant  vne  montre  qu'il  n'a  point  faite,  peut  ordinairement  juger, 
de  quelques  vnes  de  fes  parties  qu'il  regarde,  quelles"  font  toutes  les 
autres  qu'il  ne  voit  pas  :  ainfi,  en  confiderant  les  effets  &  les  parties 
fenfiblesdes  corps  naturels,  j'ay  tafchéde  connoiftre  quelles*  doiuent 
eftre  celles  de  leurs  parties  qui  font  infenfibles. 


204.  Que,  touchant  les  chofes  que  nos  fens  n'aperqoiuent  point,  il  fuffit 
d'expliquer  comment  elles  peuuent  ejlre;  &  que  c'ejl  tout  ce  qu'AriJiote 
a  tafché  de  faire. 

On  répliquera  encore  à  cecy  que,  bien  que  faj'e  peut-eftre  imaginé 
des  caufes  qui  pourroient  produire  des  effets  femblables  à  ceux  que 
lious  voyons,  nous  ne  deuons  pas  pour  cela  conclure  que  ceux  que 
nous  voyons  font  produits  par  elles.  Pource  que,  comme  vn  horolo- 
gier  induflrieux  peut  faire  deux  montres  qui  marquent  les  heures  en 
mefme  façon,  &  entre  lefquelles  il  n'y  ait  aucune  différence  en  ce  qui 
paroift  à  l'extérieur,  qui  n'ayent  toutefois...  rien  de  femblable  en  la 
compofition  de  leurs  roUes  :  ainfi  il  eft  certain  que  Dieuavne  infinité 
de  diuers  moyens,  par  chacun  defquels  il  peut  auoir fait  que  toutes  les 
chofes  de  ce  monde  paroijfent  telles  que  maintenant  elles  paroijffent, 
fans  qu'il  foit  pofftble  à  l'efprit  humain  de  connoiftre  lequel  de  tous 
ces  moyens  il  a  voulu  employer  à  les  faire.  Ce  que  je  ne  fais  aucune 
481  difficulté  d'accorder.  Et  je  croiray  auoir  affez  |  fait,  fi  les  caufes  que 
j'ay  expliquées  font  telles  que  tous  les  effets  qu'elles  peuuent  produire 
fe  trouuent  femblables  à  ceux  que  nous  voyons  dans  le  monde, 
fans  m' enquérir  fi  c  eft  par  elles  ou  par  d autres  qu'ils  font  produits. 
Mefme  je  croy  qu'il  eft  auffi  vtile  pour  la  vie,  de  connoi^/lre  des  caufes 
ainfi  imaginées^  que  fi  on  auoit  la  connoiffance  des  vrayes  :  car  la 
Médecine,  les  Mechaniques,  &  généralement  tous  les  arts  à  quoy 
la  connoiffance  de  la  Phyfique  peut  feruir,  n'ont  pour  fin  que  d'ap' 
pliquer  tellement  quelques  corps  fenfibles  les  vns  aux  autres,  que,  par 
la  fuite  des  caufes  naturelles,  quelques  effets  fenfibles  f oient  produits  ; 
ce  que  nous  ferons  tout  aujji  bien,  en  confiderant  la  fuite  de  quelques 
caufes  ainfî  imaginées,  bien  que  fauffes,  que  fi  elle  efîoient  les  vrayes, 
puis  que  cette  fuite  eft  fuppofée  femblable,  en  ce  qui  regarde  les  effets 

u.  Tcxic  imprime  :  «  qu'elles  ». 


Principes.  —  Quatriesme  Partie.  j2} 

fenfibîes.  Et  afin  qu'on  ne  penfe  pas  qu'Ariftote'  ait  jamais...  pré- 
tendu de  faire  quelque  chofe  de  plus  que  cela  ^  il  dit  luy-mefme, 
au  commencement  du  7.  chap.  du  premier  iiure  de  fes  Météores, 
que,  «  pour  ce  qui  eft  des  chofes  qui  ne  font  pas  manifeftes  aux 
»  fens,  il  penfe  les  demonrtrer  fuffifamment,  &  autant  qu'on  peut 
M  dejî?'er  auec  rai/on,  s'il  fait  feulement  voir  qu'elles  peuuent  eftre 
»  telles  qu'il  les  explique  ». 

2o5.  Que  neantmoîns  on  a  vne  certitude  morale,'que  toutes  les  chofes  de  ce 
inonde  font  telles  qu'il  a  ejlê  icy  demonjlré  quelles  peuuent  ejlre. 

Mais  neantmoins,  afin  que  je  ne  face  point  de  |  tort  à  la  vérité,  483 
en  la  fuppofant  moins  certaine  qu'elle  n'cjlf  je  dijîingiieraj'  icy  deux 
fortea  de  certitudes.  La  première  eft  apelée  morale,'c'ert  à  dire  fuffi- 
fante  pour  relier  nos  fnœurs,  ou  auffi  grande  que  celle  des  chofes  dont 
nous  n'auons  point  coujlume  de  douter  touchant  la  conduite  de  la 
vie,  bien  que  nous  /cachions  qu'il  fe  peut  faire,  abfolument  parlant, 
qu'elles  foient  faujfes.  Ainfi  ceux  qui  n'ont  jamais  efîé  à  Rome  ne 
doutent  point  que  ce  ne  foit  vne  ville  en  Italie,  bien  qu'il  fe  pourvoit 
faire  que  tous  ceux  defquels  ils  l'ont  appîùs  les  afent  trompe^.  Et 
fi  quelqu'vn...,  pour  deuiner  vn  chiffre  écrit  auec  les  letti^es  ordi- 
naireSt  s'auife  de  lire  vn  B  partout  où  il  y  aura  vn  A,  &.  de  lire  vn 
C  partout  où  il  y  aura  vn  B,  &  ainfi  de  fubftituer  en  la  place  de 
chaque  lettre  celle  qui  la  fuit  en  l'ordre  de  l'alphabet,  &  que,  le 
îifant  en  cette  façon,  il  y  trouue  des  paroles  qui  ayent  du  fens,  il  ne 
doutera  point  que  ce  ne  foit  le  vray  fens  de  ce  chiffre  qu'il  aura 
ainfi  irouué,  bien  qu'...il  fe  pourroit  faire  que  celuy  qui  l'a  écrit  y 
en  ait  mis  vn  autre  tout  différent,  en  donnant  vne  autre  fignification 
à  chaque  lettre  :  car  cela  peut  fi  difficilemen»  arriuer,  principalement 
lors  que  le  chiffre  contient  beaucoup  de  mots,  qu'il  n'eft  pas  morak' 
ment  croyable.  Or,  fi  on  confidere  combien  de  diuerfes  propriété^  de 
l'aymant,  du  feu,  |  &  de  toutes  les  autres  chofes  qui  font  au  monde,  484 
ont  erté  tres-euidemment  déduites  d'vn  fort  petit  nombre  de  caufes 
que  j'ay  propofées  au  commencement  de  ce  traitté,  encore  mefme 
qu'on  s'imagineroit  que  je  les  ay  fuppofées'  par  hazard,  &  fans 
que  la  raijon  me  les  ait  perfuadées,  on  ne  laiffera  pas  d'auoir  pour 
le  moins  autant  de  raifon  de  juger  qu'elles  font  les  vvayes  caufes  de 
tout  ce  que  j'en  ay  déduit,  qu'on  en  a  de  croire  qu'on  a  irouué  le 

a.  Cf.  Correspondance  de  Descartes,  t.  V,  p.  55o,  1.  4. 

b.  «  De  plus  que  cela  »,  corrigé  à  Verrata.  Texte  imprimé  :  «  de  cela  ». 

c.  «  Suppofées  »,  corrigé  à  ï errata.  Texte  imprimé  :  «  fuppofez  ». 


J24  (SuvRES  DE  Descartes. 

vraj'fensd'vn  chiffre,  lors  qu'où  le  voit  fui itre  delà  fignification  qu'on 
a  donnée  par  conjeâure  à  chaque  lettre.  Car  le  nombre  des  lettres  de 
l'alphabet  cjl  beaucoup  plus  grand  que  celiiy  des  premières  caufes  que 
j'ayfuppofées,  &  on  iiapas  coujîume  de  mettre  tant  de  mots,  ny  me/me 
tant  de  lettres,  dans  vu  chiffre,  que  fay  déduit  de  diuers  effets  de  ces 
caufes  \ 

206.  Et  me/me  qu'on  en  a  vue  certitude  plus  que  morale. 

L'autre  forte  de  certitude  efî  lors  que  nous  penfons  qu'il  nefl  au- 
cunement poffible  que  la  chofe  foit  autre  que  nous  la  jugeons...  Et  elle 
eft  fondée  fur  vn  principe  de  Metaphyfique  tres-ajfuré,  qui  ejï  que, 
Dieu  eflant  fouuerainement  bon  &  la  fource  de  toute  vérité,  puifque 
cejî  luy  qui  nous  a  crée\,  il  eft  certain  que  la  puiffance  ou  faculté 
qu'il  nous  a  donnée  pour  diftinguer  le  vray  d'auec  le  faux,  ne.  fe 

485  trompe  point,  lors  que  nous  en  vfons  bien  &  qu'elle  nous  |  monftre 
euidemmcHt  qu'wnt  chofe  eff  fraye.  Ainfi  cette  certitude  s'eftend  à 
tout  ce  qui  eft  demonftré  dans  la  Mathématique;  car  nous  voyons 
clairement  qu'il  efi  impqffible  que  deux  &  trois  joins  enfemble  facent 
plus  ou  moins-que  cinq,  ouqu'vn  quarré  n'ait  que  trois  cofle^,  &  chofes 
femblables.  Elle  s'eftend  aufl"i  à  la  connoiflance  que  nous  auons  qu'il 
y  a  des  corps  dans  le  monde,  pour  les  raijons  cy-dejfus  expliquées 
au  commencement  de  la  féconde  partie.  Puis  en  fuitte  elle  s'eftend  à 
toutes  les  chofes  qui  peuuent  eftre  demonftrées,  touchant  ces  corps, 
par  les  principes  de  la  Mathématique  ou  par  d'autres  aujji  éuidens 
&  certains;  au  nombre  defquelles  il  me  femble  que  celles  que  j'ay 
écrites  en  ce  traitté  doiuent  eftre  receuës,  au  moins  les  principales 
&  plus  générales.  Et  j'efpere  qu'elles  le  feront  en  effet  par  ceux  qui 
les  auront  examinées  en  telle  forte,  qu'ils  verront  clairement  toute 
la  fuite  des  déductions  que  j'ay  faites,  &.  combien  font  euidens  tous 
les  principes  dcfquels  je  me  fuis  feruy;  principalement  s'ils  com- 
prennent bien  qu'il  ne  fe  peut  faire  que  nous  fentions  aucun  objet, 
linon  par  le  moyen  de  quelque  mouuemént  local  que  cet  objet  excite 
en  nous,  &  que  les  cftoilcs  fixes...  ne  peuuent  exciter  ainfi  aucun 
mouuemcnt  e/i  nos  yeux,  fans...  mouuoir  aufli  en  quelque  façon 

486  toute  I  II  matière"  qui  eft  entre  elles  &  nous,  d'oii  il  fuit  tres-éuidem- 
ment  que  les  deux  doiuent  eflre  Jluides,  c'cfl  à  dire  compofe\  de  petites 
parties  qui  fe  meuuent  feparement  les  vues  des  autres,  ou  du  moins 

a.  Voir  Correspondance,  t.  V,  p.  3o9,  1.  16. 

b.  Texte  imprimé  :  «  nature  »,  corrigé  h  Verrata. 


Principes.  —  Quatriesme  Partie.  J2^ 

qu'il  doit  j'  aiioir  en  eux  de  telles  parties.  Car  tout  ce  qu'on  peut  dire 
quej'aj'fuppofé,  &  qui  fe  trouue  en  l'article  46  de  la  troijîéme partie*, 
peut  ejîre  r-eduit  à  cela  feu l  que  les  deux  font  Jluides.  En  forte  que 
CQ  feul  point  eftant  reconnu  pour  fuffifam ment  démontré  par  tous 
les  effets  de  la  lumière,  &  <  par  >  la  fuite  de  toutes  les  autres  chofes 
que  fay  expliquées,  je  penfe  qu'on  doit  aufli  reconnoirtre  quQ  j'aj' 
prouué  par  demonfii-ation  Mathématique  toutes  les  chofes  que  j'ay 
écrites,  au  -moins  les  plus  générales  qui  concernent  la  fabrique  du 
ciel  &  de  la  terre,  &  en  la  façon  que  je  les  ay  écrites  :  car  fay  eu 
foin  de  propofer  comme  douteufes  toutes  celles  que  J'a/  penfé  l'eflre. 

20  j.  Mais  que  je  foumets  toutes  mes  opinions  au  jugement  des  plus  fages 
&  à  l'authorité  de  l'Eglife. 

Toutefois,  à  catife  que  je  ne  veux  pas  me  fier  trop  à  mov  mefme, 
je  n'affure  icy  aucune  chofe,  &  je  foufmets  toutes  mes  opinions  au 
jugement  des  plus  fages  &  à  l'authorité  de  l'Eglife...  Mefme  je  prie 
les  Lecteurs  de  n'adjoufter  point  du  tout  de  foy  à  tout  ce  qu'ils 
trouueront  icy  écrit,  mais  feulement  de  l'examiner  &  n'en  receuoir 
que  ce  que  la  force  &  l'euidence  de  la  raifon  les  pourra  contraindre 
de  croire. 

a.  Page  124. 


FIN. 


NOTE  I 

SUR  LES  RÈGLES  DU  CHOC  DES  CORPS 

D'APRÈS  DESCARTES 
{Voir  ci -avant,  p.  8<i.  noie  a.» 


Il  m'a  paru  utile  d'indiquer  ici  avec  précision  en  quoi  les  sept  règles 
cartésiennes,  relatives  au  choc  des  corps,  diftèrent  des  règles  théoriques 
de  la  Mécanique  applicables  aux  mêmes  cas  (corps  parfaitement  durs, 
isolés  de  tous  autres,  et  n'ayant  d'actions  réciproques  qu'au  moment  du 
choc,  se  mouvant  enfin  suivant  la  droite  qui  joint  leurs  centres  de  gravité, 
cette  droite  passant  d'ailleurs  par  les  points  qui  viennent  en  contact). 

Ces  règles  théoriques  sont  comprises  sous  une  formule  unique  qui  se 
déduit  du  théorème  de  la  conservation  du  mouvement  du  centre  de  gra- 
vité (ici  supposé  immobile),  et  de  celui  de  la  conservation  des  forces 
vives,  démontrés  en  Mécanique  rationnelle  pour  tout  système  isolé. 

Si  l'on  désigne  par  B  et  C  les  masses  des  deux  corps  désignés  sous  les 
mêmes  lettres  par  Descartes,  si  l'on  appelle  b  et  c  leurs  vitesses  respectives 
avant  le  choc,  ?  et  y  leurs  vitesses  après  le  choc  (vitesses  comptées  positi- 
vement dans  le  même  sens),  les  théorèmes  précités  fournissent  les  rela- 
tions : 

(i)    Bfr-f  Cc  =  BP  +  Cy,  (2)    B^'  +  Cc'=:Bp»-f- Cy*. 

et  l'on  en  déduit  les  formules  générales  : 

^3)        p^^-i^i^IZl),  ,^c+^-^(^-^) 


B-f  C     '  *  '       B  +  C^ 

Mais  d'autant  que,  dans  ses  six  premières  règles.  Descartes  suppose  les 
corps  animés  de  vitesses  dirigées  en  sens  contraires  (ou  l'une  d'elles  nulle), 
pour  faciliter  les  rapprochements  avec  son  texte,  nous  remplacerons,  pour 
ces  six  règles,  c  par  — c,  y  par  —  Yt  et  nous  meiirons  les  formules  sour  la 
forme 

.    ^^  ^       ^-^  B-i-C   '  ^-^         B  +  C    * 

i^  Règle  ;  II,  46  (p.  89).  Hypothèses  :  b  ~  C,  b  =  c, 
Ona:p  =  — t,  y  =  —  *• 


J28  Notes. 

Les  corps  rejaillissent  de  part  et  d'autre,  en  conservant  la  même  vitesse 
absolue.  Descartes  a  admis  la  même  règle. 

2i»e  Règle  :  n,  47  (p.  90).  Hypothèses  ;  B  >  C,  ^  =  c. 

B-?C.  _       3B-C. 

'^~    B  +  C     '  ^~        B-i-C 

Le  corps  C  rejaillit  toujours  avec  une  vitesse  plus  grande,  en  valeur 
absolue,  que  la  vitesse  antérieure  ;  le  corps  B  peut,  suivant  les  rapports 
des  masses ,  suivre  le  corps  C,  mais  avec  une  vitesse  moindre  ;  ou  bien 
s'arrêter,  si  B  =  3  C  ;  ou  enfin  rejaillir  lui-même. 

Descartes  admet  que  le  corps  C  rejaillit  toujours  avec  une  vitesse  égale, 

en  valeur  absolue,  à  la  vitesse  antérieure,  et  que  B  le  suit  avec  la  même 

vitesse,  (p  =  —  f  =  b).  La  force  vive  du  système  resté  la  même  ;  le  mou- 

B  -i-  C 
vement  du  centre  de  gravité  s'accélère  dans  le  rapport  -^ — !— ^. 

3»o  Règle  .♦  Il,  48  (p.  90).  Hypothèses  ;  B  =  C,  t  >  c. 
p  =  -c,  Y=-^- 

Les  corps  rejaillissent  en  échangeant  leurs  vitesses. 

D'après  Descartes,  au  contraire,  C  rejaillit  seul,  et  les  deux  corps  conti- 
nuent à  se  mouvoir  en  restant  joints  ensemble,  avec  une  vitesse  égale  à 
la  moyenne  arithmétique  des  valeurs  absolues  des  vitesses  antérieures. 

(P  =  —  Y  =  —^ — •  La  force  vive  du  système  diminuerait  alors  d'autant 
plus  que  b  serait  supérieur  à  c;  le  mouvement  du  centre  de  gravité  s'accé- 
lérerait dans  le  rapport  ,■  "^  ■■ . 
b  —  c 

4""'  Règle  :  II,  49  (p.  90).  Hypothèses  :  C>  B,  c  =  o. 

o_       C-B.  _  2B_. 

Après  le  choc,  les  deux  corps  se  meuvent  en  sens  contraire.  D'après 
Descartes,  C  reste  en  repos,  et  B  rejaillirait  en  conservant  sa  vitesse  en 
valeur  absolue  (p  =  —  ^,  c  =  o).  La  force  vive  resterait  la  même,  le  mou- 
vement du  centre  de  gravité  changerait  de  sens. 

5m.  Règle  ;  11,  5 o  (p.  91).  Hypothèses  ;  C  <  B,  c  =  0. 

k       ^  -  ^  h  2B      . 

^=bTX^'  ^  =  ""Birc^- 

Apr-s  le  choc,  les  deux  corps  se  meuvent  dans  le  même  sons,  C  prenant 

une  vitesse  plus  grande  que  B,  Descartes  admet,  au  contraire,  que  B  et  C 

B 
prennent  une  vitesse  commune  ^  b  ;  cette  fois,  sa  règle  conserve  le 


^  Notes.  J29 

mouvement  du  centre  de  gravité,  mais  elle  diminue  la  force  vive  dans  le 
rapport  gA^. 

gme  Règle  :  II,  5i  (p.  92).  Hypothèses  :  C  =  B,  c  =  o. 

P  =  o.  y  =  —  l,. 

Le  coips  B  s'arrête,  et  le  corps  C  prend  sa  vitesse.  D'après  Descartes, 
B  rejaillirait  en  gardant  les  trois  quarts  de  sa  vitesse  absolue,  C  se  met- 
trait en  mouvement  avec  un  quart  de  cette  même  vitesse.  Dans  cette  solu- 
tion, le  mouvement  du  centre  de  gravite  change  de  sens,  et  la  force  vive 
du  système  diminue  de  trois  huitièmes. 

7""  Règle  :  II,  52  (p.  92).  Les  Jeux  corps  se  meuvent,  avant  le  choc, 
dans  le  même  sens. 

Nous  reprenons,  pour  cette  septièniC  règle,  les  formules  générales  (3), 
en  supposant  que  c  y  ait  une  valeur  positive.  Comme,  pour  que  la  ren- 
contre ail  lieu,  il  faut  admettre  que^>c,  on  voit  qu'après  le  choc,  la 
vitesse  de  C  est  augmentée,  et  la  vitesse  de  B  diminuée,  assez  en  tous  cas 
pour  tomber  au-dessous  de  celle  que  prend  C.  Cette  diminution  peut  être 

assez  forte  pour  que  B  s'arrête  (si  -  =  g — _,  ce  qui  exige   au    moins 

b  2C 

B  <3C.  Il  peut  même   rejaillir,  si  -<  p— — p;,  B  étant  relativement 

encore  plus  faible. 

Descartes  distingue  deux  cas  : 

10  B  et  C  prennent,  après  le  choc,  une  vitesse  commune,  si  B  >  C  ou 

C       b 
si,  avec  B  <  C,  on  a  5^<C--  I-a  vitesse  commune  est,  d'après  l'exemple 
D      c 

qu'il  donne,  —5—7—7^.  Le  mouvement  du  centre  de  gravité  est  conservé; 
B  -j-  C' 

il  y  a  perte  de  force  vive. 

b        C 

2»  Si,  au  contraire,  -  <  — ,  C  continue  son  mouvement- avec  sa  vitesse 

CD 

antérieure,  B  rejaillit  en  conservant  la  sienne  en  valeur  absolue  (p  =  — ^, 
Y  =  c).  Alors  la  force  vive  reste  la  même;  le  mouvement  du  centre  de  gra- 
vite est,  au  contraire,  diminué  dans  le  rapport  ~f  -. 

Ce  4-  B^ 

On  remarquera  que,  pour  la  limite  qui  sépare  ces  deux  cas,  à  savoir  si 
h         C 
-=  ô,  il  y  a  indécision,  les  règles  de   Descartes  aboutissant  à  des  rèsul- 

tats  contradictoires.  Il  n'a'iiidiqiié  nulle  patf  comment  il  aurait  pallié  ce 
saltus  natlirœ,  et  s'il  aurait  employé  un  compromis  analogue  à  celui  de  la 
6'"*  Règl^,  où  les  circonstances  étaient  analogues. 


J30  Notes. 

On  remarquera  aussi  que  Descartes  n'a  pas  épuisé  toutes  les  combi- 
naisons qu'il  devait  envisager.  Pour  les  vitesses  dirigées  en  sens  contraire 
avant  le  choc  et  inégales,  il  manque,  en  effet,  deux  règles  correspondant 
aux  hypothèses  : 

{3)a  b>c  B>C 

(3)b  *>c  B  <  C. 

Or,  ni  dans  l'un  ni  dans  l'autre  de  ces  deux  cas,  on  ne  peut  être  assuré 
de  retrouver  les  solutions  que  Descartes  aurait  données. . .  {La  note  s' ar- 
rête ici  dans  les  papiers  de  Paul  Tannery.  Elle  est  certainement  ina- 
chevée, et  a  été  interrompue  par  la  mort.) 


NOTE  H 

(Page  109,  note  a,  fin.) 


On  n*a  rien  retrouvé,  dans  les  papiers  de  Paul  Tannery,  qui  se  rappor-^ 
tât  à  la  note  annoncée  ici.  Contentons-nous  de  corriger  au  moins  l'indi- 
cation erronée  :  De  Marte  sub  Sole  viso.  Il  faut  lire  sans  doute  De  Mer- 
curio  sub  Sole  viso,  opuscule  de  Gassend,  imprimé  une  première  fois  en 
i63i,  une  seconde  en  i632. 


TABLE    DES    PRINCIPES 


DE   LA 


PHILOSOPHIE 


Avertissement *   m 

Frontispices xxi 

Lettre  de  l'Autheur  au  Traducteur i 

Dédicace  à  la  Princesse  Elisabeth ai 


PREMIERE  PARTIE 
Des  Principes  de  la  connoijfance  humaine. 


1.  Que,  pour  examiner  la  vé- 

rité, il  eft  befoin,  vne  fois 
en  fa  vie,  de  mettre  toutes 
chofes  en  doute,  autant 
qu'il  fe  peut 25 

2.  Qu'il  eft  vtile  auffi  de  confi- 

derer  comme  faulTes  toutes 
les  chofes  dont  on  peut 
douter ". » 

3.  Que  nous  ne  deuons  point 

vfer  de  ce  doute  pour  la 
conduite  de  nos  a<Sions..     26 

4.  Pourquoy  on  peut  douter 

de  la  vérité  dés  chofes  fen- 
fibles » 

5.  Pourquoy    on    peut    auflî 

douter  des  demonftrations 
de  Mathématique » 


6.  Que  nous  auons  vn  libre 

arbitre  qui  fait  que  nous 
pouuons  nous  abftenir  de 
croire  les  chofes  douteu- 
fes,  &  ainfi  nous  empef- 
cher  d'eftre  trompez 27 

7.  Que  nous  ne  fçaurions  dou- 

ter fans  eftre,  &  que  cela . 
eft  la  première    connoif- 
fance  certaine  qu'on  peut 
acquérir » 

8.  Qu'on  connoift  auffi  enfuite 

la  diftindion  qui  eft  entre 
l'ame  &  le  corps 28 

9.  Ce  que  c'eft  que  la  penfée.       » 
10.  Qu'il  y  a  des  notions  d'el- 

les-mefmes  11  claires  qu'on 
les  obfcurcit  en  les  vou- 


r-2  Table  des 

lant  définir  à  la  façon  de 
l'Echoie;  &  qu'elles  ne 
s'acquerent  point  par  eftu- 
de ,  mais  naifTent  auec 
nous 28 

1 1.  Comment  nous  pouuons 
plus  clairement  connoi- 
ftre  noftre  ame  que  noftre 
corps 29 

12.  D'où  vient  que  tout  le 
monde  ne  la  connoift  pas 

en  cette  façon 3o 

i3.  En  quel  fens  on  peut  dire 
que,  fi  on  ignore  Dieu,  on 
ne  peut  auoir  de  connoif- 
fancj    certaine    d'aucune 

autre  chofe » 

14.  Qu'on  peut  demonftrer 
qu'il  y  a  vn  Dieu  de  cela 
feul  que  la  neceflité  d'eflre 
ou  d'exifter  eft  comprife 
en    la    notion    que    nous 

auons  de  luy 3 1 

i5.  Que  la  neceflité  d'eftren'eft 
pas  comprife  en  la  no- 
tion que  nous  auons  des 
autres  chofes,  mais  feule- 
ment le  pouuoir  d'eftre.. .       » 

16.  Que  les   préjugez    empef- 

chent  queplufieurs  ne  con- 
noiflent  clairement  cette 
neceflité  d'eftre  qui  eft  en 
Dieu 32 

17.  Que,  d'autant  que  nous 
conccuons  plus  de  perfe- 
ction en  vnc  chofe,  d'au- 
tant dcuons-nous  croire 
que  fa  caufc  doit  aufli  eftre 
plus  parfaite » 

18.  Qu'on   peut   derechef  de- 

monftrer par  cela,  qu'il  y 

a  vn  Dieu 33  . 

19  Qu'cnct»re  que  nous  ne 
comprenions  pas  tout  ce 
qui  eft  en  Dieu,  il  n'y  a 


Principes 

rien  toutefois  que  nous 
connoiflions  li  clairement 
comme  fes  perfeflioas 53 

20.  Que  nous  ne  fommes  pas 

la  caufe  de  nous  mefmes, 
mais  que  c'eft  Dieu,  &  que 
par  confequent  il  y  a  vn 
Dieu 34 

21.  Que  la  feule  durée  de  no- 
ftre vie  fuffit  pour  demon- 
ftrer que  Dieu  eft » 

22.  Qu'en  connoiflant  qu'il  y 
a  vn  Dieu,  en  la  façon 
icy  expliquée,  on  connoift 
auftTi  tous  fes  attributs,  au- 
tant qu'ils  peuuent  eftre 
connus  par  la  feule  lu- 
mière naturelle. , » 

23.  Que  Dieu  n'eft  point  cor- 

porel, &  ne  connoift  point 
par  l'ayde  des  fens  comme 
nous,  &  n'eft  point  au- 
thcur  du  péché 35 

24.  Qu'après  auoir  connu  que 
Dieu  eft,  pour  pafl'er  à  la 
connoifTance  des  créatu- 
res, il  fe  faut  fouuenir  que 
noftre  entendement  eft  fi- 
ny,  &  la  puiirance  de  Dieu 
infinie » 

25.  Et  qu'il  faut  croire  tout  ce 
que  Dieu  a  reuelé,  encore 
qu'il  foit  au  defl'us  de  la 
portée  de  noftre  efprit 36 

26.  Qu'il  ne  faut  point  tafcher 
de  comprendre  linfiny, 
mais  feulement  penfcr  que 
tout  ce  en  quoy  nous  ne 
trouuons  aucunes  bornes 

eft  indefiny » 

27.  Quelle  différence  il  y  a  en- 

tre indejiny  &  injîny  ....     37 

28.  Qu'il  ne  faut  point  exami- 

ner pour  quelle  Hn  Dieu  a 
fait  chaque    chofe,    mais 


DE  LA  Philosophie.                        }J) 

feulement  par  quel  moyen  aux  autres  ma'.ftres,  mais 

il  a  voulu  qu'elle  fuft  pro-  non  point  à  Dieu 41 

duite  . .' 37        39.  Que    la  liberté    de  noftre 

29.  Que  Dieu  n'eft  point  la  volonté  fe  connoift  fans 
caufe  de  nos  erreurs »               preuue,  par  la  feule  expe- 

30.  Et  que  par  conlequent tout  rience  que  nous  en  auons.      » 
cela  eft  vray  que  nous  con-  40.  Que  nous  fçauons  aulfi  tres- 
noiflbns   clairement   eftre  certainement  que  Dieu  a 
vray,  ce  qui  nous  deliure  préordonné',-    teschofes.    42 
des  doutes  cy-deffus  pro-  41.  Comment  on  peut  accor- 
pofez 38               der    noftre    libre    arbitre 

3ï.  Que  nos  erreurs,  au  rc-  auec  la  préordination  di- 

gard  de  Dieu,  ne  font  que  uine » 

des  négations,  mais  au  re-  42.  Comment,  encore  que  nous 

gard  de  nous,  font  des  pri-  ne  vueiilions  jamais  faillir, 

uations  ou  des  defaux »               c'eft  neantmoins  par  noftre 

32.  Qu'il  n'y  a  en  nous  que  volonté  que  nous  faillons.       » 
deux  fortes   de  penfée,  à  43.  Que  nous  nefçaurionsfail- 
fçauoir,  la  perception  de  lir  en  ne  jugeant  que  des 
l'entendement,  &  l'aclion  chofes   que   nous  aperce- 

de  la  volonté 39              uons  clairement  &  diftin- 

33.  Que  nous  ne  nous  irom-  élément •.    43 

pons  que  lors   que  nous  44.  Que  nous  ne  fçaurions  que 

jugeons  de  quelque  chofe  mal  juger  de  ce  que  nous 

qui  ne  nous  eft  pas  afl"ez  n'aperceuons    pas    claire- 

connuë »               ment,  bien  que  noftre  ju- 

34.  Que  la  volonté,  a\îfli  bien  gement  puiffe  eftre  vray, 
que  l'entendement,  eft  re-  &  que  c'eft  fouuent  noftre 
quife  pour  juger »               mémoire  qui  nous  trompe.       » 

35.  Qu'elle  a  plus  d'eftenduë  45.  Ce  que  c'eft  qu'vne  percep- 

que  luy,  &  que  de  là  vien-  tion  claire  &  diftinile 44 

nent  nos  erreurs 40        46.  Qu'elle    peut    eftre    claire 

36.  Lefquelles  nepeuuenteftre  fans  eftre  diftinfte,'  mais 
imputées  à  Dieu »               non  au  contraire » 

37.  Que  la  principale  perfe-  47.  Que,  pour  ofter  les  preju- 
£lion  de  l'homme  eft  d'à-  gez  de  noftre  enfance,  il 
uoirvn  libre  arbitre,  <&  que  faut  confiderer  ce  qu'il  y 
c'eft  ce  qui  le  rend  digne  a  de  clair  en  chacune  de 

de  loUange  ou  de  blafme.  »               nos  premières  notions.. . .       » 

38.  Que  nos  erreurs  font  des  48.  Que  tout  ce  dont  nous 
défaux  de  noftre  façon  d'à-  auons  quelque  notion  eft 
gir,  mais  non  point  de  cpnfideré  comme  vne  cho- 
noftre  nature  ;  &  que  les  fe  ou  comme  vne  vérité  : 
fautes  des  fujets  peuuent  &  le  dénombrement  des 
fouuent  ^  eftre    attribuées                     chofes 45 

« 


JJ4  Table  des 

49.  Que  les  veritez  ne  peuuent 
ainfi  eftre  dénombrées,  & 
qu'il  n'en  eft  pas  befoin  . .    46 

50.  Que  toutes  ces  veritez  peu- 
uent eftre  clairement  ap- 
perceuës;  mais  non  pas  de 
tous,  à  caufe  des  préjugez.      » 

5i.  Ce  que  c'eft  que  la  fub- 
ftance;  &  que  c'eft  vn  nom 
qu'on  ne  peut  attribuer  à 
Dieu  &  aux  créatures  en 
mefme  fens » 

5a.  Qu'il  peut  eftre  attribué  à 
l'ame  &  au  corps  en  mefme 
fens  :  &  comment  on  con- 
noift  la  fubftance 47 

53.  Que  chaque  fubftance  a  vn 

attribut  principal  ;  &  que 
celuy  de  l'ame  eft  la  pen- 
fée,  comme  l'extenfion  eft 
celuy  du  corps 48 

54.  Comment  nous  pouuons 
auoir  despenféesdiftin6les 
de  la  fubftance  qui  penfe, 
de  celle  qui  eft  corporelle, 

&  de  Dieu » 

55.  Comment  nous  en  pouuons 
aufli  auoir  de  la  durée,  de 
Tordre  &  du  nombre 49 

56.  Ce  que  c'eft  que  qualité, 
&  attribut,  &  façon  ou 
mode » 

57.  Qu'il  y  a  des  attributs  qui 
appartiennent  aux  chofes 
aufquelles  ils  font  attri- 
buez, &  d'autres  qui  dé- 
pendent de  noftre  penfée..       » 

58.  Que  les  nombres  &  les  vni- 

uerfaux  dépendent  de  no- 
ftre penfée 5o 

59.  Quels  font  les  vniuerfaux.       » 

60.  Des  diftindions,  &  premiè- 

rement de  celle  qui  eft 
réelle 5i 

61.  De  la  diftin^ion  modale  . .     52 


Principes 

62.  De  la  diftinftion  qui  fe  fait 
par  la  pervfée 53 

63.  Comment  on  peut  auoir 
des  notions  diftinéles  de 
l'extenfion  &  de  la  penfée, 
en  tant  que  l'vne  conftituë 
la  nature  du  corps,  &  l'au- 
tre celle  de  l'ame » 

64.  Comment  on  peut  auffi  les 
conceuoir  diftinélement  en 
les  prenant  pour  des  mo- 
des ou  attribus  de  ces  fub- 
ftances 54 

65.  Comment  on  conçoit  auflî. 
leurs   diuerfes   proprietez 

ou  attributs » 

66.  Que  nous  auons  auflî  des 
notions  diftinfles  de  nos 
fentimens,  &  de  nos  affe- 
ftions,  &  de  nos  appétits, 
bien  que  fouuent  nous 
nous  trompions  aux  juge- 
mens  que  nous  en  faifons.    55 

67.  Que  fo.uuent  mefme  nous 
nous  trompons  en  jugeant 
que  nous  fentons  de  la 
douleur  en  quelque  partie 

de  noftre  corps » 

68.  Comment  on  doit  diftin- 
guer  en  telles  chofes  ce  en 
quoy  on  peut  fe  tromper 
d'auec  ce  qu'on  conçoit 
clairement 56 

69.  Qu'on  connoift  tout  autre- 
ment les  grandeurs,  les  fi- 
gures, &c.,  que  les  cou- 
leurs, les  douleurs,  &c. . .     57 

70.  Que  nous  pouuons  juger 
en  deux  façons  des  chofes 
fenfiblcs,  par  l'vne  def- 
quelles  nous  tombons  en 
erreur,  &  par  l'autre  nous 
l'éuitons > 

71.  Que  la  première  «&  princi- 
pale caufe  de  nos  erreurs 


DE  LA  Philosophie. 


JM 


font  les  préjugez  de  noftre 
enfance .....'.     58 

72.  Que  la  féconde  eft  que 
nous  ne  pouuons  oublier 

ces    préjugez 59 

73.  La  troiliéme,  que  noftre 
efprit  fe  fatigue  quand  il 
fe  rend  attentif  à  toutes  les 
cholts  dont  nous  jugeons.    60 

74.  La  quatrième,  que  nous 
attachons  nos    penfées  à 


des  paroles  qui  ne  les  ex- 
priment pas  exaélement..     60 

75.  Abrégé  de  tout  ce  qu'on 
doit  obferuer  pour  bien 
phiiofopher 61 

76.  Que  nous  deuons  préférer 
l'authorité  diuine  à  nos 
raifonnemens,  &  ne  rien 
croire  de  ce  qui  n'eft  pas 
reuelé  que  nous  ne  le  coh- 
noiffions  fort  clairement.    [62 


SECONDE  PARTIE 
Des  Principes  des  chofes  matérielles. 


1.  Quelles  raifons  nous   font 

fçauoir  certainement  qu'il 
y  a  des  corps 63 

2.  Comment  nous  fçauonsaufTi 

que  noftre  ame  eft  jointe  à 
vn  corps 64 

3.  Que  nos  fens  ne  nous  enfei- 

gnent  pas  la  nature  des 
chofes,  mais  feulement  ce 
en  quoy  elles  nous  font 
vtiles  ou  nuifibles » 

4.  Que  ce  n'eft  pas  la  pefan- 

teur,  ni  la  dureté,  ny  la 
couleur,  &c.,  qui  conftituë 
"la  nature  du  corps,  mais 
Vextenfion  feule 65 

5.  Que  cette  vérité  eft  obfcur- 

cie  par  les  opinions  dont 
on  eft  préocupé  touchant 
la  rarefaflion  &  le  vulde. .       » 

6.  Comment  fe  fait  la  rarefa- 

flion 66 

7.  Qu'elle  ne  peut  eftre  intelli- 

giblement expliquée  qu'en 
la  façon  icy  propofée ....       » 


8.  Que  la  grandeur  ne  difere 

de  ce  qui  eft  grand,  ny  le 
nombre  des  chofes  nom- 
brées,  que  par  noftre  pen- 
fée 67 

9.  Que  la  fubftance  corporelle 

ne  peut  eftre  clairement 
conceuë  fans  fon  exten- 
fion 68 

10.  Ce  que  c'eft  que  l'efpace 

ou  le  lieu  intérieur » 

11.  En  quel  fens  on  peut  dire 
qu'il  rj,'eft  point  différent 

du  corps  qu'il  contient...       » 

12.  Et  en  quel  fens  il  en  eft 
différent 69 

i3.  Ceque  c'eft  que  le  lieu  ex- 
térieur        » 

14.  Quelle  différence  il  y  a 
entre  le  lieu  &  l'efpace. . .    70 

i5.  Comment  la  fuperfîcie  qui 
enuironne  vn  corps  peut 
eftre  prife  pour  fon  lieu 
extérieur 71 

16.  Qu'il  ne  peut  y  auoir  aucun 


j  )6  Table  des 

vuide,  au  fens  que  les  Phi- 
lofophes  prennent  ce  mot.     71 

17.  Que  le  mot  de  vuide,  pris 
félon  Tvfage  ordinaire , 
n'exclud  point  toute  forte 

de  corps 72 

18.  Comment  on  peut  corriger 
la  fauffe  opinion  dont  on 
eft  préoc'jpé  touchant  le 
vuide » 

19.  Que  cela  confirme  ce  qui  a 
efté  dit  de  la  raréfaction. .     73 

20.  Qu'il  ne  peut  y  auoir  au-  . 
cuns    atomes,     ou    petits 
corps  indiuifibles . , 74 

21.  Que  l'eftenduë  du  monde 

e(l  indéfinie ,       » 

22.  Que  la  Terre  &  les  Cieux 
ne  font  faits  que  d'vne 
mefme  matière,  &  qu'il  ne 
peut  y  auoir  plufieurs 
mondes 75 

33.  Que  toutes  les  varietez  qui 
font  en  la  matière  dé- 
pendent du  mouuementde 
fes  parties » 

24.  Ce  que  c'eft  que  le  mouue- 
ment  pris  félon  Tvfage 
commun » 

25.  Ce  que  c'eft  que  le  mouue- 
ment  proprement  dit 76 

26.  Qu'il  n'eft  pas  requis  plus 
d'aélion  pour  le  mouue- 
ment  que  pour  le  repos. . .     77 

27.  Que  le  mouuement  &  le 
repos  ne  font  rien  que  deux 
diuerfes  façons  dans  le 
corps  où  ils  fe  trouuent. .      ■» 

28.  Que  le  mouuement  en  fa 
propre  fignification  ne  fe 
rapporte  qu'aux  corps  qui 
touchent  celuy  qu'on  dit 

fe  mouuoir 78 

29.  Et  mefme  qu'il  ne  fe  rap- 
porte  qu'à   ceux    de   cc> 


Principes 

corps  que  nous  confide- 
rons  comme  en  repos » 

3o.  D'où  vient  que  le  mouue- 
ment qui  fepare  deux  corps 
qui  fe  touchent,  eft  pluftoft 
attribué  à  l'vn  qu'à  l'autre.    79 

3i.  Comment  il  peut  y'  auoir 
plufieurs  diuers  mouue- 
mens  en  vn  mefme  corps.     80 

32.  Comment  le  mouuement 
vnique  proprement  dit,  qui 
eft  vnique  en  chaque  corps, 
peut  aufli  eftre  pris  pour 
plufieurs » 

33.- Comment  en  chaque  mou- 
uement il  doit  y  auoir  tout 
vn  cercle  ou  anneau  de 
corps  qui  fe  mcuuent  en- 
femble 8.1 

34.  Qu'il  fuit  de  là  ;que  la  ma- 
tière fe  diuife  en  des  par- 
ties indéfinies  &  innom- 
brables       82 

35.  Que  nous  ne  deuons  point 
douter  que  cette  diuiûon 
ne  fe  face,  encore  que  nous 

ne  la  puifïîons  comprendre    83 

36.  Que  Dieu  eft  la  première 
caufe  du  mouuement,  & 
qu'il  en  conferue  îouf- 
jours  vne  '5gale  quantité  en 
l'vniuers » 

37.  La  première  loy  de  la  na- 
ture :  que  chaque  chofe 
demeure  en  l'eftat  qu'elle 
eft,  pendant  que  rien  ne  le 
change 84 

38.  Pourquoy  les  corps  pouf- 
fez de  la  main  continuent 
de  fe  mouuoir  après  qu'elle 

les  a  quittez 85 

39.  La  2.  loi  de  la  nature  :  que 
tout  corps  qui  fe  meut  tend  " 
à  continuer   fon    mouue- 
ment en  ligne  droite » 


DE  LA  Philosophie. 


})7 


40.  La  3.  :  que  û  vn  corps  qui 
le  meut  en  rencontre  vn 
autre  plus  fort  que  foy,  il 
ne  perd  rien  de  l'on  mou- 
uement;  &  s'il  en  ren- 
contre vn  plus  foible  qu'il 
puiffe  mouuoir,  il  en  perd 
autant  qu'il  luy  en  donne.     86 

41.  La  preuué  de  la  première 
partie  de  cette  règle 87 

42.  La  preuue  de  la  féconde 
partie » 

43.  En  quoy  confifte  la  force 
de  chaque  corps  pour  agir 

ou  pour   rehller 88 

44.  Que  le  mouuement  n'elt 
pas  contraire  à  vn  autre 
mouuement,  mais  au  re- 
pos; &  la  détermination 
d'vn  mouuement  vers  vn 
codé,  à  fa  dcicrmination 
vers  vn  autre » 

45.  Comment  on  peut  déter- 
miner combit-n  les  corps 
qui  fe  rencontrent  chan- 
gent les  mouuemens  les 
vns  des  autres,  par  les  rè- 
gles qui  fuiuent 89 

46.  La  première » 

47.  La  féconde 90 

48.  La  troifiéme » 

49.  La  quatrième 

50.  La  cinquième 91 

5 1 .  La  fixiéme 93 

52.  La  feptiéme >• 

53.  Que  l'explication  de  ces 
règles  ert  difficile,  à  caufe 
que  chaque  corps  cii  tou- 
ché par  plulieurs  autres  en 
mefme  temps 93 

54.  En  quoy  conllfte  la  nature 
des  corps  durs  &  des  li- 
quides      94 

55.  Qu'il  n'y  a  rien  qui  joigne 
les  parties  des  corps  durs, 

ŒCVRES.    TV. 


finon  qu'elles  font  en  repos 
au  regard  l'vne  de  l'autre.       » 

56.  Que  les  parties  des  corps 
fluides  ontdesmouuemens 
qui  tendent  également  de 
tous  coftez,  &  que  la 
moindre  force  fuffit  pour 
mouuoir  les  corps  durs 
qu'elles  enuironnent 95 

57.  La  preuue  de  l'article  pré- 
cèdent       96 

58.  Qu'vn  corps  ne  doit  pas 
eilre  eltimé  entièrement 
fluide  au  regard  d'vn  corps 
dur  qu'il  enuironne,  quand 
quelques-vnes  de  fes  par- 
tics  fe  meuuent  moins  vite 
que  ne  fait  ce  corps  dur. ,     98 

59.  Qu'vn  corps  dur  eftant 
pouiïé  par  vn  autre  ne  re- 
çoit pas  de  luy  feul  tout  le 
mouuement  qu'il  acquert, 
mais  en  emprunte  aurtl  vne 
partie  du  corps  fluide  qui 
l'enuironne » 

60.  Qu'il  ne  peut  toutefois 
auoir  plus  de  vitelVe  que 
ce  corps  dur  ne  luy  en 
donne 99 

61.  Qu'vn  corps  fluide  qui  fe 
meut  tout  entier  vers 
quelque  coilé  emporte  ne- 
cert'ai rement  aucc  foy  tous 
les  corps  durs  qu'il  con- 
tient ou  enuironne » 

62.  Qu'on  ne  peut  pas  dire  pro- 
prement qu'vn  corps  dur 
fe  meut,  lors  qu'il  efl  ainli 
emporté  par  vn  corps 
fluide 100 

63.  D'où  vient  qu'il  y  a  des 
corps  h  durs  qu'ils  ne 
peuuent  eflre  diuii'és  par 
nos  mains ,  bien  qu'ils 
foient  plus  petits  qu'rUe^.       » 


5?8 


Table  des  Principes 


64.  Que  je  ne  reçois  point  de 
principes  en  Phylique  qui 
ne  loieni  aufll  receus  en 
Mathématique,  afin  de 
pouuoir  prouiier  par  de- 
monftration   tout  ce    que 


j'en  déduiray,  &  que  ces 
principes  fuffifent,  d'au- 
tant que  tous  les  Phaino- 
menes  de  la  nature  peuuent 
eftre  expliquez  par  leur 
moyen 101 


TROISIESME   PARTIE 
Du  Monde  vijîble. 


1.  Qu'on   ne    fçauroit    penfer 

trop  hautement  des  œu- 
urcs  de  Dieu io3 

2.  Qu'on  prefumeroit  trop  de 

foy-mcfme,  fi  on  entrepre- 
noit  de  connoiftre  la  fin 
que  Dieu  s'eft  propofé  en 
créant  le  monde 104 

3.  En  quel    fens  on  peut  dire 

que  Dieu  a  créé  toutes 
chofcs  pour  l'homme » 

4.  Des  Phainomenes  ou  expé- 

riences, &  à  quoy  elles 
peuuent  \cy  feruir » 

5.  Quelle   proportion    il    y    a 

entre  le  Soleil,  la  Terre  & 
la  Lune,  à  raifon  de  leurs 
diftances  &  de  leurs  gran- 
deurs  io5 

6.  Quelle  diftance  il  y  a  entre 

les  autres  Planètes  &  le 
Soleil » 

7.  Qu'on    peut    fuppofcr    les 

£itoiles  fixes  autant  éloi- 
gnées qu'on  veut » 

8.  Que  la  Terre  eftant  veuc  du 

Ciel  ne  paroiftroit  que 
comme  vnc  Planète  moin- 
dre que  lupiter  ou  Sa- 
turne    106 


9.  Que  la  lumière  du  Soleil  & 

des  Eftoiles  fixes  leur  cft 
propre » 

10.  Que  celle  de  la  Lune  &  des 
autres  Planètes  eft  em- 
pruntée du  Soleil., 107 

11.  Qu'en  ce  qui  eft  de  la  lu- 
mière la  Terre  eft  fem- 
blable  aux  Planètes i» 

12.  Que  la  Lune,  lors  qu'elle 
eft  nouuelle,  eft  illuminée 
par  la  Terre » 

1 3.  Que  le  Soleil  peut  eftre  mis 
au  nombre  des  eftoiles 
fixes,  &  la  Terre  au  nombre 
des  Planètes » 

14.  Que  les  Eftoiles  fixes  de- 
meurent touf-  jours  en 
mefme  fituation  au  regard 
l'vne  de  l'autre,  &  qu'il  n'en 
eft  pas  de  mefme  des  Pla- 
nètes   108 

1 5.  Qu'on  peut  vfer  de  diuerfes 
hypothefes  pour  expliquer 
les  Phainomenes  des  Pla- 
nètes        » 

16.  Qu'on  ne  les  peut  expliquer 
touspar  celle  de  Ptolemée.       » 

17.  Que  celles  de  Copernic  & 
de  Tycho  ne  différent  point, 


DE  LA  Philosophie. 


J}9 


û  on  ne  les  confidcre  que 
comme  hypothefes 109 

18.  Que  par  celle  de  Tycho  on 
attribue  en  etîet  plus  de 
mouuement  à  la  Terre  que 
par  celle  de  Copernic,  bien 
qu'on  luy  en  attribue  moins 

en  paroles » 

19.  Que  je  nie  le  mouuement  de 

la  Terre  auec  plus  de  foin 
que  Copernic,  &  plus  de 
vérité  que  Tycho » 

20.  Qu'il  faut  fuppofer  les 
Eftoiles  fixes  extrêmement 
éloignées  de  Saturne 110 

21.  Que  la  matière  du  Soleil, 
ainli  que  celle  de  la  flame, 
elt  fort  mobile,  mais  qu'il 
n'ell  pas  befoin  pour  cela 
qu'il  palîe  tout  entier  d'vn 
lieu  en  vn  autre » 

22.  Que  le  Soleil  n'a  pas  befoin 
d'aliment  comme  la  flame.  1 1 1 

23.  Que  toutes  les  elloiles  ne 
font  point  en  vne  fuper- 
licie  fpherique  6:  qu'elles 
font  fort  éloignées  l'vne  de 
l'autre » 

24.  Que  les  Cieux  font  liquides.  113 

25.  Qu'ils  tranfportcnt  auec 
eux  tous  les  corps  qu'ils 
contiennent » 

26.  Que  la  Terre  \c  rcpofc  en 
Ion  Ciel,  mais  qu'elle  ne 
laille  pas  d'eltre  tranfpor- 

tée  par  luy 1 13 

27.  Qu'il  en  ell  de  mcfme  de 
toutes  les  Planètes » 

28.  Qu'on  ne  peut  pas  propre- 
ment dire  que  la  Terre  ou 
les  Planètes  fe  meuuent, 
bien  qu'elles  foient  ainli 
tranfporices » 

29.  Que  mefme.  en  parlant  im- 
propiement  &  fuiuant  l'v- 


fage,  on  ne  doit  point  attri- 
buer de  mouuement  à  la 
Terre,  mais  feulement  aux 
autres  Planètes 114 

30.  Que  toutes  les  Planètes 
font  emportées  autour  du 
Soleil  par  le  Ciel  qui  les 
contient Ii5 

3 1.  Comment  elles  font  ainfi 
emportées 116 

32.  Comment  fe  font  aufll  les 
taches  qui  fe  voient  far  la 
fuperficie  du  Soleil » 

33.  Que  la  Terre  elt  aulTi  por- 
tée en  rond  autour  de  fon 
centre,  &  la  Lune  autour 

de  la  Terre » 

34.  Que    les    mouuemens   des 

Cieux  ne  font  pas  parfaite- 
ment circulaires 117 

35.  Que  toutes  les  Planètes  ne 
font  pas  touf-jours  en  vn 
mefme  plan » 

36.  Et  que  chacune  n'ell  pas 
touf-jours  également  éloi- 
gnée d'vn  mefme  centre.  .118 

37.  Que  tous  les  Phainomenes 
peuuent  eilreexpliquezpar 
l'hypothcfe  icy  propofée. .   119 

38.  Que,  fuiuant  l'hypothefe 
de  Tycho,  on  doit  dire 
que  la  Terre  fe  meut  au- 
tour de  fon  centre » 

39.  Et  aufTi  qu'elle  fe  meut  au- 
tour du  Soleil 1 20 

40.  Encore  que  la  Terre  change 
de  iîtuaiion  au  regard  des 
autres  Planètes,  cela  n'ell 
pas  fenlible  au  regard  des 
Elloiles  fixes,  à  caufc  de 
leur  extrême  diltance 121 

41.  Que  cette  diltance  des  Ef- 

loiles  fixes  elt  newclfaire 
pour  expliquer  les  mouue- 
mens des  Comètes 


340                        Table  des  Principes 

42.  Qu'on  peut  mettre  au  5y.  Comment  vn  corps  peut 
nombre  des  Phainomenes  tendre  à  fe  mouuoir  en 
toutes  les     chofes    qu'on  plufieurs    diuerfes   façons 

voitfur  la  Terre,  mais  qu'il  en  mefme  temps i3i 

n'eft  pas  icy  befoin  de  les  58.  Comment   il  tend  à  s'éloi- 

conliderer   toutes 122  gner  du  centre  autour  du- 

43.  Qu'il  n'eft   pas  vray-fem-  quel  il  fe  meut i32 

blable  que  les  caufes  def-  5g.  Combien  cette  tenlion  a  de 

quelles  on   peut    déduire  force » 

tous    les    Phainomenes  60.  Que  toute  la  matière  des 

foient  fauffes 12?  Cieux  tend  ainfi  à  s'éloi- 

44.  Que  je  neveux  point  tou-  gner  de  certains  centres..  i33 
tefois    affurer  que    celles  61,  Que  cela  eft  caufe  que  les 
que  je  propofe  font  vrayes.       »  corps    du    Soleil    &   des 

45.  Que   mefme  j'en  fuppofe-  Eftoiles  fixes  font  ronds. .       » 

ray  icy  quelques  vnes  que  62.  Que  la  matière  celelte  qui 

je  crois  fauITes »  les  enuironne  tend  à  s'éloi- 

46.  Quelles  font  ces  fuppofi-  gner  de  tous  les  points  de 
tions 1 24  leur  fuperficie 1 34 

47.  Que   leur    fauifeté    n'em-  63.  Que  les    parties  de    cette 

pefche   point  que  ce  qui  matière    ne    s'empefchent 

en  fera  déduit  ne  foitvray.  i25  point  en  cela  Tvne  l'autre.  i35 

48.  Comment  toutes  les  par-  64.  Que  cela  fuffit  pour  expli- 
ties  du  Ciel  font  deuenuës  quer  toutes  les  proprietez 
rondes 126^  de  la  lumière,  &  pour  faire 

49.  Qu'entre  ces  parties  rondes  paroiftre  les  aftres  lumi- 
il  y  en  doit  auoir  d'autres  neux  fans  qu'ils  y  contri- 

plus  petites  pour  remplir  buent  aucune  chofe i36 

tout  l'efpace  où  elles  font.  127  65.  Que  les  Cieux  font  diuifez 

50.  Que  ces  plus  petites  font  en  plufieurs  tourbillons,  ^c 
aifées  b  diuifer »  que  les  pôles  de  quelques 

5 1 .  Et  qu'elles  fe  meuuent  très-  vns  de  ces  tourbillons  tou- 
vite 128  chent  les   parties  les  plus 

52.  Qu'il  y  a  trois  principaux  éloignées  des  pôles  des 
clemens  du  monde  vifible.      »  autres » 

53.  Qu'on  peut  diftinguer  l'v-  66.  Que  les  mouueménsde  ces 
niuers  en  trois  diuers  tourbillons  fe  doiuent  vn 
Cieux    1 29  peu  deftourncr  pour  n'eftre 

54.  Comment  le  Soleil  &  les  pas  contraires  l'vn  à  l'au- 
Elloiles  ont  pu  fe  former .  1 3o  tre 1 37 

55.  Ce  que  c'eft  que  la  lumière.       ■  67.  Que  deux  tourbillons  ne  fe 

56.  Comment    on    peut    dire  peuuent  toucher  par  leurs 

d'vnc    chofe     inanimée  pôles i38 

qu'elle   tend    à    produire  68.  Qu'ils    ne    peuuent    eftre 

quelque  ctfort i3i  tous  de  mefme  grandeur.       » 


DE  LA  Philosophie. 


H 


69.  Que  la  matière  du  pre- 
mier élément  entre  par  les 
pôles  de  chaque  tourbillon 
vers  fon  centre,  &  fort  de 
là  par  les  endroits  les  plus 
éloignez  des  pôles iSg 

70.  Qu'il  n'en  eft  pas  de  mefme 

du  fécond  élément 140 

71.  Quelle  eft  la  caufe  de  cette 
diuerfité » 

72.  Comment  fe  meut  la  ma- 
tière qui  compofe  le  corps 

du  Soleil 141 

73.  Qu'il  y  a  beaucoup  d'ine- 
galitez  en  ce  qui  regarde  la 
fituation  du  Soleil  au  mi- 
lieu du  tourbillon  qui  l'en- 
uironne 142 

74.  Qu'il  y  en  a  aulTi  beaucoup 
en  ce  qui  regarde  le  mou- 
uement  de  fa  matière 143 

75.  Que  cela  n'empefche  pas 
que  fa  Hgure  ne  foit  ronde.  144 

76.  Comment  fe  meut  la  ma- 
tière du  premier  élément 
qui  eR  entre  les  parties  du 
fécond  dans  le  Ciel 145 

77.  Que  le  Soleil  n'enuoye  pas 
feulement  fa  lumière  vers 
l'Eclyptique ,    mais    aulTi 
vers  les  pôles » 

78.  Comment  il  l'enuoye  vers 

l'Eclyptique 146 

79.  Combien  il  eft  aifé  quelque- 
fois aux  corps  qui  fe  meu- 
uent  d'eftendre  extrême- 
ment loin  leur  a£\ion » 

80.  Comment  le  Soleil  en- 
uoye  fa  lumière  vers  les 
pôles 147 

81.  Qu'il  n'a  peut-eftre  pas  du 
tout  tant  de  force  vers  les 
pôles  que  vers  l'Ecly- 
ptique         » 

82.  Quelle  diuerfité  il  y  a  en  la 


grandeur  &  aux  mouue- 
mens  des  parties  du  fécond 
élément  qui  compofent  les 
Cieux 148 

83.  Pourquoy  les  plus  éloi- 
gnées du  Soleil  dans  le  pre- 
mier Ciel  fe  meuuent  plus 
vite  que  celles  qui  en  font 
vn  peu  plus  [lire  moins) 
loin 149 

84.  Pourquoy  auftl  celles  qui 
font  les  plus  proches  du 
Soleil  fe  meuuent  plus 
vite  que  celles  qui  en  font 

vn  peu  plus  loin 1 5o 

85.  Pourquoy  ces  plus  pro- 
ches du  Soleil  font  plus 
petites  que  celles  qui  en 
font  plus  éloignées » 

86.  Que  ces  parties  du  fécond 
élément  ont  diuers  mou- 
uemens  qui  les  rendent 
rondes  en  tout  fens 1 5 1 

87.  Qu'il  y  a  diuers  degrez  d'a- 

gitation dans  les  petites 
parties  du  premier  élé- 
ment    l52 

88.  Que  celles  de  ces  parties 
qui  ont  le  moins  de  viteffe 
en  perdent  aifement  vne 
partie,  &  s'attachent  les 
vnes  aux  autres 1 53 

89.  Que  c'eft  principalement 
en  la  matière  qui  coule 
des  pôles  vers  le  centre  de 
chaque  tourbillon  qu'il  fe 
trouue  de  telles  parties...  154 

90.  Quelle  eft  la  figure  de  ces 
parties  que  nous  nomme- 
rons canelées » 

91.  Qu'entre  ces  parties  cane- 
lées celles  qui  viennent 
d'vn  pôle  font  tout  autre- 
ment tournées  que  celles 
qui  viennent  de  l'autre ...  1 55 


J42  .         Table  des 

92.  Qu'il  n'y  a  que  trois  ca- 
naux en  la  fuperficie  de 
chacune , i55 

93.  Qu'entre  les  parties  cane- 
lées  &  les  plus  petites  du 
premier  élément  il  y  en  a 
d'vne  infinité  de  diuerfes 
grandeurs 1 56 

94.  Comment  elles  produifent 
des  taches  fur  le  Soleil  ou 
fur  les  Eftoiles » 

95.  Quelle  eft  la  caufe  des  prin- 

cipales proprietez  de  ces 
taches 157 

96.  Comment  elles  font  deftrui- 

tes,  &  comment  il  s'en  pro- 
duit de  nouuelles » 

97.  D'où  vient  que  leurs  extre- 

mitez  paroiflent  quelque- 
fois peintes  des  mefmes 
couleurs  que  l'arc  en  ciel.  i58 

98.  Comment  ces  taches  fe 
changent  en  fiâmes,  ou  au 
contraire  les  fiâmes  en 
taches » 

99.  Quelles  font  les  parties  en 
quoy  elles  fe  diuifent iSq 

100.  Comment  il  fc  forme  vne 
cfpcce  d'air  autour  des 
aftres » 

ICI .  Que  Icscaufcs  qui  produi- 
fent ou  diffipent  ces  taches 
font  fort  incertaines 160 

102.  Comment  quclqucfoisvnc 
feule  tache  couurc  toute  la 
fuperficie  d'vn  artrc » 

10?.  Pourquoy  le  Soleil  a  paru 
quelquefois  plus  obicur 
que  de  coufiumc,  cS:  pour- 
quoy les  Efloilcs  ne  pa- 
roilTeni  pas  touf-jours  de 
mcfmc  grandeur 161 

104.  Pourquoy  il  y  en  a  qui 
difparoilfcnt  ou  qui  pa- 
roiiïcnt  de  nouucau » 


Principes 

io5.  Qu'il  y  a  des  pores  dans 
les  taches  par  où  les  parties 
canelées  ont  libre  paffage.  162 

106.  Pourquoy  elles  ne  peu- 
uent  retourner  .  par  les 
mefmes  pores  par  où  elles 
entrent i63 

107.  Pourquoy  celles  qui  vien- 
nent d'vn  pôle  doiuent 
auoir  d'autres  pores  que 
celles  qui  viennent  de  l'au- 
tre         » 

108.  Comment  la  matière  du 
premier  élément  prend  fon 
cours  par  ces  pores 164 

109.  Qu'il  y  a  encore  d'autres 
pores  en  ces  taches  qui 
croifent  les  precedens i65 

MO.  Que  ces  taches  empef- 
chent  la  lumière  des  aftres 
qu'elles  couurent » 

111.  Comment  il  peut  arriuer 
qu'vne  nouuelle  Eftoile 
paroiffe  tout  à  coup  dan*" 

le  Ciel 166 

112.  Comment  vne  Eftoile  peut 
difparoiftre  peu  à  peu. ...  167 

1 1 3 .  Que  les  parties  canelées  fe 
font  pluficurs  palïages  en 
toutes  les  taches 168 

1 14.  Qu'vne  mefme  Eftoile  peut 
paroiftre  &  difparoiftre 
pluficurs  fois » 

11 5.  Que  quelquefois  tout  vn 
tourbillon  peut  eftre  de- 
ftruit 169 

116.  Comment  cela  peut  arri- 
uer auant  que  les  taches 
qui  couurent  fon  aftre 
foicnt  foit  cfpailfes 170 

117.  Comment  ces  taches  peu- 
uent  auffi  quelquefois  dc- 
ucnir  fort  cpailfcs  auant 
que  le  tourbillon  qui  les 
contient  foit  dcftruit 171 


DE  LA  Philosophie. 


34) 


1 18.  En  quelle  façon  elles  font 


produites 


171 


1 19.  Comment  vne  Eftoile  fixe 
peut  deuenir  Comète  ou 
Planète 172 

120.  Comment  fe  meut  cette 
Eftoile  lors  qu'elle  com- 
mence à  n'eftre  plus  fixe..  173 

121.  Ce  que  j'entends  par  la 
folidité  des  corps  &  par 
leur  agitation 1 74 

122.  Que  la  folidité  d'vn  corps 
ne  dépend  pas  feulement 
de  la  matière  dont  il  eft 
compofé,  mais  auffî  de  la 
quantité  de  cette  matière 

&  de  fa  figure 175 

r23.  Comment  les  petites  bou- 
les du  fécond  élément  peu- 
uent  auoir  plus  de  folidité 
quetoutlecprpsd'vnaftre.      » 
124.  Comment  elles  peuuent 

aulTi  en  auoir  moins 176 

ia5.  Comment  quelques  vnes 
en  peuuent  auoir  plus,  & 
quelques  autres  en  auoir 
moins 1 77 

126.  Comment  vne  Comète 
peut  commencer  à  fe  mou- 
uoir » 

127.  Comment  les  Comètes 
continuent  leur  mouue- 
ment 178 

128.  Quels  font  leurs  princi- 
paux Phainomenes 179 

129.  Quelles  font  les  caufes  de 

ces  Phainomenes 180 

i3o.  Comment  la  lumière  des 
Eftoiles  fixes  peut  parue- 
nir  jufques  à  la  Terre. . . .  181 
i3i.  Que  les  Eftoiles  ne  font 
peut-eftre  pas  aux  mefmes 
lieux  où  elles  paroiflent; 
&  ce  que  c'eft  que  le  firma- 
ment    182 


i32.  Pourquoy  nous  ne  voyons 
point  les  Comètes  quand 
elles  font  hors  de  noftrc 
Ciel i83 

i33.  De  la  queue  des  Comètes 
&  des  diuerfeschofesqu  on 
y  a  obferuées i85 

134.  En  quoy  confifte  la  re- 
fra£lion  qui  fait  paroiftre 
la  queue  des  Comètes. ...   186 

i35.  Explication  de  cette  re- 
fra^iion » 

1 36.  Explication  des  caufes  qui 
font  paroiftre  les  queues 
des  Comètes 188 

137.  Explication  de  l'appari- 
tion des  cheurons  de  feu..  189 

i38.  Pourquoy  la  queue  des 
Comètes  n'eft  pas  touf- 
jours  exactement  droite  ny 
diredementoppofée  au  So- 
leil    190 

139.  Pourquoy  les  Eftoiles 
fixes  &  les  Planètes  ne  pa- 
roiffent  poiftt  auec  de  telles 
queues » 

140.  Comment  les  Planètes 
ont  pu  commencer  à  fe 
mouuoir 191 

141.  Quelles  font  les  diuerfes 
caufes  qui  deftournent  le 
mouuement  des  Planètes. 

La  première 19a 

142.  La  féconde » 

143.  La  troifiéme » 

144.  La  quatrième i^3 

145.  La  cinquième » 

146.  Comment  toutes  les  Pla- 
nètes peuuent  auoir  efté 
formées 194 

147.  Pourquoy  toutes  les  Pla- 
nètes ne  font  pas  égale- 
ment diftantes  du  Soleil, .   ipS 

148.  Pourquoy  les  plus  pro- 
ches du  Soleil  fe  meuuent 


J44  Table  des 

plus  vite  que  les  plus  éloi- 
gnées, &  toutefois  fes  ta- 
ches qui  en  font  fort  pro- 
ches fe  meuuent  moins 
vite  qu'aucune  Planète...  195 

149.  Pourquoy  la  Lune  tourne 
autour  de  la  Terre 196 

1 50.  Pourquoy  la  Terre  tourne 
autour  de  fon  centre » 

i5i.  Pourquoy  la  Lune  fe 
meut  plus  vite  que  la 
Terre 197 

i52.  Pourquoy  c'eft  touf-jours 
vn  mefme  cofté  de  la  Lune 
qui  eft  tourné  vers  laTerre.       » 

1 53.  Pourquoy  la  Lune  va  plus 
vite  &  s'écarte  moins  de 
fa  route,  eftant  pleine  ou 


Principes 

nouuelle,  que  pendant  fon 
croiflant  ou  fon  dccours.. .  198 

154.  Pourquoy  les  Planetcsqui 
font  autour  de  lupiier  y 
tournent  fort  vite,  &  qu'il 
n'en  ei\  pas  de  mefme  de 
celles  qu'on  dit  élire  au- 
tour de  Saturne » 

i55.  Pourquoy  les  pôles  de 
l'Equateur  font  fort  éloi- 
gnez de  ceux  de  l'Eclyp- 
tique 199 

i56.  Pourquoy  ils  s'en  appro- 
chent peu  à  peu » 

iSj.  La  caufe  générale  de  tou- 
tes les  varietez  qu'on  re- 
marque aux  mouuemens 
des  artrcs 200 


QUATRIESME  PARTIE 
De  la  Terre. 


I.  Que  pourtrouuer  les  vrayes 
caufes  de  ce  qui  eft  fur  la 
Terre  il  faut  retenir  l'hy- 
pothefe  def-ja  prife,  nonob- 
ftant  qu'elle  foit  fauffe 201 

3.  Quelle  a  ei^é  la  génération 
de  la  Terre  fuiuant  cette 
hypoihefe » 

3.  Sa  diuifion  en  trois  diuerfes 

régions,  &  la  defcription 
de  la  première 202 

4.  Defcription  de  la  féconde  . .  2o3 

5.  Defcription  de  la  troifiéme.       » 

6.  Que  les  parties  du  troifiéme 

clément  qui  font  en  cette 
troifiéme  région  doiuent 
edre  affcz  grandes 204 

7.  Qu'elles  pcuucnt  .itrc  chan- 


gées par  l'action  des  deux 
autres  elemens 204 

8.  Qu'elles  font  plus  grandes 

que  celles  du  fécond,  mais 
non  pas  fi  folides  ny  tant 
agitées » 

9.  Comment  elles  fe   font  au 

commencement  alîcm- 
blées 2o5 

10.  Qu'il  cil  demeuré  plu- 
fieurs  interualles  autour 
d'elles,  que  les  deux  autres 
elemens  ont  remplis » 

11.  Que  les  parties  du  fécond 

élément  crtoient  alors  plus 
petites,     proches    de     la 
Terre,  qu'vnpeu'plushaut.       » 
la.  Que  les  cfpaces  par  où  elles 


DE  LA  Philosophie. 


H5 


piilToient  entre  les  parties 
de  .  la    troifiéme     région 

ertoient  plus  ellroits 206 

i3.  Que  Ipsplus  grolTes  parties 
(jlr  cette  troiliéme  région 
n'eltoient  pas  touf-jours 
les  plus  bafTes » 

14.  Qu'il  s'eit  par  après  formé 

en  elle  diuers  corps. ..,, .       » 

1 5.  Quelles  font  les  principales 

allions  par  lefquelles  ces 
corps  ont  elle  produits.  Et 
l'explication  de  la  pre- 
mière  207 

16.  Le  premier  effet  de  cette 
première  a£lion,  qui  ei\ 
de  rendre  les  corps  tranl- 
parens » 

17.  Comment  les  corps  durs  & 
folides  peuuent  eltre  tranf- 
parens 208 

18.  Le  fécond  effet  de  la  pre- 
mière action,  qui  ell  de 
purifier  les  liqueurs  &  les 
diuifer  en  diuers  corps. . .       » 

19.  Le  troiliéme  effet,  qui  eft 
d'arondir    les    gouttes   de 

ces  liqueurs 209 

20.  L'explication  de  la  féconde 
adion,  en  laquelle  confifte 

la  pefanteur 210 

21.  Que  chaque  partie  de  la 

Terre,  eftant  confiderée 
toute  feule,  eft  pluftoft  lé- 
gère que  pefante » 

22.  En  quoy  confifte  la  légè- 
reté de  la  matière  du  Ciel.  2 1 1 

a3:  Que  c'eft  la  légèreté  de 
cette  matière  du  Ciel  qui 
rend  les  corps  terreftres 
pefans » 

24.  De  combien  les  corps  font 
plus  pefans  les  vns  que  leà 
autres 2r2 

2  5.  Que  leur  pefanteur  n*a  pas 
Œuvres.  IV. 


214 


213 


tauf-jours  mefme  rapport 
auec  leur  matière 21 3 

26.  Pourquoy  les  corps  pefans 
n'agilTent  point,  lors  qu'ils 
ne  font  qu'entre  leurs  fem- 
blables, » 

27.  Pourquoy  c'eft  vers  le  cen- 
tre de  la  Terre  qu'ils  ten- 
dent  

28.  De  la  troifiéme  aflion,  qui 
eft  la  lumière;  comment 
elle  agite  les  parties  de 
l'air 

29.  Explication  de  la  quatrième 

aétion,  qui  eft  la  chaleur  ; 
&  pourquoy  elle  demeure 
après  la  lumière*  qui  l'a 
produite ■ 

30.  Comment  elle  pénètre  dans 
les  corps  qui  ne  font  point 
tranfparens 216 

3i.  Pourquoy  elle  a  couftume 
de  dilater  les  corps  où  elle 
eft,  &  pourquoy  elle  en 
condenfe  auffi  quelques- 
vns » 

32.  Comment  la  troifiéme  ré- 
gion de  la  Terre  a  com- 
mencé à  fe  diuifer  en  deux 
diuers  corps 217 

33.  Qu'il  y  a  trois  diuers  gen- 
res de  parties  terreftres...       » 

34.  Comment  il  s'eft  formé  vn 
troifiéme  corps  entre  les 
deux  precedens 218 

35.  Que  ce  corps  ne  s'eft  com- 
pofé  que  d'vn   feul  genre 

de  parties 219 

36.  Que  toutes  les  parties  de 
ce  genre  fe  font  réduites  à 
deux  efpeces » 

37.  Comment  le  corps  marqué 
C  s'eft  diuifé  en  plufieurs 
autres 220 

38.  Comment  il  s'eft  formé  vn 


J4^  Table  des 

quatrième  corps  au  deffus 
du  troifiéme 220 

39.  Comment  ce  quatrième 
corps s'eft  accreu,&le  troi- 
fiéme s'eft  purifié 221 

40.  Comment  Tépailleur  de  ce 
troifiéme  corps  s'eft  dimi- 
nuée, en  forte  qu'il  eft  de- 
meuré del'efpace  entre  luy 
&  le  quatrième  corps,  le- 
quel  efpace  s'eft   remply 

de  la  matière  du  premier. .  222 

41.  Comment  il  s'eft  fait  plu- 
fieurs  fentes  dans  le  qua- 
trième corps 223 

42.  Comment  ce  quatrième 
corps  s'eft  rompu  en  plu* 
fieurs  pièces 224 

43.  Comment  vne  partie  du 
troifiéme  eft  montée  au 
delTus  du  quatrième. .....  225 

44.  Comment  ont  efté  produi- 
tes les  montagnes,  les  plai- 
nes, les  mers,  &c » 

45.  Quelle  eft  la  nature  de 
l'air » 

46.  Pourquoy  il  peut  eftre  fa- 
cilementdilaté  &  condenfé  226 

47.  D'où  vient  qu'il  a  beau- 
coup de  force  à  fe  dilater., 
eftant  preffé  en  certaines 
machines » 

48.  De  la  nature  de  l'eau,  & 
pourquoy  elle  fe  change 
aifement  en  air&  en  glace.  227 

49.  Du  flux  &  refluxde  la  mer.      » 

50.  Pourquoy  l'eau  de  la  mer 
employé  douze  heures  & 
enuiron  vingt-quairc  mi- 
nutes à  monter  &  defccn- 
dre  en  chaque  marée 228 

5i.  Pourquoy  les  marées  font 
plus  grandes,  lors  que  la 
I.unc  cil  pleine  ou  nou- 
uclle,  qu'aux  autres  temps.  229 


Principes 

52.  Pourquoy  elles  font  auftî 
plus  grandes  aux  equi- 
noxes  qu'aux  folftices..;.  229 

53.  Pourquoy  l'eau  &  l'air  cou- 
lent fans  cefTe  des  parties 
Orientales  de  la  Terre  vers 

les  Occidentales 23o 

54.  Pourquoy  les  pais  qui  ont 
la  mer  à  l'Orient  font  or- 
dinairement moins  chaux 
que  ceux  qui  l'ont  au  cou- 
chant        » 

55.  Pourquoy  il  n'y  a  point 
de  flux  &  reflux  dans  les 
lacs;  &  pourquoy  vers  les 
bords  de  la  mer  il  ne  fe 
fait  pas  aux  mefmes  heures 
qu'au  milieu » 

56.  Comment  on  peut  rendre 
raifon  de  toutes  les  diffé- 
rences particulières  des 
flux  &  reflux 23 1 

57.  De  la  nature  de  la  Terre 

intérieure,  qui  eft  au  def- 
fous  des  plus  baffes  eaux.  2  32 

58.  De  la    nature  de   l'argent 

vif 233 

59.  Des  inegalitez  de  la  cha- 
leur qui  eft  en  cette  Terre 
intérieure » 

60.  Quel  eft  l'effet  de  cette  cha- 
leur   234 

61.  Comment  s'engendrent  les 
fucs  aigres  ou  corrofifs  qui 
entrent  en  la  compofition 
du  vitriol,  de  l'alun  ik  au- 
tres tels  minéraux » 

62.  Comment  s'engendre  la  ma- 

tière huileufc  qui  entre  en 
la  compofition  du  foulfre, 
du  bithume,  &c.\ 235 

63.  Des  principes  de  la  Chy- 
mie,  &  de  quelle  façon  les 
métaux  viennent  dans  les 
mines » 


DE  LA  Philosophie. 


)47 


64.  De  la  nature  de  la  Terre 
extérieure,  &  de  l'origine 
des  fontaines 2  36 

65.  Pourqdoy  l'eau  de  la  mer 
ne  croift  point  de  ce  que 

les  riuieres  y  entrent 237 

66.  Paurquoy  l'eau  de  la  pluf- 
part  des  fontaines  eft  dou- 
ce, &  la  mer  demeure 
falée » 

67.  Pourquoy  il  y  a  auflTi  quel- 
ques fontaines  dont  l'eau 

eft  falée 338 

68.  Pourquoy  il  y  a  des  mines 
de  fel  en  quelques  monta- 
gnes        » 

69.  Pourquoy,  outre  le  fel  com- 
mun, on. en  trouue  auffi 
de  quelques  autres  efpe- 
ces » 

70.  Quelle  différence  il  y  a  icy 
entre  les  vapeurs,  les  ef-    . 
prits  &  les  exhalaifons. ...  239 

71.  Comment  leur  meflange 
compofe  diuerfes  efpeces 
de  pierres,  dont  quelques- 
vnes  font  tranfparentes  & 

les  autres  ne  le  font  pas. .      » 

72.  Comment  les  métaux  vien- 
nent dans  les  mines,  & 
comment  s'y  fait  le  ver- 
meillon 240 

73.  Pourquoy  les  métaux  ne  fe 
trouuent  qu'en  certains  en- 
droits de  la  Terre » 

74.  Pourquoy  c'eft  principale- 
ment au  pied  des  monta- 
gnes, du  cofté  qui  regarde 
le  Midi  ou  l'Orient,  qu'ils 

fe  trouuent 24 1 

75.  Que  toutes  les  mines  font 
en  la  Terre  extérieure,  & 
qu'on  ne  fçauroit  creufer 
jufques  à  l'intérieure » 

76.  Comment  fe  compofent  le 


11- 
78. 

79- 


80. 
81. 

82. 
83. 


84. 
85. 
86. 

87, 

88, 

89, 

90 


9' 


92 


foulfre,  le  bitume,  l'huile 

minerai  &  l'argile 241 

Quelle    eft    la   caufe    des 

tremblemens  de  terre 242 

D'où  vient  qu'il  y  a  des 
montagnes  dont  il  fort 
quelquefois     de     grandes 

fiâmes » 

D'où  vient  que  les  tremble- 
mens de  terre  fe  font  fou- 
uent  à  plulieurs  fecouffes.  243 
Quelle  eft  la  nature  du  feu.       » 
Comment  il  peuteftre  pro- 
duit   244 

Comment  il  eft  conferué  . .       » 
Pourquoy    il    doit    auôir 
quelque  corps  à  confumer 
afin  de  fe  pouuoir  entrete- 
nir  245 

Comment  on  peut  allumer 

du  feu  auec  vn  fufil 

Comment    on    en   allume 
aufTi  en  frotant  vn  bois  fec,  246 
Comment  auec  vn  miroir 
creus,  ou  vn  verre   con- 
nexe        » 

Comment  la  feule  agita- 
lion  d'vn   corps    le   peut 

embrafer 247 

Comment  le  meflange  de 
deux  corps  peut  auffi  faire 

qu'ils  s'embrafent » 

Comment  s'allume  le  feu 
de  la  foudre,  des  efclairs  & 
des  Eftoiles  qui  trauerfent.  248 
Comment  s'allument  les 
Eftoiles  qui  tombent,  & 
quelle  eft  la  caufe  de  tous 
les  autres  tels  feux  qui  lui- 
fent  &  ne  bruflent  point. .  249 
Quelle  eft  la  lumière  de 
l'aau   de    mer,    des    bois 

pourris,  &c » 

Quelle  eft  la  caufe  des  feux 
qui  bruflent  ou  efchaufeni 


H8 


Table  des  Principes 


&  ne  luifent  point,  comme  107 

lors  que  le  foin  s'echaufe 
de  foy-mefme 25o 

93.  Pourquoy  lors  qu'on  jette 

de  l'eau  fur  de  la  chaux  108 

viue,  &  généralement  lors 

que  deux  corps  de  diuerfe  109 

nature  font  méfiez  enfem- 

ble,  cela  excite  en  eux  de 

la  chaleur 252 

94.  Comment  le  feu  ell  allumé  110 

dans  les  concauitez  de  la  m 

Terre » 

95.  Delà  façon  que  brufle  vn  112 
flambeau 253 

96.  Ce  que  c'eft  qui  conferue  ii3 
la  flame » 

97.  Pourquoy  elle  monte  en 
pointe,  &  d'où  vient  la  fu- 
mée   254         1 14 

98.  Comment  l'air  &  les  autres 

corps  nourriflent  la  flame.       »        11 5, 

99.  Que  l'air  reuient  circulai- 
rement  vers  le  feu  en  la 

place  de  la  fumée 255        1 16 

100.  Comment  les  liqueurs 
efteignent  le  feu,  &  d'où 
vient  qu'il  y  a  des  corps 

qui  bruflent  dans  l'eau. . .       »        117, 

ICI .  Quelles  matières  font  pro- 
pres à  le  nourrir »        118. 

102.  Pourquoy    la    flame    de 

l'eau  de  vie  ne  brufle  point  119. 

vn  linge  mouillé  de  cette 

mefme  eau 256        1 20. 

io3.  D'où   vient  que  l'eau  de 

vie  brufle  facilement »        121, 

104.  D'où  vient  que  l'eau  com- 
mune cfleint  le  feu 257        122, 

io5.  D'où  vient  qu'elle  peut 
aufli  quelquefois  l'aug- 
menter, ik  que  tous  les  fels 
font  le  femblable »        i23, 

106.  Qjcts  corps  font  les  plus 

propret  à  entretenir  le  feu.  258        124 


Pourquoy  il  y  a  des  corps 
qui  s'enflament  &  d'au- 
tres  que  le   feu  confume 

fans  les  enflamer 258 

.  Comment  le  feu  fe  con- 
ferue dans  le  charbon  ....  » 
,  De  la  poudre  à  canon  qui 
fe  fait  de  foulfre,  de  falpe- 
flre  &de  charbon  ;  &  pre- 
mièrement du  foulfre 259 

Du  falpeftre » 

Du  meflange  de  ces  deux 
enfemble 260 

Quel  eft  le  mouuement 
des  parties  du  falpeftre. . .       » 

Pourquoy  la  flame  de  la 
poudre  fe  dilate  beaucoup, 
&  pourquoy  fon  adion 
tend  en  haut » 

Quelle  eft  la  nature  du 
charbon 261 

Pourquoy  on  grene  la 
poudre,  &  en  quoy  princi- 
palement confifte  fa  force.       » 

Ce  qu'on  peut  juger  des 
lampes  qu'on  dit  auoir 
conferue  leur  flame  du- 
rant plufieurs  fiecles 262 

Quels  font  les  autres  effets 

du  feu 263 

Quels  font  les  corps  qu'il 
fait  fondre  &  bouillir  ....  264 
Quels  font  ceux  qu'il  rend 

fecs  &  durs » 

Comment  on  tire  diuerfes 
eaux  par  diftilation » 

Comment  on  tire  auflTi 
desfublimez  &.  des  huiles.  265 

Qu'en  augmentant  ou  di- 
minuant la  force  du  feu 
on  change  fouuent  fon  ef- 
fca 

Comment  on  calcine  plu- 
fieurs corps 266 

Comment  fe  fait  le  verre.       » 


DE  LA  Philosophie. 


H9 


12  5.  Comment  fes  parues  fe 
joignent  enfemble 267 

126.  Pourquoy  il  eft  liquide  & 
gluant,  lors  qu'il  ell  em- 
brafé » 

127.  Pourquoy  il  eft  fort  dur 
eftant  froid 268 

128.  Pourquoy  il  eft  auftî  fort 
caftant » 

129.  Pourquoy  il  deuientmoins 
caftant,  lors  qu'on  laifte 
refroidir  lentement  ...!».  269 

i3o.  Pourquoy  il  eft  tranfpà- 
rent » 

i3i.  Comment  on  le  teint  de 
diuerfes  couleurs 270 

i3a.  Ce  que  c'eft  qu'eftre  roide 
ou  faire  reffort,  &  pour- 
quoy cette  qualité  fe  trouue 
auftl  dans  le  verre 

i33.  Explication  de  la  nature 
de  l'aymant 271 

134.  Qu'il  n'y  a  point  de  pores 
dans  l'air  ny  dans  l'eau 
qui  foient  propres  à  rece- 
uoir  les  parties  canelées. .  272 

i35.  Qu'il  n'y  en  a  point  auftl 
en  aucun  autre  corps  fur 
cette  terre,  excepté  dans  le 
fer 273 

i36.  Pourquoy  il  y  a  de  tels 
pores  dans  le  fer » 

137.  Comment  peuuent  eftre 
ces  pores  en  chacune  de 
ces  parties 274 

i38.  Comment  ils  y  font  dif- 
pofez  à  receuoir  les  parties 
canelées  des  deux  coftez.    .    » 

139.  Quelle  diff"erence  il  y  a 
entre  l'aymant  &  le  fer. . .  275 

140.  Comment  on  fait  du  fer 
ou  de  l'acier  en  fondant  la 
mine 276 

141.  Pourquoy  l'acier  eft  fort 
dur,  &  roide  &  caftant » 


142.  Quelle  dift"erence  il  y  a 
entre  le  fimple  fer  &  l'acier.  277 

143.  Quelle  eft  la  raifon  des  di- 
uerfes trempes  qu'on  donne 

à  l'acier » 

144.  Quelle  différence  il  y  a 
enirc  les  pores  de  l'ay- 
mant, de  l'acier  &  du  fer. ,  278 

145.  Le  dénombrement  de  tou- 
tes les  proprietez  de  l'ay- 
mant  279 

146.  Comment  les  parties  ca- 
nelées prennent  leur  cours 
au  trauers  &  autour  de  la 
Terre 283 

147.  Qu'elles  paftent  plus  diffi- 
cilement par  l'air  &  par  le 
refte  de  la  terre  extérieure 
que  par  l'intérieure 284 

148.  Qu'elles  n'ont  pas  la 
mefme  difficulté  à  pafter 
par  l'aymant » 

149.  Quels  font  fes  pôles » 

I  5o.  Pourquoy  ils  fe  tournent 

vers  les  pôles  de  la  Terre.  285 
i5i.  Pourquoy  ils  fe  penchent 
auftl  diuerfement  vers  fon 
centre,  à  raifon  des  diuers 

lieux  où  ils  font » 

i52.  Pourquoy  deux  pierres 
d'aymant  fe  tournent  l'vne 
vers  l'autre,  ainfi  que  cha- 
cune fe  tourne  vers  la 
Terre,  laquelle  eft  auffi  vn 

aymant 286 

i53.  Pourquoy  deux  aymans 
s'approchent  l'vn  de  l'au- 
tre, &  quelle  eft  la  fphere 
de  leur  vertu 287 

154.  Pourquoy  auftl  quelque- 
fois ils  fe  fuycnt 288 

1 55.  Pourquoy,  lors  qu'vn  ay- 
mant eft  diuifé,  les  parties 
qui  ont  efté  jointes  fe 
fuyent 289 


j  ^Q  Table:  des  Principes 

1 56.  Comment  il  arriùe  que  167.  Pourquoy  les  aiguilles  ay- 
deu)<  parties  d'vn  aymant  mantées  ont  toul'-jours  les 
qui  fe  touchent,   deuien-  pôles  de  leur  vertu  en  leurs 

nent  deux  pôles  de  venu  extremitez.. 295 

contraire,   lors    qu'on    le  168.  Pourquoy    les    pôles    de 

diuife...., .289  l'aymant    ne    fe   tournent 

1 57.  Comment    la    vertu    qui  pas  touf-jours  exactement 

eft  en  chaque  petite  pièce  vers  les  pôles  de  la  Terre.       ». 

d'vn  aymant  eft  femblable  169.  Comment  cette  variation 

à  .celle    qui    eft    dans    le  peutchangerauec  le  temps 

tout .  / 290  en  vn  mefme  endroi6l  de  la 

1 58.  Comment  cette  vertu  eft  Terre. 296 

communiquée  au  fer  par  170.  Comment  elle  peut  auffi 

l'aymant »               eftre  changée   par   la  di- 

159.  Comment  elle  eft  commu-  uerfe    fituation    de    l'ay^ 

niquée  au  fer  diuerfement,  mant 297 

à  raifon   des  diuerfes  fa-  171.  Pourquoy  l'aymant  attire 

çons  que  l'aymant  eft  tour-  le-fer —       » 

né  vers  luy 291         172.  Pourquoy  il  foufti.ent  plus 

160.  Pourquoy  neantmoins  vn  de  fer,  lors  qu'il  eft  armé, 

fer  qui  eft  plus  long  que  que  lorsqu'il  ne  l'eft  pas. .  298 

large   ny  efpais    la  reçois  173.  Comment  les  deux  pôles 

"     toufiours  fuiuant  la  Ion-  de  l'aymant  s'aident  l'vn 

gueur »               l'au^tre  à  fouftenir  le  fer. . .       » 

161.  Pourquoy  l'aymant  ne  174.  Pourquoy  vne  pirouette 
perd  rien  de  fa  vertu  en  la  de  fer  n'eft  point  empef- 
communiquant  au  fer....  292  chée  de  tourner  par  l'ay- 

162.  Pourquoy  elle  fe  commu-  mant  auquel  elle  eft  fuf- 

nique  au  fer  fort  prompte-  pendue 299 

ment,  &  comment  elle  y  175.  Comment   deux   aymans 

eft  affermie  par  le  temps. .  »               doiuent  eftre  fituez  pour 

» 63.  Pourquoy  l'acier    la    re-  s'aider  ou  s'empefcher  l'vn 

çoit  mieux  que  le  fimple  l'autre  à  fouftenir  du  fer. .  3oo 

fer »        176.  Pourquoi  vn  aymant  bien 

164.  Pourquoy  il  la  reçoit  plus  fort  ne  peut  attirer  le  fer 

grande  d'vn  fort  bon  ay-  qui    pend    à    vn   aymant 

mant  que  d'vn  moindre. . .  293  plus  foible 3o  i 

i65.  Comment  la  Terre  feule  177.  Pourquoi  quelquefois  au 

peut  communiquer    cette  contraire    le    plus    foible 

vertu  au  fer »               aymant  attire  le  fer  d'vn 

166.  D'où  vient   que  de    fort  autre  plus  fort » 

petites    pierres   d'aymant  178.    Pourquoi    en    ces   païs 

paroilfent    fouuent    auoir  Septentrionnaux    le    pôle 

plus  de  force  que  toute  la  Aultral  de  l'aymant  peut 

Terre 294  tirer  plus  de  fer  que  l'autre  3o2 


DE  LA  Philosophie. 


}5i 


179.  Comment  s'arrangent  les 
grains  de  la  limure  d'acier 
autour  d'vn  aymant 3o2 

180.  Comment  vne  lame  de 
fer  jointe  à  l'vn  des  pôles 
de  l'aymant  empefche  fa 
vertu 304 

181.  Que  cette  mefme  vertu  ne 
peut  eftre  erapefchée  par 
l'interpofition  d'aucun  au- 
tre corps » 

182.  Que  la  fituation  de  l'ay- 
mant, qui  e(l  contraire  à 
celle  qu'il  prend  naturel- 
lement quand  rien  ne  l'em- 
pefche,  lui  olle  peu  à  peu 

fa  vertu 3o5 

i83.  Que  cette  vertu  peut  auffi 

luy  ertre  oftée  par  le  feu  & 

diminuée  par  la  rouille.. .       » 

184.  Quelle  eft  l'attradion  de 

l'ambre,  du   jayet,   de  la 

cire,  du  verre,  &c » 

i85.  Quelle e(t la  caufe  de  cette 
attradion  dans  le  verre  . . .  3o6 

186.  Que  la  mefme  caufe  fem- 
ble  auffi  auoir  lieu  en  tou- 
tes les  autres  attrapions  . .  307 

187.  Qu'à  l'exemple  des  chofes 
qui  ont  eûé  expliquées  on 
peut  rendre  raifon  de  tous 
les  plus  admirables  effeds 
qui  font  fur  la  terre 3o8 

188.  Quelles  chofes  doiuent 
encore  eftre  expliquées, 
afin  que  ce  traité  foit  com- 
plet  309 

189.  Ce  que  c'eft  que  le  fens,  & 
en  quelle  façon  nous  fen- 
tons 3io 

190.  Combien  il  y  a  de  diuers 
fens,  &  quels  font  les  inté- 
rieurs, c'eft  à  dire  les  ap- 
pétits naturels  &  les  paf- 
lions 3 1 1 


191.  Des  fens  extérieurs;  &  en 
premier  lieu,  de  l'attou' 
chement 3i3 

192.  Du  gouft 3 1 3 

193.  De  l'odorat » 

194.  De  l'ouye 3i4 

195.  De  la  veuë » 

196.  Comment  on  prouue  que 
l'ame  ne  fent  qu'en  tant 
qu'elle  eft  dans  le  cerueau.       » 

197.  Comment  on  prouue 
qu'elle  eft  de  telle  nature 
que  le  feul  mouuement  de 
quelque  corps  fuffit  pour 
luy  donner  toute  forte  de 
fentimens 3i5 

198.  Qu'il  n'y  a  rien  dans  les 
corps  qui  puifTe  exciter  en 
nous  quelque  fentiment, 
excepté  le  mouuement,  la 
figure  ou  fituation,  &  gran- 
deur de  leurs  parties 3 1 6 

199.  Qu'il  n'y  a  aucun  phai- 
nomene  en  la  nature  qui 
ne  foit  compris  en  ce 
qui  a  efté  expliqué  en  ce 
Traitté 317 

200.  Que  ce  Traitté  ne  con- 
tient aufiTi  aucuns  Princi- 
pes qui  n'ayent  efté  receus 
de  tout  temps  de  tout  le 
monde  ;  en  forte  que  cette 
Philofophie  n'eft  pas  nou- 
uelle,  mais  la  plus  an- 
cienne &  la  plus  commune 
qui  puifle  eftre 3 1 8 

201.  Qu'il  eft  certain  que  les 
corps  fenfibles  font  com- 
pofez  de  parties  infenfi- 
bles 319 

202.  Que  ces  Principes  ne  s'ac- 
cordent pas  mieux  auec 
ceux  de  Democrite  qu'a- 
uec  ceux  d'Ariftote  ou  des 
autres 320 


3^2                         Table  des  Principes 

203.  Comment  on  peut  parue-  2o5.  Que  neantmoins  on  a  vne 
nir  à  la  connoiffance  des  certitude  morale  que  toutes 
figures,  grandeurs  &  mou-  les  chofes  de  ce  monde 
uemens  des  corps  inlcn-  font  telles,  qu'il  a  efté  icy 
libles 32  1  demonrtré    qu'elles    peu- 

204.  Que,  touchant  les  chofes  uent  eftre 333 

que  nos  fens  n'apperçoi-  206.  Et  mefme  qu'on  en  a  vne 
uent  point,  il  fuffit  d'ex-  certitude  plus  que  morale.  324 
pliquer  comme  elles  peu-  207.  Mais  que  je  foùmets  tou- 
uent  eltre  :  &  que  c'eft  tout  tes  mes  opinions  au  juge- 
ce  qu'Ariftoie  a  lafché  de  ment  des  plus  Sages  &  à 
faire 322               l'authoriié  de  l'Kglife 325 

Note  I , ; 327 

Note  II 33o 


CORRECTIONS  ET  ADDITIONS 


MÉDITATIONS 


Page  10,  ligne  26  : 

toutes 

d  supprimer. 

18,  1.  23  : 

les  ténèbres 

lire  : 

toutes  les  ténèbres 

29,1.31: 

en  moy  ; 

— 

en  moy, 

34,1.  18: 

chofes 

— 

chofe 

65,1.  29  : 

corps. 

— 

corps  ; 

49,  1.  22  : 

une 

— 

vne 

5o,  1.  12  : 

&,  derechef 

— 

&  derechef 

»,  1.  i5  : 

efprit  : 

— 

efprit  ; 

63,1.  i5  : 

objectivement 

-- 

objediuement 

68,1.  II  : 

compozé 

— 

compofé 

75,1.  i3: 

l'efcole 

— 

l'efcole, 

»,  1.  29  : 

examiner,  li 

— 

examiner  li 

78,  1.  9  : 

fçavent 

— 

l^auciit 

»,  1.  10  : 

auancé,  comme 

— 

auancc  comme 

s  I.  27  : 

premièrement 

— 

premièrement, 

»,1.  3i  : 

Dieu 

— 

Dieu, 

«,1.39: 

conceu 

— 

conceu. 

80,  1.  26  : 

entre  elles 

— 

entr'elles 

85,1.4: 

pour  ce 

— 

pourcj 

»,  1.  6  (remontant)  :  fouverainenicni 

87,  1.  6  :  efïiciente 

88,  note  a  :  tome  VI 
90,  1.  3  (remontant)  :  iiccellairt 
93,  1.  I  :  ni 

106, 1.  i3  :  difant, 

136,1.4:  ilfefert; 

1 68, 1.  7  (remontant)  :  un . . .  un 
Œuvres.  IV. 


—  louuerajnjmtni 

—  erticicnie, 

—  lOIU':  VIT 

—  ncceUairc 

—  ny 

—  difant 

—  il  ic  icrt, 

—  vn. . .  vu 

9 


M4 


Page  184,  l.  6  : 

ip/Viv 

194,  1.  26  : 

laquelle,    • 

198,1.  12: 

ne  furent 

2o3,  1.  3  : 

auroient 

206,  1.  19  : 

fçais 

207,  1.  5  : 

répétée, 

208,  1.  12  : 

enfuite 

»   ,  1.  24  : 

jugement 

214,  note  a, 

.8  : 

feci  te 

216,  note  a, 

.  3  : 

p.  27i.(n°.8, 

224,  1.  22  : 

sommes 

23i,  1.  10  : 

mai 

247,  1.  2  : 

I 

»    ,1.3: 

VII 

Corrections  et  Additions. 

lire 


laquelle 

me  furent 

auront 

fçay 

répété, 

en  fuite 

iugement 

feci,  te 

p.  271,  n° 

fomriies 

mais 

V 

XI 


V 

PRINCIPES 


Page  6,  ligne  29  :  un 

13,  1.  I  3  :  troifieme 

3o,  1.  7  (remontant)  :  égaux  » 


lire 


vn 

troifieme 
égaux  », 
font 


»,  1.  5  (id.)  :  sont 

35,  art.  24:  avoir  —    auoir 

71,1.30:  environne  —     enuironne 

74,  art.  20  :  ou  petits  corps  indiuifibles.  en  italiques. 

78,  1.  5  :  '  diverfes  lire  :  diuerfes 

83,  art.  35  :  Voir  planche  I,  ligure  3. 

84,  1.  10  (remontant)  :  jours  lors  que      lire  :  jours,  lors  que 
86,  I.  9  :  a  fo  mouuoir  —    à  fe  mouuoir 
90,  1.  4  :                   rcjallit  [sic)  —     rejalliroii 

y3,  art.  53  :  est  —     eft  . 

y8,    »    38-9  :  Voir  planche  II,  figure  3. 

i3o,  »    54-5  :  —  111. 

i?7.  note  d  :  Les  deux  figures  4  et  5  de  la  planche  VI  ont  éié 

complétées,  cônrormément  à  couc  note,  par 
l'uinotateur  lui-mcmc,  au  moyen  de  lignes 
tracées  à  la  plume,  comme  on  le  voit  sur  la 
planche.  Nous  avons  laissé  subsister  la  rcpro- 
duciion  phoiu;.îraphiqiic  d"nn.  pluii'^f  ms.  qui 
explique  ces  lignes. 


Corrections  et  Additions.  3  ^  5 

Page  140- 148,  art.  71-82:  Voir  planche  VII. 


i5i,  art.  86  : 

Idem. 

154,    »     90  : 

Planche  VIII,  figure  2. 

i63,    »     106-7  • 

»         IXt        »        I. 

i65,    »     109-110 

:        »         IX,         »        I. 

167-8,»     I 12-3  : 

»         IX,        »        I. 

175,    »     123  : 

III. 

212,    »     24: 

»        XIII,  ligure  1. 

219,    »     35-6  : 

XIV. 

221,    »     39  : 

Idem. 

225,  note  a  : 

Cette  lettre  B  a  été  ajoutée  à  la  plume  par  !anno- 

tateur  de  notre  vieil  exemplaire.  Planche  XV. 

figure  2. 

226,  art.  47  : 

preffe                            lire  :  prelTé 

229,     »     5i  : 

Planche  XVI. 

235,     »     62-3  : 

»        XV,  figure  2. 

241,  1.  9  : 

que                               lire  :  que  (ital.) 

242,  1.  3  (remontant)  :fe                             —     Te  (romain) 

244,1.  17: 

font                                —    y  font 

246,  1.  20  : 

du                                   —     de 

248,.!.  9  : 

attachées                       —     atachées 

25o,  1.  27  : 

loi'S  qu'on  le  renjerme  (romain) 

352, 1.  26  : 

mefme                        /zre  ;  mt?/me  (ital.) 

»    ,  note  b  : 

pièces  traduction  (?)  de  fragmenta  {lat.) 

254,  1.  7  (remontant)  :  ces                        lire  :  l'es 

257,1.5: 

les  feparer                      —     les  en  fcparcr 

269,  1.  II  : 

fes                                   —    ces  (?) 

272,  note  a  : 

258                                  —     i63 

»    ,  note  c  : 

3  58                                —     164-165 

273,  1.  i5  : 

fes                                   —    CCS 

283,1.  16  : 

ABCD                           —     ACBI) 

285,  art.  i5o  : 

Planche  XIX,  figure  i. 

286,  1.  23  : 

pôle  a                          lire  :  p(jle  a 

289,  an.  i55  : 

Planche  XX,  figuYe  2. 

3o2, 1.  dernière  : 

en                                 lira  :  dans 

322,  1.  av.-dern.  : 

elle                                 —    elles 

328,1.  19: 

a                                                                     2        / 

TABLE  DES  NOMS  PROPRES 


MÉDITATIONS 


Académiciens  :  103- 

Ecclésiaste  :  220,  231. 

Alipius  :  i54- 

Ecritures  (Saintes)  :  4,  5,   gg,   112 

Apollonius  :  6,  211. 

120,  320-/,  2S1-2. 

Archimèdk  :  6,  19,  186,  189.  211. 

EucLiDE  :  210. 

Ariminensis  :  gg. 

Evodius  :  154. 

Aristote  :  76,  84,  187,  192,  194. 

Fkdé  (René)  :  v,  ix,  xv,  i,  9. 

Arnauld:  i53,  170,  171,  173.  174, 

Gabriel  :  gg. 

176,  177,  179,   181-3,  187,  189, 

Gassend  :  VII,  ii)tS-20i,  202,  244. 

191. 

Genèse    235. 

Augustin   (Saint)  :   iS^,   160,   164, 

(HoBBEs)  :  j33. 

168-g,  170. 

Hurons  :  ^8. 

B.MLLET  (Adrien)  :  v. 

jEA-ClSaini)  :  231. 

Blaev  (Joh.)  :  19Ç). 

Le  Gra<:  :  xiit. 

BoÈCE  :  jS. 

Léon  X  :  6. 

BouRDiN  (Le  P.)  :  vi. 

Le  Pçtit  :  xi,  l,  245. 

Calvinistes  :  148.  148. 

Luynes  (Duc  de)  :  viii-xi,  2,  3,  200. 

Camusat  (Veuve)  :  xi,  i,  245. 

Maître  des  Sentences  :  230. 

Canadiens  :  g8,  120. 

Mersenne  :  p6,  102,  i53,  170, 

Caterus  :  73,  81. 

Œdipus  :  75. 

Ceberet  :  245. 

Pappus :  6. 

Clerselier  :  vi-xi,  2,   lî-i,  199.  200, 

Paul  (Saint)     5.  220,  231. 

202,  244. 

Péripatéticiens  :  i38,  234. 

■Concile  de  Latran  ;  5,  ai  S,  228. 

Pharaon  ;  gg,  112. 

»          Trente  :  194. 

Picot  (Abbé)  :  x. 

Damascène  (Saint)  :  77. 

Platon  :  i33. 

Davus  :  75. 

Platoniciens  :  i58,  218.  228. 

Denis  (Saint)  :  74. 

Prophètes  :  gg,  112. 

DiNET  (Le  P.)  :  vi,  xiii. 

Pvthagore  :  228. 

a.  Les  chiffres  grAS  se  rapportent  au  texte  de  Descartes,  en  italiques  à 
celui  des  auteurs  d'objections,  et  en  arabe  ordinaire  aux  notes  et  docu- 
ments du  même  genre.  —  Les  noms  en  italiques  sont  des  noms  de  sectes 
ou  de  peuplades,  ou  de  personnages  des  auteurs  sacrés  ou  profanes,  etc 


358 


Table  des  Noms  propres. 


Salotnon':  231-2. 
Sceptiques  :  103. 
Scolastiques  :  gg. 
ScoT  :  5o,  94. 
SOCRATE  :   i5i. 


SoLY  (Michel)  :  198. 
Sorbonne  :  1,  4,  7,  198. 
SuAREZ  :  j6,  182. 
Thomas  (Saint)  :  76-g,  84,  90-1. 
Turcs:  100,  116,  120. 


PRINCIPES 


Adam  et  Eve  :  124. 

Alchimistes  :  235. 

André  Martin  :  xii. 

Aristote  :  5,  6,  7,   18,  191,  318. 

320,  322,  323,  847. 
Baillet  (Adrien)  :  xv. 
Beau-mont  (Anne-Joseph  de)  :  xii. 
Burman  :  XVIII. 
Ceoren  :  iGi. 
Clerselier  :  vu,  xiii,  xiv,  xvi.  xvii, 

XVIII,  121. 
Copernic  :  109,  119,  120,  334,  335. 
Démocrite  :  320,  847. 
Egyptiens  :  191. 
Elisabeth  :  m,  i,  21,  327. 
Epicure  :  6. 

Frédéric  (roi  de  Bohême)  :  21. 
Gilbert  :  295. 
Grâces  :  23. 

Grassius  (Horatius)  :  179. 
Hipparque  :  119. 
HoYGENS  :  86. 
Le  Gras  :  m. 
Lbgrand  :  X,  il,  XII,  xiii,  xiv,  xv,  xvi, 

64,  70,  76,  78,. 87,   121,  216,  247, 

23o,  262. 
Luynbs  (Duc  de)  :  vu. 


Minerve  :  23. 

Muses  :  23. 

Ozanam  :  xiii-xvi. 

Paracelse  :  235. 

Picot  :  vn,  viii,  ix.   x,  xv,  xvi.  x.vii. 

xviii,  xx,  i. 
Platon  :  5. 
Pline  :  161. 
Plutarque  :  161. 
pollot  :  xi,  xii. 
Pontanus  :.  179. 
Ptolémée  :  108,  109,  119,  334. 
Regiomontanus  :  179,  181. 
Regius  :  19,  262. 
Rohault  :  XII. 

Sarsius  (Lotharius)  :  voir  Grac-.us. 
Scheiner  :  118. 
Socrate  :  5. 
Stoiques  :  311. 
Tertullien  :  161. 
Tycho-Brahé  :   109,  110,  119,  120, 

122,  334,  335. 
Virgile  :  i6i. 
VoET  :  19. 
Wendelin  :  119. 
XiPHiLiN  :  161. 


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maitre  -  imprimeur 
Mayenne.  25-1-1957 


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1833 
1896  ' 
vol.  9 


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